MEMOIRES
POUR SERVIR
A L'HISTOIRE
DES
INSECTES.
A
Par A4. DE ReauMUR, de V Académie Royale
des Sciences, de la Société Royale de Londres, if des
Académies de Pet ers bourg if de VInjlitut de Bologne,
Commandeur if Intendant de l'Ordre royal if militaire
de Saint Louis.
TOME CINQUIEME.
Suite de l’Hijîoire des Mouches à deux ades, if VHifloire de plufieurs
Mouches à quatre ailes, fçavoir, des Mouches à fcies,
des Cigales, if des Abeilles.
A PARIS,
DE L’ IMPRIMERIE ROYALE.
M. D C C X L.
TABLE
DES MEMOIRES
CONTENUS DANS CE VOLUME.
P RÉ F A c E ,ou l’on donne une idée générale des Mémoires
contenus dans ce Volume.
Premier
Mémoi re.
H
IJloire des Tipules.
page i
Second Mémoire. Hifoire des Mouches de S.‘ Marc;
ér quelques Suppléments au neuvième & au douzième
Mémoire du quatrième Volume. 5 5
TroisiémeMé moire, Et le premierfur les Mouches
à quatre ailes. Des faujfes Chenilles, & des Mouches
à fies, dans lefquelles elles fe transforment. 87
Quatrième Mémoire. Sur les Cigales, & fur
quelques Mouches de genres approchants du leur.
Cinqu 1 éme Mémoire, Et le premier de l’Hifoire des
Abeilles, ou l’on traite de la forme des Ruches les plus
propres à faire des obfervations fur les Abeilles ; oîi l on
examine ce qu’on doit perfer de la confitution de leur
gouvernement ; où ton explique les moyens dont on s ef
fervi pour voir les faits qu’on rapporte.
207
Sixième Mémoire. Des parties extérieures des
Abeilles ordinaires. Comment elles vont faire dans les
campagnes la récolte de la cire éx celle du miel, 281
S e P T1É m e Mémoire. Des A iguillons des A beilles, de
a i)
leurs combats, & des différences remarquables entre les
parties extérieures des Abeilles ordinaires, & les parties
extérieures des mâles & des tneres. 339
H u 1T1É m £ M ÉAioiRE. Des Gâteaux de cire; comment
les Abeilles parviennent à les conjlruire; comment elles
changent en véritable cire les pouffiéres d’étamines. De
la récolte & de l’emploi de la Propolis. Comment elles
remplijjent les alvéoles de miel, & comment elles l’y
confervent. 379
Neuvième Mémoire. De la Fécondation ,& de la
Ponte de la mere abeille. 4.61
Dixi éme Mémoire. Des moyens de faire paffèr les
Abeilles d’une ruche dans une autre; & comment on peut
examiner une à une toutes celles d’une ruche. 3 2 1
Onzi éme Mémoire. De ce quifepaffe dans chaque
alvéole d’une ruche depuis qu’un œuf y a été dèpofé,
jufques a ce que le Ver fini de cet œuf parvienne à être
une Abeille. 569
Douzième Mémoire. Des Effaims. 607
Treizi éme Mémoire. Des foins qu’on doit prendre
des Abeilles pour les cor ferrer, les faire multiplier, fr
pour profiter de leurs travaux. 659
ERRA TA.
Tome IV. Préface.
P Age xv . lignes 2 dX ; , toute chenille doit avoir été papillon, lifés , tout
papillon doit avoir été chenille.
Tome V.
P Age 7 o, lignes / j dX 23, pharinx, lifés, larinx. Page 1 61, ligne j 2, refie
de circonférence, lifés, reite de la circonlérçncc.
P RE F A CE,
A A ,A ,A A A- A A A A A A A A A- A A A A. a. A A a t«
J. A. A A- A.
d5A^A^A<^AtJ!A.C ....... ... .. . .. .. _. ____
•8 *SA A AA AAA A K^v AAA A A «iK '2’- A* ' AA AA A- AA"’ A v-' AA A A A A AA A AA A A AA A A?
P RE F A C E,
Où l’on donne une idée générale des Mémoires contenus
dans ce Volume.
D ES obfèrvations furies mouches à Jeux ailes, qui
n’ont pû entrer clans le quatrième Volume, font
rapportées dans les deux premiers Mémoires de celui-ci.
L’hifioire des Coufins par laquelle le Volume précédent
finit, nous a fait connoître d’avance les mouches appel-
Jées tipules; elle nous a appris que nous if avons rien à
en craindre, quoique leur extérieur foit très-feinblabîe à
celui des confins, elles n’ont point de trompe, ni aucun
autre infiniment capable d’agir fur nous. Le premier Mé¬
moire de ce Volume efi deftiné à nous infiruire plus à
fond de ce qui les regarde ; il en fait connoître d’un très-
grand nombre cl’d'péces différentes qui ont toutes de
commun d’avoir un corps long, & detre montées fur de
longues jambes. Quelques-unes qu’on trouve fur- tout
dans les prairies pendant l’Automne, furpaffent beau¬
coup les coufins en grandeur; elles font fi haut montées,
quelles femblent l’être fur des échaiïes. Leurs longues
jambes leur fervent aufli à paffer fur les herbes , comme
les échafies fervent aux habitants des pays inondés <$c
marécageux, pour marcher dans l’eau & dans la boue.
Toutes les Tipules des efpéces que je connois, ont été
des vers fans-jambes, &. à tête écailleufe, mais qui ont des
particularités propres fouvent à faire difiinguer les uns
des autres , ceux qui doivent fc transformer en tipules
qui différent fpécifiquement. Ces vers font de nature
Tome V . a
jj PREFACE.
differente, & naiffent avec des goûts fort différents. ÎI
y en a qui vivent fous terre, 6t de terre. Une terre ordi¬
naire, telle que celle de nos champs, de nos prairies, de
nos jardins, convient pour loger les uns & les nourrir;
d’autres fe tiennent dans une forte de terreau qui fe
trouve au fond de ces trous formés par la pourriture
dans des troncs d’arbres; d’autres vivent fur des plantes
ou dans des plantes ; d’autres enfin , prennent leur ac-
croiffement fous l’eau. Quelque part oui ils l’ayentpris,
dès qu’ils n’ont plus à croître, ils fe métamorphofent
en nymphes ou en crifalides, & deviennent enfuite des
mouches. Les vers de la plus grande des efpéces de ti-
pules de ce pays, font de ceux qui vivent fous terre, qui
s’y changent en nymphes dépourvûes de jambes propres
à marcher; mais qui, avec les picquants dont leurs an¬
neaux font hériffés, fçavcnt fe pouffer en haut, percer la
terre 6c s’élever un peu au-deffus de fa furface. C’eft
alors que la mouche tire fes parties de leurs fourreaux, &
qu’elle prend bientôt l’effor. Par la fuite, on voit avec
plaifir les femelles femèr leurs œufs en terre ; elles ont
î’adreffe de marcher en tenant leur corps droit : il fe ter¬
mine par une pointe écailieufe, qui eft pour la tipule,ce
qu’efl un plantoir pour un jardinier. Elle pique cette pointe
fucceffivcment en différents endroits. Chaque trou reçoit
un ou plufieurs œufs. Parmi les vers tipulcs qui vivent
fur les plantes, il y en a des efpéces qui ne connoilfent
d’autre nourriture que celle que la fubf lance des cham¬
pignons leur fournit. Il eft ordinaire à beaucoup de cham¬
pignons de differentes efpéces, qui ont un peu vieilli fur
pied, de fourmiller de vers, cpii, pour la plupart, devien¬
nent des tipulcs. J’en ai obfcrvé qui s’arrêtent fur l'exté¬
rieur d un agaric du chêne : ils font remarquables en ce
que leur tête a foin de rendre unis & liffes au poffible les
PREFACE. if/
endroits fur lefquels le corps doit paffer; elle les enduit
d’une matière vifqueufe qui fe lèche dansl’inflant, & qui
a tout le luifant de ces traces que les limaçons & les li¬
maces biffent fur les murs. Toutes les fois qu’il fe veut
repofer, il fe fait un lit d’une pareille matière. Enfin, de
cette même liqueur gluante, il fe confinait une coque
qui femble être de moulfe telle que celle du favon.
Un ver que je ne connoiffois pas encore lorfque ce
premier Mémoire a été imprimé, eft de ceux qui aiment
les truffes qui fe pourrifTent; je l’ai trouvé dans quelques-
unes que M. le Marquis de Gouvernet m’avoit envoyées,
parce qu’il les fçavoit dans le mauvais état oi'i j’aimois à
en avoir. Ce ver, dis-je, fe fert comme le précédent,
d’une liqueur vifqueufe pour fe préparer un chemin ;
mais il pouffe l’induftrie & la délicatclfe plus loin. Il
marche toûjours dans un tuyau de cette matière ; à
mefure qu’il avance, qu’il veut aller plus loin, il pro¬
longe ce tuyau ; de le prolonger, ell pour lui l’ouvrage
d’un inftant. On ne croirait pas que ce tuyau fait d’une
matière qui a fi peu de confiflance, &. aufîi mince qu’on
puiffe f imaginer , car on ne diftingue pas mieux les par¬
ties de l'infecte lorfqu’il eft à découvert, quelorfqu’il eft
dans le tuyau; on ne croirait pas, dis-je, que ce tuyau
eut tant de folidité. La portion cpie le corps vient de
quitter en allant en avant, s’affaifîè & devient une lame
plate; quand le ver va à reculons, cette lame reprend la
forme cylindrique. Enfin, ce tuyau cylindrique fe lailfe
élargir autant qu’il elt néceffaire, quand le ver veut fe re¬
tourner dedans. Je n’ai pas eu la mouche dans laquelle
le transforme ce ver ; mais l’analogie veut que nous la
croyions une tipule.
Je n’aurois pas manqué auffi de donner place dans le
Mémoire dont il s’agit actuellement, à une autre tipule,
a i;
iv PREFACE.
fl je l’eulfe connue aiïes tôt ; ce n’eft pas quelle ait rien
Je remarquable dans fa figure, elle cil même a fies petite.
Mais il cil curieux riefçavoir que le ver d’où elle vient,
fc nourrit clans les fleurs du bouillon blanc ; qu’il fait de¬
venir ces fleurs monllrueufes; qu’il produit dans leur ftruc-
ture un changement pareil à celui que produit dans les
fleurs du Camedris, une efpéce de punaife dont il a été
parlé dans le dernier Mémoire du Tome III. Enfin, ce ver
tipule empêche la fleur du bouillon blanc de s’ouvrir; elle
lui fait une boîte dans laquelle il refte renfermé, lorsqu’il
a pris la forme de crilalide, & jufqucs à ce qu’il en forte
fous celle de mouche. C’eft à M. Bernard de Julfieu
que j’ai dû les fleurs monltrueufes du bouillon blanc,
qui m’ont mis en état de faire des obfervations fur ces
lipides, comme je lui ai du les fleurs monltrueufes du
Camedris.
Mais il n’efl nulle part aulfi aifé de voir des vers tipulcs,
que dans les eaux qui croupilfent. Les bacquets qui ont été
tenus pleins d’eau pendant quelques femaines, ont leurs
parois & leur fond remplis de flocons terreux qui font les
habitations que le font faites des vers rouges cpii doivent
devenir des tipulcs. Le même bacquct qui avoit des mil¬
liers de ces vers, e(t plein par la fuite des nymphes dans
lesquelles ils le font transformés, dont le corcelet elt orné
de chaque côté de belles & finguliéres pennaches ; ces nym¬
phes fe métamorphofent à la furface de l’eau, comme
les nymphes des confins: elles deviennent des tipulcs,
dont la tête a des plumets qui le dilputent en beauté
ii ceux des nymphes. Dans les eaux croupies, on trouve
des vers blancs qui fe tiennent dans des efpéces de glai¬
res, & qui deviennent aulfi des tipules. D’autres tipulcs
doivent leur origine à des vers d’une tranlparence qui ne
le cède guercs à celle de l’eau dans laquelle ils fc tiennent.
ERE'FACE. v
ÎIs font encore finguliers par un grand crochet formé de
deux crochets fembiables appliqués l’un contre l’autre,
qu’ils portent en devant de la tête. Enfin, tant de petites
mouches fans trompe, que nous prenons fbuvent pour
des coufins, & qu’on voit voler par nuées en l’air, qui y
ont des mouvements de vibration de haut en bas, l'ont
ordinairement des tipules , dont celles de différentes
efpéces doivent leur origine à différentes efpéces de
Vers.
Ce qu’il nous rcfloit d’obfervations à rapporter fur les
mouches à deux ailes, fe trouve dans le fécond Mémoire;
nous y faifons d’abord connoître l’origine de celles qui
ont été appellées mouches de Saint Marc, & qui paroiflent
vers le temps de la fete de ce Saint. Les vers qui donnent
la plus connue & la plus commune des efpéces de ces
mouches, prennent leur accroiffément fous terre; s’ils
avoient des jambes, ils reffémbleroient à des chenilles
velues ; c’eff lous terre qu’ils fe métamorphofent en
nymphes. Les mouches qui fortent de ces nymphes,
n’ont rien de fort particulier à nous offrir. Le mâle qui,
félon la réglé ordinaire, cil plus petit que la fémelle,
a cependant une tête beaucoup plus grolfe que la tête
de celle-ci. Ce n’elt que pour ne pas lailfer ignorer d'où
viennent certaines mouches extrêmement petites & très-
communes, que nous parlons dans ce même Mémoire,
des vers qui fe nourriffênt demie!, de compotes qui com¬
mencent à fe gâter, de lie de vin, de marc de raifin, & de
toute matière lucrée qui s’eff aigrie. Nous y parlons auffi
de quelques eljiéces de mouches qui viennent de vers qui
aiment les truffes. Mais nous y traitons plus volontiers de
vers dont nous eulfions dû faire mention dans le qua¬
trième Volume, auxquels la nature a affigné un lieu bien
fingulier pour prendre leur accroiffcment. Dans le fond
a iij
yj PREFACE.
de la bouche du cerf, à chaque côté du larinx, il y a
deux boudes charnues qui femblent n’avoir été faites que
pour élever les vers dont nous voulons parler, ou fans
îefquelles au moins ils ne pourroient croître. Les cerfs
n’ont pas de ces vers en toute faifon : le temps qui pré¬
cédé, 6 c celui qui fuit de près la chute du bois, font
ceux où il leur eft plus ordinaire d’en avoir. C’eft appa¬
remment ce qui a fait imaginer aux Chafteurs, que ces
vers étoient les agents que la nature employoit pour faire
tomber ce grand bois h folidement alfujetti. Ils ont cru,
6 c ils croyent encore, qu’ils quittent de concert le lieu
de leur naiffancé, pour fe rendre à la meule ou balèdes
perches ou du merrein, 6 c pour la ronger. Nous avons
Tm. IV. dit ailleurs* que d’autres vers, ceux qui font élever des
tumeurs fur le corps de ce grand animal, ont encore
été chargés de cet ouvrage, 6 c nous avons fait voir alors
qu’ils y font peu propres, 6 c qu’auffi n’y longent-ils pas.
Nous tâchons de détromper dans ce fécond Mémoire,
ceux qui croiroicnt les* vers de la gorge du cerf plus ca¬
pables que ceux des tumeurs, de venir à bout d’un pareil
travail, parce qu’ils font munis d’efpéces de dents en cro¬
chets, qui manquent aux autres. Nous faifons voir que ces
crochets qui ne font pas plus durs que la corne du cerf,
ne peuvent agir qu’en piochant; que, fuffent-ils plus
durs, il leur faudrait un temps plus long peut-être que
celui de la vie du cerf, pour creufer jufques au centre une
maffe h groffe 6 c fi dure. Mais cette fauffe 6 c prétendue
merveille eft remplacée par beaucoup d’autres très-réelles
6 c très-véritables. Ces vers doivent leur origine à une
mouche qui fçait, ou fcmble fçavoir, que pour perpétuer
fon efpéce, elle doit entrer dans les narines du cerf , che¬
miner tout le long de fon nés, fé rendre auprès de fon
gober; que là fè trouvent deux cavités charnues, deftinées
PREFACE. vij
à loger & à nourrir les vers auxquels elle fe prépare à
donner naifiance; que ces vers parvenus à une grofieur
afies confidérable, fçauront qu’ils doivent abandonner
leur cavité charnue; que pour iortir du gober du cerf,
ils fçauront trouver la même route que leur mere a fçu
fuivre pour y arriver.
Malgré les deux Mémoires précédents, & ceux qui
remplifient la plus grande partie du quatrième Volume,
je laiffe encore l’hifioire des mouches à deux ailes, grof-
fièrement ébauchée. Je luis perfuadé que j’ai obmisbien
des généralités que j’aurois dû y faire entrer, Si une in¬
finité de détails curieux. Je commence pourtant dans le
troibéme Mémoire de ce Volume-ci, à traiter des mou¬
ches à quatre ailes. J’y en fais connoître un genre qui
efi très-bien caraélérifé par l’infirument fingulier qu’on
trouve aux fémelles, étaux feules fémelles de toutes fes
eljréces. J'appelle ces mouches des mouches à feies. Elles
en ont deux dentelées comme les nôtres, Sc qui ont des
perfeéïions que nous n’avons pas imaginé de donner à
celles dont nous nous fervons; aufii nos ouvriers ne doi¬
vent-ils aucunement être comparés avec le maître qui a
inventé & exécuté ces feies, qui ne font pas feulement
admirables par leur extrême petitelfe. Les mouches qui
en font pourvues, viennent de ces vers que nous avons
nommés faulfes chenilles, parce que leur forme efi telle
quelle les a fait prendre pour de véritables chenilles par
defçavants Naturaliftes. Ils ont des jambes, & en ont au
moins deux de plus que les chenilles qui en font les mieux
fournies, que celles qui en ont feize. Le nombre des el-
péces de ces faulfes chenilles efi très-grand, la plupart
font rafes; quelques-unes pourtant ont le corps tout hé-
rifie d’épines d’une figure finguiiére, faites en T ou en Y.
Les différentes efpéces nous en olfrent de toutes couleurs.
* Toitu
viij PREFACE.
Si de couleurs différemment combinées, l'oit par rayes,
l'oit par taches. Ce qui clt plus fingulier, c’eft que quel¬
ques-unes font vêtues tout à-fait différemment dans dif¬
férents temps de leur vie. De muer eff pour elles chan¬
ger d’habits; il y en a que la dernière mue rend mécon-
noiffables. La fauffe chenille qui jufques-là avoit été rayée
ou tachetée de jaune Si de noir, ou de quelque autre
couleur, après avoir quitté fa vieille peau, elt entièrement
blancheâtre. Ce qui eft encore plus remarquable, Si plus
propre a faire méconnoître quelques fauffes chenilles,
c’eft que celles qui jufque-là avoient eu le corps couvert
d’épines, ou de tubercules chargés de poils, prennent
une dernière peau qui eft absolument raie. Entre ces
fauffes chenilles, il y en a plufieurs qui fe font remarquer
par leurs attitudes hifarres, qui ont le corps contourné
en S, Si qui tiennent fouvent leur derrière en l’air & plus
élevé que leur tête ; d’autres fè roulent en pain de bougie ;
d’autres fe roulent fimplemcnt en cercle. Une de celles-ci
fe tient fur le chevre-feuille, Si a une autre particularité;
quand on la prend le matin, elle fait limiter de petites
gouttelettes d eau de tous les endroits de Ion corps.
Chaque fauffe chenille le confirait une coque dans
laquelle elle fe transforme en nymphe. Les unes les
font en terre Si de terre, & les autres y filent des coques
purement de foye. Toutes les variétés & les adrelfes qui
peuvent être employées dans les conftructions des co¬
ques de foye, fembleroicnt avoir été épuifées par les che¬
nilles; néantmoins malgré tout ce quelles nous ont fait
i. voir dans ce genre *, nous trouvons du nouveau Sc digne
d’être admiré, dans les coques de quelques fauffes che¬
nilles; elles s en font deux dont l’une eff renfermée dans
l’autre. L intérieure ou I inlcéle eff losré cfl d’un tilfu
O
ferré, mais mince & flexible. L’extérieure, celle qui fert
d’enveloppe
PREFACE. ix
d’enveloppe à la précédente , efl à rezeau ; elle efl cepen¬
dant beaucoup plus folide & très-capable de réfi fiance.
Audi efl -elle formée uniquement d’efpéces de groffes
fibres, qui, par rapport aux fils de la coque intérieure,
font ce que les cordes d’une raquette font par rapport
aux fils d’une toile ordinaire.
Toutes ces fuiffes chenilles fe transforment en des
mouches à deux ailes, qui, pour ainfi dire , ont un air
de famille, & dont toutes les femelles portent à leur der¬
rière deux fcies quelles ne montrent que quand elles
veulent les faire agir. Il ifieft aucun des inflruments que
la nature a accordés aux infectes, qui doive nous paraître
fait avec plus d’art. Ces fcies font appliquées finie con¬
tre l’autre, & peuvent jouer alternativement. Leurs dents
font elles-mêmes dentelées. Enfin, ces inflruments, qui
font des fcies par leur tranchant, font des limes ou des
râpes par le plat. La fiice extérieure de chacune efl ar¬
mée de plufieurs rangs de longues dents. Ces excellents
inflruments ont été donnés à certaines mouches pour
les mettre en état de faire aifément des entailles dans le
bois de divers arbufles, comme celui du roficr, dans
lefquelles il étoit effentiel à leurs œufs d’être dépofés. II
n’eft point de mouches moins farouches que celles-ci ;
il femble que celui qui les a faites, ait voulu que nous
puffions les obferver à notre aife, c’eft-à-dire, les admi¬
rer pendant qu’elles font occupées à feier & à pondre.
Leurs œufs font oblongs , comme ceux de mille autres
infectes, & de même, n’ont pour enveloppe qu’une forte
membrane ; mais ils différent des œufs plus connus par
une propriété bien finguliére, ils ont celle de pouvoir croî¬
tre; de jour en jour, ils acquièrent des dimenfionsen tout
l'ens, jufques à ce que le petit ver foit prêt d’en fortir.
Le quatrième Mémoire nous montre combien on
Tome V . b
X PREFACE.
fcroit faire de progrès à l’Hiftoire naturelle, fi on pouvoit
établir de bonsCorrefpondants dans les différentes parties
du Monde. Les environs de Paris ne nourrirent point
de cigales, & je n’en ai trouvé dans aucun des pays où
j’ai pu obfcrver à loifir les infeétes. Il ne m’étoit pas per¬
mis cependant d’ignorer Lus regret, l’hiftoire d’un genre
de mouches dont les plus anciens Naturalises ont fait
mention, & qui font fi renommées pour leur chant. Une
place leur étoit due dans nos Mémoires. Les regrets que
je devois avoir de ne me pas trouver dans un pays agréa¬
ble aux cigales, m’ont été ôtés par les foins officieux &
éclairés de M. le Marquis de Gaumont. Je ne crois pas que
j’euffie été en état de donner plus d’obfèrvations & plus
certaines fur ces grandes mouches, que j’en donne dans le
quatrième Mémoire, quand j’aurois été expofé pendant
plufieurs mois de differentes années, à être fatigué de les
entendre chanter. Les Auteurs qui en ont parlé, n’en
ont fait connoître que deux efpéccs, & nous en Liions
connoître trois. Entre les mouches à corps court de ce
pays, il n’y en a aucune qui approche de la grandeur des
cigales de la grande efpcce. Du bout antérieur de leur
tête, qui eff prefque coupé quarrément, & qui a autant
de groffeur que ce qui précédé, part une partie triangu¬
laire qui fe replie en deffous. C’efl de l’extrémité de
cette partie que fort une trompe contenue dans un
fourreau , & appliquée contre le deffous du corcelet.
Cette trompe apprend que la cigale n’efl pas faite pour
vivre uniquement de rofée. Les dentelures qu’on peut
découvrir à deux des longues pièces dont elle eft com-
pofee, prouvent qu’elle eff capable de pénétrer dans des
corps durs. Leur chant dont on a tant parlé, fuppofe
un grand nombre d’organes qui n’ont pas été affés
connus, ou au moins, qui n’ont pas été décrits ; ils
PREFACE.
n’ont etc accordés qu’aux feuls mâles ; auiïi les femel¬
les font-elles parfaitement muettes. Ces organes font
placés près de l’origine du ventre, en delfous 6c fur les
côtés. Le fècours des figures 6c peut-être de defcrip-
tions auffi longues que celles dans iefqueües nous nous
fommes engagés dans le Mémoire dont il s’agit , font
néceffaires pour voir combien d’appareil a été employé
par la nature pour mettre la cigale mâle en état de for¬
mer des fons qui peuvent nous déplaire, mais qui font
apparemment touchants pour fa femelle. Deux efpéces
de timbales faites d’une membrane plus roide que le par¬
chemin leplusfec, 6c dont toute la convexité cfi remplie
de plis qui fe touchent; ces deux timbales, dis-je, font
deftinées à rendre les fons; il y en a une placée de cha¬
que côté dans l’intérieur du ventre. Quand l’air quelles
ont agité, fort de la cellule de chaque timbale, il trouve
une voûte platte, un volet écailleux qui le réfléchit dans
une grande cavité où il eft modifié 6c rendu plus lonore.
Cette cavité efl diviféc en deux par une efpéce de cloifon.
Au fond de chacune des parties formées par cette divifion,
efl une membrane mince, fi liffe, fi tendue, fi tranfparente
6 c fi brillante, qu’elle paroit un miroir, 6c que le nom lui
en a été donné même par les enfants. Ne fommes-nous
point un peu humiliés, quand après nous être crus en
tous points l’ouvrage par excellence du Créateur, nous
voyons que les parties qui ont été employées pour met¬
tre le mâle d’une cigale en état de fe faire entendre par
la fémelle, le difputent par leur nombre, par la Angula¬
rité de leur matière 6c de leur flruchire, 6c par l’art avec
lequel elles font difpofées aux organes de notre voix!
La fémelle a à nous faire voir des merveilles d un
autre genre; elle peut pondre quatre à cinq cens œufs;
die fçait les foins qu’ils demandent d’elle, pour que les
b ij
*if PREFACE-
embryons qui y font contenus puilfent éclorre, 6c pni fient
parvenir à être un jour des cigales. Ces œufs doivent à
peine paraître au jour pendant un inftant. Dès qu’ils font
ibrtis de ion corps, ils doivent être logés dans l’intérieur
de très-menues branches de bois fcc 6c rempli de moelle:
là ils doivent être difpofés par files, à l’abri de la pluye
6 c des injures de l’air. La circonftance d’un bois plein de
moelle étoit eifenticlle ; la moelle elt peut-être la pre¬
mière nourriture de l’infcéte qui fort de chaque œuf.
Les mouches dont nous avons parlé dans le Mémoire
précédent, font des entailles au bois verd auquel elles
confient leurs œufs; ils y peuvent 6c y doivent être expo-
les aux impreifions de l’air extérieur; pour faire ces en¬
tailles, il leur falloit des feies, 6c la nature en a donné
deux à chacune de ces mouches. Mais il ne fuffifoit pas
à la mere cigale de fendre le bois, elle devoit le percer,
y creufer des trous. Aulfi a-1-elle été pourvue d’une
tarière qui en peut creufer d’affés longs, car elle a plus
de cinq lignes de longueur. Elle la porte à fon derrière
cachée dans une coulifiè où elle cil confervée par un
double étuy. Cette tarière n’cft pourtant pas lèmblable
à celles dont nous nous fervons,clIe efl un infiniment
double, elle efl compoiée de deux pièces qui peuvent
jouer alternativement, mais fans s’écarter l’une de l’autre;
elles le meuvent toujours parallèlement l’une à l’autre; Sc
cela, parce quelles l'ont affemblées avec la plus grande
précilion, à couliffe 6c à languette dans un fupport com¬
mun. Ces deux pièces lont deux limes dont chacune a
près de là pointe, 6c feulement fur le côté extérieur, des
dentelures. Avec ces limes ou cette tarière, la cigale
creufe un trou qui a toute la longueur de l’inflrumcnt,
6 c qui le dirige parallèlement à l’axe du brin de bois, dès
qu’il a atteint la moelle : elle y dépofe 6c arrange fept à
PRE FACE. xii/
huit oeufs à la file, plus ou moins. Près de ce trou, elle
en perce enliiite un fécond, pour y placer à peu près le
même nombre d’œufs; 6c ainfi, elle remplit un brin de
bois, 6c fuccelfivcment plufieurs brins, des trous néceL
Paires pour loger fes œufs. Si en fendant en deux un de
ces brins de bois on met à découvert plufieurs files
d’œufs, l’ordre avec lequel ils parodient arranges ne
fçauroit manquer de plaire. L’inleéte forti de chaque
œuf après avoir pris de i’accroilfement, mais avant que
d’avoir grofii à un point où l’entrée du trou fe trouve-
roit trop petite pour le lailfer palfer, quitte le lieu de la
naiiïànce. Il efi muni de jambes dont les deux premières
font de bons inftruments pour fouiller la terre; il s’y en¬
fonce , il fe rend fur les racines de quelque arbre. Il a une
trompe avec laquelle il tire de ces racines le fuc qui le
nourrit 6c le fait croître. Il relie ainfi caché fous terre jul-
ques à ce qu’il l'oit en état d’en fortir pour fubir la méta-
morphofe qui le fiait paraître ailé, qui le rend cigale.
Le cinquième Mémoire 6c tous ceux qui le lùivent,
ne nous entretiennent que des abeilles. Leur hilloire mé-
ritoit d’être traitée avec plus d’étendue que celle du
commun des infeéles. On s’attend, 6c peut-être s’attend-
on trop à la trouver remplie de laits furprenants, car il y
aura à rabattre des merveilles qu’on en a publiées. Il ne
faut pourtant que jetter les yeux fur l’intérieur d’une
ruche , pour être forcé d’en regarder les mouches com¬
me des ouvrières incomparables. La cire de ces gâteaux,
qui ne font qu’un alfemblage de cellules d’une figure fi
régulière, 6c le miel qui remplit ces mêmes cellules,
prouvent quelles fçavent des arts qui nous font inconnus.
Aulfi, fi on s’en rapporte à un très grand nombre d’Au-
teurs, qui, à l’envi, leur ont prodigué des éloges, elles
égalent ou furpalfent peut-être les hommes en intelligence
b iij
xîv PREFACE.
&cn connoifiances; elles ont même des mœurs qui nous
doivent faire rougir des nôtres; car il n’y a gueres de
vertus morales qui ne leur ayent été accordées. On croit
bien que ces éloges auront befoin d’être réduits à leur
jufte valeur. Les faits,même vrais, qui nous ont été tranf-
mis, ne l’étoient pas pour nous, ils demandoient à être
examinés de nouveau; il filloit avoir des preuves de leur
réalité qu’on ne nous a pas données. Cet examen con-
duit à découvrir des merveilles certaines & ignorées, qui
remplacent ce qu’on en avoir dit de fabuleux. Le gou¬
vernement des abeilles a été propofé comme le parfait
modèle d’un gouvernement monarchique. Nous cher¬
chons dans le cinquième Mémoire, & le premier de leur
hiftoire, en quoi il confille, quels en font les principes.
Nous nous y trouvons obligés de reconnoîtrc que les
abeilles fe conduifent par rapport au bien de leur fociété,
comme h l’unique motif de leurs aétions étoit celui qui
fait agir les plus grands hommes & les plus vertueux ; elles
ne femblcnt travailler que pour leur poftérité ; leurs avan¬
tages particuliers ne paroilfcnt entrer pour rien dans tout
ce qu’elles font. Après avoir décrit les formes des ruches
les plus favorables pour obferver ce qui fe palfe dans leur
intérieur, nous nous contentons de dire ce que nous
remettons .à prouver dans d’autres Mémoires, que dans
chaque ruche, il y a en certains temps de l’année, trois
fortes de mouches, & dans les autres temps, feulement
deux fortes; des abeilles fans fexe, ou, qui ne contri¬
buent en rien à la génération, des abeilles mâles, & enfin
des abeilles femelles. Les premières font celles que tout
le monde connoît; leur nombre ell fans comparaifon
plus grand que celui des autres ; elles font uniquement
nées pour le travail ; tout celui de la ruche roule fur elles,
aufii les nommons-nous les ouvrières. Ce n’ell ordinai-
PRE'F ACE. ^ xv
rement que pendant un ou deux mois qu’on peut voir
des mâles dans une ruche ; dans celle qui en eft le plus
peuplée, il n’y en a pas autant de centaines qu’il y a
de milliers d’ouvrieres; ils font plus gros que celles-ci.
Pendant le cours de chaque année, fi on en excepte
peu de jours, on ne peut trouver dans chaque ruche
qu’une feule fémelle ; mais qui eft capable de multi¬
plier fon petit peuple, au point que l’habitation où il
eft, ne fufhfe plus pour le contenir. Sa fécondité eft pro-
digieufe. Telle fémelle peut dans un an devenir mere
de trente à quarante mille mouches, & peut - être de
beaucoup plus. C’cft à elle feule que doivent le jour tou¬
tes les ouvrières, les mâles & le petit nombre de fémclles
qui naiffient par la fuite dans la ruche. Cette mere refte
prefque toujours dans l’intérieur du logement ; elle eft aifée
à reconnoître quand elle fe montre, fur-tout par la lon¬
gueur de fon corps ; elle eft plus longue que les mâles,
quoiqu’elle foit moins groffie ; d’ailleurs, fes ailes font
courtes en comparaifon de celles des mâles & de celles
des ouvrières. C’eft cette mere que les Anciens ont ap-
pellée le roi des abeilles, & qui eft digne d’en être nom¬
mée la reine. On ne nous en a pas impofé quand on
nous a parlé du refped que les autres mouches femblent
avoir pour elle. Nous prouvons par un très-grand nom¬
bre d’expériences & d’obfervations fïires, que les abeilles
ordinaires font plus que de la refpeéler, qu’elles cher¬
chent continuellement à lui être utiles, à lui rendre les
meilleurs offices; que fans ceffie elles lui offrent du miel,
elles la lèchent, elles la brodent ; que quelque part où
elle aille, quelques-unes lui font cortege ; enfin, que la vie
de toutes leurs compagnes n’eft rien pour elles, en com¬
paraifon de celle de la mere. Elle femble être famé de
toutes leurs aétions. On verra que lorfque j’ai partagé un.
xvj PREFACE.
efiaim en deux ruches, les mouches de Tune où elfes
ctoient en plus grand nombre, mais fans mere, n’ont pas
daigné faire le moindre travail; à peine ont-elles longé à
vivre au jour le jour; elles fe font laifïe périr , pendant que
celles qui étoient dans une autre ruche avec la mere, y
ont travaillé, quoiqu’elles y fulfcnt en très-petit nombre.
Enfin, je prouve par des expériences inconteltables, que
dès qu’on a ôté la reine à des abeilles qui s’occupoient
fins relâche du matin au foir à faire des récoltes de cire
& de miel, elles ne femblent plus fçavoir que les plantes
leur offrent des richeffcs néceffaires. A peine fortent-elles
de leur ruche, & elles y retournent fans y rien apporter.
Tout travail celfe dans l’intérieur, on n’y confirait pas
line feule cellule de cire, on n’y achevé aucune de celles
qui étoient commencées. Qu’on redonne une mere à
des abeilles tombées dans une inaction complctte pour
avoir été privées de la leur, dans le moment on leur rend
l’aétivité & l’ardeur pour l’ouvrage; les travaux de toutes
efpéces font repris. Les abeilles font non-feulement fa-
horieufes quand elles ont parmi elles une mere féconde,
elles le font proportionnellement à fa fécondité. Quoi¬
qu’elles ne contribuent en rien à la génération , quoi¬
qu’elles ne foient deftinées qu’à être les nourrices des
vers qui éclofent des œufs pondus par la reine, l’Auteur
de la Nature a voulu qu’elles s’intérefiaffent pour ces vers
qui, avec le temps, doivent devenir des abeilles, autant
que fi elles en étoient les véritables meres. C’cfi Ja feule
efpérance de voir naître beaucoup d’abeilles qui les dé¬
termine à multiplier le nombre des gâteaux de cire, & à
y mettre des provifions de miel. Dès que cette efpérance
leur cft ôtée, dès que leurs travaux ne peuvent être utiles
a leur poftérité, le foin de leur propre vie 11e les touche
plus, elles fe mettent en rifque évident de périr de faim;
elles
PREFACE . ? xv i;
elles ne ramaffcnt plus de miel, quand celui qu elles re-
cueilleroient ne ferviroit qu’à les faire vivre.
Nous nous arrêtons d’abord dans le fixiéme Mémoire,
à confidérer les parties extérieures des abeilles, dont la
plupart peuvent être regardées comme des inflruments,
qu’il eft effentiel de connoitre pour entendre comment
elles viennent à bout de flaire leurs récoltes, & d’exécuter
des ouvrages fi finguliers. Elles font de la dallé des mou¬
ches qui ont une trompe & des dents. Laflruéture de leur
trompe eft différente de celles de tant d’autres dont nous
avons parlé dans les Volumes précédents. Pour expli¬
quer tout l’art avec lequel elle eft faite, il a fallu nous
engager dans une affés longue defeription, & être aidé
par les figures. Nous nous contenterons de dire que l’a¬
beille la tient ordinairement pliée en deux & comme
roulée; mais que quand elle veut, elle la déplie & l’allonge.
C’eft avec fa trompe qu’elle enlevé aux fleurs une liqueur
miellée que la nature a mile en réferve dans certaines glan¬
des connues à préfent par les Botaniftes, mais qui l’ont
cté de tout temps par nos mouches. Nous prouvons que
cette trompe n’agit point à la manière des pompes,
comme il étoit naturel de penfer qu’elle agilfoit, & comme
on l’a fait agir jufqu’ici ; qu’elle eft une efpéce de langue
velue & très-longue, qui, en léchant, fe charge d’une
liqueur qu’elle fçait conduire julques à une bouche qu’il
étoit très-important de connoitre. Les dents font les outils
avec lefquels elles façonnent la cire : leur forme mérite
cl être examinée. Nous ne difeutons pas encore dans ce
Mémoire fi les abeilles trouvent la cire toute faite à la
campagne, fi elles n’ont qu’à la féparer des corps étran¬
gers avec lefquels elle eft mêlée, ou fi elles ont de plus
importantes préparations à donner à cette matière qui
doit fournir la cire, & que nous nommons matière à cire.
Tome K . c
xviij PREFACE.
ou cire brute ; mais nous y faifons voir que c efl fur les
plantes, & feulement fur les fleurs des plantes, que les
abeilles la ramaflent. Sans avoir étudié la ftruéture des
fleurs, on a vu cent & cent fois dans celle d’un lys, des
blets jaunes, dans celle d’une tulipe, des filets bruns; &.
on fçait que les premiers laiflent fur les doigts une poudre
jaune, & les autres une poudre brune. En langage de
Botanifle, ces filets font des étamines, & leurs poudres,
les poufliéres des étamines. Chaque grain de ces pouffié-
res a une figure confiante dans chaque efpécc de plante.
Ce font fouvent des boules quelquefois bien Iphériques,
& quelquefois plus ou moins allongées. Ces poufliéres
font précieufes pour les abeilles, & elles le font pour nous,
puifqu’elles font la matière à cire, la cire brute; elles font
l’objet d’une des deux grandes récoltes que ces mouches
ont à faire. Une abeille qui efi l'ortie de fa ruche pour
aller en ramafler, entre dans la fleur dont les étamines lui
ont paru le plus chargées de ces poufliéres, & de poulfiércs
qui y tiennent moins. Nous n’avons pas dit encore que
fa partie antérieure, l'on corcelet, l'es jambes & plufieurs
endroits de l'on corps, font chargés de poils dont la
plûpart ont une forme qui mérite d’être vue au mi-
erofeope. Chaque poil relfemble à une tige de plante
à qui des feuilles font attachées de deux côtés oppo-
fés, du haut en bas. Une portion d’une écaille de la mou¬
che , garnie de poils, fembie au microfcope, un gazon
bien fourni de jolies moufles. Ces poils font pour les
abeilles, ce que les toifons font pour ceux qui ramaflent
les paillettes d’or des rivières. L’abeille devient bientôt
toute poudrée d’une poudre jaune ou blancheâtre, ou
d une poudre d’une autre couleur, c’efl-à-dire, dé celle
des poufliéres des étamines de la fleur dans laquelle elle
s efi promenée. Les poils branchus arrêtent les poufliéres.
PREFACE. xix
La mouche fefçait couverte de cette poudre, & fçait la
ramafler. La pénultième partie de chacune de fes jambes
cfl faite en brofîe. Eiie palTe fur fon corps les unes ou les
autres de ces brodes, & toutes ordinairement les unes
après les autres. Les brolfcs retiennent un peu humides,
les poufTiéres quelles ont enlevées, l’abeille les ralfemble
enl'uite, les réunit en deux petits tas. La nature, ou plu¬
tôt l'on Auteur qui a pourvu à tout, a ménagé une cavité
dans la face extérieure de la troifiéme des parties de cha¬
que jambe de la dernière paire. Cette cavité efi bordée
de gros poils, au moyen defquels elle elt une efpéce de
corbeille propre à conlèrver ce qui lui efl confié. C’efl
dans cette cavité que les jambes de la fécondé paire por¬
tent les poulîiéres des étamines, qu’elles y en font un
petit tas, une malfe folide,en lesprelfant les unes contre
les autres. L’abeille palfe d’une fleur à une autre pour y
continuer fa récolte, pour groflir les deux petits amas de
cire brute; elle parvient à rendre celui de chacune de les
deux jambes égal à un grain de poivre, & d’une figure
un peu plus applatie. Alfés chargée de ces deux petites
pelotes, elle part alors & les porte à la ruche. Pour
faire la récolte il ne lui fuffit pas toujours de fe prome¬
ner de fleur en fleur. Les poulîiéres des étamines ne font
pas toujours prêtes à tomber. Avant que d etre, pour ainfi
dire, à maturité, elles font renfermées dans des efpéces de
capfules appellées fommets, & elles ne paroiflent au jour
que quand ces capfules s’ouvrent. L’abeille n’ignore pas
que la matière dont elle a befoin, efl renfermée dans ces
petites boîtes, elle faifit donc entre fes dents fucceflt-
vement pluficurs de ces capfules; quand celle quelle
tâte lui paroît propre à être entrouverte, elle la preflb
& l’oblige à laifler paroître les poulîiéres; les deux pre¬
mières jambes viennent les prendre, elles les donnent
cij
XX PREFACE.
aux Jeux fuivantes qui les portent aux Jeux dernières.
Pour continuer J’examiner les parties qui parodient
à l’extérieur Jes abeilles, au moins en certains temps,
nous faifons connoître Jans le feptiéme Mémoire, l’ap¬
pareil avec lequel a été fait cet aiguillon redoutable dont
elles font armées. Ce qu’on appelle vulgairement l’aiguil¬
lon , eft une pointe écailleufe extrêmement fine, & qui
cependant n’eft que l’étuy de deux aiguillons, de deux
dards beaucoup plus fins. L’un & l’autre font dentelés fur
leur côté extérieur, & près de leur pointe. Les bldfures
faites par deux armes fi déliées, feroient peu à craindre
pour nous ; mais l’abeille les empoifonne & les rend par¬
la très-douloureufes. Dans fon intérieur, près de la baie
de l’aiguillon, elle a une velfie pleine d’une liqueur très-
tranfparente , mais caufiique. Une gouttelette de cette
liqueur, quelque petite quelle foit, fait naître de la cha¬
leur fur l’endroit de la langue où elle a été appliquée.
Quand pour mieux éprouver l’effet de cette liqueur, je
ïne fuis fait deux piquûres légères avec la pointe d’une pe¬
tite épingle, j’ai rendu très-cuifante celle de cesblefiures
dans laquelle j’ai introduit un peu de la liqueur venimeufe
de l’abeille. Un canal la porte dans l’étuy des dards , au
bout duquel on en voit paroitre des gouttes fucceffive-
ment toutes les fois qu’on tient une abeille gênée entre
fes doigts; elle fait alors des tentatives inutiles pour pi¬
quer, & comme fi elle piquoit, elle oblige de la liqueur
venimeufe à fortir. Nous aimerions mieux aflùrément
que les abeilles fufTent dépourvues de cette arme ; mais
elle leur étoit néceffaire. Les fruits de leurs travaux, leur
cire & leur miel, excitent les defirs de beaucoup d’infeétes
avides & pareffeux, contre lefquels elles ont à les défen¬
dre. Elles ont a fe défendre elles-mêmes contre d’autres in¬
fectes Yoraces qui les mangent plus volontiers que leur cire
P R E' F A C E. xxj
& leur miel. Enfin il vient un temps où elies nous doivent
paraître extrêmement barbares , où du matin au foir elles
11e s’occupent chés elles que de carnage; & c’efi dans ce
temps fur-tout que leur aiguillon leur eft néceflaire. Les
males font inutiles & même nuifibles dans la ruche après
lin certain temps, après que la mere a été fécondée. Les
ouvrières qui avoient été leurs nourrices lorfqif ils avoient
la forme de ver, qui depuis leur dernière transformation
avoient vécu avec eux en parfaite intelligence, leur décla¬
rent la plus cruelle guerre, lorfqu’ils ne feraient que con-
fumer les provifions de la ruche fans y être bons à rien ;
elles les naaflacrent; au bout de deux ou trois jours, il y
en a quelquefois plus de mille de tués, & il n’en refie pas
lin feul dans la ruche. Les raifons que les abeilles ouvrières
pourraient alléguer pour leur juftification, nous font peu
connues ; nous ignorons fur quels titres efi fondé leur
droit de vie & de mort fur les mâles ; il leur a été accordé
par la nature qui les a miles en état de l’exercer. Les faux-
bourdons ou mâles font plus gros que les abeilles, mais
ils n’ont pas été armés d’un aiguillon ; celui qu’ont les
abeilles ordinaires leur donne une grande fupériorité fur
eux. Afies fouvent des querelles s’élèvent entre les abeilles
ouvrières d’une même ruche ; afies fouvent on en peut
voir deux aux prifes, qui, polèes ou plutôt couchées fur
terre, font l’une contre l’autre tout ce que pourraient
faire deux adroits & courageux lutteurs ; elles cherchent
réciproquement à fe piquer. Leurs corps font fi bien
cuirafies qu’il efi difficile à l’une & à l’autre de trouver
un endroit où elle puifie faire pénétrer fon aiguillon dans
* le corps de fon adverfaire. C’en efi bientôt fiait de celle
qui a été piquée; la viélorieufe la laifie bientôt expi¬
rante fur la pouffiére. Quelquefois trois à quatre abeilles
en attaquent une feule, fans en vouloir à fa vie ; elles
c iij
xxij PREFACE .
cellènt de lui porter des coups dès quelle a allongé fi
trompe, & quelle y a dégorgé du miel que les attaquan¬
tes vont fitccer tour à tour. C’eft à ce miel quelles eu
vouloient. Outre les actions particulières dont nous ve¬
nons de parler, il y en a de générales. Quand les mouches
d’un edaim ont choifi inconfidérément pour fe loger,
une ruche déjà habitée par d’autres mouches, à peine
s’y font-elles introduites, qu’un combat meurtrier com¬
mence. Celles qui ont le droit de la pod'edion, s’oppo-
fent à l’invafion avec tout leur courage & toutes leurs
forces. D’inftant en inftant on voit fortir de la ruche
une mouche viéiorieufe qui en emporte une morte, ou
une qui n’a plus qu’un refie de vie qui lui ed bientôt
ôté. Ces batailles ne finiffent qu’avec le jour, & coûtent
louvent la vie à plufieurs milliers de mouches. Une abeille
qui laille Ion aiguillon dans l’endroit où elle a piqué, & il
arrive affés louvent quelle l’y laide, lé fait à elle-même une
blelfure mortelle; ainfi, la vie de celle qui pique cd toujours
en rifquc.Lamere ed armée d’un aiguillon plus grand que
celui des autres mouches, quoique quelques Anciens ayent
adulé le contraire,& que quelques déviles les en luppofent
privées.Mais comme il importoit qu’une vie audi précieu-
lè que celle de la reine, ne fût pas audi louvent expofee
que celle des abeilles ordinaires, elle ed née avec un natu¬
rel plus pacifique ; on peut la tenir entre les doigts fans
qu’elle cherche à piquer. Nous finilfons ce Mémoire par
faire remarquer les différences qui font entre quelques-
unes des parties extérieures des trois fortes de mouches, &
qui y dévoient être. Les parties néceffaires pour ramader
la cire brute, par exemple, & pour façonner la cire même, *
étoient inutiles à la mere & aux mâles fur qui aucun tra¬
vail ne roule, & ils en font privés.
Le huitième Mémoire nous montre les abeilles occupées
PREFACE. xxiij
clans l’intérieur de leur ruche à leurs différents travaux.
Leurs gâteaux de cire font de tous leurs ouvrages, les
plus dignes de notre attention, Si les plus fûrs de fe
l’attirer. L’admiration croît pour eux à mefure qu’on les
examine, je dois dire à mefure qu’on les étudie, car fins
le progrès de l’analyfe, & fins celui quelle a fait fiire à
la géométrie dans ces derniers temps, nous ne ferions pas
en état de fçavoir à quel point ils méritent d’être admirés.
Chaque gâteau eft compolc de deux rangs de cellules ou
cle tubes exagones. Sur une de fes faces fe trouvent les
ouvertures de toutes les cellules d’un rang, & fur la face
oppofée, les ouvertures des cellules de l’autre rang. Pappus
célébré parmi les géomètres anciens, qui connoilfoit les
avantages des cellules de figure exagone, qui fçavoit que
de toutes les cellules de capacité égale qui peuvent être
ajufiées les unes contre les autres, fans laiffer de vuides
cntr’elles, les exagones font celles qui peuvent être faites
avec moins de matière ; Pappus, dis-je, a regardé les
abeilles comme de grandes géomètres. Mais il eût eu
une bien plus haute idée de leur géométrie, s’il eût feu
que la conftruétion du fond de chacune de ces cellules,
fembloit fuppofer quelles avoient réfolu un problème,
dont la folution n’auroit pu être trouvée par les géomè¬
tres de fon temps ; une folution à laquelle on 11e peut
arriver que par l’analyfe des Infiniment-petits. Celui au
moins qui les a fi bien inflruites, a réfolu pour elles le
problème dont nous voulons parler, & que nous allons
expofer. Le fond de chaque cellule n’efl pas plat, il eft
pyramidal, & formé par trois petits lozanges ou rhombes
de cire, femblables Si égaux. Cette figure pyramidale per¬
met aux fonds des cellules des deux faces oppofées, de
s’ajufter les uns contre les autres auffi exaétement que les
corps des cellules s’ajuffent, c’eft-à-dire, fans laiffer de
xxiv P RK F ACE.
vukfe. Mais les abeilles avoient à choifir entre line infi¬
nité de rhombes différents qui peuvent former tics pyra¬
mides plus écrafées ou plus allongées, de également pro¬
pres à s’appliquer les unes contre les autres fans laiffer
île vuide. Les rhombes pour lefquels elles fe font déter¬
minées, ont deux angles oppofés chacun d’environ i iq
degrés, & les deux autres chacun d’environ 70 degrés.
Quelles font les raifbns de la préférence donnée à ces
rhombes! J’ai foupçonné que l’épargne de la cire en
pouvoit être une, & j’ai propofé à M. Kœnig capable
de réfoudre les problèmes les plus difficiles, de détermi*
ner entre les cellules exagones de même capacité & à
fond pyramidal compolé de trois rhombes égaux & fem-
blables, quels dévoient être les angles des rhombes au
moyen defquels la quantité de matière ou de cire em¬
ployée, feroit la plus petite qu’il eft poffible; & il a trouvé
que les rhombes demandés font précifement ceux que
les abeilles ont choifi.
La conftru&ion des cellules des abeilles, outre les pro¬
blèmes purement géométriques, nous offre à réfoudre
des problèmes phyfiquês , qui 'dans leur genre ne font
pas moins curieux que les autres. Nous avons vû ces
mouches occupées à enlever aux plantes les pouffiéres
de leurs étamines, & rapporter fur chacune de leurs jam¬
bes poftérieures une petite boule faite de ces pouffiéres.
Ces boules font -elles de la cire! Les abeilles trouvent-
elles fur les plantes, de la cire toute Lite, comme elles y
pourraient trouver de la gomme & de la réfineî Nous
prouvons que ces pouffiéres d’étamines ne font point
actuellement de la cire , qu’elles ne font que la matière
propre à la faire, auffi la nommons-nous de la cire brute.
Mais par quelle manipulation cette cire brute eff - elle
convertie en véritable cire ! Les abeilles n’ont-elles qu’à
la peftrir
PREFACE. xxv
{a pcflrir avec leurs jambes après l’avoir humectée Je
quelque liqueur, comme Swammerdam & M. Maraldi
fcmblent avoir été dilpofés à le croire! La converfion de
la cire brute en véritable cire n’eft pas fi fimple, elle eft
analogue à la converfion de nos aliments en chyle; c’eft-
à-dire, que c’efi dans les inteftins des abeilles & dans
un de leurs eftomacs, car elles en ont deux, que le fait
la cire. Des oblèrvations très-certaines nous ont appris
que les abeilles mangent la cire brute: après quelles l’ont
digérée, elles font retourner vers leur bouche la vérita¬
ble cire qui en a été extraite ; elle y arrive de elle en fort
en forme de confiftance de bouillie claire de quelquefois
moulfeulè. La langue de l’abeille aide à conduire hors
de la bouche, la cire plus délayée qu’une pâte molle ; elle
la porte où elle doit être mile en œuvre par les dents pour
former une portion, l'oit du fond, foit d’un des pans
d’une cellule. Dans un infiant, cette bouillie de cire fe
féchc & fe durcit, comme la liqueur qui devient un fil
de foye, fe féche dès qu’elle efi fortie des filières des che¬
nilles de de celles de divers infeétes. Plufieurs mouches
fournilfent les unes après les autres de employent la cire
néceffaire à la conltrudlion d’une feule cellule. Celle qui
n’a encore qu’une partie de la profondeur, ou qui ne
vient que d etre rendue aulfi profonde qu’il lui convient
de l’être, efl très-brute, elle n’efi qu’ébauchée; elle ne
doit pas refier aulfi épaifie, aulfi malfive quelle l’cft.
Les abeilles s’occupent bientôt à rendre fes pans plus
minces, à les drelfer, à les applanir & à les polir, ce
quelles font en les ratifiant, en les rabotant, pour ainfi
dire, avec leurs dents, qui en emportent de petits cou-
peaux. Comme ce travail efi long, on a louvent occafion
d’obferver les mouches qui y font occupées ; on ne fe
Tome V . d
xxvj PREFACE.
Jaffe pas de voir l’aétivité 6 c i’adrefle avec laquelle elles
font alors agir leurs dents.
L’habitation des abeilles, leur ruche, doit être très-
clofe ; pour toutes ouvertures elle ne doit avoir que celles
qui leur permettent d’entrer & de fortir librement. Cel¬
les par où d’autres infectes pourraient s’introduire trop
aifément, les fentes par où l’eau Sc le vent pourraient
palfer, auraient des fuites à craindre. Les abeilles le
fçavent, au moins elles fçavent boucher toutes ces ou¬
vertures 6 c ces fentes; elles fçavent même que la cire
n’eft pas la matière la plus propre à y être employée.
Elles connoiflent une efpéce de réhne qu’elles trouvent
toute frite fur certains arbres, qui a plus de ténacité que
la cire ; elles vont s’en charger, elles l’apportent fur leurs
jambes poftérieures en petites pelotes femblables à celles
de la cire brute ; mais elles n’ont pas befoin de la man¬
ger ni de lui donner aucune préparation. Dès qu’une de
celles qui s’en font chargées, elt entrée dans la ruche,
pliifieurs de lès compagnes fe rendent lùccelfivement
auprès d’elle; chacune prend une petite malfe, un petit
grain de la refîne entre lès dents, 6 c va fur le champ le
pofer dans l’endroit qui a befoin d'être bouché. Les
abeilles fe fervent aulù de la même matière pour en¬
duire la plus grande partie des parois de leur ruche. Cette
réfme a une odeur aromatique affés agréable. Nous lui
confervons le nom de propolis qui lui a été donné par
les Anciens.
Tout ce qui a rapport à la génération des abeilles,
fait l’objet du neuvième Mémoire. Quelque grand que
foit le nombre des ouvrières qui nailîènt dans une ruche
pendant le cours de l’année, elles doivent toutes le jour
a une même mere, à cette reine que les Anciens avoient
PREFACE. xxvi;
chargée de tous les détails du gouvernement, & qui a
ailes affaire d’avoir tant d’œufs à pondre. Elle eft auffi
la mere des faux-bourdons, & elle l’eft encore des femel¬
les. On n’eff plus furpris qu’il y en ait telle, qui dans une
année fuffife à donner naiffance à vingt mille, à trente
mille, ou même à quarante mille mouches, lorfqu’on a
ouvert le corps de quelqu’une qui étoit en pleine ponte:
on le lui trouve tout rempli d’œufs; on y en peut compter
environ cinq mille actuellement fenlibles. Si on fait atten¬
tion à la quantité de ceux qui en font déjà foitis, & lur-
tout, fi on fait attention que le nombre de ceux qui par
leur petiteffe échappent à nos yeux, & qui ne le dévelop¬
peront que peu à peu, eft peut-être lêpt à huit fois plus
grand que le nombre de ceux qui font vihbles, on admi¬
rera la fécondité de l’abeille, & on fera difpolé à croire
qu’elle peut aller à faire naître trente ou quarante mille
mouches par an. L’intérieur des-faux-bourdons eft preff-
que rempli par des parties qui fcmblent démontrer qu'ils
font deftinés à féconder les œufs. On y trouve pluficurs
réfervoirs de liqueur iaiteufe. Enfin les faux-bourdons
font lortirde leur derrière, en certain temps, des parties
qui paroiffent analogues à celles des mâles des autres
infeétes. Mais pour ce qui eft des abeilles ouvrières, en
quelque faifon de l’année qu’on ouvre leur corps, on ne
fçauroit parvenir à y découvrir ni œufs ni vaiffeaux pro¬
pres à les contenir, ni aucune des parties qui caraétéri-
fent le mâle. On voit feulement leur premier eftomac
plus ou moins plein de miel, & leur fécond eftomac ôc
leurs inteftins plus ou moins remplis de cire brute. Auffi
ne contribuent-elles en rien à 1 œuvre de la génération.
Nous enfeignons les temps où l’on peut parvenir à fur-
prendre la mere occupée à pondre. Elle fait entrer fon der¬
rière dans une cellule vuide, au fond de laquelle elle laiffe
xxviij PREFACE.
un œuf. Elle en fort bientôt pour aller prefque tout de
fuite en pondre un autre dans une cellule voifine ; elle
eft toujours accompagnée de quelques mouches, qui,
chaque fois quelle fort d’une cellule, ne manquent pas
de lécher les derniers anneaux de fon corps. Nous venons
de dire quelle ne donne pas feulement nailfance à des
abeilles ouvrières, qu’elle la donne à d’autres fémcilcs &
à tous les mâles. La cellule dont la capacité convient à
l’œuf, ou, plus exactement, au ver qui doit devenir une
abeille ouvrière, feroit trop petite pour un ver qui après
fi transformation fera un mâle, & à celui qui après la
fienne fera une fémelle. Comme fi les abeilles ordinaires
en étoient bien infîruites, elles conftruifent des cellules
de trois différentes capacités ; & ce qui n’eff pas moins
digne d'être remarqué, la mere femble fçavoir quel eft
l’embryon qui eft contenu dans l’œuf qu elle va mettre
au jour. Elle ne manque jamais de loger dans une petite
cellule, l’œuf qui donnera une abeille ouvrière; dans une
cellule exagonc plus grande, l’œuf qui doit donner un
mâle. Enfin l’œuf plus précieux que les précédents, celui
dont le ver qui en fortira, deviendra une fémelle, eft
dépolé dans une cellule qui ne diffère pas feulement des
autres par fa grandeur, qui en diffère encore par fa figure.
Les abeilles qui doivent être des reines, font traitées avec
diftinétion dès l’inftant de leur naiffance, & avant même
que de naître, lorfqu’elles font encore contenues dans
l’œuf. Les ouvrières abandonnent leur architeélure ordi¬
naire quand il s’agit de faire une habitation où une fémelle
prendra fon accroiffement. Ce n’eft pas là le temps où
elles fongent à profiter des avantages que leur offrent les
alvéoles exagones à fond pyramidal pour œconomifer la
cire. Rien ne leur coûte alors. Elles employait plus de
cire pour une feule cellule deftinée à être le berceau d’une
PREFACE. xxix
reine, que pour cent ou cent cinquante cellules ordinaires.
Elles cherchent fur-tout à la rendre folide ; car d’ailleurs,
la forme quelles lui donnent n’a rien de fort agréable &
de recherché pour nous ; elle eh même fimple. Cette
cellule n’eft pas, comme les autres, faite à pans, elle eh
oblongue & arrondie, ayant plus de diamètre que par-tout
ailleurs auprès de fa bafe, de-là elle devient de plus en
plus menue jufques à fon ouverture. L’extérieur en ci t
cependant orné d’une efpéce de guillochis. Une feule
reine a tant de mâles dans fa ruche, quelle femble vivre au
milieu d’un très-nombreux ferrail ; cependant la manière
dont elle efi fécondée a été mile au rang des myftéres.
Comme elle fe tient prefque conlîamment dans l’intérieur
de fon habitation, on n’a pu parvenir à voir aucun ac¬
couplement. Le trop grand nombre des mâles a même
fait penfer qu’elle ne devoit pas s’accoupler. Des Anciens
de des Modernes ont cru que le feu! office des mâles
étoit de répandre fur les œufs dépofés dans les cellules,
une liqueur laiteufe & vivifiante, comme on penfe com¬
munément que le font les mâles des poiffions fur les œufs
de leurs fémclles. Mais ce fentiment efi détruit dès qu’on
fçait que ce n’efi que pendant quelques femaines de cha¬
que année que la mere abeille vit avec des mâles, que
pendant neuf à dix mois il ne lui en refie pas un feul,
quoiqu’elle ponde dans la plupart de ces mois des œufs
féconds. Swammerdam à qui les mâles n’avoient pas
paru avoir des parties par lefquelles ils fe pufient joindre
avec la fémelle, a eu un fentiment qui femblera bien
étrange à ceux qui n’ont pas médité la fuite de merveilles
que fuppofe la génération des animaux. II a penfé que
la vapeur, l’odeur que les mâles répandoient, fuffifoit pour
féconder la mere. II faut avouer que le grand nombre
des mâles qui ont été accordés à cette mere, fait unç
xxx PREFACE.
difficulté confidérable contre l’accouplement; s’ils étoient
tous auffi ardents que le font ceux des autres infeétes, la
femelle en deviendrait à plaindre, elle ne trouverait
pas les moments de repos qui lui font eflentiels. Des
obfervations que j’ai faites fur des meres dont chacune a
été mile feule avec un mâle, lèvent la difficulté. Elles
m’ont appris un renverfement d’ordre qui étoit nécef-
faire, dès qu’il avoit été réglé que chaque mere aurait à
fa difpofition tant de mâles. Ceux qui lui ont été don¬
nés font les plus froids, les plus indifférents de tous les
mâles. C’eft à cette reine fi cherie par les ouvrières, ac-
coûtumée à être fervie & prévenuë en tout par celles-ci ;
c’eft à cette reine, dis-je, à faire la cour au mâle qui lui
plaît, à le tirer de l'on état de froideur par fes agaceries.
Elle pouffe même fes carelfes jufques à ce que nous ap¬
pellerions plus qif indécence. Elle prend par rapport à l'on
mâle la polition dont font en polfeffion les mâles des
autres fémellcs. Enfin , quoique je ne fois pas fûr d’avoir
vu un accouplement complet, j’ai vu au moins une efpéce
d’accouplement; & quand il n’v aurait que ce que j’ai
vu, c’en ferait affés pour que tout le paffàt par rapport
à la fécondation des œufs des abeilles, comme par rap¬
port à celle des œufs des oifeaux. Les accouplements de
ceux-ci font fouvent plus courts que ceux que la mere
abeille m’a montrés.
Nous avons demandé qu’on nous crût pour quelque
temps fur notre fimple témoignage, lorfquc nous avons
affuré que chaque ruche n’a qu’une feule fémelle, excepté
pendant un petit nombre de jours ou y naiffent des fe¬
melles qui n’y doivent pas relier. Nous nous fommes de
même contentés d aflùrer qu’il vient un temps où tous les
mâles font ôtés à la mere, & qu’elle paffte neuf à dix mois
fans en avoir un leul. Ces faits eflentiels à i'hiftoire des
PREFACE. xxx;
abeilles, & quelques autres, avoient befoin cl être éta¬
blis par des preuves certaines que nous avons promifes,
6c que nous donnons dans le dixiéme Mémoire. Pour
pouvoir certifier qu’il n’y a qu’une feule mere dans
line ruche pendant plus d’onze mois de l’année, 6 c
qu’il n’y a pas un male pendant plus de neuf à dix
mois, il faut abiolument en avoir examiné toutes les
mouches une à une, en différentes faifons de l’année.
Je commence par indiquer divers moyens de faire paffer
les abeilles d’une ruche dans une autre, qui ne doivent
pas être ignorés par ceux qui foignent ces mouches pour
profiter du fruit de leurs travaux. Pendant que l’on oblige
les abeilles à déménager, on a des occafions de les voir
étalées, d’appercevoir les femelles 6c les mâles. Mais ce
qui peut mettre plus à portée de les examiner, c’eft que
j’enfeigne enfuite à faire entrer dans plufieurs bouteilles
d’un verre très-tranfparent, toutes les abeilles d’une ruche.
Ces expédients ne fçauroient pourtant contenter quel¬
qu’un aulfi difficile fur les preuves des faits finguliers
qu’on le doit être. Il lui refera toujours des foupçons
tant qu’il n’aura pu examiner une à une, 6c manier même
toutes les abeilles d’une ruche ; mais il femble que cela
ne fê puiffe bien frire que fur des abeilles mortes, qu’il
faille en venir à frire périr toutes les abeilles d’un grand
nombre de ruches, c’eft-à-dire, d’en faire périr dans plu¬
fieurs mois, 6c frire périr même plufieurs ruches en cer¬
tains mois. Il n’eft pas difficile au moyen du foufre, d ’é¬
touffer celles d’une ruche ; mais ceux qui nient le plus
fermement l’anre des bêtes, fie réfoudroient avec peine
à frire périr tant de milliers de machines trop admirables.
D ailleurs ces expériences ne laifferoient pas d’être chères,
6cn oteroientpas abfolument tout doute. Car par exemple,
quand on n’auroit trouvé qu’une feule more au Printemps,
xxxij P RE F A CE.
& fans mâles, on n’en feroit pas en droit d’affirmer que
cette mere qui n’avoit pas de mâles, auroit pondu des
œufs féconds. On ne peut être bien certain qu’elle étoit
en état d’en donner, que quand on lui en a vû pondre
de tels au bout de quelques jours ou de quelques fe-
maines. Sans ôter la vie aux abeilles, il y a un expédient
auquel j’ai eu recours pour les examiner auffi aifément
une à une, que fi elles étoient véritablement mortes;
de les manier les unes après les autres; & de revoir par
la fuite ces mêmes mouches occupées de leurs diifë-
rents travaux. Après avoir obfervé que des abeilles, qui,
pour être tombées dans l’eau fembloient parfaitement
mortes, pouvoient être ramenées à la vie, lorfqu’après les
avoir féchées, on les chauffoit; après m’être alluré que
des abeilles tenues même fous l’eau pendant plufieurs
heures comme mortes, pouvoient être ranimées, j’ai
voulu faire en grand les expériences que j’avois faites en
petit. J’ai plongé des ruches fous l’eau; toutes leurs abeilles
y ont paru noyées, incapables de mouvement. On les a
pefehées enfuite avec des écumoires. Ainfi toutes les
mouches d’une ruche, très-aélives quelques heures aupa¬
ravant , ont été mifes par tas ou étendues fur une table.
Ce fpeélacle avoit quelque chofe de trille pour qui ne
fçavoit pas quelles en dévoient être les fuites. J’examinois
mes abeilles auffi à l’aife que je les eulTe examinées fi elles
eulfent été véritablement mortes. Lorfqu’elles avoient
été toutes parcourues une à une, lorfqu’après avoir trou¬
vé la mere, je m’étois alfûré qu’il n’y en avoit qu’une,
& qu’il n’y avoit aucun mâle, je failois changer la fcene;
je failois clîuyer les mouches, je les mettois dans des
poudriers, ou dans des vafes de crin que j’ai nommés
fechoirs, où j achevois de les lécher ; je les chauffais
doucement, & bientôt je les remettois en état de rentrer
dans
PREFACE. xxxiiî
dans une ruche, de d’y recommencer leurs travaux. J’ai
fait cette opération un très-grand nombre de fois, autant
qu’il a été néceffairè pour m’inftruire des faits qui de-
mandoient à être prouvés. Nous détaillons dans le Mé¬
moire dont il s’agit, les moyens les plus lürs d’en afïurer
le l'uccès, & les inconvénients qui l’ont quelquefois fait
mal tourner.
Nous retournons dans le onzième Mémoire à ces œufs
que nous avons vû dépofer par la mere en différentes
cellules. Ils ont chacun une figure oblongue & arrondie,
un peu plus groffe par un bout que par l’autre. Il n’y en
a ordinairement qu’un dans» chaque cellule. Cependant
j’ai quelquefois obfervé deux, trois & jufques à quatre
œufs dans la même ; mais ceci n’arrive que lorfque les
ouvrières n’ont pu fiiffire à conftruire autant de cellules
que la fécondité de la mere en demandoit de vuides.
Quatre vers, & même deux, périroient dans un logement
qui par la fuite fera rempli par un feul. Auffi les abeilles
ouvrières ont-elles foin d oter les œufs lurnuméraires des *-
cellules où il s’en trouve. L’unique œuf qui doit refier,
efi collé contre le fond & feulement par Ion petit bout.
Ce n’efi que par ce bout qu’il touche la cellule. Un jour
ou deux après qu’il y a été pofé, un ver en fort. Il efi
bientôt l’objet tles tendres foins des abeilles ouvrières.
Chaque jour & à plufieurs reprifes, elles lui fourniffent
l’aliment qui lui efi néceffaire; elles tiennent le fond de
fi cellule couvert d’une couche d’une efpéce de bouillie
blanche dont il fe nourrit ; cette bouillie lui l'ert même
d’un lit mollet fur lequel il efi roulé en anneau. Dans
moins de fix à fept jours, il efi parvenu à fon dernier terme
d’accroiffcment. Les abeilles qui connoiffent le temps où
il n’a plus befoin de nourriture, ceffent alors de lui en por¬
ter. Le dernier des l'oins quelles prennent pour lui, c’eft de
Tome V . e
xxxiv PREFACE.
murer, pour ainfidire, la porte delà cellule. Elles mettent
un couvercle de cire ù Ion ouverture. Quand ce couvercle
efipofé, le ver qui jufque-là avoit été en inaélion & roulé,
fc déplie, s’étend & commence à travailler. Il tapilfe de
foye les parois de fa loge ; il ne tarde guércs enfuite à fe
métamorphofer en nymphe. Plufieurs vers croiffent les
uns après les autres dans la même cellule; on peut recon-
noîtrelc nombre de ceux qu’il y a eu dans chaque cellule,
fi on fe donne la peine de léparcr les unes des autres, les
différentes toiles de foye dont elles font tapiffées. Les
vers qui doivent devenir des femelles, font traités avec
plus de difiinétion ; chacun a là cellule neuve, faite pour
lui, & qui ne fert qu’à lui. Enfin, environ 20 à 2 1 jours
après que l’œuf a été collé contre le fond d’une cellule,
une abeille cil en état de paraître au jour; après s’étre
défaite de fes enveloppes de nymphe, elle fait ulkge de
les dents pour ronger la porte, le couvercle de cire qui
y a été attaché; elle y fait une ouverture par où elle fort
s encore humide. D’officieufes mouches 1e préfentent fur
le champ pour i’elfuyer avec leur trompe: lès ailes s’afîer-
miffent, & dès le même jour elle efi en état de fortir de
la ruche, & de s’acquitter par des récoltes de cire & de
miel, de ce quelle doit à fes meres nourrices.
Ap rès que la rude faifon elt paffée, le nombre des
abeilles fe multiplie journellement dans une ruche; &
fouvent il s’y eft multiplié à un tel point vers la mi-Mai,
que l’habitation étant devenue trop petite pour contenir
toutes les mouches, le meilleur parti qui leur relie à
prendre, c’elt de fe partager. Dans un in fiant une très-
grande troupe fe détermine à abandonner le lieu de la
naiffance, pour aller chercher ailleurs un établiffement.
Cette colonie d abeilles elt appellée un effaim. Le dou¬
zième Mémoire traite de ce qui a rapport aux clfaims,
P RE' F A CE. XXXV
(de ce qui précédé & annonce leur fortie, de la manière
dont elle fe fait, & de tout ce qui la fuit, jufques à ce que
la nouvelle république fe foit mile folidement en état
de fe perpétuer. Quelque peu proportionné cependant
que fût le grand nombre des abeilles à la capacité de
la ruche, il n’en fortiroit point d’efïaim h toutes les
mouches nouvellement nées étoient des ouvrières. Cel¬
les-ci, qui doivent faire le gros de la colonie, veulent
avoir à leur tête une reine, & une reine féconde & qui ait
été fécondée. Elle feule peut a durer la durée d’un nouvel
établi dément. Il a aulh été réglé que lorfqu’un très grand
nombre de mouches ordinaires feraient nées dans une
ruche, des mâles y naîtraient, & que des femelles y naî¬
traient enfuite. Or dès qu'il y a des femelles nées, 8c
qu’une de celles-ci ed en état de mettre au jour une nom-
breufe poftérité, c’en ed ades pour déterminer un ciïaim
à quitter même une ruche qui n’ed que médiocrement
peuplée. Lefoir & pendant la nuit, des bourdonnements
plus forts que les ordinaires, fe font entendre dans une
ruche quelques jours avant le départ de l’effaim. Il ed
quelquefois annoncé le matin du jour où il ne fe doit
Elire que l’après-midi, par un figne moins équivoque 8c
plus digne d’être remarqué. Pendant qu’un temps ferein 8c
doux, & un Soleil brillant, invitent àfortir les abeilles des
différentes ruches, pendant qu’on en voit beaucoup ren¬
trer avec des récoltes de cire brute dans des ruches mé¬
diocrement peuplées, fi on obferve peu de mouvements
aux portes d’une ruche qui fourmille de mouches, fi peu
de celles qui arrivent, rapportent de la cire brute, on peut
compter que dans le fort de la chaleur du jour, il en lor-
tira un effaim. Comme fi cette grande entreprilê avoit
été décidée pendant la nuit, comme fi le moment où elle
doit être executée avoit été déterminé, les mouches qui
eij
xxxvj P R E' FACE.
doivent abandonner la ruche l’après-midi, ne daignent
pas y travailler pendant la matinée ; & celles qui y doivent
relier, attendent pour s’occuper avec leur activité ordi¬
naire, que leurs compagnes l'oient parties. La réfolu-
tion de partir dans le jour fcmble donc bien déclarée;
mais je ne crois pas que le moment du départ ait de
même été fixé. Ce moment arrive quand la chaleur de¬
vient plus confidérable, & fur-tout quand quelque ardent
rayon de Soleil agit lur la ruche. Alors dans un inllant
des abeilles en fortent en foule; elles remplilfent l’air
des environs; dans quelques fécondes, toutes celles qui
doivent compofer l’elfaim s’y trouvent répandues. Après
avoir voltigé & tourbillonné pendant quelques minutes
au - delfus d’un arbre, elles fè réunilfent autour d’une
de fes branches. Quand elles y font devenues tranquil¬
les , on les fait tomber dans une ruche oit ordinairement
elles fe trouvent bien. Les Anciens ont voulu que dans
lin elfaim , outre le véritable roi, il fe trouvât fouvent
une mouche rebelle par qui la puiiïance fouveraine étoit
difputée. Ils ont accordé au premier les qualités qui ren¬
dent digne de regner ; ils ont.alluré que fon extérieur ré-
pondoit au rang auquel il étoit deltiné. Us nous peignent
au contraire la figure de la mouche qui s’ell révoltée,
comme très-hideulé & ignoble ; félon eux, la figure elï
l’image des mauvaifes qualités de fon ame. Cette mou¬
che indigne de l’empire fçait pourtant féduire quelques
abeilles; mais bientôt elle efl punie de fa trahifon par les
autres, qui lui ôtent la vie. Le vrai auquel tout ceci doit
être réduit, c’elt que quelquefois plufieurs fémelles nou¬
vellement nées fe trouvent dans une ruche lorfqu’un elfaim
en part; que quelquefois deux ou trois, ou même quatre
fémelles s’y alfocient. Cependant le bien de la nouvelle
lociét<* demande qu’il ne lui en relie qu’une. Aulft une
PREFACE. xxxv i j
feule eft-elle confervée. En moins d’un jour ou deux les
furnumérairesfont miles à mort. Celle qui demeure unique
fouveraine eft la plus digne de 1 être, non par des vertus mo¬
rales, mais par une vertu phyfique bien elfentielle à la répu¬
blique maillante. Elle eft la plus prête à pondre, 6c proba¬
blement celle qui promet une ponte plus abondante. Sou¬
vent dès le premier ou le fécond jour, elle depofe des œufs
dans les alvéoles qui viennent d’être faits. C’eft ce qu’on
n’auroit pas dû attendre de celles qui ont été immolées au
bien public. Lorfque j’ai ouvert le corps de plufieurs de
celles-ci, je n’ai pu y appercevoir des œufs d’une groffeur
fenftble. Les fémelles nouvellement nées qui font reftées
dans l’ancienne ruche , n’ont pas fin fort plus heureux que
les furnuméraires de l’eftaim ; comme celles-ci elles font
miles à mort. Il y a pourtant quelquefois deux ou trois jeu¬
nes fémelles à qui la vie eft confervée, 6c cela quand la
ruche, comme il y en a quelques-unes, fournit deux ou
trois eflaims.
Il ne nous eft pas permis d’être indifférents pour des
mouches fi induftrieufes, 6c dont les travaux nous font fi
utiles. L’objet du treiziéme 6c dernier Mémoire, eft d’e¬
xaminer les moyens de les multiplier, 6c d’en tirer le
meilleur parti qu’il eft poffible. Lorfque nous avons vû
où elles fe chargent de cire 6c de miel, nous avons dû
faire réflexion que la quantité de l’une 6c de l’autre qu’elles
recueillent fur les fleurs, n’eft prefque rien en comparai-
fon de la quantité qu’elles font forcées d’y laiffer. Les
ouvrières nous manquent pour faire faire des récoltes
de fruits offerts par la nature avec une fi grande profu-
fion ; mais il ne nous eft pas aufïi facile de multiplier ces
ouvrières qui ne nous coûtent rien , qu’il l’eft de multi¬
plier les vers à loye. Il y en a autant de ceux-ci qui devien¬
nent des papillons fémelles, qu’il y en a qui deviennent
e iij
xxxviij PREFACE.
des papillons mâles. On pourroit peut - être fonger à
mettre plus à profit le petit nombre des abeilles femelles
qui nailfent chaque année dans chaque ruche. Mais ce
qui fe préfente de plus fur pour la multiplication des abeil¬
les, c’efl d’empêcher qu'il n’en périfle chaque année,
autant qu’il en périt. Une avidité mal entendue a établi
en diverles provinces, I’ulage de faire mourir celles qui
font parvenues à bien remplir leur logement de cire St
de miel. Ii feroit aifé de proferire par un réglement, une
pratique barbare & fi oppofée à la multiplication de mou¬
ches li dignes d’être confervées. Les Auteurs qui ont traité
des abeilles, nous ont appris quelles ont beaucoup d’enne¬
mis qui les détruifent. Tels font dans le genre des quadru¬
pèdes , les mulots St d’autres rats de jardin. Beaucoup d’oi-
feaux les attrapent quand ils peuvent.Certains infeéfes ailés,
comme les guêpes & les frêlons, font aufTi redoutables pour
clics que les oifeaux ; on prétend même que les guêpes ne
permettent pas d’avoir des abeilles dans quelques-unes de
nos Ilîesdc l’Amérique, qu’elles les y exterminent toutes.
Une elpéce de poux s’attache fur elles, St y vit fins les
abandonner. Elles font fujettes à diverles maladies con¬
tre lefquelles on n’a pas manqué de preferire des remèdes.
Mais tous leurs ennemis enfemble, St toutes les maladies
dont elles peuvent être attaquées, même dans de belles
faifons, n’empêcheroient pas que le nombre des ruches
ne fe multipliât confidérablement chaque année, fi on
pouvoit les fauver pendant la fin de l’Automne, pendant
l’Hiver St le commencement du Printemps. C’efi alors
que les ruches entières périlfent, St qu’il en périt beau¬
coup. Les deux grands Beaux des abeilles dans ces temps
fâcheux, font le froid St la faim. Nous prouvons que
quand on cherche à les mettre à l’abri de l’un , on les
livre fouvent à l’autre. Tant quelles ne l’ont qu’engourdies
P RE' F AC R XXXIX
de froid, elles peuvent vivre fans avoir befoin de man¬
ger; mais un plus grand degré de froid leur ôte la vie.
Si pendant l’hiver on les tient dans un lieu trop doux,
leurs provifions font trop - tôt confumées, & elles le
trouvent réduites à mourir de faim. Mais l’air qui fe-
roit doux pour des ruches très-peuplées, efî'trop froid
pour celles qui le font peu , il les fait périr. Après avoir
examiné les inconvénients de l’une & de l’autre efpéce,
& comment ils fe combinent par rappoit aux differentes
ruches, nous preferivons les moyens qui nous ont fem-
blé les meilleurs pour conferver les abeilles pendant les
rudes faifons, & qui font fondés fur des expériences
qui paroiffent décifives. Des ruches très-peu peuplées,
& dont toutes les mouches lcroicnt mortes avant ia hn
de l’hiver, fi elles eulfent été tenues dans un jardin &
même dans une chambre, ont été confervées, parce que
je les ai miles chacune dans un tonneau où les unes
étoient entourées de terre, & les autres de menu foin;
& ce qui a le plus contribué à fauver la vie à ces abeilles
tenues affés chaudement, c’eft que je leur avois ménagé
une porte qui leur permettoit de fortir lorfque de beaux
jours les y invitoient. Enfin, plus nous mettrons les
abeilles à portée de faire de bonnes récoltes, 6c plus
nous en tirerons de parti, & nous travaillerons en mê¬
me temps à leur conlèrvation. Dans plufieurs pays de
plaine, dès que les bleds font enlevés, les abeilles ne
trouvent plus ou prefque plus de fleurs, pendant que
d’autres pays fou vent voifins, arrofés de ruifleaux 6c cou¬
verts de bois, ont en abondance des fleurs de toutes efi
péces. De grands exemples nous excitent à chercher à
mettre ces dernières fleurs à profit. Un ufage établi en
Egypte de tout temps 6c qui y fu b lifte encore, efl de
faire voyager des bateaux pleins de ruches le long des
jcï PREFACE.
bords du Nil. En Grèce, on tranfportoit autrefois en
Attique les abeilles, lorl'qu elles n’avoient plus de Heurs
en Achaïe. Un ufage fi liage a été connu dans beaucoup
d’autres pays; 6c il a été renouvellé par le maître entendu
d’une Blanchifferie de cire établie à quelques lieues de
Petiviersen Beauce. Quand les abeilles de fix à fept cens
ruches qu’il a en fa poffeffion , ne trouvent plus de quoi
s’occuper utilement autour de la Blancbifîerie, il les fait
tranl'porter, l'oit en Beauce, loit fur les libères de la forêt
d’Orléans, l'oit en Sologne, félon que l’année a été plu-
vieufe ou lèche. Avec de pareils foins on parviendra à
multiplier les abeilles dans le Royaume, à leur faire faire
déplus abondantes récoltes de cire 6c de miel, que nous
partagerons, & aurons acquis le droit de partager avec
elles. Nous finilfons par expliquer comment ces fortes de
partages doivent le faire, 6c par dire quelque choie des
différents miels & des différentes cires, 6c de la quantité
de l’un 6c de l’autre qu’on peut attendre de chaque ruche.
Indépendamment des utilités que nous retirons de ces
mouches, & des utilités encore plus grandes que nous en
pourrions retirer, leurs républiques font bien dignes d’oc¬
cuper un efprit philofophique ; elles lui fourniffent ma¬
tière à bien des réflexions capables de l’étonner. Une feule
abeille eft lame de tout Ion peuple, elle met au jour
chaque année un nombre prodigieux de mouches, qui ne
femblent naître que pour la fervir, 6c pour la fervir avec
line affeétion inconcevable. Quoique naturellement très-
laborieufès , dès que la mereleur manque, elle ne fçavent
plus ce que c’eft que de travailler. Alors fuite de faire les
provifions ordinaires, elles fe laiflent périr de faim. Mais
ont-elles une mere féconde, c’eft avec une aétivité fans
égale quelles exercent deux arts à nous inconnus, celui
de recueillir 6c préparer le miel, 6c celui de faire de la
cire.
PREFACE. xi;
cire. Quand on étudie la manière dont elles mettent celle-
ci en œuvre, quand on voit qu’elle fuppofe des connoif-
fances en géométrie fupérieures à celles qu’ont eues les
plus grands Géomètres de l’antiquité, l’admiration que
ces mouches font naître ne s’arrête pas à elles. Si on ne
veut pas les regarder comme des êtres très-intelligents,
on cft forcé de reconnoitre quelles ne peuvent être l’ou¬
vrage que d’une intelligence infiniment parfaite & infini¬
ment puifiante. Bientôt l’admiration s’élève à celui qui leur
a donné l’être; mais bientôt on demande pourquoi il lésa
fi admirablement inftruitesî Qu’étoit-il néceffairequelles
conduififfent leurs ouvrages félon les réglés de la plus
fublime géométrie! On cît tenté de penfer que laSageffe
par excellence, a donné trop d’attention à de fimples
mouches. Ce n’cft que pour nous que nous voulons que
tout ait été fait. Nous ferions pardonnables de le penfer
avec un excès de compfaifance, fi nous le penfions avec
afies de reconnoiflance. Mais les abeilles euffent pu nous
ramaffer du miel, quand elles l’auraient logé dans des
vafos plus groffiérement conftruits, dans des cellules qui
il euffent point été des exagones à fond pyramidal. Nous
trouverions mieux notre compte par rapport à la cire, fi
les abeilles, au lieu de fçavoir l’employer en grandes géo¬
mètres, avoient fçu en ramaffer allés pour fournira conl-
truire des cellules plus mafiives.
Mais nous fournies bien éloignés detre à portée d’en¬
trevoir quelles perfeélions coiivcnoient à chacun des êtres
qui entrent dans la composition de funivers, &. quels
rapports ils dévoient avoir entr’eux. Nous n’avons aucune
idée de l’immenfité de cet univers dont il nous efi ailé de
reconnoitre que notre terre n’efi qu’une particule, qu’une
efpéce d’atome. Cet atome fur lequel nous avons été pla¬
cés, pour avoir le rapport qu’il convenoit qu’il eût avec
Tome V t f
xli; ^ P RE'F A CE.
la totalité de l’ouvrage, demandoit à être peuplé d’urie
infinité d’animaux entre lefquelsies uns, malgré leurpe-
titeffe, font cependant des mondes pour d’autres. Si l’in¬
fecte pour qui l’abeille en eft un, penle, il fe juge mieux
fondé à croire les abeilles faites pour lui, que nous ne
le fournies à les croire faites pour nous. S’il connoit toutes
les perfections de l’être qu’il habite, pour peu qu’il foit
diipofé à s’enorgueillir de fa propre excellence, combien
doit-il être daté de ce qu’une créature fi merveilleufement
organifée, fi laborieufe, fi induftrieufe, fi habile, & pour la
confervation de laquelle les hommes prennent des foins,
s’il penfe, dis-je, que l’abeille a été faite pour lui.
Si l’ouvrier qui fait une montre, faifoit aufii les mé¬
taux qui y entrent, il fçauroit de quelle nécefiité il eft
de combiner entr’elles certaines matières de l’union def-
quelles ihréfulte un compote qui eft du cuivre ; d’en com¬
biner d’autres enfemble, ou les mêmes différemment,
mais de manière que leur affemblage foit du fer ou de
l’acier. L’Ouvrier de l’univers n’en a pas fimplement com¬
biné les parties, il les a faites; le plan parfait fur lequel il
l’a formé, demandoit que dans cet univers il entrât une
particule qui eft notre terre, que cette particule pref-
qu’infiniment petite par rapport à l’immenfité du refte,
fut compofée de tout ce que nous y voyons, & de beau¬
coup plus que nous n’y fçavons voir; quelle eut des
minéraux, des végétaux, des animaux ; & parmi ceux-
ci, quelle en eût d’auffi induftrieux que le font les abeil¬
les. En un mot, chaque eftre n’eft ce qu’il eft, que parce
qu’il eft une partie néceffaire à la perfeélion de l’ouvrage
total. Comment pourrions - nous avoir la plus légère
idée de l’infinité & de la nécefiité de ces combinaifons,
nous qui ne fçavons pas celles qui doivent entrer dans un
fimple grain de terre commune! La fphere d intelligence
PRE'FACE. xlii;
qui nous a été accordée, ne s’étend pas au - delà de la
première écorce de quelques-unes des parcelles de l’uni¬
vers. Nous avons cependant à nous reprocher, de ne
pas donner alTés notre attention au petit nombre de
ces efîres qui ne font pas au - delà de notre portée. Ce
que nous en pouvons voir eft plus que fuffifant pour
remplir la mefiire d’admiration dont nous fommes ca¬
pables. Nous ne pouvons même fuffire à admirer tou¬
tes les merveilles que nous offrent ces petits animaux,
que le commun des hommes ne juge pas dignes de les
regards, les infeétes.
Malgré l’étendue que nous venons de donner, & que
nous nous fommes crus en droit de donner à t’Hiltoire
des abeilles, parce qu’elles font de ceux avec qui nous
avons, pour ainfi dire, à vivre, & quelles nous font d’une
grande utilité, nous avons apparemment laide ignorer
un grand nombre de faits curieux qu’elles nous ont ca¬
chés. Il nous refte à parler de beaucoup de genres &
d’efpéces de mouches à quatre ailes, qui, n’ayant pas
trouvé de place dans ce cinquième volume, fe trouvent
renvoyés au fixiéme ; entre ces mouches différentes en
genres ou en efjiéces, les unes vivent en fociété, comme
les abeilles, & les autres vivent foiitaires. Si parmi les
unes & les autres il n’y en a pas qui s’occupent actuel¬
lement pour nous, comme le font les abeilles, il y en
a au moins qui peuvent nous donner des vues pour
nous faire entreprendre des ouvrages qui nous feroient
utiles, qui nous enfeignent des manipulations auxquelles
nous ne fçavons pas avoir recours, comme nous le fe¬
rons remarquer dans le temps. Enfin entre ces mouches,
nous en trouverons qui femblent le diiputer aux abeilles
en génie, en adreffe, en prévoyance, & en amour pour
leur poftérité, & qui ont à nous faire voir des fingulantés,
xliv PREFACE.
des cfpéces de prodiges de tous autres genres que ceux
que les abeilles nous ont montrés.
On peut être né avec un efprit qui fçait apprécier les
connoiffances, avec un efprit qui, avide d’en acquérir,
voudroit être inftruit des merveilles que la nature nous
offre, & manquer du temps néccffaire pour les étudier
en détail dans de gros ouvrages. Ceux qui fe trouvent
dans ce cas nous fçauront peut-être quelque gré de 1 e-
tenduë que nous avons donnée à cette Préface. Nous
les avons eu en vûe lorfque nous y avons raffemblé
les principaux faits qui fe trouvent difperfés dans le
Volume; nous avons cherché à les chfpenfer de le lire.
Nous avons donné des cfpéces d’extraits de fes différents
Mémoires, moins refferrés que ceux qui fe trouvent dans
les Préfaces des Volumes précédents. S’il n’étoit queftion
que de rapporter les faits qu’on a obfervés, s’il n’étoit
pas néceffaire de prouver en même temps qu’on les a
bien vus, & de mettre en état de les revoir, on n’auroit
pas à craindre de rendre ennuyeux par leur longueur des
Volumes où il ne s’agit que de matières intéreffantes par
elles-mêmes. Mais on ne fatisferoit pas les efprits philo-
fophiques qui fçavent ne devoir admettre que les faits
dont la réalité a été prouvée incontefhbiement.
L A Vignette repréfente un Appentis fous lequel /ont placées des Ruches
vitrées de différentes formes. En dehors de l’Appentis, un homme couvert
d’un camail tient une Ruche renverfée dans laquelle il fait tomber les Abeilles
d’un eflaim qui s’étoit attaché à une branche d’arbre. La Ruche qui eft près
du même homme, eft poféefur la terre, comme le fera celle dont il eft chargé,
èsd qu’il aura reçu dedans les Abeilles de l’elfaim.
MEMOIRES
MEMOIRES
*
POUR SERWR
A L’HISTOIRE
DES INSECTES.
PR E Ml ER MEMO IRE.
HISTOIRE
DES TIPULES.
'Histoire des Mouches appeilées Tipules,
auroit été placée dans le dernier volume, s ii
eut été polïible de l’y faire entrer, fans le
I reifdre d’une groflèur incommode; ii finit par
53 l’hiftoire des coufins, à la fuite de laquelle celle
des Tipules devoit naturellement le trouver; mais au
moins cette dernière ne fera iéparée de l’autre par aucun * 1
Mémoire. Les Tipules 4 , comme nous l’avons déjà dit !t.&'pi.
Tome V. . A
W.Cfq
* Tom. 4
A'Iein. XIII
P a S‘ 575'
*Pi. 2
8. «Sccjt.
2 Memoire's pour l’Histoire
ailleurs *, font des mouches à deux ailes, qui, au premier
coup d’œil, reffembient h fort aux cou fins, quelles parod¬
ient être de leur genre. AuiTi des auteurs d Iniloire natu¬
relle, très-célebres, & des obiervateurs attentifs, Swam-
merdam, Goedaert, &c ont confondu les petites elpeces
deti])iiles avec lescoufins. Mais quand on ne s’arrête pas
aux premières apparences, on reconnoît ailêment quelles
font d’une dalle differente de celle des autres. Ceux-ci
font de la première claffe générale des mouches à deux
ailes ; ils font pourvus d’une trompe qui n’eft point
accompagnée de dents, mais qui eft munie de plufieurs
aiguillons, avec lefquels ils fçavent j)ercer notre chair, &
tirer le fang de nos vaiffeauxr^iu lieu que les tipules font
de la fécondé cJaff®générale des mouches à deux ailes :
la nature ne leur a point accordé de trompe, elle ne leur
fig. a donné qu’une bouche *, qui même n’a pas de dents.
Auffi les tipules ne cherchent point à nous faire du mal >
& ne font pas en état de nous en faire.
Il eft heureux que nous n’ayons rien à craindre de ces
mouches, car aux environs de Paris, le nombre de leurs
efpeces furpaffe beaucoup celui des efpcces de coufîns.
Communément elles font auffi fécondes, Si quelques-
unes font confidérablement plus grandes que les elpeces
de ceux-ci. Mais les tipules &les confins le reffembient.
par la forme du corps; celui desunes, comme celui des
autres, eh allongé; les unes & les autres font de la fécondé
des claffes fubordonnées aux claffes générales. Ces inlcéfes
fe reffembient encore parla grandeur de leurs jambes, par
la maniéré de les pofer, par la figure de» ailes. & par la
forme du corcelet.
Tous les confins que je connois, ont été dans leur
premier état, des vers aquatiques, Si ils n’ont quitté l’eau
que lorlqu’ils font devenus ailés. Des tipules de bien des
des Insectes. I . Mem. 3
cfpeces différentes, ont pris auffilcur accroiffemcnt dans
les eaux, fous iaformede vers; mais des tipulesde beaucoup
d’autres efpeces, ont été des vers qui fe font nourris fous
terre, ou for des plantes. Nous commencerons par faire
connoître quelques efpeces de ceux qui ont été des vers
terreftres, & nous finirons par en faire connoître des
efpeces de ceux qui ont été des vers aquatiques. Nous
n’avons garde au ré fie de nous propofer de décrire exacte¬
ment toutes les efpeces de ces infectes qui naiffent fur terre,
& toutes celles qui liai fient dans l’eau ; nous croyons
qu’011 aimera mieux que nous nous bornions à parler de
celles qui fe prefentent le plus fouvent à nos yeux, & de
celles qui offrent quelque particularité remarquable.
Nous venons de dire que les tipules différent des con¬
fins, en ce quelles n’ont point de trompe, & eiles diffé¬
rent des autres mouches de leur propre claffe, en ce
qu’elles ont la figure des coufins; elles en différent encore
par la conformation de leur bouche, & parles accompa-
gnemens. La fente qui en fTit l’ouverture extérieure*, efi * ' 2. %.
dirigée de devant en arriére; elle n’a point une levre an- 9- ^ : "
térieure &fupérieure,& une poftérieure Sc inférieure. Ses
Ievres font latérales*, elles jouent en quelque forte comme * i t j
les deux mâchoires ou dents des chenilles; elles font arti¬
culées au bout de la telle. Quand on preffe le corcelet ,
on oblige la bouche à s’ouvrir; & on voit bientôt les deux
ievres qui s’écartent l’une de l’autre, & qui laiffent apper-
cevoir des cliairs entre lefquelles il n’y a qu’une fente.
En augmentant la prefïion, on contraint ces dernières
chairs à s’écarter les unes des autres, comme on y avoit
contraint les premières. 11 femble que cette bouche ait
deux Ievres de chaque côté, une levre extérieure & une
levre intérieure ; on ne fçait pas même fi on ne lui en
doit pas croire davantage, ou fi les plis & replis des chairs
» PI. 2. %.
8 .
* Fig. 8. &
9. bd.
* Figure 8.
* PI- 3-fig.
.ï. & z.
A. MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
ne font pas de chaque côté plus que l’équivalent de
deux levres. Les extérieures font comme cartilagineufes,
& garnies de poils courts &fins, mais les intérieures font
Amplement charnues. La tête de la tipule* efi un peu
allongée, on peut la mettre au rang des têtes en demi-
trompe: c’eft à l'on bout que font articulées les deux levres
extérieures & toutes les parties-qui compofent la bouche,
que nous conhdérons. Du defiùs & dé chaque côté part
un barbillon*, qui, comme une antenne , a piuficurs arti¬
culations. Dans les temps ordinaires, ces deux barbillons
s’appliquent l’un contre l’autre, & fe recourbent pour
pafier fur la bouche, & pour fe plier enfuite en -dclfous de
la tête, où ils vont allés loin *. Ils femblent faits pour
couvrir la fente de la bouche. Les elpeces de tipules que
j’ai examinées, ne m’ont fait voir que ces deux barbillons,
& me les ont fait voir placés de la même manière. Si leur
nombre fe trouve confiamment fixé à deux, & que leur
pohtion foit confiante, on aura un caraélere commode
pour difiingucr ces fortes débouches des autres mouches
qui, comme elles, ont une bouche fans dents. Les mou¬
ches qui auront beaucoup de relfemblance avec les tipules,
mais à qui les deux barbillons manqueront, ou qui les
auront autrement placés, pourront être miles dans un
genre particulier, qui fera celui des Protijmles. Peut-être
pourtant aimera-t-on mieux confcrver ce nom pour les
mouches femblables d’ailleurs aux tipules, mais qui auront
plus de deux barbillons.
C’efi dans les prairies qu’on voit plus communément
les grandes elpeces de tipules *, celles qui n’ont point
été confondues avec les cou fins, & qui dans la plû-
part des campagnes , ont leur nom particulier. Goedaert
les a nommées des Tailleurs ,& Leeuwenhoek leur donne
le même nom. Entre celles-ci, on en trouve qui depuis le
des Insectes. I. Aîem. ?
tout antérieur de la tête jufqu a leur extrémité poftérieure,
ont dix-neuf à vingt lignes de longueur, ce qui fait de
longs infeéles. Mais leur corps efî délié; où il a le plus
de diamètre, à peine en a-t-il une ligne Si demie; il eft
compofé de neuf anneaux. Le corps du male efl plus
court que celui de la femelie, Si plus gros à fon bout
que par-tout ailleurs; ce bout * eft ordinairement relevé
en deffus, au lieu que le corps de la femelle le termine
par une pointe fine dirigée * félon la longueur du corps.
Cette pointe, que nousferons bien-tôt obligés de décrire
plus exactement, effc compoféede plufieurs pièces comme
écailleufes, qui partent du dernier anneau.
Dès le commencement du printemps jufqu a celui cfe
l’hiver, les tipules paroiflent dans les prairies; mais la fin
de Septembre Si le commencement d’Oélobre, font les
temps où elles y font le plus communes: certaines prairies
font li peuplées alors de celles de la plus grande des elpe-
ces, qu’on n’y peut faire un pas fins déterminer plufieurs
de ces mouches à s’élever en l’air. Quoiqu’elles prennent
quelquefois un allés grand vol, lorfque le Soleil ell brillant
Si chaud, ordinairement elles vont peu loin ; fouvent
même elles ne volent que terre à terre, ou plûtôt qu’à la
furfice des herbes. Dans certains temps elles nefe fervent
de leurs ailes, que comme les autruches fe fervent des
leurs, pour s’aider à marcher, & réciproquement leurs
jambes les aident à voler; elles s’en fervent pour foûtenir
un peu leur corps à fleur des herbes, & pour le pouffer
en avant. Ces jambes, fur-tout les poftérieurcs, font dé-
méfurément grandes, elles ont plus de trois fois la lon¬
gueur du corps; elles font pour ces infeéles ce que font
des échalfes pour les paylans des pays marécageux &
inondés, elles les mettent en état de paffer alfés commo¬
dément fur des herbes élevées,
A iij
* PI. 3 . fig.
I. q.
* Fig. z.p. r,
* FI.
S. & g
6 MEMOIRES POUR LHlSTOIRE
La couleur de cette grande efpcce detipules n’a rien
d’agréable; celledu corps eft un gris blancheâtre;le corcelet
de même couleur par-deftus, y eftondé, & en deffous eft
d’une nuance })lus claire; il s’élève d’une manière qui fait
paroître l’infeéTe boftu. La tête qui tient au corcelet par
une efpece de col très-court, eft petite, & couverte en
2 . %. grande partie par deux grands yeux à rezeau * d’un
verd changeant, dans lequel on apperçoit du pourpre
mêlé, lorfqu’on les regarde en certains fens. J’ai inutile¬
ment chéri hé des yeux liftes fur cette tête, car je ne cross
pas qu’on doive prendre pour de pareils yeux, un petit
tubercule que la loupe fait découvrir à l’origine de cha¬
que antenne, parce qu’il n’a pas le fuifant ordinaire aux
yeux liftés. On feroit plus tenté de prendre pour deux
yeux de cette elpece, deux petits grains arrondis d’un
brun prefquc noir, mais très-brillant, que la loupe fait
découvrir; il y en a un à chaque côté de fa partie anté¬
rieure du corcelet; ce feraient à la vérité des yeux placés
bien finguiiéremcnt; mais d’autres infcéles, les faucheurs,
par exemple, en ont qui nous doivent fcmbler l’être aufii
bizarrement.
Les ailes, malgré leur tranfparence, laiftênt appercevoir
une teinte de brun, qui, tout autour de leur bord & fur
les grofles nervures, eft plus forte qu’ailicurs : ces ailes
font allez étroites par rapport à la grandeur de l’infede.
Quoiqu’il les tienne quelquefois fur fon corps, il lui eft
très-ordinaire de les en tenir écartées, & dans une poli-
tion oblique, & telle que les plans prolongés des deux
ailes fe rencontreraient à peu-près fur celui où les jambes
font pofccs. Le microfcope n’y fait point découvrir de ces
écailles qui ornent le deftus des ailes des coufns, & qui
font une jolie frange à leur côté intérieur. 11 y a pour¬
tant d’autres efpeces de tipules auxquelles je crois avoir
* PI. 2. fig,
8 . m.
* Fig. 8. S.
*7
V
des Insectes. I . Mem . y
trouvé des franges; mais je ne me fouviens pas d’en avoir
vu qui eufient des écailles, loit lur le corps, foit fur le
corcelet. La grande efpece que nous nous fommes fixés
à décrire, a feulement fur le corcelet & fur les anneaux
du corps, des poils fins, une forte de duvet qu’on n’ap-
perçoit qu’à la loupe. A l’origine de chaque aile on ne
trouve aucun veflige de ces coquilles ou ailerons, qui
ont eflé accordés à tant d’autres mouches à deux ailes.
Mais nos tipuies font pourvues de balanciers * ou maillets,
qui n’en font que plus ailés à voir; d’ailleurs la longueur
de leur tige aide à les mettre en vûe: chacun d’eux efl:
pôle au-deiTus d’un très-grand fiigmate*, vers la partie
poflérieure du corcelet. Les deux fiigmates antérieurs *
iont moins aifés à appercevoir, on les trouve pourtant
allés facilement quand on fçait que chacun d’eux efl
placé au-deflus de l’origine d’une des jambes de la pre¬
mière paire, & qu’il s’étend jufqu’auprès de l’origine de
la jambe fuivante. Les fiigmates des anneaux du corps
doivent être extrêmement petits, car je les ai cherchés
avec une aifés forte loupe, fans avoir pu les découvrir.
Chaque anneau du corps efl à peu-près cylindrique, &
fait de deux tuyaux prefque égaux, qui n’ont guéres
qu’une conlifiance membraneufe : le tuyau fuperieur efi
joint de chaque côté à l’inférieur, par des peaux blanches,
&plus flexibles que le refie, qui feplilfent lorfque les deux
tuyaux fe touchent, & qui fie déplilfent lorfque les deux
tuyaux s’écartent l’un de l’autre. J’ai cherché les fiigmates
dont je viens de parler fur ces peaux, fans les y trouver.
Les tipuies de nofire grande efpece portent deux
antennes*, qui n’ont rien de remarquable que quatre à * F; g . 8 &
cinq grands poils*qui font verticiilés à l’origine de cha- 9- a > a -
que articulation; le refie eft couvert de poils très-courts. * Fl ?‘ ‘ 5 ’
Les antennes du mâle n’ont rien de plus que celles de la
p, p. &c.
» PI.
S . 2.
£ 1. t.
S MEMOIRES POUR L’HlSTOÏRË
femelle. Mais nous parlerons de quelques autres elpeces de
tipules, dont les mâles ont des antennes qui peuvent le dis¬
puter aux plus belles de celles qui parent d’autres infeéfes.
Les tipules de la plupart des petites efpeces font plus
agiles que celles des grandes elpeces que nous examinons :
non-feulement elles volent plus volontiers, il y en a qui fe
tiennent prefque continuellement en l’air. Dans toutes
les faifons, fans en excepter celle où le froid fe fait le plus
fentir, on voit dans l’air à certaines heures du jour, des
nuées de petits moucherons que l’on prend pour des con¬
fins, 6c ce font ordinairement des nuées de tipules. Rien
n’eft plus ordinaire que de voir de ces nuées en plein midi,
dans les jours de printemps, 6c même dans ceux d hiver où
le Soleil brille. Les tipules qui les compofent, ont une façon
de voler qui mérite d être remarquée : chacune de ces pe¬
tites mouches ne fait continuellement que monter 6c des¬
cendre, éc cela fui vaut la meme ligne verticale, ou à peu-
près, comme monterait ôcdefCéndroit alternativement une
boule d’ivoire qui tomberoit fur une enclume; avec cette
différence que la mouche remonte jufqu’au point, & même
par-delà le point d’où elle étoit delcenduc, & continue
long temps un pareil jeu.
Pour prendre ces mouches dès leur origine, toutes
i.fi?. ont été des vers fans jambes, à tète de figure confiante *.
3* & Ceux qui par la fuite fe transforment en grandes tipules
grifes, 6c en celles de plufieurs autres elpeces de gran¬
deur médiocre, fe tiennent cachés fous terre. Ils font
d’un blanc très -file, ou plutôt grisâtre; leur figure
cft cylindrique, à cela près que leurs deux bouts ont
moins de diamètre que ce qui les précédé. Leur tête cfi
ccailleufe, 6c a peu de volume: finie été n’en montre
ordinairement qu’une portion, 6c quand on le prend à la
main, il la retire toute fous le premier anneau. Lorfque
après
des Insectes. 7. Mem . 9
après l’avoir forcé par la preffion, Je la montrer, on la
confidére en-deflbus * avec une loupe forte, on dé- *PI.r.fig.*.
couvre deux crochets*, dont un part d’un côté, & l’autre * c, c.
de l’autre; quoiqu’ils fe touchent mutuellement par leur
pointe, ils ne femblent pas faits pour agir l’un contre
l’autre ; ils le feraient plutôt pour agir contre deux
pièces *, placées fur une meme ligne au-defious d’eux. * l > ?■
Les pièces que nous voulons faire connoître, font fixes
& écailleufes, leur furface extérieure cfl convexe, & l’in¬
térieure efl concave. Leur bord fupérieur cfl dentelé; il
femble que chaque crochet foit fait pour preffer contre
une fuite de dents, les matières qui doivent être coupées
& broyées; que cette fuite de dents foit une mâchoire fixe.
Si que le crochet foit uncefpece de mâchoire mobile. La
tête a en-defTu sdeux efpeces de cornes charnues*. *Fig. 5. a,a,
Il y a apparence que ces vers ont fur leurs anneaux
des fligmates qui m’ont échappé par leur petiteffe; mais
ils en ont deux poftérieurs très-aifés à trouver ; le ver
les cache pourtant quand il veut. Ils font au bout de l'on
dernier anneau *, qui, comme le dernier anneau des vers * Fig
que nous avons nommés à derrière rayonnant, a fix * r> r , r, r,
rayons ou fix angles charnus*;deux de ces rayons* font c > c •
plus courts que les autres. D’ailleurs les rayons font plus ' c> c '
ou moins allongés dans des vers qui donnent des tipules
de différentes efpeces. Quand le ver veut, il applique les
rayons les uns fur les autres*; & de plus, il fait rentrer en *Eîg. z.p.
partie dans fon corps, l’anneau dont ils partent; mais en
prelfant fon bout poflérieur, on oblige cet anneau à fe
montrer, Si fes rayons à s’étendre. C’cfl alors qu on
diflingue très-bien fur le plan du bout poffericur, deux
taches brunes & circulaires. Si on les examine à la loupe,
on voit que chaque tache eft formée d’une plaque un
peu concave *, à quelque diflance de la circonférence * Fig. 9./;/
Tome V . B
* PI. I. fig.
9. m.
'♦Fig 10 .us,
us.
*/■
* Fig. 10.
I, b.
* m ss.
* t.
* Fig. 6.
* Tom. 4.
Man. xii.
f a S- ï'ÿ-
3,1 Fig. 7. a.
10 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
tic laquelle eft une autre plaque * qui a quelque convexité,
& dont le centre répond à celui de la plus grande plaque.
En un mot, fa ftruéture eft femblable à celle des ftig-
mates poftérieurs de plufieurs elpeces tic vers. Enfin, fi
on dilféque le ver, on lui trouve deux trachées très-remar¬
quables, une de chaque côté*, qui tend en ligne droite,
vers la tache ou le ftigmate qui eft du même côté * : elle
femble pourtant fe terminer un peu avant que de l’avoir
atteint ; mais où elle paroît fe terminer, elle fe divife en un
très-grand nombre de branches *, qui toutes fe dirigent
vers la plaque circulaire * du ftigmate: cette plaque eft fa
bafe du cône-formé par toutes ces branches. Elles font
deftinées à recevoir l’air, & à le portera la grande trachée*
d’où elles partent: je dis à le porter, car j’ai conjeéturé
11 y a long-temps, que c’étoit leur fcul ufage; que l’air
avoit d’autres ouvertures pour fortir du corps de l’infecte,
& que ces ouvertures, ou partie de ces ouvertures , étoient
même placées à fon bout poftérieur. Là font quatre ta¬
ches circulaires *, brunes comme les ftigmates, mais
beaucoup plus petites. Ayant tenu fous l’eau la partie
poftérieure du ver, j’ai vu fortir des bulles d’air de ces
quatre petites taches, & je n’en ai vû fortir aucune des
grandes taches ou ftigmates. Ce que j’ai rapporté ailleurs*
de l’ufage qu’ont huit petits trous rangés comme ceux
d’une flûte, fur le derrière des vers des tumeurs des bêtes
à cornes, confirme fort l’idée que nous avons prife de
l’uftge des quatre petits trous du bout poftérieur des vers
tipules.
Du côté du ventre, & tout près du bout poftérieur, eft
l’ouverture * par laquelle le ver fait fortir l'es excrémens ;
pour les rejetter, il fiit paroître au jour une portion du
reélum, longue de ‘plus d’une ligne, & d’autres parties
charnues.
des Insectes. /. Mem. 11
Ces vers fe tiennent fous terre; & toute terre qui n’cft
pas fujette à être trop fréquemment remuée, leur cfl
bonne; on les trouve fur-tout dans celle des prairies baffes
& humides, & il ne faut pas fouiller profondément pour
les y trouver; fouvent ils ne font pas éloignés d’un pouce
ou deux de fa fur face. Je connois dans le Poitou de
grands cantons de marais defféchés, qui en certaines an¬
nées, n’ont pas fourni l'herbe néceflaire pour nourrir les
beftiaux, à caufe du défordre que ces vers y avoient caufé;
dans les mêmes cantons, & dans les mêmes années, ils ont
fait beaucoup de tort à la récolte des bleds. Ces vers qui ha¬
bitent fous terre, ne fçauroient pourtant manger les parties
des plantes qui s’élèvent au-deffus de fa furface; & ce qui cil
plus remarquable, ils ne font pas faits pour vivre de racines.
Pour tout aliment, il ne faut que de la terre, & la meilleure
pour eux eft celle qui n’eft encore qu’un terreau. La terre
des marais dont je viens de parler, eft très noire, elle n’cft
prefque que du terreau, & c’eft fans doute une des raifons
pour laquelle nos vers tipules s’y multiplient davantage
que dans d’autres pays. Les nacres mouches connoiffent
la terre à laquelle elles doivent, par préférence, confier
leurs oeufs, celle qui fournira une bonne nourriture aux
petits qui en doivent éclorre. Mais comment ces vers qui
n’en veulent point aux racines des plantes, font-ils donc
tant mal aux prés & aux bleds ! M. Baron Médecin de
Luçon, en m’informant dans une de les lettres, des dé-
fordres faits par ces vers, & dont il avoit été témoin, m’en
indiquoit la véritable caufe, ce me fcmble. Ces vers ne
fe tiennent pas tranquilles, ils changent de place, ils la¬
bourent la terre qui eft auprès des racines; iis détachent
celles-ci, lesfoûîevent, & les expofent trop à eftre deffé-
chées, lorfque le Soleil devient ardent. Peut - être au (fi
qu’ils en coupent plu fie urs pour fe faire des chemins.
B ij
J2 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
Au relie, il n y a aucun lieu de douter que la terre ne
foit la vraye nourriture de ces vers. Les excrémens même
qu’ils jettent, le prouvent; ils font encore de véritable
terre, dont l’eftomach & les inteftins de finfeéle ont Içû
tirer cequ’ellecontenoit de fucs nourriciers. J’ai examiné
pendant l’hiver la terre qui remplifloit desvafes dont toutes
les plantes avoient été arrachées dès l’été précédent ; &
j’ai vu quelquefois qu’elle étoit remplie de vers tipulcs,
qui ont achevé de prendre leur accroiflement au milieu
de cette terre, à laquelle il ne pouvoit relier que des frag-
mens de racines pourries. J’ai quelquefois trouvé de ces
vers dans des terres qui m’auroient femblé trop fablon-
neufes pour eux, telle que celle tlu bois de Boulogne:
mais quoique la terre qu’ils aiment le mieux foit celle qui
tient du terreau, ils peuvent vivre d’une terre plus maigre.
Il elt alfés ordinaire aux vieux arbres de différentes
efpeces, d’avoir des cavités dans des endroits où leur bois
a été attaqué par la pourriture. Lorfque ces creux font
anciens, leur fond elt fouvent couvert d’un terreau qui
Teffemble à celui qui vient du fumier le mieux confumé.
Les tipulesde différentes efpeces vont volontiers faire leurs
œufs dans les creux d’arbres pleins en partie d’un pareil
terreau. Depuis plufieurs années je fuis lùr de trouver,
quand je veux, dans les failons convenables, tics vers ds
tipulcs dans des creux de quelques ormes de mon jardin de
Charenton. J’ai.trouvé de même de ces fortes de vers dans
des creux de failles où l’eau pouvoit être retenue; mais je
n’en ai point trouve dans leslaulestlontle centre de la tige
étoit pourri depuis le haut julqu’aux racines; i’eauyavoit
un écoulement trop libre; la matière propre à nourrir
les vers, ne pouvoit conferver le degré d’humidité qu’ils
lui veulent. Les troncs des arbres d’une même efpece,
Ÿn’ont fourni des vers de plufieurs eipeces différentes de
des Insectes. ï. Mem . *3
ceux qui Te transforment dans les plus grandes tipules
grifes, & de ceux qui fe transforment en tipules grilès de
médiocre grandeur. J’ai eu une efpece de celles-ci * qui * PI. 4.%*
m’eft venue de ces vers de troncs d’arbres, dont chaque aile, 1 • & 2 '
a trois à quatre taches brunes qui ne fe trouvent point fur
les ailes de beaucoup d’autres tipules, & dont les mâles ont
de jolies antennes à barbe de plume.
D’autres vers des creux des troncs d’ormes Si de failles,
fe font transformes dans les poudriers où je les ai renfer¬
més , en une efpece de tipules * qui mérite que nous nous * pj.
arrêtions un inftant à la faire connoître; elle eft un peu > 4 - ‘S* &
moins longue que la grande efpece grilè; mais fes fémelles
font plus groffes que celles de l’autre efpece. La forme
de leur corps * approche de celle du corps allongé de cer- * F«g* *4*
taines guêpes, & on fe prête d’autant plus volontiers à
cette reffemblance, qu’on-y trouve au/fi celle des couleurs,.
Leur corps eft ceint alternativement de bandes noires Si de
Landes d’un beau jaune qui tient de l’aurore. Le defiùs du
corcelet eft noir, fes côtés & fon deftous font jaunes;
les jambes le font auiïî; la tête eft noire; chaque aile a une
teinte jaune fur fa moitié extérieure, & près de fon bout
une tache brune. Nous avons déjà fait reprefenter en
grand* une antenne du mâle d’une de ces tipules, qui * T>m, 4a,
eft une belle antenne à barbes.
Si nous voulions parcourir toutes les efpeces de tipules,
nous en pourrions trouver qui nous offriraient beaucoup
d’autres variétés de couleurs, quoique les efpeces les plus
communes, & dont le nombre eft le plus grand, loient
brunes ou grifâtres. J’ai, par exemple, pris à JReaumur,
•vers la fin de Septembre , beaucoup de tipules d’une
très-petite efpece, dont les ailes font blanches, & qui le
parodient fur-tout lorfqu’elles font po/ées fur le corps.
Ce corps, depuis fon origine jufqu’aux deux tiers de ft.
B iij
5 4- MEMOIRES POUR L’HîSTOIRE
longueur, eft d’un verd c|ui a moins de jaunâtre que le
citron, & le relie crt d’un brun prefque noir. La tête
de cette petite tipule, comme celle de quelques autres,
dont nous parlerons dans la fuite, a deux antennes fi
bien fournies de barbes, & de barbes fi longues, que
celles d’unetles antennes rencontrent celles de l’autre, &
les croifent même. Ces-deux antennes ne font enfemble
qu’une marte, qu’une efpece de gros bonnet de plume,
fi peu proportionné à lapetiterte de la tête, qu’ellefem-
ble à peine le pouvoir porter. Je ne connois pas le ver
de cette tipule, j’ignore s’il ert tcrreflre ou aquatique, j’ai
trouvé auffià Rcaumur, le longdcs allées,foitdechênes,
foit de charmille,un grand nombre de tipules aurti petites
que les précédentes, qui font toutes blanches.
Nous n’avons pas befoin de dire que ces infeétes ne
pall'ent pas immédiatement de l’état de ver à celui de
mouches, qu’il y a pour eux un état moyen. Les vers de
tipules, pour parvenir à cet état moyen, fe défont de
leur peau comme les chenilles fe défont de la leur pour de¬
venir crilàlidcs. L’infecte tipule, après fa transformation,
pourrait aurti être appellé une crilàlide; nous le nomme¬
rons pourtant une nymphe, parce que les parties exté¬
rieures de la mouche y font plus aifées à reconnoître
qu’elles ne le font dans les crifalidesordinaires; elles y font
néantmoins moins dirtinétes quelles ne le font dans les
nymphes de plufieurs autres infectes. Nous ne parlons
* PI. 2.%. actuellement que des nymphes* de ces vers tipules, qui
1.2.&3. v j vent c { c terre OL1 j e terreau. Leur couleur clt grilàtre;
c’cft à l’ordinaire en-dertous, du coté du ventre, que les
ailes & les antennes font ramenées, & que les jambes font
* Fî». i. & 3. pofées& arrangées près & àcôté les unes des autres*. Ces
jambes, fur quelques nymphes, tic vont pas jufqua la
moitié du corps, & ne vont guércs par-delà la moitié
des Insectes. /. Mem . 15
de celui des nymphes, où elles vont le plus loin. Cepen¬
dant les jambes des tipules devenues ailées, font plus
longues proportionnellement à la longueur du corps,
que 11e le font celles de beaucoup d’autres mouches,
qui, lorsqu'elles étoient en nymphes, avoient des jambes
dont le bout atteignoit le derrière. Mais l’Auteur de
tant de petits êtres animés, a jugé convenable de replier
davantage les jambes des nymphes tipules. Chaque jam¬
be*, après effie defcenduc allez bas, fe plie dans une * Pi. 2 .f&
de lès articulations, elie remonte enfuite pour fe rendre 7 ‘
près de la tête; Là elle le plie une fécondé fois dans une
autre articulation pour redefeendre. Si on étend la jambe
qui ctoit ainli pliée, on ne lui trouvera pas encore à
beaucoup près, la longueur qu’elle aura après la dernière
transformation ; c’elt que chaque jambe eft piiffée dans
l’étui qui la contient.
De la partie lùpérieure & antérieure de la nymphe,
partent deux eljjeces de cornes* plus longues fur les *p;g. 3 .e,a,
nymphes de certaines efpeces, que fur celles de quelques
autres; elles font de même couleur & confiftance que le
refte de l’enveloppe extérieure, mais elles ne fervent à
couvrir aucune des parties propres à la mouche. Elles font
uniquement des parties de la nymphe, & des parties dont
i’ufage ne fera pas difficile à deviner, fi on fe rappelle ce
que nous avons dit ailleurs * des coques dans lefquelles * Tome-4*
font renfermées les nymphes des vers à queue de rat, & A7c "
des coques dans lefquelles font renfermées les nymphes
des vers des oignons de Narciffe*. Nous avons vû que les * Tome 4,
premières de ces coques ont quatre cornes, & que les
autres eji ont feulement deux, & nous avons prouvé
qu’elles font des tuyaux qui portent l’air aux ffigmates dit
corcelet de la mouche en nymphe. L’analogie veut que
nous jugions que les cornes de nos nymphes de tipules*
cm. X 1*
P a ë- 4S 6 -
î6 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
ont un femblable ulàge; clics font, comme les autres»
pofées fur le corceiet. L’ouverture qui eft à leur bout*,
cil pourtant peu fènfible; à peine le microfcope y fait-il
découvrir une fente. Mais une ouverture bien petite»
peut fuffîre à fournir d’air un infeéle. Ces cornes font
fillonnées tranlverlàlement, elles paroiffent faites d’anneaux
pôles les uns fur les autres.
Le corps du ver étoit lifte, au lieu que celui de la
nymphe ell tout hériffé de tubérofttés, & de véritables
picquans*. Il y en a fur tous les anneaux, mais les poflé-
rieurs en font les mieux fournis. Il y en a plus aulfi du
côté du dos que du côté du ventre : à quoi fur-tout on
doit faire attention, c’efl que tous ces picquans font in¬
clinés vers le derrière; les uns font fimples, les autres
font fourchus, ou difpofés en fourche. La nymphe n’a
point de jambes dont elle puiffe faire ufage, il vient
cependant un temps où elle a befoin d’aller en avant;
c’efl alors que les picquans dont nous venons de parler,
lui fervent. Le ver s’ell transformé en nymphe fous terre,
fi la nymphe s’y transformoit en mouche, outre que les
parties de la mouche auraient peine à s’y affermir, c’cft
qu’elle ne ferait pas en état de percer ni de foulever la
terre. La nymphe dont la métamorphofe ell prochaine,
fe pouffe fur lès picquans.pour s’élever peu-à-peu jufqu’à
la furface, & un peu au-deffus de la lùrface de la terre,
c’eft-à-dire, jufqu’à ce que fon corceiet en foit dehors. Il
fe fait une fente à ce corceiet, par laquelle fort celui de la
îipule, qui tire fucceffiventent toutes fes parties de leur
fourreau, & qui laiffe fa dépouille dans le trou où elle cfl
engagée en partie. Il eft ailé de s’affili er que les nymphes
peuvent faire ulàge de leurs picquans pour marcher : fi
on pofefur une table des nymphes, fur-tout de celles qui
l'ont prêtes à fe transformer, on les y voit fe traîner, ou
plutôt
des Insectes. /. Mem. 17
plûtôt fe pouffer en avant,y faire du chemin; on ne les
voit point aller en arriére; la direction de leurs picquans,
loin de leur aider, leur nuiroit, fi elles vouloient cheminer
en ce dernier fens.
Des efpeces de tipules grifes, & les tipuies jaunes St
noires, dont j’ai parléci-deffus, n’ont pa£u chésmoi avec
leurs ailes, que vers le commencement del’été, vers la mi-
Juin, dans de grands poudriers où je les avois renfermées
avecde la terre, fous la forme de ver, dès la fin de l’automne
de l’année précédente. La terre n’eft plus pour elles un
aliment convenable, quand elles font devenues mou¬
ches: fans pourtant avoir pû voler fur les plantes propres
à leur fournir des lues quelles puiffent digérer, les tipules
jaunes & noires comme les guêpes *, cherchent à s’accou- * PI- » • Fg»
pler; le mâle ardent s’uniffoità une femelle dans le pou- ’ 6 '
drier* & ils voloicnt enfemble dans une prifon fi étroite, *Fig. 15.
fans fe féparer. Nous avons déjà dit que le mâle a le bout du
derrière plus gros qu’aucun autre endroit du corps. C’efl-
làauffi que font raffemblées les parties néceffaires pourfàifir
le derrière de la femelle. Cette dernière, pour fe prêter
aux careffes du mâle, recourbe fon derrière en haut, St
alors, malgré la pointe par laquelle il fe termine, le mâle
qui eft au-deffus d’dle, Si qui a contourné fon corps *, * Fig- ij-/?*
peut accrocher en-deffous le dernier anneau de la femelle.
L’accouplement a quelquefois duré dans mes poudriers
pendant près de vingt-quatre heures de fuite, où s’il a
été interrompu, ce n’étoit que pour quelques infants;
le mâle le rejoignoit bientôt à la femelle, dont il s’étoit
féparé.
Pour voir les parties dont le derrière du mâle a été
pourvu, on preffera entre deux doigts le dernier anneau,
pendant qu’on confidérerafon bout au travers d’une loupe.
Dè; que la preffion a un peu agi, le bout s’entrouvre.
Tome K . C
»
\
*
* PI. 3 * fig-
7> 8 & 9 • 4 C»
e,d.
* /.
* c.
* t.
*d.
* PI. 3. fig.
7. m.
* h, h.
18 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
& des parties qui étoient appliquées les unes contre les
autres, s’écartent les unes des autres. On en remarque
alors quatre de chaque côté *, qui partent d’une tige com¬
mune, ou au moins du même endroit, & qui compofent
de chaque côté une efpeee de bouquet. Une de ces
pièces, l’extérieure *, ed grife, & ne femble que membra-
neufe, elle ed concave, & fait la moitié d’une efpeee de
boîte deftinée à renfermer le refte. Des trois autres pièces,
l’une * cd un afles long crochet écailleux, délié & terminé
par une pointe d’un brun-clair; ce qui précédé cette pointe
ed pl us blancheâtre. La troifiéme Si la quatrième pièce font
en entier écailleufes S< de couleur d’ambre. La troifiéme *
s’élargit, à mefure quelle s’éloigne de Ion origine, elle
fe termine par une tête platte qui excede beaucoup di
tige. Enfin, la quatrième* & dernière pièce, ed une lame
faite en croiflant. Toutes ces pièces enfemble mettent le
mâle en état de bien tenir le derrière de la femelle.
Du milieu de l’efpace qui ed entre les deux efpcces
de bouquets formés par les quatre pièces que nous venons
de décrire; du milieu de cet efpace, dis-je, s’élève un
petit corps * à peu-près cylindrique, de couleur d’ambre,
& écailleux, qu’on ne peut prendre que pour la partie qui
caraélérife le mâle, ou pour l’étui de cette partie. La
predion oblige un fil très-délié , auifi déliéprefque qu’un fil
de foye d’araignée ou de ver a foye , à fortir par ion bout
qui ed taillé en bec déplumé: celui que j’ai fait paraître
avoit quelquefois plus d’un pouce de longueur. Ce que
nous avons dit ailleurs, en parlant de l’accouplement des
papillons, peut faire foupçonner que ce fil ed la matière
propre à féconder les œufs. Près de la baie de la partie du
male, s’élèvent deux petits mammelons cylindriques; un
peu plus loin, près du ventre, on peut obfcrvcr deux
houppes de poils roux. *
des Insectes, I . Mm. 19
Nous avons déjà dit que !e derrière de la femelle * lé * PI - 3 - fi 5 -
termine en pointe; cette pointe eflrformée par la réunion
de quatre pièces écailleules qui compolent deux efjreces
de pinces * d’inégale longueur; deux pièces égales appii- *Fig. 3 ./ar¬
quées l’une contre l’autre, & dont chacune lé termine par
une longue pointe, compofent la pince fupérieure *, ou *Fig.4./>,p.
celle qui eftdu côté du dos ;& deux pinces plus courtes *, * r,r.
dont les pointes font plus moufles, & qui lé terminent à
peu-prés à la moitié de la longueur de la pince fupérieure,
forment la pince inférieure ou celle qui eil du côté du
ventre. C’efl dans la fente, qui eft à l’origine de cette
dernière, où je crois que le mâle infère la petite partie
cylindrique, de laquelle fort une cfpéce de hl.
Pour connoître les ulâges auxquels font deflinées les
pinces dont nous venons de parler, il faut avoir obfervé
une tipule femelle dans le temps où elle fait les œufs;
j’en ai vu, & avecplaifir, dans cette opération , lôit dans
des prairies, foit dans des plattes-bandes de jardin. L’atti¬
tude dans laquelle elle eft alors, ne fçauroit manquer de
paroître linguliére ; elle ne tient plus fon corps parallèle
au plan fur lequel elle eft pofée, qui eft la Situation ordi-
naiie du corps de tous les infectes, & de celui de tous
les quadrupèdes, & même de celui de tous les animaux,
li on en excepte l’homme. Alors, dis-je, elle fe tient droite *, * Fi s- 1 °*
& marche même de temps en temps fans faire fortir fou
corps de la direction verticale. Sa partie postérieure, la
plus longue de les pinces, lui fert comme d’une cinquième
jambe, ou au moins comme d’un point d’appui qui aide
aux deux jambes poftérieures à la lôûtenir. Ces deux der¬
nières jambes font les feules quipofent alors à terre, elles
font placées par de-là le dos affés en arriére; la queue en
longue pince contribue d’autant mieux àfoutenir la tipu-
ie,que la tipuie l’enfonce en terre, & quelle a befoin de
C ij
* PI. 3. fi:
<f. r,r.
*Fig. 6.
* Fig. ij.
* Fig. s i.
<& 12 .
20 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
l’y enfoncer. C’efi dans la terre quelle doit femerfcs œufs».
La pointe de la pince, fine comme elle eft, ne trouve
pas grande réfiftance à percer la terre, elle s y enfonce
aifément, & elle s y enfonce au moins jufqu’à l’origine
de la pince inférieure*: celle-ci cfi le conduit dans lequel
les œufs paffent à mefurc qu’ils fortent du corps*. Quand
la tipule a laide un œuf, & peut-être deux ou trois, dans
le trou qu’elle vient de percer, & fur lequel elle s’efi arrê¬
tée, elle fait un pas en avant, elle perce un nouveau trou,
&. ainfi elle continue fa ponte. Quoique lés jambes anté¬
rieures ne pofent pas alors à terre, elles ne biffent pas
de l’aider, lur-tout dans les efforts quelle a à faire pour
introduire dans la terre la queue compofée de deux pinces;
car les herbes donnent continuellement des appuis aux
premières jambes d’une tipule qui pond dans une prairie.
Ces appuis manquoient à une que je vis pondre fur une
platte-bande nouvellement labourée, mais auffi la terre y
étoit plus aifée à percer.
Ce que la terre cache pendant l’opération, peut être
Vu fi l’on preffe un ventre de tipule très-rempli d’œufs;
on contraint aifément les œufs d’en fortir, &. on les voit
paffer entre les deux branches de la pince inférieure. Il
dl aifé d’imaginer que lorfque des mufcles preffent ces
deux branches l’une contre l’autre auprès de leur origine,
elles forcent les œufs à aller vers leur pointe, par une
méchanique femblable à celle qui fut qu’un noyau de
cerife humide s’échappe d’entre les doigts.
Ces œufs * au refie, font très en état de réfifier à b
preffion de la pince, ils réfifieroient même à uncprefhon
plus forte; chacun d’eux ert un petit grain auffi noir qu’un
grain de poudre ci canon, mais bien plus luifimt.il cfi
«n peu oblong*, & un peu recourbé en croifiant. Des
femelles que j’ai tenues dans des poudriers, où elles
des Insectes. 1 . Mem. 2*
n’avoient point de terre, n’ont pas laide d’y faire leurs œufs.
J’ai négligé de compter le nombre de ceux que peut
donner chaque fémelle; mais à en juger par la manière
dont fon ventre eff rempli de grains fi fins, elle en doit
pondre bien des centaines.
Nous n’avons confidéré jufqu’ici que de grandes efpéces
de tipules, que celles dont les parties font les plus ailées,
à voir; nous allons à prélent en faire connoître quelques
petites efpéces, 6c qui fous la forme de ver fe font nour¬
ries fur terre d’aliments différents de ceux des efpéces
précédentes. Près de la fin de Septembre, j’ai fouvent
trouvé des bouzes de vache très-peuplées de petits vers * * PI. 4. fig,.
fans jambes, ronds 6c longs, 6c dont les anneaux ont le
fuifantde l’écaille, quoiqu’ils ne foient que membraneux.
Une moitié de chacun de ces anneaux a une bande brune,
6c le refte ell blancheâtre ou d’un blanc fale. La tête * de *
ces vers ell écailleufe, elle approche de la figure de celle
des vers aquatiques *, qui donnent des mouches àcorcelet * Tom.
armé. En-deffous on en voit fortir deux barbillons fran- Fj- 2 J-fg-
gés * affés femblables à ceux de ces mêmes vers. Quatre Lp iê . £
tuyaux cylindriques * font pofés près de leur derrière. * Fig. 6.^^
Les deux derniers font plus grands que les deux qui les u * u °
précédent. Il n’efl pas douteux que ces quatre tuyaux ne
foient quatre fligmates.
Quatre à cinq jours après que j’eus renfermé ces vers
dans un poudrier avec de la bouze de vache, ils quittè¬
rent leur peau, 6c devinrent des nymphes * femblables en *Fig7.&Î*
petit à celles des plus grandes tipules. Comme les nymphes
de celles-ci, elles avoient des anneaux hériffés d’épines, in¬
clinés vers le derrière. Auffi ces petites nymphes avoient
befoin d’être en effat de s’élever à la furface de la bouze
de vache, lorfque le temps de leur dernière transformation
feroit prochain, comme nous ayons yû que les autres^
M- ^
22 MEMOIRES POUR L’HlSTOïRE
nymphes s’élèvent dans un fcmblable temps à la furface
de la terre.
Ces infieétes relièrent à peine fous la forme de nymphe
pendant fept à huit jours, & après avoir quitté leur der-
* PI. 4.. %. niére dépouille, ils devinrent de petites tipulés*, quitien-
io. Jient volontiers leurs ailes croiiées fur leur corps. Ces ailes
font tachées de gris-brun, ce qui peut faire diltinguer cette
elj)éce de tipule de beaucoup d’autres.
Les champignons de prelque toutes les efpéces, font
fu jets à être mangés par des v ers, & il cil ordinaire à ceux de
quelques-unes d’en fourmiller; il l’eft à une grande efpéce
commune dans les pays de bois, dont le chapiteau eh épais
Si verd par dehous, & dont les morceaux qu’on en détache
ont des calibres qui deviennent bleues en peu de temps.’
Les vers qu’on trouve le plus louvent dans ces derniers
champignons, & dans beaucoup d’autres, ont une tète
écailleuïe Si noire; leur corps eh tranfparent & d’un blanc
luifant. Je les ai fait représenter de grandeur naturelle, &
grohis au microfcope,dans le quatrième volume, pl. i 3. fi g.
7. S. Si 10. On y voit que le ver montre en certains temps,
des mammelons charnus qui lui tiennent lieu de jambes.
On y voit auffi qu’ils ont cn-defious du corps, des bou¬
tonnières de crochets qui peuvent leur aider à fie fixer Si à
marcher. On fera plus aile delçavoir ce que deviennent
ces fortes de vers qu’on peut trouver aifiément, que de
Içavoir ce que deviennent des inlècles beaucoup plus rares.
Je fuis parvenu à en avoir qui fie font transformés en des
petites tipules qui n’ont rien de fort remarquable, & dont
les ailes n’ont point de taches, mais feulement une teinte
de gris. Je dis que je fuis parvenu, parce que j’ai frit
bien des tentatives avant que de voir de ces petits infcéîes
fous leur dernière forme. Lôrfqu’on met, comme j’ai mis
d abord, des champignons qui en font remplis, dans un
des Insectes. 7 . Mem. 2 3
poudrier, les champignons s’y pourrifTent, s’y diffolvent
en eau, & bientôt les vers font noyés. Il m’efl même
arrivé de voir périr ceux que j’avois misdansdes poudriers
que j’avois eu la précaution de remplir de terre en partie,
mais fur laquelle j’avois mis une trop grande quantité de
chair de champignons par rapport au volume de la terre;
celle-ci a été encore trop abbreuvée d’une eau .corrompue.
Dans la fuite, j’ai feulement jetté quelques petits morceaux
de champignon dans des poudriers prelque remplis d’une
terre féche : les vers font entrés dans cette terre, ils s’y
font métamorphofés en nymphes, & ces nymphes à leur
tour le (ont métamorpholées en tipules.
Une efpéce de champignons moins fucculens que celle
dont fe nourrilfent les vers dont nous venons de parler,
une efpéce de champignonsprefque ligneux, en un mot,
un agaric du chêne fournit l’aliment néccfïaire à un ver
plus rare que les précédents, qui a plus de fingtilarités à
nous offrir, & qui fe transforme en une tipule. C’eli fur
des agarics qui avoient crû fur des chênes du Bois de Bou¬
logne, & affés près de leurs racines, que j’ai obfervé d'abord
i’cfpécc de vers * que je veux faire connoître. Ils nepéné- * pr.
trent point dans la fubftance de la plante, ils fe tiennent M *
en defjous de fon chapiteau. Ils ont une petite tête de figure
confhmte& comme ecaillcufe. D’ailleurs ils ont quelqu’air
de fangfues ; leur long corps efl pourtant rond comme
celui des vers de terre,& femblc de même compofé d’un
grand nombre d’anneaux. Les plus longs de ces vers font
grilatres, les petits & ceux de médiocre grandeur, font
blancs & très-tranfparents; la peau des uns & des autres
efï toujours humide, comme celle des limaces, & a de
même quelque choie de gluant.
Us 11’ont point du tout de jambes, ils ne font que
ramper; mais iis n’aiment pas à ramper immédiatement
* PI. 4..
12. b.
2+ MEMOIRES POUR LHlSTOIRE
fur l'agaric, ni à ^voir, en aucun temps, leur corps im¬
médiatement appliqué deiïus. Les endroits où ils Te tien¬
nent en repos, & ceux où ils palfent lorfqu’iîs vont en
avant, ou qu’ils retournent en arriére, font, pour ainfi
fig. dire, tapilTes *. On y voit un enduit brillant qui reflcmble
fi fort à celui qui marque fur des murs les chemins que des
limaçons ou des limaces ont fui vis, que je crus que de petites
limaces avoient palfé & repalfé fur les premiers agarics
où je les obfervai. Une humeur vifqueufe qui humeéte
le corps des limaces, & qui en fort continuellement, s’at¬
tache aux endroits contre lelqucls il s’applique, & forme
des traces comme vernies, fans que la limace cherche à
les former; mais les enduits fur lelquels notre ver marche,
& ceux fur lefquels il fe repofe, font un ouvrage dans
lequel il entre du ddfein. Ils font faits d’une liqueur
gluante que la bouche fournit. Quand le ver veut fe fixer
quelque part, il fait fortir cette liqueur de fa bouche; il
l’applique contre un des points de l’endroit qu’il fe pro-
pofe d’enduire; retirant enfuite fa tête en arriére, il file
cette liqueur gluante; mais il ne la file pas en un fil tel
que celui des chenilles, ou que celui des araignées; il la
file en efpéce de ruban , quelquefois auffi large que ceux
que nous appelions des Nompareilles. ïl couche enfuite
& applique ce ruban fur la place qu’il veut couvrir; en
continuant ainfi de faire fortir à diverfes reprifes de la
liqueur gluante, en la filant en lames minces, en étendant
ces lames, & en lé tournant & retournant de différents
côtés, il parvient à fe faire une efpéce de lit bien liffe,
beaucoup plus large & plus long que le volume de fon
corps ne le demande. Quand il veut relier long-temps
dans la place qu’il s’elt préparée, il en choifit une qui le
trouve en quelqu’endroit où l’agaric ait tics inégalités un
peu confidérables; étant pofé dans l’enfoncement, il fe
des Insectes./. Mem. 2 5
fait une tente d’une matière femblabie à celle de Ton lit.
Il tire des lames de figure irrégulière, d’une élévation à
l’autre; ainfi il forme un toit tranlparent, mais capable
de dérober fon corps aux grandes impreffions de l’air qui
font à craindre pour lui, qui pourraient le trop deffé-
cher, car il a befoin d’être toujours humide. Aufii quelque
doucement qu’on manie ces vers, fi on les tient un peu
de temps entre les doigts ou fur la main, on les fait périr,
ils s’y defféciient trop.
Ce ver veut que le chemin par où il palfe,foit tapifte,
comme le lieu où il fercpofe. Quand il fie prépare à aller
en avant, ilfaitfortir de l'abouche une goutte de liqueur
qu’il applique fur le premier endroit où il doit palfer;
élevant enfuite là tête, il forme un ruban ou plutôt une
lame mince de verni, dont la figure n’efi pas toujours bien
régulière, & qu’il étend & colle en avant. C’elt en répé¬
tant toûjours le même manège qu’il fe met en marche,
& qu’il fait chemin, de forte qu’il ne palfe que fur des en¬
droits bien lilfes & bien doux.
Je n’ai jamais trouvé plus de huit à dix de ces vers fur
les plus grands agarics, & fur ceux où j’en ai vu le plus.
Ces agarics étoient lains, ils ne paroilfoient entamés nulle
part; ils étoient humides, & même très-abbreuvés d’eau;
de forte qu’il y a grande apparence que les vers fe nourril-
fent de l’eau que l’agaric leur fournit. Ils font péris chés
moi lur les agarics que j’ai lailfé trop delfécher, & ont
vécu lur ceux que j’ai eu loin de tenir humides.
On prendrait volontiers pour deux yeux, deux taches
brunes, dont une fe trouve fur un des côtés de la tête du
ver,& l’autre fur l’autre côté; mais quand on examine de
près ces taches avec une loupe, fur des vers jeuncs& tranf-
parents, on reconnoit qu’elles font intérieures & faites en
arcades, dont la convexité elt tournée en devant. Ces
Tome K . D
•PI.*- fi.
* 3 -
26 MEMOIRES POUR L’HiSTOTRE '
jeunes vers iont prefqu’aulli diaphanes que le verre ;
aulfi peut-on très-bien voir dans leur intérieur deux tra¬
chées qui vont en ligne droite de la tète au derrière.
Quoique le bout de celui-ci loit arrondi dans la hg. 1 1.
& qu’il le paroiffe de même dans l’état ordinaire, il y a
eu des temps où il me failoit voir quatre cornes, dont
deux étoient plus courtes que les autres, & qui font fans
doute les quatre fligmates poftérieurs. L’ouverture par
laquelle il fait fortir la liqueur vifqueufe, avec laquelle
il enduit l’on chemin, ed grande, & ne peut être que la
bouche. J’ai cru voir deux petits crochets qui l’accom-
pagnoient, & qui fe montraient dans le temps où le ver
étendoit de la liqueur gluante en ruban; mais les parties
d’un infeéle mol & allés petit, font difficiles à voirdiftin-
dlcment.
Ce n’a été que vers la fin de Juillet, & dans le com¬
mencement d’Àoût, que j’ai trouvé de ces vers. Quand
ils fie dilpofent à fe métamorpholer, ils fie confiruilènt
g- une coque*. Ils employait à la compofier, la même liqueur
vifqueufe dont ils enduifient les chemins où ils veulent
palier; mais ils ne donnent pas à fion extérieur le luilant
qu’ils donnent à ces chemins. Les dehors de la coque font
raboteux, pleins de petites cavités de forme irrégulière,
que je ne puis comparer à rien de plus reffemblant qu’à
celles des morilles. La figure de la coque tient de la coni¬
que, à cela près que l’un & l’autre de lès bouts font arron¬
dis. J’ai trouvé de ces coques toutes faites fur des agarics,
& d’autres ont été travaillées lotis mes yeux. Le ver qui
en commence une, difpofe des filaments gluants autour
de l’efpace dans lequel il veut lé renfermer. Ces filaments
confidérablement plus gros que les fils les plus grofiiers
des coques de chenilles, forment un rezeau à très-grandes
mailles & irrégulières, qui eft la charpente de la coque;
des Insectes./. Mem. 27
les vu ides de ces mailles doivent être remplis par des
efpéces de plaques de même matière que les filaments,
j ai vûque le ver laifioit dans plufieurs mailles, des gouttes
au fii arrondies & aulfi tranfparentes que des gouttes d’eau.,
mais qui avoient plus de confiftance, & qui dévoient en
prendre encore davantage en fie defféchant. Le tiraille¬
ment quelles foufifrent alors fait perdre une partie de
leur rondeur à celles que le ver n’a pas eu loin d’ap-
platir.
Quand il a donné à la coque toute la folidité qu’elle
doit avoir, il n’y relie pas long-temps fans fie métamor-
phofer; il s’v défait de fa peau pour devenir une nymphe*
très-blanche, qui reflemble à celles des mouches tipules 1
par l’efpéce de bolî'e que forme le corcclet, mais qui a les
jambes plus dépliées. Les fiennes * s’étendent tout du
long du ventre, & vont jufqu’au bout poflérieur. Ces
nymphes font fi tendres, qu’il ne faut pas longer à les
prendre autrement qu’en les collant contre un doigt
mouillé. J’ai toujours rendu contrefaites celles que j’ai
Voulu manier avec deux doigts.
Je ne fçais pas précifément le temps que cet infecfle
paffe lous la forme de nymphe, parce que j’ai négligé
d’écrire le jour où il l’avoit prile; mais ce temps n’elt pas
long, au bout de i 2. à 15. jours au plus, il le défait des
enveloppes qui le tenoient emmailloté, & il devient une
mouche 4 que j’ai placée parmi les tipules; comme celles-
ci, elle ell montée fur de hautes jambes. Son corps long &
eft gris-brun. Son corcelet a un peu de jaunâtre. Ses
antennes * font d’une forme finguliére , eiles font larges
& plates, quoiqu’elles le terminent en pointe; elles lont a '
faites par des articulations qui leur donnent un air de râpe.
On peut voir une de ces antennes repréfcntée en grand
tom. 4. pl. 9. fig. 10. J’ai trouvé à ces mouches deux
Dij
* PI. 4. fig.
I5 .
4 Fig- 15*
* Fig. 16.
■ « 7 -
* Fig. 1 8.
28 MEMOIRES POUR l’HïSTOIRE
barbillons jaunâtres en devant de la tête, mais je n’ai pas
examiné dans le temps, fileur pofition étoit précisément
la même que celle des barbillons des tipules.
Après avoir fait connoître aiïes d’efpéces de tipules
qui viennent de vers terreltres, il nous relie à parler des
eljaéces, qui fous leurs premières formes, fous celles de
ver & de nymphe, ont vécu dans l’eau. 11 y a de ces
dernières tipules, auffi grandes que les plus grandes tipules
qui ont été des vers terreltres. Je ne l’alfûre que fur ce
que j’ai tiré de l’eau, & fur-tout de celle de la riviere de
Marne, des vers qui reflembloient parfaitement par leur
forme extérieure & par leurs couleurs, aux plus gros vers
tipules qui vivent fous terre; j’en ai pêché d’autres qui
ne différoient des précédents, qu’en ce que les rayons
charnus de leur derrière étoient plus longs que les rayons
du derrière des autres; & j’en ai même fait graver un
dans le quatrième tom. pi. iq. hg. 9. & 10. mais je ne fuis
parvenu à voir aucun de ces gros vers aquatiques le
transformer, même en nymphe; ils ont péri dans les
baquets où je les ai mis, faute apparemment d’une eau
convenable.
Il elt fouvent difficile d’avoir fur les infeéîes des fuites
d’obfervations auffi compiettes qu’on les voudroit; & gé¬
néralement, il eft plus difficile d’avoir ces fuites d’obferva¬
tions fur les infeéles aquatiques, que fur les infeétes ter-
rellres. J’ai eu, par exemple, une tipule & fa nymphe, fans
être parvenu à voir le ver qui le transforme dans cette
nymphe qui par elle-même mérite d’être connue. Elleefl
alfés grande pour donner une tipule de médiocre grandeur.
Elle efloblongue, ayant les jambes & les ailes arrangées&
repliées dans une ailes courte étendue. En un mot, elle
relfemble alfés aux nymphes les plus communes, dont elle
ne diffère que par une particularité. Delà partiefupérieure
des Insectes./. Mem. 29
de fon bout antérieur, part une forte de long cheveu *, * PI. 6 . fig.
deux à trois fois plus long que la nymphe elle-même. Ce 1 & 2 ‘
n’eft qu’en jugeant fur la première apparence, qu’on
compare ce fil délié à un cheveu, il eft un tuyau, dont
l’ufage n’efi point équivoque,quand on fçait que la nymphe
qui peut changer de place dans l’eau, qui peut y nager,
tient toujours le bout de ce filet à la furface de l’eau, dont
elle efielle-même affés éloignée; il paroît clair quelle l’y
tient pour recevoir l’air qu’elle a befoin de refpirer, que
le tuyau le lui porte, quoiqu’elle foit fous l’eau à une
allés grande profondeur.
J’ai trouvé de ces nymphes qui étoient encore attachées
par un filet à leur dépouille de ver*; mais cette dépouille * pi. 6. fig;
trop raccourcie & trop chiffonnée, n’a pas l'ufiî pour me l,d '
faire connoître la figure du ver qui s’en étoit défait. La
loupe frit appercevoir des poils courts & allés prelfés
les uns contre les autres fur les anneaux. La marre du
Bois de Boulogne efi la pièce d’eau qui m’a fourni le
plus de ces nymphes, qui y font rares cependant ; c’efi
dans les mois de Juin & de Juillet quelle me les a
fait voir.
Chacune de celles que j’ai mifes dans des poudriers
couverts 6 c remplis d’une eau claire, s’y efi transformée
au bout de cinq à fix jours dans une tipule * de médiocre * Fig, 3,
grandeur, dont le corps a un renflement près de fon
bout ; aufli fa figure efl-elle moyenne entre celle du corps
des tipules les plus communes, & celle du corps de cer¬
tains ichneumons. Cette tipule a fur chacune de fes ailes
des taches brunes, la couleur de fon corps 6 c celle de fes
autres parties efi grifâtre.
D’autres tipules des plus petites efpéces, font plusaifées
à obferver dès leur première origine, & en tous leurs états,
que les dernières dont nous venons de parler. Il y en a
D ii(
2 0 MEMOIRES POUR L’HiSTOïRE
unepetite eipéce qui le multiplie extrêmement dans toutes
les eaux qui croupiflent ; c’clt celle qui a été le plus con¬
fondue par de Içavants Naturalises, avec les coufins. 11
ne faut que tenir de l’eau dans un baquet expofë à l’air
libre, pour y voir bientôt les vers qui lé transforment dans
les tipules dont je veux parler: de cela feul que ces vers
font extrêmement communs, nous en fommes plus en¬
gagés à rapporter ce qu’ils peuvent avoir de remarquable.
Ils font d ailleurs d’un genre caraétérifé par des parties
#PI. j.fîg.i. finguliéres. Ils * font rouges, & d’un allés beau rouge.
Il y en a qui, quoique près de lé transformer, font
de différentes grandeurs, & qui font probablement de
différentes cfpéces. Les plus petits ne font gucres plus
grands que les vers des coufins, mais il y en a de deux
ou trois fois plus longs, & plus gros proportionnellement.
Le baquet qu’on a laiffé à l’air plein d’eau, pourroit
être très-peuplé de ces vers fans qu’on s’apperçût qu’il
en a, fi on ne fçavoit pas où il faut les chercher. Quel¬
qu’un pourtant accoutumé àobferver, remarquerait bien¬
tôt contre les parois du baquet de petites maffes, de petits
amas de matière terreufe peu éloignés les uns des autres,
défigurés irrégulières plus ou moins oblongues, & plus
ou moins arrondies. Il ferait curieux de lçavoir pour¬
quoi ces petits amas de terre fie trouvent attachés par
endroits contre les parois du baquet; pourquoi les parois
ne font pas couvertes en entier d’une couche uniforme de
pareille matière. La curiofité qui le porterait à examiner
une de ces petites maffes, & ce qui peut les tenir collées,
le déterminerait à en défaire quelques-unes; dans cer¬
tains temps, il n’en déferait aucune fans y trouver plu-
ficurs de ces vers rouges dont nous voulons parler; ainfi
il jugerait bientôt que chaque monticule terreux elt i’ou-
vrage & l’habitation de ces petits vers.
des Insectes./. Mem. 31
Lorrqu’on met le fond du baquet prefqu a découvert,
on y trouve encore plus de ces malles terreules habitées
par des vers; quelques-unes même ont des ouvertures
très-vifibles, &. plufieurs ont des figures qui montrent
mieux quelles lont le logement d’un ver. Elles font
oblongues& contournées en ver. On voit aulîi de ces lo¬
gements oblongs attachés aux parois des baquets. Quand
les malfes terreules qui font attachées, foit contre les parois
du baquet, loit contre fon fond, ont une circonférence
dont le diamètre a un pouce ou plus, elles paroiffent à
qui n’y regarde pas de très-près, des efpéces de gâteaux,
qui ont quelque reffemblance avec ceux des abeilles, au
moins font-elles percées de même de beaucoup de trous
très-proches les uns des autres, mais qui différent de ceux
de cellules des abeilles en ce qu’ils font ronds. Chaque
trou permet au ver de faire fortir fia tête & la partie an¬
terieure de fon corps hors de fa cellule, ce qu’il fait de
temps en temps.
Ces vers font de ceux qui ont une tête écailleufe, &
par conféquent de figure confiante, & qui en dehors de
la bouche n’ont point de dents ou de mâchoires mobiles;
nous les avons mis dans la troifiéme clafie. Ils font d’un
genre fingulier de cette clafie, d’un genre de vers qui,
quoiqu’ils n'aycnt pas de véritables jambes, ont des parties
qui leur en tiennent lieu; telles font les deux * qui lont * PI. j.%.
attachées très-près de la tête, qui ont plus l’air de refies 3 ‘ bm
de bras, de deux moignons, que de deux jambes. Elles
n’ont point d’articulations, comme en ont les jambes
écailleules; elles lont membraneufes, & ne peuvent point
rentrer dans ie corps comme y rentrent les jambes mem¬
braneufes des faufiès chenilles, & celles de divers autres
imeéfcs. Leur bout un peu plus large que ce qui précédé,
efi terminé par un pian oblique & incliné vers la tête, &
♦ PI. J. fil
J. 1,1, l>
♦Fig. 4.
m, m, m .
32 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
dont ie contoureft borde de poils en crochets. Le milieu
de ce bout a un petit enfoncement, d’où partent aufîi
quelques poils. J’ai vu quelquefois l’infeefte fe tirer en
avant fur ces deux efpéces de bras, ou, fi l’on veut, fur ces
deux efpéces de jambes de figure particulière.
Depuis les deux bras jufqu’au pénultième anneau, le
ver n’a aucune partie extérieure propre à s’attirer notre
attention; mais fur les côtés & vers le ventre, deux longs
cordons charnus partent du milieu du pénultième anneau,
& deux autres cordons pareils & femblablement polés,
partent de la jomffion de l’anneau précèdent avec ie der¬
nier. Ces quatre cordons * ont une forte de refiemblance
avec ceux des poifions appcllés polypes, quoiqu’ils foient
tout autrement placés, & ils m’ont déterminé à donner à
ces vers le nom de Vers polypes. Lorfque nous avons rangé
lesversen clafies dans le quatrième volume, nous avons
fait repréfenter pl. 14. fig. 1 2. un de ces vers très en grand,
avec les cordons ondés & entrelacés enfemble, comme
ils le font ordinairement. Ces cordons font ronds, & ont
par-tout un diamètre à peu-près égal, leur bout feulement
eft un peu plus menu que ce qui précédé. Au relie, ils
font très-flexibles, & l’infeéle peut les plier & les con¬
tourner. Un de leurs ufages eft de retenir le corps dans
le tuyau de terre, & de le fixer par un bout dans des
temps où il doit s’agiter en différents fens, fans que le
derrière s’éloigne d’un point fixe.
L’ouverture par laquelle le ver rejette fes excrémens,
& par laquelle j’en ai forcé de lortir en preflant le ventre,
eft au bout du dernier anneau, & un plus près du dos
que du ventre; fon contour extérieur eft quarré, & il eft
commode de le confidérer comme tel pour déterminer
1, la pofition de quatre petits corps oblongs faits en olive *,
dont un eft placé à chacun des angles du quarré. De ces
quatre
des Insectes./. Mem. 3 3
quatre petites olives, deux font plus proches de la têteque
les deux autres. De l’origine de chacune de ces dernières,
part un corps de figure arrondie & oblongue *, mais plus * pj. ^
gros auprès de fa bafequa fon bout. Ce bout efi plat, & 4 -f>J>
entouré d’une couronne de poils roides ou de picquants.
Chacun de ces derniers corps efi au moins une fois plus
long, & une fois plus gros, que les petits en olive. J’ai vu
quelquefois le ver s’en fervir pour fe pouffer en avant ; mais
j’ignore s’ils n’ont point une fonction plus importante,
s’ils ne font point les organes avec iefquels l’infedle refpire
l’eau ou l’air.
Quelle que foit la raifon qui détermine quelquefois
ces vers à quitter leurs tuyaux, foit que ce foit pour
s’en faire de plus grands, foit que ce foit pour les placer
mieux à leur gré, foit pour quelque befoin qui 11e m’efi
pas connu, on les voit quelquefois nager afles près de la
furfice de l’eau ; alors ils fe contournent en cercle, tantôt
de deffus en defious, tantôt d’un côté, & tantôt de
l’autre, & fe redrefiant enfuite fubitement, ou fe con¬
tournant fubitement vers le côté oppofé, ils fe donnent
des mouvements propres à les porter où ils veulent
aller.
J’ai vû quelquefois tous les vers que j’avois mis dans
un poudrier plein d’eau, hors de leurs tuyaux, & s’en tenir
dehors pendant des journées entières.Tousétoient raffem- * PI. 5.^.2.
blés autour de quelque feuille*, qui s’élevoit peu au-defiùs
du fond du poudrier, ou autour de quelqu’autre petite
mafie. Chacun s’y tënoit fixé par fa partie pofiérieure,
mais il donnoit à fon corps des mouvements d’ondula¬
tions ; il lui faifoit prendre des figures telles qu’en peut
prendre une corde qu’on agite dans l’air pendant qu’on
ne la tient que par un de fès bouts. Quelquefois ils fem-
bloient donner des contorfions très-forcées h leur corps.
Tome V . E
34 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
Des centaines de vers qui s’agitent ainfi en meme temps
fur un point fixe, offrent un fpeélacle afTés piaifant &
très-varié. Quoiqu’ils foient ordinairement arreftés contre
quelque corps étranger, quelquefois le corps d’un ver,
& plus fouvent Ion bout poflérieur, fert d’appuy à un
autre ver.
M ais il efi plus ordinaire à ces vers de fc tenir dans
leurs tuyaux ou cellules. Chacun d’eux lé conflruit la
fienne de ce qu’il rencontre de plus fjxongieux & de plus
leger, comme font des fragments de feuilles pourries, de¬
venus à peine affés pefants pour fe précipiter au fond de
l’eau , des grains d’une efpéce de terre peu compaéle,
d’une forte de terreau. J’ai tout lieu de croire que ce ver
fçait filer, qu’il tire d’auprès de fa bouche des fils, dont il
fe fert pour réunir les petits grains, qui enfemble doivent
compolèr le tuyau qui efi pour lui un logement conve¬
nable. Je n’ai pourtant pû parvenir à voir ces fils ; mais
je crois qu’ils m’ont échappé par leur fineffe. Car j’ai vû
faire au ver.que j’avois mis dans la néceihté de fè con-
firuire un logement, tous les mouvements d’un infcéfe
occupé à filer. Celui qui a été mis hors de Ion ancienne
habitation, & qui commence à travailler pour s’en fiaire
une nouvelle, fixe fa partie poftérieure; il la rend un point
d’appuy fur lequel le refie du corps fe donne une infinité
de mouvements pour fe porter tantôt à droite, tantôt à
gauche, tantôt en haut, tantôt en bas, & pour fe con¬
tourner de toutes façons. Dans chacun des endroits où
la tête fe trouve fucceffivement, elle cherche de petits
grains folides, & d’une qualité convenable. Dès que les
parties qui environnent la bouche, en ont touché & faifi
un, les deux bras ou moignons dont nous avons parlé,
s’avancent pour aider à le tenir. Le corps fe recourbe
enfuite, de manière que la tête amenée tout proche de la
des Insectes. /. Mem. 35
partie poftérieure, y peut dépofer & arrêter le petit grain.
C’eff de ces petits grains apportés fuccefiivement, & dé-
pofés les uns fur les autres, que le forme un tuyau. La
tête n’abandonne pasablolument le petit grain après qu’il
a été mis en place, elle fe donne des mouvements vifs,
elle retourne en arriére, mais fur le champ elle fe rap¬
proche du grain. Les deux bras ne font pas alors dans
i’inaélion, il femble qu’ils s’approchent de la tête pour
faifir le fil qui en lort, & l’appliquer fur le grain. Un ver
que je tirai un jour de fon fourreau, & que je mis dans
un poudrier plein d’eau, dont le fond étoit couvert d’une
terre que je croyois convenable, ne réuffit point à fe
couvrir; mais il me montra mieux qu’aucun autre que
j’aye vû en œuvre, les mouvementslemblables àceuxd’un
inlèéfe qui file, & l'effet des fils. Il forma à diverfes repri-
fes, & fucceffivement en différents endroits, de petites
lames de grains liés enfemble; mais que ce fût fon inten¬
tion ou non, il ne parvint point à faire prendre une figure
courbe à ces lames, à s’en couvrir; tout fon travail aboutit
à faire des lames plattes qui flottoient dans l’eau.
Chacun de ces vers fe transforme en nymphe dans
le tuyau même où il a achevé de prendre ion accroiffe-
ment. Par fa métamorphofe, l’infecffe perd fon crâne
écailleux, fes liras, fes cordons charnus, & enfin toutes
fes parties extérieures, comme les autres infeétes perdent
les leurs en pareil cas. Il devient une nymphe, dont les
jambes & les ailes fe trouvent placées comme elles le font
fur les nymphes dès tipules les plus communes; mais elle
diffère de celles-ci, par des ornements que la nature ne lui
a pas accordés fans doute précifément pour la parer *.
Lorfqu’après en avoir tiré une de fon logement, on la 6
confidére dans l’eau où on la tient, on voit une très-groffè
pennache blanche & très-fournie * qui s’élève fur fa partie
*PI. j.fig. 9 -
* P>P>P>P>P-
* Fig. i o .a,a.
* Fig. 6,7 5 c
8. A.
♦ f, C.
3 6 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
antérieure & fupéricure, fur l'on corceiet, & qui s’étend
même fur les côtés. Selon la pofition dans laquelle elt l’in-
feéle, & félon que l’eau agitée agit fur lui, tantôt cette
pennache ne femble eltre qu’une groffc houppe faite de
fils ou de plumes d’une prodigieulè finelfe; tantôt oïl
voit que ce qui n’avoit paru qu’une leule houppe, efi com-
pofé de plufieurs plumets différents *. Quand on l’obferve
dans des temps où l’eau ne fait point élever ces plumets,
on en trouve cinq * de chaque côté du corceiet qui partent
tous d’un même centre; c’elt-à-dire, qu’on trouve de
chaque côté cinq tiges qui jettent difiérentes branches
d’où partent des barbes ou poils extrêmement fins.
Chaque plumet reffemble aux antennes à barbes des
coufins, & plus encore aux antennes * de la tipuie, dans
laquelle notre nymphe doit fe transformer. Qu’on ne
croyepas cependant fur cette reffemblance, qu’elles font
les antennes de la mouche, leur nombre exccde cinq fois
le nombre de celles-ci. Elles ne tirent pas leur origine
d’où les antennes doivent tirer la leur ; & enfin, ce qui
auroit difpenlé de toute autre preuve, ces plumets relient
attachés a la dépouille de la nymphe. A quoi lui fervent
donc toutes ces pennaches ! Il y a grande apparence
qu’elles font à cette nymphe, ce que lont les ouïes aux
poiffons. Ceux qui connoiffent les merveilles que l’H iltoire
naturelle nous offre, fçavent qu'il y a des elpéces de
poiffons ou d’animaux aquatiques qui n’ont pas leurs
ouïes cachées, qui les portent en dehors; & il paroît
que notre infeéle, qui, tant qu’il efl ver, & prefque pen¬
dant tout le temps qu’il efl nymphe, le tient lous l’eau,
doit avoir des ouïes équivalentes h celles des poiffons.
« La partie poltérieure de la nymphe a aufli fa penna¬
che*, mais elle ell faite en éventail. A l’origine de cette
dernière, il y a deux crochets * dont i’infcde lé lert
des Insectes. / Ment. 37
apparemment pour fe retenir dans fa cellule, dans des
circondances où l’agitation de l’eau l’en pourrait faire
fortir pius qu’il ne veut, car il en fort quelquefois en
partie.
Au relie, ces nymphes font très en état de fe mou¬
voir, elles font même très-vives. Quand on les tire de
leurs fourreaux & qu’on les met dans l’eau, on les y voit
s’agiter en tout fens & fe tourmenter. Audi ont-elles
befoin d’être vigoureufes, quand le temps de leur der¬
nière métamorphofe approche, & qui n’ed, je crois,
éloigné de celui de la première que de dix à douze jours
au plus. La nymphe vient alors à la furface de l’eau, elle
y nage, elle y change de place en faifant prendre à fon
corps différentes indexions ; il y en a qui y redent au
moins un jour entier avant qu’arrive le moment où elles
parviennent à changer d’état. Tout ce qui fe paffe iorff
qu’cnfin la petite tipule fe dégage de fon fourreau de
nymphe pour devenir ailée, ed fi lèmblable à ce qui fe
paffe lorfque le cou fin fe dégage du lien, qu’en expli¬
quant comment fe Lit la dernière transformation de celui-
ci *, nous avons affés expliqué comment le fait celle de * Tcme 4.
celle-là. Nous redirons (feulement encore une fois, que
tous les plumets de la nymphe redent à fa dépouille, ils
y parodient quelquefois défigurés, de forte que lorfqu’on
n’y regarde pas de près, & qu’on voit l’eau couverte de
ces dépouilles, comme elle l’ed en certains jours, on
croît que le bout antérieur de chaque dépouille s’ed
moifi.
Les oetites tipules* qui viennent de ces vers, reffem- *PI. s-%«
blent fi fort aux confins les plus communs, qu’on n’héfi- °'
teroit pas à les prendre pour des confins, fi on n’étoit
averti qu’elles peuvent être un infeéTe d'une autre claffe;
& on ne reconnoît quelles font d une autre claffe, que
E iij
38 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
iorfqu’après avoir examiné le deffous de leur tête, on n’y
trouve point de trompe, mais une bouche, du diffus de
laquelle parlent les deux barbillons qui caraéférifent les
♦ Fi. 5.%. tipuies. Les mâles * ont des antennes à plumes plus four¬
nies de poils, & qui ont plus de volume que les plus
grandes & les plus belles de celles qui s’élèvent au deffusde
la tête des coulins; chaque aile a trois petites taches brunes.
D’autres tipuies qui ne différent guéres des précédentes
en grandeur ni en forme, qui n’en différent que par de
tres-légércs particularités, comme par quelques nuances
de couleur, parties antennes moins fournies de poils, &c.
ont été des vers aquatiques que nous devons faire con-
noître, des vers blancs qui reffemblent aux vers rouges
des autres tipuies par la tête, par les deux efpéces de
bras, par la forme du corps; mais qui n’ont pas, près du
derrière, les quatre cordons charnus qui nous ont fait
donner aux autres le nom de vers polypes. Ce qu’ils
offrent de plus digne cl’être remarqué, c’eft la matière
dans laquelle on les trouve. Chacun de ces vers elf logé
au milieu d’une plaque épaiffe & convexe par deffus,
d’une efpéce de gelée, de la nature & de la confiftance
de laquelle ceux qui connoiffent le fray des grénouillcs,
peuvent prendre une affés juffe idée. Le ver à tout âge
efî enveloppé de toutes parts de cette matière gluante de
tranfparente, elle n’efl pas même fi tran(parente quelle
ne le cache un peu. Chaque plaque a au moins huit à dix
lignes, & quelquefois un pouce de diamètre ; quelques-
fois elles font écartées les unes des autres, & quelquefois
elles fe touchent. Dans certaines années, dans les mois
de Juin & de Juillet, j’ai trouvé beaucoup de ces plaques
de gelée fur le fond des baquets que je tenois pleins d’eau,
& quelquefois j’en ai trouvé contre les parois du baquet.
J'ignore fi le ver même fournit cette quantité de matière
des Insectes./. Mem. 3 9
gluante, à quoi elle peut lui être bonne, comment il fe
nourrit au milieu de cette matière, fi l’eau, qui peut-être fe
filtre au travers, eftle feul aliment qu’il lui faut. On pourroit
foupçonner que cette matière elt celle-là même, dont il
a été enveloppé dès fa naiffance, lorlqu’il étoit encore
contenu dans l’œuf; que cette matière fe développe <Sc
vegete dans l’eaii, ou, ii l’on veut, quelle eft pour lui une
forte de placenta qui lui fournit là nourriture. Tout cela
peut être foupçonné; mais je n’ai point fait d’oblèrvations
propres à me conduire plus loin que le foupçon.
j’ai fouvent oblèrvé fur l’eau des baquets, de petites
plaques*d’une matière vifqueufe, fembiable à une goutte
de fuif qui y feroit tombée. Elles étoient remplies d’œufs
oblongs. 11 y a beaucoup d’apparence que c’étoient des
nichées d’œufs de tipules. Mais font-ce des vers blancs ou
des vers rouges, qui fortent des œufs des nichées de cette
el'péce ! C’eft ce que divers accidents m’ont empêché
d’apprendre ; ils ont empêché que les œufs des nichées
que j’avois miles dans des verres pleins d’eau, ne loient
venus à bien.
Dans des plaques de matière gluante, femblables à celles
qui couvent les vers blancs, & même dans des plaques qui
étoient un peu au delfusde la furface de l’eau, qui s’étoit
abbaiftee, j’ai trouvé des nymphes de ces vers; mais je ne
crois pas que la nymphe relie iong-temps au milieu delà
matière glaireufe. Je Içais au moins que ces nymphes,
comme celles des vers rouges, fe tiennent à la furface de
l’eau pour s’y transformer, qu’elles y font dans un mou¬
vement continuel. Elles n’ont point fur le corcelet de
pennaçhes femblables à celles des nymphes des vers rou¬
ges; mais elies y ont deux cornes femblables à celles des
nymphes tcrrellres des tipules, & elles les ont apparem¬
ment pour relpirer l’air.
* pi. 6 . %
t ü & 18.
40 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
On n’imagineroit pas combien on peut voir de chofes,
combien on peut prendre de connoifiances fur la trans¬
formation des infeéles aquatiques de divers genres, dans
un feul baquet plein d’eau, & expofé à l’air libre. La fuite
de cet ouvrage apprendra combien d’inlèélcs de diffé¬
rentes claffes viennent s’y rendre pour y faire leurs œufs.
Il eft bien autrement facile de fuivre les infeétes qui y
naiffent, que de fuivre ceux qui naiffent dans de grandes
pièces d’eau. Avant que de finir ce Mémoire, je dois
faire connoître encore une efpéce de vers aquatique que
j’avois trouvée dans des baffins, fans avoir pû parvenir à
fçavoir quelle étoit la dernière forme fous laquelle elle
devoit paroître, & mes baquets m’ont mis en état de
l’apprendre. Les vers dont je veux parler, fe transforment
* Pi. 6.fig. en de très-petites tipules *, qui n’ont rien de fort remar-
12,13 (Sa*. q Ua [j| e . ma j s p Qur ei!X , j| s Je font par leur forme, & elle
* Fig. 4.6c 7. avoit excité ma curiofité. Chaque ver * efi aufii blanc &
auffi tranfparent qu’un morceau de criftal ; aufii quand
il nage dans l’eau claire, il faut regarder dans des feus
favorables pour l’y appercevoir. D’ailleurs, lors même que
le temps de fa métamorphofe efi proche, il n’efi guère
plus grand qu’un ver de coulin, & il y a fouvent un air
roide; il fçait néantmoins donner des coups de queue à
l’eau lorfqu’il veut changer de place. Ce qui le rend le plus
remarquable, c’eft un grand crochet* qui part du defius
de fa tête, & qu’il porte en devant, elle lui donne l’air
d’une efpéce de licorne à corne recourbée. Auprès de
cette corne, il y a de chaque côté une tache brune. A
quelque difiance de la tête on voit en defius, mais dans
*Pi. 6.%. l’intérieur, deux corps bruns * qui ont chacun la figure
7 ; r y r ‘ d’un rein. Deux corps de même figure*,mais plus petits
Sc moins bruns , fe voyent aufii dans l’intérieur à peu de
difiance de l’extrémité pofiérieure. Celle-ci fe termine par
deux
des Insectes./. Man. 41
deux cornes * charnues,dirigées fdon la longueur du corps. * P!. 6. fig.
A l’origine des cornes, eft une nageoire * d’une grande 7 'J’ U S ‘
tranfparence, qui, fans fon aitaclie, feroit ovale. De cette
attache, partent des lignes qui, comme des rayons, fe diri¬
gent vers différents endroits du contour de lovai. Il n’eft
pas befoin d’avertir que tout cela ne fevoit qu’au moyen
d’une loupe ; avec Ton fecours, on fuit auffi tout du long
du corps un vaiffeau qui paroît être le canal des aliments,
& qui paffe entre les quatre efpéccs de reins.
Quand on ne s’en tient pas à confidérer ce ver dans l’eau,
quand on cherche à voir diftinéïement la conformation
de toutes fes parties, on parvient à découvrir que ce qu’on
prenoit pour un crochet fimple *, eft compofé de deux * c .
crochets exactement appliqués l’un contre l’autre, mais
qui peuvent s’écarter * l’un de l’autre toutes les fois que * Fig. 6 .
l’infecte le veut. C’eft immédiatement fur la tête que
font articulées deux pièces qui ont chacune une autre
articulation vers leur milieu; la partie qui eft par-delà
cette dernière articulation eft brune, & de con fi (lancé de
corne. C’eft vers l’origine de ces deux crochets, qui enfem-
ble n’en paroiffent faire qu’un , que la bouche eft placée;
à chaque côté de celle-ci, eft une main * affes fcmblable à * m.
celle qui eft au bout du bras des vers rouges, dont nous
avons parlé ci-devant; elle eft un peu applatie, & bordée
de gros poils, d’efpéces d’épines. Lorfqu’on preffe le ver,
on fait fortir de fa bouche un long corps, auquel je n’ofe-
rois donner le nom de langue* ; par fa forme & fon volu- * Fig. 6. /.
me, il a l’air d’un gros bout d’inteftin aveugle qui a affés
de roideur pour fe foûtenir.
J’ai mis fouvent beaucoup de ces vers dans des pou¬
driers très-tranfparens remplis de l’eau la plus claire, & j’ai
trouvé en fuite dans le poudrier quantité de petits corps faits
comme des portions de tuyaux cylindriques. Je ne fçaisfi
Tome V. . F
8. & 9
Cj c.
42 MEMOIRES POUR L’HïSTOIRE
c’efl la figure de leurs excréments, ou s’il vient un temps
où ces vers fie défont de leurs inteftins par parcelles.
C’efl dans les mois de Juillet & d’Août, que les vers
que je tenois dans des poudriers, fe font transformés en
Pi. 6 . fig. nymphes. Ces nymphes* reffemblcnt pour l’arrangement
& la difpofition des jambes, à celles de plufieurs autres
tipules; mais elles ont deux efpéces de cornes * qui s’élè¬
vent au deffus de leur tête, & qui partent du corcelec
beaucoup plus grandes, proportionnellement à la grandeur
de leur corps, que celles d’aucune nymphe tipule. Par
leur port elles ont quelqu’air de celles des nymphes des
coufins; elles font plattes & menues à leur origine; elles
s’élargiffent enfuite, pour, après s’être encore rétrécies, fe
terminer prefque par une pointe. L’infeéle nous apprend
allés pourquoi elles lui ont été données, en tenant pour
l’ordinaire leur extrémité au deffus de la furface de l’eau,
pendant que tout le refte de fon corps efl au deffous &
comme droit. Ces efpéces de cornes examinées au mi-
crofcope*, femblent faites de grains tels que ceux du plus
beau chagrin, ôc mieux allignés. Il y a grande apparence que
*Fig.7.r,r. lesdeuxplus grands de ces corps en forme de rein *,qu’on
apperçoit dans le ver, ceux qui font les plus proches
de la tête, font par la fuite les deux cornes de la nymphe.
Elle a à fon derrière deux nageoires égales & fembla-
bles*, qui ont la figure d’une feuille; elles font extrême¬
ment tranfparentes; elles ont un rebord épais par rapport
au refie, mais qui devient plus mince 6 c plus étroit en
s’approchant du bout jufqu’auquel il ne parvient pas.
Dans leur intérieur, on voit plufieurs ramifications qui
partent de deux tiges, dont une efl plus confidérable que
l’autre.
Enfin l’infeéle après avoir vécu dix à douze jours en
* Fig. 12, nymphe, fe transforme en une petite elpéce de tipules*.
* Fig. 1 1.
* Fig. 1 o.
n, c, t,f
des Insectes./. Mem. 43
dont les mâles ont des antennes à plumes, & les femelles
des antennes moins fournies de poils. Les unes & les
autres portent leurs ailes croifées fur le corps, qui les excède
en longueur. Du bout de celui du mâle foitent deux
efpéces de lames garnies de poils, & au deffous deux
elpéces de crochets * prefque droits, dont chacun elt *
articulé, avec une plus grolfe pièce; dans l’état ordinaire 15
les pointes des crochets tout tournées vers le ventre, de ils
forment un X, en fe croifant l’un l’autre.
EXPLICATION DES FIGURES
DU PREMIER MEMOIRE.
Planche Première.
Les Figures 1 , 2 & 3 repréfentent de grandeur naturelle
un ver de tipule, de ceux qui vivent en terre ou dans le
terreau des troncs d’orme. Il y en a de bien plus grands
que celui qui elt repréfenté ici. Dans la figure 1, il montre
fa tête /, autant qu’il peut la montrer ;& quelques-uns des
rayons charnus de fa partie poltérieure p. Dans la figure 2,
où il elt plus raccourci, fa tête paroît moins, & il a entière¬
ment caché les rayons charnus de fa partie poltérieure p.
Dans la figure 3 , où il elt plus allongé que dans la pré¬
cédente, les rayons charnus font plus à découvert & plus
écartés les uns des autres, que dans la figure 1,6c la tête
elt plus cachée que dans les deux autres figures.
La Figure 4 fait voir par-delTous une tête de ver tipule
grolfie au microlcope. a, a, bouts des deux antennes.
c, c, deux crochets écailleux que j’ai forcé le ver à me
montrer, en prelîant extrêmement les parties qui en
font voifines. I, l, deux parties écailleufes courbées en
gouttière, dont le bord fupérienr elt dentelé, e, partie
44 Mémoires pour l’Histoire
charnue défiguré triangulaire, qui lèpare les parties pré¬
cédentes, dont le milieu cil blancheâtre, & dont les côtés
loin bruns.
La Figure y montre la tête de la même tipule, & égale¬
ment grofiie, mais vue par-delTus. d, d, l’anneau charnu
auquel tient la tête écailleufe t, & fous lequel elle le peut
cacher, a, a, les antennes.
La Figure 6 repréfente en grand & vue de face la
partie pollérieure du ver. r, r, r, r, c, c, fix rayons charnus,
dont les deux c, c, qui font du côté du dos, font plus
courts que les autres. Il y a des vers qui ont ces fix rayons
charnus bien plus longs & plus aigusles deux grands
fligmates. On voit au déifias quatre taches beaucoup plus
petites, qui probablement font deflinées adonner fortieà
l’air que les grands fligmates f f, ont reçu, & qui a fait
là route dans le corps de l’infeéle.
Dans la Figure 7, le bout poltérieur du ver ell vu du
côté du ventre, a l’anus, qui n’ell à découvert &. vifible,
que quand les rayons rrrr, s’élèvent vers le dos.
La Figure 8 ell celle d’un ver ouvert tout du long, &
tenu ouvert par des épingles, uf, uf) les deux grolfes
trachées qui vont fe terminer près des fligmates f, f.
La Figure 9 repréfente très en grand un des lligmates
f, figure 6. qui ell écailleux, & qui a quelqu’air d’un plat
dont le fond leroit relevé en bolfie; mais il ell compofé
de deux pièces différentes./*, f, la grande pièce circulaire
& inclinée comme le font les bords de certains plats, m,
la fécondé pièce qui a quelque convexité.
La Figure 10 montre en grand ce que le delfinateur
& moy avons cru avoir vu, un très-grand nombre de
petites trachées b, b, qui partent de la principale trachée
t, ô<. qui vont aboutir au lligmate f, f; elles forment une
efpéce d’antonnoir, dont la plaque de ce lligmate cil la baie.
des Insectes./. Mem. 45
La Figure i i cil celle d’un ver de tipule pris dans un
trou de tronc de laule.
La Figure 12 elt celle de la nymphe dans laquelle
le ver précédent s’elt transformé, vue du côté du ventre.
La Figure 1 3 montre du côté du dos la nymphe de
la figure 1 2. Dans l’une & l’autre de ces figures, q mar¬
que la partie poltérieure de cette nymphe, & c, c, mar¬
quent les deux cornes qui font à la partie antérieure.
La Figure 14 elt celle de la tipule fémelle, qui étoit
renfermée fous les enveloppes de la nymphe des figures
précédentes.
La Figure 1 5 montre la tipule fémelle de la figure
précédente, accouplée avec fon mâle, f, la fémelle. m, le
mâle.
La Figure 16 fait voir le mâle féparément.
Planche II.
Les Figures 1 & 2 repréfentent dans la grandeur na¬
turelle, une nymphe des vers qui fe tiennent en terre fous
le gazon, & qui fe transforment dans des tipules d’une
grande elpéce. Dans la figure 1 , la nymphe elt vûe du
côté du ventre, & dans la figure 2, elle eft vûe du côté
du dos.
La Figure 3 efi celle de la nymphe de la figure 2 grolfie.
e,c, les cornes qui font les organes de la relpiration. I, l,
les ailes entre lesquelles les fix jambes font ailes diltinétes.
La Figure 4 montre le bout pofiérieur de la nymphe,
vu par-delfous, & extrêmement grolfi. a, l’endroit où étoit
l’anus du ver. Toutes les tuberofités épineufes marquées
e, e,tk.c. aident â la nymphe lorlqu’elle le poulie en avant.
La figure 5 fait voir par-delfus, une portion plus courte
du bout qui efl vu par dcllous figure 4.
La Figure 6 reprélénte en très-grand une des cornes
F iij
46 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
de la figure 4. d, bafede la corne. cc,f on bout qui femble
avoir une fente dirigée de c, en c. Elle paroît entourée de
fibres tranlvedales.
La Figure 7 eft celle d’une nymphe d’un grand ver de
tipule terreftre, très-groftie. Cette nymphe n’eft pas la mê¬
me que celle des figures 1,2 & 3 ; on remarque aifément,
quelle a fes cornes c, r,plus petites que celles de la figure
3,quoique fon corpsfoitconfidérablement plus gros. Elle
a étédeîfinée d’après une nymphe tiréede terreà la fin de
Septembre, & qui devoit devenir une grande tipule. On
a écarté les ailes & les jambes du corps, afin qu’on puifie
mieux voir comment ces dernières font pliées lorfqu’elles
Font en place, comme elles y font dans la figure 3. I,
une des ailes, i, n, m, les trois jambes qui fe trouvent
attachées au côté qui eft ici en vue. e, e, e, &c. épines
qui partent aftes près de la fin de chaque anneau. p,p,
épines du bout poftérieur.
La Figure 8 repréfente la partie antérieure d’une mou¬
che tipule, vue avec une lentille d’un court foyer, a, a, les
antennes.un des yeux à rezeau. t, partie de la tête qui
eft allongée en trompe, b, à deux barbes, qui fervent à
diftinguerles tipules de beaucoup d’autres mouches; elles
partent fur la bouche, elles defcendent, & fe contournent
en deftous de la tête en d. 4 les ailes qui ont été coupées
& relevées, m, le balancier, f, un des ftigmates.
Dans la Figure 9 on voit par defliis, & encore plus
grandie, la tête qui eft vue de côté dans la figure
les yeux à rezeau. t la portion delà tête allongée en trompe.
a, a, les antennes, bd, bd, les deux barbes, dont cha¬
cune a été jettée vers le côté duquel elle part, pour mettre
la bouche à découvert. 4 4 levres charnues; la fente qui
les fépare eft celle de la bouche.
La Figure 1 o montre par-deffous la tête qui eft vue
des Insectes./. Mem. 47
par-defiusdans la figure précédente._y^ les yeux à rezeau.
b, b, les deux barbes. I, l, les deux levres, entre lefquelles
la fente de la bouche efi très-marquée, e, e } deux petits
tubercules placés au-deflous de la bouche.
La Figure 11 repréfente dans fa grandeur naturelle,
ôc ayant les ailes croifées fur le corps, une tipule fémelle
de la grande elpéce, commune en Odobre dans les
prairies.
La Figure 12 repréfente en grand une aîlc de cette
tipule. On peut remarquer qu’à fon origine elle efi très-
étroite dans la portion marquée lo .
La Figure i 3 efi celle d’une portion d’antenne de fa
tipule précédente, vûe au microlcope./?, y, p, p, quatre
grands poils qui partent de chaque articulation. On voit
quelle a de plus une barbe de poils très courts.
Planche III.
La Figure 1 repréfente une tipule mâle de la grande
efpéce, de celles qui font communes en Septembre, q,
marque le bout pofiérieur du corps, qui efi plus gros que
ce qui le précédé, & coupé obliquement.
La Figure 2 efi celle de la tipule fémellev dont on
vient de voir le mâle. La pointe p, r, qui termine fon
derrière efi compofée de deux pinces p, & r, repréfen-
tées en grand dans les figures fui vantes, & dans des vûes
propres à les faire mieux difiinguer.
La Figure 3 montre par le côté le bout pofiérieur du
corps de la tipule fémelle./?, la longue pince, la plus aiguë,
& la fupérieure. r, la pince inférieure, plus courte que
l’autre & plus moufle. On a écarté ces deux pinces l’une
de 1 autre pour faire voir les parties charnues qui font
entr’elles. En a, efi l’anus.
La Figure 4 montre le bout pofiérieur en grand &
4 _S Mémoires poi/r l’Histoire
par-deftous. Les deux branches p ,p, qui compofent fa
longue pince 6c fupérieure, ont été écartées l’une del’autre,
afin qu’on les diflinguât, 6c qu’elles ne panifient pas être
une feule 6c même pièce, comme elles le parodient dans
les ligures 2 6c 3.
Dans la Figure 5, le bout poftérieur efl vu par-deffus;
les deux branches p,p, de la longue pince, y font très-
ccartées l’une de l’autre, 6c elles cachent prelqu entière¬
ment les deux branches de la courte pince.
La Figure 6 repréfente le bout poftérieur vu par-
deftous, comme dans la figure 4, mais avec une feule
de lès pinces, 6c la plus courte. Entre les branches r, r,
de cette pince, on voit deux œufstf, 0; la pince fert à les
conduire en terre.
La Figure 7 repréfente en grand le bout poftérieur
du mâle vû du côté du ventre, 6c dans un moment où la
prelfion a obligé toutes les parties qui y font contenues,
à s’écarter les unes des autres, & à fe montrer. I, l, efpéces
de demi-coquilles prefque écailleufcs, qui enfemble com¬
pofent une forte de boîte qui renferme toutes les autres
parties quand le derrière de la tipule eft dans l’état où
on le voit dans la figure r . t, t, deux pièces écailleufes,
dont le bout plus gros que ce qui précède, forme une
tète plattc. c, c, deux efpéces de crochets, dont la
pointe eft brune 6c écailleufe, 6c dont la tige eft blanche.
d, d, deux pièces comme écailleufes faites en croiftant.
Toutes les pièces précédentes, fervent apparemment à
faifir le derrière de la fémclle. m, partie du mâle, de la¬
quelle fort une efpéce de fil. On trouve à fa bafe deux
mammelons ou appendices, qu’on 11’a pas marqués par
des lettres, h, h, petites houppes de poils roux. En a, eft
l’anus.
Les Figures 8 6c 9 font voir les mêmes parties, mais
dans
des Insectes./. Mem . 4.9
dans des vues différentes, & celles d’un des côtés de la
ligure i ; auffi les parties femblables font-elles défignées
par les mêmes lettres dans ces trois figures. I, une des
lames qui fait la moitié de la boîte ou de l’enveloppe des
autres parties. Elle eft vue en dedans, ou du côté concave,
figure 8 ; elle eft vûe par dehors, ou du coté convexe,
figure 9. /, pièce dont le bout eft plus gros que ce qui
précédé, c , un des crochets, d, un des croiffants.
La Figure 10 repréfente une tipule fémelle dans l’atti¬
tude où elle fe met lorfqu’elle le difpofe à pondre. Celle-
ci commence à picquer en terre le bout de la longue pince
marquée />, & p,p, figures 2 , 3,4 & 5,
Les Figures 1 1 & 12 repréfentcnt un œuf de tipule
.très-groffi. La figure 1 1 le fait voir du côté où il a une
cavité. La figure 12 le montre du côté oppofé à celui où
elt la cavité.
La Figure 13 fait voir trois œufs de tipule de grandeur
naturelle.
Planche IV.
Les Figures 1 & 2 repréfentent chacune une tipule de
médiocre grandeur & de mêmeeipéce, mais de différent
fexe; la tipule de la figure 1 eft un mâle, & celle de la figure
2 une fémelle; le grilâtre eft leur couleur dominante, mais
elles ont du jaunâtre à leurs jambes. Elles font nées cliés
moy de vers trouvés dans le terreau tiré de faules, dont
une partie de l’intérieur étoit pourrie.
La Figure 3 montre groffi à une forte loupe un ver de
tipule qui n’a que fa grandeur naturelle dans la figure 4;
ces vers fe tiennent dans la bouze de vache, t, fa tête
écailleufe. f, fa partie poftérieure où font les organes de
la refpiration.
La Figure 5 eft en très-grand celle de la tête du ver des
figures précédentes, & de deux de fes anneaux, t, la tête.
Tome V » G
50 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
y, tache brune qui femble être un des yeux, b, barbillons
qui, en certains temps, fortent de la bouche.
La Figure 6 fait voir en dedus la partie podérieure du
ver précédent & extrêmement groffie. f, f, u, u, quatre
tuyaux, dont les deux u, u, font plus courts que les deux
f, f. Ces quatre tuyaux font les quatre digmates podé-
rieurs. t, t, marquent deux trachées qui fe rendent aux
digmates.
La Figure y ed celle de la nymphe dans laquelle fe
métamorphofe le ver précédent, dans fa grandeur natu¬
relle. La même nymphe ed groffie dans la figure 8.
Les Figures 9 & i o repréfèntent en deux vues diffé¬
rentes, la petite tipuie qui fort de la nymphe delà figure 8.
La Figure 1 1 ed celle d’un ver de tipuie qui fe tient ap¬
pliqué contre le dedousd’un agaric du chêne; mais cette
figure le montre beaucoup plus grand qu’il ne le devient.
La Figure 1 2 repréfente une portion d’un agaric du
chêne, dont le deffous a été mis en deffus. a, a, bord de
cette portion d’agaric, u, ver de tipuie dans fa grandeur
naturelle. Tout ce qui ed en blanc & marqué b, b, ed le
lit d’une bave luifante fur lequel il fe tient, h, h, &c.
diverfes feuilles de gramen, qui paffent au travers de l’aga¬
ric; l’agaric en croidant, renferme celles qui le touchent.
La Figure 1 3 ed celle d’une coque que le ver de la
figure 1 2 fe fait d’une liqueur gluante.
Les Figures 14. & 15 montrent en deux vues diffé¬
rentes la nymphe dans laquelle le ver précédent fe trans¬
forme, & la montrent plus grande que nature. Dans la
figure 1 5, où l’on voit le ventre, on voit la difpofition
des jambes qui s’étendent jufqu’au derrière; & la figure
14 dans laquelle elle ed vue de côté, laide voir la boffie
b, qui ed fur le corcelet. Mais ce qu’on doit le plus remar¬
quer dans cette figure, c’ed la pofition des antennes,
qui ed différente de celle des antennes de la plupart des
des Insectes./. Afem . 51
nymphes; elles font lur le corcelet, & celles des autres
nymphes font placées en partie ious le ventre.
La Figure 16 eft celle de la tipule de la nymphe pré¬
cédente vue par-deflus; & la figure 17 eft celle de la même
tipule vue pardefious.
LaFigure 18 eft celle de la partie antérieure de la mouche
précédente, qui eft repréfentéeen très-grand,& vue du côté
du ventre, a, a, les antennes dont la ftruéhire eft parti¬
culière. i, 1, les yeux à rezeau. b, b, deux gros barbillons
au-deflus de la bouche.
P L A N C H E V.
La figure 1 eft celle d’un ver aquatique, &. rouge, qui
fe transforme en une petite tipule.
La Figure 2 repréfente une lorte de grouppe de vers
rouges de l’efpéce du précédent, afîcmblés autour d’une
feuille qui eft dans l’eau ; ils font dans un mouvement
continuel & changent fouvent d’attitude.
La Figure 3 montre un ver rouge groffi à la loupe.
b, un de les deux bras. I, l, l, l, les quatre ligaments qui
nous ont déterminé à donner à ces vers le nom de poh pes.
La Figure 4 fait voir en deftus la partie poltérieure
très-groffie. J, f, deux corps oblongs, dont le bout eft
bordé de poils, & qui paroiflent être deftinés à porter
l’air dans le corps du ver, être deux ftigmates.
quatre corps en forme d’olive, qu'on peut encore foup-
çonner être des ftigmates.
La Figure 5 eft encore celle de la partie poftéricurcdu
ver, très-groiïie, mais vue en-deftous./, f, les deux ftigma¬
tes. m, m, deux des corps en olive. I, l, l, l, les quatre
ligaments qu’on a négligé de donner à la figure précé¬
dente, parce quec’eft la dernière qui fait voir leur origine.
Ces ligaments, & le ver lui-même, ont été reprélentés
très en grand dans le tome 4. pi. 14. fig. 12.
52 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
Les Figures 6 & 7 repréfentent en grand la nymphe
dans laquelle le transforme le ver polype; elle a, dans l’une
& l’autre figure, la tête en bas. Dans la figure 6 , elle efi
vûe du côté du ventre, & elle efi vue du côté du dos
dans la figure 7. h, houppe qu’elle a à fa partie pofiérieure.
p, pennache qui orne Ion corcelct. I, l, les ailes qu’on a
écartées du corps figure 7. La figure 6 fait voir le contour
fingulier de deux jambes i, /.
Dans les Figures 8 & 9, la même nymphe efi vûe de
côté. La figure 9 montre cinq efpécesdeplumets/>,/>,
Quand ceux des deux côtés lé relèvent, & le réunifient 1 iu¬
le corcelet, ils compoient enfemble la pennache p , de la
figure 8.
