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Full text of "Memorie della Reale accademia delle scienze di Torino"

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DELLA 


REALE ACCADEMIA 
DELLE SCIENZE 


DI TORINO 


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SERIE IL — TOM. XXI 


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SCIENZE MORALI STORICHE E FILOLOGICHE 


TORINO 


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DES 


ORIGINES FEODALES 


DANS LES ALPES OCCIDENTALES 


PAR 


LEGN MENABREA 


LIVRE DEUXIEME 


CHAPITRE I. 


Comtes de Genève; ils se disent issus d’Olivier, fils de Reniers. - Origine moins fictive 
de ces seigneurs. - Genéalogie de Guichenon - Ratbert. - Gérold figure au nombre des 
seigneurs qui résistent à l’autorilé de l’empereur Conrad; celui-ci met la puissance entre 
les mains des évéques. - Aymon, premier comte de Geneve dont la vie se dessine un peu 
claivement. - Itta, sa femme, fille du seigneur de Glane. - Possessions de ces comtes, 
leurs luttes avec les évéques. - Les mariages les envichissent. - Leur importance; officiers 
de leur maison. - Familles illustres soumises da leur juridiclion. - Les seigneurs de Ternier. 
- Altributions des vicomtes. - Les sires de Ternier relevaient des comles et des évéques 
de Genève. — Dicton populaire. - Diplome de A470. - Charte du XII siècle, série de 
documents. - Ramus. - Pierre retenu prisonnier par l’evéeque de Genève. - Prétentions 
d'Amé V sur la ville episcopale. - Girard de Ternier. - Scigneuries de Viry. - Salenove. - 
Monifort. - Chatillon Larringe. - Confignon. - Compesières. - Chenex. - Bardonnex. - Du Bois. 
- Rougemont. - Lancy. - Arcine. - Collonges. - Arlod. - Marval. - Peney. - Gea. - Corbiéres. 
- Sacconex. - Fernex. - Livron. - Divonne. - Graillé. - Burdigny. - Sergy. - Versonnay. 


Ce que jai dit précedemment de l’étendue du pagus Genevensis doit 
facilement faire comprendre l’importance de la position que les comtes 
de Genève occupèrent, dès le principe, sous la monarchie des Burgondes, 
et ensuite sous celle des Frances. 

Au XIV siècle, alors que les idées chevaleresques préoccupaient 
les intelligences, et que l’orgueil nobiliaire cherchait à se hisser jusqu’aux 
héros de l’antiquité, ou, tout ou moins, jusqu'aux paladins du cycle de 
Charlemagne, les comtes de Genève, ou de Genevois, aimaient à se 


Serie II, Tom, XXIII. i 


2 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


proclamer descendants d’Olivier, le romanesque vainqueur du paien 
Ferebras, ce preux compagnon de Roland au désastre de Roncevaux. 
Les grandes chroniques de S'-Denis mentionnent en effet. Oliviers 

cuens de Geneve fieulx le comte Reiniers au nombre des chrétiens qui 
marchèrent en Espagne contre Argoulans, prétendu roi des Sarrasins. 
Mais on sait quel cas il faut faire de la véracité de ces chroniques 
qui ne sont, en ceci, que la traduction de l’histoire merveilleuse De 
gestis Karoli magni et Rolandi, attribuée è l’archevéque Turpin. Forts, 
pourtant, d’une semblable autorité, qui venait peut-étre à l’appui d'une 
tradition locale, les comtes de Genève ne mirent plus en doute qu'ils 
ne fussent du sang d’Olivier. Aussi Thomas III, marquis de Saluces, dont 
la mère était de la famille de Genève, n’hésita-t-il pas à dire dans son 
Livre du Chevalier errant, composition curieuse qui date des premières 
années du XV siècle (1): 

« Et moi, tiers Thomas que vous ay nommeé, 

» Ma mère fu de Genève de la noble ligne. 


Le fort Olivier, le noble combatteur, 
» Qui fu preus en armes, et fu ce heraus de Ceur 
» Qui conquist Perebras , le dangereux payn 
» Qui aux gens de Karlemagne menait tel butin .. » 

Cette origine, au reste, avait tant d’attrait pour ces princes qui'ils 
cherchaient à en maintenir la pensée, en écartelant parfois leurs armes 
avec les emblèmes que les romanciers donnent au fils de Reniers. C'est 
ce que prouve un inventaire des meubles du chàteau d’Annecy, fait 
en 1393; on y trouve mentionné un tapis de haute lisse, couleur perse 
(entre vert et bleu), seme de lys, et armorié aux armes de Genevois et 
d’Olivier, armoriatum armis Gebennensii et Oliverii; ailleurs on remarque 
cinq banquettes rouges armoriées de méme, quingue bancalia rubra ad 
arma Gebennensii et Oliverii esquartelata nova; plus loin c'est un grand 
et magnifique tapis d’Arras, historié de Charlemagne, Olivier et Ferebras: 
ystoriatum de Carolo magno, Oliverio et Ferrabras. 

Si, laissant de còté le roman et les traditions, l’on essaye de re- 
chercher dans les sources authentiques l’origine des. comtes de Genève, 
on a bien peu de chances d’arriver à un résultat positif. Il est toujours 


bon néanmoins de savoir ce que contiennent, à ce sujet, les documents 


(1) V. ci-devant. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 3 


qui nous sont parvenus. A l’exemple des autres officiers et beneéficiers 
royaux, les comtes de Genève n’exercèrent d’abord que des fonctions 
temporaires, essentiellement amovibles et non héréditaires. Deux lettres du 
fameux Eginhard en fourniraient, au besoin, la preuve; il y est question 
d'un Jeude, ou fidéle, appelé Frumold, dont le père avait été comte in 
pago Genevense ; or ce leude m'hérita point de la dignité paternelle; 
on voit qu'il ne possédait, au contraire, qu'un simple bénéfice, à raison 
de quoi il prenait la qualification de Zassus dominicus. Craignant de 
perdre ce bénéfice, parce que vieux, infirme et attaqué d'une maladie qui 
lui enlevait l’usage des jambes , il ne pouvait se rendre auprès de l’em- 
pereur, il implora la protection d’Eginhard, qui éerivit en sa faveur 
les deux lettres que je viens de citer (1). 

La plupart de nos historiens, adoptant sans discussion les tables 
genéalogiques de Guichenon (2), font remonter la maison de Genevois 
à un Rabert, cu Ratbert, qui vivait en 880, et était comte de Genève. 
Une charte, rédigée au commencement du X siècle, constate en effet 
Vexistence de deux époux, nommés Rabert et Richilde, qui eurent un 
fils, appelé Albitius, lequel, avec sa femme Odda, conféra au monastère 
de Nantua quelques terres situces in pago Lugdunense (3); mais rien 
n’établit d’une manière certaine que cet Albitius, qui s’intitule comte, 
Albitius comes, fàt véritablement comte du pagus Genevensis. Les do- 
maines qu'il donne aux religieux de Nantua, tels que S'-Germain, Echallon, 
Chevillard, à l’ouest et au nord de la vallis Michalia, vallée de Michaille, 
faisaient, ainsi que la charte l’énonce , partie du grand pagus Zugdunensis , 
et cependant le donateur les désigne comme soumis à sa propre domination, 
dominationi, et comme dépendants de son héritage , qui mea hereditas. 

Albitius ne pouvait étre, à la vérité, comte de Lyon; car la série 
des comtes de cette ville est très-connue et il n°y figure nullement; on sait 
d’ailleurs assez que ces princes durent, de bonne heure, se contenter de 
la possession du Forez, Foresium, pagus Forensis , et qu'ils n’exercèrent 
jamais de juridiction directe sur les contrées situges entre le Jura, la 


(1) Frumoldus filius N. comitis magis infirmitate quam senectute confectus, nam continuo ac gravi 
pedum dolore vexatur, habet beneficium non grande in Burgundia, in pago Genevense, ubi pater eius 
comes fuit et timet illud perdere. (Epist. 26). 

F. Vassus Dominicus volebat venire ad dominum imperatorem, sed non potuit..... Interim postulat 
ut sibi liceat beneficium suum habere (Epist. 27). 

(2) Hist. de Savoie, t.I, p.1169. 

(3) Guichenon, Mistoire de Bresse, pr. , p. 215. 


4 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Saòne et le Rhòne: on serait donc tenté de croire qu'Albitius était plutòt 
comte du comitatus ou pagus Bellicensis, qui formait une division du 
territorium Lugdunense. Ceci n'est, au reste, de ma part qu'une simple 
conjecture, un doute, que je mets à la merci du lecteur (1). 

Je ferai observer à l’égard de Ratbert, père d’Albitius, que ce per- 
sonnage ne paraît, en aucune facon, avoir joui de la dignité comitale; 
la charte citée l’appelle simplement Rabdertus et non Aabdertus comes : 
l’omission du titre de comes n’aurait sùrement pas eu lieu si Ratbert eùt 
réellement été comte. J'arrive è un second document qui, à ce qu'on prée- 
tend, nous révélerait encore l’existence d’un des anciens comtes de Genève. 

C'est une charte par laquelle la comtesse Eldegarde, E/degardîs co- 
mitissa, désirant assurer le repos éternel à l’àme de son mari, le comte 
Aybert, cogitans remedium animae quondam Ayberti comitis, fonde un 
petit monastère à Satigny, village du comté des Equesires, apud villam 
Satiniatis, in pago Equestrico, et le dote avec des terres provenant de 
la succession du défunt, situées dans le méme comté (2). Cet acte passé 
la 23.° année du règne de Rodolphe I, roi de Bourgogne, et sous le 
pontificat de Riculphe, évéque de Genève, c’est-à-dire en giri, repor- 
terait l’existence d’Aybert à une époque très-rapprochée de celle d’Albitius, 
ce qui a été cause que plusieurs de nos historiens ont imaginé, gratui- 
tement, de confondre en un seul les deux personnages (3). Pour moi , j'in- 
clinerais volontiers à croire, jusqu'’à ce que la difficulté puisse mieux s'ap- 
planir, qu’Aybert, au lieu d’étre comte de Genève, possédait le comté des 
Equestres (on sait que la ligne masculine et directe des comtes de Genève 
s'éteignit en la personne de l’antipape Clément VII (Robert de Genève), 
le 16 septembre 1394, et que leurs états ayant passé aux sires de Villard, 
en Bresse, furent en 1401 cédés par ceux-ci à la maison de Savoie); il 
aurait été, en ce cas, prédecesseur d’un Anselme, comes de pago Eque- 
strino, quì intervint à une assemblée de justice, ou plaids solennels tenus 
à S'-Gervais la 15.° année du règne de Rodolphe II (4). 


(1) Voyez ce que j'ai dit precédemment sur le pagus Bellicensis, comté de Belley. 

(2) Bibl. Sebus. Cent. 1, n.° 32. Guichenon s’est évidemment trompé, en plagant cette charte 
sous l’année 1001. 

(3) Levrier, Chkronol. historique des comtes de Genevois ; Grillet, Dict. hist. 

(4) Doc. e Sigill. etc. p. 1. — J'avais déjà écrit ce que l’on vient de lire, lorsque la Societe 
d’hist. et d’arch. de Genève publia le 1.er volume de ses Mémoires et documents. Ce fut une véritable 
satisfaction pour moi de voir que mon opinion sur le compte de notre Aybertus comes s’était 
rencontrée avec celle de M. Ed. Mallet, dont la competence en de pareilles matières est bien 


PAR LÉON MENABRÉA 5 


Un troisitme document, dont la date flotte entre 1017 ei 1023, 
nous fournit des données un peu moins obscures (1). Un comte Robert, 
Robertus comes (et cette fois-ci c'est évidemment un comte de Genève), 
fait don è l’église de Pellionex, construite in pago Genevense, d’une 
quantité considérable d’immeubles allodiaux, de aloto suo, situés aussi 
in pago Genevense, et cela pour le salut de son ame et de celles de son 
père Conrad, patris sui Conradi, de son fils, appelé également Conrad, 
filii sui Conradi, de son neveu Hugues, MHugo:nis nepotis et d’un autre 
Hugues son parent, et Zugonis clerici parentis ipsius Roberti. Là se 
borne tout ce qu'il esi possible de savoir sur la personne du comte 
Robert, sur ses ascendants collatéraux et ses descendants. Nous allons 
toucher maintenant une période plus positive. 

Je ne répéterais pas ce que j'ai dit précédemmeat au sujet des troubles 
politiques qui remuèrent la Burgurndia au XI siècle après la mort de Rodolphe- 
le-Fainéant; je me contenterai de rappeler que parmi les seigneurs qui 
résistèrent à l’autorité de l’empereur Conrad figurait un Gérold, comte 
de Genève, que l’historien Wippo qualifie princeps illius regionis (2). 
Or, suivant un auteur rapproché de ce temps-là, Gerold se serait trouvé 
petit-neveu de Rodolphe par Berthe, sa mére , fille de Mathilde, l’une 
des soeurs de ce monarque (3). Cela posé , il n'est pas étonnant que ce 
Gérold, qui du chef de Berthe, à deéfaut de mdles, avait des droits à la 
succession des derniers rois de Bourgogne, se soit roidi contre les pré- 
tentions exclusives de Conrad et ait recouru à la voie des armes pour 
soutenir une cause qui semblait légitime. On concoit encore facilement 
comment Conrad, profitant de la vietoire et voulant assurer la paix de 
l’empire, dut se laisser persuader de priver Geérold d’une partie de sa 
puissance, en la mettant entre les mains des évéques de Genève, ce qui, 
pendant trois cents ans, fut une source de contestations acharnées et de 
guerres toujours renaissantes. 

En ce qui concerne les aieux paternels de Gérold, on a prétendu que 
ce prince descendait du comte Robert, celui dont j'ai déjà parlé ; mais 


connue. Je dois avertir pourtant que ce savant fixe la date de la charle en question à la 23° 
année du règne de Rodolphe II, roi de Bourgogne, tandis que je croirais plutòt qu'elle appartient 
au règne de Rodolphe I. Voyez le volume ci-dessus cité, 2me part., p. 4 et 16. 

(1) Bibl. Sebus. Cent. 1, n.° 40, et Besson, pr., n.° 8. 

(2) V.ci-devant le texte de Wippo et celui d’Hermannus Contractus. 

(3) De Mathilde processit Rodulphus rex et Mathildis soror eius. ..... de Mathilde filta Mathildis 


Berta...... de Berta Geraldus Genevensis. 


& DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


rien, selon moi, n’établit une pareille filiation: il y a plus, en accueillant 
cette hypothèse, on aurait quelque raison de s'étonner que dans la charte 
du prieuré de Pellionex, ci-dessus citée, le comte Robert qui nomme 
et recommande à Dieu son père, son fils, son neveu et jusqu'à un col- 
latéral, eùt négligé de mentionner aussi Geérold qui alors devait néces- 
salrement étre né. 

Guichenon, et la plupart des généalogistes, ont placé à la suite de 
Gerold un autre comte du méme nom, qu’ils appellent Gérold IT, de qui 
serait issu Aymon, le premier des cointes de Genève dont la vie se dessine 
un peu distinctement sur le mouvant rideau du régime féodal. Un docu- 
ment, tiré des archives de Lémens, énonce, en effet, qu'Aymon était 
fils de Gérold: Exemplo patris Geroldi (1). Ces genéalogistes donnent à 
Gerold II un frère aîné nommeé Robert, Rodertus comes, qui mourut, dit-on, 
sans postérité. On a de ce dernier un acte de 1060 par lequel il inféoda 
à l'un de ses vassaux (Oddon de Compey) la terre de Thorens, dépen- 
dante du mandement, ou district, de la Roche en Genevois (2). 

Aymop eut, ainsi que je le dirai ailleurs, de vifs démélés avec Humbert, 
evéque de Genève; pourtant il fut pieux, fit du bien à plusieurs monas- 
teres, et fonda le. prieuré de Chamonix (3). Il s’intitule tantòt simplement 
comes, tantòt comes Genevensis, ou Gebennensis, tantòt comes Genevensium, 
en y ajoutant parfois l’humble et religieuse formule Dei grazia (4). 

Une charte de l’année 1090 environ, nous apprend que le comte 
Aymon avait pour femme une princesse, nommée Itta (5), que tous 
nos historiens disent fille d’un sire de Faucigny; mais des recherches 
plus approfondies ont démontré qu'Itta appartenait à la famille de Glane, 
et ce point de généalogie n’est pas d’une importance mediocre. Les 
seigneurs de Glane , comme je l’ai remarqué ci-dessus, étaient venus 
s'établir dans l’Helvetie Jurane à la suite des comtes de Bourgogne, 
lorsque ces premiers eurent pris possession du riche héritage des comtes 
d’Ottingen. Or, en 1142, la lignée masculine de ces seigneurs s'éteignit en 
la personne de Guillaume, fils unique d’un Pierre de Glane, traitreusement 


(1) Bibl. Sebus. Cent. 2, n.° 69. 

(2) Pourpris historique de la maison de Sales, p.112. 

(3) Besson, pr., n.° 8. 

(4) V. Besson, Spon, la B:0/. Sebus. et la Notice sur l’évtque Guy, par M. Edouard Mallet, inseroe 
dans le t.I des Mem. de la Société de Genève. 

(5) Signum Aymonis. S. Ite uxoris ejus ( Bibl. Seb. Cent.2, n.° 46). 


PAR LÉON MENABREA " 


assassiné à Payerne, quinze ans auparavant. Alors les quatre soeurs du 
défunt, savoir Emma, femme d’Ulvich III, comte de Neufchatel, Juliane, 
femme de Guillaume de Montsalvans, puîné de la maison de Gruyères, 
Agnès, femme de Rodolphe I, comte de Gruyères ou d’Ogo, et Itta, 
femme d’Aymon, comte de Genève, se partagèrent son opulente 
succession (1). 

Itta eut pour sa part plusieurs terres dans le Jorat (pays mon- 
tueux au nord de Lausanne), telles que Paleisieux , Peney, la Dauzaz, 
Essertes etc., des foréts considérables, dont son fils Ameédée, succes- 
seur d’Aymon, abandonna l’usage à l’abbaye de Hauteret (2). C'est 
sans doute à cause de ces possessions qu’en 1191 Guillaume, fils d’Amedee, 
prenait le titre de comte de Genève et de Vaud, GuiWlelmus Gebennensium 
et Valdensium comes (3). Ce comte Guillaume avait un frère cadet, du 
nom d’Amédée, qui ayant obienu, à raison de ses droits dans l’'hérédité 
paternelle, la portion meridionale de Vancien pagus Equestricus (4), 
portion appelee Pays de Jais, de Jas, ou de Gex (5), devint la tige 
des seigneurs de Gex (6). (On sait que la seigneurie de Gex passa, vers 
l'année 1260, entre les mains d'une famille champenoise par le maria 
de Léonette, petite-fille d’Amedée, avec Simon de Joinville). 

Si les domaines des comtes de Genève ne correspondaient pas à 
l’étendue primitive du pagus Genevensis, ils en comprenaient toutefois 
‘une partie fort considerable. La nomenclature des mandements, ou chà- 
tellenies, qu'on y rencontrait au XII siècle suffit pour en donner une 


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(1) Petrus dominus de Glana quatuor habuit filias (Emma, Ita, Juliana, Agnes) que sibi heredi- 
tatem patris diviserunt. (Codex donationum Alteripe, cité par M. de Gingins, Mem. sur le Rectorat, 
p. 61). ; 

(2) Omnia usuraria de Jorat. (Charte d’Amedée comle de Genève, année 1162, tirée du cartulaive 
de Haultcret et citée par M. de Gingins). 

(3) Charte en faveur du monastère de Talloires. Bibl. Seb. Cent. 1, n.0 68. 

(4) Cela prouve toujours davantage ‘que le pagus Equestricus Gtait une dépendance du grand 
pagus Genevensis. 

(5) Cette dénominalion derive du mot Gaîum, qui, en latin du moyen-àge, signifiait forèt épaisse. 
V. Ducange, v.° Gaium. — La filiation des princes dont je viens de parler, est clairement ctablie 
par une charte de l’an 1153, dans laquelle Amédée, comte de Genève, faisant une donation è 
l’abbaye d’Abondance, s’exprime en ces termes: Ego Amedeus comes Gebennensis pro animabus an- 
tecessorum meorum scilicet patris mei Aymonis, et matris mee Ie, et WWillelmi fratris mei et Mathildis 
uxoris  mee et pro remissione peccalorum meorum atque incolumitate filiorum meorum Fillelmi et 
Amedei...... (Bibl. Sebus. II, 52). 

(6) V. ci-après. 


(5) DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


idée: Annecy, Thònes, La Roche, Cruseilles, Rumilly, Alby, Duing, 
Graisy, Cessens, Chaumont, Ternier, Clermont, Mornay, Hauteville, 
Chatel en Semine, La Bitie de la Balme, Gruffy, Cusy, Ballaison, Gaillard, 
Charosse, Corbières et Arlod (1). 

A Genève, ainsi que nous le verrons plus tard, ces princes jouissaient 
d'une juridiction assez restreinie, mais ils ne cessaient de se remuer, de 
s'agiter, d’élever murailles contre murailles, forteresses contre forteresses, 
pour se rendre maîtres de cette ville, au préjudice des évéques qui y 
exercaient les droits régaliens (2). 

 Leurs possessions ne se bornaient pas à celles que je viens d’indiquer. 
Depuis 1238 environ, jusqu’en 1250, ils occupèrent le chàteau de Clées, 
dans le pays de Vaud: castrum de Cletis in Vaud, sous la mouvance 
des comtes de Bourgogne (3). Ils acquirent, en divers temps; les vil- 
lages de Pully, de Pailly, d’où ils pouvaient aisément réaliser des projets 
d’agrandissement sur le temporel des évéques de Lausanne; en 1287, 
ils jouissaient de la suzeraineté des fiefs d’Oron, de Chatel-S'-Denys et 
de Blonay, car on voit qu’alors ils furent obligés de se désister de la- 
dite suzeraineté en faveur de la maison de Savoie (4). 

Les mariages les enrichirent aussi; Rodolphe, petit-fils de Guillaume I 
et fils de Guillaume II, en épousant, vers l'année 1240, Marie de Coligny 
devint maître de l’important chateau de Varey en Bugey (5). Hugues, 
frère de Guillaume IM (6), contracta mariage avec Isabelle, unique hé- 
ritière des sires d’Anthon en Dauphiné; par cette union il réunit à la 
terre de Varey, qu'il avait recue pour sa part de l’héritage paternel, les 
immenses domaines de ces seigneurs (7). En 1339, ce personnage, à 


1) Le chàteau d’Arlod était situé tout près de la perle du Rhòne, sur la rive droite de ce fleuve. 

(2) Les comtes de Genève possédaient à Genève , à l’entrée du Bourg-de-Four, un chàleau 
appelé le chàleau de Genève. De leur còlé les évèques avaient fait construire, au commence- 
ment du XIII siècle, dans l’intérieur de Genèye, un chàteau connu sous le nom de lIle, 

(3) V. Bibl. Sebus. I, 46, et Hist. de Bresse, II part., p. 105. 

(4) Archives de Cour, Duché de Genevois, liasse II, n.° 4. 

(3) Hist. de Bresse, TI part., p. 109. Guillaume JI ‘avait épousé Alaîs ou Adélaide de la 
Tour du Pin, et devint seigneur de Cornillon en Graisivaudan. Bibl. Sebus. I, 46, in rotis. 

(6) Guillaume II était fils d’Amé III, qui oblint le comté de Genève, en 1290, après la mort 
d’Aymon II, son frère; Amé et Aymon étaient fils de Rodolphe. 

(7) Outre le célèbre chàteau d’Anthon, Hugues eut, en vertu de ce mariage, les chàteaux de 
Gordans, des Loyettes, de St-Maurice, situés en Bresse, celui de Villoneuve, sur les confins du 
comté de Bourgogne, et plusieurs autres terres considérables. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 9 


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qui nous verrons jouer un ròle assez éclatant (1), céda quelques-uns des 
domaines dont il s’agit au Dauphin Humbert III, et obtint de celui-ci, 
en retour, les chiteaux de Samoéns, de Credoz, de Monthoux, de Cholay, 
en Faucigny (2), et de Visile, en Graisivandan (3). 

Quant è la seigneurie d’Anthon, elle passa aux marquis de Saluces, 
après le décès d’Aymon, fils de Hugues, mort sans postérité (4). Je ne 
dois pas oublier que les comtes de Genève possédaient en Dauphiné 
les chàteaux de Theys, de La-Pierre et de Domène, et qu’en 1353 ils 
avaient donné la vénerie de ce dernier lieu en arrière-fief à Pierre de 
S'Jeoire, l’un de leurs vassaux (5). 

Ces princes, que les historiens modernes appellent plus volontiers comtes 
de Genevois, quoiqu’ils portassent réellement le titre de comites Gebennenses 
ou de comites Gebennensium, résidaient ordinairement à Annecy: là ils 
menaient un train quasi royal; les quatre grands officiers de leur maison 
sont déjà mentionnés dans un document de 1219: le sénéchal, le ma- 
rechal, le panetier et le boutillier (6). Les officiers supérieurs, tant civils 
que militaires du comté s’echelonnaient comme il suit: le chancelier, le 
bailli, le juge-mage, le juge des appellations, le procureur fiscal et le 
receveur général; puis venaient les chatelains, à la téte desquels figurait 
celui d'Annecy, puis les juges et les procureurs locaux, puis une infinité 
d’autres fonctionnaires inférieurs. 

La superiorité féodale des comtes de Genève s’étendait sur plusieurs 
familles illustres de l’ancien pagus Genevensis; la portion de ce pagws, 
soumise à la juridiction de ces princes, se présente avec des formes géo- 
logiques tellement irrégulières que je me vois forcé d’aborder la description 
sommaire des différentes seigneuries qui s°y trouvaient, sans m’astreindre à 
suivre d’auire ordre que celui qui résulte ou de leur importance, ou des 
rapports d’origine et d’intéréts existant entre elles. En voici, du reste, la 


(1) Il s’intitulait: ugo de Gebenna dominus de Antone et de Varey. 

(2) Je dirai bientòt comment les Dauphins du Viennois étaient, à cette épogue, devenus pos- 
sesseurs du Faucigny. — Les terres cédées alors par H. de Genève, furent celles de St-Maurice 
d’Anthon, appelées dans l’acte castrum de Antone, de Gordans et des Loyeltes. 

(3) Valbonnais, t. Il, p. 379; cet échange ayant été reconnu Iésionnaire, le Dauphin, Charles 
de France, abandonna à Hugues, en guise de supplément, la terre de Septème. (Charte de 1358). 

(4) La sceeur d’Aymon avait épousé Frederic, marquis de Saluces. 

(5) Valbonnais, t. I, p. 38, 116 et 147. V. ci-après de plus amples détails sur les possessions 
des comtes de Genève en Dauphiné. 

(6) Quatuor vero officiales comitis, senescalcus, marescaleus, panaterius et boteillerius. Spon, N.° XX. 


Senie II. Tom. XXIII. 2 


10 DES ORIGINES:FEODALES ETC. 


nomenclature, c’est-à-dire des principales: Ternier, Compey; Salenove, 
Sales, Duing, Marval, Menthon, Viry; Pontverre, Clermont, Chaumont, 
Chissé, Ballaison, Foras, Montfort, Monthoux, Mouxi, Lully, Les Glets, 
Hauteville, Langin, Sionnas, Copponex, Confignon, Gruseilles, Vosérier, 
Mionnax, Graisi, Vulpillère; Aisery, Serraval, Alby etc. Un mot, sur 
chacune de ces familles. 

Au milieu du vaste amphithédtre forme par l’abaissemeni concentrique 
des montagnes de Salève, de Sion, du Vuache, de Credoz et du Jura, 
qui enserrent l’extrémité meridionale du Léman, les comtes de Genève 
comptaient des vassaux illustres: c’étaient, en decà du Rhòne, les. sires 
de Ternier, de Viry, de Compesières, de Confignon, de Chatillon, de 
Chenex, de Bardonnex, de Lancy, du Bois, de Rougemont, d’Arcine; 
au delà du Rhòne, les sires d’Arlod, de Marval, de Sacconex, de 
Ferney, de Livron, et quelques autres, sur la lisière du pays de Gex, 
jusqu'à Divonne. 

Dans ce territoire, passablement étendu , il existait des enchevétre- 
ments et des enclaves assez semblables à ce qu’offrait en ce genre le 
district qui s’étendait dans le Chablais moderne, et que nous aurons 
bientòt occasion d’explorer. 

La double qualification de vicomtes, wicecomites, et de vidomnes, 
vicedomini, que prenaient, très-anciennement, les sires de Ternier, les 
inféodations contradictoires auxquelles ils durent frequemment se sou- 
mettre, témoigneraient seules du singulier travail qui, aux XI et XII 
siècles, s'était operé dans la formation des juridictions politiques de nos 
contrées. 

A l'époque qui nous occupe, les vicomtes n'étaient point, comme on 
pourrait le croire, des fonctionnaires amovibles, exercant dans une cir- 
conscription quelconque et avec une autorité plus ou moins absolue, la 
lieutenance des comtes; sous le bon plaisir de ceux-ci: les vicomtes cons- 
tituaient de véritables feudataires, jouissant de certains droits qui avaient 
appartenu jadis aux comtes, et que ces derniers leur avaient cédés, 
moyennani prestation d’'hommage et promesse de fidelité, 

Ces droits devenus transmissibles par voie d’hérédité, de vente, 
d’échange, de donation, à l’exemple d’un patrimoine, instar patrimonii, 
mais toujours à charge d’hommage de la part du possesseur envers le 
souverain, variaient à l’infini suivant les lieux; ils consistaient tantòt à 


administrer la justice civile ou la justice criminelle, ou l’une et l’autre 


PAR LEON MENABRÉEA 15I 
simultanément, et à s'en attribuer les profits dans telle on telle pro- 
portion; tantòt à percevoir, en tout ou en partie, des émoluments, des 
tribus de divers genres, dont la nomenclature serait trop longue à in- 
sérer ici. i 

Il en était de méme des vidomnes, sauf qu’en général les droits, dont 
ils se trouvaient en possession, provenaient des concessions faites par les 
evéques. 

En qualité de vicomtes, les sires de Ternier relevaient done des 
comtes de Genève: en qualité de vidomnes, ils avaient di primitivement 
reconnaître la suzeraineté des eévéques de cette ville (il existe un acte 
du 22 juin 1400, par lequel l’empereur Venceslas réinféoda à Girard 
de Ternier le chiteau seigneurial de Ternier, tombé en commise au profit 
de l’eveque de Genève (1) ); et si plus tard ils embrassèrent, à cet égard, la 
mouvance des comtes , tout fait soupconner qu’ils y furent contraints par 
ces princes, qui se montrèrent toujours assez peu soucieux des intéréts 
d’une église, dont la haute position excitait leur rivalité et leur jalousie. 

Quant è la seigneurie de Ternier, qui paraît n’avoir rien de commun 
nî avec le vicomté, nî avec le vidomnat, il est de fait que, parmi les 
nombreuses reconnaissances qui la concernent, quelques-unes sont concues 
en faveur des comtes, plusieurs autres en faveur des. évéques, et que 
la question de supériorité féodale, à ce sujet, était si incertaine et. si con- 
testée, que, le 1° octobre r4or, il intervint une transaction, par laquelle 
il fut convenu que dorénavant les sires de Ternier passeraient acie de 
fidelité au comte pour ladite seigneurie, et qu'à son. tour le comte. en 
ferait hommage è l’évéque (2). 

D’après un dicton populaire assez connu (3), la famille des sires de 
Ternier occupait le premier rang parmi celles des hauts tenanciers du 
Genevois ; son origine, disait-on , remontait aux temps de Charlemagne. 
Sans alleò aussi loin, je me contenterai de citer un diplòme du 26 janvier 
1490, dans lequel le duc de Savoie Charles III, accordant aux barons 


(1) V. Somm. gén., province de Carouge, article Z'erzier. 
(2) Index des fiefs. V. Ternier. 
(3) Il existait jadis sur quelques-unes de ces familles un dicton populaire ainsi congu: 
Terny, Viry, Compey , 
Sont le meillou maison de Genevey. 
Salenove et Menthon 
Ne le craignon pas d’un boton. 


12 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


de Montchenu, en leur qualité d’héritiers des derniers seigneurs de 
Ternier, la faculté de rétablir, sur les terres de ceux-ci, les fourches 
patibulaires à trois piliers, que l’incurie des précédents propriétaires 
avait laissées tomber en ruine, se sert de ces expressions remarquables: 
Etenim illa antiqua domus baronum de Terniaco vulgi opinione ab omni 
aevo în Gebennensio precipua habita est. « Car, dit-il, cette antique 
» maison des barons de Ternier a toujours été considérée dans l’opinion 
» du peuple comme la première du Genevois (1). » 

Deux chartes fort curieuses, du commencement du XII siècle, nous 
montrent un Aymon de Ternier figurant à la téte des barons, darones, 
dont se fit accompagner Amedée, comte de Genève, lorsque, dans des 
plaids solennels ce prince renonca à toutes les vexations, injustices et 
tortures, omnibus torturis, que lui ou ses officiers avaient fait subir 
aux religieux du puissant monastère de S'-Victor (2). En 1124, un Hugues 
de Ternier intervint à la célèbre transaction que l’éveque Humbert et 
le comte Aymon firent à Seyssel pour terminer les affligeantes dissentions, 
qui, depuis longtemps, existaient entre eux (3). 

La fondation de la chartreuse de Pommiers, sur Salève, faite en 1179, 
nous apprend qu’au nombre des bannerets qui aidèrent le comte Guillaume à 
écraser ses ennemis , et à récupérer le chàteau de La Roche, pris pendant la 
guerre, se trouvait un Pierre, seigneur de Ternier, Petrus dominus Terniaci, 
et un Girard, vicomte de Ternier, Girardus vicecomes Terniaci (4). 

Une série de documents, soit imprimés, soit inédits, se rapportant 
aux années 1184, 1190, 1200, 1201, 1219 etc., peuvent fournir aux 
génealogistes les noms de Pierre, de Falcon, de Willelme, d'Aymon, de 
Ramus de Ternier. 

Ce Ramus de Ternier, malgré les liens féodaux qui l’unissaient aux 
comtes de Genève, avait, à ce qu'il paraît, rendu quelques notables 
services aux sires de Faucigny, car ces princes lui donnèrent en fief 
plusieurs terres, à raison desquelles son petit-fils; ou arrière-petit-fils 
Pierre, se reconnaissait, en 1289, homme lige de la comtesse Beatrix, 


1) Arch. du cadastre: Corsignements, aveux et denombrements des fiefs, t. V, fol. 324. 

(2) Huic autem placito interfuerunt quam plures barones. Aymo de Terniaco. Giraldus de Langeaco. 
Giraldus de Nangiaco. Willelmus Durdelz ete. Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. II, 2 part., doc. 
MiA PSI: 

(3) Spon, pr., n.° i. 

(4) Bibl. Seb., cent. 2, n.0 13 


PAR LEON MENABREA 13 


leur héritiore (1). Ce Pierre joua un certain ròle dans les évenements 
de son temps. S’étant mis en hostilité flagrante avec son évéque, ce 
prélat s'empara de sa personne et le retint prisonnier. En 1297 il as- 
sista au contrat de mariage du comte Amédée (2). Il fut, en 1308, l’un 
des arbitres qui réglèrent les différents survenus entre la maison de 
Genève et celle de Savoie (3). Enfin, en 1319, le comte de Genève 
ayant embrassé la mouvance du Dauphin de Vienne, Pierre de Ternier 
passa, en faveur de ce dernier, une reconnaissance d’arrière-fief à raison 
du chiteau de la Poype et du Chiatellard, et genéralement de tout ce 
qu'il possédait en Genevois (4). 

En 1314 la guerre menagait de venir désoler de nouveau le terri- 
toire genevois; les prétentions d'’Amé V sur la ville épiscopale étaient 
devenues exorbitantes, les bourgeois se montraient disposés à favoriser 
ses entreprises, l’évéque Pierre de Faucigny, allié cette fois-ci avec le 
comte de Genève, faisait tous ses efforts pour s'y opposer: on s’atten- 
dait à un sérieux conflit. C'est alors qu’afin d’arréter les Savoyards, un 
guerrier de haut renom, Girard de Ternier, fut chargé de construire, à une 
demi-lieue de la cité, et à cheval sur l’Arve, une forteresse appelée Batie- 
Meille, du nom de l’élévation, ou molaz, sur laquelle elle était assise (5). 


(1) Index des fiefs. V. Ternier. 

(2) Guich., pr., p. 156. 

(3) Valbonnais, t. II, p. 139. 

(4) Indice, t. I, fol. 184, verso. — La maison-forte de la Poype devint la résidence ordinaire 
des sires de Ternier, lorsque ces illustres feudataires eurent cede aux comtes de Genève le 
 chàteau de Ternier (j’ignore la date precise de celte cession, qui sans doute est antérieure au XIII 
siècle ). La maison-forte du Chàtellard s’élevait à peu de distance de celle de la Poype, sur le 
territoire de Feigères. En 1348, Girard de Ternier acheta de Gcoffroy de Chatillon le chàteau de 
Belmont en Semines. V. Concess. Invest., t. I, fol. 50, verso. — En 1345 les comtes de Genève 
donrèrent, en augmentation de fief aux sires de Ternier, le chàteau de Troches en Chablais. 
Somm. gen. Chablais, art. Troches. — En 1394 ils le mirent en possession, à titre de gage, du 
chàteau de Gaillard et du péage de Pont-d’Arve. Concess. Invest., t. I, p. 201, verso. — Quel- 
ques années après 1394, Humbert de Villars ayant recueilli la succession des comles de Genève, 
céda aux sires de Ternier l’antique manoir de Ternier, à l’occasion de quoi ces derniers eurent 
des difficultés avec les évèques de Genève. V. Spon, n.° 47. — Pour ce qui est des hommages rendus 
par ces seigneurs aux comles ci-dessus nommés, je me bornerai à citer ceux du 15 juin 1277, 
du 11 septembre 1294, et du 13 mai 1394. Zrdice, loco citato, — Les sires de Ternier se reconnais- 
saient, à raison de certaines terres, hommes liges des comtes de Savoie et des sires de Faucigny. 
Ibidem. 

(5) Item codem anno M.°CCC.°XVIIIO die lune ante festum B. Marie Magdalene fuit bastitum 
castrum Bastide Molaris de Melleis prope Lancie per dominum Girardum de Ternier militem. (Fasci- 


culus temporis). — Voyez le chap. de la Chron. de Savoie intitulé: Comment le conte Edoard ne 
peust avoir la Bastie de Màillier. 


14 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Ce chiteau ayant noblement résisté à l’ennemi, fut ensuite donné en fief à 
ce méme Girard, par le comte de Genève reconnaissant (1). 

Outre la possession de la seigneurie de Ternier, de la maison-forte 
de la Poype, dite aussi de Ternier, et de celle du Chitellard, l’on voit, 
en 1348, Girard de Ternier (celui sans doute dont je viens de parler) 
augmenter ses domaines du chàteau de Belmont en Semine qu'il acheta de 
Geoffroy de Chatillon (2). Six ans aprés il fit, ainsi que je Vai dit ailleurs, 
l’acquisition du chàteau de Troches, qui au XV siècle appartenait encore 
à sa famille (3). 

Le fils de cet illustre et puissant seigneur’, lequel se nommait aussi 
Girard, ayant prété des sommes considérables à Robert, comte de 
Genève (l’antipape Clément VII), ce prince, par une ordonnance de son 
conseil du 17 janvier 1397, lui relàcha la possession du mandement de 
Gaillard et du péage de Pont-d’Arve, à titre de gage, jusqu’au payement 
definitif de la créance (4). Ce personnage, qui eut une grande influence 
dans les affaires de l'époque où il vivait,, fit à Amédée VIII, comte, 
puis duc de Savoie, le 3 aoùt 1412, cession du chateau de Ternier, 
moyennant la somme de ooo florins, pour le cas où il mourrait sans 
enfants miles (5). 

Voici venir une autre antique famille , dont l’origine va se perdre 
dans les ténèbres du X siècle, celle des seigneurs de Viry. Sans adopter 
les supposilions mises en avant par l’auteur de l’histoire manuscrite de 
cette noble race (6), on peut, sans crainte, admettre que, déjà sous le 
règne de Rodolphe III, roi de Bourgogne, elle jouissait, dans nos contrées, 
d’une position toute faite. Les sires de Viry étaient alors parents des sires de 
Chambéry, dont l’illustration remonte è une époque plus reculée encore. 

Une charte de l’année 10/42 nous montre un Vifred et un Louis 
de Viry, un Vifred et un Berlion de Chambéry, tous portant le titre de 


x 


domni, ou de domini, donnant leur approbation à un acte passé en faveur 


(1) Sommaire des fiefs, Carouge, V. Batie-Meille; Acte de 1321. Il existe dans les archives de 
Genève une charte du 13 juillet 1318, où l’on voit que pour ce mème chàleau de Bàtie-Meille, 
Girard de Ternier s’était reconnu feudataire de l’évèqgue de Genève. 

(2) Index des fiefs. V. Belmont. 

(3) Sommaire général des fiefs. V. Troches. 

(4) Index des fiefs. V. Page de Pont-d’Arve. 

(5) Ibidem 

(6) L’auteur de l’hist. ms. de la maison de Viry la fait remonter beaucoup plus haut, mais 
d’après des données incertaines et problématiques. — Il en est de mème de Grillet, ‘art. Ziry. 


, È 2 E 
PAR LEON MENABREA 19 


de la célèbre abbaye de la Novalaise aux pieds du mont Cenis (1). Sous 
le pontificat de l’évéque Guy, c'est-à-dire de 1094 à 1120, on voit une 
Adélaide de Viry, Adelainda de Viriaco, faire, à l'article de la mort, en 
vue de racheter ses péchés, donation de quelques terres an monastère 
de S'Victor (2). Il faudrait de longues pages pous insérer ici la nomen 
clature de tous les membres de cette famille qui se sont distingués , 
surtout dans la carrièére des armes, depuis ce Geoffroy de Viry, qui 
accompagna en Palestine Amédée INT, comte de Savoie; plus heureux 
que ce prince, il revit son pays natal; car, en 1153, il assistait è un 
traité de paix que l’évéque de Maurienne conclut alors avec les sires de 
La Chambre. 

Un Hugues de Viry florissait au commencement du XITI siècle; ce 
personnage eut deux fils, Aymon et Guillaume; l’un et l’avitre firent 
branche; l’aîné donna naissance à celle de Salenove, le cadet continua 
celle de Viry. Le testament de Hugues fait voir combien étaient grandes 
les possessions de ce seigneur. Le testateur assigne à Aymon le chateau 
de Salenove, sur la rivière des Usses, et divers domaines dans les 
mandements de Seyssel, de Chaumont, de Sion, de Versonnex; il y 
ajoute plusieurs fractions d’un territoire, jadis desert, qui conserve encore 
de nos jours le nom de Semine, Sedimen , terre d’attente, terre vide, 
qui se déploie le long du Rhòne, à l’ouest de Frangy. 

Il laisse dà Guillaume le chàteau de Viry, ainsi que les fiefs nobles qui 
en dependent, les dîmes de Marlioz et de Contamine, la seigneurie de 
Cernex, les juridictions et fragments de juridiction du Vuache, de Dingy, 
de Soumont, de Giltres etc. Ce testament renferme, en outre, une 
clause de fidéicommis perpétuel portant que les biens qui en font l’objet 
ne pourront jamais passer à des mains étrangères, iant qu'il y aura des 
individus du sang et du nom de Viry, ou de Salenove (3). 

Le chateau de Salenove fut toujours soumis à la supériorité féodale 
des comtes de Genève: de nombreuses prestations d'hommage en. font 


5 
foi (4). Quant à celui de Viry, les comtes et les évéques de Genève le 


(1) Mon hist. patr., t. I, p. 549. — Dom Rochet, dans sa G/oire de l’abbaye de la Nuvalaise , 
livre 3, p. 33 et 39, a aussi publié cette charte avec quelques commentaires. 

(2) MVotice sur l’évéque Guy, Documents, n.° 10. 

(3) Hist. generale de la maison de Viry, ms. 

(4) Reconnaissance d’Aymon de Salenove, 25 mai 1275 ; de Pierre de Salenove, 5 février 1294; de 
Jean, fils de Henri de Salenove, 26 mai 1305 etc. V. Sommaire general ete. Carouge. V. Salenove. 


16 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


tinrent successivement, et s'en disputèrent la mouvance, ainsi que nous 
l’avons va précédemment du fief de Ternier (1). 

Inutile de dire que les sires de Viry jouissaient, à l’exemple de la 
plupart des grands tenanciers de nos contrées, de tous les droits attachés 
à l'exercice de la haute justice (2). 

Non loin de Genève, sur le territoire, je crois, de la commune de 
Bernex , s'élevait le manoir des sires de Montfort, qui occupaient une place 
distinguée dans la série des familles du Genevois. Outre le chàteau de 
Montfort et celui d'Arbusigny (3), proche de Reignier , ces seigneurs 
possedaient la gonfalonnerie du Genevois, qui consistait è maintenir en 
bon état la bannière du suzerain, à l’arborer sur le donjon des forte- 
resses prises d’assaut, à garder le champ clos dans les duels juridiques, 
à percevoir le tiers des amendes imposées aux champions vaincus et à 
retirer exclusivement les armures, ou deépouilles, desdits champions. 

Par un acte de 1338, un seigneur de Montfort déclare tenir en fief 
du comte de Genève entre autres choses: Confanoneriam comitatus 
gebennensis dicens quod ipse debet praedicta confanoneria custodire bella 
in dicto comitatu et habere tertiam partem pene quam sustinet victus 
et munimenta victi dicens quod ejus predecessores usi sunt habere 
munimenta. Et etiam quod quando d.s comes gebennensis acciperet 
unum castrum per vim quod ipse debet ponere vexillum usque ad vo- 
luntatem ipsius di comitis et habere mobilia ejusdem castri que per- 
tinent ad dictum dominum (4). 


(1) Zrdex des fiefs, V. Viry. En 1277, reconnaissance de Guillaume de Viry en faveur de l’évéque; 
en 1298, reconnaissance de Graton de Viry en faveur du comle. Les seigneurs de Viry staient, 
en outre, hommes liges du comte, à raison du chàteau de La-Perrière, situé dans le mandement 
de Gaillard. Sommaire des fiefs, Carouge, V. La-Perrière. 

(2) Ils eurent, è cet égard, avec les comtes de Genève, quelques démélés, qui furent terminés 
par une transaction du 23 mai 1339, où l’on voit qu’ils conserverent le droit de juger leurs 
hommes, ou sujets, en quelque lieu du comté de Genève que ceux-ci vinssent à contracter ou è 
delinquer: Ztem, quod dicti milites Amedeus et Franciscus de Viriaco et eorum heredes habeant et 
habere debeant remissionem omnium hominum suorum tam masculorum, quam feminarum heredum et 
posteritatum ipsorum de albergo de Viry ubicumque deliquant contractent vel aliter se obligent in 
comitatu Gebennensi in terra dicti domini comitis et quod idem dominus comes et ejus heredes ac 
officiales eos sibi remittant. 3 

(3) Reconnaissance faite, en 1338, par Nicod de Montfort en faveur du comte de Genève pour 
le chàteau de Montfort. V. aux Arch. du Cadastre le Rép. ger. et alphab. des reconn. en fief noble. 
V. Montfort. Reconnaissance faite, en 1340, par Ramus de Montfort pour le chàteau d’Arbusigny. 
Somm. gén. Genevois, V. Arbusigny. 

(4) V. Somm. des fiefs, Carouge. V. Montfort. 


PAR LEON MÉNABRÉA id] 


En continuant d’explorer la méme contrée, il faut ranger au nombre 
des familles remarquables celle de Chatillon-Larringe, qui paraît avoir 
emprunté son nom à une antique maison-forte située sur un des versants 
du Salève. Lorsque, en 1219, Guillaume, comte de Genève, après bien 
des controverses, fit sa paix avec l’évéque Aymon, et se reconnut homme 
lige de ce prélat, on vit figurer parmi les feudataires, qui se rendirent 
cautions du prince, un Jacques de Chatillon, lequel s’obligea à maintenir 
de sa personne, et à concurrence de cent sols, les conventions faites (1). 

Les descendants de ce seigneur furent possesseurs des chiteaux de 
Corsinge, en Chablais (2), et de celui de Belmont (3), en Semine, qu’ils 
vendirent, comme je l’ai dit, aux sires de Ternier. Un Willelme de 
Chatillon acquit, en 1334, des comtes de Savoie, la terre de Larringe, au- 
dessus d’Evian, avec clause de fidélité et d'hommage envers ces derniers (4). 

C'est parmi les noms des chanoines et des cleres de l’église de Genève 
que l’on rencontre pour la première fois, que je sache, celui des sires 
de Confignon. Un Boson de Confignon, oso de Confignon clericus, 
assistait, en 1184, à une sentence rendue par l’archevéque de Vienne 
en faveur de l’évéque Ardutius (5); un Amédée de Confignon, Amedeus 
de Confignon canonicus, est mentionné dans divers actes de 1187, 1190 
et 1191 (6). Au XIII siècle, ainsi que je l’ai remarqué ailleurs, ces seigneurs 
se firent céder le vidomnat de Genève, et prirent part, en leur qualité de 
vidomnes, à des événements qui ne furent pas sans quelque importance (7). 

Possesseurs de la seigneurie de Pont-de-Boringe, ils la vendirent, 
le 8 février 1299, à Beatrix, dame de Faucigny, moyennant la somme 
de soixante livres genevoises (8); cette seigneurie devint ensuite la pro- 
priété de l’illustre Humbert de Cholex (9). A raison du chàteau de 


(4) Spon, pr., n.° 20. 

(2) Il existait une autre maison-forte de Corsinge, à trois lieues de là, au-dessous d’Habères. 

(3) Reconnaissance du chàteau de Belmont, faite en 1303, par Amedée de Chàtillon. Charvaz et 
Cornier, n.9 10, fol. 4. Reconnaissance faite, en 1343, par Guill. de Chàtillon, pour la maison-forte 
de Corsinge. Somm. gen. Chablais. V. Corsinge. 

(4) Hommages rendus aux comtes de Savoie par les sires de Chatillon pour le chàteau ‘de 
Larringe en 1343, 1344, 1384, 1393. Memoires pris dans les archives ete., t. VI, fol. 52. 

(5) Spon, pr., n.° 12. 

(6) Spon, pr., n.° 18. Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. JI, 2 part.; documents n.° 19, p. 47, 
n.° 20, p. 49. 

(7) Voyez ci-devant. 

(8) Index des fiefs. V. Pont-de-Boringe. La seigneurie de Pont-de-Boringe figura ensuite parmi 
les possessions de l’illustre maison de Lullin. 

(9) V. plus loin. 


Serie II. Tom. XXIII. 3 


18 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Confignon, ces tenanciers se reconnurent toujours feudataires des comtes 
de Genève: nous avons d’eux une série d’hommages, commencant en 1305 
et finissant en 1555, où vivait un Bernard de Confignon, après lequel 
je ne trouve plus de traces de cette famille (1). 

Les sires de Compesières commencent à se montrer à peu près vers la 
méme époque que ceux de Confignon; un document de l’an 1170 nous 
fait connaître un Anselme et un Guillaume de Compesières, revétus l’un 
et l’autre de la dignité de chevaliers, milites (2); les comtes de Genève 
avaient sur ces seigneurs un droit absolu de suzeraineté (3). 

Se reconnaissaient également vassaux de ces princes les sires de 
Chenex (4), qui, aux XIV et XV siècles, parvinrent à une haute ré- 
putation de valeur et de prud’homie (5). 

Il serait possible que les sires de Bardonnex descendissent de cet 
Anselme Winigers de Bardonnex, que l’on voit figurer, en 1170, dans 
une charte qui est assez curieuse pour mériter d’étre signalée ici. En ce 
temps-là, trois hommes de basse condition, demeurant au Chable, ap- 
pelés, pour cela, de Chablou (quoique leur père, du nom d’Hetbold, 
fàt de Desingy), quittèrent ce lieu et allèrent s'établir à Genève. 

Anselme Winigers et ses frères, Girold et Etienne, prétendant que 
ces hommes leurs appartenaient, cherchèrent à les ressaisir et à les vexer, 
eos inquietare et vexare ceperunt, afin de les ramener à la glèbe. Voulant 
eviter le sort qui les attendait, ces malheureux se pourvurent en justice, 
moverunt questionem, et réussirent à prouver qu’ils étaient libres; ils se 
placèrent sous la protection du chapitre de S'-Pierre de Genève, qui 
menaca d’excommunication quiconque les inquiéterait à l’avenir (6), et 


(1) Archives des cadastres: Acpertoire des reconnaissances des fiefs nobles des baillages de Ternier 
et Gaillard. On trouve dans ce recueil la série des seigneurs de Confignon depuis le XII siècle 
jusqu’au XVI. 

(2) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. II, 2 part. ; documents n.° 14, p. 37. 

(3) Reconnaissance de 1340 par Hugues de Compesières. — Reépertoire des baillages de Ternier 
et Gaillard. 

(4) Hommage de 1337, 1338, 1373, 1378, 1407. — Repertore de Ternier et Gaillard. 

(5) Pourpris hist., p. 363 et 365. 

(6) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. II, 2 part.; documents n.° 14, p. 36. Motum esse volu- 
mus quod Willelmus Ioannes et Guichardus dicti de Chablou quia ibi nati quamvis pater eorum 
Hetboldus nomine de Disingiaco fuerit ete. M. Ed. Mallet qui a publié cette charte, remarque avec _ 
raison, que ce passage est une preuve caractéristique de l’absence, à cette époque, de noms pa- 
tronymiques fixes et bien établis, et de l’usage, alors frequent, de designer les individus par le 
nom de la localité d’où ils étaient originaires, sans que cette appellation emportàt aucune idée 
de seigneurie. 


PAR LÉON MENABRÉA 19 


ils payèrent dès lors, à ce chapitre, une redevance annuelle de 6 deniers. 
Charles Auguste de Sales ne mentionne point dans son livre les sires de 
Bardonnex; mais nous avons plusieurs reconnaissances féodales où il est 
question d’eux (tr). 

Un /illelmus de Bosco qui, en 1137, exergait, on ne sait en quel 
endroit, la charge de vidomne, pourrait fort bien étre la tige de la noble 
race des sires Du Bois (2); il aurait été, en ce cas, l’aieul d'un Girardus 
de Nemore vicedomnus, qui vivait en 1170 (3), et le bisaîeul d’un 
autre /7iWlelmus de Bosco, dont on retrouve le nom dans un document 
de 1201 (4). Quoi quil en soit de ces conjectures, peut-étre hasardées, 
il est certain qu'au XIV.° siècle les sires du Bois figuraient parmi les 
plus honorables tenanciers du Genevois (5). Il existe cà et là dans 
nos archives un certain nombre d’investitures qui les concernent (6). 

Outre le chateau de Rougemont, à raison duquel ils furent toujours 
vassanx des comtes de Genève (7), les sires de Rougemont, de Rubeomonte, 
possedaient è Rumilly quelques fiefs, dont la mouvance incertaine résulte 
de divers titres. 

En 1256, par exemple, un Aymon de Rougemont se reconnaissait, 
pour ces fiefs , feudataire des comtes susdits, tandis qu’en 1278 un 
Guillaume de Rougemont en recevait l’investiture des évéques (8). 

Je ne ferai qu’indiquer les sires de Lancy, de Collonge et d’Arcine, 
à l’égard desquels je n'ai pu recueillir que des notions incompletes. 

Les premiers étaient, à ce qu'il paraît, vassaux de l’église de Genève. 
On voit un Pierre de Lancy , chevalier, Petrus de Lancie miles, assister, 
avec de hauts personnages du pays, à un acte de 1190 (9). 

Un Aymon de Collonge, aussi chevalier, Aymo de Colunges miles, 
se montre à son tour dans une charte de 1201 (to). 


(1) Rcpertoire des baillages de Ternier et Gaillard. On trouve une reconnaissance faile par Hugues, 
fils de Hugues, du 27 seplembre 1337. 

(2) Mem. de la Soc. d’hist de Genève, t. II, 2 part. ; documents n.° 8, p. 26. 

(3) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. TI, 2 part.; documents n.° 14, p. 37. 

(4) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève. +. II, 2 part. ; documents n.° 25, p. 54. 

(5) Pourpris hist., p. 210 et 315. 

(6) Perussot du Bois, fils de Pierre, se reconnaît homme lige du comte de Genève, pour la 
maison-forte du Bois, le 6 octobre 1337. Rep. des baillages de Ternier er Gaillard. 

(7) Répertoire de Ternier et Gaillard. 

(8) Index des fiefs. V. Rumilly. 

(9) Mém. de la Soc. d’hist. de Genève, t. SI, 2 part.; documents n.° 19, p. 46. 

(10) Meém. de la Soc. d’hist. de Genève, t. It, 2 part.; documents n.° 25, p. 54 


20 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Plusieurs années auparavant, c’est-à-dire en 1187, un Willelme 
d’Arcine, revétu également de la dignité de chevalier, /7iWlelmus de 
Arcina miles, intervenait, comme temoin, à un traité que le comte 
Guillaume concluait alors avec l’évéque Nantelme (1). Le chateau d’Arcine, 
situé sur l’un des contre-forts de la montagne du Vuache, devint, je ne 
saurais dire quand, la propriété des comtes de Genève qui, le 21 
mars 1296, en firent donation à Francois de Lucinge, prévòt du cha- 
pitre de S'-Pierre, qui le transmit è sa famille (2). 

Nous allons maintenant traverser le Rhòne et continuer nos explo- 
rations sur le restant du territoire dont le périmètre a été précédem- 
ment indiqué, c’est-à-dire sur le district qui s’étend le long du Jura, 
depuis Arlod jusqu'à Divonne. 

Ce pays, que l’on considérait jadis comme les Thermopyles de l’Helvétie 
romane, fut, au moyen dge, le théatre d’une foule d’événements. Là 
se pressaient les juridictions des évéques et des comtes de Genève, des 
sires de Gex, des comtes de Savoie, des sires de Faucigny et de leurs 
successeurs les Dauphins, et méme des sires de Villard, qui maintes 
fois prirent part aux luttes sanglantes, résultat nécessaire de tous ces 
intéréts divergents. 

Je viens de mentionner Arlod: les comtes de Genève possédaient en 
ce lieu, sur la rive droite du Rhòne, non loin du detroit où le fleuve 
disparaît sous les rochers, une forteresse devenue célèbre par les inces- 
santes querelles dont elle fut l’objet: je veux parler du chateau d’Arlod, 
qui, avec celui de Ballon, situé du meme còté, mais un peu plus au 
nord, au debouché de la vallée de Cheésery, défendait sur cette ligne 
l’entrée du Genevois. Malheureusement les sires de Gex qui, bien 
qu’issus des comtes de Genève, faisaient souvent cause commune avec 
les ennemis de ces princes, étaient propriétaires du fameux chiteau de 
la Cluse de Gex (aupourd’hui fort de l’Ecluse), d’où ils pouvaient plus 
facilement commander les passages, ce qui diminuait l’importance des 
deux autres places. 

Il suffit, du reste, de parcourir nos vieilles chroniques, pour voir 
combien de fois ces chateaux furent assiégés, pris, repris, démolis, 
rebatis, et combien de courage, combien d’héroisme il fut déployé au 
pied de ces murailles maintenant abandonnées. 


(1) Spon, pr., n.° 18. 
(2) Index des fiefs. V. Arcine. 


PAR LÉON MENABRÉA ni 


Procke du chateau d’Arlod, une très-noble famille, dont l’origine re- 
montait, dit-on, aux temps des rois de Bourgogne, et qui portait le nom 
d’Arlod, possédait une maison-forte, appelce la maison-forte d’Arlod, 
raison de laquelle elle se reconnaissait vassale des comtes de Genève (1). 
Toutefois, les comtes de Savoie ayant soutenu que ce fief était soumis à 
leur mouvance, les sires d’Arlod, après quelques discussions, consentirent, 
le 10 octobre 1287, à leur en faire la consignation (2). 

Les comtes de Genève réclamèrent bien contre cet acte; mais ils re- 
noncèrent bientòt à toute prétention à cet égard (3); si bien que s’étant 
eux-mémes rendus acquéreurs, le 24 septembre 1299, de la maison- 
forte dont il s’agit (4), ils ne firent aucune difficulté d’en recevoir l’in- 
vestiture des mains de leurs puissants rivaux, ainsi que plusieurs docu- 
ments en font foi (5). 

Il paraît que déjà, vers le miliea du XIII siècle, les seigneurs d’Arlod 
se divisaient en plusieurs branches: on y comptait, si je ne me trompe, 
les Arlod proprement dits, ou Arlod d’Arlod; les Arlod de Mons, maîtres 
du chàteau de Mons, près de Clermont en Albanais; les Arlod d’Hermance, 
ceux de Lullier, ceux de la Roche; enfin ceux de Servette en Bugey, 
dont la généalogie nous a été donnée par Guichenon dans son histoire 
de ce pays. 

En remontant le Rhòne, depuis Arlod, dans la direction de Gex, à 
la moitié environ de la distance qui sépare ces deux localités, entre les 
communes de Dardagny et de Burdigny, on rencontrait jadis les domaines 
des sires de Marval. Une charte de la fin du XI siècle renferme la no- 
tion la plus ancienne qui nous soit parvenue de ces seigneurs: on y re- 
marque un Guy de Marval, /7ido de Maravallo , approuvant une donation 
faite par deux frères, Willelme et Raynold, au monastère de S-Victor (6). 

La mouvance du fief de Marval fut longtemps un sujet de dispute 
entre les évéques de Genève et les comtes, leurs turbulenis voisins. 


(1) Zedex des fiefs, v. Arlod. — Le 23 février 1277, Guillaume d’Arlod déclare ètre homme lige 
du comte de Genève pour tout ce qu'il possède à Arlod. En 1281, hommage fait par Guillaume 
et Mermet d’Arlod au comte de Genève, à raison du fief d’Arlod. 

(2) Zadex des fiefs, v. Arlod. 

(3) Ibidem. Transaclion du 21 decembre 1385, entre le comie de Savoie et le comte de Genève, 
au sujet du fief d’Arlod. 

(4) Index des fiefs, v. Arlod. 

(5) Hommages de 1368, 1377, 1385 etc. Zdex des fiefs. 

(6) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. I, 2 part., p. 148. 


22 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


En 1155, l'évéque Ardutius s’étant plaint de ce que le comte Amédée 
avait usurpé l’hommage lige de Guillaume de Marval, dont les posses- 
sions, disait-il, relevaient de son église, on convint, après de longs débats, 
qui portaient sur d’autres questions encore, que ce seigneur, par son 
option, terminerait le différent (1): il opta pour l’évéque. Au commence- 
ment du siècle suivant, Pierre de Cessens, l’un des successeurs d’Ardutius, 
eut l’idée de rebàtir à neuf, proche de l’ancien manoir des sires de Marval, 
une forteresse destinée à tenir en bride les princes laiques, ennemis de 
sa puissance temporelle; cette forteresse, appelée le chàteau de Marval, 
ayant besoin d’étre continuellement défendue contre les entreprises du 
dehors, fut par lui donnée en fief aux seigneurs susdits, à charge de 
fidelité et de prestation d'hommage. Et de fait, je trouve qu'en 1292 
un Nicolas de Marval se reconnaissait, à ce sujet, vassal de l’éveque 
Guillaume; mais en méme temps il priait ce prélat de vouloir bien 
reprendre le chàteau dont il s’agit, prétextant de ne pouvoir le garder, 
à cause des incessantes attaques des sires de Gex (2). 

En 1303, la guerre s’étant rallumée entre le comte de Savoie et le 
comte de Genève qui avait alors pour allié le Dauphin de Vienne, le 
premier de ces princes, l’illustre Amédée V, jugeant la position de Marval 
très-favorable à ses projets, et voyant que le chateau qui y existait naguère 
était completement ruiné, résolut de le reconstruire, ce qui eut lieu en 
peu de temps. « Là, disent nos chroniques, il logea force gens d’armes 
» et bons rottiers, lesquelx corroyent tout le pays, y faisoyent moult 
» maulz, et avoyent un retrait et refuge asseuré audit chastel. » Cela 
n’empécha pas cependant que, trois ans après, il ne fùt investi par le 
seigneur de Gex qui, avec l’aide du baron de Vaud, le prit, au bout 
de neuf jours, et le detruisit de fond en comble (3). 

Non loin du chateau de Marval, qui devait subir tant de vicissitudes, 
se trouvait celui de Peney, biti par l’évéque Aymon de Grandson, 


(1) Spon, pr., n.° 2. 

(2) Mem. de la' Soc. d’hist. de Genève, t. 1, 2 part., p. 108. 

(3) Le Zasciculus temporis s'exprime ainsi au sujet de ce chàteau: Anno Domini M. CCC. IL 
die martis post festum B. Michaelis, fuit bastitum castrum de Marval per gentes illustrissimi vivi 
domini Amedei comitis Sabaudie millesimo sumpto a pascha. Item, anno a nativitate Domini M. CCC.VI. 
die jovis in ascensione Domini AV Kal. junii fuit obsessum castrum de Marval per'dominum E. de 
Gayo cum auzilio gentium domini Ludovici de Vaudo ct ipsum castrum cepit et destruxit et per nove 
dies stetit ibidem. On peut consulter, dans les archives de Genève, uno enquòte faite le 23 juillet 1306, 
au sujet de la prise de ce mème chàteau. 


PAR LÉON MENABRÉA 23 


successeur immédiat de Pierre de Cessens. Ce chateau suscita non moins 
de querelles que le précédent: les sires de Gex, entre autres, préten- 
dirent qu'il avait été construit sur une terre à eux propre; ils en deman- 
dèrent la démolition; mais les parties s'accommoderent (1). 

Outre le chitean de la Cluse, dont j'ai déjà parlé, les sires de Gex 
avaient, à Gex méme, une citadelle très-forte, où ils pouvaient longtemps 
braver l’ennemi, ainsi que nous l’apprennent les siéges assez nombreux 
qu'elle eut à soutenir. Au-dessus de Gex, ils possédaient le chiteau de 
Florimont, an moyen duquel ils interceptaient, quand bon leur semblait, 
le passage du Jura: le Comte Vert l’assiégea, lorsque, en 1353, il fit la 
conquéte du pays de Gex (2). Ils étaient enfin propriétaires du chiteau 
de Versoix (3). 

Mais de tous les chateaux qui peuplaient la contrée, le plus remar- 
quable, le plus imposant, fut sans contredit celui de Corbières, appar- 
tenant aux comtes de Genève. Cette forteresse passait pour inexpugnable. 
Toutefois, en 1321, le comte de Savoie, Amé V, parvint à s'en emparer 
après un siége memorable qui dura cinq semaines et trois jours (4). 

J'ai mentionné, il y a un instant, les sires d’Arlod et les sires de Marval 
comme figurant parmi les principaux feudataires de l’intéressant pays que 
nous parcourons; il nous reste à passer en revue quelques autres noms, 
dont la plupart ne sont point inférieurs à ceux-là. 

A l’ouest de Genève il existe deux localités, appelées le grand et le 


(1) Spon, pr., n.° 22. La transaction est de 1261. Ces querelles durèrent longtemps, car je trouve 
dans les archives de Genève un acte, redige le 6 juillet 1351, où l’on voit que le comte de Genève, 
s’étant indùment emparé de ce chàteau, le remit provisoirement entre les mains du chapitre épiscopal, 
en attendant qu’une transaction eùt réglé les droits des parties. 

(2) Comptes des chàtelains do Florimont, cités par M. Brossard dans son Mist. du pays de Gex, 
p- 201. 

(3) Ce chàteau et celui de la Cluse ayant été donngés en gage par Léonelte de Gex à Béatrix 
de Faucigny pour des sommes considérables, celte dernière, par un acte de 1286, que Valbonnais 
a publié, t. IT, p. 37, céda tous ses droits à cet égard au Dauphin de Vienne. Plus tard, les 
comtes de Savoie s’emparèrent de ces deux chàteaux, au préjudice des Dauphins, ce qui donna 
lieu à de vives contestations. V. Guichenon, Mist. de Bresse, p. 64. 

(4) Le Fasciculus temporis menlionne ce siége en ces termes: Ztem eodem anno Domini M. CCC. XXI. 
obsedit dominus Amedeus comes Sabaudie castrum Corberie et ibidem stetit per quinque ebdomadas 
finitas tertia die post nativitatem Domini anno M. CCC. XXII. ei ante dictum castrum festinavit 
nativitatem Domini et ipsum castrum cepit. Dans le t. I de la 2.° série des Mem. de l’Acad. de 
Savoie se trouve un travail intitulé: De l’orgarisation militaire au moyen dge, où j'ai donné tous 


les détails dudit siége, d’après les comptes des trésoriers de guerre de Savoie. Cette notice est 
des plus curieuses. 


24 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 

petit Saconnex, inféodées jadis, du moins en partie, à des seigneurs qui 
occupaient une position des plus honorables. En 1230, un Guillaume de 
Saconnex, Gwuillelmus Sacunai, se rendait caution du comte de Genève, 
son suzerain, et lui cédait un de ses chevaux de guerre moyennant une 
somme assez forte pour le temps d’alors (1). Nous avons une charte 
de 1196, où sont désignés plusieurs membres de la famille de Saconnex, 
et notamment un Willerme et un Hugues, tous deux revétus de la dignité 
de chevalier (2), milites. 

Tout à còté des sires de Saconnex florissaient, à la meme époque, 
les sires de Fernex (3) qui, ainsi qu'on verra, obtinrent en fief le chàteau 
de Lullin (4). 

Plus loin, sur le territoire de Chollex, au pied du Jura, les sires de 
Livron posaient les fondements de leur future splendeur (5). 

Enfin, au nord de Gex, sur la frontière de la terre de Vaud, se 
montrait l’antique et puissante famille des sires de Divonne, qui, au 
commencement du XII siècle, donnait à l’abbaye de Bonmont des biens 
considérables, comme l’atteste une charte de 1123, où l’on voit un 
Walcher et un Etienne de Divonne, et leur mère Helvide, intervenir en 
qualité de bienfaitenrs de ce monastère (6). On disait cette famille issue 
d’un prince de la maison de Genevois. 

En 1188 environ, un Humbert de Divonne voulant aller en Palestine 
visiter, disait-il, le tombeau de Jésus-Christ, emprunta de l’abbaye 
d’Abondance une grosse somme, pour sireté de faquelle il relàcha à cette 
opulente maison religieuse différentes terres, soit allodiales, soit féodales, 
situées à S'-Gingolph, Massongy et autres lieux du Chablais, avec le 
consentement de sa femme Accelline et de son frère Vullierme. Il reviut 
de ce long voyage dans un tel état de detresse, que les moines furent 
obligés de lui fournir encore quelque argent. C'est alors qu'il leur 


(1) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. II, 2 part.; documents n.° 4, p. 20. 

(2) Mem. de la Soc. d’hist. de Genèse, t. II, 2 part.; documents n.° 21, p. 55. 

(3) V. le document cité ci-apròs. 

(4) V. plus loin. 

(5) Brossard, ist. du pays de Gex. 

(6) Mem. de la Soc. d’hist de Genève, t. II, 2 part.; documents n.° 9, p. 26. Il existe dans les 
archives de Lausanne, Baillage de Bonmont, liasse 265, n.° 1, un autre acte de 1131, par lequel 
un Gauthier de Divonne fait donation à cette mème abbaye du village de Pellens, proche de 
Rippe, et de tout le territoire qui en dépend. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 25 


abandonna définitivement les terres en question, en les nommant, au besoin, 
ses héritiers en cette partie de sa succession future (1). 

Je me contente de mentionner, en passant, les familles de Graillé , 
de Burdigny, de Sergy, de Versonnay, qui apparaissent déjà dans les 
titres du XII siècle, et dont la première surtout offre une genealogie 
assez suivie jusqu'à la fin du XVI (2). 


CHAPITRE II. 


Combats acharnes entre les comtes de Genève, les comtes de Savoie, les sires de Faucigny 
et les Dauphins de Vienne. - Scigneurs de Langin. - Gérold est au nombre des bienfai- 
teurs de labbaye de Vallon. - Amaldéric. - Sires de Ballaison. — Cervene. - Lullier. - 
Villette. - Etrambiéres - Troches. - Gaillard. - Monthoux. - Lullin. - Fernex. - Cholex. 
- Moniforcheys. - Hermance - Nernier. - Ivoire et plusieurs autres. - Ville de la Roche. - 
Sires de Soirier. - Les Compeys, seigneurs illustres toujours mélés aux evenements impor- 
tants des époques où ils vivaient. - Leur pwissance. - Curieuse transaction, - Les ‘sires de 
Sales. - Ancétres du grand Saint. - Ils se vantent de tirer origine des prétres Saliens. - 
Leur cri de guerre. - Prétentions erronées. - Vidommat el seigneurie. - La maison de Sales 
feudataire de Compey.- Son ancienneté et son développement. 


L'espèce de parallélogramme qui, dans le Chablais moderne, s’étend 
depuis les confins de l’ancienne chatellenie d’Allinge, entre le lac Léman 
et la majestueuse montagne des Voirons, jusqu’à l’Arve, présentait, au 
moyen dge, un assez singulier spectacle. Jamais, en effet, territoire ne 
fut plus bizarrement fractionné par le régime féodal: c’était un champ 
clos, où les comtes de Genève, les comtes de Savoie, les sires:de Faucigny 
et, après ceux-ci, les Dauphins de Vienne, leurs successeurs, ne ces- 
sèrent, pendant trois siècles, de se livrer des combats acharnés. Chacan 
de ces princes y possédait des terres, des chateaux, y comptait ses fidéles , 
ses feudataires: de là, des querelles sans fin. 


(1) Chartes inédiles; ces charles, au nombre de deux, sont sans dale; mais elles furent rédigées 
à V’époque où Gerold était abbé d’Abondance. La première débute ainsi: Ir zomine patris et filii et 
spiritus sancti ego Humbertus de Divona memorie presenti scripio notifico quod pro salute anime mee 
sepulcrum Domini visitare cupiens, etc. Et la seconde: In Kristi nomine in hac cartula breviter 
notificamus quod dominus Humbertus de Divona post reditum Jherosolime ci visitationem sepulcri Domini 
habundantiam venit, ele. 

(2) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. II, 2 part.; documents, passîim. — En 1214, d’après 
une charte qui existe aux archives de Lausanne, Bai/lage de Bonmont, liasse 265, n.° 23, un Anselme 
et un Mumbert de Graillé, chevaliers, faisaient donation à l’abbaye de Bonmont de tout ce qu'ils 
possedaient dans le lieu mèéme de Bonmont. i 


Serie I. Tom, XXIII 4 


26 DES ORIGINES FEODALES ETC, 


Les comtes de Genève avaient dans ce canton plusieurs vassaux puis- 
sants, parmi lesquels on distinguait les sires de Langin, de Ballaison, de 
Cervenc, de Lullier, da Vernay, de Villette, de Troches, d’Etrambières. 

L’origine des sires de Langin a toujours été regardée comme remon- 
tant à une époque fort éloignée, et allant se perdre, en quelque sorte, 
dans la nuit des temps. Un écrivain qui avait compulsé beaucoup d’ar- 
chives, l’évéque Charles Auguste de Sales, en parlait ainsi, en 1659: 
« Cette famille, dit-il, est si anciennemeut noble que, quand il n’y aurait 
» titres authentiques pour preuves de sa splendeur, il suffirait. de porter 
» les yeux sur les hautes tours de son chateau en ruines. Si Dieu veut 
» que je puisse bien éclorre mon dessein de l’histoire commune de la 
» noblesse de Savoie, j'espère faire voir que cette maison va de pair avec 
» les plus illustres races (1). » 

Et de fait, déjà en 1338 un Geérold de Langin, et avec lui un 
Pierre de Ballaison et un Pierre de Cervenc , posaient les fondements 
de la célèbre chartreuse de Vallon, et donnaient à ce monastère nais- 
sant des terres considérables (2). Ce Geérold figurait, au XII siècle, 
parmi les principaux feudataires de la contrée (3). 

Un Amaldéric de Langin, de Zangino, assistait, en 1155, à une 
confirmation des libéralités faites par l’évéque Ardutius à la chartreuse 
du Repausoir (4). Geérold de Langin et ses frères, Aymon, Hugues et 
Amalderic, sont cités comme ayant été les premiers à accueillir les disciples 
de St-Bruno dans les hauteurs solitaires du Genevois. Le manoir de ces 
seigneurs s'élevait en face de Douvaine, sur le penchant de la montagne 
des Voirons, qui sépare le Faucigny du Chablais moderne. Les comtes de 
Genève conservèrent la suzeraineté du fief de Langin jusqu’en 1350 (5), 
époque à laquelle ils l’abandonnèrent, à titre de gage, aux comtes de 
Savoie, qui paraissent l’avoir retenu dès lors (6). Déjà, antérieurement, 


(1) Pourpris hist. de la maison de Sales, p. 142. 

(2) Voyez ma Notice sur l’ancienne chartreuse de Vallon, dans le t. IL de la 2° série des Mem. 
de l'Acad. de Savoie. 

(3) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. Il, 2 part., p. 24; documents n.° 7. 

(4) Pourpris hist., p. 150. 

(5) Archives de la Chambre des comples: Index gencral des fiefs. Hommages de 1280, 1294, 1315 
et1338. V. Zargin. On trouve quen 1289 Jean de Langin s’était reconnu homme lige de Beatrix, 
dame de Faucigny, sous reserve de la fidelité qu’il devait au comte de Genève. 

(6) Archives de Cour, Gereyois, liasse 1, n.9 6. 


PAR LÉON MÉNABREA 277 


les sires de Langin s'étaient rendus hommes liges de ces derniers à raison 
des maisons-fortes de Veigier (1) et de Grésier (2), situées non loin de 
leur antique résidence. 

Au nord-ouest de Genève, là où le Chablais moderne commence è 
dérouler ses majestueux versants, on rencontrait les possessions des sires 
de Ballaison, qui passaient genéralement pour étre, suivant l’expression 
de l’auteur déjà cité, « un rameau du grand arbre de la race ducale de 
» Bretagne (3).» Il est probable que la ressemblance de leurs armoiries 
avec celles des princes bretons ait donné lieu à ce sentiment. Quoi qu'il 
en soit, ces seigneurs riches et hautement alliés, jouèrent constamment 
un ròle assez remarquable dans notre histoire féodale. 

Nous venons de voir un Pierre de Ballaison contribuer, en 1138, 
à l’établissement de la chartreuse de Vallon. Or je trouve qu’en 1178 
un Willelme, de la méme famille, assistait è une donation que Rodolphe 
de Faucigny faisait au convent du Repausoir, fondé quelques années 
auparavant (4). Dans un document de 1180, un Humbert de Ballaison 
recoit la qualification, très-honorable alors, de donnus, qui signifie sci- 
gneur, donnus Humbertus de Balleisone (5). En 1136, un Turumbert 
de Ballaison et sa femme Ambroisie choisissent l’église de l’abbaye d’Aulps 
pour le lieu de leur sépulture, et font présent à cet insigne monastère 
d’une terre allodiale qu'ils avaient dans le district d’Habères, in par- 
rocchia de Alberis (6). On pourrait facilement multiplier ces citations. 
Le chiteau de Ballaison, devenu la propriété des comtes de Genève, excita, 
aux XIM et XIV siècles, de longues guerres entre ces princes et la 
maison de Savoie. Les sires de Ballaison s’éteignirent au commencement 
du XVI siècle. Ils possédaient originairement le vidomnat de Ballaison 
qui leur avait été sans doute inféodé par les évéques de Genève; mais 


(1) Zadex gen. des fiefs. Reconnaissance de 1344, 1363 et 1402. V. Veigier. Le chàteau de Veigier, 
ou Vaygier, était situé dans le Chablais moderne. 

(2) Archives du cadastre de Chambéry: Sommaire general des fiefs: Chablais, V. Grésier. 
| (3) Pourpris hist., p. 149. 

(4) Pourpris hist., p. 180. 

(5) Voyez ma Notice sur l’abbaye d’ Aulps dans les Mem de V Acad. de Savoie, t. Il de la I.re série. 

(6) Ibidem. — La maison-forte de Beauregard, en Chablais, fut inféodée le 8 mai 1400, à noble 
Pierre de Ballaison par Humbert comte de Genève. - Arch. de Cour, Bombet, t. IMI, fol. 39. - Ladite 
seigneurie de Beauregard, après avoir passé en diverses mains, fut acquise le 15 décembre 1694 
par messire Costa, president, el érigée en marquisat peu après. Le 9 avril 1735, la consignation 
en fut faite par messire Gaspard Costa. 


28 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


ils ne le gardèrent pas longtemps, car nous le voyons de bonne heure 


5 
enire les mains des sires de Langin (1). 

Les sires de Ballaison étaient feudataires des comtes de Genève: 
ceux-ci possédaient dans le voisinage de ces tenanciers le fameux chàteau 
de Troches. Le ro décembre 1393 le pape Clement VII, comte de Genève, 
accorde à Pierre de Ballaison l’investiture de l’omnimode juridiction dans 
le mandement de Ballaison. 

Bien que les sires de Cervenc fussent, par l’illustration de la fortune, 
un peu inférieurs aux précédents, opinion qui n'est, du reste, fondée 
que sur la rareté des documents qui les concernent, la part qu'ils prirent 
à la fondation de la chartreuse de Vallon, l’ancienneté du titre qui cons- 
tate cette ceuvre pieuse, prouvent qu'ils occupaient un rang distingué 
parmi les grands tenanciers du Genevois. 

Charles Auguste de Sales, que je me plais à citer parce qu'il est 
exact et qu'il connaissait parfaitement l’histoire de la noblesse de Savoie, 
parle de la maison de Lullier, qui était éteinte de son temps, comme 
ayant été des plus illustres et des plus puissantes: il nous fait connaître 
plusieurs de ses membres, et mentionne entre autres un Aymon de 
Lullier, chevalier, miles, qui vivait en 1181 (2). Il est certain qu'à 
raison de leur chateau de Lullier, ces seigneurs se reconnaissaient feu- 
dataires des comtes de Genève (3). Ils possédaient, en outre, une portion 
du vidomnat de Ternier, à raison de quoi ils étaient encore vassaux des 
mémes princes (4). 

Ler sires du Vernay, dont la véritable origine m’échappe, occupaient, 
proche de Lullier, une maison-forte du nom de La Rochette, pour la- 
quelle ils faisaient aussi profession d'hommage lige envers les comtes de 
Genève , sous condition néanmoins , chose assez remarquable, de n’étre, 


(1) Nous avons une déclaration de Pierre, comte de Genève, du 6 novembre 1375, en faveur 
de Pierre de Langia, portant que le tiers des condamnalions pécuniaires du mandement de Ballaison 
appartient è ce seigneur en sa qualité de :vidomne. V. Sommaire general des fiefs: Chablais, - 
v. Ballaison vidomnat. 

(2) Pourpris hist., p. 369. 

(3) Index général des fiefs, v. Lullier. Reconnaissance de Rollet, fils de feu Aymon de Lullier, 
en faveur du comte de Genève, pour la maison-forte de Lullier, 24 octobre 1303. 

4) Le 1er juillet 1280, Aymon, fils de Pierre, seigneur de Lullier, déclare ètre homme lige du 
comte de Genève pour la moilié dudit vidomnat. Voyez V’Inder gencral des fiefs, v. Ternier. Plu- 
sieurs informalions avaient eu lieu, en differents temps, aux fins de constater la portion afferente 
a ces seigneurs. Voyez aux archives du cadastre : Répertoire des reconnaissances des fiefs nobles des 
baillages de Ternier et Gaillard. 


PAR LÉON MÉNABREA 29 


en aucun cas, tenus de guerroyer contre les comtes de Savoie. Cette 
neutralité s'explique par les dangers incessanis auxquels les aurait exposés, 
sans cela, le voisinage de ces princes redoutables et redoutés (1). 

Les sires de Villette possédaient, proche de Genève, sur la rive de 
l’Arve, un chateaun que nos chroniques mentionnent comme ayant été le 
théatre de maints faits d’armes. Ces seigneurs, qu'il ne faut pas con- 
fondre avec les sires de Villette, en Tarantaise, jouissaient, aux XII 
et XIII siteles, d’une haute position politique. De 1135 environ, à 1201, 
on voit un Pierre de Villette prendre part à des événements de divers 
genres (2). Un Amaldéric de Villette assistait, vers 1160, à un acte de 
pieuse libéralité d’Aymon, sire de Faucigny, en faveur de la chartreuse 
déjà citée de Vallon (3). En 1219, un Thomas de Villette se consti- 
tuait caution de Guillaume, comte de Genève, pour la somme de 
500 sols etc. (4). 

Il ne nons reste, touchant les sires d’Etrambières et de Troches, que 
des renseignements assez restreints. Un Guy d’Etrambières , chevalier, 
Guido miles d’Etrambieres, vivait en 1201 (5). Un Aymon de Troches 
‘prenait rang, en 1297, parmi les plus hauts personnages du Genevois, 
et fut du nombre des seigneurs qui, cette année-là, se rendirent per- 
sonnellement garants de la paix conclue par leur souverain avec Amé, 
comte de Savoie. On y remarquait encore un Jean de Langin, un 
Theéobald de Villette et plusieurs autres, qu'il est inutile de nommer 


ici (6). 


(4) Dans une reconnaissance de janvier 1340, faite par Perronnet du Vernoy, en faveur du comte 
de Genève, on lit, en effet, la clause suivante: Excepto quod de ipsa domo forti non teneatur nec 
debeat dictus Perronnetus nec ejus successores ad dictum dominum comitem gebennensem jurare contra 
dictum dominum Sabaudie qui nunc est nec contra gentes suas. Archives du cadastre: Mém. pris 
dans les archives de la Cour et dans celles de la Chambre des comptes, concernant les requétes pré- 
sentées ensuite de Vedit du 5 aodt 1752, pour l’insestiture des fiefs, t. II, fol. 17. 

(2) Mem. de la Soc. d’hist. de Gèneve, +. IH, 2 part.; documents n.° 3, p. 20, n.0 8, p. 26, n.° 25, 
p. 54. — Bibl. Seb., 2 cent., n.° 52. 

(3) Notice sur la chartreuse de Wallon. 

(4) Spon, Mist. de Genève, preuves, n.° 20. 

(5) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. IT, 2 part.; documents n.0 25, p. 54. La seigneurie 
d’Etrambières devint, au commencement du XIV siècle, la propriété des sires de Compey ; ello 
avait été acquise par Elienne de Compey, chanoine, qui, en 1328, la céda au comte de Genève, 
lequel, par un acte du fer juillet de la mème année, cité dans le Pourpris Rist. de la maison de 
Sales} p. 161, l’inféoda à Guillaume de Compey, frère dudit Etienne. 

(6) Archives de Cour, Duché de Genevois, liasse 3, n.° 4, 


30 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Le chiteau de Troches, devenu la propriété des comtes de Genève, 
fut par eux inféodé à la famille de Ternier en 1354 (1). Cette famille 
le possédait encore au XV siècle. 

Pour protéger et étendre, au besoin, leur juridiction dans ce district 
important, qui était en quelque sorte la clef du Chablais, les princes que 
je viens de nommer avaient, en 1304, élevé à grands frais une for- 
teresse, au moyen de laquelle ils espéraient sans doute écraser leurs 
rivaux: je veux parler du fameux chateau de Gaillard, qui occupe dans 
nos annales des. pages si intéressantes, et qui fut l’objet de tant de 
combats (2). A peine etaitil achevé, que les sires de Faucigny, qui 
n’avaient pu en empécher la construction, s’en plaignirent à outrance; 
si bien que les comtes de Genève se virent obligés d’entrer en accom- 
modement. Ce chàteau, bàti sur une hauteur, appelé le Crét de Panissière, 
devait causer en effet une singulière inquiétude à un autre chiteau non 
moins celèbre, situé tout près de là, le chiteau de Monthoux, de Mon- 
telupho, dont ces mémes sires de Faucigny étaient en possession de 
temps immémorial , et qui commandait le cours de l’Arve et une bonne 
portion de la contrée. Les parties contendantes convinrent d’une infinité 
d’excellentes choses pour le maintien de la paix; mais le traité fut, cela 
va sans dire, presque aussitòt rompu que conclu (3). 

(Il faut bien se garder de confondre le manoir des sires de Monthoux 
avec la célèbre forteresse dont j'ai parlé, construite au XIII siècle tout 
près d’Annemasse, par les barons de Faucigny. Le chiteau féodal ‘de 
Monthoux, de Montelupho, de Montelophi, auquel on applique aussi la 
dénomination de Barrioz, qui en vieux langage signifie un endroit for- 
tifié, ce chàteau, dis-je, s'élève à peu de distance d’Annecy, sur la li- 
siére d’une épaisse forét de sapins qui le rempare du còté du nord. 
Les sires de Monthonx tenaient en fief des comtes de Genève les paroisses 


(1) Acte passé en faveur de Girard de Ternier le 6 septembre de ladite année. Sommaire general 
des fiefs: Chablais, v. Troches. i 

(2) Voici ce que dit, à cet égard, la chronique inédite intitulée Fasciculus temporis, que je 
erois ètre la mème que le Fasciculus rerum genevensium cité par Guichenon: Item anno M.CCC.IV, 
de mense julii, fuit bastitum castrum Gaillardi, per Amedeum comitem Gebennensem. On peut lire 
dans la chrenique de Savoie le chapitre intilulé Comment le comte de Genève édifia le chastel de 
Gaillard. 

(3) Archives de Cour, Duché de Genevois, liasse 1, n.° 4. Ce traité est du mercredì, 15€ jour 
après la fète de St-Michel, de Vanné 1304. Charvaz et Cornier en font aussi mention au fol. 7 
de leur Répertoire existant aux archives de la Chambre des comptes. 


PAR LÉON MÉNABREA dI 
de Pringy et d’Argonnex. - Nous trouvons une reconnaissance de fief 
passée, en 1316, par Jacquemet de Monthoux en faveur des comtes de 
Genève (voir au Sommaire gen. des fiefs). Il existe une autre reconnais- 
sance de Falconet de Monthoux du 17 janvier 1278. Zndice M. t. 1, 
fol. 4o. On trouve quelques renseignements sur cette famille dans Je 
Pourpris hist. de la maison de Sales, pag. 417 et suivantes). 

C'est alors que Hugues Dauphin, à qui le Faucigny obéissait, cons- 
truisit le chateau de Lullin, destiné A préserver ses frontières du còté 
du nord, autre sujet d’interminables contestations (1). Ce chateau, donné 
quelques années après en fief à l'illustre Humbert de Cholex (2), passa, 
vers le milieu du XIV siècle, aux mains des sires de Fernex, qui le 
tinrent jusqu'à l’époque où Guillermette de Fernex l'apporta en dot à 
Thomas, fils de Pierre, bitard de Genève, qui fut la tige des celèbres 
marquis de Lullin (3). 

Humbert de Cholex, que je viens de nommer, s'était toujours montré 
l’un des plus zélés partisans des Dauphins, alors maîtres du Faucigny; 
aussi ces princes l’avaient-ils revétu de plusieurs emplois importants, 
et lui avaient-ils souvent confié des missions d’un haut interét (4). Ce 
seigneur, propriétaire de la maison-forte de Cholex, située à peu de 
distance du chateau de Gaillard, fui chargé, en 1318, de construire , 
dans ce voisinage, une nouvelle forteresse appelée la Batie de Compey, 
ce qui donna lieu à de nouveaux griefs, et occasionna de nouveaux conps 
d’épée (5). 

Outre les chiteaux de Monthoux, de Lullin et de la Bàtie de Compey, 
dont je viens d’esquisser l’histoire, les sires de Faucigny possédaient dans 


(4) Item codem anno M.CCC. V, die jovis in crastino Epiphanie Domini fuit bastitum molare de Lulins 
per dominum Hugonem Dalphini. — Fasciculus temporis. 

(2) Index des fiefs, v. Lullin. Acte du 18 octobre 1322. 

(3) Ibidem. Hommage de Jean de Fernex, setneur de Lullin, du 8 octobre 1392. Voir les genéa- 
logies manuscrites de dom Luc de Lucinge. 

(4) Humbert de Cholex cumulait les charges de chàtelain de Beaufort, de Bonne et de Flumet; 
il fut l’un des médiateurs de la paix que le dauphin Humbert II conclui, en 1334, avec Aymon, 
comte de Savoie. V. Valbonnais, Mist. du Dauphiné, è. II, p. 191 et 251. 

(5) Item anno Domini M.CCC.XVIII, die lune VII mensis julii fuit facta bastia de Compeis versus 
Cholays per dominum Humbertum de Cholays militem. — Fasciculus temporis — Voyez dans la Chron. 
de Savoie le chapitre intitulé Comment le comte Edoard abastit la bastie de Compeys. Cette maison- 
forle, que le comte Edouard ne detruisit point, quoi qu’en dise la chronique, fut achetée l’année 
suivante, 1319, de Humbert de Cholex par le Dauphin de Vienne, qui, en échange, donna en fiet 
à ce personnage la seigneurie du Pont-de-Boringe. — Index des fiefs, v. Bdtie de Compey. 


32 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


le territoire qui fait maintenant l’objet de nos investigations, ceux de 
Montforcheys, d’Hermance et de Nernier; un de leurs feudataires occu- 
pait la tour d'Yvoire: on voit donc qu'ils pouvaient ici lutter, avec avan- 
tage, contre les comtes de Genève, voire contre ceux de Savoie. 

Le chateau de Montforcheys, qui tirait son nom de la singulière 
forme des montagnes géantes, au sommet desquelles il était perché, et 
d’où il dominait tous les pays environnants, se posant là comme un autre 
fier gardien des marches, ou frontières du Faucigny à la suite de celui 
de Lullin, avait été construit à peu près à la méme époque que ce dernier. 

‘Le comte de Savoie, Edouard, si l’on en croit nos chroniques, en 
fit le siége et le prit; mais il ne put le détruire, et dut l’abandonner (1). 
Pour asseoir convenablement cette redoutable forteresse, qui ressemblait 
à l’aire d'un aigle, Hugues Dauphin avait emprunté de force un terrain 
appartenant à l’abbaye d’Aulps; aussi ce monastère ne tarda-t-il pas à 
se plaindre. 

Il résulte d'une charte du 16 des calendes de janvier 1320, qu'à 
ce premier grief les religieux en ajoutèrent plusieurs autres; ils se 
récriaient notamment de ce que le prince les obligeait, indùment, 
de lui fournir en permanence cinquante clients, ou hommes de guerre 
à pied, pour la garnison de ses chiteaux d’Allinge-le-vieux, de Bonne 
et de Chatillon; sur ce que les chatelains, metraux et autres officieîts 
du Fancigny, non-seulement les empéchaient de jouir de leurs pàturages 
et dle leurs foréts, mais encore portaient incessamment atteinte à l’exercice 
de leur-juridiction; que ces implacables officiers avaient, par exemple , 
déiruit les potences que l’abbaye entretenait à Poches, sur ses propres 
terres, dans le voisinage du nouveau chateau; qu’ils s’étaient permis de 
detacher de ces potences les malfaiteurs qu'on y avait pendus, en exé- 
cution de sentences légitimement rendues, et de les transporter ailleurs 
etc. ; bref, les parties s'accommodèrent (2). 

Pour ce qui est du chiteau d’Hermance, dont les crénaux se miraient 


(1) Voyez le chap. de la chron. de Savoie intitulé Comment le conte Edoard print le chastel de 
Montforcheys. 

(2) Ztem super co quod dicebatur quod castrum de Monteforchuto crat et est fundatum et edificatum 
partim. in terra et proprietate ipsorum rveligiosorum videlicet a parte Montisherbosi et de Poches..... 
Item super eo quod cum familiares dictorum religiosorum in furcîs propriis dieti monasterii suspendis- 
sent duos homines de hominibus suis familiares dicti domini Fucigniaci dictos duos suspensos de dictis 


furcis amoverunt et in aliis furcis suspenderunt. .....— Charte inédite, 


PAR LÉON MÉNABREA 33 
dans les eaux du lac, et qu'on prétend, à tort peut-étre, avoir été construit 
par la reine Hermengarde, peu de localités éprouvèrent autant de vicis- 
situdes que celle-là, et furent témoins d’autant de siéges, d’autant de 
combats. 

Quant au chateau de Nernier, il devint momentanément la propriété 
des sires de Gex; mais le 4 fevrier 1277, Léonette, dame de Gex, le 
revendit à Beatrix de Savoie, héritière du Faucigny, mariée, comme on 
sait, à un Dauphin de Vienne (1). Il fut plus tard inféodé à différentes 
familles (2). 

Enfin la tour d’Yvoire, bàtie aussi sur les bords du Léman, appar- 
tenait aux sires d’Yvoire qui reconnaissaient, à cet égard, la suzeraineté 
de la dynastie princière du Faucigny, ainsi qu’en fait foi un titre de 1289, 
par lequel un Anselme d’Yvoire se déclare, pour cet objet, vassal de la 
comtesse Beatrix ci-dessus nommeée (3). Toutefois, en 1306, les enfants 
de ce seigneur abandonnèrent ladite tour aux comtes de Savoie en cor- 
respectif de la maison-forte de la Chapelle-Mariez, que ces princes leur 
remirent en échange (4). 

J'ai mentionné le chiteau de Jussy: ce chateau et son territoire, je 
l’ai dit ailleurs, étaient du domaine des évéques de Genève, et faisaient 
partie de la juridiction temporelle de ces prélats. 

Nous allons maintenant nous replacer au pied du Salève, d’où re- 
montant la rive gauche de l’Arve, et laissant le Faucigny à droite de 
cette rivière, nous arriverons à la Roche qui faisait autrefois partie du 
Genevois; de là, traversant les collines flexueuses, qu'on appelle les Bornes, 
et passant par Thorens et Sales, où se dirigeait l’ancienne route, nous 
verrons s’ouvrir devant nous la ville d’Annecy, dont nous explorerons les 
environs tout pleins d’intéressants souvenirs. 

Dans l’échancrure de rochers qui existe entre le grand Salève et le 
petit Salève, et forme un col qui jadis était très-fréquenté par les 
voyageurs, s’élevait, au XII siècle, un chiteau appartenant à des feuda- 


taires qui ne vécurent pas sans quelque renom; je veux parler des sires 


(1), Sommaire des fiefs, Chablais, v. Merzier. 

(2) Index des fiefs, v. Nernier. 

3) Arch. de Cour, Province de Faucigny, liasse 1, n.° 26. 5 

(4) Sommaire des fiefs, Chablais, v. Fwoire. La tour d’Yyoire fut donnée plus tard, en fief, aux 
sires de Rovorée. 


Serie II. Tom. XXIII. 5 


34 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 

de Mornex (1). Les comtes de Genève, qui sans doute avaieni intérét à 
s'attribuer exclusivement la garde de ce passage important, suriout en 
temps de guerre, achetèrent en 1289, et pour le prix de vingt-six mille 
sols genevois, le vieux manoir de ces seigneurs, et en firent le chef-lieu 
d’une chatellenie (2). 

A peu de distance de Mornex, sur un des plateaux qui dominent la 
vallée de l’Arve, se dressait la maison-forte des sires d’Aisery qui pou- 
vaient se vanter d’une origine non moins illustre que celle de la plupart 
des familles qui ont été nommées jusqu’è présent. Je trouve en effet que, 
vers le commmencement du XII siècle, un Armann d’Aisery, Armannus 
de Asiriaco, faisait, en vue de son salut, et du consentement de l’éveque 
Guy, une donation de biens assez considérables an monastère de 
S'-Victor (3). Un Aymon d’Aisery figurait en 1153 à la suite d’Ameédée, 
comte de Genève, dans un acte de ce prince en faveur de l’abbaye 
d’Abondance (4). 

Bien qu'ayant leur chaàteau sur la rive droite de l’Arve, ‘en plein 
Faucigny, les sires de Nangy ne laissaient pas d’étre comptés au nombre 
des feudataires du Genevois; le lecteur ne s'en étonnera point d’après ce 
qui a été dit précédemment. Le premier qui nous soit connu est un Raymond 
de Nangy, chevalier, Reymondus miles de Nangyaco, que l’on voit figurer 
dans une charte écrite, selon toute apparence, avant l'année 1100. 

Diverses chartes, rédigées pendant la première moitié du XII siècle, 
nous révelent l’existence d’un Raymond, d’un Gerold, et d'un Rodolphe 
de Nangy, prenant place parmi les vassaux ou barons, darones, des comtes 
de Genève (5). I 

Lorsqu'en 1155, le comte Ameédée dut transiger avec l’évéque Ardutius, 
trois membres de la race de Nangy, trois frères peut-étre, Pierre, 
Ayméric et Aimé, furent charges du ròle de médiateurs (6). Après eux, 
on voit paraître un Guillaume de Nangy, qui parcourut une longue et 


(1) Je trouve un Freordus de Mornaco, à la suite du comte de Genève, dans un acte de 1137. 
Voy. Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. II, 2 part., documents n.° 8, p. 26. 

2) Index des fiefs, v. Mornex. Dès le commencement du XIV siècle, les sires de Compey acqui- 
rent, dans le mandement de Mornex, des terres, à raison desquelles, ils s’inlitulaient seigneurs 
de Mornay. 

3) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. 1,2 part., p. 151. 

(4) Bibl. Sebus., cent. 1, n.° 52. 

Mem. de la Soc. d’hist. de Genèce, t. II, 2 part., documents n.° 3, 7 et 8, p. 20, 24 et 98. 
(6) Spon, pr., n.° 3. 


77° 
\° 


4 


PAR LÉON MÉNABRÉA 35 


éclatante carrière, à en juger par la fréquence des actes où il est cite (1). 
Enfin, un second Rodolphe de Nangy se faisait remarquer, en 1219, 
au sein des querelles, souvent sanglantes, qui naissaient à chaque instant 
de la divergence des intéréts féodaux (2). 

Par une espèce de compensation à la juridiction que les comtes de 
Genève exergaient au delà de l’Arve, à raison du fief de Nangy, les sires 
de Faucigny possédaient, sur la rive gauche de cette rivière, un chateau 
dont l’excellente assise était bien de nature à donner de l’ombrage à leurs 
puissants voisins: ce chàteau, autour duquel se déroulait un territoire assez 
étendu, s'appelait le chatelet de Crét-d’Oz; on en distingue encore les 
ruines sur les confins de la commune de Cornier. 

Depuis là jusqu'è la Roche s’échelonnaient plusieurs tenanciers qui, 
pour la plupart, ont légué à notre histoire les noms les plus honorables. 

C'était d’abord les sires d’Arenthon, qui, par la famille de Lucinge, 
dont ils formaient une branche, allaient se rattacher à la maison prin- 
cière de Faucigny. La mouvance de leur fief fut longtemps contestée: il 
existe deux actes du 17 aodt 1302, dans l’un desquels Francois et Aymon, 
fils d'Humbert de Lucinge, se declarent, en ce qui concerne la maison- 
forte d’Areuthon, hommes liges de Beatrix, dame de Faucigny, tandis 
que dans l’autre ils se reconnaissent, à cet égard, soumis à la supériorité 
des comtes de Genève (3). 

Vers la fin du XIV siècle, Pierre d’Arenthon épousa l’unique héritière 
des sires d’Alex, et commenca l’illustre série des seigneurs d’Arenthon-d'Alex. 

C'est à la suite des princes de la dynastie faucignéenne que l’on ren- 
contre pour la première fois les sires de Vosgrier, qui appartenaient 
évidemment à une très-noble et très-antique race. Un Girold de Vosérier 
intervenait, en 1151, à la fondation de la chartreuse du Repausoir (4), 
et assistait, en 1160, à une pieuse libéralité faite par Aymon de Faucigny 
au monastère de Vallon (5). 

Les fiefs que les sires de Vosérier détenaient en Faucigny étaient 
principalement situés à Scionzier, Arrache, S'-Sigismond. Je trouve 


(1) Bibl. Sebus., cent. 2, N.° 52. — Spon, pr., numéros 10, 12 et 18. 

(2) Spon, pr', n.° 20. 

(3) Index des fiefs. v. Arenthon. 

(4) Besson, pr., n.° 24. Au lieu de Girol/dus de Bosiren, il faut lire Giro/dus de Vosirier. 

(5) Voyez ma /Votice sur la chartreuse de Fallon; documents n.° 3; on y lit Giroldus de Vosoreio. 


36 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


quien 1296 un Guillaume de Vosérier vendait à la princesse Béatrix, 
pour la somme de 60 livres et ro sols de Genève, un certain nombre 
d'hommes taillables qu'il avait en divers lieux (1). Quoi qu'il en soit, on 
ne saurait douter qu'à raison du chateau de Vosérier et des terres féodales 
qu'ils possédaient aux environs de la Roche, les seigneurs dont il s’agit, 
ne fussent vassanx des comtes de Genève: il nous reste un document 
de 1295, où l’on voit que, pour ces mémes terres, Pierre et Humbert 
de Vosérier, surnommeés Arbalétriers, se reconnaissaient hommes liges du 
comte Amedée (2). En 1301, un Aymon de Vosérier fut condamné en 
contumace à la peine de la confiscation des biens, comme convaincu 
d’avoir tué un bourgeois de Cluses, appelé Rollet de Saxel (3). 

Charles Auguste de Sales, dans le curieux ouvrage que j'ai déjà cite 
plusieurs fois, mentionne fréquemment les sires de Cohendier, dont la 
généalogie connue ne remonte guère au delà d'un Jean de Cohendier, 
qui vivait en 1330 (4). 

Cet auteur parle encore des sires de Cornillon, parmi lesquels je 
remarque un Hugues de Cornillon qui, en 1219, se rendait pleige, ou 
caution, du comte de Genève à concurrence de 500 sols (5). Il indique 
en passant les sires d'’Amancy, puis ceux de S'-Sixt, qui, d’après une charte 
du XII siècle, constatant une donation d’Amé III, comte de Savoie, 
à l’abbaye de S'-Sulpice en Bugey, tenaient en fief la charge de vicomte. 
Un Wilfred de S'-Sixt y est déesigné par les mots /77fredus de S° Sixto 
tunc temporis vicecomes (6). N’oublions pas enfin de retenir qu’une des 
plus illustres familles du Faucigny, la famille de Chissé (j’en parlerai 
ailleurs) possédait aux alentours de la Roche des biens considérables , 
soumis à la mouvance des comtes de Genève (7). Cette famille s’était 
divisée en plusieurs branches, et avait produit entre autres celle de Polinge, 


xd) Archives du cadastre: Z'itres du duché de Savoie eristants aux Archives de Cour; Faucigny. 

(2) Archives du cadastre: Mémoires concernant les requétes préesentées ensuite de lédit du 5 
aoùt 1752 pour l’investiture des fiefs, t. VI, fol. 13. Confessi sunt se tenere sub dictis hommagtis res 
quas habent in territorio de Voserier et in parrochia de Amancier et in parrochia de Passerier. 
Charvaz et Cornier, n.° 10, fol. 58. 

3) Archives du cadastre: Titres du duché de Savoie eristants aux Archives de Cour; Faucigny. 

4) Pourpris hist., p. 201. 

(5) Spon, pr., n.° 20. 

6) Guichenon, Hist. de Sav., pr., p. 32. 

7) Index des fiefs, v. La Roche. Le 8 octobre 1334, Guichard, fils de Pierre do Chissé , fait 
hommage au comle de Genève de ce qu'il tient dans le mandement de la Roche. 


PAR LÉON MÉNABREA 37 


qui tirait son nom de la maison-forte de Polinge, situce proche de 
Reignier (1). 

Au nombre des vidomnats les plus importants du Genevois figurait 
le vidomnat de Bornes; il comprenait cette succession de collines entre- 
coupées qui s’étendent depuis la Roche jusqu'à Salève, vice dognatus de 
Bornis, qui au XIV siècle faisait partie de ce qu'on appelait le domaine 
utile des comtes de Genève, et constituait une espèce de chatellenie 
dont les revenus étaient percus par des officiers que ces princes nom- 
maient ou révoquaient à volonté (2). 

Une infinité de droits fé&odaux, tels que bans ou amendes, compositions 
pour crimes ou delits, plaids, sauvegardes, rentes, servis, corvées etec., 
formaient l’objet de cette lucrative perception (3). 

Quoique plusieurs auteurs, se copiant sans doute les uns les autres, 
aient assigné l’an 1000 de notre ère pour époque de la fondation de 
la ville de la Roche, et aient avancé que les comtes de Genève y avaient 
construit, dès l’an 1016, le chiteau où parfois ils résidaient (4), rien, 
sinon peut-étre une vague tradition, ne saurait nous obliger à adopter 
leurs opinions à ce sujet. 

La ville de la Roche est sirement fort ancienne. Comme presque 
toutes les villes de la Savoie, elle dut son origine è un chateau; mais 
ce chàteau primordial, par qui fut-il construit? A qui appartenait-i1? Ne 
serait-il pas possible qu’avant de devenir la propriété des comtes de 
Genève, il eùt été le berceau d’une race, jadis illustre, maintenant 
oubliée, à laquelle il aurait donné son nom? De fait, nous rencontrons 
des vestiges d’une famille dite de la Roche dès les premiers temps de 
nos annales féodales. Pierre-le-Venérable, abbé de Cluny, raconte quelque 
part le cas d’un sire de la Roche en Genevois qui, ayant perda la vie 
à la première croisade, était tourmenté en purgatoire pour avoir frappé 
un curé qui lui demandait le payement de la dime; il ajoute que l’îame 


(4) Pourpris hist., p. 185. 

(2) Voyez aux archives de Cour, Province de Genevois , liasse 1, n.0 27, l’inventaire intitulé : 
Sequuntur valores reddituum terre Gebennesii pro nunc eristentis ad manus domini nostri. 

(3) Les comptes de ce vidomnat existent encore aux archives de la Chambre des comptes è 
Turin; on découvre qu’à la fin du XIV siècle il se trouvait ètre le patrimoine des sires de Bal- 
laison. Sommaire général des fiefs. 

(4) Grillet, Mist. de la ville de a Roche, p. 19. 


38 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


du défunt apparaissait fréquemment à un moine appelé Enguison, et 
sollicitait des prières, etc. (1). 

On trouve un Anselme de la Roche, Anselmus de Rocca, men- 
tionné à la suite de l’éveque Guy, dans une charte rédigée peu après 
l'année 1094 (2). Un Conon de la Roche, Cono de Ruppe, fut un des 
entremetteurs de la paix conclue, en 1155, entre l’éveque Ardutius et 
le comte Ameédée (3). Enfin, en 1219, un Humbert de la Roche, 
Humbertus de la Roche, se rendait caution de Guillaume, successeur de 
ce prince (4). 

Cette famille, è ce qu'il paraît, ne tarda pas à s’éteindre, car je ne 
sache pas que, depuis lors, on en découvre des traces, à moins qu'on ne 
lui attribue encore un Jacques de la Roche, qui, en 1310, faisait hom- 
mage au Dauphin de Vienne, maître du Faucigny, de ce qu'il tenait è 
la Roche, Mesple, Poncin et autres lieux (5). 

Grillet ne rapporte pas exactement le texte de Charles Auguste de 
Sales, quand il avance que, suivant cet auteur, d’après un titre de 
l'an 1060 environ, le chiteau de la Roche aurait appartenu aux comtes 
de Genève, bien qu'il n’y ait rien là que de fort possible (6). 

Quoi qu'on en pense, il est incontestable que sous la protection de 
ces princes la ville de la Roche prit, au moyen àge, des developpements 
remarquables. De bonnes murailles garnies d’un large fossé et flanquées 
de grosses tours furent élevées pour sa défense. Outre le chateau déjà 
cité, qui dominait l’endroit appelé dans les chartes planum castri, elle 
en possédait deux autres destinés à la protéger du còté du nord; c’étaient 
les maisons-fortes de l'Echelle et du Saix; celle-ci construite au com-. 
mencement du XIII siècle par un Jean du Saix, damoiseau. Elle comptait 
enfin dans son sein vingt-cing familles nobles, et quatre cents feux 
Jouissant du droit de bourgeoisie (7). 


) De miraculis, lib. 2, cap. 26. 

Mem. de la Soc. d’hist. de Geneve, V. 1, 2 part., p. 15l. 

Spon, pr., N.° 3. 

Spon, pr., N.0 20. 

Index des fiefs, v. La Roche. La famille Fabri, originaire de la Roche, qui donna deux 
evéques à l’eglise de Genève, et qui ajoutait à son nom la designation de Ruppe (de la Roche), 
cette famille, dis-je, que cile Grillet, t. JI, p. 211 de son Dictionnaire, appartenait-elle à l’antigue 
race dont je viens de parler? Je ne le crois pas. 

6) Grillet, Mist. de la Roche, p. 20. 
7) Ibid., p. 6. 


IGICIG 


FS 


Ci 


PAR LÉON MÉNABREA 39 

Il existait également à la Roche un vidomnat ressortissant autrefois 
des évéques de Genève , mais qui, à une époque reculée, difficile à pre- 
ciser, devint, par usurpation ou par loyal contrat, la propriété des comtes, 
qui l’accordèrent en fief à des seigneurs, auxquels on donnait le titre 
de vidomnes de la Roche. Il nous reste de ces derniers plusieurs recon- 
naissances féodales (1). Ce vidomnat passa ensuite en diverses mains; 
d’abord aux sires de Cohendier, puis aux seigneurs de Sales (2). 

Les vidomnes de la Roche avaient le privilége d’entrer dans la ville 
par une poterne spécialement affectée à leur usage (3). 

Avant de quitter la Roche pour nous rendre à Annecy par la vieille 
route, nous devons signaler les sires de Soirier, dont la maison-forte 
ctait située à Groisy, au milieu des Bornes, au-dessus de l’endroit où 
passe la route moderne, et dont les domaines étaient limités par les 
paroisses environnantes de Thorens, d’Evires et de Cruseilles. Le village 
du Plot, que tire son nom de pilori, ou gibet (valgairement plot) qu'ils 
avaient construit, reste encore lì comme un souvenir de leur juridiction. 
Ces seigneurs se reconnaissaient vassaux des comtes de Genève (4). 

La seigneurie de Groisy passa, en 1378, dans le domaine de la fa- 
mille des Clefs, et en 1396 dans celui des sires de Lornay (5). 

Ainsi que je l’ai dit précédemment, et que le fait observer, du reste, 
Charles Auguste de Sales, le grand passage de la Roche à Annecy avait 
anciennement lieu par le Crét-de-l’Epine, Sales et Thorens. Ces deux 
dernières localités sont devenues célèbres parmi nous comme ayant vu 
grandir les deux plus illustres races de nos contrées: les sires de Compey 
et les sires de Sales. 

Jean de Compey, ce celèbre favori du duc Louis, ce seigneur aussi 


(1) Le 15 septembre 1262, Humbert, frère de Pierre, vidomne de la Roche, prète serment de 
fidélité à Aymon, comte de Genève. Le 3 février 1274, reconnaissance faite par Henri, fils de Pierre. 
Le 25 novembre 1280 autre reconnaissance faite par le mème. Index des fiefs, v. La Roche. 

(2) Charles Auguste de Sales, en plusieurs endroils de son livre, prétend que ses ancètres 
étaient vidomnes de la Roche longtemps avant que ce vidomnat passàt aux sires de Cohendier; mais 
il n’en apporte aucune preuve: il paraît mèéme confondre souvent le vidomnat dont il s’agit avec 
celui de Thorens, dont je parlerai bientòt, que sa famille possédait dès une époque veritablement 
fort ancienne. Il pourrait bien se faire cependant, que les vidomnes mentionnés dans la note pré- 
cèdente fusseni de la race des seigneurs de Sales, et c’est moi alors qui serais dans l’erreur. 

(3) Pourpris hist., p. 125 et 280. 

(4) Sommaire des fiefs, Genevois, v. Soirier et v. Groisy. Le 3 octobre 1329, Pierre et Henri 
de Soirier font hommage de la maison de Groisy au comte de Genève. 

(5) Ibidem. Elle fut inféodée plus tard aux sires de Compey. 


40 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


ambitieux qu'insolent, qui, au XV siècle, joue dans notre histoire un 
ròle si dramatique, ayant risqué, en 1447; d'étre assassiné par ses en- 
nemis, et se plaignant au roi de France de cet attentat, énoncait: « qu'il 
» était yssu de chevaliers et dames, escuyers et damoiselles, et de maison 
» noble et ancienne, aussy noble et aussy ancienne, et si grande par 
» commune fame et réputation, sans injure d’autre, qu'il n'y en a ez 
» pays de Genevois, de Vuaud, de Chablays et de Faucigny: et ont esté 
» de très haulte et grande renommée entre leurs voisins, et connus 
» preudhommes valeureux, ayant anciennement et par tant de temps 
» qu'il n'est mémoyre du contraire ez dits pays, forteresses, chasteaulx, 
» maisons, seigneuries, hommages nobles et aultres en grand nombre, et 
» des biens è bonne et grande faculté (1). » En parlant ainsi, Jean de 
Compey disait vrai: peu de familles furent aussi grandes et aussi nobles 
que la sienne. 

Quoique les sires de Compey eussent leur principal établissement à 
Thorens, dont le chàteau fut inféodé , dit-on, par le comte de Genève 
à un Oddon de Compey vers l'an 1060 (2), ils n’étaient pas originaires 
de ce lieu; le berceau de leur race avait été, selon toute apparence, le 
village de Compey, ou Campois, situé au sud de Douvaine , entre le 
Léman et la montagne de Voirons, là où il existait une maison-forte, 
qui, comme je l’ai remarqué plus haut, fut reconstruite , en 1318, par 
l’intrépide Humbert de Cholex (3). 

Ces seigneurs se trouvèrent toujours mélés aux événements importants 
des differentes époques où ils vécurent, surtout depuis Albert de Compey, 
qui commenga à se montrer dès les premières années du XIII siècle, 
jusqu'à Philibert de Compey, en la personne de qui s’éteignit, le 15 
juillet 1538, cette illustre famille (4). Le fameux Jean de Compey, dont 
Ja cité, il y a quelques instants, les orgueilleuses paroles, abusant de 
la faveur de son souveraiu, et donnant cours à son caractère audacieux, 
superbe, indomptable, occasionna de grands troubles dans le pays, et 
mourut victime de ses propres violences. 


(1) Pourpris hist., p. 217. 

(2) Pourpris hist. Charles Auguste de Sales ne parle de cette investiture que sur la foi do ce 
qu'il appelle la Chronigue de la Roche. 

(3) Voyez aux premières pages de ce chapitre. 

(4) Mémoires de }’Académie de Savoie. 


, 


PAR LÉON MEÉNABREA 4I 


A ce fougueux seigneur succéda Philibert de Compey, qui acquit une 
triste célébrité pour avoir, en 1479, tué de sa propre main l'illustre 
Bernard de Menthon, chambellan et conseiller intime du comte de 
Genevois, l’ayant attaqué, près de Rolle, avec une troupe de gens armes. 
Condamné au dernier supplice et à la confiscation de tous ses biens, il 
traîna longtemps dans l’exil une existence déshonorée, et mourut, à ce 
qu'il paraît, vers l'année 1496, sans laisser de posterite. 

Son frère, Jean de Compey, tenta vainement de rentrer en posses- 
sion des domaines séquestrés; il n’obtint autre chose que des letires 
souveraines, qui autorisaient la revision de la sentence. 

Il laissa un fils, Philibert de Compey, lequel fut assez heureux pour 
récupgrer l’héritage de ses ancétres, mais qui étant décédé sans enfants 
légitimes, transmit son importante succession à des héritiers testamen- 
taires (1). 

Outre la seigneurie de Thorens, qui formait leur fief principal, les sires 
de Compey devinrent, par suite d’héritages, de mariages, d’acquisitions 
successives, possesseurs d’une infinité d’autres terres situées en Genevois, 
en Faucigny, en Chablais, dans le pays de Vaud et en Bugey (2). 

Devenus, à la fin du XIV siècle, par le mariage d’un Simon de 
Compey avec Perronnette de Saillon, maîtres de la tour d’Aigle, située 
à l’extrémité orientale du lac de Genève, ils eurent de fréquents rapports 
avec les évéques de Lausanne; la senechalie de ces prélats leur appar- 
tenait. On sait que ces sortes d’emplois, d’abord revocables et temporels, 
avaient fini par devenir, à l’exemple des vicomtés et des vidomnats, de 
véritables fiefs transmissibles par voie d’hérédité, de vente, de donation. 

Au commencement du XIII siècle un sénéchal de Lausanne, que 


(1) Familles hist. de Savoie: les seigneurs de Compey. 

(2) Voici les principales: la seigneurie d’Etrambières, voyez ci-devani note 5, p. 29; la 
terre de Mornay , v. ci-devant note 2, p. 34; la maison-forte de la Vulpillère entre Annecy el 
Cruseilles, déjà possedée au commencement du XIV siècle par Pierre de Compey; la seigneurie 
de Soirier , v. ci-devant note 4, p. 39; les maisons-fortes de Sacconex-de-là-l’Arve, et Bernex, à 
l’égard desquelles on peut voir aux archives du cadastre, Repertoire des baillages de Ternier et 
Gaillard, l’indication d’un acte du 3 aoùt 1342, porlant reconnaissance de la juridiction que Guil- 
laume de Compey avait sur ces maisons et leur territoire. Le chàteau d’Arbusigny qui, en 1419, 
slait encore la propriété des sires de Montfort. Le chàteau de Gruffy, en Albanais, au-dessus 
d’A\by, dont l’inféodation est rapportée en entier par le marquis Costa, dans les preuves de son 
ouvrage sur les sires de Compey. Les terres de Braillant et de la Chapelle-lès-Thonon, en Chablais. 
Les seigneuries de Prangins et de Grandcour dans le pays de Vaud etc. etc. Voyez pour le Jtapins 
le Pourpris hist. p. 215, 239 et 263. 


Serie IL Too XXIII. 6 


42 DES ORIGINES FÉODALES 


les documents ne nous font connaître que sous le nom de Willelme, passa 
de vie à trépas. Sa succession ayant fait le sujet d’une longue contestation 
entre deux familles qui y prétendaient, la famille de Lucinge et celle de 
Compey, il intervint, le 2 mai 1339, une transaction, par laquelle il 
fut convenu que Guillaume de Compey aurait pour sa part la senechalie , 
ou sénéchaussée de Lausanne, et que le reste de l’héritage serait dévolu 
aux seigneurs de Lucinge. Cet acte est extrémement curieux en ce qu'il 
énumère, par le menu, tous les droits dont se composait la senechalie 
dont il s'agit. 

Le senéchal préelevait d’abord sur les tailles un cens annuel cor- 
respondant è un capital de 200 livres lausannaises; il recevait de plus 
4o sols par an, è titre d’écuellée, pro scuzella seu embacia. Les bans 
ou amendes, les clames et les saisines, c’est-à-dire les droits établis pour 
les demandes en justice et pour les entrées en possession de biens, lui 
appartenaient dans divers lieux du diocèse, moyennant toutefois de nom- 
breuses modifications et limitations. Dans d’autres localités il recevait 
les cautionnements que les délinquants étaient tenus de donner pour se 
defendre hors de prison, et il connaissait de toutes les causes civiles 
portées volontairement devant lui. Il avait juridiction sur la monnaie, il 
en faisait faire l’examen par les experts qu'il designait; il gardait les coins 
qui servaient à la frapper et la clé de l’arche où on la deéposait. Il assistait 
aux plaids genéraux et y recevait double prébende. Les bateliers de Rive 
devaient le voiturer sur le lac quand il l’exigeait, è la charge, par lui, 
de les nourrir etc. , etc. (1). 

En 1352, des difficultés ayant surgi, à propos de ces différents droits, 
entre la maison de Compey et l’évéque de Lausanne, il se fit entre eux 
un arrangement, qui, en plusieurs points importants, modifia ces mémes 
droits (2), et les réduisit à l’état où on les trouve dans un acte d’hom- 
mage, passé par Pierre de Compey è l’évéque Guillaume de Menthonex, 


1) Archives cantonales de Lausanne, Baillage de Lausanne, liasse 81, n.° 1356. Il avait aussi 
Juridiction sor les gens de guerre; on lit dans le cartul. de l’eglise de Lausanne: Burgenses ad 
arma ferenda ydonei debent sequi majorem vel senescalcum vel salterium sub pena mss. solid. Ce qu'il 
y a de singulier, c'est qu’en 1341 le dauphin Humbert II, cherchant sans doute à developper le 
germe d’autorité que la possession du Faucigny et des dépendances de cette seigneurie lui attri- 
buait en Helvétie, fit avec Guill. de Compey un traité, par lequel ce dernier s'engagea à ne vendre 
qu’autant que le Dauphin y consentirait, la sénechalie de Lausanne et a le préférer à tout autre 
acquéreur à égalité de prix. Valbonnais, t. II, p. 434. 

(2) Mèmes archives, mème liasse, n.° 1415, 


PAR LÉON MENABRÉA 43 


le 23 octobre 1394, et c'est, je crois, ce qu'on appela depuis lors, le 
sextat de Lausanne, probablement, à cause du chiffre des diverses rentes 
qui y sont assignées au sénéchal (1). 

A còté des sires de Compey florissaient les sires de Sales, ancétres 
de ce grand Saint qui illustra l’église par la perfection de sa doctrine, 
et qui commenca son apostolat en ramenant une de nos plus belles pro- 
vinces au sein de la foi. Les sires de Sales, se fondant sur l’analogie, 
ou plutòt sur la consonnance des mots, et invoquant l’autorité de cer- 
taines inscriptions romaines, ne prétendaient rien moins que de tirer leur 
origine des Saliens, prétres institués à Rome pour la conservation de 
l’ancile, bouclier miraculeux, que l'on disait tombé du ciel. Leur cri de 
guerre mamour ! mamour! n’aurait été, selon eux, qu'une réminiscence 
du refrain mamurius! mamurius! que ces prétres chaniaient aux jours 
solennels; enfin, à les en croire, ils se seraient trouvés les descendants 
de ce personnage, nomme Seliger, ou Anciliger, qui, suivant Vhistorien. 
Hermannus Contractus, apporta à l’empereur Conrad, après la mort de 
Rodolphe-le-Fainéant, les insignes de la royauté Burgonde (2). Un seigneur 
de Sales, qui vivait à la fin du XIV siècle, Jean-le-pieux, poussait 
encore plus loin l’orgueil nobiliaire: ayant eu des contestations de pré- 
séance avec la maison de Compey, il crut, dit-on, pouvoir trancher è 
sen avantage avec ces étourdissantes paroles: Anteqguam Abraham fieret 
ego sum (3). 

Mais de telles prétentions n’étaient pas fondées; elles ne l’étaient pas 
surtout vis-à-vis de la puissante famille de Compey. Et d’abord il faut 
à peu près rayer de liste l’inféodation, supposée faite en 1073 par les 
comtes de Genève à un prétendu Guichard de Sales, que divers auteurs 
ont considéré comme point de départ de la généalogie salésienne. Charles 
Auguste de Sales lui-méme ne parle de cette inféodation que tant qu'elle 
serait mentionnée vaguement dans un acte du 22 aoùt 1448, et il suffit 
de lire ce qu'il en dit pour se convaincre qu'on ne saurait baser là-dessus 
aucune certitude historique (4). 


(1) Mèmes ‘archives, liasse 84, n.° 1615. Ce titre a été publié dans le t. VI des Mem. de la Soc. 
d’hist. de la Suisse romande, p. 273. On y lit entre autres: Ziem seadecim libras lausanenses annui 
redditus quas percipit annis singulis super redditibus domini episcopi lausanensis. Item sexdecim so- 
lidos lausanenses annui redditus quos percipit super talliis dicti domini episcopi. Item sexdecim solidos 
lausanenses annui redditus quos percipit super census dicti domini episcopi ete. 

(2) Regnique insignia Conrado imperatori per Seligerum allata sunt. 

(3) Pourpris hist., p. 211. 

(4) Ibid., p. 14I. 


44 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 

Je ne sache pas, d’autre part, qu’à raison du fief de Sales, les seigneurs 
de ce nom se soient jamais reconnus feudataires immédiats des comtes de 
Genève; car on doit l’avouer, quelque étrange que cela puisse paraître, ils 
n’étaient, à cet égard, que les simples vassaux des sires de Compey, leurs 
voisins (1). 

La seigneurie de Sales doit évidemment, selon moi, son origine au 
vidomnat de Thorens, dont la famille de Sales, à une époque incontesta- 
blement fort ancienne, mais qu'on ne peut pas preciser, faute de docu- 
mentis, avait été investie par les sires de Compey (2). C'est pour l’exercice 
de ce vidomnat, qui comportait des droits assez importants, que les sires 
de Sales obtinrent la permission de construire aux portes du chàteau de 
Thorens une maison, sala, et non un chateau, castrum, où ils établirent 
leur résidence, et qui était le chef-lieu de leur juridiction (3). 

En vertu de ce vidomnat, qui, avec le temps, prit la dénomination 
de seigneurie, les sires de Sales exercaient, par l’intermédiaire des juges 
et autres ofliciers qu’ils nommaient, la moyenne et la basse justice sur 
tous les habitants de la terre de Thorens, la haute pustice demeurant 
exclusivement réservée aux sires de Compey. Toutefois, si dans le pour- 
pris méme de la maison de Sales, un individu étranger venait à com- 
mettre quelque crime ou delit, entraînant une peine corporelle, les officiers 
du dernier lieu pouvaient le juger, sauf à remettre le coupable aux offi- 
ciers de Thorens, pour l’exécution, au cas où il se serait agi de lui 
appliquer le dernier supplice (4). 

Ainsi que je lai dit, il y a un instant, les sires de Sales devaient 
se reconnaître, à raison du vidomnat ou de la seigneurie susdite, feudataires 
immeédiats des sires de Compey, et ce n’est que comme detenteurs d’un 


(1) C'est ce qui fit toujours le désespoir des sires de Sales; l’auteur du Pourpris Ristorigue n'a 
pu se le dissimuler, malgré l’extrème amour dont il s'était épris pour sa famille. 

(2) A cet égard je renvoie le lecteur au 9e pied de la 7e toise du 2e pan du Pourpris hist. de 
la maison de Sales, p. 205 et 206. 

3) C'est de là qu’est venu le nom de ces seigneurs. Voyez le Glossaire de Ducange, v. Sala. 
Il existe, comme chacun sait, une infinité de localités du nom de Sales en Savoie, en Dauphiné, 
en Bresse, en Bugey; partout on retrouve ja mème étymologie. Ce qu'on appelait sala au moyen 
àge était plus parliculi&rement une maison d’apparence, un local où l’on rendait la justice, où les 
personnes de marque, les fonclionnaires publics s’assemblaient ete.; tandis que le mot castrum, 
chàteau, supposait toujours un terriloire, si bien que celle expression est souvent employée pour 
designer le territoire seul, abstraction faite du chàteau. 

(4) C'est dans le Pourpris hist., p. 213, que je puise ces details, qui conséquemment ne sau- 
raient èlre suspecis. 


PAR LÉON MENABRÉA 49 


arrière-fief, qu'ils pouvaient se prétendre, è ce sujet, vassaux des comtes 
de Genève. 

Je sais qu'ils élevèrent toujours sur ce point de nombreuses diflicultés; 
mais l’évidence des titres ne leur permit jamais de secouer ce joug 
odieux. Je dis odieux, car il est également certain que les membres de 
la famille de Sales, qui possédaient la juridietion dont il s’agit, ne pou- 
vaient prendre la qualité de seigneurs de Sales que dans les seuls 
contrats rédigés à Sales, et pourvu encore que le sire de Compey, maître 
du chàteau de Thorens, ne fùt pas present à l’acte ou ne sy trouvét 
pas mentionné (1). 

Il est juste, cependant, de faire remarquer que l'hommage dù par 
ces mémes seigneurs de Sales constituait un hommage noble, avec simple 
fidélité, et que leur fief n’etait pas du nombre de ceux qu'on appelle 
caducs, et qui tombent en commise à chaque mutation ‘de suzerain ou 
de vassal. C'est sur ces bases que fut réglée l’investiture que Jean de 
Sales recut de Jean de Compey, le 20 décembre 1437, à la Roche, où 
celui-ci avait également assigné, pour recevoir leur serment, les quarante 
vassaux nobles de ses vingt et une seigneuries. Appelé le premier, il con- 
fessa tenir en fief du sire de Compey tout ce quil possédait dans le 
mandement de Thorens, et ce magnifique seigneur lui en accorda l’inves- 
titure, en lui meitant entre les mains un poignard nu et l’embrassant, 
selon l’usage (2). 

Revenant è l’origine des sires de Sales, je dirai que, bien qu’un 
sage critique ne puisse admettre comme établie l’existence du Séliger ou 
Gerard de Sales, dont j'ai parlé précédemment, et qui aurait vécu, dit-on, 
pendant les dernières années du royaume de Bourgogne, non plus que 
celle de Guichard de Sales, en faveur de qui aurait été passée la pré- 
tendue inféodation de 1073, il est impossible de ne pas avouer que, 
pour l’ancienneté, ces seigneurs ne marchent de pair avec les plus illustres 
races de nos contrées. 

Après les deux personnages, selon moi, problématiques que je viens 
d’indiquer , l’auteur du Pourpris historique cite un Henri de Sales qui 
serait intervenu, dit-il, comme chancelier, è une transaction conclue au 


(1) Pourpris hist., p. 219. Il faut ajouter qu’en cas de guerre, lorsque le ban et l’arrière-ban 
avaient élé convoqués, les seisneurs de Sales devaient fournir aux seigneurs de Thorens un homme 
à cheva], bien armé et entretenu selon la taxe ordinaire de la milice. 

(2) Pourpris hist., p. 230. 


46 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


mois de février 1186, entre le comte de Genève et l’évéque Nantelme; 
il reproduit méme la partie du texte de l’acte, relative à cet objet: 
Notata et confirmata fuit hec sententia per manum domini Henrici de 
Sales et baronum quos comes misit etc. (1). Mais on voit que cet écrivain, 
qui n’avait pas eu sous les yeux le titre original, s'est laissé tromper par 
une copie fautive; car la charte dont il est question, publiée depuis lors, 
au lieu du nom de Henri de Sales, porte celui de Henri de Faucigny: 
per manum domini Henrici de Fulciniaco et baronum quos comes 
misit etc. Il était naturel, en effet, que ce seigneur, et avec lui les sires 
de Gex, de Nancy et de Ternier, que le comte Guillaume avait amenes 
pour étre ses cautions, confirmassent de leur propre main les engage- 
ments de ce prince (2). 

Quoi qu'il en soit, il est incontestable, que depuis le commencement 
du XII siècle, la généalogie de la maison de Sales se deroule sans 
interruption jusqu'à nos jours, en offrant aux biographes, aux historiens, 
une foule d'hommes remarquables dans tous les genres. 

C'est surtout depuis la disparition des sires de Compey, que cette 
maison prit ses plus larges développements; elle acquit un grand nombre 
de terres qui avaient appartenu à ces seigneurs, si bien, que c'est avec 
raison, que l’auteur du Powrpris historique, mù par un sentiment de 
légitime orgueil, disait que de méme que jadis la seigneurie de Sales 
était enclavée dans celle de Thorens, de méme, de son temps, la ssei- 
gneurie de Thorens était enclavée dans celle de Sales. 


(1) Pourpris hist., p. 148. 
(2) Spon, pr., n.° 20. Je n’ai pas besoin de dire que Grillet, selon son habitude, a horriblement 
défiguré les premiers degrés de la généalogie dont il s’agit. 


PAR LÉON MENABRÉA 47 


CHAPITRE IH. 


FPamille de Clermont, Humbert, Aymard. - Ville d'Annecy. - On fait remonter sa 
fondation è une colonie d'Egyptiens. - Elle appartenait aux rois de Bourgogne au commen- 
cement du XI sitele. - Son développement durant le régime feodal. - Son chateau. - Les 
sires de Menthon; Thomas; son testament; quatorze églises ont part à ses libéralités. - 
Ses descendants. - Ils se divisent en quatre branches qui, elles-mémes, se subdivisent en 
plusieurs autres. - Les seigneurs de Duing. - Rodolphe vend le chileau de ce nom aux 
comtes de Genève. -— Les sires de Charveroche. - Pontverre. - Foras. - Allinge; vastes 
possessions de ces derniers. - Nouveaux details sur les sires de Chissé; Rodolphe, arche- 
véque de Tarantaise périt victime d'un affreua complot. - Vidomnat de Rumilly. - Porterie 
de Rumilly. - Vidomnat de Chaumont. - IA. de Genève. - Sires de Cruseilles. - Le bourg 
d'Alby, ses chateaux et seigneurs. - Familles de Mont Vagnard. - Hauteville. - Les Clefs. 
- Sionnaz. - Mionaz. - Perly. - Lully. - Des Forets. — De Follie. - Menthonex. - Pelly. - 
Du Wuache. - Copponex. - Charansonner. - Choisy. - Dingy. - Serraval. - Alex. - 
Graisy. - Mouai. 


Une famille, qui pour la puissance ei l’ancienneié ne le cédait à 
aucune autre, était celle des sires de Clermont (1). Outre le chateau de 
la Batie, en Albanais (2), elle possédait, en divers lieux, des terres 
considérables, et notamment les seigneuries de S'-Hélène-du-Lac, de 
S'Pierre-de-Souci, de Villard-d'Héry , d’Aiguebelleite et de Chanaz. 
Ces cinq seigneuries étaient situges, en Savoie, hors du comté de Genève; 
les trois premières sur la rive gauche de l’Isère, non loin de Montmélian, 
la quatrièéme entre la montagne de l’Epine et le Pont-de-Beauvoisin, et 
la cinquième à lextrémité du canal de Savières, qui sert de dégorgeoir 
au lac du Bourget. 

Les sires de Clermont possédaient déjà au XIV siècle les seigneuries 
et les maisons-fortes de S'-Hélène-du-Lac et d’Aiguebellette. En 1327, 
ils acquirent S'-Pierre-de-Souci des sires de Briancon, en Tarantaise (3). 
Chanaz leur advint en 1338: ils ne le gardèrent toutefois que jusqu’en 1363, 


(1) En énongant ici ce qui regarde ces seigneurs, nous faisons remarquer qu’ils ne relevaient 
des comtes de Genève que pour une faible part de leurs domaines. 

(2) On appelle encore Albanais le petit pays qui correspond à la partie occidentale du pagelus 
Albanensis, dont la ville de Rumilly est la principale localité. 

(3) Sommaire general, Savoie, t. I, v. St-Pierre-de-Souci. 


48 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


qu'il passa à la famille de Gerbaix (1). Ils se firent céder Villard-d’Hery 
par les comtes de Savoie, en 1348 (2). 

Jajouterai qu’en 1344, Humbert, fils d’Antoine de Clermont se 
reconnaissait homme lige de ces mémes princes, à raison de la maison- 
forte de Villeneuve, près de Chambéry (3). 

Au XIV siècle, apparaît un Humbert de Clermont, qui se trouve 
mélé à la plupart des affaires de son temps. Il accompagne, en 1304; 
le jeune Edouard, fils d'Amé V, comte de Savoie, à une expédition 
militaire, dirigée sur $'-Germain-d’Ambérieux (4); il règle, en 1334, 
les conditions d’un traité de paix qu'Aymon, frère d’Edouard, devait 
conclure avec le Dauphin de Vienne; on le qualifie nobilis vir d.mu 
Anthonius de Claramonte du Bastida in Albanensio (5). 

Il assiste, en 1346, aux noces de Philippe d’Archaye; il intervient, 
en 1347, à des conventions qui moderèrent certaines prétentions des 
sires de Beaujeu etc. (6). Après lui surgit un Aymar de Clermont, qui 
ne fut pas moins remarquable; ce personnage figura parmi les chevaliers 
que le Comte Vert conduisit, en 1359, contre les Anglais (7); il suivit ce 
prince en Orient, et donna des preuves signalées de bravoure anx siéges 
de Gallipoli et de Mésembrie (8); il commandait pendant le trajet_ une 
des galères de la flotte (9). 

Les sires de Clermont reconnaissaient la suzeraineté des comtes de 
Genève relativement au chateau de la Batie, en Albanais; mais quant 
aux maisons-fortes de S'°-Hélène-du-Lac, de S'-Pierre-de-Souci, d’Aigue- 
bellette et de Chanaz, ils ne s’avouaient feudataires que des comtes 
de Savoie, et c'est par ce motif qu’on les rencontre si souvent à la suite 
de ceux-ci (10). 

Nous arrivons à Annecy, puis nous retournerons en arrière, dans 


(1) Sommaîre general, Savoie, t. I, v. Chanaz. 

(2) Concess., Invest., t. 1I, fol. 308. 

(3) Reynaud, t. XIII, fol. 48. 

(4) Comptes des chdtelains de Chambery. 

(5) Valbonnais, t. II, p. 251. 

(6) Guich., pr., p. 126 et 167. 

(7) Guich., pr., p. 197. 

(8) V. Datta, Spedizione etc. 

(9) Cibrario, Economia ete. deuxième édition, t. I, Documents, p. 408. 

(10) Hommage de 1305 pour Aiguebellette; hommage de 1382 et 1392 pour Ste-Heleno-du-Lac. 
Sommaire general, Savoie, t. I, v. Aiquebellette et Ste-Hélène. 


PAR LÉON MENABRÉA 49 


l’impossibilité où nous sommes de suivre une marche plus reégulière. Il 
est inutile de répéter ici tout ce qui a été avancé touchant la prétendue 
antiquité de cette ville. Un passage que S'-Francois de Sales disait avoir 
extrait d’un vieux manuscrit: Extabat antiquitus apud Allobroges civitas 
Bovis a Gothis funditus eversa, a donné lieu sur ce chapitre à mille 
conjectures étranges; on est allé jusqu’è soutenir qu'Annecy devait sa 
fondation à une colonie d’Egyptiens adorateurs du boeuf Apis; le nom de 
l'un de ses faubourgs, le faubourg du Boeuf, servait d’appui à ce système 
aux yeux du vulgaire. 

Que dans cet endroit, comme en cent autres localités de la Savoie, 
les Romains aient laissé de nombreuses traces de leur existence, le fait 
est incontestable; mais que sous la domination du peuple-roi, Annecy 
ait été une ville, ou méme une simple Statio, c’est ce qui n'est point 
prouve. Ce que nous savons seulement, c'est, qu'au commencement du 
XI siècle, Aunecy appartenait aux rois de Bourgogne; c’était une des 
terres qu'on appelait fiscales, fiscales, parce qu’elles faisaient partie du 
domaine royal. 

Cette terre, le roi Rodolphe III la donna à sa seconde femme, la 
reine Hermengarde, par un acte de l’an rorr, où se lisent ces mots: 
Et do ei Anassiacum fiscum meum. Je ne sache pas que nous ayons sur 
ce lieu, qui devint plus tard la capitale du Genevois, de notice plus an- 
cienne que celle que nous fournit ce précieux document (1). 

Pendant le régime féodal, Annecy se developpa, s'entoura de murs, 
acquit de bonnes franchises, et ouvrit son sein à une quantité considé- 
rable de nobles, de bourgeois, d’artisans, qui y firent fleurir l’industrie, 
et méme les arts. On y voit encore, presque dans son entier, le magnifique 
chateau que les comtes de Genève y avaient fait construire, et qui fut 
ensuite agrandi et restauré par les ducs de Nemours, branche apanagge 
de la maison de Savoie. 

Aux environs d’Annecy il existait autrefois plusieurs familles  puis- 
santes, dont le peuple sait encore l’histoire, et se plait è la raconter, en 
lui prétant les formes merveilleuses de la légende. De ce nombre est la 
famille de Menthon, que le grand nom de S'-Bernard suffirait seul pour 
immortaliser. 


(1) Documenti, sigilli e monete, p. 17. 


Serie II. Tom. XXIII. Ù 


do DES ORIGINES FÉODALES 

Quoique les sires de Menthon remontent, comme les sires de Viry, 
de Ternier, de Ballaison, aux derniers temps des rois de Bourgogne, 
la tige connue, à laquelle leur maison rattache ses nombreuses branches, 
est un Thomas de Menthon, qui vivait au XIII siècle. Le père de ce 
seigneur fut un Willelme de Menthon, Zi/elmus dominus de Menthons, 
qui, en 1219, intervint an traité conclu à Desingy, entre l’évéque et le 
comte de Genève, et se rendit caution de ce dernier à concurrence de 
1000 sols (1). En 1260, Thomas de Menthon transigeait , avec un 
Geoflroy de Grammont, au sujet de certains droits féodanx existants dans 
le mandement de Charosse (2). En 126r, l’évéque de Genève accordait 
à ce méme Thomas de Menthon, nobili viro Thome domino de Menthons, 
l’investiture de la foire annuelle de Menthon, qui devait se tenir le pre- 
mier dimanche après la Toussaint, ainsi que celle du marché hebdoma- 
daire du méme lieu, sans préjudice, est-il dit dans l’acte, de la fidelité 
que le concessionaire pourrait devoir è quelqu'un autre, par rapport à 
ces deux objets, salva fidelitate aliorum dominorum. 

Et de fait, peu de temps après, ledit Thomas de Menthon dut se 
reconnaître également à cet égard feudataire du comte de Genève (3). 

Par son testament du 4 des nones de mai 1271 (4), Thomas de 
Menthon fait quatre héritiers. Il institue dans sa terre de Menthon , in 
castro de Menthone et in omnibus que infra banna ipsius continentur, 
son petit-fils Rodolphe, né de son fils Jean, prédécédé : cette terre 
s'étendait depuis la croix de Charbonnières jusqu’au lac d’Annecy, a cruce 
d. Charbonnieres usque ad lacum, et depuis la pierre de Margeria 
jusqu'au crét de Talloires, et a petra Margeria usque ad crestum Talloeriis. 


(1) Voyez Spon, pr., n.° 20. 

(2) Index des fiefs, v. Charosse. 

(3) Ces deux chartes sont reproduiles en entier dans un recucil existant aux archives du ca- 
dastre inlitulé : Registre des consignements des fiefs. On y trouve aussi d’autres chartes relatives 
aux droits que les sires de Menthon avaient è Montrottier (tel que celui de pèche dans le 
Fier), a la juridiclion du dernier supplice , qu’'ils exergaient sur les fiefs du mandement de 
Talloires, lequel appartenait alors au celèbre prieuré de ce nom, à la faculté d’exploiter en divers 
lieux de leurs domaines, comme Menthon, Dingy, Villaz, Aviernoz, les mines d’or, d’argent, de 
plomb, d’étain, de cuivre, de fer qui pourraient s°y trouver, etc. 

(4) Une copie authentique de ce testament m’a été communiquée par M. le général, comto 
Charles de Menthon d’Avieraoz. Une circonstance qui a pu jeter quelque incerlitude sur les pre- 
miers degres gencalogiques de la maison de Menthon, c’est l’existence d’un Guy, frère de Thomas, 
dont les enfants sont mentionnes dans le testament de ce dernier par les mota Ziberi Guidonis 


quondam fratris mei. 


nei 


PAR LÉON MEÉNABREA ON 


Il laisse è Albert, son second fils,-le chiteau de Dingy, au débouché du 
Val de Thones; à Pierre, son troisième fils, le chàteau de Beaumont, au- 
dessus de Ternier, et celui de la Balme de Thuy; à Henri, son qua- 
trièéme fils, le chiteau de Lornay, situé sur la rive gauche du Fier, à une 
liene environ en aval de Rumilly. Il lègue quelques revenus à ses autres 
fils, Etienne, Jacques et Aymon, destinés à l’état ecclésiastique; il offre 
une sienne toute jeune fille, parvanz filiam, à l’abbaye de Montmajeur, 
et assigne des dots. à Guigonne, Isabellonne , Beatrix, Marguerite et 
Briande ; il veut pourtant que Guigonne ait une bonne robe, unam donan: 
robam, et Isabellonne un anneau d’or. 

Quatorze églises ont part à ses liberalités. Il entend enfin que chacun 
de ses héritiers fasse hommage de ses possessions au comte de Genève (1). 

Les descendants de Thomas de Menthon se divisèrent ainsi en quatre 
branches-mères: Menthon, Dingy, Beaumont et Lornay. Celle-ci ne fut 
pas la moins illustre; elle donna un évéque à Véglise de Genève; un 
Willelme de Lornay, chevalier, ayant prété de grosses sommes au comte 
Guillaume , ce prince voulut lui donner une marque de sa reconnaissance; 
il l’investit, en 1320, de la maison-forte de Disonche, sise è Villaz, 
non loin d’Annecy, et lui accorda l’omnimode juridiction sur le territoire 
qui en dependait. L’acte d’inféodation énonce, d'une maniere curieuse, les 
divers droits attaches à l’exercice de la haute justice: Concedimus tibi 
jus furchas levandi capita truncandi urendi comburendi igne consumandi 
ecartelandi pendendi capiendi detinendi componendi et personaliter omnes 
malefactores puniendi (2). i 

Les quatre branches ci-dessus citées se subdivisèrent aux XIV, 
XV et XVI siècles en plusieurs autres, parmi lesquelles on distinguait 
celles de la Balme de Thuy, de Montrottier, de Rochefort sur Seran etc. 


(1) On trouve mentlionnés dans l’Index geréral des fiefs un grand nombre de reconnaissances ei 
d’actes d’hommage passés par les héritiers de Thomas de Menthon et leurs 'successeurs en faveur 
des comtes de Genève. Au moyen de ces indications, et en consultant les titres originaux aux- 
quels elles se rapportent, et qui sont conservés soit dans les archives de Cour, soit dans les 
archives de la Chambre des comptes, il serait facile de suivre exaciement la descendance de ces 
seigneurs, de connaître leurs possessions, leurs droits à différentes époques. Je cile entre autres : 
hommage de Rodolphe, fils de Jean, 1281; hommage des successseurs dudit Rodolphe 1344, 1375, 
1377, 1396, etc. Corcess. Invest., t. IT, fol. 94; hommage d’Albert, seigneur de Dingy,; 1316; de 
Jean, fils d’Albert, 1346, Indice D. E., fol. 2; hbommage de Jean'et André, fils de Henri, seigneur 
de Lornay, 1345. Archives de Cour. — Savoie-Lornay. 

(2) Archives du cadastre, Régistres des consignements des fiefs, 1.3, p. 166. 


52 DES ‘ORIGINES FÉODALES ETC. 
TI faudrait sans doute beaucoup de peine pour suivre le fil de chacune 
d’elles-à travers les obscurités du régime féodal (1). 

Au reste, le nom de S'-Bernard, cet illustre bienfaiteur de l’humanité, ce 
courageux apòtre, à qui le monde chrétien dut l’expulsion des bandes sar- 
rasines qui, maîtresses des Alpes grecques et pennines, y avaient établi 
un culte idolàtre et de sanguinaires superstitions, le nom de S'-Bernard, 
dis-je, a rendu les sires de Menthon à jamais célèbres. Leur chateau se 
lessine encore majestueusement sur le penchant de la montagne qui do- 
mine le lac d’Annecy; la devise Zowjours Menthon, résumait pour ceux-ci 
une série de hauts faits et de glorieux souvenirs. 

Auprès des sires de Menthon, sur les bords mémes du lac, se dérou- 
laient les domaines de la maison de Duing, lesquels, au dire de Charles 
Auguste de Sales, l’autenr qui a le plus fouillé dans nos vieilles archives, 
« remontait sa noblesse jusques aux temps des roys de Bourgogne (2). » 
Malheureusement, à cet égard, les documents authentiques font défaut. Un 
des premiers sires de Duing, que les diplòmes nous fassent connaître , est 
un faymondus Doint, qui, lors de la transaction passée, en 1219, par 
Guillaume, comte de Genève, avec l’évéque Aymon, se rendit caution de 
ce prince à concurrence de r1roo sols (3). Là se trouvaient aussi les sires 
de Menthon, de Rumilly, des Clefs, de la Roche, de Ternier, de Compey, 
de la Tour, de Villette, de Cornillon, de Nangy, qui s’obligèrent éga- 
lement pour des sommes plus ou moins fortes. Une suite de documents, 
rédiges pendant la seconde moitié du XIII siècle, nous montrent un 
Richard et un Pierre de Duing 


5? 


cette epoque (4). En 1296, Rodolphe de Duing vendit le chiteau de 


Duing au comte de Genève pour la somme de 2500 livres (5); cela 


prenant part à divers événements de 


(1) La branche de la Balme était la plus ancienne de ces branches secondaires. Nous avons 
des prestations d’hommage faites aux comtes de Genève par les sires de la Balme de Thuy, en 
1359, 1362, 1383. Indice T., t. I, fol. 41 verso. Guichenon dans son Mist. de Bresse a donné la 
genéalogie de quelques-unes des branches dont il s'agit; mais il paraît ètre tombé dans diverses 
erreurs. 

(2) Pourpris hist., p. 389. 

(3) Spon, pr., n.° 20. 

4) Mem. de la Soc. de Genève, t. I, 2 part., p. 74. Guich., t. I, p. 354, et preuves, p. 156; 
Valbonnais, t. II, p. 140. 

(5) Cette vente est du 22 octobre. Ambroisie de Duing, seur de Rodolphe, céda, en 1308, aux 
comtes de Genève, les droits qu'elle pouvait faire valoir sur le chàteau dont il est question. Con- 
cessioni e Investiture, t. I, fol. 150. 


PAR LÉON MÉNABREA dò 
n'empécha pas que la famille de Duing ne demeuràt très-puissante; car, outre 
les terres qui lui restaient en Genevois (1), elle possedait, comme je l’expli- 
querai ailleurs, le chateau de Conflans et une partie de la juridiction de 
ce lieu, ainsi que d’assez grands biens en Tarantaise (2). Successivement 
elle acquit, dans l’ancien Chablais, le manoir des sires de Bex, l’agrandit, 
le fortifia et y adjoignit des terres considérables; ce qui reste de cet 
antique castel se nomme aujourd’hui la tour de Duing (3). 

Ce fat surtout par la possession de Val d'Isère, à l’extremité de la 
Tarantaise, que les sires de Duing se rendirent respectables; maîtres 
d’un chateau, situé è Scez, au pied du petit mont Joux (columna Jovis); 
ils pouvaient è leur gré intercepter ou inquiéter ce passage fréquenté des 
Alpes (4). En 1289, un membre de la maison de Duing fut appelé au siége 
épiscopal de Genève; ce courageux prélat, connu sous le nom de Guillaume 
de Conflans, employa sa vie à défendre sa puridiction contre les inces- 
santes atiaques des comtes de Savoie. Le successeur de S'-Bernard à 
l’archidiaconat d’Aoste fut, dit-on, un Richard de Duing. Le pittoresque 
manoir_ de Duing, voisin de celui de Menthon, se mire dans les eaux 
du méme lac. 

A Vouest d’Annecy, non loin d'un pont à fréle apparence, jeté à travers 
le lit escarpé d'un torrent, se dressait jadis le donjon de Charveroche, 
de Calva Rupe, manoir des sires de Pontverre, de Ponte vitreo. Ces sei- 
gneurs figuraient incontestablement au rang des plus puissants feuda- 
taires de nos contrées (5). Un Aymon de Pontverre assistait, en 1218, au 
contrat de mariage d’Herman de Kibourg avec Marguerite de Savoie (6); 
il vivait encore en 1246, et avait alors un fils du méme nom que lui (7). 
Guichard, Rodolphe et Jean de Pontverre furent, selon toute apparence, 


(1) Tout ce que les sires de Duing avaient à Duing ne fut pas aliené par la vente ci-dessus 


citée. V. les hommages faits par ces seigneurs aux comtes de Genève en 1330, 1343, 1344, 1345 
et 1959. Concess. Invest. loco citato. i 


(2) V. ci-après. 

(3) Levade, Dict. du Canton de Vaud. 

(4) On voit encore aujourd’hui, à Scez, les ruines de ce chàteau, ainsi que la statue sépulcrale 
d’un sire de Duing-Val-d’Isère contre les parois extérieures du mur latéral de l’égliso de cette 
paroisse. Les archives du Bourg-St-Maurice renferment quelques chartes concernant ces seigneurs. 

(5) Voyez les reconnaissances faites en 1305, 1319, 1340 par les sires de Pontverre aux comtes 
de Genève pour le chàteau de Charveroche. Somm. g@. Genevois-Charveroche. 

(6) Guichenon, pr., p. 63 

(7) Pourpris hist., p. 152 


54 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


des personnages recommandables par leur prud’homie; car on les voit 
intervenir ensemble, en qualité d’arbitres, au traité de paix conclu en 
1308 entre le. comte de Savoie et le comte de Genève (1); on y re- 
marque aussi un Jean de Langin, un Pierre de Graisy, un Robert de 
Mouxi et plusieurs autres. 

Au XIII siècle, les sires de Pontverre étaient maîtres de plusieurs terres 
echelonnées depuis l’extrémité du Léman jusqu’au mont Joux; ils les cé- 
dèrent en 1221 à Thomas de Savoie, en échange de quelques autres 
domaines, situés soit dans les Bauges, soit dans la vallée d’Ugines (2). 

Quoique les titres qui concernent les sires de Foras soient en très- 
petit nombre, ces seigneurs n’en remontaient pas moins à une antiquité 
respectable (3). Il y en eut beaucoup parmi eux qui parvinrent à une 
haute réputation: il suffit de nommer ici le sage et intrépide Berlion de 
Foras qui, en 1355, marcha à la suite du Comte Vert au secours 
du roi Jean, pendant les guerres desastreuses des Anglais contre les 
Francais (4), et qui, en récompense de ses services, fut agrégé, un des 
premiers, à ce famex ordre du Collier, fondé en 1363, è l’Ronnewr de 
Dieu, de la Vierge Marie, de ses quinze joyes et de toute la cour ce- 
lestiel (5). 

Sur la rive gauche de la Drance, en face du rideau magnifique auquel 
les eaux bleues du Léman servent comme de ceinture, se déroulaient les 
principaux domaines d’une famille qui surpassait en richesses et en an- 
cienneté la plupart de celles que Jai placées à la suite de la maison de 
Genevois; c’était la famille d’Allinge. Un document de l’année 981 nous 
montre déjà un Richard d’Allinge, guidam miles nomine Rickardus de 
Alingio, recevant, à titre d’échange, certaines terres des mains du roi 
de Bourgogne Conrad. En 1011, le successeur de ce monarque, Rodolphe- 
le-Fainéant, donna des marques de sa libéralité è un Rocelin d’Allinge, dont 
la femme Amandola fut appelée à l’acte commemoratif de la donation, et 
participa ainsi à la faveur du souverain. La charte qui contient la fonda- 
tion de l’abbaye d’Aulps, en 1096, nous fait voir un Girard d’Allinge placé 


(1) Valbonnais, t. II, p. 139. Ils avaient déjà paru, en 1297, au contrat de mariage de Guillaume, 
comte de Genève, avec Agnès de Savoie. Guich. pr., p. 155. 

(2) Pingon, Mist. Sabaud., manuscrit des archives de Cour, |. 8. 

(3) Pourpris hist., p. 297. 

(4) Guich., pr., p. 197. 

(5) Cibrario, Mist. de l’ordre de l’ Annonciade, Turin, 1840. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 55 
sous la mouvance des comtes de Savoie, à l’égard du fief qu'il possedait, 
avec Gilion de Rovorée, dans le lieu où ce couvent fut construit (1). 
Ce Girard d’Allinge, si l'on en croit la chronique contemporaine, se 
montra perséenteur acharné du célèbre monastère de $'-Maurice d’Agaune, 
et mourut frappé de la main de Dieu. Il faut lire la relation que je viens 
de citer, laquelle est due à un moine de ces temps-là, temps de supersti- 
tion et de barbarie, pour juger combien, au commencement du XII siècle, 
les sires d’Allinge etaient redoutables (2). 

Outre de vastes possessions en Genevois, in pago Genevense, ils avaient, 
en Dauphiné, l'importante terre de Salvaing, qui, au XII siècle, devint 
l’apanage d’un cadet de leur race. Plus tard ils vendirent le chéteau 
Viel-d’Allinge, Alingium vetus, à la maison de Savoie, qui le fortifia, en 
fit le siége d’une chatellenie et y entretint une garnison respectable (3). 
C'est ainsi que, peu è peu, les hauts suzerains s’accrurent sur les ruines 
des familles secondaires; ces sortes de ventes sont très-fréquentes. 

Plus tard un Boson d’Allinge intervint en qualité de vassal d’Aymon, 
comte de Genève, è un traité que ce prince fit à Seyssel avec l’évéque 
de Genève. 

Les anciens propriétaires du chateau Viel se retirèrent, non loin de 
là, au chateau de Coudrée; la famille d’Allinge-Coudrée a produit un grand 
nombre d’hommes distingués (4). 

La famille de Chissé, que je n'ai fait qu'indiquer dans le précedent 
chapitre, au nombre des familles illustres de la Roche et de ses alentours, 
produisit, au moyen dge, une infinité de personnages marquants en tout 
genre (5). On sait comment, en 1385, Rodolphe, l’un d’eux, archevéque 
de Tarantaise, périt victime d’un effroyable complot et fut assassiné au 
chiteau de S'-Jacques, proche de Moutiers, lui et son chapelain, par 
un misérable appelé Pierre de Combloux. Les comptes des chatelains de 


(1) V. mon travail intitulé L’ Abbaye d’Aulps, d’après des documents inédits, dans le tome Xî 
des Mem. de l’ Acad. de Savoie. 

(2) V. Doc., sigill. e mon., p. 48. 

(3) Cette acquisition fut probablement faite par le comte Pierre. V. le testament de ce prince. 
Guich., pr., p. 76. \ 

(4) V. la Gencalogie de la très-illustre et très-ancienne maison d’ Allinge, par dom Hilaire de 
St-Jean-Bapliste, de la congr. de Cit. Mss. i 

(5) Pourpris hist., p. 127 et 185. 


56 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 
Chambéry contiennent, relativement au supplice de ce parricide, des details 
à faire frémir. 

L’exécution du patient eut lieu, sur la route de Chambéry à Mont- 
mélian, le 15, le 19 et le 22 juin 1387; le premier jour, on amputa le 
poing droit à ce malheureux; le second jour, on lui coupa le poing gauche; 
le troisieme jour, on le fit mourir par le supplice des tenailles ardentes, 
puis on partagea son corps en quartiers, après en avoir détaché le chef 
qui resta exposé au haut d’une potence (1). 

Je saisis ici l’occasion de parler de deux vidomnats assez importants, 
celui de Rumilly, en Albanais, et celui de Chaumont. Le premier appar- 
tenait à une famille peu connue, qui portait le nom de Rumilly, et 
dont un membre, appelé Herman, /ermannus de Rumiliaco, est men- 
tionné à la suite d’Aymon, comte de Genève, dans une donation que 
ce prince faisait, vers la fin du XI siècle, au prieuré de Lémens, près 
de Chambéry. i 

Une charte de l’an 1100 nous révèle l’existence d’un Walter de 
Rumilly, revétu de la qualité de vidomne, //alterius de Rumiliaco wice- 
domnus, et l’on trouve qu'en 1181 un Willelme, vidomne de Rumilly, 
H'illelmus vicedominus de Rumiliaco, cédait, du consentement de sa 
femme et de ses cinq fils, les dîmes de Feigères au monastère de 
Satigny (2). Je crois avoir remarqué précédemment qu'en 1219 un 
Raymond de Rumilly se rendit caution du comte Guillaume à concur- 
rence de 500 sols (3). Les droits de vidomne de Rumilly consistaient prin- 
cipalement à percevoir le tiers des bans, criées, peines et amendes de 
la ville, à retirer en entier la Zeide du sel et à exiger annuellement de 
chaque boucher une peau d’agneau et de chaque manant marié un tribut 
de 12 deniers. 

A une époque fort ancienne la porterie de Rumilly, c’est-à-dire 
l’office de gardien des portes, avait été inféodée à des tenanciers qui, 
dès lors, ne furent plus connus que sous la dénomination patronymique 
de Portiers, Portarii. Peut-étre est-ce à leur lignée qu’appartient ce 
Jacob. Portier, Jacobus Portarius, qui, en 1219, dans une circonsiance 


(1) Comptes de la Chdtellezie de Chambéry. 
(2) Mem. de la Soc. de Genève, t. II, 2 part., p. 26 et 44. 
(3) Spon, pr., n.° 20. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 97 


solennelle se rendit caution des comtes de Genève au montant de 500 
sols (1). Ce personnage se serait trouvé le fils ou le frère d’un Guichard 
Portier, qui vivait en 1210 (2), et qui laissa, sans doute, une nom- 
breuse descendance (3). 

En 1272, le vidomnat de Rumilly avait passé aux mains de la maison 
de Villette, en Tarantaise; un Thibaud de Villette en fit hommage le 
rr septembre è l’évéque de Genève (4). 

Le vidomnat de Chaumont tirait son nom d’un bourg muré, situé sur 
le revers oriental de la montagne du Wuache, è une demi-liene de 
Frangy, au pied d’une tour ruinée qui domine tous les environs. Il était 
inféodé è des seigueurs d’ovigine illustre, qu'on appelait vidomnes de 
Chaumont (5). Je me contenterai de dire qu'un Willelme de Chaumont, 
IWillelmus de Caumonte, assista, comme homme lige du comte Aymon, 
au fameux traité que ce prince fit à Seyssel avec l’'évéque Humbert, 
en 1124 (6). 

Pour ce qui est du trop célèébre vidomnat de Genève et des querelles 
sanglantes auxquelles il donna lieu, yen parlerai amplement ailleurs. De 
méme que les vidomnes jouissaient de certains droits, de certaines préroga- 
tives demembrées du domaine épiscopal et qu'ils représentaient en cela 
la personne du maître, vicem gerentes domini, de méme les vicomtes 
percevaient certaines redevances, exercaient certains priviléges dans des 
localités determinées, en tant que substitués aux comtes, vicem gerentes 
comitis. J'ai parlé des vicomtes de Ternier, de ceux de $'-Sixt; laissant 
de còté quelques autres vidomnats de peu de valeur, que je juge superfiu 
de mentionner, je dirai maintenant deux mots des vicomtes de Cruseilles. 


(1) Spon, pr., n.0 20. Il pourrait se faire que ce Jacobus Portarius tînt en fief toute autre por- 
terie que celle de Rumilly, par exemple la porterie du palais, ou, comme on disait alors, de 
l’hospice des comtes de Genève. Ce qui le donnerait à présumer, c'est que ce feudataire est men- 
tionné dans l’acie immédiatement après le maréchal du comte, qui s’oblige aussi pour la somme 
de 500 sols. Petrus marescalcus pro D solidis. 

(2) Vente faite par ledit Guichard au comte de Genève le 22 aòut 1210. Charvaz et Cormier, 
Nesi ONfoliti 

(3) Nous avons des reconnaissances de fiefs faites par les Portiers de Rumilly en 1305 et 1341. 
Concess. invest. , t. Il, fol. 181. L’auteur du Pourpris hist. de la maison de Sales cite également 
ces seigneurs en quelques endroits de son livre, 

(4) Sommaire genéral des fiefs. 

(5) Pourpris hist., p. 31. 

(6) Spon, pr., n.° 1. 

Serre IL ‘Tom. XXIII 


(0) 


\ba / 
(0) 


DES ORIGINES FÉODALES ETC. 
ile premier d’entre ces seigneurs qui soit venu à ma connaissance 
est un Willelme de Cruseilles, /iM//elmus de Crusilia, quì intervint 
en rr53 à un acte passé par les comtes de Genève en faveur de l’abbaye 
d'Abondance, en Chablais (1). 

Lorsqu'en 1179 le comte Guillaume, après avoir triomphé de ses 
ennemis, cunetis inimicis meis confusis mihique subactis (ce sont les 
expressions de la charte) eut fait d'amples libéralites à la chartreuse de 
Pomiers et eut recu des religieux de ce monastère la somme de 5oo sols, 
ce prince, ainsi que je l’ai dejà remarqué, distribua une partie de cet 
argent aux capitaines de sa troupe. Or, au nombre de ces derniers 
figurait un Humbert, vicomte de Cruseilles, Mumbertus wicecomes de 
Crusilia, qui obtint 12 sols à titre de déedommagement (2). Un Jean de 
Cruseilles, damoiseau, domicellus, vivait en 1353 et possédait la maison- 
forte de la Pierre, en Graisivaudan (3). 

Quel fut ensuite le sort de cette famille? Je l’ignore: chacun sait 
que le lieu de son origine, Cruseilles, était jadis et est encore auJourd’hui 
un bourg considerable, situé à trois lieues au nord d’Annecy, là où le 
Salève va se rejoindre aux flexueuses collines des Bornes. 

Une des localités que la tradition cite comme ayant été des premières 
à étre environnée de murailles et couronnée de forteresses, est le bourg 
d’Alby, quì, après l’invasion des peuples du nord, donna, dit-on, sa 
denomination è l’Aibanais, ou pagwus Albanensis, lequel faisait partie du 
grand pagus Genevensis (4). Penché sur un gouffre au bord du Chéran, 
dans une position vraiment fantastique , ce bourg et sa banlieue se divi- 
saient jadis en deux sections séeparées par le lit escarpé du Chéran, 
savoir, à droite S'-Donat d’Alby et à gauche S'-Maurice d’Alby. D'un 
còté, on trouvait les chateaux de Chateauvieux, de Mont-Pont et de 
Mont-Desir, et de l’autre, ceux de Donjon, de Touche et de Mont- 
quenoit (5). Chateauvieux appartenait aux comtes de Genève, qui, 


1) Bibl. Sebus., II, 52. 

(2) Ib:d., II, 13. 

(3) Sur la rive gauche de l’Isere, entre Domène et Theys. Les comtes de Genève avaient alors 
juridiction sur les mandements de Domène, Theys et La Pierre. V. Valbonnais, t. I, p. 147. 

(4) V. ci-devant. 

(5) V. aux archives du cadastre de Chambéry le recueil intitulé : Etat des sesgreurs et autres 
possédant fiefs dans la province de Genevois; et a la fin du recueil L’etat des chdteaux et maisons- 


fortes du Gencvois, 1772. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 59 


en 1340, l’inféodèrent à un batard de leur maison, avec les péages qui 
en deépendaient (1). Quant à Mont-Pont, il était la résidence de la très- 
ancienne famille des sires d’Alby, dont les traces remontent au XII siècle. 
Ces seigneurs, quoique figurant parmi les hauts tenanciers du Genevois (2), 
s'avouaient hommes liges des comtes de Savoie, à raison de certains 
fiefs  situés au Chitelard, dans la vallée des Bauges, vallée qui a 
précisement sur Alby son principal déversoir, et c'est sans doute à cause 
de cela qu'on les rencontre si fréquemment à la suite de ces princes. 

Un Hugues d’Alby, Hugo d’Albiez, se trouvait, en 1183 environ, 
à la fondation de la chartreuse d’Aillon par le comte Humbert III (3). 
Un Gauthier d’Alby, Gauterius de Albiez, assistait, en 1205, à un pla- 
citum tenu devant la comtesse Beatrix, femme du comte Thomas; au 
sujet de plusieurs usurpations commises au préjudice du prieuré de Lémens, 
près de Chambéry. Il nous reste une série de chartes du XIV siècle, 
constatant l’existence successive d’un Pierre, d’un Francois, d’un Girard 
d’Alby (4); ce ne serait pas chose impossible de compleéter la. généalogie 
de ces illustres feudataires. 

Voisins des sires d’Alby, les sires de Montvagnard, ou simplement 
les Vagnard, /agnardi, pouvaient se vanter d’une origine tout aussi 
antique, tout aussi respectable. 

Les reconnaissances féodales qu'ils passèrent, à différentes époques, 
en faveur des comtes de Genève pour le chàteau de Montvagnard, Mons 
Wagnardorum, cu Castrum Montis Wagnardi, portent quils devaient è 
ces derniers une cuisse de boeufà titre de plaid, c’est-à-dire, exigible, à 
chaque mutation de vassal ou suzerain (5). Un Guy de Montvagnard in- 


tervint, en 1297, à un traité solennel, auquel avaient été appelés tous les 


(1) Sommaire general, t. I, Genevois, Alby. 
. (2) En 1245 un /7alterus de Albiaco miles était present à une donation de Guillaume comte de 
Genève è l’abbaye de St-Maurice d’Agaune : il y est nommé immédiatement après un :4/bertus 
de Compey miles et avant le maréchal du comte. Bibl. Seb., I, 46. - Un Richard d’Alby faisait en- 
core, en 1490, hommage du chàteau de Mont-Pont au comte de Genevois. Voyez anx archives du 
cadastre Concessioni, investiture e consegnamenti etc. , t. I, f. 136, verso. - Un Amé d’Alby possédait, 
en 1519, le chàteau de Mont-Désir. Voyez aux mémes archives, Memoires concernant les requétes 
présentées en execution de l’edit du 5 adut 1752 pour l’investiture des fiefs, t. I, fol. 16. 

(3) On sait que cette chartreuse était situge en Bauges, 

(4) Indice gen., t. I, fol. 254 et seg. 

(5) Sommaire general, t. IX Genevois, v. Montvagnard. 


60 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


dynastes de la contrée (1). En 1316 un Robert de Montvagnard occupait 
la charge de bailli du Faucigny (2); il possédait probablement dans cette 
province quelques-uns des biens que nous retrouvons plus tard entre les 
mains de ses descendanis, ou peut-étre y a-t-il ici confusion de deux fa- 
milles, dont l’une habitait le Faucigny (3); ce Robert vivait encore en 1319; 
il reconnut tenir le chàteau de Montvagnard en fief du comte de Genève, 
et en arrière-fief du Dauphin de Vienne, dont le comte s’était  précé- 
demment déclaré vassal (4). 

Non loin de Rumilly, petite ville fort ancienne, considérée dans le 
XV siècle comme la capitale de l’Albanais, s'élevait un manoir appelé 
la Créte, devenu la résidence des sires de Hauteville, après que ceux-ci 
eurent abandonné le chaàteau de Hauteville aux comtes de Genève. 

Quoique ces comtes fussent réellement suzerains des seigneurs dont 
il est question, ils ne jowirent pas toujours paisiblement de leurs droits, 
et on les voit, durant de longues années, soutenir à ce sujet  d’assez 
longues contestations avec la maison de Savoie (5). Les sires de Hauteville 
étaient maîtres de Versonnex et de Sion; ils y exercaient la haute justice et 
l’omnimode juridiction, sauf quelques restrictions de peu d’importance (6). 

A deux heures environ d’Annecy, au pied de la Tournette et presque 
à la maissance du val de Thònes, au milieu d’une nature apre, sauvage, 
se dressait le chiteau de l’antique famille des Clefs. 

Un Pierre des Clefs, Petrus de Cletis , florissait pendant la seconde 
moitié du XII siècle (7). Ce personnage partit, en 1189, pour la Terre 


(4) On y lit les noms d’un Albert des Clées, un Robert de Mouxi, ceux de Jean de Langin, 
Pierre de Graisi, Aymon de Menthonex , Pierre de Ternier, Henri de Viry, Richard de Pont- 
verre, ele. qui se rendirent caution de la paix promise par le comte de Genève è Amé V, comte 
de Savoie. 

‘2) Robertus Vuagnardi baillivus domini nostri. Concession de Hugues Dauphin, seigneur de Fau- 
cigny è la chartreuse du Repausoir. Archives du cadastre general Corsigrations des fiefs, t. II, 
fol. 271. 

(3) Je remarque qu'en 1412, un Robert de Montvagnard possédait Ja maison-forte de Tours, 
près de Bonneville: qu’en 1464, un autre Robert de Monlvagnard était maître de celle de Rochefort, 
et gu’en 1492, ce mème personnage demandait l’invesliture du chàteau de Boége. V. Concess. e 
investit., t. I, fol. 60 et 62, et t. IT, fol. 178. 

4) Valb., t. II, p. 180. 

(5) Sommaire gen., t. I, Genevois, v. la Créte. V. aussi Concessioni, investiture e consegnamenti, t. I, 
fol. 231. 

(6) Transaction du 6 mai 1346 entre Perronnet, fils de Rodolphe de Hauteville, et le comte de 
Genève, relativement à Sion et à Versonnex. Charvaz et Cornier, n.° 10, fol. 47. 

(7) Chartes de 1151 et 1184. Pourpris hist,, p. 145. Spon, pr., n.° 12. 


PAR LEON MENABREÉA oi 
sainte, et fit donation avant son départ de cinq oboles de rente à l’abbaye 
de Tamiers (1). En 1219, un Jocerand des Clefs cautionnait le comte 
de Genève son suzerain, au montant de mille sols, somme assez forte 
dans ces temps-là (2). Un second Pierre des Clefs, chevalier, d.2w Petrus 
de Cletis miles, intervenait, en 1236 et 1237, à deux actes d’une cer- 
taine importance; il serait aisé de grossir cette série de noms oubliés (3). 
Les sires des Clefs avaient à Ugines quelques fiefs relevant des comtes 
de Savoie (4). 

Je citerai, en passant, diverses autres familles, tout aussi anciennes 
que les précédentes, dont les noms méritent d’étre consignés ici: ce sont 
celles de Sionnaz (5), de Mionaz (6), de Lully, de Perly (7), des Forets (8), 
de Folliex (9), de Menthonex (10), de Pelly, du Wuache (11), de Copponex, 


de Charransonnex, de Choisy. 


(1) Anno MCLXXXIX Petrus de Cletis miles volens Jerosolimam proficisci dedit Deo et beate Marie 
Stamedcensi V oboles censuales. Cartulaire de Tamiers. 

(2) Spon, pr., n.° 20. 

(3) Hommage d’Humbert des Clefs au comte de Genève 1345, d’Albert, fils de Jean des Clefs, 
1371, d’Antoine, fils de Jacquemod des Clefs, 1377 ete. ete. Concessioni, investiture e consegna- 
menti, ete.t. T, fol. 460. 

(4, Hommage d’Aymon des Clefs à Boniface de Savoie, archevèque de Cantorbéry pour les fiefs 
qu'il a dans le mandement d’Ugines. Zrdice V. Y, fol. 83 verso. On sait que la chàtellenie 
d’Ugines apparlenant aux coniles de Savoie élait contigué à celle des Clefs, qui dépendait du 
comté de Genève.” Nous avons une enquéte faite, en 1338, sur les limites des deux territoires. 

(5) Pourpris hist. i 

(6) Voyez sur ces seigneurs le Pourpris historique, p. 315, 507, 550. Sionnaz et Mionaz sont 
situes en Albanais, au nord de Rumilly. ) 

(7) On voit par un acte du commencement du XII siècle, qu’un Girard de Lully, de Luliaco, et 
un Benoît de Perly, de Perliaco, élaient attachés à la maison des comtes de Genève. V. Mem. eic., 
t. II, 2 part., p. 24. On sait que Perly est un hameau de la commune de Bernex, près de Genève, 
et que Lully est une paroisse du Chablais moderne, siluée entre Douvaine et Thonon. Le Pourpris 
hist. fournit sur la famille de Lully, ou Luilier, des renseignements précieux. V. t. I, p. 369. 

8) Un Giraldus de Nemora, cité dans un acte de 1170, appartenait peut-étre à celte famille, 
V. Mém. ete., t. HI, 2 part., p. 37. 

(9, Une charte redigge è la fin du XI siècle, ou au commencement du XII, mentionne un Hugues 
et un Guillaume de Ferney, ainsi qu’un Guillaume de Follet, qui se rendirent caution des engagements 
pris par Amédée, fils du comte de Genève, envers l’évéque de cette ville. Mem. eic., i. II, 2 part, 
p. 20. V. sur la famille de Follier le Pourpris Rist., p. 299. 

(10) /7llermus de Mentunay intervint, avec d’autres seigneurs à un traité de 1293, v. Spon, pr., 
n.° 26. Il existe en Genevois deux. villages du nom de Menthonex. 

(11) Un sire de Pelly passa, en 1317, une reconnaissance de fief en faveur des comtes de Genève; 
un sire du Wuache en fit autant, en 1327. V. Sommaire general des ficfs, provinces du Genevois 
et de Carouge. 


62 DES ORIGINES FÉODALES ETC 


En ce qui concerne les sires de Menthonex, on n'ignore pas qu'en 1394 
ils fournirent un savant évéque è l’église de Lausanne (1); cent ans 
auparavant , ils avaient donné à la maison de Genève des preuves non 
équivoques de fidelite. 

Revenons un moment à Annecy, et explorons la haute vallée du Fier. 

Outre les sires des Clefs, déjà mentionnés, outre les sires de Dingy 
et de la Balme de Thuy, cités aussi comme provenant de la tige de 
Menthon, on y rencontrait avec les sires de Folliex les sires de Serraval 
et d’Alex. Les premiers descendaient, selon toute apparence , d’un 
Guillelmus de Follet, qui, en 1135 environ, fut garant de certains en- 
gagements que les comtes de Genève venaient de contracter avec les 
cvéques de cette ville (2). 

Les seconds nous sont principalement connus par un Aymon de 
Serraval, qui florissait de 1267 à 1291 (3); ceux-ci étaient hommes 
liges des comtes de Savoie, à raison de quelques terres situées à Tournon, 
dans la vallee de l’Isère (4). 

Les sires d’Alex s'éteignirent en la personne de Marguerite, fille de 
Guill. d’Alex, qui avait épousé Pierre d’Arenthon, issu de l’antique race 
des barons de Faucigny. 

L’espace limité au nord par les sommités arrondies du mont de Sion, 
et les crétes escarpées du Wuache, à l’est par les prolongements méri- 
dionaux du Salève et les derniers appendices des Bornes, à l’ouest, par 
le Rhòne, au midi, par le cours inférieur du Fier, forme un vaste qua- 
drilatère où la nature semble avoir pris plaisir è entasser les accidents 
géologiques les plus variés, les plus bizarres. Là se trouvaient les sires 
d'Arlod, du Wuache, de Coppones, de Sionnaz, de Mionaz, de Pelly, 
d Arcine, de Charansonnay et de Choisy, dont jai rapidement signalé l'origine. 

Avant de clore l’énumération , beaucoup trop longue sans doute aux 
yeux du lecteur, des seigneuries qui relevaient du comté de Genève, il 
faut que je signale les deux antiques familles de Graisy et de Mouxi, qui 


(1) Guillaume de Menthonex, qui douze ans après fut assassiné par un valet de son chateau de 
Lucens. 

(2) Mem. de Gen., t. II, documents, n.° 4, p. 20. 

(3) Besson p. 208. Mem. de Gen., t. I, documents, p. 74 


(4) Hommage de Frangois de Serrayal, 22 novembre 1329. Concessioni, invast. e consegnamenti, 
t. IT, fol. 284 verso, 


PAR LÉON MÉNABREA 63 
avaient chacune leur fief à l’extrémité méridionale de ce comté , aux portes 
d’Aix et sur la frontière du pagus Savogiensis. ; 

On ne saurait expliquer de quelle manière la maison de Faucigny, 
maîtresse des vallées, jadis sauvages, qui serpentent au bas du Mont- 
Blanc, avait, au XII siècle, obtenu juridiction sur les domaines qui 
esistaient vers la limite meéridionale du grand pagus Genevensis (1). 

Le fait est, qu'è cette époque le chateau de Graisy, dont les tours 
en ruines s'élèvent à une petite distance de la ville d’Aix, appartenait è 
Rodolphe-l'Allemand, frère de Guillaume de Faucigny. Ce personnage 
illustre, qui fut la tige de plusieurs familles (je les mentionnerai ailleurs), 
prenait frequemment le titre de dominus de Graisiaco (2). Or, c'est de 
lui que devait descendre le Guillaume de Graisy, que l’on trouve mélé, 
en 1184, aux querelles qu'engendrait sans cesse le régime féodal (3). 

Les sires de Graisy portèrent toujours les mémes armes que les 
barons de Faucigny, pallé or et gueule; ils étaient, en 1249, vassaux 
de ces princes (4), et ils ne le devinrent que longtemps après des comtes 
de Genève (5). 


(d, On verra plus tard que les sires d’Aix étaient à raison de certaines terres, situées proche 
d’Aix, feudataires des barons de Faucigny. V. ci-après. 

(2) V. ci-après. 

(8) Spon, pr., n.0 12. On trouve un Rodulphus de Gresie miles cilé dans une charte de 1190. 
Mem. de la Soc. de Gen., t. II, Doc. n.° 19, p. 46. On trouve également un Louis et un Aymon 
de Graisy cités dans une charte de 1219. Spon, pr., n.° 20. 

(4) Hommage fait en 1249 par Rodolphe de Graisy à Aymon de Faucigny. Somm. gen. Savoie , 
t. I, v. Cessens et Graisy. Ce Rodolphe était déjà mort en 1296, puisque sa veuve Alise transigea 
alors, au sujet de certains droits, avec les héritiers de son époux. Ibidem. Rodolphe eut plusieurs 
enfants, parmi lesquels j'ai pu reconnaître, 1.° Guillaume qui dans un acte de 1277, cité par dom 
Leyat, ist. de la maison de Seyssel ms., se dit filius Rodulfi quondam domini de Graisiaco; il fut 
du nombre des seigneurs qui, en 1297, se rendirent pleiges ou caulions de la paix conclue entre 
Amedee, comte de Genève, et la maison de Savoie. Archives de Cour. Il avait eu, en 1273, des 
différents avec Aymon, père de ce prince, au sujet de la juridiction de Cusy. Arch. de Cour, 
Savoie-Cusy : 2° Pierre, mentionné comme fils de Rodolphe dans un hommage par lui fait au 
comte de Genève, le 25 novembre 1289. Charvaz et Cornier, n.° 10, fol. 38: 3.9 Mermet, men- 
fionné avec son frère Pierre dans deux semblables hommages, faits en 1300 et 1309. /bidem, fol. 37 
et 39: 4.° Aymon, que je suppose aussi fils de Rodolphe, et qui est mentionné comme père de 
Girard dans une reconnaissance du 6 juillet 1293. Corcess., invest., t. I, fol. 225. Des lors la 
genealogie de ces seigneurs presente beaucoup d’ambiguité à cause de la multiplicité des noms 
de Pierre, de Rodolphe et de Francois. 


(5) Hommage de 1289, 1300 et 1309, cités dans la note precédente;; autres hommages de 1317, 
1323, 1329, 1345, 1346, 1387, 1405, 1421, etc. Concess., invest., t. Lf 2925. 


DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


(o) 


Ils possédaient au XII siècle non-seulement le chitean de Graisy, 
mais encore ceux de Cusy et de Cessens, qui occupent une place im- 
portante dans les annales chevaleresques de notre pays, tant ils subirent 
de sigges , tant ils firent verser de sang. 

Des mains des sires de Graisy, le chiteau de Cusy tomba en celles 
des comtes susdits, puis passa au pouvoir de la maison de Savoie (1), 
puis retourna, en 1372, à ses premiers maîtres (2). Quant à la fameuse 
tour de Cessens, qui, suivant les croyances du peuple, serait de fondation 
romaine, un Rodolphe de Graisy la céda aux comtes de Genève par un 
acte du 28 juillet 1313, qui toutefois n’eut pas immédiatement son 
effet (3). Parmi les possessions de ces seigneuries, il faut pareillement 
compter les anciens manoirs de Choisy et de la Batie de Compey (4). 

Presque sous les murailles d’Aix, et là préciséement où commencait è 
se dérouler le pagus Savogiensis, on trouve le village de Mouxi, berceau 
d’une famille tout aussi recommandable que les précédentes. 

Un Robert de Mouxi, fils de Hugues, figurait, en 1294, au nombre 
des hauts feudataires qui garantirent au nom d’Amédée, comte de Genève, 
le: maintien de ce traité de paix, conclu avec le comte de Savoie, que 
Jai cité maintes fois. Il paraît que, déjà auparavant, une branche de 
cette famille avait fisé sa résidence à Rumilly, où elle occupait une 
maison-forte; car, en 1244, un Geoffroy de Mouxi fondait en ce lieu la 
chapelle de S'-Jean-Baptiste (5). Les sires de Monxi percevaient à Rumilly 
certaines redlevances, telles que les langues des boeufs livrés à l’abattoir, 
linguas bovuri; ils tenaient en fief le péage de la ville (6); ce péage 


(1) V. ci-après. 

(2) V. ci-après ORLIER. 

(3) L’acte dont il s’agit était un echange; mais on trouve ensuile: 17 janvier 1316, retroces- 
sion du chàteau de Cessens, faite par le comte de Genève à Pierre, fils de Rodolphe; 26 avril 1342, 
vente de ce fief aux enchères; 15 avril 1345, transaction entre Rollet de Graisy et le comle de 
Genève ; 7 décembre de la mème année, promesse faite par le chàtelain de Cessens d’observer 
ladite transaction. Concess., invest., t. I, p. 82 verso. 

(4) Le 6 juillet 1293, Girard, fils d’Aymon de Graisy, reconnaît tenir en fief du comte de 
Genève la maison-forte de Compey. Zrdice C., t. IV, fol. 18. En 1343, ‘Pierre, fils de Guillaume 
de Graisy, fait une semblable reconnaissaace pour la maison-forte de Choisy. Sommaire general, 
t. I, Genevois, v. Choisy. 

(3) Pourpris hist., p. 541. 

(6) Reconnaissance faite, le 25 octobre 1278, au comte de Genève par Pierre, fils de Pierre de 
Mouxi, pour les langues d gufs, pour le péage de la ville et autres choses spécifiées dans l’acte. 
Charvaz et Cornier, n.° «h0fMfol. 36. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 65 
offrait quelques singularités : pour chaque béte mulatine, ou béte de 
charge 6 deniers; pour un pourceau 1 sol; pour un roncin deferré 8 
deniers; pour chaque juif passant à pied 4 deniers, et à cheval 8 de- 


niers (1). Les seigneurs dont il est question possédaient, au XIV siècle, 
le chàtean de Lupigny (2). 


Dans la méme année de r244, un Hugues de Mouxi, Hugo de 
Mouziaco , intervenait au mariage d’Amé IV, comte de Savoie, avec 
Cecile de Baulx (3). Un Jacques de Mouxi était bailli du Faucigny 
en 1385 (4). 


On pourrait multiplier ces citations (5). Il est facile de comprendre, 
maintenant, combien les comtes de Genève, libres de disposer de tant 
de vassaux, devaient étre redoutables: bien qu'à Genève ils n’exercassent 
presque aucune juridiction, ils ne laissaient pas que d’y avoir une impor- 
tante forteresse, connue sous le nom de Chdatean de Genève, assise sur 
la hauteur du Bourg de Four. 


(1) Consignements des fiefs, t. 1, fol. 294, verso. 

(2) Hommage de Gallois de Mouxi pour le chàteau de Lupigny, 29 adut 1373. 

(3) Guichenon, pr., p. 71. 

(4) Gapré, Traîté hist. de la Chambre des comptes, p. 176. 

(5) Un Pierre de Mouxi était grand prieur de Cluny en 1455. La famille de Mouxi de Loche, 
qui subsiste dans Jes environs d’Aix est, sans contredit, la branche aînée de cette noble race. 
— Jean, seigneur de Loche, gentilhomme de la chambre et secrétaire parliculier du prince Thomas 
de Carignan, fut aussi gouverneur de dom Félix de Savoie. — Nous nommerons encore Clair son 
fils, chevalier de Malte, en 1659. — Pierre Antoine, frère du précedent, confesseur de la reine 
Jeanne-Baptiste de Savoie-Nemours, puis supérieur du couvent des chartreux à Trissulte, où il 
mourut, en 1690, après avoir publié divers gcrits. — Georges, commandant du régiment de 
Maurienne, mort en 1791. —- Francois, comte de Loche, commandant du duché d’Aoste, en 1814, 
puis genéral d’infanterie etc., membre de plusieurs académies savantes, l’un des trois fondatenrs 
de celle de Savoie; dont il fut président jusqu’à sa mort, en 1837. Ses ouyrages sur l’histoire 
naturelle et l’archéologie lui ont valu une place distingude parmi les hommes éminents de cette 
époque. — Joseph, son frère, officier intelligent et courageux , dont les longs et loyaux services 
vivent encore dans la mémoire de ses compatriotes; colonel d’infanterie, commandeur de l’ordre 
des SS. Maurice et Lazare; it mourut en 1855. — Frangois, comte de Mouxi de Loche, son neveu, 
Vun des derniers pages du roi Charles-Albert, capitaine dans la brigade de Savoie, mort en 1857. 


Senie II. Tom. XXIII. 9 


66 DES ORIGINES FEÉODALES ETC. 


CHAPITRE IV. 


Evéque de Genève. - Hypothéses. - Contestations. - Ces prélats ont droit de seigneurie 
et de justice sur la ville. - Humbert. - Ardutius. - Hommages des comtes; coup hardì 
de ces derniers. - Sentence de l'empereur Frédéric. - Les querelles renaissent. - Nantelin. 
- Arbitrage. - Ambition des princes de Savoie. - Pacte avec les bourgeois. - Guillaume 
de Duing, évéque. - Monitoires. - Excommunication. - Convention de 1290. - Vidomnes de 
Genève. - Leurs attributions. - Emoluments. - Procédures. - Le Vidomnat passe tour à 
tour des évéques qua comtes. - Pierre de Confignon. - Les princes de Savoie maîtres de 
la ville de Genève. - Entreprises progressives sur la puissance temporelle du clergé. - 
Vidomnats inféodés à différentes familles. - Droit de battre monnaie, conféré exclusivement 
aux évéques. - IL est ensuite accordé aux comtes. - Pays de Gex. - Leéonette - Hommage 
à Béatriv de Faucigny. - Simon de Joinville. - Pays de Gavot. - St-Maurice d’ Agaune. - 
Chateau de Vevay.- Dues de Chablais. - Aymon. - Pierre. - Familles illustres suzeraines. 
- Leurs noms, titres, tours et chateauo. - Les sires de Blonay. 


Les evéques de Genève n’avaient à opposer aux comtes du méme 
nomu, ces insatiables et dangereux voisins, que le chiteau de l’Ile, 
Castrum Insule, construit au bas de la cité par Pierre de Cessens vers 
le commencement du XIII siècle (1), celui de Marval (2) et celui de 
Peney (3), situés sur la rive droite du Rhòne, et enfin celui de Jussi, 
qui s’élevait, au midi de Douvaine, près de la montagne des Voirons. 
Ils possedaient encore, en Faucigny, les terres et maisons-fortes de 
Viuz-en-Salaz, et de Thyez (4). 

Comme ces prélats jouèrent un ròle remarquable dans l'histoire de 
nos contrées au moyen age, je crois convenable de bien déterminer leur 
position. 

Si le temps eiùt épargné tous les monuments écrits de l’église de Genève, 
nous la verrions sans doute jouissant, dès les siècles les plus reculés, de 
priviléges importants; nous saurions en quoi consistaient les immunités qui, 
sous les rois burgondes et, mieux encore, sous les rois francs durent lui étre 


(1) Il résulte de l'enquòte rapportce par Spon, à la fin du volume des preuves de l’Mist. de 
Geneve, que l’évèque Pierre de Cessens avait fait bàtir le chàteau de |’Ile pour se défendre contre 
les agressions des comtes de Genève. Le 10.° témoin dit: Et multa jam expendit in castro de Insula 
et in defensione contra inimicos. Le 16.° temoin ajoute: Quod episcopus fecit dirui muros civitatis 
Gebennensis et castrum Insule edificaret. 

(2) Reéedifié par Je mème prelat. 

3) Construit par l’évèeque Aymon de Grandson, successeur de Pierre. 

‘4) V. Besson, p. 20 et 35. 


PAR LÉON MÉNABREA 67 


concédées, selon ce qui se pratiquait assez généralement alors; nous 
pourrions dire à quelle époque, à l’occasion de quels évenements l’au- 
torité de ses pontifes fut substituée, dans la ville épiscopale, è celle des 
anciens et très-puissants comtes de Genève; mais sur toutes ces choses 
nous sommes réduits à des hypothèses plus ou moins probables (1). 
Une charte fort curieuse nous jette, de plein saut, au milieu des con- 
lestations qui existaient, en 1224, entre l’évèque Humbert de Grammont 
et le comte Aymon (2). Le premier demandait la restitution de plusieurs 
droits que le second avait usurpés; les parties s'abouchèrent è Seyssel, 
et là furent arrétés, sur le témoignage assermenté de quatre prud’hom- 
ies, un certain nombre d’articles fondamentaux. 

On y voit que la seigneurie et la justice de la ville appartiennent è 
l’évéque seul (3); qu'il percoit à Genève la totalité des bans ou amendes (4); 
que la police des marchés est de son ressort (5); qu'il a exclusivement 
en main la faculté de battre monnaie (6); qu’avec son consentement 
toutefois, le comte peut punir les faux monnayeurs etc. etc. ; enfin, cir- 
constance à retenir, le comte fait à l’évéque acte de fidelité absolue (7), 
preferablement à qui que ce soit, l’empereur excepté ; et moyennant ce, 
l’evéque consent à l’investir de son antique fief, et suum antiquum feodum 
ei donavit (8). 

Après Humbert de Grammont on vit arriver au siége eépiscopal un 
homme de naissance illustre qui, s'il ne brilla point par les vertus chré- 
liennes (9), se montra tenace à défendre les prérogatives de l’église: 
Ardutius, fils de Rodolphe sire de Faucigny, s’'adressa, en 1153, à 
Frédéric Barberousse, et obtint de ce monarque un diplòme confirmatif 
de tous ses droits (10). 


(1) Voyez ci-devant. 

(2) Spon, pri, n° 1. 

(3) Justiciam et dominium cujuscumque sit homo ad episcopum solum pertinere. 

(4) Bannum totius videlicet Geneve in omnibus et per omnia. 

(5) Justiciam fori. ì 

(6) Moneiam in manu solius episcopi esse. 

(7) Hominium et fidelitatem absolute fecit. 

(8) Ce traité fut confirmé par un nouvel acie passé à Genève quelque temps après. Doc. Sigill., 
e Mon. p. 40. 

(9) A en juger par deux lettres (27.° et 2.2) que lui écrivait St-Bernard , où il lui dit entre 
autres: Delicta juventutis tuae deleat vespertina correctio. 

(10) Spon, pr., n.° 2. 


63 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 

En ce temps-là précisément de graves questions s’agitaient entre 
lui et le comte Amé. Ardutius accusait ce prince de violer le territoire 
de S'-Pierre, d’y construire des redoutes, des bastilles et des chateaux, 
de s'y livrer à d’horribles  dévastations ete. De son còté, le comte re- 
prochait à l’évéque d’avoir soustrait è sa puridiction divers individus de 
race servile, en les promouvant aux ordres sacrés. Une transaction, passée 
en 1155, où se trouve rappelé en entier le traité de Seyssel, suspendit 
momentanément ces querelles: Amé paya des dommages et se reconnut. 
formellement tenu à fidélité envers le prélat: comes est et bonus advo- 
catus sub episcopo esse debet (1). 

Je dirai en passant que la supériorité des évéques sur les comtes ne 
fut jamais l’objet d’un doute sérieux; les nombreux hommages de ces 
derniers en font assez foi, et l'on peut se convainere, en les examinant, 
qu'elle embrassait l’intégralité du comte de Genève (2). Mais moins cette 
supériorité paraissait contestable sous le rapport légal, plus les comtes 
s'efforcaient de la ruiner: ils furent méme sur le point de réaliser à cet 
égard leurs projets de destruction. 

Nous avons vu précédemment que les Zaeringen, en recueillant, è 
la fin du XI siècle, les débris de l’héritage de Rodolphe de Rheinfelden, 
avaient succédé à l’espèce de haute suzeraineté, ou vicariat impérial, dont 
ce personnage célèbre jouissait dans l'Helvetie burgonde (3). Ce vicariat, 
qu'on appelle communément le rectorat de Bourgogne était resté comme 
inerte, et presque oublié, jusqu'à la moitié du siècle suivant, où il fut 
renouvelé en faveur du duc Berthold IV, à qui l’empereur Frédéric 
accorda, en 1155, l’avouerie imperiale et l’investiture des régales, ad- 
vocatiam cum investitura regalium, dans les trois diocèses de Genève, 
de Sion et de Lausanne (4). 

Or, que firent les comtes de Genève? Ils achetèrent, en ce qui con- 
cernait cette ville, les droits des ducs de Zaeringen et prétendirent ainsi 


1) Spon, pr., n.0 3. 

(2) Spon, pr., n.° 20, 29, 32, 33, 35. Dans le premier des actes ici menlionnés, lequel est de 
l’an 1219, on lit ces mots remarquables: Sane 77?//elmus hominium ligium fecit episcopo et fidelita- 
tem cum juramento promisit episcopus vero ipsum Willelmum de feudo comitatus cum annulo investivit. 
Aussì, lorsqu’en 1316 le comte Guillaume se déclare vassal des Dauphins, n’osa-t-il le faire que 
sous reserve de ne point préjudicier a Ja suzeraineté de l’éveque. Valb., t. IT, p. 163. 

(3) V. ci-devant. 

(4) Bertolfus tres civitates inter Juram et Montemjovis Losannam, Gebennam et Sedunum acccpit. 


