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Full text of "Merlin, roman en prose du 13e siècle, pub. avec la mise en prose du poème de Merlin de Robert de Boron d'après le manuscrit appartenant à M. Alfred H. Huth, par Gaston Paris et Jacob Ulrich"

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SOCIÉTÉ 


DES 


ANCIENS  TEXTES  FRANÇAIS 


MERLIN 


U  Puy,  typographie  de  Marchcssou  fils,  boulevard  Saint-Laurent,  a3 


S13^ 


MERLIN 

ROMAN  EN  PROSE  DU  XlIIe  SIÈCLE 

PUBLIÉ 

AVEC  LA  MISE  EN  PROSE  DU  POÈME  DE  MERLIN 
DE  ROBERT  DE   BORON 

d'après    le   manuscrit  appartenant   a   m.    ALFRED    H.    HUTH 


PAR 


Gaston  PARIS  et  Jacob  ULRICH 


TOME  PREMIER 


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PARIS 
LIBRAIRIE    DE    FIRMIN    DIDOT    ET   C^^ 

56,    RUK    JACOB,    56 


MDCCCLXXXVI 


Publication  proposée  à  la  Société  le  28  mars  i883. 
Approuvée  par  le  Conseil  le  2  5  avril  i883,  sur  le  rapport 
d'une  commission  composée  de  MM.  Meyer,  de  Montaiglon 
et  Picot. 

Commissaire  responsable  : 
M.  P.  Meyer. 


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Tiré  à  cent  exemplaires  sur  ce  papier 


A 

MONSIEUR  ALFRED  H.  HUTH 

DE   LONDRES 

DONT   LA   RARE    ET   INTELLIGENTE   LIBERALITE 

A   RENDU   POSSIBLE 

LA    PUBLICATION    DE   CE    MONUMENT 

DE    LA    LITTÉRATURE    FRANÇAISE   DU    MOYEN    AGE 

ET   QUI    A    MÉRITÉ    AINSI 

LA    RECONNAISSANCE    DU    PUBLIC    SAVANT 


J 


INTRODUCTION 


INTRODUCTION 


I.  —   LE    MANUSCRIT 


•  E  manuscrit  qui  a  servi  de  base  à  la  présente 
publication  est  un  petit  in-folio,  haut  de 
29  centimètres  et  demi  et  large  de  22  envi- 
ron. Il  a  été  écrit  à  la  fin  du  xiii^  ou  au  commence- 
ment du  xiv^  siècle.  Il  comprend  229  feuillets  de  vé- 
lin; chaque  page  est  divisée  en  deux  colonnes  contenant 
à  peu  près  uniformément  87  lignes.  En  tête  de  chaque 
paragraphe  se  trouvent  des  capitales  peintes.  Le  ma- 
nuscrit contient  soixante-neuf  miniatures,  qui,  remar- 
quables d'ailleurs  par  leur  élégance  et  la  finesse  de 
leur  exécution,  ne  présentent  rien  de  particulièrement 
intéressant  ^ . 

Ce  manuscrit  a  appartenu  au  «  fameux  M.  Du 
Cange,  d'Amiens,  »  comme  l'indique  une  note  qui  s'y 


I.  Nous  devons  ces  détails  à  l'obligeance  de  MM.  Alfred  Huth  et 
Fr.  J.  Furnivall. 

T.  I  a 


H  INTRODUCTION 

trouve.  Du  Gange  a  écrit  sur  la  première  page  :  «  Mes- 
sire  Robert  de  Bourron  ou  de  Berron  est  auteur  de  ce 
roman.  Il  se  dit  compagnon  en  armes  de  messire 
Helies  qui  a  fait  celuy  de  Lancelot  du  Lac  ^  »  C'est 
ce  manuscrit  qui  est  désigné,  dans  VIndex  des  écri- 
vains français  en  prose  utilisés  pour  le  Glossartum 
mediae  et  infimae  latinitatis,  sous  ce  titre  :  «  Roman 
de  Merlin  par  Robert  de  Bourron.  »  De  nombreux 
mots  empruntés  au  manuscrit  possédé  par  Du  Gange 
se  trouvent  à  divers  articles  du  Glossarium.  Nous 
en  avons  relevé  quelques-uns  *  ;  on  en  trouverait  sans 
doute  bien  d'autres. 

Nous  ne  savons  comment  le  manuscrit  de  Du  Gange 
arriva  en  la  possession  du  comte  de  Gorbière, 
connu  comme  homme  politique  et  aussi  comme  bi- 

1.  Du  Gange  fait  ici  une  erreur  de  mémoire;  c'est  le  roman  de 
Tristan  qui  est  attribué  à  Hélie. 

2.  Voyez  aux  mots  Adatictus  (Rob.  Bourron  in  Merlin,  ms.,  ade- 
ser,t.  \,  p.  22),  Beare  (Robert.  Bour.  in  Merlino  ms.,  baer^  t.  II, 
p.  70),  Bustum  (Robertus  Burronus  in  Merl.  ms.,  bu,  t.  I,  p.  272), 
Cantellus  (Robert  Bourron  in  Merlino,  cantel,  1. 1,  p.  191,  et  deux 
autres  citations),  Caraula  (Robertus  Borronus  in  Ariuri  Hist.  fabu- 
losa  ms.,  charroies,  1. 1,  p.  166),  4.  Chargia  (Rob.  Bourron.  in  Mer- 
lino ras.,  encarkier,  t.  I,  p.  26),  Consiliare  (Robertus  Bourronus  in 
Merlino  ms.,  conseillier,  t.  I,p.  28),  i.Gradale  (Robertus  Bourronus 
in  Hist.  Merlini  ms.,  graal,  t.  I,  p.  32),  Handseax  (Rob.  Bour- 
ron. in  Poem.  Merlini  ms.,  hendure  [pour  heudure],  t.  I,  p.  io3) 
Horripilare  (Rob.  Bourron  in  Merlino  ms.,  hiirepé.  t.  I,  p.  i63\ 
Mariscus  (Robertus  Bourronus  in  Merlino  ms.,  marescherie,  t.  II, 
p.  4),  Rcceptaculum  (Robertus  de  Bourrono  in  Merlino  ms.,  rc- 
chet,  t.  II,  p.  i83),  Repositus  (Robertus  Bourronus  in  Merlino 
ms.,  repost,  t.  H,  p.  36),  Tasca  (Robertus  Bourronus  in  Hist. 
fabulosa  Merlini  et  Arthuri,  entechie,  t.  l,  p.  122),  etc. 


LE   MANUSCRIT  III 

bliophile.  L'ancien  ministre  de  Charles  X  mourut  en 
i853,  et  ses  livres,  quelques  années  après,  furent  ac- 
quis par  le  libraire  Bachelin-Deflorenne.  Celui-ci  sou- 
mit le  manuscrit  en  question  à  Texamen  de  M.  Pau- 
lin Paris,  qui  en  apprécia  l'importance  et  le  signala  à 
M.  Fred.  J.  Furnivall.  M.  Furnivall  soupçonna  aussi- 
tôt, avec  toute  raison,  que  le  ms.  Corbière  contenait 
roriginal,  vainement  cherché  jusque  là,  d'une  partie 
de  la  compilation  anglaise  de  Malory  connue  sous 
le  nom  à^  Morte  Davthiir.  Interrogé  par  lui,  M.  Pau- 
lin Paris  lui  répondit  par  une  longue  lettre,  dans  la- 
quelle il  lui  communiqua  une  analyse  sommaire  du 
manuscrit,  des  conjectures  sur  ce  que  devait  conte- 
nir la  partie  manquante  de  l'ouvrage  \  et  des  idées  gé- 
nérales sur  le  développement  des  romans  de  la  Ta- 
ble Ronde  *.  M.  Furnivall,  dont  on  connaît  le  zèle  et 
l'activité  passionnée,  fit  imprimer  cette  lettre  en  grande 
partie  et  l'adressa  aux  administrateurs  des  principales 
bibliothèques  publiques,  leur  demandant  s'ils  possé- 
daient un  manuscrit  de  Merlin  semblable  à  celui  qui 
en  faisait  l'objet.  Les  réponses  reçues  ayant  été  néga- 
tives, M.  Furnivall  appela  sur  le  manuscrit  Corbière 
l'attention  d'un  amateur  éclairé  de  Londres,  M.  Henry 

1.  La  lettre  de  M.  Paulin  Paris,  réduite  à  ce  qui  touche  directe- 
ment le  ms.  Corbière,  a  été  reproduite  dans  le  magnifique  catalo- 
gue des  livres  de  M.  Henry  Huth  publié  par  son  fils.  Voy.  The 
Huth  Library  (Londres,  1880,  5  voll.  in-8»),  t.  III,  p.  954-957. 

2.  M.  Paulin  Paris,  comme  on  le  sait,  a  présenté  à  plusieurs  re- 
prises des  vues  sur  ce  sujet  et  les  a  souvent  modifiées.  Ce  qu'il 
écrivait  en  18G9  ne  représente  pas  les  opinions  qu'il  a  exprimées 
plus  tard,  en  1872  et  en  1877. 


IV  I^r^RODUCTION 

Huth,  qui,  malgré  le  prix  élevé  qu'on  en  demandait 
(400  livres  ou  loooo  francs),  se  déclara  prêt  à  en  faire 
Pacquisition  s'il  était  en  bon  état.  Le  manuscrit  fut 
envoyé  à  Londres,  et  M.  Furnivall,  qui  l'examina, 
reconnut  qu'il  y  manquait  plusieurs  feuillets  ^  Cette 
défectuosité  décida  le  libraire  parisien  â  abaisser  ses 
prétentions,  et  M.  Henry  Huth  acheta  définitivement 
le  manuscrit  Corbière  pour  la  somme  de  260  livres 
(6260  francs). 

M.  Henry  Huth  avait  l'intention  de  publier  lui- 
même  son  manuscrit.  A  cet  effet,  il  en  fit  exécuter  une 
copie  par  une  dame  anglaise  d'origine  française, 
Mrs.  Cooper.  Cette  copie,  qui  a  servi  à  l'impression  de 
notre  texte,  est  faite  avec  beaucoup  de  soin  et  de  con- 
science; la  personne  qui  l'a  prise,  n'étant  pas  suffi- 
samment versée  dans  l'ancien  français,  a  fait  d'assez 
nombreuses  erreurs  de  lecture,  mais  elles  sont  faciles 
à  rectifier  ;  elle  a  figuré  les  mots  ou  les  groupes  de  let- 
tres qu'elle  ne  parvenait  pas  à  déchiffrer;  elle  a  indi- 
qué avec  exactitude  les  mots  répétés,  les  lettres  ex- 
ponctuées,  les  déchirures  ou  trous  du  parchemin,  etc. 
Mrs.  Cooper  a  mis  aussi,  en  marge  du  texte,  un  som- 
maire du  contenu,  en  anglais,  beaucoup  plus  détaillé 
que  celui  que  nous  avons  joint  à  notre  édition. 

M.  Henry  Huth  renonça,  nous  ne  savons  pour 
quels  motifs,  à  son  projet  de  publication.  En  1874, 
M.  Hucher,  ayant  entendu  parler  du  manuscrit  par 


I.  Voyez  t.  I,  p.  222  ;  t.  II.  p.  27.  Le  premier  feuillet  du  volume 
fait  également  défaut.  Sur  la  fin,  voy.  p.  l,  ss. 


LE   MANUSCRIT  V 

M.  Furnivall,  demanda  et  obtint  la  communication 
de  la  copie  de  M.  Huth.  Il  n'a  à  peu  près  parlé,  dans 
son  Sami-Graal  {t.  I,  p.  335-365),  que  de  la  première 
partie,  qui  contient  le  Joseph  d'Aritnathie  mis  en 
prose  d'après  le  poème  de  Robert  de  Boron. 

La  Société  des  Anciens  Textes  Français  ayant 
conçu  le  projet,  que  lui  avait  suggéré  M.  Furnivall,  de 
publier  la  partie  inédite  du  manuscrit  Huth,  elle  s'a- 
dressa pour  en  avoir  le  moyen  à  M.  Alfred  Huth,  qui, 
par  la  mort  de  son  père,  arrivée  en  1878,  en  était  de- 
venu le  propriétaire.  Avec  une  libéralité  bien  rare, 
non  seulement  M.  Alfred  Huth  autorisa  l'impression 
de  son  manuscrit,  mais  il  voulut  bien  nous  abandon- 
ner la  copie  qu'il  en  possédait.  L'un  des  éditeurs  ayant 
passé,  en  i883  et  1884,  quelques  mois  à  Londres, 
M.  Alfred  Huth  fît  transporter  son  manuscrit  au  Bri- 
tish  Muséum,  où  il  put  être  collationné  avec  la  copie 
et  fournir  ainsi  à  l'impression  une  base  certaine.  En 
dédiant  cette  publication  à  M.  Alfred  Huth,  nous  n'a- 
vons pu  acquitter  qu'en  partie  la  dette  que  tous  ceux 
qui  s'intéressent  à  la  littérature  du  moyen  âge  ont 
contractée  envers  lui. 

Le  manuscrit  DuCange-Corbière-Huth  n'est  pas  ce 
qu'on  peut  appeler  un  bon  manuscrit.  Les  deux  pre- 
mières parties,  qui  contiennent  des  textes  dont  nous 
possédons  de  meilleures  copies,  nous  montrent  dans 
le  copiste,  plutôt  sans  doute  que  dans  celui  qu'il  sui- 
vait, un  scribe  hdtif,  préoccupé  d'abréger  son  texte  au 
point  de  le  rendre  parfois  inintelligible,  avec  cela 
négligent  et  distrait.  Il  est  possible  que  les  défauts 


VI  INTRODUCTION 

constatés  dans  les  deux  premières  parties  soient  moins 
marqués  dans  la  troisième,  le  copiste  pouvant  avoir  eu 
pour  celle-ci,  qui  est  une  composition  à  part,  un  ori- 
ginal autre  et  meilleur  que  pour  les  deux  premières. 
Toutefois  il  est  à  craindre  que  là  aussi  il  n'ait  exécuté 
sa  tâche  avec  légèreté  et  négligence.  Nous  n'avons 
corrigé  dans  cette  partie  que  les  fautes  évidentes,  en 
indiquant  la  leçon  du  manuscrit  soit  par  les  parenthè- 
ses qui  entourent  ce  que  nous  retranchons  et  les  cro- 
chets qui  enferment  ce  que  nous  ajoutons,  soit  par  la 
leçon  fautive  elle-même  notée  au  bas  de  la  page.  Il 
est  probable  que  la  traduction  espagnole,  si  nous  l'a- 
vions eue  sous  les  yeux,  nous  aurait  permis  un  plus 
grand  nombre  de  rectifications;  quant  à  la  version  an- 
glaise, elle  est  presque  partout  beaucoup  trop  abrégée. 
Le  manuscrit  Huth,  dont  l'écriture  est  certainement 
française  et  non  anglo-normande,  porte  les  traces  vi- 
sibles des  formes  de  langage  usitées  dans  les  pays  pi- 
cards ou  wallons.  Toutefois  il  ne  donne  pas  exclusi- 
vement ces  formes  :  il  en  contient  aussi  beaucoup  de 
purement  françaises;  il  nous  offre,  comme  la  plupart 
des  manuscrits  du  moyen  âge,  une  langue  composite, 
résultant  de  l'intervention  successive  de  copistes  dont 
nous  ne  connaissons  ni  l'ordre  ni  le  nombre.  Il  nous 
paraît  probable,  d'après  un  ensemble  de  considéra- 
tions qu'il  serait  trop  long  d'exposer,  que  le  ma- 
nuscrit a  été  réellement  exécuté  dans  le  nord-est  de 
la  France  et  que  l'ouvrage  même  qui  en  forme  la  plus 
grande  partie  a  été  composé  dans  cette  région  ;  mais 
nous  ne  saurions  le  démontrer. 


CONTENU    DU    MANUSCRIT  Vil 


II.  —   CONTENU    DU    MANUSCRIT 


Le  manuscrit  Huth  se  divise  en  deux  parties  bien 
distinctes,  quoique  rien  ne  les  sépare  matériellement. 
La  première  va  du  début  au  tiers  du  fol.  76  a;  elle  se 
partage  à  son  tour  en  deux  morceaux.  Le  premier, 
qui  finit  au  milieu  du  fol.  19  b,  est  une  copie  de  la 
mise  en  prose  du  Joseph  d'Arimaihie  de  Robert  de 
Boron  %  dont  on  possède  plusieurs  autres  manuscrits, 
et  qui  a  été  imprimée  par  M.  Weidner  -  ;  nous  ne  l'a- 
vons pas  reproduite. 

Le  deuxième  morceau  (fol.  19  b-^b  a)  est  égale- 
ment la  mise  en  prose  d'un  poème  de  Robert  de  Bo- 
ron, du  Merlin,  dont  nous  ne  possédons  que  5o4  vers 
sous  leur  forme  originale  ^.  Cette  mise  en  prose  se 
retrouve  dans  un  grand  nombre  de  manuscrits;  mais 
elle  n'a  pas  encore  été  imprimée,  si  ce  n'est  dans 
les  éditions  des  xv*'  et  xvi^  siècles.  C'est  ce  qui  nous 
a  engagés  à  publier  la  leçon  du  manuscrit  Huth, 
bien  qu'elle  soit  loin  d'être  bonne.  On  aura  au  moins 
sous  les  yeux  une  forme  ancienne  de  ce  récit  impor- 
tant pour  riiistoire  des  romans  bretons,  et  notre  texte 

1.  Le  poème  de  Robert  a  élé  publié,  d'après  le  seul  manuscrit 
connu  (B.  N.  fr.  20047),  par  M.  Francisque  Michel,  sous  le  titre 
de  :  Roman  du  Saint-Graal.  Bordeaux,  1841. 

2.  Der  Prosaroman  Joseph  von  Arimathia. Oppcln,  18.S1. 

3.  V.  33 15-4018  du  Roman  du  Saint-Graal,  p.  p.  Fr.  Michel. 


VJII  INTRODUCTION 

pourra  servir  au  philologue  qui  voudra  en  donner  une 
édition  critique.  Nous  nous  sommes  bornés  à  corri- 
ger quelques  leçons  trop  fautives  et  surtout  à  combler 
quelques  lacunes  sensibles  '  à  Taide  du  manuscrit  de 
la  Bibl.  Nat.  fr.  747,  le  plus  ancien  et  le  meilleur,  si 
nous  ne  nous  trompons,  de  ceux  qui  nous  ont  con- 
servé ce  texte. 

Du  fol.  75  ^  à  la  fin,  le  manuscrit  Huth  nous  pré- 
sente un  texte  unique,  du  moins  sous  sa  forme  fran- 
çaise. C'est  ce  texte  qui  fait  la  grande  valeur  du  ma- 
nuscrit que  nous  publions;  il  a,  en  effet,  outre  le 
mérite  de  la  nouveauté,  celui  d'off'rir  une  importance 
considérable  pour  Thistoire  littéraire  des  romans  en 
prose  de  la  Table  Ronde.  Nous  n'avons  pas  l'inten- 
tion d'étudier  ici  dans  tout  le  détail  quMles  compor- 
teraient les  questions  nombreuses  et  compliquées  qu'il 
soulève;  nous  nous  bornerons  à  les  indiquer  et  à  pré- 
senter rapidement  sur  quelques  points  les  solutions 
qui  nous  paraissent  probables. 


III.  --  LE  MERLIN  DE  ROBERT  DE  BORON 


Sans  entrer  dans  la  discussion  épineuse  des  origines 
diverses  de  la  légende  du  «  graal  »,  nous  constaterons 
simplement  qu'un  chevalier,  appelé  Robert  de  Bo- 

1.  Les  passages  suppléés  sont  enfermés  entre  crochets. 


LE  MERLIN  DE  ROBERT  DE  BORON  IX 

ron,  composa,  au  début  du  xiii*  siècle  *,  une  suite  de 
trois  poèmes  au  moins  %  dont  l'unité  est  formée  par 
cette  légende.  Le  Joseph  fait  connaître  ce  que  c'est 
que  le  graal  et  annonce  qu'il  sera  porté  en  Occident 
et  plus  tard  trouvé  par  un  chevalier  de  la  race  de  Jo- 
seph d' Arimathie  ;  —  le  Percerai  raconte  comment  ce 
chevalier  trouva  le  graal  et  mit  ainsi  fin  aux  «  mer- 
veilles de  Bretagne  »  ;  —  le  Merlin  sert  de  transition 
entre  ces  deux  poèmes,  en  transportant  la  scène  en 
Bretagne,  en  introduisant  Arthur,  et  en  faisant  par 


1.  Dans  un  passage  souvent  discuté,  Robert  dit  qu'il  avait  fait 
une  première  rédaction  de  son  poème  «  avec  {o)  monseigneur  Gau- 
tier, qui  était  de  Montbéliard  »  ;  cela  signifie  clairement  que  la 
deuxième  rédaction,  la  seule  que  nous  ayons,  a  été  écrite  après 
12 12,  date  de  la  mort  de  Gautier  de  Montbéliard.  Gautier  étant 
parti  pour  l'Italie,  et  de  là  pour  l'Orient,  d'où  il  ne  revint  plus, 
en  I20I  (voyez  Villehardouin,  éd.  de  Wailly,  p.  533),  on  peut  at- 
tribuer la  première  rédaction  de  Robert  à  une  date  un  peu  anté- 
rieure; mais,  d'autre  part,  le  frère  aîné  de  Gautier,  Richard,  étant 
mort  en  1237  (Huclier,  t.  I,  p.  3o),  il  n'est  pas  raisonnable  de  sup- 
poser que  Gautier  fût  né  avant  1 160.  Dès  lors,  Robert  de  Boron  n'a 
guère  pu  écrire  son  premier  ouvrage  avant  la  composition  du  Per- 
ceval  de  Chrétien,  qui  ne  doit  pas  être  postérieure  1180.  Nous 
avons  d'ailleurs  d'autres  raisons  de  penser,  contrairement  à 
M.  Birch-Hirschfeld,  que  les  poèmes  de  Robert  de  Boron,  loin  d'ê- 
tre la  source  où  a  puisé  Chrétien,  ont  été  écrits  assez  longtemps 
après  celui  du  poète  champenois. 

2.  Nous  pensons  en  effet,  cette  fois  avec  M.  Birch-Hirschfeld 
(Die  Sage  vom  Gral,  p.  181  ss.),  que  le  Perceval  en  prose  publié 
d'après  le  ms,  unique  par  M.  Hucher  (Le  Saint-Graal ,  t.  I, 
p,  4i5-5o5)  est,  comme  le  Joseph  et  le  Merlin,  fondé  sur  un 
poème  de  Robert  de  Boron.  Sur  la  possibilité  que  ces  trois  poèmes 
ne  forment    pas  l'œuvre   entière   de   Robert,   voyez  ci-dessous, 

p.  XXII. 


X  INTRODUCTION 

Merlin  rappeler  le  sujet  du  premier  poème  •  et  pré- 
dire celui  du  second  '. 

Le  Merlin  de  Robert  de  Boron  ne  lui  a  d'ailleurs 
pas  coûté  des  efforts  d'invention  extraordinaires.  Il  Ta 
fabriqué  en  bonne  partie  à  Taide  de  VHistoria  Bri^ 
tonum  de  Gaufrei  de  Monmouth.  C'est  là  qu'il  a  pris 
la  naissance  miraculeuse  de  Merlin,  l'histoire  des  rap- 
ports de  a  l'enfant  sans  père  »  avec  Vortigern,  et  celle 
des  amours  d'Uterpendragon  avec  Igerne,  femme  du 
duc  de  Cornouaille,  amours  dans  lesquelles  Uterpen- 
dragon  est  aidé  par  les  prestiges  de  Merlin  et  dont  Ar- 
thur est  le  fruit.  Il  est  probable  que  Robert  de  Boron 
ne  connaissait  VHistoria  que  par  un  récit  oral  qui 
lui  en  avait  été  fait  ou  par  une  lecture  ancienne,  dont 
il  avait  gardé  un  souvenir  fort  inexact.  Gaufrei  nous 
dit  que  le  roi  de  Bretagne  Constantin  avait  trois  fils, 
Taîné,  Constant,  qui  était  moine  et  fut  fait  roi  après 
la  mort  de  son  père,  Aurelius,  qui  régna  après  Cons- 
tant, et  Uterpendragon,  qui  régna  après  Aurelius. 
Robert  a  brouillé  tout  cela  :  dans  son  livre,  le  roi 
Constant  a  un  fils  aîné  appelé  Moine  (!),  qui  règne 
après  lui  \  son  second  fils  s'appelle  Pendragon  et  son 
troisième  fils  Uter  ;  après  la  mort  de  Pendragon,  Uter 
prend  le  nom  d'Uter  Pendragon.  Une  telle  confusion 
prouve  que  l'auteur  était  complètement  étranger  aux 
choses  d'Angleterre;  partout  où  nous  la  retrouvons 
nous  pouvons  affirmer  que  Robert  de  Boron,  chez 

r  Voyez  t.  1,  p.  3i,  32-33,  94  de  notre  édition. 
1.  Voyez  t.  I,  p.  q8,  et  surtout  la  conclusion  du  Merlin  dans  le 
nis.  747  (P.  Paris,  Les  Romans  de  la  Table  Ronde,  t.  1,  p.  347). 


LE  MERLIN  DE  ROBERT  DE  BORON         XI 

qui  elle  s'est  produite,  est  la  source  première.  Cette 
confusion  n'est  pas  d'ailleurs  la  seule.  Sans  parler 
de  l'omission  des  traits  qui  ont  le  plus  d'intérêt  dans 
le  récit  de  Gaufrei  (comme  les  détails  sur  la  ma- 
nière dont  Vortigern  fut  séduit  par  Rowena  \  This- 
toire  de  Vortimer,  le  massacre  des  chefs  bretons  par 
la  trahison  de  Hengist,  etc.),  il  suffit  de  signaler  les 
erreurs  que  commet  Robert  sur  les  rares  noms  de 
lieux  qu'il  mentionne  ^.  Il  n'y  a  pas  d'erreurs  sur 
le  pays  de  «  Norhombelande  »,  le  royaume  d'  «Or- 
kenie  »,  la  ville  de  «  Garduel  en  Gales  »,  les  «  plains 
de  Salesbieres  ^,  »  qu'il  a  gardés  de  ses  sources  sans 
rien  y  ajouter  ;  mais  dès  qu'il  veut  préciser,  il  tombe 
dans  des  méprises  que  n'aurait  jamais  commises  quel- 
qu'un qui  aurait  connu  la  Grande-Bretagne  autre- 
ment que  par  de  très  vagues  récits.  C'est  ainsi  qu'il 

1.  Il  n'en  est  resté  que  la  remarque  sur  garsoil,  que  nous  avons 
empruntée  (p.  38)  au  ms.  747,  et  qui  n'est  même  pas  sûrement  de 
Robert. 

2.  Il  oublie  même,  au  début,  de  nous  dire  où  est  la  scène  du 
récit;  ce  n'est  qu'à  la  page  33  qu'apparaît  le  nom  à'Engleterve. 
Quand  on  emmène  les  frères  du  roi  qu'a  fait  assassiner  Vortigern, 
on  les  emmène  «c  en  estranges  terres  viers  orient,  pour  chou  que 
de  la  estoient  venu  lour  ancissour  Cp.  36)  ».  Dans  Gaufrei  (vi,  8), 
il  s'agit  de  la  Petite-Bretagne,  qui  n'est  nullement  à  l'orient  de  la 
Grande,  Robert  ne  nomme  ni  l'endroit  où  Vortigern  bâtit  sa  tour, 
ni  la  ville  où  on  trouve  Merlin,  ni  le  château  où  Pendragon  assiège 
Hengist,  ni  la  ville  où  meurt  Uter,  etc.  11  a  retenu  le  nom  de  Tinta- 
geul  comme  celui  du  château  où  l'époux  d'Igerne  l'avait  laissée, 
mais  il  ne  sait  plus  que  cet  époux  (dont  il  omet  le  nom)  était  duc 
de  Cornouaille;  il  en  fait  un  duc  de  Tintagcul  (p.  99  ,  et  ne  dési- 
gne nulle  part  le  pays  qui  lui  appartenait. 

3.  Cf.  Wace,  Brut,  v.  7409. 


XII  INTRODUCTION 

fait  de  Winchester  un  port  de  mer  (p.  60,  61),  et 
qu'il  prend  Lx)gres,  le  nom  de  l'Angleterre  orien- 
tale dans  Wace  et  Chrétien  de  Troies,  pour  une 
ville  (p.  i3o,  i33),  qui  a  un  archevêque,  et  où  se 
fait  le  couronnement  d'Arthur.  En  voilà  assez  pour 
nous  édifier  sur  la  compétence  de  Robert  de  Boron 
en  matière  d'histoire  et  de  géographie  bretonnes  :  il 
doit  le  peu  qu'il  en  sait  à  des  souvenirs  confus  d'une 
traduction  du  livre  de  Gaufrei  de  Monmouth  ;  nous 
disons  d'une  traduction,  d'abord  parce  que  rien  n'in- 
dique que  Robert  ait  su  le  latin,  ensuite  parce  que  les 
noms  d'hommes  et  de  lieux  qu'il  cite  dans  une  forme 
française  ont  à  peu  près  celle  que  nous  retrouvons 
par  exemple  dans  Wace  *. 

Robert  ne  s'en  est  pas  tenu  toutefois  à  raconter 
autrement,  d'une  manière  assez  prolixe,  ce  qu'il  se 
rappelait  de  VHistoria  Britofium.  Il  a  fait  des  chan- 
gements et  surtout  des  additions  notables,  pour  ac- 
commoder ce  récit  au  plan  qu'il  se  proposait.  Tout  ce 
qui  concerne  la  conception  surnaturelle  de  Merlin  lui 
appartient.  Il  a  pris  évidemment  dans  l'évangile  de 
Nicodème,  dont  il  pouvait  connaître  une  traduction  ^, 
ridée  du  conseil  tenu  par  les  démons.  Quant  à  la  gé- 

1.  C'est  probablement  par  Wace  que  Robert  a  connu  l'histoire 
des  Bretons;  voyez  ce  qui  est  dit  ci-dessous,  p.  xvir.  II  est  à 
noter  que  Wace  ne  dit  pas  un  mot  de  la  signification  du  com- 
bat des  deux  dragons  (voy.  v.  8726  ss.),  tandis  que  Robert  (p.  57) 
en  donne  une,  comme  Gaufrei  (viii,  3);  mais  ce  n'est  pas  la  même, 
et  celle  que  donne  Robert  lui  était  bien  naturellement  suggérée. 

2.  Voyez:  Trois  versions  rimées  de  l'Evangile  de  Nicodème,  pu- 
bliées par  la  Soc.  des  anc.  textes  (i885). 


LE  MERLIN  DE  ROBERT  DE  BORON  XIII 

nération  de  Merlin  par  un  démon  dans  le  sein  d'une 
vierge,  il  en  doit  Tidée  première  à  Gaufrei,  qui,  lui- 
même,  indique  Apulée  comme  sa  source  ;  mais  il  paraît 
y  avoir  joint  une  application  des  idées  qui  circulaient 
sur  la  façon  dont  l'Antéchrist  viendrait  au  monde  :  on 
croyait  que,  comme  le  Christ  était  né  de  Dieu  et  d'une 
vierge,  son  adversaire  suprême  naîtrait  du  diable  et 
d'une  vierge  ^  Robert  de  Boron  s'est  emparé  de  cette 
idée,  mais  en  l'atténuant  assez  heureusement  :  grâce 
à  l'innocence  de  la  mère  de  Merlin,  le  plan  des  dé- 
mons échoue  cette  fois  ;  Tenfant  que  l'un  d'eux  a  en- 
gendré a  bien  la  science  et  le  pouvoir  de  son  père, 
mais  il  l'emploie  au  bien,  et  Dieu  y  ajoute  même  la 
connaissance  de  l'avenir,  qui  manque  au  diable.  C'est 
là  une  fiction  qui  n'est  pas  sans  mérite  ;  il  est  mal- 
heureux que  par  la  suite  Merlin  ne  montre  pas  tou- 
jours cette  vertu  qu'on  nous  faisait  attendre  :  le  rôle 
qu'il  joue  dans  les  amours  d'Uter  et  d'Igerne  n'est 
rien  moins  qu'édifiant.  Toute  l'histoire  de  sa  mère,  des 

I.  «  Nascetur  autem  ex  patris  et  matris  copulatione,  sicut  alii 
homines,  non,  ut  quidam  fabulantur,  de  sola  virgine...  In  ipso 
vero  etiam  germinationis  suae  primordio  diabolus  simul  intrabit 
in  uterum  matris  suae,  et  sicut  in  vcntrem  matris  domini  nostri 
Jesu  Christi  spiritus  sanctus  venit  et  eam  virtute  sua  obumbravit 
et  virtute  replevit  ut  de  spiritu  sancto  conciperet  et  quod  nasce- 
retur  divinum  csset  et   sanctum,  ita  quoque  diabolus  in  matrem 

Antichristi   descendet  et   totam   eam  replebit ut   diabolo    per 

hominem  coopérante  concipiat.  »  Adson  de  Moutier- en -Der 
It  99*)»  dan*  Migne,  Patrol.  lat.,  t.  Cl,  col.  1294.  On  voit  qu'Adson 
donne  ici  une  version  atténuée,  mais  il  résulte  de  ses  paroles  que 
dans  la  croyance  populaire  l'Antéchrist  devait  être  bien  réellement 
le  fils  du  diable  et  d'une  vierge. 


XIV  INTRODUCTION 

circonstances  de  sa  naissance,  de  ses  premières  divi- 
nations, appartient  à  Robert  de  Boron,  et  n'est  ni  fort 
intéressante  ni  fort  bien  contée;  cependant  l'épisode 
de  la  mère  du  juge  ne  manque  pas  d'un  certain  sel. 

Dès  ce  début  de  son  roman,  Robert  introduit  le 
personnage  de  Biaise,  fort  inutile  au  récit,  mais  très 
important  pour  le  plan  général  de  Tœuvre  dont  Mer- 
lin n'est  qu'une  partie.  C'est  à  Biaise  que  Merlin  ra- 
conte en  résumé  le  sujet  de  Joseph,  et  qu'il  annonce 
celui  de  Percerai  ;  c'est  Biaise  qui  écrit  toutes  les 
aventures  que  Merlin  lui  communique,  «  et  par  son 
livre  les  savons  nous  ».  Ce  scribe  imaginaire  se  re- 
trouve naturellement  dans  le  Perceval  de  Robert. 

Le  voyage  de  Merlin,  quand  les  messagers  de  Vor- 
tigern  viennent  le  chercher,  présente  deux  incidents 
qui  ne  se  trouvent  pas  dans  VHistoria  Britomim  : 
Merlin  rit  en  voyant  un  vilain  acheter  du  cuir  pour 
réparer  ses  souliers,  quand  il  sera  mort  avant  d'arriver 
chez  lui;  il  rit  en  voyant  un  homme  suivre  en  pleurant 
le  convoi  d'un  enfant  dont  il  se  croit  le  père,  tandis 
que  le  vrai  père  est  le  prêtre  qui  chante  en  tête  du 
convoi  :  les  deux  divinations  sont  immédiatement 
vérifiées.  Ces  deux  histoires  se  retrouvent  ailleurs  : 
celle  des  souliers,  avec  quelques  modifications,  est 
attribuée  à  Merlin,  mais  dans  de  tout  autres  circons- 
tances (Merlin,  devenu  sauvage,  a  été  capturé  et  est 
amené  à  la  cour  d'un  roi),  par  Gaufrei  de  Monmouth 
dans  la  Vita  Merlini  ;  elle  est  rapportée  au  démon 
Asmodée  (amenéà  Salomon  à  peu  près  comme  le  Mer- 
lin de  la  Vita)  par  une  ancienne  légende  hébraïque; 


LE  MERLIN  DE  ROBERT  DE  BORON        XV 

—  celle  de  l'enterrement  se  retrouve,  sans  le  nom 
de  Merlin,  dans  un  conte  de  Straparola,  qui  l'en- 
toure de  circonstances  analogues  à  celles  que  racon- 
tent pour  la  première  la  Vita  et  la  légende  talmudique. 
Où  Robert  de  Boron  a-t-il  puisé  ces  deux  anecdotes? 
S'il  ne  donnait  que  la  première,  on  pourrait  croire  qu'il 
l'a  prise  dans  la  Vit  a  Mef^lini;  mais,  d'une  part,  la 
seconde  ne  s'y  retrouve  pas  et  se  retrouve  dans  Stra- 
parola; d'autre  part,  la  Vita  donne  deux  autres  échan- 
tillons de  la  science  de  Merlin,  au  moins  aussi  pi- 
quants, et  que  Robert  n'aurait  sans  doute  pas  laissé 
perdre.  Il  est  donc  probable  qu'il  circulait  oralement 
des  contes  sur  les  «  devinailles  »  de  Merlin,  dont  deux 
ont  été  recueillis  et  insérés  ici  par  Robert  ^ 

Nous  passons  rapidement  sur  les  diverses  méta- 
morphoses où  se  plaît  Merlin  et  sur  les  tours  peu 
plaisants  qu'il  joue  à  Uteret  à  Pendragon  :  ce  sont  là 
sans  doute  des  inventions  de  Robert,  qui  ne  méritent 
d'être  remarquées  qu'à  cause  des  imitations  qu'on  en 
a  faites  dans  d'autres  romans.  Nous  signalerons  seu- 
lement un  épisode  à  propos  duquel  se  pose  aussi  la 
question  de  source  :  c'est  la  triple  prédiction  faite  au 
même  personnage  sous  trois  déguisements,  et  qui, 
toute  contradictoire  qu'elle  paraisse,  se  réalise  pour- 
tant entièrement.  On  a  déjà  remarqué  ^  que  cette 
historiette  se  retrouve  dans  la  Vita  Merlini  de  Gau- 

1.  Nous  nous  contentons,  sur  ccitc  question  curieuse,  de  ces 
indications  générales,  parce  qu'il  paraîtra  prochainement  sur  ce 
sujet  une  étude  détaillée  dans  la  Rnmania. 

2.  P.  Paris,  Les  Rumaus  lie  la  TaMc  Ronde  ;  t.  Il,  p.  5(1. 


XVI  INTRODUCTION 

frei,  et  il  est  probable  que  c'est  de  là,  par  une  trans- 
mission plus  ou  moins  indirecte,  qu'elle  est  arrivée  à 
Robert  de  Boron.  Elle  n'a  pas  gagné  en  chemin  : 
Tanecdote  est  plus  piquante  dans  le  latin  de  Gaufrei 
que  dans  le  français  de  Robert,  et  on  remarquera  no- 
tamment que  celui-ci  ne  connaît  pas  le  déguisement 
en  femme  du  jeune  homme  dont  la  mort  est  trois  fois 
prédite.  Or  Pincertitude  sur  le  sexe  du  personnage 
causée  par  ce  déguisement  en  femme  remonte  à  la 
source  même  où  Gaufrei  paraît  bien  avoir  puisé  la 
donnée  de  ce  conte  qu'il  a,  en  le  transformant  d'ail- 
leurs sensiblement,  introduit  dans  son  poème.  Cette 
source  est  la  célèbre  épigramme  de  V Hermaphrodite, 
qui  est  peut-être  d'Hildebert  de  Lavardin,  et  sur  la- 
quelle on  lira  avec  profit  une  savante  dissertation  de 
M.  Hauréau  ^  L'épigramme,  où  le  sexe  du  héros  de 
l'aventure  est  douteux  non-seulement  en  apparence, 
mais  en  réalité,  attribue  à  trois  divinités  différentes 
les  trois  prédictions  qui  semblent  inconciliables  :  Gau- 
frei a  eu  ridée  assez  ingénieuse  de  les  faire  émettre 
toutes  trois  par  le  seul  Merlin,  qui  passe  ainsi  pour 
un  imposteur  jusqu'à  ce  que  l'événement  justifie  sa 
véracité  d'une  manière  éclatante. 

Aux  p.  94-98  est  le  passage  capital  du  Merlin  dans 
le  plan  de  Robert  de  Boron  :  Merlin  y  raconte  l'his- 
toire des  deux  tables  saintes  de  Jésus  et  de  Joseph,  et 
engage  Uter  Pendragon  à  instituer  la  troisième,  celle 


I .  Hauréau,  Les  Mélanges  poétiques  d'Hildebert  (Paris,  1882). 
p.  141  ss. 


LE  MERLIN  DE  ROBERT  DE  BORON  XVII 

qui  devint  la  fameuse  Table  Ronde.  A  cette  table  est 
un  siège  vide,  comme  à  celles  de  Jésus  et  de  Joseph; 
Merlin  prédit  à  Uter  que  ce  siège  ne  sera  rempli  que 
sous  son  successeur,  par  un  chevalier  qui  n'est  pas 
encore  né,  dont  le  père  n'est  même  pas  marié,  et  qui 
aura  d'abord  mis  à  fin  l'aventure  du  graal  (p.  98)  :  il 
s'agit  évidemment  de  Perceval,  fils  d'Alain  le  Gros, 
d'après  le  Joseph  et  le  Perceval.  Cette  institution  de 
la  Table  Ronde  par  Uter  est  une  invention  de  Robert 
de  Boron  ;  Wace  nous  dit  expressément  (on  sait  que 
Gaufrei  ne  mentionne  pas  la  Table  Ronde)  que  ce 
fut  Arthur  qui  l'institua  (v.  9998).  C'est  aussi  Robert 
qui  l'a  placée  à  Carduel,  au  lieu  de  Carlion,  ville 
qu'il  ne  mentionne  pas  et  ne  semble  pas  connaître. 

Les  amours  d' U  ter  et  d'Igerne  sont  racontées  d'après 
Gaufrei,  mais  avec  d'assez  grandes  divergences.  No- 
tons d'abord  que  le  récit  de  Robert  de  Boron  parait 
bien  remonter,  plus  ou  moins  directement,  à  la  ver- 
sion de  Wace,  à  en  juger  par  certaines  circonstances  : 
ainsi  le  nom  de  Gorlois,  mari  d'Igerne  dans  Gaufrei, 
est  omis  par  Wace  et  ne  se  retrouve  pas  non  plus 
dans  Robert  ;  le  second  des  amis  de  Gorlois,  celui  dont 
Merlin  prend  la  figure,  se  nomme  Britilliis  dans 
Gaufrei  ;  Wace  en  fait  Bretel  ou  Bertel,  et  Robert 
lui  donne  le  même  nom.  Mais  notre  auteur  s'écarte 
de  sa  source  en  plusieurs  points.  La  fête  où  Uter  s'é- 
prend d'Igerne  se  tient  à  Londres,  et  à  l'occasion  de 
Pâques,  dans  Gaufrei  \  Robert  raconte  deux  fêtes  suc- 
cessives, toutes  deux  données  à  Carduel,  l'une  pour 
Noël,  l'autre  pour  la  Pentecôte.  Toute  l'histoire  de 

T.  I.  b 


XVIII  INTRODUCTION 

la  séduction  essayée  par  le  roi  est  racontée  ici  avec 
beaucoup  plus  de  détails,  et  non  sans  agrément;  le 
caractère  d'Igerne  est  plus  soigneusement  mis  au- 
dessus  de  tout  soupçon  que  dans  le  récit  de  Gaufrei. 
Son  mari,  comte  ou  duc  de  Gornouaille  dans  VHis- 
toria,  est  ici  duc  de  Tintageul,  par  un  oubli  évident 
de  la  version  primitive.  Merlin  ne  se  présente  pas 
simplement  quand  on  le  mande,  comme  dans  VHis- 
toria  :  il  commence  par  faire  au  roi  une  de  ses  mys- 
tifications habituelles.  Chez  Gaufrei,  après  la  mort 
de  Gorlois,  Uter  épouse  sa  veuve  sans  autre  forme  de 
procès  ;  Robert  raconte  longuement  les  négociations 
et  l'arrangement  tout  féodal  auxquels  cette  union 
donne  lieu.  Mais  la  différence  la  plus  essentielle  entre 
les  deux  récits  est  dans  ce  qui  concerne  l'enfant  né 
du   premier  commerce  dlgerne  avec   Uter,  caché 
par  Merlin  sous  la  figure  de  Gorlois  ;  Robert  de  Boron 
a  fait  là  des  changements  considérables,  qui  rattachent 
intimement  cet  épisode  à  l'épisode  final  de  son  Merlin. 
D'après  Gaufrei,  le  mariage  d'Uter  et  d'Igerne  se 
faisant  aussitôt  après  l'aventure  à  laquelle  Arthur 
doit  la  naissance,  celui-ci  passe  tout  naturellement 
pour  le  fils  légitime  d'Uter,  et,  quant  son  père  meurt 
quinze  ans  après,  il  le  remplace  sans  difficulté  sur  le 
trône.  Il  n'en  est  pas  de  même  dans  Robert,  qui  a 
fait  de  cet  incident  le  point  de  départ  d'inventions  tout 
à  fait  romanesques.  Le  mariage  d'Uter  et  d'Igerne  n'a 
lieu  chez  lui  que  deux  mois  (p.  120)  après  la  concep- 
tion d'Arthur  :  l'enfant  ne  peut  donc  guère  passer 
pour  le  fils  d'Uter,  bien  qu'il  le  soit  réellement,  et 


LE  MERLIN  DE  ROBERT  DE  BORON        XIX 

Igerne  elle-même  attribue  à  un  être  surnaturel,  qui 
avait  pris  la  forme  de  son  premier  mari,  la  paternité 
de  l'enfant  qu'elle  porte.  Merlin,  pour  éviter  tout 
scandale,  se  fait  remettre  l'enfant  dès  qu'il  est  né,  et 
le  confie  à  un  «  prudhomme  »  nommé  Auctor  ^,  qui 
ignore  la  condition  de  Tenfant,  et  dont  la  femme  le 
nourrit  de  son  lait,  remettant  à  une  nourrice  le  soin 
d'allaiter  l'enfant  qu'elle  vient  de  mettre  au  monde. 
Quinze  ans  après,  Uter  étant  mort  (Robert  ne  dit  pas, 
comme  Gaufrei,  que  les  Saxons  l'eussent  empoi- 
sonné), la  Bretagne  se  trouve  sans  roi.  Arthur  seul  réus- 
sit, sans  savoir  d'ailleurs  l'importance  de  ce  qu'il  fait, 
à  enlever  de  l'enclume  merveilleuse  l'épée  qui  y  est 
plantée,  et  qui  doit  assurer  la  royauté  à  celui  qui  la 
retirera.  Il  est  ainsi  désigné  pour  être  roi;  mais  les 
barons  du  pays  sont  mécontents  d'avoir  un  roi  de  si 
petite  condition,  car  tout  le  monde  le  croit  fils  d' Auc- 
tor :  on  renouvelle  l'épreuve  de  l'enclume,  qui  donne 
le  même  résultat,  et,  ce  qui  vaut  mieux  encore,  les 
épreuves  morales  auxquelles  est  soumis  Arthur  mon- 
trent en  lui  toutes  les  qualités  royales.  On  ne  résiste 
plus  alors,  et  l'archevêque  de  Logres  (voyez  ci-dessus, 
p.  xii),  après  avoir  fait  Arthur  chevalier,  le  sacre  roi 
le  jour  de  la  Pentecôte. 

Ce  récit  a  visiblement  pour  objectif  essentiel  d'ac- 
croître le  prestige  et  d'agrandir  le  rôle  de  Merlin, 
personnage  principal  de  l'œuvre  de  Robert  :  il  est 


I .  Telle  est  la  forme  de  notre  manuscrit;  les  autres  donnent  gé- 
néralement Antor. 


XX  INTRODUCTION 

clair,  en  effet,  bien  qu'on  ne  le  dise  pas  expressément, 
que  répreuve  de  l'enclume  a  été  disposée  par  lui. 
L'idée  même  de  cette  épreuve  paraît  puisée  dans  des 
légendes  bibliques  :  elle  rappelle,  par  exemple,  This- 
toirc  de  la  verge  de  Joseph,  qui  désigne,  en  fleurissant 
seule,  celui  qui  doit  être  Tépoux  de  Marie.  Il  serait 
facile  de  remonter  plus  haut  dans  la  recherche  de  ces 
désignations  miraculeuses,  et  il  suffit  de  rappeler  le 
nœud  gordien,  ou,  dans  un  autre  genre,  le  cheval  de  Da- 
rius ^  On  retrouve  d'ailleurs  des  récits  analogues  dans 
plusieurs  contes  bretons;  nous  citerons  surtout  un 
passage  de  la  première  continuation  de  Perceval,  où 
il  s'agit  de  retirer  du  corps  d'un  chevalier  mort,  pour 
pouvoir  le  venger,  un  tronçon  de  lance,  et  où  celui  qui 
réussit  seul  à  le  retirer  le  fait  par  inadvertance  *.  Il 
est  certain  que  Robert  de  Boron  connaissait  nombre 
de  romans  arthuriens,  et  il  a  pu  puiser  dans  l'un  d'eux 
l'idée  de  cette  aventure;  mais  il  y  a  mêlé  des  élé- 
ments de  provenance  diverse,  et  il  paraît  avoir  eu  seul 
l'idée  de  la  rapporter  à  la  désignation  d'Arthur  comme 
roi. 

Un  autre  élément  de  cette  histoire  des  premières 
années  d'Arthur  doit  également  son  insertion  dans  le 
récit  et  sans  doute  son  invention  aux  romans  fran- 
çais antérieurs  ;  nous  voulons  parler  de  ce  qui  est 

1.  On  peut  aussi,  à  un  autre  point  de  vue,  rappeler  le  perron 
d'acier  qui,  d'après  la  légende,  servait  à  Aix-la-Chapelle,  du  temps 
de  Charlemagne,  à  l'épreuve  des  épées.  Voy.  G.  Paris,  lîist.  poé- 
tique de  Charlemagne,  p.  3 70. 

2.  Voyez  Hist.  litt.  de  la  France,  t.  XXX  (sous  presse),  p.  Sa. 


LE  MERLIN  DE  ROBERT  DE  BORON  XXI 

raconté  de  Keu ,  le  fils  d'Auctor.  Pour  pouvoir 
nourrir  Arthur,  la  mère  de  Keu  confie  son  enfant 
à  une  nourrice  étrangère,  et  c'est  pour  avoir  sucé 
le  lait  d'une  femme  de  condition  inférieure  que  Keu 
devint  «  fel  et  faus  et  vilains  »  (p.  3o)  ^  ;  aussi  Ar- 
thur, qui  le  fit  son  sénéchal,  lui  pardonna-t-il  tou- 
jours tous  ses  défauts,  considérant  la  manière  dont  il 
les  avait  acquis.  Nous  avons  là  une  explication  et  du 
mauvais  caractère  que  les  romans,  depuis  Chrétien  de 
Troies  2,  attribuent  à  Keu,  et  de  la  singulière  longa- 
nimité avec  laquelle  Arthur  supporte  d'ordinaire  son 
peu  courtois  sénéchal;  mais  cette  explication  est  sortie 
de  la  cervelle  de  Robert  de  Boron,  et  nous  ne  la  re- 
trouvons nulle  part,  si  ce  n'est  dans  des  récits  qui  re- 
montent plus  ou  moins  directement  au  sien  ^. 

Le  Merlin  de  Robert  de  Boron  se  termine  au  cou- 
ronnement d'Arthur  (t.  I,  p.  146  de  cette  édition). 
Dans  le  meilleur  manuscrit  les  mots  «  et  tint  son 
roiaume  lonc  tens  en  pais»  sont  suivis  de  cette  remar- 
que finale  :  «  Et  je  Robers  de  Boron,  qui  cest  livre 

1.  C'est  là  une  croyance  fort  répandue  au  moyen  âge;  voyez,  par 
exemple,  les  Sept  Sages,  v.  i85  ss.,  et  cf.  l'anecdote  sur  Ide,  mère 
de  Godefroi  de  Bouillon,  qui  fit  dégorger  à  son  fils  le  lait  qu'en  son 
absence  il  avait  bu  au  sein  d'une  étrangère;  on  sait  qu'on  a  raconté 
plus  tard  la  même  chose  de  Blanche  de  Castille  (voyez  Hist.  litt.  de 
la  France,  t.  XXII,  p.  SgS).  Cf.  P.  lA^y^v,  Alexandre,  t.  II,  p.  141. 

2.  Voyez  Hist,  litt.  de  la  France,  t.  XXX,  p.  5i. 

3.  On  a  même  essayé  une  autre  explication  d'un  fait  qui,  naturel- 
lement, surprenait  (cf.  Hartmann,  Jwein,  v.  2566).  Dans  la  Ven- 
geance de  Raguidel,  l'indulgence  d'Arthur  est  motivée  par  le  fait 
que  Keu  aurait  été  l'oncle  de  la  reine  Gucnièvre  (voy.  Hist.  litt. 
de  la  France,  t.  XXX,  p.  63). 


XXII  INTRODUCTION 

retrais ne  doi  plus  parler  d'Artu  tant  que  j'aie 

parlé  d'Alain  le  fils  Bron  et  que  j'aie  devisé  par  raison 
por  quelles  choses  les  poines  de  Bretaigne  furent  esta- 
blies;  et  ensi  com  li  livres  le  reconte  me  convient  a 
parler  et  retraire  qués  hom  fu  Alains  et  quele  vie  il 
mena  et  qués  oirs  issi  de  lui  et  quele  vie  si  oir  menè- 
rent. Et  quant  tens  sera  et  leus  et  je  avrai  de  cestui 
parlé,  si  reparlerai  d'Artu  et  prendrai  les  paroles  de 
lui  et  de  sa  vie  a  s'eleccion  et  a  son  sacre  K  »  Le 
troisième  roman  de  Robert  de  Boron,  le  Percevais 
ne  tient  que  la  seconde  de  ces  promesses;  il  ne  nous 
parle  pas  de  la  vie  que  mena  Alain,  mais  débute 
ainsi  :  «  Quant  Artus  fu  coronez  et  l'on  li  ot  fait  tou- 
tes ses  droitures *.  »  Peu  après  nous  assistons 

aux  derniers  moments  d'Alain,  qui  envoie  à  la  cour 
son  fils  Perceval.  Il  est  donc  permis  de  conjecturer 
qu'un  poème  de  Robert  de  Boron,  intermédiaire  entre 
Merlin  et  Perceval,  et  qui  racontait  la  vie  et  le  ma- 
riage d'Alain,  s'est  perdu  sans  laisser  de  trace,  ce 
qui  n'a  rien  d'étonnant,  si  on  songe  que  le  Perceval 
de  Robert  ne  nous  est  arrivé  que  dans  un  manuscrit  du 
xiv^  siècle,  mis  en  prose,  et  déplorablement  altéré  ^, 


1.  Ms.  B.  N.  fr.  747,  f®  io2.  Voyez  P.  Paris,  les  Romans  de  la 
Table  Ronde,  t.  I,  p.  357;  Birch-Hirschfeld,  Die  Sagevom  Gral, 

P-  179- 

2.  Hucher,  Le  Saint-Graal,  t.  I,  p.  141. 

3.  Il  serait  possible  qu'il  nous  manquât  également  un  poème  en- 
tre le  Joseph  et  le  Merlin.  A  la  fin  du  premier  de  ces  ouvrages,  Ro- 
bert fait  toutes  sortes  d'annonces  qui  ne  sont  nullement  réalisées 
dans  le  second.  Cependant  il  faut  remarquer  que  le  manuscrit 
unique  en  vers  de  Robert  fait,  comme  tous  les  manuscriu  en 


LA   SUITE   DU   MERLIN  XXIII 

Les  continuations  jointes  au  Merlin  par  d'autres  que 
par  Robert  de  Boron  firent  négliger  et  bientôt  com- 
plètement oublier  la  suite  qu'il  avait  donnée  lui- 
même  à  son  œuvre.  On  remania  considérablement  le 
Joseph;  on  conserva  le  Merlin,  qui  contenait  des 
faits  indispensables  pour  l'intelligence  de  la  légende  du 
graal.  Il  nous  reste  à  parler  des  récits  par  lesquels 
on  remplaça  ce  qui  suivait  le  Merlin, 


IV.   —    LA    SUITE   DU    MERLIN. 


M.  Paulin  Paris  a,  le  premier,  remarqué  que  le 
Merlin  de  Robert  de  Boron  s'arrête  à  l'endroit  qui 
vient  d'être  indiqué  ^  Ce  qui,  dans  la  plupart  des  ma- 
nuscrits, des  éditions  anciennes  et  des  traductions 
étrangères,  forme  la  suite  et  la  fin  du  roman  de  Mer- 
lin est  visiblement  d'une  autre  main;  M.  Paulin  Pa- 
ris a  donné  à  cette  composition,  soudée  au  roman  de 
Robert,  le  nom  de  Livre  d'Arthur^  qui  est  parfaite- 
ment justifié  par  le  contenu,  mais  qui  a  l'inconvénient 
de  ne  se  trouver,  à  notre  connaissance,  dans  aucun 

prose,  suivre  immédiatement  le  Joseph  par  le  Merlin.  Robert,  qui 
semble  avoir  composé  son  œuvre  en  s'y  reprenant  à  plusieurs  fois, 
a'a  peut-être  exécuté  que  les  trois  parties  essentielles,  Joseph, 
Merlin,  Percevais  se  réservant  de  les  relier  par  des  poèmes  qu'il  a 
conçus,  mais  qu'il  n'a  pas  écrits. 

I.  il  suffit  de  renvoyer,  sur  ce  point,  aux  livres  de  MM.  P.  Paris 
et  Birch-Hirschfeld. 


XXIV  INTRODUCTION 

manuscrit  *.  Quand  on  examine  ce  roman  avec  atten- 
tion, on  voit  qu'il  a  été  composé  après  le  ro- 
man de  Lancelot^  pour  le  préparer,  et  pour  servir  de 
transition  entre  le  Merlin  de  Robert  de  Boron  et  le 
Lancelot,  En  effet,  comme  on  Ta  vu,  le  Perceval  de 
Robert  de  Boron,  conclusion  de  son  œuvre,  avait  été 
remplacé  par  d'autres  compositions  consacrées  à  la 
recherche  et  à  la  découverte  du  saint  graal;  ces  com- 
positions avaient  été  fondues  avec  le  Lancelot,  dont 
elles  sont  aujourd'hui  presque  inséparables.  Dès  lors, 
entre  le  Merlin  de  Robert  et  le  Lancelot,  s'ouvrait 
une  lacune  considérable,  dans  laquelle  devait  se  pla- 
cer, avec  la  fin  des  aventures  de  Merlin,  l'histoire 
d'Arthur  jusqu'au  moment  où  Lancelot  arrive  à  sa 
cour.  C'est  cette  lacune  que  s'est  proposé  de  combler 
l'auteur  du  «  livre  d'Arthur  »  *,  il  l'a  fait,  soit  en  déve- 
loppant des  indications  de  Lancelot  y  soit  en  reprenant 
dans  Gaufrei  de  Monmouth  ou  dans  le  Perceval  de 
Robert,  soit  en  compilant  des  récits  de  provenance  di- 
verse. Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'étudier  ce  roman,  dont 
il  suffit  d'avoir  marqué  la  place  dans  le  développe- 
ment général  des  romans  arthuriens  en  prose  -. 

Le  manuscrit  Huth  nous  offre  une  suite  du  Merlin 
de  Robert  de  Boron  toute  différente  de  celle  qu'on 

1.  Voyez  cependant  P.  Paris,  t.  V,  p.  356. 

2.  Le  ras.  de  la  B.  N.  fr.  337  contient  du  «  livre  d'Arthur  »  une 
rédaction  qui,  à  partir  d'un  certain  endroit,  diffère  complètement 
de  la  vulgate.  Cette  rédaction  sera  publiée  par  la  Société  des  an- 
ciens /ejf/es  et  donnera  l'occasion  d'étudier  différentes  questions  qui 
ne  peuvent  être  abordées  ici.  Elle  n'a,  d'ailleurs,  aucun  rapport  avec 
celle  du  ms.  Huth. 


LA   SUITE   DU   MERLIN  XXV 

peut  appeler  la  vulgate  ^  ;  c'est  cette  suite  que  nous  de- 
vons examiner  de  près.  Le  manuscrit  étant  incomplet 
de  la  fin,  nous  ne  savons  au  juste  où  elle  s'arrêtait;  il 
est  probable  cependant,  comme  nous  le  verrons,  que 
cette  partie,  originale  et  unique,  d'une  compilation  qui 
comprenait  le  Joseph  et  le  Merlin  de  Robert  et  se  ter- 
minait sans  doute  par  une  Queste  du  saint  graal^  ne 
dépassait  pas  beaucoup  l'endroit  où  s'arrête  notre  ma- 
nuscrit. 

L'auteur  de  cette  suite  se  donne,  à  plusieurs  repri- 
ses, pour  Robert  de  Boron.  Le  manuscrit  ne  présente, 
d'ailleurs,  aucune  division  marquée  à  l'endroit  où 
s'arrête  le  Merlin  de  Robert  ^,  La  première  question 
que  nous  devions  nous  poser  est  donc  celle  de  savoir 
si  on  peut  réellement  attribuer  à  Robert  de  Boron  la 
suite  de  Merlin  que  nous  publions. 

A  cette  question,  il  faut,  sans  aucun  doute,  répon- 
dre négativement,  comme  le  feront  voir  les  remarques 
suivantes  ;  il  serait  facile  d'en  augmenter  le  nombre, 
mais  elles  suffisent  parfaitement  à  notre  objet.  Nous  ne 
parlerons  pas  de  la  différence  de  ton  et  de  style  qui 
est  pourtant  si  marquée  entre  les  deux  parties;  nous 
n'insisterons  pas  sur  ce  fait  que  la  suite  de  Merlin 
connaît  un  grand  nombre  d'aventures  et  de  person- 


i.On  peut  encore  regarder  comme  une  autre  suite  l'ouvrage 
singulier,  et  assurément  composite,  qui  porte,  sous  des  formes  di- 
verses, le  nom  de  Prophéties  de  Merlin.  Voyez  ci-dessous,  p.  xxxii. 