La Figure 10 efi celle de la tipule dans laquelle fe
transforme la nymphe précédente, grofiic au microfcope.
à, a, les antennes, b, b, les barbes.
La Figure 1 1 efi celle d’une nymphe d'un ver tipule
blanc, qui n’efi guère plus grand que le ver tipule de la
figure 1 ; aufii cette figure la grolfit très-confidérablement.
Cette nymphe fe tient à la furfacede l’eau, & s’y agite con¬
tinuellement. a, une de fes ailes, i, fes jambes, qui font
finguüérement contournées, r, une des deux cornesavec
lefquelles elle refpire l’air. La mouche de cette nymphe
diffère peu de celle de la nymphe des vers rouges.
Planche VL
La Figure 1 repréfente plus grofie que nature une
nymphe de ver aquatique, qui efi vûe dans fa véritable
grandeur, figure 2. L’une & l’autre figure la montrent
du côté du ventre. Cette nymphe efi toujours dans leau.
i f, long fil qui part du corcelet, & dont la nymphe
tient ordinairement le bout à la furfacede l’eau; mais le
iil efi quelquefois plus contourné qu’il ne l’cft ici, félon
que l’eau agit defius, pendant que la nymphe change
des Insecte s. /. Mem . 53
Je place. Elle en change quand elle veut ; quand elle
veut, elle le met dans des pofitions différentes de celle
où elle paroît dans les deux ligures. L’origine du fil efl fur
lecorcelet. La ligure i fait voir des poil sp,p, fur les côtés
Je cette nymphe, qui, pour être vifibles, demandent à être
groffisparla loupe, auffi ne paroiffent-ils pas dans la figure
2. d, marque la dépouille du ver que j’ai trouvé attachée à
une de ces nymphes. La ligure 2 n’a point cette dépouille,
mais elle a en c, une elpéce de crochet.
La Figure 3 efl celle de la tipule, dans laquelle fe trans¬
forme la nymphe des figures précédentes. Elle a fur fes
ailes quelques taches brunes & opaques.
La Figure q. fait voir à peu près dans fa grandeur naturelle
un ver aquatique de tipule, fingulier par fa grande tranfpa-
rence, & parl’efpéce de crochet qu'il porte en devant de
la tête; le même ver efl groffi au microfcope dans la fig. y.
La Figure 5 repréfente la partie antérieure du ver précé¬
dent groffie au microfcope. ï, un des yeux c, c de , les deux
crochets qui, lorfqu’iis font appliqués l’un contre l’autre,
comme ils le font dans les figures 1 & y, & comme ils le
lcwt ordinairement, ne femblent être qu’un feul & unique
crochet, c d> bout d’un des crochets, brunéc écailleux,
articulé en d, avec une partie blanche & moins dure, e,
l’endroit où la partie e d fe trouve articulée. m,m, efpéces
demains armées d’ongles ou de longues épines, &pofées
à chaque côté de la bouche & un peu en déifions.
La Figure 6 ne diffère de la figure 5, qu’en cequ’une
partie/, blanche & oblongue,&d’un volume confidérable,
fort de la bouche du ver. On oblige cette partie à paroître
lorfqu’on preffie le corps, & fur-tout près de la tête.
La Figure y montre le ver île la figure 1 groffi au mi¬
crofcope. c, fon crochet qui fcmble fimple, quoique les
figures précédentes nous ayent appris qu’il efl double, i,
un des yeux, r, r, e , e, quatre corps bruns chagrinés & faits
G iij
54 MEMOIRES POUR L’HïSTOIRE
en forme de rein, qu’on apperçoit dans l’intérieur defin-
feéle. n, fa nageoire. q,q, deux filets qui forment une queue
fourchue.
La Figure 8 repréfente dans fa grandeur naturelle, la
nymphe du ver de la figure i, & la même nymphe elt con-
fidérablement groftie dans la figure 9 .c, c, deux efpéces de
cornes qui font probablement les organes de la refpiration.
i, les jambes, n, tt, les deux nageoires, dont chacune lemble
être double, parce qu’elle eft comme divifée en deux par
une efpéce de côte.
Dans la Figure 1 o, la partie poftérieure de la nymphe
eft groftie au microfcope. nctf nctf les deux nageoires.
n c, le bord extérieur, f le bord intérieur, t, côte ou princi¬
pal vai fléau, qui jette diverfes branches. La partie Je, n’eft
pas bordée comme l’eft le refte, & c’eft ce qui aide à tromper
fur le nombre des nageoires.
La Figure 1 1 eft celle d’une des cornes c, figure 9, vue
au microfcope; alors elle paroît chagrinée avec art.
Les Figures 12, 1 3 & 14 reprélentent la tipule dans
laquelle fe transforme la nymphe de la figure 8.
La Figure 1 5 montre le bout poftérieur du corps d’uiie
des tipules précédentes, d’une tipule mâle, grofti au mi¬
crofcope. c, c, deux tiges, de chacune defquelles part une
efpéce d’épine écailleulè. Quand le mâle ne fait point ufage
de ces épines, elles fe croifent en X, comme on le voit ici.
La Figure 16 eft celle d’une nichée d’œufs de tipules
aquatiques de grandeur naturelle.
Dan s la Figure 17, un des œufs de la nichée précédente,
eft grofti au microfcope.
La Figure 18 montre la nichée d’œufs de la figure 17,
telle que le microfcope la fait voir.
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V
des Insectes.//. Mem. 5 5
SECOND MEMOIRE.
HISTOIRE
DES MOUCHES DE SJMARC;
Et quelques Suppléments au neuvième & au douzième
Mémoire du quatrième Volume.
N O u s confervons aux mouches *, dont nous voulons * Pî. 7 %.
parler dans ce Mémoire, le nom qu’elles portent en 7 > 8 > 9 &
quelques Provinces du Royaume, en Poitou & en Tou¬
raine, où on les a traitées avec une diftinéîion dont elles
ne font pas trop dignes; car par elles-mêmes, elles n’ont
rien de plus propre à fe faire remarquer, qu’un très-grand
nombre d’eipéces de mouches auxquelles on 11e s’eft pas
avifé d’impofer un nom. Mais elles paroiffent des pre¬
mières au Printemps; d’ailleurs, il efl probable qu’il y a
eu quelqu’année où vers la Fête de Saint Marc, vers la
mi-Avril, ou un peu plus tard, elles ont paru en prodi-
gieufe quantité ; & qu’elles ont caufé quelque mal, ou que
quelque mal du moins leur a été attribué dans cette même
année. Les payfans qui fe croient les mieux inftruits, préten¬
dent qu’elles étoient autrefois armées comme les guefpes,
d’un aiguillon que Saint Marc leur a fait perdre.
En certaines années j’ai entendu aceufer ces mouches
par ceux qui cultivent avec le plus de foin les arbres frui¬
tiers, d’y avoir fait du tort, d’en avoir rongé les bouts des
boutons, & d’avoir fait périr les fleurs. Il eft vrai auffi
qu’on les voit fouvent fur les fleurs & fur les bourgeons
des arbres. Ce font des mouches de grandeur médiocre*, * Fig. 7*9»
5 6 Mémoires pour l’Histoire
bien plus petites que les greffes mouches bleues ; elles
font de la fécondé clafle générale de celle des mouches
* PI.7. %. qui ont une bouche * fans dents; mais elles peuvent avec
leur bouche exprimer du fuc des bourgeons & des fleurs
qui ne font pas épanouies, & peut-être y occafionner un
deffechcment qui les fait périr.
Leur bouche, comme celle des tipules, eff au bout de
la tête, & fa fente fe trouve de même entre deux levres
latérales faites en efpéce de coquilles, & qui couvrent
d’autres levres plus charnues; en un mot, la ffruélure de
leur bouche reffemble beaucoup à celle de la bouche des
tipules, < 5 c elle eff de même recouverte en certains temps
par deux barbillons, chacun defquels eff attaché à un de.
lès côtés; ils font moins longs proportionnellement que
ceux des tipules.
* Fig. 11 & Les antennes * de ces mouches font peu longues, 8c
2 ‘ a> a ' n’ont d’ailleurs rien de fingulier ; elles l'ont à grains.
* Fig. 11. Mais il eff à remarquer que le mâle * a une tête beaucoup
* Fig. 12. plus greffé que celle de la fémelle *. Les yeux à rezeau
du mâle, font aufli beaucoup plus gros que ceux de la
fémelle, & ce font eux qui rendent là fête greffe, par
rapport à celle de l’autre. Dans plu fleurs elpéces de ces
mouches, ces yeux font noirs. Quoiqu’ils couvrent prel-
que tout le defllis de la tête du mâle, qu’ils s’y touchent
* Fig. 1 j. prefque vers le derrière, là même il y a une petite grappe*
compofée de trois petits yeux lifles & difpofés triangulaire-
ment, qui s’élève au-deflus des yeux à rezeau.
Ces mouches portent ordinairement leurs ailes de ma¬
nière qu’une des deux couvre l’autre prefqu’en entier;
celle-ci ne paraît qu’auprès de l'on origine & à fon extré¬
mité. Elles lont aufli longues ou un peu plus longues
que le corps, aufli le cachent-elles à nos yeux. Quand on
* Fig. 11. a mis à découvert celui du mâle •*, 011 11e balance pas à
placer
des Insectes.//. Mem. 57
placer cette mouche clans la clafle de celles à corps
long: l'a forme a quelque chofe de fingulier, en ce que
l'anneau qui a le plus de diamètre, tient au corcelct, &
que les autres en ont de moins en moins à mefure qu’ils
s’approchent du bout pofterieur. D’ailleurs ce mâle paroît
une mouche affés malfaite, dont le corps raboteux n’a
pas unegrofTeur proportionnée à celle du corcelet; celui
de quelques-uns cil extrêmement menu. On héfiteroit
davantage à placer la femelle* parmi les mouches à corps *PI
lo’ig, le lien mieux façonné, plus iilfc& diltendu par les
œufs, tient de la figure d’une olive applatie. Ces mou¬
ches volent dalles mauvaife grâce ; quand elles font en
l’air leur corps femble y être pendant, elles biffent au
moins pendre leurs jambes qui font alfés longues.
Je 11’ai encore vu de ces mouches que de deux cou¬
leurs. Les unes font noires & d’un très-beau noir, & les
autres ont le corps & le corcelet rougeâtres; mais j’en ai
obfcrvé des unes Sc des autres, de grandeurs très-diffé¬
rentes, & qui font de différentes clpéccs. Il y en a des
efpéces auffi petites que les petites efpéccs de tipules &
que les coufins, & on 11e les diftingue des unes & des
autres, que quand on examine à la loupe la forme de leur
corps.
Des mouches connues même despayfans, communes
dans nos jardins, & qu’on accule d’y faire des defordres,
avoient de droit une place dans nos Mémoires, quoique
d’ailleurs elles ayent peu de fingularités à nous offrir;
au moins faiioit-il faire fçavoir quelle elf leur origine.
Elles viennent, comme les tipules, de vers * qui fe *
tiennent fous terre, qui s’y nourriffent d’une efpéce de
terreau ou de terre, & qui pourtant s’accommodent
d’une matière, qui paroît contenir des lues plus ailés à
extraire. J’ai vû en Octobre de ces vers à milliers, &
Tome V . H
** Tom. 4
Man. IV.
pag. iSo.
58 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
encore petits, clans des bonzes de vache médiocrement
fraîches, & pendant l’hyver j’ai trouvé des mêmes vers
fous terre, dans le Bois de Boulogne. Si la laiton où j’ai
rencontré des bouzes de vache peuplées de vers de ce
genre, étoit celle où leurs mouches paroi fient, il feroit
naturel de penfer que des meres avoient fait leurs œufs
fur ces excréments ; mais dans le mois d’Oétobre, on ne
voit point les mouches dans lefquelles fe transforment les
vers dont il s’agit; d’où il fuit qu’ils n’avoient pu naître
dans des excréments dont un grand animal ne s’étolt
vuidé que depuis peu de jours; qu’il faut penfer que ces
vers qui étoient fous terre, ayant l'enti que la matière qui
avoit été dépofée fur fa furface, & qui l’avoit humectée,
étoit propre à leur fournir de la nourriture, s’étoient ren¬
dus au milieu de cette matière. Quand nous en ferons
à l’hiftoire des Scarabés, elle nous apprendra qu’il y en
a quantité d’efpéces qui vont s’établir dans les bouzes de
vache fraîches.
Ces vers qui fc doivent transfoi nier dans les mouches
de Saint-Marc, font de la troihéme clafie, & lorl'que nous
• avons mis les vers en ordre, nous les avons placés* dans
le feptiéme genre de cette clafie. Ils ont une tête écail-
leufe, & font dépourvus de jambes. Ils ont d’ailleurs
beaucoup de refiemblance avec les chenilles, par la figure
de leur corps, & ils refiemblent à celles de certaines
efpéces, parce qu’ils font hérilfés de beaucoup de poils,
plus gros pourtant Si plus écartés les uns des autres que
ceux des chenilles bien velues, & tous inclinés vers le
derrière.
Ils changent de peau comme les chenilles; j’ignore
combien ils en changent de fois; mais je fçais que lorl'que
j’en examinai vers la mi-Mars, que j’avois apportés de
Poitou à la lin d’Odobre, & que j’avois renfermés dans
des Insectes. IL Mem. 59
des poudriers avec la même bouze de vache, clans laquelle
ils avoient été trouvés, je fçais, dis je, qu’ils me parurent
différents de ce qu’ils étoient avant l’hyver; non-feule¬
ment ils étoient plus grands, ils étoient moins couverts
de poils, mais de poils plus gros. Ils avoient lur chaque
anneau une ceinture compolée feulement de huit à dix
poils très-roidcs. Au refte leur couleur n’eff pas propre à
leur attirer nos regards, elle elt d’un gris-brun, 6c par¬
tout à peu-près de la même nuance. La tête eft noire 6c
platte.
De crainte que les vers dont je m’étois fourni, ne fe
trouvaffent trop à l’étroit, 6c dans une matière trop
deffechée, vers la mi - Mars je mis les morceaux de
bouze de vache dans lefquels ils étoient, fur la terre hu¬
mide qui rempliffoit une cloche de verre placée dans
une pohtion contraire à celle où l’on met ordinaire¬
ment les cloches. Au bout de deux jours tous étoient
entrés en terre, il n’en rcfloit aucun dans les morceaux
de matière où ils avoient vécu jufque-là. Je négligeai
de remuer la terre dans laquelle ils s’étoient introduits,
jufqu’au 22 avril, 6c pour peu que j’euffe différé davan¬
tage, je n’y euffe trouvé que des dépouilles ; j’y furpris
plufieurs des mouches dans lefquelles ils s’étoient trans¬
formés, prêtes à fortir de terre. Plufieurs autres avoient
apparemment pris l’effor dès les jours précédents; il n en
refloit plus que deux cachées fous la forme de nymphe,
6c depuis plufieurs jours apparemment, il n’y en avoitplus
qui euffent celle de ver.
Mais je fuivis mieux une autre année, lesvcrsdu même
genre, que j’avois trouvés au milieu d’une terre fablon-
neufe, proche d’un pied de chêne du Bois de Boulogne,
au commencement de Février. Tous ceux que j’avois
apportés, fubirent leur première métamorphofe en quatre
6 o MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
jours de temps; depuis le 2 jufqu’au 5 Mars inclufive-
mem, tous devinrent des nymphes, dont quelques-unes
fe transformèrent en mouches le 1 5 Avril, & les autres
les jours fuivans.
Pour parvenir à paroître nymphes, ces infecflcs fe dé¬
font de leur peau de ver, 6c cela comme des chenilles
de piufieurs efpéces fe défont de la leur en pareil cas.
Celui qui travaille à fe métamorphofer, oblige la peau des
premiers anneaux à fe fendre fur la partie fupérieure du
*PI.7.%.2. corps*. Des parties charnues s’élèvent dans I mitant au-
deffus de la fente, 6c en s’y élevant contribuent à l’ag-
grandir. La partie antérieure de la nymphe paroit bientôt
* Fig. 3 .a. au jour, elle fort par la fente. Le crâne * du ver qui tient
à la dépouille dont la nymphe veut fe tirer, fe trouve
alors fous le ventre. La nymphe dégage enfuite les an¬
neaux poftérieurs, elle les amené en devant, 6c les gonflant
6c pouffant en arriére, elle y poufle en même temps la
* Fig. ^ & dépouille*; elle l’oblige à fe pliffer, 6c peu à peu elle
3 • d- la conduit jufqu’au bout de fon derrière ou elle eft réduite
à un petit paquet.
Le nom de crifalide convient peut être auffi-bien à
notre infeéle métamorphofé, que celui de nymphe que
nous venons de lui donner. Les aîles 6c les jambes appli-
*Fig. 4&6. quées les unes contre les autres du côté du ventre *, dans
une étendue qui n’a pas la moitié de la longueur du corps,
n’y font guéres plus ailées à diftinguer qu’elles le font
dans les crifalides ordinaires. D’aiileurs, ces crilalides ou
nymphes n’ont rien de particulier dans leur forme, fi ce
n’eft quelles femblent boffues. Le corcelet de la mouche
* Fig. 5. e. qui eflgros6c élevé, demandeque l’endroit de la crifalide*
où il eft placé, foit plus élevé que le refte.
Au refte, la manière dont fe fait la dernière transfor¬
mation, le; manière dont la mouche brife Jfes enveloppes
des Insectes. IL Mem. 6 1
& s’en tire, n’a rien qui mérite d’être expliqué; car tout
ce qui pâlie alors feflêmble parfaitement à ce que les pa¬
pillons & d’autres mouches nous ont fait voir dans une
pareille circonflance.
Le relie de la vie de ces mouches ne m’a offert aucun
fait remarquable. Après leur naiffance elles prennent
l’effor, elles vont volontiers lé pofer fur les plantes. &
fur-tout fur les arbres fruitiers. Les mâles fe joignent aux
fémelles, auxquelles ils relient unis des heures entières.
Pendant l’accouplement le mâle * ne fe tient point fur la * Pi. 7. fig.
femelle, le corps de l’un & celui de l’autre font fur une
même ligne, ils femblent n’en faire qu’un. Les ailes delà
femelle recouvrent une partie de celles du mâle. Ces
deux mouches ainfi jointes enfemble, rcffemblent à un
infcéfe qui auroit une tête à chacun de fes bouts. Quel¬
quefois la femelle emporte en l’air le mâle qui ne veut
pas l’abandonner. Souvent auffi on les prend fans les dé¬
terminer à fe féparer. Le mâle a au-deffotis de fon der¬
rière deux crochets * capables de bien faifir celui de la * Eig. !g.
femelle,&qui ne font pas vifibles dans les temps ordinaires. c> c '
11 introduit la partie propre à féconder les œufs * dans *m.
une ouverture qui cil du côté du ventre de la femelle* * Fig. 14. û.
affés près de l’anus. Après que celle-ci a été fécondée,
elle n’ell pas long-temps fans doute à faire fes œufs
qu’elle dépole, l'oit dans la terre, foit dans des excréments
de vache,& peut-être dans ceux de cheval, après quoi
elle périt. On ne voit guéres de ces mouches que pendant
trois femaines ou un mois.
La même raifon qui nous a engagé à parler des mou¬
ches de Saint-Marc, nous détermine à dire ici quelque
chofe d’une efpéce de mouches* beaucoup plus petites. *pj. s.f^.y.
Elles font extrêmement communes, elles parodient dans
toutes les Sailons de l’année. Nous avons oublié de les
El iij
6 l MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
faire connoître dans le neuvième Mémoire, nous yfup-
pléerons dans celui-ci; elles ne font que de vrais moi -
cherons; elles font plus petites que les plus petites tipulcs.
Lorique leurs ailes font polées fur leur corps, à peine
font-elles aulfi groffes qu’une grolle tête d'épingle. Avec
une loupe on s’afîiire pourtant de la clalfe à laquelle elles
Pl. 8 . fig. appartiennent; on reconnoît * qu’elles lont de la prc-
& 12 ' miére des clalfcs générales, qu’elles n’ont qu’une trompe
alfés femblable à celle des mouches bleues de la viande,
& quelles font de la première des clafTes fubordonnées à
la clalfe générale, de celle des mouches à corps court.
Elles aiment i’efpécedc lie de vin qui ehdépofée lur les
tonneaux d’où on tire le vin avec un robinet; elles aiment
le marc de raifin qui s’aigrit, & en général elles aiment les
liqueurs qui ont été fucrées lorfqu’elles viennent à s’aigrir.
Des pots où il y avoit eu du miel qui s’étoit aigri, parce
qu’on n’avoit pas daigné le féparer des vers, des nymphes
de mouches à miel, & de ces mêmes mouches qui avoient
péri, foit dedans, foit delîus ce miel; des compottes de
pommes de rambour qu’on avoit aulfi laillé aigrir, m’ont
fourni des mille milliers des mouches dont je v eux parler.
ig.8 &i o. Elles avoient crû fous la forme de vers *, dans ces matières
aigries, & par la fuite elles y avoient paru avec des ailes.
Quand on découvrait le compottier de verre dans lequel
elles étoient nées, on voyoit des nuées de ces petites mou¬
ches s’envoler.
Le corps & le corcelct de cette petite mouche font
jaunâtres. Ses yeux à rezeau font d’un rouge qui n’elt
pas d’une belle nuance, mais qui fait pourtant qu’on les
remarque plutôt qu’aucune des autres parties. Les ailes
qui ordinairement fe croifent fur le corps, ont des cou¬
leurs d’iris. Inutilement ai-je cherché à voir les balanciers;
mais il y a plus d’apparence que leur petitelfe a contribué
des Insectes.//. Mem . 6 3
à me les cacher, qu’il n’y en a que la mouche en l'oit
privée. Les antennes * lont à palette ovale & platte,
comme celles des mouches à forme d'abeilles.
Je n’ai pu m’affurer fi elles font vivipares ou ovipares.
Quoi qu’il en foit, leurs vers * lont blancs & ont deux
crochets parallèles l’un à l’autre en devant de la tête. En
un mot ces vers font femblables, mais très en petit, aux
vers de la viande. Comme ceux-ci auffi, lorfqu’ils lont
en état de fe transformer, ils fe font une coque de leur
propre peau * dont ils fe détachent, fans en lortir. Le
bout antérieur & fupérieur de la coque formée par cette
peau, efl un peu applati & terminé par deux cornes, *
qui probablement font analogues à celles des autres co¬
ques cornues , 6 c à celles des crilalides cornues. Leur
couleur efl feuille morte ou marron, elle efl femblable
à la couleur des coques des mouches de la viande; le
bout poltérieur de la coque a aulfi deux efpéces de
cornes. *
Environ dix à douze jours après que l’infetfle s’cfl
transformé pour la première fois, il efl en état de pa¬
raître avec des ailes; il détache la pièce qui couvrait
cette partie * de la coque que nous avons dit être ap-
platie; il fouléve une pièce platte, au bout de laquelle
les cornes refient ; enfin il fort ailé par cette ouverture.
Nous donnerons encore ici un Supplément à un autre
article du neuvième Mémoire du quatrième volume, à
l’article * où nous avons parlé des vers truffes ; nous avons
décrit & fait repréfenter une efpéce de ver, qui comme
nous, efl friande de cette plante foûterraine; mais nous
n’avons pu faire connoitre la mouche de ce ver, toutes les
mouches que j’aurais dû avoir de ceux de cette elpéce
ayant péri ches moi avant que de s’être métamorpho-
fées pour la dernière fois. Nous avons eu depuis une
* PF. 8. fig.
1 1 Si 12.a,a.
*Fig.8&io.
*Fig. 9&13.
* Fig. I l.c,c.
*F>P‘
* Fig. 14. d.
* Pa S- S7*'
64 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
* Pi. s.fig. mouche des truffes *, dont nous n avons pas eu le ver,
* mais feulement la coque, & cette coque difiéroit, je
crois, de celles que nous avions eues auparavant. Les
truffes font recherchées par plus d’une, & même par
plus de deux elpéccs de vers qui fe transforment en des
mouches à deux ailes : les vers par lefquels elles font
attaquées en hyver & en automne, ne font peut être pas
de fefpéce de ceux qui leur en veulent en été. M. le
Marquis de Gouvernet qui penfe que malgré une très-
grande naiffance, que quoique poffeffeur de terres très-
confidérahies, on peut vivre fans être dévoré par l’ambi¬
tion , qu’on peut mener une vie douce & tranquille, celle
d’un Philofophe, admirer les productions de la Nature,
la forcer à étaler fes plus rares beautés dans les jardins
qu’on prend foi-même plaifir à cultiver; M. le Marquis
de Gouvernet, dis-je, me fit l’amitié de m’envoyer quel¬
ques truffes qui lui étoient arrivées du Dauphiné vers le
commencement de Juillet, parce qu’il y avoit remarqué
des coques de vers. Au bout de douze à quinze jours, il
iortit de chacune des coques qui étoient bien condi-
* Fig. 1 & 2. données, une mouche* qui a quelque reffemblance
avec celle qui dépofe fes œufs fur des excréments hu¬
mains; fon corps comme le corps de celle-cy cft con-
* Fig. 2. tourné en deffous*, mais il cft moins velu. Cette mou¬
che de la truffe a cependant des poils longs , gros
& roides, femés fur le corps, le corcelet & la tête. La
couleur du corcelet & celle du corps, eft un rougeâtre
pointillé de brun. Ses antennes font à palette platte 6e
* Fig. 3. ovale*, & par là cette mouche fè trouve d’un genre
différent de celui de la mouche à laquelle nous venons
dédire quelle rcffemble. Elle cft, au refte, de la première
çlaffe générale des mouches à deux ailes ; clie a une
trompe charnue, & elle n’a point de dents.
Je
des Insectes. II. Mem. 6 5
Je fuis incertain de la forme de la coque d’où cette
mouche fort , & qu’elle sert faite loriqu étant prête à
paffer de l’état de ver à celui de nymphe , elle s’clt déta¬
chée de la peau du ver ; mon incertitude vient de ce
que les mêmes truffes me firent voir trois eipéces de
coques différentes. J’en trouvai de femblables à celles
des vers de la viande, mais plus petites que celles de
ces vers qui fe transforment en groffes mouches bleues.
J’y trouvai d’autres coques, mais très-petites *, qui
avoient deux cornes * placées comme le lont celles des
coques des vers à queue de rat: le bout de chacune de
ces coques avoit line forte de courte queue *; ainfi le
ver qui fe fait cette coque femble devoir être du genre
de ceux à queue de rat. Je trouvai dans les mêmes
truffes une troifiéme efpéce de coque * qui n’avoit point
de cornes à fa partie antérieure, & qui avoit comme
deux mammelons, deux cornes très-courtes à fon bout
poftérieur *. Ces trois efpéces de coques prouvent au
moins, qu’au printemps & en été il y a trois differentes
efpéces de vers qui aiment les truffes, & qui fe tranf
forment en trois efpéces différentes de mouches à deux
ailes. Quand je voulus examiner les coques d’où étoient
forties des mouches, telles que celle qui eff repréfentée
fig. 1 & 2, il s’en préfenta de vuides des trois eipéces, &
qui i’étoiertt apparemment lorlque je les renfermai dans
le poudrier, & celles qui étoient pleines ne contenoient
que des mouches mortes & défigurées.
Je profite de l’efpace qui reffe à remplir dans la hui¬
tième planche, pour faire paroître une mouche à deux
ailes & à corps long *, qu’on trouve fur les charmilles
dès quelles commencent à être couvertes de feuilles.
Les deffeins que nous avons fait faire en grand, de la
tête de cette mouche, montrent que la trompe qui en
Tome V. . I
* PI. 8.
* Fig. j. c, c.
*q.
* Figure 6.
* < 1 > < 7 -
* Fig. ! j.
g 6.
‘ 5 - I 7
t, e, e, i.
* t,
66 Mémoires pour l’Histoire
part, elt autrement conftruite que les différentes efpéces
de trompes de mouches à deux ailes dont nous avons
parlé dans le tome iv. La trompe de celle-cy efl ordi-
*PI- 8 . fig. nairement logée dans un long étui*, qui, tout du long
& en delfus, a une couliffe qui la reçoit, & qui lui per¬
met de l'ortir. Quand cette trompe eflhors de fon étui,
& développée, on voit qu’elle efl compofée de quatre
Fl ’g; I 7 - pièces *, toutes d’une forte de corne, dont une * efl
plus longue & plus forte que les autres ; de deux plus
* e , e. courtes & très-fines *; & d’une quatrième * un peu plus
* i. groffe & un peu plus longue que les deux précédentes,
mais plus mince de plus courte que la première.
La figure 8 nous donne auffi le développement d’une
trompe dont nous ne connoiffions pa$ allés la compofi-
tion, lorfque nous l’avons fait graver dans le quatrième
* Tom. 4 . tome*. Nous nous fournies contentés alors de faire voir
pl 8 -fig 1 '> que fon bout * efl fiait en bec d’oilèau *; mais nous ferons
jy. J remarquer aéfucllement qu’en deffus, depuis l’origine de
*t. cette trompe jufque par delà le tiers de près de la moitié
* Pi. 8. fig. de fa longueur, il y a une couliffe*; que dans cette cou-
18> lilfe font logées trois parties, dont une * plus confidérable
s ' que les deux autres, peut être regardée comme une cfpéce
de langue, de fueçoir femblable au fueçoir de la trompe
* Tom. j.pl. de ces pucerons * qui font fi bien diltingués des autres
zS-fig- p ar j a grandeur démelurée de la leur. Les deux parties
*/, f plus courtes & plus déliées * qui accompagnent le grand
fueçoir, font elles-mêmes apparemment des fueçoirs plus
foibles qui aident au premier.
Le fupplément que je dois au douzième Mémoire du
quatrième volume, a pour objet une matière qui peut
paroître plus intéreffante que celles des fuppléments que
nous venons de donner à d’autres Mémoires de ce même
volume. Lorfque nous avons traité des mouches à deux
des Insectes. //. Merm 6 y
ailes qui ont la forme de bourdons, nous avons fait remar¬
quer les endroits finguliersqu a choifi celui à qui font dues
tant de merveilleules productions, pour faire croître les
différentes eipéces de vers qui fe transforment en diffé¬
rentes efpéces de ces mouches ; nous avons admiré les
mouches qui vont percer la peau de nos grandes bêtes
à cornes , & celle des cerfs, pour femer leurs œufs dans
les chairs de ces animaux ; nous avons vû que de chaque
œuf il fort un ver *, qui fait élever une tumeur * dans * Tcm. 4.
la cavité de laquelle il croît, & du fond de laquelle il rj- 17 -fè - 1
fçaitfe conferver une communication avec l’air extérieur. * p[ 6
Ces tumeurs paroiffent quelquefois en grand nombre fur
le corps d’un même cerf, auffi font elles connues des
Chaffeurs. Ils les fçavcnt habitées par des vers qu’ils
appellent taons. La chiite du bois du cerf efl un phéno¬
mène d’hifloire naturelle très-fingulier, dont les Chaffeurs
ont voulu rendre raifon. Quelques-uns penfent quelle
efl l’ouvrage des vers qui lont logés dans les tumeurs
charnues ; ils prétendent que dans un temps qui précédé
de peu celui de la chute qu’ils veulent expliquer, ces
taons s’acheminent vers le bois, qu’ils parviennent à fa
bafe ou meule, & qu’ils rongent fucceffivement le merrein
ou la perche de chaque corne, à l’endroit où la perche
fort de la meule ; que le bois qu’ils ont comme fcié par
le pied, efl obligé de tomber.
.J’ai fuffifàmment prouvé qu’heureufement pour les
cerfs, ces vers ne fçavent pas faire un pareil voyage; gros
comme ils le deviennent, s’il falloit que ceux qui ont crû
dans des tumeurs placées fur le dos, fur les côtes, lur les
cuiffes & dans d’autres endroits éloignés de la tête, fe
rendiffent en marchant & toujours à couvert, près de
l’origine du bois, ils auroient à faire de cruelles diffeclions
dans les chairs pour s’ouvrir des chemins d’une largeur
68 Mémoires pour l’Histoire
fuffiiante & fort longs ; les chairs du cerf feroient toutes
déchiquetées. Le Mémoire que nous venons de citer,
a appris que chaque ver fe tient dans la cavité de la tu¬
meur qu’il a fait élever, jufqu’à ce qu'il ait pris tout ion
accroiflement ; qu alors il aggrandit l’ouverture qui lui
donnoit une communication avec l’air extérieur; il en
fait une porte ailes grande pour lui permettre de fortir.
Si par laquelle il iort ; que le feul voyage qu’il ait à faire,
eft de fe laiffer tomber doucement à terre, où il fe traîne
enfuite en avant jufqu’à ce qu’il ait trouvé à fe cachera
fon gré fous quelque motte de terre, ou fous quelque
pierre. Ileft donc certain^ très-certain, que ces vers ne
contribuent aucunement à la chute du bois du cerf.
Mais ils ne font pas les feuls vers qui doivent être
nourris par les cerfs, jufqu’au temps de leur transforma¬
tion. il y a une faifon où aifés iouvent l’on en trouve
à chaque cerf beaucoup d’autres réunis enièmble. Les
Chaifeurs ont été apparemment les premiers qui ayent
obfervé ce fait, & ils ont eu fouvent occafion de le revoir.
Quelques-uns d’eux croyent que les derniers vers font
ceux des tumeurs, qui font arrivés à un rendez-vous com¬
mun. Mais au moins prefque tous les Chaifeurs veulent
que ce foient ces derniers vers qui rongent le bois du
cerf, jufqu’à ce qu’ils foient parvenus à le faire tomber.
E'tant réunis dans un même lieu, ils peuvent partir tous
à la fois pour aller de concert fe mettre à l’ouvrage, &
ils ne font pas éloignés de l’endroit où on les veut faire
travailler; car ceux mêmes qui ont mis au plus loin l’en¬
droit où on les trouve, difent qu’ils fe tiennent dans le
col. Le chemin du col au-deffus de la tête n’eft rien
en comparaifon de celui qu’on fait faire aux vers des
tumeurs. Enfin le temps où l’on trouve ces verseflà peu-
près celui de la chûte du bois du cerf
des Insectes. IL Mem. 69
C’elt auffii apparemment fur ces raifons ou plutôt fur
l’authorité des Chaffieurs, que les Auteurs modernes qui
ont traitéde lachaffiedu cerf, attribuent à ces vers la chute
du bois; làns le donner la peine de les confulter, on n’a
qu’à lire l’article du cerf dans le Dictionnaire de Trévoux,
& l’on verra que l’on y rapporte comme un fait certain que
le bois de cerf ne tombe que parce qu’il eft fcié par ces
derniers vers. Le chemin du col à la tête ne laifferoit pour¬
tant pas encore de leur être difficile à faire, & on ne voit
pas à quelle fin ils entreprendroient d’abbattre le bois, &
y parviendraient.
Mais ce n’eft pas affiés pour nier que des chofes fe
faffient dans la nature, que de ne pas connoître le motif
pour lequel elles peuvent être faites. S A. S. M. r le Prince
deConty.à qui les progrès des Iciencesfont chers, a voulu
que je puffie avoir des raifons plus fortes pour détruire un
fentiment très-généralement reçû & très-enraciné. Elle
eut la bonté de me faire dire le q. Mars quelle partoit
pour la chaffie dans l’intention de m’envoyer la tête &
tout le col du cerf qui ferait pris. M. r le Prince de Conty
11e manqua pas de faire couper le col par-delà la dernière
vertebre à celui qui fut la malheureufe vidlime de cette
chaffie, & de faire enlever toute la peau ou nappe, &de
la laiffier attachée au col. S. A. S. fçavoit que cette peau
pouvait me fournir des obfervations. Enfin elle eut juf-
qu’à l’attention de m’envoyer le tout fur le champ. Les
chairs du col ctoient encore chaudes lorfque je me mis
à les diffiequer. Ce fut inutilement que je cherchai des
vers entre les mufcles ou dans les mufcles qu elles coni-
pofoient. On m’avoit mal indiqué l’endroit où je lesdevois
chercher; je me retournai d’un autre côté, je forçai la
mâchoire inférieure pour découvrir jufqu au fond de la
bouche ; mais je n’y apperçûs point de vers : je ne les
yo MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
cherchois pas encore où on peut les trouver. Le véritable
endroit où il les faut chercher, efl pourtant peu éloigné
de la racine de la langue ; mais il eft caché quand on le con¬
tente de regarder en dedans de la bouche. Pour appren¬
dre à mettre cet endroit à découvert , & à le trouver dans le
moment, nous devons dire que le palais du cerf lé détache
de lui-même de la voûte ofïeufe, un peu par-delà la der¬
nière des dents, pour aller fe joindre à la langue. Qu’on
.9.%. coupe tranfverfalement cette portion du palais * près de
q ' l’endroit où elle commence à s’éloigner de la voûte offeu-
fe, & qu’on rejette fur la langue * la partie qui a été
feparée du relie; alors on met en vue une cavité que cette
partie cachoit, & quelle fermoit d’un côté ; celle par où
paffe l’air, qui par les narines & les deux conduits du nez
fe rend au pharinx : fi on regarde le palais, on remar-
e > l - que la fin de la cloifon olfeulè * qui forme les deux con-
c » c • duits du nez *. L’ouverture de chaque conduit, ce qu’il
eft bon de fçavoir pour la fuite, avoit un diamètre tel
qu’un de mes doigts entroit dedans fans y être gêné. Si
on tourne enfuite les regards vers la racine de la langue,
* *. on apperçoit l’ouverture * par laquelle palfe l’air que la
trachée artere porte clans les poulinons. C’elt près de cette
dernière ouverture, c’eft-à-dire, c’elt près du pharinx, & *
par conféquent de la racine de la langue, que le tiennent
les vers dont nous parlons. Je ne tardai pas à en voir dès
q q • que j’eus coupé & abbaifle la portion du palais * dont je
viens de parler. Trois à quatre qui étoient en marche, fe
préfentérent les premiers, & me conduisirent à en trouver
beaucoup d’autres. Je vis de chaque côté une fente oblon-
pp. gue *, qui imitoit affés celle d’un œil, dont la paupière
elt plus d’à moitié, ou prefqu’entiérement abbailfée; un
♦ u. ver * qui fortoit d’une de ces fentes, la tenoit plus ou¬
verte que n’étoit l’autre. Quand après en avoir retiré le
des Insectes. II. Mem. 71
ver, j’y introduifis le doigt, je reconnus quelle étoit
l’entrée d’une cavité remplie de vers qui y étoient amon¬
celles , que les vers étoient logés dans une elpéce de bourlè
de chair. Avant que d’en avoir fait fôrtirles vers, je dé»
gageai par dehors, c’efl-à-dire du côté de la trachée artere,
chacune de ces bourfes, des parties qui la pouvoient cou¬
vrir Leur grofieur& leur figure me parurent celles d’un
ceuf ordinaire de poule. M. Winllow à qui je les fis voir
dans la fuite, les trouva placées à peu-près comme les
amygdales dans l’homme.
Ce (ont au refie de vrayes bourfes charnues ; quand
je les eus vuidées l’une& l’autre des vers dont elles étoient
remplies, je vis qu’on pouvoit, quand on le vouloit, rendre
leur ouverture circulaire, qu elle laifioit paffer ailément
le plus gros doigt ; que lorfque la bourlé étoit vuide.elle
avoit des plis, qui, comme ceux des bourfes ordinaires,
étoient dirigés de l’ouverture vers le fond. Enfin je recon¬
nus que l’on pouvoit retourner ces efpéces de boudes,
c’efi-à-dire, en ramener le fond en tlelfus des bords de
l’ouverture. Le reflbrt des bords, ou une elpéce de
fphinéter peut être, tend à la rétrécir, à la rendre plus
longue que large. Malgré la largeur qui lui peut refier,
elle ne paroît qu’une fente, parce que la partie char¬
nue * qui eft d’un côté, fait 1 office de paupière pour la * P/. 9.%.
couvrir. l ’PP-
Les vers que je trouvai dans ces bourfes, étoient de
grandeurs fort différentes, & par conféquent de différents
âges. Pendant que plufieurs avoient à peine la groffeur
d’une petite ficelle, quelques-uns * ne le cedoient en * Fig. 2.
aucune de leurs dimenfions, à ceux des vers du nez des
moutons dont nous avons parlé ailleurs *. Ils leur refiem- * Tome 4.
Noient auffi par la forme; ils étoient, comme ceux-ci,de ^ an ' X11 '
la clalfe des vers à tête de figure variable, & dépourvûs
72 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
de jambes. J’en tirai 6q. à 65 des bourbes; mais pendant
que je les ramaffois, il y en avoit qui fe difperfoient; j’en
perdis beaucoup des plus petits, je crois que li je les
euffe pris tous, j’en eu lie en plus de cent. Les petits ne
différent des plus gros qu’en grandeur. Ils font blancs,
leur blancheur eft feulement altérée par un grand nombre
de courtes épines rouffeâtres, dont la moitié antérieure
* PI- 9- %-3- de chaque anneau eft hériffée *. En deffous, mais au
* Fig. 4.. c, c. bout de la tête, chaque ver a deux crochets noirs * plus
courbes que ceux des vers du nez des moutons, qui font
enfemble un angle, tantôt plus, tantôt moins ouvert, &
qui ne font jamais parallèles l’un à l’autre. Le ver s’en
fert pour marcher; c’eft fur ces crochets bien crampon¬
nés qu’il fè tire en avant. Les pointes qui les terminent
l’un & l’autre, font roides quoique très fines, & elles le
font à un tel point, que les vers qui les enfonçoient dans
ma main pour marcher, me faifoient des picquûres affés
douloureufes. Ils peuvent faire louftrirle cerf, lorfqu’ils fe
tirent fur fes chairs, pour peu qu’elles foient fenfibles. Lorf-
que j’en voulois détacher de ceux qui s’y étoient crampon¬
nés, j’éprouvois quelquefois une réfiftance qui me faifoit
craindre de les crever fi je m’obftinois à les avoir de force.
Quand je les arrachois, il falloit arracher le morceau de
chair dans lequel les crochets étoient engagés, ou le dé¬
chirer. Leur bouche eft entre les deux crochets près de
leur origine; ce n’eft qu’en preffant fortement le corps
qu’on parvient à la découvrir, qu’on apperçoit une fente
qui eft entre deux efpéces de lèvres ou deux parties char¬
nues, dont la fupérieure faille plus que l’inférieure. Deux
* Fîg. 2 & cornes courtes *, deux efpéces de mammelons charnus
nu font placés fur la tête immédiatement au-deffus des cro¬
chets. L’anneau d’où la tête fort, eft allés large; près de
fa jondion avec l’anneau qui le fuit, il a de chaque côté,
& en
des Insectes. IL Mem. 73
Sc en deffus une petite éminence longuette Je couleur
feuille-morte *. On reconnoît ces deux éminences pour
les deux fligmates antérieurs, dès qu’on les examine avec
la loupe.
Les deux fligmates poftérieurs * font bien plus aifés à
voir; chacun d’eux eft une plaque brune, dont la figure
eft moyenne entre celle d’un croiffant & celle d’un rein
applati. C’eft apparemment dans l’échancrure de chacun
de ces derniers fligmates, qu’eft l’ouverture qui donne
paftage à l’air. Pour prendre une jufte idée de leur pofi-
tion. Sc du moyen que la nature a employé pour qu’ils
ne fufTent pas expofés à être inondés en beaucoup
d’occafions, il faut fçavoir que le corps fe termine par
un appendice charnu *, dans le bout duquel efl l’anus
environné de plufieurs épines courtes & déliées. Cet
appendice a peu d’épaiffeur. Le dernier anneau eft ter¬
miné en certains temps par un plan, qui, comme une
efpéce de mur s’élève au-deffus de l’origine de l’ap¬
pendice, Sc par un plan qui a de hauteur plus des deux
tiers du diamètre de l’anneau. C’eft dans ce plan, dans
ce bout du dernier anneau que font les deux fligmates *
en croiffant. Mais ce plan que nous venons de confiderer
comme perpendiculaire à la longueur du ver, peut s’in¬
cliner plus ou moins *, Sc quand il en eft befoin , s’ab-
baiffer jufqu’à s’appliquer fur l’appendice charnu où eft
l’anus; alors les fligmates fe trouvent renfermés dans une
cfpéce de boîte. C’efl par les parties que nous venons
de décrire, Sc par la figure Sc la difpofition des crochets
de la tête que ces vers différent principalement de ceux
du nez des moutons.
Us différent bien davantage de ceux * qui croiffent fur
le corps des bêtes à cornes, &: fur celui du cerf même,
dans des tumeurs charnues. Outre que ceux des tumeurs
Tome V. . K
+ PI. 9 . fig.
z. S, S.
* Fig. 5 • r, r.
* Fig. 5 . a.
* r ) r.
* Fig. 2. h.
* Terne 4.
pt-37-fê- r
<L7 2.
74 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
deviennent plus gros, c’eft qu’ils ne lont point munis de
crochets femblables à ceux des autres. Au lieu de faire
aller les vers des tumeurs dans la gorge, ou près de la
gorge du cerf, comme le font plufieurs Chaffeurs, il
eut été moins déraifonnable de fuppofer que ceux qui fe
trouvent réunis dans les bourfes charnues, le difperlènt
par la fuite fur le corps pour achever d’y prendre leur
accroiffement, puifqu’entre ceux qui lont dans les boudes
il y en a d’extrêmement petits. Mais cette idée comme
l’autre, fèroit pourtant détruite par les obfervations que
nous avons données fur les vers des tumeurs.
De quelque part que viennent les vers qui fe trouvent
près de la racine de la langue du cerf, la phyfique des
Chaffeurs, qui ici n’eft pas une bonne phyhque, veut
abfolument que ce foient eux qui faffent tomber le bois
du cerf. Ils ne fe font pas embarraffés de nous dire le
chemin que prennent ces vers; fans nous expliquer fi c’efl
à couvert qu’ils arrivent où ils doivent travailler après
s’être fait jour au travers des chairs & des os ; ou s’ils
ne font point de façon de s’expofer au grand jour, s’ils
fe traînent hardiment fur la tête du cerf; fans, dis-je,
s’être embarraffés de nous expliquer la marche de ces
vers, ils les mettent tous en œuvre: ils ne fe font pas
non plus donné la peine d’examiner s’ils étoient pourvus
d’inftrumens propres à l’ouvrage qu’ils vouloient leur faire
* PI. 9.%. faire. Les deux crochets écailleux * dont ces vers font
munis, font de très-bons inflruments, foit pour les aider
à marcher, foit pour les tenir cramponnés contre les
chairs du cerf; mais c’en feroient de fort mauvais pour
abbattre fon bois plus dur qu’ils ne le font eux-mêmes.
Je pardonnerois d’avoir imaginé que ces vers y peuvent
réuffir, s’ils avoient des feies faites fur le modèle de celles
que nous verrons à quelques mouches. Mais comment
des Insecte s. II. Aient. 75
a-t’on pu croire qu’avec des crochets qui ne fçauroient
agir qu’en piochant, des vers puffent venir à bout de
couper des corps aulfi durs & auffi gros que le font les
perches de certains bois de cerfs î Ces crochets eulfent-
ils une dureté fupérieure à celle de la matière qu’ils doi¬
vent creufer, combien faudroit-il de vers employés à un
pareil travail, & pendant combien de temps pour l’amener
à fi fin ! On a imaginé que cela fe faifoit, fans examiner
comment cela pouvoit être fait, fans faire attention que
les vers ne s’aviferoient pas d’agir contre le bois du cerf,
précifement pour rendre de bons ou de mauvais offices à
l’animal qui le porte, que ce feroit pour eux mêmes qu’ils
l’attaqueroient s’ils en avoientbefoin pour fe nourrir; mais
il eft contre toute vraifembiance, que des vers qui n’ont
vécu que des mucofitésque les parties charnues qu’ils ont
habitées, pouvoient leur fournir, ayent befoin enfiiitede
fe nourrir de corne de cerf.
Celui auquel je trouvai tant de vers, eût fiiffi pour
defabufer le Chaffeur le plus obftiné qui fe feroit prêté
à faire les remarques & les réflexions auxquelles ce cerf
donnoit lieu. Une des moitiés de fon bois étoit déjà
tombée, iorfque M. r le Prince de Conty le prit, & S. A. S.
l’en jugea plus propre à me fournir des oblèrvations déci-
fives. La moitié du bois, la perche qui étoit reliée en
place, quoiqu’elle parût bien jointe à làbafe, en fut déta¬
chée par des efforts alfés médiocres. A quoi s’étoient donc
amufés les vers dont les bourfes étoient remplies! Ltoit-
ce le temps où ils dévoient y être tranquilles! N’étoit-ce pas
celui où tous auroient dû en être dehors! le temps où,
après avoir déjà ahbattu une des perches, ils auroient dû
s’être raffemblés autour de l’autre! Mais nous avons déjà
vû que cette dernière étoit prête à tomber, quoiqu’ils ne
lui euffent donné aucune atteinte. La nature ne s’en eff pas
Kij
y6 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
repoféefur eux pour faire tomber ces grands branchages.
Une partie de la peau prolongée qui s’avance fous ie mer-
rein qui doit être détaché , qui y forme un bourlet qui fe
gonfle déplus en plus; cette partie delà peau, dis-je, elt
un meilleur agent, & fèmblable en quelque forte à celui
qui chafle une dent defon alvéole. Enfin, autour dubois
tombé 6 c de celui qui étoit prêt à tomber, on ne pouvoit
oblèrvcr aucun ver, ni aucune de leurs traces, rien de
déchiqueté, aucune fciûre; la partie qui avoit été féparée
dubois tombé, étoit couverte d’une membrane bien l'aine,
qui n’avoit été nullement piochée par les crochets des
vers.
Le bois du cerf tombe donc lans que des vers ayent
travaillé à le faire tomber. Mais je na’apperçois que je
paroîtrai m’être trop arrêté à le prouver, m’être trop
arrêté à combattre un fentiment fi éloigné de lavraifem-
blance & de la vérité ; on me le pardonneroit fi on fça-
voit aufli bien que je le fçais, combien de gens, 6 c de
gens qui méritent Je plus d’être détrompés, font encore
dans cette idée. Je crains de n’en avoir pas encore afles
dit pour leur en montrer tout le faux, pendant que je
crains que les Phyficiens ne me reprochent d’avoir com¬
battu trop férieufement une telle opinion.
Les vrais Phyficiens aimeront bien mieux m’entendre
parler avec admiration des deux bourfes charnues qui l'ont
* pi. placées auprès du pharinx *. Nous ne lçavons pas de quel
i.pbb,pbt. u f a ge elles font à ce grand animal, mais elles lont eflen-
tielles aux vers qui croiflent dedans. Si elles ne font pas
faites pour eux feuls, fi elles fervent au cerf, au moins
celui qui les a faites, 6 c qui a fait les vers qui fe nourriflent
dans leur cavité, fçavoit quelles étoient néceflaires à ces
vers, il leur a appris à s’y tenir. Il y a mis tout ce qu’il
falloit pour qu’ils y fuflent bien. Mais comment ces vers
des Insectes. IL Mem. 77
fc trouvent-ils logés dans ces deux bourles charnues! Ce
11e doit plus être un myltére pour nous, dès que leur
conformation apprend que chacun d’eux doit le trans¬
former dans une mouche à deux ailes. Car fi nous nous
rappelions la hardielfe de la mouche qui va pondre dans
l’anus du cheval, & fur-tout la hardielfe de celle qui va
dépofer fes œufs dans le nez du mouton, nous ne lerons
pas étonnés qu’une mouche aulfi courageufe & aulfi pleine
de prévoyance & de foins pour les vers qu’elle doit mettre
au jour, entre dans les narines du cerf. Fut-elle une des
plus grolfes mouches, ces narines font des ouvertures alTés
grandes pour lui permettre de pénétrer dans les deux
larges conduits du nez; elle peut marcher à l’aife d’un
bout à l’autre de chacun de ces conduits, qui, où il eft
le plus étroit, lailferoit palfer un corps plus gros que le
plus gros doigt. La mouche arrivée au bout du canal
quelle a enfilé, n’a qu’un pas à Lire pour lé rendre à
l’une ou à l’autre des bourles charnues: fi elle elt entrée
dans le nez du cerf, c’eft pour les aller chercher, elle fçait
donc où elle les doit trouver; elle fçait quelle leur doit
confier fes œufs ou fes vers, fi elle efi vivipare.
Ces deux cavités charnues font comme deux efpéces
de matrices defiinées à faire croître les vers de cette eljaéce
de mouche; elles ont au moins de commun avec les ma¬
trices ordinaires, des’aggrandir peu à peu pour offrir une
capacité fuffilante aux vers qui y font logés, & qui y
croilfent. Ce qui me le fait penfer, c’elt encore une
obfervation que M. r le Prince de Conty m’a mis en état
de faire. S. A. S. m’envoya le 1 2 Mars la tète & le col
d’un cerf qui devoit être fort âgé, à en juger par la grof-
feurde la tête; on ne pouvoit pas en juger par l'on bois,
car lorfqu’on le prit, il avoit perdu le lien, & ce n’étoit
que depuis peu de jours. Dans les deux bourles charnues
K iij
y$ MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
du col de ce grand animal, je ne trouvai en tout qu’une
douzaine de vers, cinq, je crois dans l’une, & fept dans
l’autre. Us n’étoient encore que de médiocre grandeur;
auffi la cavité de chaque bourfe étoit beaucoup plus petite
que ne rétoit celle de chaque bourfe de ce premier cerf,
dont les deux enfemble donnoient le logement à près de
cent vers, ou même à plus, & dont plufieurs étoient plus
gros que les vers précédents. J’ai comparé le volume de
chacune de celles-ci à celui d’un œuf ; je mefurai les
autres, &. je ne leur trouvai que 16 à 17 lignes de pro¬
fondeur, & 8 lignes de diamètre à leur ouverture, que
j’avois forcée de s’arrondir.
M. r le Prince de Conty avant que de m’envoyer la
dernière tête, m’avoit encore envoyé celle d’un cerf beau¬
coup plus jeune, une tête d’un de ceux qu’on nomme
des daguets; je ne lui trouvai aucun ver, & à peine aufft
pus-je lui trouver des bourfes charnues. Les narines &
le nez des grands cerfs, offrent aux mouches des chemins
plus commodes que ceux des narines & du nez des jeunes
cerfs. D’ailleurs les jeunes cerfs ont de plus petites bourfes
charnues. La mouche, qui fçait prendre fes avantages,
ne sadreffe donc pas à ceux-ci, ou elle ne le fait que
dans la nécefhté. Au refte, les différentes grandeurs des
vers que nous avons trouvés dans les bourfes charnues
du premier cerf, nous indiquent que ces vers étoient de
différents âges, &nous en devons conclurre que la mou¬
che avoit fait fa ponte en plufieurs jours, ou que plu¬
fieurs mouches vont dans différents jours pondre au fond
de la bouche d’un même cerf.
Quand les vers ont pris tout leur accroiffement dans
les bourfes; quand le temps de leur transformation ap¬
proche, ils fçavent fans doute enfiler les routes par les¬
quelles a paffé la mere qui leur a donné naiffance ; ils
des Insectes.//. Mem. 79
font près des ouvertures intérieures du nez, ils s’y rendent;
ils arrivent aux narines, & ne fe font pas apparemment
plus d'affaire de tomber à terre que s’en font les vers du
nez des moutons, & que s’en font les vers qui fortent des
tumeurs de la peau des bêtes à cornes & de celles des cerfs
mêmes. Les Piqueurs dilënt qu’ils voyent quelquefois des
cerfs cracher de ces vers. Ils pourroient bien le méprendre,
croire que des vers qui fortent du nez, fortent de la bou¬
che; mais il peut fe faire auffi que des vaiffeaux rompus
dans un cerf aux abois, inondent de fàng les vers, &que
ceux-ci fe déterminent à s’échapper en confufion, que
quelques-uns prennent alors la route de la bouche, quoi¬
que la plus difficile & la moins fûre.
Au relie, tout ce que je viens de dire n’ell fondé que
fur l’analogie, car je ne fuis pas même parvenu à avoir
cette mouche qui a été inltruite à choilir un lieu fi fin-
gulier pour y aller faire les œufs. Les vers qui par leur
transformation auroient dû me donner des mouches de
l'on efpece, n’étoient pas encore à terme lorfque je les
tirai de leurs logements. Entre ceux que je trouvai au
premier cerf, il y en avoit pourtant quatre beaucoup
plus gros que les autres, & qui paroiffoient proche du
temps où ils fe dévoient métamorphofer. Je les mis fépa-
rement dans un poudrier rempli à moitié de terre; ils fe
traînèrent pendant deux à trois jours fur la terre, ils y
furent dans un mouvement continuel. Au bout de ce
temps deux des vers devenus bruns s’allongèrent & s’np-
platirent, je jugeai avec raifon qu’ils étoient péris; mais
les deux autres, en changeant de couleur, conferverent
leur figure arrondie. Leur peau devint dure, en un mot
telle qu’ell celle des vers des tumeurs, & celle des vers
du nez des moutons, qui ont fubi leur première méta-
morphofe, qui fe font fait une coque de leur peau. La
80 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
* PI. 9. fig.6. coque * des vers du cerf reffembloit même à celle des
vers des tumeurs, en ce qu’elle étoit un peu concave du
côté du dos, 6c en ce que le côté du ventre avoit pris
une convexité qu’il n’a pas naturellement. Ces vers du
cerf fe transformèrent donc: leur peau devint une coque,
de laquelle je m’attendois à voir fortir une mouche; mais
après l’avoir attendu inutilement pendant près de trois
mois, j’ouvris les deux coques, 6c je trouvai que les in¬
fectes étoient péris dans l’une & dans l’autre, fans avoir
pu parvenir à fubir leur dernière métamorphofe : l’aliment
leur avoit été fouflrait trop tôt. J’ai lieu d’efpérer que
S. A. S. M. r le Prince de Conty me mettra en état l’année
prochaine de rendre mes obfervations plus complettes,
qu’elle voudra bien me procurer encore des têtes de cerfs,
dont quelqu’une me pourra fournir quelque ver qui fè
transformera dans une mouche qu’on doit avoir envie de
connoître, 6c qui eft fûrement de la claffe de celles qui
n’ont que deux ailes.
EXPLICATION DES FIGURES
DU SECOND MEMOIRE.
Planche VII.
La Figure 1 repréfente un de ces vers qui deviennent
des mouches de Saint-Marc, groffi à la loupe ; on le peut
voir dans fa grandeur naturelle Tome 4. Mem. iv. pl.
14.. fig. 8.
La Figure 2 fait voir une nymphe qui a commencé à
fe tirer de la peau d’un ver fcmblahle à celui de la figure r.
a, la tête du ver. c, le corcelet de la nymphe qui s’élève
au-defîus de la peau qui a été fendue. L’endroit où la
fente
des Insectes.//. Mem. 81
fente (e termine, d, la partie de la peau, hors de laquelle
le corps de la nymphe s’eft déjà tiré.
Dans la Figure 3 , la nymphe eft prête d’achever de
fortir de fa dépouille, qui eft pliflee en d. a, la tête du
ver. e, celle de la nymphe.
Les Figures 4. & y font celles de la nymphe de
grandeur naturelle; on en voit le deflbus dans la figure
4, & on en voit le deftus & le côté dans la figure y.
Dans cette dernière figure, le corcelet c la fait paroître
boftue.
La Figure 6, eft la figure y groiïie à la loupe.
Les Figures 7 & 8 font celles d’une mouche de
Saint-Marc fortie d’une des nymphes précédentes. Elle
eft de grandeur naturelle dans la figure 7, & groftie
dans la figure 8. La mouche de ces deux figures eft une
fémelle.
La Figure 9 fait voir la mouche qui eft le mâle de celle
de la figure 8 dans fa grandeur naturelle, & ayant les aîies
fur le corps.
La Figure 10 nous montre la mouche de la figure 9
grol'fie, & dont les ailes laiftent le corps à découvert.
La Figure 1 1 repréfente très en grand la mouche mâle
des ligures 9 & 10, & vûe par-deftous. a, a, fes antennes.
b, b, deux barbillons, i, ï, yeux à rezeau, qui font velus,
& beaucoup plus gros que ceux de la fémelle, aufti la tête
de celle-ci eft plus petite que celle du mâle. I, /, les ailes
coupées, m, m, les balanciers, cy, le corps dont les anneaux
diminuent de diamètre depuis le corcelet jufques en y.
La Figure 1 z nous fait voir la mouche de Saint-Marc,
Tome V. . L
82 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
femelle groifie clans la même proportion qne te mâle l’eft
dans la figure précédente, & de même par-deftbus. a,a, les
antennes, b, b, les barbillons. i,i, les yeux à rczeaufente
de la bouche. I, l, les ailes, m, rn, les maillets ou balan¬
ciers. cp, le corps dont les anneaux ont cntr’eux des pro¬
portions differentes de celles du corps du mâle, figure i i.
La Figure i 3 eft celle du bout du derrière du mâle
extrêmement grofti. c, c, deux crochets qu’on l’oblige
de montrer lorfqu’on lui prefle le ventre, & avec lefquels
il faifit la férnelle. m, partie qui caraétérife le mâle.
La Figure 14 fait voir par-défions le bout du corps
de la férnelle, très-grofli. En a , eft l’anus; & en u, eft la
fente deftinée à recevoir la partie propre au mâle.
La Figure 1 5 montre la tête du mâle groiïie & vue
par-deftus, & la Figure 16 montre celle de la férnelle
grofiic proportionnellement, & vue du même côté. Les
mêmes lettres marquent les parties femblables de l’une
Si de l’autre, a , a , les antennes, b, b, les barbes qui en
b font un coude pour revenir en deflous. i, i , les yeux
à rezeau qui occupent tout le deftus de la tête du mâle,
& feulement une partie du deflus de celle de la férnelle.
y les trois yeux liftes.
Les Figures 17 & 18 représentent des mouches de
Saint-Marc accouplées. Elles ne font vues qu’en dcftiis
figure 1 5 , & on les voit en deftus & de côté figure 1 6.
7 )i , le mâle. Z', la férnelle.
La Figure 19 eft celle d’une jambe de mouche de
Saint Marc, très-groftic. Le pied eft terminé en p, par
des pelottes femblables à celles des mouches de la viande.
<f., e, deux épines.
DES I N S E C T E s. IL Mem. 83
Planche VIII.
Les Figures 1 & 2 font celles d’une même mouche
fortie à la fin de Juillet de la coque d’un ver qui avoit
vécu d’une truffe de l’année; elle eft vûepar-deffus figure
1, & de côté figure 2.
La Figure 3 repréfente en grand une antenne de la
mouche précédente. C’efl une antenne à palette.
La Figure 4. montre dans fa grandeur naturelle une
coque de ver que j’ai trouvée dans les mêmes truffes qui
ont donné la mouche précédente , & cette coque cff
groffie dans la figure 5. On y voit deux cornes c, c,
ôi une queue q , propre à faire croire que cette coque
eft celle d’un ver à queue de rat, & par conféqucnt, qu’il
y a des vers de ce genre qui mangent les truffes.
La Figure 6 eft encore celle d’une coque de ver que
j’ai trouvée dans les mêmes truffés où étoient les coques
telles que celles de la figure précédente, b, bout antérieur
de la coque, q, q , deux efpéces de cornes qu’elle avoit
à fon bout poftérieur. Enfin, j’ai trouvé dans les mêmes
truffes des coques femblables à celles des vers de la vian¬
de; & j’ignore fi c’eft de ces dernières, ou d’une telle
que celle de cette figure 6, que les mouches des figures
1 & 2 font forties.
La Figure 7 fait voir dans fa grandeur naturelle une
très-petite mouche qui fe multiplie prodigieusement dans
les liqueurs fucrées qui fe font aigries.
La Figure 8 eft celle du ver de cette mouche, &
la figure 9 celle de la coque que ce ver fe fait de fa
peau.
84 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
Dans les Figures 10, 1 1 , 12 , 1 3 & 14, les figures
1, 2 & 3 paroilTent en grand.
La Figure 10 eft celle du ver de la figure 8.
Les Figures 1 1 & 1 2 font voir la mouche de la figure
7, qui a l'es ailes croilees fur le corps dans la figure 1 i,&
qui les a écartées du corps dans la figure 12.
La Figure 1 3 cfî celle de la coque que le ver des figures
7 & 1 o le fait de fà propre peau, c, c, deux cornes qui font
à la partie antérieure de la coque. p,p, deux autres cornes
qui font à la partie poftérieure.
La Figure 14 elt celle de la coque précédente vue de
côté, & dans le temps où la mouche en eft fortie. d, pièce
qui a été foiilevée par la mouche, & qui lui a lailfé une
ouverture qui lui a permis de fe tirer de fa prifon.
La Figure 1 5 eft celle d’une mouche à corps long qu’on
trouve au printemps fur les charmilles.
La Figure 16 repréfente en grand & de côté la partie
antérieure de la mouche précédente, a, a, les antennes
femblables à celles des taons de quelques elpéces ; mais
la ftruéïure de la trompe elt différente de la Itruéture de
la leur .f, le fourreau de la trompe, t, la trompe.
La Figure 17 montre la trompe de la figure précédente
hors de Ion étui, & toutes les parties qui la compofent.
f l’étui de la trompe, t, e, e, i, les quatre parties dont la
trompe elt compofiée.
La Figure 1 8 repréfentc très en grand la trompe d’une
mouche qui eft gravée planche 8. figures 1 1, .1 2, 1 3 & 14
du quatrième volume, 6c que j’ai appellée afTés impropre¬
ment mouche à tête en trompe. La ftruéturc du bout de
des Insectes. IL Mem. 8 ;
cette trompejy eft bien développée figure 14.. Ce bout ell
fait en bec ; mais le refte de ce qui entre dans la ftruéture de
cette trompe, n’y eft pas expliqué, & cette figure 18 eft
faite pour ftippléer à ce qui manque à celles que je viens
de citer, t, bout de la trompe fait en bec d’oifeau. c, ai¬
guillon , langue ou efpéce de fucçoir analogue à celui des
pucerons à longue trompe *-ff accompagnements du
fucçoir. g, couliffe dans laquelle fe loge le fucçoir avec
fes accompagnements.
* Tom. j>.
pl.28.fg. $,
6, îf c.
Planche IX.
La Figure 1 reprefente une tête de cerf qui a été pré¬
parée, & diipofée pour faire voir les bourfes charnues dans
lefquelles croiftent les vers auxquels les Chafteurs attri¬
buent la chute du bois. ?n, la mâchoire inférieure qui a
été forcée, g f, la langue, qq, portion du palais, qui a
été coupée & détachée vers e de la voûte offeufe contre
laquelle elle étoit appliquée, o o , mâchoire fupérieure.
le l, partie de l’éminence offeufe qui divife en deux la
cavité du nez félon fa longueur, c, c } les deux conduits
qui fe rendent aux narines, x } ouverture qui donne palîàge
à l’air pour entrer dans la trachée artere. f b p, p bp, les
fentes des deux bourfes. p p, la partie qui, comme une
paupière, recouvre l’ouverture de la bourl'e. u, ver qui fort
d’une des bourfes.
La Figure 2 eft celle d’un ver tel que celui marqué u,
figure 1, un peu plus grand que nature, m, m, fes cornes
charnues polées au-deftbus des crochets qu’on ne voit
point ici, parce qu’ils font recourbés en deffous./j f, les
ftigmates antérieurs, a, l’anus, b, portion du dernier anneau
au-deffous de laquelle font les ftigmates poftérieurs, &
qui les cache actuellement.
L iij
86 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
Dans la Figure 3, on fait voir en grand la portion
fupérieure d’un anneau pour montrer la pofition, &. la
direction des épines dont il eh hériiïe.
La Figure 4 montre la partie antérieure du vergrofile
à la loupe, c, c, les deux crochets écailleux. m,m, les cornes
charnues.
La Figure 5 repréfente le bout poflérieur du ver vû
de face, a, appendice charnu qui eh du côté du ventre, &
au bout duquel eh l’anus, r, r, les deuxhigmatespohérieurs.
11, partie du dernier anneau qui peut s’avancer comme
dans la ligure 2, ou davantage, qui peut s’étendre & s’ab-
haifler jufqu’à s’appliquer fur l’appendice a; alors elle
couvre les higmates r, r.
La Figure 6 eh celle de la coque que le ver de la
ligure 1 lè fait de fa propre peau, lorlqu’il veut fe trans¬
former.
If a. Hasard S su//.'
/y - p<\i? 8f M*m i e/e !M.rf .{^j tnsr.-frj T\r.
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des Insectes. III. Mem. 87
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TA O IS 1 E ME MEMOIRE,
ET LE PR E M I E R
SUR LES MOUCHES
A OU AT R E A I S L E S
DES FAUSSES CHENILLES,
ET DES MOUCHES A SCIE,
Dans lefquelles clics fe transforment.
L Es mouches à quatre aîles, pour l’hiftoire defquelles
nous allons commencer à donner des Mémoires, ont
été diftribuées en quatre claffes générales, lorfque nous
avons cherché à mettre les mouches en ordre *. Nous
avons compolë la première de ces clafTes des mouches
qui n’ont qu'une trompe qui n’eft point accompagnée de
dents; la fécondé des mouches qui ont une bouche fans
avoir des dents; la troifiéme des mouches qui ont une
bouche munie de dents ; & la quatrième des mouches qui
ont une trompe, N qui, de plus, ont des dents. Quand nous
traiterons d’un genre de mouches à quatre aîles, nous 11e
manquerons pas de dire à laquelle de ces clalfes il appar¬
tient ; mais nous n’avons pas cru devoir nous alfervir à
parler de fuite de tous les genres de la première dalle, ni
de même de ceux qui appartiennent à chacune des trois
autres: nous avons penfé qu’on aimeroit mieux "voir un
genre de mouche placé après celui auquel il reffemble par
quelque induftrie, ou parles foins qu’il prend foit pour fes
oeufs, foit pour fes petits, que de trouver l’un auprès de
* Tome 4.
Mem. m.
88 Mémoires pour l’Histoire
l’autre deux genres qui ne le rcffembleroient que parce
qu’ils auroient, ou n’auroient point de dents On s’écarte
du véritable ordre, quand on ne fuit pas celui qui peut
faire prendre plus d’intérêt pour les connoiffances qu’on
veut faire acquérir ; quand on en fuit un mieux fym-
métrifé & plus régulier en quelque forte, mais qui jette
plus de féchereffe dans l’ouvrage: il faut, s’il elt poffi-
ble , faire naître le defir d’être inflruit à ceux qu’on veut
inftruire.
On peut fe fouvenir que fous chacune des quatre
■ Tom. 4. claffes générales, nous en avons placé trois autres *, qui,
A 7/1. ni. quoiqu’elles ne différent pas entr’elles par des caraéîéres
auffi cffentiels que ceux des premières, ont l’avantage
d’avoir chacune un caraélére, qui, pour être apperçû,
n’engage à aucun examen. Avant quenousayons pris une
mouche, lorfqu’elle eft pofée, ou quelle vole affés près
de nous, nous pouvons voir fi fon corps cft long, ou fi
fon corps eft court; fi fon corps efi bien appliqué contre
le corcelet, ou fi ce corps ne tient au corcelet que par
une efpéce de fil. Nous avons fait une claffe lubordonnée
des mouches qui ont le corps court ou en elliplotde; une
autre des mouches qui ont le corps long ; & une autre des
mouches dont le corps foit long, loit court, ne tient au
corcelet, & n’y paroît tenir que par un filet. Il s’eft trouvé
heureufement que nous pourrons traiter de fuite des dif¬
férents genres de mouches qui appartiennent à chacune
de ces trois claffes fubordonnées, fans nous éloigner trop
de l’ordre dans lequel les faits les plus intéreffants que
nous avons à rapporter, demandent que nous parlions
des différentes mouches à quatre ailes. Nous commen¬
cerons par les. mouches à corps court, à corps dont la
figure tient de 1 ’elliplbïclc, ou de celle d’une olive. Et
les mouches auxquelles nous avons donné le nom de
mouches
des Insectes. If T . Mem . 8 9
mouches à fcie, parce que toutes les femelles de ce genre
en ont une faite avec un art admirable, font celles que
nous ferons paroître les premières. •
Dès le fécond Mémoire du premier volume, lorfque
nous avons voulu faire connoître les principales variétés
qu’offre l’extérieur des chenilles, nous avons été obligés
de parler du genre de vers auquel nos mouches à lcic
doivent leur origine. Ces vers ont tant de reffemblance
avec les chenilles, que nous nous fommes trouvés alors
dans la néceffité d’apprendre qu’ils en différoient effen-
tieilement, & en quoi ils en différoient, de crainte qu’on
ne prit pour des chenilles, des infeétes qui nedoivent point
fe transformer en papillons, & qui doivent devenir des
mouches. Nous les avons appellés fauffes chenilles *, * Tome r,
ik ils ont été regardés comme de véritables chenilles par Mmu 1 u
de très habiles obfervateurs. Jungius a fait mention de 1 °' 7i '
trois efpéces de ces vers fous le nom de chenilles, dont
deux vivent des feuilles de grofelier, & d’une troifiéme,
qui vit de celles de l’ancolie. Goedaert dans fes obferva-
tions, 7 i.° 77. lettres a ir b,Z pris auffi pour deux che¬
nilles, deux fauffes chenilles; quoiqu’elles euflent trompé
fou attente, quoiqu’au lieu des papillons qu’il croyoit en
devoir lortir, il en eût vû fortir des mouches, ces deux
mouches ne le defabuferent point, & n’ont point defabufé
fon fçavant Commentateur, Lifter. Ce dernier qui fçavoit
bien que les chenilles ne dévoient donner que des pa¬
pillons, a cru que les deux mouches que Goedaert avoit
deffmées, étoient des ichneumons qui avoient vécu de
l’intérieur des deux chenilles; elles étoient néantmoins
les deux mouches dans lefquelies s’étoient transformés
les deux vers que Goedaert avoit eu tort de croire d( s
chenilles.
II eft vrai que ces vers ont des reffemblances avec
Tome V . M
P!
*
1 & 2
90 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
* PI. 10. fig. les chenilles, capables d’en impolér. Leur corps * oblong
Pi° f/fiJ 1 & f^h comme celui de beaucoup de chenilles, eft couvert
12 & 13. ’ d’une peau de la confiftance de celle des chenilles ; lur la
Pl + i Mi»’ P cau de ceux de beaucoup d’elpéces *, on voit des cou-
11 J 0 leurs differentes & différemment diffribuées comme fur
la peau des chenilles razes. Le corps des uns comme celui
des autres, eff porté par des jambes de deux elpéces diffé¬
rentes, par des jambes écailleufes & par des jambes ment*
braneules; mais les faulfes chenilles ont bien plus de celles-
ci , que n’en ont les chenilles. Les unes & les autres ont
un nombre égal de jambes écailleufes, fix. Les chenilles
les mieux pourvûes de jambes membraneulés en ont dix.
Se les faulfes chenilles qui en ont le moins, en ont douze.
D’autres en ont quatorze, d’autres en ont feize, & je ne
fçais fi quelques-unes n’en ont pas dix-huit. D’ailleurs, les
jambes membraneulés des fauffes chenilles ne font point,
comme celles des chenilles, armées de crochets, ou de
crochets femblablement difpoffés. Cette différence de ftru-
élure a déjà été expliquée ailleurs *.
Mais avant que d’avoir examiné le nombre des jambes
membraneulés, & leur conformation, au premier coup
d’œil on peut très-bien s’affurer fi 1 inlééle qu’on voit
eft une chenille, ou s’il eft une fauffé chenille, dès qu’on
a fait une fois attention à la différence confiante qu’il y
a entre la figure de la tète des fiulfes, & la figure de la
tête des véritables chenilles. Dans les différentes efpéces
de ces dernières, on trouve à la vérité des têtes différem¬
ment conformées, déplus & de moins applaties, de plus
ou de moins allongées, de plus ou moins aiguës, de
reffèndues par-deffus, &c. Mais la tète de toutes ou de
prelque toutes les faufTes chenilles, eft faite fur le même
modèle, & fur un modèle fur lequel aucune tête de che¬
nille n’a été formée ; elle eft courte & arrondie , elle a
* 7 cm. 1.
des Insectes. III . Mem. 91
«ne forte de fphériçité *. Si elle e/t un peu applatie en * Tome r .
devant, le crâne au moins e/l fphérique, Les têtes des A ^" 1 -
fauffes chenilles, 6c fur-tout les têtes qui font noires ou ij .
brunes, comme elles font pour la plûpart, reffemblent
aux têtes de Mores. La tête des fauffes chenilles n’a de
chaque côté qu’un oeil allés gros pour être diffingué à la
vite /impie, 6c la tête de la chenille a de chaque côté cinq
à fix yeux arrangés fur plus d’un demi-cercle, & on
ne les apperçoit guéres li on ne les cherche avec la
loupe. La üruélure de leur bouche relfemble fi fort à
celle de la bouche des chenilles, qu’il fuffit d’avoir averti
de cette relfemblance. Elles ont aulfi des ffigmates placés
comme ceux des chenilles, mais lôuvent plus difficiles à
découvrir.
Le nombre des jambes qui varie dans des faulfes che¬
nilles de différentes efpéces, fournit des caraéléres com¬
modes pour les di/tribuer en quatre ou au moins en trois
claffes ou genres premiers. On aura uneclaffe compofée
de celles qui n’ont que 18 jambes *. Une autre com- * pi.
pofée de celles qui en ont 20 *. Une autre compofée
de celles qui en ont 22 *. Une quatrième claffe fera 1 .a,b,\]<L
compofée de celles qui ont 24. jambes; car je crois avoir * p j^
obfervé ce nombre de jambes à quelques-unes, entr’autres pf. c , 3
à une fiuffe chenille de l’alliaire, qui eft raze, 6c qui a tout
du long du dos une bande brune, 6c de chaque côté une
bande grife. Nous ne placerons pas pourtant les fauffes
chenilles dans ce Mémoire fuivant cette divifion ; nous
ne nous propofonsde rapporter que cequ’elles nous ont
fait voir de plus remarquable, fans nous embarraffer de
parcourir toutes leurs elpéces, ce qui demanderoit peut-
être autant de volumes que nous en avons donné aux
chenilles, 6c qui feroit un ouvrage peu agréable.
Il y en a beaucoup d’elpéces, dont tout le corps e/l
M ij
92 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
d’une feule couleur. Il y en a des efpéces entièrement
blanches, d’autres entièrement noires, d’autres vertes; les
vertes même font les plus communes. D’autres font ar-
doifées, d’autres d'un bleu qui approche de celui de la
fayence. Enfin, il y en a qui fur des fonds de différentes
couleurs, ont des rayes & des "taches différemment colo¬
rées & différemment diftribuées. A mefure que nous
aurons occafion de parler de quelque efpéce de fauffes
chenilles, nous en aurons une de donner des exemples
de ces variétés.
Mais nous devons apprendre dès à prefent, que dans
certaines efpéces, chaque fiaufTe chenille eff liijette à une
variation de couleur très-remarquable. Comme les che¬
nilles, elles changent toutes de peau, elles quittent des
dépouilles très-coniplettes, & plufieursfois dans leur vie,
comme l’a très-bien obfervé M. Vallifnieri; & elles s’en
défont de la manière dont nous avons expliqué ailleurs
que les chenilles le défont de la leur. Les fauffes chenilles
de certaines efpéces, après leur dernière mué, après avoir
quitté la dernière des dépouilles qu’elles peuvent quitter
fans paroître transformées, font tout autrement colorées
quelles l’étoient auparavant. Comme nous ne diftinguons
fouvent les uns des autres des inlèifles qui ne différent
qu’en efpéce, que par la couleur de leur habillement,
pour ainfi dire, certaines faufTes chenilles deviennent
abfolument méconnoiffables après leur dernière mue.
Telle fauffe chenille qui auparavant avoit un habit, une
peau dont les couleurs étoient agréablement mêlées, fe
trouve enfuite couverte d’une peau d’une feule Si unique
couleur, & différente des couleurs qui paroient la peau
précédente. Dans leurs premiers âges, ces fauffes chenilles
ont des habillements recherchés, Si dans leur âge de
jnaturité, elles en ont de fimples. Les feuilles du bureau
des Insectes. III. Mem. 93
&defhieble en nourrifïent une *, dont le fond de la cou- * pi. io.fig.
leur eft verdâtre, mais qui a tout du long du dos une I2,
large raye brune. Dans la mue cette fauffe chenille perd
fa raye brune, & elle devient par-tout d’un jaune-pâle,
tel que celui de quelques gommes.
Une fauffe chenille * grande comme une chenille de * PI. 15. fig.
grandeur médiocre, qui vit fur la fcrophulaire, eft une de
celles qui font remarquables par cette fingularité; jufques
à ce qu’elle ait pris à peu-près tout Ion accroiffement,
le fond delà couleur de fa peau eft un gris-blanc qui tire
fur le gris de perle ; des taches d’un brun prefque noir,
pofées afTés près les unes des autres, & bien alignées,
forment fur fon corps des rayes qui vont «le la tête au
derrière ; elle eft piquée de quantité de taches beaucoup
plus petites que les précédentes, & de chacune defquelles
part un poil noir. Toutes ces taches & ces poils noirs
diftribués fur le fond d’un joli gris, font un effet agréa¬
ble. Après fa dernière muë cette fauffe chenille *eft cou- * Fig. 14. &
verte d’une peau d’une couleur verdâtre, qui a une foible 1 s*
teinte de couleur de chair. Cette fauffe chenille fe roule
volontiers en fpirale dès qu’on la touche*; elle eft de la * Fig. 15.
troifiéme claffe, elle à 22 jambes; fon quatrième anneau
eftlefeul qui en foit dépourvu. Ses jambes membraneufes
font des mammelons dont le bout eft réfendu, & n’a point
de crochets.
Le changement de couleur n’eft pas le feu! qui foit
remarquable après la muë, fur l’extérieur de ces chenilles,
& fur celui de beaucoup d’autres. Leur dernière peau
eft ridée, & de manière que leur corps paroît compofé
d’un prodigieux nombre d’anneaux ou de fibres annu¬
laires . 4 Fjg_ r
La Lyfïmachie m’a fourni un aftcs grand nombre de
fauffeschenilles à 22 jambes, qui, dans certaines pofttions,
M iij
* PI. I O. fig
J*
» PI. tî.fig.
7 & 8; 13
& 14.
* Fig. 7.
*Fig -9 &10.
* Fig. 13.
* Fig. ! 4. &
ï î-
94. MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
paroi Aient cl un gris-bleuâtre, & qui après avoir mué font
d’un verd-jauneutre.
Une faulfe chenille * qui fe nourrit des feuilles de
grolèlier, & qui a 22 jambes dilpolées comme celles
de l’elpéce précédente, avant la dernière mue a le fond
de fa couleur d’un verd-céladon mêlé avec un peu de
jauneâtre; les premiers & les derniers anneaux ont plus
de ce jauneâtre que les autres; elle a un grand nombre
de tubercules noirs qui la rendent comme chagrinée.
Dans la dernière mue elle perd tous ces tubercules. La
nouvelle peau dont elle eü couverte, eft lilfe 6c d’un blanc
qui a une teinte de jaune, & les deux premiers & les deux
derniers anneaux font d’un jaune preique citron.
D’autres fauiïes chenilles deviennent encore plusmé-
connoifiables par leur dernier changement de peau, que
celles qui perdent des tubercules. Il y en a d’épineufes *,
& qui font ornées par la forêt d’épines qui les couvre;
car ces épines font pofées fur le corps fort proche les
unes des autres, &avec fymmétrie. Ces dernieres faufies
chenilles font petites, aulfi faut-il confidérer leurs épines
avec la loupe pour voir plus nettement leur figure, qui
efi digne d’être oblèrvée. J’ai trouvé plufieurs fois fur le
chêne une de ces faufies chenilles * à 22 jambes, dont
le corps efi légèrement lavé de verd. Les épines qui s’en
élevent, font noires; chacune de ces épines le termine par
une fourche *, près de fon bout elle fe divife en deux
branches, qui finiflent par une pointe déliée.
Sur le prunier fauvage, j’ai trouvé une autre faufic
chenille * que j’ai nourrie de feuilles de prunier franc,
dont le corps d’un verd aiïès foncé efi couvert d’épines
blanches. Le bout fupérieur de la tige de chacune dç
ces épines, jette deux branches * égales entr’elles, & auflî
longues ou plus longues chacune que la tige même ; ces
des Insectes. III . Mem . 95
branches le courbent un peu en embas. L épine a une
figure moyenne entre celle d’un Y très-écraié, & celle
d’un T. Les deux branches deviennent pourtant de plus
en plus pointues en s’éloignant de ieur origine.
Les faufïes chenilles de l’une * & de l’autre de ces * Pï.12. %
efpéces , ne montrent plus aucun vertige de leurs 11 &1 —
épines fmguliéres fur la peau qui les couvre après leur
dernière mue, leur peau alors ert parfaitement raze &
liffe.
Les faillies chenilles de plufieurs efpéces ne font éten¬
dues que lorfqu elles marchent ou quelles mangent. Dans
leur temps de repos elles font roulées*; leur tète ert au * pi. 13.Bg.
centre du tour ou du tour & demi de fpirale que forme 2 & * 3 *
leur corps, & ces tours lont fur le même plan. D’autres
fauiïes chenilles, & entr’autres une verte du rolîer *, fe *pj.
roulent d’une façon plus finguliére, elles font environ 20 & 2l »
deux tours de fpirale qui ne font pas fur un même plan;
la tête ert à la circonférence du rouleau, & la queue ert:
au centre; mais elle ert la partie la plus haute, elle s’élève
comme s’élève le bout d'un barillet de bougie prêt à être
allumé.
D’autres fautes chenilles ont, pendant qu’elles man¬
gent, des attitudes variées, & tout-à-fait fmguliéres*; elles * pj. 3 r.Sg.
attaquent les feuilles par le bord, elles tiennent entre b- 6 -pâ¬
leurs fix jambes écaiUeufes iepaifîeur de la feuille; ainfi 1 ’ r ’
cramponnées, elles font paffer une petite portion de la
feuille entre leurs dents, qui ne manquent pas de détacher
d’un feul coup la partie qu’elles rencontrent. Le rerte
du corps ert en l’air, êc contourné en différents temps,
de cent façons différentes, la plûpart très-bizarres. La
partie poftérieure fe releve tantôt plus, tantôt moins
au-deffus du rerte du corps, Sc en prenant des contours
variés: quelquefois le corps ert: prefque renverlé fur la
9 6 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
tête; alors toute la partie du ventre à laquelle tiennent les
jambes membraneufes , eft en haut.
Il y a de ces faulfes chenilles finguiicres par leurs
attitudes , 6 c par la façon dont elles les varient, qui
fembient vivre en focieté, elles attaquent en Amble une
même feuille. Plus de trente faulfes chenilles .ont quel-
* PF. ir.%. quefois * arrangées autour de la même feuille d’olier.
Toutes y font occupées à la ronger, & donnent dans un
même inftant le fpeéîacle des attitudes variées dont nous
venons de parler. Le fond de la couleur de celles-ci elfc
un blanc-verdâtre, fur lequel des rayes d un brun prelque
noir font difpofées de la tête au deriiére. Elles loht de
la fécondé clafife, de la claffe de celles à 20 jambes ; le
quatrième 6 c le onzième anneau en manquent. Tant
d’infeétes qui agiflent à la fois contre une même feuille,
l’ont bientôt entièrement mangée; chacune avance dans
l’entaille quelle a faite; elles épargnent pourtant lagrolfe
côte de la feuille, 6 c les principales nervûres. On voit
quantité de brins des ofiers fur lelquels elles fe font éta¬
blies, desquels il ne part d’endroit en endroit qu’un long
1. fig. filet *, de chaque côté duquel fortent cinq à fix filets *
plus courts 6 c plus déliés. C’eftà quoi a été réduite chacune
des feuilles dont ce jet étoit chargé.
La faufi'e chenille * duchevre-feuille, dontnous avons
déjà parlé ci-deflus, a une lingularité d’une autre efpéce,
mais qui peut-être 11e lui elt pas propre à elle feule; lorf-
que je l’ai prife le matin, j’ai vû fon corps fe couvrir de
goutelettes d’une eau qui avoit fuinté de toutes parts :
cette eau efi un peu gluante; quoique très-liquide & très-
claire, elle a une odeur pénétrante & defagréable. Je ne
chercherai point à expliquer pourquoi le corps de cette
fau(Te chenille eft comme criblé pour laiffer pafler l’eau.
Ne m’abandonnerai-je point encore trop aux conjectures,
fi je
* PI T
3 c > c -
* ff «Scc.
* PI. 13.%
1 ( 3 c 2.
des Insectes. III. Mem. 97
fi je dis qui! y a apparence que les trous nécelfaires pour
Jailfer des ifluesà une partie de l’air que l’infeéle refpire,
font les mêmes qui lai lient fortir l’eau, dont les vailîeaux
fe trouvent trop remplis. Les chenilles nous ont donné
ailleurs occafion d’établir l’exiltence des trous dont leur
peau efl criblée, pour laifler échapper l’air des petites
trachées.
Quoique la plupart des faulfes chenilles ayent, comme
le commun des chenilles, le corps d’une figure qui
approche de la cylindrique, il y en a qui l’ont applati.
Nous avons donné le nom de chenilles cloportes à des
efpéces de chenilles à corps applati, & la même raifon
nous met en droit de donner le nom de faulfe chenille
cloporte à une * que j’ai trouvée fur l’aune qui a des *PJ. 12.%:
anneaux qui s’emboîtent les uns fous les autres; elle efl ' 7 ^ l8,
très-applatie & verdâtre.
Un autre genre de faulfes chenilles * qui s’éloigne *Fig. 1,2,
extrêmement de la figure la plus ordinaire aux faulfes 3 & *•
chenilles, efl un genre dont il n’efl pas ailé de caraétérifer
les efpéces. On trouve de ces faulfes chenilles fur diverlês
fortes d’arbres fruitiers, fur les pruniers, fur les cérihers,
mais fur-tout fur les poiriers. Les arbres fruitiers ne font
pourtant pas les feuls fur lefquels on les puifle voir, car
j’en ai vu fur des chênes. Les unes & les autres fe tiennent
fur le delfus des feuilles, & n’en mangent que le parenchime
fupérieur. Elles ont une peau toûjours gluante, qui les
ferait prendre pour des limaces, fi on ne leur appercevoit
point de jambes. Leur couleur efl un verd-brun, fem-
blable à celui du noftoc ou à celui des têtards. Je leur
donne aulfi le nom de faulfes chenilles têtards, mais pour
une autre raifon. Il efl rare qu’elles foient allongées *
comme une chenille l’efl; elles peuvent renfler à volonté
certaines parties de leur corps. Souvent elles en renflent
Tome V . N
* Fig. 2.
* PF. ! 2. fig.
1 . a, b, & fig.
3. a b.
* Fig. 2 &
* PI. I O. fig.
3 -
* Fig. I & 2.
* Tome 2.
pag. 4y6.pl.
3 8 - fig- 1 l >
J2 Jjr j].
* Tome 3.
Aiem. xii.
yl-37-fig-',
2, 3 b? 4-
* PI. 13. fig.
7, 17 & iis.
98 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
extrêmement le tiers antérieur *, ou une plus grande
portion, & rendent le refie effilé; alors la fauffe chenille
a quelque reffemblance avec un têtard. La reffemblance
ell augmentée, parce que, comme je l’ai déjà dit, fa peau
a le verdâtre de celle du têtard, & paroît de même hu¬
mide. Je n’ai trouvé que 20 jambes à celles de ces fauffes
chenilles qui fe tiennent fur les feuilles de poirier *; je
n’ai pu en découvrir à leur dernier anneau. Quelquefois
ces infeéles fe multiplient extrêmement fur les poiriers, on
en trouve quatre à cinq fur une même feuille; auffi ai-je vû
de ces arhres, qui, dans le mois de Juillet,n’avoient plus
que des feuilles defféchées, parce que toutes leur avoient
été rongées d’un côté.
Quoique le plus grand nombre des efj)éccs de fauffes
chenilles fe tienne fur les feuilles des arbres, il y en a des
efpéces qui vivent cachées. Il y en a une * qui creufe
les tiges du rofier, qui les perce en flûte*, & qui vit de
ce qu’elle détache. Nous avons déjà parlé * de quelques
autres, qui, écrafées fentent l’amende, & qui font tom¬
ber au printemps les poires prefqu’auflitôt qu’elles font
noüées, qui ne leur donnent pas le temps de grofiir.
Elles font logées dans l’intérieur du fruit, & fe nourriffent
de fa fubflance. D’autres font préjudiciables à d’autres
fruits. L’hifloire des galles nous a donne occaflon * de
faire connoître des fauffes chenilles qui croiffent dans
ces galles, fi communes fur les feuilles du fàule, & fur
celles de l’ofier.
Toutes les fauffes chenilles pour parvenir à être des
mouches à quatre ailes, fe défont de la peau qui leur
donnoit la forme de ver. Après l’avoir quittée, elles font
des nymphes *. Nous ne nous arrêterons point à expli¬
quer comment chaque nymphe oblige la peau du ver à fe
fendre fur le dos, & comment elle fort par la déchirure
des Insectes. III. Aient. 99
quelle v a faite. Tout ce qui le paffe alors, a été rapporté
iorique nous avons raconté * comment lacrifalide le tire
de la peau (Le chenille pour paroître à découvert. Sur les
nymphes de nos fauffes chenilles, on reconnoît ailémcnt
les jambes 6c les ailes; majs elles y font empaquetées, 6c
d’ailleurs fi molles 6c fi tendres, quelles font incapables
alors des fonétions auxquelles elles font deftinées. Elles
ne réfifleroient pas aux frottements des corps durs 6c
raboteux. Audi lorfqu’une fauffe chenille le lent prête
à changer d’état, elle longe à le faire une coque dont
les parois intérieures ont un liffe 6c un poli incapable d’of-
fenier les parties les plus délicates, 6c une coque capable
de réfifler par fà folidité aux corps étrangers qui pour-
roient la preffer, 6c aux inlèéles qui voudroicnt que la
nymphe devînt leur pâture ou celle de leurs petits.
Après tout ce que nous avons dit des différentes conf-
truélions des coques des chenilles de différentes efpéces*,
il ne fembleroit pas que les fauffes chenilles piaffent avoir
quelque chofede nouveau à nous faire voir dans ce genre
d’ouvrages ; plufieurs efpéces de ces dernières fçavent
pourtant fe faire des coques de foye qui ont quelques
particularités dans leur flrucflure. Elles n’ont rien de re¬
in irquable dans leur figure extérieure,qui le plus fouvent
eff oblongue comme celle d’un œuf, mais qui efl quel¬
quefois applatie *, 6c qui quelquefois a des irrégularités.
Pour voir ce que chacune de ces coques a de remar¬
quable, il ne faut pas s’arrêter à fon extérieur, il faut
l’ouvrir, 6c cela avec quelque précaution, peu à peu,
comme on le fait lorfqu’on veut mettre la nymphéa dé¬
couvert fans la bleffer. Alors on reconnoît que la coque
efl fiite de deuxtiffus très-différents; l’un, l’extérieur *,
eff un rezeau a.grandes mailles; 6c l’autre *, l’intérieur,
efl un tiffu très-ferré, plus ferré que celui d’aucune toile.
N ij
ÎOO MEMOIRES POUR L’HiSTOiRE
Qu’on ne fe prefTe pas, au rede, de comparer ces deux
tilfus avec ceux d’une coque de ver à foye, où celui de
l’enveloppe extérieure ed lâche, mol, comme cotonneux,
pendant que l’intérieur ed compaéle6c ferme; car les tiflus
de la coque de la fauffe chenille, font différents, à bien des
égards, des précédents. L’enveloppe extérieure, quoiqu’à
rezeau, n’efl rien moins que molle 6c cotonneufe. Ce
* Pi. 14.%. tiffu criblé * ed ce que la coque a de plus folide, de
plus capable de réfider à la preffion. Les yeux feuls
font en état de didinguer le rezeau, mais quand on le
♦Fig. 9. conhdére avec une loupe forte *, il paroît, quoiqu’en
petit, femblable à celui d’une raquette. Les fils dont il
ed compofé, font fi gros, qu’ils femblent être de petites
cordes à boyau, mais qui ont des inégalités; ils ont un
reffort pareil à celui qu’ont ces fortes de cordes lorfqu’elles
font tendues, un reffort qui les ramene dans leur première
pofition, lorfque la preffion des doigts qui les en avoit
tirés, ceffe d’agir contre eux.
♦ Fig. 6 .b, Le tiffu intérieur * plus ferré 6c extrêmement ferré,
ed au contraire mol 6c flexible. Il n’a point fenfiblement
de reffort. Audi, 6c c’efl ce que les coques en quedion
ont de plus fingulier, le tiffu intérieur n’a rien de com¬
mun avec l’extérieur; ils fe touchent Amplement l’un
l’autre, fans être aucunement unis l’un à l’autre, fans
même être attachés enfemble; de forte que la coque de
la fauffe chenille ed double, elle ed compofée de deux
coques, dont l’une ed logée dans l’autre, comme le font
les boîtes de bois mince faites pour qu’une un peu plus
petite entre commodément dans une un peu plus grande.
Mais dans la coque de notre fauffe chenille, la boîte ou
Ug- 8. l’enveloppe extérieure ed folide *, 6c faite pour deffendre
» Fig. 7. l’enveloppe intérieure qui ed mince *.
Il ed aifé de fe convaincre, que la flrucdure de ces
des Insectes. III. Aîcm. \ oi
fortes de coques eft précifément telle que nous venons de
la décrire. On n’a qu’à couper avec attention au moyen
d’un canif, une petite portion d’un des bouts de i’enve-
loppe extérieure *, qui le laide couper comme une plume;
la portion qu’on a détachée met à découvert la léconde
enveloppe. Qu’on continue de couper des morceaux du
même bout jufqu’à ce que celui de l’enveloppe inté¬
rieure foit entièrement à nud, & jufqu’à ce qu’il le foit
par-delà l’endroit le plus renflé ; qu’on tire alors le bout
de la coque intérieure, foit avec une épingle, foit avec
deux doigts d’une même main , pendant qu’avec les
doigts de J autre main on retient la coque extérieure; fans
employer une force fenfible, fans avoir belbin de rien
rompre ni de rien décoller, on fera fortir de l’enveloppe
extérieure la coque intérieure *, celle qui renferme im¬
médiatement la nymphe; & on reconnoîtra à n’en pou¬
voir douter, que ces deux coques ne faifoient que le
toucher, quelles n’étoient nullement adhérentes l’une
à l’autre. C’eft alors qu’on pourra voir plus nettement
le rezeaude la coque extérieure*, qui fe trouvant vuide,
n’a plus de corps opaque pôle vis-à-vis fes mailles. C’eft
alors aulfi qu’on pourra mieux connoître quel eft fon
reffort , car après l’avoir prefqu’applatie, après avoir
amené deux côtés intérieurs & oppolès, à fe toucher,
on les verra reprendre leur première courbure dès qu’on
les biffera libres.
La faulfe chenille n’a qu’une certaine provifion de ma¬
tière à foye, l’œconomie avec laquelle elle l’employe, eft
digne d’être remarquée. Elle a befoin que la coque ou
l’enveloppe extérieure foit capable d’une certaine réfil-
tance. Or il eft évident que fi la même quantité de loye
qui eft mife en œuvre pour faire avec de très-gros fils, avec
des efpéces de petites cordes, un rezeau très-clair, étoit
N iij
pi. 14.6g.
* F'g- 7 "
* Fig.. &.
♦ PI. T+.
I, 2 & 3.
* Fig. i
* Fig. 2
102 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
employée à compoler un tilfu ferre, qui n'eut pas de
mailles fenfibles, il faudroit que les fis de ce dernier
fulTent beaucoup plus fins pour fuffire à remplir tous les
vuides des mailles. Alors les fis plus flexibles 11’auroient
pas la roideur qu’ont ceux qui compofent la coque à
rezeau, l’enveloppe extérieure leroit trop molle. Mais
cette coque extérieure étant compoiée de mailles faites
par des efpéces de petites cordes, eft néceffai rement
raboteufe; elle ef bien éloignée d’avoir le poli que doit
avoir l’enveloppe immédiate des tendres parties de la
nymphe : auffi quand la fruiïe chenille a filé l’enve¬
loppe qui la mettra en fureté, lorlqu’elle fera une nym¬
phe, fous cette première enveloppe, elle en file une
autre fur laquelle les parties de la nymphe pourront être
polees comme fur un lit très-mol. L’intérieur de cette
l'econde coque eft plus doux & plus lilfe que le plus
beau latin.
Il leur eft très-nécefiaire de fe conftruire une coque
extérieure capable de réffter aux dents de leurs enne¬
mis; car M. Vallifnieri a obfervé des fourmis qui cher-
choient ces fortes de coques, qui les rougeoient & qui
parvenoient quelquefois jufqu’a la miferable nymphe
qui y étoit renfermée, dont elles faifoient de bons
repas.
Nous devons faire connoître par préférence une fiaufie
fir ,_ chenille du rofer *, qui elt de celles qui le confruilent
une double coque, parce que nous aurons beaucoup à
dire dans la fuite, de la mouche en laquelle elle lé trans¬
forme. Cette fauffe chenille elt de celles qui le font
remarquer par leurs attitudes bizarres; elle tient ordinai¬
rement la partiepoftérieure de (on corps, élevée *,& Mu-
vent contournée en S; quelquefois elle la tient contour-
. née en embas *. Elle elt de la première clalfe, de la clalfe
des Insectes. III. Mem. 103
de celles à 18 jambes ; on feroit fouvent tenté de ne lui
en croire que 16, parce quelle montre rarement les deux
pohérieures. Le quatrième anneau, le dixiéme & le onzième
en font dépourvus. Ses jambes écailleufes font terminées * pi. 14. fig.
par deux crochets *, au lieu que dans les chenilles, les 4 - c > c -
mêmes jambes n’ont qu’un feul crochet. Le fond de la
couleur du débits du corps, eh un jaunâtre qui tire fur
le feuille-morte. Elle eh: toute couverte de petits tuber¬
cules noirs, de la plûpart defquels il part un poil. Les
côtes & le dehous du ventre, font d’un verd-moyen
entre le céladon & la couleur d’eau. Tout ce qui eh
verdâtre eh tranfparent, & permet de voir dans l’inté¬
rieur les trachées & leurs ramifications. En dehous, tout
du long du ventre, on apperçoit un vaiheau femblable à
celui qui règne le long du dos , & que nous avons
regardé comme le cœur des chenilles, & de bien d’autres
infedtes, ou au moins comme leur principale artère. Le
vaiheau qui paroît fous le ventre de notre fauhe chenille,
a un mouvement, mais qui femble plus lent & plus foible
que celui de l’autre. Eh-ce que ce vaiheau feroit le prin¬
cipal tronc de veines!
Quand cette fauhe chenille a pris tout fon accroihe-
ment, elle entre en terre pour s’y conhruire une double
coque, telle que celles que nous avons décrites ci-defTus.
Les coques faites en terre ont befoin d’être netto)éesdes
grains de terre qui fe font engagés dans le rezeau qui
forme l'enveloppe extérieure, lorfqu’on veut voir bien
dihinélement ce rezeau ; mais fi ces inlecfles font tenus
dans des poudriers où on leur refufe de la terre, ils ne s’en
bâtihent pas moins le logement qui leur eh nécehaire
pour leur transformation. J’en ai eu qui fe le font fait * Fi>. j.e,
fur des feuilles de rofier*. Les coques de ceux-ci étoient
nettes & propres. La coque extérieure ch d'un rougeâtre
104 - MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
qui tire fur ie cannelle, & la coque intérieure eft d’une
couleur plus blancheûtre.
* PI. 13.%. La faufle chenille du chevre-feuille *, & beaucoup
d’autres fauffes chenilles entrent de même en terre,& s’y
conflruifènt des coques conformes au modèle que nous
avons décrit.
Mais d’autres fauffes chenilles entrent en terre pour
s’y faire des coques plus femblables à celles que s’y font
des chenilles de plufieurs efpéces. Elles lient enlemble
des grains de terre, elles en forment une maffe creufe,
dont l’extérieur eft prefque fphérique, & dont elles tapif-
* Eîg. 16. fcnt l’intérieur d’une toile de foye *.
Toutes les coques de pure foye où les fauffes chenilles fe
renferment, ne font pas auffi induflrieufement conftruites
que les coques des fauffes chenilles du rofier, du chèvre¬
feuille, &c. fous des écorces d’arbres, au bout d’une trace
de fciûre empilée, & cela au milieu de l’hyver, & quel¬
quefois dans des creux d’arbres qui commençoient à fe
pourrir, j’ai trouvé des coques faites d’une toile de foye
blanche, très-ferrée, mais mince,& par conféquent flexible,
dans laquelle habitoit une fauffe chenille qui s’y devoit
métamorphofer. Les coques défendues par l’ccorce ou
par le bois, n’ont pas befoin d’avoir une enveloppe auffi
forte que l’enveloppe de celles qui fe trouvent en terre,
& à peu de dirtance de la lùrface; elles ne font pas autant
en rifque d’être comprimées. Chaque forte d’mduflrie
n’a été accordée qu’aux infeétes auxquels elle étoit né-
ceffaire.
Quelques-unes de nos fauffes chenilles fe font des
coques encore plus foibles que les précédentes. Une
affés petite à 2.2 jambes, qui a une raye brune tout du
long du dos, que j’avois trouvée fur forme, & que j’a-
vois renfermée dans un poudrier avec une feuille de cet
arbre.
des Insectes. 111 . Mem . 105
arbre, fe conflrui lit fur cette feuille une coque *, dont * PI. icî-g.
1 extérieur avoit le blanc, le luifant & le raboteux d’iSne * s '
écume épaiffe qui fe leroit defféchée; comme de l’écume
de favon, ou comme de l’écume de bave de limaçon, il
étoit plein de bulles; mais l’intérieur étoit uni &. com¬
pacte, ex vifiblement compolé de luis blancs & luifants.
J’ai alfés fait entendre que les faufîes chenilles filent
comme les chenilles. La filière de celles-là eft placée
comme la filière de celles-ci; mais j’ai cru voir deux
filières, deux mammelonspôles l’un auprès de l'autre, qui
fourniiïoient des fils à une fauffe chenille du grofelier *. * Fig.
N’ayant point trouvé de terre, elle travaiiloit à réunir
enfèmble des grains d’excréments fecs; je la troublai dans
fon opération, je brifai Ja coque quelle avoit commencée;
elle lé refnit à en faire une nouvelle feus mes yeux, dès
quelle eût été tirée hors de la première.
La faifon dans laquelle une fauffe chenille s’efl fait
une coque, décide du temps quelle y refiera. J’en ai vu
telle en été qui eft fortie de la fienne fous la forme de
mouche, au bout de trois femaines & même plutôt ; 6c
j’en ai eu d’autres, qui ne s’étant renfermées que vers la fin
d’Août,& ayant été tenues dans mon cabinet, fe font
montrées encore avec leur première forme dans le mois
d’Avril, lorfque j’ai eu ouvert leurs coques. J’ai déjà dit
que j’avois trouvé pendant l’hyver, des faillies chenilles
dans des coques quelles s’étoient faites fous l’écorce de
certains arbres, ou plus avant dans l’intérieur de quelques
autres arbres. Toutes doivent devenir des nymphes pour
parvenir à être des mouches, & il fuit des obfervations
précédentes, qu’elles ne font jamais dans l’état de nymphe
pendant un temps fort long, que celles qui doivent paffer
l’automne & l’hyver dans des coques, l’y paffent fous leur
forme de vers & fans prendre aucune nourriture. Cette
Tome V- . O
io6 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
longue abftinence de tout aliment ne nous paraîtra pas
nouvelle, les chenilles nous en ont donné alfés d’exem¬
ples. Quand les fauffes chenilles fe changent en nymphes,
la faifon efi favorable pour les amener bientôt à l’état de
mouches.
Enfin, la faufie chenille devient une nymphe, qui,
fans fortirdela coque, fe transforme enfuite en mouche.
Cette mouche efi de celles qui n’ont point de trompe,
* pi. mais qui à chaque côté de la tête ont une forte dent *.
1 1. d, d. Ces deux dents fe rencontrent l’une l’autre vers le milieu
de la bouche. Le premier ufage que la mouche en fait,
efi de les faire agir contre fa coque, de les employer pour
fe procurer une ouverture qui lui permette de fortird’un
logement qui n’eft plus pour elle qu’une prifon. Les dents
viennent bientôt à bout de hacher des fils de foye, même
ceux qui, dans certaines coques, tiennent des grains de
terre réunis.
Les mouches des différentes efpéces de fauffes che¬
nilles fe reflemblent toutes; elles ont, pour ainfi dire, un
air de famille, & elles l’ont à tel point qu’un obfervatcur
qui a afies examiné une mouche d’une faufie chenille
quelconque, pour avoir retenu l’image qu’il s’en efi faite,
efi en état lorfqu’il voit pour la première fois une mou¬
che qui fort d’une autre efpéce de fhufle chenille, de la
reconnoître pour une mouche de faufie chenille, quoi¬
qu’elle diffère de la première qu’il a vûe par fa couleur
& par d’autres circonfiances. Je ne veux pas parler des
reffemblances effentielles qui font entr’elles, comme de
celles de la firucfhire de la bouche, qu’on ne peut voir
que quand on tient la mouche entre les doigts; je veux
parler de celles qui fe font fèntir au premier coup d’œil,
& qui cependant ne font pas ailées à décrire, parce
qu’elles réfultent d’un enfemblc de petites particularités.
des Insectes. III. Ment . 107
Toutes ont un air ailes lourd, elles font peu farouches,
elles fe biffent approcher, & même elles fe biffent
prendre, elles femblent fottes. Nous verrons bientôt que
nous devons être contents de leur efpéce d’imbécillité.
Leurs ailes font croifées fur le corps quelles débordent
un peu de toutes parts, & au-deffus duquel elles ont un
peu de convexité. Ces ailes ne font pas aulfi lilfes, &
auffi bien tendues que celles de beaucoup d’autres mou¬
ches; elles ont de petites convexités, de petits enfonce-
-ments, un air d’être mal détirées. Du relie, les variétés
qu’offrent les mouches qui viennent de fauffes chenilles
de différentes efpéces, font fouvent bien moins confi-
dérables, & moins frappantes que celles qui font entre
les fauffes chenilles; & li nous nous engagions à les dé¬
tailler, on pourroit nous reprocher avec quelque raifon
de nous arrêter trop à des minuties. Il nous fuffira de
dire que quelques-unes différent fenfiblement des autres
en couleur; les unes ont le corps jaune, d’autres font
verdâtre, pendant que d’autres l’ont noir. Celui de quel¬
ques-unes , entr’autres celui de la mouche de la fauffe
chenille du chevre - feuille *, cfl d’une couleur appro- * pi. 13.%.
chante de celle des abeilles. Les unes ont des ailes tranfpa- 8 -
rentes, qui à peine laiffent appercevoir une légère teinte
de jauneâtre; la teinte noire ou la teinte bleuâtre des
ailes de quelques autres eft très-forte. Enfin, les nuances,
foit des couleurs du corps, foit de celles des ailes, va¬
rient dans celles de ces mouches qui font de différentes
efpéces. Mais il y en a dans lefquclles elles ne font pas
notablement différentes, quoique ces mouches vien¬
nent de fauffes chenilles qui différent beaucoup entre
elles. Les unes ont le corps plus court, d’autres font plus
allongé. On peut encore remarquer des différences dans
la ftrudure de leurs antennes ; celles des unes font ù
Oij
Io8 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
fig. iilcts graines + , celles des autres font en malfue *. Les
antennes du mâle différent quelquefois de celles de la
9 - femelle. La mouche mâle de la fauffe chenille du rofier,
fig. a les Tiennes bordées de poils *, pendant que celles de la
mouche femelle * font liffes. Mais cédons de nous arrêter
à de fi petites variétés, il vaut mieux faire confidérer
une partie qu’on trouve à toutes les fémelies, qui ne
lçauroit manquer de paraître admirable, même à ceux
qui fçavent le moins admirer, dès que fa ftructure leur
fera connue.
Les mouches femelles de nos faufils chenilles font
ovipares; les œufs que pondent plufieurs efpéces de ces
mouches, & les feuis œufs que nous confidérerons actuel¬
lement, demandoient à être logés dans des entailles faites
dans le bois, ou dans d’autres parties d’arbufies vivants.
La mouche a été pourvue d’un infiniment qui la met
en état de faire ces entailles. Cet inftrument efi une véri¬
table feie, qui ne diffère de celles dont nous nous fervons
pour couper le bois, qu’en ce quelle eff de corne, au
lieu que les nôtres font d’acier, & qu’en ce qu’elle eff faite
avec beaucoup plus d’art que les nôtres. Nosfeies ordinaires
font des lames coupées quarrément.fur un des longs côtés
defquelles les bafes des dents lont arrangées en ligne
droite; mais on oblige la pointe de chaque dent à s’écar¬
ter un peu de cette ligne, & à s’en écarter alternativement
dans un fens oppofé; je veux dire, que fi une dent s'in¬
cline vers la droite, celle qui la fuit s’incline vers la
gauche, celle qui vient après la précédente, s’incline vers
la droite, & ainfi de fuite. Delà il arrive que les pointes
de la moitié des dents de la feie fe trouvent fur une ligne,
& les pointes des autres dents fur une autre ligne peu
<liliante de la précédente. L’intervalle qui eff entre ces
deux lignes, eff ce qu’on appelle la voye de la feie. Les
des Insectes. III. Mem. 109
parties du corps que l’on feie, qui fe rencontrent dans cet
intervalle, dans la voye de finflrument, lont celles qui
doivent être réduites en grains*, en fciûre. On tient cette
voye d’autant plus étroite que la feie efl plus mince, &
qu’on veut moins perdre des parties du corps qu’on prétend
divifer. Quand les E'benifles ont à refendre en feuilles
minces, des bois précieux, ils y employait tics feies qui
ont très-peu de voye,au lieu que les Scieurs de long qui
fendent de gros arbres, qui en tirent des planches, ont
d’épaiffes feies, & dont la voye efl confidérable. Les feies
de nos mouches étant extrêmement fines, n’ont pas befoin
d’avoir des dents beaucoup dévoyées ; mais la manière
dont ces feies doivent agir, demandoit que les baies des
dents ne fufient pas placées, comme celles des nôtres, fur
une ligne droite. Le côté, ou au moins unegrandepartie
du côté fur lequel elles font rangées, cft un peu concave,
à peu-près comme l’efl le tranchant d’une faux *; la feie * PI. r 5
fie termine par une pointe, & nous verrons qu’elle devoir 9 ' 9 d ‘
fe terminer de la forte. Elle n’efl pourtant pas concave
dans toute fa longueur; les dents * les plus proches de *d.
l’origine de la feie, font pofées fur une ligne convexe:
de forte que le côte d’où partent les dents de la feie, cft
contourné comme le font les lignes qui ont un de ces
points que les Géomètres appellent point d’inflexion,un
de ces points qui fépare une portion concave d’une por¬
tion convexe.
Lorfque nous voulons qu’un feul homme piaffe faire
agir une feie, &. qu’il le puifle d’une feule main, nous
mettons un manche à un des bouts de la (cie, femblable
à peu-près à ceux des couteaux. La feie de nos mouches
efl mile en mouvement, comme le font nos feies à man¬
che. Des tendons* prefque écailleux, attachés à Ion ori- *Fig.io.
gine, lui tiennent lieu d un manche; des mincies agiflent
O iij
no Mémoires pour l’Histoire
pour la pouffer en avant, & la retirer en arriére comme
agit la main de l’ouvrier qui fait travailler la fcie à manche;
Mais la main ne fait agir à la fois qu’une de ces lortea de
fcie, & nous n’avons garde d’oublier de dire, que quoique
nous n’ayons parlé encore que d’une fcie de notre mouche,
* PI. i fig. elle en a deux égales * & femblables, qu’elle met en mou-
j.°‘i dt ' a vement en même temps.
Lefecret de faire agir plu fieurs fcies à la fois ne nous
eft pas inconnu. Nos ouvriers, les Ebenifies entr’autres,
ont quelquefois deux ou trois feuilles de fcie montées
fur un même chaflis ; l’E'benifte tenant ce chaflis à
deux mains, fait agir à la fois toutes les fcies qui y font
montées. Mais nos mouches font en ce genre quelque
choie que nous ne fçavons pas faire; les fcies du même
chaflis vont toutes dans le même lèns, toutes font por¬
tées à la fois en avant ou en haut, & toutes font à la
fois ramenées en arriére ou en embas, au lieu que dans
le même temps où la mouche pouffe en avant une
de fes fcies, elle retire l’autre en arriére. Il eff encore
à remarquer que l’ouvrier qui employé plufieurs fcies à
la fois, les employé pour faire un nombre d’entailles égal
a celui des fcies,au lieu que les deux fcies de la mouche
travaillent en même temps à aggrandir la même entaille,
elles font l’office d’une fcie dont la voye feroit très-
grande.
Ces deux fcies étant très-minces, & deffinées à dé¬
chirer des fibres ligneufes, ont befoin d’être maintenues
pendant qu’elles font dans l’aélion , afin qu’il ne leur
arrive pas de fe courber ou de s’écarter l’une de l’autre.
La nature a prévû à tout; le dos de chaque fcie efi logé
* Fig. tout du long dans une coulifle * formée par deux pièces
ecailleufes, comme l’eft fouvent la coulifle des lames des
*Fig. 12. cr, couteaux à reffbrt. Ces deux pièces * deviennent de plus
des Insectes. 1IL Menu 111
en plus étroites à melure quelles s’éloignent de leur balè,
comme la figure des feies le demandoit. Elles font épailfes,
& convexes en dehors ; elles ont de plus des cannelûres
dirigées comme celles des colomnes tories ; elles l'ont
affemblées par une ou plûtôt par plufieurs membranes * * r î- %
trèsfohdes, capables pourtant de le plilîer, Si par con- 2 ‘ mn ‘
féquent, de permettre aux lames écailleufes * de former * cr > fr *
une couliire un peu plus ou un peu moins large. M.
Vallifnieri n’a pas penl'é que l’unique ufage de ces mem¬
branes fût de maintenir les lames écailleufes, il a obfer\é
qu’elles formoient deux canaux, dont il a cru l’un deftiné
à conduire les œufs hors du corps de la mouche.
Les dents des feies de nos mouches font elles-mêmes
dentellées *. Chaque grande dent efi une fuite de dents * Fig. u.
très-petites. Nous ne devons pas être furpris que les d '
inlirumentsqui ont été accordés à des infedles foient fupé- d, d, d.
rieurs aux nôtres, & plus travaillés, quand nous nous rap¬
pelions de qui ils les tiennent.
Outre les particularités que nous avons remarquées ci-
dclfus aux feies de cette mouche, & qui manquent aux
nôtres, elles en ont encore une qui ne doit pas être ou¬
bliée. Chaque feie n’eft pas feulement une l'cie, elle ell
en même temps une râpe , ou une lime d’une ftruélure
fmguliére. Les râpes ont des ufages plus importants que
ceux de réduire en poudre du tabac ou du lucre ; elles
fervent à applanir les furfaces trop raboteufes des corps
les plus durs, des pierres, des métaux. Les feies n’ont des
dents qu’à leur tranchant, pour ainfi dire, au lieu que les
râpes ont de longues & larges furfaces tout hérilTees de
dents. Nous n’avons point encore réuni dans le même
infiniment lafcie & la lime, ou la rape,& l’une & l’autre
fe trouvent réunies dans chacun des inflruments qui ont
été donnés à nos mouches pour entailler le bois. Outre
I 12 MEMOIRES POUR l’HïSTOIRE
les dents qu’ils ont dilpolées comme celles des fcies ordi*
* PI. 15. fig. naires, ils ont fur une de leurs larges faces, fur l’extérieure *,
1 l, P>P>P‘ mi nombre confidérable de dents beaucoup plus fines, 6c
qui ne le cedent guéres aux autres en longueur, fi elles le
leur cedent; qui toutes font dirigées vers l’origine de l’inf-
trument, 6c un peu inclinées vers les greffes dents de la
feie. Chacune decesdcnts longues 6c déliées a quelqu’air
tic celles des peignes; de forte qu’il femble que plufieurs
peignes ont été appliqués les uns au-deffous des autres
lur la furfacc extérieure de chaque feie. Ces différentes
fuites de dents compofent une lime ou une râpe qui
eft ajoutée à la feie ; mais une râpe ou une lime fort
différente de celles qui jufqu’ici ont été taillées par nos
ouvriers.
Quoique les mouches munies d’un infiniment fi fin-
gulier ne foient pas rares, quoiqu’il y en ait des efpéces,
6c meme plufieurs efpéces, qui fc tiennent fur un des
arbufics les plus communs dans nos jardins, fur le rofier;
cet infiniment confiruit avec tant d’art, efi pourtant refié
inconnu jufqu a ce que les yeux de M. Valifnicri ayent
fçû le voir. Dans un grand nombre d’obfervations cu-
rieufesque nous devons à ce célébré Auteur, il n’y en a
aucune peut-être qui lui ait autant plu, 6c dont il ait paru
faire autant de cas;aufii a-t’il eu foin de décrire cette feie fi
furprenante, de la faire graver, 6c toutes les parties qui
entrent dans fa compofition ; de donner i’Hifioire de la
mouche à laquelle il l’a d’abord trouvée, 6c cela avec
une étendue 6c une élégance qui nous auroient afiïïré-
ment dégoûté de parler après lui d’un infiniment fi fin-
gulicr, 6c de l’ufage que la mouche en fait, fi nous n’y
euffions été obligés par l’Hifioire générale des fauffes
chenilles 6c de leurs mouches, qui entre nécefïàirement
dans le plan de notre Ouvrage. Nous ne devons pas au
refie,
des Insectes. III. Alcm. 113
refle, diffimuler que nous penfons que ceux qui n’ont
pas lû encore dans M. Valiiinieri l’Hifloire de la mouche
à fcie des rofiers, pourront l’y lire avec plailir. Quoique
nous nous propofions de n’obmettre rien de ce que cette
Hiftoire a d’elîcntiel, nous pourrons paffer fur quekjues
détails qui plairont afïurément dans M. Valiiinieri. D’ail¬
leurs, on trouvera des différences entre les figures de
la fcie que cet attentif Obfervateur a-fait graver, & celles
que nous faifons paroître pour repréfcntcr un infini¬
ment du même genre, mais des différences peu effen-
ticlles pourtant. Les fcies qu’il a fait rcpréfenter n’ont
point de dos, elles font dcntcllées fur les deux côtés
oppofés; M. Valiiinieri en a vû fans doute de telles, mais
celles que nous avons obfervées, ont un dos femblabie
à celui des fcies de nos ouvriers. Ses figures ont été prifes
d’après la fcie d’une mouche qui efl d’une efpéce diffé¬
rente de la mouche dont nous avons fait deffiner la fcie en
grand, quoique l’une& l'autre mouche viennent defauffes
chenilles qui vivent fur le rofier.
On imagine bien qu’il faut avoir recours au microfcope,
ou au moins à des loupes très-fortes pour voir diflincîc-
ment la compofition de la fcie de nos mouches. La vue
fimpie fait néantmoins affés appercevoir cet infiniment,
pour faire naître le defir de le connoître mieux. Quand
on tient entre deux doigts une mouche qui vient de
quelque fauffe chenille, & une de celles qui ont le ven¬
tre le plus gros, fi on lui prcffele ventre doucement, on
oblige deux efpéces de feuillets * courbés en coquille,
dont l’origine efl à quelque diflancc de l’anus, de s’écarter
l’un de l’autre, & de laiffer entr’eux une fente dans laquelle
on apperçoit une pointe plus brune que le refie. En prefi¬
lant davantage, on force le corps, dont on ne voyoit que
la pointe, de fe montrer en entier; on contraint la fcie *
Tome V. . P
* PJ. r - . fig.
1 S- l > L
* Fig. 8
j 14. MEMOIRES POUR L’HiSTOïRE
entière à paroître à découvert. Les deux lames courbes
qu’on a obligées de s’écarter, font faites pour la couvrir
dans les temps où elle doit être dans finaélion.
Si la mouche dont on a prefle le corps, quoique de
mêmeefpéce que la précédente, a le ventre moins renflé;
fi elle efl un mâle, la preflion ne fait point paroître de
fcie. Cet inflrument n’efl néceffaire qu’à la fémelle, le
* Pf. 11. fij. mâle ne l’a point. Mais on oblige deux lamçs * terminées
7 ‘ l * 1 ‘ en pointe, Si concaves vers l’anus, à le féparer, & à laifler
voir que toutes deux enfemblc compofent une pince très-
* <?. propre à faifir le derrière de la femelle. L’anus * alors efl
porté plus loin ; à diftance égale de l’une & de l’autre
lame, paroît une partie charnue, dont chaque côté efl
fortifié par deux corps comme cartilagineux; chacun de
* m, m. ceux-ci le termine par une efpéce de court crochet * un
peu recourbé en dehors. Entre ces deux efpéces de cro¬
chets , efl l’ouverture par laquelle doit fortir la partie propre
au mâle.
Mais c’efl à la fémelle que nous devons nos regards»
c’eft elle que nous devons confldérer, Si que nous ne
fçaurions manquer de voir avec plaifir pendant qu’elle efl
occupée à pondre, S\ par conféquent à faire les entailles
dans Ici quel les elle place fes œufs. Il n’y a guéres de jar¬
din où il 11’y ait des roliers. Si il n’y a prelque point de
rofier dont les branches ne fervent chaque année à loger
un bon nombre d’œufs de nos mouches à fcie. Les en¬
droits des branches dans lefquels il y en a eu de dépofés,
font ailés àdiflingucrdu refle; ordinairement ils font plus
renflés que ce qui fuit, Si que ce qui précédé ; ils font
courbés,&leur côté concave efl noirâtre; il paroît deflê-
ché. Qu on examine ces endroits noirâtres, & on y verra
de petites fentes, au fond ddquellcson trouvera quelque¬
fois des œufs, on y verra au moins les places où il y en a eu.
t> e s Insectes. III. Man. 115
Si on eft curieux de voir une de nos mouches à lcie
occupée à pondre, c’eft donc fur-tout celles qui aiment
les rofiers, qu’il eft commode d’épier. On y en peut trou¬
ver en différentes fàifons de l’année; j’y en ai vû au prin¬
temps, vers la mi-May ;& j’y en ai vû dans tout le mois
d’Août, Si même dans les premiers jours de Septembre.
, La mouche * que j’y ai obfervée le mieux. Si un plus * El-14-
grand nombre de fois, a la tête Si le corcelet noirs. Le IO *
côté extérieur de chacune de fes ailes eft auffi bordé de
noir dans prefque toute fa longueur ; fon corps elt d’un
jaune qui tire fur l’orangé ; i'cs jambes font du même
jaune, elles ont feulement deux jarretières ou points noirs.
Quand dans de beaux jours, vers les dix heures du matin,
on verra fur le rofier des mouches de cette efpéce, ou de
quelqu’autre efpéce du même genre, qu’on s’attache à
les fuivre des yeux, & on parviendra aifément à avoir le
plaifir d’en obferver quelqu’une dans l’opération. Heureu-
fement, comme nous l’avons déjà dit, ces mouches font
lourdes, pareffeufes Si elles femblent ftupides ; ou pour
traiter mieux des mouches fi fmguliéres par leur induftrie,
elles font très-peu farouches; elles le font moins qu’011
n’oferoit le defirer; pourvû qu’01111e faffe pas de grands
mouvements, on peut les regarder de tout auffi près qu’on
le veut. Je les ai fouvent obfervées avec des loupes qui n’a-
voient pas trois à quatre lignes de foyer, fans les déranger
dans leur travail; Si elles l’ont fouvent continué, quoique
pour les mieux voir, je déplaçaffe certaines branches,
mais à la vérité, je les déplaçois le plus doucement qu’il
m’étoit poffible. La mouche prête à pondre, fe promene
de branche en branche, elle en parcourt plufieurs avant
que de fe déterminer pour une place; celle qu’elle choiht,
cft ordinairement à quelque diflance du bout de la bran¬
che, mais pourtant beaucoup plus près de ce bout que de
Fij
Tl 6 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
l’origine; la tête de la mouche eft alors tournée en em-
bas. Quand la mouche s’cft arrêtée dans un lieu qui lui a
paru convenable, elle recourbe un peu fon corps en
deffous. Qu’on Toit attentif dans ce moment, & bientôt
on appercevra la pointe de la double lcie, delà fcie com-
pofée de deux feuilles. Une plus longue portion de cette
fcie, ne tardera pas à paroître; dans un inftant, la mouche
la fait loi tir prelque toute entière de l’efpéce d’étui où
elle étoit renfermée & couchée; en la faifant fortir clic
la redreiïe, de façon quelle i’amene à être prelque per¬
pendiculaire à la petite branche dans laquelle elle la veut
faire pénétrer. Ce n’eft que dans le moment où la fcie a
été mile dans la pofition convenable, qu’on la peut voir
toute entière, car fa pointe n’a pas plutôt touché l'écorce
delà branche, qu’elle s’enfonce dedans. La mouche qui
eft cramponnée fur fes jambes, appuyé fon ventre fur la
baie de l’inftrument, elle la prefTe de toute fa force. Dans
ce premier infant, elle n’agit fur l’inftrument que pour le
piquer dans le bois, que pour y engager fa pointe, que
pour le mettre dans l’état où il doit être, pour que les
dents des (des trouvent prife ; celles-ci peuvent bientôt
agir avec fuccès , bientôt une plus longue partie de l’inf-
trument fe cache dans le bois, il s’y enfonce de plus en
plus; enfin, en moins d’une minute il parvient à y entrer
prefque tout entier. Le ventre de la mouche, qui d’abord
étoit éloigné de l’écorce, de toute la longueur de la fcie, s’en
approche jufqu’à s’appliquer contre cette même écorce.
Pour voir tout ceci, on n’a befoin de donner aucun
fecours à fes yeux ; mais fi on leur donne celui d’une
loupe forte, & fi on cherche à fe placer dans une pofition
favorable pour bien obferver tout ce qui fe paffe, on
parviendra aifément à voir que ce n’eft pas la fimple pref-
fion de la mouche qui fait pénétrer l’inftrument dans le
des Insectes. 111 . Mem . ti7
bois. On verra, & on verra avec plaifir le jeu alternatif
des deux fcies. On verra qu’il y en a une qui efî pouffée
dedans le bois, pendant que l’autre efl retirée vers i écorce ;
&on verra même que ce mouvement efl produit par celui
des tendons ou cartilages, auxquels chaque fcie.efialfujcttie.
La mouche n’introduit pas ion infiniment dans la tige
du rofier précisément pour l’y introduire, & Amplement
pourfendre cette tige; elle l’y introduit pour y faire une
cavité propre à loger un œuf aifés gros, qu’elle veut y
biffer. Si on fait attention à la manière dont cet infiniment
doit agir pour pénétrer dans la tige, on verra pourquoi
il convenoit qu’il eut bien des particularités que n’ont
pas les inflruments que nous employons à des ufages
qui nous femblent avoir du rapport avec celui que la
mouche fait du fien. Nos fcies pour fcier un morceau
de bois, foit de long, foit de travers, n’ont pas befoin
d’être pointues, elles peuvent mordre d’abord contre la
furface fur laquelle elles font appliquées; elles ne pour¬
raient fervir qu’à flaire dans le bois une couliife égale
par tout. Mais cc n’étoit pas la figure qu’il convenoit que
la mouche donnât à l’entaille quelle doit faire. Cette
entaille ne devoit pas être par-tout également large &
également profonde; l’œuf qui fera biffé dedans, doit
non - feulement y être reçu, il y doit être à couvert.
La mouche pour faire fon entaille, dirige fon infiniment
à peu-près comme un Chirurgien dirige fa lancette pour
ouvrir un vaiffeau, elle l’enfonce d’abord prefque per¬
pendiculairement , & l’en retire dans une direélion obli¬
que. Les deux fcies de la mouche avoient donc befoin
detre pointues par le bout, ce qui n’efi pas néceffaire
aux nôtres. Il falloit que leurs bouts puffent s’introduire
dans i’écorce & dans les fibres ligneufes, comme s’y in-
troduifent des inflruments tranchants. Les dents des fcies
P iij
I I 8 MEMOIRES POUR 1 /HlSTOIRE
font en état de couper les fibres quelles rencontrent ; mais
ces deux Iciesfi prodigieuièment minces, & qui ont cha¬
cune une voye extrêmement étroite, n’auroient pu ouvrir
une cavité luffifante. La face extérieure de chaque fcie
a été faite en râpe pour fuppléer à ce qui manque à la
voye & à lepaifieur des deux fcies: lorfqu’une des fcies
ef retirée vers l’écorce, les dents déchirent les fibres
quelles rencontrent.
Nous avons dit que quand la mouche veut commencer
à faire fortir fa fcie de l’étui où elle ef ordinairement logée.
Si que quand elle l’applique contre l’écorce, elle tient Ion
corps, fon derrière recourbé vers la branche; nous devons
ajoûter que dès que les fcies ont pénétré à une certaine
profondeur, que lorfqu’il s’agit moins de rendre l’entaille
plus profonde que de la rendre plus longue, la mouche
redrefle fon corps, en le redreffant elle l’appuye fur la fcie
dans l’inclinaifon propre à la faire avancer vers le derrière.
Après avoir admiré le jeu des fcies d’une mouche
qu’on aobfervée avec une loupe; après avoir vû leurs pro¬
grès, & les avoir vû pénétrer aulfi avant qu’elles le peuvent,
tout mouvement femble s’arrêter dans les tendons des
fcies,tout paroît en repos. Ce moment eft celui où l’en¬
taille a été rendue telle quelle devoit être, celui où la
mouche fait fortir de fon corps l’œuf pour le mettre dans
la place qu’elle lui a préparée. Après un infant de repos,
la mouche retire tout d’un coup de l’entaille la plus grande
partie de l’inf rument, elle n’y en laide que le bout, moins
du tiers de fa longueur; dans cet infant même, il y a en¬
core à obferver. J’ai vû alors une liqueur moufleulè, une
liqueur pleine de bulles, telles que celles du favon , s’éle¬
ver jufqu’au bord extérieur de l’entaille. J’ai vû même
quelquefois des bulles poufees au-delà du bord. Si on
entaille un rofier de quelque manière que ce foit, onfe
%
des Insectes. 111 . Mem . 119
convaincra aifément qu’en aucun temps, il ne fçauroit
fournir fur le champ une fi grande quantité de lève mouf-
feufe, & les mois d’Août & de Septembre font de ceux où
il en donneroit le moins. Il paroîtra donc certain que cette
liqueur a été fournie par la mouche, quelle en arrofie fon
œuf. Cette liqueur elt au moins gluante,& M.Vallifnieri,
a qui elle n’a pas échappé, croît que la mouche 1 employé
pour efpalmer la playe faite au rofier, pour l’empêcher
de le fermer. Il y a grande apparence quelle fert à con-
ferver l’œuf, & à empêcher les libres hachées fur lefquelles
il ed pôle, de fe corrompre trop vite.
Peu de temps après que la liqueur moufFeufe a paru,
la mouche achevé de tirer fa doublefcie de l’entaille, elle la
remet dans fon lieu ordinaire, mais ce n’eft pas pour l’y biffer
long-temps. Bientôt la mouche fait un pas en avant, c’eft-
à-dire, en defcendant ; elle lailfe en arriére & en enhaut
l’entaille qu’elle a faite pour en creufer une nouvelle tout
près de la précédente. Elle recommence alors la manœu¬
vre que nous venons de décrire ; elle fait fortir fa double
fcie; elle la pique aplomb, & elle en fait jouer chaque
feuille. Enfin,, elle pond un œuf dans cette dernière en¬
taille. Elle continue ainfi de faire de nouvelles entailles;
de les mettre à la file les unes des autres *, & d’y en
mettre plus ou moins, apparemment félon qu’une plus
ou moins longue partie de la branche lui paroît propre
à recevoir fes œufs. Quelquefois il n’y a que trois à quatre
entailles à la file les unes des autres, & j’en ai quelque¬
fois compté jufqu’à 24. La mouche fans avoir fini fa
ponte, quitte fouvent la branche fur laquelle elle l’avoit
commencée; elle paffe fur une des plus proches, elle
s’y promène; elle en parcourt quelquefois plufieurs avant
que de trouver un endroit à fon grépoury recommencer
fon opération.
* PI. 14 fig.
1 5. e, e.
*Fig. 1 8. 0,0.
* Fig. 1 3 &
ix. o p. &
fig. 1 5. e, e.
120 Mémoires pour l’Histoire
Je ne crois pas que ces mouches faffent tome leur
ponte dans un feul jour; malgré les excellents inflruments
dont elles font munies, entailler le bois comme elles l’en¬
taillent, doit être pour elles un ouvrage affésrude. Tout
ce que put faire devant moi une mouche qui ne fembloit
pas avoir envie de perdre du temps, fut d’achever fix
entailles depuis dix heures jufqu’à dix heures & demie.
Auparavant elle en avoit fait trois fur une autre bran¬
che, où elle n avoit pas jugé à propos d’en faire un plus
grand nombre. J’en ai pourtant vu travailler quelques-
unes qui m’ont paru être des fcieufes plus habiles, qui
ailoient plus vite.
L’ouverture de chaque entaille nouvellement faite, efl
une petite fente un peu courbe, femblable à celle d’une
Lignée *; elle a un peu moins d’une ligne de long. J’en
ai mefuré une file de quinze qui 11’avoit guéres qu’un
pouce; un quinziéme de cette longueur n’appartenoit pas
en entier à chaque entaille, car la mouchelaiffetoujours
un efpace entre deux entailles, & nous en verrons bientôt
la raiion.
Si on enleve l’écorce qui éfl aux environs d’une de
ces fentes, & un peu de la partie ligneufe, on met l’in¬
térieur de la cavité à découvert. L’ccuf qui la remplit *
efl affés gros proportionnellement à la grandeur de la
mouche; il efl oblong, plus menu à un de fes bouts qu’à
l’autre, & d’un jaune approchant de celui du corps de la
•mouche.
L’endroit de la branche auquel elle a confié fes œufs
ne paroît le premier jour différent des autres, qu’en ce
qu’il a une file de différentes fentes * l'emblablcs à celles
que la lancette ouvre dans notre peau, & dont les lèvres
comme celles des baignées fe font rapprochées.. Mais
bientôt, dès le lendemain, cet endroit de la branche efl
différent
des Insectes. III. Mem. 121
différent du refte par (a couleur ; il eft brun, & devient
même noir pendant que les environs des entailles, pen¬
dant que le côté oppofé fur-tout conferve fa couleur
verte. Il fe fait même peu à peu fur chaque entaille un
changement plus confidérable, & que le changement de
couleur n'annoncerait pas; car celui de couleur femble
avertir que l’écorce, & peut-être que les fibres ligneufes qui
font deffous, font péries, & commencent à fe deffécher;
cependant on voit que chaque endroit entaillé fe releve*, * PI. 14. %.
& prend de jour en jour plus de convexité. En un mot, 16 ' e> e '
au bout de quelques jours la file des entailles devient
comme une file de grains de chapelet faits en olive*, qui * pig. 17.
aytïîlt toute leur longueur, auroient perdu une partie de
leur circonférence.
Qu’on n’attribue pas ces élévations à une végétation
des parties entaillées, ces parties ont été miles hors d’état
de prendre de l’accroiffement. On reconnoîtra qu’elles font
dues à une autre caufe, & très-fmguliére, fi 011 ouvre un
des endroits qui ont du relief*, fi on en tire l’œuf*, & fi * Fi
on peut comparer cet œuf, comme je l’ai fait quelquefois, 0>
à un œuf tiré d’une entaille applatie, d’une entaille où
la mouche ne l’a dépofé que depuis quelques heures :
l’œuf forti de l’entaille qui a du relief, paroîtra confidé-
rablement plus gros que l’autre. On jugera donc que l’œuf
a augmenté de volume depuis qu’il a été pondu, ce qui
nous doit paraître une grande fingularité. A la vérité, ces
œufs n’ont point, comme ceux de nos poules, une enve¬
loppe roide& caffante, ils ne font recouverts que d’une
fimple membrane; mais les œufs de la plupart des autres
infeéles, n’ont auffi que des enveloppes membraneufes,
& cependant les œufs du commun des infeéles ne croif-
fent pas. L’œuf de notre mouche à fcie croît donc jour¬
nellement, & à mefure qu’il croît, il oblige les parois de
Tome V . Q
03
122 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
la cellule, dans laquelle il eft renfermé, de s’élever; il
oblige celte cellule à devenir plus grande en tout fens.
La mouche place fes œufs comme h elle-fçavoit ce qui
doit arriver; quoiqu’elle aime à les placer proche les uns
des autres, elle lailfe un intervalle entre deux endroits
entaillés, afin qu’ils piaffent fe gonfler fans empiéter l’un
fur l’autre.
L’œuf en croiffant & en obligeant la peau de l’arbufle
à s’élever, à devenir convexe, oblige la fente qui a été faite
à la peau, à s’aggrandir. Cette ouverture devient de jour
en jour plus conhdérable, & elle efl telle lorfque la fauffe
chenille fort de l’œuf, qu’elle lui donne le libre palfage qui
lui efl nécëffaire pour aller chercher de quoi vivre fur les
feuilles du rofier.
Une mouche à fcie d’une efpéce différente de l’efpéce
de celle que nous avons fuivie jufqu’ici, qui a pourtant
le corps teint du même jaune qui colore celui de la der¬
nière, mais dont la tête, le corcelet, les jambes & les ailes
font d’un violet très-vif, cette mouche, dis-je, confie auiïi
fes œufs à des branches de rofier quelle a entaillées; mais
elle les y arrange tout autrement, & avec une fymmétrie
qui a quelque chofede plus agréable; elle les y difpofe par
*PI- i j.fig. paires *, & elle en place dix à douze, de jufqu a quatorze
3 ' P a ' res à la file les unes des autres, tantôt plus tantôt moins.
Les deux œufs de chaque paire font enfemble un angle
dont la concavité efl tournée vers le bout de la branche;
l’angle des deux de la première paire eft aigu , & l’angle
qui eft entre les paires fuivantes, l’eft de moins en moins,
fouvent il eft obtus & quelquefois très-obtus. Une efpéce
de fillon tiré en ligne droite fépare tous les œufs qui font
adroite, de ceux qui font à gauche. Chaque œuf eft en¬
core féparé de celui qui le précède, de de celui qui le
» Fig. 3. fuit * par des fibres ligneufes; en un mot, chaque œuf
des Insectes. III. Mem. 123
efl logé dans une efpéce de cellule; mais qui ne le ren¬
ferme pas entièrement. Les œufs de notre première mou¬
che lont bien cachés dans les entailles où ils ont été
laides, au lieu que ceux de la dernière mouche font à
découvert en grande partie dans l’infiant même où ils
viennent d’être pondus. L’entaille faite pour recevoir deux
œufs pofés à côté l’un de l’autre, efl trop large pour que
les lèvres de la playe de l’écorce puiffent fe toucher lorfque
la mouche celfe d’agir contr’elles.
Quoique j’ave trouvé fur des rofiers des nichées
d’œufs, telles que je viens de les décrire, je ne fuis point
parvenu à voir en œuvre la mouche qui les y place avec
tant d’art; mais il efl ailé d’imaginer en quoi peut différer
fbn travail, du travail de l’autre mouche; pour l’effentiel,
pour le jeu de la fcie , il efl le même, & n’en diffère que
par la manière dont les entailles font diftribuées. Mais
pour ôter tout regret à ceux qui voudroient fçavoir plus
en détail les procédés de cette mouche induflrieufe , je
n’ai qu’à les renvoyer à M. Vallifnieri , qui a décrit
tous -ces procédés, comme il les fçavoit voir & décrire.
Cette mouche à fcie efl même celle qu’il a le plus fuivie
dans l’opération, c’eft celle dont il a fait graver la fcie;
& dont enfin il nous adonné une hifloire très-com-
plette.
Les figures & les defcriptions de M. Vallifnieri appren¬
dront même que les feies de cette mouche font encore
plus ouvragées que celles que nous avons fait repréfenter:
au lieu que ces dernières 11’ont qu’un de leurs côtés den¬
telles, que le dos ne l’efl point, le dos de celles que M.
Vallifnieri a fait graver, eftdentellé comme le côté qui lui
efl oppofé. Nous n’avons vû des dents femblables à celles
des peignes *, que fur une des faces de nos feies, & M. * pi. r
Vallifnieri a vû de ces fortes de dents aux deux faces des
Qi i
124 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
autres foies ; enfin, fi on fe donne le plaifir de lire ce que
ce célébré Auteur a écrit fur la fabrique de ces fcies, on
* pi. 15.% y apprendra que la pièce * qui forme une couliffe né-
9, ' o & 1 2.. ce (f a j re p OU1 - contenir les deux fcies pendant qu’ellesfont
en jeu, que cette pièce, dis-je, a deux conduits, dont il
penfe que l’un efl deftiné à laiffer paffer les œufs lorfqu’ils
font pouffés dans les cellules qui leur ont été préparées
dans la fubflance du rofier; & dont il croit l’autre deftiné
à fournir une liqueur qui doit arrofer les œufs à mefure
qu’ils paroiffent au jour. Les œufs m’ont pourtant paru
bien gros pour paffer par le premier canal, & ceux que
j’ai fut fortir du ventre, que je preffois avec les doigts,
font fortis par l’anus.
Comme les œufs, fi bien arrangés par paires, font à dé¬
couvert , ils font plus aifésà obferver que ceux que d’autres
mouches cachent dans des entailles qui les renferment
prefqu’entiérement. Auffi M. Vallifnieri a été à portée
de voir, &. a très-bien vu leur accroiflement & tous les
changements qui y arrivent jufqu’au moment où une
fauffe chenille eft en état de fortir de celui dans lequel
fes parties fe font développées & fortifiées.
Le rofier eft, ce femble, l’arbriffeau favori des fauffcs
chenilles & de leurs mouches : outre les deux efpéces de
ces dernières qui entaillent fi finguliérement fes tiges, j’y
* Fig. 6 . ai obfervé une mouche à fcie d’une plus petite efpéce *,
qui eft prefque toute noire; fa tête, fon corcelet&fes ailes
même le font; elle n’a de blanc que la partie moyenne
de chaque jambe. La fcie dont elle eft pourvue, eft appa¬
remment trop foible pour couper les fibres ligneufes du
rofier, ou peut-être que fes œufs ne feraient pas environnés
de parties propres à les tenir affés humides s’ils étoient logés
dans les tiges. Quoi qu’il en foit, cette mouche n’attaque
que des parties plus tendres Si plus abbreuvées de lue. Dans
des Insectes. III. Mem. 125
le commencement d’Avril, lorfque les rofiers avoient en¬
core la plupart de leurs feuilles pliées en éventail, j’ai vû
de ces mouches le promener fur les feuilles, comme les
autres fe promènent lur les branches. La mouche alloit
fur-tout fur la principale côte, elle la parcourait, elle
l’examinoit & ledéterminoit enfuiteà y faire une entaille,
dans laquelle elle dépofoit un œuf. La manière dont cette
mouche opère, n’a d’ailleurs rien de particulier. Je ne
lui ai jamais vû faire qu’une entaille de luite. Après l’avoir
faite, elle quittoit la feuille, elle alloit en parcourir d’autres
pour faire dans leur*greffe nervure une fente femblable
à celle que je lui avois vû faire dans la nervure de la pre¬
mière feuille. Quelquefois pourtant j’ai vû la mouche
revenir fur celle-ci, & l’entailler une fécondé fois, mais
dans un autre endroit.
Quand on connoît l’admirable ftruéïure de la fcie des
mouches des fauffes chenilles; quand on a vû quelques
efpéces de ces mouches l’employer à l’ufage pour lequel
elle paraît faite, on doit être l'urpris, lorfqu’on trouve les
œufs de diverfes efpéces de mouches à fcies qui femblent
finalement pofés & collés fur des feuilles; qui femblent
n’y être retenus que par une colle qui s’eft defféchée,
comme le font ceux des papillons, & ceux de tant d’au¬
tres mouches. La ftuffe chenille du grofelicr*, dont nous * Pi. jo.%
avons parlé au commencement de ce Mémoire, 1e mé- 4 -
tamorphofe dans une mouche* affés femblable à la pre- *Fig. 6 £7.
rniére mouche à fcie du relier, à celle qui fe contente
de difpofer fes œufs dans une feule file. Elle a, comme
celle-ci, le corps jaune, &le côté extérieur de chaque aîle
bordé de brun. Ses antennes font un peu plus longues
que celles de l’autre. Cette mouche laiffe fes œufs fous
les feuilles du grofelier contre les nervûres, ils y font à la
file les uns-des autres *. Les files néantmoins font fouvent * Fig. 8.
Qüj
126 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
interrompues. Mais ce qu’il y a Je plus remarquable, c’ell
qu’ils n’y femblcnt que collés; ils n’y paroiffent aucune¬
ment contenus dans des entailles. Quel ufage cette mou¬
che fait-elle donc de fa feie ! Peut-être s’en fert elle pour
faire une fente très-iégére fur l’endroit de la côte ou elle
applique fon oeuf, & que cette fente toute légère qu’elle
cft, fufht pour fournir à l’œuf une humidité qui peut lui
être néceifaire. J’ai vit auffi de ces mouches dans la
pofture où elles dévoient être pour faire des entailles*,
&jc les y ai vues de bien près. Plufieurs faillies chenilles
du groiciier entrèrent dans la terre du poudrier, où je les
avois renfermées au commencement de Septembre, pour
s’y faire des coques & s’y métamorphofer. Dans les pre¬
miers jours d’Avril de l’année fuivante, je vis paraître dans
le poudrier les mouches de ces fauffes chenilles. Quatre à
cinq jours après quelles y furent nées, j’en tirai deux du
poudrier, une mouche mâle & une mouche fémelle. Je
les mis dans un autre poudrier, dans lequel j’introduifis
une branche de grofelier, fans la caffer ni la détacher de
l’arbufîe. La mouche fémelle parcourut une des feuilles,
pafîa deffous, 6 c dès les premiers in liants, elle me montra
qu’elle cherchoit à y faire fes œufs. A peine un demi-
quart d’heure setoit écoulé, quelle avoit déjà com¬
mencé fa ponte, 6 c au bout d’un quart d’heure, elle
avoit pondu dix œufs oblongs quelle avoit placés fur la
partie la plus relevée d’une côte. Chaque fois que cette
mouche vouloit pondre un nouvel œuf, elle lé pofoit
comme h elle eut voulu entailler la place dans laquelle
elle avoit envie de le mettre. Aucun œuf pourtant ne
s’eft trouvé logé même en partie dans une cavité fen-
hble. Les œufs que je voulus détacher étoient fi adhé¬
rents, que je ne pus y parvenir fins lescréver; 6 c une
loupe affes forte ne put me faire découvrir l’entaille qui
des Insectes. III. Alan. 1 27
pouvoii être bouchée par la peau de l’œuf qui y étoit
relié attachée.
Les mouches * qui viennent des faufles chenilles * qui * PI. m. %.
paroilfent en grand nombre fur une feuille d'ofier dans 5 cx 6 ‘
des attitudes fi variées & fi bizarres, font encore de celles * Fl °‘ 3 *
qui ont Je corps jaune; mais le côté extérieur de leurs
aîlcs n’a pas le bordé brun qu’a le côté extérieur des ailes
des mouches précédentes. Eiles ont une fcie, fur l’ufage
de laquelle je fuis encore plus embarralfé que fur celui de
la fcie des mouches du grofelier. Elles ne choifilfent pas
les côtes des feuilles pour y lailfer leurs œufs, elles les
appliquent fur la feuille même*, où elles les arrangent *F.g. 8&<j.
les uns auprès des autres, elles les y arrangent même en
recouvrement. Les œufs forment enlcmhle une plaque.
J’ai eu beau découvrir les endroits cachés par des plaques
d’œufs, & y chercher des incifions, la loupe n’a pu m’y en
faire appercevoir. La matière gluante qui enduit les œufs,
fuffiroit-elle pour boucher ces incifions, & les empêcher
d’être vifiblesî Pour cela, il faut qu’elles foient bien petites;
d’ailleurs, l’endroit où elles font, s’il y en a, n’en pnroît
pas fouffrir, fa couleur n’efl pas plus altérée que celle du
refte.
Il m’a été plus aifé de voir fur les œufs de ces dernières
mouches, que fur ceux d’aucunes autres, combien l’ac-
croilfement qui fe fait dans ceux desfluifles chenilles, eft
confidérable. J’ai comparé de ces œufs, de chacun def-
quels l’infeéle étoit prêt à fortir, avec d’autres ailes nou¬
vellement pondus ; les premiers avoient au moins un
volume double de celui des féconds. Ceux qui ne vien¬
nent que d’être mis au jour, font oblongs, arrondis par
les deux bouts, blancs & tranfparents; ils n’ont pour en¬
veloppe qu’une membrane mince & flexible. Au bout
de quelques jours, on voit dedans une portion jaunâtre.
128 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
Quand ils font plus avancés, on y découvre deux points
noirs qu’on juge être les yeux; enfin, fi on les confderc vis-
à-vis le grand jour, lorsqu'ils font affés près d’être à ter¬
me, on y apperçoit la fauffe chenille qui m’a paru y être
pliée en deux; i’accroilfement fubit fè fait dans les derniers
jours.
Celui qu’y prennent les vers de ces mouches, & ceux des
autres mouches à fcie, eft affûrément très-remarquable. La
coque de l’œuf, fon enveloppe, elt-elle une efpéce de pla¬
centa qui s’abbreuve, qui s’imbibe du fuc de la partie de
la plante fur laquelle elle efl polée, &d’un fuc qui non-
feulement Ja fait croître, mais qui fournit à l’accroiffe-
ment de i’embrion qu’elle renferme! Uti œuf qui a été
dépofé dans la fente faite à une tige de rofier, y elî-il
greffé en quelque forte! Doit -il s’approprier le fuc de
i’arbufte comme l’œilleton d’un arbre, logé dans la fente
faite à i ’écorce d’un autre arbre s'approprierait le fuc de
cet arbre! Il femble que cela foit ainfi. A la vérité, les œufs
de quelques fauffes chenilles le trouvent pofés immédia¬
tement fur des feuilles où nous n’avons pu découvrir d’in-
cifion ; mais il ne s’enfuit pas de-là, que ces feuilles ne
puiffent pas fournir aux œufs au moins l’humidité qu’elles
laiffent tranfpirer. J’ai fait une expérience qui prouve dé-
cifivement qu’il efl effentiel à l’œuf que cette humidité
lui foit fournie par la feuille. J’ai gardé plu (leurs fois dans
des poudriers des feuilles d’ofîer , fur lefquelles il y avoit
des œufs de ces fauffes chenilles. Les feuilles s’y font
deffcchées, & les œufs s’y font defféchés de même, ce
qui ed arrivé à M. Bazin comme à moi. Des œufs de
papillons qui auraient été laiffés fur une feuille qui fe
ferait defféchée, n’en auraient pas moins donné pour
cela des chenilles J’ai pris enfuite le parti de mettre dans
1 eau le bout des feuilles fur lefquelles il y avoit des nichées
d’œufs
des Insectes. III. Mem. 129
d’œufs de faufles chenilles. Les feuilles ont par ce moyen
confervé leur fraîcheur; auffi les œufs n’ont-ils paru fouf-
frir aucunement. J’ai vû fortir des fauffes chenilles des
uns au bout de quatre à cinq jours, & des autres au bout
de lix à fept jours. Je crois avoir obfervé des plaques de
ces œufs* compoféesde deux couches, ce qui lemble for¬
mer une grandedifficulté fur la manière dont lenourriffent
les œufs de la fécondé couche. Cependant (i la mouche les
entaffe ainfi.il faut qu’elle le puiffe faire fans inconvénient.
On doit penfer que l’humidité qui s’élève de la feuille,
parvient à la fécondé couche d’œufs, ou que les œufs de
la première couche fourniffent à ceux de la fécondé ce
qu’ils ont de trop d’humidité, &qui fuffit à ceux-ci.
Au relie, ce n’ell pas un ouvrage difficile pour la fuilfe
chenille, dont toutes les parties lont bien formées, que
celui de percer la membrane qui la renferme, Si qui fait
la coque de l’œuf. On la voit fortir, par l’ouverture quelle
y a faite, la tête la première. Peu après quelle eft née elle
mange; elle efl alors plus difficile qu’elle ne le fera dans
la fuite fur le choix des parties des feuilles. Cette fauffe
chenille, qui, dans la fuite, n’épargnera pas les plus greffes
fibres des feuilles qu’elle aime, le contente alors d’en dé¬
tacher le parenchime. Quelques femaines luffifent à celles
de plufieurs efpéces, pour prendre tout leur accroiffement,
pour être en état de l'ubir leur première métamorphofe;
auffi y a t-il au moins deux générations par an des mou¬
ches à feie qui paroiffent au commencement du prin¬
temps, comme de celles du rofier, de celles du grofelier&
de celles de l’ofier, Sc fans doute de beaucoup d’autres.
Les obfervations exaéles de M. Vallilnieri, nous appren¬
nent que des fauffes chenilles forties d’œufs pondus de¬
puis 1 q. à 15 jours, Si vers le 6 May, étoient le 1 3 Juin,
Tome V. . R
130 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
des mouches parfaites, des mouches en état d’entailler le
rofier & de pondre à leur tour.
EXPLICATION DES FIGURES
DU TROISIE'ME MEMOIRE .
Planche X.
La Figure 1 repréfente une branche de rofier, dans la
tige de laquelle une faulfe chenille sert établie. En a paroît
un tas de grains noirs, qui font les excréments que la faulfe
chenille y a apportés & entalfés.
La Figure 2 efl celle de la tige de la figure première,
qui a été fendue'pour mettre à découvert l’intérieur du
tuyau, a b, la partie qui a été remplie d’excréments, bc,
la partie du tuyau qui efl vuide. c d, la faulfe chenille,
dont la tête elt cachée dans l’endroit quelle elt occupée à
crcufer.
La Figure 3 montre en fon entier la faulfe chenille
de la figure précédente, qui eft de la clalfe de celles à
22 jambes, & d’un jaune blancheatre. Elle elt de celles
qui ont une petite tête; la fienne elt noire.
La Fig. 4 fait voir plufieurs faulfes chenilles fff &c.
en des pofitions & des attitudes différentes, occupées à
manger une feuille de grolêlier. cd , cd , &c. les grolfes
côtes de la feuille qui ont été épargnées, pendant que ce
qui étoit entr’elles a été dévoré.
La Figure 5 elt celle d’une des faulfes chenilles de la
figure 4, un peu plus allongée.
La Figure 6 repréfentc une mouche de l’efpéce de
celles dans lefquelles les faulfes chenilles précédentes le
transforment.
des Insectes. III. Mem. 1 3 1
Dans Ja Figure 7, on voit la mouche de la figure 6,
dans l’attitude où elle elt lorfqu elle pond.
La Figure 8 montre une petite feuille de grofclier,
fur les côtes de laquelle des œufs ont été lai (Tés & arran¬
gés à la hle par une mouche telle que celle de la figure 7.
Les Figures 9 & 10 font celles de la même faillie che¬
nille, qui vit fur le grofelier épineux. Elle ert roulée figure 9,
& étendue figure 1 o. Elle a 20 jambes. Son corps elt d’un
vert très-clair.
La Figure 1 1 repréfente en c la coque que s’étoit faite
une faiilte chenille de l’efpéce de celle des deux dernières
figures.
La Figure 12 efl celle d’une faillie chenille qui s’ac¬
commode fort des feuilles du furcau , & de celles de
l’hieble. Elle a 22 jambes. Avant la muë, le delfiis de Ion
corps efl d’un brun-clair, & le relie d’un blanc-verdâtre;
quand elle a mué, elle elt par-tout verdâtre.
La Figure 1 3 fait voir une faillie chenille qui ellprefque
noire, d’une couleur plus foncée que i’ardoifé. Dans le
mois d’Août, j’en ai trouvé un grand nombre de cette
efpéce fur le même pied d’ofeille. Dès que je touchois
les feuilles de ce pied, toutes fe lailfoient tomber. Elles
font entrées en terre pour fe métamorphofer. J’ignore 11
elles ont 22,011 feulement 20 jambes.
La Figure 14 efl celle de la mouche dans laquelle fe
transforme la faufTe chenille de la figure 1 3.
La Figure 1 5 repréfente une coque faite d’une elpéce
d’écume qui a pris confiltance, par une fiiulfe chenille
de forme qui elt des plus petites.
La Figure 16 efl celle de la mouche qui elt fortie chés
moy de la coque précédente.
La Figure 17 fait voir en grand la feie que la petite
mouche de la figure 16 porte à fon derrière.
Ri]
1 32 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
Planche XI.
La Figure 1 repréfente une feuille d’aune qui eft ac¬
tuellement rongée par quatre fauffes chenilles qui font
toutes dans des attitudes différentes. Celle de la faulfe
chenille marquée b , efi celle qui leur efi la plus ordinaire.
Elles ont chacune 20 jambes. Leur tête efi noire, leur
premier anneau efi jaune, & le refte jaunâtre: les points
allignés fur les côtés, font noirs; le deffous du ventre a
d’un bout à l’autre une traînée de points noirs fèmblable
à une de celles des côtés.
La Figure 2 eft celle de la mouche dans laquelle s’cfi
métamorphofée une des fauffes chenilles de la figirre pré¬
cédente. Elle a paru chés moy les derniers jours d’Avril;
elle eft fortie alors de la terre où elle étoit entrée fous la
forme de fauffe chenille au commencement d'Oélobre.
La Figure 3 fait voir une branche d’ofier, dont une
des feuilles eft, pour ainfi dire, bordée de fauffes che¬
nilles, dont les unes l’ont prefque mangée à moitié de
tout du long, & dont les autres font occupées à l’enta¬
mer de l’autre côté. Pendant que ces fauffes chenilles
m tngeni, elles prennent, comme celles de la figure 1 , dif¬
férentes attitudes toutes très-bizarres. Au bas de la tige,
il ne refie plus que la côte rrr,& quelquesgroffes fibres
ff, f, &e. d’une feuille qui a été mangée par les fauflès
chenilles.
La Fig. q.efi celîed’une des fauffes chenilles delà figure 5
lin peu greffe & étendue. Elle a 20 jambes. Le fond de la
couleur de Ion corps efi un verd-blancheâtre, fur lequel il
y a des rayes noires qui vont de la tête au derrière.
La Figure 5 efi celle d’une des mouches mâles, dans la¬
quelle une des fauffes chenilles précédentes s’efi métamor¬
phofée. La femelle de la même mouche efi reprélentée
des Insectes» III. Mem. 133
de grandeur naturelle, & plus grande que nature, tome iv.
pl. 1 o. fig. 7 & 8. Dans la figure plus grande que nature,
on a donné le caractère de la difpofition d’aîles propre aux
mouches à fcie. Quand les mouches des faillies chenilles
de l’ofier viennent de naître, leur corps efl d’un beau verd,
par la fuite il devient d’un verd-jaunâtre & même jaune.
Celles qui ont paffé l’hyver en terre dans des coques de
foye, ont paru au jour clics moy à la fin d’Avril.
La Figure 6 montre par-deffous le mâle de la figure y,
ou un autre mâle de mouche à fcie. O11 n’y voit point au
bout du derrière, en f, une fente pareille à celle qu’on
voit au même endroit de la femelle , la fente où la fcie
efl logée.
La Figure 7 fait voir le derrière du mâle de la figure 6 ,
groffi, & dans un moment où la preffion a obligé à fe
montrer des parties, qui, dans l’état ordinaire font cachées.
4 4 deux lames folides & concaves qui font un étui à la
partie qui caraélérife le mâle, & qui lui fervent à faifir le
derrière de la fémelle. a, l’anus qui efl par derrière la par¬
tie qui caraélérife le mâle, m, m, la partie propre au mâle,
ou fon fourreau immédiat.
Dans la Figure 8, paroît un tas d’œufs laiffé fur une
feuille d’ofier par la mouche fémelle ; des fauffes chenilles
femblables à celles de la figure 3 en doivent fortir.
La Figure 9 repréfentedes œufs femblables à ceux de la
nichée de la figure 8, mais elle les repréfente plus entaffés,
& même en recouvrement les uns fur les autres.
La Figure 10 fait voir dans fa grandeur naturelle la
mouche à fcie, qui vient d’une fauffe chenille du faule,
qui a été gravée, tome 1. pl. 1. fig. 18. Cette fauffe che¬
nille a 20 jambes. Elle efl remarquable par lès couleurs,
& leur diflribution. Le fond de la couleur de la plus lon¬
gue partie du corps efl un bleu verdâtre, un céladon plus
i34 Mémoires pour l’Histoire
bleuâtre que l’ordinaire. Les trois premiers anneaux font
d’un brun-tanné,& la partie poftérieure efi du même brun.
Elle a outre cela diverles lignes longitudinales, tracées paj*
des points noirs.
La Figure i i fait voir en grand & par-deffous, le bout
du corps d’une mouche à fcie telle que celle de la figure
precedente, f, la fente où la fcie efi logée.
DanslaFig. i 2,auffi groffie quela précédente,onvoit la
fcie_/jque laprelfion des doigts a forcé deparoître au jour.
Planche XII.
La Figure i repréfente une feuille de poirier, fur la¬
quelle font trois fauffes chenilles du genre de celles que
j’ai appellées têtards, a, b, c, marquent ces trois faillies
chenilles. En p ,p, p, le parenchime de la feuille a été
mangé par ces infeétes.
Les Figures 2,3 & 4 font celles d’une fauffe chenille
têtard très-groffie, & v ue en différents temps, & en des lêns
différents. Dans la figure 2, la fauffe chenille ne montre
qu’un de fes côtés, & fait voir fa tête & fes jambes. Dans
la figure 3,1a fiiuffe chenille efi vue par-deffus, ayant la
partie antérieure a b, renflée. Dans la figure q., la fauffe
chenille efi vue par-deffous.
La Figure 5 repréfente la mouche dans laquelle fe trans¬
forme la chenille têtard de la figure 1.
La Figure 6 efi celle d’une mouche venue d’une faufie
chenille têtard, quiavoit vécu fur le cerifier. Cette mou¬
che efi affés femblable à celle de la figure précédente, &
je ne fuis pas fur quelle en diffère fpécifiquement. Elles
font r une & l’autre de la claffe des mouches qui ont une
bouche & des dents.
La Figure 7 fait voir par-deffus, & dans fa grandeur
naturelle, une fauffe chenille épinculë du chêne, qui efi
des Insecte?. III. Mem. 133
beaucoup grofiie dans la figure 8, & qui y efi vue par-
deffous & de côté. Cette fauffe chenille a 22 jambes.
Les Figures 9 & 10 font celles de deux épines de la
fauffe chenille précédente.
La Figure 1 1 montre la fauffe chenille de la figure 7,
dans le moment où elle achevé de fe tirer de fa dépouille.
d, dépouille qui a été prelque pouffée fur les derniers an¬
neaux.
Dans la Figure 12, on voit la fiuffe chenille de la
figure 7, mais qui a mué, & qui alors eft liffe; en fe dé-
faifant de fa dépouille, elle s’efi défaite de fes épines.
La Figure 1 3 repréfente dans la grandeur naturelle une
fauffe chenille épineufe à 22 jambes, qui vit de feuilles
de prunier. La même chenille efi beaucoup grofiie dans la
figure 14.
La Figure 15 efi celle d’une des épines de la fitufle
chenille précédente, vue au microfcope.
La Figure 16 efi celle de la mouche à feie, dans la¬
quelle s’efi transformée la fauffe chenille de la figure 1 3.
Cette mouche n’a paru que dans le mois d’Avril; elle a
paffé l’hyver dans fa coque; fon corps efi jaune, & fes
ailes font teintes d’un brun un peu verdâtre.
La Figure 17 efi celle d’une fauffe chenille de faune
qui efi parmi les fauffes chenilles, ce que font parmi les
chenilles celles que j’ai appellées cloportes. Ses anneaux
s’emboîtent les uns dans les autres. Elle efi plus applatie
que ne le font les fauffes chenilles ordinaires; elle efi verte.
J’ai eu une autre fauffe chenille de l’aune, qui étoit blan¬
che, & couverte de poudre; mais fa figure étoit celle des
fauffes chenilles ordinaires.
La Figure 1 8, efi la figure 17 grofiie à la loupe.
Les Figures 19, 20 & 21 repréfentent la même faufie
chenille, qui efi d’une des elpéccs de celles qui vivent de
I 3 6 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
feuilles de rofier. Elle efi étenduë dans la figure 19 ; mais
Ion attitude la plus ordinaire, & qui efi finguliére,eft celle
de la figure 20, où elle efi roulée en barillet de bougie.
Elle efi encore roulée dans la figure 2 1 ; mais l'on bout
pofiérieurnes’y éieve pas, comme il s’élève dans la figure
20. Elle a 22 jambes; le deffus de l'on corps efi d’un
beau verd, & chacun de les côtés a une bande d’un verd-
jaunatre. Obl'ervée à la loupe, elle paroît chagrinée. De
petits grains blancs comme offeux, & faits en lames poin-
tueSjbordent le contour de chacun de les anneaux.
Planche XIII.
La Figure 1 repréfente dans fa grandeur naturelle &
étenduë une fauffe chenille qui fe nourrit de feuilles de
chevre-feuille.
Dans la Figure 2, la faillie chenille de la figure première
cil roulée, comme elle l’efi ordinairement.
La Figure 3 efl celle de la tête de la fan fie chenille
précédente, vue de face.
La Figure 4 montre une coque c attachée à une pe¬
tite feuille de chevre-feuille. Elle efi de lôye, & a été faite
par une faufle chenille renfermée dans un poudrier où il
n’y avoit point de terre.
La Figure 5 efi celle d’une coque moins applatie que
la précédente, quoique faite par une fauffe chenille de
même efpéce que celle qui a fait l’autre coque.
La Figure 6 fait voir une moitié de la coque de la
figure 5 qui a été coupée tranfverfalement, afin qu’011 en
pût tirer la nymphe qui y étoit renfermée. Le tifiu exté¬
rieur^^ efi différent du tifiu intérieur /. Chaque coque
entière efi compofée de deux coques, dont l’une efi mile
dans l’autre; mais cela fera mieux expliqué par les figures
de la planche 14.
La
des Insectes. III. Menu 137
La Figure 7 eft celle d’une nymphe tirée d’une des
coques précédentes, de la nymphe dans laquelle fè trans¬
forme fa fauffe chenille des figures 1 Si 2.
La Figure 8 repréfente la mouche dans laquelle la
nymphe de la figure 7 s’eft métamorphofée. Elle a ici
les ailes écartées du corps, comme elle les a quand elle
fedilpofe à voler. Sa couleur approche de celle des mou¬
ches à miel. Ces mouches font i’01 tics chés moy de leurs
coques au commencement de Mai.
La Figure ÿ montre très en grand, une des antennes
de la mouche précédente; elle eft de ces antennes que
nous avons nommées en maflue.
La Figure 10 repréfente encore une mouche d’une
fauffe chenille du chevre-feuille; celle-ci a aéfuellement
fes ailes croifées fur le corps; c’eft le mâle, & celle de la
figure 8 eft la fémelle; fon corps eft plus long, plus effile
que celui de l’autre.
La Figure 1 1 fait voir en grand Si par-deffous, la tête
d’une des mouches précédentes, d, d, les deux grandes
dents ou mâchoires, qui ont chacune trois dentelûres ou
petites dents. Au-deftous eft la lèvre inférieure, figurée en
palette, de chaque côté de laquelle partent deux appen¬
dices lonçucts.
Les Figures 1 2 Si r 3 repréfentent la même ftiufte che¬
nille; elle eft étendue dans la figure 1 2, comme elle l’eft
quand elle marche; & dans la figure 13, elle eft roulée,
comme elle fe roule volontiers. Cette fauffe chenille vit
fur la fcrophulaire; elle a 22 jambes.
Les Figures iq.& 1 3 font encore celles de la faufTe
chenille étendue & roulée, des figures 1 2 & 13; mais les
nouvelles figures la repréfentent après fa dernière muë.
La peau quelle a alors, n’a plus les couleurs & les taches
qu’avoit la peau quelle a quittée.
Tome V . S
MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
La Figure 16 fait voir une des fauffes chenilles pré¬
cédentes dans une coque qu’elle s’eft faite en liant enfem-
ble des grains de terre pour s’y métamorphofer en nymphe.
La coque dans fon état naturel eft fermée de toutes parts ;
on lui a fait l’ouverture qui permet de voir la faulfe che¬
nille.
La Figure 17 montre dans fa grandeur naturelle la
nymphe qui eft groffie dans la figure 18. Cette nymphe
a été tirée d’une coque femblable à celle de la ligure 16.
Les Figures 1 9 & 20 représentent la mouche dans la¬
quelle fe transforme la faulfe chenille des figures 12, 13,
1 q & 1 5 ; elle a les ailes croifées fur le corps, figure 1 9,
& écartées du corps, figure 20. Son corps eft plus allon¬
gé que 11e l’cft celui des mouches des fauffes chenilles les
plus ordinaires; il a quelque choie de la forme de celui
de certaines guefpes, auquel il reffemble encore par la
couleur. Ses anneaux font jaunes & bordés de noir.
La Figure 2 1 eft celle de la partie poftérieurc du corps
de la femelle en grand, a, l’anus. I, /, deux pièces qui com-
pofent l’étui de la fcie./j la fcie.
La Figure 22 montre encore le bout poftérieur du
corps de la même mouche, grofti ; mais dans un temps
où, en preffant le ventre, on a obligé à paraître des par¬
ties qui font ordinairement cachées, a, l’anus. I, /, deux
iames écailleufes, creufées en cuillier, qui font 1 étui delà
fci G.f, la fcie, ou, plus exactement, les deux fcies appliquées
i’une contre l’autre, d, d, prolongements de chacune des
fcies, qui font écailleux, & qui fervent à les faire jouer
alternativement, e, e, tendons qui peuvent aider au jeu
des fcies.
La Figure 23 fait voir en grand & de côté, la double
fcie des figures précédentes, fq, eft le dos de la pièce,
dans laquelle eft çreufée une couliffe qui maintient les
des Insectes. III. Alem. 139
deux fries. //, eft une des fcies, & la feule vifible dans cette
pofition , parce quelle eft immédiatement appliquée fur
l'autre fcie qui lui eft égale Si femblable. d, prolonge-
ment de la fcie, l’efpéce de manche qui fert à la faire
jouer.
Planche XIV.
Les Figures i Si 2 font voir la même faillie chenille
du rofier en deux poftures différentes. Son corps rit plié
en f, Si fa partie poftéricure eft relevée dans la figure 1 ;
dans la figure 2, la partie poftérieure eft feule recourbée
en défions. La branche de rofier qui pendoit en bas lorf-
qu’ellc a été deffinée, fe trouve ici dans une femblable
pofition.
Dans la Figure 3,011 a représenté la faillie chenille des
figures précédentesgroffie & allongée,comme elle l’cftlorf-
qu’clle marche, pour faire voir l’arrangement de l'es jambes.
La Figure q. rit en grand celle d’une des jambes écail-
leufes de la fauffe chenille, une des fix premières. c,c, deux
crochets par lcfqucls elle rit terminée.
La Figure 5 montre une feuille de rofier fur laquelle une
fauffe chenille s’étoit Lite une coque, parce qu’elle n’avoit
point de terre dans laquelle elle pût entrer, c, la coque.
La Figure 6 fait voir une coque de ces bluffes che¬
nilles, qui avoit été faite en terre; mais qui, après en
avoir été tirée, a été bien nettoyée, broffée Si même
lavée. On a voulu montrer que la coque eft double,
qu’une coque d’un tiffu plus mince & plus ferré, rit con¬
tenue dans une coque d’un tiffu à groffes mailles Si roides.
a, a, partie de la coque extérieure. Le refte de cette coque
a été emporté avec un canif; ainfi la coque intérieure a
été mile à découvert en b.
S ij
14 O MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
La Fig. 7 eft celle de la coque intérieure qui a été tirée
îiors de la portion de la coque extérieure, a a, figure 6.
La Figure 8 eft la portion de la coque extérieure na,
qui eft actuellement vuide, parceque la coque de lafigure
7, en ell dehors.
La Figure 9 eft en grand , celle d’une portion du rezeau
de la coque extérieure.
La Figure 10 repréfente une des mouches qui fortent
des coques précédentes, de celles dans lefquelles les faufies
chenilles des figures \ & 2 le transforment,après avoir palié
par l’état de nymphe. Elle cfl vûe par-deffus dans cette
figure, ayant les ailes croifées fur le corps.
Les Figures 1 1 & 12 repréfentent deux mouches de
même efpéce que la précédente, mais de différent fexe,
viles par-defîous. La figure 1 1 , qui eft celle de la femelle,
a en f, une fente où la Icie cfl logée; on 11e voit point une
pareille fente à la figure 12, qui eft celle de la mouche
mâle.
La Figure 1 3 montre dans fa grandeur naturelle une
Franche de rofier, dans laquelle la mouche de la figure 1 1
a fait diverfes entailles, pour y loger autant d’œufs quelle
a fait d’entailles. Ces entailles font difpoféesfur une même
ligne entre 0, Si p.
Dans la Figure 14, une portion rie la branche pré¬
cédente ell groftie à la loupe; les entailles y font plus
fenfihles.
La Figure i 5 eft celle d’une portion de branche groffic
au microfcope. Elle n’a que deux entailles e,e, mais dont
iadireéfion & la courbure eft mieux exprimée, Ôc. rendue
plus fenfible que dans les figures précédentes.
La Figure 1 6 eft encore deffinée au microfcope, & fait
voir l’état où le trouvent au bout de quelques jours, les
des Insectes. IJI. Mem. 141
parties qui répondent à deux entailles, telles que celles e, e,
figure 1 5 , qui étoient récemment faites. On voit les deux
convexités qui le font formées en e, e.
La figure 17, qui n’efl pas grofïie confidérablement,
fait voir une file d’entailles obfervées dans un temps
encore plus avancé que celles de la figure précédente.
Alors elles forment une file de demi-grains de cha-
Figure 18 a été vue avec un verre qui grofTifîbit
autant que celui à l’aide duquel on a deftiné les ligures
1 5 & 16. Dans la ligure 1 8, on a enlevé l’écorce pe ee,
& une mince feuille du bois qui recouvroit la partie d’une
branche de rofier qui avoit été entaillée; ainfi, on a
mis à découvert la file de cellules, dont on ne voit que
les fentes ou ouvertures dans les autres ligures, dfc, cfd,
font deux de ces cellules, o, 0, l’œuf que chacune d’elles
renferme, f les fibres ligneufesqui ont été forcées de pren¬
dre de la convexité, pendant que l’œuf qu’elles couvrent,
a pris plus de volume.
Planche XV.
La Figure 1 repréfente dans fa grandeur naturelle un
morceau de branche de rofier, dans lequel eft une entaille
offo, où des œufs font arrangés dans deux files; la
mouche à feie qui a fait l’entaille & arrangé les œufs, eft
d’une efpéce différente de celle des figures 10, 11 & 1 2,
planche x^.ff uo, les deux files d’œufs.
La Figure 2 eft la figure 1 groffie à la loupe.
Dans la Figure 3, on n’a qu’une portion d’une des
figures précédentes; mais vue au travers d'un verre qui
grolfiffoit plus que celui dont on s’étoit fervi pour la
figure 2. Ici on diftingue aifément les efpéces de boîtes
S iij
142 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
Jigneufes, dans chacune defquelles un œuf eh logé. 0,0,0,
f,f,f fix œufs pofés dans fix cellules. Plus les œufs grof-
fiffent,& plus ils font à découvert ; en croiffant, ils obligent
l’entaille à s’ouvrir de plus en plus.
La Figure 4 repréfente en grand une antenne de la
mouche de la figure 12, planche 14. De chaque côté
cette antenne eft bordée d’une frange de poils ad, ad,
La mouche à laquelle elle appartient, eh mâle.
La Figure 5 montre une autre antenne auffi ou plus
grolhe que celle de la figure précédente, mais qui n’a
point la frange de poils qu’a l’autre. Elle eft l’antenne de
la mouche de la figure 1 1, planche 14, c’eft-à-dire, qu’elle
eft l’antenne de la fémelle.
La Figure 6 eft celle d’une mouche qui fait les en¬
tailles où elle loge fes œufs, dans les groffes côtes des
feuilles de rofier. Elle paroît ici occupée à faire entrer fa
feie dans la côte d’une feuille nouvellement développée,
& qui eft encore pliée en deux. Cette mouche eft toute
noire, elle a feulement une partie de chaque jambe jau¬
nâtre.
La Figure 7 fait voir le derrière de la mouche à feie
de la figure 11, planche 14, extrêmement groffi, & par-
deflous. 4 4 deux lames creufes, qui enfemble fervent à
couvrir la feie, à lui faire une efpéce d’étui; le bout de
chacune de ces lames, a un bordé noir & écailleux. Le
ï efte eft jaune, & a moins de confiftance.
La Figure 8 eft celle du bout poftérieur du corps de la
même mouche, qui eft repréfenté dans la figure 7, mais qui
ici eftvûdansun temps différent, fçavoir, dans un moment,
où, en preffant le ventre entre deux doigts, on force la
feie à fe montrer, le, le , les deux pièces, qui dans les
temps ordinaires, couvrent la feie, & qui étant un peu
des Insectes. III Aient . 143
écartées l’une de l’autre, la laiffent paroître. f, la feie.
a, l’anus.
La Figure 9 montre la feie marquée f, figure 8, déta¬
chée du ventre, extrêmement grofiie, à plat & de côté.
cr , eft un des côtés de la codifié, dans laquelle le dos de
la double feie, ou les dos des deux feies font logés, fd, la
double feie avec fes dents. Sur le plat de la même feie,
font d’autres dents femblabics à celles des peignes, expri¬
mées plus en grand & plus nettement dans la figure i i.
Dans la Figure i o, on a féparé l’une de l’autre les deux
feies, qui enlemble conipofent la double feie. c r, une
des pièces écailleufes, qui fait un des côtés de la codifié.
eafx, une des feies qui a été tirée de fa codifié, & jettée
fur le côté. £d t, l’autre feie qui elt reliée en place, & qui
efi en partie dans fa codifié, t, portion de la queue de la
feie £. x, portion de la queue de la feie f
La Figure i i repréfente le bout, & une petite portion
d’une des feies eaf, ou ^d, vue avec un microfcope qui
grofiit beaucoup, p,p, p, les dents femblables à celles d’un
peigne, diftribuées en autant de rangs qu’il y a de dents
fur le tranchant de la lcie ; la face où elles font, l’exté¬
rieure a quelque convexité.^ d, d,d, à\ les grandes dents
de la lcie, qui font elles mêmes dentellées; leurs den¬
telures font inclinées vers la pointe de la lcie.
La Figure i 2 fait voir de face le dos de l’afTemblage
qui forme la codifié, cr, cr, deux pièces écailleufes. On
ne voit qu’une de ces pièces, marquée par les mêmes
lettres dans les figures 9 & 10. m, n, membranes qui tien¬
nent afièmblées les parties écailleufes cr, c r,Si qui leur
permettent de s’écarter plus ou moins, b, b, bouquets de
poils, a, n, chairs qui tiennent aux pièces qui compofent
la codifié.
144 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
La Figure 13 repréfente une des deux fcies qui a été
ôtée à une mouche d’une efpéce différente de celle des
rofiers, & fert à donner un exemple des variétés qu’on
peut trouver entre les fcies des différentes mouches. Sur
îe plat, ou plutôt fur le convexe de la dernière, on ne
découvre point de ces dents en peigne marquées p,p,p,
figure 1 1. On voit auffi que les grandes dents l'aillent
moins, fortent moins de la fcie, que ne fortent celles de
la figure qui vient d’être citée.
La Figure 14 n’efi que celle d’une portion de la figure
13 ; mais on voit mieux dans cette figure que dans la pré¬
cédente, que les grandes dents d d d, font elles-mêmes
dentellées, & que leur dentclûre efl plus fine que celle des
dents de la figure 11. -
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ftaussus-l J a*Ip
des Insectes. IV. Mem. 145
QU ATR I E' ME MEMOIRE.
SUR LES CIGALES;
ET SUR QUELQUES MOUCHES
de genres approchants du leur.
L Es Cigales ne font pas de ces infeéïes qui ont refié
ignores pendant une longue fuite de ficelés; elles ne
font pas de ceux qui n’ont pu être découverts que par des
Obfervateurs curieux & attentifs ; elles ont été connues
il y a long-temps. La groffeur de celles * qui font les plus * pi. 16. n».
communes, les met à portée des yeux les moins accoii- l > 2 > 5
tumés à s’arrêter fur de petits objets. D’ailleurs elles font
renommées pour leur chant. Cette efpéce de chant, ou de
bruit qu’elles font entendre vers le temps de la moiffon,
&. qui 11e plaît pas toujours, les a fait chercher par ceux
mêmes qui fe foucioient le moins de connoïtre les petits
animaux. Ils ont voulu fçavoir d’où venoit un bruit qui
les importunoit. Les pays chauds font ceux où elles le
plaifent. Dans le Royaume, je ne fçache pas qu’on les
connoiffe ailleurs que dans la Provence & dans le Lan¬
guedoc. Mais comme on a par tout oui parler de leur
chant, dans plulieurs provinces ou on ne trouve point de
cigales, on en donne le nom à certaines efpéces de fau-
terelles, foit ailées, foit non ailées, qui font de grandes
chanteufes. Quelques-unes de ce s provinces peuvent
pourtant avoir des cigales, mais qui n’y ont pas été obfer-
vées, parce qu’elles y font rares. Il y a quelques années
que M. du Hamel m’apporta une dépouille bien com-
plette, & qui lui fembloit avoir été lailfée par un fearabé
Tojne V. . T
1+6 MEMOIRES POUR L'HlSTOIRE
dans l’inftant où il s’étoit transformé. Il l’avoit trouvée
à fa terre de Nainvilliers, près de Petiviers en Beauce. Je
l’afTurai qu’une cigale étoit fortie de cette dépouille; que
cette dépouille apprenoit qu’il devoit trouver des cigales
dans la terre. II y en chercha l’année fuivante, & il y
en trouva quelques-unes qu’il m’adonnées, & qui font
* Pi. 1 6 . 6 g. de fclpéce des plus grandes cigales * de la Provence & du
*' Languedoc.
Ce n’efl pas parce que les cigales font des mouches à
corps court ou ellipfoïde, que nous nous fommes déter¬
minés à les placer à la fuite des mouches à feie ; mais
parce qu’elles leur relfemblent par i’induftrie avec la¬
quelle elles mettent leurs œufs à couvert & en fureté.
Elles font d’ailleurs bien autrement grandes que les mou¬
ches à feie. Parmi les genres de mouches à corps court,
il n’y en a point dans le Royaume, dont les mouches ayent
le corps aulh gros que celui des cigales des grandes clpé-
* Fig. 8 & 9. ces; le corps des cigales des petites efpéces*, ell encore
plus gros que celui des frelons, c’eft-à-dire, que celui des
mouches que nous regardons comme fort grolfes.
Au premier coup d’œil, la forme de la cigale paroît
* Fig. i. grolfiére. La tête * n’elt pas proportionnée avec les autres
ô ' 2, parties, comme elle l’eft communément dans les autres
infeéles, & fur-tout dans les autres mouches. Elle eft
* Fig. i, 2, large & courte. Les deux yeux à rezeau * y font, l’un à
5 & 6. i, i. j ro , te & l’ au t re à gauche, tout près de fon bout poflérieur.
Depuis la convexité d’un de ces yeux, jufqu’à celle de
l’autre, il y a une diftance égale au diamètre du corcelet
dans l’endroit où il ell le plus gros; & la diftance depuis
le milieu du bout poflérieur de la tête jufqu’au bout an¬
térieur, prife en delfus, n’eft au plus qu’égale au tiers de
celle qu’il y a entre les convexités des deux yeux : aulfi le
devant de la tête eft-il obtus.
* PI. 16. fig.
i.
cc.
des Insectes. IV Mem. 147
Les yeux à rezeau ont par leur figure oblongue, quel¬
que reffemblance avec ceux des écrevifles, mais fans être
mobiles comme ces derniers dans leur orbite. Entre ces
yeux, qui font taillés à un nombre prodigieux de facettes,
car leur rezeau eft extrêmement fin, il y en a trois * de
ceux que nous avons nommés des yeux lifles, difpofés
triangulairement fur la tête.
Les mouches de ce genre font de celles qui ont un
corcelet compofé de deux pièces, ou, fi l’on veut, qui
ont deux corcelets. La tête elt jointe & appliquée au
corcelet antérieur * par un col fi court, qu’il eft toujours *Fig. 1 &6.
caché. Le corcelet antérieur peut jouer fur le poftérieur * eek '
auquel il eft uni. Il peut fe mouvoir pour permettre à la
tête de defcendre un peu plus bas. C’eft encore de ce
que ces corceiets ont d’un côté à l’autre un diamètre à
peu près égal, &égal à celui de la tête, que la cigaleparoît
alfés groftiérement façonnée. Il y a pourtant quelque
travail fur le corcelet antérieur, un triangle v eft fculpté,
l'es côtés font gravés en creux; 011 y voit aufti quelques
traits en creux parallèles aux côtés de ce triangle. Le
deftus du fécond corcelet eft plus lifte & plus luifant; vers
le milieu de fon bout poftérieur, il a pourtant un petit
cordon qui s’élève au-deftlis du refte. Enfin, le bord de
fa partie fupérieure& poftérieure fe releve au-deftus d’un
fillon qui le précédé.
Les quatre ailes de la cigale font tranfparentes. Les
fupérieures* beaucoup plus grandes que les inférieures*,
ont des nervures opaques, très-marquées, très-fortes &
très-capables de foûtenir le tiftu mince qui remplit les inter-
vales qu’elles Liftent entr’elles. Ces deux ailles fupéricures
font attachées au fécond corcelet tout près de fa jonéïion
avec le premier; & les inférieures ont leur attache afles
proche de la jonélion de ce corcelet avec le premier des
Tij
* Fig. G. 1,1.
* m, ni.
148 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
* PI. 1 6. fig. anneaux du corps. Elles font toutes quatre pofées en toit *,
*• elles s’appliquent pourtant fur le corps, dont une portion
refie à découvert.
Pour achever de décrire tout de fuite ce que nous
offre la partie fupérieure de cette groffe mouche, nous
dirons qu’on y compte huit anneaux, fi on veut mettre
au nombre des anneaux une partie oblongue & conique,
par laquelle le corps efl terminé, quoiqu’elle ne foit pas
compofée de deux pièces dans les femelles, comme les
autres Je font. Le premier anneau eil le plus large de tous ;
le fécond plus étroit, l’eft moins que le troifiéme,le qua¬
trième, le cinquième & le fixiéme ; mais le feptiéme égale
pour le moins le fécond en largeur. D’un côté à l’autre,
le diamètre des cinq premiers efl à peu-près égal, mais
celui du fixiéme efl plus petit fenfiblement que le diamètre
de celui qui le précédé, & furpaffe le diamètre du feptiéme
qui efl plus grand que celui du dernier anneau. Auffi le
* F, g- 5 -z corps du mâle *, & celui de la fémelle* fe terminent en
* Figure 2. p G j nfe . ma j s j a pointe du corps de la fémelle efl plus allon¬
gée. Tous les anneaux font écailleux, ils 11’ont aucun poil
fenfible à la vue fimple ; ce n’efl qu’autour des yeux à
rezeau & fur le defîous de la tête & des corcelets, qu’011
en découvre, fur-tout fi on les cherche avec une loupe.
Mais ce font les parties que peut montrer le deffous
delà cigale, qui nous arrêteront le plus dans ce Mémoire.
* Fig. 2 & C’efl-là qu’on peut voir fa trompe *; c’efl-là qu’on peut
, P voir fur les fémelles où efl pofé i’inflrument* avec lequel
elles parviennent à percer les trous dans lefquels elles lo-
Fig -2.11,11. g ent j eurs œu f s C’cfl-là enfin, qu’on trouve aux mâles*
les organes qui produifent cette efpéce de chant qui a tant
fait célébrer la cigale. Heureufement que ces parties, les
plus finguiiéres de l’extérieur de ces mouches de l’un &.
de l’autre fexe, peuvent être bien vûes fur celles qui font
des Insectes. IV. Ment. \49
mortes; 6 c que pour les étudier 6 c les didequer à l’aile,
il faudroit faire périr les cigales qu’on auroit vivantes;
car je me luis trouvé engagé à écrire leur hiftoire fans
en avoir jamais entendu chanter une, 6 c fans en avoir
jamaispodedé une en vie. Je n’en ai pu découvrir aucune
dans les environs de Paris, ni dans les autres cantons du
Royaume 011 j’ai été à portée de faire des obfervations.
Les regrets que j’avois de ne pouvoir obl'erver vivant un
genre d’mfeéles, à qui une place étoit fi due dans nos
Mémoires, ont cede lorfque j’ai vû beaucoup d habiles
gens fe prêter dans le Royaume, & hors du Royaume, à
me procurer des connoilfances que je défirois. Dans le
Languedoc, feu M. Lefèvre Médecin dUzez, qui a
communiqué à l’Académie beaucoup d’expériences qui
ont paru curieufes; feu M. Lefèvre, dis-je, m’a envoyé
des cigales telles qu’elles font en été, & m’en a envoyé
fous la forme qu’elles ont avant que de s’être métamor-
phofées. M. Sauvage fçavant Profedeur en Médecine à
Montpellier, & de la Société des Sciences de la même
Ville, a eu audi attention de m’en procurer. M.Granger,
ce Voyageur d plein de courage, à la mort duquel toutes
les parties del’Hidoire Naturelle, &la Botanique fur-tout,
ont tant perdu, m’a fait parvenir des cigales d’Egypte.
Mais les cigales 1e trouvaffent-elles naturellement aux en¬
virons de Paris, & y eudai-je employé un grand nombre
de perfonnes à m’en chercher, je n’en eude pas été plus
fourni que je l’ai été de celles de toutes efpéces, & de l’un
6 c de l’autre fexe, des environs d’Avignon, par les foins
de M. le Marquis deCaumont. Son penchant naturel le
porte à obliger, 6 c fur-tout à obliger ceux qui, comme
lui, aiment les fciences ; mais je me fais un plaifir de
penfer, 6 c je le penfe fur de bonnes preuves, que fon
amitié pour moy lui fait faire bien au-delà de ce qu’il
Tiij
i jO MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
feroit pour des Sçavants qui ne lui feraient pas auffi atta¬
chés que je le fuis. Il ne s’eft pas contenté de faire lui-
même les recherches 6c les obfervations que je lui avois
marqué défirer être faites; il a engagé plufieurs perfonnes
à le féconder, 6centr’autres M.AIphons, qui, quoiqu oc¬
cupé journellement de bonnes œuvres, trouve du temps
pour étudier les infeéles, 6c en a trouvé affés pour me
fournir les obfervations que j’avois le plus d’envie d’avoir
par rapport aux cigales.
Apparemment que nous euffions pu nous difpenfcr
de traiter des cigales, de faire graver des figures qui re-
préfentcnt celles de différentes efpéces 6c de différents
fexes, 6c leurs parties les plus remarquables, fi des cir-
co n flan ces que nous ignorons n’euffent pas empêché
jufqua préfent M. Pontedera d’en publier î’hifloire qu’il
avoit fait efpérer, 6c qu’il avoit promis d’accompagner de
figures. Ce qu’il a rapporté de ces greffes mouches, dans
une lettre écrite à M. Sherard dans le mois d’Ocftobre
1717, 6c imprimée enfuite à Padouë, prouve qu’il lésa
étudiées avec un foin 6c une attention qui n’ont pu man¬
quer de lui faire faire beaucoup d’obfervations fures 6c
curieufes.
Ariflote 6c les anciens après lui, ont réduit les cigales
à deux efpéces, qui différent principalement par la gran¬
deur; il a nommé celles de la plus grande efpéce acheta?,
6c celles de la petite efpéce tettigoiiiœ. M. Pontedera, dans
la lettre que nous venons de citer, dit auffi qu’il ne con-
noît que deux fortes de cigales,des grandes 6: des petites;
mais qu’il connoît deux efpéces des unes 6c des autres.
Il a fait un ufage du nom d’efpéce, qu’on n’a pas coutume
d’en faire lorfqu’il s’agit des animaux; les cigales de deux
fexes différents, le mâle 6c la fémelle, font pour lui de
deux efpéces différentes, lls’eflcru autorifé apparemment
des Insectes. IV . Mem . 151
à cette dénomination, parce que les Botaniftes regardent
comme des efpéces de plantes différentes celles qu’ils di-
fent être d’un lexe différent; mais leslexes des plantes ne
l'ont ni auffi lûrement connus, ni connus depuis auffi
long-temps que ceux des animaux, ce qui fait qu’on ne
feroit pas auffi hardi à affûrer de deux plantes quelles 11e
différent qu’en fexe, qu’on l’cfl à l’affurer de deux ani¬
maux. Quoi qu’il en foit, M. Pontedera convient qu’il ne
connoît réellement que les grandes cigales * qu’Ariflote *pj. ,<$. ^
a nommées Achetés, & les petites * qu’il a nommées 1 >-> s &
Tettigonies. A ces deux efpéces, j’en ai une troifiéme * * Fig. 7!* 9 ’
à ajoûter, qui eü d’une grandeur moyenne entre les
grandeurs des deux autres, & qui en diffère encore par
d’autres endroits. A en juger par la grandeur de la cigale
qu’Aldrovande a fait repréienter pour une tettigonie, &
par ce qu’il dit des lignes dorées qu’elle a fur le corps qu’il
confond avec le corcelet, la tettigonie eft notre cigale de
l’efpéce moyenne *, & la plus petite efpéce de cigales lui * Fig. 7.
auroit été inconnue.