Ottonis Freisingiensis Chron., lib. II, cap. 30. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 69 
sélever vis-à-vis des évéques, par un coup hardi, du ravg de vassaux 
à celui de suzerains. Employant ensuite la force, ils: s'emparèrent à Genève 
de l’autorité régalienne et de tout ce qui constituait le pouvoir public, 
nonobstant les décrets que le pape fulminait contre eux (1). C'est alors, 
sur ces entrefaites, que Frédéric, à son retour d’Italie, s’étant arrété à 
S'-Jean-de-Lòne, Ardutius alla le trouver et lui présenta la bulle qu'il 
en avait obtenu en 1153. 

Les termes de ce diplòme et les instances de ce prélat émurent tel- 
lement l’empereur, que le 6 des ides de septembre 1162 il prononca 
une sentence, par laquelle en annullant la donation faite, en 1159, au 
duc de Zaeringen, ainsi que la vente successivement passée au comte de 
Genève, il remit l’évéque en possession des régales et inhiba à quiconque 
de l’inquiéter à ce sujet (2). 

Le comte Amé (car il vivait toujours) dut demander pardon de ses 
méfaits et renoncer à ses usurpations (3). 

A la mort de ce prince, les querelles recommencèrent. La carrière 
politique de son fils Guillaume n'est qu'une longue série d’entreprises sur 
la puissance temporelle du clergé. 

Un traité de 1184 nous apprend que, non content d’avoir construit 
aux portes de la cité une muraille menacante, il cherchait à s’attribuer 
la punition des voleurs et des adultères, et qu'il se permettait de saisir 
les biens de l’église, sous prétexte de réprimer certains excès attribués 
aux cleres (4). 

Nantelin, successeur d’'Ardutius, recourut derechef aux césars alle- 
mands qui lui delivrèrent une bulle en confirmation de ses priviléges, et 
l'investirent solennellement du droit de régale (5). Il y a apparence que 
Guillaume ne prit de cela qu’un très-léger souci, car nous le voyons 
l'année suivante mis par l’empereur au ban de l’empire, déclaré, è cause 


1) Bulle de 1160. — Spon, pr., n.° 6. 

(2) Spon, pr., n.° 8 et 9. Je ne cite pas ici le fameux diplòme, dit la Bul/e d’or, qu'on prétend 
avoir été octroyé le mème jour à l’évèque de Genève, et dont il m’existe qu’un transumpt, fait 
en 1483 (Spon, n.° 7); je ne le cite pas, dis-je, parce que de graves soupgons s’élèvent contre 
son authenticité. Voyez dans le tome I de l’ Archiv fiir Schweizerische Geschichte un Mémoire de 
M. Ludwig Meyer, intitulé Weber die so geheissene goldene Bulle von Genf. 

(3) Et ecclesia Gebenn. multo tempore multis tribulationibus afflicta tandem Deo miserante respiravit. 
Spon, pr., n.° 10. 

(4) Spon, pr., n.° 12. 

(5) Charte de 1185. — Spon, pr., n.° 13. 


70 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


de ses crimes, pro sceleribus suis, ennemi manifeste de la chose pu- 
blique, manifestus hostis, et condamné envers l’évéque à 20 mille sols 
de dommages (1). 

Ces procédures aboutirent à un nouveau traité, conclu en 1187, è 
l’avbitrage de l’archevéque de Vienne, où en rappelant les principaux 
articles de l’accord de 1124, on reconnut que la ville ei le territoire de 
Genève appartenaient exclusivement aux évéques; que les évéques seuls 
pouvaient y administrer la justice et percevoir les émoluments d’icelle; 
qu’eux seuls aussi avaient dans le diocèse juridiction sur les gens d’église, 
et qu'en aucun cas les comtes n’étaient autorisés à s'emparer des per- 
sonnes ou des propriétés de ces derniers à raison des délits qu’ils pour- 
raient commettre (2). 

Deja alors la maison de Savoie jetait sur Genève un regard de con- 
voitise: on remarque, en effet, qu'en 1211 l’éveque Bernard, justement 
effrayé du génie ambitieux d’un prince de cette maison, je veux parler 
du comte Thomas, lui faisait promettre de ne point attenter aux régales 
genevoises, et méme de les refuser si l’on venait, par hasard à les lui 
céder (3). 

Une semblable promesse n’était pas, on le pense bien, de nature à 
arréter la marche, en quelque sorte nécessaire, des événements. 

Amé V, petit-fils de Thomas, politique habile , guerrier intrépide, eut 
moins de scrupules, ou se sentit plus fort que son aieul: on le voit, 
en 1285, faire avec les bourgeois de Genève un pacte, en vertu duquel 
il les prend sous sa protection et s’engage è les défendre contre tous et 
au besoin contre l’évéque qui, à ce qu'il paraît, voulait déroger à leurs 
franchises et à leurs libertés (4): bientòt le tròne épiscopal ayant vaqué, 
il profite de l’occasion, va mettre le siége devant le chateau de I°Ile et 


l’emporte de vive force (5). 


(1) Spon, pr., n.° 15, 16 et 17. 

(2) Ibid., n.° 18. Il y eut encore, en 1219, un traité portant sur les mèmes bases. Spon, pr., n.° 20. 

(3) Spon, pr., n° 19. 

(4) Ibid., pr., n.0 23. 

(5) Quod quidem castrum nuper vacante sede eccl. Gebenn. dictus comes obsederat et per suam po- 
tentiam violenter occupaverat. V. le n.° 1 des documents cités dans la note suivante. Il paraît, 
d’après les comptes des cliàtelains de l’Ile, qui existent à Turin aux archives de Cour, que le 
comte Amé V avait expulsé de ce chàteau non pas les gens de l’évèque, mais ceux du comte de 
Genèye qui s’en étaient emparés avant lui. Il faut mèéme remarquer qu’à cette cpoque les comles 
de Savoie éiaient en possession du chàteau de Bourg-de-Four, ou chàteau de Genève, appartenant 
aux comles de Genève, chàtean que le comte Pierre leur avait pris avant 1250. Voyez Della storia 
di Ginevra e di alcune forti poco note della medesima, par M. le chev. Cibrario, Turin, 1844, in 8.° 


PAR LÉON MÉNABREA 71 

icì s'ouvre, pour l’histoire de Genève, une période pleine d’animation 

et d’intérét (1). Je n’en dirai que ce qui a trait directement au but que 
je me suis proposé. 

Un des premiers soins du nouvel évéque Guillaume de Duing fut 
de poursuivre, par des monitoires énergiques, les déprédateurs de son 
eglise. Dans l’un de ces actes, du 13 novembre 1289, il provoque 
l’animadversion des fidèles, 1° sur le comte de Savoie qui occupait, comme 
on la vu, le chateau de lIle, s'arrogeait la Juridiction temporelle de la 
cité, s'attribuait la péche dite de l’évéque et le péage des denrées que 
l’on transportait au marché par le pont du Rhòne; 2° sur les bourgeois 
de la ville qui, se prétendant libres, s’étaient rendus maîtres de la 
cathédrale de S'-Pierre et y tenaient garnison, non autrement qu’en une 
citadelle ; 3° sur le comte de Genève qui, au mépris des anciens traités, 
s'appropriait le droit de péche depuis Russins jusqu'à la Cluse (2). 

A ces monitoires succéda une sentence d’excommunication, prononcée 
le 10 janvier suivant (3). Malheureusement personne ne s'en émut. Le 
comte Amé V reépondait qu'en s'emparant du chateau de l'Ile, et en 
chassant les ennemis de l’évéque, il avait fait chose utile è celui-ci; il 
protestait donc de ne relicher ce chàteau que moyennant remboursement 
de 4o mille marcs d’argent, montant des frais de la guerre, et quant 
à la sentence il en appelait au saint siége. 

Après bien des debats intervint la memorable convention du 19 sep- 
tembre 1290, portant en substance ce qui suit: le comte Amé V restitue 
à l’évéque Guillaume la péche et les péages; pour compenser une telle 
restitution le prélat accorde au prince, et pendant la vie des conces- 
sionnaires seulement, l’investiture du vidomnat de Genève; enfin, en ce 
qui touche le relichement du chateau de l’Ile et les 4o mille marcs de 
dommages, réciproquement réclames, les parties se bornent à nommer 
des arbitres qui régleront ultérieurement les prétentions de chacune 
d’elles (4). Or il est essentiel de savoir ce que c’était que le vidomnat de 
Genève, et ce qui constituait son importance. 


(1) M. Edouard Mallet a jeté un grand jour sur cette période par les documents qu’ila publiés 
dans le tome I des Mem. de la Soc. d’hist. de Genève. 

(2) Documents susdits n.° 5. 

(3) Ibidem, n.° 6. 

(4) Spon, n.° 129, et documents de M. Mallet, n.° IX. 


DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


ì; 
N 


Outre les officiers que l’on rencontre, dès le XII siècle , exercant 
des fonctions diverses, dans la plupart des villes placées sous l’autorité 
des évéques, tels que les baillis, les ofticiaux, les juges, les procureurs 
fiscaux etc. (1), on trouvait è Genève un fonctionnaire inférieur, appelé 
vidomne, vicedomnus, vicedominus, revétu d’attributions toutes spéciales. 
Ces attributions comprenaient 1° la connaissance des causes purement 
personnelles et pécuniaires qui se décident sommairement et sans so- 
lennité; 2° la punition des maléfices mineurs commis par les laiques , 
c'est-à-dire des infractions n’emportant ni la peine du sang, ni celle de 
la confiscation des biens; 3° l’instruction de toutes les procédures, éga- 
lement dirigges contre les laîques, à raison de quelque crime que ce fùt, 
et portant le droit de faire arréter les personnes ou de les relicher sous 
bonne caution. 

Pour ce qui était des éemoluments de sa charge, le vidomne percevait 
en entier les clames et les bans de trois sols (2); il retirait la tierce 
part des bans de 60 sols, à l’exception néanmoins de l’amende de pa- 
reille somme que payaient les veuves, passant è de secondes noces; il 
ne lui revenait rien dans les bans et échutes excédant 60 sols, non plus 
que dans les trésors découverts, ni dans les objets perdus ou abandonnés. 

La procédure admise devant le vidomne de Genève, ou en d’autres 
termes le style du vidomnat ne comportait aucune formalité d’acte; tout 
sy faisait verbalement, non d’après la rigueur du droit, mais suivant 
la coutume locale; seulement lorsqu’il s’agissait de causes ardues, én 
arduis causis, on rédigeait par écrit les dépositions des témoins. Du 
reste, on ne devait y tolérer ni l’intervention ruineuse des cleres , nî 
le dangereux ministere des notaires et des avocats, sine extorsione et 
fallaciis avocatorum et sine voragine et dangerio notariorum; enfin l’eveque 
pouvait toujours évoquer à lui la décision des procès qui s'y poursui- 


»» 


vaient; j'aouterai qu’en de certains cas le vidomne s’entourait des con- 


(1) Les baillis épiscopaux n’eurent pas, à Genève, une longue existence; on ne les trouve guere 
mentionnes que dans quelques chartes de l’évèque Guillaume de Duing. Ì 

(2) On appelait clame cu clameur, clama, non-seulement la demande formée par le eréancier 
vis-à-vis son débileur, mais encore la redevance que Jon payait pour J'excculion du décret qua 
le juge rendait contre ce dernier. On sait que les hans n’étaient autre chose que les amendes, 
soit qu’elles fussent dues en vertu d’une condamnation, barra condemnata, soit qu'on les exigeàt 


ensuite d’une composition ou transaction, barra concordata. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 79 


seils de deux chanoines, de deux nobles et de deux, trois ou quatre 
citoyens (1). 

A une époque, où la plupart des fonctions publiques, et meme les 
emplois domestiques, avaient pris le caractère de choses commercables, 
le vidomnat de Genève était sorti, on ne sait comment, du domaine de 
l’église. Au commencement du XII siècle il tomba, à titre de gage, 
entre les mains de l’évéque Humbert, predécesseur d’Ardutius. Successi- 
vement l’évéque Bernard eut l’adresse de le ressaisir à titre de proprieté; 
toutefois, sous le pontificat de Pierre de Cessens, au XIII siècle, un 
personnage appelé Pierre de Confignon prétendit que cette charge lui 
appartenait par droit d’héritage (2). Quelques contestations eurent lieu è 
ce sujet; bref, il paraît que ce seigneur ayant obtenu que le vidomnat lui 
serait accordé en fief, put transmettre à ses descendants la possession de 
cet office, car plusieurs documents nous apprennent que son fils Hugues, 
et son petit-fils Walter, furent vidomnes de Genève. 

: Or ce Walter de Confignon, profitant des troubles qui alfaiblissaient 
sans-cesse l’autorité episcopale, avait cherché à se soustraire à la mou- 
vance des évéques et à augmenter ses propres bénéfices, en éiendant le 
cercle de ses attributions, et en substituant la procédure soleunelle et 
écrite au style sommaire et oral (3). Aussi quand, en 1288, Pierre 
d’Oron lui eut succédé dans la charge de vidomne , l’évéque Guillaume 
de Duing jugea-t-il à propos de faire rédiger un acte de notoriété afin 
d’empécher que de tels abus ne se représentassent (4). 


(1) Ge qui est ditici sur les attributions des vidomnes de Genève est extrait des titres suivants, 
que l’on peut, au besoin, consulter pour de plus amples details: 1.° Acte de notoriété du 3 jan- 
vier 1288 (Documents de M. Mallet n.° 3); 2.° Monitoire du 2 décembre 1291 (ibidem n.° 18); 
3.° autre Monitoire de l’an 1293 (Spon, pr., n.° 26); 4.° Declaralion du 22 mai 1306. ( Docum., 
Sig. e Mon., p. 240). Il est è noter que l’acte de 1288 est reproduit presque textuellement dans 
l'art. 1 des franchises de Genève. Voy. Mem. et Doc. de la Soc. de Genève, t. 1I. 

(2) Ces details nous sont révélés par la déposition du premier témoin de l’enquéète faite contre 
Pierre de Cessens, et dont le texte se trouve à la fin des preuves de 1°//ist. de Genève par Spon. 
Item dicit quod cum episcopus Humbertus haberet in vadimonio vicedomnatum Gebenn. pro LX libr. 
tur. et vicedomnatus per illorum donationem qui de jure poterant conferre in manu Bernardi episcopi 
predecessoris illius (Petri de Cessens) esset devolutus episcopus (Petrus de Cessens) Petro de Confignon 
qui dicebat vicedomnatum ad se jure hereditario pertinere volebat dimittere dummodo solveret XXX 
libr. sed capitulum se opposuit. 

(3) Zalterus de Confignone domicellus olim vicedognus Gebenn. vicedognatum Gebenn. incepit regere 
quasi auctoritate propria. ...j; incepit in dicta curia facere scripta per suos scriptoresin eadem curia 
ponere advocatos et vocare assessores in sententiis dandis. — Documents de M, Mallet, n.° 17. 

4) V. les mèmes documents, n.° 3. 


Senie II. Tom. XXIII. 10 


74 DES ORIGINES FEODALES ETC. 


Mais à peine le vidomnat se trouva-t-il inféodé aux comtes de Savoie, 
que ces princes s’en firent un échelon pour s'emparer, à Genève, de la haute 
justice, et arriver ainsi è étre maîtres absolus de la ville. Vainement 
les évéques entassaient monitoires sur monitoires, anathèmes sur anathèmes, 
vainement ils accusaient les vidomnes de s’arroger le magistère sous 
prétexte de remplir un ministère , pretextu ministerii magisterium vin- 
dicare (1): leurs plaintes n’aboutirent guère qu’àè des traités illusoires 
tour à tour conclus et violés; chaque jour le fleuve s’enflait et dévorait 
une portion de ses anciens rivages. 

En examinant les comptes que rendaient annuellement les vidomnes 
de Genève, qui sous la domination de la maison de Savoie exercaient 
en méme temps la charge de chatelaim du chateau de l’Ile (ce chiteau 
ne fut jamais restitué), il est facile de se convaincre combien etaient 
constantes et progressives les entreprises de ces officiers sur la pwissance 
temporelle du clergé (2). Gràce à ce système opinidtre et à l’appui que 
lui prétait  l’esprit. d’indépendance qui régnait dans la bourgeoisie, -les 
comtes de Savoie finirent par s’arroger, en depit de l’infatigable ré- 
sistance des évéques, une infinité de droits qui w'appartenaient réelle- 
ment qu’'à ceux-ci. On les voit, en effet, continuant è agir par l’entremise 
des vidomnes, s’attribuer indistinctement la connaissance des causes mé- 
diocres et des causes graves, des delits légers et des crimes atroces, 
prononcer des sentences de mort et de confiscations de biens, lever des 
subsides, percevoir les tributs que payaient les juifs, les Cahorsins, les 
Lombards, accorder des sauvegardes, légitimer les batards, mettre la 
main sur les héritages en déchéance, s’approprier les choses perdues 
etc. etc. (3). 

Du reste, les comtes de Savoie ne conféraient l’emploi de vidomne et 
de chitelain du chàteau de l’Ile quà des guerriers d'un courage et d’une 
fidelité è toute épreuve, et ces officiers, presque continuellement occupés 


(1) Voyez les deux monitoires cités dans la note 1 de la pag. preced. 

(2) Quelques-uns de ces comptes existent è Turin aux arch. de Cour. 

(3) Tous ces fails, que l’on trouve consignés dans les comptes des vidomnes, etaient cités, il y 
a deux siècles et demi, par l’auteur du /léau de l’aristocratie genevoise, comme prouvant Ja sou- 
veraineté de la maison de Savoie à Genève; mais l’auteur du Citadin établissait le contraire par 
des raisons autrement plus solides. Il faut lire ces deux ouvrages aussi savants que curieux. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 79 
d'expéditions militaires (1), confiaient è des substituts ou à des vicaires 
le soin de rendre la justice (2). 

Je ne répéterai pas ce que j'ai dit ailleurs sur les vidomnats de moindre 
importance que l’on rencontrait cà et lù dans le Genevois, tels que 
ceux de Rumilly, de la Roche, des Bornes, de Ballaison, de Ternier, de 
Viuz, de Féeternes, d’Alby, de Cruseilles, qui, dès une époque très- 
reculée, se trouvaient inféodés à différentes familles, et dont quelques- 
uns méme avaient passé de la mouvance ecclesiastique en celle des 
laiques. En ce qui concerne le droit de battre monnaie, il est certain 
que les evéques de Genève en jouirent d’abord exclusivement dans toute 
l’étendue de leur diocèse, moneta in manu solius episcopi est (3). Mais 
à la fin du XIII siècle, Louis de Savoie, baron de Vaud, ayant obtenu 
des empereurs la faculté de faire frapper de la monnaie à son propre 
type (4), ce prince établit une monnaierie è Nyon, ville dépendante de 
l’evéché de Genève. De là naquirent de vifs démélés, à la suite desquels 
le baron de Vaud reconnut par forme d'accommodement, devoir étre 
soumis è la suzeraineté de l’évéque, à raison de la faculté en question (5). 
»_ Plus tard le comte de Genève, s’étant attiré une concession semblable 
de la part du césar allemand (6), l’évéque se récria; une violente con- 
testation s’ensuivit ; toutefois le comte ne cessa pas de batire monnaie (7). 

J'ai expliqué précédemment comment, peu aprés l'année 1162, Ameédée, 
comte de Genève (Amedée I°), étant mort, Guillaume, son fils aîné 
(Guillaume I), lui succéda, et comment Amédee, son fils cadet, obtint dans 
le partage de l’hérédité paternelle la portion meridionale de l’ancien pagxs 
Equestricus, c’est-à-dire le pays de Gex (8). Ce pays, adossé au Jura, 


(1) Voyez les comptes susdits. 

(2) Les substituts et les vicaires des vidomnes de Genève sont menlionnes dans le monitoire pré- 
cédemment cité du 22 décembre 1291. 

(3) Les denarii genevenses avaient déjà un cours assez étendu dans nos contrées au XIIF siècle. 
Voyez les tables insérges dans le t. IT des Monete dei Reali di Savoia par M. Promis. Nous avons 
des réglements, faits en 1300, par les évèques de Genève sur le dattage des monnaies. Spon , pr., 
n.° 27 et 28, et Besson, pr., n.° 74 et 75. 

(4) Diplòomes de 1284 et de 1297. — Guich., pr., p- 636 et t. I, p. 1080. 

(5) Acte de 1308, Spon, pr., n.° 31. 

(6) Diplòme du 5 mai 1338, par lequel l’empereur Charles IV autorise Amédée, comte de Genève, 
a battre monnaie, sa vie durant. Arch. de Cour. Gercvois, paquet 5, n.° 20. 

(7) Mémes archives. Il existe au musge de Chambéry quelques-unes des monnaies des comtes de Genève. 

(8) Guillaume et Amedée (celui-ci qualifié junior filius comitis) figurent à la suite de leur père 
dans une charte de 1162, rapporiée par Spon, pr., n.° 10. Ce mème Ameédée s’intitule Amedeus 
de Jaiz et dominus de Geth en deux actes de 1187 et 1219, rapportés aussi par Spon, n.° {8 et 20. 


76 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


tire probablement son nom de ce que, sous la domination des Burgondes 
et des Frances, on y rencontrait d’épaisses foréts, réservées an fisc et 
faisant partie du domaine royal. Telle est, en effet, la signification que 
les lois barbares attribuent au mot Gaium, dont ceux de Jaiz, Gez, 
Gex, sont évidemment deérivés (1). J'ai dit également de quelle manière 
Léonette, petite-fille d’Amédée, avait porté en dot la seigneurie de Gex 
à la famille de Joinville. Ce fut cette princesse qui, la première, non- 
obstant les réclamations des comtes de Genève, fit hommage de son fief 
à Béatrix de Faucigny, fille de Pierre, comte de Savoie, et femme de 
Guigues VII, dauphin du Viennois (2). Outre la ville de Gex, Léonette 
et son mari Simon de Joinville tenaient les importants chateaux de Versois 
et de la Cluse (3). Les successeurs de ces illustres époux eurent, ainsi 
que nous le verrons plus tard, de graves querelles avec les évéques de 
Genève, è qui ils reprochaient notamment d’avoir construit le fort de 
Peney. Toutefois l’on trouve qu’en 1305 Guillaume de Joinville se déclara 
homme lige de ces prélats, a raison de la terre d’Avuson et des foires 
ou marchés de Gex, de Divonne et de S'-Jean de Gouville: l’acte dressé 
à ce sujet est écrit en langue vulgaire, et ressemble assez au dialecte que 
le peuple emploie encore de nos jours (4). 

Au delà de la Drance, en continuant è marcher vers l'est et à suivre 
les bords da lac, on traverse un district montueux qui, bien que faisant 
partie du pagus Genevensis, à l’époque où ce pagus conservait encore sa 
circonscription primordiale, recut pourtant la dénomination particulière 
de pays de Gavot. 

Si l’envie nous prenait de consulter les vieilles chroniques, elles ré- 
pondraient que ce petit territoire doit infailliblement son nom à un roi 
Gavottus, qui s'y serait établi mille ans avant la venue de J.-C. (5). 

La science des étymologies nous oblige, comme on peut le croire , 
à monter moins haut. Il paraît que le nom de Gavot dérive de deux 


(1) V. Ducange Gloss. v. Gaium. 

(2) Il existe a cet égard, dans les archives de Dijon, une reconnaissance très-ample du 4 
février 1278. Voy. Mem. de Genève, t. I, 2 part., p. S1. 

(3) Un acte de 1286, rapporlé par Valbonnais, t. II, p. 37, nous apprend que Léonette avait 
précédemment remis en gage ces deux derniers chàteaux à Beatrix de Faucigny, qui céda ensuite 
ses droits au dauphin Humbert I. Celui de Versois avait déjà, sans doute, cle possédé aussi à 
titre de gagerie par le comte Pierre, père de Béatrix. Voyez le testament de ce prince dans les 
preuves de Guich. , p. 76. 

(4) Spon, pr., n. 30. 

(5) Chron. du pays de Vaud, ms. 


PAR LÉON MÉNABRÉA na 


mots teutoniques Gavv, synonime de pagus et òti (en allemand moderne 
oede ) signifiant desert, pagus desertus, pays désert (1). Quoi qu'il en 
soit, dès le milieu du XII siècle, le pays de Gavot commence à se 
séparer du pagus Genevensis pour s’incorporer à la contrée appelée 
Chablais, Chablaisium, qui originairement restreinte à une langue de 
terre située à la téte du lac, caput /aci, s'étendit progressivement et 
finit par occuper l'espace compris entre Thonon, S'-Maurice et Vevey (2). 
Telles furent les limites constantes du Chablais durant la période féodale. 

La maison de Savoie exercait sur cette province une juridiction, dont 
la source a jusqu'à present échappé è toutes les investigations, et qui se 
perd au sein des événements qui suivirent la chute du second royaume 
de Bourgogne (3). 

En 1064, S'-Annon, archevéque de Cologne, étant allé visiter l’ab- 
bave de S'-Maurice d’Agaune, s’adressa à la comtesse Adelaide de Suse, 
afin d’étre autorisé à emporter quelques fragments des précieuses reliques 
de la Legion Thebaine. Le biographe de ce vénérable prélat remarque 
que le pays appartenait à ladite comtesse; ce texte est décisif (4). 

Jaloux de ce beau fleuron de leur couronne , les. descendants 
d’Adelaide ne négligèrent rien pour le conserver: voici l’indication des 
forteresses et chàteaux quwils y possédaient. Le chàteau de Thonon, 
construit à une époque très-reculée. Le chiteau de Féeternes, acquis des 
seigneurs de ce nom, situé à l’entrée de la vallée d’Aulps (5). Le chateau 
d’Evian, bàti, dit-on, par le comte Pierre. Le chàtean de Monthey, 
sur la rive gauche du Rhòne, provenant des sires de Monthey (6). Le 


1) De Gingios, Essai sur les Burgondes, dans les Mem. de V Acad. de Turin, %. XL, p. 264. 

(2) V. ci-devant. 

(3) Quelques historiens ont cru que cette province était la provincia doris locupletissima, dont 
parle le chroniqueur Lambert d’Aschaffenbourg (v. ci-devant); mais il paraît que lors du pas- 
sage de l’empereur Henri IV par la Burgurdia, le Chablais appartenait déjà à la maison de Savoie, 
puisque, selon ce mèéme chroniqueur, la comtesse Adélaide alla attendre à Vevey l’illustre passager. 
Voyez d’ailleurs le texte de la note qui suit. 

(4) In co autem positus itinere precibus contendit ab Adeleida Alpium Cottiarum marchionissa ut 
Thebanae legionis reliquias ejus auctoritatis jussu mereretur ab Agaunensibus accipere: ejus quippe ditionis 
erat locus ille. 

(5) Ce chàteau appartenait déjà au comte Pierre, ainsi qu'on peut s’en assurer en lisant les 
dernières dispositions de ce prince, rédigées en 1268. 

(6) Il est mentionné comme la propriété des comtes de Savoie dans une charte de 1239. 
V. Guich., pr., p.63. 


78 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


chiteau de S'-Maurice d’Agaune, dont l’existence remonte, suivant V’opi- 
nion commune, au temps des Romains (1). Les tours du Peil, de Ville- 
neuve, de la Batie, au-dessus de Martigny etc. ; quant au célèbre chàteau 
de Chillon, on le trouve déjà mentionné dans une charte de 1150 environ, 
commémorative d'une donation du comte Humbert III à l’abbaye de 
Hauteret, fondée en 1236, par un évéque de Lausanne. Le comte exempte 
ce monastère du péage ctabli devant son chateau de Chillon: ex parte 
castri de Cillon (2), ce qui prouve combien est erronée l’assertion des 
écrivains qui le prétendent fondé au XIII siècle (3). Un passage du 
fameux Paschase Ratbert, abbé de Gorbie, donnerait à présumer que ce 
manoir existait déjà sous Louis-le-Débonnaire, et que c’est là que fut 
enfermé le célèbre Wala, qui joua un ròle si important pendant les 
guerres qui suivirent la mort de Charlemagne; Paschase en effet, faisant 
la description de la prison de son maître, de son bienfaiteur, dit qu'elle 
est située sur un rocher, baigné de trois còtés par le lac, et d’où Von 
decouvre parfaitement les Alpes pennines (4): 

Enfin, sur le territoire du pays de Vaud, Zaudum , se trouvaient 
le chàteau de Vevey, castrum Ziviaci, et la tour de Vevey ou de Peil, 
turris Viviaci, formant deux chatellenies particulières (5). 

La tour de Vevey avait cté achetée, en 1248, par le comte Pierre 
de Philippe de la Tour de Vevey, pour la somme de 3o livres de 
Lausanne (6). 

On ignore à quelle occasion et en vertu de quels droits, les princes 
de la maison de Savoie, malgré tout ce qui a cté avancé à cet égard, 
prirent, au XIV siècle, le titre de dues de Chablais: d’abord il est cer- 
tain que, pendant une bonne portion du siècle précédent, le Chablais 
n’était encore regardé que comme mne simple terre, terra Chablasii. 
Aymon, frère du comte Amé IV, ayant recu, en 1233, le Chablais 


(4) V. Schiner, Descript. du Valais, p. 505. 

(2) Guich., Mist. de Savoie, pr., p. 28. Cet historien attribue la charte en question au comte 
Humbert II, qui mourut en 1103; mais à celle époque l’abbaye de Hauteret n’existait point encore. 
V. Conservateur suisse, t. VITI, p. 44 et suiv. 

(3) Cette erreur a été surtout relevée par M. Boccard, Mist. du Valais, p. 351. 

(4) Vita S. Walae comitis et abb. corbeiensis, inserée dans les Acta SS. ord. S. Bened., siècle IV. 

(5) Voyez dans le tome XXXVI des Mém. del’ Acad. de Turin, è la suite du travail de M. Cibrario, 
intitulé Delle finanze della monarchia di Savoia, discorso i.°, un document de l’an 1329 contenant 
l’énumeration des baillages et clàtellenics do la maison de Savoie. 

(6) Archives de Cour, Baronrie de Vaud, \iasse 1, n.° 4. 


PAR LEON MÉNABREA 79 
en apanage, s'intitulait sans autre: Aymo de Sabaudia , dominus de 
Chablasio (1). Dans la charte dressée en souvenir de la donation de 
l’anneau de S'-Maurice , faite en 1250 par les moines d’Agaune au va- 
leureux comte Pierre, ce n'est que sous la pure désignation de terre , 
terra, que le Chablais est énoncé: Zu Petre comes victoriosus terrarum 
Chablasii et Valesii (2). 

En 1313, le comte Amé V obtint de l’empereur Henri VII l’investi- 
lure de toutes ses possessions, tant en decà qu’an delà des monts; la 
bulle d'or, dressge à ce sujet, donne à Amé la qualité de duc de Chablais 
et d'Aoste, Amedeus comes Sabaudie dux Chablasii et Vallis Auguste 
marchio in Italia (3). Je ne sache pas néanmoins que jamais ce prince, 
non plus qu’'Edouard, son successeur , aient usé personnellement de ce 
titre. Les premiers diplòmes où l’on rencontre les comtes de Savoie se 
qualifiant eux-mémes de ducs de Chablais et d’Aoste, appartiennent à 
Aymon, frère d’Edouard et père du celèbre Comte Vert (4). 

En Chablais florissaient, ainsi que je l’ai déjà dit, sous la suzeraineté 
de la maison de Savoie plusieurs familles de haut nom, et notamment 
celles de Féeternes, de Lugrin, de Monthey, de Quartery, de Bex, de 
Grion, d’Ollon, de Charpigny, d’Aigle, de Noville, de la Tour de Vevey, 
de Blonay (5). 

Un mot sur chacun d’elles. 


Le chatean de Féeternes, construit au bord de la Drance., sur un 


(1) Charte de fondation de l’hospice de Villeneuve. Guich., pr., p. 57. M. Vernazza dans sa 
Dissert. ms., inlitulée Dell’origine dei titoli e progressi della casa reale di Savoia, à l'article Chablais, 
cite une charte du 3 novembre 1252, par laquelle Guillaume, comte de Genève, donne, dit-il, à 
Amé IV le titre de duc de Chablais. Je n’ai point vu cette charte. 

(2) Guich., pr., p. 73. 

(3) Ibid., p. 137. 

(4) V. Dalta, Lezioni di paleografia e di critica diplomatica sui documenti della monarchia di 
Savoia, p. 172. 

(5) Peut-étre aurais-je dù ajouter à cette liste le nom de la petite ville d’Evian, qui paraitrait 
avoir eu ses seigneurs particuliers. On trouve , en effet, un Enquiro de Aviano parmi les barons, 
barones, qui, en 1177, se rendirent cautions des engagements contractés par Humbert III, comte 
de Savoie, envers l’abbaye de St-Maurice. V. Gall. christ., t. XII, in instr. eccl. Sed., p. 492. Ce 
mème personnage figure encore sous la designation de Erguirarus de Eviano dans une charte 
de 1170. V. Guich., pr., p. 43. Ce que je viens de dire d’Evian, pourrait se dire aussi du village 
de St-Gingolph, situé tout près de l’embouchure du Rhòne Un dominus Petrus de sancto Gingulfo 
assistait, en 1249, à une transaction d’Aymon de la Tour avec l’évèque de Sion. V. Gall, Christ., 
t. XII, in irstr., p. 505. 


8o DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


plateau taillé à pic, devait son origine, suivant les traditions populaires, 
à trois fées jumelles qui se plaisaient, dit-on, à exercer un art diabolique 
dans les grottes du voisinage. Que les anciens maîtres de ce chàteau aient 
été d’une race illustre , le fait est incontestable. Déjà, en 1080, la piété 
d'un Guy de Féeternes avait contribué à l'établissement des chanoines 
réguliers d’Abondace (1), ce qui explique pourquoi ce seigneur et ses 
successeurs jouissaient de l’avouerie de ce monastère (2). 

La famille de Lugrin, dont le manoir s’élevait è peu de distance 
d'Evian, remonte à une époque non moins reculée. Un Anselme de Lugrin 
vivait à la fin du XI siècle (3). Un Thomas de Lugrin, chevalier, faisait 
partie de la suite du comte de Savoie en 1217 (4); un Aymon de 
Lugrin, dominus Aymo de Lugrin, assistait, en 1233, à de certains 
traités concernant l’abbaye d’Agaune (5). 

Les sires de Monthey et de Quartery posséedaient des terres considé- 
rables sur la rive gauche du Rhbòne, au-dessous de S'-Maurice; une foule 
de documents font mention de ces feudataires (6). 

De l’autre còté du fleuve , vis-à-vis méme de Monthey, se deérou- 
laient les domaines des sires de Bex; une charte de 11770 nous montre 
un Girold et un Hugues de Bex, Giroldus et Hugo de Bais, intervenant 
comme temoins à une donation du comte Humbert III (7). 

En 1227, l'évéque de Sion acquit de cette famille les droits qu'elle 
exercait dans les territoires de Leuk ou Louéche et Montorge (8). Pour 
ce qui est du chàtel de Bex, j'ai remarqué ailleurs qu'il était devenu, 
au XIV siècle, la propriété des sires de Duing, en Genevois (9). 

Non loin des ruines de ce donjon, en deéclinant à l’est, on trouve 
sur le penchant d’une colline riante le village qui fut le berceau des sires 
de Grion. Nous savons qu'àè l’égard du fief de Grion, ces seigneurs re- 
levaient de l’abbaye de S'-Maurice (10). 


(1) Pourpris hist., p. 140. 

(2) V. la charle de 1108 insérée dans Guich., pr., p. 29: laudante domino Guidone de Festerna 
ipsius ecclesiae advocato. 

(3) Mem. de la Soc. de Genève, t. I, 2 part., p. 145. 

(4) Doc., Sigill. e Mon., p. 119. 

(5) Gall. Christ., t. XII, in instr., p. 502. 

(6) Gall. Christ., t. XII, passim. 

(7) Guich., pr., p. 43. 

(8) Gall. Christ., p. 500. 

(9) V. ci-devant. 

(10) Gall. Christ., p. 495. 


PAR LÉON MÉNABRÉA SI 


Plus bas, on découvre le majestueux rocher de S'-Triphon, au sommet 
duquel se dresse une tour carrée, haute de 60 pieds, batie, à ce qu'on 
preétend, pendant la domination romaine; tout près de là vivaient les 
sires de Charpigny (1) et d'Ollon (2); ces derniers devaient hommage à 
l’abbaye de $S'-Maurice pour quelques-unes de leurs possessions, et à la 
maison de Savoie pour quelques autres (3). 

A une demi-lieue d’Ollon on rencontrait les sires d’Aigle, domini de 
Allio, qui ne manquèrunt , à ce qu'il paraît, ni d’illustration, ni de 
puissance. En 1221; on voit un Girold et un Guy d'’Aigle jurer l’observation 
d’un traité de paix que le comte Thomas conclut avec l’église de Sion (4). 
Successivement le chiteau d’Aigle passa aux sires de Saillon (5), qui le 
vendirent aux sires de Compey. 

Noville, situé au bout du lac, comptait aussi ses seigneurs particuliers : 
un Turembert de Noville nous est révélé par deux documents de 1 189 (6); 
un Guillaume de Noville figure en un acte de 1240 (7). 

Quant aux sires de la Tour de Vevey, yai déjà eu l’occasion de 
les citer; J'aouterai qu’en 1272 un Willelme de la Tour de Vevey, 
Willieblnus de Turre de Viviaco miles, acheta d’un sire de Martigny 
différents droits féodaux, existant à Port-Valais, proche de l’embouchure 
du Rhòne, è l’issue du fameux defilé qu'on appelle la porte de Cex (8). 

Au nord de Vevey, dans un site des plus pittoresques , se montre 
le manoir d’où tire son nom une noble et antique famille, celle des sires 
de Blonay. 

Le premier de ces seigneurs qui nous soit connu, Walcher de Blonay 


(Jen ai parle ailleurs), était neveu du simoniaque Lambert de Grandson, 


(1) Un Petrus de Charpigne miles, et ses deux fils, Rodulphus et Petrus, sont mentionnés dans un 
document de 1240. V. Gall. Christ. , p. 505. 

(2) V. Gall. Christ., p. 495, 496, 501, 523. 

(3) Charte de 1319. V. Gall. Christ., p. 532. 

(4) Gall. Christ., p. 499. Divers personnages appartenant à celte famille sont encore mention- 
nés dans des chartes de 1219 et de 1236. V. Gall. Christ., p. 498, et Guich., pr., p. 57. — La 
séenéchalie de Sion était possédée au XIII siècle par les sires d’Aigle. Voyez Boccard, Histoire du 
Valais, p. 346. 

(5) Ce fut vers 1231 que Pierre et Jacques de Saillon cedèrent le chàteau de Saillon au comte 
Thomas, moyennant l’abandon que ce prince leur fit de la Tour d’Aigle, laquelle avait primiti- 
vement appartenu aux sires d’Aigle. — Archives de Cour, Valais, liasse 1, n.° 1. 

(6) Gall. Christ., p. 494 et 495. 

(7) Ibid, p. 505. 

(8) Ibid, p. 514. 


Serie II. Tom. XXIII LI 


82 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


évéque de Lausanne; il profita largement des aliénations illégales faites 
par ce prélat, creature de l’antipape Guibert, et il se fit céder Vevey 
et Corsier qui dépendaient du domaine ecelésiastique (1). 

Depuis lui, la généalogie de cette illustre famille se déroule , sans 
interruption , jusqu'à nos jours (2); qu'il suffise de dire ici, qu’en 1108 
un Amédée de Blonay et un Girard d’Allinge recevaient la qualification 
de princes des laîques; ce qui prouve assez de quelle importante position 
ces personnages jouissaient alors (3). Outre le chiteau de Blonay, outre 
Vevey et Corsier, que les évéques de Lausanne rachetèrent néanmoins 
en partie en 1221 et 1235 (4), les sires de Blonay possédaient le fief 
de Vaulruz, près de Bulle (5), plusieurs terres dans le pays de Vaud, 
et les mandements de Maxilly, de S'-Paul en Chablais etc. (6). 

Devenus feudataires des comtes de Genève, après avoir passé par une 
suite de vicissitudes qu'il serait curieux d’étudier, ils tombèrent, en 1287, 
à raison du fief de Blonay, sous la suzeraineté des comtes de Savoie (7). 
Déjà en 1267 ces princes leur avaient concédé l’avouerie et le vicomié 
de Vevey, qui provenait, selon toute apparence, du patrimoine des sires 
d’Oron; j'ai à peine besoin de répéter que les attributions de vicomte , 
aux XII, XIII et XIV siècles, n’emportaient point, en general, le droit 
de régir, d’administrer un territoire, mais celui d’exercer, en des lieux 
déterminés, certaines fractions de juridiction, et de profiter des émolu- 
ments qui y étaient attacheés. 

Les fonctions d’avoués, avocats ou deéfenseurs des églises et des 


maisons religieuses procuraient des bénéfices du méme genre. 


to) 


(1) Prestavit autem Walchero nepoti suo domino de Blonai Vivers et curiam de Corsie et alia multa. 
(Chron. Laus., p. 33). 

(2) Les archives cantonales de Lausanne renferment, touchant la maison de Blonay, un grand 
nombre de documents précieux. 

(3) Hec sunt nomina laicorum principum qui testes sunt Amedeus de Bloniaco, Girardus de Alingio 
et Boso filius ejus. Guich. pr., p. 29. 

(4) Ruchat, Abregé de Vhist. eccl. du pays de Vaud, p. 46 et 64. 

(5) Kuenlin, v. Yaulruz, t. II, p. 401. 

(6) Sommaire genéral des fiefs — Province de Chablais. 

(7) V. ci-devant. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 853 


CHAPITRE V. 


Seigneurs de Faucigny. - Guy, eveque de Geneve. - Ermerard-tige de cette maison. - 
Le bienheureua Ponce. - Ordre de progéniture. - Cette seigneurie passe aux Dauphins 
de Vienne. - Branches collatérales. - Sires de Lucinge et de Thoire. - Etendue du ter- 
ritoire, — Ville de Cluses, capitale. - Charge de sénéchal. - Piefs soumis d cette suze- 
raineté. - Les Allamands. - Les sires de La Tour, de Bardonnéche et autres dignes 
d'étre mentionnés. - Enchevetrement des possessions respectives, querres qui en résultent. - 
Haut et bas Valuis. - Circonscriptions. - Evéques de Sion. - Hugues obtient la dignité 
de comte. - Legende de St-Théodule. - La maison de Savoie s'agrandit. - Evéque Landric 
entaché de simonie. - Droit de régale odieux aux prélats. - Ils tentent de sy soustruire. 
- Hommages reciproques. - Officters, baillis, sénéchaua, majors. - Analogie. - Abbaye 
de St-Maurice. - Martigny. - Tour de St-Branchier. - Val de Bagne et celui d’Entremont. 
- Redevances. - Chateaux de Saillon, de Sawon et autres. - Ville de Sion. - Tours, do- 
maines de plusieurs familles importantes. - Barons de La Tour. - Seigneuries situtes sur 
la rive droite au Rhone et en amont, vers les sources de ce fleuve. 


Il est nécessaire maintenant que je rétrograde au midi, afin de con- 
tinuer l’exploration des vallées qui vieanent s'appuyer sur le Mont-Blanc 
et le Mont-Buet; un certain nombre de cols pratiqués dans les contre-forts 
de ces deux montagnes ont établi de toute ancienneté des communications 
entre le Haut-Chablais , ie Valais et le Faucigny. Je crois avoir sufti- 
samment démontré comment le Faucigny faisait partie du pagus Gene- 
vensis: on explique facilement par là pourquoi les sires de Faucigny, 
bien qu'ils fussent redoutables et puissanis, se reconnaissaient hommes 
liges des comtes de Genevois (1). 

Une donation de Guy de Faucigny, évéque de Genève, en faveur 
de l’abbaye de Cluny, nous fournit les premiers éclaircissements qui nous 
soient parvenus sur cette illustre famille : on y voit le donateur recom- 
mandant à Dieu et aux saints l’àame de son aieul Ermerard, celles de 
son père Louis et de sa mère Tetberge, de son frère Guillaume et de 


(1) Dans le traité de paix qu'Aymon, comte de Genève, fit à Seyssel, en 1224, avec l’evèque 
Humbert, on voit Rodo]phe de Faucigny figurer au nombre des feudataires de ce prince. Unde 
comes Aymo....cum comitatu suorum virorum Bosonis scilicet de Alingio Rodulphi de Fulciniaco 
Willelmi de Caumonte et multorum aliorum usque Sascellium venit (Spon, pr., n.° 1)..Un titre, 
existant aux archives de Cour a Turin (duché de Genevois, paquet 1, n.° 4), nous apprend que 
le 8 mars 1228, Aymon, seigneur de Faucigny, se reconnut homme lige de Guillaume, comte de 


Genève, à raison du chàteau de Faucigny. p 


84 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


sa belle-soeur Utilie, enfin de ses neveux Rodolphe, Louis, Raymond, 
Gérard, évéque de Lausanne, et Amedee , evéque de Maurienne; l’acte 
est du 2 septembre 1119 (1). 

Ermerard, désigné ici comme la tige de la maison de Iaucigny, vivait 
pendant le règne de Rodolphe-le-Fainéant; il fit, vers la fin de ce règne, 
échange de quelques terres avec Burchard, archevéque de Lyon , abbé 
de S'-Maurice, et il recut de lui le domaine utile de deux villages situés 
in pago Genevense; sa femme s’appelait Aalgirt (2). 

L’existence simultanée de trois prélats appartenant à la méme souche, 
et occupant des siéges épiscopaux rapprochés, est une preuve non équi- 
voque de l'influence que les sires de Faucigny exercaient dans nos 
contrées. S'-Pierre-le-Venérable, abbé de Cluny, parlant de Guy, évéque 
de Genève, n’hésite pas à proclamer que la naissance de ce pontife 
était grande selon les hommes (3). D’après cet éerivain, Guy aurait été 
frèere d’Aymon, comte de Genevoiìs (4), ce qui entendu d’une manière 
absolue par certains historiens, avait jeté de l’obscurité sur Vorigine et 
les déeveloppements primitifs de la famille dont il est question. 

Mais tout se concilie en admettant que Guy et Aymon furent seulement 
frères utérins, et que Tetberge se maria successivement aux pères de 
chacun de ces princes; on possède au reste la charte de fondation du 
prieuré de Chamounix, où Guillaume et Amedée , frères germains de 
Guy, sont qualifiés frères utérins d’Aymon; ce document aplanit com- 
pletement la difficulté (5). 

Du mariage de Guillaume (6) avec Utilie provinvent, ainsi que 
l’éenonce le document de 1119 ci-dessus cité, cinq enfants miles. L’aîné 
Rodolphe, succeda à son père, on ne saurait dire précisément en quelle 


(1) Pro anima patris mer Lodoici et avi mei Ermerardi et Willelmi fratris mei et filiorum ejus 
Rodulphi 
meorum et matris corum Utilie et matris Tetberge. (Bibl. Seb. , 1, 4). 


, Lodoici, Raimundi et episcoporum Gerardi Lausanensis et Amedei Maurianensis nepotum 

(2) La charte constatant ce fait est cilée par dom Hilaire Layat dans son ouvrage ms. intitulé 
Tableau gencalogique, hist. et chronolog. de la très-ancienne, très-illustre et très-puissante maison des 
princes de Faucigny. 

(3) Zuit hic magne secundum seculum nobilitatis (De Miraculis, lib. I, cap. 24). 

(4) Nam cum esset frater Aymonis ejusdem urbis (Genevae) comitis. (Ibid). 

(5) Sunt legitimi testes uterini fratres comitis (Aymonis) Pillelmus, Fulciniacus et Amedeus (Besson, 
Pro: 048): 

(6) En 1126 Guillaume était encore vivant, car è celle époque il confirma une donation faite 
par Gauthier, sire d’Aix. Voyez le ms. de dom Leyat. 


PAR LÉON MENABRÉA 85 


année. Un titre de prieuré de Domène, en Graisivaudan, nous apprend 
qu'il épousa la fille de Guigues de Domène, lequel était fils de Ponce- 
Aymard, illustre seigneur de ce pays (1). 

De ce mariage naquirent Ponce (le bienheureux Ponce), qui fut abbé 
de Sixt; Aymon , qui à la mort de Rodolphe obtint la seigneurie de 
Faucigny; Ardutius, promu en 1135 à l’évéché de Genève; Rodolphe, 
dit l’Allemand ou le Teutonique, et Raymond. Mettant à profit les dis- 
positions favorables de Gérard , son oncle, Aymon se fit inféoder par ce 
prélat le péage du cinquièÌme marché de la ville de Lausanne, ce qui 
occasionna d’assez vives contestations entre les successeurs de Gérard et 
les sires de Faucigny (3). Il se montra libéral envers les églises (2); il 
fonda, en 1:51, la chartreuse du Repausoir (4), et contribua beaucoup 
à enrichir celle de Vallon, à qui il donna des piturages considérables; 
aussi le cartulaire de ce dernier monastère a-t-il soin de noter que les 
religieux lui offrirent, en témoignage de reconnaissance, un cheval acheté 
1go sols de monnaie genevoise. Aymon suivit Amé III, comte de Savoie, 
en terre sainte, lorsqu’à la voix de S'-Bernard l'Europe versait en 
Orient ses flots de croisés: plus heureux que ce prince, il revit sa 
patrie. Nous savons que sa femme s’appelait Clemence, et qu'il en eut 
cinq fils: Rodolphe, Henri, Guillaume, Marchisius et Aymon (5). Rodolphe 
mourut sans posterité; Henri devint, après lui, seigneur de Faucigny; 
une charte de 1178 lui attribue le titre de Dominus de Focigniaco (6). 

Il paraît que, déjà à cette époque (chose assez rare), la famille de 
Faucigny se conformait strictement, pour la succession du fief dominant, 
à l’ordre de primogéniture masculine. Guillaume Il et Aymon II, fils 
de Henri, se trouvaient encore en bas dge quand leur père passa de vie 
à trepas: Guillaume vécut sous la tutelle de Nantelin, évéque de Genève (7), 


(1) Salvaing, Le l’usage des fiefs, p. 485. 

(2) Giroldus filius PW. sapientis de Fulcinie suscepit cpiscupatum post Cononem..... nec audivi quod 
alienaverit aliquid nisi quod pedagium quinte ferie apud Lausanham domino de Fulcinie nepoti suo 
infeodavit. Chron. Lausann., p. 34. 

(3) V. Jean de Passier, /ie du vencrable serviteur de Dicu, Ponce, premier abbé de Siz. 

(4) Besson, pr., n.° 24. 

(5) Ms. de dom Leyat. 

(6) Besson, pr., n.° 35. Une parlie de la genéalogie que je viens d’énoncer est élablie par 
cette charle. 

(7) On lit dans une donation faite par ce prince è l’abbaye de Sixt, en 1200: Consului dominum 
Nantelinum gebennensem episcopum tune temporis tutorem meum et quam plurimos probos, discretos ac 
prudentes viros quorum consilio terra mea regebatur (ms. de dom Leyat). 


86 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


il mourut, et transmit son héritage à Aymon, que l’on pourvut d’un 
tuteur en la personne de Nantelme de Miolans (1). 

Aymon ne laissa que deux filles iégitimes (2). Beatrix, la cadette , 
épousa un sire de Villards, et Agnès, l’aînée, apporta le Faucigny en dot 
à Pierre, comte de Savoie. 

Malheureusement Pierre n’eui qu’une fille unique, nommeée Beatrix, 
qui, en se mariant au dauphin Guigues VII, fut cause que ceite im- 
portante seigneurie devint la proie des Dauphins de Vienne. 

La famille de Faucigny produisit, au XII siècle, plusieurs branches 
collatérales, dont on prétend que quelques-unes subsistent encore 
aujourd'hui. 

Ainsi de Rodolphe, dit l’Allemand (Rodu/fus Alamandus ou Teutonicus), 
qui accompagna l’empereur Frédéric à la diète de Roncaglia, et qui 
prenait fréquemment le titre de Rodolphe de Graisy (Rodolphus de 
Graisiaco), descendaient des sires de Lucinge; de Raymond, son frère, 
descendaient les sires de Thoire (3). 

Le Faucigny au moyen dge se deroulait à peu près entre les li- 
mites que nous lui connaissons aujourd’huì ; on y comptait les chàtel- 
lenies de Faucigny, de Bonneville, de Cluses, de Sallanches, de Bonne, 
de Flumet, de Samoéns, de Chitillon, de Montjoie et de Chitelet-de- 
Credoz (4) Les sires de Faucigny étaient en outre propriétaires du 
chateau d’Hermance , au bord du Léman, et de celui de Monthoux, 
au-dessus d’Annemasse, l’un et l’autre réédifies par Aymon , vers 


l'année 1245 (5). 


(1) Dans une charle de 1209, dressée en faveur de la charlreuse du Repausoir, Aymon II 
s'exprime ainsi: Ego Aymo de Fulciniaco consilio tutoris mei Nantelmi de Miolans et quamplurimo- 
rum hominum meorum qui infrascripti sunt. ...Ms. de dom Leyat. 

(2) Il laissa en outre un bàtard, appelé Aymon. Le comte de Savoie; Pierre, le mentionne dans 
son testament de 1268. V. Guich., pr., p. 75. } 

3) V. le ms. de dom Leyat. Quant à la famille de Thoire, son origine est consignée dans une 
charte de 1234, où Rodolphe de Thoire fait à la chartreuse de Vallon une donation pourle repos 
de l’àme de son père Raymond de Faucisny. Ego Rodulphus de Thoria pro remedio anime patris 
mei Raymundi de Fulciniaco ( Bibl. Seb., 1, 21). 

(4) Le chatelet de Cref-d’0z, vulgairement Credoz, était construit sur la rive gauche de l’Arve, 
entre la Roche et Reignier, presque en face du chàteau de Faucigny, dont les ruines existent en- 
core sur la rive droite de cette rivière, è une lieue au nord de Bonneville. Le chàteau de Chatillon 
s'elevait è moitié chemin de Cluses à Taninge. Quant au val de Montjoie, on sait qu'il s’étend 
de St-Gervais au col du Bonhomme. 

(5) Ce qui résulte des deux charles imprimées dans les Mon. Rist. patr., t. I, p. 1278 et 1390, 


PAR LÉON MENABREA 87 


Enfin, en 1271, Béatrix devint maîtresse du mandement de Beaufort, 
qu'elle acquit des seigneurs de ce nom (1). Il ne faudrait pas, comme 
l’ont fait certains auteurs, juger des possessions de l’ancienne maison de 
Faucigny par celles de cette princesse qui, en tant que fille de Pierre, 
comte de Savoie, succéda à une bonne partie des droits que ce dernier 
exercait dans le Genevois et le pays de Vaud. 

Pendant que dura la lignée des premiers sires de Faucigny, la ville 
de Cluses jouit de la prerogative d’étre la capitale de leurs états; là ces 
princes entretenaient un bailli, un juge-maje, un juge ordinaire et diffé- 
rents fonctionnaires subalternes. 

Les documents qui nous sont parvenus, ne permettenti pas de douter 
que les sires de Faucigny n’eussent une maison réglée sur un pied riche 
et somptueux. Chez eux, comme chez les comtes de Genevois, le sé- 
néchal occupait le rang le plus élevé parmi les officiers, formant ce 
quion appelait la famille du maître, familia domini. A une époque où 
tous les emplois, méme les attributions domestiques, se convertissaient 
en fief, la sénéchaussce de Faucigny (serescalcia Fulciniaci), devenue 
une haute dignité, fut inféodee à Rodolphe de Lucinge, fils de Rodolphe- 
le-Teutonique, qui la transmit à ses descendanis: les sceaux de ce 
Rodolphe portaient un lion avec la légende: Sigi/um Rodulfi, Fulciniaci 
senescalci (2). 

La charge de sénéchal de Faucigny donnait à celui qui la possédait 
des droits excessivement curieux; c'était au senéchal qu’on devait rendre 
compte de toutes les dépenses qui se faisaient dans l’hòtel du maître: 
celui-ci pouvait assister è ces redditions de comptes, si bon lui semblait. 

Chaque fois que le maître, c'est-à-dire que le seigneur de Faucigny 
exigeait les 6o sols d’amende. infligés aux adultères et aus coupables de 
blessures suivies d’effusion de sang, le sénéchal, ainsi que la dame de 
Faucigny, en percevaient une portion. Quand pour une forfaiture quel- 
conque la personne et les biens d’un vassal tombaient en commise, 
l’échute avait lieu au profit du sénéchal, à moins que le vassal ne fit 
sa paix avec le suzerain au moyen d’une somme d’argent; en ce cas, 
le senéchal et la dame de Faucigny recevaient un don proportionné à la 
somme payée. Le sénéchal pourvoyait de sel la cuisine du seigneur, et 


(1) V. ci-après. 
(2) Ms. de dom Leyat. 


88 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


ce dernier lui fournissait la livrée, ou ration de fourrage, librata, de deux 

‘ chevaux. Les cuirs des boeufs, vaches et autres bestiaux que l’on ache- 
tait et que l’on mangeait dans l’hòtelsdu seigneur, à Pexception des peaux 
d’animaux tués à la chasse, appartenaient au sénéchal etc. etc. 

Plusieurs familles nobles possédaient des fiefs soumis à la suzeraineté 
de la maison de Faucigny: ces familles groupées autour d’un centre 
commun par le sentiment de la patrie, fournissaient au souverain des 
hommes de bon conseil qui manquaient rarement d’étre appelés à déli- 
bérer sur les affaires du pays: de là cette formule que les sires de 
Faucigny employaient fréquemment: convocatis majoribus terre nostre (1), 
ou consentientibus baronibus nostris et approbantibus (2). 

Outre les familles nobles relevant des sires de Faucigny, dont j'ai 
déjà eu occasion de parler, il faut encore placer au premier rang les 
Allamands de S'-Jeoire, qui occupaient le bourg et le chateau de S'-Jeoire, 
dans la vallée de ce nom, laquelle serpente entre le Mòle majestueux et 
les montagnes abruptes du haut Chablais. 

Un Allamand de S'-Jeoire fut évéque de Genève de 1342 à 1366. 

Tout près de ces feudataires vivaient les sires de la Tour, qui n’étaient 
pas moins anciens; on voit un Guillaume de la Tour au nombre des 
hauts personnages de la contrée en deux actes de 1190 et de 1219 (3). 
Il paraît que ces seigneurs devaient primitivement hommage de leurs 
fiefs à l’eglise de Genève, et que, sous le pontificat de Pierre de Cessens, 
ils desertèrent la mouvance de ce prélat, et se déclarèrent vassaux des 
sires de Faucigny (4). 

A peu de distance de S'-Jeoire, on rencontrait la terre de Salaz qui, 
ainsi que je lai remarqué ailleurs, appartenait aux évéques de Genève; 
elle formait une juridiction appelée le vidomnat de Salaz, ou de Viuz en 
Salaz. 

Plus loin, au debouché de la vallée, se trouvait le fief des sires de 
Fillinges, fief que l’évéque ci-dessus cité, Pierre de Cessens, se fit re- 
làcher è titre de gage, au commencement du XIII siècle (5). 


x 


(1) Besson, pr., n.° 35. 

(2) Ms. de dom Leyat, charte inédile de 1185. 

3) Mem. de la Soc. d’hist. de Genève, t. II, 2 part., p. 46. Spon, pr., n. 20. 

4) V. le 16.° témoin de l’enquéte rapportée par Spon è la fin des preuves de l’hist. de Gen. 
On y lit: Item dicit quod Willelmus de Turre miles qui erat de dominio episcopi transtulit se ad 
dominium domini de Fucigniaco. 

(5) Voyez les dispositions des 3.° et 15.° témoins de cette mème enquéte. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 8a 


< 


Sur la méme ligne que les précédents marchait la famille de Rovorée, 
qui avait ses principales possessions dans la vallée de Taninge, d’où elle 
s'étendait jusqu'à Aulps, par delà Morzine et le col des Jets. Un Gilion de 
Rovorge assistait, en 1094, à la fondation de l’abbaye d’Aulps, et faisait 
l’abandon du sol qui devait servir à l’établissement de ce monastère (1). 

Quelques autres maisons dignes d’étre mentionnées ici reconnaissaient 
la suzeraineté des sires de Faucigny, telles que celles de Bardonnéche (2), 
de Marigny (3), de Bellegarde (4), de Clartens (5), du Freney, des Frasses, 
de Sirace, de Chatillon (6) etc. etc. 

Le lecteur attentif ne saurait étre venu au point où je l'ai conduit 
sans se convaincre combien le régime féodal avait enchevétré les pos- 
sessions respectives des sires de Fauciguy, des comtes et des évéques de 
Genève; il comprendra par conséquent combien devaient étre vives les 
luttes qui naquirent de ce singulier amalgame , ainsi que les guerres 
cruelles qui en farent le résultat. i 

On a pu reconnaître, en parcourant le chapitre précédent, que si 
le Chablais, au moyen dge , empictait à l’ouest. sur l’ancien pagus 
Genevensis, et au nord-ouest sur le pagus Waldensis , il s'étendait, au 
sud-est, sur une bonne portion du Valais, //esia , ou pagus Vallensis. 

Le Valais se divisait jadis, et se divise encore aujourd’hui, en haut 
Valais et bas Valais, qui ont pour point de séparation le pont cons- 
truit au-dessous de Sion, sur le torrent appelé la Morge, ou la Morge 
de Conthey. Une infinité de documents constatent cette division, en dé- 
signant le pays d’en haut par les mots a Morgia Conthegit superius , et 
le pays d’en bas « Morgia Conthegii inferius. De toute ancienneté le 
haut Valais se partageait lui-méme en sept districts, ou dixains, diseni, 
savoir: Sion, Sierre, Louéche, Rarogne, Viége, Brigue, Conches; le 
bas Valais offrait aussi differentes circonscriptions,, auxquelles on 


donnait, au XV siècle, le nom de bannières; ces circonscriptions, dues 


(4) V. mon travail intitulé L’abbaye d’Aulps, d’après des documents incdits, dans le tome XI des 
Mem. de la Soc. acad. de Savoie. 

(2) Pourpris ete., p. 154. 

(3) Zbid., p. 415. 

(4) Ibid., p. 224. 

(5) Ibid., p. 185. 

(6) Dans une charte de 1178, rapporlée par Besson, pr., n.° 35, on trouve, à la suite des sires 
de Faucigny, les seigneurs dont les noms sont ceux-ci: pro testibus adfuerunt.... Guido de Fraxino, 
Amo de Siriaco, Guill. de Frazia, miles Alimarus de Castillione etc. ete. 


Sepir IT. Tom. XXIII 12 


' 
90 DFS ORIGINES FEODALES ETC. 


principalement è l’organisation du régime municipal, au développement 
du principe démocratique, ne commencent que fort tard à figurer avec 
quelque intérét dans l’histeire de la contrée. 

Ainsi que j'ai eu plus d’une fois l’occasion de le remarquer, Hugues, 
évéque de Sion, à l’exemple d'un grand nombre de prélats du royaume 
de Bourgogne, s'était fait céder, en 999; è perpetuité, pour lui et ses suc- 
cesseurs, par Rodolphe-le-Faingant, la dignité de comte territorial du pagus 
Vallensis, dignité qui comportait la possession des régales, ou droits régu- 
liers, regalia, c’est-à-dire, l’exercice de tout ce qui constitue le pouvoir 
public, le pouvoir souverain (1). Quoique le diplòme, dont il est ici 
question, soit le véritable , le premier fondement de la puissance poli- 
tique des évéques de Sion, on a cru pendant longtemps sur la foi de 
la légende de S'-Théodule, que ces pontifes tenaient leur puridiction 
comitale de la munificence de Charlemagne (2); mais il n’en est rien; 
le récit d'un obscur légendaire ne saurait évidemment étre à cet égard 
d’un poids suffisant et former autorité. 

L’ambition toujours croissante de la maison de Savoie ne permit - 
pas aux evéques de Sion de demeurer paisibles possesseurs des régales. 
Usant tour à tour d’intimidation et d’adresse, le comte Thomas obligea 
l’évéque Landric à lui en faire la cession au commencement du XIII siècle. 
Cette cession, entachée de simonie et de plusieurs autres vices radicaux, 
fut annullée et anéantie cent ans après par les soins de l’evéque Boniface (3). 
Toutefois les comtes de Savoie continuèrent, nonobstant les bulles des 
empereurs (4), à se prévaloir du droit abusif d’accorder à l’église de 
Sion l’investiture de ces mémes régales, à déefaut d’avoir pu s’en attribuer 
irrevocablement la jouissance directe. 

Ce droit, bien qu'illégal, paraissait remonter, il faut le dire, à une 
époque très-ancienne; le comte Humbert III l’exercait déjà, et peut-étre 
aussi Amé II, son prédecesseur (5). En 1233, Aymon, second fils du 
comte Thomas, en tant que maître du Chablais, accorda l’inféodation 


(1) Mem. sur le Rectorat de Bourgogne, pr. , n.° 1. 

(2) V. Gall. Christ. in instr., p. 448. 

(3) Ilid., p. 452. 

(4) Ibid., p. 433. 

(5) Cujus ecclesie episcopi ante tempora illa de manu comitum Sabaudic regalia recipichbant. V, Di- 


plòme imperial de 1189. Gall. Christ., p. 434. 


PAR LEON MÉNABRÉEA QI 
des régales à l’évéque Landric (1). Le comte Amé V investit pareillement 
l’evéque Aymon, en 1308 (2). 

Les actes dressés à ce sujet nous apprennent que l’église de Sion payait 
à la maison de Savoie un plaid ou redevance de 90 sols à la mort de 
chaque évéque, précisément à cause desdites régales. Lorsqu'il arrivait 
que les prélats, afin de se soustraire à un vasselage odieux, allaient de- 
mander aux césars allemands l’investiture de ce principe de leur juri- 
diction temporelle, ils étaient tenus de donner à ce monarque, à titre 
de servis, pro servitio, trois vases précieux et un mulet blanc, ferré aux 
quatre pieds avec des fers d’argent (3). Mais, chose singulière , tandis 
que les comtes de Savoie donnaient les régales en fief aux évéques de 
Sion, ils se reconnaissent hommes liges de ceux-ci, à raison de l’antique 
chaàtean de Chillon (4); et tout bizarres qu’ils  paraissent, ces sortes 
d’hommages réciproques ne répugnaieni point à l’essence du régime féodal, 
ce qui fait qu'on les rencontre assez fréquemment (5). 

Sous la dependance des évéques de Sion s’'échelonnaient, en Valais, 
divers officiers dont les charges offraient, pour la plupart, un mélange 
d’attributions judiciaires, administratives, militaires, politiques et do- 
mestiques. En téte de ces fonctionnaires se présentait le bailli, daillivus 
patriae Vallesii, qui recevait un salaire fixe , et s’occupait de ce qui 
avait trait à la guerre, à la répression des crimes et delits, à la manu- 
tention des foires et. marchés, au paiement des subsides ctc. etc. (6). 
Puis venait le senéchal qui, lors des cérémonies pubiiques , portait so- 
lennellement sur l’épaule le glaive du comte, gladium praefecturae; son 
office, comme celui des majors et vidomnes, constituait un fief commer- 
cable et héréditaire. Le sénéchal occupait à Sion une maison-forte appelée 
la Senechalia (7). 

Les majors, maires-majors, ou mayeurs, majores, villici, inconnus 
dans les contrées situées an midi du lac de Genève, se montraient en 


(1) Titre des archives de cour, cite par Cibrario, Storia della monarchia di Savoia, t. II, p. 6. 
(2) Arch. de Cour, Traités avec les Valaisans, liasse 2, n.° 26. 

(3) Gall. Christ., p. 433. 

(4) Arch. de Cour, 7raités etc., liasse 2, n.° 26. 

(5) Les limites dans lesquelles les éevèques de Sion exergaient les régales, nous font, par ce fait 
mème, connaître celles de l’ancien comitatus Mallensis. On y voit que ce comté s’étendait à l’ouest 
usque ad aquam frigidam versus Villamnovam, Gall. Christ., p. 453. 

(6) V. le contrat passé, en 1422, entre le bailli du Valais et l'evéque de Sion, Gall. Chrsst., p. 441. 


(7) V. Schiner, p. 331 et 373. 


92 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


une infinité de localités du Valais et du pays de Vaud. Ils étaient spé- 
cialement préposés à la decision des procès, et l’on concoit qu’ils devaient 
avoir une importance plus ou moins grande, selon la nature du lieu où 
ils rendaient la justice (1). Il s'en trouvait méme de si infimes, qu'ils 
se contentaient d’ouir les causes devant leurs maisons (2). Au premier 
rang des majors du Valais se placaient naturellement ceux de Sion. Ces 
officiers avaient, au-dessus de la ville, un vaste chiteau qu'on appelait 
le chdteau de la Majorie; ils jouissaient d'une furidiction qui s’étendait 
depuis le pont de Riddes, jusqu’aun pont de Sierre, et en vertu de la- 
quelle ils percevaient des droits considérables. En 1373 la majorie de 
Sion, et tout ce qui en dépendait, y compris le chàteau susdit, fut 
acquise du noble seigneur {Bertholet de Graisy par l’évéque Guichard 
Tavel, moyennant la somme de roo florins d’or (3). 

Outre le major de Sion, on distinguait encore en Valais ceux de 
Monthey, de Naters, de Sierre, de Rarogne, de Morges, d’Aragnon, de 
Chamosson etc. etc. 

Beaucoup d’analogie existait entre les fonetions de majors et celles de 
vidomnes. Le vidomnat de Sion, inféodé d’abord aux sires de la Tour, passa, 
vers la fin du XV siècle, aux mains de la famille de Villette-Chevron, 
en Tarantaise, après qu'elle eut recueilli l’héritage des derniers sires de 
Rarogne. Les évéques entretenaient enfin des chatelains amovihles, commis 
à la garde des forteresses et chiteaux. Ces prélats nommaient seuls aux 
places de notaire et de chancelier, dans toute l’étendue du diocèse, et 
bien qu'ils tinssent ce privilege de la libéralité des empereurs (4), ils se 
reconnaissaient feudataires des comtes de Savoie, à raison de la cléricature 
ou chancellerie de la cité de Sion (5). 

Je ne pouvais aborder l'énumeration des différentes seigneuries qui, 
au moyen dge, peuplaient le Valais, seigneuries qu'il est essentiel de 
connaître, eu égard au ròle important qu’elles jouèrent dans l’histoire , 
avant d’avoir donné, sur cette contrée, quelques notions génerales, et 


determiné le caractère de la juridiction temporelle que les éevéques y 


(1) V. Ducange, Gloss.) v. Majores. 
( 


(33 


l 
2) V. Fred. de Charrière, Reck. sur le couvent de Romain-Moutiers, p. 4î 
3) Gall. Christ., p. 498. 

(4) Diplòmes impériaux de 1353 el 1365. Gall. Christ., p. 435. 
(9) Arch. de Cour, 7raité avec les Valaisans, liasse 2, n.0 26 


PAR LÉON MENABRÉA 93 


exercaient. Je vais maintenant poursuivre du couchant au levani l’explo- 
ration que j'ai entreprise. Je ne ferai que citer en passant l'illustre 
abbaye de S'-Maurice d’Agaune, sur le compte de laquelle yaurai à re- 
venir. Ce monastère possédait en Valais plusieurs terres provenant, en 
majeure partie, des pieuses donations des rois de Bourgogne. Les vidomnats 
d’Ollon, de Bagnes, d’Orsières, étaient placés sous sa mouvance. 

De S'-Maurice à Martigny, aucun souvenir historique ne peut forcer 
le voyageur à suspendre le cours des sentiments qu'il éprouve à la vue 
des magnificences que la nature a répandues le ong de la route qu'il 
parcourt; Martigny, l’Octodunum des anciens, est, en revanche, bien 
digne d’étre l’objet de ses investigations, car il existe peu de localités 
qui soient plus célèbres. Il suffit que l’on sache, en effet, que là eut 
lieu le massacre de la Légion Thébaine, et que là résiderent longtemps 
les évéques des Alpes pennines. 

Au XII et XIII siècles, Martigny, Martiniacum , avait donné son 
nom à une famille féodale, qui ne resta point sans acquérir une certaine 
illustration. Déjà en 1179 un Guillaume de Martigny figurait parmi les 
barons de l’évéque de Sion, darones episcopi sedunensis, et jurait d’étre 
fidéle au traité de paix que ce prélat venait de conclure avec le comte 
Humbert II (1). Divers documents de 1221, 1269, 1272 nous montrent 
un Hugues, un Rodolphe, un Wiffred, un Pierre de Martigny, tous 
décorés du titre de chevaliers, intervenant è des transactions du méme 
genre que la précédente, et prouvant par là qu'ils jouissaient d’une haute 
considération et occupaient un rang élevé (2). 

Le dernier de ces personnages se fit remarquer surtout par la noble 
resistance qu'il opposa aux envahissements de la maison de Savoie; il fut 
au nombre de ceux qui refusèrent de se déclarer vassaux du comte 
Pierre, et que l’on punit de ce refus en les contraignant de payer au 
vaingueur de fortes amendes (3). Sur la gauche de la Drance, au sommet 
d’un rocher, d’où loeil plonge largement è l’est dans le bassin du Valais, 
se dressent les ruines du vaste chàteau de Martigny, ou de la Bàtie, qui, 


bien qu’appartenant aux évéques de Sion, demeura à différentes reprises, et 


(1) Doc. , sigill. e mon., p. 79. 

2) Gall. Christ., p. 499, 513, 514. 

3) Quia noluerunt remanere in homagio domini. — Compte de Pierre de Doès, receveur de la 
maison de Savcie à Martigny. Ce compte, qui commence en 1260, existe è Turin aux arch. de 
la Chambre des comptes; il est cité par M. Cibrario, Storia, t. II, p. 106. 


94 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 

pendant de longues années entré les mains des comtes de Savoie, qui le 
regardaient comme une position trop importante pour ne pas chercher 
toutes les occasions de la ressaisir, sitòt qu'ils s'étaient vus forcés de la 
rendre. 

Le premier qui se soit emparé de cette forleresse, c'est le comte 
Pierre. Ce prince l’assiégea au commencement de l’année 1260, et la 
prit d’assaut; puis, sous prétexte de se dédommager des frais de la guerre, 
il obligea l’éevéque Henri à la lui laisser à titre de gage, avec les cha- 
teaux d’Ardon et de Chamosson (1); enfin il parvint, peu de temps 
après, à en obtenir la cession definitive, moyennant l’abandon de quel- 
ques terres dans le haut Valais (2). Mais, en 1268, le comte Philippe, 
frère et successeur du comte Pierre, harcelé par l’église de Sion, qui 
employait contre lui les armes temporelles, jointes aux foudres de l’ana- 
thème, consentit à la révocation de ce traité (3). 

Toutefois, en 1384, le Comte Rouge ayant réduit è l’obéissance les 
Valaisans qui, à l’instigation de Galcas Visconti, seigneur de Milan, 
avaient expulsé l’évéque Edouard, se fit de nouveau relàcher les trois 
chiteaux dont il s’agit. Inutile de dire que ces conventions ‘donnèrent 
elles-mémes naissance à bien des difficultés et des collisions (4). 

A une lieue de Martigny, en remontant la Drance, on remarque sur une 
éléevation qui commande le village du Bourg, les ruines d’une maison- 
forte, qui paraît avoir été successivement la proprigté de plusieurs fa- 
milles. De là, en moins de deux heures de marche, on arrive à S'-Branchier 
où résidaient des seigneurs appelés de la Tour de S'-Branchier, de turre 
Sancti Brancherii (5). A cet endroit la vallée se bifurque; d’un còté 
souvre le val de Bagnes, et de l’autre le val d’Entremont. Celui-ci, qui 
va aboutir au fameux passage du mont Joux, cu du grand S'-Bernard, 
appartenait aux comtes de Savoie; il formait une chàtellenie particulière, 
dépendante du baillage de Chablais (6). 

Quant au val de Bagnes, il offrait, en fait de juridiction, un des mé- 


langes peut-étre les plus singuliers, les plus bizarres, qu’ait jamais 


(1) Arch. de Cour, Zraites avec les Valaisans, liasse 2, n.° 3. Cet acte est de juillet 1260. 

(2) Ibid. , liasse 2, n.0 5. Cet acle est de septembre 1260. 

(3) Ibid., liasse 2, n.0 8. 

4) Ibid., liasse 3, n.° 10. 

(5) Voyez Gall. Christ., p. 527. 

(6) Aussi le juge de Chablais s’intitulait-il souvent Judex in Chablaisio, Gebennensio et Intermonteo. 


PAR LEON MENABREA 95 


enfantés le régime féodal et, en effet, chaque fois que les comtes de 
Savoie se trouvaient en personne entre le col du mont Joux et le ha- 
meau de Brez, situé au bord du lac de Genève, proche de $'-Gingolph, 
ils devenaient souverains absolus du val en question; ils y faisaient rendre 
la justice, y percevaient les bans, ou amendes, y jouissaient des eaux, des 
pàturages, des bois noirs, des corvées et angaries etc. Dès qu'ils avaient 
dépassé ces limites, le petit pays dont je parle retombait sous la domi- 
nation de l’abbaye de S'-Maurice. Néanmoins les comtes de Savoie y 
exercaient en tout temps le droit de cavalcade, qui leur permettait d’y 
lever des gens de guerre, en se conformant aux us et coutumes; celui 
de service manuel, ou de manouvrée, pour les réparations du chàteau de 
Ghillon; celui de charnage, ou de prélèvement sur les viandes destinées 
à la consommation, lequel se résolvait en une somme annuelle de vingt- 
six sols; celuì de percevoir, en outre, douze mesures de blé et d’exiger 
les redevances d’automne, collecta autumni (1). 

Je dois noter ici qu'en 1150 le comte Humbert III s’était. départi 
de ces redevances automnales, recepta, en faveur du monastère que je 
viens de nommer, afin de se libérer, en partie, du prix d’une magni- 
fique table d'or, enrichie de gemmes, remise à Amé III, son père, lorsque 
ce prince, entraîné par le mouvement des croisades, résolut d’entreprendre 
le voyage d’Orient (2). 

En ce qui touche les subsides, tailles, ou tributs, l’abbé ne pouvait 
les ordonner qu’avec le consentement du comte; et les deniers percus 
se partageaient également entre eux (3). Enfin, s’il arrivait que le comte 
fat dans le cas de passer la nuit au delà du pont de S'-Branchier, du 
còté de Bagnes, les habitants de ce val lui devaient le fourre, ou four-' 
rage, fodrum, c’est-à-dire les choses nécessaives à la nourriture des 
hommes et des chevaux (4). L’abbaye de S'-Maurice avait encore à Bagnes 
une de ces juridictions que j'ai si souvent désignées ailleurs, du nom de 
vidomnats. 

Inféodé d’abord è l'illustre famille de la Tour, le vidomnat de Bagnes 
échut, vers le milien du XIII siècle, aux seigneurs de Morestel (5). Il 


(1) Enquèle de 1198. — Doc., sig. e mon., p. 110. Accord de 1219, Mon. hist. patr., p. 1258. 
(2) Doc., sig. e mon , p. 64, 67, 72. 

(3) Mon. hist. patr., p. 1258. 

(4) Déclaration de 1287. — Doc., sig. e mon, p. 291. 

(5) V. Gall. Christ., p. 496, 513, 521. 


96 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


ne faut pas que j'oublie les sires de Bagnes, qu’une foule de documents 
nous font connaître à des époques diverses et d’une manière toujours 
honorable (1). 

Reportons-nous à Martigny et dirigeons-nous à l'est en amont du 
Rhòne. Sur les rives opposées de ce fleuve se présentent, en première 
ligne, les ruines de deux chateaux célèbres que la maison de Savoie, 
ardente à réaliser ses projets d’agrandissement, possédait, dès avant la 
fin du XIII siècle (2). Ce sont Saillon et Saxon, berceaux de races fé- 
condes en hauts faits et riches en glorieux souvenirs. Les sires de Saillon 
paraissent avoir pris place, de toute ancienneté, parmi les plus puissants 
fendataires du Valais. Nous trouvons un Pierre de Saillon, à la suite du 
comte Ame III, dans plusieurs actes importants, rédigés de 1136 à 1143 (3). 
Ce personnage eut un fils, appelé Aymon, Aymo filius domini Petri de 
Sailun (4), qui vivait encore en 1189 (5). Après eux apparaît Guillaume 
qui, en 1203, 1204 et 1205, occupait le siége épiscopal de Sion. Depuis 
lors le nom des sires de Saillon se montre fréquemment dans les annales 
de nos contrées (6). On sait que l’un de ces seigneurs fut du nombre 
des sages hommes qui, à dater de 1343, gouvernèrent les états de Savoie 
jasqu'à la majorité du Comte Vert (7). Pour ce qui est des sires de 
Saxon, quoique genéralement moins connus que leurs voisins, ils ne lais- 
saient pas que de jouir d'un rang tout aussi distingué. Ils possédaient è 
Bagnes ct è Clèbes des servis et des terres, à raison desquelles ils étaient 
feudataires de l’abbaye de $S'-Maurice, et à cause de ces fiefs, ils devaient 
à ce monastère un obole d’or et deux fers de cheval, à titre de plaid, 
c'est-à-dire à chaque mutation de vassal (8). 

En continuant è marcher è l’inverse du cours du Rhòne, on rencontre 
le village de Riddes, que protégeait jadis la tour de Brumont, aujourd’hui 
detruite; on passe le fleuve, on traverse Ardon et l’on arrive à Contheys, 


(4) V. Doc., sig. e mon., p. 66 et 71. — Mon. hist. patr. p. 1259. — Gall. Christ., p. 498, 501, 
509, 518, 321, 522. 

(2) Voyez dans les Mem. de Acad. de Turin, t. XXXVI, le document qui .conlient la série des 
baitlages et chàtellenies que possédaient, en 1329, les comles de Savoie. 

(3) Doc., sig. e mon., p. 47. — Guich., pr., p. 34. — Gall. Christ., p. 489 

(4) Doc., sig. e mon., p. 73. 

(5) Gall. Christ., p. 495. 

(6) V. Zbid., p. 496, 506, 513, 515. 

(7) Guich., t. I, p. 400. 

(8) Gall. Christ., p. 522. 


PAR LEON MÉNABREA 97 


Contegium, autrefois bourg considérable, muni d’un chateau, qui dès le 
XIII siècle appartenait à la maison de Savoie (1). Là existaient aussi les 
sires de Contheys, dont les traces historiques, bien que très-rares, sont 
cependant certaines (2). 

Enfin l’on touche aux portes de Sion. Cette antique cité est construite 
au bas de deux rochers, posés comme des sentinelles géantes au milieu 
de la vallée: lun d’eux, appelé Valère, supporte une vieille église, plu- 
sieurs édifices modernes, ainsi que les vestiges d’une forteresse qu'on sup- 
pose avoir été la demeure du prefet de la province romaine des Alpes 
pennines. Au sommet de l’autre, qui est plus élevé et plus abrupte, se 
voyent les importantes ruines du chàteau de Tourbillon, rebàti en 1294 
par l’évéque Boniface. 

Sur un troisiéeme rocher de médiocre hauteur, et qui n’est que le pro- 
longement du second, est assis le chàteau de Majorie que l’évéque Guichard 
acquit du major ou majeur Bertholet de Graisy, en 1373 (3). 

Entre Majorie et Tourbillon se dresse une très-ancienne tour carrée, 
que l’on connaît sous la denomination vulgaire de Tour du Chien. Au 
nord-ovest de Sion, dans les defilés qui vont aboutir aux glaciers du 
Sanestch, on apercoit les restes, presque inaccessibles, des chiteanx de 
Seya et.de Montorge; ce dernier devait sa construction à Aymon de Savoie 
qui, devenu maître du Chablais, ensuite du partage de la succession du 
comte Thomas, n'aspirait rien moins qu'àè assujettir le Valais en y plan- 
tant cà et là des redoutes et des foris ; mais ce prince accusé et convaincu 
de l’avoir edifié sur les terres de l’église, se vit, en 1233, obligé de l’aban- 
donner à l’évéque Landric (4). Quant au premier, qu'on nommait in- 
difféeremment Soya, Seta, Seven, Soie, ou Séon, un seul événement, 
parmi ceux qui forment son histoire, suffirait. pour le rendre célèbre. 
C'est en effet d’une des fenétres de ce sombre manoir qu'en 1375 
l’evéque Guichard Tavel et son chapelain fuvent précipités par un sire 


de la Tour, avec qui le malheureux prélat se trouvait alors en procès. 


(1) On voit, qu’en 1254, ce chàteau et celui de Saillon, qui ne formaient qu’une seule et méme 
chàtellenie, fut attribué à Pierre, depuis comte de Savoie, à titre de supplément de part hérédi- 
taire. V. Datta, Docwm., lib. I, n.0 5, p. 15. Ces deux chàteaux firent, en 1295, partie de l’apa- 
nage de Louis de Savoie, baron de Vaud. V. J/on. Rist. patr., p. 1574 

(2) Gall. Christ., p. 499, 500, 509; Doc., sig. e mon., p. 80. 

(3) V. ci-devant. 

(4) Gall. Christ., p. 502. 


Grin voi 73 


93 DES ORIGINES FEODALES ETC. 

Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit précédemment des chateaux 
d’Ardon et de Chamosson, qui faisaieni également partie du domaine 
épiscopal; on sait que Chamosson est situé au pied des montagnes, à peu 
de distance d’Ardon. Le chàtean d’Ardon est souvent désigné dans les 
chartes sous le nom de Chateau du Crét, celui de Chamosson est appele 
parfois Chdteau de Charvey (1). 

Je me contenterai de mentionner en passant Grimseln et Ayent, qui 
eurent pendant long-temps leurs seigueurs particuliers ; l’on y distingue 
encore des debris d’habitations féodales (2). 

En face du versant où s'échelonnent ces villages, et joignant la rive 
gauche du Rhòne, s’étendaient les domaines de l’illustre famille de Tavel, 
autrement appelée de Gradetz, ou des Granges, de Gradecio, qui pos- 
sédait le bourg et le chaàteau de ce nom, ainsi que la vieille tour carrée 
que l'on remarque près de Vex, au débouché du val d’Héremence (3). 
Presque vis-à-vis de Gradetz, en déclinant à l'est du còté de Sierre , 
s'élèvent les restes du manoir des sires de Venthone (4); ces feudataires 
étaient anciens et passablement puissants. Sierre, ou Siders, Sirzum, est, 
ainsi que je l’ai dit ailleurs, le chef-lieu d’un des sept dixains du haut 
Valais; on y voit une tour, qui paraît avoir été bàtie par les sires 
de Sierre. Il est fait mention de ces seigneurs dans des titres du 
XIII siècle (5). 

Non loin de cette localité, où les évéques de Sion avaient établi un 
vidomne et où ils fondèrent plus tard la chartreuse de Géronde (6), se 


dresse, au haut d’un roc, une autre antique tour, que l’on appelle, en 


(1) V. Boccard, Mist. du Valais, p. 347. 

2) Un Nicolaus de Grimiselio est cité dans une charte de 1263. Divers membres de la famille 
d’Ayent nous sont connus par des chartes de 1266, 1269, 1277. V. Gall. Christ. , p. 509, 513, 
520, 530. En 1229, les sires d’Ayent, inquiétées par le puissant Pierre de la Tour qui avait com- 
mencé une maison-forte proche de leurs possessions, implorèrent l’appui de Landric, eveque de 
Sion, et se déclarèrent hommes liges de ce prélat. Cela n’empècha pas que Pierre n’achevàt sa 
forleresse et que, plus tard , les sires d’Ayent ne fussent balayés par ces redoutables voisins. 
V. Boccard, p. 348. 

(3) V. Schiner, p. 408. 

(4) Ibid., p: 308. 

‘5) On trouve notamment, qu’en 1219 un Uldricus de Sirro, Willelmus de Ventonnaz, et quelques 
autres seigneurs, assistèrent au traité de paix conclu par l’évéque Landric avec Rodolphe de la Tour. 
Gall. Christ., p. 497. 

(6) La fondation de ce monastère fut faite en 1331 par Veyvéque Aymon de la Tour. V. Gall. 
Christ., p. 540. 


PAR LÉON MÉNABREA 99 


idiome du pays, Goubding- Tourn, et où demeuraient des gentilshommes 
nommés domini de Platea (1). Au midi de Sierre s’ouvre la vallée trans- 
versale d’Einfirch, ou d’Anniviers, qui appartenait à l’insigne maison de 
Rarogne, dont je parlerai bientòt; on y trouvait le chàteau de Beauregard, 
situé à la cime d’un rocher escarpé. Leuk, ou Louéche , :capitale, du 
dixain immediatement supérieur à celui de Sierre ,, dépendait jadis des 
évéques de Sion, qui venaient parfois y résider. 

En s’engageant, depuis ce bourg, au sein des gorges sauvages qui 
conduisent aux sources thermales du hameau de Baden, on rencontre le 
village d’Albinen ou d’Albignon qui, comme la plupart des lieux que j'ai 
déjà cités, avait aussi ses maîtres, savoir les sires d’Albignon (2). A une 
demi-lieue de Leuk, en remontant le Rhòne, on apercoit à droite Ventrée 
marécageuse de la vallée de Turtman, ou de Tourtemagne, sur laquelle 
une famille de ce nom exercait un pouvoir que les traditions populaires 
se sont amusées à revétir des couleurs les plus sombres et les plus effrayantes. 
Encore une heure de marche, et l'on arrive à la hauteur de Niedergesteln, 
ou de Chatillon inférieur , résidence des célèbres barons de la Tour, ou 
de Chatillon. L'origine de ces seigneurs se perd dans les ténèbres du XI 
siecle. Je pense que des suppositions fondées sur une dénomination com- 
mune, plutòt que de veritables preuves, ont contribué è les faire croire issus 
des sires de la Tour du Pin, en Dauphiné (3). Quoi qu'il en soit, c'est à 
eux que le Valais doit, en grande partie, ce qu'il y a de vif, d’intéressant, 
de dramatique dans son histoire. Leurs possessions étaient immenses. Ils se 
trouvaient, tout à la fois, feudataires des comtes de Savoie, des évéques 
de Sion et de l’abbaye de S'-Maurice (4). S’ils étaient forcés de respecter 
les premiers, ils ne négligeaient aucune occasion de se soustraire à la 
juridiction des seconds; de là des contestations infinies et des querelles 
souvent sanglantes. Guillaume, l’un d’eux, qui vivait de 1150 a 1200, 
instruit à l’école de ses ancétres (5), se rendit surtout fameux par ses 


collisions avec la puissance ecclésiastique. Ses descendants suivirent, à peu 


(1) Schiner, p. 305. 

(2) V. Gall. Christ, 501, 505. 

(3) V. Muller, livre I, chap. 14, note 68. Guichenon est, si je ne me trompe, le premier qui 
ait mis en vogue celle opinion. 

(4) La fidélité que les sires de la Tour devaient à l’abbaye de St-Maurice, à raison de certains 
fiefs, n’existait que salva fidelitate ‘domini comitis Sab. et domini cpiscopî Sedunensis, ainsi que cela 
resulte de plusieurs actes. 


(5) Et cum praedecessoribus ejus longis retro temporibus duraverat discordia. — Charte de 1157. 


100 DES ORIGINES FEODALES ETC. 


d’exceptions près, son exemple. Il nous reste plusieurs traités, plusieurs 
compromis , rédigés en vue de determiner les droits et les devoirs réci- 
proques des barons de la Tour et des évéques de Sion. Une transaction 
de 1219 decide qu'à VPavenir tout baron de la Tour devra se reconnaître 
homme lige de l’évéque pour le fief de Gestelenburg, ou de Niedergesteln, 
ainsi que pour l’avouerie et la majorie Episcopale! qu'il sera tenu de 
porter dans les combats la bannière de l’église, et que ioutefois, si ladite 
église et le comte de Savoie viennent jamais à entrer en guerre l’un 
conire l’autre, il lui sera loisible de se déclarer aidant, ou allié, de qui 
bon lui semblera (1). 

Les fiefs, à raison desquels les seigneurs dont il est ici question, 
relevaient de l’abbaye de S'-Maurice, étaient principalement les vidomnats 
d'Ollon et de Bagnes. Jai déjà expliqué comment, avant 1288, celui-ci 
avait passe aux mains de la famille de Morestel (2). Quant à Pautre, il 
offrait cette singularité, que lorsque l’abbé d’Agaune venait résider è Ollon, 
ou à Vouvry, ce prélat jouissait du privilége d°y administrer personnellement 
la justice et d’en percevoir les émoluments, de telle facon que les fonctions 
de vidomne cessaient complétement pendant son séjour, et ne revivaient 
qu@après son depart (3). Ce vidomnat devint ensuite la propriété de la 
maison de Savoie (4), qui ne dedaignait pas d’en faire hommage è 

labbaye (5). 

Oa les juridictions ci-dessus désignées, les barons de la Tour pos- 
sedaient les terres d'Héremence, d’Ayent, de Nendaz, de vastes domaines 
dans le bas Valais, sans compter ce qu'ils avaient à Laupen, è Frutengen 
et en divers endroits de l’Helvétie , soit teutonique , soit romane. Le 
manoir qu'ils occupaient à Contheys, et où nous apprenons qu'ils demeu- 
raient fréquemment (6), était different du chateau qui appartevait en ce 


lien aux comtes de Savoie dès avant le milieu du XIII sitele (7). 


1) Gall. Christ., p. 497. — V. Muller, livre ], chap. 14 

(2) V. ci-devant. 

3) Accord de 1157. — Gall. Christ., p. 490 

4) N fut acquis par le comte Edouard. — Voyez la charte de 1328. Gall. Christ. p. 536. 

5) Acte de 1332. Gall. Christ., p. 547. 

(6) Gest notamment è Contheys, apud Contegium in castro vivi nobilis Sohannis de Vurre domini 
Castellionis in Valesio, que fut conclu, en 1328, un accord entre l’abbaye de St-Maurice et Jes 
sires de Colombier. Gall. Christ., p. 535. 

7) Cétait en qualité de vidomnes de Contheys que les sires de la Tour avaient un chàteau è 


Contheys. Ce vidomnat dépendait de l’'église de Sion. 


PAR LEON MENABREA IOI 


Un peu an-dessus de Niedergesteln, et toujours sur la rive droite du 
Rhòne, on rencontrait les sires de Rarogne , qui n’étaient pas moins 
illustres que leurs voisins. Ces seigneurs , maîtres du val d’Anniviers, 
fournirent d’honorables pages è l’histoire du Valais, pendant la période 
féodale. On sait qu’ils eurent pour successeurs les sires de Villette-Chevron, 
en Tarantaise. 

En continuant à cheminer en amont, on trouve sur la grande route 
le bourg Visp, ou Viége, que dominait jadis un vaste chàteau (1), et 
qui, avec la vallée de ce nom, se trouvait inféodé à une race antique 
et puissante. Au XIV siècle, les biens des sires de Viége passèrent, par 
défaut de miles, aux comtes de Blandra. Plus loin on découvre Brigues, 
puis Nater ou Narres, ancienne residence épiscopale ; puis, autour de 
ces localités, les débris de divers manoirs féodaux, qui rappellent les 
familles de Narres, d’Urnafas, de Michlig, de Weingarten. 

Si ensuite, laissant du còté la gorge qui conduit au Simplon, on 
avance vers. les sources du Rhòne, on apercoit cà et là les chateaux 
vuinés des sires de Moerel, de Grengiols, de Mulinbach, d’Aragnon. 
Ceux-ci possedaient presque tout l’espace compris entre Aernen et les 
glaciers de Grimsel et de la Furka. Ils avaient construit aux pieds de 
ces montagnes abruptes le chiteau d’Obergesteln, ou de Chatillon su- 
périeur, afin de pouvoir, sans doute, se déefendre contre les attaques 
des Bernois. 


(1) Le chàteau de Beaufort. V. Boccard, p. 271. 


102 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


CHAPITRE VI. 


Bresse et Bugey. - Régions distinctes. - Subdivision géographique. - Sires de Baugé; 
leur manoir. -— Erreur de Guichenon. - Opinion des Bénédiclins. - Dés le XI siéele ces 
seigneurs guerroyent contre leurs voisins. - Reynold; ses lettres à Louis-le-Jeune. - Sibille 
épouse le valeureux Amé V, comte de Savoie. - Sires de Coligny. - Leurs principales 
terres. - Ancien chateau de Lagneux. - Sires de la Baume. - Chateau de Montfort. - 
Avidité des Dauphins. - Maison de Beaujeu, son antiquité. - Humbert III; ses m@urs 
déreglees. - Vision terrible. - Richesses des seigneurs. - Designation de quelques-uns 
des principaua feudataires de la Bresse. - Les sires de la Palu. - Corsant. - Couey. - 
Feillens. - Garrevod. - Mareschal. - Saix. - Varax. - Sires de Thoire; ils habitaient 
une forteresse sur les bords de l’ Ain. - Tour de Matefelon. - Sires de la Balme. - Les sept 
fils de Hugues partagent sa succession. - Seigneurs de Chatillon. - Luyrieua. - Rossillon. 
- Grolée et autres. - Domaines des comtes de Savoie dans le Bugey.- Chateau de Varey. 
- Evéques de Belley. - Petit Bugey. - Chautagne. - Manoir de Chatillon et de Chateaufort. 
- Testament de la comtesse Béatrix. - Sires de Montbel. - Chevelu. - Gerbaix. - Bourq 
de Seyssel. - Famille de ce nom.- Ville d'Aia, résidenee royale. - Sires d’Aix. - Humbert » 


de Seyssel. 


Jusqu'à present nous avons explore soit l’Helvétie occidentale soit le 
cours septentrional des Alpes pennines; nous avons constaté les changements 
survenus dans la constitution de l’ancien pagwus Genevensis: il est néces- 
salire maintenant que nous embrassions de nos regards un assez vaste 
territoire,, situé entre la Saòne, le Rhòne et les prolongements meri- 
dionaux du Jura. 

Ce territoire, divisé par le cours de l’Ain, formait, au XI siècle, 
deux régions distinctes; à l’ouest était la Bresse (Brixia, Bressia) et à 
l’est le Bugey (Bugesium). 

La Bresse se subdivisait géographiquement en trois parties: la Bresse 
proprement dite, comprenant tout le pays plat qui borde la Saòne (E 
le Revermont, Reversus Mons, se déroulant derrière les monts depuis 
Pont-d’Ain jusqu'à Coligny; la Valbonne, /'aZlis Bona, s'appuyant sur 
la rive droite de lAin inférieur, à partir de Loyes, puis courant le long 
du Rhòne, et allant se terminer à Miribel. Le Bugey comportait éga- 
lement trois subdivisions: la Michaille (Michallia ou Yallis Michalliae), 


(41) La portion inferieure de ce pays, au-dessous de Chàlillon-sur-Chalaronne, forma plus tard 


la principauté de Dombes. 


PAR LÉON MÉNABREA 103 


qui s'allongeait entre le Rhòne et les montagnes qui cxistent de Chatillon 
à Seyssel; le Valromey (Zallis Romana ou Vallis Romanorum), qui 
s'ouvrait du nord au midi, parallèlement à la Michaille, et suivait le 
cours du Séran; le Bugey proprement dit, auquel appartenait le reste 
de la contrée. Un grand nombre de juridictions féodales surgirent en 
Bresse et en Bugey après la chute du second royaume de Bourgogne; 
il est essentiel de les connaître ; commencons par celles de la Bresse. 

Les plus puissants seigneurs de ce pays étaient, sans contredit, les 
sires de Baugé, dont l’antique manoir s’élevait non loin de la Saòne , 
presque en face de Macon, là où est aujourd’hui Bagé-le-Chatel (Ba/giacum). 
A moins de se soumettre à de fastidieuses énumérations , il est difficile 
de déterminer d’une manière tout à fait  précise les possessions de ces 
seigneurs; ici, comme ailleurs, le territoire de chaque famille se trouvait 
fractionné, morcelé, disséminé en divers lieux; ce territoire  méme 
éprouvait (et je l’ai déjà bien des fois remarqué) des vicissitudes con- 
tinuelles; les ventes, les échanges, les partages, les mariages, les assi- 
gnations de douaire , les usurpations, les conquétes, lui faisaient subir d'in- 
cessantes et souvent étranges transformations. 

Il suffit de dire que les sires de Baugé, outre Baugé, ou Bagé-le- 
Chatel, leur capitale, possédaient Pont-de-Vaux, Pont-de-Veyle, S'-Trivier- 
de-Courte, Bourg et une infinité d’autres localités de moindre importance (1). 

Guichenon, se laissant guider par Fustailler, Bugnon et S'-Julien de 
Baleurre, fait remonter la maison de Baugé à un Wigues, ou Hugues, 
qu'il décore de la double qualité de comte et marquis, et qui vivait, 
dit-il, au temps de Louis-le-Débonnaire. Mais les Bénédictins ont clai- 
rement démontre que ce prétendu comte ou marquis de Baugé n'est autre 
que Hugues-le-Noir, fils puîné du duc de Bourgogne, Richard-le-Justicier, 
qui, à celte époque, avait effectivement juridiction sur la Bresse et le 
Màconnais (2). Les successeurs qu’on donne è ce Hugues sont également 
supposes (3), Jusqu'à un Rodolphe, dont on ignore complétement L’ori- 
gine , mais que l’obituaire de l’église de Nantua appelle seigneur de Baugé 
et Bresse (4), et qui florissait de 1015 à 1023. 


({) Guich., Mist. de Bresse et de Bugey 

(2) Art de verifier les dates. 

(3, M. de Cateyssonnière les a mal à propos admis dans son ouvrage, excellent du reste, inti- 
tulé: Recherches sur le dép. de l Ain. 

(4) Fiat commemoratio Rodulpho Balgiaci et Brixiae domino. 


104 DES ORIGINES FÉODALES.ETC. 


Dès l’instant où commencent è se dissiper peu à peu les ténèbres du 
XI siècle, on voit les sires de Baugé constamment occupés è guerroyer contre 
leurs voisins d’Outre-Saòne, les comtes de Màcon et les sires de Beaujeu, 
ou de Beaujolais. Il nous reste deux lettres qu’'un de ces seigneurs, nommé 
Reynald, écrivait à Louis-le-Jeune, roi de France, pour lui dénoncer la 
conduite de Gerard, comte de Macon, et d’Humbert, sire de Beaujeu, 
qui, à la téte d'une armée considérable, cum magno exercitu, avaient 
devasté ses domaines par le fer et par le feu, et qui pis est, s’étaient 
emparés de son fils Ulrich. Dans une de ces lettres, Reynald traite de 
parent le monarque francais (1). 

Par testament du 5 avril 1255, Guy de Baugé, le dormi mile de la 
famille, institua pour héritier l’enfant que devait eo mettre au monde 
Beatrix de Moniferrat, sa femme, veuve d’André de Bourgogne, dauphin 
du Viennois. Or cet enfant posthume fut Sibille de Baugé, qui apporta 
une portion de la Bresse à la maison de Savoie, en épousant, le 4 juillet 
1272, le guerrier valeureux qui fut ensuite comte de Savoie, sous le 
nom d’Amé V, et auquel l’histoire a décerné le titre de Grand. Au mois 
de septembre de la méme année ce prince, en sa nouvelle qualité, recut 
les hommages et les reconnaissances des feudataires de la terre de Bauge. 
Le titre qui en contient l’énumeration prouve seul combien cette sei- 
gneurie avait d’importance (2). 

Après les sires de Baugé venaient, pour la puissance et l’illustration, 
les sires de Coligny, maitres de Revermont. Le savant Dubouchet, qui 
a écrit l’histoire généalogique de ces seigneurs, les fait remonter jusqu'à 
un Manassès qui, vers l'an 863, aida Richard, duc de Bourgogne, è 
repousser les Normands. Je crois toutefois qu'il est plus prudent de 
s'arréter à un autre Manassès qui, suivant une charte rédigée en 974 
au chaàteau de Coligny, donna les églises de Treffort et. de Marboz à 
l’abbaye de Gigny, en présence de sa femme Gerberge et de ‘ses trois 
fils, Manassès, Wallace et Richard; ce document applique déjà la deéno- 
mination de Revermont, Reversus Mons, au pays montueux et accidenté, 
qui s'étend de Coligny è Pont-d’Ain (3). 

Les principales terres des sires de Coligny étaient: Coligny, Pont- 
d'Ain, Treffort, Jasseron, Marboz, S-André, S'-Etienne du Bois etc. 


(1) Hist. de Br., I part., p. 50. 
(2) Ibid., pr., p. 14. 
(3) Dubouchet, ist. gencrale de la maison de Coligny, p. 33. 


PAR LÉON MENABRÉA 105 


Sur la rive gauche de l’Ain ils possédaient Port , Isernore, Cerdon, 
Chactillon-de-Corneille , Izenave , S°-Germain-d’Ambeéerieux , $'-Sorlin , 
Lagneux. L’antique chateau de Lagneux, Zatiniacum , que nous verrons 
souvent figurer dans les guerres féodales, ce chateau, que les uns pré- 
tendent avoir été biti du temps de Vespasien par le fils d’un proconsul, 
et qui, selon les autres, devrait son existence à un patricien romain , 
nommégé Latinus, mentionné dans la légende de S'-Domitien, comme ayant 
recu le baptéme des mains de ce pieux anachorète , fondateur du mo- 
nastère de S'-Rambert, en Bugey; ce chateau, dis-je, ainsi que celui de 
Coligny et la plupart des terres ci-dessus citées, échurent, vers l'année 1228, 
aux sires de la Tour du Pin, au moyen du mariage de Béatrix, fille ainée 
de Hugues de Coligny, avec un seigneur de cette maison. 

Beatrix n'avait qu’une soeur qui, peu de temps aprés, épousa un sire 
de Thoire, et lui porta en dot ce qui restait des domaines paternels (1). 

A Ia fin du XIII siècle, les sires de la Tour du Pin succédèrent, 
chacun le sait, aux Dauphins de la 2° race; les prétentions des ducs de 
Bourgogne è la méme succession firent naître entre ces princes des que- 
relles sanglantes, auxquelles mit un terme le traité da 4 janvier 1285. Par 
ce traité le duc Robert renonca à tous ses droits sur le Dauphiné, moyen- 
nant la cession que le nouveau Dauphin lui fit da Revermont (2). Le cedant 
retint ce qu'il possédait en Bugey, sur la gauche de l’Ain, et notamment 
les importantes places de Lagneux, S'-Sorlin et de S'-Germain-d’Ambérieux 
(qui continuèrent toujours è appartenir à ses successeurs ). Enfin, en 
octobre 1289, Amé V, comte de Savoie, obtint du duc de Bourgogne 
l’abandon du Revermont pour le prix de 16,000 livres viennoises, payées 
comptant, et en lui relàchant de plus les terres de Cugery, Sagy et 
Savigny (3). 

Les sires de Villards, dont le fief comprenait une portion de la basse 
Bresse, appelce depuis la Dombes, égalaient en ancienneté ceux de Baugé et 
gneurs, intervient, en ro3t, 
àa une charte où Guichard II, sire de Beaujeu, se démet de certains 


de Coligny. Un Etienne, réputé la tige de ces sei 


droits en faveur de l’abbaye de Cluny. Mais. au commencement du 
XII siècle Agnès de Villards, fille unique d’Etienne II, se maria à un 


(1) Valbonnais, t. I, p. 164 et 186. 
(O)CIbidO ot II, pi80. 
(3) Mist. de Bresse, I part, p. 57. 


Serie II. Tom. XXIII. r/ 


Cn 


106 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


sive de Thoire , en Bugey, et transporta dans la famille de son époux 
les immenses biens de ses ancétres (1). 

Entre les seigneuries de Baugé et de Villards se trouvaient les prin- 
cipaux domaines des sires de Chatillon-sur-Chalaronne, ou Chitillon-lès- 
Dombes. L'origine de ces feudataires de haut renom remontait è un 
personnage appelé Milo, qui vivait en 1070, et avait un frère sur le siége 
épiscopal de Macon. j 

Outre le chiteau de Chatillon, vaste et imposante forteresse, les sei- 
gneurs que je viens de nommer possédaient le fief de Montrevel, enclave 
dans les terres de la maison de Baugé. Ce fief passa, en 1340 environ, 
aux mains des sires de la Baume; parle mariage de Galois de la Baume 
avec Alix, héritière des sires de Chatillon. Déjà auparavant le chateau de 
Chatillon était devenu, on ne sait trop comment, la propriété des sires de 
Baugé, et successivement celle des comtes de Savoie (2). 

J'ai cité les sires de la Baume; quoiqu’on ait beaucoup disputé sur 
leur généalogie, elle n’est bien connue que depuis un Sigebald, chevalier, 
Sigebaldus de Balma miles, qui, en 1r60, fit quelques concessions au 
monastère d’Ambronay. Galois de la Baume, époux d’Alix de Chatillon, 
fut de son temps un guerrier fameux. Suivant nos vieilles chroniques, il 
exerca d’abord la charge de bailly du Chablais, et aida fortement la maison 
de Savoie à repousser les agressions des comtes de Genevois. De là, il se 
rendit en France et se signala contre les Anglais qui menacaient ce beau 
royaume. Sa valeur, sa fidelité, ses talents militaires lui valurent le poste 
de lieutenant-général du Roi en Saintonge et en Languedoc, et de grand- 
maître des arbalétriers de France: l’historien Froissart parle souvent de 
lui en termes honorables (3). 

Le chiteau de Montluel, en Valbonne, sur la rive droite du Rhòne 
(castrum Montislupelli), chàteau construit en partie, dit-on, pendant la 
domination romaine, formait la résidence d’une famille qui ne le cédait, 
en antiquité et en gloire, à aucune de ses voisines (4). 

On voit que les Dauphins, non moins avides et non moins habiles 
que les comtes de Savoie, n’épargnaient aucun moyen, aucune ressource 


(4) Guichenon, Mist. de la souveraineté de Dombes, divîsée en huit livres , gustifiée par titres, fon- 
dations et autres monuments authentiques, ms. 

(2) Hist. de Br., 2 part., p. 38 et 82; 3 part., p. 117, et pr, p. 13. 

(3) Hist. de Bresse, 3 part., p. 12 et suiv. 

(4) Valbonnais, t. II, p. 203. 


PAR LEON MENABREA 107 


pour s’agrandir en Bresse et en Bugey; mais, de ce còté-là, leurs pos- 
sessions se trouvaient mélées à celles des sires de Beaujeu, et ce singulier 
enchevetrement donna lieu, ainsi que je le dirai ailleurs, à des guerres 
cruelles. 

Bien que la maison de Beaujeu edt son principal établissement sur 
la rive droite de la Saòne, au sud de Macon, et conséquemment en 
dehors des limites de l’ancienne Burgundia, Je crois qu'il est à propos 
que j'en fasse brièòvement connaître les commencements, à cause du réle 
politique qu'elle joua au moyen dge dans nos contrées, et des domaines 
quelle y avait. 

Les savants, qui se sont occupés de la généalogie des sires de Beaujeu, 
nous montrent ces seigneurs se rattachant à la tige des illustres comtes 
de Lyon. Bérard, troisième fils de Guillaume IT, l’un de ces romtes, 
aurait obtenu en partage, au IX siècle, et à l’époque où les offices et 
bénéfices devenaient décidément héréditaires, une portion du pagus Ma- 
tisconensis (1). S'-Pierre-le-Vénérable, sans assigner à cette famille une 
origine precise, énonce toutefois qu'elle jouissait d’une haute réputation, 
soit par la noblesse de son sang, soit par le grand nombre d’hommes 
éminents qu'elle avait produits (2). L'un de ces hommes, que son génie 
ambitieux, son courage indomptable, ses moeurs déréglées firent surtout 
remarquer, fut Humbert III, qui épousa Alix, fille d’Amé III, comte 
de Savoie; cet Humbert III eut une vision terrible qui le forca de se 
convertir; il se rendit à Jerusalem où il prit l’habit de templier; puis il 
se vit forcé de déserter ses voeux et de retourner à l’état conjugal; enfin, 
après la mort de sa femme, il endossa le froc à Cluny, où il mourut 
en 1170. l 

L’arrière-petit-fils de ce prince, Humbert V, obtint en 1219 la main 
de Marguerite de Baugé, qui lui porta en dot la terre de Mirebel (3). 
C'était là un noyau de domination que ses successeurs s’efforcèrent de 
grossir et d’étendre; en effet, depuis 1270 environ, jusqu'à 1300, ils 
acquirent des archevéques de Lyon les chiteaux de Meximieux et Chala- 
mont, à droite, en descendant le cours de l’Ain et le donjon de Montmerle, 


(1) Art de verifier les dates. 
(2) Est in Matisconensi episcopatu castrum quod Beljocus dicitur quod tam sui nobilitate quam pru- 


denti dominorum strenuilate pene omnia adjacentia castra praecellit (De Miracul., lib. I, cap. 27). 
(3) Mist. de Br., 1 part., p. 54. 


108 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


au bord de la Saòne (1). Ces possessions et quelques autres encore, telles 
que le chateau de Beauregard et de S'-Christophe, constituaient, en Val- 
bonne et en Dombes, une espèce de petite principauté qu'on désignait 
du nom de terre de Beaujeu, part de l’empire, Zerra Bellijoci a parte 
Imperii. Jaurai loccasion de signaler les vicissitudes que ce territoire 
subit ultérieurement et les combats sanglants dont il fut le theatre (2). IL 
esi inutile que je mentionne les parcelles clair-semées, et de peu d’im- 
portance, que les comtes de Macon et ceux de Lyon eurent en Bresse: 
je ne donnerai pas non plus la nomenclature de tous les feudataires de 
cet intéressant pays; il suffit que je nomme les sires de la Palu, maîtres 
du chateau de Varembon, les sires de Chandée, de Corsant, de Feillens, 
de Gorrevod, de Coucy, de Mareschal, du Saix, de Varax, qui tous 
parvinrent à un degré d'’illustration digne d’étre noté. 

Le Bugey, de méme que la Bresse, se trouvait divisé au moyen dge 
en une infinité de fiefs que je vais rapidement faire parcourir au lecteur; 
je cheminerai du nord au midi. 

Celui que l’on rencontre le premier, passé la Franche-Comté, appar- 
tenait aux sires de Thoire: ces fiers seigneurs, dont l’origine se perd 
dans la nuit des temps, habitaient une forteresse presque inaccessible , 
construite sur le bord de l’Ain, et au-dessus de laquelle, afin de garder 
l’entrée de leurs terres de Montagne, ils avaient élevé une énorme tour, 
appelée la tour de Matefelon. On a vu ci-devant comment par le ma- 
riage de l’héritière unique des sires de Villards (Agnès, fille d’Etienne II ) 
avec Etienne de Thoire, les sires de Thoire devinrent maîtres de la 
seigneurie de Villards, en Bresse. Ils posséedaient, en Bugey, les chàteaux 
d’Apremont, d’Arbent, de Brion, de Montréal, de Poncin etc. La plupart 
de ces juridictions devaient hommage aux comtes de Bourgogne. La suite 
de cet ouvrage apprendra en vertu de quel titre les sires de Thoire 
furent, à la fin du XIV siècle, investis du comté de Genève; on sait 
que les comtes de Savoie l’achetèrent d’eux en 1401 (3). 

Je parlerai ailleurs des abbés de Nantua qui exercaient des droits de 
souveraineté sur la ville de ce nom, car les monastères auront une place 


DO 


à part: yarrive aux sires de la Balme. 


(1) Hist de Br., 2 part., p. 72. 
2) V. ci-après, Dauphine. 


(3, Hist. de Bresse, passim. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 109 

La haute antiquité de cette race est incontestable; en 1086, Hugues 
de la Balme fit un traité d’alliance defensive avec un abbé de Nantua, 
qui fut depuis abbé de Cluny. Ce Hugues eut un fils, nommé également 
Hugues, qui donna le jour à sept enfants, mentionnés en un titre de la 
chartreuse de Meyria: Hugues, Etienne, Aymon, Hismion, Guyon, Isard 
et Guillaume. Ces sept miles, ayant partagé la succession paternelle, 
construisirent chacun'un chateau, savoir: la Balme sur Cerdon, S'-Julin, 
la Batie, Langes, la Verruquière, Saleneuve et la Picarderée. Les descen- 
dants de Hugues continuèrent la lignée des sires de la Balme ; trois 
branches collatérales sortirent de Guillaume, d’Hismion et d’Isard (1). 
D’autres feudataires du nom de la Balme , mais moins anciens que les 
premiers , existaient également en Bugey. Je me contente de les citer 
en passant. 

-A l’extrémité septentrionale de la Michaille , vis-à-vis de la perte du 
Rhòne, se faisaient remarquer les sires de Chatillon, que l’on comptait 
parmi les plus illustres et les plus puissanis du pays. Au débouché du 
Valromey résidaient les sires de Luyrieux, qui portaient pour devise ces 
mots gracieux delle sans blasme , et qui prétendaient descendre d’un 
patricien romain, appelé Lucius, qu'on supposait avoir été gouverneur 
de la Lyonnaise, au second ou troisième siècle. Ces seigneurs possédaient 
notamment le chiteau de Cules, où les chroniques de Savoie placent les 
robeurs, larrons et pillards, que Bérold parvint, disent-elles, à expulser 
de la contrée (2). 

Non loin du chiteau de Luyrieux s’élevait celui de Rossillon , dont 
les maîtres, ajoutant foi à un vieux poéme relatif à la fondation roma- 
nesque de Belley par un général romain, nommé Bellicus, se croyaient 
issus d’un frère de ce personnage apocryphe, d'un Rossilius, è qui ils 
attribuaient l’établissement des tours de Rossillon (3). 

Enfin sur la lisière la plus meridionale du Bugey se montraient les 
sires de Grolée qui, suivant un auteur aussi crédule qu’engoué des ori- 
gines latines remontaient à la famille des Gracques (4). 

Je ne puis qu'indiquer à la hate les sires de Bussi, de Rougemont, 
de Meyria, de Lyobard, de Dortans, de Moniferrand, de Grammont, 


(1) Hist. de Bresse, 3 part., cont. p. 23. 

(2) Ibid., 2 part , cont. p. 53, et 3 part., cont. p. 142. 

(5) Ibid., 2 part., cont. p. 15 et 92, et 3 part., cont. p. 208. 

(4) Le P. Genan en sa description mss. du Bugey, citée par Guichenon. 


rIO DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


d’Oncieux, de Briord, de Bolomier, de Cordon, de Conzié, qui occupent 
tous d’honorables places dans nos annales. 

Dès l’extinction de la dernière dynastie des rois de Bourgogne, la 
maison de Savoie paraît avoir eu en Bugey des terres considérables. 
Le principe de ces possessions est demeuré, malgré tout ce qu'on en a 
dit, enveloppé d’une profonde obscurité; on a avancé, mais sans preuve 
directe, qu'elles furent le prix du passage que la comtesse Adelaide accorda, 
en 1077, è l’empereur Henri IV, lorsque ce monarque se rendait en 
Italie afin d’implorer le pardon de Grégoire VII, et que la partie orientale 
du Bugey serait ainsi la riche province, provincia locupletissima , de 
l'historien Lambert d’Aschaffenbourg (1). 

Quoi qu'il en soit, on voit qu’au XIII siècle, et méme antérieurement, 
les comtes de Savoie possédaient en Bugey les chatellenies de Seyssel, 
de Lompues (2), de Rossillon (3), de S'-Rambert (4), sans compter 
l'importante forteresse de Pierre-Chitel (5), et un grand nombre d’autres 
domaines de moindre valeur, qui, à diverses périodes, devinrent de la 
part de ces princes l’objet, soit de concessions féodales, soit de constitutions 
de dots, soit de fondations pieuses. Quant au chaàteau de Varey, ce 
témoin de tant de mémorables combats, on sait qu’en 1240 environ, 
il échut aux comtes de Genève par le mariage de Marie de Coligny (6). 

Jai déjà dit ailleurs que d’après une tradition, qui ne paraît pas è 
l’abri de toute objection, les éveques de Nyon, obligés, au V siècle, de 
quitter leur siége, qui venait de tomber au pouvoir des peuples du nord, 
allèrent s’établir è Belley, où ils demeurèrent déès lors, continuant à 


(4) V. ci-devant. 

:(2) La juridiction de la maison de Savoie sur ces deux localités était fort ancienne. En 1230, 
la Chàtellenie de Lompnes fut remise à Louis de Beaujeu, comme faisant partie de la dot de Léonore 
de Savoie, sa femme. Les sires de Beaujeu la restituèrent ensuite à ses premiers maîtres qui, en 
1300, Vengagèrent aux sires de Luyrieux. Plus tard, les ducs de Savoie la récupérèrent. /ist. 
de Bresse, cont. de la 2 part., p. 62. 

(3) Le chàteau de Rossiilon avait été construit, selon toute apparence, par les seigneurs de ce 
nom, qui le cédèrent, on ne sait précisement à quelle époque, aux comtes de Savoie. 

(4) Le chàleau de St-Rambert appartenait originairement à l’abbaye de St-Rambert; mais, en 
1196, le comte Thomas se fit associer à la juridiction temporelle de ce monaslère, et céder le chà- 
teau dont il s’agit. V. Cibrario Delle finanze, diss. 1, dans les Mém. de l’ Acad. de Turin, t. 36, 
p. 194. 

(5) L’apanage donne, en 1285, à Lonis de Savoie, baron de Vaud, comprenait le chàtceau de 
Pierre-Chàtel. V. Mon. Rist. patr., t. I, p. 1573. 

(6) Le chàteau de Varey est situé proche d’Ambronay. V. ci-devant. 


PAR LEON MENABRÉA III 


étre, comme auparavant, suffragants de l’église archiépiscopale de Besancon. 
Suivant d’anciens cartulaires, Audax aurait commencé, en 412 environ, 
la série des évéques de Belley (1). Quelque sentiment que l'on adopte , 
touchant cette translation, il est certain qu'à l’exemple des autres evéques 
de nos contrées, ceux dont je parle ici se trouvaient investis des droits 
régaliens dans la ville épiscopale, à l’époque où s’éteignit la dernière 
dynastie des rois de Bourgogne. Successivement ils obtinrent des empe- 
reurs d’Allemagne la confirmation de ces mémes droits. Un diplòme 
de 1175 nous apprend qu'à Belley ces prélats rendaient la justice, levaient 
les tailles, convoquaient la milice, pouvaient, au besoin, battre monnaie, 
et exercaient, en un mot, tout ce qui constitue la puissance souveraine (2). 

Cela n'empéchait pas que les comtes de Savoie n'y possédassent, eux 
aussi, certaines fractions de juridiction qu'ils abandonnèrent néanmoins , 
en 1360, à l’évéque Guillaume de Martel, moyennant la somme de 
3800 florins d’or de bon poids (3). 

Après avoir exploré le Bugey et la Bresse, il est à propos de franchir 
le Rhòne. i 

Sur la rive gauche de ce fleuve, depuis Seyssel jusgu’à S'-Genis, 
s'étend, du nord au midi, une langue de terre resserrée, au levani, par 
les montagnes de Chambotte, du Chat et de l'Epine. C'est ce qu'on appelle 
le petit Bugey, faisant aujourd'hui partie du duché de Savoie et dépendant 
primordialement de l’ancien pagus Bellicensis (4). La portion septen- 
trionale de cette étroite contrée, entre l’embouchure du Fier et le canal 
de Savières, qui sert de dégorgeoir au lac du Bourget, forme un district 
à part, designé du nom de Chautagne, Chostagnia, que certains étymo- 
logistes dérivent de ca/dum stagnum, è cause des nombreux marécages 
que renferme ce pays. 

La Chautagne appartenait jadis à des seigneurs auxquels on donnait 
indistinctement la qualification de sires de Chatillon, ou de sires de 
Chateaufort, à raison de deux manoirs flanqués de tours, dont le premier 
se dresse encore de nos jours sur un rocher à pic, au bord du lac que 


(1) V. Episc. Bellic. chronol. series, p. 1. 

(2) Omnia regalia civitatis videlicet monetam, telonium, pedagium, ripaticum, aquaricum, pascua, pis- 
cationes, sylvas, venationes, stirpaticum et per omne districtum jurisdictionem civitatis. Ep. Bell, p. 32. 

(3) Ep. Bell., p. 56. 

(4) V. ci-devant. 


112 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


je viens de nommer; si bien, que ce lac n’eut pendant longtemps d’autre 
dénomination que celle du lac de Chatillon, lucus Castellionis (1). 

Presque tous nos auteurs nationaux ont répété après Della Chiesa (2) 
que le pape Célestin IV, en 1241, appartenait à la famille de Chatillon, 
en Chautagne, ei non point aux Castiglioni de Milan qui, suivant les 
historiens étrangers, auraient été les ancétres de ce pontife. 

Sans vouloir entrer en discussion là-dessus, je erois pouvoir dire que la 
question est, pour le moins, indécise. À différentes époques les sires de 
Chatillon se reconnurent feudataires de la maison de Savoie: le simple fief 
de Chateaufort devait fournir au suzerain, en cas de guerre, un homme 
d’armes, c’est-à-dire un cavalier adoubé et accompagné du nombre de 
satellites exigé par les usages féodaux (3). Le nom de Chatillon n'étant 
pas particulier aux seigneurs dont je parle, il est souvent difficile de bien 
déterminer à qui se rapportent les designations que présentent parfois, à 
cet-égard, les documents du moyen dge. Ainsi, dans son testament de 
l'an 1263, Beatrix de Savoie , comtesse de Provence, légua différentes 
sommes à plusieurs filles nobles de sa patrie et notamment cent et cin- 
quante livres tournois à Berengère, fille de Benoît de Chatillon (4). On 
ne saurait aflirmer qu'il s’agisse réellement ici des sires de Chatillon en 
Chautagne, quoique tout le rende probable. Vers la fin du XIII siècle, 
la descendance masculine de ces seigneurs s'éteignit; Marguerite, leur 
dernier rejeton, en épousant Guy, second fils d’Humbert de Montbel, 
porta la Chautagne à une branche cadette de cette famille, qui détint 
ce fief pendant très-long-temps (5). 

Les comtes de Savoie, de méme qu’en Chautagne , exercaient sur le 
reste du petit Bugey la haute supériorité féodale. On y trouvait plusieurs 
terres, telles que Seyssel, Yenne, Novalaise, S'-Genis, le Pont-Beauvoisin, 
les Echelles (le chateau des Echelles faisait primitivement partie , ainsi 
que je lai dit ailleurs, du pagus Salmoracensis), qui dépendaient d’eux 
immeédiatement. Parmi les seigneurs qu'on y rencontrait, ceux de Montbel 


occupaient un rang distingue. 


(1) Le lac du Bourget est ainsi nommé dans la charte de fondation de l’abbaye de Hautecombe, 
en 1125. V. Guich., pr., p. 31. 

(2) Corona reale, £ I, p. 20, 

(3) Somm. gén. des fiefs, province de Savoie proprement dite. Articles CAdteaufort et Chatillon. 

(4) Guich., pr., p. 63. 

(5) Mist. de Bresse, 3 part., p. 276 


PAR LÉON MÉNABRÉA TRIO) 


Les sires de Montbel, outre le fief de ce nom, situé au bord du 
Rhòne, possédaient le chateau d'Entremont-le-Viel, manoir celebre, biiti 
sur la frontière du Dauphiné, au flanc des montagnes de la grande 
Chartreuse. Nous verrons qu'une vive querelle s’éleva an commencement 
du XIV siècle, entre le dauphin Jean et le comte de Savoie Amé V, 
au sujet de ce chiìteau dont Rolet, sire d’Entremont, prétendait indù- 
ment faire hommage au Dauphin. Nos chroniques narrent au long comme 
le conte Amé eut de bonne guerre le chastel d’Entremont. C'est à l'oc- 
casion de ce démélé, que fut notamment conclu le traité du ro juin 1304, 
où, malgré sa forfaiture, ledit Rolet obtint des conditions avantageuses (1). 
Les sires de Montbel aimaient à se croire issus des comtes de Flandre; 
l'un d’eux figura, dit-on, dans l’expédition des premiers croisés en 
terre sainte (2). 

Non loin de ces feudataires, on remarquait les sires de Chevelu et 
les sires de Gerbaix. Ceux-là surtout étaient fort anciens et fort illustres; 
on les trouve, dans les temps les plus reculés, fidèlement attachés à la 
cause de la maison de Savoie; la fondation de l’abbaye de Hautecombe, 
par le comte Amé III, en 1125, nous fait déjà connaître un Bernard de 
Chevelu, Bernardus de Capilluto, et son fils Porestan (3). Les franchises 
accordées en 1232 aux habitants de Chambéry par le comte Thomas, 
révèlent l’existence d'un Guy de Chevelu, de Chevelluto, alors metral de 
cette ville (4). 

Quant aux sires de Gerbaix, une charte de l'an 1200 mentionne un 
Guy de Gerbaix, intervenant, en qualité de témoin, à une donation 
pieuse, faite en faveur du monastère que je viens de citer (5). Un Pierre 
de Gerbaix jouissait, en 1362, lors du mariage de Jacques d’Achaie 
avec Marguerite de Beaujeu, de la dignité de iresorier de Savoie (6); 
enfin, en 1397, un Amblard de Gerbaix, protonotaire de Savoie, assistait 
à l’ordonnance que le comte (depuis duc) Amé VIH rendait pour fixer 


(1) Guich., pr., p. 141. Par ce trailé Rolet fut cependant oblige de ceder au comte de Savoie 
tous ses droits audit chàteau moyennant une cerlaine somme. 
(2) Hist. de Bresse, 3.° part. cont., p. 165. 
(3) Guich., pr., p. SI. 
(4) Doc., sig. e mon., p. 126. 
(5) Guich., pr., p. 47. 
(6) Ibid., p. 119. 
Serie II. Tom. XXIII. î 


(Oa 


TIÙ4 DES ORIGINES FEODALES ETC. 
les bases du fameux duel juridique de Girard d'Estavayé contre le 
malheurcux Oihon de Grandson (1). 

Quoique le bourg muré de Seyssel appartint à la maison de Savoie, 
qui lui octroya des franchises en 1285 (2), ce lieu a pourtant donné son 
nom è une famille puissante, dont les principaux fiefs étaient les chàteaux 
d’Aix et de Bordeaux, sur les deux rivages opposes du lac du Bourget, 
dans la Savogia ou pagus Savogiensis (3). S'il fallait ajouter fui à nos vieilles 
chroniques, et aux auteurs qui les ont aveuglément suivies (4), c’est 
chez un seigneur de Seyssel que Berold, arrivant d’Allemagne, se serait 
d’abord arrété, afin d’extirper les robeurs et pilards qui desolaient nos 
contrees. i 

La petite ville d’Aix se trouvait inscrite, pendant le règne des derniers 
rois de Bourgogne, au nombre des residences royales; Rodolphe -le-Fainéant 
en fit présent, en rorr, à sa femme, la reine Hermengarde (5). Nous 
ne savons comment, ni à quelle époque le sires d’Aix, ou de Seyssel, y 
acquirent des droits. Un Gauthier d’Aix, Gwalterius de Aquis, intervint, 
vers l’an 1100, à une donation d’Aymon, comte de Genève, aux Béne- 
dictins de Lémens, proche de Chambéry (6). On voit, en 1126, Guillaume 
de Faucigny confirmer une concession que ce méme Gauthier avait faite 
auparavant à l’abbaye de Hautecombe (7), ce qui prouve qu'à raison 
de certaines terres ces seigneurs relevaient des sires de Faucigny. Durant 
les longues querelles des comtes de Savoie et des Dauphins du Viennois, 
après que ceux-cì furent devenus maîtres du Faucigny, les sires d’Aix se 
montrèrent amis constants des premiers, et refusèrent obstinément de se 
reconnaître vassaux des Dauphins, bien que ces princes prétendissent 
étre suzerains, au moins, du chateau de Bordeaux, et qu’ils en eussent 
investi nominativement Aynardet de Bellecombe, l’un de leurs aidants. 
La liste des griefs que le dauphin Guigues VIII articulait en 1330, 


5 
renferme un chapitre relatif à cet objet: Ztem /e chastel de Bordex en 


1) Guich., pr., p. 47. 

(2) Hist. de Bresse, pr., p. 244. 

(3) Somm. general des fiefs, province de Sav., articles Air et Bordeaux. 

(4) Tels que Delbène dans son ouvrage, De regno Burg. et Arelatis, 1602. 

(5) Dono dilectissime sponse mee Irmengardi Aquis villam sedem regalem....do ei Anassium fiscum 
meum. (Doc., sig. e mon. , p. 17). 

(6) Bibl. Sebus., II, 69. 

(7) Dom Leyat, ms. 


PAR LÉON MÉNABREA II 


Savoye et ses appartenances liquiex est du fief d’ Aynardet de Bellecombe 
et ly est commis pour ce que ly sire d'Aix ne ly a recogneu en fieu 
et li cuens de. Savoye par force empesche ledit Aynardet qu'il n'en use 
de son droit è recouvrer le dit chastel (©: 

Il paraît que de temps immémorial la famille de Seyssel avait l’hono- 
rable privilége de fournir à la maison de Savoie des hommes d’intimité, 
de bon conseil et des défenseurs intrépides. Un Pierre de Seyssel fut, 
pendant plus de vingt ans, en faveur auprès du comte Thomas, à la 
suite duquel on le rencontre en 1195, 1200, 1202, 1212, 1218 (2). 
On lit le nom d’un Humbert de Seyssel au bas de la charte de 1232, 
contenant les franchises de la ville de Chambéry (3). Ce personnage 
figura, en 1241, à l’hommage que Guillaume d’Entremoni fit au comte 
Ameé IV pour les chateaux d’Entremont et de Montbel (4). En 1239, 
un Guy de Seyssel, seigneur de Bordeaux, dominus de Bordellis, in- 
tervint au contrat de mariage de Hugues Dauphin, sire de Faucigny , 
avec Marie de Savoie; contrat passé, selon l’usage, en plein air, au milieu 
de la grande cour du chàteau de Bonneville (5). On pourrait multiplier 
les citations. 


(1) Hist. de Br., 1 part., p. 64. 

(2) V. Mon. hist. patr., t.I, p. 1195; Guich., pr., p. 47; ibid.,, p. 38; Mon. hist. patr., 
p. 1186; Guich., pr., p. 63. 

(3) Doc. , sig.e mon., p. 126. 

(4) Ibid., p. 141. 

(5) Guich., pr., p. 158. 


116 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


CHAPITRE VIE. 


Comitatus Savogiensis. - Ses limites. - Terre de Monifalcon. - Chambéry. - Prieuré 
de Lémens. - Sires de Chambéry. - Witfred. - Gauthier. - Aymo Clericus. - Le chateau 
de Charbonnière, propriété de ces seigneurs. - Chartes. - Berlion cède la ville de Chambéry 
au comte Thomas; le chateau reste entre les mains du premier. - Il devient plus tard 
la propriété du comte Amé V qui le fait rebiatir. - Fiefs de la Ravoire, de Challes et de 
Chignin. - Apremont. - Les Marches. - Citadelle de Monlmeélian. - Le Crét. - Bourg et 
chateau de la Rochette. - Seigneurs de ce nom. - Aventure de Guillaume de Monferrat. 
- Tours de Montmayeur. - Armoiries. - Gaspard. - Possessions de ces seigneurs. - Sombre 
histoire. - Chiteauneuf. - Sires de Miolans. - Leur devise. (Voir è la fin de cet  ou- 
vrage). - Vallée des Bauges. - Graisy. - Tournon. - Chevron. - Le pape Nicolas II - 
Ville et chateau de Conflans. - Vallée de la Maurienne. - Aiquebelle. - Sires de la Chambre. 
- Vicomté de Maurienne. - Transaction. - Loys de la Chambre. - Evéques de Mauvienne. 
- Fiefs divers. 


Puisque nous voici près de nous engager dans la Savogia, ou Co- 
mitatus Savogiensis, il est à propos que j'indique, autant que la chose 
est possible, les limites qui, au commencement du XIV siècle, séparaient, 
à l’ouest et au nord, les possessions des comtes de Savoie d’avec celles 
de leurs voisins, les comtes de Genève. 

Ces limites, que toutefois les guerres et les traités firent souvent 
varier, étaient déterminées par celles méme des chatellenies de Seyssel, 
de Montfalcon, de Cusy, de Chatellard-en-Bauges, de Faverges et 
d’Ugine qui, en suivant une ligne tourmentée et irrégulière, correspon- 
daient aux chatellenies opposées de Clermont, de Cessens, de Rumilly, 
d’Alby, de Clées et de Duing (1). 

Je dois faire observer que les chiteaux de Montfalcon et de Cusy, qui 
appartenaient primitivement aux comtes de Genève, advinrent aux comtes 
de Savoie, le premier, peu après l’année 1300 (2), et ie second, en 1287 (3). 
La terre de Montfalcon, située entre Aix et Albens, a été le berceau 
de l'illustre famille des sires de Montfalcon, dont nos annales offrent de 


(1) Commission donnée, en 1342, par le comte de Savoie et le comte de Genève. Arch. de Cour, 
Duché de Genevois, liasse 4, n.° 33. 

(2) Cette année-là Guillaume, comte de Genève, déclarait encore le tenir en fief de l’évèque de 
cette ville. V. Spon, pr., n.° 32. 


(3) Arch. de Cour, Duché de Genevois, liasse 2, n.° 4, 


PAR LÉON MENABREA 10] 


fréquentes et d’honorables traces. Je me contenterai de dire que, déjà 
en 1148, un Willelme de Montfalcon intervenait è une donation du 
comte Amé III en faveur de la chartreuse d’Arvière, en Bugey (1). 

La route que je me propose maintenant de suivre me conduit natu- 
rellement, et tout d’abord, è Chambéry, où vivaieni jadis des seigneurs 
de très-haut renom: je crois convenable de réunir ici les documents qui 
les concernent. 

Chambéry est, comme chacun sait, bàti au pied d'un rocher où existait 
jadis la station romaine de Lemricum; ce rocher s'appelle encore aujourd’hui 
Lemens. 

En l’année 1029, Rodolphe-le-Fainéant et la reine. Hermengarde 
établirent è Lémens un prieuré de Béneédictins, qu'ils soumirent è la 
juridiction de l’abbaye d’Ainay, è Lyon: l’acte dressé en memoire de 
cette ceuvre pieuse porte le seing de Witfred de Chambéry, signum 
W'itfredi de Camberiaco (2) Telle est la notion la plus ancienne que 
nous ayons de Chambéry et de ses seigneurs. Une charte de 1057, 
tirée du cartulaire de S'Hugues , évéque de Grenoble , mentionne 
Chambéry sous la désignation de bourg, burgum de Camberiaco, et nous 
apprend qu’alors, de méme que de nos jours, on trouvait è une demi- 
lieue de là, et au nord-ovest, une seconde localité nommée Chambéry- 
le-vieux , Camberiacum vetus (3). La signature d’un Gauthier de 
Chambéry-le-vieux ,  Gauterius de Camberiaco-veteri miles svapposée è 
un titre de 1228, ferait presque penser que Chambéry-le-vieux eut aussi 
ses maîtres particuliers (4). Quoi quil en soit, les sires de Chambéry 
jouissaient déjà au XI siècle d'une position remarquable: leurs libéralités 
envers plusieurs monastères témoigneraient seules combien ils étaient 
riches et puissants. Ils fondèrent, en 1036, à Coyse, proche de l’Isère (5), 
une maison religieuse qu’ils rendirent dépendante de la célèbre abbaye 
de la’ Novalaise; l’acte rédigé à ce sujet fournit quelques éclaircissements 
genealogiques qu'il est utile de relever. On y voit que l’institution de ce 
couvent est due à la piété de Marie, fille de Manfred et veuve de Hugues 
de Chambéry: la fondatrice recommande son fîime à Dieu, l’àme d’un 


(1) Guich, pr., p. 37. 

(2) Ibid. , p. 5. 

(3) Doc. sig. e mon. , p. 31. 

(4) Rochex, Gloire etc. ,, livre III, p. 35 


(5) In pago Savogense, in ago Pignonense, in valle que dicitur Corsia 


118 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


de ses fils, prédécédé, également appelé Hugues, enseveli à la Novalaise; 
elle déclare agir en vue de son propre salut et du salut de ses autres 
fils, Witfred (c’est probablement le Witfred précédemment cité), Hubert, 
qualifié de moine, Mubertus monachus, Berlion, Sigebold et Aymon (1). 
En 1043, l’abbaye de la Novalaise recut de ce dernier qui, selon 
ioute apparence, avait embrassé leétat ecelésiastique, car il s’intitule 
Aymo clericus, de nouvelles marques de munificence. Ce seigneur lui 
fait donation de terres considérables, et notamment d’une église et d’une 
chapelle, situées sur la colline de Voglans, au bord du lac du Bourget; 
il lui cede le droit de pécher dans ce lac et dans la rivière de l’Aisse, 
qui va s'y jeter; ses frères Berlion et Witfred assistent à l’acte avec 
la qualification honorifique de domnus; ‘Anselme, évéque de Grenoble, 
et un Witfred, sire de Viry, domnus Vifredus de Viriaco, y inter- 
viennent pareillement (2). i 
Deux observations trouvent place ici; et d’abord, la rédaction de la 
charte au chateau de Charbonnière, en Maurienne, semble indiquer que le 
chàteau appartenait primitivement aux sires de Chambéry (3); nonobstant 
ceite assertion, nos chroniques en attribuent la construction à Bérold, tige 
prétendue de la maison de Savoie. Messire Berold, disent-elles, regarda 
le pays moult etroit et les montagnes haultes d'une part et d’aultre. Si 
pensa comme il trouverait quelque lieu seur pour retraire luy et ses 


sensata et levant le chief du costé d’Aiguebelle vit près de luy au 
milieu de cette vallée et ù Ventree de la Morianne ung roch hault ront 
et apre a monter ..... et se mist à y edifier ung chastel qu'il appela 
Charbonnière. 


A supposer que ce récit énoncàt un fait inexact, et que le chateau 
de Charbonnière fùt originairement la propriété des sires de Chambéry, 
il serait au moins certain que les comtes de Savoie en firent de bonne 
heure l’acquisition (Ce manoir figure, en effet, parmi les plus anciennes 
possessions de ces princes). Je remarque, en outre, que dans ce do- 
cument, le donateur Aymon, se conformant à un usage alors subsistant, 
qui autorisait les parties contractantes à énoncer la loi qui les régissait, 


declare professer la loi romaine, et cela à cause de son origine ou de sa 


(1) Rochex, livre SII, p. 30. 
(2) Ibid. p. 32. 
(3) Actum infra castrum quod carbonneria dicitur. 


PAR LÉON MENABREA 119 


nation, et non point en raison de son état de clere: ego qui professus 
sum ea natione mea lege vivere romana, il pourrait en résulter que les 
sires de Chambéry descendissent d’une de ces familles de Gallo-Romains 
qui, malgré l’invasion des Burgondes, surent conserver intacte leur puis- 
sance et leur influence (1). 

Depuis le XII siècle jusqu’au XIIT, une dixaine de chartes éparses 
nous révelent les noms de quelques-uns des seigneurs dont je parle. 
Ainsi, en 1153, un Berlion de Chambéry figura au nombre des arbi- 
tres amiables, compositeurs ou bons hommes, doni homines, qui termi- 
nèrent les querelles mues entre les sires de la Chambre et les évéques 
de Maurienne (2). Lorsqu'en rrg6 Thomas, comte de Savoie, fit un 
traité de paix et d’alliance avec l’abbaye de S'-Rambert, en Bugey, 
Berlion de Chambéry fut une des cautions fournies par ce prince pour 
l’observation de la transaction (3). Ce Berlion (je présume quil y a 
toujours identité) assistait encore, en 1200, à un acte confirmatif des 
priviléges de l’abbaye de Hautecombe (4). Le méme personnage et Ponce 
de Chambéry, son frère ou son parent, furent présents à la charte de 
franchise que les sires de Moirenc, en Dauphiné, accordèrent en 1209 
au bourg de Moirenc (5). Un Amedée de Chambéry ayant, en 1211, 
inquiété et trouble la juridiction du prieuré de Lémens, se vit. obligé 
de renoncer, en partie, à ses prétentions par l’entremise d’un sire de 
Sales (6). L'existence d’un Pierre de Chambéry est prouvée par un titre 
de 1215 (7). En 1228, nous retrouvons un Berlion de Chambéry et 
ses fils, Guy et Guillaume, reconstruisant des églises dépendantes du 
monastère de la Novalaise, et faisant rédiger, à cet effet, sous les or- 
meaux du chateau de Chambéry, un contrat solennel (8). 

C'est précisément de ce Berlion que le comte Thomas acquit, en 1232, 
la ville de Chambéry, qu'il déclara immeédiatement libre et franche, et 
qui ne tarda pas è devenir la capitale de la Savoie. L’acte dressé en mé- 
moire de cette vente nous apprend que les sires de Chambéry jouissaient 


(1) Voyez ce que j’ai dit ci-devant à l’occasion de la maison de Savoie. 
(2) Bellon, pr., n.° 26. 

(3) Guich., pr., p. 46. 

(4) Ibid., p. 47. 

(5) Valbonnais, t. 1, p. 16. 

(6) Grillet, t. II, p. 311. 

(7) Il y paraît comme témoin. V. Besson pr. p. 43. 


(8) Rochex, livre III, p. 35. Actum est hoc apud Camberiacum in castello sub ulmis in platea 


120 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


de la double qualité de vicomtes et de vidomnes; vicomtes comme exercant 
une portion des droits qui compéetaient aux comtes de l’ancien pagus 
Savogiensis; vidomnes comme possédant, en une localité déterminée, des 
fractions, plus ou moins considérables, de la juridiction des évéques de 
Grenoble. On y voit que ces seigneurs avaient an-dessous d’eux plusieurs 
feudataires nobles, tels que les sires de Montgellaz, de Monte gellato, 
dont la maison-forte s’élevait sur la colline de ce nom, à l’opposite des 
rochers de Lémens (1). 

Tout en vendant au comte Thomas le bourg de Chambéry, durgwum 
de Camberiaco, Berlion se réserva la propriété de l’antique chàteau qui 
le dominait. Plein des souvenirs de l’indépendance de ses ancétres , il 
voulut rester maître de garder dans ce manoir qui bon lui semblerait, 
méme les ennemis du comte, le cas échéant. Enfin il se retint le péage 
de la ville, qu’un document de 1251 énonce avoir été de quatre 
deniers forts (2). La vente fut faite pour le prix de trente-deux mille sols 
de Suse; le vendeur recut en outre du comte Thomas l’investiture du fief 
de Montfort (3). Berlion de Chambéry reparaît encore en 1234, accom- 
pagné d’un grand nombre d'autres seigneurs, aux conventions que le 
comte de Savoie, Amé IV, conclut au chateau de Chillon avec ses 
frèéres, au sujet de l’hérédité paternelle (4). Il mourut, sans doute, 
peu de temps après. Ceux de ses fils, qui nous sont connus, furent 
Guillaume (5) et Guy (6), déjà cités , et Rodolphe qui, en 1252, acquit 
d’Amédée de Miribel, moyennant la somme de 15 sols et demi de 


(4) En designant ses feudataires, Berlion emploie les mots milites mei. Je ne dois pas oublier de 
rappeler que les sires de Monigellaz, dont une branche exisle actuellement en Bavière, figurent 
souvent dans nos annales; je ne cilerai ici que Pierre de Montgellaz, qui fut l’un des conseillers, 
ou prud’hommes, qui administrèrent les états de Savoie pendant la minorité du Comte Vert. Voyez 
le testament du comte Aymon, rédigé en 1343. Guich., pr., p. 175. 

(2) La charte où il est fait mention de ce péage, est consignée dans les Mor. Rist. patr., Leges 
munricipales, p. 12. On le designe du nom de Pedagium quondam domini Berlionis de Camberiaco. 
Il était déjà devenu alors la propriété de la maison de Savoie. 

(3) Sclopis, Considerazioni storiche intorno a Tommaso I, conte di Savoia. Docum. 1.° dans les 
Mem. de Vl Acad. de Turin, t. XXXIV, p. 81. 

(4) Dalta, Storia dei principi d’ Acaia. Doc., lib. I, n.0 3. 

(5) Au bas de la vente, faite par Berlion au comte Thomas, se trouve la ratification de Guillaume. 

(6) Dans une charte de 1234, confirmative des priviléges de l’abbaye de Sixt, Aymon, sire de 
Faucigny, donne à Guy de Chambéry la qualité de neveu: Quod modium dedi pro anima Guidonis 
de Camb. nepotis mei; ce qui prouve que des alliances existaient entre les deux familles, Ma de 
dom Leyat. 


PAR LÉON MÉNABRÉA M2)I 
Vienne, le chateau et le territoire de Miribel, sur la rive gauche du 
Guiers, proche des Echelles (1). 

Ici s’arrétent les notions incomplètes que les siècles ont laissées par- 
venir jusqu'à nous sur une famille qui dut étre illustre et puissante, et 
qu'une décadence prématurée enleva à l’histoire des figes féodaux. Le 
chatean de Chambéry, que Berlion s’était réservé, passa d’abord des 
mains de ce seignenr à celles d’un sire d’Allamand qui, en 1255, le remit 
en gage à un frère cadet du comte Amé IV; devenu ensuite la propriété 
des epoux Francois et Beatrix de la Rochette, il fut vendu par ceux-ci 
au comte Amé V, qui le fit rebàtir, et lui imprima ce cachet de majesté, 
ce caractère de sombre magnificence qu'il conserve encore de nos jours (2). 

A une demi-lieue de Chambéry, l’on rencontrait le fief des sires de 
la Ravoire qui, dès le milieu du XIII siècle, apparurent avec un cer- 
tain eclat (3); et plus loin, celui des sires de Challes, dont la lignée ne 
subsista pas longtemps (4). De là, en cheminant sur la route d’Italie, 
on apercoit, à gauche, trois ou quatre tours sourcilleuses et des mu- 
railles en ruine, qui annoncent qu’en cet endroit existait jadis une vaste 
et importante forteresse. 

Il ne nous reste qu’un petit nombre de renseignements concernant 
les sires de Chignin, maîtres de ce chateau; nous savons qu’ils donnè- 
rent à l’eglise un éminent prélat, savoir S'-Anthelme, éveque de Belley, 
mort en 1176; nous trouvons encore qu’un Pierre de Chignin fut de ceux 
qui, en 1296, jurèrent l’observation de la paix, conclue entre le comte 
Thomas et l’abbaye de S'-Rambert (5). Un Barthélemy de Chignin, attaché 


(1) Ancien inventaire des Archives du cadastre général de Chambéry. 

(2) Cette vente est de l’année 1295. On trouve dans les comptes des chàtelains de Chambéry, 
déposés à Turin aux archives de la Chambre des comptes, le detail des dépenses faites pour la 
reconslruction de ce chàteau. V. Dell’origine dei titoli e progressi della Casa Reale di Savoia, ms. 
(Voir les trois premières livraisons de l’ Histoire de Chambéry, déjà publiées par l’auteur. Cet ouvrage 
vemarquable sera complete, soit è V’aide des manuscrits mémes de Léon Ménabréa, soit par la repro- 
duction des documents dus à ses infatigables recherches). 

(3) Un Valter de la Ravoire figure à la suite d’Amé IV, comte de Savoie, dans une charte 
de 1240. V. Doc., sig.e mor. , p. 142. Un Berlion de la Ravoire est cité, comme témoin, au bas du 
traité conclu en 1314 par le comte Amé V avec le danphin Jean. Guich., pr., p. 146. Un Perret 
de la Ravoire accompagne, en 1365, le Comte Vert en Orient. V. Datta, Spedizione in Oriente etc. , 
p. 258. 

(4) Un Hngues de Challes fut du nombre des cautions qui, en 1362, intervinrent au mariage 
de Jacques de Savoie, prince d’Achoîe, avec Marguerite de Beaujeu. V. Guich., p 119. Quinze 
ans après, le chàteau de Ehalles se trouvait inféodé è un noble homme appelé Aymon Grange. 
Sommaire général des fiefs, province de Savoie, art. Challes. 

(5) Guich., pr., p. 46. 

Senie II. Tom. KXLII 


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122 DES ORIGINES FEODALES ETC. 


à la personne du Comte Vert (1), eut l'honneur d’étre un des exécuteurs 
testamentaires de ce prince (2). 

Presque en face du manoir des sires de Chignin, se dressait celui 
des sires d’Apremont. Un Aymon d’Apremont figurait, en qualité d’aidant 
et de vassal de la maison de Savoie, au traité de pacification que le 
comte Amé V fit, en 1304, avec le Dauphin du Viennois (3); peut-étre 
ce seigneur descendait-il d'un Rolet de la Balme, à qui le comte Philippe 
inféoda, en 1284, la terre d’Apremont (4). 

En continuant à avancer dans la direction ci-dessus indiquée, on 
laisse, à droite, le chiteau des Marches, que les comtes de Savoie firent 
batir, au XIV siècle, afin de s’opposer aux entreprises des Dauphins; 
la lisitre que défendait ce fort, jadis redoutable, avait recu le nom de 
Marches, parce qu'elle était véritablement la marche, ou frontière, du 
pagus Savogiensis (5). 

Bientòt ensuite on arrive sous les murs à jamais célèébres du cha- 
teau de Montmelian (6). i 

Cette citadelle, à en juger par sa position et par l’étymologie, toute 
latine, de Mons Emilianus, doit nécessairement remonter à une haute 
antiquité. Nos vieilles chroniques et la plupart de nos anciens historiens 
en attribuent, dès le XI siècle, la propriété à la maison de Savoie ; 
Amé III et Amé V passent pour y étre nés; celui-ci méme y serait 
mort en 1253 (7). Une charte, qui semble antérieure à l'année 1200, 
prouve que, déjà alors, les comtes de Savoie y tenaient un chtelain. 
Ce document mentionne, en effet, un Jacob de Corvenne, chatelain de 
Montmeélian, Jacobus de Corvenna Montismeliani Castellanus (8). 


(1) Ce personnage est nommé au bas d’une lettre que le Comte Vert écrivait, en 1368, à un 
chef d’aventuriers, appelé le Moine de Hecz. V. Datta, Doc., lib. IMI, n.° 77. 

(2) Guich., pr., p. 220. 

(3) Ibid., pr., p. 141. 

(4) Sommaire, province de Savoie. 

(5) Les chroz. de Savoie racontent, dans leur langage naif, la construction du chàteau des Marches 
par le comte Amé V. 

(6) J'ai publié, en 1841, sous le titre de Montmélian et les Alpes, histoire de cette forteresse 
et des siéges fameux qu'elle à subis, depuis les temps les plus anciens jusqu’au XVIII siècle. On 
y trouve, entre autres, la Relation inedite de la prise de cette place par le maréchal de Catinat, 
en 1691 (Cet ouvrage considérable est l’un des plus importants de l’auteur). 

(7) Pingon, Sab. princ. arbor gentilitia. 

(8) Guich., pr., p. 51. 


D 


PAR LÉON MENABREA 129 


Au pied du chateau, à l’ombre de ses tours protectrices, vinrent 
séchelonner des habitations, qui ne tardèrent pas à s’environner de ram- 
parts, et à former un bourg considérable. La maison de Savoie exercait 
en ce lieu une juridiction immédiate. 

En 1266, les officiers du comte Pierre rédigèrent une déclaration 
portant que leur maître jouissait, à Montmelian, du droit d’administrer la 
Justice , et de percevoir les bans (1). Cependant comme des seigneurs du 
voisinage prétendaient s’y arroger aussi certaines prérogatives, certains 
emoluments, le comte Philippe s'én attira l’abandon par actes du 5 avril 
et du 7 mai 1272 (2). Les seigneurs dont je parle s’appelaient Bertramds 
(Bertramdi, Bertramni); ils fournirent, en 1297, un archevéque à la 
Tarantaise (3); ils possédaient les chiteaux de la Pérouse (4) et de Cha- 
mousset (5). 

A une lieue de Montmelian, passé le village d’Arbins, au bord d’une 
aréte, qu’on dirait avoir été formée autrefois par les corrosions de l’Isère, 
s'élève un manoir antique, appelé le Crét, Crestum, résidence primitive 
de l'illustre famille de Mareschal. 

Le nom de ces seigneurs leur venait, selon toute probabilité, de la 
charge de maréchal, qu'un Guiffred, Gwiff'edus marescalcus comitis, 
remplissait à la fin du XI sièele ou au commencement du XII, auprès 
des comtes de Savoie (6). C'est au Crét que, le ri juin 1343, le comte 
Aymon, saisi d’un mal grave et imprévu, fut obligé de s’arréter, et que, 
couché dans une chambre latérale, donnant sur le prieuré d'Arbins, il 
dicta ses dernières dispositions (7): ce prince mourut à Montmelian , 
le 24 du méme mois. Nous avons un titre qui prouve qu’avant 1277, 


' 


(1) Cet acte, qui est du 20 mai, se trouve aux archives de Cour. 

(2) Dell’origine ete., ms. 

(8) V. Grillet, art. Montmélian. 

(4) Construit sur le penchant de la montagne qui domine Monimélian, démoli au XVII siècle. 

(5) Bàti è l’extrémité du promontoire, formé par le confluent de l’Isère et de l’Are. On ren- 
contre un Vauthier ou Gauthier de Chamousset, Vauterius de Chamossi, au bas d’une charte 
de 1248, par laquelle le comte Amé IV permit à Thomas, son frère, de construire le chàteau du 
Bourget, qui servait de residence d’été à la maison de Savoie. Avant la cession de 1272, les 
Bertramds s’intitulaient fréquemment de Montemeliano ; un Bertramnus de Montemeliano assistait , 
en 1237, à la fondation de l’hospice de Villeneuve, à V’extrémité du lac de Genève. V. Guich., 
pr: ip: 58. 

(6) Ce personnage est mentionné dans trois chartes publiées par Guich., pr., p. 38, 46, 67. 

(7) Actum in domo forti domini Petri Marescalci militis apud Crestum in camera a latere deversus 
prioratum de Arbino. (Guich., pr., p. 176). 


124 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


époque è laquelle l’aliénation s'en fit en faveur du comte Philippe, le 
pont de Montmelian, et le péage qui y était établi, appartenaient aux 
descendants de Guiffred (1). 

Je ne dois pas aller plus loin sans explorer une petite vallée, qui 
court parallèlement à l’Isère, et touche par son extrémité supérieure au 
Graisivaudan: c'est la vallée de la Rochette. 

Iì n'y a aucun doute que le chateau de la Rochette, et le bourg 
construit au-dessus, ne fussent primordialement la propriété des sei- 
gneurs de ce nom; mais l’un et l’autre sortirent, d’assez bonne heure, 
des mains de leurs anciens maîtres pour tomber entre celles de la maison 
de Savoie. On remarque en effet que le comte Amé IV avait donné, 
en 1244 environ, à Cécile de Baulx, sa deuxième femme, les revenus des 
chaàteaux de la Rochette et de Montmelian (2). Ce fut, du reste, au chateau 
de la Rochette, et dans la chambre méme de la comtesse Cécile, apud 
Rupeculam in camera dominae comitissae, qu'en 1252 ce prince fit son 
testament (3). 

Il ne faudrait cependant pas conclure de ceci, que les sires de la 
Rochette ne jouissaient que d’une position mediocre; il est certain, au 
contraire, qu’ils figurèrent constamment parmi les premiers feudataires 
de la contrée. Un Hugues de la Rochette, ugo de Rocheta, faisait partie 
des bons hommes qui, ainsi que je l’ai précédemment remarqué, termi- 
nèrent, en 1153, les contestations des sires de la Chambre avec les évéques 
de Maurienne (4). Plusieurs chartes de 1242, 1252 et 1253, nous mon- 
trent un Rostaing de la Rochetie, Rostagrius ou Rostannus de Rupecula, 
à la suite des comtes Thomas et Ame IV (5). En 1280, Guillaume de la 
Rochette, chevalier, et Francois son frère, furent acteurs dans un incident 
de notre histoire qui, s'il a peu de valeur en soi, se rapporte néanmoins 
à un évenement aussi curieux qu’'important. 

Tandis que les interminables guerres de rivalité agitaient le Piémont et 
la Lombardie, Guillaume, marquis de Montferrat, fut pris par son ennemi 


(1) Cet acte, quì est du 15 juillet, existe aux archives de Cour. 

(2) Cela résulte d'un titre des archives de Cour, contenant promesse, de la part de Thomas, 
frère d’Ame IV, d’observer cette donation. 

(3) Guich., pr., p. 70. 

(4) V. ci-devant. 

(5) Doc., sig.e mon., p. 187, et Guich., pr., p. 69, 70 et 90 


PAR LÉON MENABRÉA 125 


naturel, le comte de Savoie, au moment où sa femme et lui (il avait 
épousé une infante d’Espagne) se mettaient en route pour la péninsule (1). 
On les retint, à ce qu'il paraît, pendant quelque temps à Chambéry, 
après quoi l’on consentit à ce qu’ils reprissent le chemin d'Espagne. Une 
escorte de sauf-conduit, composée de l’évéque de Belley et des deux sires 
de la Rochette, eut mission de les accompagner hors du territoire.  Lorsque 
le marquis arriva aux Echelles, et toucha les terres des Hospitaliers de 
S'-Jean de Jerusalem, qui possédaient en cet endroit une commanderie, 
il dut déclarer solennellement, et étant encore à cheval, qu'il observerait 
désormais les traités récemment conclus entre lui et la maison de Savoie: 
il réitéra cette promesse à Moirenc, en Dauphiné, où il congédia son 
escorte et put librement continuer son voyage (2) En 1304 on voit un 
Aynard, un Pierre et un Hugues de la Rochette, étre simultanément dé- 
signés arbitres de certaines difficultés, auxquelles devait donner lieu l’exé- 
cution de l’accommodement que le comte Amé V fit avec le Dauphin de 
Vienne (3): ce Hugues, déjà nommé, et un Rodolphe de Montmayeur 
intervinrent, en 1306, comme procureurs du méme comte Amé, à une 
convention, par laquelle ce prince et son cousin Philippe d’Achaîe, s’en- 
gageaient à conquérir ensemble Asti et Chieri (4). Enfin, un Jean de 
la Rochette accompagna le Comte Vert en Orient durant les années 1366 
et 1367, et guerroya vigoureusement contre les Tures (5). 

A peu de distance de la Rochette, sur la croupe d’une montagne, 
d’où l’on domine à la fois la vallée de ce nom et le cours de l’fsère, 
se dressent deux énormes tours, fantastiques débris de l’antigue manoir 
des sires de Montmayeur. 

Aucune famille n’a peut-étre joué un ròle plus vivant, plus inté- 
ressant, plus dramatique, surtout au XV siècle, que celle de ces seigneurs. 
Leurs armoiries offraient une aigle, éployée de gueule, armée ei becquée 
d’azur, sur un champ d’argent, avec la devise menacante wunguidus et 
rostro. Celui d’entre eux, qui contribua le plus è illustrer sa race, fut 
Gaspard de Montmayeur, chevalier de l’ordre du collier et maréchal de 


(1) Voy. la Cronica di Monferrato, insérée dans les Mon. Aquens. de Moriondo, t. II, p. 196 
(2) Mon. hist. patr., t. I, p. 1542. 

(3) Guich., pr., p. 144. 

(4) Datta, Doc., lib. I, n.° 17. 


(5) V. Datta, Spedizione in Oriente di Amedeo VI, conte di Savoia. 


126 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Savoie, sous le Comte Vert. Il suivit ce prince en Orient et se distingua 
au siége de Gallipoli (1). Nos chroniques racontent au long ses exploits. 
Les sires de Montmayeur possédaient plusieurs fiefs considérables, tels 
que Montmayeur, Villarsalet, S'-Pierre-de-Souci; ils acquirent le chaàteau 
d'Apremont, et Je crois aussi des terres en Tarantaise. Cette maison, prit 
fin en la personne de Jacques de Montmayeur qui obtint, comme son 
aieul, la haute dignité de maréchal de Savoie, et se rendit malheureu- 
sement trop celèbre pour que je ne lui consacre pas une courte notice. 

En 1464 vivait à Chambéry Guy de Feésigny, qui y exercait les 
fonctions suprémes de président du conseil de justice, car le sénat de 
Savoie n’existait point encore à cette époque; sa création ne remonte qu'à 
l’an 1559. Ce magistrat se trouvait étre, à raison de certains domaines 
féodaux, autant qu’on peut le conjecturer, vassal des sires de Montmayeur. 
On ne sait precisément ce qu'il advint; mais le fait est que ce dernier 
prétendit que Guy avait blessé son honneur, et crut que sa qualité de 
suzerain l’autorisait à tirer d’une telle injure une vengeance juridique. Vers 
les premiers jours de janvier 1465 il se saisit du président, le fit conduire 
en son chateau d’Apremont, et députa quatre commissaires afin de le 
juger, Nicod Passin, Etienne Comte, Etienne Calis et Jacques Monon. 

En vain le duc Amédée IX expédia de Bourg-en-Bresse des lettres 
pressantes, portant défense au sire de Montmayeur de donner suite aux 
procédures illégales qu'il se permettait de diriger contre Guy de Fésigny; 
en vain le procureur fiscal et vice-chatelain de Chambéry se rendirent 
à Apremont dans le but de signifier ces lettres à l’inexorable seigneur ; 
celui-ci mit ses satellites sur pied et pourchassa ignominieusement tous 
les officiers ducaux qui se présentèrent. 

Cependant les commissaires continuaient le simulacre du procès; au 
commencement de février ils prononcèrent, en haine de l’infortuné pré- 
sident une sentence de condamnation à mort, et la firent immédiatement 
exécuter par un brutal valet. Si l'on devait ajouter foi è la tradition, 
le sire de Montmayeur aurait poussé l’audace du crime jusqu'à mettre 
au fond d'un sac la téte de sa victime, et à se transporter avec ce san- 
glant trophée au sein du conseil de Chambéry, où, découvrant ce chef 
défiguré et hideux, il le déposa sur la table, devant laquelle siégeaient 


les juges, en disant: Ze voilà, je vous le rends. 


(1) V. Datta, Spedizione in Oriente di Amedeo VI, conte di Savoia. 


PAR LEON MÉNABRÉEA 127 


Quoiqu'un acte si féroce, au milieu de ces temps encore barbares, 
edt excité l’indignation générale, le sire de Montmayeur se retira tran- 
quillement en sa maison-forte de Villarsalet. Ce ne fut que le 23 juin 
1486, et après de longues péripéties judiciaires, que. le conseil résidant 
près de la personne du duc, rendit un arrét qui condamna le farouche 
Baron è la confiscation de tous ses biens et à une amende de cinq cents 
francs d’or (1). Les biens de Jacques de Montmayeur passerent aux mains 
des sires de Miolans, sauf les terres d’Apremont, de S'-Alban et de 
Briancon qui restèrent au duc de Savoie, ainsi qu'on le verra plus tard. 


1 


En descendant la croupe élevée, où sont plantées les tours de Mont- 
mayeur, et en commengant à explorer la vallée de l’Isère, on rencontre 
sur la gauche de ce fleuve, à deux heures environ. de Montmélian, les 
restes d’un très-vieux castel, la tour ruinée de Chateauneuf. Ce manoir 
appartenait originairement aux rois de Bourgogne, et Rodolphe-le-Fainéant 
en fit présent, vers l'année 1013, à sa femme, la reine Hermengarde. 

La charte dressée en memoire de ce don designe le chateau dont 
il s'agit sous le nom de Castellum novum super Isaram, et dit expres- 
sément qu'il est situé in pago Savogiense (2). Là s'établirent; on ne 
saurait trop quand, des seigneurs particuliers: on trouve en 1277 un 
Siboud de Chateauneuf faisant hommage à Aymon, comte de Genève, de 
certaines terres provenues d’une Isabelle de Compey; ce fief passa ensuite 
aux vicomtes de la Chambre (3). 

En face de Chateauneuf, de l’autre còté de. l’Isère, à mille pieds 
d’élévation au-dessus de la plaine, et sur le flanc escarpé d’une mon- 
tagne géante, que surmonte une couronne de rochers nus, se déroulent 
les importants débris du chateau de Miolans. 

La famille des sires de Miolans fut incontestablement des plus an- 
ciennes, des plus illustres et des plus puissantes de nos contrées. Ceux 
qui ont lu la légende de S'-Bernard de Menthon, se rappelleni sans doute 


(1) Les pièces de ce singulier procès existent aux archives de Cour, province de Savoie, article 
Montmayeur. Les brouillards de l’historien Pingon (Zibaldone Pingoniano), que l’on conserve aux 
mémes archives, contiennent aussi quelques documents relatifs è cette affaire. La chronique la- 
tine de Savoie, publiée dans les Mon. hist. patr., en fait également mention. Enfin, Cibrario en 


a donne un rapide apergu dans'ses Opuscoli, sous le titre de Giudizio ‘feudale contro al presidente 
di Fesigny. 


(2) Chorier, Etat pol., t. I, p. 264. 
(3) Sommaire genéral des fiefs, prov. de Savoie, art. Chéteauneuf. 


128 DÉS ORIGINES FÉODALES ETC. 


que la jeune fille, à qui ce grand apòtre des Alpes devait umir son sort, 
avant de se résoudre à fuir les pompes du monde, était une Marguerite 
de Miolans. En consultant des sources moins sujettes à controverse, on 
voit qu’en rogo environ, un Nantelme de Miolans fonda, dans les Bauges, 
le prieuré de Bellevaux (1). La confirmation de cet acte par le comte 
Humbert II, prouve que déjà alors les sires de Miolans se reconnaissaient 
feudataires de la maison de Savoie. 

Ce qu'on s'est plu à avancer de ces seigneurs, ainsi que de la plu- 
part des races antiques de notre pays, qui pendant longtemps releyèrent 
directement, dit-on, des empereurs d’Allemagne (2), est une assertion 
que rien ne saurait justifier. Un Guiffred, on Golofred, de Miolans figure 
parmi les familiers du comte Thomas en deux chartes de l’année 1189 (3). 
En 1209, un Nantelme, ou Anthelme de Miolans, exercait les fonctions 
de tuteur d’Aymon, sire de Faucigny, et surveillait comme tel les in- 
téréts de la province soumise à la domination de ce jeune prince (4). 
Ce Nantelme fut, selon toute apparence, un personnage très-influent; 
on le recontre, depuis 1200 jusqu'àè 1235, en une infinité d’actes im- 
portants, d’où l’on peut induire que les comtes de Savoie lui accordaient 
une confiance illimitée (5). Un second, ou plutòt un troisième Nantelme 
de Miolans apparaît à son tour, de 1259 à 1263 (6). Il nous reste de 
celui-ci une prestation d'hommage, faite au comte Pierre, qui indique 
d’une manière claire en quoi consistaient les droits féodaux des sires de 
Miolans. Ce seigneur reconnaît tenir en fief: 1.° le chateau et la terre 
de Miolans avec la haute, moyenne et basse justice; 2.° l’omnimode juri- 
diction sur le mandement de Graisy; 3.° la venerie du val de Miolans, 
c'est-à-dire la faculté d’exiger que chacun des hommes de ce val l’accom- 
pagne trois fois l'an, lui ou ses gens, à la chasse des bétes fauves; et 
il est dit à ce suyet, que si quelque bonne pièce de venaison vient à 


(1) Guich., pr., p. 25. L’étude que j'ai faite sur cette illustre race embrasse un cadre très- 
ctendu; en consequence j'ai juge convenable de transporter ma narration à la fin de ce volume. 

(2) C'est ce que nous assure Grillet en plusieurs endroits de son dictionnaire. 

(3) Mon. hist. patr., t. I, p. 951. — Guich., pr., p. 45. 

(4) Une charle de la chartreuse du Repausoir, portant la date ci-dessus indiguée , commence par 
ces mols: Ego Aymo de Fulciniaco consilio tutoris mei Nantelmi de Miolans ete. V. ms. de dom Leyat. 

(5) V. Mon. hist. patr., t. I, p. 1259 el 1264. Doc., sig.e mon. , p. 120 et 126; Guich., pr., p. 45, 
51, 52, 63; Datta, Doc., lib. I, n.° 3. 

(6) Guich., pr., p. 125; Doc., sig.e mon., p. 188; Besson, p. 297; Sommoire general, province 


de Savoie, art. Miolans. 


PAR LÉON MÉNABREA 129 
échapper par la faute du manant, ce dernier sera livré à la miséricorde 
du sire, qui pourra le punir selon son caprice; 4.° le bac du village de 
Peaulx sur l'Isère, et le pontenage ou péage qui en dépend; 5.° la mes- 
tralie du val de Miolans; 6.° le banvin dudit val; 7.° les leydes de S'-Pierre 
d’Albigny et de Fréterive aux foires de la S'-Christophe; 8.° l’alpéage des 
montagnes de Montlambert, de Rothanes, de Bieilles et de S'-Germain 
en Bauges; 9.° le toisage et le treizain des maisons de S'-Pierre d’Albigoy; 
10.° les corvées du val de Miolans; 11.° enfin, le droit honorifique et 
ancien de prélever un morceau de venaison, unum frustrum, sur la 
chasse du comte de Savoie, quand le sire de Miolans aura l’occasion de 
chasser avec lui. 

A raison de ces divers fiefs, le feudataire devait au suzerain un bonnet 
ou chapeau è titre de plaid, unum pileum de placito, ce qui signifie 
que ce témoignage d’allégeance, ou de fidélité, se renouvelait à chaque 
mutation intervenue dans la personne du vassal ou dans celle du seigneur 
dominant (1). La famille de Miolans s’éteignit en 1523. Elle a produit 
plusieurs hommes remarquables et donné deux évéques (Aymon I et 
Aymon II) à l’église de Maurienne; elle portait pour armoiries bande d’or 
et de gueules de six pièces, et la devise force m'’est; ces armes se voient 
encore aujourd’hui , écartelées de celles de Montmayeur, en quelques 
endroits du chàteau de Miolans, ce qui prouve qu'il y eut alliance entre 
ces deux races (2), sur lesquelles je donnerai de plus ampies details 
la fin de ce livre. 

Jai cité les Bauges, cette vallée singulière, formée par un groupe 
de montagnes abruptes, dont l’une qui sert à encaisser l'Isère du còté du 
nord, appartenait, en partie, aux comtes de Savoie, qui y possédaient 
le chitean de Chatellard, et en partie aux comtes de Genève, qui y 
avaient le chateau de la Charnée. 

Les Bauges ont été, au moyen age, le thedive d’un grand nombre 
de combats: force coups d’épée s'y sont donnés. Si depuis Miolans Von 
continue à remonter le cours de l’Isère, on laisse, à gauche, Graisy et 
Tournon, qui furent le berceau de deux familles recommandables (3). On 


(1) Sommaire general, lieu cite. 

(2) Une charte du cartulaire de St-Hugues, rédigge à la fin du XI siècle, mentionne déjà un 
Jean de Graisy, Johannes de Graisen. V. Doc., sig. e mon., p- 36. On rencontre un Bornon de 
Graisy dans un document de 1190. V. Guich., pr., p. 30. Nous trouvons un Amédée de Fournon, 


Serre II. Tom. XXIII. In 


i 


130 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


rencontre ensuite Chevron, Cabredunum, d’où a tiré son nom une 
race illustre et puissante. En 1132, les frèves Pierre, Guillaume et 
Aynard de Chevron se réunirent pour founder un monastère de Béneédictins 
au haut du col de Tamié (Stamedium), qui conduit de la vallée de l’Isère 
en celle de Faverges (1). 

Nos historiens prétendent que le pape Nicolas II, l’un des premiers 
antagonistes' du concubinat des prétres et de la simonie, élu en 1058, 
était de la maison de Chevron. C'est une assertion qui, sous le rapport 
traditionnel, peut avoir quelque poids, mais qui manque entièrement de 
preuves directes. Vers la fin du XII siècle, la lignée masculine des sires 
de Chevron ayant defailli, les immenses domaines de ces seigneurs pas- 
sèrent aux sires de Villette, en Tarantaise, par le mariage de Guillaume 
et Humbert, fils de Thibaud de Villeite , avec Guillermine et Julienne de 
Chevron (2). 

A l’endroit où l’Isère va méler ses eaux noires et tumultueuses aux 
flots de l’Arly, qui descend du val de Megéve, s’élève un rocher , au 
sommet duquel se dressaient jadis la ville et le clàtean de Conflans. 
Les seigneurs de ce nom n’avaient pas ici des droits exclusifs; leur juri- 
diction se trouvait noyée et perdue au milieu des prétentions envahis- 
santes des comtes de Savoie et des archevéques de Tarantaise (3). Malgré 
cela, les sires de Conflans conservèrent toujours une position pleine de 
dignité. 

Une charte de 1189 nous montre un Ponce et un Guifred de Conflans 
au nombre des barons qui marchaient alors à la suite du comte Thomas (4). 
Ces mémes personnages figurent encore en plusieurs autres actes de 1190, 
I1QI, 1195, 1196 (5). En 1292, un Amedée de Conflans, chevalier et 
vicaire du Piémont, concluait, en qualité de commissaire du comte de 


Amedeus de Tornone, en un acle de 1153. Guich., pr., p. 33. Deux charles de 1248 et 1252, si- 
gnalent l’existence d’un Pierre de Tournon. V. Guich., pr., p. 91 et Doc., sigilli e mon. , p. 187. 
Le chàteau et le mandement de Tournon devinrent la propriété de la maison de Savoie. 

(1) Besson, pr., n.° 15. 

(2) V. Grillet, Chevron et Villette. 

(3) Une bulle de 1187, rapportée par Besson, pr., n.° 38, nous apprend qu’alors l’archevèque 
de Tarantaise avait droit è une portion du chàleau de Conflans. Les comles de Savoie finirent 
par devenir seuls propriétaires du chàteau et de la ville, à cause de l’importance militaire de cette 
localité. 

(4) Interfuerunt testes barones subscripti. ... Pontius ct Guiffredus de Conflans (Guich., pr. , p. 45). 

(5) Mon. hist. patr., t. I, p. 951, 979, 981. Guich., pr., p. 45 et 46. 


PAR LÉON MÉENABRÉA Meri 


Savoie, une tréve avec les députés du marquis de Montferrat (1). Enfin, 
un Jean de Conflans occupait le poste éminent de chancelier de Savoie 
au commencement du XIV siècle (2). 

A. Conflans viennent aboutir trois vallées étroites, dans chacune des- 
quelles il est nécessaire que nous penétrions, savoir le val de Faverges, 
le val de Beaufort et la Tarantaise. 

Mais Je crois qu'il est à propos avant tout que je fasse parcourir 
au lecteur une quatrième vallée qui s'ouvre à deux lieues environ plus 
bas; Je veux parler de la vallée de l’Arc, c'est-à-dire de la Maurienne. 

Dès le XI siècle, trois juridictions principales s°y trouvèrent établies: 
celle de la maison de Savoie, celle des sires de la Chambre et celle de 
l’église episcopale de S'-Jean. La petite ville d’Aiguebelle, à l’entrée de la 
Maurienne, a toujours été considérée comme le noyau des possessions que 
les illustres successeurs d’Humbert-aux-Blanches-Mains acquirent, par la 
valeur et le génie, en decà des Alpes. C'est à Aiguebelle, ainsi que je l’ai 
remarqué ailleurs, qu’ils firent un premier essai de souveraineté, en 
frappant une monnaie qui obtint bientòt un cours assez étendu, sous le nom 
de monnaie d'Aiguebelle (3). Pendant long-temps ces princes ne prirent 
d’autre titre que celui de comtes de Maurienne et marquis en Italie, 
comites Mauriannenses et marchiones in Italia. Le comte Thomas, qui 


7 


succéda à Humbert IN en 1188, et qui mourut en 1233, s'étant intitulé 


comte de Savoie, comes Sabaudiae, ses descendants continuèrent à faire 
usage de cette qualification. 

Au sortir d’Aiguebelle et sur la croupe d’un rocher, qui semble pose là 
pour intercepter le passage , se dressait jadis le chàteau de Charbonnière, 
que nos chroniqueurs supposent, ainsi que je l’ai dit, avoir été construit 
par Bérold. Non-seulement l’origine ici consignée n’offre absolument rien 
d’historique, mais il y a lieu de douter si le chàteau de Charbonnière 
fut dès le principe la propriété des comtes de Maurienne. Nous avons 
> vu en effet que c’est dans ce manoir qu’en l'année 1043 un sire de 
Chambéry fit donation de plusieurs biens à l’abbaye de la Novalaise. 


(1) don. hist. patr., t. I, p. 1632. 

(2) Il intervint, comme tel, à l’ordonnance qu’Amedée VIII rendit pour fixer les conditions du 
duel d’Oihon de Grandson avec Gérard d’Esfavayé. Guich., pr., p. 247. Un Thomas, un Pierre, 
un Humbert de Conflans soni en outre mentionnés dans des chartes publiées par Besson , pr., 
n.05 51, 60 et 67. 

(3) V. ci-devant. 


132 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Deux charles, rédigées au commencement du XII siècle, nous révèlent 
l’existence de deux seigneurs, dits de Charbonnières, de Carbonneriis, 
ou de Charbonneritis, qui peut-étre iraient leur nom du chàtean dont il 
s’agit. Il y a plus: on trouve que jusque vers le milieu du siècle suivant, 
lorsque les comtes de Savoie étaient appelés à faire quelques contrats 
à Aiguebelle, ils les passaient au domicile des particuliers et nullement au 
chiteau de Charbonnière, ce qui me semble ne pouvoir s’expliquer qu’en 
admettant que ledit chàteau n’appartenait point encore à ces princes (1). 

Après les terres de la maison de Savoie. en Maurienne, on ren- 
contrait les domaines compactes des antiques seigneurs de la Chambre. 

L'origine de la famille de la Chambre va se perdre au sein des té- 
nèbres du XI siècle: la plus ancienne nolion qui nous en soit parvenue, 
‘résulte d'une charte rédigée sous le pontificat de l’évéque Théobald, 
c'est-à-dire de 1038 à 1055, où l’on voit deux frères de la Chambre, 
Guillaume et Anselme, faire une donation de terres au chapitre de 
Maurienne. On trouve le seing d’un Aymon de la Chambre au bas d’un 
acte passé, en 1097, par le comte Humbert H en faveur du prieuré du 
Bourget (2). 

Depuis lors, le nom de ces puissants feudataires se rencontre presque 
à chaque page dans la série des monuments paléographiques de notre 
histoire (3). Les sires de la Chambre eurent, ainsi que je le dirai en 
son lieu, de longs et vifs démélés avec l’église de Maurienne, au sujet 
de certains droits temporels: une sentence arbitrale de 1252 leur 
adjugea les cinqg bans appelés royaux, quingue banna regalia, sur les 
habitants de Tygne, de S'-Remy, de Cuine et du Villards; ces bans 
emportaient la reépression des crimes de trahison, d’effusion de sang 
faite à l’aide d’une arme tranchante, de vol, de parjure et d’adultère (4). 


(4) adctum est hoc Aquebelle in domo Clorelli; charte du comte Thomas, année 1200. Guich. , pr. , 
p. 47. — Facta est hec ultima confirmatio apud Aquambellam in domo Clorelli ; charte du méme 
prince, mèéme époque environ. Guich., pr., p. 49. Acctum hoc Aquebelle in solio Willelmi de Saisel; 
charte du mème prince, année 1210..... Actum est hoc apud Aquambellam; charte du mème 
prince, année 1225; Guich., pr., p. 54. Actum est hoc apud Aquambellam in domo quondam Hugonis 
de Bull....; charte du comte Amé IV, année 1202; Doc. , sig.e mon., p. 187. 

2) Guich., pr., p. 27. 

(3) Je vais indiquer ici quelques-unes des sources où le lecteur pourra puiser, si bon Iui semble, 
des renseignements propres à éclaircir plus particulièrement ce quì regarde ces seigneurs ; 
{:uich., pr., p. 30, 33, 45, 46, 49, 50, 64, {13; Besson., pr., n.° 26; Doc., sigilli e mon., p. 183; 
Mon. hist. patr., p. 951, 952, 1187. 

+ Doc., sigilli e mon., p. 183. 


PAR LEON MENABREA 133 


Outre de vastes domaines, soit féodaux, soit allodiaux, les seigneurs dont 
je parle possédaient le vicomté de Maurienne, à raison duquel ils relevaient des 
comtes de Savoie. La qualité de vicomte ne donnait aux sires de la Chambre 
que de simples parcelles de juridiction, et ne consistait point, comme on pour- 
vait le croire, en une devolution quelconque de territoire. C'est en ces sortes 
de fiefs que le régime féodal se plaisait à déployer tout ce qu'il avait de singu- 
lier et de bizarre. Il suffit pour s'en convaincre de jeter un coup d’ceil sur la 
transaction passée, en 1309, entre le comte Amé V et Richard de la Chambre, 
à l’occasion des droits que l’exercice du vicomié de Maurienne donnait à ce 
dernier. Il y fut convenu de plusieurs articles, dont voici les plus importants. 

1° Que lorsque des malfaiteurs seraient arrétés, en Maurienne, par 
les officiers du comte de Savoie, ceux-ci devraient les amener immé- 
diatement dans les prisons du vicomte, sans se permettre de les dé- 
pouiller de leurs hardes et de leurs vétements. 

2° Que, s’'agissant d’élargir un prisonnier sous caution , Vexamen de 
la solvabilité du fidéjusseur appartiendrait au juge comital, et les autres 
formalités aux familiers du vicomte. 

3° Que le vicomte aurait la faculté de faire arréter directement tout 
individa inculpé d'un delit quelconque emportant une peine corporelle, 
et méme toute personne prévenue d’un acte méritant une simple peine 
pecuniaire, pourvu que le délinquant soit étranger ou fugitif. 

4° Que les inquisitions, ou informations, nécessaires pour acquerir la 
preuve des infractions, se feraient par le chatelain du comte de Savoie. 

5° Qu'il écherrait néanmoins aux officiers du vicomte d’appliquer la 
torture aux coupables. 

6° Que le juge comital pourrait seul condamner ou absoudre. 

7° Que l’administration des peines corporelles, dans les lieux è ce 
destinés, regarderait exclusivement les familiers du vicomte. 

$° Que cependant le comte de Savoie conserverait le droit d’infliger 
les supplices exemplaires à ceux qui commettraient des crimes sur les 
routes publiques, et l'on a. soin d’expliquer que l’on considère comme 
privees les routes transversales de la vallée, ainsi que les chemins couverts 
qui existent parfois à còlé, ou en travers des voies principales. 

9° Enfin que le vicomte percevrait le tiers des amendes, danna con- 
dempnata , et le tiers des compositions judiciaires, danna concordata, ei 
quil aurait la faculté de lever des gages sur les débiteurs, afin d’étre 
payé de cette quote part des bans. 


x 


134 DES ORIGINES FÉODALES ETC, 


Les sires de ia Chambre possédaient. en Maurienne deux chateaux, 
situés lun à Notre-Dame du Cruet, et l’autre à S'-Etienne de Cuines, 
à droite et à gauche de l’Arc; le premier était surtout remarquable par 
son étendue et sa position. Ils avaient encore dans la vallée de la Rochette 
un troisiéeme chateau, appelé de l’Aiguille, ou de l’Heuille, parce qu'il 
occupait en effet le haut d'un rocher taillé à pic. Gràce à un courage 
invincible, à une adresse merveilleuse , ces seigneurs parvinrent à un 
degré de puissance telle, qu'an XV siècle ils ne craignirent pas de se 
mettre en opposition ouverte avec la maison de Savoie. Nous trouvons 
en effet qu'en 1481 Louis de la Chambre, fatigué, indigné de l’état 
d'assujettissement où la France tenait notre malheureux pays, rassembla 
un nombre considerable d’hommes de guerre, tant cavaliers quepiétons, 
et se rendit à Yenne, où il s'empara de Philibert de Grolée, sire de 
Lins (ou L’Huis), gouverneur du jeune duc de Savoie, l’agent fidèle 
de l’astucieux Louis XI, et l’emmena prisonnier en son chateau de 
Lully (1). 

Cet acte de violence fut le signal d’une longue collision, dont les 
peripeties forment le sujet d'une relation contemporaine et inédite (2), 
excessivement curieuse, intitulée: S'ensuyvent les delicts et auvres de 
faict perpetres et commys par messire Loyis de la Chambre, par les- 
queulx justement sunt confisquez ses biens et adjugez a nostre tres re- 
doubte seigneur et prince monseig.” le duc de Sapoie (3). La sentence de 
confiscation, ici rappelée, est du 31 aoùt 1491; on trouve, sous la date du 
5 novembre de la méme année, des lettres de la duchesse Blanche, où 
cette princesse ordonne la démolition de la maison-forte de Chateauneuf, 
qui était la propriété de Loys de la Chambre, powr les rebellions et 


felonies par luy commises (4). 


1) Voyez la chronique latine de Savoie, Mor. hist. patr. script., t. I, p. 661. 

(2) Cette relation a été publiée dans les Mém. de 2’ Acad. de Savoie (volume des documents) sous 
le titre de Yolande de France par Léon Ménabréa. (Ce recueil, le premier qui ait été mis au jour 
après la mort de l’auteur, contient des recherches précieuses jusque-là inédiles, qui offrent une 
foule de details intéressanis sur l’époque du moyen àge). 

(3) Archives de Cour, province de Maurienne, liasse n.° 1. On trouve dans ce mèéme numéro une 
relation semblable , écrite en lalin et inlitulée Zrfra proxime sequurtur continentie delictorum cri- 
minum operum facti invasionum homicidiorum et aliorum criminum nephandorum perpetratorum per 
Ludovicum olim comitem camere ele. etc. Les archives de Chambéry contienpent aussi quelques 
titres relatifs à cet objet; on y voit qu’en 1494 les habitants de cette ville ‘allerent assiéger le 
sire de la Chambre dans le chàteau d’Apremont. 

(4) Arch. de Cour, Maurienne, liasse 3, n.° 2 et 4. 


PAR LÉON MENABRÉEA 135 
Je ne répéterai pas ce que jai ‘dit précédemment de la puissance 
temporelle des évéques de Maurienne (1). Outre les juridictions princières 
dont j'ai parlé, s'échelonnaient en Maurienne diverses familles plus ou 
moins illustres, que je crois utile de faire connaître: et d’abord à l’entrée 
de la vallée, et avant méme d’arriver à Aiguebelle , sur la croupe du 
delta, formé par la jonction de l’Isère et de l’Arc, on remarque le village 
d’Ayton, qu'une charte de 1197 me fait présumer avoir eu primitivement 
ses seigneurs particuliers. Ce document nous montre en effet un Amedeus 
de Eytone, assistant à une donation du comte Thomas en faveur de l’hos- 
pice du mont Cenis (2). Le méme personnage avait figuré, l'année pré- 
cédente, parmi les pleiges, ou cautions, qui jurèrent l’observation d’un 
traité conclu entre ce prince et l’abbaye de S'-Rambert, en Bugey (3). 
Au delà d'Aiguebelle, et à la gauche de Arc, au sommet d’un rocher 
d’où la vue embrasse une portion du cours de la rivière , s’élèvent ‘les 
vuines du chiteau d’Hurtières, de Urzeriis, qui appartenait jadis à une 
famille aussi ancienne que puissante. Une série d’'hommes éminents con- 
tribuèrent, surtout au XIV siècle, à faire parvenir cette noble race au 
plus haut degré de splendeur. Un Jean d’Hurtières exergait la charge 
importante de bailli du Bugey en 1311 et 1312 (4): un Pierre d’Hurtières 
fut du nombre des conseillers qui administrèrent les états de Savoie, 
pendant la minorité du Comte Vert (5). Lorsque ce guerrier aventureux 
entreprit, en 1366, sa fameuse expédition en Orient, une foule de che- 
valiers le suivirent; l’on y voyait, entre autres, un Ameédée, un Jean 
et un Aymar d’Hurtières (6): nous savons que le premier était l’un des 
quatre capitaines que le comie investit du commandement de la grosse 
bataille , c’est-à-dire du centre de larmée (7): il serait très-facile de 
multiplier ces sortes de citations. 
En continuant à avancer contre-mont, on apercoit, proche de la 
Chambre, les villages qui turent le berceau de la famille de Cuines, 


(4) V. ci-devant. i 

(2) Guich., pr., p. 46. 

(3) Ibid. 

(4) Delle finanze ecc., disc. 1.° Mém. de l’Acad. de Turin, t. XXXVI, p. 75, în nobis. 

(5) Guich., pr., p. 175. 

(6) Datta, Spedizione ecc., p. 258. 

(7) V. le document intitulé C’est l’ordonnance de Monscigreur, imprimé par Cibrario è la fin 
du premier volume de son Economia politica, 2.° édition, tome J, p. 410. 


136 DES ORIGINES FEÉODALES ETC. 


famille non moins distinguée que la précédente. Un Aymon de Cuines, 
Aymo de Cuina, nous est déjà connu par un acte de 1153 (1): un Ponce 
de Cuines existait en 1195 (2). Un Boson et un Girard de Cuines se 
montrent en 1252 etc. etc. (3). 

Un peu avant d’arriver à S'-Jean, on rencontrait le manoir des nobles 
de Balme, situé à Montvernier; puis celui des nobles de Tigny, situé au- 
dessus de Pontamafrey (4). 

Au sud de la ville épiscopale, dans la gorge latérale où roule le 
torrent d’Arvan, on rencontrait les terres des seigneurs d’Albiez, de 
Vallin, des Costes, des Colonnes (5). A S'-Jean méme vivaient les nobles 
du Pont qui, en 1215, s'avouèrent sur l’autel et en face des reliques du 
précurseur de J.-C., hommes liges du venerable chapitre de Maurienne, 
en déclarant que leur aieul, venu d’un pays étranger, s’était enrichi 
des bienfaits de ce chapitre. Enfin è S'-Michel, qui occupe, comme on 
sait, le point où commence la haute vallée, florissaient, au XII siècle, les 
sives de S'-Michel. Un seigneur de ce nom, Emmo de $.!° Michaele miles, 
est inscrit è la suite des comtes de Savoie en un document de 1296 (6). 


(1) Besson, pr., n.° 26. 

(2) Guich , pr., p. 45. 

(3) Doc., sigilli e mon., p. 188. 

(4) Observations sur quelques anciens titres, p. 1Li et 112. 
(5) Ibidem. 

(6) Guich., pr., p. 46. 


PAR LEON MÉNABREA DO 


CHAPITRE VIII. 


Bourg d'Ugine. - Seigneurs de Faverges. - Giez. - Beaufort. - Tarantaise. - Sires du 


Verger, de Tours et autres. - Briancon. - Seigneurs redoutables. - Humbert II par- 
vient è les chatier. - Vicomté de Tarantaise. - Guigues II et deux de ses fils meurent 
en terre sainte.:- Guet-a-pens. - Collisions. - Hommages. - Vastes domaines de ces 


seigneurs. - Ville de Mouliers. - Bourg de Salins. - Juridiction des comtes de Savoie. - 
Fief de la Saulce. - Bozel. - St-Jucques-l'Assyrien. - Légende. - Archevéques de Taran- 
laise. -— Détroit du Ciel. - Centron. - Sires de Villette. - Thibaud. - Humbert, vidomne. - 
Aime, l’Axima des romains. - Scez. - Tombeau d'un sire de Val-d'Isére. - Cilé d'Aoste. 
- Ses antiquités. - Légendaires. - Enceinte de celte ville. - Eveques d'Aoste. - Leur 
puissance. — Forteresse mixte. - Droîts de l'évéque. - Vicomié. - Portes. - Sections. - 
Sîires de la Tourneuve. - Du Pertuis. - Comtes de Challant. - Sires de Quart, de Vallaise. - 
Chateau de Bard.- Chateau de Montjovet - Hugues; son caractère indomptable, sa ruine. 
- Famille de Pont-St-Martin et autres. - Tour de Verres. - Scigneuries diverses. - Chateau 
d'Aimaville. - Fiefs situés le long de la Doire. - Catégories. - Priviléges. - Supériorité de la 
maison de Savoie dans la vallée d'Aoste. 


Il est temps que je ramène le lecteur à Conflans, d’où je pourrai le 
conduire successivement dans le val de Faverges, dans celui de Beaufort 
et dans la Tarantaise; franchissant ensuite la Colonne-Joux (petit 
S'-Bernard), Jexplorerai le val d'Aoste, contrée aussi intéressante que 
peu connue, qui, bien que située au delà des monts, faisait partie du 
royaume de Bourgogne. De là, rebroussant chemin, je repasserai les Alpes 
et terminerai la chorogvaphie historique que j'ai entreprise, en jetant 
un coup d’oeil sur le Dauphiné et sur la poriion de la Provence, qui 
setend le long de la rive gauche du Rhòne, et va se ierminer à la mer. 

Pour pénétrer dans la riante et fertile vallée de Faverges, il faut 
d’abord remonter la rivière de l’Arly jusqu'è Ugine. A l’extrémité de ce 
bourg, construit au sommet d’un mamelon presque détaché des montagnes 
voisines, s'élevait jadis un chiteau (le chateau d’Ugine), où les comtes 
de Savoie entretenaient un chàtelain; ce manoir, à cause de sa position, 
aux confins du Genevois et du Faucigny, eut, si l’on en croit les chro- 
niques et la tradition, de rudes siéges à soutenir. D'Ugine è Faverges 
le trajet est court; on rencontre, entre deux, le village de Marlens qui, 
suivant une charte de l'an 1025 environ, se trouvait en dedans des li- 
imites du pagus ou pagellus Albanensis, subdivision du grand pagus 
Genevensis. 


Serie II. Tom. XXIII. 1$ 


138 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 

Faverges, Fabricae, appartenait à des seigneurs qui paraissent avoir été 
fort puissants. Les premiers droits acquis par la maison de Savoie ‘sur ce fief 
datent d’une vente que Hugonet de Faverges, damoiseau, fils de Guillaume 
de Faverges, chevalier, fitle 20 décembre 1293 au comte Ame V. Le chateau 
de Faverges passa à ce prince en vertu d’un acte du 26 novembre 1316(r). 

A une demi-lienue de Faverges existe un autre chitean où résidait 
la noble famille des sires de Giez; cette race s’éteignit en la personne 
de Béatrix de Giez, qui, en 1225, épousa Humbert de Villette (2). 

Autant le val que nous venons de traverser est gracieux, autant celui 
de Beaufort est abrupte et d'un difficile accès. Là, au milieu des acci- 
dents sévères de la nature alpestre, vivaient, comme dans l’aire d’un 
oiseau de proie, les sires de Beaufort: ces seigneurs étaient toul à fait 
illustres. Guillaume-Willelme, lun d’eux, eut avec les archevéques de 
Tarantaise d’assez graves démélés, qui furent terminés en 1225 à l’ar- 
bitrage de l'’évéeque de Maurienne et de l’abbé de Tamié (3). Ce per- 
sonnage, déjà cité en une charte de 1207 (4), figura en 1219 parmi 
les cautions que le comte Thomas donna au comte Raymond Bérenger 
de Provence, pour le paiement de la dot de Beatrix de Savoie, femme 
de ce prince (5). On le remarque encore, en 1234, au nombre. des 
otages que le comte Amé IV devait, le cas échéant, livrer à Aymon, 
son frère, en garantie des conventions qu’ils venaient de conclure, rela- 
tivement au partage de la succession paternelle (6). 

Presque au bout du val de Beaufort, s’ouvre la petite vallée de 
Hauteluce, contiguè aux glaces des Alpes, où les comtes de Genève, par 
un effet des bizarres fractionnements qu’engendrait le régime féodal, avaient 
etabli leur domination. Toutefois, à raison de cette vallée, ils se recon- 
naissaient les feudataires des archevéques de Tarantaise, ainsi que nous 
l’apprend un document de 1220, où est consigné l’hommage lige que 
le comte Guillaume fit alors à l’archevéque Bernard. Les énonciations 


de cet acte ne permettent guère de douter que les comtes de Genève 


(1) Vernazza, Considerazioni supra la salvaguardia di Talloires, dans les Mém. de V’ Acad. de Turin, 
t. XXXIV. 

(2) Grillet, t. ITI, p. 432. 

(3) Besson, pr., n.° 46. 

(4) Guich., pr., p. 49. 

(5) Doc., sigilli e mon., p. 122. 

(6) Datta, Doc., lib. I, n.° 3. 


PAR LÉON MENABREA 139 


n’eussent use de violence pour se rendre maîtres de la vallée dont il 
S'agit (1). Revenant aux sires de Beaufort, je ne dois pas laisser ignorer 
que, le 18 mars 1271, ces seigneurs vendirent à Beatrix de Savoie , 
dauphine de Viennois et dame de Faucigny, la moitié du mandement de 
Beaufort, moyennant la somme de 13,025 livres viennoises. Cette prin- 
cesse el Hugues Dauphin, son heéritier en la baronnie de Faucigny, 
finirent bientòt par se faire céder tout ce qui restait de cet antique 
fief (2). Hugues Dauphin, devenu en outre propriétaire de la vallée de 
Hauteluce, eut avec les archevéques de Tarantaise des contestations , 
auxquelles mit fin une transaction passée en 1318 (3). 

Maintenant il convient que nous pénétrions en Tarantaise. Ainsi que 
je Vai fait observer précédemment, la Tarantaise formait, à elle seule, 
un des pagi, cu comtés du royaume de Bourgogne. 