2.  T.  I,  p.  147.  Dans  beaucoup  de  mss.  qui  contiennent  \t  Mer- 
lin de  Robert  avec  la  suite  ordinaire,  il  n'y  a  même  pas  de  para- 
graphe à  l'endroit  où  finit  le  premier. 


XXVI  INTRODUCTION 

nages  étrangers  aux  divers  romans  de  Robert  de  Bo- 
ron;  nous  ne  relèverons  que  les  contradictions  flagran- 
tes. Dans  le  Jqseph  et  dans  le  Merlin^  il  est  dit  ex- 
pressément, à  plusieurs  reprises,  que  Perceval  sera  le 
fils  d'Alain,  fils  de  Bron;  — •  dans  notre  texte,  il  est  fils 
de  Pellinor  (voyez  notamment  t.  I,  p.  2  58).  Dans  le 
Merlin^  on  raconte  que  Merlin  établit,  pour  Uter,  la 
Table  Ronde  à  Carduel  en  Galles,  et  il  résulte  claire- 
ment du  contexte  qu'elle  n'en  bougea  pas; — dans  notre 
suite  on  voit,  sans  qu'on  comprenne  comment,  cette 
table  transportée  chez  le  roi  Léodegan  de  Carmelide, 
et  quand  Arthur  en  devient  possesseur,  c'est  à  Gama- 
lot  qu'il  l'établit  (t.  II,  p.  65).  Le  PercevalnoMs  mon- 
tre Merlin  se  retirant  au  fond  d'une  forêt  dans  son  e^- 
plumeor^où  personne  ne  l'aperçoit  plus,  et  où  il  attend, 
vivant,  le  jugement  dernier  (Hucher,  Le  Saint-Graal, 
1. 1,  p.  5o3-5o5)  ;  —  ici  il  est  «  entombé  »  par  la  ruse  de 
celle  qu'il  aime,  et  on  ne  voit  pas  clairement  si  dans  sa 
tombe  il  est  mort  ou  vivant.  Enfin  voici  le  plus  déci- 
sif. Notre  texte  raconte  longuement  comment  Merlin, 
en  obligeant  Igerne,  mère  d'Arthur,  à  se  défendre 
d'une  accusation  publique,  réussit  à  établir  devant 
tous  qu'Arthur  était  le  fils  du  roi  Uter  Pendragon  ;  or 
Robert  de  Boron  nous  avait  dit  positivement  qu'Igerne 
était  morte  avant  Uter.  Il  est  vrai  que  l'auteur  de 
notre  suite  a  supprimé,  dans  le  Merlin  de  Robert, 
la  mention  de  ce  fait  à  l'endroit  où  elle  se  trouvait 
dans  son  original  *  ;  mais,  par  distraction,  il  l'a  lais- 

I.  C'est  à  la  p.  127  du  t.  I,  ligne  i,  que  devrait  se  trouver  la 


LA  SUITE  DU   MERLIN  XXVII 

séc  subsister  dans  le  discours  que  Merlin  tient  à  Uter 
peu  de  temps  avant  sa  mort  (t.  I,  p.  i3g)  :  «  Tu  ses 
bien  que  Ygerne  ta  feme  est  morte,  et  tu  ne  pues  autre 
feme  mais  avoir.  »  Il  résulte  invinciblement  de  là  que 
ce  n'est  pas  Robert  de  Boron  qui  a  composé  la  scène 
où  figure  Igerne  après  la  mort  d'Uter  Pendragon  2, 
ni,  par  conséquent,  l'ensemble  de  la  continuation  de 
Merlin. 

Puisque  l'auteur  de  la  suite  du  Merlin  n'est  pas 
Robert  de  Boron,  il  ment  quand  il  prétend  l'être.  Il 
usurpe  ce  nom  dans  neuf  passages  du  ms.  Huth;  cinq 
de  ces  passages,  qui  touchent  à  d'autres  questions, 
seront  rappelés  plus  loin  ;  trois  ne  contiennent  qu'une 

phrase  omise;  elle  se  lit,  par  exemple,  dans  le  ms.  747,  f"  69  r"  a  : 
o  EtUters  Pandragons  tint  puis  la  terre  lonc  tans;  si  H  avint  une 
moût  grant  mescheance  au  chief  de  set  anz,  car  sa  famé  Yguerne 
s'adola  si  de  son  anfent  que  perdu  avait  en  son  cuer  que  ele  en  prist 
une  (si)  grant  maladie  qui  li  dura  deux  anz  et  demi  et  plus,  si  que 
a  morir  l'en  covint,  si  en  fu  a  merveilles  li  rois  trop  dolanz  et 
grant  duel  merveilleux  en  fist  qui  longuement  li  dura,  car  a 
merveille  Tamoit.  »  Ce  morceau  manque  également  dans  tous  les 
autres  manuscrits  de  Merlin  que  nous  avons  consultés,  ainsi  que 
dans  les  traductions  étrangères,  ce  qui  donne  lieu  à  des  conclusions 
que  nous  ne  pouvons  exposer  ici  sur  le  rapport  de  ces  manuscrits 
avec  la  rédaction  contenue  dans  le  nôtre. 

2.  Robert,  dans  le  Perceval,  s'est  borné  à  dire,  en  peu  de  mots, 
que  Merlin  avait  révélé  aux  Bretons  la  vraie  filiation  d'Arthur  : 

«  Si  vint  Merlin  a  la  cort et  vint  oiant  touz  et  lor  dist  :  Seygnor, 

il  est  bien  droiz  que  je  vous  faz  sages  qui  est  cil  que  vos  avés  fait 
roi(8)  par  l'esleccion  de  nostre  seygnor.  Sachiez  que  il  [est]  filz 
au  roi  Uter  Pendragon  nostre  seygnor  lige,  et  enz  en  la  nuit  que  il 

fu(8t)  ne(e)z  le  me  fist  il  baillier,  et  je  Tcnchargié  a  Antor et  il 

le  norri  volentiers...  A  icestc  parole  ont  moût  grant  bruit  et  moût 
grani  joie  démené  touz  li  baron  del  pais  (Hucher,  t.  I,  p.  416).  » 


XXVIII  INTRODUCTION 

simple  mention  (t.  I,  p.  192,  253;  t.  II,  p.  iSy); 
voici  le  neuvième  (qui  est  en  réalité  le  premier)  :  «  Et 
tout  li  conte  canques  il  estoit  avenu  d'Uter  Pandra- 
gon  et  d'Ygerne,  tout  ensi  conme  li  contes  Ta  ja  de- 
visé; ne  mes  sires  Robers  de  Borron  ne  veult  mie  ra- 
conter chou  qu'il  a  autre  fois  dit,  car  il  ne  veult  mie 
croistre  son  livre  de  tais  (lisez  tantes?)  paroles,  ains 
tient  la  droite  voie  (t.  I,  p.  162).  »  On  voit  qu'ici  le 
continuateur  prétend  expressément  être  l'auteur  de  la 
première  partie  du  Merlin,  ce  qui  nous  engage  encore 
plus  à  nous  tenir  en  garde  contre  ses  assertions. 

Parmi  ces  assertions,  il  en  est  une  qui  a  pour  l'his- 
toire littéraire  une  importance  particulière,  c'est  celle, 
trois  fois  répétée,  qui  concerne  un  certain  Hélie,  dont 
le  prétendu  Robert  de  Boron  parle  comme  d'un  ami, 
d'un  émule,  et  presque  d'un  collaborateur.  La  pre- 
mière mention  de  ce  personnage  se  trouve  à  la  p.  57  du 
t.  II.  Après  avoir  fait  une  annonce  qui  se  rapporte  au 
Lancelot  (voyez  ci-dessous,  p.  xxxviii),  et  avoir  déclaré 
qu'il  ne  peut  traduire  tout  ce  qu'il  trouve  dans  le  livre 
latin  du  saint  graal,  l'auteur  ajoute  :  «  Et  je  prie  a  mon 
signeur  Helye,  qui  a  esté  mes  compains  a  armes  et  en 
joveneche  et  en  viellece,  que  il,  pour  l'amour  de  moi 
et  pour  moi  un  poi  allegier  de  celé  grant  painne, 
prenge  a  translater,  ensi  comme  je  le  deviserai,  une 
petite  branke  qui  appartient  a  mon  livre,  et  sera  celé 
branke  apielee  li  contes  del  brait,  miervilleusement 
delitable  a  oir  et  a  raconter.  Ne  je  ne  l'en  sevraisse  ja 
se  je  ne  doutaisse  que  li  livres  fust  trop  grans;  mais 
pour  chou  l'en  départirai  jou  et  li  envoierai.  Et  je  le 


LA  SUITE   DU   MERLIN  XXIX 

connois  a  si  sage  et  a  si  soutil  que  je  sai  bien  qu'il 
Tavera  tost  translaté,  s'il  i  veult  mettre  un  poi  de 
painne;  je  li  pri  qu'il  li  mèche.  Mais  or  laisserai  a  tant 
la  priiere,  car  se  Dieu  plaist  et  lui,  il  le  fera  ensi  que  je 
li  requier.  »  La  seconde  mention  d'Hélie  est  à  la 
p.  172  du  1. 11^  s'excusant  cette  fois  de  ne  pas  raconter 
les  aventures  de  Baudemagus,  notre  romancier  dit  : 
«  Mais  de  chose  ne  d'aventure  qui  li  avenist  en  toute 
la  voie  ne  parole  mes  livres,  car  mes  sires  Helyes  mes 
compains  a  empris  sa  matière  a  recorder  chi  et  a 
translater  encontre  celle  partie  pour  un  poi  allegier  de 
ma  painne.  »  Il  recommande  ensuite  à  tous  la  lecture 
de  cette  «  branche  »  de  Baudemagus,  et  ajoute  :  «  Car 
mes  sires  Helyes  en  a  commenchié  l'ystoire  a  transla- 
ter. »  Enfin  il  nous  parle  encore  d'Hélie  et  de  son 
«  conte  del  brait  »,  en  nous  donnant  l'explication  de 
ce  nom,  à  la  p.  198  du  même  tome.  Il  raconte  là  que, 
Merlin  une  fois  enfermé  dans  sa  tombe,  personne  ne 
l'entendit  plus  parler,  hors  Baudemagus,  qui  y  vint 
quatre  jours  après,  quand  Merlin  vivait  encore.  «  De 
ceste  aventure  que  je  vous  devise  chi  ne  parole  pas 
chis  livres,  pour  chou  que  li  contes  del  brait  le  devise 
apertement.  Et  saichiés  que  li  brais  dont  maistre  He- 
lies  fait  son  livre  fu  li  daerrains  brais  que  Merlins 
gieta  en  la  fosse  ou  il  estoit,  del  grant  duel  qu'il  ot 
quant  il  aperchut  toutes  voies  qu'il  estoit  livrés  a  mort 
par  engien  de  feme  et  que  sens  de  feme  a  le  sien  sens 
contrebatu.  Et  del  brait  dont  je  vous  parole  fu  la  vois 
oie  par  tout  le  roiaume  de  Logres  si  grans  et  si  Ions 
conme  il  estoit,  et  en  avinrent  moût  de  mierveilles,  si 


XXX  INTRODUCTION 

conme  la  branke  le  devise  mot  a  mot.  Mais  en  cest 
livre  n'en  parlerons  nous  pas,  pour  chou  qu'il  le  de- 
vise la.  » 

En  lisant  ces  passages  avec  quelque  habitude  des 
procédés  familiers  aux  écrivains  du  moyen  âge,  on  ar- 
rive vite  à  en  comprendre  le  véritable  sens.  Le  faux 
Robert  de  Boron  connaissait  un  roman,  sans  doute 
en  prose,  d'un  certain  Hélie,  appelé  le  Conte  du  brait 
Merlin  ou  simplement  du  brait,  et  qui  était  consacré, 
au  moins  en  partie  et  à  son  début,  aux  aventures  de 
Baudemagus,  lequel,  ayant  quitté  la  cour  d'Arthur, 
arrivait  dans  la  forêt  de  Damantes  quatre  jours  après 
que  Merlin  y  avait  été  «  entombé  »,  et  entendait  le 
dernier  brait  ou  cri  que  poussait  le  devin  avant  de  se 
taire  pour  jamais.  Ce  conte  se  rattachait  au  récit  de 
Ventombement  de  Merlin,  qui,  comme  nous  le  verrons 
tout  à  l'heure,  est  antérieur  à  notre  roman.  Le  rédac- 
teur de  celui-ci  a  feint  qu'Hélie,  l'auieur  du  Conte 
du  brait,  était  son  ami  et  son  compagnon  d'armes, 
et  que  lui,  soi-disant  Robert  de  Boron,  l'avait  prié  de 
traduire  à  sa  place  la  «  branche  »  du  livre  latin  qui 
racontait  les  aventures  de  Baudemagus  et  le  brait  de 
Merlin.  Il  nous  montre  plus  tard  le  Conte  du  brait 
déjà  commencé  par  Hélie,  et  à  la  troisième  fois  il  le 
présente  comme  terminé.  Tous  ces  artifices  ne  peu- 
vent évidemment  être  pris  au  sérieux. 
Le  Conte  du  brait  est  perdu  ^,  et  nous  ne  savons  qui 

I.  Sur  ce  qui  peut  en  subsister  en  espagnol,  voyez  la  fin  de  cette 
Introduction.  Ce  n'est  pas  seulement  dans  notre  roman  qu'on 
voit  mentionné  \t  Brait  ;  on  le  trouve  aussi  dans  le  passage  suivant 


LA  SUITE  DU   MERLIN  XXXI 

est  cet  Hélie  qui  paraît  l'avoir  écrit.  Le  faux  Robert 
l'appelant  «  mon  seigneur  Helie  »  et  en  faisant  son 
compagnon  d'armes,  on  pourrait  y  voir  un  chevalier, 
comme  était  le  véritable  Robert  de  Boron  ;  mais  rien 
ne  prouve  que  cette  qualification  soit  digne  de  foi  :  elle 
peut  très  bien  avoir  été  suggérée  à  notre  écrivain 
pseudonyme  par  celle  même  de  Robert,  dont  il  prenait 
le  nom,  et  par  un  passage  du  Joseph  ^  Il  serait  donc 
possible  que  l'auteur  du  Brait  Merlin  fût  le  «  maistre 
Elle  »  dont  nous  avons  une  imitation  de  VArsamato- 
ria  d'Ovide  ^.  On  pourrait  encore  songer  à  un  «  He- 
iyas  »,  rimeur  anglo-normand  qui  a  traduit  en  vers 
décasyllabiques  la  prophétie  de  Merlin  de  Gaufrei  de 
Monmouth  %  ou  à  Hélie  de  Winchester,  traducteur 

du  Tristan,  qui,  il  est  vrai,  se  réfère  directement  à  notre  texte. 
L'auteur  excuse  Robert  de  Boron,  auquel  il  attribue  la  Queste  du 
saint  Graal,  de  ne  pas  raconter  en  détail  une  folie  de  Lancelot  : 
«  Mes  qui  parfitement  vodra  oir  les  merveilles  de  ceste  forse- 
nerie  si  voie  l'estoire  de[l]  brait,  quar  ilec  porra-  il  trover  aper- 
tement  toutes  les  choses  que  mi  sire  Roberz  lesse  [a]  conter 
en  son  livre  por  ce  que  li  troi  livre  soient  tout  d'un  grant;  quar 
pour  autre  chose  ne  fu  translatée  d'autre  part  l'estoire  del  brait  fors 
por  ce  que  l'enn  i  meist  les  choses  qui  en  cest(e)  livre  seroientobliees 
â  mètre.  »  (Ms.  B.  N.  fr.  12599,  fol.  242  c.) 

1.  C'est  le  fameux  passage  :  A  cel  tens  que  je  la  retrais  O  mon 
seigneur  Gautier  en  pais  Qui  de  Montbelial  estait.  Le  faux  Robert 
parle  de  même  de  «  mon  signeur  Helye  ». 

2.  Hist.  litt.  de  la  France,  t.  XXIX,  p.  458.  Notez  qu'au  troi- 
sième passage  cité  de  notre  roman  on  lit  «  maistre  Helyes  »;  mais 
c'est  peut-être  une  simple  faute  de  copiste. 

3.  Voy.  Fr.  Michel,  Rapports  au  ministre,  p.  226  ss.  Deux  autres 
manuscrits,  anonymes,  de  la  même  version  ont  été  signalés  par  M.  P. 
Meycr  (Romania,  t.  V,  p.  470;  Bull,  de  la  Soc.  des  A.  T.,  1882, 
p.  53). 


XXXII  INTRODUCTION 

des  Distiques  de  Caton;  mais  c'est  peu  vraisemblable 
pour  beaucoup  de  raisons  :  un  homme  qui  écrivait 
un  poème  sur  les  aventures  de  jeunesse  de  Baudema- 
gus  devait  être  Français  et  s'inspirer  de  Chrétien  de 
Troies,  qui  fait  jouer  à  ce  personnage,  devenu  vieux, 
un  rôle  important  dans  son  roman  de  la  Charrette  ^ 
Ce  qui  est  surtout  intéressant,  c'est  la  série  de  falsi- 
fications subséquentes  auxquelles  a  donné  lieu  cette 
fiction  de  notre  romancier.  Le  soi-disant  Robert  de 
Boron  dit  simplement  qu'Hélie  était  son  «  compa- 
gnon d'armes  »  ;  il  n'en  fait  nullement  son  parent  et 
ne  l'appelle  pas  Hélie  de  Boron.  Nous  croyons  tou- 
tefois que  ce  sont  les  passages  cités  de  son  œuvre  qui 
ont  seuls  servi  de  point  de  départ  à  l'invention  du 
personnage  d'  «  Hélie  de  Borron  »,  parent  de  Robert, 

i.  Dans  le  Merlino  italien  {Historia  di  Mei-lino,  Venise,  1480; 
VUa  di  MerlinOj  Florence,  1495)  traduit  du  français  en  iZ-jq,  à 
Venise,  un  des  personnages  qui  rapportent  des  prophéties  de 
Merlin  est  un  ermite  appelé  Elie;  ses  récits  forment  le  cinquième 
livre  de  l'ouvrage.  Sur  le  titre  de  l'édition  de  Venise,  i5i6,  on 
voit,  groupés  autour  du  tombeau  de  Merlin,  d'un  côté  Blasio 
romiiOf  Ptoîomio  episcopo,  Antonio  episcopo,  de  l'autre  Elia  ro- 
mitOy  La  dona  del  lago,  Meliadus.  Cet  Elie  raconte  ce  qu'il  sait  de 
Merlin  à  Perceval  le  Gallois,  qu'il  a  accueilli  dans  son  ermitage;  il 
n'est  pas  probable  qu'il  y  ait  là  un  souvenir  de  l'auteur  du  Conte 
du  brait.  Dans  le  texte  français  imprimé  des  Prophéties  de  Mer- 
lin,  l'ermite  qui  reçoit  Perceval  n'est  pas  nommé  et  ses  récits  sont 
beaucoup  moins  longs  (voy.  ff.  lxxxvii-xci  de  l'édition  de  la  veuve 
Jehan  Trepperel).  —  Il  ne  faut  sans  doute  voir  aussi  qu'une  coïn- 
cidence fortuite  dans  le  nom  de  «  maître  Hélie  de  Toulouse  » 
donné  au  plus  sage  des  clercs  qui  expliquent  les  songes  de  Gale- 
haut  et  prédisent  les  aventures  du  graal  dans  la  leçon  la  plus  ré- 
pandue du  Lancelot  (voy.  P.  Paris,  t.  IV,  p.  114,  119). 


LA   SUITE   DU   MERLIN  XXXIII 

lequel  a  pris  et  garde  encore  une  place  importante 
dans  l'histoire  littéraire.  Voici  comment  nous  nous 
représentons  les  étapes  successives  de  cette  fiction, 
qui  n'est  que  le  développement  de  la  première  inven- 
tion de  notre  romancier  pseudonyme. 

Il  nous  paraît  probable  que  c'est  dans  le  prologue 
de  Guiron  le  Courtois  ou  Palamede  que  le  person- 
nage d'Hélie  de  Borron  a  fait  sa  première  appari- 
tion ^  L'auteur  qui,  dans  ce  prologue,  s'attribue  la 
composition  du  roman  en  tête  duquel  il  est  placé  se 
donne  le  nom  d'Hélie  de  Borron  et  semble  bien 
prendre  pour  point  de  départ  de  ses  dires  le  passage 
même  de  notre  roman.  Il  nous  raconte  une  histoire 
fantastique  des  romans  en  prose  de  la  Table  Ronde, 
qui  seraient  tous  tirés  du  livre  latin  du  saint  graal  : 
«  Mes  sires  Luces  de  Gau  . . .  fu  li  premiers  qui  s'es- 
tude  i  mist  et  sa  cure,  bien  le  savons,  et  cil  translata 
en  langue  françoise  partie  de  Fistoire  mon  seigneur 

Tristran  2; après  s'en  entremist  mes  sires  Gasse 

li  blons,  qui  parenz  fu  le  roi  Henri  ^  ;  après  s'en  en- 

1.  Mss.  B.  N.  fr.  338,  356;  Brit.  Mus.  Addit.  12228  (Ward, 
Catalogue  of  romances,  t.  I,  p.  364);  Florence,  Libri  5o.  Ce  pro- 
logue est  imprimé  en  entier,  d'après  le  ms.  338,  par  M.  Hucher, 
Le  Saint-Graal,  t.  I,  p.  i56. 

2.  L'auteur  a  pris  à  la  lettre  le  prologue  du  Tristan,  où  Luce 
du  Gast  on  de  Gau  prétend  en  effet  être  le  premier  à  translater  le 
grand  livre  latin  du  saint  graal  (qui,  eût-il  jamais  existé,  n'aurait 
rien  eu  à  faire  avec  Tristan). 

3.  A  ce  Gasse  le  blond  notre  auteur  n'attribue  rien  expressé- 
ment, et  il  n'est  mentionné  nulle  part  ailleurs.  Peut-être  ce  per- 
sonnage n'est-il  autre  que  Wace  ou  Guace,  dont  le  nom  était  va- 
guement connu. 

T.  I  c 


XXXI V  INTRODUCTION 

tremist  maistre  Gautiers  Map,  qui  fu  clers  au  roi 
Henry,  et  devisa  cil  Testoire  de  mon  seigneur  Lance- 
lot  du  lac...  Mes  sires  Robers  de  Borron  s'en  entre- 
mist  après.  »  Il  est  clair  qu'un  homme  qui  classe 
dans  cet  ordre  les  auteurs  des  romans  en  prose  ne 
connaissait  ces  auteurs  que  de  nom,  et,  comme  nous, 
d'après  les  manuscrits  oià  ils  sont  nommés.  Il  ajoute  : 
«  Je  Helis  de  Borron,  par  la  prière  mon  seigneur  Ro- 
bert ^  de  Borron  et  pour  ce  que  compaignon  d'ar- 
mes fusmes  longuement,  encommençai  mon  livre  du 
bret  ».  C'est  bien  ce  qui  est  dit  dans  notre  roman; 
mais  le  prétendu  Hélie  ne  sait  pas  au  juste  ce  qu'é- 
tait ce  «  livre  du  bret  »  2;  il  se  rappelle  seulement  un 
passage  assez  peu  clair  de  notre  roman  (II,  198),  où 
on  dit  qu'il  y  est  parlé  de  Tristan,  «  mais  che  n'est 
mie  gramment.  »  Le  reflet  de  ce  passage  se  retrouve 
dans  ces  lignes  du  prétendu  Hélie  de  Borron  :  «  De 
mon  seigneur  Tristan  n'iert  mie  cestui  mien  livre,  car 
el  bret  en  ai  auques  dit,  et  de  li  a  on  proprement  un 
livre  fait.  »  Le  reste  du  prologue  est  rempli  par  un 
long  verbiage  et  des  vanteries  de  Fauteur  sur  le  suc- 
cès qu'aurait  eu  son  premier  ouvrage.  En  parlant  de 
lui-même,  il  lui  échappe  un  mot  qui  le  met  en  contra- 
diction avec  la  source  où  il  puisait,  c'est-à-dire  notre 
roman  :  «  Or  commencerai  donc  mon  livre  el  nom 
de  Dieu  et  de  la  sainte  trinité  qui  ma  jouvenle  tien- 

1.  Le  mot  Robeft  manque  dans  le  ms.  338,  suivi  par  M.  Hu- 
cher;  mais  il  se  trouve  dans  les  autres  :  voy.  Ward,  p.  365. 

2.  La  graphie  bvet  pour  brait  est   fréquente  (voy.   Godefroy)  ; 
elle  a  contribué  à  obscurcir  le  sens  de  ce  mot. 


LA  SUITE   DU   MERLIN  XXXV 

gne  en  joie  et  en  santé.  »  Il  se  donne  donc  ici  comme 
jeune;  mais  le  faux  Robert  de  Boron  avait  dit  en 
parlant  d'Hélie  (II,  67)  :  «  Mon  signeur  Helye  qui 
a  esté  mes  compains  a  armes  et  en  joveneche  et  en 
viellece.  »  On  ne  s'avise  jamais  de  tout  ^ 

L'épilogue  que  nous  a  conservé  un  seul  manuscrit 
de  Tristan  2,  et  où  un  prétendu  Hélie  de  Borron  ^ 
prend  également  la  parole,  est  dans  un  rapport  étroit 
avec  le  prologue  du  Giiiron.  L'auteur  de  celui-ci  dit 
qu'il  écrit  son  livre  après  avoir  terminé  le  Bret,  pour 
plaire  à  son  seigneur  le  roi  Henri  :  «  Et  pour  ce  que 
je  voi  que  li  tems  est  biaus  et  clers  et  li  airs  purs,  et  la 
grant  froidure  de  Tiver  s'est  d'entre  nous  partie,  vueil 
commencier  mon  livre.  »  L'auteur  de  l'épilogue  du 
Tristan  dit  :  «  Tout  maintenant  que  la  grant  froi- 
dure de  cestui  yver  sera  trespassee  et  nous  serons  en 


1 .  Le  ms.  de  Turin  de  Guiron  le  Courtois  contient  un  tout  autre 
prologue,  qu'a  publié  M.  Rajna  (Romania,  IV,  264).  Ici  l'auteur 
ne  se  donne  plus  le  nom  d'Hélie  de  Borron  ;  au  contraire,  il  parle 
de  «  maistre  Helye  de  Borron  >  comme  d'un  auteur  qui,  avec 
«  maistre  Gautier  Moab  »,  aurait  écrit  sur  Lancelot.  Ce  prologue 
contient  une  phrase  singulière  sur  le  «  Bret  »,  où  on  pourrait 
comprendre  ce  mot  comme  le  nom  d'un  écrivain  :  «  De  Tristan 
le  Bret  y  en  met  ce  qu'en  peut  estre.  » 

2.  Ms.  B.  N.  fr.  104;  imprimé  dans  Hucher,  t.  I,  p.  35.  Une 
forme  de  cet  épilogue  beaucoup  plus  courte,  où  ne  se  trouve  ni  le 
nom  d'Hélie  de  Borron  ni  le  titre  de  Bret,  se  lit  dans  divers  ma- 
nuscrits (B.  N.,fr.  757,  Brit.Mus.  Egerton  98g,  Asburnh.  Libri  i23) 
et  a  été  imprimée  (Hucher,  I,  160 ;  Ward,  I,  363).  Elle  paraît  bien 
n'être  qu'un  abrégé  de  la  forme  complète  conservée  dans  le 
ms.  104. 

3.  Le  ms.  porte  i5erroȔ,  simple  erreur  de  copiste. 


XXXVI  INTRODUCTION 

la  douce  saison  que  l'on  apele  le  tens  de  ver je  me 

retournerai  adonc  sur  le  grant  livre  dou  latin,  etc.  ». 
Ce  qui  nous  fait  croire  que  l'épilogue  du  Tristan  est 
postérieur  au  prologue  du  Guiron^  et  sans  doute 
d'une  autre  main,  c'est  que  Fauteur  de  cet  épilogue 
se  figure  que  «  le  livre  du  bret  »  n*est  autre  que  This- 
toire  même  de  Tristan,  tandis  que  l'auteur  du  prolo- 
gue, comme  on  vient  de  le  voir,  distingue  nette- 
ment les  deux  ouvrages ,  et  prétend  seulement 
avoir,  dans  le  Bret,  parlé  un  peu  (aitques)  de  Tristan. 
L'épilogue,  au  contraire,  se  termine  par  l'assertion 
que  le  livre  auquel  il  est  ajouté,  c'est-à-dire  le  Tristan, 
«  est  apelez  li  livres  dou  bret  » .  On  voit  les  malenten- 
dus se  succéder  1.  L'auteur  de  l'épilogue  suit  d'ailleurs, 
dans  ses  renseignements  d'histoire  littéraire,  les  don- 
nées du  prologue  de  Guiron,  En  parlant  de  Robert 
de  Boron,  il  ajoute  ces  mots  :  «  qui  est  mes  amis  et 
mes  paranz  charnex  »,  ce  que  le  prologue  ne  disait 
pas  expressément,  mais  indiquait  assez  par  le  nom 
seul  d'Hélie  de  Borron.  L'auteur  de  l'épilogue  joint  à 
ce  nom  des  qualifications  extravagantes,  sur  lesquelles 
les  critiques  ont  disserté  bien  inutilement  ^,  Tout  cela 

1.  Les  critiques  modernes  ont  vainement  recherché  ce  que  pou- 
vait signifier  le  mol  Bret^  désignant  une  histoire  de  Tristan.  Déjà 
au  xine  siècle  on  ne  comprenait  pas  ce  singulier  titre,  et  un  co- 
piste écrivait  bravement  :  «  Et  apelent  cest  livre  //  bret  (peut-être 
faut-il  lire  libret^  par  un  nouveau  malentendu),  pour  ce  qu'il  est 
maîstre  sor  toz  les  livres  qui  oncques  furent  îdîxX  de  la  table 
ronde  ». 

2.  Voyez  les  justes  remarques  de  P.  Paris,  Les  Romans  de  ta  Ta- 
ble  Ronde,  t.  V,  p.  36i. 


LA   SUITE   DU   MERLIN  XXXVII 

doit  être  purement  et  simplement  rayé  de  l'histoire 
littéraire  ^ 

Revenons  à  notre  roman.  Il  a  été  fait,  tout  comme 
la  suite  ordinaire  du  Merlin  que  nous  avons  appelée 
la  vulgate,  pour  relier  le  Merliji  de  Robert  de  Boron 
au  Lancelot  et  à  d'autres  compositions.  C'est  ce  dont 
il  est  facile  de  s'assurer  en  examinant  les  nombreuses 
allusions  et  prédictions  qu'il  contient. 

Voyons  d'abord  ce  qui  concerne  le  Lancelot  pro- 
prement dit  '.  T.  II,  p.  142-144,  Merlin  et  la  demoi- 
selle qu'il  aime  arrivent  au  château  de  Trèbe,  y 
voient  Elaine,  femme  du  roi  Ban,  et  son  fils  le  petit 
Lancelot  ou  Galaad,  âgé  d'un  an,  et  prédisent  sur  la 
reine,  son  ennemi  Claudas  et  Lancelot,  tout  ce  qui 
est  raconté  dans  le  roman  consacré  à  ce  dernier  ^.  Un 
peu  auparavant  (II,  iSy),  il  est  dit  expressément  : 
«  Et  sachent  vraiement  tout  cil  qui  le  conte  mon  sei- 
gneur Robert  de  Borron  escoutent  que  ceste  damoi- 
siele  fu  celé  qui  puis  fu  apielee  la  damoisiele  dou  lac, 
celé  qui  norrist  grant  tens  en  son  ostel  Lanscelot  dou 


1.  Nous  ne  touchons  pas  ici  à  la  question  très  difficile  des  ré- 
dactions diverses  du  Tristan  et  de  la  répartition  de  ce  qui  peut 
appartenir  à  «  Luce  de  Gast  »  et  au  prétendu  Hélie  de  Borron.  Quant 
à  croire  avec  Brakelmann  (Zeitschr.  fur  deutsche  Philologie^ 
t.  XVIII,  p.  85)  que  Robert  de  Boron  a  collaboré  au  Tristan,  c'csl 
ce  dont  personne  ne  sera  plus  tenté  aujourd'hui. 

2.  Nous  suivons  pour  ce  court  exposé  la  division  ordinairement 
adoptée  du  Lancelot  en  Lancelot  proprement  dit  (comprenant 
Galehaut,  Charrette,  Agravain),  Queste  du  saint  graal,  et  Mort 
Arthur. 

3.  Voy.  P.  Paris,  les  Romans  de  la  Table  Ronde,  1. 111,  p.  i  ss. 


XXXVIII  INTRODUCTION 

lac,  ensi  comme  la  grant  ystoire  de  Lanscelot  le  de- 
vise. »  On  lit  en  effet  dans  le  Lancelot,  à  propos 
de  cette  même  demoiselle  et  de  son  aventure  avec 
Merlin,  sur  laquelle  nous  reviendrons  :  «  Celé  qui 
l'andormi  et  seela  fu  la  damoisiele  qui  Lancelot  en 
porta  dedenz  le  lac  ^  »  Le  prétendu  Robert  de  Boron 
ne  pouvait  avouer  plus  naïvement  qu'il  écrivait  une 
introduction  au  roman  de  Lancelot,  roman  inconnu 
au  vrai  Robert.  Ailleurs,  il  est  fait  allusion  à  Futilité 
dont  fut  plus  tard  Guenièvre  à  Arthur,  en  inspirant  à 
Lancelot  un  amour  à  cause  duquel  Galehaut,  par 
amitié  pour  Lancelot^  se  reconnut  le  vassal  d'Arthur  -. 
L'aventure  du  lit  qui  faisait  perdre  le  sens  et  dont 
Lancelot  détruisit  l'enchantement,  annoncée  dans 
notre  roman,  ne  paraît  pas  se  retrouver  dans  le  Lan- 
celot ^\mB\s  notre  auteur  a  fort  bien  pu  l'inventer 
uniquement  afin  de  rappeler  la  vertu  de  l'anneau  de 
Lancelot,  pour  laquelle  il  renvoie  encore  une  fois 
expressément  au  roman  de  Lancelot,  et  qui  s'y  trouve 
en  effet  ^;  voici  ses  paroles  (t.  II,  p.  Sy)  :  «  Et  dura 
chis  enchantemens  dusques  tant  que  Lanscelos...  i 
vint,  et  lors  fu  li  enchantemens  de  cel  lit  deffais,  ne 


1.  Jonckbloet,  Lancelot^  t.  Il,  p.  xiii;  P.  Paris,  /.  c,  p.  26. 

2.  T.  II,  p.  161.  Voyez  P.  Paris,  t.  III,  p.  246. 

3.  Elle  n'est  pas  à  confondre  avec  celle  du  lit  aveniureux^^  em- 
pruntée par  le  Lancelot  à  la  Charrette  de  Chrétien  de  Troies  (voy. 
P.  Paris,  V,  23). 

4.  Voyez  Jonckbloet,  le  Roman  de  la  Charete,  p.  xxxvii  :  «  Lors 
traist  la  dame  de  son  doi  un  anelet,  sel  met  a  l'anfant  en  son  doi, 
et  li  dit  qu'il  a  tel  force  qu'il  descuevre  toz  anchantemanr  (ms. 
B.  N.  fr.  768,  f.  32  fo).  » 


LA    SUITE    DU    MERLIN  XXXIX 

mie  par  Lanscelot^  mais  par  un  anelet  que  il  poitoit 
qui  descouvroit  tous  enchantemens;  et  cel  anelet  11 
avoit  donné  la  damoisiele  del  lac,  si  coume  la  grant 
hystore  de  Lanscelot  le  devise  ^  » 

Le  rapport  du  roman  que  nous  publions  avec  la 
Queste  du  saint  graal  fera  le  sujet  d'un  examen  par- 
ticulier. Quant  à  la  Mort  Arthur,  qui  forme  aujour- 
d'hui la  troisième  partie  du  Lancelot,  elle  est  éga- 
lement l'objet  des  allusions  prophétiques  de  notre 
romancier.  C'est  là  qu'on  voit,  comme  il  l'annonce  (I, 
178),  que  Guifflet,  le  fils  de  Do,  fut  le  dernier  des 
humains  qui  vit  Arthur  vivant  -  -,  c'est  là,  comme  il 
le  fait  prédire  par  Merlin  (II,  58),  que  Lancelot  tue 
Gauvain  ^. 

Enfin,  le  continuateur  du  Merlin  a  connu  le  Tris- 
tan en  prose.  Ce  qu'il  dit  du  Morhout  d'Irlande,  que 
Tristan  doit  tuer  (II,  240),  pourrait  à  la  rigueur  pro- 
venir des  anciens  poèmes  4;  mais  il  n'en  est  pas  de 
même  du  combat  de  Tristan  et  de  Lancelot,  prophé- 
tisé par  Merlin  (I,  23 1)  :  c'est  un  des  épisodes  les 
plus  célèbres  du  Tristan  en  prose,  et  un  de  ceux  qui, 
dans  les  diverses  rédactions,  se  présentent  avec  le  plus 
de  variations  ^.  Quant  à  l'histoire  de  la  visite  faite 

1.  Cf.  P.  Paris,  t.  III,  p.  126. 

2.  Voy.  P.  Paris,  V,  35o. 

3.  P.  Paris,  V,  349. 

4.  Il  faut  noter  que  notre  auteur  place  le  combat  de  Tristan  et 
du  Morhout  dans  l'île  Saint-Samson;  ce  trait,  qui  était  dans  le 
pocme  perdu  de  Chrétien  de  Troics,  se  retrouve  dans  le  roman  en 
prose;  voy.  Romania,  XV,  ^43. 

b.  Indépendamment  des  mss.  français  du    Tristan  (par  ex.  ms. 


XL  INTRODUCTION 

par  la  demoiselle  du  lac,  sur  la  prière  de  Tristan,  à  la 
tombe  de  Merlin  (II,  197),  pour  laquelle  notre  roman- 
cier renvoie  expressément  à  «  la  droite  ystoire  de 
Tristram  »,  et,  moins  clairement,  à  «  la  branke  del 
brait  »,  nous  ne  Tavons  pas  retrouvée  dans  le  Tris- 
tan, mais  il  est  fort  possible  qu'elle  nous  ait  échappé 
au  milieu  des  innombrables  épisodes  qui  composent 
cette  énorme  et  confuse  histoire,  et  qui  varient  pres- 
que dans  chacun  des  manuscrits  que  nous  en  avons. 

Nous  savons  maintenant  que  notre  romancier  con- 
naissait le  Coiîte  du  brait,  le  Lancelot,  la  Mort  Ar- 
thur et  le  Tristan,  tous  ouvrages  inconnus  à  Robert 
de  Boron,  et  nous  voyons  qu'il  a  mis  le  principal 
intérêt  de  sa  composition  à  préparer  les  récits  de  ces 
romans  ou  à  les  annoncer  d'avance.  Il  nous  reste  à 
examiner  cette  composition  en  elle-même,  et  à  déter- 
miner autant  que  possible  les  éléments  dont  elle  est 
formée.  Ces  éléments  peuvent  se  diviser  en  deux 
groupes  principaux  :  développements  d'indications  pri- 
ses dans  les  romans  ci-dessus  indiqués*,  récits  qui 
n'ont  pas  cette  origine. 

Au  premier  groupe  appartient  presque  tout  ce  qui 
concerne  Arthur  et  Merlin.  Dès  le  début,  on  nous 
raconte  comment  Arthur  eut  commerce  avec  sa  sœur, 
femme  du  roi  d'Orcanie,  sans  savoir  le  lien  qui  les 
unissait,  et  engendra  Mordret,  qui  devait  plus  tard 

730,  f<»  3i5  b;  ms.  12599,  i°  109  a),  voyez  la  compilation  de  Rus- 
ticien  de  Pise  (ms.  1463,  (°  20)  et  la  compilation  italienne  de  la 
Tavola  Ritonda  (ch.  cxin).  Un  petit  poème  italien  du  xiv«  siècle 
sur  ce  sujet  a  été  publié  par  M.  Rajna;  voy.  Romania,  IV,  142. 


LA  SUITE   DU   MERLIN  XLI 

lui  porter  le  coup  mortel.  Robert  de  Boron,  dans 
son  Perceval,  ne  sait  rien  de  cette  histoire,  et  ne  fait 
de  Mordret,  comme  Gaufrei  de  Monmouth,  que  le  ne- 
veu d'Arthur  ^  C'est  dans  le  Lancclot  que  nous  trou- 
vons pour  la  première  fois  cette  invention  étrange  -, 
qui  pourrait  bien  n'être  qu'une  imitation  de  l'anecdote 
célèbre  sur  César  et  Brutus  ^.  —  La  première  aventure 
d'Arthur  le  met  en  présence  de  Merlin  et  de  Pellinor, 
le  futur  père  de  Perceval  (voyez  ci-dessous)  ;  vient  en- 
suite la  scène  de  la  justification  d'Igerne  et  de  la  dé- 
monstration de  la  naissance  royale  d'Arthur.  —  Le 
défi  des  Romains  (I,  i8o)  n'a  pas  de  suite  dans  notre 
roman  :  il  prépare  un  important  épisode  de  la  Mort 
Arthur  4.  —  Le  combat  d'Arthur  contre  Pellinor 


I.  Voy.  Hucher,  t.  I,  p.  495. 

3.  Voy.  le  ch.  xvi  du  livre  II  des  éditions.  Mordret  arrive  chez 
un  ermite  qui  lui  dit  qu'il  tuera  son  père,  lequel  n'est  pas,  comme 
il  le  croit,  le  roi  Lot;  l'ermite  dit  à  part  à  Lancelot  que  le  père  de 
Mordret  est  Arthur,  «  qui  l'engendra  en  la  femme  du  roi  Loth 
d'Orcanie  »;  il  prédit  aussi  à  Mordret  que  son  père  le  tuera,  et 
parle  d'un  songe  qui  a  annoncé  à  ce  père  leur  terrible  destinée. 
Plus  tard,  lors  de  la  trahison  de  Mordret,  Arthur  se  rappelle  ce 
songe,  et  laisse  échapper  des  paroles  qui  révèlent  à  ceux  qui  les  en- 
tendent que  Mordret  est  son  fils,  et  non  pas  seulement  son  neveu. 

3.  La  trahison  de  Mordret  envers  Arthur  rappelait  celle  de  Bru- 
tus envers  César;  de  là  à  imaginer  qu'Arthur,  comme  César  dans 
l'anecdote  en  question,  était  le  père  de  son  meurtrier,  il  n'y  avait 
qu'un  pas.  Mais  on  savait  que  Mordret  était  né  de  la  sœur  d'Ar- 
thur :  il  fallut  donc  qu'il  fût  le  fruit  d'un  inceste.  On  peut  songer 
aussi  à  une  influence  de  la  légende  de  saint  Grégoire. 

4.  Voy.  P.  Paris,  V,  349.  Ce  déh  des  Romains  est  déjà  raconté, 
presque  dans  les  mêmes  termes,  par  Gaufrei  de  Monmouth,  et  se 
retrouve  dans  le  Perceval  de  Robert  de  Boron  (Hucher,  t.  1,  p.  491). 


XLII  INTRODUCTION 

n*a  d'autre  but  que  d'amener  Taventure  de  l'épée 
Escalibor,  et  la  façon  dont  Arthur  se  procure  cette 
épée  est  suggérée  par  le  beau  passage  de  la  Mort  Ar- 
thur où  on  voit  le  roi  breton,  à  son  dernier  moment, 
faisant  jeter  son  épée  dans  un  lac  d'où  une  main  mys- 
térieuse sort  pour  la  saisir  ^  Quant  au  merveilleux 
fourreau,  il  semble  n'avoir  d'autre  but  que  d'amener 
une  des  trahisons  de  Morgue  envers  son  frère  racon- 
tées dans  notre  roman  (I,  267-272*,  II,  168,  174- 
228)  *.  Ce  personnage  même  de  Morgue  n'est  que  le 
développement  de  diverses  indications  que  le  Lance- 
lot  donne  sur  la  sœur  d'Arthur. —  L'histoire  de  l'expo- 
sition des  enfants  nouveau-nés  (I,  2o3-2 1 1),  à  la  suite 
de  la  prédiction  de  Merlin  sur  Mordret,  est  une  imita- 
tion de  la  légende  du  massacre  des  Innocents;  la  façon 
dont  Mordret  échappe  au  sort  des  autres  enfants  ne  se 
trouve,  que  nous  sachions,  non  plus  que  cette  histoire 
elle-même,  nulle  part  ailleurs.  Cette  cruelle  et  vaine 
précaution  d'Arthur  lui  vaut  l'inimitié  de  son  beau- 
frère  le  roi  Lot,  et  la  guerre  qui  en  est  la  conséquence; 
dans  cette  guerre,  Pellinor  tue  Lot,  et  c'est  pour  cela 
que  plus  tard,  dans  un  autre  roman  ^  ou  dans  une 
partie  de  notre  roman  que  nous  n'avons  plus  (voyez 

1.  Voy.  P.  Paris,  t.  V,  p.  35o.  On  ne  trouve  rien  de  pareil  dans 
les  récits  de  la  disparition  d'Arthur  antérieurs  au  Lancelot. 

2.  Voyez  cependant  ci-dessous,  p.  lxi,  n.  2. 

3.  Peut-être  dans  le  Conte  du  brait,  qui  contenait  sans  doute  des 
aventures  fort  diverses.  Nous  avons  vu  qu'il  débutait  par  un  récit 
relatif  à  Bauderaagus  ;  il  parlait  aussi  de  Tristan,  et  s'il  faut  en 
croire  le  passage  de  Tristan  cité  plus  haut  (p.  xxx,  n.  1),  il  ra- 
contait UTïQ  forsenerie  de  Lancelot. 


LA   SUITE   DU    MERLIN  XLIII 

ci-dessous),  Gauvain  doit  venger  son  père  en  tuant 
Pellinor-,  on  annonce  aussi  qu'il  tuera  Agloval,  fils, 
comme  Perceval,  de  Pellinor,  et  c'est  pour  expliquer 
d'avance  cette  haine  de  Gauvain  pour  la  famille  de 
Pellinor  que  notre  romancier  a  inventé  l'épisode  de  la 
mort  du  roi  Lot  ^  —  La  singulière  prétention  du  roi 
Rion  sur  la  barbe  des  rois  ses  voisins,  et  notamment  sur 
celle  d'Arthur,  forme  le  sujet  d'un  vieux  conte  celtique 
qui  a  été  recueilli  par  Gaufrei  de  Monmouth,  et  qui  se 
retrouve  dans  plusieurs  poèmes  ^  ;  si  notre  auteur  Ta 
inséré  ici,  c'est  sans  doute  parce  qu'il  le  trouvait  déjà 
mêlé  à  l'histoire  du  «  chevalier  aux  deux  épées  »  (voy. 
ci-dessous,  p.  xlvii). —  Le  mariage  d'Arthur  avec  Gue- 
nièvre,  fille  de  Léodegan,  roi  du  pays  fantastique  de 
Carmelide,  était  indiqué  à  notre  romancier  par  le  Lan- 
celot;  c'est  là  qu'il  trouvait  aussi  ce  fait  curieux  que  la 
Table  Ronde  appartenait,  avant  Arthur,  au  roi  Léode- 
gan, et  avait  été  cédée  par  lui  à  son  gendre  ^ .  Ce  fait 

1.  On  annonce  (I,  261;  que  Gauvain  tuera,  outre  Pellinor,  «  Me- 
lodiam  aisné  fil  »  ;  mais  ce  passage  paraît  gravement  altéré.  La 
mort  d'Agloval,  annoncée  comme  devant  être  racontée  dans  «  la 
queste  del  saint  graal  »  de  Robert  de  Boron,  n'est  pas  racontée 
dans  la  Queste  que  nous  possédons  ;  voy.  plus  loin,  p.  Lvin. 

2.  Voy.  Hist.  litt.  de  la  France,  t.  XXX,  p.  243-243. 

3.  Voy.  P.  Paris,  t.  V,  p.  104.  Le  manuscrit  suivi  dans  cette  ana- 
lyse (B.  N.  fr.  734,  !•  i3o  d)  se  rattache  au  récit  de  la  vulgate  de 
Merlin;  mais  d'autres  manuscrits  du  Lancelot,ç\\x\  contiennent  cer- 
tainement la  rédaction  primitive,  ne  disent  pas  qu'Arthur  eût  servi 
comme  écuyer  chez  Léodegan,  trait  qui  provient  du  Merlin  ordi- 
naire. Dans  ces  manuscrits  (p.  ex.  fr,  339,  f-  68  1»  a;  IV.  768, 
f.  16  s'bjon.  rappelle  simplement  qu'Arthura  reçu  la  Table  Ronde 
de  Léodegan  comme  dot  de  Gucnièvre;  c'est  cette  indication  qu'a 
développée  notre  romancier. 


XLIV  INTRODUCTION 

était  en  contradiction  flagrante  avec  la  manière  dont 
Robert  de  Boron  avait  raconté  l'institution  de  la  Table 
Ronde  (voyez  ci-dessus,  p.  xxvi);  notre  romancier 
n^a  pas  essayé  d'expliquer  comment  la  Table 
Ronde  d'Uter  Pendragon  avait  passé  à  Léodegan  en 
Carmelide;  il  se  borne  (II,  i6i)  à  le  constater  K  — 
L'enchantement  dont  Arthur  est  l'objet  de  la  part  de 
sa  sœur  Morgue,  son  combat  contre  Accalon,  le  ban- 
nissement dlvain,  la  fuite  et  les  prestiges  de  Morgue, 
paraissent  ne  se  rattacher  à  aucun  récit  subséquent  et 
être  sortis  uniquement  de  l'invention  de  Tauteur.  On 
peut  en  dire  autant  de  la  guerre  soutenue  par  Arthur 
contre  cinq  rois,  où  Keu  fait  des  prouesses  qui  lui 
valent  un  siège  à  la  Table  Ronde  (II,  159-168)  ;  peut- 
être  cependant  trouverait-on  dans  quelque  passage 
du  Lancelot  la  première  suggestion  de  ces  récits  qui, 
en  eux-mêmes,  ne  paraissent  pas,  surtout  le  second, 
avoir  grande  raison  d'être. 

La  principale  préoccupation  du  continuateur  de 
Robert  de  Boron  devait  être  de  terminer  l'histoire  de 
Merlin,  Il  ne  pouvait  admettre  ce  que  Robert  en  di- 
sait dans  le  Perceval  (supposé  qu'il  connût  ce  ro- 
man), parce  qu'il  écrivait  pour  préparer  le  Lancelot, 


I.  Il  ne  s'est  même  pas  soucié  de  mettre  ses  chiffres  d'accord 
avec  ceux  de  Robert  de  Boron.  Celui-ci  avait  dit  que  Merlin  avait 
établi  la  Table  Ronde  avec  cinquante  sièges,  dont  un  vide  (I,  96); 
la  Table  Ronde  de  Léodegan  comportait  i5o  sièges:  elle  avait  été 
réduite  à  100,  et  le  même  Merlin,  sans  paraître  s'apercevoir  de  la 
différence,  complète  par  49  élections  le  cbiâre  de  i5o  moins  un 
(II,  62,  67). 


LA  SUITE  DU   MERLIN  XLV 

et  que  le  Lancelot,  dès  son  début,  nous  présente 
Merlin  comme  enfermé  dans  une  tombe  par  la  de- 
moiselle du  lac,  tandis  que  le  Percerai  de  Robert  de 
Boron  le  garde  en  vie  jusqu'après  la  mort  d'Arthur. 
Tout  ce  qui  concerne  les  rapports  de  Merlin  avec  Ni- 
nienne  *  n'est  que  le  développement  d'un  passage  du 
Lancelot  où  apparaît,  pour  la  première  fois  dans  la 
littérature  française,  au  moins  conservée  jusqu'à  nous, 
cette  histoire  des  amours  de  Merlin  avec  une  femme 
qui  le  trompe  et  finit  par  l'enfermer  :  «  En  la  fin  sot 
[Niniene]  de  par  lui  tant  de  mervoilles  que  ele  Tan- 
gigna  et  lo  seela  tôt  andormi  en  une  cave  dedanz  la 
périlleuse  forest  de  Damantes,  qui  marchist  a  la  mer 
de  Cornoaille  et  au  reiaume  de  Sorelois.  Illuec  re- 
mesten  tel  manière  que  onques  puis  par  nului  ne  fu 
seuz  ne  par  nul  home  veuz  qui  noveles  en  seust  dire. 

I.  Telle  paraît  bien  être  la  vraie  forme  du  nom.  Nous  avons  re- 
levé dans  les  manuscrits  de  Lancelot  les  variantes  Niniane^  Ni- 
niene, Nynyane,  puis,  par  des  fautes  de  copistes,  Nivienne,  Ni- 
menne,  Nimainne  et  Jumenne;  Viviane  (forme  adoptée  dans  les 
éditions)  ou  Vivienne  semble  également  être  une  simple  faute  de 
lecture.  Il  est  vrai  que  Ton  a  rattaché  Viviane  à  un  celtique  C/jwj'- 
hlian,  dont  on  a  fait  Vivlian,  et  qui  signifierait  «  nymphe  »  (La 
Villemarqué,  Merlin  V Enchanteur-,  p.  2o3);  mais,  comme  veut  bien 
nous  le  faire  savoir  M.  Gaidoz,  le  mot  Hwimleian  ou  Huimleian, 
qui  existe  seul  en  ancien  gallois  (Skene,  Four  Ancient  Books  of 
Wales,  t,  II,  p.  20  et  23)  et  que  M.  Silvan  Evans  identifie  à  tort  à 
Sibylla  {ih.^  t.  I,  p.  372  et  484),  paraît  être  un  nom  propre,  d'éty- 
mologie  inconnue;  la  traduction  a  nymphe  »  d'Ovven  Pughe  est 
imaginaire.  Au  contraire,  le  nom  de  Ninienne  a  une  physionomie 
tout  à  fait  celtique  :  Ninianits  est  le  nom  d'un  saint  breton,  qui 
passe  pour  avoir  été  au  v®  siècle  l'apôtre  des  Pietés  (voy.  AA.  SS., 
Sept.,  t.  V,  p.  3 18). 


XLVI  INTRODUCTION 

Celé  qui  Tandormi  et  seela  si  fu  la  damoisele  qui 
Lancelot  en  porta  dedanz  lo  lac  '.  »  Il  est  probable 
que  Fauteur  du  Lancelot  avait  puisé  cette  histoire 
dans  un  lai  aujourd'hui  perdu  2;  c'est  à  lui  seule- 
ment qu'appartient  l'idée  peu  heureuse  d'avoir  iden- 
tifié Ninienne  avec  la  dame  du  lac  qui  éleva  le 
jeune  Lancelot  ^.  Il  suffit  de  lire  tout  ce  que  notre 
roman  raconte  de  Merlin  et  de  Ninienne  pour  voir 
qu'il  n'a  fait  que  développer  l'indication  du  Lancelot  : 
Ninienne  est  également,  chez  lui,  née  dans  les  mar- 
ches de  la  Petite-Bretagne;  seulement  il  l'a  identifiée 
avec  une  demoiselle  de  Northumberland  qui  figure 
dans  un  autre  conte  admis  par  lui,  ce  qui  l'a  obligé 
(ir,  143)  à  une  fort  gauche  explication  géographique. 
C'est  également  dans  la  «  forêt  périlleuse  ^  »  qu'a  lieu 

1.  Jonckbloet,  Lancelot,  t.  II,  p.  xii-xiir,  d'après  le  ms.  Bibl. 
Nat.  fr.  768,  fo  9.  Tous  les  récits  sur  Vensenement  de  Merlin  que 
nous  avons  en  français  remontent  à  ce  passage.  C'est  ce  récit  du 
Lancelot  qui  avait  également  servi  de  point  de  départ  au  Conte  du 
brait  d'Hélie. 

2.  L'existence  de  lais  anglo-normands  sur  Merlin  est  attestée 
par  un  passage  du  Renart  (éd.  Méon,  v.  i2i5o).  Voyez  aussi  Je 
texte  célèbre  de  Lambert  d'Ardres,  Mon.  Germ.,  t.  XXIV,  p.  707. 

3.  La  dame  ou  demoiselle  du  lac  est  un  personnage  tout  à  fait 
sympathique,  tandis  que  Ninienne  joue  en  somme  un  rôle  odieux. 
D'ailleurs,  dans  les  récits  plus  anciens  sur  Lancelot  (voy.  Roma- 
nia,  X,  473),  la  dame  du  lac  est  une  vraie  fée,  ce  qui  esP certaine- 
ment conforme  à  la  tradition  originaire;  l'auteur  du  Lancelot 
au  contraire  rabaisse  les  fées  au  rang  de  simples  mortelles  ins- 
truites dans  les  arts  magiques  (voyez  Jonckbloet,  Lancelot,  II,  x). 

4.  Notre  manuscrit  ne  donne  pas  le  nom  de  «  forêt  de  Daman- 
tes»; mais  c'est  bien  probablement  une  simple  omission  de  co- 
piste* 


LA  SUITE   DU   MERLIN  XLVII 

Ventombement  de  Merlin,  décrit  exactement  comme 
dans  le  Lancelot,  L'épisode  de  la  forêt  âCEn  Val 
(i,  144)  n'est  qu'une  imitation  anticipée  de  cette  his- 
toire. 

Avant  de  disparaître  pour  jamais,  Merlin  est  em- 
ployé à  mainte  reprise  par  notre  romancier  pour 
accomplir  des  merveilles,  assez  insignifiantes  d'ail- 
leurs, et  faire  des  prédictions  qui  relient  le  roman  à 
ceux  auxquels  il  est  destiné  à  servir  de  préface.  Nous 
avons  relevé  les  plus  intéressantes  de  ces  annonces  ^ 

En  dehors  de  ces  morceaux  qu'on  peut  appeler  pré- 
paratoires, notre  roman  contient  trois  épisodes  dont  il 
nous  reste  à  parler  :  l'histoire  de  Balaain  et  de  son 
frère,  la  triple  aventure  de  Gauvain,  Tor  et  Pellinor, 
la  triple  aventure  de  Gauvain,  Ivain  et  le  Morhout. 
L'histoire  de  Balaain  pourrait  bien  reposer  sur  un 
poème  épisodique  :  on  en  retrouve  en  tout  cas  le  dé- 
but, avec  le  nom  de  «  chevalier  aux  deux  épées  »  et 
l'incident  du  roi  Rion,  dans  le  poème  de  Mériadeuc 
ou  le  Chevalier  aux  deux  épées  ^,  L'aventure  finale. 


1.  Il  est  parlé  dans  le  Lancelot,  sans  autre  explication,  d'une 
pierre  u  qui  a  non  li  perrons  Merlin,  la  ou  Merlins  ocist  les  deus 
enchanteors  (P.  Paris.  III,  287  ;  ms.  SSg,  f.  33;  ms.  7G8,  f.  1 14)  ». 
On  pourrait  croire  que  ce  passage  renvoie  au  récit  que  fait  notre 
roman  de  cet  exploit  de  Merlin  (11,  1 54-1 58)  ;  mais  d'après  le  rap- 
port des  deux  romans,  il  faut  admettre  que  le  Lancelot  fait  allu- 
sion à  une  aventure  de  Merlin  que  nous  ne  connaissons  pas,  et 
que  notre  romancier,  qui  ne  la  connaissait  pas  non  plus,  a  pris 
cette  allusion  pour  point  de  départ  de  son  récit. 

2.  Publié  par  M.  Fœrster.  Voy.  Ilist.  liU.  de  la  France,  t.  XXX, 

p.  337  S8. 


XLVIII  INTRODUCTION 

sauf  son  dénouement  tragique,  rappelle  de  fort  près 
un  épisode  du  roman  de  Meraugis  de  Portles- 
gue\  »  :  c'est  ici  Gauvain  et  Meraugis  qui  jouent 
le  rôle  de  Balaain  et  Balaan.  Quant  aux  divers 
épisodes  de  l'histoire  de  Balaain,  les  uns,  qui  sont 
assez  obscurs  et  incohérents  2,  paraissent  avoir  été 
inventés  pour  la  rattacher  à  Tcnsemble  du  roman, 
les  autres  sont  des  fictions  dont  il  n'y  a  rien  de  par- 
ticulier à  dire. 

C'est  dans  cette  dernière  classe  que  rentre  tout  en- 
tière la  triple  aventure  de  Gauvain,  Tor  ^  etPellinor; 
nous  avons  là  des  spécimens  des  productions  ordinaires 
de  la  pauvre  imagination  des  auteurs  de  romans  en 
prose  :  l'invraisemblance  y  est  poussée  jusqu'à  l'ab- 
surde, sans  réussir  à  piquer  la  curiosité,  et  l'absence 

1.  Voyez  Hist.  ïitt.  de  la  France,  t.  XXX,  p.  226-227. 

2.  On  ne  sait  à  quoi  se  rattachent  les  allusions  du  début  (I,  219, 
228,  etc.),  ni  comment  c'est  le  meurtre  du  chevalier  d'Irlande  qui 
causera  la  mort  de  Balaain  (I,  229),  ni  comment  le  «  coup  doulou- 
reux »  frappé  par  Balaain  a  les  conséquences  prédites  par  Merlin 

(l.  264;  II,  7). 

3.  Ce  personnage,  qui  provient  de  Chrétien  deTroies,  est  appelé 
«  Tor  (Estor,  Ector),  fils  d'Ares  »  dans  tous  les  textes,  et  quelques- 
uns  ont  fait  de  son  père  un  roi  d'un  pays  plus  ou  moins  imaginaire. 
On  ne  voit  pas  pourquoi  notre  romancier  s'est  avisé  de  faire  d'Ares 
un  paysan  et  de  donner  à  Tor  pour  vrai  père  le  roi  Pellinor  (l'idée 
est  singulière  à  propos  d'un  personnage  qui  porte  toujours  le  nom 
de  son  père  accolé  au  sien).  11  ne  trouvait  rien  de  pareil  dans 
le  Lancelot,  où  Tor,  fils  d'Ares,  paraît  avoir  été  remplacé  par 
Hector  ou  Hestor  des  Mares  (et  non  des  Mates),  dont  le  nom  a  bien 
l'air  d'être  une  simple  altération  du  sien;  seulement  Hector  des 
Marcs  est  le  fils  bâtard  non  de  Pellinor,  mais  du  roi  Ban,  père  de 
Lancelot. 


r 


LA  SUITE   DU   MERLIN  XLIX 

presque  complète  de  motifs  pour  les  actions  les  plus 
graves  fait  de  tous  les  personnages  des  mannequins 
qui  n'ont  rien  de  vivant  '. 