Outre les différences de grandeur qui peuvent faire
aifément diftinguer trois efpéces de cigales les unes des
autres, elles ont encore entr’elles des variétés de couleur
très-propres à les faire reconnoître. La grande efpéce efl
en deffus la plus brune des trois. Le corps & les corce-
lets y font d’un brun luifant prefque noir. Le premier
corcelet a pourtant un bordé d’un jaune-brun, tout au¬
tour de fon contour polïérieur. Il a encore une ligne
droite du même jaune dirigée vers la tête, & qui ledivife
en deux également ; quelquefois on y apperçoit de plus,
deux ou trois points jaunâtres. Les parties du bord podé-
rieur du fécond corcelet, qui font plus relevées que le
relie, font auffi jaunâtres. Le jaune domine bien autre¬
ment fur les cigales de l’efpéce de moyenne grandeur *. * Fig. 7.
* PI. i 6. fig.
8 & .9
152 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
Le premier corcelet de celles-ci, a plus de jaune que de
brun ; le fécond corcelet a auffi beaucoup de jaune ; il a
deux taches de cette couleur pofées l’une contre l’autre
près de Ion milieu, qui ont quelque chofe de la figure
d’un X mal formé. Près de l’origine de chaque aile, il y
a encore une autre tache jaune; plus de la moitié de la
partie (upérieure de chaque anneau eft jaunâtre. Enfin,
ies ailes lupérieures font picquées de huit à dix points
d’un brun prefque noir, qu’on ne trouve point aux ailes
des cigales de la grande efpéce.
Les cigales de la troifiéme ou plus petite efpéce *, font
appellées cigalons, près d’Avignon; elles ont moins de
jaune que celles de la fécondé, & plus que celles de la
première efpéce. Quelques-unes ont une teinte rougeâtre.
Tous les anneaux de leur corps, ont un étroit bordé jaune.
Quatre rayes jaunes un peu tortueufes, font couchées
fur le fécond corcelet à peu-près parallèlement les unes
aux autres, & dirigées fui van t la longueur du corps. Il y
a beaucoup de jaunâtre fur le premier corcelet. Si on
approche les ailes des cigales de cette petite efpéce, de
celles des cigales des deux premières efpéces, elles paroiflent
laies en comparaifon des autres ailes. On leur trouve une
teinte jaunâtre qui aide à faire briller le luifant argenté des
premiers. A ces trois efpéces, il y en aura apparemment
encore d’autres à ajouter, lorfqu’on obfcrvera les cigales de
différents pays avec une nouvelle attention. Le nombre des
efpéces de ces mouches efi prefque déjà trop grand, pour
qu’on puilfe les diftinguer les unes des autres Amplement
par la grandeur; mais on pourra les caraélérifer par d’au¬
tres particularités qu’elles nous offrent ; les différences
de couleurs, & les différentes diflributions des mêmes
couleurs, y peuvent feules fuffire.
Venons à confidérer par deffous nos cigales que nous
n’avons
DES I N S E C T E s. IV Mem. 153
n’avons encore fait voir qu’en défais. Les plus brunes,
celles de la plus grande efpéce, ont le ventre d’une couleur
plus claire que celle du defïus du corps; il eft d’un jaunâtre
fale & pâle, excepté près des bords, où l’on trouve encore
deux bandes brunes. Ces bandes font des portions des
mêmes arcs écailleux, qui recouvrent ledefTus du corps;
chacun de ces arcs * le recourbe de chaque côté pour *Pi. 16. fig.
venir Unir fur le ventre, 8 c pour y être affemblé à une ^ a £’ b b *
lame écailleufe, comme ils le font eux-mêmes, mais
moins convexe. Elleell prefque platte, plus épaiffe pour¬
tant versfon milieu que près de lès bords; dans toute l’on
«tendue, elle eft d’un jaunâtre pâle. Une de ces lames 8 c
l’arc auquel elle eft jointe, forment enfemble un anneau
complet.
Si on oblige le ventre de s’allonger, c’eft-à-dire, fi on
«carte les lames blancheâtres les unes des autres, autant
quelles peuvent s’écarter, on met à découvert les ftigma-
tes du corps. Il y en a deux * entre deux lames j un de *
chaque côté, placé tout près de la jonélion d’une lame
avec l’arc écailleux qui lui correfpond.
Nous n’avons pas encore achevé la defeription de la
tête de la cigale, parce que nous n’avons pas encore parlé
de ce qu’on en voit en confidérant le defïous. Nous
n’avons pas même encore parlé de deux antennes * qui » Fig. 1 &
pourraient échapper par leur petitefte, elles n’ont que 2,&c - a,a ’
quelques lignes de longueur. On peut pourtant les ap-
percevoir en ne voyant la tête que par-defTus, mais il
faut la regarder par-defïous pour voir leur origine *. * Fig. 2.
Ch.acune d’elles eft pofée afiés près d’un des yeux à re-
zeau, 8 c part de deffous une petite lame cartiiagineufê
qui fe trouve fur le contour qui fait la réparation de la
partie inférieure, 8 c de la partie fupérieurc. Une loupe
forte fait voir que chaque antenne* eft compofée de *Fiç.3.
Tome V . V
IJ 4 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
cinq à fix pièces articulées bout à bout, & déliées de plus
en plus; celle‘de l’extrémité eft auffi fine qu’un cheveu „
& celle de la bafe eft fenfiblement plus groffe.
Du bout antérieur de la tête part une pièce de figure
PL 1 6 . fig. triangulaire *, qui fembie être une efpéce de très-grand
& 5> l 1 ' menton, qui f'e plie pour couvrir le defïous de la tête, 8 c
qui s’étend plus loin. Sa baie a une largeur égale à la
diflance qui eft entre les yeux à rezeau, 8 c fa pointe va.
bien par-delà la ligne dans laquelle font les attaches des
deux premières jambes. Le milieu de cette pièce eft re¬
levé en boite conique, 8 c eft orné de cannelures tranf-
verlales. La bafe de ce dcmi-cone fait le bout de la tête
vite par-deffus. Le fommet du cône fe rend à la pointe
de la pièce triangulaire. C’cft de la pointe de cette pièce
* t. que fort la trompe *, au moyen de laquelle la cigale elî en
état de prendre pour nourriture autre choie que la rofée
dont les anciens l’ont fait vivre. Avec fa trompe elle peut
aller puifer dans les vaiffeaux des feuilles 8 c des branches
des arbres, le fuc qui y eft contenu. Je trouve auffi dans
une lettre deM. Alphons, que lorfqu’i! faififfoit une cigale
attachée à un arbre, il lui eft fouvent arrivé de tirer avec
peine la trompe dont le bout étoit piqué dans l’écorce.
Avant fa transformation, avant que d’être mouche, ce
n’étoit que des racines des plantes qu elle pouvoir tirer
les aliments néceffaires pour fon accroiffement, comme
nous le dirons bientôt ; alors cependant elle n’étoit pour¬
vue que d’une trompe pareille à celle quelle a étant cigale.
Il y a donc apparence que cette trompe, qui lui a été
confervée dans là métamorphofe, doit lui fèrvir à un ufage
femblable à celui auquel elle lui a été nécefftire lous fa
première forme; qu’elle s’en fert pour pomper la lève des
branches ou des feuilles, comme elle s’en fervoit aupa¬
ravant pour pomper celle des racines.
des Insectes. IV Mcin . 15j
Un corps délié 6c long *, une efpécc de gros fil fem- * pi. iCfîg.
Me partir de la pointe triangulaire ; il a à peu-près la 2 ’ c ‘
grolïeur 6c la longueur d’une petite épingle. 11 efl appli¬
qué contre le fécond corcclct, 6c va par-delà l’endroit
ou font articulées les jambes de la troifiéme paire. Ce
corps délié n’efl pas la trompe, il n’en efl que l’étui, 6c
ce n’efl pas du menton qu’il part comme les apparences
portent à le croire. Pour voir la véritable origine de ce
fou rreau de la trompe, Si pourvoir la trompe meme,
il faut faire violence à l’efpéce de menton , le foûlever,
tâcher de le redrelfcr un peu*. Pour peu qu’on le re- * Fig. i o. p.
drdfe , ce qui n’eft pas difficile, on oblige une partie de la
trompe* à paraître à découvert; celle-ci tient réellement * r.
à la pointe du menton, auffi le menton ne fçauroit être
foûlevé fuis que la trompe le foit. Or, lorfque la trompe
efl obligée de fuivre le mouvement de la pointe du men¬
ton, il lui arrive fouvent de fe tirer de Ion fourreau; celui-
ci refie en arriére, parce que fou bout antérieur, ou fa baie,
eft attachée fixement à des parties membraneufes qui fe
trouvent au-defîous du menton , vis-à-vis fon milieu ,
mais auquel elles ne tiennent point. Pour faire prendre
une idée encore plus nette de la pofition tic la trompe.
Si de celle de fon étui , ayons recours à une compa-
raifon noble pour la cigale; comparons le bout de fon
menton , au bout du nôtre, 6c les parties charnues ou
membraneufes qui font fous fon menton,à celles de notre
gorge. C’efl de ces parties charnues, analogues à celles de
notre gorge, que l’étui tire fon origine, 6c c’cfl de la
pointe du menton que part la trompe. Quand celle-ci
s’éloigne de l’endroit où elle efl ordinairement, fon four¬
reau ne la fuit pas toujours, elle en fort, 6c c’efl à elle à
le venir retrouver quand elle doit y être renfermée. Jl y
a pourtant des circonflances où le fourreau peut fuivre la
Vij
* PI. 16.
io. f.
*
* a.
*
15 6 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
trompe, fçavoir, lorfque la cigale donne aux chairs d’où il
part, un mouvement qui fait quelles accompagnent elles-
mêmes le menton.
fig- Le fourreau *ed une efpéeede gouttière, à laquelle il ne
paroît tout du long qu’une légère fente; cette fente ed lur
la face qui ed en vue lorfqu’on regarde la cigale par-def-
fous. La gouttière ed alTés folide, faite en grande partie
de matières cartilagineufes; elle peut fe rederrer au point
que la fente n’ed que le terme des deux bords ou levres-
qui fe touchent ; & elle peut s’ouvrir lorfqu’il en cd be-
foin pour laitier fortir la trompe. Ce fourreau ed plus-
renflé qu’ailleurs auprès de fa bafe, delà il va en dimi¬
nuant de diamètre jufques un peu par-delà la pointe du
l. menton *. Dans le rede de fa longueur il cd plus menu,
& a à peu-près par-tout le même diamètre, jufqu a fou
bout qui ed arrondi. Une portion de la partie la plus ren-
b. fléefemble avoir deux articulations*; on y voit au moins
deux traits tranfverlàux plus enfoncés que le rede. Au-
deffous de cette même portion on doit remarquer des
cartilages bruns qui forment un ceintrc en forme de go-
g. det *. Ces cartilages peuvent être comparés à nos clavi¬
cules ; c’ed fur l’efpéce de bec du godet que. pofe une
partie de l’étui; le rede du contour du godet, ed, pour
ainfi dire, une mentonnière dedinée à foûtenir le menton.
Quand on confidére le fourreau avec une forte loupe,
elle y fait découvrir beaucoup de poils. Ceux de fon bout
fe font plus remarquer que les autres, parce qu’ils font
difpofés en rayons. O11 remarque auffi de chaque côté de
la fente, des poils qui y font dirigés perpendiculairement
Si horizontalement, ils font deux efpéces de franges, mais
légèrement fournies.
Nous venons de voir que lorfqu’on foûleve le men¬
ton, la partie de la trompe qui y tient, fe dégage du
des Insectes. IV. Mem. r 57
fourreau. Si on pafTe une épingle fous cette partie cic la
trompe, & qu’avec cette épingle on la pouffe doucement,
& peu à peu en haut, on parviendra bientôt à dégager la
trompe toute entière, &dès quelle fera à découvert, on
verra aifément quelle efl compofée de trois filets * écail¬
leux, ou de nature de corne, égaux en longueur, & de
couleur de marron. Ces filets fe féparent fouvent d’eux-
mêmes lorfqu’on les fait fortir hors de fa couliffe qui les
contenoit ; mais s’ils font reftés unis, on les écarte les
uns des autres en les frottant allés légèrement avec la
pointe de 1 épingle. Quand on s’eft affairé du nombre
des pièces qui entrent dans la compofition de cette trom¬
pe, pour bien voir comment elles font difpofées les unes
par rapport aux autres, on doit tirer le plus doucement
qu’il efl poflible, une trompe hors de fon étui, afin de
n’y caufer aucun dérangement. Elle paraît alors à peu-
près ronde & terminée par une pointe. Quand enfuite
on vient à féparcr les trois pièces les unes des antres, ou
reconnoit qu’entre deux de celles-ci *, que nous nom¬
merons les extérieures, eft renfermée la troifiéme *, que
nous appellerons l’intérieure. Cette dernière efl d’une
couleur un peu plus claire que celle des autres. Les deux
pièces extérieures font convexes par dehors, & plattes au
moins par la face qui s’applique contre la pièce intérieure.
Si on les examine au microfcope ou avec une loupe
d’un court foyer, on voit que leur bout fe termine en
pointe arrondie, & faite à peu-près comme une cuillier
oblongue, & que la convexité de cette pointe mouffe eft
hériffée de dents très-proches les unes des autres, d’où il
eft aifé de juger que cesdeux pièces font deftinées à faire
des entailles aux plantes. La pièce intérieure a fon bout
terminé par une pointe fine & courbe.
Outre les trois pièces, dont nous venons de parler,
V iij
PI. i 6. fi».
I • t, r,t.
* t>
* r.
1)8 MEMOIRES POUR L’KiSTOIRE
nous ne devons pas oublier d’en faire connoître unequa-
* PI. 1 6. fig. triéme *, qui femble appartenir à la trompe. Elle efl ce-
»o& 1 1- 1 - pendant très-courte & part comme elle de la pointe du
menton; elle s’appuye fur la trompe meme. Elle efl plus
blancheâtre que les pièces qui compofent la trompe, &. elle
n’a pas autant de confiftance; elle efl a (Tés large à la baie,
mais elle s’étrécit infènfiblement pour le terminer par une
pointe fine. Noos en (aillerions prendre une faulîe idée,
fi nous la laiffions imaginer platte, elle efl pliée en gout¬
tière. je donnerois volontiers à cette pièce le nom de
langue de la cigale. Je luis très-diipolë à croire quelle
conduit dans le menton, le lue qui lui efl apporté par la
trompe. Ce n’efl, au relie, que l’analogie qui veut que
je lui attribue cette fondlion; car je n’ai jamais été à por¬
tée d’obfcrver une cigale pendant quelle le fervoit de la
trompe. J’ignore par la même raifon, fi la trompe efl
écartée du fourreau pendant quelle agit, ou li le fourreau
la foûtient alors, au moins en partie.
Dans chaque efpéce de cigales, le mâle feul fçait chan¬
ter. Cependant dans les pays où ces infeéles font les plus
communs, on croit que c’eft la femelle qui chante, du
moins le croit-on en Provence &. en Languedoc, on y
prend le mâle pour la fémelle. C’elt une méprife qui ne
doit être reprochée ni au peuple ni même à des hommes
d’ailleurs éclairés , puifque M. Malpighi avoué y être
tombé. Il avoué qu’il deffina d'abord l’inftrument dont la
fémelle efl pourvue pour percer les brins de bois dans les¬
quels elle veut dépofer fes œufs, pour la partie propre au
mâle, & deftinée à rendre les œufs féconds. Ceux qui ont
attribué le bruit que les cigales font entendre, à une agi¬
tation prompte des ailes, accompagnée d’un frottement
des fupérieures contre les inférieures, ont donné dans une
erreur plus grofüére. Les grillons & quelques fauterelles
des Insectes. IV. Mem . 159
les ont conduits à le penfer, & ils t’ont dit fans avoir con-
fidéré un mâle de cigale; car l’examen le plus leger, ce¬
lui dont les gens de la campagne font capables, c’eft-à-
dire, une fimple infpeélion, a luffi à ceux-ci pour leur
apprendre à diftinguer les cigales qui doivent être muet¬
tes, de celles qui peuvent fe faire entendre; les payfans le
fçavoient dès le temps d’AJdrovande, & l’ont fçû appa¬
remment plutôt.
Si on ne veut donner le nom de voix qu’à l’efpccc
de bruit qui eft produit par l’air chaffé hors des poul¬
inons, & qui, à fa fortie du larinx, eft modifié par la
glotte, les infeéles n’ont point de voix. Mais 1 1 on croit
devoir donner plus d’étendue à ce mot, fi l’on veut con¬
venir que tous les bruits, que tous les fons, au moyen
defquels des animaux déterminent ceux de leur efpécc à
certaines acftions, méritent le nom de voix, alors nous
trouverons de la voix aux inleéles, & les organes de celle
de la cigale nous paraîtront dignes d’être admirés, quoi¬
qu’ils ne foient pas placés dans le gofier. C’eft fur le ven¬
tre qu’il les faut chercher; c’eft dans là cavité qu’ils font
logés.
Quoique la pofition de ces organes *, connus même * Pi* >6.
des payfans, n’ait pu échapper à Ariftote, &. à ceux qui, 5 ' t,J
depuis lui, ou plus exaélem^nt d’après lui, ont parlé des
cigales , M. Pontédéra affine avec raifon , qu’il lemble
qu’ils ont été mal vus. Il eft certain, au moins, qu’ils ont
été mal décrits, & qu’il y en a quelques-uns qui font
difficiles à découvrir. Quand on oblerve du côté du ven¬
tre un mâle des cigales de la grande efpéce, on y remar¬
que bientôt deux allés grandes plaques écailleules * qu’on *Fîg.
îie trouve point aux femelles *. Leur figure arrondie *Fi Ê , 2.
approche de celle d’un demi-oval coupé Tir Ion petit axe;
je yeux dire que chaque plaque a un côté qui eft en ligne
l 6 o MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
droite, & que le refte de Ton contour eft arrondi. C’eft
par le côté qui eft en ligne droite, que chaque plaque eft
arrêtée fixement , fans aucune articulation , fur le fécond
corcelet, immédiatement au-dedous de l’infertion de la
troifiéme paire de jambes, c’eft-à-dire, tout auprès de l’en¬
droit où le fécond corcelet & le corps font joints enfem-
ble. La largeur de chacune de ces pièces ed plus grande
que celle de la moitié du ventre; pofécs à côté l’une de
l’autre comme elles le font, non-feulement elles cachent
en entier la partie qui leur correfpond , mais elles font en¬
core un peu en recouvrement l’une fur l’autre. Elles font
lin peu plus longues que larges, elles atteignent prefque
le troifiéme anneau par leur bout arrondi.
Cependant c’cd au feul corcelet que tiennent ces deux
plaques , & quoiqu’elles y foient arrêtées à demeure, Sc
qu’elles n’y ayent point d’articulation fcnfible, on peut
■* pi. 17, fig. les loûlever lorfqu’on leur fait violence *; elles tournent
.11,u. alors f U r Ja partie la plus proche de leur attache; fbuvent
auffi, elles font obligées décéder un peu au mouvement
que fait le ventre, lorfqu’en fe pliant en deffous, il s’ap¬
proche du corcelet. Mais pour empêcher que ces deux
pièces ne foient trop foûlevées, & pour les faire retomber
* Fig. 11. b. îorfqu elles font été , il y a deux efpéces de chevilles *
roi des & faites en épine, dont chacune appuyé fur chaque
plaque qui s’élève : c’eft de la cuiffe de la cigale , ou de
la partie de la jambe qui efl unie au corcelet, que part
chaque cheville épineufe.
Si fans s’embarrafîer de la réfiftance îles deux chevilles,
* Fig. 2 & 3. on foûleve les deux plaques* jufqu a les renverfer fur le
corcelet ; fi on met à découvert les parties quelles ca¬
chent lorfqu’elles font dans leur pofition naturelle, on eft
frappé de l’appareil qui fe préfente. On ne peut douter
que tout ce qu’on voit 11’ait été fait pour mettre la cigale
en état
des Insectes. IV. Man. i 6 r
en état de chanter. Quand on compare alors les parties qui
ont été difpofées pour qu’elle pût chanter, pour ainfi
dire, du ventre, avec les organes de notre gofier, on juge
que les nôtres n’ont pas été faits avec plus de foin que
ceux au moyen defquels la cigale rend des fons qui ne
nous font pas toujours agréables. On voit une cavité qui
a été pratiquée finguiiérement dans la partie antérieure
du ventre. Le premier anneau a été coupé pour la former,
&le fécond a été rétréci. Le contour lupérieur de cette
cavité a un rebord plus fort & plus épais que ne le font
les anneaux : la forme de ce contour a même quelque
chofe d’agréable, il cfl arrondi fur les côtés, & au milieu
du ventre il a une languette qui s’avance vers la tête,
c’efl-à-dire, vers l’intérieur de la cavité. Cette cavité au
relie efl partagée en deux loges principales*. Un triangle *pj. f, g<
écailleux *, convexe du côté qui ell en vûe Si très-folide, 2& 3-
a été employé pour faire cette féparation. La bafe * de * ri s-7 , '7 f 7-
ce triangle cfl du côté du corcclet, & le fommet de l’angle q q '
oppofé à la bafe, efl auprès de la languette dont nous
avons parlé, Si placé fous elle. Sur ce même triangle s’é¬
lève une arête qui va fe terminer à la languette même.
Cette arête fait la cloifon qui divife la cavité en deux
jufqu’au niveau des anneaux, ou à peu près.
Le fond de chacune des cellules formées par la divi-
fion de la grande cavité, offre aux enfants qui prennent
des cigales, un fpeélacle qui les amufe, Si qui peut être
admiré par les hommes qui fçavent Lire le meilleur
ufage de leur raifon. Les enfants croyent voir un petit
miroir * au fond de chaque cellule, taillé en demi-cer- * Fig. 2 &
cle, parce qu’un de fes côtés efl terminé par un de ceux
du triangle écailleux, Si que le refie de circonférence
s’ajufle fur le contour de la cavité. Quand une petite
glace du verre le plus mince & le plus tranfparent, ou
Tome V . X
JÔZ MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
une petite lame du plus beau talc, feroit fertie au fond
de chacune de ces cellules, ce quon y verroit ne paroî-
troit pas différent de ce qu’on y voit ; la membrane qui y
efl tendue, ne le cède en tranfparence, ni à aucun verre,
ni à aucun talc ; & fi on la regarde obliquement, on
lui trouve toutes les belles couleurs de l’arc-en-ciel. Il
femble que la cigale ait deux fenêtres vitrées, par lef-
quelles on peut voir dans l’intérieur de fon corps. Mais
ces deux fenêtres font ordinairement fermées par deux
*PI. 17. fig. volets, qui font les deux pièces écailleufes * qui couvrent
2& 3 ' u ‘ u ‘ la grande cavité. Lorfqu’on fçait que c’eft de défions ces
volets, de deflous ces plaques écailleufes, que fortent les
fons que la cigale fait entendre, on comprend bien que
les deux loges & les membranes fi parfaitement tendues,
font defiinées à modifier les fons, à les rendre plus harmo¬
nieux, fi ce n’efi pas pour nous, au moins pour la fémelie
par laquelle ils doivent être entendus, & pour laquelle ils
font formés. Nous avons fait remarquer les deux arrêts qui
empêchent les deux volets, les plaques écailleufes des’éle-
ver trop; il y en a un auffi qui les empêche de defeendre
* Fig. 3. c. dans la cavité ; c’eft une efpéce de petit chevalet * qui
part de l’extrémité du corcelct, & qui efl dirigé horizon¬
talement jufqu’auprès de la bafe du triangle écailleux. Là
ce chevalet fie replie à angle droit pour lé faire un pied
qui porte fur la bafe dont nous venons de parler, & qui
y efl fixé. Cette efpéce de chevalet fert auffi à retenir le
corps, à l’empêcher de s’écarter trop du corcelet, de le
relever trop en en haut.
Le triangle écailleux ne partage en deux que la partie
pofiérieurede la cavité. La partie antérieure de cette même
* Fig. 2 &. 3. cavité, efi: remplie par une membrane très blanche*', &
qui, quoique mince, a de la confifiance. Elle efi attachée
par un de fes côtés à la bafe du triangle écailleux, &par
DES I N S E C T E s. IV. Mem. I 6 3
fon autre côté au bord pofiérieur du corcelet. Enfin, l'es
deux bouts font attachés aux parties fol ides de la cavité
qui leur répondent. Cette membrane n’efi pas tendue
comme le lont celles qui imitent de petites glaces; elle
ne l’efi que quand le corps de la cigaie le redrefife: mais
quand le corps le recourbe en embas, comme pour fe
rapprocher de la tête, alors cette membrane fe plifi'e né-
ceflairement, & les plis qu’elle forme font parallèles aux
anneaux.
Voilà, cefemble, allés de parties employées pour faire
chanter une cigale; aulfi eft-ce par quelques-unes de celles
que nous venons de décrire, que plufieurs Auteurs ont
prétendu que leur chant étoit produit. Les uns ont voulu
que le frottement des anneaux contre les volets ou pla¬
ques écailleules, fût fufHfant pour faire le bruit dont il
s’agit, & cela quand le ventre s’approche du corcelet en fe
courbant en défions, Si s’en éloigne enfuitc avec vîtefie
pour fe recourber de nouveau & fur le champ. Mais en
failànt faire loi-même ce jeu au corps d’une cigale morte,
il efi aile de s’afiurer qu’il ne produit prefque point de
frottement Si nullement un frottement capable de faire
du bruit. D autres ont regardé les deux petits miroirs
comme deux tambours qui rendoient les ions ; mais il
falloit trouver les baguettes propres à frapper fur ces tam¬
bours, Si on les chercheroit inutilement. D’autres enfin,
ont jugé que la membrane blanche* qui occupe la partie * PI. 17.%.
antérieure de la cavité, pouvoit, en fe pliant & le dépliant,
faire une forte de cri : cependant il efi facile de fe con¬
vaincre que cette membrane efi trop humide Si trop flé-
xible pour rendre des fons lorfqu’elle fe plie& fe déplie.
Enfin, il efi très-certain que le chant de la cigale
n’efi produit par aucune des parties que nous venons
d’examiner, qu’il en demande beaucoup d’autres plus
Xij
* PI. 17. fig.
( -ff
* Fig. 8.
* e.
164 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
linguliércment placées, 6: qu’il ne feroit pas polhble de
découvrir avec quelqu’attention qu’on obfervât une cigale
vivante, eût-elle la complaifance de chanter fur la main de
l'Oblervateur ; il n’y a que la diffeélion qui puiffe nous
montrer les vrais organes de fa voix. Après en avoir ou¬
vert quelques-unes fur le dos, c’eft-à-dire, après y avoir
emporté la partie fupérieure du premier & du fécond an¬
neau ; après avoir mis à découvert du côté du dos la por¬
tion de l’intérieur qui répond à la cavité où font les miroirs,
je fus frappé de la grandeur de deuxmufcles * qui s’offri¬
rent à mes yeux. Chacun des mufcles, dont je veux parler,
efc un faifeeau d’un prodigieux nombre de fibres droites
appliquées les unes contre les autres, & pourtant ailées
à lëparer les unes des autres. Les deux mufcles fe rencon¬
trent l’un l’autre fous un angle plus petit qu’un droit, &
ce point de rencontre & de leur attache efi fur le revers
de la pièce triangulaire & écaillcufe *, & précifément à
celui des angles * d’où partent les côtés qui ferment les
cavités où font l’un & l’autre miroir. Ceux qui ont fait
attention à la difpofition eles fibres des mufcles qui fe trou¬
vent dans le corcelct des mouches de différentes efpéces,
& qui fervent à mouvoir leurs ailes, fe feront une jufîe
idée des mufcles que nous voulons faire connoître ; ces
derniers ne le cèdent, ni en groffeur, ni en force à ceux
qui font employés à produire le mouvement des ailes, 6e
font beaucoup plus longs. Des mufcles d’une telle force,
placés dans le ventre de la cigale, 6e dans l’endroit du
ventre où ils le trouvoient, ne fembloient y être que pour
agiter vivement les parties, qui étant mûes produifoient
le bruit ou léchant. Auffi pendant que j’examinois un de
ces mufcles, pendant que je le tiraillois doucement avec
une épingle, pendant que je le faifois un peu lôrtir de
fa place pour î’y iaiffer retourner enfuite, il m’arriva de
des Insectes. IV. Mem. 1 6 5
faire chanter une cigale morte depuis plufieurs mois. Le
chant, comme on l’imagine, ne fut pas fort; mais il le
fut affés pour me conduire à trouver la partie à laquelle
il étoit dû. Je n’eus qu’à fuivre le mufcle que j’avois ti¬
raillé, qu’à chercher la partie à laquelle il aboutifloit.
Mais, avant que de faire connoître la partie qui rend
les fons, nous devons faire connoître le lieu où elle eft
pofée; pour cela, confidérons encore une fois notre ci¬
gale du côté du ventre * ; relevons encore les volets * ou * Pi. iy.
les pièces écailieufes, pour mettre à découvert la grande u u
cavité où font les miroirs & les autres parties que nous
avons décrites. Il y a encore dans cette grande cavité deux
réduits * égaux & femblables, dont nous n’avons rien dit, * 1 , 1 .
& qu’il efl bien important de connoître; il y en a un de
chaque côté. O11 ne voit que les ouvertures de l’un & de
l’autre, qui font courbes. Une cloifon folide, une cloifon
écailleufe eft employée de chaque côté avec une portion
du premier anneau , à former un de ces réduits, une de
ces cellules. Cette cloifon qui commence auprès du bout
du premier anneau, & qui là fe joint au rebord qui en¬
toure le contour poftérieur de la grande cavité, va fe ter¬
miner à l’origine de ce même anneau. Si cette cloifon
étoit plane & droite, levuide du réduit, delà cellule ne
feroit qu’égal à celui qui peut être entre la courbûre de
la portion d’anneau, & un plan; mais la cloifon rentre un
peu dans la grande cavité , & la capacité du réduit en eft
augmentée, l’ouverture de chaque cellule eft au niveau
du ventre. C’eft dans ces deux cavités que font les deux
organes du chanr. Les ouvertures de ces deux cavités
font pour la voix des cigales, ce que notre larinx eft
pour la nôtre. Si elles font inflexibles, fi elles ne peuvent
pas modifier les fons qu’elles laiflent fortir, en recom-
penfe ces fons trouvent plus de parties qui les modifient,
X iij
166 MEMOIRES POUR L'HlSTOIRE
que n’en trouvent ceux qui ont été formés par notre
glotte. La voûte du palais de la bouche, 6 c la cavité du
nez, font néceffarres pour perfectionner nos fons; ceux
des cigales peuvent être modifiés, par les volets écailleux,
par les cavités où font les miroirs, par les miroirs mêmes,
6 c par les différentes parties de la grande cavité.
Mais pour voir enfin les premiers 6 c véritables organes
du chant des cigales, nous n’avons qu a ouvrir une des
pi. 17.% cellules* dont nous venons de déterminer la figure 6 c la
3 - L pofition, nous trouverons un infiniment fonore qui y eft
logé. On peut remarquer de chaque côté, fur le premier
» Fig. 4. e. anneau du mâle, une portion triangulaire * plus élevée
que le reffe. Deux élévations pareilles ne fe trouvent pas
fur le même anneau de la femelle; elles ont été données
à celui du mâle pour aggrandir les loges des inflruments
fonores. On parviendra à ouvrir une de ces loges fans
endommager l’inftrument qui y efl contenu, fi on em¬
porte fimpiement avec un canif celte partie de l’anneau
* Fig. 5.?. qui forme uneboffe. Des quelle fera enlevée *, dès que
l’intérieur de la cavité fera à découvert, on verra quelle
efl occupée en partie par une membrane contournée en
* t. forme de timbale*, 6c que cette efpéce de timbale pré¬
fente fa face arrondie. Cette pièce pourtant loin d’être
liffe comme l’inflrument auquel nous la comparons, efl
toute pliffée 6c pleine de rugofités. Pour peu qu’on la
touche, on ne fçauroit héfiter fur l’ufage auquel elle efl
deflinée, elle refonne plus que ne feroit le parchemin le
plus fec, ou quelqu’autre membrane plus fonore que le
parchemin. Quand la timbale qu’on touche, appartient,
comme celle que je touchois, à une cigale qui a été
long-temps tenue dans de l’eau-de-vie bien chargée de
fucre, on voit que la nature de cette membrane efl d’être
toûjours roidc, deletre quoique mouillée,ou au moins
des Infectes. IV. Mem. 167
qu’elle eft de nature à ne pouvoir être aifément péné¬
trée par une liqueur, puilque pendant que toutes les
autres membranes de la cigale étoient flexibles 6c mol¬
les , elle avoit confervé la roideur néceffaire pour rendre
des Tons.
La circonférence de cette timbale eft arrêtée bien fixe¬
ment *, elle l’efl fur une efpéce de cerceau decaille, je * Pi. 17.%.
donne ce nom à la pièce dans laquelle eft percé un trou 9 ‘ c '
fillonné autour de l'on bord, dont le diamètre eft pref-
qu’égal à celui de la circonférence de la timbale. La pièce
dans laquelle il eft percé, eft la partie antérieure de cette
cloifon qui ferme d'un côté la cellule de la timbale. Les
rugofités qui font fur la furface de cette efpéce de tim¬
bale, y font arrangées avec une forte de régularité. Ce
font des filions afles relevés, 6c prefque parallèles les uns
aux autres ; le premier 6c le plus court de tous, eft le plus
proche de la portion de la circonférence la plus voifine
du corcelet; celui qui fuit, qui s’élève davantage fur la
convexité de la timbale, eft plus long néceflairement que
celui qui le précédé; c’cft-à-dire, que ces filions ne font
pas parallèles à la bafe de la timbale, que chacun d’eux
part d’un point de cette bafe pour s’élever fur la partie
convexe, 6c aller fe terminer à un point de la bafe, oppofé
à peu-prés diamétralement à celui dont il eft parti. Lorf-
qu on frotte ces (liions ou la furface convexe de la timbale,
avec un petit corps incapable de percer 6c de déchirer, •
tel que peut être un petit morceau de papier roulé, on la
fait refonner; 6c on voit que le refonnement vient de ce
que des portions de la timbale qui font enfoncées par les
frottements du petit corps, fe relevent dès que ce corps
celfe d’agir contr’elles. La difpofition 6c le reftort des par¬
ties qui ont été enfoncées fuffifent pour les relever; il ne
faut point de mufcles pour produire cet effet, mais il en
* PI. r 7,
6 . ff
* F'g- 9
SO, p.
*
168 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
faut un, qui alternativement tire en dedans une portion
de la timbale, qui oblige à devenir creufe une portion
qui étoit convexe, & qui permette enfuite à cette partie
tl'être relevée par fon reffort.
On ne doit pas être embarrafTé où trouver le mufcle
capable de produire cet effet, car on 11 ’a pas oublié les
deux forts mu Ici es * dont nous avons déterminé la pofi-
tion ci-deffus. Celui qui eft deftiné à mettre en mouve¬
ment une des timbales, eft appuyé & arrêté en partie
contre la piece écailleufe qui lbûtient la timbale, & qui
cft percée d’un trou dont le diamètre eft prefqu égal à
celui de la baie de cette timbale; une partie du bout du
mufcle eft vis-à-vis la portion poftérieure de ce trou.
Les fibres qui compofent ce mufcle le terminent à une
& plaque tendineufe prefque circulaire*. De cette plaque
tendineufe partent plufieurs filets*, plufieurs petits ten¬
dons, qui vont s’attacher à la furface concave de la tim¬
bale , à peu près à diftance égale de fa partie la plus élevée,
6c de fa circonférence, Sc cela vers la portion poftérieure
de cette circonférence. Je n’oferois affûrer que ces petits
tendons foient les feuls par lefquels le mufcle peut agir
lur la timbale, mais ils fuffifent pour en expliquer tout
le jeu; car il eft clair que quand le mufcle fe contractera
6c fe relâchera alternativement avec vîteffe, une portion
convexe de la timbale fera rendue concave, & cette por-
- tion reprendra enfuite fa convexité par Faction de fon
propre reffort. Alors fe fera ce bruit, ce chant que nous
avons été fi long temps à expliquer, parce que nous
avons voulu faire connoître toutes les parties au moyen
defquelles celui qui n’en fait point d’inutiles, a voulu
qu’il fût produit.
Je fuis étonné que M. Pontédéra qui paroît avoir bien
connu les organes du chant des grandes cigales, les ait placés
dans
des Insectes. IV. Man . 169
dans ce qu’il appelle la poitrine , qui cil la partie que
nous nommons le corcelet, puifqu’il ch certain qu elles
font toutes contenues dans la cavité formée par les pre¬
miers anneaux du ventre.
Les cigales appellées tettigonies, ou celles de la petite
efpéce*, n’ont pas été données par les anciens, pour *Ft 16. fig.
d’auffi bonnes chanteufes que les achètes ou grandes ci- ;
gales; quelques-uns même les font palier pour prefque
muettes. AI. Pontédéra prétend quelles chantent aulîi
fort que les autres proportionnellement à la grandeur de
leur corps; elles font pourvues de très-grandes timbales,
mais dont le bruit ne femble pas devoir être aufli bien
modifié que celui des autres. J’ai trouvé la même difpo-
fition des organes du chant aux cigales de moyenne gran¬
deur *, fur qui le jaune domine, & aux plus petites cigales, * F! â- 7 *
mais une difpohtion différente de celle des cigales de la
plus grande efpéce. Les timbales de celles de la moyenne
&. de celles de la petite efpéce, ne font pas cachées entière¬
ment *. Les volets écailleux * de ces cigales font plus * p! - ' 7 - %•
courts & plus étroits que ceux des autres, & leurs timbales
font plus allongées. L’une & l’autre timbale fui vent en re¬
montant, la courbure de l’anneau ; l’endroit* où chacune * r.
fe termine, eh à peu près aulli proche du milieu du dos,
que du côté d’où elle part. Elles font à découvert l’une &
l’autre près de l’endroit où elles fe terminent, & près du
volet, c’eh à-dire, qu’elles le font près de leurs deux bouts.
La portion d’anneau qui répond à chaque timbale, a été
entaillée pour la lailfer voir, ou plutôt pour lailfcr fortir
le fon quelle doit rendre ; mais le milieu de la portion
entaillée n’a pas été emporté, il a été relervé pour former
une languette* qui recouvre le milieu de la timbale. On * Fig- n .p.
peut abbaifTer cette languette * en lui faifant violence, * Fi £- 12 d’¬
comme on peut foulever les volets. Ces timbales, ainfi que
Tome V . Y
170 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
celles des grandes cigales, lont faites d’une membrane
cartilagineufe 6c fonore, mais dont les plis ou filions font
plus régulièrement arrangés; ils font parallèles les uns aux
autres, & parallèles à peu près aux anneaux du corps. 11 n y
a qu’une petite portion de chaque timbale qui le trouve
fous chaque volet, ainh il n’y a que l’air agité par cette
portion, qui, avant que de fortir, puilfe être réfléchi par
les différentes parties de la grande cavité.
♦ pi. 17. fig; D’ailleurs le miroir * qui eft dans cette cavité eft pro-
13.//!. portionnellement plus petit que celui de la cavité des
cigales de la grande efpéce. Si les cigales de la petite &
celles de la moyenne efpéce ont fur les cigales delà grande
efpéce l’avantaged'avoir des timbales proportionnellement
plus grandes, elles les ont moins favorablement placées,
puifqu’il n’y a qu’une partie de l’air qu’elles font refonner,
qui puilfe être modifiée une fécondé fois, 6c quelle femble
le devoir être moins parfaitement. Au relie les mufclcs
deltinés à agiter ces timbales, font fembiables à ceux qui
fervent à agiter celles des autres, 6c femblablement placés.
Si parmi les cigales toutes les fémelles font muettes, fi
elles n’ont point des organes du chant fembiables à ceux
que nous venons d’admirer dans les mâles, elles ont en
revanche un infiniment qui leur efi propre, 6c qui mérite
bien d’être examiné avec attention. Leurs œufs doivent
*PI. 19.%. être logés dans l’intérieur de petits morceaux de bois *,
6c elles font pourvues d’un infiniment avec lequel elles
viennent à bout de percer de longs trous, dans lefqueîs
elles les arrangent avec un grand art. Cet inftrument,
comme tous ceux que la nature a accordés aux infeèles,
pour couper, feier, entailler 6c percer, efi d écaillé ou de
corne; 6c il efi un des plus folides dont un infeéle foit
armé. 11 eft d’ailleurs d’une grandeur plus confidérable
que ne le font la plupart des inftruments des infectes,
des Insectes. III. Mem. 171
defiinés à des ufages équivalents. Sa firuéhire a des parti¬
cularités qui peuvent être apperçûes à lavûe fimple. Nous
nous fixerons à celui des plus grandes cigales, qui a environ
cinq lignes de longueur. Le dernier anneau des cigales,
tant mâles que fémelles, efi conique, mais il efi bien plus
long & même plus gros à fa baie dans les fémelles * que * PF. 16. fig.
dans les mâles; & c’efi ce qui fait paraître le corps de jp * P’p'J-
celles-là plus allongé. D’ailleurs dans les fémelles, cet £
anneau eltcompolé d’une feule pièce ; il n’en a pas une
fécondé en defious comme celui des mâles*. Il efi fendu * Pi. 19. %.
tout du long*, pour permettre de fortir à l’infirument que 7 &
nous voulons faire connoître, & que nous appellerons la I+ f ' 7 '
tarière. Il en efi la première enveloppe. La tarière a ce¬
pendant encore fon fourreau particulier, qui efi logé avec
elle dans la codifie du dernier anneau.
En prenant, &même afifés foiblement, le ventre de la
cigale, on oblige fa tarière à fortir de fes étuis, à fe mon¬
trer toute entière à découvert *. A la vûe fimple on recon- * pi., s.
noîtroit pour quel ufage elle efi faite; les yeux n’ont pas *• b I
befoin de fecours pour voir quelle efi un corps long &
écailleux, qui dans toute fa longueur efi à peu près d’une
grofieur égale, mais qui devient un peu plus gros proche
de fon extrémité, pourfe terminer enfuite par unepointe
angulaire *, ou de la figure de celle d’un fer de pique ; mais » f.
cette pointe a la particularité detre dcnteiléc tout du long
de chacun des deux côtés, qui la forment parleur réunion.
Le fourreau immédiat * delà tarière, ne la fuit point * Fig. 1 .ce.
pendant quelle fort de l’anneau. Il efi compofé de deux
pièces femblables*, dont chacune depuis fon origine jul- *Fi g .2,&3,
qu’à la moitié de fa longueur*, ou par-delà, efi arrêtée » j:
fixement contre les chairs qui font le fond de la couüfiè * g.
de l’anneau. Dans l’endroit où une des moitiés de l’étui
cefife d’être attachée, il y a une articulation. La partie* * s c -
Yij
172 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
qui commence à cette articulation, efl faite en cuilleron
allongé; dans les temps ordinaires, la pointe de la tarière
efl renfermée entre ces deux cuillerons. Cette partie & celle
qui fait la bafe de chaque demi-étui, font brunes, luifantes
& écailleufes, comme l’eft la tarière même. Celle-ci n’efl
pas abfolument droite, elle a une courbure*, dont la
convexité cl l du côté qui lé préfente lorfqu’on regarde
la cigale en deffous. Elle efl plus courbe vers fa bafe qu ail¬
leurs, ce qui rend fa figure propre à s’ajufter dans la cou-
liffe, & qui la porte à y rentrer lorfqu’elle cil abandonnée
à elle-même. Nous diflinguerons lès faces par les noms
de convexes & de concaves.
Cette partie mérite affinement qu’on 11e s’en tienne
pas à la confidérer à la vue fimple; il 1 eifîit d’obferver fa
pointe avec une loupe, pour voir que les dentelures font
fortes & arrangées avec fÿmmétrie. Elles font parallèles les
unes aux autres, & toutes dirigées de façon que fi elles
étoient prolongées jufqua l’axe de i’inflrument, des deux
angles qu’elles y feroient, l’aigu feroit tourné vers la pointe.
On en compte neuf de chaque côté, dont les plus proches
de la pointe font les plus fines. Elles deviennent de plus en
plus groffes, à mefure qu’elles s’en éloignent ; par-delà les
neuf premières & groffes dentelûrcs, il y en a encore trois
à quatre affés petites.
Quand on pourfuit l’examen de cet infiniment, il ceffe
de paroître auffi fimple qu’on l’avoit jugé d’abord. Une
fente qu’on apperçoit tout du long de la face convexe,
indique qu’il efl compofé de plufieurs pièces, & on
parvient aifément à s’affiirer qu’il en a trois. Pendant
qu’on le manie, qu’on le tiraille fans chercher encore à
le difféquer, le hazard met fouvent en état de voir que la
pointe efl faite au moins tle deux pièces ; que quoique
fine, elle efl formée par Ja rencontre de deux pointes
des Insectes. IV. Mem. 173
une fois plus déliées, & que les dentelures font taillées
fur deux pièces différentes. On voit tout cela, dis-je,
lorfque l’on détermine, & fouvent fans le chercher, une
de ces pièces * à aller plus loin que l’autre *. On devine * pi. 18. fig,
aifément le moyen de faire paroître,quand on veut, ce 6 ; l J m
que le hazard a montré d’abord, il n’y a qu’à pouffer en
haut avec une épingle, ou avec la lame d’un canif, une des
moitiés de la bafe de la tarière, pour obliger une des
pointes * à s’élever plus que celle contre laquelle elle étoit * Fig. b. lj>.
appliquée *. */>•
Si nous continuons de donner le nom de tarière à cet
infiniment deftiné à ouvrir des trous, quoiqu’il foit tout
autrement conftruit que ceux dont nous nous fervons
pour un lémblable ulàge, c’efi qu’il lui a déjà été donné
par M. Malpighi, qui a pourtant héfité à l’appeller une
lime. Quand on a étudié la compofition de cette tarière,
&. qu’on lit enfuite la defeription, & qu’on confulte les
figures que ce célébré Auteur en a données, on efi con¬
vaincu qu’il avoit très-bien obfervé les différentes parties
dont elle efi compofée; mais fes figures & fa defeription
concife, qui fuffiloient dans un temps où il n’en a parlé
que par occafion, ne fuffiroient peut-être pas pour en
faire prendre des idées nettes à ceux qui ne les auroient
pas examinées fur la cigale même. Avec un peu de dexté¬
rité & de patience, on vient à bout de féparcr les trois
pièces dont elle efi compofée*. Si on introduit une pointe *Fig. 5 .lp,
fine Si roide, celle d’une épingle, dans la fente qui ei\^ J,rC '
en vue, lorfqu’on regarde la mouche du côté du ventre.
Si qu’on pouffe vers le côté un des rebords de cette fente,
après quelques tentatives, on écarte un peu la pièce à la¬
quelle appartient le rebord pouffé ; on lui fiait faire un
coude en cet endroit; il paroît un vuide entre cette pièce
& la partie à laquelle elle étoit ci-devant jointe. On peut
174 MEMOIRES POUR UHlSTOIRE
faire entrer i''épingle dans ce vuide. Si on la conduit en-
fuite tout doucement vers le bout de la tarière, on achevé
* pi. i g. fig. de dégager cette pièce *. C’efi une de celles dont la pointe
4 - JP: efl taillée en lime, & que nous appellerons auffi une des
limes. Si on eût agi avec l’épingle contre l’autre côté, on
* Fig. j. ip. eût détaché une autre lime*. L’inftrument efl donc com-
pofé de deux limes d’une figure particulière, qui peuvent
jouer alternativement. Mais ce qui efi de pius remarqua¬
ble, c’efi la manière dont elles lbnt maintenues l’une &.
l’autre pendant leur jeu ; elles le font de façon qu’elles
refient toujours parallèles entr’elles, de façon que celle
qui avance ne s’écarte point de celle qui efi en repos.
Ceci dépend de la manière dont elles lont afiemblées :
elles le font toutes deux avec une troifiéme pièce, que
*Fi g.j.teer. nous nommerons le fupport ou la pièce d’aflemblage *.
Cette dernière efi taillée quarrément dans la plus grande
partie de fa longueur, elle efi environ une fois plus large
qu’épaifie. Les faces fur lefquelles nous prenons fa largeur,
font lafupérieure & l’inférieure, ou celles qui font paral-
* te. leles au ventre de l’infeéle. Son bout * fe termine en fer
de pique, mais il n’efi guère moins épais que le refie. Le
* lb,fb. manche, pour ainfi dire, ou la tige* de chacune de nos
pièces en lime, efi dans toute fa longueur creufée en gout¬
tière. Sa furface extérieure efi pourtant arrondie. Un des
* er. côtés *, une des tranches de la pièce d’affemblage ou du
fupport, entre dans la gouttière de la lige d’une lime, &
l’autre côté de cette pièce entre dans la gouttière de la
tige de l’autre lime; les gouttières font tellement creu-
fées, que chaque tige de lime recouvre une moitié de
* Fi s-7 & 8. cette face de la pièce d’afiemblage *, qui fe préfente lorf-
qu’on regarde le ventre de l’infeèîe, ou de la face infé¬
rieure. Là les deux tiges laifient feulement entr’elles une
petite fente, qui efi celle dans laquelle nous avons dit
DES I N S E C T £ S. IV. Mem. 175
qu’il falloit faire entrer une épingle quand on vouloit
féparer une des limes de l’autre 6c de ion fupport. Mais
la face oppolëe* du fupport n’eft point recouverte par * Fi-
les tiges des limes.
Les tiges * des limes font à peu près droites, c’cft-à- * Fig. 7. h,u
dire, qu’elles n’ont que la courbûre qui leur eft necef-
faire, pour que la tarière fe place dans fon étui *; mais -^Fig. i.ccc.
la partie taillée en lime* fait un angle avec la tige, ce *Fig. 5 ,6.
qui leur donne quelque reftemblance avec certaines limes,
ou avec certains riftoirs que nos ouvriers employent à
limer ou à réparer dans des cavités. Nous avons dit que
la pièce d’alfemblage fe termine en fer de pique; les deux
faces* qui en marquent l’épailTeur, 6c qui concourent à * Fig. y.
fa pointe, fervent de fupport aux deux limes*; c’eft-à-
dire, que chaque lime eft pofée fur un des côtés de la
portion faite en fer de pique.
La pofition des limes eft aftes expliquée, on entend
aftes comment le fupport eft emboîté dans l’une 6c dans
l’autre; mais nous n’avons rien vu encore qui puifte ren¬
dre cet aftemblage folide : il l’eft au de-là de ce qu’on
l’imagineroit, car fi on 11’agit avec bien des précautions,
6 c fi on ne fe retourne de bien des manières, il eft diffi¬
cile de dégager les deux limes de deflus le fupport, fans
brifer quelqu’une de ces trois pièces. Le moyen qui a
été employé pour les tenir unies, 6c en même temps, ce
qui étoit effentiel, pour que les limes puftent jouer alter¬
nativement , pour que la pointe de l’une * pût être portée * Fig. 8. Ip.
par de-là la pointe de l’autre, 6c ramenée enfuite en
arriére; ce moyen, dis-je, eft le même que celui auquel
nous avons journellement recours dans divers ouvrages
de ménuiferie. Nous avons des boîtes dont le deffus fe
tire, parce qu’il a des languettes qui entrent dans des cou-
liftes taillées près du bord fupérieur de la boîte. Nous
* PI. 18. f
4. tr.
* F 'g- 5
» Fig- 10.
176 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
avons des tiroirs qui font aufti a coulifie ; enfin nous
faifions beaucoup d’autres ouvrages à coulifies 6c à lan¬
guettes. Quand on examine avec une loupe forte la tran-
ig. che de la pièce d’aflemblage *, 6c celle de fes faces*, qui
eft couverte par les tiges des deux limes, 6c quand on
'0. examine la cavité des tiges* de ces limes, on découvre
fur les unes 6c fur les autres, tout ce qui efi néceffaire
pour produire un engrainement exaél; on découvre fur
les unes 6c fur les autres de ces pièces 6c codifies & lan¬
guettes , 6c autant qu’il en faut pour rendre l’aftemblage
fur. Il eft d’ailleurs exécuté avec la précifion qui rend
le jeu aifé. Nous ne font mes pas étonnés que des pièces
qui échappent prefque à nos yeux par leur petitefie,
foient fi parfaitement travaillées, quand nous penfons
quelle eft la main qui les a faites. Il ne m’a paru y avoir
qu’une codifie pour chaque tige de lime fur la face de
la pièce d’afifemblage contre laquelle les deux limes font
appliquées ; mais fur la tranche de la même pièce, 011
apperçoit de chaque cofté deux codifies féparées par
deux languettes. Les entailles 6c les reliefs de cette pièce
déterminent, 6c les reliefs 6c les entailles qui doivent
eltre dans les tiges creufes des limes, 6c qu’on y voit lorf-
qu’on cherche les pofitions les plus propres à les rendre
fenfibles.
Il y a une meilleure manière encore, que celle dont nous
avons parlé,de reconnoître combien cet afiemblage eft par¬
fait, 6c cependant combien le jeu des limes eft libre; c’cft
de couper une tarière avec des cifeauxaftes prèsdefabafè.
On la prend enfuite entre les deux doigts d’une main,ou,
fi on l’aime mieux, entre les deux branches d’une pince.
O11 la faifit de manière que la prefiion n’agifte que fur
la tige d’une des limes, fur une moitié de la largeur de
la tarière. Alors, foit avec deux doigts feuls, fi on en a
d’aftes
des Insectes. IV. Mem. 177
d’affcs adroits, foit avec une épingle on pouffe vers la
pointe de l’inftrument la lime qui n’eft pas preffée *; elle * Pi. i S.fig.
cede fans oppolèr de réfiftance àj a petite force qui tend à la 8 ' /p ‘
mouvoir; elle va auffi loin qu’on veut par-delà la pointe
fixe, toujours parallèle à elle-même. On la rameneenfuite
avec la même facilité dans fa première pofition, 6c on l’en
retire après, fi l’on veut, pour la faire ailer du côté oppofé
au premier *, vers celui qui étoit le plus proche de la baie *Yh.j.plt.
de la tarière. Pendant ces mouvements elle ne s’écarte
jamais ni à droite ni à gauche, 6c elle laiffe à découvert les
parties de la pièce d’affemblage defquelles on la contraint
de s’éloigner. Lorl’qu’elle eft dans Ion état ordinaire, on
reconnort aifément que la moitié de la face inférieure
de la pièce d’affemblagc, efl entièrement recouverte par
une des limes, 6c que chaque lime recouvre de plus un
des côtés, ou la tranche de cette pièce, mais fans la dé¬
border *,&. fans fe recourber fur la facefupérieure; ce qui * Fig. io,
appartient à la pièce d’affemblage eft d’autant plus ailé à pLo ‘
distinguer, que cette pièce elt très-noire, pendant que les
tiges des limes font châtain. L’endroit de chaque tige d’où
part une lime, a une efpéce d’appendice employé à cacher
la moitié de la partie faite en fer de pique. La face fupé-
rieure de la pièce d’affemblage, celle qui efl toute entière
à découvert, a tout du long une arête, elle efl faite un peu
en dos d’âne.
La bafe de chaque lime efl affemblée avec une pièce
cârtilagineufe, ou plûtôt écailleufe, comme la lime elle-
même ^ ; ou fi l’on veut, la bafe de chaque lime fe courbe, * Fig. iz,
ôt forme une efpéce de queue. Ces deux pièces, ces deux
queues font égales & femblables, elles font l’une & l’autre
larges & épaiffes. La longueur de chacune elt environ celle
du quart de la circonférence du feptiéme anneau, fous
lequel ces pièces font cachées en certains temps. Mais ce
Tome V. . Z
* Z» Z'
178 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
qu’on doit le plus remarquer par rapport à leur pofition,
* pi. iS.fig. c’elt que chacune d’elles fait un angle * avec une lime, au
point où elle lui elt jointe; & que dans l’état ordinaire,
ce point de jonélion ell plus éloigné du derrière de la
cigale, que ne l’elt le bout de la pièce *. Il luit de cette
dilpofition, que lorfque ce bout ell forcé par des mufcles
à defcendre un })eu , & en même temps à s’avancer un
peu vers le corcelet, la lime à laquelle cette pièce tient,
ell obligée au contraire d’avancer vers le derrière. Ainfi
chacune des limes peut alternativement être pouffée vers
le derrière, & être retirée en avant par le mouvement
alternatif de la folide queue cartilagineufe à laquelle elle
tient.
C’ell au moyen de ce jeu alternatif des deux limes,
que la cigale vient à bout de percer dans le bois, les trous
dans lefquels elle veut loger lès œufs. J’eulTe eu plus regret
que je n’en ai eu de ne m’être point trouvé dans des pays
où il m’eût été permis d’en épier quelques-unes occu¬
pées à ce travail, û je n’avois pas lu dans M. Pontédéra,
que des qu’on s’approche de celles qui font dans l’ac¬
tion, elles ne manquent pas de s’envoler. Après tout, la
flrudlure de leurs inftruments étant bien connue, & lorf-
qu’on a vu comment des mouches île plu heurs efpéces,
dont il eh parlé dans le troifiéme Mémoire, font agir
leurs feies, ii n’y a guéres à craindre de fe tromper fur la
manière dont on peut imaginer que les cigales font agir
leurs limes. Ce qui relie de plus curieux à voir, c’ell
l’ouvrage produit par ces limes, c’elî la profondeur & la
dirèétion des trous qu’elles ont creufés dans le bois; &
c’ell ce que M. le Marquis de Gaumont m’a mis à portée
de voir aulfi bien à Paris, que je l’eulfe pu voir en Pro¬
vence 6 c en Languedoc, & dans d’autres pays, s’il y en a,
où les cigales fe plaifent davantage.
des Insectes. IV. Menu 179
Une première fingularité qui mérite d’être remarquée,
c’efî: qu’au lieu que les mouches dont nous avons parlé,
font les entailles dans lefquelles elles veulent laiffer ieurs
oeufs dans de petites branches d’arbres ou d’arbuftes, qui
font vivantes & pleines de fuc, les cigales ne percent que
des branches mortes & feches. C’eft ainfi que la nature
nous offre des variétés par rapport à des fujets où tout
nous fembieroit devoir fepaffer delà même manière. Les
œufs de certaines mouches ont befoin d’être humedés, &
même nourris, comme nous l’avons prouvé dans le troi-
fiéme Mémoire, par la lève que fournit la branche dans
laquelle ils ont été logés ; & les œufs de cigale ont tout ce
qu’il leur faut. Le fuc qui s’épancheroit des parois du trou
ou ils font renfermés, ne pourroit apparemment que leur
nuire, la mere le fçait, ou fe conduit comme fi elle en
étoit inftruite.
Les branches que les cigales entreprennent de percer,
font donc conflamment de bois fcc, mais elles peuvent
être de bois de différentes efpéces. Toutes celles qui
m’ont été envoyées par M. le Marquis de Caumont, bien
remplies d’œufs, avoient été prifes à des meuriers. Entre
les brins de bois où des nichées d’œufs étoient logées, les
plus gros n "avoient qu environ trois lignes de diamètre,
& les plus menus n’en avoient qu’une ligne. Les petites
branches auxquelles les cigales ont confié leurs œufs, font
ailées à * connoître *, on y remarque aifément de petites * pi,
inégalités, de petites élévations formées par une portion 1
du bois qui a été foûlevée: ces élévations font à la file f t,t}
les unes des autres, & quelquefois affés bien alignées;
mais toujours au moins fe trouvent-elles fur le même
côté du brin de bois. Quelquefois j’en ai vû deux hors
de la ligne, & vis-à-vis quelques-unes des autres*; mais *Fig.
cela eh rare. Elles ne font paselpacées fort régulièrement;
Z ij
^ PI. >9
*• *•
• fi g
4 Fig- 3
f ë> h -
Fig-
l8o MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
il y en a telle qui elt disante d’un demi-pouce de celle
qui la fuit, 6 c on en voit d’autres entre lelquelles il n’y
a que deux lignes d’intervalle, 6 c moins quelquefois. Le
plus fouvent la petite pièce d’écorce qui recouvroit cet
endroit, elt tombée en entier* ou en partie. Chacune
de ces éminences elt un paquet de fibres ligneufes, écar-
h téespour la plupart les unes des autres à leur extrémité *;
ce font celles qui ont été limées 6 c foûlevées lorfque la
tarière a commencé à ouvrir un trou; elles font reliées en
place, 6 c fervent à couvrir l’ouverture de ce trou. L’angle
qu’elles font avec la tige, efl alfés aigu. Les paquets de
fibres qui font au delfiis des différents trous, font inclinés
du même côté, parce que la cigale étoit femblablement
placée quand elle a percé dans le même morceau de bois
des trous à la file les uns des autres.
11 n’ell peut-être perfonne qui ait l’efprit alfés peu cu¬
rieux, pour s’en tenir à regarder les dehors d’un pareil
brin de bois, fur-tout lorfqu’on fçait que les œufs d’un
infeéte y.doivent être actuellement renfermés. Il efl na¬
turel d’avoir envie d’en voir l’intérieur. Si pour y par¬
venir fans caufer trop de dérangement, on emporte d’un
côté des lames de bois très-minces, & parallèles à la
longueur du brin, jufqu’à ce qu’on foit parvenu à en
tf- emporter une qui palfe par l’ouverture d’un des trous *,
on mettra à découvert la cavité de ce trou, 6c peut-être
celle de plufieurs autres; 6c on verra que les différents
trous ont des diamètres à peu-près égaux, foit qu’ils ayent
été percés dans de plus gros ou dans de plus petits brins
de bois. On verra encore que la longueur du trou ne dé¬
pend aucunement de la grolfeur de la petite branche. Dans
celles qui n’ont qu’une ligne de diamètre, comme dans
celles cjui en ont trois, on trouvera des trous longs de
trois lignes 6 c demie, 6 c quelquefois de près de quatre
DES I N S E C T E s. IV. Mem. 1 8 I
lignes. Le trou efl auffi long que l’inflrumcnt le peut faire.
11 y a pourtant des tarières de cigale qui ont plus de cinq
lignes de longueur ; mais une portion de la tarière de plus
d’une ligne, cfl arretée en dehors par le paquet des fibres
qui ont été l'oûlevées.
Quoique cette tarière l'oit affés forte pour couper les
fibres ligneufes, il y a plus de travail à les couper qu’à
percer de la moelle de bois. Le meurier a de la moelle,
& tous les bois dans lefquels la cigale dépofe lès œufs, en
ont auffi. Nous verrons même quelle efl déterminée à en
choifirde tels, par une raifon plus importante que celle de
la facilité quelle trouve à en creufcr l’intérieur. Le com¬
mencement du trou * efl dirigé obliquement; mais dès * PI. 19.%.
que ce trou parvient à la moelle, il prend une direction u
qui s’approche peu à peu du parallelifme à l’axe du brin
de bois. La tarière ne perce plus que la moelle dès qu’elle
l’a une fois atteinte, elle n’entame pas le bois qui efl par-
delà.
Ce qui s’attire d’abord l’attention, lorfqu’on commence
à voir l’intérieur de ces trous, ce font les œufs qui y font
pofés ; il y en a huit à dix dans tel trou, & quatre ou cinq
dans ceux qui en ont le moins. Ils font blancs, oblongs,
pointus par les deux bouts*. Audi pour profiter du terrein, * Fig. j,
la cigale ne les met pas précifement à la file les uns des au¬
tres; le bout poflérieur de celui qui précédé efl vis-à-vis le
bout antérieur de celui qui fuit.
Chaque cigale peut faire un grand nombre de pareils
œufs. Ceux qu’elle a dans le corps, font contenus dans
deux ovaires. J’ai compté 1 50 & quelques œufs dans
chaque ovaire * d’une fémelle qui pouvoit avoir déjà* Fig. 10.
fait une partie de fa ponte, car fes ovaires étoient moins
gros que ceux que j’ai vuis à d’autres cigales. Celle-ci avoit
donc plus de 300 & tant d’œufs dans le corps, & ce ne
Z ii;
j 32 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
devoit pas être tout ce quelle y en avoir eu ; aufli M. Pon-
tédéra aflure-t’ii qu’il y en a qui font 500, d’autres 600,
& d’autres jufques à 700 ceufs.
Ce Sçavant prétend que la mere a foin de luter l'ou¬
verture de chacune des cavités où les œufs font logés,
avec une gomme capable de réfirter aux injures de l’air;
je crains qu’il 11e l’ait dit, parce qu’il a penfé que cela de¬
voir être; car je n’ai pu trouver aucun vertige de gomme
à leurs ouvertures, quoique j’y en aye cherché avec les
meilleures loupes. Mais ce que j’ai remarqué à l’honneur
de la prévoyance de la mere cigale , c’eft que les ouver¬
tures des trous font bouchées par des fibres ligneufes.
Quand la cigale commence à creufer le bois, elle fe con¬
tente de foûlever les fibres qui font au bord du trou , elle
les y laide attachées par un laout, & quand elle a retiré fa
tarière de la cavité, elle fe fert de ces mêmes fibres pour
boucher l’entrée du trou.
Autant que le corps des fémellcs ert plein d’œufs, au¬
tant celui des mâles ert-il rempli de vailfeaux où le pré¬
pare la liqueur qui les doit vivifier. Quand 011 ouvre le
» pi. 17.%. corps de ces derniers *, on y trouve des paquets de ces
6* vailfeaux *, qui font une infinité de tours & de retours
’ appliqués les uns contre les autres. Si on fe contente de
*pi. ig.fig. prciTcr le corps par dehors, fon dernier anneau * fe
P- montre plus qu’il ne faifoit, & il s’entrouvre; on voit
qu’en dertous il forme une'gouttière, qui ordinairement
*c. ert couverte par une plaque écailleufe : . La prertion frit
*Fig. 6&7. fortir de la gouttière un gros crochet * brun & écail¬
leux recourbé vers le ventre, &dont le bout ert moufle;
il fert à fàifir le derrière de la femelle, & il fert aufli à
* Fig. 6. m. deffendre & à couvrir par-delfus un court tuyau *, dont
le bout ert ouvert, rebordé, écailleux, & d’une couleur
plus claire que celle du crochet. La prertion augmentée.
des Insectes. IV. Mem. 18}
fait fortir du bout de ce dernier tuyau, une partie char¬
nue, blanche, oblongue, & terminée par un mammelon
qui efi précédé par une efpéce de bourlet *. Les mâles *PI. 19. fig.
des cigales de la moyenne & de la petite efpéce, ont deux 7 ' m>
crochets qui partent d’une même tige.
Pendant plufieurs années j’ai reçû des nichées d’œufs,
en apparence bien conditionnés, qui n’ont pas répondu à
mon attente. Aucun n’efl: venu à bien, quoique j’aye porté
mon attention pour eux jufques à les tenir dans mon goul-
fet dans un tube de verre. Mais M. Alphons ayant ouvert
des nids en différents temps, comme j’avois fouhaité qu’il
le fît, parvint à y trouver des vers éclos; j’eus le plaifir d’en
voir dans ceux qu’il me mit en état d’ouvrir moi-même
vers la mi-Septembre. J’en obfervai même dans quelques
brins de bois, de deux efpéces très-différentes. Dans pref-
que tous, je trouvai deux ou trois vers blancs *, fans jam- * Fig. 12 ,u.
bes, munis de deux dents jaunâtres *. longs à peine d’une * Figure
ligne, & pas plus gros qu’un brin de fil. d > d>
Les vers de l’autre eljaéce étoient de même très-blancs;
mais ils avoient fix longues jambes ; leur forme approchoit
afTés de celle d’une puce, au lieu que celle des premiers
étoit longue & arrondie comme celle des vers les plus com¬
muns. Je dois avertir de l’erreur dans laquelle j’ai été par
rapport à ces deux fortes devers, pour empêcher d’autres
obfcrvateurs d’y tomber. Je n’héfitai point à penferque
chaque ver fans jambes, ne dût le transformer dans un ver
héxapode. Ce ne fut qu’au bout de huit à neuf mois que
j’appris que j’avois regardé comme les enfants de la cigale,,
des vers qui dévorent fes œufs & les petits qui en lortent.
Ces vers fans jambes devinrent au printemps, de petites
mouches noires & luifantes, de la claffe des ichneumons.
Les femelles portent au derrière deux longs filets, tantôt
féparési’un de l’autre, & tantôt réunis, parce que l’un efl
* Ziüj
584 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
une efpéce de tarière dont l’autre efl l’étuy. Cet inflriï-
ment lui fert à porter fes œufs dans les nids oùles cigales
ont logé les leurs.
Si jeu (Te foupçonné que les vers munis de jambes naif-
foient des œufs de la cigale, je ne les eulfe pas confondus
avec leurs plus mortels ennemis. Je n’aurois eu dès-lors
qu’à obferver des nids avec l’attention avec laquelle j’en
obfervai dans la fuite de ceux que j’avois confervés dans
l’efprit de vin ; j’euffe vû ce que je vis plus tard, des vers à
fix jambes, qui ne s’étoient encore dégagés des œufs qu’en
partie, qui avoient encore une portion de leur corps dans
la coque. J’ai comparé leur forme à celle des puces, ce qui
fait entendre que leur tête fe recourbe en delfous vers le
ventre. Son bout efl refendu, 6 c forme deux efpéces cle
longues dents. Les bouts de leurs deux premières jambes
font fourchus. Entre l’origine de l’une 6 c celle de l’autre
s’élève un tuyau cylindrique, qui n bien l’air d être le bout
de la trompe que l’infcéîe aura par la fuite. Je ne puis faire
paroître ici les deffeins que j’ai de ce ver, ils n’ont été fait
que depuis que les planches où ils devroient fe trouver,
ont été gravées 6 c tirées.
Ils fortent du nid par la même ouverture par laquelle
les œufs y ont été introduits; ils vont chercher la terre
dans laquelle ils s’enfoncent. M. Alphons allure que c’efl
dès l’été, 6 c M. Pontédéra prétend que ce n’eft qu’après
l’hiver. Les vers mangeurs de ceux des cigales, qui paffent
réellement l’hiver dans les brins de bois, n’en ont-ils point
impofé à ce Sçavant, comme à moi!
Je fuis incertain s’ils quittent leur première dépouille
dans le nid, ou fi ce n’eft qu’après être entrés en terre;
c’elt-là qu’ils croifFcnt fous la figure d’un héxapode dont
le bout de la tête n’eft plus refendu, mais qui a une trom¬
pe , 6 c qu’enfuite ils fe transforment en nymphes de la
claffe
des Insectes. IV. Mem. 185
clarté de celles qui marchent, qui prennent de la nourri¬
ture, & qui elles-mêmes ont à croître. Ces nymphes ont
été très-connues des anciens. Ariftoteles a nommées tet-
tigometres ou meresdes cigales. Leur forme ne diffère de
celle qu’elles avoient lorfqu’elles étoient vers hexapodes,
qu’au tant que diffère celle d’un jeune puceron de celle
d’une nymphe de puceron ; je veux dire que la plus grande
différence que j’aye remarquée entre l’hexapode de quel¬
que groffeur qu’il l'oit, Si la nymphe ou tettigometre ,
c’ertque celle-ci * a d'es fourreaux* dans lefquels les ailes *PI. 19. fig.
de la mouche font renfermées,& qu’on ne trouve point de V & 17>
vertiges de ces fourreaux à l’hexapode *. Cette différence » Fig. 15.
étant connue, celui-ci fera fufiîfamment décrit quand
nous aurons fait connoître la figure de l’autre, &. fes prin¬
cipales parties : car nous ne nous arrêterons point à faire
remarquer que dans les héxapodes les antennes paroiffent
partir du premier corcelet, au lieu que celles des nymphes
partent de deffous les grands yeux ; nous ne nous arrête¬
rons pas non plus à d’autres différences rie cette nature.
La nymphe crt d’un blanc -fale. La figure de fa tête
approche de celle de la tête quelle aura lorfqu’clle fera
devenue cigale ; dans l’un & l’autre état l’infcéte ert
muni d’une trompe * de même rtruélure , pofée de la * PI. 20. fig.
même manière, & confervée par un étui femblable & 1 &2,
femblablement placé. La nymphe, comme la cigale, a un
double corcelet duquel partent les fourreaux des ailes. On
compte huit anneaux au corps de la nymphe, comme à
celui de la cigale ; mais on ne trouve point aux nymphes
qui doivent devenir des cigales mâles, ni à celles qui doi¬
vent devenir des cigales fémelles, les parties par lefquelles
les cigales mâles différent des fémelles. On ne découvre
aux premières aucune des parties qui comportent l’organe
du chant, & les fécondés n’ont point de tarière.
Tome V . A a
ï 86 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE.
Les jambes de Ja première paire font ce que les nym-
no.fig. phes des cigales ont de plus remarquable *. On juge
qu’elles leur ont été données pour s’ouvrir des chemins
fous terre, pour piocher dans le befoin. Au premier coup
d’œil on leur trouve une forte de reffemblance avec les
jambes des écrevilfes, parce qu’auprès de leur extrémité
* '• elles ont line partie * que nous appellerons le pied ou le
gros de la jambe, beaucoup plus large & plus épaifte que
le refte. Le plus grand diamètre de ce pied eft vers Ion
milieu ; près de l'on bout il eft articulé avec une partie
courte, une efpéce de petit bouton avec lequel eft aulii
3 &4- articulé un fort & folide crochet 515 terminé par une pointe.
Nous nommerons ce crochet l’ongle, parce qu’il reflfem-
ble à ceux de divers oifeaux. A quelque diftance de la
pointe de cet ongle, eft l’origine d’une efpéce de dent
pointue. Dans la partie concave de l’ongle, allés près de
4 & 5- la dent, eft articulée une pièce longue * en forme de
petit bâton, & écailleufe, comme toutes celles dont nous
venons de parler, un peu moins groftc près de l’arti¬
culation, qua fon extrémité. De celle-ci partent deux
• S' d ‘ crochets * lins & courts, mais foiides. Dans les. cigales
mortes, & apparemment dans celles qui font en repos,
cette pièce eft couchée tout du long de l’ongle, & fur
* 3- d - une partie du pied*. Le bord inférieur du pied, le plus
proche de l’ongle, a une plaque de quatre à cinq dents
*d. très-fines *; mais plus loin plufieurs dents beaucoup plus
longues, ou des pointes, partent aufti du bord du pied
en fie courbant vers l’ongle. La plus confidérable de ces
*f pointes * eft branchue. La jambe a trois autres parties
articulées enfemble, dont la dernière i’eft avec le pied ;
elles n’ont rien qui doive nous engager à les décrire. Les
quatre autres jambes de la nymphe de la cigale n’ont rien
aufti qui doive nous arrêter, elles n’ont point ce gros
des Insectes. IV. Mem. 187
pied qui rend les premières remarquables. Outre le petit
ongle aigu par lequel elles font terminées, elles ont plu-
fîeurs autres pointes écailleufes près de leurs différentes
articulations.
Ces nymphes avoient befoin d’être munies de jambes
telles que font leurs deux premières, pour pénétrer aufïi
avant fous terre qu’elles y pénétrent quelquefois. Dans
line lettre où feu M. le Fevre Médecin d’Uzez, me ra¬
conte tous les foins qu’il s’étoit donnés, pour me procurer
de ces infèéles pendant i’hyver, il m’a Hure en avoir trouvé
à deux 6c trois pieds de profondeur, 6c que l’argile com¬
pacte ne les avoit pas arrêtés. Il prétend que les nymphes
la mouillent pour venir plus aifément à bout de la percer.
Au relie toutes les oblèrvations qui m ont été communi¬
quées, concourent à établir que c’eit auprès des racines des
afbres qu’elles fe tiennent.
M. Pontédéra allure que l’infecte ne quitte fon état de
nymphe que dans l’année qui fuit celle où il l’a pris; cequi
me paroît très-probable. Mais quelle que foit la longueur
du temps nécelïaire aux nymphes pour arriver à leur der¬
nier terme d’accroilfement ; quand elles y font parvenues,
6c que les chaleurs de l’été commencent à fe faire fentir,
elles fortent de terre, elles grimpent fur les arbres, 6c s’y
accrochent à leur tige ou à leurs branches, 6c peut-être
aulfi à leurs feuilles. Nous avons vû que leurs jambes font
munies d’affés de pointes roides pour fe cramponner fo-
lidcment. Leur métamorphofe s’accomplit alors comme
celle de tant d’autres infèéles. Au refie, après tout ce que
nous avons rapporté de la manière dont les papillons 6c
diverfes mouches parviennent à fe tirer de leur fourreau
de crilüfôde ou de celui de nymphe, nous n’avons pas eu
befoin de voir des cigales dans cette opération, pour fça-
voir quelle efl iaméchanique à laquelle elles ont recours.
A a ij
188 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
Tout ce que nous avons dit pour des cas pareils, a appris
qu’elles doivent d’abord dégager du fourreau les parties
intérieures de leur corps, & les ramener en fui te vers le
corcelet pour faire violence à l’enveloppe qui le couvre,
en la rémpiiftant plus qu’elle n’eft remplie ordinairement,
& pour l’obliger par-là à fe déchirer. Si j’eulfe eu fur
cela le moindre doute, il eût été levé par des cigales
que j’ai reçues, & qui avoient péri dans l’opération. J’ai
vu que le corps de quelques-unes s’étoit détaché du
fourreau de nymphe, que les quatre à cinq derniers
anneaux de ce fourreau étoient vuides , que le corps
avoit été ramené tout entier dans les anneaux les plus
proches du corcelet, & que le delfus de celui-ci étoit
fendu.
Aldrovande nous parle d’après fes propres obfcrva-
tions, réitérées pendant piufieurs années, & non d’après
les anciens, ce qui lui eft beaucoup plus ordinaire, lorf-
qu’il nous rapporte comment la cigale fe tire de l'on en¬
veloppe de nymphe. Il dit que celle qui ne vient que de
paroître au jour, eft prefque verte par tout, qu’enfuite le
delfus de l'on corps prend des nuances de couleur de
marron, & qu’enfin au bout d’un jour elle eft d’un brun
noirâtre.
Il feroit à fouhaiter pour les campagnes où l’on eft
étourdi en été par le bruit des cigales, que les mets dont
les Grecs s’accommodoient, fuftent encore à notre goût.
On fervoit fur leurs tables des nymphes de cigales. Ariftote
détermine le temps où elles étoient excellentes: quo tem-
/w<?,dit-il, gujlu fiiav'ijjïmœ finit, antequatn cortex rumpatnr.
On mangeoit les cigales mêmes, & au rapport encore
d’Ariftote, avant l'accouplement on préférait lesftnalcs,
& après l’accouplement on donnoit la préférence aux fe¬
melles, parce qu’alors elles avoient le ventre plein d’œufs
des Insectes. IV Mem. 189
très-agréables au goût; on aimoit*dans ce temps-là ces
œufs, comme nous aimons aujourd'hui ceux d ecre\ ifle.
Un infeéte*, qui par la pofition & la ftruéture de fa * Pi. 20.%.
trompe *, & par celle du fourreau dans lequel il cft logé, i°p i;y l , t
reflemble aux cigales; qui leur reffemblc encore par l’in-
duflrie avec laquelle il introduit les oeufs dans des bran¬
ches d’arbufte, au roi t droit deparoitreà leur fuite, quand
on 11e voudroit pas le reconnoître pour une cigale, parce
que le talent de chanter ne lui a pas été donné, pourvu
qu’il fut une mouche à quatre ailes; on pourrait au moins
le mettre dans le genre qu’il convient d’appeller celui des
procigales . Je 11’héfiterois pas aulfi à placer dans ce genre
un petit infeéîe *, mais très-commun, & dont je vais parler, * Fig. 1 o.
fi j’étois affés certain qu’il eh une mouche. Il a deux ailes
très-tran(pareiltes; mais je doute fi au-deffus de celles-ci
on doit lui reconnoître deux autres ailes, ou lui croire
fimplement deux fourreaux des véritables ailes; car fi ce
font des ailes, leur tilfu n’elt pas aulfi tranfparent que celui
des ailes des mouches ordinaires, & fi ce font des fourreaux,
ils font des fourreaux bien minces. Quand nous parlerons
des infeétes dont les ailes font couvertes par de vérita¬
bles fourreaux, nous donnerons pourtant des réglés pour
diftinguer les véritables ailes des étuis qui leur ont été
accordés, quelque minces qu’ils foient; mais il n’eft pas
ailé de faire l’application de ces réglés à des infeétes extrê¬
mement petits. Heureufement que peu de gens s’enabar-
raffent qu’on foit extrêmement exaét dans la difeu/fion
des faits de cette nature; généralement on aimera mieux
qu’on le foit à rapporter ceux qui font honneur au génie
des infeétes.
Celui que je veux faire connoître, fe tient fur les rofiers;
depuis la faifon des rofes jufque vers la TouiTaint, on ne
fçauroit toucher les branches de ceux de la plupart des
A a iij
* pi. 20.
jj. y:
190 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
jardins, les agiter, fans déterminer un grand nombre de
petites mouches à s’envoler; je dis de mouches, car je
continuerai à leur en donner le nom malgré l’incertitude
où je liais, fi elles ont quatre ailes ou fimplement deux
ailes & deux fourreaux. Toutes les petites mouches à beau¬
coup près, ne partent pourtant pas de dellus le rofier
qu’on agite légèrement. Si on cherche à voir celles qui y
font reliées, on en trouve des milliers de dilperlées fur les
branches, & fur-tout près des fommités. On en trouve aulfi
fur les feuilles mêmes. Elles peuvent être vues fans le fe-
cours de la loupe. La couleur de leurs ailes fupérieures efl
un citron pâle. Celle du relie du corps eli plus blancheâtre.
Non-feulement elles volent, elles fçavent aulfi fauter. J’ai
déjà dit d’avance que leur trompe eli alfés femblable à celle
des cigales, & pofée femblablement.
Tant de milliers de ces petites mouches qui fe tien¬
nent fur le même rofier, dévoient frire foupçonner au
moins qu’elles n’y étoient pas feulement pour y prendre
leur nourriture ; quelles s’y multiplioient. Armé d’une
loupe, j’y obfervai plufieurs de celles qui étoient tran¬
quilles ou qui le paroilfoient, & je les obfervai en delfous
& de côté, parce que je penfai qu’il y en pouvoit avoir
d’occupées à pondre. Je ne fus pas long-temps à en dé¬
couvrir qui étoient dans cette opération, ou qui s’y pré-
fig. paroient. J’en vis qui redrelfoicnt une petite pièce * qui
étoit couchée auparavant contre leur ventre; & qui après
l’avoir redrelfée jufqu a la rendre perpendiculaire à la fur-
face de la tige, fur laquelle leurs jambes étoient cram¬
ponnées, en piquoient le bout dans cette tige; elles l’y
faifoient pénétrer enfuite de plus en plus, jufqu’à l’y en¬
foncer toute entière.
Cette partie efl donc un inftrument propre à entailler
les branches de rofier. Quand j’ai examiné celui d’une
des Insectes. IV. Mem\ 191
petite mouche que je tenois à la main, j’ai vû qu’il étoit
une véritable fcie terminée en pointe *,& un peu courbe.
Le côté concave eft appliqué contre le ventre, & le côté
convexe eft dentellé, & le Jéul qui le l'oit. Cette fcie ne
m’a pas paru aulfi compofée que celles des mouches
que nous avons appellées à fcie ; mais une fi petite par¬
tie pourroit bien avoir des particularités qui m’auroient
échappé. L’endroit où on trouve fon origine, en eft une
ailée à remarquer ; cette fcie eft attachée bien plus loin
du bout du corps, que ne i’eft la fcie d’aucune des mou¬
ches dont il a été parlé dans le troifiéme Mémoire; elle
i’eft vers le milieu du troifiéme anneau ; de forte que
iorfque la fcie eft entièrement redreliée, elle eft à peu¬
plés perpendiculaire au-delfous du milieu du ventre. La
mouche peut donc agir deftus avec le poids de tout fon
corps.
Parmi ces petites mouches, comme parmi toutes les
autres, il y a des fémelles & des mâles. On ne trouve point
de fcie à ces derniers ; mais Iorfque leur derrière eft prefté,
il Lit voir trois petites baguettes *, d’entre lefquelles fort
une partie charnue & oblongue *, qui eft apparemment
celle qui eft elfentielle au mâle; & c’eft pour s’emparer du
(Fer riére de la fémelle, que le mâle a les trois autres corps
en forme de baguette.
Les œufs que la fémelle dépofe dans les entailles qu’elle
a faites, font fi petits & fi tendres que je n’ai pu parvenir
à les détacher fans les crever. Quand j’ai enlevé de l’écorce
entaillée, je n’ai pu appercevoir qu’un peu d’humidité qui
ne me paroifïoit pas être celle de la lève. Dans chacun
des endroits où un œuf a été dépofé, il fe fait une petite
tuberofité que le ver qui fort de l’œuf oblige à s’élever
davantage; mais elle eft toujours très-petite, moinsgroffe
qu’un grain de millet, & plus applatie. Le ver eft auffi
* PI. 20. fïg,
12.
* Fig. r 5.
c, c , c.
* 111.
192 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
tendre ou plus tendre ejuc l’œuf, car je 11 ’ai jamais pu par¬
venir à l’avoir. Je n’ai jamais eu que de l’eau quand j’ai
ouvert fa loge, mais en une quantité plus confidérable que
quanti j’ouvrois celle où étoit un œuf. Cependant ce ver
0 . fig. fe métamorphofe fous l’écorce en une nymphe * de la
claffe de celles qui marchent, & qui 11 e diffère de la mou¬
che quelle doit devenir, qu’en ce que les àîles font con¬
tenues dans de très-courts fourreaux, qui laiffent le deffus
du corps à découvert. Les nymphes marchent fur les ro-
fiers, & s’y transforment en ces mouches, dont nous n’a¬
vons parlé qu’à caufe de leur petite feie.
Nous fommes réduits à ne donner prefque que la figure
St 7 . d’une mouche * d’une efpéce très-fmguliére, & qui nous
paraît être de celles qui à caufe de laftruélure de leur trom-
. t,&. pe *, doivent être mifes parmi les procigales. La mouche
dont nous fommes fichés d’avoir fi peu de chofe à dire,
n’eft pas feulement remarquable par fi grandeur, & par
les couleurs dont elle efi parée, elle l’eft bien davantage
par la lumière quelle répand pendant la nuit, & par la
figure & la pofition de fa partie lumineufe. La lumière de
nos vers luiiànts, & des fearabés biffants, appellés vulgaire¬
ment mouches biffantes, vient de deffous le ventre, d’au-
6 & près du derrière ; & c’eft la partie antérieure * de la tête dte
notre grande mouche qui éclaire, & qui éclaire à un tel
point, que M. 1,c Merian affûre qu’elle met en état de lire
la Gazette d’LIollande pendant la nuit. C’eft à Surinam
qu’elle a obfervé ces mouches, &qu’elle'y en a peint des
figures qui font gravées dans la quarante-neuvième plan¬
che de fes infeeftes de ce pays là. On nous en a envoyé à
Paris de Cayenne. Ces deux endroits qui fontaffés voifins,
ne font pas apparemment les feuls de l’Amérique où elles
naiffent. On les appelle des porte-lanternes, parce qu ’011
a regardé la partie antérieure de la tête, de laquelle la
lumière
DES ÏNSECTES. IV Mem. 193
lumière fort comme une efpéce de lanterne. Quand on
feroit plus à portée d’étudier cet infeéte que nous ne le
fommes, on ne parviendroit peut-être pas à fçavoir pour
quel ufage cette lanterne lui a été donnée; il ne femble pas
au moins que ce loit pour l’éclairer pendant qu’il vole. Les
yeux à rezeau * font près de fon origine. Un flambeau ou * Pf. 20.%.
plutôt une flamme plus large que notre front, & qui en 6 ' l '
partirait, ne ferviroit qu’à nous empêcher de voir les
objets qui feraient par-delà.
La tête de cette mouche, fi on la prend depuis le cor-
celet, & qu’on en mette la fin à l’origine de la lanterne,
efl très-courte. Elle n’efl pas plus longue qu’efl large un
anneau du corps. Mais fi on regarde la lanterne comme
une portion de la tête même, alors la tête n’a guère moins
de longueur que le corps, car le volume de la lanterne
efl confidérable; elle a plus de diamètre d’un côté à l’autre
que de deflus en deflous. Près de fon origine elle a en
defliis une efpéce de bofle ; fon bout efl arrondi. Le fond
de fa couleur, ou de la couleur qu’elle a dans des mouches
féches telles quelles nous arrivent ici, efl olive; mais fur ce
fond font des rayes ondées, & quelques taches brunes.
La partie fupérieure a de plus deux rayes d’un afles mau¬
vais rouge. De chaque côté elle a un rang de tubercules
applatis & rougeâtres. En deffous*, la lanterne a une arête *Fig. 7.
qui la divife en deux également prefque depuis fon origine
jufqu’à fon extrémité, & deux autres qui partent d’auprès
de l’origine delà précédente, & qui après s’en être écartées
pour s’approcher des côtés, reviennent la joindre à fon
extrémité. Ces trois arêtes font rougeâtres. Il y en a encore
deux dont chacune efl proche d’un côté, qui ont de dis¬
tance en diflance des épines.
Lacuriolité que j’ai eûe de voir l’intérieur de ces lan¬
ternes, a été afles mal fâtisfaite. J’en ai ouvert une qui ne
Tome V. . B b
194 - MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
m’a offert qu’une cavité confidérable, renfermée parure
cartilage médiocrement épais. Je n’ai trouvé aucune
partie dans cette cavité. Quand on fuppoferoit que celles
qui y étoient lorfque l’animal vivoit, s’étoient deffechées»
elles n’auroient jamais pû remplir, lors même qu’elles
étoient molles, qu’une petite partie de cette cavité.
Près de l’origine de la lanterne, il y a de chaque côté un
> Pi. 20. fig. œil à rezeau * de couleur rougeâtre, qui eft un demi-globe
logé dans un orbite écailleux & échancré par embas. Au-
* Fig. 8. defîous de cet œil, fur la même plaque écailleufe *, il y a
* g■ un autre demi-globe * dont la furface eft grainée, & que
M. clle Mérian a négligé de faire paraître dans les figures»
Ces derniers demi-globes feraient-ils encore des yeux i
En ce cas c’en feraient d’une ftruéîure differente de celle
des yeux à rezeau. Entre chaque œil à rezeau & chaque
demi-globe chagriné, eft un petit mammelon prefque
* m. cylindrique *»
Les aîles fupérieures n’ont pas une parfaite tranfpa-
rence. Le fond de leur couleur eft celle d’une olive po-
chettée; elles font pointillées d’un peu de blancheâtre, &
près de leur bafe elles ont plufieurs petites taches prefque
[_ * Fig. 7, noires. Les aîles de deffous *, un peu plus tranfparentes
que les fupérieures, font plus courtes, & ont cependant
plus d’ampleur. Elles ont chacune un grand œil qui a
quelque reffemblance avec ceux des aîles des papillons
paons Les teintes les plus claires de ces yeux font olive,
& les teintes brunes font cafté.
Dans la même planche où M. clle Mérian a reprefentédes
porte-lanternes, elle a repréfenté une autre mouche que les
Indiens appellent des vielleurs, à caufe que le bruit quelles
font imite le fon d’une vielle. Elle a donné auffi la figure de
la nymphe du vielleur, qui eft une mouche qui doit encore
appartenir au genre des procigales. M.* 1 . 1 ! Mérian dit que
DES I N S E C T E S. VI. Mem. I 9 5
îes Indiens ont voulu lui perfuader que les vielleurs Te
métamorphofoient en porte-lanternes ; & il fcmble quelle
en ait été convaincue, puifqu’clle nous donne une des
figures de fa planche pour celle d’un vielleur dont la tète
s’eft allongée pour devenir une lanterne. C’eftune méta-
morphofe qui demanderait à être mieux fuivie. En cas
quelle foit véritable, elle pourrait être comparée au chan¬
gement qui arrive aux mouches épheméres, qui, après
avoir volé, ont encore à fe defiaire d’une dépouille.
EXPLICATION DES FIGURES
DU QUATRIEME AIE MO IRE.
Planche XVI.
La Figure 1 repréfente une cigale fémelle de la grande
efpéce, vue du côté du dos. a, a, les antennes, i, i, les
yeux à rezeau entre lefquels font placés les trois yeux
liffes. La tête finit où les yeux à rezeau fe terminent. Là
commence le premier corcelet, ou la première partie du
corcelet double, ieei, l’étendue du premier corcelet. cc
ce, le fécond corcelet.
La Figure 2 fait voir par-defious la cigale de la figure
précédente, i, i, les yeux à rezeau.^, le prolongement de
la tête, d’où la trompe part, t, la trompe, f, la fente du
bout poflérieur du corps, dans laquelle la tarière double,
ou les limes font logées.
La Figure 3 efl en grand celle d’une antenne marquée
a, fig. 1 & 2.
La Figure 4. a été deffinée pour faire voir la pofition
des ftigmates du corps. On y voit comment l’arc qui
forme la portion fupérieure de chaque anneau, revient
en defious, & qu’une lame moins convexe efi jointe par
B b ij
196 MEMOIRES POUR l’HïSTOIRE
fes bouts, aux bouts de l’autre, a b, bc, cd, trois différents
anneaux, ff, f, &c. vont chacune marquer par une ligne
ponctuée un des fhgmates.
La Figure 5 montre par-dcfTous ur.e cigale mâle de
la grande elpéce. Les parties qu’c lie a lembiables à celles
de la femelle de la figure 2 , font délignées par les memes
lettres ; ce quelle a de particulier font les deux volets, ou
les deux écailles//, //, qui couvrent les endroits où font les
organes qui modifient le chant. On y voit aufïi que fa
partie poftérieure £, efl faite autrement que la partie poflé-
rieure f .de la figure 2, qu’elle n’eft pas fi allongée, & qu’elle
n’a pas une fente femblable à celle qui loge les limes.
Dans la Figure 6, la cigale mâle de la figure 5 efl \ûe
par-deffus, & montre lés quatre ailes. /, /, yeux à rezeau
& fin de la tête. Depuis les yeux à rezeau jufqu’en e e }
efl le premier corcelet. e e, c le fécond corceiet.
La Figure 7 reprefente une cigale de mo)enne gran¬
deur, vue par-deffus.
Les Figures 8 & 9 font voir par-deffus, deux cigales
de la petite efpéce. La cigale de la figure 8, a lur ion
double corcelet des taches qu’on ne trouve point aux
corcelets de celle de la figure 9.
Les Figures 10 & 1 1 font voir en grand la poftion
des parties qui compofent la trompe, d’où ces parties
tirent leur origine, comment ellesferéuniffent, & com¬
ment elles peuvent être féparées. /, i, figure 10, les yeux
à rezeau. p , la partie de la tête qui efl ramenée & pro-
iongée en defTous. De la pointe p , de cette partie, part
la langue /. La trompe r, fie rend à cette même pointe
pj en defTous de la langue /. Ici la trompe efl en partie
hors de fon fourreau, f, le fourreau, g, elpéce de godet
écailleux d’au-deffus duquel part le fourreau de la trompe.
Dans la Figure 11, on n’a que le prolongement p, du
DES I N S E C T E S. IV. Mem. 197
bout de la tete ; on en a retranché les yeux à rezeau , de
une grande portion de ce qui les luit. On y voit la trompe
hors de la couiilfie, & développée. /, r, t , les trois parties
dont elle elt compo ée, loûtenues en l’air par l’épingle
qui les a miles hors de leur couhire, ik qui les a écartées
les unes des autres. I, la langue. Cette Hgure montre en¬
core mieux que la précédente, l’endroit où elt l’origine
de l’étui, & combien il elt éloigné du bout p, d’ou la
trompe part.
Planche XVII.
Toutes les figures de cette planche, excepté la dernière,
ont été delîinéespour faire connoître les organes du chant
de la cigale.
La figure 1 fait voir à peu-près dans fa grandeur na¬
turelle & par déifions, le corps & partie du dernier corcelet
de la cigale mâle de la grande efipéce; & les figures fuivantes
jufiqu a la dixiéme inclufivement, font prifes d’après cette
même cigale, n, un îles volets écailleux qui elt en fa place
naturelle, 6c fur lequel pôle une jambe, u , autre volet
qui a été relevé pour mettre à découvert la cavité qu’il
couvroit.//;, le miroir qui elt dans le fond de cette cavité.
Dans la Figure 2, plus grande que nature, les deux
volets u, u, (ont rcprélèntés, relevés & jettés fur le cor-
celet, & lailfient voir en entier la cavité où font les deux
miroirs. m,m, ces miroirs. L’elpace qui elt entre les miroirs,
elt rempli par un triangle écailleux qu’on voit mieux dans
la figure luivante. // n, membrane blanche & plilfiée, que
les uns ont regardée comme l’inllrument du fon, pendant
que les miroirs ont été pris pour tels par d’autres.
La Figure 3 repréfente les mêmes parties que la figure 2,
mais beaucoup plus grolïies, & au point nécelfiaire quelles
ieloient pour rendre leur figure &leur pofition diltinéles*
B b iij
igS MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
u, u, les deux volets, m, m, les miroirs, q, q, le triangle
écailleux placé au milieu de la cavité, & qui aide à renfer¬
mer les deux loges où font les miroirs, nn, membranes
blanches & pliiTées qui ont été prifes pour l’irtflrument du
chant. /, l, deux ouvertures de forme oblongue, dont
chacune eft à peu-prés renfermée par deux arcs. C’eft par
chacune de ces ouvertures que fort l’air fonore qui a été
mis en mouvement par les deux inflruments du chant.
Ce font les ouvertures des deux cellules, dans chacune
dcfquelles une timbale eft logée.
La Figure 4. fait voir de côté une portion du corcelet.
Si. une portion du corps d’une cigale mâle ; tout ce qu’on
a voulu y montrer, c’efl une élévation qui efl en e, fur
le premier anneau, & qu’on ne trouve point au premier
anneau de la fémelle. Là cette partie de l’anneau s’élève
pour faire une loge d’une capacité fuffifante pour con¬
tenir la timbale, &lui iaiffer fon jeu libre.
La Figure 5 ne diffère de la figure 4., qu’en ce que la
portion d’écaille marquée e, dans cette dernière figure,
a été coupée prefque tout autour dans la figure 5 , &.
rejettée vers le dos. e, cette portion d écaillé, t , la timbale
qui alors efl à découvert, u , le volet qui efl dans fà pofition
naturelle, & qui ferme la moitié de l’ouverture de la cavité
où font les miroirs.
La Fig. 6 repréfente fort en grand le corcelet & le corps
d’une cigale mâle, dont le corps a été ouvert par-deffus.
Cette figure eft très-propre à donner idée des parties d’où
dépend le chant de la cigale, m, in , les deux miroirs vus
du côté du dos, au lieu que dans les autres figures, c’eft
du côté du ventre qu’ils font en deux mufcles
compofés de fibres droites, & prefque parallèles les unes
aux autres. Chaque mufcle f efl defliné à faire jouer la
timbale vers laquelle il fe dirige, t, t, les deux timbales,
des Insectes. IV. Mem. 199
qui ont été mifes à découvert. Lesmufcles ff font ap¬
puyés fur le triangle écailleux du côté où il efl concave.
Vers la partie poflérieure du corps, on voit en f des vail-
feaux blancs qui y font une infinité de plis & de replis;
ces vaiffeaux font pleins de la liqueur néceffaire à la fé¬
condation des œufs.
La Figure 7 efl celle d’une coupe d’anneau vue du côté
du ventre, & prife au bord de la cavité où lont les miroirs;
mais les miroirs ,& les autres parties ont été ôtées de cette
cavité, eqq, le triangle écailleux, qui, quand il étoit en
place, touchoit par le fommet de l’angle e, la portion c
de l’anneau qui efl courbée en cœur, & qui étoit arrêté
contre cette partie de l’anneau par les deux ligaments qui
partent du fommet e.
La Figure 8 montre le côté concave du triangle écail¬
leux, dont le côté convexe efl en vûe dans la figure 7.
C’efl fur ce côté concave que font pofés les mufcles ff
de la figure 6.
La Figure 9 repréfente les deux mufcles kf, kf, tirés
de deffus le triangle écailleux de la figure précédente. Des
fibres i, qui partent d’une plaque prefque cartilagineufe,
pofée fur le bout d’un de ces mufcles, vont fe joindre à
la timbale t.
La Figure i o fait voir la plaque cartilagineufe qui a été
détachée du bout d’un des mufcles de la figure 9. Les
fibres i, qui partent de cette plaque, font celles qui étoienfc
attachées à une timbale.
La Fig. 11 repréfente une partie du corcelet antérieur,
le corcelet poflérieur, & partie du corps d’une cigale male
de moyenne grandeur, de l’efpécede celle de la figure7,
planche 16; elle les repréfente, dis-je, vues de côté &
groffies. e, e, partie du corcelet antérieur, c, le corceleï
poflérieur. u, l’un des volets écailleux. t,r, la timbale, qui
200 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
eft à découvert en t, & en r. p, pièce qui couvre une partie
de la timbale.
La Fig. i 2 eft la même que la fig. i 3, à cela près que la
pièce p, qui couvre une partie de la timbale dans la figure
précédente, a été abbaiffée dans la fig. 12 .p, cette pièce.
La Figure 1 3 fait voir le ventre, & partie du delfous
du corcelet de la même cigale, fur laquelle les figures 1 1
& 12 ont été deffinées. Un des volets u, eft abbaiffé, &
une des jambes pôle deffus. L’autre volet u } eft relevé. On
peut remarquer plufieurs différences entre la cavité qui
eft à découvert, & celle des figures 1 , 2 & 3. in, le miroir
qui eft très-petit & plus enfoncé que ceux des grandes
cigales. n, la membrane blanche & pliftee. t, une petite
portion d’une des timbales qui fe trouve fous le volet qui
eft du même côté.
La Figure 14. repréfente en grand le bout du derrière
de la cigale fémeile de la figure 2, planche 16. aa, le bout
du corps, ou le dernier anneau, dont la forme eft fort
différente de celle des autres; c’eft une efpéce de cône,
qui a un renflement au-deffus de fa bafe ; & qui eft fendu
tout du long du côté du ventre, cfcf, les deux pièces,
qui enfemble compofent l’étui de la tarière; la fente qui
eft entre ces deux pièces, laide entrevoir la tarière.
Planche XVIII.
Toutes les figures de cette planche font groflics au
microfcope, & font deftinées à faire connoître la ftruélure
de l’efpéce de tarière de la cigale.
La Fig. 1 repréfente le bout du corps d’une cigale fé-
melle de la grande efpéce, vû du côté du ventre, b a a, ce
prolongement du corps, qui peut être appeilé le dernier
anneau, quoiqu’il ait une figure différente de celle de ceux
qui le précédent; il a une entaille dans toute la longueur
dans
DES I N S E C T E S. IV. Mi ’tn. 20 I
dans laquelle l'ont logées les pièces qui compofent l'étui
de la tarière, & qui la renferment, b, le dernier des an¬
neaux ordinaires, a a, cet anneau allongé en cône, ôc
refendu, dans lequel la tarière eft logée dans les temps
ordinaires.^ la tarière lortie de fon étui, c, c , les deux
pièces qui enfemble compofent l’étui de la tarière.
Les Figures z & 3 montrent les deux pièces qui for¬
ment un étui à la tarière. Une de ces pièces figure 2, eft
vue de côte , & l’autre par la face où eft la concavité
d uneefpéce de cuiileron oblong. cg, le cuilleron . gf, tige
du cuilleron articulée en g, & qui a une cavité qui paroît
le long de gf figure 3.
. La Figure q. fiait voir la tarière développée en partie,'
& les trois pièces dont elle efi compofée. aa, portion de
l’anneau dans lequel le loge la tarière, qui a été coupée
en aa. Une des limes pf a été retirée de dcfiTus fon
lupport. pf eft la partie qui elt armée de dents inclinées
vers la pointe p. Les dents font noires, & le relie de la
lime elt blancheâtre. tr, pièce d’un brun prefque noir
cpii fert de lupport aux limes, & que nous avons nom¬
mée pièce d’aifemblage. On en voit la partie de deffus
laquelle la lime p f a été dégagée./? I, l’autre lime qui eft
pofée&engrainée dans l’autre moitié du lupport, comme
pf l’étoit naturellement.
Dans la Figure 5 les deux limes font retirées de deffus
leur lupport. r e e r, le lupport, fur la face & fur l’épaifîe
tranche duquel on voit des languettes & des cannelures.
p f, une des limes. pi, l’autre lime. Le Cens dans lequel cette
dernière fe préfente, permet de voir qu’elle a des canne¬
lures 6i des languettes propres à s’affembier réciproque¬
ment dans les languettes & les cannelures du fupport.
La Figure 6 qui ne repréfente qu’une portion de la
tarié’-e, montre qu’une des limes peut s’élever plus que
Tome V .Ce
202 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
l’autre ; Ja pointe p, de la lime p l, efl; plus élevée que la
pointe p, de la lime p f. Une partie r, du fupport a été
îaiirée à découvert par la lime p!.
Dans la Figure y, où la tarière efl repréfentée dans
prefque toute là longueur, la pointe p, de la lime p/, efl
beaucoup delcendue au-deflous de Ja pointe p, de la lime
pf& on eût été maître de la faire delcendre davantage.
Dans la Figure 8 , tout au contraire de la figure précé¬
dente, la pointe p, de la lime pl, efl beaucoup élevée par-
delà la pointe p, de la lime pf. qr, partie du fupport de
delfus laquelle la lime lp, a été retirée.
La Figure 9 efl celle des deux limes tirées de défiais leur
lùpport.
La Figure 10 montre la tarière de la figure y, du côté
oppofé à celui 011 elle efl vue dans cette dernière figure.
Lai ime pf efl dans là pofition ordinaire, & la lime pleil
delcendue plus bas qu’elle n’efl ordinairement. Ici la face
qui efl en vue, efl la fupérieure quand la cigale tfl polée
fur un plan horizontal, au lieu que la face des autres
figures efl l’inférieure, ou celle qui le préfente lorfqu’011
regarde le ventre d’une cigale. La partie 0, delà lime pl,
qui excède le fupport, apprend que la tige de la lime ne
s’applique que fur l’autre face du fupport, & lur celle qui
en marque l’épailTcur.ou fur la tranche. Toute la large face
du fupport, efl vue dans cette figure; h on y remarque
quelques filions, ils ne font pas de ceux qui fervent à main¬
tenir les fcies pendant quelles (ont en jeu.
Dans la Figure 1 1, les fcies ont été coupées en l,& f,
& ont été écartées de leur fupport coupé en /. Tout ce
qu’on a eu deflein d’y faire voir, c’efl que le lùpport, avant
que d’arriver au corps, fc divile en deux branches ty, t x,
& que l’entre-deux des branches efl rempli par des mem¬
branes m, qui lient les deux branches enlemble.
des Insectes. IV Mem. 203
r La Fig. 12 ne montre encore qu’une partie de fa taricre
Si de l’anneau dans lequel elle eft logée. Elle fait voir les
queues ibif, des limes, ou les tendons écailleux qui les
font agir alternativement, b, le fupport des limes.
Planche XIX.
Les Figures 1 Si 2 repréfentent deux petites branches de
meurier, dont celle de la figure i, eft plus menue que celle
de la figure 2 : une cigale a dépofé fes œufs dans l’intérieur
de chacune de ces branches./, t, t, Sic. marquent de petites
élévations faites par la peau Si les fibres qui ont été coupées
&foûlevées. Chacune couvre l’ouverture d’un trou creufé
dans l’intérieur de la branche. Fig. 1, on voit en e, e, deux
élévations qui ne font pas dans l’alignement des autres,
mais cela efl rare. Dans la figure ?, où une partie du bois
a été emportée, un œuf paroît en 0.
La Figure 3 montre l’arrangement que la cigale donne
à fes œufs dans l’intérieur de chaque morceau de bois. Le
brin de bois dont on a ici la figure, efl groffi à la loupe, &
on en a emporté une partie depuis II, jufqu’en rr, pour
mettrèà découvert fonintérieur.Æ,//’',//, bouquets de fibres
ligneufes qui ont été coupées & foûlevées par la tarière de
la cigale. En t, on voit la coupe de l’ouverture du trou fur
lequel les fibres étoient appliquées./! font les œufs, dont
le trou a été rempli. /,&./, (a coupe des endroits qui font
ligneux, m, la coupe de ce qui efl occupé par la moelle. Les
bouquets de fibres h,g, k, font pofés au-deffus d’autant de
trous, dont les direélions ne fe font pas trouvées en entier
dans celle de la coupe qui a été frite. o,q,x, les œufs qui
occupent une partie des trous, dont les ouvertures font au-
deffous de k,g, h. O11 remarquera que les œufs ne vont pas
du côté de 0, q, x, par-delà la partie occupée par la moelle.
Dans la Fig. 4., on n’a qu’un morceau de bois très-
court, Si plus groffi que celui de la figure précédente.
* * C c ij
204 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
/,1e bord d’un trou, où les fibres ligneuics ont été cou¬
pées. f ces fibres. L’écorce qui les couvroit, a été brifée
& détachée jufqu’en e.
La Figure 5 montre un œuf, tel que ceux de la fig. 3;
très-grofli.
La Figure 6 repréfente le bout poftérreur du corps de
fa cigale mâle, marqué £, figure planche 16; il efi vû
ici de côté, dans un temps où la preflâon des doigts l’a
obligé de s’ouvrir, p, la pointe du dernier anneau, qui
répond au milieu du dos. e, lame écailleufe. f, fourche
barbue, c, gros crochet écailleux, m, la partie du mâle qui
commence à fe montrer.
La Figure 7 11e diffère de la figure 6, qu’en ce que la
partie avec laquelle le mâle féconde la fémelle, s’y montre
en entier, m, la tige de cette partie, n, bourlet charnu qui
eft auprès de fon bout; ce bout eff fait en mammelon.
La Figure 8 eff celle du bout poflérieur du corps du
mâle de la cigale de la figure 7, planche 16, très-grofli.
e, lame écailleufe du deflous du ventre, c, c, double cro¬
chet écailleux, a, l’anus.
La Fig. 9 fait voir féparément le crochet de la fig. 8.
La Figure 10 nous montre un des deux ovaires de la
cigale extrêmement groffi. Les files d’œufs n’ont point
été comptées, mais elles font au moins en auflâ grand
nombre qu’ici. a , le gros tronc antérieur, d’où partent
tous les vaifleaux à œufs, b , le gros tronc auquel les vaif-
feaux pleins d’œufs m’ont paru aboutir.
La Figure 11 eft celle d’un œuf, d’où le ver eff forti
par l’ouverture 0.
La Fig. 12 fait voir un ver u, mangeur d’œufs de cigale,
6c des vers à fix jambes qui fortent de ces œufs. Il eft ici
grofli. bj, portion du bois qui a été relevée pour mettre l’in¬
térieur du nid à découvert. Dans la Fig. 1 3, un ver man¬
geur de ceux des œufs de la cigale, eff vû dans fa grandeur
des Insectes. IV. Mem. 205
naturelle, & le même ver eft grofli clans la figure 14.. d, d,
fies dents.
La Figure 1 y eft celle d’un ver hexapode de cigale.
Les Figures 16 & 17 l'ont celles d’une nymphe de
cigale ou d’une tettigometre, vue dans différents iens. La
nymphe ne diffère prefique du ver héxapode, que parce
qu’elle a des fourreaux d’ailes a, a, qui manquent à l’autre.
La Figure 18 fait voir par-deffous une nymphe de ci¬
gale. t, fia trompe.
Planche XX.
La Figure i efit en grand celle d’une tête de nymphe
de cigale & de fies dépendances, t, la tête, a, une des
antennes, p, le prolongement de la tête, duquel fort la
trompe, f l’étui de la trompe, qui, ici comme dans les
cigales, a une origine différente de celle de la trompe,
fi, une des jambes de la première paire.
La Figure 2 ne repréfiente qu’une partie de la précédente,
fçavoir, le prolongement p, de la tête ; mais dans cette fig. 2,
la trompe t, eft entièrement hors de l'on fourreau f
Les Figures 3 & 4. montrent une même jambe denymphe
de cigale, une de celles de la première paire; mais elles la
montrent prifie en différents temps. Du gros de la jambe i,
figure 3, part-un gros crochet c. Au deffous de ce crochet,
011 voit une fuite de dents & des épines, fioit fimples e, foie
fourchues /i Outre toutes ces parties qu’on trouve à la
fig. 4., on lui trouve une efipéce depince/>, quelammphe
releve plus quelle n’eff ici, quand il lui plait; quand elle
veut, elle l’applique fi bien contre le crochet c, qu’on ne
la voit pas, ou prefique pas, comme dans la figure 3.
La Figure 5 fait voir plus en grand le crochet de la
fig. 4, avec fia pince, c, le crochet. />, la pince, d d, four¬
che pointue par laquelle elle eft terminée, a, articulation
de la pince avec le crochet.
Ce iij
206 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
La Figure 6 eft celle d’une de ces grandes mouches de
l’Amérique, appellées porte lanternes, vue par-deftous./,la
lanterne, i, un des yeux à rezeau. g, tubérofité en forme
d’œil, placée au-deftous d’un de ceux à rezeau.
La Figure 7 repréfente la mouche porte-lanterne, vûe
par-deftous. 4 la lanterne, t, la trompe.
La Figure 8 eft en grand celle de la partie écailleufe,
où fe trouve un œil à rezeau. i, l’œil à rezeau. g - , tuber¬
cule graine, ni, mammelon.
La Figure 9 fait voir la trompe de la mouche précé¬
dente féparément, & groftie. f, le fourreau qui lèmble
avoir une articulation en f. t, la trompe que j’ai obligé
de fortir defon fourreau.
La Fig. 1 o nous montre dansfa grandeur naturelle, un de
ces petits infeétes ailés du rofier, que j’héfiteà mettre dans
le genre des cigales, & même dans un genre voifni du leur.
Dans la Figure 1 1, le même infeéte eft vû bien plus
grand que nature, yifa feie qu’il a éloignée de fon ventre,
comme il l’en éloigne lorfqu’il veut s’en fervir pour en¬
tailler une branche de rofier.
Dans la Figure 12, la feie de la figure précédente eft
repréfentée plus en grand, & féparément.
La Figure 1 3 Lit voir la mouche de la figure 11, par-
deftous, & également groftie. f, fa lcie dans ia pof tion
011 elle eft ordinairement, t, fa trompe.
La Figure 14. eft celle de la nymphe de cette mouche,
groftie dans la proportion des figures 1 1 & 13.
La Figure 15 eft celle du derrière du mâle de la mouche
de la fig. 1 1 ; des parties qu’il tient ordinairement cachées,
font vües ici groiïies au microfcope. c, c,c, efpéces rie
baguettes avec lefquelles il peut faifir le derrière de la fé-
mclle. m, la partie propre au mâle.
—
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des Insectes. K Ment . 207
4&8p ^ ® $&
CINQUIEME MEMOIRE ,
£■ T LE PREMIER
DE L’HISTOIRE DES ABEILLES:
Où l’on traire de la forme des Ruches les plus propres
à faire des ohjerra rions fur les Abeilles ; où l’on
examine ce qu’on doit penfer de la conflitution de
leur gouvernement ; if où l’on explique les moyens
dont on s’ef fervi pour voir les faits quon rapporte.
Ï Es Abeilles ont etc fi célébrées par les Naturalises,
_ tant anciens que modernes, on en a raconté tant de
merveilles, & on eff li généralement convaincu quelles
font de tous Scs in èctes, & peut-être de tous les animaux,
ceux a qui notre admiration elt due à [dus de litres, que
nous devons craindre que i hifloire de ces mouches in-
ûudrieulês que nous allons donner, ne paroi (Te pas rem¬
plie d'autant de faits Singuliers qu’on s’attend d’y en
trouver;du moins n’y en trouvera-t-on que de certains;
on n’y trouvera que des faits qui ont été bien vus &
revus. Comme nous examinerons à la rigueur tout ce qui
a été rapporté d’admirable de ces mouches, nous décou¬
vrirons bien du faux dans le merveilleux dont on a voulu
leur faire honneur; mais nous aurons auffi des compen¬
sations à faire en leur faveur. Le faux merveilleux qui leur
a été attribué, fera remplacé par du merveilleux réel qui
a été ignoré.
Les plus anciens Auteurs qui ont parlé des abeilles,
& la plupart de ceux qui lont venus après eux, A qui
n’ont été que leurs échos, 11e nous donnent pas plus de
20S MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
garants, pas plus de preuves de la réalité de ce qu’ils en
débitent, que les Autheurs des Romans nous en donnent
de la vérité des événements par le récit defquds ils fçavent
nous intérefTer. Ce n’a été que dans ces derniers temps
qu’on a publié fur les abeilles, des obfervations fur lefquels
on peutjcompter. On en trouve de telles, imprimées dans
les Mémoires de l’Académie de 171 a-, & dues à M. Ma-
raldi. Plufieurs années avant que ces obfervations parurent,
une hiftoire des abeilles avoit été composée par un Au¬
teur célébré, & capable de la faire bonne; par un Auteur
à qui il avoit été plus permis de donner beaucoup de
temps à l’étude de ces mouches, qu’il ne l’avoit été à
M. Maraldi, engagé par fa place dans l’Académie, à des
obfervations d’un tout autre genre. Swammerdam, qui
pendant toute fa vie avoit fait lés délices de l’étude des
infeéles, s’étoit plu fur-tout à obier ver les abeilles; il
compofa leur hiftoire en Holiandois. Cette hiltone ne
pouvoir manquer d’eftre pleine de recherches lines &
curicufes; mais une forte de fatalité a voulu quelle foit
reliée dans les ténèbres pendant une longue iuite d’an¬
nées. Elle n’étoit pas encore imprimée lorfque Swam¬
merdam mourut; il la légua avec fcs autres manuferits,
à l'on fidèle ami M. Thevenot, entre les mains duquel le
tout tarda trop à palier, par la faute des héritiers. La mort
enleva encore M. Thevenot, avant qu’il eût eu le temps
de rendre à la mémoire de fon ami, ce qu’il lui devoit,
avant qu’il eût pu faire imprimer les manulcrits de Swam¬
merdam. Heureufement que M. du Verney en devint
polTelïéur; pour un très modique jarix il les iâuva, & les
planches dont ils étoient accompagnés, du danger où
ils étoient d’avoir le fort des écrits les plus méprilables.
M. du Verney a eu pendant long-temps, intention de
les donner au public, & il a promis pendant long-temps,
de
des Insectes. V. Mem. 209
dé le faire, fans l’avoir exécuté. On n’a pourtant pas dû
lui en fçavoir aufli mauvais gré, qu’on l’auroit fçû à tout
autre. On doit être indulgent pour quelqu’un qui ne fait
pas paroître au jour les découvertes d’autrui, iorfqu’ii
néglige de publier les fiennes propres. L’ardeur des recher¬
ches nouvelles dont M. du Verney étoit toujours animé,
j’ai prefque dit tourmenté, ne lui permettoit pas de faire
part au public, de ce quefes recherches précédentes lui
avoient appris. D’ailleurs les manufcrits de Swammerdam
étoient en Hollandois, 6c avant que de fonger à les faire
imprimer, il falloit les faire traduire en François ou en
Latin. Enfin l’illultre M. Boerhaave, dont nous ne ferions
pas réduits à pleurer la perte, fi la durée de la vie de cha¬
que homme étoit proportionnée à l’utilité dont elle elt
au public; M. Boerhaave, que plufieurs des plus grands
Médecins de l’Europe fe font gloire de reconnoître pour
leur maître; qui a donné tant d’excellents ouvrages de
Médecine 6c de Phyfique; M. Boerhaave, dis-je, crut
rendre un grand fervice à tous ceux qui aiment l’hiftoire
naturelle, s’il pouvoit parvenir à leur procurer les ob-
lêrvations de Swammerdam ; il négocia de M. du Verney,
les manufcrits qui les contenoient *, 6c après en avoir fait
l’acquifition, il engagea M. Gobius fçavant Profelfeur
de Leyde, de fe charger de les traduire en Latin , 6c de
les faire imprimer en Hollandois 6c en Latin, ce qu’il a
exécuté. Ils rempliffent deux volumes in-folio, dont le
fécond n’eft public que depuis un an. C’ef dans ce dernier
que fe trouve une hiffoire des abeilles, qui répond à ce
que M. Boerhaave en avoit promis.
* M. r Winflou , dont la probité & ie grand fçavoir anatomique font égale¬
ment connus, allure que M. r Boerhaave a été mal ir.llruit du prix que ces MSS.
& les Planches en cuivre avoient coûté à M. r du Verney; que le tout n’avoit
pas été acheté à la fois. M. 1 ' du Verney n’a voulu apparemment que retirer la
tomme au moyen de laquelle il avoit fauvé de fi précieux ouvrages.
Tome K . D d
210 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
Malgré le grand cas que je fais de cette hifloire, &
quoique celle que M. Maraldi a publiée, me paroiffe
eftimable par bien des endroits, j’ai cm cependant que
je devois laiffer voir le jour à celle pour laquelle j’avois
raffembié des matériaux pendant une longue fuite d’an¬
nées. Les peuples dont les exploits ont mérité de paffer
à la poflérité, ont eu bien plus d’un ou de deux Hifloriens.
Malgré toute l’étendue que les Peres Catrou & Roullier
ont donnée à leur Hifloire Romaine, malgré l’élégante
précifion de celle de Laurent Echard, dans l’cflat où
M. l’abbé Desfontaines l’a fait paraître en François ,
M. Rollin, qui en cherchant à faire aimer les fciences ,
cherche encore plus à faire aimer la vertu, s’efl déter¬
miné à donner une nouvelle Hifloire Romaine ; le public
en a reçu les premiers volumes avec tous les éloges,
& s’il efl poffible, avec plus d’éloges encore, qu’il n’en
avoit donné à l’Hifloire ancienne de cet illuflre Auteur.
Les abeilles font au moins parmi les infeéles, ce qu’ont
été les Romains par rapport aux peuples qui ont donné
les plus grands fpeélacles à l’univers. L’Hiflorien qui
écrit aujourd’huy les aélions dignes de mémoire des
Perfes, des Grecs ou des Romains, peut ne rien ob-
mettre d’effentiel de ce qui nous en a été tranfmis ; il
peut & doit avoir lu les ouvrages où ces allions font
rapportées ; ce n’efl que là qu’il peut puifer; & les réglés
de la critique le déterminent fur le choix des faits qu’il
doit adopter: au lieu qu’il ne fuffit pas d’avoir lu les
Auteurs qui ont traité des abeilles, pour nous donner
une nouvelle hifloire de ces mouches, aufîi utiles qu’in-
duflrieufes; il faut les étudier elles-mêmes de nouveau ,
les fuivrc avec une grande attention; s’affûrer d’abord fi
tout ce qu’on nous en a dit efl vrai. Il faut enfuite examiner
fi tous leurs procédés ont été affés connus, fi elles n’ont
des Insectes. K Mem . z 11
point des induflries qui ayent été ignorées, ou mal expli¬
quées. Il n’eft guéres d’infeéte, qui, étant étudié de la
forte, ne fourniire des matériaux pour une hifloire, qui
ne différera pas uniquement par la forme, de celles qui
en auront été publiées. Il n’en efl point parmi eux, qui
ne puiffe récompenfer la patience d’un oblervateur at¬
tentif, en lui laiffant voir des nouveautés finguliéres.
Swammerdam Si M. Maraldi ont oblérvé bien des parti¬
cularités dans fhifloire des abeilles, qui avoient échappé
aux Anciens ; des circonflances favorables m’en ont
montré auffi, Si même d’effentielles, que Swammerdam
Si M. Maraldi ne fe font pas trouvés à portée de voir.
Je fuis pourtant perfuadé que ces mouches admirables
ne m’ont pas tout montré à beaucoup près, qu’elles fe
font réfèrvées encore des myftéres qu’elles pourront dé¬
couvrir à quelqu’un qui les obfervera dans de nouvelles
circonflances, Si avec une nouvelle affiduité.
Les abeilles ne font pas du nombre de ces infeéles qui
ne peuvent nous intéreffer que par leur génie; on fçait affés
qu’elles font de ceux qui travaillent le plus utilement pour
nous. Elles font de ceux dont la multiplication doit pa*
roître un objet important dans tout gouvernement policé.
Quoique le miel dont elles font chaque année de grandes
récoltes, ait beaucoup perdu de l’eflime où il étoit dans
des temps où le fucre, aujourd’hui fi commun, étoit à
peine connu, ce miel nous efl cependant encore très-utile;
& il a des ufages par rapport auxquels le fucre ne pour-
roit lui être fubftitué, comme il le lui a été pour les con¬
fitures. Mais la confommation que nous faifons de la cire,
Si qui va journellement en augmentant, ne nous permet¬
trait de penfer aux abeilles qu’avec beaucoup de recon-
noiffance, fi nous ne fçavions que ce n’eft pas nous qu’elles
envifagent dans leurs travaux.Nousavons au moins bien de
Ddij
212 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
l’obligation à celui qui, le premier, a retiré ces mouches
clés forefts, qui nous a appris à les rendre domeftiques, &
qui nous a mis en état de nous approprier leurs récoltes.
Nous nous jetterions dans une énumération ennuyeufe
par fa longueur, fi nous voulions indiquer tous les au¬
teurs qui ont donné des préceptes fur la manière de
foigner les abeilles, & qui*n’ont pas oublié d’en raconter
en même temps des prodiges. Tous ceux qui ont traité
de la bonne ceconomie des biens de campagne, ont re¬
gardé ces mouches comme' un des objets qui y font
dignes d’attention. Caton, Varron, Columelle, Paliadius
font de ce nombre. Par rapport aux modernes, il n’en eft
aucun de ceux qui ont publié des ouvrages fous les titres
de Maifon ruftique, de Dictionnaire œconomique, &
fous d’autres titres équivalents, qui n’ait accordé un très-
grand article aux abeilles : on a fait de plus pour elles
divers traités particuliers. Sans parler de ce poème fi par¬
fait, dans lequel Virgile a ralfemblé tout ce qui avoitété
dit fur ces mouches jufqu’cà fon temps; nous avons divers
traités modernes moins élégants affûrément, où on s’etl
propofé d’apprendre à tirer un bon parti des abeilles.
Nous croyons devoir nous contenter de citer plufieurs
de ces ouvrages dans les occafions qui s’en préfenteront.
Nous en avons perdu deux qui feroient les plus curieux
& les meilleurs de tous, fi la valeur & le nombre des
obfervations dont ils étoient remplis, étoient propor¬
tionnés à la longueur du temps qu’on avoit employé à
faire ces obfervations, N à l’ardeur qu’on avoit eue pour
les faire. Je veux parler de ce qu avoit écrit le Philofophc
Ariftomaehus, qui, au rapport de Cicéron & de Pline,
jfavoit fait autre chofe pendant 58 ans, que d’étudier les
abeilles ; & de ce qu’avoit écrit auffi, au rapport de Pline
& d’Ælicn, le Philofophc Hylifcus, qui fut épris pour
des Insectes. K Mem . 213
elles d’une fi forte paffion, qu’il fe retira dans les déferts
pour les obferver plus à fon aile.
Tous les ouvrages que nous ne venons de citer qu’en
gros, donnent la mêmeprife à une jufte critique. Ils nous
racontent les faits les plus propres à faire admirer des
infeéïes fi utiles ; mais fauteur ne nous dit prefque ja¬
mais qu’il a vu ces faits., ni comment il les a vûs. Or, plus
on fçait combien le nombre des mouches qui habitent
une ruche elt grand, combien elles y font entalfées, &
mieux on fçait combien il eft difficile de parvenir à voir
ce qui 1e paffe parmi elles, fi on n’a pas recours à des
expédients particuliers, & fi on ne profite pas de cir-
confiances heureufes & rares. Quand on confidére les
abeilles d’une ruche, on eft auffi peu en état de recon-
noître à quoi tendent leurs aélions, qu’on l’eft de démêler
les motifs de celles des hommes diftribués par pelotons
dans une place qu’ils rempüffent prefque, & où on ne les
voit que du haut d’une tour.
Pour concevoir beaucoup d’admiration pour les abeilles,
il fuffit cependant de fe trouver dans un jardin auprès des
ruches qui y ont été placées. On ne s’accoutume point
à regarder fans furprife , ces habitations remplies par un
petit peuple fi aétif, fi laborieux, remplies par un nombre
d’habitants qui furpaffe le nombre de ceux d’une grande
ville. Si dans les belles heures du. jour on fixe fes regards
fur les dehors d’une de ces ruches, on voit autour des
ouvertures qui donnent entrée dans fon intérieur, un
concours de mouches plus grand que celui des hommes
que nous pouvons voir dans les lieux les plus fréquentés.
On voit les unes arriver de la campagne chargées de ma¬
tériaux & de provifions, pendant que d’autres prennent
i’eftor pour aller faire des récoltes femblables à celles
que les premières rapportent. On en voit de celles - ci
Dd iij
214 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
qui n attendent pas quellesfoientrentrées dans la ruche,
pour faire part à d’autres mouches du miel qu’elles ont
recueilli, ou de la matière propre à devenir cire quelles
y ont amaffée. Dans tel in fiant on n’en verra plus fortir
aucune , celles qui font dehors arrivent en foule ; les
portes ne fufRfent pas pour laiffer rentrer toutes celles
qui s’y préfentent. Qu’on regarde en l’air, & on fera bien¬
tôt au fait de la caufe qui les détermine à revenir chés
elles. On verra quelque nuée noire, de celles qui dès
qu’elles font arrivées liir notre tête, y biffent tomber de
la piuye. Soit que les abeilles jugent comme nous de ces
nuées par leurs yeux, foit qu’elles foient inftruitesde leur
approche, par quelqu autre fens dont nous n’avons au¬
cune idée, elles fçavent ordinairement fe mettre à l’abri;
il n’y a que les foibles & celles qui ont été très au loin,
qui fe biffent furprendre par une grande pluye.
Ariftote & ceux qui ont parlé des abeilles après lui,
comme Pline, ont cru quelles fçavoient fe mettre en état
de ne pas trop ceder en l’air aux vents impétueux ; que
pour n’en être pas le jouet, avant que de s’envoler, elles fe
leffoient, pour ainfi dire, d’une petite pierre qu’elles te-
noient faifie entre leurs jambes. Mais inutilement obfer-
vera-t on celles qui font ramenées à la ruche par les plus
forts coups de vent; on n’en verra aucune qui ait eu re¬
cours à un expédient pareil. Plufieurs centaines de petites
pierres, tranfportées par autant de mouches, feroient
pourtant aifées à trouver auprès des portes ou dans l’in¬
térieur même de la ruche. Swammerdam a, je crois,
très-bien deviné ce qui a donné lieu aux anciens d’attri¬
buer une pareille indiiftrie aux abeilles. Il y a des mouches
de leur genre, dont nous parlerons dans b fuite, qui bâ-
tiffcnt avec de gros gravier. On les a confondues avec les
abeilles ordinaires, & on a imaginé quelles fe chargeoient
des Insectes. V . Mem . 215
peur une autre fin que celle pour laquelle elles le font.
Les dehors d’une ruche fournifient beaucoup d’autres
faits qui s’attirent l’attention du fpeélateur. Allés l'ouvent
il fe préfente à fes yeux quelque mouche qui employé
toutes fes forces pour en traîner une morte hors de la ru¬
che, & la conduire au loin. D’autres fois il en voit partir
une & s’envoler avec alfés de légéreté , quoique chargée
d’une malfe d’un volume prefqu’égal au fien, quelle va
dépofer à une difiance de plulieurs pas. Qu’on aille exa¬
miner cette malfe dans l’endroit où elle a été lailfée, on
trouvera fouvent qu’elle ell le cadavre d’une autre abeille.
L’Obfervateur pourtant ne fera pasdilpolé à croire, avec
les Auteurs qui prodiguent à ces mouches toutes les ver¬
tus morales, que ce l'oit là une aéfion de charité, lorf-
qu’il verra d’autres abeilles entraîner hors de la ruche, &
avec autant de peine, des ordures de différentes efpéces.
Ce qui lui paroîtra plus certain, c’efi qu’elles aiment
la propreté, & qu’elles font ce qui ell en elles pour tenir
leur logement net. On les voit de même en certains temps
tranfporter hors de la ruche des nymphes très-blanches,
& de jeunes mouches à peine transformées.
Des combats, mais qui ne vont pas toujours à mort,
font alfés fréquents auprès de l’entrée de la ruche; & il
y a des temps dont nous parlerons , où il s y en livre des
plus fanglants. Seroit-ce aulfi par charité qu’elles s’entre-
tueroient ! Seroit-ce par un motif femblable à celui qui
détermine certains peuples fauvages à ôter aux vieillards
un refie de vie, qu’ils ne pourroient palfer que dans les
fouffrances & dans la miferc! On le veut, caron prétend
que les mouches jeunes & vigoureufes, tuent celles qui
font vieilles & ufées par le travail.
Tout cela peut être obfervé fans aucun rifque,fiona
la confiance de laiUèr bourdonner autour de fes oreilles.
216 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
& même autour de foirvifage les mouches que le hazard y
conduit. Qu’on foit tranquille, & on ne fera point piqué,
fur-tout fi les ruches auprès defquelles on eft, font dans
des endroits fouvent fréquentés par des hommes, car les
abeilles s’apprivoifent avec eux. Si l’on en croit divers Au¬
teurs, on nedevroit pourtant s’approcher d’elles qu’après
avoir fait fon examen de confcience. Ils nous alfurent
quelles ne peuvent fouffrir les hommes impurs, & fur-tout
ceux qui font coupables d’adultére; qu’elles ne font aucun
quartier aux voleurs. Ce font des mouches vertueufes qui
aiment les vertueux, & qui les fçavent difh’nguer des vitieux
qu’elles haïffent. Il feroit plus aile de faire croire que les
muguets leurdéplaifent, comme on l’a écrit; qu’elles n’ai¬
ment pas les jeunes gens frifés & pommadés; car il pour¬
rait fe faire qu’il y eut des odeurs propres à les irriter.
Arillote prétend que les odeurs tant bonnes que mau-
vaifes les déterminent à attaquer celui qui les répand. Si
cela étoit, elles auraient beaucoup à fouffrir lorfqu’elles
vont faire des récoltes fur les fleurs; fi l’odeur de la violette
ne leur efl pas delàgréable, pourquoi la même odeur ne fe-
roit-elle pas de leur goût, Iorfqu’elle s’exhalerait d’une
pommade! Auffi n’ai-je point remarqué que je les miffe
de plus mauvaife humeur, lorfque je m’approchois d’elles
ayant fur la tête une perruque qui ne venoit que d’être
pommadée & poudrée , que lorfque je m’en approchois
avec un bonnet. Il faudrait même convenir de ce qu’on
appelle mauvaife odeur, avant que de dire en général que
les mauvaifes leur déplaifent; car on fçait qu’elles fe pofènt
volontiers fur les endroits qui font fréquemment mouillés
d’urine. On nous a afflué encore qu’il y avoit des temps
où les dames ne dévoient pas s’expofer à s’en approcher.
Toutes ces averfions des abeilles font de purs contes. Si
on les a accoutumées à voir des hommes, il n’y a aucun
danger
DES I N S E C T E S. V. Mem. 2 17
danger à les obferver, tant qu’on ne les mite pas par
quelque mouvement.
Mais quand on ne s’arrête pas au dehors d’une ruche,
quand on peut fe mettre à portée d’en voir les dedans,
quand on peut voir l’intérieur d’un de ces atteliers où fe
font la cire & le miel, c’eft alors fur-tout qu’on ne peut
allés s’étonner du nombre des petites ouvrières qui y tout
occupées; qu’on 11e le lalTe point d’admirer ces gâteaux
ou rayons de cire travaillés avec tant de régularité ; ces
gâteaux compofés d’un nombre prodigieux de cellules
ou alvéoles, qui lont autant de petits vafcs deltinés à
contenir le miel, 6 c qui ont encore bien d’autres u.'ages.
Des milliers d’abeilles occupées à divers travaux diffé¬
rents, donnent un grand (pecâacle. On conlidcre même
avec plaifir, des truffes ou des grouppes de ces mêmes
abeilles 1 *', qui, en prenant le repos qui leur eft devenu *PI.2i.fig.
néceffaire, le mettent en état de recommencer leurs tra- 5 '
vaux. Les arrangements des abeilles tranquilles qui for¬
ment ces grouppes, font de différentes figures, 6 c louvent
très finguliéres. D autres mouches raffemblées en moindre
quantité, forment des chaînes* dont tous les chaînons * PI. 22. fig.
font animés. Souvent ces efpéces de chaînes font difpolécs
en manière de guirlande. Chaque abeille eft accrochée
par les deux jambes antérieures, ou feulement par une,
à une des jambes* ou aux deux jambes poftérieures de celle
qui la précédé. Ainfi la première eft chargée du poids de
toutes celles qui lé trouvent jufqu a l’endroit le plus bas
de la guirlande. Les grouppes * 11e font, pourainfi dire, * Pt. 21.fi*.
qu’un affèmblage de chaînes miles les unes auprès des
autres; je veux dire que les mouches qui forment les plus
gros malfffs, les plus groffes grapes, lont accrochées
les unes aux autres par les jambes, qui donnent des prifes
plus commodes que le corps, 6 c que Ses autres parties.
Tome V . E e
* P!. 21.
1 .
218 MEMOIRES POUR L’HïSTOIRE
Il faudrait être né fans aucun efpritde curiofité, avoir
l’indifférence la plus parfaite pour toutes connoiffances,
pour ne pas defirer alors de lçavoir comment des mou¬
ches fi peu remarquables par leur forme, peuvent parvenir
àexecuter des ouvrages fi finguliers. Elles doivent.fçavoir
des arts que nous ignorons abfolument, celui de faire du
miel, & celui défaire de la cire. Enfin, l’art de mettre cette
cire en œuvre, comme elles l’y mettent, eft bien au deffus
de ce qu’on peut attendre de i’adreffe humaine. Dans
tant de mouches réunies, & qui travaillent pour une
même fin, on croit voir en petit ce que la raifon a fiait
de plus grand & de plus utile pour nous; une focieté,
qui, comme celle de nos républiques ou de nos monar¬
chies, eft gouvernée par des loix. Il y a long-temps auffi
qu’on a donné les abeilles comme le modèle d’un gou¬
vernement monarchique. Mais quelles font leurs loix !
En ont-elles réellement l Enfin , comment ce petit peu¬
ple fe perpctue-t-ii I C’eft ce que leur hifîoire doit nous
apprendre, ou fur quoi au moins elle nous doit donner
Lien des connoiffances.
Les ruches ordinaires dans lefquelles on tient les abeilles,
font de différentes figures & de différentes matières en
différents pays. On trouvera repréfentées dans les plan¬
ches du dernier Mémoire, celles qui ne le font pas dans
les planches de celui-ci. Les unes ne f#nt qu’un tronc
d’arbre creux ; d’autres font faites de quatre planches
égales, qui forment une efpécede boîte longue, poféefur
un de fes bouts, & dont le fupérieur eft couvert. Le plus
grand nombre des ruches tient de la figure d’une cloche
ou de celle d’un cône. Ce font des elpéces de paniers
& on leur en donne le nom. Les uns font faits d’ofier,
ou de quelqu’autrc bois liant, & d’autres font faits de
paille treffée. Ces logements fimples fuffifent à nos mou-
/
DES I N S E C T E S. V. Mem. . 219
cites, Si les gens Je la campagne qui ne veulent que tirer
du profit de leurs travaux, font fort contents de ce que
de tels logements leur conviennent. Mais le defir de fuivre
ces mouches dans toutes leurs opérations, a fait regretter
à des hommes d’une autre trempe , de ce que les parois
des ruches ordinaires 11e permettoient pas de voir.ee qui
fe pafioit dans l’intérieur. Les anciens ont fait des ruches
dont les parois étoient en partie des matières les plus
tranfparentes qu’ils euffent à leur difpofition. Pline nous
apprend * qu’un Sénateur Romain en avoit fait faire de la * Lh. xi.
corne la plus tranfparente. On a imaginé de les loger dans ch ' t6 '
des ruches vitrées, c’efi-à-dire, dans des ruches dont l’ex¬
térieur qui eft tout de bois , a des volets qui peuvent s’ou¬
vrir quand on veut, S: fous chacun defquels efi un grand
carreau de verre qui permet devoir les abeilles en travail
comme fi elles étoient à découvert. Moufet n’eût pas
apparemment confeillé d’en conftruire de telles, car il fe
moque* des anciens qui avoient donné à quelques-unes * Page 16.
des leurs, des carreaux , foit de corne, foit de pierre fpé-
culaire: il croyoit qu’ils avoient perdu leur temps Si leurs
peines, que les abeilles appliquoient bien vite fur de pareils
carreaux un enduit qui empêchoit qu’on 11e pût voir au
travers.
L’invention des ruches vitrées, ouïe renouvellement
des ruches tranfparentes, efi afles recent. II paroît qu’elles
n’étoient pas connues du temps de Swammerdam , vers
1680, ou qu’au moins, elles étoient très-rares alors. Son
fiience feul en feroit une bonne preuve; mais ce qui en efi
une plus forte, c’efique pour parvenir à mieux voir tra¬
vailler les abeilles qu’il ne l’avoit pu, il propoféde mettre
des carreaux de papier à la ruche dans laquelle on logeroit
tin nouvel eflaim ; d’y laifl'er faire de l’ouvrage par les
abeilles, & de déchirer le papier, lôrftpi’eiles auroieitf
E e ij
>20 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
conflrmt tics gâteaux de cire. Il ignoroit que les abeilles
n’auroient pas laifTé la peine de déchirer ce papier. Je les
ai vû détacher & réduire en pièces du papier qui leur don¬
nent moins de priée. Lorfque les bandes de papier qui
avoient été emploiées à boucher les vuides qui lé trou-
voient entre le boisée les carreaux de verre de mes ruches,
& à mieux affujettir ces carreaux, lors, dis-je, que ces
bandes étoient en dedans de la ruche, les mouches ne
manquoient pas de les hacher.
Swammerdam auroit fait fans doute plu fieurs obferva-
tions fur les abeilles, qu’il n’a pas été en état de faire, faute
d’avoir eu de ces ruches vitrées. Elles n étoient pas plus
connues apparemment de Ion temps en France, qu’à Am-
fterdam, car il a demeuré quelque temps à Paris. Depuis
qu’on a imaginé de faire de ces fortes de ruches, elles
le font beaucoup multipliées. Celles que feu M. Calfini
avoitfait placer dans un jardin de I Obiervatoire, ont mis
M. Ma raidi en état de voir tout ce qu’il nous a rapporté
de curieux & de certain dans fon Mémoire fur les abeilles.
Ces ruches de verre, nous donnent affûrément de
grands avantages fur ceux qui nous ont précédés, pour
parvenir à nous inftruire de tous les procédés des abeilles.
Leurs carreaux ne font point fàlis auffi vite que Moufet
i’avoit cru. Il y en a qui confervent prefque toute leur
tranfp trence pendant des années entières; & lorlqu’ils
commencent à s’obfcurcir, il y a des moyens de les lever,
ôi de les nettoyerenfuitc. Au travers de ces carreaux, un
obfervaieur peut confidérer tes abeilles à toutes les heures
du jour, & dans toutes les faifons de l’année fins les
troubler & fans les inquiéter. La ruche étant placée
comme il lui convient de Jctre, fous un petit toit, ce
toit ne fût il que de paille, éc étant entourée de bancs de
tous côtés, excepté de celui où lent les ouvertures qui
des Insectes. V. Mem. 221
permettent aux mouches.d’entrer & defortir, i’obfervateur
alfis lur un de ces bancs, peut, fans aucune incommo¬
dité, jouir d un fpeélacle extrêmement amulant& infini¬
ment varié. Des abeilles s’occupent avec une activité
furprénante, en différents endroits à différents travaux.
11 le met bien tôt au fait de la difpofition de l’intérieur
de la ruche. 11 voit qu’il y en a une grande partie remplie
par des gâteaux de cire pofés à peu-près parallèlement les
uns aux autres , & qui partent du fommet de cette ruche
ou des environs, autant que la figure de la ruche le permet.
Il lui eflaifé d’appercevoir que les gâteaux ne le touchent
point, qu’entre deux gâteaux il refie un efpace au moins
affés large, pour que deux abeilles y puilfent paffer à la
fois. Ce font les rues, ou même, fi l’on veut, les places
publiques que les abeilles ont refervées pour pouvoir faire
uiage de toutes les cellules de chaque gâteau. Outre ces
grandes rues, on en remarque de beaucoup plus petites,
qu’on appellera peut-être plus volontiers des portes, ce
font des ouvertures ménagées dans chaque gâteau, & qui le
traverfent. Ces portes abbrégent beaucoup le chemin que
les abeilles ont à faire, lorfqu étant entre deux gâteaux,elles
veulent paffer entre d’autres gâteaux, ou fe rendre dans
des endroits de la ruche ou elles n’ont pas encore travaillé.
La diflribution des rues ou des places, ou, ce qui re¬
vient au même, l’arrangement des rayons de cire, peut
pourtant être vu dans les ruches opaques, & fur-tout dans
celles qui font en panier,& cela, fi on couche fur le côté
celles qui ne font que médiocrement peuplées, ou dont
une bonne partie des ‘mouches efl à la campagne. On
voit alors les gâteaux par le bout*. Pour l’honneur des *Pf. ’i.fig.
abeilles, il efl à propos de renverfer ainfi piufieurs ruches, 2 &
parce qu’on ohltrvera que la difpofition des rues variedans
différentes ruches, comme elle varie dans nos différentes
E e iij
222 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
villes. Les mouches ne font point aflreintes à une trop
grande régularité, elles s’accommodent aux circonftances.
On trouvera des ruches remplies par des gâteaux touspa-
* PI. if.fig. ralleles les uns aux autres*. On en trouvera d’autres, dont
-• les gâteaux qui occupent du haut en bas une partie de la
capacité de la ruche, l'ont encore parallèles entr’eux, pen¬
dant que ceux qui occupent le relie de la capacité, lont
* Fig. 3. obliques * aux premiers, & plus ou moins obliques. O11
trouvera même des ruches, dont une partie de la capacité
* Fig. 4.. efl entièrement remplie par des gâteaux perpendiculaires*
à ceux qui occupent l’autre partie. Enfin, on trouvera
beaucoup d’autres variétés & d’autres irrégularités dans
l’arrangement des gâteaux.
Mais il faut avoir recours néce fiai rement aux ruches
vitrées pour voir diftinélément une des faces de quelque
gâteau, pour bien voir les cellules dont il ell compofé.
On croit communément que les cellules des gâteaux font
des logements que les abeilles fe font conflruits, que cha¬
cune a le Lien ; &ceia fur ce qu’on obferve en certains
temps, des cellules dans chacune defquelles une abeille efl
entrée la tête la première, & dont il ne paroît que le bout
du derrière, & qui y efl tranquille. Mais pour peu qu’on
obferve, on reçonnoît que le principal ufage ries cellules
n’efl pas de donner des logements aux abeilles. On voit
un grand nombre de cellules remplies de miel; on en voit
qui font bouchées par un couvercle de cire. D’autres qui
font ouvertes, ont chacune un ver plus ou mois gros; & on
reçonnoît aifément que ces vers ne font pas indifférents
aux abeilles. On obferve de ces mouches, qui femblent
chargées du foin de voir l’état des vers des cellules. L abeille
fait entrer fa tête dans la cellule qui en a un, elle l’en re¬
tire fur le champ pour la faire entrer dans une autre, Sc
fueceffivement elle en vifite ainfi plufieurs. Ce n’eft que
DES I N S E C T E S. V. Mem. 22*>
dans les ruches vitrées que tout cela, & une infinité de
procédés tres-cuiicux peuvent être bien vus.
Jl faut pourtant avouer que les ruches vitrées ordinaires
ne donnent pas à beaucoup près un plein contentement
à un fpeébteur qui n’eft pas latisfait de voir Amplement
des abeilles très-occupées à difiérents travaux; à un fipec-
tateur qui defireroit voir nettement & diftinélement cha¬
que forte de travail & chaque opération. Jl a regret de ce
que des manœuvres qu’il lôùhaiteroitfuivre, le font fou-
vent dans des endroits trop éloignés de les yeux, & trop
peu éclairés. En général tout lui lèmbiefe faire trop tumul-
tuairement. L’abeille fur laquelle il a fixé fies regards, &
qu’il voudrait obfervcr pendant tout le temps qu elle refie
occupée à une forte d’ouvrage, lui efi bien-tôt cachée
par d’autres qui pafient fur elle, ou qui le placent devant
elle. Plus une ruche efi peuplée, plus le mouvement y
efi grand, & plus il paroît y avoir de confufion, quoi¬
que tout s’y pafTe avec beaucoup d’ordre.
Il n’eft pas poffible d’avoir des ruches vitrées, où, mal¬
gré le nombre des abeilles & leur agitation continuelle»
on puifîe faire à chaque inftant des oblervations fuivies;
mais on peut donner aux ruches des formes telles qu’il
fera beaucoup plus ailé de faire de ces fortes d’oblèrva-
tions, qu’il ne fefi dans les ruches de la forme île celles
qu’on a faites jufiqu’ici, & où on aura incomparablement
plus dV>ccafions de fiire des oblervations telles qu’on les.
dehre. Les ruches vitrées qu’on a confiâmes jufiqu’ici,
font extérieurement des efpéces de tours quarrées *. La * Pi. 22;.%.
cavité occupée par les mouches, ifi renfermée du bas
en haut par quatre faces égaies & reébngles. Tantôt on
donne un fond à cette ruche, & tantôt le plan lur lequel
elle pofe, la ferme par ernbas; fon bout upérieur porte
une eipéce de plancher, ou de couvercle plat. Chacun a
» PI. 22.
S-
*PI. 2 3 .
4 -
— 4 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
varié à Ton gré les ornements dont i! a embelli les dehors
de cette tour quarrée. Plufieurs ont misdeflus, un toit qui
fig. le termine en pyramide*, mais qui n'a nulle communica¬
tion avec le logement des abeilles. M. de Rezons, dont
l’Artillerie étoit devenue le principal objet, avoit donné
à l’extérieur delà ruche l’air d’un fort, dont le deffus étoit
terminé par une plate-forme entourée d'un parapet, & lur
laquelle même il y avoit de petits canons moins* à craindre
que l’aiguillon d’une mouche; ils ctoicnt de carton.
Mais de toutes les figures qu’on peut donner à une
ruche, celle qui met l’oblervateur le moins en état de faire
des obfervations, eft celle à quatre faces égales; c’elt celle
où il y a moins de mouches à portée de les yeux. Plus de
mouches font en vue à chaque inftaht, lorfqiie la ruche a
une figure plus applatie, lorlqu elle efl beaucoup plus large
qu’épaiffe. J en ai fait faire de plus ou de moins applatics,
de qui avoient d’autres variétés dans leur forme, & des va¬
riétés qui m’avoient paru propres à faciliter les différentes
fortes d’obfervations & d’expériences que je me propolois
de faire; car une figure de ruche avantageule a certains
égards, peut ne l’être pas par rapport à d’autres objets. Je
me trouve obligé de donner une idée générale de celles
que j’ai fiit conftruire, fans quoi je ne pourrois faire en¬
tendre dans la luite comment je fuis parvenu à faire cer¬
taines expériences, ou certaines obfervations difficiles.
La plus fimple des ruches vitrées, dans lefqueîles j’ai
fig. renfermé des abeilles, & celle * qui m’a mis en état de
faire les obfervations les plus délicates, étoit fi applatie que,
vue par dehors, elle ne fembloit qu’une boîte à peu près
quarrée & platte, telle qu’une boîte dans laquelle on ren¬
ferme un miroir pour le tranfporter, & qui feroit pofée de
chan ou verticalement fur un de fes côtés. Elle n étoit
aulïi qu’une efpéce de chaffis haut de vingt-deux pouces.
DES ï N S E C T E S. V. Mcm. 225
large de deux pieds, & épais de quatre pouces & demi. Sur
l’épaiffieur de ce chaffis étoit priée de part & d’autre une
feuillure capable de retenir un panneau de bois *. Chacun *PI. 23. fig.
de ces panneaux étoit arrêté en place par deux tourniquets* . r>
attachés contre le bord fupérieur du chaffis & à diflance
égale du milieu. Au-deffious de chaque panneau, il y avoit
un affiemblage de menuiferie, femblable à celui de nos fe¬
nêtres ordinaires, & fait pour recevoir & foûtenir quatre
grands carreaux de verre. Quoique j’aie fait imaginer le
chalïis de bois qui formoit le corps de la ruche comme
compofé de côtés femblables, la traverfe inférieure * étoit * u us
plus longue que la fupérieure; chacun de fes bouts débor-
doit le montant avec lequel il étoit affiemblé; il formoit
une efpéce d’oreille qui laiffioit paffier une groffie vis em-
ploiée à tenir le chaffis affiijetti contre le banc de bois * fur * /, b.
lequel il étoit pofé. Cette même traverfe inférieure avoit
une longue & large fente, par laquelle on pouvoit faire en¬
trer l’effaim dans la ruche. Je ne m’arrêterai point à faire re¬
marquer encore qu’un des montants, celui qui étoit tourné
vers le midi, étoit percé de plulieurs trous * de la grandeur * r .
qu’il convenoit qu’ils euffent pour laiffier fortir librement
les abeilles de la ruche, & pour les y laiffier rentrer.
Ce à quoy je dois faire faire attention , c’efl que
cette ruche étant très-mince, il refloit peu d’efpace
entre les deux carreaux oppofés. Si les mouches logées
dans une pareille ruche y travailloient, comme je ne
doutois pas quelles ne le hffient, elles étoient abfolument
dans la néceffité de placer leurs gâteaux à peu-près pa¬
rallèlement aux carreaux de verre. Des gâteaux pofés
perpendiculairement à ces carreaux', euffient été beau¬
coup plus étroits qu’elles ne les veulent. D’ailleurs le
peu d’efpace qui refloit entre les deux ftees, ne permet-
toit aux abeilles que de faire deux gâteaux parallèles
Tome V. . F f
2 l6 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
l’un à l’autre. De-là il luit que les mouches ne pouvoicnt
travailler à faire des gâteaux, à les allonger ou à les élar¬
gir, quelles ne fufïent auffi près qu’il eft poffible de le
defirer, de l’œil du fpectateur, tout près du verre; quel¬
que manœuvre quelles biffent dans les cellules extérieures
des gâteaux, on étoit toujours à portée de les voir: qu’en-
fin le gros des mouches étoit obligé d’être beaucoup plus
étalé dans une pareille ruche qu’il ne l’efldans les ruches
ordinaires. On comprendra aifément combien ces der¬
nières permettent de moins voir, li on fçait quelles ren¬
ferment fouvent neuf à dix gâteaux parallèles les uns aux
autres, 6c parallèles à deux des faces de la ruche. On ne
peut donc voir que deux de ces gâteaux par une de leurs
larges faces, 6c les autres ne font vus que par la tranchée ;
& toutes les abeilles qui fe tiennent entre ces gâteaux,
y font cachées. Notre ruche platte a, dans deux gâteaux,
la valeur de neuf à dix gâteaux d’une ruche épaiffe ; 6c
ces deux gâteaux font vus en entier par une de leurs faces.
Dans une fi grande étendue qui eft continuellement à
découvert, 6c où le peu d’efpace qui refie jufqu’au verre,
ne permet pas aux mouches d’être ammoncelces, on a
donc incomparablement plus d’occafions d’obferver leurs
différentes manœuvres, 6c on eft à portée de les mieux
voir.
D’autres confidérations m’ont déterminé à donner
d’autres formes à d’autres ruches vitrées. Si on a plus
d’attention à la forme qui convient le mieux aux abeilles,
qu’à celle qui eft le plus favorable aux obfervations,
on donnera aux ruches moins de capacité par en haut
que par en bas. C’eft au haut de la nouvelle ruche où des
abeilles viennent d’être logées, qu’elles s’établiffent; c’efl
au haut de la ruche quelles commencent à travailler, à
faire des gâteaux. La chaleur leur eft cffentielle au-delà
DES I N S E C T E s. V. Ment. 227
de ce qu’on le crciroit, comme nous le prouverons dans
la fuite, & elles font plus chaudement quand elles trou¬
vent dans le haut de leur ruche, une capacité quelles
peuvent remplir en entier, en le pofant, comme elles font,
les unes contre les autres. Au (files paniers'*, loitd'olur, * Pi.21.fig.
foit de paille, qui font en ulage, ont une des meilleures 2> 5
formes que les ruches puiffent avoir. Pour concilier ce
qui convient aux mouches & à l obfervateur, autant qu’il
eft poffible, j’ai fait donner une figure pyramidale aux
ruches de bois que je voulois vitrer. J'ai fait faire des
ruches qui étoient des pyramides à baie reéfangle*, & * Pt. 22.%.
j’en ai fait faire dont la bafe étoit plus ou moins large ^ & p
par rapport à fa longueur. Quelques-unes de ces ruches
en pyramide dont la baie étoit étroite*, étoient vers le » pi. 24. fïg.
milieu de leur hauteur, ou un peu par-delà, aufîi minces 1 &
ou plus minces que la ruche platte dont j’ai pailé ci-
devant; mais j’en ai fait faire d’autres dont la baie* avoit * Fi*. 5.
de large le tiers ou la moitié de là longueur.
Ordinairement j ai fait conflruire ces ruches de ma¬
nière quelles pouvoient lé divilèr en trois parties *, à * Fig. 3. ae y
peu près égales en hauteur, & qui miles les unes fur les LJ ,J “
autres, formoient la pyramide complette. La ruche en¬
tière étoit ainh compolée de trois étages. Chaque étage
fupérieur avoit à là large fice un carreau de verre monté
dans un chafîis de bois; & chaque chafîis pouvoit être
tiré de place, ik. y être remis à volonté. L’étage inférieur,
comme beaucoup plus large que les autres, avoit à chaque
face deux chaffis, ou ce qui efl la même choie , deux
carreaux de verre. Enfin , des volets de bois * attachés à * «, *, y y-
chaque étage aux montants de la ruche, lervoient à fermer,
pour ainh dire, les fenefhes de verre, & empéchoient ie
froid & les rayons du foleil, de pénétrer trop ailèment
dans la ruche.
Ffij
228 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
Comme les mouches cherchent à faire de larges gâ¬
teaux, elles difpofent pour l’ordinaire les leurs parallèle¬
ment aux deux grandes face# de la ruche, ainfi on ne perd
prefque rien à n’avoir point de verre fur les petites faces,
& les mouchesy gagnent. Il leur ell plus commode de pou¬
voir monter &delcendre le long du bois, que fur le verre.
Aulli un Auteur qui a parié de la manière de faire des
* Traité des ruches vitrées * telles qu’on les fut ordinairement, confeille
abeilles^, un- t j e ne ] eur p as rae ttre du verre de tous côtés. La pvramide
frime a Pans . i , . * l » V
chés Jombert eu terminée par une boule , ou par quelqu autre orne-
i 7 ^ 0 ’ fig ment dont je ne dirois rien s’il ne fervoit précifément qu’à
3 & 4^ ü l’orner. J’en parle parce qu’il fert à boucher un trou qu’on
a eu foin de réferver au haut de la pyramide. Cette pyra¬
mide a fa pointe tronquée. On conferve un trou à l’endroit
où elle fe termine. Ce trou reçoit une tige cylindrique, un
* Fig. 4. b. boulon * qui fait corps avec la boule, éc au-deffùs duquel
elle s’eléve; 6c cette tigeefl telle qu’elle ne remplit pas bien
exactement le trou. J ’ai fait donner une bafe platte à d’au¬
tres boules deftinées au même ufage que celle dont je viens
de parler; 6c j’ai fait arrêter cette pièce avec un couplet ou
une charnière. La bafe, le pied-d’eflal de la boule étant
appliqué fur le trou fupérieur de la ruche, le bouchoit
exactement; & dans les occafîons qui demandoient qu’on
mît ce trou à découvert, il étoit louvent plus ailé de le faire,
que quand on avoit à tirer hors du trou un cylindre de bois
qui y étoit à la vérité entré à l’ailé, mais qui depuis y
avoit été maüiqué par les abeilles.
Des expériences que j’avois en vùe, m’ont déterminé à
faire conftruire des ruches d’une forme différente de celle
des précédentes. La bafe de la ruche que je veux faire
* Fig. 6. connoître*, étoit, comme celle des autres, une pyramide
tronquée à quatre faces,6c plus large qucpailfe, 6c une
pyramide tronquée qui pouvoit être divilée en deux félon
DES I N S E C T E S. V. AlflU. 229
fa hauteur. Cette portion de pyramide n’avoit que la
moitié de la hauteur que j’avois voulu donner à la ruche.
Le relie de la ruche étoit fait de quatre boites * iàns fond *
& fans delfus, polëes les unes fur les autres, toutes égales f
entr elles & femblables , & dont la longueur & la largeur
étoient telles, que la première de ces quatre boîtes s’ap-
pliquoit exactement fur le bord fupérieur de la baie de
la ruche. Un volet de bois * qui pouvoit s’ouvrir & fe *
fermer, étoit arrêté à un des bouts de chacune des grandes
faces de chaque boîte, & au-deffous du volet étoit un
carreau de verre monté dans un chaflis, qui pouvoit être
retiré de la feuillure qui le recevoit.
On imagine d’avance que les ruches compofées de
plufieurs portions de pyramides, & celles qui l’efloient
de plufieurs boîtes, 11’avoient été faites ainli que pour
donner la facilité de féparer une partie de la ruche des
autres quand on le fouhaiteroit. Aufli chaque partie n’é-
toit-elle retenue fur celle fur laquelle elle ctoit pofée, que
par des crochets, ou de quelque manière équivalente;
mais elles n’étoient point affemblées l’une avec l’autre à
languettes, ni à tenons, ni d’aucune façon qui fuppofât de
l’engrainement. Le bord de la partie inférieure & celui
de la partie fupérieure étoient plans, afin qu’ils puffent
s’appliquer exactement l’un fur l’autre, mais qu’ils ne
filent que s’y appliquer. Quand des mouches logées
dans une ruche à boîtes * y avoient travaillé, quand elles
y avoient confiant des gâteaux, qui, de la boîte fupé¬
rieure defeendoient jufqu’à la dernière, ou même par-
delà la dernière des boîtes, je pouvois non-feulement
examiner au travers des carreaux de verre * le travail, qui
avoit été fait dans la partie de la ruche qui répondoit à
chaque boîte, je pouvois même examiner à mon ailé l’in¬
térieur de cette boîte; car je pouvois retirer chaque boîte
Ff üj
I’i -H-fig
• cd »
h, l.
Fig. 6„
lu
2 }û MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
de la place. Pour y parvenir, je coupois tous les gâteaux
de cire qui fe trouvoient dans cette boite, je les coupois,
dis-je, à la jonction avec la boite inférieure, à fa jonction
avec celle fur laquelle elle étoit polëe, 6c à fa jonCtion
avec celle qu elle portoit immédiatement. Une lame de
fer-blanc ou même un fil de fer, étoit le feul infiniment
néceffaire pour cette opération. Pendant qu’on tenoitde
chaque main un des bouts de cette lame ou de ce fil,
on le forçoit d’avancer parallèlement à lui-même entre
deux boîtes, 6c le fil coupoit fans peine les gâteaux de
cire qu’il trouvoit en fon chemin. La boîte qu’on fe pro-
pofoit doter de place, n’étoit donc plus retenue par les
gâteaux de cire. Il ne reftoit de difficulté dans l’opération,
que celle de fe deffendre contre les mouches à qui elle ne
pouvoit manquer de déplaire; mais nous verrons ailleurs
comment on doit fe conduire en des cas fêmblables à
celui-ci pour être en fureté.
Pour beaucoup d’obfervations 6c d’expériences, je me
* Pi. 23.%. fuis encore fervi d’une ruche * qui n’eft pas de celles
1, dans fefquelleson pourrait élever des abeilles avec profit.
Sa capacité étoit telle qu'elle ne pouvoit contenir que très
peu de cire 6c de miel. Quatre petits montants aflemhiés
parleur bout inférieur avec une bafé faite d’une planche
épaiffe d’un pouce, formoient la principale partie de la
charpente de la petite ruche dont je parle. Ils étoient
placés aux quatre coins d’un quarré, dont chaque côté
11’avoit que cinq pouces. La hauteur de chaque montant
n’étoit que de huit pouces. Ils étoient maintenus par
quatre traverfès avec lefquelles ils étoient affcmblés près
de leur bout lupéiieur à tenons 6c à mortaifes. Les mon¬
tants avoient des couliffes propres à recevoir des carreaux
de verre. Trois de ces carreaux étoient arrêtés à demeure,
6c le quatrième qui étoit fur la face que nous appellerons
DES I N S E C T E S. V. Mem . 2 3 I
l’antérieure, pouvoit monter * & defcendreclans les deux * Pi.23.fg.
codifiés qui le contenoient, parce que ces couÜlTes étoient I ‘ cc '
en dehors par rapport à iatraverfe qui réuniffoit les deux
montants de ce carreau. Enfin, la partie fupérieure de
cette petite ruche étoit couverte d’un carreau de verre.
Ainfi cette ruche 11’étoit qu’une efpéce de boite pref-
qu’entiérement de verre , parce que les traverbes & les
montants étoient minces & étroits. Elle n’avoit que fa
bafe d'opaque. Les abeilles logées dans une telle ruche,
y étoient affurément bien à découvert.
Voilà ce qu’avoient de plus remarquable les différentes
ruches que différentes circonftances & différentes vues
m’ont déterminé à faire conflruire. Non feulement elles
m’ont donné plus de facilité à obferver les abeilles que
n’en donnent les ruches vitrées dont on s’efl fervi juf-
qu’ici ; mais elles m’ont mis en état d’executcr diverfcs
operations propres à nous faire connoître le génie de
ces mouches induftrieufes; comment leur république eft
compofée; quels font, pour ainfi dire, les fondements
du gouvernement de cette république ; & quel eft le
principe qui anime , qui fait agir toutes celles d’une
même lociété. C’ell ce que nous allons commencer à
examiner.
Quand au travers des carreaux d’une ruche vitrée, on
examine ce qui fie paffe dans l’intérieur, on n’y voit pen¬
dant la plus grande partie de l’année, que des mouches
qui n’ont entr’ellcs que de légères différences, que des
mouches qui différent peu entr’elles en grandeur & en
couleur, & qui dans le relie font parfaitement femblables;
en un mot, on n’y voit que de ces mouches auxquelles
on a donné le nom d’abeilles*. Mais il y a des temps où * PI.22. fig.
parmi celles-ci, on en voit d’autres* qui font fenfiblement *Vi g . 2 .
plus grandes, qui ont proportionnellement à leur gran-
2]2 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
dcur, une tête plus groffe & plus ronde que celle des
abeilles, & entre lefquelles & les abeilles ordinaires,
il y a encore des différences plus effentielles dont nous
parlerons dans la fuite, mais que le premier coup d’œil
ne nous découvre pas. Ces groffes mouches font cel¬
les que les anciens ont appellées Fuci , & qu’on a nom¬
mées Bourdons en François, apparemment parce que
leur vol produit un bourdonnement plus plein & plus
fort que celui que produit le vol des abeilles ordinaires.
Malgré le nom dont elles font en poffeffion, nous les
appellerons cependant des Fanxbourdons . Celui de bour¬
don peut caufer des équivoques, parce qu’il eff propre a
lin genre particulier de mouches à miel. Ces fauxbour-
dons ont été donnés pour les mâles par ceux qui ont étudié
les abeilles avec les yeux les plus éclairés; tout nous prou¬
vera dans la fuite qu’on les doit regarder comme tels, &
nous les défignerons fouvent par ce dernier nom. Com¬
munément on ne voit des mâles ou fauxbourdons dans
chaque ruche, que depuis le commencement ou le milieu
de May, jufques vers la fin de Juillet. D’abord on n’en
apperçoit que quelques uns ; leur nombre le multiplie
journellement ; & enfin il n’y en a jamais tant que dans
les jours qui précédent immédiatement ceux où l’on cef-
fera d’y en pouvoir découvrir. Le nombre des mâles au
reffe, eff fort inférieur à celui des abeilles ordinaires. Il y a
des ruches où il eff beaucoup plus grand par rapport au
nombre de celles-ci, qu’il ne l’eff dans d’autres ruches;
mais la ruche où il n’y a que fept à huit abeilles contre
un mâle, eff extrêmement peuplée de ceux-ci.
Le nombre de ces mâles paraîtra cependant encore
très-confidérable, quand on fçaura qu’ils ne font pas faits
pour être affortis avec les abeilles ordinaires. Celles-ci
ne font pas nées pour contribuer à la multiplication de
leur
DES ï N S E C T E S. V Mew. 23 3
leur efpéce ; elles n’ont point tic fexe, elles ne font ni
mâles ni femelles; elles font défi nées à faire tout le travail
de l’intérieur de la ruche, à faire la récolte du miel 6 c de la
cire, 6 c à mettre cette dernière en oeuvre. Elles font char¬
gées du loin d élever (es petits infeéles qui, comme elles,
doivent devenir mouches parla luite. C’eft enfin fur elles
que roule tout l’ouvrage de l’interieur de la ruche; aufiî
les appellerons-nous iouvent les ouvrières.
O11 a écrit il y a long-temps que chaque ruche poffede
line feule 6 c unique mouche, qui femble avoir une préé¬
minence fur les autres, une mouche à laquelle les anciens
ont donné le nom de Roy des abeilles. Mais des obfer-
vations faites depuis plus de cent ans, ont appris que
cette mouche eft une fémelle: que fi on veut lui accorder
un empire defpotique fur les autres, c’eft le nom de
Reine qu’on doit lui donner. Butler Auteur Anglois a
aulfi imprimé un Traité des abeilles, traduit en latin en
1671. qui a pour titre, Monarchia femhùna, dans lequel il
fait un peuple d’amazones des abeilles d’une ruche. Mais
Swammerdam a confirmé par des preuves incontefiables,
que cette mouche qu’on appellera fi l’on veut la Reine,
efi une mere prodigieulement féconde. II a très-bien
prouvé de plus que c’e(I à elle que doivent leur naiffance
toutes les nouvelles mouches qui naiflfent dans une ruche,
& que les abeilles ordinaires ne produifent point d’autres
abeilles, malgré ce qui en a été dit par Butler, 6 c par tant
d’autres. Quelque féconde que foit cette mere, chaque
ruche doit nous paroître trop fournie de mâles. Il en eff
peu où l’on n’en puifie compter plufieurs centaines; 6 c
il y en a où l’on en peut trouver plus d’un mille. Ces mâles
pafient prefque toute leur vie avec une feule fémelle ;
car s’il leur arrive de vivre avec tr< is ou quatre femelles,
ce n’eft probablement que pendant très - peu de jours.
Tome V. . G g
234 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
Dans la plus grande partie de l’année au moins, il n’y
* IM. 22. fig. a donc dans chaque ruche qu’une léule femelle * aifée
4 - à diftinguer des autres par la forme de Ion corps. Elleeft
plus longue, mais moins groiïe que les mâles. Ses ailes
font très-courtes proportionnellement à la longueur de
fon corps ; au lieu que les ailes des abeilles ordinaires,
& celles des mâles, codèrent tout le corps, les ailes de la
femelle ne vont gueres plus loin que la moitié du fien,
elles Unifient vers le troifiéme anneau. Mais il n’efî pas
temps encore de nous arrêter à expliquer toutes les diffé¬
rences qui peuvent être remarquées entre les trois fortes
de mouches d’une même ruche. 11 fuffit actuellement
qu’on fçache qu’on ne fçauroit voir une mcre dans une
ruche, fans la reconnoître, tant fa figure diffère de celle
des autres mouches. Toute la difficulté eft de la voir, &
elle eft telle que parmi ceux qui éievent à la campagne
des abeilles pour en retirer de la cire & du miel, il y en a
beaucoup à qui il n’eft jamais arrivé de voir une mere.
Quand je leur en ai montré une, ils la regardoient avec
un plaifir qui prouvoii au moins autant que leur témoi¬
gnage, que c’étoit pour eux une vraye nouveauté. Malgré
les ruches vitrées des formes les plus favorables aux obfer-
vations, on ne parvient à la voir ; que quand on fçait les
temps qui peuvent fournir des circonfrances heureufès.
* - 0 '- 22 ’ %• J’ai eu pendant plufieurs années une ruche vitrée en tour*,
fans y avoir jamais apperçû la mcre; &ce n’étoit pas faute
affûrément de la bien chercher des yeux toutes les fois que
j’oblérvois ce qui le paffoit dans l’intérieur delà ruche.
Lorfque je me déterminai il y a plufieurs années, de
tâcher de m’infîruire à fond de I hiftoire des abeilles, de
vérifier les merveilles qu’on s’eft contenté d’en rapporter,
fins s embarraffer de les prouver, une des premières ex¬
périences que je crus devoir faire, & qui. auffi eft une
des Insecte s. V. Afe?n, 235
expérience vravcment fondamentale, fut de divifèr un
elfaim d’abeilies en deux. ,ie n’ai j)as beloin de définir ce
que c’eft qu'un eflaim d’abeilles. Perfonne n ignore qu'il
vient un temps où les mouches s’étant beaucoup multi¬
pliées dans une ruche, & s’y trouvant trop à l’étroit, ou
par quelqu autre raifon, prennent le parti de lé partager;
que quand la résolution, pour ainfi dire, en a été bien
prifc, dans un moment, dans moins d’une minute, une
grande partie des mouches de la ruche prend l’effor pour
aller chercher ailleurs une nouvelle habitation. Nous i'up-
pofons encore qu’on fçait que toutes ces mouches, après
être Sorties de la ruche, vont ailes ordinairement s’attacher
à une branche d’arbre, & que là cramponnées les unes
contre les autres, elles forment un malfif qui eft d’autant
plus gros, que le nombre des mouches qui compofent
l’clfaim eft plus grand. Nous parlerons ailleurs ailés au
long de tout ce qui lé paffe depuis le moment où cette
efpéce de colonie quitte le lieu de fa naiffance , juiqu’à
ce quelle ait fixé quelque part fon nouvel établiftément.
S’il n’eft perfonne qui n’ait entendu parler d’un ef¬
fara d’abeilles, il n’eft perfonne auffi qui 11’ait entendu
dire que cet effara eft conduit par un chef, par un roy
qui doit être une reine, ou plus fimpiement une me*e '
abeille. Une des premières expériences que je crus devoir
faire, fut de partager un effara en deux ruches. Celui
fur laquelle je la fis, n’étoit pas des plus forts, ou de ceux
qui font compotes d’un plus grand nombre de mouches.
Lorfque j’eus appris qu’il s’étoit attaché contre une bran¬
che d’un pommier en buiffon , & par conféquent placé
aftes bas & commodément, je fis apporter deux ruches au
pied de l’arbre, dont l’une étoit cette petite ruche *, la der- * PI - 23. fig.
niére de celles que nous avons décrites, dont les quatre 1 2 ‘
faces font égales, & qui eft fermée de tous côtés, & par-
Cg ij
2^6 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
deffus par des carreaux de verre. L’autre étoit la ruche
platte* & quarrée dont nous avons déterminé les dimen-
fions ci-deffus. C’efi une opération plus limple quelle ne
le femblcroit devoir être, que celle de faire entrer les
mouches d’un efïaim dans une ruche. Nous expliquerons
ailleurs le peu de précautions qu’elle demande ; mais il
fufiit de d ire actuellement que mon Jardinier, avec fa
main couverte d’un gand, fit tomber dans la petite ruche
vitrée, dont on avoit eu loin d oter le carreau de devant,
environ la cinquième ou la fixiéme partie des mouches
de l’effaim, & celles qui compofoient la partie inférieure
du grouppe. Sur le champ le carreau de devant fut remis
en place, & les mouches furent renfermées de manière
à ne pouvoir fonir. Ce fut dans la ruche platte qu’on fit
entrer le refie de i’eflàim.
Si cet effaim avoit une mere, & s’il n’en avoit qu’une,
comme on prétend qu’ils n’en ont qu’une communé¬
ment, cette mere devoit fe trouver dans l’une de mes
ruches, & il ne devoit pas s’en trouver dans l’autre. Mes
ruches étoient donc propres à me faire voir la différence
qui efl entre la manière dont fe comportent les abeilles
qui ont une reine parmi elles, & la manière dont fe com¬
portent celles qui en font privées. Je ne fus pas long¬
temps à apprendre qu’il y en avoit une dans la petite
ruche vitrée; je ne fus pas long-temps fans l’y voir; & ii
me fut bien prouvé dans la fuite, que la ruche platte où
je ne pus découvrir fur le champ une mere, n’en avoit
point. Après avoir confidéré pendant moins d’un demi-
quart d’heure la petite ruche vitrée, après que la grande
agitation des abeilles qu’on venoit d’y renfermer, eut été
un peu calmée , je parvins enfin pour la première fois
de ma vie, à voir une mere abeille qui marchoit fur
fe fond de la ruche. Je fus dédommagé de n’avoir réufïi
des Insectes. K Mem . 2 37
que tard à voir une mere, en voyant celle-ci à bien
des réprifes differentes, autant de fois que je la voulus
voir. Je fus en état de la montrer à une compagnie
affés nombreufe qui étoit chés moy, dans laquelle il n’y
eut perfonne qui ne voulût voir, & qui ne vît cette reine
fi renommée.
Dans les premiers moments où je Tuivis des yeux cette
mouche remarquable, je fus fort tenté de croire que tout
ce qui a été dit de la cour que les autres abeilles font à la
mere, du cottege dont elle eft accompagnée, avoit été plus
imaginé qu’obfervé. Elle étoit feule, marchant d’un pas
peut-être un peu plus lent que celui des autres abeilles, &
que ceux qui étoient avec moi, appelaient volontiers une
démarche grave. Elle arriva, toujours feule, à un des
carreaux de la ruche, le long duquel elle monta pour fe
rendre dans un des gros pelotons de mouches, qui s’é-
toient formés à la partie fiipérieure. Peu de temps après
elle reparut encore lur le fond de la ruche étant toujours
f)it délailfée. Après être montée une féconde fois, &
avoir été dérobée à mes yeux pendant quelques in fiant s
par un gros de mouches, elle revint pour une troifiéme
fois fur le fond de la ruche. A cette troifiéme fois,
douze à quinze abeilles fe rangèrent autour d’elle, &
femblerent s’y ranger pour lui faire cortege. Dans les
premiers infhuits d’un grand trouble & d’une grande'con-
fufion, on ne fonge qu’à foy. Si on fe trouvoit dans une
grande l’aile d’affemblée qui fut renverfée fubitement fans
deffus deffous, on oublierait dans le premier moment
ce qu’on y aurait de plus cher. Les abeilles jettées tu-
multuairçment dans la petite ruche qui avoit été tournée
& retournée, & en différents feus, avoient été dans un-
cas femblable. Dans les premiers inftants, chacune ne
penfa qu’à foi; mais quand elles furent,pour ainfi dire*,
G g iij
2 ]S MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
revenues ù elles-mêmes, elles commencerait à longer a
cette mere quelles avoient oubliée & méconnue. Malgré
le penchant que j’avois à croire que le premier cortege
que je lui apperçus lui avoit été donné par line lorte
de hazard ; malgré la dilpolition que j’avois à penfer
qu’une mouche plus grolle que les autres en déterininoit
quelques unes de celles-ci à marcher vers le côté où elle
alloit, quelle les déterininoit à venir à là luitc précisément,
parcequ elle étoit plusgrolTe; bientôt jefus forcé de recon-
noître que ce n'etoit pas fans fondement qu’oji avoit parlé
des hommages que paroilfent rendre les abeilles à celle qui
doit produire une nombreufe pollérité, & qu’on avoit
parlé des l'oins & des attentions qu’elles ont pour elle. La
mere avec fa petite fuite, alla encore le rendre dans un tas
d’abeilles où elle difparut. Elle n’y relia pas long temps fans
revenir encore fe montrer fur la bafe de la ruche. A peine y
fut-elle arrivée, qu environ douze mouches fe mirent à
fa fuite. D’autres ne tardèrent pas à s’avancer vers elle. Cel¬
les-ci fe placèrent en deux liles fur les côtés, pendant que Ja
mere continua fa marche. D’autres qui venoient à la ren¬
contre, l’entouroient pardevant. Sa cour grolblfoit de
moment en moment. Bien tôt il fe fit autour d’elle une
efpéce de cercle compofé de plus de trente abeilles. Le
rang de celles de devant s’ouvroit à inclure qu’il en étoit
beloin pour lui lai (Ter le pafiage libre. Quelques-unes s’ap-
prochoicnt d’elle plus que les autres; elles la {échoient avec
leur trompe. D’autres étendoient leur trompe & la pré-
fentoient étendue à la fienne pour lui offrir le miel dont
elle étoit pleine. Je la vis quelquefois s’arrêter pour fuccer
la trompe qui lui étoit préfentée, & je la vis quelquefois
fuccer en marchant celle d'une autre mouche.
Pendant piufieurs heures, je vis à un très-grand nom¬
bre de reprifes différentes cette même mere, & je la vis
DES I N S E C T E s. V. Mem. 239
toûjours avec un cortege de mouches, qui lembloient
defirer lui rendre des honneurs ou plutôt de bons offices.
Il y a pourtant encore des cas dont nous parlerons dans
la fuite, où la mcre paroît être un peu négligée : mais on
lui rend fi fréquemment des foins & desaffiduités, qu’on
doit regarder comme certain, une grande partie de ce qui
a été dit des apparences de refpedl clés autres mouches
pour leur reine. Nous allons avoir des preuves qu’il n’efl
point d’attachement qui puiffe aller plus loin que celui
quelles ont pour elle; notre efifaim divifé nous en don¬
nera des plus fortes; auffi croyons nous qu’on 11e defap-
prouvera pas que nous nous arrêtions à décrire fon hifloire
tout au long, & de rapporter quelle fut fa fin.
On doit lé lôuvenir que nous avons dit qu’il n y eut
qu’environ la cinquième ou la fixiéme partie de cet efïaim
d'introduite dans la petite ruche quarrée. Le refie fut
logé dans une ruche platte qui étoit beaucoup plus gran¬
de. Quoique le nombre des abeilles fût plus grand dans
cette dernière ruche que dans l’autre, fa capacité étant
encore proportionnellement plus grande, & fa forme
d’ailleurs étant encore plus favorable pour lai fier voir à
la fois un plus grand nombre des mouches qu’elle con-
tenoit, s’il y eût eu parmi elles unemere, il n’eût gu ères
été polfible qu’elle m’eût échappé ; cependant je ne
pus y en découvrir. J’obligeai plufieurs fois, dans diffe¬
rents temps, les abeilles à lé répandre fur les carreaux de
verre, de façon qu’elles n’étoient en grouppe nulle part.
Une mere n’eut guéres été plus ailée à voir parmi des
abeilles étalées fur une table, quelle l’eut été parmi celles
qui étoient étalées fur les carreaux de verre de la ruche.
Auffi n’y avoit il réellement qu’une mere dans cet efiaim.
Ce que nous avons actuellement à apprendre , c’elt
comment le comportèrent les mouches qui étoient en
240 MEMOIRES POUR L’HlSTOïRE
petite quantité dans la petite ruche, mais avec une mere,
& comment Ce conduifirent celles qui étoient en un nom¬
bre quatre à cinq fois plus grand dans l’autre ruche, mais
fins mere.
Le partage de cet eflaim avoit été fait peu après-midi
& un famedi; je marque le jour pour être plus court &
plus clair lorique je parlerai de ce qui fe palfa dans cha¬
cun des jours qui fui virent. Vers les quatre à cinq heures,
je hs porter la grande ruche fur une elpéce de petite mon¬
tagne qui fe trouve dans un de mes jardins de Charenton ;
& je fis ouvrir les trous néceffaires pour donner aux mou¬
ches la liberté de fortir & de rentrer. A l’égard de la petite
ruche, je lui fis paffer la nuit dans mon cabinet, pour
ôter aux abeilles qui y étoient renfermées, toute occafion
de retrouver celles dont elles avoient été féparées, & pour
leur en faire perdre le fouvenir, fi elles avoient du fouvenir.
J’avois lieu de craindre qu’il ne leur prît envie de quitter
une habitation où elles étoient très à l’étroit, pour aller
trouver leurs camarades dont le logement étoit fpacieux.
Mais le lendemain dès le matin je portai celte petite ruche
dans un jardin qui efl féparé de celui où étoit l’autre ruche,
par la rue, & je le plaçai au bas d’une terraffe qui efi à l’en¬
trée de ce jardin. L’éloignement de cette ruche à l’autre
n’étoit grand que de haut en bas; mais les murs qui les
féparoient, étoient caufe que les mouches de l’une étoient
peu à portée de rencontrer, même en l’air, les mouches
de l’autre. Celles de la petite ruche allèrent dès le même
jour, dès le dimanche à la campagne. Elles revenoient
pourtant peu chargées de ces pouffiéres jaunes qui font la
matière de la cire, elles en avoient feulement le corps
poudré; elles n’en avoient point de pelotes aux jambes
poftérieures, à peine y en avoient-elles quelques plaques;
auffi firent-elles très-peu d’ouvrage dans leur journée.
Tout
DES I N S E C T E S. V. Mem. 241
Tout celui qui parut le foir, étoit un petit cordon qui
regnoit au haut de la ruche le long de la moitié d’un
de Tes côtés ; on diftinguoit iur ce cordon des alvéoles
ébauchés.
Le lundi matin les mouches me parurent avoir pris
plus de cœur au travail ; mais je ne pus les fùivre, ayant
été obligé de partir fur les huit heures pour un voyage
de quelques lieues. Je fçai au moins qu’en mon ablence
elles firent un petit gâteau de cire qui avoit quinze à feize
cellules de chaque côté, & qu’il fut fait avant deux heures
après midi, car vers ce temps elles abandonnèrent toutes
leur ruche ; ce fut fur une grofTe branche d’un poirier
qui en étoit peu éloigné, quelles allèrent s’établir. Je les
y trouvai bien raffemblées & fort tranquilles lorfque j’ar¬
rivai chés moi vers les fcpt heures & demie du foir. Je
les fis remettre dans cette même ruche qu elles avoient
abandonnée. Le mardi fur les fix heures du matin, je les
y vis tranquilles. Quelques unes en partirent pour la cam¬
pagne lorfque l’air eût commencé à s’échauffer ; mais elles
ne le mirent point à l’ouvrage. Vers les onze heures,
temps où le mouvement auroit dû être grand dans la
ruche, où les mouches auroient dû travailler avec activité,
je les vis toutes raffemblées en un grouppe , & toutes
étoient tranquilles. J’augurai mal d’une fi grande tranquil¬
lité, elle prouvoit que mes abeilles ne fe trouvoient pas
bien dans leur logement, qu’elles ne daignoient pas y faire
des gâteaux de cire , quelles l’abandonneroient bientôt
une féconde fois. J’en fus engagé à les obfcrvcr avec plus
d’attention, pour voir à quoi elles le détermineroient. Il n’y
avoit pas un quart d’heure que je les confidérois, lorfque
je vis tomber la mere fur le fond de la ruche. Elle s’étoit
détachée du gros du grouppe. Elle n’y fut pas plutôt que
quelques douzaines d’abeilles vinrent en bourdonnant, fè
Tome V. . H h
242 MEMOIRES POUR L’HïSTOIRE
ranger autour d’elle. Le bourdonnement augmenta ; il
fèmbla devenir général. L’émeute fe mit par tout. Dans
lin inflant le grouppe fe divifa en petits pelotons qui fe
rendoient ou tomboient fur le fond de la ruche. Bientôt
il n’y eut plus aucun relie de grouppe, de malfe d’abeilles
en repos. La mere alors s’avança vers la porte de la ruche,
quelques mouches ordinaires fortirent; elle-même fortit
aulfi-tôt, & à peine fut-elle hors de la ruche quelle prit
fon vol ; dans i’inftant, prefque toutes les mouches fe
déterminèrent à voler avec elle. A peine en refta-t-il une
cinquantaine. L’air fut rempli d’un tourbillon de mouches
qui, après avoir fait des circuits allés courts, le dirigea
vers un pommier. Dès que j’eus remarqué que quelques
mouchess’appuyoient fur une des branches de cet arbre,
je me rendis en courant atiprès de ce même arbre. Je vou-
lois tâcher de découvrir la mere, de voir comment elle le
conduifoit dans une femblable occafion ; fi elle étoit de
celles qui s’étoient pofées les premières fur la branche.
Quand j’arrivai l’écorce de cette branche étoit déjà ca¬
chée par les mouches; elles y formoient déjà un petit
malfif. Mais j’obfervai la mere toute feule pofée fur une
feuille à trois ou quatre pouces de la branche où l’on
s’attroupoit ; il ne lui convenoit pas apparemment de fe
mettre des premières fur la branche, de fe trouver fous
tout le malfif. Pour déterminer les abeilles à continuer de
s’airembler dans cet endroit, il fuffifoit que la mere parût
l’approuver en s’en tenant proche. Les abeilles qui étoient
en l’air, qui formoient un tourbillon autour du pommier,
fe rendoient de moment en moment fur le malfif com¬
mencé, elles y refioient dès qu’elles s’y étoient appliquées.
Quand la malfe fut devenue confidérable, quand le plus
grand nombre des abeilles s’y fut joint, la mere vola rie
déifias fa feuille fur cette malfe, & bien - tôt elle y fut
DES I N S E C T E S. V. Mem. 243
couverte par des couches formées par les mouches que
fa préfence détermina à venir fe fixer, à ceffer de voler.
Je me fuis arrêté volontiers à détailler ce qui fe palfa
depuis que ces mouches fe furent déterminées fous mes
yeux à quitter leur ruche, julqu a l’infiant où elles furent
toutes raffemblées fur une branche; 6c je ne ferai pas
grâce de deux autres aventures pareilles que j’obfcrvai.
On en prendra d’avance une idée de la manière dont les
abeilles fe comportent, lorfqu’elles fortent en effaim de
ia ruche dans laquelle elles font nées. 11 efl plus ailé de
voir ce qui fe pafie dans une petite troupe telle qu’étoit
celle-ci, qu’il ne l’ell dans une efpéce d’armée nombreufe.
Il efl plus ailé de s’afïùrer que jamais le gros des mou¬
ches ne fe détermine à partir que la mere n’ait pris i’elfor,
6cque dès qu’elle l’a pris, toutes celles qui doivent com-
pofer la nouvelle colonie, prennent leurvol dans l’inftant.
Mes abeilles avoient leurs raifons 6c apparemment
bonnes, pour ne pas fe tenir dans la ruche, où j’avois auffi
de bonnes raifons de les vouloir. Une habitation d’une fi
petite capacité ne devoit pas leur paraître fuffifante pour
contenir la nombreufe poftérité qui devoit naître de la
mere, 6c la quantité de rayons de cire nécelfaire à l’élever;
6c peut-être avoient-elles encore d’autres raifons 6c meil¬
leures, qui m’étoient inconnues. Je m’obftinai pourtant
à les vouloir faire relier dans ce petit logement, qui me
donnoit beaucoup de facilité à faire un grand nombre
d’obfervations, qui me donnoit celle de porter fans em¬
barras ces mouches où je voulois. Mais foupçonnant que
leur nombre pouvoit contribuer à les y faire trouver mal
à leur aife, je me déterminai à n’en faire palfer qu’une
partie dans la petite ruche. Du gras des mouches qui
étoit attaché contre une branche, mon Jardinier en prit
une poignée qui pouvoit contenir environ quatre à cinq
H h ij
244 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
cens abeilles, & la mit clans la petite ruche, dont le
carreau qui y fervoit de porte fut abbailfé fur le champ.
La mere le trouva parmi celles qui furent renfermées 6c
féparées des autres. A l’égard du relie de ces mouches,
& qui en étoit la partie la plus confidérable, je le lis en¬
trer dans une efpéce de boîte qui pouvoit fervir de pied
à la ruche piatte, dans laquelle avoit été-logée la plus
grande partie de l’efïaim, à cette ruche qui avoit beau¬
coup de mouches fans mere. Cette boîte avoit une ouver¬
ture en defi’us, par laquelle les mouches pouvoient , s’il
leur plaifoit, aller fe réjoindre à celles de la ruche piatte,
lorfque cette dernière auroit été pofée fur l’autre. Je ne hs
pourtant pas placer fur le champ cette boîte fous l’autre
ruche, je la laiffai près de l’arbre auquel s’étoient attachées
un peu auparavant les mouches qui avoient été partagées
entr’elle 6c la petite ruche vitrée.
Mais pour la petite ruche vitrée, je la fis emporter au
loin fur le champ, & cela, en lui fai faut faire plufieurs tours
6 c détours entre des arbres, afin de dérober aux mouches
qui avoient été rnifes dans la boîte, la connoiffance de
l’endroit où on tranfportoit leur reine. Lorfque j’eus mis
cette petite ruche fur un appui, à un des bouts du jardin,
j’en confidérai l’intérieur. Tout m’y parut dans une fu-
rieu(p agitation. La reine y étoit oubliée. Je la vis par¬
courir feule toutes les parties de la ruche. Un peuple
alfés nombreux venoit detre réduit à très-peu d’habi¬
tants, qui, comme s’ils euffent été inquiets de ce qu’ils
dévoient devenir eux-mêmes, ne fongeoient point à celle
qui femble les intéreffer tant en d’autres circonfiances.
Pendant plus d’un quart d’heure, je vis la mere dans le
plus grand abandon aller deçà 6c delà. Il fembloit qu’on
voulut la punir delà faufife démarche qu’elle avoit faite, 6c
qui avoit caufé la difperfion de fon peuple. Mais fi elle étoit
des Insectes. K Mem. 245
abandonnée de celles qui, comme elle, étoient captives ,
elle ne le fut pas de ménie’de celles qui étoient reliées
en liberté. Quelques-unes des mouches qui s’étoient ré¬
pandues dans l’air, pendant qu’on avoit fait entrer leurs
compagnes dans l’une & dans l’autre des ruches, vinrent
fe rendre fur celle où la mere étoit prifonniére. Bien-tôt
d’autres mouches, de celles qui étoient libres, averties,
foit par le bourdonnement qui fe faifoit dans la ruche,
foit par celui des mouches qui étoient dehors, eu par
quelqu autre voye à moi inconnue, fe rendirent fur la
petite ruche. En peu de temps, il s’y en afTcfnbla affés pour
former tout autour un tourbillon de mouches bien fourni.
Elles fe poferent deffus, & firent des efforts pour s’intro¬
duire dedans; & ne pouvant)' parvenir, parce que toutes
ies entrées leur étoient bouchées, elles s’ammonceioient
fur les carreaux.
II m’eut été aifé de repeupler dans un infiant cette
ruche; mais ce n’étoit pas mon intention , j’étois content
du petit nombre d’habitants qui lui étoit refié. Je pris
donc le parti de faire chafTer doucement avec des bran¬
ches chargées de feuilles, les abeilles attroupées deffus,
de faire chafTer enfuite celles qui s’en approchoient, pen¬
dant qu’une perfonne la tranfportoit en lui faifant faire
divers circuits propres à dérouter les mouches qui s’obfti-
noient à la fuivre, & qui fembloicnt fi fort defirer de fc
rejoindre à leur reine. Pour ôter tout moyen de retrouver
cette ruche aux mouches qu’on en avoit éloignées, je la
fis porter dans mon cabinet, & alors les mouches du jardin,
qui inquiètes voloient en l’air, n’eurent plus d’autre parti
à prendre que de s’aller réunir à celles qu’on avoit fait
entrer dans l’efpéce de boîte dont nous avons parlé.
Tout cela fe pafla avant midi. Sur les trois heures on
me propofa de porter la petite ruche fur la montagne de
H h iij
34.6 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
mon Jardin auprès de la ruche piatte, auprès de cette
ruche dans laquelle la plus confidérable partie de l’effaim
avoit été logée, & où elle étoit fans mere depuis près de
trois jours. On étoit curieux de fçavoir fi les mouches
après trois jours, auraient encore conlèrvé le fouvenir de
cette mere quelles avoient perdue. Cette expérience me
paroifTant mériter d’être faite, non-feulement je portai la
petite ruche dans laquelle la mere étoit prifonniére, au¬
près de l’autre, je la polài même deffus. A peine y eut-
elle été un quart d'heure, que les mouches qui fortoient
de la grande rtifche, parurent avoir connoiffance que cette
petite ruche renfermoit leur reine, ou au moins une
reine dont elles avoient befoin. Quelques mouches fe
rendirent fur les carreaux de verre. Elles furent bien tôt
fuivies de plufieurs autres. Dans quelques infiants elles y
furent attroupées. Le nombre des mouches qui s’y ren-
doit, devenoit de plus grand en plus grand. Les carreaux
ne tardèrent pas à être couverts de plufieurs couches de
mouches pofées les unes fur les autres. L’empreffement
de fe réunir à ht reine, de s'introduire dans l’endroit où
elle étoit, parut devenir général. Toutes les mouches
fembloient vouloir profiter de la bonne fortune qui leur
étoit offerte. Enfin, il me parut que pour peu que j’euffe
différé à éloigner la petite ruche, il ne fût pas refié une feule
mouche à la grande ruche. Je ne voulois pas les en laiffer
toutes fortir, il aurait pu être difficile de les y faire retour¬
ner, & j'avois des raifbns de fouhaiter qu’elles y demeu-
rafiènt. Je fis donc chaffer, comme je l’avois fiait dans une
autre occafion, les mouches qui s’étoient ammoncelées fur
ia petite ruche, <Sc je dépayfài celles qui la vouloient fuivre,
en la faifant tranfporter par des chemins tortueux.