J'ai dit ailleurs comment, en 996, è l'époque où la puissance tem- 
porelle du clergé semblait devoir étouffer les juridictions laiques, l’arche- 
véque de Tarantaise se fit donner ce comté par Rodolphe-le-Fainéant (4); 
cela n’empécha point que, sous la suzeraineté de ces preélats , suzeraineté 
toujours inquietée et souvent foulée aux pieds, plusieurs familles ne prissent 
des développements considérables. 

Dès qu'on avait franchi les premières gorges de la vallée, on aper- 
cevait, à droite, les domaines des sires du Verger, et à gauche, ceux 
des sires de Tours et de Cevin. Un Pierre du Verger, chevalier, Petrus 
de Viridario miles, se retrouve en deux chartes de 1284 et de 1296 (5). 
Un Anselme de Tours, aussi chevalier, vivait en 1213 (6); un Gauthier 
de Cevin figura parmi les otages * pleiges, ou cautions, que Guillaume 
de Beaufort dut fournir pour garantie du traité qu'il conclut, en 1235, 
avec l’archevéque Hertuin (7). 

Il ne faut pas oublier qu’avant d’arriver à Cevin, où la tradition 
suppose qu’existait jadis une horde de Sarrasins, on rencontrait le 


(1) Cum Tareniasiensis ecclesia proponeret totam vallem Lucie donatam fuisse in sui fundatione 
beato Jacobo primo Tarentasiensi archiepiscopo. .... Nos WWillelmus comes si in aliquo culpabiles 
fuimus in detentione predicte vallis..... (Besson, pr., n.° 45). 

(2) Sommaire général des fiefs, Savoie, art. Beaufort. 

(8) Besson, pr., n.° 779. 

(4) V. ci-devant. 

(5) Besson, pr., n.0 67 et 71. 

(6) Ibid., p. 203. 

(7) Ibid., pr., n.° 46. si 


140 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


chiteau de la Batie, ou de S'Didier, castrum S.li Desiderii , qui 
appartenait à l’église de Tarantaise (1). À 

En continuant è remonter le cours torrentueux de l’Isère, au milieu 
des foréts qui tapissent, de còté ‘et d’autre, le penchant des montagnes, 
on ne tarde pas à étre arrété par l’aspect d’un rocher pyramidal, qui a 
l’air de lancer au ciel sa cime bizarrement decoupée, et dont la base va 
se cacher sous les flots écumeux de la rivière. Au sommet de ce pic se 
dressait le chateau des sires de Briancon; on y montait par 300 marches 
taillées dans le roc (2). 

Jamais feudataires ne furent plus redoutables. Maîtres d'un passage 
nécessairement fréquenté, forts d'une position inexpugnable, ils profitaient 
de ces avantages pour ranconner les voyageurs, piller le pays et étendre, 
au loin, la rapine et le meurtre. Les chroniques de Savoie consacrent 
un chapitre entier à raconter de quelle manière le comte Humbert IT 
réussit d les chatier (3). A Vexemple des sires de la Chambre, qui pos- 
sédaient le vicomté de Maurienne, les sires de Briancon exercaient, en 
Tarantaise, la juridiction de vicomtes, sous la mouvance des archevéques. 
Les plus anciens que nous connaissions sont un vicomte Gonthier et son 
frèére Aimeric, qui vivaient à la fin du XI siècle (4). Un Aimeric, pro- 
bablement différent de celui que je viens de nommer, intervint, en 1129, 
à une donation faite par le comte Amé HI à la maison hospitalière du 
mont Joux (Grand.S'-Bernard); il s’intitale vicomte de Tarantaise, 
Aimericus vicecomes Tarentasiensis (5). A ce seigneur succeda , selon 
toute apparence, Aymon de Briancon, 4ymo de Brianzone, mentionné 
pour la première fois an bas d'une charte de 1137 (6). Cet Aymon 
figure, en qualité de vicomte, à un acte de 1140, Aymo vicecomes (7). 


1) V. Roche, Notice hist. sur la Tarantaise, p. 64. Le chàteau de St-Didier est mentionné dans 
le testament de l’archevèque Rodolphe, sous la date du 6 des ides d’avril 1270. V. Besson, pr., n.° 63. 

2) Roche, Motice ete., p. 62. 

(3) V. ci-après. 

4) Sigillum Gontherii vicecomitis et fratris Hemerici, Besson, pr., n.° 11, charte de 1096. Chorier, 
dans le Supplément à l’état politique du Dauphiné, p. 125, s'est évidemment trompé en prétendant 
qu@’un Arnold de Briangon, mentionné dans le cartulaire de l’église d’Oulx, était la tige de la 
famille dont il est ici question. Il a mal à propos confondu Briangon en Dauphiné avec Briangon 
en Tarantaise. 

5 Guich., pr., p. 3I. 

(6) Doc., sigilli e mon., p. 47. 

(7) Besson, pr., n.° 19. 


PAR LÉON MÉNABREA i4i 


Une lacune de plusieurs années nous amène è un Guigues de Briancon 
qui, en 1190, partit pour la terre sainte avec deux de ses fils, Oddon 
et Gonthier; aucun d’eux ne revint (1). Aymeric, troisième fils de ce 
Guigues, fier, indomptable comme ses ancétres, ayant inquieté les sires 
de Villette, fut menacé de l’excommunication par les archevéques de 
Tarantaise (2). Bientòt ces prélats eux-mémes eurent vivement à se 
plaindre de ces inflexibles seigneurs. En 1267, l’archevéque Rodolphe 
accusait Aymon, sire de Briancon et d’Aigueblanche, de lui avoir tendu 
un guet-à-pens sur la route publique, d’avoir dévalisé ses gens, violé le 
secret de ses lettres, arraché les fourches patibulaires plantées aux portes 
de Moutiers, en signe de uridiction etc. etc. (3). 

Ces collisions tiraient leur origine des prétentions de l’église de 
Tarantaise sur le chiteau de Briancon, prétentions que les archevéques 
abandonnèrent, en 1268, moyennant la somme de 1700 livres vien- 
noises (4). En dépit de la foi des traités, d’affligeantes querelles sur- 
girent derechef en 1287. Aimeric d’Aigueblanche, sire de Briancon, 
et son frère Jean, doyen d’Herford, d’une part, et l’archevéque Aymon 
de l’autre, nommèrent des arbitres, afin d’y mettre un terme (5). Enfin, 
en 1296, ledit Aymeric se decida franchement à faire hommage è ce 
pontife du fief de Briancon, en tant toutefois que cela ne préjudicierait 
point è la fidélité qu'il devait au comte de Savoie (6). Le titre de seigneur 
d’Aigueblanche, que prenaient souvent les sires de Briancon, indique 
assez que ces puissants feudataires avaient su se poser en maîtres, jusque 
sous les murs de la ville épiscopale (7). Outre de vastes domaines en 
Taravtaise, ils possédaient, ainsi que je le dirai en son temps, plusieurs 
terres en Graisivaudan , et notamment le chiteau de Bellecombe, proche de 
Chapareillan, qu’Aimeric donna, en 1289, au Dauphin de Vienne, Humbert I, 
en échange de Varcel, situé au bord de la Gresse, au-dessous de Vif. 


(1) Charte de 1227, Liber cop. factum civitatis Gratianop. tangentium. fol. 139, aux archives de 
la Chambre des comptes de Grenoble. 

(2) Besson, p. 203. 

(3) Ibid., pr., n.° 60. 

(4) Ibid., p. 208. 

(5) Ibid., pr., n.° 67. 

(6) Ibid., pr., n.071. 

(7) Je trouve un Petrus de Aquablancha dans. une charte de 1253. V. Guich., pr., p. 70: Ce 
méme personnage est mentionné dans le testament du comte Pierre. V. Guich., pr., p. 77. 


142 i DES ORIGINES FÉODALES ETC. 

La charte dressée è ce sujet (1) nous apprend qu'Aimeric s’était  pré- 
cédemment attiré la haine du Dauphin, à cause de ses nombreuses 
féelonies. La famille de Briancon de Varses a subsisté longtemps en 
Dauphine. 

Comme je le remarquais il y a un instant, le territoire de Moutiers 
touchait, du còté de l’ouest, aux possessions des sires de Briangon. A 
Moutiers (Monasterium, Musterium) résidaient les archevéques de Taran- 
taise, qui, en vertu des diplòmes impériaux, confirmatifs de la donation 
de Rodolphe-le-Fainéant, y exercaient une souveraineté absolue (2). Là 
vient déboucher la vallée latérale de Bozel, où je crois à propos de con- 
duire le lecteur, avant de poursuivre l’exploration de la vallée principale 
jusqu'au pied du Petit-S'-Bernard. 

À peine a-t-on quitté Moutiers pour s’engager dans cette étroite gorge, 
que l’on rencontre le bourg de Salins, qui doit son nom è une source 
salée, déjà exploitée du temps des Romains, et qui forme encore aujourd'hui 
une des premières industries du pays. Par l’effet d'une de ces mille sin- 
gularités qui caractérisent le régime féodal, Salins et son chéteau , chateau 
jadis important, appartenaient à la maison de Savoie. De quelle manière 
cette maison parvint-elle à y établir sa juridiction? c'est ce qu'on ignore; 
peut-étre faudrait-il adopter, à cet égard, le récit de nos chroniques, et 
dire que ce fut à la suite de l’expédition'du comte Humbert II contre 
Aimeric de Briancon, qui détroussait les passants et désolait les terres 
de l’église. Mais sì une telle conjecture est fondée, les archevéques de 
Tarantaise, en voulant se donner des protecteurs, se seraient créés, en 
réalité, des ennemis tenaces et insatiables. Nous verrons plus tard que 
c'est bien au profit de la dynastie de Savoie, que s’opéra la ruine du 
pouvoir temporel de ces prélats. 

Après avoir dépassé Salins, on trouvait le fief de la Saulce, de Salza, 
possédé autrefois par les seigneurs de ce nom (3). A une demi-lieue 
de là s’élevait le chateau de Bozel. 


({) Pour les notions complémentaires de cette famille, voyez ci-après. 

(2) Ces diplòmes datent des années 1171, 1184, 1186 et 1226; ils ont gté publiés par Besson, 
pr., n.° 33, 37, 38 et 48. 

(3) Un Zheobaldus de Salza fut, en 1225, du nombre des cautions qui intervinrent au traité de 
l’archevèque de Tarantaise avec Guillaume de Beaufort. Un 777MleImus de Salza figure aussi en un 
acte de 1296. V. Besson, n.° 46 et 72. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 143 

Quoique ce chiteau fîit la propriété des archevéques, qui y tenaient 
un chatelain (1), le mandement de Bozel comptait plusieurs familles 
nobles (2), parmi lesquelles on distinguait celle des sires de Bozel, qui 
était incontestablement fort ancienne. On voit, au XII siècle, S'-Pierre 
de Tarantaise racheter différents droits ecclésiastiques des mains de 
Gonthier, fils de Rodolphe de Bozel, pour le prix de 8 sols de Suze (3). 
Un Aymon de Bozel, Aymo de Bosellis, figurait, en 1140, au nombre 
des hauts personnages, optimazes, de la contrée (4). Un Rubeus de Bozel 
florissait d’autre part en 1225 (5). Enfin nous savons qu'en 1267 un 
sire de Bozel eut guerre avec les sires de Briancon, qui détenaient, dans 
la vallée de Bozel, quelques fiefs relevant de l’église de Tarantaise (6). 

Je suis maintenant obligé de revenir sur mes pas, afin de pousser 
jusqu'au sommet des Alpes la pérégrination chorographique que j'ai eu- 
ireprise. 

A peu de distance de Moutiers, en remontant le cours de l’Isère, on 
remarque devant soi la masse énorme d’un rocher, qui se détache de 
la montagne voisine, et retombe è pic au bord de la rivière, qui roule 
bruyante et tumultueuse à ses pieds. Là S'-Jaques-l'Assyrien consiruisit 
au V siècle un chateau, qui devint ensuite célèbre, sous le nom de 
Chateau-S'-Jacques. 

Nos légendes racontent que lorsque cet apòtre de la Tarantaise eut 
commence è élever ce monument, un ours sorti de la forét s’élanca sur 
une couple de boeufs, qui charroyaient les matériaux destinés à l’édifice, 
et devora un de ces pacifiques animaux; qu’aussitòt l'homme de Dieu 
survint et ordonna à la béte carnassière de prendre la place de l’occis, 
ce qu'elle exécuta sans regimber (7). 

Les archevéques de ‘Tarantaise résidaient fréquemment au chateau 
dont il s’agit, qui, en cas de guerre, leur offrait une retraite sùire; ils 
y tenaient un chitelain (8). 


(1) Un Humbert Bertrand, chàtelain de Bozel pour l’archevèque de Tarantaise, est mentionn 
dans une charte de 1336, rapporiée par Besson, pr., n.° 24. 

(2) Plures nobiles de Bosellis. (Besson, n.° 84) 

(3) Besson, p. 295. 

(4) Ibid. , pr., n.° 19. 

(5) Ibid., pr., n.° 46. 

(6) Ibid., pr., n.° 60. 

(7) Paruit ursus suoque labore jacturam vorati bovis reparavit. 

(8) Le chàtelain de St-Jacques est mentionné dans une charte de 1336. V. Besson, n.° 84, 


144 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


En continuant à cheminer à travers les gorges des Alpes grecques, 
au milieu des bouleversements que la nature y a entassés, on était arrété 
jadis par le Détroit du Ciel, defilé profond où passait la voie consulaire. 
Plus loin, le voyageur émerveillé ose à peine sonder de l’oeil le sant de 
la pucelle , gouffre béant, que la tradition s'est amusée à enrichir de 
mille histoires fantastiques. Au delà se présente Centron, chétif village, 
autrefois capitale des Centrons, peuple intrépide, que les vainqueurs du 
monde ne purent soumettre qu’après de longs efforts. Quelques pas encore 
et l’on arrive à Villette, qui fut le berceau d’une famille illustre. 

On trouve en effet, que déjà en 1150 vivait un Thibaud de Villette, 
qui intervint comme pleige, ou otage, d’Humbert III, comte de Savoie, 
à un traité que ce prince fit alors avec l’abbaye de S'-Maurice (1). Ce 
Thibaud, ainsi que je l’ai remarqué ailleurs, maria deux de ses fils aux 
héritières de la maison de Chevron, dont les immenses richesses passèrent 
de la sorte aux sires de Villette. De 1195 à 1218, un Humbert et un Amédée 
de Villette paraissent ensemble, ou séparément, à une infinité d’actes 
importants; ces seigneurs exercèrent sans doute de leur temps une 
grande influence (2). Le second eut à soutenir, contre les chanoines de 
Tarantaise, diverses contestations, auxquelles mit fin un accommodement, 
conclu en 1216 (3). 

J'ai dit précédemment comment les sires de Villette étaient devenus. 
maîtres de la seigneurie de Giez, proche de Faverges (4). Or un nouvel 
Humbert de Villette qui, en 1336, occupait la charge de vidomne de 
Genève et de chatelaim du chiteau de l’IÎle (5), ayant épousé l’héritière 
d'une branche de la maison de Rarogne, en Valais, porta en outre 
dans sa famille les vastes possessions de son épouse (6). Il serait facile 
de pousser plus loin cette nomenclature. 


1) Guich., pr., p. 4l. 

(2) V. Guich., pr., p. 45, 46, 63. Besson, pr., n.° 44. Mon. hist. patr., t. 1, p. 1186. Sur quel- 
ques autres personnages de la famille de Villette, on peut encore voir Grillet, t. IM, p. 432; 
Bibl. Seb., cent. 2, n.° 52; Besson, pr , n.° 46; Doc., sigilli e mon., p. 137, 141, 187. Il est bien 
entendu qu’il faudra chercher ces indications parmi les noms des temoins qui figurent au bas des 
chartes. 

3) Besson, pr., n° 44. 

(4) V. ci-devant. 

(5) V. la liste desdits vidomnes, dans le F/éau de l’aristocratie genevvise, p. 269 

(6) Grillet, t. NI, p. 432. 


PAR LÉON MENABREA 145 


De Villette è Aime, le trajet est court. Aime, l’Axima des Romains, 
la résidence du proconsul qui administrait la province, est tout empreint 
d'un cachet antique; là une foule d’inscriptions et de ruines attestant la 
grandeur du peuple roi, sollicitent les investigations de l’archéologue. Je 
ne signalerai qu’en passant le bourg S'-Maurice, localité populeuse qui, 
dès une époque reculée , forma une communaute régulière; je m’arréterai 
à Scez, village situé au pied de la colonne Joux, ou Petit-S'-Bernard, 
columna Jovis, au point de jonction des deux gorges alpestres de Bonne- 
Val et de Val-d'Isère: Scez et le Val-d'Isìre appartenaient, de toute 
ancienneté, aux sires de Duing, qui y avaient un chateau dont les restes 
subsistent encore. 

Ces seigneurs, admirablement places pour barrer le passage des Alpes, 
se livraient en ce lieu, si l’on en croit la tradition orale, à des brigan- 
dages odieux; les vieillards de Scez racontent, entre autres, de quelle 
manière l’un d’eux, appelé Humbert, convaincu d’avoir abusé de maintes 
filles des environs, et réputé coutumier du fait, fut poursuivi jusqu'à 
Bellentre par la population en courroux, et ne dut son salut quià la 
vitesse de son roussin. On trouve dans les archives du Bourg-S'-Maurice 
qu'un Humbert de Val-d'Isère (c'est peut-étre le méme) eut de graves 
querelles avec les communes voisines, au sujet de la propriété des bois 
noirs, qui tapissaient le haut de la vallée, nemora nigra wvallis Ysare. 

Il existe à Scez le tombeau d’un sire de Val-d’Isère qui mourut, è 
ce que l’on prétend, au retour de la Palestine ; ce seigneur est représenté 
couché de son long, armé de toutes pièces, l’épée posce sur la poitrine, 
et ayant à ses pieds un lion qui ronge une patte de chevreuil, et qui 
porte un collier orné de coquilles. 

Franchissons maintenant la colonne de Joux, où les comtes de Savoie 
avaient établi un péage, et transportons-nous à Aoste, l_ Augusta Praetoria 
des anciens. 

Cette ville, l’une des plus remarquables de l'Europe, soit par ses 
antiquités, soit par ses monuments féodaux, doit, comme on sait, sa 
fondation à une colonie de soldats prétoriens qu’Auguste y envoya après 
que Terentius Varro eut dompté, ou plutòt détruit, les Salasses. 

Quoiqu’une telle origine fùt passablement respectable, les chroniqueurs 
et les legendaires du moyen àge imaginèrent d’accroître le lustre de la 
cité romaine en supposant qu'elle avait été construite sur les ruines 
d’une autre cité appelée Cordèle, fondée , disaient-ils, onze cents ans 

Serie II Tom. XXIII 19 


146 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


avant l’ère chrétienne, par un prétendu Cordelus, petit-fils de Saturne 
et cousin (je crois) d’Hercule (1). Située an débouché des Alpes grecques 
et des Alpes pennines (2), Aoste acquit, sous les Romains, une impor- 
tance facile à comprendre; aussi les maîtres du monde y éleverent-ils ces 
vastes et somptueux édifices, ces temples, ces amphithédtres, ces ponts, 
ces arcs triomphaux, dont les restes font, par leurs masses imposantes, 
par leur architecture sévère et vraiment digne du peuple roi, l’étonnement 
du vulgaire , l’admiration des savants. 

Les murailles qui ceignent la ville et qui, en majeure partie, sub- 
sistent encore de nos jours, forment un carré long, disposé suivant 
la direction de la vallée. Sur le còte oriental de ce carré existent les 
portes prétoriennes, et du còté opposé s'ouvre la porte décumane. Les 
tours féodales qui, de distance en distance , flanquent cette enceinte, 
sont bàties presque en entier avec les parements extérieurs des murs 
antiques. ; 

Ces brièves indications m’ont paru necessaires pour l’intelligence de 
ce que Jaurai à dire bientòt. De toutes les localités que nous avons 
explorées jusqu’è présent, il n’en est peut-étre aucune où la souverainete 
ait subi, aux X, XI et XII siècles, un fractionnement plus singulier, plus 
étrange que celui que l’on remarquait à Aoste, et où se soient établies 
des juridictions si multipliées et si singulières. Et d’abord parlons des 
droits directs qu’y exercaient les évéques: ils n’étaient pas fort étendus. 

Si nous consultons une charte de 960, nous y voyons que ces prélats, 
bien autrement puissants alors: qu'ils ne le furent ensuite, se plaignaient de 
ce qu'Adalbert, marquis d’Ivrée et fils de Bérenger, roi d’Italie , cherchait 
à s'approprier, au préjudice de l’église d'Aoste, les bénefices d’un péage 
très-lucratif, établi à la porte prétorienne, dite de $S'-Ours, et n’épar- 
gnait à cet effet rien de ce que peut inspirer l’esprit d’oppression et 
de tyrannie (3). 

Il est probable qu’en ce temps-là les immunités épiscopales compre- 


naient la cite tout entière. Un document de 923, où l’évéque Anselme 


(1, Cette fable a été notammentintercalée dans le texte de la légende de St-Bernard de Menthon, 
gcrite par Richard de Duing, disciple de cet apòtre des Alpes. V. les Bolland. 15 juin, p. 1075 
2) Juxrta geminas alpium fores graias et poeninas. (Pline, l. HII, cap. 17). 


(3) Besson, pr., n.0 1fl. 


PAR LÉON MENABREA 147 


se donne la qualification de comte, ferait presque soupconner que ce pontife 
se trouvait investi de la supériorité comitale sur toute la vallée (1). Mais 
aux XI et XII siècles, ainsi que je lai déjà fait observer, les droits dont 
les évéques jouissaient dans la ville méme se réduisaient au péage que 
je viens de citer, et au tiers des tailles; collectes, redevances et émo- 
luments, provenant de la substance des habitants; quant aux deux tiers 
restants, ils appartenaient aux comtes de Savoie (2). Les comtes et les 
évéques possédaient en outre, par indivision, une espèce de forteresse, 
construite ‘dà frais communs, proche de la cathédrale , et destinée à servir 
de lieu de refuge en cas de guerre ou de tumulte (3). Les premiers 
enfin étaient proprigtaires exclusifs d'une énorme tour carrée , bàtie à 
l’angle nord-ouest des murs d’enceinte, laquelle est appelée encore au- 
jourd'hui la tour du comte, turris comitis, et où ils tenaient un cha- 
telain, appelé le chatelain d'Aoste, castellanus Auguste. Hors la ville 
les evéques avaient des attributions temporelles beaucoup moins res- 
treintes ; la vallée de Cogne se trouvait placée sous leur. domination 
absolue et immeédiate ; ils y administraient la justice, y levaient des im- 
pòts, y publiaient des réglements, y exercaient, en un mot, une véritable 
souveraineté (4). 

Ce que la cité d’Aoste offrait de plus important, en fait de juridiction, 
ressortissait incontestablement de la maison de Challant, maîtresse du 
comté d’Aoste, et investie de nombreuses prérogatives qui en dépendaient. 
Voici l’énumeration des droits du vicomte: 

1° La haute, moyenne et basse justice. 

2° Les bans, cu amendes, au-dessous de soixante sols. 

3° Les bans encourus par les adultères, les fornicateurs et ceux qui 
vendent à fausses mesures, quel que fùt le montant desdites peines. 

4° La cinquième partie des bans excédant soixante sols. 


(1) Ego Anselmus episcopus ecclesie augustensis et comes. Besson. , pr., n.° 110. 

(2) Charles de 1191 et de 1292. Cette proportion est encore indiquée dans les franchises que le 
comte Thomas, avec le consentement de l’évèque Walpert, accorda à la ville d'Aoste en 1188. 
V. Doc., sig.e mon. , p. 84. Dans une bulle du 15 janvier 1151, où le pape Eugène INI confirme les 
priviléges des évèques d’Aoste, on lit: Zn civitate Augusta et burgo ipsius pedagium et tertiam par- 
tem collecte comitis cum ceteris redditibus et inpestituris ad te pertinentibus. (Mon. hist. patr., t. I, 


p. 796). 
(3) Munitio in civitate prope ecclesiam..... ad quam homines ecclesie et homines comitatus refugium 
habeant. Charte de 1191. i 


(4) Charle de 1200 environ. 


148 DES ORIGINES FEODALES ETC. 


5° L’arrestation et la garde des malfaiteurs. 

6° La surveillance du champ-clos, dans les duels juridiques, et la 
perception des émoluments. 

7° La chancellerie. 

8° La mestralie de la cité. 

g° Les régales, les plaids, les échutes, le banvin, les angaries , les 
fortunes des chemins etc. etc. 

En qualité de vicomtes, les sires de Challant occupaient une tour, 
contigué à la ligne méridionale des murailles d’enceinte, et construite à 
còté de la porte dite de Beatrix, porta Beatricis: la tour en question 
subsiste encore actuellement; elle est très-élevée et de forme ronde ; le 
vulgaire l’appelle la tour de Bramafan. 

Quand les comtes de Savoie venaient résider à Aoste, le vicomte 
était obligé de leur fournir le bois de chauffage et d’approvisionner leur 
cuisine de toutes les choses nécessaires à lapprét des mets, c’est-à-dire 
à la confection des sauces, saporem în coquine; les metraux du vicomte 
devaient préter les nappes, les verres et les couteaux en quantité suffi- 
sante; cela n’empéchait pas que tant les meétraux que le vicomte n’exi- 
geassent de ces princes la distribution journalière connue sous le nom 
de livrée, Zibra, librata (1). 

Le vicomté d'Aoste constituait un fief relevant de la maison de Savoie (2). 
En 1295, le comte Ame V, frappé de l’importance des droits attachés à ce 
fief, parvint à se le faire céder par Ebal-le-Long, sirè de Challant, moyen- 
nant l’abandon du chateau da Mont-Jovel (3). Le comté et le vicecomté 
se consolidèrent ainsi entre les mémes mains. 

J'ai parlé, il y a un instant, de la porte prétorienne, cu porte de 
S'-Ours. Là, enclavée dans les murailles romaines, s’élèéve une tour carrée 
qui fut la première demeure d’une famille puissante , dite de la Porte 
de S'-Ours, et successivement de Quart, à cause du chatean qu'elle fit 
plus tard construire en ce lieu. 

Rivaux d'’intéeréts et de gloive, les seigneurs de la Porte de S*Ours 


et les vicomtes d'Aoste se faisaient une guerre acharnée, et ne cherchaient 


(1) Chartes de 1200 el 1295. 

(2) A raison de ce fief, les sires de Challant devaient payer aux comtes de Savoie un plaid 
de 17 sols de Suse, à chaque multation de vassal. V. Jes reconnaissances faites en 1232 et 1242 
par les vicomles d’Aoste., Archives de Cour, Duché d’ Aoste, liasse 1, n.° 7 et 11. 

(3) Charte de 1295. 


PAR LEON MENABRÈA 149 
quà s'entre-détruire (1). Proche de la porte décumane, appelée au moyen 
age porte de Frieur, ou de Frior et aujourd’hui porte Vaudane ou du 
Plot, on distingue une haute et majestueuse tour carrée, flanquée d'une 
tourelle è crénaux, qui servait d’habitation à des feudataires non moins 
redoutables que les précédents (2). C'est précisément cette tour, que le 
iouchant épisode du lépreux de la cité d'Aoste a rendue depuis si célèbre. 

A l’angle nord-ovest des murs d’enceinte, se dresse une autre tour, 
dite la Tour neuve, appartenant Jadis à des seigneurs nommes de Ville, ou 
de la Tourneuve, de ila, de Turre nova, qui possédaient une fraction 
de la juridiction temporelle de l’évéque, avec le titre de vidomnes d’Aoste (3). 

Plus loin, en suivant la ligne de remparts qui court de l’ouest à l'est, 
on rencontre la porte de S'-Etienne, ou de la Rive, munie d’une haute 
et solide tour, où résidait une famille fort ancienne et fort illustre, appelée 
de la Porte d’Aoste, qui jouissait de certains droits sur le quartier dit 
de Malconseil (4). 

Je ferai observer en passant, que la ville d’Aoste était divisée alors 
en trois sections, savoir, celle de la porte et du faubourg de 8'-Ours, 
celle de la Bicherie et celle de Malconseil, qui s’étendait de la porte 
de Rive à un croisement de rues, connu sous la dénomination de Croix 
de Ville (5). Cette dernière section tirait, selon toute apparence , son 
nom de ce que du temps des Burgondes, des Lombards et des Francs, on 
y tenait le ma/lum, ou assemblée judiciaire, dans laquelle chaque juge, 
chaque echevin, chaque prud’'homme conseillait ce qui lui paraissait juste 
et Equitable. 


(1) On trouve qu’en 1253, le comle Thomas fit remise à Jacques de Quart, et è ses aidants, 
des peines qu’ils avaient encourues pour avoir pillé le manoir du vicomte d’Aoste. Archives de 
Cour, Duché d'Aoste, liasse 1 , n.0 15. On voit en cutre qu’en 1294 le sire de Quart et le vi- 
comte Ebal révoquèrent les trèves précédemment intervenues entre eux et recommencèrent à 
guerroyer: liasse 2, n.0 3. Ces disputes conlinuèrent mème après que la maison de Challant eut 
cédé le vicomté d’Aoste aux comltes de Savoie. Archives de cour, duché d’Aoste, Challart, 
liasse 2, n.° 10. 

(2) De Tiller, Chronol. hist. des noms, armoiries et gencalogies des maisons et fumilles nobles du 
duché d’ Aoste, ms. 

(3) Un Bonifucius de Villa vicedominus fut présent, en 1253, à la confirmation des franchises de 
la ville d’Aoste. Doc., sigilli e mon., p. 92. 

(4) On a sur ce sujet une enquéte du 5 mai 1317, insérée par De Tiller dans son Recuezl des 
franchises, libertes, priviléges, titres et autres droits des citoyens et bourgeois d’ Aoste, le tout extraît 
du livre rouge et autres éeritures des archives d’ Aoste, ms. 

(5) Ces trois sections avaient entre elles de graves et fréquents démélés. V. un compromis du 
26 juin 1356 dans le Recucil des franchises ci-dessus cité. 


150 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Au reste, plusieurs villes avaient autrefois des quartiers et des places 
pourvues d’un nom semblable, ou analogue. Ainsi, è Grenoble, il existait 
une place appelée également de Malconseil, Mali consiliî, et parfois Magni 
consili, où se trouvait un banc de justice (1); ainsi encore l’un des quatre 
quartiers de Sion, en Valais, prenait la qualification de Mala curia, et 
cela, évidemment, parce qu'il renfermait l’édifice où les magistrats se 
réunissaient pour ouîr les causes et prononcer ies jugements (2). 

A l’exemple des sires de la Tourneuve, ceux de la Porte d’Aoste 
s'attribuaient le titre de vidomnes, car ils percevaient une portion des 
benéfices et émoluments attachés à l’exercice de ce genre de juridiction , 
qui, ici comme ailleurs, formait un fief relevant originairement du pouvoir 
épiscopal (3). 

A peu de distance de la Tour qu’occupaient ces seigneurs, et en 
continuant à cheminer le long de la ligne septentrionale des murs ro- 
mains, on remarque la porte dite du Pertuis, près de laquelle était 
venue s’établir une famille dont les traces remontent au XII siècle; on 
ne lui connaissait d’autre nom que celui de la Porte elle-méme (4). 
Enfin, dans l’intérieur de la cité, on rencontrait différentes tours ou 
maisons-fortes appartenant à des feudataires de moindre importance (5). 
Voilà en quoi consistait, à Aoste, l’oeuvre bizarre du régime féodal. 
Jetons maintenant un coup d’oeil sur l’état politique de la vallée. 

En téte des hauts tenanciers de cet intéressant pays se montraient 
les sires de Challant, que jai déjà eu l’occasion de mentionner, en qualité 
de vicomtes d’Aoste. L'origine de ces feudataives va se perdre au milieu 
de la periode la plus obscure du moyen dge; on les croit généralement 
issus des marquis de Montferrat (6). Le chiteau d’où ils tirent leur nom 
se voit encore, à une lieue au-dessus de Verrès, dans un site plein de 
majesté; ce fut un Boson, vicomte d’Aoste, qui le premier, en 1200, 
recut du comte Thomas l’investiture de ce chateau, que les chartes 


(1) Pilot, Notice sur les anciennes rues de Grenoble, 1843, 

2) V. Schiner, p. 383. 

(3) De Tillier, Chror. hist. ele. 

(4) Ibidem. 

(5) En 1263 un Guillaume de Polin vendit au comte Pierre, pour la somme de vingt cinq livres, 
la tour qu’il possédait à Aoste, près du Palais-Rond. Arch, de Cour, Duché d'Aoste, liasse 1, n.° 19. 

(6) V. De Tillier, Yraité historique et géograph. du duché d’ Aoste, ms. 


PAR LÉON MÉNABREA I5I 


appellent castrum de villa Chalandi , ou simplement castrum de villa (1). 
Outre ce manoir et les terres qui en dépendaient, les sires de Challant 
possédaient le chiteau de Chatillon, construit à l’entrée de la gorge de 
Valtournanche, celui de La Rive, qui se dressait tout près de là, au 
bord de la Doire, celui d’Ussel, celui de Fenis, celui de S'-Marcel, celui 
de Cly etc. (2). Ce dernier avait été bati, au XIII siècle, par Boniface 
de Challant; or un des descendants de ce seigneur étant venu s’y installer 
après le partage de la succession paternelle, se mit à vexer et torturer 
de telle manière, soit ses propres hommes, soit les voyageurs, qu'en 1375 
le comte de Savoie jugea à propos de faire citer devant sa cour ce vassal 
pillard et meéchant (3). Pierre (c’était son nom), au lieu de comparaître, 
voulut résister; alors le comte irrité marcha contre lui et le délogea de 
ce repaire, dont il fit prononcer judiciairement la confiscation; ce fut 
ensuite par pure gràce, que le rebelle obtint, à titre d’indemnite, le 
Chatel-S'-Denis, dans le pays de Vaud. 

Je parlerai bientòt du célèbre chàteau de Montovet, que les sires 
de Challant acquirent, ainsi que je l’ai déjà dit, en échange du vicomtie 
d'Aoste. J'ajouterai ici que les possessions de ces puissants barons s’éten- 

_daient en diverses localités de la Lombardie, de l'Helvetie , du Bugey, 
de la Bresse, de la Bourgogne et du Dauphiné (4). 

Les sires de Quart, primitivement appelés de la Porte de S'-Ours, 
comme on l’a vu précédemment, occupaient le second rang parmi la 
haute noblesse de la vallée. A la fin da XII siècle, un Jacques de Ia 
Porte de S'-Ours fit construire le chiteau de Quart, à deux lieues environ 
de la cité, à gauche, en suivant le cours de la Doire, dans une position 


(1) Concedimus in feudum dilecto nostro Bosoni vicecomiti Auguste castrum de Villa in augmentum 
sui feudi. 

(2) La plupart de ces chàteaux sont mentionnés dans une reconnaissance de fief, faite en 1242, 
par les fils de Boson, en faveur du comte Amé IV. Confessi sunt tenere in feudum u domino Amedeo 
comite Sabaudie vicecomitatum castrum Castellionis , castrum de Fenicio, corpus castri de Willa 
Item borgesiam de Chatillon et castrum de Rivas, ubi burgum erat..... etc. 

(3) On trouve aux archives de Cour, Duché d'Aoste, Cly, liasse 5, n.° 1, un document portant 
l’intitulation suivante: Ajourrement fait d'ordre du comte de Savoie à Pierre de Cly pour comparaître 
devant ledit comte à Evian le 22 novembre, sous peine de 1000 mares d’argent, avec injonclion de re- 


mettre aux commissaires désignes les prisonniers qu'il retenait au chateau de Cly. Suit la réponse de 
ce seigneur, de n’étre obligé de comparaître hors de la vallee d’ Aoste, attendu sa qualité de pair, offrant 
néanmoins de recevoir justice aux audiences generales, 12 novembre 1375. 

(4) De Tiller, Traité hist., ms. 


152 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


presque inaccessible (1). Son fils, dénommé pareillement Jacques, est le 
premier qui se soit. qualifié sire de Quari, titre que ses successeurs 
continuèrent è prendre (2). Ces redoutables seigneurs, maîtres de la 
Valpeline, possédaient encore le chitean de Brissogne situé en face de 
celui de Quart, de l’autre còté de la rivière ; ils se reconnaissaient 
hommes liges de la maison de Savoie (3). 

De pair avec eux marchaient les sires de Vallaise, qui occupaient la 
longue vallée transversale de Gressonay, où ils avaient plusieurs chàteanx 
importants, tels que ceux de Perloz, d’Issime, de Lilione, à raison des- 
quels ils devaient fournir aux comtes de Savoie cinq clients armés, pendant 
un mois de l’année, sans préjudice d’un plaid, ou redevance de dix 
livres, payable à chaque mutation de vassal ou de suzerain (4). Ils étaient 
feudataires directs des empereurs d’Allemagne, pour différentes terres 
faisant partie des diocèses d'Ivrée et de Verceil (5). 

Non loin des sires de Vallaise, à l’extrémité orientale de la vallée 
d'Aoste, on rencontrait les sires de Bard qui auraient égalé, sinon sur- 
passé, en puissance les familles ci-dessus citées, si leur noble race n'’etit 
subi les vicissitudes et les fractionnements que je vais brièvement indiquer. 

Il existe peu de chateaux féodaux, dont on ait des notions historiques 
plus reculées que celles qui concernent le chateau de Bard. L'historien 
Arnulphe raconte en effet, que lorsqu’en 1034 Heéribert,, archeveque 
de Milan, suivi d’une armée d’Italiens, se mit en devoir de traverser 
les Alpes et d’aller rejoindre l’empereur Conrad-le-Salique, que venait 
d’assaillir Eudes de Champagne, neveu de Rodolphe-le-Fainéant, il fut 
arrété, pendant quelque temps, par le chiteau de Bard, qui déjà passait 
pour une forteresse inexpugnable: oppidum inexpugnabile (6). 

J'abandonne à la discrétion du lecteur l’opinion qui, s'appuyant sur 


une vaine consonnance de noms, va chercher l’origine des sires de Bard 


1) Le nom de ce seigneur figure au bas des franchises accordées à Aoste en 1188, V. Doc., 
sig.e mon. , p. 86. 

(2) Ego Jacobus de Quarto filius quondam domini Jacobi de Porta S.ti-Ursi etc. Charte de 1252. 

(3) Quod quidem homagium dictus Henricus de Quarto fecit realiter immissis manibus inter manus 
dicti domini comitis et osculo fidelitatis interveniente prout accipiendo dictus dominus comes dictum 
Henvicum per pollicem in signum et effectum investiture predicte. Charte du 15 mars 1337. V. un 
autre hommage du 2 juin 1364, avec remise des chàteaux de Quart et de Brissogne. 

(4) Reconaissance du 6 septembre 1430. 

(5) Hommage de l’an 1211. ù 

(6) Muratori, Script., t. IV, p. 16. 


PAR LÉON MENABRÉEA 153 


chez les comtes de Bard, en Lorraine; je me contenterai de dire que 
les premiers documents que nous ayons touchant ces seigneurs, nous les 
représentent investis de vastes domaines et exercant un pouvoir qui de fait 
les rendait presque indépendants. Evrard de Bard, qui vivait en 1100 (1), 
fut sùrement un personnage très-puissant et très-influent. On peut en dire 
autant de Hugues de Bard, qui florissait vers l’an 1150 (2). Un demi- 
siècle après, on voit paraître un second Hugues, fils d’Othon de Bard, è 
qui les annales de la contrée sont redevables d'un des exemples les plus 
dramatiques et les plus frappants de l’instabilité des choses humaines. 

Ce fier feudataire, mon content d’avoir donné essor à son caractère 
indomptable et tenace, en refusant de reconnaître certains droits de 
l’église d’Aoste (3), persuadé qu’aucun obstacle ne serait capable d’arréter 
le cours de ses injustices, de ses spoliations, soit à l’égard des étrangers, 
soit à l’égard de ses propres parents; prit le funeste parti de ne con- 
sulter désormais que ses caprices, et de n’écouter que la voix de son 
insatiable cupidité. Il était devenu, dit-on, l’objet d’une terreur générale, 
quand le comte de Savoie, qu'animait sans doute aussi le désir de s'ap- 
proprier une partie des vastes biens de son vassal, résolut de tirer ven- 
geance des meéfaits qu'on lui imputait. 

Ce prince commenca par s’emparer de Chatelargent, près de Ville- 
neuve, puis, le 24 mai 1242, il conclut avec Geoffroy, Aymenin et 
Boson de Challant un traité d’alliance, dans le but d’emporter de vive 
force le chaàteau de Bard, où Hugues se tenait enfermé (4). Ce traité 
eut un résultat inespéré; le feudataire félon, saisi d’une juste frayeur, se 
hàta d’entrer en composition; il céda au comte de Savoie, moyennant une 
somme modique, le chàteau de Bard et tout ce qu'il avait à Chatelargent, 
ensuite de quoi il disparut et onques n’ouit-on parler de lui. 

C'est de cet événement que date le démembrement de la famille de 
Bard et sa division en plusieurs branches qui, séparées une fois du tronc, 
surent se créer, chacune, une existence à part. Ainsi de Guillaume, 
fréere de Hugues, sortirent les sires de Pont-S'-Martin; de Marquet et 
d’Aymon, fils de ce méme Hugues, sortirent les sires de Sarriod et de 


(1) Mon. hist. patr., p 730. 

@) Ibid.,'p. 794. 

(3) Zbid., p. 1192 et 1289. 

(4) Archives de Cour, Duché d’ doste, liasse 1, n.° 10. 


Serie II. Tom. XXIII. 


20 


154 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Sarre; la ligne des sires de Sarriod produisit successivement celle des 
sires d’Introd et de la Tour (1). 

Eloignons-nous de Bard et remontons le cours de la Doire; nous ne 
tarderons pas è rencontrer le chiteau d’Arnaz, et bientòt après la tour de 
Verrès, qui furent le berceau de deux races antiques qui, au XII siècle, 
occupaieni une place honorable parmi les maisons féodales du pays (2). 
De là un court trajet conduit au defilé de Montjovet, que commande un 
chàteau fameux, possédé primitivement par les sires de Montjovet. 
A l’exemple des sires de Bard, ces seigneurs profitaient des avantages 
d'une position presque inaccessible pour s’élancer sur les pauvres voya- 
geurs, et se livrer sans crainte à la rapine et au brigandage. On voit 
notamment qu’en 1263, l’un d’eux, appele Jacques, était cité devant 
le tribunal du comte de Savoie comme coupable d’avoir tué sur le chemin 
public, et dans un moment de tréve, un sien frère naturel, nommé Léonet, 
à raison de quoi ayant été provoqué, de la part du comte, en duel juri- 
dique, il ne se présenta point an champ clos, de telle manière que le 
champion de ce prince attendit inutilement jusqu'au coucher du svleil (3). 

Un document de 1274 nous apprend qu'un Faydin de Montjovet, 
digne successeur de Jacques, dut à la clémence du comte Philippe d’étre 
remis en possession du chteau ‘de ses ancétres, dont ses déportements 
l’avaient fait chasser (4). Les promesses de meilleure vie qu’il fit alors 
eurent peu d’effet, car il se vit derechef priver de ce manoir que le comte 
Amé IV céda ensuite à la maison de Challant, en échange du duché 
d’Aoste (5). 

Au levant de Montjovet, à la cime d'un rocher escarpé, on distingue 
les ruines de la forteresse qu’habitaient les sires de Chiteau-neuf de 
Chenal. 

Entre Chatillon et Quart, au-dessus de la grande route, s’élèvent 
d’autres ruines qui rappellent les anciens et puissants sires de Nus, aux- 


quels on attribue généralement une origine romaine (6). 


(1) De Tillier, Chrom. hist. 

(2) On trouve les sires de Verrès et d’Arnaz mentionnés au bas des franchises accordées à la 
ville d’Aoste en 1186 et 1253. 

(3) Archives de Cour, Duché d'Aoste, Monjovet, liasse 7, n.° 6 et 7. 

(4) Charie de 1274. 

(5) V. ci-devant. 

(6) V. De Tillier, Chron. hist. 


PAR LÉON MENABRÉA 155 


Sur le chemin des Alpes pennines, à une heure d'Aoste, s'étendaient 
les domaines des sires de Gignod, confinés, au nord-est, par la Valpeline , 
et au nord-ouest, par les juridictions d’Etroubles et de $S'-Remi. 

Sì maintenant, depuis Aoste, on reprend l’exploration de la vallée 
principale, qui va aboutir aux Alpes grecques, on est obligé de s'arréter 
à chaque pas devant les restes encore imposants de quelques-unes des 
nobles demeures, que la féodalité prodigue y avait semées. 

Ici se dresse le magnifique chateau des sires d’Aimaville, flangué de 
ses quatre tourelles pittoresques et posé à l’entrée de la gorge de Cogne. 
Les maîtres de cet élégant. manoir pouvaient se vanter d’une origine 
illustre. Ils possédaient la vieille tour de Gressau, que mentionnent souvent 
les annales de la contrée (1). 

Plus loin, sur la rive gauche de la Doire, s’échelonnent le chàteau de 
de Sarre, et celui de S'-Pierre, anciennes résidences des seigneurs de ce 
nom; plus loin encore, sur la rive droite du fleuve, s’offrent Villeneuve 
et Chatelargent, qui appartenaient aux comtes de Savoie, et où ces princes 
avaient un péage. A Villeneuve on remarquait les maisons-fortes de 
deux familles rivales et ennemies, dont les querelles acharnées peuvent 
fournir de curieuses pages à l’histoire du régime féodal: je veux parler 
des Sarriot et des Gonthard, qui se harcelaient sans cesse, s’envoyaient 
des defis, se tendaient réciproquement des embiches, se battaient parfois 
de bonne guerre et ne négligeaient, en un mot, aucune occasion de 
s’entre-détruire (2). 

Les premiers descendaient, ainsi que je l’ai déjà dit, des sires de 
Bard et ils étaient propriétaires des chiteaux d’Introd et de la Tour; quant 
aux seconds, leur origine est peu connue; on sait seulement qu’un Henri 
Gonthard vivait au milieu du XII siècle (3). 

A une petite distance de Villeneuve on rencontrait le fief des sires 
d’Arvier (4). Bientòt on se trouvait en face du chateau d’Avise, qui, 
avec sa grosse tour carrée, toujours subsistante , occupait le haut d’un 
mamelon, aujourd’hui tapissé de vignes. Les sires d’Avise se prétendaient 


(1)-Le nom des sires d’Aimaville figure au bas des franchises d’Aoste. 

(2) Le journal des audiences générales, ou assises, tenues à Aoste par le Comte Vert en 1351, 
conlient à cet égard de singuliers details. 

(3) De Tillier, Chror. Mist. 

(4) Un Aymo de Averio, miles, figure dans un acte de 1263. 


> 


156 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


issus de la méme souche que les comtes de Clèves. Ce qu'il y a de sir 
c'est qu'en rogr un Hugues d’Avise, chevalier, Hugo miles, se déclara 
vassal de l’empire (1). Ses successeurs toutefois se reconnaissaient hommes 
liges de la maison de Savoie. Ces puissants feudataires possédaient les 
chateaux de la Motte , de Rochefort, de Montmailleur, de Planavel et 
de Morgex (2). 

Au-dessus d’Avise la vallée se resserre, les rochers s'accumulent et 
prennent des formes tourmentées et bizarres; un précipice affreux s’ouvre 
à travers leurs flanes déchirés; ce defilé, au fond duquel on entend la 
Doire mugir, n’offre qu'un étroit passage, dit de la Pierre-taillée. En 
continuant depuis là à cheminer en amont, on distingue, entre la Salle et 
Morgex, les ruines d'un manoir construit sur le penchant d'une haute 
montagne, d’où l'oeil plonge dans un bassin plantureux. Un titre du 
XIII siècle nous apprend que ce manoir, connu sous le nom de Cha- 
tellard, avait été primitivement concédé en fief par les évéques d’Aoste à 
des seigneurs de naissance illustre, appelés Gros, ou Grossi, qui, en 1248 
environ, fournirent un savant pontife à l’église de Tarantaise (3). 

Les sires du Chàatellard occupaient, comme feudataires des comtes de 
Savoie, une tour qui se voit encore à la Thuile, au pied de la colonne 
Joux (4). Enfin è l’opposite de la Thuile, au debouché du Val de Ferret 
et de L’Allée-Blanche, on rencontrait les sires de Courmayeur qui for- 
maient l’échelon extreme de la longue série, que nous venons de par- 
courir; série, dans laquelle j'ai omis plusieurs noms, afin de ne pas fatiguer 
l’attention du lecteur, tels que ceux des sires d’Ochan, du Palais, de Ru, 
de la Cour, de la Créte, d’Oyace, de Lescours, d’Hérères, de l’Archet 
etc. etc. Ceux-ci étaient, dit-on, originaires d’Angleterre; ce furent eux 
qui, à ce que l’on prétend , firent batir, au XI siècle, une des trois 
tours de Morgex (5). 

Les familles nobles de la vallée d'Aoste se divisaient au moyen àge 
en deux catégories distinctes: les pairs et les non-pairs. Je m'occuperai, 


(1) De Tillier, Chron. Rist. 

(2) Le chàteau de Planavel avait été achevé au commencement du XIV siècle par Rodolphe 
d’Avise. Charte de 1312. Un Vienin d’Avise possedait, en 1295, la tour de Morgex. V. arch. de 
Cour, liasse 2, n.° 6. 

(3) Mon. hist. patr., t. I, p. 1395. 

(4) Arch, de Cour, liasse 2, n.° 6. 


(5) De Tillier, Chron. hist. 


PAR LEON MENABREA 157 


en temps et lieu, des institutions féodales qui régissaient le pays dont 
il est ici question; je me bornerai à dire que le principal privilége des 
pairs consistait à ne pouvoir étre jugés que dans les audiences solennelles 
que les comtes de Savoie devaient tenir dà Aoste, de sept en sept ans. 
Au nombre des pairs figuraient les sires de Challant, de Quart, de Vallaise, 
de Bard, de Montjovet, de Nus, de Verrès, de Gignod, de la Porte 
d'Aoste, de Tourneuve, de Courmayeur etc. etc., et leurs différentes 
branches (1). 

On s'est beaucoup enquis d’où la maison de Savoie tenait le droit de 
supériorité qu'elle exercait sur la plupart des fiefs de la vallée d'Aoste, 
mais le manque de documents permet peu d’espérer qu'on puisse jamais, 
à cet égard, arriver à une véritable solution (2). Ce qui paraît le plus” 
probable , c'est que ce droit lui venait bien moins de la succession sup- 
posée de quelque prince italien, que de la munificence des derniers rois 
de Bourgogne ou des empereurs. On doit repousser, comme tout à fait 
erronée, l’opinion qui attribue cette supériorité à une dédition purement 
volontaire (3). Au reste, les comtes de Savoie, ainsi qu'on a déjà pu le 
remarquer, n’étendaient point leur mouvance indistinctement et d’une 
maniere absolue sur la totalité des fiefs de la vallée; plusieurs de ces 
fiefs, possédés méme par les premières familles, étaient soumis à la suze- 
raineté de l’éveque (4). 


(1) V. De Tillier: Dérombrement des familles du duché d’ Aoste qui ont joui, ou jouissent du privi- 
lége de la parité, ms. 

(2) On trouve aux archives de Cour plusieurs traités sur cette matière; je ne citerai ici qu’un 
mémoire du comte Rocca et une dissertation de Terraneo, rédigés vers la fin du dernier siècle ; 
Duche d’ Aoste, liasse 1, n.° 2, et Additions, n.° 77. 

(3) Cette opinion a été, pour la première fois, avaneée par De Tillier, dans son Traité hist. et 
géogr. du Duché d’ Aoste; mais les franchises d’Aoste, sur lesquelles il s’appuie, prouvent précisé- 
ment contre lui. 

(4) Voyez diverses reconnaissances de fiefs passées aux évèques d’Aoste par les sires d’Aimaville, 
de Gressan, de Bard, d’Introd, du Crest etc. Mon. hist. patr., t. I, p. 1265, 1325, 1336, 1425, 1427. 


” 


158 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


CHAPITRE IX. 


Dauphiné. - Petite riviére d'Oron. - Comté de Vienne donné aux archevéques. - Chateau 
de Pupet. - Prétentions des comtes de Bourgogne. - Diplòmes. - Possessions des comtes 
de Savoie. - Les sires de Beauvoîr. - Sepléme. - Feudataires de la maison de Savoie. - 
Sires de la Tour-du-Pin. - Berlion. - Albert. - Chateaua. - Origines des Dauphins. - 
Guigues-le-Vieux. - Il bat en bréche la puissance temporelle des 6véques. - Il entre è 
l’abbaye de Cluny. - Sa mort. - Son fils est le dernier male de la race des comtes d’Albon. 
- Provenance de ce titre. — Beatrix. - Lignée de cette princesse. - Guigues VII. - Son 
fils Jean meurt en bas cige. - Anne, seur et unique héritiére de ce dernier, épouse Humbert 
de la Tour-du-Pin. - Le Dauphiné est cédé aua aînés de France. - Puissance des 
Dauphins. - Evéques de Grenoble. - Diplome de 1178. - Chateau de St-Donat. - Juri- 
dicltion indivise. - Officiers épiscopaux. - Prétentions des Dauphins sur le comté de Vienne. - 
Attaques incessantes contre les évéques. - Resistance, - Luttes sanglantes. - Juridictions 
respectives. - Archevéques de Vienne, abbés de St-Bernard de Romans. - Les Dauphins 
envahissent, en ce lieu, la moitié de la juridiction souveraine. 


Il faut mainienant que je me transporte, d’un saut, aux confins de 
la Bresse et du Bugey, afin de pouvoir constater les origines féodales d’un 
pays, dont l’histoire se lie intimement avec celle des provinces que j'ai 
déjà parcourues; je veux parler de la contirée où se déroulaient autrefois 
les comtés de Vienne, de Grenoble, de Valence, de Die, de Gap et 
d’Embrun, laquelle prit, au XIV siècle, le nom de Dauphiné, comme 
ayant passé, presque en entier, sous la domination des Dauphins. 

Commencons par jeter un coup d’oeil sur la région située au-dessus 
de l'Oron, petite rivière, que stirement je m’abstiendrais de nommer ici, 
tant son importance géographique est minime, si elle n’eùt servi jadis 
de ligne de séparation entre la partie septentrionale et la parle méri- 
dionale du royaume de Bourgogne (1). La ville de Vienne s’offre la pre- 
mière à nos investigations. 

De méme que la plupart des villes épiscopales, dont nous avons eu 
jusqu'àè présent à nous occuper, cette illustre cité avait été arrachée, 
pendant le règne de Rodolphe-le-Fainéant, à la juridiction des comtes 
laiques, pour étre mise à la disposition de la puissance ecclésiastique. 


(1) De là les expressions de ab Orone superius ou ab Orone inferius. V. Valb., t. JI, p. 56 et 
571. L’Oron prend sa source près de Beaurepaire et va se jeter dans le Rhòne. 


PAR LÉON MENABRÉEA 159 


En 1023, ce faible monarque, cédant aux instances de sa femme, 
la reine Hermengarde, s’était  déterminé à faire donation du comté de 
Vienne è larchevéque Burchard en lui attribuant spéeialement la pro- 
priété du chateau de Pupet, l’un de ceux qui, dès les temps antiques, 
deéfendaient la noble capitale des Allobroges (1). 

Malgré une concession aussi formelle (2), les comtes de Bourgogne, 
qui se disaient aussi comtes de Vienne, prétendirent contester aux suc- 
cesseurs de ce prélat quelques-uns des droits dérivant de la libéralité 
de Rodolphe; mais ces querelles furent peu fructueuses; on ne saurait 
nier cependant que les comtes de Bourgogne n'eussent, au XI siècle, 
plusieurs prérogatives régaliennes dans la cité de Vienne; l’acte par 
lequel le comte Etienne engage, en 1000 environ, à l'archevéque Guy, 
pour la somme de 8000 sols, omnem honorem quem habet in civitate 
Vienne, suffirait ‘seul pour le prouver (3); les archevéques s'adressèrent 
aux empereurs d’Allemagne qui, à diverses époques et notamment en 
1153 et 1254, la maintinrent dans la possession des régales et dans 
l’exercice intégral de la juridiction qui en derivait. 

Ces diplòmes portent, en substance, qu’en l’absence des Césars les 
archevéques doivent seuls commander à Vienne: on y voit que ces pon- 
tifes étaient investis de la haute dignité d’archi-chanceliers du royaume 
de Bourgogne et, qu’outre le chateau de Pupet, ils occupaient la célèbre 
Maison des Canaux, Domus Canalium, ancienne résidence des rois 


Burgondes (4). 


(1) Ziennensem comitatum cum omnibus appenditiis suis infra civitatem Vienn. et eatra dictam ci- 
vitatem cum castello quod supereminet ipsi civitati quod dicunt proprio nomine Pupet. ....(V. Mermet, 
Hist. de la ville de Vienne, +. TI, p. 339). Le chàteau de Pupet s’appelait d’abord Eumedium; il 
prit ensuite la dénomination de Pompeiacum, d’où l'on a fait par corruption Pupetum (V. Chorier, 
Antigq. de Fienne). En 1011, Rodolphe-le-Fainéant avait déjà donné ce mème comté de Vienne à 
la reine Hermengarde; c'est pour cela que cette princesse crut devoir intervenir à la donation 
de 1023. (V. Doc., sigillle mon., p. 15). 

(2) C’est à tort, ce me semble, que quelques personnes doutent de l’anthenticité de cette charte 
qui présente, selon moi, tous les caracières desirables de véracité, soit sous le rapport historique, 
soit sous le rapport diplomatique. Le Catalogue des archevéques de Vienne, rédigé en 1235, avant 
que la juridiction de ces prélats fùt sérieusement menacée par les Dauphins de Vienne, fait 
expressément mention de la donation de Rodolphe-le-Fainéant. Sarcius Burcardus multis donis ac 


privilegiis a Rodulpho rege et ejus conjuge Irmengarda honoratus et etiam Wienn. comitatu anno Do- 
mini MXXIII. 


(3) V. Chorier, t. I, p. 820. 
(4) Valb., t. I, p. 138, t. II, p. 46. 


160 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Je dirai bientòt en vertu de quels titres les Dauphins parvinrent, 
aux XII et XIV siècles, à depouiller l’église de Vienne d’une partie 
de ses attributions temporelles; je crois nécessaire de préciser, avant 
tout, ce que possédaient les comtes de Savoie entre le Rhòne, le Guiers, 
l’Isère et l’Oron; c'est là un point essentiel à connaître, afin de pouvoir 
juger sainement de plusieurs événements politiques, qui ne furent pas 
d’une médiocre importance. 

Les droits des comtes de Savoie sur un grand nombre de localités 
échelonnées le long du Guiers, remontent incontestablement à une époque 
très-reculée. En face de S'-Genis (1), ces princes detenaient, presque 
en entier, le petit district de l’île de Ciers, insula de Ciers (2). Non 
loin de là ils acquirent, en différents temps, le chàteau de Dolomieu (3) 
et celui des Abrets (4). Je ne parle pas du Pont-de-Beauvoisin qui leur 
appartenait de toute ancienneté. Quant au chiteau des Echelles, on trouve 
qu'il existait déjà en 1107, lorsque le comté de Salmorenc (j'ai donné 
ailleurs les limites de ce comté) fut divisé entre l’archevéque de Vienne 
et l’évéque de Grenoble (5). Je ne saurais dire au juste en quelle année 
ledit chiteau échut à la maison de Savoie (6); cette puissante maison 
avait encore de ce còté S'-Laurent-du-Pont, Voiron, Tolvon-la-Buisse, 
puis au fond de la gorge de Voreppe, le fameux chàteau de la Penière, 
où en 1333 le dauphin Guigues VIII trouva une mort précoce. Ces 
divers endroits, en y comprenant les terres situées sur la rive droite du 
Guiers jusqu'è Yenne et Chanaz inclusivement, formaient une province 
ou un baillage, dit le baillage de la Novalaise, dalliva Novalesii (7). 


(1) St-Genis était déjà possedé , au XI siècle, par un des fils d’Humbert-aux-Blanches-Mains. 
V. Guich., pr., p. 7. 

(2) En 1314, le Dauphin Jean se départit, en faveur du comte Amé V, de tous les droits qu?il 
pouvait avoir: In tota insula de Ciers ab aqua currente intra bastitam de Cheysseno et dictam insulam 
superius versus sanctum Genisium, Guich., pr., 143. 

(3) V. Guich., pr. p. 142. 

(4) Ce chàteau est indiqué comme leur propriéte dans le traité d’échange de 1355. V. Guich., 
pr., p. 190. 

(5) V. ci-devant. 

(6) Assurément avant l’année 1227, acta sunt hec in castro de Scalis. Charte de Marguerite de 
Faucigny, comtesse de Savoie. Guich., pr., p. 56. En 1313 Guillaume, comte de Genève, possé- 
dait le chàtean des Exchyelles (Echelles), et en faisait hommage à l’église de Genève. Cette pos- 
session n’était probablement que le résullat d’une conquéte passagère, si toutefois ce chàteau des 
Exchyelles est celui dont il s’agit ici. V. Spon, pr., n.° ‘32. 

(7) V. dans les Mem. de l Acad. de Turin, t. XXXVI, un document de l’an 1329, contenant la 
série des baillages et des chàtellenies du comté de Savoie. 


PAR LÉON MÉNABREA 161 


Les autres domaines que les comtes de Savoie possedaient en Viennois, 
domaines importants, constituaient pour ces princes un second baillage, 
appelé le baillage de Viennois. Chacun des lieux dont ce baillage se 
composait, pourrait fournir un épisode à l’histoire chevaleresque de nos 
contrées. C'est d’abord la còte S-André et Bocsozel. 

Les comtes que je viens de mnommer y exercaient une juridiction 
très-ample qui comprenait dans la plaine près de trois mille journaux 
(huit cent quatre-vingt-quatre hectares, quatorze centiares environ, en 
évaluant le journal à quatre cents toises), et qui s’étendait par monts 
et par vaux sur les paroisses de S'-Hilaire , de la Frette, de Longochanal, 
d’Eydoche, de Champier, de Lieu-Dieu etc. (1). A peu de distance de 
ce dernier village on rencontre S'-Jean-de-Bournay, que ces mémes 
comtes obtinrent en vertu d’un traîté qu'ils conclurent en 1314 avec 
les Dauphins (2). Le chateau et le territoire de S'-Jean-de-Bournay avaient 
été primitivement la propriété des sires de Beauvoir. En 1277 ceux-ci 
s’en étaient départis en faveur des sires de la Tour, qui furent, ainsi que 
je ne tarderai pas à l’expliquer, la souche des Dauphins de 3° race (3). 

En declinant à l’ouest, on trouve S'-Georges-d'Espéranche, qui devait 
ses libertés municipales au comte Amé V (4), et ensuite Septème qui, 
en 1249, fut acquis de Guillaume de Beauvoir par le valeureux comte 
Pierre (5). Les successeurs de ce prince se reconnaissaient, à raison du 
fief de Sepième , hommes liges de l’église de Vienne (6). 

Enfin la maison de Savoie dominait à S'-Simphorien-d'Anzon (7), et 
jouissait de divers droits à la Verpillière , à Azieu, à Jonage, à Falavier, à 
Chabonz etc. (8). Elle comptait parmi ses feudataires les siresde Beauvoir (9), 
de Bressieu (10), de Bocsozel (11), de la Tour-du-Pin ete. etc. 


(1) Extenta jurium comitis Sab. apud costam S. Andree et Bocsozellum. Valb., t. I, p. 85. 

(2) Guich., pr., p. 141. 

(3) Valb., t. II, p. 18. 

(4) Ibid., t. I, p. 26. 

(5) Valb., t. I, p. 269. Guillaume de Beauvoir avait eu cette terre par son mariage avec Briande 
de Septème. V. Chorier, ist. du Dauph., 4. 1I, p. 129. 

(6) Hommage de 1310, V. Valb., t. II, p. 145. 

(7) Extenta jurium comitis Sab. apud S. Simph. de Ausone. V. Valb., t. I, p. 97. 

(8) Voyez le traité ci-dessus eité ; voyez aussi, pour plus amples éclaircissements, la délimi- 
tation que les Dauphins et les comtes de Savoie firent faire, en 1336, des terres qu’ils possedaient 
en Viennois. Valb., t. II, p. 327. 

(9) Doc. sigillle mon., p. 192, 194. 

(10) idid., p. 253. 

(11) Valb., t. II, p. 156. Doc. sigille mon., p. 222. 

Serie IL. Tow. XXIII. 21 


162 DES ORIGINES FEÉODALES ETC. 


Parler des sires de la Tour-du-Pin, c’est parler d’une des familles 
les plus illustres de nos contrées, et dont les destinées se réalisèrent de 
la manière la plus eclatante. Bien que ces seigneurs fussent soumis à la 
suzeraineté des comtes de Savoie, pour les chiteaux de la Tour et de 
Bourgoin et pour quelques-unes des terres qu'ils acquirent successive- 
ment en Bugey et en Bresse, telles que S'-Sorlin et Varey (1), ils occu- 
paient ailleurs une position qui leur permettait assez de se considérer 
comme indépendants. 

Le premier d’entre eux qui nous soit connu, est un Berlion qui 
vivait au commencement du XII siècle. De qui descendait ce person- 
nage? On l’ignore. L’opinion de Chorier, qui le prétend issu des sires 
de la Tour-d'Auvergne, a été abandonnée (2). A Berlion succéda Géraud 
et àè celui-ci Albert, qui eut trois fils, savoir: Albert, Berlion et Jocelme. 
Jocelme fut chanoine de Romans; Berlion fit branche et c'est de lui que 
sortent les sires de Vinay; Albert continua la tige principale; il eut un 
fils du méme nom que lui (Albert IN), qui en épousant, vers l'année 1228, 
Béatrix, fille de Hugues de Coligny, devint maître de la Valbonne, de 
Revermont, ainsi que de plusieurs puridictions situges sur la rive gauche 
de l’Ain (3). 

Outre les chaàteaux de la Tour et de Bourgoin, les seigneurs en 
question possédaient, en Viennois, les importantes places de Crémieux 
et de Quirieux, que l’on voit souvent figurer dans ces mille sujets de 
guerre qu’enfantait sans cesse le régime féodal. Avant d’expliquer de 
quelle manière les sires de la Tour succédèrent aux Dauphins, il est 
nécessaire d’indiquer l'origine de ces princes et d’initier le lecteur à ce 
que le développement de leur puissance politique offre d’intéressant. 

On se souvient combien longue et cruelle fut l’occupation de nos 
contrées par les Sarrasins; on se rappelle surtout que la ville et le 
diocèse de Grenoble devenus la proie des infidèles, ne durent, en 960 
environ, leur delivrance totale qu’au déevouement de l’evéque Isarn qui, 
ranimant le courage des chrétiens et s’entourant à grand’ peine d’hommes 
de bonne volonté, parvint à expulser les hordes sauvages qui avaient 
devoré sa malheureuse église. Or, soit du temps d’Isarn, soit du temps 


1) Hommages de 1250 et 1273. Valb., t. I, p. 190, 198, t. II, p. 10. 
(2) Valb. t. I, p. 155. i 
(3) Zbid., t. I, p. 164. V. ci-devant. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 163 


d’Humbert , successeur de cet illustre prélat, il m'existait à Grenoble 
d’autre autorité que celle de l’évéque; voilà du moins ce qu'’affirme 
S'-Hugues dans ses cartulaires (1). 

Ce n'est, dit-il, que sous le pontificat de Mallenus que Guigues-le- 
Vieux commenca à s’attribuer, au préjudice de l’église , plusieurs terres 
considerables (2). Mais quelle était l'origine de ce comte Guigues, sur- 
nommé le Vieux? Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de parvenir, 
sur ce point, à une solution satisfaisante. Tout porte à croire cependant; 
que ce prince eut des ancétres puissants, illustres (3); et nonobstant 
l’assertion contraire de S'-Hugues, on peut légitimement douter qu'il ait 
été le premier de sa famille (4). Quelque sentiiment que l’on adopte à 
cet égard, toujours est-il que ce personnage sut se créer, après la chute 
du second royaume de Bourgogne, une haute position territoriale, et que 
sil agrandit sa juridiction aux dépens de l'évéque de Grenoble, il chercha 
à atténuer ses torts en comblant d’autres églises de ses bienfaits (5). 


(1) Les cartulaires de St-Hugues, évèque de Grenoble, sont au nombre de trois. Je les ai com- 
pulsés, en 1842, dans les archives de l’évèché où ils étaient alors déposés. Quelques-unes des 
chartes qu’ils renferment ont été imprimées, les autres sont inédiles. L’original du cartulaire 
n.0 1 n’existe plus; il n’en reste qu’une copie. Les cartulaires 2 et 3 se trouvent dans un état 
passable de conservation; ils contiennent, comme on le verra par ce qui suit, des documents du plus 
haut inlérét. Voyez, au reste, la /ozice historique et bibliograph. sur les cartul. de St- Hugues, insérée 
dans les Melanges biogr. et bibl. du Dauphiné, par Collomb de Batines et Ollivier, p. 233 et suiv. 

(2) Ir cujus (Malleni) diebus Guigo Vetus pater Guigonis Crassi injuste cepit possidere ea que modo 
habent comites in Gratianopoli. Charte du cartulaire de St-Hugues, publiée par Salvaing: De l’usage 
des fiefs, p. 485. Chorier, Etat polit. du Dauph., t. 11, p. 69. Duboys, Zie de St-Hugues, p. 465. 

(3) J'ai à peine besoin de dire que la généalogie que Ghorier a insérée dans le tome I de son 
Hist. du Dauphiné est pleine de faits indigestes, et contient des transpositions d’autant plus étran- 
ges, que cet auteur avait entre les mains tous les documents que nous connaissons aujourd’hui, 
et en possedait plusieurs qui depuis lui se sont perdus. Malgré cela, les titres qu'il cite mériteraient 
d’ètre examinés avec soin, surtout pour les temps antérieurs è Guigues-le-Vieux. Dans une 
charte de 1050 Guigues-le-Vieux s’était déjà intitulé : Ego Guigo Gratianopolitanae provinciae prin- 
ceps. Etat pol. du Dauph., t. I, p. 363. 

(4) Voici comme il s’exprime dans la charte citée ci-dessus (note 2): am generatio comitum 
istorum qui modo regnant per episcopatum Gratianopolitanum nullus inventus fuit in diebus suis scilicet 
Isarni episcopî, qui comes vocaretur, sed totum episcopatum sine calumpnia predictorum comitum pre- 
dictus episcopus in pace per allodium possidebat. A Vépoque où St-Hugues écrivait ceci, de graves 
démélés existaient entre l’église de Grenoble et les successeurs de Guigues-le-Vieux. 

(5) Il futle bienfaiteur, sinon le fondateur, du prieuré de St-Robert, près de Grenoble, et il est 
mentionné comme tel dans l’obituaire de ce. monastère: X kal. maji obitt Guigo comes qui dedit 
sancto Maurilio meliora candelabra et ad restaurationem circuli capitis sancti Mauritii tres libras auri 
et calicem minorem aureum et duo pallia et duas cortinas et ampullam cristallinam magnam et pul- 
chram. V. Chorier, Hist. du Dauphinc, t. I, p. 796. Enfin le cartulaire du chapitre d'Oulx témoigne 
des dons nombreux qu’il fit à cette illustre congrégation. V. Chartarium Ulciense, p. 135, 154, 
168, 196. 


164 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 

Arrivé aux deux tiers de sa carrière, dégolité des pompes du monde, 
il lui vint l’idée de se faire moine, à la suite d’un entretien qu'il eut 
d’aventure avec un célèbre abbé de Cluny (1). Une chose l’arrétait 
pourtant: habitué dès l’enfance à une vie luxueuse et molle, tellement 
que les fourrures de peaux d’agneau le blessaient, et qu'il ne doublait 
ses habits que des peanx de rats exotiques, ou des étoffes de soie les plus 
douces et les plus précieuses , il lui répugnait d’endosser la robe velue 
et rude des enfants de S'-Benoît. Le pieux abbé, qui ne voulait pas 
laisser perdre, par trop de rigueur, une conversion sì glorieuse, répondit 
alors à Guigues qu'on lui permettrait de garder ses vétements mondains, 
à condition qu'il porterait le froc par dessus. La proposition fut acceptée, 
et le comte entra à Cluny. Bientòt, honteux des soins qu'il donnait à une 
chair périssable, il cessa d’user de la faculté qu'on lui avait accordée et 
se livra sincèrement à la mortification et à la pénitence; il fit une mort 
digne d’un bon religieux (2). 

Il eut de sa femme Mathilde un fils, du nom de Guigues-le-Gras, 
qui lui-méme eut de Pétronille un fils appelé également Guigues, que 
l'on voit, à la fin du XI siècle, soutenir d’injustes contestations contre 
les évéques de Grenoble, et, fidèle aux traditions de sa race, battre 
continuellement en bréche la puissance temporelle de ces prélats (3). 


(1) Hugues qui fut abbé de Cluny, depuis 1049 jusqu’à 1109. 

(2) Toute cette histoire nous est racontée par Hildebert, évèque de Sens, auteur de la vie de 
Hugues, abbé de Cluny..... hujus rei Guigo comes testis et ecemplum fuit: vir scilicet indulgentius 
a puero educatus et frequentatas a cunis delicias indocilis abdicare. Quem cum ctiam vestes agninae ul- 
cerarent mihilque praeter advenarum murium pelliculas aut sericos cultus ad nudum pateretur. ... facto 
monacho mollium indumentorum permissus est usus qui habitu regulari regebatur ele. La chronique 
de l’abbaye narre à peu près les mèmes choses ; elle fait en ces termes l’éloge de Guigues: Albio- 
nensis etiam comes Wigo sepultus est in hoc loco qui et ipse hujus ecclesiae mirac devotionis mona- 
chus eatitit. Voyez la Bibliotheca Cluniacensis, p. 432, 1642 et 1647. 

(3) Cette gengalogie est fondée sur des documents certains. Une charte, tirée du cartulaire de 
St.-Pierre de Vienne, et que Chorier aurait dù appliquer à Guigues-le-Vieux, au lieu de la rap- 
porter è un Guigues imaginaire, offre le passage suivant: Guigoni vero quem supra diximus majori 
qui postea effectus est monachus 6 sol. tribui et Adelai comitisse et alio Guigoni filio illius Guigonis 
quem supra diximus 4 sol. et uxori ejus Petronille (Chorier, Hist. du Dauph., t. I, p. 795, et Etat 
pol. du Dauph., t. II, p. 365). Dans un titre du cartulaire d'Oulx on lit: Ego Guigo comes qui 
vocor Senex et filius meus qui vocatur Pinguis (Chart. Ule., p. 135), et ailleurs: Medietatem mansi 
quam Guigo Crassus dedit (p. 189). Le fils de Guigues-le-Gras est mentionné dans plusieurs autres 
chartes du mème cartulaire : în presertia Guigonis comitis, fili Guigonis Pinguis (p. 197). Ego 
Guigo comes filius Petrorillae (p. 186). Valbonnais, dans sa table généalogique des Dauphins, a mal 
a propos indiqué Petronille comme femme de Guigues-le-Vieux, car on voit qu'elle avait épousé 
Guigues-le-Gras 


PAR LÉON MENABREA 165 


Ce Guigues, que les historiens modernes nomment Guigues-le-Comte , 
parce que n’ayant pas de surnom il s’intitulait simplement Guigo comes, 
tandis que son aîeul se qualifiait de Guigo vetus, ou Guigo senex , 
et son père Guigo pinguis, ou Guigo crassus; ce Guigues, dis-je, épousa 
une princesse appelée Reine, ou Reine Mathilde (1), laquelle lui donna 
un fils qui au nom de Guigues ajouta celui de Dauphin, Guigo Dalphinus: 
il est désigné ainsi dans un traité qu'il fit, en 1140 environ, avec Hugues II, 
successeur de S'Hugues, au siége épiscopal de Grenoble (2). Guigues- 
Dauphin fut tué, en 1142, sous les murs de Montmélian, à ce que les 
chroniques assurent. Il avait pris pour femme Marguerite, fille d’Etienne, 
comte palatin de Bourgogne, nièce du pape Calixte II (3); de cette union 
il eut un fils, nommé, comme lui, Guigues-Dauphin, qui mourut en 1161, 
et fut le dernier mile de l’antique lignée des comtes d'Albon. 

On ne sait précisément d’où venait à ces princes le titre de comte 
d’Albon, que leur attribuent les écrivains contemporains, et qu'ils pre- 
naient parfois dans les diplòmes (4); tout fait cependant présumer que 
ce titre provenait de ce qu'ils possédaient le chateau d’Albon , situé 
entre Valence et Vienne, sur la rive gauche du Rhòne; au reste, on les 
voyait aussi, en de certaines occurrences, se dire comtes de Grenoble (5). 

Beatrix, fille unique de Guigues-Dauphin, où de Guigues V, comme 
les historiens l’appellent, épousa, en premières noces, Guillaume Taillefer, 
comte de S'-Gilles (6); en secondes noces Hugues, duc de Bourgogne, 
et en troisiémes noces un sire de Coligny. Elle eut de son mariage avec 
Hugues un fils qui recueillit son héritage; ce fils, nommé Guigues ou 


(1) Ego Guigo comes precibus Maicunde regine (Chart. Ulc., p. 154). Testes sunt Matildis regina 
uzror ejus (Chart. Ulc., p. 186). Uxor ejus Maelda (Cartul. de St-Hugues, n.° 2, fol. xLV). Eadem 
die ante Reginam uxorem suam definite sunt querimonie (Chart. Ule., p. 152). On se fonde sur un 
document tiré du cartulaire de Domène, pour dire que celle princesse était fille d’un roi d’An- 
gleterre. Dominus 7igo comes et uxor ejus regina que fuit de Anglia. (Voyez Valb., t. HI, p. 376). 

(2) Guigo comes qui vocatur Dalphinus. (Voy. Duboys, p. 486). 

(3) Guillaume chanoine de la cathedrale de Grenoble, auteur contemporain de la vie de Marguerite, 
parle de ce mariage: ad copulam egregii comitis Guigonis Dalphini fuit translata. 

(4) Dans un acte de 1132, Guigues-Dauphin s’intitule Guigo comes de Albivne (V. Salvaing, 
p. 494); dans un autre acte de 1155, le fils de ce prince est dit: Guigo Dalphinus Albonis comes 
(V. Valb., t. IT, p. 255). Les auteurs du XII siècle, qui ont parlé de ces comtes, les appelleni 
Albonenses ou Albionenses comites. 

(5) Dans un diplòme de 1150, Guigues-Dauphin est qualifié comes Gratianopolitanus (Valb., t. I, 
p- 93). Dans une charte de 1050 Guigues-le-Vieux s’étail déjà intitulé: Ego Guigo Gratianopolitanae 
provinciae princeps. Etat pol. du Dauph., t. II, p. 363. 

(6) C'est pour cela que Taillefer prenait le titre de Zienzensium et Albonens. comes. V. Chart, Ulc., p. 48. 


166 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Guigues-André ( Guigues VI) se décora, à l’exemple de ses aieux maternels, 
de la qualité de Dauphin (1); il laissa pour successeur un autre Guigues 
(Guigues VII) qui non-seulement s'intitula Dauphin (2), mais introduisit 
l'image d’un dauphin dans son sceau privé (3). 

Jean, fils de ce Guigues, mourut en bas dge. En 1273, Anne, sceur 
et héritière de Jean, épousa Humbert, sire de la Tour-du-Pin, lequel 
devint dès lors la tige d’une troisième race illustre qui produisit succes- 
sivement Jean II, Guigues VIII et Humbert II. 

Personne n'ignore que ce fut Humbert II qui, en 1340, fit cession 
du Dauphiné aux aînés de France. S'il est important de connaître l’origine 
et la série géngalogique des Dauphins, il l'est peut-ètre plus encore de 
savoir en quoi consistaient les possessions de ces princes. Cet examen me 
fournira (chose non moins essentielle) l’occasion de déterminer les limites du 
pouvoir temporel des églises de Grenoble, de Vienne, de Gap, et d’Embrun. 

Malgré l’absence de preuves directes proprement dites, il est permis 
de croire que, du temps de Rodolphe-le-Fainéant, les évéques de Grenoble 
exercaient une autorité politique sur la totalité de leur diocèse, qui 
contenait quatre décanats ou archiprétrés; celui de Grenoble, celui de 
Viennois, celui de Savoie et celui d’Outre-Drac, Ultra Dracum (4). Mais, 
ainsi que je l’ai déjà remarqué, surgit, vers le milieu du XI siècle, 
la famille des comtes d’Albon, qui se rendit peu à peu maîtresse du 
Graisivaudan (c’est le nom qu'on donnait au comté de Grenoble) et qui, 
bravant les anathèmes, vint s°établir, téte levée, jusque dans la ville épis- 
copale: ce ne fut pas toutefois sans peine qu'elle maintint ‘son ceuvre de 
spoliation; il lui fallut lutter contre les décrets mémes des empereurs qui, 
à différentes époques, et notamment en 1161, 1178, 1361, confirmèrent 
à l’église, dont il est ici question, la plupart de ses anciennes prérogatives. 

Le diplome de 1178 offre en effet des clauses larges et assez expli- 
cites: « Que chacun sache, dit Frédéric-Barberousse, queu égard à la 
» fidélité et aux bons services de Jean, vénéerable évéque de Grenoble, 
» prince de notre empire, nous lui concédons tout ce que lui et ses 
» prédecesseurs possèdent et ont possédé légitimement, savoir: les régales, 
» à partir du chiteau de Bellecombe, en descendant le cours de l’Isère, 


(1) Ses sceaux portent la légende: Sig. Guigoris Andree Dalphini comitis Albonis et Vienne palatini. 
(2) Il se qualifie dans son testament: Ego Guigo Dalphinus Vienne et Albonis comes. Valb., t. 1I, p 3. 
(3) Valb., t. I, p. 373. 

(4) Pouillée, De l’év. de Grenoble. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 167 


» sur les deux rives de ce fleuve, selon l’étendue de l'évéché, dans la 
» cité et hors d’icelle, champs, vignes, paturages, prés, bois, foréts , 
» terres cultes et incultes, caux, cours d’eau, marais, ports, lieux ouverts 
» et non ouveris, chasses, péches, villages, hommes, péages, marches , 
» fours, moulins, monnaies, mines d’or et d’argent, jugements, bans, 
» genéralement toutes choses, que les évéques susdits tiennent de la libe- 
» ralité imperiale, et en particulier le chiteau de S'Donat ...» 

Ge chateau, situé à une lieue et demie au nord de Romans, avait été 
donné à l’évéque de Grenoble par le roi Boson, fondateur du second 
royaume de Bourgogne, au IX siècle (1). C'est là que se retira l’évéque 
Isarn, lorsque les Sarrasins occupaient nos contrées (2). Malgré l’ampleur 
des concessions ci-dessus mentionnées, il est certain que, tant que dura 
la période féodale, la juridiciion urbaine de Grenoble demeura constamment 
indivise entre les évéques et les Dauphins, à la charge par ceux-ci de 
se reconnaître hommes liges de ceux-là, ce qu'ils faisaient régulièrement 
à chaque mutation de vassal ou de suzerain (3). Pour l’exercice de cette 
juridiction, les intéressés nommaient un juge commun, et ils partageaient 
ensuite les émoluments de la justice (4). 

Outre la part indivise de souveraineté que je viens d’indiquer , 
les evéques jouissaient, soit au dedans, soit au dehors de la ville, 
de plusieurs droits exclusifs (5), qu'ils exercaient par le ministère de 


(1) C'est ce que nous apprend St-Hugues dans la relation du procès qu’il eut avec l’archevéque 
de Vienne..... Et ccclesiam sancti Donati grat. eccl. obtinuit largitione regum videlicet Bosonis ci 
Ludovici fili sui quod preceptis eorum regalibus declaratum est. 

(2) V. Mist. chr. de Jovinzieux de nos jours, St-Donat ancienne residence des cvéques de Grenoble, 
par Jean Claude Martin, 1812. 

(3) Hommage du 21 avril 1307, Valb., t. II, p. 130; hommage du 9 avril 1340 (Nota Guigonis 
Frumenti, fol. 97); hommage du 3 octobre 1450 (Liber cop. grat., t. I, fol. 404). 

(4) Pouillé de Gr. On peut consulter les traités passés entre les évèques et les Dauphins en 1293 
(Valb., t. II, p. 70), en 1305 (Arch. de Gr., Liber cop. factum civit. Grat. tangentium, t. I, fol. 115) 
et en 1343 (Valb., t. II, p. 468). En depit de tous ces traités, les causes de discorde continuèrent 
à subsister pendant longlemps encore, ainsi qu'il serait facile de s’en convainere par la lecture du 
mémoire que l’illustre évèéque Rodolphe de Chissé rédigea en 1379, sous le titre de : « Ce sont les 
» articles baillez par l’évesque de Graynoble contre le gouverneur et chancelier et autres officiers 
» du pays de Daulphine , sur les exlorsions, gricz et dommaiges et injures fais sans cause audit 
» évesque et à ses gens et aussi contre la majesté dalphinal et pays de moss. le Dalphin ». (Liber 
cop. fact. civit. Grat., t. II, fol. 51). 

(5) Ils avaient des fractions de juridiction è Gières, à Venon, à Domène, à Murianette (Valb., 
t. I, p. 32 et 38). Ils possédaient des taillables et des censiers à Cornillon (Traité de 1305, cité 
dans la note précédente), à St-Hilaire où ils avaient une maison-forte ( Traité de 1319; Liber cop. 
Grat. , t. I, fol. 142); ils percevaient divers droits è Herbeys (Lib. cop., fol. 1 et seqq.). 


168 DES ORIGINES FEODALES ETC. 


certains officiers particuliers, qui, aux XIII et XIV siècles, étaient 
le vicaire, l’official, le procureur fiscal, le courrier, le chancelier, les 
greffiers (1). 

Du temps de Hugues et de son successeur immédiat on comptait, 
parmi les officiers épiscopaux, le convers, le cellerier, le mistral (2), 
le sénechal (3), le maréchal, le procureur, le bourreau (4). 

Les pretentions des Dauphins sur la cité et sur le comté de Vienne, 
bien qu'’elles fussent étayées de titres apparents, ne tiraient pas. moins, 
en majeure partie, leur source d’un système d’usurpation exécuté avec 
une rare persistance, avec une infatigable ténacité. 

En 1155, tandis que Berthold de Zaeringen jouissait, sous la quali- 
fication de rector, cu de dux Burgundiae, d'une espèce de haute su- 
zeraineté dans l’ancien royaume de Bourgogne, les Dauphins se firent 
passer par ce prince une donation, qui, encore que très-ambigué, servit 
de fondement aux attaques de tout genre, qu’ils dirigèrent dès lors contre 
les archevéques de Vienne (5). Afin de repousser de pareilles agressions 
ces prélats, comme je l’ai précédemment noté , recoururent aux empereurs 
d’Allemagne et en obtinrent les divers diplòmes, dont j'ai eu l’occasion 
de parler (6): puis, en 1602, ils jugèrent à propos d’acquérir les droits 
que la maison dite de Vienne prétendait avoir sur le comté de ce nom (7). 

On sait que, suivant l’opinion commune, cette maison sortait de Charles- 
Constantin, fils de Louis-l'Aveugle. Mais, en 1337, le dauphin Humbert II, 
voulant donner une couleur à ses continuels empiétements, s’attira une 


(1) Pouillé de Gr. 

(2) Misit autem Guigonem conversum et I7illielmum Letardum cellarium suum et Adonem de Bocoiron 
ministralem suum... .. Et comes misit homines suos scilicet. ... Benedictum botelarium suum sive mili- 
tem suum et Petrum Chalnesium ministralem suum et Bernardum retrogardam suam de Gratianopoli 
(Charte citée dans les notes précedentes). 

(3) Un document de 1110 fait mention de Odoris infertoris dapium sive senecalci. Salv. , p. 492. 

(4) Dans une charle de 1224 on trouve: testes sunt Oldericus procurator episcopi. ... Athenulphus 
gardaniola borellus episcopi..... Petrus de sancto Andrea marescallus episcopî....V. Duboys, p. 472. 
Je crois, contre le sentiment de l’abbé Barthélemy, auteur d’une suite de dissertalions manuscrites 
sur l’histoire de Grenoble, que les mots dorellus episcopi ‘indiquent l’officier chargé de punir les 
malfaiteurs; on sait que l’église pouvait infliger tous les supplices qui avaient lieu sans effusion 
de sang. Le borellus episcopalis est mentionné dans deux autres chartes du cartulaire de St-Hugues, 
fol. LXII et LXIM. 

(5) Cette charte qui existe encore actuellement dans les archives de l’ancienne Chambre des 
comptes de Grenoble, a élé publiée par Valb., t. II, p. 255. 

(6) V. ci-devant. 

(7) V. le Registre Dalphinal de Mathieu Tomassin de la Bibl. publ. de Grenoble, fol. 258. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 169 


cession semblable de la part de Guillaume de Vienne, à qui il paya , 
pour cet objet, la somme de six mille florins d’or (1). Les dissensions qui 
existaient entre les deux pouvoirs prirent, dès lors, un caractère plus 
grave: des luttes sanglantes eurent lieu (2), pendant lesquelles le Dauphin 
fit tant, soit auprès des habitants de Vienne, soit auprès du chapitre mé- 
tropolitain , que les premiers le reconnurent seul et unique comte de 
Vienne, et lui prétèrent à ce titre serment de fidélité , tandis que le 
chapitre lui transféra solennellement la garde de la ville et lui livra Van- 
tique chatean des rois burgondes, la celèbre Maison des Canaux (3). 

Quand, au milieu de ce cahos, on cherche à déméler la juridiction 
respective des Dauphins et des archevéques, on peut se convainere que 
ceux-ci étaient les véritables successeurs des anciens comtes de Vienne; 
on voit que la garde de la cité leur appartenait; qu’ils y entretenaient un 
meétral ou mistral, un courrier, un juge, par l’intermédiaire duquel ils 
administraient la justice, recevaient les testaments, les .émancipations, les 
tutelles, percevaient les impòts; toutefois certains droits, non sans impor- 
tance, compétaient également au Dauphin; ainsi, aucun des fiefs, aucun 
des hommes, aucun des édifices que le Dauphin possédait à Vienne ne 
pouvait subir de juridiction autre que celle de ce prince. 

A l’exemple de l’archevéque le Dauphin avait un mistral qui résidait 
dans la ville et y exercait une assez grande autorité. Chose singulière, 
il suffisait qu’un des sujets du prélat passat une nuit sous le toit du 
Dauphin pour qu'il devînt, durant cette nuit méme et le lendemain , 
Justiciable de ce dernier (4). Or, à raison de ces différents droits , les 
Dauphins, tout aussi bien que les archevéques , s’intitulaient comtes de 
Vienne, sauf néanmoins qu’à cet égard ils se reconnaissaient feudataires 
de l’église et devaient lui remettre chaque année, à la S'-Maurice, douze 
livres de cire en signe de vassalité (5). 


(1) Valb., t. II, p. 348. 

(2) V. le Registre Dalphinal, fol. 258 et suiv. 

(3) Chartes de 1338. V. Valb., t. II, p. 363 et 364. 

(4) On peut consulter è cet égard, aux archives de la Chambre des comptes de Grenoble, un 
volume étiqueté Droits des Dauphins sur la ville de Vienne, où sont inscrits plusieurs titres im- 
portants; et un autre inscrit Reg. litt. et privil. comit. et baillivatus Vienne in Viennesio. Voyez 


aussi Valbonnais, t. I, p. 33 et 109. V. aux arch. de Grenoble, Probus, fol. 106 et 432, et note 
Guigonis Frumenti, fol. 46. 


(5) Charvet, pr., p. 662. 
Serie II. Tom. XXIII. 


(S) 
(IS) 


170 DES ORIGINES FÉODALES 


Les archevéques de Vienne, en qualité d’abbes de S'Bernard de 
Romans, jouissaient en outre à Romans de la plénitude du pouvoir tem- 
porel, ce qui ne les empéchait pas d’ètre fréquemment en querelle 
tantòt avec le chapitre de l’abbaye, tantòt avec les habitants de la ville (+). 

Les Dauphins n’eurent d’abord, en ce lieu, que de simples émoluments, 
tels qu’une partie des bans ou amendes, le tribut qui se levait sur le 
mariage des veuves, la redevance appelce pro escuwellatis sponsarum ete.; 
mais après de longs troubles, après de cruelles et de scandaleuses dis- 
sensions (2), ils parvinrent à se faire associer, pour une moitié, à la puri- 
diction souveraine que les archevéques y exercaient (3). 


CHAPITRE X. 


Evéques de Gap et d'Embrun. - Comtes de Forcalquier. - Comies de Provence. - Guillaume 
expulse les Sarrasins. - Ses descendants. - Tige des comtes de Die. - L’empereur Conrad, 
octroie è l’archevéque Willielme la plénitude des droits régaliens sur la cité d'Embrun. 
- Prérogatives nouvelles. - La puissance de ces prélats est cependant limitée par les 
comtes de Forcalquier. - Les Dauphins prennent la qualification de comtes de Gap et 
d'Embrun. — Ils se déclarent vassaue de la chaire métropolitaine. — Traités. - Diplomes 
imperiaue en faveur des évéques de Gap. - Les Dauphins fomentent contre ces derniers 
l’esprit de revolte. - Ils se font céder par les habitants de ia ville ce qu'on nommait le 
consulat. - Concordat. - Ses bases. - Possessions des évéques hors de Gap. - Vallée de 
Briancon, attribute par le roi Guntramn au siége épiscopal de Maurienne. - Village de 
Rame. - Principaulté du Brianconnais. - Elle fait partie du domaine. - Les habitants 
obtiennent d'amples priviléges. - Famille de Bardonnéche. - Généalogie de ces seigneurs. 
- Familles du Viennois et du Graisivaudan. - Sires de Sassenage. - Bérenger. - Clermont. 
- Rossillon et autres. - Sires de Bocsozel. - Seignewrs de Maubec. - Enumération des 


principales races feodales du Viennois. 


Afin que le lecteur puisse parfaitement saisir ce que j'ai à lui dire, 
concernant les églises de Gap et d’Embrun, et sur la maniere dont les 
droits temporels de ces églises se trouvaient mélés à ceux des Dauphins, 


i) V. Dochier, Mém. sur la ville de Romans. Consultez une trans. de 1274. Valb. t. I, p. 125. 

2) On trouve aux archives de la Cour des comptes de Grenoble un registre aussi interessant 
que curieux, inlitulé Scripturae tangentes villam de Romanis, qui contient le detail de tous ces 
evénements. Les entreprises des Dauphins sur la ville de Romans remontaient au reste a une 
époque assez cloignée. Une charte du XII siècle signale Guigues-Dauphin comme ayant pillé et 
Aévasté Romans; ce prince y est qualifié /ir arimo ferus armis validus. V. Martèene, Anecd,, 
\. I, p. 381. 

3) Valb., t. II, p. 497. 


PAR LÉON MÉNABRÉA I7I 
il est necessaire que je l’initie à l’origine et anx premiers développements 
dynastiques des comtes de Forcalquier. 

On sait que, pendant la domination des rois de Bourgogne, les comtes 
d’Arles, devenus puissants, avaient été investis, à titre de bénéfice héré- 
ditaire, d’une portion considérable de ce qu’on appelait déjà alors la 
Provence, Provincia, Provincia Arelatensis, Regnum Provinciae, ou 
Provinciarum (1). C'est de Guillaume, l’un d’eux, de ce guerrier fameux 
qui en 975 acheva d’expulser les Sarrasins, que descendent les comtes 
de Provence, qui jouèrent un ròle si important dans l’histoire de nos 
contrées. 

Guillaume IT, son successeur, eut deux fils, Geoffroy et Bertrand ; 
Geoffroy fut comte de Provence après la mort de son père; quant à 
Bertrand, il épousa Alayris, comtesse de Die, qui lui donna plusieurs 
enfants. Ceux-ci possédèrent quelque temps, en commun, sous la sur- 
veillance de leur mère, l’héritage paternel; l’aîné Bertrand II, le seul 
qui avait fait race, prenait le titre de comte de Forcalquier; ses domaines 
s'étendaient principalement sur les comtés de Sisteron, d’Avignon, de Gap 
et d'Embrun (2). 

Bien que Forcalquier, petite ville des Basses-Alpes; le Forum Neronis 
des itinéraires romains, ne fùt la capitale d’aucun des nombreux pagi, 
eréés lors de l'invasion des barbares, il ne faut pas s’étonner de voir 
son nom employé ici comme deésignation féodale et patronymique; car, 
au XI siècle, les divisions territoriales, établies par les peuples du nord, 
commencaient à s’aliérer; de nouvelles juridictions, de nouvelles. cir- 
conscriptions se formaient et allaient emprunter des dénominations à des 
localités souvent peu connues. 

Des deux fils de Bertrand II, l’un, Geoffroy-Ponce , esi la tige des 
comtes de Die; l’autre, Guillaume-Bertrand, ne laissa qu’une fille qui 
en 1080 se maria avec Ermengaud, comte d’Urgel, en Catalogne, et 
lui apporta le comté de Forcalquier. Au décès d’Ermengaud, Guillaume, 
fils cadet de ce prince, obtint le comté dont il est question. 

Bertrand IH, héritier de Guillaume, transmit lni-méme ses petits états 
à un sien fils, assez célèbre, que les historiens appellent Guillaume VI, 


(1) V. ci-devant. 
(2) Dans une charte de 1027 on. lit: Ego Bertrandus comes Fortiscalquerii et Montisfortis et 
i Ebredunensis ei Gaufredus et Guill. fratres mei cum consilio matris nostre domine Alayris comitisse 
Diensis (Bouche, Mist. de Prov., 2 part., p. 60). 


1772 DES ORIGINES FEÉODALES ETC. 


afin de le distinguer de ses homonymes. Ce personnage eut une fille 
unique, nommée Garsende, qu'il donna en mariage à Raymond de Sabran, 
ou de Claustral, sire de Castellar. De cette union naquirent deux filles ; 
Garsende, la première, devint la femme d’Ildefonse IT, comte de Provence; 
Béatrix, le seconde, fut accordée, en 1202, au dauphin Guigues-André, è 
qui elle remit en dot toute la partie du comté de Forcalquier, situé en 
decà du Pont du Buoch, près de Sisteron (1). 

Les circonstances qui précédèrent et suivirent la chute du dernier 
royaume de Bourgogne, n’avaient pas été moins favorables aux églises 
d’Embrun et de Gap, qu'à celles que j'ai eu jusqu'à présent l’occasion 
de remémorer. Si l’on devait juger des attributions temporelles des arche- 
véques d’Embrun par les seuls diplòmes des césars allemands, il faudrait 
en conclure qu’elles étaient fort amples et fort importantes. 

En 1147; lempereur Conrad octroie à l’archevéque Willielme la 
plénitude des pouvoirs régaliens dans l’antique cité d’Embrun, la faculté 
de battre monnaie, le droit de rendre la justice , celui de percevoir les 
péages etc., justicias monetam pedaticum in utraque strata telluris et 
fluminis (2). En 1238 l’empereur Frédéric II confirme ce privilége en 
faveur de l’archevéque Aymar; en 1251, l’empereur Guillaume de Hollande 
en amplifie encore les termes et y ajoute la prérogative de créer des 
notaires et de recevoir, ou faire recevoir, en tous lieux quelconques du 
royaume d’Arles et de Vienne, les actes de juridiction volontaires et no- 
tamment les adoptions et les légitimations (3). Enfin une vingtaine d’années 
après, l’empereur Rodolphe de Hapsbourg nomme à perpeétuité les ar- 
chevéques d’Embrun princes de l’empire, secrétaires auliques et came- 
riers impériaux (4). Mais, en réalité, la puissance de ces prélats se 
irouvait singulièrement limitée et génée par les prétentions des comtes 
de Forcalquier, prétentions qui ne manquaient point de fondement. Et 
en effet, un acte de 1057, où est consignée l’élection de Winimann au 


(1) Totum comitatum et totam terram que a Ponte Buchii de Sistarico sursum est et extenditur per 
episcopatum Vapiciensem et per archicpiscopatum Ebredunensem (Joannis Columbi Mannuacensis 
dissert. de Guill. juniore comite Forcalquerii in opusculis ; Lugduni, 1668, p. 91). 

(2) Gall. Christ. in instr., +. III, p. 179. 

(3) Etat. pol. du D., +. II, p. 18. 

(4) V. Histoire cccl. d'Embrun, par M+ +4 (Albert) bachelier en droit canonique et civil de la 
faculte de Paris et docieur en théologie. Embrun , 1783, in-8°. Ce volume rare est le second de 
\'Hist. géograph. natu. eccl., et civile du diocèse d'Embrun. V. aussi les Annales eccl. d’Embrun par 
le P. Fournier, 


PAR LÉON MENABREA I 73 


siége d’Embrun, nous montre Guillaume Bertrand, comte de Forcalquier, 
et Geoffroy-Ponce , son frère, qui se qualifiait comte de Die , comes 
Diensis, parce qu'il détenait les domaines de son aieule Alayris, ou Alix, 
comtesse de Die, nous montre, dis-je, ces deux seigneurs approuvant 
ladite élection, et lui imprimant une espèce de sanction legale (1). 

Il y a plus: on voit par une transaction de Guillaume VI , arrière- 
petit-fils de Guillaume Bertrand, avec l’archevéque Pierre, que les comtes 
de Forcalquier jouissaient à Embrun de droits à peu près égaux à ceux 
de l’église; qu'un grand nombre d’habitants ne devaient obéir qu'à eux, 
et que méme les fortifications de la ville leur appartenaient, è l’exception 
d’une tour que Bertrand III avait consenti è laisser entre les mains de 
l’archevéque , et que l'on designait, pour cela, du nom de Tour de 
l’archevéque (2). 

Lorsque les Dauphins eurent acquis une portion de l'héritage des 
comtes de Forcalquier, ils ne cherchèrent point à s'arroger le titre féodal 
que laissait vacant l’extinction de ces princes; ce titre, les comtes de 
Provence se l’attribuèrent du chef de Garsende, soeur aînée de Beatrix. 
Toutefois ils n’hésitèrent pas à prendre (je parle des Dauphins) la qua- 
lification de comtes de Gap et d’Embrun, et soit pour se rendre le clergé 
favorable, soit pour esquiver la suzeraineté des Provencaux, ils se re- 
connurent, à raison du comté d’Embrun, vassaux de la chaire métropo- 
litaine, et lui prétèrent, en la personne de son pontife, serment de fidé- 
lité (3). Divers traités conclus en 1321, 1331 etc. nous apprennent que 
les archevéques et les Dauphins étaient souverains indivis d’Embrun et 
de Chorges, où ils entretenaient des officiers communs (4); les premiers 
possedaient en outre les chateaux de S'-Clément, de S'-Crépin, de la 
Sauze, de Guillestre, de Vars, de Crevoux, de Risoul, de Chateauroux etc. 
(Jacques Gala, archevéque d’Embrun, fit composer, en 1437 environ, 
un recueil des priviléges et possessions de son église, où l'on voit par le 


(1) Confirmanie Pill. Bertrando et Gaufredo seu Pontio Diensi comite.... (Gioffredo, p. 338). 

(2) Gall. Christ. ininstr., p. 208, transaction de 1177. 

(3) Valb., t. I, p. 248. Les Dauphins renouvelèrent souvent ces hommages. Une reconnaissance 
du 20 adut 1334 porte que le dauphin Humbert II, recogrovit se tenere in feudum a domino Ber- 
trando archiepiscopo Ebred. et ab ecclesia sua Ebredunensem comitatum et omnia et singula que tenet 
apud Caturicas....et specialiter palacium per predecessores ipsius domini Dalph. juxta et extra muros 
Ebreduni versus orientem edificatum (Regesta Humb. Pilati, 1334 catervus secundus, fol. 53). Acte 
de 1210, B:02. Seb., I, 78. 

(4) Valb., t. IT, p. 188 et 190. 


174 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


menu en quoi lesdites possessions consistaient); ils commandaient exclu- 
sivement dans la vallée de Barcelonette et s°y faisaient représenter par 
un bailli qui habitait l’ancien chitean de Falcon (1). 

Quelques mots maintenant sur les éveques de Gap. 

Forts des diplòmes impériaux et spécialement d’un precepium de 
Frédéric-Barberousse, du 2 des cal. d’aoùt 1178, ces prélats exer- 
cèrent longtemps à Gap une souveraineté absolue (2). Mais à peine les 
Dauphins eurent-ils recueilli la part de Béatrix de Claustral à la suc- 
cession de la maison de Forcalquier, que ces princes, avides d’agrandis- 
sement, leur suscitèrent de graves embarras. Ils achetèrent d’abord les 
droits qu’un seigneur, nommé Roland de Mantier, prétendait avoir au 
tiers de la juridiction de Gap; puis, fomentant l’esprit de revolte chez 
les habitants de cette ville, ils se firent céder par eux ce qu'on appelait le 
consulai, qui se composait d’un ensemble d’attributions assez fructueuses, 
concernant la police et les marchandises (3). 

Comme le consulat appartenait aux évéques, ceux-ci se récrièrent 
contre une semblable cession et se mirent sous la protection du comte 
de Provence, se déclarant ses hommes liges afin d’obtenir son appui (4), 
quoiqu'ils ne fussent véritablement feudataires que des empereurs (5), et 
allèrent jusqu’è lui abandonner par indivision la mitié de la cité épis- 
copale , abandon qui néanmoins resta sans effet (6). Malgré cela, les 
Dauphins tinrent bon et obligèrent les évéques d’en venir à un concordat, 
dont voici les bases: 

1° Les consulats et les émoluments qui en dépendent sont an Dauphin. 


(1) Preheminentiae spirit. et temp. archiep. Ebred. (V. Valb., t. JI, p. 14). A V’exemple des autres 
prélats de nos contrées, les archevéques d’Embrun élaient constamment troublés dans l’exercice 
de leur juridiction. V. Gravamina etc...... Arch. de Grenoble. In isto libro continentur informat. 
domini nostri Dalph. in plurib. Bailliv., fol. 57. 

(2) Il existe des copies de ce privilége, ainsi que de deux autres diplòmes impériaux de 1184 
et de 1238, dans un registre de l’ancienne Chambre des comptes de Grenoble intitulé Titres 
concernant la ville de Gap, fol. 1, 3 et 92. Voyez encore Gallia Christ. , t. I, p. 87. 

(3) Cette cession eut lieu en 1297 en faveur de la dauphine Beatrix. V. Valb., t. II, p. 92. 

(4) Acte de 1271. Gall. Christ. în instr., t. I. p. 87. 

(5) Les diplòmes ci-dessus cilés, de 1184 et 1228, portent en termes exprès: Ita quod predictus 
episcopus eadem regalia a nobis et imperio tencat et recognoscat. On trouve mème qu’en 1383 Charles 
de Bouville, gouverneur lieutenant-general du Dauphing et vicaire impérial, éerivit aux chàtelaine 
de Champsaur et de Montalquier pour assigner l’évéque de Gap à prèter hommage è l’empereur 
du temporel de son éveèché, (Titres concernant la ville de Gap, fol. 13). 

(6) Acte de 1281, Gall. Christ., p. 88. 


PAR LÉON MÉNABREA 17 5 


2° L'évéque est le gardien de la ville, et dispose des clés d’icelle. 

3° Les publications se font en son nom. 

4° Ses ofliciers seuls peuvent appliquer la peine du carcan à ceux 
quì l’ont encourue. 

5° Le produit des bans, ou amendes, se partage entre le Dauphin 
et l’évéque. 

6° Enfin, la connaissance des procès en matière réelle et immobilière 
est dévolue à un juge élu d’un commun accord (1). 

Hors de Gap, les évéques possédaient les chateaux de Rambaud, de 
la Batie-vieille, de la Batie-neuve, de Montmaur, de Chateauvieux-sur- 
Tallard, de Tournefort, de Fare, de Poligny etc. (2). Ils faisaient hommage 
de ces fiefs aux comtes de Provence; on remarque méme qu’en 1328, 
à l’occasion de l’élection de Dragonet de Lyoncel au siége de Gap, le 
sénéchal de Provence ordonna de placer pendant un jour la bannière 
de son maître au haut de la.tour du palais épiscopal, en signe de 
suzeraineté (3). : 

Les Dauphins relevaient également des comtes de Provence pour tout 
ce qu'ils avaient dans le diocèse de Gap (4). Continuons nos explorations. 


(1) Acte de 1300 — Valb.,.t. I, p. 53. Ce traité ne mil pas fin, tant s’en faut, è toutes les diffi- 
cultés. On peut consulter aux archives de l’ancienne Chambre des comptes de Grenoble deux 
registres, intitulés l’un Extracta fucta de litteris instrumentis et munimentis jurium et prerogativarum 
que Dalph. habet in civitate Vapercensi, et l’autre: Documenta et scripturae tangentes jura que do- 
minus noster Dalph. habet in temporalitate episcopatus Vapencensis. Pour ce qui est des querelles anté- 
rieures à l’année 1300, voyez dans le registre des 7’itres concernant la ville de Gap, fol. 153, 99 et 81: 
1.° Diverses procedures de l’an 1242, relatives à la juridiction criminelle que les Dauphins exercaient 
a Gap. 2.° Un compromis passé le 13 des calendes d’aoùt 1252 entre l’évéque Othon et Guigues- 
Dauphin, è l’occasion de leurs différents. 3.° Des lettres de sauvegarde accordées à l’évéque de 
Gap par Charles, roi de Sicile et comle de Provence, le 25 juin 1295, portant defenses et inhibi- 
tions au Dauphin de troubler et molester ce preélat. 

(2) Gall. Christ., p. 87. 

(3) Ibid., p. 88. 

(4) La supériorité des comtes de Provence à cet égard, provenait de ce que ces princes avaient 
succedé aux comles de Forcalquier (Hommage de 1257, v. Valb., t. I, p. 205). Cette supériorité 
toutefois ne pouvait exister que réserve faite de celle des empereurs d’Allemagne, ainsi qu'on le 
voit dans un diplòme que Frédéric II accorda en 1242 au dauphin Guigues, où ce monarque 
S'exprime en ces termes: A/lodia tam in predicto Vap. et Ebred. quam in Vienn. et Albonis ac 
Gratianop. comitatibus duximus concedenda ita ut tamen comitatus et allodia supradicta a nobis et 
imperio tencat (Titres concernant la ville de Gap, fol. 17). Les personnes qui voudraient connaître 
plus en detail les droits des Dauphins dans la ville de Gap, peuvent consulter aux arch. de Grex. 
le registre intitulé Extracta fucta de litteris, instrumentis et munimentis jurium et prerogativarum 
que Dalph. habet in civitate Vapencensi. Pour le surplus voyez le Preécis Rist. de la ville de Gap, par 
Théodore Gauthier, 1844, et les Mémoires inedits de Juvenis et de Rochas. 


176 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Nous avons vu précédemment que la vallée de Briancon, vallis 
Briantina, formait, pendant la domination des Burgondes et des Francs, 
un district à part, appelé pagus Brigantinus, ou Briantinus. Briancon, 
capitale de ce district (le Briganzio des Romains et au VII siècle le 
Berientinum castrum), se recommandait déjà alors par son importance 
militaire. 

Lorsque, en 579, le roi Guntramn institua le siége episcopal de 
Maurienne, ce monarque attribua au nouveau diocèse, d’un còte, la 
vallée de Suse récemment conquise sur les Lombards, et de l’autre, 
la vallée de Briancon. L'archevéque d’Embrun se plaignit è la vérité 
d'une concession qu'il disait lui étre préjudiciable; mais Guntramn envoya 
sur les lieux ses délégués qui plantèrent une limite à un mille au-dessus du 
village de Rame, et fixèrent ainsi la ligne divisionnelle des deux évéchés (1). 
Ce village de Rame se trouve lui-méme è peu de distance du Pertuis de 
Rostaing, Pertusum Rostagni, qui au moyen dge séparait le pagus Bri- 
gantinus du comté d’Embrun. Cela n’empécha pas toutefois que dès avant 
l’extinction de la seconde dynastie des rois de Bourgogne, les archevéques 
d’Embrun n’eussent reconquis dans la vallée en question leur autorité 
spirituelle (2) 

Envisagée sous le rapport politique, cette vallée figure parmi les plus 
anciennes possessions des Dauphins. En 1053, Guigues-le-Vieux, tige de 
ces princes, avait un chateau à Briancon (3). En 1073 Guigues-le-Gras 
se rendant à Oulx, fut atteint en route d’une maladie subite qui l’obligea 
de s’'arréter dans son chateau de Briangon, d’où il envoya aux chanoines 
d'Oulx des marques de sa libéralité et de sa piété (4): on pourrait con- 
tinuer ces citations presque à l’infini. 

Le pays qui sous la domination des Dauphins recut la qualification 
de principauté du Brianconnais, se composait non-seulement de la vallée 
de Briancon proprement dite, laquelle se divisait en deux chàtellenies, 


(1) Charte rapportée par Besson, pr., n.° 109. 

(2) Plusieurs chartes du Chartarium Ulciensis Ecclesiae témoignent de ce fait. On ne remarque pas 
d’ailleurs que dans la bulle, par laquelle l’empereur Conrad prétendit unir, en 1038, l’evèche de 
Maurienne à celui de Turin , il soit fait en aucune manière mention de la vallée de Briangon. 
V. Besson, pr., n.° 6. È 

(3) Hoc factum consilio Ade castellani Brienzonis (Chart. Ule., p. 135). 

(4) Ego Guigo comes qui ab infirmitate detentus in Brianzoni castro ad consecrationem illam nov 
possum ire. ...(Chart. Ulc., p. 186). 


PAR LÉON MÉNABREA 177 


celle de Briancon et celle de S'-Martin de Queyrières, mais il compre- 
nait encore les vallées adjacentes de Valpute, ou Vallouise, /allisputa, 
et de Queyras, Quadracium, formant chacune aussi une chatellenie ou 
mandement. 

A la principauté du Brianconnais, les Dauphins avaient incorporé en 
outre les terres qu’ils possédaient sur le versant oriental des Alpes, 
| terres importantes distribuées en six chatellenies, savoir: Césanne, Oulx, 
Salbertrand, Bardonnéche, Exilles et Valcluson (1). La juridiction des 
Dauphins dans ces deux dernières localités, ou du moins dans quelques- 
unes d’entre elles, remontait au XI siècle: des documents de ce temps-là 
nous montrent Guigues-le-Vieux et Guigues-le-Gras disposant en ceuvres 
pieuses de divers biens situés à Ceésanne et à Oulx (2); je ne parle point 
ici toutefois d’une juridiction absolue et exclusive; car il est certain 
que la fameuse comtesse Adélaide de Suse et les comtes de Savoie, ses 
successeurs, eurent primitivement en ces hautes vallées des droits de 
divers genre, dont ils se départirent ensuite en faveur du clergé (3). 

En 1343 les habitants des différentes chitellenies ci-dessus indiquées 
tant en decà qu’au delà des monts, obtinrent des Dauphins d’amples pri- 
viléges qui allégèrent pour eux le poids de la servitude féodale (4). 

Une famille puissante mérite d’étre mentionnée ici: c'est la famille 
des sires de Bardonnéche; l’origine de ces seigneurs est antique et illustre; 
Winimann, archevéque d’Embrun, faisant en 1057 environ une con- 
cession au monastère d’Oulx, rappelle qu’antérieurement un Ponce de 
Bardonnéche avait généralement abandonné plusieurs redevances à cet 
établissement religieng (5). Les sires de Bardonnéche détaient tenus à 


(1) Les chàtellenies d’Qulx et de Salbertrand étaient ordinairement réunies. 

(2) Chartes cilées aux notes 3 et 4 de la page précédente. La seconde de ces chartes offre surtout 
ces mots remarquables: Ego Guigo comes in Dei nomine dono..... de hereditatemea...... medietaterm 
unius mansi qui est in villa qui vulgo Ulcis dicitur. 

(3) Les ancètres d’Adélaide avaient construit notammert les gglises de Si-Juste à Oulx et d’Exilles, 
V. Chart. Ulc., p. 35 et 96. Je noterai ici que le chàteau d’Exilles est déjà mentionné dans un 
document de l’année 1092. V. Chart. Ule., p. 115. 

(4) Les premières franchises du Briangonnais se trouvent aux arch. de la Chambre des comples 
de Grenoble dans un registre intitulé Copie plurium instrumentor. domanium dalphinale tangent. in 
judicatur. baroniar. Brianconis, Ebredunesi, Wapencesii ac Tricastinensis, fol. 424, Les autres ont 
été imprimges. en 1645, sous le titre de Trarsactions d’Imbert dauph. de Vienne, prince de Briane. 
et marquis de Sesanne, avee les syndics proc. et communautés de la princip. du Briangonnais; in-fol. 


(5) Chart. Ule., p. 151. 
Serie IL Tom. XXIII. 23 


x 


178 DES ORIGINES FÉODALES' ETC. 
i 


hommage lige envers les Dauphins; ils devaient leur fournir un homme 
d’'armes en cas de guerre (1). 

Il serait facile de dresser la généalogie de ces feudataires de: haut 
parage (2); l’un d’eux, Francois de Bardonnéche, se rendit celèbre, au 
XIV siècle, par sa révolte contre le dauphin Humbert II, et par la 
sentence de condamnation qui fut prononcée contre lui (3). 

Avant d’aller plus loin, il faut que je porte mes regards sur les 
nombreuses juridictions héréditaires qui, après la chute du second 
royaume de Bourgogne, s’établirent dans le Viennois et dans le Graisi- 
vaudan; je constaterai ainsi les commencements dynastiques et la position 
féeodale de plusieurs races qui, au moyn dge, jouèrent en ces contrées 
un ròle véritablemeni historique: telles furent celles de Sassenage, de 
Bérenger, de Clermont, de Rossillon, de Bressieu , de Beauvoir, de Clairieu, 
de Chateauneuf-de-l’Albenc, de Bocsozel, de Viricu, de Morestel, de 
Chandieu, de Moirenc, des Alamands, des Aynards, de Salvaing, d’Arces, 
de Commiers, de Theys, d’Arvillards, de Moncarra, de Siboud, de Brion, 
de Ruyns etc. Un mot sur la plupart d’entre elles. 

Comme il en a presque toujours été des choses dont la source va 
se perdre au milieu des temps barbares, on s'est amusé à orner de fictions 
le berceau de la maison de Sassenage, maison célèbre qui primitivement 
ne reconnaissait, dit-on, aucune supériorité féodale, et possédait ses terres 
en franc-alleu. 

Le peuple pretendait que la fée Mélusine, mystérieuse habitante des 
grottes de Sassenage, était la tige de ces seigneurs; les cleres, se fondant 
sur l’analogie des noms, penchaient à croire que les sires de Sassenage, ou 
mieux de Chassenage, de Cassenatico , selon qu'on l’écrivait jadis, descen- 
daient d’un chef gaulois, appelé Cassignatus, qui, au dire de Tite-Live, 


avait emigré en Thessalie. Mais la critique est venue; on a laissé de còté 


(1) Hommage du 9 janvier 1334. V. Regest. Humb. Pilati, 1334, fol. 30. Je citerai encore ici un 
hommage de 1279, par lequel un Soffrey de Bardonnèche déclare tenir en fief du dauphin Hum- 
bert 1 tout ce qu'il possede à Bardonnéche, à Béolar, à Rochemolle et è Neuvache. Je trouve 
en-outre qu’en 1334, un Boniface de Neuvache, que je suppose issu des sires de Bardonnéche, 
se reconnaît vassal du dauphin Humbert II, à raison de ce qui lui appartient dans Je mandement 
de Neuvache, in mandamento de Navachia. — Regesta Pilati, 1334, 1r cahier, fol. 63. 

(2) Un grand nombre d’entre eux sont mentionnés dans les documents que renferme le Chart. 
Ulciense, et un plus grand nombre dans les titres et registres de l’ancienne Chambre des Comptes 
de Grenoble. V. l’inventaire du Briangonnais, v. Bardonnéche. 

(3) Valb., t. I, p. 303. 


PAR LÉON MEÉNABRÉA 179 


et les traditions populaires, et les jeux d’une érudition oiseuse, pour étudier 
les documents et en faire jaillir la vérité. Chorier (1) a démontré, ce me 
semble, assez clairement que la maison de Sassenage tirait origine des 
comtes de Forét et de Lyon, et qu'elle procédait d’Artaud III, qui vi- 
vait à la fin du X siècle. Et en effet, parmi les fils cadets de ce prince, 
Hector et Ismidon eurent en partage, l’un la terre de Sassenage, et l’autre 
celle de Royans; l’aîné Artaud IV hérita des dignités de son père. 

A Hector succédèrent Guigues I, Guigues II, Guigues III, Aymar, 
Albert I, Francois, puis Albert IT, qui en 1339 mourut sans postérité 
et laissa ses immenses domaines è l'illustre famille Bérenger. 

Bien que, suivant toute apparence, les sires de Sassenage fussent pri- 
mitivement indépendants, ils se virent cependant forcés de subir plus tard 
la suzeraineté des Dauphins (2), ce qui ne les empécha pas toutefois 
de conserver une position qui les rendait justement à craindre; leurs 
vassaux s'élevaient à un nombre considérable (3); ils faisaient, au reste, 
des nobles à volonté (4). Ayant eu l’occasion de secourir efficacement 
Guillaume de Rossillon, évéque de Valence et de Die, ils recurent en 
fief le protectorat et l’avonerie des deux églises, auxquelles présidait ce 
prélat (5). 

On a beaucoup disputé sur la provenance de la maison Bérenger; 
quelques auteurs sont allés jusqu'à en rechercher la souche chez Bérenger I 
et Berenger II, rois d’Italie: l’opinion de Chorier est encore ici la meil- 
leure (6). Tout porte à croire qu’Ismidon, prince de Royans, est la tige 
de cette noble race, et que Bérenger, fils de ce prince, lui donna son 


nom (7). 


A l’exemple des sires de Sassenage, la famille dont il est question 


(1) Hist. generale de la maison de Sassenage. Guy-Allard, dans le catalogue ms. de ses livres, redigé 
par lui-mème et commencé en 1676, dit à propos de l’histoire dont il s’agit: « Il faut remar- 
» quer que, bien que Chorier se soitnommé auteur de ce livre, c'est pourtant M. le president de 
« Boissieu (de Salvaing) qui l’a compose ». Comme Guy-Allard aimait peu Chorier, je ne saurais 
trop jusque à quel point il faudrait tenir compte de cette assertion. 

(2) Acte de 1247. 

(3) Francois de Sassenage regut en 1359 l’hommage de 84 sentilshommes. 

(4) Ils en ergaient encore en 1263. 

(5) Acte de 1329. 

(6) Mist. de Sass., p. 227 et suiv. si 

(7) Les terres que possédait Ismidon sont appelées prizcipatus Ismidonis dans uns charte de 
l’an 1030. 


180 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


vécut d’abord allodiale et libre, et ce ne fut que lorsqu’elle dut succeder 
à ces seigneurs que les Dauphins exigèrent d’elle une reconnaissance de 
fief (1). Elle possédait au XIII siècle le chiteau de Pont en Royans, de 
Rancurel, de Chatelus, de Barbières en Valentinois, de S'-André et de 
Chapeverse (2); ces deux derniers lui avaient été remis par les Dauphins 
en échange de celui de Beauvoir (3). 

L'origine des sires de Clermont n'est pas parfaitement connue; on cite 
Siboud de Glermont qui, vers l'année 1094, jouissait déjà d’une très-haute 
considération (4). En 1302, Guillaume de Clermont consentit, moyen- 
nant une somme assez forte, à se constituer vassal de l’église de Vienne 
pour les chateaux de Clermont, de $S'-Geoire et de Crepol (5). Soffrey, 
petit-fils de Guillaume, épousa Béatrix, fille de Louis de Savoie, baron 
de Vaud (6); il se rendit, en 1317, homme lige du dauphin Jean, è 
raison des chateaux de Virieu et de Paladru, et il recut de lui trois mille 
livres viennoises en correspectif de sa soumission (7). Voisins des sires 
de la Tour-du-Pin, les sires de Clermont eurent avec eux de longs 
demélés (8). Leur caractère inquiet et volage fit que les Dauphins son- 
gèrent à se les attacher par de grands bienfaits. Une convention mé- 
morable eut lieu à cet effet entre eux le 5 mai 1338 (9). Deux années 
ensuite, le dauphin Humbert II voulant que ces liens devinssent {plus 
solides encore, conféra à Aynard de Clermont le vicomté de Trièves, petit 
district situé au sud de Grenoble et habité jadis par les Tricoriens (10). 

On a écrit que la maison de Rossillon descendait de ce fameux Girard 
de Vienne, ou de Rossillon, si connu par le roman de chevalerie qui 


= 


(1) Henri Bérenger ne laissa pas que de protester contre la nullité d’un acte qu'il n’avait pas 
souscrit volontairement. Cette prolestalion, qui est de l’an 1339, porte: Quod haec facere coactus 


per ipsum dominum Dalph.... ob maliciam dicti domini Dalph. qui modo aliquo resistere non posset. 
(2) Acte de 1259, partage de la succession de Raymond Bérenger. V. Salvaing, De l’usage des 
fiefs, p. 377. 


(3) Acte de 125f. 

(4) V. Chorier, Etat polt., t. III, p. 192. Chorier et Gui-Allard croient que la famille de Clermont 
el celle de St-Amedée de Haulterive avaient la mème origine. 

(5) Salvaing, p. 116. 

(6) Ezat polit., t. III, p. 193. 

7) Valb., t. I, p. 57. 

(8) Enquéte de 1251, Valb., t. I, p. 191. 

(9) Valb., t. II, p. 421. Les chàteaux de Paladru et de Montferrat étaient posséedes alors par 
une branche de cette famille; cn voit paraître dans le traité dont il s’agit un ZMumbertus de 
Paladruto dominus Montisferrati. i 

{10) Duchesne, Mist. des comtes d’ Albon et Dauphins du Viennois, preuves, p. 60. 


PAR LEON MÉNABRÉA 181 
porte son nom, et en realité céleébre par le ròle quil joua, au 
IX siècle, dans les querelles sanglantes qu’eurent ensemble les fils du roi 
Lothaire (1). Quoi qu'il en soit, cette maison était aussi puissante qu'illustre: 
les chateaux de Rossillon, d’Anjou et de Montbreton, échelonnés le long 
du Rhòne, au-dessus de Vienne, lui appartenaient; elle possédait au-delà 
du fleuve les terres de Serrières et d’Annonay; elle avait au Bouchage 
un fief de la mouvance des sires de Morestel etc. (2). 

Maîtres du péage de Rossillon , les seigneurs dont je parle furent 
pendant long-temps le fléau des voyageurs, et les archevéques de Vienne 
durent fréquemment essayer de réprimer leurs brigandages en employant 
les foudres de l’excommunication. Les sires de Rossillon fournirent ce- 
pendant è l’église des prélats distingués, tels qu'Aymar, archevéque de 
Lyon en 1275, Amédée et Guillaume, eévéques de Valence en 1270 
et 1331, Jean, évéque de Lausanne en 1341 etc. 

Parmi les familles anciennes de la contrée que nous explorons, figurait 
celle de Chateauneuf-de-l’Albenc (3). La position de ses domaines, sur 
la rive droite de l’Isère, lui fournit l’occasion d’avoir de vifs débats avec 
les sires de Vinay (4), possesseurs des chiteaux de Vinay, d’Armieu et 
de Vatillieu (5). Ce fut un Jocelyn de Chateauneuf qui, en 1170 environ, 
apporta de Constantinople les reliques de S'-Antoine, ce qui, quelques 
années ensuite, encouragea un homme pieux, appelé Gaste, à fonder 
près de S'-Marcellin un ordre hospitalier sous le vocable du patriarche 
des anachorètes (6). Les sires de Chateauneuf étaient feudataires des 
Dauphins (7). 

On a vu précédemment que les comtes de Savoie tenaient en Viennois 
des terres considérables, et qu’ils y comptaient plusieurs vassaux; or, au 
nombre de ces derniers se trouvaient les sires de Chandieu. Berlion , 


(1) Guy-Allard, Dictionn. hist., chronol., genéal., hérald., jurid. et polit. du Dauph. Ms. de la 
Bibl. de Grenoble , 2 vol. in-fol. On peut consulter un autre ouvrage de ce mème Guy-Allard, 
intitulé Nobiliaire du Dauph. ow discours hist. des familles nobles qui sont en cette province, avec le 
blasorn de leurs armoiries. Grenoble, 1671, un vol. in-12°. 

(2) V. Chorier, Mist. du Dauph., t. I, p. 778, 783; Valb., t. I, p. 81, t. II, p. 89, ill. 

(3) Guy-Allard dit en avoir vu des titres de l’an 1095. 

(4) Jai indiqué ci-devant l’origine des sires de Vinay, qui étaient une branche de ceux de 
la Tour. 

(5) Valb., t. I, p. 205, 215. 

(6) V. Aymarus Falco, Compend. historiae Antonianae. 

(7) Hommage de 1334. Arch. de la Ch. des C. Regest. H. Pilati. 


182 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 

l'un d’eux, jouissait, au XIII siècle, d’un grand credit auprès de ces 
princes ; il se rendit en 1218 pleige de la dot que le comte Thomas avait 
constituée à Marguerite, sa fille, en la mariant à Hartmann de Kibonrg (1). 
En 1241 il fit hommage au comte Amé IV du fief de Chandieu et de 
tout ce qu'il possedait, depuis les fourches de Falavier jusqu'au Pont du 
Rhòne, à Lyon, et encore dans le Rhòne autant qu’un cheval peut s°y 
avancer sans étre obligé de nager, ez etiam infra Rhodanum tantum 
quantum unus equus intrare potest, excepto quod non natet (2). 

Peu de familles, au dire de certains généalogistes, remontaient à une 
époque aussi reculée; on cite un Amblard de Chandieu sous l’an 944; 
un Hector de Chandieu sous l'année 982; un Nantelme de Chandieu 
sous l’année 1008 etc. etc. (3): il serait plus prudent de ne commencer 
la genéalogie de ces nobles tenanciers de la maison de Savoie qu'à un 
Berlion de Chandieu qui vivait en 1127 et 1130 (4). 

Il n'est presque pas de maison qui ait eu an moyen dge des destinées 
plus agitées que celle de l'illustre race des sires de Bocsozel. Vassale en 
effet des comtes de Savoie, elle dut soutenir contre les Dauphins des 
luttes sanglantes, et on la vit tantòt résister, tantòt céder aux brillantes 
séductions qui venaient essayer parfois d’ébranler sa fidelite. 

Le chitean de Bocsozel, au-dessus de la còte de S'-André, existait 
déjà au X siècle; une charte de l’an 1004 le mentionne comme situé 
dans le pagus Salmoracensis, qui était un démembrement du grand 
comté de Grenoble (5). En 1093 un Humbert de Bocsozel figure parmi 
les témoins d’une donation du comte de Savoie, Humbert II, à l’abbaye 
de la Novalaise (6). Un Aymon de Bocsozel, fils ou frère du précédent, 


(1) Verro, Recueil dipl. du canton de Fribourg, t. I, p. 8. 

(2) Suppl. à l’ctat polit., p. 130. 

(3) Assertions de Chorier. 

(4) Opinion de Guy-Allard. Je ne dois pas cacher ici que cet auteur faisait è Chorier une guerre 
vive. Parmi les annotations curieuses que conlient le catalogue de ses livres (V. ci-dessus), on en 
trouve une qui concerne VÉtat pol. du Dauphiné, et où il remarque, avec raison, que cet ouvrage 
renferme un grand nombre d’erreurs; que 25 familles ont été mises au rang des nobles, quoique 
n’étant jamais sorties de la bourgeoisie et que 140 autres y ont été altérées etc. ; puis il ajoute: 
dans le 4° vol. Chorier a voulu corriger ses fautes, mais il en a laissé plus des 3/4, et il en a fait de 
nouvelles. Je ferais observer, pour ètre juste, que Guy-Allard a commis lui aussi beaucoup de fautes 
dans 6es ouvrages, tant imprimés que ms., et que sa crilique historique n’était pas exemple de tout 
reproche: quel est, du reste, l’auteur qui peut se dire irreprochable? 

(5) Cartul. de St-Hugues: 1 cartul., charle IX, Actum apud castrum Bocissello. 

(6) Guich., pr., p. 27. Ce personnage intervient encore, en 1100, à un acte du mème prince 
en faveur dn monastère de Fructuaire, en Piémont. V. Mon. hist. patr., t. 1, p. 730. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 183 


faisaiten rrro partie de la suite du comte Amé III (1). Un autre Humbert 
de Bocsozel assistait en 1130 à la fondation du monastère de S'-Sulpice, 
en Bugey (2); on le rencontre aussi en divers documents rédigés du 
temps de Guigues, comte d’Albon, surnommé Dauphin (3). 

C’est.une centaine d’années après qu'on voit les sires de Bocsozel 
s’intituler seigneurs de Maubec; on suppose qu'ils avaient recueilli la 
succession d’une très-ancienne famille qui portait, dit-on, ce nom (4). 
Les comtes de Savoie étaient déjà, sans doute, devenus alors proprié- 
taires du chateau de Bocsozel, dont le territoire forma, dès ce moment, 
une chatellenie annexée d’ordinaire è la còte de S'-André. 

Celui de Maubec, situé tout près de Bourgoin, devait naturellement 
donner aux Dauphins de sérieuses inquiétudes; aussi firent-ils toujours 
d'incroyables efforts, soit pour s’en emparer, soit.pour le garder une fois 
pris. En 1290 un Aymon de Bocsozel, se laissant subjuguer par les 
offres de ces princes (ils lui comptèrent 800 livres viennoises), se déclara 
leur feudataire è raison de ce méme chateau de Maubec et des maisons- 
fortes de Cheseneuve, des Epanes, de Montléopard, de Pusignau etc. (5); 
ce personnage mourut d'une mort tragique (6). Son fils Humbert suivit 
une voie politique differente ; il se montra partisan chaud et intrépide 
de la dynastie de Savoie (7). Bref, en 1314, un traité de paix ayant eu 
lieu entre le comte Amé V et le dauphin Jean, la suzeraineté du fief de 
Maubec fut definitivement attribuée au premier, et un long sujet de guerre 
disparut ainsi du champ clos, où se vidaient les querelles féodales (8). 


(1) Guich., pr., p. 30. Un Aymon de Bocsozel, qui sans doute n’est pas different de celui que 
je viens de mentionner, est cilé avec le comte susdit au bas d’une charte de 1136 ou 1138. 
V. Doc., Sigill. e Mon., p. 46. 

(2) Guich., pr., p. 32. Un Humbert de Bocsozel, que je presume èlre le mème que celui dont 
il est ici question, assisiait, en 1119, à une donation du comite Amé III au chapitre d’Oulx. 
Chart. Ule., p. 99. 

(3) Salvaing, p. 383. Duboys, Ze de St-Hugues, p. 488. 

(4) Guy-Allard, Gercal. de Maubec. Cet auteur énonce une reconnaissance de fief par Aymon 
de Bocsozel en faveur du comte de Savoie, le 5 des ides de mars 1239, où ce feudataire prend 
le titre de dominus de Malobecco. 

(5) Valb:, t. I, p..20. 

(6) Requisitiones factor. per comitem Sab. contra H. Dalph., an 1301. Valb., t. II, p. 97. 

(7) V. Guy-Allard, Gereal. de Maubec. 

(8) Valb., t. IT, p. 155 et 156. Je ne dois pas oublier de dire qu’outre les terres et juridicijons 
ci-dessus citées, les sires de Bocsozel possédaient le chàteau de Chàtonay, en Viennois, ce qui fut 
cause que quelques-uns d’entre eux prirent le titre de seigneurs de Chàtonay. Ils étaient aussi, 
à raison de ce chàteau, hommes liges des comtes de Savoie, Doc., SSigill. e Mon., p. 222. 


184 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Une famille, plus dévouée peut-étre que celle de Bocsozel aux in- 
téréts de la Savoie, vivait en Viennois. Les sires de Miribel, car il 
s'agit d’eux, possédaient les chiteaux d’Ornacieux et de Faramant, 
outre l’antique manoir de Miribel, proche des Echelles, d’où ils tiraient 
origine. Un Amedée de Miribel et son frère Oddon furent en 1086 les 
bienfaiteurs primordiaux de la Grande-Chartreuse, et contribuèrent puis- 
samment à l’etablissement de S'-Bruno et de ses compagnons au sein de 
nos montagnes (1). 

Non moins anciens et non moins illustres que ceux dont je viens 
d’esquisser la physionomie, les sires de Beauvoir jouissaient en Viennois 
d’une position tout à fait brillante et y exercaient une haute influence ; 
ils occupaient les chàteaux de Beauvoir, de Pinet, de S'-Jean de Bournay, 
de Villeneuve, de Ruy, de la Palud, de Falavier, de Jonages etc. (2); 
ils tenaient encore en fief la mistralie de Vienne (3). 

En ce qui concerne Beauvoir et Pinet, ces seigneurs étaient incon- 
testablement vassaux des sires de la Tour (4); ils le devinrent ensuite 
des Dauphins, et l’on trouve méme qu’ils devaient fournir à ces princes 
cinqg hommes d’armes en temps de guerre (5). Mais relativement à Falavier 
et Jonages ils se reconnaissaient feudataires des comtes de Savoie (6).Jai dit 
aillenrs comment ces derniers se firent céder en 1314 S'-Jean de Bournay, 
et comment en 1249 ils acquirent la terre de Septème de Guillaume 


(1) Cet acte, que l’on considère comme la charte de fondation de ce célèbre monastère, a été 
imprime dans la Ze de St-Hugues par M. Duboys. 

(2) V. le testament de Guill. de Beauvoir, 1277. Valb., t. II, p. 15. 

(3) Valb., t. I, p. 29, 109, 135. 

(4) Valb., t. I, p. 192, t. II, p. 18. Dans le second des actes ici cités on lit: Dominus de Turre 
promittit dicto Drodoni de Bellovidere quod ipse investiet et retinebit cum de feudo castri burgi man- 
damenti et territorii de Bellovidere de Marco que de feudo ligio ipsius domini de Turre esse noscuntur 
ab antiquo. 

5) Valb., t. II, p. 188. 

(6) Doc, Sigill. e Mon., p. 180, 192, 194, 261. Le premier hommage de ces seigneurs à la maison 
de Savoie, relalivement au chàleau de Falavier, est de l’an 1250, Il fut motivé par l’assistance 
que le comte Pierre donna à Guill. de Beauvoir pour la récupération de ce chàteau, dont les 
sires de la Tour s’étaient emparcs; p. 180. Il paraît que la vente de ce mème chàteau , faite huit ans 
auparavant par ledit Guillaume et Hugues, évèque de Clermont, n’avait pas eu d’effet. Voyez 
Valb., t. I, p. 184. Le chàteau de Falavier devint ensuite la propriété des comtes de Savoie qui 
en firent le centre d’une chàtellenie. Je dois remarquer ici que, d’après un traité de 1314, les 
Dauphins avaient abandonné au comte Amé V Ja supériorité des fiefs de Villeneuve, de Marc et 
de la Palud. V. Guich., pr., p. 144. Le régime féodal forme, comme on le voit, un tableau mou- 
vant dont il est parfois difficile de suivre les phases dans tous leurs details. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 185 
de Beauvoir, qui l’avait eue de son mariage avec l’héritive des sires de 
Septème (1). 

Au nombre des plus puissantes familles du Viennois il faut ranger 
encore celle des sires de Bressieu. Le chateau de Bressieu et le territoire 
qui en dépendait constituaient dans le principe un fonds allodial, c'est-à-dire 
franc et exempt de toute supériorité. C'est ce qui fit quien 1318 Aymard 
de Bressien put sans aucune crainte faire hommage à la maison de 
Savoie du chàteau susdit, ainsi que de ceux de Viriville et de Lemps, et en 
general de tout ce qui lui appartenait au nord de la forét de Chamberon (2). 

Il paraît que lorsque le Comte Vert eut échangé contre le pays de 
Gex et le Faucigny ses importantes possessions en Viennois, on perdit 
complétement de vue l’acte que je viens de citer; car les sires de Bressieu 
recommencèrent à se dire indépendants, et l’on se borna à constater 
qu'en 1344 ils avaient soumis seulement la septième partie de la puri- 
diction de Bressieu à la suzeraineté des Dauphins (3). 

Un Gaufrid de Moirenc, qui vivait à la fin du XI siècie , est le 
premier des seigneurs de ce nom qui nous soit connu. À une époque où 
la simonie desolait l’église, ce personnage s’était. emparé de la terre de 
S'-Donat au préjudice de l’évéché de Grenoble. Frappé d’excommunication, 
touché peut-étre de repentir, il consentit enfin à se deésister de ses usur- 
pations et il en fit l’abandon devant l’autel de S'-Michel, en présence de 
plusieurs prélats: la charte dressée en memoire de cet événement porte 
que ceci cut lieu avant que Jerusalem fut tombée au pouvoir des croisés, 
antequam Jerusalem capta esset a Gallis sive Burgundionibus, c'est-à-dire 
avant l'année 1099 (4). Un autre Gaufrid et un Berlion de Moirenc sont 
mentionnés en quelques actes du siècle suivant (5), et depuis lors il est 
assez facile de déméler la descendance de cette noble race. Ces seigneurs 
possedaient les chiteaux de Moirenc (6) et de Chateauneuf-de-Galaure (7). 


(1) La terre de Beauvoir avait cessé d’appartenir è la famille de ce nom quand le Dauphiné fut 
transporte à la France. V. Guy-Allard, Dict. Rist. Une visitatio castrorum Dalphinalium, faite en 1347, 
nous apprend que les Dauphins possédaient alors les chàteaux de Beauvoir et du Pinet. V. Arch. 
de Gren.; liber 2 copiarum Viennesii et terre Turris, fol. 26 et suiv. 

(2) Doc. , sigilli e mon., p. 253. 

(3) Salvaing, p. 276. 

(4) Duboys, Zîe de St-Huques, p. 461. 

(5) Salvaing, p. 382, 448, 483. 

(6) En 1164 ils accordèrent des franchises au bourg de Moirenc. Valb., t. I, p. 16. C'est un 
des plus anciens exemples de ce genre de concessions. i 

(7) Etat. polit., t. I, p. 286. 


Serie IT. Tom. XXIII, 24 


186 DES 'ORIGINES FÉODALES ETC. 

A l'exemple des feudataires qui precèdent, les sives de Morestel, en 
Viennois, avaient usurpé au XI siècle différents droits dépendants du 
domaine ecclesiastique. En trio l’un d’eux, atteint d’une maladie grave 
au chateau de Cornillon, voulant assurer le salut de son ame, se départit 
en faveur de S'-Hugues de tout ce qu'il détenait contrairement aux lois 
et à la justice (1). 

Les comtes de Savoie, toujours en guerre avec les Dauphins, essayèrent 
pendant long-temps de s’attribuer, au préjudice de ceux-ci, la suzerainete 
de la terre de Morestel; mais une enquéte faite en 1301 démontra le 
peu de fondement de leurs prétentions sur ce point (2). En 1343 Chabert 
de Morestel reliîcha cette terre au dauphin Humbert II et recut de lui 
en échange celle de Bellegarde (3). 1 

Une circonstance particulière donnait primitivement beaucoup d’im- 
portance aux sires de Clairieu; c'est qu'ils étaient vassaux immediats de 
l’empire. Conrad II avait en effet, par une bulle d’or de lan 1151, 
affranchi le très-noble prince, robilissimum principem, Sylvion de Clairieu, 
de la juridiction intermeédiaire des comtes de Vienne, et luì avait spécia- 
lement accordé les péages de la Voute et de Confolens (4). Forts d’une 
telle prérogative, ces seigneurs crurent pouvoir se livrer impunement au 
métier de pillards et de detrousseurs; le chateau de la Roche de Glun, 
Rocha Blavonne, Rupes de Clivo, leur servait de repaire; de là, sem- 
blables à des bétes fauves, ils se répandaient au loin, ravageaient les 
campagnes et deévalisaient les voyageurs. Mais le temps de la vengeance 
arriva. Le naif historien de S'-Louis, Joinville, nous apprend que lorsque 
en 1248 ce roi traversa la France, se rendant en Palestine, il fit dé- 
truire le chéteau susdit à cause des brigandages de ceux qui l’habitaient. 
A Lyon, dit-il, entrdmes au Rone pour aler à Arles et dedans le Ròne 
trouvdmes ] chastel que Von appelle Roche de Gluy que le roy apait 
fuit abbatre pour ce que Roger le sire du chastel estoit criez de des- 
rober les pelerins et les marchans (5). 


(1) 2.° Cartul. de St-H., fol. 37, verso. Charte 27 intitulée De cimiterio sancti Martini. Ce seigneur, 
appelé Chabert, est probablement le mème que celui qui est désigné du nom de Tethbert dans 
une charte du méme cartulaire, publiée par Salvaing, p. 484. 

(2) Valb., t. II, p. il. 

(3) Arch. de Gren. Notae Guigonis Frumenti, acte 6.° 

(4 Valb., t. I, p. 89. 

(5) Hist. de St-Loys. 


PAR LÉON MÉNABREA 187 


En 1250 un Sylvion de Clairieu, arrière-petit-fils de celui que j'ai 
précédemment nommé, fut accusé d’avoir donné asile dans ses chateaux 
de Clairieu et de la Roche de Pisancon aux meurtriers de Berlion, sires 
de Vinay. Le danphin Guigues VI prétendit en vain l’obliger è se défendre 
devant le juge ordinaire du Viennois; Sylvion récusa ce magistrat et 
declara ne vouloir se soumettre qu’an Dauphin lui-méme (1). 

Il paraît que, nonobstant la bulle de 1151, les sires de Clairieu 
finirent par accepter la supériorité delphinale; car on trouve un Graton 
de Clairieu au nombre des feudataires qui, en 1307, à l’avénement du 
dauphin Jean, prétèrent à ce prince serment de fidélité (2):- um titre 
de 1343 indique d’ailleurs les domaines de ces seigneurs comme étant 
ab antiquo de feudo ligio et redibiti ipsius dr Dalphini (3). C'est vers 
ce temps-là qu’ensuite dn décès de Guichard de Clairieu, sans posterité, 
les vastes possessions de cette maison passèrent aux comtes de Valentinois. 

Quelques autres familles du Viennois s’éteignirent également aux XIII 
et XIV siècles. Ainsi en 1249 Briande de Septème porta les terres de 
ses ancétres à Guillaume de Beauvoir, et en 1335 environ l'importante 
seigneurie d’Aathon échut à Hugues, fils d’Amé II, comte de Genève, 
par le mariage dudit Hugues avec Isabelle, héritière des derniers sires 
d’Anthon. 

Outre les races féodales qui viennent d’étre énumérées, le Viennois 
(et je désigne sous ce nom tout le territoire compris entre le Rhòne , 
l’Isère et le Guiers) comptait encore plusieurs illustres lignées, notamment 
celles de la Poype (4), de Torchefélon (5), de Tullins (6), de Bourgoin (7), 


(1) Valb., t.I, p. 42. 
(@) Ibid. t. II, p. 129. 
(3) Ibid., t. Il) p. 551. 

(4) Un Girardet de la Poype se croisa en 1190. V. Guy-Allard, Dict. hist. 

(5) D’après Guy-Allard, un Hugues de Torchefélon aurait vécu en 1040. Les sires de Torchefélon 
élaient vassaux de l’église de Vienne. Voyez Etat polit., t. III, p. 561. 

(6) Un Aténolphe de Tullins intervenait en 1164 aux franchises du bourg de Moirenc. Nous avons 
un testament fait en 1342 par une Humilie, dame de Tullins. Valb., t.I, p. 16, t.II, p. 245. Celte 
famille était fort apcienne. Un Aterulphus de Tullins est mentionné dans le cartulaire de 
St-Hugues comme tenant en fief de ce prélat le casamerium de Fréol. Un Robert de Tullins vivait 
en 1189. Chart. Ulc., p. 43. On trouve encore plusieurs seigneurs de ce nom cités au bas des 
documents publiés par Valb., t. IT, p. 52, 129, 245, et par Guich., pr., p. 107 etc. 

(7) Guy-Allard cite un Burnon et un Sinfrey de Bourgoin sous l’année 1202; suivant:cet auteur, 
le chàteau de ‘Bourgoin serait arrivs aux sires de la Tour:du-Pin par droit de commise 


188 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 

de Mailles (1), de Rives (2), de Hauteville (3), de Maugiron, de 
Chaponnay, de Murinais , de la Porte, de Chastellard, de Vaux, de 
Boissieu, de Claveyson, de Chalemont, de Montchenu, de Moras, 


d’Auberjon, de Lemps ete. (4). 


CHAPITRE XI. 


Suite des familles illustres du Dauphiné. - Sires d'Hostung. - Rancurel. - St-Quentin 
et autres races lvistoriques. - Tige des Alamands. - Plusieurs branches en dérivent. - Les 
Aynards. - Guiques, fils de Ponce, se rend en Lombardie près de l’empereur Barberousse. - 
Iva mourir à Exilles. - Juridictions diverses depuis Grenoble jusqu'aua frontières de la 
Savoie. - Le Graisivaudan; seigneuries qui sy trouvent. - Sires de Beaumont, leurs cha- 
teaux. - Petrus de Toveto. - Possessions des sires de Briancon, non encore mentionnees. - 
Ayméric.- Droits des comtes de Genève en Graisivaudan. - Bourg et chateau de Cesanne. 
Seigneuries en decà des Alpes. - Rame. - Béroard. - Monestier etc. - Sires de Flote. 


Après avoir exploré le Viennois, où l’on rencontrait tant et de si 
puissants tenanciers, je fixerai l’attention du lecteur sur l’espèce de delta 
qui se deroule à l’ouest de Grenoble, entre l’Isère, le Rhòne et le Drac. 

Là se trouvaient les sires de Sassenage, de Beérenger, d’Hostung, de 
Rancurel, de Pariset, de S'-Quentin, de Varces. 

Jai déjà parlé des sires de Sassenage et de Bérenger parce que 
je croyais ne pouvoir mieux commencer que par eux, tellement fut 
célèbre la brillante série des familles historiques du Dauphiné; je vais 
maintenant dire quelques mots des autres. Quoique les écrivains qui se 
sont occupés de la généalogie des sires d’Hostung aient manqué de titres 
antérieurs à l'année 1260, cela n’empéche pas que ces seigneurs n’eus- 
sent une fort ancienne origine (5). Ils étaient vassaux des Dauphins et 


(1) Les sires de Mailles étaient feudalaires des Dauphins et des sires de Morestel. Un Richard 
de Mailles, zobilis et potens dominus Richardus de Mallits miles, vivait en 1219. Voy. aux arch. 
de Gren. le livre Probus, fol. 157. 

2) Ce furent les sires de Rives qui, au XII siècle, bàlirent le chàteau etle bourg de Beaucressent, 
Salv., p. 445. Guy de Rives et sa femme Beatrix se rendirent en 1307 feudataires d’Amé V, comte 
de Savoie, pour le chàteau de Rives, en énongant que jusqu’alors ils avaient possédé ce cliàteau 
en franc-alleu. Doc., sigill. e mon. , p. 245. 

3) Mommage de Guigonet de Hauteville au Dauphin, du 29 octobre 1342. Notae Guigonis 
Frumenti , fol. 61. 

(4) Chorier, Guy-Allard et Salvaing donnent quelques indicalions sur ces différentes familles. 

(5) Guy-Allard. 


PAR LÉON MEÉNABREA 159 
devaient à ces princes ce qu'on appelait le plaid de miséricorde, pla- 
citum misericordiae, payable à chaque mutation de suzerain (1). Un Jean 
d’Hostung, 
importante de maître des machines, magister machinarum, magister in- 


chevalier, exercait, sous le dauphin Guigues VII, la charge 


geniorum; il dirigea méme, en 1333, le siége du fameux chateau de la 
Perrière (2). 

Pour ce qui est des sires de Rancurel, je ne ferai que signaler ici 
les conditions, assez singulières, de l’hommage qu'ils rendirent, en 1237, 


x 


à la dauphine Beatrix; l’acte dressé à ce sujet nous apprend que lors- 
P 3 ] PI 


qu'il arrivait aux Dauphins d’aller guerroyer à còté de Vernaison, les 
seig 
miers, comme, en cas de retour par le méme endroit, ils tenaient è 


meurs en question jouissaient de la prérogative de marcher les pre- 


honneur de rester à l’arrière-garde; en ces circonstances et l’expédition 
finie, les Dauphins étaient obligés de leur donner cent sols avec une des 
bétes capturées sur l’ennemi (3). 

Le nom des sires de S'-Quentin apparaît souvent dans les chartes du XII 
et du XIV siècle; un Jean de S'-Quentin figure notamment parmi les hauts 
barons qui en 1307 prétèrent serment de fidélité an nouveau Dauphin (4). 

Quant aux sires de Pariset, possesseurs du chiteau de Pariset, au 
bord du Drac, castrum Parisius, ils s'éteignirent, je crois, vers l'année 1342, 
en la personne de Désideron de Pariset qui ne laissa qu’une fille, à laquelle 
le dauphin Humbert II accorda, l’année suivante, l’investiture des fiefs 
que detenait le defunt (5). 

Enfin les sires de Varces, un peu moins connus que les précédents,. 
quoique d’une tout aussi vieille race (6), avaient déjà cessé, en 1289, 
de posséder le chateau de Varces, puisque à cette époque ce chiteau fut 
cedé par les Dauphins aux sires de Briancon, en échange de celui de 
Bellecombe en Graisivaudan (7). 

A Grenoble méme on rencontrait jadis plusieurs familles nobles, dont 
une surtout, celle des Chaulnais, mérite d’étre citée, car elle existait déjà 


(4) Arch. de Gren., Probus, fol. 99. 

(2) Valb., t. IT, p. 250. 

(3). Zbid., t. E, p: 18. 

(4) Ibid., t. I, p. 129. 

(5) Arch. de Gren., Regest. Pilati, 11 décembre 1342. 
(6) Guy-Allard. 

7) V. ci-devant. 


190 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


du temps de S'-Hugues. Le cartulaire de cet illustre pontife nous apprend 
en effet, qu’au XI siècle les Chaulnais, Calnesii, tenaient en fief le port 
et le pont de la ville, à raison de quoi ils se reconnaissaient vassanx et 
des évéques et des Dauphins (1). Un Gauthier  Chaulnais, Galterius 
Calnesius, intervenait en 1086 à la fondation de la Grande Chartreuse (2). 
Un Gui Chaulnais, /îgo Calniensis, assistait en 1107, avec d’autres 
personnages éminents, à une donation de Guigues, comte d’Albon, au 
prieuré de Domène (3). Ces seigneurs possédaient en outre à Grenoble 
une tour qu'ls vendirent en 1301 aux sires de Sassenage (4); de là est 
venu le nom de Chenoise, que porte encore la rue où elle était situége, 
rua ou carreria Chalnesia, ou Chonnesia (5). 

Avant de parler de la célèbre maison des Alamands, qui étendait en 
partie ses domaines sur l’espace compris entre le Drac et la Romanche, 
je signalerai les sires de Commiers, dont le :manoir s’élevait non loin 
de la jonction de ces deux rivitres. Un Hugues de Commiers, cheva- 
lier, se faisait remarquer par sa prud’hommie, au commencement du 
XIV sitcle (6). Un Rodolphe de Commiers siégeait au conseil privé du 
Dauphin en 1342; quelques membres de cette famille brillèrent aussi 
dans les dignités ecclésiastiques (7). 

La tige des Alamands, Alamanni, Alamandi, fat un Alamand d'Uriage, 
Domnus Alamannus de Auriatge, que le cartulaire de Domène mentionne 
comme ayant choisi sa. sépulture à Domène, après avoir fait è ce mo- 
nastère divers dons pieux (8). 

Les descendants de ce seigneur se divisèrent d’abord en trois branches: 
Uriage, Sechilline et Valbonnais, qui en formèrent successivement onze 
à douze, toutes fort puissantes, d’où est né le dicton dauphinois: gare 
à la queue des Alamans (9). Parmi ces branches, celle de Valbonnais, 


(1) Portum vero transitorium cum feudo pontis tenent Calnesit ab episcopo et comite (4er cartul., 
concordia facta inter H. II cpiscopum et Guig. dalph.). 

(2) Duboys, Ze de St- Hugues, p. 449. 

(3) Salvaing, p. 483. 

(4) Valb.; ct. dI, p. 101. 

(5) Pilot, Motice sur les anciennes rues de Grenoble. 

(6) Valb., t. I, p. 150, t. II, p. 130 et 142. 

(7) Suppl. à V’Etat pol., p. 149. 

8) Une antre charte de ce mème cartulaire fait aussi mention du chàleau d’Uriage sous le nom 
de Castrum Auriacense. Ces deux documents ont été publiés par Salvaing, p. 484. 

(9) Le ier mai 1455, Siboud Alamand, évèque de Grenoble, réunit dans son palais épiscopal les 
chefs de ces différentes branches, et leur fit signer un traité d’alliance perpétuelle, dont on peut 
voir le texle curieux dans l’ouvrage de Salvaing, p. 484: 


PAR LÉON. MENABREA e IQI 


atteignit incontestablement le plus haut degré de considération; le testa- 
ment d’Oddo Alamand, rédigé en 1292, nous la montre en possession 
des chateaux de Valbonnais, d’Entraigues, de Champs, de la Roche, de 
S'George, de Ratier, de Prébois, de Corp, de Cornillon en Trièves etc. 
et d’un grand nombre de droits féodaux, embrassant la meilteure portion 
des revenus de près de vingt paroisses (1). 

On ne saurait citer les Alamands sans citer les Aynards, leurs voisins 
et leurs mortels ennemis. 

L'origine de ces illustres feudataires remonte à l’époque où les Sarrasins 
étaient maîtres de nos contrées, et où l’évéque Isarn prit la resolution 
de les expulser de Grenoble. Rodolphe, père d’Aynard, fut en effet de 
ceux que l’intrépide prélat amena des terres lointaines, e longinquis terris, 
afin d’exterminer ces cruels sectateurs de Mahomet (2). Aynard, fils de 
Rodolphe, fonda le prieuré de Domène et transmit son nom à sa pos- 
térité. Ses successeurs immédiats furent Ponce et Aynard (3). Ponce eut 
un fils, appelé Guigues, qui en 1155 se rendit en Lombardie avec le 
dauphin Guigues V, auprès de lempereur Frédéric Barberousse; mais 
pendant son séjour à la cour de ce monarque ayant été atteint d’une 
maladie mortelle, il se fit transporter à Exilles, où il disposa d'une partie 
de ses biens en faveur de différentes maisons religieuses. 

La charte qui nous a transmis ces details, donne à ce seigneur la 
qualification de très-noble chevalier: nobilissimus miles; on y voit no- 
tamment qu'il avait épousé Audisia, soeur de Raymond Berenger, et quiil 
avait marié l’une de ses filles à Rodolphe de Faucigny (4). Le berceau de 
la famille des Aynards fut le chàteau de Domène, qui au XIH siècle devint, 
ainsi que je le dirai tout à l’heure, la propriété des comtes de Genève. 
Il est certain que primitivement les Aynards s’intitulaient sires de Domène, 


(1) Valb., t. Ji, p. 65. 

(2) Les premiers degrés de la généalogie des Aynards sont constalés par une charte du carlu- 
laire de St-Hugues, où on lit: Feudus Aynardi de Domina fratris Poncii qui fueruni filii Aynardi 
qui Aynardus fuit Radulfi.... Et ailleurs: ct habeo duos mansos quos dedit episcopus Isarnus Radulpho 
avo meo pro filiatico.... V. Salvaing, p. 488, Etat pol., 1. II, p. 77. 

(3) La genealogie énoncée dans la note précédente est confirmée par une charte du mème car- 
tulaire, publiée par Valb., t. IT, p. 338. 

(4) Tempore domini Petri prioris de Domina de Gletenz fuit quidam nobilissimus miles dominus 
hujus ville (Domenae) videlicet Guigo de Domina filius domni Poncii Aynardi qui dum esset in Italia 
ad curiam imperatoris captus est infirmitate : qui sapiens cognoscens finem suum prope esse fecit. se 
deferre ad quoddam castellum quod vocaiur Exilium ete. Cartulaire de Domène, cité par Salvaing, p. 483. 


192 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Domini de Domera. Ils construisirent, sur la rive gauche du Drac, le 
chateau de Montaynard; successivement ils acquirent celui de la Motte 
à une lieue de là, puis celui de Gière, un peu au-dessous d’Uriage (1). 
Le chateau de Gière provenait des sires de Bocsozel, qui en faisaient 
hommage aux sires de Briancon (2). 

En 1337 les Alamands et les Aynards eurent ensemble une querelle 
sanglante, à laquelle prit part presque toute la noblesse du Dauphiné (3). 

Une race non moins haut placée que les précédentes, était celle de 
Salvaing, descendue de Raymond, fils cadet d’Aymon, sive d’Allinges en 
Chablais, qui vivait vers l’an 1012 (4). Son cri de guerre, a Salvaing 
le plus gorgias (5), indique le prix qu'elle attachait à ses propres forces. 

Il ne nous reste maintenant qu'à explorer les juridictions qui s’éche- 
lonnaient depuis Grenoble jusqu’aux frontières de la Savoie, en remon- 
tant le cours de l’Isère: Jen ai déjà énoncé quelques-unes, telles que 
Gière, Uriage, Domène; en parlant des Alamands et des Aynards, je n’y 
reviendrai pas, sauf en ce qui concerne la dernière, dont il faudra que, 
dans un instant, je dise encore peu de mots. 

Les Morards figuraient, sans contredit, parmi les plus anciennes fa- 
milles de cette vallée, connue spécialement sous la dénomination de vallée 
du Graisivaudan; ils tiraient origine d’un personnage appelé Morard, qui 
existait en 1094, et que mentionnent des documents de ce temps-là (6). 
En 1216, un Hugues Morards épousait Giffrède, héritière des sires d’Arces, 
et incorporait à ses domaines les grands biens de ces tenanciers (7). De 
Guigues et de Raymond, ses fils aînés, dérivèrent les Morards d’Arces, 
et de Henri, son fils puîné, sortent les Morards qui se subdivisèrent en 
plusieurs branches (8). En 1278 Guigues Morards d’Arces se reconnaissait, 


(1) Les Aynards, comme maîtres du chàteau de Gière, eurent en 1390 des difficultes assez graves 
avec les evèques de Grenoble. V. Valb., t. I, p. 32. 

(2) Acte de 1296. Arch. de Gr. Liber primus copiarum Graisisaudani, fol. 33. 

(3) Valb., t. I, p. 304. 

(4) Voyez Gencal. de la maison de Salvaing, par le president Denys de Salvaing; Grenoble, 1683. 
Voyez encore De la Colombière, Le vray thedtre d’honneur et de chevalerie. 

(5) C’est-a-dire que le plus brave, le plus redoutable, le plus gorgias s’adressera à Salyaing. 

(6) Morardus feudale quod habet in cabannaria Petri Adralde vendidit episcopo Gratianopolitano. 
Cartulaire de Domène, cité par Guy-Allard. 

(7) Le chàteau d’Arces était situé entre la Terrasse et Montbonod. 

(8) Guy-Allard. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 193 
à raison de certaines terres, homme lige de Pierre Auruce, sire de 
Montbonod (1). 

Je viens de citer Pierre Auruce: ce seigneur avait eu pour père Obert 
Auruce qui, le premier que l’on sache, fut revétu de la charge éminente 
de maréchal du Dauphiné (2) Or nous apprenons, par un document 
de 1236, que cet Obert Auruce tenait en fief du dauphin Guigues VII la 
maison-forte du Bois des Ayes (3), qui selon toute apparence, provenait 
d'une famille que je suppose avoir porté le nom d’Ayes, ou des Ayes; car 
je trouve qu'un Rodolphe d’Ayes, Rodwphus de Aia, vivait un siècle et 
demi auparavant, et se mettait au rang des nobles hommes, robiles viri, 
de la contrée (4). 

Passé ce lieu, s'étendaient sur l’une et l’autre rive de l’Isère les prin- 
cipales possessions des sires de Beaumont, maîtres des chateaux de Montfort, 
de Tencin, et des Adrets (5); plus loin on renconirait les sires du Touvet, 
à qui, dès le XII siècle, se trouvait inféodée la charge héréditaire de 
chambellan des comtes de Savoie. Un Pierre du Touvet, Petrus de Toveto, 
devint cher, à ce titre, an célèbre comte Thomas; il demeura pendant 
près de quarante ans attaché à la personne de ce prince (6); nous avons 
de lui deux chartes fort curieuses, où, en sa qualité de camerarius ou cam- 
bellanus, il exempte a perpétuité les monastères d’Oulx et de $' Maurice 
en Valais de tout droit et de toute rétribution pour apposition du sceau 
comital; ce qui indique assez qu’alors les fonctions de chancelier se con- 
fondaient avec celles de camérier, ou de chambellan (7). 

Quoique les sires de Theys, dont le manoir existait déjà du temps 
de S'-Hugues (8), fussent vassaux des Dauphins (9), on remarque qu'un 


(1) Anno Domini M.CC.LXX.VIII, X. Kai. Aug. Guigo Morardi de Arctis filius quondam Hugonis 
Morardi et domine Guiffrede fecit hommagium domino Petro Auricii militis domini castri Montisbonondi 
pro possessionibus quas habet in mandamento dicti castri etc. Lib. 1 copiarum Graisivaudani, fol. 704. 
Le chàteau de Montbonod devint plus tard la propriété des Dauphins. 

(2) Valb., t. I, p. 49. Un document fort curieux du Chart. Ulciense, p. 114, nous apprend que, 
vers l’année 1228, Obert Auruce avait été fait prisonnier de guerre par un des fils de Thomas, 
comte de Savoie. . 

(3) On sait qu’à Ayes il existait une abbaye de filles, fondée en 1160 parla dauphine Marguerite. 

(4) Cartulaire de Domène, cité par Salvaing, p. 483. 

(5) Voyez Chorier et Guy-Allard. 

(6) Mon. hist. patr., p. 981, 1192, 1311. Guich., pr., p. 45, 50, 53. 

(7) Chart. Ulc., p. 99. Mon. hist. patr., p. 1264. 

(8) Castrum de Tehez, charte du cartul. de St-Hugues, publiée par Salvaing, p. 488. 

(9) Petrus de Teys est homo comitis et tenet de co ad feudum quidquid habet in valle de Teys et 
debet xxx solidos de placito. Reconnaissance de 1264, Probus, fol. 167. 


Serie II. Tom, XXIII 5 


DI 


194 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 
/ 


Guigues de Theys, à l’exemple de Pierre du Touvet, vécut de longues 
années dans l’intimité du comte Thomas (1). Un Girard et un Francois 
de Theys, celui-ci sire de Thorane, figuraient en 1334 au nombre, des 
hauts barons du Dauphiné (2). 

Vers les limites de la Savoie, du còté de la Rochette, on rencontrait les 
sires d'Avallon, puis ceux d’Arvillard. Les premiers avaient, dit-on, une 
origine fort ancienne (3); ils se reconnaissaient feudataires des Dauphins (4); 
lun d’eux fut evéque de Lincoln (5). Quant aux seconds, ils se parta- 
gèrent, à ce qu'il paraît, en deux ou trois branches, l’une desquelles 
s'éteignit en la personne d’Audise qui, en 1341, épousa Humbert, bàtard 
de Savoie (6); les branches restantes continuèrent à fleurir en Graisivaudan: 
un Etienne d’Arvillard, Stephanus de Altovillario, faisait, en 1343, hom- 
mage de son fief au Dauphin Humbert II (7). 

Toujours sur les marches du comté de Savoie, mais à droite de l’Isère 
et tout proche de Chapareillan, s'élevait un chaàteau formidable, composé 
d'un donjon flanqué de quatre tours, et formant un ensemble d’un incom- 
parable aspect (8); cette forteresse appartenait aux sires de Briancon, en 
Tarantaise, qui en 1289 la cédèrent aux Dauphins en échange du chiteau 
de Varces (9). Ces seigneurs illustres, dont j'ai déjà esquissé précédem- 
ment l'histoire, possédaient en outre la maison-forte de la Terrasse (10) 
et differents biens à Eybens, à Bresson et à S'-Martin (11). 


(1) Mon. hist. patr., p. 981, 1027. Guich., pr., p. 45, 47, 49. 

(2) Valb., t. II, p. 466, 529. 

(3) Guy-Allard assure en avoir vu des titres de l’an 1069. 

(4) Dominus Heimericus de Avallone est homo ligius comitis Dalphini. Reconnaissance de 1362. 
Probus, fol. 174. 

(5) Guy-Allard. Parmi les familles nobles du mandement d’Arvillard on comptait encore celle 
de Guiffrey, qui eut aussi ses illustrations. V. Etat. pol., t. III, p 305. 

(6) Ce bàtard, fils du comte Aymon, commenga la branche savoyarde des seigneurs d’Arvillard 
et des Mollettes. 

(7) Hommagium prestitum domino Dalph. a nobili viro Stephano de Altovillario milite, 29 mars. 
Notac Guig. Frumenti, n.° 185. 

(8) Magni et incomparabilis aspectus. 

(9) Voyez ci-devant. 

(10) Plusieurs membres de la famille de Briangon sont designés sous le nom de domini de Terrassia 
dans l’échange ci-dessus cité. Aymar de Briangon, coseigneur de la Terrasse, vendit en 1294 
à la dauphine Beatrix les droits qu'il avait è cette seigneurie. Supplement à l’Etat pol., p. 126. 

(11) Undecimo kal. martii anno M.CC.LXXXII Joannes frater Aymerici de Brianzone confirmat 
donationem factam episcopo Gratianopolitano per fratres Odonem et Chabertum de Brianzone de pos- 
sessionibus quas habitant in mandamento de Geria et Aybenci et in parrochiis de Bonnone de sancto 


Martino et de Bressone. Liber copiarum factum civit. Grat., fol. 333. 


PAR LÉON MENABRÉA 195 


Ils étaient suzerains du chiteau de Gière et ils eurent, comme tels, 
de longs démélés avec les sires de Bocsozel, maîtres de ce chateau: ils 
finirent toutefois par obtenir gain de cause, et les Bocsozel furent con- 
traints de se reconnaître leurs vassaux (1). 

Ces mémes seigneurs poursuivirent également de graves contestations 
contre les évéques de Grenoble: Aymeéric, le fier, l’indomptable Ayméric, 
prétendaient empécher ces prélats de construire des bastilles, des forts, 
des édifices quelconques dans l’endroit appelé la Plaine, entre Gière et 
la ville épiscopale. Les évéques soutenaient ce lieu terre de l’église, terre 
allodiale; bref, en 1227, le Dauphin repoussa, en qualité d’arbitre, 
les prétentions d’Ayméric, en obligeant néanmoins l’évéque Soffred à 
lui donner 100 livres viennoises en guise de dédommagement. 

Quelques mots touchant les droits des comtes de Genève, en Grai- 
sivaudan, trouvent place ici. 

Dès avant le XII siècle le chateau de Domène avait passé de la 
famille des Aynards aux mains de ces princes: l’église de Grenoble jouissait 
de la supériorité de ce fief, et l’on voit que le comte Rodolphe en fit 
hommage à l’évéque Falco le 4 novembre 1255 (2). Mais les Dauphins 
qui ne songeaient qu’à s’agrandir, ne tardèrent pas à s’attribuer cette 
supériorité; ils forcèrent en 1389 les comtes de Genève à s’avouer leurs 
feudataires, soit pour le chiteau de Domène, soit pour celui de la Pierre 
et celui de Theys (3). 

Les diocèses de Gap et d’Embrun, et le Brianconnais transalpin 
comptaient également un grand nombre de nobles et antiques familles. 
Et d’abord, au delà du mont Genèvre, on remarquait les sires de 
Bardonnéche , dont j'ai déjà parle. 


(1) Chart. Ulc. 

(2) Liber copiarum factum civit. Gratian, tangent., fol. 302. En 1290, le comte Amédée octroya 
des franchises au bourg de Domène. V. Liber I copiarum Graisivaud., fol. 465. Il mit fin, vers la 
mème époque, à differentes discussions nées entre lui et l’évéque Guill. Valb., t. 1, p. 38. 

(3) De longues contestations eurent lieu à ce sujet entre les parties intéressées. V. aux arch. 
de Gr. un volume intitulé Testationes seu dispositiones pro parte domini Dalph. et domini comitis 
Gebenn. pro facto terre Theysii Domene et Peire. Je ne saurais dire précisément à quelle époque 
les comtes de Genève acquirent ces deux derniers chàteaux. Ce qu’il y a de sùr, c'est que depuis 
ces acquisitions ils établirent un bailli en Graisivaudan. Ces princes faisaient hommage aux 
Dauphins non-seulement des fiefs ci-dessus désignés, mais encore du chàteau d’Anthon en Vien- 
nois, ainsi que de ceux de Varey, de Gordans et de St-Romain en Bugey et en Bresse. V. Hom- 


mage du 21 fevrier 1334, Regesta Pilati, 4 cahier, fol. 39. 


196 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Le bourg et le chàteau de Césanne appartenaient primitivement à des 
seigneurs que trois ou quatre chartes du cartulaire de l’église d'Oulx nous 
apprennent avoir réellement existé (1): cette localité devint ensuite du 
domaine immeédiat des Dauphins, qui en vertu des priviléges impériaux 
y exploitaient des mines et y battaient monnaie (2). Le dauphin Humbert II 
ajoutait è ses qualifications féodales le titre de marquis de Césanne, qu'il 
opposait avec complaisance à celui de marquis d’Italie que portaient les 
comtes de Savoie. Ce prince, d’un caractère vaniteux et jaloux, érigea 
aussi en duché le petit pays de Champsaur , Campisaurum entre le 
Graisivaudan et le Gapencois, toujours afin de ne pas paraître en ar- 
rière des comtes de Savoie qui prenaient le titre de ducs de Chablais 
et d'Aoste. 

En decà des Alpes on trouvait les anciennes familles de Rame, de 
Beéroard, de Moustier, des Arnauds, de Manteyer, de Flote, des 
Artauds etc. 

C'était proche du village de Rame, situé à moitié chemin de Briangon 
à Embrun, village déjà mentionné dans des documents du VI siècle (3), 
que gisaient les minières d’argent qui alimentaient la monnairie de 
Césanne, et qui furent concédées aux Dauphins par les bulles impériales 
précédemment citées (4). Là vivaient les sires de Rame, sur lesquels il 
ne nous reste que des notions éparses et incomplètes: on mentionne un 
Odon de Rame, coseigneur de Savine sous l'année 1247, et un Aynard 
de Rame sous l’année 1275 (5); je remarque qu’en 1334 un autre 
Aynard de Rame se reconnut homme lige des Dauphins pour tout ce 
qu'il possédait à Rame, à Champcelle, à la Roche et à Freycinière (6), et 
qu'en 1345 un Jacques de Rame en fit de méme pour le chateau du Poèt (7). 

Les Béroards, ou Bérards, occupaient en Brianconnais la maison-forte 
de Sales; un Humbert Béroards, Mumbertus Beroardi, existait de 1164 
à 1183 (8). 


(1) Ces documents font mention entre autres d’un //7llelmus Miaire senior de Sesanna. V. Chart. 
Ulc., p. 136, 137, 138, 139. 

(2) Diplòmes de 1155 et 1238 aux arch. de la Chambre des comptes de Grenoble. 

(3) Civitacula Rama, légende de Ste-Tygre. Bolland. 

(4) Argenti fodinam que est in potestate Rame. 

(5) Suppl. à VEtat pol., p. 183. 

(6) Regesta Pilati 1334, 1 cahier, fol. 21. 

(7) Constituit tenere in feudum et de feudo franco nobili et antiquo dicti domini Dalphini comitis 
Vap. castrum de Poyeto diecesis Vap.- Notae Guig. Frumenti, n.° 48. 

(8) Chart. Ule., p. 136. Voyez pour le surplus Chorier et Guy-Allard. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 197 


Les sires de Monestier tenaient en fief des Dauphins le chàteau 
de Ventavon, sur la rive droite de la Durance, entre Sisteron et 
Gap (1). 

Aux confins du Gapencois, à six lieues de Die, on rencontre un 
passage étroit, un defilé du genre de ceux qu'on appelait jadis deaume, 
ou dalme; c'est en cet endroit que les Arnauds avaient élevé leur prin- 
cipal manoir; c'est à ces seigneurs puissants qu'il faut attribuer aussi la 
construction du chiteau de la Roche des Arnauds, Rupis Arnaudorum, 
possédé plus tard par la famille de Flote et celle du Crét, ou du Crét 
des Arnauds, Crista Arnaudorum, dont on dit qu'ils furent chassés au 
XII siècle par les premiers comtes de Valentinois (2). Un Arnaud de 
la Balme des Arnauds se déclara vassal des Dauphins , lorsque ces princes 
eurent acquis des droits aux comtés de Gap et d’Embrun (3). 

Le chiteau où résidaient habituellement les sires de Manteyer, était 
situé aux portes de Gap, et dominait le chemin public (4). Ces tenanciers, 
chose bizarre, mais dont j'ai déjà fourni ailleurs de fréquents exemples, 
possédaient le tiers de la seigneurie et juridiction de cette ville, moins 
la sixièéme partie de ce tiers, à laquelle ils participaient néanmoins pour 
un huitième. Ils nommaient le bailli, le crieur et le mandier de la cour 
épiscopale : le premier de ces officiers prélevait le treizième denier des 
émoluments de la justice; lui et le mandier vivaient aux frais de l’évéque. 
En 1260 Rolland de Manteyer céda ces singuliers priviléges au dauphin 
Guigues VII (5). 

Peu de familles furent aussi illustres que celle des Flote; ses domaines 
s'étendaient dans les comtés d’Embrun, de Gap, de Valence et de Die. 
Un Henri Flote florissait à la fin du XI siècle (6). Arnaud Flote, son 
fils, jouissait d'une grande considération auprès des comtes de Provence, 
qu'il servit longtemps avec fidélité et dévonement: ce personnage maria 


(1) Hommagium Guill. de Mosteriis domini de Ventavone, 15 janvier 1334. Regesta Pilati, 1 cahier, 
fol. 79. 

(2) Voyez ci-après. 

(3) Hommage du 18 mai 1297. Titres concernant la ville de Gap, fol. 106. 

(4) Juxta siradam publicam. 

(5) Les sires de Manteyer, sortis de Manteyer ou de Monteyer, près de la Roche des Arnauds, 
habitaient un chàteau construit aux portes de Gap et attenant au chemin public. 

(6) Guy-Allard. 


198 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


sa soeur Jocerande à Bertrand III, comte de Forcalquier (1); lui et ses 
successeurs s’avisèrent parfois de molester les archevéques d’Embrun (2). 
Les terres et chiteaux de la Roche des Arnauds, dela Beaume, d’Argenson, 
de la Batie, de Montelus etc. appartenaient à ces hauts feudataires (3). 

Quani aux Artauds, appelés également Isoards, qui, ainsi que je 
l’expliquerai bientòt, descendaient des comtes de Die, il suffit que l’on 
sache ici qu'ils tenaient en Gapencois la forteresse de Montmaur (4). 

Je ne dois pas oublier de citer encore le vicomté de Tallard, que 
les chevaliers de S'-Jean-de-Jérusalem cédèrent en 1326 à Arnaud de 
Trians, maréchal de l’église romaine, neveu du pape Jean XXII; ce sei- 
gneur est la tige des vicomtes de Tallard (5). 


(1) Il est certain que Jocerande fut soeur d’Arnaud, On voit par les statuts de Guill. VI, comte 
de Forcalquier, fils de Bertrand III, qu’Arnaud Flote était oncle de ce. mème Guillaume. Ego 
Guill. consilio omnium virorum comitatus nominatim Arnaudi Flote avunculi mei (Joannis Columbi , 
Dissert. de Guill. juniore in opusculis, p. 75). 

(2) Une charte du règne de l’emp. Frédéric I nous fournit, à cet égard, des données assez 
curieuses; il y est parlé d’un detestabile scelus commis par un Arnaud Flote, scelus quod fere toto 
mundo inhorrescit. V. Bibl. Sebus., 1, 95. Ù 

(3) Il existait en Auvergne une autre famille Flote, qu'il faut bien se garder de confondre avec 
celle-ci. V. Valb., t. IT, p. 389. 

(4) V. ci-après. 

(5) Guy-Allard. 


PAR LÉON MÉNABREA 199 


CHAPITRE XII. 


Barons de Meuillon. - Leurs chateaux. - Leurs feudataîres. - Barons de Montauban, 
vassaue des comtes de Forcalquier, puis des comtes de Provence. - En A257 ils deviennent 
hommes liges des Daupluins. - Ce qu'on appelait le Domaine utile des Dauphins. - Di- 
vision des états: delphinaux. - Chateaux de ces princes dans le Viennois. - Baillages. - 
Chatellenies. - Baillage du Viennois. - Terre de la Tour. - Chateaux qui s'y trouvaient. 
- Possessions des Dauphins en Graisivaudan, en Embrunois, en Gapencois. - Baillage de 
Faucigny. - Vassaux illustres d l’étranger. - Les Dauphins sont à leur tour vassaua des 
empereurs d'Allemagne, hommes liges des rois de France. - Placés sous la mouvance 
de plusieurs évéques. - Soumis aux comtes de Savoie et de Genève, à raison de certaines 
terres. — Dignités des Dauphins. 


L’obligation de réunir, autant que possible, en un seul tout, ce qui, 
avant la. fin du XIV siècle, vint en réalité se grouper sous la domina- 
tion des Dauphins, me force à parler maintenant des baronnies de Meuillon 
et de Montauban. 

Les barons de Meuillon, de Medullione, étaient, sans contredit, des 
plus puissants de ces contrées; ils occupaient les chiteaux de Meuillon, 
de Buis, de la Roche-sur-Buis, de Merindol, d’Aubres, de Villefranche, 
de la Rochette, etc. (1); ils avaient pour feudataires les sires de Plazian (2), 
de Besignon (3), d’Alanson, de Molans, d’Egaliers, de Relianette , de 
Gouvernet, etc. (4); les barons de Montauban leur rendaient hommage 
à raison de plusieurs fiefs (5). 

En 1317, Raymond de Meuillon fit donation de ses vastes biens au 
dauphin Jean (6), qui en prit possession, sauf è reconnaître sur ce point 
la suzeraineté de l’évéque de Valence et de Die (7). 


(1) Valb., t. I, p. 34, et t. II, p. 165. 

(2) Zbid., t. IT, p. 169. Voyez encore sur les sires de Plazian le mème auteur, t. I, p. 17 et 
t. II, p. 119. 

(3) Voyez dans Salvaing , p. 41, les conditions du fief de ces seigneurs. 

(4) Valb., t. II, p. 169. 

(5) Ibidem. 

(6) Valb., t. IT, p. 165. Raymond s’était déjà volontairement déclaré en 1293 vassal du dauphin 
Humbert; t. I, p. 34. 

(7) Voyez le traité de 1295, rapporté par Valb., t. 11, p. 69. Le dauphin Humbert II renou- 
velle, le 24 juillet 1345, l’hommage qu'il devait à l’évèque de Valence et de Die pour la ba- 
ronnie de Meuillon. Arch. de Grenoble, Gereralité. Valb. a parfaitement éclairé la généalogie des 
sires de Meuillon; V., t. II, p. 105. 


200 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Parmi les domaines des barons de Montauban figuraient spécialement 
les chiteaux de Montauban, de Nions, de Miribel, etc. (1). Ces seigneurs, 
d’abord vassaux des comtes de Forcalquier, puis des comtes de Provence, 
devinrent en 1257 hommes liges des Dauphins (2). Dragonnet, l’un d’eux, 
qui vivait au milieu du XIII siècle, laissa une fille unique du nom de 
Randonne qui, ayant épousé un sire de Lunel, en Languedoc, en eut 
un fils appelé Ronsolin, lequel se voyant sans postérité disposa de son 
hoirie en faveur de Hugues Adhémar, de la race des sires de Monteil, 
en Valentinois: or ce dernier céda en 1304 la baronnie de Montauban 
au dauphin Humbert, qui l’incorpora à ses. états. 

Il n'est peut-étre pas hors de propos d’indiquer d’une manière som- 
maire en quoi consistait le domaine utile des Dauphins, dominium del- 
phinale, et comme, durant l’espace de trois cents ans, ce domaine ne fit 
que s’etendre, de proche en proche, en subissant par les échanges, les 
ventes, les mariages, les guerres, les traités, de continuelles transfor- 
mations. Je le prendrai tel qu'il se trouvait au XIV siècle, à l’époque 
où il atteignit ses plus larges developpements. 

Les eétats delphinaux se divisaient alors en huit baillages: 

1° Viennois, 

2° Viennois, Terre de la Tour, 

3° Graisivaudan , 

4° Brianconnais, 

5° Gapencois, 

6° Embrunois, 

7° Baronnies de Meuillon et de Montauban, 

8° Faucigny (3). 

Dans le Viennois proprement dit, les Dauphins possédaient les chà- 
teaux d’Albon, d’'Auberive, de Réaumont, de Moras, du Colombier, 
de Bellegarde, d’Iseaux, de S'-Etienne-de-Geoirs, de S'-Lanrent, de 
Peyrens, de Pisancon, de Roybon, de Val, de Beaurepaire, de S'-Mar- 
cellin, de S'-Nazaire, de $'-Maurice-d’Anthon, de Gordans, des 


(4) Pour plus ample énumération, v. Valb., t. JI, p. 118. 

(2) En vertu d’un traité passé en 1257 par le dauphin Guigues VII avec Charles d’Anjou, comte 
de Provence. Valb., t. I, p. 205. 

(3) Sous le dauphin Humbert II il y eut, pendant quelque temps, un baillage du duché de 
Champsaur, Balliva ducatus Campisauri. 


PAR LÉON MÉNABREA BOL. 


Loyettes (1), de Satonay, de L’Huis, de Pinet, de Beauvoir (2), de 
Beauvoir en Royans (3); à ce baillage appartenaient encore quelques 
autres chatellenies dépendantes du diocèse de Valence, telles que Chabeuil 
et Montjoux, et c'est ce qu'on appelait le Viennois Valentinois (4). 

Le baillage du Viennois, Terre de la Tour, ou simplement la baronnie 
de la Tour-du-Pin, donnait aux Dauphins les chiteaux de la Tour, de 
Crémieux, de Quirieu, de Bourgoin, de Chateau-Villain, de la Balme, 
de Sablonnières, de Morestel, de Vaux-en-Vellay, de Domptessieux (5); 
ce baillage comprenait en outre ce que les princes avaient en Bugey et 
en Bresse, savoir les chiteaux de S'-Sorlin, de Lanieux, de S'-Germain- 
d'Ambérieux (6), de S'-André-de-Briord (7), de Montluel (8), de 
Peroges (9), de Maximieux, de S'-Christophe (10); la réunion de ces diffé- 
rentes terres constituait spécialement la seigneurie delphinale de Valbonne, 
ou baronnie de la Tour-du-Pin, au delà du Rhòne, baronia Turris 
Pini ultra Rhodanum. 

En Graisivaudan les Dauphins comptaient plusieurs places importantes, 
telles que Rives, Moirenc, Cornillon, Vorreppe (11), Montfleury, Montbonod, 


(1) En 1339 Hugues de Genève céda ces trois chàteaux au dauphin Humbert II, et regut en 
échange ceux de Samoing, de Chàtelet, de Crèt-d’Os, de Monthoux, de la Bàtie de Cholay en 
Faucigny et de Vizille en Graisivaudan. Voyez ci-devant comtes de Genève. 

(2) Quant aux chàteaux de Beauvoir et de Pinet, voyez ci-devant. 

(3) Pour ce dernier, voyez plus haut. 

(4) Les Dauphins eurent avec les comtes de Provence de longues contestations au sujet des 
terres de Chabeuil, d’Orpière, de Ste-Colombe, de l’Etoile, de Ste-Marie, d’Allegrand, de Levorel et de 
Villebose, situées en Valentinois et en Gapencois. On conserve dans les arch. de Grenoble un re- 
gistre contenant les enquètes que les parties firent faire en 1278, pour établir leurs droils respectifs. 

(3) A V’egard du chàteau de Morestel, voyez ce qui en a été dit précédemment. 

(6) Ces trois chàteaux étaient parvenus en 1228 aux sires de la Tour-du-Pin, prédécesseurs 
des Dauphins de la troisième race, par le mariage d’Albert III, l’un d’eux, avec Beatrix de Coligny 
(V. ci-devant); je dois remarquer toutefois qu’un siècle environ après, St-Germain-d’Ambérieux 
fut pris, de bonne guerre, par les comtes de Savoie qui ne le rendirent jamais. 

(7) Provenant des sires de Briord en Bugey. /ist. de Bresse; cont. de la 2° partie, p. 93. 

(8) Cedé aux Dauphins en 1325 par un sire de Montluel (V. ci-devant). 

(9) Cédé en 1315 au dauphin Jean par un sire d’Anthon, en échange des maisons-fortes de 
St-Romain et de Pont-de-Charuis en Viennois. V. Valb., t. I, p. 30. 

(10) En 1327 le dauphin Guigues VIII battit Edouard, comte de Savoie, sous les murs de Varey, 
et fit prisonniers plusieurs alliés et aidants de ce prince, et parmi eux Guichard sire de Beaujeu 
qui, pour obtenir sa liberté, fut obligé d’abandonner au vainqueur les deux chàteaux dont il 
S'agit, et de se reconnaître vassal des Dauphins, à raison de la terre de Miribel. V. Valb., t. II, p. 211. 

(11) Les chàleaux de Rives et de Moirenc apparienaient primitivement aux seigneurs de l’un et 
l’autre nom; quant à celui de Cornillon, proche de Grenoble, voyez Valb., t. II, p. 37. 


Serie II. Tom. XXIII. 26 


202 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


la Terrasse (1), la Bussière, Bellecombe (2), Morestel, Allevard, Avallon, 
Vif, la Mure, Claix (3), Vizille (4), Corp, Cornillon en Trièves (5), 
Mans, Oysans, S'-Bonnet (6). 

Neuf chatellenies composaient, ainsi que je Vai dit ailleurs, le baillage 
du Brianconnais: Briancon, S'-Martin-de-Queyrières, Vallouise, Queyras, 
Césanne, Oulx, Salbertrand, Bardonnéche, Exilles et Valcluson. Au baillage, 
dont il s'agit, se trouvait annexé le mandement de Pont-de-Belin, au-delà 
des Alpes, dans lequel, pour tenir en respect le marquis de Saluces, le 
dauphin André fit construire une forteresse qui prit le nom de Chateau- 
Dauphin (7). 

En Embrunois les Dauphins étaient maîtres du palais d’Embrun, 
extra muros, et des chàteaux de S'-Denis et de Montorsier (8). 

Ils occupaient en Gapencois les chiteaux de Serre et d’Upaix. 

J'ai expliqué, il y a peu d’instants en quoi consistaient les baronnies 
de Meuillon et de Montauban; quant au baillage de Faucigny, il em- 
brassait les domaines des sires de Faucigny, et comprenait les chatellenies 
de Faucigny, de Bonneville, de Cluses, de Sallanches, de Bonne, de 
Flumet, de Chatillon, de Monijoie, de Samoens, de Chàtelet, de Crét- 
d’Os (9), les chateaux de Monthoux, de la Batie-de-Cholay, d’Hermence, 
d’Allinges-le-Vieux (10), et enfin les vallées de Beaufort et de Hauteluce 
au diocèse de Tarantaise (11). 


(1) Pour les chàteaux de Montbonod et de la Terrasse, voyez ci-devant; ces chàteaux étaient 
déjà du domaine des Dauphins au commencement du XIV siècle. V. Valb., t. II, p. 143. 

(2) Acquis en 1289 des sires de Briancon. V. ci-devant. 

‘3) En l'année 1300, le chàteau de Claix fut cédé par le dauphin Humbert I à Guigues Alamand 
en échange de quelques autres terres; ce chàteau relevait de l’eglise de Grenoble. V. Valb., 
t. II, p. 132. 

(4) V. ci-devant. 

(5) Ces deux chàleaux avaient appartenu d’abord aux Allamands. 

(6) St-Bonnet formait le principal noyau du duché de Champsaur. 

(7) V. Valb., t. I, p. 309. Le dauphin Humbert II agrandit considérablement cette place forte. 
V. Valb., t..1I, p. 325. 

(8) Ils possedaient aussi une infinité de droits féodaux disséminés en divers lieux. V. Valb., 
t. II, p. 264. 

(9) En ce qui regarde ces deux chàtellenies , ainsi que la Bàtie-Cholay, V. Chdteaue delphinaux. 

(10) Le chàteau d’Allinges ne provenait pas des anciens sires de Faucigny, mais de la dauphine 
Beatrix de Faucigny , fille de Pierre, comte de Savoie, à qui ce dernier l’avait légué par son 
testament de l’an 1268. V. Guich., pr., p. 76. 

(11) V. ci-devant 


‘ PAR LÉON MÉNABRÉA 203 


Outre la longue série de feudataires que j'ai déroulge précédemment, 
les Dauphins avaient à l’étranger plusieurs illustres vassaux, tels que les 
comtes de Valentinois (1), les sires de Beaujeu (2), les comtes de Forey (3), 
les sires d’Arlay (4), les comtes de Genève (5), les marquis de Saluces (6), 
les princes d’Achaie (7), les princes d'Orange, les sires de Baulx etc. 

De leur còté ils étaient vassaux nés des empereurs d’Allemagne, dont 
la haute supériorité pesait sur toute l’étendue de l’ancien royaume de 
Bourgogne. En 1294 ils acceptèrent du roi Philippe-le-Bel une rente 
de 5oo livres tournois, et se reconnurent, à ce titre, hommes liges des rois 
de France, avec l’obligation de les servir contre les Anglais (8). 

La possession des comtés de Vienne et d’Embrun, du Graisivaudan 
et de la baronnie de Meuillon, les placait sous la mouvance des arche- 
véques de Vienne et d’Embrun et des eévéeques de Grenoble et de Die; 
ils se trouvaient soumis aux comtes de Provence à raison du comté de 
Gap; aux comtes de Savoie à raison de la plupart des terres qu'il 
tenaient des sires de la Tour-du-Pin (9); è l'église de Lyon pour les 


(1) Les comtes de Valentinois refusèrent longtemps de faire hommage de leurs terres aux 
Dauphins; ils y furent enfin condamnés par une sentence de 1347. Valb., t. II, p. 549. 
V. ci-après. 

(2) V. ci-devant, in notis. 

(3) Jean, comte de Forèt, avait épousé en premières noces Marguerite de Viennois, fille du 
dauphin Humbert I; il se rendit en 1325 homme lige du dauphin Guigues VIII à raison de cer- 
taines terres. Valb., t. II, p. 204. 

(4) Jean de Chàlon, fils de Hugues de Chàlon, sire d’Arlay, et de Beatrix de Viennois, s@eur 
du dauphin Jean, reconnut en 1334 la suzeraineté du dauphin Humbert II pour quelques-unes 
de ses possessions. V. Valb., t. I, p. 248. 

(5) Les comtes de Genève ne devaient réguliè&remeni hommage de leur comté qu’aux évéques 
de Genève; ce fut pendant les guerres qu’ils eurent à soutenir contre Jes comtes de Savoie qu'ils 
so déclarèrent vassaux des Dauphins. Charte de 1316. Valb., t. II, p. 163. 

(6) C'est aussi pour se soustraire aux entreprises de la maison de Savoie que les marquis de 
Saluces entrèrent dans la mouvance des Dauphins: de longues guerres eurent lieu à ce sujet. 
V. Muletti, Storia etc. 

(7) Jacques de Savoie, prince de Piémont, d’Achaie, fils de Marguerite de Viennois, fit en 1339 
hommage de ses terres au dauphin Humbert II, sans préjudice de la suzeraineié du comle de 
Savoie. Valb., t. IT, p. 384. 

(8) Valb., t. II, p. 74. 

(9) V. ci-devant. Je dois faire observer qu’en 1293 la dauphine Béatrix fit avec le comte Amé V 
un traité, par lequel elle obtint dispense et remise de cet hommage, à la charge toutefois de 
se reconnaître à l’avenir, elle et ses successeurs, feudataires de la maison de Savoie pour les 
chàteaux de Faucigny, de Bonneville, de Chàtelet, de Crét-d’Os, de Monthoux et d’Allinges-le-Vieux. 
L’inexécution de cette dernière partie du traité de la part de la Dauphine donna lieu à de longues 
et sanglantes querelles. 


204 DES ORIGINES FÉODALES BTC. 


chateaux de la Balme, près de Crémieux, de Peroges et de Maximieux (1); 
à l’église du Puy en Velay, pour un canonicat et pour divers autres 
droits (2); à l’église de Vaison pour le chàteau de Propries (3); au cha- 
pitre de S'-Barnard de Romans pour le chiteau de Pisancon (4); et enfin 
à la chaire de S'-Pierre pour certaines juridictions , ou fractions de juri- 
dictions, qu'il est inutile d’énumérer (5). 

En ce qui concerne les dignités des Dauphins, yen ai expliqué les 
différentes origines au fur et è mesure que l’occasion se présentait d’en 
parler; elles viennent au reste se résumer dans les qualifications que se 
plaisait è étaler le dauphin Humbert IT, qui s’intitulait Dauphin, comte 
de Vienne et d’Albon, comie Palatin, comte de Graisivaudan, de Gap et 
d' Embrun , prince de Brianconnais, duc de Champsaur, marquis de 
Césanne, baron, ou seigneur, de la Tour, de Valbonne, de Meuillon, de 
Montauban et de Faucigny. 

En téte des actes d’une importance médiocre, il prenait simplement 
le titre de Dauphin Viennois, Daphinus Viennensis, comme faisaient 
aussi ses prédécesseurs. Je dois dire encore qu’en qualité de comtes 
d'Albon les Dauphins possédaient en France une vingtaine de chateaux, 
parmi lesquels on distinguait celui d’Annonay, provenant des sires de 
Rossillon (6). 


(1) Hommage de 1338. Arch, de Gr. Genérabite. 

(2) Hommage de 1282. Arch. de Gr. Geréralité. Hommage de 1339. Valb., t. II, p. 386. 

(3) En vertu de la vente d’une porlion de ce chàteau, faite en 1337 au dauphin Humbert II 
par l’évèque Raterius. V. Mist. de Za cath. de Vaison par le P. Boyer, pr., p. 32. 

(4) Hommage de 1338, où il est dit que le chapitre de Romans est allé processionnellement au 
devant du Dauphin, l’a conduit au pied de l’autel, a regu son serment, l’a revètu enfin des 
labits de chanoine ete. etc. Valb., t. IT, p. 36. Charles de France, dauphin de Viennois, fit un 
semblable hommage en 1350. Arch. de Gr., Generabite. 

(5) Hommage prété au pape par le dauphin Humbert II, le 15 mars 1338 pour les chàteaux 
de Rochegude, de Piegon et de Paresio. Arch. de Gr., Genéralite. 

(6) Voyez la nomenclature Seguurtur loca que tenentur a domino Dalphino infra regnum Prancie 
ut comite Albonis. Valb., t. II, p. 387. 


PÀR LÉON MENABREA 205 


CHAPITRE XII. 


Evéques de Valence et de Die. - Bulles de ANST7 et de 1238. - Les habitantis de Valence 
veulent se soustraire d la juridiction ecclésiastique. - Possessions des éveques de Die. - 
Luttes. - Ewaclions. - Comtes de Die. - Guillaume. - Il affige l'église de mille maux. 
- Lettre du pape Hildebrand. - Isard. - Alix. - Comtes de Valentinois. - Leur lignée 
se rattache à Guillaume-le-Grand, comte de Poitiers. - Tradition. - Contestalions avec 
l’éevéque Robert. - Adhémar. - Il devient le fléau de la religion. - Maitre du chateau 
de Quint, il répand la terreur aux alentours. - Sa déloyauté. - Ses descendanis. - Comtes 
de Valence et de Die. - Les Adhémar. - Les Arlauds ou Isoards. - Comles de Provence. 
- Notions purement nécessaires. - Marquisat de Provence. - Evéques de Vaison, de Sisteron 
et de Digne. - Curieuse enquéte dressee en 1211. 


Je suis maintenant amené par une marche toute naturelle à examiner 
la position politique des évéques de Valence et de Die, ainsi que celle 
des comtes de Valentinois et de Diois. 