Le  troisième  conte  du  même  genre  nous  montre 
Ivain  et  Gauvain,  partis  ensemble  de  la  cour  d'Arthur, 
et  auxquels  s'est  adjoint  le  Morhout  d'Irlande,  engagés 
dans  une  triple  aventure  :  chacun  d'eux  emmène  une 
des  trois  demoiselles  qu'ils  ont  rencontrées  près  d'une 
fontaine  dans  la  forêt,  et  ils  doivent  se  retrouver  au 
bout  d'un  an.  La  fin  de  cette  histoire  n'est  pas  dans 
notre  manuscrit,  qui  s'arrête  presque  aussitôt;  mais 
on  la  connaît  par  la  traduction  anglaise  dont  nous 
parlerons  tout  à  l'heure,  et  nous  en  donnons  le  résumé 
en  note  *.  Elle  est  aussi  aventureuse  que  l'autre,  mais 
peut-être  un  peu  plus  intéressante.   Il  est  possible 

1.  On  a  vu  que  notre  romancier  a  fait  de  la  «  demoiselle  chas- 
seresse »  de  cette  aventure  la  même  que  Ninienne.  Cela  n'éclaircit 
pas  l'histoire  de  cette  demoiselle  et  de  sa  chasse,  histoire  qui  est 
d'ailleurs  aussi  peu  intéressante  que  peu  claire. 

2.  Cette  fin  remplit  les  chapitres  xx-xxviii  du  livre  V  de  la  com- 
pilation de  Sir  Thomas  Malory.  Gauvain,  parti  avec  la  demoiselle 
de  quinze  ans,  a  une  aventure  où  intervient  Ninienne,  mais  où 
n'est  intéressée  en  rien  la  demoiselle  en  question,  qui  le  quitte  dès 
le  début.—  Le  Morhout  escorte  la  demoiselle  de  trente  ans;  il  com- 
bat sept  chevaliers  et  tue  un  géant,  sans  que  ces  prouesses  aient 
non  plus  aucun  rapport  avec  sa  compagne.  —  La  demoiselle  de 
soixante  a^s  (notre  manuscrit  porte  à  tort  soixante-dix)  qui  est 
avec  Ivain  reste  également  étrangère  à  ses  exploits,  qui  consistent 
surtout  dans  un  combat  qu'il  livre  à  deux  frères  pour  faire  triom- 
pher le  bon  droit  d'une  dame  injustement  dépossédée  par  eux.  — 
Au  bout  de  l'année,  les  trois  chevaliers  se  retrouvent  à  la  fontaine, 
où  ils  sont  rejoints  par  un  messager  qu'Arthur  a  chargé  de  les  re- 
trouver et  de  les  ramener  à  la  cour. 

T.  I  J 


INTRODUCTION 


qu'elle  ait  formé  un  conte  à  part,  annexé  par  notre 
auteur  à  son  œuvre  * . 


V.  —   LA   QUÊTE  DU    SAINT    GRAAL 


Le  manuscrit  Huth  étant  incomplet,  nous  avons  à 
nous  demander  ce  que  contenait  dans  son  ensemble 
l'œuvre  de  notre  compilateur  (outre  la  fin  de  l'aven- 
ture indiquée  ci-dessus).  Nous  pouvons  le  rechercher 
par  deux  voies  différentes,  soit  en  examinant  les  indi- 
cations contenues  à  ce  sujet  dans  cette  œuvre  elle- 
même,  soit  en  cherchant  ce  qui  peut  s'y  rapporter 
dans  d'autres  ouvrages.  L'auteur  nous  donne  sur  l'é- 
tendue et  les  proportions  de  son  livre  des  rensei- 
gnements qui  paraissent  assez  précis,  mais  qu'il  n'est 
malheureusement  pas  facile  d'utiliser  avec  certitude. 
Le  passage  capital  est  celui  qui  termine  notre  premier 
volume  :  «  Et  sachent  tout  cil  qui  Testoire  mon  si- 
gneur  Robert  de  Borron  vaurront  oir  comme  il  devise 
son  livre  en  trois  parties.  Tune  partie  aussi  grant 
comme  l'autre,  la  première  aussi  grande  comme  la 
seconde,  et  la  seconde  aussi  grant  comme  la  tierce. 
Et  la  première  partie  finist  il  au  commenchement  de 


I.  Il  l'y  a  rattaché  en  donnant  pour  motif  au  départ  d'Ivain  et  de 
Gauvain  le  bannissement  prononcé  contre  le  premier  par  Arthur, 
en  haine  de  Morgue  sa  mère. 


LA  QUÊTE   DU   SAINT  GRAAL  LI 

ccste  queste,  et  la  seconde  el  commenchement  dou 
graal,  et  la  tierche  finist  il  apriès  la  mort  de  Lansce- 
lot,  a  chelui  point  meisme  qu'il  devise  de  la  mort  le 
roi  March.  Et  ceste  chose  amentoit  en  la  fin  dou  pre- 
mier livre  pour  chou  que,  se  Testoire  dou  graal  estoit 
corrompue  par  auchuns  translatours  qui  après  lui  ve- 
nissent,  tout  li  sage  houme  qui  meteroient  lour  en- 
tente a  oir  et  a  escouter  porroient  par  ceste  parole 
savoir  se  ele  lour  seroit  baillie  entière  ou  corrompue, 
et  connisteroient  bien  combien  il  i  faurroit.  »  Voilà 
des  soins  fort  obligeants  pour  les  lecteurs,  mais  qui  les 
laissent  dans  l'embarras.  D'abord  où  commence  le 
livre  auquel  s'applique  cette  tripartition  ?  A  en  juger 
par  un  passage  rapporté  ci-dessus  (p.  xxviii),où  le  faux 
Robert  de  Boron  s'attribue  positivement  un  récit  du 
vrai  Robert  dans  le  Merlin,  il  faut  regarder  le  Joseph 
et  le  Merlin  comme  faisant  partie  de  Tœuvre  en 
question.  Il  est  certain,  d'autre  part,  que  la  division  en 
trois  parties  devait  faire  ces  parties  à  peu  près  rigou- 
reusement égales,  car  cette  considération  seule  peut 
expliquer  le  choix  de  l'endroit  où  se  termine  la  pre- 
mière partie,  peu  après  le  début  d'une  aventure  du 
chevalier  aux  deux  épées  qui  se  continue  et  s'achève 
immédiatement  dans  la  seconde. 

Si  nous  comptons  d'après  le  nombre  des  feuillets  du 
ms.  Huth,  nous  voyons  que  la  première  partie,  ainsi 
comprise,  remplit  juste   i25  feuillets  *;  la  seconde 

I.  La  2*  colonne  du  v»  du  f.  126  n'est  pas  tout  à  fait  remplie,  et 
le  f.  126  commence  par  une  capitale  un  peu  plus  grande  que  les 
autres. 


Lri  INTRODUCTION 

doit  donc  en  remplir  autant.  Or  notre  manuscrit  s'ar- 
rête au  milieu  du  f.  23o;  il  ne  contient  donc  pas  la 
seconde  partie  tout  entière.  Mais  ce  manuscrit  ne  doit 
pas  être  seulement  incomplet;  le  texte  en  est  sans 
doute  tronqué.  Il  se  termine  par  ces  mots  :  «  Si  laisse 
ore  a  tant  li  contes  a  parler  et  de  la  dame  et  del  roi  et 
de  toute  la  vie  Merlin,  et  devisera  d'une  autre  ma- 
tière qui  parole  dou  graal,  pour  chou  que  c'est  li 
commenchemens  de  chest  livre  ^  »  Si  nous  nous 
en  rapportons  à  la  division  donnée  plus  haut,  la  se- 
conde partie  doit  finir  avec  «  le  commenchement  dou 
graal  »  :  nous  serions  donc  bien  arrivés  à  la  fin  de  la  se- 
conde partie  ;  mais  cette  seconde  partie  serait  de  vingt 
feuillets  plus  courte  que  la  première,  ce  qui  est  beau- 
coup *.  Il  est  probable  qu'il  faut  la  compléter  en  y 
ajoutant  la  fin,  résumée  ci-dessus  en  note  et  absente 
de  notre  manuscrit,  de  la  triple  aventure  de  Gauvain, 
Ivain  et  le  Morhout,  et  quelques  autres  aventures 
encore  ^.  Le  copiste  les  aura  omises  pour  une  raison 

1.  C'est-à-dire  que  le  livre  tout  entier  commence  par  parler  du 
graal  ;  preuve  nouvelle  que  le  Joseph  et  le  Merlin  de  Robert  sont 
considérés  comme  faisant  partie  de  ce  livre. 

2.  Il  n'y  a  pas  à  tenir  compte  du  manque  du  io3*  feuillet  et  de 
deux  feuillets  après  le  i35*;  car  leur  perte  est  postérieure  au  folio- 
tage  :  on  passe  du  f.  102  au  f.  104  et  du  f.  i33  au  f.  i38. 

3.  Ainsi  le  combat  du  même  Gauvain  contre  Hector  des  Mares 
(cf.  II,  Ï40),  à  la  suite  duquel  Lancelot  faillit  les  tuer  tous  deux, 
semble  bien,  d'après  les  termes  dans  lesquels  il  est  prédit,  avoir  été 
raconté  avant  le  commencement  des  récits  relatifs  au  graal:  c  Et 
ceste  aventure  devise  cette  ystoire  anchois  que  on  kieche  a  conter 
la  vie  de  Perceval  (t.  Il,  p.  228).  »  Le  meurtre  de  Pellinor  par 
Gauvain,  maintes  fois  annoncé  (voyez  par  ex.  II,  11,  i37),  se  place- 


LA   QUÊTE   DU   SAINT   GRAAL  LUI 

OU  pour  une  autre,  avec  l'intention  de  passer  tout  de 
suite  à  la  troisième  partie,  intention  qu'il  n'a  pas  réa- 
lisée, à  moins  que  son  travail  ne  nous  soit  parvenu 
dans  un  état  mutilé.  Le  livre,  s'il  était  achevé,  comp- 
terait encore  environ  cent  vingt-cinq  feuillets,  conte- 
nant la  troisième  partie. 

Que  devait-il  y  avoir  dans  cette  troisième  partie  ? 
Elle  finissait,  nous  dit  le  romancier,  après  la  mort  de 
Lancelot  et  celle  du  roi  Marc.  La  fin  au  moins  en 
était  donc  une  sorte  d'épilogue  donné  aux  romans  de 
Lancelot  et  de  Tristan  '.  Mais,  essentiellement,  ce 
devait  être  une  Queste  du  saint  graal. 

En  effet,  tandis  que  le  Lancelot  et  le  Conte  du 
brait  sont,  par  l'auteur,  expressément  séparés  de 
son  œuvre  propre,  il  donne  la  Queste  du  saint  graal 
comme  faisant  partie  de  cette  œuvre.  Ainsi  en  par- 
lant de  Gauvain  il  dit  :  «  Et  Agloval  ochist  il  en  la 
queste  du  saint  graal,  si  comme  mes  sires  Robers  de 
Borron  le  devisera  apertement  en  son  livre  (I,  26).  » 
En  annonçant  l'aventure  qui  coûta  la  vie  à  la  sœur  de 


rait  aussi  plus  naturellement  dans  cette  partie  que  dans  la  troisième  ; 
mais  rien  ne  prouve  que  cette  histoire  fût  racontée  dans  la  com- 
pilation dont  le  ms.  Huth  nous  a  conservé  une  partie.  Il  est  fort 
possible  qu'elle  ait  formé  par  exemple  une  des  aventures  du  Conte 
du  brait  (voy.  ci-dessus,  p.  xlii,  n.  3). 

I.  On  serait  tenté  de  supposer  dans  le  passage  cité  une  faute  du 
copiste  et  de  lire  Artu  au  lieu  de  March.  Cette  faute  est  pourtant 
peu  vraisemblable.  La  mort  du  roi  Marc  n'est  pas  racontée  dans 
nos  manuscrits  du  roman  de  Tristan;  mais  elle  fait  le  sujet  d'un 
bizarre  récit  delà  Tavola  Ritonda  italienne,  qui  a  certainement  une 
source  française  (t.  I,  p.  52  3). 


UV  INTRODUCTION 

Perceval,  il  remarque  :  «  Si  coume  li  contes  le  devise 
en  la  grant  queste  dou  saint  graal;  mais  orc  en  laira  li 
contes  a  parler,  car  bien  en  savrai  deviser  la  vérité 
quant  lieus  en  sera  (II,  19).  »  Dans  deux  passages  im- 
portants, où  l'auteur  déclare  que  ItLancelot  tt\t  Brait 
ne  font  pas  partie  de  son  livre,  il  appelle,  d'ailleurs,  ce 
livre  «  histoire  du  saint  graal  » .  Le  premier  de  ces  pas- 
sages, dont  nous  avons  déjà  cité  le  début,  se  rapporte 
à  l'anneau  de  Lancelot  :  «  Cel  anelet  li  avoit  donné 
la  damoisiele  del  lac,  si  come  la  grant  hystore  de  Lans- 
celot  le  devise,  celé  meisme  ystoire  qui  doit  estre  dépar- 
tie de  mon  livre,  ne  mie  pour  chou  qu'il  (lise:{  qu'ele) 
n'i  apartiegne  et  que  elle  n'en  soit  traite,  mais  pour 
chou  qu'il  convient  que  les  trois  parties  de  mon  livre 
soient  ingaus.  Tune  aussi  grant  conme  l'autre,  et  se  je 
ajoustaisse  celé  grant  ystore,  la  moiene  partie  de  mon 
livre  fust  au  tresble  plus  grant  que  les  autres  deus. 
Pour  chou  me  convient  il  laissier  celle  grant  ystoire  qui 
devise  les  oevres  de  Lanscelot  et  la  naissance  ^,  et  voel 
deviser  les  neuf  lignies  des  nascions  2,  tout  ensi  comme 
il  apartient  a  la  haute  istoire  del  saint  graal,  ne  n'i  con- 
terai ja  chose  que  je  ne  doie,  ains  dirai  mains  assés 
que  je  ne  truis  en  Testoire  dou  latin.  Et  je  prie  a  mon 


1.  Peut-être  faut-il  supposer  que  le  mot  Galaad  a  été  omis  ici 
par  le  scribe. 

2.  Il  faut  peut  être  lire  «  les  neuf  lignies  de  Nascien  »;  cf.  Queste, 
p.  119;  Saint-Graal,  t.  11,  p.  323,  377,  402.  La  discussion  de  ce 
point  nous  entraînerait  trop  loin;  nous  ne  l'aborderons  pas  ici.  Il 
est  possible  d'ailleurs  que  tout  ce  passage  soit  altéré  dans  notre 
manuscrit. 


LA   QUETE   DU   SAINT   GRAAL  LV 

seigneur  Helye,  etc.  »  (II,  57).  Plus  loin,  parlant  de  la 
branche  du  Brait ^  consacrée  en  partie  à  Baudemagus, 
et  qu'Hélie  est  censé  rédiger,  il  remarque  :  «  Si  n'est 
mie  ceste  partie  dessevree  de  mon  livre  pour  chou  que 
elle  n'en  soit,  mais  pour  chou  que  mes  livres  en  soit 
mieudres  (liseï  mendres)  et  ma  painne  un  poi  alle- 
gie;  et  sachent  tout  cil  qui  l'ystoire  dou  saint  graal 
voelent  oir  et  escouter  qu'il  n'avront  ja  le  livre  eniire- 
ment  s'il  n'ont  par  dallés  les  grans  contes  de  ceste 

branke car  chou  est  droitement  une  des  brankes 

del  graal,  sans  quoi  on  ne  porroit  pas  bien  entendre 
la  moiiene  partie  de  mon  livre  ne  la  tierche  (11,173).» 
Ainsi  notre  auteur,  qui  se  prétend  Robert  de  Boron, 
dit  clairement  que  la  troisième  partie  de  son  livre  est 
une  Quesie  du  saint  graal.  Cette  Qiieste  était  mise 
par  conséquent,  comme  la  continuation  de  Merlin, 
sous  le  nom  de  Robert  de  Boron,  et  nous  avons,  en 
dehors  de  l'induction,  des  témoignages  formels  qui 
nous  en  attestent  l'existence.  Ces  témoignages  se 
trouvent  dans  le  roman  de  Tristan.  Décrivant  une 
cour  tenue  par  Arthur,  l'auteur  dit  :  «  Trop  i  a  haute 
chevalerie  et  biauté  de  dames  ;  tote  bontez,  tote  biau- 
tez  et  tote  joie  est  la  assemblée  a  cest  point.  Lancelos 
i  est  et  tout  li  autre  chevalier  de  son  lignage,  fors  que 
Galaaz  tant  solement  :  il  n'i  estoit  encore  mie  venuz, 
mais  il  i  vint  a  si  grant  désir  et  en  tel  manière  com  mes 
sire  Robers  de  Borron  le  devise  [apertementj  en  son 
livre.  Il  fetmolt  grant  parole  en  son  livre  de  ceste  cort, 
et  por  ce  qu'il  en  parole  assez  soufisanment  et  devise 
les  estranges  aventures  qui  i  avindrent  et  celui  jor 


LVI  INTRODUCTION 

meitnes,  si  com  dou  perron  Merlyn  [qui  ariva  desoz 
le  paies  le  roi,  et  com]  dou  chevalier  qui  fu  ars  dou 
feu  par  la  volenté  devine,  et  com  de  Tespee  qui  rendi 
goûtes  de  sanc  si  tost  com  Gauvains  la  tint,  qui  ces 
aventures  dont  je  vos  faz  orendroit  mencion  voldra 
veoir  apertement  si  prende  le  livre  de  mon  seignor 
Robert  de  Borron,  quar  il  devise  totes  ces  choses 
apertement,  et  por  ce  que  il  les  devise  assez  soufisan- 
ment  m'en  tairai  ge,  quar  anuis  seroii  de  conter  une 
aventure  deus  foiz,  en  son  livre  et  en  cestui  ^  »  A 
deux  autres  reprises  le  Tristan  attribue  expressément 
à  Robert  de  Boron  une  Queste  du  saint  graal  ^.  Il 
s'agit  maintenant  de  savoir  autant  que  possible  ce 
qu'était  cette  Queste  et  dans  quel  rapport  elle  était 
avec  le  roman  que  nous  possédons  sous  ce  titre. 

La  Queste  du  saint  graal,  que  M.  Fr.  J.  Furnivall 
a  imprimée  ^  d'après  deux  manuscrits  du  British  Mu- 
séum, n'existe  aujourd'hui  qu'incorporée  au  Lancelot, 
où  elle  s'intercale  avant  la  Mort  Arthur,  qui  forme 
la  dernière  partie  de  ce  grand  roman.  Dans  presque 

1.  Ms.  12599,  fo  459  c;  de  même  ms.  757,  f»  ibô  d  (nous  avons 
emprunté  à  ce  manuscrit  les  quelques  mots  omis  dans  le  premier 
et  restitués  entre  crochets;  il  présente,  en  outre,  des  variantes  de 
peu  d'importance).  Le  ms.  755  (f»  i55  r»)  offre  un  texte 
abrégé. 

2.  Le  premier  passage  se  trouve  dans  les  mss.  12599  (f"  461  dj^ 
737  (fo  157  vo),  jbb([o  iby  b)  ;\&  second  dans  les  mss.  1 2599  (fo  463), 
757  (t"  159  ro),  755  (fo  159  a). 

3.  La  Queste  du  saint  Graal  in  the  french  prose  of  (as  it  is  sup- 
posed)  maistres  Gauiiers  Map,  or  Waltcr  Map.  Edited  by  Frederick 
J.  Furnivall.  Printed  for  the  Roxburghe  Club.  London,  1^64, 
in-4*. 


LA   QUÊTE   DU   SAINT  GRAAL  LVII 

tous  les  manuscrits  elle  est  attribuée,  ainsi  que  la  Mort 
Arthur,  non  à  Robert  de  Boron,  mais  à  «  maistre 
Gautier  Map  »,  et  si  quelques  manuscrits  ne  donnent 
pas  ce  nom,  c'est  simplement  qu'ils  Tont  omis.  Cepen- 
dant la  Qiteste  qui  formait  la  troisième  partie  de  notre 
roman  et  qui  portait  le  nom  de  Robert  de  Boron  res- 
semblait certainement  beaucoup  à  celle  qui  porte  le 
nom  de  Gautier  Map.  Notre  auteur  prédit  l'aventure 
qui  signalera  l'arrivée  de  Galaad,  fils  de  Lancelot,  à  la 
cour  d'Arthur  (II,  59-60)  exactement  telle  qu'elle  est 
dans  la  Qiieste  du  saint  graal  incorporée  au  Lance- 
lot  K  II  annonce,  comme  nous  l'avons  vu  tout  à  l'heure, 
une  aventure  de  la  sœur  de  Perceval  qui  lui  coûta  la 
vie  (II,  19),  et  cette  aventure  se  trouve  identiquement 
dans  la  même  Queste  du  saint  graal  *.  Il  n'est  donc 
pas  douteux  que,  quand  il  parle  de  celui  qui  remplira 
le  «  lieu  vide  »  à  la  Table  Ronde  (II,  65),  il  entende, 
non  plus  Perceval,  comme  Robert  de  Boron  3,  mais 
Galaad,  comme  l'auteur  de  la  Queste  attribuée  à  Gau- 
tier Map  *. 


1.  Queste,  p.  4  ss.  ;  Birch-Hirschfeld,  Die  Sage  vont  Gral,  p.  Sy. 
C'est  par  une  faute  qui  aurait  dû  être  corrigée  que  notre  ms.  porte  : 
«  Galaas  essaia  tout  premiers  par  le  los  de  son  oncle  •»;  il  faut 
corriger  u  Gavains.  »  On  voit  en  eflet  dans  la  Queste  Arihur  enga- 
ger Gauvain,  qui  n'avait  pas  envie  de  tenter  l'épreuve,  à  essayer  de 
retirer  l'épée  du  bloc  de  marbre  où  elle  est  engagée. 

2.  Queste,  p.  211  ss.;  Birch-Hirschfeld,  p.  48. 

3.  Il  fait  d'ailleurs,  comme  la  Queste,  de  Perceval  un  chevalier 
vierge  (I,  160). 

4.  Nous  n'avions  pas  encore  constaté  ce  fait  quand  nous  avons 
imprimé  la  note  de  la  p.  28  du  t.  II.  Il  n'y  a  pas  de  raison  pour 


LVIII  INTRODUCTION 

Mais  d'autre  part  nous  rencontrons  dans  notre  texte 
plusieurs  prédictions  ou  allusions  relatives  à  la  troi- 
sième partie  qui  ne  se  retrouvent  pas  dans  la  Queste 
que  nous  possédons.  Perceval,  pour  notre  auteur,  est 
le  fils  du  roi  Pellinor  ',  du  «  chevalier  à  la  bête  glatis- 
sante »  *  ;  pour  le  soi-disant  Gautier  Map,  il  est  le  fils 
du  roi  Pelleham  3,  et  ce  n'est  pas  une  simple  variante 
graphique,  puisque  notre  texte  connaît  également  ce  roi 
Pelleham  et  lui  attribue  un  autre  rôle  ^.  Notre  roman- 
cier annonce  formellement  (voyez  ci-dessus,  p.  \un) 
que  dans  sa  Queste  du  saint  graal  il  racontera  com- 
ment Gauvain  mit  à  mort  Agloval,  frère  de  Perceval  ; 
or  nous  ne  trouvons  rien  de  pareil  dans  la  Queste  ac- 
tuelle, où  Agloval  ne  figure  qu'en  passant.  Notre  ro- 
man dit  que  Gauvain,  qui  essaya  le  premier  de  reti- 
rer du  bloc  de  marbre  l'épée  réservée  à  Galaad,  en  fut 
aussi  le  premier  blessé,  conformément  à  l'inscription 


douter  que  Malory,  ici  comme  ailleurs,  ait  reproduit  exactement, 
mais  en  abrégé,  son  original. 

1 .  Dans  Robert  de  Boron,  Perceval  est  fils  d'Alain  le  Gros. 

2.  Il  serait  trop  long  de  poursuivre  dans  tous  les  romans  en  prose 
ce  qui  se  rapporte  à  cette  aventure  de  la  «  bcste  glatissant  »,  par- 
tout d'ailleurs  assez  mal  expliquée. 

3.  Voy.  Queste,  p.  182;  Birch-Hirschfeld,  p.  46. 

4.  Voyez  t.  Il,  p.  28  et  ci-dessus,  p.  lvii,  n.  a.  Le  rôle  que,  d'après 
ce  passage,  Pelleham  jouait  dans  la  Queste  annexée  à  notre  roman, 
c'est  le  roi  Pelles  (le  grand-père  de  Galaad)  qui  le  joue  dans  la  Queste 
du  Lancelot.  La  manière  dont  il  est  blessé  (p.  188)  est  tout  autre; 
mais  la  façon  dont  Galaad  le  guérit  (p.  241)  est  la  même.  11  faut  no- 
ter que  dans  le  grand  Saint  Graal  (Hucher,  III,  295),  comme  dans 
notre  roman,  c'est  Pelleham  qui  est  le  «  roi  mehaignié  »  que  guérit 
Galaad. 


LA  QUETE   DU   SAINT   GRAAL  LIX 

du  pommeau  de  cette  épée  ^  ;  la  Queste  raconte  bien 
que  Gauvain  essaya  le  premier  de  retirer  Tépée  et  plus 
tard  qu'il  en  fut  blessé  ^  ;  mais  elle  ne  mentionne  pas 
l'inscription  et  ne  dit  nullement  que  Gauvain  ait  été  le 
premier  que  cette  épée  ait  blessé.  D'autre  part  le  pas- 
sage de  Tristan  que  nous  avons  cité  relate,  sur  la 
scène  de  l'arrivée  de  Galaad  à  la  cour  d'Arthur,  dans 
la  Queste  attribuée  à  Robert  de  Boron,  des  circons- 
tances que  nous  ne  trouvons  pas  dans  la  scène  corres- 
pondante de  la  Queste  attribuée  à  Gautier  Map,  bien 
que  d'ailleurs  les  deux  récits  se  ressemblent  de  fort 
près  ^.  Il  est  donc  probable  que  la  Queste  attribuée  à 
Gautier  Map  est  un  remaniement  d'une  Queste  plus 
ancienne,  mise  sous  le  nom  de  Robert  de  Boron,  qu'a 
connue  l'auteur  de  Tristan,  et  à  laquelle  se  réfère  no- 
tre roman,  dont  elle  devait  former,  sinon  seule,  au 
moins  essentiellement,  la  troisième  partie.  On  peut 
trouver  encore  dans  la  Queste^  telle  que  nous  l'avons, 
des  vestiges  de  la  forme  plus  ancienne,  reconnaissables 
à  certaines  contradictions.  Ainsi  nous  voyons,  peu 
après  le  début  ^,  Baudemagus  renversé  par  un  cheva- 


I.  Voyez  ci-dessus,  p.  lvii,  n.  i. 
a.  QuestCy  p.  177-178. 

3.  Ainsi  nous  voyons  bien  dans  la  Queste  actuelle  l'histoire  du 
<  perron  »  qui  aborda  devant  le  palais  d'Arihur  et  dont  Galaad 
seul  put  enlever  l'épée  (aventure  prédite  en  termes  identiques  dans 
notre  roman,  t.  II,  p.  5q-6o);  mais  nous  ne  trouvons  pas  dans  celte 
Queste  le  chevalier  qui  fut  brûlé  par  la  volonté  divine,  ni  la  men- 
tion des  gouttes  de  sang  qu'aurait  rendues  l'épée  merveilleuse,  au 
moment  où  Gauvain  la  saisit  (voy.  ci-dessus,  p.  lv). 

4.  Queste,  p.  2b-26. 


LX  INTRODUCTION 

lier  blanc  qui  disparaît  ensuite  et  qui  est  évidemment 
un  être  surnaturel  ;  ce  chevalier  semble  bien  être  de 
l'invention  du  remanieur  de  la  Queste.  On  transporte 
Baudemagus,  grièvement  blessé,  dans  une  «  blanche 
abeie  ».  Plus  tard  ^  Lancelot  arrive  dans  une  «  blan- 
che abeie  »  qui  doit  être  la  même,  et  il  y  voit  une 
tombe  sur  laquelle  est  écrit  :  «  Chi  gist  li  rois  Bau- 
demagus de  Gorre,  que  Gauwains  li  niés  le  roi  Artu 
ochist  ».  Or  la  Queste  ne  raconte  nulle  part  un 
combat  de  Baudemagus  contre  Gauvain  ;  mais  notre 
roman  (I,  274)  annonce  que  Gauvain  tuera  Baude- 
magus, son  meilleur  ami  ^.  Il  semble  donc  bien  que 
la  Queste  a  été  remaniée  négligemment  par  un  au- 
teur qui  en  a  retranché  le  récit  du  combat  de  Bau- 
demagus contre  Gauvain,  et  qui  a  remplacé  dans  ce 
combat  Gauvain  par  un  être  surnaturel,  mais  qui  en- 
suite n'a  pas  pris  soin  de  mettre  le  dénouement  de 
l'aventure  en  harmonie  avec  ce  changement.  D'au- 
tres aventures  de  Gauvain,  prédites  dans  notre  ro- 
man, se  trouvaient  sans  doute  dans  la  Queste  qui  en 
formait  la  dernière  partie  ^. 

1.  Qtteste^  p.  23i. 

2.  Dans  le  début  de  la  Mort  Arthur,  intimement  relié  à  la  Queste, 
Gauvain  rappelle  ce  meurtre  {Queste,  p.  249),  et  ajoute  :  «  Si  ne 
fis  onques  chose  dont  il  me  pesast  autant  »,  ce  qui  concorde  bien 
avec  le  passage  cité  de  noire  roman. 

3.  Dans  le  passage  de  la  Mort  Arthur  cité  à  la  note  précédente, 
Gauvain  reconnaît  qu'il  a  tué  dans  sa  quête  du  graal  dix-huit  che- 
valiers de  la  cour  d'Arthur;  cependant  le  texte  que  nous  avons  de 
la  Queste  ne  lui  en  fait  tuer  qu'un,  Ivain  VAvoutre.  Parmi  les  dix- 
sept  autres,  avec  Baudemagus,  se  trouvait  sans  doute  Agloval. 


LA   QUETE   DU    SAINT   GRAAL  LXI 

La  troisième  partie  de  notre  roman  était  donc  es- 
sentiellement une  Queste  du  saint  graal,  qui  a  fort 
probablement  servi  de  base  au  roman  que  nous  possé- 
dons aujourd'hui  avec  le  même  titre,  et  qui,  mis  sous 
le  nom  de  Gautier  Map,  est  incorporé  au  Lancelot, 
Mais  cette  troisième  partie  ne  contenait  pas  unique- 
ment rtîistoire  de  la  recherche  du  saint  graal  par  les 
chevaliers  de  la  Table  Ronde  et  de  sa  découverte  par 
Galaad,  accompagné  de  Perceval  et  de  Boort.  Le  ro- 
man se  terminait,  comme  nous  l'avons  vu  ci-dessus, 
après  la  mort  de  Lancelot  et  celle  du  roi  Marc  ;  il  est 
plus  que  probable  qu'il  parlait  aussi  de  la  trahison  de 
Mordret,  de  la  fin  d'Arthur,  de  celle  de  Tristan  et 
d'Iseut,  et  qu'il  contenait  encore  d'autres  aventures  ^ 
Comme  toute  cette  matière  ne  devait  pas,  d'après  la 
déclaration  de  l'auteur,  dépasser  beaucoup  la  valeur 
de  cent  vingt-cinq  feuillets,  il  faut  que  ces  événements 
n'y  fussent  racontés  que  fort  brièvement.  Sans  doute 
même,  pour  ce  qui  touche  Arthur  et  Lancelot,  Tris- 
tan et  Marc,  le  compilateur  se  bornait  à  renvoyer  aux 


I.  Le  combat  de  Gauvain  contre  l'enchanteur  Naborn,  qui  est 
annoncé  (t.  II,  p.  222)  comme  devant  être  raconté  plus  tard  («  si 
conme  cis  contes  meismes  le  devisera  apertement  quant  lius  et  tans 
en  sera  t>),  pouvait  bien  se  trouver  aussi  dans  cette  troisième  par- 
tie. On  y  voyait  Hgurer  le  fourreau  merveilleux  dont  notre  auteur, 
suivant  son  usage,  a  voulu  nous  faire  connaître  la  provenance 
(I,  198),  mais  auquel  il  n'a  su  donner  qu'un  rôle  tout  à  fait  insi- 
gnifiant (I,  267-272;  II,  219-222).  —  Il  est  probable  aussi,  d'après 
le  passage  (II,  228)  cité  plus  haut  (p.  ui,  n.  3)  que  l'histoire  de  la 
jeunesse  de  Perceval  était  racontée  ou  au  moins  rappelée  au  début 
de  la  troisième  partie. 


LXII  INTRODUCTION 

romans  spéciaux  qui  les  concernent,  comme  nous 
avons  vu  qu'il  le  faisait  en  divers  endroits  de  son 
livre. 


VI.  —  L  ŒUVRE  DU  FAUX  ROBERT  DE  BORON 


En  établissant  qu'il  existait  une  Queste  du  saint 
graal  semblable  en  beaucoup  de  points  à  celle  que 
nous  possédons  encore,  dont  l'auteur  se  donnait  le 
nom  de  Robert  de  Boron,  et  qui  formait  le  noyau  de 
la  troisième  partie  de  notre  compilation,  nous  n'avons 
nullement  voulu  dire  que  cette  Queste  fût  du  même 
auteur  que  la  suite  de  Merlin  que  nous  publions.  Voici 
au  contraire  comment  nous  nous  représentons  les  cho- 
ses :  le  Perceval  de  Robert  de  Boron  avait  été  rem- 
placé par  une  Queste  du  saint  graal  où  le  héros  pri- 
vilégié était  non  plus  Perceval,  mais  Galaad;  ce 
roman  était  mis  sous  le  nom  de  Robert  de  Boron, 
par  une  supercherie  qui  se  comprend  sans  peine,  puis- 
qu'il était  destiné  à  prendre  la  place  du  Perceval 
de  Robert.  D'autre  part  le  Joseph  et  le  Merlin  de  Ro- 
bert, réduits  en  prose,  continuaient  à  porter  son  nom. 
Notre  compilateur  a  fabriqué,  avec  les  éléments  que 
nous  avons  cherché  à  reconnaître,  sa  continuation  du 
Merlin  pour  rattacher  le  Joseph  et  le  Merlin  à  cette 
Queste,  et  il  s'est  donné  tout  naturellement  lui-même 
pour  Robert  de  Boron,  auteur  réel  des  deux  premiers. 


l'œuvre   du   faux   ROBERT   DE   BORON  LXIII 

auteur  prétendu  du  troisième  de  ces  romans.  Comme 
d'autre  part  il  connaissait  les  romans  de  Lancelot,  de 
la  Mort  Arthur^  de  Tristan  et  du  Brait  Merlin,  il  a 
semé  son  oeuvre  d'annonces  et  d'allusions  relatives  à 
leurs  récits,  et  il  a  complété,  par  quelques  emprunts 
qu'il  leur  a  faits,  la  Queste  qu'il  comptait  annexer  à  sa 
compilation.  Il  a  divisé  son  œuvre  en  trois  parties,  dont 
la  troisième  seule  a  un  commencement  et  une  fin  don- 
nés par  le  récit  lui-même  :  elle  était  consacrée  presque 
en  entier  (voy.  I,  254;  II,  280)  au  saint  graal,  c'est- 
à-dire  à  la  Queste,  sauf  des  renvois  aux  autres  romans 
pour  la  fin  des  principaux  personnages.  La  longueur 
de  cette  troisième  partie  l'a  seule  guidé  dans  la  divi- 
sion en  deux  parties  du  reste  de  son  œuvre  :  pour  que 
les  trois  parties  eussent  une  dimension  égale,  il  a  mis 
dans  la  première  le  Joseph,  le  Merlin  et  un  fragment 
de  sa  continuation  coupée  à  l'endroit  voulu,  dans  la  se- 
conde le  reste  de  sa  continuation.  Ainsi  s'est  formée 
la  compilation  que  nous  ne  possédons  plus  telle  quelle, 
et  qui  a  du  d'ailleurs,  comme  nous  le  verrons,  être 
réduite  de  bonne  heure  à  une  forme  à  peu  de  chose 
près  aussi  imparfaite  que  celle  où  elle  nous  est  par- 
venue. La  troisième  partie  a  été  négligée  du  moment 
où  la  Queste  qu'elle  contenait,  remaniée  en  plusieurs 
points,  a  été  incorporée  au  Lancelot.  Quant  à  la  se- 
conde, celle  qui  nous  est  arrivée  dans  le  seul  manuscrit 
Huth,  elle  fut  plus  tard  également  délaissée  par  suite 
de  la  concurrence  victorieuse  que  lui  fit  l'autre  conti- 
nuation du  Merlin,  celle  que  nous  avons  appelée  la 
vulgate. 


LXIV  INTRODUCTION 

Comme  nous  Tavons  déjà  dit,  nous  n'avons  pas  ici 
à  examiner  ce  roman,  qui  est  d'ailleurs  un  des  plus 
connus  et  des  plus  facilement  accessibles  des  romans 
de  la  Table  Ronde  en  prose  ^;  nous  devons  simple- 
ment remarquer  qu'il  est  absolument  indépendant  du 
nôtre,  et  que  les  deux  continuateurs  de  Robert  de  Bo- 
ron,  qui,  d'ailleurs,  prennent  l'un  et  l'autre  son  nom, 
ont  travaillé,  sans  se  connaître,  chacun  de  son  côté; 
seulement,  tandis  que  le  nôtre  a  surtout  visé  à  rattacher 
le  Joseph  et  le  Merlin  à  la  Queste,  l'auteur  de  la  vulgate 
a  écrit  essentiellement  une  introduction  au  Lancelot. 
Ce  qui  appelle  un  instant  notre  attention,  ce  sont  les 
coïncidences  qui  se  remarquent  entre  les  deux  conti- 
nuations, et  qui  pourraient  faire  penser  que  l'un  des 
auteurs  a  utilisé  l'autre  ou  que  tous  deux  ont  travaillé 
d'après  un  même  original.  Nous  croyons  qu'il  n'en 
est  rien,  et  que  ces  coïncidences  ont  une  origine  très 
compréhensible  :  elles  s'expliquent  par  la  nature 
même  du  travail  des  deux  continuateurs.  Ils  s'atta- 
chent l'un  et  l'autre  à  préparer  ou  à  annoncer  les 
événements  racontés  dans  les  romans  dont  ils  écrivent 
l'introduction  :  il  est  donc  naturel  qu'ils  se  soient 
rencontrés  quelquefois;  mais  là  même  où  ils  le  font, 
leurs  récits  présentent  trop  de  différences  pour  qu'on 
puisse  les  croire  puisés  à  la  même  source.  Nous  avons 
relevé  six  de  ces  rencontres,  dont  nous  allons  dire  un 
mot  :  on  remarquera  qu'elles  portent  uniquement  sur 

I.  Outre  les  anciennes  éditions  et  traductions,  on  en  a  une 
longue  et  fidèle  analyse  dans  le  tome  II  des  Romans  de  la  Tablé 
Ronde  de  M.  Paulin  Paris. 


-1 

[ 


l'œuvre   du   faux   ROBERT   DE   BORON  LXV 

des  faits  communs  â  nos  deux  continuations  et  au 
Lancelot  (ou  à  la  Mort  Arthur)^  la  vulgate  conte- 
nant peu  d'allusions  à  la  Queste  du  saint  graal  ^,  et, 
si  nous  ne  nous  trompons,  n'en  contenant  aucune 
au  Tristan. 

La  plus  frappante  de  ces  coïncidences  se  pré- 
sente dès  le  début  des  deux  romans  :  c'est  This- 
toire  du  commerce  d'Arthur  avec  sa  sœur  et  de  la 
procréation  de  Mordret.  Cet  épisode  était  indiqué 
aux  deux  auteurs  par  le  fait  que  Mordret,  dans  le 
Lancelot,  est  présenté  comme  étant  réellement  le  fils 
d'Arthur  ^;  il  devait  être  placé  tout  au  début  du  récit, 
pour  que  Mordret,  frère  cadet  de  Gauvain,  Agravain, 
Gaheriet  et  Guerriès,  qui  figurent  peu  après  comme 
chevaliers,  ne  fût  pas  séparé  de  ses  frères  par  une 
trop  grande  distance  d'âge.  D'ailleurs,  comme  on  peut 
s'en  convaincre  en  lisant  le  Merlin  ordinaire,  les  cir- 
constances de  l'inceste  sont  toutes  différentes,  et  l'his- 
toire de  l'exposition  des  enfants  et  de  ses  conséquen- 
ces manque  absolument  dans  la  vulgate  ^. 


1.  Voy.  pourtant  P.  Paris,  II,  277. 

2.  Voy.  ci-dessus,  p.  xli. 

3.  Voy.  P.  Paris,  t.  II,  p.  io5  et  suiv.  M.  P.  Paris,  à  propos  de 
cette  aventure,  remarque  (p.  108)  :  a  Robert  de  Boron  avait  déjà 
recueilli  la  même  tradition  de  la  conception  de  Mordret,  mais  avec 
des  circonstances  différentes.  Artus,  dit-il,  l'avait  engendré  de  sa 
soeur,  une  nuit  qu'il  croyait  tenir  dans  ses  bras  la  belle  dame 
d'Irlande;  et,  quand  ils  surent  la  méprise,  ils  en  eurent  tous  deux 
un  grand  repentir.  On  ne  sait,  et  Boron  ne  le  dit  pas,  quelle  était 
cette  dame  d'Irlande.  »  —  Nous  ne  savons  d'où  est  prise  cette  cita- 
lion,  ni  ce  qu'il  faut  entendre  ici  par  «  Robert  de  Boron  »;  M.  P.  Pa- 

T.  I  e 


LXVI  INTRODUCTION 

Dans  le  A/ifr/iVf  ordinaire  *  comme  dans  notre  texte, 
douze  messagers  viennent  de  la  part  de  Tempereur  de 
Rome  réclamer  le  tribut  que  doit,  dit-il,  lui  payer  la 
Bretagne.  Nous  avons  vu  plus  haut  que  ce  trait  était 
emprunté  à  Gaufrei  de  Monmouth  et  se  retrouvait 
dans  le  Percerai  de  Robert  de  Boron.  Mais  dans 
notre  texte  ce  défi  des  Romains  n'a  pas  de  suite  im- 
médiate; il  ne  sert,  comme  nous  l'avons  dit,  qu'à 
préparer  un  épisode  du  Lancelot,  Dans  la  vulgate, 
au  contraire,  toute  la  guerre  d'Arthur  contre  l'empe- 
reur de  Rome  est  racontée,  plus  ou  moins  d'après 
Gaufrei  de  Monmouth,  bien  qu'un  récit  fort  sembla- 
ble doive  se  retrouver  dans  la  Mort  d'Arthur. 

Le  roi  Rion  joue  un  rôle  dans  le  Merlin  ordinaire 
comme  dans  le  nôtre;  mais  ce  rôle  est  beaucoup  plus 
important  dans  la  vulgate  que  dans  notre  texte,  et  il 
n'y  est  pas  du  tout  le  même.  D'abord  il  ne  s'agit  pas 
des  barbes  royales  dont  Rion,  d'après  la  tradition 
conservée  dans  notre  texte,  faisait  collection  :  Rion  est 
roi  de  la  Terre  aux  Géants,  géant  lui-même;  il  attaque 
Léodegan,  et  c'est  en  défendant  son  futur  beau-père 
qu'Arthur  le  combat  en  personne  et  le  vainc.  Sauf  le 
nom  de  Rion,  tout  cela  n'a,  on  le  voit,  aucun  rapport 
avec  le  récit  de  notre  texte. 

Nous  avons  vu  que  dans  notre  texte  la  Table  Ronde 

ris  ne  lui  attribue  en  général  que  le  Saint  Graal  et  le  Merlin  pri- 
mitif, où  il  n'y  a  rien  de  pareil.  Nous  remarquerons  seulement  que 
voilà  une  troisième  manière  de  raconter  la  conception  de  Mordret. 
Toutes  trois  ont  pour  source  le  passage  obscur  du  Lancelot, 
I.  P.  Paris,  II,  339. 


I 


L  ŒUVRE   DU   FAUX   ROBERT   DE   BORON         LXVII 

instituée  par  Merlin  à  Carduel  se  trouve,  sans  qu'on 
sache  comment,  transportée  chez  Léodegan,  roi  de 
Carmelide,  père  deGuenièvre.  C'est  là  un  fait  que  no- 
tre continuateur  de  Robert  de  Boron  avait  trouvé  dans 
le  Lancelot  ^  et  qu'il  a  admis,  sans  se  préoccuper  de 
le  concilier  avec  le  récit  de  Robert.  Nous  retrouvons 
la  même  contradiction  chez  l'autre  continuateur; 
seulement  il  a  essayé  de  la  faire  disparaître  par  une 
explication  qui  d'ailleurs,  comme  on  l'a  remarqué, 
est  assez  maladroite  ^, 

La  mention  du  roi  Ban,  de  sa  femme  et  de  leur  fils 
appelé  Galaad  et  surnommé  Lancelot  était  indi- 
quée dans  nos  deux  romans;  mais  elle  se  fait  dans 
chacun  d'eux  d'une  manière  tellement  différente  qu'il 
n'y  a  lieu  à  soupçonner  aucun  rapport  d'imitation  ou 
de  provenance  commune. 

Enfin  dans  les  deux  romans  l'enchantement  de 
Merlin  par  Ninienne  devait  évidemment  avoir  sa  place, 
et  dans  les  deux  le  récit  qui  en  est  fait  se  rattache 
au  passage  du  Lancelot  cité  plus  haut.  Mais  tandis 
que  notre  texte  a  fidèlement  suivi  l'indication  du 
Lancelot,  en  se  bornant  à  l'amplifier,  le  Merlin  ordi- 
naire nous  donne  un  récit  très  différent,  d'ailleurs 
beaucoup  plus  intéressant  et  d'une  vraie  valeur  poé- 
tique, qui  remonte  sans  doute  à  une  source  particu- 
lière .  La  scène  se  passe  ici  dans  la  forêt  de  Briosque 
ou  de  Brocéliande  (et  non  de  Damantes),  et  Ni- 


1.  Voyez  ci-dessus,  p.  xliii. 

2.  Voyez  P.  Paris,  t.  II,  p.  125-127. 


LXVIII  INTRODUCTION 

nienne,  au  lieu  d'enfermer  Merlin  dans  une  tombe, 
Tentoure,  par  un  secret  qu'elle  a  appris  de  lui,  d'une 
enceinte  d'air  impénétrable,  dont  elle  sort  à  sa  vo- 
lonté, mais  que  Merlin  ne  franchit  plus  jamais  et  qui 
le  cache  à  tous  les  yeux.  On  voit  que  cette  dernière 
rencontre  est  encore  plus  lointaine  que  les  autres  ^ 
Ayant  assigné  à  notre  roman  la  place  qui  lui  re- 
vient dans  révolution  des  romans  en  prose  de  la  Table 
Ronde,  il  ne  nous  reste  que  peu  de  mots  à  dire  sur 
la  patrie,  la  date  et  la  valeur  de  cette  composition. 
Comme  tous  les  romans  en  prose,  le  nôtre  est  de  fac- 
ture purement  française  :  Tauteur  ignore  l'Angleterre 
encore  plus  profondément  que  ne  fait  le  vrai  Robert  de 
Boron;  s'il  n'est  pas,  comme  le  rédacteur  du  Merlin 
ordinaire,  prodigue  de  dénominations  géographiques 
fantastiques,  il  se  borne  en  général  à  des  désignations 
absolument  vagues  et  ne  donne  d'autres  noms  de 
lieux  que  ceux  qu'il  trouve  dans  Robert  de  Boron 
ou  le  Lancelot,  —  Le  manuscrit  unique  qui  nous  a 
conservé  notre  texte  a,  comme  nous  Tavons  dit,  des 
traces  nombreuses  de  dialecte  septentrional;  il  est 
probable  qu'elles  ne  sont  pas  toutes  imputables  au 
copiste,  et  que  l'auteur  appartenait  lui-même  à  la 
région  picarde;  toutefois  nous  n'en  avons  aucune 
preuve  assurée.  —  Nous  ne  pouvons  entrer  ici  dans 

I .  Mentionnons  ici  un  autre  récit  de  V  «  enserrement  o  de  Mer- 
lin qui  a  également  pour  point  de  départ  le  passage  du  Lancelot 
cité  plus  haut  et  qui,  tout  en  différant  du  nôtre,  suit  aussi  très 
fidèlement  l'indication  du  Lancelot:  c'est  celui  qui  est  inséré  dans 
les  Prophéties  de  Merlin  (éd.  Trcpperel,  f»  lxx-lxxii). 


L  ŒUVRE   DU   FAUX    ROBERT   DE   BORON  LXIX 

l'examen  extrêmement  compliqué  de  la  date  des  diffé- 
rents romans  en  prose  de  la  Table  Ronde  ;  il  nous 
suffira  de  dire  qu'en  plaçant  la  rédaction  de  notre 
compilation  vers  1 225  ou  i23o  nous  croyons  avoir 
beaucoup  de  chances  d'approcher  de  la  vérité.  — 
Quant  à  la  valeur  littéraire  de  la  partie  originale  de 
cette  compilation,  elle  n*a  rien  de  bien  remarquable, 
et  nous  avons  déjà  signalé  plus  haut  la  faiblesse  de 
certains  épisodes.  L'histoire  de  Balaain  est  ce  qu'elle 
offre  de  meilleur;  le  dénouement,  qui  paraît  bien  ap- 
partenir à  notre  auteur,  en  est  vraiment  pathétique. 
Pour  le  reste,  c'est  une  suite  de  contes  qui  valent  à  peu 
près  tous  les  autres  du  même  genre,  avec  celte  infé- 
riorité que  les  héros  en  sont,  pour  un  grand  nombre, 
des  personnages  qui  ne  nous  intéressent  pas,  et  que 
les  aventures,  variantes  banales  d'aventures  mieux 
racontées  ailleurs,  nous  fatiguent  plus  que  les  pre- 
mières par  leur  creuse  et  monotone  invraisem- 
blance. Notre  auteur  n'avait  pas  l'imagination  féconde 
et  parfois  réellement  poétique  des  auteurs  de  Lancelot 
et  de  Tristan,  et  il  ne  nous  semble  même  pas  pou- 
voir être  mis  au  même  rang  que  son  émule,  l'autre 
faux  Robert  de  Boron,  qui  a  donné  au  Merlin  sa 
continuation  la  plus  connue.  En  préférant  cette  œuvre 
à  celle  que  nous  a  conservée  le  manuscrit  Huth,  les 
gens  du  moyen  âge  ont  en  somme  jugé  comme  il  est 
probable  qu'on  jugerait  encore. 


LXX  INTRODUCTION 


VI.  —  TRADUCTIONS  DE  LA  SUITE  DU  MERLIN 


Malgré  son  médiocre  succès,  notre  roman  n'a  pas 
été  aussi  délaissé  quMl  le  semble  au  premier  abord. 
Nous  en  possédons  deux  traductions,  Tune  en  anglais, 
Tautre  en  espagnol. 

La  traduction  anglaise  est  considérablement  et  fort 
heureusement  abrégée.  Elle  fait  partie  de  la  vaste 
compilation  de  romans  de  la  Table  Ronde  rédigée  en 
anglais,  en  1470,  par  un  personnage,  d'ailleurs  in- 
connu, appelé  Sir  Thomas  Malory,  imprimée  en 
1485  par  le  célèbre  Caxton,  et  souvent  réimprimée 
depuis  ^  Cest  à  un  manuscrit  analogue  au  nôtre  que 
la  Morte  Darthure  (pour  prendre  le  titre,  d'ailleurs 
inexact,  que  Caxton  a  donné  au  livre)  a  emprunté 
presque  entièrement  ses  quatre  premiers  livres.  Ma- 
lory, qui  a  voulu  raconter  une  histoire  complète  d'Ar- 
thur et  de  la  Table  Ronde,  a  laissé  de  côté  le  Joseph 
et  la  plus  grande  partie  du  Merlin  de  Robert  de 
Boron.  Il  commence  son  livre  avec  les  amours  d'U- 
ter  Pendragon  et  d'Igerne,  qu'il  raconte  fort  sommai- 

I.  La  plus  fidèle  (sauf  pour  quelques  pages  qui  manquaient  à 
l'exemplaire  suivi)  est  celle  qu'a  donnée  Soulhey  en  1817.  La  plus 
commode  à  lire,  parce  que  le  langage  y  est  discrètement  rajeuni, 
est  l'édition  donnée  chez  Macmillan,  en  1868,  par  Sir  Edw.  Stra- 
chey.  On  en  annonce  une  nouvelle  pour  VEarly  English  Text 
Society. 


TRADUCTIONS   DE   LA   SUITE   DU   MERLIN  LXXI 

rement;  il  semble  même  qu'il  manque  matériellement 
quelque  chose  au  début  de  son  livre,  car  on  nous  pré- 
sente tout  à  coup  Merlin  mettant  en  œuvre  son  pou- 
voir surnaturel,  sans  que  nous  sachions  qui  il  était  et 
d'où  il  tenait  ce  pouvoir.  Les  quatre  premiers  chapi- 
tres du  livre  I  sont  tirés  de  Robert  de  Boron  ;  puis, 
pour  les  ch.  v-xvi,  Malory  s'adresse  au  Merlin  ordi- 
naire. Au  ch.  XVII,  il  commence  à  suivre  notre  texte  *, 
et,  sauf  quelques  modifications  ou  additions  que  nous 
ne  relevons  pas,  et  surtout  sauf  de  fortes  abréviations, 
il  ne  le  quitte  pas  jusqu'à  la  fin  du  livre  I.  Il  le  prend 
au  début,  et  termine  son  livre  I  à  la  p.  21 1  de  notre 
édition,  avec  l'épisode  des  enfants  exposés.  —  Le  livre 
II,  dont  le  début  est  assez  singulier  et  semble  un  com- 
mencement de  toute  Tœuvre,  est  consacré  à  l'histoire 
de  Balaain  (appelé  Balin  le  Sauvage);  il  comprend 
dix-neuf  chapitres,  et  se  termine  à  la  p.  60  de  notre 
t.  IL  —  Le  livre  III,  comprenant  quinze  chapitres, 
raconte  le  mariage  d'Arthur,  le  renouvellement  de  la 
Table  Ronde  et  la  triple  aventure  de  Gauvain,  Tor 
et  Pellinor;  il  correspond  à  ce  qui,  dans  notre  t.  II, 
va  de  la  p.  60  à  la  p.  ïSq  environ;  mais  la  fin  est 
très  abrégée  d'une  part  et  de  l'autre  contient  quel- 
ques traits  qui  manquent  dans  notre  manuscrit.  — 
Le  livre  IV,  divisé  en  28  chapitres,  comprend  toute 
la  fin  du  ms.  Huth,  et  en  plus,  comme  nous  l'avons 
remarqué  ci-dessus,  p.  xlix,  n.  2,  le  dénouement  de 

I.  Déjà  dans  le  ch.  xvi,  il  y  a  un  mélange  de  noire  texte-,  mais 
nous  nous  bornons  à  des  indications  sommaires,  laissant  le  soin 
d'une  comparaison  minutieuse  au  futur  éditeur  de  Malory. 


LXXIl  INTRODUCTION 

la  triple  aventure  d'Ivain,  Gauvain  et  le  Morhout.  — 
Avec  le  livre  V,  Malory  reprend  le  Merlin  ordinaire, 
et  au  livre  VI,  il  est  en  plein  dans  le  Lancelot,  dont 
toute  la  première  partie  paraît  lui  avoir  manqué. 

Le  rédacteur  de  la  Morte  Darthure  ne  semble  pas 
avoir  eu  sous  les  yeux  la  troisième  partie  de  notre 
compilation  :  on  ne  voit  nulle  part  dans  son  livre  le 
meurtre  de  Pellinor  et  d'Agloval  par  Gauvain,  ni 
d'autres  événements  annoncés  comme  devant  être 
racontés  dans  la  partie  manquante  du  texte  ou  dans  la 
Queste  du  saint graal  incorporée  à  cette  compilation, 
et  qui  ne  se  retrouvent  plus  aujourd'hui  nulle  part. 
Comme  nous  l'avons  déjà  dit,  la  Queste  remaniée 
et  annexée  au  Lancelot  ^  fit  disparaître  la  Queste 
plus  ancienne,  mise  sous  le  nom  de  Robert  de  Boron, 
qui  formait  la  troisième  partie  de  notre  roman. 

L'ancienne  traduction  espagnole,  toute  incomplète 
qu'elle  est,  a  pour  nous  plus  d'intérêt  que  la  version 
anglaise.  Elle  a  été  imprimée  à  Burgos  en  1498.  On 
n'en  signale  aujourd'hui  qu'un  exemplaire,  qui  fait 
partie  de  la  bibliothèque  de  M.  le  marquis  de  Pidal, 
à  Madrid  2.  Mais  le  roman  espagnol  n'est  pas  une 

1.  C'est  cette  Qiieste  remaniée  qui  a  été  suivie  par  Malory  dans 
les  livres  XIII-XVIE  de  sa  compilation. 

2.  Voy.  D.  Pascual  de  Gayangos,  Libros  de  Cabaîlerïas  (Madrid, 
1857).  p.  Lxin.  Cependant  Fr.  Mendez  dans  sa  Typographia  espa- 
hola  (tomo  I,  Madrid,  1796,  p.  285)  dit  avoir  vu  le  livre  entre  les 
mains  d'un  libraire,  qui  le  vendit  à  la  Bibliothèque  royale  où 
Mendez  le  revit.  On  l'y  a  recherché  sans  succès.  A  la  p.  x,  n.  7, 
de  son  Discurso  preliminar,  M.  de  Gayangos  cite,  sous  un  titre 


TRADUCTIONS   DE   LA   SUITE   DU    MERLIN        LXXIII 

simple  traduction  de  celui  que  nous  publions.  Le  ti- 
tre qu'il  porte  :  El  Baladro  del  sabio  Merlin,  c'est- 
à-dire  exactement  :  Le  Brait  du  sage  Merlin  i, 
pourrait  même  faire  croire  qu'il  contient,  non  pas  ce 
roman,  mais  le  Conte  du  brait  d'Hélie.  Ce  n'est 
toutefois  vrai  qu'en  partie,  comme  le  feront  voir  les 
détails  que  nous  allons  donner  sur  ce  livre  si  peu 
connu.  Nous  les  devons  à  Tobligeance  du  savant  his- 
torien et  littérateur  M.  Menéndez  Pelayo,  qui,  grâce 
à  Tamicale  entremise  de  M.  Alfred  Morel-Fatio,  a 
bien  voulu  les  relever  sur  l'exemplaire  de  M.  le  mar- 
quis de  Pidal,  que  celui-ci  a  mis  libéralement  à  sa 
disposition.  Nous  regrettons  de  n'avoir  pu  examiner 
plus  complètement  ce  volume;  l'importance  réelle 
qu'il  offre  pour  l'histoire  littéraire  en  justifierait  assu- 
rément une  réimpression. 

Nous  donnons  à  Tappendice  la  bizarre  introduction 
et  le  prologue  par  lesquels  le  livre  s'ouvre.  L'introduc- 
tion paraît  faite  après  coup  et  de  pure  fantaisie  ;  l'au- 
teur a  emprunté  au  Saint  Graal  le  nom  d'Évalac 
(Ebalato),  le  possesseur  de  l'écu  de  Joseph  d'Arima- 


qu'il  ne  porte  pas,  le  dernier  chapitre  de  notre  roman  et  lui  donne 
le  chiffre  invraisemblable  cccxxxix;  mais  il  résume  ce  qui  y  est 
dit  du  dernier  cri  poussé  par  Merlin  :  c'est  ce  qui  nous  a  indiqué 
l'intérêt  que  le  roman  espagnol  devait  avoir  pour  la  présente  étude. 
I.  Le  mot  baladro  est  assez  peu  usité  en  ancien  espagnol  et  a 
disparu  de  la  langue  moderne;  c'est  le  substantif  verbal  de  bala- 
drar,  a  crier  très  fort  ».  Diez  voit  dans  baladrar  une  altération 
de  balitare,  <  bêler  »,  influencé  peut-être  par  latrare.  Nous  serions 
peut-être  plus  portés  à  le  rattacher  à  blaterare;  cf.  baladrone, 
«  criailleur,  fanfaron  »,  et  le  latin  blatero. 