Quoique les mouches de la ruche piatte fe fuffent at¬
troupées fur la petite ruche où leur mere étoit renfermée.
des Insecte s. V. Mem. 24.7
on n’en fçauroit conduire qu’elles avoient une efpéce
de connoiffance que leur mere y étoit logée ; mais il
paroit au moins qu’elles y avoient été déterminées, parce
qu’elies avoient reconnu que la petite ruche leur offroit
une reine fort mal pourvue de iujets, fous l’empire de
laquelle elles pourroient fe mettre. 11 y avoit pourtant
lieu de former un doute ailé à lever. La reine & les
mouches qui lui étoient reliées dans fa ruche, étoient
agitées, elles y faifoient un grand bourdonnement. Il
étoit alfés naturel de foupçonner que ce bourdonnement
feul avoit luffi pour déterminer les mouches de la ruche
platte à fe rendre fur celle dans laquelle il y avoit tant
de tumulte. Des expériences que j’avois faites dans d’au¬
tres temps, m avoient appris d’avance que le tumulte feul
des mouches de la petite ruche, n’auroit pas excité la
curiofité d’un aulfi grand nombre de mouches d’une
autre ruche. Il m’étoit arrivé dans d’autres temps de placer
la petite ruche pleine d’abeilles, parmi lefquelles il n’y
avoit point de mere, auprès de ruches très-peuplées, fins
que les ouvrières de celles ci eulfent été détournées de
leur travail par le grand bourdonnement des autres.
Pour m’alfûrer néantmoins, à n’en pouvoir douter, que
l’agitation & le bourdonnement des mouches de la petite
ruche n’avoit eu tant de pouvoir fur celles de la ruche
platte, que parce que celles-ci manquoient de reine, je
portai cette petite ruche tout auprès d’une ruche vitrée,
dont un elïaim étoit prêt à fortir, & qui étoit fi peuplée,
qu’il y avoit en dehors des pelotons de mouches attachées *
à l’on pied. Plufieurs de celles ci vinrent effeéhvement fe
rendre fur la petite ruche, mais elles ne s’y attroupèrent
pas. Il ne s’y en arrêta pas la vingtième ou la trentième
partie de ce qui s’y étoit arrêté de celles de la ruche platte
fans mere. Leur nombre dès les premiers inftants fut à
248 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
peu-près ce qu’il fut clans la fuite, au lieu que le nombre
des autres mouches avoit été fi fort en augmentant, que
la ruche platte auroit été bientôt vuide , h je ne me
fuffe hâté d’en éloigner la mere qui les atliroit. Il parole
donc bien prouvé que les mouches de la ruche platte
avoient au moins connu qu’il y avoit dans la petite ruche
une mere, & qu’elles avoient fut tout ce qui étoit en
el^s pour s’aller loger avec cette mere. Mais les mouches
d’une ruche bien peuplée , & qui fans doute avoient
une mere, s’étoient contentées, & en petit nombre, de
venir vifiter la petite ruche où une mere étoit prifon-
niére & mal accompagnée, fans trop chercher à fe
mettre à fa fuite.
J’ai fait depuis beaucoup d’autres expériences qui ont
concouru à établir que les mouches qui ont actuellement
une mere, ne font point emprelfées de s’aller joindre à
une autre. A delfein j’ai pofé plufieurs fois un poudrier,
dans lequel j’avois renfermé une mere, fucceffivement
auprès de cinq à fix différentes ruches, & jamais il 11e m’a
paru que les mouches de ces ruches s’en foient embar-
raffées. Souvent il n’y a pas eu une feule abeille de la
ruche auprès de laquelle fe trouvoit la mere abandonnée,
qui en ait femblé tenir quelque compte, qui fe foit arrêtée
fur le poudrier ; cependant l’heure où je leur offrois cette
mere prifonniére, étoit l’heure du jour où elles alloient
à la campagne en plus grand nombre, où elles étoient
plus en mouvement.
Pour revenir à notre petite ruche vitrée, fur les fix
heures du foir je la reportai dans le jardin où elle avoit
été d’abord ; mais je la mis fur un appui affés éloigné du
premier, fur lequel elle avoit été. Alors j’ouvris uneporte
aux abeilles, c’efl-à-dire, que j’élévai le carreau de devant
autant qu’il étoit néceffaire, pour que celles qui étoient
captives
des Insectes. K Mem. 249
captives depuis midi, pu fient fortir & rentrer aifément.
Plufîeurs partirent fur le champ, elles allèrent à la cam¬
pagne, & retournèrent à leur ruche; mais j’obfervai bien¬
tôt qu’il y en- rentrait plus qu’il n’en fortoit. La boîte
propre à fervir de pied à la ruche platte, dans laquelle on
avoit fait entrer les mouches qui avoient été féparées fur
le midi de celles de la petite ruche, étoit encore dans le
même jardin. Les mouches qui apprenoient, ou par
leurs compagnes, ou je ne fçais comment, l’endroit où
étoit l’habitation de leur reine, s’y rendoient. Je vis que
la petite ruche étoit déjà redevenue plus pleine que je
ne la voulois. Pour empêcher qu elle ne le devînt encore
davantage, je fis porter dans l’autre jardin la boîte où
étoient les mouches qui avoient été féparées avant midi
de leurs compagnes ; je la fis pofer fous la ruche platte;
c’efl à-dire, que les mouches de la boîte furent mifes à
portée de fe réunir à celles avec lefquelles elles avoient
celle d’être en focieté depuis trois jours; elles s’y réjoigni¬
rent volontiers.
Le lendemain, le mercredi, les mouches de la petite
ruche 1e déterminèrent pour une troifiéme fois à l’aban¬
donner fur les onze heures du matin. Une perfonne que
j’avois laiffée auprès d’elles pour veiller à leurs mouve¬
ments, vint m’avertir du parti qu’elles venoient de pren¬
dre. Lorfque j’arrivai dans le jardin, elles étoient encore
en l’air, où elles formoient un tourbillon. Les premières
qui voulurent s’arrêter, choifirent pour fe polèr, une bran¬
che d’un poirier en buiffon peu éloigné de la ruche. Le
nombre de celles qui fe placèrent deffus alla bien tôt en
augmentant. Je m’approchai de cette branche, & je vis la
mere toute feule fur une feuille comme je l’avois déjà vue
dans une autre circonfiance, & de même tout près de
l’endroit où les autres mouches s’affembloient. Mais il
Tome V . I i
250 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
fembloit que cette troifiéme lortie ne fè fut pas faite d’un
confentement général. Une bonne partie de la petite
troupe refta à voltiger autour de la ruche qui venoit
d’être abandonnée, plufieurs mouches même rentrèrent
dedans. La mere elle-même parut ne pas trouver à l'on
gré l’endroit qui avoit été choifi. Elle s’envola, elle s’éleva
en l’air, les autres lafuivirent, & peu après je vis les mou¬
ches rentrer en grand nombre dans la petite ruche, fur le
fond de laquelle je ne fus pas long temps à diftinguer la
mere.
Ce retour me donna efpérance de voir le petit nombre
de mouches que j’avois laide à cette ruche, s’y établir à
demeure. Il marquoit qu’elles n’avoient plus pour ce loge¬
ment toute l’averfion quelles avoient eue auparavant, .le
n’ai pas encoredit,quepourdéfendre pendant la nuit contre
le froidjepeu d’abeilles qui dévoient l’occuper, & que pour
les dérober pendant le jour aux rayons immédiats du loleil,
& que pour qu’elles ne fuffent pas inquiètes dans un loge¬
ment qui fembloit à jour de toutes parts, parce qu’il étoit
tout vitré, j’avois eu foin de faire faire à cette ruche un
* PI. 23. fig. furtout rie toile de coutil* doublé de flanelle, & compolë
3 ‘ de quatre pans féparés les uns des antres, & coulus feule¬
ment par un de leurs bouts à un des côtés du quarré defli-
né à couvrir le deffus de la ruche. Des cordons tenoient
ces pans joints les uns aux autres par les côtés. On pouvoit
lever à volonté celui des pans qui cachoit l’endroit de la
ruche que l’on vouloit voir. J’eus lieu de croire que ce fur-
tout n’avoit pas affés défendu les mouches contre un coup
de loleil, qui ayant trop échauffé l’intérieur de la rue hc, les
avoit déterminées à une de leurs forties précédentes. Je fis
faire fur le champ un furtout de bois à la ruche qui en avoit
déjà un d’étoffe. Une boîte de bois de capacité convenable,
à cela près quelle étoit un peu trop longue, fut rendue
DES I N S E C T E s. V. Mem . 25 I
propre à faire cette fécondé couverture, des qu’011 en eut
îcié le bas. Le jour fuivant, le jeudi, je vis dès le matin mes
mouches dans les diljjofitions ou je les vouiois. Après
avoir ôté leur couverture de bois, je levai un des cotés
du furtout d étoffe,#: je n’oblervai dans la ruche que ies
mouvements qui y dévoient être. Celles qui revenoient
de la campagne, en rapportoient à leurs jambes une bonne
récolte de matière à cire. Sur ies dix heures, je fus obligé
de partager mon attention entr elles & d’autres mouches.
On vint m’avertir qu’un efîaim fortoit d’une grande rue he
vitrée qui étoit dans le jardin haut, dans celui de* la mon¬
tagne; & c’eft un fait qu’il eh néceiïaire qu’on fçache,
car j’aurai a parler de cet effaim. Sur les onze heures, je
retournai pourtant voir les mouches de la petite ruche,
que je trouvai en plein travail. Elles avoient commencé
un gâteau de cire, elles en avoient déjà fini plulieurs
alvéoles. Je les laiftai tranquilles pour aller faire mettre
dans une ruche les mouches du nouvel effaim ; mais vers
line heure après midi, j’allai encore revoir celles de la
petite ruche. 11 faifoit chaud alors. Le thermomètre étoit
a plus de dix-neuf degrés, & le foleil étoit brillant. Après
avoir découvert mes mouches, je vis quelles avoient fait
un petit gâteau qui avoit plus de deux pouces de long, <Sc
plus d’un pouce de large. C’étoit affés d’ouvrage pour la
matinée d’un h petit nombre d’ouvrières. Je les vis tra¬
vailler à l’aggrandir, à augmenter le nombre de fes alvéo¬
les, à achever de façonner,#: à polir ceux qui étoient faits.
Le plaifir que j’avoisàobferver ces mouches dans le travail,
beaucoup mieux qu’on ne peut les voir dans les ruches
très-peuplées, me fit oublier que la chaleur que je iup-
portois avec patience, ne feroit pas foutenue de même
par les abeilles. J’étois pourtant prêt de les mettre à l’abri
des rayons du Soleil, de les recouvrir, forfqu’il s’éleva
li ij
2.52 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
fubitement une émeute parmi elles. Plufieurs le détermi¬
nèrent fur le champ à î'ortir de la ruche. Je voulus en
fermer la porte; mais leurs mouvements furent fi prompts,
qu avant que j’euffe eu le temps de faire defeendre un peu
le carreau deverre antérieur, je vis fortir la mere,&toutes
les autres mouches lortirent à fa fuite.
Ce fut par cette quatrième fortie que fe terminèrent
leurs aventures. Le chaud qu’il faifoit les détermina à
s’élever beaucoup plus haut qu’elles n’avoient fait dans
les forties précédentes. Elles ne fe rabbattirent point fur
les arbres* où elles s etoient arrêtées les autres fois; elles
pafferent bien haut par-deffus le mur, traverferent la rue,
& fe rendirent dans le jardin où efl la montagne. Dans
le moment quelles y arrivèrent, le gros elfaim, dont j’ai
parlé ci deffus, n’étoit pas encore tranquille dans la ruche
où il avoit été mis. L’air des environs étoit encore plein
de fe s mouches. Celles de la petite ruche pafferent dans
les tourbillons mêmes des mouches de l’effaim ; elles furent
déterminées à voler autour de la grande ruche pendant
près d’un demi-quart d’heure. Alors leur reine, qu’elles
étoient tentées apparemment d’oublier pour une autre
bien logée, vint fe pofer contre un mur dans un endroit
qui n’étoit éloigné que de fix à fept pieds de cette ruche
qui lui débauchoit le peu qui lui étoit refié de fujets.
Quelques-unes de fes mouches pourtant l’y allèrent join¬
dre; mais l’endroit étoit trop échauffé par les rayons du
Soleil, pour qu’elle& fa fuite y puffent refier. Ellepartit»-
elle entra dans le tourbillon de la grande ruche, fes
mouches & elle-même fe déterminèrent bien-tôt à y aller
établir leur domicile, car nous vîmes peu à peu diminuer
le nombre des mouches qui étoient en l’air; &. on 11’en
trouva nulle part d’affemblées hors de la grande ruche.
Il y en eut feulement une cinquantaine qui retournèrent
à la petite ruche.
DES I N S E C T E S. K Mem. 253
L’hoipitalité fut mal exercée à l’égard de celles qui
entrèrent dans la grande ruche, où un nouvel effaim &
très-nombreux venoit de s’établir. Elles n’y furent pas bien
reçûes, j’ai lieu de croire même qu’elles y furent toutes
maflacrées. Ce qui elt fur, c’eft qu’à peine s’y furent-
elles introduites, qu’il s’éleva un bourdonnement confi-
dérable qui prouvoit que tout s’y mettoit en grande
émeute. J’eus bien-tôt preuve que cette émeute 11e fe
palToit point fans carnage. Bien-tôt je vis des mouches
mortes ou mourantes que d’autres mouches portoient
hors de la ruche. Je vis des combats à mort qui fe fai-
foient dehors même de cette ruche. Enfin, depuis une
heure & demie, heure à laquelle les mouches de la petite
ruche s’introduifirent dans la ruche de l’effaim, julqua
cinq heures du loir, la tuerie fut grande. J’avois bdoin
d’abeilles mortes pour les pefer, & pour faire enfuite un
calcul dont je parlerai ailleurs; j’en ramafîài plus de deux
cens cinquante de celles qui avoient été tuées. J’en au¬
rais ramaffé davantage fi je l’euffe voulu ; & il y en eut
beaucoup de tuées qui furent portées au loin, & qu’il
11e m’eut pas été poffible de retrouver; mais ce ne fera
que dans un autre Mémoire que nous décrirons les com¬
bats des abeilles, & que nous achèverons de parler de cette
dernière bataille.
Attentifs jufqu’ici à fuivre toutes les démarches &
toutes les aventures des mouches qui avoient été miles*
avec leur reine dans la petite ruche portative & vitrée,
nous n’avons rien dit, & nous aurons peu de chofe à dire
de celles qui compofoient la plus grande partie de reffaim
dont les premières furent féparées. Elles parurent fe trou¬
ver bien dans la grande ruche vitrée & platte qui leur-
avoit été donnée pour logement. Dèslematindu jourqui»
fuivit celui où elles y furent mifes, j’en vis fortir plufieurs,:,
I.i iij.
254 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
aller à la campagne, & en revenir; mais elles en reve-
noient fans apporter aucune matière à cire. Elles conti¬
nuèrent ainfi les jours fuivants à fe tenir tranquilles dans
leur logement. Le nombre de celles qui en lortoient,
étoit petit, & aucune ne rapportoit des matériaux pro¬
pres a faire des gâteaux de cire. Audi quoique le nom¬
bre des ouvrières fût grand, quoiqu’elles ne parulfent
aucunement fonger à quitter leur habitation, lix jours
fe pafferent fans qu’elles y eulfent Lit aucun ouvrage,
fans quelles y eufl’ent fait un feul alvéole. Pendant ces
fix mêmes jours les compagnes dont elles avoient été
féparées, quoiqu’en très-petit nombre, quoique miles
dans une ruche qui ne leur plaifoit point , & qu’elles
abandonnèrent plufieurs fois, ne laifferent pas dy tra¬
vailler. Nous avons vû quelles y firent deux petits gâteaux
de cire. Les abeilles, parmi lelquelles il yavoit une mere,
ne laifferent donc pas de travailler malgré tout ce qui
fembîoit les en devoir détourner, & celles qui étoient
fans mere refterent dans l’oifiveté. Delà, il fiemble que
les abeilles foient déterminées au travail par un motif
pareil à un des plus louables qui nous puilfe faire agir,
par le feul amour de la poftérité. Celles qui fe trouvent
avec une mere qui doit donner naifiance à des milliers
d’abeilles qui leur reffembleront, conftruilent les alvéoles
nécefïaires pour recevoir les œufs. Elles en conllruifent
de capables de contenir du miel, elles les en remplilfent.
Enfin, nous verrons dans la fuite tous les foins quelles
fe donnent, toutes les peines qu’elies prennent pour éle¬
ver les vers qui fortentde ces œufs jufqu’à ce qu’ils loient
en état de fe transformer en nymphes. Les abeilles au
contraire qui n’ont point parmi elles une mere capable
de mettre au jour une nombreufe poftérité, ne daignent
pas faire le moindreouvrage; elles fe contentent de vivre
des Insectes. K. Mem. 255
au jour la journée, d’aller prendre leurs repas dans la
campagne, fans s’embarraflér de faire des provifions dans
la ruche. £n un mot, il femble évident que ce n’ell pas
pour elles-mêmes quelles travaillent, & quelles font des
récoltes.
Pour voir fi je ne ranimerais pas mes mouches qui
avoient relié fix jours dans l’inadlion , je les fis palier
dans une nouvelle ruche, dans un panier tel que ceux
où l’on loge le plus ordinairement les abeilles. Elles y
furent encore plus tranquilles quelles ne l’avoient été
dans leur première demeure. Quoique le jour fuivant fût
chaud & beau, aucune d’elles ne s’avila de fortir. Elles
fortirent pourtant & rentrèrent par la fuite; mais tous
les jours leur nombre alla, en diminuant. A peine y en
rella-t il un millier au bout de trois lèmaines; & quel¬
ques jours après je trouvai un matin toutes celles qui y
étoient reliées, mortes fur la baie de la ruche. Toutes
étoient péries, loit dans la ruche, foit hors de la ruche,
fans avoir fait le plus petit gâteau de cire.
PI 11 fieurs fois j’ai mis une ailes grande quantité d’a¬
beilles fans mere dans de petites ruches vitrées, pareilles
à celle dont il a été tant fait mention ci delïùs, ou elles
ont abandonné la ruche, ou elles y ont péri dans un
nombre de jours allés court, fans jamais y faire aucun
ouvrage. On peut donc regarder comme une vérité bien
confiante, que les abeiiles ceiTent tout travail, quelles
ne longent plus à l’avenir dès qu’elles n’ont plus de mere.
A ri Ilote a dit, que lorfqu elles en font privées, elles le
contentent de faire des gâteaux de cire dans les alvéoles
defqueis elles ne portent point de miel Mais je puis
alïïirer qu’ilors elles vivent dans une parfaite oifiveté»
que non-feulement elles ne font aucune récolte de miel,
mais quelles ne confiruifent pas une feule cellule de cire;
2)6 Mémoires pour l’Histoire
& je l’affûre fur un très-grand nombre de preuves de
l’efpéce de celles que je viens d’en donner, auxquelles je
me contenterai d’en adjoûter une que j’ai eue récemment.
Vers la fin du mois de Mars de cette année, je remar¬
quai que les abeilles logées dans une de mes ruches en
panier, y rentroient toutes fans être chargées, pendant
que celles des autres ruches y revenoient avec de bonnes
récoltes. Elles continuèrent à retourner toujours les pattes
vuides dans leur ruche, jufques vers la mi-Juin. Je faifois de
temps en temps coucher leur ruche furie côté, au moins
defemaine en femaine, pour en examiner l’intérieur,&
je n’y voyois jamais que de vieux gâteaux de cire; je ne
pouvois y découvrir aucune cellule Evite depuis l’hyver.
Je remarquois auffi que le nombre de ces mouches alloit
tous les jours en diminuant. Enfin, il étoit réduit à moins
d’un millier vers la mi-Juin, temps où je me déterminai
à les tirer toutes de leur ruche pour les examiner. Nous
apprendrons dans la fuite le moyen auquel nous avons
recours pour pouvoir examiner les unes après les au¬
tres toutes les mouches d’une ruche fans les faire périr;
il me fuffit de dire à prefent que parmi ces abeilles qui
avoient refié pendant deux mois & demi dans l’inarflion, je
ne trouvai point de mere, & auffi ne m’attendois-je pas
à y en trouver. J’avois jugé long-temps auparavant, que
fi elles avoient ceffé de travailler, c’eff qu’elles avoient
perdu la leur. Je fçavois même qu’il leur étoit arrivé une
aventure, qui dans une nuit fit périr beaucoup de leurs
compagnes, parmi lefquelles s’étoit apparemment trouvée
cette mere fi néceffaire. Il fernble donc que la mere foit
lame de la ruche, que ce foit elle qui mette tout en
aétion.
Svvammerdam a déjà rapporté une fort jolie expé¬
rience, pour prouver combien les mouches d’un effiiim
font
des Insectes. V Mem. 257
font attachées à leur reine, combien elles cherchent à la
fuivre; cette expérience néantmoins n’aura rien de lur-
prenant, fi on lé rappelle tous les efforts que faifoient les
abeilles de la grande ruche plattc où je les avois miles fans
mere, pour s’introduire dans une petite ruche où leur mere
étoit prifonniére. Il attacha la mere d’un efTaim par une de
fes jambes avec un brin de fil, près du bout d’une longue
perche. Les mouches de l’efTaim ne tardèrent pas à s’a f-
femblerautour de ce bout de perche, à couvrir la mere,
à s’entafïer fur elle. On portoit cet effaim par-tout où 011
vouloit porter la perche.
Bien des Leéleurs ont pu être tentés de mettre au
nombre des contes, par lefquels le Pere Labbat s’efî piû
à égayer les relations qu’il a publiées de divers voyages,
ce qu’il a rapporté d’un homme qui prétendoit avoir le
fecret fiiïgulier de fe faire fuivre par les mouches, Si qu’on
appelloit l’homme aux mouches. Voici ce qu’il en dit dans
le troifiéme volume * de la relation de l’Afrique occiden- * p.316.
taie, Lite fur les Mémoires de M. Bru Direéleur de la
Compagnie du Sénégal. Dans un des voyages que ht ce
Directeur pour les intérêts de fa Compagnie, « il reçut
la vifite d’un homme qui fe cliloit le maître des mouches «
à miel; qu’il en fut le maître ou non, il eft certain «
quelles le lùivoient comme un troupeau fuit Iepafteur,«
Si. même de plus près, car il en étoit tout couvert. Son «
bonnet fur-tout en étoit tellement chargé, qu’il reffem- «
bloit parfaitement à ces eflaims qui, cherchant à lé pla- «
cer, s’attachent à quelque branche. On le lui fit ôter, Si «
les mouches lé placèrent fur fes épaules, fa tête, fes bras«
Si fes mains, fans le picquer, ni même ceux qui étoient «
auprès de lui , Sic. 11 failoit que cet homme 1 e fût frotté «
avec quelque fuc d'herbes. On le prefïa beaucoup de«
dire fon fecret, mais 011 n’en put tirer autre choie, finon «
Tome V . K k
25S MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
55 qu’il écoïc le m litre des mouches. Elles le lui virent toutes
«quand il le retira, car outre celles qu’il portoit fur lui,
« il eu avoit encore des légions à la luite. >5 11 ne lalloit
d’autre fecret à cet homme, que celui de tenir la mere
d’un elfaim, attachée avec un lil ou autrement contre
fon bonnet ou l'on col, c’en étoit aiïes pour qu’il le fit
fuivre par des légions de mouches. Peut être que cette
mere étoit d’abord fur fon bonnet, & qu’il la ht palier
W lbn coi, lorlqu’on lui lit ôter fon bonnet.
Mais clt-ce feulement pour la mere qui leur a donné
naiUmce, ou au moins pour la mere qui elt née parmi
elles, que les abeilles ont tant d’alfeélion I On pourroit
être tenté de le croire, quoique ce foit, ce lemble,
donner trop de fentiments à ces mouches, & des fen-
timents qui 11’iroicnt pas adcs à i’objet que la nature
le propole , à celui de la conlêrvation & de la mul¬
tiplication de l’efpece. Il paroit plus probable que toute
mere dont le corps elt plein d’un grand nombre d'œufs,
a de quoi déterminer les abeilles à le livrer au travail ;
qu’elles font même prêtes à reconnoitre pour reine
toute fémelle qui leur fera préfentée , li elle elt en état
de mettre au jour une nombreufe poltérité. C’elt ce
qui me parut mériter d etre décidé par une expérience
que je 11e manquai pas de faire dès que l’occafion s’en
oilrit. Ayant eu une mere à ma difpolîition, & on verra
dans la fuite qu’il m’elt fouvent arrivé d’y en avoir, &
quels font les moyens d’en avoir quand on veut ; ayant,
dis-je, eu une mere à ma difpofition, je la féparai de
toutes les abeilles avec lefquciles elle avoit vécu jufque
là, & je longeai à la prélènter pour reine à d’autres
abeilles à qui elle étoit parfaitement inconnue, & que
j aurais privées de leur reine naturelle. C’elt ce qui me
lut ailé d’exécuter; je me fervis encore de ma petite ruche
des Insectes. V. Mem. 259
vitrée *. Je n’ai pas eu befoin de dire encore, que le fond * PJ- 23.%
de cette ruche, qui étoit de bois, étoit percé d’un trou l ' 2 ‘
rond, & que ce trou dans les temps ordinaires étoit rem¬
pli par un bouchon. J otai ce bouchon , & je pofai le
trou fur celui qui étoit au bout lupérieur d’une grande
ruche pyramidale *, & que jevenois de découvrir. Cette *pi.*.fig.3
ruche pyramidale étoit très-peuplée d’abeilles, dontplu-
fieurs furent déterminées à fortir par la nouvelle ouver¬
ture qui fe préfentoit; elles entrèrent dans la petite ruche
vitrée. Quand il y en eut dedans celle-ci environ 400, il
m’y en parut ailes pour ce que je m’étois propolé, & je lon¬
geai à empêcher leur nombre de s’augmenter. Pour cela,
je hs glilfer deux feuilles de papier polées l’une fur l’autre
entre les deux ruches. Celui qui les avoit giilfées, en tint
une appliquée contre le trou de la ruche pyramidale,
pendant que je tenois l’autre appliquée contre la petite
ruche. On ôta enfuite cette dernière ruche de place, &
o n boucha le trou de chaque ruche dès qu’on eut retiré
le papier qui le couvroit. La petite ruche avec les mouches
qui y étoient prifonniéres , & qui avoientété féparéesde
leurs compagnes, furent portées dans mon cabinet. Elles
étoient toutes dans une grande agitation. Je ne tardai
guéres à éprouver h ce ne leroit point un moyen de les cal¬
mer & de les confoler, pour ainfi dire, que de leur offrir
une nouvelle reine. Celle que je leur gardois, étoit dans
une petite boîte de bois. J’ouvris cette boite, j’ôtai prelle- •
ment le bouchon du trou de la petite ruche, je pofai ce
trou immédiatement fur la boîte; fur le champ prefque
je rebouchai ce trou, car dans l'infant la mere entra dans
la ruche dont je ne voulois ni la lailfer fortir, ni aucune
des autres mouches.
On croit alfés que je fus attentif à examiner com¬
ment cette mere étoit reçue ; elle le fut convenablement,
Kk ij
z6o Mémoires pour l’Histoire
elle le fut en reine. A peine fut-eile entrée dans la ruche,
qu elle eut un cercle compofé au moins d’une douzaine de
mouches, qui toutes cherchoient à lui faire de fête. D’in-
Haut en mitant là cour devint de plus en plus nombreufe.
Quand elle fe produifit, elle étoit très mal-propre. Le
hazard avoit voulu qu’il y eût de la terre réduite en poudre
très-fine dans la boîte où je l’avois renfermée; une par¬
tie de cette terre, qui s’étoit attachée contre les parois de
la boîte, avoit poudré la mere abeille au point de la rendre
grife. Le premier loin des autres mouches fut de la dé¬
poudrer, de la décralfer, de la bien nettoyer. Elle relia
pendant plus de deux heures fur ie fond de la ruche tou¬
jours entourée & fouvent couverte de mouches , dont
chacune la léchoit de fon côté. Elles fembloient aulfi
chercher à 1 échauffer, & elle avoit befoin d’être échauffée.
Tout cela fe paffa un 2 j. c d’Avril, dont la nuit avoit été
très froide. J avois eu cette mere le matin, tranfie ou plu¬
tôt comme morte de froid. Je l’avois trouvée au milieu de
plulieurs milliers d'abeilles que le froid de la nuit avoit
réellement fait périr. En la chauffant peu à peu je lui
avois pour ainfi dire rendu la vie. Je ne pouvois me biffer
d’obferver les foins & les empreffements des autres mou¬
ches pour cette nouvelle reine, combien elles cherchoient
à lui être utiles. Je neparvenois à lavoir que par intervalles,
que quand une ou deux mouches, qui avoient travaillé à
la nettoyer, cedoient leur place à d’autres, qui venoient à
leur tour pour lui rendre de bons offices. Elle fut long¬
temps à la renverfe, ayant le ventre en haut, fon corps
recourbé, & le derrière beaucoup plus élevé que le relie.
Plufieurs mouches étoient pofées fur elle; mais il y en
avoit auffi d’autres au deffous d’elle. Quelquefois celles-
ci la foûlevoient & la portoient à un demi-pouce ou à un
pouce de l’endroit où elles l’avoient priée. Des mouches
des Insectes. V. Ment. 26 1
fi pleines de bonnes intentions méritoient qu’on eût loin
d éliés, auffi leur donnai-je du miel, J’oblervai l’amufant
manège que je viens de rapporter, pendant plus de deux
heures.
Il faifoit froid ce jour là, mais le folcil étoit brillant.
Je portai la petite ruche contre un mur fur lequel il don-
noit à plomb, & dans un endroit qui n’étoit pas éloigné
de trente pas de celui où étoit la ruche pyramidale d’où
avaient été tirées les mouches auxquelles j’avois donné
une nouvelle mere. Sur le midi je fis mettre fur la petite
ruche Ion lurtout d’étoffe*, de crainte que les rayons du
foleil ne fie filfent trop fentir aux mouches. Aiors elles
montèrent toutes, & la mere avec elles, jufques au haut
de la ruche. Un très-petit gâteau de cire y étoit attaché;
ce fut fur ce gâteau qu’elles s’attroupèrent & qu’t lies
fe mirent en peloton. Je ne crus pas devoir leur laiffer
la liberté de fortir ce jour là, de crainte qu’elles ne fufïènt
faifies du froid. Je leur fis même paffer la nuit bien chau¬
dement dans mon cabinet ; mais le lendemain fur les dix
heures, quoique l’air fût encore froid, mais parce que le
foleil étoit beau <Sc chaud, je les portai auprès de ce même
mur & dans le même endroit où elles avoient paffé une
partie de la journée précédente. Elles profitèrent bien¬
tôt de la liberté que je leur donnai de fortir; elles allèrent
à la campagne, elles en revinrent. Enfin je vis le foir un
gâteau de cire auffi petit à la vérité qu’un petit écu , qui
avoit été l’ouvrage de leur journée.
Ces abeilles s’étoient donc dévouées à la nouvelle reine,
6 c s’y étoient dévouées à un point remarquable. Elies
avoient oublié leur première reine, leurs compagnes, en
un mot cette efpece de ville fi peuplée , fi bien fournie
de magafins de toutes efpéces, cette ville où elles avoient
pris naiffance; elles l’avoient oubliée pour fe loger dans
K k iij
202 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
une petite habitation où tout manquoit, où tout étoit
à faire. Quoiqu’il puifle paroître peu étonnant que des
mouches oublient , l’oubli dont nous parlons a cepen¬
dant quelque chofe de fingulier , lorfqu’on penfe qu’il
étoit arrivé à des mouches qui s’éloignoient louvent de
leur première ruche, qui aboient faire des récoltes à la
campagne dans des endroits qui en étoient quelquefois
disants de plus d’un quart de lieue, & peut-être de bien
davantage : de fi loin ces mouches fçavoient pourtant fe
fou venir de leur ruche & du chemin par lequel il falloit
paffer pour y revenir. Dès que les mouches avoient été
logées dans la petite ruche portative, elles fembloient
avoir perdu tout fouvenir de leur ancienne habitation ,
11e fçavoir plus que cette habitation, où rien 11e leur man¬
quoit, n’étoitpas à trente pas de celle où elles fe trou-
voient dénuées de tout. Eft-ce que d’avoir une reine
qu’elles pouvoient voir &. fervir plus à l’aile , une reine
pour elles feules, leur tenoit lieu du relie, & étoit pour
elles un dédommagement fuffifant de beaucoup de com¬
modités & d’avantages perdus!
Si ces mouches fe trouvoient bien d’avoir une reine,
la reine n’étoit peut-être pas contente d’être accompagnée
d’un fi petit nombre d’ouvrières. J’ai dit que ce fut le
25. Avril que je la renfermai avec très-peu de mouches;
que je leur permis d’aller à la campagne le 26. & que le
foir de ce même jour il y eut un gâteau de fait. Le lende¬
main 2y. elles travaillèrent peu. Pendant que je les ob-
fervois fur le trois heures après midi, je remarquai une
mouche plus grolfe que les autres, qui venoit vers la ruche;
mais qui, au lieu d’entrer dedans, alla fe pofer fur le mur,
qui étoit alors éclairé du foleil. Dès que je me fus ap¬
proché d’elle je la reconnus pour une mere, & elle ne
pouvoir être que la mere de la petite ruche. Il étoit
des Insectes. V. Mem. 26 3
fingulier même qu’elle fût fortie ou nu moins revenue
fans avoir aucune mouche à fa hiite. Je la pris aifément,*
je la fis entrer dans une petite boîte que je mis fur le
champ toute ouverte dans la petite ruche. Dans le mo¬
ment où elle en fortit, il 11’y avoit auprès de la boîte qu’une
ièule abeille ordinaire, qui fur le champ s’avança auprès
d’elle pour la lécher & la broffer. La mere fut bientôt arrivée
au pied du bâton planté au milieu de la ruche, tout du
long duquel elle monta pour gagner le gros, où on lui
fit place pour la laiffer pénétrer dans l’intérieur.
La petite ruche dont nous parlons, a toujours paru
déplaire aux abeilles que j’y ai miles. Elle n’avoit pas
une capacité fuffifimte pour loger les vers qui y dévoient
naître, & tous les gâteaux néceflaires pour les élever jufqu’à
ce qu’ils fulfcnt transformés en mouches. Auffi les abeilles,
dont il s’agit à préfent, nefortirent point ou prefque point
de la ruche le 28; elles n'étendirent point le gâteau qu’cl-
lesavoient commencé, ce qui prouvoit quelles vouloient
aller s’établir ailleurs plus à leur gré. Je les vis de même
tranquilles le 29. jufques à onze heures & demie du matin ;
mais à midi & demi je trouvai la ruche vuide; toutes en
étoient décampées à quatre à cinq près, qui étoient appa¬
remment à la campagne dans le moment où les autres
avoient pris leur parti. On chercha cette petite troupe
dans le jardin , & on la trouva attachée à une branche
de prunier. La mere étoit au milieu du gros.
je fongeai à mettre cette mere & les mouches qui la
reconnoifloient pour reine, dans une ruche qui leur dé¬
plût moins que celle que je leur avois donnée auparavant.
Je les fis entrer dans la partie iûpérieure d’une ruche co¬
nique*; elles montèrent tout au haut de cette ruche, & * PI.24.fïg.
s’y arrangèrent fort bien. Le froid de la nuit ne fut pas 5 ’
confidérable ; la liqueur du thermomètre étoit vers le
z6^ MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
lever du foleil à dix degrés Si demi. Ce froid cependant
avoit été trop grand pour des mouches qui n’étoient pas
en allez grand nombre pour conferver dans la ruche
lin degré de chaleur tel qu’il le leur faut. Le matin je les
trouvai tombées au bas de cette nouvelle ruche, elles y
formoient un peloton au milieu duquel étoit la mere. Elle
& toutes les autres étoient fans force, incapables de fe
mouvoir. Je les lis chauffer au foleil, je les remis dans la
ruche, elles fe ranimèrent. Sur les onze heures je les vis
voltiger autour de cette ruche, j y vis même voltiger la
mere, qui revenoit de dehors; elle fe pofa delfus, Si en¬
tra enfui te dedans. II fembloit qu’elle ne fût fortie que
pour découvrir un lieu où elle pût conduire là petite
troupe, Si qu’elle ne fût rentrée que pour l’y emmener.
Ce qui ed fûr, c’ed qu’à midi & demi la ruche fut aban¬
donnée, & je perdis totalement la mere & les ouvrières.
Je ne pus découvrir où elles avoient été fe placer’, mais
j’avois appris ce quejevoulois fçavoir, qu’une mere don¬
née à des abeilles tirées de leur ruche, la reconnoiffoient
pour leur reine, Si quelles oublioient pour elle celle fous
l’empire de laquelle elles vivoient quelques infants aupa¬
ravant.
Il m’a été prouvé que les abeilles s’intereffoient pour
toute mere, qu’elles ont pour toute mere des foins, des
attentions quelles n’ont pas les unes pour les autres; il
me l’a été prouvé, dis-je, par un fait allez fingulier Si
propre à apprendre même que la vie de toutes leurs com¬
pagnes n’ell rien pour elles'en comparaifon de celle d’une
mere. On fçait que fouvent des mouches ordinaires, telles
que celles de la viande, paroilfent noyées fans letre réelle¬
ment , qu’après être forties de l’eau aulTi incapables de fe
mouvoir que h elles étoient mortes, elles fe raniment, elles
reprennent leur première vigueur, fi on les a rclfuyées Sc
réchauffées
des Insectes. K Mem. 265
réchauffées peu à peu. Il en eff fouvent de même des
abeilles, comme nous aurons occafion de le dire plus au
long ailleurs, en rapportant des expériences fur celles que
nous avons tenues dans l’eau pendant un temps affés con-
fidérable. Le feul fait dont j’ai befoin qu’on l'oit inflruit
aéluellement, c’eft que je retirai de l’eau une mere qui
fembloit morte, qui dans cet in fiant ne donnoit pas le
plus léger figue de vie: Elle avoit même été eflropiée, une
partie d’une jambe de la fécondé paire lui manquoit. Mal¬
gré le fâcheux état dans lequel elle étoit, je crus devoir
tenter tout ce qui pourrait lui rendre la vie. Ce n’efl pas
pour les abeilles léules qu’une mere eft précieufe, elle
i’eft pour quelqu’un qui veut s’inftruire de l'hilloire de ces
mouches; car il en coûte fouvent bien des milliers de
mouches, fouvent toutes celles d’une ruche, pour avoir
une feule mere. Je mis celle qui fembloit morte, dans un
poudrier de verre, & je mis avec elle fept à huit abeilles
qui avoient paru noyées, & que j’avois fait revivre, que
j’avois amenées au point de pouvoir marcher, quoi¬
qu’elles fuffent encore foibles, & quatre à cinq autres
mouches qui paroiffoient aufh mortes que la mere. Mais
ce que je ne dois pas oublier de faire remarquer, c’efl que
ces mouches n’avoient jamais habité avec la mere, qui pa-
roiffoit morte. Elles étoient d’une autre ruche que la benne.
J’approchai du feu le poudrier dont je viens de parler;
quand il fe fut un peu échauffé, je commençai à obfer-
ver la mere, pour voir fi la chaleur produiloit quelque
effet fur elle, j’eus beau obferver avec une loupe, foit fes
jambes, foit fa trompe, je 11e pus y appercevoir le plus
léger mouvement, je ne pus lui voir donner aucun figne
de vie. Mais je remarquai avec plaifir, que dès que
quatre à cinq des autres abeilles eurent pris un peu de
vigueur, elles vinrent fe ranger autour de cette mere.
Tome V . L f
266 Mémoires pour l’Histoire
comme fi elles enflent été touchées de Ton état, com¬
me fi elles euffent voulu lui donner des lecours qu el-
les croyoient lui pouvoir être utiles. Elles ne cefloient
de la lecher avec leur trompe , & cela lucceflivcment
en différents endroits de Ion corps, de fon corcelet & de
fa tête. Tandis quelles prenoient tous ces foins pour une
étrangère, elles ne tcnoicnt aucun compte de leurs an¬
ciennes compagnes, qui étoient tout auprès, mortes ou
mourantes. Enfin elles fembloient efperer, autant quelles
le defiroient, que la mere fe ranimeroit, & leurs efpéran-
ces étoient fondées. Au bout d’un quart d’heure ou d’un
quart d’heure & demi, j’apperçus un petit mouvement dans
le bout d’une de les premières jambes. Après un inter¬
valle affés court ce mouvement fut réitéré. La mouche
remua enfuite un peu une autre jambe. A peine eut-elle
donné les premiers Agnes de vie , qu’on entendit un
bourdonnement s’élever dans ce poudrier où dans les
moments précédais il n’y avoit pas le moindre bruit.
Plufieurs perfonnes qui étoient avec moi, & qui comme
moi, fouhaitoient voir revivre cette mere, furent frap¬
pées de ce bourdonnement, qui fembloit plus aigu que
les bourdonnements ordinaires, toutes lui donnèrent le
nom de chant de réjouiffance. Les abeilles eurent lieu de
continuer de fe réjouir, la mere reprit fies forces peu à
peu, & malgré fa jambe efiropiée elle devint en état de
marcher, & elle marcha.
S’il étoit affés démontré que les animaux font doués
de fentiment, nous n’héfiterions donc pas à dire que la
nature en a donné des plus tendres & des plus refpecftueux
aux abeilles ordinaires pour les fémelles; que les ouvrières
traitent en fouveraine toute fémelle qui leur efi préfentée,
non par de Amples apparences d’une foûmiflion exté¬
rieure, mais en lui rendant tous les ferviccs quelles lui
des Insectes. K Mem . 267
peuvent rendre. Qu’on ne croyepas meme qu’elles n’en
nient ainfi que quand étant privées d’une reine, il s’en
offre une qui leur eft néceffaire. J’ai fait diverles expé¬
riences 6c beaucoup d’obfervations qui prouvent que
les abeilles qui ont une reine dont elles doivent eflre
contentes, font cependant difpofées à faire le meilleur
accueil à une femelle étrangère qui vient chercher un
afÿle parmi elles. Dans une ruche vitrée 6c une de mes
ruches les plus plattes*, qui étoit extrêmement peu- * PI.23.fi
plée, où toutes les abeilles travailloient avec beaucoup *•
d’aélivité, j’ai introduit une féconde reine. Pour être en
état de la diflinguer dans la fuite, de la reine naturelle,
avant que de la livrer à un nouveau peuple, j’avois eu la
précaution de lui peindre de rouge prelque toute la partie
fupérieuredu corcelet. J’ai répété cette expérience dans
toutes les faifons de l’année, 6c fur différentes ruches, mais
toujours vitrées 6c des plus plattes, afin qu’il me fut plus
ailé d’obferver ce qui fe pafferoit, 6c j’ai toujours vu que
la nouvelle mere a été reçue en fouveraine; je lui ai tou¬
jours vu rendre des hommages femblables à ceux qu’on
rendoit à la reine naturelle; c’eft-à-dire que toutes les
fois que je la voyois paraître, elle avoit autour d’elle un
cortege d’abeilles ordinaires, qui montraient pour elle les
mêmes attentions 6c les mêmes empreffements quelles
avoient pour leur ancienne fouveraine. Quand je la faifois
entrer dans la ruche, c’étoit par le trou de l’ouverture
fupérieure; elle tomboit fur un gros de mouches qui pour
l’ordinaire la déroboient à mes yeux fur le champ. Son
arrivée étoit fuivie d’un bourdonnement qui commençoit
autour d’elle, 6c qui bientôt devenoit général dans toute
la ruche : c’étoit un grand événement qui devoit être an¬
noncé à tout le peuple, 6c auquel tout le peuple prenoit
part. Quoique fort peu au fait du langage des abeilles, je
-68 MEMOIRES POUR L’HrSTOIRE
pourrois prefque dire que le bruit qui fc faifoit alors, en
étoit un d acclamation 6c de réjouiffance; car dès que je
voyois paroître la reine étrangère, je la voyois entourée de
mouches, qui, fi l’exprefïion n’eft pas trop peu refpeétueufe,
ne cherchoient qu’à lui faire des careffes, qui la lechoient
avec leur trompe, qui la fuivoient par-tout où elle alloit.
J’ai fait plus quelquefois, j’ai donné à differents jours,
mais peu éloignés les uns des autres, deux nouvelles reines
à la ruche qui avoitdéja la fienne,&auxquelles j’ai fait por¬
ter une livrée différente. Ledeffus du corcelet de l’une a
été peint en rouge, 6c le deffus du corcelet de l’autre, l’a
été Joit en bleu, foit en jaune. La troifiéme mere a été
traitée par les abeilles, comme la fécondé l’avoit été, 6c
toutes deux font été comme l’avoit été la première mcre
ou la mere naturelle.
On fera curieux apparemment de fçavoir ce qui cil
arrivé par la fuite dans chaque ruche où il y a eu pluralité
«le reines. On demandera comment cette pluralité, qui
s’efl établie fi pacifiquement, peut fe concilier avec ce qui
a été dit par tous ceux qui ont traité des abeilles, avec
ce que j’ai fait entendre moi-même jufqu’ici, 6c avec ce
que je prouverai ailleurs, que chaque ruche n’a qu’une
ièule mere. Comment cette pluralité de reines peut-elle
être conciliée avec ce qui a été rapporté unanimement
des guerres civiles, pour ainfi dire, qui ne manquent pas
de s’élever dans les effaims où il y a plus d’une mere ! Mais
comme toutes ces queflions ne peuvent être éclaircies
fans infiruire de ce qui précédé 6c de ce qui fuit lafortie
des effaims, nous devons remettre à entreprendre d’ex¬
pliquer comment des faits oppofésen apparence font ce¬
pendant vrais, jufqu’à ce que nous en foyonsà traiter de
ce qui regarde les effaims. Il nous fuffit pour le prefent
J avoir rapporté les expériences qui prouvent qu’une mere
des Insectes. V. Mem. 26 9
abeille efl bien reçûe par les abeilles ouvrières qui ont déjà
une mere parmi elles, qu’elles la traitent avec des difbnc-
tions quelles n’ont pas les unes pour les autres; en un
mot, qu’elles font portées à rendre les meilleurs offices
à toute mouche qui peut contribuer à la multiplication
de leur efpcce. Elles fe dévouent à une mere qui, d’ail¬
leurs, 11e femble rien faire pour elles, parce quelle efl
propre à rendre leur république plus nombreufe. En
travaillant pour les avantages de notre fociété, nous tra¬
vaillons pour les nôtres, fouvent fans nous en apperce-
voir. On ne doit pas être difpofé à croire les abeilles mieux
inflruites que nous, &. qu elles voient mieux de quelle uti¬
lité leur peuvent être des aélions &. des foins qui ne les re¬
gardent pas direéfement; mais il efl fur qu’en fai faut tout
ce qui efl en elles pour que le nombre de leurs compagnes
fe multiplie, lorfqu elles ne parodient travailler que pour
le bien général, elles travaillent pour leur bien parti¬
culier. Nous verrons dans la fuite qu’il leur importe ex¬
trêmement de faire partie d’une grande republique, que
leur vie efl; d’autant plus en fureté quelles ont un plus
grand nombre de compagnes. Nous verrons dans la fuite
que des abeilles qui périffent dans une ruche peu peuplée
dès que des froids aflèz médiocres commencent à fe faire
fentir, foutiendroient les froids des plus rudes hivers, fi
elles fe trouvoient dans une de ces ruches qui fuffifènt à
peine pour contenir le nombre des mouches qui y font
logées. Si les abeilles font capables de faire des fouhaits
raifonnables, elles doivent donc fouhaiter que la mere
mette au jour la plus nombreufe poftérité,& qui parvien¬
ne à état de mouches; elles agiffent au moins comme fl
elles le fouhaitoient.
Nous avons affés prouvé qu’elles abandonnent tout foin
de l’avenir, quelles ne travaillent plus quand elles n’ont
Lüij
270 MEMOIRES POUR L’HîSTOIRE
pas parmi eiles une mere, & je crois pouvoir affiner à pré-
fent, quelles mefurent leur travail liir la fécondité de la
mcrc avec laquelle elles habitent. Il nie paroît que j en ai
eu une preuve affés certaine cette année même. Entre mes
ruches en panier, j’en remarquai une dont les abeilles fem-
bloient pareffeufes. En faifant renverfer cette ruche & en
examinant enfuite fon intérieur, de femaine en femaine,
j’obfervai qu’elles n’augmentoient pas le nombre de leurs
gâteaux, quelles n’aggrandiffoient pas ceux qui étoient
faits, & cela dans une faifon où les mouches des autres
ruches faifoient le plus d’ouvrage. Après les avoir recon¬
nues pendant près de deux mois pour de mauvailès tra-
vaillcufes, je les tirai de leur ruche pour ics faire
paffer dans une autre. Elles avoient très-peu travaillé,
mais elles avoient un peu travaillé; elles dévoient donc
avoir une mere; elles en avoient une auffi, que je parvins
à tenir dans ma main par l’expédient qui fera expliqué
dans la fuite. Mais bien tôt il me fut prouvé quelle étoit
une mere peu féconde, car dans les gâteaux que je tirai
de cette ruche, je ne trouvai pas la centième partie des
vers qui en auraient dû faire l’eipérance, de ces vers qui
dévoient devenir des abeilles, je n’en trouvai pas, dis-je, la
centième partie de ce qu’il y en avoit dans d’autres ruches.
Les abeilles n’avoient pas daigné s’occupera multiplier le
nombre des logements, celui des alvéoles, pendant qu’elles
voyoient que la mere en laiffoit tant d’inutiles, quelle
avoit li peu d’œufs à dépofer dans ceux qui étoient faits.
Voilà bien des connoiffmces pour des mouches; j’ai
pourtant foupçonné que les leurs pouvoient aller en¬
core plus loin fur ce qui a rapport à la multiplication de
leur efpcce. Qu’on redonne une mere aux abeilles qui
étoient oifives, parce quelles avoient perdu la leur, les
voilà détermineés à travailler, & cela proportionnellement
DES I N S E C T E S. V Alan. 27 ï
à la fécondité de cette nouvelle mere; mais il m’a paru
curieux de fçavoir li des abeilles privées de leur mere,
pourraient êtrefenlibles à l’efpérance d’en avoir une autre
un jour, & ce que cette efpérance pouvoitfur elles; je veux
dire, que j’ai imaginé de loger des abeilles dans une ruche où
il n’y aurait point aéluellement de mere, mais où il pourrait
en naître une par la fuite. Pour faire entendre comment j’ai
pu faire cette expérience, je dois dire au moins ce qui
fera expliqué dans un autre Mémoire, que les cellules
dans lefquelles naiffent les vers qui doivent devenir des
meres abeilles, & dans lefquelles ces vers fe métamorpho-
fent en nymphes, font très-différentes des cellules dans
lefquelles croiflent les vers qui doivent fe transformer en
abeilles ordinaires, & de celles dans lefquelles croiflent les
vers qui fe transforment en faux-bourdons. Je chaffai les
abeilles d’une ruche qui étoit très-peuplée, & je les fis
paffer dans une autre, dans un temps ou je me promet-
tois de trouver dans les gâteaux de la première ruche, des
cellules où feraient, l'oit des vers, foit des nymphes, qui par
la fuite dévoient devenir des meres abeilles. Mon attente
ne fut pas trompée, j’eus à ma difpofition cinq cellules,
trois defquelles étoient ouvertes, & avoient chacune un
ver de différent âge, de ceux qui le transforment en mere;
deux de ces cellules étoient fermées & chacune contenoit
une nymphe, ou un ver prêt de fe métamorphofer en nym¬
phe, de celles qui par la fuite, font des meres. Je coupai
un petit morceau de chacun des gâteaux de cire, auquel
tenoit une des cellules dont je viens de parler, je veux dire,
que je pris cinq morceaux de gâteaux, dont chacun avoit
environ quinze à feize lignes de largeur, & plus de deux
pouces de longueur, & dont chacun avoit une cellule qui
renfermoit un infeéle qui pouvoit devenir une mere abeille.
J’enfilai ces cinq morceaux de gâteaux dans un brin de bois,
2 yi MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
que j’arrêtai affés près du haut d’une ruche vitrée & platte.
J a vois eu foinde iaiffer entr’eux des intervalles à peu près
égaux à ceux que les abeilles laiffent entre les gâteaux de
leur ruche. Tout étant ainfi préparé, je hs entrer dans la
ruche vitrée quelques faux-bourdons, & environ mille ou
quinze cens abeilles qui avoient été privées de leur mere. Il
s agi (Toit de fçavoir comment elles fe comporteroient, fi
elles paroîtroient fçavoir qu’elles pouvoient fe promettre
de voir naître au moins une fémelie parmi elles. Elles
parurent en être bien inftruites, elles fe conduifirent
comme l’étant : ce fut fur les gâteaux qu’elles s’attrou¬
pèrent toûjours. Il y a des temps & des circonftances dont
nous parlerons dans la fuite, où les abeilles ordinaires trai¬
tent avec barbarie les vers, même ceux qui doivent de¬
venir des mouches ouvrières, où elles les arrachent de leurs
cellules pour les aller jetter hors de la ruche. Les abeilles
miles nouvellement dans la ruche vitrée, en uferent ainfi
par rapport à plufieurs vers des petits gâteaux, par rapport
aux vers qui dévoient devenir des abeilles ordinaires. Elles
traitèrent avec la même cruauté, des vers qui dévoient
devenir des meres. Je ne veux point examiner ici fi leur
procédé étoit au (fi cruel qu’il nous le paroît, je ne veux
point actuellement chercher à le juftifier, je ne veux que
faire remarquer que le plus gros des grouppes quelles for-
moient, étoit autour de deux cellules fermées; quelles
fembloicnt couver, tenir au (h chaudement qu’il leur étoit
poffible, la nymphe renfermée dans chacune de ces cel¬
lules. Enfin dès le lendemain je vis qu’elles avoient fait
de l’ouvrage , peu à la vérité ; mais des mouches qui
euffentété fans efpérance, n’en eufient pas fait du tout:
elles avoient travaillé à arrêter folidement les petits
gâteaux que je luer avois donnés ; elles les avoient
Icelles avec de la cire, contre les carreaux de verre qui
étoient
DES I N S E C T E S. V Ment. 273
étoient vis-a vis. Elles avoient été obligées de leur adjoûter
à chacun quelque choie pour les prolonger juiqu’aux car¬
reaux. Le jour luivant je remarquai qu’elles avoient donné
des formes plus arrondies à tous les petits gâteaux, quelles
les avoient aggrandis par leur bout fupérieur pour parvenir
par la fuite à leur faire remplir le haut de la ruche. Le travail
alla pourtant affés mollement pendant deux à trois jours;
mais il alla enfuite un tout autre train, les gâteaux furent
allongés& élargis dans tous les fens où ils pouvoient letre.
Je vis que les abeilles avoient commencé à mettre du miel
en provifion dans plufieurs cellules nouvellement conftrui-
tes. Je ne doutai prefque plus alors qu’elles n’cufient parmi
elles une mere nouvellement née. On la chercha, & on en
vit une des plus belles & des plus grandes.
On voitafles à prefent à quoi on doit réduire ce qui a
été dit de ces fociétés d’abeilles, qui ont été propofées
comme un modèle d’un excellent gouvernement monar¬
chique. Leur état n’en feroit pas moins monarchique,
quand, au lieu du roi qu’on leur avoit cru autrefois, elles
n auraient qu’une reine, quoique ce fût une fémelle qui tînt
ie premier rang parmi elles, comme quelques Voyageurs * * Gandli
ont voulu que les peuples d’Achem eu fient toujours une Carnri '
fouveraine, & jamais de roi. Mais ceux mêmes qui fie
croiront forcés par les faits que nous avons rapportés, 8 c
par un grand nombre d’autres dont nous parlerons dans
la fuite, d’accorder de l’intelligence & des fentiments à ces
mouches admirables, ne trouveront rien qui les oblige
de penfer que leurs états fubfiftent par des loix analogues
aux nôtres, comme les anciens font voulu. On ne peut
s’afiurer que d’un feul principe qui fait agir les abeilles,
l'amour de leur reine, ou plutôt de la nombreufe pofiérité
qu’eiiepeut mettre au jour. Qu’un état monarchique feroit
heureux, quoique dépourvû de loix, fi tous les fujets qui
Tome Y, , M m
274 Mémoires pour l’Histoire
le compofcnt, agiffoient par le feul principe qui fembfe
conduire les abeilles! Chacune d’elles le porte à faire ce
qu’elle doit, dans la vûe du bien commun, ou dans la vue
de la poflérité. Si elles conftruilent des cellules de cire, fi
elles les poliffent avec grand loin, fi elles font des récoltes
de miel, ce n’efl pas pour elles-mêmes directement. Ceci
aurait pu paroitre plus que paradoxe à ceux qui ont oblèr-
vé que les abeilles confirment à la fin de l’hyver le miel
qu’elles ont mis en referve pendant leprintemps & pendant
1 été; mais les expériences que nous venons de détailler,
ont appris que dès qu’elles ont perdu l’efpoir d’une poflé-
rité, elles ceffent de faire les récoltes néceffaires pour con~
ferver leur propre vie, dont elles ne femblent plus fe
foncier, elles fe laiffent périr. L’amour de la poflérité peut
tout, & peut feul fur elles; Swammerdam l’a penfé comme
moi, & tous ceux qui les étudieront foiidement, le parfe¬
ront de même. Quand Ariflote a dit qu’elles chaffent de
leur ruche les gloutonnes, lesmauvailes ménagères & les
pareffeufes ; quand Pline & d’autres avec lui, afférent
quelles châtient ces dernières, qu’elles les puniffent meme
du dernier fupplice; iis ont avancé des faits dont ils n’a-
voient pas affés de preuves: on voit bien qu’ils ont voulu
deviner les intentions de nos mouches. Ils ont pu voir des
abeilles qui en tuoient d’autres, mais affurément ils n’ont
pas vû les pièces du procès fait à celles à qui on ôtoit la vie.
Tout ce qu’on a débité de l’empire de la mere,des loix
quelle fait exécuter, n’a pu de même qu’être imaginé.
Faudroit-ii des loix dans un état dont chaque membre fe
porterait, autant qu’il ferait en lui, à contribuer au bien
public, où perfonne n aurait en vûe fon bien particulier,
qu’autant qu’il fe rapporterait au bien général, & où tous
leslujcts également éclairés, connoîtroient également ce
que le bien général exigerait! Mais il ne faut pas efpérer
des Insectes. V. Mem. 275
que nous voyons jamais un tel état dans le genre humain ;
il ne fubfiftera jamais que parmi les abeilles, ou parmi
d’autres infeéles méprifés par le commun des hommes.
EXPLICATION DES FIGURES
DU CINQUIEME MEMOIRE ..
Planche XXI.
L A Figure 1 cft celle d’une ruche en panier.
Les Figures 2, 3 & 4. repréfentent auffi des ruches en
panier, mais elles les repréfentent renverfées, afin qu’on
puifTe voir dans leur intérieur la difpofition des rayons
ou gâteaux de cire que les abeilles y ont conflruits. Ces
ruches ont été deffinées fur une plus grande échelle que
celle de la ruche de la figure 1, pour conferver aux gâ¬
teaux une grandeur qui les rendît plus fenfibies. On ne voit
point fur iafurface extérieure des trois dernières ruches,
les croifements des brins de bois dont elles font faites,
comme on les voit dans la figure 1 , & cela parce que les
brins de bois y font cachés fous un enduit, foit de plâtre,
foit de bouze de vache mêlée avec de la terre, &c.
Dans la Figure 2, tous les gâteaux, dont trois font
marqués gg, r r, gg, font parallèles les uns aux autres;
& c’cft la dilpofition qui leur efi; la plus ordinaire.
La Figure 3 fait voir une ruche, dont les gâteaux de¬
puis le premier cc, jufqu’au gâteau gg, font parallèles les
uns aux autres. Les autres gâteaux, dont trois font mar¬
qués r, fe trouvent inclinés aux précédents, & 11e font
pas même bien parallèles entr’eux.
La Figure 4 montre des gâteaux encore autrement
difpofés que dans les ruches précédentes. Le gâteau cc,
Si ceux qui le fuivent, y compris le gâteau gg, font pa¬
rallèles entr’eux; mais vient enfuite un gâteau hp, qui eft
M m i ;
ZjG MEMOIRES POUR L’HïSTOIRE
plié en équerre, 6c dont une moitié ed parallèle aux gâ¬
teaux précédents, 6c l’autre moitié leur ed perpendicu¬
laire. Les gâteaux i, i, i, 6cc. font audi tous perpendicu¬
laires aux premiers.
La Figure ^ repréfente ungrouppe d’abeilles, dont les
fupérieures font accrochées à un bâton, 6c dont celles
qui fuivent font accrochées les unes aux autres par leurs
jambes. Il y a de ces grouppes d’abeilles d’un volume
confidérable.
Planche XXII.
La Figure i efl celle d’une abeille ordinaire vue par-
dedus.
La Figure 2 repréfente un mâle d abeille, un faux-
bourdon.
La Figure 3 fait voir des abeilles telles que celles de la
figure 1 , difpofées en guirlande; chacune de ces mou¬
ches, excepté les deux premières, ed accrochée par les
jambes, aux jambes de celle qui la précédé.
La Figure 4. montre dans fa grandeur naturelle une
mere abeille qui étoit une des plus grandes, 6c des plus
groffes que j’aye vues, car il y en a de plus petites.
La Figure 5 repréfente une ruche faite en tour quarrée.
En tj font les trous qui permettent aux abeilles d’entrer
6 c de fortir. u, u, deux des volets de bois qui peuvent s’ou¬
vrir, 6c au-deffous de chacun defquels ed un carreau de
verre, e e, chadis de bois pôle fur la partie fupérieure de
la tour, 6c qui porte le chapiteau dd. Le chapiteau dd,
n’ed que pofé fur le chadis ce, 6c le chadis ce, n’ed que
pofé fur la ruche. Audi on peut enlever les parties dd,
6c ee. Lorfqu’on les enleve, on met à découvert une
lanterne de verre, dont la dgure ed femblable à celle que
forment enfemble les parties ee, 6c dd.
des Insectes. K. Mem. 277
La Figure 6 repréfente une ruche pyramidale & platte,
vûe fur une de les larges faces, u, c, fe, e, cinq volets,
au - deffous defquels font des chaffis, dont chacun elt
garni d’un carreau de verr e.f un des volets qui eh ouvert.
a, abeilles vûes au travers du carreau de verre, g, gâteau
de cire, b, bouton qui peut être ôté de place, & qui bou¬
che un trou qui elt à la partie fupérieure de la ruche.
aïka, illk, Imnl, trois parties polées les unes fur les
autres, & qui peuvent être féparées les unes des autres.
y y, halé de la ruche, qui a des couliffes qui reçoivent
les bords inférieurs des pièces dont eft compofée la par¬
tie Imnl. On dégage quand on veut, cette partie de la
bafe pp. t, l’endroit où font les trous qui fervent de portes
aux abeilles, & qui ne paroiffoient pas dans cette vûe de
la ruche.
Planche XXIII.
Les Figures 1 & 2, font celles d’une très-petite ruche
vitrée, dont je me fuis fervi pour faire plufieurs obferva-
tions & plufieurs expériences lur les abeilles.
Dans la Figure 1, la ruche eft vuide. ce, le carreau de
verre antérieur, qui ici eh levé; il eh aile d’imaginer que
les bords fe trouvent dans les couliffes des montants de
bois, entre lefquels il eh placé, bb, bafe de la ruche.
Dans la petite ruche de la Figure 2, il y a quelques
abeilles qui y ont déjà fait un petit gâteau de cire g, atta¬
ché vers le haut de la ruche. Le carreau de devant eh
abbaifïe. En e, ce carreau eh entaillé, & laiffe une ou¬
verture qui permet aux abeilles de fortir & d’entrer. On
ferme cette ouverture, quand on veut, avec une petite
plaque de fer. Ce même carreau peut n’avoir point d’é-
chancrûre, & il n’en a pas dans la ligure 1 ; alors on donne
une porte aux abeilles auffi longue que le devant de la
Mm iij
278 MEMOIRES POUR L'HiSTOIRE
ruche eft large, en mettant une pierre plus greffe qu’un
pois au deffus de la couliffe deftinée à recevoir le bord
inférieur du carreau; quand on veut ôter aux abeilles la
liberté de fortir, on n’a qua ôter la petite pierre, & faire
defcendre le carreau dans la couliffe. bb, baie de la ruche.
vin, un des quatre montants, qui font allunblés avec qua¬
tre traverfes, dont deux font marquées mt, td. Le bâton
qui eft pofé au milieu de la ruche, eft fait en bâton de
cage de perroquet, & donne une idée de la composition
de ceux qu’on peut mettre dans les grandes ruches pour
aider à foûtenir les gâteaux pleins de miel. Sur le fond de
la ruche, eft une mouche r, plus grande que les autres,
6 c vers laquelle plufieurs autres ont la tête tournée; c’cft
une mere.
La Figure 3 eft celle d’un furtout, dont je me fuis fervi
pour couvrir la ruche précédente, Sc fur laquelle il peut être
affujetti au moyen des cordons c,c,c,&c. Le deflus de ce
furtout eft de coutil, Sc il a une doublure d’une épaiffe
flanelle. La doublure paraît en d.
La Fig. 4. repréfente unegrande ruche quarrée extrême¬
ment platte. b b, banc fur lequel la bafe de la ruche eft
arrêtée par les vis u, u. En p, font les trous par où les
mouches peuvent entrer 6 c fortir. Le deffus a vers fon
milieu un plus grand trou o, qui fert lorfqu’on veut faire
paffer les mouches de la ruche dans un poudrier, & à di-
verfes autres expériences. Les carreaux de verre de cette
ruche font âéluellement à découvert ; on a ôté le volet de
bois qui les cache dans les temps ordinaires, r, r, tourni¬
quets qui fervent à arrêter par enhaut le volet ; le bord
inférieur de ce même volet, fe loge dans une couliffe cc.
On n’a mis dans cette ruche que quelques gâteaux de cire.
t,t, t, tringles de bois, dont l’ufage eft de donner des appuis
aux gâteaux.
des Insectes. V. Ment. 279
La Figure 5 fait voir le volet qui fert à couvrir les car¬
reaux de verre de la ruche précédente, & en fait voir la
face intérieure, c’eft-à dire, celle qui s’applique fur les
carreaux. Cette face du volet ell recouverte de flanelle,
ce qui a été fait dans la vue de conferver la chaleur dans
une ruche, qui étant mince eh plus expofée aux impref-
fions de l’air froid, que ne le font les ruches ordinaires.
L’autre face de ce volet eh de bois.
Planche XXIV.
Trois différentes fortes de ruches vitrées font repré-
fentées dans cette planche.
Les Figures 1 & 2 font celles de la même ruche, qui
eh pyramidale Sc platte, & qui montre une de fes grandes
faces. Dans la figure 1, les carreaux de verre font cachés
par le volet u. c, c, c, c, quatre tourniquets qui fervent à
arrêter le volet, f poignée qui donne la facilité de le tirer
de place, & de l’y remettre.
Dans la Figure 2, le volet u f, de la figure 1, eh ôté;
les carreaux de verre permettent alors de voir la partie de
la ruche qui eh remplie de gâteaux de cire g, g, fur lef-
quels font quelques mouches. Dans la partie inférieure
ch le gros a a, des mouches en repos./',/, baie de la ruche,
/, trous par lefquels les mouches peuvent fortir & entrer.
La Figure 3 reprélênte une ruche pyramidale plus épaifle
que celle des figures 1 & 2, compofée de trois parties ae ,
efft, qui peuvent être féparées les unes des autres; & de
labafe/,/. Elle a quatre volets//, x,Scy,y. Une telle ruche
peut être réduite, quand on le veut, aux feules parties fe,
6 c ea, & alors elle eh d’une grandeur médiocre. On peu!
n’en prendre que la partie ae, qui feule forme une très-
petite ruche. La croix qui paroît au travers du carreau de
verre, que le volet «, ouvert laiffe paroître, cette croix.
200 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
dis-je, eft une de celles qui font dans la ruche pour aider
à foûtenir les gâteaux de cire. Les parties ae, & e f doi¬
vent avoir chacune leur croix, & même une croix à plus
de bras que la précédente.
La Figure q. eft celle du bouton b, qui termine la ruche
de la figure 3. En b, eft le boulon qui entre librement dans
le trou qui elt percé dans le delfus de la ruche.
La Figure 5 montre féparément la partie fupérieure <7 c,
de la ruche de la figure 3; mais en la place du bouton qui
s’élève au-deiïus de la figure 3, on a pofé fur celle de la
figure 5 un poudrier p. Les abeilles ne tardent pas à entrer
dans un pareil poudrier par l’ouverture fupérieure de la
ruche; ce qui donne une manière commode de fe fournir
de celles dont on a befoin pour des expériences.
La Figure 6 reprélente une ruche vitrée, dont la partie
fupérieure eft compolée de quatre boîtes égales, & qui ont
peu de hauteur, mifcs les unes fur les autres, cd, efgh, Ik,
les quatre boîtes qui peuvent être féparées les unes des
autres, a a, le couvercle de la ruche qu’on ôte aifément de
place,& au-deffous duquel elt un carreau de verre, ik, volet
de la boîte Ik, qui elt ouvert; alors le carreau de verre
permet de voir les gâteaux qui font dans la ruche , & les
mouches qui font fur ces gâteaux. Les volets des autres
boîtes font fermés, & on peut les ouvrir comme le volet
ik. La face de chaque ruche oppofée à celle qui elt en
vue, a un volet femblable à celui qui paroît fur celle ci.
mmn, oor, deux parties de la ruche qui font coniques,
& qui fervent de bafe à l’alfemblage des boîtes, pp, banc
fur lequel la ruche eft pofée. u, tringle de fer, qui, avec
une pareille qui eft de l’autre côté, fert à contenir les
quatre boîtes, & à les affujettir avec la partie m m n.
m, m,o, 0, quatre volets.
SIXIEME
If cuissard Sculf? .
2 fîo • Jlfcni. ■ de L Hu' t~ des Insectes Tente, tÿ ,
F &-*
Fia ■ 4 •
PI 21 27^7
F u/ I.
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«
des Insectes. VI . Mem. 281
SIXI F AIE ME MO 1 R E.
DES PARTIES EXTERIEURES,
DES ABEILLES ORDINAIRES.
Comment elles vont faire dans les campagnes la récolte
de la cire if celle du miel.
7^" O us devons notre première attention à tout ce que
1 ** l’extérieur des abeilles peut nous offrir de remarqua¬
ble. Ce ne fera qu’après avoir bien examiné leurs princi¬
pales parties extérieures, que nous pafferons à confidérer
ces mouches mêmes pendant quelles font occupées dans
l’intérieur de leur ruche à leurs differents travaux ; que
nous chercherons à voir comment elles viennent à bout
de conftruire des gâteaux compofés d’alvéoles fi réguliers;
comment elles rempliffent de miel ceux de ces alvéoles
deftinés à le recevoir; comment elles foignent les jeunes
vers logés dans d autres alvéoles; enfin, comment elles
s’acquittent des différentes fondions que la propreté, la
fureté & le bon état de l’intérieur de leur habitation exi¬
gent d’elles. Nous les verrons en œuvre avec plus ele
plaifir, quand nous connoitrons tous les inftruments que
la nature leur a accordés pour Dire au mieux tout ce
qu’elles doivent faire, quand nous connoitrons bien toutes
leurs parties extérieures.
Le devant de la tête de la mouche à miel ordinaire
eft plat, & à peu-près triangulaire*,depuis fa partie fupé- * P-
rieure jufqu’à fon bout inférieur, il va en s’étréciffant.
Les yeux à rezeau font placés fur les côtés *. Ce font ^ Fi â- -•
des elpéces d’ovales, dont un des bouts eft moins ouvert, c r}>
Tome V . N n
S; v
2$2 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
plus aigu que l’autre. Ce bout le plus ouvert le trouve
fur la partie la plus élevée de la tête; de-là chaque œil fe
rend en defcendant près de l’origine d’une des mâchoires
ou dent?. 11 relie entr’eux un allés grand efpace qui n’ell
pas uni au point de n’avoir aucune inégalité; il a même
deux enfoncements qui ne font féparés l’un de i’autre que
par une petite éminence, par une efpéce de cloifon peu
épailfe. De chaque côté de cette petite éminence qui eli
plus proche du bas que du haut de la tête, part une an-
• fig. terme*. Celles de l’abeille n’ont rien de fort remarquable;
a> a ' elles font compofées de plulieurs parties, dont la nature
tient de celle de la corne, articulées bout à bout ; ces an¬
tennes font faites de manière qu’elles peuvent être pliées
&4- en deux*, & qu’elles le font toujours dans les abeilles
4 - b. mortes. La halé * de chaque antenne, eli un bouton
*f oblong, luifantév rougeâtre. Une efpéce defufeau * plus
brun que la baie, elt articulé avec elle. Ce fufeau peut
atteindre l’endroit le plus élevé de la tête. La partie
a c. reliante * de l’antenne eli articulée avec ce fufeau, avec
lequel elle Lit un angle tantôt plus, tantôt moins ouvert.
Cette partie a une longueur à peu près égale à celle du
devant de la tête; elle cil compofée de dix pièces, dont
* a. la dernière * eü une forte de bouton, & dont les neuf
autres font cylindriques, à cela près que la première de
celles-ci a un de lès bouts, celui qui s’articule avec
le bouton, plus menu que l’autre, & que la dernière pièce
efl arrondie à fon extrémité. Au moyen de toutes ces
pièces jointes par des articulations, la dernière & plus
longue partie de l’antenne, peut fe courber plus ou moins
en arc, elle peut aulfi faire des angles plus grands ou plus
petits avec la partie en fufeau.
La tête de l’abeille n’elt que médiocrement épailfe»
elle l’cll moins quelle n’elt longue, & qu’elle n’efl large;
DES ï N S E C T E S. VI. Meîli. 2 8$
Sa partie fupérieure eft arrondie, &c’eft fur fa portion la
plus élevce &en arriére, que trois petits yeuxliifes * l’ont * pi. 25.(15.
dilpolés triangu lai rement. 3 ‘ h r ‘
Nous avons déjà dit ailleurs que les abeilles font de la
fécondé claiTe des mouches à quatre ailes, parce qu’elles
ont une trompe Si des dents. Celles-ci * contribuent beau- * Fig. 2. d,
coup à rendre la figure du devant de la tête triangulaire.
Quand elles font dans l’inaélion, elles forment par leur
rencontre mutuelle un angle qui eft la pointe d'une elpéce
de pince*. Cette pince excède le bord d’une lèvre cruf- » Fig. ».
tacée, par laquelle le bas du devant de la tête eft terminé.
Ce n’elt pas principalement pour broyer les matières que
l’abeille veut faire palier dans fon intérieur , & qui y
doivent être digérées, qu’elle a été munie de dents; les
fiennes font les inftruments, au moyen defqucls elle exe-
dite les ouvrages les plus dignes d’étre admirés. Comme
celles de la plupart des infeéîes, elles font deux mâchoires
mobiles, dont chacune eft attachée à même hauteur à un
des côtés de Ja tête. Un peu au-deflùs de fon origine,
chaque dent a moins de diamètre que par tout ailleurs*; * Fig. 6
delà jufqu’à fon bout elle s’évafe. Le bout eft coupé en ” s '
ligne droite Si obliquement par rapport à la tige, & cela
de manière que celui d'une dent peut s’appliquer contre
celui de l’autre, Si que les deux ainfi appliquées forment
une pince angulaire*. Nous Lifterions prendre une faillie * Fig. 5 .
idée du bout de chaque dent, fi nous Liftions imaginer
qu’il eft une lame platte. Sa furface extérieure*. Si qu’on * Fig. 5 & 5,
peut nommer la fupérieure ou l’antérieure, félon la poft-
tion dans laquelle on confidére la tête, eft convexe ; la
Lee oppofée * eft concave, à peu près comme le font * Fig.7.
certaines tarières; d’où il fuit que lorfque les deux dents
font appliquées l’une contre l’autre, il y a entr’elles une
cavité*,dont chaque dent fournit la moitié. Le contour * pr - 25.%.
N ni;
2 S4 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
extérieur de cette cavité ed bordé de poils. Elle a les-
ufages, elle fert à recevoir les parcelles de matière qui
ont été predces & broyées entre les deux côtés extérieurs
des dents, entre ceux qui fe touchent lorfqu’ils fe cher¬
chent à vuide. La cavité de chaque dent n’ed pas égale-
* Fig. 7. ca. ment creufe par tout, une arrête * dirigée vers la pointe
de la dent, la divife en deux portions égales. Au relie les
dents peuvent non-feulement fe rencontrer, elles peuvent
aulfi le croifer, & fouvent on trouve croifées celles des
abeilles mortes.
Un col charnu & flexible, mais très-court, unit le
* pi. 27. fig. corcelet à la tête; ce col * part de la face podérieure de
8.& 12. c. çgUg.çi^ &c’cft auprès du col qu’ed l’origine de la trompe.
* Fig. 1 & Quand cette dernière elt en repos *, elle s’avance jcli¬
ques auprès du bout delà pince formée par les dents, &
fe recourbe enliiite en arc pour retourner vers le corcelet.
Nous nous contentons actuellement d’avoir déterminé
la pofition de la trompe qui mérite que nous nous arrê¬
tions dans la fuite à examiner fa Itruéture.
C’clt au corcelet que les quatre ailes lont attachées, en
delîus & fur les côtés , Si que les fix jambes font attachées
en delfous. C’cll auffi fur le cocelet. qu’il faut chercher
* Pl- les quatre principaux digmates*, qui y font placés à peu
près comme nous avons vu qu’ils le font fur celui de
plufieurs mouches à deux ailes. Dans les temps les plus
ordinaires, le bout podérieur du corcelet ed appliqué
tout entier contre le premier des anneaux du corps ; ils
femblent unis l’un à l’autre dans toute leur circonférence.
Le vrai ed pourtant, & c’ed ce que l’abeille montre dans
* Fi -6 fig k‘ en d es cas > que corcelet ne tient au corps que par
12& 1 j. f. une efpéce de blet * qui ed vers la partie inférieure; mais
* Fig. 1 j.ee. ce filet étant très-court, le bout du corcelet étant convexe*,
& trouvant dans le bout du corps une concavité * propre
des Insectes. VI. Mem. 285
à le recevoir, le corps & le corcelet paroiffent fouvent
unis enfemble clans une étendue dans laquelle ils ne font
que fe toucher.
La charpente du corps efl faite de fjx anneaux *, & * Fi ^ 1 j-fz/
je ne fçais pourquoi Swammcrdam lui en a donné fept. ^
Le premier a moins de diamètre que les trois qui le fiii-
vent; le dernier de ceux-ci, ou le quatrième, en a au Al¬
un peu moins que le troifiéme; mais le cinquième en a
confidérablement moins que celui qui le précédé, & en
a lui-même moins à fa jonéfion avec le fixiéme anneau,
qua là jonction avec le quatrième. Enfin le fixiéme ou
dernier anneau a peu de diamètre à fon origine, & fe
termine prefque en pointe. Chaque anneau eft compofé
de deux pièces écailleufes; l’une en forme non-feulement
la partie liipérieure & les côtés, elle vient même en deffous
recouvrir par l’un * & l’autre * de les bouts la féconde * z-
pièce, celle qui eft fur le ventre. Les abeilles avoient befoin * I
d’être bien cuiraffées; les querelles quelles ont entr’elles
feroient trop meurtrières, fi ellespouvoient s’entrepiquer
ailément avec leur aiguillon ; fi des parties charnues, des
parties dans lefquellcs l’aiguillon pût pénétrer, le trou-
voient à découvert , il feroit rare que deux abeilles com-
battiffent l'une contre l’autre, fans fe porter réciproque¬
ment des coups mortels. Leur corps avoit donc belbin
d’ctre defîèndu par des écailles; mais les mouvements qu’il
a à fe donner, demandoient qu’il j>ut fe plier; il falloit auffi
qu’il pût fe gonfler & fe contraéter. On lui a accordé tout
ce qui lui étoit ncceflaire tn le couvrant de différents
anneaux, dont chacun eft fait de deux pièces, dont l’une
eft en recouvrement fur l’autre, & en difpofant auffi les
anneaux qui ne pouvoient pas être fondés les uns furies,
autres, de façon que celui qui précédé couvrît l’origine
de celui qui fuit. Quand le corps fe courbe en embas,
N il iij
2$6 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
ou qu’il s’allonge, une plus grande portion de chaque
anneau eft lailfée à découvert par l’anneau qui le précédé;
mais il relie toujours lous celui-ci une bande écailleufe
de l’autre. Cette dernière bande qui ell la partie antérieure
« Pi. 26.%. de l’anneau, tient à une bande membraneufe * qui n’cfl
J i- jamais mile à découvert, & qui ell unie à l’anneau qui la
cache.
Les abeilles ordinaires ont plufleurs endroits roulTeâtres;
ils doivent cette couleur à des poils dont ils font couverts.
Le deITous Si les côtés de la tête, certaines parties des
jambes, le deiïbus, le delfus & les côtés du corcelet pa-
* PI. 25. fig. roilTent très-velus*, même à la vue (impie. La plupart de
-■ leurs poils méritent d’être mis au microfcope. Lorfqu’on
les regarde au travers de verres qui grolfdfent beaucoup,
la partie qui en ell couverte paroît un gazon rempli de
très-jolies plantes, ou plus précilëment de jolies moufles
* PI. 26. fig. d'inégale grandeur *. Chaque poil reflTemble à une petite
plante qui 11a qu’une feule tige, de chaque côté de laquelle
partent des feuilles oblongues & étroites, qui font avec
la titre un angle tourné vers fon extrémité. Le nombre
des poils qui peuvent être apperçûs à la vue Ample, eft
petit en comparaifon du nombre de ceux qu’une forte
loupe fait découvrir. Elle en fait voir en des endroits
* pi. ij.fig. où on n’en foupçonneroit pas. Les yeux à rezeau * en
paroiflent prcfquc aufli remplis qu’aucune partie du corps.
Nous avons déjà dit que dans les papillons Si dans beau¬
coup d’autres infeétes, ces yeux compolés de tant de fa¬
cettes, ces yeux qui 11e font qu’un alfemblage d’uneprodi-
gieufe quantité d’yeux extrêmement petits, lont de même
chargés de poils qui peuvent nous paraître affés mal placés.
M.Vallifnieri a penfé qu’on 11c pouvoit regarder comme
des yeux ces corps taillés à tant de facettes, parce que
les poils dont ils font hériffés, devoient empêcher les
des Insectes. VI. Aient. 287
rayons de lumière de les rencontrer. 11 efl vrai qu’au
moyen des poils, il n’y a que les rayons qui viennent dans
certaines directions, qui puifient parvenir fur chaque fa¬
cette; mais il ne convenoit pas apparemment que des
rayons de lumière puflent agir à la fois fur toutes, fur
tous les petits yeux de certains infectes.
Ce que nous avons dit ailleurs de la ftruèlure de ces
petits corps, ne permet guéres de douter qu’ils ne (oient
réellement des yeux; & Hook a fait, il y a long temps,
des expériences rapportées dans fa micrographie, propres
à les faire reconnoître pour ce qu’ils font. 11 a coupé ou
percé à des mouches les parties que nous appelions les
yeux, & ellesfefont enfuite conduites en aveugles. Swam-
merdam a eu recours à un moyen plus doux & moins
équivoque de s’affûrer de la même vérité. 11 a enduit de
noir détrempé à l’huile les yeux de certaines mouches,,
mais des yeux qui ne font pas velus. Il a obfervé que les
mouches, fur les yeux defquelles il avoit mis un pareil ban¬
deau, voloient à l’aventure, qu’elles étoient comme imbé-
ciiies, que lorl'qu’elles étoient pofées quelque part, elles ne
fuioient point la main qui les vouloir prendre. J’ai répété
ces expériences fur les mouches bleues de la viande, & elles-
m’ont fourni les mêmes obfervations..
J’ai fait aufli ces expériences fur des yeux à rezeau très-
velus, fur ceux de nos abeilles mêmes, & j’ai choifi les
circonftances les plus décilives pour fçavoir fi les abeilles
nui avoient furies leurs un enduit opaque, étoient en état
de trouver leur chemin. J’ai couvert d’un vernis rouge,
fans tranfparence, les yeux à rezeau de pluheurs abeilles
toutes prifes de la même ruche. Je les ai renfermées
dans un poudrier avec d’autres abeilles de la ruche, aux
yeux defquelles je n’avois pas touché. Je n’étois qu’à huit
à dix pas de la ruche dont les abeilles avoient été tirées,
-88 Mémoires pour l’Histoire
lorfque j’ôtois le couvercle du poudrier. Celles qui avoient
les yeux nets prenoient fur le champ l’effor, 6c le rendoient
à leur habitation. Celles dont les yeux étoient vernis n’a-
voient aucun empreffement de fortir du poudrier, elles
avoient peine à le déterminer à voler, 6c la plupart diri-
geoient leur vol indifféremment de différents côtés, 6c
n’alloient pas loin. Pour en déterminer quelques-unes à
prendre un plus grand cffor, je les jcttois en l’air, elles s’y
élevoient prelque verticalement à perte de vue, je nelça-
vois ce qu’elles devenoicnt. On a imaginé une efpéce de
chaffe aux corneilles affés piaffante, on leur met de happas
dans un cornet de papier rempli en partie, ou au moins
enduit de glu. La corneille qui donne dans le piégé qu’on
lui a tendu, qui va pour prendre le morceau qui lui eft
offert, fe fait une cocffe du cornet, 6c une coéffe qui lui
couvre les yeux, & dont elle ne fçait point' fe débarraffer.
Elle s’élève alors en l’air à perte de vue, 6c on affûre
quelle s’élève jufqu’à ce qu’elle tombe fans force & pref-
que morte. Mes abeilles dont les yeux étoient vernis me
prefentoient en petit une image de cette chaffe aux cor¬
neilles. Non-feulement celles que je jettois en l’air, mais
toutes celles qui plus vives ou plus inquiètes que les au¬
tres, prenoient en partant un vol un peu élevé, ne man-
quoient pas de monter en l’air de plus en plus jufqu’à y
dilparoître à mes yeux; 6c aucune n’a paru connoître le
chemin pour aller à fa ruche.
J’ai vû fouvent des abeilles qui voloient en pirouettant
auprès de lafurface de la terre, comme fi elles euffent été
folles Elles ne faifoient que tournoïer, 6c cela fucceff ve¬
inent en des feus contraires. Peut-être que la caulc de ces
mouvements devoit être attribuée à trop de poudre qui
s’étoit attachée aux poils de leurs yeux à rezeau, car ces
abeilles paroiffoicnt poudreufes.
des Insectes. VI. Mem. 289
Il cft donc certain au moins que les abeilles voyent, 6c
qu’elles voyent avec leurs yeux à rezeau, quoiqu’il y ait
grande apparence, comme le veut Swammerdam, que
l’organifation de leurs yeux eft très-différente de celle des
nôtres. Une différence très-conftante, c’eft que toutes les
cornées des yeux des mouches ont leur furface intérieure
enduite d’une matière colorée, ou pour parler plus exacte¬
ment, tapiffée par une membrane colorée. Cette mem¬
brane, qui doit paroitre analogue à notre corroïde, efl
donc tout autrement placée, puifqu’elie eft par-tout
appliquée contre la cornée tranfparente.
Des expériences femblables à celles que j’ai faites fur
les yeux à rezeau, m’ont prouvé que les petits yeux des
abeilles, les yeux liffes * leur fervent auffi à le conduire.
J’ai verni ces yeux, ou, ce qui eft la même chofe, le
derrière de la tete, à plus de vingt abeilles que j’ai miles
enfuite en liberté à trois à quatre pas de leur ruche;
aucune n’a fçu la trouver, ni n’a paru la chercher. Elles
ont volé de tous côtés fur les plantes, & n’ont pas volé
loin. Aulfi fembloient-elles s’cmbarralfer peu de voler.
Mais je n’en ai point vû de celles-ci qui fe foient élevées
en l’air, comme s’y élevent celles dont les yeux à rezeau
font vernis.
Les poils des yeux à rezeau ne font pas de ceux qui
font chargés de feuilles, qui femblent de petites plantes;
comme les poils que nous voyons le plus ordinairement
fur les grands animaux, ils ne font qu’une fimpie tige qui
va en diminuant de groffeur depuis fon origine jufqu’à
fon extrémité.
La partie de chaque anneau qui couvre le deffus du
corps, femblë bordée d’une frange de poils; mais quand
on y regarde de plus près, on remarque que ces poils qu’on
jugeoit attachés au bord poftérieur, au bord mobile de
'Tome V . Oo
*PI. 2 î- fig.
* Fis
) •
■ 4 -
290 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
{anneau, font plantés fur l’anneau qui fuit dans l’en¬
droit où le bord de l’anneau qui précédé, doit s’appli¬
quer.
Nous nous arrêtons volontiers à parler au long des
poils de l’abeille, parce que nous aurons à faire voir
bientôt qu’ils ont des ufages que n’ont pas ceux des
grands animaux, ni même ceux des autres infeétes. Mais
avant que d’expliquer à quoi ils fervent, nous devons
parler de ceux des jambes, & faire connoître les jambes
* 2Ô - elles-mêmes. Celles de la première *, & celles de la fe-
* Fig. conde paire *, ne différent pas beaucoup en longueur;
mais les deux dernières * font plus longues que les quatre
précédentes. Celles-ci ont chacune environ cinq lignes
de longueur, pendant que celles qui les précédent im¬
médiatement , n’en ont que trois & demie, & que les
premières ne font longues que de trois lignes. Chaque
jambe efl compofée de cinq parties principales, faites
d’une écaille brune & luifante. La première de ces par¬
ties *, celle qui efl attachée au corcelct, efl la plus courte
de toutes, c’eft une efpécc de bouton conique, à un des
* e f- bouts duquel la fécondé pièce * eft articulée; celle-ci efl
longuette, peu applatie, un peu contournée, de un peu
moins groffe à l’un & à l’autre de les bouts que vers fon
Fig. 4. p. milieu. La troifiéme pièce * efl plus confidérable par
rapport aux autres dans chaque jambe de la troifiéme
paire, & Lite autrement quelle ne l’efl dans les jambes
des deux autres paires, & fur-tout dans celles de la pre¬
mière; dans chaque jambe de la troifiéme paire, dis-je,
4& la troifiéme pièce * efl applatie & triangulaire. Comme
nous aurons plus d’une fois occafion de ladéfigner, nous
croyons lui devoir donner un nom, celui de palette trian-
*/. gulaire. Son bout aigu efl à fa jonélion * avec la féconde
pièce, & fa partie la plus large eft à fon autre bout où
* Fig. 2,
&4- a.
* Fig.
(,.p.
* Fig. 2 . y
* Fig. 4 &
6. b.
* Fig. g. /.
2 . b.
des Insectes. VI. Aient. 291
die s’articule avec la quatrième pièce. La troifiéme pièce * * PI. 26. flg.
de chaque jambe de la fécondé paire, efi plus courte, plus 3 ‘ F ‘
étroite & moins triangulaire que ne l’eftla pièce correlpon-
dante de chaque jambe de la troifiéme paire. Enfin, dans
chaque jambe de la première paire, la troifiéme pièce - *
n’cfl; ni appiatie ni triangulaire. La quatrième pièce efi
encore appiatie dans les jambes de la troifiéme * & delà
féconde paire *, elle efi à peu près également large à l’un
& à l’autre de fes bouts ; fon contour efi à peu près quarré,
aulfi l’appellerons-nous la pièce quarrée ou la brolfe.
Bientôt on ne fera pas embarraiïe de fçavoir fur quoi ce
dernier nom efi fondé. Cette pièce quarrée, ou cette
brode, efi beaucoup plus grande, plus confidérable dans
les jambes de la dernière paire, que dans celles de la fé¬
condé. La quatrième pièce des jambes de la première
paire *, ne tient aucunement de la figure quarrée & appla- » Fig
tic, elle efi oblongue & arrondie. Enfin, la cinquième
& dernière partie * de chacune des fix jambes, & qui pour-
roi t être appeiléc le pied, efi extrêmement déliée,& com-
pofée de cinq parties affés courtes miles bout à bout, &
articulées les unes aux autres. Les quatre premières * l'ont * Fig. 7. 9,
des efpéces de cônes tronqués un peu applatis, & dont q> r, I
la bafe du premier efi articulée avec le fommet du fécond ,
éè ainfi de fuite. Le premier & le quatrième cône font
plus longs que les deux autres. La dernière pièce plus
courte que celle qui la précède, efi armée de deux paires
d’ongles *, ou de crochets recourbés en embas. Un des * c,c ; /.
ongles de chaque paire efi au moins une fois plus long
que l’autre. Entre les deux paires de crochets, efi une
petite partie charnue & chargée de poils courts, qui efi
analogue à lapelotte des pieds des mouches de la viande.
• Les premières pièces de toutes les jambes font très-
fournies de poils à feuilles, fur-tout fur les côtés; mais
O o ij
* Fig. 2.
2<)2 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
quelques pièces de jambes de la fécondé, & fur-tout de
celles de la troifiéme paire, font garnies de poils (impies
plus gros & plus roides que les autres. Où l’on doit princi¬
palement remarquer de ces gros poils, c’eft tout autour,
ou fur trois côtés de la pièce que nous avons nommée
♦ PI.26.fig. palette triangulaire *. La face extérieure de cette palette
e q jjfl'g & (uifante, mais des poils s’élèvent au-defîus des
bords de cette face. Ceux qui partent de l’un & de l’autre
de les côtés, font dirigés vers le bout de la jambe, & dif-
pofés parallèlement les uns aux autres. De la baie de cette
palette partent d’autres poils auffi roides que les précé¬
dents, & qui, comme eux, s’élèvent au-delfus de la face
extérieure, mais en fe contournant vers le haut de la jam¬
be, de forte que les poils des deux côtés & ceux de la bafe,
forment enfemble les bords d’une efpéce de corbeille,,
dont la Lee extérieure de la palette fait le fond. Cette
palette cft auffi deftinée à fervir, pour ainfi dire, de cor¬
beille; elle efl deflinée à recevoir une petite pelotte de
♦ Fig. 3 ,p,p. matière à cire * ; les poils roides aident à retenir la pelotte
dans la place où elle a été mife. Si pourtant la face exté¬
rieure de la palette étoit par tout convexe, comme elle
l’efl; vers fon origine, & jufqu’au tiers ou à la moitié de
fa longueur, les poils n’auroient pas alfés de force pour
retenir la pelotte: afin qu’elle pût y être logée fûrement,.
dans le refte de la face de la palette il y a une gouttière
profonde qui va en s’élargiffant à mefure qu’elle s’appro¬
che delà bafe. La palette de chaque jambe de la fécondé
♦Fig. 3 .p. paire *, n’a point une pareille gouttière ni des poils arran¬
gés comme nous venons de le dire; auffi ces deux jambes
& les deux premières, qui n’ont pas de palette triangulaire,
ne font jamais chargées de peiottes de matière à cire. Ce
font les deux dernières jambes, qui feules ont été faites,
pour conferyer la récolte de cette matière.
DES I N S E C T E s. VI. Mem. 293
Nous devons dire encore un mot delà partie quarrée * *PI. 26.
qui fe trouve aux jambes de la troifiéme, & à celles de *'•
la fécondé paire; nous l’avons déjà nommée la broffe,
& elle mérite ce nom, parce que pendant que fa face
extérieure efl raie & liffe, fa face intérieure * efl plus * Fig. 6.
chargée de poils que 11e fefl aucune broffe. Ces poils
font des poils (impies*, q.ui font plutôt arrangés comme * Fig.7.
ceux de nos broffcs habits, que comme ceux des pin¬
ceaux. Ils font diflribués par rangs parallèles les uns aux
autres,& parallèles en même temps aux bouts de la broffe.
Si diriges vers le pied. Voyons à prefent quel ufage l’a¬
beille fait de ces poils difpofés en broffe, & à quoi lui
fervent ceux dont toutes fes parties extérieures font
chargées.
On fçait que les abeilles vont faire leur récolte de cire
fur les fleurs; mais les Auteurs les plus exaéts n’ont pas
affes fait entendre que les fleurs feules peuvent leur four¬
nir cette récolte. M. Maraidi, par exemple, paroît avoir
cru que les abeilles ramaffent de la cire où elles ne fçau-
roient en trouver, lorfqu’il dit qu’elles recueillent la cire
fur les feuilles d’un grand nombre d’arbres & de plantes,
& fur la plupart des fleurs qui ont des étamines. Ce n’eA
que fur ces fortes de fleurs quelles trouvent à fe pour¬
voir de matière propre à devenir cire, ou, pour nous ex¬
primer plus brièvement, de matière à cire ; car elles ne
rencontrent nulle part de la cire toute faite: mais cette
matière propre à devenir de la cire, n’efl jamais fournie
aux abeilles par les feuilles des arbres & des plantes,
Swammerdam qui a très-bien ohfervé que cette matière
efl un affemblage de petits grains, qui, pour l’ordinaire
font de petits globules plus ou moins arrondis, & plus
ou moins allongés, propofe des doutes fur la caufe de la
figure de ces petits grains, & ne paroît pas avoir fçu à.
O o iij
294 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
quelle partiales plantes ils dévoient leur origine. En un
mot, je ne connois point d’Auteur qui nous ait dit aflcs
précifément ce que c’efl que cette matière à cire, 6 c où
les abeilles la prennent conftamment. Rien n’eft plus or¬
dinaire cependant, que de voir une abeille fur une fleur,
& de lui voir le corps tout poudré d’une poufliére quelle
ne peut avoir prifeque lur cette fleur; 6 c les oblèrvations
les plus grofiiéres peuvent apprendre quelles font les par¬
ties de la fleur qui ont pu couvrir ainfl l’abeille de pouf¬
flére. Des obfervations encore afles ailées à faire, démon¬
trent que cette meme poudre, dont on a vu une abeille
couverte, eft la matière à cire. Une tulippe, un lys, &c.
ont fait voir cent & cent fois à ceux qui n’ont jamais
cherché à étudier les fleurs en Phyflciens, des fiiets qui
font chargés d’une poufliére qu’ils laifl'ent fur les doigts
qui les manient. Les filets des lys y laifl'ent une poudre
jaune,& les filets des tulippes en pareil cas, y en laifl'ent
une brune. Les filets dont nous parlons, ont été nommés
par les Botanifles, les étamines de la fleur. Le célébré
M. de Tournefort n’a voulu regarder les poufliéres dont
ces étamines font chargées, que comme des excréments
qui dévoient être tirés de la fleur par une cfpéce de fé-
crétion. Mais le fentiment qui a prévalu parmi ceux qui
font leur objet principal de l’étude des plantes, le fenti¬
ment le plus généralement adopté, veut qu’on ait une
idée plus noble de ces poufliéres, il veut qu’on les re¬
garde comme defiinées par la nature à rendre les germes
des plantes féconds, il veut que les graines reftent flériles
quand elles n’ont pas été vivifiées par ces poufliéres. 11
ne nous conviendroit pas de nous engager à difeuter
ici cette grande 6 c curieufe queflion ; il nous fuffit de
dire, que ces poufliéres nous font d’une grande utilité,
puifqu’elies font la feule 6 c unique matière dont efl faite
des Insectes. F/. Mem. 295
la cire que nous confiimons. Je ne puis pourtant laiiïer
ignorer à ceux qui 11’ont pas cherché à examiner ces
pouiïiéres, qu’ils ne doivent pas croire les figures de
leurs grains auffi irrégulières que le font celles de nos
poudres ordinaires, aufii irrégulières que le font les fi¬
gures des grains de notre farine. Quand on les obferve
au microfcope, on reconnoît que les grains des pouf-
fiéres des étamines d’une même plante, ont tous une
même figure ; mais que des plantes de différents genres
ont des pouiïiéres différemment figurées: c’eff de quoi on
peut s’inftruire dans un Mémoire de M. Geoffroy, publié
parmi ceux de l’Académie de l’année 171 1. pag. 210.
On y verra que ces grains font faits en boule ou en boule
allongée dans le plus grand nombre des plantes; mais que
dansd autres plantes, ces grains ont conftamment d’autres
figures beaucoup plus finguliéres.
L’abeille qui entre dans une fleur bien épanouie, &
dont les étamines font chargées de pouffïéres qui y tien¬
nent peu, ne fçauroit manquer de faire frotter diverfes
parties de fon corps contre ces pouiïiéres, & loin de
l’éviter, elle le cherche apparemment; c’efl alors que les
poils dont elle efl hériiïee, lui font d’un grand ufage. Les
poulfiéres qui glifferoient fi elles ne touchoicnt que des
parties auffi liifes qu’une écaille luifante, font arrêtées
dans les forêts de poils. L’abeille devient toute poudrée,
affes ordinairement d’une poudre jaune, quelquefois
d’une poudre rouge, & d’autres fois d’une poudre d’un
blanc-jaunâtre, & cela félon que font colorées les pouf-
fiéres des étamines de la fleur dans laquelle elle marche.
J’en ai vu fouvent qui, lorlqu’elles retournoient à leur
ruche, avoient leurs poils fi chargés d’une poudre colo¬
rée, quelles en étoient méconnoiiïables. U11 Gentilhom¬
me d’un canton du Poitou, où les abeilles rencontrent à
SP N
296 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
la fin du Printemps beaucoup de fleurs dont les étamines*
font bien fournies de poufliéres, croyoit avoir des ruches
oui, dans ce temps, étoient remplies en partie d’abeilles
jaunes. O11 me parla de ces abeilles d’une couleur diffe¬
rente de celle des abeilles ordinaires, comme d’une An¬
gularité; on me promit pleine de m’en faire avoir. J’aver¬
tis qu’il pourroit bien fe faire qu’on 11e feroit pas en état
de me tenir promefle, qu’il y avoit grande apparence
qu’on croyoit jaunes des abeilles dont les poils étoient
très couverts d’une poudre de cette couleur. Auffi quand
j’ai eu fait vérifier ce qui en étoit par quelqu’un accoutu¬
mé à obferver, par M. de Villars Doéieur en Médecine,
qui demeure dans le canton où on croyoit avoir des
abeilles jaunes, il me fit réponfe que j’avoisdeviné; qu’on
n’avoit pû en trouver aucune qui fût véritablement jaune,
malgré l’envie qu’on avoit eu de m’en envoyer de telles;
& que celles qu’011 avoit cru l’être, 11e letoient que quand
elles rapportoient dans leurs poils beaucoup de pouffières
jaunes.
Quoiqu’il y ait quantité d’abeilles qui, quand elles
arrivent à leur ruche, ont leurs poils pleins de cette forte
de pouffiére; il y en a bien davantage, qui, avant que de
fongerà y retourner, ont eu foin de s’en nettoyer, defe
broffer. Elles ont, comme nous l’avons vu ci-devant, des
• broffes plattes à leurs quatre jambes poftérieures * ; elles en
' ont fur-tout de très-grandes aux dernières de celles-ci. Les
premières jambes chargées de poils comme elles le font
entre la quatrième & cinquième articulation, ont auffi là
* Fi g- 2.. b. une efpéce de broffe ronde *. Il efl donc aifé d’imaginer
comment la mouche en paffant ét repaffant fes différentes
brodes fur le deflus, fur le deffous, éc fur les côtés de
fon corps, de fon corcelet, 6c de fa tête, peut en ôter
fa pouffiére qui y efl: arrêtée. Mais elle n’a garde de
chercher
F>P'
* Fig. 4. &
•P-
DES I N S E C T E S. VI. Mem. 297
chercher à faire tomber à terre cette poufïîére, comme 011
cherche à y faire tomber celle qu’on ôte aux habits 6c
aux meubles qu’on nettoye. Cette poufliére eh précieufe
pour elle, elle veut en faire un amas; aufti parvient-elle
à faire deux petites pelottes * de figure plus ou moins * P[ - h
arrondie, 6c affés fouvent lenticulaire, de tous les petits
grains qui fe trouvoient difperfés fur les différentes par¬
ties de l'on corps.
Nous avons déjà décrit les deux places * que la nature
a préparées pouf recevoir ces deux pelottes; nous avons *
fait connoître deux cavités, dont chacune fe trouve lur
la face extérieure d’une de ces pièces de chaque jambe
poftérieure, que nous avons nommées les palettes trian¬
gulaires; enfin, nous avons vû que cette cavité eft bordée
de gros poils qui s’élèvent affés haut. C’eft dans chacune
de ces cavités, que l’abeille porte tour à tour les petits
grains, ou, plus exactement, de petites maffes de ces
grains, quelle les réunit pour en compofèr une plus
grofiemafTe. L’amas qui eft fur une des palettes, n’excé-
de jamais guère en groffeur celui qui eft fur l’autre. L’un
6 c l’autre n’y font fenfibles, que quand ils ont à peu
près celle de la tête d’une petite épingle, 6c peut-être
commencent-ils par l’avoir; mais de nouvelles pouftïé-
res qui y font adjoûtées fucceffivement, les groffiiïcnt.
Quand l’abeille trouve de quoi faire une bonne récolte,
elle les rend aufii gros que des grains de poivre un peu
applatis. Pendant qu’elle eft occupée à broiïer les pouf-
fiéres qui font attachées à fes poils, pendant qu’elle les
fait paffer d’une jambe de la première paire à une jambe
de la fécondé, 6c enfin, pendant qu’elle les place 6c
qu’elle les empile fur la palette d’une jambe de la troi-
fiémepaire, fes mouvements font fi prompts, qu’il 11’efl:
guéres plus aifé de les fuivre, qu’il le feroit de fuiyre
Tome V . Pp
298 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
ceux des doigts de quelqu’un qui écrit couramment, ou
que ceux des doigts d’un habile Muficien qui joue des
airs dont l’execution doit être très-prompte. On voit bien
que l’abeille fait agir les inflruments propres à ramaffier
ces pouffiéres, &à les réunir enfemble; maison ne voit
pas affés àfon gré comment elle employé chacun de ces
inflruments. Auffi tous ceux qui ont voulu les obferver
dans ce travail, fe font plaints de leur trop grande acti¬
vité, quelles ne font pas difpofées à modérer pour latis-
faire la curiofité de l’obfervateur.
Tout ce que j’ai cru pouvoir faire de mieux pour par¬
venir à voir leur manège, ç’a été de les étudier fur des
fleurs près de la hn de l’hyver, c’eft-à-dire, dans des temps
où foibles encore, & peu animées par un foleil fans ar¬
deur, elles nepouvoient fe donner des mouvements aulfi
vifs que ceux quelles fe donnent en d’autres temps. Dans
des jours du Printemps où la force du foleil fufbfoit à
peine pour en déterminer quelques - unes à aller fur les
fleurs des poiriers, ou fur celles des pommiers qui ne
eommençoient qu’à s’épanouir, j’ai vu ce que j’ai inuti¬
lement cherché à voir dans des jours plus chauds. C cil
alors que j’ai été en état d’obferver que l’abeille ne fe
contente pas de ramaffier avec fes poils les pouffiéres qui
font prêtes à tomber de deffius les étamines. Plufieurs
plantes ont chacune de leurs étamines terminée par une
efpéce de tête, par un petit corps fouvent oblong, que
les Botanifles ont appellé le fommet de l’étamine. Les
Botaniftes fçavent que ce fommet eft une capfule dans
laquelle les pouffiéres font renfermées, & dont elles ne
fortent que quand le temps efl venu où la capfule s’en-
îr ouvre pour les laiflèr paroître au jour. Les abeilles le
fçavent auffi. Les étamines des fleurs de pommier ont
chacune leur fommet. L’abeille qui arrivoit fur un de
DES I N S E C T E S. Vf. Mem. 299
ces arbres, dont les Heurs encore peu développées, ne
fournifToient pas à une récolte aifée & abondante, tâtoit
avec l'es dents le premier fommet d’étamine qui le pré-
fentoit. Quand il ne lui paroilloit pas convenable, elle le
quittoit pour en prendre un autre. Si celui-ci lui paroilîoit
mieux conditionné, elle le preHoit avec lès deux dents
comme avec une pince. On juge allés quelle tendoit par
cette preffion à obliger la capfule à s’ouvrir, à lui donner
des poulfiéres qui n’en étoient pas encore forties. Bien¬
tôt on voyoit l’une & l’autre jambe de la première paire
s’approcher fuccelfivement de la pince, & fans doute pour
s’y charger de quelques grains. Bientôt la jambe qui avoit
touché la pince, retournoit en arriére, & rencontroit une
de celles de la fécondé paire qui étoit du même côté.
Cette fécondé jambe portoit aulïi à la troifiéme jambe
du même côté, ce quelle avoit pris à la première; du
moins les mouvements fuccelfifs des trois jambes d’un
même côté, qui étoient très-vifibles, paroilfoient unique¬
ment tendre à cela, & on en avoit une preuve peu équi¬
voque, lorfque la même mouche après avoir répété le
même manège fur quatre à cinq fleurs différentes, avoit
un petit amas de matière à cire fur chaque palette trian¬
gulaire d'une jambe de la troifiéme paire.
Ce que j’avois vû faire à des abeilles occupées à ra-
malfer des poulfiéres fur des fleurs de pommier, je l’ai
vû faire bien plus diftinélement à d’autres abeilles occu¬
pées à la récolte d’une autre matière dont nous parle¬
rons dans la fuite, &. qui elt beaucoup plus tenace que
la matière à cire & que la cire même, qui eft une efpéce
de gomme réfineufe, & qui a la vifcofité d’une réfine qui
n’étant pas encore delféchée, peut s’attacher aux doigts.
Pendant que je confidérois à la loupe une mouche,
je l’ai vû charger chacune de fes dernières jambes d’une
P p i j
=» PI. 26 .1
î>3>4-j&c
* Fig.
300 Mémoires pour l’Histoire
groffe pelotte de cette matière réfmeufe. Ce fut pour elfe
un ouvrage d’une grande demi-heure. La matière étoit
difficile à manier & à détacher; & par-là cette mouche fe
trouvoit dans une circonftance où j’avois eu grande envie
d’en voir une depuis long-temps. Tous l'es mouvements
étoient lents en comparaifon de ceux même des abeilles
qui ramaffient la matière à cire dans des jours prefque
froids. Les dents ne parvenoient à détacher une parcelle
réfmeufe, qu’après des coups & des tiraillements redou¬
blés. Les dents donnoicnt enfuite une forme plus arron¬
die à la parcelle; après quoi une des jambes de la pre¬
mière paire venoit bien-tôt la faifir. La dernière partie
de chaque jambe celle qu’on en peut appeller le pied,
’‘ 1 ' eft, comme nous l’avons dit, compofée de cinq articula¬
tions qui la mettent en état de faire la foncfbon de main.
Cette partie de la première jambe en fe recourbant, tient
bien faifie la petite parcelle que les dents lui ont lailfée.
Cette première jambe donne cette parcelle au pied de la
fécondé jambe du même côté, & cette dernière va pofer
la parcelle fur la palette triangulaire de la troifieme jambe.
Mais ce n’eft pas allés de l’y avoir pofée, il faut que la
nouvelle parcelle fàffie corps avec les autres parcelles qui
y ont été dépotées, & qui commencent une pelotte, c’elt
à quoi la jambe de la fécondé paire travaille encore. Dès
que fon pied a mis en place la petite parcelle, elle s’avance
davantage en delfiis de la pelotte commencée ; elle la
o. tappe trois à quatre fois de fuite* avec la partie qui eft
faite en broffe, comme on tappe avec une palette de bois
de la terre molle qu’on veut façonner.
Les abeilles ne retournent pas toutes à la ruche avec
une charge égale, toutes ne font peut-être pas égale¬
ment bonnes ouvrières ; & il y en a qui ont le bonheur
de trouver des plantes qui leur fournilfent plus que n’ont
DES ï N S E C T E s. VI. Mem. 3 O î
fourni à d’autres celles auxquelles elles le font adredées.
Quand la pelotte de chaque jambe ed petite, eile n excède
pas les bords de la jambe, mais les grades pelottes vont
bien par-delà*; elles font collées contre les poils, elles * Pl.26.fig.
les obligent à fe plier en dehors. Ces poils auxquels elles
font collées, aident beaucoup à les foûtenir.
C’eft quand les fommets des étamines font bien épa¬
nouis, pour ainfi dire , & quand la fleur a beaucoup de
ces fommets dont les poufliéres font prêtes à être empor¬
tées par le vent, que l’abeille peut en ramaffer davantage
avec les poils qu’avec fes dents, & qu’elle n’a prefque pas
befoin de faire agir celles-ci. Ces mouches, comme nous
l'avons dit, peuvent emporter les pouffiéres qui fe font
attachées aux poils de leurs différentes parties, avec les
brodés * des jambes des deux dernières paires, &même * Fig. 3,4,
avec les brodes rondes * des jambes de la première paire ; 6 & 7 - b -
mais les plus grandes brodes & celles qui expédient fou- * ^ ù ‘
vrage plus vite, font celles des dernières jambes. Celles-ci
peuvent réciproquement fe donner les pouffiéres dont
leurs brodes fe font chargées. J’ai vû fouvent l’abeille* * Fig. 9.
en faire paffer une fous fon ventre, & conduire fa brodé
contre le bord extérieur de la palette triangulaire de l’autre,
l’y frotter, & par conféquent y laidér & y radèmbier les
pouffiéres qui étoient engagées dans la brodé. La jambe
qui venoit de recevoir ces pouffiéres en rendoit enfuite
autant à l’autre par un femblable manege.
Dans le même indant des abeilles rentrent dan s la ruche
avec des pelottes jaunes, d’autres avec des pelottes rouges,
&d'autres avec des pelottes blancheâtres , j’en ai vu rentrer
quelquefois avec des pelottes vertes. Les unes ont ramaffé
des pouffiéres fur des plantes qui les ont jaunes, & les
autres les ont ramadees fur des plantes qui les ont rougeâ¬
tres, ou fur d’autres qui les ont blancheâtres ou vertes,.
* P P ij i
x
302 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
Les grains qui compofent cespelottes ont non feulement
la couleur qu’ils avoient iorfqu’ils étoient fur la plante »
ils ont tous confervé leur figure. Si on les examine au
microfcope, on trouve que ceux de quelques-unes font
de petites boules bien rondes, ceux de quelques autres des
boules applaties, ceux de quelques autres des boules oblon-
gues.Toutes celles que j’ai examinées tenoient de la figure
arrondie. Je ne fçais pourtant pas b les abeilles n’en ra-
maflent point de celles qui ont des figures plus finguliéres.
Un Batanifle qui auroit a fies étudié les pouiïiéres des
plantes, feroit peut-être en état de fçavoir fur quelle plante
auroit été prife la pelotte qu’il examincroit.
Dans les mois d’avril & de may, les abeilles ramaflent
du matin au foir de la matière à cire, mais lorfqu’il
fait plus chaud, dans les mois de juin & juillet, &c. c’efl
fur-tout le matin jufque vers les dix heures, quelles font
la grande récolte de cette matière. Alors fi la journée efl
favorable, on voit les deux pelottes de pouffiéres à toutes
ou à prefque toutes celles qui arrivent à la ruche. Quand
on conlidére plus tard les abeilles qui entrent dans la
même ruche, on en voit cependant toujours quelques-
unes qui reviennent avec des pelottes ; mais le nombre en
efl petit en comparaifon de celui des mouches qui n’en rap¬
portent point. Ce n’eft pas que les abeilles ne trouvaient
iur les fleurs des plantes, lorfque la chaleur du foleil le
fait plus fentir, autant de poulfiéres qu’elles en y trou¬
vent plus matin; ces pouffiéres doivent même être plus
ailées à détacher lorfqu’il fait plus chaud, elles doivent
tenir moins à l’étamine; mais il ne convient pas à l’abeille
de les recueillir lorfqu’elles font trop lèches; alors il ne
lui efl pas lï aifé de les lier enfembie, de les réunir dans
une malfe ; elles font plus propres à faire corps les unes
avec les autres, quand elles font encore humeélées par
des Insectes. VL Menu 303
ia rofée de la nuit, ou par la liqueur quelles ont laiffe
tranfpirer.
Il efl pourtant vrai qu’on voit à toutes les heures du
jour, des abeilles qui rapportent des pelottes, & le nom¬
bre de celles qui en rapportent, dt grand comme le ma¬
tin, vers le midi & après, dans la ruche où un eflâim
n’eft établi que depuis peu de jours. Mais les abeilles qui
vont au loin peuvent trouver des fleurs placées à l’om¬
bre & dans des lieux aquatiques, qui, l’après midi, l'ont
aufïi humides que d’autres fleurs le font le matin. La
néceflité de travailler où font les abeilles établies dans
une ruche dont l’intérieur manque de tout, les oblige
de chercher avec plus de foin les fleurs qui peuvent leur
fournir de quoi faire des gâteaux qui y font fi elfentiels.
Ce ne fera que dans le Mémoire fuivant que nous exa¬
minerons ce que les abeilles font de ces pelottes quelles
tranfportent à leur ruche avec tant de foins & de fati¬
gues. Nous devons parler actuellement d’une autre ré¬
colte bien importante pour elles, quelles vont encore faire
fur les fleurs des plantes; elles y vont faire celle du miel.
M.Linéus a mieux obfervé qu’on 11e l’avoit fait avant lui,
que les fleurs ont des efpéces de veflies, ou plutôt des glan¬
des qui font des refervoirs pleins d’une liqueur miellée,
qu’il a nommés en latin neftaria: il leur a trouvé des ligures
&dcs pofitions fi différentes dans les fleurs de différentes
plantes, qu’il a cru qu’on devoit faire entrer ces neâaria
dans les caractères des genres des plantes. Les abeilles au-
roient pu nous inffruire il y a long-temps, de la pofition de
ces refervoirs, car elles fçavent très-bien où il faut aller les
chercher. C’eft dans ces glandes ou autour quelles vont
puifer le miel ou la liqueur propre à le devenir. Sur le champ
elles la font pafler dans leur corps, où elles la confervent
jufqua ce quelles puiflènt ladépofer dans les petits pots
304 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
préparés dans la ruche pour la recevoir. On porterait donc
fouvent des jugements très-injuftes des abeilles, fouvent
on les croirait à tort des pareffeufes, li on penloit quelles
11'ont été à la campagne que pour fe promener, ou pour
y prendre leur repas, toutes les fois quon les voit revenir
chés elles fans apporter des boules de matière à cire, car
fouvent elles reviennent alors avec une bonne provifion
de liqueur à miel. Mais avant que de voir où cette liqueur
eft contenue dans l’intérieur de la mouche, nous devons
connoître l’inftrument qui a fervi à la recueillir, nous de¬
vons connoître la trompe.
Les Volumes précédents nous ont déjà fait admirer la
ftruéture des trompes de divers inlééles, & même celle
de trompes faites pour agir contre nous, telles que font
celles de quelques mouches, & fur-tout celles dont les
coufîns fe fervent pour s’abbreuver de notre fang. Nous
devons être plus difpofés à admirer la ftruéture de la
trompe des abeilles, qui ne fert pas feulement à porter
à ces mouches l’aliment qui leur eft néceffaire, mais qui
eft de plus employé à faire une récolte que nous nous
approprions comme fi elle eût été faite pour nous. D’ail¬
leurs la trompe des abeilles ordinaires mérite d’autant plus
d’être connue, qu’elle eft confiante fur un modèle très-
différent de ceux des différentes trompes dont nous avons
parlé jufqu’ici, & que dès qu’on la connoîtra, on connoîtra
celles de beaucoup d’autres efpéces d’abeilles qui vivent
folitaires, ou en des fociétés peu nombreufes; qu’on con¬
noîtra par exemple celle de ces gras bourdons velus fi com¬
muns dans nos campagnes; en un mot, qu’on connoîtra
les trompes d’un très-grand nombre d’efpéces& de genres
de mouches.
Dans différents temps la trompe de l’abeille eft plus
ou moins allongée; le temps où elle eft dans une parfaite
inaétion.
3 °>
DES I N S E C T E S. VI. Ment,
inaction, où clic ne fe prépare pas même à agir, eft celui
où elle eft le plus raccourcie ; & c’eft dans l’état où elle
eft alors que nous commencerons à la confidérer. Si on
regarde le devant de la tête d’une abeille* qu’on tient * pi. 27. fig.
entre Tes doigts, on remarquera aifement tout près du 1 & -•
bout des dents* une efpéce de lame* allés épaifte, très- * j, d.
luifante &de couleur châtain, qui fait là un coude, qui * t-
s’v plie pour retourner le long de la face poftérieure de la
tête, & fe rendre auprès du col. Depuis le coude qui eft
proche des dents *, cette efpéce de lame va en diminuant * d > d -
de largeur pour fe terminer en pointe. Dans d’autres
temps où la trompe n’eft pas plus allongée, la partie
dont nous venons de parler eft plus en vue, elle defcend
en faifant un arc *, ou quelquefois elle eft prefque toute * pr -25. fig-
droite dans la direction du devant de la tête *. Dans u
cette dernière circonftance on la regarderoit volontiers * PI. 27. fig.
comme une efpéce de bec d’autant plus femblable à celui 5 &
des oifeaux, qu’elle a un luilant qui la fait juger de corne.
Cette partie que nous avons prife tout près du bout des
dents, n’eft qu’une portion de la trompe, celle qui eft
déterminée par le coude que fait la trompe en repos
pour fe tenir pliée, & nous la nommerons la partie anté¬
rieure, ou la lèconde partie de la trompe. Nous nom¬
merons celle à laquelle elle tient, la partie poftérieure ou
la première partie. L’origine de la trompe, l’endroit où
elle eft unie à la tête eft proche du col*; de-là elle va *Fig. 8. c.
en ligne droite jufqu’aux dents où elle fe replie fur elle-
même, de façon que fa pointe vient rejoindre la bafe*. * Fig. 2.
Quand elle eft ainfi pliée en deux *, ou quand elle eft *Fig. 1 &2.
Amplement redreftee*, on ne la voit pas elle-même , *Fig. 4., 5
on ne voit que les enveloppes fous lefquelles elle eft &s -
cachée. Ce n’eft pas une nouveauté pour nous de trouver
une trompe renfermée dans un étui, nous en avons déjà
Tome V . Qq
3 o6
*pi.
7 &9
MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
eu bien des exemples ; mais les étuis que nous avons
vus à d’autres trompes, ne reflemblent point à celui ou
plutôt à ceux de la trompe des abeilles, car elle n’en a
27. fig. pas pour un ; elle en a deux. Un des deux pourtant * ne
la couvre gueres que dans la moitié de fa longueur, &
l’un & l’autre ne la couvrent pas dans toute fa circonfé¬
rence. Chaque étui eft fait de deux pièces, dont chacune
fera nommée un demi-étui. Pour voir diftinélement ces
quatre pièces, pour prendre une idée de leur ligure, & de
la manière dont elles font ajuftées lorfqu’elles couvrent
la trompe, il faut preffer celle-ci vers fon origine, en la
pouffant en devant. Dans i’inftant la trompe femble de¬
venue plus longue qu’elle n’étoit, & elle ne paroît plus
aulfi fimple qu'elle le paroilToit. On voit à la fois cinq
* Fi?-7- pièces différentes *, dont celle du milieu *, qui dans une
* e; grande partie de fa longueur eft un filet un peu applati,
’ une lame étroite dont les côtés font arrondis, dont celle
du milieu, dis-je, eft accompagnée de quatre efpéces
*e, e;f,f dallerons pofés deux à deux * de chaque côté. Ce font
les quatre demi-étuis qui font plus ou moins éloignés de
la petite tige qu’ils doivent couvrir félon que la preftion
* e > e ■ a été plus ou moins forte. Deux de ces ailerons * plus
courts& moins grands dans leurs autres dimenfions, que
♦ Fig. 7 & les deux autres, tirent à peu près leur origine de l’endroit*
*' ss ’ où eft le coude de la trompe pliée en deux. L’ufage au¬
quel ils font deftinés, fait aifément imaginer qu’ils ont une
concavité ; mais lorfqu’on fçaura qu’ils ne doivent cou¬
vrir que chaque côté de la trompe, une petite bande de
fon deftous, & une bande encore plus étroite de fon
défiais, & enfin , fi on fe rappelle que la trompe eft une
lame plate qui fe termine en pointe, on fe fera une idée
jufte de la cavité de ces demi-étuis, & même de leur
forme extérieure. Nous adjoûterons feulement qu’un peu
DES I N S £ C T E S. VI. Man. 3 07
au delfiisde leur origine, ils ont plus de diamètre que par¬
tout ailleurs, & que delà en allant en avant ils le retré-
cilTcnt de plus en plus. Ces demi-étuis font des cfpéces
de gouttières angulaires, mais dont l’angle elt compris
entre deux plans, dont l’un elt plus étroit que l’autre. Une
arête marque cet angle. Quand les demi-étuis relient ap¬
pliqués fur la trompe, comme ils y relient ordinairement *, * El-
quoique celle-ci loit autant allongée quelle le peut être, 9 *
on voit qu’ils s’en écartent près de leur bout* qui Ce courbe * h, h.
pour lè placer perpendiculairement à la direction du relie.
Ces deux bouts parodient même lorfque la trompe cil le
plus raccourcie *. On y obferve trois articulations très- *E'g-+. s
dillinéies. Chaque bout fût-il couché fur la trompe
allongée *, il s’en faudrait encore quelque chofe qu’il 9 ‘
n’en pût atteindre l’extrémité. Pour finir ce qui nous
relie à dire de ces deux demi-étuis, nous ferons remarquer
que tout leur contour elt bordé de poils ailes longs *. * Fi s- 7 »
Les deux autres demi-étuis font bien plus confidérablcs
que les précédents, auffi leur doivent-ils fervir d’enve¬
loppe. Nous appellerons Iedelfusde la trompe ou fa face
fupérieure, celle qui le devient lorfqu’on tient l’abeille
droite entre les doigts, ou qui le devient encore lorfque
l’abeille éleve fa tête; cette face de la trompe*, qui, dans * Fig. 7.
d’autres temps, n’ell que l’antérieure, & qui même ne l’cfl
que dans une moitié de fa longueur, lorfque la trompe
elt pliée. Les deux grands demi-étuis ne couvrent en en¬
tier que la face que nous venons de délîgner par le nom
de fupérieure*; & chacun d’eux la couvre en entier de- *Fig. a&j,
puis l’endroit où la trompe fe plie en deux jufqu’à fon
extrémité, de forte que l’un d’eux recouvre l’autre. L’un
& l’autre fe replient pour venir fimplement s’appliquer
contre le bord de chaque côté de la trompe*. Tout * Fi g-
le déifias de la partie antérieure de la trompe elt donq
Qq ij
308 Mémoires pour l’Histoire
défendu par deux lames*, minces à la vérité, mais capables
de réfiflance, parce qu elles font des lames d’une efpécede
corne, pendant que le dclfous de la trompe n’elt recouvert
que le long de chacun de fes bords par les deux demi-étuis
qui recouvrent le defïus. Maison voit bien que le defîous
n’avoit pas befoin d’autant d’enveloppes que le delfus,
* Pi. 27.6g. puifque lorfque la trompe ell dans i’inaélion *, elle ell
1 & pliée en deux,& que par confcquent fa face inférieure ou
poftérieure ell alors bien à l’abri de tous les chocs aux-
quels la fupérieure feule peut être expolée.
L’origine des deux demi-étuis qui lont les plus petits,
& que nous nommerons les intérieurs, cft lur le corps
* Fig. 7 & de la trompe même *, auffi la fuivent-ils lorfqu’elle fe re-
9 * ê ë- dreffe & lorfqu’elle ell portée en avant. Mais alors les deux
*ff. autres demi-étuis, les extérieurs *, relient en arriére: ils
lailfent aller la trompe, parce que leurs attaches & leur
origine font par-delà la baie de la trompe, & en dehors.
Chacun de ces demi-étuis extérieurs, ell porté par une
♦ Fig. 9 ,h,k. tige affés malfive + , dont la longueur égale à peu près celle
de la partie poflérieure de la trompe ; & chacune de ces
tiges ell pofée à un des côtés de la trompe, auquel elle
n’elt aucunement adhérente. Dans l’endroit où finit la
tige, où le demi-étui commence, il y a une forte efarti-
♦}. culation *, ou au moins un pli qui permet au demi-
étui de relier fur la trompe raccourcie, loriqu’clle fe plie
en deux.
•» Fi». 7. e,e. Quand on écarte un des demi-étuis intérieurs * de
delîus la tige qu’il enveloppe naturellement, ou encore
* ë- mieux quand on le coupe près de fon origine *, on met
à découvert une pièce, qui, en petit, a afles la figure de
celle qui l’empêchoit de paraître, & qui part à peu près
du même endroit. Mais nous ne nous arrêterons pas à
faire connoître davantage deux pièces fi petites, & doü£
3°9
des Insectes. VL Man.
les ufages ne font pas de ceux que nous chercherons à dé
couvrir, lorfque nous examinerons les parties qui contri¬
buent ie plus au jeu de la trompe.
LailTons les enveloppes de la trompe pour la confidérer
elle-même lorfqu’elle en eft dehors, lorfqu’elle cil allon¬
gée & portée en avant. Nous continuerons de la regarder
comme compofée de deux parties, l’une eft antérieure *, * Pi- 27- %■
Si l’autre poftérieure *. La partie antérieure eft celle pour 7 ‘ sê ’ 1 '
laquelle les étuis ont été faits; nous fixons l’origine de *SS>^^ C
celle-ci ,& la fin de l’autre, comme nous l’avons déjà dit,
à l’endroit où la trompe fe plie en deux. Quand elle ne
puife point le fuc miellé des plantes, ou quand elle eft
dans une parfaite inaction, elle eft applatie; elle eft peut-
être au moins trois fois plus large quepaiffe, mais fies
bords font arrondis: elle devient infenfiblement de plus
en plus étroite, depuis fon origine jufque tout auprès de
fon extrémité. Elle fe termine par un petit mammelon
prefque cylindrique, au bout duquel eft un bourlct *, une
efpéce tle bouton dont le centre femble percé. La circon¬
férence de ce bourlet jette des poils ailes longs Si dilpofés
en rayons. Les poils 11’ont pas été épargnés à la partie an¬
térieure de la trompe, fon defTus en eft tout couvert; ils
y font par tout de même couleur, d’un jaune qui tire fur
celui de l’or un peu rouge; mais en différents endroits,
ils font de différente longueur Si différemment arrangés.
La première Si la plus large partie du defTus *, femble * Fig.^.r,».
cannelée tranfverfalement par de petits filions très proches
les uns des autres. Chacun de ces filions eft couvert de
poils très-courts, quoiqu’affés gros, & couchés parallèle¬
ment les uns aux autres. Dans le refte * du defTus de la *
partie à laquelle nous Tommes fixés, les poils font plus
longs, très-preffés les uns contre les autres, couchés &
dirigés vers le bout, de manière que ceux qui précédent
Qqiij
* Fig. 7, 9
& 1 I. É.
3 10 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
* PI. 57. fig. ne laiffent voir qu une portion de ceux qui les fuivent
1 mais où ils font encore plus longs, c’efl fur les côtés de
cette même partie & fur-tout en approchant du bout,
Audi la trompe vue au microfcope, a quelque reffem-
blance avec une queue de renard ou de marte.
Le deflùs de cette partie antérieure de la trompe,
femble tout cartilagineux ; mais le deflous de la même
partie ne paroît cartilagineux que dans une partie de là
largeur. Le milieu de celui-ci efl tout du long marqué
* Fig. 9 & par un trait plus tranfparent que le relie * qui paroît mem-
I0 -*' braneux, ou même une membrane plilfée, comme l’eft
celle qui fépare les anneaux écailleux de certaines mouches
dont nous avons parlé ailleurs. îi eli aifé de s’aflùrer que ce
qui paroît membraneux dans cette partie de la trompe,
le fl; réellement, & de le diftinguer de ce qui eft de nature
de corne ou de cartilage. On n’a qu’à prefler la partie
poflérieuredela trompe, pendant qu’on en tient la partie
antérieure tout près d’une bougie, vers laquelle la face
fupérieure de cette partie efl tournée, & qu’on examine la
face inférieure au travers d’une loupe dont le foyer efl très-
court ; bientôt on voit arriver une goutte de liqueur
dans la partie antérieure de la trompe; en continuant de
prefler, on y fait avancer cette goutte; tous les endroits où
elle parvient, fe gonflent confidérablement, les deux bords
s’écartent l’un de l’autre: alors ce deflous de la trompe
* ri 28.%. qui étoit plat,fereleve&ferenfle très-confidérablement*,
■* & 3 ' & tout ce qui fe releve efl évidemment membraneux. On
* Fig. 3. dd. croit voir paraître une longue veiïîe * faite en boyau , &
de la matière la plus tranfparente. Mais pendant qu’il fe
fait une fl grande augmentation de volume du côté de
la furface inférieure, la furface fupérieure s’arrondit feu¬
lement un peu; de platte qu’elle étoit, elle devient un
peu convexe; ce qui prouve que l’enveloppe immédiate
DES I N S E C T E S. VI. Mcm. 3 I I
de celle-ci, n’eft pas capable d’extenfion notable. Au tra¬
vers de la vdlie qui seleve de l’autre côté, on croit voir
un vaiiïeau qui va fe rendre au bouton de la trompe;
on croit même appercevoir ce vaifTeau dans des temps
où on n’a pas forcé de la liqueur de s’introduire dans la
trompe, & de la gonfler. Si on obferve une mouche
occupée à fuccer une liqueur miellée, on verra quelque¬
fois la partie antérieure de fa trompe plus gonflée que
dans les temps d’inatftion; & 011 verra dans cette trompe
des alternatives, de plus grands & de moindres gonfle¬
ments. Néantmoins on ne lui verra jamais prendre autant
de volume qu’on lui en fait acquérir lorfqu’on force par
la prelfion des doigts, de la liqueur à retourner de labafe
vers la pointe.
Paflons à prefent à la partie poflérieure de la trompe *, * PI. 27. fi»,
à laquelle nous n’avons encore donné aucune attention; 9 ' 8 ê>l-
elle efl beaucoup plus grofle que l’antérieure, de ce n’eft
que quand celle-ci eft dans i’inaéiion, que l’autre lui eft
prefque égale en longueur. Nous venons de voir que le
deflùsde la partie antérieure, a la confiftancede la corne;
une petite portion * de la trompe, à laquelle on peut donner * i, 1
lin nom particulier, quoiqu’elle foit très-courte, celui de
partie moyenne, eft entièrement ou prefque entièrement
charnue; elle avoit befoin detre très-flexible, c’eft celle
qui permet à la trompe de fe plier, celle dans laquelle le
pli fe trouve, & qui fait la jomfhon de la partie anté¬
rieure avec la partie poflérieure. Pour parvenir à bien con-
noître cette dernière, nous devons confidérer féparément
fes deux faces. L’inférieure, ou, fl l’on veut, la pofte-
rieure *, eft toute écailleufe, très-luifante & arrondie. On *gg,&
juge quelle a beaucoup plus de folidité que tout le refte.
Son diamètre augmente à mefure quelle s’éloigne de la
partie moyenne jufqu a plus des deux tiers de fa longueur;
3 12 MEMOIRES POUR L’HïSTOIRE
là elle fe rétrécit un peu, & il femble que la première des
deux pièces dont elle eft compofée, y lànilFe. La première
* Pi. 27. fig. pièce * s’arrondit comme pour fe pofer fur une autre * qui
9 -P* lui fert de baie & de pivot. Celle qui lui en fert eft conique,
q ' éeailleufe, mais d’une couleur plus claire que celle de l’au¬
tre; ainfi la dernière pièce foiidc du corps de la trompe fe
termine en pivot, en pointe aiïes aigûe.
La trompe fins devenir réellement plus longue, peut
nous paroître l’être devenue, parce que fans s’être allon¬
gée, elle peut être portée beaucoup par-delà les dents,
ce que nous appellerons être portée en avant. Lamécha-
nique que la nature a employée pour porter la trompe
en avant, mérite qu’on cherche à la voir, Si il eft ailé
d’y parvenir. Prenons la trompe dans le moment où
elle eft autant en arriére, auffi proche du col qu’elle le
* Fig. 8. peut être *. Si on oblerve alors avec une forte loupe le
*2- pivot * dont nous venons de parler, on le trouvera logé
dans l’angle que font enlemble deux petits corps bruns,
*r,r. longs & droits, 8 l allés déliés*,mais qui ont toute la loli-
dité que peuvent avoir des parties fi menues, car ils font
écailleux ; & on fçait que dans les inleétes la corne &
l’écaille font ce qu’ell la matière oftfcule dans les grands
animaux. Ces deux petits corps longuets, lont les deux
leviers qui portent la trompe en avant. Le pivot par lequel
elle le termine, eft articulé avec Icfommet de l’angle qu’ils
forment. L’autre bout de chacun de ces leviers eft arrêté
* Pi. 28.%. &. articulé fur le bout d’une efpécc de petit pilier * pofé
dans la direction de la longueur de la tête. Malgré le nom
de pilier que je viens de donner aux corps qui fervent
d’appuis aux leviers, ils ne font guéres plus gros que les
* PI ' 2 7 - fig- leviers mêmes. Quand la trompe qui étoit en arriére *, eft:
* Fig. 9 . J )01 'tée en avant *, c’eft le fommet de l’angle * auquel elle
* 2- tient, qui lui fait faire ce chemin. Les deux petits leviers,
fans
DES I N S E C T E s. VI. Mem. 3 I 3
fans fe féparcr l’un de l’autre, s’élèvent peu à peu au-defïus
de la tête contre laquelle ils étoient appliqués, & cela juft^
qu’au point où il leur eft poffible de s’élever le plus, après
quoi ils s’inclinent dans le fens oppofé jufqu’à ce qu ils
foient parvenus à rencontrer le devant de la tête,& à le
coucher deftùs. L’angle qui, dans la premièrepofition* * n. 27. fig.
où nous l’avons pris, étoit tourné vers les dents, dans la
féconde pofition où nous l’avons amené *, eft tourné vers * Fig. 9.
le col, d’où il cil ailé de juger que le l'ommet de l’angle
eft plus proche, & de combien il eft plus proche de la
tête dans cette fécondé pofition, qu’il ne l’étoit dans la
première. Or la diftance qu’il y a entre le point où étoit
d’abord le fommet de cet angle, & le point où il a été
porté, eft vifiblement la mefure du chemin que la trompe
a fait en avant.
Ces petits leviers * qui fervent à porter la trompe en * r, r.
avant, & à la .reporter en arriére, font auïïi les appuis des
deux plus grands demi-étuis *. Un de ces demi-étuis eft *
arrêté par un pédicule * fur un des leviers, & l’autre fur
l’autre par un pareil pédicule. Cette pofition nous ap- » 0 ,
prend pourquoi, lorfque la trompe eft portée par-delà
les dents jufqu’à un certain point, les deux demi-étuis
extérieurs l’abandonnent; le chemin qu’ils font en avant
ne pouvant être aufti long que celui qu’y fait la trompe,
ils font forcés de refter en arriére; car il ne faut pas être
géomètre pour voir que le chemin que parcourent les
(leux bouts réunis des leviers, eft beaucoup plus long
que celui qui eft parcouru par toute autre partie de ces
leviers.
Quoique la trompe ne puifle être portée en avant, fans «
que les deux leviers écailleux fe redreffent pour aller en-
fuite fe coucher du côté oppofé à celui où ils étoient»
tous ces mouvements s’exécutent fans que la trompe
Tome V • R r
314 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
s’élève fenfiblement, 6c fans que le fommet du triangle
.^xcéde jamais le plan où font les bords de la tête ; 6c
* pi. 27. fig. cela parce que les bords du crâne font élevés 6c arrondis*.
12, z> Z' Us lai lient entr’eux une cavité longue 6c profonde par
rapport à l’épaiffeur de la tête. L’origine de cette cavité
cfl peu éloignée de l’endroit écailleux où le col s’infere,
6 c elle s’étend jufqu’aux dents, c’eft-à-dire, jufqu’au bout
* 0. antérieur de la tête. C’eft dans cette grande cavité * qu’eft
placée en tout temps la partie poftérieure de la trompe,
que le font les deux piiliers des leviers, 6c les deux leviers
eux-mêmes, 6c ceux- ci y peuvent faire tout leur jeu fans en
fortir.
* Fîg. 9. m , H nous refte encore à faire connoître des parties * char¬
nues qui fc trouvent dans cette même cavité, 6c qui nous
conduifent à examiner la feule portion de la trompe dont
nous n’avons point encore parlé, la face fupéricure delà
partie poftérieure. Lorfqu’on pouffe la trompe en avant,
ou lorfqu’on la tient allongée par-delà les dents, on re¬
marque une efpéce de cordon très-blanc, plus gros que
le col, vers lequel il femble fe diriger après être entré
dans la tête 6c s’y être enfoncé ; tiraillé comme il i’eft
alors, on juge allés qu’il eft plus long 6c bien moins gros
qu’il ne l’eft lorfque la trompe eft en arriére. On voit un
grand nombre de plis parallèles à fa longueur, femblables
à ceux qu’on oblige de faire à une veffie lorfqu’on la rend
très-oblongue. Le corps que nous venons d’appeller une
efpéce de cordon , a aufti dans d’autres temps la figure
* m. d’une efpéce de veffie *, c’eft fous fon enveloppe que font
cachés les vaiffeaux qui reçoivent lefuc qui eft fourni par
la trompe, 6c qui, dans d’autres circonftances, reportent
des liqueurs à la trompe même. En preffant le ventre
d’une abeille, on force du miel ou quelqu’autre liqueur
à retourner dans ces vaiffeaux, 6c la membrane tranfpa-
des Insectes. VI. Mem. 315
rente qui les enveloppe, permet de voir la liqueur qui
s’y rend & qui s’y raffemble. En un mot, c’eft-là qu’eft
le vaifTeau , ou que lont les vaiffeaux qui reçoivent les
liqueurs ou les autres matières qui entrent dans la tête de
l’abeille, qui le rendent au col où elles trouvent un canal,
qui après les avoir conduites au travers du corcelet, les
porte dans le corps, dans l’eflomac. Enfin, c’eft dans
ces parties charnues qu’il faut chercher les mufcles qui
produifent les mouvements du triangle écailleux deftiné
à pouffer la trompe en avant. Mais ce que nous avons à
remarquer actuellement, c’efl que l’enveloppe blanche &
membraneufe * qui renferme les vaiffeaux qui doivent *
recevoir ce qui eft apporté par la trompe, vient fe réunir 9
au-deffus de la trompe à fa partie poftérieure. Toute
cette partie de la trompe, qui du côté oppofé * a un *
contour circulaire, & qui y eft écaiilcufe, eft platte du côté
que nous examinons actuellement, & charnue *. Les *
chairs y font fuffifamment deffenducs par les écailles de
l’autre face.
Les parties charnues du deffus de la trompe, peuvent,
fi i’on veut, être regardées comme un prolongement des
membranes & des parties charnues qui forment & rem-
pliffent la veflîe qui eft à la bafe ; ou, fi l’on veut, les
regarder comme des fibres différentes, la réunion des
unes avec les autres, l’infertion des unes dans les autres
ne fe fait pas dans un feul point, elle fe fait dans une
étendue qui a quelque longueur ; par-tout où ellefe fait,
les chairs font plus relevées qu’ailieurs, au moins pendant
le tiraillement. Vers l’endroit où finiffent les chairs les
plus relevées, il y a une partie que je n’ai vue que par le
befoin que j’ai eu de la voir. La manière dont les abeilles
fe nourriffent d’une matière qui a une tout autre con-
fiftance que le miel, la manière dont elles rejettent du
Rr ij
* PI. IJ.
7, 9 & i 1
* PI. 28.
4. 0 .
31 6 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
miel dans certaines circonliances, & d’autres faits de
i’hiltoire de ces mouches beaucoup plus curieux, qui
regardent tout ce qui fe palTe pendant qu’elles bûtilfent
des alvéoles de cire, tous ces faits, dis-je, devenoient
inexplicables, pendant qu’on 11e croyoit à la trompe des
fîg. abeilles qu’une ouverture * à peine perceptible, lorlqu’on
,b ' la cherche avec le microfcope, 6c qui elt la feule que
Swammerdam lui ait accordée. Quoiqu’il ait donné des
delfeins de la trompe vûs avec les microfcopes qui grof-
flfent le plus, une autre ouverture, qui eft d’une gran¬
deur prodigieufe en comparaifon de celle du bout de la
trompe, s’il y en a une à ce bout, lui a échappé ; 6c
malgré fa grandeur, elle m’eût échappé comme à lui, h
je ne me fulfe oblîiné à chercher à expliquer les faits que
je viens d’indiquer, les faits les plus embarrafTants, 6c
peut-être les plus fmguliersde l’hilloire des abeilles. Mais
Swammerdam femble ne s’être attaché qu’à confidérer la
trompe par-delfous ; c’elt feulement de ce côté qu’il l’a
fait repréfenter. D’ailleurs, les delfeins qu’il en a donnés*
ne font ni affés détaillés, j’olèrois prelque dire, ni allés
exads pour expliquer ce qu’on peut voir fur la compo-
fition 6c les mouvements de cette partie; 6c fes explica¬
tions ne fuppléent pas à ce qui manque aux delfeins.
Outre cette ouverture prelque infenfible qu’on a pré¬
tendu être au bout de la trompe, les abeilles ont une
%• bouche, 6c même très-grande * ; elle cil fur la trompe
6c dans les chairs dont je viens de parler ; mais quoi¬
que grande, on ne parviendroit pas à la voir, fi on ne
fçavoit 011 l’on doit la chercher. L’ouverture du trou que
j’appelle la bouche, ou, fi l’on veut, le fond de la bou¬
che, efl ordinairement appliquée contre les paroisde cette
cavité, dont la partie antérieure peut être appellée le pa¬
lais de l’abeille. Quand la trompe ell portée en avant >
des Insectes. VI. Mem. 317
alitant quelle le peut être, outre que cette ouverture ell
ibuvent fermée par les chairs qui la bordent, elle fe trouve
placée comme une bouche d’infecte doit l’être, au-deffous
des dents. Une languette de chair *, une vraye langue la
couvre entièrement en quelques circonftances. Mais il y
a un moyen fûr de la voir, qui ne demande qu’une adrclïc
fort médiocre & peu de patience. Après avoir tiré la trom¬
pe en avant autant qu’elle y peut être tirée, on la ramè¬
nera en embas * autant qu’on peut l’y ramener fans la
forcer trop, fans rien déchirer, èc on l’afTujettira dans
cette poftion en tenant fon bout prelfé par un doigt,
foit contre le corcelet, foit contre la tête même. Si alors
on regarde de face la partie de la trompe qui eft au-def¬
fous des dents, on verra une ouverture * plus confidé-
rable qu’on n’auroit cru la trouver ; elle a l’air de l’ou¬
verture d’un grand gober. Son contour paroîtra b bien
terminé, qu’on n’aura aucun lieu de craindre qu’elle foit
une fente produite par un tiraillement trop forcé. On
n’héhtera pas à la prendre pour une ouverture préparée
par la nature. On remarquera que fon contour intérieur
eft un peu plus brun & plus luifant que les chairs des
environs, comme s’il étoit cartilagineux, & comme s’il
avoit une conbflance néceffaire pour réftfter à l’impref-
fion des grains durs qu’il peut recevoir quelquefois. Enfin ,.
on trouvera toujours cette ouverture, & faite de la même
manière, à toutes les abeilles, quand on lachercheradelà
manière qui vient d’être expliquée.
On ne trouvera pas feulement cette bouche aux abeilles
ordinaires, on la trouvera à toutes les mouches de leur
dafte. Il y en a même des genres où elle eft beaucoup
plus vifible, comme dans celui des gros bourdons velus, qui
étant plus gros que ies abeilles, ont une plus grande bouche.
Ç’efl aufb, d’après ces dernières mouches que j’ai fait faire
Rr iij
*PJ. 28.
*./.
* Fig. 4.
* <?»
318 Mémoires pour l’Histoire
les premiers flefleins des parties qui y ont rapport, & qu’il
efl plus ailé de voir diftinélement en tout temps la langue
qui couvre l’ouverture que j’appelle ia bouche. Cette lan¬
gue efl charnue, & capable de prendre bien des figures,
comme il convient à une langue d’en pouvoir prendre.
* Pi. 28. fig. H y a des temps où elle efl allongée*, & où elle rtflem-
9 & 1 1 ' ble en petit aux langues les plus connues ; il y a des temps
où elle efl à peu près également large dans plus des deux
* Fig. 8./. tiers de fa longueur*, &011 le tiers reliant le termine par
une pointe telle que celle d’un angle reéliligne. Dans
d’autres temps fa pointe efl moufle, & formée par des
côtés un peu courbes. En d’autres temps, cette langue
* Fig. 7. /. montre trois pointes moufles difpofées en fleur de lis *.
Il efl ailé de voir fur la trompe des bourdons une ca-
* Fig. 7 & vité* qui a été préparée pour recevoir la langue. Quand la
9 ' e ' langue y efl placée, fa partie fupérieure efl rie niveau avec
* Fig. 8. 1 . le refie de la furface de la trompe *. Si on éleve avec une
épingle cette langue, 011 découvre l’ouverture quelle ca-
* Fig. 7 & choit, l’ouverture* que nous regardons comme la bouche,
I0 - °' &qui feroit appellée le gofier, fi elle fè trouvoit plus loin;
elle efl précifément fituée à la racine de la langue. Cette
racine de la langue efl attachée fur la trompe, mais il m’a
paru qu’elle a encore des attaches contre le palais de la
* Fig. 10. mouche *, & que c’efl de là qu’il arrive que iorfqu’après
avoir tiré la trompe en avant, & l’avoir ramenée en cm-
bas autant qu’il efl poffible, comme nous l’avons expliqué
* Fig. 4. &. ci-deflus, on voit très-bien l’ouverture de la bouche*, elle
1 + efl alors à découvert, & la langue * refie appliquée contre
’ le palais. On n’a qu’à chercher celle-ci, foit dans une abeille
ordinaire, foit dans un bourdon velu, en donnant à fes
yeux lefecours d’une loupe; quoiqu’elle y foit raccourcie,
on l’y reconnoîtra, & on fera aidé à la reconnoître par
la figure qu’elle a alors. C’efl le temps où elle paroîc
DES I N S E C T E s. VI. Mem. 3 I 9
quelquefois faite en fleur de lis*. Quand elle efl ainfi * p[
vûe pnr-dcflbus, on diflingue très-bien une arête allés 7 -
élevée qui la divife d’un bout à l’autre en deux parties ’
égales.
Il n’cfl pas temps de parler de tout ce que peut faire
cette petite partie qui efl deftinée à des fondions bien
importantes, que nous n’expliquerons que dans les Mé¬
moires fuivants. Il efl étonnant que ceux qui ont étudié
les abeilles, n’ayent pas été déterminés par une infinité
de faits, à chercher la bouche dont nous venons de voir
la pofition. S’ils n’ont pas penfé aflcs combien elle étoit
néceiïaire pour donner entrée dans le corps de la mouche
à diverfes matières, ils ont dû rcconnoître au moins qu’il
y avoit une ouverture vers la bafe de la trompe, qui
permettoit fouvent au miel d’en fortir en grofles gouttes.
Quand on prend une abeille qui n’a pas jeûné, quand
on la tient entre fes doigts, on voit fortir de deflous les
dents de grofles gouttes du miel le plus clair & le plus
limpide; plufieurs de ces gouttes parodient les unes après
les autres. Or on ne pouvoit chercher l’ouverture qui
leur permet de fortir, fans trouver la bouche.
Avant que de quitter la trompe des abeilles, nous de¬
vons faire remarquer, que non-feulement elle peut pa-
roître allongée, lorfqu’elle efl portée par-delà les dents,
mais qu’elle efl capable d’un allongement réel dans fit
partie antérieure. Les demi-étuis * qui enveloppent cette * PI. 27.%»
partie, fervent à le prouver. Comme ils font d’une ma- 9 ' 0
tiére analogue à celle de la corne ou de 1 écaillé, ils ne
font capables d’aucun allongement. S’il arrive donc à la
partie contre laquelle ils font appliqués, de s’allonger
depuis l’endroit où ils lui font aflujettis, jufques auprès
de fon bout, cette partie les laiflera en arriére, & elle
les y laiflfe en bien des circonflances. La diflancedu bout
320 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
* PI. 27. fig. de la trompe * aux bouts des demi-étuis*, efl alors fa
3 - & 9 - b - mefure de i allongement qui s’eff fait dans fa partie
* h> fu antérieure.
Lorfqu’une abeille entre dans une fleur qui, près dô
fonfond, a de ces glandes ou refervoirs deftinés à con¬
tenir une liqueur miellée, & qui en ont été bien remplis,
elle peut trouver de cette liqueur épanchée, pour ainft
dire, fur différentes parties de la fleur; c’efl-à dire, qu’elle
peut y trouver de celle qui a tranfpiré au travers des mem¬
branes des cellules dans lefquelles elle étoit renfermée.
Le fond d’une fleur peut ainfi être enduit d’une efpéce
de miel ou de fiicre, comme le font au printemps les
feuilles de divers arbres, & entr’autres celles de l’érable
qui fouvent en font toutes luifantes. La trompe cfl l’inf-
trument avec lequel l’abeille recueille cette liqueur ; on
n’efl pas long temps à voir avec quelle aélivité, & quelle
adreffe elle en fait ufage, fi 011 obferve la mouche qui,
après s’étre pofée fur une fleur bien épanouie, a avancé
vers l’intérieur; bientôt on peut appercevoir qu’elle allon¬
ge le bout de fa trompe, qu’elle l’applique contre les pé¬
tales ou feuilles de la fleur, tout près de leur origine. Alors
ce bout de la trompe eft dans une action continuelle, il
fe donne fucceflivement une infinité de mouvemens difi
férents ; il fe raccourcit, il s’allonge enfuite; il fe con¬
tourne, il fe courbe comme il le doit, pour s’appliquer
fur des parties, foit concaves, foit convexes ; enfin, fes
mouvements font plus prompts & plus variés qu’on 11e le
peut dire.
Mais il n’efl pas aifé de bien connoître à quoi tendent
tant de mouvements, & quel effet ils produifent; je veux
dire, qu’on ne peut pas juger affés de la manière dont la
trompe opère pour faire pafler dans l’intérieur de la mou¬
che, la liqueur quelle enleve à la fleur. Ce qui femblede
DES ï N S E C T E S. VI. Mem. 3 2 I
plus vraifemblable, ce qu’on a penfé jufqu’ici, générale¬
ment, ce qu’a cru Swammerdam, & ce que j’ai cru pen¬
dant long-temps avec lui, c’eft que la trompe elt une
efpéce de corps de pompe, que l'on bout elt percé d’un
trou, par lequel la liqueur peut être alpirée; enfin, qu’il
y a dans le corps de la trompe des pillons ou des parties
équivalentes propres à faire l’alpiration. On ne s’elt pas
même avifé de douter que ce ne fût pas là le vrai jeu de
ia trompe, & je n’en eulfe pas douté aulfi, fi je n’eulfe
penlé à avoir recours à un expédient très-fimple, pour
voir cette partie en action plus à l’aile & plus dillinélement
qu’on ne la peut voir, lorfqu’elle tire d’une fleur le peu de
liqueur miellée qu’elle y trouve. Tantôt j’ai Amplement
enduit d’une légère couche de miel quelques endroits des
parois d’un tube de verre de quatre à cinq lignes de dia¬
mètre, & tantôt j’y ai mis par-ci par-là quelques gouttes
de miel. Des abeilles ont été enluite introduites & ren¬
fermées dans le tube. En pareil cas, elfes oublient prefque
fur le champ qu’elles font prifonniéres. On 11e tarde pas
à en voir d’aulfi près qu’il elt polfible, quelqu’une qui fe
met à fuccer le miel; c’elt en obfervant de celles-ci, que
j’ai commencé à douter que la trompe des abeilles dut
être regardée comme une pompe; car l’abeille ne femble
pas devoir s’y prendre autrement pour tirer le miel de
delfus une fleur que de deflus un tube, & dans cette
dernière circonftance, il ne m’a jamais paru que le miel
Ait pris par fuélion. La mouche ne m’a jamais paru
chercher précifément à pofer le bout de la trompe dans
la petite couche de liqueur, comme cela devroit être, fi
la liqueur devoit être afpirée & introduite par le trou
qu’on y fuppofe. Dès que l’abeille le trouve auprès de
l’endroit enduit de miel, elle allonge fa trompe, c’eft-à-
dire, quelle en porte le bout à une ligne ou plus par-delà
Tome V. . S f
322 MEMOIRES POUR L’HîSTOIRE
* n. 28. fjg. les bouts des étuis*, qui ne ceffent pas de la couvrir dans
1 z.hh,tb. j e re q e q e p on étendue. Si le miel ne fait qu’enduire la
furface du verre, la portion de la partie antérieure de la
* Fig. 12. trompe, qui eft à découvert, fe contourne & fe courbe*
au point nééeflaire pour que fa furface fupérieure s’appli¬
que contre le verre; là, cette partie fait précifëment tout
ce que feroil la langue d'un animal occupé à lécher quel¬
que liqueur. Elle frotte le verre à diverfes reprifes,& le
donne avec une vîtclfe merveilleufe, cent & cent inflexions
différentes.
Si la couche de liqueur qui a été offerte à la mouche
eft épaiffe, fi elle rencontre une goutte de miel , alors elle
fait entrer la partie antérieure de là trompe dans la liqueur;
mais il femble encore que ce foit pour l’y faire agir, com¬
me un chien qui lape du lait ou du bouillon, fait agir la
langue. Dans la goutte de miel même, l’abeille plie le
bout de fa trompe, elle l’allonge & le raccourcit alterna¬
tivement; enfin, elle J’en retire d’inftant en inftant; alors
on lui voit non leulement allonger & raccourcir ce bout
alternativement, on voit qu’elle lui fait faire des finuo-
fnés, & fur tout qu’elle rend de temps en temps fa fur-
* Fig-13 -tb. f ace fupérieure concave*, comme pour donner une pente
vers la tête à la liqueur dont elle s’eft chargée. En un
mot, la trompe paroît agir comme une langue, & non
comme une pompe. Le bout de la trompe, l’endroit où
l’on veut que foit l’ouverture, eft fouvent au-deflùs de la
furface de la liqueur, dans laquelle l’abeille puife.
Après avoir obfervé cent & cent fois, & très-diftinéle-
ment, la trompe en affion, il m’a donc paru qu’on devoit
regarder fa partie antérieure comme une fécondé langue
qui a été accordée à l’abeille, & qu’on pourroit appeller la
langue, extérieure & velue, pour la diftinguer de la langue
charnue plus analogue aux langues ordinaires, de celle de
DES I N S E C T E S. VI. Mem. 323
la bouche. Par Tes différents mouvements, cette langue
extérieure tend à fè charger de la liqueur miellée, & à la
conduire dans la bouche. C’eft furie defîus de la langue
velue que paffe la liqueur; l’abeille cherche fur-tout à l’en
mouiller, à l’en couvrir; en raccourciffanl cette partie, &
quelquefois au point de la faire toute rentrer fous les étuis,
elle porte & dépofp la liqueur dont elle eft chargée , dans
une efpéce de conduit qui fe trouve entre le deffusde la
trompe & les étuis qui la couvrent. Ainfi ces étuis ne font
peut-être pas autant faits pour couvrir la trompe, qu’ils le
font pour former & couvrir le chemin par où paffe la
liqueur qui eft conduite à la bouche, qu’on pourroit
appeller intérieure, fi on vouloit donner le nom de bou¬
che extérieure au canal qui lui fournit la liqueur miellée.
Nous avons dit ailleurs que la trompe peut fe gonfler &
fe contracter, on y obferve auffi des gonflements & des
contractions qui fe fuccédent, & qui peuvent opérer effi¬
cacement fur la liqueur qui eft en chemin fous les étuis,
pour la faire parvenir à la véritable bouche.
Pour me démontrer que la route que je viens d’indi¬
quer, eft celle que l’abeille fait prendre au miel, quelle
ne le fait pas paffér dans l’intérieur de fa trompe, mais
que c’eft entre le deffus de cette trompe & fes étuis, j’ai
tenté une première expérience qui n’a pas répondu à ce que
j’en attendois. J’ai mêlé avec du miel une poudre bleue
extrêmement fine : j’efperois qu’une partie de la poudre
qui feroit conduite avec le miel, refteroit dans le chemin
par lequel elle auroit paffè, & qu’elle le marqueroit. Mais
quand je fuis venu à examiner ce chemin, je ne l’ai point
trouvé coloré. Auffi ai-je remarqué que l’abeille n’avoit
puifé dans le miel que ce qu’il y avoit de plus liquide;
& il y a apparence quelle avoit fçu féparer celui dont elle
s’étoit chargée, d’une poudre qui n’étoit pas à fon goût.
. Sfij
324 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
Mais au moins je me fuis parfaitement convaincu par
un autre moyen, que le miel mis fur la trompe 6c lotis les
étuis étoit conduit à la bouche, entre cette trompe 6c lés
étuis. J’ai écarté les étuis de delfus la trompe d’une abeille
que je tenois entre mes doigts, 6c je fuis parvenu à placer
avec la pointe d’une épingle, une goutte de miel extrê¬
mement petite fur la trompe, dans un endroit où elle pou-
voit par la fuite être couverte par les bouts de l’étui exté¬
rieur. J’ai enfuite laiffé les étuis en liberté,quelquefois ils fe
font d’eux-mêmes remis en place, 6c quelquefois j’ai aidé à
les y remettre. La goutte de miel qu’ils ont recouverte,
n’eft jamais revenue vers le bout de la trompe ; elle a tou¬
jours été poulfée vers la bouche, 6c fans doute dans la
bouche même. Quelquefois pourtant, ayant pris à delfein
du miel qui avoit trop de conliftance, 6c qui étoit en
malle foîidc, parce que je l’avois coloré, le grain que j’ai
pofé fur la trompe, n’a pu être porté jufqua la bouche,
par une partie que j’avois trop fatiguée. Mais alors même,
j’ai vu ce miel grainé avancer vers la tête, je lui ai vû
faire quelque chemin.
J’ai encore mieux vû, 6c dans une circonflance où je
ne clevois pas me prometre de le voir fi bien, que l’abeille
conduit le miel à fa bouche en le failant palier tout du
long de la partie fupérieure de la trompe. Plus d’une fois
j’ai tenu à delfein une abeille dans un état allés violent ;
mon doigt index prelfoit la tête contre mon pouce, 6c
fobligeoit à allonger le bout de la trompe fur l’ongle de
ce dernier doigt. Sur ce bout de trompe allongée, c’elL
à-dire, fur la partie qui n’étoit pas couverte par les étuis,
je mettoisdu miel. L’abeille, quoique fi mal à fon ailé,
n’a pas lailfé de faire ce quelle fait lorfque plus libre elle
fuccc du miel. La trompe s’elt donnée les mouvements
nécelfaires pour faire palfer celui dont je l’avois mouillée
des Insectes. F/. Mem. 325
fous les étuis, d’où apparemment il étoit conduit jufqu a la
bouche.
Il eff donc très-certain que lorfque l’abeille a du miel
à la difpofition , elle le lcche, elle lape, s’ii elt permis de
le fervir de ce terme, Sc que ce n’ell point du tout par le
trou qu’on a cru au bout de la trompe, qu’elle le fait
palfer. Si ce trou exiftoit, il feroit d’une petitelfe extrême.
Sa petitelfe m’a fait naître le premier doute que j’ai eu
fur l'on exiftence. Il ne me paroilloit pas poffîble qu’une
grolfe goutte de miel, qui fouvent étoit bue fous mes
yeux dans peu d’infants, eût pu en fi peu de temps
palfer par une fi petite ouverture. Une preuve encore
plus forte que ce trou n’exife point, m’a été fournie
lorfque je prelfois une trompe vers l'on origine pour
l’obliger ele fe gonfler *; j’y vovois arriver la liqueur * pi. 2 s.fjg.
qui lui faifoit prendre plus de volume: mais j’ai eu beau
prclfer la trompe, jamais je ne fuis parvenu à forcer de
la liqueur à fortir par fon bout, quoique la preffîon ait
fouvent mis la liqueur en état de produire lin déchire¬
ment dans les membranes, qui lui donnoit une ouver¬
ture par laquelle elle s’échappoit. Ne feroit-ce pas être
trop timide, que de n’ofer alfürer que les abeilles n’ont
pas une manière d’enlever le miel des fleurs, différente
de celle dont elles enlèvent celui qui ef fur un tube
de verre! Ce qu’il peut y avoir de different, c’ef que
l’abeille qui fe trouve dans une fleur où il n’y a pas affes
de miel épanché, employé peut-être les frottements de fli
trompe velue, pour ouvrir les capfules qui le contien¬
nent. En pareil cas, elle peut bien auffi faire un ufage
de fes dents femblable à celui qu’elle en fait lorfque les
fommets des .étamines tiennent encore renfermées les
pouffiéres quelle cherche; elle peut bien avec fes dents
ouvrir les veffies qui ont de la liqueur miellée. Elle fçait
Sf iij
326 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
s’en fervir quand il s’agit de hacher du papier qui couvre
du miel ; & pourquoi ne s’en ferviroit-elle pas, quand il
s’agit de déchirer les membranes qui forment des veffies
pleines de miel, ou d’une liqueur propre à devenir miel l
EXPLICATION DES FIGURES
DU SIXIEME MEMOIRE.
Planche XXV.
La Figure 1 eft celle d’une abeille ordinaire, d’une ou¬
vrière.
La Figure 2 fait voir de côté la partie antérieure de
cette abeille extrêmement groflie, fa tête & fon corcelet.
a, a, fes antennes, d, fes dents, t , la trompe, un de fes
yeux àrezeau.
Dans la Figure 3, on voit la tête, le corcelet, & partie
du corps d’une abeille par-deflus. Ces parties quoique
groflies, le font moins que dans la figure précédente.
а, a, les antennes, y,y, les yeux à rezeau. ô b les petits
yeux, c, le corcelet.
La Figure q repréfente une antenne de l’abeille de la
figure 1, vûe au microfcope. b, bafe de l’antenne, f, la
partie frite en fufeau. c, bouton avec lequel un des bouts
dufufeau cfi articulé. Depuis c jufqu’en a, eft la fuite des
anneaux qui compofent le relie de l’antenne.
Les Figures 5,6 & 7, font celles d’une des dents ou
mâchoires d’une abeille ordinaire, obfervée au microfcope.
Dans la figure 5, la dent eft vûe par-deffus. Dans la figure
б, elle eft vûe par-deflous & de côté. Et dans la figure 7,
elle eft vûe par-deffous & de face ; c’eft feulement dans
celle-ci qu’on peut obferver l’arête ac, qui divile en deux
fa cavité.
DES I N S E C T E s. VI. Mem. 3 27
La Figure 8 montre en grand & par-defius deux dents
d’abeilles, appliquées l’une contre l’autre, comme elles le
font, l'oit dans leurs temps de repos, loit iorfqu’elles pref-
fent quelque grain de cire, ou quelqu’autre petit corps.
La Figure 9 eft la figure 8 vue par-delTous. L’ouverture
o, qui refie de ce côté-là, entre les deux dents, eft remar¬
quable ; Ion contour efi bordé de poils.
La F igure 1 o repréfente dans fa grandeur naturelle un
mâle d’abeille', une de ces mouches appeliées afies com¬
munément bourdons, & que nous avons nommées faux-
bourdons. Ce mâle a ici les ailes écartées du corps, comme
il les a quand il vole.
La Figure 1 1 fait voir par-derriére la tête d’un mâle
d’abeille, très-gro/fie. y,y, fes yeux à rezeau qui fe tou¬
chent l’un l’autre fur la partie pofiérieure de la tête ; au
lieu que les mêmes yeux de l’abeille ouvrière, figure 2 &
3 , lai (fient là un intervalle entr’eux. i, i, les petits yeux
pôles plus près du devant de la tête que ne le font ceux
des abeilles ordinaires, figure 3. a, a, les antennes.
La Figure 1 2 montre la tête de la figure 1 1 par-clevant.
Si prefque de fa ce. y, y, les yeux à rezeau. f un des petits
yeux, d, d, les deux dents, t, la trompe. En comparant ces
dents Si cette trompe avec les dents Si la trompe de la
mouche ouvrière, figure 2, on voit que le faux-bourdon
les a plus petites, quoiqu’il foit plus grand.
La Figure 1 3 eft celle d’une antenne d’un faux-bourdon
grofiie, mais dans une proportion qui n’eft pas la même
que celle dans laquelle l’eft l’antenne de la mouche ordi¬
naire, figure 4. Il fuffit qu’on puifte remarquer que le
fufeau f de la figure 13, eft beaucoup plus court pro¬
portionnellement que dans la figure 4, & que la partie de
l’antenne du mâle qui vient après le bouton c, a dix an¬
neaux, au lieu que la même partie de l’antenne de l’abeille
328 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
ouvrière n’en a que neuf. Swammerdam n’a pas été exact
dans le compte qu’il a fait des parties dont lont compo-
fées les antennes des différentes mouches; il en donne i 5
à celles des mouches ordinaires, & feulement 1 1 à celles
du mâle, qui en ont plus que les autres. Il fait commencer
chaque antenne par le fufeau. Le fufeau de chaque an¬
tenne d’une mcre abeille, efl à peu près aufïï long que celui
des abeilles ordinaires ? mais par-delà le bouton qui s’affem-
ble avec le fufeau, l’antenne des meres abeilles a, comme
celle des mâles, dix anneaux.
La Figure 14. repréfente une dent d’un faux-bourdon,
groffie 6c vue par-défions.
La Figure 1 5 efl celle de la partie antérieure d’une
mere abeille vue de côté 6c groffie, mais elle ne l’efl pas
autant que la partie antérieure de l’abeilie ordinaire, figure
2. La comparaifon de la figure 1y avec la figure 2, luftit
pour apprendre que la forme de la tète des meres reflein-
ble à celle delà tête des abeilles ordinaires, 6c nullement
à celle de la tête des mâles ; on y voit affés que la trom¬
pe t, de la mere efl beaucoup plus petite que la trompe
des abeilles ordinaires, f, un des fligmates pofiérieurs du
corcelet. Le ftigmate antérieur qui efl du même côté, efl
caché par la première jambe.
Les Figures 16 6c 17 repréfentent une mere abeille;
celle delà figure 16, a des efpéces de rayes rougeâtres,
féparées par des rayes plus larges, 6c d’une couleur plus
pâle, plus blancheâtre. La mere abeille de la figure 17 a
à peu près par-tout la même teinte de brun. Elle efl une
des plus petites meres. L’autre qui efl vue de côté, a le
corps plus renflé, 6c efl une mere de la grandeur la plus
ordinaire.
La Figure 18 montre en grand 6c par-deffus une dent
de mere abeille.
La
des Insectes. VL Mem. 329
La Figure 19 fait voir par-dcffousla dent de la figure 18.
Dans la Figure 20, les deux dents d’une mere abeille
Font pofées l’une contre l’autre, & engrainées, pour ainfi
dire, l’une dans l’autre, comme elles le font ordinairement.
Si on compare ces deux dents avec celles de la figure 8,
on verra quelles différent beaucoup des dents des abeilles
ouvrières.
Planche XXVI.
La Figure 1 repréfente une petite portion d’écaille
enlevée du corcelet d’une abeille ordinaire, vue au mi-
crofcope; elle fcmble couverte d’une infinité de petites
plantes, dont les tiges font chargées de feuilles; ces petites
plantes font les poils dont elle étoit couverte.
Les Figures 2, 3 & 4., font celles de trois jambes d’une
abeille ouvrière, vues par leur ftee extérieure, & groffies
à la loupe. La jambe de la figure 2, en cfi une de la pre¬
mière paire; la jambe de la figure 3, en eff une de la
fécondé paire; & la jambe de la figure4, en elf une de
la troifiéme paire. Les mêmes lettres marquent fur ces
trois jambes les mêmes divifions. a, la partie qui eft arti¬
culée avec le corcelet de la mouche, e f, la cuiffe. Dans
la figure 4, la partie y, qui fuit la cuiffe, a été nommée
la palette triangulaire; on voit qu’elley eft autrement faite
que dans les figures 2 & 3 , qu’elle a un enfoncement, une
gouttière ; au lieu que dans les figures 2 & 3 , la même
partie eff arrondie: auffi cette partie a dans les jambes de
la troifiéme paire, un ufage qu’elle n’a pas dans celles des
autres paires, elle y eff delfinée à recevoir les pouffiéres
des étamines, ou la cire brute, b, la partie que j’ai appellée
la broffe, & qui eff beaucoup plus grande dans la jambe de
la figure 4, que dans celles des deux autres figures. La
broffe b, de la figure 3, quoique pius petite que celle de
Tome V. . T t
330 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
la figure 4, cfi de même applatie. Mais la broffe de la
figure 2,eft plus arrondie. q, les différentes articulations
qui compofent le j)ied. c, c, deux grands crochets par
lefquels le pied efi terminé, i, ï, figure q., deux autres cro-
cliets plus petits.
La Figure 5 efi deftinée à faire voir plus en grand &
mieux qu’on ne le voit dans la figure q, renfoncement
de la partie appellée palette triangulaire, & les poils dont
elle efi entourée, f, un refle de la cuiffe. b, une portion
de la broffe. p, la palette triangulaire. Les poils dont là
cavité efi bordée, forment avec cette cavité une efpéce
de corbeille; ceux qui font vers c.ff, fe contournent en
s’élevant.
La Figure 6 montre une jambe de la troifiéme paire
par fa face intérieure; c’efi la jambe qui efi vue par fh
face extérieure dans la figure 4. p, la palette triangulaire.
b, la broffe formée par diverfes bandes de poils parallèles
les unes aux autres, q, le pied.
La Figure 7 repréfente la broffe b, de la figure précé¬
dente telle quelle paroît au microfcope, & le pied.p, un
refie de la palette triangulaire, b, b, la broffe, dont les poils
paroiffent ici forts & roides. On doit remarquer qu’ils
font faits autrement que ceux qui rendent velues d’autres
parties de l’abeille ; on n’a qu’à les comparer avec ceux
de la figure 1, pour voir combien ils en différent, o, q, r,f,
les différentes articulations du pied. c,c, les deux grands
crochets. 1 , un des deux petits crochets.
La Figure 8 efi celle d’une abeille qui retourne à fa
ruebe chargée de fes deux pelottesde matière à cire p,p,
les deux pelottes, dont chacune efi pofée fur la palette
triangulaire d’une des jambes de la troifiéme paire.
La Figure 9 fait voir une abeille dans le moment où
elle frotte la broffe d’une de fes jambes pofiérieures contre
des Insectes. 17 , Mem. 331
le bord extérieur de la palette triangulaire de l'autre jambe
de la même paire, pour faire paiïer fur celle-ci les pouf
fiéres dont les poils de la brolfe font chargés.
Dans la Figure io, une abeille cfl reprélentée dans le
moment, où avec une des jambes de la fécondé paire,
elle tape fur la pelotte de cire brute qui elt fur la jambe
de la troifiéme paire qui fe trouve du même côté, pour
façonner cette pelotte, & pour approcher les uns des au-;
très les petits grains dont elle eft formée.
La Fig. 1 1 eft en grand celle d’une portion d’une jambe
de la troifiéme paire d’une abeille, vue du côté intérieur,
ou du côté oppofé à celui qui paroît dans la figure 8.
f p, partie de la palette triangulaire, ggg, pelotte de cire
brute, logée en partie dans la cavité de la palette. On voit
beaucoup de poils collés contre la pelotte, & qui aident
à la foûtenir.
La Figure 12 repréfente en grand une portion cc, du
corcelet d’une abeille, & une portion a, de fon corps; le
corps &le corcelet y font inclinés de manière, l’un par
rapport à l’autre, qu’on peut voir le filet charnu f par
lequel pafie tout ce qui prend fa route par le corcelet pour
fe rendre dans le corps, & par où repafte tout ce qui re¬
tourne du corps au corcelet, &. à la bouche, comme le
miel & la cire, l'oit brute, foit parfaite. Le bout du cor¬
celet c, c, forme une convexité qui peut fe loger dans la
concavité 0 o, qui eft à la partie antérieure du corps;
quand la convexité de l’un eft entrée dans la concavité
de l’autre, la partie antérieure du corps eft appliquée con¬
tre la partie poftérieure du corcelet, ellesne paroiflent plus
jointes l’une à l’autre par un fimple filet.
La Figure 13 montre par-deïïous & en grand, le corps
d’une abeille ordinaire, c, c, partie du corcelet . f, jonction
du corps au corcelet./, f, f, &c. z>Z> l, & c - bouts des
T t ij
33^ Mémoires pour l’Histoire
arcs qui forment la partie fupérieure des anneaux, Si qur
fe recourbent fur les côtés, pour venir fe terminer du
côté du ventre, Si y recouvrir les bouts des lames écail-
leufes qui deffendent le ventre.
La Figure 14 repréfente une portion du corps de l’a-
beille vue du côté du ventre, & plus en grand que dans
la figure précédente, f, f, bouts de deux des arcs qui for¬
ment la partie fupérieure de deux anneaux. I, l, deux des
James écailleufes du ventre; elles ont été écartées l’une
«le l’autre, afin qu’on pût voir non-feulement leur partie
4 qui eft brune Si écailleufe, Si la feule qui paroiffe dans
la figure précédente, mais qu’on vît aufîî leur partie c,
qui efl blanche, Si qui n’efî que membrancufe, Si au
moyen de laquelle chaque lame effc attachée au-deffous
de ia partie écailleufe de la lame qui la précédé.
Planche XXVII.
Toutes les Figures de cette Planche ont une grandeur
qui furpaffe beaucoup celles qu’ont naturellement les par¬
ties quelles repréfentcnt.
Les Figures r Si z font celles d’une tête d’abeille ordi¬
naire vue en-deffous Si de face, figure i ,Si vue en-deflous
Si de côté figure 2. d,dj les dents. 1, la trompe. figure
2, un œil à rezeau.
La Figure 3 fait voir par-deffus une tête d’abeille, dont
la trompe efl allongée & portée en-devant, a, a, les an-
tennes.jy,jy, les yeux à rezeau. 4 la levre fupérieure. J, J?
les dents, ff les deux pièces qui enfembie forment le
fourreau extérieur, le grand fourreau du deffus Si des
côtés de la trompe, h, h, bouts des deux pièces qui com¬
posent le petit étui, celui des côtés, t, bout de la trompe.
Les Figures 4 & 3 repréfêntent toutes deux la trompe
vue par-deffus, mais de côté, figure 4, Si de face, figure 5.
des Insectes. VI. Man. 3 3 3
f f les deux grands demi-étuis. En^ figure q, on vojt
le côté de la trompe qui cft couvert par un des demi-
fourreaux. h,h, les barbes des demi-étuis intérieurs. d,d,
les dents.
La Figure 6 montre une trompe coupée tranfverfale-
ment enf f, à quelque dihance des dents d, d. Sur cette
coupe, on voit comment chacun des demi fourreaux exté¬
rieurs f, vient couvrir un des côtés de la trompe, fans lé
recourber vers le deffous.
La Figure 7 nous préfente une trompe allongée, vue
par-deflus, & de laquelle ont été écartés les demi-étuis
extérieurs & les intérieurs, b, bouton par lequel la trompe
eh terminée, b t, la partie antérieure de la trompe qui
s’étend jufques un peu par-delà g, g, jufque vers/// car
c’eft vers II, qu’elle peut être pliée en deux, comme elle
l’eft dans les ligures 1 & 2. La partie t b, eh toute couverte
de poils ; celle qui la fuit, l’eft aufîî jufque près de g, g.
Mais une ligne droite paroît partager également en deux
portions, les poils qui font depuis/', jufque près de g, g*
L’origine de l’un & de l’autre demi étui intérieur eh près
de g g . e,e, ces demi-étuis, b,h, efpécesde barbes compo-
fées de trois à quatre articulations. Ces barbesfont ordinai¬
rement perpendiculaires à l’axe de la trompe. Au-deiïous
de chaque g, eh une tache brune formée par une partie
qui embrafle la trompe, & la fortifie./’/,/'/, les deux demi-
étuis extérieurs, & les plus grands, qui ont une el'péce de
coté fi, qui fait laféparation de la partie deftinée à cou¬
vrir le dehus de la trompe, & de celle qui l’eh à cou\ rir un
des côtés, k, k, les tiges des demi-fourreaux précédents..
d, d, les dents.
La Figure 8 fait voir par-dehous une trompe qui eh
redrehèe lans être allongée, une trompe qui eh enve¬
loppée dans tous fes fourreaux, t, la partie antérieure de
T t ii|
334 Mémoires pour l’Histoire
la trompe, f f les demi-étuis extérieurs, //, h, les barbes
des demi-étuis intérieurs./, la bafe de la partie poftérieure
de la trompe, qui Te termine par un pivot q, aflemblé avec
les deux petits leviers r,r, au fommet de l’angle qu’ils font
enfembie. c , le trou d’où part le col de la mouche.
La Figure 9 repréfente encore une trompe vûe par-
deffous, mais qui elt portée loin en devant,& qui eh: hors
de fon grand fourreau, comme elle le doit être alors, b , ie
bouton qui termine la partie antérieure de la trompe, t , la
trompe, h, h, barbes des demi-étuis intérieurs, e, e, ces
demi-étuis, g g, pièces qui çmbraffent & fortifient la
trompe, fi, fï, les deux demi-étuis extérieurs, fï, fï, y
marquent en creux ce qui elt en relief, figure y. k,k, tiges
des demi-étuis extérieurs. 0,0, filets tendineux par Jef-
quels les tiges h, h, font attachées à leurs appuis, p, bafe
de la trompe. <y, bout du pivot par lequel elle fe termine.
r, r , les deux leviers qui portent en avant la trompe, &. qui
la retirent en arriére. Dans le premier cas l’angle que font
enfembie ces leviers, & fur le fommet duquel le pivot porte,
cet angle, dis-je, a fa concavité tournée vers le col <?, &
lorfque la trompe eft autant en arriére qu’elle le peut être,
figure 8 , la concavité de cet angle efl tournée vers la tête.
c, le col. m, », », parties mufculeufes qui fervent au jeu de
la trompe.
La Figure 10 eft celle d’une longue portion de fa
partie antérieure, plus grolfie qu’elle ne l’eftdans la figure
précédente. Tout du long de Ion milieu on voit une raye
£x. De chaque côté de la raye eft une bande lifife, qui efl
fuivie d’une bande cannelée tranfvcrfalement.
La Figure 1 1 efl celle du bout de la partie antérieure
de la trompe vû par-defiTus, & qui efl plus groffi ici que
dans les figures précédentes; les poils dont il eft couvert
de ce côté-là, font grands & plus ailés à rcconnoître pour
des Insectes. VI . Mem . 33^
eequ’ilsfont. Le bouton efl aulfiplus fenfible; fon milieu
eft creux, Si fembie percé.
La Figure 12 efl celle d’un crâne d’abeille vû par-
deflous. c, le trou d’où part le col. £, 1, lont des parties
convexes, Si qui s’élèvent fenfiblement au-deiïus de ce
qui les environne. 7:1, efpéce de cloifon qui fépare la partie
antérieure de la tête de la poftérieure. 0, cavité dans la¬
quelle font logées les partiesde la trompe, analogues à la
bouche. Le fond de la cavités, peut être regardé comme
une elpéce de palais.
Planche XXVIII.
Toutes les Figures de cette Planche font groflies à la
loupe ou au microfcope.
La Figure 1 fait voir de côté une trompe d’abeille ordi¬
naire détachée dedeffus le crâne, & toutes lès dépendances.
Quelques-unes des parties qui fervent à la porter en avant,
Si à la retirer en arriére, s’y trouvent en entier, au lieu
qu’il n’y a qu’une portion de ces mêmes parties de vifible
dans la figure 9 planche 27, le relie étant caché par les
élévations du crâne, r , la trompe, h, barbe d’un des demi-
fourreaux intérieurs, f i, un des demi fourreaux extérieurs.
Ip , bafe de la trompe, q, fon pivot, r, un des deux leviers
qui forment enfemble un triangle, & qui fervent à porter
la trompe par-delà la tête, & à la ramener vers le col. o, pé¬
dicule d’un des demi-fourreaux extérieurs Si qui l’attache
au levier r. Les pièces 0 x, ru , lont des ligaments. //;, partie
des mufcles de la trompe.
La Figure 2 repréfente une portion de la partie anté¬
rieure de la trompe, vue de côté, Si dans le temps où on
l’a obligé de fe gonfler en preffant la trompe vers fon
origine, t, le deiïlis de la trompe, d, d, tfl le milieu du
delïous qui n’dl point velu, mais qui efl pointillé.
-3 6 Mémoires pour l’Histoire
La Figure 3 efl encore celle d’une portion antérieure
de la trompe que la preffion a obligée de fe gonfler ;
elle efl vue ici par-deflous. tf, ligne qui la divilè tout
du long en deux parties. Les endroits les plus proches
des bouts qui font ras ici , paroîtroient velus, fi la
trompe n’étoit pas gonflée vers t, fi les membranes qui
font diftendues pour fournir au gonflement, étoient
la Figure q., on a difpofé la trompe comme il
convenoit qu’elle" le fût pour mettre en vue la bouche,
& la langue de l’abeille. La trompe a été dépliée & tirée
vers le col. Au moyen de la violence qu’on lui a faite,
on voit au-deflbus des dents d } d, la langue/, qui cft rele¬
vée & appliquée contre le palais, o , l’ouverture qui peut
être regardée comme celle du fond de la bouche. f,f
les demi-fourreaux extérieurs, h, h, les bouts des demi-
fourreaux intérieurs.
La Figure 5 repréfente la tête d’une mouche qui efl
d’un genre qui appartient à la claffe des abeilles, mais
d’un genre qui 11e lé tient point dans des ruches, & qui,
comme nous le dirons ailleurs, fe conrtruit lui-même fon
logement; en un mot, cette tête efl celle d’une de ces
groffes mouches velues qu’on appelle des bourdons ;
comme leur tête efl plus grofle que celle des abeilles ordi¬
naires, elle efl plus propre aufli à faire voir la langue &
la bouche. Les trompes de ces bourdons font conftruites
comme celles des abeilles, elles n’en différent en aucune
partie eflcntielle. t, la trompe pliée & couverte de tous
fcs étuis .d,d, les dents qui ont des cannelûres, que les dents
des abeilles 11’ont pas.
La Figure 6 montre par-deflous la trompe du bour¬
don velu, couverte de toutes fes enveloppes. p, fon pivot.
k,kj les tiges des demi-étuis extérieurs .gfgf ces demi-étuis,
ce qui
pli (fées.
Dan
DES I N S Ë C T E S. VI. Àleni . 3 3 7
ce qui paroît blancbeâtre entr'eux, eft la trompe meme
qu’ils ne couvrent point.
La„ Figure 7 eft dcftinée à faire voir la langue du bour¬
don velu, relevée, & l’entrée de l’œfophage qui eft dans le
fond de la bouche, a, portion du devant de la tête. I, la
langue relevée contre le palais, & qui a une de ces figures
bizarres quelle prend de temps en temps. 0, fond de la
bouche ou entrée de l’œfophage. c, efpéce de canal, dans
lequel fe rend le lue mielleux que la langue pouffe enfuite
vers l’œfophage. f h, f h, demi-étuis, fous lefquels la
trompe eft cachée.
La Figure 8 repréfente une portion de tête, dont jv &y,
font les yeux à rezeau. La tromp c f f quoique dans les
fourreaux, a été tirée en avant autant quelle le pouvoit
être. La langue /, eft logée dans la cavité de la trompe,
qui peut être prife pour le commencement de la bouche.
La Figure 9 ne diffère de la figure 8, qu’en ce que la
langue l, eft relevée en partie au-deffus de la cavité deftinée
à la recevoir.
La Figure 1 o montre la langue du bourdon par-deffous
*& relevée contre le palais, mais fous une autre forme que
celle quelle a dans les figures 7, 8 & 9. e, i’ouverture de
l’œfophage.
La Figure 1 1 fait voir par-deffus une langue 4 de bour¬
don , qui a affés la forme de langue, & qui eft allongée par-
delà la levre fupérieure.
La Figure 12 repréfente une tête d’abeille qui fait agir
fa trompe pour enlever la liqueur miellée dont lafurface
de quelque corps eft enduite, & pour conduire cette
liqueur à la bouche, f étuis extérieurs qui couvrent alors
ledeffus d’une grande partie de la trompe, hji, houppes
par lefquetlcs finiftent les étuis intérieurs, tb, la trempe
allongée bien par-delà les bouts des étuis intérieurs, m, la
Tome V .Vu
338 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
furface enduite de liqueur miellée. Le delîus delà partie
allongée de la trompe, a été rendu convexe, & elt ac-
tuellement appliqué fur la liqueur miellée. Ce qu’on doit
fur-tout remarquer, celt que le bout h, de la trompe eft
élevé au-deffus de la furface de cette liqueur, & que par
conféquent la liqueur n’eft pas afpirée par ce bout.
La Figure 1 3 fait voir une trompe d’abeille contournée
dans un fens contraire à celui où elle l’elt dans la figure
précédente. Le côté qui elt convexe dans cette dernière,
eft concave dans la figure 1 3 ; mais aufîi la trompe de la
figure 13 , s’eft éloignée du plan in, fur lequel la liqueur
miellée eft étendue. La trompe après s’être chargée de
cette liqueur, comme elle s’en charge dans la figure 1 2,
rend concave, figure 1 3, le côté qui étoit convexe dans la
figure 1 2, pour faire aller vers //, h, fous les étuis, la li¬
queur qui elt en t.
33 8-Mem. 6. de lUietr. des Insectes Tom ■ S'.
IfatcssiZi'i/ Sculfi ■
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des Insectes. VIL Mem. 339
SEPT I E'AIE M EM 0 1 R E.
DES AIGUILLONS DES ABEILLES,
DE LEURS COMBATS,
Et des différences remarquables entre les parties exté¬
rieures des abeilles ordinaires, if les parties exté¬
rieures des mâles if des meres.
N O us n’avons rien à craindre des trompes des abeilles,
par la defeription delquelles nous avons fini le Mé¬
moire précèdent ; elles ne font pas faites comme celles
des coufins, & celles de divers inleétes, pour percer notre
chair. Mais les abeilles ont le derrière armé d’un aiguillon
plus redoutable que la trompe des coufins : la piquûre
cfl fuivie de douleurs beaucoup plus vives que celles que
le coufm nous fait fentir pendant qu’il boit notre fang.
Audi cet aiguillon n’efl-il par rapport à nous, qu’une
arme défenfive; il eft rare que les abeilles s’en fervent
contre quelqu’un qui ne les inquiète pas. Fût-il defliné
à nous faire plus de mal, fa ftruéîure n’en feroit pas
moins digne d’être connue; dès qu’on la connoît, on eft
forcé d’admirer l’appareil avec lequel il eft fait. Ce ne
font pas feulement les abeilles ordinaires qui font pour¬
vues d’un aiguillon ; les abeilles de différents genres,
comme les gros bourdons velus Si les bourdons liffts,
beaucoup de très-petites efpéces d’abeilles folitaires , Si
des mouches qui ne font pas de la claffe des abeilles,
comme les frelons, & plu fleurs efpéces de guêpes, font
toutes armées d’un aiguillon fait à peu près lur le même
V u ij
340 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
modèle: Ainfi, en expliquant comment celui des abeilles
efi compofé, nous ferons connoître la compofition de
ceux de toutes ces autres mouches.
Dans les temps ordinaires l’aiguillon des abeilles efi
caché dans leur corps; mais dès qu’on en tient une par
le corcelct entre deux doigts, elle ne tarde pas à faire iortir
Pl.29.fig. le fien comme un trait, d’un peu au défions de l’anus *.
Bientôt elle le frit rentrer, mais c’efi pour» le darder de
nouveau & à bien des rept iles. Alors elle recourbe fon
corps dans tous les fens & de toutes les façons qu’il lui efi
pofîible; elle cherche à piquer les doigts qui la gênent.
Mais pour voir plus confiamment cet aiguillon, & pour
fe procurer le temps de le mieux obfcrver, il faut faifir
le corps de la mouche, & le prefier près du derrière;
on oblige ainfi l’aiguillon de fe montrer, & la preffion
continuée ne permet pas aux parties defiinées à le rame¬
ner en arriére, de faire leurfonélion. Quand il commence
* c,c. à paroître, il efi accompagne de deux corps blancs *,
oblongs, arrondis par le bout, & dans chacun defquels
une gouttière efl creulée. On juge aifément que ces deux
pièces compofent cnfemble une efpéce de boîte, dans la¬
quelle l’inftrument délicat efi logé lorfqu’il efi dans le corps
* Eig. 1. de la mouche *. Ainfi renfermé, aucune partie de l’inté¬
rieur ne lui peut nuire, & ce qu’il étoit auffi nécefiaire
d’empêcher, il ne peut Méfier aucune partie. A mefure
qu’il avance davantage hors du corps, les deux pièces qui
lui fervoient de fourreau , s’en écartent, & quand il efi
entièrement forti, elles fe trouvent l’une à droite & l’autre
à gauche hors de l'on alignement.
Quoique ce petit dard loit extrêmement délié, on J’ap-
perçoit néantmoins à la vue fimple ; elle fuffit même pour
faire juger que quelque fin qu’il l'oit, & fur-tout auprès
de fon extrémité, il efi creux, & qu’il l’eft jul’qucs au
des Insectes. VII. Mem. 3 41
bout de fa pointe ; car bientôt une gouttelette d’une
liqueur extrêmement tranfparente paroît pofée fur le bout
même de cette pointe. On voit cette pente goutte groffir
de moment en moment. Enfin fi on l’emporte avec le
doigt, une autre gouttelette reparaît bientôt dans la
même place. On prévoit déjà le fatal ul'age auquel une
liqueur li claire eft deftinée. On foupçonne fans doute
que malgré là limpidité elle efi le poifon qui doit être porté
dans la playe; & c’cfi ce que nous prouverons dans la fuite
par les expériences les plus décifives.
Mais il ne faut pas s’en tenir à regarder cet aiguillon
avec les lêuls yeux ; fi on leur donne le fecours d’une
loupe d’un court foyer, ils peuvent nous apprendre qu’il
n’elt pas un infiniment aulfi fimple qu’il le paroidoit.
Sa baie * efi folide, épaiffe & grade, lî on la compare
avec la tige qu elle porte. A mefurc que cette bafe s’é¬
lève, elle devient plus menue ; elle efi un peu appla-
tie, elle a moins de diamètre d’un côté à l’autre, que
de devant en arriére. Dans l’endroit qu’on peut prendre
pour fon terme, il y a une efpéce de talon * du côté du
dos de la mouche : C’efi de là que part cette tige droite
defiinée à faire des piquûres lî douloureules, qui n’efl:
pourtant que le prolongement de cette partie que nous
venons de nommer la baie. Le tout efi d’une même cou¬
leur, d’un châtain brun, & d’un luilànt qui fait connoître
que cette piece efi de corne ou d’écaille. A mefure que
la tige approche de fon extrémité, elle devient de plus
en plus déliée, &. enfin elle fe termine par une pointe
fine.
Malgré la finede dont cette pointe avoit paru, il y a
pourtant des circonfiances où elle femble monde. Nous
venons de remarquer que fon bout eft percé, qu’il laifie
fortir de la liqueur. De cette même pointe qu i avoit femblé
Y u iij
FI. zc). %
342 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
très-fine, on voit quelquefois s’élever une autre pointe, qui
l’efl beaucoup davantage, & qui s’élève tantôt plus tantôt
moins, & qui tantôt rentre entièrement dans celle d’où
elle étoit fortie. C’eft alors fur-tout que la première pointe
paraît moufle, parce qu’on conferve l’image recente de
la ]>ointe plus fine qui a difparu.
Dès lors on juge que ce corps fi délié qu’on avoit pris
pour un aiguillon , n’eft que la gaine , le tuyau d’un autre
aiguillon incomparablement plus fin. On n’a pas cepen¬
dant encore affés d’idée de la fineffe de ce dernier, quand
on en juge par celle de l’étui dans lequel il eft contenu,
car cet étui ne renferme pas un feul aiguillon, il en ren¬
ferme deux égaux & femblables. C’cft ce qu’il efi plus aifé
de voir qu’on ne croirait ; il y a différentes manières d’y
parvenir, que nous allons expliquer. Si on examine mieux
que nous ne l’avons fait encore , ce corps que nous pre-
* pi. 2$. fig. nions pour l’aiguillon *, & que nous fçavons n’être qu’un
3 - étui, on remarquera que fa circonférence efi arrondie &
unie vers le dos & fur les côtés, mais qu’en deffous il a
une elpéce de fente ou du moins une cannelûre qui va
en ligne droite de fia bafe à la pointe. Une obfervation
fimple & qu’on aura fouvent occafion de faire lorfqu’on
étudiera les aiguillons, démontre que ce tuyau conique
eff réellement fendu dans toute fa longueur. Cette oblèr-
vation eft femblable à celle qui a prouvé ci-deffus que le
bout de ce tuyau eft percé. Pendant qu’on le manie, il
arrive quelquefois qu’on voit fuinter de la liqueur en dif¬
férents endroits de la rainure, tantôt plus & tantôt moins
éloignés de la pointe, & quelquefois dans des endroits affés
proches de la baie ; qu’on voit des gouttes s’y former.