Les évéques de Valence et de Die ayant à lutter contre des ennemis 
moins redoutables que ceux avec lesquels avaient à faire les évéques de 
Vienne, d’Embrun, de Grenoble et de Gap, purent conserver une plus 
grande part de leur puissance primordiale. Sons les rois de Provence on 
voit les évéques de Valence obtenir la concession, la confirmation, ou la 
restitution de plusieurs droits territoriaux (1). Une bulle impériale de 1157 
nous les montre en possession des chateaux d’Alixan, de Montellier, de 
la Beaume Corniilane, de Fiancey, de Livion, de Loriol, de Chateauneuf- 
d'Isère, de Chateaudouble, de Montvendre, de l’Etoile, de Saoux, 
d'Allex (2); et une autre bulle de 1238, des chàteaux d’Eurre, d’Hostung, 
d’Upié, de Mirmande , de Copier, de la Batie de Confolens, de la Bàtie 
de Lisignac (3). Il résulte encore de ces diplòmes qu’ils étaient maîtres 
exclusifs de la cité épiscopale, qu'ils y administraient la justice civile et 


(4) En 904, l’évèque Rémi cu Rémegaire regut de Louis-l’Aveugle res sitas in comitatu Diensi 
villam scilicet que vocatur Sariacum cum castro desuper similiter nominato cum Adgentiolo atque Saone 
(Joannes Columbi, De rebus gestis episcop. Valentinorum et Diensium libri IV — In opusculis — 
Lugduni, 1668, p. 251). En 912, ce mème Reémegaire se fait restituer par le roi Hugues la terre 
de Villeneuve que son église tenait de la libgralité du roi Boson. V. Chorier, Mist. des Dauph., 
HAD prazd8: 

(2) Diplòme de l’empereur Frédéric I en faveur de l’évéque Odon, De rebus gestis, p. 256. 

(3) Diplòme de Frederic II, De redus gestis, p. 268. 


206 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


la justice criminelle, y battaient monnaie, y percevaient diverses rede- 
vances, y levaient des impòts en certaines occasions (1), y jouissaient, 
en un mot, de la plénitude des prérogatives régaliennes. 

L’église de Valence eut à tenir téte, pendant les temps féodaux, non- 
seulement aux comtes de Valentinois et à une foule de petits seigneurs 
qui vivaient sur son territoire, mais aux habitants mémes de Valence, 
qui prétendaient, à tort ou à raison, se soustraire à sa juridiction. L’em- 
pereur Frédéric-Barberousse rendit en 1178 un jugement celèbre, où, en 
accordant quelques satisfactions aux bourgeois de cette ville, il déeréta 
qu’à l’avenir aucune ligue , aucune association, aucune convention ne pour- 
rait étre formée ni jurée par eux, sans le consentement de l’évéque (2). 
Enfin en 1295 le pape, Grégoire X, crut devoir unir l’éveché de Die 
à celui de Valence, afin que le pontife qui présidait aux deux diocèses fit 
mieux en état de résister aux attaques des méchants (3). 

A Vexemple des évéeques de Valence, les évéques de Die avaient 
recouru à l’autorité impériale dans le but d’accroître et de constituer leurs 
priviléges temporels. Une première bulle prouve qu’au XII siècle ils 
possédaient les chàteaux de Miribel, de Marignac, d’Aoust, de S'-Médard, 
de Romeier, de Montmaur, de Menglou, de Rochefourcha, de Luc, 
d’Auriple ete., et qu'ils exercaient à Die un pouvoir à peu près absolu (4). 
Une seconde bulle nous fait voir ces prélats harcelés par les comtes de 
Valentinois et de Diois, et appelant sur les violences et les exactions de ces 
princes la censure des césars allemands (5). 


(1) Quando vadit ad curiam vel facit manifestum imperii servicium. 

(2) Cives communitatis nullum faciant juramentum nec aliquam jurent societatem sine arbitrio et con- 
sensu episcopi. Ollivier, Essais historiques sur la ville de Valence, in-8.°, 1831, p. 238. 

(3) Valentinensem et Diensem ecclesias jamdudum adeo gravis tyrannus oppressit et ab olim infesta 
continuatur oppressio ut etc. Telles sont les expressions de la bulle de 1275. De redus gestis, p. 273. 
Cest Amédée de Rossillon, homme à l’àme superbe, aux murs guerrières et chevaleresques , 
qui }e premier fut investi de cette double prélature. L’union des évèchés de Valence et de Die 
lui fournit les moyens de résister aux entreprises des comtes de Valentinois. On peut lire sa vie 
in opusculis Joannis Columbi, p. 354 et suivantes. 

(4) Diam civitatem cum sua propria moneta. ... et omnibus que ad imperialem specialiter coronam 
pertinere noscuntur. Diplòme de 1178. De rebus gestis, p. 290. Ce diplòme conférait aux évéques 
de Die non-seulement la plénitude des droits régaliens dans toute l’étendue du diocèse, mais 
encore le titre de comtes de Die et de princes de l’empire. 

(5) Diplòome de 1214. De rebus gestis, p. 297. Il existe encore en faveur de l’eglise de Die trois 
priviléges impériaux de l’année 1238, ainsi que plusieurs autres concessions dont on trouve copie 
aux arch. de Grenoble. Copiarum Graisiv., lib. I, fol. 60 cet 144. On peut encore consulter aux 
mémes archives les deux premiers vol. Copiarum comitatus Valent. et Diens. 


PAR LÉON MENABREA 207 


Ainsi que je l’ai dit ailleurs, les comtes de Die, ou de Diois, Dienses 
comites, descendaient de Ponce, ou Geoffroy-Ponce, fils de Bertrand II, 
comte de Forcalquier (1). Guillaume, successeur de Ponce, profitant des 
schismes et des hérésies qui deésolaient la chrétienté , essaya d’abord 
d’esquiver la mouvance de l’église de Die; il affligea cette église de mille 
maux, s’efforca de la ruiner et en devint le plus ardent ennemi ; elle 
avait heureusement alors un défenseur intrépide; en 1075 son illustre évéque 
Hugues, légat du saint-siége, s’adressa au pape Hildebrand, qui écrivit à 
Guillaume une lettre foudroyante, où il lui reproche ses déportements, 
lui enjoint de préter à l’évéque de Die serment de fidelité et le menace 
de toutes les rigueurs de l’anathème (2) 

Isard, fils de ce seigneur, légua ses domaines à Isard, son fils, qui, 
lors de la fameuse croisade de 1095, conduisit en Orient la onzième divi- 
sion de l’armée chrétienne (3). Cet Isard laissa lui-méme un fils du méme 
nom que lui, qui n’eut, dit-on, que deux filles. L’aînée, Alix, serait, è 
ce que l’on croit, la belle comtesse de Die, que célébrèrent à lenvi les 
poétes provencaux et qui dans les fastes des Cours d’Amour occupe une 
place si brillante. Philippine, la cadette, succédant à Alix, aurait porté 
le Diois à son époux Guillaume de Poitiers, comie de Valentinois. 

Avant l’extinction de la dernière dynastie des rois de Bourgogne, le 
Valentinois, pagus Valentinensis, se trouvait, ainsi que la plupari des 
pagi de nos contrées, soumis à des comtes passés de la condition de 
béneficiers temporaires à celle de tenanciers héréditaires. Un document 
de 985 nous apprend que vivait en ce temps-là un Lambert, fils de 
Gonthard et d’Hermengarde, mari de Felcirude et père d’Adhémar (4). 
Impossible de dire si ce Lambert fit race; d’ailleurs je n’ai à parler ici 
que des comtes de Valentinois, issus de la famille des ducs d’Aquitaine. 

On se souvient qu'au nombre des hauts vassaux qui, sous le règne 
déplorable de Rodolphe-le-Faingant, s’opposèrent le plus vigoureusement 


(1) Il me semble que ce fait est suffisamment établi par les titres rapportés ci-devant. 

(2) Te autem predicte comes singulariter alloquentes valde miramur quod postquam prefatum con- 
fratrem nostrum cum consensu aliorum omnium in’ episcopum elegeras et FIDELITATEM sibi ea 
more feceras nescio quibus de causis elatus clericos et cives urbis depraedatus es (Epistolarum \ib. I, 
ep. 69, ad Guill. Diensem comitem). 

(3) Guill. de Tyr et M. Paris l’appellent Hiscard. 

(4) Art. de vérifier les dates, édit. in-8.°, t. X. 


208 DES ORIGINES FEODALES ETC. 


à l’envahissement de la monarchie bourguignonne par les empereurs 
d’Allemagne, figurait Guillaume-le-Grand,, comte de Poitiers (1); les 
auteurs contemporains s’accordent à représenter ce personnage comme 
étendant d’abord sa domination sur une portion de la Gaule méridionale, 
et ensuite, comme possédant en decà du Rhòne des terres considérables, 
Willelmus pracpotens vir in illis partibus (2). 

La qualification de /ictavienses, que prirent toujours les comtes de 


Valentinois, indiqueraiti déjà  d’elle seule que leur lignée se rattachait 
à Villustre maison de ce prince. Une tradition, fort en vogue aux XIV 
et XV siècles, portait qu’une comtesse de Marsanne (3), étant jadis en 
guerre avec les éveques de Valence et de Die, vint réclamer l’assistance 
d’un chevalier, du nom de Poitiers, qui arrivait de certaines plages loin- 
taines, lequel, selon les expressions de l’enquéte faite à ce sujet en 1421, 
fit très grand secours à ladite dame et conquist pour elle plusieurs 
chateaulx (4); que cette prétendue comtesse, voulant récompenser le 
courage du preux, lui accorda sa fille unique en mariage et le rendit 
seigneur du pays. L’on ajoute méme que ce chevalier eut encore à guer- 
royer contre de puissants tenanciers, appelés Arnauds, qui prétendaient 
à la main de la jeune princesse, et qu'il parvint à les expulser du chà- 
teau du Crét, dont il resta maître dés lors (5). 

En laissant de còté ces récits populaires et en ne consultant que les 
monuments paléographiques, on remarque qu'en 1183 un Guillaume de 
Poitiers, comte de Valentinois (6), se disant fils d’Adhémar (7), accorda 
divers priviléges à l’abbaye de Léoncel et la recut sous sa sauvegarde. 
Ce Guillaume, que je supposerais voloniiers ici avoir été le premier des 
siens à prendre le titre de comte de Valentinois (8), eut d’assez graves 


(1). V. ci-devant. 

(2) Ditmari chron. , an. 1016. 

(3) Arrondissement de Montélimart, dép. de la Dròme. d 

(4) Duchesne, Mist. géréal. des comtes de Valentinois, pr., p. 445. 

(5) V. la chron. d’Aymar de Rivail, p. 125. Dans son ouvrage Duchesne s’appuie beaucoup de 
cette tradition qui peut bien avoir quelque fondement; mais je dois dire que les chartes publiées 
depuis lors par Guichenon (elles sont citées ci-après) jettent un plus grand jour sur l’origine des 
princes dont il est question. 

(6) /Zillelmus Pictaviensis cognomine officio vero Valentinus comes. Bibl. Seb. , 1, 18. 

(7) Audivi quidem quod quidam pestilentes et etiam de terra mea et patris mei domini Ademari 
Liuncellensibus injuriari non metuunt et bona corum rapere et violenter abducere non formidant. Bibl. 
Seb., I, 19. 

(8) Plusieurs raisons me le feraient croire. Et d’abord les énonciations de la charte citée dans 
une note précédente, qui semblent indiquer que Guillaume ne tenait pas le comté de Valence. 


PAR LÉON MÉNABREA 209 
contestations avec Robert, évéque de Die, à tel point qu'en 1178 celui-ci 
se rendit auprès de Frédéric-Barberousse, de qui il obtint la confir- 
mation des droits de son église, et bien plus, la concession de tout ce 
que son adversaire avait en Diois, à l’exception du chateau de Quint (1). 

Adhémar, ou Aymar, fils de Guillaume, connu des historiens sous 
la désignation d’Aymar I (2), ayant embrassé la cause des Albigeois et 
de Raymond, comte de Toulouse, leur fauteur, qui, en qualité de marquis 
de Provence, possédait de grands biens sur la rive gauche du Rhòne, 
devint le fléau de la religion et se livra à mille excès envers le clergé (3). 
Maître du fameux chateau de Quint, à peu de distance de Die, au-dessus 
d'un defilée è travers lequel la Dròme s’est péniblement frayé un passage, 
il était devenu la terreur des environs; aussi l’évéque Desiderius jugea-t-il 
à propos d’implorer à son tour la protection de l’empereur; ce monarque, 
par un diplòme de 1214 confirma derechef les prérogatives du prélat, 
et lui fit en outre donation de la forteresse qui servait de repaire au 
farouche comte de Valentinois (4). On sent parfaitement qu’un tel acte 
ne pouvait produire aucun effet et que mieux edt valu employer la force 
‘contre la force. Aymar continua donc è occuper le formidable manoir. 
Recourant à son tour à l’autorité imperiale, il recut en 1219 de Frédéric II 
l’investiture du chateau de l’Etoile, entre Loriol et Chabeuil, et du péage 
qui en dépendait (5). 


Tandis qu'il adhérait au comte de Toulouse, il se déclara homme lige 


heréditairement, mais seulement ex officio; en second lieu, l’émission de la qualification de comte à 
l’égard d’Adhémar, père de Guillaume, qui dans la charte suivante est appelé dominus Adhemarus 
et non Adhemarus comes. Il y a plus: il résulterait de la combinaison de ces deux documents 
qu’à l’époque où ils furent rédigés, ce mème Adhémar était encore vivantj car Guillaume ne se 
sert point à son égard de l’expression quordam, par laquelle on ne manquait jamais de désigner 
les défunts; il ne dit point dominus Adhemarus quondam; et quand il parle du pays où les moines 
de Léoncel devront jouir des prérogatives qu'il leur accorde, il emploie les mots terra mea et 
patris mei, (Opinion de Guy-Allard; voyez encore les notes de Guich. sur la: 19° charte de la 1° 
cent. de la B:0/. Seb.). Les auteurs de l’Art de vérifier les dates, édition in-8.°, t. X, font d’Adhémar 
un fils naturel de Guill. IX, comte de Poitiers. 

(1) Et quidquid Guill. de Pictavia habet in episcopatu excepto castro quod dicitur Quintum. Charte 
cilée ci-dessus. 

(2) Je dois avertir toutefois, pour éviter toute confusion, que les auteurs de l'Art de vérifier 
les dates, éd. in-8.°, t. X, commencent par Aymar, père de Guillaume, la série des comtes de 
Valentinois, et donnent la qualification d’Aymar II à celui dont il est ici question. 

(3) Erat praeterea in illis partibus nobilis quidam potens sed malus Adhemarus Pictaviensis qui ne- 
gocium Xpi semper exosum habuerat. (Histor. Albig. auct. Petro Vallis Sarnensis monacho ad an. 1213). 

(4) De rebus gestis, p. 197. 

(5) Valbonnais, t. I, p. 380. 


Serie II. Tom. XXIII. 


DN 
NI 


210 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


de ce dernier, à raison du comté de Die, et cela au préjudice de 
l’église de Die, à laquelle appartenait évidemment la supériorité féodale et 
le domaine direct du Diois (1). Enfin, lorsque Raymond VI eut été solen- 
nellement condamné par le concile de Latran, Aymar, profitant de la 
position critique de son allié, s'empara sans pudeur des vastes terres dont 
il jouissait dans le Vivarais et les transmit à ses descendants (2). 

Aymar II, petit-fils et successeur d’Aymar I (3), fut obligé ce- 
pendant de se reconnaître, pour ces mémes terres , feudataire des comtes 
de Toulouse (4). Ce prince eut de sanglanis démélés avec Amédée de 
Rossillon, evéque de Valence et de Die; il mourut en 1277 (5). 

Aymar III parvint è ajouter quelques nouvelles possessions à celles 
qu'il tenait de ses aieux (6). Il obtint en 1311 de l’empereur Henri VII 
un diplòme portant défense aux éveques de Valence de prendre le titre 
de comties de Valence (7). 

Aymar IV, qu'on appelle vulgairement Aymaret afin de le distinguer 
de son père, qui l’avait associé dès 1307 à l’exercice de la juridiction 
comitale, prétendit se placer en 1316 sous la mouvance exclusive et im- 
mediate des rois de France (8); mais les Dauphins se récrièrent; de longues 


(1) Get hommage est mentionné dans l’enquète citée ci-dessus. « Aynart Chabert, chevalier, 
» y est-il dit, a veu en la tour du Crest un gros livre de parchemip, couvert d’ais et de 
» cuir auquel est incorporé la teneur d’un instrument de l’an MCLXXXIX, faisant men- 
» tion que Raymond, comte de Tolose et marquis de Provence donna à Aymart, conte de Va- 
» lentigois, la conté de Dyois ». Or on a vu, par la lettre de Grégoire VII, que les anciens 
comtes de Die étaient feudataires des évèques de cette ville au moins pour la majeure partie de 
leurs possessions. 

(2) Vaisseltte, Z/ist. du Lang., +. III, p. 255. Plusieurs autres terres du Vivarais lui advinrent 
encore du chef de Philippine de Fai, sa seconde femme. V. Art de wdrifier les dates, édit. 
in-8.°, t. X. 

(3) Cet Aymar II, fils de Guillaume, vécut longtemps sous la tutelle de Flotté, sa mère. Valb. 
a donne le sceau de cette princesse, t. I, p. 383, ainsi que celui d’Aymar II, p. 380, autour 
duquel on lit: Sigill. Aymari de Pictavia comitis Valentin. et Diensis. Il renouvela bien en faveur 
des comtes de Toulouse l’hommage d’Aymar I, son grand-père; mais il déclara plus tard qu'il 
ne l’avait fait que par pure crainte. Acte de 1256. Vaissette, t. III, pr., p. 520. 

(4) Acte de 1239, où l’on voit qu’Aymar II prend en fief de Raymond VII, comte de Toulouse, 
le chàteau de Bois et seize autres chàteaux situés en Vivarais, au nombre desquels se trouvaient 
ceux de Tournon, de Privas, de St-Alban etc. Duchesne, pr., p. 7. 

(5) Son testament est de cette année-là, le 12 des ca). de mai. V. Contrats et traités des comtes 
de Val. et de Die. Ms. de la Bibl. de Gren., n.° 462. 

(6) Il acquit entre autres en 1298 le chàteau de Monclar en Diois. V. 1’ Art de vérifier les dates, 
t. X, et Suppl. à V’Etat pol., p. 105. 

(7) Bibl. Seb., IT, 86. Ce diplòme n’eut qu’un effet passager. 

(8) Art de vérif. les dates 


PAR LEON MENABREA 21I 


contestations eurent lieu à ce sujet; bref en 1338 Aymar dut avouer la 
suzeraineté delphinale à l’égard des chiteaux de l’Etoile, de Monclar, 
de Verone-Beaufort, de Taulignan, de Clairieu, de la terre de Royans ete.; 
l’acte dressé à ce sujet énonce que l’on avait découvert d’anciens titres 
constatant les droits des Dauphins sur ces divers fiefs (1). 

A Aymar IV succéda Louis I, puis Aymar V, qui regut en 1349 
de l’empereur Charles IV le titre de vicaire général de l’empire dans le 
royaume de Vienne et d’Arles (2). 

On sait que la ligne directe des comtes de Valentinois fit défaut en 
la personne de Louis II qui, par un testament du 14 juin 1419, institua 
son héritier universel le dauphin Charles de France, fils de Charles VI. 

Parmi les nobles et anciennes races des comtés de Valence et de Die, 
je me bornerai à citer les Adhémar, les Isoards, les Peloux, les de Vesc 
et les de Chabeuil. 

Quoiqu'on ne puisse raisonnablement adopter l’opinion de ceux qui 
font descendre les Adhémar d’un Adheémar, duc de Génes, au IX siècle (3), 
la haute origine de ces tenanciers est un point hors de discussion (4). 
Le chateau de Monteil, appelé Monteil d'Adhémar, Montilium Adhemari, 
et par contraction Montelimar, fut le berceau de leur famille. Ce chéteau 
et la ville qui l’entoure étaient primitivement de la mouvance des évéques 
de Valence; mais les comtes de Valentinois et les Dauphins s'en attri- 
buèrent successivement l’hommage (5). Les Adhémar tenaient encore en 
fief de ces mémes comtes de Valentinois, et en arrière-fief de l’eglise 
romaine, les chateaux de la Garde, de Rac, de Savace et de Chateauneuf- 
de-Mazène (6). 
Um patient genéalogiste est parvenu à démontrer que les Isoards, ou 
les Artauds, remontaient à Jocerand, fils cadet d’Isoard I, comte de 


(1) Productisque aliquibus instrumentis de novo repertis licet antiquis per quae apparebat progenitores 
dicti domini comitis homagium ligium domino tunc Dalph. fecisse et praestitisse. Valb., t. IT, p. 550. 

(2) Bibl. Seb., II, 87. 

(3) Guy-Allard. 

(4) V. la chron. latine d’Aymar de Rivail, publiée en 1844 par M. Terrebasse et intitulée De 
Allobrogibus, p. 85. 

(5) En 1291 le comte de Valence se regardait bien comme seigneur direct de Montélimart. 
V. Valb., t. II, p. 59. Nous avons un acte de 1334, par lequel Giraud et Guigues Adhémar se 
reconnaissent, à l’égard de cette ville, feudataires du Dauphin. Regesta Pilati, 1394, 2° cabier, 
fol. 28. 

(6) Acte de 1291, Valb., t. II, p. 58. C'est comme possédant le Comtat Venaissin que le 
pape jouissait de la supériorité dont il est ici question. 


212 DES ORIGINES FEODALES ETC. 


Die (1). Ce Jocerand eut deux enfants miles de sa femme Béatrix; l’un, 
nommé Isoard, après s'étre porté à de graves outrages contre le clergé, 
dut è la fin s'amender et revenir à meilleure vie; nous avons de lui une 
charte aussi importante que curieuse, où il désavoue solennellement sa 
conduite, reconnaît que la ville de Die et les régales du comté appar- 
tiennent à l’évéque, et deéclare tenir spécialement de ce prélat le chateau 
de Luc (2). L’autre, nommé Hugues Artaud, obtint pour sa part d’héritage 
les chiteaux d’Aix, de Bellegarde, de Montlor, de Glandage etc. On le 
considère comme la souche des Artauds. Les descendants de ce seigneur 
s'étant alliés à la maison de Montauban, il en sortit une branche appelée 
Artaud de Montauban, qui pesséda pendant long-tems la forteresse de 
Montmaur en Gapencois (3). 

En 1263 Pierre Isoard et son fils Guill. Artaud acquirent du dauphin, 
Guigues VII, la terre de Monclar (4), qu'Isoard Artaud, fils de Guillaume, 
céda ensuite à la maison de Valentinois (5). 

Quant aux Peloux, Pilosi, aux sires de Vesc, aux sires de Chabeuil, 
de Cabeolo, ils ne vécurent pas dépourvus de gloire, et on les rencontre 
bien des fois mélés aux dissensions féodales du XIII et du XIV siècle (6). 

Au-dessous des comtes de Valence, de Die, de Gap et d'Embrun, qu’en- 
chassaient le Rhòne et les Alpes, se deroule la Provence, riche contrée 
dont l’administration avait été confiée, dès le rèégne de Charles-le-Chauve, 
à de hauts bénéficiers qui prenaient indistinctement les titres de comtes, 
de marquis, de ducs et de princes de Provence et de comtes d’Arles (7). 


1) Guy-Allard. 

2) Audi petre ete. Notae 407. Charte de 1167. 

(3) Les Artauds de Montauban'se subdivisèrent eux-mèmes en plusieurs branches. V. Guy-Allard, 
Gencal. de Montauban. 

(4) Valb., t. I, p. 383. On voit par cette charte que le pere et le fils portaient des noms pa- 
tronymiques differents. 

(5) V. ci-devant, în motis. 

(6) Un Humbertus Pilosi fit en 1252 hommage du chàteau de Rochefort aux comtes de Valen- 
tinois. Valb., t. I, p. 385. En 1338 ces princes possédaient en Val-Dròme unum fortem seu breve 
fortalicium quod fuerat Pilosorum. Valb., t. II, p. 550. Au commencement du XIII siècle, un 
Gonthard de Chabeuil faisait une guerre acharnée aux évèques de Valence. V. Ollivier, Essais 
historiques sur Val., p. 35. 

(7) Dans une charle de l’église d’Apt, rédigée en 991, on lit: cum consilio /7illelmi totius 
Provinciae principis. En 1044 le comle Bertrand I ’inlilulait: Ego Bertrannus auctore Deo marchio 
sive comes Provinciae. Un siècle et quelques années auparavant Charles-Constantin, fils de Louis- 
VAveugle, prenait la qualification de dur et marchio Provinciae. Quant à la Provence, considerée 
comme royaume, voyez ce que j'en ai dit ci-devant. 


_ PAR LÉON MENABRÉA DITO 


Ce pays, pagus Provinciae (1), se composait des anciens comtés de 
Sisteron, de Digne, de Senez, de Glandèves, de Vence, de Nice, de 
Fréjus, de Toulon, d’Aix, de Marseille, d’Arles, d’Avignon, de Cavaillon, 
d’Apt, de Vaison, de Carpentras, d'Orange, de Tricastin (2), ainsi que 
du nouveau comté de Forcalquier, qui, substitué d’abord à celui de 
Sisteron, s’était insensiblement accru de ceux qui l’environnaient (3). 

La première race des comtes de Provence est trop connue; son 
origine a donné lieu è trop d’investigations, pour que des details, à cet 
égard, puissent étre de quelque intérét. 

L’histoire de la Provence proprement dite ne se rattachant d’ailleurs 
que d’une manière éloignée à l’objet de cet ouvrage, je n’hésite pas à me 
restreindre, en ce qui la concerne, aux notions purement nécessaires. 
Or on sait que la race que je viens de citer, après avoir produit, comme 
je l’ai expliqué précédemment, la branche des comtes de Forcalquier, vit 
défaillir sa ligne directe et masculine en la personne de Bertrand II, mort 
en 1093. Gerberge, socur de ce prince, eut de Gilbert, son mari, comte de 
Gévaudan, deux filles: Douce, l’aînée, épousa Raymond-Bérenger, comte 
de Barcelonne, et lui porta en dot le comté de Provence; Etiennette, la ca- 
dette, fut unie à Raymond de Baulx, etobtint, en guise de légitime, des terres 
assez considérables qui entrèrent dans la puissante maison de ce seigneur. 

Il paraît que depuis un mariage, contracté vers la fin du XI siècle par 
Guillaume Taillefer, comte de Toulouse, avec une princesse de Provence, 
les comtes de Toulouse s’étaient toujours maintenus, quoique non sans 
peine, en possession d’une partie de ce pays. Ce qu'il y a de certain, c'est 
quen 1125, à la suite d’une guerre sérieuse, le toulousain Idefonse 
et Raymond-Bérenger firent un traité, en exécution duquel celui-ci aban- 
donna à son competiteur toute la portion de la Provence située au nord- 
ouest de la Durance, à partir des sources de cette rivière jusqu'à Avignon (4). 
Le lot échu à Ildefonse, qui comprenait la moitié du comté d’Avignon, et 
les comtés entiers de Vaison, d'Orange, de Cavaillon, d'Apt, de Tricastin et 
de Carpentras, forma dès lors ce qu’on appela le marquisat de Provence. 


(1) Quoziam villa quae sita est in pago Provinciae, in comitatu Massiliensi. (Gall. Christ. in instr. ecel. 
Massil., t. I, p. 100). 

(2) V. ci-devant. 

(3) Zbidem. 

(&) Sicut in monte Jano Druentia nascitur usque ad flumen Rhodani. Avignon fut partagé par 
moitié entre cux. V. Bouche, Mist. de Prov. 


214 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Du marquisat de Provence dependait par conséquent le comté de 
Venaissin, qui ne fut d’abord autre que le comté de Carpentras, désigné 
fréquemment du nom de comitatus Vendascensis et qui insensiblement 
prit de plus grandes dimensions. 

Nul n’ignore que les droits des souverains pontifes sur ce méme 
comté derivaient des dispositions de Raymond VII, comte de Toulouse, 
qui en cédant ses vastes domaines à S'Louis roi de France, réserva 
expressement le Venaissin au pape Grégoire IX (1). 

Sous la suzeraineté des marquis de Provence vivaient les comtes 
d’Orange, dont l'origine est restée entourée de fables et d’obscurités (2); 
ce qu'il importe de savoir, c'est que la principauté d'Orange passa, au 
moyen des femmes, en 1129, aux sires d’Omelas, issus des sires de 
Montpellier, en 1173, aux sires de Baulx, et en 1393, aux sires d’Arlai 
de la famille de Chalon; une partie de son. territoire demeura aussi de 
longues années entre les mains des hospitaliers de $'-Jean-de-Jérusalem (3). 

Les comies d’Orange s’attribuaient la vaine qualification de rois d’Arles, 
en vertu d’un privilége impérial du 13 janvier 1214, qui, il faut le dire, 
n'est pas à l’abri de tout soupcon. 

Quant aux évéques, soit du marquisat, soit du comté de Provence, 
leur position politique était presque en tout semblable à celle des arche- 
véques de Vienne et d’Embrun et des évéques de Grenoble, de Gap, 
de Valence et de Die. Ainsi, déjà en $50, et par un effet de la libéralité 
de Lothaire, fils de Louis-le-Débonnaire, les évéques de S'-Paul-Trois- 
Chateaux, ou de Tricastin, exercaient, à l’exclusion de tout officier civil, 
une Juridiction immediate sur la ville épiscopale, et pouvaient s’en con- 
sidéerer comme les véritables maîtres, domini (4). En 1154 et en 1214 


(1) Traité de 1229: toutefois le saint siége ne puten prendre possession qu’en 1274. Et en effet 
malgré le traité susdit, Raymond-Bérenger VII avait conserve la jouissance de ses états. Sa fille 
unique Jeanne, femme d’Alphonse, frère de St-Louis, élant morte, ainsi que son mari, sans pos- 
térité, Philippe-le-Hardi, roi de France, s’empara de toutes les terres des comles de Toulouse, 
et ce ne fut qu’ensuite qu'il abandonna le Venaissin à V’Eglise romaine. 

(2) Le fameux Guillaume-au-Couri-Nez, à qui les romanciers attribuent tant d’actions écla- 
tantes, entre pour beaucoup dans ces traditions fabuleuses. V. Chron. d’Aymar de Rivail, p. 92. 

(3) De 1190 à 1307. 

(4) Concedimus eidem episcopo dominium praedictae civitatis cum omnibus redditibus a Rhodano flu- 
mine usque ad egrum fluvium; praecipimus etiam ut nullus judex publicus vel quilibet etc... . Hist. de 
l’eglise cathédrale de St-Paul-Trois-Chàteaux ou de Tricastin, par le P. Louis Anselme Boyer. 
Avignon, 1710, 1 vol. in-4°, p. 38. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 215 


ils obtinrent de Frédéric I et de Frédéric II de nouveaux diplòmes con- 
firmatifs et amplificatifs du précédent (1), et en 1215 ce dernier empe- 
reur leur fit donation du fameux chateau de Quint, en Diois (2), ne 
songeant pas qu'il venait de le donner également aux évéques de Die; 
peut-étre voulait-il que les uns et les autres se concertassent pour en 
chasser les comtes de Valentinois, qui adhéraient fortement alors à la 
cause de Raymond VI, comte de Toulouse (3). 

Ce comte, ennemi juré de l’église, avait dévasté le Tricastin et obligé 
l’évéque Bertrand à une transaction onéreuse (4); mais elle fut cassée, 
en 1210, par le concile de Montélimart tenu contre les Albigeois, par 
Michel Moresio, archevéque d’Arles (5). En 1408 les évéques de S'-Paul, 
toujours harcelés, toujours opprimés, toujours en butte aux attaques 
des princes laiques, associèrent les Danphins de France à la puissance 
temporelle dont ils jouissaient. L’acte dressé à ce sujet nous apprend 
qu'outre la ville de S'-Paul, ces prélats possédaient les terres et chà- 
teaux de S'-Restitut, de la Beaume, de Solerieu, de la Carrière, de 
Bois-Batard etc. (6). On voit ailleurs qu'ils étaient suzerains des comtes 
d'Orange, à raison du chateau de Suse-la-Rousse (7). 

Je ne m'arréterai pas à parler des évéques d’Orange, qui n’eurent 
jamais qu’une très-faible autorité politique; on sait au reste que leur 
diocèse demeura uni à celui de S'-Paul-Trois-Chateaux de 827 à 1113: 
je dirai seulement quelques mots des évéques de Vaisen, de Sisteron, 
et de Digne. 

Une bulle de 1108, qui remonte conséquemment à une date passa- 
blement respectable, témoigne que de temps immeémorial, ex antiqguo 
jure, les éveques de Vaison avaient, en pleine souveraineté, la moitié 
de Vaison, et qu'ils tenaient la moitié restante de la munificence des 
comtes de Provence, Bertrand et Geoffroy (8). Ils ne se maintinrent point 


(1) Voir l’ouvrage cité à la page precedente, p. 60 et 77. 

(2) Ibidem, p. 79. 

(3) V. ci-devant. 

(4) Elle portait que le comte et l’évèque se feraient è l’avenir hommage réciproque de leurs 
terres. Mist. de l’égl. de St-Paul, p. 66. 

(5) Mème ouvrage, p. 72. 

(6) Mème ouvrage, preuves, p. 335. 

(7) Mème ouvrage, preuges, p. 103. Hommage de 1272. 

(8) Mist. de la cathédrale de Vaison par le P. L. A. Boyer. Avignon, 1731, 1 vol. in-49, p. 94. 


216 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


cependant paisibles possesseurs de cette cité: l'infatigable comte de 
Toulouse réussit deux fois à les en deépovuiller. 

Les faits qui eurent lieu en diverses occurences, résultent d’une vo- 
lumineuse et curieuse enquéte, dressée en 1211, où sont rapportées en 
detail les tribulations de ces malheureux pontifes (1). Enfin, en 1251, 
Alphonse de Poitiers, frère de S'-Louis, devenu maître du comté de 
Toulouse, fit avec l'évéque Faraudi un traité, par lequel on détermina 
que la portion de la ville appelée le Bref de l’éveque serait soumise è 
la juridiction épiscopale, tant en matière civile qu’en matière criminelle; 
et que la portion appelge le Bref du comte ressortirait de la juridiction 
comitale, à raison des infractions méritant la mort ou la mutilation 
d'un membre, et encore pour la punition des excès suivis d’une grande 
effusion de sang; la connaissance des délits ordinaires et de toute autre 
action quelconque, sauf les cas conservés au comte, continuant, y est-il 
dit, à étre du ressort de la puissance ecclésiastique. Il fut convenu de 
plus que, soit è cet égard, soit au sujet des chateaux du Rasteau, du 
Crétet et d’Entrechaux, les évéques de Vaison se reconnaîtraient feuda- 
taires du comte de Toulouse en sa qualité de marquis de Provence (2). 
Les évéques de Sisteron, quoique n’ayant pas à tenir téte à des ennemis 
aussì puissants, durent toutefois passer par bien des épreuves: on remarque 
notamment que, malgré un privilége de Charlemagne qui leur accordait 
en propriété le chàteau de Lure (3), et nonobstant un diplòme de Conrad, 
roi de Bourgogne, donné en confirmation de ce privilége (4), ils eurent 
à se defendre, à la fin du XI siècle, contre les vicomtes de Sisteron et 
les comtes de Forcalquier, qui réduisirent la mense épiscopale à un tel 
état de dénuement que, suivant l’expression naive d’un vénérable prélat, 
témoin de ces événements, il n'y resta pas méme une poule, ne una 
quidem gallina remansit (5). 

En ce qui concerne les évéques de Digne, je me bornerai à dire qu'à 
teneur de deux bulles des papes Alex. III et Lucius III, ils possédaient 
plusieurs droits régaliens et étaient maîtres de quatre ou cing chàteaux (6). 


(1) De rebus gestis Vasionens. episcop., in opusculis J. Columbi, p. 287 et seqq. 

(2) Hist. de la cathédr. de Vaison, preuves, p. 26. 

(3) Cette concession était citée dans le cartulaire de l’église de Sisteron, composé au XV siècle 
par ordre de l’évèque Laurent Burel. 

(4) En 967. V. De rebus gestis ep. Sistaricensium, in opusc. Columbi, p. 117. 

(5) De rebus gestis, p.123. Voyez encore l’Mist. de la ville de Sisteron par M. de Laplane, 2 vol. in-8°. 

(6) Gall. Christ. in instr., t III. 


PAR LÉON MÉNABREA 


N 
a 
—1 


CHAPITRE XIV. 
ÉTUDE SUPPLÉMENTAIRE. 


Chateau de Miolans. - Sa position. - Nombre des familles nobles de la Suvoie. - Vasselage. - 
St-Bernard de Menthon et Marguerite de Miolans. - Etymologie. - Le clergé civilisateur. - 
Nantelme de Miolans. - Il fonde une église et un couvent a Bellevaua. - Comment les 
ctablissements religieux deviennent des seigneuries. - Infractum banni. - Lex de forisfacto. - 
Duel judiciaire. - Jurisprudence des codes barbares. - Guy de Miolans. - Procés-verbal 
d'une audience solennelle du Comte Vert. - Lacune dans l’histoire des sires de Miolans. - 
Seconde croisade. - Assemblée de Vezelui. - Feudataires qui 1 interviennent. - Le pape 
Eugéne IV. - Il vient à Turin auprès du comte Amé II. - Ils se transportent à Suse. - 
L’empereur Conrad prend la croiw. - Le comte Ame III figure au premier rang des 
eroisés. - Liste des principaua seigneurs qui forment sa suite. - Geoffroy de Miolans. - 
Forces du comte Amé II. - Lances, hommes d’armes, archers, arbalétriers, fans de 
pied etc. - Départ. - Situation des croisés. - Ils se divisent. - Conference. - Siége de 
Damas. - Les croîsés se retirent. - Enormes dépenses. - Retour désastreux. - Saintes épines. 


Après le coup d’oeil rapide jeté sur les institutions féodales, auxquelles 
Jai tàché d’initier le lecteur, il est utile de mettre sous ses yeux l'histoire 
des sires de Miolans dans un cadre plus ample que je ne Î’ai fait fusqu'ici 
pour aucune des races illustres mentionnées dans cet ouvrage. Cette étude 
Me sera peut-étre pas sans interét; elle donnera une idée plus précise 
de la période du moyen age où l’historien se plait à multiplier ses re- 
cherches, et clora la première partie de ce travail. i 

Il existait jadis en Savoie un très-grand nombre de chaàteaux, dont 
la fondation remontait aux premiers temps de la féodalité: la plupart sont 
aujourd'hui presque entièrement detruits: à peine en découvre-t-on 
quelques traces; d'autres, quoiqu’inhabités, se montrent encore debout, 
cà et là, dans nos vallées, et leurs ruines majestueuses attirent l’attention 
du voyageur. Un des plus remarquables est incontestablement celui de 
Miolans. Avec ses robustes tours, son donjon sourcilleux, ses larges mu- 
railles , que l’àge et les orages ont brunies, penché qu'il est sur un rocher 
taillé à pic, de plusieurs centaines de pieds d’élévation, il semble n’avoir 
rien perdu de son antique fierté, et a l’air de commander en maître à 
tous les alentours. Manoir féodal d’abord, puis place de guerre, puis 
prison d’état, son histoire offre des particularités précieuses, car il vécut 
d’une vie active jusqu'au commencement de notre siècle, gépoque à la- 


quelle devenu caduc, on ne lui laissa pour hòte qu’un simple concierge, 
unique gardien de ses traditions. 


Serie II. Tom. XXIII. 28 


218 DES ORIGINES FEODALES ETC. 


En 1854 l’Administration domaniale , qui naturellement ne pouvait 
se préoccuper de l’intérét, tout monumental et historique, qui se rattache 
A ce vieil édifice, avait résolu de s’en défaire et de le mettre aux en- 
chères: comme les futurs acquéreurs n’auraient sans doute pas manqué 
de le deémolir, s'ils l’eussent pu, afin de tirer parti des magnifiques 
matériaux qui servirent autrefois à sa construction, en ma qualité de 
Secrétaire perpétuel de l’Académie de Savoie, Je crus devoir réclamer, en 
son nom, et gràce à mes instances les superbes ruines subsistent toupours. 

Ce fut à cette occasion que je m’occupai à rassembler les souvenirs qui 
me paraissaient de nature à former un recueil historique, et je me mis à 
rédiger la Notice que l’on va lire. Cette monographie, je dois le dire, est 
composée de matières on ne peut plus disparates. Je n’ai eu d’autre préten- 
tion que de réunir les faits qui se rapportent à une localité naguère célèbre, 
que l’indifférence publique semblait vouer à la destruction et à l’oubli. 

Je m'occuperai, en premier lieu, des anciens sires de Miolans, dont 


la race s’éteignit au commencement du XVI siècle: l’histoire de ces sei- . 


gneurs renferme des details, parfois curieux, qu'il sera bon de relever. 
Je ferai la description de leur chateau, où l’archéologie aurait beaucoup 
à recueillir, si elle s°y livrait à des investigations sérieuses, à présent 
surtout, que ces sortes de monuments tombent ou dépérissent de toutes 
parts. Miolans considéré comme forteresse, alors que la maison de Savoie, 
engagce dans la politique européenne , était en guerre avec différentes 
puissances, fournit, par intervalle, des traits qui méritent d’étre conservés: 
l’occupation espagnole y a laissé de nobles traces du patriotisme de nos 
ancétres. Envisagé comme prison d’état, Miolans possède de curieuses 
traditions : le P. Monod, jésuite, l’un de nos plus savants historiens, y 
mourut captif; l’inforiuné Lavini, qui, par l’originalité de son génie artis- 
tique, autant que par ses malheurs, et, il faut le dire, par son crime, 
avait acquis chez nous un nom populaire, VI fut enfermé pendant trente 
ans. C'est là, enfin, queut lieu un des épisodes les plus piquanis de la 
vie du trop célèbre marquis de Sade, qui, détenn dans cette haute bastille 
pour ses nombreux meéfaits (1), parvint à s'évader, à l’aide de moyens 
audacieux et adroits, avec l’assistance de sa femme , véritable héroine 


de l’amour conjugal. 


(1) Le marquis de Sade passait pour l’gerivain le plus immoral de son époque; condamné è 
diverses reprises pour ses honteux éerits, il mourut à Charenton. 


PAR LEON MENABREA 219 


C'est dans la vallée de l’Isère, à égale distance à peu près de 
Montmelian et de Conflans, sur l’aréte d'une espèce de contre-fort, qui se 
détache légèrement de la chaîne des montagnes, servant d’appui au plateau 
des Bauges, que s’élève le chiteau de Miolans. De là le regard embrasse 
la partie la plus ouverte, la plus fertile, la plus plantureuse de ce district 
du moyen dge, appelé pagus Savogiensis, déependant du grand comte de 
Grenoble. Le spectateur voit se derouler è ses pieds, d’abord une forét 
d’arbres variés, puis des vignobles, puis des champs, puis le fleuve, 
dont les eaux, ordinairement grises, qui naguère se répandaient à droite 
et à gauche, échevelées et capricieuses, sont aufourd’hui contenues par 
une digue puissante, le long de laquelle est établi le chemin de fer d’Italie. 

Sur cette riante zone, la petite ville de S'-Pierre-d’Albigny et plu- 
sieurs villages étalent leurs toits d’ardoises et font. briller leurs clochers 
aux flèches aigués. En face, une fuite de collines, diversement accidentées 
et ornées d’une vegetation vigoureuse, montrent de loin en loin les ruines 
d'un certain nombre de demeures féodales qui jouirent, en leur temps, 
d'une haute célébrité. Les chateaux d’Ayton, de Chamoux, de l’Heuille, 
de Chateauneuf, les fameuses tours de Montmayeur etc., enfin les Alpes 
aux croupes neigeuses, qui séparent la Maurienne du Dauphiné , forment 
le dernier plan de ce tableau. 

Personne n'ignore comment an X siècle, sous la faible domination 
des rois du second royaume de Bourgogne, le régime féodal s’etablit 
dans notre pays. On vit surgir alors, parmi nous, la brillante cohorte de 
ces familles plus ou moins puissantes qui, malgré les taches que leur 
histoire peut offrir, suite inévitable des vices de l’époque, furent géné- 
ralement des modèles de loyauté, de bravoure, de fidélité, de foi, po- 
serent les fondements de notre mationalité et contribuèrent à arracher 
nos contrées à la profonde barbarie des siècles précédents. 

Dans la Savoie proprement dite, en y comprenant le val de Beaufort, 
le plateau des Bauges et le petit Bugey, on en comptait près de soixante, 
parmi lesquelles se faisaient remarquer surtout celles de Seyssel, d'Amaisin, 
de la Balme, de Belmont, de Chevelu, de Chautagne, de Gerbaix, de 
Montdragon, d’Orlier, de Chambéry, de Montgellaz, d’Apremont, de la 
Ravoire, de Chignin, de Piedgauthier, de Tournon, de Chevron, de 
Conflans, de Beaufort, de la Charnée, de l’Escheraine, de Montmayeur, 
de Miolans etc. En Maurienne et en Tarantaise, près de vingt, et en 
première ligne celles de la Chambre et de Briancon. Dans l’ancien 


220 DES ORIGINES  FÉODALES ‘ETC. 


Genevois, près de soixante et dix, où figuraient, entre autres, celles de 
Compey, de Ternier, de Viry, de Menthon, de Sales, de Duing, de 
Pontverre, de Ballaison, de Foras, d’Hauteville, de Clermont. Dans 
l’ancien Chablais, qui comprenait une partie du Valais actuel, près de 
quarante et notamment celles d’Allinges, de Saillon, d'Aigle, de Blonay. 
En Faucigny, le méme nombre environ, où l’on distinguait celles de 
Lucinge, de Thoire, de Chissé, de Boége, de la Tour de Viuz, de 
Montvagnard, de Rovorée etc. Je ne parle pas des familles qui peuplaient - 
également le pays de Vaud, la Bresse, le Bugey, le Graisivaudan, le 
Viennois, et qui, elles aussi, ainsi qu'on l’a vu precéedemment, occupent 
une si large place dans nos annales. 

Toutes, à raison des lieux où leurs fiefs étaient silués, se reconnais- 
saient vassales soit des comtes de Savoie, soit des Dauphins de Vienne, 
soit des comtes de Genève, soit des sires de Faucigny, soit des arche- 
véques de Tarantaise, soit des evéques de Maurienne, de Grenoble, de 
Lausanne, de Sion qui, pour la plupart, tenaient directement leur auto- 
rité des empereurs d’Allemagne, successeurs des rois de Bourgogne; 
toutes, ou presque toutes, se trouvaient investies de ce qu'on appelait 
alors le mére et mixte empire et l’omnimode juridiction, qui, à l’excep- 
ton des droits régaliens, réservés d’ordinaire au souverain, leur conférait 
la possession de ce qui constituait genéralement, à cette époque, le pou- 
voir public. Parmi les attributions de ce pouvoir, celle d’administrer la 
justice civile et la justice criminelle par le ministère des juges, chàtelains, 
meétraux et autres officiers nommeés à cet effet, était naturellement la plus 
importante; l’application des diverses peines corporelles usitées en ce 
temps-là en dérivait, comme aussi l’usage d’entretenir des fourches, ou 
potences permanentes, sur les confins de chaque circonscription féodale. 

Ce serait aborder une question tout à fait insoluble que de vouloir 
fixer. la date de la fondation du chàteau dont J'essaie de tracer ici l’histoire : 
ce qu'il y a de très-certain, c'est qu'il a toujours passé pour un des plus 
anciens de nos contrées. Dominant et barrant la grande route d’Italie , 
qui autrefois cheminait à travers l’étroit vallon qui sépare la montagne 
du rocher, sur lequel il est construit, sa position, quasi inexpugnable, a 
dù étre remarquée et recherchée dès les fges les plus reculés (1). Il 

(1) A l’époque où écrivait Frangois-Augustin Della Chiesa, cette route n’avait pas encore change 
de place. Voyez Corona reale di Savoia, 1655, t. I, p. 10. C'est presque toujours pour la position 


des chàteaux qu’il importe d’étudier la direction des grands chemins au moyen dge (Nous faisons 
observer ici, une fois pour toutes, que certaines répélitions sont indispensables). 


PAR LÉON MENABREA 221 


n'est donc pas étonnant que les traditions locales prétendent quil fit 
edifié jadis par les Sarrasins, et l’on pardonne è l’historien Chorier sa 
naîveté quand il assure que Miolans existait déjà lorsque, l’an du monde 3380, 
Bellovèse conduisit les Gaulois an delà des Alpes, en ajoutant que ce fut 
en l’honneur de cette forteresse, appelée Mediolanum, quil fonda chez 
les Insubres la ville de Milan, qui en réalité porte un nom parfaitement 
identique (1). 

Je viens de citer nos traditions sarrasines et personne n’ignore com- 
bien elles sont encore nombreuses et vivaces dans notre pays; mais 
nulle part on ne les rencontre aussi tenaces, aussi fréquentes qu’au 
sein de ce vieux canton qui, comme je l’ai dit précédemment, formait 
au moyen dge la Savogia ou le pagus Savogiensis. Là les Sarrasins durent 
se concentrer, se naturaliser en quelque sorte plus qu’ailleurs, à l’époque 
surtout de leur seconde invasion ou occupation, qui dura toute la pre- 
mière moitié au moins du X siècle; car, tandis que ces hordes infidéles, 
après avoir dévasté le Piemont, pillé, incendié les villes, les villages, 
les monastères et détruit notamment la riche et célèbre abbaye de la 
Novalaise, passaient tumultueusement les monts et débouchaient par les 
vallées de Tarantaise et de Maurienne; d’autres hordes, venues du fond de 
la Provence et sorties de leur fameux repaire de Fraxinet, dépeuplaient 
Gap, Embrun, Grenoble, et arrivaient en Savoie par le Graisivaudan. 

Divers indices font présumer, établissent méme, que le coteau qui 
se déroule au-dessous de Miolans, fut un des lieux où ils prirent pied et 
tichèrent de fonder une colonie: la protection de la forteresse ne leur 
aurait pas été alors sans utilité. De là ils se seraient avancés jusque dans 
les Bauges, où de fait ils ont laissé de curieux souvenirs (2). 

C'est précisément aux derniers temps de l’occupation sarrasine , lorsque 
les sectatenrs de Mahomet, déjà chassés de Grenoble par l’évéque Isarn, 
étaient attaqués, traqués de toutes parts, que remontent les premières 
notions que nous ayons sur les sires de Miolans. Peut-étre ces sei- 
gneurs, à l’exemple des vaillants hommes qui venaient delivrer la cité de 
l’empereur Gratien et son territoire de ce qu’on appelait les paiens, 


(1) « Miolan, que les anciens Gaulois appelaient Mediolan, est un fort dans les Alpes, remar- 
» quable par sa situation.... Bellovèse emprunta son nom pour le donner è la ville qu'il bastit 
» dans la terre des Insubres et il l’appela Milan ». Mist. du Dauphiné, t. I, p. 125. 

(2) Voyez ce que j’en ai dit dans mon travail intitulé Les Alpes historiques, t. X de la 2° série 


des Mem. de l Acad. royale de Savoie. Voyez aussi au commencement de cet ouvrage livre 1er, 


222 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


contribuèrent-ils à expulser de nos vallées l’ennemi commun (1). On sait, 
du reste, que ce fut S'-Bernard de Menthon qui, par ses prédications, 
son zéle, son ardeur infatigable pour le soulagement de l’humanité, acheva 
d’extirper des hauteurs du Mont-Joux et de la Colonne-Joux, qui portent 
aujourd’hui son nom, les bandes arabes qui s'y étaient réfugiées, et y 
vivaient aux depens des voyageurs qu’elles depouillaient (2). 

Or c’est aux chroniqueurs, aux historiens, qui ont narré les hauts 
faits de ce veritable héros des Alpes, que nous devons les renseignements 
qui nous font connaitre la famille de Miolans dans la plus ancienne phase 
de son existence (3). 

S'-Bernard, qui mourut archidiacre d'Aoste, après avoir étonné le 
siècle par ses travaux et ses miracles, appartenait à cette race illustre, 
dont j'ai fait mention plus haut et dont les vastes domaines s’étendaient 
principalement sur les bords du lac d’Annecy, où l'on voit son manoir, 
nouvellement restauré, dominer encore tous les environs. Il était né vers 
g. Les 


Si 
dynastes de Duing, non moins puissants que ceux de Menthon, résidaient 


l'année 923 de Richard de Menthon et de Bernoline de Duin 


à peu de distance de ceux-ci et avaient construit leur pittoresque donjon 
sur la rive opposée du méme lac. Richard destinait son fils à étre l’he- 
ritier de ses grands biens; il l’envoya, disent les chroniques, en pays 
étranger, en France, pour qu'il pùt s’instruire et se rendre digne de la 
haute position qui l’attendait; ce n’était pas sans doute alors une petite 
affaire que de voyager, que de parcourir l'Europe presque barbare; des 
périls incessants poursuivaient quiconque se voyait obligé de se rendre 
dans les contrées lontaines. Bernard revint; mais il revint dégodté du 


(1) Sur la délivrance de Grenoble, voyez l’ouvrage de M. Reinaud, membre de l’Institut, inti- 
tulé Invasions des Sarrasins en France et de France en Savoie, en Piémont et en Suisse, 1836. 
Voyez encore la Revue du Dauphiné, t. I, 1837. 

(2) Le savant M. Beugnot dans son Mist. de la destruction du paganisme en Occident, t. II, p. 344, 
a démontré, d’une manière assez peremptoire, qu'il n°y avait plus dans les Alpes aucun vestige de 
polytheisme à l’époque où vécut Bernard de Menthon. En étudiant les annales de ce lemps-là, 
on est forcé d’admettre que ce fut contre les restes des Sarrasins qui, oubliant leur propre reli- 
gion, étaient devenus de misérables brigands, que ce grand Saint dirigea sa pieuse croisade. 

(3) La source d'où derivent les récits de la plupart des chroniqueurs et historiens dont je parle, 
est la légende écrite par Richard de Val-d’Isère, successeur de St-Bernard à l’archidiaconat d’Aoste, 
laquelle a été imprimée par les Bollandistes, 15 juin, sous le titre de Zita sarctì Bernardi, d’apres 
un manuscrit trouvé par P. T. Chiflet dans les archives de la cathedrale de Maurienne; cette 
légende, evidemment interpolée, est remplie de beaucoup de fables. 


PAR LÉON MÉNABREA 223 


monde, avec la résolution de se consacrer à Dieu et d’employer sa vie 
à des ceuvres de charité. C'est ici que les légendaires mettent en scène 
la gracieuse figure de Marguerite de Miolans, que l’on destinait à étre 
sa femme; la colère d’un père décu, la sainte persistance du jeune 
homme et sa fuite miraculeuse qui le conduisit à Aoste, où il réalisa son 
pieux projet (1). 

Ce fait, quoique authentique, et bien qu'’attesté par. des écrivains 
contemporains, est cependant isolé, et l'on demeure incertain sur ce que 
furent véritablement les seigneurs de Miolans jusqu’'à l’époque où le 
régime féodal, complétement en vigueur au milieu de nous, devient assez 
riche pour fournir à l’historien scrutateur de toutes choses anciennes, 
des documents propres à lui apprendre ce qu'il désire savoir. 

Avant de parler plus amplement de ces nobles. feudataires, je rap- 
pellerai que le nom du chateau qu'ils habitaient, de méme que ceux de 
la plupart des localités un peu notables de nos vallées, ayant excité 
pendant long-temps l’émulation des chercheurs d’etymologies, la question 
s'embrouilla aù lieu de s’éclaircir, et resta sans solution; la manie sur- 
tout de recourir anx origines celtiques gàta entièrement la discussion (2). 
Je ne prétends point donner un avis là-dessus; le métier d’étymologiste 
est trop diflicile et présente trop de cliances d’erreurs: je dirai seule- 
ment que le nom de Miolans n'est point unique, qu'on le retrouve dans 
plusieurs provinces, et  notamment en Dauphiné, et que le latin du 
moyen dge le traduit partout par le mot Mediolanum. Or ne pourrait- 
il pas bien se faire que ce mot ne fùt que la réunion de deux mots, 
l’un Medium, dont tout le monde connaît la signification, et l’autre 
lanum ; lanceum, et en langue romane Zars, lens, qui exprime l’idée d’un 
lieu habité, comme nous en avons des exemples dans Lans-le-Bourg, 
Lans-le-Villard etc. , de telle sorte que Mediolanum, Milan, ou Miolans, 
signifierait en réalité une ville, un village , une résidence située au 
milieu d'une contrée quelconque, cu à égale distance des extrémités 
d’une vallée? tel serait en definitive le chiteau qui fait l’objet de notre 
attention. 


(1) Voyez l’intéressante notice sur St-Bernard de Menthon, publige par le chanoine Dépommier 
dans le tome III de la ire série des Mem. de lAcad. royale de Savoie. 

(2) M. Albanis Beaumont a adoplé l’étymologie celtique Mi-alb-ars (Mercure-Auguste) dans sa 
Description des Alpes. 


22/4 DFS ORIGINES FÉODALES ETC. 


Depuis l’intéressante légende de S'-Bernard de Menthon, un siècle 
s'écoule sans qu'il nous soit possible d’avoir aucun renseignement bien 
certain sur les seigneurs de Miolans; une profonde obscurité les enve- 
loppe ; cette période coincide en effet avec celle où la faiblesse et l’in- 
capacité du dernier roi de Bourgogne, Rodolphe-le-Faincant, avait attiré 
sur notre triste pays le fléau des guerres intestines ; où la famine, la 
peste, les brigandages des Sarrasins, les effrayantes incursions des Hongrois 
l’avaient dépeuplé (1); où l'on croyait deécidement que le monde allait 
finir; où la plupart des actes rédigées par les notaires, et spécialement 
les donations faites aux églises commencaient par ces mots terribles: 
Mundi terminum appropinquare rwinis crebrescentibus certa manifestant 
indicia; où eufin la barbarie était si grande qu’àè peine trouve-t-on cà 
et là quelques documents pour reconstituer un peu l’histoire de ces temps 
vraiment calamiteux (2). 

C'est à une charte sans doute, mais qui paraît étre de l’année 1090, 
que nous devons de pouvoir renouer d'une manière sùre le fil de la 
genealogie des seigneurs dont il est question: cette charte est curieuse; 
elle a été publiée par Guichenon; elle constate la fondation du monastère 
de Bellevaux en Bauges par un membre de la famille de Miolans (3). 

Je remarquerai ici que rien ne contribua plus peut-étre à repous- 
ser les tenèbres du X siècle, à faire renaître l’industrie , l’agriculture , 
les arts, à ranimer en un mot la civilisation éteinte que l’établissement, 
si frequent alors, de toutes les maisons religieuses qui, installées dans 
des lieux ordinairement déserts, au sommet des montagnes, au fond des 
vallées, là où l’homme depuis longtemps n’avait pénétré, surent bientòt 
s'entourer d’une population active et laborieuse, purent entreprendre des 
deéfrichements, ouvrir des routes, se livrer à des cultures variées, exploiter 
souvent des mines, et qui parvinrent ainsi à changer l’aspect des cantons 
qu'elles possédaient, en y ramenant la prospérité, l’abondance, le mouve- 
ment. Le clergé reégulier, les moines, ne furent pas senls les artisans 


(1) Voyez ce que j’ai dit sur les Mongrois dans le travail ci-dessus cité, Les Alpes historiques, 
ainsi que dans une autre notice intitulée De la marche des études historiques ete., faisant partie 
du t. X de la 1 série des Mem. de l Acad. de Savoie. 

(2) On trouvera dans le mème ouvrage quelques détails sur les formules dont je viens de parler. 
Le cartulaire de l’eglise de Lausanne, que j’aurai bientòt l’occasion de citer, en contient un 
grand nombre. 

(3) Guichenon, Mist. de Savoie, pr., p. 25. 


PAR LÉON MENABRÉA 225 


de cette heùreuse transformation; le clergé séculier y concourut effica- 
cement en plusieurs circonstances, témoin l’évéque Isarn, dont j'ai parlé 
il y a un instant, qui, après l’expulsion des Sarrasins, si l’on en croit 
S'-Hugues, un de ses successeurs, et les documents contemporains, réussit 
à repeupler son diocèse en y faisant venir des contrées éloignées de 
nouveaux habitants, en leur donnant des hameaux à occuper, des terres 
à ensemencer (1). 

C’était dans ce temps-là un grand mérite, une immense gloire, non- 
seulement sous le rapport de la pensée religieuse, mais au point de vue 
des idées purement civilisatrices, que de fonder un monastère: la charte 
que j'ai citée plus haut se référant à ces faits solennels, explique lim- 
portance qu'on y attachait. Arrétons-nous un moment sur cet acte. 

Nantelme de Miolans, à qui l’on donne dans ce précieux document 
la qualification d’homme très-illustre, vir i2/ustrissimus, épithète rare- 
ment employée alors, et indiquant évidemment une naissance, des richesses, 
un rang completement hors ligne, avait, y est-il dit, quelques années 
auparavant, pour la rémission de ses péchéstet pour le repos des mes 
de son père Guilfred et de sa mère (le nom de celle-ci n'est pas exprimé), 
construit une église et un couvent è Bellevaux en Bauges, en l’honneur 
de la mère de Dieu, sur une terre allodiale, à lui appartenant en vertu 
d’une concession d’Humbert, comte de Savoie; là il avait appelé des 
moines de l’ordre de S'-Benoît; la touchante formule qui évoquait la 
memoire des défants dans les actes de ce genre, était généralement adoptée 
à cette époque. 

Cet établissement achevé , et s’agissant d’en faire la dédicace , un 
nombre considérable de personnages éminents s’y rendirent, entre autres 
le comte susdit, l’archevéque de Tarantaise, les évéques de Genève, de 
Maurienne , d’Aoste , ainsi quune foule de gens du peuple accourus de 
toutes parts, afin d’assister à la pieuse cérémonie. L’acte qui fut dressé 
en commeémoration de cet événement, et qui est précisement la charte 


ci-dessus citée, énonce par le menu les biens dont le donateur avait 


(1) Une charte du cartulaire de St-Hugues, rapportée par Chorier, L’Estat politigue du Dauphine, 
t. II, p. 69, se sert à ce sujet des expressions suivantes: /otum sit° omnibus fidelibus filiis 
Gratianopolitane ecclesie quod post destructionem paganorum Isarnus episcopus edificavit ecclesiam 
Gratianopolitanam. Et ideo quia paucos invenit habitatores in predicto episcopatu collegît nobiles me- 
diocres et nobiles ex longinquis terris de quibus consolata esset Gratianopolitana terra. Deditque pre- 
dictus episcopus illis hominibus castra ad habitandum et terras ad laborandum ete. 


Serie II. Tom. XXIII. 29 


226 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


transferé la possession au nouveau prieuré; on y voit que ces biens for- 
maient un ensemble important, quoiqu’ils fussent situés en différents 
lieux. De son còté le comte Humbert , voulant accorder au monastère 
naissant une preuve de sa libéralité, lui fit l’abandon de plusieurs droits 
fort remarquables qui devinrent la source de la juridiction temporelle 
qu'il exerca des lors. 

Deux mots à ce sujet, qui tendront toujours plus à expliquer, chose 
que j'ai dejà essayé de faire ailleurs, comment il arriva qu'au moyen dge 
la plupart des couvents, surtout les grandes abbayes, devinrent de vé- 
ritables seigneuries, investies de fiefs juridictionnels et jouissant de la 
basse, de la moyenne et souvent de la haute justice (1). 

Quoique, suivant la judicieuse remarque d’un écrivain célèbre , 
M. Guizot, un des caractères distinctifs du régime féodal ait. été de 
fusionner et de confondre le droit de souveraineté avec le droit de pro- 
prieté, de telle sorte que le propriétaire du sol, par cela meme qu'il 
avait la qualité de propriétaire , pouvait exercer dans ses domaines et 
sur les individus qui y habitaient, ou qui les cultivaient, à titre de con- 
sitaires, d’albergataires, d’emphytéotes, de mansionaires, de colons, 
de tributaires, de vassaux, de main-mortables, de serfs, tous les droits 
qui constituent, comme je l’ai énoncé précédemment, les pouvoirs publics, 
ce principe vrai, dans son acception la plus générale , la plus large, se 
irouvait en réalité et en pratique soumis à une infinité d’exceptions, qui 
rendent raison de l’étonnante variété de fiefs qui faisait  autrefois le 
desespoir des hommes de loi. 

Pour user des droits dont je parle, la concession de celui qu’on ap- 
pelait alors le dominus, le seigneur, était nécessaire. Sous le nom d’in- 
feodation, cette concession déterminait la mesure de ces mémes droits; 
renouvelée à des époques et en des circonstances prévues par les usages 
locaux, ou par la jurisprudence, sous la qualification de reconnaissance 
féodale, de prestation d’hommage, elle était le lien qui servait è main- 
tenir le systeme alors en vigueur, et elle en formait le plus essentiel 
fondement. 

Or dans la charte de 10go le comte Humbert (Humbert II) ac- 
corde an prieuré de S'-Marie-de-Bellevaux le droit important qui y est 


1) Voyez les nolices que j’ai rédigges sur l’abbaye d’Aulps et sur la chartreuse de Vallon dans 
le t. XI de la ire série, et dans le t. I de la 2me série des Mon. de l’Acad. de Savoie. 


PAR LEON MENABREA 227 


designé par les mots danni infractum et legem de omni forisfucto quod 
. facient ejus homines, mots qui peuvent étre traduits par ceux-ci: « l’in- 
» fraction du ban et la loi de toute forfaiture que viendront à com- 
» mettre les hommes dudit prieuré. » En consultant les glossaires de la 
latinité du moyen dge, ainsi que les auteurs qui ont écrit sur les coutumes de 
cette époque, on voit que l’infractum danni et la lex de forisfucto avaient 
à peu près une signification identique, et indiquaient la peine, ordinai- 
rement pécuniere, appliquable à la répression des délits, des crimes, 
des forfaitures; car on sait qu’en conformité des principes adoptés par les 
codes des peuples barbares qui envahirent l’empire romain , la plupart 
des peines corporelles étaient rachetables à prix d’argent; seulement la 
lex de forisfacto semblait devoir s’étendre aux cas les plus graves, tandis 
que le danni infractum ne concernait que les faits de moindre valeur (1). 
Il est facile d’entrevoir, déjà dès à présent, les conséquences de ces 
simples mots « l’infraction du ban et la loi des forfaitures » jetés comme 
au hasard dans le document de rogo: il s’ensuit évidemment que par 
l’effet de la concession du comte Humbert, venant à l’appui de celle 
de Nantelme de Miolans, le monastère de Bellevaux se trouva investi du 
droit de justice sur tous les hommes demeurant sur ses terres, droit quil 
ne pouvait naturellement exercer que par l’intermediaire des juges et des 
officiers qu'il devait nommer pour cet objet. 
Mais il y a autre chose; et si nous continuons l’examen de la charte dont 
il s’agit, nous y découvrirons des particularités d’autant plus curieuses 
qu’elles ne paraissaient pas avoir été remarquées jusqu’ici, et qu'elles 
auront l’avantage d’éclaircir un point intéressant de l’histoire de notre 
pays: elles nous ramèneront d’ailleurs naturellement aux recherches que 
nous avons entreprises sur les sires de Miolans. 
Dans sa concession le comte Humbert ne se borne pas à énoncer, ainsi 
que je l’ai dit, l’infracium banni, et la lex de forisfacto; il cite, comme 
premier exemple de ce qu'il entend céder, le cas d’un individu qui a été 


(1) Le cartulaire de l’église de Lausanne, qui a été publié dans le t. VI des Mem. et documents 
de la Société d’histoire de la Suisse romande, fourmille d’exemples du mot lex pris dans l’acception 
de peine ou d’amende; ce recueil est à consulter. Quant à la locution barni infractum, on lui 
substitua plus tard la simple expression barnum, qui se rencontre à chaque instant dans les 
comptes de nos anciens chàtelains; on distinguait alors deux sorles de bans- les barra cordemnata 
et les banna concordata; les premiers dérivaient d’une sentence, et les seconds d’un acte de com- 
position, de transaction, on de concordance. 


228 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 

frappé, et il dit qu'alors le monastère rendra droit et fera justice, rectum 
faciet, et que le coupable remettra entre les mains du prieur le montant i 
de l’amende qu'il aura encourue, et priori legem dabit ; puis, comme 
second exemple, il pose l’hypothèse du duel judiciaire, ce qui est pré- 
cisément le fait sur lequel je me propose d’arréter un instant le lecteur. 

« Quand un des hommes du couvent de S'-Marie aura accepté le 
» duel et se sera rétracté, les moines percevront la loi; ils auront aussi 
» l’amende que devra payer le vaincu: » Si homo S. Marie FIRMAVERIT 
DUELLUM et cesserit, monachi habebunt legem: item emendationem 
victi sui hominis (1). Telles sont les paroles employées par le rédacteur 
de la charte pour interpréter la pensée de l'illustre fondateur. On voit 
donc qu'au XI siècle, dans certains cantons de la Savoie, le duel judi- 
ciaire formait encore le fond de la procédure tant civile que criminelle, 
ou tout au moins y occupait une large place. Ce triste préjugé dut se 
maintenir chez nous peut-éire plus longtemps et plus généralement qu’ail- 
leurs, et ce que je vais ajouter, en expliquera le motif. 

Personne n’ignore que l’usage de terminer les procès par le duel 
existait chez les peuples du Nord bien long-temps avant qu’ils eussent 
fait irruption dans la Gaule, et qu'ils conservèrent encore ce méme usage 
après la conquéte. Ce mode étrange de mettre fin aux contestations était 
chez eux tellement enraciné que, lorsque les Burgondes, après avoir occupé 
nos contrées au V siècle, songèrent à formuler leur législation, ils y 
insérèrent des dispositions formelles à cet égard. Ce sont celles que ren- 
ferme le titre 45 de la loi publiée en 502 par le roi Gundebald, et que 
l'on appelle Zex Gundobalda, vulgairemeni loi Gombette. 

Quoique le roi Gundebald ou Gondebaud fit dévoué à l'arianisme , 
ainsi que la plupart de ses sujets, les dispositions dont il s'agit, déplo- 
vables à la vérité par le résultat, étaient pourtant louwables par le but. 


1) La legon de Guichenon est: Si homo Ste Marie firmaverit duellum et CECIDERIT. J'ai cru 
devoir adopter CESSERIT, en premier lieu parce que sì l’on laissait cecderit, ce membre de 
phrase ferait un double emploi choquant avec le membre qui vient ensuite: item emendationem victi sui 
hominem; en second lieu parce que, suivant la plupart des coutumes, parmi lesquelles je n’invoquerai 
iei que Je Commenrtaire du Plaid général de Lausanne, qui appartient à notre législation plus que 
tout autre document, puisque le pays de Vaud faisait autrefois partie du comté puis duché de 
Savoie, le cas de désertion du duel donnait ouverture à l’application d’une peine (ce Commentaire 
est cité ci-apres, în zotis); en troisième lieu parce que ce mème mot cesserit est précisément 
employé en ce sens dans le texte du titre 45 de la loi Gombette, ainsi qu'on le verra dans un 
instant. 


PAR LÉON MÉNABREA 229 


Comme la jurisprudence des codes barbares exigeait qu'en un grand 
nombre de cas, et spécialement en matière criminelle, l’inculpé se purgedt 
par serment, lui douzième, y compris sa femme, ses enfants, ses pro- 
ches, de l’accusation ou de la suspicion dirigée contre lui, il s’ensuivait 
qu’'une foule de parjures se commettaient chaque jour au grand deétriment 
du bien public. Or c'est pour remédier à cet abus que, tombant dans 
la plus triste erreur, le législateur burgonde crut nécessaire d’édicter 
l’article qui fait l’objet du titre ci-dessus cité. « Nous déerétons, dit-il, 
» que sì celui qui est assigné nie, sous l’obligation du serment, de de- 
» voir ce qu'on lui réclame ou d’étre l’auteur de ce qu'on lui impute, 
» le procès soit terminé par ce moyen; mais que si la partie à qui le 
» serment a été offert, ne veut l’accepter et déclare que son adversaire 
» peut étre convaincu par la voie des armes, et que ce dernier ne cède 
» pas, on ne leur refuse point la faculté de combattre, pugnandi licentia 
» non negetur. » Suivent différentes prescriptions sur les formalités du 
combat, sur les peines et indemnités dues par le vaincu (1). 

Les formalités du combat variaient selon les lieux, et subirent, à 
raison des temps, de nombreuses modifications. Une des premières con- 
ditions était que le duel fùt expressement ordonné par le juge, et que 
les parties donnassent des gages, vadia, pour les dommages-intéréts; c'est 
ce qu'on appelait, et nous en avons un exemple dans notre charte de 1090, 
firmare duellum (2). Pour ce qui est des peines et des indemnités, leur 
nature et leurs degrés n’étaient pas non plus partout les mémes. Je ne 
puis entrer ici dans aucune explication lì-dessus, et je me bornerai è 
dire que, d’après le texte que j'ai cité précédemmeni, l’acte de fondation 
du prieuré de Bellevaux en offre deux cas, celui d’un duel décisif où l’un 
des combattants succombe, et celui d’un duel accepté, firmatum, ei non 
suivi d’effet par le refus d’une des parties. Au reste, le prieuré dont je 
parle ne devait pas étre la seule de nos maisons religieuses qui eùt le 
droit de s’attribuer la connaissance des causes susceptibles d’étre termi- 
nées par ce genre de preuve. Si les documents ne nous faisaient souvent 
défaut, nous nous convaincrions peut-étre, que dans la période du régime 


(1) Le texte des lois burgondes se trouve dans plusieurs recueils et notamment dans celui de 
dom Bouquet, Rerum gallicarum scriptores, t. IV. 

(2) Les savants amplificateurs du glossaire de Ducange ont cité cette charte pour expliquer les 
mots dont il s’agit. 


230 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


féodal, où l’usage du duel judiciare fut le plus répandu, ce droit appartenait 
à tous les monastères, à toutes les seigneuries, à tous les possesseurs de 
fiefs investis de ce qu’on designait alors par les mots de haute justice. 
Le cartulaire de l’église de Lausanne nous fournirait à ce sujet plus d’un 
fait analogue à celui que nous a revéelé la précieuse charte de Nantelme 
de Miolans. On y verrait que les vidomnes du chapitre de cette église 
percevaient dans certaines localités la moitié des proventions du duel, 
in proventibus duellorum medietatem. On y trouverait mentionne surtout 
un cas fort curieux relatif à une accusation de vol, portée en 1218 par 
un Pierre d’Essertines contre un nommé Fulchard, et où il s’agissait, 
avant tout, de vérifier la coutume, de consulter des témoins, de compulser 
de vieux titres. Il fut reconnu que les duels avaient toujours eu lieu 
devant le prévòt dudit chapitre, et. que ce dignitaire devait retirer aussi 
une moitié des amendes qui en provenaient, mediam partem legum (1). 

Aujourd’hui que ce n'est, pour ainsi dire, qu’en passant et en forme 
de pur episode, que je m’occupe de cette question, je me bornerai à 
citer encore un titre inédit du 26 décembre 1233 que j'ai tiré des ar- 
chives de l’église de Maurienne, au bas duquel se lisent plusieurs noms 
illustres et particulièrement celui d'un Guy de Miolans. On y voit que 
des propositions ayant été faites pour mettre un terme à des contro- 
verses qui existaient entre les ofliciers du comte de Savoie et le chapitre de 
ladite église, il fut prouvé que ce chapitre avait bien le droit de jouir 
de la puridiction qu'on lui contestait, mais qu'il fallait néanmoins en 
excepter les procès en répression d’homicide et de félonie, de méme que 
les causes de duel, praeter homicidia et proditiones et duellos , lesquelles, 
dans le cas qui se présentait, furent regardées comme réservées au prince. 

Bien que la loi de Gondebaud eit été dénoncée comme immorale , 
irréligieuse, homicide, à Louis-le-Deébonnaire, par Agobard, archevéque 
de Lyon, dans une lettre qu'il écrivit à ce monarque en 840, et où il 
en réclamait avec instance la complète abolition (2); bien que plusieurs 
edits des rois Carlovingiens eussent recommandé aux populations d’origine 
franque de se garder d’adopter, sur le point en question, la coutume des 
Burgondes, car les législations étaient encore alors toutes personnelles , 


(1) Cartulaire de l’église de Lausanne dans les Mem. et doc. de lu Société d’histoire de la Suisse 
romande, t. VI, p. 125 et 398. 
(2) Cette lettre se trouve dans le t. VI du recueil de dom Bouquet. 


PAR LÉON MÉNABREA 231 


chacun devant suivre sans aucune affectation de territoire les lois de la 
nation à laquelle il appartenait, le code dont il s'agit se maintint assez 
long-temps parmi nous, qui étions, pour la plupart, de race bourguignonne. 
Jen trouve des traces jusque vers le milieu du XI siècle, et notamment 
dans un document de 1055, où l’une des parties contractantes deéclare , 
selon le style du temps, faire profession de vivre sous la loi de Gon- 
debaud (1). 

Soutenues par la pratique immeémoriale et constante des anciens peu- 
ples du Nord, les prescriptions de cette loi passèrent dans celles des 
Allemands et des Bavarois (2). Si elles ne furent jamais adoptées textuel- 
lement ni par le code salique ni par le code ripuaire, l’usage ne s'en 
maintint pas moins en France et en Italie, aussi bien qu’en Bourgogne, 
avec une grande ténacité, malgré les défenses des conciles, des papes, 
des empereurs, des rois; témoins les nombreux recueils de coutumes qui 
tracent les règles à suivre dans cette matière. Et à ce propos, en ce 
qui nous concerne, je pourrais encore citer le fameux plaid-général de 
Lausanne rédigé en 1368, et son commentaire anonyme qui est de 1406, 
où l’on trouve là-dessus une infinité de choses curieuses. 

Ce que je viens d’exposer est plus que suffisant sans douie, pour 
expliquer la portée des donations et concessions faites en rogo au 
prieuré de Bellevaux en Bauges par le sire de Miolans et le comte 
Humbert. Je prie méme le lecteur de me pardonner si, au début de 
ma Notice, je l’ai entretenu trop longuement sur ce sujet; mais puis- 
que je suis en train de faire connaître le peu que j'ai recueilli à cet 
égard, J'ajouterai quelques mots qui, se rapportant spécialement aux us 
de la vielle noblesse de notre pays, ne seront peut-étre pas déplacés ici. 

Le duel juridique, après avoir affecté indifféremment les contestations 
tant civiles que criminelles , car les lois barbares n’établissaient guère de 
distinctions positives sur ce point, puisque dans leur esprit tous les procès, 
méme ceux qui regardaient les crimes les plus graves, pouvaient, à peu 
d’exceptions près, se résumer en amendes et en indemnités pécuniaires, 
et que chez nous ce ne fut qu’en vertu d’un édit d’Emmanuel-Philibert 
que disparut complétement le système des compositions; le duel juridique, 
dis-je, abandonnant insensiblement les causes qui avaient trait à des 


1) Monumenta historiac patriae, t. I. Chartarum, p. 584. 
(2) Ces lois se trouvent dans le recueil de Canciani, Leges barbarorum antiquae. 


232 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


différents purement civils, finit par étre appliqué presque exclusivement 
aux affaires qui concernaient les delits et les forfaitures; è une époque 
où l’institution du ministère public n'existait pas, leur répression était 
généralement poursuivie è la requéte des particuliers. 

C'est ici que l’on voit surtout se régulariser , sous l’autorité supréme 
des princes de la maison de Savoie, la jurisprudence du duel lorsque la 
question s’élevait entre gentilshommes figurant au nombre de leurs feu- 
dataires immeédiats. A eux seuls appartenait en ce cas le droit de recevoir 
les gages, d’ordonner le combat et d’en régler les conditions. 

C'est ainsi qne chaque fois que ces princes se rendaient en Val-d’Aoste, 
pour y tenir, suivant l’antique usage de ce pays, ce qu'on appelait les 
grands plaids, ou les audiences générales, une des premières notifications 
qui devaient se faire, au moment de l’ouverture de ce tribunal supréme, 
consistait à ordonner que toutes les causes de duel fussent portées devant 
lui: /tem si duellum pendat vel occurat denuncietur et remittatur domino. 
Plusieurs de ces singulières contestations ne manquaient jamais en effet 
de s'y présenter; j'ouvre au hasard le procès-verbal d'une de ces au- 
diences solennelles, tenues par le Comte Vert le 18 septembre 1351, et 
jy trouve qu’une querelle ayant surgi entre deux illustres feudataires de 
la contrée, Boniface Corriod de la Tour et Merlin Gonthard, et que des 
gages de combat ayant été réciproquement jetés et relevés par eux, le 
haut justicier s'arrétant à des considérations fort bien motivées, déclara 
n’y avoir lieu au duel, et enjoignit aux parties de vivre desormais en 
paix (1). 

Que dirai-je encore? Il arrivait parfois que le suzerain lui-méme descen- 
dait dans l’arène contre son propre vassal coupable de félonie. Les annales 
de la province que je viens de citer nous en fournissent un exemple, 
tout à fait curieux: un redoutable seigneur, Jacques de Montfort, avait 
donné la mort à un frère naturel de Pierre de Savoie (c’est ce célèbre 
comte Pierre qui fit la conquéte du pays de Vaud ); le duel fut proposé, 
conformement à la coutume, devant Aymon de Challant, vicomte d’Aoste, 
delégué pour remplir les fonctions de juge: nous ignorons ce qu'il en 
advint; il nous reste seulement un acte du 23 juillet 1263, par lequel 
Humbert de la Balme, qui exercait alors la charge de chatelain du chateau 


(8) Archives de Cour, Duché d'Aoste, paquet 2, n° 22. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 233 


de Bard, déclare que le comte Pierre, son maître, est prét è satisfaire 
à la loi du combat, qui devait avoir lieu, y est-il dit, dans un endroit 
appelé le Pré roux, et cela toutefois par le ministère d’un champion de 
la part du prince, ce qui se pratiquait en certains cas (1). 

Tout le monde sait l’histoire du duel d’Othon de Grandson avec Gérard 
d’Estavayé, duel fameux, qui eut lieu à Bourg-en-Bresse devant Je 
comte, puis duc Ameédée VIII, avec toutes les solennités requises en 
semblables circonstances, le 7 aotit 1397. Mais ce qui-est moins connu, 
c'est que huit ans avant ce triste combat où il perdit la vie, lui, lun 
des plus puissants, des plus braves, des plus courtois chevaliers de son 
temps, il avait été sur le point de terminer aussi par le duel juridique un 
different qui s'était élevé entre lui et un autre grand seigneur et haut 
baron du pays de Vaud, Rodolphe de Gruyères, sur une question d’in- 
térét exclusivement civil (il s’agissait de la validité d’un fidéicommis, 
créé en faveur d’Othon par un de ses parents, Humbert d’Alamand). 
Le Comte Rouge, qui régnait alors, et devant qui la cause fut portee, 
rendit, le 23 juin 1390, une sentence arbitrale, par laquelle il déclara 
n'y avoir lieu au duel et debouta Rodolphe de ses prétentions (2). 

Je ferai observer, en terminant cette longue digression, que le Genevois 
et le Faucigny, à l’époque où ces provinces étaient encore sous la do- 
mination de leurs anciennes dynasties princières, celles des comtes de 
Genève et des sires de Faucigny, pourraient fournir un assez bon nombre 
d'exemples sur le sujet que nous venons de traiter; je me contenterai 
de dire que la coutume du duel paraît y avoir été passablement répandue, 
et je trouve méme que des seigneurs illustres, les sires de Montfort, 
qui tenaient en fief ia gonfalonie du Genevois, étaient, à raison de ce 
fief, investis du droit de garder les champs clos destinés au combat, de 
s'approprier les armes des vaincus et de percevoir le tiers des amendes, 
auxquelles ceux-ci devaient étre condamnés (3). 

La charte qui m’a fourni l’occasion de parler quelque peu de ces 
questions si curieuses du duel juridique , et qui signale l’existence, à la 
fin du XI siècle, d'un seigneur puissant, appelé Nantelme de Miolans, 


(1) Archives de Cour, Duché d'Aoste, MONJOVET, paquet 9, nos 6 et 7. 
(2) Ibidem, Baronnie de Vaud, paquet 6, n° 35. 
(3) Dicens quod ipse debet custodire bella et habere tertiam partem pene quam sustinet victus et mu- 


nimenta victi. (Charte inédile). 


Serie II. Tom. XXIII. 3o 


254 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


laisse après elle une lacune de plusieurs années; ce n'est qu'à l’époque 
où S'Bernard, abbé de Clairvaux, préchait la seconde croisade que nous 
pouvons ressaisir le fil de notre histoire. 

La première croisade, préchée en 1099 par Pierre l’Hermite avait 
eu, comme chacun sait, pour résultat la prise des lieux saints par les 
croisés, et l’établissement du royaume de Jérusalem, éclatante revanche 
de nos ancétres sur les Sarrasins. Quarante ans s’étaient à peine écoulés, 
que la puissance: musulmane, incessante dans son action, avait singuliè- 
rement compromis cette magnifique conquéte. Des demandes de secours 
arrivaient à chaque instant d’Orient, à l’adresse du pape et des princes 
chrétiens. Le mouvement qui, un demi-siècle auparavant, poussait les 
esprits vers ces expéditions lointaines, n’était point encore dteint , il se 
ranima à la voix de S'-Bernard et la seconde croisade fut résolue. 

Les historiens de ce temps-là ont décrit avec des couleurs énergiques l’en- 
ihousiasme qui s’empara des populations à la nouvelle de cette decision. 
A l’assemblée de Vezelai, en Bourgogne, qui suivit celle de Bourges, 
et qui était presidée par le roi de France, Louis-le-Jeune, l'illustre abbé 
de Clairvaux avait tellement passionné la foule immense qui y assistait, 
que tout le monde prit la croix, nobles et manants, femmes et enfants, 
à commencer par Eléonore de Guyenne, épouse du monarque. « Dieu 
» le veut! Dieu le veut! » ces mots sortaient de toutes les bonches. 

Un grand nombre de hauts feudataires, tels que les comtes de Toulouse, 
de Champagne, de Flandres, de Nevers, de Soissons, de Bourbon, inter- 
vinrent à ce concours solennel, et parmi eux Amé III, comte de Maurienne 
où de Savoie, et marquis d'Italie, oncle du roi. Peut-étre quelques-uns 
des seigneurs qui accompagnaient ce prince au delà des mers, et au milieu 
desquels, ainsi que je le dirai bientòt, figurait un sire de Miolans, sy 
trouvèrent-ils également; c'était en 1146 (1). 

L’année suivante au mois de mars, le comte Amé se trouvait au delà des 
Alpes. Le pape Eugène IV, qui ne négligeait aucune des démarches pro- 
pres à assurer le succès de la croisade, vint le visiter à Turin, et déter- 
mina, selon toute apparence, le marquis de Montferrat, frère utérin de ce 
prince, à prendre part à l’expédition (2). De Turin, le pape et le comte se 


(1) Michaud, ist. des croisades, }. 6. 
(2) Amedeum taurinensem fratremque ejus Guilhelmum marchionem de Monte-Ferrato...., et alios 
quamplures. Voyez dans le t. VI du recueil de Muratori, Rer. ital. script., la chronique d’Othon 


de Frésinge, livre 1, chap. 44. 


PAR LÉON MENABRÉA 235 


transportèrent à Suse, au pied du mont Cenis, avec un nombreux et 
brillant cortége de prélats et de seigneurs. Là, Amé fit dresser un acte 
authentique, par lequel il maintint è la riche abbaye de S'Juste, de l’ordre 
des bénedictins, fondée en ce lieu, la possession des vastes biens que lui 
avaient abandonnés ses nobles aîeux, le comte Manfred, la comtesse Berthe, 
la comtesse Adelaide et le comte Oddon. 

Ce lui fut méme une occasion de donner à ce monastère de nouvelles 
marques de sa libéralité, si bien que les religieux reconnaissants crurent 
devoir lui faire, à leur tour, un don de 11,000 sols de monnaie sécu- 
sienne, qu'il accepta en vue de subvenir aux frais de son prochain voyage 
d'outre-mer. Et à cet égard le texte de la charte dont il s’agit lui fait 
dire: « que, frappé d’une lumière surnaturelle, plein de contrition pour 
» ses fautes, encouragé, instruit par son bienheureux père en Dieu, le 
» pape Eugène, il a recu de ce saint pontife le conseil d’expier ses péchés 
» enallantà Jerusalem visiter la sépulture de notre divin Rédempteur (1). » 

Tandis que ceci se passait, l’empereur Conrad convoquait en Bavière 
une troisièéme diete, où une foule de seigneurs se rendirent et où ils pri- 
rent la croix. On pourrait peut-étre présumer, d’après les expressions 
employées par quelques auteurs, que le comte Amé y intervint, mais 
rien n'est certain à ce sujet. Ce qu'il ya de positif, c'est que lui et ia 
noblesse savoyarde étaient sollicités, tout à la fois, et par le pape, et 
par l’empereur, et par le roi de France. Une lettre que Pierre-le-Vénérable, 
abbé de Cluny, avait écrite an valeureux prince quelque temps aupara- 
vant, de la part du monarque francais, prouve que les mésintelligences 
qui les divisaient jadis, avaient entièrement disparu devant  l’intérét 
commun (2). 

Enfin, la périlleuse entreprise d’une seconde croisade une fois arrétée, 
tout le monde se prépara au départ. Le comte Amé, connu par sa bra- 
voure, par son intrépidité, par ses nombreux voyages en Italie, en 
Allemagne et ailleurs, figurait au premier rang des croisés. Les Grandes 
Chroniques de France, dans leur naif laconisme, en parlent ainsi: « En 
» ce méme termine (méme temps) li emperaor d’Allemagne et ses nies 
» (son neveu) Ferris li dux de Saisogne qui puis fu empereres quant 


(1) Acceptaque ab eo penitentia Hicrosolimam ire ac sepulchrum nostri. Redemptoris visitare. 
Guichenon, ist. de Sav., pr., p. 36. 


(2) Guichenon, Mist. de Sav., pr., p. 33. 


236 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


» ils orent oîe (eurent appris) la mesaventure de la terre d’outre mer et 
» Amez se croisa li cuens (le comte) de Moriene oncles le roi Louis et 
» pluser autre baron a grant renomee (4). » 

Or, d’après un manuscrit, cité par notre vieux historien de Pingon 
dans un de ses ouvrages inédits existant aux archives de cour à Turin, 
et intitulé Philiberti Pingonii historiae Sabaudiae libri XII, les « barons 
» a grant renomee » qui se seraient mis à la suite du comte Amé, pour 
aller en Orient, faire la guerre aux infidèles, auraient été d’abord Aymon, 
sire de Faucigny et son fils Rodolphe; Guichard, sire de Beaujeu; Humbert, 
sire de Thoire; Guerric, sire de Coligny. Il résulte en effet des divers 
iravaux qui ont été publiés sur leurs illustres races, que ces seigneurs 
vivaient réellement à l’époque ci-dessus indiquée, et qu’ainsi notre ma- 
nuscrit paraîtrait s'étre renseigné à de bonnes sources. 

Les sires de Faucigny et les sires de Beaujeu étaient de veritables 
princes; chacun d’eux commandait à une foule de vassaux, appartenant 
aux lignées les plus nobles et les plus puissantes. 

Quant aux sires de Thoire, qui tirent leur nom d’un antique chàtean 
situé au bord de l’Ain, et dont le cri de guerre retentit si souvent sur 
les champs de bataille du moyen dge, ils ne possédaient pas moins de 
quatre-vingt-dix seigneuries en Bugey, en Bresse, en Dombes, en Bourgogne, 
et ils jouèrent toujours un ròle important dans l’histoire de nos contrées. 
Pour ce qui est de la famille de Coligny, famille bressane, elle est tel- 
lement connue et a produit un nombre si considérable d’hommes dis- 
tingués, qu'il est presque inutile d’en parler. Déjà, avant l’expédition 
d’Ame III, plusieurs de ses membres, et entre autres un nomme Hugues, 
avaient fait, par des motifs de piété, et par dévouement à la cause des 
chrétiens, le voyage de Palestine. 

Après ces seigneurs, s'échelonnaient Geoffroy de Miolans, Amé de 
Montmayeur, Aimé et Oddon de la Chambre, Aymon de Briancon, 
Guillaume de Chevron, Raymond de Tours, Pierre de Cuynes, Genis de 
Faverges, Guillaume de Chignin, Guillaume d'Amaisin, Soffrey de Belmont, 
Guillaume de Chatillon, Torrestan de Chevelu, Thibaud de Montfalcon, Pierre 
de Seyssel, Gauthier d’Aix etc., tous issus de familles de pur sang savoyard; 
Guillauume de Mornay et Guichard de Viry, venus du comté de Genève; 


(i) Les Grandes Chroniques de France ne sont guère en ceci que le résumé des deux ouvrages, 
intitulés, lun ZYist. gloriosi regis Ludovici VII, et l’autre Gesta Ludovici VII regis filiù Ludovic 
Grossi, publiés dans le recueil de dom Bouquet, Rerum Gall. script., t. XII. 


PAR LÉON MENABRÉA 237 


Guillaume de Blonay du Chablais; puis Humbert de Luirieux, Jean de 
Bussy, Humbert de Grammont, Pierre de la Palud, Geoffroy de Rougemont; 
et encore Guillaume de Vienne, Aymon de Rossillon, Adhémar de Bressieu, 
Aimon de Bocsozel ete., qui, bien qu’ayant leurs possessions ceux-là en 
Bugey, ceux-ci en Dauphiné, étaient pour la plupart feudataires de la 
maison de Savoie. 

On se ferait une fausse idée des forces. que le comte Amé fournit à 
l’armée des croisés, laquelle, pour la France seulement, s’élevait à plus 
de cent mille hommes, si l’on ne prenait en considération les principes 
régulateurs de l’organisation militaire au moyen dge; ce serait une grave 
erreur que de n’accepter que sous un point de vue purement individuel 
la série de noms, d’ailleurs très incomplète, que nous a transmis le ma- 
nuscrit ci-dessus cité. 

Il faut considérer, en effet, que chacun de ces noms représentait une 
bannière, qu’autour de chaque bannière venait se grouper un nombre, 
plus ou moins considérable, de ce qu'on appelait alors la lance, /ancea, et 
que chaque lance se composait d’abord d'un homme d’armes, c’est-à-dire 
d'un guerrier de noble race, à cheval, et adoubé de toutes pièces; puis 
de deux, de trois et quelquefois méme de quatre cavaliers, armés à la 
légère; mais ordinairement de deux, le custiller et le page, ce qui, en 
y comprenant l'homme d’armes, ou chef de lance, faisait trois combat- 
tants; cela s'appelait une lance proprement dite, une lance garnie. Les 
lances à deux chevaux seulement etaient qualifiées lances gaies. Les comptes 
de nos anciens trésoriers de guerre et de nos chatelains fourmillent d’indi- 
cations sur cette matière: on peut les consulter aux archives de la Chambre 
des comptes à Turin. 

Or les sires de Miolans, ainsi que tous les seigneurs qui figurent 
après eux, dans la liste que j'ai reproduite, appartenaient incontestable- 
ment à cette catégorie de feudataires, auxquels la jurisprudence de nos 
contrées attribuait le titre de baron, titre qui emportait avec lui la qualité 
de banneret. Cette jurisprudence, confirmée par les statuts d’Ameédée VIII, 
exigeait que nul ne pùt se dire baron, s'il ne descendait, en ligne droite 
et de màle en male, d’une race de noblesse antique, s'il ne jouissait d’un 
revenu déterminé et s'il ne possédait vingt-cinq vassaux nobles, au moins, 
dont un fùt investi de l’omnimode juridiction (1). 


(1) Statuta Sabaudiae, lib. 5, et De denominationibus dominorum. 


236 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


On voit donc que ces seigneurs, pouvant et devant méme, lorsque 
le cas le requérait, réunir sous leurs bannières respectives une certaine 
quantité de lances, qui dix, qui vingt, qui trente, qui quarante ou cin- 
quante, la simple mention de leur présence, comme bannerets, autour 
de l’orifflamme du suzerain, supposerait nécessairement qu’ils étaient 
arrivés conduisant avec eux un nombre respectable d’hommes préts è 
combattre. Ajoutons-y les archers, les arbalétriers, les fans de pied ou 
clients que l’on recrutait cà et là; ajoutons-y encore les lances brisées 
qui ne faisaient partie d’aucune bannière, mais qui allaient se placer vo- 
lontairement sous le pennon d’un chef de leur choix, et vous aurez bientòt 
une armée (1). 

Les sires de Miolans nous fournissent de fréquents exemples de ce 
mode d’organisation particulière aux temps féodaux: c’est ainsi que, lors 
de la récupération du Faucigny par le Comte Vert en 1354, l'un d’eux 
avait sous sa bannière quinze lances (2); qu’un autre, appelé Jacques 
de Miolans, dont je parlerai plus tard, en avait quatorze à sa suite, 
en 1426, à l'époque de l’expédition faite en Lombardie par les Visconti 
ele-eLeg(): 

Qu’on tienne ensuite registre des hommes d’armes que dut amener 
le sire de Faucigny, lequel, ainsi que je l’ai dit précédemment, ne comptait 
pas moins de trente vassaux, appartenant tous à d’anciennes et illustres 
familles et réunissant, presque sans exception, les conditions requises 
pour étre barons, ou bannerets; puis des combattants fournis par le sire 
de Beaujeu, égal en puissance au sire de Faucigny; par le sire de Thoire; 
par le sire de Coligny; par le marquis de Montferrat et les feudataires du 
Piémont; par les soixante chatellenies que le comte Amé possédait alors en 
Savoie, en Chablais, en Val-d’Aoste, dans le Viennois, dans le Bugey, et l’on 
arrivera à conclure que ce n'est pas à tort que les chroniqueurs considèrent 
ce prince comme ayant tenu un rang distingue parmi les croisés. 

Comme Geoffroy de Miolans fut, selon toute apparence, du nombre 
fort restreint de ces vaillants hommes qui, après d’affreux revers et des 


(1) Les comptes des anciens trésoriers de guerre de Savoie, qui existent à Turin, aux archives 
de la Chambre des comptes, fournissent d’intéressantes notions à ce sujet. 

(2) Travail intitulé De l’orgarisation militaire au moyen dge, que j'ai publié dans les Mem. de 
l Acad. royale de Savoie, t. I de la 2° série. 

(3) Documents qui m’ont été communiques par le ch. de Mouxi de Lochos. 


PAR LÉON MÉNABREA 239 


fatigues inowies, purent revenir dans leur pays où ils apportèrent quelques 
souvenirs des lieux ‘saints, j'emploierai encore une page à faire connaître 
le chemin qu'’ils suivirent pour arriver en Palestine; quels obstacles ils 
eurent è surmonter, quels rudes combats ils eurent à soutenir durant 
ce long et perilleux trajet. i 

Amé III et sa valeureuse escorte partirent au mois d’octobre et re- 
joignirent sans difficulté le roi de France à Constantinople. Là les croisés 
commencèrent à s’apercevoir de la mauvaise foi proverbiale des Grecs; 
ils avaient espéré d’eux encouragement et assistance; ils ne trouvèrent 
chez ces prétendus alliés, que mauvais vouloir et trahison. L’armée de 
l'empereur Conrad fut la première à passer le Bosphore: égarée par des 
guides infidèles, manquant de subsistances, affaiblie par la marche, dé- 
cimée par les maladies, elle fut entièrement defaite dans les gorges du 
mont Taurus. 

L’armée francaise, dont le comte Amé faisait partie, se mit en route 
peu de temps après: mieux organisée que celle de Conrad, elle fit justice, 
quand elle en eut l’occasion, de la perfidie grecque; traversa la Phrygie, 
Pergame et Ephèse, arriva sans trop de pertes sur les bords du Ménandre; 
c’était au coeur de l’hiver. En ce lieu elle rencontra les Sarrasins réunis 
aux Tures; une sanglante bataille s’engagea et les Francais restèrent 
vainqueurs. 

Toutefois la situation des croisés continuait à étre critique; on avancait 
comme à titons; chaque soir on se consultait sur la direction qu'on aurait 
à prendre le lendemain, sans pouvoir jamais s’assurer du résultat d’au- 
cune determination. Or, un jour qu'on avait atteint le haut d’une mon- 
tagne escarpée, on delibera sur le point de savoir si l’on y demeurerait 
ou si l’on descendrait dans la plaine pour en chasser l’ennemi, et rendre 
le passage libre. Ce dernier avis, auquel Amé II adhéra, et qui était, 
dit-on, beaucoup plus celui de la bravoure impatienie, que celui de la 
prudence , prévalut. Après un combat long et acharné, où le roi de France, 
presque seul et adossé à un arbre, fut obligé de deéfendre sa vie contre 
les attaques redoublées des Sarrasins, les croisés durent rebrousser. che- 
min dans une horrible confusion. Cependant, s’étant ralliés, ils purent 
continuer leur route et parvinrent jusque sous les murs d’Attalie, où les 
Grecs, maîtres de la ville, usèrent envers eux des mémes trahisons que 
par le passe. 

Là les croisés se divisèrent; les uns continuèrent à se diriger, par 


240 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


terre, vers la Palestine; les autres, au nombre desquels se trouvait le 
monarque francais, et très-probablement le comte Amé, jugèrent plus 
expéditif de s'y rendre par mer, et s'embarquèrent sur tous les navires 
qu'ils purent se procurer. A peu de temps de là, l’empereur, le roi et 
ce qui restait des deux armées arriverent à Jérusalem: Baudoin III y 
régnait alors. 

Après une conférence celèbre, qui se tint à Ptolémais, on decida de 
franchir le Liban et d’aller mettre le siége devant Damas, que l'on re- 
gardait, avec raison, comme la pierre angulaire de la puissance musul- 
mane en Orient. On y vint en effet; tout semblait favoriser cette im- 
portante opération, quì sans doute aurait été decisive, si elle et reussi , 
quand la dissension se glissa parmi les chefs de l’expédition; de nouvelles 
trahisons furent découvertes ; l’ennemi s’enhardit, redoubla sa résistance, 
et les croisés durent se retirer (1). 

Il ne restait plus qu'è partir: c’est ce que fit le comte de Savoie; 
mais arrivé à Nicosie, capitale de l'Ile de Chypre, il y mourut dgé de 
53 ans. 

Le sire de Miolans revint. La tradition préetend que c'est lui, qui 
ayant apporté de Jerusalem trois des saintes épines de la couronne de 
N. S. Jésus-Christ, les déposa dans la chapelle du chiteau de ses ancé- 
tres, in capella arcis Miolani, d’où on les transféra ensuite au couvent 
des hérémites de S'-Augustin, fondé à S'Pierre-d’Albigny, en 1381, par 
un des nombreux seigneurs, du nom d’Anthelme, qu’a produits l’illustre 
famille dont J'esquisse l’histoire. 

On comprend facilement les énormes dépenses que dut occasionner 
une entreprise aussi gigantesque que celle qui eut pour objet les in- 
fructueuses tentatives de 1147 et de 1148. Quelques exaltés avaient 
d’abord eu l’idée de chasser ou d’égorger les juifs, déjà répandus dans 
toute l'Europe, et de s'emparer de leurs biens; mais $'-Bernard et 
Pierre-le-Venérable s’étaient fortement opposés à cet acte cruel; cette 
fois-ci la cause de l’humanité et de la justice avait prévalu. C'est alors 
que plusieurs de ceux qui devaient faire partie de l’expédition s’adres- 
sèrent à divers monastères, et purent, moyennant les terres qu’ils relà- 
chèrent aux religieux à titre de gage, obtenir d’eux les sommes dont 
ils prétendaient avoir besoin. 


(1) Michaud, Mist. des croisades, livre 6. 


PAR LÉON MEÉNABRÉA 241 


Cela explique comment, quelque temps avant son départ, le comte 
Amé s’était fait remettre par l’abbaye de S'-Maurice-d’Agaune la fameuse 
table d’or massif, enrichie de pierres précieuses, que Charlemagne, dit-on , 
lui avait donnée, et comment en 1150 son fils Humbert III se soumit 
à en payer la valeur (1). 

Les documents qui concernent les sires de Miolans ne nous offrent, 
à la vérité, aucun fait de ce genre; cela n’empéche pas toutefois que le 
cas ne se soit présenté fréquemment ailleurs. Jen trouve un exemple 
assez singulier dans deux chartes inédites, qui ne portant pas de date 
doivent étre regardées comme appartenant au moins à la seconde croisade. 
On y lit qu’un sire de Divonne, appelé Humbert, désirant aller en 
terre sainte, visiter le tombeau de N. S. Jésus-Christ, sepulcrum Do- 
mini visitare cupiens (c’était la formule généralement employée par ceux 
qui se décidaient à prendre la croix), fit donation de la plus grande 
partie de ses biens à la célèbre abbaye d’Abondance, en Chablais, qui Ini 
fournit amplement l’argent nécessaire à son voyage. 

De méme que le baron de Miolans, le bannerei de Divonne revint 
dans ses foyers; mais pauvre, dénué de tout, si bien que le monastére 
compatissant fut obligé de lui venir en aide. La famille de ce seigneur, 
qui selon toute apparence suivit lui aussi le comte Amé III en Orient, 
ne fut pas ruinée pour autant; car nous la retrouvons très-puissanie , 
un demi-siècle après, dans le pays de. Gex et le pays de Vaud. Ce qu'il 
y a de certain, c'est que la plupart de ces illustres croisés, ne pouvant 
mettre en doute la reussite de l’expédition, étaient tous persuadés que 
quelque riche duché, quelque ample comté leur écherrait en Palestine, 
et ne songeaient guère à un retour aussi désastreux, aussi rapide que 
celui qui eut réellement lieu. 


(1) Cibrario el Promis, Documenti, sigilli e monete, p. 67. 


Serie II. Tom. XXIII. dI 


242 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


CHAPITRE XV. 


ÉTUDE SUPPLÉMENTAIRE. 


Nouvelle lacune dans l’histoire des sires de Miolans. - Difficulté qu'on trouve è re- 
cueillir des documents authentiques. - Frequence des mémes prénoms dans la série des 
individus. - Nantelme, nom favori des sires de Miolans. - Emploî des noms propres, 
significatif. - Diversité des races dans notre pays. - La Savoie a moins souffert des 
invasions étrangères que les contrées limitrophes. - Nomenclature de divers noms qui ré- 
véelent les origines. - Modifications durant la periode féodale. - Le calendrier romain 
l’emporte sur les dénominations germaniques. - Nantelme II. - St-Bruno.- Grande- 
Chartreuse. - Le comte Humbert III fonde la chartreuse d’Aillon dans les Bauges. - De- 
tails intéressants. - Gauthier de Miolans prend l'habit religieuo. - Nouvelle genérosité du 
comte Humbert. - Don fait par Nantelme de Miolans et sa famille. - Sires de la Ravoire. 
- Druéle ou druerie. - Sires d’Apremont. - Race des Varax. - Ponce de Conflans. - 
Guiffred de Miolans. - Le comte Humbert fait encore une donation à l'abbaye d'Aillon. 
- Il meurt peu après. - Charte du mois de juin AA39. - Contestations. - Mauvais vassal, 
Willelme de Maynier. - Pitances, pitancie. - Le droit de protection sur la chartreuse 
d'Aillon appartenaît au seigneurs de Miolans. 


Après les dernières pages de l’histoire de la seconde croisade, qui nous 
revele l’existence de Geoffroy de Miolans, on reste, pendant près de 
quarante ans, privé de renseignements positifs sur la famille de ce sei- 
gneur, et ce n’est guère qu'en 1180, qu'on peut ressaisir le fil de cette 
obscure généalogie, en la personne d'un nouveau Nantelme de Miolans. 

A cet égard, je dois avertir que je n’ai point la prétention de dresser 
ici un arbre complet et parfaitement régulier de la descendance des 
hauts feudataires qui font, en partie, l’objet de ce travail. 

D'abord, les titres domestiques qui les concernent, titres qui subsis- 
taient encore, il y a un siècle, et que l’on aurait aisément retrouvés 
en compulsant certaines archives, paraissent avoir été inrévocablement 
anéantis. Il nous est bien parvenu, à ce sujet, quelques lambeaux généa- 
logiques, dressés par des hommes qui ne manquaient ni de capacité, ni 
de science; toutefois, je les ai reconnus en general tellement dépourvus 
de toute espèce de preuves historiques, et si souvent erronnés, que j'ai 
dù renoncer à les reproduire. J'ai donc préféré, sur une question qui 


d’ailleurs ne semble pas avoir une grande importance obligatoire, m’en 


PAR LÉON MÉNABRÉA 243 


tenir purement aux documents dont l’authenticité est constatée, laissant 
à d'autres le soin de fouiller plus avant dans ce dédale; et heureux si 
les actes inédits qu'il m’arrivera parfois de signaler, peuvent leur étre 
utiles pour cette entreprise (1). 

Il y a du reste une chose qui tend à rendre plus difficile qu'on ne 
pense de semblables investigations, surtout en ce qui regarde les époques 
éloignées; c'est l’extréme fréquence des mémes prénoms, dans la série 
des individus qui formaient ce que l’on appelait la lignée des races féo- 
dales; cette observation a été faite par plusieurs auteurs; elle est toute 
naturelle. Au moyen fge, beaucoup plus encore qu’aujourd’hui, on ren- 
contrait dans les familles ces noms de prédilection, qui se reproduisaient 
sans”cesse ou en ligne directe ou en ligne collaterale, et auxquels on 
attachait l’idée soit d’une origine particulière, soit d'un antique souvenir, 
soit d’une influence quelconque, ayant je ne sais quoi de mystérieux, qui 
faisait qu’en ces temps de foi naive on lui obéissait sans trop s'en rendre 
raison. C'est ainsi que jadis la maison de Savoie compta, parmi ceux seule- 
ment de ses princes qui régnèrent, neuf Amedée. 

Le nom favori des sires de Miolans était Nantelme, ou Antelme, qui 
prenait parfois la forme du diminutif Nantelmin, ou Nantelin. Or, ainsi 
que l’a fait remarquer quelque part mon illustre ami et parent M. le 
Commandeur Louis Cibrario, le caractère du nom que chaque famille sem- 
blait affectionner davantage n’était pas toujours indifférent, quand on avait 
à rechercher son origine et à déterminer la race, à laquelle elle appartenait. 

Plus on se rapproche de la période où eurent lieu les invasions des 
peuples du Nord, plus l’emploi des noms propres devient, sous ce rap- 
port, significatif. Si dans nos chartes du VIII et du IX siècle, où abon- 
dent les dénominations masculines d’Annemund, Gangiulf, Garimund, 
Guntrachar, Cheldemar, Chodegar, Imnachar, Sanniulf, Gibulf, Walzo, 
Warner, Unneggsil, Childésil, Childegund, Blidemund, Leutold etc., 
et les dénominations féminines de Blidechilde, Chioberge, Childerune, 
Thiegunde, Ermentrude, Ansedunge, Thrasleberge, Anechilde, Sannine, 
Deorovare, Bertovare, Sunnechilde, Trasilane etc., qui toutes appar- 
tiennent aux dialectes barbares, et ne peuvent guère s'appliquer qu'à des 
individus de race burgonde, allemande, salique, ou lombarde; sì dans 


(1) Je reviendrai de nouveau sur ce sujet en parlant des anciens seigneurs de Briangon, que 
certains genégalogistes opt regardés comme ayant été la souche de ceux de Miolans et de Monimayeur 


244 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 
+ 


ces chartes, dis-je, on rencontre quelques-unes de ces appellations so- 
nores, pleines d’euphonie, qu'on dirait étre le reflet d’une civilisation 
perdue, comme seraient Anselme, Amédée, Constantin, Déodat, Théodore, 
Eustase, on devra présumer qu’elies servaient à designer des hommes de 
race gallo-romaine, lorsque surtout on les retrouve simultanément chez 
plusieurs membres d’une méme famille. 

Toutefois les consequences auxquelles sembleraient devoir amener de 
pareilles recherches, sont tellement délicates, insaisissables, et tellement 
sujettes à erreur, qu'il importe de ne les adopter qu’avec un ménagement 
infini et une extréme précaution. 

Malheureusement pour notre histoire, il ne nous reste, concernant 
les siècles dont il est question, qu'une collection assez restreinte de do- 
cuments, qui deviennent plus rares encore quand il s’agit de ces antiques 
dynasties féodales, qui aux siècles suivants apparaissent au milieu de 
nous sì fortes et si puissantes. Possesseurs de titres moins clair-semés, il 
nous serait peut-étre facile de déméler, de reconnaître leur vraie origine. 
Et en effet, il est certain qu'à cette époque la diversité des races fut 
très-grande dans notre pays, plus grande sùrement que partout ailleurs. 

En premier lieu, personne n’ignore que lorsque les Bourguignons, ou 
Burgondes, venant des bords de la Vistule, pénétrèrent au sein des ré- 
gions alpines, ils ne songèrent point à sy établir d’une manière brutale 
et violente, comme les Lombards le firent en Italie quelques temps après. 
Ils laissèrent subsister à còté d’eux et à des conditions égales, eguali 
conditione, selon l’expression de la loi Gondebaud, la plupart des fa- 
milles romaines, ou gallo-romaines, qui s'y trouvaient, celles surtout qui 
se distinguaient par leur force réelle, par leurs richesses, par le nombre 
de leurs clients. Plus tard arrivèrent les Francs, qui mirent fin au royaume 
des Burgondes, sans pourtant expulser ce peuple, qui ne fut privé que du 
pouvoir souverain. Dans le méme temps, à peu près, les Lombards s’empa- 
raient de la Maurienne, qu’ils gardèrent jusqu'à ce que le roi Guntramn, 
les ayant vaincus, et repris cette province et y et fondé un évéché, au 
territoire duquel il adjoignit la vallée de Suse. Enfin les Allemands, qui 
possédaient une portion de la Suisse, venaient parfois se méler aux autres 
habitants et augmentaient parmi eux la confusion du langage, des usages 
et des moeurs. 

Or, les législations etant alors, suivant les principes introduits par 
l’invasion, toutes personnelles, et n’affectant point le territoire, il en 


PAR LÉON MÉENABRÉEA 245 


résultait que le Burgonde observait la loi gombette; le Franc, la loi 
salique; le Lombard, la loi lombarde, et ainsi de suite; et que la coniume 
avait admis que dans les contrats, afin de bien déterminer la position 
respective des parties, elles declarassent la loi à laquelle elles obéissaient; 
ce qui donna naissance è la formule si connue, dont le savant Muratori 
a fourni tant d’exemples: Ego qui professus sum ex natione mea lege 
vivere romana, ou salica, ou gundobada etc. 

Notre grande collection nationale des Monwumenta historiae patriae 
est venue apporter un nouveau tribut aux notions déjà recueillies sur 
ce point intéressant; mais par malheur les chartes qui peuvent concerner 
la Savoie y sont rares; jy remarque néanmoins un titre de l'année 1036, 
où un Aymon, fils de Hugues, seigneur de Chambéry, faisant une dona- 
- tion à l’antique abbaye de la Novalaise, déclare, à raison de son origine, 
ou de sa nation, faire profession de vivre sous la loi romaine. Il est 
donc évident que ce personnage appartenait à l’une de ces nombreuses 
dynasties gallo-romaines, qui se maintinrent parmi nous riches et puis- 
santes nonobstant la conquéte (1). 

On pourrait peut-étre en dire autant de la maison de Savoie, dont les 
membres professaient également la loi romaine, ce qu’attestent plusieurs 
documents; et cela se rattache à l'importante question de l’origine ita- 
lienne, qui s’appuie sur l’autorité de plusieurs savants écrivains. 

Il est donc bien facile, d’après ce qui vient d’étre dit, de se faire 
une idée de la sérieuse attention qu'il convient de mettre à la recherche 
de tous les titres, qui seraient de nature à répandre une si grande lumière 
sur la période initiale de notre histoire, en attribuant à chacun des faits 
qui la composent ses véritables commencements; mais les vicissitudes 
des temps et le vandalisme des révolutions ont, il faut l’avouer, laissé 
peu d’espoir d’arriver, sur cet objet, à des résultats satisfaisants: force 
est donc de s’en tenir aux conjectures. 

Cela posé, je laisse le lecteur parfaitement libre de penser ce qui 
lui plaira sur l'origine des sires de Miolans, chez lesquels le nom de 
Nantelme, nom qui n’appartient point aux dialectes barbares, se rencontre 
si souvent. Je suis persuadé cependant que l’ancien pagus Savogiensis, 
ou la Suvogia proprement dite, ayant été de toutes nos provinces celle 


(1) JMYonumenta historiae patriae; chartarum, t. I, p. 549. 


246 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 

qui, par l’effet de circonstances que }'ignore, mais que je ferai princi- 
palement résider dans la résistance, la bravoure et les ressources des 
anciens possesseurs du sol, a eu le moins à souffrir des invasions des 
Burgondes, il est logique de présumer que les familles qu’on y voit appa- 
raître dès la fin du X siècle, appartenaient pour la plupart à des races 
gallo-romaines. Les noms des localités d’où elles tirent leurs dénomina- 
tions patronymiques, sont d’ailleurs presque tous dérivés du latin: Miolans, 
Montmayeur, Chateauneuf, Conflans, Chamoux, Chevron, la Rochette; 
je m’en rapporte, au reste, à ce que Jai dit à ce sujet dans un autre 
ouvrage (1). 

Puisque j'ai abordé le chapitre des noms, j'ajouterai qu'il y aurait 
peut-étre une eétude intéressante à faire sur les variations qu’ils subi- 
rent chez nous, pendant l’intervalle qui s’écoula depuis le VIII siècle 
jusquau XV; je ne parle ici que des noms de personnes, des noms 
propres, ou prénoms. 

Jen ai déjà cité un certain nombre, il y a un instant, lesquels se 
rattachant à la première partie de cette période (à celle qui est la plus 
rapprochée de la conquéte ), se présentent évidemment comme étant 
d’origine burgonde, gothique, vandalique, lombarde: plusieurs savants 
historiens, ou philologues, tels que Muratori, Grotius et autres, sont par- 
venus à en expliquer le sens, car ils signifient tous quelque chose, et 
l’on peut facilement consulter ce que ces auteurs ont écrit là-dessus. 

Mais il arriva qu’à la longue ces noms, quoique révelant toujours la 
méme origine, se modifièrent sensiblement et finirent par revétir les 
formes particulièrement tudesques, qu'il est si aisé de leur reconnaître, 
quand on parcourt les documents que nous a légués le régime féodal. 
En compulsant ces sources si variées, et notamment le grand recueil 
intitulé l’Index general des fiefs de la Savoie, que l'on trouve à Turin, 
aux archives de la Chambre des comptes, l’idée m’a pris de recueillir 
tous les noms dont il s'agit, ou du moins la plupart d’entre eux, et de 
les placer à la suite les uns des autres, en commencant par ceux qui 
me semblaient se presenter le plus fréquemment. 

Je ne mettrai point sous les yeux du lecteur ce travail bien sterile; 
il me suffira, pour satisfaire sa curiosité, si cela en vaut la peine, de 


(1) De la marche des etudes hist., ete., dans le t. IX de la fre série des Mem. de V’ Acad. royale 


de Savoie. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 247 


reproduire ici quelques-uns de ces mémes noms, en suivant l’ordre que 
je viens d’indiquer : 

Guillelme , Guillerme, Willelme,  Willerme; Rodolphe, Rodulphe, 
Radulphe; Humbert, Hubert, Otbert, Obert, Opert; Richard, Ricard; 
Aymon, Aymonin, Aymoin, Aymonet; Hugues, Hugon, Hugonet; Wigues, 
Wigon, Guigues, Guigon, Guigonet, Guion, Guionet, Guidon, Guidet, 
Guy, Wuy; Guiffred, Guitfred, Gualfred, Gioffred, Joffred, Wiffred, 
Soffred; Gerold, Girold, Girod; Robert, Rupert, Ripert, Riffer, Ruder, 
Riter, Rumpert; Conrad; Galtier, Gauthier, Gauterin, Gonthier, Wauthier, 
Walter, Walcher, Walpert; Raymond; Bertrand; Lambert; Aymar, Aymeric, 
Aynard, Adémar, Albert, Arbert, Guibert, Wibert; Burchard; Guichard, 
Wichard; Amblard; Turumbert, Trombert, Rambert; Rol, Rolet, Rolon, 
Roland; Bermond; Jordan; Berlion; Jocerand; Borel; Rainaud, Rainald; 
Arluin; Gaschet; Henri; Garin, Warin; Durand; Boson, Bosonet; Falcon, 
Falconet; Torrenc, Torrestan ; Rotger, Roger, Rogier; Bonnivard; Rostaing; 
Théobald; Walver; Hermann, Armann; Oddon, Othon; Ponce; Uldrick, 
Ulrick, Udalrick, Uldurick, Ulderick , Oiderick, Oalrick; Jocelin; Conon; 
Bornon; Ebal; Ismion, Ismidion; Warner, Garnier; Arnald, Arnolf, Arnaud; 
Rigald, Rigaud, Regaud; Eberard, Everard, Evrard, Evraud; Rambaud; 
Fulcar, Fulger, Fulcher; Raynoard; Beéral, Beéroal, Beéraud, Bérard, 
Berold, Beéroard; Artald, Artaud; Savin; Chabert; Ancelot; Arlaud ; 
Bertet, Bertier, Bertold, Bertaud; Gilbert, Gansbert, Agelbert; Sicher; 
Adelprand; Othemar; Liefred, Ramfred, Valfred, Amalfred; Isard, Isoard, 
Isnard; Theotbert , Sinfred; Alberic, Amaldic ; Otgier, Ogier, Ougier, 
Ogeron; Altenulf; Allard; Galoin; Rurit; Auruc; Sigebold; Enguison, 
Inguizon; Hérold; Ingelbert; Amizon, Amizard; Landric; Winemer; 
Megial; Rarner; Kléfard; Adalgod; Goslin; Gerlan; Ildoin; Lituard; Azon; 
Garimund; Magnifred, Manifred, Maginier, Mainier; Odolbert; Odemar; 
Unipert; Sigefreld, Sigebold; Warembert; Riprand; Gundolf; Heilulf. 

Parmi toutes ces dénominations, dont la plus fréquente est incontesta- 
blement celle de Guillelme, Willelme, ou Guillaname, se trouve mélé 
assez souvent le nom d’Amédée, ou Amadée, d’origine essentiellement 
romaine; puis cà et là ceux de Thomas, de Pierre, de Jean, de Jacques 
et de quelques autres saints connus. Chose singulière, je n'y ai remarqué 
que très-rarement, malgré leur étymologie germanique, les noms de 
Frédéric et de Louis, si usités en Allemagne, en France et ailleurs, 
portés par tant d’empereurs, de rois et de princes. 


248 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Les noms du calendrier latin, quand on les adoptait, prenaient vo- 
lontiers, méme chez les plus nobles races, la forme des diminutifs, par 
exemple: Perrod, Perret, Perrin, Perrinet, au lieu de Pierre; Jacquier, 
Jacquin, Jacomet, au lieu de Jacques; Janet, Janin, au lieu de Jean; 
Thomasset, Thomassin, au lieu de Thomas; Nicod, Nicolet, au lieu de 
Nicolas. Quant au nom de Nantelme, ou d’Antelme, que l'on rencontre 
presque partout, en Dauphiné, en Bresse, en Suisse, comme chez nous, 
il subissait aussi un grand nombre de transformations qui, outre celles que 
Jai énoncées précédemment, offraient les variétés de Lantelme, Lantelmin, 
Lantelin, Anserme, Ansermet, Nanterme, Nantermet, Mermet, Mermoz, 
Mermier etc. Jajouterai que des chartes fort anciennes, que je ne citerai 
pas ici, pour cause de briéveté, et qui appartiennent autant à la Savoie 
qu'au Piémont, mentionnent le nom, d’abord fort embarrassant, de Dod, 
Dodo, Dodoz, qui ne saurait étre , selon moi, que l’abreviation de Claude, 
usitée encore dans nos campagnes: Dodo de Salatio, dit une charte de 
l’antique chartreuse de Vallon: Dodo de Allodiis, dit une autre charte etc. 

En ce qui concerne les noms de femme, les types étranges qu'ils 
revétaient aux VIII et IX siècles, et dont fai donné plus haut un spécimen, 
se trouvaient déjà singulièrement adoucis au siècle suivant. 

Des documents que j'ai eu l’occasion de consulter, il y a peu d’années, 
aux archives cantonnales de Lausanne, documents qui figurent dans l’in- 
téressant régistre intitulé l'/nventaire analytique vert, et qui constatent 
des ventes de serfs de corps, faites à cette époque, fournissent bien 
encore parfois des dénominations présentant quasi le méme caractère que 
les premières, comme seraient Godérune, Ildedrude, Amaltrude , Adalgude, 
Gunthivère etc. ; mais on y découvre, en revanche, quelques appellations 
douces, gracieuses, sonores, telles que Walda, Cléfone, Eufonie, Agila etc. 

Lorsque nous arrivons à la période féodale, nous voyons s’opérer , 
dans ces noms, des modifications identiques avec celles qui concernent 
les noms d’hommes. Au nombre de ceux qui furent le plus en usage, on 
remarque surtout celui d'Adélaide avec ses variations infinies: Adélagide, 
Adélaginde, Adélainde, Adélasie, Adélais, Adéleide, Adélade, Alaîse, 
Alaxie, Alasie, Adélis, Aalis, Alice etc.; puis celui de Béatrix, qui reste 
toujours pur soit d’augmentatif soit de diminutif; puis celui de Berthe, 
si usité également, dont on faisait parfois Berthilie, et plus rarement 
Berthande; puis ceux d’Ermengarde, de Gisle ou Gisele, Engelberge, 
Mabilie, Briande, Mathile, Ellerade, Ita, Faidive, Garsende, Aynarde, 


PAR LÉON MÉNABRÉA 249 
Reine, Gerberge, Richilde, Emma, Emmena, Mirade, Aliénor, Guigonne, 
Bertrande, Sybille, Isabeau, Léone, Léonette. 

Au XV siècle enfin une nouvelle et dernière révolution s’opère dans 
l’emploi des noms. Après une longue lutte, le calendrier romain l’emporte 
sur la nomenclature germanique. C'est alors que l’on voit toutes ces dé- 
nominations d’origine tudesque, dont la physionomie guerrière s’alliait 
si bien avec les géantes armures des seigneurs de cette époque, faire 
place à quelque chose de moins heurté, et s’il est permis de s’exprimer 
ainsi, de plus catholique: les Pierre, les Jean, les Jacques, les Thomas, 
les Francois, les Antoine, les Boniface, les Philippe, les Claude, les 
André, détrònent décidément les Adémar, les Hermann, les Torrestan, 
les Guiffred, et restent maîtres du terroir. 

C'est donc un Nantelme, que j'appellerai deuxième du nom qui, après 
les événements mentionnés à propos de l’expédition d’Amé III en Orient, 
va nous ramener à l’histoire de la famille de Miolans. Nous avons cons- 
taté que cette famille était dejà puissante au XI siècle, alors qu'elle fondait 
dans le canton des Bauges le prieuré de Bellevaux. Nous allons la voir 
maintenant concourir à l’érection d’un monastère plus important. 

Personne n’ignore quel homme fut S'-Bruno; tout le monde sait à la 
suite de quels travaux il parvint, à la fin du XI siècle, dans les mon- 
tagnes qui nous avoisinent, à élever la célèbre maison qui porte le nom 
de Grande-Chartreuse; c'était là une conquéte pour la civilisation, autant 
que pour la religion. L’admiration qu’excita cet institut, nouveau par sa 
forme, presque nouveau par son but, et évidemment de nature à frapper 
vivement l’imagination des monarques, des princes, des nombreux sei- 
gneurs et hauts personnages qui le visitèrent, fut telle, que partout on 
chercha à en etablir de semblables. 

Il y avait en effet je ne sais quoi de beau à voir ces religieux à 
vie austère, aller s'exiler au sein de ces affreux rochers, de ces foréts 
inaccessibles où, en se vouant à la prière, à la contemplation, ils avaient 
l'art, comme ils l’ont encore aujourd’hui, de tout vivifier autour d’eux, 
de rendre aimables, productifs, fertiles, les lieux naguère déserts qui les 
entouraient. Déjà en 1116 Ponce de Balmey, chanoine de l’église de 
Lyon, avait fondé en Bugey la célèbre chartreuse de Meyria; en 1138 
les sires de Langin, de Ballaison et de Cervenc avaient fondé en Chablais 
celle de Vallon, la cinquiéme ou la sixièéme de l’ordre. En 1144 le 


comte Amé II, se rendant en Palestine, avait fondé en Valromey celle 
Senie II Tom. XXIII. 32 


250 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


d’Arvières; en 1151 Aymon, sìre de Faucigny, avait fondé dans la vallée 
de l’Arve celle du Repausoir; en 1171 Hugues d’Arvillards, appartenant 
à lune des plus antiques races du Pagus Savogiensis, avait fondé sur la 
frontiore du Dauphiné celle de S'-Hugon; enfin en 1179 Guillaume, 
comte de Genève, voulant rendre gràce à Dieu de l’avoir délivré de ses 
ennemis qui le tenaient assiégé dans le chéteau de la Roche, avait fondé 
sur le penchant du Salève celle de Pommiers. 

Ce fut alors que, témoin de la prosperité croissante de ces pieux asiles, 
et cédant aux sollicitations du seigneur de Miolans, le comte Humbert III, 
fils d'Amé II, celui-là méme que l’église a admis dernièrement au nombre 
des saints, songea à satisfaire au voen des populations non moins qu'à 
son propre penchant, qui le portait aux ocuvres génereuses, en se faisant 
lui aussi le fondateur d’une de ces maisons si utiles et si vénérées. 

C'est dans un coin du frais plateau des Bauges, au milieu de ces 
silencienx pàturages, de ces majestueuses foréts de sapins, de chénes et 
surtout de frénes, dont les restes font encore aujourd’hui l’admiration 
des voyageurs, non loin de Bellevaux, au bord d'un petit torrent qui va 
poussant ses eaux capricieuses vers celles da Chéran, aux paillettes d'or, 
tout près d’un village appelé Aillon, que le prince et son confident jugè- 
rent à propos de poser les fondemenis de ce nouveau monastère. 

La charte inédite rédigée en souvenir de ce grand acte de pigté 
nous apprend de quelle manière se formaient au moyen dge ces précieux 
etablissements. Cette charte est curieuse; J'emploierai quelques lignes à 
en faire connaître les principaux points (1). 

Dès avant l'année 1183, comme cela se pratiquait presque toujours 
en semblable cas, un petit nombre de deyoués cénobites, deux, trois, 
quatre, cinq, peut-étre, avaient quitté la maison mere de la Grande- 
Chartreuse avec l’autorisation du supérieur, et s'étaient mis en quéte 
d'une retraite bien éloignée, bien sauvage, où ils pussent se livrer sans 
entraves aux rudes exercices de leur saint institut. Si l’espace ne me 
manquait, il me serait facile de démontrer par une foule de documents 
authentiques, que c’est ainsi que commencèrent la plupart de nos vieux 


(1) Je n’ai point relrouvé l’original de ce document; mais il en existe plusicurs copies, dont Ja 
plus exacle est, sans contredit, celle que l’on rencontre dans le t. I des P’rotocoles, consignements, 
aveur et dénombrements des fiefs, recus par le notaire Léger, 1758, 1773; ily en a aussi un exemplaire 
antique dans le cartulaire de la chartreuse d’Aillon, possédé aujourd’hui par M. Costa de Beauregard. 


PAR LEON MENABREA i 251 


couvents (1). A la téte de ces pauvres moines allant, comme à la garde 
de Dieu, chercher au dehors quelque occasion glorieuse pour la religion, 
se trouvait un de ces hommes, plein d’intelligence et de zèle, dont la 
seule pensée était l’accroissement de l’ordre, auquel il appartenait. Cet 
homme s’appellait Guy. Dire comment il se fit que lui et ses compagnons 
dirigèrent leurs pas vers les Bauges, encore à demi barbares , c'est chose 
impossible ; ce qu'il y a de certain, c'est que, par analogie à ce qui 
avait en lieu en des circonstances pareilles, et à l’exemple méme de 
S'-Bruno , on peut croire qu'ils y vécurent d’abord au milieu des bois, 
dans de petites cases isoldes, construites par eux, et n’ayant pour subsister 
que les herbes, les racines qu'ils pouvaient recueillir et les aumònes des 
seigneurs voisins (2). 

Quoi qu'il en soit, à peine étaient-ils arrivés en cet endroit solitaire, 
qu'un des frères du sire de Miolans appelé Gauthier, touché du spectacle 
de tant d’abnégation et de vertus, résolut de quitter le monde et courut 
se jJoindre à eux (3). 

C'est alors que le comte Humbert IN prit le parti d’affermir les 
bases de ce monastère naissant. Nous ignorons l’époque précise où eut 
lieu la donation qu'il lui fit; car la charte destinée à en perpétuer le 
souvenir est depourvue de date; cependant il est certain qwelle est an- 
terieure à 1185, et tout porte è croire qu'elle est au moins de 1180. 
On y lit qu'Humbert, comte de Maurienne et marquis d’Italie, pour le 
salut de son me et celui des imes de son père, de sa mère et de ses 
parents, avait donné à la maison de Sainte-Marie-d’Aillon, de l’ordre des 
chartreux, par l’intermédiaire de Guigon, alors prieur de Meyria et plus 
tard evéque d'Aoste, l’universalité de ce qu'il possédait dans le territoire 
d’Aillon. « Et comme ce territoire, ajoute le donateur, n’abonde pas 
» en poissons, non multum abundat piscibus, je lui ai fait en outre 
» abandon è perpetuité de mon lac de la Thuille, lucum meum de 


= 


{1) Les chroniques de la Savoie, parlant de la fondation du célèbre monastère d’Aulps en 
Chablais, narrent longuement dans leur style naif ce que je ne fais ici qu’énoncer ; on y voit 
comment en ce temps deux bons preudhommes moynes de Clervaux prindrent congé de leur abbé pour 
alle» tenir vie solitayre en aucung lieu loingiain et devot....ete. 

(2) Voyez è la bibliothèque publique de Grenoble, dans le n° 124 des manuscrits, p. 24, Breve 
chronicon priorum Cartusie ab origine ordinis usque ad annum mexL. 

(3) Les expressions de la seconde des notices de la charte, que je vais essayer de commenter, 
l’indiquent assez clairement: Zoc autem factum est per manum Guigonis prioris illius domus presente 
criam Gauterio monacho fratre ipsius Nantellini, 


252 > DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


» Tuilli. » On sait que ce lac, situé sur le revers septentrional de Îa 
montagne qui porte son nom, est peu éloigné d’Aillon, et qu'il ne s’en 
trouve séparé que par le petit col du mont Cervin. Du reste, le prince 
deéclare formellement avoir été le fondateur de ladite maison, cujus domus 
fundator extiti. 

A la suite de ce premier document, et faisant en quelque facon corps 
avec lui, s'échelonnent cinq autres notices également sans dates, se rap- 
portant toutes à des cessions intervenues à des intervalles qui ne parais- 
sent pas très-rapprochés entre eux, puisque les derniers mentionnent 
le prieur Amblard successeur de Guy. 

Ces lambeaux, échappés au temps, offrent un véritable intérét, non- 
seulement au point de vue de l’histoire des développements primitifs de 
la chartreuse dont il est ici question, mais encore en ce qw'ils fournissent 
sur plusieurs des anciennes familles féodales de notre pays des données 
précieuses. Celui que l'on rencontre immediatement après la donation 
du comte Humbert est relatif aux libéralités des seigneurs de Miolans. 

Nantelme ou Nantelin de Miolans, son frère Guillaume, leurs femmes, 
leurs enfants, donnent au monastère d’Aillon, à l’acceptation de Guy son 
prieur, et avec l’intervention de Gauthier de Miolans, simple religieux, 
tout ce qu'ils possèdent dans le val d’Aillon, à partir du Crét-de-Vibert, 
a crepidine IWiberti, jusqu'è ses extrémes confins, per omnem vallem 
infra ipsius terminos. En compensation de ce don, les donateurs re- 
coivent de la part des moines la somme de 56 livres de monnaie forte. 
A cet acte, passé à Chambéry, sont présents Guillaume et Ameédée, sei- 
gneurs de ce lieu, et Gauthier, seigneur de la Ravoire. Jai déjà fait 
remarquer que les sires de Chambéry descendaient de l’une de ces an- 
tiques races gallo-romaines qui se maintinrent puissantes au milieu de 
nous en depit de la conquéte des peuples du Nord; ils faisaient, comme 
on l’a vu, profession de vivre sous la loi romaine, à raison de la nation 
à laquelle ils appartenaient. Ce n'est pas certainement le cas de raconter 
ici les divers faits qui les concernent, dont quelques-uns d’ailleurs sont 
assez connus; je me contenterai de dire que le document qui nous oc- 
cupe n'est pas sans importance dans leur histoire, si difficile à débrouiller 
à celte époque reculée. 

Quant aux sires de la Ravoire, ce méme document me paraît sur- 
tout précieux en ce qu'il contient, è ce que je crois, la plus ancienne 
notion qui nous soit parvenue sur ces illustres feudataires, que l’on trouve 


PAR LÉON MENABRÉEA 2553 


au XIII siècle, possesseurs de plusieurs terres, maisons-fortes et chàteaux, 
tels que la Ravoire, Bassens, l’Aisse, S'-Alban, la Cluse, Montbasin, 
Pragondran, Verel, Domessin, Belmont ete. (1). 

Poursuivons. La charte qui vient ensuite se rapporte aux sires d’Apre- 
mont. Boson d’Apremont, d’après le conseil et selon l’exprès consente - 
ment de ses frères, Richard et Gautherin, donne à la chartreuse d’Aillon , 
représentée par Guy son prieur, tout ce qu'il possède d’enclavé dans 
les confins du territoire de ce couvent, depuis la Grotte en amont, « 
Spelunca superius, jusqu'à l'extrémité de la vallée; plus, la montagne et 
l’alpe de Rossane, et montem et alpem Rossane. L’acte est passé au ch- 
teau d’Apremont; Boson recoit des mains de Guy 2640 sols; Richard 20; 
Gautherin 15; et les individus appelés pour régler les affaires, 40 à diviser 
entre eux. On délivre en outre à un Guiffred d’Altilieu, qui sans doute 
s'était mélé utilement de cette transaction, une belle vache è titre de 
druele, ou de druerie, pro drueria, c'est-à-dire de cadeau, d’épingle, de 
pot-de-vin; car c'est là ce que signifiait jadis ce mot, dont l’acception primi- 
tive équivalait à bon vouloir et amitié, ainsi que nous l’apprennent plusieurs 
passages de nos anciens romans; témoins ces vers de Garin le Loherain: 


Vos drueries s'il vous plait me donnes; 


ei ces autres, tirés d'un vieux poéme que cite Ducange: 


Signe li fist de druerie 
Et cil ne la refusa mie. 


Ajoutons que la convention se termine en présence de Bernard, cha- 
pelain du lieu, d’Aymon de Bassens, de Pierre Pelavil et de Guillaume 
de Maynier, issus de ces petites familles de gentilshommes, qui faisaient 
hommages de leurs fiefs aux races plus nobles; les vassaux de Maynier, 
par exemple, étaient feudataires des sires de Miolans, comme je le dirai 
ailleurs; ceux de Bassens, des sires de la Ravoire etc. 

Le document que je viens d’analyser, est incontestablement d’une 
grande importance pour l'histoire des sires d’Apremont, de ces seigneurs 
redoutables et puissants qui n’apparaissent, en quelque sorte, que fugi- 
tivement, mais avec éclat dans nos annales, puisque je trouve en effet que 
vers le milieu du siècle suivant leur descendance directe avait déjà disparu. 


(1) Index general des fiefs , v. la Ravoire. 


254 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 

En 1284 la seigneurie d’Apremont était déjà possédée en partie par Rolet, 
sire de la Balme, et en partie par la famille du Chatellard en Bauges, 
qui tenait ses droits de Jacquemette de la Balme, alliée è l’un de ses 
membres et décédée, je ne saurais trop dire quand. Cette seigneurie 
devint en 1421 la propriété de Guigonne, épouse de Gaspard de Mont- 
mayeur, en vertu du testament de Catherine de la Ravoire, sa mère, 
veuve d’Aymon de la Balme: elle passa ensuite au pouvoir des princes 
de la maison de Savoie (1). i 

On sait que, situé sur le penchant de l’apre montagne qui lui a donné 
son nom, le chiteau d’Apremont, de méme que celui de la Ravoire, qui 
est peu éloigné de Chambéry, dominait la route qui se dirigeait jadis 
sur Grenoble. Admirable position militaire, il fut souvent pris et repris à 
des époques plus récentes, et devint le theatre de plus d’un trait de ma- 
gnanimité et de bravoure, en 1746, pendant la guerre des Espagnols. 

Après cette charte on en rencontre une troisiéme, qui, bien que re- 
lative à une dynastie Bressane, la très-illustre et très-haute race des sires 
de Varax, qui furent comtes et marquis, seigneurs de S'-Sorlin, de 
Richemont et de la Poype, n’a pas moins d’intérét pour nous que celles 
que nous avons parcourues jusqu'àè présent; car le cri de guerre, Yarax! 
que poussaient sur les champs de bataille ces fiers feudataires, à la téte 
des nombreuses lances qui d’ordinaire les suivaient, a laissé dans nos 
vieilles chroniques d’honorables retentissements. L'érudit Guichenon, qui 
a retracé leur généalogie, n’ayant point connu le titre que nous exami- 
nons, n'a pu faire remonter son travail qu'àè un Ulrich de Varax, qui 
vivait en 1250 environ, tandis que notre document nous reporte à plus 
de soixante ans au delì. 

La donation dont il va s'agir appartient à une époque, où le prieur 
Amblard avait succédé au vénérable Guy. Chabert de Varax, du con- 
sentement de ses fils Amblard et Bernard, pour le remède de son me, 
de lame de son père Amblard et des mes de ses parents, donne à l’église 
d’Aillon tout ce qu'il possède dans le territoire d’Aillon, depuis la Caverne 
ou Grotte, d’amont (ces expressions sont identiques avec celles que nous 
avons déjà remarquées) jusques en aval. Le monastère fait compter au 
denateur la somme de huit cents livres, monnaie viennoise. Interviennent 


à cet acte le procureur de la communauté, appelé Bernard, et un grand 


(1) Index general des fiefs, v. Apremont. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 255 


nombre de religieux, quamplurimis fratribus; outre le prieur ci-dessus 
cité, parmi les témoins de la convention, je découvre un Quintel de Varax, 
à qui fut remise une tunique, qui habuit tunicam, sans doute en guise 
de druerie, à l’exemple de ce qui avait eu lieu précédemment. 

On voit quel soin notre chartreuse, établie et accrue en si peu de 
temps, mettait, sinon à étendre ses domaines, du moins, chose plus im- 
portante encore pour elle, à les rendre compactes, adhérents les uns aux 
autres, de manière à former un véritable district, un canton, où il lui 
serait bientòt facile d’exercer une véritable juridiction, tant civile que poli- 
tique, ce canton ne devant pas tarder à se peupler par les efforts qu'elle 
se proposait de faire pour y appeler des habitants, en leur concedant 
des terres à la charge de divers tributs, de divers servis féodaux. 

Nous touchons maintenant à un avant-dernier document, tout aussi 
précieux que ceux que nous venons de parcourir, et davantage peut-étre 5 
en ce qu'il regarde une race des. plus puissantes, dont les possessions 
touchaient à celles de la famille de Miolans, et qui joua au moyen fige un 
ròle toujours actif, toujours glorieux; je veux parler des sires de Conflans. 

Ce document nous apprend d’abord, que Ponce de Conflans avait 
acheté en Bauges, proche d’Aillon, sur la montagne dite de Morbiez, 
une assez vaste étendue de terrain, provenant de certains vassaux, 4 
quibusdam militibus, appelés Guillaume et Nantelin de Maynier et Selvon 
d’Aiglières, ou plutòt des Glières, que des actes postérieurs. signalent 
comme ayant possédé des fiefs nobles dans la vallée de l’Isère. Or c'est 
précisément cette terre, que spontanément, librement, en vue seulement 
d’accomplir un acte pieux, solo intuitu pietatis, le dynaste de Conflans 
transfère, à titre de donation irrévocable , amissa omni requisitione, à la 
sainte église d’Aillon, en présence de Guigon, évéque d'Aoste, du prieur 
Amblard, de Bernard, procureur du couvent et des religieux les plus 
anciens, et seniorum domus. Les temoins appelés au contrat sont Guy 
des Allues, Guido de Allodiis, qui, sous la suzeraineté, je crois, des sires 
de Miolans, detenait la maison-forte des Allues, au-dessus de S'-Pierre- 
d’Albigoy, et Hugues d’Albiez, appartenant à une vieille lignée de gentils- 
hommes mauriennais, feudataires soit de l’évéque, soit du chapitre de 
Maurienne (1). 


(1) Les chartes inédites de la cathédrale de Maurienne fournissent un grand nombre de rensei- 
gnemenls sur ces seigneurs. 


256 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


On y remarque en outre un Guiffred ou Wiffred de Miolans, /7iffredus 
de Mediolano, qui, selon toute apparence, avait déjà alors succédé & 
Nantelme, ce recommandable personnage que nous avons vu, ily a un 
instant, préter son concours au comte Humbert III, pour la fondation 
de notre monastère. Guiffred reviendra tout à l’heure, et nous le retrou- 
verons bientòt, avec Ponce de Conflans et quelques autres seigneurs, oc- 
cupant auprès du prince Thomas un poste important. Deux mots avant 
sur la famille de Ponce. 

Jadis il existait à Conflans sur la croupe de ce rocher pittoresque , 
où la plupart des savants croient decouvrir la place d’une station ro- 
maine, et qui s’élève à l’endroit méme où l’Arly se réunit à l’Isère, 
plusieurs chàteaux célèbres: le chàteau de Conflans proprement dit, que 
les princes de la maison de Savoie disputèrent long-temps à ses vrais 
proprietaires , les archevéques de Tarantaise , celui qu’on appelait le Chàtel- 
sur-Conflans, puis la maison-forte de la Conr de Conflans, appartenant 
l’un et l’autre à la famille de Conflans. 

Cette famille, dont le dynaste Ponce doit étre considéré comme 
le premier membre connu, était sans contredit aussi ancienne que celles 
des sires de Miolans, de Chevron, d’Uretières, de la Chambre, de 
Briancon, d’Ayton, de Chamoux qui l’avoisinaient. Je ne saurais dire 
préciséement à quelle époque la descendance directe de ces hauts feuda- 
taires S’éteignit; ce qu'il y a de sùr, c'est que moins d’un siècle après 
la fondation du monastère d’Aillon, que j'ai rapportée à l'année 1183, 
la seigneurie de Conflans se trouvait au pouvoir de la famille de Duing, 
qui dès lors prit le titre de Conflans-Duing. Il faudrait de longues pages 
à quiconque voudrait écrire l’histoire de ces seigneurs, au sujet desquels 
les renseignements abondent. Qu’il suffise de savoir qu’è raison des nom- 
breux fiefs qu’ils possédaient en divers lieux, ils se reconnaissaient vas- 
saux de l’église de Tarantaise, des comtes de Savoie et des comtes de 
Genève. 

En Tarantaise en effet ils étaient investis des terres de Cornillon, 
d’Aiguebellette, de Bosel, de Naves, de la Batie, de S'-Hippolyte, de 
Coeur. Ils eurent avec les comtes de Savoie de longues difficultés sur les 
termes de la juridiction qu’ils exercaient à Conflans. Hommes liges des 
comtes de Genève, pour ce qu'ils avaient conservé en Genevois, l’un d’eux 
se vit forcé en 1296 de vendre à ces princes, au prix de 2500 livres, 
somme fort considérable alors, un chateau que je ne saurais dire étre 


PAR LÉON MENABRÉA 257 


celui de Chitel, plutòt que celui de la Cour, puisque l’acte ne le désigne 
que sous le simple nom de Castrum de Conflens, mais qui probablement 
fit plus tard retour aux successeurs du noble vendeur, car on les retrouve 
tous les deux entre leurs mains vers le milieu du siècle suivant. C'est 
assez sur ce point (1). 

La dernière notice que nous fournit la longue charte dent nous ve- 
nons de parcourir les différentes parties, est relative à une nouvelle do- 
nation que le comte Humbert IMI fit aux chartreux d’Aillon, du droit 
d’affouage et de pacage sur toutes ses lerres, memora et pascua per totam 
terram meam, spécialement des paturages de Villens, pour l’hivernage 
des brebis, ad hiemandum oves, et de ceux de Lannelour ou Lagnelajour, 
pour le part de ce petit betail, ad partum earumdem; et en outre, d’une 
forét destinée au chauffage des bergers, et nemus ad calefaciendum 
pastores. 

Le saint donateur mourut quelque temps après, c’est-à-dire le 4 
mars 1189. 

Nantelme de Miolans l’avait précédé dans la tombe en laissant, comme 
nous l’avons remarqué, la succession à Guiffred, qui pouvait bien étre 
son fils: Guiffred ne mena pas longue vie. Une charte du mois de juin 
de la méme année nous le montre assistant avec Aymon de Briancon , 
Aymon de la Chambre et Ponce de Conflans, à la cession de la terre 
Mont-Bérenger , faite par le comte Thomas au chapitre épiscopal de 
Maurienne. 

Ces seigneurs, en téte desquels figure le sire de Miolans, y sont 
qualifiés de darones. On y voit quils formaient le conseil du prince, 
encore mineur, soumis à l’autorité de son tuteur Boniface, qui fut plus 
tard marquis de Montferrat, consilio baronum meorum. Dans cet acte le 
jeune fils d'’Humbert, tout en faisant aux chanoines mauriennais l’abandon 
du fief en question, avec tous les droits juridiques qui s’y rattachaient, 
et qu'on designait alors par la formule, omnes exactiones justas et in- 
Justas et omnes oppressiones et omne jus et injurias, se réserve néanmoins 
la connaissance du crime de félonie et des causes destinées à étre terminées 
par le duel, proditiones et duella. C'est à ce document que se rapporte 


(1) Index genéral des fiefs, v. Conflans. 
Serie II. Tom. XXIII. dD 


258 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


an des titres que j'ai eu l’occasion de citer précédemment, à propos de 
ma digression sur cet objet (1). 

Rien dès lors n’indique ce que devint Guiffred, Il passa sans doute 
de vie à trépas, car, six ou sept ans après, un nouveau Nantelme, que 
jappellerai Nantelme III, possédait la seigneurie de Miolans, et s’ouvrait 
par son intelligence , sa bravoure, sa loyauté, une carrière qui, malgré 
le petit nombre et la concision des documents qui la concernent, font 
nécessairement supposer qu'elle fut aussi honorable, aussi brillante et 
beaucoup plus longue que celle d’aucun de ses devanciers; mais avant d’en 
deviser selon la convenance du sujet, et comme j'ai en quelque. sorte 
pris l’engagement de raconter les commencements de la chartreuse d’Aillon, 
je dirai, en peu de mots, ce que ce seigneur et le comte Thomas firent 
pour ce monastère. Ceci me fournira d’ailleurs l’occasion de revenir sur 
quelques-unes des familles dont j'ai déjà parlé, et d’en signaler quelques 
autres. 

Jai fait connaître, il y a un moment, de quelle manière Ponce de 
Conflans, ayant acheté de Willelme ou Guillaume de Maynier la mon- 
tagne de Morbiez en Bauges, en avait transferé, à titre gratuit, la pro- 
priété audit monastère. 

Or 
cet établissement religieux fut précisément ce petit vassal qui, suivant 


, un des premiers à s'insurger contre la prospérité eroissante de 
mon opinion, vivait sous la haute juridiction féodale de la famille de 
Miolans, et figurait parmi les hommes liges de cette illustre race. Il se 
mit è quereller les bons moines à propos de certains droits qu'il pré- 
tendait s'étre réservés. 

La contestation, devenue assez vive, fut portée devant le plaid, 
ou tribunal de Nantelme, qui fit dresser un acte authentique, scellé de 
son sceau, par lequel, du consentement de ce meme Willeime, de son 
fils Rotard, de sa fille Agnès et d’Aymon, mari de celle-ci, il déclara 
que tant lui que ses héritiers défendraient et maintiendraient fièrement, 
à l’avenir, toutes les possessions de la chartreuse, soit dans la montagne 
dont il s’agit, soit dans les territoires de Lugier et de l’Espinette, jusqu'à 


(1) Guichenon, Hist. de Sagoie, pr., p. 44. Les quatre seigneurs qui figurent dans ce document 
sont encore mentionnés dans une charte du ter avril de ladite année, dressée à Aiguebelle, è 
l’occasion d’une donation faite par le comte Thomas à l’hospice du mont Joux ou Grand-St-Bernard. 
Mon. hist. patr. Chartarum, t. IT, p. 951. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 259 


la Margeria. La désignation de Ponce, chapelain de Miolans, comme 
témoin de la protestation, indique que déjà alors existait au chateau de 
ce nom la chapelle qui fut investie plus tard de quelques-unes des attri- 
butions dévolues aux églises paroissiales. Sont déenommés en outre, sous 
la méme qualification, Aymon, vassal de Chamousset, Aymo miles de 
Chamosseto , et ce noble Guy des Allues, que j'ai cité précédemmt, 
quand j'ai parlé des donations du sire de Conflans. L’un et l’autre étaient 
bien sùrement, du moins en partie, les feudataires , les hommes, du sei- 
gneur de Miolans (1). 

Nonobstant la declaration solennelle, dont je viens de retracer le 
contenu, les vassaux de Maynier, ou de Maignin, car l’orthographe de 
leur nom varie beaucoup, ne lichèrent point prise et continuèrent à 
inquiéter les religieux si bien, qu'en 1205 il y eut entre les collitigants 
une nouvelle convention, où l'on voit figurer Guiffred, un des fils du 
Willelme ci-dessus cité, avec une qualification qui fait voir que sa 
famille tenait en fief de celle de Miolans, selon toute apparence et pour 
des motifs que je dirai bientòt , le village de S'-Jean-de-la-Porte, dont 
elle ne tarda pas à s’attribuer le nom, comme désignation patronymique, 
de Porta. La charte inédite, qui constate toutes ces circonstances, est 
intitulée carza Gwuiffredi fili Willelmi Maignini militis de S.° Johanne 
de Porta (2). 

Ce furent ces persécutions, jointes aux déportements d’un mauvais 
vassal, appelé Berlion de Chandieu, qui avait. pillé les domaines du 
monastère (3), et aux injustes prétentions des seigneurs et des habitants 
d'une localité des Bauges, dite la Composte, sur les paturages ou alpes 
de Charbon (4), ce furent, dis-je, ces tristes querelles qui, en presence 
de l’autorité méconnue des sires de Miolans, engagèrent le comte de 
Savoie è intervenir. 

Et en effet, par un acte de 1217 environ, ce prince prit ouverte- 
ment la chartreuse sous sa protection, en déclarant que quiconque viendrait 
à enfreindre ses prohibitions, encourrait sa colère et serait passible de son 


ban comital, consistant en l’amende de cent marcs d’argent, outre les 


(1) Cartulaire de l’église d’Aillon: cette charte est sans date. 
(2) Cartulaire de l’église- d’Aillon. 

(3) Guichenon, Mist. de Savoie, pr. , p.. 51. 

(4) Ibidem. 


260 DES ORIGINES FÉODALES ETC. » 

peines corporelles qu'il lui plairait y ajouter, cun maximo corporis tor- 
mento (1). Puis le 2 avril de la méme année, il fit donation è ses bien- 
aimés cénobites de la somme de quatre livres fortes, à prendre annuel- 
lement sur les revenus du péage de S'-Rambert en Bugey, en expliquant 
qu'il les destinait à un repas, convivim, que les religieux feraient en 
commun dans le couvent, aux fétes de Pàques. 

Ces sortes de réunions, auxquelles on donnait le plus souvent le nom 
de pitances, pitancie, étaient constamment, et les exemples en fourmillent, 
précédées et suivies de prières en commémoration des pieux bienfaiteurs 
de l’établissement. Toutefois, chez les chartreux, où le principe de l’iso- 
lement dominait en quelque sorte toute l’économie de l’ordre, on les 
rencontre moins fréquemment qu’ailleurs. 

Inutile de dire que Nantelme de Miolans assistait è cet acte avec 
plusieurs autres hauts feudataires (2). 

Je termine ces considerations en faisant encore remarquer qu’en ce 
qui touche le droit de protection sur la chartreuse d’Aillon, d’après 
mon opinion particulière, ce furent toujours les seigneurs de Miolans qui 
en demeurèrent saisis en premier ressort. Ce droit, bien qu'il ne fùt 
accompagné d’aucune espèce d’émolument, ressemblait par son but à ce 
qu’étaient les anciennes avoueries avant quela cupidité de cenx qui les 
possédaient, les eùt complétement dénaturées. 

Nous avons vu, il y a un instant, Nantelme de Miolans, dont je 
reprendrai bientòt l’histoire à un point de vue différent, interposer son 
autorité pour mettre un terme aux attaques des vassaux de Maynier 
contre ce monastère , avec toutes les clauses de manutention , de sauve- 
garde et de prohibition , usitées en pareil cas. Or, dans un document 
posterieur un fait semblable se reproduit. 

Ce document nous apprend qu’après avoir exempté le couvent susdiìt 
du péage établi sur le pont de Fréterive, apud pontem Fracteripe, pour 
le passage des bestiaux, le sire de Miolans prend de nouveau sous la foi 
du serment, prestito sacramento, l’obligation de le défendre et sanvegarder 
de toutes les entreprises, mofesties et infestations dont il pourrait étre 
l’objet, sous la condition qu’en cas de litige il acceptera la puridiction 


de ce seigneur, quod staret juri (3). 


(1) Guichenon, Mist. de Savoie, pr., p. 52. 
(2) Ibidem. 
(3) Cartulaire de l’église d’Aillon; cette charte est de mars 1239. 


PAR LÉON MÉNABREA 261 


CHAPITRE XVI. 


ÉTUDE SUPPLÉMENTAIRE. 


Le comte Thomas. - Erreur de quelques historiens. - Vie active des seigneurs à cette 
epoque. - Les princes de Savoie en voyage. - Nantelme de Miolans. - Hommes d'armes, 
écuyers etc. - Titre de l'an AN96.- Chateau de Cornillon. - Chatellenie de St-Rambert. 
- Le comte Thomas poursuit avec bonheur ses entreprises. - Les sires de Miolans sal- 
lient à ceux de Faucigny. - Abbaye de Haut-Crét. - Guerre contre les Albigeois. - Le 
prince Thomas, Nanielme de Miolans et autres seîgneurs suìvent le roi de France dans 
celte triste expédition. - Donation è la Grande-Chartreuse. - Mariages des princesses 
Marguerite et Béatrix. - Clauses des contrats. - Transaction du comte Thomas avec l’ab- 
baye de St-Maurice-d' Agaune. - Régne glorieux de ce prince. - Role de Nantelme de 
Miolans. - Seigneurs de Chambéry. - La ville de ce nom passe aux mains du comte 
Thomas.-- Franchises accordées par ce prince. - Dernières années de Nantelme de Miolans. 
- Titre de AQ4A. - Nantelme IV; donation à Vabbaye du Betton. - Quelques mots sur 
ce monastère. - Titres relatifs aux seigneurs de Miolans de A252 d A424. - Reconnaissance 
passée par Jacques de Miolans en 1438. - Les biens des comtes de Montmayeur tombent 
au pouvoir des sires de Miolans. - Louis et son fils Jacques, derniers rejetons de cette noble 
race. - Le duc de Savoie hérite du chiteau de Miolans. - Hommes illustres de ce nom. 


Le règne du comte Thomas, de ce prince que j'ai déjà nommé, et 
qui en 1189 succéda au comte Humbert INT, son pere, fut incontesta- 
blement un de ceux qui contribuèrent le plus puissamment à la future 
grandeur de la maison de Savoie, tant en decà qu’au delà des Alpes. 
Un illustre écrivain, M" le commandeur Cibrario, lui a consacré un 
chapitre de son intéressante et savante histoire de notre monarchie; je 
ne puis mieux faire que d’y renvoyer le lecteur. 

Ne devant m'occuper ici que de la chronique du chàteau de Miolans, 
dont je recueille à grand’ peine les lambeaux, je commencerai par élaguer 
de ce rèégne memorable un fait qui, sur l’autorité de quelques vieux 
historiens, s'était Jadis singulièrement accrédité, et qui consistait a pré- 
tendre que le comte Thomas, menant à sa suite une quantité considé- 
rable de seigneurs, au nombre desquels se trouvait Nantelme de Miolans, 
avait concouru aux entreprises qui, d’abord sous la conduite de Thibaut, 
comte de Champagne, puis sous celle de Boniface, marquis de Moniferrai, 
constituèrent ce qu'on est convenu d’appeler la cinquième croisade; mais 
Guichenon et tous les auteurs venus après lui ont amplement démontré 
que c’était là une grave erreur. 


262 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Plusieurs nobles feudataires de nos contrées prirent sans doute part 
à cette expédition , de meme qu'à celles qui la précédèrent, et auxquelles 
on donne le nom de troisiome et de quatrième croisades; toutefois ce 
ne fut jamais qu’isolément et par petits groupes. On les voit, comme 
autrefois, faire des dons aux abbayes, afin d’obtenir d’elles. l’argent né- 
cessaire au long et périlleux voyage d’outre-mer. C'est ainsi qu’en 1189, 
à l’époque où Philippe-Auguste, roi de France, et Richard-Coeur-de- 
Lion, roi d’Angleterre, venaient de former alliance dans le but de sauver 
les lieux saints, un Pierre de Clefs, chevalier, appartenant à une an- 
cienne famille da Genevois, désireux d’aller combattre les infidèles, fit 
une donation è l’illustre monastère de Tamié, fondé sur les confins des 
Bauges par les archevéques de "Tarantaise, et se mit en route pour la 
Palestine. 

Ces exemples d’enthousiasme se rencontrent assez fréquemment (1). 

Au reste, rien de plus actif, de plus mobile, de plus agité que la 
vie des seigneurs de ce temps-là. Les comtes de Savoie surtout n’avaient 
pas un instant de repos. Possesseurs de vastes domaines et de nombreuses 
chatellenies en Savoie, en Dauphiné, en Bresse, en Bugey, en Suisse, 
en Val-d’Aoste, en Piémont, on les apercevait constamment par monts 
et par vaux, visitant une terre, puis une autre; faisant des acquisitions, 
des échanges; étendant par d’habiles transactions leur suprématie sur les 
fiefs voisins; chàtiant les vassaux rebelles; accordant des franchises aux 
villes et aux bourgs; guerroyant contre les Dauphins de Vienne, les 
comtes de Genève, les sires de Faucigny; cherchant à saper sourdement 
la puissance politique des évéques; et ensuite repassant les Alpes pour se 
méler aux grandes questions qui préoccupaient alors l’Italie, et pour pro- 
fiter des éternelles dissensions de ce pays, afin d’y semer les germes du 
pouvoir qu’ìls y exercèrent bientòt, et jeter les bases d’une grandeur que 
leurs vues politiques, leur perséverance, leurs vertus guerrières et privées 
(on ne cite pas un mauvais prince dans la longue et illustre lignée de la 
maison de Savoie) devaient accroître nécessairement (2). 


(1) Anno Domini M. CLXXXIX Petrus de Cletis miles volens Jerosolimam proficisci dedit Deo et 
Sancte Marie Stamedii V obol. censuales. Charte citée dans une notice intitulée Narratio de funda- 
tione abbatie beate Marie de Stamedio, extraite du cartulaire de Tamier et faisant partie du n° 124 
des manuscrits de la bibl. de Grenoble, p. 179 

(2) On ne saurait se faire une plus juste idée du mouvement incroyable que les princes de la 
maison de Savoie et les seisneurs de nos contrées se donnaient au moyen age, qu’en s'amusant 


PAR LÉON MÉNABREA 263 


Ces princes ne voyageaient pas seuls, on peut bien le croire. Ils se 
montraient toujours accompagnés d'un certain nombre de hauts feuda- 
taires, ou barons, qui les aidaient de leurs avis, et qui devinrent le 
noyau de cette espèce de conseil, connu plus tard sous la dénomination 
de Consilium cum domino residens. 

Les seigneurs dont je parle exergaient d’ordinaire une grande influence 
sur les affaires; ils se regardaient comme solidaires des determinations 
du suzerain. Aussi avait-on l’invariable habitude de les mentionner au 
bas des traités, des conventions, des actes importants, et manquait-on 
rarement d’y insérer la formule baronum nostrorum consensu , indiquant 
que tout s'était fait avec la maturité convenable. 

Parmi les éminents personnages qui, pendant trente ans, s'attachèrent 
à la fortune aussi brillante que variée et pleine de labeur du comte 
Thomas, on remarque Ayméric, Humbert et Guy de Briancon; Richard 
de la Chambre, Ponce, Guiffred et Thomas de Conflans; Humbert et 
Amedée de Villette; Pierre et Humbert de Seyssel; Pierre et Arluin 
de Chignin; Guiffred Mareschal, Berlion et Rodolphe de Chambéry; 
Guillaume et Guy de la Balme; Aymon de S'-Michel, Amédée d’Ayton, 
Guy de Gerbaix, Jacques de Chevelu, Ponce de Cuynes, Guillaume de 
Beaufort etc., enfin Nantelme de Miolans qu'on retrouve presque partout. 

A leur suite s'échelonnaient habituellement force hommes d’armes , 
écuyers, clients, pages, veneurs , huissiers , messagers, palefreniers, gens 
de cuisine, valets etc. 

Le prince avait ses chambellans, parmi lesquels figura longtemps en 
première ligne un Pierre du Touvet, qui successivement fut investi des 
fonctions de chancelier. Jean et Probus étaient ses clercs, ou écrivains, 
Maurice, son notaire etc. (1). 


à parcourir, aux archives de la Chambre des comptes à Turin, quelques-uns de ces innombrables 
volumes et rouleaux contenant les comptes des trésoriers généraux, des maîtres d’hòtel, des tré- 
soriers de guerre, des chàtelains ete. Ces documents sont pour notre histoire une source presque 
inépuisable de renseignements curieux. M. Cibrario a été un des premiers qui en ait tiré parti 
dans ses importantes publications. 

(1) Aux malériaux cités dans la note précédente, et particuli&rement aux comptes des maîtres 
d’hòtel de la Savoie, qui peuvent également fournir sur cet objet de précieux details, j’ajou- 
terai la collection des mèmes comptes formant un nombre assez considerable de volumes, intitulés 
Camera Domini Ils contiennent ce que l’on depensait chaque jour pour le service de la chambre 
du prince. 


264 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Si maintenant nous ne répugnons pas trop à parcourir quelques-uns 
de ces faits qui, semblables à des jalons placés de distance en distance, 
nous révelent, av milieu de l’obscurité des siècles féodaux, ce que fut 
l’existence de tous ces princes, de tous ces seigneurs, qui contribuèrent 
à fonder notre monarchie, et qui posèrent les bases de notre nationalité, 
nous pourrons y trouver une foule de choses intéressantes, dignes peut- 
étre de fixer l’attention du lecteur. Ce sont, au reste, les actes auxquels 
le sire de Miolans paraît avoir pris le plus de part, qui serviront prin- 
cipalement de texte aux rapides observations qui doivent remplir ce 
chapitre. 

Une des premières circonstances où l’on rencontre le comte Thomas 
soccupant déjà, quoiqu'à peine sorti de tutelle , car il n’avait alors que 
dix-huit ans, des soins de son gouvernement, et déployant, avec le con- 
cours de ses fidèles barons, cette intelligence exquise et cette adroite 
prévoyance, qui formaient les principaux traits de son caractère, est 
relatée dans un titre des plus curieux, rédigé è Chambéry le jour de 
la fete de S'-André de l’année 1196. 

A cette époque les comtes de Savoie ne tenaient encore ni le Genevois, 
ni le Faucigny, ni le pays de Vaud, ni la Bresse: le Bugey méme ne 
leur appartenait qu’en partie, et de puissants voisins, par une énergique 
opposition, les empéchaient de réaliser les projets d’agrandissement, qu'ils 
meéditaient à l’égard de ce beau et riche pays. Là une célèbre abbaye 
que ses légendes proclamaient comme ayant été fondée au VI siècle par 
un pieux hermite appelé Domitien, possédait des biens immenses. Elle 
comptait parmi ses domaines la ville de S'-Rambert, le chiteau de 
Cornillon qui la dominait, ainsi que l’important territoire qui en dépen- 
dait. Acqueérir en ce lieu des droits seigneuriaux, s’y établir en tant que 
pouvoir politique, s'en attirer la juridiction , afin d’avoir plus tard les 
moyens d’écarter d’importantes rivalités, telle fut la pensée du comte 
Thomas, pensée qui d’ailleurs ne se présentait ici qu’ensuite du système 
que ses ancétres avaient constamment professé, et que ses successeurs 
continuèrent à suivre, guidés par leur génie et par les antiques traditions 
de leur famille. 

Dans ce titre, ou pour mieux dire, dans ces conventions passées en 
presence des évéques de Maurienne et de Grenoble, et dont l’observation 
fut jurée soit par Nantelme de Miolans, soit par la plupart des barons 
ci-dessus nommés, René, abbé de S'-Rambert, cède à perpétuité au comte 


PAR LÉON MÉNABREA 2065 


de Savoie et à sa posteérité ledit chateau de Cornillon ou de S'-Rambert, 
avec toutes ses dépendances territoriales, sauf deux ou trois exceptions 
de peu de valeur, et encore tous les droits de justice et d’application de 
bans qui y sont attachés, sous la condition expresse que le comte susdit 
ne pourra jamais l’aliéner ou le distraire de son comté de quelque ma- 
niére et sous quelque prétexte que ce puisse étre, pas méme pour cons- 
tituer des dots à ses filles. 

Après diverses clauses relatives au partage du produit des péages, 
des leydes, du banvin, et des obventions et aux hommages des nobles etec., 
le prince prend l’engagement formel, sous la foi du serment, de defendre 
le monastère contre toutes sortes d’agressions et se soumet, à raison des 
concessions faisant l’objet du contrat, à prendre l’investiture de ce fief 
des mains de l’abbé, de qui il se reconnut par cela méme le véritable 
vassal, ez juravit abbati fidelitatem (1). 

C'est ainsi que prit naissance cette fameuse chatellenie de S'-Rambert 
qui, pendant les guerres dont le récit occupe de si longues pages dans 
nos chroniques, fut le ihéatre de tant d’évenements. 

Au reste, les comtes de Savoie ne cherchèrent jamais à décliner la 
reconnaissance qu'’ils devaient è l'illustre abbaye, nì à pervertir les obli- 
gations auxquelles ils étaient tenus envers elle: on voit en effet qu’en 1344, 
alors qu’un descendant de notre vieux Nantelme de Miolans, appelé lui 
aussi Nantelme ou Antelme, en fut nommé abbé, le Comte Vert ayant 
obtenu la confirmation et le renouvellement de la concession primitive , 
se soumit de bonne grace à la formalité de l'hommage féodal, qui eut 
lieu selon l’usage devant le grand autel de l’église du couvent (2). 

Passons rapidement sur les faits qui se produisirent durant les années 
qui suivirent la remarquable acquisition que je viens de rapporter. 

En 1198 le comte Thomas se trouvait encore en decà des Alpes, 
et terminait à son avantage quelques contestations, surgies entre lui et le 
monastère de S'-Maurice-d’Agaune, au sujet de la vallée de Bagnes (3). 
Peu après, refranchissant les monts, il confirmait les libertés accordées 
par son aieul Amé II à l’antique cité de Suse (4). 


(4) Guichenon, Mist. de Savoie, pr. , p. 45. 

(2) Guichenon, Mist. de Bresse, continuation de la 2 partie, p. 98. 
(3) Cibrario e Promis, Documenti, sigilli e monete, p. 110. 

(4) Mon. hist. patriae, leges municipales. 


Serie II. Tom. XXIII. 34 


266 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Sur ces entrefaites l’empereur Henri VI était mort. Je ne dirai pas 
comment deux compétiteurs habiles, Philippe, duc des Suèves, et Othon 
de Saxe se disputèrent l’empire. Le premier, ayant réussi à se faire élire 
et couronner roi des Romains, arriva à Bale au mois de mai 1207. Là 
le comte Thomas alla le rejoindre en nombreuse compagnie, et obtint 
de lui une nouvelle investiture de tous ses domaines, auxquels le mo- 
narque bienveillant ajouta les villes de Chieri et de Tortone, ainsi que 
le chitean de Moudon (1). 

On connaît la lutte obstinée que Berthold de Zaeringen engagea avec 
le comte de Savoie à l’occasion de ce chateau, qui fut pour nous le 
prélude de la future conquéte du pays de Vaud. Cette sanglante que- 
relle où, avec l’assistance de ses barons et de leurs bonnes lances, le 
comte de Savoie eut le dessus, fut déefinitivement appaisée en 1211 (2). 

Durant cet intervalle de temps, Nantelme de Miolans, dont la fa- 
mille s’était alliée à la race princière des sires de Faucigny, avait été 
nommé tuteur d’Aymon, son jeune parent; on le renconire en cette qua- 
lité dans plusieurs actes de 1208, 1209, 1210 (3). 

En 1214 le comte Thomas, toujours préoccupé des importantes ques- 
tions quì s’agitaient dans l’Helvetie romane, se transportait à l’abbaye de 
Haut-Crét, où trois années ‘auparavant il s’était réconcilié avec le duc de 
Zaeringen. Là il fit plusieurs donations à cet antique monastère, auquel 
ses aleux avaient déjà fait beaucoup de bien; il lui céda entre autres 
une terre d’assez vaste étendue, située dans le territoire du célèbre 
chateau de Chillon. 

Ce chiteau, qu'un passage de la vie de l'illustre Wala, abbé de 
Corbie, publiée par les Bollandistes, ferait eroire avoir existé dès avant 
le règne de Louis-le-Deébonnaire, appartint pendant long-temps à des 
seigneurs particuliers, dont quelques-uns nous ont transmis leurs noms, 
aujourd’hui obscurs, Il devint ensuite la propriété de la maison de Savoie. 

Parmi les barons qui accompagnaient le prince Thomas, lorsqu’il s'ar- 
réta au couvent de Haut-Crét, on remarquait au premier rang Nantelme 
de Miolans, puis Pierre de Seyssel, Arluin de Chignin, Wiffred Mareschal, 
etc pRelc:a((D) 


1) Guichenon, Mist. de Savoie, p. 48. 
(2) Cartulaire de l’eglise de Lausanne. 
(3) Voyez les documents de ma Notice sur l’ancienne chartreuse de Vallon. 


(4) Documenti, sigilli e monete, p. 116. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 207 


Arrive l’année 1216. La guerre que l’on faisait depuis le commen- 
cement de ce siècle aux Albigeois, à ces malheureux sectaires du midi 
de la France, qui, renouvelant les erreurs gnostiques des Manichéens , 
proclamaient l’existence de deux principes, niaient la résurrection, ad- 
mettaient le dogme absurde de la Métempsycose , repoussaient l’Ancien 
Testament, anathématisaient la plupart des sacrements institués par Jésus- 
Christ, cette guerre, dis-je, atteignait en ce moment son plus haut degré 
d’intensite. 

Protégés par les comtes de Toulouse, de Foix, de Comminges, par 
le vicomte de Beéarn, et méme par le roi d’Aragon, ils avaient pris une 
attitude des plus formidables, et menacaient presque d’angantir l’ordre 
et la religion dans les belles provinces qu’ils habitaient. C'est alors qu'une 
véeritable croisade fut préchée contre eux, et que le trop fameux Simon 
de Montfort, avec sa haine implacable et sa farouche intrépidité, se prit 
à leur faire tant de mal. Au reste, il faut le dire, en parcourant ce 
triste épisode, on doit se convaincre que si les excès furent grands, ils 
furent réciproques et que les partis purent à cet égard se considérer 
comme entièrement quittes. 

« Environ ce temps, dit un de nos vieux chroniqueurs, commenca 
» à s’enraciner cette detestable et damnable hérésie des Albigeois de 
» Besiers ès pais de Languedoc, Alby, Gascongne, Provence, Avignon, 
» Comté de Foix, Navarrois et autres lieux marchissans (confinant) ès 
» monts Pyrénées; les adhérens et fauteurs de laquelle hérésie avoyent 
» femmes communes, usans de péché contre nature, comme Sodomistes, 
» et entre lesquelz étoit le plus estimé qui se pouvoit saouler des plus 
» énormes et detestables ordures et paillardises, calomniant la sainte 
» Trinité; et generalement sous le prétexte de repréhension d’abus et 
» vices du Clergé commettoient tous les maux et meschancetez dont ils se 
» pouvoient adviser. — Furent iceux hérétiques maintes et diverses fois 
» admonestez et advertis par bons et sainis personnages, les preschans 
» en public et en privé, à ce qu’ils eussent à délaisser de telles malheu- 
» reuses opinions et une vie tant abominable. Ce que toutefois ne voulant 
» faire, ains s’envieillissans, de mieux en mieux en leur erreur, fut 
» preschée contre eux la croisade. » 

Ici Guillaume Champier, car c'est lui qui écrit, après avoir narré 
comment en 1216 Simon de Monfort remporta sur les Albigeois l’éclatante 


victoire où le roi d’Aragon perdit la vie, fait observer, avec son style 


268 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


particulièrement coloré, que, bien que terrassés, vaincus, écrasés, ces 
infortunés ne se montrèrent que plus obstines. Et il continue ainsi: « Lors 
» convint à Lois de France, fils du roi Philippe-Auguste, de voyager 
» contre cieux hérétiques et là parachever une quarantaine par lui vouée 
» longtemps auparavant, prenant la croix, suivi aussi qu'il fut et accom- 
» pagné de plusieurs princes et grands seigneurs, savoir du comte Thomas 
» de Savoie, selon la chronique de Toulouse, de Philippe, comte de 
» St-Paul, de Gauthier, comte de Ponthieu, du comte Robert d’Alencon, 
» de Guichard de Beaujeu, de Mathieu de Montmorency, du vicomte de 
» Melun, des évéques de Beauvais et de Carcassonne, et grand nombre 
» de chevaliers et barons croiséz, tous lesquelz, le propre jour de Pasques, 
» sen vindrent à Lyon et de là marchèrent contre Vienne où leur vint 
» au devant le vaillant Symon de Montfort. » 

Ainsi qu'on le voit, c'est la chronique de Toulouse qui dans ce 
passage est citée comme autorité, en ce qui concerne la part que le 
comte Thomas prit à l’expedition dont il s’agit. 

Cette vieille histoire, en l’absence du témoignage de nos propres 
annales, ne suffirait peut-étre pas, toute respectable qu'elle est, pour 
constater ce fait, si nous ne possédions un document irrécusable, qui 
semble ne devoir laisser sur ce point aucune espèce de doute. Ce docu- 
ment, tiré des archives de la chartreuse d’Aillon, est précisément un de 
ceux que j'ai déjà eu l’occasion de mentionner; il concerne les fréquentes 
querelles que certains seigneurs, dits de la Composte, s’amusaient à faire 
aux religieux de ce monastère. Or, en prenant derechef ces humbles 
cénobites sous sa protection, désireux d’ailleurs de donner à cet acte de 
justice une couleur doublement pieuse, le comte a soin d’énoncer que, 
accompagné de ses barons, il est venu à Chambéry avec l’intention de 
diriger ses pas vers les Albigeois, et d’aller combattre ces hérétiques, en 
vue du service de Dieu; à sa suite on recontre Nantelme de Miolans, 
Humbert de Seyssel, Guillaume et Guy de la Balme ete., qui incon- 
testablement firent partie des vaillants hommes qui accompagnèrent le 
prince sur le théàtre d’une horrible guerre, qui ne devait pas encore 
finir de sitòt (1). 

De retour de cette triste croisade, où il ne fit probablement qu’une 
vapide apparition, le comte de Savoie, qui précédemment avait eu maille 


(1) Guichenon, Mist. de Savvie, pr., p. 5I. 


PAR LEON MENABRÉEA 269 


à partir avec les marquis de Montferrat, ayant appris que les marquis 
de Busca lui refusaient l’hommage qui lui était dà, à raison de plu- 
sieurs chateaux et maisons-fortes situés en Piémont, se décida prompte- 
ment à repasser les Alpes, pour chitier les rebelles et les ramener à leur 
devoir. Il se mit en route, tou)ours escorté de ses infatigables barons et 
des redoutables lances qui les suivaient, et il arriva en Tarantaise, où 
sans doute afin d’attirer , selon les idées d’alors, la bénédiction du ciel 
sur ses entreprises, il fit une donation importante aux religieux de la 
Grande-Chartreuse. 

Dans cet acte, passé le 2 avril 1217, figurent encore les noms de 
Nanitelme de Miolans, de Thomas de Conflans et de quelques autres de 
ces preux Savoyards, qui porièrent si haut la réputation guerrière de 
nos contrées (1). 

A la fin d’octobre de la méme année, le prince, avec son nombreux 
cortége, était en voie de revenir de ce còté-ci des monts. Après avoir 
franchi le Grand-S'-Bernard, en compagnie de ses deux premiers fils , 
Ameédée et Humbert, il s’'arréta à l’abbaye de S'-Maurice-d’Agaune, et 
fit è ce monastère de genéreuses concessions (2). 

C'est en ce temps-là que le comte Thomas forma le projet de s'unir 
par des liens solides, par des liens de famille, è l’une des plus puissantes 
maisons de l’ancien royaume de Bourgogne. Il parvint è faire agréer è 
Artmann, fils d’Ulrich, comte de Kibourg, sa fille cadette, Marguerite; 
et quoique la jeune princesse ne fùt pas encore nubile, il jugea néces- 
saire que la promesse de mariage edt lieu, et fùt accompagnée de toutes 
les solennités usitées en pareille circonstance. Le contrat se fit au chateau 
de Moudon, aux calendes de juin de l’année 1218 ,° en présence d’un 
concours immense de princes, de barons, de nobles, parmi lesquels on 
remarquait Berthold, comte de Neuchàtel, Albert, comte de Habshourg, 
Rodolphe, comte de Thierstein etc. 

On assigna à la fiancée une dot de deux mille marcs d’'argent, à 
raison de laquelle le futur époux promit, à titre de donation ou d’augment, 
une somme semblable, et se soumit è payer, en guise de peine, deux 
autres mille marcs dans le cas où il viendrait à ne pas vouloir se marier 


et à deserter la convention. Selon l’usage, les parties prétèrent serment. 


a 


(1) Guichenon, Mist. de Savoie, p. 52 
(2) Ibidem. 


270 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Jurèrent aussi leurs aidants respectifs, savoir pour le comte de Kibourg 
les hauts personnages ci-dessus nommés, qui prirent l’obligation de se 
constituer individuellement cautions, ou otages, à Lausanne, ou à Moudon, 
lorsqu’ils en seraient requis jusqu'à l’entière exécution de ce qui avait 
été convenu; et pour le comte de Savoie, ses deux fils, Ameédée et 
Humbert, Nantelme de Miolans, Pierre de Seyssel, Ameédée de Villette, 
Guy de Gerbaix, Umbert de Bocsozel etc., qui également et aux mémes 
fins s'obligèrent à se rendre à Villeneuve, petit bourg nouvellement 
construit à l’'extrémité du lac de Genève, et à rester là en qualité de 
garants (1). 

Mais une négociation plus importante peut-étre que celle dont je viens 
de parler, puisqu’il s’agissait du mariage de Béatrix, soeur aînée de 
Marguerite, avec Raymond Bérenger, comte de Provence, ne tarda pas 
à se présenter. 

Le comte Thomas qui ambitionnait pour sa fille cette avantageuse 
alliance, et qui à cet effet devait se trouver, à une époque fixe, au chateau 
de Dronero, en Piémont, lieu assigné aux conferences, se hata de re- 
prendre la route d’Italie. En passant à Conflans, sa méère, la comtesse 
Béatrix de Bourgogne, qui l’accompagnait, fit à la chartreuse de Vallon, 
en Chablais, une donation, à laquelle lui et ses fils, déjà cités, donnèrent 
leur approbation: Nantelme de Miolans figure le premier parmi les témoins 
de l’acte (2). 

Ce fut le 5 juin 1219, à l’acceptation des évéques d’Antibes et de 
Digne, représentant le comte de Provence absent, que furent établies 
les clauses du contrat de mariage. On y convint, comme précédemment 
au sujet de Marguerite, qu'il serait compté, en dot, à la future épouse 
2000 marcs d’argent, payables, une moitié à la prochaine féte de la 
Circoncision, et l’autre moitié un an après celle de Noél. Plusieurs hauts 
feudataires, à l’exemple de ce que nous avons vu s'étre pratiqué, il y a 
un instant, s'obligèrent, par serment, à se constituer otages de Raymond 
Berenger, tenere ostadia, jusqu'à l’entier payement de la somme pro- 
mise, savoir: Guillaume, marquis de Montferrat, Guillaume, marquis 


(1) Guichenon, Mist. de Savoie, pr., p 62. Cibrario a rectifié la lecon de Guichenon, à l’egard 
de ce document, dans le t. I, p. 260 de sa Storia della Monarchia di Savoia, d’après l’original de 
l’acte existant aux Archives de Cour. 


(2) Notice sur l’ancienne chartreuse de Vallon, documents. 


PAR LEON MENABRÉEA DI 


de Busca, Frédéric et Guy de Romagnan, Merle de Plozasco ete., qui 
à Saluces, qui à Suse, qui à S'-Ambroise; et quant aux seigneurs sa- 
voyards, tels que Nantelme de Miolans, Richard de la Chambre, Guy de 
Briancon, Guillaume de Beaufort, qui avaient aussi juré l’observation des 
conventions faites, ils prirent l’engagement de demeurer aux mémes fins, 
purement et simplement, au delà des Alpes, in Lombardia, sans s’obliger 
à une résidence plus précise, ce que firent également les deux jeunes 
princes, Amédée et Humbert (1). 

On sait que devenue comtesse de Provence, Béatrix s’attira l’admi- 
ration de tout le monde, autant par son esprit que par sa beauté; qu'elle 
présida maintes fois les cours d'amour, et fut l’idole des poétes. 

A peine cette ceuvre d’une politique habile était-elle achevée , que 
certaines querelles, que l’évéque de Lausanne semblait vouloir faire au 
comte Thomas, l’obligèrent à revenir en Savoie. Ayant passé le Grand- 
S'-Bernard, il s'arréta à l’abbaye de S'-Maurice et conclut avec ce mo- 
nastère un traité relatif à la juridiction qu'il pouvait avoir dans la vallée 
de Bagnes. On y reconnut formellement que la partie supérieure de ce 
val lui appartenait ; ainsi que la justice, les bans, la chasse, les cours 
d'eaux, les bois noirs, les hommages nobles etc.; et que, d’autre part, 
l’abbaye était fondée à revendiquer dans la partie inférieure de ce méme 
val plusieurs droits importants, et notamment le collectes d’automne è 
elle données autrefois par le comte Amé IMI, lorsque les moines lui 
remirent la table d’or, dont il se servit pour son voyage de terre sainte. 

L’acte qui contient ces reconnaissances fut signé à Villeneuve, où 
se trouvait Nantelme de Miolans, déjà dispensé sans doute de tenir les 
arréts en Lombardie, ainsi qu'un grand nombre de barons et les deux 
Jeunes princes, Amédée et Humbert, qui depuis quelque temps faisaient, 
comme on le voit, le rude apprentissage de leurs futurs travaux (2). 

Ceci réglé, le comte Thomas continua sa route vers Lausanne, où les pre- 
miers jours de juillet de l'année 1219 il termina ses différents avec l’église 
de cette ville. Lanfranc, évéque de Sion, Rodolphe, comte de Gruyères, 
Boson, vicomte d’Aoste, Nantelme de Miolans assistèrent à la transaction (3). 


(1) Cibrario et Promis, Documenti, sigilli e mon., p. 120. 

(2) Mon. hist. patriae; Chartarum, t. I, p. 1259. 

(3) Guichenon, Mist. de Savoie, p. 248. M. Cibrario a également relevé dans l’ouvrage ci-dessus 
cité, p. 262, une légère erreur de Guichenon concernant cette charte, que l’on peut d’ailleurs 
consulter aux Archives de Cour, 


272 DES ORIGINES FEODALES ETC. 


Je ne suivrai pas le comte Thomas dans les nombreuses expéditions 
soit pacifiques, soit militaires, qui remplirent le restant de son règne dans 
ses guerres contre les marquis de Saluces et contre les Verceillais récal- 
citrants; dans la part qu'il prit aux intrigues, souvent sanglantes, de la 
ligue lombarde, qui continuait à subsister; dans les événements dont il 
eut à se méler, comme nouvellement vicaire de l’empire; dans ses vo— 
yages è Génes, à Marseille, où il déploya le talent d’un négociateur con- 
sommé; dans cette infinité de faits enfin, que résume la grandeur nais- 
sante de la maison de Savoie; ce que j'ai dit suflit pour remplir le but 
que je me suis proposé en commencant ce chapitre. 

Les personnes qui connaissent un peu l’histoire de notre pays, n’igno- 
rent pas que ce fut sous ce règne glorieux que plusieurs de nos villes 
et de nos bourgs recurent leurs franchises de la générosité du prince. 

Après avoir accordé la liberté aux habitants de Suse, d’Aoste et de 
quelques autres localités de moindre importance, le comte Thomas, que 
guidait un tact politique des plus exquis, crut le moment venu de réaliser 
un projet, dont les conséquences devaient obtenir un jour une grande 
valeur. 

Ce projet consistait à acquérir Chambéry, que des documents cer- 
tains désignent comme ayant été, dès les temps antiques, un centre actif 
de commerce, et de transformer ensuite ce lieu en une ville franche, qui 
serait devenue la capitale de la Savoie (1). 

Les faits qui se rapportent à cet événement, étant presque les der- 
niers où l’on puisse espérer de trouver encore des renseignements positifs 
sur le ròle que joua Nantelme de Miolans, et ayant été d’ailleurs le 
prelude de la decadence d’une des plus illustres familles féodales de nos 
contrées, celle des seigneurs de Chambéry , je leur consacrerai deux ou 
trois mots. 

Ces seigneurs qui, par la profession qu'ils faisaient à raison de leur 
origine, de vivre sous la loi romaine, appartenaient évidemment à l’une 
de ces antiques lignées, qui, sorties de souches gallo-romaines, s’étaient, 
à l’exemple de la maison de Savoie, maintenues puissantes au milieu de 
nous, en dépit de l’invasion des peuples du Nord, ces seigneurs, dis-je, 


(1) Plusieurs chartes du cartulaire de St-Hugues, evèque de Grenoble, mentionnent la mesure 
des grains, dite de Chambéry, comme ctant déjà fort en usage aux X et XI siècles: ad mensuram 


Chamberiaci. 


PAR LÉON MÉENABRÉA 27 3 


possédaient de vastes domaines, que de riches alliances, parmi lesquelles 
je me bornerai è citer celle des sires de Faucigny, avaient singulièrement 
amplifiés. È 

Bien qu'à lépoque où nous sommes parvenus, ils eussent, à ce quil 
paraît, subi déjà quelques revers, ils ne laissaient pas d’occuper, comme 
Jadis , le premier rang dans la longue série des hauts feudataires de nos 
contrées. Or,ce fut en l’année 1232, et en veriu d’un acte des ides de mars 
que, cédant à des motifs que nous iguorons, ils se décidèrent à vendre 
au comte Thomas la ville de' Chambéry avec tous les droits qu'ils y 
exercaient. 

Ce n'est pas ici le cas d’examiner ce que les diverses clauses de cette 
vente renferment de curieux; je remarquerai seulement que le prix en 
fut fixé à la somme de 32,000 sols forts de Suse, faisant environ 90,000 
franes de notre monnaie, laquelle le vendeur Berlion déclara avoir recue 
précédemment, et dont il fit è l’acquéreur bonne et due quittance, re- 
noncant, dà cet égard, à chacune des nombreuses exceptions que la loi 
écrite aurait pu lui attribuer pour revenir contre sa déclaration. Il se 
réserve expressément le chiteau de Chambéry , le quartier situé au-dessous, 
appelé citra castrum, ou subtus castrum, le péage qui en dépendait 
et qui conserva long-temps le nom de péage de Berlion, et enfin quel- 
ques autres droits de moindre importance. 

La lecture de ce document nous apprend que les sires de Miolans 
avaient aux portes de la ville une maison-forte, qui fut designée comme 
un des confins du territoire vendu (1). 

A peine ceci s’achevait-il, que le quatrième jour des nones de ce 
méme mois le comte Thomas, voulant réaliser ses généreuses intentions 
à l'égard des habitants du lieu qu'il venait de réunir è son domaine, 
leur accorda d’amples franchises. Ces sortes de concessions étaient encore 
rares à cette épogue; aussi celles dont je parle se firent-elles avec une 
grande solennité. Le prince et ses fils en jurèrent l’observation et se 
soumirent à encourir une excommunication qui serait prononcée par les 
meétropolitains de Vienne et de Tarantaise, dans le cas où ils viendraient 


à les enfreindre. Berlion dut jurer également, et avec lui Nantelme de 


(1) Cet intéressant document a été publié par M. le comte Sclopis dans le t. XXXIV des Men. 
de VAcad, de Turin, è la suite de son travail, intitulé Considerazioni storiche intorno a Yommaso I. 


Serie II. Tom. XXIII 35 


274 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Miolans et Humbert de Seyssel. Le tout se passa chez les Templiers, 
in domo Templi, en présence d'une foule d’assistants. Plusieurs bourgeois 
signèrent l’acte (1). 

On sait que les franchises susdites servirent de modéèle aux chartes 
de liberté, qui furent successivement.données à nos villes et è nos bourgs; 
chartes précieuses qui, sans déroger au principe du droit féodal, con- 
tribuèrenti si puissamment au développement du commerce, de l’industrie 
et des arts (2). 

Le comte Thomas mourut peu de temps après. La plupart des barons 
qui formaient habituellement son cortége ne tardèrent pas non plus è 
disparaître. 

Quelques-uns d’entre eux, tels que Berlion de Chambéry, Nantelme 
de Miolans, Aymon de Briancon, Willelme de Beaufort, Humbert de 
Villette, continuèrent toutefois à se dévouer, quoique déjà vieux et cassés, 
aux intéréts de leur nouveau seigneur, Amé IV; car nous les retrouvons, 
en qualité de pacificateurs et d’amiables compositeurs, dans un acte mé- 
morable, passé le 23 juillet 1234, au chiteau de Chillon, par lequel ce 
prince termina avec ses frères les discussions qui s’étaient élevées entre 
eux tous, au sujet du partage de la succession paternelle (3). 

Des trois fils de Berlion, qui furent Guy, Guillaume et Rodolphe, 
celui-ci est le seul dont l’existence se prolongea jusque vers la fin du 
XIII siècle. Il fit, selon toute apparence, d’assez mauvaises affaires. On 
le voit, en effet, en 1260 vendre plusieurs de ses biens, situés en 
Faucigny, moyennant une somme de Goo livres de Vienne, avec clause 
de rachat, pour le cas où il reviendrait, dit-il, à meilleure fortune. Il 
vivait encore en 1290, alors que son fils Willelme aliéna d’autres biens 
qu'il possédait dans la méme province. Dès ce moment on n’entend plus 
parler, que je sache, de la famille de ces illustres seigneurs (4). 

Quant au chateau de Chambéry, devenu, on ne sait trop quand ni 
comment, la propriété d’Ottomard Alamand, il passa aux mains des 


époux Francois et Béatrix de la Rochette, qui en 1295 le cedèrent au 


(1) Cibrario et Promis, Doc., sig. e mon., p. 126. 

(2) Voyez le livre 2 de \' Mist. municipale et politique de Chambéry, dont je n'ai pu, jusqu'à 
present, publier que trois livraisons et que je compte reprendre bientòt. 

3) Datta, Storia dei Principi di Suvoia del ramo d’ Acaia, documents du livre I, n.° 3. 

4) Voyez le livre 2° de ce méme ouvrage, chap. 7, intitulé /7ist, des sires de Chambéry. J°y ai 


ndique toutes les sources où il ma été possible de puiser. 


PAR LÉON MEÉNABREA 275 
célèbre comte Amé V, lequel en compensation leur assigna des rentes 
assez considérables sur diverses chatellenies de Savoie (1). 

Si nous voulions pousser maintenant nos investigations sur les dernières 
années de Nantelme de Miolans, nous pourrions parvenir peut-étre è res- 
saisir cette grande et noble figure du moyen fge, que nous avons eu tant 
de peine è exhumer, à demi effacée, des décombres où elle était ensevelie ; 
nous pourrions, dis-je, la ressaisir et la montrer jusqu'à l'année 1239, 
et s'il n'y avait pas en ceci une certaine temerité, jusqu'en 1241, ré- 
pandant partout son placide éclat, et s’éteignant au milieu des ceuvres 
pieuses dont d’obscures chartes nous ont trasmis le souvenir (2). Mais 
c'en est assez sur ce sujet, et je vais, d’une manière succinte, résumer 
les documents que j'ai pu recueillir touchant cette illustre lignée. 

En premier lieu nous rencontrons un acte du 8 juin 1241, portant 
inféodation et confirmation faite à Nantelme de Miolans du fief parvenu 
à feu Aimon d’Allod (3). i 

En 1251, le lundi des calendes de juillet, Nantelme de Miolans, 
probablement le quatriéme du nom, nous apparait assisté de ses deux 
fils, Nantelme et Viffred, dans un acte par lequel il fait donation, avec 
l’adhésion de ces derniers, à l’abbaye du Betton de tout ce qu'il pos- 
sède dans la montagne d’Arcluse, sauf ce qu'il avait donné précédemment 
au prieuré de Bellevaux. 

L’acte fut fait, en aumbne, è l'occasion de ses deux filles qui sans 
doute avaient pris l’habit dans l’abbaye susdite. En effet une Marguerite 
de Miolans y figure, comme abbesse, en 1270; cent ans plus tard, 
en 1376, une autre dame de Miolans (Antonine) est revétue de la méme 
dignité. 

L'abbaye du Betton est située dans la vallée fertile et plantureuse de 
la Rochette, au bas de la montagne, que les tours de Monimayeur do- 
minent audacieusemeni, et qui fait face du còté opposé au chateau de 
Miolans, divisant ainsi la vallée de l’Isère de la première vallée. Quoique 
ce monastère soit d’une importance très-secondaire, Jen dirai ici quel- 
ques mots. 


(1) Archives de Cour; Acquisitions. 

(2) Voyez la charte citée ci-devant. 

(3) Invertaire des fiefs de Savoie, garde-robe n.° 12, vol. 107, fol. 254. Arch. de la Chambre 
des comptes. 


276 DES ORIGINES FEODALES ETC. 


L'origine de la juridiction dont jouissait cette abbaye doit nécessaire- 
ment étre recherchée dans les concessions émanées soit des comtes de 
Savoie, soit des seigneurs du voisinage. On trouve aux archives de Cour 
et à celles de la Chambre des Comptes à Turin un certain nombre de 
reconnaissances faites aux XIV, XV et XVI siècles, en faveur des pririces 
de la maison de Savoie. Je ne citerai que celle du 3 juillet 1341, faite 
par la venérable religieuse Egline de Villette, abbesse du Betton, laquelle 
confesse tenir en fief ladite abbaye; une autre du 6 aoùt 1391, et une 
troisiéme du 7 avril 1416. Dans ces actes, le couvent consigne tenir des 
comtes de Savoie, en fief lige et noble, divers biens, situés au Betton, 
au Bettonet, à Villard.léger etc., plus diverses rentes féodales, plus les 
hommages, servis, usages, tributs, qui lui sont dus par les lieux designés 
dans ces actes; enfin la juridiction qui lui appartient dans les limites de 
son enclos. 

Cette juridiction ne s’appliquait donc qu'à l’encelos, clavsum; elle 
comprenait le mère mixte empire et omnimode juridiction, exeepto 
ultimo supplicio et mutilatione membrorum. Ces expressions sont telle- 
ment fréquentes, qu'il est inutile de s’y arréter ici : cela voulait dire que 
dans son enclos l’abbaye possédait le droit de faire punir par les officiers, 
à ce par elle nommés, les personnes qui venaient è délinquer dans la 
circonscription susdite, à l’exception d’appliquer la peine du sang, peram 
sanguinis , jus gladiî, quì était réservée au suzerain, La plupart de nos 
anciens monastères étaient dans cette condition. 

Le couvent dont il s'agit, quelque restreinte que fùt cette juridiction 
iu point de vue territorial , eut souvent des contestations à cet égard, soit 
avec les chatelains de Chamoux et de la Rochette , soit avec des seigneurs 
voisins qui troublèrent maintes fois la vie placide des saintes recluses. 

Un acte du 21 décembre 1323 nous signale sous ce point de vue un 
seigneur appelé Pierre de Bettonet, possesseur du chaàteau de ce nom. 