LXXIV  INTRODUCTION 

thie  \  mais  nous  ne  savons  où  il  a  pris  le  reste  de 
son  histoire.  Le  prologue,  au  contraire,  est  du  traduc- 
teur ;  il  Toffre  à  un  roi  espagnol  ^  qu'il  n'est  pas  fa- 
cile d'identifier  :  nous  ne  connaissons  pas,  en  effet, 
d'expédition  du  duc  de  Berri  (il  ne  peut  s'agir  que  de 
Jean,  1 360-141 6)  en  Espagne  à  laquelle  puisse  s'ap- 
pliquer ce  que  dit  l'auteur.  Mais  cette  description  des 
horreurs  d'une  guerre,  avec  le  trait  classique  de  la 
mère  qui  dévore  son  enfant,  a  quelque  chose  de  sus- 
pect ;  on  se  demande  si  on  a  bien  affaire  au  souvenir 
d'événements  réels.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  Uvre  espa- 
gnol, imprimé  à  la  fin  du  xv^  siècle,  paraît  appartenir 
au  commencement  de  ce  siècle.  La  table  des  chapi- 
tres, que  nous  imprimons  en  appendice,  nous  permet 
de  nous  faire  une  idée  du  contenu.  Les  dix-neuf^  pre- 
miers chapitres  comprennent  exactement  le  Merlin 
de  Robert  de  Boron.  A  partir  de  là,  les  titres  des 
chapitres  sont  à  la  fois  tellement  brefs  et  tellement  peu 
précis  qu'on  pourrait  hésiter  sur  ce  qu'ils  désignent. 
Cependant  il  n'est  guère  douteux  que  les  ch.  xx-xxiii 
(xix-xxii)  n'aient  compris  tout  ce  qui,  dans  notre  texte, 


1.  Voyez  Hucher,  Le  Saini-Graal,  t.  II,  p.  214. 

2.  C'est  bien  certainement  le  traducteur  qui  parle  dans  ce  prolo- 
gue; la  conjecture  de  Mendez,  d'après  laquelle  il  s'agirait  de  Char- 
les VII  de  France,  à  cause  du  rôle  joué  dans  les  guerres  civiles  de 
France  par  le  duc  de  Berri,  est  donc  inacceptable. 

3.  L'imprimeur  a  sauté  les  numéros  des  chap.  x  et  xxxix,  en  sorte 
que  le  dernier  chapitre,  qui  est  en  réalité  le  quarantième,  comme 
l'indique  le  litre  de  la  table,  porte  le  n»  xxxviii.  Nous  donnons  dans 
ce  qui  suit  aux  chapitres  leur  numéro  d'ordre  réel,  en  mettant  en- 
tre parenthèses  celui  de  la  table. 


TRADUCTIONS   DE    LA   SUITE    DU    MERLIN         LXXV 

va  de  la  p.  147  à  la  p.  2i3  du  tome  premier  ^  Les 
ch.  xxiv-xxvii  (xxiii-xxvi)  semblent  ne  mener  le  récit 
que  jusqu'à  la  page  264  du  même  tome;  mais  il  est 
probable  qu'ils  contiennent  aussi  la  fin  de  l'histoire  du 
chevalier  aux  deux  épées,  et  vont  jusqu'à  la  p.  60 
de  notre  t.  II,  ou  même  jusqu'à  la  p.  75,  englobant 
ainsi  le  mariage  d'Arthur  et  Fadoubement  de  Tor  et 
deGauvain.  Mais  les  chap.  xxviii-xxx  (xxvii-xxix)  con- 
tiennent des  récits  qui  ne  se  trouvent  ni  dans  notre 
manuscrit  ni  dans  l'abrégé  anglais  de  Malory.  Comme 
Baudemagus  y  joue  le  rôle  principal,  il  est  probable 
que  ces  récits  sont  empruntés  au  Conte  du  brait  (voy. 
ci-dessus,  p.  xxix),que  nous  allons  retrouver  plus  tard. 
La  triple  aventure  de  Gauvain,  Tor  et  Pellinor  et  de 
la  demoiselle  chasseresse  (t.  II,  p.  76-140)  forme  le 
sujet  des  chap.  xxxi-xxxv  (xxx-xxiv).  Les  chap.  xxxvi- 
xxxvjii  (xxxv-xxxvii)  racontent  le  départ  de  Merlin  et 
de  Ninienne,  la  bataille  d'Arthur  contre  les  cinq  rois, 
et,  sans  doute,  Venserremeni  de  Merlin  (t.  II,  p.  140- 
173,  191 -198);  rien  n'indique  que  le  traducteur  espa- 
gnol ait  admis  l'épisode  du  combat  d'Arthur  contre 
Accalon  (p.  168,  176-191,  198-228,  248-254),  non 
plus  que  la  triple  aventure  de  Gauvain,  Ivain  et  le 
Morhout  (p.  229-248).  En  revanche,  et  c'est  là  ce  que 
le  roman  espagnol  présente  de  plus  intéressant,  il  pa- 
raît certain  que  les  deux  derniers  chapitres  contiennent 
la  traduction  de  l'épisode  capital  du  Conte  du  brait, 
qui  n'existe  plus  en  français. 

2.  Le  mariage  de  Morgue,  annonc^î  dans  la  rubrique  du  ch.  x\iii 
(xxii),  esi  brièvement  rapporte  à  la  p.  201  de  notre  t.  l. 


LXXVI  INTRODUCTION 

On  lit  dans  le  roman  que  nous  éditons  (t.  1 1 ,  p.  172) 
que  Baudemagus,  dépité  de  voir  Tor,  plus  jeune  que 
lui,  être  avant  lui  de  la  Table  Ronde,  quitta  la  cour 
d'Arthur  en  jurant  de  n'y  pas  revenir  avant  d'avoir 
accompli  de  grandes  prouesses  et  vaincu  un  compa- 
gnon de  la  Table  Ronde.  «  Mais,  ajoute  le  faux  Ro- 
bert de  Boron,  de  chose  ne  d'aventure  qui  li  avenist 
en  toute  la  voie  ne  parole  mes  livres,  car  mes  sires 
Helyes  mes  compains  a  empris  sa  matière  a  recorder 
chi  et  a  translater  encontre  celle  partie  pour  un  poi 

alegier  de  ma  painne Et  sachent  tout  cil  qui  l'ys- 

toire  dou  saint  graal  voelent  oir  et  escouter  qu'il  n'a- 
vront  ja  le  livre  entirement  s'il  n'ont  par  dalés  les  grans 
contes  de  ceste  branke,  la  plus  delitable  a  escouter 
qui  soit  en  tout  le  livre  ;  car  sans  faille  au  tans  le  roi 
Artu  ne  repaira  nus  rois  a  court  si  sages  ne  si  deboi- 
naires  ne  si  courtois  comme  fu  Baudemagus  puis  qu'il 
fu  couronnés  del  roiame  de  Gorre.  Et  devant  chou 
qu'il  venist  a  terre  tenir  fist  il  tant  d'armes,  com  on 
trueve  en  la  vraie  ystoire,  que  bien  en  doivent  tout 
boin  homme  oir  le  conte,  et  si  feront  il,  che  sai  ge 
bien,  car  mes  sires  Helyes  en  a  commenchié  l'ystoire 
a  translater,  et  si  di  ge  malement  l'ystoire,  mais  la 
branke,  car  chou  est  droitement  une  des  brankes  del 
graal.  »  Or  le  chap.  xxxix  (sans  n*)  du  Baladro  a  pour 
titre  :  Como  Baudemagus  salià  de  la  corte  del  rey 
Arthur  muy  despechado  por  que  no  le  habian  fecho 
caballero  de  la  Tabla  Redonda,  é  al  rey  é  a  los  gran- 
des les  peso;  il  racontait  sûrement  une  partie  de  ces 
prouesses  de  Baudemagus  que  le  faux  Robert  s'excuse 


TRADUCTIONS   DE   LA   SUITE   DU   MERLIN      LXXVII 

de  ne  pas  rapporter  parce  qu'elles  sont  racontées  par 
son  ami  Hélie.  Plus  loin,  —  et  c'est  le  passage  capital, 
—  le  faux  Robert,  après  avoir  narré  l'enchantement 
de  Merlin,  enfermé  tout  vivant  dans  une  tombe  par  sa 
perfide  amie,  ajoute  ces  mots  (t.  II,  p.  197),  que  nous 
avons  déjà  cités  en  partie  :  «  Si  joint  si  et  seele  la  lame 
au  sarcu  et  par  conjuremens  et  par  force  de  paroles 
qu'il  ne  fu  puis  nus  qui  la  peust  remuer  ne  ouvrir  ne 
veoir  Merlin  ne  mort  ne  vif....  Ne  il  ne  fu  puis  nus 
qui  Merlin  oist  'parler,  se  ne  tu  Baudemagus,  qui  i 
vint  quatre  jours  après  chou  que  Merlins  i  avoit  esté 
mis,  et  a  chelui  point  vivoit  encore  Merlins,  qui  parla 
a  lui  la  ou  Baudemagus  s'assaoit  a  la  lame  lever,  car 
il  voloit  savoir  qui  c'estoit  qui  en  la  tombe  se  plaignoit 
si  durement.  Et  lors  li  dist  Merlins  :  «  Baudemagus, 
«  ne  te  travaille  a  ceste  lame  lever,  car  tu  ne  hom  ne 
«  la  lèvera Car  je  sui  si  fort  enserrés  et  par  paro- 
le les  et  par  conjuremens  que  nus  ne  m'en  porroit  os- 
«  ter  fors  celé  meesme  qui  m'i  mist.  »  De  ceste  aven- 
ture que  je  vous  devise  chi  ne  parole  pas  chis  livres, 
pour  chou  que  li  contes  del  brait  le  devise  apertement. 
Et  saichiés  que  li  brais  dont  maistre  Helies  fait  son 
livre  fu  li  daerrains  brais  que  Merlins  gieta  en  la  fosse 
ou  il  estoit,  del  grant  duel  qu'il  ot  quant  il  aperchut 
toutes  voies  qu'il  estoit  livrés  a  mort  par  engien  de 
feme  et  que  sens  de  feme  a  le  sien  sens  contrebatu. 
Et  del  brait  dont  je  vous  parole  fu  la  vois  oie  par  tout 
le  roiaume  de  Logres  si  grans  et  si  Ions  comme  il 
estoit,  et  en  avinrent  moût  de  mierveilles  si  comme  la 
branke  [del  brait]  le  devise  mot  a  mot.  Mais  en  cest 


LXXVni  INTRODUCTION 

livre  n'en  parlerons  nous  pas,  pour  chou  qu'il  le  devise 
la.  » 

Le  chapitre  final  du  roman  espagnol  *  contient 
précisément  ce  qui  est  annoncé  ici  comme  se  trouvant 
dans  le  Conte  du  brait.  Nous  n'en  connaissons  que 
la  fin.  Dans  la  première  partie  on  raconte  certai- 
nement comment  Baudemagus,  après  diverses  aven- 
tures 2,  arrive,  avec  une  demoiselle  qu'il  avait  enlevée 
au  Morhourn  d'Irlande,  dans  la  forêt  de  Datantes, 
entend  les  plaintes  de  Merlin  dans  son  tombeau,  quitte 
sa  compagne  pour  aller  à  l'endroit  d'où  viennent  ces 
plaintes,  essaie  de  soulever  la  lame,  et  reçoit  de  Mer- 
lin Tavis  de  renoncer  à  cette  vaine  tentative.  Le  mor- 
ceau qui  termine  le  chapitre,  et  que  nous  imprimons 
en  appendice,  nous  décrit  ce  fameux  brait  que  Mer- 
lin poussa  en  mourant,  et  quelques-unes  des  merveil- 
les qui  l'accompagnèrent  ^.  Il  n'est  pas  douteux  que 


1.  Il  doit  avoir  le  n*  xl;  dans  la  table  et  dans  le  livre  même  il 
porte  le  n»  xxxviii  (voy.  ci-dessous  à  V Appendice);  mais  il  est  sin- 
gulier qu  il  n'ait  pas  le  même  titre  dans  la  table  et  dans  le  texte  ;  le 
titre  du  texte  semble  faire  commencer  le  chapitre  plus  loin  que  ce- 
lui de  la  table. 

2.  Ce  chapitre  est  fort  long;  il  comprend  plus  de  cinq  feuillets 
pleins. 

3.  Parmi  ces  merveilles,  il  faut  noter  l'extinction  des  «  candelas 
que  él  fizo  arder  siempre  de  luengo  tiempo  sobre  los  très  reys  que 
matô  el  rey  Artur  cuando  venciô  al  hermano  del  rey  Rion  ».  11  faut 
Xwtirece  au  lieu  de  très;  cela  se  rapporte  à  un  passage  de  notre 
roman  (I,  264)  où  Merlin  annonce,  en  effet,  que  les  cierges  merveil- 
leux qu'il  a  mis  aux  mains  des  statues  des  treize  rois  vaincus  s'é- 
teindront le  jour  de  sa  mort.  Est-ce  le  faux  Robert  qui  a  fait  cette 
annonce  d'après  une  indication  du  Conte  du  brait?  Est-ce,  au  con- 


TRADUCTIONS   DE   LA  SUITE   DU    MERLIN         LXXIX 

le  traducteur  espagnol  n'ait  emprunté  ce  chapitre  et  le 
précédent  au  Conte  du  brait ^  auquel,  comme  on  Ta 
TU,  il  devait  sans  doute  déjà  les  chap.  xxviii-xxx  de 
son  livre.  Il  nous  a  ainsi  conservé  en  partie  l'œuvre 
d'Hélie,  perdue  en  français. 

Ilestprobable  que  ce  traducteur  a  trouvé  que  la  mort 
de  Merlin  faisait  la   fin  naturelle  du    livre   com- 
mencé à   la  naissance  de  ce  personnage,  et  qu'il   a 
volontairement  laissé  de  côté  toute  la  fin  de  notre  ro- 
man ainsi  que  celle  du  Conte  du  brait;  nous  ne  pouvons 
donc  savoir  jusqu'où  allait  le  manuscrit  de  notre  ro- 
man qu'il  a  suivi  dans  la  plus  grande  partie  de  sa 
compilation.  Le  titre  le  plus  naturel  de  cette  compila- 
tion aurait  été  Merlin;  il  a  préféré  celui  de  Baladro 
de  Merlin^  reproduction  du  titre  d'un  des  livres  qui 
lui  en  avaient  fourni  les  éléments  ;  en  mentionnant  ce 
titre,  il  ajoute  que  ce  roman  sera  volontiers  entendu 
de  beaucoup  de  gens,  et  en  particulier  des  bons  cheva- 
liers :  il   ne  fait  que  répéter  l'éloge  qu'Hélie  adres- 
sait à   son  oeuvre  et  qu'a  reproduit    le    faux   Ro- 
bert en  disant  (voyez  ci-dessus,  p.  lxxvi)  que   «  bien 
en  doivent  tout  boin  homme  oir  le  conte  » . 


traire,  le  traducteur  espagnol  qui,  se  rappelant  l'annonce,  en  a 
ajouté  ici  la  réalisation^  Il  est  impossible  de  le  savoir;  mais  la 
première  hypothèse  nous  paraît  la  plus  plausible. 


LXXX  INTRODUCTION 

L'intérêt  de  l'ouvrage  que  nous  publions  consiste 
surtout  dans  les  renseignements  qu'il  apporte  sur 
rhistoire  encore  si  obscure  de  la  composition  et  des 
rapports  des  romans  arthuriens  en  prose  ;  aussi  est-ce 
sur  ce  sujet  que  nous  avons  cru  devoir  insister  par- 
ticulièrement dans  cette  préface.  Nous  avons  dit  plus 
haut  quelle  nous  semblait  être  la  valeur  littéraire  du 
Merlin  du  faux  Robert  de  Boron.  L'intérêt  linguis- 
tique de  Touvrage  est  assez  faible;  nous  ne  nous 
sommes  attachés  dans  le  Vocabulaire  qu'à  relever  les 
mots  qui  méritaient,  à  un  titre  quelconque,  d'appeler 
l'attention. 

Il  nous  reste  à  remercier  encore  de  sa  libéralité  le 
possesseur  du  précieux  manuscrit  que  nous  avons 
reproduit,  et  à  lui  demander  pardon,  ainsi  qu'au  pu- 
blic, des  retards  trop  longs  apportés  à  la  publication 
qu'il  avait  bien  voulu  nous  autoriser  à  faire. 

Gaston  PARIS. 

Paris,  14  juillet  1887. 


APPENDICE 


EL  BALADRO  DEL  |  SABIO  MERLIN  CON  |  SUS  PROFECIAS 

Ce  titre  remplit  le  recto  du  folio  I  ;  le  verso  est  blanc. 

F.  II.  Recuenta  el  auctor  la  présente  obra. 

En  tierra  de  Inglatterra  uvo  grandes  conquistas  é  ba- 
tallas  por  que  havia  muchos  grandes  senores.  E,  demas 
de  haver  debates  sobre  las  tierras  [é]  regnos,  les  havian 
por  lener  las  creencias  diferentes  :  que  unos  eran  moros 
é  otros  ydolatres  é  otros  cristianos.  E  entre  todos  estos 
grandes  havia  dos  reyes,  que  muchas  lides  é  batallas 
mas  que  los  otros  ovieron  en  uno,  los  quales  havian  nom- 
bre, el  uno  Ebalato  e  el  otro  Meridiantes,  e  eran  tan  ve- 
zinos  que  las  tierras  e  terminos  confinaban,  las  del  uno 
con  las  del  otro  ;  y  â  esta  causa  havian  muy  a  menudo, 
comoarriba  es  dicho,  grandes  debates  e  quistiones.  Entre 
las  quales  ovieron  una  grand  batalla.  E  este  Balato  (sic) 
hcra  en  la  sazon  ydolatre,  é  no  creya  firmemente  en  la 
fee  catholica.  E  en  esta  batalla  que  con  Meridiantes  uvo 
andava  muy  desvaratado,  que  en  poco  estubo  de  se  per- 
der,  él  é  los  suyos,  e  traya  el  Balato  (sic)  un  escudo  que 
fuedeJosep  Abarimatia,que  conquirio  en  aquella  tierra 
mucha  gente  e  mucho  ensalçô  la  cristiandad.  E  Ebalato 
T.  I.  f 


LXXXII  APPENDICE 

andando  asi  en  la  batalla  miro  que  su  escudo,  aunque 
avia  en  él  rescebido  muchos  golpes,  no  le  havian  fecho 
scniimiento  de  qucbradura,  antes  corria  sangre  muy 
viva.  E  como  él  savia  cuyo  el  escudo  oviese  seydo,  que 
era  grand  amigo  de  Dios,  é  que  su  fecho  no  llebava 
remedio,  criô  ser  muerto  6  desvaratado,  pero  puso  en 
su  voluntad  que  si  Dios  de  aquella  afruenta  le  escapava 
que  se  torneria  cristiano  é  rcscibiria  agua  de  baptismo. 
E  en  aquel  instante  con  esta  devocion  tan  crescida  volviô 
contra  su  gente  e  acabdiliôla,  que  toda  andava  desba- 
ratada,  é  esforçôla  con  mucha  animosidad  é  constancia. 
E  volvieron  tan  osadamente  contra  Meridiantes  é  su 
hueste  que  en  poco  espacio  los  desvarataron  é  los  echa- 
ron  del  campo,  en  que  ganô  Ebaiato  mucha  onrra  e 
grandes  tesoros.  E  prospero  tornôse  a  su  tierra,  asî 
fizose  baptizar  muy  secretamente  por  temor  que  de  sus 
subditos  havia,  que  si  lo  supiesen  le  matarian  6  se  le 
alçarian  con  la  tierra.  E  asi  secreto  viviô,  teniendo  la 
fee  muy  recta  algunos  tiempos.  E  fue  ventura  que  de 
parte  de  algunos  sus  privados  fue  sabido  por  toda  la 
tierra,  é  venieron  sobre  él  é  le  prendieron  é  pusieron  en 
hondas  e  grandes  carceles  por  que  muriese.  E  desto 
ovieron  muy  grand  sentimiento  su  muger  é  los  de  su 
casa  que  cristianos  eran.  En  especial  ténia  mucho  sen- 
timiento de  su  prision  un  su  maestresala  que  havia 
nombre  Jaquemin  y  le  amava  en  grand  manera,  é  buscaba 
todas  las  vias  é  maneras  que  podia  para  le  aconsolar  e 
darle  alguna  recreacion  en  que  pasase  parte  de  las  pe- 
nas  e  prisiones.  E  era  este  Ebaiato  ombre  que  mucha 
parte  del  tiempo  se  exercitaba  en  leer  escripturas  assi 
contemplativase  de  la  sagrada  yglesiacomo  cavallerosas 
que  al  militar  oficio  tocavan.  E  como  este  su  maestre- 
sala esto  sabia,  é  era  assi  mesmo  ombre  que  muchas 
escripturas  trasiornaba  e  leya,  entre  muchas  que  visto 
havia,  paresciôle  que  un  libro  de  Merlin  era  escriptura 
para  exercicio  e  pasar  tiempo,  é  acordôdele  embiar  ésu 


APPENDICE  LXXXllI 

senor  despues  de  otros  que  embiado  le  avia.  Comicnçu 
decir  con  él  hablando. 

F.  II  v°.  Comiença  el  prologo. 

Principe  serenissimo,  sacro  rey  e  senor  muy  pode- 
roso,  la  brevedad  é  fragelidad  desta  vida  muy  travajada 
e  dolorosa,  é  la  constancia  de  la  inconstancia  é  variedad  de 
fortuna,  la  mutacion  asi  mesmo  de  la  voluntad  é  del 
pensamiento  humano  son  las  causas  por  que  yo  no  he 
hecho  en  este  comienço  el  prologo  devido  â  vuestra  exce- 
lencia.  Dicho  es  del  philosopho,  serenissimo  principe, 
que  todos  los  subditos  naturalmente  â  sus  senores  servir 
desean.  E  como  deseoso  me  hallase  de  la  tal  disposicion, 
vino  â  mi  memoria,  entre  otros  libros  que  pasadohe,  un 
libre  del  sabio  Merlin,  é  paresciôme  que  para  exercicio 
de  vuestra  majestad  séria  bien  transferirle  en  otra  lengua 
que  le  he  leydo,  para  que  entender  se  pueda,  como  quiera 
que  vuestra  excelencia  tenga  é  aya  visto  famosa  libreria 
de  muchos  é  diversos  libros  asi  catholicos  como  del  mili- 
tar  officio.  Acostumbaron  los  antiguos,  muy  esclarescido 
senor,  en  los  combitos  e  cotidianos  yantares,  despues 
de  las  principales  viandas,  traer  fructas  de  diversas  ma- 
neras,  ca  no  entendian  que  la  mesa  hera  sufficientemente 
servida  si  ella  se  proveya  tan  solamente  de  los  necessa- 
rios  manjares  del  cuerpo,  si  no  se  satisffazia  tanbien  àal- 
gunos  deleytes  que  la  gula  pedia,  aun  que  al  estomago 
necessarios  ni  complideros  no  fuessen.  E  pues  en  el  man- 
tenimiento  corporal  ay  principales  viandas,  e  otras  no 
tanto,  como  son  fructas,  assi  en  las  escripturas  catholicas 
é  caballerosas  ay  différencia.  Esto  digo,  muy  esclarescido 
senor,  por  que  este  tractado  de  Merlin,  cotejado  con  los 
que  vuestro  claro  ingenio  aya  visto,  assi  de  la  doclrina 
catholica  como  en  otras  sciencias,  levantados  los  man- 
teles  de  las  otras  doctrinas,  leeres  por  fructa  este,  para  re- 
creacion  de  vuestro  exercicio  é  condicion  cavallerosa. 
Con  gravcza  grande,  muy  esclarescido  senor,  corre  la 


LXXXIV  APPENDICE 

pendola  â  escrevir  los  boUicios  de  vuestros  reynos,  como 
quiera  que  mi  dezir  en  esto  parezca  superfluo  por  re- 
duzir  lo  à  su  memoria.  Ocuriôme,  entre  otros  muchos 
infortunios  que  vuestra  excelencia  pasado  ha,  uno  que 
poco  tiempo  ha  que  padecistes  con  los  del  duque  de 
Berri,  que  visles  à.  vuestros  subditos  sufrir  infinitas  mi- 
serias  en  tante  grade  que  ne  dubdavames  de  cerner  diez 
mill  desventuras  é  la  carne  de  los  ombres  que  raataban 
nuestros  enemigos,  é  no  obstante  que  viesen  morir  de 
fambre  sus  fijos  é  debdos,  una  rauger  hambrentada  co- 
miese  de  un  fijo  que  le  mataron,  é  de  aquel  hiziese  parte 
ha  être  hije  que  ténia,  é  êtres  infortunios  increybles  que 
alli  se  padescieron  como  vuestra  excelencialosabe.  E  mi 
opinion  es  que  no  ha  sido  en  estes  tiempos  rey  ni  prin- 
cipe ni  senor  que  con  tante  anime  oviese  sefrido  los 
infortunios  nombrados;  c  pues  en  este  infortunio  que 
agora  teneys  el  eterno  Dios  ordena  vuestros  négocies, 
de  créer  es  que  ninguno  los  pueda  alterar.  Concluyendo, 
esclarescido  sehor,  reciba  vuestra  excelencia  el  ofrescido 
présente  deste  su  criado  :  pues  de  présente  en  al  servir 
no  puedo  â  la  criança  recebida,  ocurriôme  fazer  lo  que  la 
buena  muger  fizo  que  ofreciô  un  solo  dinero  que  ténia, 
que  fue  â  Dios  grata  oferta;  ca  estimo  mas  délia  la  per- 
fetae  devota  voluntad  que  la  grandeza  de  las  otras  ofer- 
tas  de  los  ricos  fechas  con  ambicion  é  vana  gloria.  Humil- 
mente  suplicando  â  vuestra  serenidad  que  dar  quiera  lo- 
gar  en  la  mener  parte  del  sene  de  su  real  e  virtuosacon- 
dicion  liumana  al  atrevimiento  que  mi  sudeza  de  ingénie 
ha  avide  é  ha  ver  podra  en  el  suseguir  de  la  présente  obra. 

F.  III.  Comienca  la  obra. 

Serenissime  principe  é  sehor  muy  poderoso,  vues- 
tra excelencia  ya  en  muchas  partes  é  escripturas  habra 
viste  é  leydo  como  aquel  muy  alto  rey  de  los  reyes  é 
seûer  uni  versai  sobre  todos,  Jesu  nuestro  Salvador,  baxé 
a  los  intiernes 


APPENDICE  LXXXV 

Le  dernier  chapitre  commence  au  fol.  G.  En  voici   le 
titre  et  les  premiers  mots  : 

Cap.  xxxviii.  De  como  Baudemagus  iva  con  la  doncella 
que  tomô  d  Morlot,  é  con  un  su  escudero. 
Despues  que  Baudemagus  tomô  su  doncella  que  no 
respondiô  â  Morlot  a  ninguna  cosa  de  lo  que   le  decia 


Voici  la  fin»  où  est  racontée  le  brait  de  Merlin,  et  qui 
termine  le  livre  même,  au  fol.  CV. 

Un  poco  despues  de  hora  de  nona  dio  Merlin  un 
grand  baladro  é  un  gemido  tan  espantoso  que  Baude- 
magus huvo  grand  miedo.  E  â  cabo  de  una  pieza  fable 
no  en  voz  de  hombre  mas  de  diablo,  e  dixo  :  *  Ay  !  mala 
criatura,  é  vil  é  fea  é  espantosa  de  ver  é  de  oyr,  mal 
aventurado  de  mal  fazer,  que  ya  fuiste  flor  de  beldad  é 
ya  fuiste  en  la  bendita  silla  en  la  gloria  celestial  con 
todo  bien  complido,  criatura  maldita  é  de  mala  parte, 
desconoscida  é  soberbia,  que  por  tu  orguUo  quesiste  ser 
en  lugar  de  Dios,  é  por  ende  fuiste  derribado  con  tu 
mezquina  é  cativa  compana,  é  tirôte  del  lugar  de  alegria 
é  plazer  por  tu  culpa,  e  metiote  en  tiniebra  é  en  cuyta, 
que  te  non  fallescerâ  en  ningund  tiempo,  é  esto  bas  tu 
por  tu  gran  soberbia  ! » 

E  quando  Baudemagus  esto  oyô.  fué 

tan  espantado  que  no  supo  que  fiziese,  é  signôse  muchas 
veces  de  las  grandes  maravillas  que  oia,  e  dixo  entre  si  : 
€  Desde  hoy  mâs  me  quiero  ir  de  aqui.  »  E  luego 
tornô  de  otro  acuerdo  é  dixo  :  «  Por  cierto  no  lo  faré, 
antes  quiero  esperar  de  que  manera  finarâ  Merlin.  »  E  él 
asi  estando  antel  monumento,  vino  un  gran  trueno  é 
pedrisco  é  tan  grand  so[n]ydo  espantoso  é  tan  grand  es- 
curidad,  que  no  viô  ni  punto  mâs  que  si  fuese  noche 
cscura,  aunque  era  un  poco  ante  de  nona.  E  oyô  en  la 
casa  vuclta  é  alborozo  tan  grande  como  si  estoviesen 


LXXXVl  APPENDICE 

allî  mil   hombres,  é  que  dièse  cada  uno  las  mayores 
vozes  que  pudiese,  é  havia  entre  ellas   muchas  vozes 
feas  é  espantosas,  de  las  quales  Baudemagus  huvo  grand 
miedo,  que  no  se  pudo  tener  en  los  pies,  é  paresciôle 
que  le  fallescia  el  corazon,  é  que  toda  la  fuerza  del 
cuerpo  le  menguaba,  é  cayô  atordido  en  tierra,  é  muy  sin 
virtud,  ^ue  creyô  luego  ser  muerto,  tanto  huvo  grand 
miedo.  É  él  asi  yaziendo  en  tierra,  oyo  un  baladro  tan 
grande  como  si  mil  hombres  diesen  vozes  todos  â  una, 
é  entre  todas  havia  una  voz  tan  grande  que  sonaba  so- 
bre todas  las  otras,  é  parecia  que  lloraba  al  cielo,  é  decia 
aquella  voz  :  «  Ay  !  cati  vo,  por  que  nasci,  pues  mi  fin  con 
tan  gran  dolorla  hé?  Di,  mezquino  Merlin,  ré (^^/c^)  donde 
vas  â  te  perder?  Ay  !  que  pérdida  tan  dolorosa  !  »  Estas 
palabras  é  otras  muy  sentibles  dixo.  E  sobre  esto  Mer- 
lin callô  é  muriô,  con  un  muy  doloroso  baladro,  que 
fué  en  tan  alta  voz  que,  segun  lo  escribe  el  autor  é  otros 
muchos  que  desto  fablaron,  este  baladro  que  entônces 
dio  Merlin  fué  oydo  sobre  todas  las  otras  voces,  que  sono 
â  dos  jornadas  â  todas  partes.  E  hoy  dîa  estân  ahî  los 
padrones  que  los  hombres   buenos  de   aquel    tiempo 
fizieron  poner,  é  estân  ahî  porque  sea  sabido  por  dô  fué 
la  voz  oyda  é  fasta  dô  llegô  el  sonido  dtlla.  E  las  can- 
delas  que  él  fizo  arder  siempre  de  luengo  tiempo  sobre 
los  très  reys  que  matô  el  rey  Artur  cuando  venciô  al 
hermano  del  rey  Rion  fueron  luego  muertas,  é  otras 
muchas  cosas  acaescieron  aquel  dia  que  Merlin  muriô, 
que  las  tovieron  por  maravilla.  Por  esto  lo  llaman  el 
Baladro  de  Merlin  en  romance,  el  quai  sera  de  grado 
oydo  de  muchas  gentes,  en  especial  de  aquéllos  caba- 
lleros  que  nunca  fizieron  villania,  sino  proezas  é  grandes 
bondades  de  caballeria,  é  cosas  extraflas  que  fizieron  los 
caballeros  de  la  Tabla  Redonda  :  desto  dâ  cuenta  por 
extenso  la  historia  del  Santo  Greal.  Baudemagus  esiuvo 
asi  atordecido  del  espanto  que  huvo  en  oyr  el  baladro 
de  Merlin,  é  tanto  estuvo  atordecido  como  uno  pudiera 


APPENDICE  LXXXVII 

andar  una  jornada.  E  desque  en  su  acuerdo  torno,  viô 
tanta  multitud  de  diablos  que  le  paresciô  que  tota  la 
tierra  cobrian,  é  salio  de  alli  con  grant  espanto  é  con 
mucho   dolor  por   que   no  pudo   remediar  en  cosa  la 
muerie  de  Merlin,  é  assî  como  hombre  el  mas  de  los 
tristes  fué  a  dô  habia  dexado  su  donzeila,  la  quai  des- 
que le  viô  fué  muy  atribulada,  porque  le  viô  tan  desfi- 
gurado,  que  a  gran  pena  le  conocia,  é   preguntôle  con 
infinitos  ruegos  que  le  dixesse  de  que  venia  assî  desfi- 
gurado  é  dô  habia  estado  tanto  tiempo.  Baudemagus 
vistos  los  congoxosos  ruegos  que  su  donzeila  le  fazia  se 
esforzô  a  fablar,  que  tal  venia  que  con  toda  pena  podia 
ser  entendido  lo  que  decia,  é  lo  mejor  que  pudo  contô 
punto  por  punto  â  la  doncella  lodo  lo  que  habia  visto 
é  oydo.  La  donzeila  se  maravijlô  de  oyr  las  cosas  que 
Baudemagus  dezia,  é  rogôle  queluego  se  fuesen  de  allî, 
Lo   quai  Baudemagus  fizo,  é  fuesse  por  la  montana  a 
ver  si  podria  fallar  a  Morlot  ô  a  Meliadus  el  arreciado 
para  acabarsu  ventura  como  Merlin  le  habia  consejado, 
é  tanto  anduvo  que  fallô  a  Morlot,  é  fizo  con  él  su 
amistad,  é  enviaron  la  doncella  honorablemente  â  su 
tierra.  E  fueron  buscar  a  Meliadus,  é  â  poco  trecho  le 
toparon,  é  Morlot  quiso  la  primera  batalla,  é  abaxaron 
sus  lanzas,  é  de  todo  su  poder  se  encontraron,  é  Mor- 
lot pasô  a  Meliadus  la  lanza   por  los  pechos  fasta  la 
cira  parte,  é  cayô  muerto  en  tierra,  é  Baudemagus  que  lo 
viô  pesôle,  como  quiera  que  asi  ge  lo  habia  dicho  Mer- 
lin que  habia  de  ser,  segun   arriba  es  dicho.  Asi  acabô 
Baudemagus  su  aventura,    é  partiéronse  Morlot   y   el 
muy  conformes,  cada  uno  por  su  camino,  Morlot  a  Ir- 
landa,  Baudemagus  a  la  côite  del  rey  Ariur,  é  contô  lo 
que  habia  visto,  é  la  muerte  de  Merlin  tan  dolorosa  que 
no  le  pudo  poncr  remedio,  de  lo  cual  todos  los  de  la 
corie  fizieron  grand  seniimicnto,  en  especial  cl  rey  Artur 
que  perdia  en  el  grand  pcrdida,  é  todo  el  reyno  de  Lon- 
dres asi  mesmo,  e  fué  tan  llanteado  por  tantas  partes 


LXXXVIII  APPENDICE 

que  nunca  ningun  principe  ni  senor  tanto  lo  fué  en  el 
rcyno  de  Londres  ni  en  otras  provincias,  é  quedaron 
los  caballeros  de  la  Tabla  alli  por  algunos  dias  que  no 
fizieron  caballerias  ni  cosa  que  de  contar  sea.  Asi  pasô 
la  mucrte  de  Merlin,  como  arriba  es  dicho,  é  con  mayor 
scntimienio  que  aqui  escribir  se  puede;  pero  quien 
quiera  puede  coiegir  por  via  de  razon,  un  hombre  que 
tanto  servia  al  rey  é  reino,  cuânta  razon  havian  de 
llorarle  todos.  Ansi  faze  aqui  fin  el  présente  tratado, 
muyilustre  senor,  poniendo  silencio  a  la  pluma,  supli- 
cando  a  vuestra  real  excelencia  quiera  recebirla  présente 
copilacion,  no  por  profano  servicio  mas  con  toda  retitud 
é  deseo  de  serviros  fecha.  E  si  en  algo  de  lo  por  mî 
cscripto  algund  defeto  se  fallare,  lo  que  non  dubdo,  muy 
esclarescido  senor,  à  vuestra  real  majestad  suplico  lo 
mande  corregir  é  emendar,  que  yo  no  de  mio  este  libro 
copilé,  mas  transferile  de  una  lengua  en  otra,  por  que 
me  parescia  a  este  vuestro  propôsito  6  prission  algo  fa- 
zer,  humilmente  suplicando  cuando  vuestra  serenidad 
quiera  dar  logar  a  mi  tan  pequeflo  servicio  en  la  menor 
parte  de  su  real  é  virtuosa  condicion  humana. 

Explicit  liber.  —  Fué  impressa  la  présente  obra  en  la 
muy  noble  é  mas  leai  cibdad  de  Burgos,  cabeza  de  Cas- 
tilla,  por  Juan  de  Burgos.  A  diez  dias  del  mes  de  Febrero 
del  ano  de  nuestra  salvacion  de  mil  é  quatrocientos  é 
noventa  é  ocho  anos. 

Après  cet  explicit  se  trouve  la  table  des  chapitres. 

Comiença  la  tabla  del  présente  libro  intitulado  el  Ba- 
ladro  de  Merlin,  que  trata  desde  su  nacimiento  fasta 
que  muriô,  en  que  hay  cuarenta  capitulos. 

Capîtulo  I.  En  que  trata  comos  el  diablo  trabajô  por 
engaftar  las  très  doncellas  hermanas  fijas  de  su  abuelo  de 
Merlin. 

Cap.  II.  Como  una  vieja  se  trabajô  con  toda  diligencia 
de  engaùar  â  una  de  las  très  hermanas. 


APPENDICE  LXXXIX 

Cap.  iii.  Corao  la  mayor  de  las  très  hermanas  donçellas 
filé  à  haber  consejo  con  el  ermitano  Blayseu  cômo  se 
podria  del  diabloguardar. 

Cap.  IV.  Como  ios  juezes  mandaron  que  la  madré  de 
Merlin  fuese  melida  en  una  torre,  acompanada  con  dos 
mugeres  fasta  que  pariese. 

Cap.  V.  Como  Ios  juezes  mandaron  a  la  madré  de 
Merlin  que  se  retruxiesse  a  una  câmara  por  fablar  en 
su  deliberacion. 

Cap.  VI.  Como  Blayseu  por  consejo  de  Merlin  escribiô 
su  libro  é  fechos. 

Cap.  vn.  Como  Ios  maestros  de  Uterentraron  en  con- 
sejo para  fablar  en  la  edificaciôn  de  la  torre. 

Cap.  VIII.  Como  Merlin  é  Ios  mensajeros  vinieron  fa- 
blar con  el  rey. 

Cap.  IX.  Como  Merlin  é  el  rey  Berenguer  é  Ios  de  su 
corte  se  juntaron  para  oyr  que  synificaba  lo  de  Ios  dra- 
gones. 

Cap.  {sans  numéro).  Como  Merlin  dixo  al  rey  Beren- 
guer ciertas  profecias. 

Cap.  X.  Como  viniero  Padragon  é  Uter  su  hijo  (sic) 
con  muchas  fustas  a  tomar  a  Berenguer  su  reyno. 

Cap.  XI.  Como  el  rey  Uter  é  sus  gentessalieron  por  las 
montaôas  a  buscar  a  Merlin. 

Cap.  xu.  Como  Merlin  en  hâbito  de  ermitano  vino  a 
Uter  con  unas  cartas  de  su  amiga. 

Cap.  XIII.  Como  el  rey  Uter  é  Merlin  fueron  a  una  ab- 
badia  a  ver  un  rico  hombre  que  se  tingia  ser  dolientc. 

Cap.  XIV.  Como  Padragon  y  Uter  se  combatieron  con 
les  Sansones  é  Ios  desbarataron. 

Cap.  XV.  Como  Merlin  vino  a  Ios  onze  di'as  de  Pcnte- 
coste,  é  el  rey  le  saliô  à  recebir. 

Cap.  XVI.  Como  el  rey  moviô  con  su  hueste  para  ir 
sobre  el  duque  de  Tintagucl. 

Cap.  XVII.  Como  el  rey  Ulcr  Padragon  adolecio  é  mû- 
rie. 


XC  APPENDICE 

Cip.  xviii.  Como  todos  los  perlados  é  caballeros  del 
rcyno  de  Londres  vinieron  â  la  coronacion  del  rey  Ar- 
tur. 

Cap.  XIX.  Como  el  rey  Artur  durmiô  con  su  hermana 
por  que  la  non  conociô. 

Cap.  XX.  Como  el  rey  Artur  é  Merlin  fablaron  como 
séria  conocido  por  hijo  del  rey  Uter  Padragon. 

Cap.  xxr.  Como  se  combatieron  el  caballero  del  ten- 
dejon  e  Giflete. 

Cap.  xxii.  Como  el  rey  Aurian  pidiô  al  rey  Artur  por 
mujer  â  su  hermana  Morgayna,  y  èl  ge  la  acetô. 

Cap.  xxiir.  Como  vino  un  caballero  â  la  coite  del  rey 
Artur,  é  en  presencia  suya  matô  una  doncella. 

Cap.  XXIV.  Como  Merlin  dixo  â  los  dos  ricos  hombres 
Baalin  e  Baalam  dô  estaba  el  rey  Rion  é  su  hueste. 

Cap.  XXV.  Como  Nero  é  sus  gentes  vinieron  â  la  batalla 
con  el  rey  Artur  e  fué  vencido  Nero  e  sus  gentes. 

Cap.  XXVI.  Como  el  rey  Artur  fizo  enterrar  al  rey  Lot. 

Cap.  XXVII.  Como  la  muger  de  Ebron  é  su  fija  vinieron 
à  pedir  al  rey  Artur  le  fiziese  merced  de  las  tierras  de  su 
marido. 

Cap.  xxviii.  Como  Baudemagus  se  combatiô  con  su 
primo  Anchises. 

Cap.  xxix.  Como  Morlot  llevô  de  las  tiendas  una 
doncella. 

Cap.  XXX.  Como  Gai  van  é  su  hermano  salieron  de  la 
corte  del  rey  Artur,  é  llegaron  â  una  praderia. 

Cap.  XXXI.  De  la  pena  que  mandé  dar  la  reyna  Gine- 
bra  é  sus  damas  â  Galvan  por  la  muerte  de  una  doncella. 

Cap.  xxxii.  Como  se  combatiô  Tor  con  el  caballero 
que  levé  el  sagueso. 

Cap.  xxxiii.  Como  Merlin  fizo  conocer  en  la  corte 
quien  era  el  padre  é  madré  de  Tor. 

Cap.  XXXIV.  Como  el  rey  Artur  preguntô  â  Merlin 
quien  era  la  donzella  de  quien  el  rey  Pelinor  traya  la 
cabeza. 


APPENDICE 


XQI 


Cap.  XXXV.  Como  Merlin  é  la  doncella  del  lago  se 
partieron  de  la  corte  para  ir  a  casa  de  su  padre. 

Cap.  XXXVI.  Como  Merlin  é  la  doncella  del  lago  par- 
tieron para  la  pequena  Bretana. 

Cap.  xxxvn.  Como  el  rey  Artur  fizo  batalla  con  los 
cinco  reyes,  é  los  venciô  é  matô  a  sus  gentes. 

Cap.  (sans  numéro).  Como  Baudemagus  saliô  de  la 
corte  del  rey  Arthur  muy  despechado  por  que  no  le  ha- 
bian  fecho  caballero  de  la  Taba  redonda,  é  al  rey  é  a  los 
grandes  les  peso. 

Cap.  xxxvHi.  Como  Baudemagus  tomô  a  Morlot  de 
Irlanda  una  doncella. 

Finis  tabulae. 


MERLIN 


Jcsus-Christ 


Hi endroit  dist  li  contes  que  moult  fu  iriés  ane-  Les  diables 
mis  quant  nostre  sires  ot  esté  en  infer,  et  il  tiennent  conseil 
en  ot  jeté  Adan  et  Evain  et  des  autres  tant 'P'^' 1"^°;'^' 
comme  lui  plot.  Et  quant  li  anemi  sorent  chou,  si  en 
orent  moult  grant  merveille,  ets'assambierent  et  disent  : 
«  Qui  est  chis  hom  qui  nous  a  enforchiés  et  nos  ferm[et]és 
brisies  si  que  nule  chose  que  nous  eussiens  reposte  ne 
pot  estre  celée  encontre  lui  (et)  que  il  n'ait  fait  trestout 
chou  que  il  lui  plaist?  Et  nous  ne  cuidiens  mie  que  nus 
hom  peust  naistre  de  feme  qui  ne  fust  nostres.  Gis  est  ensi 
nés  que  nous  (nen)  n'avons  nule  partie  en  lui,  et  nous 
destruit  et  tormente  au  plus  qu'il  pot.  Comment  est  il 
nés  de  feme  que  nous  n'avons  en  lui  nul  délit  terriien  et 
si  nous  destruist  ensi  ?  »  Adont  respondi  li  uns  des  ane- 
mis  et  dist  :  «  Signors,  che  nous  a  destruit  [que  nous 
cuidiens  que  mieus  nous  vausist] ,  que  membre(s)  vous 
i  que  li  prophète  parloient,  qui  disoient  que  li  fieus 
de   (f,    20    ^)    Dieu   verroil   en   terre   pour  sauver   les 


a  MERLIN 

pecheours  d'Adan(s)  et  d'Evain.  Et  nous  alames,  si 
presimes  ichiaus  qui  che  disoient  que  cil  qui  lors  verroit 
en  terre  les  deiiverroit  des  painnes  d'infer.  Tant  le  di- 
sent li  prophète  que  ore  est  avenu.  Si  nous  a  tolu  chou 
que  nous  avons  perdu  et  chou  que  nous  aviens  saisi,  que 
nous  n'i  poo[n]s  riens  prendre  contre  lui.  Mais  il  nous  a 
tolu  tous  chiaus  qui  croient  en  sa  nativité  et  qu'i[l]  nasqui 
de  feme  par  tel  forche  que  nous  n'en  eusmes  onques  riens 
ne  nous  ne  presimes  garde  (ne)  que  il  nous  deust  che  faire.  » 
a  Et  ne  ses  tu  donques,  »  fait  uns  autres  ^,  «  que  il  les 
fait  laver  d'iaue  en  son  non?  Et  par  tel  non  se  lè- 
vent :  el  non  dou  père  et  dou  fil  et  dou  saint  esperit, 
si  que  nous  n'en  porons  nul  avoir  si  que  nous  solions. 
Ore  les  avons  tous  perdus  par  le  lavement  que  il  font, 
si  que  nous  n'avons  nul  pooir  sour  iaus  dessi  que  il  re- 
vignent  [a  nous]  par  oevres  que  il  font. 


«  Cnsi  abaisse  nostre  pooirs  par  chelui  qui  che  nous  a 
tolu.  Et  plus  encore,  que  il  [aj  laissié  menistres  en  terre 
qui  les  sauveront,  ja  n'averont  tant  fait  de  nos  oevres,  se 
il  s'en  voelent  repentir  et  nos  oevres  guerpir  et  faire  chou 
que  li  menistre  lour  diront.  Par  che  les  avons  perdus 
tous.  Moult  a  fait  (nostre  sires)  C/.  20  ^)  esperituel  subs- 
tance que  pour  homme  sauver  vint  en  terre  et  daigna 
naistre  de  feme  et  souffri  les  tormens  terriiens  et  nasqui 
de  feme  sans  chou  que  nous  n'en  seusmes  nient,  et  sans 
faire  nul  délit  d  omme  ne  de  feme.  Et  quant  nous  i  fu- 
mes venu,  nous  Tessaiames  en  toutes  les  manières  que 
nous  seusmes.  Et  quant  nous  Teusmes  essaiié  et  qu'en  lui 
n'avoit  nule  de  nos  oevres,  si  vaut  morir  pour  sauver 
sur  les  moyens  ^o'^n^^»  Moult  a  chier  homme,  quant  il  si  grant  painne 
de  reconquérir  vaut  souffrir  pour  li  avolr  et  nous  tolir.  Et  moult  nous 
les  hommes.       deverieus  pener  comment  nous  le  porriens  avoir  a  faire 

I.  fait  cil 


MERLIN  t> 

nos  oevres,  en  tel  manière  que  il  ne  s'en  peust  repentir 
ne  parJer  a  chiaus  par  cui  il  aroi(en)t  le  pardon  que  il 
acheta  de  sa  mort.  »  Lors  dient  tout  ensamble  :  «  Nous 
avons  tout  pierdu,  dès  que  il  puet  pardonner  les  pechiés 
dusques  en  la  fin  :  se  il  le  prent  en  ses  ^  oevres,  dont  sera 
il  sans.  Et  quant  il  avéra  tous  jors  faites  nos  oevres,  se 
Tavons  nous  pierdu,  se  il  se  repent.  Ensi  les  perdons 
nous  tous.  » 


Atant  parlèrent  entr'aus  et   dient  :  «  Cil  qui  plus 
nous  ont  neut,  che  sont  cil  qui  (plus)  di[s]ent  de  sa  venue 
en  terre.    Et  che  sont  cil  dont  ligrans  damages  nous  est 
venus.  Et  quant  (f.  20  ^)  il  che  plus  disoient  et  nous  plus 
[les]  tormentions,  si  m'est  avis  que  il  se  hasta  pour  iaus 
venir  aidier  et  secourre,  pour  iaus  délivrer  des  tormens 
que  nous  leur  fais[i]ons  souffrir.  Mais  comment  porriens 
nous  avoir  un  homme  qui  parlast  a  iaus  et  lour  desist  nos    u  jeur  faudrait 
sens  et  nos  proueches  et  nos  affaires,  si  que  nous  avons  un  homme  à  eux 
pooir  de  [savoir]  toutes  choses  faites,  dites  et  alees  ?  Et  ^^^'  ^^^^  ^^  ^^^"^ 
se  nous  aviemes  cel  houme  qui  de  che  eust  pooir,  et  il  ^"^"'^^'  '«"i"  s^- 

*  .,    r  t       g"^t    ^^^  autres 

seust  ces  choses  dire  et  raconter,  et  il  fust  avoec  les  hommes.  L'un 
autres  hommes  en  terre,  si  nous  porroit  bien  aidier  et  d'eux  a  le  pou- 
ensegnier  comme  li  prophète  qui  avoec  nous  estoient,  voird'engendrer; 
que  nous  cuidiens  que  ja  ne  deust  avenir.  Ensi  diroit  ^'  ^'^^^  ^"'''  ^^' 

•Il  i_  j'..  ^    r  '  '-         ..i-  ^  '^  vienne  père  d'un 

Cil  les   choses   dites    et  faites  pries   et  loing  et  seroit  ^   . 

,  ,  .  ^  T  1-  enfant    qui   leur 

moult  creus  de  maintes  personnes.  »  Lors  dient  tout  j^j^^j.^ 
ensamble  :  «  Moult  seroit  bien  csploitiet  qui  tel 
homme  porroit  faire,  car  moult  seroit  creus.  »  Lors 
dist  li  uns  :  «  Je  n'ai  pooir  dou  conchevoir  ne  de  faire 
semence  en  feme,  mais  se  j'en  avoie  le  pooir  je  le  porroie 
bien  faire,  que  je  sai  une  feme  qui  fait  et  dist  a  devise 
canques  je  voel.  »  Et  li  autres  dist  :  «  Il  i  a  tel  de  nous 
qui  bien  puet  prendre  samblance  d^omme  et  conchevoir 


I.  ces 


4  MERLIN 

en  feme.  Mais  iIconvi[e]nt  que  il  le  prenge  aussi  celee- 

ment  comme  il  porra  plus.»  Ensi  ont  pris  lianemi  conseil 

(f.  20  ^)  qu'il  engend[er]ront  un  homme  qui  engingnera 

les  autres.  Moult  sont  fol  li  dyable  qui  quident  que  nos- 

tre  sires  ne  sache  cest  oevre  qu'il  pourparloient  entr'aus. 

Et  ensi  prist  li  dyables  a  faire  un  homme  qui  eust  son 

mémoire  et  son  sens  pour  engingnier  homme  et  Jesu- 

crist.  Et  bien  poés  savoir  que  moult  est  dyables  faus, 

qui  cuide  engingnier  celui  qui  est  sires  de  lui  et  de  tout. 

Ensi  départirent  lour  conseil,  et  ont  ceste  oevre  acordee 

Un  diable  qui  a  faire.   Et  cil  qui  dist  qu'il  avoit  pooir  de  la  feme  ne  se 

a  tout   pouvoir  targa  plus  et  vint  au  liu  la  ou  elle  estoit,  si  le  tourna  au- 

8ur  une  femme        ^  ^  ^^  volenté.  Et  douna  canqucs  elle  avoit  entre  lui 

se  charge  de  pré-  ^  .  , ,  . 

parer  le  succès.  ^^  ^on  signour  a  1  enemi. 


Avec  les  con-  C>HELE  feme  cstoit  feme  a  un  riche  homme,  et  cis 
seiis  de  cette  hom  avoit  moult  grant  plenté  de  biestes  et  d'autres 
femme,  il  réduit  ar^m  riqueces.  Et  si  avoit  un  fil  et  trois  filles  de  celé 

son  mari  et  elle  ^  i      i  i  •       r  •    i      •  i  >      i  i  • 

au  désespoir  et  à  ^^^^  ^^  dyables  conversoit.  Li  dyables  ne  s  oublia  mie, 
la  mort.  ains  vint  as  chans  ^  ou  les  brebis  au  preudomme  estoient, 

si  en  ochist  une  partie.  Un  autre  jour  vint  a  la  feme, 
si  li  demanda  comment  il  porroit  son  signour  engin- 
gnier. Et  elle  li  dist  que  il  *  ne  le  porroit  en  nule  ma- 
nière si  bien  engingnier  comme  par  prendre  de  la  soie 
chose  et  de  lui  corechier  :  a  Et  il  se  courechera  et 
(f.  21  <*')  esragera  tous  vis,  se  tu  prens  les  soies  choses.  » 
Lors  s'en  torna  li  anemis  as  biestes  au  preudomme,  si 
en  ochist  une  grant  partie.  Et  quant  li  paslour  virent  les 
biestes  lour  signour  ensi  morir  en  mi  les  chans,  si  s'en 
esmiervillierent  moult  et  disent  que  il  l'iroient  dire  a 
leur  signour.  Lors  s'en  vindrent  a  lui  et  li  disent  que 
(que)  ses    bestes  se  moroient   ensi    en   mi  les   chans. 

I.  a  chiaus  —  i.  elle 


MERLIN  D 

Quant  li  preudom  Toi,  si  s'en  esmervilla  moult  et  dist  as 
pastours  :  «  Es  che  voir  que  vous  me  dites?  »  Et  il  res- 
pondent  :  «  Sire,  oil.  »  Adont  se  courecha  li  preudom 
moult  et  s'esmervilla  que  ses  biestes  avoient  a  morir. 
Lors  demanda  as  pastours  :  «  Savés  vous  que  mes  brebis 
ont  a  morir?  »  Et  il  dient  que  il  ne  sevent  que  elles  ont. 
Ensi  remest  a  cet  jour.  Quant  li  dyables  sot  que  li  preu- 
dom fu  corechiés  de  si  peu,  se  li  fu  avis  que  se  il  li  faisoit 
grant  damage  que  il  se  corcheroit  moult  et  il  l'en  averoit 
plus  a  sa  volenté;  si  revint  li  anemis  a(s)  ses  bestes  et  a 
deus  biaus  chevaus,  si  les  tua  tous  ^  en  une  nuit.  Et  quant 
li  preudom  vit  que  la  soie  chose  aloit  ensi  a  mal,  si  fu 
moult  courechiés  et  dist  une  parole  moult  foie  que  sa 
grans  ire  li  fist  dire,  que  il  donna  canques  il  avoit  au 
dyable  et  canques  il  li  estoit  remés. 


[f.2i  ^)  VOUANT  li  anemis  sot  que  il  ot  celdon  fait,  si 
en  fu  moult  liés  et  li  commencha  a  courre  sus  moult  dure- 
ment por  *  gringneur  damage  faire,  si  que  il  ne  li 
laissa  nule  de  ses  bestes.  Si  en  fu  li  preudom  moult  coure- 
chiés [et]  en  la  grant  ire  ou  il  [fu]  fou[i]t  le  compaignîe 
des  gens.  Si  sot  bien  li  dyables  quant  il  li  vit  che  faire 
que  il  feroit  sa  volenté  de  lui.  Lors  vint  li  dyables  a  un 
moult  biel  fil  que  il  avoit,  si  l'estrangla  en  son  lit.  Au 
matin  fu  li  enfes  trouvés  mors.  Et  quant  li  preudom  vit 
que  il  ot  perdut  son  fil,  se  désespéra  et  se  meserra  moult 
de  sa  creanche,  et  que  il  n'i  pot  plus  recouvrer.  Si  en  fu 
li  dyables  moult  liés.  Et  lors  ala  a  la  femeau  preudomme, 
par  cui  il  avoit  tout  chou  fait.  Si  la  fist  monter  sour 
une  huge  en  sen  celier  et  mètre  une  corde  en  son  col, 
puis  dcscendi  de  la  huge,  si  s''estrangla.  Ensi  fu  trouvée 
toute  morte,  et  quant  li  preudom  vit  qu'il  ot  picrdu  sa 

1.  toute  —  2.  poc 


b  MERLIN 

feme  et  son  fil  en  tel  manière,  si  s'en  adola  moult,  et  de 

che  grant  duel  prist  une  maladie  dont  il  morut.  Ensi 

fait  li  dyables  de  chiaus  que  il  puet  traire  a  sa  volenté. 

Quant  li  dyables  ot  che  fait,  si  en  fu  moult  liés  et  pensa 

Troisfiiies sur- comment  il  engingneroit  les  trois  filles  au  preudomme 

vivent;  le  diable  qui  estoient  remeses.  Dyables  sot  que  il  ne  (f,  21  <:)  les 

cherche  à  les  ga-  porroit  engingnier  s'il  ne  faisoit  lour  volenté  et  che  que 

^^"'  elles  vaurroient.  Il  avoit  un  baceler  en  la  ville  qui  moult 

L'uned'eiiesse  ouvroit  a  sa  volenté,  si  le  mena  la  ou  les  trois  pucieles 

laisse  séduire  par  estoient,  si  en  commcncha  l'une  a  proiier.  Et  tant  ala 

un  jeune  homme         ^^^  ^^j^  ^^         ^^^  ^jg  jj  l'engingua.  Et  quant  il 

et   devient    en-  f,  .  .        .  _  1     i-  ^       -i-      j      ,  1  » 

^çjjjjg  1  Ot  engingnie,  si  en  fu  moult  lies.  Et  dyables  n  a  cure 

On  le  sait.      de  celee  de  che  dont  il  est  au  deseure,  ains  veult  que  il 

voist  en  apert  devant  la  gent  pour  plus  tost  honnir.  Ensi 

fist  dyables  savoir  au  peuple  che  que  il  avoit  fait  par  son 

11  était  alors  pourcach  et  tant  que  li  siècles  le  sot.    En  che  tans  estoit 

de    loi    qu'une  coustume  quc  feme  qui  estoit  reprise  d'avoutire,  si  elle 

femme  couvain-  j^'g^j^j^  commuuc  a  tous,  QUC  OU  en  faisoit  justiche.  Et  li 

eue  de  péché  é-  .  i .     i  •  ,  -       n 

tait  mise  à  mort,  dyablcs,  qui  porcachc  tous  dis  les  siens  a  hounir,  nst  a 
à  moins  qu'elle  tous  cel  ocvrc  savoir  et  as  hommes  de  la  ville  qui  es- 
ne  fût  abandon-  toient  juge.  Li  vallès  s'en  fui  et  li  feme  fu  prise  et  menée 
née  à  tous.        devant  les  juges.  Quant  li  juge  le  virent  par  devant  iaus, 

On    mène    la    .  ^  ,  ^     •  •  ^  o  j 

fille  devant  les  ^^  ^^  orent  moult  grant  pitie  pour  ramourau  preudomme 
qui  fille  elle  estoit,  et  disent  :  a  Grant  merveille  poés 
veoir  de  tel  homme  qui  fille  ele  estoit,  comme  il  li  est 
meskeu  en  poi  de  tans,  qu'encor  n'a  gaires  que  il 
e(f.  21  ^)stoit  uns  des  plus  preudoumes  de  ceste  ville.  » 


Li  juge  si  se  conseillèrent  que  il  en  porroient  faire  et 

quel  justiche  il  en  prenderoient,  si  s'acorderent  tout  en- 

qui  la  font  secrè-  samble  que  il  renterr[er]ont  une  nuit  toute  vive  pour  la 

tement  enterrer  honte  de  ses  amis  [,  et  il  ensi  le  fisent].  Ensi  fait  li 

^'^^*  dyables  honte  et  dolour  a  chiaus  qui  font  ses  oevres. 

En  la  terre  avoit  un  preudomme  qui  estoit  bons  con- 

fessours,   et  oi  parler  de  ceste    merveille;  si  vint  a[s] 


juges. 