Quand on vient à examiner la bafe, & qu’enfuite on fe
rappelle la figure, la nature & ladifpofition des pièces qui
font jouer les deux feies dont font pourvues les mouches
des Insectes. VIL Mem . 343
dont il a été parlé dans le troifiéme Mémoire , la ieuie
infpection des pièces qu’on trouve à l’origine de 1 étui
des abeilles, porte à croire ou au moins à foupçonner
fortement, que celles-ci ont deux aiguillons comme
les autres ont deux fcies. On y remarque aifément deux
filets écaiileux *, dont l’un vient de la gauche & l’autre * pi. 29.
de la droite en fe courbant, & qui arrivés à la bafe de l’étui 3 & 7 - è>
& après y être devenus parallèles l’un à l’autre, parodient
s’introduire dans l'on intérieur. On n’en relie pas au fimple
foupçon, fi on tente de faire paffer une pointe très-fine *, * Fig- 4.
telle que celle des petites épingles, ou des lancettes
étroites faites pour des opérations de la nature de celle-ci,
fous un de ces filets écailleux dans l’endroit où il paroît
entrer dans l’étui ; on y parvient, & avec quelque patience
on réuffit à foûlever & à dégager le filet qu’on attaque. Dès
qu’on eft parvenu à faire palfer la pointe entre le filet &
l’étui, fi on la conduit vers le bout de celui-ci, l’aiguillon
fort de plus en plus, & ii fort tout entier, & achevé de fe
dégager avant que la pointe de métal foit arrivée aux deux
tiers de la longueur de l’étui *; c’eft par la couliffe, par * Fig,
la fente de la face inférieure, qu’il fort. On peut de même
Si avec plus de facilité encore parvenir à retirer le fécond
filet. Enfin onnepeut les méconnoîtrepour des aiguillons,
dès qu’on voit que depuis leur bafe juiques à leur extré¬
mité, ils diminuent degrofïèur pour finir par une pointe
extrêmement fine, & qu’ils font de nature de corne ou
d écaille.
Il pourroit, cependant, refier encore quelque fcrupule
par rapport à ces deux aiguillons; on pourroit craindre
que la pointe fine qu’on a fait agir, n’eût détaché de chaque
bord de la couliffe une fibre qui efi prifie enfuite pour ce
quelle n’eft pas. Le vrai efi néanrmojns que la facilité avec
laquelle chacun des filets efi léparé du refie, leur liife Si
344- Mémoires pour l’Histoire
leur contour arrondi ne permettent guéres de les croire
des fibres détachées du tronc. Mais il y a une manière
de fc démontrer ces aiguillons, qui ievera tout fcrupule,
fur-tout fi on cherche à obferver ceux des mouches qui
en ont de plus gros que les abeilles ordinaires, comme
ceux des bourdons Si ceux des frelons. En tenant le bout
du ventre de la mouche preffé, on forcera l’inflrument
defliné à faire de douloureufes bleflures, à refier en de¬
hors. Alors on le coupera tranfverfalement vers le milieu
* Pi. de fa longueur *. On détachera ainfi du refie & on fera
tomber une de fes moitiés : Qu’on examine alors le bout
de l’autre moitié, avec une loupe de 4a 5 lignes de foyer,
on y diflinguera les coupes circulaires de deux petits
*e,g. corps * pôles à côté l’un de l’autre dans un canal qui a
une fente tout du long d’une de fes faces. Ces deux petits
corps dont on voit les bouts, font les deux aiguillons tron¬
qués ; mais comme ils l’ont été dans un endroit où leur dia¬
mètre furpaffe celui des environs de leur pointe, il efîplus
ailé de s’affurer de ce qu’ils font, qu’il ne l’efl quand la
pointe de l’un ou celle de l’autre fort par le bout de l’étui.
Diverfes circonflances peuvent aider encore à rendre
les deux aiguillons fenfibles : Si on manie, fi on preffe cil
différents fens la bafe de l’étui , on contraint tantôt les
deux aiguillons d’avancer également par-delà le bout de
* Fig. 7. dd. l’étui *, tantôt on n’en oblige qu’un à avancer * pendant
* Fig. 6 .d. que l’autre refîe en place. Quelquefois on les voit tous
deux excéder le bout de l’étui, mais l’un 1 excède plus
que l’autre; tantôt on les fait defcendre tous deux, tantôt
on 11’en fait defcendre qu’un féul au-defïous du bout
de l’étui. Enfin non-feulement on les voit alors diffinéfe-
ment tous deux, mais on voit comment ils peuvent agir,
foit enfemble loit féparement; qu’un des deux peut être
porté en avant pendant que l’autre refle en arriére ; qu’ils
peuvent
• des Insectes. VII. Mem. 345
peuvent agir alternativement, & c’eft probablement de la
forte que la mouche les met pour l’ordinaire en acflion.
On voit aufti qu’ils peuvent être pou fies tous deux à la
fois & également en avant, & retirés en arriére.
Pour découvrir certaines parties, même dans les grands
animaux, il y a des temps à choifir : on ne réuffiroit pas
à voir les veines laélées d’un animal qu’on n'ouvrirait que
plu fieurs heures après que ladigeftion ferait faite;mais elles
paraîtront bien diftinétes dans l’animal dont la digeflion
ne fera qu’à peine finie. Il y a de même un temps où l’on
peut parvenir à voir les deux aiguillons des mouches dans
leur entier Si très-diftinéïement. Ce temps favorable eft
celui où la mouche eft encore cachée fous les enveloppes
de nymphe. Nous avons dit ailleurs que dans un temps
femblable on découvre plus aifément que la trompe du
papillon eft compofée de deux pièces égales, engrainées
l’une dans l’autre, qu’on ne le découvre dans le papillon
parfait. Dans la mouche qui eft encore nymphe, l’étui
des aiguillons eft ouvert, il n’eft prefque alors qu’une
lame platte, dont chaque côté a un rebord, ou, i 1 l’on
veut, une lamecanncllée dans toute fa longueur. Quand
cette lame fe roule, quand elle prend la figure conique
quelle a dans la mouche parfaite , elle renferme Si cache
les deux aiguillons ; mais quand la lame eft platte , les
deux aiguillons font couchés l’un à côté de l’autre
dans une coulifleoù il n’y a que leur petiteflè quipuifte
les dérober à la vue. Mais j’ai eu des nymphes où iis ne-
toient pas fi petits que la vûe fimple ne pût les diftin-
guer *. Les nymphes dont je veux parler, font celles * PI. 29. fig.
d’une efpéce de frêlons de S.‘ Dominique, qui furpalfe I0 *
beaucoup en grofteur l’efpéce de frêlons que nous avons
dans ce pays. Elles avoient été envoyées dans l’eau-
de-vie, dans laquelle leurs parties intérieures s’étoient
Tome V. . Xx
346 Mémoires pour l’Histoire#
bien confervées clans leur figure & leur pofition natu¬
relles.
Au refie, tous les bons obfervateurs qui ont examiné
ce qu’on appelle communément l’aiguillon des abeilles,
ont reconnu que ce corps, qui nous paroît fi déiié& fi fin,
n’efl que l’étui de deux aiguillons fèmblables. Leeuwen-
hoek, Swammerdam, Hook & Malpighi le premier, les
ont décrits & en ont fait graver des figures. Lorfque j’ai
donné dans les Mémoires de l’Académie de 1719. l’Hif-
toire des Guêpes, j’ai parlé de leur aiguillon en homme
qui n’avoit pas affés profité des obfervations de ces Sça-
vans, & qui n’avoit pas affés cherché à s’inflruire par lés
propres yeux. Trop occupé & trop fatisfàit peut-être de
quantité de faits finguliers que ces mouches m’avoient
fournis, je négligeai de rechercher autant que je l’aurois
dû, les merveilles qui fe trouvent dans la compofition
d’un infiniment redoutable pour nous. J’ai voulu réparer
ici cette négligence, en détaillant les différentes manières
dont ceux qui feront curieux de s’affurer de la réalité des
deux aiguillons, pourront s’en convaincre.
Près de leur pointe ils ont chacun fur un de leurs cô-
fig. tés * des dentelures fines & dont la partie la plus large eft
tournée vers la bafe. Ces dentelures qui ne permettent pas
aux aiguillons defortir des chairs où ils ont été introduits,
fans fouffrir beaucoup de frottement, font caufe fans
doute que les abeilles les laiffent fouvent & leur étui dans
les piquûres qu’elles ont faites, & dont on les oblige de
s’éloigner plus vite qu’il ne leur conviendroit. D’ailleurs
on voit bien que ces dentelures font utiles pour faire
pénétrer les aiguillons dans la chair. Celui qui vient d y
être enfoncé, s’y maintient & devient un appui pour
celui qui efl refié en arriére, & qui doit, dans l’inflant
fuivant, aller plus loin que l’autre.
des Insectes. VIL AI cm. 347
Un gros frelon de fille de Cayenne, dont j’ai parlé ci-
deflus, a non-feulement des dentelures à chacun de les
aiguillons *, l’étui même des aiguillons eft dentelé * ; fur * PI. 29.%
chacun des deux côtés oppolés il a une file de dix ou
douze grolfes & fortes dents. On en peut compter
quinze à leize fur chacun des aiguillons des mouches à
miel ; mais pour les pouvoir compter, c’efi-à-dire pour
les voir difiinélement , il faut les chercher avec un micro-
Icope qui grolliife beaucoup, & les y placer dans une
poûtion favorable ; car il arrive fouvent que les faces qui
lbnt en vue, font celles qui font iilfes, & alors on cft tenté
de croire que l’aiguillon qu’on examine n’a point de ces
illégalités qui lui lbnt nécefiaires.
Lorfque nous avons cherché à nous afiùrer de l’exif-
tcnce des deux aiguillons, nous avons déjà vû d’avance
qu’ils ont chacun leur bafe particulière en dehors de l’étui,
& qu’elle efi courbe. Celle de l’un fe contourne vers la
droite*, & celle de l’autre vers la gauche*. L’endroit où * Fig. 7. e.
chacune d’elles va s’infercr, n’efi pas difficile à découvrir. * 3 -
Quand 011 ouvre le ventre d’une abeille, on trouve de
chaque côté près de l’origine de l’étui, une plaque dont
la furface efi affés confidérable ; elle a de la folidité , on
peut la manier fans la brifer. Elle efi compofée de trois
pièces cartilagineufes *, réunies enlemble par une mena- * Fig. 4&
brane flexible, mais qui a beaucoup de conlifiance. De 7 "" h n> c ’*
ces trois pièces, dont il efi inutile de bien décrire les con¬
tours, celle du milieu efi la plus allongée & la plus étroite.
C’efl à celle-ci & à la première que fe réunit la bafe d’un
des aiguillons *, qui tient à l’une .& à l’autre par deux * r ,q.
petits pédicules. De-là il efi ailé de juger que chaque
aiguillon a des appuis folides contre la plaque à laquelle
il efi attaché, &que la plaque efi faite pour le faire jouer;
qu’elle efi pourvûe de tous les mufcles néceffaires pour
Xx ij
348 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
ic pouffer en dehors du corps & le retirer en dedans.
Ce n’ed pas affés à !a mouche de pouvoir faire pénétrer
dans les chairs l'es aiguillons & leur étui ; elle ne manque
jamais cl’empoifonner la blefiure quelle fait. Nous avons
déjà vu que le poifon quelle y verfe, 11’ed pas un noir poi-
ion , qu’il elt une liqueur extrêmement tranfparente ; mais
il nous rede à faire connoître le refervoir qui la fournit.
Quand on a ouvert le ventre de la mouche, on parvient
facilement à le trouver en piacc , parce qu’il ed précifé-
ment dans celle où il ed naturel de le croire & de le cher¬
cher. Un peu par-delà la bafe de letui, vis-à-vis le mi¬
lieu de i’efpace que lai dent dans le ventre les deux aiguil-
* PI. iç.fig. } ons en s’éloignant l’un de l’autre, ed une veffie* remar¬
quable par fa tranfparence, & que fa tranfparencefùt juger
pleine d’une liqueur très-claire. Elle ed encore remarqua¬
ble par là folidité; car fi on la détache, on peut la manier,
lui faire changer de figure jufques à un certain point,
en la preffant doucement entre deux doigts, & cela lans la
crever. Dans Ion état naturel eHe ed oblongue comme une
olive. Son plus grand diamètre ed pofé dans le fens delà
longueur du corps. On ne fçauroit la méconnoître pour
ce qu’elle ed, dès qu’on s’ed affûré quelle ed pleine de
liqueur, & qu’on obfervequ’elle le termine par uneefpéce
* r • de vaiffeau *, qui le dirige entre les deux aiguillons, & qui
entre dans leur étui. Swammerdam croit avoir vil que le
bout de ce vaiffeau le réunit à letui un peu par-delà fon
plus grand rendement ; mais ce qui ed incontedable, c’eft
que ce vaiffeau ed le canal qui conduit la matière véni-
meufe du refervoir dans letui des aiguillons.
* f,f. De l’autre bout de ce refervoir part un autre vaiffeau *;
Swammerdam adurequ’à une certaine didance ce vaiffeau
fedivife en deux. Il 11’ed pas ailé de l’avoir dans toute là
longueur; maisj’cn ai eu de beaucoup plus longsqueceux
des Insectes. VIL Metn. 3 4.9
que ce célébré Auteur a fait repréfenter. Il croit que les
deux branches formées par la divilion de la tige principale,
font des vai fléaux aveugles. Je ferois plus difpofé à penfer
quelles s’inferent quelque part dans le canal des aliments
ou dans quelque partie où fe fait la fécretion d'une liqueur
qui dl apportée au grand refervoir. Ce refervoir efi peut-
être pour les abeilles ce qu’eft la vefficule du fiel pour les
grands animaux. Je veux dire feulement quelœconomie
anifnale des abeilles demande qu’une certaine liqueur foit
féparée de leur fan g par fécretion; & que cette liqueur,
qui efi conduite dans une veffie, eft celle que la nature
a accordée à ces mouches pour les rendre plus redou¬
tables à leurs ennemis.
Malgré ce que l’examen que nous avons fait de l’infiru-
ment dont les abeilles font pourvues, nous a appris de fa
compofition, pour nous exprimer plus brièvement & plus
conformement au langage reçu, nous en parlerons dans la
fuite comme d’un infiniment fimple, nous continuerons
de donner le nom d’aiguillon à cet affemblagede plufieurs
pièces; il n’y aura nul équivoque à en craindre, parce que
ce fera ordinairement au pluriel que nous parlerons des
aiguillons renfermés dans 1 étui, & que quand nous en dé-
fignerons un feul, il fera caraétérilé par quelque épithéte ou
par des circonfiancesqui ne fçauroient permettre qu’on le
méprenne. Nous dirons donc que quand une abeille irritée
a piqué Ion aiguillon dans notre chair ou dans quelque
corps qui lui a été préfénté, comme dans un gand, fi on
la preffe de partir, elle l’y laiffe; mais elle ne l’y laiffe pas
feul, la plupart de fes dépendances y refient attachées,
comme les plaques cartilagineufes, la veffie à venin, St
beaucoup de parties mufculeufes. La blefîure qu’elle a
voulu faire , lui coûte citer, plus cher que ne coûteroit
à un homme le coup de poing qui lui feroit perdre fur
350 Mémoires pour l’Histoire
ie champ tout le bras, ou le coup de pied qui lui feroit
perdre la cuiffe. La bleffure quelle s’eh faite à elle-même,
eh une terrible & mortelle bleffure, à laquelle elle ne fçau-
roit furvivre long-temps. Après que cet aiguillon avec les
dépendances a été arraché & entièrement léparé du ventre
de l’abeille, il femble encore animé du défir de la venger;
au moins comme s’il l’étoit, il travaille à rendre plus pro¬
fonde la bleffure qu’il a faite & dans laquelle il eh rehé.
Sa bafe continue à fe donner des mouvements, elle s’in¬
cline alternativement dans des fens contraires. Lesmuf-
cles dehinés à faire pénétrer l’aiguillon dans les chairs ou
dans d’autres corps qui n’ont qu’un médiocre degré de
dureté, font refiés adhérents à cette bafe, & ils continuent
leur jeu, comme les mufclesde la queue d’un lézard con¬
tinuent le leur après que cette queue a été coupée, &
même coupée en morceaux.
Une des meilleures manières de bien voir la longueur
* PI. 29. fig. des vaiffeaux * qui portent le venin à la veffie , c’eft de faihr
7 -ff' l’abeille pendant quelle pique , ou , ce qui eh encore plus
facile, c’eh d’offrir à une abeille qu’on tient de manière
à n’avoir rien à en craindre, un morceau de peau épaiffe
& fouple , un morceau de chamois par exemple. Elle croit
fe venger de celui qui lui fait violence, en enfonçant fon
aiguillon dans le cuir. Quand elle l’y a bien engagé, qu’on
la retire brufquement, mais qu’on ne l’en éloigne que de
quelques lignes. L’aiguillon & fes dépendances reheront
dans le chamois, & on pourra voir au bout-pohérieur delà
mouche, un filet blanc qui va aboutir à la veffie à venin.
Qu’on éloigne cette abeille de plus en plus, mais douce¬
ment, de l’endroit dans lequel l’aiguillon eh demeuré, le
filet dont nous venons de parler continuera de fortir du
corps, Si on parviendra aifément à l’avoir long de 2 à 3
pouces. D’où il fuit que ce filet, ouplûtôt ce vaiffeau, fait
des ï N s E c T E s. VL Mem . 3 51
plufieurs contours dans le corps de l’abeille,qu’il y ell replié
bien des fois; mais étant aulfi délié qu’il l’eft, il ell très-diffi¬
cile de voir où il le termine, 6c je n’y fuis pas parvenu.
Une oblervation qu’on doit faire alors , c’elt que les
deux plaques cartilagineulès*font parallèles l’une à i'autre, * PI. 29. fig.
quelles femblent tendre à s’appliquer l’une fur l’autre, 6c 7 - mn °; mno '
quelles ne font féparées que par la veffie à venin, qui ell
prefque vuide. De-là il ell allés naturel defoupçonner que
l’unique ufage de ces deux plaques n’elt pas de fervir d’ap¬
pui aux deux aiguillons, 6c de les faire jouer, qu’elles fervent
en s’approchant l’une de l’autre, à prefler la veffie, à obliger
Ion venin de couler dans le canal qui la porte dans l’étui ;
6c que les deux aiguillons en mouvement conduifent cette
liqueur jufques au bout de l’étui, qu’ils la font fortir par
cette ouverture, qui leur permetà eux-mêmes de paroître
en dehors. Quand les deux aiguillons ne feroient qu’à
peu près coniques, comme nous l’avons lailfé imaginer,
ils nefçauroient remplir l’étui conique dans lequel ils font
pofés à côté l’un de l’autre, il y refteroit un vuide capable
de recevoir la liqueur venimeufe qui y ell dardée ; mais
Swammerdam a cru voir qu’ils font applatis l’un 6c l’autre
par le côté par lequel ils fe touchent ; que tout du long
du milieu du même côté régné une gouttière, 6c que
les gouttières des deux aiguillons appliquées l’une contre
l’autre forment un canal qui reçoit 6c conduit la liqueur
venimeufe au bout de l’étui. Je n’ai pû voir ni le côté ap-
plati de chaque aiguillon, ni la gouttière que Swammer¬
dam prétend y être : peut-être ell-ce faute d’être parvenu
à obferver un aiguillon dans une pofition favorable. Il y
a des circonllances où l’on voit la liqueur s’échapper par
la fente qui ell tout du long du milieu de la face inférieure
de l’étui, 6c il femble qu’elle ne devroit jamais fortir que
par l’ouverture du bout, s’il y avoit un canal deltiné à h
352 Mémoires pour l’Histoire
contenir. Elie s’échappe par la longue fente toutes les
fois qu’on preffe affés l’étui auprès de fa bafe, pour
obliger cette fente à devenir plus large. Dans d’autres
temps cette longue ouverture efl bouchée par les aiguil¬
lons mêmes. La liqueur ne coule pas fimplement dans
le conduit, elle y eft comme dardée, elle l’eft au moins
par des mouches de certaines efpéces. J’ai rapporté ail¬
leurs * que pendant que je tenois entre deux doigts un très-
gros frelon , je vis fortir du bout de fon aiguillon un
jet de liqueur qui fut pouffé à une diflance de plufieurs
pouces. Au refte il y a grande apparence que les aiguillons
n’ont pas fimplement la figure arrondie fous laquelle nous
les avons fait repréfenter, & qu’ils ne font pas contenus
dans leur étui comme des plumes le font dans une écri-
toire; il y a grande apparence, dis-je, qu’ils y font affem-
blés à couliffe&à languette, d’une manière analogue à
celle dont nous avons vu que les limes de la cigale font af-
femblées avec leur fupport. D’autres infeéles nous donne¬
ront encore d’autres exemples de cet affemblage, employé
pour maintenir pendant leur jeu, des pièces qui doivent
alternativement être pouffées en avant, & retirées en arrié¬
re: mais des couliffes qui feroient taillées dans les aiguil¬
lons des abeilles, ou des languettes qui y feroient ménagées,
pourroient bien nous échapper par leur extrême petiteffe.
Nous avons fuppofé jufques ici que c’eft une liqueur
très-limpide qui rend fi douloureufes des bleffures qui
autrement feroient à peine fenties ; il eft temps de le
prouver ou plutôt de le démontrer par une expérience
très-fimple. Je l’ai faite d’abord fur moi-même, & quel¬
ques-uns de nos Académiciens & d’autres amateurs de
la Phyfique, ont voulu depuis que je la repetaffe fur
eux. Avec une épingle très-fine, je me fuis fait deux pi-
quûres à un doigt, proches l’une de l’autre. Avant que de
des Insectes. VIL Mem. 353
me les faire, j’avois eu foin de me munir d’une mouche
à aiguillon; dès que je me fus piqué, je prefïai le ventre
de la mouche, j’obligeai l’aiguiilon de fe montrer, & je
pris une petite goutte de la liqueur qui s’étoit ralfemblée
à fou bout, avec la pointe de mon épingle. Alors je fis
entrer une fécondé fois cette pointe dans une des bleffures
quellem’avoit faites, où je ne la tins qu'un inftant; ç’en
fut ailes pour quelle y laiffàt du venin. Il n’y fut pas
plutôt introduit, que je fentis une douleur femblable à
celle qu’011 lent après avoir été piqué par une mouche à
miel. Au relie, la douleur de la playe où l’épingle a porté
de l’irritation, eft, comme celle des piquûres d’abeilles, plus
aigue ou plus modérée, félon la quantité de liqueur veni-
meufie dont la playe a été mouillée; & peut-être encore
félon l’état de la playe, c’ell-à-dire, lclon la grandeur des
vailfeaux qui ont été ouverts, & félon le plus ou moins de
fenfibilité des filets nerveux qui ont été attaqués. Je répé¬
tai un jour cette expérience fur un de nos Académiciens
qui doutoit de fon effet, ou au moins du degré de l'on
effet. Pour le mieux convaincre, je n’épargnai pas la li¬
queur. Je fis entrer dans la piquûre une grolfe goutte que
j’avois prife au bout de l’aiguillon d’un bourdon velu.
L’épreuve fut bientôt plus forte qu’il ne l’eût voulu ;
quoique très-courageux, il ne put lentir la douleur cui-
l'ante de fa petite playe, fans beaucoup piétiner, & fans
peller contre l’expérience.
Le relie d’ailleurs égal, il y a des temps où les piquûres
des abeilles font plus lenfibles que dans d’autres. Celles
qui font frites en hyvcr par des mouches prefque engour¬
dies de froid, ne font pas à beaucoup près aulfi doulou-
retifes, ni douloureufes pendant un temps fi long, que
celles qui font faites dans des jours chauds d’été, & elles
ne font pas fuivies d’autant d’accidents. La liqueur peut
Tome V . Y y
354 Mémoires pour l’Histoire
cire plus exaltée, plus fpiritueufe en etc qu’en hyver.
D’ailleurs la mouche n’en a peut-être pas une aufïi grande
provifion en hyver, ou elle n’a pas affés de force pour
en faire fortir autant. J’ai rapporté dans l’Hiftoire des
* Mémoires Guêpes *, une expérience qui fait voir que plus la quan-
tité de liqueur que la mouche a à verfer, eft grande, 6 c
22 . 6 . " plus la piquûre eft fenfible; 6c qui prouve en même temps
que la quantité qui eft dans le refervoir, peut être bientôt
épuifëe. J’y ai dit, qu’ayant été piqué un jour par une
guêpe, je crus qu’il valloit autant prendre fon mal de
bonne grâce, je la laiffai achever de me piquer tout à fon
aife : en pareille circonftance, la mouche retire de la playe
fon aiguillon fain 6c entier. Quand elle eut elle-même
retiré le fien, je la pris, 6c en l’irritant, je la pofai fur la
main d’un domeftique aguerri, qui n’étoit pas à une pi¬
quûre près. Celle qui lui fut faite, fut peu douloureufe. Je
repris la guêpe, & je me fis piquer moi-même une féconde
fois. A peine fentis-je cette dernière piquûre; la liqueur
venimeulè avoit été prefque épuifée dans les deux pre¬
mières. Enfin, j’eus beau irriter la guêpe, elle ne voulut
pas piquer une quatrième fois.
La quantité de liqueur venimeufte qu’on peut prendre
avec la pointe d’une épingle au bout de l’aiguillon d’une
abeille, eft fi peu confidérable, qu’on nedoit point croire
qu’il y ait du rifque à l’appliquer fur fa langue, 6 c on
doit être curieux de fçavoir l’effet qu’elle y produit, d’en
connoître le goût. C’eft une expérience que Swammer-
dam a faite avant moi, 6 c que j’ai répétée plufieurs fois,
6 c fiit répéter à diverfes perfonnes. Sur l’endroit de la lan¬
gue qui eft touche par ce peu de liqueur, on fent d’a¬
bord un goût douceâtre qui femble tenir un peu de celui
du miel ; mais bientôt ce doux devient âcre & brûlant.
Qn fent une impreffion de chaleur analogue à l’impreffion
des Insectes. VIL Mem. 355
qu’y feroit le lue laiteux du titimale. L’endroit de ma
langue ou la petite gouttelette avoit été appliquée, eft
quelquefois relié pendant plufieurs heures, comme s il
eut été légèrement brûlé. Quelquefois ma langue a été
limpiement un peu échauffée. La liqueur que Swam-
merdam a goûtée, a produit plus d'eftet, elle a mis fa
bouche plus en feu. Mais l’effet doit être plus grand
félon la quantité de liqueur qu’on aura prife, & peut-être
encore, comme nous venons de le dire, félon le temps
dans lequel on l’aura prife. Une liqueur qui femble brû¬
ler la langue, qui y fait naître au moins de la chaleur,
eft très-capable de eau fer des douleurs cuifantes dans des
libres qui viennent d’être bi ffées. Des liqueurs plus douces
étant introduites dans des playes nouvellement faites, y
peuvent produire des irritations douloureules. Après m'ê¬
tre fait deux petites bleffures avec une épingle, j’ai quel¬
quefois introduit dans l’une la pointe de la même épingle
mouillée de miel ;& fur le champ la piquure eft devenue
douloureufe, bien moins pourtant que fi la pointe de l’é-
pingle y eut porté de la liqueur venimeufe. Il n’eft pas au
refte, aifé de faire des expériences propres à nous découvrir
la nature de cette liqueur. Quelquefois j’ai effuyé le bout
d’un aiguillon où il y en avoit une goutte avec du papier
bleu ; l’endroit qui en a été mouillé n’a point rougi : ainft
cette liqueur n’eft point acide, ou elle n’a pas un acide
actuellement développé.
Nous fçavons que l’œconomie animale demande qu’il
fe faffe des lecrétions dans le corps des grands animaux.
Et nous avons déjà fait remarquer, que comme la le-
crétion de la bile lé fait dans ceux-ci, de même il fe
fait dans les abeilles celle de la liqueur qui remplit la
veiïie qui eft à la bafede l’aiguillon. Cette liqueur devoit
être feparée de celles qui circulent dans les vaifteaux de
356 Mémoires pour l’Histoire
l’infecte, & elle a apparemment, comme la bile, des ufages ;
peut-être aide-t-elle à faire faire dans lesinteflins de la
mouche, des digeftions dont nous parlerons dans la fuite.
Les animaux de toutes efpéces n’auroient pas à fe plain¬
dre de la liqueur venimeufe que l’aiguillon des abeilles in¬
troduit quelquefois dans leurs chairs, s’il étoit vrai, comme
Pline la raconté, que l’ours devenu trop gras, va à deflein
irriter des abeilles logées dans un tronc d’arbre, < 3 : qu’il fe
fait faire une infinité de piquures, fur-tout à fon muleau,
qui lui font falutaires. Il feroit bien étrange que la nature
eût appris à l’ours à avoir recours à un tel remede; que
pour rétablir fafanté, il fût obligé de fe faire faire un grand
nombre de petites blelfures capables de faire périr dans des
douleurs cuifantes tout autre animal.
Selon les apparences, il n’y en a aucun, fans en excepter
l’ours, auquel un tel venin ne faffe quelque mal. Il peut
pourtant y avoir du plus ou du moins. Peut-être agit-il
plus foiblement fur les animaux de certaines efpéces, que
iiir ceux des autres. Entre les hommes il y en a pour qui
ces fortes de piquûres ne font rien en comparaifon de ce
qu’elles font pour d’autres hommes. J’ai eu un domefli-
que qui n’en tenoit prefque aucun compte. En quelque
endroit qu’il eût été piqué, cet endroit ne s’élevoitprelque
point, les environs delà piquûre ne s’enfîoient pas, comme
fe fulfent enflés les environs d’une femblable piquûre faite
à d’autres. J’eus occafion de vérifier ce fait en éprouvant
un remede que feu M.du Fay avoit foupçonné bon, & qu’il
croyoit avoir expérimenté avec fuccès. Ayant été piqué
par une abeille, il penfa à effayer l’effet de l’huile d’olive
mife fur fa piquûre. Des expériences faites en Angleterre,
l’avoient conduit à cet eflai. Elles ont paru prouver que
cette huile efl capable d’arrêter les effets funefles d’un
venin bien autrement puiffant que celui des abeilles. On
des Insectes. VIL Mem. 357
a prétendu qu’un homme bravoit les morfures des vipères
au moyen de l’huile d’olive qu’il appliquoit fur celles qui
lui avoient été faites. M. du Fay ayant été piqué au nez
par une abeille, voulut éprouver ce que pourroit l’huile
d’olive en pareil cas. Dès que l’huile eut été étendue fur
fa petite bleflure, la douleur fut appaifée, elle ne revint
point, 6c il 11e parut aucune élévation. 11 me raconta ce
fait, fçaehant que j’avois plus d’occafions que perfonne
de répéter l’expérience du nouveau remede. Dans des cas
fembiables, j’avois déjà éprouvé l’effet de l'huile d’aman¬
de douce, 6c le luccès que cette huile avoit eu, ne devoit
pas me difpofer à bien augurer de celui de l’huile d’olive.
Cependant je fus tenté au bout de quelques jours, de lui
donner plus de confiance. Un de mes domeftiques fut
aufiï piqué au nez, j’étois préfent, 6c je ne tardai pas à
humeéler fa piquûre d’huile d’olive ; il parut s’en trou¬
ver très-bien; il m’aflura qu’il nefentoit plus de douleur,
6 c fon nez ne devint aucunement enflé. Dès le lendemain,
je fis une opération qui demandoit que j’euffe plu fleurs
perfonnes à m’aider, 6c une de ces opérations, dont on
ne fe tire guéres fans être piqué. Elle me parut très-fivo-
rable pour répéter les épreuves de l’huile d’olive. Après
avoir retiré l’aiguillon d’une piquûre qui fut frite à mon
cuifinier, fur le front6c prefque entre les deux yeux, je la
frottai d’huile d’olive; il fe crut foulagé, mais s’il reçut
un foulagement, il ne fut que paffager. Au bout d’un
quart d’heure, à peine pouvoit- il entr’ouvrir les yeux. L’en¬
flure qui avoit gagné l’une6cl’autre paupière, les tenoit
toutes deux abbaiflees. Je fus moi-même piqué cinq fois
tant aux doigts qu’aux bras. Je n’épargnai pas l’applica-
tion de l’huile d’olive, 6c malgré l’huile, mes doigts, ma
main 6c mon bras s’enflérent 6c relièrent douloureux.
L’huile n’eut pas un autre luccèspar rapport aux piquûres
Y y iq
358 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
de quelques autres perfonnes fur lefquelles elle fut éten¬
due. Pourquoi avoit-elle donc li bien réuffi ou paru fi
bien réuffir fur le domeftique fur lequel je l’éprouvai
d’abord î J’eus l’après-midi un très-bon éclairciflement à
cette difficulté. Dans l’après-midi, ce même domeffique
fut piqué par plus de douze abeilles différentes, aux doigts,
aux mains, aux bras, fans qu’il s’en plaignît, & fans qu’il
parût s’en cmbarraffer le moins du monde, & auffi fans
qu’aucune des piquures produisît d’enflure fenfible. J’ai
connu à la campagne, des gens qui nedaignoient pas cou¬
vrir d’un gand la main avec laquelle ils alloient couper des
gâteaux dans l’intérieur d’une ruche, quoiqu’ils fçuffent
quelle feroit piquée plus d’une fois. Ces piquûres extrê¬
mement douloureufes pour les autres hommes, étoient
fi peu de chofepour eux, qu’elles ne leur paroiffoient pas
valoir la peine qu’ils fe gênaffent la main, qu’ils la ren-
diffent moins libre par un gand.
Il n’y a peut-être que trop de remedes qui ne doivent
leur réputation qu’à quelque cas femblable au premier où
nous avons employé l’huile d’olive; que parce qu’ils ont
été donnés dans des circonftances où ils étoient inutiles
pour guérir le mal. Outre l'huile, j’ai éprouvé contre le
venin des abeilles, beaucoup de jus de différentes plantes
qui nous ont été indiquées par différents Auteurs. J’ai
éprouvé l’urine,qui eff beaucoup vantée; j’ai éprouvé le
vinaigre, &c. & je n’ai rien tenté qui ne m’ait paru avoir
dans quelques circonftances, des fuccès qui ont été dé¬
mentis par la fuite. Ce qui même eff trop pour le rcmede
qu’on voudroit préférer, c’eff qu’il n’y en a aucun qui,
dans i’inftant où il a été appliqué, n’ait diminué ou ap-
paifé la douleur. L’eau feule a fouvent produit cet effet ;
la douleur revient après, & l’endroit piqué & les parties
qui en font voifines, s’enflent plus ou moins félon le
des Insectes. VIL Mem. 359
tempérament de la perfonne, & peut-être félon les clii-
pofitions adhielles de fon intérieur ; & enfin, félon les
fibres des nerfs ou des vaiffeaux qui ont été blefTés. Ce
qu’il y a de certain, c’eft qu’il 11e faut jamais manquer
doter l’aiguillon de la playe dans laquelle il a été laiffé.
Le perfil pilé m’a femblé avoir mieux réuffi que tout ce
que j’ai employé ; cependant j’ai fi peu d’opinion de ce
remede, que quoique je fois de ceux à qui les piquûres
font très-cuilantes, & quoique les miennes foi eut ordi¬
nairement fuivies d’enflüre, je ne daigne plus y avoir
recours.
Mais on demanderapeut-être de quelle néceffité il étoit
que les abeilles fuffent pourvues, pour nous piquer, d’un
aiguillon compolé avec tant d’art î C’eft que cet aiguillon
qui nous pique quelquefois, ne leur a pas été donné pré-
cifément pour nous piquer. Elles ont des ennemis, contre
iefquels il faut quelles fe puiffent deffendre. Il y a plus,
des mouches plusgrofies quelles ne font, & fur lefquelles
elles doivent cependant avoir la fupériorité, qu’elles doi¬
vent attaquer avec avantage; de telles mouches, dis-je,
fe trouvent dans leur propre habitation. Ce font celles
qu’on appelle vulgairement les bourdons, que nous avons
nommées faux-bourdons, Sc que nous avons dit être les
mâles. Quand les mâles n’ont encore que la forme de ver,
les abeilles ordinaires ont précifément pour eux les mêmes
foins qu’elles ont pour les vers qui, après leur métamor-
phofe, feront des abeilles ordinaires. Lorfque les mâles font
devenus ailés, elles fe comportent encore avec eux, comme
fe doivent comporter enfemble les enfantsd’unemême fa¬
mille. Les unes & les autres doivent auffi, comme nous le
dironsdanslafuite,leur naiffanceà unemêmemere.Enfin,
les abeilles vivent pendant quelque temps avec les mâles en
parfaite intelligence; mais des jours arrivent où ces mêmes
360 Mémoires pour l’Histoire
abeilles font aux mâles, 6c où elles leur doivent taire la
guerre la plus meurtrière ; elles les tuent impitoyablement,
elles en font un carnage affreux. Les mâles font pourtant
beaucoup plus gros, & femblent plus forts que les abeilles
ordinaires; mais celles-ci ont une arme qui leur donne
bien de l’avantage fur les autres; elles ont un aiguillon,
6c les mâles n’en ont point. Parmi les loix de quelques
Républiques bien policées, nous en trouvons d’étrange¬
ment barbares. Les Lacédémoniens pouvoient tuer les
enfants qu’ils croyoient devoir être à charge à la Répu¬
blique, parce qu’ils étoient nés contrefaits. Les loix des
Chinois leur permettent des aétions auffi inhumaines.
Nous ne fçavons pas apparemment toutes les raifons qui
demandent que les abeilles ouvrières traitent avec tant de
cruauté les mouches mâles; mais elles en ont au moins
une autfi bonne que celle qui avoit déterminé les Lacé¬
démoniens à faire périr les enfants qu’ils jugeoient devoir
titre à charge à la République. Nous prouverons dans la
fuite, qu’il vient un temps où les mâles font au moins inu¬
tiles dans les ruches ; & ce n’ett que quand ce temps ed venu,
que les abeilles ordinaires en font un maffia e général.
Les abeilles fe livrent auffi les unes aux autres des com¬
bats à mort. Dans des faifons, 6c dans des heures du jour
où la chaleur les met en pleine vigueur, elles attaquent
6c tuent impitoyablement les étrangères qui oient entrer
dans leur ruche. Mais il y a fouvent des combats ,à mort
entre" les mouches de la même ruche. S’il eft permis
de vouloir deviner la politique des abeilles, 6c de croire
à leur avantage que leurs querelles n’ont pas des motifs
aulfi frivoles que le font fouvent ceux des nôtres, on
peut penfer qu’une raifon femblable à celle qui les
détermine à tuer les mâles, les détermine à tuer d’autres
abeilles. Si on leur refufe une charité pareille à celle de
ces
des Insectes. VII. Alem. 3 61
ces peuples fauvages, qui croient traiter favorablement
leurs vieillards, en retranchant de la durée de leur vie, des
jours qu’ils pafferoient dans la peine & le mal-être, au
moins y a fil apparence que pour le bien de leur focicté
qui femble feut les faire agir, les abeilles tuent celles
quelles l'çavent netre plus en état d’y contribuer.
Dans de beaux jours, & des jours chauds, on a fou-
vent occafion d’obferver de ces combats à mort entre les
mouches d’une même ruche. Quelquefois l’attaquante
& l’attaquée en fortent en fe tenant déjà l’une l’autre;
quelquefois c’eft en dehors qu’il y en a une qui tombe fur
line autre qui vole, ou elle va fê jetter fur une autre qui
étoit en repos, ou qui marchoit doucement fur la partie
extérieure de l’appui de la ruche. De quelque manière que
le combat ait commencé, dès quelles le font jointes, elles
tombent bientôt à terre. Elles ne parviendraient pas à fe
porter des coups fûrs en l’air, & il leroit difficile quelles
pulTent s’y foutenir pendant qu’elles chercheraient à fe
faire des bleffiures mortelles. Il efl ailé de parvenir à en
oblèrver qui leront ainfi aux prifes devant une ruche, pour
peu qu’on le cherche. On leur verra faire tout ce que fe¬
raient deux lutteurs couchés par terre, &. dont chacun
voudrait arracher la vie à fon ennemi. Chacune tâche de
prendre la polition qui lui eü le plus avantageufe. Quel¬
quefois elles font toutes deux couchées fur un côté, fe
tenant réciproquement failles avec leurs pattes, tète con¬
tre tête, derrière contre derrière, & contournées de façon
qu’elles forment enlèmble un cercle ou un ovale. Quand
elles fe tiennent ainfi, les mouvements de leurs ailes les
font pirouetter de temps en temps, & les portent quelque¬
fois en avant à plus d’un pied de diffimee, mais toujours
à Heur de terre. Une des deux parvient enfuite à prendre
quelque polltion plus favorable, à monter fur l’autre, &
Tome V . Z z
362 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
à approcher Ion derrière du col de ceile-ci. Elles lont alors
fi acharnées au combat, (pion peut les obferver avec une
loupe fans les déterminer à fe quitter. La loupe avec la¬
quelle j’ai fou vent oblèrvé deux combattantes, m’a fait voir
quelles dardoient continuellement leur aiguillon. Tous
les mouvements de l’une & de l’autre, les flexions & les
nouvelles pofitions que leur corps prenoit, ne fembioient
tendre qu à parvenir à trouver une partie molle de Ion
adverfaire.dans laquelle l’aiguillon pût être introduit. Ces
combats ne dureraient apparemment qu’un inflant, fi les
abeilles étoient moins bien cuirafïées; mais malgré les
écailles dont leurs chairs font couvertes, ces chairs ne font
pas inacceffibles. Si une abeille peut faire paffer Ion aiguil¬
lon entre une écaille, & celle fur laquelle elle n’cft qu’en
recouvrement , elle pourra enfuite l’enfoncer dans les
chairs qui font l’attache de l’écaille inférieure. Pour peu
que le col de l’abeille qui fe deffend, s’allonge, il devient
à découvert, fi l’aiguillon de Ion ennemie elt proche alors,
il pourra le piquer. J’ai remarqué quelles cherchoient aufîî
mutuellement à fe piquer vers la bafe de leur aiguillon,
peut être à l’anus.
Il ne m’eft jamais arrivé qu’une fois de faire une obfer-
vation qui prouve décifivement qu’une mouche peut par¬
venir à enfoncer Ion aiguillon dans le corps d’une autre.
J’en fuivis deux (pii fe battoient en fortantde leur ruche.
Le combat le paflfa fur la partie extérieure de l’appui, if
ne fut pas long; bientôt j’en vis une vaincue & expirante.
Je la pris, je l’examinai, Si je trouvai que l’aiguillon de
l’autre étoit relié engagé entre deux anneaux du ventre
de celle-ci. Mais il eft rare apparemment que l’abeille qui
pique une autre mouche de fon efpéce, lui laiffe fon ai¬
guillon enfoncé dans le corps. Si ce cas étoit ordinaire,
chaque combat coûterait la vie aux deux mouches. La
des Insectes. VIL Mm. 363
viéïorieufe ne fçauroit lurvivre long temps à Ja perte cie
fon aiguillon , auquel la veffie à venin, Si généralement
tout ce qui efl néceffaire pour le faire agir, refie attaché.
Tant de parties arrachées font une playe incurable & mor¬
telle.
Ces combats font quelquefois très-longs. J’en ai vû un
dans lequel ce ne fut qu’après une heure prekjue entière,
qu’une des deux mouches Iadfa l’autre expirante fur la
pouffiére. Quelquefois fatiguées l’une & l’autre, & defef-
perant toutes deux de remporter une viéioire compiettc,
elles le lëparent, chacune s’envole de Ion côté. Quand
elles ont lçu l’une Si l’autre ef qui ver les coups d aiguillon,
le combat fie termine lans mort; mais il doit être bientôt
fatal à celle dont quelque partie charnue a été atteinte.
Quelque petite que foit la quantité de venin qui y efl
dépolée, elle efl capable de produire un effet funefle
dans un auffi petit corps que celui d’une mouche; nous
pouvons en juger par celui qu’il produit fur nous. La
douleur de quelques piquûres qui ont été bien affaifion-
nées, efl quelquefois fi violente, quelle porte à la tête,
que la tête en efl étonnée. Chaque pays, chaque canton
prelque a fon hifloire d’un cheval qui ayant été le frotter
contre une ruche d’abeilles. Si l’ayant renvcrfée, a été
affailli par les mouches irritées, Si qui n’a pu réfifter aux
piquûres qu elles lui ont faites; qui en efl mort au bout
d’un temps très-court, en moins d’un quart d’heure ou
d’une demi-heure; j’ai ouï raconter une de ces luftoi-
res par un homme digne de foi, & qui avoit été pref-
que témoin du fait. Un fembiable fait a été rappoité
par Arillote. Des Auteurs ont été jufqu a déterminer le
nombre des piquûres qui peuvent frire périr un grand
animal ; quelques-uns l’ont fixé à vingt. Je ne fçais pas fi
la dofe de venin contenue dans ce nombre de piquûres
Z z ij
3^4 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
peut quelquefois fuffire pour donner la mort; mais il efl
certain au moins, qu’il y en a une dolè qui, dillribuée à
différentes parties du corps, caulèroit des douleurs, des
inflammations, des irritations, & enfin une forte de fièvre,
fous laquelle l’homme le plus robufle fuccomberoit.
Les aéhqns dont nous venons de parler, font des ac¬
tions particulières; mais il y a quelquefois entre ces mou¬
ches, des aélions qu’on peut appeller générales. Ce n’eft
guéres que dans le temps des effaims, que celles-ci arri¬
vent, que lorfiqu’une colonie de mouches qui cherche
une habitation, va mal habilement fe loger, foit dans une
ruche dont d’autres abeilles font en poffdfion depuis long¬
temps, foit dans une où un autre effaim s’efl: établi depuis
peu de jours ou depuis peu d'heures. Lorlqu’il fait beau
& chaud, les abeilles reçoivent mal les étrangères qui veu¬
lent entrer en fociété avec elles. C’eft alors que lé livrent
les batailles les plus meurtrières. J’ai déjà dit quelque chofie
dans le cinquième Mémoire, d’une que je vis très-bien, qui
dura prefque toute une après midi, qui ne finit qu’avec
le jour, & peut être que lorfque toutes les abeilles d’une
petite troupe, qui avoient voulu 1 e joindre à celles d’un
fort effaim, eurent été maffacrées. J’ai rapporté dans ce
cinquième Mémoire, les aventures des premières mouches
que je m’étois avifé de loger en petit nombre avec une
mere, dans une très-petite ruche vitrée. J’ai raconté com¬
ment, & combien de fois elles quittèrent cette ruche; &
qu’enfin après leur dernière fortie, elles fe déterminèrent
peu après midi à entrer dans une ruche où j’avois logé
depuis une ou deux heures un effaim très-nombreux. Dès
que la petite troupe d’abeilles fut entrée dans la ruche de
cet effaim, le combat commença. La ruche n’étoit pas
conftruite de manière à me laiffer voir ce qui fe paffoit
dans l’intérieur, mais les dehors m’offroicnt un fpcétacle
des Insectes. VIL Mem. 365
meurtrier & très-varié. Je voyois fortir deux mouches,
dont une étoit entraînée par l’autre, qui la làifdfoit par
ou elle pouvoit, 8c qui tendoit à lui monter lur le
corps; quand elle y étoit parvenue, bientôt celle qui
avoit du deflous, étoit égorgée; je dis égorgée, de
peut-être le puis je dire dans le lens propre. La mouche
fupérieure faififloit l’autre, & laferroit avec les dents près
de la tête, & je ne fçais fi ce n’étoit pas au col ou au
corcelet. Il m’a paru que quelquefois c’étoit auprès des
premiers ftigmates. Ce qui eft certain , c’elt que dès
que la mouche vaincue avoit été ferrée près de fa partie
antérieure, elle étoit morte ou mourante. La viétorieufe
la lailfoit fans vie fur la pouffiére,ou prête d’y expirer;
elle i’abandonnoit alors, mais elle refloit polée auprès
d’elle, comme pour jouir de fa viéloire, ou pour le dé-
lalfer de lès fatigues. Les mouches viéïorieulès faifoient
conftamment la même manœuvre. Dès que le combat
étoit fini par la mort de leur ennemie, pofées fur leurs
quatre premières jambes, elles frottoient les deux pofié-
rieures l’une contre l’autre. Quelquefois l’affaire étoit dé¬
cidée dès l’intérieur de la ruche, quelquefois c’étoit en
dehors à quelque diftance quelle le terminoit. Dans le
premier cas, une mouche fortoit triomphante de la ruche
tenant fous fon ventre & entre fes jambes celle à laquelle
elle avoit ôté la vie, & lortoit en volant. Elle prenoit tan¬
tôt un plus grand & tantôt un plus petit elfor; quelque¬
fois ce n’étoit qu’à quelques pieds de la ruche qu’elle alloit
s’appuyer à terre, 8c y dépolèr le cadavre dont elle étoit
chargée; quelquefois elle s’élevoit à perte de vûe. Sou¬
vent je remarquois l’endroit où aboient fe pofer celles
que je pouvois fuivre des yeux, & lorfque je me rendois
où j’en avois vu une s’arrêter, fi l’abeille pleine de vie &
de vigueur en étoit partie, j’y trouvois au moins la morte,
Z z i ij
366 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
Dans {e lècond cas, dans celui où l’abeille naveit pas
encore mis à mort l’abeille qu’elle tenoit lailie, & quelle
portoit en volant hors de la ruche, elle ne la portoit pas
loin, qu’à quelques pas ; là elle achevoit de la tuer.
Nous ne viendrions pas auffi vite à bout de tuer une
mouche, fi nous ne voulions pas iecrafer, que chaque
abeille venoit à bout de tuer celle qu elle avoit tranfportée
hors de la ruche. Elles fçavent mieux que nous où les
coups mortels doivent être portés. Je ne les voyois pas
fe fervir alors de leur aiguillon; mais il y a apparence que
des bleflùres empoifonnées faites à la mouche vaincue,
avoient valu la fuperiorité à la viélorieule. 11 ne relloit
plus à celle-ci qu’à donner, pour ainfi dire, le coup de
grâce, & elle le faifoit avec (es dents. Hors de la ruche,
tous les combats à mort n’étoient que de feule à feule.
Peut-être que tout ne fe paffoit pas aulfi génércufement
dans l’intérieur. Celles qui étoient maffacrées en dehors,
avoient déjà été miles hors de combat dans la ruche
même. Dans les temps où fe frit la grande tuerie des
mâles, trois ou quatre abeilles n’ont point de honte pour¬
tant d’en attaquer enfemble un l'eul.
Au refie, j’ai déjà dit ailleurs, que je ramalTai plus de
250 abeilles mortes, de celles cjui furent tuées dans cette
journée, ou plutôt dans cette après midi, & je n’en ra-
maflai que 250, parce que je n’avois pas befoin d’en
avoir davantage pour l’expérience qui m’avoit engagé à
ies ramaffer.
J’ai vû fouvent, & le jour même du carnage que je
viens de raconter, trois à quatre mouches après une
feule, fans que la vie lui fut arrachée. Elles la prenoient
par une jambe, chacune de fon côté ; quelquefois elles
lui mordoient le corps ou le corcelet. J’avois d’abord
pitié de celle qu’on attaquoit avec tant de lâcheté &
des Insectes. VII. Mem. 367
Je fupériorité ; mais après avoir obiervc que l’abeille
attaquée par tant d’ennemies, parvenoit à s’en débar-
raffer, j’appris quelle avoit un moyen ailé de le tirer
d’afîaire, & je reconnus qu’on n’en vouloit pas à l'a vie.
Le combat ceffoit dès que celle qui avoit été tiraillée &
mordue, allongeoit l'a trompe. Une des attaquantes ve-
noitTuccer cette trompe avec la fienne, &ainfi en fail'oient
les autres à leur tour. De forte que les autres abeilles ne
fembloient lui avoir porté des coups que pour la forcer de
leur dégorger du miel qu’elle leur refuloit. Dans tous les
combats inégaux qui fe pafferent fous mes yeux ce même
jour, & il s’en pafïa plufieurs, jamais les attaquées ne furent
miles à mort, elles le tirèrent toutes d’affaire par le même
expédient.
Ç’a été une queftion fur laquelle les Anciens ont été
partagés, de fçavoir fi le roy des abeilles, notre mere
abeille avoit un aiguillon. Ariftote lui en adonné un,
& Columelle a prétendu qu’Arillote s’étoit trompé, qu’il
avoit pris pour un aiguillon un gros poil que le roy porte
dans le ventre. Cette queftion n’étoit pas encore décidée
du temps d’Aldrovande, qui s’en eft tenu à dire quelle
ne le pouvoit être que par une nouvelle & exaéfe obier-
vation. Toute la difficulté qu’il y avoit à éclaircir un fait
par rapport auquel on eft reftédans l’incertitude pendant
tant de fiécles, étoit pourtant d’avoir une mere abeille,
& de lui preffer le ventre. Car dès qu’on preffe celui
d’une mere, on obligea fortirde fon corps un aiguillon * 29.%
qu’il n’eft pas poffible de méconnoître pour ce qu’il eft, 9 *
il furpaffe beaucoup en grandeur celui des abeilles or¬
dinaires ; du refte, il n’en diffère qu’en ce qu’il eft un
peu courbé vers le ventre, au lieu que celui des autres
mouches eft droit
Ceux qui ont affûré, & apparemment d’après Ariftote,
368 Mémoires pour l’Histoire
que la mere abeille avoit un aiguillon, ont voulu avec lui
quelle n’en fût armée que pour la dignité ; ils ont pré¬
tendu quelle n’en faifoit jamais ufage; ils l’ont regardée
comme un roy, qui tout petit qu’il elt, elï un modèle à
propofer aux rois auxquels un grand peuple eft loûmis;
ils nous l’ont donné pour magnanime & pour incapable
de faire par lui-même des exécutions cruelles, quoique
juftes. Il eft au moins très-vrai que la mere abeille eft bien
plus pacifique, plus difficile à irriter que ne le font les
abeilles ordinaires; elle n’eft pas aulli dilpolée à fe fervir
de Ion aiguillon, que les autres le font à fe fervir du
leur. J’ai eu cent & cent fois des meres abeilles fur une
de mes mains, je les y ai louvent touchées & priles de
l’autre main, fans qu’aucune m’ait jamais piqué. Je crois
pourtant qu’il n’a quelquefois tenu qu’à moi d’avoir la
gloire d’être piqué par une reine. Pendant que deux de
mes doigts en faififfoient une par le corps ou par le cor-
celet,& qu’ils la mettoient mal à l’aile affiés long-temps
pour poulfer fa patience à bout, j’ai vu quelquefois quelle
faifoit fortir fon aiguillon , & quelle contournoit fon
corps autant qu’il lui étoit polfible, & fucceffivement de
différents côtés, pour parvenir à percer un de mes doigts.
La piquûre quelle m’eût faite, eût été apparemment plus
douloureufe que celles que font les autres mouches. La
veille qui doit fournir fon aiguillon de venin, elt propor¬
tionnée à la grandeur de cet aiguillon, par conféquent
plusgroffe que celle des abeilles ordinaires. J’ai d’ailleurs
goûté du venin tiré de la veffie d’une mere, il m’a paru
avoir un goût auffi brûlant, pour le moins, que celui des
abeilles ordinaires.
Si l’aiguillon ne devoit être d’aucun ulàge aux meres,
elles en auroient été privées, comme les mâles le font,
elles n’en auroient pas été armées. & d’un qui ell plus
conlidérable
des Insectes. VIL Mem. 3 6 9
confidérable que celui des abeilles communes. Mais appa¬
remment qu’une mere ne s’en fert que dans des occafions
importantes, que dans des combats dignes d’elle, peut-
être feulement lorfqu’elle a à fe melurcr avec une autre
mere, comme il peut y en avoir des occafions, dont nous
parlerons dans la fuite. La vie de toutes les mouches d’une
ruclie, dépend de celle de la mere, puifqu elles périffent
bientôt toutes, quand cette dernière a perdu le jour. Or
nousfçavons que la vie d’une mouche qui pique, eft tou¬
jours en grand danger; lorfqu’il lui arrive de lai (Ter fou
aiguillon dans la piaye quelle a faite, elle fe fait à elle-
même une bleffure mortelle. Les fociétés d’abeilles au-
roient donc été trop fouvent expofées à être détruites,
f la mere de chaque ruche étoit auffi colère, auffi dif-
pofée à faire des piquûres, que le font les mouches ordi¬
naires.
Dès que parmi les abeilles il y a des fémelles, des mâles
& des mouches qui ne font ni de l’un ni de l’autre fexe,
l’intérieur des unes a néceffairement été conformé diffé¬
remment de celui des autres. Nous verrons auffi dans un
autre Mémoire, qu’on ne trouve dans le corps des ou¬
vrières aucun veftige des parties qui ont été accordées
aux fémelles pour contenir les œufs 8 c les faire croître,
ni de celles qui ont été données aux mâles pour féconder
ces mêmes œufs. Mais nous n’en fbmmes encore qu’aux
parties extérieures de ces mouches, 8 c nous devons nous
arrêter à comparer celles des unes avec celles des autres;
elles nous offrent des variétés dans leur confiruébon, leur
pofition 8 c leur grandeur, qui méritent d’être remarquées.
Au lieu que les abeilles ordinaires partent pour la cam¬
pagne dans les beaux jours dès que le Soleil commence
à paroître fur l’horifon, 8 c quelquefois plutôt, on ne voit
prefque jamais les faux-bourdons fortir de leur ruche, que
Tome V. . A a a
*PÎ. 33. fi
l.p.
*PI. 26.
4& s- p-
* PI. 25.
2, 6 & 8
* Fig.
&. 14.
37O MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
depuis onze heures du matin jufques à cinq à fix de i"après
midi. Ce qui eft plus confiant encore, c’ell qu’on ne par¬
vient jamais à en obferver aucun qui y retourne avec une
récolte de matière à cire, à en obferver aucun qui revienne
chargé des deux pelottes. On les a aufïi toujours traités
depareffèux, qui, fans rien faire, vivent du miel que les
iahorieufcs abeilles ont ramaffé, & qui ne vont à la cam¬
pagne que pour s’y promener. Quand on examine leurs
parties extérieures, on cefTe de leur reprocher leurparefTe.
On reconnoît que s’ils ne travaillent pas, c’efl qu’ils n’ont
g. pas été faits pour travailler. Si on confidére * la partie
de chacune de leurs jambes de la troifiéme paire, qui cfl
analogue à celle des jambes fembiables des ouvrières, que
S- nous avons nommée la palette triangulaire *, on n’y verra
pas cet enfoncement , cette petite cavité, qui avec les poils
dont elle eft bordée, forme uneefpéce de petite corbeille
propre à recevoir & à contenir la petite pelotte compofée
de pouffiéres d’étamines. Dès que la partie néccffaire aux
abeilles ordinaires pour former & tranfportcr à la ruche
les deux petites boules de cire brute, a été refufée aux
bourdons, ils ont été déchargés par la nature de l’un & de
l’autre travail.
Nous avons vu que les dents des abeilles ordinaires leur
font néceffaires pour faire la récolte de la cire brute,
qu’elles s’en fervent pour ouvrir ces fommets, ces capfules
dans lefquelles font renfermées les pouffiéres quelles veu¬
lent recueillir, & nous verrons dans la fuite combien ces
memes'dents leur font des inflruments effentiels, lorfqu’ii
s’agit de mettre la cire en œuvre. Quoique ces abeilles
foient confidérablement plus petites que les mâles, quoi¬
qu’un mâle pefe plus que deux abeilles ordinaires, les dents
s g- de celles-ci * furpaffent beaucoup en grandeur les dents de
I2 ceux là *. Au lieu que celles des abeilles ordinaires huilent
des Insectes. VIL Ment, 371
en-devant de la tête, & quelles font toujours très-vifibles,
celles des mâles font appliquées contre la tête, & elles
font fi petites que les poils des environs fuffifent pour
les cacher entièrement; elles ont d’ailleurs des dcnteiûres
que 11’ont pas les dents des abeilles ordinaires.
La difproportion eft auffi grande entre ia trompe des
faux-bourdons*& celle des abeilles ordinaires*, que celle
qui eft entrc'lcs dents des uns & celles des autres. Non-
feulement la trompe des mâles eft plus d’une fois plus
courte, elle eft de même beaucoup plus déliée. Ils n’ont
donc pas autant de facilité que les abeilles pour puifer le
miel dans les fleurs où il efl caché à une grande profon¬
deur. La leur ne leur a été donnée que pour fuccer celui
qui efl néceffaire pour les faire vivre, & nullement pour
en faire des récoltes. Un fi petit infiniment ne pourroit
parvenir à recueillir la quantité deŸtaiel, qui efl recueillie
par un beaucoup plus grand, que dans un temps confidé-
rablement plus long.
On peut remarquer d’autres différences entre d’autres
parties extérieures des faux-bourdons, & des parties ana¬
logues des abeilles ordinaires, dont il ne nous feroit pas
auffi aifé de rendre raifon, ou même dont il fera toujours
impoffible delà rendre. Je ne m’arrêterai point à dire que
la partie antérieure de leurs antennes * a une articulation
de plus que celle des antennes des abeilles ordinaires*, &
que la partie de l’antenne de l’abeille commune, que nous
avons nommée le fufeau *, efl plus longue que le fufeau
de l’antenne du bourdon *; mais nous ne pouvons nous
empêcher de faire faire attention à la grandeur des yeux
à rezeau * des mâles, qui couvrent tout le deflus de la
partie fupérieure&poftérieure de la tête, pendant que les
yeux à rezeau des abeilles ordinaires *, forment Ample¬
ment chacun une efpéce d’ovale fur chaque côté. Auffi
Aaa ij
* pi. 2j. fig.
1 2 . t.
* Fig. 2 .
* Fig. t 3. a c.
* Fig. 4.
*/■
* F 'g- * 3 -f-
*Eig. I I .y,y.
*F^.^.y,y,
372 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
c’eft fur le derrière de la tête que font placés les trois petits
* Pl.2j.f5g. yeux, ou les yeuxliffesde celles ci *,& les trois petits yeux
3 * Fi*. U. tics males * font en devant afles près des antennes ; il ne
leur eft pas relié de place fur le derrière. Nous n’apper-
cevons pas la liaifon qu’il peut y avoir entre des yeux à
rezeau très-grands, & ce qui conftitue le fcxe du mâle,
quoique plu fieu rs obfervations confirment que la nature
a donné ces fortes d’yeux beaucoup plus grands aux mâles
des infeétes de diverfes efpéces, qu elle ne les a donnés à
leurs fémelles. Les mâles des mouches de Saint-Marc,
nous en fournirent un exemple dans le fécond Mémoire
de ce volume.
Les faux-bourdons ont le corcelet très velu, & plus velu
que celui des abeilles; mais les anneaux de leur corps font
plus lilfes. Ils ont à leurs jambes, & fur-tout à leurs jambes
* Pi 33.%. poltérieures, des broflfes* dont les poilsfont plus ferrés &
3 ‘ b ' plus courts que ceux des abeilles ordinaires. Elles ne font
faites que pour nettoyer le deffus de leur corps & de leur
corcelet, pour faire tomber la pouffiére qui s’y efi atta¬
chée, même celle des étamines; mais elles ne font pas
faites pour retenir les grains de celle-ci, & les raffembler
en petites maffes.
Les meres abeilles nous paroîtront mieux mériter d’être
nourriesde provifions qu’elles n’ont pas ramaffées, que les
bourdons ne le méritent. Comme il n’y en a qu’une ordi¬
nairement dans chaque ruche, elle n’y augmente pas confi-
dérablement laconfommation. Enfin, elle eftaffés chargée
d’ouvrage,dès qu’elle eft obligée de mettre au jour un nom¬
bre d’œufs auffi prodigieux que celui qu’elle y met chaque
année; elle eft donc uniquement deftinée à pondre. Auffi;
ne doit-on pas trouver, & 11e trouve-t-on pas fur fes jam¬
bes poftérieures non plus que fur celles des bourdons, les
deux cavités deftinées fur les jambes des abeilles ordinaires
* Fig. I O»
des Insectes. VIL Mem . 373
à recevoir deux pelottes de matière à cire. Elle n’avoit pas
befoin d’une trompe auffi longue que celle des abeilles, &
de dents auffi grandes que les leurs. Ses dents * bien moins * pi. 25.fi
grandes que celles des abeilles, font pourtant plus grandes i!J,i 9 (Sc2
que celles des bourdons. Chacune a deux dentelures que
11’ont point celles des abeilles ordinaires. Quand les dents
font en repos, les dentelures de l’une entrent dans celles
de l’autre *. La trompe de la mere elt auffi beaucoup plus * Fig. 20,
courte& plus déliée que celle des abeilles ordinaires, quoi¬
que plus longue & plus groffe que celle des mâles.
Les meres * font fur-tout remarquables par leur Ion- * Fig. 16 &
gueur. Quoique moins groffies que les mâles*, elles font
ordinairement plus longues. Il y a pourtant des meres bien
plus longues & plus groffies que d’autres, ce qui dépend
peut-être de la quantité &*de l’état des œufs qui font dans
leur corps; car c’eft la longueur du leur qui les rend plus
longues que les abeilles ordinaires ; leur corcelet 11’efi;
guéres plus long que celui d’une abeille ouvrière. Leur
corps, au relie, n’a pas une figure qui tienne autant de
l’elliploïde ou de celle d’une olive, que celui des abeilles
ordinaires en tient. Depuis le premier anneau jufquès au
dernier, fon diamètre va en diminuant. D’ailleurs le corps
de la mere femble plus détaché du corcelet, que ne Tell
le corps des abeilles ordinaires: on a fouvent occafionde
voir que, comme le corps des mouches Ichneumons, il
n’efi uni au corcelet que parmi fil. Mais rien n’aide plus à
faire reconnoîtreune mere abeille, rien ne frappe davan¬
tage, quand on i’apperçoit, que le peu de longueur de fes
ailes. Les bouts des fiennes fe terminent fouvent au troi-
ficme anneau, pendant que les bouts des aîies des abeilles
ordinaires,& lur-tout de celles des bourdons, vont par-delà
celui du corps. Les ailes forment une efpéce d’habillement
aux mouches, qui les portent fur leur corps. Les abeilles
A a a iij
tp O
* P!. 25.
*Pi. 26.
G & 7.
574 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
fig. ordinaires *, & ies faux-bourdons , femblent avoir un habit
long, pendant que la mere iemble porter un jufte, ou
un de ces habits courts que les Dames ont nommé des
Pets-en-Vair. Avec de fi courtes ailes la mere abeille peut
voler, mais moins bien & plus difficilement que les abeil¬
les ordinaires; elle doit le fatiguer davantage en volant.
Auffi lui arrive-t-il peu de fois dans fa vie de faire ufage
de fes ailes. Il y a apparemment telle mere qui a donné
naiffanee à bien des milliers de mouches, & qui dans fa
vie n'a jamais volé qu’une fois. La mere doit fe tenir
conflamment dans la ruche. Dès qu’elle en fort, tout fon
peuple eh ordinairement déterminé à la fuivre. Il ne con-
venoit donc pas qu’elle eût une facilité de voler qui l’eût
engagé à prendre trop fouvent l’effor; il faut qu’elle ne
s’y détermine que dans la néceffité.
En deffius, les anneaux du corps desmcres font liffies,
on n’y voit point de poils comme fur ceux des abeilles
ordinaires. Une loupe en fait pourtant découvrir quelques-
uns fur le premier anneau. Leur corcelet n’eft pas non plus
auffi velu que celui des abeilles ordinaires; le milieu de fa
partie fupérieure eh lifTe; mais il y a des poils fur le côté
du corcelet, & en deffious. Les meres en ont beaucoup fur
la tête, « 5 c même fur les yeux à rezeau qui par leur pofition
& leur contour, reffemblent à ceux des abeilles ordinaires.
Les trois petits yeux font auffi placés fur leur tête comme
fur celle des abeilles ordinaires, dans une forêt de poils.
On leur trouve des poils fous le ventre & fur les jambes.
Mais il eft à remarquer, que non-feulement les mefes n’ont
pas à la palette de chaque jambe de la dernière paire une
fig. broffe faite de poils longs, comme font les abeilles ordi¬
naires*; elles n’en ont pas même une faite de poils courts,
comme l’ont les bourdons; à peine trouve-t-on quelques
poils fcniés furie côté intérieur de cette palette, fur celui où
des Insectes. VIL Man. 375
devrait être la brofTe ; aufïi étoit-il inutile quelle en fût
pourvue. Les mouches qui entourent la mere, ne font
continuellement occupées que du foin de la nettoyer, de
la brofTer, de la lécher, elles ne lui fouffrent pas la moin¬
dre ordure, & elles femblent chercher à lui épargner tout
ce qui a apparence de peine.
La couleur de toutes les meres n’eft pas la même; j en
ai vû plufieurs qui avoient tous les anneaux du deffus de
leur corps d’un brun couleur de marron très-foncé, &
par-tout d’une teinte égale*; & j’en ai vû plufieurs dont
chaque anneau étoit de deux teintes *, & fouvent de deux
couleurs. La moitié antérieure, ou à peu près, étoit d’une
couleur plus claire que celle de la partie poftéricure. Celle-
ci étoit rougeâtre dans quelques-unes, & ce qui la précé-
doit étoit un blanc teinté de cette couleur; enfin, j’ai vû
plus ou moins de rougeâtre & de blancheâtre fur diffé¬
rentes meres. Je ne ferai point de procès à Virgile fur
ce que je ne leur ai jamais trouvé de taches qui appro¬
chaient de la couleur de l’or. L’or entre naturellement
dans la parure d’un Roy, & ce n’eft pas trop pour un
Poète d’avoir changé du rougeâtre en or. Il n’efî guéres
même d’infeéte qui ait des écailles liffes 6 c des poils jau¬
nâtres, qui regardé au loleil en certains fens, ne faffepa-
roître quelque brillant qui pourra paraître approcher de
celui de l’or. Le deffous du corps efi d’une couleur plus
blancheâtre que celle du deffus. Ce n’eft donc pas feule¬
ment par fa grandeur, & par fa forme, qu’une mere abeille
peut être diftinguée des autres abeilles & des bourdons,
elle le peut être par la couleur du corps, qui eft toujours
différente de celle des unes & de celle des autres. Leur,
corcelet eft brun.
* PI. 2J. %.
J 7 -
* Fig. i 6.
376 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
EXPLICATION DES FIGURES
DU SEPTIEME MEMOIRE.
Planche XXIX.
Toutes les Figures de cette Planche repréfentent des
aiguillons de mouches.& les parties qui y ont rapport,
vus à la loupe ou au microfcope.
La Figure 1 montre l’intérieur du bout du corps d’une
abeille ordinaire, qu’on a mis à découvert en enlevant une
portion d’anneau, a a a, la portion d’anneau qui a été dé¬
tachée & tirée hors de fa place naturelle, b b, le contour
de l’ouverture, dont la pièce précédente a été enlevée,
^la partie qui ell appellée l’aiguillon, & qui, comme les
figures fuivantes le feront voir, efl un étui qui renferme
deux aiguillons, c, c, deux parties blanches & charnues, qui
enfemble font un fourreau, dans lequel l’aiguillon efl logé
en grande partie.
La Figure 2 moins groffie que la précédente, fait voir
du côté du ventre le bout pollérieur d’une abeille, dans
un inflant où l’aiguillon^ efl forti, comme il l’efl lorf-
qu’elle veut s’en fervir pour piquer, c, c > les demi-four¬
reaux charnus.
La Figure 3 repréfente un aiguillon vu de côté avec la
plupart de fes dépendances, f l’étui dans lequel les deux
aiguillons font renfermés. La fa et f efl celle qui efl cil
deffous quand l’aiguillon efl dans le corps delà mouche
pofée horifontalement. t, le talon de l’étui des aiguillons.
g, & e, les deux aiguillons, dont on ne voit ici que les
bafes. m, n, parties mufeuieufes & cartilagineufes.qui pofent
en p,&q f fur la bafe de l’aiguillon g. 11 y en a de pareilles
fur celles de l’aiguillon e, mais qui ne fçauroient paroître
dans cette figure. c,c, les demi-fourreaux charnus.
Dans
des Insectes. VII. Mem. 377
Dnns la Figure4., une épingle eft paffée entre le four¬
neau fSi un des aiguillons^ Elle a fait fortir cet aiguillon
en partie du fourreau, Si l’en tient dehors.
Dans la Figure 5, l’épingle a mis les deux aiguillons
c,g, entièrement hors du fourreau f. En ces deux figures
4. Si y , y, Si q, montrent les appuis des parties ni, n , g.
La Figure 6 fait voir une portion du fourreau des
aiguillons, du côté où l’on peut voir qu’il efl un tuyau
ouvert dans toute là longueur ; on n’a laiffé dans fa
cavité qu’un des deux aiguillons qui y étoient. e, cet ai¬
guillon. d, les dentelures qui fe trouvent fur un des côtés
de l’aiguillon, près de là pointe.
La Figure 7 montre très en grand un aiguillon d’untf
abeille avec toutes les dépendances, & elle montre cet
infiniment par fa face inférieure, qui efl la même que
celle par laquelle efl vue la portion repréfentée, figure 6.
gd,ed, les deux aiguillons. /S l’étui dans lequel ils font
logés ci côté l’un de l’autre, d, à les pointes denteilées des
deux aiguillons, qui appliquées l’une contre l’autre, ne
forment qu’une feule pointe très-aigûe. CcLte pointe dd,
qui efl ici au-flefTus de f efl quelquefois entièrement dans
l’étui, Si cela lorfque la bafe gp , d’un aiguillon, Si celle
ep, de l’autre, font tirées vers7,7. m,n,o, les trois feuilles
membraneufes&cartilagineufes liées par deux efpéces de
pédicules à la bafe d’un aiguillon, Si qui fervent à le faire
jouer. En .refont des mufcles qui mettent en mouve¬
ment les parties précédentes, u, la vefTie qui contient le
venin, r, le conduit par lequel cette liqueur eft portée dans
l’étui des aiguillons, ff vaiffeau long Si tortueux, par
lequel apparemment la liqueur venimeufe fe rend dans
la vefbe; Svvammerdam prétend avoir obfervé que ce
vaiff.au fe divife en deux branches; mais je ne l’ai pû voir
que fimple.
Tome V
. Bbb
378 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
La Figure 8 fait voir la coupe tranfverfale des deux ai¬
guillons logés dans l’étui. e,g, les deux aiguillons.l’étui.
La Figure 9 efl celle du derrière d’une mere abeille, Lors
duquel l’aiguillon eftlorn./l l’aiguillon qui efl concave du
côté du ventre, au lieu que l’aiguillon des abeilles ordinai¬
res efl droit.
La Figure 1 o a été défiance d’après une très-greffe nym¬
phe d’une mouche du genre des frelons, qui m’cft venue
de Cayenne dans de l’eau-de-vie; elle étoit renfermée dans
une forte coque de foye. Les parties qui compofoient fon
aiguillon, ont été plus aifées à développer quelles ne l’eu F
fent été dans la mouche même c, c, les deux demi-four¬
reaux analogues aux fourreaux charnus des abeilles, mar¬
qués par les mêmes lettres dans les figures précédentes.
e,e, les deux aiguillons tirés hors de leur fourreau, f, le
fourreau des aiguillons, qui peut lui-même être regardé
comme un troifiéme aiguillon , parce qu’il efl dentellé de
chaque côté, comme les aiguillons le font d’un côté; mais
fes dentelures font plus fortes, & plus groffes que celles
des aiguillons.
.
des Insectes. VIII. Mem. 379
MiOK(iOXC^KCiOX(iOXC#M^°M^KC^MiOXCiOXC^KC^K
HUITIEME MEMOIRE.
DES GASTEAUX DE CIRE;
Comment les Abeilles parviennent à les conjlruire;
comment elles changent en véritable cire les pouj-
fiéres d’étamines. De la récolte éf de l’emploi de
la Propolis. Comment elles remplirent les alvéoles
de miel, & comment elles l'y conferrent.
Ï L eft temps tic confidérer les ouvrages des abeilles plus
attentivement que nous ne l’avons lait jufqu’ici, de les
voir elles-mcmes en travail, de voir comment elles conf-
truifent ces gâteaux * compofés de cellules de figure régu¬
lière, appliquées les unes contre les autres. Ils ont leurs
deux faces femblables; fur l’une & fur l’autre eft un nom¬
bre à peu près égal d’ouvertures d’alvéoles. Tout y paroît
difpolè avec tant de fÿmmétrie,& tout y paroît fi bien fini,
qu’à la première infpeélion on eft tenté de les regarder
comme le chef-d’œuvre de i’induftrie des infectes: on les
mettroit même volontiers en parallèle avec ce que les plus
. adroits de nos ouvriers fçavcnt executer tle plus difficile.
C’eft un ouvrage pour lequel l’admiration croît à mefure
qu’on l’examine davantage. Quand on a bien vu la véri¬
table figure de chaque alvéole, quand on a bien étudié
leur arrangement, la géométrie fcmble avoir donné le
deffiein de tout l’ouvrage, & en avoir conduit l’execution.
On reconnoît que tous les avantages qui pouvoient y
être fouhaiîés, s’y trouvent réunis. Les abeilles parodient
avoir eu à réfoudre un problème qui raffiemble des con¬
ditions qui en enflent fait regarder la fofution comme
Sbbij
* PI. 30. %
380 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
difficile à bien des géomètres. Ce problème peut être
énoncé ainfi : une quantité de matière, de cire étant
donnée, en former des cellules égales & femblabies, d’une
capacité déterminée, mais la plus grande qu’il efl poffi-
ble par rapport à la quantité de matière qui y efl em¬
ployée, 6c des cellules tellement difpofées qu’elles occu¬
pent dans la ruche le moins d’efpace qu’il efl poffible.
Pour fatisfaire à cette dernière condition, les cellules
doivent fe toucher de manière qu’il ne relie entr’clles
aucun efpace angulaire , aucun vuide à remplir. Les
abeilles y ont fatisfiit, 6: en même temps, elles ont fa-
tisfait aux premières conditions, en fanant des cellules
qui font des tuyaux à fix pans égaux, des tuyaux exago-
ncs. Elles auraient pu faire des cellules qui n'auraient
eu que trois côtés égaux, ou des cellules qui auraient
eu quatre côtés égaux, faire des cellules dont la coupe
tranfverfale eût été un triangle équilatéral, ou des cel¬
lules dont la coupe eût été un quarré, ou même des
cellules qui euffent eu pour coupes d’autres triangles, 6c
d’autres quadrilatères; mais ces cellules qui, comme les
cellules exagones, auraient été à pans égaux,6c qui n’au-
roient lai (Te aucun vuide entr’elles, belles avoient eu cha¬
cune la même capacité qu’a chaque cellule exagone, n'au¬
raient pu être fûtes avec une auffi petite quantité de cire.
C’efl ce qui. efl connu depuis long-temps, 6c ce qui a fait
admirer à Pappus, qui tient un rang parmi les géomètres
anciens, que les abeilles fe biffent déterminées pour la
figure exagone. D’ailleurs, la figure du corps d’une abeille
approchant de la fphérique, il peut entrer à l’ailé, 6c fê
loger dans une cellule à fix pans, fans y laifTer autant de
vuide qu’il en bifferait dans une cellule dont la coupe
ferait triangulaire ou quarrée.
On voit encore que tout ce que les abeilles poiiypieut
des Insectes. VIII. Mem. 381
faire de mieux pour ménager le terrein & la matière, étoit
decompofer leurs gâteaux de deux rangs d’alvéoles tour¬
nés vers des côtés oppolés. Si elles eulî'ent fait des gâteaux
comme les guêpes les font, qui n’euffent eu des ouver¬
tures d’alvéoles que fur une de leurs faces, & qui fur
l’autre face n’euffent eu que les fonds de ces mêmes alvéo¬
les, les cellules que les abeilles raffemblent dans un feul
gâteau, en euffent compofé deux; or il efî vifible que les
deux gâteaux à un feul rang de cellules, euffent tenu plus
de place dans la ruche, que 11’y en tient un à double rang.
Enfin, il eft vifible encore que les deux gâteaux enflent
confommé plus de cire qu’il n’en entre dans le gâteau à
double rang de celiules. Toute la cire néceffaire pour
former les fonds des cellules d’un des deux gâteaux à un
fimpie rang de cellules, eft épargnée dans legâteau double.
S’il convenoit aux abeilles que le fond de chaque cel¬
lule fût plat, que chaque cellule fût exactement un tuvau
exagone ouvert à un de les bouts, & fermé à l’autre *, rien
ne lèroit plus fimpie que la difpofition des deux rangs de
cellules. Le fond entier d’une cellule *, lui feroit commun
avec une autre cellule. Deux cellules correfpondantes,
dont l’une auroit fon ouverture fur une des faces du gâ¬
teau, & dont l’autre auroit la fienne fur l’autre face, fê-
roient faites d’une feule & longue cellule divifée tranf-
verfalement par une cloifon; ou, fi l’on veut, une mince
feuille tle cire qui diviferoit en deux parties égales toute
l’épaiffeur du gâteau, fourniroit les fonds de toutes les
cellules. Mais nous dirons bientôt qu i! eft prouvé que ces
fonds plats ne s’accordoicnt pas avec la plus grande épargne
de la cire que nous avons fait regarder comme une des con¬
ditions du problème que les abeilles femblent avoir eu à
réfoudre. D’ailleurs les ufages auxquels les cellules font def-
tinées, demandoient quelles euffent chacune un fond plus
B b b iij
I O.
* a e.
* PL 31 • fig-
i .
*oqrp.
* ao ep, qp,
r F .
* ae e p.
* o, p-
* a, e.
* PI. 30.%.
6 .
382 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
étroit que ie refie, ils demandoient que chaque cellule fe
terminât en pointe. C’eft la plus difficile partie du problème
qui a été réfolu pour elles par celui qui les a fi bien inf-
truites. Chaque cellule efl un tuyau exagone *, pôle fur
une bafe pyramidale*. Le fond de chaque cellule efl un
angle foiide formé par la réunion de trois pièces, detiois
lames de cire * quadrilatères.
M. r Maraldi, qui a bien étudié la figure des cellules,
& la manière dont elles font difpofées les unes par rapport
aux autres, veut que chacune des pièces* dont nous ve¬
nons de parler, foit un rhombe, dont les deux grands
angles * ont chacun, à peu près, 1 10 degrés, & dont les
deux petits angles * en ont par conséquent chacun en¬
viron 70. Quand en regardant par l’ouverture d’une
cellule *, on en obferve le fond, on y diffingue très-aifé-
ment les trois pièces dont il s’agit. Celles de quelques
cellules paroiffent quarrées, mais plus ordinairement elles
femblent des lozanges ou des rhombes plus ou moins
allongés, qui s’éloignent plus ou moins du quarré parfait.
Swammerdam a cru comme moi, trouver de ces fortes
de variétés dans 'les figures des trois pièces du fond. Mais
leurs figures font néantmoins pour l’ordinaire des rhom¬
bes, tels que ceux dont M, r Maraldi a déterminé les an¬
gles. Les Sçavants qui ont befoin d’avoir des inflrumentS’
de figure régulière, les grands Agronomes, du nombre
defquels a été M. r Maraldi, fçavent mieux que perfonne
combien il efl difficile de mefurer des angles, & combien
U cil difficile de les tracer avec une extrême précifion fur
les matières les plus dures. Quand donc les abeilles ne
donneroient pas toujours aux rhombes des alvéoles les
angles que leur théorie demanderoit quelles leur donnaf-
fient, il n’y auroit pas de quoi être étonné; on ne doit que
l’être de ce qu’elles s’écartent fi peu des indurés précifès.
des Insectes. VIII. Mem. 383
Si nos ouvriers avoient à faire prendre les mêmes figures
à d’auffi petits morceaux de cire, il leur arrivcroit bien
plus rarement d’y réuftir. Enfin, fi quelque imperfeélion
le glilfe dans les pièces du fond d’une cellule, nous ver¬
rons que les abeilles fç ivcnt la lauver, la rendre prefque
infenfibie & incapable de produire aucun mauvais effet.
Nous devons donc nous repréfenter le fond de chaque
celiuie *, comme une cavité renfermée par trois rhombes * PL 31. fig.
égaux & lemblables, comme une cavité pyramidale. Cha- 2 & **
cun des rhombes fournit un de les angles obtus *, & par * p.
confisquent, les deux côtés qui le renferment pour former
1 angle folide de cette cavité pyramidale, pour en former
le lommet. Mais le contour, la circonférence de cette
cavité, n’eft pas telle que la circonférence d’une vraye
pyramide; elle a trois angles que j’appellerai l'aillants ou
pleins N & qui font les angles oppolcs à ceux qui fe réu- *0,0,0,
nilfent au lommet*; & trois angles que j’appellerai ren- * p.
trants ou vuk!es *, & qui font faits par la rencontre de *a,a,e.
fieux côtés*, dont un appartient à un rhombe, & l’autre * oa , a a,
à un autre rhombe. Cette circonférence a donc fix côtés,
dont chaque rhombe fournit deux; les fix côtés enfemble
font employés à former les trois angles [aillants ou pleins,
& les trois angles rentrants ou vuides. Ces fix côtés font les
appuis, les halés des fix lames ou pans de cire*,qui par ieur * PI. 31.
affemblage compofent le corps fie la cellule, ou la partie
exagone. Chacune de ces lames * eft rectangle depuis *Fïg. 1&3,
l’ouverture fie l’alvéole, jufques à ce quelle parvienne à 0 c b I
rencontrer le fomrftet + d’un des angles faillants ou pleins
delà circonférence fie la baie de la cavité pyramidale. Là
cette pièce prend la figure aigue * qui lui convient pour * ofœ*
remplir une port: >n de l’angle rentrant ou vuide, formé
en partie par le côté du rhombe fur lequel elle pofe. Le
relie fie cet angle, eft rempli * par la lame uni s appuyé * Fig.
384 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
lur le côte de l’autre rhombe qui fait l’angle en fe joignant
au côté précédent.
* PI. 3 r.figi Le fommet d'un angle faiilant * de chaque rhombe, fc
1 - °‘ 4 trouve toujours dans la ligne droite où cil l’arête * faite
par la jonction de deux des lames, de deux pans de hexa¬
gone. Les deux pans lailfent entr’eux l’efpace angulaire
qui peut être, & qui e(t exactement rempli parle fommet
de cet angle faiilant. Cette dilpofition elt confiante év auffi
régulière qu’il eft poflible phyfiquement quelle le foit.
Ainfi des fix angles de hexagone, il v en a trois qui font
toujours fymmétrifés très-reguliérement avec la baie; les
trois qui répondent aux angles (aillants de la circonférence
de celle-ci. Pour une régularité complette, il faudroit que
*Fig-3 .a,a,a. chacun des trois autres angles (aillants du tube exagone*,
que chacune de fes trois autres arêtes allât précilêment ren-
* p ig- 2 & 3.. contrer le fommet d’un des angles rentrants*, que la moi¬
tié de chacun de ces derniers angles fût remplie par une
partie angulaire fcmblab!e& égale, & par laquelle les pans
de hexagone fe termineraient; mais on peut ordinairement
obfervcr une dilpofition un peu différente. L’arête formée
*Fig. 5 .fl. par la jonétion de deux lames de hexagone *, ne va pas
* a - rencontrer le fommet de l’angle rentrant*, elle rencon¬
tre un des côtés de cet angle à une petite diflance du
fommet; un des pans prolongés fournit plus que l’autre
pour remplir cet angle. J’ai remarqué auffi que la lame
qui contribue le moins par fon prolongement à remplir
l’angle, eft plus étroite que l’autre; j’ai affésconflamment
obfervé deux lames plus larges, ou dont chacune paffe
fur le fommet d’un angle rentrant ; & quelquefois j’en
ai vu trois lames plus larges que les trois autres. De-là
il fuit que hexagone n’efi pas parfait, qu’il n’a pas fes
côtés égaux, qu’il en a déplus petits que les autres. II
en arrive auffi que les angles de hexagone ne font pas
tous
des Insectes. VIII. Mem. 3Sj
tous égaux entr’eux; mais la différence eft moins grande
entre les angles & les pans auprès de l'ouverture, quelle
ne l’eft auprès de la baie. Les petits pans de hexagone
m’ont paru s’élargir, & les grands m’ont paru s’étrécir à
mefure qu’ils s’éloignent de la bafe.
Je ne fçaurois croire qu’on doive attribuer les efpéccs
d’irrégularités que je viens de faire remarquer, à manque
d’adreffe de la part des abeilles. Je penferois plus volon¬
tiers qu’il en réfulte que le fond de la cellule en a des en¬
droits mieux difpofés à recevoir l’œuf, ou à contenir une
liqueur dont nous parlerons dans la fuite, qui eft l’aliment
néceffaire au ver qui doit fortirde cet œuf. Néantmoins
les abeillesne confhuifènt pas toujours des ouvrages (i dé¬
licats, avec autant d’exaéîitude quelles fembient lè le pro-
pofer; mais files inégalités deviennent trop grandes dans
une cellule, elles fçavent les fiuver en adjoûtant ou en
retranchant à la baie de la cellule fuivante; ainfi les irré¬
gularités ne vont pas en augmentant. Si une bafe a été
lin peu trop étendue, elles en laiffent une petite portion
à la cellule qui fuit, & fi la bafe a été faite trop étroite,
avant que d'élever les pans, les abeilles prennent ce qui
lui manque fur la bafe deftinée à foûtenir une autre
cellule.
Tout ceci deviendra plus aifé à entendre, quand on
fçaura mieux comment les cellules font difpofées les unes
par rapport aux autres. Leur difpofition feroit affurément
ce que les abeilles auroient imaginé de plus admirable, fi
elles l’avoient imaginée. L’arrangement des cellules d’une
des deux couches, des cellules dont les ouvertures font
fur une même face, n’a cependant rien île fort remar¬
quable dès qu’on fçait quelles font exagones; dès-là, on
voit affés comment elles peuvent être ajuftées les unes
auprès des autres, fans biffer aucun vuide. Mais quand
Tome V . Ccc
PI. 31. fil
.bd.
* S 1
PI. 50. fij
J 3 & E'
* Fig.
386 Mémoires pour l'Histoire
on confidcre la fécondé couche, celle des cellules qui ont
leur ouverture fur la face oppofée, que nous appellerons
la ièconde face du gâteau, il n’eft pas audi ailé de voir
comment elles peuvent être placées, fans que les halés
pyramidales des cellules de la première couche obligent
à lai (fer des vuides entre les baies des cellules de la fé¬
condé couche. Pour qu’il n’y eut point de ces fortes de
vuides, & pour épargner la cire qui doit être employée à
former la bafe des cellules, il n’y avoit rien de mieux que
de faire fervir les baies mêmes des cellules de la première
couche, de bafes aux cellules de la fécondé couche; c’eli
auffi ce que font les abeilles. Chaque cellule d’une cou¬
che* a un des rhombes de fa bafe appliqué contre un des
rhombes d’une cellule* de l’autre couche. Trois cellules
de la première couche, qui le touchent *,foui niffent la baie
complétée d’une cellule de la ièconde couche; & de même
réciproquement trois cellules de la féconde couche, qui lé
touchent, fournirent la bafe cà une cellule de la première
couche ; car les baies nappai tiennent pas plus aux cellules
d’une couche, qu’elles appartiennent à celles de l’autre
couche. Dès que nous nous repréfenterons trois cellules
contiguës d’une même face, n’importe de laquelle, nous
concevrons que leurs trois bafes fe touchent *; mais qu’é -
tant pyramidales, elles laiflent entr’elles un vuide pyra¬
midal précifément femblable à celui de l’intérieur de la
bafe d’une des cellules. Il cil de même renfermé par
trois rhombes femblables & égaux. En un mot, par fa
réunion de ces trois bafes, il 1e forme une cavité pyra-
midale exactement femblable à celle qui fait le fond de
chacune des cellules précédentes, mais tournée dans un
fens directement contraire. Si on cleve fur les fix côtés
des rhombes qui forment la circonférence de cette cavité,
les fix lames qui doivent renfermer le tube exagone, on
des Insectes. VIII. Mem. 5R7
aura une cellule femblable & égale aux trois autres, mais
tournée vers un côté oppofé, une cellule de l’autre cou¬
che. Chacune des trois cellules de la première couche,
fournit un des rhomhes de fa baie pour former la baie
complette de cette cellule.
Quoique tout ce que nous venons de dire puiiïc pa-
roître fimpleà ceux qui ont accoutumé leur imagination
à laifir des figures géométriques, <Sc fur-tout des figuresde
folides, nous devons avoir paru obfcurs à ceux qui 11e fe
font point fait une habitude de conferver les images de
ces fortes de figures ; mais fi ces derniers veulent fe con¬
vaincre que la bafe de chaque cellule d’une couche, cft
fournie par trois cellules de la couche oppofée, ils en
auront un moyen fiicile. Ils n’ont qu’à prendre trois
épingles, & les piquer toutes trois * dans la bafe d’une * Pi. 30. fig.
cellule, ayant attention de faire palier chacune de ces
épingles à peu près au milieu d’un des rhomhes; ils les
y enfonceront meme toutes trois jufques à cc qu’elles
foient arrêtées par leur tête ; qu’ils retournent enfuite le
gâteau, & qu’ils cherchent du côté oppofé les trois épin¬
gles, ils les trouveront en trois cellules différentes.
Outre l’épargne de cire qui réduite de cette difpofition
des cellules, outre qu’au moyen de cet arrangement les
abeilles rempliffent le gâteau fins qu’il y refîe aucun vui-
de, il en revient encore des avantages par rapport à la
folidité de l’ouvrage. L’angle du fond de chaque cellule,
le fommet de la cavité pyramidale, efi arc-bouté par l’arête
que font enfemble deux pans de hexagone d’une autre
cellule. Les deux triangles ou prolongements des pans
exagones *, qui rempliffent un des angles rentrants de la *pi. 3?.%.
cavité renfermée par les trois rhomhes, forment enfemble 3* 0 a °f°-
un angle plan par le côté * où ils fe touchent ; chacun * a f.
de ces angles, qui efi concave en dedans de la cellule,
C c c ij
388 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
foûtient du côté de fa convexité une des lames em¬
ployées à former l’exagone d’une autre cellule; & cette
lame qui s’appuye fur cet angle, tient contre la force
qui tendroit à le pouffer en dehors. C’eft ainfi que les
angles fe trouvent forte.es. Tous les avantages que l’on
pouvoit demander par rapport à la folidité de chaque
cellule, lui font procurés par la propre figure, Si par la
manière dont elles font difpofées les unes par rapport aux
autres.
Enfin , Si nous l’avons déjà dit, plus on étudie la
çonftruéîion de ces cellules, & plus on l’admire. 11 faut
même être auffi habile en géométrie qu’on itfi devenu
depuis que les nouvelles méthodes ont été découvertes
pour connoître la perfection des réglés que les abeilles
fuivent dans leur travail. Nous allons le prouver. M. Ma-
raldi, après avoir mefuré avec grand foin les angles de ces
trois rhombes égaux, dont le fond de l’alvéole eft formé»
a trouvé, comme il a déjà été dit ci-deffus, que les abeilles
donnent ou tendent à donner à chacun des deux grands
* Pi. 31. fig. angles oppofés * de chaque rhomhe, à peu près 1 1 o de-
J ' c,1 ’‘ grés, Si fi peu près 70 degrés à chacun des deux petits
* a, e. angles *. Les figures des fonds pyramidaux , faits par trois
rhombes femblables Si égaux. Si propres à être ajuflés à
des cellules exagones, peuvent cependant varier à l’infini,
il peut y avoir une infinité de variétés dans les angles des
rhombes employés; c’eft-à-dire, que les fonds peuvent
être des pyramides plus écrafées, plus moufles que celles
pour lefquelles les abeilles fe font déterminées, Si de plus
* E'g-10. en plus mouffes; le terme de celles-ci eft le fond plat * ; ou
au contraire on peut employer des pyramides plus allon-
* Fig. 7. gées, plus pointues *, Si le terme de l’allongement de ces
dernières efl 1’épaiffeur du gâteau ; car l’angle du fond de
chaque cellule eût pu fe trouver tout près de la furface
des Insectes. VIII. Mem. 389
oppofee à celle où eü l’ouverture. Dans une fuite infinie
de pyramides, les abeilles avoient donc à en choifir une;
6c il cil à préfumer, ou plutôt il eft certain 6c incon-
teftable, qu elles ont préféré celle qui raifcmble le plus
d’avantages; car ce n’eii pas à elles à qui l’honneur du
choix cil dû, il a été fait par une intelligence, qui voit
l’immenhté des fuites infinies de tous genres, 6c toutes
leurs combinaifons, plus lumineufement 6c plus diftinéte-
inent que l’unité ne peut être vue par nos Archimédes
modernes.
Convaincu que les abeilles employent le fond pyra¬
midal cjui mérite d’être préféré, j’ai foupçonné que la
raiion, ou une des raifons cjui les avoit décidées, étoit
l’épargne delà cire; qu’entre les cellules de même capa¬
cité 6c à fond pyramidal, ceile qui pom oit être faite avec
moins de matière ou de cire, étoit celle dont chaque
rhombe avoit deux angles, chacun d’environ 1 10 degrés,
6c deux chacun d’environ 70. Sans parler de la grandeur
de ces angles, après avoir fait admirer la difpofition des
rhombes à M. Kœnig, digne éleve en Mathématique 6c
en Philosophie des Bernouilli 6c des Volf, je lui propoiai
de réfoudre le problème fuivant. Entre toutes les cellules
exagones a fond pyramidal, compoié de trois rhombes
fembiables 6c égaux, déterminer celle qui peut être conf-
îruite avec le moins de matière. M. Kœnig qui a fait fes
preuves de la facilité qu’il a de réioudre les plus grands
problèmes, fut touché de la beauté de celui-ci, 6c le fen-
tit un goût pour en chercher la folution, que n’avoient
pas eu d’autres géomètres, à qui je l’avois propofé. 11 la
trouva, 6c fut agréablement furpris après l’avoir trouvée,
loriqu’il lui dans les Mémoires de l’Académie de 1712,
que je lui envoyai, que le rhombe que fa folution avoit
déterminé, avoit à deux minutes près les angles que
C c c iij
3 pO MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
M. Maraldi avoit trouvés parties mefures actuelles, ù
chaque rhombe des cellules d abeilles.
M. Kœnig efl parti pour l'a folution, d’un fort beau
théorème. Il a démontré que la capacité d’une cellule à
. fig. fix pans & à fond pyramidal quelconque *, fait de trois
rhombes femblabies & égaux, étoit toujours égale à la
ic. capacité d’une cellule à fond plat *, dont les pans recflan-
al > gles ont la même longueur que les pans en trapeze * de
' 1 ‘ la cellule pyramidale, & cela quels que foient les angles des
rhombes. Enfin, il a démontré qu’entre les cellules à fond
pyramidal, celle dans laquelle il entroit le moins de ma¬
tière, avoit fon fond fait de trois rhombes, dont chaque
grand angle étoit de 109 degrés 26 minutes, & chaque
petit angle de 70 degrés jq. minutes. Quand M. Maraldi
a donné les mefures les plus précifes de ces angles, il a
fixé les grands à 109 degrés 28 minutes, de les petits à
70 degrés 32 minutes. Un tel accord entre la folution &
les mefures aduelles, a affûrément de quoi furprendre.
Lorfqu’on compare groffiérement une cellule à fond
. 10. plat *, avec une cellule à fond pyramidal *, on n’apperçoit
& 7 * pas, & même on 11’eft pas porté à penfer que la cellule
à fond plat efl de toutes, celle qui conformité le plus de
cire. M. Kœnig a pourtant démontré que les abeilles œco-
nomifent la cire, en préférant les fonds pyramidaux aux
fonds plats, qu’elles ménagent en entier la quantité de cire
qui feroit néceffaire pour un fond plat. Si je ne craignois
qu’on fe lafïat de m’entendre parler géométrie, je rappor¬
terais volontiers les démonflrations de M. Kœnig; mais
ceux qui font curieux de les voir, n’y perdront rien pour
11e les pas trouver ici. Le Mémoire qui les donne, a été
lû à r Académie en 1739, il en fera fait mention dans
l’Hifloire de cette même année; elles y feront expofées
plus nettement, & mifes dans un plus grand jour, par
des Insectes. VIII. Mem. 391
notre célébré Hiftorien, que je ne le pourrois faire. M.
Kcenig, au relie, a très-bien remarqué que ce problème
n’étoit pas Je ceux qu’on pou voit refondre du temps
de Pappus, Quelle idée cet ancien géomètre n’eût-il
pas eu de la géométrie des abeilles, fi outre les avanta¬
ges du tube exagone, il eût connu ceux du fond pyra¬
midal \ 11 falloir que les méthodes des nouveaux calculs
fullcnt découvertes, que nous fuliions en état de ré¬
foudre, par le moyen de l’analvfe des Infiniment petits»
les queftions de Alaxhnïs & Minhnis, pour fçavoir à quel
point de perfection & d’œconomie l’architeéïure des abeil¬
les eft portée.
Le problème que j’avois propofé à M. Kcenig, & qu’il
a très-bien rélolii, ne renferme pourtant pas encore toutes
les conditions que les abeilles auraient pu y faire entrer;
car nous avons fuppofé que leurs cellules lont des exa-
gones parfaits; & des obfervations faites avec grande atten¬
tion, nous ont appris, comme nous l’avons expliqué ci-
devant alfés au long, qu’il y a au moins deux pans oppo-
fés, plus larges que les quatre autres. Car fi trois des angles
de hexagone rencontrent exactement les trois angles tail¬
lants de la bafe, il y a au moins deux angles rentrants,
dont chacun * n’elt pas rencontré par l’angle corrclpor.- * PL 31.%.
dant, formé par deux pans voifins, & prolongés pour 5 - a -
remplir le vuide de cet angle rentrant. Je ne fçais li cette
difpolition va encore à l’épargne de la cire, mais il elt in- ,
dubitable qu’elle tend à rendre l’ouvrage plus parfait,
qu’elle a quelque utilité qui fera admirée, dès qu’elle fera
connue.
Comme la récolte & la préparation de la cire coûtent
beaucoup aux abeilles, il leur importoit extrêmement de
la bien œconomifer, & nous venons de voir avec quelle
fcience elles le font. Nous remarquerons de plus, que cette
*PI. 31.
11 & 12
392 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
raiJon d’œconomie les engage à tenir les parois de leurs
alvéoles minces, à un point qui demandoit que la lolidité
de la conftruction fupplcât au peu de matière. Il n’tff
point de papier auffi fin que le lont les pièces du fond,
& les pans du tube. Cependant les cellules doivent être
capables de réfifter à tous les mouvements des mouches
qui y entrent, & qui en fortent en différents temps. Le
bord de l’ouverture a plus à fouffrir qu’aucun autre en¬
droit, il eff plus fréquemment & plus fortement attaqué.
Les abeilles auffi ne manquent pas de le fortifier ; elles
adjoutent tout autour de la circonférence de l’ouverture
de la cellule, un cordon de cire qui rend le bord trois ou
quatre fois plus épais qu’il ne le feroit s’il n’avoit que l’é-
pailfeur des pans. On trouve même ce cordon aux cellules
qui ne font qu’ébauchées, qui n’ont pas encore toute la
profondeur qu’elles auront par la fuite. Il eff plus épais
dans les angles que par-tout ailleurs, ce qui fait que l'ou¬
verture de chaque cellule n’eff pas un exagone parfait.
Ce n’eff pas afles que d’avoir admiré la figure pyra¬
midale des fonds des alvéoles, & le choix des rhombes
qui y font employés ; ces mêmes fonds offrent quelque¬
fois des irrégularités, qui ne lont pas moins propres à
donner idée du génie des abeilles. Ceux qui ne vou-
droient regarder l’emploi confiant des trois rhombes
égaux, que comme l’ouvrage d’une machine bien mon¬
tée, doivent être embarraffes&furpris, lorfqu’iis obferve-
ront, comme je l’ai obfervé bien des fois, que les fonds
pyramidaux de certaines cellules, font conftruits de quatre
fig. pièces*; qu’entre ces pièces, il n’y en a quelquefois que
deux quadrilatères, que les autres ont plus ou moins de
côtés ; enfin, que dans différents fonds, ces pièces varient
différemment en figure & en grandeur. Nos mouches
gavent donc fe méprendre ; elles peuvent manquer de
donner
des Insectes. VIII. Mem. 395
donner au premier rhombe la grandeur & les . ng'les qui
lui conviennent^ niais au (fi èlles fçavent remédier à leurs
méprifes. Elles ajuftcnt alors plus de pièces les unes contre
les autres, afin que la pyramide prenne une figure qui s’é-
loi gne le moins qu’il eft poliible de celle quelle auroit dû
avoir.
Mais comment les abeilles viennent-elles à bout de
conftruire ces cellules, d’en compofer des gâteaux ou
rax ons 1 C’eft ce qu’il n’eft pas aulfi aile de voir qu’on le
fouhaiteroit. Elles fe portent à l’ouvrage avec tant d’ar¬
deur; il y en a tant à la fois qui veulent y avoir part ; elles
cherchent tellement à s’entraider, que dans les endroits
où elles travaillent avec le plus de fiuccès, foit à jetter les
fondements de quelque noux'eau gâteau, foit à en allon¬
ger ou à en élargir un ancien , le fpeéîateur ne voit pres¬
que que du trouble & de la confufiori. 1! voit continuelle¬
ment arriver de nouvelles mouches, il en voit continuelle¬
ment partir d’autres,& fouvent il voit partir au bout d’un
inftant, celles qu’il avoit vu arriver. Malgré nos ruches vi¬
trées, il n’y a que des moments, & encore des moments
très-courts, où on puifie obferver celles qui établirent les
baies des cellules, & qui en élevent les pans. Si l’obferva-
teur parvient à voir une abeille qui édifie, bientôt il a le
regret delà voir partir, ou bientôt il eft fâché de ce qu’elle
lui eft cachée par d’autres qui fe mettent devant elle. On
parvient néantmoins aftes aifément à obferver que leurs
deux dents font les inftruments aveclefquels elles modèlent
& façonnent la cire. Au moyen d’un peu de patience, on
apperçoit des cellules, dont il n’y a encore qu’une partie
d ébauchée; & on ne tarde pas à remarquer i’aéïivité avec
laquelle une abeille fait mouvoir les dents, contre une
petite portion de la cellule ; cette portion eft entre les
deux dents, qui par des coups alternatifs & réitérés la
Tome V „ D d d
*PI. 30.
I.
394 Mémoires pour l’Histoire
battent de chaque côté, l’applanilïent, la rendent compare,
«St Ja réduifent à n’avoir qu’une épaiflèut convenable.
Sans voir les abeilles occupées à leur travail, on peut
s’aflurer de l’ordre dans lequel elles le conduilént, li on
détache des gâteaux, & fur-tout des gâteaux nouvellement
fig. faits * ; leur contour montre la première ébauche, ou plû-
tôt le plan de diverfes cellules, & en montre de plus ou de
moins avancées. Le contour de chaque gâteau peut etre
comparé à ces bâtiments oit on a laide des pierres d’at¬
tente. Ceux qui ont voulu attaquer l’efprit géométrique
des abeilles, qui ont voulu qu’on n’admirât pas trop la
ligure exagone de leurs cellules, ont dit que les cellules
prenoient nécefiairement cette figure dès que les abeilles
vouloient quelles fuffent toutes contiguës; qu’il arrivoit
dans la conftruélion de ces cellules, ce qui arriverait fi
l’on prefioit à la fois un nombre de boules d'une cire
molle, & de même diamètre, arrangées fur une table qui
aurait des rebords, &. où elles fe toucheraient toutes.
La prelfion changerait les boules en difques exagoncs.
Mais on rend plus de jufiiee au génie des abeilles ou à
l’infiinél qui leur en tient lieu, lorfqu’on a confidéré
les bords des gâteaux dont nous venons de parler : ils
prouvent que les abeilles fe conduifcnt comme les ou¬
vriers qui travaillent à élever un bâtiment conforme au
delfein que l’architeéle a donné. Elles commencent par
établir la bafe de l’édifice, d’une cellule. Nous avons
vu que cette bafe doit être compofée de trois petites
lames de cire égales & femblables, faites en rhombe.
Les abeilles façonnent d’abord un de ces rhombes. Rap¬
pelions-nous que deux des côtés de chaque rhombe fe
trouvent à la circonférence de la bafe, & qu’ils fervent
d’appuis à deux des faces, à deux des lames du tuyau
exagone. Les abeilles bâtilfent, pour ainfidire, fur chacun
des Insectes. VIII. Mem. 395
des côtés extérieurs du rhombe nouvellement conftruit,
elles y attachent une petite lame qu’elles allongeront par
la fuite, Si qui formera une des faces de hexagone; c’eff-
à-dire, qu’après avoir frit un des trois murs rie cire, en
rhombe, qui doivent compofer la baie, elles établiffcnt
fur les deux côtés de ce mur, les fondements de deux des
murs de hexagone. Elles travaillent enfuite à faire un
autre rhombe de la bafe, qu’elles affemblent avec le pre¬
mier dans hinclinaifon qu’il doit avoir. Sur les deux côtés
extérieurs de celui-ci, elles ébauchent encore les fonde¬
ments de deux ries pans de hexagone. Enfin, elles fer¬
ment Si finilfent la bafe, en y adjoûtant le troifîéme
rhombe femblable aux deux premiers, Si achèvent d’é¬
baucher les fondements de hexagone, en mettant une
lame de cire fur chacun des côtés extérieurs de ce dernier
rhombe.
Pendant que des abeilles prolongent les pans d’un tuyau
exagone, d’autres abeilles ébauchent les baies de pluheurs
nouvelles cellules; d’autres mettent à profit les baies de
celles d’une des faces du gâteau, pour conflruire des
cellules fur l’autre face; car elles travaillent à la fois aux
alvéoles des deux côtés. Dans des circonfîances où elles
font prefiees par l'ouvrage, Si nous dirons ailleurs quelles
font ces circonfiances, elles ne donnent aux nouvelles
cellules qu’une partie de la profondeur quelles doivent
avoir; elles les laifient imparfaites, & différent de les finir
jufquesà ce quelles ayent ébauché le nombre de celles qui
font néceffaires pour le temps préfent. Enfin, les bords de
chaque gâteau ne font faits, pour ainfi dire, que des fon¬
dations de diverfes cellules.
De quelque adreffe que les abeilles foient douées, cc
n’eft qu’avec le temps & bien de la peine qu’elles peu¬
vent dreffer les parois des cellules, les rendre auffi minces
Ddd ij
396 Mémoires pour l’Histoire
& auffi unies quelles doivent letre. Elles ne les jettent pas
en moule. Si l’abeille qui dégroffit une partie de la cellule,
qui commence à lui faire prendre forme, vouloit d’abord
la rendre auffi mince qu'elle le doit devenir par la luite,
elle n’y réuffiroit pas. Cette partie trop foible pour refiler
au poids & aux mouvements de la mouche, fie briferoit.
Auffi l’abeille lui donnede la folidité, du maffifi, beaucoup
au-delà de ce qu’il convient qu’il lui en refte. D’autres
mouches font chargées de limer, pour ainfi dire, de réparer
& de polir ce qui cfl encore brut. Dans la plupart des
eipéces d’ouvrages faits par main d’homme, le travail de
finir eft celui qui demande le plus de temps. Peu de pu¬
deurs peuvent fournir affés de befogne à un très-grand
nombre de Cifeleurs&de Répareurs. Le plus grand nom¬
bre de nos petites ouvrières en cire, cil auffi occupé a tra¬
vailler les dedans des cellules, à les perfectionner. La place
ne permet pourtant qu’à une abeille à la fois de drefferév
d’applanir les parois intérieures d’une cellule. Mais com¬
me le nombre des cellules eft confidérable, & que chaque
mouche ne refte pas long-temps dans celle où elle eft
entrée, c’eftde tous leurs travaux celui dans lequel l’on
a plus d’occafions de les obfierver. On parvient aifément
à voir une abeille qui fait entrer fa tête dans un alvéole,
& quand elle ne l’y enfonce pas bien avant, on apperçoit
en fuite quelle en ratifie les parois avec les bouts de lès
dents ; quelle les fait agir l’une contre l’autre avec une
aélivité admirable & fans interruption, pour détacher de
petits fragments de cire, «.les efpéces de coupeaux. Les
dents qui les ont détachés, ne les laiffent pas tomber. La
mouche qui en a fait une petite boule, greffe comme la
tèted’une épingle, fort de la cellule,&va porter cette cire
ailleurs. Elle n’eft pas plutôt fortie qu’une autre mouche
prend fia place pour continueriemêmc ouvrage. Celle-ci
des Insectes. VIII. Mem. 397
entre comme la première avoit fait, la tête la première
dans l’alvéole; elle y entre plus avant, fi les endroits à
polir lont plus proches du fond. Quand c’eft fur le fond
même qu’il faut travailler, la mouche efi toute entière
dans la cellule; à peine fou derrière excéde-t-il un peu
les bords de l’ouverture.
Nous avons déjà parlé des deux principaux ufages des
alvéoles. Nous avons dit qu’il y en a qui font employés à
conferver le miel, 6c qu’il y en a d’autres, dans chacun
dei'qucls doit naître un ver, y prendre l'on accroilTement,
Si s’y transformer en mouche. Nous avons dit au (fi que
les mâles des abeilles, les faux-bourdons, font beaucoup
plus gros que les abeilles ordinaires. La cellule qui efi def-
tinéeà loger un ver qui fe transformera en faux-bourdon,
doit donc être plus grande en toutes fes dimenfions, que
la cellule qui efi deftinée â loger un ver qui fe transformera
dans une abeille ouvrière. Les ouvrières font auffi des cel¬
lules exagones de deux différents diamètres. Le nombre
de celles qui font deftinées pour des abeilles ordinaires,
cil grand par rapport au nombre de celles qui font faites
pour des mâles. J’ai trouvé que 20 des petites cellules
polèes fur une même ligne droite, remplilfent cnfcmble
une longueur de quatre pouces moins une demi-ligne.
Si on néglige la demi ligne, le diamètre de chacune de
ces cellules fera de 2 lignes f. Et un gâteau de 1 5 pouces
de long, fur un peu plus de 10 pouces de large, fera
compolé d’environ 9000 alvéoles.
Apres avoir mel'uré avec foin la longueur qu occu-
poient des cellules à vers, d’où doivent naître des faux-
bourdons, j’ai trouvé que 10 de celles-ci avoient une
longueur de 2 pouces 9 lignes, 6c ~ de ligne. Ainfi le
diamètre de chaque cellule, étoit de 3 lignes 6c ou
à peu près de 3 lignes 6c un tiers de ligne. Mais avant
D dd iij
398 Mémoires pour l’Histoire
induré ensuite de ces cellules alignées autrement que les
premières, je trouvai qu’il n’en falloit que 9 pour remplir
la même longueur de z pouces 9 lignes & ~ de ligne;
c’eft-à-dirc, que chacune de ces cellules avoit dans un
fens, un diamètre d’un neuvième plus grand que celui
quelle avoit dans l’autre. Quand les indurés me l’ont eu
appris, j’ai été conduit à reconnoître que ces cellules
n’étoient point des exagones parfaits, comme on a cru
qu’elles en étoient: je diftinguois fort aifément deux faces
oppofées, égales entr’elles, & plus petites que les quatre
autres; & en répétant les mefures, je me fuis a duré que
félon que la ligne lur laquelle je les mefurois, pafloit par
Ses petites ou par les larges faces, il ne falloit que neuf,
ou qu’il falloit dix cellules pour remplir à peu près la
même longueur. J’ai cru auffi avoir obfervé de la diffé¬
rence entre les diamètres des petites cellules, celles qui
ont des vers qui donnent des abeilles ordinaires, mais des
différences moins confidérables ; & ces différences font
prouvées par ce que nous avons dit ci-devant, que des
trois angles rentrants de la bafe, ii y en a au moins deux
qui ne font pas rencontrés par les angles formés par les
prolongements des pans de hexagone.
La longueur du pendule déterminée dans un pays dont
la latitude cft bien connue, donne une mefure fixe qui a
été long-temps defirée desSçavants, une mefure à laquelle
toutes celles dont on veut avoir une connoiffance précife
& fûre, doivent être rapportées. Nous ne ferions pas auffi
embarraffés que nous le fommes fouvent fur les mefures
des Anciens, s’ils enflent connu cette mefure fixe. Nous
en aurions une autre, qui, quoique moins exade, nous
fuffiroit pour bien des cas, s’ils nous enflent donné les
mefures des cellules des abeilles; car il eft plus que proba¬
ble, que les abeilles d’aujourd’hui des environs d’Athènes
des Insectes. VIII. Mem. 399
& de Home, font de la même efpéce que celles qui y
étoient autrefois; que celles d’aujourd’hui ne font pas
des alvéoles plus grands ou plus petits que ceux que fai-
foient les abeilles qui travailloient dans les temps ou les
Grecs & ceux où les Romains ont été le plus célébrés,
M. Thevenot avoit penfé aufiï, comme nous le rapporte
Svvammerdam, à prendre une mefure fixe d’après les cel¬
lules des abeilles.
Les profondeurs des différentes cellules des abeilles, ne
font pas aufiï confiantes que les longueurs de leurs diamè¬
tres. Communément les cellules à vers d’abeilles ouvrières,
ont cinqlignes J de profondeur; & le gâteau compofé de
deux rangs de cellules oppolees, efi épais d’environ dix
lignes. Les cellules des vers qui doivent devenir des faux-
bourdons, ont quelquefois plus de huit lignes de profon¬
deur; mais il y en a de moins profondes. Nous verronsdans
la fuite, que les mêmes cellules qui fervent à élever les vers
jufqu’à leur transformation, ont fouvent fervi auparavant
à contenir du miel, & qu’elles y fervent fouvent après que
les mouches dans lefquelles les vers fe font transformés,
en font forties. Ainfi les cellules à vers de mouches ordi¬
naires, & les cellules à vers de mouches mâles, font dans
différents temps des cellules à miel. Mais il y a des cellules
que les abeilles ne defiinent qu’à recevoir du miel, aux¬
quelles elles donnent beaucoup plus de profondeur qu’aux
autres. J’ai mefuré des alvéoles qui n’avoient que le dia¬
mètre des plus petits, & dont la profondeur étoit au moins
de dix lignes. Lorlque la récolte du miel efi fi abondante,
qu’il efi difficile d’avoir allés de vaifieaux pour ie loger,
lorfque les abeilles ont peine à confiruire un nombre fuf-
fifant de cellules pour contenir tout celui qu’elles peu¬
vent recueillir, elles allongent les anciennes, ou cllesdon-
nent aux nouvelles quelles bâtiffent, une longueur qui
400 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
furpafîe beaucoup celle des cellules ordinaires. II eft vifib’e
qu’elles épargnent ainfi les façons des baies. Nous verrons
encore bientôt qu’il y a pour elles une autre épargne dans
les cellules plus profondes. Les abeilles fçavent s accom¬
moder au temps, elles fçavent auffi s’accommoder au lieu.
Quoique l’axe des alvéoles foit communément perpen¬
diculaire aux faces du gâteau, elles en conflruilent qui
l’y ont incliné, Si elles en conflruilent quelquefois qui font
courbes, Si cela iorfque le voifinage des parois de la ruche
Si leur figure, ou Iorfque quelqu’autre circonftance ne per-
mettroient pas d’y placer affés d’alvéoles droits.
La difpofition des gâteaux offre, comme celle des al¬
véoles de chaque gâteau, des faits qui font honneur à
l’intelligence des abeilles. Des mouches nouvellement
établies dans une ruche qui étoit vuide. Si où elles fe
trouvent bien, n’y refient pas long temps fans y jetlcr les
fondements d’un gâteau qu’elles allongent Si élargiffent
avec une célérité furprenante ; mais avant que de lui
avoir donné autant détendue quelles lui en veulent,
elles fe partagent. Une partie des ouvrières en commence
un fécond , Si quelquefois une autre partie des mouches
entreprend d’en faire un troifiéme. Quand il y a deux ou
trois atteliers, plus d’ouvrières peuvent s’occuper à la fois
fins s’embarraffer, elles font en état de faire plus de be-
fogne. Les gâteaux font communément arrangés parallè¬
lement les uns aux autres, & parallèlement à la plus grande
des fices de la ruche, fi la ruche a des faces, c’efl-à dire,
fi fon contour n’efl pas courbe comme l’eft celui des
ruches coniques. Il doit relier un intervalle entre deux
gâteaux, une rue qui permette aux abeilles d’aller vifiter
les alvéoles de l’un Si de l’autre gâteau. Ces rues n’ont
ordinairement que la largeur qui luffit pour laiffer palier
deux abeilles à la fois. Chaque gâteau ne tient iouvent
au haut
des Insectes. VIII. Mem. 401
au haut de la ruche, & même au haut de celles dont le
defTus eft plat, que par une efpéce de pied qui a peu de-
tendue. Quand les abeilles commencent un lècond gâteau
dans une de ces dernières ruches, elles l’attachent fouvent
au bout oppofé à celui où l’autre gâteau eft aflùjetti. Il luit
de ce que nous venons de dire, que ce lecond gâteau doit
être conftruit parallèle au premier, & qu’il ne doit relier
entr’eux qu’un certain intervalle. Les abeilles qui ont jette
les fondements du dernier, malgré la diftance qu’il y a
entre l’endroit où elles l’ont collé, & l’endroit où tient le
premier, ont donc jugé que lorlqu’il feroit fini, il fe trou-
veroit placé par rapport à l’autre, comme il convient qu’il
le l'oit. Il leur arrive pourtant de le tromper, & c’ell encore
un de ces faits qui l'emblent prouver quelles jugent. Quel¬
quefois l’attache du nouveau gâteau a été polée fur une
ligne tellement éloignée de la ligne où eft l’attache de
l’autre, qu’il y auroit un trop grand intervalle entre le pre¬
mier & le fécond gâteau, fi celui-ci étoit conllruit parallèle
à l’autre. Pour regagner une partie du vuide qui naît de fa
mauvaife pofition, les abeilles leconduifent obliquement.
A mefure qu’elles l’étendent, elles lui donnent une incli*
naifon qui le rapproche de l’autre. La pofition du fécond
gâteau a été quelquefois fi mal choifie, que le vuide qui
relie d’un côté entre les deux gâteaux, ne paroît pas fùp-
portable aux abeilles. Alors elles en conllruifent un troi-
fiéme entre ceux-ci, mais qui a toujours peu detendue,
par rapport aux deux premiers : elles le terminent dans
l’endroit où les deux autres ne laiffent entr’eux qu’un in¬
tervalle qui y peut être fans inconvénient. Elles font plus
quelquefois, elles remplilTent certains efpaces de gâteaux
tous parallèles entr’eux, mais inclinés ou même perpen¬
diculaires aux premiers faits *.
Mais, comme nous l’avons dit, les gâteaux font pour
Tome V . E e e
* pi. 21. fig.
3 & 4 -
402 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
1 ordinaire parallèles les uns aux autres. Ils laifTent entr eux
des efpéccs de rues. Les abeilles auroient fouvent trop de
chemin à faire, fi pour parvenir entre deux gâteaux juf-
que vers leur milieu, il falloit toujours paffer par les bouts
des rues. Pour abréger le chemin, quand elles conftrui-
fent un grand gâteau , elles fçavent y referver une ou plu-
fieurs ouvertures à peu près rondes. Ce font de grandes
portes toujours ouvertes, & qui leur permettent d’arriver
plutôt entre ies gâteaux, & d’en fortir. Des gâteaux lou-
vent longs de plus de 18 à 20 pouces, & larges de 12
ou 1 j , comme il y en a dans certaines ruches, contien¬
nent un nombre de cellules bien confidérable. Leurs
contours font curvilignes; mais ne prenons d’un gâteau
qu’une portion reélangje longue d’environ 15 pouces,
& large de plus de 10. Il ell aile de calculer quelle fera
compofée de plus de 9000 cellules, comme nous l’avons
déjà dit.
Quoique les cellules foient formées de feuilles de cire
extrêmement minces, les gâteaux deviennent des pièces
pelantes lorfqu’ils font bien pleins de miel. Leur propre
poids pourroit rompre les attaches qui les tiennent luf»
pendus au haut de la ruche. Les abeilles fçavent auffi les
affujettir en divers autres endroits contre lès parois ; &
elles multiplient les attaches autant quelles en trouvent
la facilité. Dans les ruches vitrées, les gâteaux extérieurs
font fouvent foûtenus par de petites maffes de cire
quelquefois cellulaires, collées par un de leurs bouts à
un des carreaux de verre, & par l’autre au gâteau. Les
gâteaux intérieurs font auffi quelquefois attachés les uns
aux autres. Celui qui fe trouve immédiatement après un
gâteau extérieur, efl attaché à celui-ci; ainfi les foiitiens
des gâteaux extérieurs fervent à maintenir les autres. La
prévoyance de ceux qui préparent des ruches pour y
des Insectes. VIII. Mem. 403
loger des abeilles, les engage à y difpofer de petits
bâtons en croix, qui par la fuite fervent de l’upports aux
gâteaux qui y font conllruits ; ces fupports les mettent
hors de nique de tomber, & épargnent du travail aux
mouches.
Nous avons vû les abeilles occupées à conftruire & à
polir des cellules, nous les avons vû en compofer de
grands gâteaux, fans avoir rien dit encore de la matière
dont elles les conüruifent, fans avoir dit encore comment
elles font la cire même; c’cfl-à dire, fans avoir expliqué
en quoi cette cire brute qu’elles ramalfent fur les fleurs
diffère de la vraye cire, & comment elles la convcrtiffcnt
en véritable cire. Nous n’avons pas même dit où chaque
abeille prend la cire dans l’in fiant où elle veut la mettre
en œuvre pour en faire une portion de cellule. Ce der¬
nier fait me paroît avoir été ignoré par ceux qui ont trai¬
té des abeilles ; &• ils ne nous ont aucunement appris à
quoi il falloit s’en tenir fur la converfion de la cire brute
en véritable cire, ce qui eft cependant une quéftion cu-
rieufe & importante à éclaircir, non-lèulement par rap¬
port à l’Hiftoire des abeilles, mais même par rapport à la
Phy-fique.
Ces deux petites pelottes dont font fouvent chargées
les deux dernières jambes des abeilles qui reviennent de
la campagne, ont été prifesfur les fleurs, ainfi que nous
l’avons expliqué dans le fixiéme Mémoire. Elles 11e font
autre chofe que des amas de pouffiéres d’étamines. C’efl
ce que nous avons appellé de la cire brute ou de la ma¬
tière à cire. On pourroit néantmoins douter fi ces pôuf-
fléres d’étamines ne font pas actuellement de la cire pro¬
prement dite. Certaines parties des plantes & des arbres
donnent de la réfine toute faite; les mêmes parties ou d’au¬
tres parties de différents arbres, donnent de la gomme telle
404 Mémoires pour l’Histoire
que nous l’employons. Enfin, nous connoiflons à préfent
un arbrifleau commun au Mifliflipi, des grains duquel on
retire une forte de cire au moyen de l’eau bouillante. Ne
pourroit-ii pas fe faire que d’autres parties des plantes,
que leurs fleurs donnaflent de la cire telle que ceile que
nous brûlons journellement, que les abeilles ne fuflent
chargées que du loin de l’y ramafler! Il feroit afles naturel
de penfer que cela cft ainfi. Mais quand on vient à exa¬
miner ces petits grains que les abeilles ont enlevés aux
étamines des fleurs, on reconnoît aifément qu’ils ne font
point du tout de la cire, ils ne font que la matière dont
elles la font.
En attendant que nous apprenions le moyen d’avoir
afles de cette cire brute pour fournir à des eflais un peu
en grand, nous nous contenterons de faire remarquer qu’il
efl très-facile d’en avoir pour des eflais en petit. Dans les
jours où les abeilles vont à la campagne, on n’a qu’à fe
tenir le matin auprès d’une ruche, & prendre celles qu’on
y voit arriver chargées. Si on n’eft pas afles aguerri avec
elles pour ofer les làifir avec une pince, fi on craint trop
leurs piquûres, il y a un autre moyen de leur enlever leur
récolte avec moins de rifque. On n’a qu’à tenir à la main
un petit bâton frotté de glu. Dès qu’une abeille fe fera
pofée fur le devant de la ruche, ou qu’elle y marchera,
on s’en rendra maître fi on la touche avec le petit bâton.
On lui ôtera fes deux boulles fi elle les a encore, & fi elle
les a Inifle tomber fur le devant de la ruche, ce qui arrive
afles fouvent en pareil cas, on les y ramaflera. Quand on
fe fera fourni ainfi d’un certain nombre depelottesde cire
brute, il fera facile de faire les expériences propres à mon¬
trer qu’elles ne font point encore de la cire.
La plus fimple de toutes, & celle qui s’offre la première,
cft de peflrir entre le pouce & l’index une de ces petites
des Insectes. VIII. Alem . 405
boules, de lui faire changer de figure en la pefiriffant, &
fur-tout de la réduire à une lameplatte. En pareil cas, la
cire ordinaire fe ramollit, & devient flexible comme une
pâte; quelque figure qu’on lui fa (Te prendre, lès parties
refient continues; en un mot, la cire alors efi duélile, &
la petite boule ne l’efi pas, elle ne fe ramollit point entre
les doigts, elle s’y brife fouvent: on reconnoît toujours
à la vue fimple, & encore mieux à la loupe, que la petite
mafie n’efi qu’un affemblage de grains, dont chacun, mal¬
gré les preffions réitérées par des doigts chauds, a confervé
là figure. S’ils tiennent les uns contre les autres, ce 11’efi:
que par un peu d’humidité refiée fur leur furface.
Pour fçavoir ce que peut fur cette matière une chaleur
plus forte que celle des doigts, on mettra une petite pe-
lotte dans une cuillier d’argent qu’on pofera fur de la
cendre chaude, ou fur un charbon peu ardent. Si la petite
boule étoit de cire, dans un inftant elle y deviendrait cou¬
lante, au lieu que la petite boule de cire brute confervefà
figure, elle jette de la fumée, elle fedefféche&feréduit en
charbon.
On peut faire au feu une autre expérience, qui prou¬
vera auffi décifivement que la cire brute n’a pas encore
les propriétés de la véritable cire. On en formera un petit
corps long, une efpéce de filet, dont on préfentera un des
bouts à la flamme d’une bougie. Ce fil de cire brute s’y
allumera & brûlera comme ferait un brin de bois fec, 6 c
plus chargé de matière huileufe que du bois ordinaire;
mais il ne fe fondra pas, comme fe fondrait fans brûler,
un petit rouleau de cire.
Cette matière éprouvée à l’eau, comme éprouvée au
feu, paraîtra encore différente de la cire. Si on en jette
dans l’eau, elle tombera & refiera au fond, au lieu que
de la cire remonterait 6 c refierait à la furface. Qu’on ne
Eee iij
4.06 Mémoires pour l’Histoire
foupçonne pas que, quoique cette matière paroiffe plus
pélante fpécihquement que la cire, elle ne l’eft pas réelle¬
ment. Qu’on ne s’imagine pas que l'on excès de pélàn-
teur doive être attribué à 1 humidité dont elle étoit pé¬
nétrée lorfqu’eile tenoit à la plante, humidité qu’elle
conferve encore lorfque l’abeille la tranfporte. J’ai gardé
de cette cire brute pendant plu fieurs années, & j’en ai eu
qui a palfé un hyver entier fur la cheminée d’un cabinet
où il y avoit continuellement du feu; le temps & le lieu
eulfent dû fuffire à la delfécher parfaitement ; néantmoins
quand j’ai jetté dans l’eau cette matière fi bien delTéchée,
elle a été à fond.
Il s’enfuit donc que les abeilles donnent quelque pré¬
paration à la cire brute qui la rend de véritable cire. Mais
en quoi confilte cette préparation ! Ne leur fuffit-il point
de la pelïrir, ou plutôt de la broyer en quelque forte!
On peut foupçonner que chacun de ces petits grains qui
ont été enlevés à la plante, font des efpéces de petits lacs
membraneux, dont l’intérieur elt rempli de cire. On peut
foupçonner qu’il n’y a qu’à brifer les enveloppes pour
avoir la cire qu’elles couvrent. Mais j’ai eu beau pelïrir,
j’ai eu beau broyer même cette matière, foit dans des
cuillicrs d’argent avec un manche de couteau de porce¬
laine, foit fur du verre, je ne lui ai donné aucune des
qualités qui lui manquoient pour être delà cire. Aprèsdes
broyements réitérés, elle n’elï devenue ni plus duélile ni
plus fufible qu’elle l’étoit auparavant.
Puifqu’il ne fuffit pas aux abeilles de pelïrir la cire brute,
on peut croire qu’elles y adjoûtent quelque matière, ou
plutôt quelque liqueur. M. rs Maraldi & Swammerdam,
l’ont penfé ainfi. Comme le miel ell ce que les abeilles
ont le plus à leur difpofition, il étoit allés naturel de
foupçonner quelles en mêioicnt avec la cire brute; mais
des Insectes. VIII. Mem. 407
ç’a été inutilement encore que j’ai broyé de cette cire im¬
parfaite après l’avoir humeétée de miel ; fon état n en a pas
paru changé.
Swammerdam a eu un autre foupçon qui eh ingénieux.
Il a pcniè que la liqueur venimeufe dont les abeilles ont
une ahes groA'e veffie toute pleine, ne leur a voit pas
été Amplement accordée pour empoifonner les bleffûres
qu’elles font; que peut-être les abeilles humectaient avec
cette liqueur la matière qu elles avoient ramaffée fur les
plantes, & quelle pouvoit avoir une efficacité propre à
changer cette matière en véritable cire. Il a cru même
avoir fait quelques expériences favorables à cette idée, &
qui lui avoient fait naître le defir de ramafTer plus de li¬
queur venimeufe pour répéter plus en grand les mêmes
expériences. Celles que j’ai tentées ne me ilifpofent pas
à croire qu’il eût été content du fuccès. Après tout, les
gros bourdons velus, & beaucoup d’efpéces d’abeilles qui
ne font pas de véritable cire, ont, comme les abeilles, des
veffies pleines d’un femblable venin. Les guêpes & les fre¬
lons font bien pourvûs de ce venin, quoiqu’ils ne faffent
que du papier.
Ce feroit aflurément une découverte curieufe & peut-
être même utile,que celle d’une manipulation ou d’un pro¬
cédé Ample qui transformeroit la cire brute en vraye cire.
Celle que les abeilles nous ramafîent ne nous coûte rien;
elles font des ouvrières que nous n’avons pas la peine de
nourrir; mais nous n’avons pas à beaucoup près, affiés de
ces ouvrières, & il s’en fuit bien qu’elles nous procurent
toute la cire que nous pourrions confumer. La quantité
de pouffiéres d’étamines qu’elles ramaffent à la campagne,
n’ch rien en comparaifon de la quantité qu’elles y laifîènt
perdre. Si nous fçavions faire de la cire avec ces pouf¬
fiéres, peut-être trouveroit-on des moyens d’en recueillir
* Voyage de
AI.’ Four ne-
fort. Lettre 2,
* Aîémoires
de l’Acadé¬
mie 1711.
Page 216.
408 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
beaucoup à peu de frais; peut-être trouveroit-on les moyens
de mettre les enfants de la campagne en état de faire cette
forte de récolte. La culture du lafran efl chere, &on n’efl
point effrayé par la peine de couper les filets de lès fleurs,
defonpiftile. En fille de Candie, on fait la récolte du iada-
num avec des fouets de cuir *, des lanières dont on fouette
danslafaifon convenable & pendant la plus grande chaleur
du jour, les arbrilfeaux qui fourni fient cette gomme réfi-
neulè. Il feroit peut-être moins long qu’on ne le l’imagine,
de ramafler beaucoup de pouflîéres d’étamines,avec de gros
pinceaux, ou même avec des peaux qu’on feroit pafier fur
les fleurs dont une prairie efl émaillée, ou fur celles d’un
champ de bled noir. Il y a des arbres & des arbuftes qui
pourraient en fournir beaucoup. On entrevoit donc des
moyens de parvenir à faireàpeu de frais, des récoltes de
pouflîéres d’étamines; au moins 11e femble-t-i! pas qu’011
en dût delelpérer. Je voudroisbien qu’on pût autant fepro¬
mettre de trouver le moyen de convertir ces étamines en
cire. Je n’ai pas fait à beaucoup près toutes les tentatives
qui peuvent être faites pour y parvenir; j’en indiquerai quel¬
ques-unes qui peuvent inviter à en faire beaucoup d’autres.
Dans le Mémoire que AJ. Geoffroy a publié fur la
figure de ces pouflîéres, & fur leurs ulàges, par rapport
à la fécondation des graines des plantes, il dit *: que ces
petits grains ne fe dijjolvent ni dans l’eau, ni dans l'huile
d’olive, ni dans l’efprit de térébenthine, ni dans l’efprit de
vin, pas même à l’aide du feu ; que les trois dernières li¬
queurs en tirent bien quelque teinture, mais fans changer,
ou très-peu, la figure des grains. Il adjoûte un peu après,
que quelques-uns ont prétendu que ces grains n’étoient
que des particules de cire ou de réfine ; que pour voir
ce qui en étoit, il les a fait bouillir dans l’eau où ils
ne fe font point fondus. AJ. Geoffroy croit que ces
pouflîéres
des Insectes. VIII. Mem . 409
pouffiéres contiennent une matière huileufe, que ccllels
des lys ia biffent fur le papier dans lequel on les renferme.
Les teintures quel eau, l’efprit de térébenthine & le! jirit
devin tirent des pouffiéres des étamines, & fur-tout celle
qu’en tire l’dpritijevin, quoique légères, me parurent mé¬
riter d’être examinées; & M. Geoffroy l’eût jugé comme
moi, s’il eût eu à confidérer ces poulîiéres dans le point
de vue où je devois les regarder, comme étant la matière
première de la cire. Dans trois tubes de verre, dont cha¬
cun avoit intérieurement environ 9 lignes de diamètre, &
dont la hauteur étoit de près de 6 pouces, je mis une quan¬
tité à peu près égale de cire brute que je ne pelai pas;
je me contentai de remarquer quelle s’élevoit environ
fix lignes au-deffus du fond du vafe. Un des tubes fut rem¬
pli d’eau, l’autre d’elprit de térébenthine, & letroifiéme
le fut d’efprit de vin. La cire brute a été tenue pendant
plus de trois mois dans chacune de ces liqueurs; mais la
liqueur de chaque tube a été renouvellée plufieurs fois.
Dans les premiers jours pourtant, comme on l’imagine
affés, l’efprit de vin & l’efprit de térébenthine ont plus
extrait de la cire brute que dans tout le refie du temps.
Il n’en a pas été tout-à-fait de même de l’eau.
Les pouffiéres des étamines ont donné à l’eau une cou¬
leur brune affés foncée. Il s’eft bientôt formé fur toute
fa furface un champignon de moififfûre d’une ligne ou
deux depaiffeur. Le premier champignon ayant été ôté,
il s’en eft fait un autre à fa place, &il y en a paru de même
cinq de fuite. L’eau avoit auffi une odeur qui tenoit du
moifi, & qui étoit plus defagréable, elle approchoit de
celle des plantes pourries. Il femble que ces pouffiéres
qui étoient de petites parties de plantes, auroient dû fe
pourrir dans l’eau en un temps moins long que celui pen¬
dant lequel elles y avoient été tenues. Cependant quand
Tome V . F f f
410 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
j’ai obfervé au microfcope de celles que j’ai tirées de def-
fous l’eau qui les avoit couvertes pendant plus de trois
mois, je leur ai trouvé la ligure qu’elles avoient quand
elles y avoient été miles. Il n’efi pas auffi fmgulier que
celles qui ont demeuré pendant un pareil temps dans l’ef-
prit de vin & dans celui de térébenthine, ayent confervé
de même leur première figure.
La quantité que j’avois de chaque liqueur qui avoit agi
furîespouffiéres des étamines, étoit petite ; auffi nedevois-
jepas m’attendre que chacune de ces liqueurs après s’être
évaporée, me {aiderait une quantité de réfidence folide,
bien confidérabie. Une cuillier d’argent me parut donc un
affés grand vaifTeau, & convenable pour faire l’évaporation.
D’abord j’en remplis une de l’eau la plus colorée, & je
mis la cuillier fur des charbons allumés. Afin pourtant
d’avoir plus de réfidence, je verfois de nouvelle eau colo¬
rée dans la cuillier avant que l’évaporation de celle qu’elle
avoit, fût toute faite. J'eus ainfi la réfidence d’environ trois
bonnes cuillerées d’eau. Cette réfidence étoit brune, &
avoit l’efpéce de ténacité propre à une gomme; en un
mot, elle me parut une véritable gomme. Après l’avoir
rendue dure&lëche, il me fut aile de la ramollir &de la
dilfoudre entièrement dans l’eau que je verfai defius.
J’efTayai l’efprit de térébenthine, comme j’avois fait
l’eau, fans efpérer néantmoins d’en avoir une réfidence
auffi pure. Je m’attendois, comme il arriva, que laréfine
que cette liqueur pourrait laiffier, ne me permettrait pas
de diftinguer dans le compofé ce qui avoit appartenu à-
la cire brute,de ce qui avoit étélaiffié par la liqueur réfi-
neufe. Au refie, l’efprit de térébenthine peut peu fur la
cire brute ; celle que j’ai fait bouillir dans cette liqueur,
loin de s’y ramollir, a paru s’y durcir.
Je me promis davantage de i’efifai qu’il me refioit à
des Insectes. VIII. Ment. 41 ï
faire de l’efprit de vin, car par lui-même l’efprit de vin ne
pouvoit rien laiffer de folide fur la cuillier. Celle qui fut
mile fur les charbons, fut remplie trois fois de fefprit qui
avoit pris le plus de teinture. Lorlqu’ii fut évaporé en
grande partie, la liqueur qui relia dans la cuillier fut épaif-
fe, jaune & trouble, & répandoit une odeur qui me parut
être celle de la cire ; elle le parut de même à pluheurs
perfonnes à qui je la fis fentir. Enfin , lorfque j’eus pouffé
l’évaporation jufques à ficcité, la cuillier lé trouva enduite
d’une couche de matière jaune qui avoit une odeur de
cire fi forte, qu’on ne pouvoit la méconnoître. Il paroil-
foit donc quel’efprit devin avoit extrait des pou/fiéresdes
étamines, de la cire qu’il y avoit trouvée toute faite, ou au
moins, qu’il en avoit extrait la matière à laquelle la cire
doit fon odeur.
Il me refia pourtant un fcrupule fur l’expérience dont
je viens de parler. La cire brute qui y avoit été employée,
avoit été prife dans des cellules d’abeilles; peut-être n’en
avoit-elle pas été tirée avec affcs de précaution ; quelques
parcelles de véritable cire avoient peut-être été détachées,
& l’odeur que donnoit la réfidence de ladiffolution, pou¬
voit être due à ces parcelles. Pour faire une expérience
qui 11e me laiffât pas une inquiétude pareille, je fis pren¬
dre à des abeilles les pelottcs de cire brute qu’elles rappor-
toient à leur ruche. Après en avoir ramaffe un volume égal
à celui de quatre à cinq gros pois, je mis les pclottes dans
un tube avec de l’efprit de vin. En 24 heures elles lui don¬
nèrent une forte teinture, qui le devint encore davantage
lorfque j’eus échauffé le tube jufques à faire bouillir la li¬
queur. Je fis évaporer cette dernière diffolution, comme
j’avois fait évaporer la première, dans une cuillier d’argent;
j’eus bientôt une liqueur jaunâtre & trouble qui fèntoitla
cire. Quand l’évaporation eut été pouflée jufques à ficcité,
Fff ij
412 MEMOIRES POUR UHlSTOIRE
il relia au fond de la cuiilier une alfés bonne quantité d’une"
matière jaunâtre, qui, dès quelle fut refroidie, eut la con-
fiftance de la cire, & qui, comme la cire, pouvoit repren¬
dre de la liquidité lorfque je la chauffois. Ayant vû en-
fuite que cette matière qui avoit l’odeur de cire, felaifloit
peltrir entre mes doigts, je la crus de véritable cire; mais
bientôt je reconnus quelle n’étoit pas de la cire pure &
parfaite. Je mis dans ma bouche La petite boule que j’en
avois faite en la peftrifTant, elle s’y fondit, comme s’y fe-
roit fondu un grain de cachou, ou comme s’y feroit fondu
un morceau de quelque tablette, dont le fucreauroit fait
la bafe: elle avoit aulïi un goût fucré. L’odeur de cette
matière ne me permettoit pourtant pas de douter qu’elle
ne contînt de la cire ; mais cette cire étoit mêlée avec une
autre matière, & l’efprit de vin les avoit extraites toutes
deux en même temps. Elle étoit mêlée avec des fels plus
ailés à humecter que le fucre, c’ell de quoi j’eus bientôt
la preuve. Je lis durcir fur le feu celle qui étoit dans la
cuiilier, au point de réfilîer au frottement de l’ongle lorf-
qu’elle étoit froide. Cette matière fi dure ne fut pas une
heure à s’imbiber de l’humidité de l’air. En moins d’une
heure fa furface fut ailes gluante pour s’attacher au doigt
qui la touchoit. Ne pourroit-on pas regarder cette ma¬
tière comme une eljiéce de favon de cire 1 11 paroîtdonc
que (i l’efprit devin tire des poulîiéres des étamines, delà
cire , qu’il la tire en petite quantité & mêlée avec des fels
qui s'humeélent aifément à l’air. L’odeur de la matière
que l’efprit de vin avoit extraite de la cire brute, nous
prouve décifivement que cette matière contenoit de la
cire, ou au moins le principe auquel la cire doit fou
odeur, & par conféquent, qu’un des principes de la cire
eh actuellement dans les poulîiéres des étamines. Peut-
être la. cire y elt-elle toute faite, & qu’il ne nous manque
des Insectes. VIII. Mem. 413
qu’un dilfolvant pour l’en pouvoir extraire; car nous 11e
connoilfons point encore de véritable dilfolvant de la
cire. L’efprit de vin avoit tiré de nos poulfiéres tout ce
qu’il eût tiré de la cire qui nous elt mieux connue pour
cire. J’ai cru autrefois que l’elprit de vin fe chargeoit de
toute la fu bilan ce de la cire, de tout ce qui entre dans
fa compofition ; mais des expériences auxquelles les pré¬
cédentes m’ont conduit, m’ont appris le contraire. J’ai
mis une chopine de vin fur une demi-livre de cire jaune
divifée en lames minces. Au bout de deux jours l’efprit
de vin a pris une belle teinture jaune. J’ai fait évaporer
de cet efprit de vin dans une cuillier tenue fur quelques
charbons allumés, comme j’avois fait évaporer l’elprit de
vin chargé delà teinture qu’il avoit prifefur lespoulîiércs
des étamines. J’avois cru que l’efprit de vin qui avoit agi
fur de véritable cire, auroit lailfé de la cire au fond de la
cuillier, il n’y a lailfé qu’une matière, qui avec l’odeur de
cire, n’avoit que la conliftance du beurre, & qui pouvoit
être dilloute par l’eau. J’ai fait depuis plufieurs expériences
plus en grand fur les dilfolutions de cire par l’efprit de vin;
mais je me referve à en parler dans un autre ouvrage, de
crainte d’allonger encore un article déjà trop long. Je dirai
feulement qu’il paroît que la matière que l’efprit de vin
extrait de la véritable cire, eftfemblable à celle qu’il extrait
des poulfiéres des étamines.
Je rapporterai pourtant encore une expérience que j’ai
faite avec l’efprit de vin tenu fur de véritable cire, mais
fur de la cire qui n’avoit jamais été fondue. Je brifai un
gâteau de cire, nouvellement confirait parles abeilles,&
dans les cellules duquel il n’y avoit jamais eu de miel.
Cette cire étoit très-blanche & très-lèche. Je la fis entrer
par fragments dans un gros tube où je verfai de l’eljarit de
vin; &afïn que cette liqueur en tirât plus vite ce qu’il lui
Fff hj
4 ï 4 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
étoit poffible d’en tirer, je la fis chauffer & même bouillir
pendant plus d’un quart d’heure. L’efprit de vin fut en-
fuite verlë dans une cuillier d’argent qui fut poféefur des
charbons allumés. Quand il fe fut évaporé en grande par¬
tie, quand il ne refia plus au fond de la cuillier qu’une li¬
queur aufîi épaiffe qu’un firop, je la l'entis, & je ne lui
trouvai qu’une légère odeur de cire; je la goûtai enfuite,
&. je lui trouvai précifément le goût d’un lirop de fucre.
Ce firop fut remis fur le feu 6c épaiffi à tel point, que
lorfqu’il étoit refroidi, il étoit dur 6c très-dur. Cependant
ïorfqu’il eut été expoféà l’air, il s’humeéta; mais au bout
de deux jours il devint grainé, 6c fc rendurcit de nouveau.
Il avoit le goût & la dureté du plus beau fucre. On doit
être porté à regarder cette efpéce de fucre comme du miel
qui étoit refié dans la cire.
Tout ce que nous voulons conclurre de cette expé¬
rience, c’efl qu’il refîe dans la cire vierge des abeilles,
dans celle qui n’a pas été fondue, une efpéce de fel fucre
analogue à celui que l’efprit de vin tire des pouffiéres des
étamines. Ce fera un miel filon veut. Quoi qu’il en foit,
cette obfervation a fervi cà m’expliquer un fait qui m avoit
embarraffé. Il m’eff arrivé quelquefois de tirer de l’eau
froide des gâteaux de cire qui s’y étoient fenfiblement
ramollis ; l’eau cependant ne peut que durcir la cire ordi¬
naire. Mais je penfe à prefent que la cire de ces gâteaux
contenoit de ce fèl, ou ce miel que l’efprit de vin en peut
extraire; & que l’eau qui peut diffoudre ce fel ou ce miel,
peut par là amollir le gâteau.
Au refie, quoique les principes qui doivent compofcr
la cire foient certainement contenus dans les pouffiéres des
étamines, ils peuvent n’y être pas actuellement réunis 6c
combinés, comme ils le font dans la cire parfaite. Une
obfervation de M. Bernard de Juffieu, femble prouver
des Insectes. VIII. Mem. 415
qu’ils y font féparés. 11 a étudié au microfcope les poul-
fiéres des étamines d’un grand nombre d’efpéces de Heurs
en croix, comme des moutardes, des roquettes, &c; il a
étudié, dis-je, ces pouffiéres pendant quelles étoient dans
l’eau où il les avoit miles. IL a obl'ervé que ces petits grains
s’y gonHoient de plus en plus, & cela jufques à fe créver.
Dans l’inftant où chaque grain fe crévoit, il en fortoit un
jet de liqueur qui nageoit fur l’eau fans fe mêler avec elle,
& qui par conféquent, devoit être une liqueur huileufe.
11 a répété la même expérience avec le même fuccès fur
les pouffiéres de plantes de plufieurs clalfes différentes.
Mais pour dire le vrai, j’ai été dégoûté de pourfuivre
les expériences propres à nous apprendre, s’il eft poffi-
ble, de parvenir à tirer de véritable cire de la cire brute,
ou de convertir la cire brute en vraye cire, dés que les
moyens auxquels les abeilles font obligées d’avoir recours
pour cette opération, m’ont été connus, & dès que des
calculs & des obfervations m’ont eu prouvé que les abeilles
même ne font que très-peu de vraye cire avec beaucoup
de cire brute. J’ai jugé alors que cette opération n’étoit pas
auffi fimple que Swammerdam & M. Maraldi fembloient
l’avoir penfé, & qu’il étoit affés naturel de la croire. J’ai
connu qu’il ne fuffiroit pas aux abeilles de peflrir la cire
brute entre leurs pattes après l’avoir humectée de quelque
liqueur. C’efl dans le corps même des abeilles que la cire
brute doit être travaillée; c’eft-ià qu’eft le laboratoire où
fe fait la véritable converfion ou extraction. Quelques Au¬
teurs qui ont parlé des abeilles, l’ont foupçonné, & je crois
être en état de le démontrer inconteflabîement. C’efl dans
le fécond eftomach *, & peut-être dans les inteflins * des * PI. 30. %,
abeilles, que Sa cire brute eft altérée, digérée & convertie 1 * &
en véritable cire, ou e’efl là que la véritable cire en eft ex- * u
traite. Or dès qu’on fçait le lieu où fe fait cette opération P ,
4 i6 Mémoires pour l’Histoire
on efl bien tenté de croire qu’il ne nous efl pas plus aifé de
parvenir à faire de vraye cire avec les étamines des fleurs,
qu’il nous l’efl de faire du chyle avec les differentes fub-
flances, foit animales, foit végétales, avec lefquelles notre
eftomach & nos inteflins en font journellement.
Il y a long-temps qu’on a penfé que les abeilles ne vi-
voient pas feulement de miel, qu’elles mangeoient la cire
brute. Ce fentiment a été reçu prefque généralement par
ceux qui ont eu beaucoup de ces mouches, dans la vue
de profiter des fruits de leurs travaux. Auffi dans divers
pays, comme la Hollande, la Flandre, Se Brabant, &c. la
cire brute efl appellée le pain des abeilles. Ce mets même
a paru digne d’un nom plus noble aux Auteurs de divers
traités fur ces mouches; ils ont cru qu’il méritoit celui du
mets que les Poètes ont fait fervir fur la table de leurs
Dieux. Ils ne l’appellent que i’ambroifie; & pour que les
abeilles foient traitées en tout comme ces mêmes Dieux,
ils veulent que le miel foit du neélar. Les anciens ont
donné d’autres noms à la cire brute, rapportés par Pline,
quelques-uns, dit-il, l'appellent erithacè, d’autres lui ont
donné le nom de fandarac, & d’autres celui de cerinthé .
II adjoûte enfuite que les abeilles s’en nourrifTent pen¬
dant quelles travaillent. Lelêntiment, au refie, qui veut
que les abeilles prennent un aliment folide, pouvoit très-
bien être du nombre de tant d’autres fur ces mêmes
mouches, qui ont été reçus, & qui fe font perpétués fans
afTés d’examen. Swammerdam après l’avoir difcuté, a
prétendu qu’il étoit contre toute vraifemblance que les
abeilles priffent une nourriture auffi folide que l’eflla cire
brute. Î1 avoit reconnu par plufieurs obfervations qu’elle
n’efl qu’un amas de petits grains, le plus fouvent de figure
fphérique, & qu’il efl difficile de leur faire perdre. Quel¬
que petits que foient ces grains, leur diamètre lui a paru
furpaffer
des Insectes. VIII. Man. 417
furpafler beaucoup celui de l’ouverture du bout de la
trompe. Il a penlé, ce qui paroît très-vrai, que cette ou¬
verture, contre l’exiftence de laquelle nous avons rapporté
de fortes preuves, ne pouvoit donner palîage qu a une
liqueur. Il a donc cru que des raifons auxquelles on 11e
pouvoit oppoler rien de vraisemblable, établiiToient qu il
étoit impolîible que les abeilles fe nourriflent de cire brute.
Il efi certain aulfi, qu’il feroit impolfibie qu elles la filfent
palfer par l’ouverture qu’il prétendoit être au bout de
leur trompe. Mais il relie encore polfible que les abeilles
prennent cet aliment folide, des qu’il efl prouvé qu’elles
ont une bouche. Nous avons fiait connoître cette bou¬
che * dans le fixiéme Mémoire, & nous avons dit qu’il * PI-
étoit très-important de la connoître, h on vouloit fçavoir *’ 7
l’hiftoire des abeilles. Nous y avons fait voir que fon ou¬
verture eft alfés confidérable pour recevoir les fubfian-
ces folides qui doivent être conduites dans l’intérieur de
l’abeille. Cette bouche efl placée au bout de la tête à
la partie fupérieure de la trompe. Non-feulement nous
avons déterminé fa pofition, éc avons donné une idée de
fa grandeur & de la figure, nous avons appris de plus les
moyens qui peuvent mettre en état de la voir quand on
le veut; il fuffit donc à préfent qu’on fe rappelle quelle
efl aulfi bien placée qu’une bouche d’infeéle peut l’être,
quelle fe trouve immédiatement au-delfous des dents, 6c
que fon ouverture efi alfés confidérable.
Ce qui m’a conduit à chercher cette bouche & à la
découvrir, c’efi qu’après avoir jugé qu’elle étoit abfolu-
ment nécelfaire aux abeilles, je les ai vûes fouvent dans
des opérations qui prouvoient inconteftablement qu’eiies
i’avoient. Pendant que j’en examinois qui rentroient &
qui fortoient d’une ruche où je les avois nouvellement
établies, j’en remarquai une qui arrivoit chargée de deux
Tome V . Ggg
41 8 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
boules de cire brute ; elle fe pofa un peu à l’écart fur l’appui
de la ruche; elle s’y tint tranquille, & fi tranquille qu’elle
ne fut point déterminée à changer de place iorlque, pour
i’obfcrver de plus près, je me mis à genoux, & que j’ap¬
prochai d’elle une loupe, au travers de laquelle je croyois
mieux dilîinguer à quoi aboutiffoient des mouvements de
iêtequ’dle avoit réitérés plufieursfois. Je vis très diffinéïe-
ment qu’il y avoit des moments où elle fe contournoit au¬
tant qu’il étoit néccffaire, pour prendre avec les deux dents
une petite portion d’une de fes boules de cire brute. Ellefe
redrelfoit enluite.éè les dents agiffoienl l’une contre l’autre
pour broyer la matière qu’elles avoient emportée. D’inf-
tant en in fiant cette portion de matière fembloit diminuer
de volume entre les dents qui lamâchoient, & bientôt elle
difparoifloit totalement. Alors les dents ne tardoient pas
à aller détacher une autre petite portion de la même pe¬
lote, quellesmâchoient comme eiles avoient fait la pre¬
mière. Ces opérations furent répétées pendant plus d’un
demi-quart d’heure, au bout duquel il ne refia rien de
la pelote de cire ; elle avoit été entièrement mangée. A
mefure que les dents en avoient fuffifamment broyé une
* Pl.^s.fig. partie, la langue* dont nous avons déterminé ailleurs la
à. 7 1'.). 9 ’ '° figure & la pofition, étoit à portée de la fàifir, & la fai-
fiffoit pour la conduire dans la bouche. Si j’avois ignoré
que cette bouche étoit au-deffous des dents, tout ce que
je viens de rapporter me l’auroit prouvé fuffifamment ;
car que pouvoit devenir la matière broyée par les dents,
fi elle n’entroit pas dans un trou defliné à la recevoir l
D ailleurs la trompe, comme trompe, ne contribuoit
en rien à faire difparoître la matière qui avoit été broyée:
die étoit dans l’inaéfion la plus parfaite, pliée & ramenée
contre la face pofiérieure de la tête, comme elle l’eft dans
tous les temps où elle ne doit point agir.
des Insectes. VIII. Mem. 419
Ce que j’ai vû faire à la mouche dont je viens de
parler, je lai vû faire à beaucoup d’autres mouches que
d’autres circonftances favorables m’ont permis d’obferver
à mon aife. Mais il efl plus ordinaire que l’abeille entre
dans la ruche chargée de fes deux pelotes de cire brute.
Elle marche fur les gâteaux en battant des ailes ; lors¬
qu'elle s’arrête quelque part.lorfqu’elle fe fixe, elle ne cefle
pas pour cela d’agiter fes ailes. Elie femble par ces mouve¬
ments, & le bruit qu’ils produifent, inviter fescompàgnes
à la venir trouver. On en voit bientôt trois ou quatre qui
s’arrangent autour d’elle, & qui travaillent officieufement
à la décharger de fes fardeaux. Ce que nous venons de
dire, apprend afies à quoi tendent les bons offices quelles
lui rendent. Chacune prend entre fes dents fa petite por¬
tion d’une des pelotes. Après l’avoir prife, elle ne tarde
guéres à en venir reprendre une fécondé, & même une
troifiéme fois, fi d’autres abeilles ne fe font pas préfen-
tées pour en avoir leur part. En un mot, les deux pelotes
qui chargent les jambes pofterieures de l’abeille, font fou-
vent bientôt enlevées & mangées par fes compagnes, &
cela, fur-tout dans les temps du fort du travail, dans les
temps où les mouches font preflees de meubler de gâteaux,
un logement où elles font nouvellement établies.
Enfin, fi on veut encore avoir une autre démonflration
pour fe convaincre que les abeilles ne fe contentent pas
de mâcher la cire brute, on la trouvera dans leur intérieur.
Qu’on ouvre leur eftomach & leurs intefiins, on les verra
fouvent remplis de cette matière ; les grains y auront fou-
vent leur première figure, & fi on les confidére au mi-
crofcope, ils y paraîtront tels qu’y paroiffent lespouffiéres
des étamines.
Dans les ruches bien fournies de gâteaux de cire, que
tes abeilles ne font pas preffées d’aggrandir, Si lorfque la
Ggg ij
420 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
récolte de cire brute, cft h facile & fi abondante qu’il en
vient plus à la ruche qu’il n’y en peut être confumé, la
mouche qui arrive avec les deux pelotes de cette matière,
attendrait long-temps avant que de trouver des com¬
pagnes qui vinlfcnt les lui ôter. Toutes en font gorgées:
celle qui en rapporte, s’en ch: aulfi apparemment raflahée
à la campagne, mais elle n’a garde de biffer perdre le
fruit de l'on travail. Il vient des temps où il y a difette de
pouffiéres d’étamines; & même dans les faifons les plus
favorables, il y a des jours fâcheux où les mouches ne
peuvent aller ramaffer celles dont les Heurs font char¬
gées. Il leur convient d’avoir pour de pareils temps, rie
la cire brute en provifion. Julqu’ici nous n’avons parlé
que de deux ufàges des alvéoles ; nous avons feulement
dit, que les uns fervent à loger les vers qui doivent deve¬
nir des mouches, & que les autres fervent à contenir le
miel. Nous devons dire à préfent, que d’autres alvéoles
font employés à un troifiéme ufage, à confèrver la cire
brute qui eh mile en referve. La mouche qui arrive char¬
gée de deux lentilles de cette matière, dont les compagnes
n’ont pas actuellement befoin, s’accroche avec l'es deux
jambes antérieures contre le bord d’une cellule vuide, ou,
plus exactement, d’une cellule dans laquelle il n’y a ni ver
ni miel. Elle y fait entrer enl'uitefes deux jambes poftérieu-
res, celles qui font chargées des deux petites boules ; & c’efl
pour aider fes jambes à y entrer, quelle recourbe un peu
fon corps en deffous, qu elle le rapproche de fa tête. Alors
avec le bout de chacune de fes jambes du milieu, elle pouffe
vers le dedans de l’alvéole la lentille ou pelote de cire brute
de chacune de fes grandes jambes. Les deux lentilles lont
détachées dans Enflant, & tombent dans l’alvéole.
Souvent dès que l’abeille s’eh défaite de fes petits far¬
deaux, elle part, foit pour aller fur le champ s’occuper d’un
des Insectes. VIII. Mem . 421
nouveau travail, Toit pour fe joindre aux mouches qui,
par un repos néceflaire & mérité, fe préparent des forces.
Mais à peine les deux lentilles font-elles tombées dans
une cellule, qu’une autre mouche entre dans cette même
cellule la tête la première ; elle y refte quelquefois pendant
un temps affés confidérable. On ne voit pas ce qu’elle y
fait; mais quand elle en eft fortie, il eft aile de juger de
ce quelle y a fait. Les deux lentilles font alors réunies dans
une même mafle qui a été pouffée jufqu’au fond de la
cellule, qui y a été preffée, & dont la fur face a été appla-
nie de manière à être rendue parallèle à l’ouverture de
l’alvéole.
Dès qu’il y a une fois deux pelotes de cire brute dans
une cellule, il eft décidé qu’elle doit être un petit magafin
deftiné à être rempli de pareille matière. Jufqucs à ce
qu’elle le foit, des abeilles viennent les unes après les au¬
tres s’y décharger de leur récolte de cire brute, que d’au¬
tres mouches peftriffent, preffent & arrangent. Quelquefois
la mouche même qui a apporté les deux pelotes, prend
elle-même tous ces foins.
Chaque mouche paroît employer plus de temps qu’011
ne croiroit qu’elle en devroit employer à arranger & à
empiler deux petites pelotes de cire brute; car tout ce
travail femble fe réduire à étendre, à appliquer le peu de
matière qu’elles contiennent, comme il convient qu’elle
le foit, fur celle qui eft déjà pofée dans la cellule. Mais
c’cft que la mouche ne fe contente pas de les placer com¬
me elles le doivent être; avec fes dents elle les peftrit &
les humeéte en même temps, elle les imbibe d’une liqueur
qui ne paroît être autre chofe que du miel. Si on tire
d’une cellule de la cire brute qui vient d’y être mifè,
elle eft viftblement plus humide, plus liée, elle a plus de
corps que n’en a la cire brute qu’on a ôtée à une des
422 MEMOIRES POUR L'HiSTOIRE
jambes d une abeille ; 6c fi on la goûte, on lui trouve un
goût de miel qui fait ailes connoître la nature de la liqueur
qui a été employée pour lui donner de la liaifon. On pour-
roit croire que la liqueur dont la cire brute eft imbibée, aide
à la faire digérer, à la préparer à devenir de vraye cire; mais
quand je fuis venu à examiner de celle qui avoit demeuré
dans cette prétendue digeftion pendant plus de fix à lept
mois, je ne lui ai pas plus trouvé les qualités de la vraye
cire, que je les ai trouvées aux pelotes dont j’avois dé¬
pouillé les abeilles qui arrivoient à leur ruche. Je ne crois
pourtant pas que ce foit fans aucune raifon d’utilité que
les abeilles imbibent de miel celles quelles veulent garder.
J’y en vois même une; le miel eft aufïi propre qu’aucune
matière, à empêcher la corruption des corps qu’il couvre,
je conçois donc que les pouffiéres d’étamines bien enduites
de miel, en font moins expofées à fermenter, 6c moins en
rifque de moifir, ou peut-être de fe trop deiïecher.
Au refte, on trouve dans les ruchespluficurs gâteaux,
dont d’aflés grandes portions n’ont que des cellules rem¬
plies de cette cire brute. On trouve auflides cellules ifo-
lées qui en font pleines. On en voit quelques-unes dif-
perfées entre des cellules pleines de miel, ou entre des cel¬
lules dont chacune contient un ver. Les abeilles aiment
apparemment à en trouver à portée dans le befoin.
Il a été afles prouvé par tout ce que nous avons rap¬
porté ci-devant, que les abeilles mangent la cire brute;
mais il ne l’eft pas encore, que c’eft dans leur eftomach âc
dans leurs inteftins qu’elle devient de véritable cire. Elle
pourroit n’y être portée que comme aliment, 6c n’en fortir
que fous la forme d’un excrément inutile. Elles rejettent
aufti par leur anus les fceces de celle dont les fucs ont été
extraits pour leur nourriture, 6c apparemment auftî les
fceces de celle qui a été convertie en vraye cire ; mais la
des Insectes. VIII. Mem. 423
même ouverture qui lui a donné entrée lorfqu’elle étoit
brute, eft celle par laquelle elle fort propre à être mile en
œuvre. C’efl ce que mes ruches vitrées m’ont mis en état
de voir, & ce qui n’a pu être oblèrvé par Swammerdam,
qui 11e connoifFoit pas ces lortes de ruches, ni par M.
Maraldi qui n’en avoit point à fa difpofition de conftrui-
tes auffi favorablement pour un oblervateur, que le font
les miennes. J’ai été attentif à faifir les temps oùdes abeilles
travaillent à faire des alvéoles qui touchoient le verre
de quelqu’un des carreaux, ou qui en conftruifoient de
très-proches du verre. Muni alors d’une loupe, & cher¬
chant à obfervcr quelque abeilie occupée au travail dans
le temps où il fe faifoit moins tumuituairement, dans des
in liants où le carreau de verre qui me permettoit de voir
l’abeille, empêchait quelle ne me fût cachée par d’autres
mouches qui nepouvoient pas fe placer entr’ellc & le car¬
reau ; alors, dis-je, j’ai vû que l’abeille qui bâtilfoit une
portion', loit du fond, foit d’un des pans d’un alvéole,
ne fe contentoit pas de faire agir les deux dents l’une
contre l’autre, ou plutôt contre la petite lame qui étoit
entrelles deux: elle me montroit au-deffous des dents
une autre partie charnue &blancheâtre qui étoit dans un
mouvement continuel & extrêmement vif; qui étoit dar¬
dée en avant & retirée en arriére, comme feft fouvent la
langue d’un ferpent ou celle d’un lézard. Cette partie étoit
aulfi la langue de la mouche. C’eft pour l’avoir vue ainfi
en aétion, que j’ai cherché à la trouver, & que je l’ai trou¬
vée aux mouches que j’ai prifes; & cela, toutes les fois
que je l’ai voulu.
La figure de cette langue de l’abeille en travail, va-
rioit continuellement. Elle étoit tantôt plus aigue, tantôt
plus large, & plus applatie, & tantôt concave & plus ou
moins. Elle étoit quelquefois cachée en partie par une
424 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
liqueur moufTeufe, & quelquefois par une efpéce de bouil¬
lie. CeLte bouillie étoit la cire que la langue aidoit par fes
divers mouvements, àforlirdela bouche,quellecôndui-
foitdans la place ou elledevoit être mile pour que les dents
la fhçonnaffent. Après que l’abeille avoit fourni ce quelle
pouvoit donner de cette matière, ce qui étoit fait en peu
d’inflants, elle partoit,& ce fl à regret que je la voyois
partir, fur-tout lorfque celle qui venoit fur le champ pren¬
dre fa place 11e fe mettoit pas dans une pofition où il me
fût auffi aifé d’obfcrver ce qui fe paffoit auprès des dents.
C’efl donc avec une efpéce de pâte humide que les abeilles
dégorgent, quelles compofent leurs cellules; dès que cette
pâte efl féche, & elle l’eft dans un infïant, elle efl de la cire
telle que notre cire ordinaire.
Quand on n’auroit pas vû auffi diflinélcment que je
l’ai vûplufieurs fois, cette pâte fortirde la bouche de l’a¬
beille, & pouffée par fa langue, on auroit dû juger que ia
matière dont les cellules font faites, étoit fournie par la
bouche de la mouche. On a pu voir agir les dents de
différentes abeilles occupées à bâtir, & on a pu remar¬
quer que ces dents 11’alloient prendre de la cire fur aucune
partie du corps; que les jambes n’en avoient point alors.
A la vérité, M.Maraldi apenféque chacune de ces abeilles
qui avoient part au travail fucceffivement, arrivoit avec
une petite portion de cire qu’elle tenoit entre fes dents.
Mais M. Maraldi avoue de bonne foi que tout fe paffe avec
tant de mouvements variés & précipités dans la conftruc-
tion des cellules, qu’on croit que tout efl en confufïon. Il
y a donc apparence, qu’il n’a donné à chaque mouche un
grain de cire entre les dents,que parce qu’il a cru néccffaire
qu’elles i’euffent, ou parce qu’il a pris ia cire qui étoit em¬
portée par des mouches qui avoient été occupées à polir,
pour’de la cire dont les mouches forment les cellules.
Les
des Insectes. VIIL Mcm. 425
Les raclures, les coupeaux de cire qui viennent d ure
détachés d’une cellule nouvellement conftruite, peuvent
probablement fervirà former une partie d’une autre cellule;
& j’ai cru voir des abeilles occupées à les mettre en œuvre.
Mais il me paraît certain qu’elles ne fçavent employer que
la cire nouvelle, que celle qui, depuis qu’elle eft cire, &
qu’elle a paru au jour, n’a pas eu le temps de lécher par¬
faitement. Voici les faits qui me femblent décififs fur cela.
Dans tous les temps de l’année, excepté celui où les abeilles
font engourdies par le froid, fi on leur offre du miel, elles
vont ie fuccer avec avidité, files aiment mieux profiter
de celui quelles trouvent tout ramaffé, & en grande quan¬
tité, que d’aller en chercher qui efi dilperlé dans les fleurs
par gouttes infiniment petites. Mais fi on leur offre des
gâteaux de cire, même dans les temps où elles ne trou¬
vent pas à faire de récolte de pouflïéres d’étamines, elles
n’en tiennent aucun compte. Elles les hachent quelque¬
fois, mais ce n’eft qu’autant qu’ils font un peu humeétés
d’un miel dont elles veulent profiter. Jamais elles ne s’avi-
fent de porter la cire de ces gâteaux dans leur ruche. J’ai
kiffé. des gâteaux bien dépourvûs de miel pendant près de
cinq à fix mois tout auprès de mes ruches, fans que les
abeilles les ayent endommagés.
Nous ramolliffons par la chaleur la cire que nous
voulons mettre en œuvre : cette manière de la rendre
propre à être façonnée, ne convenoit pas aux abeilles.
Elles pourraient néantmoins faire prendre à l’air des
environs de l’endroit où elles travaillent une chaleur
capable de rendre la cire extrêmement molle; mais cette
chaleur favorable aux petites parties de cire qu’ci les vou¬
draient employer à former une nouvelle cellule, ferait
contraire aux cellules déjà faites & voifines. Ces dernières,
devenues trop flexibles, ne réfifieroient pas au poids & aux
Tome V » Hhh
42 6 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
mouvements des mouches qui paffent alors deffus en très*
grand nombre. Les gâteaux pleins de miel chargeroient
trop leurs attaches ramollies ; celles-ci fe briferoient. La
cire que l’abeille met en œuvre, doit donc être rendue
molle par un fecret à nous inconnu, par une liqueur qui
la détrempe; être à peu près dans l’état de lafoye qui eft
prête à fortir du corps d’un infeéte, qui alors n’eft qu’une
efpéce de gomme diftfoute, & qui expofée à l’air fe delfé-
che bien vite, & ne craint plus i’aétion des liqueurs ordi¬
naires.
Mais il faut prouver par des obfervations plus aifées à
faire que les précédentes, que la cire brute eft convertie
en vraye cire dans l’intérieur des abeilles, par des obier-
vations qui ne demandent pas qu’on ait des abeilles logées
dans des ruches tranfparentes, telles que les miennes, ni
qu’on fai lifte des moments rares pour étudier avecfuccès
ces mouches la loupe à la main. Dansla faifon des eftaims „
fion fe trouve à portée d’en examiner un qui s’eft attaché
contre quelque arbre, on pourra remarquer qu’entre les
mouches dont il eft compolé, il y en a très-peu qui
ayent à leurs deux jambes poftérieures, des pelotes de
cire brute. Celles-là feules en ont qui revenoient char¬
gées de la campagne dans le temps qu’eft partie la troupe
à laquelle elles le font jointes. Cependant fi on a laide
J’eftaim pendant quelques heures en repos , lorfqu’on le
fait pafler dans une ruche, on trouve fouvent un petit
gâteau de cire attaché à l’arbre, & qui étoit caché par
les mouches qui l’ont conftruit. Où auroient-elles pris la
cire dont elles l’ont fait, fi elles ne l’ayoient pas tirée de
leur intérieur î
On verra des gâteaux qui ne peuvent avoir été faits que
d’une cire fortie du corps des abeilles, fi on oblige celles
d’une ruche à pafter dans une autre ruche, & fi on les y
des Insectes. VIII. Mem . 427
oblige dès ie matin, avant qu’aucune ait encore longé à
aller à la campagne. Alors ayant toutes été forcées de
déménager brufquement, elles n’emportent point de cire
brute à leurs jambes, ni fur aucune de leurs parties exté¬
rieures. Cependant fi elles fe trouvent bien de leur nou¬
veau logement, quoiqu’on ne les en ait pas vû fortir, dès
ie foir même, on y trouvera des gâteaux de cire.
Avant que je fçulfe où eft le laboratoire où fe fait la
cire, où elt le refervoir de celle que l’abeille employé,
j’ai été quelquefois très- inquiet pour des mouches que
j’avois fait changer de demeure, & que je voyois aller à la
campagne, & en revenir fans apporter des pelotes de cire
brute. J’étois enfuite étonné au bout d’un jour ou deux,
de voir de très-grands gâteaux de cire faits par ces mou¬
ches, que je croyois dans une habitation qui leur déplai-
foit. Ordinairement elles cachent elles-mêmes, elles cou¬
vrent de toutes parts les premiers gâteaux qu’elles conftrui-
fent. Je croyois que des mouches auxquelles je n’avois vû
rapporter aucune pelote, étoient dans une parfaite inac¬
tion. Je ne fçavois pas quelles pouvoient avoir fait paffer
dans un de leurs eftomacs & leurs inteftins la cire brute
avec laquelle elles revenoient à la ruche, ou y avoir eu une
provifion de cette cire lorfquc je les avois délogées.
On a une preuve encore de l’altération confidérable que
les abeilles doivent produire dans la cire brute, & d’une
altération qui ne peut guéres être l’ouvrage d’un inftant,
Jorfqu’on a examiné les petites boules qu’elles rapportent
à leur ruche. Les boules des unes font d’une couleur très-
pâle, prefqueblanches; celles des autres font jaunâtres, &
communément elles font d’un beau jaune ; d’autres font
d’une couleur orangée, d’autres rougeâtres, & d’autres
prefque rouges ; j’en ai vû de vertes. On trouve auffi des
couches de cire brute de ces différentes couleurs, dans les
H h h ij
428 MEMOIRES POUR L’HiSTOÎRE
cellules où cette mitiére eft mife en referve. Cependant
les gâteaux faits de ces cires brutes différemment colorées ,
ont tous la même couleur. Tout gâteau nouvellement
fait, eft blanc. Ils différent feulement entr’eux par plus ou
moins de blancheur. J’ai vû quelquefois que le blanc des
gâteaux nouvellement conftruits, ne le cedoit en rien à
celui des plus belles bougies, auprès defquelles je les
avois pôles. Entre les gâteaux nouvellement faits, ceux
qui m’ont paru les moins blancs, pouvoient être com¬
parés à la mauvaife bougie blanche, ou à celle qui, pour
avoir été trop gardée, a jauni. Ces gâteaux qui font for-
tis fi blancs des mains des ouvrières, perdent peu à peu
de leur éclat, en vieilliffant iis jauniffent; les plus vieux
deviennent’d’un brun qui approche du noir de la fuye.
Le miel qu’ils contiennent, qui lui-même jaunit avec le
temps, contribue à altérer leur couleur ; mais elle peut
être encore plus altérée par les vers qui prennent leur ac-
croiffement dans les cellules de ces gâteaux. On peut s’af-
fûrer par un moyen qu’il n’eft pas temps de rapporter,
que les cellules qui l'ont les plus noires ont fervi de loge¬
ment à plu fie u rs vers, qui les uns après les autres, y lont
nés, & y ont crû jufqu’à ce qu’ils fe foient transformés
en mouches. Enfin, on imaginera aifément que les va¬
peurs qui tranlpirent du corps des abeilles, peuvent altérer
la couleur de la cire, dès qu’on fçait que l’air même d’une
chambre eft capable de faire jaunir avec le temps la bougie
la plus blanche.
L’art de blanchir la cire ne paroît donc être que celui
de lui enlever la matière étrangère qui l’a pénétrée 6c co¬
lorée depuis quelle a été faite par les abeilles. Mais toutes
les abeilles 11e font pas de la cire également blanche. Je
n’héliteroispas à croire que cette différence vient unique¬
ment de ce que les unes n’ont pas employé des poufliéres
des Insectes. VIII. Mem. 429
d’étamines aufii propres à être dépouillées de leurs cou¬
leurs, que le font les poufliéres qui ont été ramafteespar
d’autres, fi je 11’avois oblervé que dans le même temps &
le même lieu, les abeilles de certaines ruches ont fait des
gâteaux qui, comparés à ceux qui ont été faits par d’autres
abeilles dans d’autres ruches, n etoient que ce qu’eft la
bougie devenue jaune à l’air par rapport à la bougie la
plus blanche. On peut foupçonner que la matière propre
a devenir cire, n’eft pas également bien blanchie dans
l’intérieur des abeilles de toutes les ruches. Comme celles
d’une même ruche doivent toutes leur naiffance à une
même mere, il ne feroit pas furprenant quelles euffent
toutes la même imperfection dans la conformation de
leurs eftomacs & de leurs inteftins. On Içait, & on ne fçait
que trop dans les bianchilferies, qu’il y a des cires qu’on ne
peut rendre d’un beau blanc. C’elt probablement qu’on ne
peut rendre la cire plus blanche quelle l’étoit, lorfqu’elle
eft fortie de deffous les dents des abeilles; on ne fait que
lui ôter les matières qui l’ont teinte depuis, & tout notre
art ne peut aller plus loin.
Les abeiiles ne paroi ftent pas recueillir par préférence
les pouiïiéres d étamines d’une couleur à celles qui en ont
d’autres.Elles ramaffent celles quelles trouvent plus aifé-
ment. 11 y a des temps où on leur voit à toutes des pelotes
jaunes, & d’autres où on ne leur en voit que de prelque
rouges; ce qui dépend des rieurs qui fe trouvent dans les
endroits où elles vont faire leur récolte. Mais quelle quefoit
la couleur de ces pelotes, elles la perdent pendant qu’elles
font macérées & digérées dans l’eftomac de l'abeille: Si
on ouvre le ventre de quelques-unes de ces mou •.'h es dans
le temps où elles font dans le fort du travail, on trouvé le
fécond eflomac & les inteftins remplis de ces poufliéres,
qui y font aifées à reconnoîtie, comme nous lavons dit,
H h h iij
430 MEMOIRES POUR L’HïSTOIRE
6l qui, au moyen de la liqueur avec laquelle elies font mê¬
lées, y compofent une bouillie jaune ou jaunâtre. 11 ed
aifé de prendre de cette bouillie, de la lécher entre les
doigts,& d’en former une lentille alfés femblableà celles
qu’on voit aux jambes podérieures des mouches. Si on
approche de fon nez la nouvelle lentille, ou encore mieux
la bouillie, on efl faifi par une odeur defagréable & péné¬
trante, qui apprend alfés qu’elle ed une matière en fer¬
mentation , & dont la digedion fe fait.
Cette odeur qui, quoique plus defagréable que celle
des efprits volatils, peut lui être comparée, m’a engagé à
éprouver quelle altération feroit produite dans la cire brute
que je laiflerois en digedion dans une bouteille bien fer¬
mée, & où elle feroit mêlée avec un efprit volatil qui la
furnageroit. La cire brute s’y ed ramollie, & y ed devenue
plus pedridable ; mais elle n’ed point devenue fufible com¬
me l’ed la cire.
Il en ed cependant des cdomacs des abeilles, comme
du nôtre; ils ne digèrent pas toujours tout ce qui leur a
été donné à digérer. Lorfque l’abeille fait fortir par fa
bouche la liqueur mouffeufe, qui ed de la cire délayée,
pour ainfidire, des grains d’étamines qui n’ont pas fouf-
fert afles d’altération dans l’edomac, peuvent être portés
avec cette liqueur. Quand on examine à la loupe les
caffures de la cire, telle que nous l’employons, de celle
qui a été fondue, on y peut fouvent découvrir de petits
grains qui ont confervé leur figure arrondie, qui ne le
font pas fondus, & qui ne font pas fufjbles. Ces petits
grains ne font apparemment autre choie que des grains
de pouffiéres d’étamines, qui fans avoir été digérés,
font fortis avec la liqueur cireufe par la bouche de l’a¬
beille.
On feroit fur la voye de trouver un moyen fimple de
des Insectes. VIII. Mem. 431
convertir la cire brute en véritable, fi on n’attribuoit pas
à quelque hazard des produits qu’ont donné deux expé¬
riences rapportées dans les Ephémérides des curieux
de la Nature *. M. Daniel Major y apprend ce qui
lui efl arrivé pendant qu’il faifoit piler des rôles à cent
feuilles pour en compolèr de la confèrve. Après que les
feuilles curent été pilées dans un mortier de pierre avec un
pilon de bois, on trouva un petit morceau de cire blanche
du poids de deux à trois grains, attaché au pilon ; il croit
qu'on ne peut foupçonner que la cire vînt d’ailleurs que
des rôles, parce que le mortier & le pilon avoient été bien
nettoyés. 11 adjoûte que ce fait lui efl encore arrivé une
autre fois, 6c qu’il fut remarqué par un étudiant qui piloit
les rôles. S’il étoit bien certain que cette cire n’eut pas été
mife toute faite dans le mortier par quelque accident, s’il
étoit bien certain qu’elle le fût formée fous les coups de
pilon, il paroîtroit que le fuc des feuilles de rôles auroit
transformé en cire les pouffiéres des étamines de ces
fleurs, pendant qu’elles étoient broyées par les coups de
pilon. Cette expérience efl fimple, je l’ai faite. J’ai pilé
huit à dix pelotes de cire brute avec des feuilles de rofes;
mais les pelotes ne font point devenues pour cela de véri¬
table cire.
Quoique quantité d’abeilles foient occupées dans l’in¬
térieur de chaque ruche à mettre la cire en œuvre, 6c à
perfectionner les cellules qui en font faites , quoique beau¬
coup d’autres travaillent à divers autres ouvrages, 6c quoi¬
qu’il y en ait beaucoup à ia campagne pour y faire des ré¬
coltes, le nombre de celles qui font en repos, efl encore
très-grand dans chaque ruche, 6c beaucoup plus grand que
le nombre de toutes les autres priées enfemble. On y voit
des maffesd’un volume confidérable, formées par plufieurs
milliers de mouches accrochées les unes aux autres. Celles
* Premier
Decennium
ann . 8. obf. j,
P a S• 7•
432 Mémoires pour l'Histoire
qui font fj tranquilles, pendant que d’autres le donnent
tant de peine & de foins, joui fient apparemment d’un
repos quelles ont mérité par le travail. Elles reprennent
des forces pour être en état d’agir, lorlque les abeilles
actuellement employées à des exercices fatiguants, au¬
ront befoin de fe repofor. Il eft plus naturel de penlêr
qu’elles partagent ainfi leur travail par des intervalles de
repos, peut-être afTés courts, que de croire, comme j’ai
connu des gens qui le penfoient après les avoir oblèr-
vées, quelles avoient alternativement des jours ouvriers,
pour ainfi dire, & des jours de fête; que celles qui avoient
travaillé un jour, ne travailloient pas le jour fuivant ; ou
au moins, que les mêmes abeilles ne fortoient pas tous les
jours de la ruche.
Ce fentiment qui n’eft appuyé fur aucune preuve, ne
feroit vrailémblable qu’en cas que le nombre des abeilles
qui fortent chaque jour d’une ruche, ne fût pas égal à celui
des abeilles qu’elle contient ; car s'il lui efl égal, ou plus
grand, il efl plus naturel de penfer que l’abeille qui eft reve¬
nue chargée de la campagne, fe repofe pendant un certain
temps, que de croire quelle continue de fe donner les mê¬
mes fatigues pendant tout le jour. Il m’a donc femblé que
pour décider cette queftion, ilfalloit fça-voir quel efl à peu
près le rapport du nombre des abeilles qui fortent de la ruche
dans chaque jour propre au travail, avec le nombre des
abeilles de la ruche. Au lieu de compter le nombre de
celles qui en fortent, j’ai compté le nombre de celles qui
y rentrent, ce qui revient au même, & qui efl plus facile.
J’ai, dis-je, compté à différentes heures du jour les abeilles
qui rentroient dans leur ruche pendant un certain nombre
de minutes, & j’ai compté celles qui rentroient dans diffé¬
rentes ruches plus ou moins peuplées. Il y a eu des ruches
ou j’ai vû rentrer environ cent mouches par minute, tantôt
plus
des Insectes. VIII. Mem . 433
plus cependant & tantôt moins, de forte que je crois
pouvoir prendre ce nombre pour un nombre moyen. Il
y avoit donc par heure fix mille abeilles qui rentroient
dans la ruche dont je parle. Or on peut luppoier que
l’affluence avoit été la même depuis cinq heures du
matin jufques à fept heures du loir, & en cela je ne crois
pas qu’on fuppofe trop, parce que s’il y avoit des heures
où elle avoit été moindre, elle avoit été plus grande dans
d’autres. D’ailleurs, les abeilles fortent «quelquefois dès
quatre heures du matin, & 11e ceffent de lortir que vers
les huit heures du foir; mais au lieu de compter celles
qui leroient rentrées pendant feize heures, nous nous
contentons de compter celles qui leroient rentrées pen¬
dant quatorze heures ; leur nombre eh quatorze fois
6000, ou 84000.
Le nombre exaél des abeilles qui habitoient la ruche
dont il s’agit, m’étoit inconnu; mais j’ai fiait allés d’obfer-
vations fur celui des abeilles de différentes ruches, pour
avoir lieu de croire que je ne me tromperai pas beaucoup
fur l’évaluation que j’ai faite du nombre de celles de cette
ruche. J’ai cllimé qu’il pouvoit être d’environ 1 8000 mou¬
ches. Ainli le nombre des 84000 qui étoient rentrées,
n’avoit pu être rempli qu’en fuppolant que chaque abeille
étoit au moins fortie quatre fois dans la journée pour aller
faire des récoltes à la campagne, & que quelques-unes
étoient lôrties cinq fois, j’ai compté les mouches qui
rentroient dans des ruches fi peu peuplées que j’aurois cru
être fur de gagner, li j’eiiffe parié quelles ne contcnoient
pas 6000 abeilles. Cependant j’ai efflmé à 50 le nombre
de celles que j’y voyois rentrer par minute, ou à 3000
par heure. Chacune de celles-ci fortoit donc au moins
deux fois par jour de plus que chacune des autres, environ
fept fois. Enfin, nous venons devoir à combien d’autres
Tome V . I i i
434 Mémoires pour l’Histoire
ouvrages quantité d’abeilles font occupées pendant tout le
jour dan's la ruche ; & nous en devons conduire que fi
le nombre de celles qui font en repos, e-jft grand, il n’eft
pas compolé pendant long temps des mêmes mouches;
qu’à induré qu’il y en a quelques-unes qui fe joignent
au gros pour fe tenir tranquilles, il y en a d’autres qui en
partent pour reprendre le travail.
Le calcul que nous venons de rapporter, conduit à
en faire un autre, qui feul eût fuffi pour prouver que
les abeilles ne mettent pas en œuvre la cire brute telle
qu’elles la rapportent, quelles la mangent; & qui apprend
de plus, qu’il n’y a qu’une très petite partie de celle qu’elles
ont digérée, qui foit convertie en cire propre à être em¬
ployée à la çonfïrudlion des cellules. Dans le Printemps,
il y a des jours où du matin au foir on ne voit rentrer
que des abeilles chargées de deux pelotes de cire brute,
& où au moins le nombre de celles qui y reviennent char¬
gées des deux pelotes, eft beaucoup plus confidérable que
le nombre de celles qui reviennent à vuide. Suppofons
néantmoins le nombre de ces dernières égal à celui des
autres. Dans une ruche telle que la première des deux
dont nous avons parlé ci-deffus, dans celle où 84000
abeilles rentrent par jour, elles y apportent donc 84000
pelotes dans une journée, & cela, dans la fuppofîtion
qu’il n’y a que la moitié des abeilles qui y en rapportent.
Quelque petite & quelque légère que foit chaque pelote,
toutes enfemble doivent faire un poids affés confidérable
par rapport à la quantité des matières contenues dans une
ruche. Pour fçavoir à peu près à quoi il pouvoit aller,
j’ai pefé avec foin, & cela à différentes fois, les pelotes de
cire brute que j’avois enlevées à des abeilles avant qu’elles
euffent eu le temps de s’en décharger dans la ruche, Sc
j’ai trouvé que huit pelotes pefoient un grain. En divifànt
des Insectes. VIII. Mem. 435
84000 par huit, ou a donc; ie poids des grains de eue
brute qui étoient apport» dans une journée dans i inté¬
rieur de la ruche dont nou parlons^ Ce poids cft de 10500
grains,&la livren’eft compoiëeque de 92 16grains. Ainft
la récolte de cire brute faite dans une leule journée peloit
plus d’une livre. Or il y a dans une année plulieurs jours
d’une aufit grande récolte. 11 y en a fouvent quinze à
feize de fuite, loit vers la mi-May, foit vers le commen¬
cement de Juin ; enfin, dans les jours moins favorables,
les abeilles ne laiffent pas de rapporter encore de la cire
brute dans la ruche. Pendant lept à huit mois confécutifs
que les abeilies fartent, elles doivent ramafïgr plus de
cent livres de cette matière, Si peut-être beaucoup plus.
Cependant, fi on tire au bout d’une année la cire d’une
ruche f'emblabie à celle dont il efl queftion, on n’y en
trouvera peut-être pas deux livres. D’où il fuit que les
abeilles n’extraient de la cire brute qu’une afîes petite por¬
tion de véritable cire; que la plus grande partie de cette
matière fert à les nourrir, & que le refle fort de leur corps
fous la forme d’excréments.
Dans quelques années j’ai vû les abeilles de plulieurs
ruches en panier, revenir pour la plupart chargées de cire
brute du matin au loir; Si cela, pendant la fin d’Avril,
Si une bonne partie du mois de Mai. Quand après piufieurs
femaines d’une (i grande récolte, je faifois renverfer ces
ruches pour en examiner l’intérieur, je n’y pouvois dé¬
couvrir ni gâteaux nouvellement conflruits, ni des gâteaux
allongés ou élargis. Qu’avoient-elles donc fait de toi te
la cire brute qu’elles avoient ramaffée! Elles pouvoient en
avoir mis une portion en referve dans les cellules; mais
il efl évident quelles en avoient mangé la plus grande
partie.
11 efl à remarquer que les faux-bourdons, qui ne travaillent
I i i ij
436 Mémoires pour l’Histoire
point aux ouvrages de cire, ne prennent pour toute nourri¬
ture que du miel, du moins dans bien des centaines de ces
groffes mouches que j’ai ouvertes, n’en ai-je jamais trouvé
une qui eût dans le canal des aliments de la cire brute.
Outre les befoins qui exigent que les abeilles faffent
des récoltes de cire brute, elles en ont d’autres qui les
engagent à s’aller charger d’une autre matière. Leur ha¬
bitation ne doit avoir que les ouvertures qui y tiennent
lieu de portes. Par-tout ailleurs elle doit être très-clolè.
Nos mouches ont à craindre que les infeéles qui en veu¬
lent à leur miel, que ceux qui en veulent à leur cire, 8 c
que ceux cpii leur en veulent à elles-mêmes, ne trouvent
en différents endroits du corps delà ruche, des ouvertures
par où ils puiffent s’y introduire.il eff plus facileauxabeilles
de s’oppoler aux incurfions de leurs ennemis, quand elles
n’ont qu’une porte ou peu de portes à garder. Enfin, les
entrées ne doivent pas être feulement bouchées aux in-
feéies, elles le doivent être à la pluye 8 c à l’air. Il importe
fur-tout aux abeilles d’être logées bien chaudement, com¬
me nous le prouverons dans le dernier Mémoire de ce
volume. Auffi, un de leurs premiers foins, lorfqu'elles font
nouvellement établies dans une ruche, eft de boucher
toutes les ouvertures, toutes les fentes qui s’y peuvent
trouver, 8 c elles veulent qu’elles foient folidement bou¬
chées. Celles que j’ai miles dans des ruches vitrées, dont
les bords des carreaux étoient, comme ceux des carreaux
de nos fenêtres, recouverts de bandes de papier,& cela, du
côté de l’intérieur de la ruche, ces abeilles, dis-je , n’ont
pas manqué de ronger ce papier. En le rongeant, elles
mettoient pourtant à découvert les ouvertures qui fe trou-
voient entre le bois & le verre; mais c’eff qu’elles fe pro-
pofoient d’y appliquer une matière moins pénétrable à
l’eau, que celle qu’elles avoient ôtée.
des Insectes. VIII. Metn. 437
II lemble que les abeilles pourroient faire ufage de la
cire pour rendre leurs ruches très-cloles; mais il leur a été
enleigné de Te Tervir d’une autre matière qui, Tans doute,
y elt plus propre, qui s’étend & s’attache mieux, & qui a
beaucoup plus de ténacité. La matière dont nous voulons
parler, n’a pas été inconnue aux Anciens. Pline même
en dilîingue de trois fortes différentes, dont la première
qu’il regarde comme le fondement de tout le travail des
abeilles, elt appellée metys, la Teconde pijfoceron, &l la
troifiéme propolis; mais le nom de propolis elt celui au¬
quel la plupart des Auteurs Te font tenus, & les deux autres
ne font propres qu’à défgner de la propolis plus ou moins
pure, plus ou moins mêlée avec de la cire, de laquelle,
au relie, la propolis diffère extrêmement. Elle Te laiffe
aiTément diffoudre par TeTprit de vin, & par l’huile de
térébenthine. En un mot, elle elt une réTine, qui avec le
temps, Te durcit beaucoup dans la ruche, mais qui peut
toujours être ramollie par la chaleur.
Celle qu’on trouve dans différentes ruches, & même
dans différents endroits de la même ruche, offre non-
feulement des variétés par rapport à la confiltance, elle
en offre auffi par rapport à la couleur & à l’odeur. Elle
elt une des matières auxquelles 011 a donné une place dans
les boutiques des Apothicaires ; & pourquoi n’y en auroit-
elle pas eu une! Communément elle répand une odeur
agréable quand elle elt échauffée. George Piétorius dans
Ton Traité des abeilles, veut qu’on choififfe celle qui a
une couleur jaune, qui a beaucoup d’odeur, qui reffemble
au Ityrax, & qui, comme la réfine appellée maltic, peut
Te lailfér étendre. Pline dit que de Ton temps on la Tublti-
tuoit au galbanum, & qu’elle a une odeur forte. Mais il
elt ordinaire d’en trouver qui a une odeur aromatique, qur
ne Tçauroit manquer de plaire, &il y en a qui Tembleroit
I 1 i ifj
458 Mémoires pour l’Histoire
mériter d’être mile au rang des parfums. La couleur
de la furface extérieure de la propolis, eft un brun rou¬
geâtre, mais tantôt plus claire, 6c tantôt plus foncée; elle
tire tantôt plus fur le brun, & tantôt plus fur le rouge.