Un autre acte du 16 aodt 1427 nous fait voir dans la méme dispo- 
sition un Jean de Seyssel, dont la famille avait acquis le fief de Bettonet 
de celle du vassal qui vient d’étre cité; et après bien des demeélés, le 
luce Emmanuel-Philibert, par ses lettres patentes du 15 septembre 1576 
approuve et renouvelle au besoin les droits, priviléges et franchises du 
Betton: on les trouve dans l’ancien recueil des patentes existant aux Ar- 
chives Cameérales. Mais ces contestations, long-temps assoupies, se renouve- 


lèrent encore après que la seigneurie de Bettonet eut été vendue à Louis 


PAR LÉON MENABRÉA Polo] 
de Mellarède et érigge en comté; elles se perpéetuèrent jusqu’en 1730, où 
il y eut transaction. 

Revenons aux sires de Miolans. Le 3 Janvier 1252 Amédée IV, juge 
des questions qui existaient entre l’église de Maurienne et Pierre de la 
Chambre. Actum apud Aquabellam. . . . testes. ... Antelmus de Miolans (1). 

1263 - 16 juin - Fidélité au comte de Savoie par Nantelme de Miolans 
pour le vicomté d’Aiguebelle (2)._ 

1273 - 16 juin - Hommage au comte de Savoie par Nantelme de 
Miolans pour le chateau de Miolans et de Bonvillard (3). 

1324 - 3 mars - Vient ensuite un autre Nantelme ou Antelme, que 
nous qualifierons de cinquième, lequel préte hommage au comte de 
Savoie à cette date, sans signification d’aucun fief. Vu au pied dudit acte 
la reconnaissance passée le 19 du méme mois par le susdit Antelme : 
1.° De son chàteau de Miolans avec ses dépendances, et de la juridiction 
omnimode qu'il a; 2.° Quidquid tenet vel ipse vel alter de ipso apud 
Chigninum apud Bressentem Fornerii et Labam pro quibus debet cum 
aliis faveteriis nominatis homagium legium et xv libras fortes de 
placito (4). 

1329 - 13 novembre - Le méme prete serment de fidélité pour les 
fiefs de Miolans et de Grésy (5). 

1339 - 10 mai - Antelme, héritier de Rodolphe, seigneur de Miolans, 
recoit l’investiture du chiteau et du mandement de Miolans par Aymon, 
comte de Savoie (6). 

1343 - 11 juin - Reconnaissance du fief du Mas, dit de Miolans, 
par Aymon, fils de Hugon de Chatellard (7). 

1343 - 2 juillet - Antelme de Miolans; investiture de biens féodaux 
à lui appartenani ($). 


(1) Documenti, sigilli e mon., p. 188. Arch, de Cour. 

(2) Mémoires pris dans les Arch. de Cour et dans celles de la Chambre des comptesà Turin, 
concernant les requètes présentées ensuite de l’édit de 1752 pour l’investiture des fiefs, biens et 
droits féodaux. 

(3) Zbidem Nous ne reproduisons cette date qu’avec réserve; le texte è demi effacé en cet en- 
droit nous a laissé incertains entre 1263 et 1273. 

(4) Reynaud, t. IV, fol. 1, Arch. de Cour. 

(5) Arch. de Cour, Mémoires, etc. 

(6) Ibidem. 

7) Reynaud, t. XIII, fol. 37, Arch. de Cour. 

(8) Ibid., t. XV, fol. 10, Arch. de Cour. 


278 DES ORIGINES' FÉODALES ETC. 


1358 - 3 mars - Reconnaissance passée par Humbert de Chevron, 
seigneur de Bonvillard, par laquelle il confesse tenir en fief lige, avitin 
et ancien du comte Ameédée de Savoie : 1° le chaàteau de Bonvillard et son 
district; 2° le mère mixte empire et omnimode juridiction ete.; 3° une 
rente féodale riére Bonvillard de tout ce qu'il y possède, à l’exception 
de 600 sols forts qu'il a, de franc-alleu, dans le mandemeni, ledit alleu 
acquis de l’alleu de Rodolphe de Montmayeur par Nantelme de Miolans, 
et excepté 100 sols forts de rente de franc-alleu, procédes de la dot de 
Jacquemette, femme dudit seigneur de Miolans. Le tout sous charge 
d'hommage lige et de la troisiéme partie de 25 livres fortes, vieilles , 
de plait, pour ledit chiteau de Bonvillard et pour celui de Miolans (1). 

1360 - 1° octobre - Lettres de constitution de chàtelain de la terre 
et vallée de Miolans, par Antelme, seigneur dudit lieu (2). 

1363 — 5 janvier - Transaction entre Jacques Lageret et Simon 
Angeleri, portant convention concernant le recouvrement des revenus et 
servis dus au seigneur de Miolans dans la commune de S'-Pierre-d'Al- 
bigny (3). 

1376 - 19 mars - Fidelité prétée à Antelme, seigneur de Miolans, 
pour la maison-forte du Villard du Cros, par Pierre, fils d’Ansermet 
de la Fontaine (4). 

1380 - 15 juillet - Jean, seigueur de Miolans; investiture pour les 
fiefs, bans et droits qu'il possède (5). 

1392 - 30 octobre - Investiture de Miolans accordée au méme par 
Amé, comte de Savoie (6). 

1421 - 25 février - Jacques de Miolans; investiture pour le fief et 
la vallée de Miolans, biens, rentes et droits féodaux (7). 

1438 - 21 juin - Reconnaissance passée par noble seigneur Jacques 
de Miolans à feu égrége et puissant seigneur Jean de Miolans. 

Nous croyons devoir donner ce titre en entier, afin que le lecteur 
prenne une idée précise des richesses et de la variété des ressources de 


cette suzeraineté. 


(1) Arch. de Cour, Savoie. ( Edit du 5 aoùt 1752). 
(2) Garde-robe 4, paquet 14, Arch. de Cour. 

(3) Ibid. 5, paquet 14, Arch. de Cour. 

(4) Ibid. 6, paquet 14, Arch. de Cour. 

(5) Guigon-Marchand, Arch. de Cour, fol 56. 

(6) Ravais, t. XV, fol. 114, Arch. de Cour. 

(7) Bombat, t. IV, fol. 443, Arch. de Cour. 


PAR LÉON MENABREA 279 


Il reconnaît tenir en fief: 

1° Son chàteau de Miolans; 

2° Le mère et mixte empire et omnimode juridiction qu'il peut avoir 
à cause dudit chatean et mandement de Miolans; les chemins publics, 
cours d’eaux, bois noirs, droits de régale, justice et tout ce qui peut 
appartenir à l’exercice d’icelle, jouxte les confins déesignés dans ladite 
reconnaissance ; 

3° La juridiction omnimode sur les hommes demeurant dans le man- 
dement de Grésy et dans le village de la Fontaine, en quelque lieu que 
ce soit dudit mandement; 

4° Le bois de chéne du plan d’Eyton; 

5° Une pièce de bois appelée de la Serra, soit bois de Lasa, vers 
S'-Pierre-d’Albigny et Fréterive; 

6° Une pièce de vigne d’environ six vingt fosserées (1), appelée 
Laya; i 

7° Une pièce de pré, territoire de Miolans, appelé le pré Domaynon; 

8° Une autre pièce de pré sur le territoire de Miolans; 

9° Une autre pièce de pré, d’environ six seiterces, appelée Pré-Vieux, 
sous le chateau; i 

10° Une autre pièce de pré, d’environ cinq seiterées, appelé Pré- 
Navet; 

11° Une pièce de bois chanay sur le chateau; 

12° Une pièce de. ... en Renardet; 

13° Les chasses dans la vallée de Miolans, savoir, à lui dues trois 
fois l'année par les agriculteurs de ladite vallée, et par les hommes 
de. ...; pour chaque feu un homme, et au cas où quelque bonne chasse 
à venaison se vienne à perdre par leur faute et coulpe, ils seront tenus 
de demander au seigneur sa miséricorde; 

14° Une maison, situge à S'-Pierre-d’Albigny, appelée la Croix, avec 
une pièce de vigne d’environ 50 fosserées, et une pièce de pré d’en- 
viron une seiterée ; 

19° Une pièce de vigne d’environ 30 fosserées, située au territoire 
de la Lea; 


(7) Fosserdes, seiterées; manières de mesurer la terre ; les habitants de la vallée de l’Isère se 
servent encore de ces locutions. 


250 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


16° Le pont, soit part de peaulx sur le fleuve de l’Isère, avec tous 
ses droits de pontenage et vaut au dit seigneur de Miolans, deductis 
omnibus, environ 400 florins , petit poids, de cense; 

17° Quatre sols à lui dus par l’abbaye de Betton pour ledit ponte- 
nage de peaulx, avec l’avenage à lui dù par la paroisse de Chateauneuf. 

18° Le pont de la Lea sur le fleuve de l’Isère, avec ses droits et 
appartenances ; 

19° La mestralie du val de Miolans, valant cinq livres fortes de 
cense, quelque fois plus, quelque fois moins ; 

20° Le ban du vin quil a dans toute ladite vallée, an mois de 
l'année à son choix; 

21° Les leydes qu'il a à S'-Pierre et à Fréterive aux foires de 
S'-Christophe ; 

22° Un fromage d’alpéage par. ... Lambert, du mandement de Miolans, 
pour chaque feu vendant des fromages; 

23° Un fromage d’alpéage è lui dù, comme dessus, par chaque feu, 
par ceux de Rothanes, de Biciles et de S'-Germain, mandement des 
Bauges, au cas qu’ils fissent des fromages, et n’en faisant pas, ils doi- 
vent un denier fort par feu; 

24° Une rasière d’avoine, mesure d’'Aiguebelle, due par chaque feu, 
riére la paroisse d’Eyton, pour le port, soit pour le pontenage de Fréterive; 

25° Confesse tenir les toises des maisons qu'il percoit rière la ville 
de S'-Pierre-d’Albigny, et par chaque maison, de la part du devant, 
percoit 8 deniers forts ; 

26° Le trezain du prix de toutes les maisons qui se vendent et aliè- 
nent en ladite ville ; 

27° Une maison-forte situce apud Cresum, lieu dit au Crest, avec 
une pièce de vigne d’environ dix fosserées, et environ deux seiterées de 
pré y contigu; 

28° Les corvées à lui dues par les bouviers, travaillant en la vallée 


de Miolans, tant de ladite ville, vallée, qu’étrangers, qui autrefois va- 


laient annuellement environ cing livres fortes, quelque fois plus, quelque . 


fois moins; 

29° Confesse tenir les hommes, hommages, tant nobles qu’innobles, 
tailles, servis et autres tributs annuels, signifiés dans ladite reconnaissance, 
laquelle rente s’étend rière S'-Pierre-d’Albigny, Grésy, Lafontaine, Fréterive, 
divers territoires des Bauges, et autres deépendant des susdits lieux. 


PAR LEON MÉNABREA 281 


Pour toutes lesquelles choses il déclare aussi devoir de plait en preuve, 
au prince, 16 livres, 3 sols et 4 deniers forts, de 25 livres fortes, dues 
audit prince, et le reste desdites 25 livres doivent les nobles et puis- 
sants Jean de Seyssel et Rodolphe de Villette, alias de Chevron, savoir: 
ledit Jean de Seyssel 1o sols, pour sa maison de Chignin et Boisserette 
et autres choses données en échange aux prédécesseurs dudit seigneur 
marquis d’Aix, par les prédécesseurs dudit seigneur de Miolans, et ledit 
seigneur de Villette doit la 3° partie desdites 25 livres fortes, qui re- 
viennent à 8 livres, 6 sols, 8 deniers forts, pour le chateau et man- 
dement de Bonvillard. 

Et en outre affirme qu/l lui est permis, de droit héréditaire et ancien, 
de prendre unzm frustrum, soit pièce de venaison dudit prince, quand 
le seigneur reconnaissant sera present à ladite venaison, lequel droit il 
confesse tenir en fief, comme dessus, pour lequel droit, il confesse 
devoir au prince de plait un bonnet, soit chapeau. 

—_ Arrière-fiefs: 

Item, confesse tenir en fief noble un florin d’or, de bon poids, de 
plait, è la mort de chaque tenancier, à lui dù par les frères d’Albert sur 
une maison-forte et ses appartenances, située près les Villards de Cone. 

Item, un florin d’or, de bon poids, à lui dî par noble Guillaume 
d'Eoncien, pour les deux pièces de pré et vigne, situées au lieu dit 
aux Corneilles. 

Item, un florin de Florence, à lui dù par noble André de Poypon, 
sur une vigne et un curtil, situé aux Cones. 

Item, un hommage noble et lige, è lui dî par noble Jean-Baptiste de 
la Palud pour sa personne seulement. 

Plus, des plaits à lui dus par nobile Mathieu Rogez, sur une route 
qu'il tient du seigneur de Miolans, et un chosel de maison sur le Mollard, 
que ledit Rogez tient à sa main. 

Plus, des plaits à lui dus par nobles Maurice et Louis de Quintal, 
pour raison des hommes et rentes qu’ils tiennent du seigneur de Miolans, 
dont partie de la rente est due sur le pontenage et émolument du pont 
de Pales, lesquels tiennent aussi du seigneur de Miolans leur maison , 
située aux Pales. 

Item, une rente à lui due par noble Claude de Montmayeur, pour 
une maison-forte, appelée la maison de Thouz, située au-dessus de S'-Jean- 
de-la-Porte, et diverses pièces de terre, bois chanay et rentes quil 

Serie II. Tom. XXIII 36 


282 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


tient du seigneur de Miolans, en fief noble, et sous l’hommage , ainsi 
que pour le droit, que ledit Claude de Montmayeur a de vendanger 
sa vigne du Mouriez un jour avant ses voisins. 

Plus, la rente à lui due par noble Georges de l’Escheraine , pour 
une rente et maison, prés, vignes, bois, situés rière les Allues, et le 
garde des vignes, prés, terres et autres, qu'il tient du seigneur de 
Miolans. 

Item, une rente à lui due par les nobles Teilles (1). 

1455 - 17 avril - Antelme, seigneur de Miolans; arrière-vente , à 
lui faite par le duc de Savoie, de la rente annuelle et féodale de 60 florins, 
dus par les particuliers de la vallée de Miolans (2). 

1483 - 20 quillet - Investiture par le duc Charles à Antelme de 
Miolans, tant en son nom qu’au nom de Gilberte, sa femme, des terres, 
juridiction et mandement y declarés, et notamment d’Entremont-le- 
Vieux (3). 

On a vu précédemment la tragique histoire de Jacques de Montmayeur, 
et du president de Fésigny; or le 20 aoùt 1486, noble Richard, secré- 
taire ducal, recut une transaction entre le duc de Savoie, Charles et 
Antelme. de Miolans, mareschal de Savoie, tant au nom de ce dernier 
que de Gilberte, sa femme, à l’occasion des biens de noble Jacques de 
Montmayeur, qui avaient été confisqués par la Chambre des comptes. 
Ladite dame opposait que lesdits biens lui venaient, par substitution, en 
cas de decès dudit comte de Montmayeur sans enfants màles légitimes 
et naturels, et que lesdits biens substitues ne devaient étre sujets à 
commises. Il fut conclu que les chateaux, domaines, juridictions de 
Montmayeur, Villard-Salet, Les Marches, Cusy, Entremont-le-Vieux, 
Sillans, l’Etoile et S'-Pierre-de-Souci, resteraient à la dame Gilberte , 
après toutefois le decès dudit Jacques de Montmayeur et que les terres 
d'Apremont, de S'-Alban et de Briancon resteraient à son altesse (4). 
Ge trop célèbre Jacques, auquel on revient malgré soi, tant son caractère 
est coloré de teintes sombres, implacables, était fils de celui qui fut 
gouyerneur de la Savoie en 1450, et maréchal en 1455. C'est à tort que 


1) Grosse de M. Pierre de Cusinens, n° 158, fol. 1 à 548, 
(2) Sommaire gencral des fiefs, Savoie. Arch. de Cour. 

(3) Arch. de Cour, Richard, 1483-88, fol. 375. 

(4) Protocole de Richard, fol. 29, Arch. de Cour. 


PAR LÉON MENABRÉA 285 


les légendaires avancent qu'il plaidait avec sa nièce, par devant le sénat de 
Savoie, qui n’existait pas encore à cette époque, et ne fut créé qu'en 1559; 
ce fut devant le conseil ducal de Chambéry que la cause fut portée. Le 
banneret était menacé dans la plus grosse part de sa fortune ; lorsque 
sa ruine fut accomplie , il accomplit sa vengeance et trancha la téte au 
president de Fesigny, auquel je donne ce titre pour me conformer à la 
tradition, mais tout fait supposer qwil était le juge rapporteur, car son 
nom ne figure point dans la liste des preésidents du conseil ducal. La 
tradition dit encore, qu’après un simulacre de jugement un prétre con- 
fessa la victime qui fut tuége avec une doloire, espèce de hache énorme, 
qui sert à couper la vendange, quand elle est sur le pressoir. 

Voici l’annotation que j'ai extraite d’un vieux répertoire, tiré des. ar- 
chives du chateau de Chambéry: 23 juin 1486, sentence rendue par le 
conseil du duc Charles de Savoie contre Jacques de Montmayeur, icelle 
declarant confisquez les fiefs et biens dudit sire et le condamnant à lu 
peine de 500 marcs d'or pour crime de felonie. Il paraît que le procés 
intenté è ce seigneur è raison de l’assassinat du sire de Fésigny dura 
fort long-temps, car -on voit que déjà en 1472 des commissaires spéciaux 
avaient rescindé (peut-étre à cause d’un vice de forme) une sentence, 
absolument semblable è celle que l’on vient de lire; l’ordonnance de ré- 
scission portait: sauf en fisc à poursuivre ledit Jacques de Montmayeur 
pour repression des méfaits qui lui sont imputés. Ce farouche seigneur, 
dernier male de sa race, mourut en pays lointain; son chàteau fut rasé, 
comme je l’ai dit, et les deux tours qui restent, sont là comme deux piloris 
où demeure attaché le souvenir d’un crime. La famille des Montmayeur, 
à part quelques personnages d’éminentes vertus, tels qu’Amedée, évéque 
de Maurienne, Ameédée, abbé de S'-Michel de la Cluse, en Piémont , 
Hugues, archidiacre de Moutiers etc. , cherchèrent toujours à justifier leur 
redoutable devise, unguibus et rostro. i 

En 1487 hommage et investiture des mémes époux Antelme et Gilberte 
de Miolans (1). 

L’année 1489 voit se renouveler encore pour les mémes la donation 
et inféodation desdits biens et ‘appartenances (2). 


(1) Richard, t. IT, fol. 332, Arch. de Cour. 
(2) Ibidem, fol. 9. 


284 DES ORIGINES FEODALES ETC. 


La noble dame Gilberte, que nous venons de citer, devenue veuve 
dudit seigneur Antelme, et Claude et Jacques de Miolans, leurs fils, re- 
coivent la méme investiture le 23 septembre 1491 (1). 

Nous touchons aux derniers reJetons directs de cette antique lignée; 
Louis, baron de Miolans, recoit l’investiture du chateau et du mandement 
d’Entremont et de ses dépendances le 19 octobre 1497; le 15 novembre 
de la méme année, il recoit celle de la seigneurie de Miolans (2); dans ce 
dernier acte nous voyons ce seigneur joindre à ses titres celui de comte 
de Monimayeur, auquel il avait droit, d'après la transaction relatée plus 
haut. Enfin, par son testament du 19 mai 1512, Louis prévoyant peut- 
étre que sa race touchait à son terme, et par un sentiment d’orgueil assez 
légitime, ne voulant pas que le majestueux donjon, symbole de la puis- 
sance et de l’illustration de ses aîeux, tombàt en mains vénales, institua 
héritier son fils Jacques, portant sa substitution en faveur des màles, et 
à défaut de ceux-ci, il prie le duc d’accepter son vieux chàteau de Miolans 
et ses dépendances (3), hommage touchant qui témoigne des sentiments 
de fidélité qui animaient le noble sire. 

Les temps étaient accomplis; nous voyons en effet le 21 novembre 
1523, Charles III, duc de Savoie, Guillaume de Poitiers et Claudine 
de Miolans, sa femme, faire accord et concession en faveur dudit duc 
de tous les droits appartenants aux derniers sur le chitean de Miolans 
et ses dependances. 

Le 9 décembre suivant, le duc de Savoie passe une procuration pour 
prendre possession en son nom dudit chateau de Miolans (4). 

Outre la série que je viens d’'énumerer, les sires de Miolans four- 
nirent au sacerdoce plusieurs hommes éminents: voici ce que disent les mé- 
moires historiques de Lutheranus, au su)et de Gérard de Miolans (Nicolas IH 
pape): « Messire Gerard, né à Chevron, est de l’ancienne famille de 
» Miolans; il fut nommé évéque de Florence et ensuite pape le 9 dé- 
» cembre .1058, sous le nom de Nicolas SI, sacré le 31 janvier suivant. 
» Il régna deux ans, quatre mois et vingt-six jours, convoqua le concile 
» de Latran en 1059, où il publia le fameux décret, que l’on trouve 


1) Richard, t. II, fol. 37. 

2) Troillet, t. IV, fol. 113, Arch. de Cour. 

(3) Arch. de Cour, Garde-robe n° 8, paquet 14. 

(4) Arch. de Cour, Savoie et Garde-robe n° 10, paquet 14. 


PAR LÉON MENABRÉA 385 


» dans Gratien, D. 23, sur l’élection du souverain pontife, et où il 
» obligea Berenger, archidiacre d’Angers, chef des sacramentaires , et 
» condamné pour la troisième fois, à se rétracter (1). » 

Deux evéques de Maurienne, Aymon I en 1276, Aymon IV en 1308, 
sont issus de la méme famille; ils maintinrent courageusement l’un et 
l’autre leur autorité temporelle contre des voisins ambitieux (2). Un 
Nantelme de Miolans, canonicus maurianensis , vivait en Van 1188. 
Un Gui en 1247, un Jean de Miolans en 1297 figurent également au 
nombre des chanoines de S'-Jean-de-Maurienne (3). i 

Plusieurs ont revétu l'humble habit de moine, d’autres étaient pourvus 
de la dignité abbatiale ; l’histoire des Miolans pourrait remplir de longues 
pages, mais ce serait dépasser le but que je me suis propose. 

Pour ce qui est des vastes possessions de ces seigneurs, tant en decà 
qu'au delà des Alpes, dans l’énumeration desquelles jen ai omis plu- 
sieurs, entre autres S'-Cassin, Puisgros, Caramagne, Cavallermaggiore en 
Piemont (4), elles passèrent è une maison étrangère, celle des Spinola, 
Garrès, de Cardès, branche de la maison de Saluces (5). 


(4) Cartons de M. Montreal, 2° brouillard des Mém. Lutheranus. Observations du P. Mabillon 
touchant les différentes condamnations de Berenger. Baronius, Arral. eccl. Dupin, B?0l. des auteurs 
eccl. au XI siele. La vie de Nicolas II se trouve dans le t. III, p. 309 des Rer. ital. script. de 
Muratori, p. 37, et i Nova concil. collect., par le cardinal Passionei, t. XIX, concernant les si- 
moniaques, la chasteté des prétres et la rétractation de Bérenger. 

(2) Besson et Grillet. 

(3) Mon. hist. patriae, 2 chart. , p. 1141, 1468, 1732. 

(4) Geoffroy de Miolans, seigneur de St-Cassin, en avril 1258 fait hommage au comte Boniface 
de Savoie pour le chàteau et fief de St-Cassin. - Arch. de Cour. 

(5) Sommaire général des fiefs, è. III, Miolars, grosse de Mr Jean Coste, n° 155, 7 aoùt 1616. 
- Reconnaissance passée par Mr Christophe Chambon, en qualité de procureur de dame Gabrielle, 
veuve de messire Jacques de Miolans. Minutes de Mr Falquet, vol. I, fol. 100, 24 décembre 1734. 
Consignement passé par messire Charles-Emmanuel-Henry-Joseph-Antoine de Saluces-Miolans- 
Spinola etc. , par lequel il déclare tenir et posséder, par le moyen de dame Pbhiliberte-Blanche, 
femme du feu seigneur Francois-Marie de Saluces, en vertu de la primogéniture purifiée en faveur 
de ladite dame, par le testament du feu seigneur Louis de Miolans, son père, du 19 mai 1512, et 
d’Urbain de Miolans, son oncle paternel, de l’année 1523, la baronnie de Miolans ete. 


286 DES ORIGINES FÉODALES ETC, 


CHAPITRE XVII 


ETUDE SUPPLEMENTAIRE. 


Le chateau de Miolans proprement dit. - Son importance militaire. - Charles III, duc de 
Savoie. - Francois I vaincu è Pavie. - Le due de Savoie, hésitant entre lui et Charles-Quint, 
penche pour le dernier. - Suites de cette politigue.- Luttes avec Genève. - Francois I 
réclame au duc de Savoie la moitié de ses Etats. - H envahit la Savoie. - Le due se 
borne à défendre le Piémont. - Il abandonne Turin et se réfugie à Nice. - Charles-Quint 
veut livrer le chateau de Nice & Paul III. - Le duc de Savoie est près de céder. - 
Emmanuel-Philibert, son fils, dgé de dia ans, l'entraine è la résistance. - Morì de 
Charles III. - Emmanuel-Philibert fait un glorieua apprentissage. - Il rentre dans ses 
Etats. - Rémission lui est faite du chateau de Miolans en 1559. - Vertus civiles et mi- 
litaires de ce prince. - Miolans converti en prison. - Le P. Monod, victime de Richelieu , 
y est enfermé. - Le roi Charles-Emmanuel. - Son alliance avec Marie-Thérèse. - Sa 
valeur, ses succés. - Les Espagnols en Savoie. - L’Infant Dom Philippe. - Deléqués de 
Chambéry prisonniers à Miolans. - Leurs dépenses.- Lavini. - Son crime. - Ses malheurs, 
sa longue captivilé. = Inscriptions. - Cachots. - Le baron de VAllée de Songy. - Le 
commandant de Launay. - Le marquis de Sade. - Curieuse correspondance. - Evasion de 
Mr de Sade et de Mr de Songy. - Noms de divers prisonniers. - Physionomie du cheteau. 


Il est inutile de revenir sur l’antiquité du chateau qui fait l’objet de 
cette etude; la date de sa fondation restera perdue dans les nuages du 
passé, malgré les assertions de certains écrivains (1). En ces temps 
d’anarchie et de désolation, où la Savoie presque barbare était une contrée 


dangereuse, infestée par le brigandage , la nécessité se fit sentir de 


(1) Je citerai encore un passage, extrait des Ms. de Mr Bonnefoi, curé de Jarsy, dont toulefois 
plusieurs indications me semblent suspectes, mais je le reproduis aussi pour faire connaître ce qui 
a trait à Vorigine probable des sires de Miolans: « Les sires de Briangon, y est-il dit, portèrent 
» en 900 le nom de sires de Cur, ou de Ceur, parce que leur chàteau élait construit sur la pa- 
» roisse de ce nom, en haut d’un mòle. - En qualité de vicomtes de Tarantaise ces seigneurs 
» possédaient un chàleau à Moutiers, au nord-est de la ville. - Richard de Cur vivait en 900...... 
» il fonda le prieuré de St-Martin hors la ville, lui donna plusieurs terres à Moutiers, à Villaroger, 
» avec les dîmes du mas de Peeney, de la Roche, du Chàtelet, de l’Eau-claire, d’Altanicos ete. etc. 
» Il eut pour fils Richard II, surmtomme Diacori, qui fut pere d’Aymon. » (Besson p. 233). Aymon 
Cur, selon la généalogie ms. de Besson, vivait en l’an 1000. - L’archevèque Amizzo le nomma 
vicomte de Tarantaise: les comtes de Savoie, pour récompenser ledit Aymon des services qu’il avait 
rendus, lui inféodèrent le clàteau de Miolans. Depuis lors ce personnage el les siens auraient gardé 
le nom de Miolans..... Il aurait laisse cinq fils, dont V’aîné Artaud aurait commence la famille 
des Montmayeur ........ Or, en demélant le vrai du faux dans cette légende, on voit cependant 
que le chàtean de Miolans m’était pas d’une création récente à l’époque mentionnée. 


PAR LÉON MÉNABREA 287 
defendre ces deéfilés étroits, où le voyageur ne péneétrait qu’avec crainte ; 
alors les rochers qui resserrent, de distance en distance, les gorges des 
Alpes se couronnèrent de forteresses; les seigneurs guerroyaient entre 
eux à outrance; les plus forts convoitaient les plus faibles, et une cer- 
taine harmonie semblait régner entre ces tours agriennes qui abritaient 
la violence et la spoliation; entre l’apre nature qui les environnait et les 
repaires, creusés aux flanes des montagnes, d’où s’élancaient les bandes 
affamées, auxquelles la terreur servait d’escorte. D’épaisses foréts de sapins 
étendaient au loin leur masse noire ; des torrents désordonnés descen- 
daient avec fracas des hauteurs, entraînant, à certaines époques de l’année, 
les arbres, les pierres, les rochers, tout ce qui leur faisait obstacle et 
compleétaient, pour ainsi dire, ce sombre tableau. 

Quoique les siècles et la civilisation aient adouci ces images, le chteau 
de Miolans conserve toujours son imposant aspect (1). Le lecteur n'a pas 
oublié sans doute sa position au sommet d’un roc nu, auquel il sert de 
créte et qui se detache des nombreuses montagnes, dont la chaîne non 
interrompue forme le pan septenirional de la vallée de l’Isère. Ce roc 
s'élève perpendiculairement à une hauteur prodigieuse; deux énormes 
tours, d’une architeciure différente, dominent la masse de l’édifice ; un 
double rang de fossées, une triple enceinte de murailles défendaient jadis 
ce manoir sur l’unique face où il pouvait étre attaqué; il fallait quatre 
heures de marche difficile avant d’atteindre la porte du donjon. Ces cons- 
tructions, dont la majeure partie est encore debout, appartiennent  évi- 
demment è différentes périodes: ici l’on reconnaît, comme je l’ai dit, l’aire 
du seigneur féodal, la place de guerre, la prison d’état. 

Je n’entreprenderai point de conduire pas à pas le lecteur à travers 
les votites silencieuses de ce labyrinthe; il est des impressions qu’on ne 
saurait reproduire; tout un passé enveloppé de brumes se presse dans la 
pensée, depuis les jours éclatants où les illustres sires dominaient en maîtres, 
jusqu’aux heures desolées des pauvres captifs; mais, avant d’aller plus loin, 
achevons notre récit, 

Lorsque le duc de Savoie, Charles III, se vit possesseur du chateau de 
Miolans, son premier soin fut de fortifier une position qui le garantissait 


(1) Er 1856 Léon Menabréa dcrivait sa. notice sur Miolans; on a essayé de réparer le chdteau, 
mais sans resultat (car il croule de tous cotés ), depuis la mort de Vauteur, qui eut lieu en 1857 


le 25 mai. 


298 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


toujours mieux des entreprises de la France, malgré les embarras de ses 
finances absorbées en grande partie par les douaires assignés aux prin- 
cesses veuves de sa famille (1). 

Précisément à cette époque, son neven Francois I, roi de France, 
maître de la Lombardie et de la Ligurie, ayant pour alliées Venise et 
la Suisse, paraissait devoir étre en sécurité sur ses conquétes en Italie; 
mais ses luttes avec Charles-Quint changèrent les prévisions naturelles, 
et Charles III, flottant sans-cesse entre les deux rivaux, dut maintenir 
à grand’ peine ses possessions, en deépit des liens étroits de parenté qui 
l’unissaient à ces deux princes (2). 

Après les glorieux debuts du roi chevalier, la célèbre victoire de 
Marignan, la date du 27 avril 1522 devait signaler pour lui un premier 
revers; ce fut, comme chacun sait , le jour de la défaite de la Bicoque, 
qui fut ensuite suivie de la trahison du connétable de Bourbon. Mais 
Francois I, impatient d’effacer l’échec précédent, traversa les Alpes en 1524 
et deboucha dans la vallée de Suse, du còté de Briancon; le due de Savoie 
se mit en devoir de faciliter, à travers ses états, le passage des troupes 
de son neveu; il alla méme à sa rencontre, et le monarque francais com- 
menca le siége de Pavie. 

Durant cette operation, Charles III qui n’avait eu garde d’oublier 
les sommations qui lui avaient été faites par ce dernier en 1518, au 
sujet de la partie la plus considérable de ses états qu'il revendiquait comme 
appartenant à la France, sollicité par sa femme, la princesse Beatrix, et 
aussi par ses propres intéréts , se concerta avec le connétable de Bourbon, 
fournit de l’argent et embrassa la cause de l’Espagne. 

La fortune se montra cruelle envers Francois I; vaincu à Pavie, il 
ne rentra en France qu’après une captivité de treize mois environ, au 
prix d’énormes sacrifices; la générosité n’était guère le point brillant du 
caractere de Charles-Quint. 

Nous ne decrirons ni les agitations, les secousses, les luites, ni les in- 


trigues de l'Italie aux prises avec l’ambition de deux souverains puissants; 


(1) Claudine de Bretagne, mère de Charles IMI, possédait le Bugey; Louise de Villards, fille de 
Jean de Savoie, comte de Genève, avait le Chablais; la celèbre Marguerite d’Autriche, veuve de 
Philibert-le-Beau , frère de Charles III, tenait la Bresse, le pays de Vaud, le Faucigny; et Blanche 
de Montferrat, sa cousine, veuve de Charles I, avait les plus belles villes du Piémont. 

(2) Louise de Savoie, mère de Frangois I, était seur de Charles IMI. - Béatrix de Portugal, sa 
femme, était sceur d’Elisabeth, épouse de Charles-Quint. 


PAR LÉON MÉNABRÉA 289 


cette terre splendide semblait destinée è étre l’appàt de tous les partis; 
c'est du reste le sort éternel de la beauté et cle la richesse. Vient en 1529 
le traité de Cambrai, qui garantit les droits et possessions de la maison 
de Savoie, tandis que Francois I s'engage è évacuer immédiatement la 
péninsule, renonce à la Savoie, au Piémont, au comté de Nice. Cependant 
Charles-Quint, ivre de succès, se rend à Bologne, où le pape Clément VII 
le proclame roi d’Italie, et pose sur son front la couronne de fer. 

La politique de Charles IMI ne varie point dans le fond; tout en mé- 
nageant de son mieux la France, il demeure lié à l’Espagne; assiste au 
couronnement de son beau-frère; celui-ci, pour le maintenir dans cette voie, 
lui donne la ville et le comté d’Asti è titre de dot de la duchesse Beatrix. 
Bien plus, à l’encontre de ce qui s’était pratiqué auparavant, où les princes 
de la maison de Savoie allaient d’ordinaire en France y recevoir leur 
éducation, ses deux fils Louis et Emmanuel-Philibert sont envoyés è 
Madrid dans le méme but. Francois I vit avec déplaisiv une innovation 
qu'il considéra comme un acte d’hostilité; il en résulta un sourd ressen- 
timent, qui ne tarda pas è éclater. 

Nous passerons sur l’hérésie de Genève, la révolte de cette ville contre 
la maison de Savoie, les concessions réciproques, la rupture definitive 
qui s’ensuivit ‘et la déclaration de guerre. L’armée ducale, forte de dix 
mille hommes, assiégea Genève, saccagea les faubourgs; pendant ce temps 
les Suisses, venus en aide aux Genevois, detruisirent, du còté de Morges, 
plusieurs chàteaux appartenant aux seigneurs dévoués è Charles INT; une 
nouvelle conciliation eut lieu, le vidomnat fut renda au due, les droits 
de l’évéque respectés; mais des excès recidivés forcèrent le clergé à se 
retirer; l’éveque s’établit à Gex, les chanoines se rendirent à Annecy, 

Afin de tenir téte à son rival, Francois I fit alliance avec les pro- 
testants d’Allemagne; il offrit aux Genevois sa protection; et sur le refus 
de Charles IM d’accepter une trève, il prit parti contre lui. Dans cette 
occurence la duchesse Béatrix sollicita l’appui de Charles-Quint; ce prince 
oublieux ne répondit que par une missive où il lui annoncait la mort 
de Louis son fils aîné. La situation devenait de plus en plus dangereuse, 
car Francois I renouvelait ses injonctions, et redemandait à son oncle 
ses principales provinces; celui-ci avait donc affaire aux Francais et aux 
Suisses qui voulaient le dépouiller. 

Le motif qui poussait le roi de France était le bruit d’un échange, 
par lequel la Savoie et le Piémont passeraient à Charles-Quint, tandis que 

Senie II. Tom. XXIII 37 


290 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


le Milanais et le Montferrat iraient au duc de Savoie. Après maintes 
récriminations et plaintes réciproques, il n'y eut plus d’accommodement 
possible. Toutefois, avant de tirer l’épée, Francois I fit dresser un Mé- 
moire par lequel il réclamait: 1.° La succession mobilière de Philippe II 
et de son fils Fhilibert-le-Beau; 2.° Le comté de Nice et les villes du 
Piémont qui avaient été de la mouvance du comté de Provence; 3.° Diffé- 
rentes villes du marquisat de Saluces; 4.° L’hommage du Faucigny. Une 
dénégation lui est opposée: alors Frangois I stempare du Bugey, de la 
Bresse, de la Savoie; il entre dans Chambéry, y crée un parlement, or- 
ganise des tribunaux, substitue, autant qu'il le peut, les usages de sa 
nation à ceux que les siècles avaient consacrés. 

Charles III se bovna à defendre le Piémont; mais bientòt il n’était 
plus en sùreté dans sa capitale et il se retira à Verceil; Turin capitula (1). 

Victime de sa trop confiante politique envers l’Espagne, le duc de 
Savoie en était réduit au comté de Nice, lorsque le 6 novembre 1537 
la tréve de Moncon suspendit les hostilités. Charles-Quint, afin de se 
ménager le pape Paul III (qui voulait rester neutre ), mettait sans pitié 
la derniére main à la ruine de son beau-frère, en le sollicitant de livrer 
au pape le chateau de Nice; le duc, hésitant, allait peut-étre céder, 
lorsque Emmanuel-Philibert, son fils, encore enfant (il n’avait que dix ans), 
encouragea son père à la resistance (2). Ne pouvant garder la ville, les 
soldats piémontais se cantonnèrent dans le chàteau, y conduisirent le 
jeune prince, pour le mettre à l’abri de toute tentative, et déclarèrent 
qu'ils s'enseveliraient sous les ruines plutòt que d’abandonner et le chàteau 
et l’héritier de leur souverain. Chaque fois qu'on leur enjoignait d’arborer 
l’étendard de Charles-Quint, ils y répondaient par le cri de guerre: 
Savoie! qui n'a jamais retenti en vain. 

Ces évéenements impressionnèrent à tel point Emmanuel-Philibert qu'il 
concut des lors le projet de reconquérir ses états l’épée à la main. Nous ne 
vetracerons pas la suite des vicissitudes du duc de Savoie; sitòt après la paix 
de Crespy en 1544, il espéra récupérer ses états; mais la mort de Francois I 
en angantit les conditions; Charles-Quint ne céda rien, la guerre se ralluma. 


1) L’amiral Chabot prit possession de cette ville en 1536 au nom de la France. 

2) Lorsque Charles III délibérait sur les exigences du pape et de l’empereur, le prince qui 
avait été amené là par son gouverneur, voyant l’incertitude de son pere, s’écria en brandissant 
sa petite épée et en montranit un modèle en bois du chàteau de Nice qui se irouvait sur une table ; 
Donnons au Pape le chateau de bois et nous défendrons si bien l’autre que nul n'y entrera. 


PAR LÉON MENABREA 291 


A l’exemple de Francois I, son père, Henri II veut maintenir la Savoie 
et le Piémont sous sa dépendance; il va de Chambéry à Turin où il est recu 
en grande pompe; l’armée francaise a de nouveaux succès; elle s’empare 
de la ville d’Albe, de S'-Damien etc. en 1551. Cependant Charles II, 
las de lutter contre des adversités si tenaces, mourut à Verceil le 16 
septembre 1553. 

Emmanuel-Philibert qui faisait  glorieusement l’apprentissage de la 
guerre sous les drapeaux de Charles-Quint, apprit la mort de son père 
peu après avoir été élu général en chef des armées imperiales; il avait 
alors vingt-cinq ans; ce fut après de brillants faits d’armes, et longtemps 
ensuite, que ce prince fit son éntrée à Bourg-en-Bresse, avec la du- 
chesse sa femme; elle eut lieu le 11 octobre 1559 (1); Turin était encore 
au pouvoir des Francais, les portes de cette capitale ne s’ouvrirent, en 
definitive pour lui, qu’en 1563. Personne n’ignore que ce prince joi- 
gnait aux vertus guerrières celles qui font les grands souverains; on le 
considère avec raison comme le second fondateur de la dynastie de Savoie; 
sage administrateur, bon politique, il sut se plier aux circonstances, ré- 
tablit l’ordre, effaga les traces désastreuses qui avaient sillonné son royaume, 
favorisa les lettres, les sciences, l'industrie, et donna une nouvelle vie aux 
institutions d’un pays trop long-temps victime des étrangers. 

Jen ai dit assez pour démontrer la nécessité de mettre sur un pied 
solide de défense les lieux fortifiés qui se trouvaient placés sur le thé:itre 
de tant d’événemenis. Nous trouvons une donation et une rémission faite 
par le roi de France de la baronnie de Miolans, datée du mois d’aott 1559, 
peu de temps après le mariage d'Emmanuel-Philibert (2). Le 19 sep- 
tembre de la méme année émane un ordre du roi de France, qui 
enjoint au capitaine de Miolans de remettre audit duc de Savoie le cha- 
teau de Miolans (3). 

Ce fut environ vers cette époque qu’une révolution s’opéra dans le 
système militaire; l’art de la guerre se perfectionna et mit à néant les 
engins féodaux. Emmanuel-Philibert organisa une armée régulière et la 


(1) Il avait épousé, le 29 juin 1559, Marguerite de Valois, fille de Frangois I ei seur de Henri II, 
qui perdit la vie aux fètes de leur mariage ; cette princesse était douée des qualités les plus belles 
et les plus rares. 

(2) Arch. de la Chambre des Comptes, garde-robe 12; vol. 107, fol. 255. 

(3) Ibidem, fol. 256. 


292 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


constitua solidement. Ce prince était un grand maître en ces matiéres: 
il éleva des citadelles, replaga sur leurs assises celles qui avaient été 
renversées, entre autres le fort de Montmeélian, qui devint l’un des bou- 
levards de la Savoie; en un mot, en recouvrant ses états, il tira sa force 
de lui-méme et des richesses inépuisables de son génie. Il serait trop long 
de narrer ici les grandes choses accomplies par cette puissanie volonté, 
pour cicatriser les blessures faites par l’occupation étrangère. 

Par suite des transformations opérées dans le système de deéfense, 
Miolans devenu sans importance militare, fut converti en lieu de réclu- 
sion: je ne saurais bien préciser la date de ce fait; il paraît qu'il avait 
eu lieu avant la fin du seizième siècle. Lorsque je visitai ce chateau, il 
y a quelques années, je cherchai è retrouver la chambre où une victime 
du cardinal de Richelieu (le célèbre père Monod) passa de vie à trépas; 
mais aucune indication ne vint è mon aide. 

Le père Monod, né à Bonneville en Faucigny, vers la fin du seizième 
siècle, avait abordé la carrière littéraire en publiant un ouvrage intitulé 
Alliance des Maisons de France et de Savoie, ouvrage qui, à travers le 
clinquant du panégyriste, laisse apercevoir l'homme nourri d’études sé- 
rieuses. Une seconde et plus importante production parut, sous son nom, 
en 1624; c’était l’histoire du pontificat d'Amédée VIII, de cet Amedee 
que le concile de Bile élut pape en 1439, et qui, quatre ans après, 
déposant volontairement la tiare, donna un si noble exemple de moderation. 

Le père Monod, présente à la cour et devenu confesseur de la régente 
Madame Royale, fut bientòt initié au secret des affaires; son génie le 
poussait à l’intrigue: la France, ou plutòt le cardinal de Richelieu, pour- 
suivait alors avec acharnement l’exécution de ses projets contre l’empire 
et l’Espagne ; la guerre civile du Piemont compliquait encore cet état de 
choses; Madame Royale, quoique alliée de Louis XIII, craignait de se 
soumettre avenglément aux exigences du cabinet francais; le cardinal qui 
soupconnait, non sans quelque raison, une influence de confesseur dans 
les défiances et les scrupules de la régente, mit tout en ceuvre à l’effet 
de s'emparer de la personne du P. Monod; il s'y prit de vingt manières 
sans y réussir. 

Cependant Madame Royale, voyant qu'on accusait. ouvertement ce 
jésuite d’entreteniv des intelligences avec l’Autriche, fut obligée de le 
faive arréter et d’accorder une expiation à la haine, aussi puissante qu’im- 
placable, qui s’attachait à lui. Le P. Monod fut enfermé d’abord à Coni, 


ra 


PAR LÉON MENABREA 293 


puis trausféré à Montmeélian, puis à Miolans, où il mourut. Parmi les 
gerits dont il s’était occupé durant sa détention, on trouva un ZYaite 
de la faveur des princes. Le pauvre religieux savait mieux que bien d’autres 
combien cette faveur est fragile (1). 

Je rencontre un état des dépenses faites pour les prisonniers de 
Miolans qui porte la date de 1745, en septembre, sous le gouvernement 
espagnol. Charles-Emmanuel INI était alors sur le tròne; le traité de 
Vienne, conclu le 28 novembre 1738, avait réglé les destinées de la 
Lorraine, de la Pologne et de l’Italie; les rois d'Espagne et de Sardaigne, 
mécontents des résultats qui répondaient si peu à leurs sacrifices (le 
dernier surtout), refusèrent long-temps d’y adhérer; le roi d’Espagne se 
maintint plus que jamais dans l'idée d’expulser l’Autriche de l’Italie; 
toutefois l’équilibre était è peu près établi, dans cette contrée, entre les 
petits états dont elle était fractionnée. Par le concordat de 1741, le pape 
Benoît XIV avait renoncé à ses droits temporels dans le royaume de 
Sardaigne, et donné à Charles-Emmanuel et à ses successeurs le titre 
de Zicaire general et perpetuel du saint-siége; la paix et la prospérité 
semblaient établies pour de longues années; mais il en devait étre au- 
trement. 

L’empereur d’Autriche, Charles VI, était mort le 20 octobre 1740; 
cette mort ne tarda pas à embraser l'Europe ; il laissa sa vaste succes- 
sion à l’immortelle Marie-Thérèse, sa fille aînée; mais la plupart des 
souverains européens formèrent une ligue contre cette princesse et aspi- 
rèrent à la dépouiller. Le roi de Sardaigne mit en avant le contrat de 
mariage de son trisaeul (2) avec la fille du roi d’Espagne Philippe II, 
et redemanda le duché de Milan. De son còté la France, qui trouvait 
son interét à abaisser l’Autriche, fit alliance offensive et defensive avec 
l’Espagne, la Bavière, la Prusse et divers autres états. 

C'est alors que Marie-Thérèse développa cette rare énergie, d’autant 
plus remarquable chez une princesse si jeune: elle se mit résolument 
en devoir de tenir téte à l’orage. Charles-Emmanuel déploya dans ces 
circonstances toute l’habileté de sa politique; des négociations furent 
ouvertes simultanément avec Madrid, Vienne et Paris; il allait méme 


s’allier avec l’Espagne, lorsqu'il apprit que Philippe V, de concert avec 


1) Corona reale, part. II, p. 184, 
(2) Charles-Emmanuel 1, 


294 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


Louis XV, se proposait de donner Parme, Plaisance et le Milanais è 
l’infant Dom Philippe; en consequence il signa en 1743 avec la reine 
Marie-Thérèse un traité, dans lequel il introduisit certaines réserves qui 
le rendaient non obligatoire, moyennant un avertissement préalable de 
deux mois. La reine, en femme intelligente, agréa cette alliance , toute 
fragile qu'elle paraissait. 

La campagne s’ouvrit; Charles-Emmanuel, à la téte de quarante mille 
hommes, péneétra jusqu’aux bords du Panaro, petite rivière qui coule 
entre Modène et Bologne; jamais les princes de Savoie n’avaient été sur 
un pied de guerre aussi imposant; malgré cela, la détermination du roi 
était d’autant plus hardie, que onze mille hommes à peine des soldats 
de Marie-Thérèse défendaient la Lombardie; bref les deux armées firent le 
siége de Modène et de la Mirandola, qui ouvrirent leurs portes; la garnison 
fut retenue prisonnière; Charles-Emmanuel s’avanca sur Bologne et Rimini. 

Voulant opérer une diversion au delà des monts, le roi d’Espagne , 
blessé de voir son armée battue se replier du còté de Naples, envoya 
l’infant Dom Philippe s'emparer de la Savoie: la France livra passage è 
ses soldats: en apprenant cette invasion, Charles-Emmanuel revient à 
Turin, fortifie les frontières du Piémont, et malgré l’hiver qui s’avance 
(on était en octobre), il vole au secours de ses vieux serviteurs et va 
delivrer le berceau de sa famille ; en effet les Espagnols se retirent 
Barreau, mais cette tentative fut vaine; obligé de rentrer en Piémont, 
le roi effectua son retour avec assez de bonheur; placé à l’arrière-garde, 
il put de cette manière protéger ses munitions et ses malades à travers 
les neiges du mont Cenis; toutefois cette campagne coùta les sacrifices 
d’une bataille perdue; le roi la regarda comme une faute. 

Le joug des Espagnols, devenu plus lourd, était insupportable aux 
Savoyards ; Dom Philippe autorisait l’oppression , tout contribuait à le 
rendre odieux. Un complot s’organisa, il avait pour but d’enlever ce 
prince, durant la nuit, de l’arracher au sommeil, de le transporter en 
Piémont pour l’y retenir prisonnier; Charles-Emmanuel ne voulut point 
d’une entreprise qui s’écartait des lois de la guerre; l’Espagne se maintint 
donc en Savoie. 

De son còté la France essaya d’attirer à elle le roi de Sardaigne; 
c'était aplanir une barrière qui l’empéchait d’attaquer l’Autriche au coeur 
de ses possessions italiennes; cette tentative échoua; bien au contraire 
l’alliance avec Maric-Thérèse se resserra par de nouvelles promesses et 


PAR LÉON MÉNABRÉA 295 
le 13 septembre 1743 le traité de Worms régla les interéts respectifs 
des deux souverains. La guerre cependant se prolongea durant plusieurs 
années; nous ne suivrons pas Charles-Emmanuel le long de cette bril- 
lante période de son histoire; cela nous mènerait trop loin. 

En avril 1748 la lutte de l'Espagne et de l’Autriche n'était pas ter- 
minée; l’infant Dom Philippe était encore à Chambéry, sy divertissant, 
au dire des historiens; mais vint le traité de paix d’Aix-la-Chapelle qui 
fut signé le 18 octobre de la meme année. Dom Philippe prit possession 
des duchés de Parme, Plaisance et Guastalla, avec réversibilité en faveur 
du roi de Sardaigne, si Dom Carlos, roi de Naples, était appelé au tròne 
d’Espagne, ou si la branche de Dom Philippe venait à s’éteindre; di- 
verses concessions faites à Charles-Emmanuel ne firent qu’étendre les 
perspectives de l’avenir qui promettaient à la maison de Savoie la gloire 
de rendre un jour l’Italie libre et maîtresse d’elle-méme. 

Revenons à nos prisonniers. 

En premier lieu je mets sous les yeux du lecteur la note curieuse, 
dont voici le titre: 

« Etat des dépenses faites à l’occasion de l’emprisonnement et traduction 
» des prisons de Chambéry au chateau de Miolans de MM. les délégués 
» Chambre, Guigue de Revel, Bailly, avocats, Philippé, Bavoux et Laracine, 
» pour n’avoir voulu commander les 900 paysans de la province de Savoie 
» pour aller travailler hors des Etats, soit proche d’Exiles (septembre 1 745).» 

On verra par ce document que le régime de ces prisonniers n’était 
pas d’une rigueur extraordinaire; leur détention devait durer un mois; 
le chevalier Le Blanc était alors gouverneur de Miolans; je. reproduis 
ce titre en entier à cause de son originalité. 

— « Pour les dépenses faites pour notre nourriture les 14, 15 et 16 sep- 
» tembre 1745, que nous sommes restés dans les prisons de Chambéry. ..... 

— « 18 septembre, payé au barbier de S'-Pierre-d’Albigny, venu 
» expréès pour nous raser: 2 l. 

— «€ Pour etrenne è une fille qui a apporté un pité de la part du 
» Sieur Curial: 0,10 s. 

— « Du 20 septembre, pour nos repas des 19 et 20, ayant eu le 19 
» quatre étrangers à diner, trois le 20, et M. le Commandant et deux 
» officiers avec leurs valets à souper: 34 |. 

— « Du 23, pour nos repas des 21 et 22, ayant eu M. le Com- 

»» mandant, des officiers et des MM. de S'-Pierre: 33 I. 


296 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


» 


— « Du 24, au garcon qui nous a apporté un pàté du S* Curial: 
0,10 S. 

— «A un garcon qui nous a apporté des truffes de la part du 
Sieur Lombard: o,10 s. 

— « Pour une petite caisse, eau clairette , du S° Dardel, pour faire 
politesse à M. le Commandant, afin qu'il ait des égards pour nous. 

— « Du 3 octobre, à celui qui a apporte des truites de la part du 
SF Lombard: 0,10 s. 

— « A celui qui a apporté des raisins de la part du S. Millioz : 
0,10 S. 

— « Du 6 octobre, au cuisinier Ducrueux pour 17 jours quil a 
travaillé, à 15 sols par jour, attendu que 2’Aòtesse (la forteresse de 
Miolans) n'a plus voulu nous nourrir. » 

Le 8 octobre ils étaient dehors et diînaient à S'-Pierre. 

Passons à des souvenirs malheureusement plus tristes ; descendons 


aux cachots humides, qu'on dirait encore trempés de larmes. Parmi les 
inscriptions qui couvraient autrefois les parois de ces sombres demeures, 
quelques-unes ont échappé au rongement du temps: j'ai copié celle qui 
suit ; elle est en lettres majuscules et son interponctuation imite gros- 


sierement les formes du style lapidaire: 


O * MON * DIEU 
ME * VOTOM * FAIRE . PASSE ° 
POVREMENT . MA * IEUNESSE * AUX 
PRISONS * DE * MIOLAN ‘ POVR © N’AVOIR 
MAL * FAICT * — ET * VOICI © LA © 3 © PRISON © 
QUE * IE * SUIS * DEPUIS © LE © 29 © 
1583 * POVRE © INNOCENS © L'ON * MAT 
AMENE ‘© CEANS © DIEU © LE © SAIT 
MO © DIEU © I AY * ESPERANCE © EN * TOY 
NE ° ME © LAS © IASMAIS 
MON * DIEU 
cH © 1585 - 
1585 - 


Ailleurs on lit caprivus ....... puis des noms qui se croisent, 


s'entrelacent, se chevauchent. Dans la série de ces noms il en est un 


PAR LÉON MÉNABREA 297 


que le peuple sait, qui se lie au souvenir d’un étre aussi malheureux 
que coupable, ce nom c'est celui de Lavin. 

Ce Lavin, ou Lavini, était un très-jeune homme, employé au secré- 
tariat des finances à Turin, sous le rèégne de Charles-Emmanuel, et qui 
connaissait le dessin et possédait l'art d’imiter à la perfection toutes les 
écritures. Le comte Stortiglioni, alors ministre, eut la pensée de fabri- 
quer de faux billets, semblables à ceux que le trésor royal mettait alors 
en cours, et de se servir à cet effet du talent funeste de ce jeune homme. 
Lavini résista, le comte usa de stratagème (1), puis entraîné, ou séduit, 
il obéit et en fabriqua pour une somme considérable. Mais le crime fut 
découvert; le comte Stortiglioni et son complice furent mis en accusation. 

Lavini parvint à sortir du royaume ; il s’enfuit è Paris, où il 
errait depuis quelques mois, lorsqu'il fut arrété en vertu de letires 
d’extradition. Voici la lettre adressée de Turin par M. Chiavarina è 
M. Des Ollières, Commandant à Chambéry: 12 octobre 1762 « Vous 
» recevrez M. par cette estafette et par le canal de la secreétairerie 
» d’Etat interne les ordres du Roi, tant pour faire recevoir au Pont-de- 
» Beauvoisin le nommé Vincent Lavini, prisonnier d’Etat, qui y sera 
» remis de la part de la Cour de France, que pour le faire traduire 
» par un détachement de vingt dragons à cheval jusqu'è Lanslebourg, 
» en le chargeant de la garde d’icelui et des effets qui seront remis 
» audit Pont au maréchal des logis du régiment des dragons de $. M. 
» lequel devra méme continuer à la retenir depuis Lanslebourg jusqu’en 
» cette capitale, où il le consignera à qui il lui sera ordonné par 
» M. le Gouverneur de Suse à son passage en ladite ville. » 

Une autre lettre de Turin, du 23 octobre 1762, du méme au méme 
contient ceci: « En l’absence de S. E. M. le comte Bogin, qui se trouve 
» à sa vigne et à qui vous ne laisserez pas M. d’adresser vos lettres, 
» j'ai eu l’honneur de rendre compte au Roi de celle que vous avez 
» écrite audit Ministre le 20 courant et par laquelle vons l'informez de 
» la rémission qui a été faite du prisonnier Lavini, lequel se serait 
» trouvé le 22 à Chambéry. » 


(1) On conte que le roi Charles-Emmanuel, visitant un jour les bureaux, passa dans celui où 
se trouvait Lavin, et demanda si l’on était content de lui: — Très-content, aurait répondu le 
comte Stortiglioni. .... à cela près, qu'on pourrait exiger de lui plus de docilité. — Le roi qui 
ne saisissait pas la tendance cachée de ces paroles, invita Lavin à l’obéissance. — Je vous avais 
bien dit que le roi y consentait, reprit à demi-voix le ministre. 


Serie II. Tom. XXIII. 38 


295 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


On prétend que durant le trajet, afin de le priver de tout moyen 


d’évasion, on l’obligea à chausser des bottes dont les semelles étaient 


munies d’épaisses lames de plomb. 


Le procès suivit son cours; les deux criminels furent jugés par arrét 


du Sénat de Turin le 5 février 1765: telle est la substance de cette 


condamnation: 


« Sentenza nella causa del regio fisco contro il conte Carlo Maria 
Stortiglioni, del fu S. conte Gio. Steffano , della città d'Alessandria , 
abitante in questa, e Vincenzo Lavini, del fu Pietro, della città di 
Vercelli, già abitante nella presente, ed ultimamente in quella di 
Parigi, pronunziato maggiore d’anni 25 al tempo dell’infra espresso 
delitto; ambi ditenuti ed inquisiti: esso conte Stortiglioni della qualità 
di principal autore della fabbricazione e spendita dolosa di biglietti 
falsi ad imitazione di quelli di credito delle regie finanze, nelle tre 
spezie, cioè: una del capitale di L. 200 e le altre due del capitale di 
L. 100, colle rispetive date del 1.° gennaio 1750 e del 1.° aprile 1760, 
e per la somma di |. settanta mille e più, negli anni 1761 e 1762, 
in questa città. Ed inoltre il conte Stortiglioni d’aver fatto confingere 
in questa città, nella primavera dell’anno 1760, una scrittura colla 
data d’Alessandria e del 15 ottobre 1759, d’obligo del fu signor Paolo 
Maria Castellani Varzi della stessa città d'Alessandria per 300 zecchini, 
giliati effettivi, come essendo da lui imprestati e restituibili fra anni 
tre, allora prossimi, per esigere come abbia poi ingiustamente esatte 
col mezzo di detta falsa scrittura li sudetti 300 zecchini dal signor 
Lorenzo Castellani Varzi, figlio ed erede di detto signor Paolo Maria. 
Il Senato, unite le classi, udite le relazioni degli atti e visto il tenore 
delle regie patenti del 17 dicembre 1762 e delle altre del 20 dicembre ora 
scorso, ha pronunziato e pronunzia non esser luogo all’impunità per 
detto conte Carlo Maria Stortiglioni implorata, e doversi condannare 
come condanna il medesimo ad essere pubblicamente decapitato; doversi 
anche condannare come condanna il detto Vincenzo Lavini ad essere pub- 
blicamente appiccato per la gola, sino che l’anima sia separata dal corpo; 
l’uno e l’altro alla confisca dei beni, e solidariamente all’indennizzazione 
e spese. Torino li 5 febbraio 1765. — Caissotti p. p.; Craveri, relatore ». 

Le roi signa le lendemain des lettres patentes qui adoucissaient l’arrét 


precedent; le comte Stortiglioni et son complice furent condamnés à une 


detention perpétuelle, le premier dans les prisons, le second aux galères. 


PAR LÉON MENABREA 299 


Lavini fut enfermé au chateau de Miolans la méme année de sa 
condamnation; plusieurs personnes distinguées, entre autres M."° la ba- 
ronne Du Noyer, adoucirent sa captivité, en lui procurant des crayons, des 
couleurs et des pinceaux, et donnant de cette facon un aliment è ses ins- 
tincts d’artiste. Lavini excellait dans le paysage; il le traitait ordinaire- 
ment à la plume. On a de lui une quantité de natures mortes, d’une 
imitation si parfaite que l’illusion résiste à l’épreuve des sens. 

Il signait infelicissimus Lavinius. Le vieux garde-forestier, qui résume 
actuellement toutes les dignités attachées naguère à l’antique résidence 
de Miolans, depuis celle de commandant jusqu’à celle de concierge , 
manque rarement de faire voir aux curieux la chambre de Lavini; cette 
chambre qui mesure environ 8 pieds de long sur 4 de large, est encore 
décorée d’une infinité de peintures. Je dois pourtant le dire, ces pein- 
tures, à l’exception de deux ou trois, accusent une main inhabile; les 
barbouilleurs qui se sont inspirés des ceuvres de l’artiste infortuné n’au- 
raient certes pas trop sujet de s’écrier comme Titien devant un tableau 
de Raphaél: anch'io son pittore. Ce que j'ai reconnu étre positivement 
de Lavini, c'est le reste d’une fresque encadrée dans un jeu de cartes, 
et représentant une ville avec ses remparts, coupoles, tours et clochers. 
Jai également remarqué une inscription qui pourrait bien lui appartenir; 


on sera peut-étre curieux de la lire : 


Si ces tortures et ces gaines 

Qui te pressent de toutes parts 

N’étaient quun effet des hazards, 

Affligé Je plaindrais tes peines: 

Mais si le bras de Dieu gouverne ta carrière, 
S'il compte tous tes pas, s'il guide ta lumière, 
Tu dois rire de tes douleurs; 

Que le ciel et la terre gronde 

Lorsque pour te braver 

L’enfer arme ses fureurs, 

Tu verras relever 

La Fleur qui se mire dans l’Onde. 


Ces vers sont très-mauvais et la Z/eur qui se mire dans l’Onde est 
une énigme, dont personne, hors le prisonnier, n’a eu la clef. Peut-étre 


300 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


une vision fugitive lui est-elle apparue sur les bords riants de l’Isère , 
un rien apaise l’àme du captif, et le sauve du désespoir. 

Plusieurs personnes en Savoie possèdent des peintures et autres 
ouvrages de Lavin; il existe un baromètre emblématique (1), où l’on voit 
le temps. — Génie demandant au temps compte du temps. - Coq - Sablier 
- Serpent qui se mord la queue - Livre; puis le sonnet quelque peu 
baroque qu’on va lire: 

Le compte du temps. 


Le temps m’a demandé de ma vie le compte; 

Je lui ai répondu, le compte veut du temps, 

Car qui sans rendre compte a tant perdu de temps, 
Comment peut-il, sans temps, en rendre un sì grand compte? 
Le temps m’a refusé de differents à compte, 

En disant que mon compte a refusé le temps, 

Et que n’ayant pas fait mon compte dans le temps, 

Je veux en vain du temps pour bien rendre mon compte. 
O Dieu! quel compte peut nombrer un sì grand temps, 
Et quel temps peut suffire à faire un si grand compte! 
Vivant sans rendre compte, Jai négligé le temps; 

Hélas! pressé du temps et oppressé du compte, 

Je meurs et ne saurais rendre compte du temps, 

Puisque le temps perdu ne peut entrer en compte. 


Suivent des observations sur les variations du mercure , et au bas: 
« C'est peint et vernissé par l’infortuné Laving au chaàteau de Miolans, 
» l’an 1779, le 42° de son àge, le 17° de sa dure captivité. » 

Un autre travail représente Tiziano, et au bas sont tracés ces mots: 
« Dessiné avec de petites pailles, coupées à facon de plumes, par l’in- 
» fortuné R. V. L. enterré vif, enterré vif au fort de Miolans, l’an 1768 
» (invitis custodibus). L’imperfection de cet ouvrage doit se rapporter, 
» en partie, au mauvais papier, à l’encre composée de charbon et au 
» defaut des instruments nécessaires, n’ayant le dessinateur que des pailles 
» pour plumes et des pinceaux faits avec ses cheveux, sans compas et 
» sans règle. Ainsi on ne saurait faire mieux. » 

De cette manière le malheureux dont nous nous occupons, abrégeait 
les heures et les années de sa detention; lorsqu’on s’identifie avec cette 


(1) Il appartient à M. Clert-Biron, de St-Pierre-d’Albigny. 


PAR LÉON MÉNABREA dor 


lugubre destinée, on trouve la mort préférable, car si la vie se prolonge 
dans de telles conditions, ce ne peut étre qu’aux dépens des facultés 
intellectuelles qui vont s’affaiblissant. Lavini dut tenter maintes fois d’étre 
traité avec moins de rigueur, mais nous ne savons jusqu’à quel point il y 
réussit; il paraît cependant que son sort fut toujours assez cruel; dans 
une lettre adressée au Gouverneur de la Savoie, le 8 aodt 1783 , 
M. de la Peysse, commandant de Miolans, s'’exprime ainsi: 

« Avant d’exécuter ce que V. E. a eu la bonté de me faire savoir 
» par sa lettre du 5 courant, à l’occasion du prisonnier Lavin , auquel 
» S. M. permet qu’on lui laisse prendre l’air dans l’enceinte du fort, 
» pendant quelques heures du jour, je prends la liberté de représenter 
» à V. E. qu’avec une garnison aussi faible et aussi délabrée qu’est 
» celle-ci, je ne pourrais répondre d’un prisonnier aussi insinuant et 
» aussi rusé qu’est celui-là, qui peut aisément corrompre l’invalide méme 
» que l’on luy donnerait pour le suivre, et je me verrais, malgré mon zèle 
» pour le service de S. M., exposé à perdre quarante quatre années de 
» service, et peut-étre quelque chose de plus pour un misérable qui ne 
» tient la vie que des bontés du Roy; d’ailleurs il a la chambre la plus 
» saine et la plus aérée du fort. » 

On voit que le Commandant de la Peysse n’était pas facile à émouvoir 
et qu'il tenait téte à des volontés supérieures; cependant les modestes 
voeux de Lavini devaient étre exaucés à la suite d’une plainte supréme 
dont voici la teneur: 

« Memoire adressé au roi par l’infortuné Lavini prisonnier au chateau 
» de Miolans. 


» Sil est vrai qu'il existe pour un homme un état pire que la mort, 


> 


» c'est celui d’un malheureux qui doué par la nature d'une sensibilité 
» extréme, après avoir traîné dans les fers les plus beaux jours de sa 
» vie, voit à chaque instant grossir le torrent d’amertumes dont elle est 
» abreuvée, et n’existe désormais que pour la douleur. Tourmenté par les 
» agitations du moment présent et par le souvenir amer des souffrances 
» passées, une vieillesse précoce, suite nécessaire d’un état si violent, 
» lui présente l’affreuse perspective d’un avenir encore plus affreux. 

« Tel est le sort de l’infortuné Lavini; forcé de vivre dans une nuit 
» profonde de désespoir et d’horreur, il se voit condamné à passer len- 
» tement par tous ces tourments avant d’arriver au terme fatal de son 
» supplice, et après peut-étre plus de 30 ou 4o années d’angoisses, de 


302 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


= 


soupirs et de larmes, luttant contre la douleur et la mort, il ne restera 
plus à un étre si malheureux qu’un souffle de vie pour appeler la 
charité à son secours et l’appeler en vain. Mais si la tendre huma- 
nité peut réclamer ses droits, cet infortuné ose former un voeu pour 
l’accomplissement duquel le meilleur des rois, le plus doux des pères 
peut encore exercer sa clemence sans blesser la justice. 

« Convaincu depuis long-temps des dangers d’un monde perfide, se 
consolant de l’absence et de l’oubli méme des humains par la lecture 
et la meditation, la liberté n’a presque plus d’attraits pour un soli- 
taire qui voit chaque jour sa santé dépérir, et sera par là bientòt 
privé de la seule précieuse ressource qui lui reste de faire diversion 
à ses chagrins, en exercant innocemment les faibles talents dont l’abus 
lui attira la juste punition qu'il endure. Il ne demande pour toute 
gràce que l’agrément d’étre transféré dans le Piémont, dans une re- 
traite où il puisse respirer un air libre et moins vif. Le meilleur re- 
mède pour la maladie qui le mine est de se procurer, étant à la portée 
d’une ville, une nourriture conforme au régime qui lui est prescrit. 

» Puisque le ciel prospère à mes voeux vient de me susciter un 
protecteur généreux qui se charge de les porter au tròne, je sens re- 
naître dans mon coeur la douce espérance de les voir bientòt accom- 
plis. Le prince débonnaire qui daigna en des temps plus heureux 
m’accueillir avec bonté à ses pieds, et me combler de bienfaits, pour- 
rait-il repousser la voix gémissante d’un sujet conpable, à la véerité, 
mais qui a déjà expié sa faute par un plus grand nombre d’années qu'il 
n’en comptait au moment qu'il devint la victime de la séduction ?. .. .. 
et plus loin - La lugubre demeure de Lavini n’est qu’un sépulere d’où 
ila cessé de vivre sans jouir du repos qu’amène le trépas. Il est mort 
pour le siècle depuis bientòt 5 lustres; s’îl ouvre encore les yeux, ce 
n'est que pour verser des larmes qui arrosent le pain qui l’alimente; 
son coeur ne palpite que pour étre deéchiré par la douleur; s’il sonde 
son dame, ce n'est que pour étre penétré du plus amer repentir de sa 
faute Jef at etc. etc.» Enfin il termine par un voeu qui résume 


tacitement toutes ses espérances: Ze salut du prince. 


Ce mémoire, où l’on retrouve le langage ampoulé de la révolution 


francaise, ne laissait pas que d’étre attendrissant; la douleur était encore 


plus grande que la plainte. Il paraît que la réponse du roi ne se fit pas 
attendre ; le Gouverneur de la Savoie recut un billet royal où il est dit: 


PAR LÉON MENABREA 303 


« Ayant déterminé par des motifs à nous connus de faire transférer 
» au chateau d’Ivrée le prisonnier Vincent Lavini, détenu dans celui de 
» Miolans, ensuite de ce qui a été prescrit par le billet du 11 juin 1765, 
» adressé au comte des Ollières pour lors commandant du duché de Savoie, 
» nous vous disons de donner en conséquence les dispositions conve- 
» nables pour que le susdit prisonnier, Vincent Lavini, soit traduit audit 
» chàteau avec toutes les précautions requises etc. etc. A la Vénerie, 
» le 2 juin 1786. V. Amé. » 

Lavini quitta Miolans peu de jours après (le 9 du méme mois), et 
fut interné au chateau d’Ivrée où il ne tarda pas à succomber. 

Avant de quitter la cellule où nous avons assisté aux longues souf- 
frances que je viens de décrire, je signalerai encore quelques inscriptions 
que J'ai retrouvées là et ailleurs; des vers arrétent d’abord mes yeux: 


Ce firmament qui sous ses voiles 
Cache des flambeaux si brillants, 
Et ces globes étincelants 
Où se promènent les étoiles, 
Fidèle, c'est pour toi, que ces belles lumières 
Eclairent l’univers et roulent leurs carrières; 
Quand tu voudras les acquérir 
Les tyrans * te feront la guerre; 
Ne crois pas mériter 

La gloire avant que de sonffrir; 
Il te faut imiter 

Ce roc que brise le tonnerre. 


Ailleurs on lit: Zes corbeaux passent au-dessus de nous. 
Plus loin: Sî labor terret merus invitet 1792. 
Puis encore: 


A BORTA 
RNI — hac 
liberet me 
rector olimpi 
dic lector queso 
mMox 


ma AIB 


304 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


En pénetrant dans les souterrains, on arrive, de couloir en couloir, 
à l’entrée d'un cachot, qu’éclaire faiblement la fissure du rocher, dans 
les entrailles duquel le bon plaisir féodal a pensé de creuser un sépul- 
cre. On a quelquefois sans doute exagéré les cruautés des temps qu'on 
appelle barbares; mais le cachot que je décris ici ne se refuse à rien 
de ce que l’imagination la plus funèbre est capable d’enfanter; en remuant 
le sable humide de ce séjour du deésespoir on a retrouvé des ossements 
humains. Puisque Je suis à parler des cachots, je citerai une espèce de 
gehenne , ou caveau, dont on murait l’accès de telle manière que le 
patient ne recevait l’air et la nourriture que par une étroite barbacane. 
Pour ce qui est de ces puits garnis de pointes de fer où l’on preécipitait les 
condamnés, en les faisant marcher sur une fausse trappe, le peuple raconte 
cela de tous les chàteaux du monde; c'est l’éternelle légende des oubliettes. 

Parmi les prisonniers détenus au chàteau de Miolans, il en est en- 
core deux qui fixeront un moment notre attention; l’un se nommait de 
Songy, l’autre de Sade. 

On lit ce qui suit dans une note concernant le premier: 

« Noble Francois de Songy, baron de l’Allée, fut accusé de s’étre 
» introduit le 4 décembre 1770, sur les huit heures du soir, avec quatre 
» autres particuliers dans les prisons royales de Bonneville, dans le dessin 
» de procurer l’évasion de Benoît Baizelon, qui y était detenu pour 
» dettes; d’avoir à cet effet prétexté de lui rendre visite, et après avoir 
» bu et mangé dans lesdites prisons jusque sur les dix heures et demie 
» du soir, d’avoir fait revétir ledit Baizelon de l’habit et bourse à che- 
» veux d’un desdits particuliers, pour en imposer par ce déguisement 
» au concierge, et de lui avoir de cette facon procuré le moyen de 
» s’évader, comme effectivement il s’évada. 

« Ledit baron de l’Allée fut encore accusé d’étre allé la nuit du 26 
» au 27 dudit mois de décembre sur les 11 heures et demie, enveloppé 
» d’une redingote, faire du bruit devant le corps-de-garde de Chéne, 
» et le soldat de Kalbermaten, Pierre Cone, qui était de garde , étant 
» sorti dudit corps-de-garde, et luy ayant demandé qui il était, d’avoir 
» ledit noble de Songy sorti une épée de dessous sa redingote, et en 
» avoir porté un coup audit Còne sous le teton droit, qui perea sa ban- 
» doulière et son habit, la pointe de l’épée s’étant arrétée sur le bou- 
» ton de cuivre que Còne avait à sa matelotte, après quoi noble de 
» Songy prit la fuite sur le territoire de Genève. » 


PAR LEON MÉNABRÉEA 305 


Ce personnage avait, comme on le voit, la téte assez légère; il fut 
conduit à Miolans le 22 février 1772. M. de Launay qui était com- 
mandant de cette prison, accuse au Gouverneur de Chambéry réception 
du prisonnier en ces termes: 

« Je viens de recevoir, par ordre du Roy, joint è la lettre de S. E. 
» du 21 courant, M. de l’Allée de Songy, pour étre enfermé dans les 
» prisons de ce fort, et c'est sous l’escorte d’un brigadier et de quatre 
» dragons du régiment de S. Altesse. J'ai intimé, ensuite de votre lettre, 
» les ordres de S. E. au cantinier, lequel m’a répondu que, eu égard 
» à la grande cherté des vivres, il lui était impossible de nourrir ce 
» prisonnier pour un prix sì modique, étant un homme d’une très-forte 
» constitution, et auquel une paye de munition ne pourrait suffire pat 
» Jour, et qu'il se réglera volontiers à la paye des prisonniers d’Etat, 
» pour lesquels on me passe actuellement, outre les 10 sols par jour 
» fixés, ro livres d’augmentation par mois pour lit, blanchissage et barbe; 
» ce qui fait que je n’ai pu faire aucun prix fixe avec le cantinier. » 

Les portes de Miolans s’ouvrirent la méme année pour un homme, 
sur lequel le vice avait empreint de profonds stigmates, ou chez qui 
peut-étre il y eut autant de folie que de perversité (1). 

Le comte de Sade fut conduit à Miolans le 8 décembre 1772; son 
séjour dans ce donjon est assez accidente et se lie à celui de M. de l’Allée; 
je mets sous les yeux du lecteur ce que j'ai recueilli sur les incidents de 
son emprisonnement et de sa fuite; pour abréger, je me bornerai à des 
citations textuelles. 

— 1° Mémoire remis à S. E. le comte de la Marmora, ambassadeur 
du Roy è Paris, pour le faire tenir au comte de la Tour, commandant 
general du duché de Savoie: 

« La famille du comte et de la comtesse de Sade ayant appris la 
» deétention du comte de Sade au fort de Miolans, supplie S. E. M. le 
» comte de la Tour de vouloir bien donner des ordres pour que ce 
» gentilhomme y soit traité avec quelques égards, et qu'il lui soit procuré 
» tout le bien-étre possible qu’un homme de son état est dans le cas 
» de désirer, en tout ce qui ne pourra porter le moindre préjudice è 
» la sùreté de sa personne, ni faciliter son évasion, s'il voulait la tenter. 


(1) Le comte ou marquis de Sade a écrit plusieurs ouvrages d’une 1mmoralité repoussante; il est 
mort à Charenton. 


Serie II. Tom. XXIII. 39 


306 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


» 


» 


On desirerait aussi que son vrai nom ne fùt connu de personne que 


de S. E. M. le comte de la Tour. Sa malheureuse affaire, que des 
circonstances ont aggravée, ayant fait trop de bruit pour n’avoir pas 
inspiré des préventions ficheuses qu'il faut le temps d’affaiblir et de 
déetourner, c'est ce qui oblige à désirer qu'on ignore le lieu de sa 
retraite, et qu'il ne soit connu dans le fort que sous le nom de comte 
de Mazan quil a porté jusqu'ici. ..... ...-« L'on prie que les effets 
qu'il pourrait avoir avec lui, tant pour son utilité que pour son oc- 
cupation, nécessaire à un esprit aussi vif que le sien, lui soient remis, 
à l’exception de ses papiers, manuscrits, lettres, etc. etc., de quelque 
nature qu’ils puissent étre, que sa famille demande lui étre envoyés 
avec une petite boite ou coffret de bois, qu'on croit étre rouge, garni 
de cuivre, qui contient aussi des papiers. S'il l'a emporté avec lui 
dans le fort, l’on prie de tàcher de les ravoir sans qu'il puisse le 
prévoir et ne soustraire aucun des papiers qu'elle contient. Quant à la 
clé, si elle n°y est pas, on s’en passera. 

« Comme tous lesdits papiers n’intéressent que lui et sa famille, l’on 
désirerait que l’on voulùt les faire parvenir, sans étre visités, à M. l’am- 
bassadeur de Sardaigne sus-mentionné, qui aura la bonté de les re- 
mettre à sa famille. » 

— 2° Reponse de M. le comte de la Tour. 

« Le comte de la Tour a satisfait aux ordres de S. M. le Roy de 
Sardaigne, son maître, en faisant arréter et conduire au chateau de 
Miolans M. le comte de Sade. Il est certainement très-empressé de 
marquer à ses parents l’envie qu'il a de les obliger, ayant méme déjà 
prévenn leurs intentions dans la manière dont ils souhaitent que ce gen- 
tilhomme soit traité avec tous les égards dus è sa naissance, et les 
agrements qui peuvent adoucir l’amertume de sa situation. Il a donc 
chargé le commandant de ce chiteau d’engager M. le comte de Sade 
de déterminer lui-méme la manière dont il désirerait étre nourri et 
EDELEUEDAME St N Le méme commandant lui a donné 
une chambre et un cabinet è portée de son appartement, qui a été 
réparée contre les intempéries de la saison où nous sommes, mais en 
méme temps assurée contre toute tentative d’évasion. Un tapissier de 
Chambéry a fourni des lits, matelas, linge de table et de lit, des 
tables, chaises, et autres commodités qui ont paru nécessaires. Quoyqu'il 
aye etabli une sentinelle à sa porte, il luy laisse la liberté entière de 


PAR LÉON MÉNABRÉEA 307 


passer quand il souhaite dans son appartement, et de se promener à son 
gré dans l’enceinte du donjon, avec la précaution cependant d’avoir 
toujours auprès de luy, pour lors, un bas officier qui le garde à vue. 
Son domestique est consigné è la garde de ce donjon et ne peut par 
conséquent sortir; il est défendu aux soldats de se charger d’aucune 
espèce de commission pour son maître et pour luy, que de lexprès 
consentement du commandant, qui ne permet pas à son prisonnier 
de recevoir ny d’écrire aucune lettre qu'il ne l’aye auparavant lue et 
cachetée luy-meme.......... ... + Lorsque M. de Sade fut arrété par 
le major de place de cette capitale, l’on ne trouva chez luy que quel- 
quesgihardesfdespeugde vale RR 
Son domestique, nommé Carteron, venant de Paris, parut à Chambéry 
deux jours après l’arrestation de son maître....... ; il se présenta de 
suite chez M. le comte de la Tour, qui luy permit d’aller  vendre 
compte à son dit maître des commissions dont il était chargé pour 
luy, avec reserve de ne s’arréter à Miolans qu’une nuit, à quoy il 
obéit, puisque des le lendemain il vint luy demander un passeport 
pour aller jusqu'à Nice, par la route de la Provence, y prendre les 
coffres que le comte de Sade y avait laissés lorsqu’il y passa au com- 
mencement de l’automne, et les luy faire apporter............... 
Il ne convient nullement de laisser auprès de luy deux domestiques: 
ainsi dès que Carteron, qui doit étre préféré, sera de retour de Nice, 
son camarade, Armand, sera sur-le-champ congédié ...... AGOreto. ; 
Ce n'est pas que le comte de Sade ait été malade; l’on sait seulement 
que pendant qu'il a été à l’auberge de la Pomme d'or à Chambéry, 
et qu'il a habité depuis une maison de campagne, il est rarement sorti. 
L'on a debité qu'à son debut à Chambéry il avait une femme avec 
la i SERIO ei DIR. IR Les déepenses de sa 
nourriture et celles de son domestique à Miolans, y joint le loyer des 
meubles qui lui ont été fournis, vont à 282 L. par mois.» 


— 3° Lettre de M. de Launay, commandant de Miolans, au comte 


de la Tour, rt décembre 1772. 


(a ee Jai donné à ce prisonnier (M. de Sade) la méme 
chambre à feu qui fut occupée par feu M. le marquis de la Chambre, et 
un cabinet y contigu, pour son domestique . ........... Je fais fermer 


la première porte de son appartement, pendant la nuit, de manière qu'il 
ne pourrait s'évader que par la fenétre, dont je ne réponds pas. » 


308 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


— 4° Du méme au méme, 28 décembre 1772. 

(St ..... Ensuite de la lettre du bureau d’Etat, jay jugé è 
propos de permettre audit M. le comte de Sade d’aller à la messe et 
» de se promener dans le bas fort, avec les précautions cy-après: 1° lors- 
» qu'il se promène dans le bas fort, la sentinelle avertit le sergent de 
» garde de le garder à vue, jusqu'à ce qu'il se retire; et Îorsqu'il se 
» promène dans le donjon, c'est la sentinelle qui le garde à vue, et l’on 
» tient toujours la porte de fer fermée, avec la sentinelle qui était autre- 
» fois à la barrière, et l’appartement où il reste est fermé à la clef pen- 
» dant la nuit. » 

— 5° Promesse du comte de Sade. 

« Je promets et donne ma parole d'honneur, qu’ayant été traduit 
» ce jourd’hui au fort de Miolans pour y étre détenu aux arréts, pro- 
» mettant d’exécuter tous les ordres qui me seront intimés de la part 
» de M. le commandant dudit fort, et de ne point enfreindre les défenses 
» par lui faites, de ne faire aucune tentative pour m'évader, et de ne point 
» passer la porte du donjon, ni permettre à mon domestique de le faire, 
» à moins que je n’en aye une permission spéciale, en foi de quoi je 
» me suis signé à Miolans le 9 décembre 1772, le marquis de Sade ». 

— 6° Du marquis de Sade au comte de la Tour, 31 décembre 1772. 
Il se plaint d’étre plus resserré dans sa prison que jamais. Cette lettre 
est accompagnée d’un mémoire où on lit: « Pour des raisons importantes 
» à la situation du marquis de Sade, il désirerait pouvoir se procurer 
» un certificat de M. le comte de la Tour, par lequel S. E. eù la bonté 
» de témoigner que ledit marquis de Sade, depuis le 27 octobre qu'il est 
» arrivé à Chambéry, jusqu'au 8 décembre qu'il a été conduit au fort 
» de Miolans, il a toujours eu une conduite irréprochable. » 

— 7 Lettre de M. de Launay au comte de la Tour, 8 janvier 1773. 

TI lui annonce que M. de Sade est dans une grande affliction, que sa 
santé se dérange, qu'il a des insomnies et qu'il faut lui envoyer un medecin. 

— 8° Lettre de M."° la marquise de Sade à M. de Launay, 1 jan- 
vier 1773. 

Elle se plaint que, non-seulement on n’exécute pas les ordres d’adou- 
cissement donnés pour son mari, mais qu'on manque aux égards et aux 
attentions qui lui sont dus à toutes sortes de titre. Elle menace le com- 
mandant de rendre compte à l’ambassadeur de sa conduite à ce. sujet. 
Signé Zaunay marquise de Sade. 


PAR LÉON MENABREA i 309 


— g° Lettre de M. de Launay au comte de la Tour, è fevrier 1773. 
Le marquis de Sade l’a accablé d’injures, en prétendant qu'on ne lui 


laissait pas assez de liberté. « Votre Excellence verra par la lettre ci- 


» 


» 


») 


jointe que j'ai l’honneur de lui adresser, les sentiments de reconnais- 
sance de M. le marquis de Sade à mon égard; j'ai sondé et fait exa- 
miner secrétement ce seigneur, je n’ai trouvé rien en luy de solide, 
et vois que toutes ses menées ne tendent qu'à pouvoir s'échapper; 
puisque, outre. les propositions qu'il m’avait faites, il a fait changer 
tout son argent de Piémont en argent de France, et qu'il s’informe 
sil ya un pont sur l’Isère, qui soit bien loin de la France, de facon 
que je ne puis pas répondre d’un prisonnier qui a la liberté dans le 
fort et qui peut escalader les murailles dans un instant, malgré toutes 
mes précautions et celles ...........(le reste est rongé). 

— 10. Lettre du marquis de Sade au comte de la Tour (sans date). 
“pl: .. « Péneétré de toutes vos bontés, je ne puis que vous en 
témoigner toute ma reconnaissance; il serait à désirer que M. de Launay 
voulùt les mettre à exécution; mais il est impossible de lui faire en- 
tendre qu'il faut qu’il sen rapporte à la lettre du ministre que V. E. 
lui manda, et il continue en conséquence, et contre ces mémes ordres 
du ministre, de me tenir ici très-resserré. Je vous demande instam- 
ment d’y mettre ordre; nous venons encore d’avoir avec ce comman- 
dant une crise violente dont le S." Ansart, témoin, pourra rendre 
compte à V. E. Je ne suis pas accoutumé qu'on me parle avec des F 
et des B, et cette manière de s'exprimer de M. de Launay m°’a porté 
à lui répondre un peu vivement. Je vous demande, en toute gràce, 
monsieur, de me mettre sous les ordres de M. le major, homme rempli 
de droiture et de politesse. Jose vous prévenir, monsieur, que c'est 
le moyen de prevenir à l’avenir quel (sic) esclandre ficheux: s’'il en 
coùte quelques frais pour ce changement, je suis prét à les payer; 
mais obtenez-moi cela, monsieur, je vous en conjure; soyez bien per- 
suadé, monsieur, qu'il y aura toujours un véritable danger à mettre 
un homme d’honneur, et qui a recu de l’éducation, sous les ordres de 
M. de Launay. Je suis avec respect de V. E. le très-humble et obéis- 
sant serviteur marquis de Sade. » 

La sevérité dont se plaignait M. de Sade avait quelques moments 


d’arrét, comme on le verra par ce qui suit; le brave commandant de 


Launay ne dormait pas sur des roses avec ce turbulent prisonnier d'un 
coté, et M. de l’Allée de l’autre. 


310 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


— 11. Lettre de M. de Sade è M. de la Tour, 27 février 1773. 

Il avoue qu'il a joué au Pharaon avec M. de l'Allée. — « Le desoeuvre- 
» ment de la prison m’a fait Jouer, je l’avoue è V. E. Jai joué au Pha- 
» raon téte-à-téte avec M. le baron de l’Allée, et j'ai perdu 12 louis 
vigna. Bra. pasa Maintenant je ne puis cacher è V. E. que le méme 
» M. baron de VAllée a chambré mon domestique , jeune homme de fa- 
» mille et qui m'’est recommandé, et qui peut avoir du bien un jour, 
» et quiil lui a gagné au méme jeu cent louis d’or de France......» 

Il se plaint de ce que la fortune était avec trop d'acharnement du 
coté de M. de l’Allée. Il insinue que M. le commandant était instruit 
que l’on jouait et ne l’empéchait pas. 

M. de l'Allée ne manqua pas d’envoyer de son còté une réponse aux 
plaintes de M. de Sade; il s’ensuivit beaucoup de froideur entre ces deux 
messieurs; Je continue : 

— 12. Lettre de M. Ferrero de la Marmora è M. de la Tour. 

Paris, 1° mars 1773. 

« J'ai vu hier le ministre, M.le duc d’Aiguillon, à l’instance de qui 
» M. de Mazan (de Sade) est détenu; je lui ai fait lecture de la lettre 
» que M. de Launay, commandani du fort de Miolans, vous a écrite à 
» l’occasion de celle qu'il a recue de l’épouse de ce prisonnier....... 
». M. de Launay est au-dessus de tout reproche ; il doit excuser la vi- 
» vacité d'une femme, mal informée et abusée par le crédit. que son 
» mari, qu'elle aime, conserve malheureusement sur son esprit. Il est 
» necessaire que l’on resserre plus que jamais M. de Sade; qu'on lu 
» retranche toute douceur, que toute communication au dehors lui soit 
» interdite; qu’on ne laisse pas surtout sa femme approcher de lui. » 

— 13. M”° de Sade à M. de la Tour. Barreau, 5 mars 1773. 

(E ARSA Je suis partie de Paris pour mes terres de Provence, 
» Jay pris la route de Grenoble, dans l’intention de voir mon mary; 
» mon devoir m’en imposait la loy, et mon coeur la necessite . ..... » 
Elle ajoute que, retenue à Barreau par un rhume violent, elle envoie 
un de ses amis à S. E. pour obtenir la grice qu'elle demande. 

— 14. M. Ferrero de la Marmora à M. de la Tour. Paris, 8 mars 1773. 

« Je fais affranchir aujourd’huy une lettre pour M. de Launay, qui 
» était restée à la poste, faute d’affranchissement; elle sera probablement 
» de M° de Sade; V. E. voudrait-elle bien en prévenir cet honnéte com- 
» mandant, et lui dire que s’il y trouve peut-étre une seconde saillie de 


PAR LÉON MÉNABREA 3II 


» la part de cette dame, il n'en fasse pas plus de cas qu’un homme 
» comme lui aurait dù faire de la première, et qu'il donne cela à la 
» situation vraiment à plaindre où elle se trouve. » 

— 15. M. de Launay è M. de la Tour, 12 mars 1773. 

« M. de l’Allée a joué avec le marquis de Sade et lui a gagné 12 
» louis; on a joué à la bassette; M. Duclos a été partie au gain (ce 
» Duclos était lieutenant au bataillon des invalides de Miolans), on s'est 
» échauffg. — M. de Sade est un esprit très-léger, ce qui le rendra 
» toujours singulièrement à craindre, surtout tant qu'il sera lié avec 
» M. Duclos. — Loin de suivre mes conseils , il s'est toujours roidi contre 
Dirmone ste. | . Il a un jeune homme avec lui sous le nom de domestique, 
» qui est, à ce que je crois, le compagnon de ses debauches; ils font 
» méme courir le bruit qu'il est bàtard du duc de Bavière!...... on 
» attend l’autre domestique ....... MRS) 

Cette affaire de jeu paraît étre la méme, pour laquelle M. de Sade 
s’etait hate d’écrire au comte de la Tour; il avait marqué que la partie 
s'était faite en téte à téte avec M. de l’Allée, probablement afin que le 
S" Duclos ne fùt pas compromis: l’autorité de M. de Launay était assez 
peu respectée par ses subordonnés, à ce qu'il paraît. 

— 16. La marquise de Sade au bureau d’état interne, 18 mars 1773. 

« Dans le temps méme que je sollicite pour mon mari, on le res- 
» serre davantage; si mon approche est devenue un crime nouveau pour 
» lui, je suis bien à plaindre. Que dois-je penser de tant de rigueurs? 
» Qui peut les avoir occasionnées? J'attends, monsieur, que vous me fassiez 
» la gràce de m'en instruire; joignez-y celle d’appuyer auprès de votre 
» Roy la supplique que j'ai l’honneur de vous envoyer; c'est un hommage 
» que vous devez è l’innocence opprimée; je le réclame pour mon mari 
» et je l’attends des sentiments de votre coeur. » 

La marquise de Sade ecrivait bien mieux que son triste époux; la 
supplique dont elle parle commence ainsi: 

« Sire, 

« Une affaire malheureuse a force le marquis de Sade, mon mari, 
» de s'expatrier; il a cherché un asile dans vos états; il y était paisible, 
» lorsque des ordres supérieurs. l’ont prive de sa liberté, en le faisant 
» enfermer au fort de Miolans, où il est détenu depuis 4 mois. Mon 
» marì n'est donc pas assez malheureux d’étre flétri en France par un 


» arrét injuste, faut-il encore le punir doublement dans un pays où il 


312 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


» a rempli tous les devoirs qu’inspirent les lois divines et humaines? 
» V. M. a donné l’ordre de l’arréter parce que le ministre de France 
» requérait sa déetention. ........ » 

On peut se convaincre par ce qu'on vient de lire de tous les efforts 
qui furent mis en ceuvre par la marquise de Sade pour la délivrance de 
son mari; le commandant de Launay semble étre l’objet principal de ses 
ressentiments ; elle écrit derechef à M. de la Tour pour accuser ledit 
commandant de dureté envers son mari; elle le taxe, en outre, de ca- 
lomniateur pour des suppositions ou des révelations (difficiles è expliquer) 
sur la conduite de M. de Sade. 

Le 26 mars 1773 vient une lettre de Paris que M"° Masson de 
Launay-Montreuil, mère de la marquise de Sade, écrit au commandant 
de Launay: « J'apprends, Monsieur, dit-elle, que M. Du Clos, officier 
» de la garnison de Miolans, a encouru votre disgràce au sujet des ser- 
» vices rendus à mon gendre; je vous ferai observer, M. etc. etc. » 

Le commandant, éperdu au milieu de ces tracasseries, inquiet des 
menees de M. de Sade qui travaillait sourdement à son évasion, ne savait 
où donner de la téte. 

— 17. M. Ferrero de la Marmora à M. de la Tour. Paris 26 mars 1773 : 

« Jai regu successivement les deux lettres que V. E. m’a fait l'hon- 
» neur de m’écrire pour m’informer de l’arrivée de M"° la marquise de 
» Sade à Chambéry et des tentatives qu'elle a faites pour parvenir à 
» voir M. son époux à Miolans. Jai rendu compte à ce ministère, aussi 
» bien qu’aux personnes qui prennent un véritable intérét à ce qui les 
» regarde, et ils se sont montrés très-reconnaissants envers V. E. de ce 
» qu'elle a bien voulu les rendre inutiles par une conduite aussi remplie 
» de fermeté et de politesse, que celle dont elle a usé envers cette dame. 
» Ils espèrent, aussi bien que moi, qui partage avec eux ces sentiments, 
» que V. E. voudra bien tenir main aussi à l’exécution des derniers ordres 
» qu'elle me mande avoir recus de Turin à l’égard de ce prisonnier, et 
» qui sont relatifs aux prières que j'ai eu l’honneur de lui faire dans 
» mes précédentes à son sujet. Cela est non-seulement nécessaire à ses 
» vraîs intéréts, mais indispensable pour qu'il n’imnonde pas le public de 
» ses affreux dcrits, et de ses écrits et de ses memoires, qui ne font 
» qu’aggraver ses torts aux yeux des personnes raisonnables qui en ont 
» une exacte connaissance (M. de la Marmora ne veut pas méme qu'on 
» suppose qu'il a pu les lire). On vous prie surtout de vouloir bien 


PAR LÉON MENABNEA SILA 


>) contenir un nommé M. De Vanz Francois, habitant actuellement à 


w 


» Chambéry, qui sans vocation se porte pour son apologiste, et qui a 
» favorisé le debit de ses écrits et de ses lettres jusqu’au moment où 
» vous avez trouvé bon de l’arréter. » 

Voilà que le cormmandant de Launay se laisse toucher; il n’est plus 
sì soupconneux, si farouche; dans son honnétete il croit aux allures dou- 
cereuses et meélancoliques de son rusé prisonnier; pour un rien il en 
ferait un petit saint. 

— 18. M. de Launay à M. de la Tour, 1° avril 1773. 

« M. le marquis de Sade me montre tous les jours plus de con- 
mufiancée ria suo. ; il est inquiet et mélancolique de sa détention ..... o 
» le grand repentir qu'il ressent pourrait lui causer plus d’amendement 
» que plusieurs années de détention, qui au lien de lui faire changer de 
» conduite, pourraient davantage l’irriter ......» 

— 19. Du méme au méme, 9g avril 1773. 

« .....Je joins ici une lettre de. M. de Sade qui devient tous les 
» jours plus inquiet de sa détention, n’ayant aucune nouvelle avanta- 
» geuse, ce qui altere beaucoup sa santé ..... etc. » 

— 20. Du méme au méme, 16 avril 1773. 

« Sa nourriture, son domestique et tout ce qui est nécessaire dans 
» sa. chambre, se monte à 5 livres ra sols par jour, non compris 
» son linge, ses habillements, ses commissions è Chambéry; de méme 
» que bien des générosités et aumònes faites dans ce fort, se montent 
» à près de roo livres par mois ..... .. Je m'apercois qu'il ne dépense 
» que très-à-propos (le commandani avait le coup d’ceil juste)....... 
» Il s'est réeconcilié généreusement ‘avec M. de l’Allée, m’ayant prié de 
» ne point l’obliger à faire des excuses ........ » 

Le commandant de Launay touchait à la catastrophe dans le moment 
inéme qu'il se livrait è l’attendrissement; on l’avait si bien ébloui par 
des semblants de repentir qu'il croyait, de borme foi, n’avoir rien è re- 
donter ; le lecteur va voir comment ce digne homme ratonte cet événement. 

— 21. M. de Launay è M. de la Tour, 1% mai 1773. 

« V. E. verra par la ci-jointe que mes craintes n’ont pas été sans 
» fondement, et que M. le marquis de Sade, avec son domestique , se 
» sont évadés ce soir avec M. de l’Allée. Ils ont laissé toute la nuit leur 
» chandelle allumée dans leur chambre, ce qui a rassuré les sentinelles. 
» Jay fait visiter par tout le chteau, par où ils auraient pu passer, et 


Serie II. Tom, XXIII. 4o 


314 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


je n’ay trouvé ni cordes, ni échelles, sinon la redingotie de M. de Sade 
dans les commodités de la chambre neuve où ils mangeaient, à portée 
de la cantine où il y a une fenétre d'un pied et un pouce de large 
et un pied et demi de hauteur, à la distance de plus de douze pieds; 
et c'est par là que je conjecture qu’ils sont sortis, et que j'ay encore 
trouvé le chapeau de M. le marquis dans les mémes commodites. 

« Il pourrait bien se faire qu'il ait été aidé du dehors par quelqu’un, 
et peut-étre encore par de l’argent, par quelque invalide, ou de quelque 
autre personne du fort. Jay fait enfoncer les portes de la chambre , 
et }'y ay trouve les deux lettres ci-jointes; ainsi V. E. et le ministre 
verrez qu'il n’est pas possible de tenir des personnes aux arréts dans 
ce fort, d’où l'on peut sortir de toutes parts, comme j'ai eu l’honneur 
de vous en prévenir cy-devant, quoique je ne laisserai pas d’en étre 
la victime. Je suis cependant encore heureux qu’ils n’aient pas pu 
parvenir à faire sortir les autres prisonniers, comme il serait facile 
lorsqu'il y a des prisonniers aux arréts, d’où il m’en pourrait coùter 
la vie, ce qu'ls auraient pu faire, s’il leur en était venu l’idée. » 

— 21. Lettre trouvée dans la chambre du marquis de Sade après 


son évasion, et adressée a M. de Launay, 30 avril 1773. 


« Monsieur, si quelque chose peut troubler la joie que j'ai de m°affran- 
chir de mes chaînes c'est la crainte où je suis de vous rendre respon- 
sable de mon évasion. Après toutes vos honnétetés et toutes vos poli- 
tesses, je ne puis vous cacher que cette pensée me trouble. Si mon 
attestation peut étre cependant de quelque poids vis-à-vis de vos 
supérieurs, Je les prie de la trouver icy dans la parole d’honneur 
authentigue que je leur donne, que bien loin de favoriser en rien cette 
fuite, vos soins vigilants l’oni retardée de plusieurs jours, et qu’en un 
mot je ne l’ai due qu’'è mes propres manceuvres. Vous étes d’ailleurs 
tout justifié par les attentions qu'on vous recommandait d’avoir pour 
moy. Naturellement porté d’adoucir le sort des malheureux qui sont 
dans votre chàteau, il était impossible d’allier avec l’honnéteté de ces 
procédés des attentions irop suspectes, qui ne pouvaient méme que 
déroger aux ordres que vous aviez recus à mon égard. Voilà, mon- 
sieur, les raisonnements dont vous pouvez tirer vos excuses, et je vous 
les garantis légitimes. Considérez d’autre part que je ne suis point un 
prisonnier d’état , et que ma famille qui seule m'a fait mettre ici, 
va donner tous ses soins à ce qu’il ne vous arrive rien. Vous vites 


PAR LÉON MEÉNABREA 315 


l’empressement qu'elle montra au sujet de M. Ducloz et combien elle 
aurait été désespérée qu’un oflicier fùt sacrifié par rapport à moi. 
Cependant, par un excès de vivacité, auquel il ne sera peut-étre plus 
temps de remédier lorsque vous lirez cette lettre, vous courez risque 
de tout gàter et de rendre vos plus mortels ennemis ceux qui sans cela 
vont devenir vos plus puissants protecteurs ; je vais vous l’expliquer. 
Je profite pour m’évader d’un secours que ma femme m’envoie de mes 
terres; ce secours est composé de quinze hommes bien montés, bien 
armés, qui m’attendent au bas du chàteau, et qui tous sont déterminés 
à sacrifier leur vie, plutòt que de me laisser reprendre: vous voyez qu'il 
est inutile de compromettre votre garnison, et que méme tout autre 
secours extérieur ne saurait m’arréter. Si cependant il arrivait qu’apròs 
avoir massacré beaucoup de monde et en avoir fait écharper davan- 
tage, s'il arrivait, dis-jJe, que vous parvinssiez à me reprendre, ce 
ne serait, comme vous le croyez bien, que fort blessé, ou méme mort, 
car je défendrai ma liberté au peril de ma vie. Alors croyez-vous que 
mes parents vous auraient une grande obligation? Ils vous perdraient, 
soyez-en str. Quoi quil vous paraisse, ils m’aiment; j'ai une femme, 
des enfants, qui poursuivraient ma mort jusqu’'àè votre dernier soupir. 
Prenez le parti de la douceur ....... ; évitez l’eclàt..... ; ma belle- 
mere et M. le comte de la Tour qui recevront de mes nouvelles demain, 
seront convaincus que je ne tourne pas mes pas vers la France, ei que 
par consequent je remplis les vues de ceux qui désirent m’en tenir 
éloigné. Je ne venx que ma liberté, et n'ai que le désir de m’affranchir 
du joug insupportable des caprices d’une belle-mère qui devrait croire 
les barrières qui s’opposent à mon retour chez moy assez puissantes, 
sans chercher à m°en forger de nouvelles, et surtout du genre cruel 
de celles qu'elle se faisait un charme de choisir. 

« Il ne me reste plus, mon cher commandant, qu'à vous remercier 
de toutes vos bontés; j°y serai toute ma vie sensible ; je ne désire que 
des occasions de vous en convaincre; un jour viendra, je l’espère au 
moins, où il me sera permis de me livrer entièrement aux sentiments 
de reconnaissance que vous m’avez inspirés, et avec lesquels j'ai l’hon- 
neur d’étre votre très-humble et très-obéissant serviteur, le marquis 
de Sade. Miolans, ce vendredy 30 avril. 

P. S. « Je prie M" Dimier et Vellet de trouver icy. tous mes 
remerciments de leurs attentions et de leurs politesses; une fois libre, 


316 DES ORIGINES FÉODALES ETC. 


» mon premier soin sera de leur en témoigner toute ma reconnaissance 
» par des preuves non équivoques. » 

M. de l’Allée écrivit. de son còté au commandant de Launay; dans 
cette lettre il s'excuse de s’étre évadé, parle de sa reconnaissance ete. etc. 
Malgré ces belles protestations, M. de Launay dut perdre sa position 
de cette aventure; un procès fut instruit, et en 1774 il était remplace à 
Miolans par le Ch" de la Balme. Les deux fugitifs se rendirent à Genève. 
Voici encore deux ou trois lettres qui les concernent. 

— 22. M. de la Marmora à M. de la Tour, 14 mai 1773. 

« J'ai recu la lettre que V. E. m’a fait l’honneur de m'écrire le 7 
» du courant, pour m’apprendre l'évasion du comte de Sade du fort de 
» Miolans, malgré la parole d’honneur qu'il avait donnée par écrit de 
» subir desormais tranquillement sa détention. Jen ai informe aussitòt 
» M®° de Montreuil qui, comme V. E. peut se l’imaginer, a appris cette 
» nouvelle avec une peine et un chagrin des plus vifs. Cette dame m'a 
» cependant dit qu'elle allait donner ordre à son correspondant à Genève 
» de faire payer les dettes légitimes que M. de Sade peut avoir faites 
» et laissées, tant dans le fort qu'à Chambéry. » 

— 23. M. le ministre Chiavarina è M. de la Tour, 21 mai 1779, 
Turin. . i 

« Le Roy a fait remettre è ce bureau les informations que V. E. a 
» transmises à celui d’Etat interne et qui ont été prises ensuite de l’évasion 
» de M. le marquis de Sade et de M. le baron de l’Allée, avec un do- 
» mestique dudit marquis nommé la Tour; et ensuite de l’examen qui 
» ena été fait ici, S. M. m’ordonne de dire à V. E. qu'elle fasse arréter 
» et mettre en prison le cantinier Joseph Jacquet, et qu'elle mande à 
» Chambéry M. le commandant de Launay, pour y garder les arréts, 
» jusqu'è ce qu'il en soit autrement ordonne. » 

Au milieu de ses tribulations M. de Launay recoit le 29 juillet une nou- 
velle lettre de la marquise de Sade. Elle s°y plaint de ce qu'on retient à 
Miolans les effets de son mari; elle accuse le commandant de procédés 
qui n’ont ni noblesse, ni bonne foi et qui ne font pas honneur è la nation: 
« Mon mari, dit-elle, est-il sujet de votre Roy pour étre vexé comme 
» il l'est par votre ministère? » 

Nous ne suivrons pas plus loin le marquis de Sade. Quant è -M. de 
Songy, baron de l’Allée, il fut arrété à Paris et ramené à Miolans dans 
l’été de 1774. Il en sortit le 17 mars 1778, ensuite d’un billet royal 


PAR LÉON MÉNABRÉA 3I 7 


du roi V. Amédée, adressé à M. de la Tour; ce billet fat accordé à la 
sollicitation de noble Louise de Carpinel, veuve de Songy et mère du 
prisonnier ; ce dernier était natif d’Annecy. De nouveaux mefaits ; de 
nouvelles folies, le conduisirent une troisième fois à: Miolans en 1786; 
treize ans s'étaient passés depuis sa première detention; M. de VAllée était 
marié, mais il n’avait pas change. 

Nous retrouvons le vrai coupable: dans cette affaire d’évasion. Joseph 
Violon, d’Ermieux (S'-Gervais en Dauphiné), dans une requéte au roi 
V. Ameédée expose, qu’ayant été accuse et juge cowpable d’avoiv favorisé 
l’evasion du fort de Miolans de deux prisonniers, le marquis de. Sade 
et le baron de l’Allée de Songy, il a été condamné, après trois mois de 
prison, à un bannissement perpetuel des états de S. M. par sentence 
economique du 24 juillet 1975........ Il doit recueilliv les débris:d’ume 
succession ....... Il demande sa gràce (1). 

Je n’abuserai pas plus long-temps de l’attention du lecieur en lui 
faisant respirer avec moi l’air délétère des prisons, et m’arrétant aux 
épisodes de chaque captif; plusieurs ne seraient. pas sans intérét: woici 
encore le nom de quelques-uns de cenx qui furent détenus dans Miolans, 
depuis 1773 jusqu’en 1790: D'Adda, capitaine des invalides, Philippé, 
lieutenant des postes, Bonjeannis, l’abbé Poys, Guillot, Caffe, Cordé de 
Vonz, chevalier Avogadro, de Rochette, de Salagine, chevalier Tarin, 
l’abbé Marin, Barberis de Macerano, Dubouchet de Foray, Mouthon, cha- 
noine Mollot, Durand curé, de Gargon, du Col, Picolet officier, Rabo, 
4 officiers de Savoie, un de Sardaigne, ainsi que MM. de S'-André, de 
Ballon, de Mouxi, de Tours, de Rochette, Gonin officier de Saluces, 
Couturier, MM. Rambert, Davallon etc. ete. 

Je n'ai pas encore tout è fait achevé mes pérégrinations dans f'inté- 
rieur du chiteau de Miolans; le lecteur qui aura la patience de m’ac- 
compagner remarquera que les portes ogives qui se lient à la masse pri- 
mordiale de l’édifice, sont invariablement composées de trois blocs, et que 
le bloc du milieu est d’ordinaire chargé d’un écusson. Si les historiens 
ne nous avaient conservé les armoiries de la maison de Miolans, nous 
les retrouverios là: bande or et gueule, de six pièces, avec la devise: 
Force m'est (2); pourtant ces ‘armoiries ne constituent point l’unique 


(1) Documents; Archives du chàteau de Chambéry. 
(2) Guichenon, pr., p. 184; Agostino della Chiesa, Fiori di blasoneria per ornar la corona di 
Savoia. Catalogue des chevaliers de l’ordre de Savoie, par Frangois Capré. 


318 DES ORIGINES FÉODALES 


blason des ecussons dont je parle; on y trouve en outre aux deuxième et 
troisiéme quartiers celles de la famille de Montmayeur, de gueule è une 
aigle d’argent membrée d'azur; on peut en tirer la conséquence, que ce 
ne fut qu’après que le fief de Montmayeur fut dévolu aux sires de Miolans 
que ces grands feudataires élevèrent l’immense castel dont les ruines offreni 
au philologue et à l’artiste un si beau sujet d’études. 

Quand, tout à l’heure, je parlais des armoiries du chàteau de Miolans, 
jai oublié de citer une inscription singulière que j'ai découverte, proche 
de l’entrée principale du vieux manoir, en dehors de la muraille d’en- 
ceinte et parfaitement intacte. Cette inscription est composée de neuf 
lettres qui dans leurs formes se rattachent au type du XII siècle, sans 
pourlant que l’on puisse dire qu’elles appartiennent à l’écriture usitée 
alors: deux symboles, l’un ayant la figure d’un écusson triangulaire avec 
des filets posés en fasce et en chevron, l’autre représentant une espèce 
d’échiquier surmonté d’une croix et orné d’accessoires de moindre im- 
portance, couronnent ces mystérieux caractères. 

Il est possible que l’inscription dont il s'agit ne soit que le résultat 
d’une idée bizarre, comme était le VALER de Ferdinand IV, roi de Castille, 
le GLOVIS de Julien de Medicis, le chiffre XVII d’Elisabeth de Gonzague 
etc. etc. 

Après avoir gravi la tour du donjon, è laquelle on arrive par 107 
marches, et celle de S'- Pierre, où l’on enfermait les jeunes gens non nobles, 
si vous aventurez vos pas sur le bord du mur è demi ruiné qui s’élève 
au penchant de l’abime, évitez de jeter les yeux à droite et à gauche, car 
l’eblowissement vous saisirait : lorsque ce passage dangereux est franchi, 
contemplez ces montagnes majestueuses qui s’élèvent successivement , et 
dont les cimes dentelées sont parfois couronnées de nuages fantastiques. 
Là tous les souvenirs des siècles passés, avec leur cortége d’histoires hé- 
roiques ou sombres, semblent défiler devant vous en phalange serrée; le 
regard se perd au loin dans l’espace, et devant cet horizon grandiose 
l’àme remonte à Dieu. 

En rentrant dans l’édifice on peut encore admirer la chapelle dont 
l’architecture a de belles proportions, puis on arrive à la salle d’armes 
maintenant veuve de ses trophées; enfin on traverse des décombres et 
l’on se trouve à l’ombre des formidables ailes d’une cheminée qui rap- 
pelle l’appetit des héros du moyen dge. Cette cheminée, aux gigantesques 
proportions, couvre de son manteau tout une usine culinaire, four, étuye, 


PAR LÉON MÉNABRÉA 319 


potager, charbonnière etc. etc.; là sur de lourdes tables de chéne , les 
veneurs entassaient jadis les bouquetins, chevreuils, cerfs, daims, san- 
gliers, chamois; les fauconniers étalaient le faisan aux nuances métalli- 
ques, la perdrix becquée de rouge, l’albine au plumage blanc et le 
peuple varié des menus oiseaux. Le gàteau de Savoie, dont l’invention est 
due au cuisinier du Comte Vert, s’élaborait moins bruyamment au coin 
de l’office: quand on lit chez les ehroniqueurs la relation des fétes de 
nos aieux, on croirait que leurs estomacs avaient des proportions héroi- 
ques; mais les fétes comme les batailles, le cri de triomphe et le cri 
de douleur ont disparu: une brise légère et froide murmure constam- 
ment dans ces lieux désolés; de hautes herbes croissent dans les cours; 
des manteaux de lierre couvrent les parapets crénelés qui bordent_les 
terrasses; sur les corniches des fenétres se balancent des graminées aux 
fleurs jaunes, ou de fréles arbustes dont la graine y a été apportée par 
le vent. Là où retentissaient autrefois les lances des hommes d’armes, le 
hennissement des destriers, on n’entend plus que le bourdonnement de 
quelques abeilles qui butinent sur des touffes de mauves, ou la voix 
glapissante des oiseaux de proie. 


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TABLE DES MATIERES 


LIVRE DEUXIEME 


CHAPITRE 1. — Comtes de Genève; ils se disent issus d’Olivier, fils de Reniers. 
- Origine moins fictive de ces seigneurs. - Généalogie de Guichenon. - Ratbert. - Gérold 
figure au nombre des seigneurs qui résistent à l’autorité de l’empereur Conrad; celui-ci 
met la puissance entre les mains des évèques. - Aymon, premier comte de Genève dont 
la vie se dessine un peu clairement. - Itta, sa femme, fille du seigneur de Glane. - 
Possessions de ces comtes, leurs luttes avec les évèques. - Les mariages les enrichissent. 
- Leur importance; officiers de leur maison. - Familles illustres soumises à leur juri- 
diction. - Les seigneurs de Ternier. - Attributions des vicomtes. - Les sires de Ternier 
relevaient des comtes et des évéques de Genève. - Dicton populaire. - Diplòme de 1470. 
- Charte du XII siècle, série de documents. - Ramus. - Pierre retenu prisonnier par 
l’éveque de Genève. - Prétentions d’Amé V sur la ville épiscopale. - Girard de Termer. 
- Seigneuries de Viry. - Salenove. - Montfort. - Chàtillon Larringe. - Confignon. - Com- 
pesières. - Chenex. - Bardonnex. - Du Bois. - Rougemont. - Lancy. - Arcine. - Collonges. 
- Arlod. - Marval. - Peney. - Gex. - Corbières. - Sacconex. - Fernex. - Livron. - 


Divonne. - Graillé. - Burdigny. - Sergy. - Versonnay ........... LA SI pag. 


CHAPITRE II. — Combats acharnés entre les comtes de Genève, les comtes de 
Savoie, les sires de Faucigny et les Dauphins de Vienne. - Seigneurs de Langin. - 
Gérold est au nombre des bienfaiteurs de l’abbaye de Vallon. - Amaldéric. - Sires de 
Ballaison. - Cervene. - Lullier. - Villette. - Etrambières. - Troches. - Gaillard. - Monthoux. 
- Lullin. - Fernex. - Cholex. - Montforcheys. - Hermance. - Nernier. - lvoire et plusieurs 
autres. - Ville de la Roche. - Sires de Soirier. - Les Compeys, seigneurs illustres toujours 
mélés aux événements importants des époques où ils vivaient. - Leur puissance. - Curieuse 
transaction. - Les sires de Sales. - Ancètres du grand Saint. - Ils se vantent de tirer origine 
des prètres Saliens. - Leur cri de guerre. - Prétentions erronées. - Vidomnat et seigneurie. 
- La maison de Sales feudataire de Compey. - Son ancienneté et son développement. » 


CHAPITRE HI. — Famille de Clermont, Humbert, Aymard. - Ville d’Annecy. - 
On fait remonter sa fondation à une colonie d’Egyptiens. - Elle appartenait aux rois 
de Bourgogne au commencement du XI siècle. - Son développement durant le régime 
féodal. - Son chàteau. - Lessires de Menthon; Thomas; son testament; quatorze églises 
ont part à ses libéralités. - Ses descendants. - lls se divisent en quatre branches qui, 
elles-mèmes, se subdivisent en plusieurs autres. - Les seigneurs de Buing. - Rodolphe 
vend le chàteau de ce nom aux comtes de Genève. - Les.sires de Charveroche. - Pontverre. 
-. Foras. - Allinge; vastes possessions de ces derniers. - Nouveaux détails sur les sires 
de Chissé; Rodolphe, archevèque de Tarantaise périt viciime d’un affreux complot. - 
Vidomnat de Rumilly. - Porterie de Rumilly. - Vidomnat de Chaumont. - Id. de Genève. 
- Sires de Cruseilles. - Le bourg d’Alby, ses chàteaux et seigneurs. - Familles de Mont 
Vagnard. - Hauteville. - Les Clefs. - Sionnaz. - Mionaz. - Perly. - Lully. - Des Forets. 
- De Folliex. - Menthonex: - Pelly. - Du Wuache. - Copponex. - Charansonnex. - 
Choisy. - Dingy. - Serraval. - Alex. - Graisy. - Mouxi........... LIRA » 


CHAPITRE IV. — Evéque de Genève. - Hypothèses. - Contestations. - Ces prélats 
ont droit de seigneurie et de justice sur la ville. - Humbert. - Ardutius. - Hommages 
des comtes; coup hardi de ces derniers. - Sentence de l’empereur Frédéric. - Les que- 
relles renaissent. - Nantelin. - Arbitrage. - Ambition des princes de Savoie. - Pacte 
avec les bourgeois. - Guillaume de Duing, évèque. - Monitoires. - Excommunication. - 
Convention de 1290. - Vidomnes de Genève. - Leurs attributions. - Émoluments. - 
Procédures. - Le Vidomnat passe tour à tour des évèques aux comtes. - Pierre de Con- 
fignon. - Les princes de Savoie maitres de la ville de Genève. - Entreprises progressives 
sur la puissance temporelle du clergé. - Vidomnats inféodés à différentes familles. - 
Droit de battre monnaie, conféré exclusivement aux évéques. - Il est ensuite accordé 
aux comtes. - Pays de Gex. - Léonette. - Hommage è Béatrix de Faucigny. - Simon 
de Joinville. - Pays de Gavot. - St-Maurice-d’Agaune. - Chàteau de Vevey. - Ducs de 
Chablais. - Aymon. - Pierre. - Familles illustres suzeraines. - Leurs noms, titres, tours 
CQIChaA(eaUX GPL OSESITES KA EBIOLAy}r ISIS SLI REI » 


Serie II. Tom, XXIII, 


OM 


25 


2 
CHAPITRE V. — Seigneurs de Faucigny. - Guy, évéque de Genève. - Ermerard, 
tige de cette maison. - Le bienheureux Ponce. - Ordre de progéniture. - Celle seigneurie 
passe aux Dauphins de Vienne. - Branches collatérales. - Sires de Lucinge et de Thoire. 
- Étendue du tervitoire. - Ville de Cluses, capitale. - Charge de sénéchal. - Fiefs soumis 
à cette suzeraineté. - Les Alamands. - Les sires de La Tour, de Bardonnéche et autres 
dignes d’ètre mentionnés. - Enchevètrement des possessions respectives; guerres qui en 
résultent. - Haut et bas Valais. - Circonscriplions. - Évéques de Sion. - Hugues obtient 
la dignité de comte. - Légende de St-Théodule. - La maison de Savoie s'agrandit. - 
Evéque Landric entaché de simonie. - Droit de régale odieux aux prélats. - Ils tentent 
de sy soustraire. - Hommages réciproques. - Officiers, baillis, sénéchaux, majors. - 
Analogie - Abbaye de St-Maurice. - Martigny. - Tour de St-Branchier. - Val de Bagne 
et celui d’Eniremont. - Redevances. - Chàteaux de Saillon, de Saxon et autres. - Ville 
de Sion. - Tours, domaines de plusieurs familles importantes. - Barons de la Tour. - 
Seigneuries situées sur la rive droite du Rhòne et en amont, vers les sources de ce fleuve. pag. 83 


CHAPITRE VI. — Bresse et Bugey. - Régions distinctes. - Subdivision géographique. 
- Sires de Baugé; leur manoir. - Erreur de Guichenon. - Opinion des Bénédictins. - 
Dès le XI siècle ces seigneurs guerroyent contre leurs voisins. - Reynold; ses lettres à 
Louis-le-Jeune. - Sibille épouse le valeureux Amé V, comte de Savoie. - Sires de Coligny. 
- Leurs principales terres. - Ancien chateau de Lagneux. - Sires de la Baume. - Chàteau 
de Montfort. - Avidité des Dauphins. - Maison de Beaujeu, son antiquité. - Humbert 1II; 
ses moeurs déréglées. - Vision terrible. - Richesses des seigneurs. - Désignation de 
quelques-uns des principaux feudataires de la Bresse. - Les sires de la Palu. - Corsant. 
- Coucy. - Feillens. - Garrevod. - Mareschal. - Saix. - Varax. - Sires de Thoire; ils 
habitaient une forteresse sur les bords de l’Ain. - Tour de Matefelon. - Sires de la 
Balme. - Les sept fils de Hugues partagent sa succession. - Seigneurs de Chàtillon. - 
Luyrieux. - Rossillon. - Groiée et autres. - Domaine des comtes de Savoie dans le Bugey. 
- Chateau de Varey. - Evéques de Belley. - Petit Bugey. - Chautagne. - Manoir de 
Chatillon et de Chàteaufort. - Testament de la comtesse Béatrix. - Sires de Montbel. 
- Chevelu. - Gerbaix. - Bourg de Seyssel. - Famille de ce nom. - Ville d’Aix, résidence 
royale. - Sires d’Aix. - Humbert de Seyssel..... SIAVATEINE STATA SISSI ia » 102 


CHAPITRE VII. Comitatus Savogiensis. - Ses limites. - Terre de Montfalcon. - 
Chambéry. - Prieuré de Lémens. - Sires de Chambéry. - Witfred. - Gauthier. - Aymo 
Clericus. - Le chàteau de Charbonnière, propriété de ces seigneurs. - Chartes. - Berlion 
cède la ville de Chambéry au comte Thomas; le chàteau reste enire les mains du premier. 
- Il devient plus tard la propriété du comte Amé V qui le fait rebàtir. - Fiefs de la 
Ravoire, de Challes et de Chignin. - Apremont. - Les Marches. - Citadelle de Montmélian. 
- Le Crét. - Bourg et chateau de la Rochette. - Seigneurs de ce nom. - Aventure de 
Guillaume de Montferrat. - Yours de Montmajeur. - Armoiries. - Gaspard. - Possessions 
de ces seigneurs. - Sombre histoire. - Chàteauneuf. - Sires de Miolans. - Leur devise. 
(Voir à la fin de cet ouvrage). - Vallée des Bauges. - Graisy. - Tournon. - Chevron. 
- Le pape Nicolas II. - Ville et chateau de Conflans. - Vallée de la Maurienne. - 
Aiguebelle. - Sires de Ia Chambre. - Vicomté de Maurienne. - ‘Îransaction. - Loys de 
la Chambre. - Évéques de Maurienne. - Fiefs divers. ............. LA ddOE SAS RIA 6) 


CHAPITRE VIMI. — Bourg d’Ugine. - Seigneurs de Faverges. - Giez. -. Beaufort. 
- Tarantaise. - Sires du Verger, de Tours et autres. - Briancon. - Seigneurs redoutables. 
- Humbert II parvient à les chàtier. - Vicomté de Tarantaise. - Guigues II et deux 
de ses fils meurent en Terre Sainte. - Guet-à-pens. - Collisions. - Hommages. - Vastes 
domaines de ces seigneurs. - Ville de Moutiers. - Bourg de Salins. - Juridiction des 
comtes de Savoie. - Fief de la Saulce. - Bozel. - St-Jacques-l’Assyrien. - Légende. - 
Archevèques de Tarantaise. - Détroit du Ciel. - Centron. - Sires de Villette. - Thibaud. 
- Humbert, vidomne. - Aime, l’Arima des romains. - Scex. - Tombeau d’un sire de 
Val-d'Isère. - Cité d'Aoste. - Ses antiquités. - Légendaires. - Enceinte de cette ville. - 
Evèques d'Aoste. - Leur puissance. - Forteresse mixte. - Droits de l’évèque. - Vicomté. 
- Portes. - Sections. - Sires de la Tourneuve. - Du Pertuis. -  Comtes de Challant. - 
Sires de Quart, de Vallaise. - Chateau de Bard. - Chateau de Montjovet. - Hugues; son 
caracière indomptable, sa ruine. - Famille de Pont-St-Martin et autres. - Tour de Verres. 
Seigneuries diverses. - Chateau d’Aimaville. - Fiefs situés le long de la Doire. - Catégories. 
- Priviléges. - Supériorité de la maison de Savoie dans la vallée d’Aoste......... INA97 


CHAPITRE IX. — Dauphiné. - Petite rivière d'Oron. - Comté de Vienne donné 
aux archevèques. - Chateau de Pupet. - Prétentions des comtes de Bourgogne. - Diplòmes. 


- Possessions des comtes de Savoie. - Les sires de Beauvoir. - Septème. - Feudataires 
de la maison de Savoie. - Sires de la Tour-du-Pin. - Berlion. - Albert. - Chateaux. - 
Origines des Dauphins. - Guigues-le-Vieux. - Il bat en brèche la puissance temporello 
des évèques. - Il entre à l’abbaye de Cluny. - Sa mort. - Son fils est le dernier male 
de la race des comtes d’Albon. - Provenance de ce titre. - Béatrix. - Lignée de cette 
princesse. - Guigues VII. - Son fils Jean meurt en bas age. - Anne, sceur et unique 
héritière de ce dernier, épouse Humbert de la Tour-du-Pin. - Le Dauphiné est cédé 
aux aînés de France. - Puissance des Dauphins. - Évèques de Grenoble. - Diplòome de 
1178. - Chateau de St-Donat. - Juridiction indivise. - Officiers épiscopaux. - Prétentions 
des Dauphins sur le comté de Vienne. - Attaques incessantes contre les évèques. - 
Résistance. - Luttes sanglantes. - Juridictions respectives. - Archevéques de Vienne, abbés 
de St-Bernard de Romans. - Les Dauphins envahissent, en ce lieu, la moitié de la 


jJuridiction isouveraine .........- age DAGO DOLO AU o dg dI oe pag. 


CHAPITRE X. — Évéques de Gap et d’Embrun. - Comtes de Forcalquier. - Comtes 
de Provence. - Guillaume expulse les Sarrasins. - Ses descendants. - Tige des comtes 
de Die. - L'empereur Conrad octroie à l’archevéque Willelme la plénitude des droits 
régaliens sur la cité d’Embrun. - Prérogatives nouvelles. - La puissance de ces prélats 
est cependant limitée par les comtes de Forcalquier. - Les Dauphins prennent la quali- 
fication de comtes de Gap et d'Embrun. - Ils se déclarent vassaux de la chaire métro- 
politaine. - Traités. - Diplòmes impériaux en faveur des évèques de Gap. - Les Dauphins 
fomentent contre ces derniers l’esprit de révolte. - Ils se font céder par les habitants 
de la ville ce qu'on nommait le consulat. - Concordat. - Ses bases. - Possessions des 
évèques hors de Gap. - Vallée de Briancon, ‘attribuge par le roi Guntramn au siégge 
épiscopal de Maurienne. - Village de Rame. - Principauté du Brianconnais. - Elle fait 
partie du domaine. - Les habitants obtiennent d’amples priviléges. - Famille de Bar- 
donnèche. - Généalogie de ces seigneurs. - Familles du Viennois et du Graisivaudan. - 
Sires de Sassenage. - Bérenger. - Clermont. - Rossillon et autres. - Sires de Bocsozel. 
- Seigneurs de Maubec. - Enumération des principales races féodales du Viennois... » 


CHAPITRE XI. — Suite des familles illustres du Dauphiné. - Sires d’Hostung. - 
Rancurel. - St-Quentin et autres races historiques. - Tige des Alamands. - Plusieurs 
branches en dérivent. - Les Aynards. - Guigues, fils de Ponce, se rend en Lombardie 
près de l’empereur Barberousse. - Il va mourir à Exilles. - Juridictions diverses depuis 
Grenoble jusqu’aux frontières de la Savoie. - Le Graisivaudan; seigneuries qui s’y trouvent. 
- Sires de Beaumont, leurs chàteaux. - Petrus de Toveto. - Possessions des sires de 
Briancon, non encore mentionnées. - Ayméric. - Droits des comtes de Genève en Grai- 
sivaudan. - Bourg et chàteau de Césanne. - Seigneuries en decà des Alpes. - Rame. - 


158 


170 


IBErOACA MN RMONESHErSCICHI- UDITE TA CRMIO LOL tI PINI) e ITA IR No » 188 


CHAPITRE XII. — Barons de Meuillon. - Leurs chàteaux. - Leurs feudataires. - 
Barons de Montauban, vassaux des comtes de Forcalquier, puis des comtes de Provence. 
- En 1257 ils deviennent hommes liges des Dauphins. - Ce qu'on appelait le Domaine 
utile des Dauphins. - Division des états delphinaux. - ChAteaux de ces princes dans le 
Viennois. - Baillages. - Chatellenies. - Baillage du Viennois. - Terre de la Tour. - 
Chàteaux qui s'y trouvaient. - Possessions des Dauphins en Graisivaudan, en Embrunois, 
en Gapencois. - Baillage de Faucigny. - Vassaux illustres à l’étranger. - Les Dauphins 
sont à leur tour vassaux des empereurs d’Allemagne, hommes liges des rois de France. 
- Placés sous la mouvance de plusieurs évèques. - Sonmis aux comtes de Savoie et de 


Genève, à raison de certaines terres. - Dignités des Dauphins .............-0..... » 199 


CHAPITRE XII. — Évéques de Valence et de Die. - Bulles de 1187 et de 1238. 
- Les habitants de Valence veulent se’ soustraire à la juridiction ecclésiastique. - Pos- 
sessions des évèques de Die. - Luttes. - Exactions. - Comtes de Die. - Guillaume. - Il 
afflige l’église de mille maux. - Lettre du pape Hildebrand. - Isard. - Alix. - Comtes 
de Valentinois. - Leur lignée se rattache à Guillaume-le-Grand, comte de Poitiers. - 
Tradition. - Contestations avec l’évéque Robert. - Adhémar. - ll devient le fléau de la 
religion. - Maître du chàteau de Quint, il répand la terreur aux alentours. - Sa déloyauté. 
- Ses descendants. - Comtes de Valeace et de Die. - Les Adhémar. - Les Artauds ou 
Isoards. - Comtes de Provence. - Notions purement nécessaires. - Marquisat de Provence. - 


Évéques de Vaison, de Sisteron et de Digne. - Curieuse enquòte dressée en 1211... » 205 


CHAPITRE XIV. — frope suppLéMeNnTAIRE. — Chateau de Miolans. - Sa position. - 
Nombre des familles nobles de la Savoie. - Vasselage. - St-Bernard de Menthon et Mar- 


324 

guerite de Miolans. - Étymologie. - Le elergé civilisateur. - Nantelme de Miolans. - Il fonde 
une église et un couvent à Bellevaux. - Comment les établissements religieux deviennent des 
seigneuries. - Infractum banni. - Lex de forisfacto. - Duel judiciaire. - Jurisprudence 
des codes barbares. - Guy de Miolans. - Procès-verbal d'une audience solennelle du 
Comte Vert - Lacune dans l’histoire des sires de Miolans. - Seconde croisade. - As- 
semblée de Vezelai. - Feudataires qui y interviennent. - Le pape Eugène IV. - Il vient 


à Turin auprès du comte Amé Ill. - Ils se transportent à Suse. - L’empereur Conrad - 


prend la croix. - Le comte Amé IH figure au premier rang des croisés. - Liste des 
principaux seigneurs qui forment sa suite. - Geoffroy de Miolans. - Forces du comte 
Amé III. - Lances, hommes d’armes, archers, arbalétriers, fans de pied etc. - Départ. 
- Situation des croisés. - Ils se divisent. - Conférence. - Siége de Damas. - Les croisés 


se retirent. - Enormes dépenses. - Retour désastreux. - Saintes épines ........... pag. 
CHAPITRE XV. — érupe suppeLémentAIrRE. — Nouvelle lacune dans l’histoire des 


sires de Miolans. - Difficulté qu'on trouve à recueillir des documents authentiques. - 
Fréquence des mèmes prénoms dans la série des individus. - Nantelme, nom favori des 
sires de Miolans. - Emploi des noms propres, significatif. - Diversité des races dans 
notre pays. - La Savoie a moins souffert des invasions étrangères que les contrées limi- 
trophes. - Nomenclature de divers noms qui révèlent les origines. - Modifications durant 
la période féodale. - Le calendrier romain l’emporte sur les dénominations germaniques. 
- Nantelme II. - St-Bruno. - Grande-Chartreuse. - Le comte Humbert Ill fonde la 
chartreuse d’Aillon dans les Bauges. - Détails intéressants. - Gauthier de Miolans prend 
l’habit religieux. - Nouvelle générosité du comte Humbert. - Don fait par Nantelme de 
Miolans et sa famille. - Sires de la Ravoire. - Druèle ou druerie. - Sires d’Apremont. 
- Race de Varax. - Ponce de Conflans. - Guiffred de Miolans. - Le comte Humbert fait 
encore une donation à l’abbaye d’Aillon. - Il meurt peu après. - Charte du mois de juin 
1139. - Contestations. - Mauvais vassal, Willelme de Maynier. - Pitances, pitaneie. - Le 


217 


droit de protection sur la chartreuse d’Aillon appartenait aux seigneurs de Miolans.. » 242 


CHAPITRE XVI. — £rupe suppLémenTAIRRE. — Le comte Thomas. - Erreur de 
quelques historiens. - Vie active des seigneurs à cette époque. - Les princes de Savoie 
en voyage. - Nantelme de Miolans. - Hommes d’armes, écuyers etc. - Titre de l’an 1196. 
- Chàteau de Cornillon. - Chatellenie de St-Rambert. - Le comte Thomas poursuit avec 
bonheur ses entreprises. - Les sires de Miolans s’allient à ceux de Faucigny. - Abbaye 
de Haut-Crèt. - Guerre contre les Albigeois. - Le prince Thomas, Nantelme de Miolans 
et autres seigneurs suivent le roi de France dans cette triste expédition. - Donation è 
la Grande-Chartreuse. - Mariages des princesses Marguerite et Béatrix. - Clauses des 
contrats. - Transaction du comte Thomas avec l’abbaye de St-Maurice-d’Agaune. - 
Règne glorieux de ce prince. - Role de Nantelme de Miolans. - Seigneurs de Chambéry. 
- La ville de ce nom passe aux mains du comte Thomas. - Franchises accordées par 
ce prince. - Dernières années de Nantelme de Miolans. - Titre de 1241. - Nantelme IV; 
donation à l’abbaye du Betton. - Quelques mots sur ce monastère. - Titres relatifs aux 
seigneurs de Miolans de 1252 è 1421. - Reconnaissance passée par Jacques de Miolans 
en 1438. - Les biens des comtes de Montmayeur tombent au pouvoir des sires de Miolans. 
- Louis et son fils Jacques, derniers rejetons de cette noble race, - Le duc de Savoie 


hérite du chàteau de Miolans. - Hommes illustres de ce nom ................. ve. » 261 


CHAPITRE XVII. — rupe supprémentatre. — Le chateau de Miolans pro- 
prement dit. - Son importance militaire. - Charles III, duc de Savoie. - Francois Il 
vaincu à Pavie. - Le duc de Savoie, hésitant entre lui et Charles Quint, penche pour 
le dernier. - Suites de cette politique. - Luttes avec Genève. - Frangois I réclame au 
duc de Savoie la moitié de ses Etats. - Il envahit la Savoie. - Le duc se borne à dé- 
fendre le Piémont. - Il abandonne Turin et se réfugie à Nice. - Charles-Quint veut 
livrer le chàteau de Nice à Paul III. - Le duc de Savoie est près de céder. - Emmanuel- 
Philibert, son fils, àgé de dix ans, l’entraîne è la résistance. - Mort de Charles III. - 
Emmanuel-Philibert fait un glorienx apprentissage. - Il rentre dans ses États. - Ré- 
mission lui est faite du chàteau de Miolans en 1559. - Vertus civiles et militaires de 
ce prince. - Miolans converti en prison. - Le P. Monod, victime de Richelieu, y est 
enfermé. - Le roi Charles-Emmanuel. - Son alliance avec Marie-Thérèse. - Sa valeur, 
ses succès. - Les Espagnols en Savoie. - L’Infant Don Philippe. - Délégués de Chambéry 
prisonniers à Miolans. - Leurs dépenses. - Lavini. - Son crime. - Ses malheurs, sa longue 
captivité. - Inscriptions. - Cachots. - Le baron de l’Allée de Songy. - Le commandant de 
Launay. - Le marquis de. Sade. - Curieuse correspondance. - Evasion de Mr de Sade 


et de Mr de Songy. - Noms de divers prisonniers. - Pbysionomie du chateau ...... » 286 


325 
LA 


ZECCA DI SCIO 


DURANTE 


IL DOMINIO DEI GENOVESI 


MEMORIA 


DI 


DOMENICO PROMIS 


——_e-—— 


Approvata nell’adunanza del 9 luglio 1865. 


—_——_ 


Prefazione 


Dopo una guerra di venti e più anni avendo nel 1815 l’ Europa 
riacquistata quella tanto sospirata pace, subito cominciossi a sviluppare 
l’amore per gli studi storici, ed in conseguenza anche quello per la 
numismatica, soprattutto per quella parte che.spetta al medio evo, 
perchè campo nel quale assai eravi ancora a mietere. 

È bensì vero che sopra le monete a quest'epoca appartenenti molte 
opere già esistevano pubblicate sin dallo scorso secolo, ma nulla ancora 
si aveva per quelle coniate in Oriente dai Latini in seguito alla prima 
crociata. 

Ora di esse il primo che di proposito trattò fu il Marchant colle 
lettere settima e ventesima inserte ne’ suoi Me/anges de numismatique 
et d'histoire impressi nel 1817 e 1818; in seguito abbiamo molti articoli 
nelle pubblicazioni periodiche destinate a questo ramo di erudizione 
ed uscite di Francia, Germania, Inghilterra e Russia, ma soprattutto 


326 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


sono pregievoli le opere speciali del Saulcy col titolo Za numismatique 
des Croizades e Die Munzen des Johanniter - Ordens auf Rhodus del 
Friedlinder. 

Questi lavori però, puossi dire , sono fatti esclusivamente per illustrare 
le monete dei crociati francesi, ma se si eccettuano alcune poche pub- 
blicate dal prelodato Friedlinder, dal Kéhne, dal Lazari e dal Cumano (1), 
rimangono ancora inedite quelle che coniarono in Levante gli Italiani, 
e che preziose conservansi sia nelle pubbliche che nelle private collezioni, 
fra le quali certamente in questa parte primeggiano quelle di S. M. in 
Torino e del signor Paolo Lambros dotto e solerte numismatico in Atene. 

Tentando noi ora di riempiere almeno in parte questa importante 
lacuna della nostra numismatica colla illustrazione della zecca aperta 
da cittadini genovesi in Scio, a lui dobbiamo specialmente ringrazia- 
menti, avendo gentilmente messo a nostra disposizione quanto possiede 
che a quest'isola può spettare. Così dobbiamo esternare la nostra rico- 
noscenza ai signori Morel-Fatio di Parigi, Avvocato Gaetano Avignone 
e Luigi Franchini di Genova, P. Pellegrino Tonini di Firenze e Carlo 
Kunz di Venezia, che vollero favorirci i calchi o disegni di quelle monete 
da essi possedute e che ci mancavano, e con piacere noteremo che 
quasi tutte quelle che pubblichiamo furono da quest'ultimo mirabilmente 
disegnate ed incise su pietra. 

Ciò premesso, prima di addivenire alla descrizione di questa curiosa 
serie di monete, crediamo opportuno di dare una breve notizia degli 
avvenimenti di Scio dal decimo secondo secolo sino alla sua caduta nelle 


mani dei Turchi nel 1566. 


(1) Il Friedlinder illustrò un numero di monete dei Gattilusio nel Tomo I del Beitràge zur dlteren 
Munzkunde, e fu il primo il quale, pubblicando nei MNumismata inedita, Berolini 1840, due 
monete di Scio, seppe darne la vera attribuzione. 

ll Kéhne ne pubblicò di detta famiglia nel Tomo III delle Memoires de la Socicté d’ Archéologie 
et de Numismatique de St-Pétersbourg. 

Il Lazari ci diede le ossidionali di Candia e di Cipro, e due crazie di quest’ultima isola nelle 
Monete dei possedimenti veneziani di oltremare e di terraferma. 9 E 

Il Cumano una dei Zaccaria di Scio con apposita dissertazione pubblicò col titolo d’Illustrazione 


duna moneta argeniea di Scio sul disegno del Matapane di Venezia, 


DI DOMENICO PROMIS. 327 


NOTIZIA STORICA 


DELL'ISOLA 


— 8263 


Giace quest'isola, una delle Sporadi, non lungi dalle coste dell'Asia 
minore e poco distante da Smirne. Faceva parte dell'impero bizantino, 
quando sul 1170 i Veneziani se ne impadronirono ma per tenerla poco 
tempo, chè dopo avervi passato un inverno colla loro flotta, per causa 
della peste che ne decimava le ciurme (1), dovettero presto abbando- 
narla, e così subito venne ricuperata dai Greci; ad essi ancora appar- 
teneva quando Michele VIII Paleologo, affine di compensare i Genovesi 
dei soccorsi accordatigli per ricuperare Costantinopoli, col trattato di 
Ninfeo (2), nel 1261 loro concesse di possedere in varie delle principali 
città dell'impero, e fra queste in Scio, loggia, palazzo, chiesa, bagno, 
forno, giardino e case pei mercanti, e di avervi consoli, tribunali e 
la giurisdizione mera e mista nelle cause civili e criminali sopra tutti i 
loro concittadini. 

Ecco donde gli scrittori liguri derivano l’origine dei diritti della 
loro patria sopra quest'isola, quando solamente privilegi l’imperatore 
bizantino in essa aveva a Genova concessi, ed in momento di grande 


bisogno, con intendimento di spogliarnela subitochè propizia se gli 


(1) Chronicon Andreae Danduli, Muratori - Rerum Italicarum scriptores. Tom. XII, col. 295. 

« Crediamo di dover dire che una gran parte di queste notizie vennero da noi estratte dagli 
» scrittori bizantini, dall’archivio generale del regno in Torino, e dall’eccellente storia di quest'isola, 
» scritta col modesto titolo di articolo (Giustiniani familie aus Genua) dal dottore Hopf, Professore 
» e Bibliotecario dell’Università di Ronigsberg, ed inserto nell’ ANgemeine Encyklopàdie di Ersh e 
» Gruler, sessione 1.°, volume 68. » 

(2) Historiae patriae monumenta. Liber iurium reipublicae genuensis, Augustae Tauriporum 1854. 
Tomus I, col. 1351. 


328 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


offrisse l'occasione; ed infatti questa non dovette tardare a presentarsi, 
poichè tra i numerosi documenti che tuttora conosconsi relativi all’am- 
ministrazione di questa repubblica nei tempi di mezzo, nessuno si 
trova che faccia più menzione delle cose de’suoi cittadini in Scio dal 
sopraddetto anno sino al finir del secolo; anzi crederemmo che questo 
spogliamento fatto per parte dei Greci possa essere stato una delle cause 
per le quali l'ammiraglio genovese Benedetto Zaccaria, signore di Focea 
vecchia sul litorale della Natolia (*), trovandosi nel 1301 in quelle 
acque con un numeroso naviglio , sbarcata improvvisamente nell'isola una 
buona mano di soldati, riuscì ad impadronirsene senzachè dagli storici 
che ciò narrano appaia che ancora vi esistessero case di commercianti 
o magistrati della sua nazione. 

Ora dovendo parlare dei fatti di questo Zaccaria e de’suoi discen- 
denti, che ebbero signoria non solamente in Scio ma anche in altre parti 
dell'impero greco, crediamo utile di dire due parole sulla loro origine. 

Secondo il Ganducci (1) venne questa famiglia nel secolo XII da 
Gavi, terra nell'Appennino ligure, a stabilirsi in Genova, dove aveva già 
nel 1182 nel quartiere detto de castello casa con portico, ed il primo 
di essi del quale abbiasi notizia è un Zaccaria, padre che fu di altro 
Zaccaria detto, a distinzione di quello , de castro o de castello dal 
quartiere della città nel quale abitava, e questi doveva già possedere 
un magnifico asse, vedendo in carta del 1252 che per emancipare il 
suo quintogenito Giovanni gli aveva dato terre pel valore di cinque mila 
lire genovesi, le quali, visto che un fiorino d’oro di Firenze correva 
nel 1276 in Genova per soli soldi quatordici, che l’emina di grano vi 
costava da otto soldi, e circa dieci la mezzaruola di vino (2), facilmente 
si comprende qual egregia somma per quei tempi esse costituivano. 

Ora di questi cinque figli, nell'albero genealogico che crediamo bene 
d’inserire affine di poter conoscere qual grado di parentela esistesse tra 
quei Zaccaria dei quali abbiamo a trattare, riporteremo soltanto quelli 


che ebbero signoria in Scio, o che da essi discesero. 


(*) « Questi era già stato nel 1284 ammiraglio in patria, e tale era il prodotto dell’allume che 
» ricavava da Focea, che il suo figlio Paleologo troviamo averne venduto nel 1298 in una sola volta 
» cantari grossi 650 per L. 2000 di Genova. » 

(1) Famiglie genovesi. M.S. dell’archivio del regno in Torino, 

(2) Pandette Richeriane, fogliazzo I, ossia estratto dei protocolli dei notai di Genova. Archivio 
generale del regno. 


DI DOMENICO PROMIS 


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Serie II. Tom. XXIII. 


350 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


Come sopra si è detto Benedetto I ebbe Scio nel 1301 colla forza, 
e non già, secondo alcuno storico scrisse, mediante il suo matrimonio 
con una figlia di Michele Paleologo (*); che se esso veramente ebbe 
luogo, ciò fu molti anni prima, poichè i due soli figli che di esso si 
conoscono, cioè Paleologo e Manuele, erano già li 12 marzo 1300 (1) 
in tale età da poter acquistare essi una casa in Genova a nome del 
padre, e ciò un anno avanti questa spedizione, a meno che egli l'abbia 
sposata in seconde nozze, ed allora ciò sarebbe dovuto avvenire dopo 
la convenzione fatta col suo successore Andronico II, il quale, quando lo 
Zaccaria si impadronì dell’isola, era in guerra coi Persiani, e vista 
la somma difficoltà di poterla in allora ricuperare, con esso trattò e 
convenne che gliene avrebbe lasciato l’intero possesso per dieci anni, ma 
coi patto che dovesse continuarsi a considerare come parte integrante 
dell'impero, adottando egli perciò il titolo di vicario imperiale e facendo 
scolpire sulle mura della città lo stemma dei Paleologi; scorso poi tal 
tempo dovesse essa ritornare all'antico suo signore (2). 

Il Calcondila invece scrisse (3) che l’imperatore trovandosi abbi- 
sognare di danaro, ebbe grosse somme da questo patrizio genovese, 
che perciò gli diede la prefettura dell’isola, ma per far concordare 
questi autori crederemmo che ciò avvenisse così, che cioè Benedetto 
per calmare Andronico irritato vedendosi da uno straniero tolta un'isola, 
ia quale doveva assai produrre al suo erario pel mastice estratto dal 
pistacio lentisco e che in grandissima quantità esportavasi, gli abbia 
offerto una vistosa somma ‘di danaro, che per la povertà del tesoro 
vuoto per le continue guerre coi barbari gli dovette tornar graditissima, 
e sia questo stato il mezzo per ottenere la suddetta convenzione. 

Lo Zaccaria frattanto per prepararsi a qualunque improvviso attacco, 
che era prudenza temere per parte dei Greci, subito diede mano a 


- 


() « Michele Giustiniani nella Scio sacra di rito latino (Avellino 1658) a pagina 7 scrisse che 
» Benedetto ebbe dal Paleologo per moglie una sua sorella ed in dote Scio, e cita in appoggio 
» della sua asserzione gli annali di Genova del da Varagine, come riferito dal Federico Federici 
» nelle Memorie Genovesi, c. 507, ma ciò non trovasi nè nel da Varagine nè nel Federici; dubi- 
» tiamo perciò che per errore al Zaccaria siasi attribuito ciò che il Foglietta negli E/og? degli uomini 
» chiari della Liguria (Genova 1579) a foglio 45 dice di Francesco Gattilusio che ebbe l’isola di 
» Metelino per dote della moglie, sorella dell’imperatore Giovanni Paleologo. » 

(1) Pandette Richeriane, fogliazzo A, foglio 6. 

(2 Cantacuzeni historiarum liber secundus. Bonnae 1828, pag. 370. 


ro 


Laonicì Calcondylae historiarnm libri decem, Bonnae 1842, pag. 521. 


DI DOMENICO PROMIS 35: 


ristaurare e maggiormente alzare le mura della città, onde dopo tra- 
scorso il convenuto decennio vedendo l’imperatore come le difficoltà per 
impadronirsi di Scio erano di molto cresciute, mosso dalle preghiere 
secondo gli storici bizantini, ma con maggior probabilità dai doni degli 
ambasciatori che il genovese avevagli mandato, gliene prolungò il pos- 
sesso per altri cinque anni, e indi per un nuovo quinquennio ancora. 
Secondo il Cantacuzeno (1) prima che quest’ultimo periodo scadesse, 
mancato ai vivi Benedetto, i suoi figlinoli Martino e Benedetto II, senza 
aspettarne il termine, ne domandarono il proseguimento per altri cinque 
anni, ma Andronico, chiamati i fratelli a Costantinopoli, li invitò a 
rinunziare al possesso dell’isola, oppure a tenerla con ben altri patti. 
Invece di aderire all’invito imperiale Martino si preparò alla difesa, 
ma Benedetto , il quale era con lui in lite per seimila bisanti d’oro 
che pretendeva essergli dovuti sull’eredità paterna, recossi dall'imperatore 
implorando giustizia contro il fratello. Questa con tutta facilità gli venne 
da Andronico promessa, purchè in tutto al suo volere si sottomettesse, 
al che avendo egli accondisceso, presto se ne videro le tristi conseguenze, 
poichè essendosi presentata avanti Scio la flotta greca forte di 105 
vele, Benedetto, che trovavasi alla custodia del castello, subito lo con- 
segnò al nemico; onde Martino, vista la impossibilità di potersi difendere 
pel tradimento del fratello, offerse di trattare; ma ciò essendogli stato 
negato, uscito dalla città si arrese coi suoi agli imperiali, che lo riten- 
nero prigione, lasciando andare libera con quanto di prezioso potè seco 
portare la moglie coi figli e le serve; e ciò avvenne nell’anno 1329. 
L'imperatore offerse poi a Benedetto la prefettura dell’isola colla 
metà delle sue entrate, le quali ammontavano a circa cento ventimila 
bisanti d’oro, ma non volendo egli accettare tale proposta poichè pre- 
tendeva di continuare a possederla coi patti del padre, indispettito si 
ritirò a Galata, dove ad altro non pensando che a vendicarsi dell in- 
giuria che credeva essergli stata fatta dal Paleologo , raccoltevi otto 
galee genovesi, con esse fece vela verso Scio, e sbarcate le ciurme at- 
taccò la città, ma vigorosamente dai Greci respinto, lasciativi molti 
morti dei suoi, da quel lido fu costretto allontanarsi; per il che sentì 
tanto dolore che dopo sette giorni colto da colpo apopletico morì. 
Ora nel narrare questi avvenimenti troviamo che lo storico greco 


(1) Cantacuzenus, ut supra. 


332 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


confuse le persone, poichè dice la convenzione fatta con Benedetto I 
essere con esso stata prolungata due volte ed essere scaduta nel 1329, 
ma invece da sicuri documenti ci consta che successore in quella signoria 
gli fu il suo primogenito Paleologo , il quale fu padre di Martino e 
Benedetto II (1); e Benedetto I non era più in vita nel 1311, vedendo 
in atto rogato in Genova li 13 gennaio detto anno, che Paleologo si scrive 
figliuolo qguondam D. Benedicti Zachariae (2). 

Non trovandosi indi più menzione di esso in alcuna carta fatta in 
quella città, dobbiamo conchiudere che subito siasi recato in Scio, la- 
sciando in patria i figli Martino e Benedetto II soprannominati, che in 
atto ivi fatto li 27 marzo 1313 (3) sono detti figliuoli del vivente Pa- 
leologo (*). Deve però questi esser mancato ai vivi nello stesso anno 
o nel susseguente, non trovando più i fratelli menzionati in Genova, e 
constando che Martino era già signore di quest'isola nel 1315, essen- 
dochè con diploma delli 21 maggio di quest'anno (4) Filippo di Taranto, 
erede di Baldoino ultimo imperatore latino di Costantinopoli, e che con- 
tinuava a pretendere alla sovranità di quell’impero, unitamente alla 
moglie Catterina, investendolo del regno dell'Asia minore, e della 
signoria di Onussa, Marmora, Tenedo, Lesbo, Scio, Samo, Nicaria 
e Cos, mediante l'obbligo d’aiutarlo con 5oo soldati per riacquistare il 
trono di Bisanzio, lo chiama Martinum Zachariam de Castro dominum 
insulae Chii, prova che già era succeduto al padre e solo trovavasi nel 
dominio dell’isola. 

Ritornando ora a parlare delle convenzioni fatte dal greco impe- 
ratore coi Zaccaria, e che abbiamo vedute sì confuse da Cantacuzeno, 
per convenire che l’ultima, ossia la terza, sia scaduta, come infatti lo 
fu, col 1329, dobbiamo dire che la prima per dieci anni con Benedetto I 
dovette passarsi tra il 1309 e il 1310 e durare incirca sino al 1319: 
che si segnò la seconda con Martino e Benedetto II in quest'anno, 


(1) Pandette Richeriane, fogliazzo A, foglio 98. 

(2) Idem, foglio 10. 

3) Idem, foglio 98. 

« Ci perdoni il sig. Hopf se noi non possiamo convenire con lui che Paleologo venisse anche 

» chiamato Benedelto II, poichè, come dimostriamo, del padre e del figlio i Greci fecero una sola 
» persona, così nemmeno, come egli crede, Martino e Benedetto poterono esser figli di Nicolò 
» che fu zio a Paleologo e padre solamente di Manuele marito di una Giacobina, della quale non 
» è detto il casato, ma che sola di tal nome troviamo fra le donne entrate nei Zaccaria. » 

(4) Giustiniani Michele. - Lettere memorabili. Vol. II. Roma 1669, pag. 4. 


DI DOMENICO PROMIS 3533 


per cominciare la terza col 1324 e scadere col 1329, anno nel quale 
abbiamo veduto che vennero essi spogliati di Scio. 

Intanto Martino continuava a gemere nelle prigioni di Costantinopoli, 
ove rimase sino al 1338, quando fu rimesso in libertà sulle istanze del 
papa e del re di Francia. Dopo alcuni anni essendosi unito ai crociati 
che erano andati per conquistare Smirne sugli infedeli, perdè la vita 
in un fatto d’arme contro i Saraceni avvenuto nel 1345. 

Eragli già premorto il primogenito Bartolomeo, onde nei beni allo- 
diali gli successe l’altro figliuolo chiamato Centurione, il quale andato 
alla corte di Maria di Borbone, principessa d’Acaia, talmente seppe 
insinuarsi nelle sue grazie, che oltre all’aver avuto in dono molti feudi, 
in breve divenne uno dei più importanti personaggi della sua corte. 
Morta essa, per trovarsi affatto inetto il suo successore , assumendo 
Centurione il titolo di principe poco per volta si rese assoluto padrone 
dell’Acaia che trasmise al suo figlinolo Azane, il quale lasciò lo stato a 
Centurione II e diede sua figlia Catterina in moglie a Tommaso Paleologo 
despota della Morea. Questi dopo morto lo suocero, impadronitosi per 
tradimento nel 1432 della persona del cognato e del suo stato, in un 
coi figli lo mise barbaramente a morte, e tale fu il fine dei Zaccaria 
in Grecia, e non come da taluno fu detto che perdessero l’Acaia quando 
fu nel 1458 occupata dalle armi di Maometto II. 

Scio frattanto sotto il dominio dei Paleologi venne retta, in qualità 
di vicario imperiale, da Leone Caloteto, in compenso d'essere stato 
il principal motore a Costantinopoli per indurre quel sovrano a ripren- 
dere l'isola ai Zaccaria, e, caduto lui in disgrazia, ne fu dato il go- 
verno ad uno dei principali suoi abitanti detto dagli scrittori greci 
Caloianni Chibos, e dai liguri Gioanni Cibo (*), sotto il quale, come 
ora vedremo, venne nuovamente l’isola in mano dei Genovesi. 

Avvicinavasi la metà del decimo quarto secolo, quando dalle fazioni , 
dalle quali era da vari anni la città miseramente travagliata, fu cacciata 


da Genova la maggior parte dell’aristocrazia, che ritiratasi nelle riviere 


(1) « Questi, secondo il Cibo Recco negli Annali di Genova, che conservansi manoscritti nella 
Biblioteca di S. M. in Torino, apparteneva alla famiglia patrizia di tal nome, che traeva origine 
» da quelia città, ed anzi dice che ai suoi tempi, cioè nel secolo XVI, vi abitavano ancora alcuni 
» nobilissimi uomini venutivi da quell’isola. Questo Gioyanni poi doveva discendere da uno di quei 
» mercatanti genovesi stabilitisi in Scio sin da quando il loro comune vi ebbe nel 1261 tanti pri- 
» vilegi da Michele Paleologo. » 


334 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


continuamente venne la propria patria colle scorrerie per terra e per 
mare molestando. Principali ne erano i Grimaldi che, andati a Monaco 
loro terra, cogli amici attesero nel 1345 a radunarvi un esercito di 
10,000 uomini e ad armare 30 galee (1); della qual cosa avutosi sentore 
dal doge Gioanni de Murta, subito pensò alla difesa della città, per 
il che incaricò alcuni popolani affinchè vi provvedessero. Siccome l’erario 
pubblico era esausto, questi deliberarono d’invitare quaranta quattro 
cittadini a mettere assieme a proprie spese una flotta, con promessa 
che dal comune sarebbe loro stato rimborsato l’esposto e compensati i 
danni, ipotecando per questo un’entrata di 20,000 lire sopra diverse 
gabelle, e concedendo anticipatamente le conquiste a farsi sino a che 
fossero gii armatori intieramente soddisfatti. 

Sopra questi quarantaquattro soli ventinove (*) concorsero ad armare 
caduno una galera, delle quali fu dato il comando al popolano Simone 
Vignoso (1), che ricevette dal doge la bandiera di San Giorgio, cioè 
colla croce rossa in campo bianco, così chiamata perchè era quella 
che mettevasi in mano al santo rappresentandolo a cavallo ed armato 
di tutto punto nell’atto di uccidere il drago, e che divenne lo stemma 
del comune. 

L'ammiraglio recatosi colla sua squadra avanti a Monaco, talmente 
spaventò i fuorusciti non ancora preparati a sostenere l’attacco, che 
fuggirono a Marsiglia, onde esso ritornato a Genova ed avviatosi verso 
Napoli dando il guasto per istrada a Terracina e Traetto in odio del 
conte di Fondi, continuò il suo cammino per il Levante affine di pro- 
teggere quelle colonie contro i Munsulmani. 

Giunto a Negroponte vi trovò 26 galere dei Veneziani e dei cavalieri 
gerosolomitani comandate da Umberto II delfino di Vienna, che gli 
offerse una grossa somma di danaro affinchè lo aiutasse ad impadronirsi 


di Scio; ma esso, vedendo quanto utile sarebbe venuto ai suoi dal 


(1) Giustiniano. Annali di Genova. Ivi 1537, carte 133. 

(*) « Questi furono Simone Vignoso, Lanfranco Drizzacorne , Guglielmo Solari, Guglielmo 
» Arangia, Giacomo Morando, Nicola Tarigo, Andriolo Pesario, Cosma Salvago, Nicola Cigogna, 
» Giacomo Ornio, Filippone Alpano, Luchino Goano, Tommasino Illione, Lodisio Perrone, Antonio 
» Rossi, Meliado Adorno, Federico Osbergerio, Leonardo Cornasca, Lodisio Panzano, Matteo Babo, 
Francesco Coconato, Pietro Rosasco, Ansaldo Olivieri, Ampugnino Cantello, Raffo Piscina, 
» Andriolo di Ceuta, Agostino Bennato, Antonio Viviani e Francesco Cottegario. » 


(2) Liber jurium reipublicac genuensis, Tomus II, col. 558. Augustae Taurinorum 1857. 


DI DOMEMICO PROMIS. 335 


possesso di quest'isola, rifiutata l’offerta, immantinente salpò verso di 
essa, dove giunse li 15 giugno del 1346. 

Cinta subito d’assedio la città, dopo tre mesi l’ebbe a patti (1), indi 
convenne per la cessione del castello col già citato Gioanni Cibo me- 
diante 7,000 iperperi, vari privilegi e la cittadinanza di Genova, e così 
rimasto padrone di tutta l'isola, ne prese possesso a nome della sua 
patria inalberando sulla torre principale la bandiera della croce. 

Sbarcato alcuni giorni dopo il Vignoso sulle coste dell'Asia minore, 
vi occupò Focea nuova indi si impadronì di Focea vecchia, cioè dell’an- 
tica (*), già possedute dai suoi compatrioti e ricche per le miniere 
d’allume esistenti nelle loro montagne. Un fatto curioso è a notarsi 
nella convenzione che fece con questi abitanti li 20 seitembre, ed è la 
clausola che vi vollero inserta, cioè che nessuno dei Zaccaria, dei 
Cattanei (che vi avevano signoreggiato) o dei loro parenti giammai po- 
Q1IU- 


5 
risdizione, e percepirvi somma alcuna , il che proverebbe essere stato 


tesse in esse abitare, posseder case o distretti, avervi impiego o 


ben duro il loro governo. 

Aggiunti indi a questi acquisti le piccole isole di Samo, Nicaria, 
Demussa e Santa Panagia, e lasciato un numero sufficiente di soldati 
alla loro custodia, con vari dei proprietarii delle galere, che avevano 
anche la procura di quelli rimasti in Scio, partì l'ammiraglio per 
Genova, dove giunto trovò che il comune era nell’impossibilità di 
soddisfare le spese da essi fatte, che pretendevano ascendere ad oltre 
duecentotre mila lire, onde i rappresentanti dei ventinove armatori con- 
vennero col doge li 26 febbraio 1347 (**) che la suprema giurisdizione 
ed il mero e misto impero sopra queste conquiste restasse alla repub- 
blica, che vi avrebbe nominato i podestà ed i castellani, ma che il 
possesso utile, cioè il ricavo delle imposte dirette ed indirette ed il 
commercio del mastice e dell’allume ad essi dovesse appartenere, e per 


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(4) Cantacuzeni liber tertius. Bonnae 1831, pag. 543. 

(*) « Queste due città dagli scrittori italiani dei secoli XV e XVI sono chiamate Foglie vecchie 
» e Foglie nuove, denominazione alterata dal dialetto genovese, nel quale le Mocee dicevansi Fogge, 
» e siccome così anche chiamavano le foglie degli alberi, detto nome italianizzarono in Foglie. » 

(1) « Im quesl’atto già sopra citato, e che per essere stato anche inserto nell’originale del. Liber 
» gurium colla falsa data del 1447, fu stampato per doppio alla col. 1498 del Tomo II, è minu- 
» tamente narrato come fu condotta la cosa per ottenere l’armamento di questa flotta, e vi sono 
specificate le convenzioni fatte dal Vignoso. » 


3536 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


tale amministrazione, costituitisi in società sotto la denominazione di 


Maona (*), nominarono dodici massari scelti fra venti socii. 


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(") « Varie sono le opinioni circa l’origine ed il significato della parola Maora. Alcuni dicono 
che derivi dal greco Movos, unità, altri dall’arabo Me-unet, aiuto, favore, ed altri, avendo trovato 
nella marineria turca grossi bastimenti da essi detti Maore, credettero che da questo genere di 
navi la genovese compagnia avesse preso il suo nome. Nessuna però di queste opinioni ci parve 
soddisfacente, chè le due prime per nessun verso possono indicare un qualunque genere di asso- 
ciazione, ed in quanto alla terza per riconoscerla erronea, basta sapere che queste navi inventate 
dai Turchi, i quali avevano cominciato a costrurle come grosse galere, e poi tolti i remi, ne 
avevano fatto larghi bastimenti a vela, non potevano aver esistito avanti il secolo XV, quando 
solamente questa nazione cominciò ad avere propria marineria, anzi esse presso i vari storici non 
vedonsi nominate che dal 1500. Credemmo in conseguenza di dover cercare se nelle carte di Genova 
avessimo potuto scoprire la vera origine di tale parola, ed appunto nel fogliazzo A delle Pandette 
Richeriane troviamo gli estratti di tre atti notarili del secolo XIII, cioè al foglio 81 uno delli 18 
aprile 1236, col quale un Giovanni di Lanfranco Tornatore cede a Baldoino de Vindercio i suoi 
diritti sull’ammontare delle perdite da esso fatte nella rissa avvenuta in Ceuta (d’Africa) tra ì 
Cristiani ed i Saraceni, cioè bisanli miliaresìi 58 1|2, i quali gli spettano è2 2/lis quos recipere 
debeo in madona de Septa et qui sunt super me scripti in dicta madona occasione damni et perditae 
dictae; unde cedo tibi omnia iura quae habeo occasione bisanciorum 58 1/2 în dicta madona; altro 
delli 15 maggio detto anno col quale Enrico Banchieri vien nominato procuratore da Ugo Fornari 
per esigere 900 bisanti milliaresi in Madora Septae e dovuti da quel re; ed al foglio 140 un 
altro pure fatto in Genova, però li 27 aprile 1237, per il quale Pietro d’Oria dichiara a Tedisio 
Fieschi quod de eo quod scriptum est în cartulario prudentium sepiem et quod dicitur Maona, con- 
tingunt tibi libras trecentum. Dal primo poi dei surriferiti atti, spettante alla prima metà del 
secolo XIII, si vede che esisteva una società di commercio, di quelle che ora diconsi barche, la 
quale chiamavasi Medora, e dal secondo ricaviamo che i direttori di altra simile socielà genovese 
nominavano IMaora il gran libro nel quale erano registrati gli averi dei suoi partecipanti, nome 
appunto col quale chiamaronsi indi quelle compagnie che possederono le entrate di Scio e di 
Famagosta. 

» Or tulti sanno come nei bassi tempi in Italia qualunque associazione o corporazione era sotto 
l’invocazione o protezione di un santo, e che la parola Madora così sola usavasi, come anche 
al presente, per indicare la Vergine Maria, onde non crediamo di errare dicendo che tali società 
volevano così significare che erano sotto la sua protezione, come posteriormente fu di quella 
detta di San Giorgio, e siccome nel carattere del dialetto genovese volentieri si sopprimono per 
amor di brevilà le consonanti, così, tralasciata la lettera D, dissero solamente Maona. 

» Il fatto di Ceuta al quale alludono le due carte del 1236 è distintamente narrato all’anno 1234 
dal Caffaro (Muratori, Rerum Italicarum scriptores, Tomus VI. Annales Genuenses, col. 471-72-73); 
però non vi è detto che questi crocesignati Calculini o Calcurini, secondo il Giustiniani popo- 
lazione delle coste della Spagna verso la Biscaglia o la Navarra, i quali pare amassero portare 
le loro armi dove vi fosse molta preda a fare, e che poca dislinzione mettevano tra cristiani e 
maomettani, sulle coste d’Africa, appunto in vicinanza di Ceuta, bruciarono una nave chiamata 
S. Marco, propria di Giacomo Caracapa e Guglielmo Formica savonesi, il qual fatto si legge nel 
fogliazzo I delle citate pandette, nelle quali, oltre vari altri mercanti genovesi derubati , trovasi 
che un Ottobono della Croce nella rissa che ebbe luogo in detta città tra i suddetti e gli abitanti, 
perdette tanto grano per bisanti milliaresi 1516, delle quali perdite quel sultano si era obbligato 
d’indennizzarli, essendosi così con Genova convenuto per compensarla delle spese da essa fatte 
nell’allestire una numerosa flotta sotto il comando di Lanfranco Spinola per la sua difesa. 


(SI) 


DI DOMENICO PROMIS. 37 

Stabilito il modo di elezione dei podestà di Scio e delle due Focee 
da farsi sopra una rosa di quattro cittadini da presentarsi dai maonesi , 
e sopra una rosa di sei pei castellani, se ne stabilirono i trattamenti; 
indi dichiarò il doge che posset dictus potestas (Sci) nomine comunis 
Januae cudi et cudi facere în insula Syi monetam argenti de liga et 
pondere de qua melius widebitur ipsi potestati, in qua moneta sint literae 
monetae ianuensis, et figurae ut deliberabitur per potestatem Syi et 
suum consilium, vel figura domini ducis Januensium et quae literae 
dicant Dux Januensium ez Cunradus Rex. Ex cujus monetae fabricatione 
si fuerit utilitas convertatur in utilitatem et profichuum dictorum par- 
ticipum. Item quod ducetur de Janua unus bonus sazator. 

Fu inoltre convenuto che della somma dovuta agli armatori, cioè 
delle L. 203,000 genovesi, in ragione di L. 7,000 per ciascuna galera. 
si formasse un numero d’azioni simili nella forma ai Zuoghi delle compere 
di Genova, le quali, almeno per la sesta parte ed oltre se volesse, fosse 
in potestà al comune di acquistare fra lo spazio di venti anni, e che 
qualora in detto tempo la totale somma venisse pagata ai comparteci- 
panti, il possesso di Scio ed annessi resterebbe allo stato. Tale fu il 
principio della più antica associazione mercantile di privati che posse- 
desse uno stato per proprio acquisto, e che quantunque non avesse 
tanti diritti e privilegi come quelle che sorsero nei secoli XVII e 
XVIII in Olanda, in Inghilterra ed altrove, tuttavia stante la sua buona 
costituzione ed amministrazione arrichiendo i suoi compartecipanti, potè 
durare assai più di quelle che le vennero dopo. 

A capo dell’amministrazione fu nominato lo stesso Vignoso , che 
subito attese ad ordinarla; ma frattanto l'imperatore Giovanni Canta- 
cuzeno, il quale trovavasi libero da alcuni potenti nemici, per il che 
sino allora gli era stato impossibile di attendere alle cose che succe- 
devano in quest’ isola, mandò nel 1348 ambasciatori a Genova (1) 
chiamando che, stante l’alleanza esistente tra lui ed il comune gli 


venisse essa restituita. Al che il doge rispose esser giusta la sua istanza, 


» ale armamento prova di quanta importanza fosse pel nostro comune questo scalo, per mezzo 
» del quale potevano con gran facilità commerciare coi mori sia di Marocco che di Spagna, ed 
» appunto per consoli usava mandarvi persone importanti, come vi vediamo nel 1237 Pietro ed 
» Ugo Lercari, il quel ullimo nell’anno susseguente fu da Lodovico IX, re di Francia, nominato 
» ammiraglio della flotta che lo doveva portare alla crociata di Affrica. » 

(1) Cantacuzeni liber quartus. Bonnae 1832, pag. SI. 


Serie IL Tom, XXIII 


gs 


238 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


ma che siccome Scio era stata occupata, senza il suo parere e consenso, 
da alcuni privati, i quali per questo avevano allestito a proprie spese 
una flotta, per indurli alla restituzione sarebbero stati necessarii grandi 
armamenti che il comune era allora nell’impossibilità di fare, aspettasse 
che col tempo, mediante molti maneggi, sarebbesi ottenuto che a lui 
nuovamente tornasse. Quindi inviò oratori a Costantinopoli, i quali con- 
vennero che tutte queste possessioni potessero per dieci anni godersi dai 
maonesi, purchè versassero annualmente 25,000 bisanti bianchi al te- 
soro imperiale, e che per segno di dipendenza s’innalzasse sul castello 
la bandiera greca. 

A questo il Vignoso formalmente si oppose, e colto il pretesto che 
in tal frattempo il già menzionato Giovanni Cibo, che aveva nominato 
castellano di Focea nuova, intesosi col governo bizantino, con una mano 
di Greci aveva tentato d’impadronirsi per sorpresa di Scio, nella quale 
azione perdè la vita, continuò, come prima, a tranquillamente governarla. 

Essendo dopo alcun tempo mancato di vita questo prode ammiraglio , 
e risiedendo in Genova la maggior parte degli azionisti, fu forza di dare 
in appalto la riscossione delle entrate dell’isola ad un’altra. società 
ugualmente composta di Genovesi, la quale, col nome di Maona nuova, 
erasi in essa già costituita pel commercio del mastice. Presto però es- 
sendosi dai vecchi maonesi venuto per affari di amministrazione a 
contestazione con essa, per metter fine alle loro vertenze s'indirizzarono 
le due Maone nel 1362 al doge Simon Boccanegra (1), che le condusse 
ad un equo componimento, pel quale la 72z0va in tutto subentrò alla 
vecchia, e si obbligò solidariamente a soddisfare in Genova a quanto 
potesse spettare a cadun suo partecipante. 

Questa nuova società, ai cui membri fu vietato di alienare a stranieri 
alcuna azione, era composta di Nicolò Caneto, Giovanni Campi, Raffaele 
Forneto , Francesco Arangio, Nicolò di S. Teodoro, Gabriele Adorno, 
Paol» Banca (in atto del 29 settembre 1376 segnato come membro del 
consiglio degli anziani col nome di Giustiniani), Tommaso Longo, 
Andriolo Campi, Luchino Negro, Pietro Olivieri e Francesco Garibaldi , 
che essendo dodici formarono un egual numero di azioni, alle quali 
si aggiunsero due terzi d’una tredicesima per Nicolò di S. Teodoro. 


Ogni azione si divise in tre Zeoghi o caratti grossi, che suddividendosi 


1) Liber iurium. Tomus HI, col. 714. 


DI DOMENICO PROMIS. 239 


in otto parti formarono 304 caratti piccoli, e di questi vari essendo 
stati venduti, passarono ai Reccanelli, che coi precedenti, abban- 
donando, ad eccezione dell’Adorno, il nome del proprio casato , adot- 
tarono quello di Giustiniani (*), e formatisi in albergo sono ancora 
oggi rappresentati da aleuni dei loro discendenti , e specialmente dal 
marchese Pantaleo Giustiniani Reccanello, principe di Bassano. 
D’onde traesse quest’albergo tale nome, che sin dal 1359 troviamo 
aver usato la nuova Maona, è ancora ignoto; tuttavia potrebbe essere 
che siccome in quelli anni questa risiedeva esclusivamente in Scio, la 
sua fattoria fosse in una casa spettante prima, cioè sotto il dominio 
greco, ai Giustiniani di Venezia; che se poi venne a possedere palazzi 
in Genova, questi non dovevano al certo anteriormente aver appartenuto 
a tali patrizii, non constando che alcuno di essi abbia mai avuto resi- 
denza in questa città. Adesso poi nemmeno in patria si ha più memoria 
del sito nel quale avesse stanza l’ufficio della Maona, composto prima 
di sei membri detti governatori, indi per legge del 1476 di nove. Cer- 
tamente che dovette risiedere in una delle due strade oggidi ancora da 
quest’albergo denominate, ed appunto in caduna di esse tuttora esiste 
un palazzo di costruzione antichissima, dei quali quello nella strada su- 
periore detto il Festone de’ Giustiniani, già tutto a zone bianche e nere, 
e che sebbene ora sia stato rimodernato per ridurlo a piccoli apparta- 
menti, tuttavia conserva sulla facciata in basso rilievo una Vergine seduta 
fra due santi, avente il bambino Gesù sulle ginocchia, e sotto la data 
dell’anno in cui fu scolpito , cioè MCC. L'altro poi posto sull’angolo della 
piazzetta esistente nella via inferiore, ed appartenente tuttora ad nno 
dei membri di quest’albergo, troviamo che sin dal 1380 era di proprietà 
di un Antonio Giustiniani, credo Longo. Su di esso vedesi ancora scolpito 
su marmo il leone alato di San Marco con iscrizione che lo dice tolto 
a Trieste in detto anno, e sulla porta ha lo stemma del castello col 
capo dell'aquila dell'impero, segno che esso vi fu collocato dopo il 
secolo XIV. Ora vedendo citato nelle Pandette Richeriane un contratto 


(') « I genealogisti antichi italiani, e fra essi il Zazzera, Della nobiltà d’Italia. Napoli 1615, ed 
» il Tommasini, Selva genealogica. Venezia 1699, trattando dei Giustiniani di Genova, ne fanno una 
» sola famiglia che credono d’origine comune con quella di Venezia, anzi il secondo li fa discen- 
» dere da un Marco stabilitosi in Genova nel 722 al servizio di Liutprando, re dei Longobardi; ma 


» crediamo affatto inutile confutare tali favole, quando, come vediamo dai documenti ; il contrario 
» ci risulta. » 


340 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


delli 7 marzo 1479 actum in platea albergi de Iustinianis, col quale 
i governatori della Maona nominano due notai biennali per servizio della 
medesima, e non trovando in Genova alcun altro sito denominato così 
fuorchè quello nel quale s’innalza questo palazzo, abbiamo tutta ragione 
di credere che in esso avesse tale ufficio la sua residenza. 

Venendo ora allo stemma giustiniano, esso fu da principio un castello 
di argento a tre torri merlate in campo rosso, probabilmente per quello 
di Scio, ma per concessione di Sigismondo imperatore delli 17 maggio 
1413 a favore di Francesco Giustiniani Campi venne ad esso aggiunto il 
capo dell'impero, cioè un'aquila nera coronata in campo d’oro. 

Fu invece chi scrisse che col castello vi si volle rappresentare lo 
stemma di Genova, da molti tale anticamente creduto, ma errarono, 
chè questa città alludendo al suo nome, detto nei tempi di mezzo per 
corruzione Zanza, sin dal dodicesimo secolo aveva adottato, soprattutto 
sulle monete, una porta di città, come distintamente vedesi , per 
esserne il campo più largo, in una bolla di piombo di quell’epoca, che 
ha nel rovescio la protoma di $S. Siro, suo arcivescovo e protettore (*). 

Ritornando ai maonesi, affine di poter rimaner tranquilli per parte 
dei Greci, mandarono essi nel 1363 (1) tre dei loro soci, cioè Dome- 
nico Giovanni Olivieri, Raffaele Forneto e Pietro Reccanello a Costan- 
tinopoli all'imperatore Giovanni Paleologo colla preghiera, certamente 
accompagnata dai soliti doni, di confermare alla compagnia il libero 
possesso di Scio, ciò che ottennero con diploma munito della bolla d’oro, 
ma mediante un’annua retribuzione di cinquecento iperperi (**). Questi 
stessi patti troviamo poi confermati a Tommaso Giustiniani Longo nel 
1367 (2), ed il suddetto tributo ancora pagato nel 1412. 

Abbiamo veduto che il comune di Genova nel 1347 si era riservato 


(*) « Con quest’occasione credo di fare cosa grata agli amatori della spragistica patria dando 
» la notizia d’un sigillo annesso ad una lettera scritta nel 1257 da Guglielmo Boccanegra, capitano 

del popolo di Genova, al capitano di Ventimiglia. Ecco come è descritto nell’atto notarile col 

juale essa veniva rimessa, e che per estratto è inserto nel fogliazzo II, foglio 38 delle Pandette 

Richeriane: Sigillum în quo erat sculptus agnus ferens verillum cum cruce super asta vexilli. Cir- 

cumscriptio sigilli talis erat. Plebs Tani magnos reprimens est agnus in agnos. Allusione manifesta 

dell'opposizione dei popolani ai maggiori cittadini. » 

(i) Speroni — Real grandezza della repubblica di Genova. 1669, pag. 206. 

‘) «Il Foglietta a pag. 159 della sua Storia di Genova dice che il Paleologo concesse coll’atto 

suddetto facoltà ai maonesi di coniare monete d’oro; ma ciò rei due diplomi che cito non esisie, 

onde tale sua asserzione si vede affatto erronea. » 

2) Speroni, pag. 206. 


DI DOMENICO PROMIS. 341 
il diritto di riscattare nel termine di venti anni i Zoghi di Scio mediante 
lo sborso di 203,000 lire, e questi dovevano scadere nel 1366, ma 
nell’aggiustamento del 1362 detti fatali eransi protratti fino alli 26 feb- 
braio 1374, convenendosi che in caso d'acquisto Genova dovesse per 
essì pagare solamente L. 152,250 (1). Prima però che tal giorno giun- 
gesse, trovandosi il comune colle casse vuote per causa della guerra 
di Cipro, e non volendo, col lasciare scader l'epoca fissata pel riscatto, 
perdere i suoi diritti, fattasi imprestare da vari dei maonesi stessi la 
somma necessaria, acquistò li 21 novembre 1373 (2) dagli attuali 
possessori tutti i sopraddetti luoghi o caratti, che calcolati in numero 
di 2030, e non più a L. 100 caduno, come era stato in principio con- 
venuto, ma. a sole L, 75, formarono appunto la suddetta somma. 
Segnato l’atto di compra , il doge Domenico Campofregoso, col 
consenso del suo consiglio, subito tutti li rivendè agli stessi maonesi dai 
quali aveva ricevuto i denari per acquistarli e per la somma stessa 
sborsata (*), però obbligandoli a pagare annualmente all’erario duemila 
fiorini d’oro, e ad anticiparne quattordici mila a conto dei sette primi 
anni. Fu pure nello stesso atto stabilito che riguardo all’amministrazione 
di questi possedimenti continuasse ad essere in vigore la prima con- 
venzione; in quanto poi alla moneta poco si variò, statuendosi soltanto 
quod moneta quae cudetur seu stampetur in insula Scyi, stampiatur ct 
formetur cum literis et figuris monetae Ianuac, vel cum signis domini 
ducis Ianuae, cuius fubricacionis monetae et sechae utilitas et fructus 
doveva restare alla Maona. Infine il comune si riservò il diritto di ri- 
scattare per la stessa somma tutti i sopraddetti luoghi nei due anni 
che sarebbero scorsi tra il 21 novembre 1391 e lo stesso giorno del 1393, 
cioè fra vent'anni, durante i quali qualunque provento, sia di Scio che 
delie due Focee ed isole adiacenti, doveva restare in tutto utile ai 
maonesi. 


Passati ancora non erano sette anni che Genova , per poter sopperire 


> 


(1) Liber iurium. Tomus II, col. 783. 

(2) Idem, col. 782. 

(*) « Nel citato atto dei 1373 i suddetti trentotto luoghi furono calcolati L. 4,006. 11.9 caduno; 
» ma quantunque questa somma a primo aspetto compaia piccola, irovandosi che li 15 gennaio 1375 
» (Pandette Richeriane) la metà d’uno di essi fu venduto in Genova L. 3,000, tuttavia se si Lien 
» conto delle somme che i nuovi acquisitori si avevano addossato obbligo di pagare al comune, si 
» vede che il contratto fu piuttosto equo. » 


242 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


alle enormi spese della guerra che sosteneva contro Venezia, cedéè li 
16 marzo 1380 (1) per L. 100,000 al banco di S. Giorgio, con altre 
rendite, i suoi diritti sopra quanto annualmente doveano pagarle i 
Giustiniani, e continuando sempre maggiori le sue strettezze , senza 
aspettare l’epoca sopra convenuta pel termine stabilito, li 28 giugno 
1385 (2) rinnovò cogli stessi l'appalto di Scio, però coll’ obbligo di 
pagare in due rate L. 25,000 e di aumentare l’annuo tributo di 
L. 2,500, e ciò mediante venne esso prolungato sino al 21 novembre 
1416 coi due susseguenti anni pel riscatto. Questo termine fu poi li 
11 marzo 1413 (3) di nuovo protratto, mediante l’offerta di L. 18,000 
e la solita annua retribuzione, sino alli 21 novembre 1476. In quest'anno 
si riconfermò l'appalto sino alli 16 novembre 1507, e per un biennio 
ancora , e finalmente anche per compensare la Maona delle grandi 
| spese cui aveva dovuto sottostare per la difesa dell’isola in forza delle 
antecedenti convenzioni, se gliene lasciò il possesso sino allo stesso 
giorno del 1542. 

Dopo però che Genova , riacquistando la libertà, ebbe nel 1528 
riformato il suo governo, e che aprendosi il libro d’oro della nobiltà 
la maggior parte dei maonesi vi venne inscritta (*), dal governo si 
rinunziò a qualunque diritto potesse avere sopra quanto ancora la Maona 
possedeva in Levante mediante l’annuo censo di L. 25,000, e così le 
rimase la total signoria di Scio sino a che ne venne spogliata dai Turchi. 

E questo quanto ai rapporti della società colla madre patria rela- 
tivamente al possesso dell’isola e sue dipendenze; ora ci rimane a dire 
alcuna cosa delle sue condizioni esterne. 

Come mezzo per poter con tranquillità e sicurezza attendere al 


(1) Archivio di S. Giorgio in Genova. Liber magnus contractuum. 

(2) Liber iurium. Tomus II, col. 1016. 

(3) Codice Giustiniano. Libro I. M. S. nell’Archivio generale del regno. 

(*) « Prima di tal epoca i membri di quest’albergo non erano ascritti alla nobiltà , e se Fran- 
» cesco Giustiniani Campi fu conte palatino, ebbe tal titolo personale nel 1413 dall’imperatore 
» Sigismondo; e siccome possedevano essi sulla seconda metà del secolo XV case nella contrada 
» della Chiavica, nella quale stava una loro loggia ed aveva stanza il loro albergo in quella di 
» Malcantone e della Croce di Caneto, come risulta dalle Pandette Richeriane, libro fasciato 
» di cartina, così fra le famiglie popolane dovettero, esser stati ascritti alle compagne P/ateae 
longae e Machagnanae, che comprendevano tali Corestagie ossia contrade popolari, secondo 
l’estratto di un registro del 1471, riporlato dal preclaro cav. Luigi Belgrano a pagina 252 dei 
» Documenti inediti riguardanti le due crociate di San Ludovico IX re di Francia. Genova, in corso 


è 


» di stampa. » 


DI DOMENICO PROMIS. ° 243 


commercio, ogni sforzo sempre fece questa compagnia per mantenersi 
in ottime relazioni coi suoi vicini, anche con gravi sacrifizi procurando 
di conservare l’amicizia dei Greci e massimamente dei principi mun- 
sulmani dell'Asia minore, contuttociò trovossi alcune volte in grave 
pericolo la sua esistenza non solamente per parte di questi barbari 
che speravano di fare in Scio un grasso bottino, ma anche per parte 
dei Veneziani acerrimi rivali del commercio della sua nazione. 

Ed appunto già prima che avesse fine il secolo decimoquarto questi 
avevano occupata Focea vecchia ed i Turchi l’isola di Samo, ma presto 
riavutele , dovettero i maonesi per le due Focee prestare nel 1403 omaggio 
al sovrano dei Mongoli, e dopo la caduta di questo pagare un tributo 
al sultano dei Turchi, ed un’annualità di 500 ducati al Selgiuchida 
Sarruk-kan, pesi che però presto cessarono per interposizione di Pietro 
Zeno signore di Andros. 

Appena erasi ciò aggiustato, che, vedendo essi come Genova era 
caduta sotto il giogo di Francia, pensarono ad intieramente staccarsene, 
e gridata la libertà ne cacciarono il podestà altro loro proprio sosti- 
tuendovi; per poter poi provvedere alla difesa dell’isola, pel caso che 
il governatore francese intendesse di mandarvi una flotta, si fecero im- 
prestare dai commercianti in essa residenti 15,000 ducati, e nel giorno 
21 dicembre 1408 ne proclamarono l’indipendenza. Ma giuntovi sulla metà 
dell’anno susseguente l’ammiraglio genovese Corrado Doria con un nu- 
meroso stuolo di galee, e senza spargimento di sangue avendo occupato 
il castello, li indusse a rientrare nell’obbedienza, e questo fu il solo 
tentativo di rivolta per parte dei maonesi. 

Due anni dopo, cioè nel 1411 (1), quando meno sospettavasi, sette 
navi di Catalani, nemici acerrimi dei Genovesi, sbarcarono le loro ciurme 
presso la città, e dopo averla battuta colle bombarde si ritirarono, sac- 
cheggiatine però prima i dintorni. I maonesi, armate in fretta cinque 
navi dei loro connazionali che trovavansi nel porto, alle quali poi si 
aggiunse una galea mandata da Dorino Gattilusio signor di Metelino, 
e messivi sopra 800 soldati, li raggiunsero nel porto d'Alessandria, e 
dopo varii giorni di combattimento ripresero il fatto bottino, col quale 
ritornarono nella loro isola. 


(1) Iohannis Stellae Annales Ianuenses. Muratori, Rerum Italicarum scriptores. Tomus XVII, 
col. 1238. 


344 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


Avendo nel 1413 inteso che sul trono ottomano era asceso Maometto Î 
e che era venuto a Smirne, subito mandarono ambasciatori a compli- 
mentarlo (1); ma nel mentre che cercavano i mezzi per guarentirsi 
dalla parte d’Oriente, venivano gravemente minacciati da Ponente, chè 
i Veneziani conoscendo come, stante la situazione interna di Genova, 
le sarebbe stato sommamente difficile di dare alcun valevole aiuto a 
Scio, nell’ottobre del 1431 (2) mandarono nell’Arcipelago sotto il co- 
mando di Andrea Mocenigo una flotta di 36 e più vele, la quale sbarcò 
nell'isola una numerosa soldatesca, che subito diede l'assalto alla città; 
ma valorosamente difendendosi i cittadini, grazie specialmente alla grande 
energia del podestà Raffaele Montaldo, dopo un forte cannoneggiare e 
vari assalti, lasciativi morti col capitano Scaramucia molti dei loro, 
dovettero scornati ritirarsi e non pensar più a tale impresa. 

I maonesi con questo poco o nulla ebbero a soffrire nel loro com- 
mercio, che anzi, grazie alla somma loro attività ed onestà, andossi 
talmente sviluppando, che i loro porti divennero i più importanti di 
quelle parti ed erano frequentati non solo dalle navi delle nazioni che 
toccano al Mediterraneo, ma persino dalle inglesi, che venivano a mer- 
canteggiarvi ed esportarne allume e mastice, e specialmente di questo 
caricavansi ogni anno da 430 quintali, che vendendosi 45 lire caduno 
faceva sì che a ciascuna duodena, ossia per ogni tre caratti grossi toc- 
cavano incirca 1500 lire (3), cosicchè compreso l'appalto dell’allume che 
veniva dalle Focee e le imposte che sopra vari oggetti percepiva la Maona, 
si calcolavano a centomila ducati d’oro «ascendere le sue entrate, somma 
in quei tempi assai considerevole. 

Questa condizione economica della società durava ancora prospera- 
mente verso la metà del secolo decimoquinto, quando contro le sue 
possessioni ebbero principio le minaccie e poi gli attacchi per parte 
dei Turchi. 

Sin dal 1435, essendosi il sultano Amurat IT impadronito delle due 
Focee, i maonesi, per timore di uno sbarco sopra Scio, col mezzo di 
ambasciatori gli avevano offerto un’annua retribuzione di quattro mila 
fiorini d’oro, e ciò mediante ottennero la loro restituzione e molti 


(4) Michaelis Ducae historia byzanlina. Bonnae 1834, pag. 106. 
(2) Giusliniani Andreolo - Poemelto inedito sopra l’assedio di Scio postovi dai Veneziani nel 1431. 
3) Hopf — Articolo Giustiniani, pag. 333. 


DI DOMENICO PROMIS. 345 


vantaggi pel loro commercio. Essendogli alcuni anni dopo succeduto 
Maometto Il, questi, dopo la presa di Costantinopoli nel 1453 e per la 
cui difesa tanto aveva operato il maonese Giovanni Giustiniani Longo, 
pensò di ridurre sotto la sua soggezione le varie signorie che i Latini 
ancora possedevano in Levante; e siccome tra esse Scio godeva la fama 
di esser un ricco emporio, così fu una delle prime di cui decise d’im- 
padronirsi, e colto il pretesto che i maonesi fossero debitori verso un 
Francesco Draperio, nobile e ricco mercante genovese di Pera, che 
pretendeva da loro quaranta mila aspri per allume di rocca, il quale 
debito essi gli negavano, contro l'isola mandò nel 1455 una flotta (1); 
ma siccome sin dal 1440 le fortificazioni della città erano state d’assai 
aumentate e nel porto trovavansi venti navi genovesi, arditamente essi 
risposero all’ammiraglio turco che nulla dovendogli, facesse pure quello 
che credeva. Visto egli che per essere la città troppo ben difesa eragli 
impossibile di prenderla, rovinate le campagne, se ne allontanò; ma 
ritornatovi amichevolmente ad istanza dello stesso Draperio, che tro- 
vavasi sopra una delle sue navi, s intese che due dei Giustiniani 
sarebbero andati ad Andrinopoli dal sultano per trattare; ma frattanio 
le ciurme avendo insultato i cristiani, si venne colle medesime alle mani, 
e nel ritirarsi esse sulle navi una se ne affondò. La flotta già maltrattata 
dal cattivo tempo si ritirò a Gallipoli, d’onde, d’ordine di Maometto, 
irritatissimo pell’accaduto, nuovamente partì sotto il comando d'altro 
bascià, il quale, prima occupate le Focee colla prigionia dei mercanti 
genovesi che vi si trovavano (2), si recò avanti Scio, ma i maonesi , 
affine di evitare una guerra della quale temevano le conseguenze, ven- 
nero a trattative e convennero di pagare 30,000 ducati per la nave 
perduta e 10,000 di tributo, e mediante questo confidavano di non 
essere più molestati da quei terribili vicini; ma d’assai s'ingannarono, 
chè quel governo nessuna occasione tralasciava per vessarli sempre colla 
speranza di estorquire loro nuovi denari, e questa si offerse quando 
nel 1486 (3) dopo aver Francesco de’ Medici con una galeotta recato 
molti danni al commercio turco, si ritirò per alcuni mesi nel porto di 
Scio; per il che fingendo i danneggiati di credere che i Giustiniani 


(4) Michaelis Ducae historia byzantina, p. 322. 

(2) Michaelis Ducae historia byzantina, pag. 333. 

(3) Bosio — Storia dell’ordine gerosolimitano, Tomo H. Napoli 1630, pag. 495. 
Serie II. Tom. XXIII. 


TS 
a 


346 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


sopra di essa avessero interessi, si indirizzarono al sultano perchè da 
essi facesse loro restituire il tolto. Baiazette, uditili, condannò i maonesi 
a questo ed inoltre ad una multa tale, che il pagarla sarebbe stato la 
loro rovina. Mandarono essi subito Lanfranco Pateri al gran maestro 
di Rodi Pietro d’Aubusson, pregandolo che interponesse in loro favore 
i suoi buoni uffici presso la Porta; ed esso in modo operò che ottenne 
venissero in tutto assolti, pel qual servizio gli inviarono in dono un 
magnifico bacile d’argento accompagnato da lettera di ringraziamento 
dell’ufficio della Maona in Genova. 

La condizione economica della società per tali fatti facevasi ogni 
giorno più critica, chè quantunque le sue entrate fossero tuttora pro- 
spere, tuttavia per poter pagare i tributi alla Porta, e pei forzati arma- 
menti che doveva fare affine di tenersi pronta a qualunque estero attacco, 
fu costretta a contrarre imprestiti, e mediante questi e nuove imposte 
sull’isola potè continuare a soddisfar ancora per molti anni agli obblighi 
cui erasi vincolata, e conservarne il possesso quantunque quasi abban- 
donata dalla madre patria, la quale mandando nel 1558 Giovanni Franchi 
quondam Francesco Tortorino, ambasciatore a Costantinopoli, gli diede 
per istruzione che qualora sapesse che i maonesi ve ne inviassero uno 
proprio, dovesse dissimulare la sovranità di Genova sopra Scio per ron 
dare alcuna causa di scandalo nè di ammirazione, ed a Nicolò Grillo, 
che vi doveva risiedere come bailo, a noi pare che non dobbiate pigliar 
alcuna cura di giurisditione nè di protettione de’ Sciotti nè de’ Peroti (1); 
e quantunque sin dal 1564 conoscesse i grandi preparativi che la Porta 
faceva contro quest'isola, per nulla si mosse, e lasciò che tanto essa 
come le altre sue colonie, abbandonate a se stesse, nelle mani dei 
Turchi miseramente quasi senza difesa cadessero. 

Correva l’anno 1566, e siccome, trovandosi i maonesi in grandi 
angustie, da due anni avevano ritardato al sultano il pagamento del 
solito tributo, che già era salito alla cospicua somma di 14,000 ducati 
d'oro annui, oltre i donativi di panno scarlatto ed altro agli ufficiali del 
serraglio, e per soprappiù il gran visir Maometto, uomo molto feroce, 
avendo fatto credere a Solimano (2) che l’acquisto di Scio sarebbe stato 


(4) Descrizione del viaggio dell’ambasciatore genovese a Solimano nel 1558, scritta per Marcan- 
tonio Morinello. M. S. dell’archivio generale del regno in Torino. 
2) Bosio — Storia dell’ordine gerosolimitano. Parte INT. Napoli 1864, pag. 755. 


DI DOMENICO PROMIS. 347 


di grande utile allo stato pel prodotto del mastice e pel comodo suo 
porto , esso ordinò al capitan bascià Pialì che ad ogni costo se ne 
impadronisse. 

Con 120 galee questi partì da Costantinopoli , e li 15 aprile 1566 
fece capo ad un punto dell’isola detto Passaggio, dove divisa la flotta 
in tre squadre, come amico entrò ne’ suoi tre porti, e come tale ri- 
cevuto chiamò a sè il capo della Maona Vincenzo Giustiniani ed i 
dodici governatori , e subito fattili mettere in catene, trionfalmente 
entrò nella città che lasciò saccheggiare dai suoi soldati, e fatta inalberare 
sul castello in luogo della bandiera della croce rossa quella della mezza- 
luna, sopra cinque navi mandò a Costantinopoli i principali dei Giusti- 
niani colle loro donne e fanciulli. 