MERLIN  7 

deus  serours  qui  remeses  estoient,  Taisnee  et  la  mais-    un  prudhom- 
nee,   si   les  prist  a  conforter   et  lour  demanda  com- me  vient  trouver 
ment  cesle  mésaventure   lour  est  avenue  de  lour  père  ^^^  '^'^'^''  ^"^^^^^ 
et  de  lour  mère  et   de  lor    serour  et   de  lour   frère.  ^^^^^^   ^^  ^^^^^ 
Et  elles  respondent  :  «  Sire,  nous  ne  savons,  fors  tant  que  conseils. 
nous  Guidons  que  Dieus  (que  Dieus)   nous  het,  si  nous 
suefifre  cest  torment  avoir.  »  Et  li  preudom  respont  : 
«  Vous  ne  dites   pas  bien.  Dieus  ne  het  nului,  ains  li 
poise  que  li  pechieres  se  het.  Et  je  ^  sai  bien  qu'il  vous  est 
avenu  par  oevre  dou  dyable(s).  Et  de  vostre  serour  que  vous 
avés  perdue  si  vilment,  saviés  vous  que  elle  fesist  ceste 
oevre?  »  Et  elles  respondent  :  «  Sire,  nous  n'en  saviens 
rien.  *  Et  li  preudom  lour  dist  :  «  Gardés  vous  de  mau- 
vaises oevres,  car  li  mauvaise  oevre  mainne  Tourne   et 
le  feme  a  le  (f.  22  ^)  mauvaise  fin.  »  Moult  les  aprent 
bien  li  preudom  etensegne,  se  elles  (s)  i  vausissent  enten- 
dre.  Et  Paisnee  ^   l'entendi    moult  bien    et   moult  li    L^ainée  l'écou- 
plot  chou  que  il  disoit.  Et  li  preudom  li  aprent  moult  te  avec  confiance. 
bien  sa  creanche,  et  ele  i  mist  moult  grant  cure  a  savoir 
en  faire  et  en  dire  et  a  escouter  chou  que  il  li  ensaigne. 
Adont  dist  li  preudom  :  «  Se  vous  créés  bien  chou  que 
je  vous  dirai,  grans  biens  vous  en  venra  encore,  et  serés 
m'amie  et  ma  fille  en  Dieu,  ne  vous  n'avrés  ja  si  grant 
besoing  ne  si  grant  oevre  a  faire,  se  vous  vous  contenés 
a  mon  conseil,  que  je  ne  vous  aie  a  consillier  a  l'aide  de 
nostre  signour.  Ne  ne  vousesmaiiés  pas,»  dist  li  preudom, 
«  car  nostre  sires  vous  aidera,  se  vous  vous  tenés  a  lui  ;  et 
si  venés  souvent  a  moi,  car  je  ne  ferai  mie  loing  de  chi 
estage.  » 


Ensi  ot  li  preudom  consillié  les  deus  pucieles  et  mises 
en  boine  voie.  L'aisnee  crut  moult  bien  le  preudomme 
et  ama  moult  le  boin  conseil  que  il  li  disoit.  Et  quant 

I.  se  —  2.  et  cle  aisnce 


8 


MERLIN 


Le  diable  cour-  Il  dyablcs  le  sot,  si  Tem  pesa  moult,  et  ot  paour  que  il 
roucé  envoie  une  ne  Ics  perdist  ;  si  sc  pourpensa  comment  il  les  porroit 
femme  qui  lui  est  encinenicr.  Illuecques  près  avoit  une  femequi  par  main- 

d(ivou«ie  à  la  ca-        ^^   "  .  i       .  -     .  r  -^  t?/     i     c 

^^^^ç  tes  fois  avoit  eu  sa  volente  et  fait  ses  oevres.  Et  celé  feme 

prist  li  anemis  (f.  22  ^)  et  l'envoia  la  ou  les  deus  pucieles 
estoient,  si  traist  le  maisnee  a  une  part,  que  elle  n''osoit 
traire  l'aisnee  pour  chou  que  elle  le  vit  maintenir  si 
humblement.  Puis  li  demande  de  son  estre  et  de  son 
couvine  et  li  demande  quel  vie  mainne  sa  suer.  Et  elle 
respont  :  «  Elle  m^a  moult  chiere  et  moult  me  monstre 
biel  samblant.  »  Et  dist  :  «  Ma  suer  est  moult  pensive  de 
ces  mésaventures  qui  nous  sont  avenues,  que  ele  ne  fait 
biele  chiere  ne  a  moi  ne  a  autrui.  Et  uns  preudom  qui 
toute  jour  parole  a  li  de  Dieu  si  l'a  convertie  et  tornee  a 
sa  guise  que  ele  ne  fait  se  che  non  que  il  veult.  »  Et  celé 
Elle  lui  persua-  feme  li  dist  :  «  Biele  suer,  mar  fu  vostresgens  cors  nés,  car 

de  que  sa  sœur  jamais  n'averés  joie  tant  comme  il  soit  en  la  compaignie 

l'empêchera     de  t  t  '  •  i  •   i  •  *  i     j   i  • 

.,    .      .  ,    vostre  serour.  He  !  biele  suer,  se  vous  savies  quel  délit 

goûter  jamais  les  ... 

plaisirs   de  l'a-  ces  autres  fcmes  ont,  vous  ne  pris(i)eriés  riens  canques 

mour,  qu'elle  lui  VOUS  avés.  Nous  avons  tel  joie  quant  nous  sommes  en  la 

représente  com-  compaignie  des  gens  que  nous  amons,  que  se  nous  n'a- 

me  au-dessus  de  ^jgj^gg  que  une  piechc  de  pain,  si  sommes  nous  plus 

aise  que  vous  n'estes,  se  vous  aviés  canques  il  a  en  cest 

monde.  Que  vaut   joie   de  feme  quant    il  n'i  a   joie 

d'omme?  Biele  amie,»  fait  ele,  «  je  ledi(e)  pour  vous,  que 

ja  n'avérés  joie  tant  que  vous  serés  avec  vostre  serour. 

Et  si  vous  dirai  por  coi.  Vostre  suer  est  B\sntt(f.  22  <^^  de 

vous,  c'est  pour  chou  que  elle  avéra  avant  joie  d'omme 

que  vous  n'aiiés,  se  elle  puet.  Car  elle  ne  soufFerra  point 

que  vous  en  aiiés  devant  li.  Et  quant  elle  avéra  eut  son 

délit,  si  neli  caurrade  vous.  Ensi  ar(i)és  pierdu  la  joie  de 

vostre  biel  cors  qui   tant  mar  fu.    »  Et  elle  respont  : 

La  fille  objecte  «  Comment  oseroie  je  faire  che  que  vous  me  dites?  car 

le  sort  de  la  pre-  ma  sucr  en  fu  morte  vilainement  et  trop  obscurément 

mièrc  sœur;       ^g  ioXxt  tels  oevres.  »  Et  elle  respont  :  «  Vostre  suer  le 

fist  trop  vilainnement  et  tropfolement,  et  mauvais  con- 


1 


MERLIN  9 

seil  en  prist.  Mais  se  vous  m'en  créés,  vous  ne  ser(i)és 
occoisonnee  de  chose  que  en  faciès,  et  si  ar(i)és  tout  (tout) 
délit  de  vostre  cors.  »  «  Je  ne  sai,  «  fait  ele,  «  comment 
le  puisse  faire,  ne  je  n'en  oseroie  parler  pour  ma  sc- 
rour.  » 


C^UANT  li  dyables  oi  chou,  si  en  fu  moult  liés,  et  set 
bien  que  il  l'avra  a  sa  volenté,  si  en  mena  sa  feme.  Et 
quant  la  feme  en  fu  alee,  la  demoisiele  pensa  maintes 
fois  a  chou  que  la  feme  li  avoit  dit.  Quant  li  dyables 
entendi  que  il  le  trouva  si  esmeue  a  sa  volenté  faire  que 
elle  meismes  en  parloit  a  soi  seul  a  seul,  si  l'escaufa  tant 
comme  il  puet,  et  tant  que  ele  regarda  son  biau  cors  par 
nuit  et  dist  que  «  voirement  disoit  voir  la  preude  feme 
qui  me  dist  que  j'ai  perdue  la  (f.  22  ^)  joie  de  cest  siècle,  » 
tant  que  un  jour  avint  que  elle  (le)  manda  la  feme 
et  li  dist  :  «  Certes,  dame,  vous  me  désistes  voir  de 
che  que  vous  me  désistes  Pautrier  que  il  ne  caloit 
ma  serour  de  moi.  m  Et  celé  li  dist  :  «  Biele  amie, 
je  le  disoie  bien.  Encore  l'en  caurra  mains,  se  ele 
avoit  la  soie  joie.  Ne  nous  ne  fumes  pour  autre  chose 
nées  que  pour  avoir  joie  d'omme.  »  Et  celé  dist  :  «  Je  le 
vaurroie  moult  volentieres,  se  je  ne  cuidoie  c'om  m'o- 
chesist.  »  Et  la  feme  respont  :  «  On  vous  ochirra  se 
vous  le  faites  aussi  folement  que  vostre  suer  fist.  Mais  je 
vous  ensegnerai  moult  bien  comment  vous  le  ferés.  » 
Et  la  puciele  respont  :  «  Dame,  dites  le  dont.  »  Et  la 
feme  li  dit  :  «  Vous  vousabandonnerés  a  tous  hommes  ;  et  mais  la  femme  lui 
se  vous  en  fuiiés  de  chiés  vo  sereur,  et  dites  que  conseille  de  s'a- 
vous  ne  poés  durer  a  li,et  cnsi  ferés  de  vostre  cors  vostre  ^^"  onnerutous 

...  ...  .  ,       ,,       .         ,     les   hommes,   ce 

volenté,  ne  ja  ne  troveres  justice  qui  en  paroit.  Ensi  poes   ^j    j^    mmrx 
issir  fors  de  dangier,  et  quant  vous  avérés  mené  ceste  vie  hors  de  péril. 
et  tant  qu'il  vous  plaira,  adont  sera  uns  preudom  tous 
liés  se  il  vous  a,  pour  vostre  grant  iretagc.  Et  se  vous  le 
faites  ensi    que  je  vous  ai  dit,    si    ponés  avoir  la  joie 


lO  MERLIN 

de  cest  monde.  »    La  puciele    otroie    a   la  feme  que 

elle  le    fera  ensi  comme  elle   Ta  dit.  Ensi  s'en  fui  la 

La  sœur  ca-  P^ciele  en  sus  de  sa  serour  (j  23  ^)qX.  abandonna  son  cors 

dette  suit  le  con-  ashoumes  par  le  conseil  de  celé  feme.  Et  moult  fu  [liés]  11 

seii  et  quitte  sa  dyables  quant  il  ot  engingnié  Tautre  serour.    Et  quant 

^"''*  Taisnee  sot  que  sa  suer  en  estoit  ensi  alee,  si  s'en  ala  au 

Celle-ci  vient  preudomme  moult  esfraee.  Quant  li  preudom  le  vit  si 

trouver  le  pru-  grand  duel  mener,  si  en  ot  moult  grant  pitié  et  li  dist  : 

dhomme,  qui  lui  „  Bicle  amie,  sainne  toi,  et  si  te  commande  a  Dieu.  Car 

recommande    de  .     ^  .  i         r       r  -.        t-^       i  ^         c         •        »   • 

bien  se  garder  du  )^  ^^  ^^^  ^^^^^  esfree[e].  »  Et  cele  respont  :  t  Sire,  je  n  ai 
diable,  pas  tort  se  jesui  esfree[e],  car  j^ai  ma  serour  perdue.  »  Et 

conta  au  preudomme  comment  elle  s^en  estoit  alee,  tout 
chou  que  savoir  en  pot.  Et  se  li  dist  par  vérité  que  elle 
s'estoit  abandonnée  a  tous  houmes.  Et  quant  li  preu- 
dom oi  ceste  mierveille,  si  en  fu  moult  esfreés,  et  li 
dist  :  «  Biele  suer,  dyables  est  encore  entour  vous,  ne  il 
n'avra  jamais  pais  devant  chou  que  il  vous  ara  toutes 
engingnies,  se  Dieus  ne  vous  gart.  »  Cele  demande  au 
preudomme  :  «  Sire,  pour  Dieu,  m'en  porrai  je  garder  ? 
Ja  n'est  il  riens  au  monde  dont  j^ai[e]  si  grant  paour  que 
de  chou  que  il  (me)  m'engint.  »  Et  li  preudom  respont  : 
•  Se  tu  crois  chou  que  je  te  dirai,  il  ne  fengingnera 
pas.  »  a  Sire,  je  vous  querrai  de  canques  vous  me  dites.  » 
Chis  li  dist  :  «  Dont  crois  tu  le  père  et  le  fil  et  le  saint 
esperit,  et  que  ces  trois  viertus  sont  une  meisme  chose  en 
Dieu,  et  que  (/.  23  ^)  nostre  sires  vint  en  terre  pour  sau- 
ver les  pecheours  qui  vaurroient  croire  baptesme  et  les 
autres  commandemens  de  sainte  eglyse  et  des  autres  me- 
nistres  que  elle  laissa  en  terre  pour  sauver  chiaus  qui 
querroient  son  nom  et  adrecier  en  boine  voie?  »  Et  elle 
dist  :  «  Tout  ensi  comme  vous  le  m'avés  dit,  ensi  le  croi 
et  querrai  tous  les  jours  de  ma  vie.  Et  ensi  comme  il  est 
sires  et  rois  de  tout  le  monde,  tout  ensi  le  croi  jou.  Et 
me  gart  si  que  dyables  ne  m'en  puisse  engingnier.  »  Et 
li  preudom  li  dist  :  «  Biele  tille,  se  tu  ensi  le  crois,  dyables 
ne  anemis  ne  nule  autre  mauvaise  chose  ne  t'en  porra 


1 


i 


MERLIN  1  I 

engingnier.  Je  te  pri  que  tu  te  gardes  d'entrer  en  trop 
grant  ire.  De  vérité  je  di  que  c'est  la  chose  ou  monde  de    ne  pas    se 
ou  dyables  se  repaire  plus  volentiers  que  en  homme  et  mettre  en  colère, 
en  feme  plainne  de  grant  ire.  Et  pour  icele  chose  te  dois 
tu  garder  de  tous  mesfais  et  de  tous  les  encombriers  qui 
t'averront.  Et  en  toutes  les  ires  ou  tu  seras,  ma  douce 
amie  chiere,  si  vien  a  moi  et  le  me  di  tout  ensi  comme 
il  t'averra.  Et  te  rent  coupable  a  nostre  seigneur,  et  a 
toutes  les  fois  que  tu  te  couceras  et  lèveras,  si  te  sainne  j^.  se  sjg,ier  en 
el  non  de  la  crois  ou  li  cors  Dieu  fu  mis  pour  pecheours  se  couchant  et  en 
et  pour  pécheresses  raiembre  des  painnes  d'infer  {f.  23  ^j,  '^'^  levant, 
el  non  dou  père  et  dou  fil  et  dou  saint  esperit,  que  dya- 
bles ne  anemis  ne  te  puist  engingnier.  Se  tu  le  fais  ensi 
que  je  le  f  ai  commandé   et  dit,   tu  n'avéras  garde  de 
l'anemi.  Et  garde  bien  que  la  ou  tu  gerras  que  ill  ait 
tout  dis  clarté,  car  li  dyables  het   sour  toutes    [riens]  et  de  notre  ja- 
nostre  clarté,  ne  il  ne  va  pas  volentiers  la  u  clartés  est.  »  m^i^    sans  lu- 
Ensi  aprent  li  preudom  cheli,  qui  a  grant  paour  que  li  '^''''"^• 
dyables  ne  Tengint. 


Atant  revint  la  puciele  en  maison,  moult  bien  creans 
et  moult  bien  humilians  vers  Dieu.  Et  li  preudomme  et 
les  preudefemes  vinrent  a  li  et  se  li  disent  par  maintes 
fois  :  «  Damoisiele,  vous  devés  estre  effraee  de  vos  sereurs 
qui  si  ont  esté  de  mauvaise  vie.  Ore  prendés  boin  con- 
seil en  vous  et  boin  cuer.  Car  vous  (vous)  estes  moult  ri- 
che feme  et  si  avés  moult  grant  iretage.  Et  moult  en 
seroit  liés  uns  preudom,  se  il  savoit  que  vous  vous  tenis- 
siés  en  bien,  si  vous  prenderoit  moult  volentiers.  »  Et 
elle  respont  :  a  Nostre  sires  me  tienge  si  qu^il  set  que 
mestiers  m'est.  »  Ensi  fu  celé  damoisiele  lonc  tans  en 
pais  et  mena  moult  bonne  vie.  Onques  nus  ne  le  pot  en- 
gingnier, ne  ne  sot  li  anemis  nule  mauvaise  oevre  qu^ele 
fesist.  Si  l'em  pesa  moult,  et  bien  sot  que  il  ne  le 
porroit  engingnier,    ne    ne  puet  veoir  comment  il  le 


1 2  MERLIN 

puist   mètre  {f.    23  ^)  en    ses    oevres,   tant   que  il  se 

poLirpensa    que     il     ne    le    porroit    engingnicr  de   li 

faire   oublier  chou   '    que    li  preudom    li    ot  dit ,   se 

il   ne  le  courechoit.    Car  elle    n'avoit  cure  de  ses  * 

oevres ,    ne  ^    faire    ne  li    pooit   abielir.    Lors    prist 

Le  diable  amè- li    dyables    l'autre    serour,    si   l'en    mena    un    samedi 

ne,    un  samedi  au    soir  en    sa    maison   pour    li    courechier   et    pour 

soir,  la  sœur  ca- ^gQjj.  ^^   jj    j^  porroit    engingnier.  Quant    la  suer  a 

dette  chez  raîncc  ,       ,     .  .  /.    ,         .  ,"        ,  .        .    •. 

avec  une  bande  ^^   boiue  damoisiele  Vint  a    lostel  son  père,  si  estoit 
de  garçons.         une  grant  pièce  de  la  nuit  alee,  et  amena  un  tropel  de 
garchons  avoec  li.   Et  vi[n]rrent  tout  dedens  Tostel.  Et 
quant  sa  suer  le  vit,  si  en  fu  moult  iree  et  dist  :  «  Biele  suer. 
Elles  se  que-  VOUS  ne  deusslés  mie  estre  chaiens  venue  tant  que  vous 
relient;  voelliés  lele  vie  mener,  car  vous  me  fériés  avoir  blasme, 

chou  dont  jen'averoiemestier.  »  Quant  sa  suerlioi  chou 
dire,  si  en  fu  moult  irie  por  chou  que  ele  disoit  que  elle 
en  aroit  blasme,  se  li  dist  que  elle  faisoit  pis  que  elle  ne 
fesist,  et  li  mist  sus  que  elle  amoit  le  boin  homme  en 
mauvaistié,  et,  se  les  gens  le  savoient,  elle  seroit  arse. 
Quant  celé  oi  que  sa  suers  li  metoit  sus  tel  blasme,  si 
s'en  courecha  moult  et  dist  que  elle  alast  fors  de  sa  mai- 
son. Etelle  respont  :  a  Autressifu  ele  a  mon  père  comme 
le  vostre.  »  Et  quant  celé  oi  que  sa  suer  ne  s'en  iroit  pas, 
si  le  prist  par  les  espaules  et  le  vaut  bouter  fors  ;  {f.  24  ^) 
celé  se  revenga,  et  li  garchon  qui  estoient  venu  avoec  li 
la  sœur  aînée  est  prisent  sa  serour  et  le  bâtirent  moult  doleuresement, 
battue.  ^g^^^  q^jg  gjg  Jqj.  pj.jg^  ^  eschaper.  Quant  il  l'orent  tant 

batue  comme  il  vaurrent,  elle  s'en  entra  en  sa  chambre 

et  frema  Puis.  Et  elle  n'avoit  fors  son  vallet  et  sa  bais- 

Pieine  de  co-  siele,  pour  qui  il  le  laissierent  a  batre.  Celé  fu  en  sa 

1ère,  elle  se  cou-  chambre  toute  seule  et  se  coucha  en  son  lit  toute  vies- 

che  tout  habii-  ^^^^  ^^  commencha  a  plourer  moult  durement,  et  si  ot 

tce,  oubliant  les  ,  .  ,        ,  i,         -^ 

moult  grant  ire  en  son  cuer  de  che  que  sa  suer  i  avoit 

recommandations  ^  ^  ,  ,. 

du  prudhommc,   ^"si  atornee,  et  en  icele  dolour  s'endormi.  Et  quant  h 
I .   porroit  oublier  de  f.  engingnier  chou  —  2.  ces  —  3.  se 


MERLIN 


l3 


dyables  sot  que  ele  avoit  tout  oublié  por  le  grant  ire 

ou  elle  estoit  chou  que  li  preudom  li  avoit  commandé, 

si  en  fu  moult  liés  et  dist  :  «  Or  puis  je  bien  faire  de  cesti 

che  que  je  vaurrai.  Geste  est  fors  mise  de  la  grasce  de 

sonsignouretde  la  grasce  son  maistre.  Et  bienporroiton 

mètre  en  li  nostre  homme.»  Icil  dyables  [qui]  avoit  pooir     Le  diable  qui 

de  converser  a  feme  lors  en  fu  tous  apparilliés  et  vint  u  en  avait  icpou- 

elle  estoit  a  li,  et  conchut.  Et  quant  elle  ot  conchut,  si  voir  profite  de  cet 

,,       _  .,,.  ^^      n  •    i-  •         j         oubU  ct  la   rend 

S  esvella.  Et  en  esveillier  que  elle  fist,  si  h  souvint  dou  ^^.^^^^^ 

preudoume  qui  le  consilloit,  et  s^esveilla  et  se  sainna. 

Et   quant  elle  ot  faict(e)   le  signe  de  la  crois  si  dist  : 

«  Dame  sainte  Marie,  que  m'est  il  avenu?  Je  sui  empirie 

de  tele  comme  je  soloie  estre  (f.  24  ^)  quant  je  couchai     a  son  réveil, 

en  che  lit.  Biele  glorieuse  mère  Jesucrist,  garde  Tame  e"^     s'aperçoit 

de  moi  de  péril.   Et  tardés  le  cors  et  défendes  del  tor-  '^"'^  '"'/"^  ^'' 

,^  .        r  y  1  1-  1  rivé  malheur. 

ment  a  Fanemi.  »  Lors  se  leva  de  son  lit,  et  commencha  a 
querre  chelui  qui  che  li  avoit  fait,  car  elle  le  cuidoit 
trouver. 


1  uis  quert  a  Puis  de  sa  chambre,  si  le  trueve  fremé.  Et  ehc  n'y  com- 
quant  elle  le  trueve  bien  fremé,  si  rechierke  derechief  la  p"^"^  'i'^"- 
chambre.  Mais  elle  ne  trova  riens.  Et  quant  elle  vi  chou, 
si  se  trouva  toute  engingnie  de  Tanemi.  Lors  se  com- 
mencha a  dementer  et  a  reclamer  nostre  signeur,  et  dist  : 
a  Biaussire  Dieus,par  vostre  pitié,  sire,  se  il  vous  vient  a 
plaisir,  ne  me  laissiés  honnir  en  cest  siècle,  ne  que  je 
fâche  chose  depechiédont  je  perde  m'ame.  »  La  nuis  passa 
et  li  jours  vint.  Et  si  tost  comme  il  fu  ajorné,  dyables  en 
mena  sa  feme,  quant  elle  li  ot  bien  fait  che  par  coi  elle  i 
fu  amenée.  Quant  elle  s'en  fu  alee  et  li  garchon,  celé  issi 
de  sa  chambre  moult  iree  plorant,  si  apiela  son  serjant  ct 
li  dist  que  il  li  amenast  deus  femes,  et  il  si  fist  tantost. 


jhi  endroit  dist  li  contes  que  quant  les  femes  furent     Eiie va  trouver 


1 4  MERLIN 

leprudhommeci  yçj^ugg^  la  damoisicle  se  mist  a  la  voie  pour  aler  a  sen 

lui  raconte  tout,  co^fessour.  Si  erra(i)  tant  que  elle  vint  la.  Et  quant  li 
preudom  le  vit,  se  li  dist  :  «  Biele  fille,  tu  as  besoing,  che 
m'est  avis,  car  je  te  voi  moult  effree[e]  et  espoentee.  »  Et 
elle  respont  :  «  Sire,  che  m'est  avenu  que  onques  mais 
n'avint  a  feme.  Si  vieng  a  vous  que  vous  me  consilliés 
pour  Dieu.  Car  vous  m'avésdil  que  nus  ne  puetsi  grant 
pechié  faire,  se  [il]  (li)  en  est  vrais  confès  et  repentans, 
et  il  en  a  fait  chou  que  li  confessours  li  ensegne,  que  il  li 
sera  pardouné.  Sire,  j'ai  pechié,  et  bien  sachiés  que  j'ai 
esté  engign(i)e  par  anemi.  »  Lors  li  commenche  a  dire 
comment  sa  suer  vint  en  sa  maison  et  comment  elle  se 
courecha  a  li  et  elle  et  li  garchon  le  bâtirent,  et  com- 
ment elle  entra  en  sa  chambre  toute  iree  et  frema  Tuis 
moult  bien.  «  Et  pour  le  grant  ire  ou  j'estoie  je  m'oubliai 
a  segnier.  Sire,  ensi  oubliai  tous  les  commandemens  que 
vous  m'aviés  dit,  si  me  couchai  en  mon  lit  toute  viestue. 
Et  en  la  grant  ire  ou  j'estoie  m'endormi.  Et  quant  je 
mesvillai,  si  me  trovai  honnie  et  despucele[e],sirecerquai 
ma  chambre  derechief,  et  alai  a  Puis,  si  le  trouvai  fremé, 
ne  onques  n'i  trovai  riens  née,  ne  {f.  24  ^)  ne  vi  ne 
seuch  qui  m'ot  chou  fait.  Sire,  ensi  comme  vous  avés 
oit  m'avint  il  et  fui  engingnie.  Si  vous  pri  pour  Dieu 
que  se  li  cors  est  tormentés  que  je  ne  perde  l'ame.  »  Li 
preudom  a  bien  escouté,  si  s'en  esmiervelle  moult.  Car  il 
n'oi  onques  mais  parler  de  tel  merveille.  Si  li  dist  : 
«  Biele  amie,  toute  plainne  estes  dou  diable,  et  dyables 
11  refuse  d'à- ^o^^^^^^se  eucorc  en  toi.   Comment  te  confesserai  ne  je 

bord  de  la  croire,  te  donrai -penitanche  de  che?  que  je  cuic  vraiement 
que  tu  mentes,  que  onques  feme  ne  fu  ensement  despu- 
celee  ne  en  tel  manière  que  elle  ne  seust  de  qui,  ne 
au  mains  que  elle  ne  veist  chelui  qui  la  despucheloit. 
Et  tu  me  veuls  faire  a  croire  que  ceste  mierveille  t'est 
avenue  en  ton  dormant  !  »  Celé  li  respont  :  «  Si  me  fâche 
Dieus  sauve  et  me  gart  de  tous  tormens  que  je  voir  di. 

puis,  voyant  Et  VOUS  le  troverésbien.  »  Et  il  respont  :  «  Tu  as  fait  trop 


MERLIN  1 5 

grant  pechié  que  de  obedienche  trespasser  que  je  t'avoie  qu'elle  dit  vrai, 
commandée.  Et  par  che  que  tu  Tas  trespassee  t'en  car- 
cherai  je  bien  penitanche  a  tous  les  jours  mais  que  lu 
viveras,  se  tu  le  veuls  faire  tele  que  je  le  te  carcherai.  » 


Atant  respont  la  damoisele  :   «  Sire,  vous  ne  me 
commanderés  ja  chose  a  faire  que  je  ne  le  fâche.  »  Et  il 
respont  :  «  Dieu  le  t'otroit.  Di[s]  me  tu  que  tu  viens  au 
conseil  Dieu  et  as  menistres  de  saint[e]  eglyse?  Chou  est 
vraie  confiessions  et  repentemens  de  faire  et  de  dire  a 
ton  pooir  selonc  les  commendemens  de  Dieu.  »  Et  celé 
respont:  <  Sire,  tout  aussi  comme  vous  l'avés  dit  le  terrai 
jou  a  mon  pooir,  se  Dieu  plaist.  »  Cil  respont  :  «  Je  croi 
bien  en  Dieu,  se  che  puet  eslrevoirs  que  tu  m^as  dit,  que 
tu  n'i  avéras  garde.  »  «  Sire,  *  dist  elle,  «  aussi  me  gart 
Dieus  de  vilonnie  que  je  di  voir.  »  Et  li  preudom  dist  : 
€  Tu  m'as  acreanté  a  bien  tenir  la  penitanche  (a  tenir) 
et  a  guerpir  le  pechié.  »  Et  ele  respont  :  «  Sire,  voire.  » 
Et  il  dist  :  «  Dont  as  tu  guerpie  toute  luxure.  Et  je  le  te  lui  enjoint  une 
desfenc  tous  les  jours  que  tu  avéras  a  vivre  (et),  fors  cel(u)i  chasteté    perpé- 
qui  vient  en  dormant,  dont  on  ne  se  puet  garder.  Veuls  ^^'^""^ 
tu  le  bien  et  t'en  porras  tu  garder  ?»  Et  elle  respont  :  «  Sire, 
cil  bien,  se  vous  estes  (estes)  pièges  [envers  Dieu]  que  je 
n'iere  par  che  pechié  dampnee,  si  comme  il  vousestabli  en 
terre  par  son  commandement.  »  Chele  prent  sa  penitan- 
che moult  volentiers,  tele  comme  li  preudom  li  carca, 
cm  plourant,  comme  celle  qui  moult  se  repentoit  de  boin 
cuer.  Et  li  preudom  le  sainne  et  assaut,  et  le  met  arrière 
en  la  creanche  Jesucrist  au  plus  que  il  puet.  Et  se  por- 
pense  comment  che  porroit  estre  voirs  chou  que  elle  li 
avoit  dit.    Quant  il  oi  che  pense,  si  sot  bien  que  elle  et  lui  promet  de 
estoit  engingnie  (f.  2^  ^j  de  l'anemi,  si  l'apiele  et  li  fist  la  faire  absoudre 
boire  de  l'iaue  el  non  dou  père  et  dou  fil  et  dou  saint  *^^  s°"  P*^^''^- 
esperit,  si  l'en  jeta  seur  li  et  li  dist  :  «  Garde  que  tu 
n'oublies  mie    les    commandemens    que   je    t'ai    com- 


l6  MERLIN 

mandé.  Et  par  toutes  les  fies  que  tu  avras  de  moi  be- 
soing,  si  vien  a  moi  et  puis  te  sainne  et  te  commande 
tout  maintenant  a  Dieu,  et  jeté  mech  en  penitanche  tous 
les  biens  que  tu  feras.  » 


Ensi  s'en  va  la  damoisiele  en    sa  maison,  et   mena 
moult  boine  vie.  Et  quant  dyables  vit  que  il  l'ot  perdue  et 
que  il  ne  savoit  que  elle  faisoit  ne  que  elle  disoit  aussi 
que  se  elle  n'eust  onques  esté,  si  en  fu  moult  iriés  quant 
il  l'ot  ensi  perdue.  Ensi  remest  la  damoisiele  en  sa  mai- 
son, et  mena  moult  boine  vie,  tant  que  celé  semence  que 
elle  avoit  ou  cors  ne  se  pot  plus  celer,  si  engroissa  et  en- 
barni,  tant  que  les  autres  femes  s'em  parcheurent.  Et  le 
regardèrent  parmi  les  flans  et  li  disent  :  «  Biele  suer, 
On  s'aperçoit  VOUS  estes  toute  grosse.  »  Et  elle  respont  :  «  Biele  suer, 
de  sa  grossesse;  VOUS  dites  voir.  »  a  Dicus  !  »  font  elles,  «  qui  es  che  qui 
ciiePavoue,mais  YQus  ^  engroissie?  »  Et  elle  lor  dist  :  «  Se  Dieus  me 
dit  qu'elle  ne  sait  j^j^g^  délivrer  a  joic,  je  ne  sai.  »  Et  elles  dient  :  «  Le 

a  qui  l'attribuer.  n  <■    • 

vous  ont  tant  d  ommes  tait  que  vous  ne  saves  assener  au 
quel?  »  Et  elle  dist  :  «  Ja  Dieu  ne  place  que  je  en  soie 
délivrée  se  onques  a  mon  seuu(r)  ne  a  ma  ve(n)ue  i  ^  ot  on- 
ques nus  hom  a  faire  en  tel  (f,  25  ^j  manière  (ne)  que  che 
me  deust  avenir.  »  Et  celés  qui  chou  orent  oi  se  »  sainnie- 
On  ne  la  croit  rent,  et  disent  :  «  Che  ne  porroit  eslre,  ne  che  n'avint  on- 
pas.  ques  a  vous  ne  a  autrui.  Mais  vous  amés,  espoir,  coiement 

chelui  qui  che  a  fait,  que  vous  ne  volés  mie  encuser. 
Mais  certes  grans  damage  ert  de  vous,  que  tantost  que 
li  juge  le  savront,  si  tost  vous  converra  morir.  »  Quant 
elle  oi  que  a  morir  le  converroit,  si  en  fu  moult  espoen- 
tee,  et  dist  :  «  Aussi  face  Dieus  lame  de  moi  sauve  que 
je  ne  vi  onques  celui  ne  ne  connui  qui  che  m'a  fait.  » 

I.  V.  not  —  2.  SI 


MERLIN 


Atant  s'en  vont  les  femes,  et  le  tienent  pour  foie,  et 
dient  que  mar  i  fu  si  biaus  iretages  et  si  biaus  edefie- 
mens,  que  elle  avoit  tout  perdu.  Quant  celé  oi  ceste  pa-    Eiie  vient  trou 
rôle,  si  en  fu  moult  espoentee  et  vint  a  son  confessour  ver  le  prudhom- 
arriere  et  conta  la  parole(s)  que  les  femes  li  disoient.  Et  ^'^' 
li  preudom  vit  que  ele  estoit  grosse  de  vif  enfant,  si  s^en 
esmiervilla  moult  et  li  demanda  se  elle  avoit  bien  fait 
sa  penitance  que  il  li  avoit  carchie.  Celé  respont  :  «  Oie.  » 
«  Et  avint  vous  onques  chis  pechiés  que  une  fois?  »  Et 
elle  respont  :  «  Certes,  sire,  nenil.  Onques  puis  ne  m'a- 
vint  ne  devant,  v  Quant  li  preudom  Toi,  si  s'en  esmier-  qui  lui   promet 
villa  moult,  et  puis  mist  la  nuit  et  r(u)eure  en  escrit  si  son  aide. 
comme  elle  li  ot  conté,  et  dist  :  «  Toute  seure  soiiés. 
Quant  f/.  2^  ^)  chis  oirs  qui  dedens  toi  [est]  naistera,  je  sa- 
vrai  bien  se  tu  m'a[s]  voir  dit  u  menti.  Et  j'a[i]  bien  crean- 
che  en  Dieu  que,  se  che  est  voirs  ensi  que  tu  le  m'as  dit, 
que  tu  n'avéras  ja  garde  de  mort.  Les  granz  paours  en 
porras  tu  bien  avoir.    Quant  li  juge  le  savront,    il  te 
prendront  pour  avoir  tes  biaus  edefis,  et  diront  que  il 
feront  de  toi  justiche.  Et  quant  il  t^avront  prise,  si  le  me 
fai  a  savoir,  et  je  t'irai  consillier  se  je  puis,  et  Dieus  t'ai- 
dera se  tu  es  tele  comme  tu  dis  ;  il  ne  t'oubliera  mie.  » 
Atant  li  dist  li  preudom  :  «  Va  t^ent  a  ton  hostel  et  soies 
toute  seure  et  mainne  boine  vie,  que    boine  vie  aiue 
bonne  fin  a  avoir.  »  Ensi  revint  la  nuit  la  damoisiele  a 
son  hostel  et  s'estut  em  pais  et  moult  se  ti[e)nt  simplement, 
et  tant  que  il  avint  chose  que  li  juge  vinrent  en  la  terre    Les   juges  la 
et  oirent  ceste  nouviele  de  celé  dame  qui   ensi   avoit  citent. 
concheut,  si  Tenvolierent  querre  a  son  hostel  pour  ame- 
ner devant  iaus.  Et  quant  elle  fu  prise,  si  envoia  querre 
le  preudomme  qui  ensi  Tavoit  consillie.  Et  quant  il  le 
sot,  si  vint  au  plus  tost  qu^il  pot.  Et  quant  il  fu  venus,     Elle  mande  le 
si  l'apiclerent  (li  preudomme)  li  juge,  si  trouva  que  il  prudhomme, 
l'avoient  fait  venir  devant  iaus.  Et  li  juge  moustrerent 


l8  MERLIN 

la  parole  a  la  damoisiele  et  au  preudomme  et  disent  que 

elle  ne  set  de  qui  ele  est  grosse,  (f.26  ^)  «  Sire,  cuidiés 

vous  que  feme  peust  encarchier  sans  homme  ?  »  Et  li 

qui  décide   les  preudom  respont  :  <c  Je  ne  vous  dirai  pas  canques  je 

juges  à  l'enfer-  sai.  Mais  tant  vous  puis  je  bien  dire,  se  vous  volés  mon 

mer  jusqu'à  sa  conseil  croire,  que  vous  ne  ferés  justice  de  li  tant  que 

éhvrance  après   j^^  ^^.^  erosse,  Car  il  n'est  mie  raisons  ne  drois,  ne  li 

quoi  lis  en  feront  °  ,  .  ... 

justice  s'ils  veu-  cnfes  n'a  mort  deservie,  comme  chis  qui  onques  pechiet 
lent.  ne  fist  ne  ne  deservi,  ne  el  pechié  de  la  mère  n'a  il  riens 

fourfait.  Se  vous  en  faisiés  justiche,  dont  porroiés  vous 
savoir  et  dire  que  vous  avriés  chelui  ochis  qui  pechié 
n'avroit  fait.  »  Et  li  juge  dient  :  «  Sire,  nous  (nous)  en 
ferons  a  vostre  los.  »  Et  li  preudom  dist  :  «  Se  vous  en 
faites  a  mon  los,  vous  le  ferés  bien  garder  en  une  tour, 
si  que  elle  ne  puist  faire  nule  folie.  Et  metés  deus  femes 
avoec  qui  li  aideront  a  délivrer,  quant  mestier  en  sera, 
et  en  tele  manière  que  elles  ne  s'en  puissent  issir.  Et  le 
ferés  bien  garder  tant  que  elle  ait  enfant.  Et  tant  par 
mon  los  li  lairés  norrir  que  il  puist  mangier  par  soi  et 
demander  tous  ses  estavoirs.  Et  lors,  se  vous  ne  veés 
autre  chose,  si  en  faites  vostre  volenté  et  vostre  plaisir.  Et 
lor  donnés  chou  que  mestier  lour  sera.  Et  tout  chou  ferés 
par  mon  conseil,  et  se  vous  le  volés  autrement  faire,  je 
n'en  puis  mais.  »  Et  li  juge  respondent  :  «  Il  nous  est 
bien  f/.  26  ^)  avis  que  vous  dites  raison.  »  Tout  ensi 
comme  li  preudom  Tôt  devisé  il  le  fisent,  et  le  misent  en 
On  renferme  ^"^  maison  de  pierre,  et  fisent  tous  les  huis  d'ambes 
dans  une  tour  par[s]  fremer.  Et  misent  deus  des  plus  preudefemes  que 
avec  deux  fem-  il  porent  trouver  avoec  li.  Et  en  haut  laissierent  une  fe- 
"^"'  nestre  pour  iaus  livrer  chou  que  mestiers  leur  seroit.  Et 

quant  li  preudom  ot  che  fait,  se  parla  a  li  de  sa  fenestre 
et  dist  :  «  Quant  tu  avéras  eut  enfant,  si  le  fai  baptisier 
au  plus  tost  que  tu  porras.  Et  quant  tu  sera[s]  mise  fors 
et  on  te  vaurra  ardoir,  si  m'envoie  querre.  t 


MERLIN 


JCnsi  remest  celé  une  grant  pieche  en  la  tour,  et  li  juge 
orent  bien  atorné  tout  chou  dont  elles  orent  mestier,  si 
Tont  délivré  as  femesqui  avoec  li  estoient.  En  tel  maniè- 
re comme  vous  Tavés  oi  remesent  laiens,  et  ot  enfant 
quant  Damedieu  plot.  Et  quant  il  fu  nés,  si  ot  et  deut  L'enfant  naît; 
avoir  ^  (et  savoir)  le  sens  et  le  pooir  de  l'anemi,  comme  comme  fils  du 
chieus  qui  concheus  en  estoit.  Mais  li  anemis  Tavoit  fait  '^'^^^'^J*  connaît 

r  ,  .  .  1        ,    ,  r       les    choses  pas- 

folement,  car  nostre  sires  avoit  rachate  de  sa  mort  [et  ^^^g  ^^  j^j^^  ^ 
avoit  pardoné  le  pechié]  por  vraie  repenlanche,  et  li  cause  de  sa  mère, 
anemis  avoit  cheli  engingnie  par  dechevement.  Car  lui  donne  la  con- 
cele,  si  tost  que  ele  se  senti  engingnie,  si  cria  mier-  naissance  des 
chi  la  ou  elle  dut,  et  quant  elle  ot  che  fait,  si  se 
mist  en  la  garde  et  ou  commendement  de  sainte  eglyse 
et  de  ff.  26  0  Dieu,  et  bien  fist  les  commandemens  que 
ses  confessours  li  ot  commandé.  Et  pour  chou  ne  vaut 
pas  Dieus  que  dyables  i  perdist  chou  que  il  i  deust 
avoir  et  che  pour  coi  il  le  fist,  pour  chou  que  dyables  si 
vaut  que  il  eust  son  art  et  son  pooir  de  savoir  les  choses 
qui  estoient  dites  et  faites  et  alees,  et  tout  ichou  seut  il. 
Et  nostre  sires  qui  tout  set,  par  la  repentance  de  la  mère 
et  par  la  boine  repentance  de  confiession  que  il  sot  qui 
en  son  cuer  estoit,  ne  par  son  gré  ne  par  sa  volenté  ne  li 
estoit  avenu,  et  par  la  force  de  baptesme  dont  ele  estoit 
lavée  es  fons,  vaut  nostre  sires  que  li  pechiés  ne  li  peust 
riens  nuire,  si  donna  a  l'enfant  pooir  de  savoir  les  choses 
a  avenir.  Par  ceste  raison  sot  cil  les  choses  qui  estoient 
dites  et  faites  et  alees  de  par  l'anemi,  et  le  seurplus  que 
il  sot  des  choses  a  venir  vaut  nostre  sires  que  il  seust  con- 
tre les  autres  choses  que  il  savoitpour  endroit^  de  la  soie 
partie.  Ore  si  se  tourt  a  la  qucle  que  il  vaurra  ;  et  se  il 
veult  il  puet  rendre  au  dyable  son  droit  et  a  nostre  si- 
gnour  le  sien.  Car  plus  n'i  a  dyables  formé  fors  le  cors, 

I.  ot  adont  a.   —  2.  pour  rendre 


20  MERLIN 

et  nostre  sires  met  ens  l'esperit  por  veoir  et  pour  oir  et 

pour  entendre  a  chascun  selonc  chou  que  il  li  preste  sens 

et  mémoire  et  que  il  li  plaist  a  douner,  et  il  a  cestui  en  a 

plus  douné  que  a  autrui  por  (f.  26  <^)  chou  que  grans 

on  verra  de  quel  uiestiers  H  esloit.  Lors  verra  on  bien  au  quel  il  se  devera 

côté  il  se  tour-  tenir.  Et  quant  les  femes  le  virent  et  le  rechiurent  de 

nera-  terre,  si  n'en  i  ot  cheli  qui  n'en  eust  grant  paour,  pour 

L'enfant    naît  ^j^^^      g  gj|gg  le  virent  tout  pelu  et  plus  grant  poil  avoir 

velu  et  épouvan-  1  1         •  r  •  1 

te  sa  mère  et  les  ^^^  ^^^^  n  avoieut  veut  as  autres  enfans,  si  le  moustre- 
deux  autres  fem-  rent  a  la  mcrc.  Et  quant  la  mère  le  vit,  si  s'en  sainna  et 
mes.  dist  :  «  Gis  enfes  me  fait  grant  paour.  »  Et  les  autres  fe- 

mes dient  :  «  Si  fait  il  a  nous  meismes,  que  a  painnes  le 
poons  nous  tenir.  »  Et  la  mère  dist  :  «  Avalés  le  *  [et 
commandés]  que  il  soit  baptisiés.  »  Et  il  li  demandent  : 
r.    .  i.   .      ■  Comment  volés  vous  qu'il  ait  non?»  Et  elle  dist;  «  Ensi 

un  le  baptise,  * 

et  on   rappelle  ^ue  mes  pcres  ot  non,  qui  ot  non  Merlins.  » 

Merlin,    comme 

^^  pcre     e   sa      ^pj^j^g  chou  quc  Mcrlius  fu  baptisiés,  il  fu  carchiés  a 

la  mère  pour  norrir.  Et  elle  tant  le  norri  et  alaita  qu'il  ot 

nuef  mois.  Et  quant  il  les  ot,  si  sambla  que  il  eust  un  an. 

Une  piecheapriès  revint  que  li  enfes  fu  en  l'eage  de  dis 

Quand  il  a  dix-  ^^  ^^^  mois  et  que  les  femes  disent  a  la  dame  :  «  Dame, 

huit  mois ,   les  nous  vaurrious  estre  hors  de  chaiens  et  vaurrions  râler 

femmes  deman-  entre  nos  amis.  Car  il  nous  est  avis  que  nous  avrons 

dent  à  s'en  aller,  chajens  moult  demouré,  que  chaiens  ne  poons  pas  tous 

jours  estre.  »  Et  elle  respont  :  «  Certes,  je  n'en  puis 

mais.  »  Lors  commencha  a  plorer  et  priier  pour  Dieu 

La  mère  pieu-  ï^erchi  que  eles  sueffrent  (/.  27  ^)  encore  un  poi.  Celé 

re,  voyant   son  s'cn  va  a  une  feniestre  et  tint  son  enfant  entre  ses  bras 

supplice  qui  ap-  et  commcncha  moult    durement  a  plourer.  Et  dist  : 

proche;  ^  Biaus  fius,  je  rechcvrai  pour  toi  mort  et  si  ne  l'ai  pas 

deservie.  Car  il  n'est  nus  qui  sache  la  vérité  de  qui  vous 

fustes  engenrés,  ne  ne  puis  estre  creuc  de  chose  que  je 

die.  Ensi  me  couverra  morir.  » 

1 .  Et  la  mère  dist  as  varies  daual 


MERLIN 


Ènsi  comme  elle  se  dolousoit  pour  la  mort  et  pour  le 
torment  que  elle  atendoit  a  avoir,  li  enfes  regarda  sa 
mère  et  dist  :  «  Biele  mère,  ne  t'esmaie  mie;  tu  ne  morras  l'enfant  parie  eu- 
ja  de  chose  qui  te  soit  avenue  pour  moi.  »  Quant  sa  mère  tre  ses  bras  et 
Toi  ensi  parler,  se  li  failli  tous  li  cuers,  si  s^en  esfrea  et  li  ^"^  ^'^^  <ï"'^''^  "^ 
osta  ses  bras  de  son  col  et  chai  li  enfes  a  terre.  Et  les  femes  "^^"'"'"^  p^^  p°"^ 

,        r         •  t.      .  ^  '  •11-  •       lui;      Cl^û     £^t      SI 

qui  estoient  a  la  feniestre  loirent  \  si  sailhrent  sus  etcui-  effrayée  qu'elle  lo 
dierent  que  elle  le  vausist  estrangler,  et  disent  :  «Que  volés  laisse  tomber. 
vous  faire  de  vostre  enfant?  Volés  le  tuer?  »  Et  elerespont 
toute  esbahie  :  «  Je  non.  Mais  je  fui  esbahie  pour  une 
grant  merveille  que  il  m'a  dit,  si  m'en  faillirent  li  bras  et 
li  cuers.  »  Et  elles  respondent  :  «  Que'^  vous  a  il  dit?  » 
€  Il  m'a  dit,  »  fait  elle,  «  que  je  ne  prenderai  jamort  pour 
11.  »  Et  celés  dient  :  «  Encore  dira  il  autre  chose.  »  Lors 
le  prendent  entre  eles,  si  le  commenchent  a  escouter  por 
savoir  se  il  parleroit  (/.  2"]  ^)  plus.  Mais  il  n'en  fist  on- 
ques  samblant  ne  ne  lour  dist  mot.  Tant  que  il  avint,  après 
que  uns  Ions  tans  fu  passés,  que  la  mère  dist  as  deus  fe- 
mes :  a  Manechiés  moi,  si  verres  bien  se  il  vaurra  parler.  » 
Lors  le  prist  sa  mère  entre  ses  bras,  que  elle  vausist  bien 
que  il  parlast  devant  elles,  si  commencha  a  plorer.  Et  les 
femes  disent  tout  maintenant  :  «  Dame,  moult  sera 
grans  damages  de  vostre  biau  cors,  ki  por  tele  créature  se- 
rés  arse.  Moult  vausist  mieus  que  il  ne  fust  ja  nés.  »  Et 
li  enfes  respont  :  «  Vous  mentes  ore  :  che  vous  a  fait  ma 
mère  dire.  »  Quant  celles  l'oirent  ensi  parler,  si  en  furent 
moult  effraees,  et  dient  :  «  Che  n'est  pas  enfes,  ains  est  uns 
dyables,  qui  set  chou  que  nous  avons  fait  et  dit.  »  Et  paro- 
lent  a  lui  et  le  metent  en  mainte  parole.  Et  il  lour  dist  tant 
seulement  :  «  Laissiés  moi  ester.  Car  vous  estes  foies  et  ii  parie  encore, 
pécheresses  plus  que  ma  mère  n'est.  »  Et  quant  celés  Toi-  ù  Peffroi  des  fcm- 
rent,  si  s'en  esmervillierent  et  disent  :  «  Ccstc  chose  ne  '"^^" 

I.  loiront  —  2.  qui 


22  MERLIN 

puct  estre  celee,  nous  le  dirons  aval  au  peuple.  »  Lors 

vinrent  lesdeus  femes  alafenestre  et  parlèrent  as  gens  et 

Elles     racon-  lour  disent  chou  que  li  enfes  lor  avoit  dit.  Et  quant  il 

lent,  par  les  le-  oirent  ceste  merveille,  si  disent  que  il  estoit  bien  tans  de 

néires,  cette  mer-  ^^^^^  justice  de  la  mère.  Si  firent  faire  lettres  et  ajornerent 

veille  ;  on  décide  ,  j       r  •      .•  ^     •  t-^  i 

u'ii  est  tem  s  ^*  ^^^^  de  ferc  justice  a  quarante  jours.  Et  quant  les 
de  faire  justice  lettres  (f.  2y  ^}  furent  aportees  a  la  mère  et  que  li  jours 
de  la  mère.  deson  martyre  li  fu  nommés,  si  en  ot  moult  grant  paour 
Et  le  fist  a  savoir  au  boin  homme  qui  le  consilloit.  Ensi 
remest  une  grande  pieche,  que  il  n'i  ot  mais  que  set 
jours  jusques  au  terme  que  elle  devoit  estre  arse.  Et 
quant  il  li  membroit  de  cel  jour,  si  ne  savoit  que  elle  en 
deust  faire,  si  en  fu  moult  espoentee  et  commencha  a 
plourer.  Et  li  enfes  aloit  par  la  tour  et  vit  sa  mère  qui 
plouroit,  si  commencha  a  rire  et  a  faire  semblant  de 
Elle  pleure  ;  grant  joie.  Et  les  femes  li  dient  :  «  Moult  penses  ore  pau 
a  chou  que  ta  mère  pense,  qui  en  ceste  semainne  doit 
estre  arse  por  toi.  Maleoite  fu  Teure  que  tu  fu  nés,  se 
Dieus  ne  l'amende  ^  quant  elle  pour  vous  soufiferra  tel 
martyre  !  »  Et  li  enfes  respont  :  «  Biele  mère,  or  mentent. 
Ja  ne  sera  hom,  tant  comme  je  vive,  qui  vous  ost  ochirre 
ne  adeser  ne  mètre  en  justiche  de  mort  fors  Dieus.  » 

VOUANT  la  mère  et  les  deus  femes  oirent  l'enfant  ensi 
parler,  si  en  furent  moult  lies  et  disent  :  «  Chis  enfes  ert 
encore  moult  preudom  et  moult  sages,  se  Dieu  plaist, 
qui  teuls  paroles  set  dire.   »  Ensi  remest  dusques  au 
On  amène  la  jour  qui  nommés  fu.  Et  quant  chou  vint  a  cel  jour,  si 
mère  et  l'enfant  furent  les  femes  mises  fors  et  la  mère  en  (/*.  27  <^)  porta 
devant  le» juges;  ^q^  enfant  entre  ses  bras  devant  les  juges.  Et  li  juge  fu- 
rent venu,  si  parlèrent  a  une  part  as  femes  qui  avoient 
esté  avoec  la  mère.  Et  lor  demandèrent  se  c'estoit  voirs 
que  li  enfes  parlast  ensi.  Et  elles  lor  content  canques 

I .  ne  lama 


l'enfant  rit  et  la 
rassure. 


MERLIN  23 

elles  li  ont  oi  dire.  Et  quant  cil  l'oirent,  si  s'en  esmier- 
villierent  moult  et  disent  que  moult  li  converra  a  savoir 
des  paroles,  se  il  la  reskeut  de  mort.  Ensi  vinrent  ar- 
rière. Et  li  preudom  fu  venus,  cil  qui  la  damoisiele  con-  leprudhommccst 
silloit.  Lors  dist  li  uns  des  juges  :  «  Damoisiele(s),  avés  présent. 
vous  mais  que  faire?  Atomes  vous  or,  que  il  vous  con- 
vi[e]nt  souffrir  cest  martyre.  »  Et  celé  respont  :  «  Sire,  se 
il  vous  plaisoit,  je  parleroie  volontiers  a  cest  preu- 
domme.  »  Atant  l'en  a  donné  li  juges  congié.  Si  s'en  en- 
tra en  une  chambre ,  et  li  enfes  remest  defors.  Si  le  mi- 
sent mainte  gent  a  parole,  dont  gaires  ne  li  fu.  Adont 
parla  la  feme  a  son  confessour  et  moult  piteusement  en 
plourant.  Quant  ele  ot  parlé  de  canques  ele  vaut,  se  li 
demanda  li  preudom  :  «  Es  che  dont  voirs  que  tes  enfes 
parole  si  comme  on  dist?»  Et  celé  respont  :  «  Sire,  oil.  » 
Puis  conta  au  preudomme  chou  que  elle  li  oi  dire.  Et 
quant  li  preudom  Toi,  si  dist  :  a  Auchune  mierveille 
averra  de  ceste  oevre.  »  Lors  s'en  issirent  de  la  cambre 
(f.  28  ^J  entre  li  et  la  damoisiele,  si  trova  son  enfant 
defors  et  le  prist  entre  ses  bras  et  s'en  vint  tantost  devant 
les  juges.  Et  quant  li  juge  le  virent,  si  dient  :  a  Dame,  interrogée  de 
dires  vous  qui  est  pères  de  cest  enfant?  Gardés  que  vous  nouveau, eiie pei- 
ne le  celés  mie.  «  Et  elle  respont  :  «  Seigneur,  je  voi  bien  «i^teàdire qu'elle 

...  .        .  ,  o-      ,    .     Tx-  •        •     ne  connaît  pas  le 

que  je  sui  livrée  a  justice  de  mort.  Si  n  ait  Dieus  ja  pi-    -  ^  ^^  ^^^  ^^^ 

tié  ne  merchi  de  moi  si  je  le  père  vi  onques  ne  ne  con-  fant. 

nui  ne  [on]que[s]  viers  homme  fui  tant  abandonnée  que 

il  deust  enfant  engendrer  en  moi.  »  Et  li  juge  respon- 

dent  :  «  Nous  ne  créons  pas  que  che  puist  estre  voirs.  Et 

si  demanderons  as  autres  femes  se  che  ponoit  avenir 

que  tu  nous  fais  entendant.  Car  onques  mais  ne  pot  nus 

tele  miervielle  oir.  » 


Atant  se  traient  li  juge  a  une  part  et  parlèrent  a 
maintes  femes  de  chou  que  celé  damoisiele  lour  faisoit 
entendant.  Et  dist  li  uns  des  juges  :  a  Dames,  vous  qui 


24  MERUN 

chi  estes,  avint  onques  a  nule  de  vous  ne  a  autre  dont 

on   oist    onques   parler  que   elle  puist  conchevoir    ne 

avoir   enfant  sans   compaignie  d'omme  carnelment?  » 

Le»  juges  refu-  Et  celes  dient  que  che  ne  porroit  avenir.  Quant  li  juge 

8ent  de  la  croire,  oirent  che,  si  s^en  revinrent  arrière  a  la  mère  Merlin  et  li 

contèrent  che  que  il  ont  oi  dire  as  autres  femes.  «  Et  des 

ore  mais  en  est  il  drois  que  la  justiche  en  soit  faite.»  Lors 

saut  avant  Merlins,  qui  moult  fu  irés  de  ceste  chose  et  de 

Merlin  proteste  chou  que  il  oi  dire  de  sa  mère.  Et  dist  :  «  Signour,  che 

de  l'innocence  de  ^q  ^^^.^  j^jg  gj  jQg^  ^^g  ff.28  *j  justice  en  soit  faite.  Car 

samcre  1  pren    ^^  ^^  faisoit  justice  de  tous  chiaus  et  de  toutes  celes  qui 

le  prudhomme  a  '  .  ^ 

témoin,  ^nt  este  en  avoutire  a  autrui  que  a  lour  femes  et  a  lor 

maris,  il  en  i  aroit  ja  ars  plus  des  deus  pars  de  chiaus  qui 
chi  sont  et  de  celes  dont  je  sai  aussi  bien  lour  couvine 
que  eles  meismes  font.  Se  je  en  voloie  parler,  je  les  feroie 
ja  tous  jehir.  Sacés  que  assés  en  i  a  qui  ont  fait  pis  que 
ma  mère  n'ait.  Car  elle  n'a  coupes  en  chou  que  on  li 
met  sus.  Et  s'ele  i  a  coupes,  teuls  coupes  que  ele  a  a  pris 
cis  preudom  sur  li.  Et  se  vous  ne  m^en  créés,  demandés 
li.  »  Et  li  juge  apielerent  le  preudomme  et  li  demandè- 
rent se  c'estoit  voirs  que  Merlins  lour  avoit  adont  conté. 
Li  preudom  conte  tout  mot  a  mot  canques  la  mère  Merlin 
li  avoit  dit,  [si  li  demandent]  se  che  est  voirs  que  ele  di- 
soit,  que  tel  chose  li  fust  avenue.  Et  li  preudom  respont  : 
a  Je  li  dis  que  elle  n^avoit  garde  envers  Dieu  ne  enviers 
le  monde,  qui  droit  li  feroit.  Ele  meesmes  vous  a  conté 
commentelefuengingnie,  et  c^estmierveille  de  cest  enfant, 
que  ele  encarka  sans  délit  d'omme  et  si  ne  set  qui  Tengenra, 
et  (/.  28  ^j  si  en  fu  confiesse  et  repentanset  Ten  carchai  sa 
et  lui  fait  établir  penitance.»  Et  H  enfcs  dist  au  preudomme:  «Vousavésen 
la  date  de  la  con-  gs^rit  r(u)eure  toute  et  la  nuit  que  je  fui  engenrés,  si  poés 
ception.  j^.^^  savoir  quant  je  nasqui  et  Teure  que  je  sui  nés.  Et 

par  che  poés  bien  savoir  grant  partie  de  l'euvre  ma 
mère.  »  Et  li  preudom  respont  :  «  Vous  dites  voir.  Mais 
je  ne  puis  savoir  dont  chis  sens  te  vient.  Car  tu  ses  plus 
que  nous  tout.  »  Et  lors  furent  apielees  les  femes  qui 


MERLIN  25 

avoient  esté  en  la  tour  avoec  la  mère  Merlin.    Et  contè- 
rent devant  les  juges  le  termine  de  Tenfant,  de  Pengen- 
rer  et  dou  porter  et  del  naistre  par  l'escrit  au  preudome, 
se  le  troverent  ensi  comme  il  le  dist.  Et  11  uns  des  ju-    un  des  juges 
ges  respont  :  «  Pour  chou  ne  sera  el  pas  cuite,  se  elle  ne  dé^^iare  que  cela 
dist  qui  t'engendra  et  qui  est  tes  pères.  »  Et  li  enfes  se  "^  ^"^^  i'^^'  ^^ 

courecha  et  dist  :  «  Jeconnois  mieus  mon  père  que  tu  ne  'î"^"'^'^°^^"o'"- 
p  .    ,     .        T-  •  •    '  1  ,    '^^''  '"^  P'^'"*^  de 

fais  le  tien.  Et  ta  mère  set  mieus  qui  t  engendra  que  la  i'c„fant  ;  Merlin 

moie  ne  set  qui  m'engenra.  »  Et  li  juges  se  courecha  et  lui  dit  :  je  con- 

dist  a  Merlin  :  «  Se  tu  ses  riens  dire  sur  ma  mère,  je  le  "^^^  '"ï'^"^  "^"^ 

terrai  bien  a  droit.  »  Et  Mierlins  respont  :  «  Je  savroie  ^"^^^  ^"^  ^°'  ^^ 

....  ,.  p  .      .       .        .    ,  ,,  .    tien,  et  ta  mère 

bien  dire  sur  11,  setuen  taisoiesjustiche,  que  elle  averoit  ^      -, .,    ^. 