La couleur de l’intérieur, celle des fragments qu’on dé¬
tache, approche davantage de celle de la cire, elle eft plus
jaunâtre. Celle qu’on a diffoute, loit dans l’elprit de vin,
l'oit dans l’huile de térébenthine, pourrait être fubftituée
aux vernis qu’on employé pour donner une couleur d’or
à l’argent, ou à l’étain réduit en feuilles, qui ont été ap¬
pliquées, loit lur du cuir, loit lur du bois. Elle pourroit
de même fervir pour dorer mieux qu’on ne fait les ou¬
vrages de bimbloterie. Elle donne une belle couleur d’or
aux métaux blancs & polis, liir lefqueis elle eft étendue.
Il ne peut lui manquer qu’un peu de brillant, qui lui
feroit ajoûté, fi on i’incorporoit avec le maltic ou le fan-
darac.
Dans le temps que les abeilles mettent en œuvre la
propolis, elle eft molle ; comme un bitume elle eft propre
à être étendue pour efpalmer la ruche ; mais elle prend
de jour en jour plus de confiftance, & devient bien plus
dure que la cire. Elle peut toujours être ramollie par la
chaleur; lorfqu’on en tire un morceau ramolli, par deux
bouts oppofés, il fe briffe étendre & ne fe caffe qu’après
avoir été allongé en fil; ce qui n’arrive pas à la cire dans
un fembîable cas.
Ii elt bien plus difficile de voir des abeilles chargées de
cette matière quelles employent à boucher les fentes de la
ruche, & à en enduire les parois, qu’il ne l’eflde les voir
chargées de la matière quelles convertiffent en cire. Elies
n’ont pas befoin d’apporter dans leur ruche autant de la
première matière que de la fécondé. Ce n’eft guéres que
dans les premiers temps où elles fe font établies dans une
des Insectes. VIH. Mew. 439
ruche, qu’elles ont befoin de celle-là, ou lorfque dans la
fuite il fe fait quelque trou. Audi malgré toutes mes ru¬
ches vitrées ai-je paffé plufieurs années fans parvenir à
appercevoir des abeilles chargées de propoiis. Peut-être
efl-ce faute d’avoir connu les heures favorables. Je les
épiois indifféremment à toutes celles du jour, & plûtôt
même le matin que J’après midi; & je fuis à préfent fort
dilpofé à croire que fi les abeilles choififïent par préfé¬
rence les heures du matin pour ramaffer la cire brute,
elles prennent celles du loir pour faire la récolte de la ma¬
tière qu’elles employent à mafliquer. La première fois
que j’ei-î vis des abeilles chargées, ce fut en Juillet fur
les cinq heures & demie du foir. J’avois toujours eu
envie de fçavoir fi elles donnoient à la propolis quelque
préparation comme elles en donnent une à la cire brute,
û elles étoient obligées de la manger, ou fi elles l’em-
ployoient telle quelles l’apportoient à la ruche. Mon
doute fut éclairci dès que j’eus obfervé des abeilles qui en
étoient chargées. J’en remarquai plufieurs qui avoient à
leurs jambes poftérieures deux plaques lenticulaires rou¬
geâtres , affés femblabies par leur figure aux pelotes de cire
brute, mais dont les bords étoient plus applatis. Comme
plufieurs de ces mouches étoient fi proches des carreaux
de verre, qu’elles les touchoient, il me fut aiféderecon-
noître foit avec mes yeux feuis, foit avec mes yeux aidés
delà loupe, que cette matière étoit précifément la même
que la propolis employée à lutter les jointures & les fentes,
quelle n’étoit point un affemblage de petits grains comme
l’efl la cire brute.
Un autre objet de ma curiofité, étoit de fçavoir com¬
ment l’abeille qui portoit à fes jambes les deux plaques
d’une matière que je fçavois très-ténace, parvenoit à les
en détacher. C’efl fur quoi j’eus encore le plaifir d’être
44-0 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
bien-tôt inftruit. Je vis que des compagnes attentives
épargnoient à la mouche la peine de fe débarraffer d’une
matière qui lui avoit affés coûté à ramaffer & à apporter.
Je vis bien tôt une abeille qui alla prendre avec les dents
une petite portion de cette matière, qui étoit fi bien collée
contre une des jambes de l’autre. Elle faifoit des elîorts
pour arracher ce que fes dents tenoient faifi, elle le ti-
railloit. Cette petite portion s’allongeoit comme s’allon-
geroit en pareil cas une gomme réfineulè qui n’auroit pas
pris encore toute la dureté, mais qui auroit beaucoup plus
de confillance qu’il n’en faut pour être en état de couler.
Quand la mouche, après avoir tiré à plulieurs repriles,
étoit parvenue à léparer du refte de la maife cette petite
portion, la tenant entre les ferres, elle la tranlportoit à
quelqu’un des endroits où il y avoit une fente à boucher.
Une autre mouche remplaçoit celle-ci fur le champ; &
quelquefois deux mouches arrachoient en même temps à
chacune des deux jambes poftérieures de i abeille de la
gomme réfineulc. Ainfi peu-à-peu les petites pelotes
qu’elle avoit apportées, lui étoient enlevées par des mou¬
ches qui ne tardoient pas à les employer.
On croit que c’eft lur les peupliers, fur les bouleaux &
fur les faules, que les abeilles vont prendre la propolis;
le hazard n’a pas voulu que je leur y aye vu faire cette
récolte. Je ne crois pourtant pas qu’elle leur foit fournie
par ces feuls arbres. J’ai vû des abeilles dans des pays où
il n’y avoit ni peupliers, ni bouleaux, ni huiles; c’étoit
donc fur d’autres arbres qu’elles s’étoient pourvues de la
réfine qui leur ell nécefifaire. Mais quand j’aurois obfervé
des abeilles fur les arbres où elles prennent la propolis, il
n’y a pas apparence que j’euffe réuffi à voir auffi bien
comment elles s’en chargent, que je l’ai vû dans une cir-
couftance particulière. Une opération qui avoit demandé
que
des Insectes. VIII. Ment. 44t
que j’ôtafie le bouchon du trou fiipérieur d une de mes
ruches vitrées, demanda auffi que je n’y fille pas rentrer
ce bouchon en entier. Il avoit été fcellé par de la pro¬
polis, & la partie qui en étoit enduite, refia au-defius du
bord du trou. Des abeilles de cette ruche qui s’apper-
çurent qu’il y avoit là une matière quelles avoient été
obligées d’aller chercher au loin depuis peu de jours, Sc
qui 11e s’étoit pas encore defiechée, en voulurent profi¬
ter. J’en vis trois à quatre attroupées defius. Une y refia
feule par la fuite, & travailla à la détacher dans un endroit
placé auffi favorablement qu’il eût pu être fi je l’eufie
choifi moi-même. Cette gomme tenace, & qui s’étoit
defiechée depuis quelle avoit été apportée à la ruche,
ne cédoit qu’à des tiraillements redoublés, néantmoins
elle fe laiffoit encore étendre. L’abeille s’en chargea ; elle
s’en fit fur chaque jambe une pelote d’une grofleur énor¬
me. Auffi y fut-elle occupée bien du temps. Une grande
demi-heure fe pafia avant qu’elle fut parvenue à fe donner
fa charge. Cette matière incomparablement plus difficile
à détacher que ne le font les poufiiéres des étamines, &
plus difficile à manier, ne permettoit pas à l’abeille d’aile^
vite, circonfiance heureufe pour i’Obfervateur. Je l’exa¬
minai la loupe à la main pendant toute la demi-heure. Je
voyois avec plaifir combien elle étoit obligée de donner
de coups de dents, & de tirailler pour arracher un petit
grumeau de cette matière; elle le pefirifloit enfuite avec
fes dents. Les deux premières jambes aidoient à achever
de le façonner; une de celles-ci s’en chargeoit enfuite, &
le donnoit à la fécondé jambe du même côté, qui le
portoit à la troifiéme, qui l’y appliquoit fur le tas com¬
mencé: dèsqu’elle l’y avoit appliqué, elle le tapoit avec fa
palette, elle lui donnoit trois à quatre coups. La mouche
cJioififioit la propolis le moins defiechée, celle qui ayoit
Tome V. . K k k
442 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
encore aflfés de vifcofité pour fe coller à la petite pelote.
Elle laiiïoit tomber les fragments qui fembloient trop fecs,
& elle les négligea comme inutiles, comme n’étant plus
propres à être mis en oeuvre.
Les abeilles ne fe contentent pas de boucher les trous
de la ruche avec la propolis, elles enduifent de cette ma¬
tière les bâtons en croix qui aident à foûtenir les gâteaux,
&fouvent elles en étendent fur une grande partie des parois
intérieures. C’eft apparemment ce qui a donné lieu aux
Anciens, & à Pline entr’autres, de dire qu’elles fe fervoient
de propolis comme de colie, pour attacher les gâteaux à
la ruche, parce qu’ils auront trouvé entre les parois de la
ruche Si le gâteau une couche de cette réfine. Mais ce
n’efl pas précifément pour cela, qu’elles l’employent. J’ai
détaché un grand nombre de gâteaux qui avoient été Lits
dans des ruches nouvellement habitées, j’ar examiné leurs
attaches. Si je les ai toujours trouvées de pure cire.
Les abeilles ne fouffrent que le moins qu’elles peuvent
des corps étrangers dans leur ruche. Quand il s’y en
trouve qui ne font pas d’un poids fupérieur à leurs forces,
elles les portent dehors. Mais il arrive quelquefois à des
infeéfes, Si fur tout à des limaces mal-aviiées, Si à des
limaçons peu inftruits, d’entrer dans une ruche. Si de
s’y promener jufques fur les gâteaux de cire. On ne
fera pas étonné que les abeilles n’épargnent pas des en¬
nemis fi lourds, qu’à force de piquûres elles les tuent.
Mais qu’en faire après qu’ils font morts! Les abeilles ne
peuvent pas fonger à tranfporter de fi lourds fardeaux;
elles craignent cependant les mauvaifes odeurs que ces
cadavres répandroient dans la ruche en fe corrompant.
Pour n’y être pas expofées, elles les embaument, elles les
couvrent de toutes parts de propolis. M. Maraldi a déjà
rapporté qu’il avoit yû un limaçon quelles en avoient
des Insectes. VIIL Mem. 443
enduit par-tout. J’ai vu des faits femblables plufieurs fois;
j’ai vu des limaces, dont la peau s’étoit apparemment un
peu deflechée, qu’elles avoient cachées fous une enve¬
loppe de cette réfine. J’obfervai un jour qu’elles avoient
employé la même matière pour une femblable fin & avec
plus d’œconomie, fur un limaçon. Il avoit appliqué les
bords de l’ouverture de fa coquille contre un carreau de
verre; au moyen de la liqueur vifqueufe, dont il étoit
pouryû, il s’étoit attaché là fixement, comme il fe fût
attaché dans la cavité d’un mur contre une pierre, pour
y refier jufqu’à ce que la pluye l’eût invité à fe mettre
en marche. Les abeilles jugèrent à propos de l’y attacher
plus folidement qu’il ne sy étoit attaché lui-même, &
plus folidement qu’il ne l’eût voulu. Elles appliquèrent
une épaiffe ceinture de propolis tout autour de l’ouver¬
ture de la coquille, & contre le carreau de verre. La co¬
quille fe trouva donc arrêtée par une matière bien autre¬
ment ténace que celle avec laquelle le limaçon l’avoit afiii-
jettie, & par une matière qu’il n’étoit pas en fon pouvoir
de ramollir en répandant de l’eau deffus, comme il peut
ramollir celle qu’il employé.
J’ai offert à des abeilles de la térébenthine, & du bitume
liquide. J’ai mis de ces matières auprès de leurs ruches,
pour voir fi elles ne les fubfiitueroient pas à la propolis,
pour maftiquer les ouvertures de leur logement. Je n’ai
pas obfervé quelles ayent tenté de s’en fervir. Le vrai eft
que j’ai négligé de faire cette expérience dans les temps
qui dévoient être choifîs par préférence. J’ai négligé de
mettre ces matières à la difpofition des abeilles qui avoient
été nouvellement établies dans une ruche.
Nous devons revenir à parler dune récolte plus im¬
portante pour nos mouches, que celle de la propolis, de
la récolte du miel. Nous avons prouvé qu’elles mangent la
Kkkij
* PI. 50.
10 & 12
444 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
cire brute, qu’elles s’en nourrirent; mais elle n’efl pas leur
feul aliment, & nous fommes difpenfés d’en donner des
preuves. On fçait affés que ce n’eft pas pour nous qu’elles
font des provifions de miel; qu’il y a des jours, & même
des faifons, qui ne leur permettent pas d’aller chercher
de quoi vivre à la campagne, &où elles y iroient inutile¬
ment ; qu’alors elles confument le miel qu’elles avoient
ramaffé dans des temps plus favorables; que fi leur récolte
a été trop petite, ou leur confommation trop grande &
trop prompte, elles font réduites à mourir de faim. Mais
nous n’avons encore confédéré les abeilles que dans i’inf-
tant où elles enlevoient avec le bout de leur trompe, cette
liqueur de deflus les glandes neélariféres des fleurs. Il nous
refie à voir ce qu’elles font de celle qu’elles en ont tirée, &
des moyens auxquels elles ont recours pour la conferver.
La trompe de l’abeille efl une efpéce de langue carti-
iaginpufe & velue, qui, après avoir ramaffé des goutte¬
lettes de miel fur quelque fleur, les conduit à la bouche.
Là fe trouve une véritable langue plus courte & charnue,
qui pouffe vers l’œfophage le miel qui lui a été apporté.
Dans les abeilles, & généralement dans les mouches, on
peut laifferle nom d’œfophage à toute la portion du ca¬
nal des aliments, qui, du fond de la bouche, fc rend dans
le corps après avoir traverfé le corcelet. Mais la première
portion du canal qu’on peut obferver dans le corps, la
plus pîoche du corcelet, doit être regardée commel’eflo-
mac, ou, pour parler plus exactement quand il s’agit des
abeilles, comme leur premier eftomac. L’œfophage fait
donc paffer le miel qu’il a reçu, dans le premier eftomac.
Celui-ci efl plus ou moins renflé, félon qu’il en contient
une plus grande ou une plus petite quantité. Quand il efl
h- vuide*, il a dans toute fon étendue un diamètre égal ; il ne
“ fcmble être qu’un fil blanc & délié: mais iorfqu’ii efl bien
des Insectes. VIH . Mem . 445
rempli de miel, il a la figure d’une veffie oblongue *. Les * pi. 30 . f. s ,
enfants qui vivent à la campagne, connoiflent cette veffie, 11 • “/•
& ils la cherchent même dans le corps des abeilles, & fur-
tout dans celui des bourdons velus, pour en boire le miel.
Ses parois font fi minces & fi tranfparentes, qu’elles 1 affi¬
lent voir la couleur de la liqueur qu’elles renferment. M.
Maraldi paroît avoir pris cette partie pour une fimple
veffie ouverte par un bout, pour un lac aveugle. Un auffi
grand Anatomifte que Swammerdam, ne pouvoit man¬
quer de la reconnoître pour ce quelle efi ; il lui a donné
le nom d’eftomac comme nous le fui donnons.
Après l’étranglement où ce premier eftomac finit,
commence le fécond cltomac *, qui efi un tuyau cy lin- * Fig. io,
drique en grande partie, & contourné; il cfi entouré par 11 ^
des cordons charnus pôles les uns auprès des autres, com¬
me les cerceaux d’un tonneau; il relîèmble à un tonneau
couvert de cerceaux d’un bout à l’autre. Ce font autant
de mufcles circulaires. Un étranglement * fait encore la * Fig. i z.l.
féparation du fécond eftomac Si des intefiins. Ceux-ci
font tantôt flafques *, & tantôt renflés *, félon qu’ils font * Fig. 11 &
pleins ou vuides. On trouve la cire brute dans le fécond lz ' u
efiomac & dans les intefiins, mais on ne trouve jamais * r ‘ s ' i0 * u
que du miel dans le premier eftomac.
Chaque fleur ne fournit à l’abeille qu’une bien petite
quantité de liqueur. Elle efi obligée d’en parcourir plu¬
sieurs les unes après les autres, avant que d’être parvenue
à remplir fon premier efiomac autant qu’il le peut être.
Ariftote leurdonne une confiance dans le goût journalier,
qui n’eft rien moins que certaine. Il dit que la même abeille
ne va pas d’une fleur fur une fleur d’un autre genre;
qu’elle va d’une violette à une violette, Si non d’une vio¬
lette à une fleur de prirnever,par exemple. J’ai pourtant vû
bien des fois la même abeille aller fucceffivement fuccer
Kkk iij
44.6 Mémoires pour l'Histoire
plufieurs différentes fortes de fleurs qui orn oient uneplatte-
bande. Quoi qu’il en foit, quand l’abeille a fuffilâmment
rempli l'on eflomac de miel, elle retourne à fa ruche.
Dès qu’elley efl entrée, elle va chercher une cellule dans
laquelle elle le puiffe dégorger.
C’efl ordinairement dans un certain ordre que les abeilles
rempliffent de miel les cellules. Elles commencent par les
fupérieures des gâteaux fupérieurs, lorfqu’il y a plufieurs
rangs de gâteaux. C’efl fur le bord d’une des cellules, dont
le tour efl d’être remplie, que la mouche qui arrive de la
campagne s’arrête; elle fait entrer fa tête dedans, & elle
y verfe bientôt tout ce qu’elle a apporté de liqueur. AL
Alaraldi a très-bien remarqué, que l’endroit par lequel elle
fait fortir le miel defon corps, efl au-deffus de la trompe,
& tout près des dents; c’eft-à dire, que le miel fort par
cette ouverture que nous appelions la bouche. Swammer-
dam qui n’a pas connu cette ouverture, a penfé que les
abeilles le rejettoient par le petit trou qu’il croyoit au bout
de leur trompe ; mais l’opération de fe vuider de miel,
feroit alors, pour les abeilles, auffi longue, & peut-être
plus longue que ne l’a été celle de s’en remplir. Car il y a
lieu de croire, que le miel ne fort pas du corps de l’abeille,
tel qu’il y elt entré, & Swammerdam l’a jugé ainfi; il y a
lieu de croire, qu’il y efl digéré, qu’il y reçoit une coétion.
Il efl donc très-vraifemblable, que quand l’abeille le rend,
il efl plus épais que quand elle l’a pris, & qu’il ne feroit
plus aulfl ailé à la mouche de le faire paffer par une ouver¬
ture excelfivement étroite.
Pour que le premier eflomac d’une abeille puiffe faire
fortir le miel qu’il contient, s’en vuider entièrement, il doit
être capable de fe contracter comme le premier eflomac
des ruminants: il l’eft auffi, &defe contracter fucceffive¬
ulent & alternativement dans différentes de fes portions.
des Insectes. VIII. Mem. 447
On ne devrait avoir aucune peine à lui fuppofer cette
force; mais je n’ai pas befoin de la lui fuppofer, car j’ai
vu qu’il l’a. Je trouvai un matin deux abeilles languifïàntes
dans un poudrier où je leur avois laiffé paffer la nuit, & où
je îl’avois pas oublié de leur donner du miel. Je les con¬
damnai à être les vidâmes de ma curiofité ; pour exami¬
ner leur intérieur, jç leur* ouvris le ventre ; leur premier
eftomac étoit bien rempli de miel; il étoit très-diflendu
en forme de vefTie. Mais ce que j’obfervai dans celui de
chacune de ces mouches de plus remarquable, très-dif-
îindement & pendant long-temps, ce furent des mouve¬
ments de contradion & des mouvements de dilatation.
Une portion de parois de l’eftomac s’approchoit du cen¬
tre, & s’en éloignoit enfuite,&ce ij’étoit pas toujours la
même portion qui me fàifoit voir ces mouvements. Celle
que j’avois vû d’abord s’agiter, ceffoit de le mouvoir. Une
autre,quelquefois antérieure, & quelquefois poftérieure,
fe mettoit en jeu à fon tour. La liqueur qui remplit un
canal,& qui y eff prelTée, fortira par celui des bouts qui
fera ouvert. Ainfi quand la bouche de la mouche permet
au miel de fortir, il fort; & quand cette ouverture efl
fermée, le miel efî pouffé vü s la partie poftérieure.
Une cellule a une grande capacité par rapport à ce
qu’une abeille peut y dégorger de miel en une feule fois.
Audi faut-il que plufieurs mouches viennent s’y vuider
de celui qu’elles ont recueilli & préparé, avant que d’en
remplir une entièrement. 11 n’eft pas poffible de voir com¬
ment elles le dégorgent dans les cellules ordinaires. Ce
font de petits pots faits d’une matière opaque, & dans
iefquels les abeilles qui les veulent remplir entrent les unes
après les autres la tête la première. Mais nos ruches vitrées
nous offrent fouvent des cellules moins régulières que les
ordinaires, & plus longues, dans chacune defquelles on
* PI. 30.fi:
S.
448 MEMOIRES POUR L’HïSTOIRE
peut voir fuccefïivement plufieurs mouches. Les longues
cellules, & d’une figure irrégulière dont je veux parler,
font appliquées immédiatement contre les carreaux de
verre *. Elles font quelquefois partie d’un grand gâteau,
dont un des côtés ell attaché contre un carreau de verre,
. & fouvent elles font partie d’un gâteau très-petit qui a
été confirait pour en foûtenir iTn plus grand auquel il efl .
uni par un de fes bords, pendant que par le bord oppo-
fé, il l’efl contre le carreau. On peut donc voir fouvent
contre les carreaux de verre des cellules tronquées, des
cellules auxquelles il manque deux de leurs pans & plus,
& dont chacune efl fermée par une portion convenable
d’un carreau. Les abeilles y mettent du miel comme dans
les autres cellules.Lorfqu’on en confidérera quelques-unes
de celles qui 11e font encore remplies qu’en partie, mais
plus ou moins, on ne doit pas manquer défaire une re¬
marque, c’eft que la dernière couche de miel efl aifée à
diflinguer de celle qui précédé ; je veux dire, que depuis
le fond de la cellule, jufqu’aflés près de l’endroit qui ell
encore vuide, tout paroît d’une même nuance, mais
que la dernière couche fe fait diflinguer du refie. Elle
femble être ce que la crême%fl fur du lait. Cette crème
ou croûte de miel, pour ainfi dire, fe voit également,
& efl également épaiffe dans les cellules où il n’y a en¬
core que très-peu de miel,& dans celles qui en ont beau¬
coup. Comme on ne rifque guéres de fe tromper en fup-
pofant aux abeilles les induflries qui conviennent à leur
travail, je fuis tenté de croire que cette couche efl faite
d’un miel qui a plus de confiflancc que le miel des autres
couches, moins de difpofition à couler, & qui fert auffi
à retenir celui qui efl par derrière. Au refie, cette dernière
couche, n’efl pas un plan perpendiculaire à l’axe de la cel¬
lule, & n’efl pas même un plan, elle efl contournée ; les
abeilles
des Insectes. VIII. Alem. 449
abeil'es lui font prendre à deffein cette courbure, & elles
la lui confervent. Il ne m’a pas été difficile de voir des
abeilles apporter du miel dans ces fortes de cellules. Lorl-
qu’elles y étoient entrées la tête la première, elles s’arrê-
toient près de la croûte de miel : elles faifoient paffier fous
cette croûte les deux bouts de leurs premières jambes*.
Dans le moment qu’elles y étoient paffées, je voyois une
groffie goutte qui pcnétroit fous la croûte, & qui, en fe
mêlant avec le relie, perdoit bientôt fa figure arrondie.
Les jambes en perçant la croûte, avoient apparemment
ménagé une entrée à la goutte de miel. Dans environ
deux minutes, la même mouche a ordinairement donné
deux pareilles gouttes. Avant que de le retirer, elle façonne
avec les jambes la croûte, elle lui donne la courbûre con¬
venable ; les filaments qu’elle en tire font vifibles.
Au refie, cen’eft pas toûjours en portant fon miel dans
une cellule, qu’une mouche s’en défait. Souvent elle en
trouve le débit en chemin. Quand elle rencontre de fcs
compagnes qui ont befoin de nourriture, & qui n’ont pas
eu le temps d’en aller chercher, elle s’arrête, elle redrelfe
& étend la trompe, afin que l’ouverture par laquelle le miel
peut foi tir, fe trouve un peu par-delà les dents. Elle poulfe
du miel vers cette ouverture. Les autres mouches qui fça-
vent bien que c’eft là qu’il faut le prendre, y portent le
bout de leur trompe & le fuccent. La mouche qui n’a
pas été arrêtée en chemin, fe rend fouvent aux atteliers
des travailleufes, c’eft-à-dire, aux endroits où d’autres
abeilles font occupées, foit à conflruire de nouvelles cel¬
lules, foit à polir &. à border des cellules déjà faites ; elle
leur offre du miel, comme pour empêcher quelles ne
foient dans la néceffité de quitter leur travail pour en aller
chercher.
Tome V
* P!. 30. fig.
S.
; LU
*PÎ. 32.
i. m m n
450 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
Entre les cellules qui ont été remplies de miel, les unes
font delïinées à fournir celui qui elt néceffaire à la con-
fommation journalière des abeilles, & les autres doivent
conferver celui qui fervira à les nourrir dans les temps où
elles iroient inutilement en chercher fur les plantes. Dans
les mois même où plus de plantes font en fleur, & où,
ce qui revient au même, plus déplantés peuvent donner
de la liqueur miellée, il y a des jours où des pluyes abon¬
dantes, d’autres ou des froids trop rudes pour la faifon,
retiennent les mouches dans leur ruche. C’efl alors qu’elles
ont recours au miel deftiné à être confumé le premier.
Celles que leur travail a empêchées de fortir, & auxquelles
le miel qui leur étoit néceffaire n’a pas été offert à temps
par celles qui en ont rapporté de la campagne, les travail-
îeufes, dis je, vont prendre dans des ceiiulcs celui dont
elles ont hefoin..
Mais ce n’efl que dans les temps de grande néceffité,
qu’on touche au miel ffui eft contenu dans un très-grand
nombre de cellules très-aifées à diflinguer des autres. Celles
dont le miel eff comme à l’abandon, lont ouvertes, & les
fig. autres font fermées*. Elles font comme autant de petits
u,u pots de confiture oudefyrop, qui ont chacun leur cou¬
vercle, & un couvercle bien folide, & qui le bouche her¬
métiquement, car il eft fait de même matière que le pot.
Je veux dire, que les abeilles donnent un couvercle de
cire à chacune des cellules qui contiennent le miel quelles
fe propofent de conferver pour leur provifion. Quand la
faifon a été favorable à la récolte de cette épaifie liqueur,
on trouve dans chaque ruche plufieurs gâteaux, dont
toutes les cellules font ainfi bouchées.
Dès qu’on a vu les abeilles bâtir des alvéoles, on ne doit
pas être embarraffédefçavoir comment elles peuvent faire
des Insectes. VIII. Menu 451
un tel couvercle, qui n’ell qu’une lame platte, dont la
ligure ell déterminée par le contour de l’ouverture. Elles
commencent par mettre une ceinture de cire fur le bord
d’un des côtés, & enfuite fur tous les autres côtés. L’ou¬
verture elt rendue plus étroite. Une fécondé ceinture ap¬
pliquée contre la première, réduit l’ouverture à un trou
li petit qu’il peut être bouché par un lcul grain de cire.
On voit pourtant que ce couvercle ne fçauroit être fait
& appliqué fans beaucoup d’adrefle de la part de l’abeille.
La cellule efl pleine de, miel julques a (Tés près du bord,
& il faut non-feulement appliquer, mais conftruire le cou¬
vercle fur la furface de ce miel fans toucher au miel, fans
qu’il mouille la cire que l’abeille met en œuvre.
On pourroit croire queje fais cette difficulté plus grande
qu’elle n’elt, que les abeilles n’ont garde de remplir cha¬
que alvéole julques au bord. Si même on fe rappelle que
les gâteaux font pofés à peu près verticalement, & que la
pofition de chaque alvéole ne s’éloigne pas beaucoup de
i’horifontale, ilfemblera que les abeilles ne doivent pas les
remplir entièrement; que fi elles le faifoient, le miel ne
manqueroit pas de couler hors d’un alvéole, qui refteroit,
comme il relie fouvent, plufieurs jours fans être bouché.
Cette coiffidération m’a fait douter fi les cellules étoient
auffi pleines qu’elles le paroiffent quelquefois; & pour
m’adurer de ce qui en ell, j’ai détaché un morceau de
gâteau qui n’en avoitque débouchées; j’ai enfuite enlevé
fucceffivement le couvercle à plufieurs cellules : je les ai
trouvées auffi pleines qu’il étoit poffible qu’elles lefuflent,
tout au plus près des bords. J’ai obfervé la même choie
dans plufieurs de ces cellules dont j’ai parlé ci-delfus, qui
font bouchées d’un côté par le verre d’un carreau de la
ruche. Comment arrive-t-il donc que le miel ne découle
LU ij
4)2 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
pas Je ces cellules, pendant quelles font ouvertes & pofces
prefqu’horilbntalement ! Le fait eft que réellement le miel
n’en découle pas. J’ai pofé des morceaux de gâteaux, dont
j’avois ouvert les cellules, comme elles le font dans la ruche.
J’en ai pofé d’autres même plus defavantageufement ; ce¬
pendant en 24 heures aucune goutte de miel n’eft fortiede
ion petit vafe. Cette efpéce de crème ou de croûte de miel
que nous avons fait connoître ci-deffus, eft peu coulante,
& aide à retenir le refte du miel qui l’eft davantage. D’aii-
ieurs, fi on fût attention que ie miel eft toûjours une
liqueur épaifle, que le vafe, le tube dans lequel il eft con¬
tenu, a peu de diamètre, & que le miel s’attache bien con¬
tre la cire, on trouvera allés de dénouements de la diffi¬
culté. Si on divife par la penlce la longueur du tube de
cire, en une infinité de petites tranches parallèles à l’ou¬
verture, on jugera que la dernière tranche de miel ne doit
pas être poufiee en dehors, & ainfi de tranche en tranche,
li le poids de chaque particule de la tranche eft foûtenu
contre les particules voifines par fon adhéfion avec elles;
& fi la fortune des efforts que font en avant toutes les par¬
ticules d’une tranche, peut être arrêtée par l’adhéfion des
particules qui en font l’enceinte, contre les parois du tube.
Enfin, on voit affiés que cet effet dépend & du diamètre
du tube, & de la ténacité du miel ; que fi du miel étoit
contenu dans un vafe beaucoup plus grand & fcmblablc-
ment placé, qu’il en couleroit. Les abeilles, comme fi elles
ie fçavoient, ne donnent pas à leurs alvéoles un diamètre
qui mettrait ie miel en état d’en dégoûter.
Si elles prennent la précaution de fermer les cellules
dans lefquelles elles veulent conferver du miel, ce n’eft
donc pas pour l’empêcher de couler dehors; ce n’eft pas
auffi parce quelles craignent de paffier fur des gâteaux
des Insectes. VIII. Mem. 453
dont les cellules ouvertes font pleines de miel ; elles le font
journellement. Qu’on ne croye pas non plus que ce foit
pour le deffendre contre celles qui font gloutonnes & pa-
reiïeufes; qui fe gorgeroient de miel s’il n’y avoit qu’à en
prendre, & pour qui la peine de défceller une cellule eft
quelque choie. Une autre raifon les a engagées à tenir bien
clos le miel qu’elles fe propofent de garder; elles lui veulent
une certaine liquidité, elles n’aiment pas celui qui a pris de
la confiftancc jufques àdevenirdur&grainé. Or tout celui
qui fe trouveroit dans des cellules ouvertes feroit du miel
dur & grainé avant la fin de l’hyver; la chaleur confidé-
rable qui régné dans une ruche, pourroit en peu de mois
faire évaporer la plus grande partie de la liqueur à laquelle
il doit fa fluidité.
EXPLICATION DES FIGURES
DU HUITIEME MEMOIRE.
Planche XXX.
La Figure 1 repréfente en entier lin petit gâteau de cire.
Les plus grands gateaux ont eu une figure approchante
de celle de celui-ci; lorfque les abeilles ont commencé
à les conftruire, ils ont tous été des ovales plus ou moins
allongés. Les fondements d’un très-grand nombre de cel¬
lules, forment le bord de ce gâteau.
La Figure 2 fait voir une cellule a, pofée fur trois autres.
Le contour a, efl rebordé, b t, le tuyau exagone qui fait la
plus longue partie de chaque alvéole.
Dans la Figure 3, on n’a que les bafes de trois alvéoles
vues du côté convexe, b, c } d, ces trois bafes, dont chacune
LU iij
4)4 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
ell formée par trois rhombes; entre ces trois bafes, il y a
celle d’une quatrième cellule, <7, qui efl vue du côté con¬
cave, & qui efl faite de trois rhombes, dont chacun efl
fourni par une des bafes b,c,d. Une épingle paffe ici au
travers de chacun des rhombes qui forment le fond a
d’une quatrième cellule.
La Figure 4 montre le plan de trois cellules, Si de la
quatrième ; la bafe de celle-ci efl faite par le concours
de trois rhombes, dont chacun appartient à une bafe
d’une différente cellule. Cette figure, en un mot, efl la
projeélion de trois cellules vues de fitee par leur ouver¬
ture, au travers defquelles on voit la bafe d’une cellule
appuyée fur celles-ci, Sc qui a fon ouverture du côté
oppofé à celui où efl la leur, b, c, d, les trois cellules
vues par leur ouverture, a, la cellule vue feulement par
la convexité de fa bafe, & dont la bafe efl faite par le
concours de trois rhombes, fournis par les trois cellules
h, c, d. Chacune des trois épingles p, p, p, qui paffent
au travers des rhombes qui forment le fond de la cellule
o, fe trouve dans une cellule différente.
La Figure 5 repréfente en grand, comme les précéden¬
tes, une feule cellule, dont l’ouverture efl embas. e,f g,
les trois rhombes qui, par leur rencontre mutuelle, tom-
pofent la bafe de cette cellule.
Dans la Figure 6, une cellule a, dont l'ouverture efl en
o, efl pofée fur deux cellules b , c ; un des rhombes de la
bafe de chacune de celles-ci, fournit un fupport à un des
rhombes de la cellule a.
La Figure7 fait voir une coupe des trois cellules de la
figure 6. Cette coupe montre comment deux des rhombes
des Insectes. VIII. Mem. 455
de l’avéole a, font appuyés fur deux des rhombes des
alvéoles é&c. Les lignes bd, cd, font communes à deux
alvéoles^
La Figure 8 repréfente de grandeur naturelle plufieurs
cellules de forme irrégulière, qui d’un côté, & de celui
qui eft ici en vue, n’étoient point fermées par des lames
de cire, elles l’étoient par le verre d’un carreau contre
lequel elles étoient appliquées. Plufieurs de ces cellules
font remplies de miel, & quelques-unes ne le font qu’en
partie, c, c, c, &c. coupes des couvercles de quelques-
unes des cellules pleines de miel, a, a, deux abeilles qui
verfent du miel dans deux cellules qui en contiennent
encore peu. p, marque auffi une cellule qui n’a du miel
que jufqu’en p ; & près de p, on peut remarquer la
coupe de la pellicule, de fefpéce de crème qui eft à la
furface du miel. On peut auffi remarquer la pellicule
dans la plupart des autres cellules, comme m,m, & quel¬
ques-unes c, c, &c. ou le miel ne va pas jufqu’au cou¬
vercle.
La Figure 9 montre très en grand, & à peu près dans
fi pofition naturelle, tout le conduit dans lequel paffent
les aliments de l’abeille, le miel & la cire brute. Pour
mettre ce conduit à découvert, on a emporté la partie
fupérieure des anneaux du corps, a, l’anneau où eft l’anus.
c, le corcelet. f, partie du canal, qui peut être regardé
comme un prolongement de l’œfophage. u, le premier
eftomac, ou la vefîie à miel, e, le fécond eflomac, qui
ici eft à peu près contourné comme il l’efl naturellement.
En p, font des fragments des poulinons de l’abeille, que
nous ferons mieux connoître dans l’hiftoire des bourdons
velus.
456 Mémoires pour l’Histoire
Les Figures 1 o, 11 & 12 repréfentent en grand com¬
me la précédente, le canal des aliments de l’abeille, mais
elles le repréfentent dans fon entier, & dans des pofitions
& des états differents, a, dans ces trois figures eft le bout
du corps, l’endroit où eff l’anus, f, partie de l’œfophage
ou du canal, qui, après avoir traverfé le corcelet, fe rend
dans le corps, u, le premier eftomac ou la veffie à miel;
elle eft pleine, figure 1 1, & vuide, figure 1 o & 1 2. e, le
fécond eftomac, qui, dans la figure 1 1 , fait une partie
des plis qu’il Fait naturellement, & qui, dans la figure 10,
cft très-allongé, i, les inteftins, pleins dans la figure 1 o,
vuides dans la figure 1 1, & qui ont été allongés beaucoup
plus qu’ils ne le fônt naturellement dans la figure 12: ils
deviennent néantmoins bien autrement longs qu’ils ne le
’ font dans cette dernière figure, pour peu qu’on les tire
pour les ôter déplace. î, figure 1 o & 1 1, lacis ou frange de
vaiffeaux jaunes qui fe trouvent à la jonction du premier
eftomac avec le fécond. Ces vaiffeaux n’ont point été
donnés à la figure 12.
Planche XXXI.
Les Figures de cette Planche repréfentent en grand des
alvéoles d’abeilles, & quelques autres alvéoles propres à
aider à entendre ce qu’a d’admirable la ftruélure de ceux
pour lefquels les abeilles i'e font déterminées.
La Figure 1 eft celle d’un alvéole dont l’ouverture a
été mife en embas, afin que la pyramide qui en fait le fond,
fut en vue. ape o, un des trois rbombes dont eft princi¬
palement compofée la pyramide, e, & a, font les deux
angles aigus de ce rhombe. o, & p, fes deux angles obtus.
r, & q , les deux autres rhombes, qui, avec le premier,
forment
des Insectes. VIIL Mew. 457
forment en p, l’angle de la pyramide ou du fond de la cellu¬
le. Les rhombes -y, font en tout femblables & égaux au
rhombe ap ë'o. C’eft la perfpeéïive feule qui produit les
différences qui le trouvent dans cette ligure entre les an¬
gles de ce dernier & ceux des autres, ofbc, o cd^, deux
pans de l’exagone, dont le premier eft rectangle jufques en
of,&i dont l’autre l’eft de même jufques en o £. Ces deux
pans pris en entier font des trapèzes aobc, cdco, parce
que l’un fournit lé triangle afo,&. l’autre le triangle c^o,
pour remplir la moitié d’un des angles rentrants de la py¬
ramide formée par les trois rhombes. Les quatre autres
pans de l’exagone font femblables à un des deux qui font
ici en vue.
La Figure 2 fait voir la pyramide compofée des trois
rhombes par fa face convexe, comme elle ell vue dans
la figure précédente, mais tirée de défiais le tube exa-
gone.
La Fig. 3 montre le tube cxagone, duquel la pyramide
delà figure 2, a été féparée. Les angles faillants 0,0,0 ,de
cette pyramide, figure 2, dont chacun efi un angle obtus
d’un des rhombes, le logent dans les angles rentrants 0,0,0,
du tube exagone; & les fommets e, a, a, des angles ren¬
trants de la pyramide, fig. 2, s’appuyent fur les lommets
a,a,a,de s angles faillants du tube exagone, fig. 3. Les trian¬
gles oaf, foa, rempliffent cette même figure, ils remplit-
lent les cavités des angles rentrants de la pyramide.
DanslaFig.4,lapyramide compofée des trois rhombes,
montre fon intérieur, la concavité, au lieu que c’efi fou
extérieur, fa convexité qui eft vûe dans les figures 1 & 2.
La Figure 5 eft deftinée à repréfenter une irrégularité
Tome V . Mmm
4-5B MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
que les abeilles mettent pour l’ordinaire dans la conftruc-
tion de leurs cellules. L’arête a b, formée par deux pans de
î’exagone, ne va pas toujours rencontrer l’angle rentrant
<i, de la pyramide; quelquefois elle rencontre cnf un des
côtés qui forment ce dernier angle; d’où il fuit, qu’un des
pans de l’exagone eft plus grand que le pan auquel il eft
joint, &qu’ainfi le tube n’eft pas un exagone régulier.
La Figure 6 fait voir deux cellules ajuftées l’une contre
l’autre, comme fe trouvent celles de i’aifemblage def-
quelles les geâteaux de cire font formés, bd, l’ouverture
d’une des cellules, gh, celle de l’autre. Un des rhombes
du fond pyramidal d’une de ces cellules, eft appliqué con¬
tre un rhombe du fond pyramidal de l’autre cellule. On
ne voit que le rhombe r, de la cellule gh, &le rhombe f
de la cellule bd ; elles en ont chacune un troifiéme qui
eft caché par la difpofttion des figures, comme il eft aifé
de l’imaginer. On imagine auiïi aifément comment un
des rhombes d’une troifiéme cellule, dont l’ouverture fe¬
rait tournée du côté de bd, pourrait être ajufté fur le
rhombe r;Si comment un des rhombes d'une quatrième
cellule dont l’ouverture ferait tournée vers g h, pourrait
s’appliquer fur le rhombe f
La Figure 7 repréfente une cellule exagone à fond py-
ramidal beaucoup plus allongé, plus aigu que celui pour
lequel les abeilles fe font déterminées, y a 00, yeoo, deux
des trois rhombes dont eft fait en grande partie le fond
pyramidal. 0,0 ; o, o, angles obtus de ces rhombes. a, y; e.p,
leurs angles aigus. Ici ce font des angles aigus qui fe ren¬
contrent au fommet de la pyramide, au lieu que dans la
figure 1, ce font des angles obtus, a b c f; fe de, deux par-
dès reéfanglcs des pans de hexagone, baoc, coed, pans
des’ Insectes. VIII. Mem. 459
de hexagone faits en trapeze, 6c qui fourniffent les trian¬
gles ao f, e fo, pour remplir les angles rentrants de la
pyramide formée par les trois rhombes.
La Figure 8 fait voir le tube exagone de deflus lequel
la pyramide compolëe des trois rhombes a été tirée.
Cette pyramide a été repréfentée féparément, figure 9.
Les angles rentrants 0,0,0, de la pyramide, figure 9, doi¬
vent recevoir les angles faillants 000, du tube exagone,
figure 8, 6c les angles rentrants du tube, a, a, e, les angles
faillants a, a, e, de la pyramide, figure 9. *
La Figure 1 o repréfente un tube exagone à fond plat,
6c dont le fond eft en dedus. Si les pans de ce tube ont
une largeur égale à celle des pans des tubes des figures 1 6c
7,6c que la hauteur a b, de fes pans foit égale au plus long
côté a b, du trapeze abco, qui fait un des pans du tube
de la figure 1, ou au plus long côté 0 c, d’un des trapèzes
oc b a, du tube de la figure 7, M. Kœnig a très-bien dé¬
montré que les capacités de ces trois cellules, figures r,
7 6c 10, font égales, mais qu’il y a plus de cire employée
pour la cellule de la figure 10, que pour toutes les autres
à fond pyramidal; 6c que celle de toutes les cellules où la
cire efî le plus épargnée, figure 1, a chaque angle obtus o,p,
de fes rhombes, de 109 degrés 26 minutes, 6c les angles
aigus e,a ,chacun de 70 degrés 34. minutes; ce font aufîi
ces derniers rhombes que les abeilles font le plus volontiers.
Les Figures 1 1 6c’ii nous donnent les plans de fonds
pyramidaux, faits de quatre figures. Nous aurions pu faire
repréfenter un très-grand nombre d’exemples de ces fortes
de variétés, fi nous enflions fait repréfenter toutes celles
que nous avons obfervées. Car entre les cellules dont nous
Mmm ij
4 60 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
avons vu les fonds, qui, au lieu d’être faits de trois rhom-
bcs égaux, letoient feulement de deux, & de deux au¬
tres pièces à plus de côtés, nous en avons trouvé dont
ies deux rhombes étoient tantôt plus petits & tantôt plus
grands que les deux autres pièces, & cela, en bien des
proportions différentes. Enfin, nous avons obfervé de
grandes variétés entre les figures des pièces du fond, qui
n’avoient pas celle de rhombe.
jI- J o piii?. 4 6e JWiem . g . de Z ïfiet ■ des Insectes ■ Tant
JTaussaj Scu/c?
Fùj.+
J ’/ . - > t i frac; .4.60 Jfem ■ ff ■ de / Histr- des Insectes Tcm . 5 .
ttaSArani JaUf
des Insectes. IX. Mem. 4 6 1
NEUVIEME MEMOIRE.
DE LA FECONDATION,
ET DE LA PONTE
DE LA MERE ABEILLE.
L ’Automne & l’Hyver font ordinairement périr
beaucoup d’abeilles: telle ruche qui, dans le milieu
de l’Eté, fembloit contenir à peine toutes celles qui l’ha-
bitoient, paroît fouvent déferle vers la fin de l’Hyvcr ;
elle efl alors un logement beaucoup trop vafle pour les
mouches qui y font reliées. Mais vers la mi-May, ou vers
le commencement de Juin, cette même ruche ne fuffit
plus à toutes celles qui y font nées; elle peut fournir un
eflaim, une colonie compolée de plufieurs milliers de
mouches, & relier encore alfés peuplée. Cette multipli¬
cation paraîtrait admirable, quand toutes les abeilles qui
ont palfé l’Hyver, y auraient eu part ; elle le devient
bien autrement, lorfqu’on fçait quelle ell due à une feule
mere. Cette mere, que nous avons prouvé* être fi chere * Mémoire
aux autres abeilles, a été connue des Anciens ; mais ils
n’ont pas connu fes véritables, ou plutôt fa feule & unique
fonction. Us lui ont donné toutes les connoilTances,toute
la prévoyance, toute la l'agelfe, en un mot, toutes les qua¬
lités, & même toutes les vertus nécelïaires pour gouverner
un peuple nombreux fur lequel ils lui ont accordé le pou¬
voir le plus defpotique. Us ont penfé que tout ne fe faifoit
dans la ruche que par fes ordres; & ils lui ont mis la force
en main pour faire executer ce qu’elle ordonne. Si des
Mmm iij
462 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
mouches vont recueillir à la campagne, Toit la cire, foie
le miel ; fi d’autres conftruifent des alvéoles dans l’intérieur
de la ruche; fi d’autres rempiiîTent des alvéoles de miel,
6 c fi d’autres bouchent les alvéoles pleins avec un cou¬
vercle de cire; fi d’autres ont foin des vers qui doivent
devenir des mouches ; fi d’autres tranfportent hors de la
ruche toutes les ordures; fi d’autres attaquent les infectes
qui veulent s’y introduire ; enfin, tout ce que font les
abeilles, foit dedans la ruche, foit dehors, on a voulu que
ce fut en conléquence des ordres de la reine ou du roy.
Une tête de mouche qui fuffiroit à tant de vues diffé¬
rentes , feroit une grande & forte tête, & bien refpcétable.
Mais celle de la mere abeiiie eft exempte apparemment
de tous les foins dont on i’auroit dû croire lurchargée.
Si elle régné, c’eft fur des fujets qui fçavent à chaque
inffant ce que le bien de leur lociété exige qu’ils falfent,
6 c qui ne manquent pas de le faire ; ils n’ont jamais
befoin de recevoir des ordres. La feule fonction de la
mere, 6c une fondtion dont l’importance femble connue
des autres abeilles, 6c qui leur rend cette mere fi pré-
cieufe , eft de mettre au jour une nombreufe poftérité.
Quoique cette mouche fe foit fait difiinguer de tout
temps des autres par fa grandeur 6c par fa figure, fon fexe
n’a pas été bien connu des Anciens. Swammerdam eft
même, je crois, le premier des Modernes qui l’ait déter¬
miné fur des preuves inconteftables. La plupart des An¬
ciens ont cru que cette longue abeille ctoit un mâle, &
le feu! mâle de la ruche, 6c ils lui ont donné le nom de
roy. Moufet a adopté ce fentiment, quoiqu’il fçût que
Pline 6c d’autres Auteurs anciens avoient afluré, ou au
moins foupçonné, quelle étoit fémelle, 6c qu’elledonnoit
naiflance à d’autres mouches qui dévoient régner après
elle. Car les Anciens ne laifloient pas de croire que la
des Insectes. IX. Mem. 463
génération des infeéïes, ou de la plupart des infeéïes, fe
faifoit d’une manière analogue à celle dont fe fait la géné¬
ration des plus grands animaux, quoiqu’ils cruffent qu’ils
naiiïoient aufii de corruption. La Fable du Berger Arifiée,
fi agréablement racontée par Virgile, n’a pas empêché cc
Poète célébré de parler des abeilles qui naifloient par une
autre voye, mais qui, dans le fond, n’étoit pas moins mi-
raculeufe. Les Anciens, au refie, 11e s’en font pas tenus
à croire que la chair corrompue du taureau, pouvoit fe •
transformer en abeilles; mais ils ont penfé que c’étoit de
eette chair que les meilleures dévoient venir. Un lion cor¬
rompu en pouvoit fournir de plus courageufes, &même
de trop courageufes ; c’efi de la tête de ce noble animal
que les rois & les princes de ces mouches dévoient, félon
eux, tirer leur origine. Des vaches pourries pou voient
donner des abeilles plus douces & plus traitables ; un fim-
ple.veau n’en pouvoit faire naître que de foibles. Il nous
doit paraître bien étrange, que des elprits d’ailleurs d’une
bonne trempe, fe foient livrés à de pareilles fiéïions : fi
nous euflîons vécu dans leur fiécle, nous eufiîons rêvé
comme eux, & ils raifonneroient comme nous, ou peut-
être mieux que nous, s’ils vivoient dans le nôtre. Nous
devons nous trouver heureux d’être nés dans un temps
ou la raifon eft venue à bout de détruire tant de préjugés,
& où elle nous a montré les routes certaines que nous de¬
vons fuivre pour découvrir la vérité. Nous devons.nous
trouver heureux d’avoir été précédés par un Maître tel
que Defcartes, qui nous a appris à difeuter les idées les
plus reçûes, & à n’adopter que celles qui n’ont rien pour
nous que de clair & d’évident. Quels fervices un feul
homme n’a-t’il pas rendus à tout le genre humain !
Dans des temps donc où l’on croyoit des faits, & où au
moins on les débitoit fans avoir afles examiné les preuves
464 Memoîres pour l’Histoire
qu’on avoit de leur réalité, les uns ont penfé, comme nous
l’avons déjà dit, que les rois étoient des mâles, & d’autres
qu’ils étoient des femelles qui ne donnoient naiffance qu'à
des fémellesqui leur devenoient femblables. Parmi les uns
& les autres, il y en a eu qui ont regardé les abeilles ordinai¬
res comme les mâles, & d’autres qui les ont regardées com¬
me des femelles qui produifoient des abeilles de leur même
{exe. D’autres, & G eorghis Piâorius eft un de ceux-ci, ont
prétendu quelles s’accouploient les unes avec les autres.
Un Auteur Angloisqui a publié unTraité fur ces mouches,
auquel il a donné le titre de AI on archia Fœminina , cft de
ceux qui veulent que les reines mettent des reines au jour.
Si que les abeilles communes foient meres d’abeilles com¬
munes. Ces mouches plus groffes&moins longues que les
reines, que nous avons dit être les mâles, les faux-bour¬
dons, il les fait les enfants des abeilles ordinaires. D’autres
ont regardé ces faux-bourdons comme ne contribuant, en
rien à la génération des mouches d’une ruche, & d’autres, au
contraire, ont voulu qu’ils fufïent des femelles. Quelques-
uns même ont cru que les rois des abeilles dévoient leur
naifTance aux faux-bourdons ; au lieu que Pline donne les
faux-bourdons pour des mouches imparfaites produites par
des abeilles furannées. En un mot, toutes les combinaifons
qui peuvent être faites par rapport au fexe, & au non-fexe
des trois fortes de mouches, l’ont été, & il y en a eu quel¬
qu’une d’adoptée & de donnée pour la vraye par quelque
Auteur.
Enfin, il y a eu beaucoup d’Anciens,& il y a eu même
des Modernes, qui ont nié que les abeilles, d’aucune des
trois fortes connues, miffent au jour, foit des œufs, foit
des vers. Ils ont rendu la génération ordinaire des abeilles
tout auffi fabuleufe que leur prétendue génération extra¬
ordinaire, que celle que l’on faifoit dépendre des chairs
pourries.
des Insectes. IX . Mem . 4 65
pourries. Ariftote nous a appris qu’un fentiment aiïes
ïuivi de fon temps, croit que les abeilles ne mettoient
au jour ni œufs ni vers; & c’efl même le fentiment que
Virgile a préféré: il allure quelles dédaignent les plai-
firs de l’amour, mais qu’aufli les douleurs de l’enfan¬
tement leur font inconnues ; que c'eft fur des plantes
qu’elles recueillent leurs petits. On a prétendu qu’elles
aîloient chercher fur les fleurs, une matière qu’elles por-
toient dans leur ruche après l’avoir rendue propre à être
une femence, d’où fortiroient des vers qui, par la fuite,
deviendraient des abciiies. On a été partagé fur l’efpéce
de plante où les abeilles lçavoient trouver cette mervcil-
leufe matière. Les uns vouioient que ce fût fur les fleurs
du cerinthé, d’autres fur celles de l’olivier, & d’autres fur
celles du rofeau. L’Auteur du Printemps de l’abeille,
Alexandre de Montfort, dit que le roy eft formé du fuc
que les abeilles tirent des fleurs; que les abeilles ordinaires
font tantôt procréées de miel, & tantôt de gomme; que les
tyrans, c’efl à-dire, que les fémelles qui ne parviennent
pas à être fouveraines d’une ruche, 6c les faux-bourdons
font formés de gomme feulement. Croiroit-on que de tels
fcntiments enflent pû fe perpétuer jufqu’à nous ! Néant-
moins un Auteur qui a beaucoup étudié les abeilles,
qui a donné de fort bons préceptes fur la manière de les
gouverner, a fait entrer dans fon petit Ouvrage * une *Trakèj7tf-
Diflertation fur leur génération, dans laquelle il prétend
établir par des raifonnements 6c des obfcrvations, que îyzo. a
cette cire brute que les abeilles apportent à leurs jam- j^l’ T c / us
bes, étoit vivifiée dans la ruche; que comme les vers de
certaines mouches, c’efl fa comparaifon, naiflent de chair
pourrie, de même les vers qui doivent devenir des abeilles
naiflent de la cire brute que la chaleur de la ruche a fait
corrompre.
Tome V.
. Nnn
^66 Mémoires pour l’Histoire
Qu’on nous pardonne de nous être arrêté à rapporter
tant de rêveries; elles font propres au moins à apprendre
combien on eft en rifque de s’égarer, lorfqu’au lieu de
confulter la nature, on choilit entre les idées que l’ima¬
gination fournit, & lorfqu’on prend pour vrayes celles
qui plaifent le plus. Il faut pourtant avouer qu’il y avoit
des difficultés confidérables à vaincre pour s’inftruire de
la manière dont fc fait la génération des abeilles ; mais
on devoit s’en tenir à dire qu’on i’ignoroit, jufques à ce
qu’on eût des observations propres à inflruire. Quand on
n’a pas des ruches vitrées, & même quand on n’a pas des
ruches vitrées d’une certaine forme, on ne fçauroit par¬
venir à voir ce qui fe paffe dedans. Malgré ies ruches
de la cpnftrudtion la plus favorable, certaines opérations
rares, &qui fe font trop avant d'ans l’intérieur, peuvent
échapper à I’Obfervateur le plus attentif & le plus affidu.
Il reffoit néantmoins un moyen fur de déterminer au
moins le fexe de chaque forte d’abeilles, & un moyen
auquel Swammerdam n’a pas manque d’avoir recours, la
diffeélion ; d’examiner les parties intérieures des différentes;
fortes de mouches d’une ruche.
Quoique les parties intérieures d’animaux, auffi petits
que le font la plupart des infeéles, &. que le font nos
mouches, doivent être extrêmement petites, celles que
la nature leur a accordées pour perpétuer leur efpécc,
font pour l’ordinaire aifées à rcconnoître; elles tiennent
beaucoup de place dans la capacité du corps, fouvent
plus que tout le canal des aliments, & que toutes les au¬
tres parties cnfemble. Auffi fi on ouvre le corps de cette
abeille, qui furpaffe fi fort en longueur celui des abeilles
ouvrières, dans des temps favorables, on y trouve des
grains oblongs, très-fenfibles à la vue fimple, & qu’on ne
fçauroit méconnoître pour des œufs, pour peu qu’on air
des Insectes. IX . Mcm . 4 6j
obfervé des œufs d’infeétes. On voit en même temps
beaucoup d’autres grains de moins en moins gros que
les premiers. Enfin , on en apperçoit un nombre prodi¬
gieux de plus petits, & qui, pour être mieuxdiftingu es,
demandent à être cherchés avec la loupe. L’infpeélion
de l’intérieur de cette abeille, apprend donc quelle efî une
mere qui efl en état de mettre au jour une très-nombreufe
poflérité.
Mais, comme je viens de le dire, il faut choifir des
temps pour l’ouvrir, fi on veut lui trouver des œufs bien
formés, bien diflinéls, Sc d’une grandeur fenfible à la vue
fiimple. Il faut prendre les temps où elle efl en pleine ponte.
Tel efl celui où un nouvel elfaim n’a été mis dans une
ruche que depuis huit à dix jours, &. tels font aulfi dans
la plupart des ruches, les mois d’Avril & de May. Si on
ouvre des corps de différentes meres en Hyver, comme
j’en ai ouvert plaideurs fois, ordinairement on n’y trouve
point d’œufs d’une grandeur fenfible; ils y font tous fi petits
que la plus forte loupe peut à peine les faire appercevoir.
Ce qu’il y a de defagréable dans cette expérience, c’efl
qu’en la faifant, on perd une ruche d’abeilles, on perd
cette nombreufe poflérité qui eût été rnife au jour par la
mere qu’on a fut périr fi cruellement; cette poflérité qui
eût travaillé utilement pour nous.
On a moins de regret de faire périr les faux-bourdons,’
leur vie moins importante efl fixée à une durée plus courte,
fouvent à quelques femaincs. Quand on en tient un entre
fes doigts, il arrive quelquefois qu’on voit fortir de fa
partie poflérieure deux cornes charnues *, lifTes, polies, *
humides & jaunâtres,qui, par leurpofition ééleur figure, 5
ont allés l’air de parties deftinées à accompagner celle
qui doit opérer la fécondation. Si on ouvre leur corps,
on le trouve prefque rempli par de gros vaifTeaux blancs
Nnn ij
468 MEMOIRES POUR L’HïSTOIRE
tortueux, accompagnés d’appendices. Ces vaiffcaux ont de
îafolidité,& contiennent une liqueur laiteufe. Toutes ces
parties que nous décrirons mieux dans la fuite, & la liqueur
laiteufe dont elles font pleines, portent à juger qu’elles font
deftinées à rendre les œufs féconds, & à regarder comme
mâles les mouches à qui elles font propres.
Enfin , en quelque temps de l’année que l’on ouvre le
corps des abeilles ordinaires, on n’y trouve aucune diffé¬
rence remarquable. Le canal des aliments eft plus ou
moins rempli ; il a tantôt plus & tantôt moins de miel,
tantôt plus & tantôt moins de cire brute, mais en dehors
de ce canal on ne découvre aucune partie analogue à des
ovaires ; on n’y obferve aucune partie qui contienne des
grains qu’on puifie foupçonner être des œufs; & on n’y
découvre aucune partie analogue aux parties mâles des au¬
tres infeétes. Il paroît donc par i’infpection de l’intérieur
de ces abeilles, & par la comparaifon qu’on en fait avec
celui des meres, & avec celui des faux-bourdons, qu’elles
ne font ni mâles ni femelles, qu’elles font abfolumcnt dé¬
pourvues de fexe. Ce que l’anatomie nous fait connoître
par rapport à l’état de chacune de ces trois fortes de mou¬
ches, peut encore être confirmé par des obfervations déci-
fives faites fur des mouches en vie.
La mere abeille le lient ordinairement dans l’intérieur
de la ruche, dans quelqu’une de ces efpéces de places ou
de rues que biffent entr’eux deux gâteaux. Si elle en fort,
fi elle fe rend fur la furface extérieure d’un des gâteaux
qui font en vue, cen’eft que dans des cas rares, mais qui
font ceux où l’on doit être plus curieux de t’obferver.
Elle n’y vient que lorfquc les cellules dont il eft compo-
fé,ou au moins plufieurs de ces cellules font vuides.Elîey
vient pour pondre des œufs dans quelques-unes de celles-
ci. Dès que cela eft fait, elle retourne dans l’intérieur de
des Insectes. IX. Menu 469
fon palais. Quoique ces temps foient rares & cl’a fi es courte
duree, ils font moins difficiles à faifir qu’on ne le croiroit.
Quand on a des ruches vitrées & confiantes favorable¬
ment, qu’on en aille obfervcr une où un effiaim n’efl logé
que depuis peu de jours, & qu’on l’obferve à différentes
reprifes depuis fept à huit heures du matin jufques à dix,
on ne fera pas beaucoup de jours fans y voir la mere
occupée à pondre; du moins m efl-il (buvent arrivé de
l’y voir dans de pareilles circon flan ces. L’ardeur avec la¬
quelle les abeilles travaillent dans la ruche où elles font
nouvellement logées, efl incroyable. Nous dirons ailleurs
que des gâteaux de cire affés grands, longs de plus de huit
à neuf pouces, font quelquefois l’ouvrage d’une feule jour¬
née. Ce n’efl pas principalement pour avoir des alvéoles
où elles puiffent mettre du miel en provifion, qu’elles re¬
doublent alors d’activité; un motif plus puiffant paraît
les animer. Elles femblent fçavoir que leur reine efl preffée
par le befoin défaire des œufs, & il faut une cellule à cha¬
cun de ceux qu’elle efl prête à pondre. Auffi fi on exa¬
mine les cellules nouvellement faites, il y en auraplufieurs
dans chacune defquelles on découvrira un petit corps
blanc *, arrondi, mais oblong, & qui efl comme piqué par * pj. ,5. $
un de fes bouts dans l’angle folide de l’alvéole, ou au
moins tout auprès dans une des couiiffes formées par
deux des rhombes qui concourent avec le troifiéme à
former l’angle folide. Ce petit corps efl un œuf qui efl
en l’air, & plus ou moins incliné à l’horifon, car ce
n’efl précifément que par un de fes bouts qu’il efl arrêté
au fond de l’alvéole. Les ouvrières ont beau faire de la
diligence dans ces premiers temps, elles ont quelquefois
peine à fuffire à la fécondité de la mere. Auffi va-t-elle
quelquefois dépofer fes œufs dans des cellules qui ne
font encore qu’ébauchées, dans des cellules dont les pans
N n 11 iij
47 ^ MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
de hexagone n’ont pas encore à beaucoup près la longueur
qu’ils doivent avoir, & qu’on ne manque pas de leur
donner dans la fuite. Mais ordinairement le travail des
abeilles fournit à la mere plus de cellules qu’il ne lui en
faut. Auprès de chacune de celles où elle a lailfé un œuf,
on en remarquera fouvent un grand nombre qui font
parfaitement vuides ; plufieurs de ces dernières auront
des œufs à leur tour, & peut-être dès le lendemain. Si on
épie le moment favorable, on furprendra la mere dans le
temps où elle fera occupée à donner à chacune de celles-
ci , l’œuf qu’elle eft deftinée à recevoir.
Mais fi l’on veut raffembler les circonflances les plus fa¬
vorables pour faire voir la mere dans la plus importante
de fes opérations, on logera un effaim dans une de ces
*Pï. 23.% ruches extrêmement plattes*, que nous avons décrites dans
^ le cinquième Mémoire ; dans une de ces ruches, dont l’é-
paifTeur ne permet aux abeilles que de placer deux gâteaux
l’un vis -à-vis l’autre, &où elles font obligées de compen-
fer par l’étendue de chaque gâteau, ce quelles ne peuvent
avoir par le nombre. Non-feulement les occafions d’obfer-
verla mere abeille font par-là beaucoup multipliées, mais
on cft à portée de la voir de plus près, parce que les deux
gâteaux l'ont nécefîairement placés très-proche des car¬
reaux de verre. C’elt aulli fur-tout dans des ruches de cette
cfpéce, que j’ai vû, autant de fois que je l’ai voulu, la
mere dans le temps qu’elle faifoit fa ponte. Je l’ai vûé
aufii dans des ruches vitrées d’une autre forme, & il pa-
roît quelle y a été très-bien vue par M. Maraldi. Si j’ai
indiqué le matin, comme le temps le plus favorable, c’ell
que dans une année où je fuis parvenu bien des fois à
furprendre des meres dans cette importante opération, de¬
puis le 29 Avril jufques au 3 1 May, ç’a toujours été de¬
puis fept à huit heures du matin jufques à dix. Je ne veux
des Insectes. IX. Mem. 471
pas pourtant faire penfer, & je ne penlè pas que ces heures
l'oient les feules du jour qui y l'oient dcïtinées ; beaucoup
d’autres heures y font peut-être egalement bonnes, fans
en excepter celles de la nuit.
Il ne le palfe rien de bien fingulier pendant que la
mere fait fa ponte; car ce îfelt plus une fmgularité, après
tout ce que nous avons rapporté ailleurs, devoir d’autres
mouches lui faire cortege; elles le lui font en tout temps.
Le cortege que je lui ai vû alors , a été quelquefois plus,
quelquefois moins nombreux. Allés fouvent, il a été
compofé d’une douzaine de mouches; mais quelquefois
il a été lî mal fourni, qu’il étoit à peine compofé de
quatre à cinq. Celles qui lêmblcnt faire alors leur cour
à leur fouveraine, font à peu près difpofées en cercle
autour d’elle, & toutes ont la tète tournée vers elle.
Cette mouche fi cherie, quoique preffée alors par le
befoin de faire fes œufs, marche alfés lentement, ou,
comme on l’a voulu, gravement. Elle regarde dans les
cellules fur lefquclles elle palfe, elle fait entrer fucceflive-
ment fa tête dans l’ouverture de pluficurs. Quand après
avoir examiné l’intérieur d’une cellule, elle a reconnu
quelle étoit vuide & nette, & quelle l’a trouvée à fort
gré, elle fe retourne bout par bout; elle y introduit fon
derrière, & l’y fait avancer jufques à ce qu’une partie con-
fklérable de fon corps y foit logée; c’eft-à-dire, jufques à
ce que fon derrière foit alfés près du fond de la cellule,
pour que l’œuf qui va fortir puifle y être appliqué par
lin de fes bouts. Il fort enduit d’une matière vifqueufe qui
colle contre la cire la partie qui la touche.
Un œuf ejl pondu & mis en place dans un infant. A
peine la mere s’elfelle enfoncée autant qu’elle a voulu
s’enfoncer dans une cellule, qu’elle en fort pour aller
faire la même manœuvre dans une cellule voifine ; & ainfi
47- MEMOIRES POUR L ? HlSTOIRE
Je celluie en cellule: c’eft-à-dire, qu après s’étre afîùrée
qu’une cellule cil vuide & propre, elle entre dedans par
fâ partie poftérieure, & quelle y laide un œuf. Je liai
jamais vû aucune de ces mouches venir commencer fa
ponte devant moi. Les ruches vitrées ont des volets de
bois qu’il faut ouvrir pour voir les gâteaux de cire. Quand
on les ouvre, 1 intérieur fe trouve plus éclairé, & cette
augmentation de lumière qui peut par elle-même déplaire
à la merc mouche, lui fait découvrir un fpeélateur devant
lequel elle ne cherche pas à paroître. Je n’en fuis pour¬
tant pas plus difpofé à croire que ce foit la pudeur qui la
retienne. Je ne fçais comment on s’efl prêté à accorder
une telle vertu à des infeétes, quelque riante qu’en foit
l’idée. On a même voulu nous faire penfèr que les abeilles
ordinaires étaient très-inftruites de ce que leur reine ati-
roit à fouffrir fi elle n’étoit pas cadrée pendant une opé¬
ration qui fe doit paffer dans les ténèbres. Nous avons dit
ailleurs que les abeilles en s’accrochant les unes aux autres,
fçavent former des maffes de cent figures différentes. On
a prétendu que dans le temps dont nous parlons, elles fe
dilpofoient devant la mere en efpéce de rideau. Mais à qui
veulent elles cacher leur reine! Par qui pourrait-elle être
vue ordinairement que par des abeilles telles que celles
qui la cachent ! Enfin , s’il y avoit pour une mouche de
findécence à frire des œufs, toute indécence ferait fàuvée
dès que la partie d’où ils fortent eft cachée dans la celiule,
& que la mere eft alors pofée comme le font en tant d’au¬
tres cas les abeilles ordinaires qui entrent dans des cellules
le derrière le premier. H peut y avoir des mouches difi
polées en rideau pendant que la mere pond ; mais ce
n’eft pas parce quelle pond qu’elies font difpofées de
ia forte. Je n’ai jamais vû de pareils rideaux le former,
pour me dérober la mere qui étoit occupée à pondre.
des Insectes. IX. Mem. 473
A la vérité ii eût été quelquefois difficile aux abeilles de
prendre cet arrangement dans mes ruches plattes ; mais
j’ai vû pondre des meres dans d’autres ruches. Il y a plus,
j’en ai quelquefois vû pondre une dans des cellules qui
étoient très - proches des carreaux de verre, pendant
quelle négligeoit des celiules vuides qui en étoient affiés
éloignées. Ce n’étoit donc pas par néceffité que cette
mere avoit renoncé à la pudeur.
O11 nous a donné auffi le temps où la reine fait fes
œufs, pour un temps de fête 6c de réjouifïance; fi cela
étoit, ce petit peuple feroit trop heureux, ii feroit pres¬
que toûjours en joye, car la mere pond dans la plûpart
des mois de l’année. A force de fe réjouir, il courroit
pourtant rifque de périr de faim. Dans les plus grandes
monarchies, pendant que la reine donne à l’état un hé¬
ritier défi ré, les artifans font occupés dans leurs bouti¬
ques à leurs travaux ordinaires; le peuple ne fçait rien de
ce qui fe paffie alors d’important au palais de fon roy, ou
agit comme s’il n’en fçavoit rien. II en eft.de même dans
chaque monarchie d’abeilles. De même les travaux de la
ruche ne font point interrompus pendant la ponte de la
mere; on y apporte le miel 6c la matière de la cire, on
conffiuit, on polit des cellules tout comme à l’ordinaire.
Si pourtant on veut appuyer fur une comparaifon fort
honorable à nos abeilles, on aimera peut-être à trouver
une forte de parité entre les mouches qui font cortège à la
mere dans des moments fi importants, avec les grands qui,
par leur rang 6c leur place, doivent être inffruits les pre¬
miers du prélènt que la reine va faire à l’état. Les mouches
au moins qui font alors autour de la mere, cherchent
à fe rendre agréables. On ne peut prendre que pour des
efpécesd’hommages, ou que pour des careffes préférables
aux hommages, les mouvements quelles font faire à leur
Tome V. . O o o
474 MEMOIRES POUR L’HlSTOÏRE
trompe pour la lécher, la frotter doucement, la nettoyer,
&pour lui offrir du miel très-pur, fi elle en a befoin.
Après avoir vû une mere entrer fucceffivement le der¬
rière le premier dans deux ou trois cellules, & après avoir
découvert avec ma loupe l’œuf qu’elle avoit laiffé dans
chacune, je l’ai vûe quelquefois fe tenir tranquille pen¬
dant fix à fept minutes; c’étoit alors que redoubloient les
careffes des mouches de fa petite cour. C’étoit alors fur-
tout qu'elles la iéchoient avec leur trompe, & qu’elles
déchoient principalement fesderniers anneaux, apparem¬
ment pour les nettoyer. Deux ou trois mouches y
étoient occupées à la fois. Je n’ai guéres obfervé qu’elle
ait pondu plus de cinq à fix œufs de fuite fans prendre
élu repos, & ordinairement elle en a pondu au plus huit
à dix devant moi; foit que je n’aye jamais commencé à
i’obferver que quand fa ponte du jour étoit avancée, foit
que le grand jour & ma préfence la déterminaffent à par¬
tir, elle rentroit alors entre les gâteaux, peut-être pour y
chercher des alvéoles vuides qui fuffent moins à décou¬
vert.
Il y a des temps où la mere paffe des jours, & fans doute
bien des jours de fuite fans foire des œufs, mais ce n’eft
pas au Printemps; c’eft alors qu’eft le fort de fa ponte.
Dans cette faifon, elle ne foit pas apparemment fortirde
fort corps le même nombre d’œufs dans chaque journée;
& il n’eft pas poffible de déterminer le nombre de ceux
qu’elle en fait fortir dans la journée où elle en pond le
plus ; mais on peut juger combien elle en pond com¬
munément par jour dans cette faifon, combien alors fo
fécondité eft grande, par le nombre des mouches qui
conapofent un effaim qui prend l’effor vers le 20 ou le
2.5 de May. Lorfqu’ii eft fojti de la ruche, cette ruche
cft fouYem auffi peuplée ou plus peuplée qu’elle i etoit
des Insectes. IX. Mem. 475
au commencement de Mars. Leffaim, fans être des
forts, peut être compofé de plus de 12000 abeilles. La
mere a donc pondu plus de 12000 œufs dans moins de
deux mois, dans partie de celui de Mars, & dans celui
d’Avril, car les 20 jours qui relient du mois de May,
ne doivent pas être comptés; c’eft pendant ces 20 jours
que les abeilles de l’eflaim qui fe lont transformées les
dernières, ont pris leur accroilTement ; elles ont dû naître
d’œufs pondus vers la fin d’Avril ou le commencement
de May. Si pour avoir un terme moyen, on divife par
60 les 1 2000 œufs qui ont été pondus en moins de deux
mois, on trouve que la mere a dû pondre chaque jour de
ces deux mois environ 200 œufs. Quelque confidérable
pourtant que foit cette fécondité, nous avons donné un
exemple d’une fécondité beaucoup plus grande* dans une *7W iv.
mouche vivipare à deux ailes, puifque nous avons compté P a & e 4 l 7 ^
plus de 20000 vers vivants dans fon corps, dont chacun
devoit par la fuite devenir une mouche lèmblabie à celle
dans le corps de laquelle il étoit contenu.
La fécondité de la mere abeille a cependant encore de
quoi paroître merveilleufe ; & peut-être aura-t-on même
peine à croire qu’elle aille jufqu’où nous venons de la
porter. On fe preffe peut-être de nous faire une objec¬
tion. On demande quelle certitude nous pouvons avoir
que c’efi la mere abeille qui a fait tous les œufs qui ont
fourni un elïaim de mouches. On nous accordera volon¬
tiers que la mere pond ; mais on 11e nous accordera pas
qu’elle ponde feule. On demandera quelle certitude on
peut avoir que les abeilles ordinaires 11e font pas chacune
au moins quelques œufs. On pourra ajoûter que celles-ci
entrent quelquefois dans des cellules le derrière le pre¬
mier, comme y entre la mere; qu’on en trouve des cen¬
taines de mortes dans cette pofition dans les ruches dont
O00 ij
476 Mémoires pour l’Histoire
les mouches font péries de froid ou de faim. On peut
avoir du penchant à penfer que fi les grandes abeilles,
celles qu’on appelle des reines, mettent au jour des œufs,
ce ne font que de ceux qui donnent des reines, & que les
abeilles ordinaires doivent faire des œufs qui donnent des
abeilles ordinaires. Enfin, la preuve anatomique que nous
avons rapportée, peut n’avoir pas affés de force fur ceux
qui n’imaginent pas poffible de bien diftinguer les unes
des autres, les parties intérieures d’animaux fi petits, lis pen-
feront volontiers que quatre à cinq œufs à peine vifiblcs,
& les parties qui les renfermeroient, pourraient très-bien
échapper à l’Obfervateur. Or il fuffiroit pour fournir à
un effaim, que chaque abeille ordinaire pondît quatre à
cinq œufs. Mais dans cette fuppofition, la mcre ne met¬
trait au jour que des fémeiles ; cette conféquence offre un
moyen de fe convaincre que la fuppofition, quoiqu’affés
vraifemblable, n’efi pas vraye ; on n’aura qu’à remarquer les
cellules dans lefquelles on aura vû pondre une mere. Des
œufs qu’elle aura laiffés dans les cellules d’une grandeur or¬
dinaire, naîtront des vers qu’on verra dans la fuite fe trans¬
former dans des abeilles ouvrières, dans des abeilles de la
plus petite taille. La longue abeille, celle qui efi décorée
du nom de reine, elt donc la mere des abeilles communes.
Si ces dernières abeilles en pouvoient produire de telles
qu’elles font, la nature n’eût pas mis la reine en état de
donner naiffance à ces fortes de mouches.
Enfin, nous avons parlé ailleurs de cellules plus grandes
que les cellules ordinaires, dont font compofés certains
gâteaux ou certaines portions de gâteaux, & nous avons
dit que ce font les cellules dans lefquelles croiffcnt les vers
qui fe transforment dans les groffes mouches, que nous
nommons les mâles. II lèra encore aifé de s’affurer que
ecs vers fortent d ’œufs ponduspar la reine, qui, en un
des Insectes. IX. Mem. 4.77
mot, & dans le fens naturel, eft la mere de tout l'on petit
peuple, ou au moins de toute la partie du peuple qui naît
élans fa ruche.
Cette mouche femble avoir des connoidances bien fin-
guliéres, &desconnoiiïancesque je lui ai entendu envier
par des dames: elles étoient choquées & fe plaignoient de
ce que la mere abeille femble fçavoir quelle forte de mou¬
che doit naître de l’œuf qu’elle va mettre au jour, pu if-
qu’elle fe donne bien de garde de pofer dans une cellule à
mâle, dans une grande cellule, un œuf d’où il ne doit
venir qu’une abeille ordinaire, & qu’elle ne lailfe jamais
dans une petite cellule, dans une cellule ordinaire, un œuf
qui doit donner un faux-bourdon. Les dames dont je parle,
trouvoient mauvais que la nature eût b bien inftruit de
fimples mouches, pendant quelle leur lailfe ignorer de quel
fexe eft l’enfant quelles doivent mettre au jour. Les œufs
auxquels les plus grolfes mouches doivent leur naiflance,
font plus gros que ceux qui la donnent à des mouches plus
petites. La mere eft apparemment douée d’un fentiment
qui lui apprend quand l’œuf quelle va faire fortir elf plus
gros que les œufs ordinaires, & qu’il doit être mis dans
une grande cellule.
Outre les deux fortes d’œufs dont nous venons de par¬
ler, on doit penfer que la mere mouche a encore à en
pondre d’une troifiéme forte. Ce ne leroit pas affés quelle
donnât nailîànce à plufieurs milliers de mouches ouvriè¬
res, à plufieurs centaines de mâles, elle doit la donner à
d’autres mouches propres à devenir desmeres, à d’autres
mouches qui perpétuent fefpéce. Il faut quelle ponde au
moins un œuf, d’où nailTe l’abeille qui conduira hors
de la ruche trop peuplée une colonie qui ne fubfdleroiî
pas fans cette mouche. La mere doit donc pondre, &
pond des œufs d’où doivent fortir des mouches propres à
O o o iij
478 MEMOIRES POUR L’HîSTOIRE
être meres à leur tour. Elle le fait, & nous allons voir
que les travailleufes paroiffent fçavoir quelle le doit faire.
Dans la rigueur, il fuffiroit qu’il naquit chaque année
dans chaque ruche autant de meres mouches qu’il en fort
d’efiaims ; mais le nombre des meres qui y naiffent, efl;
fouvent beaucoup plus grand que celui des e(faims qui
en fortent. La nature ne paroît pas s’être embarraftee de
l’œconomie par rapport à la multiplication des êtres orga-
nilés. Combien de millions de graines d’ormes font per¬
dus chaque année, pour une qui donne un germe qui
parvient à être un grand arbre! Entre les milliers d’œufs
jettés dans l’eau par une carpe, combien y en a-t-il peu
dont les embryons deviennent de grandes carpes ! Nous ne
trouverons pourtant pas d’exemple d’une pareille prodiga*
lité dans le nombre des œufs de la mere abeille, propi es à
donner d’autres meres abeilles. Elle n’a pour l’ordinaire à
en pondre que i y à 20 par an ; quelquefois elle n’en pond
que 3 ou 4, & quelquefois elle n’en pond point du tout ; &
dans ce dernier cas, la ruche ne donne pas d’effaim.
Les abeilles ouvrières à qui les meres font fi cheres,
paroiffent auffi s’intéreffer beaucoup pour les œufs qui en
doivent donner, & les regarder comme bien importants.
Elles conftruifent des alvéoles particuliers où ils doivent -
être dépofés. Elles ne fe contentent pas comme pour les
œufs d’où fortent les mâles, de faire des alvéoles plus
grands que ceux des mouches ordinaires, mais d’ailleurs
conftruits fur le même modèle ; elles abandonnent leur
architeéïure ordinaire, quand il s’agit de bâtir des loge¬
ments dans lelquels doivent être élevés des vers qui de¬
viendront des mouches reines. Elles ne font point alors
des alvéoles exagones; elles en conftruifent d’une forme
moins propre à nous plaire, mais qui paroît peut-être
plus belle aux abeilles. Elles leur donnent une figure
des Insectes. IX. Mem. 479
arrondie Sc oblongue * plus grolfe près d’un de Tes bouts * pi. p g .
qu’à l’autre, & dont la itirface extérieure eft pleine de pe- 2 • ro -
tites cavités. Si les abeilles ne nous parodient pas avoir
été occupées de la beauté & de l’élégance de ces cellules,
elles doivent nous paroître avoir été très-attentives à leur
procurer delà folidité ; elles leur en donnent tant, qu’elles
en femblent mal faites, qu’elles en femblent lourdes Sc
maffives.
La cire qui eft employée avec une œconofnie fi géo¬
métrique dans la conftruéïion des cellules exagones, eft
employée avec profufion dans celle des logements où les
reines doivent être élevées; rien ne coûte alors aux abeilles.
J’ai pefé une de ces cellules qui méritent d’être diftinguées
des autres par l’épithete de royales, contre des cellules
exagones, Sc j’ai vû qu’il en falloit environ cent de ces
dernières pour égaler le poids de l’autre. Cependant la
cellule royale n’étoit pas encore finie, elle n’avoit pas
toute fit longueur, Sc n’étoit pas de celles qui font les plus
grandes ; je crois qu’il y en a telle qui pefie autant que
i 50 cellules ordinaires. Après tout, ce n’efi pas trop que
la dépenjp faite pour bâtir une efpéce de louvre, ou au
moins une maifon royale, furpalfe 100 ou 150 fois celle
que demande la conftrudion d’un fimple logement de
particulier.
Les abeilles ne parodient pas non plus chercher à mé¬
nager le terrein, quand il s’agit de placer une de ces cel¬
lules qui doit être le berceau d’une reine. C’eft quelquefois
furie milieu même d’un gâteau qu’elles iapofent *, comme * Fig. ?. h t >.
s’il lui convenoit d’avoir une place diftinguée. Plufieurs
cellules communes font facrifiées à lui fervir de bafe& de
fupport. Le plus fouvent les cellules royales pendent du
bord inférieur d’un gâteau ordinaire *, comme les flalac- * Fig. ?, re ,
îitespendent de la voûte des cavernes. Il y en a quelquefois co >
4$0 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
*pi. 52. fi g. qui pendent de meme le long d’un des côtés d’un gâteau
;• ’ r c, ' o .f i f ' s ‘ qui ne touche pas les parois de la ruche. Ce qui ma paru
très-confiant, c’efi que leur gros bout eft en haut, & que
leur longueur, leur axe eft dans un plan vertical, de forte
que leur longueur eft prefque perpendiculaire à celle des
cellules ordinaires. Les figures qu’a données Swammerdam
des cellules royales, feroient prendre une toute autre idée
de leur pofition. Cependant cette pofition n’efi pas fans
doute indifférente, & il s’enfuit une fingularité que nous
aurons lieu de faire plus remarquer dans un autre Mé¬
moire ; c’eft que la nymphe qui doit fe transformer dans
une fémelle, eft tout autrement pofée que la nymphe qui
doit fe transformer dans une abeille ouvrière, &que celle
qui fe doit transformer dans un mâle. La première a pré-
cifément la tête en embas, pendant que les autres font
pofée horilontalement, & même un peu en enhaut.
Quand une cellule royale n’cft encore que commencée,
^Ejg. 3.g,g, e j| e 3 a fïe S la figure d’un gobelet *, ou plus précifément
1 ° r ' 0l ce jj e t p un c { e ces calices defîinés à contenir un gland, &
d’où le gland eftforti. Quelquefois ce calice, comme celui
du gland, a un pédicule ; mais à mefure que les mouches
prolongent la cellule, elles lui font perdre cefte figure.
Loin de la tenir evafée, elles la rétréciffent de plus eu
plus, de forte que le bout inférieur eft plus menu que le
* Fig. 1. 0, fupérieur. Elles laiffent ce bout inférieur ouvert * juf-
ques à ce que le temps de le fermer foit venu, ce qui
n’efi que lorfque le ver qui a cru dedans, eft prêt à fe
métamorphofer. Elles donnent à plufieurs de ces cellu¬
les diftinguées 1 5 à 16 lignes de longueur. La furface
de celle qui n’eft encore qu’ébauchée, qui a encore la
*Ug-4. 0. figure d’une coupe, eft affés fouvent liffe *; par la fuite
elle devient raboteufe; il femble que les abeilles bayent
fculptée en efpécc de guilochis. Ce pourroit être plutôt
pour
des Insectes. IX. Ment. 481
pour la fortifier que pour l’orner, qu’elles y auroient atta¬
ché de petits cordons de cire. Mais ces cordons font faits
pour une autre fin, ce font les fondations grofliéres de
cellules ordinaires; c’efi de quoi quelques faits m’ont inl-
truit. J’avois été embarralTé pour les abeilles ouvrières des
cellules royales qui pendoient au bas des gâteaux * ; il me * PI- 3 ^-
paroilfoit que ces cellules dévoient les incommoder par la *’
fuite, lorfqu’il s’agiroit de prolonger la partie du gâteau
d’où elles pendoient. Mais j’ai oblèrvé que les ouvrières
attendent à allonger ce gâteau jufqu a ce que les femelles
loient forties des alvéoles dans lefquels elles font nées.
Alors elles raccourcifient les cellules royales, & elles en
bêtifient de communes defiùs, pour étendre le gâteau;
celui-ci fe trouve feulement un peu plus épais qu’ailleurs,
avoir une efpéce de nœud dans chacun des endroits où il
y a eu une cellule royale. C’eft ce que j’ai vû pratiquer à
des abeilles dont j’ai parlé dans le cinquième Mémoire,
auxquelles j’avois donné des portions de gâteaux d’où
pendoient des alvéoles où il y avoit des vers ou des nym¬
phes qui dévoient devenir des mouches fémelles. Ceci ap¬
prend qu’il y a telle faifon où on ne retrouvera plus dans
une ruche les cellules royales qui y étoient au Printemps.
C’efi donc dans chacune de ces cellules plus longues
& plus folides que les autres & d’une autre forme, que la
mere abeille pond un œuf dont l’embryon doit devenir
avec le temps une mouche capable de pondre à fon tour.
Il faudrait que les abeilles ordinaires fçuiïent combien il
y a de ces œufs dans le corps de leur reine, fi elles fai-
foient un nombre de cellules qui fût exactement égal à
celui de ces œufs. Elles fçavent tant de chofes, quelles
pourraient bien encore fçavoir cela. Ce que je crois cer¬
tain, c’efi quelles font au moins autant de ces fortes de
cellules que la mere a befoin d’en trouver de faites, &
Tome V . P p p
482 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
peut-être en font-elles plus qu’il 11e lui en faut. Je 11’en
ai vû que deux ou trois dans quelques ruches, & j’en ai
compté jufques à 40 dans d’autres.
Quand on fe rappelle que les abeilles ordinaires bâ-
tiffent des cellules de trois efpéces, & quelles femblent en
proportionner le nombre à la quantité de chaque forte
d’œufs qui doit être pondue par la mere, on ch tenté de
les croire douées de quelque fcns qui les infhuit de la
quantité de chaque forte d’œufs, qui doit paraître au
jour. On a perfuadé, il y a quelques années, à ceux qui
font trop avides de prodiges, qu’une fille de Lilbonne
avoit une vue qui perçoit au travers des objets les plus
opaques pour nous ; qui lui faifoit difiingucr h le fœtus
contenu dans le ventre de la mere étoit mâle ou fé-
melle ; ceux qui ont été afies crédules pour recevoir un
pareil fait comme vrai, n’héfiteroient pas apparemment
à penfer que les abeilles ouvrières ont des veux qui voyent
&difiingucnt les uns des autres, les œufs renfermés dans
les ovaires de la mere.
Au refie, le nombre des cellules obfongues & arrondies
efi toujours fi petit dans chaque ruche, & elies font pla¬
cées dans des endroits fi fréquentés,qu’on ne fçauroit fe
promettre de furprendre une mere pendant qu’elle efi oc¬
cupée à pondre dans quelqu’une de ces cellules. Mais en
cfi-il befoin ! Dès qu’on s’efi bien afitiré qu'il n’y a dans
chaque ruche qu’une mouche qui donne naiflfance à tant
d ouvrières & à tant de mâles, il n’efi pas permis de douter
quelle ne la donne à quelques abeilles qui, comme clic,
doivent être des nières. Ce que l’imagination ne nous per¬
met d’accorder qu’avec plus de peine, c’efi que toutes ces
abeilles nécefiàires pour compofer un nombreux eflaim,
ayent pu être mifes au jour en fept à huit femaines par
une feule mouche: mais fi on ouyre le corps d’une mere
des Insectes. IX. Mem. 483
dans un temps convenable, on ic trouvera rempli dune
fi prodigieufe quantité d’œufs, qu’on ceffera d’être furpris
du nombre des abeilles qui naiifènt d’une tcuie reine, fur-
tout li on penfe qu’outre les œufs actuellement vif blés,
il y en a un nombre beaucoup plus grand de ceux qui n’ont
pas encore acquis la grolfeur qui peut les rendre lenfibles
à nos yeux.
Les œufs de la mere abeille, comme ceux de tant d’au¬
tres mouches dont nous avons parlé, & comme ceux des
papillons, font diftribués en deux ovaires, dont l’un clt à
droite & l’autre à gauche. Swammerdam a donné très en
grand une figure de ces ovaires de la mere abeille, qui m’a
paru fi bien entendue, que j’ai mieux aimé m’en tenir à
la faire paraître réduite *, que d’en faire defiîner une nou- * PI 32.
velle qui aurait pu n’être pas aulfi parfaite que la fienne. s '
J’ai adopté avec plaifir fa figure, comme j’ai adopté ail¬
leurs celle de Malpighi qui repréfente les ovaires du pa¬
pillon fémclle du ver à foye. D’ailleurs pour Lire de/finer
une nouvelle figure des ovaires de la mere abeille, j’euffe
été obligé de faire périr piufieurs meres, & on ne fe réfoud
que dans une grande nécelfité à en tuer même une feule,
quand on penfe au nombre des mouches auxquelles elle
alloit donner la vie ; & quand on penfe qu’en la faifant périr
on condamne à mourir bientôt tant de milliers de mou¬
ches qui habitoient avec elle.
Chaque ovaire * d’une mere abeille, reflemble dans * f;
l’effenticl à un de ceux de diverfes autres mouches, & f 00
b c c c c t%
en particulier, à un de ceux des cigales qui a été repré-
fenté dans ce volume, planche 19 figure 10. Je veux dire
que l’ovaire de la mouche à miel eft un alfemblagc de
vaiffeaux *, qui tous tirent leur origine du même en- *aeet
droit *, cjui tous vont aboutir à un canal commun *, & * a -
qui tous font remplis d’œufs dans le temps de la ponte. * te ‘
PPP ij
C/q
484 Mémoires pour l’Histoire
J’ai cru obferver une efpéce de refervoir charnu, un vaif-
feau extrêmement gros en comparaifon de chacun de ceux
qui compolent l’ovaire, d’où tous ceux-ci partent. Quand
on ouvre une mere dans des temps où celui de fa ponte
eft encore éloigné, comme j’en ai ouvert plufieurs en
Hy ver, & dans d’autres faifons, alors les vaiffeaux de cha¬
que ovaire ne forment qu’une efpéce d’écheveau, ou plu¬
tôt de paquet de fis pofés les uns contre les autres, &
parallèlement les uns aux autres, & de fils plus déliés que
les cheveux, auffi fins peut-être que des fils de vers à foye.
Au moyen d’une loupe très forte, on y apperçoit pour¬
tant de petites inégalités, ori croit voir à chaque fil de
petits nœuds. Mais quand la mouche efi en pleine ponte.
Ion corps ne femble être rempli que d’un nombre prodi¬
gieux de differentes files d’œufs, qui,de la partie antérieure
du corps, fe rendent à la partie pofférieure. Les œufs les
plus proches de celle-ci, font longs, & tels que ceux qu’on
peut obferver dans les alvéoles de cire; mais ceux qui font
*PI. 32.fig. plus près de la partie antérieure*,font plus courts, ils ont
a ‘ line figure plus approchante de celle des œufs qui nous
*b,c, c,c. font les plus connus. Les premiers œufs *,ou, plus exacte¬
ment, ceux qui paroiiïcnt être les premiers de chaque file,
font très petits, on a befoin de la loupe pour les voir,
pendant que les autres font beaucoup plus longs & plus
gros qu’il ne faut pour être très-fenfibles à la vue fimple.
Ces derniers femblent être à découvert, parce que les parois
des vaiffeaux qui les renferment,font extrêmement minces.
C’cff une remarque que d’autres infectes nous ont déjà
donné occafion de faire plufieurs fois. Enfin, tous les
vaiffeaux d’un même ovaire aboutiffent à un vaiiïeau beau-
*te; te. coup plus grand*, dans lequel ils fie déchargent fùcccffi-
vement de leurs œufs. Comme il y a deux ovaires, il y a
donc deux grands canaux ou conduits qui fe rendent à
des Insectes. IX. Menu 4S5
un canal commun *, qui a été regardé comme la matrice * pj. 32 . ^
par Swammerdam. Il ne relie pas beaucoup de chemin à s - 11U
faire à ceux qui font dans cette dernière cavité pour fortir
hors du corps de la mouche. C’efi dans ce court chemin
que Swammerdam veut qu’ils foient enduits de la liqueur
vifqueulè propre à les tenir arrêtés par un de leurs bouts
contre le fond d’un alvéole. L’analogie conduit aiepenfer.
Nous avons vû ailleurs des refervoirsdeftinésà fournir de
la liqueur gluante, propre non-feulement à coller les œufs
des papillons contre les corps fur lefquels ils font dépofés,
mais qui, en l'e delféchant, peut même faire des loges à
ces œufs. L’analogie ne veut peut-être pas de même qu’un
petit corps fphérique * qui tient à la cavité dans laquelle * g ,
tous les œufs de la mere abeille fe rendent, foit deftiné à
fournir la liqueur vifqueufe. Maipighi au moins a donné
un ufage plus important à un femblable corps, & placé de
même dans les papillons. Mais l’incertitude où nous fom-
mes encore fur l’ulagede parties d’un volume confidérable
qui fe trouvent dans l’intérieur des grands animaux, telle
qu’eft la ratte.&c. doit nous empêcher de prononcer affir¬
mativement fur les ufages des parties intérieures des in-
feéfes, lorfqu’iis ne font pas très évidents.
Ce que chaque ovaire des meres abeilles a de plus re¬
marquable, c’ef le nombre des vaiffieaux à œufs dont il efl
compofé. Swammerdam après avoir defefperé de venir à
bout de les féparer les uns des autres à caufe de la quan¬
tité prodigiCufe des ramifications des trachées, qui les tien¬
nent liés; & ayant tenté inutilement de les compter tous,
n’a pas cru courir rifque de fe tromper, en affinant que
chaque ovaire avoit plus de i 50 vaiffieaux deffinés à con¬
tenir des œufs. Si le nombre de ces vaiffieaux efl ici con-
fidérablement plus grand qu’il ne l’efi dans les ovaires de
beaucoup d’autres infeéïes, les vaiffieaux font plus courts.
PpP'ij
486 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
Swammerdam a pourtant compte dans chacun de ceux
d’une abeiile 17 œufs. Chaque ovaire avoit donc 1 50 fois
i7œufs,ou 2 5 50 œufs, & les deux ovaires en renfermoient
y 100, On ne doit plus avoir de peine à accorder qu’une
abeille puiffe mettre au jour en fept à huit femaines 10 à
12000 abeilles ou davantage, lorfqu’on lui peut compter
5 100 œufs à la fois; car on imagine aifément que le nom¬
bre de ceux qui ne font pas vifibles, qui grofiiront pendant
le temps que les autres feront pondus, &. qui prendront
leur place dans les ovaires, que le nombre de ces œufs
qui échappent à nos yeux par leur petitefîe, furpafle plu-
fieurs fois le nombre clés autres.
Si l’examen des parties intérieures de la merc abeille efl
propre à nous frire voir quelle peut feule fuffire à donner
la vie à tant de milliers d’abeilles qui naiiïént chaque année
dans une ruche, l’examen des parties intérieures des faux-
bourdons n’eft pas moins propre à nous convaincre qu’ils
font deftinés à rendre les œufs féconds, qu’ils font les
mâles. Dès qu’on a mis à découvert l’intérieur de leur
corps*,on reconnoît que fa cavité nef prefque occupée
que par des vaiffeaux&des relervoirs, dont billage ne peut
être que de préparer & de contenir la liqueur propre à vivi¬
fier les œufs. Quelques parties d’un volume confidérabJe
par rapport à celui du lieu où elles font logées, font plus
blanches que le lait, & elles doivent leur couleur à la li¬
queur quelles renferment. Enfin, on ne trouve aucune
partie qui rcffemble à celles dont nous parlons dans le
corps des fémelles, ni dans celui des abeilles ouvrières.
On prend même en certains temps des faux-bourdons
qui ont fait fortir de leurs corps, & qui tiennent en dehors
clés parties qui leur font propres, & qui femblent ne pou¬
voir être que celles qui caraélérifent le fexe des mâles;
en certains temps, on en trouve qui portent à leur derrière
des Insectes. IX. Mem. 487
deux cornes charnues *, aufli longues que le tiers ou la ; * pi. 33.^.
moitié de leur corps, qui s’écartent l’une de l’autre en 5 & 6. c, c.
s’éloignant de leur baie commune. Cette baie cfl alTés
maflive. Entre les deux cornes paroît quelquefois un corps
charnu * qui s’élève au-deffus du derrière en fecontour- *Fig. j,6&
liant en arc. Si le faux-bourdon qu’on a pris ne montre 11 '
pas les parties dont nous venons de parler, s’il les tient
cachées dans fon corps, on peut le forcer de les faire voir
en prefïant fon ventre entre deux doigts. En ménageant
la preffion, on oblige à paraître au jour différentes pièces
formées & difpofées avec beaucoup d’appareil & d’art, &
des pièces dont on 11e trouve point de veftiges dans les
meres ni dans les ouvrières. C’eft précifément au bout pof-
térieur du corps des abeilles ordinaires & des meres, que
le dernier de leurs anneaux s’cntr’ouvre. C’elf là qu’c fl
l’anus,& c’eft de-là même que l’aiguillon fort ; mais le bout
du corps des faux-bourdons n’eft point percé; le dernier
anneau eft recourbé vers le ventre, & c’eft fous le ventre,
& fort prés du bout poftérieur, qu’on remarque un en¬
droit * à peu près circulaire comme un petit bouton ap- *Fig. 3 £4,
plati, dont la couleur eft différente de celle du refte; elle
cft cannelle. Ce qui paroît de couleur cannelle eft un arc
annulaire qu’on peut appelfer intérieur; il part de deffous
l’anneau. De-là fortent aullî les bouts de deux lames *, qui * Fig. 4. e,c.
enfemble forment une efpéce de pince. Quand elles s’é¬
cartent l’une de l’autre, elles (aillent une ouverture par
laquelle la preffion peut faire fortir les parties qui font pro¬
pres au mâle. C’eft aufîî dans la même ouverture que fe
trouve celle de l’anus.
Pendant qu’on preffe entre deux doigts le ventre près
de l’endroit de couleur cannelle, & après qu’on a forcé
la fente à s’entr’ouvrir, 011 voit paraître une'efpéce de
veftie toute pointillée de points roux *. La veftie groffit * Fig. 7, m .
* PI. 33. fig-
7 - c > c -
* d, u.
* Fig. 9. OC.
♦Fig. 1 0, o c.
* d.
»u.
* Fig. 11 .u.
&pl. 3*.%
a. u.
488 Mémoires pour l’Histoire
de plus en plus lorfqu’on continue ia preffion, de nou¬
velles portions membraneufes fortent. La partie qui efl
fortie alors a des inégalités ; elle elt groffe & oblongue ;
fon bout a une figure qui approche de ’celle d’un
mafque velu, il efl couvert de poils roux ferrés les uns
contre les autres, à peu près comme ceux de nos draps
de caflor. Si on confklére cette partie par-defTus, on y
peut remarquer deux enfoncements circulaires * à côté
l’un de l’autre, dans des membranes blanches, 6c deux
autres plus petits 6c plus bruns * pofés fur une ligne
dirigée félon la longueur du corps. Quand on continue
de preffer, on voit fortir de chacun des deux premiers
enfoncements une efpéce de corne charnue *, qui de très-
moufle qu’elle étoit d’abord le deviendra de moins en
moins à mefure qu’elle s’allongera, ôc qui quand elle fera
entièrement dehors, fe terminera en pointe *. A de s ordi¬
nairement les pointes de ces deux cornes membraneufes
font rougeâtres, & ce qui fuit efl jaunâtre dans une moi¬
tié de la longueur. Pendant que les cornes fe montrent,
les deux autres enfoncements, ceux qui font fur la ligne
qui paffe entre les cornes, s’élèvent. De celui qui efl le
plus près des cornes, il ne fort qu’une partiemembraneu-
fe * couverte de poils, Sc qui forme un petit monticule
velu. Mais de l’enfoncement le plus éloigné fort une par¬
tie * dont il n’a fouvent paru qu’une portion , quand les
deux cornes fe montrent déjà dans leur entier. Si on ne
ceffe pas de preffer, la dernière partie que nous voulons
faire obferver, s’élève de plus en plus, & en s’élevant elle
fe contourne en arc, en portion de cerceau dont la con¬
cavité efl tournée vers le dos de l’infeéle'Cet arc, car
c’ell le nom que nous lui laifferons, paroît dans toute fà
longueur, quand on peut compter fur fa furface convexe,
cinq bandes d’un velu rouffeâtie/éparéespar des intervalles
blancs.
des Insectes. IX. Mem. -489
Mânes & lilîes , plus larges que les bandes roufTcâtres; il a
alors une longueur environ égale à celle de la moitié d’une
des cornes, & il n’efl que de peu moins gros à Ton bout qu’à
fon origine. Tout ce qui a a paraître n’a pas encore paru.
Si on redouble la preiïion, on fait fortir du bout de l’arc
une partie blanche *, qui bientôt le furpafïe en grofTeur. * PI. 34. fg.
Elle s’allonge & groiïît continuellement. Elle petit devenir
beaucoup plus longue que les cornes. Elle 11e le contourne
pas toujours de la même manière; mais à inclure qu’elle
fe montre, elle force l’arc à defcendrc vers la baie velue.
Sur cette partie qui s’eft montrée la dernière, & fur la face
la plus proche du corps, on peut obferver deux petites
pièces écailleufes *, que leur couleur fait affés diflinguer * e.
du relie.
On doit chercher à voir dans l’intérieur du corps de
îa mouche, ces mêmes parties que nous venons d’en faire
fortir. Elles n’y font pourtant pas auffi fcnfibles qu’elles le
font lorfqu’elies en font dehors. A mefure qu’elles for-
tent , elles fe gonflent confidérablement ; elles 11’y font pas
même celles dont on cft le plus frappé. Lorfqu’on a ou¬
vert le corps d’un faux-bourdon, foit par-delTus*, foit par- * Fig. S.
deffous *, on remarque bien plûtôt une maffe formée par » Fig. 9.
l’afTemblage de plufieurs corps, fouvent d’un blanc qui
furpaffe celui du lait. Vient-011 à développer cette maffe*, * Fig. 7.
on la trouve compofée principalement de quatre corps
oblongs *. Les deux plus longs Si les deux plus gros de ces * ff; d,d.
corps *, tiennent à une efpéce de cordon tortueux * que * f,f
Swammerdam a appellé la racine de la partie du mâle, & * **.
il a donné le nom de veficules feminales îiux deux corps
blancs & longs que nous venons de confidérer. Deux au¬
tres corps oblongs * comme les précédents, mais qui ont * qd, <jJ.
lin diamètre qui n’eft guéres que la moitié de celui des
premiers, & qui font plus courts, ont été appelles par le
Tome V . Q q q
49 ^ MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
même Auteur, les vai fléaux déférents. Chacun d’eux coirt-
Pi. 34.. fig. munique avec une des veficuies feminales *, près de l’en-
V’t' droit où celles-ci s'unifient avec le cordon tortueux. De
l’autre bout de chacun de ces vaiffeaux déférents, part un
* x. vaifleau afles délié *, qui, après quelques plis & replis,
* t. aboutit à un corps un peu plus gros*, mais difficile à déga¬
ger des trachées qui l’environnent. Swamfnerdam regarde
ces deux derniers corps comme les tefticules.Nous avons
* d,d. donc deux corps d’un volume afles confidérabie *, qui
communiquent avec deux autres corps encore plus longs
*/,/. & plus gros *. Ces quatre corps ont un tiflù cellulaire
rempli d’une liqueur laiteufe qu’on en peut tirer par cx-
* r. prdhon. Le cordon * long & tortueux auquel tiennent
les deux plus grands de ces corps, ceux qui ont été nom¬
més les veficuies feminales ; ce cordon, dis je, cil fans-
doute le conduit par lequel la liqueur laiteufe peut loi tir.
Après s’être plié & replié plufieurs fois, il s’élargit, ou, fi
l’on veut, ii le termine à une efpéce de vefîie ou de lac
* /. charnu *. On trouve cette dernière partie plus ou moins
allongée, & plus ou moins applatie dans différents mâles.
En l’appellant le corps lenticulaire ou la lentille, nous lui
donnons un nom qui préfente une image afles reflem-
blante de la figure qu’il a conflamment dans tous les faux-
bourdons dont les parties intérieures ont acquis de la
confiflance dans l’cljrrit de vin. Ce corps efl donc une
lentille afles renflée, dont une moitié ou à peu près de la
*oc. circonférence-, efl bordée par deux lames * écailieufes, de
couleur de marron, qui fuivent la courbure de fou con¬
tour. Un petit cordon blanc qui fait le vrai bord de la
lentille, efl pourtant vihble, & les fépare l’une de l’autre.
Cette lentille efl un peu oblongue. Aufli pour nous ex¬
primer plus commodément, lui donnerons-noifs deux
bouts que nous diflinguerons l’un de l’autre par le nom
DES' Insectes. IX. Mem. 491
de poftérieur *, 8c par celui d’antérieur *. Le bout anté- * pi. 34.. fig.
rieur, le plus proche de la tête, eft celui ou s’inferele ca- 7- '•
nal qui part des veficules fcminales ; le bout oppofé, le T e> e '
plus proche de l’anus, eh le poftérieur. C’cft d’auprès de
ce dernier que partent les deux lames écailieules, dont
chacune s’élargit pour venir couvrir une partie de la Lee
de la lentille. Au-deftous de l’endroit où chaque lame s’eft
le plus élargie, elle a une efpéce d’échancrûre qui lui fait
deux pointes moufles d’inégale longueur, 8 c dont la plus
longue eft fur la circonférence de la lentille. Outre ces
deux lames écailleufes, il y en a deux autres * de la même * n.
couleur, plus étroites 8c au moins plus courtes de la moitié,
dont chacune eft pofée tout proche d’une des précéden¬
tes, &dont l’origine eft auprès de l’origine de celle quelle
accompagne, c’eft-à-dire, au bout poftérieur de la lentille.
Le refte de cette lentille eft blanc 8 c membraneux. Dcfon
bout poftérieur part un tuyau *, un canal de même blanc, * /.
8 c de même membraneux, du diamètre duquel il eft diffi¬
cile de juger, car les membranes qui le forment font vifi-
blement pliftees. A un des côtés de ce tuyau eft attachée
une petite partie charnue qui a quelque chofe de la
figure d’une palette * dont une des faces feroit concave, * p.
8 c auroit fes bords gaudronnés. L’autre Lee de cette pa¬
lette eft convexe. En quelques circonftances les gaudrons
fe relevent, leurs bouts excédent le refte du contour,
ils forment des efpéces de rayons qui font paroître la
palette très-joliment ouvragée *. Elle eft couchée fur la * Fig. 5 &6.
lentille, elle s’y applique par fa partie concave; mais elle
ne lui eft pas adhérente. Swammerdam a paru difpofé à
croire que cette palette eft la partie qui caraéïérife le
mâle.
Les parties dont nous venons de parler, 8 c qui font les
plus vifibles dans le corps du Lux-bourdon, ne font point
Qqq ij
49- MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
encore de celles qui en fortent les premières, ni de celles
qui, hors du corps, le font le plus remarquer. Si on con-
fidére le canal ou i’efpéce de lac qui part du bout pofié-
rieur de la lentille, fi on le confidére, dis-je, du côté op-
pofé au bord de la lentille qui fait la lëparation des deux
grandes plaques écailleulès,on voit diftinéîement ce corps
*PI. 34.. fig. que nous avons appelle l’arc *; on peut compter les cinq
7 ‘ u% bandes velues difpofées tranfverfalement; elles lont de cou¬
leur fauve, pendant que le relie elt blanc. Cet arc femble
même hors du canal membraneux, parce qu’il n’ell cou¬
vert que par une membrane très-tranlparente : par un de
fes bouts, il atteint prefque le corps lenticulaire, & par
l’autre, il le termine à l’endroit où le canal membraneux
* 771 ■ lé joint à des membranes phlfées & jaunâtres * qui font une
efpéce de fac qui s’applique contre les bords de l’ouverture
préparée pour tailler fortir toutes les parties deltinées à la
fécondation. Les membranes roulfeâtres dont nous par¬
lons, font celles que la preffion oblige à fe montrer les
*Pl. 35.fi», premières en dehors*, celles qui forment cette maffe al-
7, s ] on gée, dont le bout eft une efpéce de mafque velu. En¬
fin , à ce fac, fait de membranes roulfeâtres, tiennent deux
* P!- 34-appendices * d’un jaune rougeâtre & rouges même à leur
7 bout. ,Cefont ces appendices qui paroiffent en dehors fous
* Fîg. 1,2 & la forme de cornes L
3 ' L,c ‘ Quand en preffant le ventre d’un faux-bourdon peu à
peu, mais de plus en plus, & avec précaution, on fait fuc-
celfivement fortir de nouvelles parties, ces partiesfc mon¬
trent par la face oppofée à celle qu’elles prefentent Iorfi-
quelles font dans le corps. La furface de ces parties qui
étoit alors l’intérieure, devient l’extérieure, il leur arrive
ce qui arrive à un bas qu’on retourne. Si l’entrée du
bas qu’on veut retourner étoit fixée contre un cerceau,
& qu’on commençât à renverfer le bas peu à peu, en
des Insectes. IX. Mem. 493
commençant par la bande la plus proche de l’ouverture,
& ainfi de fuite, de façon qu’on lift fortir le talon & le pied
les derniers, on auroit dans le retournement du bas une
image de la manière dont fe retournent les parties du
mâle des abeilles pour paroître en dehors. Quand on con-
noît leur difpofition dans l’intérieur, il eft aifé de juger de
l’ordre dans lequel elles doivent fe montrer à l’extérieur.
Le fac rouffeâtre *, qui eft le plus près de l’ouverture, doit * PI. 33. %,
paroître le premier*, & comme une portion de fâ furface 7 ‘
intérieure eft velue, elle fournit lemalque velu. Les bafès
des cornes * doivent enfuite commencer à fe faire voir *. * pi. 34 . f, g .
L’arc doit paroître enfuite*. Quand l’arc eft entièrement 7- c > c -
lorti, il faut redoubler laprefîîon pour faire fortir denou- * 3 3- fi g*
velles parties; car c’eft par le bout de cet arc que fort le * F -, 10 &
corps lenticulaire qui prend alors une figure très-allon- n. «.
gée *. Malgré cette figure il eft aifé *à reconnoître, & if *PI. 34. fig,
eft évident qu’il a été renverfé, parce que fur un de fes 3 '
côtés, on trouve les plaques écailleufes * que nous avons * e,
décrites, & la face par laquelle on les voit, eft concave,
au lieu que celle par laquelle on les voit dans le corps, efc
convexe.
Swammerdam a parlé de la partie en palette *, & l’a *Fig.
fait représenter comme une de celles que le retournement 7 ' p ‘
des parties qui fortent hors du corps du faux-bourdon 11e
manque pas de faire paroître; mais j’ai tout lieu de croire
quelle ne fe montre que lorfqu’il arrive quelque déchire¬
ment confidérable. J’ai obligé à fortir du corps de plus de
cent faux-bourdons preffés les uns après les autres, tout
ce que la preffion en pouvoit faire fortir, fans parvenir à
voir une palette à découvert, & j’ai ainfi preffé de fuite des
centaines rie faux-bourdons à bien des reprifes différentes.
Il ne m’efi arrivé de voir la palette en dehors que dans des"
cas rares, &Iorfquej’appercevois un déchirement dans les
Qqq "j
494 Mémoires pour l’Histoire
parties qui étoient proches du bout de l’arc. Un de ces
cas rares aura été vu aidli par Swammerdam, 6c il l’aura
pris pour un cas ordinaire. Ce célébré Auteur ne paroît
pas avoir eu a (Tés de faux-bourdons à fa difpofition. Il
parle de quelques-uns qui lui furent donnés, comme
d’un préfent qui mérite qu’il cite celui de qui il le reçut.
Pour moi qui en ai eu autant que j’en ai voulu, j’ai exa¬
miné fur plus d'un millier peut-être, fi la partie dont il
elt quehion, étoit de celles qui peuvent paroître en dehors
à découvert.
Quand la preffion efl pouiïce loin, il arrive fouvent
qu’il fort du lait épais, & en alfés grande quantité, du bout
de la partie qui a paru la dernière. Mais il y a plus d’ap¬
parence qu’il fort en fi grande quantité par une ouverture
faite par déchirement, que par une ouverture dehinée à
le laiffer échapper.
Un appareil de tant de parties, & de parties fi fingulié-
rementdifpofées, qui contiennent une liqueur laiteufe, 6 c
qu’on oblige à paroître hors du corps, 6c dont piufieurs
viennent s’y montrer naturellement, forceroient de re-
connoître les faux-bourdons pour les abeilles mâles, ceux
qui auroient le plus d’envie de douter de leur fexe. Le
retournement qui arrive dans ces parties, lorfqu'elles pa-
roiffent au jour, ch admirable; 6c Swammerdam a bien
fçu l’admirer. Il ne fe lafTc point d’en parler avec furprilc.
Ce retournement de tant de parties ne lui a paru reflèm-
bler à aucune des méchaniques que d’autres animaux
font voir. Il ne lui a pas échappé de faire remarquer,
que des parties qui avoient peu de volume pendant
quelles étoient dans le corps, en avoient un confidérablc
lorfqu’elles en étoient dehors; 6c il a très-bien obfervé que
l’air eh principalement employé à les enfler 6c à les dihen-
dre: des milliers de trachées qui lé rendent aux parties de
des Insectes. IX. Mem. 495
la génération, peuvent fournir tout l’air néceffaire à un
jeu fi merveilleux.
Une niere abeille qui fe trouve feule de fon fexe dans fa
ruche, comme elle s’y trouve en certains temps, avec fept
à huit cens, & quelquefois avec plus de mille faux-bour¬
dons, paroity être au milieu d’un très-nombreux ferait de
mules. On a prétendu cependant qu’elle n’en fouffroit au¬
cun fe joindre à elle ; & il eft vrai que jufqu’ici perfonne ne
l’a vu unie à un mâle, ou perfonne au moins n’a écrit qu’il
l’y avoit vû unie : mais c’elt un des cas où la preuve néga¬
tive ne fçauroit avoir beaucoup de force, car fans vou¬
loir donner de la pudeur à cette mouche, il 11’y a aucune
rai fon de penfer qu’elle quitte l’intérieur de la ruche où
elle aime tant à le tenir, lorfqu’elle veut permettre à un
mâle de rendre fes œufs féconds. 11 11’y a pas apparence
qu’elle cherche alors à s’expofer aux veux des fpeélateurs.
Nous ne fommes pas à portée de voir des adions qui
doivent fe palier dans les ténèbres, & qui doivent nous
être cachées par des voiles faits de gâteaux de cire, &
de plufieurs couches d’abeilles ordinaires. Dès que cette
femelle a un fi grand nombre de mâles à la difpolition,
l’analogie femble vouloir quelle s’accouple comme s’ac¬
couplent les femelles de tant d’autres infedes. Cette preu¬
ve tirée de l’analogie devient très-forte, lorfqu’on fçait ce
que nous avons établi ailleurs *, que les républiques des
guêpes, comme celles des abeilles, font compolces de
trois fortes de mouches, de guêpes ouvrières, de guêpes
mâles & de guêpes femelles ; que ce font les guêpes ou¬
vrières qui font le gros de celles d’un guêpier; que quoi¬
qu’on y trouve en certains temps plufieurs meres, leur
nombre cil toujours petit ; N que le nombre des mâles-
inférieur à celui des guêpes ouvrières , furpaffe beau¬
coup celui des meres. Si de plus on a vû, comme j’ai
* Ale moires
de l’Acadé¬
mie 1 y 1 g,
Page 2j 0 .
496 MEMOIRES POUR L’HîSTOIRE
rapporté l’avoir vû, des mâles guêpes s’accoupler avec
des femelles guêpes, il ne femblera pas qu’il y ait lieu
de douter que dans les républiques des abeilles qui ref-
femblent fi fort à celles des guêpes, les meres abeilles ne
s’accouplent avec les mâles abeilles. Enfin, je rapporterai
dans un autre Mémoire que j’ai vû l’accouplement d’une
efpéce de mouches du genre auquel appartiennent les
abeilles qui habitent des ruches, que j’ai vû l’accouple¬
ment de ces groffes abeilles qu’on appelle des bourdons,
& que nous nommerons des bourdons velus. Pourquoi
croiroit-on donc que la mere abeille ne fe joint avec au¬
cun mâle!
Le grand nombre des mâles eft peut-être ce qu’011
peut alléguer de plus fort contre l’accouplement de la
mere abeille ; car, dira-t-on, failoit-il tant de mâles pour
une feule femelle ! Ils lui ont été accordés fans doute
pour de bonnes raifons, mais que nous ne fommes pas
en état de deviner. D’ailleurs, nous verrons dans la fuite
que ces mâles ne font pas deffinés à une feule mere, ils
font fûts pour toutes les meres qui doivent naître dans
la ruche. Enfin, comme nous venons de le dire, la nature
a de même donné un grand nombre de mâles à un petit
nombre de meres guêpes.
Un fentiment foûtenu dès le temps d’Ariftote, veut
que les œufs des abeilles foient fécondés, comme on croit
communément que le font ceux (les poiffons ; qu’après
avoir été pondus, ils foient arrofés d’un lait qui a la vertu
de les vivifier. Les mâles des abeilles paroiffent très-pro-»
près à fournir ce lait. Mais ceux qui auront obfervé des
œufs, & en grande quantité, d’où des vers naiffent jour¬
nellement, & cela, dans des temps où il ne paroît aucun
faux-bourdon dans la ruche, & dans des temps où nous
prouverons qu’il 11’y en a aucun, ceux, dis-je, qui l’auront
obfervé
des Insectes. IX. Mem. 497
obfervé, croiront qu’il eft bien démontré que les œufs de
la mere abeille 11e font pas fécondés par le lait des faux-
bourdons qui a été répandu fur eux. Charles Butler avoit
peut-être connu la force de cette démonftration ; car après
avoir dit dans un endroit de fa république féminine, que
les œufs des abeilles font fécondés comme ceux des poifi
fons, il dit plus loin que les abeilles font fécondées par une
certaine vertu admirable.
Mais un Auteur dont l’autorité efl bien d’un autre
poids que celle de Butler, & que toutes celles des An¬
ciens par rapport à la queftion que nous examinons,
Swammerdam, en un mot, a penfé comme eux, que la
mere abeille étoit fécondée fans accouplement, & par une
efpéce rie vertu femblable à celle au moyen de laquelle
Butler a cru que les abeilles ordinaires 1 etoient, 6c c’eft
fur quoi il s’eft expliqué beaucoup plus nettement. Son
fentiment ne fçauroit manquer de paroître fort étrange.
Obligés, comme nous lefommes, de le rapporter, nous
craignons qu’il ne paroiiTe trop ridicule à ceux qui n’ont
pas afïes médité les profonds myftéres de la génération
des animaux. Swammerdam a donc cru qu’il fuffifoit à
la mere abeille de fe trouver auprès des mâles, pour être
fécondée; que les vapeurs, que les efprits qui s’exhalent
du corps des mâles, pouvoient vivifier les œufs qui font
dans le corps de la fémelle. Enfin, il a dit, 6c il faut bien
le redire après lui, que la fémelle peut être fécondée par
l’odorat. Quand celaferoit, peut-être n’en devrions-nous
pas être fi étonnés. Afïurément nous ignorerons toujours
pourquoi cette Sageffe qui ne manque jamais de choifir
les moyens les plus parfaits de parvenir à fes fins, a voulu
que les efpéces des animaux fe perpetuaffent au moyen des
mâles 6c des fémelies; pourquoi elle n’a pas voulu que les
deux fexes fuffent toujours réunis dans chaque animal.
Tome V . Rrr
49S MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
Si nous y étions moins accoûtumés que nous le fommes,
nous ferions extrêmement furpris de la nécefîité du con¬
cours des deux fexes. Il s’en faut bien que nous fçachions
alfés en quoi 6c comment chaque fexe contribue à l’œu¬
vre de la génération. Les œufs des fémeiles depuis qu’ils
font œufs renferment - ils des embryons qui n’ont be-
foin que de fe développer pour devenir des animaux
parfaits l ou ces œufs reftent-ils fans embryons jufqu’à ce
que le mâle leur en ait donné î font-ils uniquement defii-
nés à recevoir & à faire croître quelques-uns des embryons
qui ont palfé du corps du mâle dans celui de la fémellel
Ce dernier fentiment, quoiqu’appuyé par les obfervations
qui ont fait voir à Leeuwenhoek de petits vers dans les
liqueurs laiteufes des mâles d’animaux de différentes efpé-
ces, n’efl pas encore auffi prouvé qu’il feroit à fouhaiter.
Ç’a été inutilement que j’ai cherché à plufieurs reprifes de
ces vers dans le lait des mâles des abeilles, foit que cette li¬
queur n’en contienne pas réellement, foit que je ne les aye
pas cherchés dans les temps convenables,ou, foit enfin qu’ils
y foient fi petits que les plus forts mlcrofcopes ne fçauroient
les rendre fenlïbles. Mais je propoferai en paffant à ceux
qui aiment à faire des recherches avec les microfcopes à
liqueurs, de tâcher de découvrir de petits vers dans les
liqueurs laiteufes des mâles d’un grand nombre d’efpéces
d’infeétes. Ce font des obfervations que je n’ai pas eu le
temps de faire autant que je l’euffe fouhaité, 6c qui peu¬
vent répandre du jour fur la grande quefiion dont il s’agit
actuellement.
Swammerdam a été pour le fentiment qui veut que
l’embryon ait toujours été renfermé dans l’œuf de la fé-
melle ; mais qu’il n’y peut croître qu’après avoir été vivi¬
fié par le mâle. Ce grand Anatomifie, qui avoit beaucoup
étudié la ftru&ure admirable des parties de la génération.
des Insectes. IX. Man. 499
fçavoit qu’il n’étoit guéres poffible d’imaginer qu’une por¬
tion même très-petite, de la liqueur laiteufedu mâle, pût
être portée jufques aux œufs d’une femelle de quelque
efpéce d’animaux que ce foit; d’où il lui fembloit qu’on
devoit conclurre que les œufs ne pouvoient être fécondés
que par la vapeur, que par i’efprit de cette liqueur : & c’efl
ce qu’il a taché de prouver par des exemples qui lui ont été
fournis par les accouplements d’animaux de beaucoup
d’efpéces différentes. Dès-lors, au moins-, lefentiment de
Swammerdam par rapport à la fécondation de la inere
abeille, n'a plus tout le ridicule qu’on a cru lui trouver
d’abord. Car après tout la vapeur vivifiante qui environ¬
nera une mere abeille qui efl entourée de mâles, cette
vapeur quelle refpirera par les ftigmates difpofés le long
de fon corps, pourreit être auffi bien portée à fes œufs
par des conduits préparés à cette fin, que peut être portée
aux œufs d’une fémelle d’une autre efpéce, la vapeur qui
s’exhale de la petite quantité de liqueur laiteufe qu’un feul
mâle a laiffée à l’entrée d’un canal, qui eft affés éloignée
des œufs. Dans le fyfteme de ceux qui veulent avec beau¬
coup de probabilité, que les embryons foient fournis par les
mâles ; dans ce fyfteme où on n’eft point effrayé de ce
que de tant de millions de vers propres à devenir des ani¬
maux plus parfaits, il y en a fi peu qui y parviennent;
dans ce fyfteme, dis-je, on pourroit fuppofer ces embryons
auffi petits qu’on auroit befoin qu’ils le fuffent, auffi petits
que les corpufcules qui agiffent fur notre odorat, & fuppo¬
fer que des milliers de ces petits embryons s’exhalent du
corps des mâles.
Mais nous nous jettons bien avant dans le pays des
conjeétures. Celles que nous venons de rapporter mon¬
trent feulement qu’il ne feroit pas impoffible qu’une
mere abeille fût fécondée par des mâles dont elle ne feroit
Rrrij
500 Mémoires pour l’Histoire
qu’environnée ; mais nous devons avouer que pour ad¬
mettre que la fécondation de cette fémelle efl opérée
d’une façon fi différente de celle dont font opérées les
fécondations des fémelles des autres infeétes, il faudrait
y être forcé par des preuves auxquelles il n’y eût rien
à répliquer, & Swammerdam n’en a pas donné de telles.
C’en efl une bien foible, fi même c’en eif une, que de
dire, comme il a fait, que fi on renferme fept à huit
abeilles mâles dans une boîte, lorfqu’on l’ouvre dans la
fuite, on efl frappé par l’odeur qui s’en exhale ; odeur beau¬
coup plus forte que celle que répandraient en pareil cas des
abeilles ouvrières, & à laquelle la première odeur ne ref-
femble point. Qui n’auroit jamais vu de bouc s’accoupler
avec une chevre, aurait donc une preuve encore meilleure
à alléguer contre l’accouplement de ces animaux. Le bouc
efl bien autrement en état de faire impreffion fur fa fe¬
melle , par la pénétrante odeur qu’il laiffe par-tout où il
paffe.
Les autres raifons par lefquelles Swammerdam a pré¬
tendu établir un fentiment fi fîngulier, ne me paroiffent
guéres meilleures. Elles fe réduifent à deux principales,
dont l’une efl, qu’il n’a pu trouver aux parties du mâle
deflinées à la génération, à celles que la preffion fait fortir
de fon corps, aucune iffue à la liqueur laiteufe. Ce n’efl
pas affés pour croire qu’il n’y en a pas, de ne l’avoir pas
vûe. Elle peut être affés petite pour échapper à nos yeux.
D’ailleurs, il peut fe faire que dans les temps de l’accou¬
plement, elle s’ouvre, quoiqu’elle foit tenue fermée con¬
tre la preffion des doigts.
La fécondé raifon de Swammerdam efl tirée de la dis¬
proportion entre le volume des parties du mâle par lef¬
quelles la jonélion devrait fe faire, & celle de l’ouverture
dans laquelle elles deyroient être introduites : mais cette
des Insectes. IX . Man . 501
difproportion ne m’a pas paru aufîï grande qu’il l’a trou¬
vée. Nous pouvons juger mal du volume des parties qui
caraélérifent le mâle, quand nous en jugeons par celui
qu’elles ont lorfque nous les avons forcé de paroîtré en
preflant le ventre. Il peut y avoir des inftants où tout fe
proportionne, foit de la part du mâle, foit de la part de la
femelle.
Il y a donc tout lieu de croire que la fécondation de
la mere abeille n’elt pas opérée de la façon extraordinaire
dont Swammerdam a cru qu’elle l’étoit. Il eft plus naturel
de penfer quelle eft, comme dans les autres animaux, une
fuite de la jonélion de la fémelle avec le mâle. On ne
fçauroit fe promettre de voir cette jonélion dans les ru¬
ches, même les moins peuplées, la mere y étant prefquc
toujours cachée par des gros d’abeilles ordinaires. Mais
j’ai cru devoir chercher à faire accoupler un mâle avec
une mere dans un lieu où leur accouplement ne pourroit
m’échapper. J’eus vers la fin de May une mere qui avoic
donné naifïànce à un grand nombre de mouches, &qui
étoit prête à la donner à beaucoup d’autres. La ruche d’où
cette mere fut tirée, pouvoit à peine contenir toutes les
abeilles qui y habitoient avec elle. Son ventre étoit rem¬
pli d’œufs, parmi lefquels il y en avoit une grande quan¬
tité de prêts à être mis au jour. Il en fortit plufieurs de
ceux-ci par une bleflùre mortelle que je lui fis mal adroi¬
tement & malgré moi. Après l’avoir eue plufieurs heures
en ma poftelfion, je lui crevai le ventre en la maniant, &
dès qu’il fut crevé, je 11’héfitai plus à le lui ouvrir tout
du long, & j’y trouvai une quantité d’œufs difficile à
nombrer. Quand j’en vins à ouvrir cette mere, elle avoit
déjà eu une aventure fâcheufe, mais qui avoit été plus
volontaire de ma part, que celle de la playe du ventre.
Elle avoit été tirée de l’eau prefque noyée. II n’eft pas
Rrr iij
502 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
temps d’expliquer pourquoi je l’avois prefque noyée, on
en trouvera les railons dans le Mémoire fuivant. Il fuffit
actuellement de dire, qu après 1 avoir léchée & réchauffée,
je lui redonnai fa première vigueur, & qu alors je la mis
dans un poudrier où je la renfermai avec fept à huit mâ¬
les. J’étois curieux de voir comment ils fe comporteroient
avec elle. Ils avoient été pris dans fa propre ruche. Us la
traitèrent cependant avec une indifférence à laquelle je ne
m’attendois pas, avec l’indifférence la plus parfaite. Us ne
lui firent aucune des careffes que des abeilles ordinaires
n’auroient pas manqué de lui faire. Pendant près de deux
heures que je la laiffai avec eux, ils ne tinrent aucun
compte d’elle.
Parmi la plupart des animaux, les mâles ne cherchent
les femelles, & ne leur font des careffes, que lorfqu’elles
ont hefoin d’être fécondées. Notre mere abeille n’avoit
pas befoin de l’être. Elle n’étoit pas une jeune mere.
Lctat de fes ailes prouvoit auffi bien fon âge que les
rides de notre vifage prouvent notre vieilleffe. Les bafes
des deux ailes fupérieures étoient déchiquetées, de petits
morceaux en étoient tombés. Enfin, ce qui étoit plus
décifif, fon ventre étoit plein d’œufs, & d’œufs à terme.
D’ailleurs, revenue depuis peu de temps des portes de la
mort, il n’étoit pas étonnant qu’elle ne fouhaitât pas les
mâles, & que les mâles n’euffent pas pour elle les empref-
fements qu’ils auraient pu avoir dans un autre temps.
Les obfervations que j’avois envie de faire, demandoient
que je renfermafle avec des mâles, une fémelle qui n’eût
pas encore fouffert leurs approches, ou qui ne les eût pas
fouffert affés de fois. Vers la mi-Juin, on m’en apporta
une que j’eus lieu de croire être telle qu’il me la falloit.
Elle avoit été trouvée le matin auprès d’une ruche dans
laquelle un effaim avoit été mis la veille. Nous verrons dans
des Insectes. IXXMem . 503
la fuite qu’il y a quelquefois des reines furnuméraires dans
les effaims; celle-ci en étoit une de l’effaim dont je viens de
parler, 6c elle avoit fauve fa vie par la fuite. Le bon état de
les ailes 6c fa couleur faifoient juger qu’elle étoit encore
jeune ; 6c le volume de fon corps moins grand que celui
d’une fémelle prête à pondre , fembloit prouver qu’elle
n’avoit que des œufs extrêmement petits. Je la renfermai
dans un poudrier, où je mis bien-tôt avec elle un mâle
que j’avois fait prendre dans une de mes anciennes ruches.
Le caraélére de la jeune reine me parut fe démentir dès
que le mâle eut été introduit auprès d’elle. Je n’avois ja¬
mais vu que des reines abeilles accoûtumées à être fêtées
à chaque inftant par les mouches ouvrières, à en recevoir
des préfents de miel, mille careffes, 6c mille petits foins de
touteefpece. Auffi vis-je avec quelque furprife, que tou¬
tes les prévenances que les abeilles ordinaires ont pour
une mere, la jeune reine les avoit pour le mâle que j’a¬
vois mis auprès d’elle. Non contente de s’être approchée
de lui, elle ne tarda pas à allonger fa trompe, tantôt pour
lécher fucceffivement différentes parties du corps de ce
mâle, tantôt pour lui offrir du miel. Elle tourna tout
autour de lui en le careffant toujours, foit avec fa trompe,
foit avec fes pattes. Le faux-bourdon, ainfi que le plus im-
bécille de tous les mâles, foûtenoit tant d’agaceries, comme
fi elles lui euffentétédûes. Il n’en paroiffoit aucunement
touché ; il fembloit que ce fût par pure bonté qu’il fe laiffoit
dater. Au bout d’un quart cî’heure pourtant, il s’anima
un peu ; lorfque la fémelle placée vis-à-vis de lui en regard,
broffoit avec fes jambes la tête de ce mâle, 6c quelle faifoit
jouer doucement fes antennes, le mâle faifoit auffi jouer les
fiennes. Les antennes de celui-ci, 6c les antennes de celle-la,
fefrottoientmutuellementôcdoucement. L’une 6c l’autre
courboient enfuite leur corps en deffous 6c le redreffoient,
504 MEMOIRES POUR L’HiSTOiRE
& ils firent ce manège à bien des reprifes. La femelle redou¬
bla enfuite de vivacité, &fe mit dans des pofitions qui ne
s’accommodent pas avec les idées qu’on a voulu nous don¬
ner de fa pudeur ; c’efi fe fervir de termes foibles, que de
n’appeller ces pobtions qu’immodefies. Elle monta fur le
corps du mâle; & comme fi ç’eut été à elle à faire ce que font
les mâles des infeéles des autres efpéces, elle recourboit fou
corps, & cberchoitàen appliquer le bout contre le bout de
celui du mâle. Après avoir obfervé ces manèges, & les avoir
vû répéter pendant plus de deux heures, je fus obi igé de qu it-
ter mes deux mouches & la campagne pour me rendre à
Paris, où une de nos affemblées de l’Académie m’appclloit.
Mais plufieurs perfonnes que je lailfai chésmoi, & une en-
tr’autres,auxyeuxde laquelle je me fie autant qu’aux miens
propres, ne cédèrent d’obferver ce qui fe palfa pendant le
refie de l’après-midi, & me rendirent compte à mon retour,
de ce qu’elles avoient vû. Ils revirent une infinité de fois de
la part de la fémelle, les mêmes agaceries que j’avois vues ;
mais ils n’apperçurent rien d’abfolument complet.
Le mâle pourtant devint plus adfiif, il s’anima déplus
en plus. Il fit fortir de fon bout poftérieur les deux cornes
* **6 y 'ff c ^ amues partie courbée en arc qui efi entr’elles *,
J/ Cl 111 cette partie que nous avons aufii nommée l’arc, & qui
* «> j^aroît être celle au moyen de laquelle le mâle & la fémelle
s’unifient, s’ils s’unifient. Le fèns dans lequel cette partie
efi contournée, femble aufii demander que pour l’accou¬
plement la fémelle foit pofée fur le mâle, comme nous
avons vû qu’elle s’y poloit. L’arc peut alors rencontrer
le derrière de la fémelle, & il ne le pourrait fi le mâle
au contraire étoit lur la fémelle; ou il faudrait, comme
le pratiquent en pareil cas les mâles de quelques autres in-
fedes, qu’il ramenât le bout de fon corps fous le ventre
de la fémelle. Enfin, on obferya des temps de tranquillité,
& on
des Insectes. IX. Mem. 505
Si on en obferva d’autres où les carefles recommencè¬
rent. Le mâle tomba enfuite dans un repos de trop lon¬
gue durée. Pour le remettre en mouvement, la fémelie
làiliffoit le corcelet de ce mâle avec fes dents, elle le fou-
levoit un peu; quelquefois pour le foûlever davantage,
elle faifoit palier fa tête fous le corps de celui-ci. Mais
tous fes foins pour le ranimer furent inutiles; il étoit mort.
Quand on eut reconnu qu’il i’étoit, on en donna un autre
plein de vigueur à la femelle. On me raconta combien on
avoit été touché de voir que la préfence de ce dernier, n’a-
voit point détourné la fémelie des carelfes qu’elle faifoit,
des bons offices qu’elle cherchoit à rendre à celui qui avoit
perdu la vie. Je le trouvai le foir à mon retour auprès de
la fémelie, ayant hors du corps les parties qui caradérifent
le fexe des mâles.
Pour tenir chaudement la jeunemere pendant la nuit,
après avoir ôté d’avec elle, Si le mâle mort & le mâle vi¬
vant, je renfermai dansfon poudrier une centaine d’abeil¬
les ordinaires. Le lendemain je voulus voir comment elle
fe comporteroit avec le nouveau mâle que je me propofois
de lui donner. Ce même jour, dès le matin, je me pro¬
curai encore une autre mere, qui, comme la précédente,
me parut être une jeune mere. Il n’importe d’expliquer
ici comment je la pris, en faifant paffer les mouches d’une
ruche pleine dans une ruche vuide. Dans deux différents
poudriers j’eus donc deux fémelles. J’appellerai celle de
l’un, la première mere; Si celle de l’autre, la fécondé mere.
Je leur donnai à chacune un mâle. J’obfervai ce qui fe
paffoit dans l’un Sc dans l’autre poudrier, pendant pref-
que toute la journée. Us furent toute la matinée pôles fur
mon Bureau, Si je les eus auprès de moi dans les endroits
où je me tins pendant la plus grande partie de l’après midi.
Tout ce que je vis ne fut pourtant prefque que ce que
Tome V. . Sff
506 Mémoires pour l’Histoire
j’avois vû la veille ; mêmes caraïbes de la part de l’une 6c
l’autre femelle pour leur mâle; 6c pendant un temps allés
long, chaque mâle y répondit très-froidement. L’un 6c
1 autre eurent pourtant des moments ou ils parurent s’a¬
nimer; quelquefois même ils pafférent l’un 6c l’autre fur
le corps de leur femelle. Mais je furpris plufieurs fois
chaque femelle dans la plus indécente des pofturcs. Je
la furpris bien des fois fur le corps de ion mâle, recour¬
bant le bout de fon derrière, 6c cherchant à l’appliquer
contre cet endroit qui efl en delfous, 6c près du bout
du corps du mâle , 6c d’où fortent les parties qui paroif-
fent faites pour la fécondation. Dans des moments mê¬
me, je vis le derrière de la fémelle bien appliqué contre
cet endroit ; mais il n’y refia appliqué qu’un inftant. La
jonélion du mâle avec la fémelle fe réduiroit-elle à cela!
Cet inflant fuffiroit-il pour que ce qui efl néceffaire de
liqueur féminalc pour féconder une partie des œufs, fût
introduit dans le corps de la fémelle! Et feroit-ce au moyen
de pareilles jonctions répétées un grand nombre de fois,
que tous les œufs recevraient fucceffivement des embryons
en état de fe développer ! C’efl fur quoi je n oierais pro¬
noncer. Au moins cet accouplement, quoique de courte
durée, reffembleroit-il à d’autres dont nous avons des
exemples dans la Nature; celui de la plupart des oifeaux
ne dure qu’un inflant.Swammerdam veut même que celui
du coq avec la poule fè faffe fans qu’il introduite dans le
corps de celle-ci, aucune partie folide.
Au refie, il paraît hors de doute que dans la ruche
la mere fait les avances aux mâles qui lui plaifent, comme
je les lui ai vû faire dans les poudriers ; c’efl à elle à les
tirer de leur état d’indolence 6c de froideur. Ce renver-
fement d’ordre femble même néceffaire; car dès qu’il a
été établi qu’une feule fémelle habiterait avec un millier
des Insectes. IX. Mem. 507
de mâles, il devoit l’être que ces mâles nauraient pas
trop d ardeur pour elle. Elle n aurait aucun repos li tous
la recherchoient ; ils ne lui bifferaient pas le temps de
prendre des aliments, ni celui de pondre; au lieu quelle
vit tranquille au milieu de ces mâles indolents, parmi leff
quels elle choifit ceux qui font les plus ailes à animer.
Quelque difficile, au refte, qu’il puiffe paraître, de
décider li l’accouplement de la inere abeille le réduit à ce
que j’ai vû, je crois qu’il n’eft pas impoffible de fe mettre
en état de pouvoir prononcer avec certitude fur cette
queffion ; 6c peut-être le lerois-je actuellement fi j’euffe
penfé plutôt au moyen d’y parvenir. Les éclairciffements
que ne pouvoient donner mes deux meres, pourraient
être donnés par une inere qu’on fçauroit n’avoir jamais
eu de communication avec des mâles, 6c à laquelle on
en accorderait un ou deux avec lefquels on la bifferait
pendant une journée. On mettrait enfuite cette mere
dans une ruche où il n’y aurait que des abeilles ouvrières.
Si on voyoit naître des vers propres à devenir des abeil¬
les dans les cellules de cette ruche, on ferait certain qu’il
n'aurait fallu pour féconder les œufs de cette mère, que
les accouplements qu’on aurait vû fe faire dans le pou¬
drier. La feule difficulté qu’on peut trouver à faire cette
expérience, c’ell d’avoir une mere bien vierge, une mere
qui n’ait point habité avec des mâles ; 6c c’eft à quoi on
peut parvenir, en ôtant d’une ruche une de ces cellules
défiguré particulière 6c très-reconnoiffable, danslefquelles
les vers qui fe transforment en meres, prennent leur ac-
croiffement. Lorfqu’on aura obfervé de ces cellules, 6c
qu’on en aura remarqué quelqu’une de bouchée, qu’on
la détache; alors 1a mouche y eft fous b forme de nym¬
phe , ou le ver efi prêt à prendre cette forme. Il ne s’a¬
gira que de tenir cette cellule à peu près auffi chaudement
Si fi;
50S MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
hors de la ruche, qu’elle l’étoit dans la ruche; & pour
cela, il n’y a qu a la renfermer dans un tube de verre
qu’on portera pendant le jour dans fon gouiïet, & qu’on
placera pendant la nuit lous le chevet du lit dans le pli
du drap. J’ai pris ces foins pendant huit à neuf jours,
pour une cellule qui ne les méritoit pas. Je la couvai,
pour ainfi dire, croyant quelle contenoit une femelle,
& j’avois lieu de le croire, parce qu’elle étoit bouchée
de toutes parts : le hazard avoit voulu que la porte qui
avoit laiffé fortir la mouche fémelle, fe fût fi bien refer¬
mée, après quelle en fut fortie, qu’il ne fembloit pas que
la cellule eût jamais été ouverte. Au refte, quand on fçait
qu’on peut flaire naître dans les gâteaux de cire tirés hors
tîe la ruche, des abeilles ordinaires & des mâles, lorfque
les cellules de ces gâteaux font pleines de nymphes, on
ne doutera pas qu’on n’y puiffe faire naître de même des
fémelles. La plus grande difficulté confifte à avoir des cel¬
lules qui contiennent des nymphes prêtes à fe transfor¬
mer en mouches fémelles, parce que ces cellules font très-
rares en comparaifon des autres. Comme il n’v a pour¬
tant guéres de ruches où on n’en puiffie trouver plufieurs
chaque année, on peut réuffir à faire l’expérience que
nous propofons. Nous nous promettons bien de la ten¬
ter cette année; & nous prions ceux qui aiment l’Hiftoire
naturelle, de chercher à la faire. Elle doit éclaircir une
queffion très-curieufe.
Mais pour dire encore quelque chofe des deux meres
dont chacune avoit été tenue dans un poudrier avec un
mâle, vers le midi je m’apperçus que le mâle que j’avois
donné à la première, étoit mort. Ce cadavre étoit pofé
tranfverlàlement fur le corps delafémelle.qui le foûlevoit,
comme fi elle eût eu efpérance de le ranimer. Je lui ôtai
ce mâle, & je lui en donnai un autre qui mourut encore
des Insectes. IX. Mertt. 509
auprès d'elle fur les trois à quatre heures. Il fembleroit
que les careffes de la femelle avoient été fatales aux mâles,
quelles avoient opéré clans ces mâles , quelque indolents
qu’ils femblent être, une diffipation d’elprits, un épuife-
ment qui leur avoit été funefte : mais ce qui doit m’em¬
pêcher de regarder cette caufe de leur mort, comme
abfolument certaine, c’eft que j’en trouvai quelques-uns
de morts le même jour, dans un poudrier où j’en avois
renfermé un grand nombre, & où ils n’avoient point de
femelle avec eux.
La première fémelle mourut elle-même la nuit fuivante
par un accident qu’il eh inutile de rapporter ici ; mais je
dois dire que j’ouvris fon corps, 6c il étoit nécehàire que
je l’ouvrilfe. Je n’y trouvai aucun œuf de groffeur fenfi-
ble à la vue fimple. A peine la plus forte loupe me pou-
voit-elle faire appercevoir des files de petits grains dans
ces conduits où les œufs font vifibles fans le fecours d’au¬
cun verre, lorfque la mere elt en pleine ponte. Nous avons
rapporté ci-devant, qu’une mere qui avoit le corps rempli
de gros œufs, n’avoit tenu aucun compte des mâles. 11 y
a donc apparence que les meres qui careffent les mâles,
font celles qui ont befoin d’être fécondées. La fécondé
de mes deux dernières meres, n’avoit pas le ventre plus
gros que la première. Je ne crus donc pas nécefiaire de
l’ouvrir pour m’alfûrer qu’elle n’avoit pas des œufs plus
avancés que ceux de l’autre. Je pris un parti plus doux.
Après avoir peint fon corcelet avec un vernis jaune, je
la mis dans une ruche où, outre la mere naturelle, j’en
avois déjà introduit une autre à laquelle j’avois donnée une
livrée rouge. Ce n’eft pas ici le lieu de parler de ce qui le
palfa dans la ruche où étoient ces trois reines, il fuffit de
dire actuellement que celle à livrée jaune fut fort bien
reçûe par les abeilles ordinaires.
S f f iij
jIO MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
La fécondation & la ponte de la mere abeille nous four¬
ni dent encore des faits dignes d 'être remarqués, & de la
certitude defquels ii ed ailé de le convaincre. Nous avons
déjà dit que comme les poules d’une balfe-cour pondent
journellement, de même la mere abeille pond dans pref-
que tous les mois de l’année, fi on en excepte ceux d’une
trop rude failon. Mais les poules ont befoin de vivre avec
le coq pendant toute l’année ; fi elles redoient plufieurs
femaines de fuite fans Ibuffiir les approches, leurs œufs
feroient dériles, au lieu que ce n’ed que pendant quelques
femaines que la mere abeille a befoin de vivre avec des
mâles. Quand le temps ed venu où elle a pour eux une
indifférence dont nous avons rapporté un exemple, ou,
plus exactement, quand le temps ed venu où ils ne font
plus néceffaires aux femelles nouvellement nées dans la ru¬
che, les abeilles ordinaires déclarent la plus cruelle guerre
à ces mâles. Pendant trois à quatre jours elles en font une
tuerie effroyable. Malgré la fupériorité qu’ils fembleroient
avoir par leur taille, ils ne fçauroient tenir contre les ou¬
vrières qui font armées d’un poignard qui porte le venin
dans les playes qu’il fait. D’ailleurs, le nombre des abeilles
furpaffe confidérablement celui des mâles, & elles n’ont
point de honte de fe joindre trois ou quatre enfemble con¬
tre un feul. Tant que ces jours de carnage durent, on en
voit du matin au loir d’acharnées fur des mâles qu’elles
traînent morts ou mourants hors de la ruche. Ceux même
qui ne font pas encore parvenus à l’état de mouche, qui
font encore fous la forme de ver ou fous celle de nymphe,
ne f®nt pas épargnés. Les abeilles arrachent ces vers de
ces mêmes cellules qu’elles avoient condruiles pour eux
en d’autres temps, & dans lesquelles elles avoient même
pris foin de les nourrir. Leur haine s’étend alors fur tout
ce qui ed mâle, ou qui peut le devenir. Elles font tout ce
des Insectes. IX . Mem . 511
qui cfl en elles pour qu’il n’en relie, ni ne puiffe y en avoir
de longtemps dans la ruche. 11 va des ruches où ces car¬
nages le font plutôt, & d’autres où ils le font plus tard,
parce qu’il y en a où les mâles ont commencé à naître
ou plûtôt ou plus tard que dans les autres. Dans telle
ruche, la tuerie des mâles arrive dans le mois de Juin;
dans d’autres, c’clt dans le mois de Juillet; & ce n’a été
que dans le mois d’Août que j’ai vu malfacrer les mâles
de certaines ruches; mais elles étoient de celles où un
efïaim avoit été mis au mois de May.
Qu’on fuppolè avec nous pour un moment, ce que
nous promettons de prouver dans la fuite, que les abeilles
parviennent à exterminer tous les mâles de leur ruche, foit
dans le mois de Juin, foit dans celui de Juillet, foit dans
celui d’Août ; depuis le jour où le dernier d’une ruche a été
tué, la mere de cette ruche n’en reverra plus jufqu’au
Printemps de l’année fuivante; elle ne fçait ce que c’efl
que de fortir de chés elle pour aller en chercher dans d’au¬
tres ruches où il pourroit en être refié. Cependant, la
mere qui, dès le mois de Juin a été privée de tous fes
mâles, ne laiffera pas de faire beaucoup d’œufs féconds
dans le refie de l’Eté & au commencement de l’Automne.
Ce fera fur-tout au Printemps de l’année fuivante quelle
pondra affés d’œufs pour fournir un efïaim de mouches,
& qu’entre ces œufs il y en aura qui donneront des abeilles
ordinaires, d’autres qui donneront des mâles, & d’autres
qui donneront desquelles. Ces derniers œufs ont donc
été fécondés neuf à dix mois avant qu’ils ayent été pondus,
& cela lors qu’ils étoient d’une petiteffe que nous ne fçau-
rions imaginer. Après l’avoir été, ils font refiés auffi long¬
temps dans le corps de la mere mouche, pour y prendre
tout l’accroiffement qu’ils doivent avoir pris Jorfqu’ils en
fortent, que le fœtus humain refie dans le corps de fa mere,
512 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
avant qu’il foit devenu un enfant en état de voir le jour.
Mais les fœtus humains demandent pour naître bien con¬
ditionnés, de demeurer à peu près neuf mois dans le corps
de la mere ; & entre les œufs de la même abeille, quel¬
ques-uns contiennent des fœtus parfaits, quoiqu’ils foient
mis au jour quelques femaines feulement après qu’ils ont
été fécondés, & peut-être plutôt. C’eft de quoi on a des
preuves dans les nouveaux eiïaims. 11 eftfort fingulier que
pendant que des œufs ne fortent avec l’embryon qu’ils
renferment, que neuf à dix mois après qu’ils ont été fé¬
condés, d’autres fortent aulfi parfaits au bout de quelques
femaines, & que d’autres fortent dans tous les temps in¬
termediaires.
Mais on demandera, & on doit demander s’il eft bien
fûr qu’il ne relie aucun mâle caché parmi tant de mou¬
ches! fi on peut être bien certain qu’il n’y en ait pas
quelques-uns qui ayent échappé à un carnage prefque
général î Le Mémoire fuivant apprendra les moyens qui
nous ont mis en état de parler affirmativement fur cet
article ; qu’ils étoient tels qu’il n’étoit pas poffible qu’un
feul mâle pût fe dérober à nos yeux, s’il avoit été dans
une des ruches où nous le cherchions.
EXPLICATION DES FIGURES
DU NEUVIEME MEMOIRE.
Planche XXXII.
L A Figure i repréfente une portion d’un gâteau de cire,
dont les alvéoles qui font en minimum, font remplis de
miel & fermés; ils ont chacun leur couvercle de cire. Les
alvéoles qui font en b b, ont auffi chacun un couvercle,
mais un peu plus relevé que celui des autres, parce que des
nymphes ou des vers prêts à fe transformer en nymphes,
lont
des Insectes. IX. Mcm. 51 3
font logés dans ces alvéoles, r, oc, ai, font trois cellules,
de celles dans lefquelles croiffent les vers qui le métamor-
phofent en mères abeilles, de celles que nous ax ons nom-
ruées des cellules royales; elles pendent du bord inférieur
du gâteau. La cellule o c, efl encore très-courte, & devoit
être allongée parles abeilles. Les cellules r, & d, l'ont cha¬
cune en état de recevoir un œuf. o, leur ouverture.
La Figure 2 fait voir un morceau d’un gâteau de cire,
à un des côtés duquel font attachées deux cellules royales.
or, or, ces deux cellules. Leur bout inférieur o, efl actuelle¬
ment fermé, comme Tell le bout de chacune de celles dans
lefquelles il y a une nymphe, ou un ver prêt à devenir
nymphe.
Dans la Figure 3 , une cellule royale efl poféefurdes cel¬
lules ordinaires qui ont été un peu élevées pour lui faire un
appuy. h, cette cellule. 0, fon ouverture, g, g, marquent
deux cellules royales qui ne font que commencées, qui
font faites encore en gobelet, ou en calice de gland.
Dans la Figure 4., une cellule royale a fon ouvertures,
en enhaut, c’eft-à-dire, dans un fens contraire à celui où
elle efl naturellement ; auffi peut-on voir l’intérieur de là
cavité. Cette cellule qui n’eft que commencée, a la figure
d’un gobelet; fa furface efl liffe; les abeilles n’y avoient pas
fait encore unefculpture femblable à celle qu’a l’extérieur
des cellules plus avancées.
La Figure 5 repréfente en grand les ovaires d’une mere
abeille, & les conduits par lefquels paffent les œufs pour
fortir du corps. Elle a été deffinée d’après celle de Swam-
inerdam, qui efl ici beaucoup réduite. La grandeur qu’on
lui a donnée, afernblé fuffifante pour faire paroître diflinc-
tement toutes les parties dont elle efl compofée. a ht 000,
un des ovaires, qui efl compofé d’un grand nombre de
yaiffeaux tels que celui qui efl marqué aooot, dans chacun
Tome V. . T11
514 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
deiqueis des œufs font mis à la file. Si j’euffe voulu faire
quelque changement dans la figure de Swammerdam »
j’euffe fait ajouter en a, unvaiffeau afiesgros, à peu près
auffi gros que celui qui efi au-deffous de t, duquel tous
ceux qui compofent l’ovaire m’ont paru tirer leur origine.
b c c 1 c c c b, efl l’autre ovaire. On remarquera qu’il n’efi:
pas auffi piein d’œufs que le premier, & c’efi à deffein
que Swammerdam ne l’a pas fait repréfenter parfaitement
femblable à l’autre. 11 a voulu qu’un des ovaires donnât
idée de l’état d’une mere très-féconde, & l’autre de celui
d'une mere qui l’ell moins, ou dont la ponte efl avancée.
Quand on ouvre une mere qui n’efi pas en état de pon¬
dre^ qui n’y iera pas lï tôt,comme j’en ai ouvert plulieurs
de celles-ci en Hyver, alors chaque ovaire eft un affem-
blage de filets qui, dans toute leur longueur, font tels
que les portions les plus proches de c,c,c,&.c. Il n’efi pas
néccfiaire d’avertir que les vaiffeaux c, c, c,c, ont été écar¬
tés les uns des autres près de leur bout , pour les rendre
plus fenfibles, que tous les bouts font naturellement réu¬
nis comme ceux de l’autre ovaire le font en a. re,t e, deux
conduits à l’un deiqueis aboutiffent tous les vaiffeaux d’un
des ovaires , & de même ceux de l’autre ovaire fe rendent à
l’autre conduit, e, œufs qui paroiffentdans chacun des con¬
duits te, te. vi, le grand canal dans lequel les conduits te, tc„
portent les œufs.g', petit corps fphérique que Swammer¬
dam croit defiiné à fournir la liqueur vifqueufe dont les
œufs doivent être enduits. <7, deux vaiffeaux aveugles qui
partent d’un même tronc implanté fur le grand canal.
Swammerdam foupçonne qu’ils font defiinés à faire la lé-
cretion de la liqueur vifqueufe. n, n, mufcles qui fervent au
jeu de l’aiguillon, u, la vcfiie à venin, f, le vaiffeau qui lui
porte le venin, que Swammerdam affin e avoir vu divifé en
deux branches £ £. f l’aiguillon, dd f les deux pièces qui
des Insectes. IX . Mem . 515
font un étui à l’aiguillon. Une infinité de trachées lient les
vaiffeaux des deux ovaires, & leur fournirent de l’air. En¬
tre les deux ovaires, il y a une veffie x, que Swammerdam
regarde comme une veffie pulmonaire.
Planche XXXIII.
Les Figures 1 & 2 rcpréfentent en grand une jambe
de la dernière paire d’une abeille mâle. La figure 1 la
montre par la face extérieure, & la figure 2 en fait voir
la face intérieure. Si on compare cette jambe avec une
de celles de la même paire d’une abeille ouvrière *, & une * PI. 26.
de celles d’une mere abeille, on remarquera, figure 1, que
la partie p, que nous avons nommée la palette triangulaire,
n’a point un enfoncement tel que l’a la jambe de l’abeille
ouvrière; cette cavité eft néceffaire à la jambe de celle-ci,
pour recevoir & confcrver la cire brute. Elle eût été inu¬
tile à la jambe du mâle qui ne ramaffe pas cette matière.
La même cavité n’a pas suffi été donnée à la jambe de la
mere abeille, parce que cette mouche n’a pas été faite
pour travailler. La jambe de la figure 2, a deux broffes
de poils très-fins, <St très-preffés les uns contre les autres.
L’une de ces broffes p, eft attachée à la face intérieure
de la palette triangulaire, & l’autre b, l’eft à la face de la
partie fuivante. La jambe de la mere abeille n’a point de
pareilles broffes. Comme elle ne va jamais fur les fleurs,
elle n’efl pas fujette à fe poudrer des pouffiéres de leurs
étamines. D’ailleurs, elle n’a pas befoin de fe broffer elle-
même pour ôter de fes poils les pouffiéres ou autres or¬
dures qui peuvent s’y attacher; elle a à fon fervice un
grand nombre de mouches qui prennent volontiers ce
foin. Il falioit que le mâle qui va quelquefois fur les fleurs,
pût lui-même fe nettoyer, c’eft un office que les abeilles
ordinaires ne lui rendroientpas. Mais les broffes des jambes
5 T 6 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
d-u mâle n’avoient pas befoin d’être faites de poils aufïi
longs & suffi rudes que font ceux des jambes des abeilles
ouvrières. 11 fufiit <[ue les broffes de ceux-là puiffent faire
tomber les poufliéres attachées à quelques-unes de leurs
parties ; au lieu que les broffes des ouvrières, doivent retenir
les pouffiéres qu’eiies ôtent à quelqu’autrc partie ; elles fer¬
vent à en faire des amas néceffaircs.
La Figure 3 fait voir un mâle abeille par-deffous, de
grandeur naturelle. En a efl l’anus , & l’ouverture ]>ar la¬
quelle fortent les parties qui caradérifent le fexe de cette
mouche.
La Figure q. efl le bout poflérieur du corps du mâle de
la figure précédente, extrêmement grofîi & vu du même
côté, a, l’anus, c, c, deux plaques analogues aux crochets
qu’on trouve ordinairement au derrière des mâles des in-
fedes de différentes claffcs & de différents genres, c , car¬
tilage, fous lequel les crochets c, c, font fouvent cachés,
au moins en partie.
Les Figures 5 & 6 font voir l’une par-deffus, & l’autre
par-defious, un mâle de grandeur naturelle, qui a fait
fortir de fou corps les deux cornes charnues, & l’arc qui
efl entr’elies. c,c, les deux cornes charnues, u, l’arc.
La Figure 7 repréfente le bout poflérieur du corps du
mâle vû avec une forte loupe, & par deffus, dans l’inflant
où la prefîion a commencé à faire paroître en dehors les
parties qui conflitucnt l'on fexe. ff le dernier anneau.
ff ce, membrane blanche très-diflendue. c, c, deux enfon¬
cements, de chacun delquels la preffion continuée fera
fortir une corne charnue, d, autre enfoncement qui a
quelques poils, u , quatrième enfoncement, duquel doit
s’élever par la fuite la partie faite en arc. m, le bout de
la partie qui s’eft montrée ; il efl extrêmement velu, & a
une reffemblance groffiérc avec un mafque.
des Insectes. IX. Mem. 517
Dans la Figure 8, on voit le deflous de ce dont on voit
le deflus dans la figure 7. m, le mafque velu, n, marque
l’arc qui efl apperçû au travers des membranes qui le
couvrent.
La Figure 9 montre les deux cornes charnues qui ont
commencé à s’élever au-defïiis des enfoncements c, c, de
la figure 7. c, c, font dans la figure 9 ces deux cornes.
Dans la Figure 10, les cornes c, c, qui 11e commen-
çoient qu a-s’élever dans la figure 9, paroiffent dans toute
leur longueur. La petite cavité d, de la figure 7, efl ici
remplie; en fa place efi un petit monticule velu. 11, fiarc qui
efl; forti en partie, m, le mafque.
La Figure 1 1 fait voir par-deflous, les parties qui font
vues par-deflus dans la figure précédente, & dans un
inflant où la preflion a forcé l’arc à fortir. u, l’arc, c , c,
les cornes, m, le mafque.
Ces cornes avec le mafque, ont paru à un Auteur
avoir de la reflembiance avec la tête d’un bœuf ou d’un
taureau ; c’efl même une merveille fur laquelle il s’efl fort
récrié. Peut-être qu’il n’en a pas fallu davantage dans des
temps où on le contentoit des raifons les plus frivoles,
pour faire penfer que les abeilles pouvoient venir d’un
taureau pourri.
Planche XXXIV.
Les premières Figures de cette Planche font encore
deftinées à repréfenter les parties propres aux mâles des
abeilles , que la preflion continuée fait fortir de leur
corps; Si les autres figures repréfentent ces parties dans
l’état où elles font dans le corps même ; toutes les par¬
ties qu’elles nous font voir font extrêmement groflies,
mais elles ne le font pas toutes également.
La Figure 1 ne repréfente qu’une portion de la figure
Ttt iij
51 3 Mémoires pour l’Histoire
2, mais plus groffie. c,c, les cornes. La portion ce, de
chacune efi ordinairement d’un jaune rougeâtre, u, l’arc,
fur lequel on compte aifément cinq bandes de poils,
tranfverfaîes. m, le mafque, dont les poils font ici plus
fenfibles que dans les figures de la planche précédente.
La Figure 2 fait voir de côté, des parties qui ne font
vues que par-deffus & par-defTous dans les figures de la
planche précédente, a, partie fupérieure d’un anneau, c, c,
les cornes, m, le mafque. u, l’arc.
La Figure 3 nous montre les parties qui ont été for¬
cées de fbrlir du corps du mâle, par une preffion plus
longue & plus forte que celle qui a fait paroître les par¬
ties qui paroiffcnt dans les autres figures. F.n u, cil l’arc qui
n’eft plus reconnoiffable, tant il efi gonflé & allongé. Tout
ce qu’on voit de charnu, depuis u, jufques enj', efi forti
par le bout de l’arc des figures 1 & 2.7/, efi un cartilage brun,
le même qui efi marqué par la même lettre, figure7. Au
lieu qu’il efi vu par fon côté convexe dans cette dernière
figure, il efi vû dans la figure 3, par fon côté concave.
Dans la Figure 4, nous trouvons les effets d’une prefi-
fion encore plus grande que celle qui donne les parties de
la figure 3. c, c, les cornes, u, l’arc, qui a été contraint
«le defeendre en bas par les parties qui font forties de fon
bout. Alors pourtant cet arc efi plus défiguré qu’il 11e
i’cfl ici ; mais pour marquer fa pofition, on lui a confervé
une forme qu’il a prefque perdue, p, la partie que nous
avons nommée la palette, & que je n’ai jamais vû paroî¬
tre que lorfqu’il s’efl fait un déchirement en b, ou aux
environs.
Nous aurions pû faire deffiner beaucoup de figures
moyennes entre les figures 3 & 4. mais nous n’avons
pas cru le devoir faire, parce que ces deux dernières figu¬
res & toutes les intermédiaires, n’ont rien d’affés confi*
des Insectes. IX . Mem . 519
tant. Lorfque ia preffion devient afles forte pour obliger
des parties à fortir du bout de l’arc, figure i & 2 , elle
produit des dérangements qui 11e font pas toujours les
mêmes.
Dans la Figure 5, les gaudrons de la palette font plus
nets que ceux de la palette p, figure 4.; & cela, parce
qu’ils n’ont pas été dérangés par une preffion outrée.
Dans la Figure 6 , les gaudrons de la palette paroiffent
plus détachés les uns des autres que dans la figure 5, & il
eft affés ordinaire de les trouver difpofés comme ils le
font dans cette figure 6.
La Figure 7 repréfente les parties propres au mâle des
abeilles, telles qu’elles font lorfqu’après avoir ouvert fou
corps on les en a tirées, & qu’on les a étendues afin
que les unes ne cachaffent pas les autres, a, le bout pof-
térieur du corps, le déifias du dernier anneau. f,f, les véfi-
cules féminales. d, I, les vaifïeaux déférents, q, q, étran¬
glements par lequel les vaiffeaux déférents communiquent
avec les véficules féminales. x, x, vaiffeaux tortueux,
qui ont plus de longueur qu’ils n’en ont ici, & qui fe ren¬
dent aux tefticules. t, t, les tefiicules. r, canal dans lequel
les véficules féminales peuvent porter leur liqueur laiteufe,
& que Swammerdam appelle la racine de la partie du mâle.
4 l’endroit où le canal précédent fe joint au corps que
nous avons nommé la lentille. / /, la lentille, i e, i e, deux
plaques brunes & écailleufes ou cartilagineufes, qui for¬
tifient la lentille près d’un de fes bords, n, autre plaque
cartilagineufe. Sur la ftee de la lentille qui ne fçauroit
paraître dans cette ligure, il y a deux plaques femblables à
celles qui font marquées ie, &. n, elles y font femblable-
ment placées, k, canal fait de membranes pliffées, qui parc
du bout pofîérieur de la lentille. p, la palette gaudronnée.
u, l’arc ; il paroît au travers des membranes qui ie couvrent.
520 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
m, les membranes qui forment cette elpéce de lac charnu;
qui, lorfqu’il elt hors du corps, a à fon bout un malque
velu. c,c, les deux cornes, dont l’une efl étendue; l’autre
eh pliée; elles le font toutes deux naturellement, & plus
pliées que celle qui l’eft ici.
La Figure 8 montre les parties du male arrangées
comme elles le font dans fon corps, & comme elles y
paroilfent lorfqu’on a emporté la partie fupérieure de
chaque anneau. Le trait £ iyy a, marque le contour du
ventre. f,f, les véhicules féminaies. d, d, les vai(féaux défé¬
rents. x, x, vaiffieaux tortueux qui doivent aboutir aux
tefticules, lefquels ne paroilfent pas dans cette figure, &
ne font pas ailés à dégager des trachées qui les envelop¬
pent. 4 L lentille à laquelle fe rend le canal r l.
La Figure 9 fait voir les parties du mâle dans l’état où
elles paroilfent lorfqu’on a emporté les parties d’anneaux
qui recouvrent le ventre. Le trait ££j y y a, marque le
contour du dos fur lequel font pofées les parties qui font
aéfuellement vifibles. f,f, les véhicules féminaies. 4 la len¬
tille. e , une des plaques écailleufes qui fortifie un des cô?
tés de la lentille.
DIXIEME
ri. 3 -2 pu> . 5 2 o Alan - a- de ! Hlslr- des hure êtes. Tatz . $ .
If<zu*rj'£zr‘£{, S czUf-
Sauf
Fl . j'it.tt Sxc'jfl.-ni .1 ./,• / Wi/? ,//. /o/Alh/f.m.''
Fut s.
F,., -
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des Insectes. X. Mon.
521
!§ 3 ! ZI €€ ;, 2 €€
D 1 X I E M E Al E' M 0 1 R E.
DES MOYENS DE FAIRE PASSER
LES ABEILLES D’UNE RUCHE
DANS UNE AUTRE;
Et comment on peut examiner une à une toutes celles
Aune ruche .
I L importe également à ceux qui élèvent tles abeilles
dans la vue de profiter de leurs travaux, N à ceux qui
cherchent principalement à s’inftruire de leur Hifioire,
de fçavoir les moyens de forcer celles d’une ruche de
palier dans une autre. On le met par-là en poffeffion de
toute la cire & de tout le miel de la ruche dont elles ont
été chaiïees. Si ce procédé femble avoir quelque choie
d’injufte, au moins la cruauté n’y efl-eile pas jointe à
l’injuflice, comme elle l’efl dans la pratique ufitée en
beaucoup de pays, où, pour s’emparer de tout ce que ces
mouches ont ramaffé, on a la barbarie de les faire périr
elles-mêmes, où on les étouffe toutes dans leur propre
habitation. Il y a même des circonftances où c’cft leur
rendre un bon office que de leur faire quitter un loge¬
ment qui eft rempli de gâteaux de cire, quoique ce foit
pour les établir dans un autre qui eft dénué de tout. Lors¬
que ces fauffes teignes dont nous avons parlé dans le troi-
fiéme volume, fe font trop multipliées dans une ruche, les
abeilles n’ont rien de mieux à faire que de la leur aban¬
donner. Elles ne fçauroient lùffire à y conftruire autant
de cellules que ces fauffes teignes en détruifent. On fert
Tome K . V u u
522 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
donc alors les mouches, en les forçant de prendre un
parti qu’elles auroient dû prendre d’elles-mêmes.
Ce n’eft au fil qu’en mettant toutes les abeilles hors de
la ruche dans laquelle elles font établies, qu’on peut par¬
venir à s’a durer de piufieurs fûts effentiels à leur Hiftoire;
de piufieurs faits que nous avons avancés dans les Mé¬
moires précédents, fans en avoir encore prouvé la réalité :
comme de s’alfurer que pendant prefque toute l’année,
il n’y a dans chaque ruche qu’une rnere; de fçavoir le
temps d'une a (Tés courte durée pendant lequel il peut y
en avoir piufieurs; de fe convaincre que les ruches font
ordinairement dépourvues de mâles pendant au moins huit
à neuf mois conlécutifs. Mais avant que d’expliquer les
moyens nouveaux que nous avons employés pour certi¬
fier ces faits, nous devons parler des moyens qui ne font
pas ignorés, & auxquels on fçait avoir recours pour faire
paffer les abeilles d’une ruche dans une autre.
Nous fiippoferons d’abord que la ruche dont on veut
déloger les mouches, & celle où on les veut faire entrer,
font en panier d’ozier ou d’autre bois propre à être en¬
trelacé, & que leur figure tient de la conique. Ce que
nous aurons dit de celles-ci pourra être aifément appliqué
aux ruches de toute autre figure, de toute autre matière,
& de toute autre ftrucfhire. La manière la plus ufitée &
une des plus fimples de faire paffer les mouches d’un pa¬
nier dans un autre, efl celle que nous allons décrire la
première.
Les ruches en panier, comme tous les vafes coniques,
n’ont qu’une feule & très-grande ouverture, celle de leur
bafe, mais qui efl; bouchée par l’appuy plat fur lequel elles
font pofées. On commence par renverfer fans deffus
* Pi. 3 5 . fig. deffous, la ruche peuplée * qu’on veut rendre déferte, par
mettre fon ouverture en enhaut. Comme on a befoin de
DES I N S E C T E S. X. Mcm. 523
fa maintenir pendant du temps dans cette pofition, avant
que de la renverfer 011 a eu loin de creulèr en terre un
trou fur le fond duquel on pofe fon fommet & dans
lequel elle entre de cinq à fix pouces. La terre qui a été
ôtée pour faire le trou étant rapprochée de la ruche, aide
encore à la foûtenir. Sans creulèr même la terre, on peut
fuppléer à l’appuy qui manque à la ruche renverfée,
par quelques grolfes pierres. Il n’eft guercs néceffaire
d’avoir pour cette opération , comme quelques-uns font,
une efpéce de trépied fait de trois pièces de bois difpofécs
triangulairement & alfujettics avec trois autres pièces qui
foûtiennent le triangle parallèlement à l’horifon.
On imagine bien qu’il efl très-fimple de renverfer une
ruche fans deffus défions, Si de la retenir en cet état;
mais de le faire, peut paroître une mauvaife commiffion
pour celui qui s’en charge; il femble devoir être expofé à
bien des piquûres. II le feroit auffi, s’il choifffoit pour
cette opération, les heures d’un jour chaud, où lefoleil efl
le plus ardent; mais le foir, lorfque le foleil efl couché.
Si le matin, lorfqu’il ne paroît pas encore fur fhorifon ,
ou qu’il s y efl peu élevé, on peut fouvent renverfer la
ruche Si la teffir renverfée, fins qu’il en forte une feule
mouche. Cependant, comme d’un moment à l’autre,
elles peuvent ceffcr d’être tranquilles, qu’il faudra même
bien-tôt les faire mouvoir, la prudence veut que celui
qui les doit inquiéter, fe précautionne contre leurs atta¬
ques; il faut même le fçavoir faire de façon qu’à quelque
heure du jour qu’on veuille les tourmenter, on le puiffe
fans rifque.
C’eft fur-tout pour le vifage qu’on a à craindre : pour
le deffendre Si pour deffendre le col, on a un camail * de * Pï- 3 5 -
toile forte, dont le devant efl fermé par une efpéce de maf- 1 '
que de toile de crin *, de toile à tamis très-chaire, & au * m .
V u u ij
524 MEMOIRES POUR L’HiSTOiRE
travers de laquelle on voit comme au travers d’un verre. Je
fais donner de larges manches à ce camail, qu’on lie avec
* PI. 3 j. %. un ruban *,auprès des poignets. Le bas du camail doit aufïï
1 ■ c > c ' être tenu bien applique contre le corps par une ceinture *.
Des bas ordinaires ne fuffilènt pas pour deffendre les jam¬
bes ; des bottines de cuir mol, de celles qui font faites
en bottes & qui fe laiffent appliquer contre la jambe par
une jarretière mife au-deffous du genou, feraient ad¬
mirables. Au défaut de pareilles bottines, on s’en peut
faire une très-bonne à chaque jambe en la couvrant d’une
ferviette qui y fait plufieurs tour», & qui eft retenue par
une ficelle tortillée deffus depuis le bas jufques au haut
de la jambe. Des gants ordinaires ne mettent pas les mains
en fureté; l’aiguillon peut paffer au travers de ceux d’un
chamois épais. Quelques Auteurs recommandent des gants
de laine; ils prétendent que les abeilles ne piquent pas
dans la laine; il n’y a rien de moins vrai. Ce qui l’efi,
c’eft que des gants faits d’une groffe laine font meil¬
leurs que des gants d’un cuir mince. Une efpéce de bourre
qui fe trouve deffus, fait qu’il y a plus loin jufques à la
main pour faire pénétrer l’aiguillon; mais les abeilles fça-
vent très-bien le diriger entre des floccons de cette bourre;
dans beaucoup de circonfiances , j’ai vû les mains de
celui à qui j’avois donné de ces gants, & des plus épais,
remplies de piquûres. Pour que les mains foient hors
de rifque, c’en eft à peine affés de donner deux gants à
chacune , un de peau fous celui de laine.
Il n’cfl point de temps où on ne puiffe affronter les
abeilles quand on s’efi muni contre leur aiguillon, comme
nous venons de le preferire ; mais ceux qui font aguer¬
ris avec elles, négligent une partie de ces précautions,
ils ne redoutent que médiocrement leurs piquûres. On
peut donc être en état d’agir fans rifque fur la ruche qui
des Insectes. X. Mem. 525
a etc mife le haut en bas & arrêtée dans cette pofition.
Elle peut alors fervir d’appuy à une ruche vuide dont on
la couvre*. Si les diamètres des deux ruches font égaux, * PL35.
elles s’ajliftent l’une fur l’autre ; Si fi le diamètre de la bafe 7 *
de l’une furpafle un peu le diamètre de la bafe de l’autre,
line des deux entre un peu dans l’autre. 11 n’eft prefque
pas poftible que les deux ruches foient appliquées l’une
contre l’autre fans laifter des vuides qui font autant de
portes par lefquelles les abeilles pourroient fortir ; mais on
peut boucher ces vuides furie champ avec quelque terre
grafte ramolie par l’eau, ou avec de la bouze de vache.
Pour les boucher plus folidement, je fais volontiers en¬
tourer les deux ruches à leur jonélion, par une bande de
toile*, faite d’une longue ferviette ou d’une petite nappe * fi^. s.
rendue étroite par des plis redoublés. Plufieurs tours d’une
petite corde arrêtent cette bande de toile contre l’une &
contre l’autre ruche.
Pendant qu’on a fait les difpofitions dont nous venons
de parler, on a commencé à mettre le trouble parmi les
abeilles, on cherche à l’y augmenter pour les déterminer
à quitter la ruche inférieure où elles font. Si à monter
dans la fupérieure. On prend deux baguettes de bois,
line de chaque main, avec lefquelles on frappe alterna¬
tivement contre deux côtés oppolés de la ruche inférieure.
Les ébranlements que caufent les coups réitérés, & le bruit
qui les accompagne , inquiètent les mouches. Bien-tôt
on les entend bourdonner, & leurs bourdonnements vont
en augmentant. Elles fe mettent en mouvement. Quel¬
ques-unes fe déterminent à abandonner une habitation
qui eft fans deftiis deftous, & où on ne les laide pas tran¬
quilles , pour pafter dans une autre qui n’eft pas ébranlée
comme la première par des coups continuels; d’autres
fuivent celles-ci. Quand la mere eft de celles qui fe font
V u u iij
* O
52 6 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
déterminées à partir, le plus grand nombre des mouches
fe trouve bien tôt dans la ruche fupérieure : mais lorfque
la mere efl plus pareffeufe ou plus affectionnée à tout ce
qui ell dans l’on ancien logement, on battrait quelque¬
fois pendant des heures entières fans que les coups clé-
terminaffent les abeilles à déménager. On reconnoît l’ef¬
fet qu’ils ont produit, en appliquant i’oreiiie contre la
ruche fupérieure. Quand on entend bien du bruit
dans celle-ci, c’cft un figne certain que beaucoup de
mouches s’y font rendues, de on peut féparer alors les
deux ruches l’une de l’autre.
Lorfque les coups de baguette ne produifent pas un
effet affés prompt, fans féparer les deux ruches je fais
mettre en embas la fupérieure que je fais bien-tôt remet¬
tre en enhaut. Et enfin, je les fais agiter à bras autant
qu’il eft poffible. Ainfi, on ne manque pas de détermi¬
ner un nombre d’abeilles à paffer dans la ruche vuide; Si,
quelque petit qu’il foit, il fuffit pour la faire devenir le
logement de toutes les autres, fur-tout fi on porte fur le
champ la ruche qu’on veut remplir dans la place où étoit
celle qu’on veut vuider. C eft une circonflance très-effen-
tieile & de laquelle je ne trouve pas qu’on ait affés fongé à
» PI. 3 5 . fig. avertir. Dès qu’elle y aura été mife *, on étendra un drap *
par terre auprès de la nouvelle ruche, & l’on fecouera rude-
Fig. 10. nn. ment p ur j c ( { ra p l’ancienne ruche dont l’ouverture fera en
embas. On donnera même des coups de cette ruche con¬
tre le terrain que le drap couvre. L’effet de ces fecouffes
Si de ces coups, fera de faire tomber fur le drap, des gros de
mouches qui s’étoient obftinées à relier dans leur ancien
logement. Le drap n’efl ici néceffaire que pour recevoir les
gâteaux pleins de miel qui pourraient tomber eux-mêmes.
Si qui deviendraient mal propres s’ils tomboient fur la
terre. Les mouches qui font en tas fur le drap, & qui fe
des Insectes. I Mem. 527
trouvent tout près de l’endroit où elles avoient coutume
de Te rendre, dirigent leur marche vers ce même endroit.
On en voit de larges files & bien continues qui tendent
à y arriver. A mefure que les mouches de ces files par¬
viennent à une ruche où il y a déjà plufieurs de leurs
compagnes, elles entrent dedans en foule. Afin même
qu’elles trouvent un chemin plus facile & plus court,
on placera une planche *, de manière qu’un defes bouts * PI. 35.%.
porte fur le drap, & l’autre fur l’appuy de la ruche.
La circonffance de pofer la nouvelle ruche auprès de
l’ancienne, contribue fi fort à la réuffite du déménage¬
ment qifon veut faire, qu’elle pourroit difpenfer de toutes
les premières pratiques que nous avons enfeignées, qu’il
futhroit de fecoucr fur le drap la ruche habitée, d’obliger
ainfi les abeilles à la quitter, pour les déterminer à aller
s’établir dans l’autre. On peut pourtant réuffir à faire en¬
trer les mouches dans une ruche qui n’eff pas placée fi fa¬
vorablement.
Il y a toûjours un certain nombre d’abeilles qui, mal¬
gré les fecouffes qu’on a données à leur ancienne ruche,
quoiqu’on l’ait frappée rudement contre terre un grand
nombre de fois, s’opiniâtrent à y demeurer ; mais bien¬
tôt on les met dans la néceffité d’aller rejoindre le gros:
car on ôte les uns après les autres les gâteaux de la ruche.
On coupe avec un couteau le plus près qu’il eft poffible
des parois, celui qu’on veut détacher. Quand on tire ce
gâteau hors de la ruche, plufieurs abeilles y font crampon¬
nées ou courent defTus. On les balaye avec les barbes d’une
plume, Si on les fait tomber fur le drap. Tous les gâteaux
ayant été ainfi retirés les uns après les autres, ce qui refie
d’abeilles dans l’ancienne ruche efl peu confidérable; en
la frappant contre terre deux ou trois fois, on les fait tom¬
ber; & enfin, on tranfporte au loin la ruche que l’on vient
528 MEMOIRES POUR UHlSTÔIRE
de vuider de mouches Si de gâteaux, afin que l’autre fe
peuple plus paifihlemem N plus promptement.
Lorfqu’on veut déloger des mouches d’une ruche où
elles ne font pas établies depuis long temps, & où elles
n’ont pas encore fait beaucoup de gâteaux, l’opération
de les faire palier dans une autre elf extrêmement fimple.
Lefoir ou le matin on frappe la ruche dans laquelle elles
font, contre une terre unie ou contre le déifias d’une table
pofée à terre. Les mouches qui ne font pas -entre dés gâ¬
teaux, ne peuvent pas ré fi fier aux fecoufies qui ont palfé
jufques à elles; elles tombent en malle. Le peu de gâ¬
teaux qu’il y a dans la ruche tombe quelquefois en mê¬
me temps. Comme ils font petits, ils n’ont que de foi-
blés attaches, & ils ne tiennent encore qu’au haut de la
ruche. On couvre de la nouvelle ruche le gros des abeilles
qui eft par terre; elles montent dedans & s’accommodent
de l’échange qu’on les a obligé de faire. Nous dirons ail¬
leurs qu’on réunit quelquefois enfemble deux efiaims foi-
bles, ou qu’on joint un efiaim foible à un efiaim plus
fort, ce qu’on appelle marier enfemble deux efiaims. Une
des plus commodes façons de faire ces mariages, de faire
pafier les abeilles d’une ruche dans une autre déjà habitée,
eft celle que nous venons d’expliquer; fur les abeilles qu’on
a fait tomber de leur ruche, on met la fécondé ruche dans
laquelle font les abeilles auxquelles ôn veut les aftocier.
Mais ces moyens de faire pafier les abeilles d’une ruche
dans une autre, ne font pas de ceux qui peuvent convenir
à un Obfervateur qui veut fçavoir s’il y a pluralité de
meres dans une ruche, s’il y a des mâles, ou s’il 11’y en a
pas. Tout fe pafie trop tumulruairement alors pour qu’il
puifte faire de bonnes obfervations. On peut tirer un peu
plus de parti d’une autre manière d’obliger les abeilles à
déménager, & très-anciennement connue. Les premiers
Auteurs
des Insectes. X. Mem. 529
Auteurs qui ont parlé des abeilles, ont fçu que toute
fumée leur déplaît, & qu’on pouvoit l’employer pour
les rendre plus traitables. On a fçu il y a long-temps
qu’on pouvoit s’en fervir avec fuccès, lorfqu’on vouloit
leur ôter une partie de leur cire & de leur miel, ce
qu’on appelle châtrer une ruche. Quand on a conduit
la fumée lur l’endroit où elles font le plus entalfées,
elles l’abandonnent. Un gâteau quelles cachoient entiè¬
rement à nos yeux, elt entièrement à découvert au bout
de quelques inftants ; il n’y relie pas une feule mouche.
La fumée les incommode, elle les étourdit, elle les
enyvre; elle peut même les enyvrer au point de les ren¬
dre incapables de fe mouvoir, au point de les faire pa-
roître mortes, & même de les faire mourir. Toute fumée,
comme celle des herbes féches, ou à demi-féches, efl ca¬
pable de produire cet effet fur elles ; mais il n’y en a
point dont il foit plus commode de fe fervir, que celle
d’un linge tortillé auquel on a mis le feu & dont on a
éteint la flamme, ou celle d’un papier tortillé. J’évite-
rois de me fervir de fumée des mèches où on peut avoir
introduit du fouffre. L’odeur en peut être trop prompte¬
ment funelle aux abeilles. Dans bien des circonltances
où l’on veut s’approcher de près des gâteaux de ces
mouches, on fe met à l’abri de leurs piquûres, en tenant
à la main un linge qui répand beaucoup de fumée, fur-
tout fi on a foin de s’entourer d’une elpéce d’athmolphére
de cette fumée.
Ce n’eft pas feulement pour manœuvrer plus à fon
aife aux environs des ruches, que l’on peut fe fervir de la
fumée, on peut l’employer pour faire palfer les abeilles
d’une ruche dans une autre, & voici de quelle manière.
Nous continuons de fuppofer que la ruche dont on veut
ies faire fortir, 6c celles où on veut les faire entrer, font des
Tome V . X x x
r3O MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
ruches en panier. On coupera plufïeurs des brins de bois
du fommet de la première, on y fera un trou de deux
ou trois pouces de diamètre : plus le trou fera grand
& plus le iucc'ès de l’opération fera prompt. On fera en¬
trer le haut de cette ruche dans une autre qu’on pofera
defTus, & qui y fera naturellement foûtenuë& fixée. Tout
étant ainfi dilpolë, on introduira fur l’appuy de la ruche
peuplée, des linges ou des papiers qui répandront de la
fumée. Pour la mieux déterminer à monter j’ai quel¬
quefois fait un trou au fommet de la ruche vuide & fu-
périeure. La fumée porte le trouble dans la ruche habi¬
tée; on y entend bientôt du murmure, & enfuite un bour¬
donnement confidérable. Les mouches abandonnent les
endroits les plus enfumés ; elles montent vers le haut de
la ruche, & celles qui trouvent le trou qu’on y a fait, en
profitent pour entrer dans un lieu où la vapeur qui les
tourmente n’a pas encore pénétré. Il m’efi arrivé quel¬
quefois de déterminer affés vite celles que je finnois à
paffer dans la ruche où je les vouiois; mais quelquefois
auffi il a fallu les fumer long-temps, mettre fous leurs
ruches, & à bien des rcprifes, des rechauds où il n’y avoit
qu’autant de feu qu’il en falloir pour faire répandrebeaur
coup de fumée aux matières qui le couvraient.
Un des inconvénients de cette opération, c’efl que
quand les abeilles ne le déterminent pas affés tôt à quitter
leur ruche, quand elles donnent le temps à la fumée de
les étour lir, il y en a beaucoup qui volant ou marchant
au hazard, ou qui cherchant à fôrtir par le bas de la ruche,
fe jettent dans l’endroit où elle efî le plus épaiffe, & dans le
feu même qui l’entretient. Alors il en périt un bon nom¬
bre, non-feulement de celles qui font tombées dans le
feu, mais même de celles qui ont été trop attaquées par
L vapeur. Ordinairement néantmoins on ne les force
des Insectes. X Mem . 531
à fortir qu’après avoir renouvellé plufieurs fois les matières
qui répandent la fumée; pour cela, on efl obligé de tirer
de dedans la ruche le rechaud ou le fupport plus plat ou
font les matières qui font trop brûlées, ou qui fe font trop
éteintes; ce qui ne fe peut faire fans foûlever le bas de la
ruche, Si fans y ouvrir, pour ainfi dire, une large porte
dont une partie des abeilles peut profiter pour fortir.
D’ailleurs, en renouvellant fouvent le feu, on les expofè
davantage au rifque de fe brûler.
Pour faire entrer la fumée plus commodément, j’ai
quelquefois poféla ruche dont je voulois chafferles mou¬
ches, fur un rondeau percé de plufieurs trous qui avoient
un pouce ou un pouce Si demi de diamètre. Le fond d’un
bacquet fait d’un tonneau fcié en deux inégalement, m’a
fourni le fond que je faifois percer, Si fur lequel je pofois
la ruche. Mais avant que de l’y pofer, je faifois faire une
efpéce de petit édifice qui foûtenoit en l’air à quatre à
cinq pieds de terre le bacquet percé. Deux planches, par
exemple,parallèles l’une à l’autre dont chacune avoit un
defes bouts appuyé fur le bord d’un mur de terraffe afTés
bas, Sc dont l’autre bout étoit foûtenu en dehors de
la terraffe par un montant de bois ; deux planches, dis-
je, ainfi difpofées, faifoient mon édifice. Elles étoient
écartées de manière que le vuide qui étoit entr’elles étoit
moins grand que le diamètre du bacquet qu’elles dévoient
po r ter. Ce bacquet étant donc placé fur ces deux planches.
Si la ruche habitée étant pofée fur le bacquet, rien n’étoit
plus fimple que de fumer les abeilles ; il n’y avoit qu’à
tenir le rechaud hors de la ruche, mais fous le fond fur
lequel je l’avois établie. On renouvelloit dans le rechaud
tout autant de fois qu’on levouloit, les matières propres
à donner beaucoup de fumée, Sc les abeilles étoient peu
en rifque de fe venir jetter dans le feu ; elles 11e cherchoient
Xxx ij
* Pî. 22 . fi
6. & PI. 2.
fig. 1,2,3
S-
* Pi. 24..
S*
532 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
pas à fortir par des trous où il y avoit une fumée trop
épaiffe. Cette manière de fumer les abeilles ma paru
bonne. Quand on les a forcées pour la plupart à mon¬
ter dans la ruche fupérieure, on achevé le refte comme
nous avons dit qu’on l’achevoit dans le cas de la ruche
qu’on a battue pour en chaffer les mouches; c’eff à-dire,
qu’on fépare les deux ruches l’une de l’autre ; qu’on ôte
un à un les gâteaux de l’ancienne ruche, & qu’on fait
tomber les abeilles qui font delfus auprès de la nouvelle
ruche en balayant ces gâteaux avec les barbes d’une
plume.
Je me fuis fouvent fervi de flacons d’un verre très-
tranfparent pour un ulage fort différent de celui auquel
on les employé ordinairement. Au lieu de les remplir de
liqueur, je les ai fouvent remplis de mouches à miel. Sou¬
vent j’ai eu en bouteilles toutes les mouches d’une ruche;
& un des moyens & le premier dont je me fuis fervi pour
y réuffir, a été de les fumer. C’eft fur-tout pour parvenir
plus aifément à faire fortir de la ruche les mouches, &
à les recevoir quand elles fortiroient, dans tel vafe que je
voudrais, que j’ai fait faire des ruches vitrées en cône tron-
g. qué *, & qui à leur partie fupérieure ont un trou rond.
Ces mêmes ruches ont un fond qui les ferme. Après
avoir bouché les petits trous qui fervent de portes aux
abeilles, avec de petits bouchons de papier, j’ouvrais pour
un infant un des chaffis vitrés du bas, & je faifois entrer
dans la ruche des linges qui répandoient beaucoup de
fumée. Sur le champ je débouchois le trou du haut de
ig. la ruche, & je mettois fur ce trou * & dans une pofition
renverfée, la bouteille ou le poudrier dans lequel je vou-
lois faire entrer les abeilles, & dans lequel entraient bien¬
tôt celles qui cherchoient à fuir la fumée qui les incom-
modoit. Quand ce poudrier avoit affés d’abeilles, je le
DES I N S E C T E s. X. Mem. 5 3 3
rctirois, je le couvrois pour y retenir celles qui y étoient.
Si je mettois un autre poudrier en là place, qui à fon tour
fe remplilToit d’abeilles au point où je le fouhaitois.
On pourroit croire que chaque fois qu’on retire un
poudrier de dell'us la ruche, qu’il s’en échappe bien des
abeilles, quelque chofequ’on fade,avant qu’ili’oit bouché.
Si qu’il s’en échappe de même par le trou de la ruche,
avant qu’il foit couvert par le nouveau poudrier, fi nous
ne rappellions une manœuvre très-(impie Si dont nous
avons déjà parlé , qui met en état de faire tout cela làns
qu’aucune abeille puilfe s’envoler. Cette petite manœu¬
vre demande feulement qu’on foit pourvû de deux quar-
rés de papier égaux Sc plus grands qu’ils n’ont beloin de
l’être pour boucher le poudrier. Quand on elt content du
nombre des abeilles qui font entrées dans le poudrier, on
fait glilfer les deux quarrés de papier pôles l’un fur l’au¬
tre fur le deffus de la ruche, pour les faire palfer entre
ce dclfus Si le poudrier. Les deux feuilles de papier glifi
. fées fous le poudrier, n’occafionnent jamais un vuidc
ailes grand pour donner paffage à des abeilles. Enfin,
quand on a fait gliffer ces deux quarrés jufques à ce que
leur milieu foit vis-à-vis celui du trou, toute com¬
munication elt ôtée aux abeilles de la ruche avec celles
du poudrier. Ce qui refie alors à faire elt bien facile, mais
demande quatre mains. Quelqu’un retient avec les deux
fiennes le quarré de papier qui elt immédiatement appli¬
qué fur la ruche, pendant qu’une autre perfonne enleve
l’autre quarré de papier Si le poudrier contre les bords de
l’ouverture duquel il eft appliqué, Si fait fur le champ de
ce papier un couvercle qu’on ne fera plus obligé de te¬
nir, parce qu’après avoir plié le papier tout autour des
bords, comme il convient qu’il le foit, on l’arrête avec
une ficelle au-deffous.des rebords de l’ouverture. Alors
Xxx iij
534 MEMOIRES pour l’Histoire
on n’a plus qu’à placer {ouverture d’un nouveau poudrier
fur le quarré de papier qu’on tient fur le trou de la
ruche, & de manière que les centres des deux ouvertu¬
res foient à peu près vis-à-vis l’un de l’autre. On retire
auffi-tôt le papier en le faifant glifïer, & les abeilles de la
ruche entrent dans ce fécond poudrier, comme d’autres
étoient entrées dans le premier.
On peut donc faire paffer ainfi toutes ou prefque toutes
les abeilles de la ruche, dans autant de bouteilles ou de pou¬
driers qu’on veut ; & par conféquent on eft maître de ne
remplir chaque poudrier qu’autant qu’il le doit être pour
qu’on puilfe efpérer de voir les unes après les autres les
abeilles qu’il contient, 6 c y dillinguer les unes des autres
celles qui font de différent fexe. On a même le temps
d’examiner ces abeilles, lorfqu’eiies fe rendent de la ru¬
che dans la bouteille, fur - tout fi cette bouteille eft de
celles qui ont un col long & étroit.
Au lieu de la fumée, on peut fe fervir de l’eau pour
faire paffer les abeilles dans autant de poudriers qu’on
voudra, 6 c pour les faire fimplement paffer d’une ruche
dans une autre. C’eft peut-être même la manière la plus
commode de faire ces fortes d’opérations, 6 c avec la moin¬
dre perte de mouches, 6 c avec moins de rifque d’être
piqué. Elle ii’elt pas abfolument ignorée, mais elle n’eft
pas affés connue ; je ne l’ai trouvé décrite nulle part ;
6 c je ne fçais point d’endroit où on s’en ferve pour obli¬
ger les abeilles à changer de ruche. Tout ce qu’elle de¬
mande de plus difficile à avoir, 6 c dont on efl affés ordi¬
nairement pourvû à la campagne, c’ell un bacquet, une
efpéce de cuvier qui ait autant de profondeur que la
ruche dont on veut faire fortir les abeilles, a de hau¬
teur. Un tonneau défoncé par un bout, peut dans le
befoin fournir un tel bacquet ; -il a toûjours plus de
des Insectes. X. Mem. 535
profondeur qu’il n’en faut, & affés de diamètre pour rece¬
voir une ruelle ordinaire. On fera le loir une ouverture
d’un pouce &demi, ou de deux pouces de diamètre, à la
partie fupérieure de celle dont on veut faire fortir les abeil¬
les. On pofera enfuite cette ruche dans fa fituation ordi¬
naire dans un bacquet ; & lorfqu’elle y fera, & que les
abeilles que le tranfport peut avoir miles en mouvement,
fêleront tranquillifées, on ajullera la ruche dans laquelle
on les veut faire entrer, fur celle où elles font. O11 bou¬
chera tous les vuides qui fe trouveront entre les bords de
la ruche fupérieure & la ruche inférieure, avec de la glaife.