Dei ragazzi ventuno furono tolti ai parenti, affinchè , abbracciato 
l’islamismo, fossero allevati nel serraglio; ma diciotto amarono meglio 
morire nei tormenti che abbandonare la propria religione, e gli altri 
tre, abbenchè circoncisi, appena il poterono fuggirono a Genova ritor- 
nando al cristianesimo. Intanto i poveri maonesi stettero qualche tempo 
nelle carceri di quella città, indi furono rilegati a Caffa nella Crimea, 
donde, dopo alcuni anni, ad intercessione di Francia, ottennero i 
superstiti dal sultano Selim di ritornare a Scio o di andare a Genova, 
dove la maggior parte infatti si recò, ed i loro discendenti sempre, 
abbenchè imutilmente, reclamarono sino al 1805 dalla repubblica il rim- 
borso delle somme da essi versate nella banca di S. Giorgio a titolo 
di guarentigia: verso il governo, e che ammontavano a seicento luoghi 
col loro interessi. 

Di quelli che ritornarono a Scio vivono ancora vari discendenti, 
dei. quali molti, dopochè Genova nel 1814 venne annessa al Piemonte, 
ottennero la cittadinanza sarda, e di essi è Ignazio Giustiniani, tuttora 
vescovo del rito latino nell’isola. 

Questi poveri cristiani, abbenchè sotto il giogo dei Turchi, poterono 
ancora godere di una discreta libertà sino al 1694, quando, mediante 
il loro appoggio , venne l’isola occupata dai Veneziani (1); ma per la 
loro poca perizia nelie guerre di terra e per le cattive condizioni della 
flotta, presto essendo stati costretti a ritirarsi abbandonando per la 
fretta sino le munizioni militari, lasciarono che senza colpo ferire gli 


(4) Dell’acquisio e del ritiro dei Veneti dall’isola di Scio nell’anno 1694 (Trento 1710). 


348 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


Ottomani vi rientrassero (*). Allora per vendicarsi questi imposero ai 
Giustiniani enormi tributi, ridussero le chiese che ancora esistevano in 
moschee , e proibirono il loro pubblico culto ai cattolici. 

Così Scio, dopo essere stata per due secoli sì fiorente sotto il dominio 
di questa società di Genovesi, da contare sino a centoventi mila abitanti, 
e nei suoi porti sempre un gran numero di navi di tutte le nazioni del 
Mediterraneo, perduto il suo commercio e rovinati i magnifici edifizi 
e templi che i Giustiniani vi avevano innalzati, poco per volta venne 
ridotta a quel misero stato nel quale trovansi le varie isole dell’Arci- 
pelago soggette all'impero ottomano. 


MONETE DE’ ZACCARIA 


BENEDETTO I. 


Come già abbiamo veduto, questo ricco e prode genovese per conto 
proprio nell’anno 1301 s'impadronì dell’isola di Scio, e conservandovi 
apparenti segni di dipendenza dall'impero greco vi esercitò i diritti di 
sovranità, e siccome tra questi non ultimo certamente è quello di avere 
propria zecca, vi è tutta probabilità che ne abbia usato, quantunque 
sinora nessuna moneta che gli si possa attribuire si conosca, come 
nemmeno se ne trova menzione in alcun documento, poichè coll’atto 
rogato in Genova nel 1311 (1), pel quale il suo figliuolo Paleologo si 
obbliga verso Enrico Suppa ed Andriolo de Cucurno per la somma di 
perperi 5,504. 7 auri bonos ad sagium Sij, non volle già significare 
perperi battuti in Scio ma secondo il peso nell’isola usato , dovendo 
tale specie di moneta pesare un saggio. 

Siccome poi avremo in seguito soventi volte a far menzione di 
questo saggio, crediamo utile indicarne l'origine. Sin dai tempi dell’ im- 
peratore Costantino I si prescrisse un campione secondo il quale si 
avessero a lavorare i soldi d’oro e chiamossi exagium solidi, cioè saggio 


(*) « Essendosi questa impresa dei Veneziani fatta l’anno primo del dogato di Silvestro Valier, 
» coll’osella secondo l’uso allora coniata se ne volle conservare la memoria, meschina gloria di 
» governo cadente, » 

(1) Pandette Richeriane fogliazzo A, foglio 10. 


DI GIUSEPPE PROMIS 349 


del peso del soldo; conservossene l’uso nei tempi di mezzo nell'impero 
greco, dividendolo in 24 caratti, e di essi 72 a Costantinopoli abbiso- 
gnavano per una libbra; e tale denominazione di caratti s’introdusse 
nella decadenza in Italia per distinguere i vari gradi di bontà ai quali 
si riconosceva l'oro nell’operazione chimica cui a tal effetto si sottopone, 
come per indicare le somme che da diverse persone si raccolgono, affine 
di costituire un capitale di una società mercantile od industriale, della 
quale secondo la somma esposta raccolgono i frutti. 

Ritornando a Benedetto, il non aversi alcuna sua moneta ed il non 
trovarsene cenno in alcun luogo, non proverebbe già che non debba 
esisterne, essendochè anche dei suoi nipoti, dei quali ne abbiamo alcune 
preziose, or sono pochi anni nessuna era nota; perciò non crederemmo 
impossibile che un giorno in qualche isola dell'Arcipelago, o nelle pro- 
vincie che lo toccano, qualcheduna se ne scopra, e forse anche col 
tipo del matapane o del tornese piccolo, perchè monete in quelle parti 
state da vari ed in gran copia battute. 

Dovremmo ora cercare se miglior fortuna si avesse per quelle del 
suo figliuolo Paleologo; ma prima, stantechè abbiamo a parlare di mo- 
nete battute in Oriente, crediamo necessario di dare alcuni cenni sopra 
quelle che nell’impero bizantino circolavano, e che in parte vedremo 
essere state dai nostri genovesi imitate. 

Esse dividevansi in due classi, cioè le battute nelle officine imperiali 
ed aventi un corso legale, e quelle o coniate nei possessi che vi tene- 
vano i Latini, o che provenienti dall’Italia per la loro eccellenza erano 
su quei mercati molto apprezzate. 

In questi tempi, cioè intorno al 1300, dalle officine greche si 
emettevano se in oro perperi e mezzi, se in argento milliaresi e caratti 
ed in rame stanmini o folleri. 

I perperi, nelle terre di Ponente, perchè coniati in Bisanzio chiamati 
bisanti, rappresentavano il soldo d’oro romano, e quantunque sovente di 
bontà inferiore agli antichi, tuttavia sempre settantadue ne abbisognavano 
per una libbra, pesando essi un saggio, dei quali per essa 72 ne vo- 
levasi, e dividevansi nominalmente in 24 caratti (1). Essi comunemente 
trovansi al titolo di caratti 23, ma se ne hanno del sultano d’Iconium 


(1) Della decima Fiorentina. Tomo III. Della mercatura di Balducci Pegolotti, trattato scritto 
sul 1330, pag. 23. 


350 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


eccellenti, che si distinguevano col nome di disanti saracinati (*). Questa 
moneta continuavasi dai Greci a battere ancora a tal bontà nel secolo XIV, 
come consta dall’atto sopracitato del 1311, nel quale leggesi perperos 
5,504 7 auri bonos ad sagium Sij, quorum quilibet debet esse carat- 
torum 23 auri pagabili in Foggia oppure in Genova, calcolato cadun 
perpero compreso il cambio soldi rr di questa moneta ; più da altro 
dello stesso anno (1) avente perperos auri bonos et iusti ponderis ad 
sagium Peyrae, ed altro ancora del 1310 (2) col quale un tal Negro per 
L. 200 ricevute in Genova promette di pagare nello spazio di tre mesi, 
giungendo in Romania (**), ad Antonino di Quinto perperos 400 auri 
boni et iusti ponderis ad sagium Constantinopolis. Essi in questa carta 
furono contati per soldi ro genovesi, ma forse tale basso valore fu dato 
per causa del cambio, vedendo che furono valutati sempre di più, per 
esempio nel 1311 soldi 12 e 15, nel 1343 soldi 18, nel 1346 soldi 15, 
e soldi 14 nel 1352 (3). 

De’ soldi d’oro fu anche in grande abbondanza battuta la metà, 
e questi pezzi per contenere sopra un saggio suo peso legale sola- 
mente 11 caratti d’oro e 6 d’argento oltre 7 di rame (4) parevano affatto 
di argento, onde dai negozianti di Ponente, per distinguerli dai soldi 
d’oro aventi lo stesso impronto, si chiamarono disanti bianchi, ma nel 
commercio d'Oriente semplicemente perperiî vedonsi in generale detti. 
Essi furono contraffatti nel secolo XII dai re Lusignani di Cipro Ugo I, 
Enrico II ed Ugo III. 

Tali bisanti correvano per soldi ro quando il genovino d’oro valeva 
una lira, ed a Venezia (5) si contavano sempre per mezzo ducato d’oro. 

Vengono in seguito i mi/Ziaresi, dei quali 12 ne volevasi per un 
perpero ossia bisante bianco, e dividevansi in due caratti, composto 
ciascheduno di 18 folleri. Dai Latini furono nel 1200 chiamati grossi, 


(*) « Questi pezzi in carta di Genova del 1268 (ogliazzo I, fogl. 171 e 173) sono valutati 
» lire una genovese, cioè più del fiorino d’oro, che nel 1268 (idem foglio 176) correva per 
» soldi 14. 2 e 14. 4, corso però ben presto aumentato, chè nel 1329 (idem foglio 3) era salito a 
» soldi 25, al qual valore rimase sinchè sì cessò dal batterne quando si emisero i ducati larghi 
» migliorati, ed il fiorino di soldi 25 conservossi nominalmente sino al secolo XVI. » 

(1) Pandette Richeriane, fogliazzo A, foglio 10. 

(2) Idem, fogliazzo I, foglio 162. 

(**) « Col nome di Romania nei bassi tempi dagl’Italiani intendevasi l’impero greco. » 

(3) Idem, fogliazzo A, fog. 10. 

(4) Della decima fiorentina. T. III, pag. 23. 

(5) Marin — Storia civile e politica del commercio dei Veneziani. T. JII, pag. 63. 


DI DOMENICO PROMIS. 35: 


perchè tale era la denominazione che usavano dare alla loro maggiore mo- 
neta d’argento che a questa approssimavasi. Pesatine vari, cominciando 
| da quelli di Basilio I nell’ 870 sino ad Andronico II nel 1300, li trovammo 
variare tra i grammi 2.600 e grammi 2.080 per gli ultimi, onde in co- 
mune riconobbimo che 12 appunto dovevano equivalere ad un perpero. 
Metà dei milliaresi sono i carattî, monetine d’argento, il cui nome 
proviene dal greco Kepez:oy, equivalente alla parola latina siligua, voce 
che egualmente indicava un peso ed una moneta, ma che era sempre 
la ventiquattresima parte del soldo, e constavano di 4 tornesi piccoli (*). 
Abbiamo indi gli aspri o bianchi, che sono pure monete d’argento, 
ma essi non appartengono alla classe di quelle battute nella zecca di 
Costantinopoli, essendo stati coniati in Trebisonda da quegli imperatori, 
secondo il Pfaffenhoffen (1) dal 1235 alla metà del secolo XV, e con- 
stavano di 8 caratti, epperciò equivalevano ad un terzo di perpero bianco. 
Nei primi secoli dell'impero bizantino la moneta di rame chiamavasi 
follere dal nome del sacco di pelle nel quale usavasi portare, e se ne 
batteva a valori diversi; ma ai tempi dei quali trattiamo due soli si 
coniarono, cioè intieri e mezzi che furono detti dagli Italiani stanmini (2), 
e 32 se ne voleva per un milliarese, epperciò 334 facevano un perpero. 
Siccome essi non servivano che pel minuto commercio dell’interno del- 
l'impero, non trovansi mai nominati nei documenti che conosciamo, 
nei quali trattasi di monete. 
Ecco quale era adunque il rapporto fra tali specie di monete a 
quest'epoca : 
Il soldo d'oro 0 perpero buono dividevasi in 24 milliaresi. 
Il mezzo perpero o bisante bianco 


o semplicemente perpero. . . » 192 milliaresi. 
Il milliarese o grosso grande . . » 2 caratti. 
Il caratto o siliqua o grosso piccolo » 4 piccoli tornesi. 
Il piccolo o tornese piccolo . . . » 4 folleri ‘o stanmini. 


(*) « A questo proposito dobbiamo notare un errore occorso nella stampa o copia del Pegolotti, 
» ed è che dopo aver detto come si spende a Costantinopoli una moneta d’argento da 12 per un 
» perpero, soggiunge che mettesi detto grosso per quattro tornest piccoli, indi più basso parlando 
» del Veneto nota che per esso voglionsi otto di detli piccoli. come /o grosso grande del perpero 
» detto di sopra, ma ciò sopra non trovandosi sì vede che ivi cominciando a parlare dei grossi 
» da 8 piccoli saltossi agli altri da 4 cioè ai caratti. » 

(1) Essai sur les aspres comnenats, ou blanc d’argent de Trébisonde. Paris 1847. 

(2) Della decima fiorentina ut supra. 


352 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


E siccome parlando di esse sempre avremo a calcolarle mettendo per 
base il mezzo perpero o bisante bianco, così notiamo che bisante : = 12 
milliaresi = 24 caratti = 96 tornesi piccoli = 384 folleri o stanmini. 
Passando alle altre che più si apprezzavano sui mercati dell'impero, 
e che o erano emesse dalle zecche dei crociati, o provenivano quasi 
esclusivamente dall’ Italia, esse erano i fiorinî d’oro, i grossi veneti, 
i tornesi piccoli e indi i gigliati. La più importante era il fiorino d’oro, 
fosse esso al conio di Firenze, di Genova o di Venezia, che appena 
comparve in Levante subito venne grandemente ricercato , e specialmente 
il veneto, conosciuto in causa della sua leggenda col nome di ducato, e 
che ancora pochi anni fa era in Oriente molto apprezzato. Esso, come 
abbiam veduto, nei primi anni del 1300 equivaleva a due bisanti bianchi. 
Tra le monete d’argento le prime che comparvero in Grecia nei 
tempi di mezzo furono i grossi di Venezia detti matapani, dei quali il 
Pegolotti scrisse che 12/3» a 13, sempre inteso secondo il cambio, ne 
abbisognavano per un perpero, e che dividevansi in otto tornesi piccoli. 
Secondo Martino da Canal (1) vissuto sulla metà del XII secolo, 
furono tali grossi fatti coniare dal doge Enrico Dandolo per la paga dei 
carpentieri che lavoravano a preparare la flotta, la quale nel 1203 portò 
i crociati in Grecia, stantechè l’altra moneta era troppo minuta, ma 
invece ben altre superiori ragioni devono aver indotto ad introdurre 
tale novità nella moneta. Tutti conoscono che quel governo, nel mentre 
che apparentemente si disponeva a concorrere per riconquistare i luoghi 
santi sui Saraceni, aveva intenzione di servirsi dell’opera dei cavalieri 
franchi per occupare l'impero greco col quale aveva ruggine, ed a tal 
impresa preparandosi , pensò di far battere una moneta che alla im- 
periale d’argento nel tipo e legge s’avvicinasse, la quale così vi sarebbe 
stata più facilmente ricevuta nelle minute contrattazioni con quella facil- 
mente confondendosi, e non saremmo lontani dal credere quanto da taluni 
fu scritto, che, giunta la flotta veneta al capo Matapane in Morea e fer- 
matavisi, il doge aspettasse ivi a distribuire i nuovi grossi, per il che dal 
sito il nome prendessero. 
Quelli che dopo i grossi ebbero miglior fortuna nel commercio 
d’Oriente furono i gigliati. Questa bella moneta d’argento battuta la 
prima volta da Carlo II d’Angiò re di Napoli sul 1300 a oncie rr e 


(1) Cronaca veneta — Archivio storico italiano T. VII, pag. 320 


DI DOMENICO PROMIS. 353 


soldi 3 (1), che corrispondono a denari 6; ossia a grammi 937 di. fine 
ed a pezzi 80 per libbra, onde del peso di, denari 3. 3: pari a grammi 4 
cadun pezzo, fu. contraffatta a Scio, dai. Genovesi ,. come vedremo , a 
Magnesia di Sipilo dal sultano, Selgiuchide Ssaru-Kan (2), ed imitata 
dai cavalieri gerosolomitani in Rodi (*) e dai re di Cipro, i quali; tutti 
la lavorarono poco presso alla stessa legge. 

Anche fra questa classe di monete devono collocarsi altri aspri coniati 
specialmente dai cavalieri gerosolomitani in Rodi per lo stesso valor 
nominale di quelli di Trebisonda, cioè per 8 caratti, pari, a 16 tornesi 
piccoli, e di essi perciò tre facevano un bisante d’argento. 

Dopo questi aspri vengono i fornesi piccoli,, ed ecco come si intro- 
ducessero dalla Francia in Oriente. 

Vari baroni franchi in seguito alla; sopraddetta crociata essendosi 
impadroniti della Morea, le monete loro. nazionali vi portarono , con- 
tentandosi però di battervi solamente: di quella specie. più: necessaria: al 
minuto commercio, e che per essere. di, bassa: lega: procurava: al loro 
erario un maggior guadagno, cioè denari tornesi o tornesi piccoli, dei 
quali 12 facevano un grosso d’argento, fine. Tali pezzi però che nelle 
zecche del re di Francia lavoravansi a denari 3. 10 (3), vennero da essi 
alterati e ridotti a denari 2. ro (4) (**) ossia millesimi 20r. 

Come sinora risulta, si cominciarono a coniare dai principi di Acaia 
sulla metà del secolo XIII, e siccome si trovarono pel loro piccolo vo- 
lume assai commodi in un paese dove altra moneta bassa non esisteva 
che la grossa di rame, presto s’introdussero in tutto l’Arcipelago ed 
a Costantinopoli stessa, ed erano ricevuti in ragione di otto pezzi per 
un grosso matapane (5), onde davasene 96 per un perpero. 


(4) Della decima fiorentina. T. III, p. 184. 

(2) Friedlaender — Lateinischen Munzen der Sarcan oder Ssaru-Kan Seldsuken-Emirs in Lydien. 
Berlin. 

(£) « A_ Rodi si contava a bisanti bianchi, e. per uno di essi ci volevano gigliati 1 1|2, od' aspri 3, 
» o caratti 24, o tornesi piccoli 48. 

» A Cipro però le monete che lavoravansi erano in tutto uguali ai gigliati, ma nomavansi 

» bisanti bianchi o d’argento, od anche grossi grandi, che dividevansi in due grossi piccoli, in 
» 24 caratti ed in 48 tornesi piccoli. » 

(3) Le Blanc — Traité historique des monnoyes de France, pag. 315. 

(4) Della decima fiorentina. T. Ill, pag. 108. 

(*) « Conservammo il sistema duodecimale, perchè quello in uso sino a tutto il secolo XVIII, 
» riducendo però i vari marchi o libbre a. quello di Troyes. adottato nella zecca di Torino e 
corrispondente a grammi 245,896,338. » 
(5) Della decima fiorentina, T. III, pag. 23, 69, 93. 


Serie II. Tom. XXIII. 


“ 


x 
N 


354 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


Monete di rame dei crociati (non intendendo parlare di quelli di 
Soria e dei re d’Armenia) non esistono, chè invece dei folleri batterono 
tornesi piccoli i quali ne presero il luogo, vedendo che se alla Tana 
un aspro valeva 16 folleri (Pegolotti pag. 6), a Rodi esso valeva sei 
tornesi piccoli. 

Avendo specificato il rapporto esistente fra le varie specie di monete 
uscite dalla zecca di Costantinopoli, crediamo utile di notare anche 
quello che con esse avevano le monete ora descritte dei Latini. 

Il fiorino 0 ducato d’oro equivaleva a 2 bisanti bianchi. 


Tate lato MISI RIS: RI IACSN IENA TA TCQnAti. 
Il ‘grosso matapane. %. ©. .a 2 carati. 
I) \tornese piccolo a ddillcaratto? 


Essendosi adunque veduto don fossero le varie specie di monete 
correnti sul finir del XIII e nel XIV secolo sia nell'impero greco che 
negli stati posseduti dai crociati in Oriente, ciò che ci era necessario 
di conoscere per ben classificare quelle di Scio, e nessun indizio avendo 
che abbia emesso propria moneta Paleologo figliuolo di Benedetto Zac- 
caria nei pochi anni che ne ebbe il possesso, passiamo a descrivere 
quelle dei suoi figli, cioè le prime che conosciamo di questa celebre 


fami glia. 


MARTINO £ BENEDETTO II. 


Questi fratelli, come avanti si è detto, successero al padre Paleologo 
circa il 1314 nella signoria di quest'isola, ma risulta che per poco 
tempo dovettero assieme governarla e presto venire tra loro a rottura, 
poichè nella donazione già citata di Filippo di Taranto a favore di 
Martino, si qualifica questi nel 1315 come solo signore di Scio; tuttavia, 
abbenchè forse appena un anno siano stati uniti, una moneta col nome 
di ambidue i fratelli conosciamo, comunicataci dalla cortesia del 
sig. Lambros. 

Questa è di buon argento (T. I, N. 1) ed ha nel diritto una croce pa- 
tente colle braccia un po’ ornate nelle estremità e con quattro perle nei 
loro angoli: attorno leggesi + M. &. B. ZACHARIE, cioè Martinus et 
Benedictus Zacharie; nel campo del rovescio vedesi un castello con tre 
torri merlate, stemma crediamo della città, quando alle volte non fosse 


DI DOMENICO PROMIS. 355 


quello dei Zaccaria ora direi ignoto (*), ehe forse potrebbe anche esserlo 
stato essendo questo ramo detto de Castro da un Zaccaria avo, di Be- 
nedetto I, perchè in Genova teneva casa e portico nel quartiere di 
Castello; comunque però la cosa sia, esso è quello che sempre vediamo 
sulle monete di Scio, e che in seguito fu adottato dai maonesi, i quali 
col nome di Giustiniani lo conservano qual proprio stemma sino al pre- 
sente. La leggenda attorno al campo in questo pezzo è + CIVITAS. SYI, 
scritto secondo i Greci che la chiamavano Xtos, nome che verso il se- 
colo XV venne alterato e latinamente detto Chios. 

L’esemplare che descriviamo è del peso di grani 15.6, pari a 
grammi 0.815 e d’argento buono, onde non può essere nè un grosso, 


nè un aspro, nè un tornese piccolo, ma siccome è improbabile che i 


2 
Zaccaria abbiano nella nuova loro moneta voluto altre imitare che 
quelle meglio conosciute nell'impero greco, chè altrimenti essa non 
avrebbe potuto essere che con difficoltà ricevuta, epperciò dobbiamo 
procurare di conoscere se il nostro pezzo non sia uno spezzato od un 
multiplo di una delle sopraddette. Esso dal tipo che offre e dalla legge 
dalla quale vedesi retto , appartiene senza dubbio alla stessa classe di 
quelle monetine che numerose abbiamo dei maonesi, come in seguito 
vedremo , e battute nel XIV e XV secolo; ora fra queste scegliendo le 
più antiche che sono le meglio conservate, quantunque nessuna nuova 
di zecca, esse ci danno in comune grammi 1, e siccome compariscono 
d’argento uguale a quello dei grossi e ne pesano la metà, essendochè 
delle minime frazioni trattandosi di monete tanto usate è impossibile 
potere tener conto, in conseguenza esser non possono che mezzi grossi 
da ventiquattro per un perpero, epperciò caratti. 

Abbiamo ancora. notizia dell’esistenza di due altre monete colle 
iniziali di Martino e Benedetto II senza però conoscerne il disegno, 
nè averne la descrizione, ma solamente la leggenda di uno dei lati, 
che quantunque poca cosa, crediamo però utile di dare. Una ha le 


(*) « Il Della Cella nelle Memorie di diverse famiglie di Genova e di Riviera estinte e viventi 1789 
» (Manoscritto della Biblioteca del Re in Torino), a foglio 163 dà lo stemma dei Zaccaria inquartato 
» 1 e 4 d’oro, 2 e 3 di rosso, ed in appoggio cita il Rivarola Description chronologica , y genea- 
» logica, civil, politica y militar de la Serenissima Repubblica de Genova, su govierno antiquo y moderno. 
» Madrid 1729. Tomo I, fol. 471. Quest’autore però dice solamente che tale era quello usato dal ramo 
» che possedette la città di Porto Santa Maria in Spagna senza addurne prova; ma nè in Genova, 
» nè nelle possessioni che questa famiglia ebbe in Levante esso punto si trova. » 


356 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


lettere M. .&. B. Z..S. V. IMP., e l’altra M..&. B. Z. S. V. IMPR,, 
cioè Martinus et Benedictus Zacharie Sii Vicarii Imperatoris (*); leg- 
gende tali che non potendo esser contenute in una moneta se non di 
diametro piuttosto grande, ci lasciano credere che debbano appartenere 
a matapani simili a quelli dei quali ‘ora parleremo. 


MARTINO solo. 


Abbiamo veduto che Benedetto, indispettito contro il fratello, doveva 
già nel 1315 essersi allontanato da Scio, restandone così a Martino libero 
il possesso; e ciò non solamente ci viene detto dagli storici ma provato 
anche dalle monete che ci pervennero battute esclusivamente a suo nome. 

Esse sono d’argento e di due specie, matapani e tornesi piccoli, cioè 
di quelle de’ Latini che avevano corso nel commercio di Levante. Dei 
matapani ossia grossi contraffatti ai buoni di Venezia, diamo due esemplari 
con leggenda diversa, ma ambidue nel diritto, dove nel veneto vedesi 
S. Marco in piedi che tiene colla sinistra il libro dei vangeli e dà colla 
destra una bandiera al doge, che ad imitazione della figura dell’impe- 
ratore greco (come sta rappresentato nelle monete bizantine) tiene un 
rotolo nella sinistra, hanno in luogo di S. Marco figurato S. Isidero 
protettore dell’isola, ed invece del doge Martino. Nel rovescio evvi. il 


solito Cristo sedente in cattedra e tenente un volume sulle ginocchia , 


5 
con vicino al gomito destro un segno simile alla lettera O, ma che 
deve esser quello dello zecchiere. Accanto alla testa vedonsi le due solite 
sigle greche 1c xc, per Incws yprsos. 

La leggenda è in tutti e due gli esemplari disposta come nei veneti, 
cioè accanto al santo S. ISIDOR SYI, contro il vessillo DUX, parola 
messavi per semplice contraffazione nulla avendo a fare col nostro 
personaggio, al cui lato un esemplare ha M - Z - $ - IMPATOR (T. I, 
nivi2))p i ellialtro WMIBISZ SV MIMPA CINI n° 3) eioenManzius 
Zacharie Sii Vicarius Imperatoris. 

Del secondo non conosciamo il peso, avendone solamente avuto il 


sa 


« Si noti in questa leggenda il titolo di vicario dell’imperatore preso dai due fratelli, il 
» quale dovrebbesi pure trovare sulle monete del loro padre ed avo quando se ne avessero, e 
» che prova quanto abbiamo veduto essere ‘stato scritto dallo storico Cantacuzeno che ciò si era 
» convenuto tra quelli imperatori ed i Zaccaria. » 


DI DOMENICO PROMIS. 3057 


disegno dalla cortesia del signor ‘Carlo Kunz, ma quello del primo ‘è 
grammi 1.845 , cioè incirca 200 millesimi meno dei veneti, dovuto 
questo anche all'essere esso per il lungo uso piuttosto scadente; nella 
bontà però pare uguale .a questi. 

L'altra specie di monete «che conosciamo ‘di Martino è ‘il tornese 
piccolo. Esso (Tav. I, n.° 4) è una contraffazione di quelli d’Acaia con 
queste varietà che la croce del diritto è patente ‘ed ‘ornata ‘con tre 
perle alle estremità di ciaschedun braccio , ed ‘attorno dove in quelli 
è il nome e titolo del principe nel nostro leggesi -- M + ZACHARIE 
ossia Martinus Zacharie, e nel rovescio, attorno al solito tempio :con- 
venzionale tolto dalle monete di Francia, il nome della città nella quale 
il tornese fu battuto, e così: CIVITAS SYI. 

Pesa grani 10.7 ossia grammi o. 550 e dall’estrinseco pare ‘eguale 
a quelli di Morea che sono a denari 2. 12 o millesimi 200 incirca. 

Queste sono le poche e rarissime monete che ‘abbiamo potuto co- 
noscere battute in Scio e spettanti a questa ricca ‘e potente famiglia 
genovese estintasi crudelmente nell’Acaia nel susseguente secolo, come 
già si disse. 


MAONESI. 


Caduta di nuovo nel 1329 l'isola sotto l'impero dei Greci, igno- 
riamo se vi abbiano conservato la zecca; imperciocchè , siccome in 
questi tempi non usavasi più di segnare le :monete ‘bizantine colle 
iniziali dei nomi delle città nelle quali si battevano, quando non ne varia 
il tipo è impossibile distinguere da quale officina siano esse uscite , 
meno che abbiano un qualche special contrassegno , che però sinora 
in nessuna si è scoperto. 

Restando adunque inutile qualunque ricerca circa questa zecca in 
quegli anni, passiamo a trattare delle monete che vi furono coniate 
durante il dominio che ebbe in Scio la società dei Genovesi conosciuta 
sotto il nome di Maona. 

Abbiamo già detto che Simon Vignoso con una flotta allestita da 
vari armatori suoi compaesani si era impadronito di quest'isola, e che 
mediante una convenzione , fatta col comune di Genova li 26 ‘feb- 
braio 1347, loro ne era rimasto il totale possesso sotto l’alta sovranità 

‘ della comune patria. In tal ‘atto abbiamo notato che anche si era 


358 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


venuto a patti per l’affare della zecca e che si era convenuto che al 
podestà fosse lasciato libero di fissare l’impronto, peso e bontà delle 
monete che si avessero a coniare, purchè su di esse si conservassero 
le stesse parole che leggevansi sulle genovesi, cioè Dux Zanuensium e 
Conradus Rex. Siccome però il comune era essenzialmente retto da 
cittadini , qual più qual meno, tutti commercianti, i quali perciò com- 
prendevano di quanto grande importanza fosse il poter essere sicuri della 
bontà delle monete che si emettevano, perciò si ordinò che i maonesi 
per la loro zecca in Genova avessero a prendere un buon saggiatore, 
e questa prescrizione venne rinnovata nell’anno 1373. 

Non consta se il Vignoso rimasto nell’isola alla testa dell’amministra- 
zione della società vi abbia subito fatto lavorare la zecca, oppure se alcun 
tempo ancora la lasciasse inoperosa; tuttavia stando alle parole della 
convenzione del 1347, cioè che sulle monete dovessero essere literae 
monetae ianuensis et figurae ut deliberabitur per potestatem, ed all'altra 
del 1373, che esse fossero cum literis et figuris monetae Ianuae, vel cum 
signis domini ducis IJanuae, non possiamo a meno di attribuire a questi 
anni, e dire che devono essere esse le prime coniate dai maonesi quelle 
monete che conosciamo colla figura del doge, e che per il loro tipo e 
forma delle lettere patentemente vedonsi spettare a questo secolo. 

Di esse nessuna consta esistere d’oro, e probabilmente nei primi 
tempi in tal metallo non se ne dovette coniare, ma solamente di ar- 
gento, procurandosi d’imitare quelle che allora erano maggiormente ri- 
cercate, e che importate nell’Arcipelago da Napoli si lavoravano con 
successo nelle officine di Cipro e di Rodi. 

Queste sono i gigliati (Tav. I, n.° 5), dei quali uno ha da un lato 
la figura del doge seduto in cattedra, tenente colla destra uno scettro 
sormontato da croce e colla sinistra un globo pure crociato ; il suo 
capo è coperto da cappello in forma di cono tronco e dal quale pendono 
due nastri, colla leggenda + DUX - IANVENS - QUEN - DEVS - 
PTAGAT, cioè Dux /anuensium quem Deus protegat, il che vediamo sui 
fiorini e grossi di Simon Boccanegra che fu il primo doge dal 1339 al 
1345. Dall'altro lato evvi una croce filettata , fiorita ed avente negli 
angoli quattro gigli esattamente come negli angioini, ed in giro la solita 
leggenda delle monete genovesi +- CVRADVS - REX :- ROMANORVM, 
sempre conservatasi in memoria di tale importantissimo privilegio con- 
«cesso al comune da questo Cesare nel 1138. 


DI DOMENICO PROMIS. 359 


Pesa denari 3. 10. 14 pari a grammi 4. 407; per la qual cosa 
dobbiamo dire che si vollero conservare uguali ai buoni, ed avendone 
appunto esaminati alcuni di Carlo II e di Roberto d’Angiò si trovarono 
di denari 3.2 e 3.7, altri di Rodi di denari 3.6, e di Cipro, cono- 
sciuti col nome di bisanti bianchi, di denari 3.12 e 3. 15. La bontà 
loro ad essi non deve in conseguenza nemmeno esser inferiore che sono 
a denari 11.3, ossia a millesimi 927 (*). 

L’altra varietà del gigliato che conosciamo, ed a quest'epoca cer- 
tamente appartenente (Tav. I, n.° 6), è nel tipo esattamente uguale da 
ambi i lati a quelli di Napoli, però colle stesse leggende dell’antecedente, 
solamente che il nostro esemplare è un poco in esse mancante per esser 
alquanto corroso. 

Ne ignoriamo il peso ed il titolo per possederne il disegno comu- 
nicatoci dal Direttore del Museo di Copenhaguen, signor Tompsen, 
che la morte viene di rapire alla scienza. 

Inferiore a questo bel pezzo , e che si possa con certezza sotto 
quest'epoca classificare, altra moneta non conosciamo che una piccola 
pure d’argento, della quale possediamo tre esemplari con qualche va- 
rietà, e dei quali uno (Tav. I, n.° 7) da un lato presenta nel campo 
con sotto una rosetta, segno dello zecchiere, il busto di faccia del doge 
vestito, pare, di vaio e coperto il capo col cappello, come nel gigliato , 
a forma di cono tronco, e con due nastri da esso pendenti, con in 
giro -- DVX - IANVENSIVN, e dall’altra ha una croce patente con 
attorno =>- CVNRADVS - REX. 

Altro affatto uguale al suddetto (Tav. I, n.° 8), ma nel quale per 
proprio contrassegno il maestro della zecca in luogo della rosetta mise 
un anello. 

E finalmente un terzo ai precedenti pure simile (Tav. I, n.° 9g), però 
colla testa più piccola e così pure la croce; manca in esso il segno dello 
zecchiere. 

Di queste tre monetine quella che offre una miglior conservazione 


pesa grani 18. 18 pari a grammi 1, e paiono tutte alla stessa bontà 
del gigliato. 


(*) « Nella decima fiorentina (T. III, pag. 92 e 184) è detto che a Napoli i gigliati sono ad 
» oncie fi e soldi 3, che corrispondono al titolo in questo scritto usato, cioè denari 11. 3, e che 
» a Rodi sono a denari ii e sterlini 3, ed a pezzi 57 il marco; ma ridotto questo ‘peso a quello 
» di Troyes, ciaschedun pezzo risulterebbe di denari 3, 8, 20 incirca. » 


360. LÀ ZECCA DI SCIO ECC. 


Cosa fosse questo pezzo, come si. denominasse e qual rapporto avesse 
coll’altro maggiore non ci venne fatto di trovarlo indicato.in alcun luogo, 
in conseguenza dobbiamo cercarlo. paragonando. la quantità di fine che 
l’uno e l’altro contengono. 

Il gigliato pesando grammi 4. 407, e concesso:che sia allo stesso titolo 
di quelli di Napoli e di Rodi, cioè a denari ri. 3 ossia millesimi 927, 
deve contenere di fine grammi 4; 085, così la nostra monetina calcolata 
alla stessa bontà e pesando. grammi r, darebbe grammi. 0. 927; ed 
appunto: grammi 4. 085 divisi per quattro danno grammi i. 021 ‘/4 di 
fine, quantità bensì di 100 millesimi incirca superiore a millesimi 927, 
ma da non tenersene conto trattandosi di monete piccole sempre sca- 
denti dal peso legale, tanto più che sonosi conservate nel minuto 
commercio: dell’isola forse per due secoli, chè nuove di zecca dovrebbero 
essere di peso assai maggiore, onde non possiamo aver dubbio che siano 
il quarto del gigliato e la metà del grosso matapane, in conseguenza 
di quei tali pezzi ai quali sempre vedemmo calcolarsi i fiorini d’oro, 
cioè caratti, come già si è detto descrivendo la moneta di Martino e 
Benedetto; II. 

Dopo questi ne rimangono ancora molti altri e tutti di uguale legge, 
ma che per la diversità dei loro conii e varia forma dei caratteri si 
riconoscono ad essi posteriori, e difficili a classificarsi,  essendovene 
dei battuti dal finir del XIV secolo sino alla metà incirca del XV; onde 
prima di essi crediamo di descrivere tre ducati d’oro, i soli di questa 
zecca che conosciamo, sebbene altri debbanvisi essere stati coniati, e 
probabilmente tutti contraffatti a quelli di Venezia variandone solamente 
le leggende. 

Il primo (Tav. I, n.° 10) presenta nel diritto il doge ginocchione 
con manto e berretto. ducale nell’atto di ricevere il vessillo deila croce 
da un santo in piedi che tiene colla sinistra un libro, ed accanto al 
quale perpendicolarmente leggesi S :- LAVRETI per Sanctus Laurentius , 
titolare della cattedrale di Genova, non già della latina di Scio, la 
quale, secondo il Lupazzolo che vi abitava ed: è citato dal Giustiniani (1), 
era dedicata a S. Antonio; accanto al doge evvi il suo nome così T - 
DVX - IANVE, e contro la bandiera ripetuto il DVX per meglio imitare 


(1) Scio sacra di rito lalino, pag. 18. 


DI DOMENICO PROMIS. 361 


il ducato veneto. Qual fosse il doge il cui nome cominciasse con tal 
lettera facilmente rinviensi, chè avanti al 1500 nella loro serie evvene un 
solo, e questi è Tommaso da Campo Fregoso eletto tre volte, cioè la 
prima nel 1415, la seconda nel 1436 e la terza nel 1437. Sotto quali 
di questi dogati il nostro pezzo sia stato coniato è impossibile dirlo , 
avendo il primo durato sei anni, il secondo uno ed il terzo incirca sei. 

Il rovescio suo nel tipo e nella leggenda in nulla differenziando da 
quello di Venezia, è inutile che si descriva. 

Esso è del peso di soli denari 1. 19, ossia grammi 2. 299, e siccome 
pare appena giungere a millesimi 850, deve perciò contenere incirca 
grammi 1.900 d’oro fine, quando il veneto ne avrebbe grammi 3. 450, 
e tenuto anche conto che lo sciotto essendo molto corroso, è in con- 
seguenza ben calante dal suo peso legale, contuttociò è sempre a questo 
immensamente inferiore. 

Il secondo (T. I, n.° 11) posseduto dal signor Morel-Fatio di Parigi, 
che gentilmente ce ne favorì il disegno, è simile nelle figure del diritto 
al precedente, ma il nome del doge che leggesi è RAFAEL ADV. per 
Adurnus, e l’asta del vessillo appare piantata sopra qualche cosa quasi 
totalmente cancellata, ma che deve essere una S iniziale di Scio, come 
dal susseguente pezzo rilevasi. Nel rovescio poi attorno alla figura del 
Salvatore evvi GLORIA. I. EXCEL. DEO ET I. TERRA P., cioè 
Gloria in excelsis Deo et in terra pax ; nel che varia dal veneto sul 
quale leggesi sempre Sit tibi Christe datum quem regis iste ducatum. 

Ne ignoriamo affatto il peso ed il titolo, ma non crediamo di andar 
molto errati dicendolo consimile all’antecedente. 

Questo doge essendo stato eletto nel gennaio del 1443 quando fu 
deposto Tommaso Campofregoso, volontariamente nello stesso mese del 
1447 rinunziò a tal dignità, onde in un di questi quattro anni fu 
battuto il nostro ducato. 

Il terzo (T. I, N. 12), che conservasi nel museo Correr di Venezia e 
nel regio di Copenhaguen, è uguale ai precedenti, solamente che il nome 
è PETRUS D C F, ossia Petrus de Campo Fregoso, e che l’asta della 
bandiera è piantata visibilmente sopra la lettera S, come sopra dissimo 
per Sté; e questo quanto al diritto; nel rovescio poi non varia che in 
qualche lettera nella leggenda così: GLORIA . I. EXCE.DEO.ET.L. 


85° 
TERA. Non abbiamo notizia del suo peso e bontà, ma non dovrebbe 


gran fatto variare dal primo. 
Serie IL Tom. XXIII 46 


362 LA ZECCA DI SCIO ECE. 


Pietro di Campofregoso fu dal popolo innalzato a questa suprema 
magistratura quando nel dicembre del 1450 ne depose il suo agnato 
Gian Campofregoso, e durò nella signoria sino al febbraio del 1458, 
allorchè dovette cederla a Prospero Adorno; e questo è l’ultimo ducato 
di Scio che conosciamo, quantunque ancora per un tempo pare debbasi 
essersene battuti. 

Dopo questi ducati avremmo a collocare la serie di quelle monete 
d'argento che abbiamo sopra menzionate; siccome però variano dalle 
precedenti portando indi in poi tutte il nome della città quando le prime 
non l'hanno, così anzi tutto crediamo di dover rispondere alle obbiezioni 
che ci si potrebbero fare relativamente a quelle sinora descritte come bat- 
tute in Scio dai maonesi, cioè che non se le possano attribuire non 
leggendovisi il suo nome, nè veggendovisi il castello turrito che sempre 
si trova sopra quelle colle parole Civitas Sii o Chii. 

Cominciando adunque da quelle di argento, che sono le più antiche, 
procureremo di provare che nè a Genova direttamente, nè alle colonie 
che in quest'epoca essa possedeva in Oriente devono le nostre monete 
spettare. Per il tipo che presentano e per la loro specie non possono 
per alcun verso appartenere al sistema monetario in vigore in quella 
città, che fuori della porta e croce altro mai permise che fosse im- 
prontato sulle sue, che sempre si divisero in lire, soldi e denari. 
Nemmeno può dirsi che vi siano state battute per le sue colonie, chè 
il loro intaglio sente la lontananza dall’Italia , e poi alcuna sarebbesi 
nel suo territorio scoperta, quando tutte nelle isole dell'Arcipelago esclu- 
sivamente trovansi. In quanto alle colonie nelle quali per la loro im- 
portanza potevasi tener aperta una zecca, esse si riducono a Pera, Caffa, 
Famagosta e Scio. Nella prima certamente no, chè giammai si sarebbe 
tollerato dagli imperatori greci che in un borgo della loro capitale 
stranieri venissero ad usare di un tal diritto, del quale alcun cenno 
nemmeno trovasi nei diplomi coi quali essi ai Genovesi concessero 
quella residenza , così nessun pezzo sinora si conosce che per alcun 
indizio possale attribuirsi. Riguardo a Caffa, si hanno bensì sue monete, 
ma tutte piccole, basse e con leggenda araba da un lato, perchè esclu- 
sivamente battute pel commercio della colonia coi Tartari, e queste 
crederei aspri del secolo XV. Di Famagosta poi non conosconsi. che 
piccoli tornesi necessarii pelle contrattazioni dell’interno della città, 
chè per tutte quelle più importanti che si facevano colle altre parti 


DI DOMENICO PROMIS. 3653 


dell’isola dipendenti dai re, come risulta dai documenti che ci riman- 
gono, sempre si usarono i disanti bianchi, i quali uscivano dalla zecca 
del principe. 

Non avendo Genova altre possessioni in Levante dove vi fosse zecca 
fuorchè Scio, e le nostre monete essendo state sicuramente lavorate in 
quelle parti, dove solamente trovansi , e visto che non sono nè di 
Pera, nè di Caffa, nè di Famagosta, ne segue che devono a quell’isola 
spettare tanto più che offrono quei dati che per queste furono prescritti 
dal governo della repubblica, come abbiamo antecedentemente veduto 
sia nella convenzione del 1347, nella quale fu detto che la loro leg- 
genda fosse Dux Januensium e Conradus Rex, quanto in quella del 
1373, nella quale si ordinò che oltre tale scritto avessero la figura 
delle monete di Genova (cioè porta e croce), oppure fossero cum signis 
del doge, onde ne restava escluso il nome ed il segno ossia stemma 
della città, ed invece sostituiti i segni della dignità del doge, come è 
la sua figura stessa. Per quale causa poi indi si abbandonasse la leg- 
genda Dux Janue, e ad essa si sostituisse il nome dell’isola, è ignoto; 
tuttavia non crediamo di allontanarci dal vero dicendo che ciò deve 
esser avvenuto quando , caduta la repubblica negli ultimi anni del se- 
colo XIV. sotto il dominio di Francia ed alcuni anni dopo sotto quello 
di Filippo Maria Visconti, duca di Milano, ignorando i maonesi per 
la loro lontananza i cangiamenti di governo che continuamente si suc- 
cedevano nella madre patria, epperciò non potendo conoscere se da un 
doge eletto dal popolo oppure da un principe straniero fosse essa retta, 
credettero più sicuro partito omettere un nome che quando si emetteva 
la moneta in Scio forse poteva già esser tolto da quelle di Genova, 
e sostituirvi quello della città nella quale essa si lavorava. 

In quanto a quelle d’oro, che per tutto il loro assieme si vedono 
uscite da una stessa officina ed in Oriente nel secolo XV, esse paiono 
intagliate dallo stesso artefice che fece quelle contemporanee dei Gat- 
tilusio in Metelino, e che. sono contraffazioni dei ducati veneti con 
variazioni nelle leggende. Ciò che ne fa conoscere l’origine, si è che 
sopra due diverse, affine di distinguerne la provenienza , si collocò ai 
piedi dell’asta del vessillo un grande S, che altrimenti non si può 
spiegare che come iniziale del nome dell’isola , cioè .Scio ,, dalla quale 
appunto proviene l’esemplare che si conserva nel medagliere di S. M. 

Provata così l'attribuzione da noi data delle precedenti monete ai 


364 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


maonesi di Scio, prima ancora di ripigliare la descrizione di quelle 
monetine d’argento con castello e croce , delle quali si conoscono, tante 
varietà e che abbiamo già detto essere di quella specie detta caratti , 
crediamo di collocare un piccolo tornese che alle suddette non è cer- 
tamente posteriore, ma di cui non possiamo fissar bene l'epoca. 

Da una parte (T.I, n.° 13) ha il solito tempio, simbolo della chiesa 
cristiana, ed attorno CIVITAS O SII, e l'anello è contrassegno dello 
zecchiere : dall’altra vedesi una croce e +- CVIRADVS - REX - con tal 
forma di caratteri che annunziano il principio del XV secolo. Questo 
piccolo tornese pesa grammi o. 450 e probabilmente come quelli di 
Morea è a millesimi 200 incirca, onde avrebbe di fine grammi o. 090; 
ma tenuto conto che esso è scadente nel peso, oltrepassando in generale 
tutti il mezzo gramma, e che nelle monete basse sempre si riduceva la 
bontà intrinseca, cioè quella quantità di fine che corrisponde all’intiero 
d’argento buono , e ciò affine di ricavarvi grosso guadagno, stantechè 
sulle altre poco o nulla potevasi lucrare, possiamo dire che deve essere 
stato lavorato alla stessa lega degli altri che battevansi in Oriente, e cor- 
revano per un ottavo di grosso. 

Ora abbiamo a descrivere, abbenchè qual più qual meno quasi 
tutti scadenti dal peso legale per essere pel lungo uso logori, ma che 
appaiono egualmente retti dalla stessa legge delli avanti descritti, quat- 
tordici caratti collocati secondo che più antichi o moderni pel loro 
assieme ci parvero, tutti però aventi ugual tipo e leggenda. 

Il primo (T. II, n.° 14), che per la forma delle lettere vedesi più 
antico degli altri e probabilmente coniato subito dopo quelli colla pro- 
tome del doge, ha da un lato il castello con tre torri merlate ed attorno 
> 3% CIVITATE: 3: SI...,la quale ultima stella crediamo segno del 
maestro, e dall’altro una croce patente con due perlette alle estremità 
delle braccia ed in giro > 3% CVMRADVS % R...3%. 

Il secondo (T. II, n.° 15), con castello simile ma più rozzo, ha 
X- 3% CIVITATE St SYI % da una parte, e dall’altra attorno ad una 
croce patente >- 3% CVMRADVS 3% REX 3%. 

Il terzo (T. IF, n° 16) è uguale al suddetto in tutto, fuorchè dal 
lato della croce evvi >-. CVRADVS % REX %. 

Il quarto (T. II, n.° 17) ha il castello grossolanamente disegnato, 
e sotto ed alla sinistra un bastoncino segno dello zecchiere, colla 
leggenda + CIVITAS - SIY, quando i tre primi avevano civitate come 


DI DOMENICO PROMIS. 365 


per dire battute nella città di Scio, e nel rovescio la croce patente con 
due perle alle estremità delle braccia, e > « CVMRADVS - REX; e 
tutti questi sono certamente anteriori ai susseguenti. 

Il quinto (T. II, n.° 18) ha dal lato della croce patente >- CIVITAS SII, 
e dal lato del castello + CVNRADVS REX. 

Il sesto (T. II, n.° 19) ha attorno al castello colle solite torri 
merlate >- CIVITAS - SIY - , ed attorno alla croce sempre patente 
-- - CVRRADVS - REX - 

Il settimo (T. II, n.° 20) sopra le due torri minori del castello 
vario dal precedente, e sotto il medesimo ha un punto per segno del 
nuovo maestro, ed attorno +- CIVITAS - SIY -, e dalla parte della 
croce >- » CVNRADVS - REX - 

L’ottavo (T. II, n° 21) tiene nel diritto un mal disegnato ca- 
stello e -- CIVITAS 3% SIX % per .Sîiy, e nel rovescio la croce e 
+ CVNRADVS 3% REX. 

Il nono (T. II, n.° 22), con castello d’altro conio, ha + CIVITAS : SII - 
da un lato, e dall’altro la croce e + CONRADVS - REX - $ 

Il decimo (T. II, n.° 23), eguale al suddetto dalla parte del castello, 
ha da quella della croce -- CONRAD - VS - RES; il punto è segno 
di altro zecchiere. 

L’undecimo (T. II, n.° 24) ha nel diritto, uguale all’antecedente , 
la parola civitas molto imbrogliata, e nel rovescio attorno alla croce 
ripetuta la leggenda >- CIVITAS - SII - 

Il dodicesimo (T. II, n.° 25) ha da un lato il solito castello ed in giro 
-|- CIVITAS % REX, errore dell’intagliatore del conio che vi ripetè invece 
di Sii le ultime lettere del rovescio, e dall’altro +- CVNRADVS REX. 

Il decimoterzo (T. II, n.° 26) tiene l’istesso diritto dell’antecedente, 
ma dalla parte della croce ha una piccola varietà, cioè }- CONRADVS . 
REX - 

Il decimoquarto (T. II, n.° 27), improntato coll’istesso conio dei pre- 
cedenti dal lato del castello, da quello della croce ha -- CONRADVS : 
REX :, nuovi segni di zecca. 

Quantunque in queste tre ultime monete siasi messa la parola Rex 
in vece di Sii, tuttavia si conosce che anch'esse appartengono a quella 
serie, nella quale il nome dell’isola è scritta Siz, che poi cangiossi in 
Chii, onde crediamo di dover classificare dopo le sopraddette tutte 
quelle che al nuovo modo segnano il nome della città. 


366 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


Di queste conosciamo quattro varietà, tutte del diametro almeno 
d'un genovino di argento, e di sì bel conio che al primo colpo d’occhio 
conosconsi intagliate in Genova, od almeno da artisti italiani. 

La prima (T. II, n.° 28) e la più antica di esse, per avere nel 
diritto il solo castello colle tre ‘torri merlate , tiene in giro le solite 
parole -- : CIVITAS : & : CHI :, e nel rovescio ha una croce patente 
con >- : CONRADVS & REX - R'. Credo la stella del diritto segno 
del maestro. 

Pesa questo esemplare, comunicatoci dall’ intelligente raccoglitore di 
monete patrie signor Luigi Franchini di Genova, denari 1. 13. 12 pari 


a grammi 2, ed è d’argento fine. Questa moneta certamente fu coniata 


2 
nei primi anni del secolo XV, ed avanti che i maonesi avessero aggiunto 
allo stemma l’aquila imperiale, che abbiamo veduto concessa da Sigis- 
mondo nel 141: a Francesco Giustiniani Campi. In quanto al suo valore 
dal peso pare uguale ai matapani veneti, ma avendo trovato genovini 
d’argento battuti dal doge XIX tra il 1415 e 1421, e del peso di 
denari 1. 17 pari a grammi 2.188, ciò ci fece sospettare che potesse 
essere di tali grossi, e fatta battere nella zecca di Genova dall'ufficio della 
Maona per ragioni a noi ignote, dubbio che meglio si spiegherà colle 
susseguenti. 

La seconda (T. II, n° 29) ha da un lato il solito castello e 
sopra un'aquila nascente colle ali aperte e coronata , colla leggenda 
> : CIVITAS: % : CHII :, e dall’altro attorno ad una croce patente 
x : CONRADVS : REX : R' : cioè Romanorum. 

Pesa denari 2. 10.20 pari a grammi 3.300 e probabilmente è alla 
bontà di millesimi 950; onde non trovando che possa corrispondere ad 
alcuna frazione del gigliato , ed in conseguenza alle monete che si bat- 
tevano nell'isola, ci cadde in sospetto che, come il precedente, questo 
ed i susseguenti grossi siano dalla zecca di Genova usciti e dopo che 
ebbero i maonesi aggiunto allo stemma loro l’aquila. Questo dubbio 
divenne per noi probabilità quando abbiamo osservato che’ tali pezzi 
erano gli unici col nome di Scio, i cui esemplari sino all’epoca presente 
tra noi fossero conosciuti e rinvenuti in queste parti d’Italia, anzi quasi 
esclusivamente nelle provincie già formanti la repubblica di Genova , 
quando di tutti gli altri nessuno, per quanto ci consta, mai vi si scoperse. 

Abbiamo dunque voluto cercare se avessero alcun rapporto col grosso 
genovino che si lavorava dopo il 1421 nella capitale della Liguria, cioè 


DI DOMENICO PROMIS. 367 


da quando i maonesi avevano potuto inquartare nello stemma l'aquila, 
ed appunto vediamo che Filippo Maria Visconti, duca di Milano e signore 
di Genova, dal 1421 al 1436 fece lavorare in questa città grossi, come 
abbiamo potuto riconoscere pesandone vari esemplari , di denari 2. 10 
ossia di grammi 3.095 ed a millesimi 950 : inoltre che nel 1437 dal 
doge Tommaso Campofregoso (1) fu ordinato che il grosso dovesse 
essere a denari rr. 12 ed a pezzi 100 per libbra sottile, epperciò di 
grammi 3.171 pari a denari 2. 11.9 caduno , equivalendo questa a 
grammi 317. 095; ed avendo ancora verificato il peso di altri del 
doge XXVI battuti dal 1450 al 1457, e trovatili di denari 2. 12 
sato ogni dubbio, restammo convinti che uguale a questo grosso deve 


, Ces- 
essere il nostro pezzo, e forse a tal legge venne lavorato per ottenere 
che anche nella madre patria la moneta d’argento di Scio potesse aver 
corso , e così anche si ricevesse nelle contrattazioni tra Genovesi e 
Sciotti, nelle quali non v'era l’uso che di contare a ducati. 

Altra ne segue simile alla suddetta in tutto (T. III, n.° 30), ad 
eccezione che manca la rosetta, ed invece per contrassegno ha nel 
campo a sinistra fra le due braccia superiori della croce un piccolo bi- 
sante. Ne ignoro il peso avendone solamente il disegno, ma certamente 
deve esser uguale a quello dell’antecedente. 

Altra evvene ancora nel tipo affatto alla anzidescritta uguale (T. III, 
n.° 31), ma di diametro un po’ inferiore, e con questa varietà che dopo 
la parola Chi prima dei due punti vi è una rosetta contrassegno del 
maestro della zecca. Dal suo peso, sebbene di soli denari 2. 10.2, 0 
grammi 3. 100, vedesi essere stato lavorato alla stessa legge del num. 29. 

Dell’epoca degli anzidetti grossi e colla stessa leggenda altre monete 
non conosciamo che alcune frazioni del tornese piccolo, tutte tra loro 
simili nel tipo e solamente vari nei segni degli zecchieri , e per questo 
appunto crediamo opportuno di produrle. 

La prima di queste monetine (T. III, n.° 32) mostra da una parte 
il solito tempio dei tornesi con attorno @ CIVITAS 3% CHII 4, e 
dall’altra una croce potenzata con }- CONRADVS 3 REX 3% R. 

La seconda (T. III, n.° 33) ha la leggenda del diritto così : 
CIVITAS % CII 4 :, e quella del rovescio + CONRADVS - REX. 


(1) Gandolfi — Della moneta antica di Genova. Tomo II, pag. 234. 


368 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


La terza (T. III, n.° 34) tiene un punto sotto il tempietto ed attorno 
CIVITAS : 4 : CHII : 4% : da un lato e dall’altro > CONRADVS 
& REX - R- i 

La quarta (T. INI, n.° 35) ha CIVITAS & CHII &, e dalla parte 
della croce + CONRADVS - REX - R - 

La quinta (T. II, n.° 36) ha così la leggenda del diritto CIVITAS - 
CHII - , e quella del rovescio + CONRADVS R . 

Il peso in comune di questi cinque pezzi è di denari 1.17.10, pari 
a grammi 2. 210; onde la quinta parte resta grammi o. 442, e calcolati 
a denari 1 di fine, ossia millesimi 83, come appaiono essere, avremo 
per caduno grammi 0.037 d’argento incirca; epperciò vi è tutta pro- 
babilità che fossero la metà del tornese piccolo, mai in sì minuti pezzi 
cercandosi la corrispondenza esatta coll’intiero. 

E queste sono le monete che sinora vennero a nostra conoscenza 
essersi dai maonesi battute a nome proprio, cioè senza quello di prin- 
cipe straniero , sino alla metà del secolo XV, quantunque ne possano 
anche esistere anteriori, essendo Genova per causa delle intestine di- 
scordie continuamente passata in questo secolo dal dominio di Francia 
a quello di Milano ; tuttavia è probabile che ciò non avvenisse sin verso 
il 1450, quando gli Sforza ne conservarono per notabile tempo il pos- 
sesso; con tutto ciò di quest’epoca se ne ha una sola di argento battuta 
col nome di Galeazzo Maria duca di Milano, il quale, succeduto al padre 
Francesco nel dominio di questa città in marzo del 1466, la tenne 
sino al 1477, quando sollevatasi a furor di popolo e cacciatane la sua 
guarnigione, conservò per alcun tempo la riacquistata indipendenza. 

Questa moneta (T. III, n.° 37) da un lato ha il solito castello 
colla leggenda + C - R - R - CIVITAS & CHI % , cioè Con- 
radus Rex Romanorum Civitas Chii, e dall’altro la croce ed attorno 
-« GALEAZ - M - S - D - IANVE, cioè Galeaz Maria Sfortia Dominus 
Ianue, ed è del peso di grammi 1.445 e pare di argento buono. 

Tale pezzo, che positivamente si conosce essere stato coniato in Scio, 
quantunque scadente pel suo peso, non può essere che un grosso da 
due caratti. | 

Dopo quest'epoca non abbiamo più monete che possano con proba- 
bilità darsi che agli ultimi anni del secolo X.V; per contro dalla seconda 
metà di esso cominciamo a trovare qualche provvidenza dal governo 
di Genova data per le monete di quest isola. 


DI DOMENICO PROMIS. 369 


Già sin dal 1440 Giovanni da Uzano nel suo libro della mercatura (1), 
trattando del cambio delle principali piazze di commercio di Levante 
con quelle di Ponente, aveva scritto che quello di Genova con Scio 
facevasi a fiorini contro ducati veneti: che i fiorini genovesi calcolati 
circa 4 !fa peggio di quelli di Scio (2), vi si spendevano per caratti 58 
în 59, quando un secolo prima ne abbisognavano soltanto 48 (*). 

A spiegare tal rapporto fra queste due specie di monete abbiamo 
una sentenza arbitramentale data in Genova nel 1467 tra alcuni Giusti- 
niani de Forneto (3), nella quale ducati d’oro 100 di Scio sono valutati 
125 fiorini. Al primo aspetto pare che i ducati sciotti, che sopra ab- 
biamo veduti effettivi ma assai scadenti, ora siansi battuti di ottima lega 
e peso; invece quando in questo secolo troviamo che si tratta sia in 
Genova che nelle sue colonie a fiorini, ancorchè alcune volte specificati 
d'oro, altro non devesi intendere fuorchè fiorini di conto (4), che con- 
servarono nominalmente il valore cui correvano anticamente i buoni o 
ducati effettivi, cioè L. 1 . 5, valore che s’accrebbe quando si comin- 
ciarono questi a migliorare nel 1422 (5) dalla repubblica di Firenze, 
accrescendo il peso dei nuovi di due quinti di fiorino sopra 96 pezzi, e 
coniandoli di un diametro un po’ superiore ai vecchi, onde furono detti 
fiorini o ducati larghi, il che presto venne imitato da Genova, dove per 
la prima volta li troviamo nel 1444 (6) per L. 2.2 di moneta buona (*), 
la quale in questa città stava come L. 1 a L. 1.5 di moneta corrente, 
proporzione conservatasi sino al finir del secolo. 

Ora venendo ai pochi atti governativi che ci venne fatto di conoscere 


(1) Della decima fiorentina. T. IV, pag. 134. 
(2) Idem, pag. 160. 
« Intendesi sempre quello di conto e non l’effettivo di Genova. » 

(") « Come si è veduto nel Pegolotti, che il fiorino d’allora, il quale equivaleva al ducato largo, 
» constava di due perperi, che si dividevano in 24 caratti. » 
(3) Pandette Richeriane. Libro fasciato di cartina, f. 204. 
(4) Seconda dissertazione sull’Agostaro del secondo Federico etc. Bologna, 1822, p. ff. 
(5) Il fiorino d’oro illustrato. Firenze, 1738, pag. 300. 
(6) Gandolfi — Della moneta antica di Genova. Vol. IT, pag. 248. 
() « Il Gandolfi a pag. 237 dice che in codice dell'archivio di S. Giorgio evvi che il fiorino 
essendo salito a soldi 47 venne nel 1444 ridotto a soldi 42, che quantunque non specificata si 
» conosce essere di moneta buona; ma o lui, o chi egli copiò, deve aver confuso tale specie di 


= 


x 


moneta allora solamente nominale col ducato largo, il quale, secondo lo stesso autore, si 
» spendeva nel 1448 per soldi 51 di moneta corrente, ossia soldi 40. 2. 1|2, e nel 1483 soldi 55 
» pari a soldi 44 di moneta buona. » 


Serie II. Tom. XXIII 47 


370 IA ZECCA DI SCIO ECC. 
relativi alle monete di quest'isola, di essi ‘il primo, colla data delli 2 di- 
cembre 1458 {1), è un ordine del doge che proibisce la spendita di un 
grosso di Scio di nuova stampa, allora venuto fuori col solito stemma 
dell’isola o meglio della Maona da una parte, e dall’altra colla figura di 
un uomo che tiene una croce in mano, il che ci lascia sospettare che 
fosse una contraffazione del gigliato o del mezzo gigliato coniato dai 
cavalieri di S. Giovanni in Rodi, nel quale vedesi il Gran Maestro. ginoc- 
chioni in atto di adorare una croce, ma disposto in modo che pare voglia 
tenerne l’asta con una mano. i ; 

Questa determinazione del doge non dicendosi che fosse stata presa 
per essere tal moneta cattiva, nè alcum'altra ragione per ciò adducen- 
dosi, ci fa credere che avendo essa il tipo da noi supposto, siasi fatta 
torre di circolazione sull’istanza di Giacomo di Milly, il Gran Maestro 
che allora presiedeva all'Ordine. 

Qualche anno dopo cominciansi ad avere alcune deliberazioni del 
comune di Genova adottate riguardo alle monete dell’isola per causa 
dell’essersi dai suoi rettori alterate. La prima venne presa, ad istanza di 
vari mercanti che con essa trafficavano , dai nuovi governatori della 
Maona sedenti in Genova, i quali radunatisi li 15 settembre 1479 (Docw- 
mento in fine) e sentito il parere degli anziani dell’Uffizio di Scio e dei 
primari mercanti della città, decretarono che a cominciare da un mese 
dopo la pubblicazione di detta deliberazione , per tutti i contratti fatti 
prima a ducati di Scio si dovessero questi calcolare a soli caratti 68 : 
che per quelli indi a farsi avessero ad essere per tre quarti in ducati 
larghi o gigliati, e per l’altro quarto in caratti contandone 80 per un 
ducato largo: che pure a datare da un mese fosse proibito il corso 
dei gigliati sciotti sino allora battuti, che indi si avessero a fondere : che 
in quella zecca si dovessero battere ducati larghi nel peso e bontà eguali 
a quelli di Genova e Venezia: che i gigliati da emettersi per l'avvenire 
avessero ad essere della bontà di denari 11.12 ed a $8 pezzi per libbra 
di Genova, ed a 11 per un ducato: che l’impronto delle monete d’oro e 
d’argento continuasse ad essere quello sino allora usato, e che per la 
loro stampa non avesse la Maona a ricevere diritto alcuno dalle per- 
sone che portasservi detti metalli in verghe, ma solamente la mercede 


1) Archivio di Stato in Torino. Volume Diversorum all’anno 1458. 


DI DOMENICO PROMIS. 9g 
necessaria per gli operai. E questo decreto venne due giorni dopo 
sancito dal doge e dal consiglio degli anziani di Genova. 

Dunque da quest atto appare che non più si volevano gli antichi 
ducati dell’isola, che in prova dell’essere molto scadenti vennero tassati 
20 caratti meno dei buoni nuovi introdottivi, i quali in conseguenza 
dovevano pesare grammi 3. 540 incirca ed essere a millesimi 1000, ossia 
«di denari 2. 16. 4/5 incirca, ed a caratti 24 di fine, ragguagliato il peso 
veneto a quello di Troyes ; così pei gigliati il peso di cadun pezzo doveva 
essere di denari 3. 6. 13 pari a grammi 4. 192, ed il titolo a denari 11. 12 
o millesimi 958; epperciò vedesi che s'era. voluto portar la moneta a 
quella bontà che in prima aveva, la qual cosa non pare siasi ottenuta, 
chè troviamo in atto rogato in Genova il 5 maggio 1480 (1) che ducati 
di Scio 2500 sono ragguagliati a L. 4375 e così caduno soldi 35 di 
moneta buona genovese, quando in altri delli 16 marzo ed 8 giugno (2) 
dello stesso anno e pure rogati nell’anzidetta città, i ducati larghi sono 
detti valere soldi 55 di moneta corrente, che, calcolata ,, come sopra si 
disse, per un quarto di più della buona, equivalgono a soldi 44 buoni, 
e vedesi che quello di Scio a soldi 35 stava al largo di soldi 44 poco 
presso nella proporzione dei ducati come sono citati nel decreto del 1479, 
nel quale quello è tassato a caratti 68 e questo a 80. 

I rettori della Maona residenti in Scio, parte per troppa cupidigia 
di guadagno, parte anche per sopperire alle gravi spese che necessitava 
la difesa dell isola contro le continue minaccie dei Turchi come già 
abbiamo veduto, non solamente avevano alterato le monete d’oro e di 
argento, ma avevano persino avuto ricorso alla battitura di una moneta 
affatto falsa, poichè, essendo emessa come contenente una certa quantità 
d’argento , era intieramente di rame. 

Tal novità essendo causa di non lieve danno ai commercianti che 
frequentavano i mercati dell’isola, il governo genovese ordinò li 7 luglio 
1484 (3) che fra quindici giorni dovesse essa esser tutta ritirata, met- 
tendo perciò a disposizione di quel podestà la somma di tremila ducati 
larghi, e prescrivendo che a quelli i quali la portassero in zecca si 
soddisfacesse o in tale specie di ducati calcolandoli denari 780 caduno, 


(1) Pandette Richeriane. Libro fasciato in carlina, pag. 258. 
(2) Pandeite Richeriane. Libro fasciato in cartina, pag. 256 e 259, 
(3) Archivio di Stato in Torino. Diversorum all’anno 1484. 


372 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


oppure in caratti di Scio in ragione di denari 6 il caratto. Ora da 
questo conosciamo che il ducato largo era pell’isola tassato a soldi 65, 
cioè, meno una frazione impossibile ad evitarsi pel diverso rapporto che 
esisteva fra le monete di Scio e quelle di Genova, allo stesso corso che 
vediamo avere in questa città nel 1510 (1), e che il caratto equivaleva 
a sei denari di questa moneta. 

La determinazione sopraccitata delli 7 luglio 1484 non dovette pro- 
durre tutto l’effetto che se n’aspettava, poichè troviamo che poco tempo 
dopo lagnanze per causa di tal moneta vennero nuovamente sporte ai 
rettori del comune, dicendo che qualora il volessero qualunque mer- 
cante con 5 a Gooo caratti tutta la avrebbe potuta ritirare; per il che 
il doge con decreto delli 13 agosto dello stesso anno (2) ne proibì as- 
solutamente il corso sotto la pena del doppio pagamento per chi volesse 
smerciarla. 

Tutti questi ordini pare che nessun risultato producessero , poichè 
ci risulta che quindici anni dopo, cioè li 29 aprile 1499 (3), sentendo 
il governo di Genova che le monete di Scio talmente erano scapitate, 
che qualora non vi si portasse pronto rimedio ne restava affatto rovi- 
nato il commercio, ordinò che indi innanzi fosse vietato il contrattare 
a ducati di Scio, aboliendone sino il nome per non potersi su di essi 
in alcun modo contare, e che tutti i contratti fatti a tale specie di 
moneta fossero ridotti a ducati larghi calcolandoli caratti 130 caduno 
e gli altri soli 68, dichiarando che nei pagamenti i larghi potessero 
entrare per tre quarti ed un quarto fosse di caratti, e che nessuno di 
essi, meno quelli di Lucca, perchè inferiori, si potesse rifiutare; finalmente 
che nella zecca dell’isola solamente di questi buoni si potesse stampare 
sia al conio di Venezia che a qualunque altro, e per la mano d’opera 
un solo caratto per ducato si ritenesse. 

Questo decreto nemmeno ebbe esecuzione, come ci prova un nuovo 
ordine emanato dal governatore del re di Francia in Genova li 8 feb- 
braio 1509 (4), pel quale, dopo essersi detto come il ducato di Scio 
era rimasto solamente di nome, nessuno più vedendosene in commercio, 


(1) Gandolfi — Della moneta antica di Genova. Vol. II, pag. 262. 
(2) Archivio di Stato a Torino. Diversorum all'anno 1484. 

3) Idem, all’anno 1499. 

4) Idem, volume dal 1507 al 1516. 


DI DOMENICO PROMIS. 373 


e che contuttociò sempre di esso continuavasi ad usare nelle contrat- 
tazioni con grave danno dei mercanti , annullata qualunque anteriore 
decisione, venne ordimato che indinnanzi sempre avesse a contrattarsi 
ad aspri turcheschi, contandone 27 per un ducato sciotto, permettendo 
che i pagamenti inferiori ad aspri 300 si potessero fare in moneta mi- 
nuta in ragione di denari 15, od in caratti calcolandoli a pezzi 2 1 per 
aspro; ma qualora fossero a tale somma superiori, non se ne potesse 
dare più del cinque per cento; quando però le parti contraenti così 
amassero, fossero autorizzate a far i pagamenti in ducati larghi, con- 
tando ciascheduno per aspri 52. Inoltre, pel caso che i Turchi variassero 
il titolo o peso dei loro aspri, che si avesse subito a verificare quanti 
se ne contenesse in una libbra, ed allora i pagamenti si avessero a fare 
secondo la quantità di aspri riconosciuta in essa trovarsi. 

Da questo documento ricaviamo quale fosse il rapporto degli aspri 
turcheschi colle monete dell’isola e di Genova, essendovi detto che 27 
aspri composti di caratti 2 2 equivalevano ad un ducato di Scio; ora 
moltiplicando 27 per 2 £ abbiamo caratti 67 2, cioè, meno una fra- 
zione, della quale è impossibile tener conto stante la diversa specie di 
tali monete, la stessa quantità per la quale nel 1499 era stato tassato 
il ducato sciotto; indi vi troviamo che per un aspro ci volevano de- 
nari 15, sottintesi di moneta corrente genovese, i quali moltiplicati 
per aspri 52 necessarii per fare un ducato largo, ci danno denari 780 
ossia soldi 65, che, meno una piccola frazione causata come sopra, 
equivalgono a L. 3. 4. 6, valore cui essi vediamo correre in Genova 
nell’anno susseguente. 

Possiamo inoltre arguire che da molto tempo, e probabilmente sin 
da quando per la caduta di Costantinopoli sotto il giogo di Maometto II, 
essendosi intieramente cangiate le condizioni delle isole greche, non si 
battè più in Scio moneta d’oro (*); così da altro documento già citato (1), 
cioè dalla convenzione fatta da Genova con Solimano II nel 1558, nella 
quale è detto che le era concesso di stampare ducati sultanini, o altre 
sorte di quelli vorranno, così de' veneziani come i sciotti, o vero delle 


‘ (‘) « Quantunque si abbia ragione di credere che ducati da lungo tempo più non si baltessero 
» in Scio, contuttociò continuarono nel commercio d’ Oriente ad essere in corso almeno sino 
» alla metà del secolo XVI, trovandosi, secondo lo Zon, (Cenni istorici intorno alla moneta veneziana . 
Venezia 1847, p. 26), tassati in una tariffa veneziana del 1543 con quelli di Rodi a lire venete 7. 6.» 


(1) Morinello — Descrizione del viaggio dell’ambasciatore genovese a Solimano nel 1558. 


374 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


loro stampe, inteso che. tali specie sarebbero ricevute nei mercati di 
Oriente, pare che si debba dedurre che i ducati di Scio dovessero essere 
uguali nel tipo ai veneti. 

Ritornando al decreto del 150g; esso è l’ultimo a noi noto nel 
quale trattasi della moneta di Scio, e dobbiamo credere che ulteriore 
variazione più in essa non avvenisse, o almeno che la madre patria più 
non intendesse prendervi parte, essendosi già detto che, per non mettersi 
in imbrogli colla Porta Ottomana, non permetteva nemmeno che sus- 
sistesse alcuna apparenza di relazione tra essa ed i maonesi. 

Avendo veduto quale fosse il sistema monetario introdottosi per le 
reciproche contrattazioni nell'isola sul principio del secolo XVI, resta 
a cercare se fra le monete che ancora ci rimangono battute da quest'epoca 
sino alla caduta della Maona nel 1566 alcuna esista che alle specie 
sopraddette possa appartenere. 

Delle tre d’argento , che tra queste si possono dire le più antiche, 
ma che spettano certamente al detto secolo, la prima (T. INI, n.° 38) 
ha da un lato nel campo il solito castello turrito col capo dell’aquila 
nascente e coronata, ed attorno >- CIVITAS - CHIT, e dall’altro una 
croce patente con due perlette alle estremità di ciaschedun braccio, ed 
in giro }- : CONRADVS - REX © R. Questo pezzo , gentilmente comuni- 
catoci dall'avvocato Gaetano Avignone, autore di una preziosa collezione 
di monete genovesi, pesa denari 2. 0. 17, pari a grammi 2. Goo e pari a 
millesimi geo incirca. 

La seconda (T. III, n.° 39) varia dalla precedente nei conii in questo 
che dal lato dello stemma in testa alla leggenda ha dopo la croce 
grande una piccola, e che nel rovescio non vedonsi le otto perlette alla 
croce, e la leggenda termina con RO - per Romanorum. Pesa quest’esem- 
plare solamente denari 1. 20. 22, cioè grammi 2. 400; però nella lega si 
riconosce dover essere uguale alla precedente. 

La terza (T. II, n.° 40), menochè è di diametro inferiore alle 
due prime, è ad esse affatto simile nel diritto , ma nel rovescio ha una 
croce patente e biforcata con attorno >- ‘+ CONRADVS - REX - RO - 
Questo pezzo, di cui abbiamo l’impronto per cortesia del signor Giulio 
Friedlaender, direttore del museo numismatico di Berlino , secondo 
quanto egli stesso scrisse (1), pesa '/ di /ozhs ossia grammi 0.915, 


e non dice quale ne sia la bontà. 


(1) Numismata inedita. Berolini 1840, p. 30. 


DI DOMENICO PROMIS. 375 


Dai documenti citati conosciamo che ben prima ancora che il 
XV secolo terminasse si era già in Scio introdotta la monetazione ge- 
novese, avendo trovato grossi a questi uguali, e non più tornesi ma 
denari piccoli, frazioni del soldo ligure, e ai quali ragguagliavansi i 
caratti e persino i ducati; però di tali minuti pezzi non si coniò alcun 
effettivo restando sempre nominali, come nemmeno di aspri, essendo detto 
che dovevano servire i turcheschi, per il che non abbiamo veramente 
battuti in Scio che caratti, sempre contandoli per denari 6, e loro 
molteplici, e di questi non vè dubbio che sono i tre pezzi sopra de- 
scritti. Non ci fu però possibile di venir a constatare quanti caratti 
fosssero in ciaschedun pezzo contenuti, stante la troppo grande varietà 
che s'incontra nel peso dei diversi esemplari che conosciamo appartenenti 
alla stessa specie, e trovando nessun rapporto tra essi e le monete che 
a quest'epoca lavoravansi sia in Genova che nelle isole dell'Arcipelago 
ancora indipendenti dagli Ottomani; onde lasciando che altri più fortu- 
nato possa risolvere questa difficoltà, passeremo a descrivere quelle che 
sono alle precedenti posteriori, ed appartengono ad una serie di anni 
nei quali tutte le monete sciotte sono segnate con due iniziali, cioè del 
nome e cognome dei podestà che reggevano l’isola, però come Giustiniani, 
e sempre omesso quello del proprio casato. Che con esse il nome di 
quel magistrato e non quello dello zecchiere si abbia voluto indicare 
lo prova il trovarsi sempre dopo l'iniziale del nome di battesimo la 
lettera I per /ustinianus, nome dei vari podestà succedutisi sino al 
1562, sulle monete del qual anno evvi V - I- iniziali conosciute del- 


cià Ga- 


l’ultimo supremo magistrato dell’isola , Vincenzo Giustiniani , g 


ribaldo. 

A capo di questa serie crediamo di dover collocare un pezzo pic- 
colo (T. II, n.° 41) avente nel diritto il solito castello turrito con 
sopra un'aquila nascente, il tutto accostato dalle lettere L - I, ed 
attorno >- 3 CIVITAS 3 CHII, e nel rovescio una croce biforcata e 
+ CONRADVS 3 REX 3 R 3. Le lettere L. I. pare non debbano indi- 
care altri che Lorenzo Giustiniani Banca, che fu podestà in Scio nel 
1483 (*) (#*). Quest esemplare poi pesa grammi o. 675, altri sonovi 


(*) « Il già lodato signor dottore Hopf fu quegli che cortesemente ci comunicò un lungo elenco 
» di questi podestà da lui raccolti nell’archivio Giustiniani in Roma ed in Genova. » 
(**) « L’autore anonimo della Storia di Scio, che conservasi nella biblioteca civica di Genova, 


376 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


di grammi o. 610 e grammi o. 445, e tutti di lega, come abbiamo rico- 
nosciuto , bassissima; onde non dubitiamo di dire che sono caratti , 
specie minima fra quelle d’argento che a quest'epoca battevansi ancora 
nell’ isola. 

In seguito non troviamo più monete basse, ma solamente di rame, 
e nella serie di queste la prima (T. IV, n° 42) ha il campo del 
diritto spaccato in due; nel primo evvi il castello e l’aquila coronata, 
e nel secondo il simbolo del tempio dei tornesi e sotto B : I, con 
attorno >- : CIVITAS - CHII, e nel rovescio una croce patente con 
+ CONRADVS - REX - ROMA -, e pesa grammi 4. 580. 

Si è collocata questa per la prima perchè parci la più antica di tutte 
avendo quel tempietto che sulle altre non vedesi, e tenendo iniziali che 
non possono attribuirsi che a Battista Giustiniani Campi podestà nel 
1487 e 1488. 

La seconda (T. IV, n.° 43) è uguale alla precedente, salvochè l’aquila 
è senza corona, e ciò per inavvertenza dell’ intagliatore del conio; è 
del peso di grammi 4. 400. 

La terza (T. IV, n.° 44) nel diritto colla stessa leggenda delle pre- 
cedenti ha nel campo solamente il castello turrito con sopra laquila 
nascente coronata, ed accostata dalle lettere N - I; nel rovescio poi 
attorno alla solita croce ha >- - CONRADVS - REX - ROMANOR - Pesa 
grammi 3. 000, ed un altro esemplare simile grammi 2. 100. 

La quarta (T. IV, n.° 45) è in tutto uguale alla suddetta, ma nel 
rovescio leggesi +2 - CONRADVS - REX - ROMANO -, e questa pesa 
grammi 4. 500. Chi si volesse indicare colle lettere N - I non è certo, 
tre essendo stati 1 podestà nel secolo XVI ai quali si possono attribuire 
questi pezzi, cioè Nicolò di Andriolo Giustiniani Campi, che lo fu nel 
1512 e 1538, Nicolò di Vincenzo Garibaldo nel 1528 e Nicolò di Silvestro 
Giustiniani Campi nel 1504. 

La quinta (T. IV, n.° 46) dalla parte dello stemma ha le lettere D-I, e 
da quello della croce + CONRADVS : REX : RO -, ed è di grammi 4. 400. 

La sesta (T. IV, n.° 47) simile alla precedente ha dal lato della 
croce > : CONRADVS - REX - ROMA -, ed è di grammi 5. 420. 


» scrisse che le lettere L. I. indicano Lazzaro Giustiniani, ma nessun Lazzaro si conosce podestà 
» di Scio dopo l’anno 1400; onde abbiamo messo Lorenzo , che ci parve essere quello al quale 
» con maggior probabilità si può dare questa monetina. » 


DI DOMENICO PROMIS. 377 


In questi due pezzi le iniziali D : I indicano Domenico di Gio. 
Antonio Giustiniani Campi che fu podestà nel 1529. 

La settima (T. IV, n.° 48) dalla parte del castello ed aquila ha 1: BI, 
le due prime lettere legate assieme, e dall’altra una croce un po’ ornata 
alle estremità delle braccia, e >- : CONRADVS - REX : ROMANORV - 
Pesa grammi 2. 600. 

Vari furono nel 1500 i podestà ai quali possono appartenere queste 
iniziali, cioè Giambattista di Brizio Giustiniani Forneto nel 1507-1521, 
Giambattista di Urbano Giustiniani Negri nel 1517 ed altri ancora che 
si tralasciano nulla potendo determinare. 

L’ottava ed ultima (T. IV, n.° 49), colle lettere F : I nel diritto, 
ha nel rovescio attorno alla croce >- - CONRADVS - REX . RO - ed è 
di grammi 4.605. È probabile che queste lettere F - I siano le iniziali 
di Francesco di Lorenzo Giustiniani Banca podestà circa il 1520. 

Queste sono le sole monete in rame che sinora conosciamo colle 
iniziali dei nomi di podestà di Scio; ma varie altre avrannosi ancora a 
scoprire essendo numerosi quelli che ressero tal carica dal 1500 al 
1566; in quanto poi al loro valor nominale, siccome in questo secolo 
moneta minuta più non si battè, ad eccezione dei caratiz, a questa 
specie non rimane dubbio che esse spettino , quantunque più nessun 
rapporto abbiano cogli antichi del 1300 e dei primi anni del 1400, 
quando cioè lavoravansi d’argento; ed è in questo ad osservarsi quanto 
fossero scapitati abbisognandone nei primi tempi 48 per un fiorino buono, 
ed indi sul finire del 1400 sino 130, e forse più progrediendo innanzi 
li vedremmo diminuiti se avessimo documenti che di essi facessero ancora 
menzione. 

In quanto al trovarsi ora tutte le monete basse esclusivamente di 
rame, cosa che si è veduto essersi già dai maonesi tentata sin dal 
1484, ci fa conoscere che essi, visto come in Oriente dai Munsulmani 
quelle anche emettevansi per ingordigia di guadagno , trovandosi ora a 
se stessi come abbandonati, subito ne ripresero la battitura vedendo 
quanto potevasi lucrare, nemmeno poi badando che almeno nel peso 
fossero i pezzi poco presso uguali; e se dobbiamo arguirlo dal numero 
che ancor al presente se ne va scoprendo, la quantità emessa dovette 
essere assai considerevole. 

Dopo queste monete mal battute e peggio intagliate, sul cader della 
Maona ne abbiamo alcune d’argento meglio lavorate e di più grazioso conio. 


Serie II. Tom. XXIII, 48 


378 LA ZECCA DI SCIO ECC. 


La prima e più grande (T. IV, n.° 50) ha nel diritto il solito castello 
turrito sormontato da aquila nascente coronata, ed accostato dalle let- 
tere V : I, con sotto l’anno 1562, ed in giro - . CIVITAS - CHII; 
nel rovescio poi attorno ad una croce ornata >- - CONRADVS - 
REX - RO. Pesa denari 5.2 pari a grammi 6. 500 e potrebbe essere 
a denari ro. 20, ossia millesimi goo (1). 

La seconda (T. IV, n.° 51) che ci venne comunicata dal già lodato 
signor Franchini, abbenchè di conio più ristretto, è simile alla prece- 
dente dal lato dello stemma, ma dall’altro ha una croce fiorita con in 
giro > - CONRADVS - REX - ROMANO. Quest esemplare pesa de- 
nari 3.3 circa, o grammi 4. 000, come un altro simile del quale 
abbiamo un calco dal cortese padre Pellegrino Tonini, dotto nummografo 
di Firenze. 

La terza (T. IV, n° 52), quantunque di minor diametro, è uguale 
alle suddette nel diritto, ma nel rovescio ha una croce un po’ ornata 
alle estremità e la leggenda + - CONRADVS - REX - ROMA. Pesa 
denari 1. 13. 12 pari a grammi 2. 000, e l’ebbimo dal signor Franchini. 

La quarta (T. IV, n.° 53) è varia dalla precedente solo nella leg- 
genda del rovescio che è +- CONRADVS REX RO , e nel peso che 
è di grammi 1. 555. 

In questi pezzi, nei quali vedonsi le lettere V - I - iniziali di Vincenzo 
di Tommaso Giustiniani, già Garibaldo, podestà in detto anno 1562, 
abbiamo una piccola serie di moltiplici di caratti, che però non sappiamo 
come determinare esistendo troppa disuguaglianza nei pesi, poichè il 
primo non può corrispondere col secondo, del quale o dovrebbe essere 
il doppio o la metà di più, ma non sta nè per l'un caso nè per l’altro; 
il terzo sarebbe la metà del secondo, ma il quarto che dovrebbe essere 
ad esso uguale diminuisce di grammi o. 445 dal suo peso; per la qual 
cosa dobbiamo aspettare a stabilire il loro valore quando troveremo 
qualche documento che ci arrechi sopra tali monete alcun lume. 

Abbiamo ancora per comunicazione del prelodato P. Tonini un 
largo pezzo in rame, i cui conii furono certamente intagliati da un 
artista italiano (T. IV, n.° 54), nella cui terza parte superiore del 
diritto vedesi un’aquila nascente coronata, e nella parte inferiore in giro 


(1) Questa moneta venne già pubblicata dal Giustiniani a pag. 54 del libro La gloriosa morte 
de’ 18 fanciulli Giustiniani. Avellino 1656. 


DI DOMENICO PROMIS. 379 


attorno il campo nel quale è il castello colle tre torri merlate, però toc- 
cando solamente l’orlo della moneta , la leggenda CIVITAT : CHIO 
MONET : IVSTINIANA; nel rovescio poi vedesi una piccola croce con 
attorno & CONRADVS & REX 4 ROMANORVM. Il suo peso è di 
grammi d. doo. 

Il Friedlaender (1) dal catalogo del museo Dunziano (Amburgo 1750, 
pag. 375, n.° 1921) cita una moneta con questa stessa leggenda, e 
che dalla sua descrizione appare uguale alla suddetta nel tipo, ma 
dice esser d’argento e pesare °|,; di /oths ossia grammi 4.575. Dal 
genere d’intaglio e dalla disposizione e forma della leggenda, che nulla 
hanno di comune colle monete del secolo XVI al quale dovrebbero 
spettare, abbiamo quasi certezza che questi pezzi siano opera di qualche 
falsario piuttosto moderno, e forse dello stesso che falsificò quello 
d’argento sopra descritto col n.° 49, abbelliendone l’impronto e por- 
tandone il diametro a 3 centimetri ed il peso a denari 5.23 ossia 
a grammi 7.625, ma che paragonato col genuino all'occhio pratico 
subito compare lavoro dei nostri tempi. 

Per nulla omettere dobbiamo ancora notare che Vlastos (2) descrive 
come sciotta una moneta che dice battuta prima dei Giustiniani, nel 
cui diritto sarebbe il busto di un arconte con quello di una bella 
giovane e la leggenda MONETA MACRI CHIO, e nel rovescio la 
fisura dello stesso arconte che sposò Eumorfia figlia di Sclerione. 

Da questa descrizione si vede che chi l’ebbe fra le mani non co- 
nosceva la numismatica del medio evo, poichè monete colla figura di 
un magistrato e della sua moglie con iscrizione latina e anteriori ai 
Giustiniani non possono esistere, avendo veduto che dal 1301 al 1329 
apparteneva l'isola ai Zaccaria, e dopo il 1346 conosciamo quali furono 
le monete dei maonesi che tali impronti non poterono mai avere. 

Sotto i Bisantini poi non potevano aver leggende latine , e avrebbe 
dovuto esser in greco il nome dell’arconte in questione per dover essere 
di quella nazione; per il che crediamo che tale pezzo non pnò apparte- 
nere che al decimosesto secolo avanzato, e probabilmente vi era scritto, 
come in moltissime sopratutto di Germania, Moneta marchio per mar- 
chionis o marchionum, e perchè un po’ guaste le lettere si credè staccata 


(1) Numismata inedita. Berolini 1840, p. 30. 
(2) XIAKA HTOI ISTOPIA THE NHZOY XIOY. EPMOTHOAEI, 1840. Tom. II, pag. 45. 


3 So LA ZECCA DI SCIO ECC. 
la finale CHIO, e senz’alcuna critica dall’autore si attribuì ad un ma- 
gistrato della propria nazione. 

Prima di chiudere la descrizione di questa ricca serie di monete sciotte 
diamo l’impronto d’una curiosa tessera in rame proveniente dall’Arci- 
pelago, non ultimo di quei tanti pezzi dei quali ci favorì il disegno il 
già lodato signor Lambros. Ha essa da una parte (T. IV, n.° 55) un 
castello a tre torri merlate e circondato da cinque rosette, e dall’altra 
una croce patente accantonata pure da quattro rose. Una delle torri è 
guasta da un contrassegno improntatovi sopra, che pare un T. È del 


peso di grammi 1.070, e vedesi lavoro del secolo XV. Il castello 


è uguale a quello delle monete di Scio, e perciò quantunque non abbia 
alcuna leggenda che ne provi l’origine, tuttavia senza timore di errare a 
quest'isola lattribuiamo per causa del suo tipo che così fatto non tro- 
vasi in Oriente che sulle monete dei conti di Tripoli, i quali però 
erano a questa data da due secoli estinti. 

Con ciò mettiamo fine alla illustrazione di questa quasi diremmo 
inedita officina monetaria, che sebbene appartenga ad un'isola vicina 
alle coste dell'Asia minore, tuttavia si può classificare tra le italiane, 
perchè apertavi prima da una potente famiglia di Genova, e indi con- 
servatavi sotto l’alta sovranità di detto comune da una società di mercanti 
liguri sino ad oltre la metà del secolo XVI, quando, ad eccezione di 
Cipro e di Candia ancora tenute dalla repubblica di Venezia , nessuno 
più vi esisteva dei tanti stati latini che in Oriente si erano formati 
in seguito alle crociate, e che sebbene assai più potenti, tuttavia molto 
prima di Scio caddero sotto il dominio ottomano. 


nur 


DI DOMENICO PROMIS. 381 


Dall'archivio di Governo , sezione dei Collegi, sala ottava, filza Monetarum , 
e comunicatoci dalla cortesia del Cav. Avv. Desimom, imp. nell archivie 
governativo di S. Giorgio in Genova. 


DECRETUM PRO CUDENDIS MONETIS IN CHIO 


MCCCCLXXVLIII DIE XV SEPTEMBRIS. 


Speciali e prestanies Domini Novem Gubernatores civitatis et insule Chij in Janua 
constituti. Quorum nomina sunt hec: 

Raphael Justinianus q. Francisci — Gregorius Adurnus — Baptista Justinianus 
q. Johannis — Johannes Justinianus q. Vescontis — Thomas Justinianus q. Juliani 
—-Raphael Justinianus q. Thomae — Lucas Justinianus Antonii — Bernardus Paterius 
subrogatus loco q. Domini Bapliste de Goano et Franchus Justinianus de Banca. 

Certiores facti ex litteris et verbo quod monete argentee quae fiunt in Chio ita 
debiles et non idonee sunt. Ex quo fit quod locus ille propter ialem abusum ac pariter 
mercalores grandem iacturam patiantur et ob id volentes huic damno occurrere, habito 
prius consilio cum Magnificis Dominis Antianis et spectato officio Chii ac eiiam cum 
diversis civibus et mercatoribus ex prestantioribus civitatis laudantibus rei monetarie 
et solutionibus faciendis de remedio opportuno provideri ne ob ipsam causam civitas 
illa a solita mercatura decideret. Re ipsa mature revoluta et inter eos examinata pro 
bono et utilitate loci Chij et populorum illius insule ac mercatorum qui civitatem illam 
frequentanti. omni via iure modo ei forma quibus melius ei validius potueruni et pos- 
sunt. hoc solemni decreio perpeiuis temporibus valituro statuerunt deliberaverunt 
ac decreverunt: Quod omnes et singuli contraclus cuiuscumque conditionis qualitatis 
ac manerei (sic) in banc usque diem facti in civitate et insula Chij tam inter mercatores 
Januenses quam inter incolas et habitatores dicte insule seu extraneos vel alios 
cuiuscumque generis et nominis ita ut quipiam exclusus non intelligatur sed generaliter 
inclusus. et pariter ceteri contractus omnes de cetero faciendi a die publicationis pre- 
sentis decreti in civitate Chij et exinde per mensem proxime seculurum vigore quorum 
contractuum solvi debent ducati Chij ducali ipsi solvantur et solvi debeant ad rationem 
et computum caratorum sexaginta octo pro singulo ducato Chij. 

Item statuerunt et decreverunt ut ziliati fabrica ..(ti ?) in Chio non possint 
de. ...(cetero ?) elapso termino suprascripto expendi nec in solutum. dari nec insuper 
quis cogi possit directe nec per indireclum illos accipere statuentes ac decernentes 
quod elapso dicto termino de ipsis zilialis fieri debeat Bogionum in publica cecha. 

Item statuerunt et decreverunt quod staiim habita noticia presentis decreti cudi et 
fabricari possint et debeant in publica cecha dicte civitatis et insule monete auree et 
argentee videlicet ducati in auro largi boni auri et justi ponderis ac de liga approbata 


362 LA ‘ZECCA DI SCIO ECC. 


proul suni ducati januenses et veneti el ziliati boni argenti videlicet de liga unciaruni 
undecim cum dimidia quorum octoginta octo numero ponderent libram unam ponderis 
januensis. et undecim valeant ducatum unum largum et que quidem monete auree et 
argentee cudantur et cudi debeant sub stampis solitis Chij. declarantes quod quelibet 
persona cuiuscumque gradus et conditionis existat possit fabricari facere in publica 
cecha videlicet ducatos aureos largos et ziliatos argenteos qualitalis et condictionis 
suprascripte solvendo mercedem operarii dicte ceche dumtaxat sine aliqua mercede et 
utilitate dicte Mahone. 

Item statuerunt et decreverunt quod a die publicationis presentis decreti et exinde 
per mensem proxime seculurum ut supra fieri debeant contractus in dicla civitate et _ 
insula ad rationem ducatorum in auro largorum boni auri et iusti ponderis prout su- 
perius diclum est. De quibus ducalis vel ziliatis argenteis bonitatis et ponderis de quibus 
supra fieri debeant solutiones omnium contractuum pro tribus quartis parlibus. et pro 
reliqua quarta parte karatorum ad ralionem de caratis octoginta pro singulo ducato 
largo. declarantes insuper ac statuentes quod omnes contraclus qui post terminum 
superius declaratum celebrabuntur et contrahentur in dicta civitate et insula non valeant 
nec teneant et ipso iure nulli et irriti remaneant nisi ut supra contrahantur et fiant 
ad computum et rationem monete de qua superius mentio facta fuit. 


Angelus Johannes de Compiano notarius et dicte Mahone cancellarius. 


MCCCCLXXVIIII DIE XVII SEPTEMBRIS. 


Illustris et excelsus Dominus Baplista de Campofregoso Dei gratia Januens. Dux et 
populi defensor, et Magnificum Consilium Dominorum Ancianorum ac spectatum officium 
Cinijposoe (sedens?) Janue in legittimis numeris congregati. Quorum hec sunt nomina: 

Bartholomeus Imperialis Prior — Gentilis de Camilla — Franciscus Scalia — 
Johannes de Moniardino — Guiraldus de Vivaldis — Mattheus de Ferraris — Lodisius 
Fugibertis (?) — Manuel de Grimaldis ceba — Benedictus Ususmaris — Thomas Sixtus 
Notarius — Franciscus de Saulo — Thomas de Auria. 


Spectati vero officii Chij nomina sunt hec: 


Nicolo Maruffus Prior — Thomas Gentilis — Petrus de Persio — Hieronimus de 
Mentesoro — Johannes Baplista Lomelinus — Hieronimus Salvagus q. M. — Antonius 
Spinula q. B. — Nicolaus de Brignali. 

Cum suprascriptam deliberationem per Gubernatores civilalis et insule Chij in Janua 
constitutos factam intellexissent omniaque in ea contenta. Cognoscentes illam cedere 
utilitati maxime illius insule, cui equum sit in omnibus iustis causis favere, omni iure 
via modo el forma quibus melius potuerunt et possunt ipsam deliberationem et omnia 
in ea contenta approbaverunt et ratificaverunt approbant et ratificant. Ita quidem ut 


DI DOMENICO PROMIS. 383 


nullo umquam tempore opponi illi recte vel indirecte a quocumque possit. mandantes 
spectato nunc potestati Chij aliisque futuris nec non gubernatoribus Mahone dicti loci 
aliisque futuris quatenus sub pena fideiussionum per eos prestitarum et prestandarum 
que in casu contrafactionis irremissibiliter exigentur deliberationem ipsam observent 
faciantque ab aliis inviolabiliter observari. Volentes insuper et mandantes quod omnes 
et singuli ufficiales et magistratus comunis Janue ubilibet conslituti deliberationem 
ipsam observent nec cuicumque ipsi contravenire volenti audientiam prestent, sub 
pena sindicamenti aliaque graviori arbitrio ipsorum Ill.mi Dni Ducis consilii et officii. 
Et ne quis de suprascripta deliberatione ignorantiam possit pretendere mandatur dicto 
potestati ut de ea publico preconio in locis consuetis civitatis Chij noticiam faciat sub 
pena predicta. In quorum maius testimonium has nostras lileras registratas iussimus 
sigilli nostri impressione muniri. 


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TAV. I. 


TAV. II. 


TAV. IV. 


LA 


ETUDES 
D'HISTOIRE ET DE MORALE 


SUR 


LE MEURTRE POLITIQUE 


CHEZ LES GRECS ET CHEZ LES ROMAINS 


E. EGGER 


MEMBRE DE L’INSTITUT DE FRANCE 


— ————___ 


Lu dans les seances du 17 et 31 décembre 1865. 


—T — 


A la distance des siècles, et malgré bien des différences dans la 
religion, la politique et la morale, notre société moderne conserve avec 
les sociétés anciennes, d’où elle descend, de nombreuses ressemblances. 
Nos meeurs et nos révolutions semblent souvent reproduire les moeurs 
et les révolutions de Rome et d’Athènes. Notre éducation classique , 
toute empreinte de l’esprit des anciennes républiques, en perpétue 
chez nous certains préjugés comme elle en perpétue les plus nobles 
principes. Ces analogies, naturelles ou transmises, entre le monde mo- 
derne et l’antiquité, donnent un intérét doublement sérieux à quelques 
pages de l’histoire grecque et de l’histoire romaine, comme celles que 
je me propose d’étudier ici. Je n'y ai pas recherché le plaisir de 
raconter, sous des noms grecs et latins, quelques scènes de nos annales; 
mais je n’ai pas à me défendre d’avoir voulu éclairer, par l’étude des 
faits anciens, un douloureux problème de morale qui semble ètre de 


tous les temps. Le spectacle d’événements récents est une légitime 
Serie II. Tom. XXIII. 49 


386 ÈÉTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 


occasion de reporter nos yeux vers l’antiquité, d’y rechercher les exem- 
plesttet les doctrines du fanatisme politique, pour les examiner de 
nouveau, avec le calme d'un jugement impartial. Notre profession 
d’érudits s'inspirerait d'une curiosité bien futile, si, dans ces  vieilles 
histoires elle.ne recherchait qu’une distraction pour l’esprit, et non un 
enseignement pour la conscience. 


I 


Deux noms, d’un éclat sinistre, personnifient dans l’histoire ancienne, 
le meurtre politique, les noms d'Harmodius et d’Aristogiton. Rien n'est 
plus connu que le chant populaire, ou Scolior, en l’honneur de ces 
deux meurtriers d’un fils de Pisistrate. Autant est obscur le nom du 
poéte Callistrate à qui on l’attribue, autant l’oeuvre elle-mème est 
devenue célèbre : c'est comme la Marseillaise du peuple athénien. 

« Je porterai le poignard sous la branche de myrte, comme Harmodius 
» et Aristogiton, lorsquw'ils tuèrent le tyran et rendirent Athènes è la 
» liberté. 

» Cher Harmodius, on dit que tu n’es point mort, mais que tu 
» vis encore dans les îles des bienheureux, auprès du rapide Achille 
» et de Diomède le fils de Tydée. 

» Je porterai le poignard sous Ja branche de myrte, comme Harmodius 
» et Aristogiton, lorsque, dans les fètes d’Athènes, ils tuèrent le tyran 
» Hipparque. 

» Votre gloire durera toujours sur la terre, cher Harmodius, cher 
» Aristogiton, parce que vous avez tué le tyran et rendu Athènes à 
» la liberté. » (1). 

Ces vers d’une rudesse originale sont dans toutes les memoires. On 
connaît déjà un peu moins, sur cette prétendue délivrance d’Athénes , 
les sévères jugements d’Hérodote et de Thucydide. Hérodote pourtant 
soutient que les Aleméonides furent les vrais libérateurs de leur patrie ; 
mais qu’ Harmodius et son ami, par le meurtre d’un Pisistratide , 
irritéerent les autres fils de Pisistrate et rendirent ainsi plus étroite la 


(1) Chant conserve par Athénée, Diprosoph. XV, p. 695, A; attribue a Callistrate par Hésychius, 
au mot ‘Appodicv pé)os; cité par Aristophane, Lysistrata, v. 632; Acharniens, v. 990 et 1093, 
Guépes, v. 1226. C£ les Scholies sur le second passage d’Aristophane. 


PAR E. EGGER. 387 
sujétion où vivaientles Athéniens (1). Thucydide, après une rigoureuse 
information sur ce .sujet, nous révélant les motifs infàmes de l’acte 
entrepris par Harmodius contre Hipparque, lui enlève jusqu'au caractère 
d’exaltation  désintéressée où l’on cherche souvent. l’excuse du meurtre 
politique (2). Si anciens et si graves qu'ils soient, de tels témoignages 
ne pouvaient facilement prévaloir contre l’enthousiasme populaire, per- 
pétué jusqu'à nous, qui s'obstine à voir des héros dans les deux célèbres 
conspirateurs. La littérature. grecque est pleine de ces échos d’une 
admiration aveuglée par le patriotisme, et contre laquelle la critique 
ancienne a vainement proteste. 

A la veille du combat de Marathon, Miltiade, chez Hérodote, dit 
à l'archonte Callimaque, sous les ordres de qui était placée la petite 
armée athénienne: « Il dépend aujourd’hui de toi d’asservir Athènes, ou, 
» en l’affranchissant, de t’assurer pour jamais, dans le souvenir des hom- 
» mes, une gloire supérieure à celle d’Harmodius et d’Aristogiton (3) ». 
C'est là pour nous comme le premier éclat d’une fanfare qui se renou- 
vellera sur tous les tons, à travers les siècles, au théàtre comme à la 
tribune, dans les récits des historiens comme dans les discours des 
orateurs et des sophistes. Les arts se sont de bonne heure associés à 
ces hommages de la poésie et de l’éloquence. Il serait superflu d’énu- 
mérer, sur ce sujet, les innombrables témoignages de l’antiquité (4); 
mais il n'est. peut-ètre. pas inutile d’en apprécier quelques-uns, et 
d’éclairer, par quelque comparaison, la tradition relative aux deux héros 
libérateurs. C'est une étude de morale que n'a, je crois, essayé aucun 
des historiens modernes de la Grèce, et qui vaut bien la peine des 
recherches qu'elle peut corìter. 

Un des premiers documents authentiques de l’histoire d’Athénes est 
le serment que prononcaient, avant d’entrer en charge, les citoyens 
appelés à faire partie de l’Héliea, les Z/eZiastes, comme on les appelait 
alors. Or, dans ce serment, dont la rédaction semble remonter au temps 
de Solon mème, entre autres engagements solennels, les Héliastes 


(1) Herodote, VI, 123 et V, 55. 

(2) Thucydide, VI, 54. Cf. I, 20 et Maxime de Tyr, Diss. XXIV. 

(3) Herodote, VI, 109, où il faut remarquer la briéveté de ce petit discours, qui le rend d’au- 
tant plus vraisemblable. 

(4) On les trouve indiqués avec beaucoup de soin par Ilgen (Zxo)ik, id est carmina convivalia 
Graecorum. Iena, 1798) à propos du petit poéme de Callistrate. 


388 ÈTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 


prennent celui de n’appuyer jamais de leur vote ni le partage des 
terres et l’abolition des dettes, ni l’établissement d’ume tyrannie (1). A 
peine constituge, la démocratie athénienne cherchait donc sa sécurité 
entre deux menaces, son équilibre entre deux excès dont elle avait vu 
l'égal péril. Si elle ne voulait plus de maître unique, danger dont la 
preservait encore la celèbre loi de l’ostracisme, elle ne redoutait pas 
moins l’aveuglement des besoins de la foule ignorante, aveuglement 
qui a pris tant de noms et tant de formes dans les agitations de nos 
sociétés modernes. On dirait que les Athéniens ont marqué, il y a 
vingt-cinq siècles, les deux limites extrèmes entre lesquelles ont tou- 
jours oscillé les institutions des pays où l'homme vit de la seule vie 
qui convienne à l'homme civilisé, de la vie de citoyen. 

Mais contre les dangers du despotisme Athènes s’est-elle armée, dès 
lors, d'autres sévérités que de ce serment imposé à la conscience des 
Heéliastes? A-t-elle fait directement appel au tyrannicide? On pourrait le 
croire d’après le document que je vais traduire sur le texte, altéré 
peut-ètre, que nous en a transmis l’orateur Andocide (2). 

« Décret du sénat et du peuple. Prytanie de la tribu antide; Cligènes 
» secretaire; Boéthus épistate; Demophantus rédacteur de l’acte. L’effet 
» du présent décret est à partir du sénat des Cinq-cents tirés au sort 
» lorsque Cligènes était secrétaire de la première prytanie. 

» Si quelqu'un renverse la démocratie qui existe à Athénes, ou 
» exerce une charge après le renversement de la démocratie, qu'il soit 
» tenu pour ennemi des Athéniens, et puisse ètre tué impunément; que 
» ses biens soient vendus au profit de l’État, avec réserve du dixième 
» pour le trésor de la Déesse; que le meurtrier du criminel, ou 
» son complice soient tenus pour exempts de toute sowillure devant les 
» hommes et devant les Dieux. Tous les Athéniens jureront, dans un 
» sacrifice en forme, par tribus et par dèmes, de tuer celui qui aura 
» fait cette action. Le serment sera en ces termes: 


(1) Texte conservé par Démosthène, contre Timocrate, $ 149 (Cf. Schelling, de So/onis legibus, 
p. 33). Ce document a pu èlre alléré en quelques passages; mais l’authenticité n’en paraît guere 
contestable, malgré les doutes exprimés par M. Voemel. Je crois done qu'il aurait pu étre mis 
a profit par M. Freesse, dans sa dissertation, d’ailleurs instructive: der Parteikampf der Reichen 
und der Armen in Athen zur Zeit der Demokratie (Stralsund, 1848, 8°). 

2) Sur les Mysteres, $ 93 (Cf. Schelling, de Solonis legibus, p. 7; et Schoemann, de Comitiis 
Atheniensium, c. XII, p. 131 et suiv.). — Démosthène, Contre la loi de Leptine, $ 159, trapserit 
une partie de ce texte et en confirme ainsi l’authenticite. 


PAR E, EGGER. 389 

» Je tuerai de ma main, si je le puis, celui qui aura renversé la 
» démocratie dans Athènes, ou exercé une charge après le renversement 
» de la démocratie, celui qui affectera la tyrannie, ou aidera un autre 
» à l’établir. Si un autre que moi le tue, je le regarderai comme pur 
» devant les Dieux et les Génies, pour avoir tué un ennemi des Athéniens. 
» Je ferai vendre les biens du mort, et j'en attribuerai la moitié au 
» meurtrier, Sans en rien distraire ni par mes paroles, ni par mes actes, 
» ni par mes votes. Si un citoyen meurt en tuant le tyran, ou dans 
» cette entreprise, je le traiterai lui et ses enfants avec le mème honneur 
» quÒont obtenu Harmodius et Aristogiton, et leurs descendants. Tous 
» les serments qui ont été jurés à Athéènes, dans le camp, ou ailleurs, 
» contre la démocratie, je les déclare nuls et sans effet. 

» Que les Athéniens jurent donc ce serment légal, dans un sacrifice 
» en forme, avant les fètes de Dionysos. On appellera en outre beaucoup 
» de bonheur sur celui qui l’accomplira; on vouera au malheur la per- 
» sonne et la race du parjure (1). » 

Ce texte nous est donné, chez Andocide, comme une loi de Solon; 
mais il offre plusieurs indices d'une date moins ancienne; d’abord la 
teneur du protocole, qui appartient aux temps voisins de l’archontat 
d’Euclide et de la mort de Socrate; puis et surtout la mention des deux 
libérateurs d’Athènes, et des honneurs accordés à leurs descendants. En 
outre, tout semble prouver que Solon n'a pas encouragé, par une loi 
formelle, le tyrannicide. Diodore de Sicile lui fait honneur, il est vrai, 
d’avoir, pour ainsi dire, mis les armes aux mains d'Harmodius et d’Aris- 
togiton (2); mais c'est là une de ces figures de rhétorique, qu'il ne faut 
pas prendre à la lettre, surtout chez un écrivain de second ordre: 
Diodore n'a sans doute voulu marquer par ce trait que le vif amour de 
la liberté que les institutions de Solon devaient entretenir chez les 
Athéniens. D'ailleurs nous avons contre Diodore le témoignage authen- 
tique d'une loi de Solon conservée dans Plutarque (3), je veux dire la 
loi qui, réhabilitant les citoyens déchus de leurs droits (&7101) par swite 


(1) Avec ces formules d’imprécation on peut comparer les formules semblables dans les décrets 
de Mylasa qui seront cités plus bas; puis le n° 3044 du Corpus Inscr. graec., ei le n° 2851 de 
l'Ephémeride archéologigque d’Athènes. 

(2) Biblioth. Hist., IX, 1, $ 4: Ta tovrov vopodzcia radoriuabevtes tds Wuyks ‘Appòdtos rat ’Apratoyeitor 
sora)ie èmregeipara» tiv T6v Mewototparidoy &pyriv. Cf. X, 16. 


(3) Zie de Solon, c. 19. 


3g0 ÈTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 


de quelque condamnation antérieure à l’archontat du législateur, excluait 
de cette faveur les citoyens exilés pour cause de tyrannie. L’exil semble 
donc la seule peine légale qui fùt alors. portée contre l’usurpation du 
pouvoir, et ce n'est pas la loi, c'est un fanatisme tout spontané qui 
arma. contre les Pisistratides la main de leurs deux meurtriers. 

Solon lui-méème avait dédaigné de se faire souverain d’Athènes, quand 
ses amis l’y poussaient, quand l’état mème de la république semblait 
ly inviter (1). Mais il ne songea sans doute pas. à préserver sa patrie 
contre un pareil attentat par de tragiques menaces, comme celles qu'on 
lit dans le texte transcrit. chez Andocide. La passion republicaine 
n’'était pas alors exaltée à ce point. Athènes était, fire de sa liberté, 
mais encore peu inquiete de la perdre. Si elle pensait, avec son Iégis- 
lateur (2), que les grands hommes sont toujours un péril pour la 
démocratie , il ne paraît pas du moins qu'elle songeàt à sen préserver 
autrement que par l’étrange et salutaire rigueur de l’ostracisme. L’ex- 
périence ne tarda pas à irriter ses inquigtudes à cet égard. D’abord la 
longue domination de Pisistrate et de ses fils, puis l’invasion persane, 
qu’avait presque dirigée un des Pisistratides, Hippias, qu’avaient encou- 
ragée ou mollement combattue les petites royautés du nord et de l’oc- 
cident; puis la naissance d’un véritable parti persan en Gréce (3), toutes 
ces causes ravivèrent et entretinrent chez les vrais Hellènes l’horreur 
de la tyrannie; elles expliquent la loi sanguinaire qui n’aurait point eu 
de raison d’ètre au temps de Solon. Plus itard, et par un progrès 
naturel de l’opinion publique, les triomphes militaires de la démocratie 
athénienne sur l’aristocratie, que représentait et soutenait Lacédemone, 
furent volontiers assimilés au meurtre du Pisistratide. C'est presque à 
titre de continuateur de l’oeuvre d’Harmodius et d’Aristogiton, que 
Conon, vainqueur de Lacédémone, recut, comme eux, l’honneur d'une 
statue d’airain, comme eux et leurs descendants, des: immunités consi 


dérables (4). Ainsi se forma peu à peu, autour des deux héros, l’auréole 


(1) Ze de Solon, c. 14. 
(2) Vers de Solon conserves dans Diodore de Sicile, XIX, 1, et Diogène Laérce, I, 52. 

(3) Voir sur ce sujet le Mémoire de M. de Koutorga inséré au Recueil des Memoires présentés 
par divers savants à Vl Académie des Belles-Lettres, t. VI, ire série, ire parlie. ù 
4) Démosthène, Contre la loi de Leptine, $ 68 et suiv. Cf. $ 18, 29, 127 et 159, où revient 
cette menlion des immunilés accordées à la famille des héros libérateurs. On la retrouve encore 

dans le discours contre Midias, $ 46. 


PAR E. EGGER. 391 


brillante qui cachait sous l’éclat d’un succès, d’ailleurs contestable et 
contesté, la honte d’un assassinat inspiré par des motifs de vengeance 
privee. Les honorer dans leur personne et dans celle de leurs descendants 
devint comme un article de foi républicaine. 

Cette érection d’une statue n’était point d’abord l’honneur que l’on 
vit plus tard prodigué aux moindres bienfaiteurs de l'État; c’était 
presque une apothéose. Car, à l’origine, les Athéniens ne dressaient 
de statues qu’'aux dieux et aux personnages héroiques. Les meurtriers 
d’Hipparque furent les premiers dont la gloire parut autoriser une 
exception à cette règle (1). On a conservé le nom de l’artiste, Anténor, 
qui fondit la ‘statue d’Harmodius et celle de son ami, toutes deux 
entourées par les Athéniens d’une sorte de vénération religieuse. Enle- 
vées par Xercès, en 479, elles leur furent rendues par Alexandre ‘ou 
par un des Seleucides (2). Mais, avant cette restitution, un autre groupe 
avait été commande, pour remplacer l’ancien, au statuaire Critios. Il 
reste du premier, ou plutot de quelque reproduction qui en fut faite, 
à une date inconnue, une base avec inscription récemment découverte 
parmi les ruines d’Athénes, et l'on a cru en reconnaître une autre 
imitation sur un bas-relief retrouvé dans le voisinage du Prytanée (3). 
C'est, sans doute, à l’un de ces deux premiers monuments qu’était 
destinée la 132° épigramme de Simonide qui dit, en deux vers d’une 
precision toute archaique: « Une grande lumière se leva sur Athènes 
» quand Hipparque peéerit sous les coups d’Aristogiton et d'Harmodius. » 
Le célèbre Praxitèle, s'il n°y a pas erreur dans un témoignage de Pline 
sur ce sujet (4), fondit aussi en bronze les statues des deux libérateurs. 
Il est peut-étre moins démontré, mais il est pourtant naturel, que les 
Athéniens aient figuré jusque sur leurs monnaies ces deux mémes images: 
un petit groupe de deux héros armés, que nous offrent le tétradrachme 
attique marqué des noms de Mentor et de Moschion, rappelle d’une 
manière frappante deux belles statues du Musée de Naples où les anti- 
quaires paraissent d’accord à reconnaître la copie de l’un des trois 


(1) Pline, ist. Nat., XXXIV, 19, $ 10. 

(2) Pausanias, I, 8,65; Arrien, Expced. d° Alexandre, IT, 16, $ 13 et VIT, 19, S 4; Valère 
Maxime, II, 10; Exterza, 1. 

(3) Voir les textes réunis par R. Rochette, Lettre à M. Schorr, 2° éd., p. 203. 

(4) Hist. Nat., XXXIV, 19, $ 10, où il suppose étourdiment que ce fut ce groupe que les Perses 
avaient emporté en Asie. 


3g2  ÉTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 


groupes d’Anténor, de Critios ou de Praxitèle (1). Rien ne consacre 
mieux une renommée populaire que ne font ces sortes de représenta- 
tions. Elles simplifient à la fois et elles amiment le souvenir; effet qui 
devait ètre d’autant plus sùr, chez les Athéniens, que les statues des 
deux héros se dressaient dans l’Agora, auprès de la tribune où l'on 
discutait les grands intéréts de la démocratie. 

S'il faut en croire une tradition accueillie, trop légèrement peut- 
étre, comme tant d'autres, par Pline Vancien, une figure de lionne 
en bronze, ceuvre du vieux sculpteur Amphicrate, représentait indi- 
rectement la courtisane Lena, amie d'’Aristogiton, que le tyran avait 
fait torturer sans pouvoir lui arracher les secrets du complot. En 
signe de sa ciscrétion, les Athéniens avaient voulu que la statue n'eut 
pas de langue. A ce compte, Harmodius et Aristogiton auraient étendu 
jusqu'à leurs complices, jusqu' une courtisane , les priviléges de leur 
gloire (2). 

Signales ainsi comme des modéles du vrai patriotisme, ou plutot 
divinisés, comme l’affirment, sans métaphore, Démosthène et après lui 
Cicéron (3), comme l’atteste formellement Pollux (4), Harmodius et 
son ami n'eurent plus è compter avec la critique des historiens; ils 
furent désormais hors de ses atteintes, dans la région idéale où les 
placait une reconnaissance enthousiaste. L'histoire offre bien des exem- 
ples de ces meprises de l’opinion publique. Dans le cas dont il s’agit, 
la morale peu scrupuleuse des Athéniens ne songea pas méme à jeter 
un voile sur les traits qui déshonorent leur patriotique légende. Eschine, 
plaidant contre Timarque, nous parle de l'amour d’Aristogiton pour 


(1) M. E. Beulé, La Monnaie d’ Athènes, p. 335, fait, contre l’opinion de Stackelberg è cet égard, 
des objeclions assez graves, mais auxquelles paraît répondre avec suecès M. Friederichs dans 
un article de l’Archacologische Zeitung (juillet, 1859, n. 127) sur le groupe du Museo Borbonico. 
Au reste M. Beulé paraît avoir lui-mème renoncé à ses objections, puisque dans le VII chapitre 
de son ZMistoire de la Sculpture avant Phidias (Gazette des Beaux-Arts, décembre 1863) il repro- 
duit comme justement attribué aux deux héros athéniens le groupe qui figure sur les tetradrach- 
mes en question. 

(2) Pline, ist. Nat., XXXIV, 8, $ 19, temoignage ulilement discuté par Sillig, Catalogus 
Artificum, au mot Amphicrates, 

(3) Demosthène, sur l’.Ambassade, $ 280, et Cicéron, pro Milone, c. 29. Cf. id. Tuscul., disp. I, 
48, 49, où l’on voit clairement quelle part eurent les rhéteurs dans cette renommée d’Harmodius 
et d’Aristogiton. 

(4) Onomasticon, VIII, 91: 6 moliuapyos.... dratidnot qòv èmsurdotov ùytiva séiv èv Tolto Arobavivtewy 


nad Tot mepi ‘Apuodio» ivayitet, 


| 


PAR £. EGGER. 393 


Harmodius comme d'un argument que pourra bien alléguer sans em- 
barras le défenseur du vil débauché son adversaire dans le présent procès: 
« Un des stratéges, à ce que yentends dire, se presentera ici pour 
» le défendre, la téte renversée avec complaisance pour lui-mème, 
» comme il sied à un habitué des palestres, qui essaiera d’ébranler 
» toute l’accusation, en prétendant que j'ai apporté là non un grief 
» judiciaire, mais un principe de haute ignorance, et il mettra d’abord 
» en avant vos bienfaiteurs Harmodius et Aristogiton; il exposera leur 
» intime alliance et le service qu'elle rendit à notre patrie. On dit 
» méme qu'il ne s’abstiendra pas des poémes d'Homère et de ces noms 
» héroiques, et qu'il célebrera le prétendu amour d'Achille et de Pa- 
» trocle; et il célébrera la beauté, comme si jadis on en avait fait un 
» bonheur quand méme elle ne s’unissait pas à la vertu (1) ». Voyez 
avec quelle aisance il annonce un argument scabreux, qui ne semblait 
pas devoir troubler beaucoup la conscience des juges. Hypéride marque 
plus nettement encore l'’illusion complaisante qui, à la distance de deux 
sigcles et sous le reflet d’une gloire populaire , épurait l’amitié des 
deux héros. Dans son oraison funèbre de Leosthène il dit, avec un 
tour d’expression étrangement ingénieux, « qu’ils aimérent aussi fidèle- 
» ment les Athéniens, qu'ils s'aimaient l’un l’autre (2) ». 

Un procès, jadis célèbre, mais dont les pièces ne nous sont au- 
jourd’'hui connues que par de rares debris, se rapporte aux mémes 
souvenirs et nous les montre dans toute leur vivacité. 

Après les meurtriers d’Hipparque, Conon était le premier à qui l’on 
eùt décrété une statue d’airain. A cet exemple, et pour une grande 
victoire remportée sur les Lacédémoniens, Iphicrate sembla mériter ie 
méme honneur et méme de plus grands encore; car on proposait d’y 
ajouter ces faveurs ou indemnités que les Athéniens appelaient dopeat, 
et dont jouissaient les descendants d’Harmodius. Un de ces derniers, 
portant le nom de son ancétre, accusa d'illégalité le décret  proposé 
au peuple. Le général athénien se défendit et défendit l’auteur de la 
proposition avec un discours que l’on disait composé par Lysias, mais 
que beaucoup de raisons permettent d'’attribuer è Iphicrate lui-mème. 
On en a conservé quelques traits assez remarquables. « Si, avant de 


(1) Contre Timarque, $ 132. 
(2) Oraison funebre, col. 13, p. 10, éd. Dehèque. 


Serie JI. Tom. XXIII, 50 


394 ÉTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 


» vous rendre service, ]y avais mis pour condition l’honneur de cette 
» statue, vous me l’auriez accordé. Ne me l’accorderez-vous pas quand 
» le service est rendu? Ce que vous promettiez avant l’acte, ne l’enlevez 
» pas après. » Ailleurs il reprochait amèrement au jeune Harmodius 
sa noblesse empruntée : « Harmodius, disait-il, et Aristogiton n'avaient 
» rien de noble avant d’avoir fait une noble action. Ma conduite me 
» fait plus leur parent que ne le fait la tienne. » Et enfin: « Ma race 
» commence avec moi, avec toi la tienne finit; » fiére parole qu'on 
a bien des fois appliquée aux descendants indignes des grands hommes, 
sans songer à quel propos et devant quel auditoire elle fut  d’abord 
prononcée (1). 

La descendance d’Harmodius ne fut pas seule honorée comme on 
vient de le voir par les Athéniens. Plutarque nous raconte, à la fin de 
sa ie d'Aristide, comme un trait de leur générosité, qu'ayant appris 
qu'une nièce d’Aristogiton vivait seule et misgrable dans l’île de Lemnos, 
ils la marièrent en lui donnant pour dot un fonds de terre qui pouvait 
suffire è l’entretien de son ménage, et il assimile sans réserve cet acte 
d'humanité aux soins que prirent ces mèmes Athéniens de la descendance 
du vertueux Aristide. 

Il est étrange, et pourtant il est assez bien démontré que les Athé- 
niens étendirent jusque chez d’autres peuples ces encouragements au 
tyrannicide. Hypéride, par exemple, fit porter un décret en l’honneur 
d'Iolas, le prétendu auteur de la mort d’Alexandre-le-Grand , événement 
qui délivrait la Grèce d'une servitude tempérée par la gloire et par 
l’éloignement mème du conquérant Macédonien (2); mémes honneurs 
furent rendus aux meurtriers de Cotys le roi de Thrace (3). Il n'y a 
pas jusqu’au petit royaume de Phères, en Thessalie, qui m'ait paru 
quelque temps redoutable à la liberté grecque, au point que les cités 
helléniques accueillirent avec enthousiasme, d’'abord les meurtriers de 
Jason, puis, douze ans plus tard, ceux d’Alexandre son deuxièéme suc- 
cesseur (4) On voudrait douter de pareils faits; on peut méme en 


(1) Les textes relatifs à cette affaire sont réunis dans Holscher, De vita et seriptis Lysiae, 
p. 140 et suiv. 

(2) Le faux Plutarque, Ze d’Hypéride, p. 86, éd. Westermann. 

(3) Plutarque, Preéceptes politiques, c. 20; Contre Colotès, c. 32. 

(4) Diodore de Sicile, XVI, 14. Cf. XV, 60, et J. Liebinger, De Rebdus Pheraeis:(Berolini, 1862), 
p. 48 et suiv. 


(SS) 


PAR E. EGGER. 95 
douter quand ils n’ont, comme le prétendu décret d'Hypéride, d’autre 
garantie que le témoignage d'un biographe sans critique. Mais ils sont 
pour la plupart garantis par de graves autorités. Une autorité indirecte, 
il est vrai, mais significative est celle de l’historien Callisthène. Philotas, 
l’ami d’Alexandre , lui demandant un jour quelle personne il croyait 
étre le plus honorge des Athéniens , il répondit que c’étaient Harmodius 
et Aristogiton, pour avoir détruit la tyrannie par le meurtre d’un des 
deux tyrans. Philotas lui ayant, en outre, demandé s’l jugeait que le 
meurtrier d’un tyran pùt trouver un refuge dans quelque cité grecque, 
il répondit qu’Athènes au moins recevrait le meurtrier, elle qui jadis, 
pour deéefendre les enfants d’Hercule , ne craignit pas de soutenir la 
guerre contre Eurysthée tyran d’Argos. C'était, on le voit, chercher 
bien haut dans l’histoire des preuves du dévouement d’Athènes à la 
cause de la liberté (1). 

Mais des autorités plus directes appuient les faits étranges que 
nous venons de rappeler. Au sujet du roi de Thrace Cotys, dans le 
discours contre Aristocrate, Démosthène conjure les Athéniens de ne 
pas décerner des honneurs exorbitants au lieutenant d’un roi barbare, 
et voici, entre autres arguments, comment il les détourne de cette 
imprudence par le souvenir de leur conduite inconsequente envers le 
roi Cotys. « Vous savez tous comme moi que vous lui avez donné 
» le droit de cité, sùrs que vous étiez alors de ses bonnes inten- 
» tions et de son amitié à votre égard. Vous l’avez mème couronné 
» de couronnes d’or, ce que vous n’eussiez pas fait le tenant pour un 
» ennemi. Et cependant, quand il devint un scélérat et un ennemi 
» des Dieux, quand il vous eut fait du mal, vous décernàtes aux 
» deux /niens ses meurtriers, Héraclide et Python, des couronnes 
» d’or avec le titre de citoyen. » Puis il leur cite Alexandre de Thes- 
salie, envers qui leurs sentiments n’ont pas moins varié, et il laisse 
voir que ce n'est pas le dernier exemple de ce genre en faveur de 
sa cause (2). En effet, plusieurs actes authentiques conservés sur 
les marbres d’Athènes, nous montrent assez souvent les Athéniens 


(1) Arrien, Exped. d’ Alexandre, IV, 10, $ 3. Cf. III, 16 et VII, 19; témoignages relatifs è la 
restitution faite par Alexandre des statues d’Harmodius et d’Aristogiton que les Perses avaient 
jadis enlevées. 

(2) Contre Aristocrate, $ 118 et suiv., éd. Voemel. 


396 EÉTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 


attentifs è entretenir de bonnes relations avec les souverains étrangers, 
fàt-ce méme avec ceux dont la littérature attique devait, plus d’une 
fois, médire. Après un traité conclu avec Artaxercès et les Lacédémo- 
niens, pour remercier Denys de Syracuse, qui leur avait rendu, en cette 
occasion, de bons offices, ils lui conférérent le droit de citoyen (1). Un 
décret en l'honneur de Spartocus, roi du Pont, est encore plus expli- 
cite (2); au roi des Molosses Arybbas les Athéniens confèrent d’abord 
le droit de cité , puis ils s'engagent à le défendre contre toute tentative 
criminelle , et ils le déclarent protégé par les lois qui protégent tout 
citoyen d'Athènes (3). Tantòt c'est l’intérét politique, tantòt c’est l’in- 
térét économique qui leur conseille ces utiles ménagements envers des 
rois dont quelques-uns furent de vrais despotes.  Denys avait été un 
arbitre heureux dans des négociations difficiles; Arybbas appartenait à 
la famille royale de Macédoine, qui se faisait alors respecter de ceux 
mèmes qui ne l’aimaient pas; enfin Spartocus était roi d'un pays qui 
approvisionnait de blé une partie de la Grèce, comme il approvisionne 
encore aujourd'hui plusieurs contrées de l’occident. La prudence voulait 
que l'on ménageàt de pareils alliés. Je pourrais, comme Démosthène, 
multiplier, d’après les monuments , les témoignages de ce genre; il y 
en a méme qui engagent bien plus le peuple Athénien que ces déerets 
en l'honneur d'un chef de bandes mercenaires ou d’un petit despote. 
Ainsi lorsqu'à leurs dix tribus les Athéniens en ajoutèrent de nouvelles, 
et leur donnèrent des noms empruntés non pas aux héros de leur vieille 
mythologie, mais aux familles royales des Séleucides, des Attales et des 
Ptolémées (4), c’était lù une flatterie dont le témoignage reparaissait 
chaque jour dans leurs actes publics; car les divisions de la ville en 
tribus figurent en tète de tous les décrets du Sénat et du peuple; si 
bien que cette mention de la tribu Attalide, de la tribu Antiochide et 


(1) Corpus Inscr. graec., n. 856 et e, dans les Addenda, fragments dont le second doit ètre 
placé en tète du premier, dont il forme le protocole, selon la juste remarque de M. Brunet de 
Presle, Etablissements des Grecs en Sicile, p. 269-270. Ce savant fait aussi observer avec raison 
que dans l’acte en question Denys est appelé ro? (et non tyrar) de Sicile, selon les convenances 
du style officiel. 

(2) Rangabé, Antiquités helleniques, n. 446. Le n. 447 du mème recueil est un decret, contem- 
porain du precedent, en l’honneur d’Audoléon roi des Péoniens. 

(3) Rangabée, Antiquités hellérigues, n. 388. 

(4) Voir, par exemple, dans le Corpus inscr. graec., n. 111; et dans les Antiquités helleniques 
de Rangabé, n. 478 et 993. 


PAR E. EGGER. 397 


de la tribu Ptolémaide est devenue pour nous un moyen de dater 
approximativement certaines pièces historiques conservées sur les marbres 
d'Athèénes. Il ne semble pas que les Athéniens aient jamais songé è 
faire disparaître (ce qui d’ailleurs et été difficile) tant de souvenirs de 
leur servitude passagère; ils se contentaient de maintenir également 
les souvenirs de leur indépendance. Quand, après la mort de Jules 
César, ils crurent un moment à la liberté, ils dressèrent des statues 
à Brutus et à Cassius, et il les placèrent à coté de celles d’Harmodius 
et d’Aristogiton, sur leur Agora (1): c'était, depuis bien des siècles, 
une place d’honneur, où l'on aimait à dresser, sous les yeux de tous, 
les monuments des bienfaiteurs de la république (2). La statue du roi 
Spartocus y coudoyait celles des meurtriers d’un tyran. Ce contraste 
nous étonne, mais, au fond, il s'explique par les inconséquences de la 
nature humaine, par la mobilité du caractère athénien, surtout par les 
diverses fortunes d’Athènes et les influences quelle exerca dans sa 
prospérité ou qu'elle subit dans ses défaites. 


II 


La passion démocratique et la haine des tyrans qui joue un si grand 
role dans les annales politiques d'Athènes, ne pouvait rester sans écho 
parmi les philosophes. Elle se montre, en effet, dans leurs livres, sous 
bien des formes. Le vrai fondateur de la démocratie athénienne, Solon 
tout le premier, avait sans doute médité sur la théorie des pouvoirs 


publics. Ses mémoires, Écrits en vers, et qui contenaient un commen- 


2 
taire de sa législation, en résumaient aussi l’histoire, et, d’après ce qui 
nous reste de ce singulier ouvrage, on peut juger quel intérèt il nous 
eùt offert pour l’étude que nous poursuivons (3). L’école socratique 
hérita de ces problèmes, et les discuta souvent avec passion. L'insuffisance 
morale, et quelquefois l’immoralité ouverte de l’enseignement que don- 
naient les sophistes, les encouragements trop faciles qu’y trouvait l’am- 


bition de citoyens puissants, riches et habiles, durent éveiller de bonne 


1) Dion Cassius, XLVII, 21. Cf. Rangabé, Artiguités helléeniques, n. 478. 

(2) Rangabé, Artiquites helleniques, n. 565, fragment d’un décret athénien. 

(3) Solonis Atheniensis Carminum quae supersunt, praemissa commentatione de Solone poeta, dispo- 
suit, emendavit atque annotationibus instrurit N. Bachius. Bonnae, 1825, 8°. 


398 ÉTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 


heure les inquiétudes de Socrate et de ceux qui continuèrent son ceuvre. 
Sur cet état des esprits dans les écoles il nous reste bien des pages 
instructives dans les écrits de Xénophon, de Platon et d’'Isocrate. 

Xénophon, dans le petit dialogue intitulé Zieror, qui date proba- 
blement de quelques années avant la mort de son maître, représente le 
pogte Simonide s’entretenant avec le tyran de Sicile, qui l’avait attiré è 
sa cour. D'abord, ébloui par l’éclat de cette royauté magnifique, le poéte 
prenait Higron pour le plus heureux des hommes. C'est Hiéron lui-mème 
qui se charge de le détromper, en lui faisant voir toutes les inquiétudes 
et toutes les douleurs que cache le palais d'un tyran: pauvreté réelle 
au sein des richesses; défiance dans les relations de l’amitié méme Ja 
plus intime; difficulté de s’assurer une garde fidèle contre les révoltes 
du dehors et les attentats du dedans; souvenir, toujours présent au 
ceeur, des joies pures qu'on a connues dans la vie privée , et que ne 
connaît plus une royauté fondée sur la violence. Néanmoins devant ces 
confidences douloureuses, le poéte, ou plutòt le philosophe qui le fait 
parler, ne conclut pas précisément en républicain. Il conseille seulement 
au roi de Syracuse une facon de gouverner plus intelligente et plus 
humaine, qui réconciliera ses peuples, et le réconciliera lui-méme avec 
le pouvoir royal (1). C'était là une idée favorite de l’école socratique (2), 
idée que reproduisent plus d’une fois Isocrate et Xénophon. Devant les 
agitations du régime populaire, on rèvait volontiers l'image d’une sou- 
veraineté plus équitable et plus maîtresse d’elle-mème que ne Vest celle 
d'un peuple livré à tous ses emportements et aux passions, souvent 
égoistes de ses orateurs. Hiéron en Sicile, Évagoras en Chypre, et mème 
Cyrus en Perse servaient de prétexte ou de modéle à ces complaisantes 
utopies. 

L'autre disciple et interprète de la morale socratique dans Athénes, 
Platon, est plus explicite et plus. absolu dans les doctrines contre la 
tyrannie. Dans les dernières pages du Gorgias, il préte à Calliclès, élève 
de ce célèbre rhéteur, un hardi plaidoyer contre les principes les plus 
chers à la démocrate athénienne; il montre en un tableau d’une admi- 
rable énergie les prétentions insolentes d’un jeune ambitieux que les 


(1) Voir surtout le chapitre neuvième , où il propose l’idée de récompenses analogues à celles 
que nous décernons dans nos expositions publiques. 

(2) Voir la belle Etude sur Isocrate par M. E. Havet, en tète de l’édition de }' Antidosis, publiée 
par lui, en 1862, avec la traduction frangaise de Cartelier. i 


PAR E. EGGER. 399 


sophistes ont enivré du sentiment de sa force, et qui considére les lois 
et l’égalité comme un attentat au droit des natures supérieures, au droit 
de l'homme de génie prédestiné à dominer ses semblables. La logique 
et la morale qui, par la bouche de Socrate, confondent bientòt cette 
ambition hautaine sont la logique et la morale d’un athénien qui prévoit 
un tyran dans le jeune et téméraire élève de la sophistique. La pensée 
qui ressort seulement du dialogue final du Gorgias est plus ouvertement 
exposée dans le neuvième livre de la République, où Platon l’analyse avec 
subtilité, et la discute avec un rare éclat d’éloquence. Recherchant les 
causes de la tyrannie dans l’àme de l'homme qui la fondera , et dans 
les vices du peuple qui doivent la subir, il trace de l'un et de l’autre 
une de ces peintures qui font bien pàlir la froide esquisse de Xénophon. 
D'un seul trait, par exemple, il nous fait pénétrer bien avant dans les 
misères de la société antique, lorsque, comparant le despote avec le 
simple particulier entouré d’une armée d’esclaves, il nous montre ce 
dernier protégé par l’Etat contre la révolte des libertés naturelles quil 
opprime, tandis que le tyran se trouve seul, sans appui ni défense, contre 
une nation toujours préte et toujours autorisée ‘è revendiquer ses 
droits (1). 

Certes il y avait dans ces pages des philosophes socratiques plus d'un 
encouragement aux vengeances violentes. « Bien loin, nous dit Xénophon, 
» bien loin que les villes vengent la mort des tyrans, elles accordeni 
» les plus grands honneurs aux tyrannicides. Loin de leur interdire les 
» choses sacrées, comme au meurtrier d’un simple citoyen, elles élèvent 
» des statues dans les temples aux auteurs de ces exploits (2) ». Platon, 
dans un passage célèbre, comparant au meurtre d’une mére l’attentat 
du tyran contre sa patrie, semble par cela méème appeler toutes les 
rigueurs de la justice humaine contre le fondateur‘d’un pouvoir inique (3). 
De tels exemples et de tels raisonnements pouvaient exalter jusqu'à la 
pensée de l’assassinat l’enthousiasme d’une jeunesse ardente. Mais estal 


(1) Voir ce morceau dans les Persces de Platonr par J. V. Le Clere (p. 300), où il est accom- 
pagné d’utiles rapprochemenis avec d’autres textes sur le mème sujet. 

(2) Hicron, c. 4. Plusieurs textes sur le méme sujet sont aussi réunis dans l’Anihologie de 
Stobée, c. 49, sous le titre Ydyos rupavvidos. Dion Cassius, LV, 15, imite visiblement l’/ieror dans 
les conseils qu'il fait donner par Mécène à Auguste. 

(3) République, livre IX. Cf. Cicéron, De Officiis, III, 21: « In ea civitate quae libera fuit, 
quaeque esse debeat, regnare... .foedissimum et teterrimum parricidium patriae. » 


400 ÉTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 


permis d’en conclure , que l’école de .Platon format, è vrai dire, des 
iyrannicides ? Plutarque voudrait nous le faire croire. Il attribue quelque 
part à l’inspiration de Platon le coup de main de Dion contre Denys le 
tyran de Syracuse, et le meurtre de Cotys, en Thrace, par Python et Héra- 
clide (1). Ailleurs, dans sa vie de Philopemen, le philosophe cite comme 
ayant été les maîtres de ce grand capitaine Ecdémus et Mégalophanes, 
disciples eux-mémes de l’Académie, qui avaient délivré du despotisme 
Mégalopolis leur patrie, en tuant par ruse le tyran Aristodémus; qui, 
plus tard, avec Aratus, contribuèrent à chasser Nicoclès, tyran de Sicyone; 
qui, enfin, sur la prière des Cyrénéens, rétablirent dans cette ville l’ordre 
long-temps troublé par les factions. Voilà des redresseurs de torts qui 
s'occupaient à des devoirs très-divers. Dion ne fut pas un tyrannicide , 
Ecdémus et Mégalophanes ne le furent qu'une fois, et nous les voyons 
employés dans Cyrène à une ceuvre de conservateurs très-pacifiques. 
L'Académie n'était donc pas précisément une école de politique républi- 
caine d’où sortissent régulièrement pour se répandre en Grèce de fana- 
tiques défenseurs de la liberté. Mais un nouvel exemple, qui est resté 
caché jusqu'ici dans les recoins de l’histoire ancienne, nous montre mieux 
encore combien il serait injuste d’attribuer à un enseignement aussi libre 
et aussi varié que fut celui de Platon et de ses successeurs la responsa- 
bilité de tous les actes commis par ceux qui en suivaient les lecons (2). 

Isocrate et Platon eurent quelque temps pour auditeurs Cléarque, 
jeune prince d’Héraclée, ville du Pont, que les révolutions de sa patrie 
avaient jeté dans Vexil. Il arriva un jour que le sénat d’Héraclée ne 
put contenir la revolution déchaîinée dans cette ville: le peuple lui 
demandait, selon le programme habituel en pareille circonstance, l’abo- 
lition des dettes et le partage des terres.. Après qu'on eut vainement 
invoqué l’aide de l’athénien Timothée et celle du thébain Epaminondas, 
quelques sénateurs, peut-ètre quelques partisans de l’ancienne famille 
royale, eurent l’idée de rappeler le jcune exilé. Cléarque ne se fit point 
prier ; mais en méme temps il prit ses siìretés contre l’inconstance des 
hommes, dont ce rappel lui était un témoignage. Il s’entendit avec un 
certain Mithridate, ennemi de ses compatriotes, dont l’ambition lui 


(1) Contre Colotès, c. 32. 
(2) Justin, Zistoriae Philippicae, XVI, 4 et 5, qu'il faut rapprocher des extraits de Memnon 
d’Heraclée dans la Bibliothèque de Photius, Codex 224. 


PAR E. EGGER. 401 


prépara des ressources utiles. Le moment venu, il sut se débarrasser 
habilement d’un allié incommode, se faire, dans le peuple et dans 
l’armée, un parti puissant contre le sénat. Une fois str de ses nou- 
velles alliances, il convoqua un jour le peuple, se déclara le défenseur 
des intéréts populaires contre l’ambition des sénateurs, proclama , 
toutefois, qu'il ne voulait rien faire sans l’ordre de ses concitoyens ; 
que si le peuple se trouvait assez fort, à lui seul, contre les grands, 
il n'interviendrait pas dans le débat; mais que si on le jugeait bon è 
quelque service, ses soldats et lwi ils étaient prèts à se dévouer pour 
le bien public. Leur dévouement, comme on le devine , fut accepte. 
Bientot le sénat était  dissous aux applaudissements de la foule; les 
sénateurs ou étaient emprisonnés ou prenaient, à leur tour, la route de 
l’exil, et Cléarque rétablissait sur les ruines de leur pouvoir éphémére 
l’autorité royale de sa dynastie. Il régna douze ans en véritable tyran, 
et son règne sanguinaîre finit par un assassinat qui, du reste, ne sauva 
pas Héraclée de la servitude; car Timothée, le fils de Cléarque, succéda 
paisiblement à son pere. Mais le plus étrange de cette histoire c'est 
que, suivant un récit dont l’autorité remonte peut-ètre à Théopompe, 
historien contemporain de ces événements mèmes (1), les deux princi- 
paux meurtriers de Cléarque, nommés Chion et Léonidés, étaient des 
disciples de Platon, qui tinrent à honneur d’appliquer dans leur patrie 
les beaux préceptes de leur maître. Ainsi Ja mème école aurait produit 
en quelques années et l’ambitieux, infidéle aux lecons de la morale 
platonique, et les conspirateurs patriotes, qui devaient le punir de son 
infidélité. Quoi qu'il en soit à cet égard, le bon Isocrate qu’avaient fort 
indigné les crimes de son ancien disciple, et qui, en général, augurait 
mal de la fortune des tyrans, montra pourtant, après la mort de 
Cléarque, quelque confiance à l’égard de Timothée qui lui succédait 
sur ce tròne reconquis par la violence. Il écrivit à ce jeune prince une 
lettre, qui est parvenue jusqu'à nous, et dans laquelle il l’enconrage 
à faire oublier par ses vertus les tristes souvenirs de la tyrannie pater- 
nelle (2). Gette fois au moins la philosophie fut, dit-on, écoutée par 
un roi capable et digne de la mettre en pratique (3). 


(1) On sait que les histoires de Théopompe sont le fond mème du livre de Trogue-Pompée 
dont le livre de Justin n’est qu’un abrége. o 

(2) Isocrate, Zettre VII; De la paix, $ 113. Cf. Lettre VI, adressée aux fils du tyran Jason 

(3) Voirles extraits de Memnon d’Héraclée, dans l’édition spéciale d’Orelli (Leipzig, 1816, in-8°). 


Serie II. Tom. XXIII. 5a 


|02  ÈTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 


Les institutions et les moeurs d’Athènes rappellent naturellement 
celles de Sparte. Ces deux villes, qui représentent le génie, si différent, 
des deux races ionienne et dorienne, semblent avoir pris à coeur de se 
contredire en tout l’une l’autre, comme elles n’ont guère cessé de se 
combattre sur les champs de bataille , et le contraste de leurs senti- 
ments se montre en particulier dans l’idée qu'elles se sont faite du 
souverain et des moyens d’assurer ou de contenir son pouvoir. 

La Grèce, aux temps héroiques, ne connaissait guère qu'une royauté 
de droit divin, et à ce titre elle la respectait si bien que le meurtre 
d’une personne royale semblait alors. un sacrilége, à moins qu'il ne fùt 
autorisé par les dieux; ainsi parle précisément, chez Homére, un des 
prétendants è la main de Pénélope, en réponse à Antinoiis, qui avait 
proposé de tuer Télémaque (1). Sévères gardiens de ces traditions, les 
Doriens de Sparte ont voulu les concilier avec une juste défiance contre 
les abus du pouvoir monarchique. On sait combien était jalouse la sur- 
veillance exercée sur leurs rois par les éphores et par le sénat. On voit 
moins clairement comment se constituait la juridiction régulière pour 
juger un roi coupable de quelque crime contre l’État. L’histoire de 
Pausanias, telle qu'elle est racontée dans le premier livre de Thucydide, 
et l’histoire encore plus tragique d’Agis, que nous lisons dans Plutarque, 
sont aujourd'hui les seuls exemples où l’on puisse étudier en detail le 
sens des lois de Lycurgue en ces occasions solennelles. Or les deux 
procès de Pausanias et d’Agis, le second surtout, où se méla tant de 
violence, nous montrent à quel point il est difficile d’assurer par une 
sanction ‘efficace la responsabilité des rois, et comment les passions 
humaines faussent quelquefois les ressorts de la constitution la plus 
équitable. Si Pausanias s'était laissé corrompre par les ennemis de sa 
patrie, Agis, au contraire, était le défenseur des lois de Sparte; il voulait 
ramener ses concitoyens à la sévérité des anciennes coutumes, et c'est 
cet effort mème qui lui corta la vie. La constitution de Lycurgue fournit 


alors, è ceux qui protégeaient les abus, des armes contre celui qui 


2 
essayait de les réformer, et un noble jfeune homme périt, avec sa famille, 
victime d’une légalité trompeuse : triste spectacle qui nous inspire, au 


moins, quelque indulgence envers la démocratie athénienne. Athènes 


pese pilota, (PR LEO E a_n  _nmmuesomqt dd Tr _r____———6@"#=" 


(1) Odyssée, XVI, v. 400 et suiv. 


PAR E. EGGER. 403 


erra souvent, et elle souffrit beaucoup pour n’avoir pas su discipliner 
fermement ses libertés. publiques; Sparte n’erra, et ne souffrit  guère 
moins pour s’'ètre fait une discipline d’austérité Iégale , qui formait de 
grandes vertus, mais sans empècher bien des vices, et qui fut impuissante 
contre bien des trahisons et des abus de la force (1). 

Entre ces deux excès, y a-t-il jamais eu chez les Grecs une consti- 
tution où toutes les facultés du citoyen aient trouvé leur juste part 
d’activité, et où la sagesse de la loi ait conjuré toute violence contre 
les dépositaires des pouvoirs publics? On chercherait vainement, je le 
crains, cette constitution idgale ailleurs que dans les utopies des philo- 
sophes, utopies qui n’appartiennent pas à notre sujet. 


III. 


L’histoire des états secondaires du monde ancien ne nous est parvenue 
que bien mutilée. On a vu pourtant qu'elle offre à l’observateur philo- 
sophe bien des faits qui méritent d’ètre étudiés. En ce qui concerne ces 
petites tyrannies, leurs origines, leurs excès, et les attentats sanglants 
par où d’ordinaire elles finissent, nous serions mieux instruits si nous 
possédions encore plusieurs ouvrages spéciaux, dont elles avaient fourni 
la matière, et dont les titres, avec quelques rares fragments, sont seuls 
parvenus jusqu'à nous (2): deux livres de Phanias, l'un sur les tyrans 
tues par vengeance, l’autre sur les tyrans de Sicile; deux livres de Baton 
de Sinope sur les tyrans de Syracuse et sur les tyrans d'Ephèse ; enfin 
celui de Charon de Carthage sur /es tyrans en Europe et en Asie; le 
traité de Théophraste sur Za tyrannie, et les recueils d’Aristote et 
d'Heraclide où étaient décrites les constitutions des divers états grecs 
et barbares, ont dù contenir aussi, sur ce sujet, maint détail aujourd’hui 
perdu pour nous (3). Mais le beau livre que le Stagirite, dans sa 


(1) Comment dire ailleurs que dans une modeste note mon regret de ne pouvoir, sur ce sujel, 
m’associer à tous les jugements d’un critique tel que M. Am. Peyron? Que ce me soit au moins 
une occasion de reconnaître les bons avis que je dois à cet éminent philologue pour la revision 
du present Mémoire, et de renvoyer mes lecteurs à ses savantes disserlations sur les anciens 
gouvernements de la Grèce, et particuli&rement sur celui de Sparte (Tucidide, della guerra del 
Peloponneso, libri VIII, volgarizzati ed illustrati con note ed appendici. Torino, 1861). 

(2) Fragmenta historicorum gracc., ed. C. Miller (Bibl. grecque de F. Didot), t. IT, p. 297, 298; 
t. IV, p. 349, 360. 

(3) Fragmenta historicorum graec., t. IT, p. 103-224. 


40 ÈTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 


politique, a consacré aux causes des révolutions, nous montre sur quelles 
observations variées et sur quelle longue expérience se fondait, alors 
déjà, la philosophie politique. Quelque isolée que soit pour nous cette 
ceuvre d’Aristote, et si rares que soient les ruines des monuments qui 
l’entourent, nous y pouvons voir qu'Athènes n'a pas eu seule, parmi les 
cités helléniques, le privilége d’élever ses citoyens dans l'amour des 
institutions libres. L’exemple de sa prospérité glorieuse, après l’expulsion 
des Pisistratides, dut sans doute étre contagieux parmi les Grecs. Hérodote 
en témoigne quelque part (1). Mais, en dehors mème de cette influence 
d’Athènes, on voit les peuples grecs agités, dès le VI° siècle avant notre 
ère, d'un besoin général de transformation. Les royautés s’affaiblissent 
ou tombent, et partout la liberte se crée des institutions plus ou moins 
démocratiques. La démocratie, à son tour, amène par ses propres excès 
plus d’un retour au despotisme. Bien des vicissitudes et des alternatives 
font passer le pouvoir tantòt du peuple aux aristocraties , tantòt des 
aristocraties à des tyrans, pour le remettre, après quelque attentat violent, 
aux mains d'une foule aussi peu capable de l’exercer  qu’impatiente 
de le ressaisir quand elle l'a perdu. Il y a déjà sur ce sujet des réfle- 
xions d’une vérité profonde, sous forme sentencieuse, dans les vers de 
Théognis (2). Théognis est un Mégarien. Il parle du tyrannicide en 
homme pour qui cette idée est une sorte de lieu commun politique. 
Soit qu'il hésite à le condamner ou à l'absoudre, soit qu'à l’une de ses 
sentences une main étrangère en ait recousu une autre en sens opposé, 
on trouve dans son recueil l’une et l’autre thèse soutenue chacune en 
deux vers: i 

« Ne contribue pas, par l’espoir d’un vil profit, à grandir un tyran; 
» ne le tue pas non plus, quand tu as fait des serments devant les 
» Dieux ». Il veut dire, sans doute: quand tu as prété serment à son 
pouvoir. 

Puis ailleurs: « Coucher à terre, si tu le peux, un tyran mangeur 
» du peuple, c'est une ceuvre que les Dieux ne vengent pas (3) ». 

Sous ce rude langage on croit sentir l’ardeur des passions que tour- 
à-tour excite ou refrèéne le moraliste de Mégare. Vers le mème temps 


(1) Histoire, V, 78. 
(2) Vers 699 et suiv., ed. Welcker. 
(3) Vers 1147-1150, éd. Welcker (vulg. 683-4 et 1181-2). 


PAR E. EGGER. 405 
un autre sage, Pittacus de Mitylène, de concert, dit-on, avec les frères 
du pogte Alcge, renversait un tyran, nommé Mélanchrus, qui opprimait 
Lesbos (1). Plus loin encore d’Athènes, Hérodote, le célèbre historien, 
natif d’Halicarnasse, d’abord exilé de sa patrie, y rentrait bientot pour 
contribuer à la chite du tyran Lygdamis (2). Une inscription beaucoup 
plus récente d’Halicarnasse se rapporte peut-ètre aux mèmes événements 
ou elle en suppose de tout semblables, dans la mème ville, è une autre 
époque de son histoire. On peut traduire ainsi la formule, assez bizarre: 

« Arès, fils de Néon, petit-fils d’Arès, arrière-petit-fils de Néon, 
» a recu de la ville les honneurs les plus élevés et les plus éclatants, 
» comme descendant des fondateurs et tyrannicides, dont la mémoire 
» est consacrée, et comme n’ayant jamais démenti la vertu et la grandeur 
» d’àme quil tenait de ses ancétres (3) ». 

Nous retrouvons là en pays dorien l’admiration et presque l’apo- 
théose du tyrannicide. 

Enfin, à une autre extrémité du monde grec, l’histoire de Corinthe 
nous offre la tragique aventure de Timoléon, faisant ou laissant assassiner 
en sa présence son propre frère Timophane, qui était devenu l’oppresseur 
de leur commune patrie. Plutarque nous a raconté en détail cei episode 
plein de graves enseignements. Il nous montre , après le meurtre , les 
longs remords de celui qui en avait été le principal auteur. Nulle part 
il ne laisse voir que les lecons ou les exemples de la politique athé- 
nienne aient été pour rien dans les desseins de Timoléon. Nouvelle preuve 
qu'il exagérait lorsqu'il représentait ailleurs les philosophes athéniens 
comme des professeurs de tyrannicide. 

Entre Hérodote et Plutarque , un autre écrivain, non moins cons- 
ciencieux, Polybe, flétrit sévèrement les petits despotes qu'il rencontre 
plus d’une fois dans l’histoire de son temps (4). Il parle en citoyen de 
la Gréce, non en citoyen d’'Athénes. 

Ainsi, en dehors de Sparte et de l’honorable effort tenté par la 
législation de Lycurgue, ce fanatisme de haine qui se croyait tout permis 


(1) Diogène Laèrce, Vies des Philosophes, 1, 74. 
(2) Suidas, au mot ‘Hpédoros. 


(3) Corpus inscript. graec., n. 2659, plus correcte dans Kennedy Bailies, Fasciculus inscriptio- 
num etc. (1846, 4°), n. 92a. 


(4) Voir, par exemple, II, 59 et suiv. 


406  ÈTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 


contre les tyrans, est presque universel chez les Hellènes, et se retrouve 
à toutes les dates de leur histoire. La philosophie, dans les Écoles, 
distinguait de son mieux entre le roi et.le tyran, et elle réservait pour 
le dernier tous ses anathèmes (1). Mais on ne voit pas qu'elle ait jamais 
eu de scrupule sur ce périlleux patriotisme qui fait d’un seul citoyen 
l’accusateur, le juge et le bourreau du tyran , ni qu'elle ait nettement 
réclamé pour ce grand principe que l'homme n'a, par lui-méme, aucun 
droit sur la vie de son semblable. En théorie, comme en pratique, 
l'usurpation, apparente ou réelle, du pouvoir mettait l’usurpateur hors 
la loi, et le livrait sans protection à tout bras qui s’armait pour la 
défense de la liberté. C'est la doctrine que soutient en termes formels 
le meurtrier d’un tyran de Sicyone dans le discours que lui préte 
Xeénophon (2). 

La force des choses mettait pourtant des bornes à ce droit. D’abord 
le tyrannicide atteignait rarement son but. Quelque resistance ou quelque 
réaction amenait la mort des meurtriers; le tyran, s’l avait péri, ne 
restait guère sans successeurs; c'est ce qui arriva précisément dans 
l’épisode qu'on vient de voir des annales d’Héraclée; ou bien la cité 
affranchie par la mort ou l’expulsion d’un tyran retombait dans des 
désordres qui lui faisaient regretter son premier état, comme cela se 
vit à Mégare, quand la tyrannie de la foule, excitée par les démagogues, 
remplaca celle de Théagène (3). Ailleurs une certaine mollesse des moeurs 
publiques décourageait les patriotes impatients de conspirer contre un 
prince méchant peut-ètre, mais tolérable et toléré. Ailleurs, enfin, une 
sage politique conseillait les ménagements au parti populaire, quand 
des vues d’intérét, moins nobles encore, ne le tenaient pas dans la 
sujétion non-seulement d’un prince national, mais souvent aussi d’un 
souverain étranger. Comme dans l’histoire d’Athènes, nous trouvons 
maint fait de ce genre dans l’histoire des États secondaires; deux exemples 
suffiront ici. 

La communauté des Cariens supportait peut-ètre avec regret le pouvoir 


(1) Aristote, Politique, VIII (V dans quelques éditions modernes), 8; et Polybe, V,.11; VI, 4. 

(2) Helleniques, VII, 3. Comparez surtout Polybe, 1I, 59; et Plutarque, 7?moléor, c. 5. Cette 
doctrine est jugée et résumée avec beaucoup de force par Montesquieu, Corsidérations sur la 
grandeur des Romains, fin du chap. 11. Comparez une note pleine de bon sens, sous sa forme 
piquante, de M. Michelet, Zistoire de France, IV, p. 171. 

(9) Platarque, Questions grecques, c. 18. 


PAR E. EGGER. 407 


des Satrapes qui, sous la suzeraineté des rois de Perse, paraît avoir 
assez long-temps administré cette partie de l’Asie mineure. Mais c'est 
le sentiment tout contraire qui se montre dans trois décrets de la ville 
de Mylasa, dont le texte est aujourd’hui à notre Musée du Louvre. 
Le premier constate qu’un certain Araissis convaincu d’avoir conspiré 
contre Maussole, auprès duquel il avait été accrédité comme ambas- 
sadeur, vient d’èétre mis à mort, et que le peuple de Mylasa s’associe 
à cet acte de vengeance, en confisquant les biens du meurtrier au profit 
de Maussole. Le second décret prononce la confiscation contre des 
citoyens coupables d’avoir insulté des statues d’Hécatomnus , le père 
de Maussole. Le troisième nous apprend un attentat semblable contre 
Maussole , attentat suivi des mèmes répressions contre son auteur. Dans 
tous ces décrets Hécatomnus, Maussole et leur famille sont officielle- 
ment appelés dienfaiteurs de la ville, et la ville, on le voit, se montre 
reconnaissante de leurs bienfaits jusqu’à paraître excessive dans ses 
poursuites contre ceux qui les ont méconnus. Tout cela se passe bien 
près de la patrie d’Hérodote, sous le règne d’Artaxercès, c’est-à-dire , 
en un temps où les Hellènes d'Europe défendaient encore vivement 
leurs libertés républicaines (1). 

Deux siècles plus tard, voici un décret des habitans de la nouvelle 
Troie qui nous montre, sous une forme plus obséquieuse encore, la 
résignation d’une cité grecque è l’autorité du prince macédonien devenu 
son protecteur ou son maître. Le roi Antiochus-le-Grand, dont la famille 
protégeait depuis long-temps la nouvelle Ilion, et professait une piété 
particuliére pour les sanctuaires de: cette ville, a été blessé au col dans 
une bataille , et heureusement guéri par le médecin Métrodore , natif 
d’Amphipolis. Sur cette nouvelle que leur apporte une lettre du roi 
lui-méme , les Iliens décrètent en l’honneur de l’habile médecin toutes 
les faveurs qu'il était d’usage de décerner aux bienfaiteurs d’une ville, 
et ils l’admettent au nombre de leurs concitoyens (2). On le voit, si 
la Grèce compte encore quelques républicains farouches, elle compte 
aussi beaucoup de sujets gracieusement empressés à reconnaître les bons 
procédés d'un roi. 


(1) Corpus inscript. graec., n. 2691c; Franz, Elemenia epigraphices graecae; n. 73; Le Bas, 
Voyage archeol., Inser. V, n. 377, avec le commentaire qu’y a joint M. Waddington, continua- 
teur de M. Le Bas. 

(2) Corpus inscript. grace., n. 3598. 


408  ÈTUDES D’HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 


IV. 


Ces derniers souvenirs nous conduisent au temps de la domination 
romaine et à l'histoire de Rome, où le meurtre pour cause politique 
joue aussi un ròle important. 

Les Tarquins avaieni rendu la monarchie si odieuse que , jusque 
sous l’empire, le nom de roi fut détesté, et que les plus. méchants 
d’entre les empereurs s’'en défendaient comme d’une insulte (1). En 
fondant la République et en scellant cette fondation du sang méme 
de ses deux fils, Brutus sembla établir ‘en droit le recours à la violence 
contre tout retour de la tyrannie; ce droit trouva de bonne heure son 
expression dans la loi Valgria, qui tenait la vengeance toujours suspendue 
sur la tète du citoyen coupable cu seulement soupconné de prendre 
part à l’exercice d'un pouvoir oppressif et illégal (2). Depuis ce temps, 
les annales de la puissante république offrent maint drame qui rappelle 
ceux de la liberté hellénique aux prises avec les petites tyrannies sans 
cesse renaissantes en son sein. Qu'l s'appuyàt sur le peuple ou sur le 
sénat, quil sortit de la plèebe ou de la noblesse, le prétendant à la 
royauté recut mainte fois sa punition d'un bras spontanément armé par 
le patriotisme, et d’avance absous par la loi comme par l’opinion 
publique. Rarement l'humanité protesta contre cet appel è la force. Mais 
si, en cela, les moeurs et les institutions de Rome nous rappellent 
celles de la Grèce, du moins faut-il dire que Rome ne connut pas ces 
apologies oratoires ei ces théories du tyrannicide dont nous avons 
recueilli tant d’exemples dans la littérature grecque. Le Romain des 
premters siècles agit beaucoup plus qu'il ne parle. Ce sont les maîtres 
grecs qui lui ont donné les premiers, avec bien d’autres lecons, celle 
de l’amplification ‘oratoire sur ces sujets trop faciles à passionner dans 
une assemblée politique , dans une solennité nationale ou dans une 
école. Le vieux Caton, dans ses mémoires historiques, intitulés les 
Origines, regrettait quelque part, avec itristesse, que, faute d’éloquence 
et de génie pour les arts, Rome eit laissé presque obscures en ses 
annales des actions dignes de la gloire d’un Léonidas. Après avoir 


(4) Voir surtout là-dessus le témoignage expressif de Suetone, Caligula, c. 22. 
2) Tite Live, II, 8; III, 5; Denys d’Halic., V, 19 et 70. 


PAR E. EGGER. 409 


raconté le dévouement du tribun Crdicius qui, en se sacrifiant avec 
quatre cents braves, avait sauvé toute une armée romaine, « Voyez, 
» disait-il, comme il importe en quel jour un mème bienfait sera placé. 
» Le lacédémonien Léonidas est loué pour avoir fait mème chose que 
» Credicius. A cause de ses vertus , la Grèce l’a comblé des plus illustres 
» témoignages de sa reconnaissance; par des statues, par des inscrip- 
» tions, par les récits de ses historiens, de mainte autre manière 
» elle s'est montrée reconnaissante. Et ce tribun des soldats n’a eu que 
» peu d’éloges, lui qui avait fait mème chose, et sauvé la république (1)». 
Plainte doublement vraie et par l’idée qu'elle exprime et par le ton un 
peu embarrassé de cette prose encore inhabile aux grands effets oratoires. 
Néanmoins, si le Léonidas romain méritait mieux que la modeste men- 
tion qui nous est parvenue de son héroisme, je ne regrette pas quil 
ait échappé aux éloges des déclamateurs. Je le regrette encore moins 
pour des héros tels que l’ancien Brutus, tels que Servilius Ahala, tels 
que M. Brutus et Cassius. La sobriété mème des louanges dont l'histoire 
les entoure est comme un hommage rendu à la morale et à l’humaniteé. 
Il vaut mieux que ces sinistres figures ne nous apparaissent pas en- 
tourées d’une brillante aurégole: la gloire sans réserve ne convient qu’à 
des exploits d'un héroisme incontestable. Cicéron nous blesse , quand 
il entonne la trompette au lendemain des ides de mars, et quand il 
emprunte la phraséologie des orateurs athéniens; pour louer Brutus et 
ses complices les tyrarzoctones, comme il les appelle (2), ou pour 
saluer d’un augure trompeur la prétendue amristie proclamée dans Rome 
frémissante autour du cadavre de César assassiné (3). C'est bien assez 
que les passions humaines reproduisent, dans leurs excès, des spectacles 
qui se ressemblent, malgré la distance des moeurs et celle des temps; 
il ne faut pas ajouter è ces ressemblances les plagiats du langage. 

Au reste, à Rome, ainsi que tant de fois en Grèce , l’événement 
devait, cette fois, dissiper bien des illusions, tromper bien des espérances, 
déjouer bien des calculs, en assurant le triomphe d'une ambition habile 
sur d’autres ambitions inégalement généreuses. Octave allait s’appeler 


(1) Texte conservé par Aulu-Gelle, Nuits Attiques, III, 7. 
(2) Ad Atticum, XIV , 15; XVI, 15. Cf. Ad diversos, XH, 22; Pro Milone, c. 29; et Sugtone, 
Tiberius, c. 4. , 


(3) Plutarque, /ie de Ciceror, c. 39 (ailleurs 42), d’après Cicéron, P/ilippicae, I, 4. 


Serie IT. Tom. XXIII. 


(Sh 
(O) 


{10 ETUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 


Auguste et fonder l’empire. On sait qu'il rencontra plus d'un assassin 
dans sa longue carrière. Dans la durée du régime impérial plus d’un 
despote , plus d'un soldat parvenu périt de mort violente. L'empire 
changeait de maître sans changer de servitude. L’expérience du monde 
romain montrait, sur un plus large théàtre, ce que la Gréce avait tant 
de fois éprouvé, l’impuissance du meurtre à régénérer les peuples et à 
fonder un bon gouvernement. La tradition républicaine survivait obsti- 
nément à ces épreuves. Elle se perpétuait dans les consciences , et la 
littérature sérieuse, comme la sophistique des écoles, nous l’atteste tour 
à tour. A cet égard il devient difficile de trouver une différence entre 
la société grecque et la société romaine, de plus en plus rapprochées 
l’une de l’autre, sous le régime impérial. 

Quintilien, au début de son douzième livre sur l’éducation de l’orateur, 
se demande si l’honnète homme pourra défendre en justice un meurtrier, 
et l’exception relative au meurtre d'un tyran se présente à lui comme 
un de ces cas où la morale hésite à donner un conseil (1). Les nomis 
de Brutus et de Cassius conservèrent long-temps un grand prestige. Sous 
Auguste, le rhéteur Albutius, qui n'était certes (on le sait d’ailleurs ) 
ni un philosophe nì un tribun, plardait à Milan une cause de meurtre 
devant le proconsul L. Pison, et il plaidait avec un grand succès. Les 
licteurs eurent à contenir les applaudissements. Alors Albutius, exalté 
par cet enthousiasme et par ces résistances, se mit à déplorer l’état de 
l’Italie « pour ainsi dire réduite un seconde fois en province romaine »; 
et comme une statue de Brutus était sous ses yeux, il alla fusqu'à l’in- 
voquer « comme le vengueur des lois et de la liberté ». Peu s’en fallut 
qu'il ne payàt cher sa hardiesse (2). On connaît le fameux mot de Tacite» 
à propos des funérailles de Junie: praefulgebant Brutus et Cassius eo 
ipso quod imagines eorum non wvisebantur (3). Nous suivons la trace de 
ces souvenirs irritants et douloureux dans Suétone (4), dans Appien (5), 
dans Dion Cassius (6). Appien a des pages d’une sévérité mélée. d’in- 


dulgence et mème de sympathie sur Brutus et Cassius, sur les vertus 


(1) Znstit. orat., XII, 1; t. III, p. 302, ed. Pottier. 
(2) Suétone, De claris rhetoribus, c. 6. 

(3) Annales, III, 76. 

(4) Tiberius, c. 64; Nero, c. 3 et 37; Galba, c. 3. 
(9) Guerre civile, IV, 114, 123 et surtout 132-135. 
(6) ist. rom., LVII, 24 et LXII, 27. 


I 


PAR E. EGGER. 4IL 


qui honorèrent leur vie, et sur le meurtre où ils eurent beaucoup de 
complices, et dont ils restent pourtant, par un effet mème de leurs vertus, 
les auteurs responsables aux yeux de la postérité. Vers le mème temps 
Plutarque, ce philosophe d’une morale ordinairement si judicieuse et si 
clémente, reste pourtant animé contre les tyrans de toute l’ardeur des 
passions républicaines. Un de ses arguments favoris contre la mollesse 
des doctrines épicuriennes c'est qu'elles rendent l’àme incapable de fortes 
actions, et que cette école n'a jamais produit un tyrannicide (1). Bien 
plus, lorsqu'il veut montrer que les femmes ne sont pas dépourvues de 
vertus viriles, il semble emprunter pour cela, avec une sorte de prédi- 
lection, è l’histoire grecque des exemples de femmes qui ont accompli 
de leur main, ou soutenu de leur complicité ce genre de meurtre si 
facilement absous par la philosophie ancienne (2). 

Voilà les idées que l’on professait, que l’on écrivait, qui circulaient 
dans le monde romain , en Italie comme en Gréèce , au premier siècle 
de l’ère chrétienne. Plutarque qui les accueille si complaisamment, n'est 
pourtant pas un Helvidius, ni un Thrascas; c'est méme un adversaire 
très-résolu des stoiciens et de leur rigide austérité. Comme citoyen et 
comme magistrat de sa petite ville de Chéronée, il subit avec résignation 
l’autorité, désormais inévitable, du proconsul romain (3). Il croit è la 
paix durable des nations sous la tutelle du peuple roi; il se fait mème 
de cette royauté personnifige. dans les Césars une idée fort semblable 
à celle que nos théologiens avaient du pouvoir royal sous Louis XIV: 
il y voit une délégation d’en haut, et il lui reconnati sans réserve le 
droit de dicter des lois aux peuples, comme. si les. peuples n'avaient 
jamais exercé ce droit dans leurs assemblées (4): 

Par un contraste plus étonnant encore, le stoicien Marc-Auréle, mais 
un stoîcien sur le tròne, flétrissait les tyrans avec. la méme liberté que 
Plutarque. Il semblait bien peu gèné par l’histoire méme de ses pré- 
décesseurs, quand il écrivait dans ses Meditations, avec une candeur 
étrange et noble en cette condition d’un César: « Jai senti, gràce à 
» Fronton, tout ce. qu'il y a dans un tyran d’envie, de  duplicité , 


(1) Contre Colotès, c. 32. 

(2) De la vertu des femmes. 
(3) Preceptes politiques, c. 17. 
(4) De la foriune des Romains. 


412 ÉTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 


» d’hypocrisie, et combien il ya peu de sentiments. affectueux chez 
» ces hommes que nous appelons patriciens ». Il ajoutait, mélant les 
souvenirs de la Grèce et de Rome: « Mon frère Séverus m’a fait connaître 
» Thraséas, Helvidius, Caton, Dion, Brutus. Il m’a fait concevoir ce 
» que c'est qu'un état libre, où la règle est l’égalité naturelle des citoyens 
» et l’égalité de leurs droits; l’idée d’une royauté qui place avant tous 
» les devoirs le respect de la liberté des citoyens (1) ». 

Quel contraste ne font pas de tels témoignages avec les récits d'un 
Suétone ou d'un Lampride! et n’est-on pas étonné de sentir encore ce 
levain démocratique sous la prose d'un sage philosophe comme Plutarque, 
d'un César comme Marc-Aurèle, en un temps où il semblait impossible 
de réver mème le retour des institutions républicaines ? $ 

Mais ce contraste nous frappera plus encore si nous regardons ce 
qui se passe alors dans les écoles: lì, en effet, les rhéteurs et leurs 
éleves restent en possession des sujets les plus étrangers à la politique 
réelle de leur temps; ils contimuent à parler de tyrans et de tyrannicides 
comme on l’eit fait an temps de Périclès, avec une liberté de langage 
vraiment inconcevable, si elle ne s’expliquait, hélas! par le mépris attaché 
alors à ces misérables exercices de la parole. Les tyrans de l’École n’ont 
guère plus rien de commun avec ceux de l’histoire et de la réalité. 
Comme l’avoue Petrone (2), ce sont des espèces d’automates que l’on fait 
mouvoir en des représentations de pur apparat. L'histoire prétait quel- 
quefois à ces fictions des personnages réels, que le roman lui rendait 
tout défigurés. Tel est le tyran Phalaris, devenu le héros de deux petites 
déclamations de Lucien, et sous le nom duquel nous avons un recueil 
de lettres reconnues depuis long-temps pour apocryphes. Mais l’Ecole 
se passait facilement de modéles offerts par l’histoire. Le personnage 
du tyran était devenu un de ses lieux communs; elle le reproduisait 
sous toutes les formes, en mainte scène tragique, sans le moindre souci 
de l’'histoire et de la réalite. 

Ainsi, malgré toutes les jalousies de la police impériale, mème sous 
la menace des lois de majesté, lorsque le stoîcisme enseigne aux victimes 
de la tyrannie le devoir d’une résignation héroique , lorsque le Chris- 


tianisme inspire aux martyrs de la foi un courage plus calme et plus 


(1) Pensees, I, 11 et 14 


(1) Saaricon, c. 1. 


PAR E. EGGER. 413 


sublime encore, à travers ces lecons, ces vicissitudes et ces. réformes 
de la morale, le tyrannicide reste chez les rhéteurs un sujet familier 
de declamation ; il défraie les exercices de leurs écoles, et de ces écoles 
il descend jusque dans celles des grammairiens (1). Grecs et Romains 
traitent ce sujet avec une égale prédilection pour les belles phrases 
qu'il peut fournir, avec la méme indifférence pour les périls que peuvent 
soulever de telles discussions. Sénèque le père, au temps d’Auguste et de 
Tibére (2); Quintilien au temps de Néron et de Domitien (3); Lucien 
sous Antonin et Marc-Auréle (4); puis les commentateurs d’Hermogène (5); 
puis Libanius au IV° siècle (6); puis Choricius au VI° (7); enfin au XIV*, 
un rhéteur, à la fois fonctionnaire à la cour de Constantinople (8); des 
sophistes de toute langue et de toute religion feront déclamer leurs 
écoliers, et composeront cux-mémes des exercices, pe)étaz, comme disent 
les Grecs, sur des matières dont le fond est toujours quelque aventure 
de tyran assassiné ou détròné. Suivant l’usage séculaire, on supposait 
une loi, puis un acte conforme ou contraire à cette loi; ou bien on 
rapprochait , par un effort ingénieux, des circonstances qui donnaient 
à la cause du meurtrier une complexité, une étrangeté romanesque, 
tout exprès pour ménager des triomphes aux habiles inventeurs d’argu- 
ments, aux praticiens consommés dans la période oratoire. Par exemple, 
voici la matière que Lucien et Choricius ont traitée, chacun è sa 
facon, avec beaucoup d’élégance : « Un homme est monté à la citadelle 
dans l’intention d’y tuer le tyran ; il n'y a rencontré que son fils, et 
il a frappé l’enfant, faute de pouvoir frapper le père. Celui-ci est 
survenu, et trouvant le poignard dans le corps de son fils, il s'en est 
saisi et s'est. donné la mort. La république est donc sauvée, et le 
meurtrier du fils demande la mème récompense que s’il avait tué le 


(1) Apollonius Dyscole, dans sa Syrtaze (I, 6), analyse et discute, au point de vue grammatical, 
la phrase 6 qvpavvortivos ripdo0u (que le meurtrier du tyran soit honoré), qui est le texte de la 
loi sans cesse rappelée et commentée par les déclamateurs. 

(2) Controversiae, L 7 et 13. 

(3) Instit. orat., VII, 2, 3 et 7. 

(4) Le Tyrannicide, t. IV de l’éd. Bipontine. 

(5) T. V, pag. 160; t. VII, pag. 400 des R©etores graeci de Walz. 

(6) Le Philopolis, t. IV, pag. 798, éd. Reiske. 

(7) Le Tyrannicide, pag. 49 de l’édition des ceuvres de ce rhéteur par M. Boissonade (Paris, 
1849, in-8°). 


(8) Le Tyrannicide. C'est la deuxième déclamation de Pachymère dans l’édition de M. Boissonade 
(Paris, 1848, in-8°). 


414  ÈTUDES D'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 

père ». La matière que traite Libanius est plus subtile : une prétendue 
loi permet au tyrannicide de demander pour récompense tous les hon- 
neurs qu'il voudra; une autre veut qu’avec le tyran, ses fils aussi 
soient mis à mort; l’épouse d’un tyran ayant tué son mari, s’autorise 
de la première loi pour éluder la seconde, et demander au peuple la 
vie de ses enfants. Cette matière de déclamation circulait déjà depuis 
long-temps dans les Écoles. Cicéron la cite comme exemple de contro- 
verse en un de ses premiers ouvrages de rhétorique, où Montesquieu 
a pris imprudemment pour un texte historique la prétendue loi relative 
A la famille des tyrans (1). 

Pachymère semble avoir cherché quelque chose de plus extraordi- 
naire, en supposant un philosophe qui a persuadé au tyran d’abdiquer 
le pouvoir, et qui demande la mème récompense que s'il l’eùt mis à 
mort. On ne sait si l’on doit attribuer cette petite innovation à quelque 
souvenir des doctrines socratiques exposées dans l’Ziéron de Xénophon, 
ou au progrès des idées morales dans le christianisme. En général, 
les rhéteurs byzantins semblent fidèéles en toutes choses à l’esprit des 
anciens sophistes, prenant quelquefois, il est vrai, leurs exemples dans 
la Bible (2), au lieu de les prendre dans Homère, mais les étudiant 
toujours avec une curiosité , où ni la religion ni la morale n'ont la 
moindre part. Il est donc probable que Pachymère n’a pas le mérite 
dont on serait tenté de lui faire honneur. Il innove par la subtilité , 
sans nul souci des progrès de la morale. 

Ainsi comme il y avait une gymnastique qui ne préparait plus des 
soldats pour les camps et pour les champs de bataille, mais seulement 
des lutteurs pour les jeux publics, il y avait aussi des exercices d’élo- 
quence, qui ne prétendaient plus à former des avocats et des hommes 
d'État, mais seulement des sophistes diserts, bons tout au plus à de 
puériles exhibitions. Sénèque le père déjà s'en indigne (3), et pourtant 
il cèéde an goiùt de son temps en rédigeant ses cahiers de déclamateur 
frivole. Ce fut là une incurable maladie des sièécles de décadence. Mais 
dans cet abaissement de la parole et du got, rien n'est plus triste que 
de voir les déclamations de l’école amoindrir et déshonorer les plus 


(4) Ciceron, De invertione, II, 49. Cf. Montesquieu, Esprit des lois, 1I, 18. 
(2) Exemples dans les RXetores graeci de Walz, t. I, pag. 499 et suiv. 
(3) 


) Voir notre Eramen critique des historiens d’ Auguste, c. IV, pag. 140 et suiv. 


V) 


PAR E. EGGER. 415 


graves questions qui puissent agiter la conscience humaine. Le despotisme 
et ses misères, le patriotisme, ses entraînements et ses erreurs appar- 
tiennent de droit è la philosophie qui nous fait penser en hommes, è 
la rhétorique qui nous fait parler en citoyens. Rien n'est plus. triste 
que de voir les mots ainsi dépouillés de leur juste valeur, et servant 
à des passes d’éloquence dans l’auditoire d’un sophiste. 

Nous sommes plus sérieux, aujourd'hui, si nous ne sommes pas 


A 


toujours plus sages. Les agitations politiques du moyen dage et des 
temps modernes ont amené le meurtre de bien des princes; elles ont 
provoqué bien des apologies du tyrannicide. Plus d’un nom illustre figure 
dans ces controverses où il est bien rare que la raison philosophique 
ne soit pas offusquée par l’aveuglement des passions. Jean de Sarisbery 
et Saint-Thomas, Languet et La Boétie , Saumaise et Milton, l’Université 
de Paris par ses docteurs, la démocratie par ses publicistes, la Com- 
pagnie de Jésus par ses casuistes, enfin nos assemblées révolutionnaires 
ont discuté avec ardeur, et résolu, dans des sens divers, le terrible 
droit d’insurrection et les moyens de le mettre en pratique (1). Il y a 
dans les innombrables monuments de ces disputes, surtout de celles 


qui amenèrent ou suivirent la chite de la royauté francaise, en 1792 (2), 


(1) Sur cette partie toute moderne du sujet traité dans le présent Mémoire, je ne puis et ne 
veux renvoyer qu’à un petit nombre d’ouvrages spéciaux : 1° GC. Jourdain, La Philosophie de Saint- 
Thomas (Paris. 1858), t.I, p. 410 et suiv.; 2° Kervyn de Lettenhoven, Jean-Sans-Terre et l Apo- 
logie du Tyrannicide, t. XI, 2° série des Bulletins de l’Académie royale de Belgique ; 3° C. Labitte, 
Les Prédicateurs de la Ligue (Paris, 1841), Introduction, $ III (M. P. Tarbé, le laborieux éditeur 
des vieux poètes champenois, me signale, sous la date de 1559 et des annces suivantes, un grand 
nombre de chants composes en frangais par les protestants, et qui poussent à l’assassinat des 
chefs du parti catholique; il en prépare la publication); 4° A. Geffroy, Étude sur les pamphlets 
politiques et religieux de Milton (Paris, 1848), c. 5, chapitre duquel on peut rapprocher le curieux 
opuscule: Traité politique composé par 7. Allan, anglois, et tiraduit nouvellement en francois, où 
il est prouvc par l’ exemple de Moyse et par d'autres tirés hors de V'Écriture, que tucr un tyran titulo 
vel exercitio °est pas ur meurire (Lugduni, anno 1858, in-18°); 5° P. Janet, Zistoîre de la Phi- 
losophie morale et politique dans l’antiquité et les temps modernes (Paris, 1858), surtout livre II, 
c. 3, $ 2, et livre III, 2° section, c. 2 et 3. Il est à peine besoin de rappeler les célèbres Lettres 
àa un Provincial (Leltres VII et XIV). 

(2) En ce genre, j'ai eu sous les yeux vingt pamphlets' où pièces officielles, réunies dans le 
cabinet d’un amateur d’histoire, M, Ch. Renard, de Caen. Je ne citerai que le trait le plus caracté- 
ristique du délire où s’emporta la haine de la monarchie: c’est, dans le Monzteur, le procès-verbal 
de la séance du 26 aoùt 1792, où l’on voit Jean Debry, député de l’Aisne, proposer l’organisa- 
tion d’un corps de 1200 volontaires qui « se dévoueront à aller attaquer corps è corps, indivi- 
» duellement, les tyrans qui nous font la guerre et les généraux qu’ils ont préposés pour anégantir 
» en France les libertés publiques. » Appuyée par Chabot et Merlin, combattue par Vergniaud 
et Cers, la proposilion parvint jusqu’au bureau d’un comilé, mais elle y resta. 


416 ÈTUDES D’'HISTOIRE ET DE MORALE SUR LE MEURTRE POLITIQUE ETC. 


bien des pages brùlantes ou hérissées de sophismes; nulle part, du 
moins, on ne trouve chez nous la doctrine du tyrannicide et les idées 
qui sy rattachent amoindries par la puérilité des déclamateurs , com- 
promises jusqu'au ridicule dans des fictions romanesques. A cet égard, 
du moins, les écoles modernes ont rompu sans retour avec les tradi- 
dtions de l’antiquité. 

Sur la redoutable question de morale publique que soulève le droit 
des peuples devant l’usurpation ou devant l’abus violent du pouvoir 
souverain, nous avons acquis peu de lumières vraiment nouvelles. Entre 
la théorie la plus sage et la pratique, l’invincible force des passions 
humaines fait sans cesse renaître sous nos yeux des difficultés où la 
conscience hésite et s’interroge avec douleur. A ces difficultés Montesquieu 
ne répond guère mieux (1) que ne faisait Aristote il y a plus de vingt 
siécles. Seulement son langage mème témoigne, sur un sujet difficile 
à traiter sans émotion, d’un grand progrès de douceur dans les meeurs 
publiques, et c'est là peut-ètre ce qui distingue le plus nettement notre 
politique moderne de celle des peuples anciens. Sans entrer ici dans 
le détail d’une comparaison qui pourrait m’entraîner trop loin, qu'il 
me soit permis de rappeler un jugement où se résume bien pour moi 
la moralité des études qui précèdent. 

M. Daunou analysait un jour, au College de France , l’ouvrage de 
Polybe, et il était arrivé à l’histoire d’un tyran d’Argos, Aristomachus, 
mis à mort par ordre d’Aratus et d’Antigone qui l’avaient vaincu et 
pris à la guerre. Il cita les paroles étranges de l’historien qui juge ce 
tyran trop peu puni, et qui voudrait qu'on l’eit promené à travers toute 
la Grèce sous le fouet du bourreau, et il ajouta: « Vous voyez par ce 
» passage quelle idée les anciens avaient concue de l’usurpation ou 
» tyrannie. Polybe n'a été jusqu'ici accusé d’exagération par personne; 
» les censeurs de son style et de sa méthode s’accordent à rendre hom- 
» mage à sa sagesse et à sa moderation. Cependant son indignation 
» contre un usurpateur semble n’avoir aucune mesure, et un des signes 
» auxquels on peut reconnaître les progrès que la philosophie, ou, ce 
» qui revient au méme, la civilisation a faits dans nos derniers siécles, 


» c'est qu'aujourd’'hui aucun sage ami de la liberté ne demanderait que 


(1) Esprit des lois, XII, 18: « Combien il est dangereux, dans les républiques, de trop punir 
le crime de lèse-majesté. » 


PAR E. EGGER. 417 
» l’usurpation fùt expiée autrement que par sa chute (1) ». Un savant 
grec, feu le d" Piccolos, qui assistait alors à la lecon de M. Daunou, 
me racontait naguères que ces paroles furent accueillies par les plus vifs 
applaudissements. Devant la chaire du vénérable Daunou tout donnait 
à de tels applaudissements un sens qui n'a pas besoin de commentaire 
et une autorité que mes réflexions ne pourraient qu’affaiblir. 


(1) Cours d’études historiques, t. XII, p. 123. On peut comparer avec ce morceau la 12 legon 
sur Xénophon (t. XI, p. 383 et suiv.), où M. Daunou juge avec la mème sévérité la doctrine de 
l’assassinat politique, à propos du meurtre d’Euphron raconté dans les Ze/lériques (VII, 3). 


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Serie IL Tom. XXIII. 53 


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DI GHERARDO DA FIRENZE 


E 


DI ALDOBRANDO DA SIENA 


POETI DEL SECOLO XII 


E 


DELLE ORIGINI 


DEL VOLGARE ILLUSTRE ITALIANO 


MEMORIA 


DEL CONTE 


CARLO BAUDI DI VESME 


SENATORE DEL REGNO 


—see— 
Letta ed approvata nelle adunanze dei 15 e 29 aprile 1866. 


—_ _te=>- 


i. Mo e meritata lode fu data allo zelo, alla pazienza, e talora 
anche al coraggio, che in questo secolo dimostrarono i ricercatori di 
antichi codici e simili monumenti; sebbene pure di non minore zelo , 
convien confessarlo, e di coraggio e amore ai belli studi avevano dato 
esempio quegli eruditi, che, sopratutto nel secolo XVI e nel seguente, 
non solo trassero alla luce molti antichi scrittori e monumenti che anda- 
vano scoprendo in Francia, in Italia, in Germania, ma, con fatica e fra 
pericoli ora cessati, ne riportarono d’ Oriente numerosi avanzi della 
sapienza Greca e della Romana. — Ma in quanto riguarda l’importanza 
degli antichi scrittori e altri simili documenti discopertisi nel corso del 
presente secolo, credo che dessa, come suole al primo apparire di cose 
nuove, siasi molto esagerata; almeno per quanto riguarda le cose sia 
Greche e Romane, sia dei popoli che possono chiamarsi eredi diretti di 


420 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


quelle due civiltà. E valga il vero; quali furono le scoperte di grande 
momento, o quale considerevole vantaggio venne per esse alla storia ed 
agli altri belli studii ? 

Fra le opere, o per parlare più veramente i frammenti di opere, di 
classici autori Greci e Latini scoperti in questo secolo, tengono senza 
dubio il primo luogo quelli di Cicerone de Republica; ma dessi, che 
non contengono un terzo nè forse un quarto dell’opera intera, preziosi 
certo come ogni qualsiasi scritto di Cicerone, quale ignota, importante 
notizia ci diedero tuttavia intorno alle instituzioni della Republica 
Romana, che pur l’autore ci poneva a. modello? o anche solo intorno 
alle opinioni di Cicerone medesimo, o di altri sommi fra i Romani? — 
Seguono in importanza i frammenti di alcune orazioni di Cicerone, e 
alcune orazioni di retori Greci; chè quant’altro in questo secolo si trovò 
di autori dell’aurea età, vuoi Greci vuoi Latini, non vale la pena se ne 
faccia motto. — Più numerose e di alquanto maggiore momento furono 
le scoperte di autori greci e latini delle età di argento ed inferiori, 
quali i frammenti di Frontone, di Gargilio Marziale, di Simmaco, di 
Merobaude, e di parecchi storici greci, da Polibio fino al VI secolo ; 
ma, convien dirlo, anche questi accrebbero di ben poco le nostre 
cognizioni intorno alla storia ed alle instituzioni di quelle età. 

Il solo ramo nel quale siensi fatte scoperte e numerose, e veramente 
importanti, si è la giurisprudenza Romana. E per non parlare della 
giurisprudenza Postgiustinianea, anzi neppure della Giustinianea, il testo 
della quale grandemente si migliorò, e si accrebbe di costituzioni finora 
mancanti: la giurisprudenza Antegiustinianea , e sopratutto quella del 
tempo dei giureconsulti classici, ricevette al tutto nuova vita per Te recenti 
scoperte, quali i Frammenti Vaticani publicati dal Mai, e sopratutto 
le Instituzioni di Gajo edite dal Goeschen; la quale ultima è a parer 
nostro, e di gran lunga, la più importante fra le opere di antichi autori 
venute alla luce in questo secolo. 

2. Numerosi ed importantissimi documenti e scritti di vario genere 
si scopersero di recente, e si stanno ora publicando, in Sardegna (1), 


(1) Pergamene, Codici e Fogli Cartacei di Arboréa, raccolti ed illustrati da PretRo MARTINI, Pre- 
sidente della Biblioteca dell’ Università di Cagliari. Cagliari, Timon, 1863: 1 vol. in-49, ‘con 6 tavole 
di facsimili. 

Appendice alla Raccolta delle Pergamene, Codici e Fogli Cartacei di Arborea, per PIETRO MARTINI, 
Presidente della Biblioteca della R. Università di Cagliari. Cagliari, Timon, 1865. Ne sono publicati 
2 fascicoli, ossia pagine 144; il 3° ed ultimo fascicolo è in corso di stampa. 


DI CARLO BAUDI DI VESME 421 
riguardanti per la maggior parte la storia di quell’isola, dai tempi ante- 
riori alla conquista cartaginese , fino al compimento della conquista 
aragonese nella seconda metà del secolo XV; essi provengono da un 
convento di Oristano, sede appunto dei regoli di Arboréa, che ultimi 
in Sardegna caddero sotto la dominazione spagnuola. Non diremo, con 
alcuni critici di Germania, che l’importanza di questi documenti è tale, 
che per essi, se, come tengo per fermo ed evidente, sono sinceri, deve 
rifarsi la storia universale; ma a chiunque li prenda ad accurato esame 
apparirà, che per quei documenti non solo la storia politica e letteraria 
della Sardegna pel corso di parecchi secoli sorge a nuova vita, ma 
anche altri rami della storia e della letteratura ne ricevono notevole 
incremento. Lasciamo ad altri il trarne profitto per illustrare la storia 
di Sardegna dal tempo che si sottrasse alla dominazione Bizantina; forse 
noi stessi tenteremo un giorno di esporre quanto di nuovo quei docu- 
menti ne somministrano pei tempi anteriori a quella rivoluzione. Ora è 
mia intenzione soltanto di accertare, in modo da rendere, credo, impos- 
sibile ogni dubio , coll’ajuto di alcuni fra quei manoscritti di Arborea, 
e di due altri, che si conservano l’ uno nella Biblioteca dell’ Archivio 
Centrale di Firenze, l’altro nella Biblioteca Communale di Siena, l'età, e 
far conoscere le poesie di due antichissimi poeti in lingua italiana , 
GrÒerarpo DA Firenze ed Arpopranpo pA SienA, dei quali or fa pochi 
anni era ignoto perfino il nome. Colla scorta quindi dei medesimi, e di 
altri documenti, cercherò non solo di illustrare la vita di quei due poeti, 
e particolarmente di Aldobrando, e di alcuni altri loro contemporanei, 
ma inoltre di rischiarare le origini; non dei volgari italici, che sarebbe 
iroppo lungo tema ed in parte difficile, ma di quella che , con nome 
certo non troppo conveniente, Dante chiama lingua aulica 0 cortegiana, 
di quella più colta di modi, più regolare nelle forme e sopratutto nella 
sintassi, che inalzatasi, per opera principalmente di Toscani, al di sopra 
di tutti i volgari della penisola e della stessa Toscana, divenne la lingua 
rniobile e scritta, la lingua commune d'Italia, e prese difatti fino da quei 
primi tempi il nome di LINGUA ITALIANA. 

5. È volgata opinione, che non avanti la prima metà del secolo XIII 
la lingua italiana sia stata adoperata nelle scritture, se mon forse in 
qualche breve ricordo od iscrizione; e particolarmente si teneva per 
certo, che allora soltanto sorgessero dapprima poeti, che scrivessero 
in quella nascente lingua. Solo fra i poeti italiani finora conosciuti 


422 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


Folcacchiero de’ Folcacchieri da Siena si volle da taluno far rimontare 
al secolo XII; ma non tutti (e crediamo a ragione) si mostrarono convinti 
degli argomenti addotti dal Senese De Angelis (2) in conferma della sua 
opinione; e nuovi documenti si traggono ora in luce, dai quali sembra 
provarsi, che difatti neppure Folcacchiero appartiene ad età più remota 
degli altri antichissimi fra i poeti in lingua italiana finora conosciuti. 
Questa persuasione intorno all’ età alla quale appartenessero i più an- 
tichi poeti italiani era sì universale, e tenuta come sì conforme al vero 
ed incontestabile (non ostante varie ed anche gravissime testimonianze 
contrarie ), che or fa pochi anni un erudito Toscano, Adolfo Bartoli, 
essendosi imbattuto in un codice della Biblioteca dell'Archivio di Stato 
di Firenze, contenente poesie di un Aldobrando da Siena, poeta fino 
allora ignoto, che in quel codice è detto nato in Siena l’anno 1112, e 
morto in Palermo il 1186: credette dovere, per questo solo motivo, 
tenere queste date come errate, e mutarle in 1212 e 1286. « È di me- 
» stieri avvertire, » dice egli, « come la data della nascita e della morte 
» di lui, quale è data nel Ms., non può non esser errata. La storia 
» delle lettere italiane non fornisce esempio di scritture volgari del se- 
» colo XIIL..... Ma se noi correggessimo il 1rr2 in 1212, e il 1186 
» in 1286, avremmo rimossa la difficoltà più grave ». Bene è vero, 
ch'egli medesimo non si mostrò gran fatto persuaso della giustezza della 
sua congettura, e conchiude: « Noi sappiamo bene, che tutto questo 
» non può essere che congetturale, e vediamo quante ragioni potrebbero 
» esserci opposte. E se altri avrà modo di recar luce in tale argomento, 
» ne saremo ben lieti, poichè esso non ci sembra privo d'importanza (3) ». 
Avrebb’egli bensì avuto i mezzi di dileguare i dubii e sciogliere la que- 
stione, se gli fosse stato possibile di leggere per intero le poesie con- 
tenute in quel manoscritto; ma sventuratamente esse non solo sono in 
carattere assai minuto e difficile, ma inoltre, per l’umidità sofferta, e 
per altri guasti, il manoscritto in alcuni luoghi è d’impossibile lettura. 
Un solo sonetto, ed anche imperfettamente, ne potè ritrarre , il quale 
nulla non conteneva che valesse a rischiarare la questione. 


2) Lettera Apologetica dell’ Abate De ANGELIS în favore di Folcacchiero Folcacchieri. Siena, 1818. 
Sarebbe a desiderare che venissero publicate le molte poesie che di Folcacchiero si dicono esistere 
nella Biblioteca Vaticana: vedi NamnuccI, Manuale di letteratura del Primo Secolo della lingua ita- 
liana. Firenze, 1856, Vol. T, pap. 16. 

(3) Nella Prefazione all’opera 7 viaggi di MARco Povo secondo la lezione del codice  Magliabec- 
chiano più antico, reintegrati col Testo Francese a stampa. Firenze, Lemonnier, 1862, pag. LIX-LXVI. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 423 


4. Or dunque avvenne, che le medesime poesie di Aldobrando che 
sono nel codice Fiorentino, si leggano anche, attribuite allo stesso, e 
coll’aggiunta di altre di lui e parecchie di altro poeta di quella età, in 
uno dei codici di Arboréa. Quindi l’ editore di quei Documenti Com- 
mendatore Pierro Martini, non volendo indugiare a rispondere all’invito 
dell’Adolfo Bartoli di recare maggior luce sulla questione, in una lettera 
a stampa al Professore Francesco Zambrini, Presidente della Commis- 
sione per i Testi di Lingua nelle Provincie dell'Emilia, nell’agosto dello 
scorso anno 1865 publicò una fra le canzoni di Aldobrando contenute 
nel codice cagliaritano, canzone di argomento storico, e che toglie ogni 
dubio intorno all’età in che fioriva quel poeta. — Rivoltasi maggior- 
mente per questa publicazione l’attenzione dei dotti sul presente argo- 
mento e su Aldobrando, si scoperse nella Biblioteca Communale di Siena 
un altro codice contenente le poesie dello stesso autore: in capo al quale 
si legge appunto la medesima canzone publicata dal Martini, indi altre 
poesie, poscia le notizie biografiche su Aldobrando che il Bartoli aveva 
publicato secondo il codice Fiorentino, ma alle quali, in quanto riguarda 
l'età in cui fiorì quel poeta, erasi ricusato di prestar fede; finalmente 
alcune annotazioni parte del trascrittore, parte posteriori. 