'  '  7  T.  devrait  être  bru- 

mieus  mort  deservie  que  la  moie  mère.  Se  je  le  te  faz  lée  et  non  la 
connoistre  a  li  meismes,  si  claimme  ma  mère  quite,  car  mienne.  Le  juge 
ele  n'a  coupes  en  che  que  on  li  met  sus.  (f.  28  ^)  Et  elle  '^^''^i^re  que  s'il 
dist  voir  de  canques  elle  dist  d^endroit  m'eneenreure.»  P'"^"^''^  ^^^^'  ^^ 

^  ...  .•»*,.  .  ,  •  r  ,     mère  sera  acquit- 

Et  quant  li  juges  01  Merlin  ensi  parler,  si  en  fu  moult  ^-.^^ 
irés.Etdist:  «  Merlins,  vostre  mère  avrés  rescousse  d'ar- 
doir,  se  il  est  ensi.  Mais  tant  saches  tu  bien  :  se  vous  ne 
savés  tant  dire  seur  ma  mère  dont  je  vous  croie  et  que  la 
vostre  remaingne  em  pais ,  saches  on  ardera  vous 
avoec.  » 


Atant  prisent  jour  entre  le  juge  et  Mierlin  a  le  quin- 
sainne,  et  li  juges  envoia  querre  sa  mère  et  fîst  l'enfant 
et  sa  mère  moult  bien  garder,  et  il  meismes  fu  tous  jours 
avoec  les  gardes.  Et  maintes  lois  fu  li  entes  mis  en  paroles 
de  sa  '  mère  et  d'autrui,  mais  en  tous  les  quinse  jours  pa- 
role n'en  pot  -  on  traire.  Et  quant  vint  a  la  quinsainne,  si  On  fait  venir  la 
vint  la  mère  a[u]  juge.  Et  quant  elle  fu  venue,  si  mist  on  "i^'c  du  juge. 
Merlin  et  sa  merc  fors  de  la  prison  et  les  ^  mena  on  devant 
le  peuple.  Et  lors  dist  li  juges  :  «Merlins,  vés  ci  ma  mcre 
seur  qui  tu  dois  parler.  Orc  di  chou  que  tu  li   vculs 

I.  la  —  i.  puci  —  3.  la 


S6  MERLIN 

dire.  »  Et  li  enfes  respont  :  t  Vous  n'estes  mie  si  sages 
comme  vous  cuidiés  d'assés.  Aies,  si  menés  vostre  mère  en 
une  maison  tout  priveement  et  amenas]  vostre  plus  privé 
conseil,  et  jou  apielerai  le  conseil  ma  mère,  che  est  Dieus 
li  tous  poissans  et  ses  confessours.  »  Lors  furent  si  es- 
bahi  {f,  2g  ^)  cil  qui  ces  paroles  oirent  que  a  painnes 
porent  il  respondre.  Mais  li  juge  connoist  bien  que  il 
dist  que  sages.  Et  li  enfes  demande  a  tous  les  autres  ju- 
ges :  «  Segnour,  se  je  puis  délivrer  ma  mère  par  raison 
de  cest  homme,  sera  elle  quite  de  vous  tous?  »  Et  il  res- 
pondent  :  «  Scelle  eschape  de  cestui,  elle  ne  trouvera  ja 
mais  qui  riens  li  demant.  »  En  ceste  manière  que  vous 
avés  oi  s'en  alerent  en  une  chambre  entre  Merlin  et  le 
Devant  le  juge,  juge.  Et  mena  li  juges  sa  mère  et  deus  autres  hommes 
deux  amis  à  lui  et  de  ses  amis  Ics  plus  preudommcs  que  il  pot  trouver.  Et 
le  prudhomme,  |j  enfes  i  mena  le  confessour  sa  mère.  Et  quant  il  furent 
assamblé,  si  dist  li  juges  :  «  Ore  pues  tu  dire  a  ma  mère 
chou  que  tu  veuls,  par  quoi  la  toie  mère  doit  estre  quite.» 
€  Je  ne  voel  pas,»  fait  Merlins,  «  ma  mère  desfendre  contre 
tort,  mais  je  li  voel  le  droit  Damedieu  sauver  et  le  sien. 
Et  saches  que  ma  mère  n'a  pas  le  torment  deservi  que 
vous  li  volés  faire.  Et  se  vous  m'en  créés,  vous  quite(re)- 
rés  ma  mère  et  lairés  a  enquerre  de  la  vostre.  »  Et  li  ju- 
ges respont  :  «  Ensi  ne  m'escaperés  mie,  plus  vous  cou- 
verra  dire.  »  Et  Merlins  dist  :  «  Vous  m'avés  asseuré  et 
ma  mère,  (et)  se  je  le  puis  desfendre,  que  vous  le  cuitiés?  » 
Et  li  juges  respont  :  «  Che  est  voirs.  »  Et  Merlins  res- 
pont :  «  Vous  volés  ma  mère  ardoir  por  chou  que  je  sui 
nés  de  \i  (f*  2  g  b)  et  pour  chou  que  elle  ne  set  qui  en  li 
m'engendra.  Mais  se  je  voloie,  elle  savroit  mieus  dire 
quels  fieus  je  sui  que  tu  ne  savroies  dire  qui  fu  tes  pères, 
et  ta  mère  set  mieus  quels  fieus  tu  ies  que  la  moie  mère 
ne  porroit  orendroit  dire  quels  fieus  je  sui  ^  »  Et  li  juges 
dist  :  tt  Belle  mère,  ne  sui  je  mie  vostre  fins  de  vostre  loial 
espous?  » 

I.  elle  sauroit  mieus  dire  quels  fieus  tu  ies  que  ma  mère  nesau- 
roit  dire  quel  fieus  je  sui 


MERLIN  27 


Adont  respondi  la  mère  au  juge  :  «  Biaus  fieus,  oil.  » 
Et  Merlins  parole  et  dist  :  «  Dame,  il  vous  converra  voir 
dire  se  vostre  fieus  ne  quite  ma  mère  et  moi.  Se  il  le  vo- 
loit  faire  sans  plus  dire,  je  m'en  tairoie.  »  Et  li  juges 
respont  :  «  Je  n'en  ferai  nient.  »  «  Vous  i  gaaignerés  ja 
tant,  »  fait  Merlins,  «  que  vous  trouvères  vostre  père  par 
le  tiesmoing  de  vostre  mère.  »  Et  quant  cil  l'oirent  qui 
erent  au  conseil,  si  se  saingnierent  et  eurent  moult  grant 
mervieille  de  chou  que  Merlins  disoit.  Et  Merlins  dist 
a  la  mère  au  juge  :  «  Dame,  il  convi[e]nt  que  vous  dites 
voir  a  vostre  fil  quels  fieus  il  est.  »  Et  la  dame  dist  : 
«  Dyables  Sathanas,  dont  ne  l'ai  je  dit?  »  Et  Merlins  res- 
pont :  €  Vous  savés  bien  certainnement  que  il  n'est  pas 
fieus  chelui  que  il  cuide  estre.  »  La  dame  fu  espoentee, 
si  dist  :  «  A  cui  dont  ?»  Et  il  dist  :  «  Vous  save's  bien  ^iciin  '"i  fait 
que  il  est  fieus  a  vostre  prevoire.  A  ces  ensaignes  que  la  ^^°"<^''    ^^^  ''^ 

'  c   •  Li^i»  l'i       vrai  pcre  du  juge 

première  fois  que  vous  assamblastes  a  lui  que  vous  h  de-    , 

■•  ^  T  est  un  prctre. 

sistes  que  vous  aviés  paour  d'encarkier.  Et  il  vous  dist 
que  vous  n'encarceriés  ja  de  lui,  et  que  il  meteroit  en  es- 
crit  toutes  les  fois  que  il  girroit  a  vous,  ff.  2g  ^)  pour  chou 
que  il  meismes  avoit  paour  que  vous  ne  couchissiés  a  autre 
homme  et  que  vostre  sires  estoit  mal  de  vous  en  cel  ter- 
mine. Et  quant  il  fu  engenrés,  ne  demoura  gaires  que 
vous  désistes  que  vous  estiés  mal  baillie  de  chou  que 
vous  estiés  de  lui  grosse.  Se  che  est  voirs  ensi  comme  je 
Tai  dit,  si  le  connissiés.  Et  se  vous  ne  le  volés  reconnois- 
tre,  encore  vous  dirai  je  el.  «  Et  li  juges  fut  moult  irés 
et  demanda  a  sa  mère  :  «  Est  che  voirs  que  il  dist?  »  Et 
la  mère  respont,  qui  moult  fu  espoentee,  et  dist  :  «  Biaus 
fieus,  créés  dont  chou  que  cis  dyables  dist?  »  Et  Merlins 
dist  :  «  Se  vous  ncl  connissiés,  je  vous  dirai  encore  (a)  au- 
tre chose  que  vous  savés  bien  et  voirs  est.  »  Et  la  dame 
se  taist.  Et  Merlins  dist:  «Je  sai  canques  il  i  ot  fait  et  dit. 
Voirs  est  que  quant  vous  vous  sentislcs  grosse,  vous  fe- 


28  MERLIN 

sistes  querre  le  pais  de  vostre  signour  a  voslre  prestre, 
pour  chou  que  vous  vous  voliés  couvrir  que  vousfuissiés 
grosse  de  lui,  et  le  cuist  tant  et  pourcacha  que  il  le  fist 
et  vous  fist  gésir  ensemble  od  li.  Ensi  fesistes  entendant 
au  preudomme  que  li  enfes  estoit  siens.  Ensi  le  cuident 
mainte  autre  gent.  Et  chis  meismes  qui  chi  est  le  cuide 
pour  voir  que  il  fust  fieus  au  preudomme.  Et  dès  lors 
en  cha  avés  ceste  vie  menée  et  menés  encore.  Et  la  nuit 
que  vous  meustes  a  venir  (f.  2g  ^J  cha  jeustes  vous  en- 
samble.  Et  au  matin  vous  convoia  il  grant  pieche.  Et 
quant  il  se  départi  de  vous,  il  vous  dist  en  conseil  en 
riant  :  «  Biele  suer,  or  pensés  de  faire  et  de  dire  canques 
a  mes  fieus  vaurra.»  Car  il  savoit  bien  que  chis  estoit  ses 
fieus  et  par  son  escrit.  »  Quant  la  mère  au  juge  oi  Mer- 
lin ensi  parler  et  que  ele  sot  bien  que  il  disoit  voir,  si 
s'assist  et  fu  moult  destroite.  Et  voit  bien  que  il  li  con- 
verra  dire  voir.  Et  ses  fieus  le  regarde  et  dist  :  «  Biele 
mère,  qui  que  soit  mes  pères,  je  sui  vo(u)s  fieus,  comme 
fieus  vous  ferai.  Mais  dites  voir  se  cis  enfes  dist  vérité.  » 
Et  la  mère  respont  :  «  Biaus  fieus,  pour  Dieu  merchi  !  Je 
Le  juge  recon-  ^^^  ^^  P"^^  celer,  Car  tout  ensi  comme  il  l'a  dit  est  il.  » 
naît  que,  puis-  Et  quant  li  juges  l'oi,  si  dist  :  «  Voir  disoit  cis  enfes,  qu'il 
qu'il  épargne  sa  savoit  micus  qui  estoit  ses  pères  que  je  ne  savoie  qui 
mère,  il  ne  peut  gs^QJ^  jj  miens.  Et  si  n'est  pas  drois  que  je  face  justice  de 

condamner  celle  .  iriji  •  t^j-^i** 

de  Merlin  mais  ^^  ^^^^  quaut  )€  nel  fach  de  la  moie.  »  Et  dist  li  juges  a 
prie  celui-ci  de  Merlin:  a  Mcrlius,  je  te  pri  pour  Dieu,  pour  chou  que  je 
lui  dire  de  qui  il  puisse  ta  mère  descouper  envers  le  peuple  et  toi,  di  moi 
est  fils.  Merlin  ra-  quj  est  tes  percs.  »  Et  Merlins  dist  :  «  Je  le  te  dirai  plus 
conte  qu'un  dia-  p^^j.  t'gmour  que  pour  ta  force.  Je  voel  que  tu  saces  que 

ble  l'a  engendré,  .  .  n  .,  ••  •  c- 

mais  que  Dieu  J^  ^^^  "^^^  "  ""  aucmi  qui  engmgna  ma  mère.  Et  saces 
en  considération  ^ue  ccste  manière  d'anemis  ont  a  non  Ekupedes,  et 
de  sa  mère,  lui  a  repairent  en  Tair.  Et  chis  m^a  donné  le  sens  de  savoir  les 
donné  la  science  choses  dites,  faites  et  alees.  Et  pour  chou  sa  ge  la  vie  que 

de  l'avenir  en  ou-  •  ■r->  ' 

„    _,   ta  mère  a  tous  lors  menée.  Et  nostre  sires  vaut  que  je 

trc  de    celle  du  .  . 

passé  qu'il  tient  cusse  tel  mémoire  pour  la  bonté  ma  mère  et  se  boine 
de  son  pire.       repentance,  et,  pour  le  commandement  de  sainte  eglyse 


MERLIN  29 

que  je  croi,  m'a  donné  tant  de  vertu  que  je  sai  les  choses 
qui  sont  a  aven'r  en  partie.  Et  si  le  pues  savoir  par  chiou 
que  je  te  dirai.  »  Lors  le  traist  Merlins  a  une  part  et  li 
dist  :  «  Ta  mère  s'en  ira  et  contera  a  chelui  qui  t'engen- 
dra chou  que  je  lui  ai  dit.  Et  quant  il  orra  que  tu  savras  11  annonce  au 
la  vérité,  il  avéra  si  grant  paour  de  toi  que  il  s'en  fuira.  )^è^  ^^^  ^^  p^'^- 
Et  li  dyables  quels  oevres  il  a  tous  jours  menées  si  l'en  ^'^'  '''"^^"^  '^^  ^^ 

.    .  ,  .  _  ,  mère,   se   noiera 

menra  a  une  rivière,  et  la  se  noiera.  Et  pour  chou  poes  ^^  apprenant  ce 

prouver  que  je  [sai]  les  choses  qui  sont  a  avenir.  »  Et  li  qui  s'est  passé. 

juges  respont  :  «  Merlins,  se  chou  est  voirs  que  tu  m'as 

dit,  je  ne  te  mesquerrai  ja  mais.  »  Ensi  départirent  de 

lour  conseil  et  vinrent  devant  le  peuple,  et  dist  li  juges 

au  peuple  :  «  Chis  enfes  a  bien  rescousse  sa  mère  d'ar-     La  mère  de 

doir.  Et  sachent  tout  cil  qui  cest  enfant  verront  qu'il  ne  Merlin  est  acquit- 

verront  ja  mais  plus  sage  ne  onques  ne  virent.  »  Et  cil 

respondent  tout  :  «  Dieus  en  soit  aourés,  se  elle  est  res- 

pitee  de  la  mort.  » 


(f.  3o  V  >->Hi  endroit  dist  li  contes  que  Merlins  rcmest 
avoec  les  juges.  Et  li  juges  en  envoia  sa  mère  et  deus  hom- 
mes  avoecques   li    pour  savoir    se    c'estoit   voirs  que 
Merlins  li  avoit  dit  dou  prouvoire  et  de  la  mère  au  juge. 
Si  tost  que  ele  fu  venue  a  son  hostel,  si  parla  au  prou- 
voire en  conseil  et  li  dist  la  merveille  que  elle  avoit  oie. 
Et  quant  cil  Toi,  si  fu  si  espoentés  que  il  ne  li  pot  mot     Le  prêtre  se 
respondre,  et  lors  se  pensa  que  si  tost  que  li  juges  verroit  noie  comme  Mer- 
qu'i[l]  l'ochiroit.  Si  s'en  ala  pensant  fors  de  la  ville.  Et  vint  ""  ''"'"''  P'*^^'^* 
a  une  rivière  et  dist  que  mieus  li  venoit  que  il  se  noiast 
que  on  l'ochesist,  ne  que  il  le  fesist  morir  de  vilainne 
mort.  Ensi  le  mena  '  dyables  quels  oevres  il  avoit  faites 
qu''i[l]  le  fist  sailir  en  l'iauc,  si  se  noia .  Et  che  virent  cil  qui 
en  furent  aie  avoec  la  mère  au  juge.  Pour  chou  dist  li  con- 
tes que  f  nusj  ne  se  doit  des  gens  fuir,  que  li  dyables  repaire 

I .  menai 


3o  MERLIN 

plus  tost  avoecques  (f.  3o  V  un  homme  seul  que  avoe- 
ques  plusieurs.  Ensi  revinrent  cil  qui  che  orent  veu-  Et 
quant  il  furent  venu  la  ou  li  juges  estoit,  si  li  contèrent 
Puevre  si  comme  il  Torent  veue.  Et  au  tierch  jour 
comme  il  furent  la  s^estoit  cil  noiiés.  Et  quant  li  juges 
Toi,  si  s'en  esmervilla,  et  vint  a  Merlin  et  li  dist.  Et  Mer- 
lins  en  rist  et  dist  au  juge  :  a  Or  pues  tu  bien  veoir  se 
je  te  di  voir.  Et  je  te  pri  que  tout  ensi  que  je  le  te  di[s] 
que  tu  le  dies  a  Biaise.  Et  cil  Biaises  estoit  confessours 
ma  mère.  »  Et  li  juges  conta  a  Biaise  la  merveille  si 
comme  elle  avoit  esté  del  prouvoire.  Atant  s'en  ala  Mer- 
lins  entre  lui  et  sa  mère  et  Biaise,  et  li  juge  s'en  râlèrent 
Le  prudhom-  d'autre  part.  Et  cil  Biaises  fu  moult  boins  clers  et  moult 
me,  qui  s'appe-  soutieus.  Quant  il  oi  ensi  parler  Merlin  et  si  soutilment, 
lait  Biaise,  s'é-       •  ^^  ^j    ^^j^       ^  estoit  qu'il  n'avoit  mie  a  celé  eure 

merveille  de  cette  ^,         ,      ,  ,        .        .     ,          .        ...  ,      , 

science  d'un  en-  P^^^  "^  ^^^^  ^"^  ^^  demi,  SI  S  esmiervilla  moult  dont  si 

fant  de  deux  ans  grans  sens  li  pooit  venir.  Si  se  mist   en  moult  grant 

et  demi.  painne  d*essaiier  Merlin  en  mainte  manière.  Tant  que 

Merlins  dist  a  Biaise  :  «  Ne  m'essaie  mie.  Car  quant 

plus  m'essaieras,  plus  t'esmiervilleras.  Mais  fai  che  que 

je  te  proierai  et  croi  en  partie  chou   que  je  te   dirai, 

si    t'aprenderai    a  avoir   l'amour   Jesucrist.    »    Biaises 

dist  a  Merlin  :  «  Je  t'ai  oi  dire  et  je  le  croi   bien  que  tu 

ies  concheus  dou   dyable,  si  te  redout  moult    que   tu 

Merlin  lui  ex-  (f.  3o  ^)  ne  m'cngingnes.   »  Et   Merlins  dist  :  «  Il  est 

piique    l'origine  coustumc  de  tous  mauvais  cuers  que  il  voient  en  tout 

de  ses  dons  sur-  j^^j.  fj^jj-g^s)  et  notent  plus  le  mal  que  le  bien.  Ensi  que 

naturels,  ,  •     j-  •         .    •      r:  j  j      ui  • 

tu  m  as  01  dire  que  je  estoie  nus  dou  dyable,  aussi 
m'ois  tu  dire  que  Dieus  m'avoit  donné  sens  et  savoir  des 
choses  qui  sont  a  avenir.  Et  pour  chou,  se  tu  fuisses  sa- 
ges, deusses  tu  savoir  et  esprouver  au  quel  je  me  devroie 
tenir.  Et  saces  tu  bien  que  Dieus  voult  ^  que  je  seusse  ces 
choses  pour  chou  que  dyable  m'ont  '  perdu,  mais  je  n'ai 
pas  pierdu  lor  engien  ne  lor  art  ^  Ains  tieng  d'aus  che 

I.  veult  —  2.  dyables  ma  —  3.  mon  e.  ne  mon  art 


MERLIN  3 1 

que  tenir  en  doi.  Mais  je  nel  tieng  mie  pour  lour  preu, 
ne  il,  quant  il  me  conchurent  en  ma  mère,  ne  furent  mie 
sage.  Car  il  me  misent  en  tel  vaissiel  qui  ne  devoit  mie 
estre  leur,  et  la  bontés  de  li  lour  nuist  moult.  Mais  s'il 
m'eussent  concheu  et  mis  en  m'aiole,  je  n'eusse  pooir  de 
connoistre  que  Dieus  est  et  fuisse  leur.  Et  (puis)  vint  par 
li  tous  li  tormens  que  ma  mère  ot  de  son  père  et  des  au- 
tres damages  que  tu  li  as  oi  conter.  Mais  croi  chou  que 
je  te  dirai  de  la  foi  et  de  la  créance  Jesucrist.  Et  je  te  etrengageùfaire 
dirai  tel  chose  que  nus,  fors  Dieus,  ne  te  savroit  dire.  Si  ""  ''^"^^  ^^  ^^ 
en  fai  un  livre.  Et  maintes  gens  qui  orront  che  livre  i^'^' i"' révé'^ra. 
que  tu  feras  en  seront  millour,  et  s'en  garderont  de  pe- 
chier,  et  feras  (f.  3i  ^)  grant  aumosne  se  tu  le  fais.» 


Olaises  respont  a  Merlin  :  «  Je  ferai  volentiers  le  livre,     Biaise  y  con- 
mais  je  te  conjure  el  non  del  père  et  le  fil  et  le  saint  es-  sent, 
périt  et  de  la  deboinaire  dame  qui  le  cors  Dieu  porta  et 
de  tous  ses  angles  et  archangles  et  apostles  et  de  tout 
canques  de  Dieu  est,  que  tu  ne  me  puisses  dechevoir  ni 
engingnier,  ne  faire  chose  qui  au  plaisir  nostre  signor  ne 
soit.»  Et  Merlins  respont  :  «  Toutes  les  créatures  dont  tu 
m'as  parlé  me  puissent  nuire  envers  Dieu,  se  je  te  faich 
chose   qui   contre    sa    volenté  soit.  »    «  Ore   me  diras 
dont,  »  dist  Biaises,  «  chou  que  tu  vaurras  de  bien,  car  je 
le  ferai  dès  ore  mais.»  Et  Merlins  dist  :  «  Or  quier  dont 
enche  et  parchemin  assés,  que  je  te  dirai  moult  de  choses 
que  tu  métras  en  ton  livre.»  Et  quant  il  ot  tout  ^  quis,  si 
li  conta  Merlins  les  amours  de  Jesucrist  et  de  Joseph  tout  et  Merlin  lui  fait 
ensi  comme  eles  avoient  esté,  et  d'Alain  et  de  sa  compai-  '^^"'"'^    ihistoirc 
gnie  tout  ensi  comme  il  avoit  aie,  et  comment  Joseph  se  ,^.   °''?''  .  ^  ' 

*-'  '  '  lain  et  des  siens, 

dessaisi  dou  vaissiel  et  puis  dévia,  et  comment  dyable(s)  ^^^  ^aint  vase  et 
apriès  toutes  ces  choses  qui  furent  avenues  prisent  con-  de  sa  propre  nais- 
seil  que  il  avoient  perdu  lour  pooir  que  il  soloient  avoir  '^^"'^c. 


I.  tous 


32  MERLIN 

seur  les  hommes,  et  se  li  conte  comment  li  prophète  lor* 
avoient  mal  fait,  et  pour  chou  [s'Jestoient.  [acordé]  en- 
samble  *  comment  il  feroient  un  (f,  3i  ^)  homme.  «  Et 
tu  as  bien  oi  et  seu  par  ma  mère  et  par  autrui  le  painne 
et  l'engien  que  il  i  ont  mis.  Et  par  la  folie  dont  il  sont 
plain  m'ont  perdu.  »  Ensi  devisa  Merlins  ceste  oevre  et 
le  fist  faire  a  Biaise.  Et  moult  s'esmiervilla  Biaises  des 
mierveilles  que  Merlins  disoit,  et  toutes  voies  li  sam- 
bloient  estre  boines  et  si  i  entendoit  moult  volentiers. 


Merlin  annonce  Cndementiers  que  il  entcndoit  a  ceste  oevre  faire, 
à  Biaise  son  dé-  gj  dist  Merlins  a  Biaise  :  «  Il  me  converra  de  ceste  chose 
part  et  lui  prédit         ^^  ^^j^  ^^^^j^     ^^^^  painne  souffrir.  »  Et  Biaises  li 

qu'il    ira     vivre  7  1-     1/     i-        j-  t 

avec  ceux  qui  demande  comment.  Et  Merlms  dist  :  «  Je  serai  envoiies 
gardent  le  saint  querre  de  viers  occident.  Et  cil  qui  me  verront  querre 
graai;  avront  juré  lour  signeur  que  il  m'ochiront  et  li  porte- 

ront le  sanc  de  moi.  Mais  si  tost  comme  il  me  verront  et 
m'orront  parler,  si  n'en  avront  ja  talent.  Et  quant  je 
m'en  irai  avoec  iaus,  tu  t'en  iras  en  ces  parties  ou  les 
gens  sont  qui  ont  che  saint  graal,  et  tous  jours  mais  sera 
ta  painne  et  tes  livres  retrais  et  volentiers  ois  de  toutes 
gens.  Mais  il  ne  sera  pas  en  auctorité,  pour  chou  que  tu 
n'es  pas  ne  ne  pues  estre  des  apostles.  Ne  li  apostle  ne 
misent  onques  riens  en  escrit  de  nostre  signeur  que  il 
n'eussent  veu  et  oi,  et  tu  n'i  mes  riens  que  tu  aies  ^  veu 
et  oi  d'autrui  que  de  moi. 


«  Et  ensi  comme  je  sui  oscurs  et  serai  enviers  chiaus 
ou  je  ne  me  vaurrai  esclairier,  ensi  sera  tous  li  livres  ce- 
lés, et  peu  avenra  que  ja  nus  en  face  bonté.  Et  tu  l'en 
porteras  quant  je  m'en  irai  avoec  chiaus  qui  me  verront 
querre.  Si  sera  Joseph  [et  li  livres  des  lignies  que  je  t'ai 

1.  li  —  2.  assamble  —  3.  que  tu  naies 


MERLIN  33 

amenteues]  avec  le  tien  et  le  mien;  et  tu  avras  ta  painne  iis  réuniront  leurs 

finee  et  tu  seras  teuls  comme  tu  dois  estre  en  lour  com-  Uvres  et  en  feront 

paignie  ;  lors  si  assamblera  tes  livres  au  sien,  si  sera  bien  ""  ^^"'• 

la  *   chose  prouvée  de  ma  painne  et  de  la  toie.  Ensi  en 

avront  mierchi,  se  iaus  plaist.  Et  il  proieront  nostre  si- 

gnour  por  nous.  Et  quant  li  doi  livre  seront  assamblé, 

si  i  avra  un  biel  livre.  Et  li  doi  seront  une  meesme  chose 

fors  tant  que  je  ne  puis  dire,  ne  drois  n'est,  les  privées 

paroles  de  Joseph  et  de  Jesucrist.  »  Et  Engletere  n'avoit 

adont  eut  encore  roi  crestiien  ;  ne  des  rois  qu'i  avoient 

esté  ne  me  tient  a  retraire  fors  tant  que  a  cist  conte 

monte. 


Ore  dist  li  contes  que  un  roi  avoit  en  Engletere  Le  roi  Cons- 
qui  avoit  non  Constans.  Et  icilConstans  régna  uncgrant  tant  d'Angleterre 
pieche  et  si  avoit  trois  fieus;  si  en  ot  un  qui  ot  non  Moi-  ^^'^^^  ^^^^^  ^^'^ 

^T         ..  -^  T-»j  ^i-^-         TT-  Moine,    Pendra- 

nes,  et  li  autres  avoit  non  Pandraeons,  et  h  tiers  Uters.         /,. 

'  ^        '  gon  et  Lter  ; 

Et  si  avoit  un  senescal  qui  avoit  non  Vertigiers.  Icil  Ver- 

tigiers  estoit  moult  sages  et  engingneuset  bons  chevaliers 

au  tans  qui  estoit  adont.  Et  Constans  ala  de  vie  a  mort. 

Et  quant  il  fu  mors,  si  demandèrent  de  cui  il  feroient  ji  ^y^Q^^i  -.  Moine 

roi.  Et  li  plus  s'acorderent  que  il  le  feroient  de(l)  Moine,  lui  succède;  il 

Et  quant  Moines  fu  rois,  si  ot  guerre,  et  Vertigiers  fu  ses  est  jeune  et  sans 

senescaus.  Et  li  Saisne  guerrioient  le  roi  Moyne.  Et  cil  ^'^''^"'■'  ^o"  ^^- 

,     ,      ,  ,     „  .  ,     .  f    .     ncchal  Vertigier 

qui  estoient  de  la  loy  de  Homme  vinrent  pluiseurs  lois  devient tout-nuis- 
combatre  as  crestiiens.  Et  Vertigiers,  qui  estoit  senescaus  gant. 
de  la  terre,  faisoit  dou  tout  a  son  plaisir.  Et  li  enfes  qui 
rois  estoit  n'estoit  pas  si  sages  ne  si  preus  que  mestiers  li 
fust.  Et  Vertigiers  avoit  moult  de  la  terre  trait  a  soi  et      lcs    Saisnes 
les  cuers  des  gens,  et  sot  bien  que  il  le  tenoient  pour  preu.  guerroyant  le  roi. 
Si  li  leva  orguels,  et  dist,  pour  chou  que  il  vit  bien  que  ^'^•"tigicr  refuse 
il  n'estoit  nus  qui  pcust  chc  faire  que  il  faisoit,  (si  dist)   '''      '"^^' 
que  il  ne  s  entrcmcteroit  plus  de  la  guerre  le  roi,  si  s  en 


34  MERUN 

traist  arrière.  Et  quant  li  Saisne  oirent  dire  que  Verti- 
giers  avoit  la  guerre  Juissie,  si  assamblerent  et  vinrent  a 
grant  ost  seur  les  crestiiens.  Et  li  rois  Moynes  vint  a  Ver- 
tigier  et  dist  :  <  Biaus  amis,  aidiés  la  terre  a  desfendre, 
car  je  et  tout  cil  qui  i  sont  sont  en  vostre  volenté.  »  Et 
Vertigiers  respont  :  «  Sire,  or  i  aillent  li  autre,  car  Je  ne 
vous  puis  mais  aidier.  Car  il  a  gens  en  vostre  terre  qui 
me  heent  pour  vostre  service.  Ore  si  voel  qu'il  aient  ceste 
bataille,  que  je  ne  m'en  entremetrai  ja  mais.»  Quant  li 
rois  Moynes  et  cil  qui  avoec  lui  estoient  virent  que  il  ne 
Moine  est  vain-  trouveroient  autre  chose  en  Vertigier,  si  s'en  tornerent  et 
eu.  alerent  combatre  as  Saisnes.  Et  li  Saisne  se  combatirent 

a  iaus,  si  les  vainquirent.  Et  quant  il  les  orent  vaincus, 
si  s'en  alerent  et  disent  que  il  avoient  tout  perdu.  Et  di- 
sent que  il  n'eussent  pas  ceste  perte  faite  se  Vertigiers  i 
eust  esté.  Ensi  remest.  Et  li  enfes  ne  savoit  pas  si  bien 
maintenir  terre  ne  n'avoit  le  cuer  des  gens  comme  mes- 
tiers  li  fust.  Si  l'aqueillirent  li  pluiseur  en  haine.  Ensi 
remest  une  grant  pieche.  Et  tant  que  li  rois  Moynes  fu 
tenus  a  si  malvais  que  il  disent  que  il  ne  soufferroient 
Des  barons  du  plus  sa  malvaisté.  Lors  vinrent  a  Vertigier,  se  li  disent  : 
pays     viennent  «  Sire,  nous  sommes  sans  roi  et  sans  signour,  car  chis 
trouver  Vertigier  ^^^^  ^^^^  avous  ne  vaut  riens.  Nous  vous  prions 

et  lui  demandent  r\-  ..  ,  .  .  /     ^ 

d'être  roi  •  il  ré-  P^*^^  l^teu  que  VOUS  soiics  rois  et  SI  nous  gouvernes.  Car 

pond    qu'il    ne  il  ^'est  nus  hom  en  ceste  terre  qui  si  bien  le  puist  avoir 

pourrait  le  deve-  ne  doic  commc  VOUS.  »  Et  Vertigicrs  respont  :  «  Se  il  es- 

nirque  si  Moine  toit  mors  et  VOUS  et  li  autre  vausissiés  que  je  fuisse  rois, 

était  mort.         j^  j^  seroie  volentiers.  Mais  tant  qu'il   vive  je  ne  le  puis 

estre.  »  Cil  oirent  la  parole  Vertigier,  si  pensèrent  chou 

que  il  vaurent.  Si  s'en  tornerent  d'iluoc  et  prisent  congié 

a  lui. 


VOUANT  cil  furent  venut  en  leur  pais,  si  mandèrent  de 
leur  amis.  Et  quant  lour  ami  furent  venut,  si  parlèrent 
ensamble.  Et  cil  qui  avoient  esté  a  Vertigier  lour  dient 


.  la     couronne    à 


MERLIN  35 

comment  il  avoient  parlé  a  lui.  Et  quant  lour  ami  oirent 

chou,  si  disent  :  «  Chou  est  ^  dou  mieus  a  faire  que  nous 

rochions.  Et  quant  nous  Tarons  (f.  32  ^J  ochis,  si  sera 

Vertigiers  rois.  Et  puis  savra  que  il  le  sera  par  nous,  et 

que  nous  avrons  mort  le  roi  Moyne  pour  lui,  si  fera  tout 

chou  que  nous  vaurrons.  En  ceste  manière  porrons  nous 

tous  jours  mais  estre  seigneur  de  lui.  »  Lors  alornerent 

entr'aus  li  quel  d'iaus  Tochirroient.  Et  lors  si  en  esliu- 

rent  douze.  Et  icel  douze  s'en  alerent  la  ou  li  rois  Moynes     Douze  d'entre 

estoit.   Et  li  autre  furent  en  la  ville  pour  chou,  si  on  eux  tuent  le  roi 

vausist  a  chiaus  mal  faire,   qu'il  lor  aidaissent.  Et  icil  ^lo»"^.  ^^  offrent 

j  •  ,  .,  1  •   »  r  ,.  la     couroi 

douze  vmrent  la  ou  il  trouvèrent  le  roi  Moyne,  se  li  vertigier 
coururent  sus  a  coutiaus  et  as  espees,  si  Fochirent.  Et 
che  fu  tost  fait,  car  il  estoit  jovenes  enfes.  Et  quant  il 
Torent  mort,  si  ne  troverent  pas  qui  granment  en  par- 
last  ^  Et  cil  vinrent  a  Vertigier,  se  li  disent  :  «  Verti- 
giers, or  seras  tu  rois,  car  nous  avons  ochis  le  roi  Moyne.  » 


VOUANT  Vertigiers  oi  que  il  (que  il)  avoient  mort  leur  qui  leur  reproche 
signour,  si  en  fu   moult  irés.  Et  lor  dist  :  a   Signour,  sévèrement  leur 
moult  avés  mal  fait  de  vostre  signour  ochirre.  Et  je  vous  '^'""*^* 
lo  que  vous  en  fuiiés  pour  les  preudommes  de  la  terre, 
car  il  vous  ochirront  se  il  vous  pueent  tenir.   Et  il  m'en 
poise  moult  que  vous  estes  chi  venus.  »  Ensi  s'en  râlè- 
rent. Et  ensi  fu  mors  li   rois  Moines.  Et  apriès  chou 
avint  que  les  gens  {/.  32  ^)  dou  roiame  s'assamblerent. 
Et  quant  il  furent  assamblé,  si  parlèrent  entr'aus  de  qui 
il  feroient  roi.  Et  Vertigiers,  si  comme  je  vous  ai  dit,  avoit     il  est  fait  roi. 
les  cuers  des  gens  et  de  la  terre,  si  s'acorderent  tout 
plainnement  que  Vertigiers  fust  rois.  Ensi  se  sont  acordé 
a  Vertigier.  A  cel  conseil  (conseil)  ot  deus  preudommes      les  gardiens 
qui  gardoient  les  autres  deus  enfans,  Pendragon  et  Uter.  '^'^  Pendragon  et 
Etcildoi  enfant  estoient  Hl  Constant  et  Irere  au   roy '^'^'*-"'" '"'■'"""''■ 

nent     dans     un 
pays  étranger  du 
I,  en  —  2.  plaist  côté  de  l'Orient 


36  MERLIN 

Moine  qui  mors  estoit.  Et  quant  li  preudomme  oi- 
rent  que  Vertigiers  seroit  rois,  si  lour  fu  moult  avis  que 
il  avoit  fait  le  roi  Moyne  ochirre.  Si  parlèrent  entr'aus 
et  disent  :  «  Si  tost  comme  il  sera  rois,  si  fera  il  ces  deus 
enfans  ochirre  que  nous  gardons;  et  nous  amames  moult 
le  père,  car  il  nous  fist  moult  de  biens,  et  par  lui  avons 
nous  encore  chou  que  nous  avons.  Et  moult  seriesmes 
ore  mauvais  se  nous  ensi  ces  deus  enfans  laissiens  (ensi) 
perdre.  Et  nous  savons  bien  que  si  tost  que  Vertigiers 
sera  rois,  il  les  fera  ochirre  por  chou  que  il  set  bien  que 
li  roiaumes  doit  estre  leur,  si  les  occhirroit  ains  qu'il 
fuissent  en  aage  dou  demander  lour  terre.  »  Lors  dient  li 
doi  preudomme  et  s'acorderent  que  il  s'en  iront  et  en 
merront  les  enfans  en  estranges  terres  viers  orient,  pour 
chou  que  de  la  estoient  venu  (/.  33  ^)  lour  ancissour. 
Ensi  les  garderoient,  que  Vertigiers  ne  les  porroit  ochire. 
Tant  firent  que  il  en  menèrent  les  deus  enfans.  Et  d'aus 
ne  vous  doi  je  mie  plus  (plus)  parler  tant  que  li  drois 
contes  m'i  ramaint.  Mais  tant  puet  on  bien  noter  par 
cest  conte  ^  que  on  ne  pert  mie  qui  bien  fait  au  preu- 
domme. 


K^m  endroit  dist  li  contes  que  Vertigiers  fu  esleus  a 

Les  meurtriers  roi  si  comme  je  VOUS  ai  conté.  Et  quant  il  fu  sacrés  et 

deMoinedeman- siies  dou  pais,  si  vinrent  a  lui  cil  qui  le  roy  Moyne 

le^ur  récom'^^'n  "  avoient  ochis.  Et  quant  Vertigiers  les  vit,  si  ne  fist  on- 

'  ques  nul  samblant  que  il  les  eust  onques  mais  veus.  Et 

cil  s'embatirent  seur  lui  et  li  commenchierent  a  repro- 

chier  que  par  iaus  estoit  il  rois  et  que  il  avoient  ochis  le 

roi  Moyne.  Et  quant  Vertigiers  lour  oi  dire  que  il  avoient 

occhis  lour  segnour,  si  les  commanda  tous  a  prendre  et 

dist  :  «  Vous  meisme  vous  estes  jugié,  car  vous  n'aviés 

(/.  33  ^)  droit  de  lui  ochirre.  Et  autressi  fériés  vous  de 

I .  conter  par  ceste  chose 


MERLIN  37 

moi,  se  vous  poiiés.  Mais  je  m'en  savrai  moult  bien  gar- 
der. »  Et  quant  cil  oirent  ceste  parole,  si  en  furent  moult 
espoenté,  si  disent  a  Vertigier  :  «  Sire,  nous  le  cuidames 
avoir  fait  porvostre  pourfit,  et  pour  chou  que  nous  cui- 
diensque  tu  nous  en  amaisses  mieus.  »  Quant  Vertigiers 
Toi,  si  dist  :  «  Signour,  je  vous  mousterrai  comment  on 
doit  amer  tés  gens  comme  vous  estes.  »  Atant  les  fist  ii  les  fait  même 
prendre  tous  douze,  si  les  a  fait  Hier  a  douze  chevaus,  et  '^  '"o^t 
tant  les  fist  detraire  que  pau  en  remest  ensamble.  Quant 
cil  furent  mort,  si  avoient  moult  grant  lignage  qui  vin- 
rent a  Vertigier,  se  li  disent  :  «  Vertigiers,  tu  nous  as    Leurs  parents 
fait  moult  grant  honte,  qui  nos  parens  et  nos  amis  avés  '^'^ciarent   qu'ils 

i-^j..i-  j    ^     •  ,en  tireront  vcn- 

ensi  ochis  et  de  si  vilamne  mort  comme  detraire  as  che- 

geance ; 

vaus.  Nous  ne  ferons  jamais  de  boin  gré  ton  service.  » 
Quant  Vertigiers  oi  que  cil  le  manechoient,  si  en  ot  moult 
grant  despit,  si  leur  respondi  et  dist  que  se  il  en  par- 
loient,  tout  autretel  feroit  d'aus  faire.  Quant  il  l'oirent 
que  il  les  manechoit,  si  en  orent  moult  grant  despit.  Si  li 
respondirent  ireement,  comme  cil  qui  gaires  ne  le  dou- 
toient,  et  disent  :  «  Rois,  tu  manecheras  canques  tu 
vaurras.  Mais  itant  te  disons  que  tant  que  nous  avrons 
(f.  33  ^)  nul  ami  ne  te  faurra  guerre.  Et  de  chi  en  avant 
te  desfions  nous  ;  car  tu  n'iés  mie  nos  sires,  ne  le  terre  ne 
tiens  tu  mie  loiaument.  Et  saces  que  d'autretel  mort 
comme  tu  as  fait  morir  nos  parens  te  couverra  morir.  » 
Et  plus  ne  disent,  si  s'en  vont.  Et  quant  Vertigiers  sot 
que  a  morir  l'en  convcrroit,  si  en  fu  moult  irés.  Ensi 
meut  grans  contenchons  entre  Vertigier  et  chiaus  quels 
parens  il  avoit  fait  ochirre.  Car  cil  amassent  gent  et  en-  ils  lui  lont  la 
trent  en  la  terre.  Vertigiers  ti(e)nt  la  terregrant  tans  apriès,  sucrr*^  c»  sont 
et  maintes  fois  se  combati  a  chiaus.  Et  tant  s'i  combati  '^'^^^'^"  ^"  p^>^- 
que  il  les  gieta  de  la  terre.  Et  quant  il  furent  fors,  si  de- 
vint Vertigiers  si  malvais  a  son  peuple  que  il  ne  le  po- 
rent  souffrir,  si  révélèrent  tout  contre  li.  El  quant  Verti-     '^'^'^^'f^''^'"'  ^^^ 

,  .  r  '  . .  1         .       *J^  ^o"  peuple,  re- 

giers  Vit  chou,  si  en  fu  tous  espoentes  que  il  ne  le  gic-  cherche  raiiiancc 
taissenl  fors  de  la  terre.  Si  rcnvoia  Vertigiers  par  ses  mes-  des  saisncs, 


38  MERLIN 

sages  querre  les  Saisnes,  et  dist  que  il  feroit  pais  a  iaus. 

Et  quant  liSaisneoirent  que  Vertigiers  requeroit  la  pais, 

si  en  furent  moult  lié.  Et  de  ces  Saisnes  en  i  avoit  un  qui 

avoit  non  Hangus,  et  plus  fier  fu  des  autres.  Chis  Hangus 

avoit  servi  longuement  Vertigier.  Et  tant  le  servi  que 

Vertigiers  vint  au  dessus   de  sa  guerre.    Et  quant    sa 

querre  fu  finée,  si  parla  Hangus  a  lui,  et  li  dist  que  ses 

pueples  ^  le  haoit  moult. Tant  fist  Hangus  et  tant  pourca- 

ct  épouse  la  fille  cha  que  Vertigiers  prist  une  soie  fille  a  femme.  Et  sa- 

de  Hangus,  un  chent  bien  tout  cil  qui  che  conte  orront  que  [ce  fu  celé 

c    eurj.  c  es,       •  premièrement  dist  en  Eneleterre  s^arsoil.  Je  ne  vous 

bien   qu'elle  fût  ^    .  ^  i       j      u  .  r  •  -  . 

païenne.  ^^^  ^^^  P^^^  parler  de  Hangus  ne  de  son  afaire  ;  mais] 

moult  furent  dolant  li  crestiien  quant  il  Tôt  prise,  et  disent 

maintes  fois  de  teus  i  ot  que  il  avoit  grant  partie  laissiet  de 

sa  creanche  pour  sa  feme,  qui  n'estoit  pas  de  la  loy  Jesu- 

crist.  Après  sot  Vertigiers  que  il  n'estoit  pas  bien  amés 

de  tous  ses  hommes.   Et  savoit  que  li  fil  Constant  s'en 

estoient  aie  en  estraingnes  terres  et  que  il  repairroient  au 

plus  tost  que  il  porroient.  Et  il  sot  bien  que  si  tost  que 

il  reverroient  ou  pais  que  che  seroit  por  lui  damage 

II  veut  cons-  faire.  Si  se  porpensa  que  il  feroit  une  tour  si  haute  et  si 

truire  une  tour  fQ^j-g  qug  jj  n'averoit  garde  de  nul  homme.  Et  quant  il 

imprena  e.  roib  ^^  Qj-g^t  trois  toises  u^  quatre  faites  par  deseure  terre,  si 

fois  les  murailles  ^  '  ' 

commencées  s'é-  chaoit  tout  jus.  Ensi  le  fisent  trois  fois  (fois),  [ce  dit  li 
croulent.  contes  des  estoires,]  et  trois  fois  chei. 


C^UANT  Vertigiers  vit  que  sa  tours  ne  porroit  tenir, 
si  en  fu  moult  irés,  et  dist  que  ja  mais  n'avroit  [joie]  se  il 
ne  savoit  pour  coi  sa  tours  cheoit.  Lors  fist  mander  par 
toute  sa  terre  tous  les  sages  hommes,  et  il  i  (/.  34  ^J  vin- 
rent. Et  quant  il  furent  tout  venu,  si  leur  conta  Verti- 
giers toute  la  merveille  de  sa  tour  qui  ensi  chaoit,  et  que 
riens  n'i  pooit  durer  que  on  i  fesist.  Si  lour  demanda 

I.  pères  —  2.  ver 


MERLIN  39 

Vertigiers  a  tous  conseil.  Quant  li  preudoume  oirent  Ses  conseillers 
telle  merveille  et  il  virent  Puevre  toute  cheue,  si  s'en  "'y  comprennent 
miervillierent  moult  et  disent  a  Veriigier  :  «  Sire,  che  ne  '"''^"'  ^^  ''^"S"^" 

,  ...  M       »  1  sent  i  consulter 

puet  nus  savoir,  che  nous  est  il  avis,  se  il  n  est  clers.  d^  sage^  cicrcs. 
Mais  li  clerc  sevent  moult  par  force  de  clergie  que  autre 
gent  ne  sav[r]oient  mie.  Et  se  tu  le  veuls  savoir,  tu  ne  le 
pues  savoir  se  par  iaus  non.  »  Lors  dist  Vertigiers  :  «  Il 
me  samble  que  vous  dites  voir.»  Atant  fist  mander  tous  les 
sages  [clers]  de  par  toute  sa  terre.  Et  quant  il  furent  tout 
venu,  si  lor  moustra  Vertigiers  celé  miervelle,  et  il  disent 
li  uns  a  Fautre  :  «  Chou  est  moult  grant  merveille  que 
li  rois  nous  a  dite.  »  Et  puis  si  traist  li  rois  les  plus  sages 
a  une  part  a  conseil,  si  lour  dist  :  «  Signour,  me  savriés 
vous  consillier  pour  coi  ma  tour  chiet?  Car  riens  que  je 
i  puisse  faire  ne  puet  tenir  ne  durer.  Si  vous  vaurroie  a 
tous  priier  que  vous  mesissiés  painne  par  coi  je  le  seusse, 
que  on  m^a  dit  que  je  nel  puis  savoir  se  par  vous  non.  » 
Quant  li  clerc  oirent  chou  que  li  rois  {f.  34  ^)  leur  re- 
queroit  [,si  disent]  :  «Sire,  nous  n'en  savons  riens,  mais 
il  a  chi  de  teuls  clers  qui  bien  le  porroient  savoir,  s'il 
s'en  voloient  entremetre  [,  par  une  art  qui  a  non  astro- 
nomie]. »  Et  li  rois  respont  :  «  Vous  meisme  qui  chi 
estes,  ki  les  connissiés  mieus  que  je  nefaich,  si  le  sachiés 
entre  vous  li  quel  che  sont.  Et  cil  qui  le  savront  ne  s'en 
traient  mie  arrière,  mais  viegnent  avant  et  dient  hardie- 
ment.  Et  il  ne  m'en  demanderont  ja  chose,  mais  que  il 
dient  pour  coi  elle  chiet,  que  il  n'avront.  » 


Atant  se  traient  li  clerc  a  une  part  a  conseil.  Et  de- 
mandèrent li  un  a  l'autre  s'il  en  i  a  nul  qui  sache  de  cel[e] 
art.  Lors  en  i  a  deus  qui  se  traient  avant  et  dient  que 
«  nous  en  savons  assés,  che  quidons,  pour  tel  chose  savoir. 
Et  si  a  chi  d'autres  clers  qui  en  sevent.»  Et  li  preudommc       ^^^'^^    "l^^' 

....  gncnt  sept  dcn- 

dient  :  «  Aies,  si  querés  vos  compaignons  qui  riens  1  ^^^  ^^^^  savants 
pueent  savoir.  »  Tant  quisent  que  set  en  i  ot.  Et  de  ces  en  astronomie. 


40  MERLIN 

set  n'i  ot  nul  qui  ne  quidast  estre  maistres  a  l'autre.  Et 
ensi  furent  amenet  devant  le  roi.  Et  li  rois  lour  demande 
[se  il  quident  que  il  lui  sachent  a  dire]  pour  coi  sa  tour 
chiet.  Et  il  respondent  que  oil,  se  il  doit  estre  seuu  par 
nul  homme.  Et  li  rois  dist  que  se  il  li  dient,  que  il 
lor  donra  chou  que  il  vaurront.  Ensi  se  départirent  li 
rois  et  li  (f.  34  <^)  clerc  dou  conseil.  Et  li  set  clerc 
demourerent  (avoec  li),  si  s'entremisent  moult  de  sa- 
voir pour  coi  celé  tours  chiet  et  comment  elle  se 
Ils  ne  découvrent  porra  tenir.  Cil  set  clerc  furent  moult  sage  de  tel  art  et 
rien  :  moult  i  misent  grant  entente.  Et  com  plus  s'en  penoient, 

et  mains  en  savoient,  et  se  n'i  pooient  riens  trouver  que 
une  seule  chose,  et  che  que  il  i  trouvoient  ne  tenoit  riens 
a  celle  tour,  che  lour  fu  avis  ;  si  en  furent  moult  es- 
poenté.  Et  tant  que  li  rois  les  hasta  et  les  fist  mander 
devant  lui ,  si  lor  dist  li  rois  :  «  Signour,  que  ne  me  di- 
tes vous  chou  que  vous  me  devés  dire?  »  Lors  dient  li 
clerc  :  «  Sire,  che  est  moult  grant  chose  que  tu  nous  de- 
mandes. Il  convi[e]nt  que  tu  nousen  donnes  encore  jour 
dusqu*a  onze  jors.»  Et  li  rois  lor  dist  :  «  Je  voel  que  vous 
l'aiiés.  Regardés,  si  chier  que  vous  avés  vo  cors,  que 
vous  le  me  sachiés  a  dire  au  chief  de  onze  jours.  »  Et  il 
respondent  :  «  Si  ferons  nous  sans  faille.  »  Lors  s'en 
alerent  a  conseil  et  demandèrent  li  uns  a  l'autre  :  «  Sei- 
gnour,  que  dites  vous  de  ceste  chose?  »  Et  il  dient  : 
«  Nous  n'en  savons  riens.  »  Ensi  le  demandent  li  uns  a 
l'autre,  ne  li  uns  ne  veult  dire  a  l'autre  chou  que  il  set. 
Tant  que  il  en  i  ot  un  qui  estoit  li  plus  sages  (f.  34  <^) 
d'iaus  tous,  si  lour  dist  :  «  Signour,  faites  le  bien.  Dites 
le  moi  tout  a  conseil  li  uns  sans  l'autre  che  que  il  en  set. 
Et  je  n'en  encuserai  nul  se  par  le  conseil  de  tous  ne  le 
faich.  »  Et  il  respondent  tout  que  il  l'otroient  bien  et 
volentiers. 


MERLIN  41 


Atant  traist  cil  qui  estoit  plus  saiges  de  tous  les  au- 
tres chascun  a  une  part  a  conseil.  Et  demanda  Fun  après 
l'autre  a  chascun  son  avis.  Et  chascuns  li  dist  autretel 
parole  li  uns  comme  li  autres,  que  il  de  la  tour  ne  sa- 
voient  riens,  mais  il  veoient  une  autre  mierveille  :  que  il 
veoient  un  enfant  de  set  ans  qui  estoit  nés  sans  père  d'oume 
terriien  [et  conceus]  en  une  feme.  Geste  parole  disent  tout 
li  set  clerc.  Et  quant  il  les  ot  tous  escoutés,  si  lor  dist  : 
«  Venés  tout  devant  moi  ensamble.  »  Et  il  si  firent.  Et  mais  ils  voient 
quant  il  furent  tout  venu,  si  lour  dist  :  «  Seignour,  vous  dans  les  astres 
avés  tout  dit  une  parole  et  si  m'avés  une  chose  celée.  »  qu'un  enfant  sans 

T-.,,.j.      ^  ^  j.  ,  père  les  fera  tous 

Et  il  h  dient  :  «  Ore  nous  dites  chou  que  nous  vous  ^^om-ir 
avons  dit  et  che  que  nous  vous  avons  celé(e).  p  Et  il  lour 
dist  :  «  Vous  dites  que  vous  ne  save's  riens  de  celé  tour 
comment  elle  peust  tenir.  Mais  vous  avés  veut  un  en- 
fant de  set  ans  qui  est  nés  sans  père  d^oume  terriien(s)  et 
concheus  en  feme.  Ne  vous  tout  ne  m'avés  dit  autre 
chose.  Et  (f.  35  ^)  je  vous  dirai  tant,  que  je  voel  que  vous 
m'en  créés,  qu'il  n'i  a  nul  de  vous  qui(l)  n'ait  veut  qu'il 
doit  par  cel  enfant  morir.  Et  je  meismes  l'ai  veut  certai- 
nnement  aussi  comme  uns  autres  de  vous.  Et  che  est  la 
parole  que  vous  m'avés  celée.  Mais  a  chou  devons  nous 
conseil  mètre  dès  que  nous  sommes  tant  devant  nos 
mors.  » 


Atant  dist  cil  qui  estoit  plus  sages  d'aus  tous  :  «  Se- 
gnour,  se  vous  m'en  volés  croire,  nous  garderons  bien  Pour  l'cvitcr. 
nos  vies.  Et  vous  savés  bien  se  je  vous  ai  dit  voir.  »  Et 
cil  dient  que  il  dist  voir  :  a  Ore  vous  prions  pour  Dieu 
que  vous  mêlés  conseil  en  nos  vies.»  Et  il  respon(den)t  : 
«  Bien  seroit  ore  faus  qui  ne  l'i  saroit  mètre.  Savés  vous 

r  -,  -KT  ,  ils     conviennent 

que  nous  terons?  Nous  nous  acorderons  tout  a  une  pa-  dédire  au  roi  que 
rôle,  et  dirons  que  cek  tours  ne  puet  tenir  ne  ja  mais  ne  sa  tourne  tiendra 


4^  MERLIN 

qucsionmcieau  tcnra,  sc  il  n'a  el  mortier  del  fondement  mis  del  sanc  a 
mortier  le  sang  j.g|  enfant  q^jj  gst  nés  sans  père  ;  et  qui  porroit  cel  sanc 

de  l'enfant  sans  .  *  .      '^  ,  ,        "^ 

père- mais  il  faut  ^^^^^  ^^  metrc  OU  moFtier,  SI  tenra  la  tours  et  sera  tous 
qu'on  le  tue  des  jors  mais  bonne.  Et  ensi  le  die  chascuns  pour  soi,  que  li 
qu'on  l'aura  trou- rois  ne  s^aparchoive  pas  que  nous  avons  tel  chose  es- 
v«i,ct  sans  qu'il  meue.  Et  ensi  nous  porronsnousgarderdelamort  [ctj  do 
par  au  roi.  çj^gj^j  p^j.  ^ui  nous  avons  veut  que  (f.  35  ^)  nous  devons 
morir.  Et  faisons  bien  le  roi  desfendre  que  il  ja  ne  le 
voie,  mais  cil  qui  le  querront  l'ochient  la  ou  il  le  trou- 
veront, et  le  sanc  de  lui  aporteront  au  roi.  »  Ensi  ont  H 
clerc  lour  paroles  acordées.  Et  puis  s'en  vinrent  devant 
le  roi  et  li  dient  :  «  Sire,  nous  ne  vous  dirons  pas  tout 
nostre  sens  cnsamble,  mais  cascuns  par  soi,  si  savrés  li 
quels  vous  dira  mieus.  »  En  ceste  manière  font  li  clerc 
samblant  que  li  uns  ne  sace  riens  de  l'autre.  Ensi  conte 
cascuns  sa  parole  au  roi  et  as  cinc hommes  de  son  conseil 
avoec  lui.  Et  quant  il  orent  oie  ceste  mierveille,  si  s'en 
esmervillierent  moult,  et  dient  que  bien  puet  estre  ceste 
chose  voire,  se  che  puet  estre  voirs  que  hom  puist  estre 
nés  sans  père.  Et  li  rois  tint  moult  ses  clers  a(s)  sages,  si 
lor  dist  :  «  Signour,  vous  m'avés  tout  ceste  parole  dite  et 
cascuns  par  soi.  Or  le  nous  retraiiés  dont  tout  en  apert.  » 
Et  li  rois  lour  retraist  tout  mot  a  mot  si  comme  il  li 
orent  conié.  Et  lor[s]  dient  tout  :  «  Sire,  se  che  n'est  voirs 
que  nous  vous  avons  dit,  si  faites  de  nous  vostre comman- 
dement. »  Et  li  rois  lor  demande  se  che  puet  estre  voirs 
que  nus  hom  puist  naistre  sans  père.  Et  cil  res-  (f,  35  ^) 
pondent  :  a  Nous  n'en  oismes  onques  mais  parler  que  de 
cestui.  Mais  tant  vous  poons  nous  bien  dire  que  chis  est 
nés  sans  père.  »  Et  li  rois  lour  dist  que  il  les  feroit  moult 
bien  garder,  et  si  envoieroit  querre  le  sanc  de  l'enfant. 
Et  il  dient  lors  :  «  Sire,  nous  le  volons  bien,  mais  que  tu 
l'enfant  n'oies  ne  ne  voies.  Et  commande  que  il  soit 
ochis  et  que  li  sans  de  lui  te  soit  aportés. 