Dès qu’on fait tout cela le foir, on le fait aifément, &
avec peu de rifque d'être piqué. Si on veut fe ménager
toutes les commodités, on aura attention de placer le
bacquet où eft la ruche, auprès du puits ou du refervoir
qui fournira l’eau dont on aura befoin. Le lendemain dès
le matin, avant que les abeilles ayent encore longé à aller
à la campagne, on jettera quelques fceaux d’eau dans le
bacquet. On y en jettera julques à ce que l’eau ôte aux
mouches toutes les forties qu’elles auroiem pû trouver
dans les endroits où les bords de la ruche & le fond du
baquet ne fe touchent pas affés exactement. On achèvera
enfuite le refie à fou aife; il ne s’agira que de verfer fuccef-
fivement des fceaux d’eau. A mefure que l’eau s’élèvera fur
le fond du bacquet, elle entrera & s’élèvera dans la ruche.
Les abeilles qui craignent d'être lùbmergées, gagnent des
endroits plus élevés quand elles voyent que l’eau atteint
leurs gâteaux; à melure quelles voyent l’eau monter plus
haut dans leur ruche , elles font contraintes de s’ap¬
procher de fon fomrnet; elles profitent de l’ouverture
quelles y trouvent, pour fortir & pour paffer dans l’autre
ruche qu’on leur a préparée. Lorfque cette dernière eft
vitrée, comme l’ont été fouyent celles qui m’ont fervi à
53 6 Mémoires pour l’Histoire
cette expérience, & qu’on a laide les volets de bois ou¬
verts , on voit dans certains moments les abeilles s’y
rendre en foule pour fe fauver de l’inondation. Quel¬
quefois pourtant on ne les force toutes à quitter une
habitation qui leur étoit chere, qu après l’avoir entière¬
ment remplie d’eau. Alors il ne refie plus qu’à féparer la
nouvelle ruche de l’ancienne, & à la pofer proche du
bacquet fur un appuyfolide, au moins jufques à ce que
les grands mouvements l'oient calmés; & pour le mieux,
on la porte enfuite dans la place où étoit l’ancienne ru¬
che ; cette circonflance n’eft pourtant pas abfolument
néceffaire.
On imagine bien qu’entre les mouches qu’on a voulu
chaffer, il y en a eu de parelfeufes, qui ne fe font pas affés
prelfées de fuir l’eau qui les venoit chercher; que d’autres
ont volé trop étourdiment vers l’eau ; que d’autres dans
l’agitation générale y font tombées. Aulfi quand on a
retiré l’ancienne ruche du bacquet, la furface de l’eau
paroît quelquefois couverte de mouches noyées ou de
mouches qui fe noyent. Malgré ce défaftre apparent, il
relie encore vrai, que de tous les moyens de faire palfer
les mouches d’une ruche dans une autre, il n’y en a au¬
cun qui mette en état d’y parvenir avec une auffi petite
perte de mouches. On doit avoir foin de pêcher fur le
champ , toutes celles qui flottent fur l’eau. 11 n’efl point
d’inftrument plus commode pour cela, qu’une écumoire
ordinaire. Qu’on étende enfuite les mouches qu’on a
pêchées, fur une ferviette pofée par terre auprès de la
nouvelle ruche; li l’air ell doux, & fur-tout fi le Soleil
fe montre de temps en temps, on verra toutes les abeilles
ianguiflantes reprendre vigueur : on verra même re¬
tourner à la vie celles qu’on croyoit noyées, devenir
vigoureufes comme les autres, & toutes fe rendront
à la
des Insectes. A”. Mem . 537
à la ruche où leurs compagnes font établies. Enfin, oh
ne Içauroit croire combien il en périt peu. J’ai fait p!u-
fieurs fois de ces opérations, dont chacune ne m’a pas
coûté une douzaine de mouches. Il en périt bien autrement
même dans les ruches qu’on bat pour obliger les abeilles à
déloger, parce que, comme nous l’avons dit, elles ne pa fi¬
rent pas toutes de bonne grâce, dans celle qu’on leur a
eldhnée ; il y en a un grand nombre qu’on ôte de deffus les
gâteaux, en les balayant avec une plume; plulieurs de celles-
ci fe trouvent emmiellées. Les gâteaux coupés ou bribes
JaifTentcoulerdumielquienenduitd’autres; & le miel qui
bouche leurs fligmates, les fait périr. Enfin , beaucoup
d’autres abeilles trop irritées, piquent les gants, les bas, les
habits de celui qui les inquiété ; elles (aident leur aiguillon
dans les piquûres, & il leur en coûte la vie.
Les gâteaux qu’on retire de la ruche dont l’eau a chafîe
les abeilles, ont fouvent bien des cellules dans chacune
defquelles une mouche étoit nichée dans le moment de
l’inondation; l’eau les y a lurprifes. Ce font celles qui font
le plus en danger de périr; fouvent elles n’ont pas la force
de fie retirer de leur loge qui eft pleine d’eau en partie;
mais on les fauve, fi on fe donne la peine de les en tirer
avec attention ; c’efl-à-dire, fi on les manie afTés légère-,
ment pour ne les point bleffer.
Le leul inconvénient que l’on peut trouver dans cette
pratique , c’efl que tous les gâteaux font mouillés. Ceux
dont les cellules font vuides, & ceux dont les cellules
ont du couvain, c’eft-à-dire, des œufs, des vers, ou
des nymphes, n’en fçauroient être endommagés; la cire
ne fçauroit être altérée par l’eau qui la mouille : mais
les gâteaux qui contiennent du miel en peuvent foufïrir.
Le miel qu’on tire enfuite de ces gâteaux, reffemble au
vin qui vient de raifins cueillis dans des jours de pluye;
Tome V . Y y y
1538 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
il dt mêlé avec un peu d’eau. Cet inconvénient n’efl
pourtant pas grand ; car on eft même obligé d’avoir re¬
cours à beaucoup plus d’eau, lorlcju’on ne veut point
laifïer de miel aux gâteaux de cire. D’ailleurs cet in¬
convénient ne tombe que fur le miel d’une partie des
cellules; car tout celui qui dt dans des cellules fermées
par un couvercle de cire, n’dt point mouillé.
Swammerdam a eu recours à l’eau iorlqu’il a voulu
examiner les abeilles d’une ruche; il les a noyées, 6c ii a
remarqué ce que les expériences dont je viens de parler,
m’ont donné occafion de voir bien des fois, que beaucoup
d’abeilles qui paroi fioi-ent notées revenoient à la vie, 6c
reprenoient leur première vigueur. On lçait depuis long¬
temps que les mouches de plulieurs elpéces, que les mou¬
ches les plus communes dans nos appartements, aprèsavoir
été tirées de l’eau comme parfaitement mortes, redevien¬
nent fouvent en état de marcher 6c de voler, fi on les ré¬
chauffe peu à peu. Ce retour à la vie a été regardé com¬
me une efpéce de rél'urredion. Ce prétendu miracle le
réduit à ce que certains inlècftes perdent pour du temps
tout mouvement fans ceffer de vivre. Il m’a paru que je-
pouvois faire ulage de ce fait anciennement connu , pour
m’inftruire fur 1 hiftoire des abeilles, fans être obligé de
faire périr trop de milliers de mouches fi indnftrieufes,
6c pour la vie delquelles on ne peut manquer de s’mtc refi¬
ler. Il me paroifioit dur d’étreobligé de faire mourir toutes
celles d’une ruche chaque fois qu’une circonftance par¬
ticulière demandoit que je pu fie examiner une mere ou
un mâle; toutes les fois que j’avois à m’affûrer s’il y avoit
des unes ou des autres dans une ruche, 6c combien il y
en avoit. Nous ne fommes pas afies convaincus intérieu¬
rement, du droit que nous croyons avoir fur la vie des ani»
maux, nous ne le fommes pas afies qu’ils font privés d®
des Insectes. X. Mem. 539
fentimcnt, pour n’avoir pas quelque peine à en facrifier
dans un inftant, un très-grand nombre à notre curiofité.
Je penfai donc que je pouvois au moyen de l’eau, ren¬
dre en toute faifon les abeilles d’une ruche au (fi traitables
que fi elles euiïent été mortes , & me donner un moyen
fur de les examiner une à une tout autrement que je 11e
l’avois pu, en les faifant fimplcment j)a(Ter dans des pou¬
driers ou dans des (laçons de verre; que je n’avois qu’à
mettre toutes celles d’une ruche dans le même état où
j’avois mis une partie de celles que j’avois fait changer
de domicile par le moyen de l'eau ; les mettre dans un
état où elles paroîtroient noyées, & duquel je pourrois
enfuite les tirer avec le fecours de la chaleur. Néantmoins
avant que d’en faire l’expérience, je crus devoir m’aiïurer
du temps pendant lequel une abeille pouvoit reftcr fous
i’eau dans une forte de létargie ; m’infiruire s’il feroit
d’afles longue durée pour me donner celui de faire tou¬
tes les oblèrvations que j’aurois à faire fur ces mouches.
Je commençai donc par chercher à connoître la lon¬
gueur du temps pendant lequel on pouvoit tenir des
abeilles fous l’eau, comme mortes, fans qu’elleslefufient
réellement. J’y en tins d’abord quelques-unes pendant
quelques minutes, & je les y tenois bien réellement.
Leur légèreté tend à les ramener à la furface, Tnais
je les forçois de refier fubmergées au moyen d’un tam¬
pon de papier aflfés gros pour être arrêté lui-même fous
l’eau par l'on frottement contre les parois du vafe qui
étoit un poudrier de verre. Les abeilles fur lefquellts je
faifois l’expérience, étoient fous ce tampon de papier.
Après avoir ramené à la vie celles qui n’étoient refiées
fous l’eau que pendant quelques minutes, je tentai d’y
«n ramener qui avoient été fubmergées pendant un quart
d’heure. Les fuccès me conduifirent à éprouver ce qui
Yyy ij
540 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
arriveroit à celles qui feroient tenues dans l’eau pendant
une demie-heure, & pendant deux heures. Enfin , j’y en
lai fiai d’autres pendant plus de neuf heures de fuite, &
je vis que les abeilles qui avoient relié dans l’eau pendant
ce temps, & qui au bout d’une minute ou deux y avoient
paru mortes, ne l’étoient pas réellement. Quoique neuf
heures doivent paraître un temps bien long pour un ani¬
mal dans un tel état, je ne fçai pas fi c’elt le terme de
celui où nos mouches y peuvent refier vivantes. J’en ai
eu que j’ai retirées de l’eau mortes au bout de 21 heures,
6 l on pourrait même en retirer de mortes au bout de trois
à quatre heures. Le plus ou le moins de vigueur des mou¬
ches qu’on met à une telle épreuve, peut faire qu’elles
la foûtiennent plus ou moins long-temps. La tempéra¬
ture de l’air ou plûtôt celle de l’eau , doit aufii entrer pour
beaucoup dans le fuccès. Mes expériences ont fiemblé
prouver le contraire de ce qu’on aurait peut-être attendu,
que les abeilles vivent plus long-temps dans de l’eau
froide que dans de l’eau chaude. Il y a pourtant en
ceci des limites qui peuvent être déterminées par des ex¬
périences que je 11’ai point tentées, parce que le principal
objet que j’avois-en vue, ne demandoit pas que je les fifie»
Celles que j’ai rapportées ont été faites dans un lieu où
la température de l’air étoit marquée par fept à huit de¬
grés au-deffiis de la congélation, & où celle de l’eau étoit
apparemment à peu près la même. Mais j’ai remarqué afies
conftamment ce qu’on devoit attendre, que les abeilles qui
avoient été plus long-temps couvertes d’eau, étoient aufii
plus long-temps à fe ranimer. Quand on les en tire, elles
11e différent en rien des abeilles mortes ; elles ont alors
pour la plupart, leur trompe allongée ; j’en ai pourtant
vû quelques-unes, mais très- peu , qui l’avoient pliée.
Après que je les avois retirées de l’eau, je commençois
des Insectes. X. Mem. 541
par les effuyer, & je les mettois enfuite fur un papier
près du feu, mais pourtant à une diftance telle que ma
main y eût pu relier fans foulfrir. Quelquefois aulïi je
les tenois dans lin poudrier. Attentif alors à leur état
pour lequel j’étois inquiet, j’examinois fi elles donnoient
quelques figues de vie. C’ell ordinairement par le bout
de leur trompe qu’elles commencent à en donner ; il
elt la première de leurs parties extérieures où l’on apper-
çoit un petit mouvement; il le courbe un peu , & quel¬
quefois il fe redrelfe enfuite : on revoit fouvent trois ou
quatre de ces mouvements dans le bout de la trompe
avant que d’en découvrir dans aucune partie du corps. Le
bout de quelqu’une des jambes en fiait voir enfuite de
fcmblablcs. La trompe recommence à fe mouvoir; les
bouts de quelques autres jambes fe meuvent à leur tour.
Les mouvements fe font enfuite dans une plus grande
portion de chaque jambe; quelqu’une d’elles paroît avoir
repris tou tes fes forces, & les autres reprennent les leurs fuc-
celfivement : la trompe fe plie, & enfin la mouche devient
en état de marcher & de voler. Celles qui n’ont pas été
tenues long-temps dans l’eau , font voir du mouvement
au bout de leur trompe dans la minute même où on les
a approchées du feu. Celles qui ont été plus long-temps
fous l’eau, relient quelquefois fept à huit minutes ou plus
auprès du feu avant que de faire aucun mouvement. Mais
quand elles ont une fois donné un figne de vie , elles font
en état de marcher en moins de trois à quatre minutes. '
Des lettres imprimées en différentes années du Mercure
Suide *, & qui ont été diélées par un vrai amour pour le *
genre humain, nous ont confirmé une vérité de l’efpéce 173+ &
de celle dont nous venons de parler, mais bien autrement 175
importante, ôc qui ne devroit être ignorée en aucun pays»
C’ell que les hommes mêmes 11e perdent pas la vie fous
-Y y y iij
542 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
l’eau auffi vite qu’on le croit communément. Qu’entre
ceux qu’on retire de l’eau fous laquelle ils ont été retenus
pendant plufieurs heures, il y en a qui, quoiqu’ils pa¬
rodient parfaitement morts, pourraient être lamés fi on
tentoit pour leur redonner la vie, tout ce que l’amour
que nous nous devons mutuellement voudrait qu’on ten¬
tât ; c’efl-à-dire, li on les foignoit, fi on les chauffoit, fi
on les agitoit, li on leur failoit prendre des liqueurs fpii i-
tueulès, fi on introduifoit dans leurs inteflins, ibit de l’air,
l'oit de la fumée de tabac, l'oit certaines liqueurs chaudes,
&c. & c’eft ce qui efl prouvé par des faits qu’on doit lire
avec plaifir, & dont on devrait chercher à inftruire les ha¬
bitants de tous les lieux fitués fur les bords des rivières,
des lacs, & de la mer.
Mais pour revenir à nos abeilles, dès que j’ai été affés
certain par le fuccès des expériences que j’ai rapportées,
du temps pendant lequel elles peuvent être tenues fous
l’eau fans y périr, je n’héfitai point à profiter du moyen
que ces expériences me fourniffoient d’examiner toutes
les mouches d’une ruche, l’une après l’autre. Ce fut vers
la fin de Décembre que j’en fis ulàge pour la première
fois. Je voulois fçavoir s’il étoit bien vrai qu’il n’y
eût alors qu’une mere dans chaque ruche, & qu’il n’y
eût pas un feul mâle. ALa première épreuve fut faite fur
une ruche peu peuplée ; il me fut aifé de fçavoir pré-
cilément le nombre de les mouches, il n’alloit qu’à en¬
viron 2500. Le froid du jour, & le befoin que j’avois
d’avoir du feu dans la fuite de l’opération, me détermi¬
nèrent à la faire dans mon cabinet. J’y fis apporter un
bacquet qu’on remplit d’eau. La ruche dont je voulois
avoir toutes les abeilles à ma difpofition, étoit vitrée, &
une de celles que j’ai fait compofer de plufieurs boîtes
* PL M-fîg- pofées les unes lur les autres*. Les trois boitesfupérieures
des Insectes. X. Mem. 543
étoient les feules qui euffent des gâteaux de cire & des
abeilles. On lépara ces trois boîtes des autres, &dès qu’on
les en eut lëparées, 011 les plongea dans l’eau; on les y
enfonça même, jufques à ce qu elle s’élevât de quelques
pouces au-dellus de la boîte fupérieure: elles ne tardè¬
rent pas à en être remplies; & bientôt toutes les abeilles
furent plus baignées qu’elles ne l’euffent voulu ; bientôt
la doie du bain devint trop forte pour la plupart des mou¬
ches; il leur ôta toute faculté de le mouvoir. Je conti¬
nuerai pourtant à me fervir de l’cxpreffion de baigner
les abeilles, plûtôt que de celle de les noyer, parce que
réellement on ne les noyé pas dans cette opération,
quoiqu’on les baigne outre mefure. La boîte inférieure
étoit ouverte par deffous; les fluctuations de l’eau en fai—
foient lôrtir des mouches que leur légèreté portoit à la
furface. Le plus grand nombre de celles-ci ne paroifloit
plus animé; il y en avoit pourtant quelques unes plus
vigoureufës que les autres, ou fur leiquelles l’eau avoit
moins opéré, qui battoient des ailes, mais fur un liquide
contre lequel elles ne pouvoient agir avec fuccès. C etoit
leur épargner des tourments, & les mettre plutôt dans
l’état où je les vouiois, que de leur faire perdre leur refle
de forces; pour cela, on les enfonçoit dans l’eau avec le
premier infiniment qu’on trouvoit Ions fa main. Enfin,
on retourna fans déifias deffous les boîtes qui formoienr
la ruche. Une partie des mouches qui y étoient refiées
comme plus'légeres que l’eau, s’élevèrent bientôt à fa fur-
fice ; on détacha enfuite tous les gâteaux de cire les uns
après les autres. Si à mefure qu’on en avoit retiré un de
la ruche Si de l’eau, on le balayoit fucceffivement des
deux côtés avec une plume, pour faire tomber dans le
bacquet les mouches qui s’étoient cramponnées contre ce
gâteau, & qui nel’avoient point abandonné depuis quelles
544 Mémoires pour l’Histoire
s en ctoient faifies, comme les malheureux té làififènt dans
un naufrage de la première planche qu’ils trouvent. Aucun
naufrage, aucune inondation, fut-elle plus confidérabie
que celle du Gange qui arriva il y a quelques années, ne
fait voir fur les eaux à la fois autant de corps humains qu’il
y avoit d’abeilles fur la furface de l’eau du bacquet.
Quand le bain eut mis tant de mouches dans un état
parfaitement femblable à celui de mort, on s’occupa à les
pécher: c’cll ce qui peut être fait dans un temps affés
court; & la cuiline fournit pour le faire deux fort bons
inflruments, une écumoire & une paffoire à pois. On
laifToit.égouter pendant un inflant celles qu’on avoit en¬
levées avec l un ou avec l’autre. J’avois eu foin de faire
difpofer une très-grande table affés près du bacquet, dont
plus d’une moitié étoit couverte de lèrviettes qui y étoient
étendues, & dont l’autre l’étoit de feuilles de papier gris.
Dès que les abeilles dont l’écumoire étoit remplie, étoient
un peu égoutées, on la renverfoit fur une des ferviettes;
en peu de temps, toutes les mouches furent ainfi tranfpor-
tées fur la table. L’eau fut bientôt écumée de toutes celles
qui H ottoient à fa furface. C etoit un fpeélacle affés fingu-
licr, & qui avoit cependant quelque choie de trille, de voir
tant d abeilles fi aétives & même fi redoutables quelques
inflants auparavant, en tas, ou étalées fur la table, fans
aucune apparence de vie. Des gens qui ne font pas ordi¬
nairement fort compatifTants pour les animaux, plulieurs
domefliques qui étoient autour de moi, jxaur m’aider
dans les différentes manœuvres, paroiffoient touchés de
ce fpeélacle ; ils ne pou voient s’empêcher de four ire, lorf-
que je dilois qu’on verroit peut-être encore ces mêmes
abeilles apporter de la cire & du miel à la ruche; ils le
difoi.en.t entr’eux, & tout bas, qu’ils voleroient eux-mê¬
mes, fi jamais ces mouches lé fervoient de leurs ailes.
Elles
des Insectes. X. Mem. 545
Elles étoient dans letat où je les voulois, aulîî traita¬
bles aflurément qu’on pouvoit les defirer ; & mes expé¬
riences précédentes me raiïuroient contre toutes les appa¬
rences , & me promettoient qu elles retourneroient à la
vie dès que je voudrais les faire vivre. Mais avant que de
le vouloir, il falloit remplir l’objet de mon expérience,
les examiner une à une pendant qu’elles me permettoient
de le frire à l’aile. J’avois avec moi une perfonne qui aime
i’Hiftoire naturelle, &qui m’a fourni des obfervations qui
font entrées dans les volumes précédents, & plus que des
obfervations, des deffeins très-parfaits; qui feconnoiffoit
comme moi en abeilles de différent fexe; elle les avoit def
fmées. Elle & moi, nous nous mîmes à les examiner, à
les trier, pour ainfidire, une à une, avec plus de foin qu’on
n’en apporte à trier les grains de caffé. Ce que je voulois
fçavoir, c’étoit principalement fi nous trouverions une
mere, & fi nous n’en trouverions qu’une, & fi nous ne
trouverions aucun mâle, parce que c’étoit le temps où il
n’y en devoit pas avoir. Carfuppofé qu’il n’y eût qu’une
mere & point de mâle, f par la fuite après avoir rendu
la vie à cette mere, elle pondoit des œufs féconds, il étoit
prouvé inconteflablement que les meres n’ont pas befoin
d’avoir des mâles dans le temps qu’elles pondent ; & qu elles
ont été privées de tout commerce avec eux pendant plu-
fieurs mois qui ont précédé celui où elles recommencent
leur ponte.
Nous mettions à l’écart d’un plus gros tas, un tas d’a¬
beilles gros comme un petit œuf; nous efïuiyons bien
avec la ferviette celles dont il étoit compofé; & pour les
mieux féchcr, nous les faifions paffer fur un papier gris
où nous les examinions les unes après les autres. Toutes
celles qui avoient palfé par l’examen, & qui étoient féches
déjà en partie, étoient jettées dans un poudrier; & quand
Tome V . Zzz;
546 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRÉ
on jugeoit y en avoir fait entrer affés, on le fermoit avec
un couvercle quelquefois de papier gris, & quelquefois de
gaze. Enfin on portoit ce poudrier auprès du feu, qui
devoit achever de fécher les abeilles.
A peine le poudrier avoit refié quelques inflants auprès
du feu, qu’on voyoit plufieurs de les mouches fe ranimer.
Diverfes circonftances avoient fait & feront néceffairement
en toute opération pareille, que toutes les mouches ne fe¬
ront pas tenues fous l’eau pendant un temps également
long; auffi y en avoit-il quelques-unes fur la table même
qui commençoient déjà à fe mouvoir; & parmi celles qui
fembloient les plus mortes, il y en eut qui me donnèrent
des fignes de vie qui me déplurent, & qui leur furent
plus funefles que le bain. Je prenois avec ma main
des poignées de celles qui fembloient les plus privées de
vie, & je les y étendois pour les examiner plus vite &
de plus près; je ne me deliois aucunement d’elles; je ne
penfois pas que la chaleur que je leur communiquois leur
redonneroit bientôt des forces; que quelques-unes qui
n’en avoient pas repris affés pour marcher, en avoient
affés pour me piquer. Comme fi le defir de la ven¬
geance ne les eut point quittées, comme s’il eut été ce
qui les ranimoit, avant que d’avoir pû mouvoir ni ailes
ni jambes, elles faifoient fortir leur aiguillon, & l’enfon-
çoient dans ma chair. Je fouffris plus de dix à douze
piquûres pareilles, & cela, parce que je croyois que
j’avois été piqué les premières fois pour avoir pris avec
les mouches qui fembloient parfaitement mortes, de
celles qui étoient revenues de leur état léthargique. Ce
ne fut qu’après avoir éprouvé que les premières même
étoient à redouter, que je ceffai d’en prendre dans ma
main. Le vrai efl que les piquûres que je reçus furent
bien moins douloureufes que ne le font les piquûres
des Insectes. X. Mem. 547
ordinaires de ees mouches. La force renaiffante de l’abeille
fuffifoit pour faire pénétrer l’aiguillon dans ma chair ;
mais elle ne fuffifoit pas pour comprimer alfés la vejffie
à venin, pour faire paffer ailes de liqueur cauftique dans
la bleffure. Si pourtant on tient les abeilles fous l’eau plus
long-temps que je ne l’avois fait, on n’aura rien à en
craindre; & ce fera pour elles-mêmes un bien, puifqu’on
Içait que celles qui ont piqué, & laiflé comme elles lail-
fent ordinairement leur aiguillon dans la playe, périflent
bientôt.
Nous avions examiné plus des deux tiers des abeilles,
lorfque nous parvînmes à trouver une mere ; elle fut la
feule que nous trouvâmes, & la feule aulfi qui fut dans la
ruche. S’il y en eût eu une autre, il n’étoit pas polfible
quelle nous eût échappé. Nous n’étions pas moins atten¬
tifs à chercher des mâles; mais malgré toutes nos atten¬
tions, qui furent poulfées jufques au fcrupule, nous ne
pûmes en trouver un feul. Alfés de fignes extérieurs les
rendent aifés à reconnoître : de crainte pourtant que ces
fignes ne nous trompalfcnt, dès que quelque mouche
nous paroilfoit un peu plus grolfe que les autres, pour
nous affiner qu’elle n’étoit pas un faux-bourdon, nous ne*
manquions pas de lui prelferle ventre; l’aiguillon que nous
faifionsfortir ne nouspermettoit plus d’avoir aucune incer¬
titude. Nous venons de faire entendre qu’entre les abeilles
ordinaires d’une ruche, il y en a de plus grolfes les unes que
les autres; mon Jardinier qui les remarquoit bien, lesnom-
moit les fuilfes de la reine. Ces mouches peuvent pour¬
tant ne paroître plus grolfes, que parce qu’elles ont le ven¬
tre plus plein de miel ou de cire brute.
Enfin, toutes les mouches furent mifes dans neuf à
dix poudriers, dont il v en avoit un extrêmement grand ;
tous furent portés auprès du feu. On ne donna que peu de
» Z z z ij
548 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
mouches à celui où la mere fut renfermée, peut-être
une cinquantaine. Nous étions plus inquiets pour le fort
de cette feule mere, que pour celui de toutes les autres
abeilles enfemble; leur vie dépendoit de la fienne; fi elle
périlfoit, toutes dévoient périr, la ruche devoit être dé¬
truite. Il n’y en avoit point qui parût plus morte. Nous la
tinmes alfés long-temps fur nos mains ; nous la maniâmes,
mais doucement, à bien des reprifes, car tout le monde
en pareil cas veut voir & manier une mere abeille. Nous
ne pûmes appercevoir le plus leger mouvement dans au¬
cune de les parties; elle fe ranima pourtant, mais un peu
plus tard que plufieurs de celles qui étoient dans l'on pou¬
drier.
Si le fpeélacle des mouches étalées fur une table où
elles paroilfent toutes fans vie & bien noyées, avoit eu
quelque chofe de trille, la fcene étoit changée; on les
voyoit avec piaifir refTu(citer, en quelque façon, dans tous
les poudriers qui étoient autour de la cheminée. Après
leur avoir vû remuer le bout de leur trompe, & les bouts
de leurs jambes, leurs jambes achevoient de fe dégour¬
dir, elles fe pofoient delfus, elles marchoient; & à mefure
quelles achevoient de lécher, elles prenoient plus de vi¬
gueur. Quoiqu’on les eût elfuyées, elles n etoient pas par¬
faitement féches ; afin que l’eau qui s’en évaporoit, ne
le ralfemblât pas en trop grande quantité fur le fond du
poudrier, chaque poudrier étoit renverfé, l’eau s’en écou-
loit au travers du papier gris, ou des mailles de la gaze qui
faifoit le couvercle. Quand les abeilles font mouillées,
elles font brunes, même noirâtres ; en féchant, elles deve-
noient roulfes. On les voyoit monter à la partie fupérieure
du poudrier, s’y accrocher,& s’accrocher les unes aux autres,
former, foit desgrouppes, foit des guirlandes, foit d’autres
figures, comme elles en forment dans les ruches ordinaires
des Insectes. X Mem. 549
en fe cramponnant les unes aux autres. Dès que quelques-
unes de celles qui étoient dans le poudrier où étoit la
mcre, furent en état de marcher, elles parurent oublier
l’état languiflant où elles étoient elles-mêmes, pour 1e
placer autour d’elle, pour en prendre foin. Le premier
ufage quelles firent de leur trompe, fut de s’en fervir à
la lecher.
Pendant que toutes les mouches rctournoient à la vie,
on failoit lécher leur ancienne habitation, & quelques-uns
des gâteaux de miel qu’on en avoit tirés, qu’on arrêta en-
fuite avec de petits hâtons au haut de la ruche. Toutes
•les parties dont elle étoit compofée, furent renfilés en
place, & elle fe trouva préparée pour recevoir fes anciennes
habitantes, qui étoient en état elles-mêmes d’y retourner,
& d’y faire leurs manœuvres ordinaires. On la renverfa
pourtant le haut en bas,parce qu’il parut commode d’ou¬
vrir une des fenêtres qui étoient proche du fond, & qu’on
vouloit faire tomber les abeilles fur les gâteaux de miel.
Par cette fenêtre ouverte, on vuida les poudriers les uns
après les autres. Celui où étoit la mere futvuidé le troi-
fiéme; ainfi, quand elle entra dans la ruche, il y avoit déjà
alfcs de mouches pour lui compofer une nombreufe cour,
& quand les abeilles des autres poudriers furent miles dans
la même ruche, elles fe trouvèrent.réunies à leur reine.
Avec un petit balai compofé de quelques plumes, on
faifoit rentrer dans la ruche, celles qui en vouloient fortir.
Enfin, quand toutes y furent logées, on ferma la fenêtre,
& la ruche fut portée auprès du feu, qui devoit achever
de la fécher & les mouches qui pouvoient être humides,
ôl leur donner de la vigueur. Cette ruche peuplée de mou¬
ches très-vives, qui toutes avoient été comme noyées Sc
étendues fur une table à trois heures & demi après midi,
fe trouva vers les fix heures repeuplée par les mêmes
Zzz iij
550 Mémoires pour l’Histoire
mouches qui avoient repris toute leur activité. La plupart
relièrent auprès du feu dans des poudriers, pendant plus
de deux heures ; il en périt très-peu, moins que dans les
opérations les plus ulitées pour faire palfer les mouches
d’une ruche dans une autre ; il n’en coûta la vie qu’à quel¬
ques-unes de celles qui étoient dans des cellules, & qui
furent difficiles à en ôter, & à celles qui s’aviférent de fe
fervir de leur aiguillon.
Je me fuis arrêté volontiers à détailler cette première
expérience, non-feulement parce qu’elle eh curieufe par
elle-même, & qu’elle a été le modèle de plufieurs autres
que j’ai répétées dans la fuite, mais encore parce qu’elle
eh une fource féconde de beaucoup d’expériences fin-
guliéres & même utiles, qui peuvent être faites fur les
abeilles. Elle ne me donna pourtant pas toutes les con-
noiffimces que je m’en étois promis ; car j’elpérois
qu’elle m’apprendroit incontehablement h une mere qui
fe trouvoit en Décembre dans une ruche où il n’y avoit
aucun mâle, feroit au printemps des œufs féconds; & cette
mere ne vécut pas j niques à ce temps-là; elle périt avec
toutes fes compagnes vers le 20 Janvier. L’opération
qu’avoient foufferte ces mouches, ne fut pourtant pas la
caufe de leur mort. Je ne les laiffiù pas manquer de miel.
Avant que de quitter .la campagne, j’eus de plus l’attention
de les mettre dans une chambre; mais elles 11’y furent pas
encore affiés chaudement ; j’ai tout lieu de croire qu’un froid
affiés confidérable qui furvint vers la mi-Janvier, les fit périr:
elles étoient toutes mortesle 20. Les mouches d’une autre
ruche auffi peuplée, périrent toutes dans la même cham¬
bre huit à dix jours plutôt. Des mouches de plufieurs
autres ruches que j’ai baignées dans la fuite, m’ont affiés
prouvé qu’elles peuvent très-bien foûtenir cette opéra¬
tion , qui peut nous procurer dans la fuite beaucoup de
des Insectes. X. Mem. 551
connoifTances par rapport à i’hiftoire de ces mouches,
parce qu’elle donne la facilité de faire une infinité d’ex¬
périences qu’on n’eût pas ofc fe promettre de tenter; nous
allons en indiquer quelques-unes, tant de celles que nous
avons faites, que de celles que nous nous propofons de
faire, & que des curieux pourront faire comme nous.
Le temps qu’une ruche fubfifie ne conclut rien pour
la durée de la vie des mouches qui l’habitent. Une ruche
•pourroit durer dix ans, quoique les abeilles ordinaires y
vêcuflent à peine une année, & quoique la durée de la
vie d’une mere ne fût que de douze à treize mois, & cela,
parce que toutfe rénouvelle dans une ruche comme dans
une grande ville. Les mouches qui naiffent remplacent
celles qui périflent. On peut fe mettre en état de l'çavoir
fi la vie de la mère efi; de plufieurs années , & fi celle des
abeilles ordinaires n’cft que d’un an. Après avoir baigné
les abeilles d’une ruche & les avoir bien efluyées, rien ne
fera plus ailé que de leur faire à chacune une tache de
quelle couleur on voudra avec un pinceau. Elles n’en
feront point incommodées, fi on met la tache fur leur
corcelet. Pour cette expérience, on fe fervira d’un vernis
qui puilfe féchcr alfés vite. Je me fuis fervi pour l’ordi¬
naire de celui à lacque fait avec de l’efprit de vin. Tantôt je
les ai colorées de rouge, tantôt de jaune & quelquefois de
bleu, iorfque je ne voulois pas que les abeilles portalfent la
même livrée. Je n’ai pas eu cependant encore la patience
de vernir toutes les abeilles d’une ruche, quoique celle qu’il
eût fallu n’eût pas été bien grande; mais j’en ai au moins
verni cinq cens d’une même ruche, qui, malgré leur nou¬
vel habit, ne furent pas plus mal reçues de celles avec
lelquelles elles étoient en focieté. De ces cinq cens abeilles
marquées de rouge en Avril, & que je reconnoiffois dans
les mois fiiivants lorfqu’elies alloient à la campagne, je
552 Memoir.es pour l’Histoire
lien vis pas une en vie clans le mois de Novembre. Pendant
ceux de Septembre & d’Oétobre j’avois été éloigné de mes
ruches.
Ceft un moyen fur de réunir dans une même ruche,
îans guerre & fans combats, les abeilles de plufieurs ruches
différentes, que de les y mettre enfemble après les avoir
tirées du bain. On les accoutume à vivre enfemble, lorf-
qu’après les avoir léchées, on a eu attention de renfermer
dans le même poudrier, de celles des différentes ruches.
Etre revenues à la vie dans le même lieu, équivaut à
être nées dans la même habitation.
C’eft auffi par ce moyen qu’on peut donner & que j’ai
donné en différents temps de l’année, tout autant de rneres
que j’ai voulu à une même ruche peuplée. On peut dis¬
tinguer ces meres les unes des autres, par des marques de
différentes couleurs fur le corcelet. On peut faire porter
la livrée de chaque mere aux abeilles qui étoient dans fa
ruche; & on verra fi ces abeilles lui feront plus dévouées
qu’aux autres meres.
On peut par ce moyen faire des échanges de meres,
donner à une ruche la mere d’une autre ruche, & réci¬
proquement.
Quelle manière plus aifée peut-on avoir de s’afîurer,
fans faire périr les abeilles, s’il n’y a pas des temps où il y
a plufieurs meres dans une ruche, combien il y en a dans
la ruche qui eff prête à donner un effaim ! C’eft auffi le
moyen auquel j’ai eu recours pour m’en inftruire.
Dès qu’on aura marqué une mere dans la faifon con¬
venable , on pourra fçavoir fûrement fi le nouvel effaim
eft conduit par une jeune mere, comme il y a grande
apparence qu’il l’eft, ou s’il eft conduit par la vieille mere.
Mais pour revenir à l’ufageque j’ai fait de ce moyen, pour
m’affûrer par le plus exaét examen, que jufques à ce que
le temps
des Insectes. A". Man. 533
îe temps des e (Faims approche, ii n’y a dans chaque ruche
qu’une feule mere, & quelle y multiplie alors fans mâle,
je dois dire que je baignai les abeilles de trois ruches les
premiers jours d’Avril; l’une le 5, l’autre le 9, & l’autre le
i f, & que j’en baignai deux autres à la fin du même mois,
le 25. Dans chacune de ces cinq ruches, je ne trouvai
qu’une mere, Si je ne pus y trouver un feul mâle.
Dans celle qui fut baignée le 1 1, & de même dans celles
qui le furent le 2 5, il y avoit du couvain dans tous les
états, Si des œufs récemment mis au jour. Ces meres
avoient donc pondu, Si leurs œufs avoient réuffi quoi¬
qu’elles fufFent privées de mâles. Quand on voudroit
poufîer la fuppofition jufques à imaginer que les mâles
•étoient péris hors de chacune des ruches quelques jours
avant l’opération que j’avois fait foûtenir aux mouches,
on feroit au moins obligé d’avouer, que les meres peu¬
vent continuer leur ponte long-temps après que leurs
mâles font morts; car ces meres pondirent bientôt, &
donnèrent naiffance à des abeilles dans les nouvelles ru¬
ches où je les fis paffer. Mais il n’y avoit ni couvain ni
œufs dans les gâteaux de la ruche que je baignai le 3 Avril,
Si la mere que j’en retirai ne fut pas long-temps dans le
nouveau logement que je lui donnai, fans m’apprendre
qu’elle étoit féconde.
Au lieu de m’arrêter à prouver davantage un fait qui
n’a plus befoin de l’être, je dois apprendre à ceux qui
feront curieux de baigner des abeilles, que les bains que
j’ai répétés ne m’ont pas tous aufli bien réuffi que le
premier ; qu’il m’eft arrivé plus d’une fois de perdre
plus des trois quarts des abeilles, Si quelquefois plus des
fept huitièmes. Ce n’eft qu’après avoir fait Si refait plu-
fieurs fois les opérations, même les plus fimples, qu’on
parvient à fçavoir éviter tous les accidents qui peuve t eu
TomeV* . A a a a
554 Mémoires pour l’Histoire
empêcher la réuflitc, qu’on parvient à les faire aulfi par-
faitement qu’il eft polîible. Les inconvénients à éviter
pour faire réuffir le bain des abeilles, peuvent être di-
vilés en ceux de deux temps différents, en ceux qui arri¬
vent depuis qu’on baigne les mouches jufques à ce qù’on
les ait tirées hors de l’eau, comme noyées ; & en ceux
qui arrivent depuis qu’elles ont été tirées de l’eau jufques
à ce qu’elles foient remifes en ruche.
Plus on les baignera en grande eau 6 c moins on aura
à craindre du bain, comme bain. Pour avoir baigné deux
ruches de fuite dans l’eau d’un même tonneau qui n’a voit
gueres plus de diamètre que les ruches que j’y fs entrer
fucceffivement , je perdis prefque toutes leurs abeilles.
Lorfque la quantité d’eau qui lave les gâteaux de miel
eft petite, cette eau lé trouve bien- tôt trop emmiellée par
les abeilles mêmes qu’on fait entrer dedans. L’état vio¬
lent où elles fe trouvent, les oblige à fe vuider par les deux
bouts; elles jettent alors du miel par leur trompe, 6 c
rendent des excrements mielleux. L’eau dans laquelle trop
de miel 6 c trop d’excrcments gluants ont été délayés,,
devient elle-même trop gluante. Les abeilles mouillées
de cette eau , font dans un état femblable à l’état de
celles qui ont été enduites d’huile. La matière vifqueufe
qui s’introduit dans leurs fligmates , s’y fixe pour n’en
plus fortir ; elle arrête la refpiration , ou elle la rend
trop difficile. On voit l’effet de cette eau , même fur le
corps des abeilles ; celles qui n’ont été mouillées que
par une eau ordinaire, 1e féchent vite, 6 c en féchant
reprennent une couleur rouffe; au lieu que les autres ont
beau lécher, jamais elles ne redeviennent rouffes, elles
relient d’un brun luiftant.
Pour éviter le mauvais effet d’une pareille eau, on aura
deux grands bacquets l’un auprès de l’autre. Dans l’un de
des Insectes. X Ment . 55j
ces bacqucts , on fe contentera de plonger la bafe de la
ruche julques à environ un pouce ou deux de haut;
pendant qu’un homme lafoûtiendraen cet état, un autre
battra delius avec une baguette. Les mouches inquiétées
par les coups & le bruit de cette baguette, font détermi¬
nées à voler: plufieurs tombent dans i eau; le nombre de
celles qui y tombent cil plus grand que celui des autres;
en changeant un peu la ruche de place & en produifant
des agitations dans l’eau, ces abeilles font conduites à la
furface; on les prend à mefure avec une écumoire ou
avec une paiToire à pois, & on les porte dans ic fécond
bacquct, dans l’eau duquel celles qui avoient encore une
apparence de vie, achèvent de la perdre. Enhn , on ne
vient à plonger entièrement la ruche dans l’eau, que quand
les mouches qui y relient font obllinées à lé tenir fur les
gâteaux. Au bout de quelques inllants, on retire la ruche
de l’eau , on détache les gâteaux, & on balaye avec une
plume, les mouches qui font reliées delfus ; on les fait
tomber dans le premier bacquct. Dans quelques-unes
des opérations qui ont mal réulfi, je faifois détacher les
gâteaux pendant que la ruche étoit fous l’eau Sc renverfée
fins delïus delFous ; je nepenfoispas combien ce procédé
étoit mauvais. Les gâteaux brifés lailfoient couler beau¬
coup île miel , év donnaient prife à l’eau fur celui qu’ils
contenoient; l’eau en devenoit trop chargée. Un avan¬
tage encore qu’il y a â battre la ruche avant que de la
plonger entièrement dans l’eau , c’ef qu’il relie très-peu
de mouches dans les cellules ; les coups de baguette les
déterminent à en fortir: outre qu’il y a toujours du rifque
à les en tirer lorfqu’elles ont perdu tout mouvement, cela
efl long.
Après avoir fiit palier les mouches dans le fécond
bacquct, quand elles y paraîtront toutes mortes, on les
Aaaa i;
556 Mémoires pour l’Histoire
portera fur des ferviettes étendues fur une grande table,
foit dans une chambre, foit à l’air, félon la laifon. Avec
les ferviettes on elfuycra les mouches, & on les rendra le
plus lèches qu’il fera poffible. Je perdis une grande partie
des abeilles d’une ruche, pour m’être contenté de les laiffer
un peu égouter fur une table de bois fur laquelle clics
éioient immédiatement polées, &. pour les avoir miles,
trop mouillées dans des poudriers.
J’en perdis encore beaucoup de celles d’une autre ru¬
che , qui cependant avoient été alfés bien effuyées, parce
que j’en mis une trop grande quantité dans chaque pou¬
drier. A peine avois-je biffé le quart ou le tiers du pou¬
drier vuide ; & c’en efl trop que le quart foit plein. En
pofant les premières immédiatement fur le bois, j’avois
voulu mettre hors de rifque de périr, celles qui repren¬
draient trop tôt des forces, hors de rifque de piquer, com¬
me elles le font fouvent, les ferviettes, & d’y laiffer leurs
aiguillons. Mais quand on les a tenues affés de temps dans
l’eau , on a celui de les effuyer avant qu’elles deviennent
en état de piquer. Pour ne pas courir le rifque foi-même
de fentir l’aiguillon de quelques-unes, il faut prendre
avec une cuiilier d’argent, le tas qu’on vient d’efîiiyer &.
qu’on veut faire entrer dans le poudrier.
Les poudriers de verre dont je me fuis fervi pour plu-
fieurs operations de cette efpcce, & pour plufieurs même
qui ont très-bien réuffi , font cependant des vafes des
moins propres pour achever de Lire fécher les abeilles.
La plus grande partie de l’eau que la chaleur fait évapo¬
rer du corps des mouches, s’attache contre le verre, elle
remouille les abeilles. Or, & c’efl une remarque que j’ai
eu occafion de faire plus de fois que je ne l’euffe fouhaité,
la chaleur qui ne ferait propre qu’à ranimer les abeilles
dans toute autre circonftance, fait promptement périr
des Insectes. X. Mem. y57
celles qui font mouillées. Plufieurs fois après avoir vu
toutes les abeilles d’un poudrier ranimées & en mouve¬
ment, je les ai vû périr toutes en moins d’un quart d heure,
fans que je pu (Te attribuer leur mort à d’autre caufe qu’à
la chaleur qui avoit fait pénétrer l’eau dans leurs fligma-
tes , quoique cette chaleur n’eut pu être qu’agréable à des
mouches plus lèches ou tenues dans un lieu moins hu¬
mide.
J’ai penfé à un moyen de leur faire fou tenir la meme
chaleur fans danger ; j’ai fublîitué aux poudriers de verre,,
d’autres vafes,que je nomme des féchoirs, &. qui en font;
ils ont tous les avantages qu’on peut leur fouhaiter. Ce
font desefpécesde paniers* en formede bouteilles, dont * pi . 3
les parois font de toile à tamis la plus grolfiére & par confé- 2-
quent la plus claire. Quatre montants * du même bois dont * Fig.
on fait les paniers, font attachés par chacun de leurs bouts
à un cercle, à un anneau de même matière. Un des an¬
neaux plus grand que l’autre, fait le fond du l'échoir, Sc
le plus petit en fait le collet. C’ed fur ce bâtis qu’on coud
une toile à tamis qui l’environne de toutes parts. On le
contente pourtant de la coudre autour de l’anneau du
collet* au-delfus duquel elfe s’élève, & au-delfus duquel * Fig.
on la lie avec un ruban *, comme on lie la gueule d'un lac; * ff ,
& cela, lorfqu’on a mis dans le féchoir les abeilles qu’on
y veut. Il feroit inutile de faire remarquer combien ces
féchoirs ont davantage fur les poudriers de verre; mais
je dois dire que ces mêmes féchoirs m’ont fait pcnler
qu’après avoir elfuyé grolfiércment les abeilles, il n’y
avoit rien de mieux pour les rdfuyer plus à fond, &
fans les expofer à perdre leur aiguillon, que de les éten¬
dre fur de grands tamis, d’où on les tire enfuite avec une
cuillier d’argent pour les mettre dans les féchoirs. On voit
allés que la grandeur des féchoirs elt arbitraire.
A a a a iip
558 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
Ce qui eft très-important, c’eft de ne fonger à faire
rentrer les abeilles dans une ruche, qu’après qu’elles ont
repris toute leur vigueur, quaprès quelles font devenues
bien ronfles, qu’après les avoir vues en grouppe ou en
guirlandes dans les féchoirs. Pour métré trop prefle d’en
remettre dans une ruche, il m’eft arrivé une fois de perdre
prefque toutes celles que j’avois baignées; elles tombè¬
rent les unes fur les autres au fond de la ruche ; elles s’y
trouvèrent raffemblées dans une mafle trop épaiffe, de
dont l'humidité ne pouvoit s’échapper. Celles qui étoient
au-deiïous des premières couches, &. à plus forte raifon
celles qui étoient dans les dernières couches, étoient
accablées par ie poids des mouches des couches l'upé-
rieures, & clies étoient trop foibles pour s’en tirer. Les
excrements qu’elles rendaient, humeétés par l’eau qui fe
trouvoit entr’elles, s’étendirent fur leurs fligmates & les
mirent dans un état où les fecours que je voulus leur
donner trop tard, leur furent inutiles ; car ce ne fut que
le lendemain, c’eft - à - dire, au bout de douze heures,
que je les vis en fi mauvais état, & que je voulus les
chauffer.
Mais on aura un fuccès plus heureux, on perdra à
peine quelques mouches de chaque ruche, fi on les
baigne & féche avec les précautions qui viennent d’être
indiquées. Les temps les plus chauds ne font peut-être
pas les plus favorables à cette opération: outre les pre¬
mières abeilles que je baignai à la fin de Décembre, je
baignai celles d’une ruche le 10 de Novembre au milieu
d’un jardin, à des heures du matin oit le thermomètre
n’étoit qu’à deux degrés j au-defïus de la congélation ; je
perdis cependant auffi peu de ces abeilles qu’il eft pof-
fibie d’en perdre dans le changement de ruche le plus
heureux. J’ajouterai en paffant, que parmi ces abeilles qui
des Insectes.!. Ment . 559
furent baignées en Novembre, il n’y avoit qu’une feule
mere, & aucun mâle.
Quand on voudra baigner des abeilles dans les belles
faifons de l’année, ce fera toujours le matin qu’il faudra
ie faire. On doit même être attentif à choifir une journée
où le Soleil fe leve brillant, & où on peut fe promettre
de le voir tel plufieurs heures de fuite ; car alors tout
s’exécute avec une grande facilité dans le milieu d’un
jardin. Le Soleil même féche les abeilles qu’on vient
d’effuyer fur la table, Si il achevé de les lécher Si de les
ranimer quand il agit fur les féchoirs où on les a renfer¬
mées. On aura foin fur-tout de celui où eft la mere, Si
de faire reprendre vigueur à celle-ci, Sc aux mouches
qu’011 lui a données pour compagnes, ie plutôt qu’il fera
polfible. Quand cette mere reparaîtra pleine de forces»
on la fera entrer dans la ruche avec quelques centai¬
nes d’abeilles ; en voilà alfés pour faire entrer cnluite
aifément dans la même ruche toutes les autres abeilles
fur-tout, Si cette circonftance eft elfentielle, fila ru¬
che cft placée où étoit auparavant celle dont les mou¬
ches ont été baignées. Pour ne les y faire entrer que
lorsqu'elles feront en bon état, on étendra une nappe
ou plufieurs ferviettes devant cette ruche, c’eft-à-dire
du côté où font les entrées. A mefure que les mouches
d’un féchoir paraîtront avoir repris leurs forces, on le
vuidera fur une des ferviettes. Là les mouches achève¬
ront de fe fécher; Si on verra bientôt celles qui feront
en état de marcher, diriger leur route vers la ruche. On
vuidera ainfi tous les féchoirs les uns après, les autres.
Si leurs mouches rentreront dans la ruche ; il ne refera
fur les ferviettes que celles qui auront perdu leur aiguil¬
lon , Si que celles à qui quelque autre accident aura ôté
ia vie.
560 MEMOIRES POUR l’HiSTOIRË
Les opérations qui m’ont le plus mal réuffi, celles qui
m’ont fait perdre le plus d’abeilles, m’ont fourni uneremar-
que qui ne doit pas être oubliée, & qui a été confirmée
par ce qui eft arrivé en d’autres circonftanccs ; c’eft qu’il
fembie que la vie de la mere peut réfifler à ce qui eft
capable de faire périr les abeilles ordinaires. Cela devoit
être ainfi, puifque la vie de toutes les autres dépend de
la fienne; & ce qui devoit être, eft. Les différentes opé¬
rations qui m’ont fait perdre tant de mouches ordinaires,
n’ont jamais fait périr une feule mere, ou, plus exacte¬
ment, je n’en ai eu qu’une qui ait péri; mais ce fut par
lin accident contre lequel la nature n’a pas eu befoin de
prendre des précautions. Elle ne fut repêchée au fond
d’un tonneau, qu’au bout de trois heures ; elle y avoit été
entraînée par une croûte de terre qui avoit été détachée
de deffus la ruche, & qui l’y avoit recouverte. L’écumoire
-avec laquelle on la tirade-là lui caffa une jambe. Toutes ou
prefque toutes les abeilles qui étoient auprès d’elle, ne
revinrent point à la vie. La mere quoiqu’eftropiée reprit
des forces, & je la confèrvai vivante pendant plufieurs
jours. Après une nuit très-froide, j’ai trouvé quelquefois
toutes les abeilles mortes ou mourantes fur le fond d’une
ruche. Quand parmi ces abeilles, il y en a eu en état
d’être ranimées par la chaleur, la mere a toujours été une
de celles-ci. 11 eft vrai auffi qu’elle eft de celles qui font
le moins expofées au froid, qu’elle eft couverte par les
autres; & il eft vrai que toutes les autres la foignent autant
qu’il eft en elles. Ses ftigmates, par exemple, ne feront pas
auffi poiffés de miel, ou n’en referont pas auffi long-temps
poiffés, que ceux des abeilles ordinaires; elle ne courra pas
autant de rifque d’être étouffée par le miel; car ces der¬
nières lèchent la mere avec leur trompe, avec beaucoup
plus de foin quelles ne lèchent une abeille commune.
Indépendamment
DES I N S E C T E S. X. Menu 5 6 I
Indépendamment de ce que font les abeilles ordinaires
pour confcrver la vie de leur reine, il m’a paru que cette vie
précieufe peut fe foûtenir contre des accidents qui feroient
funefles aux autres mouches, comme cela devoit être.
N’avant trouvé confiamment qu’une feule mere dans
chacune des différentes ruches que j’ai examinées dans les
mois de l’année où il n’en devoit pas fortir d’clfaims, j’ai
cherché à en voir plufieursà la fois dans celles où j’avois
lieu de préfumer qu'il y avoit un clfaim prêt à partir. Les
pluyes & les froids du printemps, ont rendu l’année 1739
tardive en effaims. Aucune de mes ruches, ni aucune
de celles de mes voifins , 11’en avoient encore donné,
lorfque je me déterminai le 23 Mai, à en baigner une
qui étoit h peuplée, que lorfque les nuits étoient chau¬
des , il y avoit des pelottons d’abeilles qui les paffoient
en dehors de la ruche. Pendant le jour, j’en avois vû
fortir des mâles. Quoique ces figues ne loient pas cer¬
tains , ils font pourtant de ceux qui annoncent la fortie
prochaine d’un effaim. Les mouches de cette ruche ayant
été tenues fous l’eau pendant le temps néceflaire pour les
mettre dans un état femblable à celui des mouches mor¬
tes , elles en furent tirées & étailées fur une table. Trois
perfonnes qui fe connoifïbient bien en meres, s’occupè¬
rent à les examiner une à une : afin même qu’on ics
épluchât avec plus d’attention, & pour fatisfaire encore
un autre objet de curiofité, j’exigeai qu’on les comptât.
Je voulois fçavoir le nombre de mouches que pouvoir
contenir un panier de grandeur ordinaire , lorfqu’il
étoit bien rempli d’abeilles. La hauteur de celui-ci étoit
environ de 19 pouces, & le diamètre de fa bafe de 17.
J’avois l’œil fur mes ouvriers, qui avoient autant d’en¬
vie de trouver des meres, que j’en pouvois avoir qu’ils en
trouvaiïbnt; en découvrir une en pareil cas, c’cft avoir le
gros lot. On compta vingt-fix mille quatre cens vingt-fix
Tome V. . B b b b
562 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
abeilles communes qui avoient été baignées; je dis qui
avoient été baignées, parce que toutes ne le furent pas.
La ruche fut plongée dans l’eau à huit heures du matin;
c’èft-à-dire, à une heure où il y en avoit déjà plufieursà
ia campagne. On compta fept cens mâles.
Malgré le grand nombre des mouches communes de
ia ruche en quèftion; & quoiqu’il y eût déjà iept cens
mâles transformés, on ne put parvenir qu’à trouver une
feule mere. La ruche n’étoit pas auffi prête à donner un
effaim que je l’avois cru. J’examinai tous les gâteaux avec
foin ; j’y trouvai dix cellules à fémeiles, mais dont quelques-
unes n’étoient encore qu’ébauchées, & dont les plus avan¬
cées n avoient pas à beaucoup près, toute la longueur
qu’elles auroient eue par la fuite. Une feule & qui étoit la
plus longue de toutes, avoit un ver encore ailés petit, &
qui n’auroit pu être en état de fortir hors de fa loge fous
la forme d’une mouche mere, de plus de 12a 15 jours.
Ce n’étoit donc qu’après un pareil nombre de jours, qu’un
eiïaim auroit pü prendre l’eilbr. Cette expérience prouve
que dans les temps qui précédent de peu celui de lafortie
d’un eifaim, les ruches les plus peuplées n’ont encore
qu’une mere.
La même expérience nous apprend de plus, qu’une
ruche eft fournie de mâles avant que les vers qui doivent
devenir des meres, foient en état de fe transformer. Dès
que les mouches fémeiles fortent de leurs cellules, il y a
dans la ruche plus de mâles qu’il n’en faut pour les féconder.
La ruche dont je viens de parler avoit en tout cinq
gâteaux de cire pofés parallèlement les uns aux autres. Je
fus curieux de compter, mais groffiérement, le nombre
de leurs cellules; c’eft-à-dire, qu’en prenant des termes
moyens de longueur & de largeur, je réduifois chacun de
ces gâteaux de forme irrégulière, à un gâteau de ligure
reétangle. Suivant ce calcul groflicr dans lequel je ne crois
DES I N S E C T E S. X. Mem. 563
pis m’être trompé par excès, le nombre des cellules alloit
à plus de cinquante mille. De ces cinquante mille cellules,
il y en avoit plus de vingt mille pleines de couvain ; c’eft-à-
dire, pleines, foit d’œufs, foit de vers, f'oit de nymphes.
La mere avoit cependant le ventre rempli de plufieurs
milliers d’œufs, d’autant de milliers qu’il pouvoir en con¬
tenir, & de beaucoup d’œufs prêts à être pondus. C’eff
de quoi je fus infiruit malgré moi ; en la pouffant mal
adroitement pour la faire entrer dans une ruche vitrée,
je lui crevai le ventre ; des œufs auffi gros que ceux qui
font dépofés dans les cellules, fortircnt par la bleffure. 11
n’y avoit pas d’efpérance qu’une pareille pJaye pût être
guérie, aufîi n’héfitai-je point à la faire périr fur le champ:
je lui ouvris le corps; & ce fut ^ilors que je vis qu’il étoit
plein d’œufs en tous états. Une partie confidérable, & pro¬
bablement la plus confidérable partie des mouches de la
riche, c’eft-à-dire, de plus de vingt-huit à vingt-neuf
mille, devoit fa naiffance à cette mere ; elle l’avoit donnée
à plus de vingt mille autres mouches qui étoient encore
dans les cellules fous la forme de couvain; &. cependant,
elle avoit le corps plein de plufieurs milliers d’œufs. Voilà
line fécondité bien étonnante.
Parmi les cellules, il y en avoit environ deux mille cinq
cens vingt de celles où les vers qui deviennent des mâles
prennent leur accroiffement ; & plus de la moitié de ces
cellules étoit occupée, foit par des vers, foit par des nym¬
phes dans lefqueiles ils s’étoient transformés. Nous avons
dit ci-devant qu’on avoit trouvé fept cens mâles dans cette
ruche; il auroit donc dû y en avoir plus de deux mille. 11
eft bien furprenant que tant de mâles foient deftinés à fi
peu de fémelles, & naiffent pour être tous tués au bout
de quelques femaines.
Des ruches,quoique peu peuplées d’abeilles ordinaires,
ne laiffent pas d’avoir un allés grand nombre de males.
Bbbb ij
564- Mémoire pour l’Histoire
Après avoir compté les abeilles ordinaires d’une ruche que
j’avois baignée, je ne lui en trouvai que deux mille neuf
cens, 6c je lui trouvai quatre cens cinquante mâles.
Ces mâles vivroientbien plus long-temps qu’ils ne font,
ils pafFeroient l’hiver comme le paffent la mere6c les abeil¬
les ouvrières, fi celles-ci ne les condamnoient pas6c ne les
mettoient pas à mort. Car quoique nous ayons dit que
nous n’avions pas trouvé un feul mâle dans les ruches que
'nous avions baignées, foit dans l’automne, foit en hiver,
foit au commencement du printemps, il y a quelquefois
des ruches où il en refie dans toutes ces faifons, 6c on n’a
pas befoin d’en baigner les mouches pour les y trouver.
On les en voit fortir 6c on les y voit rentrer. Ce que
nous avons voulu établir 6c ce que nous avons bien prou¬
vé, c’eft que les mères peuvent être extrêmement fécon¬
des, quoiqu’elles foient huit à neuf mois fans avoir de
communication avec des mâles ; il femble même que de
vivre avec eux pendant ces huit à neuf mois, 11e puiffeque
nuire à leur fécondité. Il arrive, quoique très rarement,
que les abeilles ouvrières 11e parviennent pas à les tuer tous
dans le temps, quelles défeipérent peut-être d’y pouvoir
réuffir; 6c quelles le refolvent aies laiffer tranquilles. Alors
elles paffent avec eux l’automne 6c au moins une partie de
l’hiver. Ce fait, quoique rare, eft connu de ceux qui font
commerce de mouches à miel ; mais loin qu’ils augurent
bien par rapport à la multiplication, des ruches où des
mâles font refîés dans un temps où il ne devrait pas y en
avoir, ce font des ruches fur lefquellcs ils ne comptent
plus 6c qu’ils regardent comme perdues. Ils crovent que
les mâles mangent tout le miel des abeilles; ils en man¬
gent affurément; mais une ruche bien pleine de miel,
aurait de quoi en fournir pendant l’hiver 6c le commen¬
cement du printemps, aux abeilles 6c aux faux-bourdons.
I! y a donc lieu de croire qu’ils nuifent à la ruche de
des Insectes. X. Mem . 565
quelqu’autre façon. Il fe pourroit faire qu’ils empêchaffent
que l’ancienne mere & les nouvelles meres qui y naiffent,
ne fuffent fécondées au printemps & au commencement
de l’été; en un mot, dans le temps où elles ont befoin de
l’étre. S’ils 11’étoient pas auffi indifférents qu’ils nous l’ont
paru dans le dernier Mémoire, on pourroit croire, que
trop vieux pour contribuer à la génération, ils empêchent
les jeunes mâles de s’approcher des reines. Peut-être y a-
t-il plus que cela; peut-être que les œufs font altérés dans
le corps des meres qui vivent trop long-temps avec des
mâles, que les embryons de ces œufs périfTent.
Ce ne font là que des conjeélures, & qui probablement
relieront toujours conjeélures ; mais ce que je fçaisde cer¬
tain , c’efl que j’ai eu trois ruches, & chacune des trois
dans une année différente, où des mâles en grand nom¬
bre relièrent en vie pendant l’automne & pendant partie
de l’hiver, & que je les perdis toutes trois de la même
manière. Une de ces ruches m’avoit donné au commen¬
cement de Juin , le plus fort effaim que j’aye vu. Après
qu’il fut parti, lorfque j’examinai les mouches qui avoient
demeuré dans l’ancienne habitation , j’y crus voir autant
de faux-bourdons que d’autres abeilles. Le nombre de
ceux-ci, au moins, étoit peu inférieur au nombre de celles-
là. Inutilement entrepris-je d’aider aux ouvrières à les dé¬
truire. J’en tuai plus de cinq cens , & ce ne fut pas a Ifes;
ils vécurent encore en grand nombre avec elles. Dans les
beaux jours d’hiver & les premiers du printemps, les mou¬
ches de cette ruche aboient à la campagne comme celles
des autres, & les mâles y aboient quelquefois avec elles.
Mais le printemps n’étoit encore gueres avancé, quand
il m arriva un matin de trouver la ruche défcrtc ; fes
mouches favoient abandonnée. Tout fe paffa de même
par rapport aux deux autres des trois ruches dans lefquel-
les beaucoup de bourdons s etoient confervés pendant
Bbbb iij
S-^V
566 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
l’hiver, elles furent meme abandonnées de meilleure heure;
l’une le fut dès le commencement de Février, & l’autre
à la fin du même mois. Ce n’étoit pourtant pas parce que
les provisions manquoient, que les abeilles lé déterminè¬
rent à quitter la dernière. Elles y laifiérent plus de douze
livres de très-bon miel. Le nombre des ouvrières que j’y
trouvai mortes, n’alloit pas à trente ou quarante; les autres
étoient parties avec la mcre.-Le nombre des mâles morts
furpafîoit quatre à cinq fois celui des ouvrières mortes.
M. de Moraiec Lieutenant d’artillerie à Saumur, & du
génie inventif duquel on a des preuves dans le Recueil des
machines approuvées par l’Académie, a imaginé une ma¬
nière fimple& fûre de détruire tous les mâles d’une ruche
dans le temps où ils ne peuvent plus que nuire. Il a ima¬
giné de mettre devant les trous qui permettent aux mou-
$. fig. ches d’entrer dans leurs ruches, des efpéces de portes *.
Chacune efi faite d’une petite lame de fer blanc coupée
quarrément, & dont un des bouts efi roulé pour laiffer
paffer un fil de fer fur lequel la porte peut fe mouvoir.
* Eig- î- Le même fi! de fer peut porter plufieurs portes pareilles*,
autant qu’il y a de trous allignés par lelquels les abciiles
peuvent entrer. On arrête le hidefer qui efi chargé de tou¬
tes les portes, à une hauteur telle qu’une abeille ordinaire
puifle pafler librement fous la porte; mais de manière
aufii que ce.te difiance foit trop petite pour le volume du
faux-bourdon : celui-ci pourtant ne laiffe pas de fortir
aifément quand il le veut ; il foûieve la porte; légère
comme elle l’efi, elle lui fait peu de réfifiance. Mais s’il
efi aile au faux-bourdon de la loûlever pour fortir, il n’en
efi pas de même pour rentrer. C efi une foûpape qui peut
être pouffée vers le dehors de la ruche, & qui 11e peut
l’être vers le dedans, elle efi arrêtée par le bois. Tous les
mâles qui font une fois fortis de leur ruche, 11e peuvent
donc plus efpérer de rentrer ; Si on efi maître de les tuer
#
des Insectes. X. Mem. 5 67
pendant qu’ils font des efforts inutiles pour y parvenir,
ou de les Lifter tuer par ies abeilles ordinaires.
EXPLICATION DES FIGURES
DU DIXIEME MEMOIRE.
Planche XXXV.
La Figure 1 eft celle d’un camail propre à mettre à
couvert contre les piquûres des abeilles, le vifage, la tête
ëi la col de celui qui eft obligé de les inquiéter, & même
de les irriter, m, mafque de crin, c’elî-à-dire, de toile à
tamis, c, c, cordons qui fervent à attacher une des man¬
ches fur un des bras, dd, cordons propres à tenir le camail
appliqué bien exactement fur la poitrine.
La Figure 2 repréfente un de cesféchoirs, au moyen
defquels l’on relfuye & l’on ranime les abeilles qui ont été
tirées du bain comme mortes. Les parois de ce l'échoir
font faites d’une toile à tamis, étendue & affujettie fur
un bâtis d’ofier. En g, finit le bâtis d’ofier. go, peut être
appelléle col du féchoir. Ce col pourroit être plus long
qu’il ne l’eft ici, & il n’en feroit que plus commode. 11
efi à propos de mettre un anneau de fil de fer auprès de
fon ouverture 00; il la tient ronde dans les temps où l’on
veut faire entrer les abeilles, & ce qui importe plus, dans
celui où on veut les faire fortir du féchoir. Le cordon
cc, fert à lier le col du féchoir, afin que les abeilles qui ont
repris vigueur, n’en puiflent fortir que lorlqu’on le leur
permet. p,p, poignées qui mettent en état de manier le
féchoir fans rifque, lors même que les abeilles font deve¬
nues très vives.
La Figure 3 montre le bâtis du féchoir fur lequel la
toiie à tamis peut être appliquée & arrêtée comme elle
l’eft dans la figure 2.
$ 6 $ MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
Les Figures 5 font voir Je ces portes ou foûpapcs
que M. de Moraiec a imaginé de mettre aux ruches dont
on veut détruire les mâles. La figure q. a quatre trous ou¬
verts, & un feul couvert en partie par une foûpape. Les
quatre trous de la figure 5, ont chacun leur foûpape.
L’ouverture qui eft entre le bord inférieur du trou, &
celui de la porte, fuffit pour laiffer paffer librement une
abeille. Mais le faux-bourdon ne peut fortir qu’en foûle-
vant la foûpape, & il ne lui eft plus poffible de la foulever
quand il veut rentrer.
La Figure 6 fait voir une ruche qu’on a renverfée fans
deffus deffous pour faire paffer fes abeilles dans une autre
ruche ; on l’a fait entrer en terre jufqu’en rr, pour la main¬
tenir ainfi renverfée.
Dans la Figure 7, une ruche ff dans laquelle on veut
loger les abeilles, a été pofée fur la ruche de la figure 6.
La Figure 8 repréfente les ruches rr,& ff de la figure
précédente, entourées à leur jonétion d’une grande fer-
viette liée autour d’elles avec de la ficelle; & cela pour
fermer tous les paffages que les abeilles pourroient trouver.
La Fig. 9 fait voir la ruche ff.de s figures précédentes,
pofée fur l’ancien appuy de la ruche rr; beaucoup de mou¬
ches y font déjà entrées, & d’autres continuent à s’y rendre.
La Figure 1 o eft celle de la ruche r r, des figures 6,7
& 8, dont la plûpart des mouches ont été châffées, & dont
celles qui reftent fortent pour s’acheminer vers la ruche ff
11 n, eft une nappe fur laquelle la ruche r, a été lécouéc./r,
planche difpofée en manière de pont pour abbréger le
chemin aux mouches qui font en route pour fe rendre à
la ruche f f
La Figure 11 repréfente un cuvier plein d’eau, dans
lequel une ruche a été baignée. Les abeilles flottent fur
l’eau de ce cuvier.
ONZIEME
/Cju/zW /Aii*
des Insectes. XI. Mem. 569
* dÜlt&tCJüï'X,*JC&CK&
ONZIEME MEMOIRE ,
DE CE QUI SE PASSE
DANS CHAQUE ALVEOLE
D’UNE RUCHE
Depuis qu’un œuf y a été dépofé, jufques à ce que le
ver fort i de cet œuf parvienne à être une abeille.
N Ous devons retourner à ces alvéoles dans le fond
de chacun defquels nous avons vû * que lamere avoit
laide, ou, pourainli dire, planté un œuf ; car nous avons
fait remarquer que cet œuf, qui a cinq à fix fois plus de
longueur que de diamètre, n’a d’appuy que par un de fes
bouts; il eft en l’air, il s’en faut même peu qu’il ne foit
parallèle à l’horifon *. C’eft une pofition dans laquelle il ne
refteroit pas, s’il n’y étoit retenu par quelque efpéce de
colle ; mais il eft fi leger que la colle la plus foible, un peu
de miel épais, fuffiroit pour l’affujettir. Pour peu que
l’épingle avec lequel on en détache un, foit mouillée, il
s’y tient dans la pofition où on l’y a mis * : à la vérité, il
n’y eft pas auffi folidement arrêté qu’il i’cfl au fond de fa
cellule. Ses deux bouts font arrondis; l’un des deux * eft
plus gros que l’autre *. C’eft le fupérieur, le plus éloigné
du fond de la cellule, qui eft conftamment le plus gros;
preuve encore que la mere abeille n’a pas eu befoin d’être
attentive à lui donner des appuis. Sa figure n’eft pas droite,
il a un peu de courbure. Ces œufs font d’un blanc un peu
bleuâtre qui tire fur le girafol. Ils n’ont pour enveloppe,
comme ceux de tant d’autres efpéces d’infeéles, qu’une
Tome V . C c c c
* Mémoire
IX.
* PI. 36. fîg.
1. 0.
* Fig. 2.
* b.
570 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
membrane flexible; l’œuf lui-même l’efl, on peut le plier
prefque en deux, & lui faire reprendre cnfiiite là première
flgure. A la vue Ample, & même avec une loupe de trois
à quatre lignes de foyer, il paroît extrêmement lifle; mais
fi on le confidére avec un microfcope qui grolfllfe extrê¬
mement , on apperçoit un travail qu’on croit fur fa fur-
face, & qui eft peut-être dans fon intérieur. Swammer-
dam a dit qu’il paroît alors comme s’il étoit couvert
d’écailles. Ce que j’ai vu, c’efl que près de les bouts, il
y a des traits droits qui forment des eljpéces de lozanges
très-allongés.
Jufques ici nous avons fait entendre que la mere ne
îaifloit qu’un œuf en chaque cellule. C’efl pourtant une
réglé qui fouflre des exceptions, & le cas où elle en fouffre
efl aifé à prévoir. Si la mere preflee par le befoin de pondre,
ne trouve pas autant de cellules vuides quelle a d’œufs
dans le corps qu’elle n’y peut plus retenir, il ne lui refle
d’autre parti à prendre, que d’en dépofer plufieurs dans
chaque cellule. J’ai vûaufli quelquefois,des cellules qui en
avoient deux, quelques-unes qui en avoient trois, & d’au¬
tres qui en avoient jufques à quatre. La première fois que
j’obfervai des cellules dont chacune contenoit plus d’un
œuf, ce fut dans une petite ruche où j’avois mis une nacre
avec trop peu d’ouvrières; à peine en avoit elle fix cens
à fon fervice; & elle eût eu befoin d’y en avoir autant de
milliers qu’elle y en avoit de centaines. Le petit nombre
de mouches ne put fournir à conflruire autant de cellules
que la mere avoit befoin d’en avoir à fa difpofition. Plu-
heurs de celles qui furent conflruites furent même rem¬
plies du miel néceflaire pour vivre au jour le jour. Dans
ie peu de cellules dont la mere put difpofer, elle mit prcL
que par-tout les œufs deux à deux. Je ne pus fuivre ce
qui arriva à ccs œufs, car la mere & fa petite troupe
des Insectes. XL Mem. 571
abandonnèrent la ruche, & peut-être la mere ne l'aban¬
donna-t-elle que pour tâcher de fe faire recevoir dans
une autre mieux peuplée, & où elle pût pondre à Ion
aile.
Avant que j’aye été bien inftruit de toutes les atten¬
tions qu’il fâiloit avoir en baignant les abeilles, j’ai perdu
un grand nombre de celles à qui je faifois foûtenir cette
opération : dans une ruche que j’avois affés mal peuplée,
des abeilles qui m’étoicnt reliées d’un bain mal fait,& où
pourtant je mis bien le double des mouches qu’il y avoit
dans l’autre ruche dont je viens de parler, celles que j’y
établis ne purent encore conflruire le nombre de cellules
que la fécondité de la mere demandoit. Aulft en vis je
un matin plu fieu rs qui avoient deux œufs, & quelques-
unes qui en avoient jufqucs à trois. La mere qui fçavoit
apparemment ce qu’elle devoit fe promettre de mieux
pour l’avenir de fes ouvrières, n’abandonna pas fa ruche.
C’ell de quoi je fus fort content, parce que j’étois curieux
defçavoir ce qui arriverait aux œufs furnumeraires. Une
cellule ne peut fervir qu’à élever un ver, deux, & à plus
forte raifon, trois vers y feraient mal à leur aife. 11 vient
un temps où l’infeéle fous fi première forme, ou fous celle
de nymphe, remplit la cellule en entier. Les abeilles qui
fçavent cela, comme elles fçavent tout ce qu’elles ont
befoin de fçavoir, & qui, comme nous le verrons dans
l’inftant, prennent un grand intérêt à la vie des vers, re¬
marquèrent apparemment les cellules où trop d’œufs
avoient été dépofés; elles n’en laifferent qu’un dans cha¬
cune. Au bout de 24. heures je 11e vis plus qu’un œuf
dans plufieurs des cellules où j’en avois vu deux ou même
trois; & au bout de deux jours toutes n’en avoient qu’un
feul. Dans ces deux jours beaucoup de cellules nouvelles
avoient été çonftruites ; mais je 11e fçais fi les abeilles
5 Jl MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
avoient porté dans quelques-unes de ces nouvelles cellit-
ies les œufs quelles avoient ôtés aux anciennes. Se fuffent-
elles contentées de tirer les œufs furnumeraires de chaque
cellule, les euffent-elles abandonnés à leur mauvais fort,
elles euffent toûjours fait une a<fhon utile. Si au lieu de
facrifier les vers qui dévoient fortir de ces œufs, elles les
euffent épargnés, tout ce qui en feroit arrivé, c’dl qu’ils
feraient péris plus tard, & qu’ils auraient fait languir, &
peut-être périr des vers qui ne pouvoicnt manquer de
venir à bien dès qu’ils referaient feuls.
Il arrive quelquefois dans des ruches dont les mouches
n’ont pas été auffi mal traitées que celles dont je viens
de parler, dans des ruches très-peuplées & très-fournies de
gâteaux, qu’il y a quelques cellules qui ont deux œufs;
& cela arrive, quand la mere n’en trouve pas de vu ides & de
nettes, lorfque trop de cellules font remplies de miel ou
de couvain, c’eft-à-dire, félon la définition que nous
avons déjà donnée de ce dernier terme, d’œufs, de vers
ou de nymphes.
La plupart des Auteurs qui ont écrit fur les abeilles
fans les avoir examinées avec des yeux affés éclairés &
affés attentifs, ont prétendu qu’elles couvoient les œufs
dépofés dans les cellules, comme les oifeaux couvent les
leurs. Plufieurs ont chargé les mâles de cette fonélion v
quelques - uns même ne les défignent que par le nom
de mouches couveufes. Ce fentiment efl affés commun
aux Auteurs qui ont donné des préceptes pour bien
gouverner les abeilles. Vandergroen, par exemple, dans
* imprimé à ouvrage qu’il a intitulé, le Jardinier des Pays-Bas *,
Bruxelles en veut q ue Jès qu’un effaim efl forti d’une ruche , on
la renverfe, on vifite tous les gâteaux, & il preferit de
couper la tête avec un couteau bien affilé h toutes les mou¬
ches qui couvent, & même à celles de ces mouches qui ne
des Insectes. XL Mem. 573
font pas encore fontes des cellules. D’autres qui ont fait
attention qu’on trouve pendant prefque tous Jes mois de
l’année, foit des œufs, foit des vers naiiïants, dans la plu¬
part des ruches, quoique ces ruches foient dépourvues de
faux-bourdonspendantplusdehuit ou neuf mois entiers,
ont chargé les abeilles ordinaires du foin de couver.
M. Maraldi n’a pas cru que les abeilles couvalfent les
œufs à la manière des oifeaux; il fçavoit très-bien que
l’on ne voit point une abeille le tenir conftamment dans
une cellule où il y a un œuf. Mais il a cru quelles avoient
une fiçon de couver qui leur eft particulière, que des
abeilles alloient fe pofer fur les bords des ouvertures des
cellules à œufs, & qu’en agitant leurs ailes avec vîtefte,
elles produifoient une chaleur propre à fair éclorre les
vers. Quoiqu’il foit certain, comme nous le prouverons
dans la fuite, que les mouvements que fe donnent à la
fois les abeilles d’une ruche, peuvent faire naître allésfubi-
tement un grand degré de chaleur , on ne doit pas atten¬
dre que celle d’une ruche foit fenfibiement augmentée
par l’agitation des ailes d’un petit nombre de mouches.
L’œuf qui eft au fond d’une cellule ne peut gueres être
échauffé par la mouche qui meut avec vîtefte fes ailes
au - deftùs de l’ouverture de cette cellule. Mais ce qui
doit parfaitement défabufer de l’idée qu’on a eue de faire
couver les abeilles de quelque manière que ce foit, c’eft
qu’on peut obferver que les cellules à œufs font fouvent
les plus abandonnées; elles font louvent plus à découvert
que les autres; les mouches ne palfent deft'us que quand
la route qu’elles ont prife l’exige. Les œufs ne demandent
pour être couvés, que la chaleur qui eft répandue dans la
ruche, chaleur qui fouvent approche fort de celle qu’une
poule peut donner aux œufs fur lefquels elle refte conf-
îammeat pofée, & qui quelquefois la furpaffe.
574 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
Le moment ou un ver fort de Ton œuf n’efl pas ai fé à
failir, & il m’a échappé. Je l’eufîe mieux épié que je n’ai
fait, fi j’euffe foupçonné qu’il dût avoir quelque chofe de
particulier à m’offrir. Ce qui eff certain, & ce que je me
fuis contenté de fçavoir, c’elf qu’au bout de deux ou de
trois jours, félon qu’il fait plus ou moins chaud , on peut
trouver le ver dans le fond de la cellule. Si on attend à
l’y chercher quatre ou cinq jours après que l’œuf a été
pondu, on l’y trouve plus grand qu’on n’auroit cru qu’il
devoit être. Son accroiffeinent & toutes fes métamor-
pholès fe font affés vite dans les faifons favorables.
Qu’on remarque, comme je l’ai fait plufieurs fois, une
cellule dans laquelle un œuf vient d’être dépofé, fi on ne
vient la revoir qu’au bout de vingt à vingt-un jours, on pour¬
ra arriver dans le moment où la mouche à laquelle cet œuf
a donné naiffance, travaille à fortir de fa cellule, & eff prête
à prendre l’effor. Je mis des mouches en ruche le 25 dit
mois de Mai; le lendemain elles travaillèrent avec ardeur à
faire des gâteaux ; le 27, j’obfervai quantité de cellules dans
chacunedefquelles il yavoit un œuf;le 17 Juin, chacune
de ces cellules donna à la ruche une nouvelle mouche. J’ai
fait des obfervations femblables bien des fois, & dans des
faifons favorables quoique plus ou moins avancées.
Depuis que le ver eff né jufques à ce que le temps de
fa première métamorphofe approche, il eff toujours dans
* pi. 36.% la même attitude; il eff long *, & il fe tient roulé en an-
3 ^ neau, de manière que fa tête touche fon derrière *. L’an-
* 1 lg . 5 c ’* neau qu’il forme eff plein ou prefque plein ; le milieu en
eff rempli par les parties charnues du ventre. On diflingue
différentes lignes blanches, qui des côtés fe dirigent à peu
près vers un centre commun. Le ver eff ainfî appliqué
prefque contre le fond de fa cellule. Ce fond ne femble
pas trop propre à le recevoir à caufe de fa figure angulaire;
des Insectes. XI . Mem. 57^
mais fi on fe rappelle la pofition de la cellule, que fa coupe
tranfverfàle eft prefque perpendiculaire à l’horifon , on
jugera que le ver en doit peu prelfer le fond par fon poids.
Si on en retire un & qu’on examine le fond de la cellule,
on verra même que le ver y étoit pôle plus mollement
qu’on ne l’avoit penfé : on y appercevra une couche aftes-
épaiffe d’une efpéce de gelée ou de bouillie qui a une cou¬
leur blancheâtre; elle fait, pour ainfi dire, le lit fur lequel le
ver elt couché, ou, plus exactement, le dofticr de fon liège.
Cette même matière fur laquelle le ver eft mollement
appuyé, eft aufîi celle dont il fe nourrit. Il feroit incapable
de l’aller chercher; il ne feroit pas même en fon pouvoir
de fe traîner hors de fa loge. Mais il peut y être tranquille;
il y fera toujours pourvû abondamment de tout lenéccf-
fiire. Les abeilles ordinaires font les nourrices que la
nature a accordées aux vers; elle leur a donné pour eux
une affeélion fur laquelle on peut plus compter qu’on
ne peut compter parmi les hommes fur celle des nour¬
rices que les meres choififfent à leurs enfants. A plufieurs
heures du jour, on voit une abeille entrer la tête la pre¬
mière dans la cellule où il y a un ver, y relier quelque
temps. Ce qu’elle y fait ne peut être obfcrvé, mais on eft
fur au moins quelle fournit au ver la matière dent il doit
fe nourrir, & qu’elle en renouvelle la provifion. Après
que cette abeille eft fortie, on en voit quelquefois une
ou plufieurs autres fuccefFivement & en différents temps
qui mettent leur tête à l’entrée de la même cellule, comme
pour reconnoître fi le ver qui y eft lo^é, a tout ce qu’il lui
faut : un coup d’œil fuffit pour le leur apprendre ; fouvent
elles paffent outre dans l’inftant; & ce n’cft quelquefois
qu’après avoir examiné beaucoup de cellules les unes après*
les autres, quelles entrent dans une quelles ont reconnue
n’avoir pas été pourvût fuffifamment..
576 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
Quand une abeille refie pendant quelques inflants dans
la cellule d’un ver, c’eft fans doute pour y dégorger de
cette efpéce de bouillie ou de gelée contre laquelle le
corps du ver eft appliqué & dont il eft entouré. On pour-
Xoit douter fi cette matière que nous regardons comme
celle dont il fe nourrit, n’eft pas plûtôt celle dont il fe
yuide ; mais ce doute ne paraîtra pas affés fondé, lorfqifon
fe rappellera que tous les vers auxquels ceux-ci font analo¬
gues, rejettent très-peu ou 11e rejettent prefque point d’ex¬
créments; & fur-tout lorfqifon fçaura que les plus jeunes
vers ont autant de cette matière dans leurs cellules, que
ceux d’un âge plus avancé en ont dans les leurs. Loin même
quelle aille en s’y accumulant, comme elle le devrait fi elle
étoit compoféedes excréments, elle va en diminuant, on
n’en trouve plus dans les cellules habitées par des vers prêts
à fe métamorphofer. D’ailleurs, elle a fi peu de reffem-
blanceavecdes excréments,qu’il paraît inconteflablequ’eile
eft la matière qui doit fournir à l’accroiffement du ver.
Il y a ailes de cette bouillie dans chaque cellule pour en
pouvoir prendre avec la tête d’une épingle à trois ou quatre
reprifes différentes, de petites maffes de la groffeur de la tête
de l’épingle, fans ce qui refie trop étendu fur le fond de
la cellule pour pouvoir être enlevé d’une façon fi groffiére.
On peut donc goûter de cette matière. Si on l’a prife dans
la cellule d’un jeune ver, on la trouve abfolument infipide
telle qu’une efpéce de colle de farine. Swammerdam qui
a obfervé cette efpéce de gelée, paraît embarraffé comme
on doit letre , fui*l’endroit où les abeilles la prennent.
Il s’échappe à la vérité de certains arbres, une feve qui
s’épaiffit & s’accumule fur l’ouverture qui l’a laiffé for-
tir , & qui, autant que les yeux 6 c le goût en peuvent
juger, a beaucoup de reffemblance avec la gelée en quef-
tion ; mais Swammerdam a très-bien remarqué que les
abeilles
des Insectes. A 7 . Mem . 577
abeilles ne trouveroient pas de cette feve épaifTie en hiver,
au milieu duquel elles ont quelquefois des vers à nourrir.
II y a donc plus d’apparence, comme il paroît difpofe
à le croire, que le miel, j’y ajoûterois la cire brute que
les abeilles ont fait palier dans leur corps , y reçoivent
une préparation qui les fait devenir l’efpéce de bouillie
qui elt l’aliment des vers.
Quelques obfervations qui ont échappé à Swammer-
dam, 'car à qui n’en échappe-t-il pas! me confirment dans
cette idée; &. ces obfervations m’ont paru curieufes par
elles-mêmes; elles nous apprennent que les abeilles pro¬
portionnent la nourriture à l’état des vers; quelles leur
en donnent de différentes félon leur âge &. leurs forces.
Quand j’ai goûté de la bouillje qui étoit dans les cellules
des vers dont la grandeur étoit au-dclfus de la moyenne,
je ne l’ai plus trouvée fi infipicle que celle que j’avois tirée
des cellules de vers plus jeunes; je lui ai trouvé une lé¬
gère pointe de fucre ou de miel. La matière tirée de
cellules de vers plus âgés, avoit un goût de miel plus
marqué, très-fenfible. Enfin, dans les cellules vies vers
prefque à terme, la gelée avoit un goût très-fucré. Je dis
fucré, car fa douceur n’avoit pas le fade du miel, une petite
acidité y étoit pourtant jointe. Les différences que le goût
fait appercevoir, ne font pas les feules qui fe trouvent
entre la matière du fond des cellules des jeunes vers &
celle des cellules des vers plus âgés; des yeux attentifs y
en peuvent appercevoir d’autres. La matière des premières
cellules reffemblc plus à de la bouillie, elle efl plus blan-
cheâtre; & celle des dernières reffemble plus à de la gelée,
le blanc en a difparu, elle efl plus tranfparente; & elle tire
tantôt fur le jaunâtre & tantôt fur le verdâtre. Enfin , la
matière des cellules des vers d’un âge moyen, entre les
âges de ceux dont nous venons de parler, eft d’une couleur
Tome V . D d d d
57S MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
moyenne entre les couleurs des matières des autres cellules.
Il femble que ce foit par degrés que les abeilles conduifent
les vers à être en état de fe nourrir de miel dont ils doivent
vivre en grande partie fous la forme de mouches.
Ces vers font de ceux qui font dépourvûs de jambes,
elles leur eu fient été bien inutiles, puifqu’ils dévoient
paffer leur vie de ver roulés dans une cellule. Outre la
différence que la grandeur met entre les plus jeunes & ceux
qui font à terme, il n’y en a gueres d’autre fi ce n’efi que les
premiers ont leurs anneaux mieux marqués; & que regardés
de quelque diftance, ils paroiffent d’un blanc bleuâtre, pref-
qu’ardoifés. Le fond de leur blanc cft altéré par un bleu
foncé tirant fur le brun, qui efl répandu dans quelques-
unes de leurs parties intérieures ; mais en croiffant, ils de¬
viennent prefque par-tout d’un blanc de lait. Il faut appor¬
ter quelqu’attention pour parvenir à les tirer hors de leurs
cellules fans les bleffer. Lorfqu’ils en font dehors , on
reconnoît qu’ils font incapables de fe traîner fur la place
où on les a mis ; ils allongent un peu leur partie anté-
Pl. 36. fig. rieure *; ils la contractent enfuite , & fe donnent quelques
légers mouvements qui prouvent à la vérité qu’ils font en
vie, mais qui les font regarder comme très-engourdis &
comme très-foibles.
Fig.p&io. Leur tête * demande qu’on les place dans la clafTe des
vers qui en ont une de figure confiante. Leur mufeau
confidéré à la loupe , paroît auffi décider que leur genre
ou leur claffe fubordonnée efi celle des vers qui ont une
bouche qui a de la reffemblance avec celle des chenilles;
car la partie antérieure de la tête ou le bout du crâne, a
une lèvre fupérieure, & on lui trouve en défions, une
* Ifl • lèvre inférieure compofée de trois parties *, comme l’eft
celle des chenilles, & comme l’efi celle de beaucoup de
vers. Il ne refie qu’à trouver à leur tête, deux dents ou
DES I N S E C T E S. XL Mem . 579
crochets qui répondent aux deux dents des chenilles, 6c
à celles des vers de la dalle où nous voulons mettre ces
vers des abeilles. Ceux-ci, qui 11’ont qu’à avaler une forte
de bouillie, n’ont pas befoin d’avoir de fortes dents; ils
n’en ont auffi que deux foibles & difficiles à appercevoir.
On commence à s’affiirer que les environs de la bouche
ont tics parties dures, comme écailleufes, h l’on conduit
Ion doigt fur la tête de derrière en avant. O11 lent des
parties qui frottent plus rudement que des chairs. Mais
lî on confidérele delfus de la tête dans un jour favorable,
on trouve les deux crochets analogues à ceux des vers dans
la clalfe defqueis nous voulons les lailfer. Ces deux
crochets * fuivent le contour du bout fupérieur de la tête ; * P!. 36.%.
ils'le terminent près de la lèvre fupérieure par une petite 9 ’ c> c ‘
pointe écailleufe 6c jaunâtre. Ils font fi exactement appli¬
qués contre le contour de la tête, qu’il ne leroitpas pof-
fible de les y dillingucr, fi on n’avoit les deux mains libres
pendant qu’on les regarde à la loupe; c’eft-à-dire, li 011
n’avoit fur le nez une de ces lunettes à loupe dont nous
a/^ns enleigné ailleurs à fe fervir, qui donnent l’ulàge
d’une main de plus. Swammerdam à qui ce fccours man-
quoit, avoué naturellement qu’il n’a pu bien voir les par¬
ties de la tête de ce ver; 6c cela, ajoûte-t-il, faute d’une
main qui pût les écarter les unes des autres; car l’une de
fes mains étoit occupée à tenir le ver, 6c l’autre à tenir la
loupe. Mon nez étant chargé de la loupe, j’ai eu la main
néceffiaire pour éloigner avec la pointe d’une épingle , un
des crochets du contour de la tète contre lequel il étoit
appliqué.
En deffious de la tête * on trouve la levre inférieure; * Fî g . 19.
la partie*qui en fait le milieu s’élève jufques à la levre* f
fupérieure 6c même par-deffius, comme s’élève la levre
d’une bouche humaine dont la mâchoire inférieure fe
Dddd ij
580 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
porte trop en devant. Le bout de cette partie eft comme
taillé quarrément; il a quelquefois lui-même l’air d’une
efpéce de bouche; je-veux dire qu’en certains temps,
on y voit une cavité obiongue formée par des chairs
pliffées; mais quelquefois il fort de cette cavité, une pe¬
tite lame charnue qui eft taillée quarrément. Nous prou¬
verons bientôt que ces fortes de vers fçavent filer, & c’ell
dans cette lame charnue que la filière ell placée. Les deux
Pi. 36.%. autres parties * de la levre inférieure, celles qui en font
les côtés, diminuent infenfiblement de grofteur en s’é¬
loignant de leur bafe; elies fe terminent par des pointes
fines, roufteâtres, dures & comme écailleufes. Ces poin¬
tes font peut-être des infiruments utiles au ver, lorfqu’il
place les fils de foye qu’il tire de fa filière. Elles ont aiïfîi
à leur face intérieure au-deffous de la pointe, comme
deux à trois petites dentelures jaunâtres & écailleufes. La
*f partie * qui eft entre celles-ci & la plus confidérabie de la
levre inférieure, eft appellée la langue par Swammerdam ;
ce feroit une langue qui fe trouveroit en entier hors de
la bouche. Les conformations des infeéles ont des cho^s
plus bifarres; mais on peut trouver une vraye langue dans,
la cavité de la bouche, à des infeéfes qui ont une partie
femblable à celle dont nous parlons. De-là il fuit qu’elle
ne doit encore être prife que pour la plus confidérabie
partie de la levre de nos vers d’abeilles, dont nous ne
fiçaurions gueres nous promettre de voir la vraye langue.
Celle-ci eft apparemment dans la cavité qui fe trouve
entre la levrefupérieure& l’inférieure, cavité que Swam¬
merdam ne fcmble pas avoir connue; & cela encore, faute
d’avoir eu la facilité de féparer les unes des autres, les
parties de la tête pendant qu’il les oblervoit.
Avant que de quitter cette tête, nous y devons faire
Fig. 10. },i, remarquer deux petits globes * dont il y en a un de chaque
des Insectes. XL Ment. 581
côté , environ à (Mance égale du bout antérieur & du
bout pofïérieur. Iis l'ont auffi blancs que le relie, mais
plus luifants, & on ne peut les prendre que pour deux
yeux ; ils font l’un & l’autre dans un enfoncement qui leur
fait une efpéce d’orbite.
Les vers les plus gros & les plus blancs , ont tout du
long du dos *, depuis la tête jufques à l’anus, une raye
jaunâtre: quoiqu’elle femble être fur la peau , elle n’y elt
pas réellement ; la peau ne paroît colorée que parce quelle
laide voir le conduit des aliments qui elt étendu en ligne
droite, & rempli d’une matière d’un jaune fauve. C’elt
apparemment la blancheur du relie du corps, & fon air
douillet & dodu qui ont tenté Swammerdam, & qui lui
ont donné envie de fçavoir quels goûts avoient ces vers.
Je m’en luis d’autant plus volontiers rapporté à fon expé¬
rience, qu’il dit leur avoir trouvé un goût trèsdéfigréa-
ble, femblable à celui du lue pancréatique des poilfons,
& qui, ce qui en donnera une idée à plus de gens, laide
au gofier une imprelfion femblable à celle du lard rance.
Sous le ventre *, on croit voir de didance en didance,
des plis plus blancs que le rede, difpofés parallèlement
les uns aux autres, & tranfverfalement. O11 ed porté à
croire, que ce font ceux qui fe font dans les endroits où
le ver fe courbe. Quand on examine ces prétendus plis
de plus près, on reconnoît que ce font des vaideaux, qui
pour être d’un blanc argenté, ont plus d’éclat que le blanc
de tout le rede du corps & que celui de la peau au travers
de laquelle ils paroident ; en un mot, que ces vaideaux
font des trachées. On peut s’en convaincre aifément;on
paflera fous l’un d’eux la pointe d’une épingle, & on le
forcera de s’élever au-dediis de la peau déchirée; alors
on verra que le vaideau qu’on a enlevé, a confervé fa fon¬
dait' , quoiqu’il foit ouvert, Si qu’il a une blancheur
Dddd iij
* PI. 3 6. fig.
11.
* Fig. ï 2»
t, t, t.
582 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
argentée; deux caraéléres qui diflinguent les trachées des
autres vaiffeaux. Si même 011 tire de fuite deux ou trois
de ces vaiffeaux hors du corps du ver, quelqu’un d’eux
6c peut-être tous les trois, feront voir que leur flruélure
* Tome IV. efl telle que nous avons trouvé celle des trachées * des
i'A "22 'fo. vers aquatiques qui donnent les mouches à corcelct
}Z • armé, 6c telle que nous avons dit alors qu’il y avoit
apparence qifétoit la flruélure de toutes les trachées des
inlèéles. Nous avons prouvé que les trachées de ces vers
aquatiques étoient faites d’un fil cartilagineux d’une pro-
digieufe fineffe, roulé en fpirale , comme le lil d’argent
dont on fait ces ornements appelles cannetilles ou bouil¬
lons ; on voit que la flruélure des trachées des vers
des abeilles, efl la même. Le tuyau qu’on a brife pour
l’élever au-deffus de la peau , laiffe paroître à un de fés
bouts, un fil qui s’efl dévidé 6c qui lé dévide davantage
li on parvient à le prendre entre fes doigts, 6c qu’on le tire
enfui te.
*PI Les fligmates * de ces vers, quoique très-petits, 6c quoi-
iz-ft/JAc’ que dépourvus d’un rebord jaunâtre qui aide à faire diflin-
guer ceux de divers infeéles,ne font pas difficiles à trouver;
on 11’a qu’à fuivre une trachée tranfverfale *, elle aboutit
de chaque côté tout auprès d’un ffigmate. On trouve
de la forte la fuite des fligmates de chaque côté ; la ligne
fur laquelle ils font rangés, efl marquée par une trachée
qui va de la tête à la partie poflérieure. C’cfl fur ces deux
longues trachées que font pofés immédiatement les fligma¬
tes ; d’auprès de chacun de ceux-ci part un tronc de tra¬
chée très-court, mais auffigros que les trachées tranfver-
fiiles du ventre; il s’élève vers le dos 6c jette deux bran¬
ches déliées, qui elles-mêmes fourniffent des ramifica¬
tions.
Endefiôusdu ver, près de fa tête, on voit des trachées
* t.
des Insectes. XL Mem. 583
qui forment diverfes ondes ; on diftingue de plus d’autres
ondes blancheâtres formées par des parties intérieures vûes
au travers de la peau.
L’anus du ver eft à fon dernier anneau, & n’eft deftiné
qu’à rendre peu d’excréments ; jamais il n’en rejette lors¬
qu'on tient le ver entre fes doigts; c’eft pourtant un temps
où les vers qui ont à fe vuider, ne manquent guéres de
le faire.
Dans les ftaifons favorables à l’accroiiïèment des in-
feeftes, j’ai remarqué des cellules où la mere abeille venoit
pondre. J’ai enfuite obfervé au bout de huit jours, que
chacune de ces cellules étoit remplie par un ver qui n’avoit
plus befoin de prendre d’aliment, c’elt-à-dire, qui n’avoit
plus à croître : d’où il fuit que tout le croît de chacun de
ces vers avoit été fait en moins de fix jours, puifquenous
avons vu que ce n’eft guéres que deux jours après que
l’œuf a été pondu que le ver en fort. Dès qu’il naît il fe
roule, mais le rouleau qu’il forme alors eft li petit qu’il
laiffe bien du vuide entre fa circonférence & les parois
de la cellule. Bientôt, c’eft-à-dire, au bout de deux
jours ou environ, ce vuide eft rempli : ce même rou¬
leau formé par le ver s’applique contre le contour de
la portion de la cellule, à laquelle il répond. D’ailleurs le
ver étant devenu plus long, un feul tour ne fuflit plus
pour la longueur de fon corps. La tête fe trouve pofée
au-deiïùs du pénultième anneau. Ses autres dimenfions
doivent augmenter, & augmentent en même temps. Or
puifque dès les premiers jours le rouleau étoit un rouleau
plein, le corps que fa pofition empêche de s’étendre du
dos vers le ventre, ne peut s’étendre que vers les côtés;
il eft forcé de prendre une figure applatie *. La coupe * PI. 36. %,
d’un anneau qui, dans les premiers temps étoit circulaire, 7 &
eft alors ovale. J’ai fouyent ouvert des cellules qui avoient
5S4 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
été détachées des autres, & elles me fembloicnt contenir
deux vers pôles l’un fur l’autre,parce que je n’imaginois pas
qu’un leul ver roulé pût occuper une aulfi longue portion
d’une cellule que celle qu’il occupe quand il eft applati ail
point où le roulement demande qu’il le foit ; mais dès que
j’avois ôté ce ver de place, & que je l’avois mis en quelque
forte en liberté, l'on corps reprenoit de la rondeur.
11 vient donc un temps où le ver doit le trouver mal
à fon aile d’être roulé, & où il doit chercher à lé mettre
dans une autre pofition, à s’allonger. Ce temps arrive
quand celui où il doit le métamorpholèr pour la première
fois, cil proche. C’eftauffi alors que les abeilles qui jufques-
là lui avoient apporté des aliments convenables, celfent
de lui en donner qui lui feraient inutiles. Elles connoilfent
qu’il n’a plus befoin de manger ; & elles longent à le
mettre hors de rifque d’être inquiété dans fon alvéole,
où il ne doit plus même avoir de communication avec
l’air extérieur. Le dernier des foins quelles prennent
pour lui, eft celui de le renfermer dans fa petite loge,
d’en murer, pour ainfi dire, l’ouverture avec de la cire.
Pluficurs abeilles travaillent à la fois , ou les unes après
* PI. 36.fig. les autres, à faire un couvercle de cire * à la cellule, &
c Wc 7 ' C> ‘ l Appliquer exactement fur les bords, ceux - ci lui fervent
d’appuis. Ain fi lever fe trouve renfermé dans une efpéce
de boite de cire fcellée hermétiquement. La manière
dont les abeilles s’y prennent pour faire le couvercle de
cire, ne fuppofe rien que nous ayons befoin d’expliquer;
la façon en eft plus fimple que celle des cellules exago-
nes, & la même que celle des couvercles des cellules à
miel.
C’eft après que le ver a été ainfi renfermé dans fa cel¬
lule, qu’il fe déroule, fe redrefle & s’allonge. Julques-là,
il n’avoit eu d’autre peine que celle de manger. Son corps
avoit
des Insectes. XI . Mem . 58?
avoit été dans le plus parfait repos ; mais les befoins de
l'on état futur demandent qu’il commence à travailler. La
peau qui le couvrira lorfqu’il fera nymphe, elt apparem¬
ment plus délicate que celle qui le couvre pendant qu’il
eft ver; elle ne doit pas être expofée lorfqu’elle eft nou¬
velle &excefîivement tendre, à toucher immédiatement
les parois de la cellule ; le ver fonge à les tapiffer de foye;
il fçait filer comme le fçavent les chenilles. C’eft un fait
qui a échappé à M. Maraldi, & qui pouvoit très-bien
échapper à un bon obfervateur, mais que Swammerdam
n’a pas ignoré. Je crois feulement que ce dernier a fait filer
lever de trop bonne heure; il l’a mis à l’ouvrage avant que
l’alvéole eût fon couvercle de cire; & il m’a toûjours paru
que le ver 11e commençoit à filer qu’après qu’il avoit été
renfermé de toutes parts. La portion de la toile qu’il
ourdit, qui fe trouve à l’ouverture de la cellule, pour-
roit être gâtée par les abeilles qui mettent le couvercle
de cire, fi elle étoit déjà faite alors, comme Swammerdam
l’a voulu. Malgré toute l’adreffe que nous fçavons aux
abeilles, il ne paroît nullement poffible qu’elles pufïent
parvenir à appliquer la cire auffi parfaitement qu’elle eft
appliquée fur toute cette portion de la toile; au lieu que
le ver ne fait là que ce qu’il fait ailleurs quand il couche
& colle exactement fur le couvercle, des fils de foye très-
proches les uns des autres , & qui fe croifent.
La toile de foye que file notre ver, eft extrêmement
fine & extrêmement ferrée; elle fuit exactement toutes
les faces & les angles de la cellule à laquelle elle fert, pour
ainfi dire, de chemife. On pourrait très-bien ne pass’ap»
percevoir qu’une cellule eft tapiffée de cette toile, fi on
le contentoit de lui ôter fon couvercle & d’en confidérer
le dedans avec des yeux qui ne feraient aidés du fecours
d’aucun verre. Mais fi on vient à brifèr une cellule dans
Tome V • Eeee
* PI. 3 6. fig.
ij. cfcd.
58 6 MEMOIRES POUR L’HlSTOÏRE
toute fa longueur, ou plutôt à en brifer plulieurs à la fois,
& cela,en rompant un gâteau rempli de celles dont chacune
a un ver ou une nymphe, & qui font toutes fermées par
ieur couvercle de cire ; les calibres du gâteau font voir
alors plulieurs cellules ouvertes longitudinalement; & on
remarque que le ver ou la nymphe de chaque cellule, ne
paroît qu’au travers d’une pellicule rouffeâtre *. Cette pel¬
licule 11’a rien de commun avec les parois de cire qui ont
été rompues ; plus flexible & d’ailleurs forte, elle s’eft
décollée de deflus la portion de la cellule qui a été em¬
portée par le déchirement.
En rompant ainfi des cellules, on fe convainc donc
aifément que chaque ver a foin de lapider la fienne d’une
toile de foye; mais on en pourrait rompre, & c’eft même
ce qui arrivera le plus fouvent, qui feroient juger que le
ver file une enveloppe qui efl beaucoup plus épaifle que
nous ne l’avons laifle imaginer, & qui efl réellement cinq
à fix , peut-être huit à dix , & peut-être vingt fois plus
épaifle. Aufli n’eft-elle pas l’ouvrage d’un feul ver; elle
n’efl pas une enveloppe Ample ; elle efl compoiée de plu-
fieurs toiles qui ont été miles les unes fur les autres. Nous
avons déjà dit que moins de trois femaines après que le
ver efl né, il efl èn état de fortir de fa loge fous la forme
de mouche. L’habitation qu’il laifle vuide efl nettoyée fur
le champ par les abeilles, & efl rendue aufli propre qu’elle
Tétoit d’abord, à fervir à élever un autre ver; la mere
abeille y peut venir & y vient pondre. Le fécond ver qui
habite çette cellule, y file comme le premier y a filé,
avant que de fe métamorphofer. La même cellule peut
donc être tapiflee d’une nouvelle toile de foye piufieurs
fois dans une année; & lorfqu’une ruche a fubfifté pendant
plulieurs années, il y a telle cellule qui a fervi fucceflive-
anent d’habitation à bien des yers, & qui par conféquent?
des Insectes. X/. Mem. 587
a rcçû fucceffivement bien des îoiics de foye. Elles font
fi minctÿ qu’il en faut un grand nombre d’appliquées les
unes lur les autres avant que le logement en foit rendu
fenfiblement plus étroit. On pourroit s’affûrerdu nombre
des vers qui le font transformés en mouches dans chaque
cellule, fi on le donnoit la patience de féparer les unes
des autres les pellicules qui s’y trouvent, car elles font
féparables. La cellule qui en a plufieurs, loin d’en valoir
moins, eft plus forte & plus folide que les autres; elle eft
moins en rilque d'être brifée que celles qui ne font que
de cire ; la tapifferie eft ici capable de foûtenir les murs.
Pour féparer d’une cellule l’enveloppe, foit fimple, foit
compofée, dans fon entier, Swammerdam a eu recours à
lin moyen un peu long, mais commode; c’eft de tenir
pendant quelques jours la cellule dans l’efprit de vin ; il
agit fur la cire, & fait quelle ed bien moins adhérente à
la toile de foye qu’elle n’y eft naturellement. M. Maraldi
qui avoit oblèrvé la pellicule ou l’afTemblage de pellicules
qui recouvre une cellule, ne s’en étoit pas fait une jufte
idée; il a cru que chaque pellicule fimple étoit la dépouille
que le ver avoit laiffée lorlqu’il s’étoit transformé: iln’avoit
pas affes penfé combien il eût été difficile que cette peau
fè fût moulée exactement dans les angles que forment les
pans de hexagone; car il n’y a que le fond de la cellule
qui prenne un peu de rondeur, où les arrêtes des angles
foient effacées par les toiies. Au refte, s’il eût ouvert plu¬
fieurs cellules bouchées récemment, il fèroit parvenu à en
obferver dont l’intérieur auroit été tapiffé, quoique le ver
eût encore fa première forme; ainfi, il fe fût convaincu que
ce n’eft pas de fa dépouille qu’il la.tapiffe; il auroit pu auffi
furprendre le ver occupé à filer. Enfin, fi on examine au
microfcope ou feulement avec une forte loupe cette pel¬
licule , malgré fon tiffu ferré on reconnoît qu elfe eft
Eeee ij
588 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
faite de fils très-déliés, appliqués les uns contre les autres,
& que fa ftruélure cfl toute autre que celle d’uncjteau.
Ce n’efl pas feulement par la forme de leurs cellules
que les vers qui fe doivent transformer en fémelles, font
traités avec difiindtion ; nous venons de dire que plu-
fieurs œufs de ceux d’où doivent naître des abeilles ordi¬
naires, font fuccefïivement pondus dans la même cellule;
mais on donne une cellule neuve à chacun de ces œufs
plus précieux d’où doivent éciorredes vers qui devien¬
dront des meres. Les obfervations que j’ai faites le prou¬
vent. Je n’ai jamais trouvé une cellule royale tapiffée que
d’une feule toile de foye; & j’ai vii les abeilles détruire
les cellules royales dans lefquelles des fémelles étoient
nées, ou n’en laiffer que les fondements fur lelquels elles
élevoient des cellules exagones. Enfin, ce qu’ellesavoient
confervé de chaque cellule royale fe trouvoit dans la fuite
.entièrement renfermé dans l’intérieur d’un gâteau. Ce que
nous avons dit ailleurs.* de la pofition la plus ordinaire à
ces cellules, fait voir que les abeilles font dans la néceffité
de les détruire, fi elles veulent prolonger les gâteaux de
cire du bord defquels elles pendent. Je rapporterai une
feule obfervation, qui prouve inconteftablement cette
deftruélion des cellules royales. Je baignai une ruche qui
m’avoit donné l’année précédente deux effiims, & tle la¬
quelle il n’en étoit point encore forti le 6 de JuiHet de
l’année où elle fut baignée. Après avoir examiné fes gâ¬
teaux les uns après les autres, je 11’y pû trouver aucune
cellule royale; elle en avoit pourtant eu au moins deux
l’année précédente. Plufieurs couches de fils de foye ap¬
pliquées fucceffivemcnt fur les parois de la même cellule
exagone, la rendent moins fragile; mais les cellules royales
font fi folidement confinâtes, que la multiplication des
couches de foye leur feroit très-inutile.
des Insectes. XI . Mem . 5g 9
Je dois faire remarquer que les abeilles fe donnent bien
de garde de porter au ver plus d’aliments qu’il n’en peut
confommer Avant que de Hier fa coque, il achevé de man¬
ger toute l'a provifion de gelée; ainfi, il rend le fond de
fa cellule net & fec : on ne voit pas même qu’il y foit refié
d’excréments. Après avoir rendu fon logement propre,
après l’avoir tapiffé de foye, il continue de lè tenir allongé;
le temps où il devoit être roulé efl fini. Il paffe un jour
ou plus tout étendu; & enfin, le moment arrive où il va
changer d’état, où il fe défait de la peau fous laquelle il
paroiffoit ver, pour devenir nymphe *. Nous avons parlé
il au long en différents endroits, delà manière dont s’ac¬
complit la métamorphofe des chenilles en crifalides, &
celle des vers de divers genres qui doivent devenir des
mouches à quatre ailes, en nymphes incapables de véri¬
table mouvement progrefîif, qu’il l'eroit très-inutile que
nous nous arrêtaffions à décrire comme fe fait le change¬
ment d’état du ver d’abeille. On fçait affés que fa peau
doit fe fendre fur le dos, que la nymphe fort peu à peu
par la fente qui s’y efl faite, quelle force cette peau à aller
en arriére, que la nymphe s’en tire toute entière; & que
dès quelle s’efl défaite de cette enveloppe, on lui peut
trouver toutes les parties extérieures d’une abeille, les
antennes, les jambes & la trompe qui font ramenées
en devant du côté du ventre ; & que ces parties n’ont
plus befoin que de prendre de la confiftance pour être
en état de fournir à tous les ufages auxquels elles font
deflinées.
Ces faux-bourdons, ces mâles que les abeilles maffacrent
impitoyablement dans le mois de Juillet, quelquefois un
peu plutôt & quelquefois un peu plus tard, ont été l’objet
de leurs foins pendant qu’ils prenoient leur accroiffcmcnt
fous la forme de vers qui ne différoient que par leur
Eeee iij
* Pî. 3 6.fig.
14.
590 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
grandeur, de ceux qui deviennent des abeilles fans fexe. Ces
dernières leur portent les mêmes aliments quelles portent
aux autres vers, & avec la même aflkluité; & enfin, quand
il y en a quelqu’un de prêt à fe métamorphofer, elles ont
aufi'i l’attention de mettre un couvercle de cire à fa cel¬
lule. Quand les cellules où ils font ne le feroient pas difiin-
guer des autres par leur grandeur, on les reconnoîtroit
. fig. parla forme du couvercle *. Ce couvercle efi une calotte
c > c ' fenfiblement plus relevée en dehors que n’efi celle d’une
cellule de ver qui doit devenir une abeille ordinaire. On
voit dans certains temps des gâteaux entiers ou des por¬
tions de gâteaux dont toutes les cellules ont de ces cou¬
vercles relevés.
Les vers qui doivent devenir des faux-bourdons, naifi-
fent d’œufs femblabies à ceux d’où lortent les vers qui
doivent devenir des abeilles communes, mais peut-être
un peu plus gros. Ces premiers vers avoient befoin de
cellules plus grandes que celles des autres , parce qu’ils fe
transforment en des mouches dont la grandeur furpalfe
confidérablement celle des abeilles ouvrières. Quoique
ces mouches mâles foient confidérablement plus grandes
que les autres, M. Maraldi rapporte qu’il trouva dans
une ruche dont on avoit fait périr toutes les mouches, un
grand nombre de faux-bourdons qui n’étoient gu ères plus
gros que des abeilles ordinaires. Il m’eft arrivé une ieufe
fois de voir de ces petits mâles, & j’en ai même conlèrvé
un dans mon recueil d’infeélesfecs. Dès qu’on n’en trouve
pas ordinairement de ceux - ci dans les ruches, en quel¬
que faifon qu’on les v cherche, il y a plus d’apparence
que quelquefois des mâles refient petits par quelque cir-
conftance qui s’efi trouvée contraire à leur accroifi'ement,
qu’il n’y en a qu’ils foient une cfpéce particulière rie faux-
bourdons. Nous avons parlé des cas de néceflité où la
des Insecte s . XI. Man. 591
mcre abeille clépofe deux & même trois œufs dans le
même alvéole, ne peut-il pas auffi arriver que les abeilles
ouvrières ne faffent pas à temps les grands alvéoles dans
lefquels les vers mâles peuvent croître à leur aife, ou que
ceux qui font faits fe trouvent tous remplis de miel î
Alors la mere abeille feroit obligée de dépofer dans des
cellules ordinaires les œufs qui donnent naiffance à des
vers qui fe transforment en mâles ; le corps de chaque
ver étant trop & trop tôt ferré par les parois de fa cel¬
lule, ne pourrait parvenir à prendre le- volume qu’il au¬
rait pris dans une plus grande cellule.
L’amour des abeilles ordinaires pour les vers nés dans
leur ruche, eft alfés marqué par les foins & les attentions
quelles ont pour eux ; mais il m’a paru curieux de fçavoir
ficet amour s'étendrait jufques à des vers qui auraient pris
nailfance dans une autre ruche ; & nous verrons dans la
fuite que j’avois même raifon de fouhaiter que cela fût.
J’ai donné aux abeilles de plufieurs ruches, des portions de
gâteaux que j’avois tirées d’autres ruches, & dont les cel¬
lules étoient remplies de couvain en tous états. Les unes
l’étoient d’œufs, d’autres de vers nailfants, d’autres de vers
très-gros, de vers dont les cellules étoient bouchées de
cire. D’autres cellules de ces mêmes portions de gâteaux
contenoient des nymphes de différents âges, c’eft-à-dire,
de celles qui n’étoient nymphes que depuis peu de temps,.
& de prêtes à devenir mouches; Si enfin on y en pouvoir
trouver de tous les âges moyens. Les nymphes n’ont
plus befoin du fecours des abeilles ordinaires; elles font
devenues des mouches dans la nouvelle ruche où elles ont
été tranfportées, Si ont augmenté le nombre de celles qui
l’habitoient. Mais je n’ai point vu les abeilles de cette ru¬
che prendre foin des œufs Si des vers nés dans une autre
ruche ; elles ont même traité ces derniers avec la plus
592 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
grande barbarie; elles les ont arrachés de leurs cellules, 8 c
les ont jettés hors de la ruche; elles les ont fait périr im¬
pitoyablement.
Dans bien des circondances, je les ai vû traiter avec
îa même cruauté des vers nés parmi elles-mêmes. Lorf-
que quelque accident fait tomber un gâteau ou quelque
portion de gâteau remplie de couvain, fur le fond d’une
ruche qui n’ed pas bien pleine, on voit les abeilles s’at¬
trouper deffiis; elles ne font grâce à aucun des vers qui
fe trouvent dans des cellules ouvertes, elles les en tirent,
les tuent & les vont jetter au loin. Elles peuvent être excu-
fables alors, peut-être même méritent-elles d’être louées.
C’ed un ouvrage au-deffus de leurs forces que celui de re¬
mettre le gâteau dans fon ancienne place; & dès qu’il rede
où il ed tombé, il n’ed peut-être pas poffible d’entretenir
autour des vers le degré de chaleur qui leur ed néceflaire;
ils périroient à la longue de froid ; les abeilles aiment mieux
leur donner une mort prompte, que de les laider languir
trop long temps.
Elles agiffent pourtant de la même manière dans un
autre cas, où loin de me paraître dignes des éloges que
M. Maraldi leur adonnés, elles me femblent plus difficiles
à judifier. J’ai vû tomber des gâteaux pleins de couvain en
tous états fur le fond d’une ruche extrêmement pleine de
gâteaux 8 c d’abeilles; elles s’affembloient, comme l’a dit
M.Maraldi, fur laportion qui étoit tombée; mais loin d’en
foigner les vers, comme il a pcnfé qu’elles le faifoient,
elles n’épargnoient que ceux des cellules fermées : elles
pouvoient pourtant entretenir autour d’eux une chaleur
fuffifante; mais une autre raifon apparemment ne leur per-
mettoit pas d’efpérer qu’ils vindent à bien. Les cellules qui,
quand elles étoient dans leur première pofition, avoient
leur axe prefque horifontal, l’avoient alors vertical ; les
vers
des Insectes. XL Mcm. 595
vers fe trouvoient donc dans une polit ion fort différente
de celle où ils avoient été, & dans laquelle il n’étoit peut-
être pas poffible qu’ils achevaffent de prendre leur accroif-
fément, & qu’ils le transformaffent.
Enfin, il arrive quelquefois que les abeilles de certaines
ruches , arrachent les vers des alvéoles, qu’elles les tuent
& quelles en tranfportent les cadavres au loin, quoiqu’il
ne (oit arrivé aucun dérangement aux gâteaux, quoiqu’ils
foient tous reliés dans leur place. Un tel procédé elt affu-
rément bien étrange, & s’accorde mal avec l’affeétion ten¬
dre que les abeilles montrent généralement pour les vers de
leur habitation. Néantmoins il elf apparemment fondé fur
des raifons que nous trouverions bonnes, fi les abeilles
pouvoient plaider leur caufe devant nous. Entre celles que
j’en imagine, la trop grande fécondité de la mere en peut
être une ; lorfqu’elle va à un tel point que prefque tous
les gâteaux de la ruche font remplis de couvain, dans un
temps qui invite à faire une abondante recoite de miel;
alors pour trouver où mettre le miel dont il cil nécefîaire
que les abeilles de cette ruche fe fournifTent, elles font
contraintes de vuider les cellules remplies par les vers, il
faut qu’elles fe réfolvent à les tuer. Car après tout, la
première chofe efh de fonger à donner de quoi vivre à
tout le peuple de h république. Ç a été auffi dans un temps
où des abeilles pouvoient faire facilement, & en peu de
jours, de grandes récoltes de miel, que je leur ai vû tuer
des vers qui eux-mêmes dévoient être bientôt des abeilles
ouvrières. Elles peuvent encore faire un carnage de ces
vers, dans une autre circonftance, fans mériter qu’on leur
en reproche la cruauté, fçavoir, lorfqu’elles font en li
grand nombre dans leur ruche, qu’elles trouvent à peine
à s’y tager, & que leur mere ne met point au jour des
œufs d où des femelles doivent fortir, ou que ceux de
Tome K . Ffff
594 MEMOIRES pour l’HistqJre
cette efpéce qu’elle a pondus ont mal réuffi. Des mou¬
ches qui raifonneroient & prévoiroient, & nous avons
affés de preuves que nos abeilles agi (fient comme fi elles
raifonnoient & prévoyoient, voyant qu’il n’y a pas lieu
d’attendre qu’une colonie pût être conduite hors de la
ruche, concluraient à empêcher le nombre des mouches
de s’y multiplier trop ; elles verraient la néceflité de fa cri-
fier au moins une partie des vers qui doivent devenir des
mouches, aux mouches qui ont toute leur vigueur. Enfin,
des raifons peut-être encore meilleures que nous ne fça-
vons pas deviner, les forcent a cette cruauté. Nous ne
fçavons pas h des vers qui nous parodient bien condi¬
tionnés, ne font pas attaqués de quelque maladie; h les
abeilles dans lefquelles ils lé métamorphoferoient, ne fe¬
raient pas trop foibles, &c.
J’ai penfé qu’il pourrait y avoir une ci;confiance oit
les abeilles prendraient foin des vers nés dans une ruche
étrangère, içavoir, lorfqu’après leur avoir ôte tous ceux
qu’elles avoient vu naître, on ne leur donnerait à foigner
que des vers qui devraient leur naiffance à une reine ou
mere à elles inconnue. Ce ferait un étrange projet, •&
qui ne pourrait tomber que dans.l’efprit d’un tyran exé¬
crable , que celui de fe donner le fpecfacle de faire palier
réciproquement tous les habitants d’une grande ville dans
une autre, en les obligeant de laiffcr chacun dans leurs
maifons, toutes leurs provifions, tous leurs meubles, &
jufques aux enfants à la mammelie; d’obliger, par exem¬
ple, tous les habitants de Roüen , de laiffer leurs maifons
dans l’état où elles font, pour aller s’établir dans celles
d’Orléans dont les habitants auraient été chaffés, pour
aller occuper à leur tour les maifons abandonnées à Rouen.
Sans être trop barbare, on peut imaginer de fe donner
un fpedacle du même genre avec des ruches. Il peut
des Insectes. XI. Alan. 595
paraître curieux de voir ce qui fe pafferoit fi ioriqu’apres
avoir chaffé toutes les abeilles d’une ruche, après les avoir
forcé d’abandonner leurs gâteaux de cire pleins de miel
& de couvain en tous états, on obiigeoit les abeilles d’une
autre ruche de fortirde leur habitation pour aller s’établir
dans la première ruche dont les mouches auraient été chaf-
lées, &qui fe trouverait bien pourvue de tout ; & enfin, fi
en échange on donnoit aux premières mouches la féconde
ruche garnie de gâteaux faits par les mouches qu’on aurait
établies dans la première ruche. J’ai tenté de faire cet
échange entre des mouches qui étoient dans des ruches en
panier. Je fis paffer de la manière dont je l’ai expliqué * ail- * Mm,
leurs & fans avoir recours à l’eau, les abeilles d’une ruche
alfés fournie de gâteaux, dans une ruche vuide. Pour faire
cette expérience, je m’y pris dès le matin dans le mois de
Mars. Quand toutes ou prefque toutes les abeilles furent
forties de la première j^iche, je forçai les abeilles d’une autre
ruche bien pourvûe elle-même de gâteaux, à aller s’établir
dans le logement qui venoit d’être abandonné, & où elles
dévoient trouver tout ce qui leur étoil néceffaire. Dès
quelles y furent entrées, dès que la ruche quelles habi-
toient auparavant fut vuide, je fis faire un fécond démé¬
nagement aux abeilles que j’avois forcé d’abandonner la
première ruche, à celles qui avoient été mifes dans la ru¬
che dépourvue de tout; je les fis paffer dans la ruche des
mouches qui étoient en pofTeffion delà leur. Ainfi fut fait
l’échange de ruches toutes meublées & auxquelles rien d’ef-
fenticl ne manquoit, & il fut fait plus vite qu’on nefe l’ima¬
ginerait. Les manœuvres qu’il demanda furent finies en
moins de cinq quarts d’heure. La faifon dans laquelle je le
fis, n’etoit pas favorable à un déménagement de mouches.
Les fecouffes qu’on donna aux ruches pour déterminer les
abeilles à en fortir plus vite, détachèrent quelques gâteaux ;
' Lffifij
5 ]C )6 MEMOIRES POUR L'HiSTOIRE
le vuide en devint plus grand dans les ruches ; auffi y en
eut -il une dont les mouches ne purent rélifter aux froids
qui furvinrent au bout de douze à quinze jours, elles péri¬
rent. Les autres qui étoient en plus grand nombre & dans
une ruche mieux fournie de gâteaux, foûtinrent ces mêmes
froids. Au refle, les parois opaques de ces ruches, ne me
permirent pas de voir à mon gré comment les abeilles le
comportoient dans l’intérieur; mais j’eus tout lieu de croire
qu’elles prirent en afleélion les vers qu’elles y trouvèrent;
j’en ai une très-forte preuve. Si elles n’cuflènt pas voulu
avoir foin de ces vers, elles les euffent laifle périr ; & fans
attendre même qu’ils fuftent morts, elles n’euffent pas
manqué de les arracher de leurs cellules & de les jetter
hors de la ruche, ou au moins fur fon appui ; mais je ne
pus trouver fur l’appui aucun ver, & je ne pus voir de
mouches occupées à en tranfporter; ce qui prouve cjue
les vers furent bien traités par les avilies. Je me promets
de répéter la même expérience fur des ruches vitrées, fur
lefquelles jhufte commencé à la faire, fi, lorfque je la fis,
j’en euffe eu deux dont j’euffe pu difpofer.
Si les abeilles ordinaires prennent non-feulement tant
de foins pour élever les vers qui doivent leur devenir
femblables, fi elles en prennent de pareils pour ceux qui
doivent fe transformer en faux-bourdons , on penfe bien
quelles font au moins auffi attentives aux vers qui fe
doivent métamorphofer en fémelles ou reines ; que lorf¬
que ces derniers vers n’ont plus à croître, elles n’ou¬
blient pas de fermer leurs cellules avec un épais couver¬
cle de cire. Nous devons même rapporter une obfer-
vation qui prouve qu’elles font tout avec profufion,
lorfqu’il s’agit de ces vers. Nous avons déjà vu quelles
dépendent plus en cire pour conftruire une cellule à cha¬
cun de ceux-ci, quelles n’en dépendent pour en conftruire
des Insectes. XL Mem. 597
cent, ou cent cinquante, à des vers communs. Elles leur
donnent auffi la nourriture avec plus de prodigalité. J’ai
dit que lorfque les vers qui deviennent des abeilles commu¬
nes étoient prêts de fe transformer en nymphes, ou qu’ils
s’y étoient transformés, on ne trouvoit plus au fond de leur
cellule, de cette bouillie qui y elt portée pour les nourrir.
J’ai ouvert plufieurs cellules devers qui deviennent des fe¬
melles , après que le ver y avoit été renfermé, & j’y ai vû un
volume de bouillie égal à celui du ver. Cette bouillie fem-
bloit une cfpéce de ragoût affaifonné; je-lui ai trouvé un
goût légèrement lucre, mêlé avec de l’aigre & du poivré.
Dans les cellules royales dont les vers s’étoient transformes
en nymphes, j’ai remarqué une plaque de cette bouillie
allés épailfe, & qui avoit plus ou moins de confiftance,
félon qu’il y avoit plus ou moins de temps que la nymphe
s’étoit tirée de la peau du ver.
Ce relie d’aliment femble pourtant aulïi fuperflu aux
nymphes qui doivent devenir meres, qu’à celles qui de¬
viennent des abeilles ouvrières; elles n’ont pas plus befein
& ne font pas plus en état de manger les unes que les autres;
il fembleroit même n’être propre qu’à les incommoder.
Mais quand on ouvre avec précaution une cellule * où
cil une de ces nymphes royales renfermée *,on voit que
fon logement a plus de capacité proportionnellement que
celui des autres nymphes, qu’elle ne le remplit pas à beau¬
coup près. C'elt contre le fond, c’cft-à-dire, contre le bout
fupérieurdela cellule qu’eft appliquée la couche de bouillie
qui n’a pas été mangée; & entre cette couche & le derrière
de la nymphe, il relie un grand vuide. Sa tête elt à l’autre
bout tout près du couvercle.
Nous devons encore remarquer ici combien la nature
a voulu que dès leur naiflance les femelles fulTent diftin-
guées des autres abeilles. Au lieu que les nymphes de
Ffff iij
* PI. 3 6 . tig
I 5 . U II.
* 11 .
598 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
celles-ci font pofées prelque horifontaiemcnt,& ont même
la tête un peu plus élevée que le derrière, les nymphes
royales font poièes verticalement ayant la tête en embas.
Le pian de l’anneau que forme un ver ordinaire, roulé dans
fa cellule, efi vertical; & le plan de l’anneau du ver qui
doit devenir mere, efi horiforîtal. Tout cela fuit de la dif¬
férente difpofition des cellules des uns & de celles des
autres.
Entre des cellules d’où des meres étoient forties, j’en
ai trouvé qui avoient été ouvertes par le côté, mais plus
ordinairement elles le font par le bout. L’ancienne mere
11 attend pas à pondre un œuf dans une cellule royale,
julques à ce que les mouches ordinaires aycnt donné à
cette cellule toute la longueur qu’elle doit avoir. J’ai vu
des vers dans quelques-unes qui avoient encore la figure
*PI. 32. fig. d’un calice de gland *.
K Nous avons déjà dit que lorfque le couvercle de cire
a été une fois mis aune cellule, le ver qui y eft renfermé,
de quelque efpéce qu’il foit, n’a plus befoin de fecours
étrangers; il file, il fe transforme enfuiteen nymphe qui
d’abord efi extrêmement blanche. Par la fuite, lés yeux
prennent une teinte de rouge qui devient de plus en plus
forte , & des poils grifâtres paroiffent fur le corps & fur
le corcelet. Quand toutes les parties de la nymphe ont ac¬
quis la confifiance qui convient aux parties d’une mou¬
che , alors l’abeille efi en état de paroître au jour. Elle
commence par fe défaire de l’enveloppe mince, d’une
efpéce de voile blanc qui tenoit toutes fes parties exté¬
rieures emmaillotées ; enfuite elle fait ufage de fes dents
pour s’ouvrir une fortie qui lui permette de quitter un
logement qui efi devenu pour elle une prifon. Avec une
de fes dents elle perce le couvercle de cire de la cellule
environ vers le milieu; cllefaifit enfuite entre cette même
des Insectes. XI. Mem. 599
dent Si l’autre une petite portion de cire ; elle la hache;
elle la fait tomber ; elle a prife alors pour continuer de
hacher peu à peu le couvercle, d’aggrandir l'ouverture
commencée. A rpefure que cette ouverture devient plus
grande, on voitparoître une plus grande portion de la tète.
Enfin, au bout de deux à trois heures , iorfque la mouche
naiftante eft vigoureufe, & Iorfque la faifon eh favorable,
clleparvient à rendre l’ouverture fuflifantc pour lui permet-
tre de fortir. Des mouches moins fortes , Si dans des jours
peu chauds, font quelquefois plus d’une demi-journée à
y parvenir. Cet ouvrage même eft au-deffus des forces de
quelques-unes; il y en a qui périffent dans leur cellule
aprèsy avoir fait une ouverture par laquelle leur tête feule
ou une partie de leur tête peutpafter; c’eft ce qui n’arri-
veroit pas fi, commeSwammerdam la cru, les abeilles qui
ont mis les couvercles venoient les ôter dans des temps
où loin d’être néceiïaircs, ils ne font plus qu’incommodes.
Mais Swammerdam n’avoitpu que deviner fur cet article,
n’ayant point eu de ruches vitrées, les feules qui peuvent
donner la facilité de voir les abeilles en travail.
Quand donc la jeune mouche eft parvenue à avoir affés
ouvert fa cellule, elle en fait fortir fa tête & enfuite fes
premières jambes qu’elle cramponne fur les bords du trou,
& fur lefquelles elle fe tire en avant. Bientôt les autres
jambes font à portée de fortir à leur tour; Si alors elle
n’eft pas long-temps à dégager le relie de fon corps. Elle
paroît toute entière à découvert; die fe pofe fur fes fîx
jambes fur le gâteau de cire, affés près de la cellule quelle
vient de quitter. Ses ailes achèvent de fe déplier Si de
s’affermir : fon corps Si toutes fes parties extérieures font
encore mouillées ; mais quand l’air chaud de l’intérieur
de la ruche ne fuffiroit pas pour les féchcr vite, elles
11e refteroient pas long-temps humides. Les abeilles qui
6 qo MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
apperçoivent celle qui vient de naître, le rendent autour
d’elle, & femblent lui marquer la joye qu’elles ont de la
voir, par de bons offices; deux ou trois fè placent autour
d’elle , la lèchent & l’efïuyent fucceffivement de toutes
parts avec leur trompe; quelques-unes même la lui pré-
fentent pleine de miel qu’elles ont dégorgé.
■ Prefique dans le même temps d’autres abeilles qui voyent
la cellule qui vient d’être abandonnée, cherchent à la re¬
mettre en état de recevoir un nouvel œuf, en état de fervir
à élever une autre abeille, ou à la rendre un valè propre &
net , & dans lequel du miel puiffe être dépofé.M.Maraldi
afliïre avoir obfervé une cellule dans laquelle cinq œufs fu¬
rent pondus fucceffivement,& defquelsfortirent cinq abeil¬
les en moins de trois mois. La mouche nouvellement née
a laiffé dans la cellule deux dépouilles, celle qui lui donnoit
d’abord la forme de ver, & celle qui la faifoit paroître une
nymphe. Cette cellule eft bientôt apperçûe par une an¬
cienne abeille qui ne tarde pas à y entrer la tête la pre¬
mière ; elle faifit avec fes dents une des dépouilles ; elle lort
auffi-tôt, & va la tranfporter hors de la ruche. Une autre
abeille entre fur le champ dans la même cellule, & retire la
fécondé dépouille pour la tranfporter au loin. Enfin, plu-
fieurs abeilles qui entrent les unes après les autres dans
cette même cellule, ôtent toutes les petites ordures qui
peuvent y avoir été laiffées; tels font les fragments de
cire qui y font tombés, lorlque le couvercle a été percé.
Mais elles ne donnent aucune atteinte à la tenture de
foye dont le ver en a tapiffé les parois avant que de fc
métamorphofer ; elle ne nuit en rien à l’intérieur, &
rend la cellule plus lolide. D’autres abeilles achèvent en
même temps doter tout ce qui peut refier du couvercle,
de bien dreffer, de bien unir tous les bords du contour
de la cellule; en un mot, elles la mettent dans l’état d’une
cellule
des Insectes. XI. Mem. 601
cellule nouvellement cond uite, tant elles la réparent avec
foin.
Mais retournons à l’abeille que nous avons vû naître;
elle eft ailée alors à diftinguer des autres par fa couleur;
celle des vieilles abeilles dt plus roulfe, la fienne dt plus
grilâtre ; les anneaux de cette dernière font plus bruns;
les poils qui l'ont couchés deffus, & ceux des autres
parties lont blancs: le blanc des poils joint au brun noir
des anneaux forme la couleur grilâtre. A mefure que
les abeilles vieillilfent, leurs poils deviennent de plus en
plus roux, & le brun des anneaux s’éclaircit; tle forte
que les différences de nuances, mettent en état quel¬
qu’un qui a occafion de voir fouvent des abeilles, de
diltinguer les jeunes de celles d’un âge moyen, & de
diltinguer même celles-ci des vieilles. L’abeille qui vient
de naître, a le ventre gros ; fi on l’ouvre, on le trouve
très plein de miel ; elle a donc encore celui quelle avoit
pris lorfqu’elle avoit la forme de ver ; aulfi avons-nous
remarqué que le miel fcmble entrer dans la compofition
de la dernière bouillie qui eft donnée au ver. Peut-être
même que les abeilles, outre la bouillie, lui donnent du
miel avec leur trompe; peut-être que comme les abeilles
fe nourriflent de cire brute & de miel, le ver eft nourri
de miel & de bouillie.
A peine toutes les parties de la jeune abeille font aftes
delféchées, à peine fes aîles font-elles en état d’être agitées,
qu’elle fçait tout ce quelle aura à faire dans le refte de là
vie. Qu’on ne s’étonne pas quelle foit fi bien inftruite,
& de fi bonne heure; elle l’a été par celui même qui l’a
formée. Elle l'emble fçavoir qu’elle eft née pour fa focieté,
Si quelle doit travailler à s’acquitter des foins qu’on a
pris pour elle ; elle marche fur les gâteaux, S< cherche
à aller jouir du grand air. D’autres abeilles qui lortent
Tome V. . G g g g
602 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
continuellement de la ruche, lui apprennent où font les
portes ; elle ne manque pas de guides qui lui montrent le
chemin. Comme les autres elle Tort de l’habitation com¬
mune, & va comme elles chercher des Heurs ; elle y va
feule, 8 c n’eft point embarraffée enfuite de retrouver la
route de la ruche, même quand elle y veut retourner pour
la première fois. Ce ne font pas l'es feuls befoins qui la
déterminent à voler fur les plantes. Nous avons déjà vû fes
compagnes lui offrir du miel ; û elle va donc en puiferdans
le fond des fleurs ouvertes, c’efl moins pour s’en nourrir
que pour commencer à travailler pour le bien commun,
pour en ramaffer quelle puiflê porter dans les endroits où
il eft mis en dépôt. Ce qui prouve bien que ce n’efl pas
pour fon interet particulier quelle recueille du miel, c’efl
que dès fa première fortie,elle fait quelquefois une récolte
de cire brute. M. Maraldi allure qu’il a vû revenir à la
ruche des abeilles chargées de deux greffes boules de cette
matière, le jour même quelles étoient nées.
Quand des abeilles ont commencé à naître dans une
ruche, il n’en naît pas pour une chaque jour; il y a tel .
jour où plus de cent fortent de leurs cellules. Des gâ¬
teaux, ou de très-grandes portions de gâteaux qui ne
montroient que des cellules fermées, au bout de quatre
à cinq jours n’ont plus que des cellules ouvertes, parce
que les mouches qui y étoient renfermées en font forties.
Alors la ruche fe peuple journellement, 8 c en quelques
femunes le nombre de les habitants devient fi grand»
qu elle peut à peine les contenir; c’efl ce qui donne lieu
aux effaims qui fourniront la matière du Mémoire fuivant»
des Insectes. XI. Mem. 603
EXPLICATION DES FIGURES
DU ONZIEME MEMOIRE.
Planche XXXVI.
La Figure 1 repréfente un alvéole Je cire, grofti Couvert
tout du long, pour faire voir un œuf J’abeiile attaché par
un Je fes bouts contre le fond, cc, l’alvéole ouvert, o, l’œuf.
Dans la Figure 2, un œuf d’abeille o b, eft vû plus groiïr
que dans la figure i. b, fon petit bout, qui ici eft co'lé
contre l’épingle, & qui efi celui que l’abeille colle contre
ie fond de la cellule.
Les Figures 3 & 4 font celles d’un des vers qui fe trans¬
forment en abeilles ouvrières, à peu près de la grandeur à
laquelle il parvient quand il a pris tout fon accroiftement.
Il eft vû de côté & par-defifus, figure 3, & par-deftbus,
figure 4. /, fa tête.
La Figure 5 eft une projection d’une cellule vue parle
bout ouvert. Un ver roulé eft placé au fond de cette cellule.
La Figure 6 nous montre auffi un ver roulé dans une
cellule qui a été à moitié ouverte tout du long; mais le
rouleau compofc du ver, n’cft pas ici parallèle au fond de
la cellule, comme il i’eft naturellement.
Les Figures 7 & 8 repréfentent encore deux portions de
cellules ouvertes&groftiies, dans chacune defquelles eft un
ver. Dans l’une & dans l’autre le ver eft vû par le dos. On
peut remarquer que celui de la figure 8, forme un anneau
plus large que n’eft l’anneau fait par le ver de la figure y, ôc
par celui de la figure y Ce dernier qui a étéfuppofé pris
dans un état où il avoit beaucoup à croître, rempliftbit
déjà prefque toute la circonférence de la cellule dans l’en¬
droit où il étoit pofé. Dès que ce ver a crû en reliant toû-
jours roulé, Ion corps a donc été forcé de s’élargir vers
Gggg >‘j
6 04 MEMOIRES POUR L’HîSTOIRE
les côtés, de former un anneau plus large tel qu’efi celui
du ver de la figure 8.
La Figure 9 fait voir par-defius, la tête d’un ver d’abeille
extrêmement grofile. i, i, fes yeux, c, c, deux crochets qui
s’appliquent contre la lèvre fupérieure./;/,/, les trois pièces,
qui enfemble compofent la lèvre inférieure. Les pièces 1 , 1 ,
font terminées par des pointes brunes & écailleufès. f, la
partie la plus confidérable de la lèvre inférieure, dans le
bout de laquelle efi la filière.
La Figure 10 montre par-defious, la tête qui efi vue
par dcfïus dans la figure précédente. I, l,f, les trois pièces
dont efi compofée la lèvre inférieure. 11 fort actuellement
du bout de la partie/j une pièce coupée quarrément que le
ver ne fait fortir que dans certains inftants.
Les Figures 1 1 & 1 2 font en très-grand, celles du ver
qui n’a que fa grandeur naturelle dans les figures 3 & q..
Il efi vû de côté & par-defius, figure 1 i,& par-defious,
figure 12. a, fa tête./, f, f, figure 1 2, marquent trois des
ftigmates; dans cette figure font trois trachées
qui aboutifient aux trois ftigmates précédents.
La Figure 13 repréfente un alvéole ouvert tout du
long, cd c, bords de l’ouverture, df efi une toile defoye
d’un brun clair qui renferme une nymphe.
La Figure iq. efi celle d’une nymphe d’abeille vue du
côté du ventre, & à peu près de grandeur naturelle.
La Figure 1 5 montre de face un morceau de gâteau,
dont la plupart des cellules font vuides; des abeilles ordi¬
naires qui y ont pris leur accroifiement, en font forties.
c , c, quelques cellules qui ont encore leurs couvercles, &
dans iefquelles des nymphes qui doivent devenir des abeil¬
les ouvrières, font encore renfermées, m ,abeille qui vient
de fe dépouiller des enveloppes de nymphe, & qui a rongé
le couvercle de fa cellule dont elle fc prépare à fortir.
des Insectes. XI. Mem. 6 oj
rf, eft une cellule royale, uu, portion de cire qui a été
emportée pour mettre à découvert l’intérieur de cette
cellule, n, la nymphe, qui doit devenir une abeille fé-
melle. On voit quelle n’occupe qu’une partie afles pe¬
tite de la capacité de fon logement, où elle eft la tête en
embas.
La Figure 16 eft celle d’un morceau de gâteau qui
r’eft compofé que de ces cellules dans lefquclles des vers
qui doivent devenir des abeilles ordinaires croiftent fous la
forme de ver. Plufieurs de ces cellules c,c,c, font actuel¬
lement fermées, m, abeille, qui après s’être transformée,
& avoir rongé le couvercle de fa cellule, travaille à en for-
tir, & en eft déjà fortie en partie, h, h, font des cellules,
dont les ouvertures fe trouvent fur la face du gâteau op-
polée à celle qui eft ici en vue.
La Figure 17 repréfente un morceau de gâteau com-
pofé de cellules, danslefqueiles croiftent les vers qui doi¬
vent devenir des abeilles mâles. La plupart des cellules qui
paroiiïent ici, ont un couvercle. En comparant ces cel¬
lules avec celles de la figure i 5, on remarque non-feu¬
lement quelles font plus grandes que les autres, mais
on voit de plus, que leurs couvercles ont une convexité
que n’ont pas les couvercles ries autres cellules. Les
couvercles des cellules à mâles, s’élèvent au-deffus des
tords de l’ouverture. 0,0, quelques cellules ouvertes.
En k k,é toit un bord du gâteau. On doit faire attention,
que plufieurs des cellules qui s’y trouvent, ont des figures
irrégulières. Quelques-unes qui ont fix côtés, les ont très-
inégaux; d’autres ne femblent avoir que quatre ou cinq
côtés, parce qu’un ou deux de leurs côtés font fi petits,
qu’à peine peut-on les diftinguer des autres. L’endroit de
la ruche où ces cellules étoient placées, n’étoit pas un de
ceux où les abeilles cherchent à mettre à profit tout
G SSg ii î
606 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
i’elpace; elles avoient négligé, comme elles négligent quel¬
quefois en pareils cas, la régularité de leur architecture,
dans la conftrudion de quelques cellules qui n etoient
deftinées qu a recevoir du miel. J’ai obfervé fouvent de
ces fortes de cellules, placées hors des plans des gâteaux,
qui avoient fix pans, dont deux des oppofés étoient égaux,
& qui, enfemble, étoient à peu près aufli grands que les
quatre autres pans pris aulft enfemble.
i
des Insectes. XII. Mem. 6 07
DOUZIEME MEMOIRE.
DES ESSAIMS.
L Orsque la faifon devenue plus douce a permis à
une mere abeille de recommencer fa ponte qui avoit
été interrompue pendant les froids de l’hiver, elle fait
chaque jour un grand nombre d’œufs dont chacun vaut
à la ruche une nouvelle abeille, qui y paroît au bout de
trois femaines ou environ, & qui y eft en état de s’occuper
aux différents travaux. Alors les pertes que la ruche avoit
faites pendant l’automne & pendant l’hiver fe reparent;
elle acquiert journellement de nouveaux habitants, elle
fe repeuple. Mais ce n’eft qu’après quelle s’eft repeuplée
de mouches ouvrières, que la mere pond des œufs qui
doivent donner de ces mouches qui paffentdans l’oifiveté
line vie affés courte, &. qui ne font deftinées qu’à rendre
féconds les œufs que la même mere pondra par la fuite.
Si ceux qui doivent être pondus par des meres qui naî¬
tront bientôt. Enfin , on revoit donc paroître des faux-
bourdons ou mâles dans cette ruche qui avoit été huit ou
neuf mois fans en avoir aucun. Quand les mâles s’y loin
multipliés, quelques nouvelles fémeiles, ou une nouvelle
fémclle au moins, n’efi pas éloignée du temps où elle doit
fortir de la cellule dans laquelle elle a pris ion accroiffe-
ment fous la forme de ver, & où elle eft encore lous celle
de nymphe. De nouvelles mouches ouvrières fortent auffi
chaque jour des leurs. La ruche le trouve fournie de mou¬
ches des trois fortes, & fe trouve quelquefois fi remplie
d’abeilles ordinaires, que là capacité ne iuffit pas pour
les loger à l’aife.
* PI. 22. fîg
S-
608 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
Quand l’habitation eft devenue trop petite pour conte¬
nir tout Ton peuple, il convient qu’il en forte une colonie
qu’on appelle un eiïliim, qui aille chercher ailleurs un éta-
bliflement. Il faut qu’une partie des abeilles fe réfolve à
fe féparer des autres, qu’il y en ait qui fe déterminent à
quitter pour toujours leurs compagnes & l # 5 lieu de leur
liai fiance. C'eft un paru pourtant quelles ne prendraient
jamais fi elles n’y étoient déterminées par un chef, ou fi
elles ne pouvoient fe promettre d’en avoir un; c’eft-à-
dire, fi elles n’avoient à leur tête une reine propre à per¬
pétuer l’empire qu’elles vont fonder. Nous avons vu que
lorfqu’elles font privées d’une reine capable de donner
line grande poflérité, elles n’ont plus le courage d’en¬
treprendre aucun travail, qu’elles longent à peine à fe
nourrir. Mais pendant que le nombre des abeilles ordi¬
naires femultiplioit dans la ruche, une ou même plufieurs
fémelles y font nées ; & une feule fuffit pour conduire
i’effaim.
Quoique la trop grande quantité des abeilles d’une
ruche puilfe être une des caufes qui déterminent une
colonie à fe féparer du refie, ce n’eft donc pas une caufe
qui y fuffife feule. J’ai eu plufieurs fois des ruches qui
étoient très-pleines de mouches, & plus pleines qu’elles
11e pouvoient l’être, dont une partie des leurs étoient obli¬
gées de fe tenir dehors, ramaffées en peloton, fans que
ces ruches ayent donné d’effaim. D’autres ruches, au-
contraire, dans lefquelles il y avoit beaucoup de vuide,
m’ont fouvent donné des effaims. Pour m’a durer même
de ce fait, que ce n’eft pas précifément parce que les
mouches fe trouvent trop à l’étroit dans leur ruche qu’el-
les fe partagent, j’en ai logé dans des ruches d’une très-
• grande capacité, telle qu’efl celle en tour quarrée * ; j’ai
vû fortir un efTaim.de cette dernière ruche quoiqu’avant
Ta fortie
des Insectes. XII . Mem . 6 09
fi fortieplus des trois quarts de ia ruche fuftent vuides. S’il
n’y a pas dans la ruche une jeune mere propre à mettre au
jour une nombreufe poftérité, quelque grande qu’y foit a
quantité des mouches,elles y referont toutes. Impatient de
ce que des ruches exceffivement peuplées, ne m’avoient pas
donné les eflaims que j’en attendois, &. curieux de fçavoir
fi la caille n’en devoit pas être attribuée à ce que dans cha¬
que fociété compofée de tant d’autres mouches il n’y avoit
qu’une feule mere, je baignai quelques-unes de ces ruches ;
après avoir examiné à l’ailé & une à une, toutes leurs mou¬
ches, je ne trouvai efFeéîivement qu’une feule mere dans
chacune de celles qui n’avoient pas donné d’elfaim.
Mais forfqu’une nouvelle mere a quitté la dépouille de
nymphe, en peu de jours clic eft fécondée & elle eft prête
à pondre, & eft par conféquent en état de fe mettre à la
têted’une troupedifpoféeàlafuivre. Divers contre-temps,
dont piufieurs peuvent venir de la température de l’air,
comme du froid, de la pîuye & du vent, font capables
de retarder la fortie de l’eftaim. Je nefçais fi la jeune mere
ne feroit pas prête à le conduire dès le jour même de la
naiftance ou le lendemain. Au moins ai-je fait une expé¬
rience qui ne permet pas de douter qu’elle n’y foit pro¬
pre au bout de quatre à cinq jours.
Une expérience curieufe rapportée dans le cinquième
Mémoire, m’a appris ce fait, dont il ne fembleroit pas facile
de s’alïiirer, parce qu’il n’eft guéres poflible, même dans
les ruches dont la conftrudïion eft la plus favorable, de
parvenir à voir naître une mere, & qu’elle y pourrait vi¬
vre pendant piufieurs mois fans qu’on l’y apperçût. L’ex¬
périence dont je veux parier, & d’une partie de laquelle
feulement j’ai rendu compte, eft celle que je fis pour
fçavoir fi la feule efpérance de voir bientôt naître une
mere parmi elles, fuffiroit pour déterminer des abeilles
Tome V . Hhhh
6lO MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
au travail. Je mis clans une ruche piatte quelques cellules
où étoient renfermées des nymphes qui dévoient devenir
des meres ; & je fis entrer dans cette ruche environ mille
à quinze cens abeilles ordinaires , & à peu près une
vingtaine de mâles. J’ai dit que ces mouches qui n’euf-
fent fait aucun ouvrage fi, n’ayant point de mere, elles
enflent été privées de l’efpérance d’en avoir une, avoient
été détérminées à travailler, parce quelles pouvoient fe
îa promettre. Elles travaillèrent néantmoins un peu mol¬
lement pendant deux ou trois jours, après lefquels elles
parurent s’occuper avec ardeur à des ouvrages de toutes
efpéces, comme à faire de nouvelles cellules, & à en
remplir de miel. Je ne doutai pas alors qu’il n’y eût
parmi elles, une fémelle nouvellement née; je ne parvins
pourtant pas à la voir; mais elle fut vue par une perfonne
qui en étoit aufli curieufeque moi, & qui fe connoifloit
aufli-bien en meres: j’examinois chaque jour les cellules,
& je ne pouvois cependant y appercevoir des œufs.
Ces abeilles avoient été miles dans la ruche avec les
cellules d’où des meres dévoient fortir le 18 Juin. Lorf-
que j’allai les oblerver le r~j au matin, comme j’avois fait
dans tous les jours précédents, je remarquai qu’elles for-
toient en petit nombre de leur ruche, que celles qui y
revenoient de la campagne, n’étoient point chargées.
J’ouvris un des volets, & je vis au travers d’un carreau
de verre, que tout y étoit dans un parfait repos. Jefoup-
çonnai qu’il s’agifloit de quelqu’entreprifc confidérable,
qu’elles vouloient tenter la grande aventure du change¬
ment d’habitation. Je fus encore plus confirmé dans ce
foupçon, lorfque fur les onze heures je ne pus voir aucune
mouche fortir de la ruche ni y entrer, pendant plus d’un
quart d’heure. Je devois prévoir ce qu’annonçoit cette
ànaétion fi générale. Les abeilles que je me fuis obfliné à
des Insectes. XII. Mem. 6 11
ïoger tant de fois dans une très-petite ruche, 6c qu’elles fe
font de leur côté obflinées à quitter, m’avoient appris
quelles fe préparoient par la ceffation de tout travail, à
aller chercher un autre logement. Ce fait eh un de ceux
qui appartiennent à la l'ortie des elfaims dont nous trai¬
tons actuellement. Il n’y a point de ligne qui indique aulft
fûrement qu i! y en a un qui fe difpofe à prendre l’elfor,
que lorfque le matin à des heures où le Soleil brille 6c où
le temps eh favorable au travail, les abeilles fortent en
petit nombre d’une ruche dont elles fortoient en grande
quantité les jours précédents, 6: quelles y rapportent
peu de cire brute. Une telle façon de fe comporter
l'emble forcer d’accorder à ces mouches plus d’efprit,
6 c de prévoyance qu’on ne voudrait ; elle embarrafîc
extrêmement celui qui veut expliquer toutes leurs ac¬
tions par un pur méchanifme. Ne paraît-il pas prou¬
ver que dès le matin toutes les habitantes d’une ruche,
ou prefque toutes, font inflruites d’un projet qui ne fera
exécuté que vers midi ou quelques heures après î Car on
demandera pourquoi ces mouches qui travaiiloient la
veille avec activité, celfent-elles dès le matin de faire de
l’ouvrage dans une habitation quelles abandonneront vers
midi, ft ce n’ell parce qu’elles fçavent qu’elles la doivent
abandonner! C’elt une hiftoire très-connuë que celle de
ce vieux grenadier , qui étant dans un repos parfait pen¬
dant que fes camarades étoient occupés à établir leurs
tentes, répondit à fon Général, M. de Turenne, qui le
queftionna fur fa tranquillité, qu’il fçavoit bien que l’ar¬
mée ne devoit pas relier dans ie camp où elle étoit.
Toutes nos mouches ou prefque toutes nos mouches,
fcmhlent avoir prévu la marche que leur reine veut leur
faire fùre, comme ce vieux foldat avoit prévu celle que
le Général devoit faire faire à l’armée.
H h h h ij
6 1 2 MEMOIRES POUR L’HiSTOiRE
Pour revenir aux abeilles qui ont donné lieu à la der¬
nière remarque, je les lis veiller pendant le refte de la
matinée du 27. A une heure & demie après midi on
m’annonça qu’elles étoient toutes en l’air. On ne m’apprit
que ce que j’avois compté qu’on m’apprendroit même
plutôt. Je me rendis dans le jardin où elles formoient 1111
tourbillon que je vis s’approcher d’un poirier en builfon,
fur une branche duquel elles ne tardèrent pas à fe ralïem-
bler. Là, elles elTuyérent fur les trois heures, une grolfe
ondée de pluye, & fur les fix heures, on les remit dans
la même ruche quelles avoient abandonnée. Je n’elpérois
pas trop de les y voir relier, quoique le luccès de l’aven¬
ture du jour eût dû dégoûter la mere d’en tenter une
nouvelle. Le lendemain, elles ne parurent pas difpofées
à demeurer dans un logement quelles avoient déjà quitté
une fois; je ne les vis point aller à la campagne, ou très-
peu y allèrent, & n’en rapportèrent point de cire brute.
Je les fis donc veiller encore; & ce fut à midi & demi
qu’elles prirent l’elfor une fécondé fois, & qu’on m’em
avertit : j’arrivai dans le jardin pendant quelles étoient
encore toutes en l’air. Le gros s’approcha d’un pommier
en builTon, au pied duquel je me rendis ; je ne tardai pas
à en voir qui s’arrêtèrent autour d’une de lès branches;
je cherchai à y découvrir la mere; & je défefpérois déjà
de l’appercevoir par l’épailfeur de la couche de mouches
qui s’y étoit formée, lorfque j’en remarquai une plus
grolfe que les autres qui arrivoit, & qui fe pofa fur une
feuille diftante d’environ un pied de l’endroit où le gros
fe réuniffoit.. Une douzaine d’abeilles vinrent fe placer
autour d’elle. Cette mere étoit une des plus longues &
des plus grolfes meres que j’aye vûes; bientôt elle quitta
la feuille, elle le rendit fur la branche, & toute la troupe
des mouches s’y réunit.
des Insectes. XIL Mem . 6 13
Je longeai à les placer clans une autre ruche; mais je
fus impatient d’examiner les gâteaux de celle quelles
avoicnt abandonnée. Le nombre des cellules pleines de
miel ctoit grand par rapport à celui des cellules qui n en
avoient pas; mais ces dernières avoient des œufs ; j’en
trouvai même jufques à quatre dans une feule cellule,
& deux ou trois dans la plûpart des autres: d’où il fem-
ble que ce qui avoit déterminé la mere à partir, ne-
toit pas précifément un dégoût pour la ruche où elle
étoit née & à laquelle rien ne manquoit, mais quelle
avoit voulu tenter fortune pour trouver des ouvrières
qui puffent fuffire à lui faire alfés de cellules pour loger
les œufs quelle étoit prête à mettre au jour. Je fongeai
à lui préparer un logement qui pût fuppléer à ce que les
ouvrières n’avoient pû lui procurer; je fis difpofer dans
une autre ruche plufieurs grands gâteaux de cire dont les
cellules étoient vuides. Mais avant que la mere pût re-
connoître l’état de cette ruche, avant que je l’y pufic
faire entrer avec lès mouches, je les vis toutes partir au
bout d’une demie-heure, de l’endroit où elles s’étoient
pofées: elles s’élevèrent trop à mon gré; une partie pafia
fur le mur du jardin ; elles prirent l’efTor au delfus du toit
de la maifon ; je 11e pus les lu ivre des yeux ; & elles furent
pour toûjours perdîtes pour moi.
Le regret que j’eus de les perdre ne fut pas grand ; elles
m’avoient appris une grande partie de ce que je fouhaitois
fçavoir d’elles; que l’elpéranee de voir naître une mere
fuffit feule pour empêcher les abeilles ordinaires de s’a¬
bandonner à l’oifiveté. Elles m’avorent appris de plus,
qu’une mere eft en état de pondre cinq à fix jours après
quelle sert tirée de fa dépouille de nymphe; car depuis
que les abeilles dont il s’agit, furent miles dans la ruche,
jufques à leur première fortie, jufques à celle du 27 Juin,
Hhhh iij
6 14 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
il ne fe paffa que neuf jours. Il y en avoit au moins deux
ou trois qu’elles y étoient quand la mere fut en état d’y
paroître, de fortir de l’état de nymphe. Elle avoit fans
doute déjà pondu des œufs le jour où elle fe détermina
à aller chercher un autre établifTement ; ces œufs pou-
voient avoir été pondus dès la veille. Ainfi, nous avons
au moins trois à quatre jours à déduire des neuf, pour
déterminer le nombre de ceux au bout defquels la mere
commença fa ponte. Au relie, c’eft-là un de ces faits
qu’on n’a pas befoin de fçavoir dans une plus grande
précifion.
Un autre fait dont j’aurois fouhaité être inftruit,
c’efl fi les œufs qui avoient été pondus étoient féconds;
fi les vingt mâles, ou à peu près, que je m’étois contenté
d’accorder à cette mere, avoient autant opéré que l’euf-
fent fait piufieurs centaines de mâles, plus d’un millier
qui enflent vécu avec elle, fi elle fut née dans la ruche
où elle devoir naître naturellement. Mais c’efl un fait
dont je ne pus être inftruit, parce que je ne trouvai dans
les cellules aucun ver éclos.
Quoi qu’il en foit, il efl au moins vrai que la jeune
reine efl en état de conduire un effaim hors de la ruche
où elle efl née, quatre à cinq jours après quelle y a paru
avec des ailes; & quand elle s’y détermine , fes œufs ont
déjà été fécondés. C’efl ce que beaucoup de preuves con¬
courent à établir. Le plus grand nombre des mâles refie
dans l’ancienne ruche; quelquefois on a peine à en trou¬
ver quelques-uns dans l’effaim, & quelquefois on ne peut
parvenir à y en voir un feul. Enfin, dans une ruche où
lin eflaim n’étoit établi que depuis aq. heures, j’ai fouvent
obfervé des gâteaux dans les cellules defquels j’ai vû des
œufs, & des œufs d’où des vers n’étoient pas long-temps
à éclore.
des Insectes. XII. Mem. 615
Dans différents pays les effaims fortent en différents
temps; 6c dans le même pays , ils fortent tantôt plus tard
6 c tantôt plutôt, félon que la faifon a été plus ou moins
favorable. Ceux des ruches qui étoient bien peuplées à
la fin de l’hiver, paroiffent ordinairement plutôt que ceux
des ruches qui étoient alors mal fournies de mouches.
Dans ce pays, les ruches ne donnent guéres d effaims,
ou, comme on les appelle encore, de jettons, que vers la
fni-Mai pour le plutôt, 6c pour le plus tard, par de-là la
mi-Juin.
Plufieurs figues annoncent la fortie prochaine d’un
effairn, ou en termes de l’art, qu’une ruche jettera ou
effaimera bientôt. Les faux-bourdons qu’on voit paroî-
tre dans la ruche, apprennent qu’elle devient en état de
jetter ; 6c il ne faut pas s’attendre que celle où on ne peut
découvrir aucune de ces mouches mâles, jette. Un autre
ligne, mais qui, comme nous l’avons déjà dit, n’eft nul¬
lement infaillible , c’eft lorfque la quantité des mouches
paroît très-grande, 6c trop grande dans une ruche; lorf-
quelles femblent s’y trouver fi mal à leur aife, qu’une
partie en fort 6c fe tient en dehors, foit contre le fupport
de la ruche, lôit contre la ruche même; lorfqu’il y en a
ainfi en dehors des tas d’ammoncelées à milliers les unes
fur les autres. Mais le moins équivoque de tous les
fignes, 6c qui annonce l’événement pour le jour même,
c’eft lorfque les abeilles d’une ruche ne vont pas à la cam¬
pagne en auffi grande quantité qu’elles avoient coutume
dy aller, quoique le temps fenible les y inviter.
Dans les ruches qui efîaimeront bientôt, on entend le
foir, 6c même pendant la nuit, un bourdonnement qu’on
n’entend point dans les autres ruches. Tout femble y être
dans l’agitation. Il arrive au contraire quelquefois que
pour y entendre du bruit, il faut en approcher très-près
61 6 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
l’oreille, & qu’elle n’eft frappée que par des Ions clairs &
aigus qui paroi dent n’être produits que par l’agitation des
ailes d’une feule mouche. Ceux qui fçavent mieux que
moi le langage des abeilles, ont dit des merveilles de ces
fons; ils prétendent que c’eft la nouvelle reine qui fait
ce bruit; qui harangue peut-être la troupe quelle veut
engager à fortir, ou qui, avec une efpéce de trompette,
les anime pour leur donner le courage de tenter une
grande aventure. Charles Butler, l’Auteur de la Monar¬
chie féminine, donne une toute autre fignilication au
bruit aigu & varié dont nous parlons. 11 dit qu’il femble
que l’abeille qui afpire à devenir reine, fupplie la reine
mere par des lamentations & par des gémiffements de lui
accorder la permifïion de conduire une colonie hors de
la ruche; que la reine ne fe rend quelquefois à de fi tou¬
chantes prières, qu’au bout de deux jours ; que quand
elle y acquiefce, elle répond à la fuppüante d’une voix
plus pleine & plus forte; que lorfqu’on a entendu la
mere accorder cette permifïion, on peut efpérer dès le
lendemain d’avoir un eflaim, fi le temps n’cfï pas contraire
àfafortie. Enfin, les Auteurs qui ont traité des abeilles,
pourroient fournir de quoi étendre beaucoup l’effay du
Diétionnaire fur le langage des bêtes, qu’un ingénieux
Auteur s’elt diverti à nous donner. Le même Butler, dont
nous venons de parler, a déterminé toutes les modulations
du chant de l’abeille fuppliante ; les différentes clefs fur lef-
quelles elles fe font, & les fons dont elles font compofées ;
& de même celles des chants de la reine mere. Il prétend
qu’il n’eff pas permis à celle qui veut s’élever au rang fu-
prême, d’imiter les chants de la fouveraine; malheur à
la jeune femelle fi cela lui arrive; de ne le fait que
par un efprit de révolte; elle en eft punie fur le champ
par la perte de fa tête. L’ancienne reine fait plus, dans
le même
des Insectes. XII. Mem. 6 17
le même moment elle fait ôter la vie à plulieurs des abeilles
qui avoient été réduites.
Mais pour parler de faits plus certains, ces divers chants,
ou ces fons plus ou moins graves, & plus ou moins aigus,
que les abeilles font entendre, font produits par des coups
plus ou moins prompts de leurs aîies contre l’air, & peut-
être auffi par des coups donnés à l’air par leurs ailes dif¬
féremment inclinées; car leurs ailes font lesfeuls organes
de leur voix ; elles trouvent toujours de l’air prêt à être
frappé. AuiTi me paroît-il peu néceflaire d’avoir recours,
comme l’a fait Swammerdam, à l’air que les fligmates
peuvent fournir, éè il eft ailé de prouver qu’il 11e produit
ici aucun effet. Il n’eft pas fûr que les fligmates laiffent
fortir dans les temps ordinaires, même quelques bulles
d’air, & il faudrait que des jets continus en fortifTent, &
que ces jets fuffent modifiés par le trou même par lequel
ils fortent. Les ailes ne ferviroient par leur mouvement,
qu’à lui donner plus de modifications: or, fi cela étoit,
une abeille dont les ailes auraient été coupées, nous fe¬
rait encore entendre des fons, qui, à la vérité, pourraient
être différents de ceux de l’abeille pourvue d’ailes; mais
au moins l’abeille qui aurait perdu les bennes, ne ferait
pas rendue parfaitement muette, comme elle l’eff
Ce n’eft guéres que lorfque le Soleil a échauffé l’air,
que fur les dix a onze heures du matin, & jufques vers
les trois heures après midi, que les effaims fortent des ru¬
che, &. cela félon l’endroit où elles fontpofées. Les mou¬
ches qui font dedans, & qui y font en trop grand nombre,
y font naître une chaleur déjà confidérable. Lorfque cette
chaleur eft augmentée par l’action du Soleil fur une ruche,
ou fur fes environs, elles 11e la peuvent plus foûtenir. Celles
qui étoient encore irréfolues, font alors déterminées à
partir. Quelques heures d’un temps chaud & couvert,
TomcV . I i i i
61 B Mémoires pour l’Histoire
produilcnt aulfi l’effet qu’un coup de Soleil produit fur
le champ. Ceux pour qui les ruches lont un objet digne
d’attention, les doivent veiller dans les jours & aux heures
que nous venons d’indiquer ; car il cil important d’etre
prélent à la lortie de l’efTaim pour ne le pas perdre.
Dans le moment qui précédé celui où il va partir, il
fe fait un bourdonnement dans la ruche plus fort que les
bourdonnements ordinaires; plulieurs mouches marchent
avec vïteffe vers les ouvertures qui permettent d’en loi tir;
elles lortent & prennent l’eîlor. Si la nouvelle reine cfb
à la tête des premières qui font parties, ou h elle lis mit
de près, dans i’inflant même d’autres abeilles marchent en
foule après elle, & s’élèvent en l’air; dans l’inflant l’air des
environs eli plus rempli d’abeilles, qu’il ne i’eft en certains
jours d’hiver de gros flocons de neige. Enfin, dans bien
moins d’une minute, dans quelques fécondés, toutes celles
qui doivent compolcr l’elfaim abandonnent la ruche,&fe
diljaerfent en l’air.
Toutes ne femblent voltiger que pour examiner en
quel endroit il leur convient de fe raifembler. 11 ne pa-
roît pas que ce foit la reine qui faffe le choix du lieu.
PI u fieu rs mouches auxquelles une branche d’arbre a plu,
fe déterminent à venir le pofer deffus; elles y font fuivies
de beaucoup d’autres. Les différentes forties des petites
troupes d’abeilles de diverfes ruches où je les avois miles.
Si fur-tout de la petite ruche vitrée où je les avois voulu
faire relier contre leur gré, ces différentes forties, dis-je,
ne dévoient pas différer de celles des effaims; Si il nous a
été plus aile d’oblèrver ce qui fe paffoit parmi ces petites
troupes d’abeilles, que dans îles elpéces d’armées de ces
mouches. Ces petites troupes nous ont appris que la mere
fe pôle auprès de la branche fur laquelle les abeilles fe raf-
femblent ; & que ce n’efl que quand la couche qu’elles
des Insectes. XII. Mem. 6 19
forment autour de cette branche s’eftépaiflie, que ia mcre
va fe joindre au gros : dès quelle s’y eft réunie, le peloton
déjà formé grofTit d’in fiant en inflant; les abeilles qui font
encore répandues en l’air, fe preffent de fe rendre où font
ies autres; toutes enfemble forment bientôt un maiïifcom-
pofé de mouches cramponnées ies unes aux autres par
les jambes, & plus ou moins gros proportionnellement
à la quantité de celles qui font lbrties de la ruche. Quoi¬
qu’elles l'oient à découvert, elles s’y tiennent tranquilles;
fouvent en moins d’un quart d’heure tout devient calme;
& on ne voit guéres voltiger plus de mouches autour de
l’effaim raffemblc, qu’on en voit autour d’une ruche or¬
dinaire dans un temps chaud & favorable au travail.
C’eft ordinairement dans des jardins qu’on place les
abeilles , afin quelles y trouvent au moins quelques
fleurs à portée, quelles ne foient pas toujours obligées
d’aller en chercher au loin. On court moins de rifquc
de perdre les eflaims, lorfque ces jardins font plantés d’ar¬
bres peu élevés, tels que font ceux en buiffon,que îorf-
qu’ils ne font remplis que de très-hauts arbres. Il y a tou¬
jours à craindre pour l’eflaim quand les mouches qui le
compofent s’élèvent beaucoup en l’air en fortant de la
ru ch eide haut vol qu’elles ont pris, les engage à un vol
plus long. Alors elles paffent ies limites du jardin où font
les ruches, & fouvent elies vont plus loin que ne les peu¬
vent fuivre les yeux qui les ont vu partir. Quelquefois
elies vont fi loin, que les recherches qu’on fait pour re¬
trouver l’eflaim, deviennent inutiles. Un moyen générale¬
ment connu, & qui réuflit afles fouvent, de faire defeen-
dre celles qui prennent un eflor trop haut, « 5 c qui fe tien¬
nent trop élevées en l’air, c’ellde jetter vers elles à pleines
mains du fable ou de la terre en poudre. Les grains dont
elles font frappées, les déterminent à s’abbaifièr; elles les
I i i i ij
620 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
prennent peut-être pour des gouttes depluye; l’abri le plus
proche leur paroi t alors le meilleur.
Une autre pratique aufîi généralement & auffi ancien¬
nement connue, mais de la valeur de laquelle je ne luis
pas aufîi convaincu , c’eft celle de frapper fur des chau-
derons, ou fur des poêles dans 1 inftant où l’effaim vient de
partir. On prétend que cette efpéce de charivari détermine
les abeilles à prendre plutôt le parti de fe fixer & de fe
raffembjer. Le bruit du tonnerre fait retourner à leur ru¬
che celles qui font à la campagne; & on a penfé appa¬
remment que le bruit dont nous venons de parler, pou-
voit de même engager celles qui font difperlées en l’air,
à chercher un afÿle. Mais elles peuvent plutôt fe mépren¬
dre en confondant une pluye de fable avec une pluye
d’eau, qu’en confondant le bruit d’un chauderon avec
celui du tonnerre. Il y a apparence qu’elles le connoif-
fent mieux en tonnerre; car quelque tintamarre qu’on
fàfle avec de pareils inflruments, on ne voit pas que
celles qui font fur les fleurs en foient effrayées, <S quelles
s’en preffent davantage de retourner à leur habitation.
Lorfqu’on attend des eflaims, on doit avoir eu foin
de préparer d’avance, des ruches pour les loger. Si celui
qui vient de fortir s’efl placé fur la tige ou lurquclque bran¬
die d’un arbre peu élevé, tels que ceux en builron , de
prendre cet effaim , de le faire paffer dans la ruche qu on
fui a deflinée, eft une operation plus facile qu’on ne fé
f’imagineroit , & qu’on peut entreprendre une demi-
heure après que les grands mouvements ont été calmés;
fur-tout, fi le Soleil n’efl pas trop brillant &. trop ardent.
On peut pourtant différer de plufieurs heures, jufqucs à
une heure ou deux avant que le Soleil fe couche. Si le
Soleil donnoit fur l’effaim, il y auroit du rifque à atten¬
dre; l’effaim pourroit partir & aller dans un autre endroit
des Insectes. XII. Mem. 62 1
t>îi il fcroit difficile de le trouver. La caufe la plus capa¬
ble de l’y déterminer , fera ôtée, fi avec une grande nappe
on lui fait une efpéce de tente, ou fi on lui en fait une
avec des franches bien chargées de feuilles.
Ceux qui fe font plu à nous raconter des merveilles de
ces mouches, ont prétendu fçavoir qu’avant quel’eflaim
s’expofe à foi tir delà ruche, quelques-unes de celles qui
doivent le compofer, vont reconnoître l’endroit où il leur
conviendra de s’établir; ils ont donné à la nouvelle reine,
des marêchaux-dcs-logis, qui, à la vérité, font affics mal¬
habiles : car en fuppofant ce qui fera, je crois fuppofer le
vrai, que ce n’eft que quand l’effaim cil forti de la ruche,
que quelques-unes îles mouches qui le compofent, fe
décident cà l’infpeélion des objets des environs pour le
lieu où elles fe doivent établir ; le choix de ce lieu ne
Lit pas honneur au génie de ces mouches; c’eft ordinai¬
rement autour d’une branche d’arbre quelles fe fixent, où
cxpolëes à toutes les injures de l’air, elles ne pourraient
fubfifter. Qu’on ne dite pas que ce lieu n’a été pris que
comme un entrepôt; il y a une preuve forte qu’il efi re¬
gardé comme un établiffement à demeure, en ce que,
Jdrfqu’on n’en retire les abeilles qu’au bout de cinq à fix
heures, on y trouve déjà quelque petit gâteau de cire
quelles y ont fiit II efi vrai qu’elles n attendraient pas
peut-être plufieurs jours à quitter ce lieu d’elles-mêmes;
mais ce ne ferait qu’après avoir appris qu’il n’étoit pas
convenable, parce quelles y auraient lôuffèrt, foit trop
de chaud, fort trop de froid, ou quelles y auraient été
trop tourmentées par le vent & la pluy'e.
Auffi . quand on les a Lait entrer dans une ruche, ne
font-elles pas long-temps à reconnoître quelles y font
mieux qu’où elles seraient placées elles-mêmes; elles y
rcfküt pour l’ordinaire. Si l’effiaim, comme je l’ai déjà
1 i i i iij
622 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
dit, s’eft pofé fur quelque branche d un arbre en buif-
fon , ou quelqu autre branche peu élevée, rien n’êftplus
facile que de le faire palier dans la ruche; les mouches y
iroicnt fouvent d’elles-mêmes h on la foutenoit pendant
quelque temps au - delfus de leur branche. Le plus fur
pourtant & le plus court, cil de tenir la ruche renverfée;
c’eff-à-dire, fa grande ouverture en enhaut, & tout auprès
des abeilles. Si elle n’eft point trop lourde ou d’une figure
inconnpode, l’homme qui la fondent avec le bras de la
* Voyés la main gauche *, peut avec la main droite faire tomber les
Vignette, abeilles dedans. La prudence veut que celui qui le charge
de cette opération , lé mette hors de rifque d’être piqué
par celles qui peuvent s’irriter, c’elb à-dire, qu’il ait Ion
camail fur la tête & fes mains couvertes de gands. Il y a
pourtant des payfans, qui, en chemife, à vifage décou¬
vert &. les mains nues, ne fe font point une affaire de faire
tomber les abeilles dans la ruche. L’opération s’exécute
encore plus commodément quand deux hommes s’entr’ai-
dent, quand l’un tient la ruche, & que l’autre, foit avec
fa main , foit avec une efpéce de petit balay, ou quelque
petit rameau, fait tomber les mouches.
On ne doit pas être inquiet fi elles ne tombent pas tou¬
tes dans la ruche, s’il y en a des pelotons qui tombent à
côté,& fi beaucoup d’autres s’envolent. C’en eff affés,
fi une partie confidérable de l’effaim y a été jettée. Sur
le champ, on n’a qu’à pofer la ruche à terre tout près de
l’arbre, dans la fituation où elle doit être naturellement;
c’eft-à-dire, qu’à la pofer fur là baie. On aura pourtant
attention de biffer des ouvertures entre les bords de la
bafe & le terrain fur lequel elle eff. Les abeilles qui font
tombées à terre, vont bientôt rejoindre leurs compagnes;
mais il fuit qu’elles trouvent des paflàges libres pour ar¬
river. Celles qui fe font difperfées en l’air, fe rendenvauffi
des Insectes. XII. Mem. 623
pour la plupart, à la ruche. Il y en a pourtant, & quel¬
quefois en afies grand nombre, qui s’obflinent à retour¬
ner fur la branche où elles étoient auparavant ; pour leur
en faire perdre l’envie, on frotte cette branche avec des
feuilles dont l’odeur leur déplaît, comme des feuilles de
fureau & de rue , & on y arrête de petits paquets de ces
mêmes plantes. Enfin, fi cela ne fufiiit pas, on fume avec
la fumée d’un linge, celles qui perfiftent à y vouloir refier.
Au lieu qu’on cherche à rendre défagréable aux abeil¬
les l’endroit d’où on les a retirées, avant que de leur offrir
une autre habitation, on a cherché à la mettre en état de
leur plaire ; on a eu foin de la bien nettoyer ; on en a
frotté les parois avec des herbes ou des fleurs dont elles
aiment l’odeur, comme avec des feuilles de melifie, avec
des fleurs de fèves, &c. ou ce qui vaut autant que de flatter
leur odorat, on enduit légèrement quelques endroits des
parois de ce qui peut le plus flatter leur goût, de miel;
quelques-uns y étendent de la creme. Ces petites pré¬
cautions ne fçauroient faire de mal, mais je ne les crois
pas nécefl'aircs; tout a fort bien réuffien diverfes circonf-
tances où je n’y point eu recours.
Si on fait l’emménagement des abeilles vers midi ou
peu après, on doit avoir attention de pofer la nouvelle
ruche de manière que le Soleil ne la puifie pas trop
échauffer. Si l’arbre auprès duquel elle efl, ne lui donne
pas afies d’ombre, on peut lui faire une tente avec une
nappe, ou tout Amplement une efpéce de fouillée , en
la couvrant de divers branchages chargés de feuilles.
On la lardera où on l’a rnife, jufques à ce que le Soleil
fuit couché ou prêt de fe coucher; & alors, on la trans¬
portera doucement fur le fupport qu’on lui a defiiné âc
fur lequel on veut qu’elle refie.
L’eflaim que nous venons de Elire prendre, étoit placé
6 24 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
le plus favorablement qu’il efl poffible, cv ils ne fe placent
pas toujours fi bien. 11 y en a tel qui va fe percher fur
d’affés petites branches de très-hauts arbres, & ils ne peu¬
vent pas fe mettre plus mal. Selon la ligure de l’arbre,
feion la dilpohtioa de fes branches 6c félon fa hauteur,
il faut avoir recours à des expédients différents. Le génie
de celui qui ne veut pas lailîer perdre cet elfaim , doit lui
faire choifir les manœuvres qui conviennent. Si la hau¬
teur à laquelle il cil, n’eft pas exceffive, un homme monté
fur une échelle appuyée contre la tige de l’arbre, peut
quelquefois tenir la ruche rcnverfée au-deffous de felïaim,
pendant qu’un autre homme qui a grimpé fur l’arbre, fait
tomber les abeilles dans cette ruche avec un balay qui a
lin manche d’une longueur fuffifànte. Si l’effaim efl trop
près du bout des branches pour que l’homme monté fur
une,échelle appuyée contre la tige de l’arbre, puiffepré-
fenter la ruche défions cet elfaim , on peut attacher la
ruche à une longue & forte perche, & la pofer enfuite
de manière qu’elle puiffe recevoir les abeilles lorfqu’on
les fera tomber. Si tout cela n’eft pas exécutable & qu’on
trouve des branches au-deffous de celle où efi l’effaim,
on peut étendre une nappe fur ces branches, faire tom¬
ber les mouches fur la nappe, les envelopper prompte¬
ment, & defcendre,ou jetter enfuite en bas la nappe pleine
de mouches. Enfin, on étendra par terre la nappe, &on
pofera la ruche fur l’endroit où efl le gros des abeilles;
ordinairement les autres ne tarderont pas à s’y rendre :
mais fi elles n’y paroiffoient pas affés dilpofées, on les y
détermineroit en dirigeant la fumée d’un linge fur celles
qui font trop écartées de la ruche. Il y a encore un autre
moyen d’avoir l’effaim qui eft fur une branche, c’efl de
couper ou feier cette branche en l’agitant le moins qu’il
efl poffible ; fi on n’y travaille qu'après que le Soleil fera
couché.
des Insectes. XII. Mem. 62 5
couché, les abeilles ne l'abandonneront point; elies lè [aide¬
ront defcendreau bas de l’arbre avec la branche coupée; &
il fera alors ailé de les faire entrer dans une ruche.
Un grand trou de mur, ou un grand trou de tronc d’ar¬
bre vaut pour un eflaim une ruche; celui qui en trouve
un & qui s’y niche, a bien mieux fçû choifir le iieu où il
devoit s’établir, que ne le fçavent choifir les effaims qui
fe contentent des dehors d’une branche d arbre. IVÎais
l’effaim qui a eu l’habileté de fe loger fi bien , s’clî ] î...cé
au plus mal pour celui qui a droit delfus, & qui veut le
faire paffer dans une ruche: il y en a pourtant des moyens,
mais différents félon la pofition du trou. Souvent il faut
commencer par en aggrandir l’ouverture, & le pis aller
eft alors de puifer les abeilles dedans avec quelqu’efpéce
de cuillier, comme celles à pot, & de les verfer à mefurc
dans la ruche. Cela peut s’exécuter avec fuccès le foir,
fur-tout fi l’air eft froid.
Pour expliquer tout de fuite comment on établit un
cffaiin dans une ruche, nous avons laiffé beaucoup de
queftions à éclaircir auxquelles il nous faut revenir. Une
de celles qu’on n’aura pas manqué de nous faire, c’eft ft
un effaim n’a pas qi*clquefois deux meres, ou même s’il
11’en a pas quelquefois un plus grand nombre ! Nous
avons prouvé dans le neuvième Mémoire, que dans la
même année il naît dans beaucoup de ruches, bien plus
d’une fémelle. S’il n’y en devoit naître qu’une, il n’auroit
pas été affés pourvu à la multiplication des abeilles; les
furnuméraires d’une ruche manqueraient fouvent de la
conductrice qui leur eft effentielle. Mille accidents peu¬
vent faire périr le petit ver contenu dans un œuf, avant
que ce ver foit parvenu à fe métamorphofer en mouche.
Ce ne ferait donc pas affés que la mere ne pondit chaque
année, qu’un de ces œufs qui doivent donner des femelles.
Terne V . Ivkkk
616 Mémoires pour l’Histoire
Nous avons rapporté aufti, que dans la même ruche nous
avions trouvé julques à quarante cellules,de celles qui tout
deftinéesà recevoir de ces œufs diftingués; que vingt-deux
de ces cellules royales n'étoient pas encore finies, mais
que de dix des autres, dix fémeiles étoient déjà forties, &
que dans les huit autres cellules il y avoit huit femelles, loit
fous la forme de ver, foit fous celle de nymphe qu’elles
dévoient quitter, pour paraître fuccelfivement dans la
ruche avec des ailes, dans un intervalle de peu de jours.
Comme il eft certain que le froid, la pluye & le vent,
peuvent retarder de plufieurs jours la l'ortie de la troupe
qui veut abandonner la ruche, il eft évident que dans
le moment où l’eftaim va partir, il peut y avoir plufieurs
jeunes fémeiles. La feule queftion ell donc fi alors il y en
a plufieurs qui fortent avec l’cflaim.
Cette queftion a été décidée uniformément par tous
ceux qui ont traité des abeilles, à commencer par Ariftote.
Tous alfürent, & nous prouverons qu’ils ont eu raifon
de l’alfûrer, qu’il arrive quelquefois qu’un eftaim a deux
rois ou deux reines. Us nous ont raconté ce qui fe pafte
dans ce cas, qui n’cft pas rare. Ils veulent qu’alorsleftaim
fe partage conftamment en deux; & *1 eft réel que quel¬
quefois les mouches qui le compofent, fe divifent en deux
troupes. On voit alors fur le même arbre ou fur deux arbres
aftesproches l’undel’autre,deux tas d’abeilles.Un desdeux
eft ordinairement bien moins confidérable que l’autre;
l’un ne fera quelquefois qu’un peloton pas plus gros que
le poing, pendant que l’autre aura plus de volume qu’une
tête humaine. Chacune de ces portions de Leftaim, a fa
reine. Quelle que foit la circonftance qui a fait que la reine
du petit peloton a entraîné fi peu de mouches à la linte,or¬
dinairement fa troupe ne lui eft pas fidelie. Les expériences
que nous ayons rapportées ailleurs fur des abeilles mifes
DES I N S E C T E S. XII. Mefn. 627
en petit nombre dans de petites ruches, ont appris quelles
n’aiment pas à vivre en des focietés peu nombreufes,& que
la reine elle-même n’elt pas contente quand elle a peu de
mouches à Ton fervice; elle (cm b le en fçavoir les inconvé¬
nients: peu àpeuaulli, ily ades mouches qui fedétachenc
du peloton, & qui vont rejoindre le gros. Le peloton di¬
minue d’inftant en inftant; & quand il cft réduit à un petit
nombre de mouches, celles-ci enfemblc & la mere même,
vont fe réunir aux autres. L’effaim alors a deux meres.
Il pourrait bien n y avoir eu que du malheur élans le
fort de la mere qui a etc abandonnée par fa troupe; peut-
être que fi ic hazard lui fut été auffi favorable qu’à l’au¬
tre, elle eût été la pins fuivie. Mais dans des temps où
on cherchoit plus à raconter des faits agréables que des
faits vrais, 011 l’on donnoit ce qu’on imaginoit devoir
être, pour ce qu’on avoit vû, dedans des temps où l’on
regardoit le gouvernement des abeilles comme le modèle
du plus parfait gouvernement monarchique, on nous a
parlé de la mere heureufe comme du véritable roy, & qui
avoit toutes les qualités qui la rendoient digne de l’être;
qui avoit même un extérieur propre à fe faire refpecler.
Au lieu que la femelle infortunée a été traitée comme
une miférable mouche, indigne de la puiffance fouve-
rainc qu’elle avoit voulu ufurper; on lui a prodigué les
noms d’ufurpateur & de tyran ; on a voulu que fa figure
fût hideufe & eût quelque chofe de méprifable. C’cft
d’après Arifiote que Virgile a dépeint l’une & l’autre,
qu’il nous a dit que les extérieurs de ces deux rois étoient
fort différents; que l’un avoit des écailles rougeâtres, qui
brilloientde tachesd’or, que fa figure étoitnoble; au lieu
que l’autre étoit défagréable à voir, qu’il fembloit couvert
de poufiiére, qu’il avoit un large ventre; enfin, qu’il 11e
méritoit que la mort.
Kkkkij
628 MEMOIRES POUR l’HïSTOIRE
On peut lire avec plaifir tout le mal qui a été cîit de
cette pauvre mouche par Alexandre de Montfort, dans
l’ouvrage auquel il a donné le titre du Printemps de la
mouche h miel, qu’il allure être le fruit de pluficurs années
d’obfervations, & qu’il a rempli de moralités. Il nomme
cette mouche malheureufe, le tyran ou le prince brouillé ;
il dit que fa couleur trifle, fou ventre gros, fes jambes fea-
breufes & fes gefes languijfants, font figues d'envie, d’ava¬
rice, d’ambition, de gourmandfe, de lâcheté & deparejfe, Sic.
due ce prince brouillé a un accent, rude qui retentit dans tout
le quartier (lorfqu’il eh encore dans la ruche) carcffant la
nouvelle gendarmerie, qu’il tâche J'enyvrer & d’attirer à la
révolte contre fou fouverain.
Le prince brouillé fort (de la ruche) avec l’effabn, s’é¬
loigne du roy comme un traître ou comme une pièce de mau¬
vais alloy qui ne s’ofe produire. Auffi-tot que le Soleil lui
luit fur la tête, fes mauvaifes humeurs s’éveillent, & font
révolter une partie de ce petit peuple, qui fe va brancher avec
lui, ou elles fe perdraient fous ce mauvais chef, ne fût que
reconnoiffant leur faute, elles l’effacent s’allant incontinent
remettre auprès du roi légitime, &c. De forte que ce prince
brouillé fe voyant abandonné, fe va rejoindre au gros de
l’effaim.
Ces vermeil fes befioles qui fe picquent pour ce qui touche
l'honneur de leur chef, conjurent la ruine de ce brouillon, &c.
elles lui courent fus,le déchirent, le foulent aux jùeds; de forte
que dès le lendemain on le trouve mort, étranglé fous la ruche
avec dix ou douve abeilles, comme vidimes tres-malheureufes.
Tous les Auteurs qui ont traité cette mouche comme
un ufurpateur, lui donnent la trille fin que nous venons
de raconter dans les termes d’Alexandre de Montfort. Ils
alfurent qu’on la trouve morte le lendemain au bas de la
ruche. Charles Butler veut que, lorfque la première reine
des Insectes. XII. Mem. 62 9
a pris polfelfion de Ton capitole, qu’après que l’empire lui
a etc accordé, la fécondé en rang foit condamnée à mort
par arrêt du peuple, & que fur le champ l’arrêt foit exécuté.
Il ne nous raconte pas qu’il ait vu faire cette exécution;
mais il nous parie des combats terribles qui durèrent pen¬
dant deux jours dans une ruche où deux forts e(faims
ctoient entrés, & qui ne finirent que lorfqu’une des meres
eut été tuée.
Mais pour fubftituer des faits plus fimples & plus vrais,
a ceux qu’on a chargés de circonftances que l’imagination
s’efl più au moins à embellir, il efi très-certain que l’el-
faim qui fort d’une ruche, a quelquefois deux meres. J’en
ai même eu deux l’année dernière, dont chacun en avoit
trois; & il peut y avoir des cas où un elfaim en aura un
plus grand nombre. 11 paroît certain encore, & c’elt un
fait bien fingulier, que toutes les meres furnuméraires font
tuées dans la ruche où l’e(faim a été logé; qu’on n’y con-
ferve la vie qu’à une feule; que jufques à ce que cette
grande & cruelle exécution ait été faite, les abeilles ne fe
mettent pas férieufement au travail. La première preuve
que j’en rapporterai, me fera fournie par un des elfaimsque
je viens de citer, qui avoit trois meres. Il l'ortit de la ruche
le i 2 Juin; les mouches dont il étoit compofé fe parta¬
gèrent en deux bandes ; le gros s’arrêta autour d’une bran¬
che d’un pommier en builfon, & la cinquième ou fixiéme
partie environ fe pofa fur la branche d’un poirier aulfi
en buiiïon, du même quarré que le pommier, & qui en
étoit éloigné d’une vingtaine de pas. La petite troupe
relia conftamment pendant plus d’une heure dans la place
qu’elle avoit choifie^ mais elle fe débanda enfuite ; quel¬
ques mouches commencèrent à s’en détacher pour aller
rejoindre le gros; d’inflant en infant elles furent fuivies
de quelques autres; enfin, le relie du peloton s’envola
Kkkkiij
6^0 MEMOIRES pour l’Histoïre
à la fois, le difperfa en l’air, & ces mouches difperfées
vinrent bientôt fe réunir à leurs compagnes; toutes les
mouches de l’eflaim fe trouvèrent ne faire plus qu’une
feule maffe. Le partage qui s’y étoit fait d’abord, me fit
juger qu’il devoit avoir deux meres ; la fuite m’apprit qu’il
en avoit même trois. Ainfi, le nombre des divifions qui
fe font dans un effaim , n’efi; pas toujours égal à celui des
meres. D’autres obfervations m’ont appris qu’il n’arrive
pas même toujours qu’un efifaim qui a deux meres, fe
divife.
Je fus attentif à fuivre lVfTaim dont je viens de parler;
je le fis mettre le foir dans une de ces ruches plattes *,
où il efl j)lus ailé de voir ce qui fe palfe. Il y entra
pailiblcment, & le lendemain tout m’y parut très-calme;
je ne vis point dans la ruche de ces combats qu’on dit
qui s’y livrent tant que la pluralité des meres y lubfifie.
Les mouches ne me femblerent qu’y avoir été trop tran¬
quilles ; l’ouvrage de leur journée fut fort peu de choie.
Le jour fuivant, fur les trois heures après midi, il me pa¬
rut y avoir plus de mouches en l’air en dehors de cette
ruche, < 3 cfur-tout auprès de fes portes, qu’il n’auroit dû y
en avoir. J’ouvris un des volets pour obferver ce qui le
paffoit dans l’intérieur ; & je fus bientôt certain que le
trouble y avoit régné. Les mouches avoient abandonné
le haut de la ruche où elles s’étoient tenues le premier
jour, 8 c deux petits gâteaux qu’elles y avoient conftruits ;
la partie la plus élevée du maffif quelles formoient, étoit
vers le milieu du logement. J’eus lieu de croire qu’il s’étoit
fait quelque expédition fanglante; j’examinai le terrain du
devant de la ruche, j’y trouvai quelques mouches mortes,
parmi lefquelles il y avoit une mcrc.
Pendant le jour où fe fit cette expédition, les abeilles
lie travaillèrent point; elles pafferent même la nuit entière
des Insectes. XII. Mem. 631
près du fond de leur ruche, fans regagner le haut; je les
revis dans cette pofition lorfque j’allai les vifiter fur les
fept heures du matin. Lorfque j’y retournai vers les dix
heures, je trouvai une fécondé mere morte affés près de
l’endroit où j’avois trouvé la première. C’étoit la dernière
de celles qui dévoient périr; aulft l’ordre avoit il été remis
dans la ruche; les abeilles en occupoient la partie fupé-
rieure ; elles s’étoient placées comme elles l’avoient été
d’abord, & comme elles le dévoient être; & elles fe livrè¬
rent au travail avec ardeur.
L’effaim dont je viens de parler, n’efl pas le feul de
ceux que j’ai eu dont deux meres ont été tuées. Une des
meres d’un autre que j’avois aulfi logé le foir dans une
ruche vitrée, fut trouvée morte le matin tout près de la
ruche, & une fécondéfémelle fut trouvée morte à peu près
dans le même endroit vers les deux heures après midi du
même jour.Malgré le nombre des meres, ce dernier effaim
11e s’étoit point divilé ; mais le nombre de ces meres l’em¬
pêcha peut-être de refier paifiblement fur l’arbre où il s’é¬
toit établi. Après qu’il y eut demeuré deux heures, quoi¬
qu’il y fût à l’abri des rayons du Soleil, il fe détermina à
le quitter; il prit même un long vol; il traverfa un bras
de la Marne qui fépare le jardin où il étoit, d’une ilîe,
fur un des arbres de laquelle il alla fe fixer; on parvint à
l’y trouver, & on l’y prit le foir. J’ai eu auffî quelques
autres effaims de chacun defquels une feule mere a été
mile à mort le jour d’après celui où les abeilles étoient
entrées dans une ruche, & quelquefois un jour plus tard.