5. Il codice Fiorentino , fatto per la prima volta conoscere , come 
dicemmo, e descritto, sebbene con qualche inesattezza, da Adolfo Bartoli, 
è un piccolo volume cartaceo di sole due paja di fogli, dell’altezza di 
quasi centimetri 20, e della larghezza di centimetri 14. In capo al recto 
del primo foglio si legge in mezzo, in due linee, l'intitolazione (4): 


| (A). 
Canzoni e Soneti di Messer | Aldobrando de Sena. 


Segue il testo in due colonne, in carattere minuto corsivo, della 
prima metà del secolo XV. La prima colonna del 1° foglio recto inco- 
mincia dal primo verso appunto colla canzone edita dal Martini Come 


(4) Per commodità delle citazioni che ci occorra di farne nel corso della presente Memoria 
distinguiamo con Lettere d’alfabeto progressivamente le varie intitolazioni, memorie, e altri passi 
qualsiasi, che riportiamo nella descrizione dei codici contenenti le poesie di Aldobrando. Nel tra- 
scriverli poi seguiamo costantemente il seguente metodo: sciogliamo le abbreviature, disgiungiamo 
o congiungiamo, ove occorra, le parole, aggiungiamo l’interpunzione, le apostrofi, gli accenti; nel 
resto conserviamo esattamente la scrittura del manoscritto. In alcuni luoghi, dove ci parve utile, 
indicammo con una linea | la distinzione delle linee, e con due || quella delle ‘pagine. 


424 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


veglio guerrier, che ver primi anni; la seconda colonna e la prima 
pagina finisce col 3° verso della stanza 4° E coscienza mi spinge e dritto 
e amore. Questa prima pagina è in modo svanita, che sarebbe stato al 
tutto impossibile, col solo manoscritto fiorentino, publicare intera la 
canzone. La seconda pagina del 1 foglio contiene fino al verso 25 della 
stanza 7°, 4 onrati patti ed utili e sennati; la prima colonna del recto del 
foglio 2 ha il resto di quella canzone, e rimangono vuote quattro linee. 
In questa canzone nel codice Fiorentino le stanze non sono distinte 
luna dall’altra, se non in quanto il principio del primo verso di ogni 
stanza sporge un po in fuori, ma in modo non costante e poco evidente; 
ed una volta, ove si comincia a parlare di Papa Alessandro, simile indi- 
cazione è posta a mezzo una stanza. — Colla seconda colonna del recto 
del foglio 2 comincia la seconda canzone, Parva scintilla inver cenertî 
ascosa, fino al verso 52 Ed onne bon ovrare; la prima colonna del 
verso contiene il resto della canzone. La seconda colonna ha in capo 
l'intitolazione Sorezto, e seguono due sonetti, il secondo e il quarto fra 
quelli che publichiamo. Indi, non più a colonne, ed in carattere più 
grosso, ma della stessa mano, seguono, nelle due pagine del foglio seguente 
o 3, le notizie biografiche di Aldobrando state publicate dal Bartoli su 
questo manoscritto, e che qui ripublichiamo più esattamente, colla scorta 
di questo medesimo codice e del Senese, nel quale parimente si con- 


tengono (5). 
(B). 


$ 1. Hic poeta Aldobrandus natus est in civitate Sene (6) anno 
Domini MCXII, et obiit anno MCLXXXVI, etatis sue LXXIIINI (7), 
in civitate Panormi, ad quam confugit in extremis sue vite annis. 
$ 2. Cum magno ingenio preditus esset, literas ac scientias docuit 
in civitate Florencie apud ejus patruum (8), qui eum secum in 


(5) Per lo stesso motivo della commodità delle citazioni dividiamo queste notizie in paragrafi; 
nessun indizio di tale divisione si trova nei codici. — Fuorchè in alcuni luoghi più notabili non 
avverliamo le differenze fra il nostro testo e quello del Bartoli, provenienti dall’ essere stato in 
quella edizione poco fedelmente espresso il codice Fiorentino. 

(6) Il cod. Senese Siene. 

(7) Così il cod. Senese, il qual numero corrisponde alla differenza tra l’anno della nascita e quello 
della morte; il cod. Fiorentino ha LXXZII. 

(8) Così evidentemente ambidue i codici, e non mag. Pacinum, come stampò il Bartoli; onde 
diventa vana ogni ricerca intorno a questo imaginario Maestro Pacino. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 425 


eamdem duxit; $ 5. set jam ab juventute magno amore exarsus 
ob suam linguam italicam, ad eam incubuit, magnam operam 
ob id ponens; ita quod carmina latina spernens, in quibus valde 
peritus erat, italico sermone varia carmina scripsit. $ 4. Nam in 
dicta civitate Florencie multi docti (9) existebant, et presertim 
quidam Gherardus, qui erat poeta etiam in dicto sermone italico, 
fuitque ipsius Aldobrandi magister. $ 5. Et ideo ab anno sue etatis 
XVIII fecit illum vulgo Soneto ad Jhesum crucifixum, quod pape 
Honorio dicavit, cum alio, quod vero perivit (10). $ 6. Plura alia 
carmina, ut fertur, composuit, set tantum superius inserta su- 
persunt, ut scio. $ 7. Tot vero sua carmina periere ob illius tem- 
poris guerras, ob invidias, ac etiam quia multos habuit inimicos, 
quia valde imperatoribus suisque officialibus qui Italiam vexabant 
adversabatur; $ 8. sicuti etiam periere perplura carmina aliorum 
poetarum, propter similes guerras, discordias, ac alia consimilia 
Italie dampna. 


Ai precedenti cenni biografici tiene dietro immediatamente, e della 
stessa mano, la seguente annotazione. 


(C) 


Hec supradicta carmina, una cum supradicto commentario , 
i que insimul leguntur in quodam parvo libro pergameneo, quod 
servatur (11) apud Egregium virum Dominum Andream de Speciali, 
regni hujus Sicilie thesaurarium, quodque, uti ipse dominus de Spe- 
ciali asserit, transumpsit ab alio antiquissimo libro pergameneo 
recondito in archivo conventus sancti Benedicti, sumpsi ego a 
supradicto parvo libro (12), in hac civitate Panormi, die intitulata 
XX mensis decembris, anno a nativitate Domini M° CCCC°XXXIIIM, 
de voluntate et consensu predicti Egregii Domini Thesaurarii , 
pro sua solita benignitate et animi bonitate. 


(9) Così ambidue i codici, non excelsi. 

(10) Così ambidue i codici; il Bartoli stampò cum alto quem vero premitto, ma con segno di 
dubitazione. 

(11) Il cod. Fiorentino ha recoditur (reconditur). 

(12) In vece di parvo, che hanno ambidue i codici, il Bartoli diede primo. La voce libro manca 


nel Fiorentino. 


Serie II. Tom. XXIII. 


(Oni 


4 


426 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


Con queste parole finisce il verso del foglio 3 del codice Fiorentino. 
Il recto del foglio 4 è bianco; sul verso è scritto in caratteri più grossi: 


(D) 


Canzoni et Sonetti | di Aldobrando della città | di Sena, ch’a 
vissuto nel | anno M° CXII (13), et ha studiato | in civitate Flo- 
rencie, | et obit Panormi. || 


6. Simile per contenuto al Fiorentino, in quanto riguarda Aldobrando, 
è il codice della Biblioteca Communale di Siena, del quale diede primo 
notizia quel Bibliotecario, Dottore Francesco Grottanelli, con una lettera 
da Siena in data 19 settembre 1865 diretta al Commendatore Pietro 
Martini, stata publicata nel giornale Cagliaritano /a Gazzetta Popolare 
dei 5 ottobre seguente , N° 227, e poco dopo ristampata nel secondo 
fascicolo ( ossia a pag. 144) dell’ Appendice ai documenti di Arborea. 
Dice in essa il Grottanelli, che avendo dalla lettera a stampa (della quale 
abbiamo fatto menzione ) del Martini allo Zambrini conosciuto, come 
detto Martini avesse rivendicato ad Aldobrando da Siena, coll’ autorità 
di una sua Canzone, un secolo, che il Bartoli gli aveva tolto: credeva 
fargli cosa grata annunziandogli, trovarsi nella Biblioteca Communale 
di Siena un manoscritto di Aldobrando simile al Fiorentino , e conte- 
nente , oltre altre poesie, la Canzone medesima Come wveglio guerrier 
che ver primi anni, stata dal Martini publicata secondo il codice Ca- 
gliaritano; ed aggiunge una breve descrizione del codice stesso, che noi 
qui descriveremo alquanto più ampiamente. 

7. Il manoscritto Senese già fu di carte 61: ora mancano le prime 39; 
restano perciò sole 22. Venne recentemente legato in un volume mano- 
scritto miscellaneo della stessa Biblioteca, segnato A, IMI, 27, del quale 
forma i fogli dal 155 al 176, notativi di recente mano. Oltre questa 
numerazione recente si scorge l'antica paginazione segnata in numeri 
romani, in gran parte svaniti, e talora anche, a quanto pare, mancanti. 
Le prime quindici carte fra quelle ora superstiti, che formano presen- 
temente i fogli 155-169 del codice miscellaneo , contengono regole di 


aritmetica e conti varii in lingua catalana; e simile era il contenuto 


(13) Così il codice, non MCXAII/, come stampò il Bartoli. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 427 


anche delle prime 39 carte ora mancanti, come appare da una anno- 
tazione che fra breve riferiremo del trascrittore delle poesie di Aldo- 
brando, che a questo suo dà nome di Ziber computorum. Dal foglio 17 
cominciano le poesie di Aldobrando; e i fogli che le contengono non 
sono un'aggiunta posteriore al resto del codice, ma le poesie sono scritte 
su fogli rimasti bianchi in fine del liber computorum. In capo al fol. 170 
si legge, con lievi differenze ortografiche, la medesima intitolazione che 
nel Fiorentino; segue indi la prima canzone, fino a due terzi circa del 
recto del foglio 173. Le stanze in questa canzone sono distinte con un 
leggero spazio vuoto lasciato fra l'una e l’altra, e col principiare del 
primo verso alquanto fuori linea. Dopo un breve spazio vacuo incomincia 
nella stessa pagina la seconda canzone, e finisce nel verso del foglio 174. 
Segue nella stessa pagina il principio del primo fra i due sonetti che 
si leggono nel Fiorentino, e termina in principio del foglio 175 recto; 
a questo succede nello stesso foglio , l’altro che parimente si legge nel 
manoscritto di Firenze: all'uno e all’altro è preposta l'intitolazione Sonetto. 
Indi, dopo una linea vuota, nella stessa pagina e nella seguente si 
leggono le notizie biografiche e l’annotazione del trascrittore, che abbiamo 
date descrivendo il codice Fiorentino (Doc. EB e €); e dopo queste 


immediatamente, e della stessa mano : 


(E). 


Die vero XXX mensis septembris, anno a | Nativitate Domini 
MCCCCLIII, in hac civitate Neapolis | in hunc meum librum com- 
putorum .scripsi ego supradicta | carmina, simul cum duobus co- 
mentariis superius | contentis, atque sumpsi a supradicto. tran- 


sumpto, quod erat in | carta papira. 


A questa, nel margine inferiore del foglio, è aggiunta un'altra anno- 
tazione (EF) di mano più recente, ed in lingua italiana, di carattere 
non difficile, ma sì svanito, che, oltre poche lettere qua e là senza 
senso, non mi fu possibile leggerne fuorchè in fine della prima e in 
principio della seconda linea le parole Aldobrando di Sena, ed in fine 
della quinta e nella sesta ed ultima le parole che poi qui (?) è stato 
maestro di ......Queste poche parole basteranno ad accendere vivo il 
desiderio, che un occhio più esercitato in questo genere di lavori , 
quale è quello del Pillito (il quale, e lo dico con intimo convincimento, 


428 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


in abilità nel leggere e deciferare qualunque più svanita e difficile scrit= 
tura non ha pari in Italia, e forse pochi in Europa) riesca a darci anche 
questa annotazione , appartenente, a quanto pare, ad alcun possessore 
del manoscritto verso il fine del secolo XV o il principio del XVI. 

Sul recto del foglio 176 (ultimo del codice contenente le poesie di 
Aldobrando) è scritto in caratteri grossi, un po’ svaniti, ma pure aba- 
stanza leggibili : 


(G). 


Soneti et Cansoni d’un poeta | di Siena | morto 1186. 


E queste parole appunto furono quelle che, lette dalla persona alla 
quale in Palermo nel 1860 era venuto in mano il presente codice, che 
nel resto non potè deciferare, lo indussero a farne dono alla Biblioteca 
Communale di Siena. 

Più sotto, nella stessa pagina, si legge la seguente memoria di una 
copia delle poesie di Aldobrando, tratta da questo manoscritto l’anno 1501: 


(H). 


Dominus Johannes de la Nuga | Vicerex Regni Sicilie petiit | 
copiam horum carminum die XIII | decembris, quinta Indictione, 
1501. | Iohannes de la Nuca vicerex. | 


Il werso del foglio non contiene che le sole parole in grossi caratteri : 


(E) ‘ 


Canzoni | e | Soneti | 


Le poesie in questo codice non sono scritte a due colonne, come 
nel Fiorentino; il carattere , poco diverso di forma, è tuttavia più grosso, 
più chiaro, e sopratutto assai meno carico di abbreviature; e sia per 
la sua forma, sia anche tenuto conto della ortografia (per esempio 
nella forma Siena sostituita il più delle volte alla primitiva Sera), pare 
alquanto più recente. Ma la scrittura ne è in alcuni luoghi assai svanita, 
e sopratutto nella prima pagina delle poesie. 

8. Da quanto abbiamo esposto intorno a questi due manoscritti 
parrebbe a prima giunta che il Fiorentino sia stato trascritto l’anno 
1433 dal piccolo codice in pergamena esistente presso il Tesoriere di 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 4209 


Sicilia Andrea Speziale ; il cui codice poi egli medesimo aveva tratto 
(transumpsit) dall’antichissimo esemplare parimente in pergamena esistente 
nell’archivio del convento di San Benedetto in Palermo ; e che dal Fio- 
rentino sia trascritto il Senese, il copiatore del quale dice di avere 
trascritte nel suo liber computorum le poesie e le due seguenti annotazion i 
(supradicta carmina simul cum duobus commentariis superius contentis ; 
vedi sopra i Doc. B e €) dalla copia fatta sull’esemplare dello Spezialé 
(e supradicto transumpto), la quale era in carta papira. E così cre- 
devamo noi pure; ma appena potemmo accuratamente esaminare e 
confrontare i due codici, nacque in noi la persuasione, che il Senese, 
come dimostra la circostanza del trovarvisi le poesie aggiunte al Zider 
computorum, è bensì la copia medesima tratta l’anno 1453 da quella 
tratta l’anno 1433 dall’esemplare dello Speziale; ma che il codice Senese 
non è tratto dal Fiorentino, nè questo è l’esemplare trascritto l'anno 
1433 da quello in pergamena del Tesoriere Speziale, ma una copia, 
certo di poco posteriore, tratta o derivata da quella copia del 1433 
ora perduta. 

9. Di questa nostra asserzione non addurremo in prova alcuni passi, 
nei quali la lezione del Senese è bensì migliore che quella del Fiorentino, 
o certo diversa, ma nei quali la varietà può attribuirsi ad arbitrio od 
a congettura del copista; quali sono la divisione in due dei versi 21 
e 22 della 1° stanza della Canzone I, i quali negli altri due manoscritti 
formano un verso solo; o la morte di Aldobrando indicata più retta- 
mente all'anno LXXIHI della sua età, e non al LXXHII come nel 
Fiorentino ; od il servatur invece di reconditur, e il supradicto parvo 
libro dove nel Fiorentino è omesso il Zibro nella annotazione del tra- 
scrittore la quale tien dietro alle notizie biografiche di Aldobrando. Ma 
in alcuni luoghi la discordanza fra i due codici è di tal natura, che 
la lezione del Senese non può venire ascritta a congettura del trascrittore, 
ma necessariamente deve ripetersi dall’esemplare che aveva dinanzi. Così 
in principio del 1° verso della stanza 5° della I Canzone il codice Fioren- 
tino legge 4 simil guisa, lezione in sè non cattiva, sebbene il consenso 
del codice Cagliaritano dimostri più vera la lezione del Senese £ a simil 
guisa. Così nella stessa Canzone all'ultimo verso della stanza 6° il Fio- 
rentino ha /ostro desiato a finimento giusto, dove il Senese, d’accordo 
col Cagliaritano, ha la vera lezione giunto. Similmente nel primo fra i 
Sonetti contenuti in questi due codici, nel Fiorentino si legge e preso 


430 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


Non me sento d'amore e ver dolore ; laddove invece d’amore il Senese 
ha amaro , lezione confermata dal Cagliaritano. Ma il luogo che dimostra 
ad evidenza che il codice Senese non può essere derivato dal Fiorentino, 
si è il verso 14 della stanza 4° della Canzone I, dove il Senese, come 
il Cagliaritano, ha la voce spurio, che il verso richiede, e che è omessa 
nel Fiorentino. Aggiungasi l’ indicazione delle stanze nella Canzone I, 
appena visibile, e spesso non osservata nel Fiorentino, evidentissima nel 
Senese; la retta disposizione dei versi nel Senese, l’uno scritto in fuori e 
l’altro in dentro nella Canzone IT, come da noi è fatto nella stampa : 
disposizione che non si trova nel codice Cagliaritano, e soltanto in parte 
ed in modo appena visibile nel Fiorentino. Finalmente nel manoscritto 
Senese in due luoghi sono omesse parole, lasciandone lo spazio vuoto, 
evidentemente perchè od erano perite od illegibili nell’ esemplare dal 
quale trascriveva; laddove si leggono nel Fiorentino, e di lettura non più 
difficile che quella del resto del manoscritto. — E queste due lacune 
dimostrano che all'incontro neppure il codice Fiorentino, che d'altronde 
appare alquanto più antico, non può essere copia del Senese; ma che 
ambedue, l'uno indipendentemente dall’altro, sono, il Senese trascritto, 
il Fiorentino o trascritto od almeno derivato, dalla copia in carta tratta 
l’anno 1433 da quella in pergamena del tesoriere Andrea di Speziale. 

10. Queste osservazioni erano necessarie per dimostrare quale sia 
l'autorità e l’uso di questi due codici nel costituire il testo di Aldobrando: 
poichè se Yuno dei due codici fosse stato trascritto dall’altro, è evidente 
che dovrebbe tenersi conto soltanto del più antico, e che il più recente 
non sarebbe di alcun uso, fuorchè nei luoghi ove il primo si trovasse 
ora mutilo od illegibile. All’ incontro essendo i due manoscritti Puno 
dall’altro indipendenti, quantunque derivati dallo stesso esemplare; dove 
concordano, il loro consenso dimostra quale fosse la lezione della copia 
tratta dall’ esemplare del Tesoriere Speziale; il quale a sua volta era 
tratto dall’antichissimo libro in pergamena che si conservava nell’archivio 
del convento di San Benedetto. Ove poi i due codici dissentono , ta 
lezione dell’originale commune rimane a stabilirsi secondo le consuete 
regole della critica, e nel caso nostro principalmente coll’autorità del- 
l'altro codice contenente le poesie di Aldobrando, quello della Biblioteca 
di Cagliari. 

11. Questo manoscritto, e d'origine e di contenuto, differisce al tutto 


dai due che abbiamo finora descritto. Il Codice Cagliaritano cioè non 


DI CARLO BAUDI DI VESME, 431 


contiene, a propriamente parlare, una collezione delle poesie di Aldo- 
brando , ma di quelle del poeta Sardo, suo contemporaneo ed amico, 
Bruno de Thoro. Se non che questi alla raccolta delle proprie poesie 
aggiunse quella delle poesie di altri suoi contemporanei ed amici , 
Gherardo da Firenze, Aldobrando da Siena, e Lanfranco da Genova. 
Carmina sequentia, è detto nel codice Cagliaritano dopo le: poesie di 
Bruno de Thoro (vedi sotto, Doc. P), pertinent ad alios poetas, ..... 
qui omnes fuerunt quasi sibi coevi et valde ipsius amici, qui carmina 
sua eidem mittebant, et ipse illis. La verità di tale asserzione è provata 
dalla circostanza, che nell’esemplare della collezione di Bruno de Thoro, 
dal quale il codice Cagliaritano fu trascritto, si trovavano difatti le 
poesie di Aldobrando, di Lanfranco e di Gherardo, come ne fa fede 
un’altra annotazione dello stesso copista, dopo le poesie di Aldobrando: 
(vedi infra Doc. W): Zic sequuntur carmina pauca supradicti Gerardi 
de Florencia..... ac etiam carmina ejusdem Lanfranci. Pel Lanfranco 
inoltre è provato dal foglio publicato dal Pilito (14) e poscia dal Mar- 
tini (15), contenente una canzone e un sonetto di Lanfranco desumpta 
ex collectione carminum Bruni de Thoro; ed inoltre dalla testimonianza 
di un frammento di cronaca scritta da Mariano de Lixi, morto l’anno 
1168, il quale riferisce, che dopo la morte di Lanfranco il suo amico 
Bruno ne raccolse con cura gli scritti. Finalmente pel Gherardo ciò si 
deduce, dal trovarsi alcune sue poesie in un altro fra i monoscritti di 
Arborea tuttora inedito , e nel quale appena può dubitarsi sieno passate 
appunto da questa Collezione di Bruno de Thoro. 

Sventuratamente il codice Cagliaritano non è una copia della Col- 
lezione intera di Bruno de Thoro, ma soltanto un estratto di quell’ampia 
raccolta, come appare dalla descrizione che daremo del codice. Il tra- 
scrittore omise molte poesie di Bruno perchè divenute illegibili per 


l'umidità ; parecchie e di Bruno e d'altri poeti ne omise, perchè già 
le aveva in altri quaderni, che per la maggior parte non giunsero infina 


i; Tape Si Ria f 
a noi. Pur qual è, il codice è preziosissimo, per le molte poesie che 
ci conservò del secolo XII, trascritte da persona intelligente ed accurata; 
tra le quali tutte quelle di Aldobrando contenute nei due codici Toscani, 


(14) Poesie italiane del secolo, XII appartenenti a Lanfranco de Bolasco Genovese, contenute in un 
foglio cartaceo del secolo XV, illustrate per IGNAZIO PiLLiTo. Cagliari, Fimon, 1859, pag. 10 
(15) Pergamene, Codici e Fogli Cartacei d’ Arborea ecc., pag. 489. 


432 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA -SIENA, ECC. 


ed altre per soprapiù che mancano in quei codici, di alcune delle quali 
tuttavia il trascrittore lascia incerto, se appartengano a Bruno de Thoro 
o ad Aldobrando. 

12. Il codice Cagliaritano consta di un solo quaderno, di 24 fogli, 
alti circa 17 centimetri, e larghi 14 4. I fogli hanno una recente 
numerazione in cifre arabe in capo alle pagine; una numerazione antica, 
e contemporanea al codice stesso, in numeri romani sul margine inferiore 
a destra, appare ancora su parecchi fogli; essa combina colla numera- 
zione odierna, e dimostra , ciò che d'altronde già appariva dal contesto, 
che nessun foglio manca nel corso del manoscritto. Questo poi può in 
certo modo considerarsi come diviso in quattro parti, in fine di caduna 
delle quali il trascrittore lasciò alcune pagine bianche, per soggiungervi, 
come difatti fece talora, se più tardi gli avvenisse di trovare alcuna 
nuova cosa appartenente a caduna di quelle quattro parti. 

Nella prima di queste si contengono le poesie italiane di Bruno 
de Thoro. Im capo al primo foglio è scritta, di carattere assai sva- 
nito, la seguente, che può considerarsi come l intitolazione generale 


del codice : 


(K). 


Hec sunt carmina transumpta ex collectione carminum per 
poetam Brunum de Thoro peracta, in quibus continentur aliqua 
carmina ejusdem, ac aliorum poetarum. 


Indi, in carattere assai più leggibile, seguono parecchie poesie ita- 
liane di Bruno de Thoro. Riportiamo qui il primo Sonetto, perchè 
riguarda in certo modo Aldobrando, essendo diretto a Cola Usario , 
per ribattere Paccusa di questo amico di Aldobrando, che i versi di 
esso Bruno fossero brutti e disvalenti, Od acattati dal Cantor di Sena. 


(L). 
Ad Colam Usarium responsio. 


Non te caglia se soe più ner che Bruno, 
Sì ch’assembre un umile schiavo moro; 
Ch’in ciò m’acaterà dive taluno, 

A spalle mie gravar del non su’ oro, 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 433 


Ma sol te punga, e l’auda pure ognuno, 
Che soe quel rude ed atizato Thoro, 
Ch’al toco fier di vil mosca importuno 
Corre, e di corno dà, nè mira foro. 
Se i versi mei son brutti e disvalenti, 
Od acattati dal Cantor di Sena: Aldobrandus (16) 
Bon tengo il primo ver; secondo, menti (17). 
Ma fosse pur (che ’1 sdico), fior me pena: 
Che tor l’altroi è usanza; e manti venti 
Di rappador già fur, for cinta o pena. 


Segue nel recto ed in principio del verso del 1 foglio un Sonetto 
responsivo per le rime ad altro già conosciuto del poeta Lanfranco ; e 
poscia, nel modo seguente, la menzione e il primo verso di undici 
altri Sonetti di Bruno, dei quali alcuni diretti a Gherardo, ed uno ad 
Aldobrando , i quali il compilatore omise di qui trascrivere, perchè già 
li aveva in altro quaderno: 


(MI). 
Jam habeo in aho Quando el bello del ciel stellato manto. 
quaterno Idem La benefica pioggia alfin pietosa. 

Ad Aldobrandum Senensem Idem Assai me pesa e amara pur me torna. 
Ad Gherardum poe- Idem O famoso Cantor meo maestro e duce. 
tam Florencie Idem Tutto non abbia d’aquila le penne. 

Ad Parasonem Idem Donque, crudel, fo questo el tuo pensato. 
Ad dictum Gherardum resp. Zdem Se mea canzon, Gherardo, ti foe grata. 

Ad eumdem responsio Idem Lorchè lucente tutta gloria mostra. 
Ad Elenam reginam Idem Quando tua bocca, in cui natura ride. 
Ad camdem Idem Dilettoso horticel di fiori e frutti. 


Idem Della guerra che Amor ti fece ognora. 


Il resto del verso del 1 foglio e i seguenti fino a tutto il recto del 
foglio 4 contengono altri diciasette sonetti di Bruno de Thoro: alcuni 
amorosi; parecchi di vario argomento; gli ultimi ascetici. Tre di questi 
sonetti, e l’ultima terzina di altri cinque, erano già conosciuti, essendo 


(16) Annotazione in margine, della stessa mano che scrisse il sonetto. 
(17) Il cod. mente. 


Serie II. Tom. XXIII, 


(Sai 
(Ci 


454 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


stati da lungo tempo publicati dal Martini quali si leggono nella III fra le 
Pergamene di Arborea. — Il verso del foglio 4 contiene dapprima l’indi- 
cazione e i due primi versi di sette canzoni che qui si trovavano nell’ori- 
ginale, ma che furono omesse dal trascrittore, perchè già le aveva altrove. 


(N). 
El fellone Amore, Jam habeo in epistola 
Amore guerria. muy ad Barisonem 
Ad Elenam D’Elena il nome in Grecia di gran fama, 
Che portò guerra e affanno. Jam habeo 
Ad Aldobrandum, quem ab Se ver l’amico l’uom gioj’ e conforto 
inimicis oppressum A le sue doglie e affanni. Idem 
MET NAelt Te diede el ciel un’angela compagna, 
Che d’allegranza magna. Idem 
Ad Constantinum jadi- Di voi canto, o Signore, 
cem Calarit. Che sì pietoso e gente. Idem 
Contro la noja mia, 
Per te, Signor, piacire. Idem 
Falsa lode non dea l’uomo usare 
Per fare altroi piacere. Idem 


Delle sette canzoni omesse, rimane la prima sola, conservataci nella 
pergamena III d'Arborea. Segue nella stessa pagina e nelle seguenti, fino 
a oltre la metà del recto del foglio 6, una canzone di Bruno de Thoro 
a Preziosa di Arborea giudichessa di Cagliari; della quale canzone una 
parte già era conosciuta. Indi nella stessa pagina si leggono le due 
seguenti annotazioni , la seconda dalla mano medesima che scrisse la 
precedente poesia, la prima inserita fra le linee da mano più recente: 


(0). 
Alia carmina predicti Bruni de Thoro sunt illegibilia et pe- 
rierunt propter umiditatem, inter que multa ad Constantinum 
Arboree judicem, et alios principes Sardos et extraneos. 


(P). 
Carmina sequentia pertinent ad alios poetas, et solum hec 
reperiuntur in collectione dicti Bruni de Thoro; qui omnes fuerunt 


quasi sibi coevi, et valde ipsius amici, qui carmina sua eidem 
mittebant, et ipse illis. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 435 


Il verso del foglio 6 e il recto del 7 contengono una Canzone alla 
Vergine che incomincia O pietosa Maria, mar di conforto; ed a piè 
del recto ed in principio del verso dello stesso foglio 7 si legge la 
seguente annotazione : 


(Q). 


Hoc carmen tribuitur Aldobrando Senensi; sed multi | credunt 
pertinere ad ipsum Brunum de Thoro, et quod | illud scripsit in 
ultimis temporibus sue vite, quum || circa XC annos haberet; nam | 
natus est anno Domini M°C°X°, et | obiit anno M°CC°VT.. 


Lo scrittore aveva lasciato in bianco non solo il resto del foglio 7, 
ma anche i fogli 8 e 9, per aggiungervi quelle poesie di Bruno de 
Thoro che ancora gli venisse fatto di rinvenire; ma poscia riempiva il 
foglio g con un brano di antica cronica, nel quale si tratta di Bruno 
de Thoro. In principio, di mano della persona che scrisse il brano, vi 
ha un’ annotazione marginale relativa ad alcune correzioni ed aggiunte 
ch'egli fece posteriormente in detto brano coll’ajuto di un altro esemplare; 
ed in fine di altra mano, Vannotazione seguente, che ci dà il nome e 
l’età dello scrittore di quella cronica , che così veniamo a conoscere 
essere stato contemporaneo di Bruno de Thoro. 


(R). 


Hec sunt verba de quadam antiqua | cronaca, in qua fit mentio 
de illo | magno poeta Bruno de Toro, | que scripta fuit a Mariano 
de Lixi, | qui obit anno Domini M°C°LXVIII; sed | transumptor 
incepit et non perfecit correctiones, ut | supra. || 


13. La seconda’ parte del codice, dal foglio 10 al 16, è destinata 
alle poesie di Aldobrando. In capo al foglio 1o si legge: 


(8). 


Hec certe sunt Aldobrandi de Sena. 


parole che evidentemente si riferiscono alla precedente annotazione (®) 
sulla Canzone alla Vergine, che molti negavano essere di Aldobrando; 
onde anche appare che queste parole furono scritte prima che il foglio 9g 


436 DI GHERARDO DA .FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


venisse riempito col menzionato brano di cronica e. le annotazioni 
relative. Segue indi la Canzone Come veglio guerrier , che ver primi 
anni, che occupa fino ad un terzo circa del verso del foglio 13. Le 
stanze della Canzone sono distinte con uno spazio vuoto tra l’ una e 
l’altra, ed inoltre col principiare alquanto fuori linea il primo verso 
della stanza; la prima fra queste distinzioni manca fra la stanza 1° e 
la 2°, e fra la 7° e 18%; anzi in questo secondo luogo il verso non era 
stato principiato fuori linea, errore che fu poi emendato dallo scrittore 
medesimo. A. questa Canzone, dopo uno spazio vuoto di due linee, tien 
dietro l’altra Parva scintilla inver ceneri ascosa, della quale i primi 
versi sono divenuti in gran parte illeggibili per una macchia sulla carta; 
la canzone termina presso al fine del verso del foglio 14. A piè del 
foglio medesimo è scritta la seguente notizia su Aldobrando, meno pre- 
cisa e minuta che non quella contenuta nei codici Fiorentino e Senese, 
ma tuttavia per molti riguardi importantissima : 


(T). 


Aldobrandus Senensis versabatur in multis scientiis, et per- 
maxime in sacris | scripturis et theologia, cognovit peroptime 
linguam latinam, et studuit | etiam propriam sue patrie, quam 
auxit, expurgavit, ornavit et | expolivit, ita quod superavit ma- 
gistrum suum Gherardum, et omnes | suos coevos; set multas per- 
secuciones substulit et guerre discrimina et emulos, et | varia 
infortunia passus est, per que ingenii vis minuitur: et hoc clarius 
adnotatur | ex ipsamet stilis varietate quo in suis carminibus usus 
est, ubi poeta tum | nobilis tum plebeus adparet. | 


I fogli 15 e 16 erano lasciati vuoti, per aggiungervi quelle altre 
poesie di Aldobrando che al trascrittore venisse ancora fatto di rinve- 
nire; e difatti il foglio 15 fu più tardi, e con carattere assai più mi- 
nuto che non nelle precedenti poesie, dallo stesso trascrittore riempito 
con sette sonetti di Aldobrando, fra i quali il secondo e il settimo 
sono i due contenuti, ma con ordine inverso, nei codici Fiorentino e 
Senese. 


14. La terza parte del Codice, dal foglio 17 al 21, ha la seguente 
intestazione: 


DI CABLO BAUDI DI VESME. 437 


(U). 


Etiam hec carmina tribuuntur eidem Aldobrando; sed multi 
dicunt | quod pertinent ad cumdem Brunum, quamvis repe- 
riantur in collectione carminum | aliorum poetarum, et non | in 
primis suis, quod forsitan evenit errore transumptoris. | 


Seguono, fino ad un terzo circa del recto del fol. 21, tre canzoni, 
evidentemente di un medesimo autore: la prima contro la Maldicenza, 
. . . x . 
e comincia Za lingua del serpente , como è scritto; la seconda contro 
l’Ambizione: Ambizion! ahi crudele e ria disianza; la terza contro l’Ozio : 
L'uomo da Deo creato fu al labore. Indi, nella stessa prima pagina del 
foglio 21, si legge la seguente annotazione : 


(V). 


Hic sequuntur carmina pauca supradicti Gerardi de | Florencia, 
qui fuit magister prefacti Aldobrandi | de Sena et Lanfranci de 
Janua, ac etiam | carmina ejusdem Lanfranci: que omnia alibi 
habeo, | una cum parvo et nullius momenti carmine cujusdam | 
Ogerii, quem Ferdinandus de Fonte, qui ex eodem | descendebat, 
apellavit magistrum predicti | Lanfranci, contra omnium scri- 
ptorum sententiam ; qui etiam | notarunt tamquam inepta carmina 
cujusdam | Ogerii Ligurensis, coevus Michaelis Cancellarii. | 


E dopo, scritto posteriormente dalla stessa mano : 


(Xx). 


Hoc est fragmentum carminis predicti Gherardi, quod mihi 
deerat. 


E seguono le due quartine di un Sonetto , intricatissime ed oscure, né 
tali in modo alcuno da inspirare un alto concetto della vena poetica 
di Gherardo, nè della sua eccellenza nella lingua e nello stile. — Il verso 
del foglio 21 è bianco. 

15. La quarta parte del codice, formata dei tre ultimi fogli, 22, 23 
e 24, ha la seguente intitolazione : 


438 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


(XY). 


Hic ponuntur carmina sardescha ejusdem Bruni, et primum 
vulgo dicti Sonetti. 


Segue una serie di sei sonetti in lingua sarda di Bruno de Thoro, 
fino a metà del recto del foglio 23; il resto di quel foglio e il seguente 
furono dal trascrittore lasciati, al consueto, vacanti, per aggiungervi 
quegli altri sonetti sardi dello stesso autore, che gli venisse fatto poscia 
di rinvenire. Sul margine esterno del verso del foglio 22 è scritta di 
traverso una lunga annotazione in caratteri minutissimi, nella quale si 
rivendicano a Bruno de Thoro questi sonetti sardi, che Ferdinando de 
Fonte ascriveva a Torbeno Falliti: annotazione che qui riferiamo a 
motivo delle notizie non prive d’importanza che contiene intorno agli 
esemplari che allora (prima metà del secolo XV) correvano della Col- 
lezione di Bruno de Thoro, che è, a nostro avviso , il solo fonte di 
quanto in Sardegna ci fu conservato delle poesie di Gherardo, di Aldo- 
brando e di Lanfranco. 


(7). 


Supradictus Ferdinandus de Fonte credebat, quod hec carmina 
sardescha vulgo Sonetti scripta fuerunt a magno poeta Torbeno 
Falliti, quia hoc stile multum adsimilatur suo; et. permaxime hoc 
suspicabatur, quia in his reperit phrasim 220n me leo plus affanno, 
qua ipse Falliti usus est circa finem sui poematis in judicis Hu- 
gonis laudem, et etiam alibi, et alia similia verba; et in hac sua 
opinione confirmabatur, quia in libro dicte Collectionis Bruni de 
Thoro quem ipse possidebat hi Sonetti deerant. Sed he raciones 
sunt frivole, et nihil valent. Et primo, quia lingua sardescha a 
dicto Bruno adhibita est magis pura, utpote antiquior; secundo, 
quia in dictis suis Sonetti leguntur aliqua verba que sunt italica, 
et que loquebantur a poetis sui temporis, et talia sunt dismente, 
disparente, sì lu sapes bonu, que certe non sunt sardescha ; 
tercio demum, quia deficiencia Sonetorum in suo libro non probat 
quod omnes eos non composuit, cum e contra reperiuntur in 
pluribus quos ego vidi, imo in quodam deerat canticum sardum 
Me has lanzadu, Amore. In hac parte ergo supradictus Auctor, et 
in alia que pertinet ad Ogerium, multum erravit, quamvis in 
aliis suis scriptis acuratissimus et fidelis. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 439 


Dall’iscrizione che sopra abbiamo riferita , preposta alla quarta parte 
del codice Cagliaritano, appare che il raccoglitore intendeva qui tra- 
scrivere non i soli sonetti, ma tutte le poesie sarde di Bruno de Thoro, 
e che perciò alla quarta parte contenente i sonetti in lingua sarda 
doveva succedere una quinta, contenente le canzoni nella stessa lingua. 
Ma queste mancando, possiamo congetturare o che il raccoglitore abbia 
mutato consiglio, o più veramente che siano periti alcuni fogli in fine 
del manoscritto. Una sola fra le canzoni sarde di Bruno giunse infino 
a noi, quella citata nella nota marginale pur ora riferita; la quale 
canzone ci fu conservata, aggiunta posteriormente, ma forse dalla stessa 
mano, nella pergamena terza fra quelle di Arboréa, contenente alcune 
poesie di Bruno de Thoro. 

16. Fra i monoscritti di Arboréa furono inoltre trovati alcuni fogli, 
avanzo di un codice scritto parimente nella prima metà del secolo XV, 
contenente una Raccolta di antiche poesie italiane e sarde. Sono i sei 
ultimi fogli del codice, più la metà superiore di un altro foglio.. La 
scrittura è minutissima, e in molta parte assai svanita. Il formato del 
codice era alto e stretto, di rt su 34 centimetri; sì che dove i fogli 
sono scritti per intero, contengono in una sola colonna circa go linee 
o versi per pagina. Così avviene nei primi cinque fogli interi; la prima 
pagina o recto del sesto ha soli dodici versi, coi quali finisce la can- 
zone cominciata nel foglio precedente. La seconda pagina o verso del 
foglio medesimo contiene soltanto la seguente annotazione, che può 
considerarsi come l'intitolazione dell'intero codice :. 


(AR). 

Carmina variorum poetarum et etatum, | et in diversis cir- 
cumstanciis ab ipsis | poetis facta: que collexit quondam Didacus | 
de Melia civitatis Ville Ecclesie; et nunc ea | possideo ego Michael 
Chela ejusdem | civitatis. | 


In capo al verso del mezzo foglio si legge : 


(BB) 
Hec sunt carmina sardescha, et primo | ponitur carmen Gi- 
tilini de Coria, | in eadem forma que facta fuit seu | verius 


refecta per P. Deligia, ad meliorem | et faciliorem intellectum , 
anno Domini M°CCC°LXXXXIII | 


440 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


Segue la canzone a Barbarita di Gitilino de Gorria, stata publicata 
dal Decastro (18), e dal Martini (19); ma qui al tutto rifatta e di 
parole e di metro. Ne manca il fine, colla metà inferiore del foglio. 
Siccome Gitilino fiorì in sul fine dell’ VII e sul principio del IX secolo, 
e la più antica fra le canzoni che si leggono nei fogli seguenti è del 
secolo XIII, pare che tra quel primo foglio dimezzato e i seguenti 
manchino parecchi fogli, nei quali si contenessero, o sincere o taluna 
forse rimodernate , altre antiche poesie sarde, probabilmente fra quelle 
dello stesso Gitilino; di Deodato da Gotane e di Michele Cancellario, 
che fiorirono circa un secolo dopo Grtilino ; di Ifredico, del quale 
abbiamo un bell’inno di guerra in occasione della invasione Saracena 
del 1002; e di altri poeti ora perduti. 

La prima parte del codice conteneva poesie antiche italiane, come 
dimostra l’iscrizione che abbiamo riferito (Doc. BB): Zec sunt carmina 
sardescha , et primo etc.; e difatti il recto del foglio medesimo contiene 
alcune poesie italiane. Desse sono, dapprima una canzone di 44 versi, 
a piedi della quale sta scritto : 


(CC). 


Ejusdem G. de Florencia. 


dal che appare, che già nel foglio precedente ‘ora perduto si conteneva 
alcun’altra poesia dello stesso autore. Segue un sonetto, colla medesima 
sottoscrizione ; dopo la quale manca la metà inferiore del foglio. Ma due 
altri sonetti sono scritti nel margine, e a piè di ciascuno è notato 
Ejusdem G.". 

Già a primo aspetto appena si poteva dubitare, che l’antico poeta 
G."* de Florencia fosse il Maestro Gherardo, del quale fanno parola le 
varie notizie biografiche di Aldobrando, ed a cui troviamo essere diretti 
alcuni fra i sonetti di Bruno (Doc. BE); ma il dubio è volto in certezza 
dai primi versi del terzo sonetto, che appare diretto appunto a Bruno 
de Thoro , al quale dice essere piaciuto lo scherzo ch’ egli aveva fatto 


sul proprio nome, volgendolo in ardo in guerra. 


(18) Nuovi codici d’ Arboréa, publicati dal canonico cav. ANGELO DEcAsTRO. Cagliari, Timon, 1860, 
pag. 87-88. 
(19) Pergamene, Codici e Fogli Cartacei di Arborea, ecc., pag. 465-467. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 44I 


17. Abbiamo minutamente ed accuratamente descritto gli anzidetti 
quattro codici, e riferito le varie memorie ed annotazioni che vi si con- 
tengono, perchè ivi sono i soli fonti, onde possiamo trarre quanto abbiamo 
di certo intorno ad Aldobrando, e al suo maestro Gherardo; nessun'altra 
memoria essendone rimasta in altro codice od antico scrittore. Nè ciò 
è maraviglia; poichè quanto numerosi sono i documenti e le memorie 
di ogni genere conservate negli archivii Fiorentini ed in altri della 
Toscana dalla metà del secolo XIII in poi, altrettanto scarse sono quelle 
dei tempi anteriori. 

18. Dal confronto adunque delle varie surriferite testimonianze, sap- 
piamo che Gherardo nacque in Firenze, evidentemente nella seconda 
metà del secolo XI; poichè già in principio del terzo decennio del 
secolo XII ebbe a discepoli in Firenze Aldobrando, Bruno de Thoro 
e Lanfranco di Bolasco. A quel tempo molti dotti (ossia persone dedite 
allo studio delle lettere e delle scienze) erano in Firenze (in dicta 
civitate Florencie multi docti existebant; Doc. B, $ 4), fra i quali 
primeggiava lo stesso Gherardo (et presertim quidam Gherardus ; ibid.), 
noto anche per le sue poesie in lingua italiana (qui fuit poeta etiam in 
dicto sermone italico; ibid.). Pare che grande fosse la sua fama anche 
oltre i limiti di Toscana, e molto il concorso alla sua scuola; chè dei 
tre suoi discepoli che abbiamo nominato, l’uno è da Siena, il secondo 
da Cagliari, e il terzo da Genova. Bruno lo chiama O famoso Cantor , 
meo Maestro e Duce, e al giudizio di Gherardo sottoponeva i suoi versi. 
L'annotatore del codice Cagliaritano ci dice, che fu superato dal suo 
discepolo Aldobrando (Doc. 'E'); noi, se dobbiamo giudicare dalle poche 
cose che ci rimangono di lui, non dubitiamo di porgli inanzi il suo 
discepolo Bruno, e fors'anche Lanfranco. — È ignoto l'anno della sua 
morte; soltanto, siccome nel precitato suo sonetto diretto a Bruno de 
Thoro parla della canzone di questo a Preziosa, scritta evidentemente 
l’anno 1128 0 1129 (20), appare che Gherardo viveva ancora dopo 
quell’anno. 


(20) Da tutto il contesto della canzone appare che fu scritta avanti che Salucio, per la morte 
del padre Torcotorio avvenuta l’anno 1129, salisse al trono; nè potè essere scritta gran iempo 
prima, poichè Bruno si trovava allora appena nel diciannovesimo anno o nel ventesimo della sua 
età. Vedi sopra Doc. @, e le Tavole Cronologiche dei giudici di Sardegna presso il MARTINI, Per- 
gamene, Codici e Fogli Cartacei di Arborea ecc., pag. 76. Sembra inoltre che Bruno in detta canzone 
(st. 8, v. 9), accenni alla seconda carestia al tempo di Torcotorio, avvenuta l’anno 1127. 


Serie II. Tom. XXIII. 56 


442 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


19. Maggiori notizie abbiamo dei due discepoli di Gherardo e con- 
temporanei di Aldobrando, Bruno de Thoro e Lanfranco; di essi 
trovandosi menzione anche presso altri scrittori e documenti sardi, o loro 
contemporanei, o di poco posteriori. - Poco diremo di Lanfranco di 
Bolasco da Genova. La sua nascita sembra doversi riferire ai primi anni 
del secolo XII; e siccome esso pure fu discepolo di Gherardo (Doc. Y : 
Gerardi de Florencia, qui fuit magister prefacti Aldobrandi de Sena, 
et Lanfranci de Janua), convien dire che passasse una parte della sua 
gioventù in Firenze. Ragioni di commercio lo condussero in Sardegna; 
dove una volta, presso Oristano, mentre stava caricando su una nave 
certe mercatanzie di un suo cognato, corse pericolo della vita in una 
baruffa tra Pisani e Genovesi, e fu salvato. da una mano di soldati 
mandata da Costantino I giudice di Arboréa, al quale era molto caro, 
e cui, vivente e dopo morte, celebrò colle sue poesie (21). Lasciata poscia 
Oristano, vi ritornò molti anni dopo per curarvi i beni che vi possedeva; 
e quivi morì l’anno 1162, nelle braccia di Bruno de Thoro, accorso 
da Cagliari all’annunzio della malattia dell’amico, del quale poscia, come 
sopra abbiamo accennato , raccolse con cura gli scritti (22). 

20. Alquanto più a lungo tratteremo di Bruno de Thoro, sì perchè 
di lui ne rimangono più abondanti notizie, come principalmente perchè 
l'essere Bruno stato non solo contemporaneo ma anche amico di Aldo- 
brando, di cui parlò in parecchie delle sue poesie, alcune delle quali 
anzi furono indirizzate a quel poeta, fa sì che quanto diremo di Bruno 
servirà in parte a confermare ed illustrare l'età, le vicende, e le poesie 
stesse di Aldobrando. 

Bruno de Thoro apparteneva ad una famiglia sarda, ricca per com- 
merci; il suo bisavo inoltre avevasi acquistato onorata fama nelle armi 
in occasione della prima invasione di Museto in Sardegna (anno 1000). 
Bruno nacque in Cagliari l’anno 1110, di madre sarda, di Arborga, e 
di Thoro de Thoro, persona ricca ed istrutta nelle scienze, nato in 
Pisa, dove passò gran parte della sua vita; e Bruno ancor esso visse 


(21) « Los poetas et principalimente ipsu supradictu Lanfrancu, et ipsu Sardu Bruno de Thoro, 
» ancu multu famosu et amadu dae Costantine....... hant scriptu multas Jaudes etc. ». Zita di 
Costantino I giudice di Arboréa scritta dal Notajo Cola de Simaghi verso la fine del secolo XII: 
presso MarTINI, Pergamene, Codici e Fogli Cartacei di Arborea, pag. 294-295. 

(22) « Et etiam de scriptis ki bere recollesit ». Frammento di Cronica di Mariano de Lixi relativo 
al poeta Bruno de Thoro; presso MARTINI, Appendice alla Raccolta ecc., pag. 187. Vedi sopra Doc. R. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 443 
ì suoi primi anni in Toscana, e vi apprese la paterna lingua italiana (23). 
Sebbene nessuna fra le memorie che abbiamo di quel tempo dica espres- 
samente di lui, come di Aldobrando e di Lanfranco, che fu discepolo 
di Gherardo, siccome tuttavia egli medesimo lo chiama, come dicemmo, 
suo maestro e duce (Doc. MI), ci pare probabile, che durante il 
soggiorno de’ suoi genitori in Pisa Bruno siasi trattenuto alcun tempo 
in Firenze alla scuola di Gherardo , e che ivi appunto abbia conosciuto 
Aldobrando, al quale fino alla più tarda età fu stretto di costante ami- 
cizia. Si recò poscia in Oristano, e vi era al tempo della morte di 
Costantino I già giudice di Arboréa (circa l’anno 1133), il quale alcuni 
anni prima (il 1127) aveva rinunziato al trono in favore del fratello 
Comita. Bruno, del pari che Lanfranco e altri poeti che erano a quella 
corte, celebrò con varie poesie le lodi di quel principe, chiaro per le 
sue virtù, e dal quale era molto amato (24). Essendo poscia Comita 
stato spogliato del regno e scommunicato dal papa pel suo mal governo, 
fu ricommunicato, a patto che partisse per la crociata, come fece difatti 
l’anno 1147 o il seguente, dopo aver rinunziato al trono in favore del 
suo figliuolo Parasone; ed in questa spedizione fu accompagnato da 
Bruno de Thoro, che era molto valente in armi. Comita morì in Terra 
Santa, incaricando Bruno di portare, come fece, una lettera e le ultime 
sue parole al figliuolo Parasone. Dopo breve soggiorno in Oristano 
Bruno passò in Cagliari, e di lù nuovamente in Oristano, dove si trat- 
tenne parecchi anni, ora dando opera alla poesia, ora addestrando , 
a richiesta del principe, la popolazione nelle arti di guerra. Tornato 
poscia a Cagliari sua patria, ne ripartì, come dicemmo, l’anno 1162 
per Oristano, all’annunzio della malattia del suo amico Lanfranco, che 
morì difatti indi a ventiquattro giorni. Dopo la morte di Lanfranco 
continuò a trattenersi in Oristano ad instanza del giudice Parasone , 
e vi compose parecchie poesie (25); ma udita poscia la morte, avvenuta 


(23) « De Acetaliana lingua ki bere conoskebat, kerenlo omnes ?//as etiam de sua infantia, comodo 
» pater erat de Pisa, k'i remansit ». Citato Frammento di Cronica di Mariano de Lixi. — « Pater 
» ipsius Bruni appellabatur Thorus de Thoro, homo satis dives et in scientiis versatus, qui natus 
» est Pisis, de patre vero et matre Sardis, qui et que illuc convenerant et multum permanserunt 
» propter eorum negolia ac infirmitalem ». Annotazione di scrittore della prima metà del secolo XV 
al canto d’Iifredico, che verrà publicato nell’ Appendice alla Raccolta del MARTINI. 

(24) Vedi sopra not. 21. 

(25) « Et comodo ini fuit, est quod nova carmina composuit ». Citato Frammento di Cronica di 
Mariano de Lixi. 


444 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


l’anno 1163, del giudice di Cagliari Costantino II, e come gli fossero 
succeduti la sua figlinola Agnese col marito Pietro di Torres, fece ancora 
ritorno a Cagliari presso quei principi, che celebrò co’ suoi versi (26). 
Non abbiamo notizie degli ultimi tempi della sua vita; sappiamo soltanto 
che continuò a poetare fino alla più tarda età; che nella sua vecchiezza, 
e certo dopo l’anno 1178, compilò una raccolta delle sue poesie, alla 
quale soggiunse una scelta anche di quelle de’suoi amici, Gherardo, 
Aldobrando e Lanfranco (27); e che morì in età decrepita l’anno 1206. 
Sappiamo finalmente, che da lui discendevano le famiglie conosciute in 
principio del secolo XV in Sardegna sotto i nomi di de ZRhore o de 
Thori: probabilmente gli odierni Detorri. 

21. Oltre il codice estratto dalla collezione di Bruno de Thoro, il 
quale abbiamo sopra descritto, le sue poesie ci furono in parte con- 
servate da due altri manoscritti, che ambedue sono fra le carte di 
Arboréa. L'uno di questi è coevo all’autore ; è un foglio di pergamena, 
largo centimetri 41, ed alto ora soli 15 /, per esserne stata recisa la 
parte superiore, allorchè, in età incerta, fu convertito a coperta di libro: 
onde parecchie poesie forse vi mancano intere; di cinque sonetti qui 
non si legge che l’ultima terzina, i quali interi tuttavia, unitamente 
agli altri contenuti in questa pergamena, sono fra quelli conservatici 
dal codice sopra descritto. All’incontro da questa pergamena soltanto ci 
vennero conservate due canzoni di Bruno de Thoro, l’una italiana e l’altra 
sarda. Questa pergamena, scritta da un sol lato, ed in nitidi caratteri 
e ben formati, è probabilmente uno degli esemplari, che di alcune sue 
poesie l’autore presentò in omaggio o al giudice di Arboréa, o ad altra 
insigne persona di quella età. Sul rovescio della pergamena, di mano 
di un antico raccoglitore di documenti sardi, pronipote del celebre 
storico sardo Giorgio di Lacon, e che scrisse avanti l’anno 1326 (28), 
si legge in lingua catalana: P. (Pergami) XX. En aquesta pergami se 
contenen diverses poesies del Sard Bruno de Thoro (29). 

L'altro manoscritto si è un’ampia pergamena originale, scritta essa 
pure da un sol lato, e che, come l’altra, fu un tempo convertita a 


(26) « Et cartavit de supradicto judice et de suis precessoribus cum multo merito ». Ibid. » 

(27) Vedi sopra, Doc. Pe 7. 

(28) MartINI, Pergamene, Codici e Fogli Cartacci d’ Arborca, cce., pag. 140. 

(29) Intorno a questa Pergamena vedi la citata opera del Martini, pag. 130-138, e il facsimile 
delle Pergamene III e IV. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 445 


coperta di libro; la quale contiene parte di una lunga lettera, scritta 
sotto il regno di Comita IV di Arboréa, e perciò tra l'anno 1238 e il 
1253, da Giorgio di Lacon al suo nipote Pietro. Giorgio di Lacon, 
il quale senza fallo conobbe Bruno de Thoro, poichè già aveva presso 
a trent'anni quando morì il celebre poeta suo concittadino , in questa 
lettera al suo nipote, dopo aver parlato delle virtù di Preziosa di 
Arboréa giudichessa di Cagliari, così soggiunge : « Nec animum tamen 
adhibeas Bruno de Thoro Kallaritano, qui in extremo quorumdam suorum 
italicorum carminum in aliquarum illustrium Sardoarum mulierum 
honorem Pretiose fame labem aspersit, quod filii sui Salucii » (fra le 
linee dalla stessa mano fu aggiunto, a modo di spiegazione, sive C., 
ossia sive Constantini, nome che Salucio assunse poichè l’anno 1129, per 
la morte del padre Torcotorio II, sali al trono), « quem, ut ille ca- 
» nebat .......maxime diligebat, licentias dissimularet, imo ejusdem 
» dissolutos mores, superbiam , libidinem, ac denique ipsius infortunia 
» eidem matri tribuebat; aliaque plura de matre ac etiam de filio dixit, 
» que honesti hominis considerantiam non merentur; imo hic, cum tot 
» contradictiones animadyertet , injustam P(retiose) lubem recognoscet. 
» Ut autem harum contradictionum atque  illius innocentie tibi persua- 
» sionem inducas, non me tedet nec tibi displiceat carminum que ad 
» ipsam pertinent principium saltem ac f(inem) referre, queque forsan 
» nondum habuisti » (30). Ed in uno spazio lasciato vuoto a fianco 
del contesto, che continua, della lettera, inserisce le stanze 1,9, 10, 
11 e 12 della canzone a Preziosa, conservataci intera nel codice sopra 
descritto (31). 

22. Quanto finora abbiamo detto e dei poeti contemporanei di 
Aldobrando, e: dei manoscritti che ci conservarono i suoi e i loro scritti, 
ci renderà più agevole il trattare ora di Aldobrando medesimo, della 
sua età, e delle sue poesie. 

Dalla descrizione che abbiamo dato del codice cagliaritano estratto 
dalla Collezione di Bruno de Thoro , e degli altri due manoscritti , il 
Fiorentino e il Senese, contenenti poesie di Aldobrando , appare che 
quanto rimane di questo poeta deriva da due diversi suoi originali : l'uno 


(30) MARTINI, 0p. cit., pag. 147-148. 
(31) MARTINI, op. cit., pag. 147-150: vedasi anche il facsimile della Pergamena IV, che contiene 
intere queste 5 stanze. 


446 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


quello che Aldobrando mandò al suo amico Bruno de Thoro in Sar- 
degna , l’altro quello che portò seco nell’esiglio a Palermo. Nella sua 
nativa Toscana già al tempo di Dante non solo non era rimasta. traccia 
delle poesie di questo Autore, ma si era perduta la memoria perfino 
del suo nome; e del pari erano perite le poesie di quei molti suoi 
contemporanei, dei quali lo stesso Aldobrando dice che cantarono, 


E manti già trovaro, 


le discordie italiane, e le gesta delle città collegate, 


Con lausor, prode, e più valenza degna, 
A cui fior eo non salgo, } 
E men vicino (32). 


E che tutti questi fossero ignoti a Dante, appare non solo: dal suo 
silenzio, mentre ei cita molti poeti di gran lunga inferiori ,, sopratutto 
per pregio di lingua, ad Aldobrando; ma se ne ha anche un argomento 
positivo. Dice Dante (33), che tre sono gli argomenti, che in poesia si 
debbono trattare in volgare illustre: quod est uzile, quod est delectabile, 
quod est honestum; ossia salus, venus, virtus; o più chiaramente arma, 
amorem , rectitudinem. Porta esempii di caduno dei tre argomenti in 
lingua d’oco; in lingua del sì reca esempii soltanto dei due secondi , 
ossia di poesie morali e di amorose, aggiungendone per ragione: Arma 
vero nullum Italum adhuc invenio poetasse. Come mai avrebbe potuto 
Dante dire tali parole, se fossero state superstiti al suo tempo le poesie 
colle quali Aldobrando e gli altri suoi contemporanei celebrarono i fatti 
della Lega Lombarda? Ed anche nella Yîta Nuova, dove nega trovarsi 
poesie in lingua del sì che fossero di oltre 150 anni anteriori a quel 
suo scritto, questa medesima antichità concede alle sole poesie di amore, 
scritte in volgare, dic'egli, da chi « volle fare intendere le sue parole 
» a donna, alla quale era malagevole ad intendere versi latini » (34). 
Onde anche è probabile, che siffatte antiche poesie, delle quali neppure 
nel libro de Y/ulgari Eloquio non adduce verun esempio, fossero scritte 


non nel volgare illustre od italiano, come quelle di Aldobrando , di 


(32) ALrosranpo, Canzone I, st. 3, v. 5-25. 
(33) De vulgari Eloquio, Lib. II, cap. XI. 
(34) Zita Nuova, cap. XXV. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 447 


Bruno e di Lanfranco, ma nei diversi volgari o vogliam dire dialetti 
locali. Aggiungasi, che le poesie di Gherardo, e molte fra quelle di 
Aldobrando, di Bruno e di Lanfranco, sono certo anteriori al 1141, al 
quale anno come estremo termine ci rinviano le parole di Dante. Le 
discordie cittadine, e forse più il soverchiare del partito ghibellino in 
gran parte d’Italia al tempo del secondo Federico, e lo splendore della 
sua corte, e la fama dei poeti che vi fiorirono , fecero sì che, spenta 
interamente la memoria dell’antica scuola Toscana, la poesia volgare si 
credesse da molti nata ai tempi di Federigo II nel mezzodì d'Italia, e 
perciò aver preso nome di Siciliana. 

25. La doppia origine che abbiamo accennato dei manoscritti rima- 
stici di Aldobrando spiega come sia potuto avvenire, che maggior numero 
di sue poesie si sia conservato nel manoscritto Sardo, che non in quelli 
di origine Siciliana. Nessuna maraviglia, che Aldobrando, nella lunga ed 
agitata sua vita, abbia perduto molte delle sue poesie, sì che le sole 
quattro che si leggono nei codici Fiorentino e Senese siensi salvate con 
lui in Palermo; mentre intanto e quelle, e molte altre, eransi conservate 
presso l’amico Bruno de Thoro, al quale a mano a mano Aldobrando 
le aveva spedite. 

E qui dobbiamo notare una circostanza, importante per la critica 
del testo di queste poesie. I due codici di origine Palermitana, e nelle 
parole e perfino nell’ortografia, generalmente concordano col Cagliaritano; 
la quale concordanza di codici di origine diversa fino dai tempi del- 
l’autore ci è garante sicura della sincerità della loro lezione: sì che di 
pochi antichi poeti, e forse di nessuno, abbiamo il testo primitivo con 
tanta certezza ed esattezza stabilito. Pure in alcuni luoghi vi ha diffe- 
renza; e, non computati quei rari passi nei quali può attribuirsi a 
svista del trascrittore, ovunque tale differenza ha luogo, la lezione dei 
codici di origine Palermitana ha l’ aspetto di una correzione o miglio- 
ramento fatto posteriormente dall’Autore al suo primitivo dettato. Tale 
è nella Canzone I la lezione Onrati duci al verso 3 della stanza 6 
invece di Guerrieri e duci che ha il codice Cagliaritano; trattandosi 
difatti in quei versi de’ soli duci; laddove dei guerrieri si parla più 
sotto in quella e nella seguente stanza. Lo stesso credo doversi dire 
delle varianti al verso 30 della stanza 7 della medesima canzone, e al 
verso 80 della canzone seguente. 

24. Le poesie nell’antichissimo codice Palermitano in pergamena del 


448 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


convento di San Benedetto (codice dal quale fu tratta la copia del teso- 
riere Speziale, dalla quale, per mezzo di un esemplare trattone l’anno 1438 
ed ora perduto, derivano i due codici Fiorentino e Senese) sembrano 
essere state raccolte poco dopo la morte dell'Autore da un suo amico 
e familiare in Palermo, il quale aggiunse alle poesie i cenni biografici 
che abbiamo riferito (Doc. B; vedi anche Doc. €). E difatti, oltre l’essere 
detto antichissimo il manoscritto, dal quale avanti l’anno 1438 lo Speziale 
trasse la sua copia delle poesie, e di quello che il trascrittore chiama 
Commentario, contenente i cenni biografici di Aldobrando: nessuno, che 
non le avesse ricevute dalla sua bocca medesima, avrebbe potuto con- 
servarci intorno ad Aldobrando sì precise notizie, la sincerità delle quali 
è confermata e da un attento esame delle poesie medesime, e dalle 
concordi testimonianze contenute nella collezione di Bruno de Thoro. 
Ma sovratutto fra le cose riferite in quei cenni biografici alcune, e per 
sè stesse, e perchè appartenenti alla prima gioventù del poeta, sono di tal 
natura, che mal poterono pervenire a notizia del biografo Palermitano, 
fuorchè direttamente per mezzo di Aldobrando medesimo. Tali sono, 
l essere lui dapprima stato condotto in Firenze da un suo zio; ed il 
fatto dell’avere lui, in età di soli diciotto anni, composto e dedicato a 
papa Onorio due sonetti, ossia quello a Gesù crocifisso, ed un altro che 
quel biografo dice perduto; dei quali due sonetti ci occorrerà parlare 
fra breve. Nè queste sole, ma, a chi ben consideri, tutte le notizie 
contenute in quella breve biografia non solo portano 1’ impronta della 
sincerità, ma appajono scritte da persona contemporanea, ed alla quale. 
appieno erano conosciute le cose e le persone delle quali discorre. 
25. Egualmente sincere, ma meno abondanti e minute, sono 
le notizie intorno ad Aldobrando contenute nel codice Cagliaritano 
(Doc. E). Noi siamo d’avviso, ch’esse siano dovute all'autore della 
collezione Bruno de Thoro, che le avrà probabilmente poste in capo 
alle poesie del suo amico, da lui aggiunte alla collezione delle proprie. 
Non possiamo difatti, se non per la forma almeno per la sostanza, 
attribuirle all’anonimo raccoglitore ed annotatore del codice nella prima 
metà del secolo XV; poichè, da quall’altro fonte, fuorchè dalla colle- 
zione di Bruno, avrebbe desso potuto trarre le notizie che ci dà intorno 
ad Aldobrando ed al suo maestro Gherardo , poeti anteriori a lui di 
presso a tre secoli, e dei quali (non avendo, come Lanfranco, vissuto 


È i o 1x 
in Sardegna ) per modo veruno non avrebbe potuto pervenire colà 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 449 


notizia certa dopo il tempo di Bruno, mentre ogni memoria ne era 
spenta perfino sul continente italiano , e per soprapiù la maggior parte 
della Sardegna era caduta sotto la dominazione Aragonese, e anche nel 
resto dell’isola era cessata la potenza, e quasi interamente il commercio. 
di Pisa. Inoltre in quei cenni su Aldobrando è detto, che le sventure 
avevano affievolito il suo ingegno, e che se ne scorgeva traccia nelle 
sue poesie, alcune delle quali apparivano sublimi, altre plebee. Ora 
siccome nel codice Cagliaritano si leggono tutte le poesie di Aldobrando 
che si trovavano nella collezione di Bruno de Thoro (solum hec repe- 
riuntur in collectione dicti Bruni de Thoro: Doc. P), nè alcuna 
fra quelle può certo dirsi plebea: convien credere che quel giudizio 
intorno ad Aldobrando e alle sue poesie sia dello stesso Bruno, che quelle 
poesie le quali giudicava umili e plebee abbia escluso dalla sna Raccolta. 
Aggiungasi, che in quella breve notizia su Aldobrando si asserisce che 
superavit ..... omnes suos coevos; giudizio, che quanto è naturale in 
bocca di Bruno de Thoro, altrettanto sarebbe e sotto alcuni aspetti 
ingiusto, e poco probabile, se si attribuisse ad alcuno scrittore Sardo 
posteriore , il quale non dubitiamo avrebbe dato la palma al magno 
poeta (35) suo connazionale Bruno de Thoro, come pare abbia fatto già 
il suo contemporaneo Mariano de Lixi (36). Onde anche vediamo, 
come noteremo fra breve, lo scrittore del codice Cagliaritano cercare 
di attribuire a Bruno alcune poesie, quantunque si leggessero in co/- 
lectione carminum aliorum poetarum et non in primis suis, e nella 
collezione medesima fossero ascritte ad Aldobrando, al quale senza dubio 
appartengono. Riassumendoci adunque diciamo, tenere noi per fermo 
che le notizie intorno ad Aldobrando nei codici Fiorentino e Senese 
furono scritte poco dopo la sua morte da persona stata in Palermo suo 
familiare; e quelle conservateci nel codice Cagliaritano doversi ascri- 
vere al suo contemporaneo ed amico Bruno de Thoro , sebbene forse 
dallo scrittore di quel codice trasportate di volgare in latino e mutate 
nella forma, od anche, ciò che tuttavia non crediamo, compendiate. 
26. Passando ora ad enumerare ed esaminare le poesie di Aldobrando. 


(35) Così è chiamato dal secondo annotatore del codice delle poesie di Bruno de Thoro: « 7ec 
» sunt verba de quadam antiqua cronaca, in qua fit mentio de illo magno poeta Bruno de Toro » 
MarTINI, Appendice alla Raccolta, pag. 187. 

(36) Se bene abbiamo supplito le parole della lacuna: « (superavit poetas omnes) alios pri(ores) » 
Vedi MARTINI, Appendice alla Raccolta delle Pergamene ece., pag. 186-187. 


Serie II Tom. XXIII. 57 


450 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


come quelle che, essendo in parte di argomento storico, contribuiscono 
ad accertare l’età e rischiarare la vita del loro autore, ed anche quanta 
parte abbia avuto nella formazione della nostra lingua italiana : noteremo 
dapprima, che gran parte delle sue poesie andò perduta (Doc. B, $ 6, 
7; canzone II, st. 2, v. 1 e 18-25); sole rimasero certe di lui due 
canzoni e sette sonetti; più quattro canzoni che noi teniamo per fermo 
essere parimente di Aldobrando, al quale difatti erano ascritte nella 
collezione di Bruno de Thoro, ma che molti in Sardegna attribuivano 
a questo poeta loro compaesano. Nè, oltre queste, altre poesie di Aldo- 
brando si leggevano nella collezione di Bruno de Thoro (Doc. P.). 

27. Fra le canzoni, certa di lui, e sotto ogni aspetto la più impor- 
tante, è quella, che già fu publicata dal Martini, colla quale Aldobrando 
celebra la vittoria di Legnano sopra Federico Barbarossa nel 1176, e 
la pace o più veramente la tregua sancita nell'agosto dell’anno seguente 
in Venezia. E diciamo la tregua di Venezia, non la pace di Costanza, 
conchiusa soltanto l’anno 1183; poichè dalle stanze 7 e 8 appare, che 
la canzone fu composta vivente tuttora Papa Alessandro III, il quale 
morì il 27 agosto 1181, quasi due anni prima della pace di Costanza. 
E siccome il poeta dice, che molti prima di lui avevano cantato quei 
grandi avvenimenti , 

E manti già trovaro, 
Me deredan lasciando: 


noi incliniamo a credere, che la canzone di Aldobrando debba ascri- 
versi all'anno 1178; e ciò tanto più, che in quell’anno Papa Alessandro, che 
era di Siena, dell’illustre famiglia dei Bandinelli, di ritorno da Venezia 
passò per quella città, e nel passaggio anche vi consacrò solennemente la 
chiesa catedrale. Non vi ha dubio, che le grandi, e d'altronde per la mas- 
sima parte meritate, lodi che dà Aldobrando a quel pontefice, cui vanta 


CIMIRIOI, Magno, e via maggio che tale, 

» Magno di pie vertù, Magno di cuore, 

» U’ regna benvoler, giustizia, amore, ecc. » 
non vha dubbio, dico, che tali lodi siano in parte dovute alla circo- 
stanza, che Papa Alessandro era nativo di quella, che il poeta chiama 


« .... infra cittadi tutte la sorbella 
Dolce mia patria Sena ». 


DI CARLO BAUDI DI VESME 451 


Ed è probabile inoltre, che all’amico Cola a sospingere al canto 
Aldobrando, poichè era rimasto per manti anni muto, fosse occasione 
appunto la presenza in Siena del grande Pontefice , autore di quella 
pace memoranda , e concittadino del poeta. 

28. La seconda canzone fu per certo scritta parecchi anni prima 
della precedente , poichè nei versi che qui riferiamo vi si parla come 
di fatto non troppo lontano del supplizio di Arnaldo da Brescia , avve- 
nuto l’anno 1155: 


Or del fellon Arnaldo già vicina 
Prevedeste la ruina, 

E manti pur toglieste all’infernale 
Sentina d’onne male, 

Che folle fra le fiamme, ahi membranza! 
Tutta purgò fallanza; 

Ch’assegnaste vil legno in gonfio mare 
Gran follore varcare,. 

Poi di sue mante merci al grave pondo 
Volto ne vien al fondo: 

E grav’esso avea l’alma di gramezza, 
E d’onne vil brutezza. 


Ne duole, che nessuno dei tre codici che ci conservarono questa 
canzone non ci dia il nome nè la patria della persona celebrata da 
Aldobrando ; che se fu tale, quale il poeta ce lo descrive, ben era 
degno che il suo nome giungesse alla più tarda posterità, esempio di 
prudenza , di operosità e di virtà cittadina. 


Che bon sete, prudente, e saggio sommo, 
A cui sì alto sommo 

Altr' uom non sale. E qual trovar paraggio 
D’uomo prudente e saggio ? 

Voi coltando le scienze e onne savere 
Che porta all’uom valere, 

Ed acquistando beni e onne riccore, 
Fama ed onrato onore, 

Già non obriaste el bon che maggio vale, 
Non finito, eternale ; 


452 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


Che con mante limosne e a largo dare, 
Ed onne bon ovrare, 

Acataste eternal bon, celestiale...... 

E tempo voi teneste più dell’oro 
Ver e ricco tesoro, 

Nulla perdendo in. laide cose o vane...... 

Ma tutto a comun bon tuttora usando ...... 

Ad opere, a consigli, a pietà vera...... 

Or del fellon Arnaldo già vicina 
Prevedeste la ruina, 

E manti pur toglieste all’infernale 
Sentina d’onne male...... 

Este son le vertù vostre più mire. 


In questa imagine di persona, che mentre acquista beni e onne 
riccore, ottiene al tempo medesimo Zama ed onrato onore, ed ajuta 
di consiglio i suoi concittadini, e li soccorre con mante limosne e a 
largo dare: chi non ravvisa uno di quei ricchi mercatanti , pei quali 
sursero a fama e potenza nel secolo duodecimo i communi italiani, e 
nominatamente i communi della Toscana? Ma laddove in questo nostro 
secolo dell’oro invalse il proverbio, che i tempo è moneta, qui troviamo 


più nobile e vera sentenza , 


E tempo voi teneste più dell’oro 
Ver e ricco tesoro; 


e questa persona intenta ad acquistarsi beni e onne riccore non disgiunti 
da fama ed onrato onore, la troviamo al tempo stesso, con esempio 
ora infrequente , 


. +... Coltando le scienze e onne savere, 
Che porta all’uom valere. 


Alcuno potrebbe sospettare, che questo ricco e dotto personaggio, 
qui celebrato da Aldobrando, sia quel medesimo Cola o Nicola, che 
Aldobrando chiama suo amico, e cui è indiretta e a cui instanza fu 
composta la canzone per la tregua di Venezia. Non dubito che questo 
Cola sia quel medesimo Cola Usario, il quale, per estollere al paragone 
l'amico Aldobrando, accusò Bruno de Thoro di facitore di brutti versi, 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 453 


e che se alcuna cosa era in lui di buono, ei l'aveva acaztato dal Cantor 
di Sena: onde n’ebbe l' irosa risposta di Bruno, che di sopra abbiamo 
riferito (Doc. IL). Ma da codesto Cola, o Cola Usario, crediamo al 
tutto diversa la persona, alla quale è diretta questa seconda canzone. 
Con Cola il poeta parla confidenzialmente, e come ad amico: all’altro 
ei parla con rispetto come a suo maggiore, e più d’una volta il chiama 
Signore, e parla di suo servaggio verso di lui. E qui noterò un'altra 
differenza tra le due canzoni : differenza che ci darà occasione di mostrare 
un antico e non irragionevole modo della nostra lingua. A Cola, suo 
eguale ed amico, il poeta parla in seconda persona singolare, ossia 
dà del #4; al personaggio celebrato in questa canzone parla in seconda 
persona plurale, ossia gli dà del voî. E del # nei primi secoli di nostra 
lingua si davano vicendevolmente due amici : così Dante con Nino giudice 
di Gallura, e con Forese, allorchè li incontra nel Purgatorio (37). Del 
tu dava parimente un superiore ad un inferiore; ma questi al superiore 
dava del voi. Così quando Dante nell’ Inferno incontra il suo maestro 
Brunetto Latini, gli dice 


»....0-. Siete voi qui, ser Brunetto? 
E questi risponde 


2 +++... O figliol mio, non ti dispiaccia 
Se Brunetto Latini un poco teco 
Ritorna indietro ...... 


e con simile vicenda sino al fine di quel non breve dialogo (38). 

Questa diversità di modi e di parole e di pensieri, coi quali Aldo- 
brando si esprime nelle due canzoni, non ci lasciano dubitare, ch’esse 
sono dirette a due diverse persone. 

29. Alla terza canzone che diamo di Aldobrando è nel codice Caglia- 
ritano, che solo ce la conserva, premesso un avvertimento del collettore 
(Doc. @): che i versi che seguono non sono di Bruno de Thoro come 
1 precedenti, ma di altri poeti suoi contemporanei ed amici, ai quali 
esso mandava le sue poesie, ed a lui essi le loro. Un'altra annota- 
zione in fine della canzone soggiunge: che la canzone precedente viene 


(37) Purgatorio, Canto VIII e XXII_. 
(38) Inferno, Canto XVI. 


454 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


attribuita ad Aldobrando, ma che molti la credono di Bruno de Thoro, 
che l’abbia composta negli ultimi anni della sua vita, allorchè aveva 
circa novantanni , e così circa l’anno 1200. — Per noi è indubitato , 
che questa canzone non appartiene a Bruno de Thoro, ma bensì ad 
Aldobrando. E per tacere della poca probabilità di una sì facile vena 
poetica in un uomo nonagenario, e di uno stile sì piano, quale troviamo 
in questa canzone, diciamo, raccogliendo il tutto in brevi parole, che 
in essa e stile, e vocaboli, e pensieri, e soave mollezza, e pregi e 
difetti, sono quali si trovano nelle altre poesie di Aldobrando, al tutto 
lontani dai pregi e dai difetti poetici, o di lingua, o di stile, di Bruno 
de Thoro. 

30. Lo stesso, quantunque in grado minore, crediamo poter asserire 
delle tre canzoni sorelle, contro la Maldicenza, contro l'Ambizione, e 
contro l’Ozio, che nel codice Cagliaritano tengon dietro ai Sonetti di 
Aldobrando. Il raccoglitore delle poesie contenute in quel codice dichiara 
espressamente, che erano ascritte ad Aldobrando , e che difatti nella 
raccolta di Bruno de Thoro si trovavano in collectione carminum aliorum 
poetarum, et non in primis suis; asserisce tuttavia che multi dicunt 
quod pertinent ad eumdem Brunum, e che il trovarsi nella collezione 
fra gli scritti di altri poeti forsitan evenit errore transumptoris. Ma, 
oltrechè siffatti errori dei codici non si vogliono ammettere di leggiero 
nè senza gravi ragioni, e qui nessuna se ne adduce; e meno che mai 
possiamo ammettere siffatto errore di trascrittori trattandosi di una Col- 
lezione, della quale erano frequenti a quel tempo i manoscritti, diversi 
fra loro in alcuna parte (vedi Doc. Z), ma in questo concordi; un 
attento confronto fra le poesie di Bruno e quelle di Aldobrando dimo- 
strerà, che se nelle poesie di Bruno si trovano alcuni pochi tratti simili 
ad altri di queste canzoni, e forse indi imitati (39), in generale tuttavia 
per parole, e più per giro di frasi, e pel verseggiare, e più ancora pei 
pensieri, queste canzoni tanto ritraggono delle altre poesie di Aldobrando, 
quanto si scostano da quelle di Bruno de Thoro, Il principale forse fra 
questi tratti proprii di Aldobrando, e bastante per se solo a distinguere 


(39) Per esempio, ALDOBRANDO, Canzone VI, st. 7, vers. 4, 


« Che corpo ad alma fan, e mondo a Deo »; 


e Bruno pe Tuoro, Sonetto XXVIII, 


« Corp'ad alma, ahi lasso me! contando ». 
P , 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 455 


gli scritti dei due poeti, sono le continue reminiscenze bibliche, onde 
riboccano le poesie, perfino quelle di argomento amoroso, di Aldobrando, 
uomo permaxime versatus în sacris scripturis et theologia (Doc. W); 
e delle quali non si trova traccia nelle poesie, neppure in quelle di 
argomento religioso, di Bruno, uomo di guerra e di corte. Alcune altre 
differenze indicheremo, dove porremo fra loro a paragone questi due 
poeti; qui citeremo soltanto due locuzioni, che si possono dir proprie 
di Aldobrando , poichè ad ogni tratto s'incontrano nelle sue. poesie, e 
delle quali appena si trova esempio in Bruno de Thoro. La prima si è la 
voce ron adoperata come modo di paragone, coll’ omissione di una o 
più particelle che si richiederebbero a rendere intero il concetto. Così 
nella canzone I: 


Non tosco invidie amare; 


ossia invidie amare più che non è il tosco. E nella canzone II: 


E vertù chiare, non è sol lucioso; 


e con simile pensiero, ma con più parole e più maestà, come si conveniva 
all’alto subjetto, nella canzone III, alla Vergine: 


Oh como al tuo lucior tutto ciel luce! 
Non è certo lo sole a questa terra, 
Lorchè l’empie di luce, 

Poi della notte le tenebre serra. 


E nella canzone IV, di colui che presta orecchie alla maldicenza , 
dice il poeta: 


Ahi più sovente avvien, ch’esso si rende 
Del mesdicente plusor maggi’ odioso; ...... 
Talchè facendo a croje compiacenze 
Doppiare maldicenze, 

Non maldicente più malvagio e reo 

E laido lo creo; 


cioè, Zo credo più malvagio e reo e laido, che non è il maldicente 
E nella;\V: 


Spargano pure un mar di sangue umano 
Mille Caini, e più non lui spietati; 


456 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


E finalmente nella canzone VI: 


E sì che tal par lui diventa cosa, 
Non è certo sentina più schifosa. 


L'altro modo che si può dir proprio di Aldobrando, perchè in lui 
è frequentissimo, quantunque se ne trovi qualche raro esempio anche 
in Bruno, ed in altri autori di quella età o di poco posteriori, si è la 
voce inver usata non per verso, ma semplicemente per in, come nei 


seguenti esempli: 


Penosi dì menando 
Inver corrotti e pianti. 
Canzone I; 


Parva scintilla inver ceneri ascosa. 
Canzone II ; 


Che nostra fragil nave 
Inver onde agitate a bono porto 


Ne adduci. 
Canzone III ; 


La lingua del serpente, como è scritto, 
Parte mette di tosco inver sè piena. 
Canzone IV ; 


Lo bon, che inver ben sua vita trova. 
Canzone V. 


Dal Glossario, che soggiungiamo alle poesie, apparirà, che non vi ha 
quasi voce notabile in queste canzoni, che non s’ incontri anche nelle 
rimanenti poesie di Aldobrando. 

51. Fra i sonetti che di lui ci rimangono, uno è quello a Gesù 
Crocifisso, che il suo antico biografo (Doc. HB, $ 5) narra avere Aldo- 
brando composto l’anno diciottesimo di sua età, e così l’anno 1129, e 
dedicatolo a papa Onorio, unitamente ad un altro, che al tempo di 
quel biografo era perduto. Noi crediamo che questo secondo sonetto, al 
quale accenna il biografo Palermitano, sia il primo fra i due di argo- 
mento religioso, ossia quello sulle tribolazioni, che il codice Cagliaritano 
ci conserva immediatamente innanzi a quello a Gesù Crocifisso. Questi 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 457 
due, appartenenti all'anno 1129, sono così i più antichi sonetti di data 
certa giunti infino a noi. Dico di data certa, poichè ben può darsi che 
alcuno dei sonetti di Bruno de Thoro sia più antico; e molto più ciò 
può supporsi dei sonetti di Gherardo, come quello che fu maestro dello 
stesso Aldobrando, sebbene ciò solo non basti a dimostrare la maggiore 
antichità di quei sonetti, poichè in quell’anno, come abbiamo sopra 
notato, Gherardo era tuttora in vita, e tuttora poetava. E forse non 
andrà lungi dal vero, chi appunto a questo Gherardo attribuisca l’inven- 
zione del sonetto; una cosa diviene evidente, che non ne fu inventore, 
come alcuni opinavano, Guittone d'Arezzo. 

Gli altri cinque sonetti di Aldobrando sono di argomento amoroso, 
e pajono composti ad un tratto, formando serie e quasi un sol tutto. 
Col primo si descrive come il poeta s' innamori di una giovane altera 
e disdegnosa; nel secondo (che solo fra i cinque si legge anche nei 
codici Fiorentino e Senese) e nel terzo l’amante si duole della ritrosia 
e dei disdegni dell’amata; nel quarto invoca la morte solo rimedio a’ suoi 
mali; nel quinto si dice risorto a nuova vita e libero dall’antico amore, 
ed alla donna che chiede mercè risponde dispettoso , che ad altri affini 
suoi strali , 


« ch’eo per te non son renato ». 


25. Enumerate le poesie di Aldobrando, non sarà inutile che su di 
esse soggiungiamo un breve giudizio, e le mettiamo al paragone, sia 
sotto l'aspetto della poesia, come per la lingua e per lo stile, con 
quelle degli altri poeti suoi contemporanei. Ed in quanto riguarda la 
lingua e lo stile, non dubitiamo di unirci al giudizio del suo amico Bruno 
de Thoro, o qual altro siasi l’autore dei cenni biografici conservati nel 
codice Cagliaritano : che Aldobrando non solo superò il suo maestro 
Gherardo, ma anche tutti i suoi contemporanei, quelli per certo dei 
quali ci rimase memoria. Nessuna parola o forma plebea, o disdicente 
a poesia, troviamo presso Aldobrando; molte voci e forme bensì, che 
in parte già al tempo di Dante, ed altre poco dopo, erano cadute in 
disuso; ma queste medesime, a chi ben le consideri, se ora sono da 
schivarsi per ciò appunto che condannate dall’uso , nulla hanno o di 
aspro, o di basso, o di oscuro (come alcune, per esempio , presso 
Bruno de Thoro), che le faccia riprovare per sè medesime. Alcune 
si distinguono dalle odierne in ciò solo, che, più vicine all’origine, 

Serie II. Tom. XXIII, 58 


458 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


più ritraggono della forma primitiva od etimologica : come ingegno ed 
ingegnare per inganno ed ingannare; inde e ’nde per ne; audire per 
udire; onne per ogni; como e siccomo per come e siccome. Molte poi 
fra siffatte voci ora disusate sono tali, che per esse sarebbe a desi- 
derare l Oraziano 


« Multa renascentur, quae jam cecidere »; 


poichè di parecchie nel volgare italiano ora usitato mal si troverebbe 
altra che con eguale forza e dignità esprima il concetto: quali sono 
dispietoso per privo di pietà; bailito; corale e coralmente; cherere ; 
gradivo; misvolere; nescienza. Altre finalmente per armonia, e, direi 
quasi, per rotondità e per dignità, sovrastano alle voci od alle forme 
che l’uso conservò in loro vece: tali sono, se il giudizio non c’inganna, 
allegranza; coltare per coltivare ; dilettoso ; eternale ; guaimentare ; mesdire 
e mesdicente ; slungiare e slungiato; valenza. Tutte queste e le rima- 
nenti voci usate da Aldobrando, e che si discostano dall’uso ora com- 
mune, diamo raccolte in fine a modo di Glossario, confermate anche, 
ove occorra, con esempii di altri antichi autori. 

Ciò che diciamo delle parole, altrettanto dobbiamo dire della loro 
disposizione e cosiruzione, che quasi sempre procede piana, linda ed 
agevole, quanto in pochissimi non solo fra i poeti di quei primi secoli, 
ma anche fra quelli di età assai posteriore. 

59. Ma egual lode non crediamo poter dare ad Aldobrando per quanto 
più direttamente riguarda la sua qualità di poeta. Abbiamo, come 
notammo , di lui cinque sonetti amorosi, pregevoli senza fallo per 
dolce armonia., e per rara soavità e leggiadria di elocuzione. Ma dessi 
tutti troppo evidentemente meritano il grave rimprovero che Dante 
faceva alle poesie: di Bonagiunta da Lucca, di Jacopo da Lentino e di 
Guitton d'Arezzo: essi sono sola opera d’arte, e non voce del cuore; 
e chi li legge, dileticato ma non commosso , ne trova la ragione in 
ciò, che Aldobrando non avrebbe, quando scriveva quelle sue poesie, 
potuto dire: 


I mi son un, che quando 
Amore spira, noto, ed a quel modo 
Che detta dentro vo significando. 


Se agli altri due sonetti, e alle canzoni, che trattano argomenti 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 459 
religiosi o politici, non si può fare simile accusa, è per altro in essi, 
e principalmente nelle poesie politiche , un altro non meno grave difetto: 
la loro fiacchezza, la mancanza di quell’agitante calescimus illo, che fa 
il pocta. Quale più bello, più grande argomento, che non quello 
trattato da Aldobrando nella sua maggiore canzone! quale che più dovesse 
accendere l’animo del poeta, sì che al nobile ardore inspirati i suoi 
versi tutta infiammassero la mente e il cuore del lettore , cui si pone- 
vano dinanzi le discordie e ie sofferenze italiane, quindi la concordia 
e la lotta e la vittoria, la gioja e l’alterezza fatte maggiori dalla me- 
moria dell’onta e dei danni anteriori, e l’imperatore cacciato, e poi 
sceso a patti colle città che voleva soggette, e che avevano rifiutato e 
colle armi scosso da sè il suo impero? Eppure non v ha in quella 
canzone, non dico già nulla dei tremendi fulmini dell’Alighieri, quando 
rimprovera e scuote la 


serva Italia, di dolore ostello, 
Nave senza nocchiero in gran tempesta: 


tanto non domandiamo, chè Dante non ha chi lo aguagli o se gii 
avvicini; ma Aldobrando è lungi troppo dal vigore di parecchie fra le 
poesie anche del suo contemporaneo Bruno de Thoro, sebbene questi 
trattasse argomenti per loro natura assai meno atti a scuotere ed accen- 
dere lo scrittore, e quindi il lettore, che non è quello della canzone 
di Aldobrando. Qual gelo, per esempio, non vi stringe a quel passo , 
dove, dopo chiesto a Papa Alessandro che colle sue orazioni allontani 


dalle città gli odii e le discordie antiche, soggiunge : 


poi (poichè) saggi sanno, 
Lasso! non division dar può che danno; 


quasi non colla esperienza delle proprie sventure, ma colla testimonianza 
ei saggi, fosse ad insegnarsi agl’ Italiani il danno della divisione e delle 
d ggi, f d g gl’ Ital ld della d dell 
iscordie ! anto più ci fa maraviglia in Aldobrapdo tale freddezza 
d die! E tanto p g 
di poesia in cosiffatto argomento, in quanto sappiamo essere lui stato 
inimicissimo della dominazione e delle prepotenze imperiali , in tanto, 
che per ciò terminava fuoruscito la travagliata sua vita lungi dalla terra 
nativa, nell'estremo confine d'’ Italia. 
34. Non vogliamo tuttavia che l'accusa che qui facciamo ad Aldo- 
brando si spinga oltre i giusti confini. Non crediamo che nelle sue pgesie 


460 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


sia ardore e vigore quale richiede l’argomento ; ma neppure le diciamo 
al tutto fiacche e senza vita: e prova ne sia il seguente passo, già 
sopra da noi accennato, dove Aldobrando celebra quelli suoi coetanei, 
che gli avevano quasi preclusa la strada, cantando avanti lui le nostre 
discordie e le sventure, l'unione e la vittoria: 


Canterò denque, ch’obedir l’amico 
È bon, cherente in questo dì tragrande, 
E d’onrevole onor a Italia grande. 
Nè merto alcon abramo, poi che dico 
Ver tuo saver è neente, e men anco ora, 
Che manti già trovaro, 
Me deredan lasciando. E forse caro 
In campo fora entrar, dispari in forza; 
Ma tu, meo Cola, meo intelletto sforza. 
Ma, lasso! che diraggio, o accrescer valgo, 
A quant’essi tuttora 
Con lausor, prode, e più valenza degna, 
A cui fior eo non salgo 
E men vicino, han detto, onde le regna, 
Le citadi e castella, 
Creber lor fama bella? 
Che già, com lor talenta ed estro assegna, 
Pianser la trista ancella, 
Fior non tacendo tanti laidi fatti 
Di vergogna e di pianto; 
E ad un membraro quanto 
Eternal gloria e onor ad essa adduce, 
A prodi onrevol atti i 
D’onne guerrier e duce, 
For fallo, ver servato. Onde tacere 
Me porta, loco alcono non parando, 
U’ mea lingua temprar. 


Nè privo d'affetto e di poesia è il tratto, dove Aldobrando si rivolge 
al suo concittadino Papa Alessandro, tessendone le lodi, ed invitandolo 
a tenere sotto la santa sua benedizione fra le città italiane 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 46% 


la sorbella 
Dolce mia patria Sena; poi anch'ella 
Tegn° essa via, ch’ adduce a ver onore, 
Fuor cui è disvalente onne altr’ onranza, 
È tristizia allegranza, 
È villania tenuta onne prodezza. 


Forse maggiore vita e calore che non le superstiti avevano le canzoni 
giovenili ora perdute dell’autore, come pare accenni egli medesimo là 
dove dice, appunto nella citata canzone scritta l’anno sessantesimo sesto 
della sua età: 


El calamo stemprato e ’1 polveroso 
Meo libr’ abraccio, non già como pria, 
Ma con dottante mano, como porta 
Ad uomo veglio sia. 


Bene è vero che neppure le altre poesie che ci rimangono di 
Aldobrando portano maggior vigore di stile o di pensieri; in nessuna 
egli oltrepassa quella mediocrità, che non lascia vivere gli scritti dei 
poeti alle generazioni future. All’incontro, in facilità e dolcezza di eloquio, 
nella maggior parte delle sue poesie, non la cede ad alcuno fra i poeti 
nostri anteriori a Dante. Il sonetto, dove finge che Amore, in dilettoso 
giardino, lo incenda di quella, che pur gli diceva ritrosa ed altera, è cosa 
sì delicata e gentile, che non può leggersi senza un vivo sentimento 
di ammirazione e di compiacenza; e la canzone alla Vergine, se non 
per forza e maestà, certo per soavità e dolcezza, può reggere al paragone 
con molte fra le migliori delle innumerevoli scritte sul grande e leg- 
giadro argomento. 

dd. Riassumendoci adunque diciamo, che, a parer nostro, principale 
menda delle poesie amorose, d’altronde leggiadre, di Aldobrando, si è, 
che non partono dal cuore; tutte poi le sue poesie peccano per difetto 
di forti pensieri fortemente espressi, e ciò anche dove più ne era d’uopo; 
meno cade in fallo dove non forza si richiede, ma soavità e pacatezza 
di modi e di pensieri. Ma qualunque pur sia il pregio poetico di Aldo- 
brando, non ad esso si deve l’importanza de’suoi scritti, ma all'essere 
questi fra le antichissime cose scritte nella lingua commune d'’ Italia, 
ch'egli appunto fra i primi dirozzò ed arricchì, nel modo che fra breve 
vrenderemo a più accurato esame. 


462 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


56. Bruno de Thoro cede di assai, generalmente parlando, ad Aldo- 
brando per facilità e chiarezza di stile, e bellezza di lingua; ma gli è, 
nè di poco, a parer nostro, superiore come poeta. In tutte le sue poesie, 
vuoi di amore, vuoi politiche, vuoi religiose, o di vario argomento, si 
scorge che le sue parole sono l’espressione de’ suoi pensieri e de’ suoi 
affetti; e il sentimento or gagliardo e or soave che lo inspira, sa tras- 
fonderlo ne’ suoi versi, e quindi nell'animo del lettore. Già abbiamo 
riferito (Doc. IL) il forte ed iroso linguaggio, col quale respinge l’ac- 
cusa di un amico di Aldobrando, che i versi di lui Bruno fossero brutti 
e disvalenti, Od acattati dal Cantor di Sena; vediamo ora con quali 
franche e gagliarde parole rimproveri alla regina Preziosa, giudichessa 
di Cagliari, la sua debolezza verso il figliuolo Salucio, del quale, dice, 
essa più ammirava la vana bellezza, che non cercasse di educarne lo 


spirito, e formarlo a virtà e prodezza: 


(DD) 


Non di bono arrichirlo, ahi viso insano! 
E d’orrata proezza, mal digiunto 
Esso servando punto, 
Ma di bealtate senza pretio dono 
Sommesso a corruzion siccomo vano, 
Era, Pretiosa. Voi 
Di sì gran guisa poi 
Non savevate altro desir nè bono; 
Ed onne sforzo era el tenere in corte, 
Più prode no, ma forte 
In benvoglienza, ed in bellor e forma, 

Como in quel viso, in cui lo ciel si forma, 
Li lumi sui catun pugnò beare, 
E felice nomare, 
Poi visto in mortal divin bellore, 
Como lieto suggetto fusse ed orma 
D’universal sermone: 
Ben voi tornò ragione 
Di piacenza, di gioja, onranza fuore; 
Como onne donna di valore in esso 
Intendeva, e già fesso 
N’avea lo core, o ardea di laida fiamma. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 463 


Ma qual caval, ch’a libertà s’infiamma, 
Lo dicen pieno di soperbia; el corre, 
E sfrenato trascorre, 
U’ meglio gire lui talenta e aggrata. 
Se gl’indomati spirti esso rinfiamma, 
Mostra tutta sua possa, 
Affronta valli e fossa, 
E boschi e fiumi; e, s'ira pur gli è nata, 
Tutto calpesta audace e spezza e atterra. 
Ma ciò del figlio esto tal dir non serra; 
Chè tal sventure incontra, e più flagella. 


37. Ora come saggio recheremo di Bruno ancora tre sonetti, due di 
amore, l’altro di argomento religioso, scegliendoli fra i più facili e chiari 
di parole e di costruzione. 


(EE). 


O donna, se ver ver vostro dir vane, 
Como pertene a donna dibonare, 
Pari a spermento che lo spirto dane, 
Fermar vi savrà bon el adovrare. 

Dite me amar, ma son proteste vane, 
Che di vento non è fumo a sbuffare, 
Poi pensier onne slungiato stane 
Di me men cale presto sia a finare. 

Ahi ch’ingegnar me vòi, via tutto saccio! 
Ch’ad altri duo amador, tutto di mene - 
Men sian, parasti rete, ed hamo, e laccio. 

Che ne morraggio è ver d’affanno e pene; 
Ma te traita verrò pianger avaccio: 

Che chi duo levri corre, nullo tene. 


(FF). 


Da quel dì che con più giocondo viso 
Ascoltasti pietosa la meo orare, 
E temprando tue labia a dolce riso 
L’alma di gioj’ mi festi inebriare: 


464 Di GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


Tale allegranza pari a paradiso, 
Che altra quagiù non evvi a paregiare, 
In me dimora ognor; e piue l’aviso, 
Le tue bellezze intendo più a membrare. 
Pietà, Bealtade, ah! due gradive suore, 
Sono donque tuoi don piacenti e rari, 
Che m'’assecuran eternale amore. 
M° acciò li merti como me son cari, 
A te consacro la mia vita e il core, 
Donna pietosa e bella senza pari. 


(GG) 


O come lo meo tempo passat’ aggio, 
Mondo seguendo, e sempre peggiorando, 
In amor folle ed altro vil servaggio, 
Corp’ ad alma, ahi lasso me! cantando. 
Che come sòno grato e plusor maggio 
Piacevil canto in bella zambra stando 
Tutt'alma inebbria, e tolle tristo usaggio, 
Sì ch’uom mistero obbria, ivi allegrando: 
A me così, ch’ a. grande disragione, 
A laidir e pagar di tanta peste, 
Alma obbriai, e che Dio seguir impone. 
Ma guai a chi laidisce pura veste, 
E dando sotto in ovre sue a ragione, 
Dà loco onrato a brutte, e schifa oneste ! 


Ma spesso, come si può scorgere da alcuni fra i brani qui riferiti, 
nelle poesie italiane di Bruno (e questo è il loro principale difetto) 
vi ha siffatta oscurità talora di parole, ma più frequentemente pel 
contesto intralciato e per le molte particelle e voci omesse e sot- 
tintese, che il senso ne va piuttosto indovinato, che non scenda, come 
presso Aldobrando, agevole e naturale dalle parole: grave difetto, che 
naturalmente molto nuoce anche al merito di Bruno come poeta, poichè 
ne vengono rallentati od impediti gli affetti e i sentimenti, ch’esso mi- 
rava a produrre sull’animo del lettore. 

38. Poco diremo di Lanfranco da Genova. Di lui non abbiamo che 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 465 


una canzone e un sonetto. Questo è assai lieve cosa, e per pensieri e 
per forma inferiore di molto al sonetto col quale Bruno de Thoro gli 
risponde per le rime, sebbene pure non sia questo fra i migliori di 
Bruno. La canzone non manca di pregio ; e se vogliamo compararla colla 
seconda fra quelle di Aldobrando, come quella che, fra le poesie rima- 
steci di quella età, più le rassomiglia e per metro e per argomento : 
troveremo, che per forza e ricchezza di pensieri Lanfranco agguaglia 
e forse sorpassa Aldobrando; ma nella locuzione gli è talmente al di 
sotto, da non essere possibile il paragone; chè quanto è linda, chiara 
e scorrevole la locuzione del Senese, altrettanto quella del Genovese 
è oscura, rotta, impedita e contorta. 

. 39. Ma oltre Gherardo e i tre suoi discepoli, Lanfranco, Bruno e 
Aldobrando, ci rimane di quella età uno squarcio di prosa e una canzone, 
ripieni di tali bellezze di elocuzione e più di pensieri, che in questo 
esame e confronto degli scrittori italiani di quella età non è a passare 
sotto silenzio. Sappiamo dalla storia , che tra le figlie di Gonnario giudice 
di Arboréa (morto circa il 1120) fu Elena, pretesa in isposa da Barisone, 
nobile e ricco Oristanese, discendente dagli antichi regoli di Arboréa; ma 
che circa il 1125 dessa fu dal fratello Costantino I succeduto a Gonnario 
data in moglie a Costantino INIL giudice di Gallura. Nel frammento di 
prosa del quale parliamo è narrato, a nome di Elena medesima, come una 
sua aja, Susanna, con ogni lusinga ed argomento cercasse d’indurla ad 
acconsentire a Costantino che la chiedeva in isposa, e come le cantasse e 
le lasciasse scritta una canzone amorosa dello stesso Costantino, la quale 
Elena inserisce nel suo racconto. La lingua e lo stile, meno puri e più 
intralciati che non quelli di Aldobrando, sorpassano di assai quelli di 
Lanfranco; ma sì nella prosa come nella poesia vi ha tanta verità e tanta 
vita, tanta soavità di pensieri, tutte le ragioni che potevano indurre Elena 
a cedere alle instanze di Costantino vi sono con tanta grazia, ed insieme 
con tanta forza ed evidenza, enumerate ed esposte, e la poesia medesima 
è sì piena d’affetto e di dolcezza, che, non ostante qualche oscurità e simili 
difetti da attribuirsi principalmente all’età nella quale visse l’autore, a quel 
brano di prosa non esistiamo a dare, se non per la locuzione, cerio per la 
forza, per la gentilezza ed in generale pei pensieri, il primo o certo uno 
dei primi luoghi fra quanto in nostra lingua abbiamo in prosa anteriore a 
Dante; e la poesia ancor essa deve certo essere annoverata fra le migliori. 
Resterebbe a cercare chi sia l’autore di questo aureo frammento; ma 


Serie II. Tom. XXIII. 59 


466 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


ciò ne trarrebbe troppo fuori dell'argomento. Rimandando adunque ad 
altro scritto l’addurre le ragioni che ci trassero in questa sentenza, qui 
diremo soltanto, che sì della prosa come anche della poesia teniamo 
autore la stessa Elena, che alla corte fraterna conobbe senza fallo 
Lanfranco e Bruno de Thoro, e che dallo storico Cola di Simaghi è 
detta doctissima et virtuosa (40) e da Giorgio di Lacon poeta ingenio 
ac animo prestans (41). 

E come abbiamo addotto esempii delle poesie di Bruno, così anche 
di questo leggiadro scritto crediamo dover dare alcuni saggi. Ecco, per 


esempio, come Susanna encomia Elena di bellezza, e cerca adescarla 
ad amore. 


(HIM). 


Madonna Ellena, una giovane voi par sì gran guisa graciosa 
e soprana di bealtate; cui occhi, sole, orbando amador forte allu- 
mati dai suoi raggi, non fere vetro; la boca che pande a conforto 
e savere, a dolci e piacenti canti, non furon delle Sirene;... piedi, 
che toccando la terra o li fiori, mai non struggono, ma menan 
vita se morenti; che assembrate divinal creatura ad ire orrato, 
non cosa in terra, poi volate a leggiere ali, non gite a pisanti 
piedi: a valente valer di sì rade fazon, voi sola sono in poder a 
gran stante, sdegnerete durar voi lo giogo d’amore? Non saverete 
ammollar durezza, voi fa altera ver lo vostro amadore? Qual serìa 
donna, in lui non porria amanza, poi ciò fosse rechesto; esso che 
di sè voi dona padronanza, e di vostro par è prode e di valimento, 
e di bealtà piacente?....Ed anco diciami: Ahi cara! voi siete certo 
già una vermiglia rosa, che fresca spande sua grata odoranza.... 
Voi siete barbara con lo vostro amadore, poi private della vostra 
amanza, e con voi gir consentite la verdura della gaja età, e, ciò 
più monta, a donna: chè tempo fugge, e noi non si ridona..... 
Tante vostre orrate amiche, pari a voi in bealtate e maneri, dai 
loro amadori pugnavan farsi amar, e speso han in pro lor prode 
labore; chè prode labore è orratamente amare; che così vol natura 
e Deo. E voi sola, mia cara e deletta, ve mostrerete orgogliosa, 
e disvolente d’amore?...... 


(40) Notaio Cora DE Simacm, scrittore degli ultimi anni del secolo XII o dei primi del XIII, 
nella sua ZMistoria de Costantine Juigue d’ Arbaree, presso MARTINI, op. cit., pag. 292. 
(41) Lettera di GiorGIO DI LAcoN al suo nipote Pietro di Lacon, presso MARTINI, op. cit., pag. 147. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 467 


E quando poscia le parve, che Elena non desse retta a’ suoi inviti 
e alle sue lusinghe, così le grida e la rampogna : 


Maledetta fazzon....... vana e folle bealtate ....... per tal 
che assembra una pomposa nave, che di vaghezza è più non 
valente valer; che della proa e della poppa inaurata si misora, 
e mostra alberi argentati, e di ricchi drappi coverta e di varie 
figore ornata, fuor nochier che a timon sommetta, corre u’ venta, 
e infra gli scogli frange; non a pietanza già ma a riso move sua 
disventura. 


E dopo nuovi rimproveri e minacce, crucciosa si allontana. 
Della poesia a nome di Costantino ci sia lecito recare questi pochi 
versi, pieni di dolcezza e di affetto : 


(HE) 


Se a sì gentil fazzone 
E vostro fin bellore 
Ne va disgiunto Amore, 
Che è suo fedel campione, 
Più don non lo diria; 
Che il cielo si daria 
Per un ben che sì piace, 
- Un male che tutt’uom conquide e sface. 
Infra vostri amadori 
El più fedel me tegno, 
Onde non curo e sdegno 
Spine cogliendo a fiori. 
E se mea bona stella 
A voi me adduce, o bella, 
Infra spera e timore 
Si addimora lo core. 


© ® 0 0 0 e 0 0 9 0 0 Se 4 » e » 0 0 0 60 


40. Dall’esame delle poesie passando ora a raccogliere le sparse 
notizie che ci rimangono intorno alla persona di Aldobrando, alla sua 
patria, alla età: in che visse, e alle sue vicende: dobbiamo notare, che 


468 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


tali notizie sono scarse bensì, ma meno che non siano per molti altri 
dei nostri antichi poeti; e, quel che più importa, nelle parti più notabili 
sono confermate da siffatto concorso di certissime e concordi testimo- 
nianze, che riesce al tutto impossibile il porne in dubio la sincerità 
e l’esattezza. E cominciando dal nome dell'Autore, che altri volle 
Aldobrando , altri Aldobrandino (il che avrebbe potuto far supporre 
che appartenesse alla celebre famiglia Senese degli Aldobrandini), non 
solo i tre codici che abbiamo delle sue poesie consentono nel nome 
di ALposranpo, e lo stesso nome ha l’intestazione di un sonetto e di 
una canzone di Bruno a lui diretti (Doc. NE ed N), ma inoltre così 
egli chiama sè medesimo (Canzone I, verso ultimo). 

Similmente la patria di Aldobrando, Siena, è accertata dalle varie brevi 
biografie (Doc. BB, D e E) ed altre note (Doc. A, F, &, M, 0, $, V) 
contenute nei codici delle sue poesie; essa è confermata dalla testimo- 
nianza del suo amico Bruno de Thoro, che, nel sonetto sopra da noi 
riferito (Doc. IL), lo chiama il Cantor di Sena; e finalmente il poeta 
medesimo, rivolto al Senese papa Alessandro, dice Siena sua patria : 


Ma infra cittadi tutte la sorbella 
Dolce mia patria Sena a te plusore 
Raccomandar diletto. 


Intorno alla questione poi di maggiore importanza per la storia della 
lingua e della poesia italiana, quella dell’età in che visse il nostro 
Aldobrando, notiamo dapprima, ch’ei fu contemporaneo ed amico di 
Bruno de Thoro, al quale mandò le sue poesie e che ce le conservò 
unite alle proprie (Doc. H& e IP); oltrechè, come pur ora notavamo, 
ci rimane memoria e i primi versi di alcune poesie di Bruno a lui 
dirette; ed in altra, nel sonetto pur da noi riferito a Cola Usario amico 
di Aldobrando, rigetta come menzognera l’accusa che i suoi versi siano 
acattati dal Cantor di Sena (Doc. IL). Definita adunque l’età dell’uno, 
rimane accertata per necessaria conseguenza quella dell’altro poeta. Ora 
il tempo in che visse Bruno de Thoro è posto fuori di dubio da testi- 
monianza di storici anche contemporanei, da antichità di manoscritti 
contenenti le sue poesie, e dalle poesie medesime, molte delle quali 
sono di argomento storico, o. dirette a principi che. regnarono: nella 
prima metà del secolo XH, o nei primi anni della seconda metà. Ma, 
ciò che più monta, l'età in che fiorì Aldobrando è con. certissima ed 


DI CARLO BAUDI DI WESME. 469 


“ncontrastabile testimonianza confermata dalle sue medesime poesie; dalle 
quali scorgiamo, che fu contemporaneo di Arnaldo da Brescia, morto 
l’anno 11553; e che poco dopo la pace di Venezia segnata l’anno 1177, 


in questo dì tragrande, 
E d’onrevole onor a Italia grande, 


con quella sua canzone, che tuttora abbiamo, conservataci da tutti tre 
i codici che ci rimangono delle sue poesie, celebrò la gloriosa vittoria 
di Legnano e la lieta pace. I cenni biografici contenuti nei due codici 
di origine Palermitana riferiscono la sua nascita all'anno 1112 (Doc. B, 
S 1; vedi anche Doc. BD); e questa data dobbiamo assolutamente tenere 
per vera, poichè, accertato che Aldobrando visse nel secolo XII, nessun 
argomento può addursi per rendere sospetta la narrazione di quel biografo; 
e quella data combina coll’altro racconto , dei due sonetti da Aldobrando 
nell’anno diciottesimo della sua età dedicati a Papa Onorio. Sopratutto 
poi tale data si trova confermata dalla testimonianza di Aldobrando 
medesimo, che nella citata canzone, scritta l’anno 1177 o il seguente, 
sì dice veglio; era difatti nell’anno 65° o 66° della sua età. 

41. Accertata così in modo incontrastabile la verità del racconto 
dell’antico biografo intorno alle questioni del nome, della patria, ed 
a quella viepiù importante dell’età di Aldobrando, più francamente 
oramai procederemo in raccogliere ed ordinare le rimanenti notizie che 
di lui ci rimangono. Era Aldobrando di famiglia già da tempo venuta 
di Pavia, 


La possente Pavia, di miei parenti, 
Già fu stagione, scanno; 


e sembra che tuttora vi avesse amici o consanguinei, poichè fra i dolori, 
dei quali ebbe sovrapiena L’alma, la mente e il core, e che lo resero per 
manti anni muto, enumera Za vendetta di Lotar tiranno su quella città, 
avvenuta l’anno 1136. Altri cenni non abbiamo intorno alla sua famiglia. 
Il nome di Aldobrando sembra essere lo stesso che il langobardico di 
Ildebrando; al modo stesso che la illustre famiglia degli Aldobrandini 
è spesso nei documenti di quella età chiamata degli Ildebrandini. 

Ne’ suoi: primi anni da un suo zio venne da Siena condotto a Firenze, 
dove fu alla: scuola: di Gherardo (Doc. V), dal quale forse attinse Vamore 
della poesia italiana. Il suo antico biografo racconta, come, dotato di 


470 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


‘grande ingegno, avendo fino dalla prima gioventù a disdegno la poesia 
latina, nella quale parimente era assai valente, si accese di amore della 
lingua sua italiana, e in questa scrisse parecchie poesie (Doc. B, $ 3); 
e già nell’anno suo decimottavo, e così verso il finire del 1129 0 poco 
dopo, fece due sonetti, dei quali sopra abbiamo trattato, che dedicò a 
papa Onorio (Doc. EB, $ 5). (Moriva Onorio II l’anno 1130). Similmente 
nei brevi cenni che l'antico annotatore del codice arborese dà intorno 
ad Aldobrando (Doc. 'E), è detto che cognovit peroptime linguam latinam. 
Ma delle poesie latine di Aldobrando nulla ci è rimasto; nè fa maraviglia, 
e non è grave il danno. Lo stesso biografo soggiunge: « et studwit etiam 
» propriam sue patrie, quam auxit, expurgavit, ornavit et expolivit; 
» Ita quod superavit magistrum suum Gherardum, et omnes suos coevos ; » 
parole tanto più notevoli, in quanto sono di autore Sardo, il quale quivi 
a suoi conterranei non dubita di anteporre Aldobrando; ed a ragione, 
se li pone a confronto sotto l'aspetto della lingua e in generale della 
elocuzione, la quale, come notavamo, è di lunga più pura, più colta, più 
piana ed agevole presso Aldobrando, che non presso Bruno od altro 
qualsiasi dei poeti suoi contemporanei. 

Notevole è quel passo della I canzone di Aldobrando che sopra ab- 
biamo riferito, dove dice che prima di lui manti già trovaro (molti già 
poetarono ) con molta lode intorno alle discordie cittadine , ai fatti ora 
tristi e ora gloriosi di quella guerra, e alla pace di Venezia che le tenne 
dietro. E questi canti popolari di glorie e di sventure popolari senza 
dubio erano nella lingua del popolo, in volgare; chè le frequenti trasla- 
zioni che già nel secolo seguente vediamo essersi fatte di grammatica , 
come dicevano, in volgare, di opere destinate alle moltitudini, dimostrano 
che da queste il latino più non era compreso. Quale tesoro di storia e 
forse di poesia, quanti preziosi documenti dei primi tempi nei quali la 
nostra lingua si dirozzava passando dalla favella agli scrittori, andarono 
perduti, per incuria dei nostri maggiori, e per le discordie e le guerre 
cittadine! E questo medesimo cenno, che intorno ai poeti suoi contem- 
poranei ci lascia Aldobrando, sarebbe andato perduto unitamente a’ suoi 
scritti e ad ogni memoria di lui, se non ci fosse stato conservato, non 
nella sua terra nativa, ma in due isole italiane sì ma lontane; in una 
delle: quali fuoruscito terminava la travagliata sua vita, e nell’ altra gli 
toccò in sorte di avere un amico, che ebbe cura delle sue poesie, e le 


conservò colle proprie. 


DI CARLO BAUDI DI VESME 474 


42. Nè solo allo studio della lingua e della poesia, ma Aldobrando 
attese alle lettere ed alle scienze, e ne tenne scuola in Firenze; anzi 
è detto di lui, che in molte scienze era versato, e sopratutto nella 
sacra scrittura e nella teologia (Doc. EB, $ 2; Doc. 'E'). Non perciò cre- 
diamo che fosse chierico; che a tali studii a quel tempo attendevano 
anche persone al tutto lontane dal chiericato. Dante non fu egli ver- 
sato parimente nelle sacre scritture e nella teologia, e non troviamo anzi 
il titolo di Zeologo scolpito in capo all'iscrizione composta da Giovanni 
del Virgilio da Bologna, che si leggeva sulla sua tomba in Ravenna? Nè 
intorno ad Aldobrando troviamo parola o cenno che lo faccia supporre 
uomo di chiesa, nè nelle sue poesie, nè in alcuna delle varie memorie 
che intorno a lui ci rimangono, e pare anzi dal generale loro contesto 
doversi dedurre il contrario. 

Altri, considerando quanto ardente inimico fosse degl’imperatori Te- 
deschi e dei loro ministri in Italia (Doc. B, $ 6), potrà credere che 
fra le schiere cittadine o della sua Siena o. di Firenze prendesse parte 
alle guerre contro il Barbarossa; e questi potrebbero confermar la loro 
opinione con ciò che il poeta, parlando di 


veglio guerrier che ver primi anni 
Del fior del tempo suo all’armi addutio 


tosto soggiunge : 


Ch’uom bailito da vil ozio è brutto, 
E maggio ove sua patria ange ad affanni. 


Ma anche questa non è che incerta e debole congettura; e dove il 
poeta descrive le angosce del guerriero vinto ed astretto a fuggire ramingo 


Lungo i monti, e i boschi, e fiumi, e piani: 
le parole che soggiunge 
e tali a prova dico 
Fatti me prossimani, 


pajono riferirsi piuttosto a disagi ec sventure altrui delle quali fu testi- 
monio , che non a fatiche e dolori onde avesse egli medesimo portato 
il peso. Delle proprie sventure dice in ben altra forma: 


E taccio meo, ch’a sciente 
Oltra è dir sofferente. 


472 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


43. Altra questione fu mossa intorno al nostro Aldobrando. Adolfo 
Bartoli, che primo diede notizia di questo poeta, e che, non cono- 
scendone ancora le canzoni, non credette potere sulla fede della sola 
biografia contenuta nel codice fiorentino riportarne la età al secolo duo- 
decimo, sospettò che l’Aldobrando poeta fosse lo stesso, al quale, sotto 
il vario nome di Alebrando, Alebrandino, Aldobrandino, è attribuito un 
Trattato Della sanità del corpo, scritto in francese Vanno 1256 ad uso 
di Beatrice di Savoja contessa di Provenza, come ne attesta il più antico 
fra i codici di quest'opera, esistente nella Biblioteca imperiale di Parigi. 
Questo Trattato fu poscia traslatato in nostra lingua l’anno 1310 dal 
notajo Zucchero Bencivenni; opera e volgarizzamento tuttora inediti. Dava 
un’ apparenza di ragione alla congettura, il trovarsi I’ autore nei codici 
francesi detto da Firenze, e nel volgarizzamento italiano da Siena; il che 
si spiegava colla circostanza, dell’avere l’Aldobrando Senese stabilito la 
sua dimora e tenuto scuola in Firenze; onde agevolmente l’antico autore 
del prologo premesso a quel codice francese potè tenere Aldobrando. per 
Fiorentino. Ma ora che è accertato, che-il poeta Aldobrando fu di un 
intero secolo più antico che non supponeva il Bartoli, non v' ha più 
ragione o mezzo di aitribuirgli il trattato Della sanità del corpo. I 
quand’anche, come da altri fu fatto, volessimo rigettare come una favola 
che questo trattato sia stato composto a richiesta della famosa madre 
delle tre regine, non perciò ci faremmo a mutare senza altro fondamento 
la data del libro, e dirlo scritto non da altri nel 1256, ma dal nostro 
Aldobrando nel 1156; e ciò non solo perchè conviene andare assai guar- 
dinghi nel mutare così a talento le notizie trasmesseci dagli antichi 
documenti (e ne abbiamo una prova nell’errore nel quale un simile pro- 
cedere trasse il Bartoli), ma ancora perchè, se molti furono gl’Italiani 
che scrissero in francese nel secolo XIII, rari esempii e forse nessuno 
ne troviamo nel precedente. E meno ancora, quantunque non discor- 
dassero i tempi, sebbene il nostro Aldobrando sia detto versato în. molte 
scienze, e perciò fors’anche in medicina, sapremmo indurci ad attribuirgli 
questo trattato, se è vero, come ne attestano alcuni codici, che fu com- 
pilato in Parigi, dove, a quanto pare, il nostro Aldobrando non fu mai; 
come certo non fu, quale è detto l’autore di quel libro, medecin du 
Roy de France (42). 


(42) I viaggi di Marco Poro secondo la lezione del codice Magliabecchiano più antico, reintegrati 
col testo francese a stampa, per cura di ApoLFO BARTOLI; Firenze, Le Monnier, 1868; nella Pre- 
fazione, da pag. LIX a LXII. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 473 


44. Maggiori e appieno sicure notizie avremmo senza dubio intorno 
ad Aldobrando , se non fossero perite le poesie a lui dirette dal. suo 
amico Bruno de Thoro, ma delle quali colui, che nella prima metà del 
secolo XV scrisse il codice Cagliaritano, inserì ai loro luoghi i soli primi 
versi, perchè già le aveva, dic’ egli, in altro quaderno (vedi Doc. MH 
ed N). Il sonetto inscritto 4d A/dobrandum Senensem comincia col verso 


Assai me pesa, e amara pur me torna, 


e sembra perciò alludere alla notizia giunta a Bruno delle persecuzioni 
ond'’era fatto segno il poeta Senese. — Una canzone di Bruno de Thoro 
ad Aldobrando cominciava coi versi 


Se ver l’amico l’uom gioj’ e conforto 
A le sue doglie e affanni, 


ed è intitolata 44 Aldobrandum, quem ab inimicis oppressum rogabat 
ut apud se confugeret. Si ha quindi una conferma della notizia dataci 
da ambedue i biografi di Aldobrando (Doc. BB, $ 7, e Doc. W) delle 
persecuzioni onde fu vittima. Vi scorgiamo parimente, che l'amicizia tra 
Bruno ed Aldobrando durò fino agli ultimi anni di questo poeta, nei 
quali (2 extremis vite sue annis) fu costretto ad esulare per iscampare 
dalla prepotenza de’ suoi nemici; e questa durata della loro amicizia si 
deduce anche dal vedere, che tra le poesie trasmesse a Bruno da Aldo- 
brando vi ha la canzone Come veglio guerrier, da lui composta nella 
sua vecchiezza, e, come vedemmo, soli otto anni prima della sua morte. 
— Alla detta canzone di Bruno nel codice onde fu tratto il Cagliaritano 
teneva dietro immediatamente una, della quale i due primi versi, soli 
conservatici dal trascrittore, sono: 


Te diede el ciel un’angela compagna, 
Che d’allegranza magna. 


Se l’inscrizione preposta nel codice Cagliaritano alla precedente 
canzone deve riferirsi anche a questa (e noi quasi il crediamo ; al modo 
stesso che l’inscrizione Ad Constantinum judicem Calarit. preposta alla 
canzone Di voi canto o Signore sembra doversi riferire anche alle due 
seguenti), verremmo da questi versi a conoscere, che le afflizioni di 
Aldobrando nella vita publica furono compensate dalle più pure gioje 
domestiche; e forse dovremmo dire discendente da questo nostro poeta 


Serie II. Tom. XXIII. 60 


474 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


quell'Alebrando o Aldobrando, che abbiamo pur ora veduto nel secolo 
seguente medico del re di Francia, e autore di un trattato Della sanità del 
corpo ; e ci si spiegherebbe fors'anche come alcuni lo dicano Fiorentino, 
ed altri Senese, perchè originario dell’una e nativo forse dell’altra città, 
o da lunghi anni almeno in essa dimorante. Dalle poesie amorose che 
di lui ci rimangono nulla non è dato raccogliere intorno alla verità 
della nostra congettura, nè alle altre vicende della sua vita, essendo 
noto come a quei tempi, nè a quei tempi soltanto, tali poesie spesso 
si facessero meno a sfogo di passione, che non ad esercizio d’ingegno; 
e ciò, come sopra abbiamo avvertito, appare più che mai manifesto in 
questi sonetti di Aldobrando. 

45. Le varie notizie rimasteci intorno a questo poeta consentono 
in ricordare le gravi persecuzioni ch’ebbe a soffrire da’ suoi nemici, 
cagionate sì dall’ invidia di emoli, sì dall’ardore col quale si oppose 
alle pretensioni ed alle vessazioni degl’ imperatori e dei loro uffiziali in 
Italia. Quanto difatti il suo animo fosse acceso contro gl’ imperatori 
germanici si scorge da varii passi della principale fra le sue canzoni ; 
poichè e Lotario I vi è chiamato #rarno (st. 2, v. 10); e quello che da 
Dante è detto 7 buon Barbarossa, dall’Aldobrando, quantunque già fosse 
segnata la pace a Venezia, ha nome di zrafero (ficrissimo) (st. 5, v. 23); 
infernale Fero dragon brutale (st. 6, v. 11-12); volpone (st. 8, v. 6); 
struttor delle cittadi onrate, A dritto lui negate (st. 5, v. 6). 

Ma in qual modo questo suo gagliardo avversare la dominazione 
imperiale sia stato cagione ad Aldobrando prima di persecuzioni, e 
poscia di morire fuoruscito nella lontana Palermo , forse rifuggitosi presso 
il re Guglielmo, male si può conoscere, sia dalle scarse notizie che ci 
rimangono della sua vita, sia dalla storia delle città della Toscana a 
quel tempo. Aldobrando, nato in Siena, si trasferì giovane in Firenze, 
dove fu scolaro di Gherardo, e poscia tenne egli medesimo scuola di 
lettere e di scienze. I casi fortunosi di Aldobrando sono adunque connessi 
colla storia e colle vicende di Firenze, o con quelle di Siena? Un attento 
esame degli avvenimenti politici di queste due città ci porrà forse sulla 
strada di definire per congettura la questione in modo non difforme dal 
vero. Fino da prima della metà del secolo XII incominciò tra Firenze 
e Siena una lunga lotta per gelosia di potenza, e nominatamente pel 
possesso dapprima di Montepulciano, e poscia di altre terre. Varie furono 
le vicende della guerra, ma più frequentemente i Senesi ebbero la 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 479 


peggio, in tanto, che una volta i Fiorentini si spinsero fino alle porte 
di Siena, e messo fuoco nei borghi, ne arsero una parte. Durante la 
lunga ed accanita lotta fra le due città mal possiamo comprendere, come 
ad Aldobrando bastasse l’animo di mantenersi lontano da quella, che 
pur ne’ suoi ultimi anni chiamava la dolce sua patria Sena, e continuasse 
a dimorare nella nemica Firenze. E da questa lotta appunto fra le due 
città ebbero , crediamo, principio le sventure del nostro poeta; poiché 
egli medesimo enumerando le cagioni che lo tennero per manti anni 
muto, e che 


D’orror tragran m’ han priso, e sovrapiena 
L’alma, la mente e il core, 
E già secca ogni vena: 


prima fra tutte adduce appunto 


le fraterne ire in onne passo 
Di questo loco a orranza già tenuto, 
E le discordie consumanti e gli odi 
Ver cittadi germane...... 
Non da matrigna già ma madre sorte. 


Oltreciò Firenze fu nel secolo XII costantemente ed unanimemente 
guelfa, ed in lotta contro le vicine città ghibelline, e sopratutto contro 
i signori del contado, che tenevano per l'impero, dal quale ripetevano 
i loro feudi, e del quale si facevano scudo contro i Fiorentini che a 
mano a mano cercavano di assoggettarli al loro commune. Siena invece 
durante la guerra della Lega Lombarda tenne bensì per la Chiesa, come 
ne fa fede il Villani (43), e, testimonianza in questo argomento assai 
più sicura, lo stesso Aldobrando, che dice della sua Siena, che 


anch'ella 
Tegn’essa via ch’adduce a ver onore. 


Ma in Siena la parte che teneva per la Chiesa e Il imperiale erano 
pressochè eguali di forze; e poco avanti il tempo della Lega Lombarda 


(43) « Nel detto anno 1184 Federigo primo imperadore...... assediò la città di Siena, ma non 
» l’ebbe. E queste novitadi fece alle dette città di Toscana, imperciocehè non erano state di sua 
» parte ». GIOVANNI VILLANI, Cronica, Lib. V, cap. XII. 


470 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 

gl’imperiali venutivi alle mani con quelli di parte contraria, li avevano 
cacciati della città; e poco di poi rientrati, ne cacciarono a loro volta 
gl'imperiali. Che anzi nel bollore medesimo della guerra contro Federico 
troviamo, che nei dintorni di Siena si tennero convegni dei deputati 
delle città e dei signori di parie imperiale, e che anzi dapprima Rinaldo 
arcivescovo di Colonia, e poscia Cristiano arcivescovo di Magonza, furono 
per l’imperatore in Siena. Pare adunque che in questa città il partito 
guelfo di poco soverchiasse, e forse meno per forza propria che non 
per l’ajuto e l'autorità di Papa Alessandro , che era egli medesimo di 
potente famiglia Senese. Morto questo Pontefice soli tre anni dopo che 
Aldobrando scrisse la sua canzone, piena di odio contro l’imperatore 
e 1 suoi seguaci, è probabile che, almeno per alcun tempo, il partito 
imperiale in Siena avesse il di sopra; a combattere ed opprimere il 
nostro poeta agli uomini di parte contraria si unirono, come ne attestano 
concordi le notizie palermitane e le arboresi, gli emoli e gl invidiosi. 
E già il poeta in più di un luogo accenna, che a più d'uno erano per 
riescire contrarie le parole che dettavagli coscienza, e diritto, e amore 
di verità; e nella licenza della canzone chiede a Cola, che difenda questa 
dai nemici, che cercheranno di farle onta per vendicarsi del caro suo 
Aldobrando ; e gli emoli e gl’ invidiosi egli pone fra quelli che più lo 


contristarono, e in lui seccarono ogni vena di poesia: 


Le seguenti 
Vili brighe a membrare, 
Non tosco invidie amare, 
E aitre miserie, e male spergitore. 


Crediamo adunque, che le tristi vicende della vita di Aldobrando 
debbano attribuirsi all’alterno soverchiare delle parti, imperiale e della 
chiesa, in Siena, congiunto alle brighe e all’astio degli emoli e degl’in- 
vidiosi; e che la sua fuga a Palermo sia stata prossima conseguenza 
della morte di Papa Alessandro, avvenuta, come abbiamo più sopra 
accennato , l’anno 1181. Ed in ogni caso questa fuga di Aldobrando 
a Palermo, quasi più non restasse un palmo di terra sicuro per lui o 
tranquillo sul continente italiano, non può rimandarsi molto oltre quel- 
l’anno, ne differirsi fino all’anno 1184 o 1185, nel quale Federico, già 
ridisceso in Italia per rinforzarvi le sue parti anche dopo segnata la 
pace a Costanza, fu in Toscana, dove assediò Siena ma non l’ebbe, 


DÎ CARLO BAUDI DI VESME. 499 
come ne attesta il Villani; poichè, dicendone il suo biografo, ch'ei si 
rifugiò a Palermo in extremis vite sue annis (Doc. B, $ 1), appare 
ch’ei passò alcuni anni in quella città, nè vi si rifuggiva soltanto 
l’anno 1185; essendo ivi morto già l’anno seguente 1186, settantesimo 
quarto della sua età. 

46. A quanto abbiamo esposto si restringono Îe notizie che ci riman- 
gono intorno ad Aldobrando: notizie scarse invero, e che intorno a 
parecchie circostanze della sua vita sono fondate in parte sopra indizii 
e congetture, più che sopra certe e chiare testimonianze; ma che cer- 
tissime sono nelle loro parti più essenziali, e particolarmente in quanto 
riguarda l'età e la patria dell'Autore. 

47. Ma per quanta importanza possa avere per gli amatori della 
storia della nostra lingua e della poesia il conoscere scrittori italiani 
anteriori di circa un secolo ai più antichi, dei quali prima del disco- 
primento delle carte di Arboréa si avesse notizia: una speciale importanza 
hanno, a parer nostro, gli scritti di questi antichissimi poeti, e parti- 
colarmente quelli di Gherardo e di Aldobrando, in quanto appunto al 
lofo tempo e per loro opera crediamo essere sorta dai volgari.di Toscana, 
e nominatamente dal fiorentino, quella che, mutatasi poscia alquanto 
col volgere dei secoli, divenne ed è la lingua nobile e scritta, la lingua 
commune di tutta Italia. — Ma per meglio spiegare e confermare questa 
nostra proposizione sarà necessario, che da più alti principii prendiamo 
la nostra dimostrazione. 

48. Consentono oramai tutti quelli che trattano dell’ origine delle 
lingue neolatine, che nell’imperio Romano contemporaneamente alla lingua 
colta e degli scrittori esisteva, probabilmente anche nelle città, certo poi 
fra i rustici, una, se così posso esprimermi, varietà della lingua mede- 
sima, la quale con proprio vocabolo potremmo chiamare dialetto, poichè 
appunto lingua parlata e non scritta, e simile ma pur diversa senza fallo 
nelle varie province, secondo la maggiore o minore influenza che sulla 
lingua venuta di Roma coi pubblici ufficiali, colle milizie, coi traffichi, 
vi ebbero, sopratutto nella pronunzia e nella costruzione, le antiche 
lingue in uso nei paesi conquistati. 

E resiringendo all'Italia il nostro discorso, noteremo, come delle voci 
e delle forme aliene dalla lingua seritta latina, e proprie dei volgari 
italici dei nostri giorni, troviamo fino dai tempi della republica esempii 
nella lingua rustica romana; esempii che divengono a mano a mano più 


478 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 

frequenti nei documenti dei tempi inferiori. Lingua scritta non pare 
essere stata mai questo romano rustico, nemmeno fra quelli che costan- 
temente ne facevano uso nel favellare. Se non che, come vediamo anche 
oggigiorno nella maggior parte dei luoghi dove altra è la lingua scritta 
altro il dialetto parlato, se persone idiote vogliono scrivere, intendono 
bensì ciò fare non ne! dialetto ma nella lingua, la quale tuttavia, senza 
avvedersene, deturpano di voci e modi tratti dal dialetto, nel quale sone 
usi di esprimere parlando i loro concetti: così avveniva allora, che 
nelle iscrizioni poste da servi o da altre. persone rozze, quantunque 
evidentemente appaja, che chi le poneva intendeva scrivere in latino , 
pure vi si trovano voci e modi del romano rustico, e in tanta maggior 
copia, quanto più le inscrizioni appartengono a persone incolte, e ven- 
nero poste non colla intenzione che passassero alla tarda posterità. Quindi 
copiose e notevoli sono, per esempio, tali forme proprie dei recenti 
volgari nei grafiti di Pompei, coi quali da servi o da liberti, da bot- 
tegaji, da soldati, e simil gente, si scrivevano sui muri avvisi, ingiurie, 
inviti, motti amorosi od osceni, imprecazioni, od altri simili sfoghi 
dell’animo non guidati dall'arte. Nei tempi più recenti occorrono fre- 
quentissime tali forme volgari nelle inscrizioni funebri cristiane, molte 
anche nei contratti e altri simili documenti giuridici, conservatici prin- 
cipalmente nei papiri. Ma quantunque la purità della lingua latina 
andasse di mano in mano corrompendosi anche presso le persone colte, 
(che ne facevano uso e negli scritti, ed anche tuttora, crediamo, nel 
parlar familiare), e vi s’ introducessero parole e sovratutto modi della 
lingua rustica: teniamo tuttavia per fermo, che ancora al principio del 
secolo VII la lingua latina propriamente detta, la lingua cioè degli 
scrittori, in Italia era ancora compresa dalle moltitudini. E ciò, oltre 
altri indizii, deduciamo da un passo di Gregorio Magno, dove in iscusa 
dei solecismi e delle voci non prettamente latine delle quali fa uso, 
adduce la necessità di farsi intendere dal popolo, pel quale scriveva 
e predicava; ma tale necessità non lo condusse sì oltre, che avesse ad 
abandonare o nello scrivere o nel predicare la lingua latina, e fare uso 
del rustico volgare. Che più? perfino durante i due secoli, nei quali la 
maggior parte d’Italia fu soggetta ai Longobardi, la sola lingua scritta 
in tutta Italia fu la latina, sebbene, pel crescente difetto di studii e 
altre cagioni, ciò che s' intendeva scrivere in latino riescisse sì intralciato 
di costruzione e barbaro di vocaboli e talmente ripieno di errori, che: 


DI CARLO BAUDI DI VESME, 479 
quegli scritti sarebbero di lunga riesciti più piani ed agevoli ad intendere, 
se quei buoni notari o chierici li avessero stesi nel loro volgare. Due 
ragioni particolarmente mantenevano il latino come lingua scritta , non 
ostante che oramai a tutti fosse mal conosciuta, perfino a quelli che 
dovevano per ragione del loro ufficio, come i notaji ed i chierici, di 
continuo farne uso. Prima ragione erano le leggi, le formole giuridiche, 
la memoria e la maestà del nome Romano, della quale la lingua latina 
era avanzo e quasi perenne testimonianza ; nè ciò nelle sole parti d'Italia 
che rimasero soggette all’ impero, ma anche in quelle cadute sotto la 
dominazione Langobarda , nelle quali medesime l'umile -fortuna non 
aveva spente, anzi aveva forse rese più vive, le aspirazioni romane. Altra 
cagione non meno potente, e certo più durevole, fu la religione. Dal 
secondo secolo, per quanto pare , dell’era volgare, la Sacra Scrittura 
dal greco era stata traslatata in latino, in quella che communemente è 
conosciuta sotto il nome di versione italica antica. Essa, sebbene abbia 
frequenti idiotismi derivati dal volgare parlato, è tuttavia in latino pro- 
priamente detto, e del quale solo si faceva uso scrivendo ; ed in latino 
naturalmente erano e seguirono ad essere le preci, e quant'altro si 
riferiva al publico esercizio della religione : uso che presso noi sopravisse 
alla intera caduta del latino come lingua nazionale. 

49. Ma se la lingua latina era tuttora la sola lingua scritta, può 
dimostrarsi con varii argomenti, come nella favella nei secoli VII ed VIII 
già si facesse uso esclusivamente dei volgari. La conquista avendo portato 
in Italia intere popolazioni Germaniche e di altre nazioni, le quali, 
come è noto, in breve, deposte le loro lingue, presero quella delle 
popolazioni in mezzo alle quali vivevano: è chiaro, che la lingua da 
essi parlata non potè essere l’antico latino, pressochè ignorato perfino 
dai notari e dai chierici, ma quella che volgarmente si parlava da tutte 
oramai le classi della popolazione. Di questa lingua, similissima già alla- 
italiana, numerose sono le tracce nelle leggi, nei contratti, e in tutte gene- 
ralmente le scritture di quella età. Nell’editto di Rotari troviamo parole 
prette italiane a, da, mano , capo, favola, cavallo, molino , lancia, spada, 
pero, noce, ulivo, rovere; olire quelle più numerose, italiane di indole, 
barbaramente latinizzate. Ma ciò che viepiù dimostra l’uso commune 
a quel tempo dei volgari italici, si è il vederli sopratutto impiegati dove, 
nelle cronache o nei contratti, o si riferiscono le parole di alcuna 
persona, evvero, colla consueta formola locus qui dicitur o altra simile, 


480 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 
s' indicano i nomi, pressochè tutti volgari, delle località delle quali si 
fa menzione. 

50. Se non che in tutti questi passi troviamo bensì vestigia eviden- 
tissime dei volgari italiani, e parole volgari inserite nel contesto, ma 
gli atti medesimi appajono scritti in latino. Di tratti o proposizioni intere, 
che secondo la mente di chi le scrisse siano in volgare, troviamo i più 
antichi esempii di certa fede în atti stipulati in Sardegna (44). Nè è 
maraviglia ; poichè, siccome dal tempo che quest’ isola si staccò dalla 
dominazione Bizantina il greco e il latino avevano cessato di esservi 
lingue ufficiali, e tutti gli atti publici vi si stendevano nel volgare 
locale: ove in alcun atto intervenisse con Sardi persona del continente 
italiano, era naturale che, non potendo porre la sua sottoscrizione nel 
volgare dell’altro contraente, la ponesse nel proprio; al modo stesso 
che troviamo sottoscrizioni gotiche apposte da Goti ad atti latini in Italia. 
Ma qui è nostra intenzione esaminare le sole tracce dei volgari italici 
che troviamo sul continente d’Italia; il trattare l'importante questione 
dei volgari in uso in Corsica, in Sardegna, e in Sicilia, esigerebbe un 
lungo esame particolare. 

54. Il più antico esempio, anzi il solo anteriore al mille, che sul 
continente italiano ci rimanga di un intero concetto deliberatamente 
espresso in un volgare italico , ci fu conservato in una carta originale 
dell’archivio di Montecassino, dell’anno 960, contenente un giudicato o 
placito di Aregiso giudice, in favore di quel monastero, per una lite di 
confini (45). In quel placito, che nel resto è interamente in lingua latina, 
il giudice Aregiso propone ai testimoni che testificando dicant: Sko cur 
CHELLE TERRE PER CHELLE FINI QUE CONTENE, PER TRENTA ANNI LE POSSETE 
parte sancri BenepICTI, et firmarent testimonia ipsa secundum lege per 
juramenta; ed i tre testimonii, i quali erano chierici, avvertiti ad uno 
ad uno (quem monuimus de timore Domini, ut quod de causa ipsa 
veraciter sciret, indicaret nobis), caduno a sua volta ripete la testimo- 
nianza: Suo che chelle terre per chelli fini che ki contene, trenta anni 
le possete parte sancti Benedicti. 

Da questo passo scorgiamo, come del volgare si facesse uso anche 


(44) Esempii riferiti nel Memoriale di ComitA DI ORRù, presso MARTINI, Appendice alla Raccolta 
delle Pergamene, ecc., pag. 124. 
(45) GaTTOLA, ad historiam abbatiae Cassinensis accessiones; T. I, pag. 68, 69. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 481 


nei placiti, sebbene poi dal notajo si scrivessero per grammatica , ©, 
come anche dicevasi, per lettera, appellazione la quale essa pure dimostra, 
come il solo latino fosse allora lingua scritta. Così senza dubio in 
volgare già si facevano talvolta le omelie o prediche nelle chiese: del che 
abbiamo parecchie testimonianze, e fra le altre il celebre epitafio apposto 
a papa Gregorio V (morto l’anno 999) : 


Usus francisca, vulgari, et voce latina, 
Instituit populos eloquie triplici. 


52. Ma se l’uso del volgare era divenuto oramai universale nella 
favella, non crediamo che prima del mille se ne facesse uso negli scritti, 
neppure in quelli pei quali il loro argomento più pareva richiederlo. 
E questo diciamo, non tanto indotti dall’argomento negativo, del non 
essere verun tale scritto pervenuto infino a noi, quanto mossi dalla prova 
positiva contraria, dell’esserci rimaste cose latine di quella età, che senza 
fallo sarebbero state composte in volgare, se di questo già si fosse fatto 
uso negli scritti. Ne sia ad esempio il ritmo da cantarsi dalle scolte alla 
custodia delle mura di Modena, che dal Muratori, crediamo a ragione, 
è riferito alla prima metà del secolo X. (46). 

L'uso dei volgari italici nelle scritture cominciò, a parer nostro , 
in sul principio del secolo XI, e d'allora in poi andò di mano in mano 
estendendosi. Ciò si dovette senza dubio in parte alla sorgente indi- 
pendenza dei communi dall'Impero durante la lunga lotta per le investi- 
ture; ma più di altra cosa vi contribuirono i commerci, e gli stabilimenti 
di vario genere, che molte città italiane già a quel tempo avevano fuori 
del continente Italiano. Di Venezia sappiamo da Dante, che essendovi 
in sul principiare del secolo XIV stato mandato ambasciatore di Guido 
da Polenta signor di Ravenna, e nel senato avendo incominciato a con- 
cionare in latino, che tuttora era la lingua pubblica e quasi direi ufficiale 
in tutta Italia, gli fu mandato dire, « che cercasse d’alcuno interprete, 
o mutasse favella » (47); onde appare che già da lunghissimo tempo 
il latino era ivi in disuso, poichè perfino quei gravi e venerabili Padri, 


(46) MuratORI, Antiquitates Italicae, T. INI, pag. 709, 710. 

(47) Lettera di Dante a Guido da Polenta, nelle Opere Minori di DANTE ALIGHIERI publicate dal 
FRATICELLI (Firenze, Barbera, 1857), Vol. IIT, pag. 500-506. Vedi anche FRATICELLI, Storia della 
Vita di Dante ( Firenze, Barbera, 1861), pag. 258-260. 


Serie II Tom. XXIII. 


FI 
dm 


452 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


come li chiama Dante, più non intendevano altra lingua che il volgare loro 
nativo. Per simil modo Pisa e Genova, e per simile cagione, furono senza 
dubio fra le prime a far uso del volgare nelle scritture. Ambedue queste 
città fino quasi dal principio e durante tutto il corso del secolo XI ebbero 
parte aitivissima alla cacciata dei Saraceni di Sardegna; onde crebbero i 
commerci delle due città con quell’ isola, e Pisa ne ebbe aumento di 
potenza; poichè dei quattro giudicati, nei quali era divisa la Sardegna, tre 
vennero in mano di signori Pisani. È chiaro, che le relazioni sì di com- 
mercio come di signoria tra i Sardi e i Pisani non potevano aver luogo 
in latino, lingua a quel tempo quasi al tutto ignorata in Sardegna, nè 
certo gran fatto conosciuta dai mercatanti Pisani; esse dovevano aver 
luogo o nel volgare di Sardegna, o in quello italico di Pisa. Che desse 
ebbero difatti luogo nel volgare italico appare dall'essere scritti in questo 
gli antichi statuti delle città che erano soggette a Pisa, come il Brepe 
porius Kallaritani, e il Breve di Villa di Chiesa; ed in questa seconda 
città sulla facciata della chiesa principale leggiamo una iscrizione italiana 
dell’anno 1285, che dice, essere stata edificata quella chiesa. essendo 
podestà Messer Pietro Canino pel Conte Ugolino de Doneratico. Che più? 
nei tempi che precedettero la conquista aragonese, anzi lungo tempo 
ancora dipoi, la lingua italiana, introdotta dai Pisani e dai Genovesi, 
era divenuta lingua volgare di parecchie città di Sardegna; il che dimostra 
l'antichità di tale introduzione. Altro valido argomento dell’essere stato 
il volgare italiano introdotto in quell’'isola fino dal. secolo XI l'abbiamo 
in ciò, che già nella prima metà del secolo seguente vi vediamo fiorenti 
alla corte di Arborda i poeti dei quali sopra abbiamo trattato, Bruno 
de Thoro e Lanfranco, ed Elena figlia del giudice Gonnario di Arboréa. 

Ma se non può, a parer nostro, dubitarsi, che già nel secolo XI 
Pisa e altre città commercianti d’Italia facessero uso del volgare negli 
statuti e ordinamenti relativi al loro commercio, e nelle loro relazioni 
publiche e private coi popoli di lingua diversa ma pur affine alla loro: 
gli esempii ne sono periti, per le ragioni medesime, per le quali, sebbene 
ora sia indubitato che vi furono poeti italiani durante tutto il secolo XII, 
or fa pochi anni nonchè il nome, ne era al tutto perita fin la memoria. 
Un solo esempio ci rimane di statuto del secolo XI in volgare: gli 
Ordinamenta et consuetudo maris edita per consules civitatis Trani, 
portanti la data del 1063, stampati in fine degli statuti di Fermo in 
Venezia l’anno 1507. Noi, col Pardessus, e con altri parecchi, crediamo, 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 483 


non essere quegli ordinamenti un volgarizzamento dal latino, nè esservi 
probabile ragione per negare la loro sincerità; tanto più, che di questo 


statuto troviamo fatta menzione siàù in un documento dell’anno 11284. 


5 
Ma siccome in principio del secolo XVI ogni publicazione di antichi 
scrittori e documenti volgari soleva rimodernarsi, e rendersi più somi- 
gliante alla lingua allora usitata, teniamo per fermo che nella stampa 
del 1507 quello statuto perdette gran parte della primitiva sua forma 
napoletana; come vediamo, la locuzione essersi ancora maggiormente 
gni caso 
è a desiderare, che diligenti ricerche facciano ritrovare l'antico mano- 


rimodernata nella ristampa fattane in Fermo l’anno 158g. In o 


scritto di questi Ordinamenti e consuetudini di mare di Trani, che ora 
non fa molti anni pare si conservassero tuttora nell’archivio municipale 
di Fermo (48). 

53. Ma e la dichiarazione che abbiamo addotto dei tre testimonii 
in favore di Montecassino, del secolo X., e alcune poesie che abbiamo 
del secolo XI, e insomma quanto in volgare fu scritto in Italia avanti 
il 1100, fu scritto nei varii volgari municipali, e non in una lingua che 
alcuno considerasse come commune a tutta Italia, o a gran parte di 
essa. Lingua italiana commune era il latino, del quale i volgari si tenevano 
come una forma corrotta; e chi di questi faceva uso, mirava soltanto 
ad essere compreso nella ristretta cerchia de suoi concittadini, o al più 
de’ suoi vicini. L'esame delle poesie di Gherardo e de’ suoi discepoli , 
e sopratutto di quelle di Aldobrando, e le notizie che intorno a questo 
ci danno i suoi antichi biografi, ci fanno conoscere, che loro si deve 
questo insigne merito, di avere cercato di creare una lingua commune 
italiana, diversa dai varii volgari allora in uso; e, ciò che è più note- 
vole, questo loro ardimento, corrispondente ai bisogni del tempo, ebbe 
un esito che sorpassò se non i loro desiderii, certo di gran lunga la 
loro aspettazione; sì che mentre, per esempio, la lingua francese del 
secolo XII è quasi al tutto altra lingua da quella di cadi. la lingua 
di Aldobrando è, con non gravi differenze, quella medesima, che per 


RESSE O RSI IAA SIRIO la rc rc©@@m@t@—@—t@—t1t1tt1t’@t@r1tTtt@ror@@#9 


(48) Cantù, Schiarimenti e Note alla Storia Universale, Torino, 1841; Vol. IV, pag. 649, Not. — 
Ma non è esatto ciò che in questa nota dice il Cantù, che il Pardessus asserisce trovarsi detti statuti 
italiani di Trani in un esemplare in pergamena degli statuti di Fermo, anteriore certo al tempo 
della stampa. Il Pardessus dice semplicemente , nell’Archivio di Fermo trovarsi un esemplare in 
pergamena dell'edizione di Venezia 1507, nel quale esemplare parimente si trova il delto statuto di 
Trani in italiano. 


454 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


gli scritti di Dante, del Petrarca e del Boccaccio divenne ed è la lingua 
commune d’Italia dalle Alpi al Lilibeo. 

54. Abbiamo veduto, come, dei due antichi biografi di Aldobrando, 
l'uno dica ch'egli jam ab juventute magno amore exarsus ob suam linguam. 
italicam , ad eam incubuit, magnam operam ob id ponens (Doc. B, $ 3); 
e più chiaramente ancora l’altro biografo, che, come dicemmo, crediamo 
essere l’amico di Aldobrando Bruno de Thoro: cognovit peroptime linguam 
latinam, et studuit etiam propriam sue patrie, quam auxit, expurgavit, 
ornavit et expolivit (Doc. T). 

55. Prima di farci a spiegare il senso, e, direi quasi, la portata di 
queste parole, e quale sia la parte avuta da Gherardo, e più da Aldo- 
brando, nella formazione della lingua italiana, crediamo utile premettere 
alcune osservazioni. La prima riguarda un tentativo simile a quello 
di Aldobrando, che più tardi fu fatto intorno ad altri dialetti italici, come 
appare dalle seguenti parole di un insigne filologo, che publicò parecchi 
antichi scritti in volgari italiani : il signor Adolfo Mussafia, Professore 
di Filologia neolatina nell’ Università di Vienna. « Fu già da molti osser- 
vato,» dic’egli, « che durante i primi due secoli della nostra letteratura, 
» allato alla lingua del centro d’Italia (che mercè i numerosi ed illustri 
» suoi scrittori si sollevò ben tosto alla dignità di lingua scritta, com- 
» mune all'intera penisola) esisteva nel settentrione d’Italia una specie 
» d’idioma letterario, il quale sebbene in certe parti tenesse or dell’uno 
» or dell’altro dialetto, secondo la patria dello scrittore, aveva però 
» molti caratteri communi. Era un parlare non privo di coltura, con 
» non poche reminiscenze latine, con gran numero di quelle eleganze 
» che non erano nè toscane, nè provenzali, nè francesi esclusivamente, 
» ma proprie di tutti gl’idiomi neolatini che nel medio evo pervennero 
» a letterario sviluppo. Se le condizioni letterarie e politiche le fossero 
» state propizie, una tal lingua scritta si sarebbe fissata nel settentrione 
» dell'Italia, e sarebbe diventata un nuovo idioma romanzo, molto affine 
» all'italiano, ma pure distinto da esso, a quel modo ed ancor più che il 
» catalano, a cagion d’esempio, era dal provenzale. Per buona ventura 
» dell’Italia tali condizioni mancarono ; cosicchè fra breve quest'ombra 
» di lingua letteraria, speciale al settentrione, sparì » (49). Questo 


(49) Monumenti antichi di Dialetti italiani, publicati da ApoLro MussariA, Professore di Filologia 
neolatina nell’ Università di Vienna (Estratto dai Rendiconti delle tornate dell’Accademia delle Scienze 
di Vienna, Classe filologico-storica, Vol. XLVI, pag. 113); Vienna, 1864; pag. 7 (119). 


DI CARLO BAUDI DÌ VESMÈ. 485 


medesimo ingentilimento di volgari parlati, onde formarne una lingua 
scritta, Gherardo e Aldobrando tentarono dei dialetti toscani, e sopratutto 
di quello di Firenze, città nella quale scrivevano e tenevano scuola ; 
sì che la lingua italiana verrebbe ad essere l'antico dialetto fiorentino , 
con introduzione di alcune, quantunque non numerose, voci di altri 
dialetti toscani, ma sopratutto con numerose e notevolissime modifica- 
zioni ed aggiunte, non già dal provenzale (del quale, ora tanto più che 
abbiamo tratte addietro di un secolo le origini della lingua scritta com- 
mune d'Italia, l'influenza sul nostro idioma verrebbe a dimostrarsi 
ridotta a poco e pressochè al nulla), ma dal latino, che da tutti gli 
scrittori, da Gherardo e da Aldobrando a Dante, da Dante infino a noi, 
fu considerato come fonte inesauto e legitimo, dal quale aggiungere 
alla nostra lingua dignità , numero e ricchezza. 

56. L'altra osservazione, che intendiamo premettere alle nostre consi- 
derazioni sull’origine e la natura del volgare illustre italiano, riguarda 
i motivi che, a creder nostro, indussero Aldobrando a questo suo ten- 
tativo. Era ed è tuttora opinione, che nel secolo XI e nei prossimi 
seguenti fosse spento ogni pensiero d’Italia; e che l’amore della patria si 
restringesse all’affetto al proprio commune, o al più alla provincia. Un 
attento esame della condizione politica d’Italia a quei tempi dimostra, 
come questo modo di vedere sia in molta parte lontano dal vero. Oltre 
il sentimento religioso, che di tutti in quella età era il più universale 
e il più potente, il sentimento che bene spesso tutti gli altri soverchiava 
era, sì come suole, quello, non già della patria, ma della parte o 
fazione cittadina, alla quale caduno apparteneva; a questo la patria, a 
questo sovente si posponevano gli averi e la persona. ‘l'eneva il secondo 
luogo l’amore del commune nativo; ad esso cercavasi di procacciare 
gloria, potenza, ricchezza, e di rendere al paragone poveri e deboli i 
communi vicini. Nessuna cura della provincia, o della regione che si 
voglia chiamare, nè mai di essa troviamo menzione presso gli scrittori di 


e non solo non 


2 


quella età, fuorchè a modo di espressione geografica ; 
sarebbe venuto in mente ad un Fiorentino , ad un Senese, ad un Pisano 
di promuovere la ricchezza e la potenza della Toscana, nè ad un Mila- 
nese, ad un Pavese, ad un Cremonese, ad un Cremasco quella della 
Lombardia, ma anzi nella propria provincia soleva caduno avere i suoi 
più aspri nemici. All'incontro non al tutto nè in tutti era spento il 
pensiero dell’Italia: parecchi documenti lo dimostrano , ed ora ne fa 


486 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


nuova fede la canzone I di Aldobrando. Questo pensiero dell’Italia presso 
gl’'imperiali o ghibellini si confondeva colle memorie del Romano impero, 
senza por mente che all'ombra di quel nome, tuttora amato e riverito, 
eravamo spogliati e malmenati da sovrani stranieri; dall'impero i ghibellini 
auguravano potenza e grandezza all'Italia, in tanto, che vediamo la signoria 
degl’imperatori.germanici sull'Italia e su Roma invocata perfino da uomini 
preclari per ingegno e amanti della patria, quali Dante e Petrarca. Quelli 
che tenevano per la Chiesa miravano invece specialmente alla indipen- 
denza e alla potenza dei loro communi; difficilmente in alcuno scrittore 
di parte guelfa troveremo menzione dell’Italia, e certo non mai troveremo 
fatti voti per la sua unità e potenza. Fra i pochi guelfi presso i quali 
troviamo memorata l’Italia, è Aldobrando. Senese, e perciò Toscano ed 
Italiano, ha poche ma affettuose parole alla do/ce sua patria Sena; non 
un motto, nè pur un lontano cenno, della Toscana; frequente invece e 
calda memoria della patria commune Italiana. Egli riprende il calamo 
da lunghi anni deposto, mosso dal desiderio di cantare 


in questo dì tragrande 
E d’onrevol onor a Italia grande. 
le) 


E nel parlare della battaglia di Legnano, della quale rende grazie al 


Degli eserciti Dio, padre amoroso, 


soggiunge 2 


E a simil guisa inver Legnan sovvenne, 
U’ inchinati a’ suoi pie’ gl’ Itali figli. .... 7 
Imploraron vittoria a umil cherere:; 


e più sotto: 


Nè rimango lavdando di coraggio 

Voi, car, gentili, e prodi di prodezza, 

Onrati duci, che con fier fortezza 

Non mai pensata, e senno ad altr'uom maggio, 
Menaste la battaglia, e universale 

Di gran stante vittoria, 

Maggio non tornerà a Italia gloria. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 48 


I 


Egli, cento trent'anni avanti Dante, rimproverava agl’ Italiani 


le fraterne ire in onne passo 
Di questo loco a onranza già tenuto, 
E le discordie consumanti e gli odi 
Ver cittadi germane, 
D’onne lausor assempro inver le strane, 
Non da matrigna già ma madre sorte, 
Unica che d’onor fu onrata forte. 


Né egli fu solo fra i suoi contemporanei ad amare l'Italia, ed a 
cantarne le glorie, le colpe e le sventure; come appare da quello che 
è fra i più bei tratti della canzone, e nel quale rammenta coloro che 
avanti a lui poetando 


Pianser la trista ancella, 

Fior non tacendo tanti laidi fatti 

Di vergogna e di pianto; 

E ad un membraro quanto 

Eternal gloria e onor ad essa adduce, 
A prodi onrevol atti 

D’onne guerrier e duce. 


Ed altrove, volto a papa Alessandro: 


Infra la santa tua benedizione 

Ne tien, ed òra, mai tornar fra noi 
Antica briga, ahi! grave aonita offesa, 
Ma le citadi e suoi 

Perseverare a bon contro il volpone, 
Odio e tosco slungiando, 

Ma a comun bon pugnando, 

Non a loro dannaggio, ma difesa 

Di dritti universal. 


Avverso agl’ imperatori, mai certo non bramò, come Dante, di vedere 
l’Italia unita sotto la loro dominazione; egli sperava, generoso delirio! 
l'Italia felice e potente per la concordia delle cento sue città. Ma in una 
cosa bramò l'Italia una, e, sebbene soltanto dopo il volgere di alcuni 
secoli, l’ottenne: nella lingua, per la quale egli, come narra il suo 


488 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


cronista, fu acceso di grande amore, e che, da lui arricchita e fatta bella, 
fu ricevuta dapprima dai migliori fra i poeti suoi contemporanei e fra 
quelli del secolo seguente; finchè Dante compì l’opera iniziata da Aldo- 
brando, e, colle parole e coll’esempio condannati tutti i volgari municipali 
italiani, la rese, in modo non perituro , solo volgare illustre , volgare 
italico. Nè fu breve opera nè agevole: tanto le antiche memorie facevano 
tuttora considerare il latino come vera lingua illustre e commune ita- 
liana (50). Lo stesso Dante scrisse in latino non solo le lettere e altre 
opere, ma, nonch’altro, il trattato Del Zolgare Eloquio; e per tutte le 
sue opere volgari, fuorchè le poesie minori, si crede obligato a render 
ragione, perchè non le abbia scritte in latino. La Vita Nuova ei dichiara 
averla scritta in volgare ad istanza dell’amico Guido Cavalcanti, al quale 
era diretta, e che, come già Aldobrando, pare avesse la lingua latina 
a disdegno (51). Nel Convito impiega molta cura e molte parole a scol- 
parsi di averlo scritto in volgare; asserisce che molte cose si dicono 
in latino, che in volgare mal si possono esprimere; che era come un 
dare pan di biado per pan di frumento; ma che pur gli era forza di 
scrivere in volgare, perchè quello era quasi un commento alle canzoni 
volgari (52). In latino parimente aveva cominciato a scrivere il Divino 
Poema; e la lettera di frate Ilario del Corvo, e il Carme di Giovanni 
del Virgilio, e la Vita scritta dal Boccaccio, ne dimostrano, con quale 
universale consenso dai dotti di quella età fosse riprovato Dante, per 
non essere stato costante nel primo proposito , e non avere scritto il 
suo Poema in latino anzichè in volgare (53). 

57. Crediamo superfluo il dimostrare, come questo volgare italiano 
di Dante, e di quelli che lo seguirono o lo precedettero, non è il vol- 
gare toscano. Noi teniamo per fermo, che come non vi ha ora, così, e 
forse meno ancora, ai tempi nei quali surse la lingua italiana non vi 
fosse un volgare commune a tutta Toscana, ma sì il volgare fiorentino, 


il senese, l’aretino, il pisano, il lucchese, e così via; sebbene confessiamo, 


(50) Come all’italiano troviamo dato il nome di latiro volgare, così all’incontro l’idioma lalino 
è chiamato italiano (lingua itala) dal Petrarca, De rebus familiaribus, Lib. XXIV, ep. IX. 

(51) DantE, Zita Nuova, cap. XXXI; Inferno, Canto X, v. 63. 

(52) Dante, Convito, Trattato I, cap. V-XNI. 

53) Lettera di Frate ILARIO DEL Corvo ad Uguccione della Faggiola, presso FRATICELLI, Storia 
della Vita di Dante Alighieri, cap. XII, Not. 1 (Firenze, Barbera, 1861, pag. 358-359); JOANNIS DE 
Vireiio Danti Alagerii Carmen, vers. 6-24; Boccaccio, Zita di Dante (a pag. 64-65 dell’edizione 
preposta al Commento sopra la Comedia; Firenze, Le Monnier, 1863). 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 489 


che una qualche similitudine ed analogia avevano tra loro i varii dialetti 
toscani, e, credo, anche il romano. E questa varietà di volgari ne viene 
confermata da Dante, che parecchi ne prende ad esame (54); ed anche fra 
gli scrittori posteriori troviamo tracce frequenti e manifeste di questa 
varietà: quantunque in parte venga spesso coperta, sia dall’ uso allora 
commune agli scrittori di modificare i volgari, sebbene non con certe 
norme, con voci e fogge latine; sia perchè la nuova lingua colta, Ia 
lingua italiana, che loro sorgeva a fianco, aveva grande, quantunque 
spesso inavvertita, influenza su quanto volevasi scrivere sì in fiorentino, 
come in qualsiasi altro volgare toscano. 

58. Ma noi contendiamo, che neppure il volgare fiorentino, sebbene 
più d'ogni altro d’Italia e della stessa Toscana, sia affine alla lingua 
scritta o commune d'Italia, la quale da esso direttamente deriva; tuttavia 
nè può ora, nè poteva pure in quei primi secoli, dirsi una cosa medesima 
con essa lingua, nè questa perciò chiamarsi fiorentina. Presso tuiti difatti, 
senza veruna eccezione, i più antichi scrittori troviamo a questa nuova 
lingua dei poeti dato il nome di italiana. Il biografo palermitano di 
Aldobrando, che, come sopra abbiamo dimostrato, scriveva negli ultimi 
anni del secolo XII, dice di lui, che ab juventute magno amore exarsus 
ob suam linguam 1rALicam, ad eam incubuit, ...... ita quod carmina 
latina spernens, in quibus valde peritus erat, rALico sermone varia car- 
mina scripsit; e poco poi parlando di Gherardo, dice che erat poeta etiam 
in dicto sermone rrALico (Doc. BE, $ 3 et 4). E lo storico Mariano de 
Lixi, contemporaneo di Aldobrando, di Lanfranco e di Bruno, chiama 
italiana la lingua usata da Bruno nelle sue poesie (55). Per simil modo 
Giorgio di Lacon, nella lettera al suo nipote Pietro, scritta, come abbiamo 
altrove notato, tra l’anno 1238 e il 1253, cita con queste’ parole una 
canzone di Bruno de Thoro: în extremo quorundam suorum rrALIcORUM 
carminum in aliquarum illustrium Sardoarum mulierum honorem (56). 
Ed italiana parimente è detta costantemente questa lingua nel Memo- 
riale di Comita Orru, scritto poco dopo la morte di Giorgio di Lacono, 
circa l’anno 1271 (57). Appena è d’uopo avvertire, che non altrimenti 


(54) De Vulgari Eloquio, Lib. I, cap. XIII 
(55) Presso MARTINI. Appendice alla Raccolta delle Pergamene ecc., pag. 187: « De Sardescha et 
» de Acetaliana lingua, ki bene conoskebat,....... comodo pater erat de Pisa ». 
(56) MARTINI, Pergamene, Codici e Fogli Cartacei di Arborca, pag. 147. 
(57) MARTINI, Appendice alla Raccolta delle Pergamene ece., pag. 118-126. 
Serie II Tom. XXIII, 62 


490 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, EGC. 


la nostra lingua è chiamata da Dante: se non in quanto nell’opera 
De Vulgari Eloquio, secondo il frequente suo uso di appellare Zazini 
gl'Italiani, le dà nome di Latino volgare: « Istud, quod totius Italiae 
est, Latinum vulgare vocatur » (58). Nel Convito poi Dante chiama la 
lingua nella quale egli scrive volgare italico (59), parlare italico (60) ; 
e porta molti argomenti « a perpetuale infamia e depressione delli 
» malvagi uomini d'Italia, che commendano lo volgare altrui, e lo loro 
» proprio dispregiano; ..... e tutti questi cotali sono gli abominevoli 
» cattivi d’Italia, che hanno a vile questo prezioso volgare » (61). E 
quando egli in faccia a tutta Italia, nonchè a Toscana e alla sua Firenze, 
condannava tutti i volgari locali d’Italia e nominatamente i Toscani, 
ed asseriva, altra cosa essere quello che chiama #upiloguio dei volgari 
municipali toscani, altra il volgare commune nel quale scrissero i Fio- 
rentini Guido Cavalcanti, Lapo Gianni, egli Dante, il Pistojese Cino (62), 
1 Bolognesi Guido Guinicelli, Guido Ghislieri, Fabricio ed Onesti (63) : 
quando ciò Dante asseriva, non sorse, neppure fra i suoi concittadini, 
chi gli contradicesse. E per l'autorità del nome, e perchè, se pur l'avesse 
voluto, non avrebbe potuto trarre alcuno in errore in cosa allora a tutti 
nota e manifesta, la testimonianza di Dante in questo argomento fu sempre 
tenuta di tanto peso, che quando nel secolo XVI surse più calda che 
mai la questione intorno al nome che si dovesse dare alla limgua di 
Dante, quelli che la tenevano per fiorentina si appigliarono per lo più 
al partito, di dichiarare, non essere quel libro opera di Dante. Ma già 
il Villani, contemporaneo di Dante medesimo, quantunque e nella sua vita 
politica, e nella sua Cronica, si domostri costante e caldissimo fiorentino, 
avverso ai rimanenti Toscani, nonchè agli altri Italiani, pur tuttavia non 
solo non contradice all’ asserzione di quel suo concittadino, ma anzi, 
sebbene biasimi alcuni scritti ed opinioni di Dante, del libro De ZYu/gari 
Eloquio dice che : « con forte e adorno latino E con BELLE RAGIONI riprova 
» tuttii volgari d'Italia » (64); non solo non contradicendo, ma parendo 


(58) De Vulgari Eloquio, Lib. I, cap. XIX. 

(59) Convito, Trattato I, cap. VI. 

(60) Trattato I, cap. XI. 

(61) Zrattato I, cap. XI. 

(62) De Vulgari Eloquio, Lib. II, cap. XII. 

(63) Ibid., Lib. I, cap. XV. 

(64) Cronica di GIOVANNI VILLANI, Lib. IX, cap. CXXXVI. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 491 


così comprovare col suo suffragio la sentenza dell’Alighieri. È dello 
stesso Villani è notevole un altro passo: quello dove, enumerando i 
baroni e signori che l’anno 1312 furono con l'imperatore Arrigo in Pisa, 
nomina tra gli altri, «il conte D’Alvagna d’Alamagna, chiamato Luffo- 
» mastro, cioè in latino Mastro Siniscalco » (65). 

Non crediamo si possa addurre esempio anteriore alla metà del 
secolo XIV, di autore, dal quale la lingua italiana illustre, la lingua 
nella quale scrissero Dante e gli altri migliori da lui nominati, sia stata 
appellata volgar fiorentino, o con qualsiasi altro nome fuorchè quello 
di latino volgare, o di italiano (66). 

59. La più antica autorità che soglia addursi. per provare che la 
lingua italiana non sia altro che il volgar fiorentino, si è quel passo 
del Boccaccio, in principio della quarta Giornata del Decameron, dove 
dice che, estimando che il rabbioso vento della invidia non dovesse 
percuotere che le alte cime, egli si era ingegnato di andare non sola- 
mente pe’ piani, ma per le profonde valli; e perciò aveva scritto le 
sue Novelle non solamente in fiorentin volgare ed in prosa, ma ancora 
in istile umilissimo e rimesso quanto più si possano. Bene è vero, che 
all'argomento tratto da questo passo del Boccaccio molte difficoltà si 
potrebbero opporre. Ed in prima, la stessa asserzione del Boccaccio, 
che per fuggire dai morsi della invidia scrisse in fiorentin volgare ed 
in istile rimesso, dimostra che v'era a suo avviso medesimo un volgare 


(63) Zbid., Lib. IX, cap. XXXVII. 

(66) Diciamo la lingua nella quale scrissero Dante e gli altri migliori da lui nominati; con ciò sia 
che nel secolo XIII e nel seguente molti, ed in Toscana ed in altre parti d’Italia, scrissero non 
nel volgare italico, ma nei loro volgari municipali; come ne attesta Danto medesimo (de /ulgari 
Eloquio, Lib. I, cap. XIII) di Bonaggiunta da Lucca, di Gallo da Pisa, di Mino Mocato da Siena, 
di Brunetto Latini da Firenze; e se ciò poco appare nelle edizioni che abbiamo di alcuni fra quegli 
scrittori, si deve alle mutazioni introdotte prima dagli amanuensi, e poscia in più gran copia 
dagli editori. — Per simil modo l’anonimo antico Volgarizzatore del Trattato de Regimine Principum 
di Ecipio Romano, dice di averlo traslatato di latino in francescho, e di francescho in toscano; e 
certo quel Volgarizzamento Del Governamento de’ re e de’ prenzi (publicato dal Corazzini su un 
codice del 1288: Firenze, Le Monnier, 1858) non è in volgare italiano. Veggasi la 7'avola dichia- 
tiva di voci e locuzioni nuove 0 poco usitate, a pag. 315 e seguenti dell’ edizione citata; ed inoltre 
ciò che il Corazzini dice a pag. XLVII-XLIX della Prefazione: che questo Volgarizzamento è senza 
dubio in dialetto senese; averlo nella stampa ridotto a moderna scrittura quanto si poteva senza 
nocumento o della storia della lingua, o del dialetto in che fu dettato; avere perciò raddoppiato 
le consonanti e reciso le soperchie vocali, scrivendo accompire, acconcio, ingegnoso, voce, invece di 
acompire, aconcio, ingegnioso, vocie; avere raddrizzato le voci storpie, quali albrito, grolia, ecc. — 
Rese senza fallo per tal modo il libro di più agevole e meno tediosa lettura; ma s’ingannò, credendo 
che ciò potesse farsi senza nocumento 0 della storia della lingua, o del dialetto în cui fu dettato. 


492 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


più nobile per le cose da trattarsi in alto stile, quello insomma che 
Dante chiama volgare illustre, volgare latino (appellazione più volte 
usata, come vedremo, dal Boccaccio medesimo), volgare italico. Appare 
inoltre che qui il Boccaccio, onde schermirsi dai morsi degl’invidiosi, 
non solo ha nascosto il vero, ma ha detto ciò che pur sapeva esser 
falso : poichè chi fia che gli conceda, che quella opera, alla quale appunto 
maggiormente deve l’alta sua fama, sia scritta in istile umilissimo e 
rimesso quanto più si possa? e per simil ragione possiamo negargli che 
sia scritta in fiorentin volgare; come al Castiglione diciamo che ne dà 
la baja, quando asserisce di avere scritto lombardo (67). E che nella 
mente del Boccaccio: l’idea di vo/gar fiorentino si collegasse con quella 
di cose scritte ir. istile umile e rimesso , appare anche da un simile luogo 
del Filostrato, dove dice di averlo composto «in leggiere rima, e nel 
mio fiorentino idioma » (68). Ben altrimente parla della sua Teseide, 
che a più riprese dice scritta în Zatino volgare. Nè è maraviglia. Boccaccio 
conosceva il libro di Dante de 7ulgari Eloquio , di quel Dante del quale 
dice, come a lui « adolescentulo primus studiorum dux et prima fax 
fuerit » (69); è naturale adunque, che usasse le denominazioni e tenesse 
le opinioni di quello, ch’ei venerava e seguiva come maestro. Quindi 
è che nel seguente passo in fine della Teseide (70), notabile anche 
perchè può dirsi quasi un volgarizzamento di un passo sopra da noi 
citato di Dante nel libro appunto De Yu/gari Eloquio, Boccaccio dice, che 
in volgare latino erasi scritto di onestà e di amore, ma che nessuno 
prima di lui aveva trattato delle cose di guerra. 


« Poichè le Muse nude cominciaro 
» Nel cospetto degli uomini ad andare, 
» Già fur di quelli i qua’ l’esercitaro 
» Con bello stile in onesto parlare , 
» Ed altri in amoroso le operaro ; 
» Ma tu, mio libro, primo a lor cantare 
» Di Marte fai gli affanni sostenuti, 
» Nel volgare latin non più veduti ». 


(67) Nella Dedica del Cortegiano a Don Michel de Silva, Vescovo di Viseo. 

(68) Nella Dedica o Prologo; ed. Moutier, pag. 8. 

(69) Francisci PerRARCAE De rebus familiaribus, Lib. XXI, ep. AV, Johanni de Certaldo. 
(70) Libro XII, stanza 84. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. {93 
Da molti fu questo passo in varii modi o spiegato 0 corrotto ; nè 
mancò chi lo accoppiasse col verso del Poliziano 


« E canta ogni augelletto in suo latino , » 


e con altri di simil fatta, e spiegasse /azizo non come sinonimo di ita- 
liano, ma di idioma; sì che secondo questi cotali potrebbe dirsi, che un 
tale parla in Zazino fiorentino, in latino lombardo, che più? in Zatino 
inglese o in latino tedesco. Latino qui non è idioma, ma significa italiano, 
come nel passo sopracitato del Villani; e ciò appare dal confronto del 
corrispondente passo di Dante, e dalla Lettera Dedicatoria della Teseide 
alla Fiammetta (71), dove il Boccaccio così si esprime: « Trovata una 
» antichissima storia e al più delle genti non manifesta, bella sì per la 
» materia della quale parla, che è d’amore, e sì per coloro de’ quali 
» dice, che nobili giovani furono e di real sangue discesi: in /atino 
» volgare, e in rima, acciocchè più dilettasse , ....... ho ridoîta 
Laddove ci attesta di aver scritto le sue novelle in fiorentin volgare, « 
in prosa, e in istile umile e rimesso: questa antichissima storia di nobili 
giovani e di real sangue discesi espone non in prosa ma in rima, né 
vuol parere di averla scritta in fiorentin volgare, ma apertamente pro- 
fessa scriverla in latino volgare, in quello che secondo Dante zotius 
Italiae est. Un altro esempio dello stesso modo di dire ci fornisce nella 
dedica del Volgarizzamento della IV Deca di Tito Livio ad Ostagio da 
Polenta, ad istanza del quale si era accinto a quel lavoro: « ho proposto 
» di riducere in latino volgare (72) X libri di Tito Livio Patavino, 
» composti delle storie Romane sotto titolo de bello Macedonico ; acciò 
» che da quello il quale, d’alta grammatica e di forte costrutto, molto 
» è alli più ad intendere difficile, possano li non letterati prendere e 
grazioso 
» frutto ». Bene è vero, che oltre i precitati vha un altro passo, non 


» dalle storie diletto, e dalle magnifiche opere e virtuose 


avvertito , ch'io mi sappia, finora, dove il Boccaccio chiama fiorentina 


gione, 


« perchè a comporre così grande, di sì alta materia, e sì notabile libro, 


la lingua di Dante; dove cioè, nella Vita di questo poeta, rende ra 


» com'è questa Comedia, nel fiorentino idioma si disponesse, e perchè 
» non più tosto in versi latini » (73). 


(71) Opere del Boccaccio, ed. Moutier (Firenze, 1827-1834); Vol. IN, pag. 3. 
(72) Così i manoscritti; le edizioni male di Zaino în volgare. 
(73) A pag. 64 dell’edizione preposta al Comerto sopra la Comedia, Firenze, Le Monnier, 1862. 


494 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


60. Come abbiamo esposto la sentenza dell’Allighieri e riferito alcuni 
passi del Boccaccio relativi alla natura e al nome del nostro volgare, 
addurremo ora quanto ci venne fatto di trovare presso il Petrarca, che 
valga a dimostrare qual fosse la sua sentenza; poichè a questi tre sommi 
nostri principalmente si deve, se la lingua nobile surta già dal volgar 
fiorentino, e che da due secoli lottava con quello e cogli altri volgari 
d'Italia, tutti li soverchiò, e prima del cadere del secolo XIV divenne 
lingua commune e sola scritta fra i volgari italiani. — Chi volle dimo- 
strare che il Petrarca intendesse scrivere non in alcun volgare muni- 
cipale, ma in un linguaggio commune a tutta la penisola, citò in prova 


i celebri versi a Laura : 


« Del vostro nome, se mie rime intese 
» Fossin sì lunge, avrei pien Tile e Battro, 
» La Tana, il Nilo, Atlante, Olimpo e Calpe. 
» Poichè portar nol posso in tuite quattro 
» Parti del mondo, udrallo il bel paese, 
» Ch’Apennin parte, e ‘1 mar circonda e l’Alpe » (74). 


Ai quali si possono aggiungere quegli altri di non dissimile sentenza, 
in principio della sua Canzone all'Italia : 


( 


Italia mia, benchè ‘1 parlar sia indarno 

» Alle piaghe mortali 

» Che nel bel corpo tuo sì spesse veggio: 

» Piacemi almen, ch'i miei sospir sien quali 
» Spera ’1 Tevero e l'Arno, 


» E 1 Po, dove doglioso e grave or seggio ». 


Nella stessa Canzone troviamo inoltre, come presso Dante e Boccacio 
e molti altri di quella età, usata l’appeliazione di Zatino per Italiano (75). 
Il Petrarca non trattò mai direttamente la questione; e dove gli occorra 
di accennare scritti in lingua italiana, suole indicarli semplicemente col 


nome di scritti volgari o în lingua materna. Le opinioni politiche del 


(74) Parte I, Sonetto XCVI, O d’ardente virtute ornata e calda. 
75) « Latin sangue gentile 
» Sgombra da te queste dannose some; 
>» Non far idolo un nome 


Vano, senza soggetto ». 
Parte IV, Canzone IV. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 495 


Petrarca, il quale dichiara che nessuno fra’ suoi contemporanei lo egua- 
gliava in amore all’ Italia, e la natura de’ suoi studii , dimostrano 
manifestamente , ch'egli considerava la lingua nella quale poetava, non 
come particolare a Firenze, città dove pur mai non pose il piede, ma 
come lingua commune a tutta Italia; ed italiana difatti la troviamo detta 
da lui in una sua lettera recentemente scoperta: « disputabis.....non 
barbarice, sed italice » (76). 

61. Abbiamo veduto come Boccaccio talora chiamasse fiorentino quel 
volgare, che altrove da lui medesimo, e prima di lui da tutti, era detto 
volgare /atino od italico. Di questa incertezza di denominazione fu cagione, 
l'essere difatti il volgare italico derivato dal fiorentino, e ad esso affine 
più che ad aliro d'Italia; e più ancora l'essere Fiorentini Dante e gli 
altri sommi fra gli scrittori nostri volgari. Crebbe col tempo l’incertezza 
e la contesa; altri volendo che la lingua nostra sia e. si dica italiana , 
altri dicendola toscana, altri pretendendola pur fiorentina. Fra questi il 
Machiavello (77) chiama meno inonesti quelli che vogliono che sia toscana, 
inonestissimi quelli che la dicono italiana; ed in isconcio modo malmena 
Dante, perchè tenne quest ultima sentenza. Altri pendono incerti, od 
accettano sì l’una che l’altra appellazione; come il Varchi, il quale, dopo 
aver riferito che alcuni chiamano la nostra lingua volgare, alcuni fioren- 
tina, alcuni toscana, alcuni italiana , alcuni cortegiana: sebbene creda 
più propria e più vera lappellazione di fiorentina (78), pur tuttavia con- 
chiude accettando qualunque di detti nomi, solo escluso (né in ciò troverà 
chi gli contradica) quello di cortegiana (79). E siccome il Varchi alta- 
‘mente venerava Dante, il quale, secondo lui, «pare che sapesse tutte 
» le cose, e tutte le dicesse » (80): non osando contradire alla autorità 
di un tanto nome, e conoscendo di quanto peso in siffatto argomento 
fosse la sua testimonianza, s’ appiglia infine al partito di negare esso 
pure, che il Libro Di Y'o/gare Eloquenza sia opera di Dante (81). 

62. Nostro intento è di mostrare qui brevemente, come la lingua 


(76) Leltera tratta da un codice Barberiniano, e publicata dal Fracasseto, nella sua edizione 
delle Epistole del Petrarca (Firenze 1863) ol. III, pag. 515; dove è la quinta dell’Appendice. 

(77) Discorso ovvero Dialogo in cui si esamina, se la lingua in cui scrissero Dante, il Boccaccio e 
il Petrarca si debba chiamare italiana, toscana o fiorentina. 

(78) Veggasi, per esempio, VARCcHI, Ercolano, 7. II, pag. 358 dell'edizione dei Classici di Milano. 

(79) VarcnIi, Ercolano, T. I, pag. 193 e 195. 

(80) Ivid., T. I, pag. 64. 

(81) Ibid., T. I, pag. 77-85. 


496 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALBOBRANDO DA SIENA, ECC. 


italiana, sebbene derivata direttamente dal volgare fiorentino, non è 
iuttavia con esso una cosa sola; e d’esporre in che, nel formare la 
lingua scritta italiana, si siano allontanati dai volgari parlati quei nostri 
antichissimi, dei quali dopo sette secoli risorgono a nuova vita, e a 
fama più duratura, la memoria e le poesie. 

63. Le diversità tra il volgare italiano e il volgare fiorentino possono, 
a parer nostro, dividersi in tre classi: di parole, ossia parole proprie 
dell'uno e non dell'altro volgare; diversità grammaticali; e finalmente 
diversità ortografiche, e nella formazione delle parole. 

64. E cominciando dalle prime, appena credo necessario portare 
esempi di parole italiane che non sono fiorentine ; tanto sono nume- 
rose, da Aldobrando a Dante, da Dante ai nostri giorni. Ne adduce 
parecchi esempii lo stesso Machiavello, quantunque pur contenda ad ogni 
costo, e a malgrado di Dante medesimo, che la lingua di Dante sia fioren- 
tina. Di queste parole alcune sono tratte da altri volgari italici; alcune 
anche da lingue fuori d'Italia; molte più dal latino, che pressochè tutti 
gli scrittori Italiani, anche Fiorentini, sempre considerarono come legitima 
ed inesausta sorgente onde arrichire la nostra lingua; non poche final- 
mente s introdussero e giornalmente s'introducono da varie parti d'Italia, 
ad esprimere cose ed idee che non erano conosciute, e perciò non ave- 
vano nome; e molte di tali voci, ma spesso alquanto trasformate, furono, 
per la necessità delle cose, ricevute nel volgar fiorentino. 

Pochi esempii addurremo della schiera, che pur è assai numerosa, 
di voci fiorentine che non sono italiane, ossia che non furono ricevute 
nella lingua commune d'Italia; e questi riferiremo coll’autorità appunto 
di scrittori fiorenuni. Primo per età e per dignità viene Dante, il quale 
volendo dare un saggio di parole e modi, come dice, non cortegiani 
ma municipali, di varii volgari Toscani, dei Fiorentini adduce i seguenti: 
manuchiamo; introcque non facciamo altro (82). Convien notare tuttavia, 
che manucare e inirocque si leggono nella Divina Comedia; perchè 
Dante opinava, come egli medesimo ne attesta, che nello stile umile , 
quale volle si dicesse quello del suo poema (83), si potesse far uso anche 
di parole appartenenti ai volgari municipali (84). Altri esempii di voci 


32) De Yulgari Eloquio, Lib. I, cap. XIII. 

83) Lettera di Dante a Can Grande della Scala, $ 10, nelle Opere Mizori di DANTE ALIGHIERE 
publicate dal Fraticelli (Firenze, Barbera, 1857), vol. III, pag. 540, 542. 

(86) Sì confronti Ne Vulgari Eloquio, Lib. I, cap. XIX, con Lib. II, cap. I et TIL 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 497 


e modi fiorentineschi ne adduce il Passavanti, il quale, parlando di quelli 
che volgarizzando la Sacra Scrittura l’avviliscono, dice così: « e alquanti 
» meno male che gli altri, come sono i Toscani, malmenandola, troppo 
» la ’nsucidano e abbruniscono; tra quali i Fiorentini, con vocaboli 
» Isquarciati e smaniosi, e col loro parlare fiorentinesco , istendendola 
» e facendola rincrescevole , la ’ntorbidano e rimescolano con occi, e 
» poscia, aguale, e vievocata, pudiansi, e maipursie, e berregiate, 
» c’avrete delle bonti se non mi ramognate » (85). — Terza ed ultima 
addurremo la testimonianza del Varchi, col suo tara dara e la ronfa 
del Vallera, e altri simili modi, coi quali un tratto si piace berteggiare 
il suo interlocutore conte Ercolani. Parlando fiorentino e non italiano, 
non era inteso; onde questi gli risponde: « Se voi non favellate altra- 
» mente, io il vi terrò segreto ancorachè non mi ponghiate credenza; 
» perchè non intendo cosa che vi diciate » (86). 

65. Le diversità grammaticali, e sopratutto nella conjugazione dei 
verbi, non sono numerose. Sola, e a modo d'esempio, addurremo la 
principale, ossia la sostituzione dell’o alla nelle terze persone plurali 
di certi tempi. Così già presso il Malispini troviamo cessorono, rovinorono, 
e presso Dino Compagni ruborono, andorono, abandonorono, e simili. 
Tale mutazione si fa più frequente presso alcuni scrittori Toscani del 
secolo XV e del seguente, i quali nei loro scritti italiani si piacciono 
d’inserire forme e modi non italiani ma fiorentineschi ; onde, per esempio, 
presso il Poliziano troviamo costantemente eron, schierono , abondono, 
cascono. Siffatte forme, sebbene vive tuttora nel volgar fiorentino, 
non passarono nella lingua. commune d’ Italia: del che un recente scrit- 
tore, Giosuè Carducci, benemerito editore delle poesie italiane del 
Poliziano da lui restituite alla vera lezione, cerca render ragione in 
questi termini: « Dopo il Bembo specialissimamente, la lingua toscana 
» diventò lingua della nazione ; se non che, per ridurla a condizione 
» di lingua comune almeno nella scrittura, convenne sottoporla a leggi 
» o regole, che furono ricavate non dal popolo Toscano ma da due scrit- 
» tori esclusivamente, il Boccaccio e il Petrarca; nè sempre bene. Ne 
» conseguì, che indi in poi la lingua scritta molto perdè dell’agilità e 


(85) PASSAVANTI, Specchio della vera penitenza, Trattato della Scienza (ed. Lemonnier, Firenze, 
1856, pag. 288). 
(86) Varcmi, Ercolano, ed. cit., T. II, pag. 252. 


Serie II. Tom. XXIII. 653 


498 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


» ingenuità primitiva, e dovè procedere compassata e guardinga ..... 
» Si sa che i Fiorentini usavano terminare in oro ed oronro le terze 
» persone plurali di certi verbi che nella lingua comune escono in ano 
» ed drono: e il Poliziano anche in ciò seguitava l’uso fiorentino. Ora 
» questi fiorentinismi ecc. » (87). Ma, diremo noi, quale fu la cagione, 
che Dante, il Boccaccio suo ammiratore e seguace, il Petrarca, non 
fecero uso di tali forme, che tuttavia l'uso conservava vive nel popolo, 
ed anche presso alcuni scrittori, della loro Firenze? La ragione si è 
quella, che venne quasi di volo indicata, ma non avvertita, nel citato 
passo del Carducci: che Boccaccio e Petrarca, e lo stesso dicasi del 
loro antesignano Dante, e lo stesso, soggiungiamo, di Aldobrando , e 
degli antichi che ne seguirono le tracce, non intesero scrivere nel volgare 
fiorentino, ma nella lingua commune d’ Italia, che, nata bensì dalla 
toscana o a più vero dire dalla fiorentina, tuttavia in non poche cose se 
ne discosta. — Presso Aldobrando nelle terze persone dei passati perfetti 
troviamo costantemente non la forma della quale abbiamo citato esempii 
dai due antichi Fiorentini, Malispini e Dino Compagni, ma le due forme 
che più si accostano alla latina, e che rimasero alla lingua commune 
italiana, aro (proprio della poesia) ed aroro; per esempio #rovaro, 
membraro , imploraron (implorarono). 

66. Resta che tocchiamo dell'ultima varietà che abbiamo detto distin- 
guere la lingua italiana dal volgar fiorentino, voglio dire le diversità 
ortografiche, ossia le trasposizioni, i cambiamenti, le aggiunte e i 
troncamenti di lettere; le quali variazioni, ora maggiori e ora minori, 
ma per lo più soggette a certe norme, formano appunto una delle prin- 
cipali distinzioni fra lingue o dialetti affini. 

Il fiorentino, come gli altri dialetti italici, derivava, siccome abbiamo 
notato, dalla lingua latina rustica; ma in questo passaggio di un volgare 
non fissato dalla scrittura, ma trasmettentesi unicamente colla viva parola, 
durante un lungo volgere di secoli, l’antica lingua rustica romana subì 
modificazioni e prese forme diverse. Di queste modificazioni e nuove 
forme, che il volgare parlato prese in Toscana, e nominatamente in 
Firenze, il maggior numero e di gran lunga le più importanti furono 


(87) Delle Poesie Toscane di messer Angelo Poliziano, Discorso di Grosuk CARDUCCI, (Le Stanze, 
l’Orfeo e le Rime di messer Angelo AmBROGINI POLIZIANO, rivedute e illustrate da Giosuè Carducci; 
Firenze, 1863), pag. XCI. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 499 


conservate nella nuova lingua italiana; altre non furono accettate dai 
primi che vollero innalzare il volgar fiorentino alla dignità di lingua 
scritta italiana; i quali, rifiutate quelle forme del volgare parlato che 
loro parevano o rozze; od oscure, o meno ragionevoli, nella lingua 
scritta ristabilirono la forma latina. Ma al tempo stesso molti continuavano 
ad adoperare le forme volgari, che i migliori avevano ripudiate ; e 
questi cotali conservatori delle forme del volgare parlato sono appunto 
quelli che Dante chiama, numquam in vocabulis et constructionibus 
desuetos vilescere (388). Avvenivà pure, che molti si sforzavano bensì 
di scrivere nella lingua commune, nella lingua di Dante e dei migliori 
che l'avevano preceduto, ma, tratti dalla consuetudine del parlar gior- 
naliero, alla lingua italiana frammischiavano parole e modi municipali ; 
come all'incontro quelli che intendevano scrivere in volgare municipale, 
vi mescevano voci e modi tratti o dal latino, o dagli scrittori che 
facevano uso della nuova lingua, che, principalmente nell’ Italia centrale 
e nella meridionale, ogni dì più andava estendendosi, e divenendo la 
lingua propria delle scritture. Così per lungo spazio, durante il secolo XIII 
e il XIV, troviamo in uso, o separati o spesso anche frammisti, il 
volgare italiano ed i volgari municipali: il primo principalmente presso 
i poeti, ed in generale presso quelli che intendevano che la loro voce 
fosse intesa in tutta Italia; i volgari municipali negli scritti destinati 
ad uso ed utilità locale, come le cronache , gli statuti municipali, le 
lettere, le opere popolari di argomento religioso, ed altri simili dettati 
di umile natura, dove lo scrittore non mirava che ad esporre în piano 
volgare, per servirmi della espressione del Villani (89), a’ proprii con- 
cittadini i suoi pensieri. Finalmente dopo Dante, Boccaccio e Petrarca, 
che seguirono la forma introdotta dai migliori fra gli antichi poeti, 
essendo questi tre scrittori divenuti, e durati per lungo tempo, quasi 
la sola norma del bello e corretto dire, le forme fiorentine da questi 
rifiutate caddero per la maggior parte del tutto ; a segno che quelli 
che sono veri ed antichi modi proprii del volgar fiorentino, da molti 
ora sono falsamente reputati semplici arbitri e storpiature di copisti. 
Appena è necessario soggiungere, come vi ha dei casi, nei quali i 
tentativi di quegli antichi di sostituire la forma latina alla volgare 


(88) De Vulgari Eloquio, Lib. II, cap. VI. 
(89) Giovanni VILLANI, Cronica, Lib. I, cap. I. 


300 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


caddero in fallo, e la forma volgare restò alla lingua commune. Ma di ciò 
sono rari gli esempii presso Aldobrando, che sembra essersi con molto 
discernimento posto all'impresa di orzare, expurgare, augere et expolire 
la lingua italiana. Se parecchie fra le parole da lui adoperate sono. ora in 
disuso, all'incontro quasi tutte le forme latine da lui e dalla sua scuola 
sostituite alle volgari sopravissero, e, mai non divenendo fiorentine, 
restarono proprie della lingua italiana. Troviamo all’ incontro alcune 
poche voci, alle quali Aldobrando conservò la forma volgare fiorentina, 
ma questa non fu ricevuta nella lingua italiana. Tale è il verbo obbriare 
(costantemente usato anche da Bruno de Thoro, e dalla maggior parte degli 
scrittori del secolo XII) per obbliare; tale aitri per altri, forma fiorentina 
essa pure, e tuttora in uso fra ’l1 popolo di quella città e nel contado. 

67. E qui volendo dimostrare con esempii tali trasposizioni e cam- 
biamenti di lettere proprii del volgar fiorentino , e che, rifiutati da 
Aldobrando e da’suoi seguaci, non passarono alla lingua commune italiana: 
per meglio guardarci da errore o di luogo o di tempo, trarremo i nostri 
esempii dai più antichi scrittori che fecero uso di quel volgare. Dob- 
biamo notare tuttavia, che molte di siffatte anomalie sono proprie non 
del solo volgare fiorentino, ma di altri volgari toscani, e di altre parti 
d'Italia; ma non essendo da essi derivata la nostra lingua, il discorrerne 
è estraneo al nostro argomento. 

Mutazione dell'e in «. Malispini avidente , sagreto , sanatore, settan- 
rione, spargiatore; molte di queste forme trovansi parimente presso 
il Villani; frequentissimo è presso gli antichi piatoso e piatanza. Presso 
Aldobrando invece leggiamo spergitore, pietoso , dispietoso , pietanza. 

Mutazione dell’e in i. Malispini pillicciari, risistere, ristituire ; presso 
parecchi antichi rigrigerte e nigrigenza, anzi questa seconda voce tro- 
viamo tuttora presso Gherardo da Firenze. Ma Aldobrando ha negli 
gente; ha parimente /e porte , invece della forma /e porti, usitatissima 
presso gli antichi scrittori Fiorentini; e rechere per richere. 

Mutazione delli in e. Dino Compagni vettoria; Malispini trebuso , 
temoroso, ipocresia; Aldobrando vittoria , ipocrita, ipocrisia. 

Nel volgar fiorentino la lettera Z dopo il c e il g si muta in 7, con- 
servando tuttavia il suono duro alla consonante precedente, sì che il eZ 
eil gZ si converte in chi e ghi: quindi da clamare, chiamare; da clavis, 
chiave; da glans, ghianda; da gleba, ghiova; da glacies, ghiaccio, e così 
via. In alcune poche voci invece, come apparirà dagli esempii, il cl e 


DI CARLO BAUDI DI VESME. Soi 

il g/ presso i Fiorentini si convertiva in er e gr. Questo / dopo il e 0 
il g è talmente contrario all’indole del parlar fiorentino, che perfino 1 
nomi proprii ne furono mutati, e di papa Clemente in Firenze si fa 
papa Chimenti o papa Chimento; e per lo stesso motivo quelli che scris- 
sero in volgar fiorentino hanno, e il basso popolo e del contado dice 
tuttora, grolia per gloria. Ma gli scrittori in lingua italiana già fimo dai 
primi tempi scossero in parte il giogo di questa forma volgare, e spesso 
adottarono la latina; onde presso Aldobrando, per esempio, gloria e 
glorioso, e presso Lanfranco clemenza. Similmente a mano a mano s'in- 
trodussero dal latino nell'italiano nuove voci aventi questo suono alieno 
dall’indole del volgar fiorentino, e ciò particolarmenie quando avveniva 
agli scrittori di dover traslatare dal latino vocaboli, che l’uso non aveva 
ancora fatti volgari: tali sono clima , cliente, clangore, declamazione , 
globo, gladiatore (90). Talvolta anche la nuova voce, direi quasi latina, 
introdotta dagli scrittori, soverchiò e fece andare in disuso la preesistente 
voce fiorentina; così ora diciamo clero ed ecclesiastico e gleba invece 
di chieresia e cresiastico e ghieva 0 ghiova, forme che si trovano presso 
i Malispini ed altri antichi. Di altre rimase alla lingua italiana la 
doppia forma; sì che, per esempio, oltre le forme fiorentine chiostro , 
chiosa, chiosatore, abbiamo claustro, glossa, glossatore. Similmente molti 
sì antichi che moderni usano declinare, inelinare, invece delle schiette 
forme di origine fiorentina dichinare, inchinare. Troviamo la forma latina 
inclina presso Bruno de Thoro; la fiorentina inchinato presso Aldobrando. 
È noto, come presso i Fiorentini l'inferno siasi trasformato in nin- 
ferno, voce adoperata non solo dagli autori di novelle e nello stile 
rimesso, ma anche da quelli che trattano gravi argomenti, per esempio 
nelle prediche di Fra Giordano, e nella Cronica dei Malispini. Appena 
crediamo necessario di avvertire, che Aldobrando fa uso della forma 
primitiva zrferno. Similmente la denominazione latina paradisus deli- 
tiarum per indicare il paradiso terrestre erasi trasformata nel volgar fio- 
rentino in paradiso diliziano; Aldobrando lo chiama il dilettoso paradiso. 
Non altra lettera forse quanto la 7 nel fiorentino, e quasi in tuiti gli 
altri volgari italici, va soggetta a maggiori anomalie. Spesso viene mutata 
di luogo, talora aggiunta, talora sostituita ad altra lettera, e particolar- 
mente alla Z quando segua una liquida; talora invece tolta, per cedere 


(90) La forma vera fiorentina abbiamo nella voce a ghiado. 


502 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


il luogo a consonante più dolce. Esempii ne siano 4/fritto, albitro, fragello, 
cresiastico, obbrigare, probucare, scorpesono, istormenti, valentre, fedire, 
che troviamo presso i Malispini, Dino Compagni, ed altri dei più antichi. 
L’Aldobrando rigettò tali forme corrotte, e ritraendo , se così posso 
esprimermi, la lingua a’ suoi principii, scrisse a//litto, arbitrio, flagello, 
e così via. In una voce sì desso come Bruno conservarono, come no- 
tammo, la forma volgare, nel verbo obbriare per obbliare. 