MERLIN  43 


«  En  ceste  manière  que  nous  t'avons  dit  tenra  ta  Vertigier  en- 
tours,  se  elle  doit  ja  mais  tenir.  &  Li  rois  fist  mètre  tous  ^^''^  ^°"^-  "^^^" 
ses  clers  en  une  forte  maison  et  lour  fist  livrer  chou  que  ^^sc"*  p°"'" ^'"o"- 

.  ,         ^        ver   l'entant ,    il 

mestiers  lour  fu.  Et  prist  ses  messages  et  les  envoia  par(t)  ]Q^^^.  f^it  jurer  de 
tout  deus  et  deus.  Et  de  ces  messages  i  ot  douze.  Et  lour  le  tuer  dès  qu'ils 
fist  li  rois  jurer  sor  sains  que  cil  qui  cel  enfant  porroit ''^"'■°"^^'0"V'^- 
trouver  que  il  l'occiroit  et  qu'il  aporteroit  le  sanc  et  que 
il  ne  revenroi[en]t  dessi  a  tant  que  il  Taroient  trouvé.  Ensi 
comme  vous  avésoi  envoiaquerre  li  rois  Merlin.  Li  mes- 
sage se  départirent  doi  et  doi  et  quirent  par  mainte  terre 
et  par  maint  pais,  tant  que  doi  des  messages  trouvèrent 
les  autres  deus,  et  quant  il  s'en  furent  entrecontré,  si  disent 
que  il  iroient  (35  '^)   une  grant  pieche  ensamble.    Ensi 
cavauchierent  li  message  tout  quatre,  tant  que  il  avint    Quatre  d'entre 
chose  que  il  passoient  un  jour  par  mi  un  grant  camp  a  eux  arrivent  près 
rentrée  d'une  vile.  Et  en  cel  camp  avoit  une  compaii^nie    ""^,  j'  ^    "^^ 

i  r     n         voient    des    cn- 

d^enfens  qui  choulloient.  Et  Merlins,  qui  toutes  les  cho-  fants  qui  jouent  à 
sessavoit,  i  estoit  et  vit  les  messages  le  roi  Vertigier  qui  lu  souie;  parmi 
le  queroient.  Si  se(s)  traist  Merlins  le's  un  des  plus  riches  ^^^  e»t  Merlin 
enfans,  pour  chou  que  il  savoit  bien  que  il  le  mesaesme-  q">«  exprès,  frap- 
roit,  si  haucha  la  croche,  si  en  feri  l'enfant  en  la  gambe;  ^^'^  .^^^^^  cnfanT 
et  li  enfes  commencha  a  plourer  et  Merlin  a  laidengier  qui  rappelle  en- 
et  apieler  fins  sans  père.  Quant  li  message  qui  le  que-  tant  sans  père. 
roient  oirent  l'enfant  ensi  parler,  si  alerent  tout  quatre 
viers  l'enfant  qui  ploroit,  si  li  demandèrent  :  «  Qui  est 
cil  qui  t'a  féru?  »  Et  il  dist  :  «  C'est  [li]  fieus  d'une  feme 
que  onques  ne  seult  qui  l'engendra,  ne  onques  n'ot  père.  » 
Quant  Merlins  l'oi,  sivint  viers  les  messages  tout  en  riant 
et  lour  dist  :  «  Sienour,  je  sui  chieus  q ue  vous  (q ue  vous)      "  '^'^  lui-meme 

,     ■       ,,  \  1  .      /         ,       ;     aux     messagers 

queres  et  que  vous  aves  jure(s)  que  vous  ochirres  et  deves     ,j,   ^^^    ^.^j^j 
porter  mon  sanc  le  roi  Vertigier.  »  qu'ils  cherchent, 


44  MERLIN 


VOUANT  li  message  oirent  parler  ensi  Merlin,  si  s'en 

esmervillierent  (36  ^)  moult  et  en  furent  tout  esbahi,  et 

li  respondirent  [:  «  Qui  t'a  ce  dit?  •  Et  il  respont]:  «  Jel 

seuch  très  dont  que  vous  le  jurastes.»  Et  li  message  dient: 

o  Verras  tu  avoecques  nous  et  nous  t'en  porterons  ?  »  Et 

Merlins  respont  :  «  Signeur,  je  douteroie  que  ne  m^oce- 

sissiés.»  Et  il  savoit  bien  que  il  n'en  avoient  talent,  mais 

il  le  disoit  pour  iaus  mieus  apenser.  Et  Merlins  lour  dit  : 

et  leur  offre  de  *  Signour,  si  VOUS  me  créantes  que  vous  ne  me  ferés  nul 

les  accompagner  mal,  je  m'en  irai  avoec  vous  et  se  dirai  au  roi  pour  coi  sa 

et  de  dire  pour-  tours  ne  puet  tenir,  por  coi  vous  veniésquerre  mon  sanc.» 

quoi  la  tours'é-  £j  quant  il  oirent  chou  que  Merlins  disoit,  si  en  furent 

croule,  à  condi-  ii-t-j-^i-  h  ^l»  r 

,.,        ,   tout  esbahi.  Et  dist  li  uns  a  1  autre  :   «  Chis  enfes  nous 

tion  qu  us  ne  le 

tueront  pas.  dist  merveilles.  Et  moult  feriens  grant  pechié  se  nous 
Tochiiemes.  »  Et  chascuns  dist  :  «  Je  m'en  voel  mieus 
11  prend  congé  parjurer.  »  Atant  dist  Merlins  as  messages  :  «  Signeur, 
de  sa  mère,  qui  vous  verrés  avoec  moi  herbegier  la  ou  ma  mère  est.  Car 
est  devenne  non-  j^  ^^  porroie  aler  avoec  vous  sans  le  congiet  de  ma  mère 
et  sans  le  congiet  au  preudomme  qui  est  avoec  li.  »  Et 
li  messages  dient  :  «  Nous  irons  volentiers  la  ou  tu  vaur- 
ras.  »  Ensi  les  mainne  Merlins  en  une  maison  [de  nonains] 
la  ou  il  avoit  fait  rendre  sa  mère,  si  commanda  (36  *j  a 
chiaus  de  laiens  que  il  fesissent  biele  chiere  as  messages 
le  roi  Vertigier.  Lors  descendirent  li  message,  et  Merlins 
les  en  mena  devant  Biaise  et  li  dist  :  «  Veés  chi  che[us] 
que  je  vous  di  que  il  me  dévoient  venir  querre  pour 
ochirre.»  Et  Merlins  dist  as  messages  :  «  Signeur,  je  vous 
pri  que  vous  dites  voir  a  che  preudomme  de  chou  que  je 
vous  demanderai  sans  faillir,  et  tant  voel  jou  bien  que 
vous  sachiés,  se  vous  |mentés,  je  le  savrai  bien.  »  Et  li 
message  respondent  :  «  Nous  ne  t'en  mentirons  ja  [;  mais 
tu  meismes  li  conte,  qui  mieuz  ses  parler  de  nul  de  nous, 
et  nous  orrons  bien  se  tu  li  diras  nule  mençonge].  »  Et 
Merlins  dist  a  Biaise  :  «  Or  entent  bien  chou  que  nous  te 


MERLIN  45 

dirons.»  Lors  dist  Merlins  :  «  Signour,  vous  estes  au  roi 
qui  a  non  Viertigiers.  Et  chis  rois  si  fait  faire  une  tour  qui 
ne  puet  tenir,  ains  chiet  tous  jours.  Et  li  rois  manda  clers 
pour  savoir  s'il  en  savoient  riens  pour  coi  elle  cheoit.  Si 
li  disent  qu'il  li  ensegneroient  bien  comment  elle  tenroit. 
Si  gieterent  leur  sort,  mais  riens  ne  seurent  de  la  tour  pour 
coi  elle  cheoit,  mais  il  sorent  bien  que  j'estoie  nés,  si  lor 
fu  avis  que  je  lour  porroie  bien  nuire.  Si  s'assamblerent 
ensamble  et  disent  que  il  m'ochiroient  par  chou  que  il 
diroient  ^  au  roi  que  la  tour  terroit  se  il  i  avoit  de  mon  sanc 
qui  estoie  nés  sans  (36^  )  père.  Et  Vertigiers,  quant  il  oi 
ceste  chose,  se  li  vint  a  grant  mierveille,  et  quida  que  il 
dessissent  voir.  Et  commandèrent  au  roi  que  il  me  fesist 
querre  tant  que  je  fuisse  trouvés.  Et  disent  au  roi  que  il 
desfendist  as  ^  messages  que  il  ne  m  amenaissent  mie 
devant  lui,  et  si  t[ost]  qu'il  m'aroient  trové  qu'il  m'oche- 
sissent  et  portaissent  le  sanc  de  moi  por  mètre  el  mortier 
de  la  tour.  Et  par  ceste  raison  dient  que  elle  tenroit.  Et 
Vertigiers  prist  douze  messages,  si  lor  fist  jurer  atousque 
il  m'ochirroient  si  tost  que  il  m'aroient  trouvé  et  li  apor- 
teroient  le  sanc  de  moi.  Ensi  s'en  alerent  li  message  doi 
et  doi.  Et  cist  quatre  se  sont  entrecontré  et  s'embatirent 
la  u  j'estoie.  Et  pour  chou  que  je  savoie  bien  que  il  me 
queroient  me  fis  jou  connoistre  a  iaus  par  un  enfant  que 
je  feri  pour  chou  que  il  me  nommast.  Ensi  m'ont  trouvé 
comme  vous  avés  oi.  Or  lour  demandés  se  je  di  voir.  » 
Et  Biaises  lour  demande,  et  il  dient  que  ensi  est  il.  Et 
li  messagier  content  a  Biaise  que  tout  ensi  comme  il  a 
conté  dou  roi  et  des  clers  ensi  est  il.  Et  Biaises  se  saigna 
et  dist  :  «  Se  cil  cnfcs  vit  par  aage,  il  sera  moult  sages. 
Et  si  seroit  moult  grans  damages  si  vous  l'aviés  ochis.  n 
Et  li  message  dient  :  «  Sire,  nous  ameriemes  micus  a 
estre  parjuré  (3b  ^)  et  que  li  rois  nous  tausist  tous  nos 
yretages.  Et  il'  mcismcs,quilcsautrcs  choses  set,  set  bien 

I.  por  chou  que  il  disent  —  -i.  il.  que  les  m.  —  h.  li 


46  MERTJN 

se  nous  en  avons  talent.  »  Et  Biaises  dist  :  •  Vous  dites 
voir.  Et  je  li  demanderai  ja  voiant  vous.  »  Lors  apiele 
Biaises  Merlin  qui  s'en  estoit  aies  pour  chou  que  il  vo- 
loit  que  il  parlaissent  ensamble,  et  li  ^  dist  tout  cnsi 
comme  il  li  ont  conté.  Et  Merlins  respont  :  «  11  ont  voir 
dit.  »  Et  Biaises  li  demande  se  il  ont  talent  de  lui  ochirre. 
Et  Merlins  rist  et  dist:  a  Nennil  encore.»  Et  li  messa[ge] 
dient  :  tVous  dites  voir.»  Etilli  di[en]t:  t  Merlins, frère, 
verras  tu  avoec?  »  Et  il  di(en)t  :  «  Oil,  se  vous  me  créan- 
tes que  vous  me  menrés  devant  le  roi  et  que  vous  ne 
soufferrés  que  nus  maus  me  soit  fais  devant  que  jou  aie 
au  roi  parlât.  Et  je  sai  bien  que  quant  jou  avérai  a  li 
parlé,  je  n'avrai  garde.  » 


Cnsi  creanterent  li  message  a  Merlin  chou  que  il  lour 
ot  dit.  Et  Biaises  dist  :  «  Merlins,  or  voi  je  bien  que  tu  me 
veuls  laissier.  Or  me  di  que  tu  veuls  que  je  face  de  ceste 
oevre  que  tu  m'as  fait  commenchier.  »  Et  Merlins  res- 
pont :  «  Je  t'en  dirai  :  tu  vois  bien  que  Dieus  m'a  donné 
tant  de  sens  et  de  mémoire  que  chis  qui  me  quida  avoir 
fait  a  son  oes  m'a  pierdu,  et  fque]  nostre  sires  m'a  eslit  a 
son  service  faire,  et  que  nus  hom  ne  puet  faire  che  f3y  ^J 
et  de  Biaise,  au-  [que  je]  faich  56  je  non.  Et  vois  bien  que  il  m'en  convient 
quel  il  dit  de  se  aler  avoec  iaus  au  roi.  Et  quant  je  i  serai  [serai]  li  plus 
rendre  en  Nor- çj.gjjg  ^^^       •  onques  fust  en  terre  fors  Dieus.  Et  tu  i 

homberlande,  où  , .        ,  ,.,-.,. 

il  viendra  sou-  ^^^^^^  po"^  acomplir  chou  que  tu  as  commenchie.  Mais 
vent  lui  dire  les  tu  ne  verras  mie  avoecques  moi,  ains  t'en  verras  par  toi. 
merveilles  à  met-  Et  demanderas  une  terre  que  on  apiele  Norhomberlande. 
tre  dans  son  h-  g^  ^^jg  ^gj.j.g  gj  ^^^  plainne  de  moult  grans  fo(i)rès,  et  si  est 

vre;  plus  tard  il  .  -i  •         j  ^   .       ,  , 

ira  re  oindre  ceux  '^^^^^  estrange,  car  il  1  a  de  teus  parties  la  u  on  n  a  en- 

du  lignage  de  Jo-  core  esté.  Et  la  converseras,  et  je  irai  souvent  a  toi,  et  te 

seph;  dirai  toutes  les  choses  dont  tu  avras  mestier  a  celé  oevre 

faire  que  tu  fais.  Et  bien  t'en  deveras  travillier,  et  tu  en 

I.  lour 


MERLIN  47 

avéras  moult  bon  loiier.  Et  (si)  [ses  tu  quel  ?  tu]  avéras  a 

ta  vie  acomplissement  de  *  ton  cuer  et  apriès  la  fine  jo[i]e 

pardurable.  Et  ton  oevre  sera  retraite -tant  comme  cis  sie - 

clés  duerra  et  volentiers  oie.  Et  ses  tu  dont  ceste  grâce  te 

verra?  Elle  verra  de  la  grasce  que  nostre  sires  donna  a 

Joseph,  (et)  a  cui  il  fu  donnés  en  la  crois. Quant  tu  seras 

bien  travilliés  pour  li  et  pour  ses  ancisseurs  et  pour  les 

hoirs  qui  de  son  lingnage  sont  issu  et  tu  avras  tant  de 

boine  oevre  faite  que  tu  doies  estre  en  leur  compaignie,  je 

t'ensegnerai  la  ou  il  sont,  et  {3']  ^)  verras  les  glorieuses 

saudees  que  Joseph  eut  pour  le  cors  Jesucrist  qui  li  fu 

donnés.  Et  je  voel  que  tu  saces,  pour  toi  faire  plus  certain 

que  Dieus  m'a  donné  tel  sens,  que  je  ferai  [de]  tout  le 

règne  la  [u]  jou  irai  travillier  les  preudommes  encontre 

un  (roi)  qui  doit  estre  de  cel  lignage  que  Dieus  tant  aime  ^ 

Mais  je  voel  bien  que  tu  saches  que  cist  grant  travail  ne  ii  lui  annonce  la 

seront  devant  le  quart  roi.  Et  cil  rois  a  cui  tans  "*  cil  grant  s'oire    d'Artu , 

travail  seront  avra  non  Artus.  Et  tu  t'en  iras  la  ou  je  t'ai  ^°^^  ^'''"^^  ^^^' 

.....  .  ,  ,  tra  aussi  les  hauts 

dit,et)OU  irai  souvent  a  toi  et  te  porterai  toutes  ces  choses  faits  dans  son  li- 

que  je  vaurai  que  tu  metes  en  ton  livre.  Et  saches  tu  que  vre, 

tes  livres  sera  encore  moult  amés  et  prisiés  de  maintes  gens 

qui  ja  ne  l'averont  veut.  Et  quant  tu  l'averas  fait,  si  le 

porteras  en  la  compaignie  de  ces  boines  gens  qui  ont  ces 

glorieuses  saudees  dont  je  t'ai  parlé.  Ne  il  n'avra  per-  que  tout  le  mon- 

sonne  en  ces  parties  ou  je  m'en  vois  que  je  ne  te  face  ^«^^"'■a  plaisir  à 

mètre  auchune  partie  de  sa  vie  de  boins.  Et  saces  que  ^^^^' 

onques  nule  vie  de  jans  ''  plus  volentiers  ne  fu  oie  que  sera 

celé  de  che  roi  qui  avra  non  Artus  et  des  gens  qui  a  ce 

tans  régneront.  Et  quant  tu  avéras  tout  chou  acompli  et 

lor  (3y  <^j  vies  retraites,  si  avéras  deservi  tout  chou  que 

il  ont  qui  sont  en  la  compaignie  dou  vaissiel  que  on 

claimme  graai.  Et  tes  livres,  por  chou  que  tu  en  as  fait 

et  feras  de  moi  et  d'aus,  quant  "^  tu  seras  aies  et  mors,  si 


I.  a  —  2.  sera  a  retrairc   —   i.     aman    —    4.   cil   rois  dcuant 
cui  c.  —  b.  diaus  —  6.  et 


48  MERLIN 

avra  a  non  tous  jours  mais  li  livres  dou  graal,  et  sera 
moult  volontiers  ois.  Car  il  i  avéra  moult  peu  de  choses 
faites  et  dites  qui  ne  soient  pourfitables.» 


tNsi  parla  Merlins  a  son  maistre  Biaise  et  li  ensegna 
que  il  devoit  faire.  Et  Merlins  le  clama  maistre  pour  chou 
que  il  avoit  esté  maistres  sa  mère.  Et  li  preudom  quant  il 
oi  [Merlin]  ensi  parler,  si  en  fu  moult  liés,  et  dist  ;  <  Mer- 
lins, tu  ne  me  commanderas  ja  chose  a  faire  que  je  ne  le 
face.»  Ensi  a  Merlins  atorné  son  [oirre  a  son]  maistre.  Et 
parole  as  messages  qui  sont  venu  pour  lui  querre,  et  lour 
dist  :  «  Signours,  venés  avoec  moi  et  s'oiiés  le  comman- 
dement de  moi  et  le  congié  de  ma  mère.»  Et  il  le  font.  Lors 
dist  Merlins  a  sa  mère  :  «  On  m'est  venut  querre  de  lontain- 
gnes  terres,  si  i  voel  aler  par  vostre  congié. Car  il  me  con- 
vient rendre  a  Jhesucrist  le  service  que  il  m'a  donné  por 
lui  servir,  ne  je  ne  li  puis  rendre  se  je  ne  m'en  vois  en 
icele  terre  la  ou  cil  preudomme  me  voelent  mener.  Et 
Biaises  nostre  maistres  s'en  ira,  et  si  vous  (3y  ^J  con- 
vient de  nous  deus  desevrer.  »  Et  la  mère  dist  :  «  Biaus 
fieus,  a  Dieu  soiiés  vous  commandés.  Car  je  ne  sui  pas 
si  sage  que  je  vous  doive  retenir.  Mais  se  il  vous  pleust, 
je  vausisse  bien  que  Biaises  remansist.»  Et  Merlins  dist  : 
«  Che  ne  puet  estre.  » 

tNsi  prist  Merlins  congiet  a  sa  mère,  et  s'en  va  avoec 
Merlin,  accom-  les  messages.  Et  Biaises  s'em  part  et  s'en  va  d'autre  part 
pagnanticsmes-gj^  Norhombcrlaude ,  ou  Merlins  li  ot  commandé.  Et 
uTi^ ville  Tvoit  Merlins  et  li  message  chevauchent  ensamble.  Et  chevau- 
un  vilain  qui  re-  chcut  tant  ensamble  un  jour  que  il  passèrent  par  mi  une 
porte  chez  lui  du  ville.  Et  en  celle  ville  avoit  marchiet.  Et  quant  il  orent 
cuir  qu'il  vient  y.^  y^Hg  passée,  si  virent  un  vilain  qui  avoit  achaté  uns 
ac  eter    pour  gj-^j^g  soilers  et  si  em  portoit  le  cuir  a(s)  ses  soUers  affailier, 

réparer  ses  sou-  ^      .,       ,    .      .  ^.     . 

liers.etiisemetà  Car  il  voloit  aler  en  pèlerinage. 


MERLIN  49 

rire;  interrogé,  il 
explique  que   le 

Q-_,.  .-         ...  .  .         T-i-  viiain  sera  mort 

UANT  Merlins  vit  le  vilain,  si  en  rist.  Et  li  message  ^^.^^^    d'arriver 

qui  le  menoient  li  demandèrent  pour  coi  il  avoit  ris.   Et  chez  lui;  deux 

Merlins  dist  :  «  Pour  che  vilain  que  vous  veés  chi.  Ore  des  messagers  le 

li  demandés  que  il  veut  faire  de  che  cuir  que  il  em  porte,  ^"^^^°^    '^^    '^ 

.,  ,.  .1  ,,  rt    '   •         -.^    voient,  en  effet, 

et  il  vous  dira  que  il  en  vaurra  ses  sollers  anaitier.  Et  ,    ,, 

^  tomber  mort  sur 

vous  le  sivrés,  et  je  vous  di  que  il  sera  mors  avant  que  le chemin. 
il  viegne  en  sa  maison. >  Et  quant  li  message  Toirent,  si 
le  tinrent  a  grant  merveille.  Et  il  dient  :  «  Chou  a-  (38  ^) 
riens  nous  volentiers  veut  se  che  puet  estre  voirs.  »  Lors 
alerent  li  message  au  viiain,  se  li  disent  que  il  voloit  faire 
de  ces  sollers  et  de  che  cuir  que  il  portoit.  Et  il  lour  dist 
que  il  voloit  aler  em  pèlerinage,  si  en  voloit  ses  sollers  a- 
faitier.  Et  quant  il  oirent  chou  que  il  lour  dist  que 
Merlins  avoit  dit,  si  en  orent  moult  grant  merveille.  Et 
dient  :  «  Chis  hom  nous  samble  estre  tous  sains  et  tous 
haitiés.  Nous  le  sivrons  li  doi  de  nous,  et  li  autre  voi- 
sent  le  leur  chemin  et  nous  atengent  la  ou  il  gerront. 
Car  il  feroit  moult  boin  a  savoir  ceste  merveille.»  Ensi 
alerent  li  doi  message  apriès  le  vilain.  Et  le  sivirent  tant 
que  il  n'ot  pas  aie  plus  de  demie  liue  quant  il  virent  le 
vilain  cheoir  tout  mort  en  mi  la  voie,  ses  saullers  en  son 
brach.  Et  quant  il  l'orent  bien  veut  et  esgardé,  si  s^en 
tornerent  et  atainsent  lour  compaignons,  si  lour  content 
la  merveille  dou  vilain.  Et  quant  li  compaignon  oirent 
chou,  si  dirent  que  «  moult  firent  li  clerc  que  fol  qui 
quiderent  que  nous  (l)ochesissons  si  preudomme  et  si  sage 
enfant  comme  chis  est  (enfant)!  »  Et  li  autre  dient  que  il 
vaurroient  mieus  (38  *y  avoir  fait  grant  meschief  de  leur 
cors  que  il  par  iaus  presist  mort.  Ceste  parole  orent  dite 
a  conseil,  car  il  ne  quidierent  mie  que  Merlins  le 
seust.  Et  quant  il  vinrent  devant  Merlin,  si  les  mer- 
chia  moult  de  chou  que  il  avoient  dit.  Et  il  li  demandè- 
rent :  €  Qu'en  avons  nous  dit?  »  Et  Merlins  lour  conte 
la  parole  ensi  comme  il  Tavoient  dite  ;  et  quant  cil  l  oi- 


50  MERLIN 

rent,  si  disent  :  «  Nous  ne  poons  riens  dire  que  il  ne 
sache.  » 


Dans  une  autre      t^si  chcvauchîerent  par  lor  jornees  tant  que  il  fu- 
viiie,  ils  voient  ^^^^  ^^  pooif  Vcrtigler.  Un  jour  avint  que  il  passoient 

l'enterrement  ^.,,        .       .    ^  .  ^    -^  c      i 

d'un  enfant  •  le  P^*"  ""®  ^^^^^'  ^^  ^"^^^^  ^^^  °^  *  poftoit  un  enfant  enterer. 
père  le  suit  en  Si  avoit  apriès  le  cors  moult  (le  cors)  grant  duel  d^ommes 
pleurant.  Merlin  et  de  femes.  Et  MefUns  vit  che  duel  et  les  prouvoires  et 
rit,  et  dit  que  ce-  [gg  dg^s  qui  chantoient  et  qui  portoient  le  cors  entierer 
lui  qui  devrait  j^q^j^  vistemcnt,  si  commencha  a  rire  et  s'arrestut.  Et  li 

pleurer  est  le  prê-  ,.      ,  ,  •  m      •    •       t^      «#     i> 

tre  qui  chante,  et  ï^^ssage  11  demandèrent  pour  coi  il  rioit.  Et  Merlins 
qui  est  le  vrai  dist  :  «  Veés  VOUS  che  prcudommc  qui  la  fait  tel  duel?  et 
père  de  l'enfant  ;  veés  VOUS  che  prevoire  qui  la  chante  devant  les  autres? 
on  constate  en-  jj  ^^^^^  j^  ^^^j  f^j^.^         jj  preudom  fait.  >  Et  li  message 

core   qu'il  a  dit    , .  _  .  ^      i-.     *  #     i  •       i  r  w 

yj.^j  dient  :  «  Pour  coi?  »  Et  Merlins  lor  respont  :  «  Le  voles 

vous  savoir?  »  Et  il  dient  :  «  Oil.  »  «  Je  voel^J<S*  ^J  bien,  » 
fait  Merlins,  «  que  vous  le  saciés  :  que  li  enfes  est  ses  fieus 
pour  qui  il  chante.  Et  li  preudom  cui  il  n'apartient  en 
fait  duel,  et  cil  qui  fieus  il  est  chante.  Si  m'est  avis  que 
chou  est  grant  miervelle.  »  Et  li  message  demandèrent 
Merlin  :  «  Comment  porrons  nous  che  savoir?  »  Et  Mer- 
lins dist  :  «  Aies  a  la  feme,  se  li  demandés  por  quoi  ses  sires 
pleure  et  fait  si  grand  duel.  Et  elle  dira  pour  son  fil  qui 
est  mors.  Et  vous  li  dires  :  «  Dame,  aussi  bien  sa  je  quels 
€  fieus  il  est  que  vous  faites.  11  n'est  pas  ses  fieus,  ains  est 
t  fieus  a  che  prouvoire  qui  la  chante,  si  que  li  prestres 
o  meismes  le  set  bien.»  Et  [que  il  meismes  vous  conta 
le  terme  que  il  fut  engendrés.  » 


VOUANT  li  message  orent  entendu  chou  que  Merlins 
lour  a  dit,  si  s'en  alerent  a  la  feme  et  li  contèrent  chou 
que  Merlins  lor  avoit  dit.  Et  quant  la  feme oi  chou,  si  en 
fu  moult  espoentee,  et  lour  dist  :  «  Biau  signour,  por 
Dieu  mierchi.  Je  sai  bien  que  je  ne  le  vous  puis  celer, 


MERLIN  5 1 

si  VOUS  en  dirai  tout  le  voir.  Il  est  voirs  tout  ensi  que 

vous  l'avés  dit  K  Mais  por  Dieu  nel  dites  pas  mon  si- 

gnour,  que  il  m'ochiroit  se  il  le  savoit.  »  Et  quant  cil 

oirent  chou,  si  s'en  vinrent  et  le  disent  a  lour  compai- 

gnons.  Lors  dient  entr'aus  que  il  n'ot  onques  el  monde 

millour  devin  (f.  38  ^J.  Ensi  chevauchierent  entre  Merlin    Arrives  près  de 

et  les  messages,  tant  que  il  vinrent  a  une  jornee  [près  '^  résidence  de 

de!  la  ou  Vcrtigiers  estoit.   Et  lors  disent  li  message  :  ^^'^^'s^^^  •     ^^ 

w      1-  .  ^         messagers      de- 

«  Merlins,  tu  nous  deusses  bien  consillier,  que  nous  ^nandent  à  Mer- 
porons  bien  dire  que  nous  favons  trové,  mais  nous  nous  iin  ce  qu'ils  de- 
doutons  por  chou  que  nous  ne  t'avons  ochis  que  nous  vront  lui  dire, 
n'en  aions  son  mal  gré.  »  Quant  Merlins  oi  chou,  si  sot  "'^  '^^  craignent 

,  .  .11-  T-     1  1.  o.  qu'il  ne  les  pu- 

bien que  il  voloient  son  preu.  Et  lour  dist  :  «  Signour,  ^.^^^  ^^^^  ^^.^.^ 

faites  le  ensi  que  je  vous  loerai,  si  n^en  avérés  ja  blasme  :  épargné  Merlin; 
(et  puis)   aies  a  Vertigier  et  li   dites  que  vous  m'avés 
trové.  Et  se  li  contés  le  voir  que  vous  m'avés  oi  dire. 
Et  li  dites  que  je  li  mousterrai  bien  por  coi  sa  tours  ne 
puet  tenir,  par  covant  ^  qu'il  face  autretant  des  clers  qui 
me  voloient  faire  ochirre  que  il  voloient  que  on  fesist 
de  moi.  Et  quant  vous  li  avrés  che  dit,  si  faites  chou 
que  il  vous  dira  seurement.   »  Li  message  s'en  torne- 
rent  et  s"'en  alerent  a  Vertigier.  Et  quant  il  les  vit,  si  d'après  son  con- 
çu fu  moult  liés.  Et  lor  demanda  :  «  Signour,  comment  seii  ils  appren- 
avés  vous  esploitié?  »  Et  li  message  respondent  :  a  Sire,  "^"^  ^"  '"°^  '" 

-  .    ,  ,,       .    .  merveilles    dont 

au  mieus  que  nous  poons.  »  Lors  apieierent  Vertigier  a  .j^  ^^^  ^^^  ^^_ 
conseil  et  li  contèrent  toute  Tuevre  si  comme  il  Tout  ^^oins  etiuipro- 
trouvee,  et  comment  il  trouvèrent  Merlin,  et  se  il  vau-  mettent  que  Mcr- 
sist,  il  ne  l'eussent  jamais  trouvé  (f.  3g  ^).  «  Et  il  vint  li"  >"'  ^'""^  '"^ 
moult  volentiersa  vous.  »  Etli  rois  disl  :  «  Dou  quel  Mer-  secret  de  lécrou- 

....  .  -^  XT      j  1  11  Icnicntdela  tour. 

lin  dites  vous  dont  ?  Ne  deustes  vous  dont  querre  ren- 
fant  sans  père  et  me  déviés  vous  apoiter  le  sanc  de  lui  ?  » 
Et  il  respondent  :  a  Sire,  c'est  icil  Merlins  que  nous  disons 
qui  est  nés  sans  père.  Et  saces  bien  que  c^est  li  plus  sage 
et  li  mieudres  devins  qui  onques  fust  en  cest  siècle  fors 

I .  Il  est  V.  qui  vous  la  dit  —  2.  par  coi 


52  MERLIN 

Dieus.  Sire,  tout  ensi  que  vous  le  nous  fesistes  jurer  que 
nous  l'ochieriemes  le  nous  dist  il.  Et  dist  bien  que  li 
clerc  ne  sevent  riens  pour  coi  votre  tours  chiet.  Mais  il  le 
vous  mousterra  si  que  vous  le  verres  a  vos  ieus  tout 
apertement  pour  coi  la  tours  chiet.  De  trop  grans  autres 
mierveilles  nous  a  il  dites.  Et  nous  a  envoiié  pour  savoir 
se  vous  volés  parler  a  lui.  Et  se  volés,  nous  Tochirrons 
bien  la  ou  il  est.  Et  doi  de  nos  compaignons  sont  avoec 
Le  roi  les  rend  lui  quî  le  gardent.  »  Et  quant  Vertigiers  oi  les  messages 
responsables  sur  ensi  parler,  si  dist  a  eus  :  a  Signeur,  se  vous  volés  Mer- 
leur  vie.  y^^  raplegicr  seur  vos  vies  que  il  vous  mousterra  et  moi 

pour  coi  ma  tours  chiet,  je  ne  voel  pas  ore  que  il  soit 
ochis.  »  Et  li  message  dient  :  «  Nous  le  piégerons  bien.  » 
Et  li  rois  dist  :  «  Et  dont  Talés  querre,  car  je  voel  moult 
volentiers  parler  a  lui.  »  Lors  s'en  râlèrent  li  message  et 
li  (f.  3g  ^)  rois  meismes  avoec  iaus.  Et  quant  Merlins  vit 
venir  les  deus  messages,  si  rist,  et  lour  dist  :  «  Signour, 
vous  m^avés  plegié  seur  vos  vies.  »  Et  il  respondent  : 
«  Vous  dites  voir.  Nous  volons  mieus  estre  en  aventure 
de  mort  que  nous  t^ochions.  Et  il  nous  en  convint  l'un 
faire.  »  Et  Merlins  respont  :  «  Signeur,  je  vous  en  garde- 
rai bien,  se  Dieu  plaist,  de  chou.  »  Ensi  chevauchicrent 
entre  Merlin  et  les   messages  contre  le  roi  tant  que  il 
Quand  Merlin  encontrerent  le  roi.  Et  quant  Merlins  le  vit,  si  le  salua  et 
voit   le  roi ,  il  dist:  «  Vertigiers,  parlés  a  moi  en  conseil.  »  Si  se  traist 
s'engage  à  faire  a  une  part  et  apielc  les  messages  qui  Torent  amené.  Et 
connaître  le  se-  quant  il  furent  a  conseil,  si  dist  Merlins  au  roi  :  «  Sire, 
cret,  et  emande  ^^^^  m'avés  fait  querre  pour  vostre  tour  qui  nepuettenir. 

qu'on  fasse  venir  ,  *       ,  .  .  .         ^  ^  ., 

les  clercs  qui  ^^  commandastes  a  chiaus  qui  me  vmrent  querre  que  il 
voulaient  le  faire  m'ochesissent  la  OU  il  me  trouvaissent,  par  le  conseil  des 
tuer.  clers  qui  disoient  que  la  tours  ne  porroit  tenir  se  il  n'i 

avoit  de  mon  sanc  el  mortier.  Mais  il  vous  mentirent. 
Mais  se  il  vous  eussent  dit  (mais  se  il  vous  eussent  dit) 
que  elle  deust  tenir  par  mon  sens,  il  eussent  voir  dit.  Et 
se  vous  me  volés  creanter  que  ferés  autretant  des  clers 
que  il  voloient  que  on  fesist  de  moi,  (f,  3g  ^)  je  vous 


MERLIN  53 

mouslerroie  por  coi  vostre  tours  ne  puet  tenir  et  (le) 
vous  ensegnerai,  se  vous  le  volés  faire,  comment  elle 
tenra.  »  Et  Vertigiers  respont  et  dist  a  Merlin  :  «  Se 
tu  me  monstres  chou  que  tu  me  dois  moustrer,  je 
feroie  des  clers  chou  que  tu  vaurroies.  »  Et  Merlins  dist 
au  roi  :  «  Se  jou  en  ment  de  parole  tant  soit  petite,  si  ne 
me  créés  ja  mais.  Alons,  si  faites  venir  (venir)  les  clers. 
Et  je  lor  demanderai  pour  coi  la  tours  chiet.  Et  vous 
orrés  que  il  n'en  savront  raison  rendre.  » 

\Jre  dist  li  contes  que  ensi  amena  li  rois  Merlin  dus-    Devant    eux , 
ques  a  la  tour  qui  se  cheoit.  Et  li  clerc  furent  mandé  et  '^^    P''^^  ^^   '^ 
venu  devant  le  roi.  Et  quant  il  furent  venu,  si  lour  fist  ^°"'^' 
Merlins  demander  par  un  [des]  message[s]  qui  (1)  l'avoient 
amené,  si  lour  dist  :  «  Signour,  pour  coi  dites  vous  que 
ceste  tours  ne  puet  tenir?»  Et  li  clerc  respondent  :  «  Nous 
ne  savons  riens  du  cheoir.  (/.  3g  ^)  Mais  nous  avons  dit  le 
roi  comment  elle  tenra.  »  Et  li  rois  respont  :  «  Vous  en 
avés  dit  merveilles,  que  vous  me  commandastes  a  querre 
un  enfant  qui  soit  nés  sans  père.  Mais  je  ne  sai  comment 
il  puist  estre  trouvés.  ))Et  Merlins  parole  as  clers  et  dist  ; 
«  Signeur,  vous  tenés  le  roi  pour  fol  de  chou  que  vous 
li  faites  querre  tel  chose,  et  savés  bien  entre  vous  que  par 
cel  enfant  vous  devés  morir.  Et  pour  chou  faites  vous  le 
roi  entendant  que  se  il  le  faisoit  occhirre  por  avoir  de 
son  sanc  pour  mètre  ou  mortier  de  la  tour  que  elle  ter- 
roit.  Ensi  pensastes  vous  que  vous  porriés  faire  l'enfant 
morir  par  cui  vous  déviés  morir.  »  Quant  li  clerc  oirent 
que  li  enfes  disoit  voir  et  que  il  cuidoient  que  nus  ne  le 
seust,  si  en  furent  moult  espoenté,  et  bien  sorent  que  a 
morir  les  converroit.  Et  Merlins  dist  au  roi  :  «  Sire,  or  Merlin  les  con- 
poés  bien  savoir  que  cil  clerc  me  voloient  faire  ochirre  a  vaincd'avoirvou- 
l'ochoison  de  vostre  tour.  Mais  pour  chou  que  il  avoient  '"  ^^  '"^'^^  ^^'^^'^ 

.,     ,  .  .  .  i  .,1  qu'ils  avaient  vu 

sorti  que  il  dévoient  morir  par  moi  vous  nsent  il  chou  .,. „,,  ,„,., 

T  ^  par  leui  bortijuii 

a  entendre.  Et  demandés  leur,  que  il  ne  seront  jamais  si  causcraiiia  leur, 


54  MERLIN 

hardi  que  il  vous  osent  mentir.  »  Et  li  rois  lor  demande 
se  il  disr  voir,  et  il  respondent  :  «  Certainnement,  sire, 
il  dist  voir.  (f.  40  ^)  Mais  nous  ne  savons  pas  par  cui  il 
set  ces  nouvieles;  si  te  prions  tant  comme  a  nostre  si- 
gnour  que  tu  nous  laisses  tant  vivre  que  nous  puissons 
veoir  se  il  dira  voir  de  ceste  tour.  »  Et  Merlins  parole  et 
dist  :  «  Signeur,  vous  n'avés  garde  de  morir  tant  que 
vous  le  voiiés.  »  Et  li  clerc  Pen  merchierent.  Lors  dist 
puis  il  déclare  Merlins  a  Vertigier  :  «  Veuls  tu  savoir  pour  coi  ta  tours 
que  sous  la  tour  ^j^jg^  ^^      j  Tabat?  Se  tu  veuls  faire  chou  que  je  te  dirai, 

il  y  a  une  grande  .     ,  -c*  -ij  -nii- 

eau  ctsous l'eau  J^  ^^  ^^  moustcrrai.  bes  tu  que  il  a  desous  ceste  tour?  Il  1 
deux  dragons ,  a  Une  graut  iaue.  Et  desous  celé  iaue  *  i  a  deus  dragons 
un  blanc  et  un  qui  ne  Voient  goûte.  Si  est  li  uns  blans  et  li  autres  rous. 
rouge;  quand  on  g^  gi  sout  desous  deus  grans  pierres,  et  si  [i]  se(n)t  moult 
met  des  pierres,  j^.^^^  jj  ^^^  l'autre,  et  sont  moult  grant  et  moult  fort.  Et 

elles  pèsent   sur  i,.  ri  ,n         •       r  •    . 

eux.  alors  ils  se  ^uaut  il  Sentent  que  1  iaue  [et  la  terre  s'Japoise  [si  dure- 
tournent  et  font  ment  sor  els  par  la  charge  de  la  pi  erre  dont  on  fait  la  tour], 
tout  crouler.       si  se  tornent  et  [de  si  grant  force  que  toute]  Piaue  [en 
tournoie,  et]  mainnent  si  grant  bruit  que  quant  qu'il  est 
desus  convient  cheoir.  Ensichiet  la  tours  por  ces  deus  dra- 
gons. Et  faites  ens  garder,  et  se  vous  ne  le  trouvés  ensi 
que  je  vous  ai  dit,  si  me  faites  ochirre.  Et  se  vous  le  trou- 
vés, si  soient  mi  plege  cuite  et  li  clerc  encoupé  ki  de  tout 
chou  riens  ne  savoient.  1  Et  Vertigiers  responta  Merlin  et 
dist  :  «  Se  il  en  est  ensi,  dont  es  tu  li  plus  sages  dou 
monde.  Or  m'enseigne  (f.  40  ^)  dont  comment  je  ferai 
la  terre  oster.  »  Et  Merlins  dist  :  «  Tu  le  feras  oster  a 
chevaus  et  a  charetes  et  as  hommes  (et)  au  col  et  (faire) 
On  creuse,  et  porter  loing.  »  Li  rois  fist  tantost  mètre  les  ouvriers,  et 
on  trouve  l'eau;  jgs  gens  de  la  terre  le  tinrent  a  moult  grant  folie,  se  il 
l'osaissent  dire  pour  Vertigier.  Et  Merlins  commanda 
bien  les  clers  a  (a)  garder.  Ensi  commenchierent  li  ou- 
vrier(s)  l'uevre.  Et  tant  ouvrèrent  que  il  trouvèrent  r(es) 
iaue(s).  Et  quant  il  l'orent  trové,  si  la  descouvrirent  et  le 

I.  Celé  iauaus 


MERLIN  55 

firent  savoir  au  roi  chou  que  il  avoient  trouvé.  Et  li  rois 
i  vint  moult  liement  pour  la  merveille  esgarder.  Et 
amena  Merlin  avoec  lui.  Et  quant  li  rois  vit  Tiaue,  se  li 
sambla  moult  grans.  Et  apiela  deus  de  ses  consilliers  et 
dist  :  «  Moult  est  chis  hom  sages  qui  savoit  ceste  iaue 
desous  ceste  tour,  et  encore  dist  que  desous  cesle  iaue  a 
deus  dragons.  Mais  il  ne  savra  ja  tant  couster  que  je  ne 
fâche  canqu'il  me  dira,  tant  que  je  truise  les  deus  dragons.» 
Lors  apiela  li  rois  Merlin  et  dist  :  «  Merlins,  tu  as  voir  dit 
de  ceste  iaue.  Mais  je  ne  sai  se  tu  dis  voir  des  deus  dra- 
gons. »  Et  Merlins  dist  au  roy  :  «  Tu  ne  le  saveras  dus- 
ques  a  tant  que  tu  le  voies.  »  Et  Vertigiers  dist  a  Mer- 
lin :  «  Merlins,  comment  porrons  (/.  40  ^J  ceste  iaue 
oster  ?»  Et  Merlins  dist  :  «  Vous  le  ferés  toute  courre 
en  boins  fossés  en  mi  les  chans.  » 


A  TANT  furent  li  fosset  commandé  a  faire  et  l'iaue  on  r<ipuisc. 
courut  hors.  Et  Merlins  dist  a  Vertigier  :  «  Cist  dragon 
qui  sont  desous  ceste  iaue,  si  tost  comme  il  s'entresenti- 
ront,  se  combateront  li  uns  a  l'autre  et  s'entrochirront. 
Ore  mande  tous  les  preudommes  de  la  terre  pour  veoir    Merlin  annon- 
la  bataille  des  deus  dragons.  Etche  iert  moult  grant  sene-  ^e  que  les  deux 
fiance.  »  Et  Vertigiers  dist  que  il  les  fera  moult  volen-  ^^^^so"^' .""^  f°i« 

*^  ^  mis  au  jour,  se 

tiers  mander.  Lors  fist  li  rois  par  toute  sa  terre  mander  combattront  avec 
les  preudommes  et  les  clers  et  les  lais.  Et  quant  il  furent  acharnement 
tout  venut,  si  lour  conta  Vertigiers  toutes  les  grans  mier- 
veilles  que  Merlins  lour  avoit  dites  et  comment  li  doi 
dragon  ^  se  dévoient  combatre.  Lors  dist  li  uns  a  Tautre  : 
«  Che  fera  il  boin  a  veoir.  »  Et  il  demandent  au  roy  se 
Merlins  a  dit  li  quels  vaintera.  Et  li  rois  respont  qu'il  ne 
li  a  pas  dit  encore.  Lors  firent  *  li  ouvrier  courre  l'iaue 
par  les  chans.  Et  quant  elle  fu  hors,  si  virent  les  deus 
pierres  qui  estoient  ou  fons  de  Tiaue  desus  les  deus  dra- 
gons. Et  quant  Merlins  les  vit,  si  dist  au  roi  :  «  Vecs  vous 

I.  gragon  —   2.  furent 


56  MERLIN 

ces  deus  pierres?  »  Et  li  rois  respont  :  «  Oil.»  Et  Merlins 
dist  :  tt  Desous  ces  deus  pierres  sont  cil  doi  dragon.»  Et 
li  rois  li  dist  :  «  Comment  en  seront  il  gieté?  >  Et  Merlins 
dist  :  «  Moult  bien.  Il  ne  se  mouveront  ja  devant  qu^il 
s^entresentiront.  Et  tantost  se  combateront  tant  que  Pun 
en  couvenra  morir.  »  Et  Vertigiers  dist  :  «  Merlins,  me 
diras  tu  li  quels  vaintera?  »  Et  Merlins  dist  :  «  A  lor 
vaintre  et  a  lour  bataille  a  moult  grant  senefiance.  Et 
chou  que  je  t'en  porai  dire  en  savras  tu.  Tant  t'en  dirai 
volentiers  a  conseil,  oiant  de  ces  preudommes  trois  ou 
quatre.  » 

Atant  apiela  Vertigiers  quatre  des  plus  preudommes 
ou  il  se  fioit  plus,  si  lour  a  dit  chou  que  Merhns  lor  ot 
dit.  Et  cil  li  loent  que  il  li  demande  a  conseil,  et  que  il 
li  die  ains  que  il  le  voie.  Et  lors  dist  Vertigiers  que  il  ont 
bien  dit.  «  Et  je  m'i  acort  bien.  Et  il  porroit  apriès  la  ba- 
taille faire  entendant  chou  que  il  vaurroit.  »  Lors  apiela 
li  rois  Merlin,  se  li  demande  :  «  Merlins,  di  moi  des  deus 
dragons  li  quels  sera  vaincus.  »  Et  Merlins  dist  :  «  Cist 
quatre  homme  sont  bien  de  ton  conseil?  »  Et  il  respon- 
dent  :  «  Voire,  x  Lors  dist  Merlins  :  a  Dont  le  te  dirai  jou 
et  que  le  blanc  voiant  iaus.  Je  voel  bien  que  tu  saces  que  li  blans  ochirra 
tuera  le  rouge,  le  rous.  Et  saches  que  il  avra  moult  grant  (41  '^)  painne 
ce  qui  aura  une  ^vant  que  il  Tait  ochis.  Et  che  que  il  l'ochirra  sera  grant 
grande  significa-  genefianche.  Ne  je  ne  vous  en  dirai  plus  jusques  apriès 
la  bataille.  »  Lors  furent  illuec  les  gens  assamblees.  Et 
On  trouve  les  li  Ouvrier  vinrent  as  deus  pierres,  si  les  descauchierent  et 
dragx)ns;  ils  se  trairent  fors  les  deus  pierres,  si  trouvèrent  les  deus  dragons 
battent,    et    le  q^J  estoient  si  grant  et  si  fier  et  si  hideus,  si  en  orenr 

blanc  tue  le  rou-  ,^  .  ^  .  rr^ 

moult  grant  paour  et  se  traient  tout  arrière.  Et  virent 
que  li  ^  rous  estoit  plus  grans  et  plus  hideus  et  plus  fors 
que  li  blans  *.  Et  fu  bien  avis  a  Vertigier  que  cis  grans 
deust  vaintre  l'autre.  Lors  dist  Merlins  :  «  Viertigiers,  ore 

I.  il  —  2.  biaus 


MERLIN  07 

doivent  estre  mi  plege  quite.  »  Et  Vertigiers  respont  : 
«  Si  seront  il.  »  Et  lors  traient  les  deus  dragons  Fun  si 
priés  de  Tautre  que  il  s'entresentirent.  Et  si  tost  conme 
li  uns  senti  Pautre,  si  se  tornerent  et  se  prisent  as  dens 
et  as  pies,  ne  onques  n'oistes  que  deus  bestes  se  comba- 
tissent  si  cruelment  que  les  deus  dragons  firent  toute  nuit 
et  toute  jour  et  l'endemain  jusques  a  miedi,  si  que  toutes 
les  gens  que  illuec  estoient  cuidoient  bien  que  li  rous 
deust  ochirre  le  blanc.  Et  tant  que  au  blanc  sailli  fus 
parmi  la  bouche  et  par  les  narrines,  si  arst  le  rous.  Et 
quant  li  rous  dragons  fu  mors,  si  (41  ^)  se  traist  li  blans  ^ 
dragons  arrière,  et  se  coucha,  et  ne  vesqui  puis  que  trois  après  quoi  il  ne 
jours.  Et  cil-  ki  orent  celé  mervieille  veue  disent  que  ^^'"^'^P^^^ '^°"- 
onques  mais  tel  mervieille  ne  vit  nus  hom.  Et  Merlins 
dist  :  «  Vertigiers,  ore  pues  faire  la  tour  tele  comme  tu  Vertigicr  bâtit  sa 
vaurras,  que  ja  ne  le  savras  faire  si  haute  que  elle  chiee  ^°"'"- 
plus.  »  Lors  commanda  Vertigiers  que  li  ouvrier  i  fuis- 
sent mis,  si  la  fist  si  grant  et  si  forte  comme  ^  plus  pot. 
Et  demanda  maintes  fois  Merlin  la  senefiance  des  deus     u  demande  à 
dragons  et  comment  che  pooit  estre  que  li  blans  avoit  ^'ciiin  quelle  est 
ochis  le  rous  et  que  si  longement  en  avoit  eut  li  rous  le  '=^»'g"»fi'^ationdu 

•11  T-    x;r      1-  i-i  /  combat  des  dra- 

millour.  Et  Merlins  responi  :  «  Che  sont  toutes  senehan-. 
ces  des  choses  qui  sont  faites  et  de  celés  qui  sont  a  ave- 
nir. Mais  se  je  te  disoie  voir  de  chou  que  tu  me  deman-  Merlin  promet  de 
des  et  tu  m'asseuroies  de  chou  que  tu  ne  m^en  feroies  nul  '"^  ^''■'^'  ^^'^^  ^' 
mal  ne  ne  soufferroies  a  faire,  je  te  diroie  toutes  les  sene-  ^^^^    convoquer 

-  ,  ,  ,  ,  ,  les  clercs  qui  vou- 

hances  et  par  devant  tous  les  plus  preudommes  de  ton  ,3^^.,^  ^^  mort; 
conseil.  »  Et  il  dist  que  il  l'en  fera  toutes  les  scurtés  que 
il  vaurra.  Et  Merlins  dist  :  «  Or  va,  si  fai  ton  conseil 
mander,  si  me  fai  venir  les  clers  qui  sortirent  de  ceste 
tour  et  qui  me  vaurrent  faire  ochirre.  »  Et  il  si  fist  tan- 
tost.  Quant  ses  consaus  fu  venus  et  li  clerc,  si  parla  Mer-  Merlin  leur  pro- 
lins  as  clers  et  lour  dist  :  «  Signour,  moult  estes  fol,  '"'^^  ^"^  "'^  P^^ 
quant  vous  volés  ouvrer  d'art,  et  vous  n'estes    mie  si  ^^"'^^'^  ''^"'^  '"°" 

s'ils  loin  ce  qu'il 
leur  dcufandera. 
I.  rous  —  2.  cclc  —  3.  conques 


58  MERLIN 

boin  ne  si  loial  comme  vous  deussiés  estre.  Et  par  chou 
que  vous  estes  fol  et  mauvais  fallés  vous  a  chou  que 
vous  devés  faire  et  querre  par  la  forche  de  Tautre  art. 
Ens  es  elemens  ne  veistes  vous  riens  de  chou  que  il  vous 
avoit  demandé,  car  vous  n'estes  pas  tel  que  vous  le 
deussiés  veoir.  Mais  vous  veistes  mieus  que  j'estoie  nés. 
Et  cil  qui  moi  vous(t)  moustra  et  qui  le  vous  distetvous 
fist  samblant  que  vous  deussiés  par  moi  morir  le  fist  de 
duel  de  chou  que  il  m'a  perdu,  et  vausist  bien  que  vous 
m'en  fesissiés  occhirre.  Mais  jou  ai  tel  signour  qui  bien 
m'en  gardera,  se  lui  plaist,  de  lour  engien,  et  je  les  ferai 
menchoingniers  *  del  tout,  car  je  ne  ferai  ja(de)  chose  por 
coi  vous  muiriés,  se  vous  me  créantes  a  faire  *  chou  que 
je  vous  demanderai.  » 


Vç/UANT  li  clerc  oirent  que  il  furent  respité  de  mort, 

Ils  s'y  enga-  si  en  furent  moult  lié.  Et  disent  :  «  Merlins,  tu  ne  nous 

gent  ;  il  leur  fait  demanderas  ja  chose  que  nous  ne  fâchons,  se  nous  le 

promettre  de  re-  ^qq^^  faire.  Car  nous  veons  bien  et  savons  que  tu  iés  li 

noQcer  a  leur  art 

plus  sages  hom  qui  soit  en  vie.  »  Et  Merlins  respont  : 
«  Vous  m'avés  créante  que  vous  ne  vous  entremete- 
f4i  ^J  rés  jamais  de  tel  art.  Et  por  chou  que  vous  en 
avés  ouvret  commanc  jou  que  vous  en  soiiés  confiés, 
et  metés  vos  cors  en  tel  subjection  que  vos  âmes  ne 
soient  dampnees.  Et  se  vous  me  créantes  chou  que  je 
vous  ai  dit  que  vous  le(s)  ferés,  je  vous  en  lairai  aler.  »  Et 
li  clerc  Ten  merchient,  et  li  creanterent  que  il  le  feront 
et  tenront  chou  que  il  lour  a  dit.  En  ceste  manière  déli- 
vra Merlins  les  clers,  et  tout  cil  qui  virent  que  Merlins 
s'estoit  si  bien  prouvés  deviers  les  clers  si  l'en  sorent 
moult  boin  gré.  Et  Vertigiers  et  sen  consaus  vinrent  a 
lui  et  dirent  :  «  Merlins,  tu  me  dois  dire  lasenefiance  des 

I.  menchoignieres  —  2.  dire 


MERLIN  59 

deus  dragons.  Car  de  toutes  les  autres  choses  que  tu  m'as 

dit  as  tu  dit  ^  voir,  et  je  te  tieng  au  (s)  plus  sage(s)  del 

monde.  Et  pour  chou  te  pri  jou  que  tu  me  dies  des  deus 

dragons  la  senefiance.  »  Et  Merlins  li  dist  :  «  Vertigiers,     ^ï^riin    cxpii- 

11  rous  dragons  senefie  toi,  et  li  blans  senefie  les  fieus  ^^'^  ^     ertigier 

01  T-.    ^®  qu'annonce  le 

Constant.  »  Et  quant  Vertigiers  l'entent,  si  ot  honte.  Et  combat  des  deux 
Merlins  s'en  aperchiut,  se  li  dist  :  «  Vertigiers,  se  tu  veus,  dragons  :  le  dra- 
jem'en  soufferrai  de  plus  dire.  Ne  m'en  saces  or  mie  8°»  rouge  dcsi- 
mau  gré.  »  Et  Vertigiers  dist  :  «  Chi  n'a  homme  qui  ne  sne  Vcrtigier  ic 

o  a  ^  dragon  blanc  les 

soit  de  mon  conseil.  Et  je  voel  que  tu  me  dies  outreement  ^i^  ^e  Constant. 
la  (42  ^)  senefiance,  que  tu  ja  de  riens  ne  m'en  espar- 
gnes.  »  Et  Merlins  dist  :  «  Je  t'a[i]  dit  que  li  rous  dragons 
senefie  toi,  si  te  dirai  por  coi.  Tu  ses  bien  que  li  fil  Cons- 
tant remesent  petit  enfant  après  la  mort  lour  père.  Et  si 
ses  bien  que  se  tu  fuisses  teus  que  tu  deusses  estre,  tu 
deusses  et  garder  et  consillier  et  desfendre  aus  contre 
tous  chiaus  dou  monde.  Et  tu  ses  bien  que  de  lourterreet 
de  lour  gent  conquesta[s]  tu  avoir,  par  coi  tu  eus  l'amour 
des  gens  de  lour  règne.  Et  quant  tu  seus  que  les  gens  de 
la  terre  t'amoient,  tu  te  traisis  arrière  de  lour  afaire  pour 
chou  que  tu  seus  bien  que  il  aroient  disete  de  toi.  Et 
quant  les  gens  de  la  terre  vinrent  a  toi  et  il  disent  que  li 
rois  Moynes  n^avoit  mestier  d'estre  rois  et  que  tu  le 
fuisses,  tu  lour  respondis  malement  que  tu  nel  porroics 
estre  tant  que  li  rois  Moynes  vesquist.  Ausi  fainsis  ta  pa- 
role. Et  cil  a  qui  tu  le  desis  entendirent  que  tu  vausisses 
bien  que  il  fust  mors,  et  por  chou  l'ochisent  il.  Et  quant 
il  orent  che  fait,  n'i  demourerent  que  deus  enfans  qui 
s'en  fuirent  pour  paour  de  toi.  Et  tu  fus  rois  et  tiens  en- 
core les  yritages.  Et  quant  cil  vinrent  devant  toi  qui 
(42  ^)  le  roi  Moyne  avoient  mort,  tu  les  fesis  ochirre 
pour  faire  samblant  qu'il  t'avoit  de  sa  mort  pesé.  Mais 
che  ne  fu  mie  boine  samblance,  dès  que  tu  presis  lour 
terres  et  tiens  encore.  Et  tu  as  fait  ccstc  tour  por  toi  gar- 

1.  dis 


60  MERLIN 

der  de  tes  anemis.  Mais  la  tours  ne  te  puet  sauver,  quant 
tu  meismes  ne  te  veuls  sauver.  » 


V  ERTiGiERs  a  bien  oi  et  entendu  que  il  dit  voir,  si 
dist  a  Merlin  :  a  Je  voi  bien  que  tu  iés  li  plus  sages  del 
monde.  Ore  te  pri  jou  et  requier  que  tu  me  conseilles 
contre  ces  choses  et  que  tu  me  dies,  se  toi  plaist,  de  quel 
mort  je  morrai.  »  Et  Merlinsdist  :  a  Se  je  ne  te  disoie  la 
mort  dont  vous  devés  morir,  dont  ne  te  diroie  je  mie  la 
senefiance  des  deus  dragons.  Mais  je  le  te  dirai.  Saches 
que  li  rous  dragons  qui  estoit  si  grans  et  si  fiers  senefie 
toi  et  ton  mauvais  corage,  et  chou  que  il  estoit  si  pois- 
sans  senefie  ta  force.  Et  li  autres  ki  estoit  blans  senefie 
Tyretage  as  enfans  qui  s'en  sont  fui  por  toi.  Et  chou  que 
il  se  combalirent  si  longuement  senefie  lour  terre  que  lu 
as  tenue  si  Jonc  tans.  Et  chou  que  tu  veis  que  li  blans 
arst  le  rous  senefie  que  li  enfant  t'arderont.  Ne  ne  quide 
pas  ke  la  tours  que  tu  as  faite  que  elle  (42<^  )  te  puist 
warandir  que  ensi  ne  t'en  conviegne  a  morir.  »  Quant 
Vertigiers  oi  ensi  parler  Merlin,  si  en  fu  moult  irés  et 
plourous  et  li  demande  :  ■  Ou  sont  il,  cil  enfant?  »  Et 
Ils  arriveront  Merlins  dist  :  «  II  sonten  mer  et  ont  porchacié  grant  gent 
outre-mer   ans  ^^  ^^^  carsié  lour  nés  et  vienent  pour  faire  justiche  de 

trois  mois  à  Win-  .  .  r     •     ,  i  • 

chester,  et  Verti-  ^O'*  ^^  dient  pour  voir  que  tu  fesis  lour  frère  ochirre,  et 

gierserapareux  autressi  t'ochirront  il.   Et   saches   que    arriveront  d'ui 

vaincu  et  brûlé  en  trois  mois  au  port  de  Wi[n]cestre.  »  Lors  fu  Vertigiers 

comme  Pa  été  le  ^çy^\^  dolans  quant  il  sot  ceste  nouviele  et  il  sot  que 

^^  ^^'     celé  gent  venoient,  si  demanda  a  Merlin  :  «  Puet  il  estre 

autrement?  »  Et  Merlins respont  :  «  Il  ne  puet  estre  que 

tu  ne  muires  del  feu  as  enfans  Constant,  ensi  comme  lu 

veis  le  blanc  dragon  ardoir  le  rous.  » 


Jlnsi  dist  Merlins  a  Veriigier  que  li  enfant  Constant 
venoient  et  arriveroient  d'ui  en  trois  mois  au  port  de 


MERLIN  01 

Wincestre.  Si  fist  semonre  les  soies  gens  au  termine  que 
Merlins  li  avoit  dit  pour  venir  contre  iaus  a  la  rivière.  Et 
quant  il  furent  tout  venut  ensamble,  si  ne  sorent  onques 
pour  coi  il  les  ot  mandés,  fors  cil  qui  avoient  esté  au 
conseil.  Ne  Merlins  ne  fu  illuecques  mie,  car  si  tost  que 
il  ot  dit  pour  coi  sa  tours  cheoit  et  la  senefianche  des 
deus  dragons,  il  prist  congié  au  roi,  si  s'en  ala,  et  dist  a 
Vertigier  (42  ^)  que  il  avoit  bien  fait  chou  pour  coi  il 
estoit  la  venus.  Et  ensi  s'en  ala  Merlins  en  Norhomber-  Merlin  va  trou- 
lande  a  Biaise  et  li  conta  ces  choses,  et  il  les  mist  en  es-  ^^^    ^'^^^^    ^" 

,.  ,  T7^    1      r     Norhombciiande 

crit,  et  par  son  livre  le  savons  nous  encore.   Et  la  tu     ,  . 

'  »  et  lui  raconte  ces 

Merlins   lonc   tans,  tant  que   li  ni  Constant  le   vinrent  événements. 

querre.  Ensi  fu  Vertigiers  au  port  a  tout  grant  gent  et 

attendi    le   jour   que   Merlins  li  ot  dit.    Et  a  cel  jour 

meismes  au  chief  de  trois  mois  vi(n)rent  cil  de  Wincestre    Au    bout    de 

les  nés  en  la  mer  et  moult  grant  estore  que  li  enfant  ^"""'^  '"°^^  ^^^Z" 

Constant  amenèrent.  Quant  Vertigiers  les  vit,  si  com- f   ^^  ?^°,'!,  ^ 

^  ^  1-    r-1  Marquent  a  Win- 

manda  sa  gent  a  armer  et  son  port  deffendre.  Et  li  ni  chester. 
Constant  vinrent  pour  arriver.  Et  quant  cil  qui  esloient 
a  terre  virent  les  confanons  roiaus,  si  s'en  esmervillie- 
rent,  et  tant  que  li  vaissiel  ou  li  fil  Constant  estoient 
prisent  terre.  Et  lor  demandèrent  cil  qui  a  terre  estoient 
a  cheus  qui  estoient  en  la  mer  :  «  Signour,  qui  sont  cil 
vaissiel  ?»  Et  cil  respondent  :  «  Elles  sont  a  Pandragon 
et  a  Uter  son  frère,  ces  deusfieus  Constant,  qui  repairent 
en  lour  terre(s)  que  Vertigiers  tient  comme  faus  et  des- 
loiaus  et  lonc  tans  a  tenue,  et  fist  ochirre  lour  frère,  si 
en  viennent  faire  justice.  »  Et  quant  cil  l'oirent  qui  es- 
toient a  terre  que  c'estoieiu  li  hl  lor  signour,  si  virent 
bien  que  il  avoient  la  forche  (48  ^)  et  que  se  contre  iaus 
se  combatoient  que  il  lour  en  porroit  bien  venir  maus.  Si 
le  dirent  a  Vertigier.  Et  quant  Vertigiers  vit  que  li  plus 
de{s)  s(ag)es  gens  li  failloient  et  que  il  se  tenoient  ja  deviers 
Pandragon,  si  otpaour.  Et  dista(s)  ses  gens  qui  faillir  ne 
li  pooient  f,  que  Hanguisli  Saisnes  li  avoit  envoies],  que 
il  garnesissent  bien  le  chastiel,  et  il  le  firent  au  micus 


62  MERLIN 

qu'il  porent.  Et  tant  que  les  nés  arrivèrent.  Et  quant 

elles  furent  arrivées,  si  issirent  fors  li  chevalier  tout 

armé  et  toutes  les  autres  gens.  Et  quant  il  furent  fors,  si 

Vcrtigier,  a-  alerent  viers  le  chastiel.  Et  les  gens  qui  virent  venir 

bandonné  de  la  lour  signour[s]  vinrent  contre  iaus  une  grant  partie  et 

plupart  des  siens,  [j^^j  rechiureut  comme  lour  signour[s].  Et  cil  qui  de- 

se  réfugie   dans     .         tr       •    •        r  i    i  i        i        •  i        . 

son  château  où  ^^^^^  Vertigier  furent  entrèrent  dedens  le  chastiel,  si  se 
il  est  brûlé.  dcsfendireut  au  mieus  qu'il  porent.  Et  cil  defors  les  as- 
saillirent moult  durement.  Ensi  se  desfendirent  les  gens 
Vertigier,  et  tant  que  Pandragons  mist  le  fu  ou  chastiel 
et  li  fus  le  sousprit,  si  que  il  en  arst  une  grant  partie.  Et 
en  cel  feu  fu  ars  Vertigiers. 