Quand des reines furnumeraires font nées dans une
ruche, ce ne font pas uniquement celles qui partent avec
un effaim, qui font tacriliées. Le fort de celles qui refient
dans leur ruche natale n’eft pas plus heureux; elfes y font
miles à mort; & quelquefois on y en tue un bon nombre.
632 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
On m’apporta un matin fix meres qu’on avoit trouvées
mortes fur l’appuy d’une même ruche qui avoit donné
un eftaim la veille.
Il efl donc inconteflable, qu’il y a des temps où les.
abeilles nefouffrent pas plufieurs fémelles, & qu’il n’en faut
qu’une feule aux abeilles d’un elfaim. Mais quels font les
motifs qui déterminent ces mouches à en prendre une
pour reine à l’exclufion des autres ! Il y a grande appa¬
rence que celle qui parvient à ce haut rang, en ell la plus
digne. Ce n’eft pourtant pas, & il n’eft pas befoin de le
dire férieufement, parce quelle eft douée de toutes les
vertus morales qu’on lui a cru néceffaires. Nous ne de¬
vons pas craindre non plus qu’on croye que les meres
qui ont été mifes à mort, méritoient une fi trille fin,
parce qu’elles avoient la noirceur dame propre aux ufur-
pateurs & aux tyrans, & de plus, tous les vices auxquels
Alexandre de Montfort a alluré qu’elles étoient fujettes.
Probablement, la reine qui eft confervée, a dans le plus
haut degré la vertu qui intéreffe les abeilles, mais une
vertu phyfique , celle de mettre beaucoup d’œufs au
jour, d’y en mettre plus que n’y en euffent mis les fémelles
qui ont été immolées au bien public. Lorfqu’il y en a plu-
feurs de nées dans une ruche, il n’eft pas néceffaire que
les mouches qui doivent compofer l’effaim prêt à fortir,
en viennent à une élection pour fe donner une fouve-
raine. Souvent fans doute elles acceptent pour reine celle
qui sert offerte à l’être; un moment peut-être en décide.
Je veux dire, qu’entre les fémelles nouvellement nées,
celle qui eft affés aétive, affés inquiette pour fortir la pre¬
mière de la ruche, peut déterminer les abeilles qui fe trou-
voient mal de leur ancienne habitation, à fe mettre à fi
fuite pour chercher un nouveau logement. Si encore un
rayon de Soleil fait partir brufquement une troupe de
mouches
des Insectes. XII. Mem. 635
mouches de la ruche, & qu’une femelle parte avec elles,
beaucoup d’autres mouches font déterminées à fortir en
même temps; toutes de concert doivent accepter pour
reine la fémelle qui efl parmi elles, fans l’avoir choifie
autrement. Malgré l’elpéce de hazard qui décide alors de
ia fouveraineté, peut-être effelle accordée comme dans
les plus fameufes monarchies, à la mouche qui y a le plus
de droit par fa nai(Tance. La première née eft probable¬
ment celle qui a acquis le plus de vigueur, qui a été plu¬
tôt fécondée, qui eft la plus prête à pondre des œufs, Sc
celle qui a eu le plus d’impatience de prendre l’effor. S’il
eft arrivé qu’elle ait été plus pareffeufe, fi une de Tes ca¬
dettes eft fortie la première, alors au moins c’eft la plus
digne qui a été prife pour reine.
Le feul cas qui puilTe mettre dans une fituation em-
barraffante les mouches qui compofent un effaim, Si qui
fembleles obligera faire des aétions barbares, c’eft quand
il y a parmi elles plufieurs meres. Ce cas femble les met¬
tre dans la néceflité de choifir. Si entre ces meres, il y
en avoit une d’une forme majeftueufe & toute brillante
d’or, Si que l’or parût auffi beau aux abeilles qu’à nous,
& fi les autres fémelles avoient une figure ignoble Si
même hideufe, Si qui fût telle pour les abeilles, leur
choix feroit facile à faire. Je crois qu’il l’cft auffi. Quoi¬
qu’on ne trouve pas entre l’extérieur de l’abeille qui reftc
fouveraine, Si l’extérieur de celles qui font condamnées
à mort, les grandes différences dont nous venons de par¬
ier, on y en trouve quelques-unes. La première m’a toû-
jours paru d’une couleur plus rougeâtre que les autres; Si
c’en étoit afies pour mettre en droit, lorsqu’on en a parlé
poétiquement, de faire entrer l’or dans fa parure. Les
autres font plus brunes, Si elles m’ont toûjours femblé
moins groffes. Ariftote a dit auffi que le vrai roi eft rou*.
Tome V .LUI
6 34 MEMOIRES POUR l’Histoire
& que l’autre eft noir, ce quife réduit à être plus brun. Les
ineres, comme les autres abeilles, deviennent plus rougeâ¬
tres en vieilliftant; le moment où elles Te font transfor¬
mées eft celui où elles font le plus brunes : enfin, àinefure
que les œufs qu’elles ont dans le corps, grofti fient, leur
corps grofiit. De-là il paroît, comme nous l’avons dit,
que celle qui eft confervée pour reine, eft la première
née & la plus prête à pondre.
Mais d’être la plus prête à pondre , doit être par rap¬
port aux abeilles, la circonftance eflcntielle & décifive ; &
j’ai des preuves que la mere qui avoit été choifie, s’étoit
trouvée dans cette circonftance favorable. J’ai ouvert le
corps de neuf à dix jeunes fémelles auxquelles la vie avoit
été ôtée dans différentes ruches, & il n’y en a eu aucune
à laquelle j’aye pû trouver un feul œuf d’une grofteur
fenlible. La plus forte loupe n’a pû même me faire ap-
percevoir dans le corps de quelques-unes, de ces petits
grains qui font des œufs qui ont beaucoup à croître. Si
j’eufie ouvert le corps de la fémelle qui avoit été confer¬
vée dans chacune des ruches hors defquelles les autres
fémelles avoient été jettées mortes, je leu fie trouvé rem¬
pli d’œufs dont plufieurs auroient été très-fenfibles. Je
puis donner ce dernier fait pour aufii certain que fi je
l’eufte vu, puifque j’ai trouvé des œufs dans quelques-unes
de ces ruches, au bout de aq heures , & dans d’autres au
plus tard, au bout de deux ou trois jours.
Quelquefois entre les fémelles qui naifient la même
année dans une même ruche, il y en a trois ou quatre
d’heureufes. 11 y en avoit eu trois de celles-ci dans la ru¬
che où j’ai dit que j’avois trouvé quarante cellules royales,
de dix defquelles dix fémelles étoient forties ; de ces dix
fémelles il y en avoit eu trois qui établirent trois petits
empires, trois dont chacune refta fouyeraine d’une
des Insectes. XII. Afem. 6] 5
nouvelle ruche. Lorfque je baignai l’ancienne ruche d'où
ces trois elfaims étoient fortis en moins de i j jours, j’y
trouvai une jeune fémelle avec une autre qui étoit pro¬
bablement fa mere. Trois à quatre effaims lortent donc
quelquefois de la même ruche les uns après les autres,
dans des intervalles de cinq à fix, & tantôt dans des in¬
tervalles de dix à douze jours. Des meres nées les unes
après les autres, deviennent propres à être les conductrices
de colonies quelles font en état de faire multiplier. Dans
ces mêmes ruches où il y a eu trois à quatre femelles for¬
tunées , il y en a eu ordinairement un plus grand nombre
de malheureufes.
Mais elt-ce par les abeilles même nouvellement établies
dans une ruche, que la mere ou les meres furnuméraires font
miles à mort! Comment cela s’accorde-1-il avec cet amour
fi vif pour toutes les meres en général dont les abeilles
nous ont donné tant de preuves dans le cinquième Mé¬
moire! Ne feroit-ce point plutôt que deux meres jaloufes
l’une de l’autre, fe livrent un combat dont la plus foible
cft la viélime! C’eft ce que je n’ai pû parvenir à voir. Ce
qui pourrait faire penfer que les deux meres, quoique très-
pacifiques naturellement, s’attaquent l’une l’autre, c’ell:
qu’elles font armées d’aiguillons dont elles n’ont gueres
d’autre occafion de faire ufage, car elles ne s’en fervent
pas contre les abeilles de leur ruche. Malgré pourtant le
refpeCl qu’ont ces dernières pour les meres, malgré l’a¬
mour quelles leur témoignent, il pourrait bien y avoir
des temps où elles ne balanceraient pas à leur ôter la vie.
Nous avons vu qu’après avoir pris des foins infinis des
vers qui deviennent des abeilles mâles, qu’après avoir bien
vécu avec ces mâles, il vient un temps où elles en font
lin furieux carnage. Elles font capables des meilleures
aCtions & de celles qui nous femblent les plus barbares,
LUI ij
6]6 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
félon que Se bien de leur fociété le demande ; elles ont
été inftruites à faire tout ce qui y convénoit le mieux.
Des abeilles nouvellement miles dans une ruche, ont allés
à travailler pour conlîruire la quantité des rayons de cire
néceffaire pour fournir à loger les vers qui naîtront des
ceufs que la jeune & féconde reine va pondre, à ramaf-
ler tout le miel qui doit être mis en referve dans la ruche.
Leur inftincft leur apprend que pendant plufieurs fcmaines
ou plufieurs jours au moins, il faudrait qu’elles fuiïent ca¬
pables défaire une fois plus d ouvrage quelles n’en peuvent
faire, pour fuffire à deux reines; elles ne pourraient loger
& foigner les vers qui naîtraient de leurs œufs. Le meilleur
parti à prendre ell donc de facrifier une de ces reines.
Quand les abeilles fe trouvent fupérieuresà leur travail,
quand elles ont rempli leurs ruches de beaucoup de gâ¬
teaux bien fournis de miel & de cire brute, elles peuvent
n’avoir plus de raifons de craindre la pluralité des meres;
telle étoit la fituation des abeilles que nous avons vu être
empreffées à rendre de bons offices à la reine étrangère
que nous leur avions offerte. Alors elles font le plus grand
accueil à une fémelie quelles euffent immolée fi elle eût
été introduite parmi elles dans les temps où elles fe trou-
voient dans une nouvelle habitation dénuée de tout. Ou
fi l’on veut, qu’une mere ne l'oit jamais tuée que par uns
autre mere, ce qui efî bien auffi probable, la mere qui a
à fa difpofition tous les gâteaux d’une ruche, n’eft point
jaloufe qu’une autre les partage, quand il lui paraît qu’il y
en a affés pour elles deux. Mais je puis être fort mal inflruit
de la politique des abeilles & de la façon équitable de pen-
fer que je viens de leur accorder. La fuite des faits que j’ai
à rapporter, fera au moins voir encore bien du fingulier
dans les dilférentes manières dont les mêmes femelles lont
traitées en différents temps dans la même ruche.
des Insectes. XII. Mem. 6 37
Par le moyen du bain j’eus le 1 5 Juin à ma difpoli-
tion, une mere que je tirai d’une ruche ancienne, mal
fournie de mouches & de couvain. Cette mere qui juf-
qucs-là avoit fait peu d’œufs, paroifToit en état d’en pon¬
dre beaucoup par la fuite ; elle avoit le corps long Si
renflé. Après lui avoir peint le corcelet avec un vernis
rouge, qui, étant très-ficcatif, fut bientôt fec, je i’intro-
duifisdans une ruche quarrée éêplatte où un fort eflaim
navoit été logé que le 10 du même mois; mais où il
avoit travaillé avec beaucoup d’aclivité; il y avoit déjà
frit deux gâteaux, dont chacun étoit aufli grand qu’une
des moitiés d’une des faces de la ruche, & qui avoient
beaucoup de cellules pleines de miel. Je fis entrer la
mere à laquelle j’avois donné une livrée rouge, par un
trou percé au milieu de la pièce fupérieure de la ruche.
Si cela, à cinq heures Si demie du foir. Dès quelle
y fut entrée, elle dilparut, elle fe cacha entre les deux
gâteaux ; mais fon arrivée n’occafionna aucun tumulte
fenfible; il parut quelle avoit été bien reçue. Au bout
d’une heure, je la vis appliquée contre un des carreaux
de verre, Si entourée de plulieurs abeilles qui fèmbloient
occupées à la nettoyer, & qui peut-être vouloient lui
ôter la tache rouge. Le jour fuivant fur les huit heures du
matin, mon jardinier que mon exemple a rendu curieux
d’obferver les abeilles, vint m’avertir qu’il avoit vu la mere
rouge, qu’il l’avoit fuivie des yeux, qu’il avoit remarqué
qu’elle avoit fait entrer fa tête dans une cellule vuide, Sc
qu’enfuite s’étant retournée bout par bout, elle y avoit
introduit fon derrière, Si qu’elle devoir être occupée à
pondre. Lorfque j’arrivai, je la trouvai fur le même gâteau
où il l’avoit vûe, mais elle n’étoit plus dans une cellule.
Des mouches qui l’entouroient, s’ouvroient pour lui
îaiflèr le palfage libre à mel'ure quelle allait en avant-;
lui üj
6 38 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
quelques-unes de celles qui lui failoient cortège, lui lé-
choient le derrière , comme elles ont coutume de le
lécher à une mere qui vient de dépoler un œuf. Je vis
enfuite qu’elle fit entrer l'a tête fuccefTiveinent dans plu-
fieurs cellules ; mais dans chacune delquelles il y avoit
déjà un peu de miel ; ne les ayant pas trouvées telles
qu’elle les vouloit, elle quitta la l'urface extérieure du gâ¬
teau où elle étoit, pour aller peut-être en chercher qui
fuffent à fon gré dans l’intérieur de la ruche. Ceci le palïa
dans un temps ou piuficurs meres furnuméraires des nou¬
veaux effaims furent tuées ; & on croit bien que je fus
attentif à examiner chaque jour, fi je ne trouverois pas
l’une des deux meres dont il s’agit, morte auprès de la
ruche. Je n’y trouvai ni l’une ni l’autre. Dix à douze
jours après, je donnai une troifiéme mere à la même ru¬
che, à laquelle je fis porter une livrée jaune. Je ne pus
depuis parvenir à en voir aucune des trois; elles le tinrent
trop conflamment dans l’intérieur de la ruche & dans les
gros de mouches, au moins aux heures où je cherchois
à les voir. Mais jufques au mois de Septembre, je ne pus
parvenir à en trouver une morte, quelqu’attention que
j’euffe apportée à la chercher.
Les vacances qui m’éloignerent de Paris, me mirent
pendant deux mois hors d’état de pouvoir obferver les
dehors & l’intérieur de cette ruche. A mon retour, c’eft-
à-dire, après la Touffaints, je me déterminai à la baigner,
pour fçavoir fi les trois meres lui étoient reliées. Lorfque
f'es mouches parurent bien noyées, lorfqu’elles furent
toutes dans un état femblable à celui de mort, je les
examinai à mon aife, & avec foin une à une. Je les
comptai même, & j’en trouvai plus de fept mille, ce qui,
dans une pareille faifon, eft un nombre de mouches
affés confidérable pour une ruche. Parmi elles il iî y fc ayoi£
des Insectes. XI 1. Mem. 639
aucun mâle, aulfi netoit-ce pas le temps où il y en de¬
voir avoir. Enfin, ce qui étoit l’objet elfentiel, c’étoit de
retrouver les meres, & des trois qui y avoient été quelques
mois auparavant, je n'en trouvai qu’une feule, & proba¬
blement lamere naturelle; au moins fon corcelet n’étoit-
il coloré ni de jaune, ni de rouge. Quand on fuppolè-
roit que le verni de fon corcelet avoit été emporté, on
ne fçauroit guéres fuppofer qu’il n’en fût pas refié la
moindre tache. La inere marquée de rouge, & la mere
marquée de jaune avoient donc péri ,&, félon toute appa¬
rence, de mort violente. Si ce font les abeilles qui immo¬
lent les meres étrangères après leur avoir fait tant d’ac¬
cueil , on feroit tenté de croire qu’elles les prennent à
l’eiïai; qu’elles ne les gardent que jufqu’à ce qu’elles fe
foient affûtées que leur fécondité ne furpaffe pas celle de
leur reine naturelle ; que peut-être celle-ci efi la facrifiéè
quand il s’en efi préfenté une plus féconde. On n’auroit
pas befoin d’accorder tant de politique aux abeilles, fi orr
étoit fûr qu’une mere efi facrée pour elles, que toute mue
ne peut être tuée que par une autre mere. Alors la plus'
courageufe & la plus forte fe rendroit la feule fouveraine
en arrachant la vie à fes rivales. Les expériences qui peu¬
vent infiruirefur-tout ceci, ne font pas impofiibles,quoi¬
que je ne fois pas encore parvenu à les faire.
J’eus dans le mois de Décembre une mere tirée d’une
niche, dont prefque toutes les autres mouches avoient
péri ; de languifiante quelle étoit, je parvins à la rendre
forte & vigoureufe en la chauffant avec précaution. Pour
lui conferver la vie, & pour faire en même temps une des
expériences qui m’étoit néceffaire, je la logeai dans une
niche vitrée & conique. Cette ruche étoit bien remplie
de cire & de miel ; depuis laTouflaints je la tenois dans
mon cabinet, à Paris, bien fermée de toutes parts; j’avois
6 4 q Mémoires pour l’Histoire
eu peur que le nombre des abeilles n’y fût pas fuffifanC
pour qu’elles puflent réfifler au froid de l’hiver ; je l’y
tenois encore par rapport à d’autres vues. Dès que la
mere étrangère fut entrée dans la ruche, je ceffai de la
voir; elle gagna le gros des abeilles qui fe trouvoit affés
près du fond de la ruche. Il ne me fut donc pas poflible
d’obferver comment elle fut traitée. Mais bientôt j’en¬
tendis un grand murmure; le bourdonnement alla tou¬
jours en augmentant; & les abeilles, de tranquilles qu’elles
étoient, devinrent agitées. S’il nous cfl permis d’inter¬
préter la caufe de ce bruit & de cette agitation, nous ne
î attribuerons qu’à l’efpéce de joye que les abeilles té-
moignoient d’avoir une fécondé reine; celles qui avoient
été les premières inftruites du grand événement, l’appre-
îîoient aux autres : ce qui efl fur, c’efl que ce bruit ne
fut point un bruit de guerre; l’arrivée de la fécondé reine
ne caufa aucun combat dans la ruche. J’eus beau obfer-
ver pendant plufieurs jours de fuite, je ne vis point aug¬
menter le petit nombre des mouches mortes qui y étoit,
lorfque la nouvelle mere fut introduite : elle ne parut
point parmi les mortes; elle eût été aifée à diflinguer
par fa grandeur; mais ce qui l’auroit rendue encore beau¬
coup plus reconnoiffable, c’efl que j’avois eu foin de
peindre en rouge avec du vernis, prefque toute la partie
llipéricure de fon corcelet. Avant que je l’euffe introduite
dans la ruche, les abeilles y fembloient être dans un en-
gourdiffement dont fa préfence les fit fortir, & dans le¬
quel elles ne retombèrent plus. Tous les jours fuivants,
elles me firent entendre des bourdonnements tantôt plus
forts tantôt plus foibles, que je n’entendois pas dans les
jours qui avoient précédé; elles furent beaucoup plus en
mouvement, elles mangèrent beaucoup davantage. Dès
Içs premiers jours de Février je portai cette ruche à h
Campagne;
des Insectes. XÎJ. Ment. 641
campagne. Lorfqu’au bout de deux fcmaincs, ou environ,
je retournai la voir, je la trouvai prefque dépeuplée; ce
11’étoit point parce que la faim, ou le froid avoit fait
périr une grande partie de fes mouches; on ne les avoit
pas laide manquer de miel ; & fi elles n’eu dent pu foû-
tenir le froid, on eût trouvé les mortes fur le fond de
la ruche où il n’y en avoit que quelques-unes de celles-
ci. Il y a donc grande apparence qu’une des meres aban¬
donna la ruche pour alier s’établir en quelqu’autre en¬
droit avec les mouches qui la voulurent fuivre. Il reda
cependant une des deux meres dans l’ancien logement,
je 11e fçais laquelle : la feule preuve que j’en ai, car je
11e la vis pas, eft une preuve fuffifante, c’ed qu’au com¬
mencement du mois de Mars les abeilles de cette ruche
allèrent faire des récoltés à I3 campagne, elles revenoient
chargées. La ruche ne fut pourtant pas long-temps fans
être entièrement deferte. Cette mere accompagnée de
trop peu d’ouvrières, prit apparemment un parti fem-
blable à celui que nous avons vu prendre à toutes les
meres qui ont été mifes dans la petite ruche vitrée avec
trop peu de mouches ordinaires; elle alla chercher ailleurs
line meilleure fortune.
L’expérience d’introduire une fécondé mere dans une
ruche, me parut devoir être faite dans une circonflance
differente de celles où j’en ai ci-devant donné de furnu-
méraires. J’avois une ruche en panier, fi peuplée depuis
plufieurs femaines, qu’une partie de fes abeilles étoit obli¬
gée de fe tenir dehors en grouppe, foit pendant le jour,
l'oit pendant la nuit. Cependant cette ruche n’avoit pas
encore donné d’effaim le 25 Juin. II me fembloit que
je n’en pouvois attribuer la caufe qu’à ce qu’il n’y étoit
point né de fémeile. Je fus curieux de voir ce qui arri¬
verait fi j’y en faifois entrer une très en état de pondre.
TorneV . Mm mm
6+2 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
La mere d’une ruche dont j’avois déjà eu trois elfaims,
fut deftinée à cette expérience. Depuis quelques jours je
Pavois fait paffer dans une nouvelle ruche avec fes ou¬
vrières, qui y avoient déjà commencé quelques gâteaux
de cire, Sc dans lefquels la mere avoit tlépofë des œufs.
Après l’avoir tirée du bain qui me mit en état de la dé¬
mêler des mouches de fa troupe, après lui avoir rougi
le delfus du corcelet, & enfin, après lui avoir fait re¬
prendre toute fa vigueur, je la polai fur les fept heures
& demie du matin fous cette ruche en panier, qui ne pou-
voit contenir toutes fes abeilles, & de laquelle cepen¬
dant aucun elfaim n’ëtoit forti. Bientôt elle me fut cachée
par tant de mouches, qu’il ne me fut plus polfibJe de la
voir. Il efl à préfumer qu’elle fut bien reçue par les abeil¬
les ordinaires; elle n’occafionna aucun tumulte fenfible.
Le foir je fis pancher le panier pour fçavoir fi je ne par¬
viendrais pas à voir la mere que j’y avois introduite. Je
l’y vis; elle y étoit dans une guirlande d’autres mouches.
Quelle que fut la caufe pour laquelle elle étoit refté-là,
& qui l’avoit empêché de pénétrer dans l’intérieur du
palais, avec un brin de paille je la détachai de fa guir¬
lande, je la fis tomber fur l’appui de la ruche; mais bien¬
tôt elle le quitta, elle fe mêla avec d’autres abeilles, je
celfai de la voir, & je fis remettre la ruche dans la pofi-
tion naturelle.
Je ne m’attendois pas que le fuccès de cette expérience
ferait tel qu’il fut. Lorfque le lendemain 26 j’allai dès
le matin pour voir la ruche dont il s’agit, je trouvai la
mere marquée de rouge morte ; je la trouvai dans une
allée qui eft au long d’une terralfe fur laquelle la ruche
étoit placée, & vis-à-vis cette ruche. Pourquoi cette mere
féconde n’avoit-elle pas été épargnée, & cela dans une.
circonfiance où elle fembloit précieufe aux mouches ?
des Insectes. XII. Mem. 643
qui dévoient attendre avec impatience une reine qui les
conduisît hors d’un logement où elles ne pouvoient pas
toutes fe tenir à la fois! Ne reiremblons point à ces Hif-
toriens qui paroilfent avoir été prélents aux converfations
les plus fecrettes qui ont été tenues dans les cabinets
des Rois & des Miniftres. Avouons fans peine que les
principes fur lefquels les abeilles agiffent, ne nous font
pas ailes connus. La mort de la mere étrangère pourrait
pourtant, avec allés de vraifemblance, être mile fur le
compte de la mere régnante; elle pouvoit avoir des rat¬
ions de vouloir la perte de cette reine étrangère, dont fes
ouvrières dévoient être fort contentes. Quoi qu’il en foit,
cette ruche n’étoit pas favorable aux nouvelles reines.
Le y Juillet j’en trouvai une tout auprès de'cette ruche,
qui fans doute y étoit née, & y avoit été mile à mort.
La reine«rouge ne palfa qu’une journée dans la ruche,
pendant l’après-midi de laquelle il fit de l’orage & une
grande pluye. Peut-être que fans cette pluye, & lans cet
orage, elle eût eu un fort plus heureux, qu’elle fe fût
déterminée à fortir, & qu’elle eût été fuivie d’autant de
mouches qu’il y en a dans les meilleurs eliaims.
II eft confiant au moins, qu’un jour de grande pluye, ou
qu’un orage, retient dans la ruche, l’effaim qui n’attend
pour en fortir, qu’à y être déterminé par un beau temps.
Un Soleil brillant, fur-tout s’il donne fur la ruche, hâte
les mouches de prendre leur parti; il augmente la cha¬
leur qui les environne, que leur nombre rendoit déjà
trop grande. O11 peut fe rappeller une des aventures * des *MémoireV
mouches mifes dans une de nos petites ruches vitrées,
celle oùles mouches la quittèrent pendant que je les obfer-
vois, parce que je les avois expolées aux rayons du Soleil,
qui, après avoir traverfé les carreaux de verre, tomboient
fur elles. Par une raifon contraire, des jours trop froids
Mm mm ij
644 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
pour la faifon , empêchent lafortie des eflaims. Mais des
jours d’un chaud pefant, des jours où, quoique le Soleil
31e fe montre pas, on trouve la chaleur incommode, font
encore de ceux où les ruches jettent.
Diverfes autres circonflances peuvent déterminer la
jeune mere à prendre i’effor. 11 arrive dans les ruches des
événements dont nous ne hommes pas en état de fçavoir
les caufes, qui y mettent fubitement toutes les mouches
en agitation, qui jettent le trouble par-tout. Qu’on foit
auprès d’une ruche, on y reliera fouvent pendant un
temps confidérable fans entendre qu’un leger murmure ;
mais tout d’un coup on entendra enfuite un bourdon¬
nement confidérable ; les abeilles femblcront être toutes
failles en même temps d’une terreur panique : on les
verra toutes quitter leur ouvrage pour courir de diffé¬
rents côtés. Que dans un de ces moments d« trouble,
une jeune mere fe trouve près des ouvertures de la ruche,
qu’elle forte, elle fera furie champ fuivie par une nom-
breufe troupe de mouches avec laquelle elle partira.
Quelquefois les abeilles après être forties de la ruche
dans la quantité nécelfairepour compofer un elfaim, après
s’être difperfées en l’air, & même après s’être ralfemblées
fur un arbre, retournent à leur domicile natal. On prévoit
que cela doit arriver, fi elles n’ont pas été fuivies par une
jeune reine, qui, quoiqu’elle eût paru aux portes de la
ruche & prête à les accompagner, n’a pas eu le courage
de faire ufage de fes ailes. Si la jeune mere eft fortie
avant que d’avoir été fécondée, avant que le temps de fa
ponte fut ailes prochain, ce peut-être pour elle une rai-
ion de rentrer dans la ruche qu’elle s’étoit trop preflee
de quitter ; & fes ouvrières ne manquent pas d’y retour¬
ner avec elle.
Ceux qui paffent pour les plus entendus dans l’ce«onomie
des Insectes. XII . Mem. 5
des abeilles, croyent qu’il Convient d’empêcher dejetter
les ruches qui font foibles en mouches. Il y aurait à crain¬
dre de perdre l’ancienne ruche & la nourelle où l’effaim
aurait été mis, parce que l’une & l’autre 11e feraient, pas
fuffilamment peuplées ; auffi a-t-on enfeigné des moyens
d’empêcher de jetter celles qui font peu fournies d’abeilles.
Un de ces moyens quand la ruche n’eft qu’un panier, eft
fimple; c’eft de retourner le panier, de mettre le devant
derrière. C’eft fur-tout fur le devant du panier que les
mouches travaillent, c’eft le devant qu’elles rempliffent
d’abord de gâteaux. Quand le derrière eft devenu le de¬
vant, les abeilles fe trouvent plus au large quelles n’y
croyoient être; elles ont encore de l’ouvrage à faire, &
pour lequel elles ne font pas en trop grand nombre.
Un autre expédient auquel on a recours, c’eft de don¬
ner une hauffe à la ruche; c’eft-à-dire r quelle que loit fa
figure, de lui donner une bafe creufe qui augmente fa
capacité; de mettre, par exemple, fous un panier d’ofier
ou de paille, une efpéce d’anneau d’ofier ou de paille dont
le diamètre de la partie fupérieure eft égal à celui du bas
delà ruche, & qui, à fa partie inférieure, en a un plus grand.
A l’égard de la hauteur de la haulfe, on lui en donne plus
ou moins, félon qu’on veut augmenter plus ou moins
la capacité de la ruche. Mais l'effet de l’un & de l’autre
de ces expédients, n’eft rien moins que certain, puifque
nous avons rapporté dès le commencement de ce Mé¬
moire, que nous avions vû fortir un effaim d’une ruche
dont plus des deux tiers de la capacité étoient vuides.
Les ruches qui ont déjà donné un ou deux forts effaims,
quelque fortes qu elles fuffent, deviennent des ruches mal
peuplées; & s’il en fort un troifiéme ou un quatrième
effaim, ces derniers font ordinairement trop foibles. Le
moyen le plus fur de conferver ces effaims, eft d’en réunir
Mm mm iij
6^.6 Mémoires pour l’Histoire
deux enfemble, ce qu’on appelle marier des e(faims. Nous
avons expliqué d’avance dans le dixiéme Mémoire, com¬
ment on peut parvenir à faire de ces fortes de mariages.
Quand on a beaucoup de ruches placées dans le même
alignement, 6 c par conféquent dans la même expofition,
il arrive quelquefois que le même jour, à la même heure,
& prefque dans le même moment, deux effaims partent
de deux ruches différentes, qu’ils fe mêlent dans l’air, &
qu’ils fe réuniffent enfemble. Quoique ces deux effaims
réunis ayent deux meres, ils font dans un cas différent de
celui de l’effaim forti d’une feule ruche avec deux meres ;
car chacun des deux premiers étoit accompagné des mou¬
ches néceffaires pour le nouvel établiffement. Il pourroit
fe faire que ces deux meres vécuffent dans la même ruche.
Cependant fi les deux effaims font forts, on trouve qu’il
convient mieux de les féparer dans deux ruches différen¬
tes; lorfqu’on les loge on fait tomber à peu près la moitié
de la maffe dans une des ruches, 6c l’autre moitié dans
l’autre. On s’y prend encore d’une manière un peu diffé¬
rente ; on fait entrer dans une même ruche toutes les mou¬
ches, & Iorfqu’elles y font devenues tranquilles, vers le foir
on fecouë cette ruche pour en faire tomber à peu près la
moitié des mouches, foit fur la terre, foit fur une nappe,
6c on couvre les mouches qui font tombées, d’une ruche
qu’on tient préparée. Afin que ce partage foit bien fait, il
faut qu’il fe trouve une nacre dans chaque ruche. Si une
des deux en étoit privée, on le reconnoîtroit le lendemain
par la manière dont fes abeilles fe comporteraient. II fau¬
drait encore en venir à les réunir, pour tenter enfuite un
partage plus heureux.
Lorfqu’une ruche donne pluficurs effaims dans l’année,
celui qui eft forti le premier eft toujours le meilleur de
tous. Outre qu’il eft le plus nombreux, il fe met au travail
des Insectes. XII. Mem. 647
dans une faifon plus favorable, dans une faifon où la
campagne fournit le plus aux récoltes de cire & de miel;
& enfin, il a plus de temps pour travailler avant l’hiver.
Ces avantages des premiers e(faims fur les autres, fuffifent
aftûrément pour expliquer pourquoi ils réuffiffent mieux.
M. de la Ferriere qui nous a donné un Traité fur les mou¬
ches à miel, prétend pourtant que les nouveaux eflaims
l’emporteroient furies féconds, ceux-ci fulfent-ils auflî
nombreux ou plus nombreux, par une autre raifon, parce
qu’ils font compofés de mouches plus exercées. Mais cette
propofition auroit demandé à être appuyée par des preu¬
ves qu’on n’a pas données. Il y a grande apparence que
l’abeille née depuis deux jours eft auITi habile & aufti labo-
rieufe que celle qui a vécu plufieurs femaines, ou même
plufieurs mois.
Cette propofition de M. de la Ferriere, nous conduit
au moins à éclaircir une queftion qui nous a dû déjà être
faite, & à laquelle on a dû s’attendre que nous fatisferions.
De quelles mouches l’efTaim efl-il compoféî Lanouvelle
reine n’eft elle fuivie que par de jeunes abeilles, par des
abeilles nouvellement nées ! Il ne paroît point du tout
que ce /oit la conformité de l’âge qui lui ait affectionné
line partie de celles de la ruche. Nous avons dit ailleurs
qu’on connoiffoit à peu près celui de ces mouches à leur
couleur, que les jeunes étoient plus brunes & avoient des
poils blancs, &que les plus vieilles avoient des poils roux
& des anneaux moins bruns. Parmi celles qui fe font mifes
à la fuite de la nouvelle reine, on en obferve de ces
deux couleurs, & de toutes les nuances moyennes qui
font entre deux. Enfin, fi on examine celles qui font refi¬
lées dans l’ancienne ruche, on y en remarquera de même
de jeunes, de vieilles & de celles d’un âge moyen. L’ef-
faim eft donc compofé d’abeilles de tous âges, & il refie
•64S MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
des abeilles de tous âges dans la ruche. Celles nui le l'ont
trouvées auprès des ouvertures quand la nouvelle reine
eft fortie, font forties avec elle ; & celtes qui étoient oc¬
cupées dans l’intérieur & dans des endroits élevés, n’ont
point été entraînées par l’efpéce de tumulte qui s’efi fait
au bas de la ruche.
Mais efl - il bien certain , comme nous l’avons fuppofé
jufqu’ici avec tous ceux qur ont parlé des abeilles, que ce
foit toujours une jeune mere qui te mette à la tête de la
colonie! La vieille reine ne pcurroit-elle point prendre
du dégoût pour fon ancienne habitation î Enfin, ne pour-
roit-elle pas être déterminée par quelque circonftancc
particulière, à abandonner toutes tes poffeffions à la jeune
mere î Je fierois en état de fatisfaire à cette queftion autre¬
ment que par des vraitemblances, fans des contre-temps
qui ont frit périr les mouches des ruches à la mere de
chacune defquelles j’avois mis une tache rouge fur le
corcelet, ou qui ont empêché ces ruches de jetter; mais
j’efpére être dans la fuite en état de parler plus affirmati¬
vement. Il efi pourtant très-probable que c’ell toêijours,
ou prefque toujours une jeune mere qui fe met à la tête
de i’effiaim. J’ai vu beaucoup de nreres qui étoient forties
avec des effiiims, & je n’en ai jamais vû aucune qui n’eût
les ailes bien faines; au lieu que j’ai obtervé dans plusieurs
ruches anciennes, tics meres dont la bafe de l’aile étoit
déchiquetée, & de laquelle de petits lambeaux étoient
tombés.
La couleur de celles qui avoient conduit des effaims
m’a paru moins rougeâtre que la couleur des vieilles meres.
Quand celle d’une ruche périt, fi elle y périt dans un
temps où de jeunes femelles font prêtes à te transformer,
il efl tout naturel qu’elle foit remplacée par une de celles-
ci. On pourrait être tenté de croire que la vieille mere
efi du
des Insectes. XII. Mem. 649
efl du nombre des femelles qui font fouvent facrifiées au
bien public dans la ruche même. Cependant toutes les
femelles mortes dans ce temps, qu’il m’a été permis d’ob-
ferver, m’ont paru être des fémelles nouvellement méta-
morphofées.
La mere qui a plus de mouches dans fa ruche, y elî
tenue plus chaudement pendant tout l’hiver. Le prin¬
temps vient pour elle plutôt que pour les autres ; elle peut
recommencer (à ponte de meilleure heure. Nous lça-
vons que la ponte des poules eft retardée ou même ar¬
rêtée par le froid, & qu’on Lit pondre pendant l’hiver
celles qu’on tient dans des caves ou dans d’autres lieux
chauds. Il en doit être de même des infeéles. I! y a quel¬
quefois des rneres abeilles qui pondent en hiver, j’ai quel¬
quefois trouvé dans le mois de Janvier, du couvain en
tous états dans une ruche. Quelle que foit la caufe pour
laquelle les abeilles fe multiplient h fort dans certaines
ruches en comparaifon de ce qu’elles fe multiplient dans
d’autres, je crois devoir dire combien il peut y avoir de
mouches dans certains e(faims. Je crois devoir raconter
comment je parvins à connoître à peu près le nombre de
celles qui compofoient le plus confidérable e(Taim que
j’aye vû.
Dans un de mes jardins de Charenton, il y a une butte
allés élevée fur laquelle j’avois placé une ruche vitrée
d’une grande capacité *. Cette ruche quoique très-peu- *pi. 22. fig.
plée de mouches, palfa une année fans donner d’elîaim ; 5 *
mais l’année fuivante elle en donna un, qui feul valoit
plufieurs clftums ordinaires. En montant à la butte dont
je viens de parler, on trouve diverfes terralfes. Une
allée de figuiers eft plantée tout du long du pied de la
première; leurs branches tombent fur cette même ter¬
naire. Le neuvième Juin fur les 10 heures du matin, une
Tome V. . Nnnn
6 50 Mémoire pour l’Histoire
nuée d’abeillesTortit de la ruche de la butte. Ces mouches
loin de s’élever en fortant, s’abaifTérent, & vinrent le pla¬
cer à louhait ; elles commencèrent à fe pofer fur deux me¬
nues branches de figuier, fur deux de celles qui pendoient
au-deflus de la terrafle. Ces branches étoient peu dihan¬
tes l’une de l’autre, & à peu près parallèles l’une à l’autre;
les mouches s’y attroupèrent, & en fi grand nombre, que
les branches qu’elles avoientchoifies, qui n’étoient pas plus
greffes que le pouce, n’étoient pas allés fortes pour rélifter
au poids dont elles étoient chargées ; elles furent contrain¬
tes de ceder. La dernière portion de chaque branche fut
amenée à être perpendiculaire à l’horilbn fur une longueur
de plus de deux pieds : bientôt même une de ces deux
branches fe trouva chargée d’un poids prefque double ;
les abeilles de l’autre vinrent fe réunir aux fiennes. Je
craignis, non fans fondement, qu’elle ne pût réfilter à un
fi grand fardeau, je fis paffer deffous une fourche de
bois * dont le bout fut piqué en terre; je la fis foutenir
comme on foûtiem les branches trop chargées de fruit—
Toutes, ou prefque toutes les abeilles fe rendirent fur cette
branche ; & malgré le fupport, elles amenèrent fon bout
très-près de la terre de la terraffe ; il en étoit au plus éloigné
d’un ou de deux pouces. La maffeque forment les mouches
attroupées eft de différente figure dans différents efïàims,.
fa figure même eff différente dans le même eiTaim en diffé¬
rents temps. Celui dont nous parlons, étoit plus gros que
* t, e. partout ailleurs à fon bout inférieur *. Sa figure étoit celle
d’un parallelepipede dont deux des côtés avoient chacun
environ fix à fept pouces de largeur fur fept à huit de
hauteur. Sur ce parallelepipede de mouches s’élevoit une
pyramide, qui, infenfiblement s’arrondiffoit. Le paralle¬
lepipede & la pyramide avoient enfemble plus de deux
pieds de hauteur.
DES INSECTES. XII. Ment. 6 5 r
Dans un tel maflif de mouches, il devoit y en avoir
lin nombre bien confidérable. Je fus curieux de connpî-
tre ce nombre. La manière d’y parvenir étoit de com¬
mencer par connoître le poids de l’eflàim. Il étoit place
fi commodément, qu’il fèmbloit s’être mis exprès pour
m’inviter à le pefer; quand je l’eufle placé moi-même,
je 11’eufle pu le mettre mieux. Il me parut donc qu’il me
(croit alfés facile de parvenir à le peler avec une balance
Romaine ; & voici comment je m’y pris. On entoura d’une
ficelle *, la branche qui portoit l’eflaim, alfés près de la *PI. q7.fi»,
partie fupérieure de cet eflaim, & on l’y arrêta bien par 2> c,d '
un nœud *. Au-defTus de l’endroit où cette ficelle étoit * n.
arrêtée, on avoit eu foin de former une boucle deftinée à
iaiffer paffer le crochet * de la romaine, & au moyen de * c .
laquelle l’effaim pourrait être fufpendu en l’air.
Apres cette petite préparation, on pafla une perche de
bois * dans cet anneau de fer * de la romaine qui efl au- * Fig. 1. u,
deffus du fléau , & qui fert à la fufpendre. Deux boni- * a.
mes entre lefquels étoit l’effaim, furent chargés de foûte-
nir la perche qui portoit la romaine; un de fes bouts fut
mis fur l’épaule de l’un, & l’autre bout fur l’épaule de
l’autre; enfin, on pafla le crochet * de la romaine qui efl * c „■
deftiné à porterie poids dans la boucle de la ficelle qui fe
trouvoit au-deffus de l’eflaim. Il ne refta plus alors qu’à
couper la branche du figuier, Si à la couper fins l’agiter
trop, fans inquiéter l’effaim qui y étoit attaché; c’efl ce
qui fut exécuté aifément &. promptement. Dès que la
branche eût été coupée, elle ne fut plus foûtenuë que
par la corde dans laquelle le crochet de la romaine étoit
paffé; il fut donc facile de la pefer avec l’eflaim dont elle
étoit chargée; on eut le temps de pefer & repefer à loifîr.
Pendant tout celui qui fut néceflaire à cette opération, les
mouches ne fe troublèrent point, elles relièrent tranquilles,
Nnnn ij
6>2 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
Il y eut pourtant un mitant qui donna quelqu'inquié-
tude à un des domdiiques qui foûtenoit la perche. Lit
gros de mouches le détacha, prit l'a route vers une
de les jambes & monta deiius : il craignit, &. il eut
quelque lieu de le craindre , que tout l’elïaim ne lè dé¬
terminât à préférer fa jambe * la branche de figuier;
mais il en lut quitte pour un peu d’inquiétude. Les
mouches qui s’étoient aifemblées fur fit jambe, ne furent
pas long-temps à retourner vers leurs compagnes qui
ne s’étoient pas déterminées à les luivre. On fit durer
l’opération au-delà de ce qu’il étoit nécclfaire, parce
qu’il y avoit des plaques d’abeilles fur la terraife qu’on
eût voulu voir réunies au gros ; mais enfin, on s’en tint
à pefer celles qui étoient attachées à la branche, 6. la
branche elle-même. On trouva que le tout pefoit huit
livres, & on arbitra qu’il eût pelé huit livres & demie, fi
les abeilles qui étoient en plaques par terre, 6c celles qui
ctoient en l’air, eullent été réunies aux autres. Sur le
champ on préfenta à cet elïaim une ruche dans laquelle
on força une partie des mouches d’entrer, 6c dans laquelle
les autres fe rendirent de bonne grâce. On eut alors la
branche fur laquelle elles avoiênt été jufques-là, on la
pela, fon poids n’étoit que de fix onces. Celui des mou¬
ches peut donc être mis à huit livres, fans rifque de le
mettre trop fort.
Mais combien fuit-il de mouches pour faire un poids
de huit livres! Alfurément, il doit en falloir un grand
nombre. Pour connoître à peu près ce nombre, je mis
l’après-midi dans un des bail in s d’une balance, une demi-
once^ dans l’autre badin, autant de mouches qu’il en fallut
pour faire équilibre. Ces mouches étoient de celles qui
avoient été tuées dans des combats acharnés qui fe livrè¬
rent dans la ruche, à l’occalion d’une troupe d étrangères
des Insectes. XII. Mem. 6 53
qui s’y introduifit,&dont j’ai parlé ailleurs*. Cent foixante-
huit de ces mouches mortes, nepeférent que la demi-once.
Dans une once, il y a donc trois cens trente-fix mouches;
& dans feize onces ou une livre, il y en a cinq mille trois
cens fôixante-feize. Par conféquent, l’effaim qui pefoit
huit livres, étoit compofé de quarante-trois mille huit
mouches. A la vérité, les mouches vivantes de l’eflàim
pouvoient être plus pelantes que celles qui avoient été
tuées. Celles-ci pouvoient s’être vuidées. Plufieurs des
autres pouvoient être chargées de cire. J’ai auffi trouvé
quelquefois des mouches mortes qui étoient plus pelan¬
tes; j’en ai pefé dont il ne falloit que deux cens quatre-
vingt pour faire une once. Par ces confidérations, rédui-
fons fi l’on veut le nombre de nos mouches, à quarante
mille. Il eft encore plus confidérable que celui des habi¬
tants de plufieurs grandes villes. Je ne crois pas qu’il fût
relié dans l’ancienne ruche, à beaucoup près, autant d’a¬
beilles qu’il en étoit forti. Elle avoit un nombre de faux-
bourdons fi confidérable, qu’ils ne purent être détruits
pendant l’été ; aulfi cette ruche fut abandonnée au prin¬
temps.
Charles Butler, qui apparemment avoit pris la peine de
pefer des abeilles, dit que q.4.80 mouches font à peu près le
poids d’une livre, ce qu’on trouvera ne s’éloigner pas beau¬
coup de ce que nous avons déterminé, h on compare la
forte livre Angloife à la nôtre de feize onces. Par ce poids, il
apprécie le mérite des effaims. Il dit qu’un excellent efïàim
pefe fix livres Angloifes; un bon, cinq livres; un médiocre,
quatre. Il 11’a point dit la manière dont il a pefé les effaims,
mais il eft tout fimple de l’imaginer pour les cas où ils ne
font pas auffi favorablement placés que l’étoit celui dont
nous venons de déterminer le poids ; car il ne s’agit que de
pefer la ruche dans laquelle l’on en veut loger un, & d’avoir
N nnn iij
* Mem. v ;
6 54 MEMOIRES POUR L’HiSTOïRE
eu foin d’attacher à cette ruche un crochet ou une corde;
au moyen de laquelle on la pourra pefer une fécondé fois,
dès que les mouches y feront toutes entrées,&avant qu’elles
ayent eu le temps d’y travailler, c’elt-à-dire, dès le jour
même où elles y auront été établies. L’excès du lècond
poids fur celui qu’on avoit trouvé à la ruche, fera le poids
de l’eflaim, & mettra en état de calculer à peu près le
nombre des mouches dont il eh compofé. J’ai aflès ordi¬
nairement la curiofité de faire pefer ainfi les eflaims que
mes ruches me donnent. J’en ai eu quelquefois de fi légers
qu’ils ne pefoient pas line livre.
Si l’effaim qui a été mis dans une ruche,s’y trouve bien,
il n’y eh pas long-temps dans l’inaèiion ; quoique toutes
les mouches y paroiffent en repos, quoiqu’il n’en forte
aucune pour aller à la campagne, foit quelles n’y l'oient pas
difpofées, foit que le temps ne le permette pas, il y en
a pourtant qui travaillent à faire des gâteaux ; & ce n’efl;
fouvent que quand elles ont fait des morceaux longs de
plus d’un demi-pied ou d’un pied, & larges de plufeurs
pouces, qu’on s’apperçoit que parmi ces mouches qu’on
croyoit parfaitement oifives, il y en a eu plufeurs de très-
occupées, ou plutôt que toutes ont été occupées tour
à tour.
Une des marques que les mouches aiment la ruche
qu’on leur a donnée, c’eft quand elles y montent aufli
haut qu’elles peuvent monter, & que c’elt-là qu’elles fe
mettent en grouppe. C’eft au fi au haut de la ruche qu’elles
attachent ordinairement les premières cellules du premier
gâteau. Le maffif qu’elles forment n’elt pas alors maffif juf-
qu au centre ; les abeilles y confervent un vuide dans lequel
elles fepropofent de travailler; elles y conftruifent fuccef-
fivement un grand nombre d’alvéoles de cire. Ce n’eft que
quand l’alfemblage de ces cellules compofe déjà un affes
des Insectes. XII. Mem . 655
long 6c large gâteau, quelles le laiflent à découvert.
La pluye ne difcontinua pas pendant deux jours qui
fuivirent celui où il m’étoit arrivé d’établir un efiaim dans
une ruche. Il ne fut pas polfible pendant ces deux jours
à aucune des abeilles de fortir, 6c toutes les fois que je les
regardois au travers des carreaux de verre, elles me pa-
roifToient dans une efpéce d’engourdiflfement, tant elles
fe mouvoient peu. Cependant au bout de ces deux jours,
je vis un gâteau qui avoit plus de quinze à feize pouces-
de long, 6c quatre à cinq de large. La formation de ce
gâteau auroit été difficile, ou plûtôt impoffible à expli¬
quer à ceux qui ont cru que la cire n’étoit que de la cire
brute que l’abeillepeftrit, 6c quelle humeéle de quelque
liqueur pendant qu’elle la peffiàt. Où les abeilles qui n’é-
îoient point forties de leur ruche, auroient-elies pris la
cire brute qui y avoit été nécefiaire! Quelques douzaines
d’abeilles au plus, qui pouvoient en avoir des pelotes à leurs
jambes, lorfque toutes avoient été logées dans la ruche,
n’auroient pas eu de quoi fournir même à quelques cellules.
Mais on n’eft plus ernbarraffé à trouver de quoi former un
grand gâteau, dès qu’on fçait, ce que nous avons prouvé
ailleurs, que les abeilles en font fortir la matière de leur*
intérieur, de leur eftomac 6c de leurs inteffins. Quelque
peu qu’il y en ait dans le corps d’une abeille, dès qu’il'
y en a dans les corps de prefque toutes celles d’un
effiaim, il y en a de quoi fournir à bien de l’ouvrage..
Enfin, les gâteaux qui font faits dans la circonfiance dont'
nous venons de parler, prouvent incontefiablement que"
les abeilles digèrent la cire brute pour la convertir en vé¬
ritable cire.
Lorfque le temps efi favorable à î’eflaim mis en ruche, - ,
îorfqu’un air doux 6c un beau Soleil invitent dès le lende¬
main les mouches à fortir de leur nouvelle habitation,elles'»
656 MEMOIRES POUR L’HiSTOÎRE
vont à la campagne. Quelques-unes, mais c’eft le plus petit
nombre, reviennent avec des pelotes de cire brute. Celles
qui ne parodient pas rapporter de cette matière, en appor¬
tent peut-être de plus prête à être mife en œuvre; elles l’ont
fait palier dans leurs eftomacs pour l’en faire fortir toute
préparée. C’eft une chofe admirable que l’aélivité avec
laquelle elles travaillent dans la nouvelle ruche. Quelque¬
fois en moins de iq. heures, elles font des gâteaux de
plus de vingt pouces de long fur fept à huit de large. J’ai
vû quelquefois des ruches plus d’à moitié remplies de cire
en quatre à cinq jours. Auifi un efiaim fait-il louvent plus
de cire dans les premiers quinze jours, qu’il n’en fait dans
tout le refte de l’année. Pour tirer des abeilles grand parti
en cire, il fembleroit donc qu’il n’y auroit qu’à les faire dé¬
loger tous les quinze jours. Mais il faut que le nombre des
ouvrières qui périffent journellement, foit remplacé par
d’autres auxquelles la mere donne naiftance; & fi on ôtoit
fi fréquemment à une ruche tous les gâteaux de cire, on
ôteroit en même temps les œufs & le couvain qui doivent
l’entretenir auiïi peuplée qu’elle i’eft, Si même la rendre
plus peuplée.
La conftruélion des gâteaux de cire n’eft pas le feul ou¬
vrage qui occupe les abeilles nouvellement établies dans
une ruche; elles en vifitent tous les coins Si recoins, elles
en ôtent toutes les ordures ou tout ce qui eft pour elles
des ordures. Quand les carreaux de verre font retenus par
des bandes de papier collé. Si que ces bandes font en-de¬
dans de la ruche, ces bandes, comme nous l’avons déjà dit,
déplaifent aux abeilles, elles les regardent comme une mal¬
propreté; elles les rongent Si en emportent les fragments
hors de la ruche. En ôtant ce papier, elles rendent pourtant
leur habitation moins clofe, elles y font des ouvertures
quelles n’y aiment pas ; aufli 11e tardent-elles guéres à les
boucher,
des Insectes. XII. Ment. 657
Loucher, comme nous l’avons dit ailleurs, avec un maltic
plus folide que celui que nous employons à un ufage fem-
Llahle, avec cette efpéce de réfute rougeâtre, & d’une
agréable odeur, qui a été nommée propolis. Elles bou¬
chent avec la même matière toutes les autres ouvertures
qu’on peut avoir lailfiées à la ruche. Enfin, lorfque l’cfiaim
étoit confidérable, & lorfqu’il a paru de bonne heure, il
donne quelquefois lui-même un autre elfiiim dès la même
année; il elt pourtant plus ordinaire aux environs de Paris,
de 11e les voir jetter que l’année fuivante.
EXPLICATION DES FIGURES
DU DOUZIEME MEMOIRE.
Pl.anche XXXVII.
La Figure 1 fiait voir un petit efiaim d’abeilles attaché
à une branche d’arbre, qui a une figure qu’ils ont alfés
ordinairement, ee, cet elfiiim.
La Figure 2 repréfente un elfiiim beaucoup plus con¬
fidérable que le précédent, le plus confidérable que j’aye
vu, & les difpolitions au moyen defquelles je parvins à le
peler avant que de le faire entrer dans une ruche, f tige
ou grolfie branche du figuier, fur une des petites bran¬
ches duquel les mouches fe raffiemblerent. Le pied de ce
figuier étoit planté au bas d’une terralfie, dont t,t, efl le
déifias, r, r, r, &c. branches qui ont été coupées pour em¬
pêcher la figure d’être trop confufe. e e , h h, i i, l’effiaim qui
par fon poids forçoit la petite branche à laquelle il s’étoit
attaché à être dans une pofition verticale. La portion in¬
férieure de l’elfiiim eehh, eut d’abord la figure cl’un pa¬
rallélépipède, mais les angles de ce parallelepipede s’effacè¬
rent par la fuite, p, perche qui fut mife comme on la voit
Tome V . O 000
6 58 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
ici pour foûtenir avec fa fourche la branche trop chargée
par les mouches, d, corde que je fis attacher autour de
la branche de leflaim lorfque je me fuspropofé de le pe-
fer. n , nœud de la corde autour de la branche, c, le cro¬
chet d’une romaine qui eft engagé dans une boucle de la
corde. //, levier qui paffoit dans l’anneau de fer a, auquel
la romaine étoit fufpendue.
>/ s7- M " n 11
4
des Insectes. XIII. Mem . 6 59
TREIZIE'AI E AI E'AI 0 1 RE.
DES SOINS QU’ON DOIT PRENDRE
DES ABEILLES
POUR LES CONSERVER,
LES FAIRE MULTIPLIER,
ET POUR PROFITER DE LEURS TRAVAUX.
C E S Tociétés de mouches fi indufirieuTes, pour les¬
quelles les Mémoires précédents ont dû nous rem¬
plir d’admiration, travaillent pour nous: nous ne Tommes
pourtant pas obligés de leur fçavoir grand gré de leurs
ouvrages, que nous nous approprions contre leur inten¬
tion; mais celui qui les a fi bien inftruites, fçavoit que
nous profiterions de leurs travaux ; & c’eft à lui que notre
reconnoiflance eft due. Notre intérêt nous porte à Tou-
haiter la multiplication de ces mouches, & à y contribuer
autant qu’il efi en nous. On ne fçauroit avoir trop de ces
ouvrières qui ne vivent point à nos dépens, & qui, Tans
que nous Toyons obligés de labourer, de planter, de Tenter
& de cultiver pour elles, font des récoltes qui nous font
extrêmement utiles. Quoique le miel ne Toit pas aulfi re¬
cherché qu’il l’étoit dans les temps où Ton ne connoilToit
point ou preTquepoint le Tucre, il a encore une valeur; ii
efi: au rang des aliments Tains & des remedes doux. Mais fi
le miel a un peu perdu, la cire a beaucoup gagné; la con-
fommation en efi confidérablement augmentée dans tous
les pays policés, & plus peut-être en France, 6 c Tur-tout à
O o o o ij
6 ' 6 o Mémoires pour l’Histoire
Paris, qu’en aucun pays & aucun lieu du monde. Il feroit
à fouhaiter qu’elle pût feule fuffire à nous éclairer, qu’on
pût le palTer pour cet ufage, de toutes les autres matières
combullibles.
11 n’y a plus de pays barbare fi le commerce y conduit,
où la valeur de la cire l'oit ignorée , comme elle l’étoit au¬
trefois chés les Livoniens, qui prenoient pour un marc
inutile,& rejettoient les gâteaux dont le miel avoit été expri¬
mé. On va la chercher dans toutes les contrées où on en
peut faire des récoltes, qui font le produit du travail, loit des
abeilles qu’on tient en ruche, loit de celles qui habitent
des creux de troncs d’arbres dans des forêts. 11 faut four¬
nir à la confommation que tant d’arts en font. La Méde¬
cine & la Chirurgie Jçavent s’en fervir pour nous donner
des fecours ; mais la quantité que nous en brûlons furpafie
beaucoup la quantité de celle qui eft employée à tous les
autres ulages enlcmble. On épargneroit chaque année des
Tommes confidérables au Royaume, fi on n’étoit plus
obligé de tirer de la cire des pavs étrangers. Ce n’eft pas
ici la matière première qui nous manque, ce. ne font que
les ouvrières néceffaires pour la mettre en œuvre. Quels
regrets n’auroit-on pas, fi, dans un pays rempli de coteaux
les mieux expofés, couverts de vignes chargées de rai fin s à
maturité, & propres à donner le meilleur vin, on étoit obli¬
gé, faute de vendangeurs, de laiffer pourrir ou fécher tant
de raifins fur les ceps! fi on n’avoit des ouvriers que pour
faire la récolte de ceux de quelques petits clos voifins des
maifons! Nous n’y faifons point d’attention , nous ne nous
avifons pas d’en avoir des regrets, quoique nous foyons
tous les ans dans un cas femblabie par rapport aux récol¬
tes de cire & de miel. Le nombre des fleurs qui remplif-
fent la campagne, eft immenfe en comparaifon de ce¬
lui des fleurs des jardins, des champs & des prairies qui
des Insectes. XIII. Mem. 66 \
environnent chaque village; c’eft-à-dire, que la quantité
des fleurs qui ont de la cire & du miel qui y font en pure
perte, cfl immenfe, en comparaifon de la quantité des
Heurs fur lelquelies les abeilles en vont recueillir. Enfin, il
eri évident qu’une quantité de cire& de miel qui furparie
prodigieufement celle que nous fournit le Royaume cha¬
que année, eft perdue, parce que nous manquons d’abeilles
qui aillent la ramafier.
On ne doit pas mettre néantmoins au nombre des
choies poriïbles, le projet de faire recueillir chaque année,
toute la cire Si tout le miel, ni même la plus grande par¬
tie de la cire & du miel que les plantes du Royaume four-
niffent ; mais il n’eri pas hors de vraifemblance, il eft
même très-probable qu’on y pourroit augmenter confi-
dérablement ces deux fortes de récoltes, puifqu’il n’y a
qu’à y multiplier les abeilles. Il eft étonnant combien il y
en a peu dans divers cantons du Royaume où elles le
trouvent très-bien. Je comtois en Poitou un grand nom¬
bre de paroiffes , fituées auprès des bois, environnées de
prairies, & qui ont des champs où l’on fente du bled itoir;
c’eft-à-dire, des paroiffes fituées au mieux pour les abeilles,
& où il y en a cependant très-peu. La plûpart des métai¬
ries n’ont point de ruches; Si il ne devroit pas y avoir un
jardin de payfan qui n’en eût. Ceux cependant qui ont
commencé d’en avoir, y font un profit qui les engage à
les conlèrver. Le Gouvernement fi attentif aujourd’hui
au bien public, pourroit tirer les gens de la campagne de
l’indolence où ils font fur cet article, en leur donnant des
aflurances, que non-feulement leur taille ne feroit point
augmentée a caufedes produits qui leur pourroient venir
des abeilles; mais en accordant même chaque année une
petite diminution de taxe à celui qui aurait un certain nom¬
bre de ruches. On pourroit, par exemple, fixer à cinq fols
Oooo iij
66 z Mémoires pour l’Histoire
ou environ de diminution par ruche, ou Amplement ac¬
corder cette diminution ou une plus grande par chaque
ruche au-deffus d’un certain nombre; par exemple, dix
fols pour chacune des ruches qu’on auroit par de-là le
nombre de dix ou de vingt.
Mais eût- on affés éclairé les payfans fur leurs anciens
intérêts,& par l’objet d’un intérêt nouveau, leur eût-on
fait délirer à tous, d’avoir des ruches d’abeilles, & d’en
avoir beaucoup, tout ce qui en arriverait, c’eft qu’elles
feraient une marchandife plus fouhaitée, & qui par-là de¬
viendrait plus cbere; mais de cela précifément le nom¬
bre des ruches n’en deviendroit'pas plus grand dans le
Royaume. Il n’en eft pas des abeilles comme des vers à
foye, qu’on eft maître de multiplier autant que l’on veut
quand on a de quoi les nourrir & qu’on en prend foin.
On n’efl pas maître de faire éclorre des abeilles, comme
on l’eft de faire éclorre des vers à foye. II n’efl pas mê¬
me temps de fonger à en faire venir des pays étrangers.
Peut être que par la fuite on pourra établir un commerce
de ruches d’abeilles avec ceux qui ramaffent une grande
quantité de leur cire dans de vaftes forêts; qu’on pourra
leur apprendre à vendre les abeilles mêmes après les avoir
mifes dans des logements convenables. Mais c’eft là une
de ces vûes, qui, quand elles réuffiroient, ne réuffiroient
de long temps. II faut que bien des circonfîances fe foient
réunies, avant que nous voyions des vailfeaux revenir
d’Afrique chargés de ruches d’abeilles, comme ils le font
de Nègres ; ou, avant que nous faffions paffer en France les
abeilles des forêts du Nord, qui font peut-être celles qui
s’accommoderaient le mieux de notre climat.
Il ne nous refie donc aéluellement qu’à fonger aux
moyens de faire multiplier dans le Royaume, les abeilles
qui y font ; & ces moyens fe réduifent à empêcher qu’il
des Insectes. XIII. Mem. 66 3
n'y périfle autant de ruches qu’il en périt chaque année.
Tous les Auteurs, tant anciens que modernes, qui ont
écrit de la vie ruflique, ont donné des préceptes par rap¬
port aux l'oins qu’on doit prendre des abeilles dans le
cours de l’année. Ces préceptes font aufii rapportés, Se
quelquefois avec plus détendue, dans des traités particu¬
liers dont les Auteurs fe font bornés à parler des mouches
à miel : nous tâcherons de ne rien obmettre dans ce Mé¬
moire , de ce qui a été dit d’utile pour conferver ces mou¬
ches Se pour en tirer plus de profit. Mais ce qui nous a
paru le plus elfentiel, c’elt de difeuter les moyens qu’on
peut employer plus fûrement pour les empêcher de périr
pendant l’hiver Se au commencement du printemps; car
c’efl alors qu’arrive chaque année la grande mortalité des
abeilles.
On perd tous les ans dans plufieurs provinces du
Royaume, Se même aux environs de Paris, un grand
nombre de ruches, parce qu’on veut les perdre. 11 s’y cft
établi une pratique aufil mal entenduë que barbare, car
elle eft contraire aux intérêts de ceux qui y ont recours.
Pour avoir le miel & la cire, on n’y fçait autre choie que
de faire périr toutes les mouches par qui les récoltes en
ont été faites avec tant d’adrelfe Se de foins. Quand une
ruche eft devenue bien pefante, quand elle elt bien rem¬
plie de gâteaux de cire qui ont beaucoup de miel, on fait
lin trou en terre capable de recevoir le bas de la ruche;
dans le fond de ce troui on jette quelques linges foufirés
6e tout allumés, on pôle aulfi tôt la ruche deffus la vapeur,
6e on ramené tout autour affés de terre pour empêcher
les mouches Se la fumée même de s’échapper. L’odeur
forte de lôuffre dont la ruche fe trouve bientôt remplie,
étouffe dans peu de temps toutes les miférables abeilles.
On a même enfeigné différents moyens pour cette
I
664 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
belle opération. Vandergroen que nous avons déjà cité,
ou Je Jardinier des Pays-Bas, prefcrit d’allumer cinq à
fjx tourbes dans un trou creufé en terre, & de mettre la
ruche dans ce trou quand les tourbes commencent à fil¬
mer. Il nous apprend que d’autres fe fervent de fumée de
veffes de loup : qu’on fait tomber dans un bacquet les
mouches étouffées & celles qui ne font qu’étourdies, où
on les pile avec les gâteaux de miel & de cire. Voilà un
beau procédé ! Butler donne de même des moyens de les
faire périr par la fumée du louffre & par celle des veffes
<le loup. Il veut prouver de plus que cette voye eft la feule
de tirer du profit des abeilles en Angleterre. Qu’il n’y a
que dans des pays plus abondants en fleurs, comme la
Grece, la Sicile & l’Italie, où il convienne de les châtrer;
c’eft - à-dire, de partager avec elles la cire & le miel.
Dans les endroits où ce procédé auffi mal-habile que
cruel, efl en ufàge, on cherche à le juflifier, en difant que
l’on ne fait périr de la forte que de vieilles mouches de
qui il n’y a plus rien à attendre, qui ne donneroient pas
d’effaim l’année fui van te, & qui mangeraient pendant
l’hiver, une grande partie du miel qu’elles ont amaffé.
Le vrai efl auffi, que c’efl à l’envie d’avoir quelques livres
de miel de plus, qu’011 fterifie tant d’ouvrières capables
par elles-mêmes d’en ramaffer d’autre, & de contribuer
à élever de nouvelles ouvrières par lefquelles elles feraient
remplacées quand elles viendraient à périr : car par rap¬
port à la cire, il n’y a à craindre Aucune diminution pour
celle qu’on laiffe pendant l’hiver dans la ruche. Mais
ceux qui allèguent de fi mauvaifes raifons pour mettre
à mort tant de mouches laborieufes, fçavent - ils auffi
fûrement qu’ils le difent, qu’elles n’euffent pas fubfiflé
encore plufieurs années, pendant lefquelles elles euffent
donné des effiiims dont chacun eût lui-même produit
d’autres
des Insectes. XIII. -Ment. 66 5
d’autres eflaims! S’il y a telle ruche dont les mouches pé¬
riment par quelque accident au bout de quatre à cinq ans,
ou plûtôt, il y en a d’autres qui durent huit à dix ans; & un
de mes payfans en a conlérvé une pendant plus de trente
années. Combien d’effaims eu fient été perdus, fi on eût
fait périr les mouches de cette dernière ruche lorfqu elles
ne l’avoient habitée que pendant trois ou quatre ans!
C’eft même entendre mieux fes intérêts par rapport
à la quantité de miel & de cire qu’on retire d’une ruche,
de lui retrancher en différentes années & en différentes
faifons de l’année, une partie de ce quelle en a , comme
on le pratique en divers pays, que de vouloir tout lui ôter
à la fois. La fomme des quantités que l’on en tire à plu-
lieurs reprifes, excède probablement la quantité que l’on
en retire en prenant à la fois tout ce qu’elle a; & en con-
fervant les mouches, on conferve les eflaims quelles don¬
nent, & les eflaims de ces eflaims.
Enfin, fi on veut enlever aux mouches d’une ruche
tout le produit de leur travail, faut-il vouloir en même
temps leur ôter la vie! Ne devroit-on pas plûtôt cher¬
cher à la leur prolonger! Ne doit-on pas tout tenter
pour elles! Pourquoi ne les pas faire paffer dans une au¬
tre ruche! Si la faifon n’eftpas trop avancée, la néceffité
où elles fe trouveront de travailler, les mettra en état de
pourvoir leur nouvelle habitation pour y paffer l’hiver.
Si on a pour elles les mêmes attentions qu’on a pour les
abeilles des ruches foibles, on parviendra peut-être à les
faire vivre julques à la faifon où la campagne fournira à
tous leurs befoins. Enfin, nous allons voir dans le mo¬
ment , que quantité de ruches qu’on appelle des ruches
foibles, ne périffent pendant l’hiver, que parce quelles
ne font pas affés peuplées. Pourquoi ne pas réunir aux
mouches d’une ruche foible, celles auxquelles on veut
Tome V. • P PP P
666 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
ôter tout ce qu elles ont de cire & de miel i Ces mouches
réunies vivroient pendant l’hiver, & on auroit au prin¬
temps une ruche bien peupiée d’abeilles , qui dédomma-
geroient avec ulure du peu de miel qu’il auroit fallu leur
donner pour fubfifter, s’il avoit fallu leur en donner.
Alexandre de Montfort dans fon Printemps des abeil¬
les, dont nous avons déjà parlé, cite une loi faite par un.
Grand-Duc de Tolcane, qui défend de faire ainfi mou¬
rir les abeilles , fous peine de punition arbitraire. Une pa¬
reille loi devroit être établie dans tous les pays policés; &
fi die l’eût été en France, nous y aurions apparemment
beaucoup d’abeilles qu’une avidité mal entendue nous a
fait perdre.
Mais dans les pays où l’on ne fait pas périr de gayeté
de cœur des mouches li utiles, on perd beaucoup de ru¬
ches chaque année, depuis le mois de Novembre jufques
à la fin d’Avril. Il y a telle année où l’on en perd plus de
la moitié, & il n’y en a gueres où l’on n’en perde quel¬
ques-unes. Nous n’entrerons point aétueilement dans le
détail (les maladies auxquelles les abeilles font lu jet tes, ni
des remèdes par lelquels on prétend les guérir, car ces
mouches ont depuis long-temps leurs médecins. Nous
ne voulons d'abord parler que des deux grands fléaux qui
détruifènt les ruches entières, ce font le froid àx la faim»
Si l’on défëndoit les abeilles contre l’un & l’autre, on (è
trouverait prefque toujours au mois de Mai, le même
nombre de ruches qu’on avoit à l’entrée de 1 hiver.
Eli-il li difficile de défendre les abeilles contre le froid
Sc la faim l 11 i’efî plus qu’on ne le croirait Les précau¬
tions prifes contre le froid peuvent elles -mêmes faire
mourir les abeilles de faim 11 a été établi avec une fagefîe
que nous ne pouvons nous empêcher d’admirer, c’efl-
à-dire, avec cette fageffe ayec laquelle tout a été fait Sc
des Insectes. XIII . Mem . 66 7
compafle dans la nature, que dans la plupart du temps
où la campagne ne peut rien fournir aux abeilles, elles
n’ont plus beloin de manger. Le froid qui arrête la vé¬
gétation des plantes, qui fait perdre à nos prairies & à
nos champs leurs fleurs, met les abeilles dans un état où
la nourriture cefle de leur être néceffaire; il les tient dans
une efpéce d’engourdiflement pendant lequel il ne fe fait
chés elles aucune transpiration, ou au moins, pendant
lequel la quantité de ce quelles tranfpirent efl fi peu
confidérabte, qu’elle peut n’être pas réparée par des ali¬
ments, lans que leur vie courre rilque. £n hiver pendant
qu’il gele, on peut confidérer fans crainte l’intérieur des
ruches qui n’ont pas des parois tranfparentes; car on peut
les coucher fur le côté, & même les renverfer fans deiïùs
deffous, fans mettre aucune abeille en mouvement. On
les voit entaflees & très-preflees les unes contre les autres;
peu de place aufli leur liiffit alors : elles font ordinaire¬
ment entre les gâteaux vers leur partie inférieure, ou au
plus, vers le milieu de la hauteur de la ruche.
Si le dégel furvient, fi l’air fe radoucit, & fur-tout fl
les rayons du Soleil tombent fur la ruche & l’échauffent,
les mouches à miel fortent de leur efpéce de léthargie ;
elles agitent leurs ailes, elles fe mettent en mouvement,
i’aélivité leur efl rendue. Mais les befoins de prendre des
aliments reviennent alors, & la campagne ne pouvant leur
en fournir, elles ont recours au miel & à la cire brute
qu’elles ont mis en provifion dans leur ruche. Elles ôtent
les couvercles qui bouchent les alvéoles où efl contenu
le miel qu’elles veulent manger le premier : elles com¬
mencent par confirmer celui des gâteaux inférieurs, &
réfervent pour le dernier, celui des cellules les plus éle¬
vées. Elles ont une bonne raifon apparemment de man¬
ger d’abord le miel qui a été ramaflé le dernier, mais qui
Pppp ij
663 MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
peut ne nous être pas connue. Celui des cellules infe¬
rieures eft celui d’Eté ou d’Autorane, qui ne leur paroît
pas auffi propre à être confèrvé, qui peut-être s’épaiffit
plus vite que celui du Printemps.
Mais ce à quoi nous voulons faire faire attention, c’eft
que plus l’air doux continue pendant l’hiver, plus les
abeilles confument de miel, plus elles diminuent jour¬
nellement la provifion qu’elles en avoient faite, & plus
elles courent rifque de l’avoir entièrement confumée
avant que la chaleur du Soleil échauffe fuffifamment &
affés conflamment la terre pour faire paroître des fleurs.
Les abeilles qui ont été miles tard en ruche, qui n’ont pu
parvenir à frire une récolte de miel affés confidérable,
l'ont les premières réduites à jeûner, & enfuite à mourir
de faim.
J’ai à rapporter une obfervation propre à montrer com¬
bien un air affés doux pour laiffer aux abeilles leur vigueur,
eft à craindre pour elles pendant l’hiver. Un eflaim que
j’avois mis dans une ruche vitrée au commencement de
Juin , y travailla beaucoup par rapport au nombre des
mouches dont il étoit compolé. Les parties fupérieures
des gâteaux furent remplies de miel. Cependant comme
le nombre des mouches ne me paroiffoit pas grand dans
cette ruche , je craignis pour elles le froid de l’hiverJ.
D’ailleurs , j’étois bien aife d’obferver des abeilles qui
pendant l’hiver même fe trouveroient dans un air tem¬
péré. Après avoir bien bouché toutes les ouvertures de
la ruche où étoient celles dont je viens de parler, je la fis
porter à Paris & placer dans le cabinet même où je me
tiens ordinairement. Pendant la plus grande partie du
jour, la température de l’air y étoit marquée par dix à
douze, & affés fouvent par quinze degrés au-deffus
de la congélation ; ce qui indique un chaud à peu près
des Insectes. XIII. Mem66g
!cl que celui des beaux jours du printemps. Là ces abeil¬
les, qui étoient très-bien pourvues de miel par rapport à
leur nombre, à qui il en fût relié beaucoup au mois d’A-
vril, fi elles euflent été tenues dans un jardin , mangèrent
prefque tout le leur avant la lin de Février; & elles fe-
roient péries de faim, fi je n’euffe pris le parti de les met¬
tre dans un lieu plus froid, ou de leur donner d’autre
miel.
Un certain degré de froid efi donc favorable aux abeil¬
les ; celui qui 11e fait que les engourdir, les met hors de
danger de manquer trop tôt de vivres : mais un degré de
froid trop grand, un degré qui fait plus que les engour-
dir.leur efi funefie. Ainfi dans les rudes hivers les abeilles
courent rifque de mourir de froid, & dans les hivers doux,
elles font expofées à mourir de faim. Des Auteurs qui
ont allés bien traité de la manière de gouverner les abeilles,
prétendent même qu’il en périt plus dans les hivers doux
que dans les grands hivers ; on en voit afies la caufe.
Ceci pourtant ne peut être vrai qu’avec certaines refiric-
tions ; qu’en fuppofiint que quoique l’hiver ait été long,
le degré de froid n’a pas été exceflif. Celles de mes ruches
qui étoient fuffifamment peuplées, ont très-bien foûteim
le dernier hiver, quoiqu’il puiffe tenir rang parmi les plus
longs & les plus rudes hivers.
Cependant chaque abeille par elle-même n’efi pas en
état de foûtenir long-temps un grand degré de froid, un
degré de froid bien moins confidérable que celui qui fuf-
fit pour congeler l’eau. Je ne connois aucun infeéîeà qui
la chaleur foit auffi nécefiaire. Elles périfient de froid dans
un air dont la température paroîtroit afies douce à tous les
infeéles de notre climat. Comment peuvent-elles donc
vivre, lorfqu’on laifie les ruches qu’elles habitent dans des
jardins pendant des hivers où le froid fait delcendre la
Pppp iij
ôyo MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
liqueur du thermomètre de plufieurs degrés au - défions
de celui de la congélation, de dix à douze degrés î C’efl;
que l’air qui les environne immédiatement, efi bien éloi¬
gné d’avoir le degré de froid qu’a l’air du refte du jardin;
elles l’échauffent. On ne feroit pas étonné qu’un homme
qui fe feroit endormi pendant une forte gelée au milieu
d’un jardin, y fût mort de froid, pendant que des hommes
euffent pu avoir affés&même trop chaud dans un petit
cabinet bâti au milieu de ce jardin , où ils le feroient
trouvés en fi grand nombre & fi prefics les uns contre
les autres, qu’ils nauraient pu s’y remuer. Les abeilles
ferrées les unes contre les autres, échauffent l’air de leur
ruche, comme des hommes échaufferaient celui du ca¬
lai net ou nous venons de les entaffer.
On aura peut-être peine à croire que des mouches,
qui, lorfque nous les touchons, ne font pas fur nos doigts
line impreffion fenfible de chaleur, foient capables de
répandre dans l’air qui les environne, une chaleur telle
que nous la voulons faire imaginer. On ne pourra pour¬
tant s’empêcher de fe rendre aux expériences qui le prou¬
vent inconteftablemcnt. Dans le mois de Janvier, j’ob-
fervai un jour fur les deux heures après midi, que la li¬
queur d’un thermomètre que j’avois piacé en dehors d’une
ruche vitrée, mais tout auprès de cette ruche, étoit à trois
degrés au-deffous de la congélation. Un carreau de verre
qui étoit caffé près d’un coin, me donna la facilité d’y
faire entrer la boule & partie du tube du thermomètre
dont je viens de parler. Après que j’eus ôté le thermomètre
de defiùs fon cadre, je retirai le bois mince qui rempiif-
foit la place du morceau de verre qui étoit tombé ; & par
cette ouverture, je fis paffer la boule du thermomètre
dans la ruche. Je ne pus pourtant l’y faire pénétrer bien
avant ; les gâteaux de cire l’arrêtèrent ; & les gâteaux fur
des Insectes. XIII. Mem. 671
lefqucls elle fut arrêtée, étoient affés éloignés de ceux
entre lefqucls étoient les abeilles. La liqueur cependant
ne tarda pas à s’élever dans le tube ; elle monta a dix de¬
grés au - de dus de la congélation; elle eût monté beau¬
coup plus haut, fi la boule eût pu être pofée plus près
des mouches ; & h cette boule eût pu être mife au milieu
du maffif quelles formoient, la liqueur fe fût peut-être
autant & plus élevée quelle ne s’élève dans plufieurs de
nos jours chauds d’Eté.
Dans le mois de Mai, je fis pafier par le trou * de la * pi. 24.%.
traverfe fupérieure d’une ruche platte & vitrée, la boule 1 & -•
d un thermomètre; & après l’avoir fait defeendre dans la
ruche de cinq à fix pouces, j’arrêtai en dehors le tube
de ce thermomètre. Quelques heures auparavant j’avois
logé dans celle dont je parle, un elfaim peu nom¬
breux. Ses mouches n étoient point encore montées au
haut de la ruche. & elles y montèrent par la fuite. La
boule du thermomètre fe trouva prelque au centre du
maffif quelles formèrent. Je marquai la hauteur où, au
bout de quelques heures, elles avoient Lit éle/er la li¬
queur dans le tube. Alors je retirai le thermomètre, & le
remis fur la planche; & je vis que les abeilles avoient fait
prendre à la liqueur une chaleur exprimée par 3 1 degrés,
c’efl à-dire, une chaleur plus grande que celle de nos plus
chauds jours d’été; Si qui efi a peu près celle que prennent
les oeufs fous la poule qui les couve.
Les abeilles dont je viens de parler, étoient tranquilles^
mais quand elles marchent ou que fans voler , & fans même
changer de place, elles agitent leurs ailes, comme cela leur
arrive fouvent, elles font bien naître un autre degré de
chaleur .l’ai coniervé pendant I hiver des abeilles dans une
ruche conique Sc vitré*-, où je les avois fût paffer fans leur
avoir donné aucun gâteau de cire, ii m’eft fouvent arrivé
6j2 MEMOIRES POUR l'H'ISTOIRE
de les obferver, ou de leur donner du miel, pendant que
je les tenois dans un endroit où l’air n’avoit que peu de
degrés de chaleur au-deffus delà congélation. Les carreaux
de verre delà ruche paroilToient froids à mes doigts. Quand
il m’arrivoit d’inquiéter ces mouches, foit à deffein, foit
fans lavoir voulu; quand le grouppe quelles formoientfe
rompoit,&que tumultuairement elles le déterminoient à
marcher de divers côtés, & à faire un grand bourdonne¬
ment , dans peu d’inflants une chaleur fi confidérabie étoit
produite dans la ruche, que lorfque je touchois avec mes
doigts ces mêmes carreaux de verre qui m’avoient paru
froids, je les trouvois auffi chauds qu’ils eulfent été lï je
les eulfe tenus près du feu, & expolés à un degré de chaleur
qu’on a peine à foûtenir.
Après avoir tourmenté des abeilles pour les déter¬
miner à quitter leur panier, & à palfer dans un autre,
lorfque j’en fuis venu à tirer les gâteaux, j’ai obfervé que
leur cire étoit très-ramoliie. Il arrive aulfi quelquefois que
les gâteaux chargés de miel tombent au fond de la ruche,
lorfque la chaleur qui y régné a rendu leurs attaches trop
molles.
D’autres que moi, & M. Maraldi entr’autres, ont re¬
marqué que les abeilles échauffent l’air de leur ruche lors¬
qu'elles agitent leurs ailes ; mais ils ne me paroilfent pas
avoir alfigné la véritable caufe de cette augmentation de
chaleur. Ils femblent avoir cru que les battements des ailes
échauffoient l’air contre lequel ils agilfoient, qu’alors l’air
étoit échauffé, comme l’eft un corps folide frotté avec
vîtelfe contre un autre corps folide. Je ne fçais fi un fluide
tel que l’air, peut être échauffé de la forte ; & il y a
grande apparence que non. Le corps folide eft échauffé
parce qu après un intervalle très-court, les mêmes parties
qui avoient été frappées ou choquées, le font encore, 8 c
DES I N S E C T E S. XIII. Mem. 673
cela à un très-grand nombre de rcprifes différentes; mais
la petite maffe d’air fur laquelle eft tombé le premier coup
d’aile, 11’eft pas celle fur laquelle tombe le fécond coup;
de nouvel air prend la place de celui qui a été frappé &
chaffé. Ce font les abeilles elles-mêmes qui s’échauffent
en agitant leurs ailes & en marchant, comme nous nous
mettons en lueur pendant qu’il gele très-fort en courant
ou en faifint des efforts redoublés. Les abeilles qui ont
acquis un plus grand degré de chaleur parles mouvements
quelles fe font donnés, communiquent de cette chaleur
à l’air qui les touche, comme cet air communique enfuite
de fa fienne aux carreaux de verre.
De tout ce que nous venons de dire, il fuit que plus
le nombre des mouches à miel qui habitent une ruche,
eft grand, & moins il eft à craindre que l’air ne devienne
alfés froid pour les faire périr. Auffi, pendant que des
mouches ont vécu dans des ruches expo fées dans mon
jardin à des degrés de froid de fîx à fept degrés au-deffous
de la congélation , & même de dix à douze, j’ai eu d’au¬
tres mouches qui font pérics, quoique leurs ruches fuf-
fent dans des chambres dont l’air n’avoit pris que le degré
de froid de l’eau qui fe gele. Ces dernières ruches entou¬
rées d’un air plus tempéré que celui qui entourait les au¬
tres , en avoient intérieurement un plus froid. Les mou¬
ches qui y étoient en petit nombre, n avoient pas pu en¬
tretenir dans l’intérieur de fa ruche, un air auffi chaud
que celui qui étoit répandu dans l’intérieur des autres. On
fouffre du froid au fpedacle dans des jours où l’air exté¬
rieur n’eft pas extrêmement froid, fi la fàlle eft mal rem¬
plie de fpeélateurs, Sc dans des jours où il gele dehors,
mais où le parterre eft agité de ffots, on y a trop chaud.
J’ai vu plufieurs ruches périr au printemps, c’eft-à-dire,
dans les mois d’Avril & de Mai, qui n etoient expoiées
Tome V • Qftftft
6 74 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
qu’à un même froid, ou à des froids moindres que ceux
qu’elles avoient foutenus pendant l’hiver. Il ne fera pas
difficile de rendre raifon de ce fait, quand onfçauraqu’à
la lortie de l’hiver, beaucoup de mouches qui prennent
trop-tôt l’effor, meurent avant que de pouvoir rentrer dans
leur ruche ; que journellement il y en a qui font failles
dehors par le froid, & qui n’ont pas la force de regagner
leur habitation. Or, Il au milieu d’Avril une ruche cü
fenfiblemcnt moins peuplée qu’elle ne l’étoit en Janvier
ou en Février, l'es mouches ne feront pas en état de fe
défendre contre un froid égal à celui auquel elles ont
réfffié.
Après tout, on ne devroit pas craindre de voir périr
des abeilles de froid pendant l’hiver, fl on pouvoit les
reffufeiter par un moyen auffi fimple que celui que nous
ont appris Varron & Columelle. Ils difent que pour les
faire revivre il n’y a qu’à les mettre fur la cendre chaude,
fur celle de figuier fur-tout. Il n’y auroit même rien déplus
commode, que de tenir pendant tout l’hiver fes abeilles
dans une efpéce d’état de mort, pour leur rendre la vie
quand la belle faiion feroit revenue. Malheureufement,
il y a beaucoup à rabattre de l’idée qu’on a voulu nous
donner de cette réfurreéfion ; nous allons examiner à
quoi elle doit être réduite; il nous en refera quelques
faits curieux & même utiles pour la confervation de ces
mouches.
Nous avons affés dit que lorfqu’il n’y a plus qu’un cer¬
tain degré de chaleur dans leur ruche, elles fe tiennent
amoncelées & très - preffées les unes contre les autres,
qu’elles font comme engourdies, qu’elles n’ont plus alors
befoin de prendre de nourriture ; c’efl dans cet état qu el¬
les paffent une grande partie de l’hiver. Mais pour peu
qu’on Jes échaudé, ou fi on les prend avec la main, on leur
des Insectes. XIII. Man. 67j
voit faire des mouvements qui prouvent de refie quelles
font en vie. Si le degré de chaleur de l’air qui les envi¬
ronne, diminue jufques à un certain point, en un mot,
fi elles font faifies de froid, au lieu quelles ne paroiffoient
auparavant qu’engourdies, elles parodient véritablement
mortes. Des milliers d’entr’elles n’ont plus la force de
conferver les mufcles de leurs jambes dans la contraction
néceflaire pour les tenir cramponnées dans les jambes
des autres; le maffifde mouches fe défait alors peu à peu;
il s’en détache des pelotons qui tombent fur le fond de
la ruche. Si on va donc vifiter une ruche après une nuit
pendant laquelle le froid a attaqué les mouches trop ru¬
dement , on les trouve empilées f ur le fond ; elles y fem-
blent véritablement mortes; on peut les prendre à poignée
fans rien craindre de leurs aiguillons ; il lemble quelles ne
feront jamais en état de s’en fervir, ni d’aucune de leurs
parties extérieures. Quelquefois les abeilles quoique dans
un état auffi fâcheux que l’état de celles qui font tom¬
bées fur le fond de la ruche, ne tombent pas, ou il n’en
tombe que quelques petits pelotons ; le frottement des
gâteaux qui aide à les arrêter, fupplée à ce qui peut man¬
quer de force pour tenir les jambes des unes accrochées
aux jambes des autres : quelquefois même les crochets des
pieds de la mouche inférieure font cramponnés fi à pro¬
pos dans les jambes de la fupérieure, qu’ils ne s’en déga¬
gent pas lorfqu’ellcs meurent l’une 6c l’autre; quelquefois
on trouve des guirlandes de mouches parfaitement mor¬
tes , auffi bien faites 6c plus folides que celles des mouches
vivantes.
Si les abeilles tombées fur le fond de la ruche, ou celles,
qui, quoique refiées plus haut entre les gâteaux, n’en pa¬
rodient pas moins mortes, ne font pas dans cet état depuis
trop long-temps, on les rappelle a la vie en les mettant
Qqqq ij
6 y 6 Mémoires pour l’Histoire
fur ia cendre chaude, comme l’a rapporté Columelle; ou,
ce qui elt plus commode, & qui ne les rend pas fi pou-
dreules, on n’a qu’à les mettre dans des poudriers de verre
ou dans des féchoirs, comme nous y avons mis celles qui
avoient été baignées, & les approcher d’un feu doux.
Dès qu’il les a réchauffées, on en voit quelques-unes
qui le donnent de petits mouvements ; peu à peu toutes
fe raniment; & en moins d’un quart d’heure, elles ont
repris la vigueur qui leur efl naturelle, elles lont en état
d’être remiles dans leur ancienne habitation. Quand un
Soleil brillant fuccéde au froid de la nuit, & que les
rayons tombent lur la ruche dans laquelle on a fait rentrer
les abeilles ranimées, on peut la laifler dans fa première
place; mais fi le froid continue, on bouchera toutes les
ouvertures de cette ruche, & on la portera dans un lieu
tempéré.
J’ai eu quelquefois des ruches dont toutes les abeilles
paroiffoient fans vie, quoiqu’elles fuffent reliées entre les
gâteaux. Alors pour les ranimer fans caufer aucun déran¬
gement dans les gâteaux, j’ai fait entrer fous la ruche &
j’ai pôle fur Ion fond, un petit pot de terre qui contenoit
un peu de braife couverte de beaucoup de cendre chaude.
La chaleur qui fe répandoit dans la ruche, étoit bientôt
alfés confidérable pour donner aux abeilles la force de le
mouvoir; quelquefois au bout d’une heure ou deux, lors¬
que l’air extérieur étoit devenu moins froid, elles fortoient
pour aller à la campagne, à leur ordinaire.
Quelqu’un qui lera attentif à vifiter le matin fes ru¬
ches , lorfque le froid de la nuit aura été plus confidé¬
rable que celui des nuits précédentes, & qui y lera atten¬
tif, non feulement pendant l'hiver, mais fur-tout après
les nuits froides du printemps, en pourra fiuvcr chaque
année qui feroient péries par ce manque d’attention. En
des Insectes. XIII. Mem. 677
chauffant les abeilles, il les tirera d’un état trop femblable
à celui de la mort où le froid les avoit miles; mais il 11e
faut pas trop tarder à les en tirer; fi on les y laiffoit pen¬
dant plu(ieurs jours, ce feroit fans fuccès qu’on auroit
recours au remède; au moins fi elles avoient été iaifies
par un grand froid.
Je lai déjà avancé, un froid qui feroit affés leger pour
nous & pour le commun des infedes, en eft un trop grand
pour les abeilles. Il y a plus : un air affés doux pour nous,
e(t un air trop froid pour elles. Je vais le prouver par des
expériences qui apprendront combien la chaleur eft né-
ceffaire à ces mouches. Vers la fin de Novembre, je ren¬
fermai deux douzaines d’abeilles dans un poudrier de gran¬
deur médiocre, c’eft-à-dire, dans un poudrier d’environ
quatre pouces de hauteur, & de deux & demi de diamè¬
tre. Je le plaçai dans un cabinet dont la température de
l’air fut pendant un jour entier, entre quatre à cinq de¬
grés au-deffusde la congélation. En moins d’une heure
toutes les mouches y parurent mortes, & elles parurent
telles pendant tout le jour. Le foir je les fis chauffer feu¬
lement autant qu’il falloit pour fçavoir fi elles n ctoient
point mortes réellement, pour les mettre en état de donner
quelques figues de vie. Toutes en donnèrent, & furie
champ je les remis dans le cabinet où elles dévoient re¬
devenir comme mortes. Le lendemain je les chauffai dès
le matin, je les trouvai encore en vie. Je les laifiai ainfi
dans un état de mort, où elles étoient mifes par un de¬
gré de température d’air exprimé par quatre à cinq degrés
au-deffus de la congélation ; je les laiffai, dis-je, dans cet
état pendant trois jours, examinant chaque foir & chaque
matin, fi elles pouvoient être ranimées; mais au bout du
troifiéme jour, je les trouvai véritablement mortes Douze
mouches mifes dans un autre poudrier de même grandeur
Qqqq iij
678 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
à peu près que le précédent, auprès duquel il fut placé,
ne furent réchauffées que de 2q. heures en 24, heures. Au
bout du troifiéme jour, ce fuL inutilement que je les ap¬
prochai du feu, toutes étoient privées de vie.
Le premier de Décembre, je mis une douzaine & demie
d’abeilies très-vives dans un autre poudrier, & qui fut tenu
dans un air bien plus doux que celui où avoient été les
poudriers précédents. Il refta dans le cabinet où je tra¬
vaille; la liqueur du thermomètre s’y éleva pendant le jour,
à plus de quinze degrés ; & pendant la nuit, elle ne def-
cendit pas à plus de onze degrés. Dans un air auffi doux
que celui du printemps, les abeilles ne parurent plus en
état de le mouvoir au bout de trois heures ; & les tenta¬
tives que je fis au bout de trois jours pour leur en rendre
la puiffance, furent inutiles; toutes étoient péries fans ref-
fource.
Je n ai point averti que j’avois mis un peu de miel
contre le couvercle de chacun de ces poudriers. C’étoit
une précaution afi’és inutile pour les abeilles dès quelles
étoient tombées en léthargie; mais c’étoit afin quelles man-
geaffent autant qu’elles voudraient avant que d’y tomber.
C’efl: donc de froid & non de faim qu’étoient péries des
mouches dans un endroit dont l’air étoit doux. Elles ont
befoin d’être environnées d’un air plus chaud ; réunies
enfemble elles font prendre un grand degré de chaleur
à l’air de leur ruche. Pour fçavoir quel elf ce degré de
chaleur dans lequel une abeille ou un petit nombre d’a¬
beilles peut vivre, j’en renfermai une feule dans un
tube de verre long d’un peu plus de trois pouces, dont
le diamètre intérieur étoit de neuf lignes. Un des bouts de
ce tube étoit fcellé hermétiquement, & l’autre bout étoit
bouché par un bouchon de liege. Pendant le jour je portai
ce tube dans mon gouffet avec la feule mouche qui y
des Insectes. XIII. Mem. 679
étoit renfermée, 6c je le tenois pendant la nuit fous le
chevet de mon lit, tout près de moi. La mouche eut
alfés chaud, clic conferva auiïi toute fon activité dans un
tube tenu toujours dans des lieux où l’air avoit autant de
chaleur qu’il en a dans nos jours d été qui nous parodient
trop chauds, dans des lieux où la liqueur du thermomètre
monte à près de 28 à 29 degrés. Chaque fois que j’exa-
minois cette mouche, je la voyois marcher le long des
parois du tube. Celle-ci étoit dans le cas des abeilles qui ont
befoin de prendre de la nourriture. J’avois eu foin d’en¬
duire de miel le bout intérieur du bouchon, mais peut-
être avec trop peu d’ceconomie; elle venoit le fuccer de
temps en temps, & probablement trop fouvent. Elle ne
vécut que fix jours, au bout defquels elle périt, non de
froid ni de faim, mais peut-être d’avoir trop mangé de
miel, ou au moins pour s’être trop frottée contre celui
du bouchon. Un jour avant qu’elle mourut, fon corps
parut plus brun qu’à l’ordinaire, plus luifant & comme
mouillé; il l’avoit été de miel 6c encore des excréments
quelle avoit rendus trop liquides & en trop grande quan¬
tité pour avoir trop mangé. La liqueur vifqueufè dont le
corps étoit enduit, s’étoit infinuée dans les ftigmates, 6c
les avoit bouchés. La mouche avoit péri par une caufe
femblabie à celle qui fait périr tous les infeéles dont on a
huilé les fligmates.
Quand j’ai mis dans un tube pareil à celui dont je viens
de parler, huit à dix mouches, elles n’y font pas reliées Ix
long-temps en vie; quelquefois elles y font mortes en moins
de vingt-quatre heures; auffi leur corps a-t-ilparu mouillé
au bout de quelques heures ; il l’a été par les excréments
quelles ont rendus; ceux des unes font nécelfairement
tombés fur les autres; 6c celles qui ont frotté leurs corps
contre les parois du verre, l’ont chargé d’une humidité
68 O MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
nuifible. Les abeilles qui font en grouppe dans une ruchè;
fe feraient périr mutuellement fi elles rendoient leurs
excréments pendant qu’elles font ainfi réunies; quand elles
veulent les faire fortir de leurs corps, elles fe détachent
du gros, & elles les font tomber fur le fond de la ruche.
On dit que les abeilles font fujettes au dévoyement, qu’a-
lors elles rendent des excréments très-liquides. En tout
temps leurs excréments n’ont pas beaucoup de confdtance.
Lorlque celles d’une ruche qu’on tient en chambre, s’en
échappent, qu’elles fe rendent fur les vitres, elles ne man¬
quent guéres d’y faire des jets d’une matière jaunâtre, qui
n’efl qu’une bouillie peu épaiffe ; quelquefois leurs excré¬
ments font encore plus liquides. Quand l’abeille qui les
doit rendre fe trouve affoibfie,<Scquc par parcfFe ou man¬
que de force, elle les rend où elle lé trouve, fa maladie eft
plus funefle à fes compagnes qu’à elle-même. J ’ai eu en
ruche des mouches auxquelles j’avois ôté tous leurs gâteaux
& auxquelles pour dédommagement je donnois du miel.
Je leur en donnai d’abord fobrement, & je les confervai
en vie pendant plus de trois femaines ; mais je le leur don-
nai enfiiite avec trop d’abondance, elles en mangèrent
trop, bientôt elles eurent le dévoyement, elles fe mouil¬
lèrent les unes les autres ; au bout de quelques jours,
elles tombèrent mortes fur le fond de la ruche, & au/fi
mouillées qu’elles l’euffent été fion les eût plongées dans
une eau bien chargée de miel.
Malgré tout ce que nous avons dit de la chaleur né-
ceffairepour entretenir la vie des abeilles, on peut, fans
trop de furprife, en voir qui paffent l’hiver dans les forêts
du Nord. Nous n’avons pas befoin de les fuppofer d’une
efpécc différente de l’efpéce de celles que nous avons dans
le Royaume. On pourrait croire que le climat où elles
font nées les rend moins fenfibles au froid ; mais dès
quelles
DES I N S E C T E S. XIII. Mem. 68 r
quelles fe trouvent répandues en grande quantité dans
les forêts, c’elt une preuve que le pays efl favorable à leur
multiplication, qu’il leur fournit de quoi faire d’amples
récoltes de cire & de miel. Or, dès que des abeilles fe
trouveront logées en très-grand nombre dans un tronc
d’arbre & bien pourvues de miel, il n’y a point de froid
quelles ne puifïent braver. D ailleurs un tronc d’arbre,
non habité par les abeilles, ne doit pas renfermer un air
auffi froid que l’efl l’air extérieur. Il efl probable que les
coips organilës pour végéter, ont, comme les animaux,
un degré de chaleur qui les deffend contre le froid de
l’air extérieur, tant que leur organilhtion n’efl pas détruite.
Il efl pourtant fingulier que dans des pays extrêmement
chauds ét dans des pays extrêmement froids, il y ait des
abeilles qui nous fourniffent de la cire. On peut lire dans
Aldrovande, l'énumération de ces pays incommodes, foit
par la chaleur exceffive, foit par le froid exceffif, où elles
réuffdfent.
Ceux qui ont obfervé des mouches dans différentes
faifons de l’année, demanderont comment il le peut faire
qu’elles fortent fouvent de leurs ruches pendant que l’air
extérieur ne tient la liqueur du thermomètre élevée qu a
quatre à cinq degrés au-deffus de la congélation ! comment
celles qui prennent alors l’effor ne périffent pas toutes! La
réponfe efl premièrement qu’il en périt de celles-ci, fçavoir,
celles qui étoient tropfoibles.ouqui ont trop refié à la cam¬
pagne. Mais en fécond lieu, les autres, celles qui retournent
à leur domicile, doivent être comparées à un homme qui
s’eft chauffé auprès d’un bon feu, & qui, lorfqu’il le quitte
pour s’expofer à un air froid , marche très-vite , ou s’oc¬
cupe de quelque exercice violent. Les abeilles ont chaud
quand elles fortent de leur ruche, l’exercice d’agiter leurs
ailes entretient une partie de leur chaleur ; elle efl de mêmç
Tome V . Rrrr
682 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
entretenue par les mouvements qu’elles fe donnent en
fucçant les Heurs, & en dépouillant les étamines de leurs
pouffiércs.
Nous venons d’établir la théorie d’où doivent être tirés
les meilleurs préceptes fur lefquels le .puiHent conduire
ceux qui ne veulent rien négliger pour empêcher leurs
abeilles de périr pendant l’hiver & au commencement du
printemps: mais le palîage de la théorie à la pratique, a
ici, comme dans tous les cas, les difficultés. Il eft cer¬
tain que li au lieu de laiffier les ruches pendant l’hiver dans
des jardins expolées à toute la rigueur du froid, on le leur
fait palier dans des lerres ou dans quelqu’autre lieu cou¬
vert 6 c fermé de toutes parts, dans une chambre; il eft
certain, dis-je, qu elles n’y feront pas auffi en danger de
périr de froid. C’ell auffi une pratique très - ancienne 6 c
en ufage encore dans beaucoup de pays, de boucher tou¬
tes les ouvertures des ruches vers le commencement de
Novembre, ôc de les tranfporter enfuite dans une ferre,
dans un cellier, ou dans quelque endroit équivalent.
Comme ce lieu n’eft pas ordinairement un de ceux qu’on
habite & où l’on fait du feu, quoique l’air y foit plus tem¬
péré que l’air extérieur pendant la plus grande partie de
l’hiver, il eft allés froid pour tenir les abeilles dans cette
efpéce d'engourdilïément qui leur ôte le befoin de man¬
ger; ce qui ies met hors de rifque de mourir de faim ,
pourvu qu’elles ne fbient pas entièrement dépourvues
de miel.
Le lieu qui fera ailes chaud pour conferver la vie à des
ruches très-peuplées ou palîablement peuplées, ne ielèra
pas allés pour des ruches qui ont très-peu de mouches.
Plus le nombre des mouches y fera petit, 6 c plus elles
demanderont à être dans un air doux. Ces dernières pé¬
riront dans une ferre, dans un cellier, où les autres feront
DES I N S E C T E S. XIII. Me/n. 68 j
bien. Les inftruments qui ne femblcnt faits que pour les
Phyficiens, ne feroient pas inutiles à ceux qui ont de
grandes ménageries de ruches, fi on pouvoit les engager
à y avoir recours. En tenant des thermomètres dans les
lieux où ils feroient palfer l’hiver aux ruches, ils feroient
en état de connoître la température de l’air de ce lieu, de
juger li l’air ne s’y refroidit point trop pour les ruches foi-
bles. Ils poùrroient même juger plus Ivirement & immé¬
diatement de lctat de celui de chaque ruche. Je voudrois
une ouverture à un de leurs côtés environ vers le milieu
de leur hauteur ou plus bas, de diamètre convenable;
c’eft à - dire, une ouverture capable de laiiTer entrer dans
la ruche la boule d’un thermomètre. Dans les temps or¬
dinaires, cette ouverture feroit bouchée par un bondou
femblable à ceux des tonneaux ; on ôteroit ce bondon,
& on introduiroit la boule du thermomètre dans la ru¬
che, dans les temps où le froid de l’air extérieur feroit feu -
fiblement augmenté. Le thermomètre apprendroit le degré
de chaleur de la ruche, & en même temps fi cette ruche
peut être laiffée où elle eft , ou fi elle demande à être
tranfportée dans un lieu plus chaud, ou, ce qui revient
au même, s’il eft nécellaire de lui donner des couvertures
qui confervent fa chaleur & qui même peuvent contribuer
à la faire devenir plus grande.
Toute fimple qu’eft cette pratique, il ne faut gueres
efpérer qu’on y ait recours ; on veut encore des choies
plus limples; Sc c’eû beaucoup qu’on fe donne le foin de
mettre des abeilles dans des ferres pendant l'hiver. Quand
le froid ou la faim les font périr dans une ruche, il n’y
en réchappe pas une. D’autres caufes produifent dans
diverfes ruches des mortalités qui ne font pas fi générales ;
mais qui fouvent changent une ruche forte en une ruche
foible. Lorfqu’on vient à la renverfer un peu, on voit fur
Rrrr ij
684 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
fon fond, une couche épaiffie de mouches mortes, & cette
couche sepaiffit journellement. Il peut y avoir de ces mou¬
ches qui meurent, parce qu’elles ont atteint le terme qui
efi prefcrit à la plus longue durée de la vie des abeilles. Le
plus grand nombre alors efî pourtant de celles qui meurent
avant que d’être arrivées à ce terme ; quelque maladie les
attaque & termine leurs jours. Les mouches qu’on tient à
couvert dans des ruches qui font fermées de toutes parts»
font beaucoup plus fujettes à des maladies, que les mou¬
ches dont les ruches ont été laiffées dans des jardins, &
qui ont une ouverture par laquelle l’air fe peut renou-
veller, & par laquelle elles peuvent fortir lorfqu’il vient
quelque beau jour. L’air trop renfermé dans les autres
ruches, s’y corrompt de jour en jour; il eft infeéïé de l’o-
deurdes abeilles qeii périment&fèpourriffent dans la ruche
même. Enfin, il devient excelfivement humide, il fe charge
de tout ce qui tranfpire du corps des mouches; auffi les
gâteaux fur lefquels elles ne fe tiennent pas, le couvrent-
ils de moififïures. Si nous refpirions un air aulfi mal lain»
nous n’y réfifterions pas; & pourquoi les abeilles feroient-
elles en état de le foûtenir i C’efl ce qui fait que malgré
les rifques qu’on fait courir aux ruches qu’on laide pen¬
dant tout l’hiver en plein air, plufieurs croyent que le
meilleur parti encore, eft de les y lailfer, qu’elles ne s’aL
foibliftent pas autant que dans les maifons.
M. l’Abbé de la Ferriere, après avoir pelé les inconvé¬
nients qu’il y a de part & d’autre, fe détermine fagement»
ce me lèmble, pour un parti moyen. Il veut qu’on laifte
toutes les ruches fortes expofées à l’air extérieur, & qu’on
iranfporte dans les ferres les ruches foibles. Les ruches
bien peuplées font en état de fe deffendre contre les plus
grands froids; mais la difficulté elt de fauver les ruches
foibles, & même les ruches médiocrement peuplées.
des Insectes. XIII. Man. 68j
Comme il m’a toujours paru à fouhaiter qu’on pût
îaiiïer pendant l’hiver les ruches dans les memes endroits
où elles ont été pendant les autres faifons, j’ai fait des ten¬
tatives pour voir, fi, quoiqu’cn plein air on ne pourroit
pas mettre les ruches foibles en état de réfifïer au froid ;
ïi on ne pourroit pas l’empêcher de pénétrer trop dans
leur intérieur. Le premier moyen que j’ai tenté, a été de les
bien empailler, de mettre autour de chaque ruche, une
couche de paille épaiffe de plus de quinze à feize pouces.
On peut imaginer diverfes manières d’arrêter la paille fur
la ruche, & choifir entre ces manières. Celle dont je me
fuis fervi, & fur-tout, pour les ruches vitrées, & entre
celles-ci, pour les ruches qui étant minces donnoient
plus de prilè au froid, a été de planter des picqucts au¬
tour de chaque ruche, qui lafurpafloient en hauteur, ôc
d’empiler bien la paille entre elle & les picquets. Malgré
cette robe de paille, dans plufieurs années différentes,
toutes les mouches de quelques unes de mes ruches font
péries; mais il efi plus que probable que ce n’a jamais
été de froid ; car quand je fuis venu à examiner les gâ¬
teaux de cire, je n’y ai pas trouvé une goutte de miel ; il
eftdoncà croire que c’étoit de faim qu’elles étoicnt mor¬
tes , & que je n’avois pas été affés attentif à fuppléer à la
trop petite provifion de miel qu’elles avoient faite pen¬
dant l’été.
Les Anciens ont enfeigné une manière de deffendre
les abeilles contre le froid, à laquelle on ne croira pas à
proposd’avoiF recours. C’efïde remplir en partie la ruche
d’oifeaux qu’on a fait deffécher, après leur avoir vuidé le
corps.
J’ai tenté un autre moyen de deffendre les abeilles
contre le froid; & pour pouvoir compter plus fûrement
fur fou fuccès, s’il en ayoit, je m’en fuis fervi dans les
.Rrrr iij
686 MEMOIRES POUR L’HïSTOIRE
circonltances les plus clécilives, c’elt-à dire, que je m’en
i'uis fervi pour tacher de conferver des ruches qu’on ne
devoit pas efpérer de voir palier l’hiver. J’achetai trois de
ces ruches au commencement de Novembre 1738. Je
demandai à un Marchand d’abeilles les trois plus mau-
vaifes de l'on rucher; je n’avois pas à craindre qu’il ne me
les donnât meilleures que je ne les voulois. Je ne les lui
payai que la moitié du prix que j’avois coutume de lui
payer les ruches médiocres, & il fut très-content du marché.
Dans une de ces ruches il n’y avoit que deux ou trois
poignées d’abeilles placées entre des gâteaux très-l'ccs. Je
joignis à ces trois ruches une des miennes qui 11’étoit pas
bien forte, quoique meilleure que les autres. Mon deffein
PI. 38. fig. étoit de les placer chacune dans un tonneau mis debout *,
Si défoncé par erihaut, & de remplir IVfpace qui rederoic
entre les parois du tonneau & la ruche, d’une matière
capable de la deffendre. Je les plaçai donc dans quatre
tonneaux. Je fis remplir de terre lèche & bien prelfée
tout le vuide qui fe trouvoit dans deux tonneaux, Si je
fis remplir le vuide des deux autres avec du foin fin Sc
court que les balayeures de mon grenier avoient fourni.
On empila ce foin le mieux qu’il fut polfible. La terre
& le foin furent mis en comble au-delïus du bord du
tonneau. Les ruches ne furent pourtant pas pofées im¬
médiatement fur le fond de chaque tonneau ; elles en
* Fig. 10. furent mifes à une d illance de quatre à cinq pouces*.
Sur le fond de deux des tonneaux on étendit une cou^
* dd ff’ che de terre *, Si fur celui des deux autres, on en mit
une de foin. Sur cette couche, foit de terre, foit de foin,
* ff on mit un fécond fond de bois *. Les pièces de bois qur
avoient auparavant fermé le tonneau par le bout où i[
étoit ouvert, fervirent à faire ce fécond fond.
Je ne m’étois pas fimplement propofé de bien Couvrir
des Insectes. XIII. Mem. 687
mes ruches, ce qui peut être fait de différentes manières,
ôl ce que font quelques gens de la campagne plus in¬
du ftrieux que les autres, en mettant les leurs dans des
tas de bled. Je vouiois que les abeilles qui habitoient des
ruclies très-bien couvertes puffent fortir quand le beau
temps les y inviterait ; que l’air de la ruche pût être re¬
nouvelle : enfin, quelles ne fuffent pas fujettes aux in-
convenients auxquels font expofées celles qu’on tient dans
des chambres. Auffi avant que de les mettre chacune dans
leur tonneau, avois-je eu loin de faire faire un trou au
tonneau tout près du fécond fond, tout près de celui fur
lequel la ruche étoit pofée, capable de laiffer paffer un
tuyau de bois de forme quarrée *. Quatre étroits mor- *pr. 38. fîg,
ceaux d’une planche mince,arrêtés les uns contre les autres 10 & 1 1 - t0 -
par des clous d’épingle, formoient ce tuyau, dont la façon
n’avoit pas été chère; deux de les côtés, le fupérieur &
l’inférieur, avoient chacun près de deux pouces de large,
& chacun des deux autres n’avoit que fix à fept lignes de
largeur. On voit d’avance que ce tuyau étoit le chemin
que j’avois préparé aux abeilles. J’en fis entrer un des
bouts dans chaque tonneau, affés avant pour que la ru¬
che pût pofer deffus; & l’autre bout lailloit en dehors du
tonneau de quelques pouces. Enfin il falloit longer à em¬
pêcher les mouches de ces ruches fi mal fournies de miel,
de mourir de faim. Sur le fond de chaque tonneau, je
mis une terrine qui contenoit environ trois quarterons
de miel, & qui étoit couverte par -deffus d’un papier pi¬
qué d’une infinité de petits trous. Si cela afin que les mou¬
ches puffent aller fuccer le miel fans s’en empâter. Le
tuyau étant ajuflé à chaque tonneau, & la terrine pleine
de miel étant polée fur le milieu de (on fond, je fis entrer
dans chacun de ces tonneaux la ruche que je lui vouiois
donner; & je fis remplir comme je l’ai dit, tout le Vuide
688 Mémoires pour l’Histoire
qui fe trouvoit entre les parois intérieures du tonneau, &
ia furface extérieure de la ruche.
Des deux ruches qui furent couvertes de terre, l’une
étoit celle qui avoit été prife parmi les miennes, & l’au¬
tre étoit la piusfoiblede celles que j’avois achetées. C'en:
fur-tout pour le fort de cette dernière que j’étois inquiet.
Ses mouches fe tinrent tranquilles pendant les mois de
Novembre, de Décembre & de Janvier. Pour Içavoir Ci
au lieu d’être Amplement tranquilles, elles n’étoient pas
mortes, à la fin de Décembre je fis découvrir la ruche,
& je lui donnai quelques petits coups; de pareils coups
déterminent les mouches qui ne font qu’engourdies, à fc
mouvoir. Ceux que je donnai firent naître un bourdonne¬
ment parmi les mouches, de la vie delquelles j’avois lieu de
douter. C’étoit tout ce que je voulois. Je les fis recouvrir
fur le champ. J’eus de même le plaifir de les entendre
bourdonner vers la fin de Janvier, dans une circonftunce
femblable à la précédente. Enfin, dans des jours doux
du mois de Février, Si dans beaucoup plus de jours du
mois de Mars, je les vis fortir de leur tonneau par le che¬
min que je leur avois préparé ; je les vis revenir de la
campagne chargées de cire brute. Audi le commence¬
ment de ce mois fut-il beau; mais la fin du même mois
Se le commencement d’Avril ayant été rudes, elles celfé-
rent de fortir, Si ne fortirent plus du tout dans des jours
devenus un peu plus doux. Je les jugeai mortes, Si quand
j’eus fait découvrir leur ruche, je trouvai qu’elles l’étoient;
mais c’étoit faute d’avoir eu de quoi manger. Dès que je
les renfermai , elles n’avoient point de miel dans leurs
gâteaux; & je leur en avois donné une trop petite provi-
fion dans leur terrine, elles l’avoient entièrement conlu-
mée; il eût fallu la renouveller. Mais il n’en réfulte pas
moins de l’expérience précédente, que les abeilles feront
bien
des Insectes. XIIL Ment. 689
bien aefendues contre le froid, dans des ruches couvertes
de terre lèche, & je dois ajouter, de terre qui n’elï pas
cxpolée à être mouillée par la pluye; car il y avoit un
toit de paille au -delfus de mes ruches. Mais il ne faut
pas lailTer manquer d’aliments les abeilles qu’on met en
état de ré fi lier a l’hiver.
Les mouches de l’autre ruche que j’avois couverte de
terre, outre le miel que je leur avois donné, en avoient
dans leurs gâteaux. Aullt celles-ci refiérent-clles vigoureu-
ies. Qu’on ne craigne pas que la terre conlèrve trop d’hu¬
midité dans l’habitation; fi la terre dont elle efl entourée elt
lèche, elle s’imbibera de tout ce qui tranfpire d’humide
de la ruche, & elle le laiffera enfui te évaporer. En voici
îa preuve. Lorfque je couvris mes deux ruches de terre,
celle que j’y employai n’étoit pas allés lèche à mon gré;
je ne m’étois pas préparé d'ailes loin à cette expérience;
la couleur de cette terre étoit encore brune; & fi je l’cufCe
fiait allés lécher, elle eût dû être grife, couleur de cendre.
Quand au printemps je la tirai du tonneau, je vis qu’une
couche d’un pouce d’épailfeur, ou plus, qui entouroit
immédiatement la ruche, étoit très-grilè, c’elt-à-dire, très-
féche, pendant que le relie étoit encore brun. La chaleur
de la ruche avoit léché parfaitement la terre qui la touchoit.
Les mouches de deux ruches foibles qui avoient été
mifes chacune dans un tonneau où elles étoient entourées
de foin empilé, nefoûtinrent pas moins bien l’hiver & les
commencements du printemps , que celles de la ruche
précédente. Ces deux ruches devinrent très-fortes, très-
fournies de mouches; & une remarque qui ne doit pas
être obmife, c’ell que je ne trouvai pas une douzaine de
mouches mortes fur le fond de l’une & de l’autre; elles
iî avoient point péri dans celles-ci, comme elles périlTenC
fouvent dans les ruches qu’on tient dans des ferres.
Tome V - S fff
690 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
De quinze ruches que j’avois aciietées en Décembre,
& auxquelles j’avois fait palfer l’hiver dans une chambre
clofe, quatre me parurent très-foibles à la fin de Février;
je les fis porter alors dans le jardin, & je les mis dans quatre
tonneaux qui avoient des tuyaux de bois propres à laifler
fortir & rentrer les mouches. Après avoir bien bouché les
Vüides qui pouvoient refier entre le contour de la ruche
& le fond du tonneau, avec de la bouze de vache, je fis
remplir de paille courte & bien empilée les efpaces qui
étoient entre les parois du tonneau Si fa ruche. Les abeilles
de chacune de ces quatre ruches, fe font bien trouvées
d’être ainfi couvertes; elles ont été à la campagne toutes
les fois que le temps le leur a permis; non-feulement elles
ont foûtenu un printemps afies rude, mais elles fe font
multipliées ; par la fuite leurs ruches font devenues très-
peuplées.
Mais l’hiver dont nous venons de fortir, celui de 1740.
a été extrêmement propre à m’apprendre combien on
pouvoit compter fur l’expédient dont il s’agit pour dé¬
fendre les abeilles contre le froid. Je mis quatre ruches
très-peu fournies d’abeilles, de la manière dont il a été
expliqué, en quatre tonneaux, dans chacun defquels on
fit entrer de la terre bien féche, qui remplifioit lesvuides
qui fe trouvoient entre les parois du tonneau Si ceux de
la ruche, & au - defius de laquelle elle étoit élevée en
dôme. Je donnai à chaque ruche un vafe qui contenoit
environ une livre de miel. Quoique ces ruches fufient peu
peuplées, elles ont été très-bien deffendues contrôle long
<& rude froid de cet hiver» Inftruit par une de mes ruches
de la première expérience, je ne voulus pas laiffer les
abeilles de celles-ci en rifque de périr de faim. Je vifitai
leur intérieur au commencement d’Avril. Je trouvai vui-
des les vafes dans lefquels je leur avois donné du miel
des Insectes. XI 11 Mem. 6 9 1
J en hs remettre une livre dans chacun ; au moyen de
quoi, les abeilles de ces ruches fe (ont trouvées en état
de faire des récoltés de cire brute dès que les fleurs ont
commence a s épanouir, & fe portent fi bien aujourd’hui
quinziéme de Mai, qu’elles font de celles dont j’attends
des eflaims.
De mes quatre dernières ruches, il y en a pourtant eu
une dont j’ai perdu les abeilles; mais elles ne m’ont été
enlevées ni par le froid, ni par la faim, ni par aucune
maladie. Elles ont abandonné leur habitation quoique
bien fournie de miel, comme je m’y étois attendu, & je
ne fçais où elles ont été loger. Un très-grand nombre de
mâles s’étoit confervé dans cette ruche, & j’ai dit ailleurs
que les abeilles avec lcfquelies il y en avoit eu pendant
l’hiver, abandonnoient leur ruche au plûtard au com¬
mencement du printemps ; qu’au moins cela eft arrivé à
toutes celles de mes ruches dont les mâles n’avo/ent pas
été tous tués pendant l’été.
Les expériences précédentes me perfuadent que c’efl
un très-bon moyen de conferver fes ruches, que de les
mettre dans des tonneaux où on les couvrira de quelque
matière propre à empêcher le froid d’agir contre elles au¬
tant qu’il eût fait. Je ne décide pas encore fur le choix de
la matière; fi on doit prendre par préférence de la terre,
du fable, du foin ou de la paille. Toute matière qui arrê¬
tera l’aélion de l’air froid, & qui ne fera pas trop humide,
peut être employée avec fuccès; d’ailleurs fopération eft
extrêmement facile. Il eft peu de payfans à la campagne
qui nayent de vieux tonneaux; & ce ne feroit pas un
objet de depenfe même pour des gens de leur état, que
de fe fournir d’autant de tonneaux qui ne font plus bons
pour mettre du vin, qu’ils auraient de ruches. Les mê¬
mes tonneaux leur ferviroierit pendant une longue fuite
S f ff ij
602 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
/
d’années. De grands paniers d’ofier, comme on en fait
en piuncurs endroits, pourroient fervir au même ufage.
Mais ceux qui ont une très-grande quantité de ruches,
<& à qui ii faudroit autant de tonneaux que s’ils avoient à
faire une grande récolte de vin, peuvent fe paffer abfolu-
ment de tonneaux, & défendre très-bien leurs ruches
d’une façon au moins équivalente. Ils les arrangeront les
unes auprès des autres fur des planches qui formeront
une elpéce de table très-longue & étroite, ou une très-
longue tablette. Des planches mifes de clian de chaque
côté & tout du long de cette tablette, feront propres à
foutenir la terre, le fable, le foin ou la paille dont on
voudra couvrir les ruches; c’efi-à-dire, que les ruches fe
trouveront renfermées entre deux longues cloifons de
planches qui s’élèveront plus haut qu’elles. Ces cloifons
ne feront pas cheres à faire pourvu qu’on ait des plan¬
ches; elles pourront être faites fans ménuifier; on main¬
tiendra les planches les unes au-deffus des autres avec des
picqucts, comme les jardiniers maintiennent celles dont
ils entourent quelquefois leurs couches.
Dans bien des campagnes, on fait volontiers & à peu
de frais des clayes; les clayes pourront être fubfîituées aux
planches , elles feront moins cheres & d’un auffi bon
ulàge. Enfin, il ne s’agit que de contenir la matière qu’on
veut employer pour couvrir les ruches, & on voit a fies
qu’il y a à choifir entre les manières de le faire fans grande
dépenfe. On voit auffi que plus la couverture qu’on leur
donnera fera épaiffe, & mieux elles feront deffendues.
Enfin, on ne doit pas oublier de laiffer à chaque ruche,
une ouverture par laquelle les mouches en puiffent fortir;
car l’avantage de la pratique que nous propofons fur celle
de mettre les ruches dans les ferres, c’eft de ce quelle per¬
met aux mouches de profiter des beaux jours, de prendre
des Insectes. XIII. Mem. 693
Je temps en temps i’effor; ce qui peut contribuer à les
défendre contre les maladies auxquelles elles font expo-
fées quand elles demeurent trop long-temps renfermées
dans un air qui ne fe renouvelle pas.
Les mulots font mis au rang des ennemis des abeilles.
Je doute pourtant qu’il y en ait d’affés hardis pour ofer
entrer dans une ruche dont les mouches ont leur activité
ordinaire. Ils fe tireroient mal d’une pareille expédition ;
ils ne réfuteraient pas au nombre des piquûres qu’ils au-
roicnt à effuyer. Mais ils peuvent avec très-peu de rifque,
faire de grands ravages parmi des abeilles engourdies de
froid. Il faut faire en forte que les ruches qu’on laiffe en
plein air, foicnt placées de manière qu’il ne leur foit pas
aile d’y entrer. C’cft une des raifons pour lefquelles on ne
doit leur lailfer à chacune, qu’une très-petite ouverture;
& que la bafe qui les fupporte, doit être élevée de terre,
& avoir des pieds le long dcfquels il ne foit pas ai/e au
mulot de monter, & dilpofcs de manière fous la hafè
qu’ils foutiennent, que le mulot foit dans l’impoffibilité
de venir fur cette bafe, parce que pour y arriver, il fau¬
drait qu’il pût marcher contre le delfous étant à la ren-
verfe. Dans une nuit un mulot pourrait détruire la ruche
la mieux peuplée. Après en avoir vifité une placée dans
le jardin un jour où il geloit très-fort, je ne retournai
la vifiter qu’au bout de deux jours; je trouvai toutes fe s
mouches mortes & mangées en partie, & d’une façon fm-
guliére : il n’y avoit que le corcelet & la tête de chacune
qui euffent été mangés; on ne trouvait que des corps. Les
crottes de mulot qui étoient parmi ces relies d’abeilles,
deceloient l’animal qui avoit fait tant de carnage. Dans
le mois de Mai même, lorfqu’après des nuits froides j’ai
renverfé des ruches qui n’avoient pas été affés bien placées,,
ü m’eft arrivé piufieurs fois d’en yoir fortir des mulots,.
Sfffiij
* PI. 38
7 -
694 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
& de trouver ies débris de leur repas, c’effà dire, les corps
des abeilles dont ils avoient mangé la tête & le corcelet.
Aufîi des gens attentifs ne manquent-ils pas de tendre des
fouriciéres auprès des ruches, ou des quatres de chiffre.
Ce ne feroit pourtant pas affés que d’avoir fongé effi-
cacement à défendre les mouches contre le froid , il ne
faut pas leur laiffer fouffrir la faim. On doit de temps
en temps aller vifiter les ruches, fur-tout quand des jours
doux font fuivis de jours froids ou pluvieux qui empêchent
ies abeilles de fortir. C’efl alors qu’il eft à craindre qu’elles
11e manquent de miel, que n’ayant pas la reffource d’aller
en ramaffer à la campagne, elles 11e périffent de faim chés
elles, fi tout celui quelles y avoient, a été confumé.
Si l’on veut bien avoir les attentions que nous venons
de prefcrire , on fauvera chaque année un grand nombre
de ruches; 6c on parviendra à les multiplier beaucoup
dans le Royaume, où il ne fçauroit y en avoir trop. Car
de les fauver pendant l’hiver & le commencement du prin¬
temps , eft le point le plus effentiel pour leur multiplica¬
tion. Elles demandent pourtant encore quelques atten¬
tions dans le cours de l’année. Les Auteurs qui ont pu¬
blié des traités fur la manière de les gouverner, ont donné
divers préceptes dont nous allons rappeller les plus impor¬
tants, 6c ceux qui ne fe trouvent pas déjà dans nos Alé-
moires précédents ou qui 11’y font pas affés développés.
Chaque pays a des efpéces de ruches qu’on y prend par
préférence. Aux environs de Paris , on ne connoît que
ces paniers de figure à peu près conique, faits d’ofier,
ou de bois noir, ou bois punais, ou de bois rouge. Dans
d’autres pays, on donne la même figure aux ruches, mais
fig. on les fait de cordons de paille de feigle *, qui font le
nombre de tours neceffaire pour fournir à la hauteur 6c à
la capacité de la ruche. Vandergroen dit que i’ufagc du
des Insectes. XIII. Mem. 69y
Brabant eft de Te fervir de ces fortes de ruches. Ce font
suffi celles qui font en ufage en Beauce. Ce font peut-être
celles qui doivent être préférées, ce font peut-être les plus
propres à défendre les abeilles contre le froid, & celles qui
en été s’échauffent plus lentement; deux raifons pour lef-
quelles les ruches de terre cuite employées en quelques
endroits, font les plus mam i-ffes de toutes. Des troncs d’ar¬
bres * creux font des ruches durables, & où les abeilles fe * pi. 3 s.
trouvent bien ; les payfans qui en peuvent avoir de cette ?•
efpécc s’en fervent volontiers. Les ruches faites de planches,
font encore fort bonnes *. Je crois que celles qu’on fait de- * Fig. 8.
corce de liège, dans les pays où les lièges font communs,
font des meilleures, Palladiiis les donne auffi pour telles.
De quelque matière que foient les ruches dont 011 fe
fert, les curieux & même ceux qui penfentà l’utilité, de-
vroient écrire deffus chacune ce qu’ellepefe, y attacher une
petite pièce de plomb où leur poids fût marqué, comme
les Fleuriftes en mettent dans leurs pots où ilsfèment des
graines. Avec cette petite attention, on pourroit porter
un jugement affés fur de lctat de chaque ruche à l’entrée
de l’hiver, & on jugeroit de celles qui demanderoient à
être tenues plus chaudement. L’Auteur de la Monarchie
féminine prétend, qu’on ne peut efpérer de conferver les
mouches qui, à la fin de l’automne, ne pefent avec la cire
de le miel, que dix à douze livres Angloilcs de net, le poids
de la ruche déduit ; qu’en nourriflànt celles qui en pefent
environ quinze, on peut efpérer de les fauver; que celles
qui pefent entre quinze à vingt livres, n’ont pas befoin;
ou ont peu befoin, qu’on fonge à les nourrir; mais qu’il
n’y a rien à craindre pour celles qui pefent entre vingt &
trente livres. Ces régies ne font pourtant pas abfolument
certaines. Les gâteaux pleins de miel pourroient faire urffe
trop grande partie du poids, & les abeilles en pourroient
Voyés la
Vignette.
6()6 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRË
faire une trop petite partie, ou au contraire, fi les gâteaux
étoient vuides de miel. Un curieux qui a pefé les ruches
avant l’hiver, peut encore les repefer avec plaifir lorlqu’il
eft pafle, pour voir ce qu’elles ont perdu de leur poids
pendant cette rude faifon.
On étend un enduit fur l’extérieur de celles qui font
en panier. Dans quelques pays on les revêtit de plâtre;
dans d’autres de mortier fait de chaux & de fable; & dans
d’autres pays on fe contente de les lutter avec une elpéce
de lut fait de cendre mêlée avec de la bouze de vache.
On veut au moyen de ces enduits mettre l’intérieur de
la ruche à l’abri de lapluye. D’ailleurs ces ruches qui font,
pour ainïî dire, tiiïues, ont une infinité rie trous par où
Pair pourroit entrer. Les abeilles ne pourroient parvenir
de long-temps à les boucher tous avec de la propolis, à
efpalmer toutes les parois intérieures.
Le rucher, c’eft-à-dire, l’endroit où font toutes les ru¬
ches, doit toujours être dans une expofition telle que les
rayons du Soleil l’échauffent pendant une grande partie
de la journée. II ne doit jamais être expolé au nord; le
mieux eft qu’il le foit au midi, & de manière qu’il profite
de bonne heure du Soleil levant, & que le Soleil foit prêt
de fe coucher lorlqu’il le quitte. Mais comme on n’a pas
toujours des terrains difpofés à fouhait, on efl quelquefois
obligé de placer des ruches au levant,& d’autres au cou¬
chant. Quoique le Soleil leur foit favorable, il y a des
jours où il pourroit leur être contraire, parce qu’il a trop
de force. Lorfque l’intérieur des ruches eft très-échaufié,
les mouches en fouffrent &: leur cire fe fond. Si on a at¬
tention de conftruire un petit toit *, & de placer les ruches
deffous, elles n’ont plus à craindre la trop grande ardeur
du Soleil ; & ce qui eft encore une fort bonne chofe, elles
font à couvert de la pluye. Ceux qui 11’ont que peu de
ruches.
des Insectes. XIII. Mefh. 6 97
ruches, négligent alfés ordinairement de leur donner le
toit dont nous venons de parler, quoiqu’il foit un ouvrage
tres-fimple, & dont la matière n’elt pas cliere; car il peut
être fait de quelques paillalfons foûtenus en l’air par de
petites perches plantées en terre.
Ceux qui fe difpenfent de donner un toit commun à
toutes leurs ruches, leur donnent alfés ordinairement à
chacune une couverture, une chappe de paille *. Avec un *
brin dofier on lie le bout d’une botte de longue paille; 5
on ouvre enfuite cette botte en cône creux, & on la met
fur la ruche qu’elle deffend contre la pluie & contre le
Soleil trop ardent. Il y a beaucoup de gens à la campagne
qui poudent la négligence jufques à refuler à leurs ruches
des couvertures li fimples.
L’eau efl peut-être au rang des chofes nécelfaires aux
abeilles; Coiumelle allure que fi l’eau leur manque, elles
ne peuvent faire ni miel ni cire, ni élever leurs petits:
mais elles ne font pas aulli délicates fur fes qualités, que
quelques-uns font prétendu. Je leur ai vu fouvent préférer
l’eau qui croupilfoit dans mon jardin dans des bacquets où
ctoient des inleéles aquatiques, à celle du bras de rivière
qui coule le long du même jardin.
Après que la rude faifon efl palfée, vient le temps où
les abeilles font d’abondantes récoltes, & où leur nombre
croît journellement. Les ruches fe trouvent abondam¬
ment fournies de cire Se de miel, & trop fournies de
mouches; il faut qu’il en forte des ellaims. Tout ce que
nous avons dit dans le Mémoire précédent de la fortie
de ces elfaims & de la manière dont on les doit prendre,
nous exempte d’en parler à préfent.
Des pays qui peuvent être mis au nombre de ceux
qui nous fournilTent le plus de bled de toutes efpéces,
des pays qui n’ont prefque que de grandes plaines dont
Tome V . T111
698 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
ia terre efi fertile, mais qui ont peu de prairies arrofées
par des ruifleaux, ces pays, dis-je, ceffent dans bien
des années de fournir aux abeilles de quoi faire des récol¬
tes , long-temps avant que les faifons qui les retiennent
chés elles foient proches; fur-tout lorfque, comme aux
environs de Paris, on ell dans i’ufage d’arracher des
champs tout le chaume, «St en même temps les herbes
qui s’y trouvent. Dans les pays dont nous venons de
parler, lorfque l’été efl fec, après que les foins ont été
coupés, «St au moins dès que les bleds font mûrs, tout
efî aride dans la campagne; les abeilles ont beau la par¬
courir, elles n’y trouvent point ou y trouvent fi peu de
fleurs, qu’à peine celles que la fortune favorife le plus,
parviennent à ramaffer quelques pelotes de cire brute,
qu’à peine recueillent-elles de quoi fe nourrir hors de leur
ruche ; mais elles ne trouvent pas de miel à y apporter.
Quelle différence alors entre la fituation de ces abeilles
&la fituation de celles qui font dans des pays remplis de
prairies arrofées d’eau, qui y fait éclore continuellement
de nouvelles fleurs, «St des pays où l’ombre clés bois en¬
tretient une humidité «St une fraîcheur, qui font végéter
vigoureufement beaucoup de plantes pendant les étés les
plus chauds l
Il a paru en 1735 une defcription de l’Egypte, faite par
M. l’Abbé le Mafcrier, fur les Mémoires de M. Maillet,
qui a été Conful au Caire pendant plufieurs années, où
on nous raconte les foins qu’on a pris de tout temps, ôc
qu’on prend encore dans ce pays, où font nés la plupart
des Arts «St des Sciences, pour mettre les abeilles en état
de faire les plus grandes récoltes de cire «St de miel. L’ar-
îicle dont je veux parler ert fi curieux, «St il peut être fi
utile, que je crois le devoir tranfcrire en entier. Le voici.
m Je ne dois pas oublier de yous parler des abeilles ou
des Insectes. XI IL Ment. 6 99
mouches à miel. Il y en a une très-grande quantité dans «
ce pays, 6c on y conferve encore aujourd’hui un ufage«
introduit par les anciens Egyptiens, de les nourrir «
d’une manière très - fmguliére. Vers la fin d’Oéîobre, «
lorfique le Nil en baillant a lai fie aux laboureurs le temps «
d’enfemencer les terres, la graine de fainfoin efi une«
de celles qu’on Terne des premières, 6c qui rapporte le«
plus de profit. Comme la haute E gypte efi plus chaude «
que la bafie, 6c que les terres y font xle même plutôt «
découvertes de l’inondation , le lainfoin y croît au fit et
plutôt. La connoiflance que l’on en a, fait qu’on y en- <c
voye de toutes les parties de l’Egypte, les ruches à miel «
qui s’y trouvent, afin que les abeilles jouifient demeil-«
leure heure de la richefle des fleurs qui naiflent dans«
ces contrées plutôt qu’en aucun autre endroit du «
Royaume. Ces ruches parvenues à cette extrémité de«
l’Egypte , y font eut allées en pyramides fur des bateaux «
préparés pour les recevoir, après avoir été toutes nunie- «
rotées par les particuliers qui les y dépofent. Là ces«
mouches à miel paiflent dans les campagnes pendant «
quelques jours; enfuite, lorlqu’on juge quelles ont à«
peu près moiflonné le miel 6c la cire qui le trouvent «
dans les environs à deux ou trois lieues à la ronde, on «
fait defeendre les bateaux, qui les portent deux ou trois «
autres lieuës plus bas, 6c on les y laifle de même à pro- «
portion autant de temps qu’il efi néceflàire pour moil-«
Tonner les richefles de ce canton. Enfin, vers le commen- «
cernent de Février, après avoir parcouru toute l’Egypte, «
elles arrivent à la mer, d’où l’on repart pour les conduire «
chacune dans le lieu de leur domicile ordinaire; car on «
a foin de marquer exactement fur un regître, chaque «
quartier d’où partent les ruches au commencement de «
Ja faifon, leur nombre, 6c les noms des particuliers qui<c
T t t t ij
» Tarn. III.
ï a S- 37'
700 MEMOIRES POUR L’HiSTOÎRE
»Ies envoyait; auffi - bien que les numéros des bateaux
» où elles ont été arrangées, relativement à leur habi-
» tation.
Ne feroit-ce point la pratique que nous venons de rap¬
porter, qui auroit donné lieu à divers paiïàges, qui fem-
blent prouver qu’en Orient les abeilles avoient autrefois
des conducteurs qui les menoient à la campagne, comme
nos bergers y mènent les troupeaux de moutons; que les
mouches à miel, plus dociles encore que ces derniers ani¬
maux, étoient déterminées par un feul coup de lifflet à for-
tir de leur ruche, à y rentrer, àpaffer d’une prairie à une
autre, à fe rendre au bord d’un ruiffeau; qu’enfîn, toutes
celles d’un village fe rendoient auprès de leur gouverneur,
qui les conduifoit par-tout où il le jugeoit à propos! Quel¬
que pofitifque foit fur cela lepaffage de Saint Cyrille, rap¬
porté dans l’agréable ouvrage, & fi connu fous le titre du
SpeCtacle de la nature*, on elt bien tenté de croire, que
les coups de fifflet donnés peut-être pour le départ ou pour
les mouvements qu’on vouloit faire faire fur le Nil aux ba¬
teaux chargés de ruches, ont occafionné tout ce qui a été
dit de l’obéiflance des abeilles. Ce qui elt certain, c’elt que fi
celles d’Egypte ou dequelques autres cantons de l’Orient,
étoient capables d etre ainli drelTées, elles avoient une do¬
cilité que les nôtres n’ont point. Toutes celles que nous
connoifions rentrent quand elles veulent dansleurs ruches;
celles qui ont fait leurs provifions ne manquent point de
s’y rendre pendant que d’autres en fortent ; & cette efipéce
de circulation ne finit qu’avec le coucher du Soleil, fi le
jour n’eft point trop froid ou pluvieux.
Ce que nous devons plutôt chercher qu’à donner de
1 éducation aux abeilles, à quoi nous travaillerions fans
fùccès, c’eft fi nous n’avons point de rivière en France
fur laquelle nous puifïions les faire voyager utilement.,.
des Insectes. XIII. Mem. 7 of
comme on le fait fur le Nil. C’ett ce qui mérite d'être
examiné. Alexandre de Montfort nous dit que les Ita¬
liens voilins des rivages du Pô, ont un foin de leurs abeil¬
les pareil à celui qu’en ont les Egyptiens, qu’ils remplif-
fent de ruches des barques qu’ils conduifent au voifinage
des montagnes de Piedmont; qu’à mefure que Je produit
des récoltes des mouches augmente, les barques qui de¬
viennent plus chargées s’enfoncent davantage dans l’eau,
& que les bateliers ne ramènent les barques que quand
ils les jugent alfés chargées. J’ignore fi cette pratique s’efl
confervée en Italie..
Ce n’eft pas feulement par eau qu’on peut voiturer les
abeilles avec avantage. Columelle nous a appris que les
Grecs ne manquoient pas chaque année de tranfporter les
abeilles de i’Achaie dans l’Attique, & cela parce que dans
un temps où les Heurs de l’Achaïe étoient paffées, celles
del’AttiquescpanouiHoient. Alexandre de Montfort nous-
dit auHi qu’on en ufoit de même dans le pays de Juliers;.
qu’en certain temps on y tranfportoit les abeilles au pied
de montagnes chargées de thim Sc de ferpolet.
Qu’on ne croye pas, au relie, qu’il n’a été accordé
qu’aux Greesdc à d’autres E trangers, & qu’il nel’eft aujour¬
d’hui qu’aux Egyptiens, de prendre des Joins pour mettre
leurs abeilles à portée de faire d’abondantes récoltes. Un
de ces Particuliers, dont le Royaume n’a pas alfés, nommé
M. Proutaut, établit une Blanchilferie de cire en 1710 a
Yevre-la-Ville, DiocèCeôc Généralité d’Orléans, Ôc à une
lieuë de Petiviers. Pour la fournir en partie de cire, qu’il
ne fût pas obligé d’acheter, il fongea habilement à raflem-
bler autant de ruches d’abeilles qu’il en pourrait nourrir;
II s’elt appliqué à les foigner comme elles méritoient de
l’être, pendant toute fa vie, c’eft-à-dire, jufqu’en 1737:
Son fils a continué de foûtenir un établilfement qui lui
T Ut iij
702 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
avoit été laide en bon état. J’ai fouhaité avoir des Mé¬
moires fur la manière dont on y gouverne les abeilles,
& j’ai pu me promettre d’en avoir des meilleurs & des
plus fuis, puifque M. du Hamel eft voifin de campagne
d’Yevre-la-Ville. Ce n’eft aufli que d’après ceux qu’il m’a
fournis, que je vais parler. C’eft fur les fainfoins des envi¬
rons d’Yevre-la-Ville que les abeilles vont faire leurs prin¬
cipales récoltes, & l’expérience a appris que fon territoire
peut, année commune, nourrir cinq à lix cens ruches
pendant les mois de May & de Juin ; mais il y a des
années où deux cens cinquante paniers auroient peine à
y fubfifter. En toute année, quand les fleurs font pafiees,
on fonge à retirer les abeilles d’un pays où les campagnes
ne fourniflent plus rien, pour les conduire dans des pays
où elles puiflent mieux employer leur temps. Lorfque la
fécherefle a été caufe que les fainfoins ont donné peu de
fleurs, ou des fleurs qui ont paflfé trop vite, on tranfporte
les ruches dans des lieux qui étant naturellement couverts,
ont en grand nombre des plantes fleuries ou prêtes à fleurir.
Dans les années très-pluvieufes, & même dans celles qui ne
le font que médiocrement, les abeilles trouvent de quoi dans
les plaines de Beauce,& on les y rnene. Les fleurs de melilot,
de cheneviére bâtarde, & celles de diverfes autres plantes,
y offrent aux mouches de quoi Lire des récoltes. Dans les
années où les fleurs defainfoin ont été abondantes & ont
duré, ce n’efl qu’à la fin de Juin, qu’on fait quitter aux
ruchesles environs d’Yevre,pour mettre de nouvelles cam¬
pagnes à la difpofition de leurs mouches. Le voyage qu’on
leur fait faire, foit du côté de la Beauce, foit du côté du
Gâtinois, félon le canton pour lequel on a cru devoir fe
déterminer, ce voyage, dis-je, n’eft ordinairement que de
fix à fept lieues. Mais lorfqu’on croit que les abeilles ne
tëouveroient ni dans l’un ni dans l’autre de ces pays, de quoi
des Insectes. XIII. Mem. 703
s’occuper utilement, on lesmene en Sologne vers le com¬
mencement d’Août. On fçait quelles y auront à leur dif-
polition quantité de champs de flarrafins fleuris, & qui le
lèront jufque vers la fin de Septembre.
Mais de quelque façon que l’année fe foit comportée,
on efl en ufage d’envoyer en Sologne au mois d’Août, les
eflaims tardifs & ceux qui ont peu travaillé, & d’y envoyer
aufli les mouches qui fe trouvent dans un état femblable
à celui des eflaims, celles qu’on a fait pafler depuis peu de
temps d’un panier dans un autre. Quoiqu’après la lin de
Septembre, ces mouches ne puiflent guéres trouver de
quoi ramaffer même en Sologne, parce qu’il ne refle plus
guéres alors de fleurs de bled noir, M. Prouteau les y
laifl'oit pafler l’hiver. Il a quelquefois eflayé de les flûre
revenir en Septembre avant que les chemins fuflent gâtés,
mais cela 11e lui a pas réuflî. Quelle qu’en foit la caufe,
l’expérience lui a appris qu’il valoir mieux ne faire revenir
les ruches de Sologne, qu’en May, c’efl-à-dire, dans un
temps où elles ne font pas retenues chés elles par les
rigueurs de la l’aifon, &. où les fleurs de la campagne four-
niflent à celles qui fortent, de quoi fe remettrede la fatigue
du voyage.
Car de pareils voyages doivent réellement fatiguer les
abeilles ; on ne les tranfporte pas aulfi doucement que
celles qui navigent fur le Nil ou fur le Pô. C’efl en char¬
rette qu’on les voiture, & fi on ne les conduiloit avec des
attentions & des précautions que nous croyons devoir dé¬
tailler, on courroitrifqued’enfairepérirbeaucoupen route.
Entre les ruches qu’on a à tranfporterjes unes ont plufieurs
gâteaux de cire, & les autres n’en ont point ou prefque
point. Les premières demandent qu’on prenne des foins
qui feroient inutiles aux autres. Les gâteaux feroient en
danger d’être détachés par les ébranlements de la voiture.
704 Memoihes pour l’Histoire
fi on ne les mettoit en état d’y réfifter ; ils ne font pas afles
folidement aflujettis: on les aflujettit mieux qu’ils ne le
font, au moyen d’une ou de plusieurs petites baguettes de
bois qu’on fait entrera force dans la ruche, & qu’on pôle
horifontalement, & perpendiculairement au plan des gâ¬
teaux ; elles en prelfent les bords inférieurs fans les briler.
On a encore une petite attention, c’eft d’appuyer les
bouts de ces baguettes contre deux endroits où lont deux
des montants du bâtis de la ruche. Souvent les mouches
elles-mêmes travaillent pendant la route à attacher les gâ¬
teaux contre ces petits bâtons; & elles le feroient avant le
départ, fi on leur en donnoit le temps.
Les abeilles peu au fait du bien qu’on leur veut faire,’
ne foûtiendroient pas patiemment l’opération dont nous
parlons; aulh pour les empêcher d’être inquiettes, com¬
mence-t-on par les fumer. On les étourdit & les enyvre
avec de la fumée; alors on couche fans rifque la ruche fur
le côté, & on y difpofe les bâtons deftinés à maintenir les
gâteaux.
Dès que cela eft fait, on pofe la ruche fur une ferpil-
iiére, c’eft-à-dire, fur une toile très - groftiére & très-
claire. Cette dernière circonftance importe, parce qu’il
eft néceflaire par la fuite que l’air de la ruche puifle fe
renouveller. On releve les bords de cette ferpilliére fur
le corps de la ruche contre lequel on les tient bien appli¬
qués au moyen d’une ficelle qui fait plufieurs tours. L’on
arrange enfuite dans la charrette les ruches dont les gâteaux
font aflujettis, & où les abeilles font renfermées de manière
à n’en pouvoir fortir. Les charrettes dont on fe fert à cet
ufage dans la Manufadure de Yevre, font faites exprès.
Leurs ridelles ont quatorze à feize pieds de long, fur trois
pieds Si demi de hauteur. La diftance entre Jes deux ridel¬
les, ou, ce qui eft la même choie, la largeur de la charrette
eft telle
des Insectes. XIII. Mem. 705
eft teile que deux ruches y peuvent être placées, de lorte
qu’on peut les arranger fur le fond de la charrette en deux
files parallèles l’une à l’autre. Nous ne devons pas oublier
de faire obferver que les ruches y doivent être pofées le
haut en bas. C’eft encore par rapport aux gâteaux, qu’on
eft obligé de leur donner une pofition qui elt celle que
les abeilles aiment le moins. Les gâteaux ne fe trouvent
pas pendants comme ils le feroient, fi les ruches étoient
placées comme elles le font naturellement ; leur propre
poids ne tend plus à les détacher. Toutes les ruches
en panier font terminées par une poignée de bois. La
poignée de chaque ruche palfe au-delfous du fond de
la charrette. On a eu foin de lailfer de chaque côté un
vuide entre deux planches, & c’elt dans ce vuide qu’on
fait entrer Içs poignées des ruches de chaque file. Ces
deux files compofcnt une première couche, un premier
lit de ruches fur lequel on en met un fécond. Enfin,
après avoir calé les ruches, on les arrête le plus fixement
qu’on peut avec des cordes. L’attention elfentielle par
rapport à celles du fécond lit, c’efi de les placer de ma¬
nière quelles ne couvrent que le moins qu’il efi polfible
les ruches inférieures, quelles n’empêchent pas l’air d’v
entrer.
Nous n’avons parlé jufques ici que des ruches qui ont
beaucoup de gâteaux. On fe contente de boucher avec
une ferpilliére, l’ouverture de celles qui n’en ont point
ou qui n’en ont que de très-petits. Enfin, comme il n’y
a pas de raifon qui demande que ces dernières foient po¬
fées le haut en bas, on les met dans leur pofition ordi¬
naire, ayant feulement attention de les placer de manière
que l’air puilfe s’introduire au travers de la ferpilliére.
Chaque charrette peut contenir depuis trente jufques à
quarante-huit ruches. On ne doit frire marcher que la nuit
Tome V. . V u u u
yo6 MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
celle qui en eft chargée, pour peu qu’il fafte chaud. Ce
n’eft que dans des journées fraîches qu’on peut voiturer
les ruches pendant le jour. Quoiqu’on doive fouhaiter de
les conduire promptement au terme, on doit éviter de
faire trotter les chevaux, & être attentif à choifir les che¬
mins les plus unis; en un mot, cahotter les abeilles le
moins qu’il eft poiïïble: quelques attentions même qu’on
apporte, il en coûte toujours la vie à bien des mouches.
Ce n’eft pas que les cahots, précifément comme cahots,
leur l'oient extrêmement contraires ; ils le font principa¬
lement, parce qu’ils mettent les abeilles en rifque d’être
étouffées par la chaleur. Ce que nous avons dit de celle
qu’elles entretiennent dans leur ruche par leur feule pré-
fence, doit faire imaginer qu’il fait très-chaud dans les
ruches où l’air ne peut s’introduire qu’au tpvers d’une
toile lâche. Mais ft on fe rappelle que nous avons fait
oblèrver que lorfqu’ellcs s’y agitent, elles y augmentent
la chaleur au-delà de ce qu’on aurait pu penfer; que par
leur agitation, elles rendent au milieu de l’hiver les car¬
reaux de verre fi chauds, qu’ils femblent avoir été tenus
auprès du feu; fi, dis-je, on fe rappelle ce fait, on ju¬
gera que les cahots qui déterminent en été, les abeilles à
être dans un mouvement continuel, peuvent être caufe
qu’elles feront monter la chaleur de leur ruche à un degré
qu’elles ne pourront foutenir.
On a remarqué que les mouches qui étoient dans des
ruches vuides de cire, ne pouvoient gueres être tranfpor-
tées à plus de fept à huit lieues de fuite. Elles n’ont point
de miel, 6c cependant elles auraient befoin de prendre
des aliments, pour réparer les pertes quelles ont faites par
une tranfpiration plus grande que l’ordinaire, 6 c qui a
été néccftairement produite par l’agitation dans laquelle
on les a tenues. Si à la fin de la nuit elles ne font pas
des Insectes. XIII. Mem. 707
rendues à leur terme, on les fait fé/ourner où elles le
trouvent. On ote les ruches de delfus la charrette, on
les pôle à terre ; Si apres avoir délie la corde cjui tient la
ferpilliére, on ménage au bas de chaque ruche, une ouver-
tuie par laquelle les mouches fortent pour aller prendre
leurs repas à la campagne. Le loir, quand elles font tou¬
tes rentrées, on referme les ruches, & on les remet dans
la charrette pour leur faire continuer le voyage. Quand
elles font arrivées au terme, on les diftribue dans les jar¬
dins ou dans les champs qui font auprès d?s maifons de
différents paylans; eiles ne coûtent rien à ceux qui veulent
bien les fouffrir auprès de chés eux; auffi, pour une très-
petite Ibmme pour chacune,conlèntent- ils de veiller même
à ce qui peut leur être néceffaire.
Combien chaque province du Royaume n’a-t-elle pas
d'endroits au moins auffi favorablement litués pour les
abeilles, qu’Yevre-la-Ville! Quel fercit par an le produit
de la cire Si du miel dans le Royaume, s’il avoit autant
d’habitants auffi éclairés & auffi entendus que M. Proutaut,
qu’il y a de ces lieux heureufement litués pour les abeilles,
& dans chacun defquels on pourroit les faire multiplier!
Combien y a-t-il d’endroits qui, comme Yevre-la-Viile,
pourroient entretenir cinq à fix cens ruches! L’exemple de
M. Proutaut a déjà ouvert les yeux à les voifins. Plulleurs
fe font déterminés à foigner les abeilles, quoique moins en
grand. Il eh à défirer qu’un Ci bon exemple gagne de pro¬
vince en province. LeMiniftére, dont le zele pour le bien
oublie eft fi connu, peut beaucoup contribuer à y faire en¬
treprendre de pareils établiffements. Il jugera fans doute
que ceux qui y donneront leurs foins,mériteront d’être pro¬
tégés, d’être difïingués par des grâces, de ceux qui vivent
dans l’indolence; il peut déterminera faire des entreprifes
de cette efpéce, beaucoup de particuliers qui relient dans
V u u u ij
708 Mémoires pour l’Histoire
i’oifiveté, en les y invitant par des grâces offertes, comme
des exemptions de taille, ou par d’autres privilèges.
Nous avons avoué dans un autre Mémoire, que nous
ignorions encore fi la durée de la vie de chaque mou¬
che à miel n’étoit que d’une, ou fi elle étoit de plu-
fieurs années, comme beaucoup d’Auteurs l’ont cru lu?
une affés mauvaife raifon , fur le temps qu’une ruche
relie peuplée. C’efl juger que la vie des habitants d’une
ville, efl d’autant d’années qu’il y en a que cette ville
fubfifle. Des'expériences que nous avons indiquées pour¬
ront apprendre dans la fuite combien de temps une abeille
peut vivre. Mais outre celles qui périffent tous les ans
de mort naturelle, il en périt beaucoup de mort violente.
Elles ont hors de leurs ruches des ennemis redoutables ;
malgré leur aiguillon , des oifeaux de différentes efpéces
les avalent toutes vivantes; & parmi les infeéles, parmi
les mouches mêmes, il y en a qui leur font fupérieures
en force, qui les attaquent & qui les tuent pour les man¬
ger. J’ai vû fouvent des frelons & même des guêpes de
i’efpéce la plus commune, de celles qui ne font gueres
plus groffes que les abeilles, roder en voltigeant autour
d’une ruche, y épier le moment favorable pour tomber
fur une mouche laborieufe& qui revenoit de la campagne
fatiguée & chargée de cire; celle-ci faifoit des efforts inu¬
tiles pour fedéfendre, dansl’inftant elle étoit mifeà mort^
Quelquefois la guêpe s’envoloit au loin en emportant fà
proye; quelquefois elle fe pofoit affés près, & oyvroit à
belles dents le ventre de l’abeille pour fuccer tout ce qut
y étoit contenu. J’ai vû de même quelquefois des abeilles
occupées fur les fleurs à faire leur récolte, ou qui s’y ren-
doient pour la faire, qui étoient enlevées par des guêpes
ou par des frêlons. On prétend qu’il a été impoffible
d’établir des abeilles dans quelques-unes de nos Mes de
des Insectes. XIII. Mem. 7 c 9
l'Amérique, parce que les guêpes qui y font en trop grand
nombre, les détruifent toutes. Le mal quelles font dans
ce pays-ci à nos ruches, n’eft pas grand, & ne vaut pas
ia peine qu’on tente tous les moyens de les faire périr que
nous ont indiqués des Auteurs bien intentionnés pour
les abeilles.
Les araignées qui font la guerre à tous les infeéles aux¬
quels elles l'ont fupérieures en force, quoi qu’on en ait
dit, ne font pas fort redoutables aux abeilles. On a mis
auffi les fourmis au nombre des infectes qu’il faut éloigner
des ruches; elles ne font pas à craindre aux abeilles mê¬
mes ; elles feroient très-capables d’en vouloir à leur miel;
mais elles paroilTent fçavoir à quoi elles s’expoferoient,
fi elles ailoient piller celui d’une ruche bien peuplée. J’ai
admiré fouvent le choix que certaines fourmis avoient fait
du lieu où elles s’étoient établies, de ce qu’elles avoient
fçu en trouver un qui raffembloit des avantages que
tout autre n’eût pu leur offrir. En ouvrant les volets de
mes ruches vitrées, j’ai vû fouvent des milliers de four¬
mis qui étoient entre ces volets & tes carreaux de verre;
elles y avoient tranfporté leurs œufs, leurs vers & leurs
nymphes, dont 1e nombre égaloit & furpaffoit quelque¬
fois celui des fourmis mêmes. Où auroient-elles pu trou¬
ver un endroit dans 1e jardin qui eût un pareil degré de
chaleur & auffi confiant î Mais on n’appereevoit aucune
fourmi en dedans de ces mêmes ruelles qui en avoient
tant en dehors ; elles auraient trouvé de relie des ouver¬
tures pour y entrer, dont fans doute elles avoient grande
envie, & ce quelles n’euffent pas manqué de faire, fi le
miel eût été moins bien gardé; Quand j’ai laiffé pendant
quelques heures dans te jardin, des ruches dont tes mou¬
ches étoient péries, alors tes fourmis qui n’avoient rien
à craindre, n’ont pas manqué d’aller fe régaler du mief
Vu uu iij
* Ton. 111.
Mem. VIII.
P a 3- 2 4S‘
yiO MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
qui y étoit refté; mais je 11e les ai point vu aiier inquié¬
ter les abeiiles dans des ruelles bien vives.
Les préceptes donnés par les Anciens, ne veulent pas
qu’on fbuffre les lézards, les grenouilles, les crapauds,
auprès des ruches.' Quand ces animaux peuvent attraper
des abeilles, ils les mangent affurément, comme ils man¬
gent tant d’autres infectes; mais ils en attrapent fi peu
dans le cours d’une année, qu’ils ne diminueront jamais
fenfiblemcnt le nombre de celles d’une ruche.
Les oifeaux font bien autrement redoutables aux abeil¬
les. J’ai vu fouvent à regret les moineaux attroupés autour
de mes ruches, & qui, fous mes yeux, prenoient leurs
mouches & lesavaloient comme des grains de bled. G’eft
aufTi l’efpéce d’oifeauxqui en détruit le plus, ôl qui feule
en détruit plus que toutes les autres enfemble; car, quoi
qu’on ait dit contreles hirondelles, je ne croispas quelles
faffent de grandes captures d’abeilles.
Elles ont des ennemis qui ne leur en veulent pas à elles-
mêmes, & qui cependant font les plus à craindre pour
leurs républiques. Je veux parler de ces fauffes teignes,
dont nous avons donné ailleurs une hiftoire * qui nous
difpenfe de dire à préfent comment elles fe conduifent
pour être en fûreté pendant qu’elles hachent les gâteaux
de cire; comment elles percent de longues fuites de cel¬
lules pour fe nourrir de cire, à laquelle feule elles en veu¬
lent. Nous avons fait connoître les différentes efpéces de
papillons dans lefqucls les différentes efpéces de ces fauffes
teignes fe métamorphofent. Quand on peut tuer de ces
papillons, on ne leur doit pas faire grâce; les abeilles ne
fèmbient pas affés infimités de ce qu’elles en ont à crain¬
dre; elles les laiffent quelquefois dans leur ruche fans les
pourfuivre; elles paroiffent ignorer que ce font ces papil¬
lons qui donnent nai(Tance aux fauffes teignes qui font
/
des Insectes. XIII. Mem. 711
tant de ravages dans leurs gâteaux. Letat où iont certai¬
nes portions des gâteaux, des toiles, des tuyaux de foye
qu’on y voit, des fragments de cire hachée menu qui font
fur le fond d’une ruche, apprennent à celui qui la vifite,
fi elle eft infeélée de ces faufTes teignes. Il doit fans héfi-
ter, couper les portions de gâteaux où elles fe font éta¬
blies. Enfin, fi elles ont attaqué un trop grand nombre
de gâteaux, il faut faire palier les abeilles dans une autre
ruche; elles pourraient être forcées, mais trop tard, à
quitter la leur. Il y a pourtant des temps où les abeilles
fçavent faire la guerre aux faufTes teignes. Après avoir
vu partir une mouche chargée d’un long corps blanc,
j’ai été examiner le fardeau dont elle s’étoit déchargée
à dix ou douze pas de la ruche; & j’ai quelquefois trouvé
qu’il étoit une faufTe teigne de la plus grande efpéce, &
prête à fe transformer en nymphe.
C’eft aux abeilles mêmes que s’attaque un petit in¬
fecte *, qui les fucce pour fe nourrir. Elles ont été ac- *pi. 58.%,
cordées à une efpéce de poux qu’on ne trouve point fur
les autres mouches. Les jeunes abeilles n’en ont point; ce
ne font que les vieilles, & les vieilles de certaines ruches
qui font fu jettes à cette vermine. Ordinairement on n’en
peut découvrir qu’un fur chaque abeille ; & pour le voir,
il ne faut pas beaucoup le chercher. Il eff rougeâtre, à
peu près de la groffeur de la tête d’une très-petite épin¬
gle; il fe tient prefque toujours fur le corcelet; on ferait:
porté à le prendre pour un petit grain de cire brute qui
y ferait refié attaché : mais quand on l’examine avec une
loupe même foible, on ne peut s’y méprendre; on dis¬
tingue très-bien la plupart de Tes parties; fon corps pa¬
raît luifant & écailleux , comme le font les fix jambes qui
le foûtiennent. Si on a recours à une forte loupe, on
yoit fur fon enveloppe écailleufe, une grande quantité de
712 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
poils. On ne trouve point une forme de tête à fa partie
pi. 38.fig. antérieure; le bout en femble coupé quarrément *, &
2- cela, parce qu’il fe recourbe en delfous; & cette por¬
tion recourbée va en diminuant de grolfeur, fe termi¬
ner par une pointe fine, qui eft fans doute le bout de
* Fig. i, & la trompe *. En defifiis, la partie qui fe recourbe, a de
3 ° u chaque côté un tubercule allés élevé; on peut foupçon-
ner que ces deux tubercules font les yeux de l’infeéle.
Après la partie antérieure, font trois anneaux bien mar¬
qués, de chacun defquels part une paire de jambes. II
faut bien chercher fur le corps les féparations des autres
anneaux pour les appercevoir ; mais elles font plus fenfi-
bles du côté du ventre. Le pied qui termine chaque jambe
forme une efpéce de palette bordée au moins de trois à
quatre crochets. On voit avec plaifir comment les cro¬
chets de chaque pied fe cramponnent fur les poils de l’a¬
beille, qui foutiennent le petit animal fans fe courber fous
le poids. Souvent je l’ai trouvé près du col de la mou¬
che, près de l’origine de fes ailes, & quelquefois près de
celle de quelque jambe. Je ne crois pas la trompe capa¬
ble de percer les écailles qui recouvrent le corcelet de
l’abeille; mais elle peut s’introduire dans les articulations
où la flexibilité étant néceflaire, il a fallu que l’écaille
manquât.
On n’a pas bonne idée des ruches dont la plupart des
mouches ont de ces poux, & peut-être a-t-on raifon,
parce qu’il eft plus ordinaire de les trouver aux mouches
des vieilles qu’à celles des nouvelles ruches; ils ont eu
plus le temps de fe multiplier; mais font-ils réellement
beaucoup de mal aux mouches ! c’efl: ce qu’on ne fçait
pas trop, au moins paroît-il fur qu’ils ne leur caufcnt pas
beaucoup de douleur, ni même qu’ils ne les inquiètent
pas ; car quoiqu’il ne foit peut - être pas aufli ailé à la
mouche
des Insectes. XIII. Mem. 7 i 3
mouche de faire pafler quelqu’une de les jambes fur ion
coicelct, que lur quelqu autre partie de ion corps ; & que
ce l'oit peut-être ce qui détermine le pou à s’y placer, il
cft fouvent dans des endroits où une jambe de la mouche
peut être portée, & d’où elle pourroit le faire tomber, &
où cependant il lui eft permis de reiîer tranquille. On a
néantmoins regardé ces petits infedes comme très nui-
fibles aux abeilles. On a enfeigné des moyens de les faire
périr, que je ne crois pas bien certains. Un des remèdes
des plus vantés pour en délivrer les abeilles, eft de les
arroièr d’urine, d’en jetter fur elles dans la ruche avec
line efpéce de goupillon ; mais l’urine ne m’a pas paru
nuifi funelte à ces poux qu’on l’a penfé; & il y en au-
l'oit bien peu qui s’en trouveroient mouillés. Un autre
remède, car il y a pour les maladies des abeilles, comme
pour les nôtres, des remèdes à choilir, c’eüde les arroièr
d’eau-de-vie; Sc un autre, c’ell de les fumer.
Une maladie des abeilles plus confidérable que la pé¬
diculaire, écdont nous avons déjà parlé, c’efl le dévoye-
rnent; quelques-uns de leurs Médecins l’attribuent au
miel nouveau dont elles fe nourriflent au printemps &
dans des jours froids. Pour me mettre aulîi au rang de
ceux qui ont difeouru fur les caulès de leurs maladies, je
dirai que je crois que celle-ci ne vient pas précisément
de la qualité du miel; mais de ce que les abeilles l’ont
pris pour toute nourriture, de ce quelles n’ont pu fe
nourrir en partie de cire brute. J’ai dit ailleurs que
i’avois donné le flux de ventre aux abeilles que je n’a-
vois nourries que de miel ; & j’ai dit en même temps
combien cette maladie leur efl funefle, parce quelles fe
mouillent réciproquement de leurs excréments. Audi des
Auteurs tels que Vandergroen, qui ont donné de bons
préceptes pour loigner les abeilles, aflùrent que le flux de
Tome V* . Xxxx
* M l'Abbé
de Li Ferrure.
714, MEMOIRES POUR L’HISTOIRE
ventre vient à celles qui manquent de pain, c’efl-à-dire,
à celles qui manquent de cire brute. La recette prefcrite
par un Auteur intelligent* contre cette maladie, & à la¬
quelle beaucoup d’autres reviennent, efl d’une demi livre
de lucre, autant de bon miel, une chopine de vin rouge,&
environ un quarteron de fine farine de fève, le tout mêlé
en Tenable, qu’on préfentera aux abeilles fur une afîictte.
Si je voulois faire le réformateur, je diminuerais la dofe
du miel. Mais j’aime mieux propofer mon remède; celui
qui me paroît le plus fur, efl de tirer de quelque autre
ruche,fi on-y en peut trouver, un gâteau dont les cellules
foient remplies de cire brute, & de le donner aux abeilles
malades. On voit quelquefois les abeilles ronger par em-
bas, leurs propres gâteaux de cire. Je croirois volontiers
qu’elles n’en viennent là que quand la cire brute leur
manque ; & qu’à fou défaut, elles mangent un peu de
cire; quelles en choififfent les fragments où il efl refié
de la cire imparfaite.
Quoique M. l’Abbé de la Ferriere nous ait donné
beaucoup des avis utiles par rapport aux abeilles, j’ap¬
préhende qu’il n’ait mis au rang de ce qui efl à craindre
pour elles, un aliment qui leur efl néceffiire. Il dit que la
rougeole leur efl fatale. Ce qu’il appelle la rougeole, efl
une efpéce de mielfauvage. C’efl une matière rouge, épaijjè,
qui 11 emplit jamais que la moitié des trous des rayons. Cette
matière ejl plus amère que douce; elle devient jaunâtre, &
engendre des vers ou grillots qui font périr les mouches, &c.
Il veut qu’on ait grand foin doter tout ce vilain miel. On
voit qu’il a été déterminé à le vouloir par une très-mau-
vaife phyfique, parce qu’il a cru que des vers pouvoient
naître d’une matière corrompue. Mais ce miel fauvage n’efl
point du miel, c’efl de la cire brute très-néceffaire pour la
nourriture & pour les ouvrages des abeilles.
des Insectes. XIII . Mcm . 715
J'ai lu avec plus de plaifir ce que M. l’Abbé de la Fer¬
rière a écrit dans le chapitre xvi. de fa fécondé Partie,
iur la mortalité des abeilles, ce qu’il y rapporte me paraît
très-vrai. Il remarque qu’il y a deux failons qui épuifeot
les ruches de mouches; fçavoir, l’automne, & cela lorf-
que les feuilles commencent à tomber, & le commence¬
ment du printemps. Il ne croit pas dire trop quand il
alfùre qu’il meurt plus du tiers des mouches de chaque
ruche en automne, & qu’il n’en meurt pas moins au prin¬
temps; &. c’elt ce qui l’empêche de croire avec certains
Auteurs, quelles vivent fept ans, & avec d’autres, quelles
en vivent dix. Les grandes mortalités dont nous venons
de parler lui parodient prouver que les mouches ordb
naires ne vivent gueres qu’un an. Il penfe avec beaucoup
de fondement, que les mouches le renouvellent dans
chaque ruche tous les ans, ou au moins tous les deux
ans. Il ne veut pas que ce foit le froid qui fade péri r
celles qui meurent en automne; fouvent pourtant il y a
beaucoup de part; il furprend celles qui ont hazardé de
fortir pendant que l’air étoit encore doux, mais qui eft
devenu trop froid avant leur retour. Il veut que celles
qui meurent alors, meurent de vieillede & épuifées des
fatigues de l’été, & que les jeunes mouches alors tuent les
vieilles qui mourroient bientôt de langueur. Enfin, pour
confirmer fa première alfertion, il allure que lorfqu’on fait
périr deux ruches qui femblent également fortes, c’efî-a-
dire, qui font également pelantes, l’une au mois de Juin
ou de Juillet, & l’autre, au moisd’Avril ou de .Mars, on
ne trouve pas dans la dernière, la moitié au plus, ou Je
tiers des mouches de l’autre.
Lorfqu’on a été attentif à prendre pour les abeilles,
tous les foins qui peuvent contribuer à les conferver, à
les multiplier, & à leur faire faire de grandes récoltes, on
Xxxx ij
yi 6 MEMOIRES POUR L’HïSTOIRE
a acquis le droit de partager avec elles, les fruits de leurs
Ira vaux. Néantmoins je trouverai toujours trop dur de leur
enlever, non-feulement tout ce quelles ont ramaffé, mais
de les faire périr elles-mêmes pour l’avoir. On le trouve
de même dans la plupart des pays du Monde ; dans le
plus grand nombre des provinces du Royaume, on fe
contente de prendre une portion des gâteaux de chaque
ruche, ce qu’on appelle la châtrer ou la tailler. Dans dif¬
férents pays, on les châtre en différentes faifons ; dans
quelques-uns, c’efi à la fin de Février ou dans le mois
de Mars. On peut alors, fans faire tort aux moue lies,
leur ôter une grande partie du miel qui leur eft refié de
leur provision d’hiver. Elles n’ont hefôin qu’on leur laide
que ce qu’il leur en faut pour paffer les jours rudes qu’il
peut y avoir jufqu’au commencement de Mai. On peut
aufii leur ôter alors, plufieurs de leurs gâteaux de cire qui
font vuides de miel, fur-tout ceux dont la cire efi deve-
nuë trop noire On peut raffraîchir par embas la plupart
des gâteaux. Pendant qu’on enleve ainfi aux abeilles, ce
qu’elles pourront remplacer bien vite, on leur îend de
bons offices fi on eft attentif à ôter les faufies teignes qui
ont crû dans la ruche.
Le petit ouvrage qui a pour titre, Traité des mouches
à miel, & dont la fécondé Edition a été imprimée à Paris
en i 697- nous rapporte les différents temps dans lefquels
on dépouille les abeilles d’une partie de leur cire & de
leur miel dans différentes provinces du Royaume. Il dit
qu’en Champagne, c’efi vers la fin de Juin; aux environs
de Paris, au commencement de Juillet; en Normandie,
au commencement d’Août ; en Provence, à la fin de
Septembre; & qu’en Poitou & en Limofin, on ôte les
Ratifiés qu’on a données aux ruches au commencement
d’Oélobre, & qu’on coupe tous les gâteaux qui fe trouvent
des Insectes. XIIL Mem. 717
clans ccs haufles. Le temps de cette opération doit non-
leulement varier dans différentes provinces, il doit varier
dans différents cantons de la même province, & même y
varier dans différentes années; car il en efl de cette récolte
comme de toutes les autres fur lefquelles les faifons in¬
fluent tant. Nous ne pouvons faire la nôtre qu après que
les abeilles ont eu fait la leur ; 6 c elles la font plutôt ou
plus tard, félon que le pays où elles font 6 c félon que l’an¬
née ont donné plutôt ou plus tard des fleurs. Il ne faut
donc pas prendre à la rigueur ce qu’a rapporté l’Auteur
du Traité des abeilles. Je connois des cantons du Poitou,
par exemple, où l’on ne fçait ce que c’efl que de donner
des hauffes aux ruches, 6 c où on les châtre dès la fin de
Février; 6 c d’autres où ce n’efl qu’en Juillet ou en Août.
C’efl une efpéce d’expédition militaire d’enlever de
l’intérieur d’une ruche, des gâteaux que des milliers
de mouches bien armées font très-difpofécs à défendre.
Auffi celui qui l’entreprend doit-il avoir mis fon vifage
à l’abri au moyen du carnail *, 6c avoir fes mains dans * pi,
de bons gants. Il y a pourtant des gens à la campagne qui '•
bravent afles les piquûres des mouches pour aller fiiire
le ravage chés elles fans s’être cuiraffés ; mais auffi com¬
mence-t-on toujours par endormir, ou du moins par
étourdir l’ennemi. Les uns veulent que pour châtrer une
ruche, on prenne l’heure de midi, parce que plus d’a¬
beilles font alors à la campagne: mais celles qui rcflent
dans la ruche font alors plus aétives, plus difficiles à étour¬
dir; 6 c celles qui reviennent de la campagne continuelle¬
ment, incommodent fort pendant l’opération. D’autres
penfent, 6 c je penfe comme eux, qu’il vaut mieux choi-
fir le matin , temps où elles font encore engourdies.
Pour les engourdir davantage, à quelque heure du jour
qu’011 veuille opérer fur leur ruche, on commencera par
Xxxx iij
yiS MEMOIRES POUR L’HlSTOIRE
les fumer. On foûieve un peu la ruche, & l’on y fait en¬
trer la fumée d’un tampon de linge qu’on tient à la main.
La fumée qui les incommode & qui les étourdit, les oblige
à monter le plus haut qu’il leur elïpofhble. Un coup d’œil
jetté dans cette ruche, apprend quels font les gâteaux qu’il
convient de couper; & c’elf de defïus ceux ci qu'il faut
chaffer les mouches, c’eft-à-dire, que ce font ceux fur lef-
quels il faut faire aller la fumée. Une fumée qui a duré
quelques minutes, a ordinairement conduit les mouches
où on les veut, & leur a fait perdre une partie de leur
aèfivité. Alors on prend la ruche, on la couche fur une
chaife, fur une fellette de bois, fur un banc; tout appuy
qui la foûtient à une hauteur commode pour couper où
l’on veut, cft bon. Si le châtreur elt bien outillé, il a un
couteau dont la lame eft un peu courbe, comme celle des
ferpettes; mais il peut fe fervir d’un couteau ordinaire;
les gâteaux les plus pleins de miel, n’oppofent pas une
réfiltance bien difficile à vaincre. Pendant tout le temps
que l’opération dure, il eft à propos de conferver un tam¬
pon de toile qui répande de la fumée pour chaffer les
mouches de deffus les gâteaux qu’on veut avoir, quand
elles y font en trop grand nombre. La pofition des
gâteaux pleins de miel, & la pofition de ceux qui font
très-vieux, déterminent à détacher ceux d’un côté plu¬
tôt que ceux d’un autre, à les détacher en entier, ou à
les couper à quelque diftance du haut. Enfin, on eft
convenu, & il y a une forte d’équité & même de nécef-
fité, de laiffer aux abeilles à peu près la moitié de leur
miel.
Celui qui opère eft ordinairement un homme qui
connoît les ruches, qui fçait que les cellules bouchées
par des couvercles qui ne font pas fi plats que ceux qui
ferment les cellules à miel, font remplies par du couvain.
des Insectes. XIII. Af cw . 7 , 9
c’efl - à-dire, par des nymphes ou par des vers prêts à le
transformer en ny mphes. Il le donne bien degardede cou¬
per les gâteaux qui doivent dans la fuite peupler la ruche
& fournir même aux effaims. Mais fouvent il n’efl pas a (Tés
attentif à ne pas couper les gâteaux dont les alvéoles ne
font remplis que de couvain moins apparent, que de très-
jeunes vers. 11 faudrait pourtant porter l’attention jufques
à épargner tous les gâteaux qui font pleins d’œufs, & or¬
dinairement on ne savile pas feulement d’y regarder.
Avant que de couper un gâteau dont les alvéoles fem-
blent vuides, on devrait en rompre un petit morceau,
& examiner fi dans le fond de chacun de ces alvéoles qui
paroi ffent vuides, il n’y a pas un œuf. Si on yen décou¬
vre, le refie du gâteau mérite d’être confervé, puifqu’en
moins de trois fèmaines il donnera autant de mouches
qu’il a de loges.
Quelques Auteurs preferivent de ne couper que les
gâteaux qui font vers le derrière de la ruche ; mais on doit
s’affujettir à cette réglé, ou fedifpenferdelàfuivre,félon
que les gâteaux les plus pleins de miel fe trouvent placés.
Après qu’on a ôté à une ruche tout ce qu’on veut lui
ôter, on la remet en place. Le côté auquel on a le plus
ôté, doit être mis en devant, c’efl-à-dire, être le plus
expofé au Soleil, parce que c’eft de ce côté là que les
abeilles travaillent plus volontiers.
M. l’Abbé de la Ferriere confeille de coucher le loir
les ruches qu’on veut tailler dans le mois de Mars. Le
matin fuivant on trouve beaucoup de facilité à faire l’o¬
pération. Les mouches font alors fi engourdies par le
froid de la nuit, qu’il n’efl prefque pas néceffaire de les
fumer. D’ailleurs, fi on a eu attention de mettre en haut
le côté où font les gâteaux auxquels on ne veut point
toucher, on trouvera ceux qu’on veut couper abfolumen*
720 MEMOIRES TOUR L’HlSTOIRE
dégarnis de mouches, parce que c’dt vers le haut quelles
fe lont attroupées pendant la nuit.
On peut non-feulement partager avec les abeilles leur
cire & leur miel, on peut ne leur en rien lailTer. Cette
pratique eft meme celle qu’on préféré à la Manufacture
d’Yevre-la-Ville, dont nous avons parlé ci-devant. Ordi¬
nairement on n’y châtre point les ruches, on oblige les
abeilles à paffer de celle dans laquelle elles ont bien tra¬
vaillé, dans une vuide de tout. Mais on a attention de le
faire dans un temps où la campagne fournit abondam¬
ment aux mouches laborieufes de quoi réparer ce qui leur
a été enlevé. Si les environs d’Yevre la-Ville ne lont pas
alors alfés fournis de fleurs, on les voiture dans un pays
où l’on fçait quelles ne leur manqueront pas,c’efl-à dire,
tantôt dans les plaines de Bcauce, tantôt dans des endroits
couverts du Gâtinois, 6c tantôt en Sologne; 6c cela félon
que l’année & la laifon le demandent 11 n’y auroit rien
à dire contre la pratique de faire paffer les abeilles d’une
ruche dans une autre, h on pouvoit lauver le couvain de
ïa première. Les meilleures pratiques ont des inconvé¬
nients; celui de Lire périr le couvain fera rendu moin¬
dre, fi on choifit pour faire le déménagement des abeilles,
le temps où il y a peu de couvain dans l’ancienne ruche.
Je ne dirois que tout ce que le monde fçait, & ce qui
a été dit & redit dans mille ouvrages, fi je m’arrêtois à
expliquer comment on tire le miel des gâteaux, & com¬
ment on réduit enfuite les gâteaux en pains de cire. On
a dû entendre, fans que nous en ayons averti, qu’à mefure
que les gâteaux font coupés, on les met dans des plats
qui reçoivent le miel qui en découle. Perfonne n’ignore
que les gâteaux les plus blancs donnent le plus beau miel;
que le miel que l’on en laiffe dégoutter, en les mettant, foit
dans des chauffes, foit dans des tamis, &c. efl pl us beau que
celui
des Insectes. XIII . Mem . y 21
celui qu on en tire par expreffion ; qu’il faut pourtant
mettre les gâteaux fous une preffe, fi l’on veut en faire
fortir tout le miel qui y efl. Que lorfqu’on fe contente
tic les preffer dans une lerviette dont on roule les deux
bouts dans des feus oppofés, on ne parvient pas à en
tirer autant de miel, que lorfqu’on les comprime fous
des cfpéccs de Preffoirs.
Enfin, qui ne fçait pas qu’il n’y a plus qu’à mettre dans
lin chauderon qui contient un peu d’eau, les gâteaux dont
le miel a été exprimé; que l’eau empêche que la cire ne fe
brûle ou noirciffe pendant quelle fond ; & qu’après quelle
elt fondue, on la verfe fur une ferviette que deux hommes
tiennent étendue au-deffus d’un plat creux qui contient de
1 eau l La cire qui paffe au travers de cette efpéce de filtre
groffier, tombe dans le plat. On roule la ferviette, on
la ferre pour contraindre toute la cire à fortir. I! refie
dans la ferviette une quantité de marc affés confidérabJe,
fournie par tout ce que les gâteaux avoient qui n’étoit
ni cire ni miel. La cire qui a coulé dans le vafe qui con-
tenoit un peu d’eau froide, s’y fige & forme un pain. II
feroit plus curieux d’apprendre comment au moyen de
plufieurs manipulations, 011 fait perdre à cette cire fa cou¬
leur jaune, comment on la rend de la cire très-blanche;
mais ceci appartient à l’Hifloire des Arts; & nous ne dé-
fefpérons pas de l’expliquer dans un autre temps.
On fçait qu’il y a des miels qui différent en qualité,
qu’il y en a qui font bien fupérieurs aux autres ; ils doi¬
vent tenir des plantes dont ils ont été tirés. Le miel de
Narbonne a à Paris une réputation que les miels des au¬
tres cantons du Royaume n’y ont pas. Les abeilles trou¬
vent autour de Narbonne des plantes quelles ne trouvent
pas en Sologne ; peut-être auffi que dans différents cli¬
mats, les mêmes plantes fourniffent un fuc miellé, plus
Tome V - Y y y y
y 22 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
ou moins parfait. Ce fuc, comme le vin, doit fe fentir
du terroir. J’ai voulu tenter s’il n’y auroit pas moyen de
faire faire aux abeilles un miel d’un goût plus relevé que
celui des meilleurs miels qui nous font connus, un miel
qui eût un goût qui approchât plus de celui du fucre.
Pour y parvenir, je mis des abeilles à même de porter
dans leurs alvéoles, du fucre au lieu de miel. Dans une
faifon où elles pouvoient à peine trouver à la campagne
de quoi vivre, j’en lis paffer une petite république dans
une ruche vitrée qui n’étoit gueres plus grande que la
plus petite de celles dont j’ai parlé dans le cinquième
Mémoire. Je portai cette ruche dans mon jardin de Paris,
& je hs mettre auprès une afliette où il y avoit toûjours
du fucre délayé avec de l’eau à confiftance de firop. Les
mouches qui auroient été obligées de faire au loin des
courfès qui leur auroient peu produit, s’accommodoient
de la liqueur qui étoit fi fort à leur portée, & qui ne leur
manquoit pas. Ces abeilles firent de petits gâteaux de
cire; & au bout de quelques jours les cellules d’un de
ces gâteaux, furent pour la plûpart, remplies de miel.
On n’a pas befoin de fçavoir quel fut le fort de ces mou¬
ches ; je dois feulement dire que je leur ôtai bientôt ce
gâteau qui contenoit du miel que je croyois devoir être
tout fucre. Je lui trouvai effecffiveinent un goût plus rele¬
vé que celui du miel ordinaire; mais d’ailleurs, il étoit de
véritable miel. J’aurois cru qu’il fe ferait grainé plus vite
que ne fe graine le miel ordinaire; mais depuis près de
quatre ans que je le garde, il eft refié clair, tranfparent,
& coulant comme il l’étoit d’abord, & n’efi nullement
en grain. Cette expérience eft très-propre à confirmer ce
que nous avons dit ailleurs, que le miel eft travaillé dans
le corps des abeilles; s’ii ne l’étoit pas, les cellules de mon
petit gâteau n’euffent dû être remplies que d’un firop de
des Insectes. XIII. Mem. 723
lucre. Peut-être aufli ce ürop a-t-il été mêlé avec un
peu de miel ordinaire que les abeilles avoient été re¬
cueillir à la campagne; mais il a dû y entrer peu de celui-
ci : le nombre des abeilles qui s’en tenoient au lucre, fur-
pafloit de beaucoup celui des abeilles qui alloient à la
campagne.
Au relie, dans des temps où les abeilles trouvoient
afTés de miel à la campagne, je les ai vu méprifer le fucre
en poudre dont j’avois rempli des afliettes que j’avoispo-
fées auprès de ruches très-peuplées.
Les miels différent encore plus entr’eux par la couleur,
que par le goût. Le plus blanc eft le plus eltimé; il y en a
de plus ou de moins jaune. La couleur du plus blanc
s’altère lorfqu’il vieillit. Le vieux miel des ruches elt ordi¬
nairement jaune ; mais il y en a qui l’elt dès qu’il vient
d’être dépofé dans les alvéoles. J’en ai oblervé d’une
couleur qu’il efl beaucoup plus rare de lui trouver; & je
n’en ai oblervé qu’une feule fois de cette couleur. Il pa¬
roi doit fi vert dans les cellules, qu’elles fembloient rem¬
plies du jus d’herbe le plus vert. D’ailleurs, fon goût fut
trouvé plus agréable que celui des miels ordinaires. Dans
la même ruche, il y avoit pourtant quelques gâteaux de
cire nouvelle pleins de miel jaunâtre. Pourquoi la plûpart
des vieux gâteaux de cette ruche avoient-ils du miel vert
pendant que celui de toutes mes autres ruches étoit blanc
ou jaune! Eft-ce que les abeilles de cette ruche avoient
été le puifer dans des endroits où n alloient pas les abeil¬
les des autres ruches! N’y a-t-il pas plus d’apparence que
la difpofition de l’intérieur des mouches de cette ruche
avoit été caufe de ce que la couleur de fon miel différoit
de la couleur du miel des autres ruches! J’en ai mis dans
des pots d’un verre blanc & tranfparent, il ne paroiffoit
plus alors aufli vert qu’il le paroiffoit lorlqu’il étoit dans
Yyyy ij
724 MEMOIRES POUR L'HlSTOIRE
tics cellules d’une cire un peu brune ; il y avoit à peine
une légère nuance de vert.
Ce n’eft pas feulement en couleur & en goût que les
miels peuvent différer entr’eux, ils peuvent différer par des
qualités qu’il nous importerait fort de pouvoir connoître.
Quoique le miel foit communément très- fain , il peut y
en avoir dont Tillage ferait funefîe. C’efl de quoi la der¬
nière des aventures de cette fameule retraite des dix mille
nous a donné une preuve bien authentique. Xenophon
rapporte que ceux des Grecs, qui, après avoir traverfé
avec tant de peine & de courage, une fi grande étenduë
de pays ennemi, eurent le bonheur d’arriver auprès de
Trebifonde, y trouvèrent plujîeurs ruches d’abeilles; les
foldats, dit cet Auteur, n’en épargnèrent pas le miel; il leur
prit un dévoyentent par haut & par bas fuivi de rêveries;
en forte que les moins malades rejjembloietu à desyvrognes,
& les autres, à des perfonnes ftrieufes ou moribondes. Ou
yoyoit la terre jonchée de corps comme après une bataille;
perfontte néant moins n’en mourut, & le mal cejfa le lende¬
main, environ à la meme heure qu’il avoir commencé; de forte
que Us foldats fe levèrent le troiféme & le quatrième jour,
mais en l’état oit on cjl après avoir pris une forte médecine.
M. de Tournefort, qui a rapporté ce paffage dans iadix-
feptiéme lettre de fon voyage du Levant, où il parle de
Trebifonde, étoit plus en état queperfonne de nous ins¬
truire de la plante de laquelle les abeilles pouvoient avoir
tiré un miel fi à craindre; il penfe que c’efl: quelqu’une des
* 111. Vol. efpéces de Chamezrhododendros *, qu’il a trouvées auprès
pa °' 7 °‘ de Trebifonde. Plufieurs Auteurs anciens, 6c quelques
modernes, ont parlé du miel qui cauloit des vertiges.
C’efl fur quoi on peut confulter encore la lettre de M.
de Tournefort que nous venons de citer.
Comme il y a des différences entre les miels, il y en a
des Insectes. XIII. Man. 725
entre les cires faites par différentes abeilles, dont celle qui
a été le plus remarquée, clt que les unes font plus difficiles
à blanchir que les autres. On ne peut parvenir à donner un
beau blanc à la cire de certains pays ; &. dans le même
pays, la cire qu’on tire de quelques ruches ne peut jamais
préndrc toute la blancheur qu’on parvient à donner à celle
des autres ruches. A la Blanchifferie d’Yevre-la-Ville, on
préféré les cires de Sologne à celles du Gâtinois; mais on y
regarde les cires de la foret de Fontainebleau, comme bien
inférieures même à ces dernières; on affine quelles ne de¬
viennent jamais bien blanches. Nous avons dit ailleurs que
les abeilles 11e font que de la cire blanche dont la couleur
s’altère, qui jaunit & noircit même par la fuite; N nous
avons dit dans le même endroit, que la cire qui ne vient
que de fortir des mains, pour ainfi dire, ou plus exactement,
des pattes de certaines abeilles, a la blancheur de la plus belle
bougie, pendant que la cire qui vient d’être faite par d’autres
abeilles, rcffemble à de la bougie qui a jauni à l’air. La der¬
nière cire doit être plus difficile à blanchir que l’autre.
Nous ne devons pas finir l’hiftoire des abeilles fans par¬
ler du produit qu’on peut efpérer chaque année de cha¬
que ruche. C’elt le point efîentiel, & c’efl ce qui peut
engager à prendre des loins pour elles dans les temps où
elles en demandent. Tout ce que nous avons rapporté
julques ici, a affes fait entendre que ce produit doit extrê¬
mement varier félon les pays; que dans le même pays, il
ne fçauroit être le même tous les ans; que toutes les ru¬
ches n’ayant pas des meres également fécondes, elles ne
font pas également pourvues d’ouvrières; que par confé-
quent, il y a bien plus d’ouvrage fait dans la même an¬
née dans certaines ruches, que dans d’autres. Mais pour
donner quelque idée de ce qu’on en peut attendre dans
des endroits du Royaume dont la fituation n’eft pas des
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yi 6 MEMOIRES POUR L’HiSTOIRE
plus favorables aux mouches, nous dirons qu’à la Blan-
chifferie d’Yevre près de Petiviers, où la pratique nef!
point de châtrer les abeilles, mais de les changer de panier,
& de profiter ainfi de tout ce qu elles ont fiait julques alors;
qu’à î evre, dis-je, fuivant les Mémoires que j’en ai eus de
M.du Hamel, un bon effaimdedeuxanspeutdonnerdcux
livres & demie de cire, & vingt-cinq à trente livres de miel ;
& que valeur moyenne, on arbitre la dépouille de chaque
ruche à deux livres de cire, & à vingt livres de miel. Si l’on
joint à ce produit celui de l’eflaim, on conclurra qu’un
grand nombre de ruches qui ne coûtent prefque rien dans
le cours de l’année, peuvent être à la campagne un objet
digne d’attention. A Charenton mes ruches ne m’ont ja¬
mais donné plus de deux livres de cire, & fouvent qu’une
livre & demie ou cinq quarterons; mais les abeilles don¬
nent bien d’autres produits dans les pays où elles trouvent
pendant la plus grande partie de l’année des fleurs en abon¬
dance. On nous parle de contrées où on les taille tous les
quinze jours & même plus fouvent. Je ne crois pas cela
impoffible; car aux environs de Paris, les abeilles d’un
bon effaiin font fouvent en moins de quinze jours plus
de cire quelles n’en font dans tout le relie de l’année.
Elles travaillent par-tout, d’autant plus qu’elles font plus
dans la néceffité de travailler, fi la campagne peut fournir
à leurs récoltes.
EXPLICATION DES FIGURES
DU TREIZIEME MEMOIRE .
Planche XXXVIII.
L Es Figures \, 2 & 3 repréfentent un pou d’abeille
groffi au microfcope. La figure 1 le montre vû de côté.
t, fa trompe qui fie recourbe en-ddfous.
des Insectes. XIII. Mem.
La Figure 2 fait voir le pou par-deffus, & par le bout
poftérieur. Alors fa tête femble cou])ée quarrément en ee;
& cela parce quelle fe recourbe vers le ventre.
La Figure 3 eft celle de l’infcde vû du côté du ventre.
{, fa trompe.
La Figure 4 repréfente une jambe du pou plus groffie
qu’elle ne l’eft dans les figures précédentes. Le pied par
lequel elle le termine eft armé de crochets en c.
On n’a pas donné d’échelle des figures qui fuivent, qui
font celles de différentes ruches, parce qu’outre que les
grandeurs des ruches ont quelque chofe d’arbitraire, on a
déterminé en différents endroits des Mémoires les pro¬
portions qu’on leur veut communément. Les figures 1 o &
1 1 font faites fur une échelle plus petite que celle des au¬
tres figures. Cela eft indifférent en foy, & ne l’étoit pas par
rapport à la place qui leur reftoit.
La Figure 5 eft celle d’une ruche en panier qui eft cou¬
verte d’une chappe de paille npp. En n, eft la poignée de
la ruche, elle y eft cachée par la paille, a a, appui de la
ruche, qui eft une efpéce de rondeau de plâtre, e , entrée
de la ruche.
Dans la Figure 6, la ruche en panier eft comme dans
la figure 5, couverte d’une chappe de paille, mais qui
y eft affujettie par deux cerceaux, cc, dd , les deux cer¬
ceaux.
La Figure 7 repréfente une ruche faite de cordons de
paille. 11, la poignée de la ruche.
La Figure 8 montre une ruche compofée de quatre
planches, op rf, une des planches du côté. 0f u x, la plan¬
che du derrière de la ruche, tt ho, toit de cette ruche,
qui eft fait de tuiles creufes. Les trous par où les mouches
entrent dans la ruche font perces dans la face oppolee a
celle qui eft en vue.
yiS MEMOIRES POUR l’HISTOIRÊ
La Figure 9 eft celle d’une ruche faite d’un tronc d’ar¬
bre creux, c c ,planche qui en couvre l’ouverture fupérieure.
00, trous qui permettent aux abeilles d’entrer & de fortir.
La Figure 1 o repréfente la coupe d’un tonneau dans
lequel une ruche a été logée & entourée de terre de
toutes parts, afin que l'es mouches fiiflent défendues con¬
tre le froid, c c dd, coupe du tonneau, dont le fond eft
en dd, & porte une couche de terre.//! fécond fond pofé
fur la couche de terre précédente, & qui fert d’appui im¬
médiat à la ruche, t, tuyau de bois, dont un bout eft en
dehors du tonneau; c’eft le conduit par lequel les abeilles
peuvent fortir quand elles y font invitées par un air aftes
chaud. I, languette fur laquelle fe pofe l’abeille qui retourne
à la ruche, o, entrée du tuyau, r, la ruche. Le vuide qui
refte entr’eile & les parois du tonneau, eft rempli de terre
féche, qui s’élève en un, au-deffus des bords fupérieurs
du tonneau.
La Figure 1 1 fait voir un tonneau dans lequel une
ruche eft logée, entourée & couverte de terre, un ton¬
neau tel que celui dont la figure 10 donne la coupe, nu,
terre qui s’élève au de (fus des bords fupérieurs de l’ou¬
verture du tonneau, toi, le conduit par lequel les abeilles
fortent de la ruche, & y rentrent quand il leur plaît.
Fin du cinquième Volume .
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