68. Potrebbero addursi altri di siffatti cambiamenti di lettere, e di 
troncamenti, allungamenti, congiungimenti di parole, e altre simili forme 
proprie del volgar fiorentino, e comprovate coll’autorità dei più antichi 
scrittori in quel volgare. Ma era nostro proposito recare quelle sole, 
delle quali nelle poesie di Aldobrando ci rimanevano contrarii esempii, 
pei quali si dimostrasse come da lui fossero rifiutate , restituendosi in 
loro vece quelle che più si approssimavano alla ortografia della lingua 
latina, madre di quel volgare, ch'egli si era proposto di augere, expur- 
gare, ornare et expolire (Doc, N): importante innovazione, che, seguìta 
dai migliori fra i poeti suoi contemporanei , e poscia fra gli scrittori 
del secolo XIII e del XIV, venne a formare principalissima differenza 
tra i volgari toscani, e la lingua commune italiana. E che Aldobrando 
sia stato l’autore di questa innovazione, appare non solo dalle testimo- 
nianze de’ suoi antichi biografi, alle quali riescirebbe al tutto impossibile 
dare altra interpretazione, ma ancora dalla circostanza, che tuttora 
presso Gherardo, maestro di' Aldobrando, e stato, come le citate me- 
morie ne attestano, superato dal suo discepolo, troviamo tali forme del 
volgar fiorentino che poi furono rifiutate da Aldobrando , per esempio 
nigrigenza per negligenza, e pretosa per petrosa. 

69. Nè potrà dirsi, come molti tuttavia affermano, che queste mu- 
tazioni e trasposizioni di lettere, ed altre siffatte storpiature, sono bensì 
proprie del volgar fiorentino, ma soltanto di quello parlato dalla più 
bassa plebe, o dalla gente del contado; dalle persone colte essersi fatto 
e farsi uso della più retta forma, ricevuta oramai per commune con- 
senso nella nostra lingua. Bene è vero che oggigiorno le persone colte 
in Firenze sfuggono parlando siffatti modi; ma perchè allora essi parlano 
italiano, e non il volgare loro nativo. Non può d’altronde negarsi, che 
anche il volgar fiorentino presso le persone colte andò di mano in mano 
ed insensibilmente avvicinandosi (come, in vario grado, avviene a tutti 


1 volgari italiani) alla lingua scritta e commune d'Italia, anche presso 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 503 


queste persone tuttavia ritenendo molto della sua indole e delle forme 
native. Noi abbiamo tratto i nostri esempii non dal parlare del volgo 
fiorentino ; troppo più gravi o più numerose varietà avremmo dovuto 
addurre , e tali, che ne apparirebbe, essere il fiorentino più diverso 
dall’ italiano, che non parecchi altri volgari d’Italia: noi li abbiamo 
tratti dalle scritture di uomini colti, come già l’antichissimo Gherardo, 
e come i Malispini, il Villani, il Compagni, che appartenevano alle 
primarie famiglie di Firenze, ed erano saliti nel loro commune ai primi 
onori. Ed un assai maggior numero di forme volgari noi troveremmo 
nei loro scritti, se in molta parte non fossero state tolte dagli editori, 
e se gli autori stessi non avessero spesso abandonato negli scritti molte 
delle voci e forme, delle quali facevano uso nel loro parlare : tratti 
dall’ influenza , allora potentissima, del latino, che era considerato tuttora 
come lingua italiana pei differati, e per chi volesse scrivere, come 
dicevano, per grammatica; ed inoltre dall'esempio e dalla influenza 
grande già, quantunque poco avvertita, dei poeti e degli altri scrittori, 
che, abandonato il volgar fiorentino, cercavano di scrivere nél nuovo 
volgare italiano. 

70. Altri invece opporranno, che siffatte storpiature , in maggiore 
o minore quantità secondo la qualità delle persone, sono bensì proprie 
del volgare fiorentino parlato; ma che all’incontro le forme che sole 
oramai sono ricevute nelle scritture sono e furono usitate dagli scrittori 
Fiorentini, certo almeno dai migliori, fino dai primi tempi nei quali 
si cominciò a scrivere nella nostra lingua. Di buon grado ciò concediamo, 
anzi è appunto ciò che cerchiamo di dimostrare: che il volgar fiorentino, 
da Aldobrando e da’ suoi seguaci che l’adoperarono nei loro scritti, fu 
accresciuto, espurgato , ingentilito , in somma mutato in modo, che ne 
surse quasi un altro volgare; sebbene molti, anche a quel tempo, con- 
tinuarono a scrivere non in questa nuova lingua, ma in fiorentino e 
negli altri loro volgari municipali. Al più si potrebbe contendere, che 
anche a questo nuovo volgare debba darsi nome di fiorentino, dal vol- 
gare ond’è derivato. Ma a ciò si oppone l'intenzione dei creatori di 
questo nuovo volgare, molti dei quali non erano neppure Fiorentini ; 
ed Aldobrando quando cantava la battaglia di Legnano 


Di gran stante vittoria, 
Maggio non tornerà a Italia gloria; 


504 DI GHERARDO DA FIRENZE £ DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


è que suoi contemporanei, dei quali egli dice che 


Pianser la trista ancella, 

Fior non tacendo tanti laidi fatti 

Di vergogna e di pianto; 

E ad un membraro quanto 

Eternal gloria e onor ad essa adduce, 
A prodi onrevol atti 

D’onne guerrier e duce: - 


per certo intendevano parlare non nel volgare della sola Firenze, ma 
în quello di tutta Italia. — Vi si oppone inoltre, come sopra abbiamo 
veduto, l'autorità di tutti i più antichi infino a Dante, e quella di Dante 
medesimo, che costantemente appellarono questo nuovo volgare italico, 
e non mai fiorentino; vi si oppone finalmente la circostanza, che questa 
lingua non è per nulla, anche ora, più propria di Firenze o di Toscana, 
che non del resto d’Italia, nè ivi, per confessione degli stessi Toscani, 
meglio scritta o parlata. — Mentre adunque resta, a parer nostro, 
indubitato , doversi alla Toscana e particolarmente a Firenze l’onore di 
aver dato culla alla lingua nostra italiana, alla lingua di Dante, del 
Boccaccio, del Petrarca, e che questa ivi nacque dal volgar fiorentino, 
non in Sicilia (gr) nè in altra parte d’Italia: conchiudiamo per altra 


(91) Crediamo inutile di confutare la favola del Lucio Drusi da Pisa, riferita da PIERFRANCESCO 
GiameoLrari nel Gello (Firenze, 1549, pag. 132-137). Il Sonetto ch’ei riferisce sotto nome di Aga- 
tone Drusi ha al tutto l’aspetto di lavoro del secolo XVI; nessuno mai vide il codice antico, dove 
si dice leggersi quel sonetto; ed in ogni caso il grard’arolo di un contemporaneo di Dante non 
ci farebbe rimontare che al 1200 circa. Oltreciò, se tutti gli scritti di Lucio Drusi erano periti con 
lui, nè egli aveva lasciato opera d'inchiostro, come potè il suo pronipole asserire, che E di seztenze 
e d’amorosi detti e di dolcissime parole ei vinse e Dante e Arnaldo, e tutti i più pregiati di quella 
età? Ma sopratutto, nella condizione presente degli studii sulla formazione delle lingue neolatine, 
è manifesta la falsità dell’asserzione , che quel preteso Drusi i parlar sicilian giunse col nostro; 
asserzione che non ha altro scopo, fuorchè di conciliare il primato dei Toscani in falto di lingua, 
coll’opinione allora da tutti ricevuta, e ora pressochè da tutti rifiutata, che lingua e poesia ci sieno 
venuti di Sicilia. E più ancora dell’asserzione medesima, è assurda la spiegazione che se ne aggiunge: 
« Ma ditemi, come congiunse Lucio il parlar siciliano al vostro? Terminavano, rispose Carlo, 

que’ nostri antichi la maggior parte delle lettere per consonanti. ...... Et i Siciliani per l’op- 

‘2 posilo le finivano con le vocali....... Dicono adunque che Lucio, considerando la nostra pro- 
» nunzia et la siciliana, et vedendo che la durezza delle consonanti offendeva tanto l’orecchio , 
> quanto per voi medesimo conoscete per le rime de’Provenzali: cominciò, per addolcire et mili- 


î 


gare quella asprezza, non a pigliare le voci de’ forestieri, ma ad aggiungere le vocali nella fine 
> di tutte le nostre. Il che se bene per allora non piacque molto, se non a pochi: dopo la morte 


nientedimeno di esso Lucio, conoscendosi manifestamente la suavità et la dolcezza di tale pro- 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 505 


parte, che questa lingua non è una cosa medesima col volgar fiorentino, 
e che divenne ed è lingua commune italiana. 


71. Crediamo avere con incontrastabili testimonianze dimostrata 
l’antichità dei poeti italiani Gherardo da Firenze e Aldobrando da Siena, 
dei quali publichiamo le poesie, e ‘di Lanfranco da Genova, Bruno 
de Thoro da Cagliari, ed Elena di Arboréga ; e sotto un aspetto in parte 
nuovo, a nostro avviso, abbiamo trattato l’antica nè ancor risolta questione 
delle origini e della natura della lingua italiana. Resta ora che altri, o 
seguendo o combattendo le nostre opinioni e i nostri argomenti, e 
sopratutto prendendo a diligente e ragionato esame, e confermando con 
esempii tratti dai migliori testi, l’indole e le forme direi quasi carat- 
teristiche dei volgari toscani, e nominatamente del fiorentino, porti 
nuova luce alla questione, che certo è fra le più importanti per la 
storia ‘della nostra letteratura, come anche per definire l’indole e le 
forme legitime della lingua italiana. 


72. E qui dovremmo por fine a questa nostra dissertazione , se 
ancora. non ci restasse a rispondere ad una interrogazione , che da 
alcuni ci venne fatta, e che forse molti più ci faranno, al leggere questo 
nostro scritto: come mai per noi, contro la testimonianza di Dante, 
del Petrarca, e di altri antichi, e contro il consenso di tutti i moderni 
fino a questi tempi recentissimi, siasi potuta ammettere la sincerità di 
scritture italiane, alcune delle quali verrebbero a risalire ai primi 
decennii del secolo XII, e che quasi tutte, per pregio anche di lingua, 
oltrepassano la maggior parte di quelle del secolo seguente (92); e ciò 


» nunzia, cominciarono i Toscani a seguire la regola delta. Et non solamente nelle composizioni 
» rimate, ma nelle prose ancora, et nel favellare ordinario dell’uno con l’altro ». — A tutti è 

noto, e posto oramai fuor di questione, che le terminazioni per vocali ci vennero direltamente dal 
romano ruslico, e che perpetui esempii se ne trovano nei documenti dei tempi anteriori anche di 
più secoli al preteso Lucio Drusi. 

(92) È notabile a questo proposito il seguente passo del precitato Memoriale di ComitA DI ORRÙ, 
scritto circa l’anno 1271 (MARTINI, Appendice alla Raccolta, pag. 126): « Per sos quales ultimos 
» exemplos de ipsa lingua italiana, qui est multu bella, et pro causa de ipsos, pro confunder su 
» supradictu Misser Paulu, illi narrari bas, qui custa tale lingua de custos est multa plus pura 
» de culla qui hoe usatsi dae ssos poetas presentes de Italia, qui l’hant corrupta cum ipsos verbos 
» over parabulas qui hant inventadu et inferquidu pro accatari ssa rima; et eciam scrivent disa- 
» visadamente: pro ipsa quale causa ipsa lingua de hoe non est culla de su passadu, et in locu 

de meliorari hat pejoradu ». 


Senie II, Tom. XXIII. 64 


506 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


da noi siasi potuto asserire sull’autorità di manoscritti o supposti, 
dicono , o di dubia sincerità, e che perciò non possono far fede in sì 
grave questione, e contro tante antiche e nuove concordi testimonianze. 
— Noi invece non solo non abbiamo creduto dover dare principio a 
questa nostra dissertazione col dimostrare la sincerità delle carte di 
Arboréa, e dei due codici, Fiorentino e Senese, di Aldobrando ; ma 
neppur ora crediamo dover spendere parola su quest argomento. Per 
noì, che le cento volte abbiamo avuto fra le mani ed esaminate le 


carte di Arboréa, la loro autenticità è indubitata quanto quella dei più - 


sinceri antichi manoscritti. Fu lungo tempo qui dinanzi a voi, Signori e 
Colleghi, l'antica pergamena del secolo VII, contenente il ritmo in onore 
di Jaleto; e nessuno di voi ebbe ad opporre al giudizio della Commissione 
da voi nominata, che dopo maturo esame la dichiarava sincera (93). 
Fu parimente dinanzi a voi la pergamena del secolo XIII, contenente 
parte di una lunga lettera di Giorgio de Lacon, e in essa inserito appunto 
uno squarcio di una delle canzoni di Bruno de Thoro; e la massima 
parte di quella pergamena, con le cinque stanze della canzone, avete 
tuttora dinanzi agli occhi fedelmente rapresentata, nelle. stesse dimensioni 
dell’originale, in una fotografia di assai bella esecuzione : e quanti videro 
o la pergamena o la fotografia furono unanimi in confessare la sincerità 
del documento. Fu dinanzi a voi il codice Garneriano, contenente vite 
di antichi illustri Sardi; fu ed è tuttora dinanzi a voi il foglio conte- 
nente l’inno di guerra d'Ilfredico contro i Saraceni; e quanti fra voi 
li esaminarono, li dichiararono sinceri. E per venire a quello che più 
d'appresso ci riguarda , ho coi miei occhi diligentemente esaminato e 
collazionato i tre manoscritti di Aldobrando , e quello di Gherardo ; 
due di essi, il Fiorentino di Aldobrando, e il Cagliaritano contenente 
le poesie di esso Aldobrando e di Bruno de Thoro, ed inoltre la per- 
gamena del secolo XII contenente alcune poesie dello stesso Bruno, sono 
ora stesso dinanzi ai vostri occhi, e nessuno di voi mosse dubii sulla loro 
sincerità. Dichiaravala evidente ed incontrastabile anche un insigne filo- 
logo, il celebre Tischendorf, al cui esame , nel recente suo passaggio 
in questa città, sottoposi quei manoscritti (94). 


(93) Rapporto della Giunta Academica intorno alla Pergamena Sarda contenente un Ritmo storico 
del fine del secolo settimo; nelle Memorie della Reale Academia delle Scienzé di Torino, Serie II, 
Tomo XV, Parte II, pag. 305 e segg. 


(94) Ed il medesimo giudizio ne diedero i signori Cesare Guasti Segretario dell’Academia della 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 307 


In tale stato di cose non tocca nè a me nè ad altri di cercare di 
comprovare l’esistenza e la sincerità di manoscritti, che là sono a ma- 
nifestarla per sè medesimi a chiunque si faccia, ad esaminarli : spetta 
a chi li tenga per apocrifi, ad esaminarli accuratamente, a dimostrarne 
la falsità, e a rendere qualche ragione, se non certa, almeno probabile, 
almeno possibile, intorno all'autore o agli autori di quegli scritti, e 
del quando, dove e come quei numerosi manoscritti siano sorti in 
Sardegna, e i due di Aldobrando in Palermo. Chè a distruggere l’argo- 
mento proveniente dall'esistenza di quei manoscritti nelle varie biblioteche, 
e dalla testimonianza che della loro sincerità diedero quanti li esami- 
narono , è poca cosa o un sorriso di disprezzo, ovvero il dichiarare 
che quei manoscritti sono impostura sì evidente, che non ha d'uopo 
di essere dimostrata; nè punto ci muove anche l’asserzione, che odo 
da alcuni, che le notizie ivi contenute sono troppo nuove, troppo 
importanti, perchè si abbiano a reputare sincere. E quando leggo, per 
ésempio, in una recente d’altronde pregevole dissertazione di un giovane 
Tedesco sulle cose di Sardegna, che gli avrebbero fornito importanti 
notizie le carte di Arboréa, ma che non ne faceva uso, perchè quei 
documenti erano tutti nostris diebus ficta ac fabrefacta (95): non so se 


Crusca, Carlo Milanesi Professore di Paleologia, Dott. Francesco Grottanelli Bibliotecario della 
Biblioteca Communale di Siena, e Luciano Banchi Segretario del R. Archivio di Stato di Siena, ai 
quali, durante la stampa della presente Memoria, diedi ad esaminare la pergamena del secolo XII 
contenente poesie di Bruno de Thoro ,.la fotografia di quella del secolo XIII, e il codice delle 
poesie di Bruno e di Aldobrando. 

(95) « Quantum vero lucis obscuris istis Sardiniae temporibus inde a VII usque ad XI saeculum 
» afferrent membranae illae Arboreenses, quae Oristani nuper reperlae esse dicuntur, nisi adul- 
» terinae suppositaegue omnes essent habendae! » 

« Atque id primum confiteri debemus, arctissimo quodam vinculo omnia ista monumenta inter 
» se conjungi ; confirmatur alterum altero, quaeque in uno per se conspecta obscura manere possunt, 
» multam ex ‘altero lucem accipiunt; quam ob rem aut omnia sincera, aut omnia uno opere eadem- 
» que industria ficta ac simulata. Quod quidem, sicuti recte judicavit Martinius, saeculo XV vel 
» antea fieri non potuit, nimis enim difficile fuisset. Aliter res sese habet, postquam Mannus Sar- 
» diniae historiam confecit ». 

« Nos vero sine ulla dubitatione tam rhithmum illum Ihaleticum quam reliqua monumenta 
Arboreensia, quorum unumquodque una cum altero aut stare aut corruere necesse est, adbibitis, 
» auctis, exornatis, que Mannus et ceteri de Sardinia conscripserunt, nostris diebus — quid non 
mortalia pectora cogis, historiae sacra fames! — ficta ac fabrefacta esse contendimus ». 


> 


. De insula Sardinia, contentioni inter Pontifices Romanos atque imperatores materiam praebente , 
Corsicanae quoque historiae ratione adhibita. Dissertatio inauguralis historica, quam consensu et aucto- 
ritate amplissimi Philosophorum ordinis in alma litterarum Universitate Friderica Guillelma ad summos 
in Philosophia honores rite capessendos die XXII m. februarii a. MDCCCLXVI, %. XI, publice defendit 
auctor ALFREDUS Dove Berolinensis. Berolini, typis Lange; pag. 4, 30, 36. 


508 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


mi muova più a compassione la leggerezza colla quale pronunzia un sì 
riciso giudizio su documenti da lui non mai visti in originale, e della 
maggior parte dei quali non conosceva: neppure il contenuto ; o se più 
mi tragga a disdegno il vedere accusate. d’impostura persone insigni 
nelle lettere e di fama illibata, che quanti li conoscono sanno essere 
incapaci di farsi autori o complici di una tal frode. 

75. Reputerò non ultimo fra i frutti di questo mio lavoro, se con- 
tribuirà a richiamare l’attenzione dei dotti sulle carte di Oristano che 
si conservano nella biblioteca di Cagliari: chè sarà certo di vantaggio 
alla scienza, sia che alcuno pervenga a dimostrarne la falsità; sia che 
per questo esame, come è per me cosa indubitata, si faccia viepiù 
palese la sincerità di quella ricchissima sorgente di notizie, dai tempi 
anteriori alla dominazione dei Cartaginesi in Sardegna fino alla metà del 
secolo XV, dalle quali non solo nasce a nuova vita la storia di quell’isola, 
ma, come ora per mezzo delle poesie e delle notizie che publichiamo 
di Gherardo e di Aldobrando, si correggeranno molti errori e si riem- 


piranno molte lacune anche nelle altre parti della storia letteraria e 
politica d’ Italia. 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 509 


74. Resta che facciamo alcune parole intorno al modo da noi tenuto 
nel dare alla luce queste antichissime poesie di Gherardo e di Aldo- 
brando. Ed in prima dobbiamo avvertire il lettore, che niuna diligenza 
ci parve soverchia o troppo minuta, trattandosi di una prima edizione 
di antichissimi scritti, nei quali tutto può avere importanza ad illustrare 
le origini, l'indole e la storia della lingua e della poesia italiana. Nel 
dare il testo delle poesie abbiamo necessariamente dovuto sciogliere le 
abbreviature , numerose; ma generalmente non difficili, che s'incontrano 
nei manoscritti, e particolarmente nel Cagliaritano e nel Fiorentino ; 
abbiamo disgiunto le parole, scritte spesso di continuo e congiunte in 
una sola nei manoscritti; o congiunte le sillabe di una stessa parola, 
ivi disgiunte, od appiccicate alla parola seguente o alla precedente ; 
abbiamo aggiunto le apostrofi e i segni d’interpunzione, dei quali 
nessun vestigio è nei nostri codici; nel resto, e pel testo e. per l’orto- 
grafia, abbiamo fedelmente espresso la scrittura dei manoscritti , non 
allontanandoci da essa in alcuna cosa anche leggera, senza avvertirne 
in nota il lettore. 

In quelle fra le poesie di Aldobrando che si leggono non nel solo 
Cagliaritano, ma anche nei manoscritti Fiorentino e Senese , abbiamo 
notato tutte le varianti anche leggere, e quelle di semplice ortografia , 
o dovute a manifesto errore del trascrittore. Le sole varietà delle quali 
abbiamo creduto bastante fare qui cenno sommario, senza tenerne conto 
a ciascun luogo nel riferire la scrittura dei manoscritti, sono le seguenti: 

1° Il codice Cagliaritano suole porre la sigla della voce latina et 
invece della particella italiana congiuntiva e, anzi alcuna volta perfino 
invece del verbo è; alcune rare volte ha let per e anche il Senese. 
Noi riteniamo costantemente la vera scrittura e coll’autorità del codice 
Fiorentino; e ciò tanto più, in quanto la misura del verso dimostra bene 
spesso la verità di tale lezione, della quale d'altronde troviamo esempio 
nello stesso codice Cagliaritano, e che è confermata dalle due antiche 
pergamene, l’una del secolo XII l’altra del seguente, contenenti versi 
di Bruno de Thoro. 


» 


510 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


4° Molta inconstanza e varietà trovasi e tra i varii codici, ed in 
ciascuno con sè medesimo, nell'uso delle consonanti doppie; la doppia 
è frequentemente omessa, sopratutto nel Fiorentino. In quelle poesie 
di Aldobrando, che si leggono nel solo codice Cagliaritano, siamo stati 
in ciascun luogo fedeli al manoscritto ; anche nelle rimanenti poesie 
abbiamo in ciò principalmente seguito il Cagliaritano, col quale per lo 
più concorda il Senese. Che in ciò la scrittura del Fiorentino sia dovuta 
a solo arbitrio di copista, ce ne persuade , oltre altri argomenti, la 
circostanza, che talora di varie voci corrispondenti per rima vi è in 
alcuna conservata la doppia, in altre omessa. 

3° Finalmente dobbiamo avvertire, che alcune rare volte nei mano- 
scritti è tralasciata la lineetta sopra i parole, indicante l’omissione di 
alcuna lettera, e nominatamente della n. 

Ogni altra diversità anche leggera che si troverà tra la lezione nostra 
e quella dei manoscritti, o dei varii manoscritti fra loro, verrà da ‘noi 
annotata. E ciò tanto più abbiamo creduto di dover fare, in quanto il 
consenso quasi costante del codice Cagliaritano cogli altri due, prove- 
nienti, come abbiamo notato, da un altro originale di Aldobrando, ne 
fa certa testimonianza, che, e pel testo medesimo e per l'ortografia , 
la scrittura del codice rapresenta fedelmente quella dell’autore; il quale 
a sua volta sembra che anche nell’ortografia procedesse non a caso, e 
con assai meno varietà ed incostanza, che non fecero la maggior parte 
degli scrittori dei secoli prossimi seguenti. E qui giova avvertire, che la 
scrittura dei manoscritti che riproduciamo è quasi sempre italiana e 
conforme alla pronunzia, e non foggiata alla latina, come in quasi tutte 
le scritture della seconda metà del XIV e in quelle del XV secolo. È 
già da parecchi fu avvertito, che la scrittura dei manoscritti italiani del 
principio del secolo XIV ed anteriori è assai meno latina e più sincera, 
che non quella dei tempi prossimi seguenti. 

75. Laddove le poesie di Bruno e di Aldobrando, sì nei manoscritti 
Cagliaritani come nel Fiorentino e nel Senese, sono scritte da persona 
accurata ed intelligente, sì che gravi o frequenti errori non fanno dif- 
ficile la restituzione del testo: quel Didaco di Milia da Villa di Chiesa 
(Iglesias), al quale dobbiamo la raccolta di poesie che ci conservò la 
canzone e i sonetti di Gherardo, pare fosse al tutto ignaro della lingua 
italiana , o almeno per certo, che delle antiche ed oscure poesie che 
trascriveva di Gherardo non intendesse sillaba. Quindi la divisione delle 


DI CARLO BAUDI DI VESME OLI 
parole quasi sempre errata, e fatta, ben può dirsi, a caso; lettere tras- 
poste, non infrequenti gli errori di scrittura, e sopratutto le lettere 
simili, come n ed w, c e £#, ad ogni tratto scambiate; omessa costan- 
temente la lineetta sopra le parole, destinata a tener luogo di alcuna 
lettera sottintesa. À queste difficoltà si aggiunga la minutezza dei caratteri 
quasi. svaniti, e l'oscurità del dettato dell’antico Gherardo: e ben pos- 
‘siamo dire che ha del maraviglioso, come il Pillito abbia potuto deciferare, 
e con rara abilità emendare ed interpretare, almeno in parte, questo 
prezioso monumento di poesia italiana. Diamo adunque la canzone e il 
terzo sonetto di Gherardo secondo la lezione del Pillito. Il quale non 
essendo finora riescito a deciferare i due primi sonetti, abbiamo tentato 
noi medesimi di darne la lezione; ma fallimmo nel tentativo; sì che ci 
parve quasi miglior consiglio omettere quei due sonetti del tutto. Ci siamo 
infine decisi a conservarli, nella fiducia che pur questo nostro infelice 
abozzo possa essere di qualche ajuto a chi dopo di noi si accinga, 
con maggiore ingegno e fortuna, alla restituzione di queste antichissime 
e difficili poesie. Affinchè tuttavia possa ognuno tentare di esse tutte 
quella diversa lezione od interpretazione che reputi migliore, diamo a 
fronte dei pochi tratti restituiti la lezione del codice, quale potemmo” 
ritrarla, con tutti i suoi errori; e per soprapiù ne rappresentiamo l’intera 
imagine in un facsimile tratto dal Pillito, col confronto del manoscritto, da 
una fotografia circa due volte e mezzo maggiore dell’originale. — Quindi 
per le poesie di Gherardo non reputiamo necessario di indicare, come 
facciamo per quelle di Aldobrando, ogni qualvolta la lezione ricevuta si 
scosta da quella del manoscritto; potendo ciò scorgersi col confronto del 
testo originale, che riproduciamo , col testo corretto. 

76. Alle poesie di Gherardo per la loro oscurità, e alla canzone 
maggiore di Aldobrando, sì perchè in alcuni luoghi alquanto oscura, sì 
per la grande sua importanza storica, aggiungiamo una parafrasi in prosa; 
alle altre poesie ci parve bastante apporre alcune note, a spiegazione dei 
passi più oscuri. Parecchie di queste sono tratte dall’edizione che del- 
l’intero codice Cagliaritano aveva preparato il Martini nell’Appendice alle 
Carte di Arboréa; edizione che, rimasta imperfetta per la morte del- 
l'Autore, viene proseguita e sarà fra breve condotta a termine dall’Autore 
della presente Memoria: queste annotazioni verranno distinte col nome 
del Martini. Perla canzone e pel terzo sonetto di Gherardo la spiega- 


zione è in gran parte tratta dalle annotazioni, che riproduciamo, del 


Sita DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


Paleografo cav. Ignazio Pillito. Le voci oscure o disusaté che si trovano 
in queste poesie di Gherardo e di Aldobrando verranno raccolte in fine 
ed interpretate, ed, ove occorra, confermate di esempii, in un Glossario. 

Oltre il facsimile intero, del quale sopra abbiamo parlato, della pagina 
contenente la canzone e i tre sonetti di Gherardo, diamo abondanti 
facsimili dei varii manoscritti che contengono poesie di Bruno de Thoro 
e di Aldobrando: ossia della pergamena coeva contenente alcune poesie 
di Bruno de Thoro (vedi sopra, $ 21 e 37); di quella del secolo XIII 
contenente parte della sua canzone a Preziosa (S 21 e 36); e dei tre 
manoscritti cartacei del secolo XV, il Cagliaritano, il Fiorentino e il 
Senese. Fu nostra intenzione con ciò, non solo di porre sott'occhio in 
quale forma nei varii manoscritti si leggano queste antiche poesie, ma 
sopratutto di viepiù dimostrare l’antichità e la sincerità dei manoscritti 
che le contengono. 

77. E qui non sappiamo astenerci dal chiudere questo nostro scritto 
col rinnovare il voto che più sopra facevamo , che non solo si rivolga 
l'attenzione dei dotti sugli antichi monumenti che qui publichiamo , e 
sulle numerose e importanti questioni che li riguardano; ma che nomi- 
natamente, da persone che prendano i manoscritti ad accurato esame, 
venga in modo certo, e che precluda la via ad ogni dubio o controversia 
per l'avvenire, dimostrata o la falsità, ovvero la sincerità e l’importanza, 
delle carte di Arboréa, e con esse dei. manoscritti Fiorentino e Senese 
di Aldobrando. 


CANZONE E SONETTI 


GHERARDO DA FIRENZE 


Serie IL Tom. XXH_II. 


514 CANZONE E SONETTI 


Qualche rera fere voi cha jcutate 
uro mal seco euoler biuco eourare 
E de sider nisague 
pcui simore elague 
Pghero eso noecal disuare 
dto odesi di ragio un solo face 
e date tal chemesti 
sono cati coueti 
Cele oure no mster uicor eueto 
pte solsta taupio euaiero LI 
baroe ema snadiero 
isenaue citrii magioini chesti 
li fiori racatar se meza atica 
ese pan confuso acuta guisa 
che magio n sidica do 


(31) 


INTERPRETAZIONE 


Qual richiesta alle fiere! Voglio ch'attutiate (*) i vostri mali sen- 
timenti , e brutte opere e volontà, e desiderio di sangue, per cui si 


(*) Di questo oscurissimo passo ho ammesso la lezione e l’interpretazione del Pillito ; quantunque 
appieno non mi persuada; ma non mi se n’offerse altra più probabile. 


Annotazioni del Pillito 


(1) Qual richiesta alle fiere! (2) Voglio ch’attutiate. (3) Instinto. (4) Preghiera. (5) Che 
divarii. che muti. (6) Le cose dette, cioè il mal istinto, voler brutto, ecc. (7) Intendasi : dirò. 


(a, 
hi 
(Sad 


DI GHERARDO DA FIRENZE. 


CANZONE 


Qual cherer a fere!' Voi’ ch’aitutate * 
Vostro mal sento 5, e voler brutto e ovrare, 
E desider di sangue, 
Per cui si more e langue. 
Preghero ‘ esso non è tal disvare ® 3 
Detto °. Onde sì diraggio un solo fate, 
Ed a te tal”, che mesti * 
Sòno ?, canti, conventi ‘°, 
Cele, ovre, non mister", vittor e venti *, 
Per te sol sta, taupino e vaniero ', 10 
Barone e masnadiero ‘“, ; 
In Sena, ’ve ” ti crii ‘’. Ma giorni chesti 
Li Fiori '* racatàr '? semenza antica, 
E separan confuso ?° a tutta guisa, 
Che maggio non si dica **, SS 15 


muore e langue. Questa non è preghiera tale da variare ciò ch'io dissi; 
onde sì dirò un solo fatto, e tale : che in Siena, dove ti fai grande, 
per te stanno mesti musica, canti, adunanze, gli scherzi, le opere e 
il riposo, 1 vincitori e i vinti ; il tapino e il vanitoso , il barone e il 
masnadiero. Ma in questi giorni Firenze racquistò l’antica semenza , e 
in ogni maniera separa ciò che confondesti, acciò che più non si dica, 


(8) Misti. (9) Suono. (10) Convenzioni. (11) Non mestiere , cioè ozio, inerzia. (12) Vincitori 
e vinti. La rima dimostra che nell’originale leggevasi vezti, non verto. (13) Tapino e vanitoso. 
(14) Cavaliere. (15) In Siena, ove. (16) Dal verbo criare, creare: ti decanti. Così costruireì 
questo periodo: Che in Sena ove ti crii Barone e Masnadiero, per te sol, tanpino e vaniero, stan 
misli suono , canti, conventi, celie, ovrare, non mister, vittor e vinto. (17) Ma questi giorni; 
ma oramai. (18) Intenderei Firenze. (19) Raccattarono, rivendicarono, (20) Ciò che hai confuso 
(21) Affinchè più non si dica, non si ripeta. 


CANZONE E SONETTI 


(91) 
a 
(©») 


u cuto i uolsti boe mala uisa 

malo porto rime e dio a te dao 

Cechi amister pesero for i cede 

eran purore prede 

oita adira agiusto ver luifao 20 
amicie ogi unque asento 

Edi spiageza lora 

Onela borecosa 

poi tuto foe aduto a sperdi meco 
machedo leredin verchifai dolia 
ala mete n fose gia ria uolia 

tal laurador da lumileno trice 
paga tomala ratro ez apamira 
laso inoire sui sudorme sdice 
mani gri geza giano polo adira sa 
chetua necel chapa apro uedeza 

edarse uol noi trar nubi nemiche 

uluom suo pa mediche 

edoe gual se meza 

doque meo o lupo gai metara cata sa 
ptosa e ratacal cui cadu cesti 

efor guisomi sueturamata 


vo 
(SI 


come tu ogni cosa, e bene e male, involvesti, ponesti insieme, a talento. 
Ma il rimedio apportato è a te di danno; che chi intende ad alcun 
ministero senza darsene pensiero, e prende rame per oro puro, a buon 
diritto gli amici e chiunque ha senno gli fanno onta e gli si volgono 
a sdegno; ed allora ogni lavoro ed ogni cura gli torna a dispiacere, 
poichè tutto riesce a sperdimento. Ma a che dolerti, o di chi si duole 
la tna mente, se già non fosse della tua ria volontà ? Tale il lavoratore, 


(22) Mentre tutto involgesti, confondesti. (23) A tuo talento. (24) Ma il rimedio porto (dai Fiori) 
fu ate dannoso. (25) Mestiere. (26) Fuor pensiero. (27) Spiegherei: che chi si accinge a un’opera 
spensieratamente. (28) E prende rame per oro puro. (29) Onta. (30) Chiunque. (31) Senno. 
Cioè : certamente promuove l’onta e lo sdegno degli amici, e di chiunque ha senno. (32) Dispia- 
cenza, dispiacere. (33) Ogni lavoro, fatica. (34) Cura. (35) Poichè. (36) Addotto, condotto. 
(37) Ma di che dolerti? (38) E contro chi ti lagni ? (39) Contro la tua mente (se già non 


DI GHERARDO DA FIRENZE. 


Vi 
4 


U’ tutto involsti ? bon e mal a visa ”. 

Ma lo porto rimedio è a te danno ” ; 

Che chi a mister”, pensero for ?, intende ?’, 

E ram pur oro prende ?, 

Ointa © ed ira a giusto ver lui fanno 20 
Amici, e ogni unque ’ ha sento; 

E dispiagenza * lora 

Onn’è labor # e cora #, 

Poi #* tutto foe addutto * a sperdimento. 
Ma che doler ”, ed inver chi fai dolia * 
A la mente, non fosse già ria volia # ? 
Tal lavrador ‘° dall’umile notrice “ 

Pagato mal ‘, aratro e zappa mira 

Lasso! in noire #, e sui sudor mesdice “:; 
Ma nigrigenza ‘ già non ponlo ad ira, so 
Ch° è tua ‘’, nè Cel ch’'ampera a provedenza ‘7, 

Ed arse * vol noi # trar nubi nemiche °°, 

U’ l’uom suo pan mendiche. 

Ed onne qual * semenza. 

Donque, o meo Lupo, gaimentar © a tanta sò 
Pretosa 5 e ratta * cal * cui t’adducesti, 

E for guis’ onne °° misventura manta ”, 


19 


at 


mal pagato dall’umile commune nutrice, la terra, mira, lasso! con noja 
aratro e zappa, e maledice i suoi sudori; ma non si adira contro la negli- 
genza, che è pure la tua colpa, nè contro il cielo che comanda di essere 
providenti, e che lottiamo contro le arse nubi ch'ei manda nemiche ai 
raccolti, sì che l’uomo ottenga colla preghiera e colla fatica il suo pane, 
ed ogni altro frutto della terra. Dunque, o mio Lupo, non devi tragger 
guai a motivo del sì pietroso e ripido sentiero, e per le molte sventure 


fosse contro la tua rea volontà). (40) Così l’agricoltore. (41) Dalla terra. (42) Mal corrisposto. 
(43) Noire, con noja. (44) Maledice. (45) Così, per negligenza. (46) Intendasi la negligenza. Qui 
rimprovera la negligenza usata dall’individuo di cui parla. (47) Con provvidenza. (48) Aride, 
secche. (49) Vuol a noi. (50) Costruiscasi: e vuol trar (trarre, mandare) a noi arse nubi nemiche. 
(51) E qualunque altra. (52) Rammaricarti. (53) Così, per pietrosa. (54) Ripida. (55) Calle; 
in genere feminino. (56) E for onne guisa, cioè oltre ogni modo. (57) Grande disventura. 


5:18 CANZONE E SONETTI 
no dei nefo micio auisar foruia 
chebecu ifedi contra rio sia 
Para mico credo mai festi 

noi acosi gliche spme copta 
euita atore corta 

tuofa loe dogua malo la uradore 


sedi spiacete foecuo labore 


40 


ciusdem G."“ de florecia 


e gravi oltre misura, nelle quali tu medesimo ti sei condotto. Nè mi 
fo a notare ciò fuor di proposito; che bene io credo che colui che sia 


(58) Nè fommiì ad osservar ciò fuor di proposito. (59) Costruirei: che è ben cui crede sia 


contrario fedel amico parer, cioè: che ben sta a chi crede d’essergli contrario un parere 


DI GHERARDO DA FIRENZE. 


DI 


Non dei. Nè fomi ciò a visar for via ”; 

Che ben cui fedel contrario sia 

Parer amico, credo ° manifesti 40 
Noj’ °° a consigli che spermento ° porta, 

E vita a core © torta *. 

Tuo fallo è donqua, malo lavradore, 

Se dispiacente foe tuo labore. 


Ejusdem Gherardi de Florencia. 


avverso ad un parere amico e fedele, manifesti no]a a consigli dettati 
dall’esperienza, e da una vita tormentata da cure. 


Tuo fallo è dunque , o malo lavoratore , se ingrato riescì il tuo lavoro. 


sincero e leale. (60) Noja. (61) Sperimento, esperienza. (62) Dalle cure. (63) Tormentala, 
consumala. 


(Sai 


CANZONE E SONETTI 


Chi piagedo pche meo mico fio 
e tassa general cor meo speciale 
e dotta sal macolta asol diuio 
e compiaca talmore epoi r j uale 
Juol ce sie color mal musio 
ecom pia chetri scira rue di suale 
edi a ver luomo docco si uicio 
also no dalo aloueo sicotale 
ad esor brar che dujo legerioso 
ora tra graue scue raggio emesto 
acuo color e auisa dirdo gljoso 


..ale do rata i ferta che fu questo 


onnagio uia doglorifa mipeoso 
talche ua ...bo fa lo merto presto 


eiusdem G." de florecia 


10 


‘DI GHERARDO DA FIRENZE, 921 


SONETTI 


Chi piangendo perchè meo ’mico fino, 
E tassa general cor meo speciale, 
E dotta salma tolta a sol divino, 
E com pianta tal more, e poi rivale. 


I color sino 
E com disvale 
E dia ver l’uomo, dotto, si vicino 
AI lo veo sì cotale 

Ad 


Ora tragrave sì verraggio, e mesto 

A tuo color, e a visa dir doglioso. 
Quale dorata infertà che fu questo, 

Onn’aggio via doglior fammi penoso, 

Talchè va .. bon fa lo merto presto. 


Ejusdem Gherardi de Florencia. 


Serie II. Tom. XXITE. 66 


I 


CANZONE E SONETTI 


Sidoear rulio guaue mori rassa 
via (0 vra) ou aie a penado dlIcioso 
dadegri ser uoi tuo chegia p assa 
Al imo seude i ueresa el gioioso 
Acola mico la s io doglia etassa 
gran uo chicio riseuto tuon 0joso 
Ahi di sagiaza sua e mea pur tuassa 
ma gio siaffritto pi alcome poso 
Sicin pcaa moricor pte slugiare 
pari a contrati togielche al sicotada 
chemor a Alcide raspadiuare 
viagel ora ed auilo mio sada 
p uol eresso puco desiare 
mate chiereo lordor te maco agrada 


” 


eiusdem G." 


(#13 


10 


DI GHERARDO DA FIRENZE. , L D2 
II. 
Si. . 
Vostra . penando dolcioso 
Da . i | che già passa 
AI .giojoso 
A doglia tassa 
Gran i fuo nojoso 


Ahi di saggianza tua e mea 
M°aggio sì affritto, pari al come poso. 


Se in perta amor .in cor per te slungiare 
ada 
Che mora Alcide are 
Vi sada 


Per voler esso punto desiare; 
Ma te chier’eo lordor, te manto agrada. 


Ejusdem Gherardi. 


U? 
[S) 
da 


CANZONE E SONETTI 


Com tebo saue ilmeo cheardo i guerra 
mei avisi olo tuo chi torquelore 
chefor perta lo gioco e besi serra 
piacete nome dl cuobo seniore 
talche com saui eninesta terra O) 
chechi aude sola rouetar tutore 
sciele magio dichido ge e derra 
so veco inesto e date or rato onore 
ealatua bela evertual Preciosa 
vercui giatesi for giove niagara iù 
similsomise chiquesto mecosa 
epoiora misicria agui sarara 
medi vertu edam orintu gioiosa 
tazo di lecco eada senar mi para 


ejusdem G." 


Come a te pare buono il mio CHE ARDO IN GUERRA, io ravviso ancor 
migliore il tuo Cai rorque L'orE; che lo scherzo è senza danno, e in 
esso ben si racchiude il piacente nome del tuo buon Signore. Sicché 
come avviene in questo mondo, che talora chi ode diventa più dotto 


di chi insegna ed erra : così io son vinto in questo, e tua è la lode 


Annotazioni del Pillito 


1) Come a te piace. (2) È chiaro chie il poeta accenna a giuoco di parole da lui formato sul 
proprio nome, cioè da Gherardo, ardo in guerra. (3) Meglio io ravviso. (4) Questo simil giuoco 
di parole fu appunto usalo da Bruno de Thoro nella canzone in lode di Preziosa, ove disse Chi 


le ore... torque per indicare il nome di Torcotore o Torcolorio marito di Preziosa. ‘5) Senza 


DI GHERARDO DA FIRENZE. 525 


III. 


Com te bon save ' il meo - CHE ARDO iN GUERRA È -, 
Mei avis’io * lo tuo - CHi TORQUE L’ORE ‘ -; 
Ch’è for perta * lo gioco, e ben si serra 
_ Piacente nome del tuo bon Seniore °. 
Talchè, com s’avien in esta terra, 5 
Che chi aude ? sol ® aroventar ? tuttore *° 
Sciente maggio di chi doge" ed erra, 
Son vento ‘ in esto; ed a te orrato onore "i. 
E a la tua bella e vertual " Pretiosa,. 
Ver cui già ’ntesi for * gioveni a gara, 10 
Simil ‘ somise ‘” chi questo me cosa *. 
E poi ora mi si cria '?: a guisa rara, 
Mendi, vertù ed amor in tu’ giojosa 
Canzon diletto, ed assennar mi para ?°. 


Ejusdem Gherardi. 


e l'onore. E per simil modo chi mi è cagione di ciò (Torquitore) sog- 
giacque alla tua bella e virtuosa Preziosa, della quale i giovani già furono 
accesi a gara. È poichè ora mi si crea l’occasione, dirò , che nella 
giojosa tua canzone difetti, virtù ed amore, tutto mi diletta in guisa 


rara, e m'insegna a far senno. 


perdita. (6) E ben vi si ratchiude, vi si spiega, il nome piacevole del tuo buon Signore: cioè 
lo stesso Torcotorio II, Giudice di Cagliari. (7) Chi è discepolo. (8) Suole. (9) Addiventare. 
(10) Spesso. (11) Più sapiente di chi insegna. (12) Sono in ciò vinto. (13) Ed a te solo è dovuto 
l’onore. (14) Virtuosa. (15) Furono. Di cui già invaghironsi. (16) Similmente. (17) Sottomise. 
(18) Colui che mi causa, che diede origine a queste rime, cioè Torcotorio. (19) Crea. (20) E poichè 
ora mi si offre, devo dirti, che piaccionmi oltremodo quelle mende, quelle virtù e quegli amori, 
dipinti nella tua graziosa canzone, che mi si presenta ad insegnamento, 


526 CANZONE E SONETTI DI GHERARDO DA FIRENZE. 


IV. 


Albor (1) ch'a te me stringe snaturato 
Scolar nesciente di meo sento punto 
Da te dispar in che si vuol legato 
Nè legge meglio che sia l’uom disgiunto. 


. 


Esso scolar nè a legger pensa e dato 3 


Che tal punto di scriver già fu giunto, 
E sì lo cumplo u’ dole meo senato (2) 
Torna gran gio)? da tal sozor unto. 


INTERPRETAZIONE DEL PILLITO (3). 


Amore snaturato che a te mi stringi, non sapendo io qual sia la 
mia fine (oppure, incerto io dell’avvenire), intendo distaccarmi (4) da 


‘ te, dissentendo in ciò che torna a legame; nè vi è miglior legge (stato) 


per l’uomo che il celibato, che l’esser libero sciolto da legame. 


hf 
gla 


giunto il momento di scrivere in tal modo; è così appunto, lo compio, 


Nè pensi che tale mio distacco sia detto di leggieri, perchè è 


acciò, se prima era unto da tal sozzore, ora dal mio senno (ossia da 
questo mio divisamento) ne torni gran gioja. 


(1) Così il codice; il Pillito emenda Amor. 

(2) Così il codice; il Pillito emenda w’ de lo meo sennato. 

(3) Da MARTINI, Appendice alla Raccolta, ecc., pag. 179. 

(4) Questa significazione del verbo scolare, qui, ed altrove presso Bruno de Thoro, il Pillito 
appoggia coll’autorità di Fra Guiltone, Sonetto XLYIT, verso 8. 


® 


CANZONI E SONETTI 


ALDOBRANDO DA SIENA 


527 


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DI ALDOBRANDO DA SIENA. 529 


CANZONI 


1. Come veglio guerrier, che ver primi anni 

- Del fior del tempo suo all’armi addutto 

(Ch’uom bailito da vil ozio è brutto, 

E maggio ove sua patria ange ad affanni), 

Della penosa dolce sua moliera 5 
Slungiato vane, e poi A 
Vist ha battaglie e suoi 

Fedeli campioni parte arcisi e presi, 

U? corpo salva, per manti anni e mesi 

Lungo i monti, e i boschi, e fiumi, e piani, 10 
D’onne poso, non fera, 

Stae privo, transe (e tali a prova dico 

Fatti me prossimani); 


f. Come vecchio guerriero, che condotto all’armi in sui primi anni 
del fiore di sua gioventù (chè brutta cosa è l'uomo in preda ad ozio 
vile, e sopratutto quando la sua patria è travagliata e in affanni), se 
ne va lungi dalla afflitta dolce sua moglie, e poi ch’ ha visto battaglie . 
e parte de’ suoi fedeli compagni uccisi o presi, quando gli avviene di 
scampare la vita, per molti mesi ed anni sen va errando lungo i monti 
e i boschi e i fiumi e i piani, e più di qualsiasi fiera sta privo di 


ogni riposo (e in prova dico fatti tali, che a me sono vicini); ma 


Canzone I. Gonservataci da tutti tre i codici, Cagliaritano, Fiorentino e Senese ; ma nel 
Fiorentino la prima pagina, che contiene fino al verso 3 della stanza 4, è svanita in modo, 
che in molta parte è d’impossibile lettura. 

Stanza £, verso 1. Come. Così i codici Fiorentino e Senese; Como il Cagliaritano. — 
v. 5. dolce. Il cod. Cagl. forte; vedi il Glossario a questa voce. — v. 12. dico. Il cod. Cagl. 
dice; contro il senso e la rima. 


Serie II. Tom. XXUI, i 63 


s. 


170D. 


(Sai 
(GS) 
te) 


CANZONI E SONETTI 


Ma ’Ifin pace tornando e arbitrio antico 

Alla goleata terra , De 
U° lieto il porto afferra, i 
Sua car fedel moliera, 

A vecchiezza già ’ddutta 

Non ad età, ma strutta 

A misagi, ad affanni, e noja, manti a 
Penosi dì menando | 

Inver corrotti e pianti, 

Che non di donna appar già che figore, 

For onne gioja ch’ ha la perta priso, 


U’ giojoso l’abraccia e corpo stringe, DO 
Sue forze aver gli è viso, 

Suo poder ritemprar e spirto e core. 

Con amanza la baccia 

Ed altra fiata abbraccia, 

Nè da essa, in cui intende, si distringe: di 


alfine tornando pace e l'antica libertà alla desiderata sua patria, allorchè 
lieto afferra il porto, mentre giojoso abbraccia la cara sua moglie fedele 
) 510] 5 7 
e la stringe al seno, già tratta a vecchiezza non dalla età, ma consunta 
le 20 5 2 
dai disagi, dagli affanni, dal tedio, e dai molti penosi giorni passati 
l'oJali9) D 2 2 to) 
nel corrotto e nel pianto, sì che priva di ogni gioja, toltale dalla 
perdita sofferta, già più non sembra che abbia figura di donna: gli 
pare riavere le antiche forze, e ritemprare il suo vigore, e lo spirito , 
e il cuore; con amore la bacia, e più fiate l’abbraccia, nè sa staccarsi 


eni suo affetto : 


da lei alla quale è rivolto 0g 


V. 47. meliera. Il cod. Cagl. molizre; male, poichè deve rimare con fiera, v. 141. — 
v. 20. misagi. Reputo assolutamente vera questa lezione dei codici Fior. e Senese; il -Cagl. 
ha miserie. — v. 24 e 22. Così dapprima aveva opinato doversi distinguere questi due versi, 
e così difatti ha il cod. Senese; negli altri due sono scritti di seguito, come un solo verso. 
— v. 25. figore. L'antico scrittore del cod. Cagl. aveva scritto figora, ma poi corresse figore, 
e così hanno anche gli altri due codici. — v. 24. ch’ha. Il cod. Cagl. che ha; gli altri due 
cha. — v. 27. core. Il Cagl. cuore. 


DI ALDOBRANDO DA SIENA. 531 

2. Cos io, poichè per manti anni muto, 

Nè posso vergognar, rimasi, ahi lasso! 

Da poi le fraterne ire in onne passo 

Di questo loco a onranza già tenuto, 

i le discordie consumanti, e li odi 3 

Ver cittadi germane, 

D’onne lausor assempro inver le strane, 

Non da matrigna già ma madre sorte. 

Unica che d’onor fu onrata forte: 

E la vendetta di Lotar tiranno, . 10 

Quando con altri prodi 1 

La possente Pavia, di miei parenti, 

Già fu stagione, scanno, 


Chiusero lui le porte; e le seguenti ©. 10. 
Vili brighe a membrare, o 

Non tosco invidie amare, 

E aitre miserie, e male spergitore 

{E taccio meo, ch’a sciente F. 1°, col. 
Oltra è dir sofferente), 

D’orror tragran m’ han priso, e sovrappiena 20 


2. così io, poichè rimasi per molti anni muto (nè posso averne 
vergogna, poichè, ahi lasso! le fraterne ire in ogni parte di questa 
‘erra già tenuta in pregio, e le discordie che tutto consumano e gli 
l 5 Plesso, Ss 
odii fra cittadi sorelle, che già alle città straniere furono esempio 
d'ogni opera lodevole, e che nacquero non da matrigna ma da madre 
che fra tu fu onor v ll regio ; la vendetta « iranno 
he fra tutte f ata e avuta in pregio; e la vendetta del t 
Lotario, quando la possente Pavia, luogo d’onde, già è gran tempo, 
vennero i miei genitori, congiunta ad altri prodi, chiusero a lui le 
porte; e le seguenti brighe di vile ricordanza, e invidie amare che 
non è sì amaro il tosco, e altre miserie e male distruggitore; e taccio 
il mio proprio, che a chi Jo conosce per prova il parlarne è troppo 


doloroso: m'hanno preso di grandissimo orrore, e ricolma l’anima, 


Stanza 2. verso 20. orror. Il cod. Cagl. error. 


to 


(Oy) 
VI 
N 


CANZONI E SONETTI 


L’alma, la mente e il core, 

E già secca onne vena: 

Fi calamo stemprato e il polveroso 

Meo libr’ abbraccio, non già como pria, 


Ma con dottante mano, como porta ca 
Ad uomo veglio sia; 

Con grande gioia e voler car amoroso, 

Non possente valere, 

Poi è obedir mistiere. 

Ma simmi, o Cola meo, fedele scorta. _ fi3-90 


ò. Canterò denque, ch’obedir amico 
È bon, cherente in questo dì tragrande, 
E d’onrevol onor a Italia grande. 
Nè merto alcun abramo, poi, che dico 
Ver tuo saver è neente, e men anco ora, ne 
Che manti già trovaro, 
Me deredan lasciando. E forse caro 
In campo fora entrar, dispari in forza; 


la mente el cuore, e già inaridita ogni vena di poesia): poichè è mestieri 
obedire, stringo ora la penna stemprata e il polveroso mio, libro; 
sebbene ciò faccio non già col vigore antico, ma con mano tremante, 
come si conviene ad uomo che sia vecchio; con grande ‘gioja e con 
grato amoroso volere, ma con deboli forze. Ma sii a me tu, o. mio 
Cola, fedele scorta. 


ò. Canterò dunque ; che buono è obedire l’amico, che di ciò mi 
richiede in questo giorno grandissimo, e grande all’ Italia di fama ono- 
rata. Nè bramo di ciò mercede ; poichè ciò che dico è un nulla a petto 
del'tuo sapere: ed ora meno che mai, che molti già poetarono, lasciando 


ame l'ultimo luogo. È forse caro costerà l’'entrare in campo, essendo 


V. 27. gioia. Il cod. Senese gioj. 
Stanza 3, verso 3. onrevol. Il cod. Cagl. onrevole. — v. 5. anco ora. Il cod. Fior. 
ancora, ossia ancora. 


b) 


(©14 
DI 
DI 


DI ALDOBRANDO DA SIENA. 


Ma tu, meo Cola, meo intelletto sforza. 

Ma, lasso! che diraggio, o acerescer valgo, 10 
A quantessi tuttora i 

Con lausor, prode, e più valenza degna, 

A cui fior eo non salgo i 

E men vicino, han detto, onde le regna, 

Le cittadi e castella ta 
Creber lor fama bella? i 

Che già, com lor talenta ed estro assegna, 

Pianser la trista ancella, 

Fior non tacendo tanti laidi. fatti 

Di vergogna e di pianto;  , DI) 
E ad un membraro quanto 

Eternal gloria e onor ad ess’adduce, 

A prodi onrevol atti 

D’onne guerrier e duce, 

For fallo, ver servato. Onde. tacere do 
Me porta, loco alcono non parando, 

U’ mea lingua temprar. Ma ’Icona cosa 

Già chero dir trovando, 

Poi rimanendo me d’ingrato fere, 


impari in forza; ma tu, o mio Cola, afforza il mio intelletto. Ma, lasso! 
che dirò? o che posso io aggiungere a quanto dessi già hanno detto 
con lode, utilità e valore più degno, ai quali io non-salgo, anzi neppur 
mi avvicino, onde i regni, le citiadi e le castella accrebbero la bella loro 
rinomanza ? Che già come loro aggradiva, e l'estro loro insegnava , 
piansero la trista ancella, punto non tacendo tanti laidi fatti di vergogna 
e di pianto; e insieme, senza errore, e fedeli alla verità, rammentarono 
quanto di onore e di eterna gloria arrechino ad essa le prodi azioni 
onorate d'ogni guerriero e duce. Mi sento perciò tratto a tacere , più 
non trovandomi dinanzi luogo alcuno, dove esercitare la mia lingua. 


Ma pur voglio dire alcuna cosa poetando, poichè rimanendo in silenzio 


Y. 42. prode. Il cod. Fior. prod. — v. 22. ad ess'adduce. Il cod. Cagl. ad essa adduce. 


STAN: 


È 


ib, col. 1. 


534 CANZONI E SONETTI 
- Ch'esso slungi meo core, i 30 
E possanza d’amore; 
Chè render deggio a te mercè amorosa. 


i. Alcona cosa donque vo cantando, 
_Tuttochè a alcon contrar; ma como il core, 
E coscienza mi spinge, e dritto, e amore 
Di vertà, men a fiore disusando 
Che da rispetto tragga o da paura, 
Non fatti già crescendo, 
Ma lodato a gran guisa ripetendo, 
Como s’addice a bon figliol amante: 
Ch'uom non dicendo stancar deve, e mante 


l'rovar ragioni di sua terra a proe;: 19 
E chi per vil rancura, 

Ben conoscendo o lausor onne, tace, 

È snaturato, e soc 

Nesciente, spurio, cui savere spiace, 


L'orto suo maldicente, 


incorrerei taccia d'ingratitudine, e che questa allontani da te il mio 
cuore e la possanza di amore; chè a te, mio Cola, devo rendere mer- 


cede amorosa. 


4. Vo adunque cantando alcuna cosa, sebbene ad alcuno sia per 
riescire contraria; ma come mi spinge il cuore, e coscienza, e giustizia, 
e amore di verità, contando meno che nulla tutto ciò che provenga da 
rispetto o da paura, non accrescendo i fatti oltre il vero, ma ripetendo 
altamente le lodi meritate, come si conviene ad un buon figliuolo 
amante; chè l’uomo non deve stancarsi di dire, e di trovare molte 
ragioni a pro’ della sua terra; e chi conoscendo alcuna cosa buona 


o lodevole, tace per vile rancura, è snaturato, e (il so) ignorante, 


Stanza 4, v. 5. rispetto. Il cod. Cagl. respetto. — v. 9. figliol. Il cod. Cagl. figliolo. — 
v. 12. o: Male il cod. Fior. a. —.v. 44. spurio. È omessa questa voce, con manifesto errore , 


nel cod. Fior. 


vi 


(6) 
DI 


DI ALDOBRANDO DA. SIENA 


Matto, ragiono, e neente. 
‘ Laudi donque eternali al Re di Sione, 
in cui sol è possanza; 
Che punir tiene a usanza 
Con mortal guerre ov’'è tragrave offeso, DU 
Ed esse poi compone, 
A pia mercede sceso, 
Degli eserciti Dio, padre amoroso. 
Simil, posto a pietanza a nostro pianto, 


Questo gaudioso giorno sì abramato, 29 
Di grande onore e santo, 

Addusse, ahi providenza! noi giocoso, 

For onne nostro merto; 

Così mostrando certo, 

Che como grava solve ad un peccato. sO 


3. E a simil guisa inver LEGNAN sovvenne, 
U’ inchinati a’ suoi pie’ gl’ Itali figli, 


spurio, nemico del sapere, maldicente i suoi natali, matto (com’ io 
argomento), e uomo da nulla. 

Sieno dunque lodi eternali al Re di Sionne, in cui solo è possanza, 
e che è uso punire con guerre mortali colà dove è troppo gravemente 
offeso; e queste guerre poi compone, sceso a pietà di noi, Dio degli 
eserciti, padre amoroso. Per simil modo, tratto a pietà dal nostro 
pianto (ahi providenza!), ci addusse senza alcun nostro merito queso 
lieto giorno tanto desiderato ; così mostrando evidenteinenie, che come 


aggrava la mano, così scioglie dal commesso peccato. 


5. E per simil guisa. sovvenne a Legnano, dove inchinati a’ suoi 
piedi i figli d'Italia, fidando in lui nei pericoli contro l’esercito fiero 


V. 16. ragiono. Così 1 codd. Fiorentino e Senese, e così deve leggersi; vedi Glossario, 
alla voce ftagiono. Il cod. Cagl. ha ragione. — v. 27. Addusse. Nel codice Senese è lasciato 
vuoto lo spazio di. questa voce. 

Stanza 5, v.4. E a. Il solo cod. Fior. A. — v. 2. suoi. I codd. Fior. e Sen. sui. — gl’Itali. 
Nel Fior. manca. l'articolo. 


S_171b. 


(ce) 


536 CANZONI E SONETTI 
In lui fidando inver provar perigli 
Coll’esercito fier che vicin venne, 
Imploraron vittoria a umil cherere 
Sur lo struttor delle cittadi onrate, 
A dritto lui negate. 
Poi, tutto bon, ver dritto già sapendo, 
Forte ardor e valore 


n 


Lor benevol crescendo, essa concesse; 10 
Di cui, sì como intendo, 
Foe frutto dolcior, tracarca messe n 


Esta tregua e ver poso, - 
Ch’ in questo dì giojoso 
Con piacente piacer e gioia gaudiamo 1o 
Con allegranza tutta, 

Non mente ad altro addutta 

(Chè gaudere è ragion poi noje tante); 
Ed essa pur mietiamo 

Dalle corali e sante 

Belle alliganze, e più dalla corale 
Onorata concordia d’amore, 


\ 


20 


che loro si fece incontro, umilmente domandando imploraron vittoria 
sul distruggitore delle onorate città, a dritto a lui negate. Poichè Iddio, 
tutto bontà, ben conoscendo il giusto loro diritto, accrescendo in essi 
forte ardor e valore, benevolo concesse essa vittoria, della quale, sì 
come intendo, fu frutto dolcezza, e messe abondante questa tregua e 
vero riposo, che in questo lieto giorno festeggiamo con soave piacere 
e con gioja, e con intera allegrezza, nè mente ad altro distratta, ché 
è giusto rallegrarci dopo noje tante; e la medesima abondante messe 
di tregua e riposo mietiamo parimente per l’ajuto delle sincere e sante 
belle alleanze, e più per la sincera onorata concordia d’amore, che 


V. 6. ciltadi onrate. Il cod. Fior. citadorrate. ossia cilad’orrate. — v. ‘8. dritto. Male il 
cod. Cagl. diritto. — v. 9. ardor. Meglio così i codici Fior. e Sen.; il Cagl. ardir. — 
v. 14. sì como intendo. Il Fior. e il Sen. si com’ intendo. — v. 42. dolcior. Così il Cagl., ed 
altrove anche gli altri due codici, i quali qui hanno dolzior. — v. 45. gioia gaudiamo. Il 
Fior. gioî guadiamo. — v. AT. ad altro addutta. Il Fior. ad altro a addulta. 


DI ALDOBRANDO DA SIENA. 55 


—l 


Ch'al trafer fu d’orrore, e d’ardimento 

AI generoso core 

Di tutti prodi e città sorte. Ahi! tale DÒ 
Dogliosa vien membranza, 

Ch’ inver nulla costanza 

Null’atto onne tornò, ma perdimento. 


6. Nè rimango laudando di coraggio 
Voi, car, gentili, e prodi di prodezza, 
Onrati duci, che con fier fortezza 
Non mai pensata, e senno ad altr’ uom maggio, 
Menaste la battaglia, e universale 
Di gran stante vittoria, 
Maggio non tornerà a Italia gloria. 
Laude pur tengan somma ed eternale 
Quei nobili campion di valor forte, 
Ch’a vendicare lor misera sorte i 
E coral amarezza , in camp’ entraro 


(Shi 


© 


inspirò orrore a quel fierissimo, e ardimento al generoso core di tutti 
i prodi, e delle città insorte. Ahi! con qual dolore ci rammentiamo , 
che per difetto di costanza ogni nostra azione tornò vana, e valse a 
perdimento. 


6. Nè rimango dal lodare di tutto cuore voi cari, genuli, e valoro- 
sissimi duci onorati, che, con fiera fortezza oltre ogni credere e con 
senno senza pari, guidaste la battaglia, e l’universale grande vittoria , 
della quale non altra recherà all’Italia gioria maggiore. Somma lode e 
perenne abbiansi pure quei nobili campioni di forte valore , che, a ven- 


dicare la misera loro sorte, e i dolori ond’era amareggiato il loro cuore, 


Stanza 6, v. 3. Onrati duci. Così il cod. Fior.; Guerrieri e duci il Cagl.; nel Sen. è 
lasciato vuoto lo spazio della prima parola, e poscia si legge e duci: onde sospettiamo, che 
nell'originale Palermitano si leggesse dapprima come ha il cod. Cagl., e poscia, cancellato 
il Guerrieri e, l'Autore vi sostituisse la migliore lezione conservataci dal cod. Fior. Vedi 
Memoria, $ 23. — v. 7. non. Male il Fior. no. — v. 441. coral..... camp. Il cod. Cagl. 
comale o. cUMPO. 


Serie II Tom. XXIII. 68 


535 CANZONI E SONETTI 


Contro quel infernale 

l’ero dragon brutale, 

D'onne distruggitor essa in stagione; 

E tanti aitri cui caro do 
D° Italia il lume foe da terre alcone. 
Voi pure, alme beate, 

Ch’ inver lo ciel vagate, 

Da quel lucioso ed eternal beliore 
Dhe! gioite, gioite, 

E a letitia venite 

Con noi vostri figlioli, che qua giuso, 
Vostro imitando amore, 

Leggi e diritti conservando od uso, 
Infra crudeli pugne, e morti, e danni Di 
Fuor alcona dottanza ognor ausanti 

(Ch’ausar è proezza inver estremo punto, 

Quanto villan dottanti, 

Siccome storia dae e fatti ed anni), 

Gloriosi alfin vincemmo, i 
E giocondi ottenemmo 

Vostro desiato a finimento giunto. 


US) 
(Sì 


entrarono in campo contro quell’ infernale fero dragone brutale, distrug- 
gitore a quel tempo di ogni cosa; e tanti altri, ai quali da alcune terre 
fu caro lo splendore d’ Italia. E voi pure, anime beate, che vagate nel 
cielo, da quel luogo risplendente e di eterna bellezza, deh! gioite, 
gioite, e venite a parte della letizia con noi vostri figlioli, che qua 
giuso in terra, imitando il vostro amore, conservando le nostre leggi, 
e i diritti, e le nostre consuetudini, senza timore alcuno fra crudeli 
pugne e morti e danni, ed ognora ardimentosi (che a chi è in estremo 
pericolo, fosse pure timoroso quanto villani, l'ardire torna a pro'; e la 
storia ne addita gli esempii e i tempi), gloriosi alfine vincemmo, e 


giocondi oltenemmo giunto a compimento ciò che voi desideravate. 


V.AT. Voi pure. lì Cagl. Voi pur. — v. 24. e. Manca nel Cagl. — v. 29. Siccome. 
Il Sen. Siccomo. — ‘ed ‘anni. Tutti tre i cod. scrivono e danni. — v. 32. desiato. Il Sen. 
disiato. — giunto. Male il Fior. giusto. 


DI ALDOBRANDO DA SIENA. 539 
7. E di voi a catun, prodi guerrieri, 
Laude pur vegna, che col nobil sangue 
Contro i ladron e più venenos’angue 
Vendicando onoraste 
Questa nodrice di bon cavalieri, > 
Cui onque null’ invidia è dell’antico; 
E noi questo bon poso preparaste, 
Vostro sudato noi gustando frutto 
Di gioja, d’allegranza, e dolcior tutto. 
Ed a te pur lausor maggio dar deo, (0 
Papa ALEssANDRO, che como grandezza 
A nome membri in te e dessa proezza, 
Grandemente operasti, a viso meo 
(Ch’ognunque aprova saggio che ’nde dico); 
Onde Magno in te vale, i La 
E tal sei magno, e via maggio che tale: 
Magno di pie vertù, magno di cuore, 
U’ regna benvoler, giustizia, amore; 
Ch’a lasse membra tutte questo poso 


7. E lode pur venga a caduno di voi, o prodi guerrieri, che col 
5 ’ È 5 9 

nobil sangue contro i ladroni e più velenosi serpenti, vendicando onoraste 

questa Italia, nutrice di buoni guerrieri, e che per nulla non ha ad 

invidiare le antiche sue glorie; e a noi preparaste questa buona quiete, 

onde noi gustiamo il frutto dei vostri sudori, frutto di gioja, d’allegrezza 

e di ogni dolcezza. 

Ed a te pur debbo dare lode maggiore, Papa ALessanbro, che come 
col tuo nome rammenti grandezza e prodezza, così ora grandemente 
operasti, a mio parere (ed ogni saggio approva ciò che ne dico); 
onde bene ti sta l’appellazione di Magno, e tal sei magno, e viemaggiore 
che tale: magno di pie virtù, magno di cuore, nel quale regna benvoler, 


Stanza 7, v. 2. col. Il cod. Fior. di. — v. 10. maggio. Il cod. Fior. magior. — v. 12. 
membri in te. Il cod. Sen. membr'in te. — e dessa. Così il cod. Sen. e il Cagl.; edessa il 
Fior., onde può leggersi anche ed essa. — v. 43. operasti. Così il Cagl.; i codd. Fior. e 


Sen. operaste. — v. 47. vertù. Il cod. Fior. virtù. 


C. 


13) 


540 CANZONI E SONETTI 


Nel tuo cuore abbramato, 20 
Provido e più pietoso, 

Trattasti, e ti fu dato 

Di speciale onoranza, 

Di gioja e d’allegranza 

A onrati patti ed utili e sennati, 
Che tuo savere degno, 

Fuor decedente ingegno, 

Con discrezione tutta ha mercantato; 
Di cui ne vanno grati 

Gli agnel ch’adduci al prato: SI 
Po’, in senno tuo fidati, 

Speran pace proceder perpetuale, 

Ch’a fatti di dolcior smenta onne male. 


19 
(ST 


8. Dhe! tn trabeato e santo, a Deo secondo, 
Suo mirador a mondo, 
D'onne vertude assempro 
(Nè ben mea lingua tempro, 
Chè disval, te laudando, debil pondo): 5 


giustizia, amore; e che provido e più pietoso procurasti alle lasse 
membra tutte questo riposo bramato nel tuo cuore, e lo conseguisti 
a patti onorati ed utili e prudenti, in ispecial modo onorevoli, e appor- 
tatori di gioja e d’allegrezza, i quali la tua degna sapienza, con molto 
senno e senza frodolento inganno, ha mercantato ; del che ne vanno 
grati gli agnelli che guidi al prato, poichè, fidati nel tuo senno, sperano 
sia per succedere perpetua pace, che coi dolci suoi frutti faccia dimen- 
ticare ogni male, 


8. O tu Beatissimo e Santissimo, primo dopo Dio, e suo specchio, 
sua imagine, in questo mondo, esempio di ogni virtù (nè a degno suono 


accordo la mia lingua, chè in lodarti vengono meno le deboli mie forze): 


V. 22. fu. Così i codd. Fior. e Sen.; il Cagl. foe. — v. 23. speciale. Il Sen. special. — 
v. 27. Fuor. Il Cagl. For. — v. 30. ch’adduci. Il Cagl. che meni. 


ì 
ES 


DI ALDOBRANDO DA SIENA. 


Infra la santa tua benedizione 

Ne tien, ed òra, mai tornar fra noi 

Antica briga, ahi! grave aonita offesa, 

Ma le citadi e suoi 

Perseverare a bon contro il volpone, "0 
Odio e tosco slungiando, 

Ma a comun bon pugnando, 

Non a loro dannaggio, ma difesa 

Di dritti universal; poi saggi sanno, 

Lasso! non division dar può che danno. 15 
Ma infra cittadi tutte la sorbella 

Dolce mia patria Sena a te plusore 
Racomandar diletto, poi anch'ella 

Tegn’ essa via ch’ adduce a ver onore, 
Fuor cui è disvalente onne altra onranza, 
È tristizia allegranza, 

È villania tenuta onne prodezza, 

È laidire ferezza; 

Ma tutt’esto vertù coroni e amore. 


ro 
iS 


tienci sotto la santa tua benedizione, e prega che mai non facciano 


ritorno fra noi le antiche discordie e le ahi! gravi aborrite offese, ma 


5 
che le cittadi e i loro cittadini perseverino a bene contro la vecchia 
volpe, allontanando da sè l’odio e il livore, onde combattere a commune 
vantaggio, e a difesa dei dritti di tutti, e non a danno l’uno dell’altro; 
chè i saggi ne insegnano, lasso! che dalla divisione non può venire 
che danno. Ma fra tutte le città godo in raccomandarti principalmente 
la bellissima dolce mia patria SienA; poichè anch'essa siegue quella 
strada che conduce a vero onore, fuori del quale ogni altra onoranza 
è senza pregio, l’allegrezza è tristizia, ogni prodezza è tenuta quasi 
villania, e la fortezza come cosa brutta. Ma presso noi tutto questo 
sia coronato da virtù e da amore. 


Stanza 8, v. 12. Ma a comun. Il Sen. Ma comun. — v.1A7T. Sena. Il Sen. Siena. — v. 20. 
Fuor cui. Il Senese For cui. — altra onranza. Il Cagl. altronranza, cioè altr’onranza. 


Sì 


TOT 


342 CANZONI E SONETTI 
9. A te, meo Cola, esta canzone invio, 
Di nullo pregio, tuttochè a vertate. 
Che dove tu’amorosa bonitate 
Ad un parar agrati tuo e mio, 
Catun prega tener me compatuto; 
E di’, ch’onde pagare 
Tuo cherere gentil, ha me paruto 
Sol dar che tengo, e trare 
Che meo coraggio intende; e pensa mente. 
Ma salvala, se m’ami coralmente, o) 
Dal tarlo non, che certo, 
A mendo tutto e sòno disvalente, 
Suo è sol degno merto; 
Ma dai nemici, ch'a essa più aontando, 
Vendicheran del caro tuo ALpogranpo. 3 


(3,4 


9. A te, o mio Cola, invio questa canzone , di nessun pregio in sè 
medesima, ma nella quale si dice il vero. Che se l’amorosa tua bontà ben 
vorrà tenere nel medesimo conto il tuo e il mio, prega che ognuno 
mi tenga per compatito ; e di’ che, onde sodisfare la gentile tua richiesta, 
mi parve di dover dare la sola cosa ch'io tengo, e trar fuori ciò che 
sente il mio cuore, e pensa la mente. Ma, se m’ami di cuore, salva 
questa mia canzone, non già dal tarlo, che è la sola cosa che meriti, 
per le molte mende onde è ripiena e per difetto di armonia; ma dai 
nemici, che accumulando contr essa le onte, si vendicheranno del caro 


tuo ALpoBRANDO. 


Stanza 9, v. 2. tuttochè a vertate. Così il cod. Cagl.; tuttoch' a vertate il Fior. e il Sen. 
— v. 3. tu amorosa. Il cod. Sen. tua umorosa. — v. 4. parar. Il Sen. pare; lezione non 
ispregevole, ma da non accettarsi contro il consenso del cod. Cagl. col Fior. — v. 9. pensa 
mente. Male il cod. Cagl. pensumento. — v. 11. non. Il Fior. no; lezione da rifiutarsi pel con- 
senso degli altri due codici nella lezione non, e perchè nel cod. Fior. s’ incontra lo stesso 
errore a st. 6, v. 7. — v. 13. sol. Manca nel Cagl. — v. 414. ch'a essa. Il cod. Cagl. che a essa. 


DI ALDOBRANDO DA SIENA, 


II. 
Parva scintilla inver ceneri ascosa, C. 13b 
o TARDA COMO 
Che disaccorta ancella, di 


A mirador intesa, ad amadore, 
O magio aitro follore, 

In zambra obriò, sì che scopiando ardente, 
Grave incendio possente 

Adoventa in stagion, for onne paro S. 1735 
Cui pianse uom suo caro: 

Ad essa assembro la corale amanza 
Ch’a vostra gente usanza 10 

E vertù chiare, non è sol lucioso, 
Ho nel core nascoso 

Già gran stagion, ma ch’onne via celare 
E rinchiusa menare 

Più non sono in possanza, poi, com’essa, LE 
Fiamma tragrande spessa 

Adoventando, m’arde gran desio 
(E siami bon dir mio) 

Di mostrarlo inver fatti onne stagione, 
A bon dritto e ragione, 1 Su 

E a tutta guisa tenga in mio potere, 
E cape meo valere. 

Ma che faraggio, o tengo valimento 
Di far? Lasso! spavento, 

Signor, far voi gradiva cosa e degna; 
Che meo volere ingegna, 


Gt 


19 


(SH 


Canzone II. Anche questa si trova in tutti tre i codici; ma nel Cagl. i primi 17 versi 
per un’antica macchia sulla carta sono in parte pressochè illegibili — v. 5. <ambra. 11 Cagl. 
ciambra. — v. 11 sol lucioso. Il Sen. solucioso. — v. 18. Cioè: e valga il vero; e sia data 
fede alle mie parole. — v. 21. a. Il Cagl. în. — mio. Il Sen. meo. — v. 26. meo. Il Cagl. me, 
ed è lasciato vuoto lo spazio dell'ultima lettera mancante. Il senso è : il mio volere m’inganna; 
che più una cupa selva non inganna un viatore inesperto, che abbia smarrito la vera via. 


544 CANZONI E SONETTI 
Non cupa selva a non viator esperto, 
C. 14°. Da vera via deserto. 
Però mercede almen a sperar aggio 
Dal vostro bon coraggio, 30 
Sa promessa non ben acconcio fatto , 
E disfaccio già fatto. 
Ma s’in me alcon valer, Signor, trovate, 
Miei disider usate; 
Ch’a voi servendo è mia onrata sorte, sa 
Rica e pretiosa forte, 
Non auro a rame ed esso a plomo stae: 
Poi me credenza dae 
Meo servir voi, bon Signore, agrata, 
Nè parvenza disgrata; do 
S. 1742. Che bon sete, prudente, e saggio sommo, 
A cui sì alto sommo 
Altr’ uom non sale. E qual trovar paraggio 
D’uomo prudente e saggio ? 
Voi coltando le scienze e onne savere © 
Che porta all’uom valere, 
Ed acquistando beni e onne riccore, 
Fama ed onrato onore, 
Già non obriaste il bon che maggio vale, 
Non finito, eternale; 30 
Chè con mante limosne e a largo dare, 
Ed onne bon ovrare, 
F. 3>, col. 1. Acataste eternal bon, celestiale , 
For cui bon tutto è male: 


V. 34. S'a. Il cod. Cagl. Se a. — v. 33. s'in me. Il cod. Cagl. se în me. — valer. Così il 
cod. Sen.; gli altri due vfer. Il senso è: se trovate in me cosa che vaglia, fatene uso, 
com’ io desidero. — v. 23. rame. Il Fior. ram. Intendi: grandemente ricca e preziosa; che 
tanto non è l’oro a paragone del rame, o questo a paragone del piombo. — v. 41. prudente. 
Il Fior. prudent. — v. 43. Altruom. Il Cagl. Altrom. — v.47. Ed acquistando. Così il Sen. ; 
E acquistando il Fior.; Ed aquistando il Cagl. — v. 49. il bon. Il cod. Cagl. el bon. — v. 59. 
chi a. Così il Cagl.; cha il Fior. e il Sen. 


DI ALDOBRANDO DA SIENA. 545 


Chè mal fa chi, a curar mondane cose, So 
Neente per l’alma pose, 
E, a bestia par, onne carnal desire 
For pensier d’aitro gire. 
E tempo voi teneste più dell’oro 
Ver e ricco tesoro, go 
Nulla perdendo in laide cose o vane, 
Da vera via lontane, 
Ma tutto a comun bon tuttora usando, 
Dolci frutti fruttando 
Ad opere, a consigli, a pietà vera, dA 
Nè esso non prode pera: 
Sì che non voi della vigna padrone 
Chere d’ozio ragione. 
Or del fellon ArnaLpo già vicina 
Prevedeste la ruina, n0 
E manti pur toglieste all’infernale 
Sentina d’onne male, 
Che folle fra le fiamme, ahi membranza! 
Tutta purgò fallanza; 
Ch’assegnaste vil legno in gonfio mare 
Gran follore varcare, 
Poi di sue mante merci al grave pondo 
Volto ne vien al fondo: 
E grav’esso avea l’alma di gramezza, 
E d’onne vil brutezza. 80 
Este son le vertù vostre più mire, 
Ch’accendon meo desire 
Amando e voi servendo, bon Signore, 
Con car corale amore. 


aL] 
ar 


V. 57. Qui va sottinteso, dal verso precedente, il verbo pose. — v. 60. Ver. Il Gagl. 
Vero. — v. 641. Nulla. Male il Sen. Nullo. — o vane. Bene così il Fior. e il Sen.; 
il Cagl. omette 0. — v. 69. — lultora. Il Fior. e il Sen. tultore. — v. 65. a pietà. Il Sen. 
et pietà. — v. 73 e 74. ahi membranza! Tutta purgò fallanza. Nel cod. Cagl. si legge 
Tutte e fallanze; e lo scrittore mutò membranze dove dapprima aveva posto membranza. 
— v. 80. brutezza. Il cod. Cagl. laidezza. i 


Serte II Tom. XXIII. 69 


S. 


174, 


546 CANZONI E SONETTI 

Esta Canzone donque voi presento, 85 
Tutto ch’a stil disconcio e disvalente , 
A voi non confacente. 
Infra speranza sammi avere attento 
Venga usato da voi lo bon servaggio, 
Che v’offre meo coraggio; 
Onde voi non, cui dirlo è strano, el mondo 
Sappia esto amor meo ver voi profondo. 


90 


V. 86. Tutto ch'a stil. Il cod. Cagl. Tuttochè a stil. — v. 90. v'offre. Il cod. Fior. vi 
offre. — v. 92. esto. Il cod. Cagl. este. — meo. Nel cod. Cagl. meo è aggiunto da mano 
posteriore , la stessa che scrisse la seguente breve notizia biografica su Aldobrando. 


DI AIDOBRANDO DA SIENA. 547 


III. 


f. O pietosa Maria, mar di conforto, c. 60. 
Che nostra fragil nave, 
Inver onde agitata, a bono porto 
Ne adduci al lume di fidata stella; 
Ahi! pietosa e sorbella 5 
Gioja nostra giojosa, 
Madre bona amorosa, 
Da me, tuo figlio, dhe! recivi un Ave, 
Tutto men dolce e gradivo di quello , 
Che suavemente esciva dal pur ore Lu 
Dell’Angelo Gabriello, 
Magno e fedel messaggio del Signore, 
Lo gran mister del Verbo te nunciante, 
Che, lo Spirto divino cooperante, 
Nascer dovea dal verginal tu’ amore. 15 


2. Ave, del Verbo Madre immacolata, 
Sopra tutti eminente, 
La più felice, giocondosa e beata; 
Poi fin dall’orto fosti la più pura 
Innocente creatura, > 
Di privilegi piena, 
Di gratie viva vena, 
Sicomo a Madre dell’Onnipossente. 
Per te dal più fatal eternal danno 
Campati fummo, e addutti a miglior via, 10 
Nostro tollendo affanno; 
Chè Madre e Redentrice sei, MARIA, 
Soffrendo in cuor, se in corpo non li senti, 
Flagelli, spine, chiodi, e più tormenti 
Del Figlio tuo in sua passione ria. 


(ti 


Canzone IN. Conservataci dal solo codice Cagliaritano ; vedi Memoria, $ 29. 
Stanza 2, v. 8. Sottintendi : sì conviene. 


549 CANZONI E SONETTI 
5. Ave, ave, degli Angeli regina, 
Nel ciel forte onorata, 
Poi onne spirto e santo a te si china; 
Chè como lor donasti Redentore , i 
Essi te laude e onore, u 
Venerazion, diletto, 
Sommession e respetto. 
Oi como fra tutt’essi sei esaltata! 
Oh como al tuo lucior tutto ciel luce! 
Non è certo lo sol a esta terra, i 
Lorchè l’empie di luce, 
Poi della notte le tenebre serra. 
Oh com’ a destra del Divin Figliolo 
A onranza siedi, e sì vicino, solo 
Mercè gli cheri a chi nol serve ed erra! lo 


4. Ave MARIA possente, ave advocata 
Dei peccator, e spera 
Dell’alma nostra a carne tribolata , 
Dei deboli difesa ed aitoro, 
Degi° infermi restoro, 2 
Dei poveri riccore, 
Degli afllitti dolciore, 
Grato conforto e più allegranza vera. 
A me donque, el più misero e dolente, 
Infra perigli dona forte schermo, 10, 
Sì che ’nde sia vincente, 
E guarenza amorosa a corpo infermo; 
Onde, lavato da onne ria laidezza, 
S'accenda lo meo cor di tua purezza, 
Te servendo e tuo Figlio a voler fermo. do 


5. E lorchè avvien che parta da esta vita, 
All’alma mea dottante e perigliosa 
Contr’ al fatal nemico porgi aita. 

Si che giunga alla gloria tua giojosa. 


Stanza 8, v. 1. degli Angeli. Il cod. deglangeli. — v. 10. cioè: Non è certo sì lucente 
lo sole ecc. Vedi Glossario, alla voce Non. 


E/ 
DI ALDOBRANDO DA SIENA. 949 


IV. 


i. La lingua del serpente, como è scritto , 
Parte mette di tosco inver sè piena, 
Che, lorchè frange in mordendo, essa 
Nel sangu’ello diffonde dell’afflitto: 

Così la lingua di quell'uomo pena 

In disfamar altroi, nè fiore cessa 

Di mesdir, como appena si discioglie 

Ad onta del fratel parlando e danno 
Tutto dolce, pian, soave ascoso inganno 
A parole piacenti e più gioconde, DU) 
Che nel malvagio cor tenea nascoso, 

Nè più trovava poso, 

E del miser onranza infetta e fama, 

Queta facendo brama 

Di veder aonito e ad altri scherno, io 
Talento rio d’inferno! 

Suo prossiman infra mestitia e doglie. 


(Ir 


2. Con fina ipocrisia finge el fellone 
Del suo fratel coral parlar fra amici, 
Fallanze sue già rimembrando ovrate, 
Non da odio mosso, ma da compassione. 
Ah ipocrita vil! como ciò dici? 3 
S’accontra compassion fuor caritate? 
Ma se di te cal poco, com calere 
D’ello ti puoi, di cui laidisti onore , 
E vil rendesti, onor e fama fuore? 
Ma nè coi tal, ch’ascoltan tuo mesdire, 10 
Poi caritate avire. 


Canzone IV. Anche questa canzone e le due seguenti ci vennero conservate dal solo 
codice Cagliaritano ; vedi Memoria, s 20. 
Stanza 1, v. 10. Dopo questo verso manca un settenario colla rima in onde; ma siccome 
il senso corre, rimane incerto se l’omissione si debba al poeta o al trascrittore. 


170. 


550 CANZONI E SONETTI 


x 


Ben donque è detto, e pur catun consente, 

Che del vil mesdicente 

La lingua è lingua terza: sua impiagando 
Coscienza, e via piagando i do 
Di mortal colpo, non è acuto strale, 

Cui guarenza non vale; 


Tal disacorto sè poi altri fere. 


5. Laidendo appresso fama del fratello 
A detti amari di rancura pieni; 
E le oreglie di tutti gli ascoltanti 
D’essi infettando. Ma altro pur di fello; 
Che laude già sommette certo tieni 
Lo più caro fra sui amici manti, 
E tal sè chiama già fedel campione. 
Ahi! lupo d’agnel lane vestente; 
Ah! traditor e fero can tacente, 
Che non disviando calli a maldicenza, LO 
O smentendo fallenza, 
A viso, a moti e più mostra approvare, 
Quanto dura ascoltare 
Ad onta dell’amico e sperdimento. 
Ma com tal rio talento US 
Coi segni accorda di coral amore, 
Che lui mostra tuttore, 
O col dolce e aggradivo suo sermone? 


(31 


Stanza 2, v. 14. Lingua terza, qui vale lingua trifida o. triplice; e manifestamente vi 
si allude all'antica opinione, che tale fosse la lingua del serpente. È detta triplice quella del 
maldicente, perchè fa triplice ferita, ossia 1° impiaga la coscienza del maldicente di mortal 
colpo, peggiore di quello di acuto strale, e contro cui non vale rimedio; come avviene a chi 
disaccorto fere sè medesimo dopo aver ferito altrui; 2° ferisce la fama del fratello con detti 
amari di rancura pieni; 3° e con essi infetta le orecchie degli ascoltanti. 

Stanza 8, v. 4-7. Senso: Ma vi ha altro che pur sente di scelerato; perchè occulta 
ogni lode di certuno che tu reputi il più caro fra i molti amici di chi ascolta, e come tale 
si chiama suo fedel campione. MarTINI. — v. 9. In alcune parti d’ Italia chiamano Lraditore 
il cane, che morde prima di abbajere. — v. 10-14. Che non iscostandosi dalla strada della 
maldicenza, nè dimenticando , intralasciando , il fallire, cogli sguardi, coi modi, e con ogni 
mezzo mostra approvare quanto sta ascoltando ad onta ece. 


DI ALDOBRANDO DA SIENA. 


4. Ahi! più sovente avvien, ch’esto si rende 


Del mesdicente plusor maggi’ odioso, 
Lorchè lo move a più longiato dire, 
Che più occulto saver affare intende; 
E quando pur gran cura pon, disioso 
Di forzior fatti e circostanze audire 
Sul misero sommesso a maldicenza, 
Perchè piacevol lui vile sermone 
Maggio s’abbelle e più diletto done; 
Talchè facendo a croje compiacenze 
Doppiare maldicenze, 

Non maldicente, più malvagio e reo 
E laido lo creo, 

Per lo dispregio e più dannevol enta 
Sopra quel miser monta 

Posto da lui a infamia e villania; 

Sì che più cortesia 

Non acontra ver l’uom, ma disfidenza. 


5. Mesdicente, e tu c° hai preso acordanza 


Di meter tuo fratel a disonore, 

L’alma tua nè Deo guardando fiore 

A seguir tua disianza: 

Pensa che fu da Deo lingua formata 

A lui sempre laudare, 

E a lo tuo prossiman assempro dare; 
Ch’onne a bon fine cosa foe creata : 

E tu con maldicenza tua sovente, 
Ahi! par facesti a quella del serpente, 
Ed esso tu doventi. Ahi! uom assegna, 


Che bestia doventar cosa è a te indegna. 


Cit 
(Ch 
(N) 


CANZONI E SONETTI 


V. 


i. Ambizion, ahi! crudele e ria disianza 
Di che all’uom piace e in sua possanza el vole, 
Tu sei, se viso meo errar non puole, 
Fiume, che l’orgogliosa sua abondanza 
Trae da due surgenti 
Impure già e fetenti, 
Che sì lo spingon, non è più furioso 
Lo mare tempestoso. 
Prima, soperbia, primer vizio è detta, 
Cupideza, seconda, maledetta {0 
Passion, for mezzo e fine, d’onne avere 
Riccore, onor, avere. 
La mente quella grava, 
Ed esta poi lo voler deprava; 
Ed ambe gran ruina, 
Acciocchè l’alma a corruzion vicina. 


GL 


2. Guai sor guai all’uom, che, for sennato, 
Menar da esso consente in sue nere onde, 
Poi sue malizie tutt’ el disasconde, 

Ed arrivando al fin usa desiato; 

Si pugna calonniando 

L’innocente, e vessando 

Lo bono, ch’inver ben sua vita trova: 
Puro amico nè giova, 

E di sotto è tradito a vil maniera, 
Chè vil s'accontra non amanza vera, 
E l’altro al mondo tu van procacciare, 
Perchè t’inde galeare, 

EI onne via già tenta, 

Sè desviando, e che più lui vil talenta 
Usa, per forze ed ovre 

Violente, suo onde odiato covre. 


ut 


Canzone V. Stanza 1, v. 10-12. Maledetta passione smisurata, tendente ad avere ogni 
riechezza, onore, possessione. — v. 15. Sottintendi : arrecano. 


DI ALDOBRANDO DA SIENA. 


3 Spargano pure un mar di sangue umano 
Cento Caini, e più non lui spietosi; 
Lo mondo si disfaccia, e tutto posi 
In sperdimento: ad esso ponsi mano , 
Ch’adduce al proprio fatto, 

Rifacendo. su sfatto. 

Ahi crudeltate! dispietatamente 
Alma tenendo neente ; 

Par a fere selvagge fuor ragione, 
Nulla si ten coscenza e religione. 
Ecco lo mare borrascoso u? volle 
Quel fiume gonfio e folle ; 

Ecco dove trascorre , 

Esso già detto tutto più non. corre. 
Quella passion crudele, 

Per quasi cui fu anciso el giusto Abele. 


4. Uom ferma lo piede ove trabocchi- 
Profonda valle d’alto imonte al sommo, 
Male facendo bon, vil lo bon sommo. 
Apri, mercè, della tua mente gli occhi , 
E mira a bon ragione, 

Che con tal ambizione 

Del bon Dio, en lo ciel tutto provede 
Come mistere vede, 

Miscompor providenza forte intendi, 
E dispost’ onne misfacendo offendi. 
Esto pensier onne stagione sia, 
Secondo visa mia, 

A te di grata guida, 

E di campion e più fidat’ aida; 

Sì como è di spavento i 
Gran a chi tenga di fee solo sento. 


C. 198 


10 


(215 


Stanza 3, v. 15-16. Costruisci: Quasi quella passion crudele (ossia: 


passion crudele), per cui fu anciso il giusto Abele. 


Serie II. Tom. XXIII 


simile a quella 


(DR 19b. 


SI 


CANZONI E SONETTI 


WII 


î. L'uomo da Deo creato fu al labore, 
Ed a ciò nasce, com l’augel al volo, 
Così che pone l’uom querente e solo, 
Di sue angoscie tracarco e di dolore. 
Ch’anzi nel dilettoso paradiso, 
U’ fra delizie a viso 
Fu posto dal Creatore 
Il primer uomo nostro genitore, 
Labore fu assegnato, 
E certo lui fu dato, 
Com’ avea d’ innocenza il pregio fino, 
Custodire e coltare il bel giardino. 


2. Ma, poi laidito sì prezioso dono 
Col rio fallo di disobbedienza, 
Che di miserie e morte fu comenza, 
E di danni eternal, for onne bono: 
La terra fu da Deo maledetta, 
Di spine e sprocchi infetta; 
E l’uom perciò fu addutto 
A laborarla con sudor, se frutto 
Brama ch’essa gli dia, 
E car notrice i’ sia, 
Finchè ritorni ad essa onde fu tratto, 
U?, como in anti foe, polve vien fatto. 


5. Tutti donque, o uomo, in noi miriamo, 
O, como è a dir forziore e più montante, 
Figli di miser genitor peccante, 

E noi pur tali for dottanza, e siamo 
Tenuti ad un labore recherere, 

E dovemo un mistere, 

Con sudore e gran pena 


(2 


Ci 


DI ALDOBRANDO DA SIENA. 555 
Addutti, usare a pensar bon appena, 
E ognor forte pugnare, 
Tutto compiendo affare 10 
A nostro proprio stare rispondente; 
Chè, fuor pugnar, non è guerrier vincente. 


4. E chi riman seguendo suo labore 
E negligente piace ad ozio stare, 
Od in mondan gauder gioja mertare, 
D’uomo segno obria e onne colore, 
E a divinal giustitia pur s’oppone, ù 
A error da punizione; 
Chè non è già nescienza, 
Ma ben voler, che volle rio a fallenza; 
E d’altre pur si grava: 
Chè fontana ozio è prava 10 
Di manto mal e laido movimento 
Dei vizi, e d’onne bon consumamento. 


5. Ed inver me s’adduca l’uom ozioso: 
Di vil impuro amanza sarà inceso, 
Da ria soperbia e gloria vana preso, 
Di più piacevol cibi ognor goleoso; 
Di vestir onne paga suo talento; s 
Al corpo posamento 
Consente for maniere: 
Fin che infocata lui più luce fere, 
A vil mentire indutto, 
A laido dir e brutto; 0 


Canzone VI. Stanza 3, v. 8. Così fu corretto dalla stessa mano che scrisse la canzone ; 
dapprima leggevasi Addutti usare a bon pensare appena, non solo in questo luogo, ma anche 
dopo il verso 6, dove questo verso era stato scritto per errore, e poi cancellato. 

Stanza 4, v. 9. Sottintendi: fullenze. 

Stanza 5, v. 2. impuro. Così il cod.; credo tuttavia doversi leggere impura o impur’, 
come emendò il Pillito. — v. 8. Forse: finchè non lo fere la luce. più infocata ; ossia, il 
fuoco infernale. 


C.202 


556 CANZONI E SONETTI 


E sì che tal per lui doventa cosa, 
Non è certo sentina più schifosa. 


6. E passo pur, chè loco non consente, 
Manti e plusor malvaggi rei delitti , 
D’avoltro, ladrocinio, infami scritti , 
E omicidi, di cui lo fa saccente 
La malvaggia dell’ozio infame scuola, 5 
Che isface, non consola, 
Ville, citadi e regni, 
Che non stuta ma tiene incesi sdegni. 
Ahi vizio maledetto, 
Quanto dannoso detto! 10 
Ma pur quanto tal provo e più ragiono, 
Più nel mondo ti fai loco in comono. 


0.201 7. Quanti invero, ahi lasso! ad occhio veo 
In giochi, in danze, in piacenter sermoni, 
Intesi sol a corpo gioj’ si doni, 
Che corpo ad alma fan, e mondo a Deo. 
Ah! quanti, che non sta lor loco, audendo D 
Nuovi e più via collendo 
Da sui vicin fidati 
Acciò faccian soggetto lor parlati. 
O tempo della vita, 
Di valenza infinita, Lu) 
Como dall'uomo mal ne vieni usato, 
Colla perta d’un bon eternal beato! 


8. Inutil servo, pensa ben che quando 
Ti parerai al tuo Signor, allora 
Conoscerai, ma tal che non è più ora, 


Stanza 7, v. 5. Ahi quanti dei quali non è luogo (ai quali non tocca) stanno udendo 
e sempre più raccogliendo nuovi discorsi dai fidati loro vicini, per farne soggetto dei proprii 


loro discorsi! — v. 9-40. Si confrontino con questo passo i versi 59 e segg. della Canzone Il: 
E tempo voi teneste più dell'oro Ver e ricco tesoro, ecc. 


DI ALDOBRANDO DA SIENA. 


L’inganno che t’addusse giocondando 
E quanto dovenisti orbo bendato. 
Ahi! qual dolor ti è dato, 
Qual confusion e pena, 
Mostrando voita man, seria già piena 
Di bon merti acquistati 

L Coi tuoi labor ovrati, 
Dovevi presentar al tuo Signore, 
Ricevendo lo merto al tuo labore. 


9. Ahi miser! se finor non l’ hai appreso: 
Sentenza su di te posa, che tutto 
Arbor non conducente degno frutto 
Sarà reciso, e poi al foco inceso. 
Ahi! che lo momento già vicina 
Di tua eternal ruina. 

Torna a sento, o infelice; 

Che già dell’arbor sta sulla radice 
La mano recidente, 

Ed esso eternalmente 

Cadrà a banda d’austro o d’aquilone: 
Ma perch’ esso fu steril, è ragione 
Cada su questa, ove seder volea 
L’Angel ribello che Michel sfacea. 


v) 


10 


Stanza 8, v. 8. Mostrando vuota la mano che già seria piena di buoni meriti ...... che 


dovevi presentare al tuo Signore. 
Stanza 9, v. 12-44. Intendi: perch’esso arbore fu sterile, è rag 


ione cada su questa 


banda, ossia a banda d’aquilone, ove voleva sedere l’angel ribello che fu disfatto da Michele. 


Cia 


C. 15. 
F.2b, col.2 
S.174b 


(Sai 
(Sx; 
(9°) 


CANZONI E SONETTI 


SI0 NENTI 


Crede talun, che le tribolazioni 
En esto mar s’accontran di dolore 
Non valgan sì, che sian mezzo e ragioni 
Per procacciare l’eternal bellore; 

Poichè fra tante l’uom dure passioni > 
Bon amorta voler e indura core, 

E che pensando l’alma al suo Creatore, 
Pac’ interna richer, fuor afflizioni. 

Ma ciò grav’ è fallanza, e ad un mattia; 
È tal, perchè è a dir: bon Deo provede, 
Ch’ognor contraro lui gaudere sia. 

E sommi che pensivo men si vede 
Di Deo chi ’nver piacer mondan disvia, 
Nè con l’afflitto loco all’alma cede. 


Il. 


Quando te, Gesù, miro in croce appeso, 
Divinal sacrificio d’amore, 
Ben dico: Poi crudel tanto t’ ho ’ffeso, ; 
Tu portasti la pena al meo follore. 


Sonetto l. Si legge nel solo codice Cagliaritano , e pare essere quello del quale il biografo 
Palermitano dice, che da Aldobrando nell’anno diciottesimo della sua età fu dedicato, unita- 
mente al seguente, a Papa Onorio. — v. 10-11. Può interpretarsi: è tale (è fallanza e 
mattia), perchè sarebbe quanto dire: buon Dio provede, che il godere gli sia sempre con- 
trario. Il Pillito spiega: è tal, perchè con ciò si verrebbe a dire, che il buon Dio provede 
il contrario a poterlo godere, cioè le tribolazioni. Ma o si ammetta l’una o l’altra interpre- 
tazione, questi due versi mi pajono in contradizione colla sentenza del Sonetto. 


Sonerto II. Conservatoci in tutti tre i codici, e menzionato nella citata biografia di 
Aldobrando. — v. 3. ho ’ffeso. Il cod. Fior. toffeso; e gli altri due (hoffeso. — v. 4. pena al. 


DI ALDOBRANDO DA SIENA. 909 


Ma coi fatti non detto provo, e preso Li 
Non me sento d’amaro e ver dolore, 
Nè, alla tua passione e morte inteso, 
Mi stempro in pianto ed ho contritto il core. 
Ahi! ben so, che del mond’ onne mattezza , 
Carnal bombanza, e vanitade insana, 10 
Tien meo core bailito a tal durezza. 
Ma tu, meo bon Gesù, bontà soprana, 
Dhe! fa che senta tutta tu’ amarezza, 
E te sol ami, d’onne bon fontana. 


ULI. 


Venti e più vidi giovane giojose 
In dilettoso e bel giardino ameno, 
Ove, poi colte le vermiglie rose 
Ed altri fiori, ne abbellavan seno; 
Poi con dolci canzoni ed amorose 
Rendean quel loco d’allegranza pieno. 
In tale Amor, che l’ali sue nascose, 
Scegli, me disse con parlar sereno, 


Il Fior. penal (pen' al). — v. 5. delto. Il cod. Fior. detti. — v. 6. amaro. Male il cod. Fior. 
amore. — v. 7. passione. Il Fior. passion. — v. 8. Mi. Il cod. Cagl. Me. — il core. Il cod. Cagl. 
elcuore. — v. 9. mond’onne. ll cod. Sen. mondo onne. — v. 13. tw amarezza. Il cod. Fior. 
tua amarezza. 


Sonetti II-V. I cinque Sonetti che seguono formano catena, nè possono disgiungersi l’uno 
dall'altro, nè mutarsi il loro ordine. Uniti fra loro devono essere parimente i due precedenti, 
composti, come dicemmo, da Aldobrando nell’anno diciottesimo della sua età, ed insieme 
dedicati a Papa Onorio. Ma questi due nel codice Cagliaritano sono posti ultimi, cioè dopo 
i cinque di argomento amoroso. All'incontro, dei due soli Sonetti conservatici nei codici Fio- 
rentino e Senese, quello di argomento amoroso è posto secondo; il primo è quello a Gesù 
crocifisso. Coll’autorità adunque di questi due codici derivati dall'originale dell'Autore, noi 
abbiamo creduto dover preporre agli amorosi i Sonetti di argomento religioso; poichè la 
circostanza dell’essere stati composti nella prima gioventù di Aldobrando ci persuade, che sono 
i più antichi; nè di molto peso a stabilire l'ordine di queste poesie può essere il cod. Cagl., 
tratto dalla Collezione di Bruno de Thoro, poichè questi raccolse e ordinò, forse meno retta- 
mente, poesie stategli inviate dal loro Autore alla spicciolata, nel corso di lunghi anni. 


Sonetto II. Conservatoci dal solo cod. Cagl. 


C. 152 


CANZONI E SONETTI 
Chi che di queste più t'aggrata. Ed eo: 
Piace a me la primera. Ed ei: Mal vedi; 10 
Essa quant’ ha divizie, ha orgoglio, e veo 
Soprana sì, ch’Amor sdice, se ’l chiedi. 
In ciò sparì; ma disprezzando , oh Deo! 
D’essa m’incese. Or va, e ad Amor credi. 


IV. 


Spietata donna e maggio, via te chiamo, 
Esta mercè me doni for paraggio, 
Misvolendo lo meo fedel servaggio, 

Poi già gran tempo me tenesti all’amo? 

Ahi! che di vita maggio morte abbramo, 
Che tal disio, disperato, ind’aggio, 
Rimembrando con qual crudel coraggio 
Grado sapesti usar motto: Or disamo. 

Però pensando alla tu’ amanza antica, 
Forte spera me tien, che tal dicesti 0) 
A gabbo, od a provar che pense o dica. 

Ma col primer, ahi! l'amor meo offendesti , 
Col secondo non ben te conti amica, 

Se vai dottando che saver potesti. 


VE 


È questo lo compiuto guiderdone. 
Con che merti lo meo, crudel, amore? 
Questa la spera che donasti al core, 


Lorchè languiva sol in tua intenzione? 
, 


V. 44. ed Amor credi. Era scritto dapprima ed Amore credi, ma poscia fu aggiunto un « 
fra l’e e il d della voce ed. 


Sonetto IV. Si legge in tutti tre 1 codici, e da tutti tre anche lo diamo intero a modo 
di facsimile. — v. 4. via. Il Cod. Cagl. ora. — v. 4. tenesti. Il cod. Fior. tenest. — v. 6. 
disio. Così il cod. Sen. ; dst0 il Cagl. e il Fior. — ind’ aggio. Così il Cagl.; end’ aggio il Fior. ; 
nd’aggio i) Sen. — v. 12. meo offendesti. Il Cagl. e il Sen. meoffendesti , ossia meo ’ffendesti. 


Sonetto V. (Questo Sonetto sì legge nel solo codice Cagliaritano. 


DI ALDOBRANDO DA SIENA. 561 


Bestia non è, che fuor riprensione 
Ad ira monte, e slugni dal signore; 
E tu, donna, onne mia fallanza fuore, 
Di me ti slogni? Non è a rio fellone? 
Ahi! dispietosa e non pensiva sei; 
Che pena tu me doni for paraggio, 
Se mio innocente cor poni fra rei. 
Ma poi che di morir desio grand’aggio, 
Che durar in tal pena i giorni miei, 
M’ancidi meglio, che pur n°’ hai coraggio. 


VI. 


Ben mal morte non è, ma bono certo, 
Ch’alfin a manto mal pone guarenza, 
Sì che di tanto guaimentar esperto 
Com rea tradolce uomo fa semenza. 
Che como rio penar si pone a merto Ù 
Como fuor dritto ognun si fa a potenza, 
Como bono scuder in rio deserto 
Dal suo signor fu tratto fuor fallenza. 
Che giova questo rimembrar paziente, 
Che tra triboli e spine morte trova? 13 
Nò, che tal è morir duratamente. 
Per l’amaro dolor che meo cor prova 
Onne dì più spietato e più nocente, 
Nulla guarenza, morte fuor, me giova. 


Sonerto VI. Anche questo si legge nel solo codice Cagliaritano. — v. 2-8. Interpreterei : 
Sì che avendo fatto prova di tanti guai, conosco come una rea semenza sì faccia all'uomo 
dolcissima. Che come il soffrire a torto si pone a merito quando alcuno si fa potente fuor 
di ragione, o come un buono scudiero in rio deserto fu dal suo signore tratto senza errore 
sulla retta strada: che giova ecc. Crediamo tuttavia che l’oscurità provenga in parte dall'essere 
i versi 4-6 guasti per colpa del trascrittore. Nel v. 6 il cod. ha potere; fu corretto potenza dal 
Pillito in grazia della rima. — v. 10. morte. Il Pillito crede si abbia a leggere merto; e pare 
giusto. MARTINI. 


Seme IL Tom. XXIII PI 


562 CANZONI E SONETTI 


VII. 


Ora, crudel, me brami, poi da morte, 
Qual Lazzaro, già a vita fui risorto. 
Ma tal sono, ch’al tuo gridar più forte 
Non ho più oreglie; sì che a te son morto. 
Lorchè dalla tua man lo stral fu sorto, i 
Altra possente già disviollo forte; 
E fu questa ragion mio fe’ gran torto 
Visar sbendato per mia buona sorte. 
Vidi adesso tuo’ inganni, e la ruina, 
In cui miser cadeva for sennato, 10 
Sì ch’al suo fin mia vita fu vicina. 
Ed or mercede cheri al tuo peccato? 
Ani! villana, ti slogna, e ad altri affina 
Tuoi strali, ch’eo per te non son renato. 


sonetto VII. Anche questo Sonetto ci fu conservato dal solo codice Cagliaritano. — 
v. 7. fu. Così emendò il Pillito; il cod. ha fa. Il senso è: E fu questa ragione, che per mia 
buona sorte mì fe’ vedere a occhi sbendati il gran torto che io pativa. 


—_ => e=—— 


(Cn 
Sì 
(SS) 


CORREZIONI ED AGGIUNTE 


— MU — 


Ar $7. 


Durante la stampa del presente lavoro avendo nuovamente a miglior 
agio potuto esaminare il manoscritto Senese di Aldobrando, dobbiamo 
in alcuna parte correggere e rendere più compiuta la descrizione che 
abbiamo data di quel codice. — Il manoscritto Senese, alto millimetri 215, 
largo 145, è ora di un solo quaderno, di rr paja di fogli, e così di 
fogli 22. Oltre la recente numerazione dei fogli del codice miscellaneo, 
si scorge tuttora l'antica paginazione in numeri arabici, cominciando dal 
numero 40; onde appare che mancano in principio fogli 39, probabil- 
mente due quaderni. Questa antica numerazione cessa col Liber com- 
putorum , ossia col foglio 54; i sette fogli dapprima lasciati bianchi 
in fine del codice, e dove poscia da altra mano, e con assai diverso 
carattere ed inchiostro, vennero trascritte le poesie di Aldobrando e le 
memorie relative, sono segnati colla sola recente numerazione dei fogli 
del codice miscellaneo, del quale questo quaderno ora forma parte. 
La marca della carta è una specie di corona tagliata da una linea 
verticale. 

Nella prima canzone da principio le stanze sono scritte di continuo, 
e senza distinzione dall’una all’altra ; la quarta è distinta col principiare 
del primo verso alquanto fuori linea; le seguenti inoltre con un leggero 
spazio vuoto fra l'una e l’altra stanza; un maggiore spazio è lasciato 
tra la stanza 8° e la licenza. — In capo al verso dell’ultimo foglio è 


scritto a destra di chi legge: En napols 22 de Jun. 1453; e poco più 


55 
sotto a sinistra: /n napoli 22 giugno 1453. È più sotto in grossi caratteri : 


(1) 


Canzoni e | Soneti. 


564 DI GHERARDO DA FIRENZE.E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


Il principio dell’annotazione dell’antico trascrittore del codice del 
Tesoriere Speziale (Doc. €) nel codice Senese è: Zec supradicta car- 
mino una cum supradicto preinserto comentario; nel codice Fiorentino 
è omessa la voce preinserto. 

Non ci eravamo ingannati, che di grande importanza per la storia 
della letteratura italiana doveva essere l'antica annotazione nel margine 
inferiore del verso del penultimo foglio; e nel tenere per fermo, che 
il Pillito sarebbe riescito a deciferare quella svanita scrittura. Il nuovo 
esame del codice mi aveva dato bensì di leggere alcune parole di più 
che dapprima non mi fosse riescito, ma non sì, che ne apparisse il 
senso dell’annotazione. Presi partito di far fotografare la pagina del 
manoscritto, e trasmetterne copia al Pillito. Non solo abile paleografo , 
ma perito nelle varie lingue nelle quali furono scritti i documenti che 
formarono argomento de’ suoi studii, il latino, il catalano, lo spagnuolo, 
l'italiano de primi secoli, il sardo delle varie età e province, con mi- 
rabile sagacità e giustezza cogliendo il senso e le parole degli antichi 
scritti, ne agevola la lettura. Della quale sua perizia, ed inoltre dei 
lunghi suoi studii di storia sarda, darà fra breve una novella prova colla 
publicazione ed illustrazione che prepara delle poesie sarde, importan- 
tissime per la storia, contenute nel manoscritto che ci diede la canzone 
e i tre sonetti di Gherardo. Ricevuta la fotografia, a volta di corriere 
mi mandava la lezione di quella annotazione nel seguente modo: 


(F) 


In isti dui canzoni et dui soneti di lo quondam Messer 
Aldobrando | di Siena, vi pregamu di cori, quisti versi vuglati 
legiri, et | vuglati prestari tuta quilla atencioni si requedi per | 
lo intendimento di quilli, et honori di lo dito poeta, | qui è 
stato maestro di li Siciliani. || 


Ossia : Zn queste due canzoni e due sonetti del fu Messer Aldobrando 
di Siena, vi preghiamo di cuore che questi versi vogliate leggere, e 
vogliate prestare tutta quella attenzione che si richiede per l intendimento 
di quelli, e per l'onore del detto poeta, che è stato maestro delli Siciliani. 

Affinchè ognuno possa più agevolmente verificare, come da noi tu 
fatto , l'esattezza della lezione del Pillito, nel codice Senese abbiamo 
inserito un esemplare della fotografia ; poichè in essa, come non di rado 


DI CARLO BAUDI DI VESME: 565 


avviene, la scrittura più appare ed è di meno difficile lettura che non 
nel manoscritto ; ed agli altri facsimili che uniamo alla presente Memoria, 
aggiungiamo quello della precedente annotazione, che noi medesimi 
abbiamo, non senza grave difficoltà, delineato. 

Già la circostanza, dell'essere Aldobrando vissuto parecchi anni in 
Palermo (vedi Memoria, $ 45, fin.), dove ebbe amici che dopo la morte 
ne raccolsero con cura le poesie superstiti, e con affetto ne traman- 
darono ai posteri la memoria (S 24), dava luogo a supporre, che 
appunto per mezzo di Aldobrando fosse dapprima stato trapiantato in 
quell’isola il volgare italico, nel quale scrissero coloro che Dante chiama 
primores Siculorum, e del cui volgare dice, che nihil differt ab illo quod 
laudabilissimum est (1): volgare che evidentemente nè è il Siciliano, nè 
da esso deriva. Questa importante annotazione del codice Senese aggiunge 
ora una testimonianza storica, e di un Siciliano, a quanto prima non 
poteva dirsi che per congettura, quantunque probabile; e finisce di 
sciogliere un gran nodo nella storia della lingua e della poesia italiana. 

Che se oramai non pare dubio, che la lingua italiana fu dapprima 
portata in Sicilia da Aldobrando, e probabilmente dopo lui da altri esuli 
di Toscana, non però diremo che questa, e il resto dell’Italia centrale 
e l’Italia superiore, ricevessero più tardi nuovamente la lingua italiana 
dai Siciliani. E Gherardo ed Aldobrando avevano tenuto scuola in Firenze; 
più volte abbiamo citato il passo della Canzone I di Aldobrando, scritta 
l’anno 1178, dove dice che molti altri avevano cantato i fatti ora lieti ora 
avversi della guerra degl Italiani contro Barbarossa. Se nel seguente 
secolo e fino ad oggi perì la memoria del nome di Gherardo e di 
Aldobrando, sopravisse la loro scuola. Bene è vero che, per la stretta 
affinità fra la nuova lingua italiana e i dialetti municipali di Toscana, e 
quella e questi durante tutto il secolo XIII vi fiorirono a paro e furono 
adoperati negli scritti: distinzione che poco e .male si discerne ora, 
perchè negli autori che ci rimangono di quel tempo le forme proprie 
dei varii dialetti vennero tolte in parte dai copisti, e poi maggiormente 
dagli editori; ma è tuttavia certissima per le numerose vestigie che 
ne rimangono, e per la indubia testimonianza di Dante (2), che nota 
parecchi di coloro che fra i Toscani scrissero in volgare illustre , e di 


(1) De vulgari Eloguio, lib. I, cap. XII 
(2) Ibid. , cap. XII. 


566 DI GHERARDO DA FIRENZE È DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


quelli che all'incontro fecero uso del turpiloquio dei volgari municipali. 
Soltanto dopo Dante la lingua italiana ottenne sui dialetti municipali 
vittoria certa ed universale, quantunque, particolarmente per alcuni 
generi di scritti, lungo tempo contrastata non solo nell'Italia superiore, 
ma nella stessa Toscana. 

In Sicilia all'incontro, per la grande differenza tra la nuova lingua 
e il volgare locale, i due idiomi si mantennero al tutto distinti; e 
durante gran tratto del secolo XII la lingua italiana vi ottenne incon- 
trastabile il primato presso gli scrittori, e, per lo splendore delle corti 
di Federico II e di Manfredi, nelle quali la poesia italiana era in fiore, 
la fama se ne estese a tutta Italia. « Quia regale solium erat Sicilia, » 
dice Dante, « fuctum est ut quidquid nostri praedecessores vulgariter 
» protulerunt, Sicilianum vocetur; quod quidem retinemus et nos, nec 
» posteri nostri permutare valebunt » (3). Ma in ciò fu Dante falso 
profeta ; chè anzi già egli medesimo avvertiva, come al suo tempo quella 
lode più non fosse meritata. Durante la dominazione Aragonese i Siciliani 
decaddero rapidamente nel pregio della lingua, e cessò il loro primato 
e la fama, soverchiata dapprima da quella der Toscani e nominatamente 
dei Fiorentini, e poscia anche da quella degli scrittori di altre parti 
d’Italia; in tanto che già il Petrarca ebbe a dire : 

i Siciliani, 
Che fur già primi, e quivi eran da sezzo (4), 


ossia, che già tennero il primo luogo, e ora occupano l’ultimo. Le 
scemate relazioni fra la Sicilia e il resto d’Italia fecero sì, che in breve 
tempo il luogo della lingua italiana vi fosse nuovamente occupato dal 
siciliano, e in parte dal catalano. 

Sembra oramai non potersi mettere in dubio, che Gherardo ed Aldo- 
brando furono i padri, e quasi direi i creatori, di quella lingua, della 
quale ora tutta Italia fa uso nelle scritture, e che Dante appella Lazinz 
vulgare o volgare italico, distinto da tutti i volgari municipali, e com- 
mune a tutta Italia (Memoria, $ 58); e che per mezzo di Aldobrando, 
esule in Palermo nel penultimo decennio del secolo XII, fu trasportato 
in Sicilia, e rese illustre quell’isola sotto i re della casa di Svevia. 


(3) De vulgari Eloquio, cap. XII. 
(4) Petrarca, Trionfo d’ Amore, Capitolo IV, v. 35-86. 


DI CARLO BAUDIÎ DI VESME. 907 


AL $ 28 


Nel breve sunto della presente Memoria, da me publicato lo scorso 
maggio negli Atti della R. Accademia delle Scienze di Torino, vol. I, 
pag. 490-497; avendo inserito il cenno che intorno ad Arnaldo da 
Brescia si legge nella Canzone II di Aldobrando, il Dottore Francesco 
Grottanelli, Bibliotecario della biblioteca communale di Siena, tosto 
pose mente ad una circostanza di grande momento per |’ intelligenza 
della stessa canzone, e per la biografia di Aldobrando. Arnaldo da 
Brescia fu preso e consegnato all’ imperatore Federico nel territorio 
appunto di Siena; e dapprima la sua presenza, e poscia la prigionia 
e il supplizio, dovettero destare grande e discorde rumore fra i numerosi 
fautori e gli avversarii, che aveva nella popolazione di quella città e dei 
dintorni. — Ecco in qual medo il Grottanelli (lettera dei 25 agosto 
1866) mi scriveva intorno a questo argomento : 

« Quando Arnaldo, per aver suscitato disordini in Roma, indusse 
» il pontefice Adriano IV a sottoporre all’interdetto la città, 1 Romani, 
» essendo prossima la pasqua (1159), inviarono il Senato al Papa, pro- 
» mettendo che l’eretico Arnaldo e i suoi seguaci sarebbero mandati in 
» esilio. Così fu fatto, e la città venne liberata dall’interdetto. Arnaldo 
» fugitivo fu arrestato dal Maestro Ospitalario Diacono di San Nicola, 
» presso Bricola in val d'Orcia, poco lungi da San Quirico, diocesi di 
» Montalcino, già di Chiusi. (Bricola, modernamente /e Briccole, è un 
» aggregato di case e poderi a destra di chi va a Roma, sopra un tronco 
» abandonato della sirada regia romana, fra le stazioni postali dell’Osteria 
» della Scala, e di Ricorsi, distante da Siena circa dieci leghe.) I Visconti 
» e signori del vicino castello di Campiglia gliel tolsero dalle mani, e, 
» datagli ospitalità, lo veneravano come profeta. Intanto T' imperatore 
» Federico, avviatosi verso l’eterna città per esservi incoronato, giungeva 
» a San Quirico in Osenna; dove essendo venuti alcuni cardinali ad 
» incontrarlo , gli presentarono una lettera del Papa, nella quale, fra 
» altre cose, gli chiedeva che facesse consegnare l’eretico ad essi 
» cardinali. Federico, che voleva essere incoronato, costrinse il Viscente 


? 


365 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


S 


» di Campiglia a consegnare Arnaldo. La sua causa, dice Ottone di Fri- 
» singa, fu riservata all'esame dell’imperatore; ed egli, consegnato al 
» Prefetto di Roma, fu giustiziato. 

» Queste particolarità relative al luogo della cattura di Arnaldo furono 
» sceverate dagli errori ed inesattezze di varii scrittori, quali sono il 
» Guillon, Biographie Universelle; il Niccolini, Arnaldo da Brescia; il 
» Novaes, Storia dei Pontefici; ed il Guerrazzi, Battaglia di Benevento, 
» da Carlo Troya, nelle osservazioni communicate all'Autore dell’Articolo 
» sopra Arnaldo da Brescia, nella Civiltà Cattolica, Serie I, Tomo IV, 
» pag. 35 e 129, che ve le inseriva in nota. Il Troya, per iscoprire la 
» verità, si fermò sul seguente passo del biografo d'Adriano IV cardinale 
» d'Aragona (vedi Hadrian. IV, apud Muratori, Rer. Ital. Scriptt., 1°. III, 
» p. 442): Post salutationem vero literas ei apostolicas porrexerunt, et 
» Domini Papae exposuerunt mandatum. In quibus continebatur inter 
» cetera, ut redderet eisdem cardinalibus Arnaldum haereticum, quem 
» vicecomites de Campania abstulerunt Magistro O. Diacono Sancti Ni- 
» colai apud Bricolas, ubi eum ceperat, quem tamquam prophetam in 
» terra sua cum honore habebant. Rex vero, auditis Domini Papae 
» mandatis, continuo missis apparitoribus cepit unum de icecomitibus 
» illis: qui valde perterritus, eumdem haereticum in manibus cardinalium 
» statim restituit. Anche Ottone di Frisinga dice, che Arnaldo fu preso 
» ne’ confini della Toscana. 

» È da notare, che il Troya confonde i Visconti di Campiglia con 
» 1 Conti Aldobrandeschi di Sovana e di Santa Fiora, dinastie affatto 
» distinte, ed aventi il condominio di Campagnatico , castello in val 
» d’Ombrone Senese verso Grosseto ». 

Mettendo a fronte le parole della Canzone con questo fatto, dell'essere 
stata la presa di Arnaldo un avvenimento, possiam dire, Senese; diamo 
come prima conseguenza, che quel Signore, grande per dottrina, per ric- 
chezze, e per autorità fra i suoi concittadini, del quale Aldobrando celebra 
le lodi, e che previde prossima la rovina di Arnaldo e ritrasse molti dal 
seguirne le dottrine, era da Siena. E quasi siamo ora meno alieni dal 
credere, che possa essere quel medesimo Cola Usario, al quale è diretta la 
canzone prima in ordine, ma ultima di tempo, fra quelle di Aldobrando. 
Dal Sonetto di Bruno a Cola Usario argomentiamo che questo era ricco 
(Doc. EL, vers. 3-4); e ricco era il Signore celebrato nella seconda 


canzone dal nostro poeta. Desso coltivava 


DI CARLO BAUDI DI VESME, 669 


le scienze e onne savere 
Che porta all’uom valere; 


e similmente parlando a Cola dice Aldobrando: 


che dico (ciò che dico) 


x 


Ver tuo savere è neente; 


e a lui sì rivolge, perchè dia forza al suo intelletto. Certo doveva Cola 
essere persona potente nella sua città, poichè Aldobrando lo prega a 
farsegli scudo contro i nemici e gl’invidiosi; e potente appare la persona 
celebrata in detta seconda Canzone. Che anzi siamo d’avviso, che l’iroso 
sonetto ad Colam Usarium di Bruno de Thoro sia una risposta per 
le rime ad un sonetto di Cola; e forse dal sonetto medesimo trasse 
letteralmente l'accusa, che ribatte, che i versi di Bruno 


tI 


son disvalenti , 
Od acattati dal Cantor di Sena. 


La differenza di modi poi, usata dal poeta nelle due canzoni, può spie- 
garsi col lurigo decorso di venti anni tra la prima e la seconda; nel 
quale intervallo il don servaggio unito a corale amanza potè convertirsi 
a poco a poco in vicendevole vera amicizia , e il rispettoso voi cedere 
il luogo al ge familiare. 

Da questa canzone, trattante di cose Senesi, si conferma infine mag- 
giormente, che male non ci apponevamo nell’opinare, che le persecuzioni 
e l'esilio di Aldobrando furono conseguenza delle vicende politiche non 
di Firenze, ma della sua nativa Siena (Memoria, $ 45); come l’anno- 
tazione in lingua volgare che sopra abbiamo riferito del codice Senese, 
e la testimonianza dell’ essere Aldobrando stato maestro dei Siciliani , 
viepiù comprovano che il suo soggiorno in Palermo fu di parecchi anni, e 
cominciò probabilmente il 1181, tosto dopo la morte di Papa Alessandro. 

Nell’Archivio di Siena sono in non piccol numero le carte partico- 
larmente della seconda metà del secolo XII; un accurato studio delle 
quali varrà forse a darci alquanta maggior luce intorno ad Aldobrando 
e a Cola Usario; e certo a rischiarare di assai la storia tuttora oscuris- 


sima di Siena in quella età. 
Serie II. Tom. XXIII, 72 


970 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


IIl 


Non è mia intenzione di trattare la questione tanto agitata delle origini 
della poesia italiana, nè della influenza che su questa e sulla lingua 
nostra abbia avuto la poesia provenzale; che sarebbe troppo lungo tema, 
e tale per ampiezza e per importanza, da dover formare argomento 
di apposito lavoro, pel quale conosco mi verrebbero meno il tempo 
e le forze. Lasciando adunque ad altri il trattare di proposito il bello, 
e oramai, parmi, non difficile argomento, credo utile lo esporre bre- 
vemente, quale opinione abbia destato in me lo studio degli scritti in 
lingua italiana appartenenti al secolo XII dal Martini (1) e da me pub- 
blicati, e il loro confronto cogli scritti che prima si conoscevano in 
lingua italiana, e con quelli dei Provenzali. 

Diciamo dunque, essere noi fermamente d’avviso, che e la lingua 
e la poesia italiana del secolo XII surse indipendente da quella dei 
Provenzali, e fu di origine e d’indole al tutto italiana. Nel secolo XIM 
invece l'influenza della poesia provenzale fu grande sulla poesia italiana, 
che ne venne non migliorata, ma infiacchita e corrotta, sì per la forma 
come per la sostanza; sì che fra la numerosissima schiera dei poeti italiani 
del secolo XIII anteriori a Dante, non uno forse, in vero valore poetico, 
eguaglia i pochi che ci rimangono del secolo XII. Ma se questa influenza 
fu grandissima, quantunque passaggera, sulla poesia, fu al tutto leggeris- 
sima, nè molto estesa, e vie meno durevole, sulla nostra lingua. E bensì 
vero che la maggior parte dei poeti del seolo XIII anteriori a Dante, e 
forse tutti, sono per agevolezza di stile e purezza di lingua inferiori ad 
Aldobrando, e per poco non dissi anche a Bruno de Thoro; ma questo 
scadimento delia lingua non deriva, o solo in minima parte, da intro- 


duzione di parole e di modi provenzali; e la numerosa schiera di parole 


(1) Le poesie di Bruno de Thoro si leggono presso il MARTINI, Pergamene, Codici e Fogli Cartacei 
di Arboréa, a pag. 132-138, e 148-150; e nell’ Appendice alla Raccolta ecc, pag. 147-161, e 179-182. 
Quelle di Aldobrando nell’ Appendice, pag. 162-177. 
Quelle di Lanfranco di Bolasco in Pergamene ecc., pag. 489-493. 
La prosa e la canzone di Elena di Arborca in Pergamene ece., pag. 119-125 
Un frammento di Gherardo (Sonetto IV fra quelli della nostra edizione) nell’ Appendice, pag. 179. 
Alcuni minori frammenti inseriti nel Memoriale di Comita de Orrù nell’ Appendice, pag 124-125. 


DI CARLO BAUDI. DI VESME. St 


italiane che taluno disse di origine provenzale (2), sono nostre native, e 
ci vennero non dal provenzale, ma dal latino rustico, origine commune 
delle due lingue e delle altre romanze (3). Che anzi molte fra le voci 
e modi, che con maggiore apparenza di vero si dicono di origine pro- 
venzale o francese, non solo li troviamo di uso. commmne in Ttalia 
anteriormente a questa pretesa influenza straniera, e già dalla prima 
metà del secolo XII, sì che fra gli scrittori di quel secolo troviamo, 
per esempio, costantemente manzi per molti, e tra (abbreviato da o/tra) 
come segno del superlativo; ma tali modi divennero sempre più rari 
nel secolo seguente, che pure fu quello della maggiore influenza dei 
Provenzali, e caddero in breve interamente in disuso, soverchiati dalle 
voci. e dai modi latini, preferiti a buon diritto dai nostri scrittori. 
La corruzione e il decadimento della lingua nel secolo XIII non deriva 
adunque da mescolanza del provenzale, ma da minor valore degli scrit- 
tori; ed inoltre da una circostanza, notata da Dante, ma che i moderni 
negarono o non avvertirono, che gran parte cioè dei poeti di quel 
secolo intesero scrivere e scrissero non nella nascente lingua italiana, 
creata da Gherardo, da Aldobrando, e dalla loro scuola, ma nei loro 


(2) VarcHI, Ercolano, ed. cit., 7°. II, pag. 68-72. Sull’autorità del Bembo pone a modo di esempio 
una lunga serie di voci, che dice derivate dal provenzale. Di esse alcune sono di origine iedesca, 
come a randa e landa; alcune ci vengono dal greco, come tomba e martire; la maggior parte ven- 
nero dal romano rustico a noi, e poco diverse alla maggior parte delle altre lingue neolatine, come 
obliare (che corrompevasi in obriare), uopo, cherere, talento, dottanza e dottare, angoscia, assai, anzi, 
battaglia, cavalcare, combattere, inverno, lontano, montagna, menzogna, strano, ed altre simili, che non 
so come sia potuto venire in mente ad alcuno di farci venire dal provenzale. Altre infine sono di 
più incerta origine, ma neppure queste vi ha motivo di farcele venire dal provenzale, come brame 
danza, gioja, senno, cambiare, cominciare, trovare, toccare. 

(3) Non sappiamo astenerci da riportare qui una postilla marginale, assai bella, e sotto molti 
aspetti notabile, apposta dal trascrittore Giovanni Puliga (12 metà del secolo XV) al Memoriale di 
Comita de Orrù: 

« Aragonenses et Catalani, qui quasi unam et eamdem linguam habent Provenzalium , asserunt 
o quod ipsorum omnium lingua dicitur romancium. Sed ego puto quod romancium est quacvis lingua 
» quae efformata fuit a romana rustica; unde omnes naciones habent earum romancium, jurta ipsarum 
» pronuncias et verborum terminaciones, in quo una ab alia differebant, non recedendo multum a dicta 
» latina rustica sive romancio; sed pracedicti populi et Provenzales terminant eorum verba in n, s,t,r, 
» et Italici semper in a, e, i, 0, ut in praesenti memoriali infra videtur. Et hae linguae sunt multum 
« similes italicae; nam si vocabulo dic adjungatur o, erit dico Italianorum; idem de present, presente 
» fit, de vertaî, vertate. Zdem dicatur ut praedicta vocabula eveniant etiam sarda. Et concludo, quod 
» omnes Italiae naciones, vel aliae vicinae a Romanis dominatae, in accipiendo corum linguam reti- 
» nuerunt carum propriam pronunciam et terminaciones, nec una ex dictis nacionibus 
» dedit aut abstulit ab alia, sed omnes a dicto latino rustico formatae sunt, et omnes sunt 


» romancium ». 


572 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


volgari municipali: nuovo argomento della poca influenza che sulla 
nostra lingua ebbe quella dei Provenzali. È Dante, amantissimo di questo 
nostro ch’ei dice prezioso volgare italico, combatte con ogni sforzo 
quelli che lo insudiciano coi turpiloquii loro municipali; ma non fa 
cenno alcuno di voci e modi, che ci siano venuti da lingue straniere. 

Sì per lingua come per poesia il secolo XIII infino a Dante fu, gene- 
ralmente parlando, secolo di decadenza, se non sotto l’aspetto del nu- 
mero, sotto quello per certo del valore degli scrittori; esso fu, a fronte 
del secolo precedente, ciò che al secolo di Dante e del Petrarca fu 
il secolo XV, secolo dei Petrarchisti. i 

E questo ci trae naturalmente a richiamare ancora una volta V’atten- 
zione dei filologi italiani sulla questione dei volgari italiani nei primi 
secoli della nostra lingua, e in che differissero fra di loro, e dalla lingua 
italiana allora nascente. Non computati alcuni scritti parziali e imper- 
fettissimi su pochi dialetti, e nominatamente sul Senese, il solo Dante 
trattò finora la questione nel suo libro De Zulgari Eloquio; le cui 
asserzioni e i cui giudizii, non compresi finora o non creduti, possono 
bensì in alcuna parte essere rettificati, ma saranno necessariamente il 
punto e l’autorità principale, onde si dovrà partire nel trattare l’impor- 
tante questione (4). Per tale via soltanto si potrà fare aperto ciò, che 
finora nessuno seppe o potè dichiarare, come avvenga cioè, che nel se- 
colo XII si abbiano scrittori volgari non solo fra loro diversi nel pregio 
della lingua, ma anche spesso nelle forme quasi caratteristiche della 


(4) Di minore autorità, ma pure di non lieve peso in questo argomento, è la conforme testimo- 
nianza, finora, certo, da nessuno avvertita, di un umile frate, il quale, a quanto pare, mai non 
lesse non dirò il trattato De Yu/gari Eloquio e il Convito, ma neppure la Divina Comedia: l’antico 
anonimo Volgarizzatore della Schala Paradisi di San Giovanni Climaco; il quale nei seguenti ter- 
mini si scusa della imperfezione del suo Javoro e della poca esattezza del volgarizzamento ( nel 
Prologus vulgaris traslatoris, che segue l'indice dei capitoli, secondo il testo del manoscritto della 
Biblioteca privata del Re in Torino): 

« Io frate, che agio priso a traslatare questo libro de latino in vulgare. ...... de non sapere ben 
» dechiarare me accuso: perciò che de li vocaboli vulgari so? molto ignorante, perciò ch'io li aggio 
» poco ussati, anche per ciò, che le cose spirituali et alte non se possono sì propriamente exprimere per 
» parole vulgare come se exprimono per lalino et per gramatica, per la penuria de li vocaboli vulgari, 
» e perciò che omne contrada à suoi proprii vocabuli vulgari diversi da quelli de le altre contradi; 
» ma la gramatica e ?l latino non è così, perciò ch'è uno apo tucti Latini. Perciò ve prego che me 
» perdonate; se io non ve dechiaro perfectamente le sententie et le veritade de questo libro, non è defecto 
» del libro, nè de lo Sancto che lu scripse, ma è defecto de lu ignorante traslutore. Prendete dal povero 


» quello che potete, et per carità ve piaccia de pregare Dio per me. » 


DI CARLO BAUDI DI VESME. 593 


lingua medesima; e come sia potuto avvenire, che spesso hei più antichi, 
ovvero nei non Toscani, per esempio nei Bolognesi e nei Siciliani; si 
trovi lingua più pura e più italiana che non in parecchi fra i più recenti, 
e fra i Toscani; e troveremo che ciò avvenne, perchè durante tutto il 
secolo XIII la nuova lingua italiana e ì volgari municipali italici, più 
o meno schietti, erano in uso contemporaneamente: sì che mentre alcuni 
scrittori facevano uso della nuova lingua; altri si servivano dei loro 
volgari municipali, ed altri finalmente mescolavano più o meno le parole 
ed i modi dell’una è degli altri ; tutti poi, più o meno; frammettendovi 
voci o forme latine. — E per dimostrare la cosa con esempii, e questi 
tratti di preferenza da prosatori, poichè nella forma corrente e na- 
turale della prosa meglio che fra gli sforzi della poesia e della rima si 
può discernere la vera indole della lingua: diremo che, generalmente 
parlando, è in piana e vera lingua italiana il Volgarizzamento dal latino 
intitolato Fiore di Retorica di Fra Guidotto da Bologna, scritto fra 
l’anno 1254 e il 1265; il Volgarizzamento dei Trattati di Albertano 
giudice da Brescia per Soffredi del Grazia, notaro Pistojese, scritto 
poco avanti l’anno 1278, è in dialetto pistojesé, ma con frequenti tracce 
dell'influenza che sui dialetti italici, e nominatamente sui toscani, aveva la 
nascente lingua italiana ; e finalmente le Lettere di Fra Guittone d'Arezzo 
sono un misto informe di lingua italiana e di dialetti, al quale l’autore 
credette di accrescer pregio frammettendovi voci straniere, o latine, o 
già cadute in disuso, ed inoltre rendendo quanto più poteva intralciati 
ed oscuri i periodi (5): in tanto che, sotto l’aspetto della lingua, alle 
lettere di Fra Guittone non dubito di dare l’ultimo luogo fra gli seritti 
in prosa, che ci rimangono di quella età (6). — Ma a svolgere l'importante 


(5) Questo periodare intricato di Fra Guittone, e la ragione che ne adduciamo, già erano stati 
notati dal Boltari (Lettere di Fra Guîttone d’ Arezzo; Roma, 1745; Not. LXXIII) nei seguenti ler- 
mini: « Veggasi da questo periodo la rozzezza del parlar toscano de’ tempi di Fra Guiltone, e 
» quanto l’ordine delle parole, 0, come dicono i Grammatici, la costruzione, fosse imbrogliata. .... 
» Può anche essere, che nel parlar comune non fosse così intralciata, ma che il nostro Autore 
» pretendesse con ciò di scrivere con eleganza maggiore. » 

(6) Di Fra Guittone, anche come poeta, diede a mio avviso troppo mite e favorevole giudizio il 
Nannucci (Manuale della Letteratura del Primo Secolo della lingua Italiana; Firenze. 1856; Vol. I, 
pag. 160 e segg.). A cui basti l'animo di leggere gli scritti in versi di Fra Guittone, e partlicolar- 
mente i sonetti, orridi per lingua, pieni di bisticci, quasi al tutto vuoti di poesia, e nei quali 
tuttavia più che nelle canzoni il Nannucci (pag. 167) dice ravvisarsi # progresso dell’arte e della 
favella, dovrà confessare con Dante, che Fra Guittone è fra quelli in verbis et constructionibus non 
desuetos vilescere, e che A voce più ch'al ver drizzan li volti coloro che Di grido in grido per lui 


574 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


argomento della classificazione, se così dir posso, degli antichi nostri 
scrittori, con l’ampiezza e coll’accuratezza che si richiede, è necessario 
un lungo e diligente studio degli scrittori nostri del secolo XIII, dei 
quali perciò è a desiderare ci vengano date accurate edizioni, e conformi 
agli antichi manoscritti; poichè finora gli editori quasi tutti li tradus- 
sero, direi quasi, nella lingua commune o nobile italiana, spogliandoli 
a bello studio, per quanto fu in loro, delle forme plebee, o proprie 
dei varii volgari, che erano state adoperate dagli scrittori, e che a torto 


furono scambiate in arbitrii e storpiature di copisti. 


danno pregio. Guido Guinicelli fu contemporaneo a Guitton d’Arezzo, ma alquanto più antico; e 
pure, qual differenza, e per lingua e per poesia, fra questi due! E notisi, che nell’edizione delle 
Poesie di fra Guiltone curata dal Valeriani (Firenze, 1828) furono tolte quasi interamente le forme 
di quello che Dante chiama turpiloquio municipale, che troviamo negli antichi manoscritti di questo 
Autore, ed in parte nell’edizione del Bottari delle Lettere. Cagione dell’errore del Nannucci si fu, 
l’avere lui, col Valeriani, attribuito a Guilton d’Arezzo i sonetti, che nell’edizione fiorentina pur 
ora citata sì leggono sotto i numeri da CCXI a CCXXXIX, da pag. 212 al fine del Volume II, 
tratti dalla Raccolta delle Rime Antiche; mentre questi sonetti, troppo sotto ogni aspetto discordi 
da quelli genuini di Fra Guittone, sono certissimamente di altro poeta, e probabilmente di Onesto 
Bolognese; e da questi 29 sonetti, non dai 200 circa che precedono, sono tratti tutti gli esempii, 
che il Nannucci adduce per dar prova della favella e della musa non infelice di Fra Guittone. 


DI CARLO BAUDI DI VESME 575 


IV 


AI VERSI DI ALDOBRANDO 


(Canzone I, stanza 6, v. 15-16) 


E tanti aitri, cui caro 
D’Italia il lume foe da terre alcone. 


A. questo luogo nel codice Cagliaritano, dalla stessa mano che scrisse 
la canzone, è aggiunta in margine la seguente nota : 


(HIHI) 


De Sardis interfuerunt | D equites et DCC | pedites bene et 
sufi|cienter armati; sicut in |] omnibus temporibus in similibus 
| circumstanciis interfuerunt Sardi | in Italia. | 


Non v'ha dubio che prese abbaglio l’antico trascrittore, facendo in- 
tervenire una schiera di Sardi in favore degl'Italiani alla battaglia di 
Legnano. Ecco ciò che dice a questo proposito il Martini (1) : 

« A chiarimento della nota latina apposta alla stanza 6° della Canzone 
» è da osservare, che Federigo combattette a Legnano coll’esercito 
» giuntogli d’Alemagna, e colle sole congiunte forze dei Comaschi a lui 
» fedeli: giacchè la celere mossa dei Milanesi e loro collegati gli aveva 
» impedito di unirsi coi Pavesi e col Marchese di Monferrato (Muratori , 
» Annali, a. 1177). Ond’è che non posso riferire alla battaglia di 
» Legnano l'intervento dei cinquecento cavalieri e settecento fanti Sardi, 


(1) Appendice alla Raccolta delle Pergamene, Codici e fogli Cartacei di Arborea, per PieTRO MARTINI, 
Presidente della Biblioteca della R. Università di Cagliari. Cagliari, 1863, pag. 164. 


976 DI GHERARDO DA FIRENZE E DI ALDOBRANDO DA SIENA, ECC. 


di cui si parla nella succitata nota, sia nel campo degl’Imperiali, sia 
in quello degl’ Italiani. Piuttosto io credo che l’annotatore , non bene 
esperto dei singoli fatti guerreschi avvenuti in Italia a quei tempi for- 
tunosi, abbia, nella confusione delle memorie sarde di circa tre secoli 
prima, attribuito a Legnano il concorso di Sardi guerrieri, avveratosi 
in Italia in altri fatti d'armi. Locchè lasciano travedere le parole : 
sicut in omnibus temporibus in similibus circumstanciis interfuerunt 
Sardi in Italia. Invero, posti i vincoli che legavano gran parte della 
Sardegna all'Italia, e particolarmente a Genova e più a Pisa, è facile 
a credere, che nelle guerre degli stessi tempi ed in altre i Sardi com- 
battessero in Italia al soldo di quelle due città, o d’altre , o di signori 
ghibellini od imperiali, non guelfi. E così dico, argomentandolo sia 
dalle relazioni di Pisa e Genova col Barbarossa, sia dall’elevazione 
che questi fece a re di Sardegna di Parasone II, giudice d’Arboréa. 
Dunque l'isola stava col partito ghibellino. » 


pag. lin. ERRORI DA EMENDARE 

427 DA DOO CIO RS XXX° 
26 PAPI n papiria 

429 3 PIPUTOTIAIA AIA papiria 

433 I Harder pare SES. lo auda pur 

434 7 SELL DA GIOCA cor 0a XV 

456 15 agitate 000) ieuea Sarto agitata 

457 21 Levioì sicriuaznaloa. «Ito 92. 

462 16 ahi viso insano! ..... ahi! viso insano, 
21 Era, Pretiosa. Voi .... Era, Pretiosa, voi. 
26 CROMO Ai gi A e forma. 

463 32 LE IRR CAARESA PRESCRSZAG A SILURI LL lo 

464 4 Lepore eee Se 

465 33 ESISHIAMOMIEI Ce Dia Rane esitiamo 

477 22 UerR est cre A ae le 

480 32 POSSIATE possette 


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(I hedi mentone fumoa fbuffaye 
a penfieone fhinqiaroftane — 
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abaltyòno imadorinuio di mene 
(I fian paltizeree bamo elato 
Che ne moyfaggio euer daffsno & pene 
Natetratta nero prangeranano — 
Che chi Suo leupacorye nullo tene 


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GLOSSARIO 


Scopo principale di questo GLossario non è di dare la spiegazione 
delle voci e dei modi oscuri e difficili, che s'incontrino in queste poesie. 
Pochi sono in Gherardo, e meno numerosi ancora in Aldobrando. Le 
poesie che publichiamo ripetono la somma loro importanza dalla loro 
antichità, e perchè da esse appare, quali forme avesse preso o cercasse 
prendere la nostra lingua in quel suo nascere. Abbiamo perciò raccolto 
in questo Glossario tutte le voci che troviamo in Gherardo ed in Aldo- 
brando, che più non sono di uso volgare ai nostri giorni; sebbene della 
maggior parte sia evidente la significazione, e molte non siano neppur 
ora al tutto disusate, almeno in poesia. Ai soli modi o più oscuri, o più 
insoliti, o altrimente più notabili, abbiamo aggiunto esempii di antichi 
autori, a schiarimento od a conferma. 

Avvertiamo ancora, che molte fra le voci oggidì fuori d'uso adoperate 
da quegli antichi, come Deo; meo, onne, recivere, auro, laude, per Dio, 
mio, oggi, ricevere, oro, lode, a nostro avviso neppure aì tempi di 
Aldobrando non appartenevano ai volgari parlati, ma sono fra quelle 
che quei primi nostri tentarono donare alla nuova lingua italica traen- 
dole dal latino: voci che non poterono prevalere contro l’uso volgare, 
e che perciò non furono, come altre che quegli antichi sostituirono per 
simil modo secondo le forme latine , ricevute dagli scrittori dei tempi 
posteriori, dai quali prese norma la nostra lingua, o almeno non diven- 


nero di uso commune. 


Serie II, Tom. XXIIK 


MI 
DI 


56 GLOSSARIO 


GLOSSARIO A GHERARDO DA FIRENZE 


Appurto - c. 2. 
ArFRITTO - Ss. Il, 8. 
Acco - s. I, 11; II, 8. 


ArrutARE - c. 1. — Similmente Guitton d'Arezzo, son. CXL, v. 10: Acciò che tu li artuti 
onne su’ ardore. — E astutare; Tommaso di Sasso: Ché non si può astutare Così senza 


fatica uno gran foco. 
AMPERARE per imperare - c. dI. 
AROVENTARE per adoventare - s. II, 6. 
ASssENNARE per far senno - s. II, 14. 
Aupire - s. HI, 6. 
AvvenIrsi - s. IM, 5. 


Row per buono - s. 1, 14. 


Car per calle, feminino - e. 32. — Sulla voce calle in genere feminino vedi Nannucci, 
Manuale della Letteratura del Primo secolo della Lingua Italiana, 2% ediz., Vol. I, 
pag. 431, not. 4. 

Cera per celia - c. 9. - 

CHERERE - c. 1. 

UnieRERE - s. JI, 14. 

Com - s. I, 4; 111, 1; 5. 

Convento, adunanza - c. 8. — Dante, Inferno, I, 122: Quelli che muojon nell'ira di Dio 

Tutti convengon qui d'ogni paese. 

Cora per cura - c. 23; 49. — Fra Guittone, canzone VIII, st. 5, v. 5-7: Nè mia donna w 
piacere Mi fue giorno giammai tanto quant'ora; Ch'ogni soperchia cora ecc. 

Cosare per causare - s. III, 11. — Elena d’Arboréga: E risane lo mal che in me si cosa. 
— Guitton d'Arezzo, c. XX, sf. 2, v. 12-14: lo dolce sperare, Che ’1 qguiderdon del bon 
servir lor cosa, Fa star sempre la lor vita giojosa. 

Csiare per creare - c. 12; s. III, 12. — Frequente presso gli antichi. Bonaggiunta Urbiciani: 
Aspettando quel ponto ch'eo desio Di ciò che crio in voi, gentil criatura. 

Cumpure - s. IV, 7. 


DesIipER - c. 3. 

DicettARE, neutro passivo - s. III, 14. 

DispraGeNza per dispiacenza - c. 22 — Frequenti sono presso gli antichi gli esempii di 
piagenza; per esempio, Guitton d’Arezzo, canz. 1X, st. 1, v. 13; canz. XIII, v. 51; 
Lemmo Orlandi, nei Poeti del Primo Secolo della Lingua Italiana; Firenze, 1816, Vol. II, 
p. 213. Similmente piagere, piagente, piagimento , ecc.; forme tutte proprie dei volgari 
municipali. 


A GHERARDO DA FIRENZE. 979 


Disvari per disvarii, da disvariare - c. III — Guitton d'Arezzo, canz. XXXVIII, 
st. 11, v. 5: Ma disvari membranza a ciò dolere. 

Docere per docere, insegnare - s. III, 7. — Vedi Dispragenza. 

DocLiore - s. I, 13. 

DoLcroso - s. 1I, 11. 


Eo - s. HI, 14. 
Esro - s. III, 5; 8. 


Fare forse per fatto - c. 6. 
Fino per bello - s. I, 1. 
For per fu - c. 24. 

For - c. 37; 38; s. HI, 3. 


GAIMENTARE - c. 35. 
‘ Groy - s. IV, 8. 
Giovene - s. IN, 10. 


JIsrertà per infermità - s. I, 12. — Dante da Majano, nei Poeti del Primo Secolo della 
Lingua italiana, Vol. 11, pag. 491: E se gravato sei d’infertà rea. 

Inteso per innamorato - s. II, 10. 

Invorsri per involvesti - c. 16. 


Lasore - c. 4. 

Lavrapore - c. 27; 43. 

Lora per allora - c. 22. — Guitton d'Arezzo, canzone MII, st. 3, v. 3: E quanto brutto 
più loco fui lora. — Gillio Lelli, nella Raccolta dell’Allacci, 353: Lor che da lui ricece 
il ben perfetto. 

Lorpor - s. II, 14. 


Maggio per maggiore - s. Ill, 7. 

Maegio per maggiormente - c. 15. 

Manto - c. 37; s. Il, 14. 

Mei per meglio - s. II, 2. — Frequente presso gli antichi. Anche Dante ha me’, tronco 
di mei; Inf. I, 112: Ond'o per lo tuo me’ penso e discerno. — Purg. XU, 68: Non vide 
me’ di me chi vide il vero. 

Mro - s. I, 14; 2; II, 1. 

MespiRE - c. 29. 

Mister - c. 18 — Now mIsTER per riposo - c. 9. 

MisvenTURA - c. 37. 


NesciENTE - s. IV, 2. 

NrarIcenza - c. 30. — Guitton d'Arezzo, sonetto CXXVII, v. 3: Pigrizia, negrigenzia, e miser 
poso. — Vedi anche le Note 24 e 167 del Bottari alle lettere di Fra Guittone. È forma 
propria del dialetto fiorentino e di altri toscani. - 


580 i GLOSSARIO 


Norre - c. 29. — Bruno de Thoro, canzone a Preziosa, st. 3, v. 2: Alma pietosa, di noîr 
refetto. — Guitton d’Arezzo, sonetto IX, 10-12: come gioire Senza presso noire Puot'uom 
alcun. i 

NorRIce - c. 27. — Per umile notrice presso i poeti di quella età troviamo indicata la terra. 


A questo esempio di Gherardo, e a quello presso Aldobrando, aggiungi l’altro, quan- 
tunque più oscuro, presso Bruno de Thoro, canzone a Preziosa, st. 8. 


Ogni unque per chiunque - c. 21. 

OrntA - c. 20. 

Om - s. IV, 4. 

Onne - c. 2; 37; s. I, 13. 

Orrato - s. III, 8. 

Orrato ONORE - s. JII, 8. 

Ovra - c. 9. 

OvRARE - c. 2. S 


ParaRE per imparare, insegnare - s. II, 14. 

PeR omesso - c. 19. 

Perra - s. IMI, 3. 

Poi per poichè - c. 24. 

Precnero - c. 5. — Vedi Vor. 

Preroso per pietroso - c. 36. — Guitton d'Arezzo, canzone VI, st. 4, v. 2-3: santa anche 
Scrittura Dice la via de’rei grav e pretosa. 

ProveDENZA - c. 31. 


Quar per qualunque, qualsiasi - c. 34. 


RACATARE - c. 13. 

Ram tronco, per rame c. 19. 

Rarto per ripido - c. 36. — Guitton d'Arezzo, canzone VIII, st. 9, v. 6-7: d'ogni monte il 
sommo È sempre estremo e ratto. 


Saggiranza - s. Il, 7. 
SaveRrE - s. III, 1. 
ScieNTE - s. III, 7. 


Scorare - s. IV, 2; 5. — Bruno de Thoro: scolare în pensier soe, como Deo, Da tal amanza, 
e brutto tuo laidire. — Guitton d'Arezzo, sonetto XLVIII, v. 8: Como di sè iscolar possa 
l’amore. 

Sensore per Signore - s. III, 4. — Dalla voce Senior, che già nella bassa latinità trovasi 


adoperata in non dissimile significazione, il più antico: esempio si trova in una legge di 
Costantino dell’anno 313: « sicutì etiam sub domino et parente nostro Diocletiano seniore 
» Augusto eadem plebs urbana immunis fuerat »: e. 2 C. Th. de censu sive adscriptione (10,2). 

SennaTO sostantivo - s. IV, 7. i 

Sento: - c. 2; 29; si IV, 2. 

Scunerare - s. II, 9. 

SommeTTERE - s. III, 11. 


A GHERARDO DA FIRENZE. 581 


SpERDIMENTO -.c. DU. 
Spermento - c. 41. — Guitton d'Arezzo, son. LXVIII, v. 5: Ma non vor mi crediate for 
spermento. 


Tassare - s. I, 2; Il, d. 

Taupino - c. 10. — Guitton d’Arezzo, son. LIX, v. 2: Perchè taupino io voi tanto dottare? 
— Onesto Bolognese: Ahi lasso taupino! altro che lasso Non posso dir, sì sono a grave miso. 

Torquere - s. III, 2. 

Tra, segno di superlativo -s. I, 10. 

TraR per frare o trarre - c. 32. 

Turtore - s. IMI, 6. 


Y (vedi il Glossario ad Aldobrando) - c. 33. 


Vaniero - c. 10. 

Vento per vinto - c. 9; s. III, 12. — Guitton d'Arezzo, son. LXXXVII, v. 7-8: m'ha gioja 
sì vento, Ch'a forza campo, se non mi conquide. 

Verraggio per vedrò - s. I, 10. 

Vertù - s. III, 13. 

VirtuaLe per virtuoso - s. I, 9. 

Visa (4) - c. 16; s. I, 11. 

Visare - c. 38. 

Vittore per vincitore - c. 9. Trovasi anche presso Bruno de Thoro. 

Vor per voglio - c. 1. — Guitton d'Arezzo, son. LII, v. 1-2: il mio preghero Voi' che intendiate. 


552 GLOSSARIO 


GLOSSARIO AD ALDOBRANDO DA SIENA 


A, segno del terzo caso, omesso avanti ai pronomi; modo frequentissimo presso gli antichi 
AMINA RO AVA LOL SIAE 

A per che - c. I, 1, 4: men a fiore, per men che fiore, ossia. men che nulla; 6, 4: senno 
ad altr'uomo maggio, ossia senno maggiore che altr’uomo. 

A per come - s. I, 10. 

A per con - c. I, 5, 5; 1I, 65; II, 4, 15; IV, 3, 2; VI, 4, 6. 

A per da c. III, 4,3: Dell’alma nostra a carne tribolata, ossia tribolata da carne (dalla carne). 

A per di - c. IV, 5, 12: bestia doventar cosa è a te indegna, cioè indegna di te - s. V-8 

AN peniari (CUI, 12: O NEL AVO: 2: ad ozio stare per stare în ozio. 

A per per - c. I, 1, 19-20; 3, 30. 

A per secondo - c. I, 9, 2: a vertate per secondo verità. 

AspeLLare - c. IV, 4, 8; S. II, 4 

ABBRAMARE e ABRAMARE - c. I, 3, 4; ‘, 25; 7, 20; s. IV, 5. 

ACGATTARE - c. II, 53. 

AcciocnÈ per percioché - c. V, 1, 16. 

AccontRARE e AcontRarE per incontrare - c. IV, 2, 6: S'accontra compassion fuor caritate? 
- 4, 18; V, 2, 10; s. I 

Acorpanza - c. IV. 5, 1. 

ADDURRE - c. 1, 3, 22. 

ADDUNTONACA ISO 00, 10 I ZO 82 VISI? CONS IS MILINO: 

ADOVENTARE - e. II. 7; 17 

Ap uN per ad una, insieme - c. 1, 3, 21. 

Apvocata - c. HI, 4, 1. 

AcaIo per lo - c. Il, 29; s. IV, 6; V. 12. 

AGGRADIVO, che aggradisce, grato - ce. IV, 3, 18. Similmente Elena d’Arboréa: tutto 
colle e pisa, fuor onne parvente d’aggradivo. Qui RIO sostantivo, per aggradimento. 

AGGRATARE 0 AGRATARE, aggradare - c. 1, 9, 4; II, 39; s. HI, 9. 

Aipa per aîta - c. V, 4, 1". 

Arroro, aitorio, ajuto, dal latino adjutorium - c. II, 4, 4. 

Amro per altro. - e. I, 2, 17; 6, 15; II, 4 

Atcono per alcuno - c. I, 3, 26; 27; ; AE NONA0: 

AtLeGRranza - c. I, 5, 16; 7,9; 24; 6, 21; II, 4,8: s. III, 6. Se ne trovano esempii ancora 
nei poeti del secolo XIV. 

ALLiGanza, lega, alleanza - c. I, 5, 21. 

ArtroI per altrui - c. IV, 16. 

AmMapore - c. II, 3. 

AMANZA per amore - c. I, 1, 28; II 9; V, 2, 10; VI, MV! 

AmorTARE, ammortare - s. È, 6 

ANCIDERE - s. V, 14. 


‘AD. ALDOBRANDO DA SIENA 583 


Anciso - c. I, 1, 8; V, 3, 16. 

Ancrre, neutro - c. I, 1, 4: ove sua patria ange ad affanni. 

Anti per avanti - c. VI, 2, 12. 

Aosrto - c. I, 8, 8; IV, 1, 15. 

Aontane per fare onta - c. I, 9, 14. 

AsseGNnaRE per insegnare - c. I, 3, 17; II, 75; IV, 5, 11. — Guitton d'Arezzo, sonetto LITI, 
v. 13: veritate assegna, che ben è d'esser dea per bon usaggio. 

AssemgrAaRE per assomigliare, comparare - c. II, 9. 

Assempro, esempio - c. I. 2, 7; 8, 4; IV, 6, 7. 

Artento da attenere - c. II, 88. Infra speranza sammi avere attento Venga usato da voi 
lo bon servaggio, Che v'offre meo coraggio. 

Aupire - c. IV, 6; VI, 7, 5. 

Auro - c. Il, 37. 

Ausante per osante, che osa - c. I, 6, 26. 

Ausane per osare - c. 1, 6, 27. 

Avige per avere - c. IV. 2, 11. 

Avortro per adulterio - c. VI, 6, 3. — Presso gli antichi trovasi anche per adultero. 


Baccrare per baciare, raddoppiata la c a motivo dell’accento ; e questa parimente è l’origine 
dell’altra forma, ora parimente disusata, dasciare - c. I, 1, 28. — Vedi Bottari, 
Lettere di Fra Guittone, not. 29%. 

Barito - c. I, 1, 3; s. II, 11. 

BerLore - c. I, 6, 19; s. I, 

Bomganza, nel vocabolario della Crusca è spiegato allegrezza, giubilo, gioja; ma nel 
secondo dei due esempii che qui addurremo pare piuttosto per vanità, vanagloria. 
- s. II, 10; Cama! bombanza, e vanitade insana, Tien meo core bailito a tal durezza. 
— Elena d’Arboréa: le mie guance e le mani appianava, laude onne rennovando, onde eo 
bombanza ne avessi. 

Box, feminino, tronco avanti consonante - c. V, 4, 5. 

BoniratE - c. I, 9, 3. 

Borrascoso - c. V, 3, 11. 

Briga, lite, contesa - c. I, 8, 8. Nel più antico volgarizzamento dei Distici di Catone, 
Litis praeteritae noli male dicta referre, è tradotto: Le rie cose delle brighe passate non 
ricordare. 


Caramo - c. I, 2, 23. 

CaronniarE - c. V, 2, 5. 

Car, tronco avanti consonante - c. I, 1, 17;:2, 27; 6, 2; VI, 2, 10. 

Caruno - c. I, 9, 5; IV, 2, 12. 

Cue omesso - c. I, 2, 28; IV, 4, 15; V, 4, 7; VI, 8, 8. Vedi inoltre Por per poiché. 
Cnr per ciò che - c. I, 3, 4; 4, 5; 7, 14; 9,8; V, 1,2; 2, 14; s. IV, 14. 

Cue per più che - s. V, 10. s 

CHE ’NDE, vedi ’NDE. 

CHERERE - c. I, 3, 2; 28; 5, 5; 9, 7; HI, 3, 15; s, VI, 12. 

Cai cne - s. III, 9: Scegli, me disse con parlar sereno, Chi che di queste più l’aggrata. 


584 


GLOSSARIO 


Correre - c. VI, 7, 6. 
Corrare - c. II, 45; VI, 1, 12. — Guitton d'Arezzo: Agricola @ nostro Signore, Non terra 


ma cori coltando. 


Com - c. I, 3, 17; IV, 2, 7; 3, 15; VI 1, 2; s. VI, I 
Comenza - c. VI, 2, 3. 


Como 


- c. 1, 2, 9%; 25; 4, 2; 8; 28; 30; 5, 11; 7, 11; 1II, 3, 4; 859; 13; IV,4, 1: 7; 
2,15; VI, 2,192; 307, dd VIS 6,7: 


Comon, Comono - c. II, 63; VI, 6, 12. 

Compatuto - c. I, 9, 5. 

Coxpurre FRUTTO - c. VI, 9, 3. 

Consumamento - ec. VI, 4, 12. 

Contraro — c. I, 4, 2; s. I, 11. 

Coraggio per cuore - c. I, 6, 1; 9, 9; II, 30; 90; s. IV, 7; V, 12. 
Corare - c. I, 5, 20; 21; 6, 11; 11, 9; 84; 1V, 2, 2; 3, 16. 


CorarmenTe - c. 1, 9, 10. 


Coscenza - c. V, 3, 10. 


CovRrI 
Creo 


rE — c. V, 2, 16. 
per credo - c. V, 4, 13. 


CrescERE attivo per accrescere - c. 1, 3, 16; 4, 5; 5, 10. 
Croso - c. IV, 4, 10. 


Dar per da, verbo. - c. 1, 6, 2; 29; II, 38. 
Davnageio - c. I, 8, 13. 
DecEDERE per ingannare, dal latino decipere. La Crusca ha soltanto Decetto e Decezione, alle 


DELIT 


quali voci i recenti vocabolari aggiunsero Decettorio. Pare fosse voce non infrequente presso 
i nostri antichi - c. I, 7, 27: A onrati patti ed utili e sennati, Che tuo savere degno, Fuor 
decedente ingegno, Con discrezione tutta ha mercantato. — Bruno de Thoro: sì mene non 
hane Decedente Amore. — Lanfranco di Bolasco, eanzone, v. 34: Como fo engegniata forte 
deceduto Da la sua moliere. — Fra Guittone, canzone IV, st.5, v. 5: Che Sanson decedesti 
e Salamone. E canzone IX, st. 5, v. 5: Crudeli, aggiate mercede De'figlivoli vostri e di 
vui; Che mal l’averebbe altrui Chi se stesso decede. E canzone XLIII, st. 8: Non sembiante 
d'amor, non promissione. .... Vi commova, poi voi tanto decede. — E con forma più fio- 
rentina Dante da Majano: Mante fiate può l’uom divisare Cogli occhi cosa, che lo cor dicede. 
to - c. VI, 6, 2. Ciliamo questo passo per dimostrare che non è al tutto esatta l’asser- 
zione del Nannucci, Manuale della Letteratura del Primo Secolo della Lingua italiana 
(seconda edizione, Firenze, Barbera, 1856), Vol. / pag. 387, not. 3, che presso i nostri 
antichi non fosse conosciuta ancora la voce delitto. Vi ha bensì in tale asserzione parte 
di verità. La voce delitto era italiana, dagli scrittori tratta dal latino delietum, onde 
anche nella prima sillaba conservò la forma latina; laddove da defectus, passò alla 
lingua italiana non defetto, ma la forma toscana difetto. 


Deo per devo - c. I, 7, 10. 
Dro per Dio - c. I, 8,11; 1V, 5,3;5; VI 1, 1; 2, 5; 7, 4; st I, 10; 13; IM, 13: 
Derepano - c. I, 3, 7. 


DESIA 
Desvi 
DiLET 


to per desiderio - c. I, 6, 32. 
are - c. V, 2, 
Toso - e. VI, 1, 5; s HI, 2. 


AD ALDOBRANDO DA SIENA. 585 


Disasconpere, palesare - e. V, 2, 3. 

DiscrezionE per discernimento, avvedimento, senno - c. I, 7, 28. 

Disrmenza - c. IV, 4, 17. 

DisaratArRE, disgradare, non esser grato - c. HI, 30. 

Distanza per desio, desiderio - c. IV, 5, &; V, 1,1. 

Disiper - c. II, 34. 

Di sorto per di soppiatto - c. V, 2, 9. 

DispiEToso, contrario di pietoso - s. V, 9. Vedi Spieroso. 

DistRINGERE per distaccare, contrario di stringere - c. I, 1, 30: Né da essa, in cui 
intende, si distringe. Non mi venne fatto di trovare altro esempio di questa voce in questa 
significazione: all'incontro, e presso gli scrittori del secolo XIII e presso i seguenti, è 
frequente per stringere fortemente. 

Disusare - c. I, 4, 4: men a fiore disusando Che da respetto tragga o da paura. 

DisvaLeNTE, privo di valore - c. I, 8, 20; 9, 12; II, 86. — Bruno de Thoro, son. I, 
v. 9: Se è versi miei son brutti e disvalenti. 

DisvaLeRE, non valere - c. I, 8, 5. 

Disviare GALLI, prendere sentieri fuori via - c. 1V, 3, 10. 

Divimate - c. VI, 4, 5; s. II, 2. 

Divizie - s. III, 11. 

Dogtroso - c. I, 26. 

DoLciore per dolcezza - c. I, 5, 12; 7, 9; 33; HI, 4. 7. 

Donque - c. I, 3, 1; &, 1; 17; IV, 2, 12; VI, 3, 1. 

Doppiare - c. IV, 4, 11. 

Dortanza per dubitanza, dubio - c. VI, 3, 4. — Nel seguente esempio trovansi usate 
promiscuamente le due voci dottanza e dubitanza. Meo Abbracciavacca: Amante, Madonna 
eo dotto. Madonna. Di che hai dottanza? A. Non mi cangiate. M. Di. ciò non temere. A. 
Non m'assicuro. M. E pur hai dubitanza? 

DorraAnza per timore - c. I, 6, 26. 

DortarE per dubitare c. I, 2, 25; s. 1V, 14. Trovasi anche esempio di DurraRE, voce più 
prossima alla sua origine. — Guido delle Colonne: £ tanto più da Amor che vince tutto. 
Perciò non dutto-Ch' Amor non vi smova. 

DortaRE per temere - c. I, 6, 28; III, 5, 2. 

DovemRE - c. VI, 8, 5. 

DovenTARE - c. IV, 5, 14; 12; VI, 5, 1f. 

DURATAMENTE - s. VI, 11. 


Ext articolo per è! - c. I, 2, 23; II, 91; HI, 4, 9; IV, 2,1; V1,2 

EL per ello o egli - c. V, 2, 3; 13. 

ELto - c. IV, 1,4; 2, 8. 

Ex per ?n - s. II, 8. 

En Lo - c. V, 4, 7. 

Eo - c. 1, 3, 13; s. II, 9; VII, 14. 

Estro! - ‘c. 1°, 5, 135 8/2%;,9)015: 11525; 9257 1119, 10; IVI, 4 405,015 Vf, 1/6; 5, 1f; 
SO RIVAOI 

EreRrnaLe - c. I, 3, 22; 4, 17; 6,8; 19; II, 50; 53; III, 2, 9; VI, 2, 4; 7,12; 9,6; 515 

ETERNALMENTE - c. VI, 9, 10. 


Senre IL Tom. XXIII 74 


556 Ì GLOSSARIO 


Fartanza - cc: 11; 74; IV, 2,3; s. 1,9; Vo. 

Farcenza - c. VI, 4, 8; s. VI, 8. È 

Fer per fede - c. V, 4, 16. 

Fenezza per fortezza - c. I, 8, 25. 

Fier per forte (tronco al feminino) - c. I, 6, 3. 

Ficora - c. 1, 1, 23. 

Finimento - c. I, 6, 32. 

Fino per bello - c. VI, 1, 11. 

Fior e riore - c. I, 3, 13; 19; IV, 1,6; 5, 3: L'alma tua nè Dio guardando fiore, A seguir 
tua disianza — Similmente Guitton d’Arezzo, canz. XLII, st. 5, v. 6: S0 né amico né 
Dio guardando fiore, A seguir bene amore. Vedi ciò che notiamo più sotto, alla voce 
MacgIo per maggiore. 

For per fu - c. 1, 5, 12; 6, 16; 7, 22; IV, 5, 8; VI, 2, 12. 

Forcore - c. Il, 4; 76; s. II, 4. 

Fort= ce. 011, 2: 8 N25 SOT SAVA 89 AVIO 0A RS 
7; s. IV, 2; V, 10. Vedi Fuor, Fuore, e For sENNATO. 

For sennato o Forsennato; nell’uno o nell’altro modo può leggersi nei due seguenti passi: 
c. V,2, 1: Guai sor guai all'uom, che, for sennato, Menar da esso (fiume) consente in sue 
nere onde. — s. VII, 10: Vidi adesso tuo’ inganni, e la ruina, In che miser cadesa for 
sennato. 

Forte, avverbio, per molto - c. I, 1, 5: Della penosa forte sua moliera (secondo la lezione 
del cod. Cagl.). — II, 36; III, 3, 2; VI, 3, 9. 

Forziore - c. IV, 4, 6; VI, 3, 2. 

FrurttanE FRUTTI - c. II, 64. 

Fuor - c..I, 6, 26; 8, 20; IV, 2, 6; VI, 3, 12; s. I, 8; V, 5; VI, :6, 8. — Vedi For e 
Fouore. 

Fuor per fuorchè - s. VI, 14. 

Buores= te. IV 293 SV 


(artare, ingannare - c. V, 2, 12. — Guitton d'Arezzo, sonetto XVII: Dispiacciati 
oramai, amico, d’ esso Più galcar te stesso. E sonetto CLVI: te pregian matti e credan 
tanto, Ma galcati saccenti non sono. 

Gaopere - c. I, 5, 15; 18; VI, 4,3; 512. 

Gauproso - c. 1, 4, 25. 

Gente per gentile - c. II, 10. — Similmente Bruno de Thoro: Di voi canto, o Signore, Che 
sì pietoso e gente. Frequente presso gli antichi. 

Giroconpare - c. VI, 6, 4. 

(Groconposo - ec. III, 2, 3. 

Giocoso per lieto, festevole - c. I, 4%, 27: Questo gaudioso giorno sì abramato ..... A 
Addusse, ahi providenza! noi giocoso. { 

Gior - e. VI, 7, 3. — Altrove abbiamo gioia monosillabo, come c. I, 2, 27: Con grande gioia 
e voler car amoroso. — Molti sono d’avviso, che dovunque presso i poeti si legge Pistoia 
dissillabo, gioia, noia monosillabi, si debba leggere tronco Pisto?”, gio”, no, e così in 
altre simili voci. Non v ha dubio, che questa forma si trova frequentemente presso i 
nostri antichi, presso i quali la lingua scritta, meno soggetta a regole, ammetteva spesso 


AD ALDOBRANDO DA SIENA. ey 


ì troncamenti in uso ne’ volgari parlati; sì che nonchè gio, troviamo perfino esempio 
di gio’, e altri peggiori. Ma simili troncamenti sono al tutto contrarii all’ indole della 
lingua commune italica; ed i nostri migliori, Dante, Petrarca, Boccaccio e gli altri, 
dai quali questa prese norma e legge presso gli scrittori avvenire, mai non mozzarono 
a tal modo le voci, sì che, per esempio, i buoni codici della Divina Comedia sono con- 
cordi in leggere Tegghiaio, Uccellatoio. Onde io tengo per fermo, che dove presso i nostri 
migliori troviamo, per esempio, Pistoia dissillabo e noia monosillabo, non debba tron- 
carsi la voce, ma abbia luogo semplicemente un trittongo, come in miei, tuoî, vuoi: e 
in gioia un quadrittongo, come in figliuor, lucciuoiî, 0 che piuttosto anche questi non 
siano che trittonghi, e che la prima è abbia soltanto l'ufficio di rammollare la conso- 
nante precedente. Ed una prova di tal nostro modo di vedere abbiamo in ciò, che di 
simile contrazione di vocali in una sola sillaba abbiamo esempio anche in mezzo di una 
parola; per esempio, nozoso dissillabo. Messer Polo (Poeti del Primo Secolo della Lingua 
Italiana, Vol. I, pag. 30): Che aggio, bella, della noiosa gente. 

Gioysa GIososa - c. ITT, 1, 6. — Vedi PrsceR (PIACENTE). 

Giovana - s. III, L: Venti e più vidi giovane giojose. 

GoLraro per bramato, come GoLrare per dbramare, da gola; da non confondersi con 
Gacrare. Il vocabolario ha soltanto Gorare e GoLrare - c. I, 1, 5. 

GoLeoso, goloso, e per metafora bramoso - c. VI, 5, 4. 

Grapivo - c. II, 25; 111, 1,9. 

Grapo per a grado - s. IV, 8. 

(rramezza - c. IH 79. 

Gran avanti vocale - c. V, 4, 16. 

GUAMENTARE - s. VI, 3. 

Guarenza - c. HI, 4, 12; IV, 2, 17; s. VI, 2, 14. 


1 per gli - c. VI, 2, 10. 

IncENDERE - s. 1II, 1%. 

Inceso - c. VI, 5, 2;6,8;9 4 È 

InpE, che più sovente trovasi ’npe, e talora eNpE, e dal quale derivò il pe, parimente anti- 
quato;, e il ne, che restò in uso in loro vece - c. V, 2, 11; s. IV, 6. Vedi ‘pe. 

Inera - c. 1, 6, 25; 8, 6; 16; II, 88; III, 4, 10; IV, 1, 17. 

Incegnare per ingannare - c. IT, 26. Similmente Bruno de Thoro: AM! che ingegnar me 
vdi, via tutto saccio. — E Guitton d'Arezzo: hailo ingegnato tanto, ch'ello te crede Dio 
possente e santo. — Vedi anche InceGno. 

Inceeno per inganno, è voce della cadente latinità, e trovasi già nelle leggi Langobar- 
diche - c. I, 7, 27. 

In ‘rare - s. MI, 7. 

INTENDERE IN per amare - c. È, 4, 30. 

IntENZIOnE per amore - s. V, 4. 

Inver penieni- cul; 45122; 02; 07; 5, 1; 03: 276) 18527010 di; 191007153; 01V, 47285 
V, 2,7; s. I, 13. — Si trova anche presso Bruno de Thoro e presso Lanfranco; non 
mai in Gherardo, nè in Elena d’Arboréa. Rarissimi esempii mi venne fatto trovarne 
in scrittori del secolo XIII; per esempio: Anonimo Romano (Martini, Appendice, pag. 125) 
Bella qual rosa inver giardin piacente. — Loffo Bonaguidi (Poeti del Primo Secolo della 


588 GLOSSARIO 
Lingua Italiana, vol. IT, pag. 262): Ahi, Dio mercè, avrò giammai riposo? O troveraggio 


inver l'amor riparo? 
Israre - c. VI, 6, 6. 


Laporare - ec. VI, 2, 8. 

Lasore - c. VI, 1, 1; 9; 3, 5; 4, 1; 8, 10; 12. 

“ Laprocinio - c. VI, 6, 3. 

TAIDIRES="C STIVA VIII 

Laipo - c. IV. 4, 12; VI, 4, 11; 5, 10. 

Lactpare - c. I, 6, 1; 8, 5; 1V, 6, 6. 

JEAGDET CRIS RITI RVAo: 
Lausore - c. I, 2, 7; 3, 12; 4, 12; 7, 10. 
Lonciato - c. IV, 4, 3. 

Lucrore - c. IMI, 3, 9. ” 
Lucroso - c. I, 6, 19; II, 11. 

Lur, detto di cosa - e. VI, 5, 11. 


Maio per maggiore - c. I, 6, 4; 7; 7, 10; 16. Magno di pie vertù, magno di cuore, 
E tal sei magno, e via maggio che tale. — (Guitton d'Arezzo nella canzone XIV ha 
due versi tanto simili a questi, che quasi ci portano a credere che le poesie di Aldo- 
brando non fossero ignote a Guittone: Magne di tua vertù, magne d'amore ..... Tal se' 
e tanto, e via maggio che tale - II. . Vedi altro esempio sopra in Fiore. 

Maggio per maggiormente - c 1, 1, 4; II, 49; IV, 4, 2; 9; s. IV, 1; 5. 

Mamere - c. VI, 5, 7. 

Manto, per molto - e. 1, 1,9; 205 2) 143,65 4,9; 10 6£L, 7170 IV NAVINO 
11; 6, 2: s. VI, 2. — Opinano quasi concordemente i filologi, che questa voce gli 
antichi nostri scrittori abbiano tratta dal provenzale o dal francese. lo non so indurmi 
a credere che ci sia venuta di sì lunge una voce di uso tanto commune, e credo che questa 
fosse la vera e antica voce fiorentina, che poi fu soverchiata dalla voce molto, della 
quale non si trova esempio presso i più antichi, e che gli scrittori diedero al volgare 
illustre, ossia alla lingua italiana, traendola dal latino; e fors’anche era in uso in 
alcuno dei volgari toscani, e certo in parecchi altri volgari italici. "Quanto più studio 
gli scritti dei nostri antichi, tanto più mi persuado, che l'influenza del francese e del 
provenzale sull’ italiano non ebbe luogo prima del secolo XIII, e fu grande ma non 
durevole sulla poesia, leggera e ancor meno durevole sulla lingua. Le voci che l’italiano 
ha communi col provenzale gli vennero non da questo, ma dall'origine commune ; e 
le numerose voci che molti scrittori toscani, anche fra i migliori, e particolarmente 
i traduttori di scritti francesi, tolsero da quella lingua nella seconda metà del XIII 
e nella prima del XIV secolo, non poterono prendere radice nella nostra lingua: come 
ciancellare (chanceler); croccia (croche); orage (orage); melea (mélée); ed altre di 
simil fatta. 

Mattia - s. 1,9. 

Me per mi -.c. I, 3, 26;.8. INIL 8; IV, 2; VW, 10. 

MegLio per piuttosto - s. V, 14: M’ancidi meglio, che pur n'hai coraggio. 

Mempiranza - c. I, 5, 26; ll, 73. 

MeuBRaRE - c. 1, 2, 15; 3, 21; 7, 12. 

4 


Men per nemmeno - c. I, 3, 14. 


AD ALDOGRANDO DA SIENA, 589 


Men a riore per men che nulla - c. I, 4, 

Meo - c.-I, 2, 18; 24; 30; 3,9; 30; 7,3; 8; 4; 9,1; IL, 26; 39; 51; 82; 92: III, 4, 14, 
5, 2; s. II, 4; 12; 14; IL 3; V, 2; VI, 12. 

MercantARE PATTI - c. I, 7, 28. 

MerrarE - c. VI, 4,3; s. V, 2. 

Mero - c, I, 3, 4; VI, 8, 12; s. V, 10. 

MespicenTe - c. IV, 4, 2; 13; 5, 1. 

Mespire - c. IV, 1, 7; 2, 10. 

Mezzo - c. V, 1, 11. 

Mirapore - c. I, 8, 2; II, 3. — Guitton d'Arezzo unisce specchio e miwradore, che pur sono 
una cosa sola: E specchio e mirador d'ogni vilezza. 

Miro per maraviglioso - c. Il, 81. 

Misaci - c. I, 1, 20. — Elena d’Arboréa: A guiderdon de’ miei misagi. 

Miscompor - c. V, 4, 9. 

Misrare - c. V, 4, 10. 

Misrere - c. V, 4, 8; VI, 3, 6. 

Mismere - c. I, 2, 29. 

MisvoLERE - s. IV, 3. 

Mowiera - c. I, 1, 5; 17. 

MontAnTE - c. VI, 3, 2. 

Morrat al plurale - c. I, 4, 20. 


’nDE - c. I, 7, 14; SI, 4, 11. Vedi Inpe. 

NEENTE - c. I, 3, 5; 4, 16; 11, 56; V, 3, 8. 

NescienTE - c. I, 4, 14. 

Nescienza - c. VI, 4, 7. 

Non per non tanto, non è tanto, e simili - c. I, f, 11; 2, 16; II, 11; 27; 37, Ill, 
3, 10; IV, 2, 16; 4, 12; V, 1, 7; 3, 2; VI, 5, 12. Vedi anche s. V, 12-14. Di questo 
modo, alquanto oscuro ma di molta forza, che s'incontra anche, quantunque più rara- 
mente, presso Bruno de Thoro, e frequentissimo presso Elena d’Arboréa, ed una volta 
sola in Lanfranco, non mi venne fatto di trovare esempio presso altri antichi. 

NotrIcE - c. VI, 2, 10. - 


OsriIare - c. II, 5; 49; VI, 4, &. 

Ocnunque - c. 1,.7, 14. 4 

OLtRA, segno di superlativo, come rrA, ma staccato dalla voce - ec. 1, 2, 19. 

Onne aggettivo - c. I, 1, 11; 24; 2, 3; 7; 22; 24; 3, 24; 4, 12; 28; 5, 28; 7, 12; 33; 8, 
3; 20; 22; II, 7; 13; 15; 47; 52; 57; 72; 80; III, 3, 3; 4, 13; IV,5,8; V,1,11; 
2,13; 4, 11; VI, 2, 4; 4, 4; 12; 5, 5; s. II, 9; 14; V, 7; VI, 13. Credo che la 
voce volgare fosse ogni, e che Aldobrando e altri abbiano più frequentemente posto 
oNNE, perchè voce più conforme all'origine latina. 

Onwe sostantivo - c. I, 6, 14; V, 4, 10. 

Onoranza - c. 1, 7, 23. 

Onque - c. I, 7, 6. 

Onranza - c. I, 2, 4; 8, 20; III, 3, 14; IV, 1, 13. 

OnraTo - c. I, 2, 9; 5, 6; 6,3; 7, 25; II, 35; 48. 

OnRraTO oNoRE - c. Il, 48. 


990 GLOSSARIO 


OnnevoLE - c. I, 3, 3; 23. 

OvnrEvoLE oNORE - c. I, 3, 3. Questi modi di dire, come gioja giojosa, onrato onore, onrevole 
onore, piacente piacer, ed altri simili, assai frequenti presso gli antichi, possono consi- 
derarsi quasi superlativi dei sostantivi. Guitton d’ Arezzo: E mi vi dono appresso, in 
quanto vaglio Di fedel fede e d'amoroso amore, Fedel bon sersitore. 

Orare - c. I, 8, 7. 

Ore per bocca - c. HI, 1, 10. 

OrEgLIE - c. IV, 3, 8; s. VIL 4. 

Orto per nascita - c. 1, 4,14; HI, 2, 4. 

Ovra - c. V, 2, 15. 

Ovrare - c. IH, 52; IV, 2, 3; VI, 3, 10. 


Pagare per appagare - c. I, 9, 6; VI, 5, 5. — Guitton d’Arezzo: Nè mai altro pagare Ne 
può già, che lo ben ch' ha noi promesso. } 

PiarAeero = e. II, 43; 1V,,2; V. 10. 

Parare - c. I, 3, 26; 9, I. 

Pararsi - c. VI, 8,2. 

ParLato, sostantivo - c. VI, 7, 8. 

Paro - c. II, 7. 

Paruro - c. 1, 9, 7. 

Parvenza - c. II, 30. 

Parvo - c. Il, 1. 

Penare - c. IV, 1, 5. 

Pensivo - s. 1, 12; V, 

Per omesso - c. V, 3, 

PerigLIoso - c. II, 5, 

PerPETUALE - c. I, 7, 32. 

Perrate re: 1;ed; 24: VI 121 

PraceNTE PIACER - c. 1, 5, 15. Vedi OnrEvoLE oNoR. 

PracENTERE - c. VI, 7, 2. 

PracERE (nota costrutto) - c. VI, 4, 2. 

Pieranza - c, 1, 4, 24. 

Prumo per piombo - c. I, 37. 

Prusore, avverbio - c. I, 8, 17; IV, 4, 2; VI, 6, 2. Anche questa voce, ora disusata, reputo 
di origine italiana e non francese; e l’avverbio più sè lombardo altro non è che il plusore, 
ridotto alla forma di quel dialetto. 

Por per dopo - c. I, 5, 18; IV, 2, 18; s. 1lI, 3. 

Por per poichè - c. 1, 1, 6; 2, 3;:29; 3, 4; 7, 31; 8, 13; 18; II 38; III, 2, 4;.3, 12; 
VAI INA RIVE VO: VISAE 

Ponpo - c. I, 8, 5. 

Portare - c. 1, 2, 25: con dottante mano, como porta Ad uomo veglio sia, ossia come si conviene. 

Posamento per riposo — c. VI, 5, 6. 

PosoTCMEROA O AO RIVA] 

Pravo - c. VI, 4, 10. 

PrimeRro - (e. V, 1595 4VI, 1 85/5 IE10:91V 142! 

Priso - c. I, 1, 24; 2, 920. 


AD ALDIBRANDO DA SIENA. 591 


Prope per utilità - c. I, 3, 12; II, 66. Vedi Pro. 

Prope pi PrRODEZZA - c. I, 6, 2. 

Proe per prode, utilità - c. I, 4, 10. 

Proezza - c. I, 6, 27. 

Prossimano, aggettivo - c. I, 1, 13. 

Prossimano, sostantivo - c. IV, 1, 17; 5, 7. 

Pcenarsi per sforzarsi - c. V, 2, 5. PunarE in questo senso è frequente presso Bruno 
de Thoro ed Elena d’Arborga, e si trova anche presso gli scrittori del secolo XII. 

Puore per può - c. V, 1, 3. 


QuERENTE - c. VI, 1, 3. 


Racrono - c. I, 4, 16: È snaturato e, soe, Nesciente, spurio, cui savere spiace, L'orto suo mal- 

dicente, Matto, ragiono, e neente. — VI, 6, 11: Ma pur quanto tal provo e più ragiono, 

Più nel mondo ti fai loco in comono. — Elena d’Arboréa: Matta e folle bealtate anzi 

misera, ragiono, acciochè (perciocchè) tien sé stessa a gabbo, e accata sovente altrui dispregio. 

— Lanfranco di Bolasco: Insomma tutte in voi vertudì sono, Siccome eo ragiono. — 

Guitton d’Arrezzo, sonetto X: Dispregio onor ragiono, Dannaggio prode, e gaudio dispia- 

cere. E sonetto CXVI: Né saggio chi è poeta nè dottore, Nè ricco uom per molto auro 
ragiono. 

Rancura - c. I, 4, 11; IV, 3,2. 

RecnerERE = c. VI, 5, 3. Vedi RicHERERE. 

ReEcIDENTE - c. VI, 9,9. 

Recivere - c. JII, 1, 8: Da me tuo figlio dhe recivi un Ave. — Bruno de Thoro: Receiver for 
mamere Voi usate, obriando fasto. È voce che Aldobrando e Bruno, come più conforme 
al latino recipere, tentarono sostituire al fiorentino ricevere; ma questo e non.quello fu 
ricevuto dai nostri migliori, e restò alla lingua italiana. 

Reena, plurale - c..I, 3, 14. Guitton d'Arezzo lo concorda con l’articolo mascolino: È ben di 
tutti è regna serebbe degno di portar corona; ed altrove, con forma anche più riprovevole: 
Ed in terra ed in ciel gaudi tua regna. 

Renato - s. VII, 14. 

Respetto - c. II, 3, 7. 

Restoro - c. III, 4, 5. 

Riccore - c. II, 47; DI, 4, 6; V, I, 12. 

RicnerERE - s. 1, 8. Vedi RecHERERE. 

RIMANERE per rimanersi, tralasciare - c. VI, 4, 1: E chi riman sequendo (dal seguire) 
suo labore, E negligente piace ad ozio stare. 


SaccentE - c. VI, 6, 4. 

SaverE per sapere - c. I, 3, 5; 4&, 14; 7, 26; II, 45; IV, 4, 4; s. IV, 14. — Pare che 
questa fosse la forma volgare, poichè si trova frequentissima presso gli antichi, e ne 
resta traccia nella voce Savio, ed altre. 

ScienTE - c. I, 2, 18. 

Scuper - s. VI, 7. 

Spire - s. II, 12. 


SenNATO, sostantivo, Vedi For SENNATO. 


592 GLOSSARIO 


Sennato, aggettivo - c. I, 7, 25. 

Sento - c. V, 4, 16; VI, 9, 7. 

Servaggio - c. II, $9; s. IV, 3. 

Srare - c. VI, 9, 14. 

Srarto - c. V, 3, 6. 

SI o Sì omesso - c. V, 2, 2. 

Siccomo - c. 1, 6, 29; III, 2, 8; V, 4, 15. 

SLonerare - c. I, 1, 6; 3, 30; s. V, $; VII, 13. 

SLunerare - c. I, $, 11; s. V, 6. 

SuenTERE, dimenticare, obliare - c. 1, 7, 33; IV, 3, 11. 

Soe per so - c. I, &, 13. 

SoFFERENTE - c. 1, 2, 19. 

Sommesso - c. IV, 4, 7. 

SOMMETTERE - c. IV, 3, 5. 

Sommo, sostantivo, per sommatà - e. II, 42; V, 4, 2. In ambedue i luoghi rima con sommo, 
aggettivo. 

SoperBIa - c. V, 1, 9; VI, 5, 3. 

Soprano - s. III 12. 

Sor - ce. V, 2, 1: Guai sor quai all’uom, che for sennato Menar da esso consente in sue 
nere onde. — Guitton d'Arezzo, son. CXXXI: E guai sor guai a chi più n'ha conforto. 

Sorserto - c. I, 8, 16; III, 1, 5. 

Spera - c. 1II, 4, 2; s. IV, 10; V, 3. 

SperpIMenTo - c. IV, 3, 14; V, 3, 4 

SpergITORE - c. I, 2, 17. ; 

Spieroso, privo di pietà, e differisce da Spierato - c. V, 3, 2. — Lapo Gianni: Amor, 
io prego la tua nobiltate, Ch'entri nel cuor d’esta donna sptetosa, E lei facci amorosa. 

Sprocco - c. VI, 2, 6. 

SraE per sta - c. I, 1, 12; II, 37. 

STAGIONE per tempo - c. I, 2, 13; 6, 14; 11, 7, 13; 19; V, 4, dl. 

STANTE (DI GRAN) - c. I, 6, 6. Similmente Elena d’Arboréa: a valente valer di sì rade fazon, 
voi sola sono în poder a gran stante, sdegnerete durar voi lo giogo d'Amore? 

StEMPRATO - c. I, 2, 23. 

SrrotTo - c. I, 1, 19. 

STRUTTORE - c. I, 5, 6. 

STUTARE, estinguere - c. IV, 6, 8. — Similmente Asrurare. Tomaso di Sasso: Ché nor 
st può astutare Così senza fatica uno gran foco. 

Sur per suoî - c. IV, 3, 6; V, 7,7. 

Sor - c..1,5, 6. 


Tar - c. VI, 8, 3: allora Conoscerai, ma tal che non è più ora, L'inganno. — S. IV, 10; 
Forte spera me tien, che tal dicesti A gabbo. In questo secondo luogo forse è per tale cosa. 

Tecne - c. I, 8, 19. 

TempRrarRE LA LINGUA; similitudine presa da Temprane LA PENNA; vedi SreMPRATO - e. 1, 3, 
2; 8, 

Terzo per triplice - c. IV, 2, 14. 

TorLERE - c. III, 2, 11. 


AD ALDOBRANDO DA SIENA. 593 


Tonnane - c. I, 6, 7: Di gran stante vittoria, Maggio non tornerà a Italia gloria. 

Tra, segno di superlativo - c. I, 2, 20; 3, 2; 4, 20; 5, 23; 8, 4; II, 16; s. VI, 4 — Vedi 
Tracarco, ed OLtRrA, dalla quale seconda voce credo derivata questa forma di superlativo, 
e non dal francese nè dal provenzale. Nessun esempio troviamo del superlativo in èssimo 
negli scrittori italiani superstiti del secolo XII, anzi neppure nei più antichi del seguente. 
Oltre il tra non infrequente presso gli antichi è il sopra, come soprasaccente, sopravillano. 

Tracarco - c. T, 5, 12; VI, 1, 4. 

Transire — c. 1, 1, 12. 

Trare, trarre - c. I, 9, 8: trare Che meo coraggio intende, e pensa mente. Qui per ritrarre. 
Similmente Lapo Gianni: Zo non posso leggieramente trare Il nuovo esemplo, ched ella 
somiglia. 

Trovare per poctare - c. I, 3, 6; 28. 

Turto per ogni o intero - c. VI, 3, 10. 

Turto per tuttochè - c. II, 1, 9. 

Turrora per sempre - c. I, 3, 11; II, 65. 

Turrore - c. IV, 3, 17. 


U? per ube o ubi, ossia ove - c. I, 1, 9; 16; 25; 3, 27; 5, 2; 7, 18; V, 3, 1; VI, f, 
6; 2, 12. 


Varenza - c. 1, 3, 12; VI, 7,19. 

Vauimento - c. II, 23. 

Vane per ne va - c. I, i, 6. 

Vesenoso - c. I, 7, 3. 

Vro per veggo - c. VI, 7, 1; s. HI, 11. 

VER per verso - c. I, 3, 5. Ver tuo saver è neente. Qui per a fronte, a paragone. 

VERTATE - c. I, 4, 4:9,2. i 

Verrà - c. I 7, 17; 8, 3; 24; II, 11; 61. 

Vessare - c. V, 2, 6. 

Vicmmare c. I, 3, 14; V, 1, 16; VI, 9, 5. In simile significazione Guitton d'Arezzo, canz. V, 
st. 6: E dee te, Amor, portare, Secondo natural legge divina, Catuno a chi vicina Con 
ello in Cristo sì come a sè stesso. 

Visa - c. V, 4, 12: Esto pensier onne stagione sia, Secondo visa mia, A te di grata quida. 

Visare - s. VII, 8. 

Viso per avozso, opinione - c. I, 7, 13; V, 1,3. 

Viso (4) - c. VI, 1, 6. 

Viso per parso - c. I, 1, 26. 

Vorro - c. VI, 8, 8. È in uso tuttora presso la plebe fiorentina. 

Votre per volve - c. V, 3, 412; VI, 4, 8. Non infrequenti esempii se ne trovano presso gli 
scrittori del XII e anche del XIV secolo. 


Zamgra - c. II, 5. Il cod. Cagliaritano ha cramra. Trovasi zampra anche presso Bruno de 
Thoro, ed Elena d’Arboréa; e sì ciambra che zambra presso scrittori del secolo XIII. 


Serie IL Tom XXIIEK 75 


INDICE DEI FACSIMILI 


Favora EH. Raccolta di Poesie fatta da Didaco di Milia da Villa dî 
Chiesa (Memoria, $ 16 e 75). 


Canzone e Sonetti I-III di Gherardo da Firenze. 
Tavora II. Pergamena HI di Arboréa, del secolo XE (Memoria, $ 21). 


1. Iscrizione esterna, di mano del principio del secolo XIV (Memoria, $ 21 ) 
2. Sonetto di Bruno de Thoro (Memoria, $ 37). ‘ 


Pergamena IV di Arborea, del secolo XHHE (Memoria, $ 21). 
A. Stanza 42 della Canzone di Bruno de Thoro a Preziosa (Memoria, $ 36). 
Tavora II. Codice Cagliaritamo (Memoria, $ 11-15). 


. Intitolazione od annotazione in principio del codice (Memoria, $ 12). 
Sonetto di Bruno de Thoro (Memoria, $ 37). 
Stanza 12 della Canzone di Bruno de Thoro a Preziosa (Memoria, $ 36). 
Annotazione del trascrittore dopo la Canzone a Preziosa (Memoria, $ 42). 
Annotazione del trascrittore in capo alla Canzone di Aldobrando Come 
veglio guerrier (Memoria, $ 13). 
6. Aldobrando, Canzone I, stanza 7, v. 11-16. 
TEO, AS . . stanza 9, v. 40-15. 
8. È Canzone II, v. 69- 80. 
9. Ceoni biografici su Aldobrando (Memoria, $ 13). 
10. Aldobrando, Sonetto IV. 
14. Annotazione premessa alla Canzone IV di Aldobrando (Memoria $ 14), 
e versi 4-4 di della Canzone. 
12. Frammento di Gherardo (Sonetto IV), ed Annotazione premessavi dal 
trascrittore. 


(SO 


Tavora EV. Codice Fiorentino (Memoria, $ 5). 


. Intitolazione (Memoria, $ 5). 
. Aldobrando, Canzone TR stanza 7, v. 11-16. 
: . Stanza 9, v. 10-15. 
Canzone I, v. 69- 80. 
Sonetto IV. 
. Cenni biografici su Aldobrando (Memoria, $ 5). 


Cai) 


Tavora V. Codice Senese (Memoria, $ 6-7 e Aggiunte e Correzioni al $ 7). 


1. Libro di conti, o Liber computorum. 
2. Intitolazione (Memoria, $ 5). 
3. Aldobrando, Canzone I, stanza 7, v. 11-46. 
È ... Stanza 9, v. 10-15. 
Canzone II, v. 69- 80. 
Sonelto IV. 
7 Cenni biografici su Aldobrando (Memoria, $ 5). 
. Nota del trascrillore del codice (Memoria, $ 7). 
9 Annotazione di mano posteriore, in volgare (Memoria, 8 7, e Aggiunte e 
Correzioni). 
10. Annotazione intorno a una copia tratta dal codice Senese l’anno 1501 
(Memoria, $ 7). 


outro 


IENDEICE 


ti emi 


CLASSE DI SCIENZE MORALI, STORICHE E FILOLOGICHE 


D ES ORIGINES FÉODALES dans les Alpes occidentales; livre deuxième, 
Polo E ME RARO e SR PARI 


La Zecca pi Saro durante il dominio dei Genovesi; Memoria di 
IDOMAENICOMBROMISTNO A A NILO 


Érupes d’histoire et de morale sur le meurtre politique chez les 
Grecsi et chez Jes Romains:; par E. Eccer . |... +. » 389 


Di GHERARDO DA FirENZE e di ALposranno DA SIENA, Poet del 
secolo XII, e delle Origini del volgare illustre italiano ; 
Memoria del Conte Carlo Baupr pr VEswE . . . . . » 419 


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