(43  ^)  Ure  dist  li  contes  que  ensi  prisent  li  enfant 

Constant  le  chastiel,  et  firent  savoir  par  tout  le  règne  que 

il  estoient  venu.  Et  quant  li  peuples  le  sot,  si  en  ot  grant 

joie,  et  vinrent  tout  a  Fencontre  d'aus  et  les  rechiurent 

comme  lor  signour[s] .  Ensi  revinrent  li  doi  frère  en  lour 

Pendragon  de-  règne  et  firent  roi  de  Pandragon.  Et  il  lour  fu  moult 

vient  roi;  il  fait  la  bons  rois  et  moult  loiaus.  Et  li  Saisne  que  Vertigiers  ot 

guerre  aux  Sais-  j^jg  ^^  j^  ^^^^t  tinrent  lour  chastiaus  qui  moult  estoient 

fort,  et  guerrioient  tous  jours  Pandragon  et  les  crestiiens. 

Et  tant  le  guerroiierent  que  maintes  fois  i  perdirent  et 

gaaignierent,  et  tant  que  Pandragons  fu  assegiés  devant 

Il  assiège  Han-  le  chasiiel  Hangus.  Et  tant  i  sist  que  il  i  fu  la  moitié  de 

gusdans  un  châ-  j'an  ou  plus,  tant  que  Pandragons  assambla  son  conseil  et 

teau  pendant  plus  parlèrent  comment  il  porroient  prendre  che  chastiel.  Et 

de  six  mois.          '  ,  .,..,,. 

Les  cinq  hom-  ^^^^  ^^^  ^  ^^^  conseil  avoit  Cinq  de  chiaus  qui  avoient 
mes  qui  avaient  €sté  au  conseil  que  Merlins  avoit  fait  et  dit  a  Vertigier  et 
naguère  trouvé  des  dragous  et  des  enfans  et  de  sa  mort.  Si  apielerent 
Merlin  disent  Pandragon  et  Uter  son  frère,  et  lour  disent  ces  mer- 
quii      pourrait  ^^.||gg    ^g  Merlins  lour  avoit  contées,  et  que  c'estoit  li 

donner  le  moyen       .       ,  ,      .  •  1   1 

de  prendre  le  châ-  Diieudres  devins  qui  onques  fust  nés,  et  que  se  il  le  vo- 

teau;  loit  dire,  il  diroit  bien  se  cis  chastiaus  seroit  pris.   Et 

quant  (48  ^)  Pandragons  oi  chou,  si  dist  :  «  Ou  seroit  il, 


MERLIN  63 

li  bons  devins,  trouvés?  »  Et  cil  dient  :  «  Nous  ne  savons 
en  quel  terre,  mais  tant  savons  nous  bien  que  nous  avons 
parlet  a  lui,  et  se  savons  bien  qu'il  est  en  cest  pais.  » 
«  Dont  sera  il  trouvés,  »  dist  Pandragons,  «  se  il  i  est.  » 


Lors  envoia  Pandragons  ses  messages  par  toute  la  Pendragon  en- 
terre pour  Merlin.  Et  Merlins  qui  che  sot  si  vint  au  plus  voie  des  messa- 
tost  qu'il  pot  dès  qu'il  ot  parlet  a  Biaise,  si  se  traist  viers  ^^^^  ^  ^^  recher- 

^  .,,  .,      \  ,.  .      ^         .    ,  che.  Merlin  leur 

une  ville  ou  il  sot  que  h  message  estoient  qui  le  que-  ^  ^^.^-^  ^^  ^^_ 
roient.  Et  vint  en  la  ville  comme  uns  boskillons,  une  cheron,  et  leur 
cuingnie  a  son  col,  uns  grans  housiaus  cauchiés  et  en  dit  que  le  château 
une  cotele  toute  despanee,  et  fu  moult  hurepés  et  ot  "^  ^^""^  p"^ 'i"'^- 
moult  longue  barbe  et  sambla  homme  sauvage.  Et  ensi  p'^"  '^  ^°^^  '^^ 

,,  ^    •      ^    r-  .,  ,     Hangus,  que  des 

Vint  en  une  maison  ou  h  message  estoient.  Et  quant  il  le  cinq  qui  connais- 
virent,  il  le  regardèrent  a  merveilles.  Et  dist  li  uns  a  sent  Merlin  deux 
Tautre  :  «  Cil  hom  samble  bien  mal  homme.  »  Et  Mer-  seront  morts  au 
lins  ala  avant,  si  lour  dist  :  «  Signour  message,  vous  ne  ^^^°"'"  ^^^  "^"' 
faites  mie  bien  le  besoinene  vostre  sienour,  que  il  vous  ^^^^^^'   ^^  ^^^ 

,  ,       ,      •  .  ,,     , .  ^    Merhn    ne    sera 

commanda  a  querre  le  devin  qui  a  a  non  Merlins.  »  Et  trouvé  que  s'il 

quant  li  message  oirent  chou,  si  dist  li  uns  a  l'autre  :  veut  l'être, 

a  Qué[s]  dyablesa  che  dit  a  che  vilain.^  »  Et  il  respont  : 

«  Se  jou  Teusse  aussi  a  querre  que  vous  avés,  je  l'eusse 

(43  ^)  plus  tost   trouvé  que  vous  n'avrés.   »  A  tant  se 

traient  li  message  tout  entour  de  lui  et  li  demandent  se 

il  savoit  le  devin  qui  a  non  Merlins.  Et  il  respont  :  «  Je 

sai  bien  son  repaire  et  il  set  bien  que  vous  le  quer(r)és; 

mais  vous  ne  le  trouvères  mie  se  il  ne  veult.  i\iais  tant 

me  dist  il  que  ie  vous  desisse  que  pour  nient  vous  tra- 

villiés  vous  de  lui  querre.  Et  se  vous  le  trouviés,  ne 

s'en  iroit  il  mie  avoec  vous.  Et  dites  a  chiaus  qui  disent  * 

vostre  signour  le  roi  que  li  devins  estoit  en  chel  pais  que 

il  disent  voir.  Et  quant  vous  verres  arrière,  si  dites  vostre 

signour  que  il  ne  prendera  mie  le  chastiel  devant    que 

I .  ditent 


64  MERLIN 

Hangus  soit  mors.  Et  sachiés  que  de  ceus  *  qui  vous  disent 

que  il  connoissoient  *  Merlin  n'a  que  cinq  en  l'ost,  et 

quant  vous  i  verres,  vous  n'en  trouvères  que  les  trois. 

et  si  le  roi  vient  £(  ç]^q  (jj^gs  a  vostre  signouf  et  a  sen  conseil  que  se  il  ve- 

ic  chercher  lui-  j^QJgj^^  gj^  ^.gg^g  ^gr,g  g^  qug  fussent  par  che  foriest,  il 

même  dans  les  fo-  ,,     ,.  ...        .  .  ,.      .  ., 

rCts  de  Norhom  trouveroient  Merlin,  mais  se  li  rois  meismes  n^i  vient  il 
beriande.  ne  troveront  ja  homme  qui  Ten  amaint.  » 


JCnsi  ^  ont  li  message  bien  entendu  chou  que  Merlins 
lour  a  dit.  Et  il  s'en  torne,  et  au  torner  l'orent  perdu.  Et 
li  message  se  saingnent  et  dient  :  «  Nous  avons  parlet 
a  un  dyable;  que  ferons  nous  de  chou  que  il  nous  a 
dit?  »  Atanf*  parlèrent  ensamble  et  disent  (44  ^)  :  «  Nous 
en  irons  arrière  et  dirons  a  no  signour  et  a  chiaus  qui 
cha  nous  envoiierent  ceste  mierveille.  Et  se  savrons  se  li 
dui  en  sont  mort.  »  Ensi  s'en  revinrent  li  message,  et 
tant  chevaucierent  que  il  vinrent  la  ou  li  rois  estoit.  Et 
quant  li  rois  les  vit,  si  lour  dit  :  «  Signour,  avés  trouvé 
Merlin  ?»  Et  il  dient  :  «  Sire,  nous  vous  dirons  une 
chose  qui  avenue  nous  est.  Mandés  vostre  conseil  et  ciaus 
qui  che  devin  vous  ensegnierent.  »  Et  li  rois  les  fait 
mander.  Et  quant  il  furent  venu,  si  se  traisent  a  une 
part  a  conseil.  Et  li  message  lor  contèrent  le  mierveille 
que  avenue  lour  estoit  et  toutes  les  choses  que  li  vilains 
lour  avoit  dites,  et  de  ces  deus  que  il  dist  que  il  seroient 
Les  messagers  mort  ains  que  il  fuissent  retorné  en  l'ost.  Et  li  message 
revenus     trou- ^j^  demandèrent  noveles.  Et  on  lour  dist  que  il  estoient 

vent  en  effet  deux  r     n       t-  -,       •  i  •     ■> 

de  ces  hommes  ^^^^  ^^"^  faille.  Et  quant  il  oiient  chou, si  s  en  esmier- 
morts;  on  soup-  villierent  moult  de  si  lait  homme  et  de  si  hideus,  dont 
çonne  que  le  bû-  li  message  parloient,  qui  il  pooit  estre.  Car  il  ne  savoient 
cheron  était  Mer- mie  qyg  Mcilins  peust  prendre  autre  forme  que  la  soie 

Un. 

I.  que  cil  —  2.  que  vous  quesissies  —  3.  Le  paragraphe  com- 
mence par  erreur  4  lignes  plus  loin,  après  chou  —  4.  Atant  est 
placé  entre  chou  et  que  et  commence  le  paragraphe 


MERLIN  65 

ne  autre  samblance,  mais  il  leur  estoit  bien  avis  que 
nus  ne  pot  taire  che  que  il  faisoit  se  il  non.  a  Sire,  » 
dirent  il  au  roi,  «  nous  (44  ^)  cuidons  que  che  soit  bien 
Merlins  meismes  qui  ait  parlé  a  iaus.  Car  nus  ne  peust  la 
mort  de  nos  compaignons  se  il  non  dire  ne  de  la  mort 
Hangus  fors  que  il.  »  Lors  demandent  li  message  en  quel 
vile  che  fu  que  il  le  trouvèrent,  et  il  dient  :  «  En 
Norhomberlande,  la  ou  il  vint  a  nostre  hostel.  » 


Adont  dient  li  troi  homme  tout  vraiement  que  che    Pendr^goniais- 

,  .4      ,.  •!    »•  1-        •  •  •        •         r  se  Uter  au  siège 

a  este  Merhns,  et  il  dist  que  li  rois  meismes  1  voist.  Lors   ,      .  ,       .   . 

'  ^  et  va  a  la  rechei  - 

dist  li  rois  que  il  lairoit  son  siège  a  Uter  son  frère  et  que  che  de  Merlin. 

il  iroit  en  Norhomberlande  et  cerqueroit  les  forés  que  cil 

li  avoit  dites.  Ensi  atorna  li  rois  son  oirre  et  vint  en 

Norhomberlande.  Et  mena  chiausavoec  li  qu'i[l]  cuidoit 

qui  conneussent  Merlin.  Et  quant  il  vint  la,  si  demanda 

nouvieles  de  Merlin.  Mais  li  rois  ne  trouva  onques  qui 

novieles  Ten  seust  dire.  Et  quant  li  rois  oi  que  on  n'en 

porroit  oir  nouvieles,  si  dist  que  il   Tiroit  querre  par  le 

foriest.  Lors  chevaucha  par  les  forés  pour  querre  Merlin. 

Si  avint  chose  que  li  uns  de  chiaus  qui  esioient  avoec  li 

trova  ^  une  grant  plenté  de  bestes  et  un  homme  moult     ^^^^^  ses  gens 

,    .  ,  --  .  .  ,  1    .       I-       I  .  trouve    dans    la 

lait  et  moult  contrerait  qui  ces  bestes  gardoit.  Et  chisqui  ^^^.^  ^^  homme 
le  trouva  li  (44  ^)  demanda  qui  il  estoit.  Et  il  disoit  que  très  laid  qui  gar- 
11  estoit  de  Norhomberlande,  serjans  a  un  preudomme.  de  des  bêtes  sau- 
Et  cil  li  demanda  :  «  Me  savroies  tu  a  dire  nouvieles  ^^6^^  <^^  ^s^"""^ 
d^un  homme  qui  a  non  Merlin;*  »  Et  cil  qui  gardoit  les  '^"'''  P^"""""^ '^^"" 

xT       -1  ...  .  1  •  seigner  le  roi  sur 

biestes  dist  :  «  Nenil,  mais  )e  vi  ersoir  un  homme  qui  me  ^^^riin  s'il  vient 
dist  que  li  rois  le  verroii  querre  par  ces  ^  forés.  Savés  vous  le  trouver. 
ent  riens?  »  Et  il  respont  que  il  est  voiis  que  li   rois  le 
quiert.  «  Saveroies  tu  [enij  riens  et  le"  nous  saveroies  lu  en- 
segnier?  »  Et  il  dist  :  «  Je  diroie  le  roi  tel  chose  que  je  ne 
vous  diroie  mie.  »  Et  cil  rcspunt  :  «  Vien,  je  t'i  mcnrai  la 


.  iroucreiu 


€6  MERLIN 

OU  il  est.  »  Et  il  dist  :  «  Dont  garderoie  je  malvaiscment 
mes  bestes.  Ne  je  n'ai  mie  besoing  de  lui,  mais  il  a  be- 
soing  de  moi.  Je  li  diroie  bien  comment  il  trouveroit 
celui  que  il  va  querant.  »  Et  il  dist  :  «  Je  le  t'amerrai.  » 

Lors  se  parti  de  lui  et  quist  le  roi  tant    que  il   le 

trouva.  Lors  li  conta  che  que  il  avoit  trové.  Et  li  roÎB 

Le  roi  vient  le  dist  .*  «  Mainne  m'i.  »  Et  lors  le  mena  cil  la  ou  il  avoit 

trouver;   il   lui  l'ommc trouvé,se  li  dist :  «  Veschi  le  roi  que  jet'amainne. 

annonce  que  Mer-  /-^l•J•..\l  .•  i«j«  rr..  -i 

,  Ore  lidiist  chou  que  tu  me  desis  que  tu  11  diroies.  »  Et  il 

lin  se  présentera    , .  ^  .  . 

à  lui  dans  une  "^^^  ^^  ^^'  •  "  ^^  ^^^  t)ien  quft  VOUS  querés  Merlin,  mais 
ville  voisine,       VOUS  ne  le  poés  ensi  trouver  devant  che  que  il  meismes 
voelle.  Mais  aies  vous  ent  en  une  de  vos  (44^)  boines 
viles  près  de  chi.  Et  il  verra  a  vous,  quant  il  savra  que 
VOUS  l'atenderés.  »  Lors  dist  li  rois  :  «  Comment  savrai 
que  tu  me  dis  voir  ?  »  Et  chis  respont  :  «  Se  vous  ne  m'en 
créés,  si  n'en  faites  nient   Car  c'est  folie  de  croire  mau- 
vais conseil.  »  Et  quant  li  rois  Toi,  se  dist  :  a  Dis  tu  dont 
que  tes  consaus  est  mauvais?  •  Et  il  dist  :  «  Naje,  mais 
vous  le  dites.  Et  tant  sachiés  vous  bien  que  je  vous  en 
consillerai  mieus  que  vous  ne  me  savrés  consillier.»  Ensi 
où  le  roi  se  rend,  ala  H  rois  a  Une  de  ses  villes  au  plus  près  que  il  pot  de 
Un   prudhomme  j^  ^^^^^^  g^  entrues  que  il  sejornoit  illuec,  si  avint  un 

vient  l'y  voir,  et  .  ,     ^      .  ,»  ,    ,  •  i      ,  • 

lui  annonce  de  la  l^^rque  uns  preudom  vint  en  1  ostel  le  roi  moult  bien 

part  de   Merlin  atornés  et  bien  vestus  et  cauciés.  Et  dist  a  un  chevalier  : 

qu'Uter    a    tué  c  Sire,  menés  moi  devant  le  roi.  >  Et  il  l'i  mena.   Et 

Hangus.  quant  il  fu  venus  devant  lui,  se  li  dist  :  «  Sire,  Merlins 

vous  salue  et  si  m^envoie  a  vous.  Et  se  vous  mande  que 

che  fu  il  que  vous  trouvastes  ou  bois  les  bestes  gardant,  a 

ces  enseignes  que  il  vous  dist  que  il  verroit  a  vous,  et  il 

dist  voir;  mais  vous  n^en  avés  pas  encore  grant  mesiier.  » 

Li  rois  respont  :  «  J'ai  tout  dis  bien  mestier  de  lui.  Ne 

je  n'eue  onques  si  grant  envie  en  nul  homme  veoir  conme 

de  lui.  M  Et  il  respont  :  «  Dès  que  vous  che  dites,  il  vous 

mande  par  moi  unes  novieles.  »  Et  li  rois  demande  quels 


MERLIN  67 

novieles  che  sont  (4}^  ^^  '.  Et  il  dist  que  Hangus  est  mors  : 
€  Et  Uters  vostre  frères  l'a  ochis.  »  Et  quant  li  rois  Tôt  oi, 
si  s'en  esmiervilla  moult  et  dist  :  t  Puet  chou  estre  voirs 
que  tu  me  dis?  »  Et  chis  respont  :  «  Il  ne  m^en  com- 
manda nient  plus  a  dire.  Mais  vous  faites  que  fols  que 
ne  le  créés  tant  que  vous  Paiiés  assaiié.  Envoiiés  savoir 
se  c'est  voirs,  et  puis  se  le  créés.  »  Et  li  rois  dist  :  «  Vous 
dites  voir.  »  Lors  prist  li  rois  deus  messages  et  les  fist  Pendragon  en- 
monter  sour  les  deus  millours  chevaus  que  il  avoit,  si  voie  des  messa- 
lor  commande(nt)  que  il  aillent  au  plus  tost  que  il  pueent  s^^^   P""""    ^'^" 

^         ,  ,T  T-     ,•  informer;  ils ren- 

et  sachent  se  Hangus  est  mors.  Et  li  message  se  partent  ^outrent  ceux 
dou  roi  et  chevaucent  au  plus  tost  qu'il  pueent.  Et  en-  d'Uter  qui  ve- 
contrerent  les  messages  Uter  qui  venoient  dire  les  nou-  "aient  annoncer 
vicies  que  Hangus  estoit  mors.  '^  '"^'"^  ^^  "«"" 

gus. 

VOUANT  li  message  se  furent  entrecontré,  si  s'entre- 
dient  les  nouvieles  et  tornerent  arrière  au  roi.  Et  cil  s'en 
fu  aies  qui  son  message  avoit  dit  au  roi  de  Merlin.  Et  li 
message  qui  retornerent  et  cil  qui  venoient  furent  devant 
le  roi  et  li  contèrent  a  conseil  comment  Uters  avoit  mort 
Hangus.  Et  quant  li  rois  Toi,  si  desfendi  as  messages  que 
il  de  cesie  chose  ne  parlaissent.  Ensi  remest.  Et  moult 
s'esmervilla  li  rois  comment  Merlins  avoit  seu  ceste 
chose.  Ensiattendi  (4-y  ^)  li  rois  en  la  ville  pour  savoir  se 
Merlins  verroit,  et  pensa  en  son  cuer  que  si  tost  que 
Merlins  verroit,  il  li  demanderoit  comment  Hangus  fu 
mors,  cargaires  de  gent  ne  savoient  sa  mort.  Ensi  attendi  Lnjourunau- 
li  rois  tant  que  un   jour  avint  que  il  revenoit  dou  mous- ^"^^    "^'^    ^"""^"^ 

.       .  ,  ,     .  ,      ,  •  I  ,  .        se    présente    au 

tier,  SI  vmt  devant  lui  uns  moult  biaus  preudom  bien  ^.^^  et  lui  dit  de 
viestus  et  moult  bien  sambla  preudom.  Et  vint  devant  le  faire  venir  ceux 
roi  et  le  salua  et  li  dist  :  «  Sire,  k'atendés  vous  en  ceste  qui  disent  con- 
vile?  »  Et  li  rois  se  li  '  dist  :  «  Je  attendoie  que  Merlins  "^'^'"«^  Merlin. 
venist  parler  a  moi.  »  Et  li  preudom  li  dist  :  «  Sire,  vous 


68  MERLIN 

n'estes  mie  si  sages  que  vous  le  puissiés  connoistre  quant 
il  parole  a  vous.  Et  apieléscheusqui  vous  avés  amené  qui 
Merlin  doivent  connoistre;  si  lor  demandés  si  je  porroie 
icil  Merlins  estre.  »  Et  li  rois  s'esmierveilla  moult  et  fist 
icheus  apieler  et  lor  dist  :  «  Signour,  nous  attendons  Mer- 
lin, mais  il  n'i  a  celui  a  mon  ensient  qui  le  connoisse. 
Et  se  vous  le  connissiés,  si  le  dites.  »  Et  il  respondent  au 
roi  :  «  Sire,  il  ne  porroit  estre  que  se  nous  le  veions, 
nous  [ne]  le  connissions  '  bien.»  Et  li  preudom  qui  fu  de- 
vant le  roi  dist  :  a  Signeur,  puet  il  mais  connoistre  au- 
trui qui  soi  meismes  ne  connoist  mie  bien?  »  Et  il  res- 
pondent :  a  Nous  ne  disons  pas  que  nous  le  connissons 
de  tous  ses  affaires,  mais  nous  le  connisterons  bien, 
se  nous  le  veions.  »  (4^  ^)  Et  li  preudom  respont  : 
a  II  ne  connoist  pas  bien  homme  qui  ne  connoist  sa  fai- 
En  pariicuiier,  ture,  et  sel  VOUS  mousterrai  ore  *.  »  Lors  apiela  le  roi  en 
il  dit  au  roi  qu'il  ^^g  cambre  a  conseil  tout  seul  et  li  dist  :  «  Sire,  je  voel 
est  Merlin  et  qu'il  ^^^^^  moult  bien  de  vous  et  de  Uter  vostre  frère.  Et  saches 

va  se  faire  rccon-  ...,»,,•  \r    > 

naître.  ^^^  1^  ^^^  ^'^  Merlins  que  vous  estes  venu  querre.  Mais 

ceste  gent  qui  me  cuident  connoistre  ne  sevent  riens  de 
mon  estre.  Et  se  le  vous  mousterrai  ja.  Aies  la  hors  et  si 
m'amènes  cheus  qui  che  dient  que^  bien  me  connoissent. 
Et  si  tost  comme  il  me  verront,  il  diront  qu'il  m'aront 
trouvé,  et  se  je  voloie  jamais  ne  me  connisteroient.  » 


C/UANT  li  rois  oi  chou,  si  en  fu  moult  liés,  et  dist  : 

«  Merlins,  je  ferai  canques  tu  vourras.  n  Et  lors  issi  li 

rois  fors  de  sa  chambre  et  ala  en  la  sale  au  plus  tost  qu'il 

En  effet,  il  re- puet,   et  amena  cheus.  Et  quant  il  furent  venu  en  la 

prend  la  forme  chambre,  si  ot  Merlins  pris  samblanche  teleou  il  l'avoient 

sous  laquelle  ils  premiers  veu.  Et  quant  il  le  virent,  si  disent  au  roi  : 

!  *!*'"*    ^°"""  «  Sire,  nous  disons  certainnement  que  c'est  Merlins.  »  Et 
jadis,   et  se  fait  .'  .  ^  •     r\  j* 

reconnaître.        Merlins  dist  au  roi  :  «  Sire,  il  vous  dient  voir.Ur  me  di- 

I.  connisterons       2.  vous  ore  m.  —  3.  qui 


MERLIN  69 

tes  vostre  plaisir.  »  Et  li  rois  dist  :  «  Merlins,  je  te  vaur- 

roie  moult  priier,  se  il  te  plaisoit,  que  tu  me  dies  se  je 

parlai  puis  a  toi  que  je  vileng  en  ceste  part  pour  toi 

querre.  »  Et  Merlins  dist:  «  Sire,  je  (45  ^Jsui  li  iiom  a  qui 

tu  parlas  ou  bois,  qui  gardoit  les  bestes,  et  sui  cil  qui 

vous  dist  que  Hangus  esioit  mors.  »  Quant  li  rois  oi 

Merlin  et  cil  qui  avoec  lui  estoient  parler,  si  s'esmervil- 

lièrent  moult.  Lors  dist  li  rois:  a  Signour,  vous  connis- 

siés  malvaisement  Merlin,  quant  il  entra  devant  vous  et 

si(l)  nel  peustes  connoistre.  »   Et  cil  dient  :  «  Nous  ne 

le  veismes  onques  mais  tel  chose  faire.  Mais,  sire,  nous 

creonsbienqueii  puetchou  moult  bien  faire  que  nus  autres 

hom  ne  porroit  taire.  »  Lors  demanda  li  rois  a  Merlin  : 

«  Merlins,  comment  seusies  vous  de  la  mort  Hangus  ?  » 

a  Sire,  je  le   seuch   quant  vous  fustes   cha   venus,  que     n  raconte  au 

Hangus  vaut  vostre  frère  ochirre.  Et  jou  alai  a  vostre ''^^ '^^'"'"'^"^ '' ^ 

r  i-j'i-vr-i  i'ir\'  i  --i       i        prévenu  son  frère 

frère,  se  li  dis(t).  Et  la  merchi  de  Dieu  et  la  soie  il  m'en  '.  „ 

'  ^  ^  Lier,  que  Han- 

crut  bien,  si  se  garda  de  lui.  Et  je  li  dis  bien  la  forche  et  gus  voulait  tuer, 
la  viertu  de  lui.  Car  il  devoit  tous  seuls  venir  au  pavil-  et  comment  uter, 
Ion  vostre  frère  pour  li  occhirre.  Et  vostre  frères  quant  je  S'âce  a  cet  avis, 
li  avoie  che  dit,  il  ne  m'en  crei  pas.  Mais  tant  tist  il  que  ^^"^  Hangus; 
il  veilla  celé  nuit  tous  seus,  que  onques  a  nului  ne  le 
dist,  et  s'arma  que  onques  nus  ne  le  sot.  Ensi  garda  vos- 
tre frères  la  nuit  son  paveillon  tant  que  Hangu(e)s  vint. 
Et  quant  il  fu  venus  au  paveillon,  si  entra  (4b  ^)  et  cerka 
vostre  frère  ou  il  le  cuida  trouver.  Mais  non  fist,  si  vaut 
issir  hors.  Et  vostre  frères  li  vint  au  devant,  si  se  combati 
a  lui  et  Tôt  tost  mort,  car  il  esioit  desarmés.  Car  Han- 
gus n'i  esioit  venus  se  pour  vostre  frère  non  occhirre  en 
dormant  et  por  tost  fuir  arrière,  se  mestier  li  fust.  »  Quant 
li  roisoi  celé  merveille  que  Merlins  li  dist,  seli  demande: 
t  Merlins,  en  quele  samblance  estiés  vous  quant  vous 
parlastes  a  mon  frère?  Car  je  m'esmierveille  moult  quant 
il  vous  crei.  »  Et  Merlins  dist  :  «  Sire,  je  pris  le  samblance 
d'un  homme  viel  et  chenu,  si  parlai  a  vostre  frère  a  con- 
seil, se  li  dis(t)  bien  que  celé  nuit,  se  il  ne  s'i  gardoit.  le 


70  MERLIN 

converroit  morir.  »  Et  li  rois  li  demande  :  «  Li  désistes 
[que  vos  estiésj  Merlins?  »  «  Sire,  encore  ne  set  vostre 
frères  qui  li  a  dit,  ne  il  ne  le  savra  devant  chou  que  vous 
li  dires.  Et  pour  chou  vous  mandai  ge  par  vos  honmes 
que  vous  n'avriés  le  chastiel  devant  chou  que  Hangus(t) 
fust  mors.  »  Et  li  roisdist  :  «  Merlins,  biaus  amis  chiers, 
verre's  vous  ent  avoecques  moi  ?  car  je  ai  grant  mestier 
de  vous  et  de  vostre  aide.  »  Et  Merlins  dist  :  «  Sire,  et  plus 
tost  iroie  et  plus  tost  se  courcheroient  vostre  honme  de 
chou  que  il  verroienl  que  vous  me  querriés.  Mais  se  vous 
i  veés  vostre  {46  ^)  preu  et  vous  estes  sages,  vous  ne 
lair(i)és  ja  por  iaus  que  vous  ne  m'en  créés  por  vostre 
besoigne  faire  et  de  vostre  anui  destorner.  »   Et  li  rois 
dist  :   «  Merlins,   vous  m'avés  ja  tant  fait  et  dit,  que  se 
chou  est  voir  que  vous  aiiés  mon  frère  garandi  de  mort, 
si  comme  vous  dites,  que  je  ne  vous  doi  jamais  douter  ne 
mescroire.  »  Et  Merlins  dist  au  roi  :  «  Sire,  vous  en  irés 
et  demanderés  a  vostre  frère  qui  li  dist  chou  que  je  vous 
ai  dit.  Et  se  il  ne  le  vous  set  a  dire,  si  ne  me  créés  jamais 
de  chose  que  je  vous  die.  Et  bien  saches  que  je  vaurrai 
que  vous  me  connissiés  quant  je  parlerai  a  vostre  frère  en 
tele  samblance  quant  je  li  dis  de  la  mort  Hangus.  »  Et 
li  rois  dist  :  «  Merlins,  pour  Diu,  plaist  il  a  vous  que  je 
le  sache,  quant  mes  frères  parlera  a  vous?  »  Et  Merlins 
respont  :  «  Vous  le  saverés  moult  volentiers,  mais  gardés 
si  cier  comme  vous  vous  avés  que  vous  nel  dites  a  autrui. 
Il   lui   annonce  Car  se  je  [vous]  prendoie  a  ceste  menchoigne,  je  ne  vous 
qu'il  viendra  par- qugj.j.Qig  jamais  Une  autre  fois,  et   vous  i  avriés  grin- 
onzicmc^lur  à-  ^^^^^  damage  que  je.  »  [Li  rois  li  dist]  :  «  Ja  (eti  puiske 
près   celui    où  J^  VOUS  a  vrai  une  fois  menti,  si  ne  me  créés  jamais.  » 
Pendra^n    lui-  Merlins  dist  :  <ï  Sire,  je  vous  essaierai,  che  vous  di  je 
môme  lui   aura  bien,  en  mainte  manière.  »  Et  li  rois  dist  :  «Che  voel  je 
^"  *  bien.  »  «  Et  voel  [bien,  »   fait  Merlins,  »  t  ]  que  vous 


I.  en 


MERLIN  71 

saichiés  que  je  parlerai  a  vostre  frère  a  Tonsime  ^  jour 
que  vous  parle[ré]s  a  lui  ^  » 


(46  <^j  Ore  dist  li  contes  que  ensi  s'acointa  Merlins 
au  roi   Pandragon  et  prist  congié  a  lui,  si  s'en  ala  a  son 
maistre  Biaise  et  li  redist  toutes  ces  choses,  et  Biaises  le 
mist  en  escrit  et  par  lui  le  savons  nous.  Et  Pandragons     pendragon  va 
s'en   vint  par  ses   jornees  tant  que    il  vint  la   ou  ses  trouver  uter  qui 
frères  esioit.   Et  quant  Uter   vit   Pandragon,  si  en  fu  ^"'  confirme   le 
moult  liés.  Et  Pandragons,  si  tost  comme  il  sefurenten-  ^^'^.^^'^.^  Merim, 

°  .  et  il  lui  annonce 

tresalué,  si  traist  son  frère  a  une  part  ei  h  conte  de  la  ^^^^  ,,^  p^.^^, 
mort  de  Hangus,  si  comme  Merlins  li  ot  conié.  et  li  de-  homme  inconnu 
manda  se  il  avoit  voir  dit  :  «  Je  ne  sai,  »  dit  Uter,  «  qui  qui  ra  averti  du 
le  vous  a  dit,  mais  si  m'ait  Dieus,  vous  m'avés  tel  chose  ^"^^'^  ^^  ^^a"- 

,.  .  ...  f         T\'  ^  gus  viendra    lui 

dite  que  lene  cuidoie  que  nusseust  fors  Dius  etunspreu- "   ,     . 

^        '  ^  ,  ...  parler  dans  onze 

doms  moult  vieus  qui  en  conseil  le  dist  a  moi,  mais  je  ne  jours. 
cuidoie  que  nus  hom  le  seust  ne  le'^peust  savoir.  »  Et 
Uters  dist  au  roi  :  «  Sire,  pour  Dieu,  dires  moi  qui  vous 
a  ore  che  dit.  Car  moult  m'esmerveil  comment  vous  le 
savés  \46  ^}.  »  Et  il  dist  :  «  Je  le  sai  bien,  mais  je  vous  pri 
que  vous  me  dites  ki  li  preudom  fu  qui  vous  sauva  de 
mort.  Car  il  m'est  bien  avis  de  tant  que  j'en  *  ai  apris  que, 
se  il  ne  fust,  Hangus  vous  eust  ochis.  »  Et  Uter  li  dist  : 
«  Sire,  par  la  foi  que  je  vous  doi  (que)  je  ne  sai  que  il  fu. 
Mais  moult  me  sambla  preudom  et  sages.  Et  pour  chou 
que  il  me  sambloit,  le  crei  jou,  car  il  ne  me  dist  chose 
dont  je  nel  deusse  bien  croire.  »  Et  (li  rois)  dist  :  «  Moult 
iist  grant  (qui)  hardement  qui  en  nosire  ^  ost  [etl  en  mon  ^ 
pavillon  me  vautochirre.  »  Et  Pandragons  dist  :  «  Connis- 
teriés  vous  jamais  cel  homme  se  vous  le  veiiés?  »  Et  Uters 
dist  :  a  Sire,  je  le  connisteroie  bien,  che  m'est  il  avis.  » 
Et  Pandragons  dist  :  «  Je  vous  faich  bien  a  savoir  que  il 


1 .  la  o.  —  i.  moi.  —  3.  ne  ne  —  4.  que  icn  —  3.  vostre 
tre 


73  MERLIN 

parlera  a  vous  d'ui  en  onze  jours.  Mais  tant  faites  pour 
Tamour  de  moi  que  vous  ne  soies  a  cel  jor  fors  que  en- 
tour  moi,  tant  que  li  jors  soit  passés, si  que  je  voie  cheus 
qui  a  vous  parleront  chelui  jour.  »  Ensi  l'ont  pris  li  doi 
frère  que  il  seront  ensamble  a  cel  jour.  Et  Merlins  qui 
toutes  ces  choses  savoir,  (qui)  por  aus  acoiniier  et  estre  de 
bon  acomplissement  et  de  boine  compaignie,  a  dit  a 
Biaise  comment  li  doi  frère  ont  parlé  de  lui  et  comment 
li  rois  le  veult  essaiier.  Et  Biaises  li  demande(s)  ;  «  Que 
vaurrés  {4j  ^)  contre  ces  choses  faire?  »  Et  Merlins  res- 
pont  :  «  Il  sont  jovle  homme  et  joli,  et  je  ne  les  porroie 
en  nule  manière  si  bien  traire  a  amour  comme  par  faire 
et  par  dire  une  partie  de  leur  volenté  et  par  aus  mè- 
tre en  joie  et  par  bieles  risées  Je  sai,  •  dist  Merlins, 
<  une  dame  que  Uters  aimme,  si  verrai  a  lui,  se  li  apor- 
terai  unes  lettres  de  par  li,  que  vous  me  ferés,  en  tele  ma- 
nière que  il  me  croie  de  che  que  je  li  dirai.  Ensi  passerai 
cel  onsime  jour  que  il  me  verront  ambedui  et  si  ne  me 
connisteront.  Et  quant  venra  l'endemain,  je  m'i  acoin- 
terai  d'aus  deus  ensamble,  si  m'en  savront  gringneur 
gré.  »  Ensi  que  Merlins  le  dist,  le  fist  Biaises.  Et  Merlins 
Au  onzième  ^i"^  ^  l'onsime  jour  et  ot  prise  la  samblance  d'un  garchon 
jour,  tous  deux  a  l'amie  Utcr.  Et  vint  en  la  place  la  ou  il  le  vit  devant 
font  grande  atten-  son  frère,  et  li  dist  :  «  Sire,  madame  vous  salue  et  vous 
tion,  mais  Mer-  g^^Qjg  ^^^  lettres.  »  Et  Uters  les  prist  qui  en  ot  moult 

lin    paraît    sous  .    .  •  ,     ,  .  •  ..... 

la  forme  d'un  ^""^"^  J^^^  ^^  cuide  bien  vraiement  que  s  amie  h  ait  en- 
valet  qui  remet  voiié,  si  le[s]  fait  lireauu  clerc.  Et  les  lettres  disoient  que 
à  u ter  une  lettre  il  le  creist  de  canques  il  disoii  Et  Merlins  dist  chou  que 
d^uncdame  qu'il  Uters  plus  volenticrs  ooit.  Ensi  fu  Uiers  cel  onsime  jour 
**"*•  devant  son  frère.  Et  Uters  fist  moult  grant  joie  a  chelui 

qui  les  lettres  avoit  aportees,  et  fu  moult  liés  toute  jour 
de  la  boine  nouviele  que  il  avoit  oie  (4y  *j  de  s'amie.  Et 
quant  vint  vers  le  viespre,  si  s'esmiervilla  moult  Pan- 
dragons  de  Merlin  qui  li  ot  en  couvent  a  cel  jour  que  il 
verroit  parler  a  Uter. 


MERLIN  73 


Cnsi  atendirent  entre  Pandragon  et  Uter  son  frère  Merlin  se  joue 
tant  que  viespres  furent  passées.  Et  quant  il  fu  bien '^'^^'^'"  ^"  •"' ^P" 
avespré,  Uters  et  Pandragons  se  traisent  a  une  part  et  p^'"^'^^^"^   ^°^^ 

'  ^  ^  diverses  formes. 

commenchierent  a  parler  ensamble.  Et  Merlinssetraist  a 
une  part  et  prist  la  samblance  que  il  avoit  lors  quant  il 
parla  a  Uter  *.  [Et  s'en  vint  a  sa  herberge  et  demanda 
Uter,  et  l'en  li  dit  quMl  est  au  roi,  et  il  l'envoie  querre 
par  un  message  qui  li  dit  veiant  son  frère  que  uns  moult 
biaus  preudom  le  demande  a  son  pavillon  ]  Et  li  rois 
[li]  dist  ^  :  [«  Je  cuit  ce  soit]  Merlins.  »  Et  dist  a  Uter 
que  il  Talast  querre.  Et  cil  si  fist  et  dist  :  «  Sire,  veés  le 
chi.  »  [Et]  quant  li  rois  [le  vit,  sij  demanda  a  Uter,  se 
li  prodom  venoit  qui  de  mort  l'avoit  garandi,  que  il  li 
desist.  Et  il  li  dist  que  si  feroit  il  sans  faille.  Ensi  vint 
Uters  a  son  pavillon  et  trouva  le  preudomme  qui  de 
mort  Tavoit  garandi  (que  il  li  desist).  Et  il  le  vit  et  le 
connut  moult  bien  et  li  tist  moult  grant  joie  et  parla  a 
lui  de  pluseurs  choses  et  li  dist  :  «  Sire,  vous  m'avés 
sauvé  de  mort.  Mais  de  chou  m^esmierveille  jou  que  me 
sires  m'a  tout  conté  canques  vous  me  désistes  et  chou 
que  je  fis  quant  vous  fustes  de  moi  partis.  Et  me  dist 
que  vous  déviés  hui  venir,  et  m'a  prié  et  commandé 
que  se  vous  veniés  que  je  {4j  <=)  li  fesisse  savoir.  Et  me 
dist  ore  que  se  vous  esiiés  che  que  je  l'alaisse  querre; 
mais  moult  mesmerveil  comment  il  sot  chou  que  vous 
m^aviés  dit.  »  Et  Merlms  dist  :  «  Il  ne  le  peust  savoir  se 
on  ne  li  eust  dit.  Aies  le  querre,  se  li  demandés  devant 
moi  qui  ^  li  dist.  »  Atant  s'en  torna  Uters  pour  aler  querre 
le  roi  et  commanda  a  chiaus  qui  furent  fors  dou  pavil- 
lon quMl  gardaissent  bien  que  nus  n'entrast  laiens.  Et 
Merlins,  si  tost  que  Uters  fu  fors,  prist  la  samblance  dou 
garchon  qui  avoit  aporté  les  lettres.   Et  quant  Uters  et 

I.  a  pandrajçon  —  ^..  vit  —  4.  que  ii 


74  MERLIN 

Pandragon  cuidierent  trouver  le  preudommeel  pavillon, 
si  trouvèrent  le  garchon.  El  quant  Uiers  le  vit,  si  dist  : 
«  Sire,  je  voi  merveilles,  que  je  laissai  ore  chi  le  preu- 
domme  que  je  vous  avoie  dit,  et  ore  n'i  truis  que  ce  var- 
let.  Tenés  vous  chi,  et  je  demanderai  ces  gens  se  il  le 
virent  issir  ne  che  vallet  entrer  çaiens.  »  Ensi  s'en  issi 
Uters  dou  pavillon.  Et  li  rois  commencha  a  rire  moult 
durement.  Et  Uters  demanda  a  chiaus  defors  :  «  Veistes 
vous  nului  entrer  chaiens  puis  que  je  alai  querre  mon 
frère?  »  Et  il  dient  que  nennil.  Lors  vint  Uters  au  roi 
arrière,  se  li  dist  :  «  Sire,  je  ne  sai  que  che  puet  esire.  » 
Lors  demanda  Uters  au  {4^  ^)  garchon  :  ■  Et  tu  quant  ve- 
nis  tu  chaiens?  »  Et  il  dist  :  «  Jou  i  estoie  quant  vous  en 
alastes  et  vous  parlastes  au  preudomme.  »  Et  Uters  se 
saigne  et  dist  au  roi  :  «  Si  m^ait  Dieus,  je  sui  tous  en- 
chantés, ne  onques  mais  che  n'avint  a  homme  que  avenu 
m'est.  »  Et  quant  li  rois  oi  ensi  parler  Uters,  si  rist.et  sot 
bien  en  son  cuer  quec'estoit  Merlins  qui  tout  che  faisoit. 
Lors  dist  li  rois  :  «  Biau  frère,  je  ne  cuidoie  pas  que 
vous  [me]  mentesissiés.  »  Et  Uters  respont  :  «  Je  sui  si  es- 
bahis  que  je  ne  sai  que  je  doi  dire.  »  Et  li  rois  demande  : 
«  Qui  est  chis  variés?  »  Et  Uters  dist  :  a  Cest  li  vallès 
qui  m'aporta  les  lettres  devant  vous.  »  Et  li  rois  de- 
mande :  a  Connissiés  le  vous?  »  Et  il  dist  :  «  Oil  bien.  » 
Et  li  rois  si  dist  :  «  Uters,  vous  est  il  avis  que  che  puet 
estre  li  preudom  por  coi  vous  me  venistes  querre?  »  Et 
Uters  dist  :  «  Che  ne  porroit  pas  estre.  »  Et  li  rois  li 
dist  :  «  Or  alons  entre  moi  et  vous  la  fors.  Et  se  il 
veult  que  nous  le  trouvons,  nous  le  trouverons  (nous  le 
trouuerons)  bien.  »  Atant  s'en  issirent  '  dou  pavillon  et 
esturent  une  pieche.  Et  puis  dist  li  rois  a  un  de  ses  che- 
valiers :  «  Aies  veoir  qui  est  laiens.  »  Et  cil  i  va  et  trueve 
le  preudomme  qui  seoit  en  un  lit.  Et  revint  arrière  et 
lour  dist.  Et  quant  Uters  (.^  '')  Toi,  si  en  ot  moult grant 

I.  isibsent 


iMERLlN  75 

merveille  et  dist  :  «  Dieus  aie  !  Or  voi  je  che  que  je  ne 
cuidoie  mie  que  nus  hom  peust  veoir.  Sire,  veschi  le 
preudoume  sans  faille  qui  me  garandi  de  mort.  »  Quant 
11  rois  oi  chou,  si  ot  grant  joie  et  dist  que  bien  fust  il 
venus.  Et  li  rois  li  dist  :  «  Sire,  volés  vous  que  je  le  die 
mon  frère  qui  vous  estes?  »  Et  Merlins  dist  :  «  Je  voel 
bien  que  il  le  sache.  » 


Atant  dist  li  rois  a  Uter  (qui  connissoît  bien  les  af- 
faires Merlin)  :  «  Biau  trere.  [moult  connissiés  mal  les 
affaires  de  cel  preudomme.  Et]  ou  est  il  li  garchons  qui 
vous  aporta  les  lettres?  »  Et  Uters  li  dist  :  «  Sire,  il  estoit 
ore  chi;  k'en  volés  or  taire?  »  Et  li  rois  et  Merlins  com- 
menchierent  a  rire.  Et  Merlins  apiele  le  roi  a  conseil, 
se  li  conte  chou  que  il  avoit  dit  a  Uter  de  s'amie.  Et  li 
commande  que  il  li  redie  devant  lui.  Lors  apiela  li  rois 
Uter  tout  en  riant  et  li  dist  :  a  Biaus  frère,  ou  avés  per- 
dut  le  varlet  qui  vous  ap  ^rta  les  lettres  ?»  Et  quant  Uters 
l'ot,  si  s'en  esmierveilla  moult  et  dist  au  roi  :  «  Pour  coi, 
sire,  me  ramentevés  vous  che  vallet?  »  Et  li  rois  dist  : 
«  Pour  les  boines  novielles  que  il  vous  a  aportees  de  la 
dame  que  vous  savés.  »  Et  se  li  dist  :  «  Je  vous  en  dirai 
chou  que  j'en  sai  devant  che  preudomme.  »  Et  Uters  res- 
pont  :  a  Je  le  voel  bien  (48  ^),  »  Et  il  li  otroie,  pour  chou 
que  il  ne  cuidoit  pas  que  nus  hom  le  seust  fors  cil  qui  li 
avoit  dit.  Et  li  rois  li  conta  tout  mot  a  mot  canques  li 
variés  li  avoit  dit.  Quant  Uters  oi  chou,  si  s'esmiervilla 
moult  et  li  dist  :  «  Dites  moi  comment  vous  le  savés.  » 
Et  li  rois  li  respont  :  a  Si  ferai  jou,  se  chis  preudom 
veult  qui  chi  est.  »  Et  Uters  dist  :  «  Sire,  k'en  lient  il  a 
che  preudomme?  »  Et  li  rois  dist  :  a  Je  nel  puis  faire  se 
il  ne  le  me  commande.  »  Et  quant  Uters  oi  chou,  si  s'es- 
mervilla  moult  et  commencha  a  regarder  le  preudomme 
et  li  dist  :  «  Sire,  je  vous  pri  que  vous  commandés  a 
mon  frère  que  il  le  die  si  comme  il  (il)  set,  et  qui(l;  li 


76  MERLIN 

dist.  »  Et  Merlin  dist  a  Uter  que  il  veut  bien  que  il  le 
die. 


Adont  dist  li  rois  :  «  Biau  frère,  vous  ne  savés  qui 
chis  preudom  est.  Mais  tant  voel  jou  bien  que  vous  sa- 
chiés  que  c'est  li  plus  sages  hom  et  li  plus  preudom  dou 
monde,  ei  dont  nous  avons  grignour  mesiier,  de  son 
conseil  et  de  s'aide;  et  tant  saichiés  vous  bien  que  il  a  tel 
pooir  comme  je  vous  dirai,  ne  nus  autres  garchons  ne 
vous  aporta  les  lettres  se  il  non.  Et  se  est  cil  qui  vous  a 
dit  les  privées  paroles  de  vosire  amie.  »  Et  quant  Uiers 
ci  chou,  si  en  fu  moult  esbahis  et  dist  au  roi  :  «  Sire, 
comment  (48  ^)  porroie  jou  chou  croire?  Car  ce  seroit  la 
gringnour  mierveille  dou  monde  se  che  pooit  estre 
voirs.  »  a  Biau  frère,  »  dist  li  rois,  a  vraiement  le  poés 
croire.  »  Et  Uiers  respont  :  a  Sire,  che  ne  porroie  jou 
croire  se  je  nel  veoie  autrement  que  par  vosire  dire.  » 
Lors  pria  li  rois  Merlin  que  il  Ten  fâche  auchune  de- 
moustrance.  Et  Merlins  dist  :  «  Je  l'en  ferai  assés.  «  Et 
lors  dist  Merlins  au  roi  :  «  Sire,  aies  un  peu  la  fors  et  je 
li  mousterrai  la  samblance  d'un  garchon.  »  Et  quant  il 
Tôt  prise,  si  apiela  Uter  et  li  dist  :  «  Sire,  je  m'en  voel 
aler,  et  si  commandés  chou  que  vous  vaurrés.  »  Et  Uters 
le  commande  a  Dieu.  Et  lors  vint  li  rois  a  son  frère,  se  li 
dist  a  conseil  et  li  demande  :  •  Que  vous  est  il  avi^  de 
che  vallet?  A  painnes  querriés  vous  que  che  fust  il  qui 
parla  ore  a  vous.  »  Et  Uters  dist  :  «  Je  sui  si  esba(ba^his 
que  je  ne  sai  que  je  doie  vous  dire.  »  Et  li  rois  dist  : 
a  Soies  tous  certains  que  c'est  chius  qui  fisl  que  Hangus 
ne  vous  ochist  mie,  et  que  c'est  cil  que  j'alai  querre  en 
Norhomberlande,  et  que  il  a  tel  pooir  qu'i[ll  set  toutes  les 
choses  faites,  dites  et  alees,  et  des  choses  qui  sont  a  ave- 
nir   une   grant    partie  ".    Pour  coi  nous   li  deverions: 

i.  se  uocl  —   ^.  gramrneiit  et  pariie 


MERLIN  77 

bien  priier  que  il  fust  bien  acointes  de  nous,  et  que 
nous  fesissiens  par  lui  tous  nous  affaires.  »  Et  Uters  res- 
pont  :  «  Sire,  se  il  li  (48  ^J  plaisoit,  teuls  hom  nous 
averoit  boin  mestier.  » 


A.TANT  priierent  li  frère  ambedoi  Merlin  que  por 
Dieu  et  pour  che  que  il  le  querroient  de  canques  il  vaur- 
roit  que  il  remaingne  entour  aus.  Et  Merlins  respont  : 
•  Signeur,  vous  devés  savoir  ambedoi  que  je  sai  toutes 
les  choses  cele[e]s  que  je  voel  savoir.  Et  vous,  siie,  »  fait  Les  deux  frè- 
Merlins  au  roi,  «  ne  savés  vous  bien  que  je  vous  ai  dit  *^"'  '^^^''^  ^^  '* 
voir  de  toutes  les  choses  que  vous  m'avés  demandées?  »  ''*^'^""^   "P°"' 

.  '  ,  voir  de    Merlin, 

Et  h  rois  respont  :  «  Je  ne  te  trouvai  onques  en  nule  lui  demandent  de 
mciichoigne.  »  «  Et  vous,  Uters,  et  ne  vous  ai  jou  voir  rester  avec  eux; 
dit  de  vostre  amie  de  chou  que  vous  cuidiés  que  nus  hom  i'  y  consent,  sauf 
peust  savoir?  »  Et  Uters  respont:  «  Vous  m'avés  tant  dit  '''"'''  '"'  ^^^  P^''" 

,  •  .      _  ,  fois      nécessaire 

que  mais  a  nul  jour  ne  vous  mesquerrai.   Et  pour  chou  ,    ,  ^ 

^        .  .  '  ^  ^  de  s'absenter;  lis 

que  )e  sai  que  vous  estes  si  preudom  et  si  sages  vaurroie  ne  devront  pas 
jou  que  vous  fuissiés  entour  nous.  »  Et  Merlins  respont  :  s'en  préoccuper, 
«  Je  i  serai  moult  volentiers.  Mais  je  voel  que  vous  sai-  et  il   les  aidera 
chiés  entre  vous  deus  priveement  mon  affaire.  Si  sachiés  ^o"i°"'"5- 
que  il  m'en  convient  par  force,  par  fies,  eskiver  de  la  gent. 
Mais  tant  sachiés  vous  bien  que  en  tous  les  lius  u  je  se- 
rai  serai  je  plus  ramembrés  de  vos  oevres  que  d'autrui. 
Et  ja  ne  savrai  que  vous  soiiés  encombrés  de  nule  chose 
que  je  ne  vous  viegne  aidier  a  mon  pooir.  Mais  tant 
vous  pri  jou  que  se  vous  volés  avoir  ma  compaignie  que 
vous  n'en  caille  quant  je  m'en   irai.    Et  toutes  les  fois 
quant  je  revemai,  si  me  taiies  grant  joie  devant  la  gent. 
Si  m'en  ameront  micus  li  preudonme    Et  li  mauvais,  cil 
qui  ne  vous  ameront  riens,  me  harroni.   Et  se  vous  me 
moustrés  biele  chiere,  il  n'en  oseront  ja  faire  samblant.  Et 
sachiés  que  je  ne  me  mouverai  pas  en  pieche  de  ma  sam- 
blance,  se  a  vous  non  priveement  ne  [me]  mousteirai.  Et 


78  MKRLIN 

verrai  ja  devant  vous  a  vostre  ostel.  Et  cil  qui  autre  fois  * 
m'avront  veu  vous  courront  dire  que  je  suis  venus. 
Et  si  tost  coume  vous  Torrés,  si  faites  samblant  que  vous 
en  soiiés  moult  liés.  Et  il  vous  diront  que  je  sui  moult 
bons  devins.  Et  vous  demanderés  tout  seurement  can- 
qucs  vostre  consaus  vous  loera,  et  je  vous  consillerai  de 
toutes  les  choses  que  vous  me  demanderés.  » 


L>Hi  endroit  dist  li  contes  que  (4g  ^)  Merlins  prist 
congiet  a  Pandragon  et  a  Uter  pour  prendre  samblance 
a  quoi  les  gens  de  la  terre  le  reconneussent.  Quant  Mer- 
lins  s'en  parti  d'aus,  si  vint  a  cheus  qui  avoient  esté  dou 
conseil  Verligier.  Et  quant  cil  le  virent,  si  en  furent 
moult  lié,  et  maintenant  coururent  dire  au  royque  Mer- 
lins  estoit  venus.  Et  quant  li  rois  Toi,  si  en  fu  moult  liés 
et  ala  a  rencontre  de  li.  Et  cil  qui  amoient  Merlin  li 
disent  :  «  Merlins,  veschi  le  roi  qui  vient  encontre 
vous.  »  Grans  fu  la  joie  que  li  rois  fist  de  Merlin,  si 
l'en  mena  a  son  hostel.  Et  si  tost  comme  il  fu  laiens,  les 
gens  dou  conseil  le  roi  le  traisent  a  une  part,  se  li  disent  : 
t  Sire,  veschi  Merlin  qui  est  li  mieudres  devins  qui 
soit.  Mais  priiés  li  que  il  vous  die  comment  vous  pren- 
derés  cel  chastiel  et  que  il  vous  die  a  quoi  la  guerre  des 
Saisnes  et  de  vous  venra.  Et  saichiés,  se  il  veult,  il  le  vous 
dira  bien.  »  Et  li  rois  dist  que  il  li  demandera  moult  vo- 
lentiers.  Lors  laissierent  atant  ester  pour  chou  que  li 
rois  voloit  Merlin  moult  honnerer.  Et  quant  vint  au 
Sur  le  conseil  tierch  jour  apriès,  si  fu  tous  li  consaus  le  roi  assamblés. 
de  Merlin,  le  roi  Lors  mist  li  rois  Merlin  a  conseil  de  che  que  ses  con- 

fait  la  paix  avec  i-  '^j-^  x*i'  u-  j  •       •  •• 

.        .  ^    saus  11  avojt  dit  :  «  Merlms,  biaus  dous  amis,  lou  ai  01 

ce  qui  restait  des  ' 

Saisnes,  à  condi-  '^•'"^  ^^^  ^^^^  estes  moult  sages,  si  vous  pri  et  requier  que 
tion  qu'ils  éva-  VOUS  me  di-(4Q  ^j-tes  comment  je  porrai  cel  chastiel 
cucnt  le  pays,    avoif,  et  dc  CCS  Saisnes  qui  sont  en  ceste  terre,  se  je  les 

I .  qui  autrement  ne 


MERLIN  79 

en  porrai  cachier  ou  non.  »  Et  Merlins  dist  :  «  Sire,  or 
poés  essaiier  se  je  sui  sages;  je  voel  bien  que  vous  sachiés 
que  dès  lors  que  il  orent  perdu   Hangus,  il  ne  béèrent 
onques  puis  fors  a  guerpir  la  terre  et  a  fuir.  Et  si  le  sai- 
chiés  demain  par  vos  messages,  et  les  envoierés  laiens  por 
querre  trives.  Et  lors  vous  manderont  qu'il  vous  lairont 
la  terre  qui  vostre  père  fu,  et  les  ferés  conduire  fors,  et 
leur  baillerés  vostre[s]  vaissiaus  en  quoi  il  s'en  poront 
aler.  »  Et  li  rois  dist  :  «  Merlins,  lu  as  bien  dit.  Et  je  lour 
ferai  a  savoir  avant  en  autre  manière,  que  je  lour  ferai 
requerre  trives  pour  oir  que  il  diront  sans  plus.  »  Lors  i 
envoia  li  rois  Ursin,  un  sien  consillier,  et  deus  avoec  li. 
Et  lors  chevaucierent  tant  que  il  vinrent  au  chasriel.  Et 
quant  il  les  virent  venir,  si  lor  vont  a  rencontre  et  dient  : 
tQuevoelentcil  chevalier?  »  Et  Ursins  lor  dist:  «Signour, 
trives  demandons  de  par  le  roi  jusques  a  trois  moys.  » 
«  Et  nous  nous  en  consillerons,  »  dient  li  Saisne.  Si  se 
traient  a  une  part  a  conseil  et  dient  communaument  : 
«  Nous  sonmes  tout  aggtevé  ue  Hangus  (4p  ^)  qui  est 
mors.  Ne  nous  n'avo(i)ns  point  de  vitaille  pour  chaiens 
estre  tant  comme  li  rois  trives  demande.  Mais  mandons 
lui  que  il  s'en  voist  et  nous  laist  le  chastiel,   et  nous  le 
terrons  de  lui  et  treu  Ten  donrons  chascun  an  dis  che- 
valiers et  dis  damoisieles  et  dis  faucons  et  dis  lévriers  et 
cent  palefrois.  »  Et  a  che  est  venus  lor  consaus,  ensi  sont 
il  acordé.  Et  le  '  dient  as  messages  ensi  conme  il  l'orent 
devisé.  Et  li  message  s'en  revinrent  arrière  au  roi  et  li 
dient  et  a  Merlin  et  as  autres  barons.    Et  quant  li  rois 
entendi  chou,   si  demanda  Merlin  que  il  en  feroit.  Et 
Merlins  respont  que  il  ne  s'en   meskroit  ja,  car  grans 
maus  en  venroit  encore  en  la  terre  et  el  pais,  •  Mais  man- 
dés lor  orendroit  sans  plus  attendre  que  il  issent  dou 
chastiel,  car  il  n'ont  que  mengier  si  le  feront  '  volentiers, 
et  que  jamais  trives  n'avront  se  il  n  issent  fors.  Et  vous 


feroii 


80  MERLIN 

leur  baillerés  vaissiaus  et  nés  en  quoi  il  s^en  poront  aler. 
Et  se  il  ne  voeleni  che  faire,  n^en  prendés  ja  tant  d'aus 
que  vous  ne  les  fachiés  de  maie  mort  morir.  Et  je  vous 
sui  pièges  que  quant  vous  les  en  lairés  (5o  ^)  aler  sauves 
lour  vies  que  il  n^orent  onques  si  grant  joie,  car  il  Gui- 
dent tout  morir.  » 


hnsi  comme  Merlins  l'ot  devisé,  ensi  le  fist  li  rois  au 
matin  faire.  Lors  envoia  ses  messages  pour  faire  ceste 
requeste.  Et  quant  cil  ki  estoient  ou  chastiel  Toirent,  et 
il  sorent  que  il  s^en  porront  aler  sauves  lor  vies,  si  ne  fu- 
rent onques  si  lié.  Car  il  ne  savoient  mais  por  coi  il  deus- 
sent  recouvrer  dès  que  il  avoient  perdu  Hangus.  Ensi 
le  firent  a  savoir  par  toute  la  terre,  et  les  fist  li  rois  con- 
duire et  mener  au  port,  et  lour  donna  vaissiaus  en  quoi 
il  s'en  alerent.  En  ceste  manière  que  vous  avés  oi  sot 
Merlins  le  corage(s)  des  Saisnes,  et  ensi  les  envoia  li  rois 
par  le  conseil  Merlin,  et  ensi  s'en  alerent  li  Saisne  fors 
de  la  terre  Pandragon,  et  ensi  remest  Merlins  tous  sires 
dou  [conseil  le]  roi,  et  si  i  fu  lonc  tans,  tant  que  il  oi  un 
jour  parlé  au  roi  d'un  grant  afaire,  si  em  pesa  a  un  de  ses 
Un  des  barons  barons,  si  vint  au  roi  et  li  dist  :  «  Sire,  vous  faites  grant 
du  roi,  jaloux  de  merveille  de  cest  homme  que  vous  créés.  Et  bien  sachiés 

Merlin,    prétend  ^^^^  j^  g^^^        ^jj  ^  ^-^^  j^  jg  dyabje.  Et  s'il  VOUS 

prendre  sa  scien-     ,...,,..  ,  .  ri         » 

.  ^,.     plaisoit,  je  1  assaieroie  en  tel  manière  que  vous  [le  ver- 

ce    de    prophète  r  ">  i  n  l        ^ 

en  défaut.  Trois  '"^^^  tout  en  apert.  »  Et  li  rois  respont  :  •  Je  vueil  bien 
fois  déguisé,  il  que  VOUS  l'essaiés  en  tel  manière  que  vous]  nel  cour- 
lui demande  corn-  ch(er)iés  point.  »  Et  il  dist  :  a  Sire,  je  ne  li  (5o  ^)  dirai  ja 
ment  il  mourra,  chose  qui  anuiier  lui  doive  ne  ne  terai.  »  Ensi  li  otria  li 

Merlin    lui    an-       .       ^*  .,  .         ,  .       .  .  ,     i-  ' 

nonce  la  pre-  ^°'^*  ^^  quant  il  01  congiet  doj  roi,  si  en  tu  moult  lies, 
mière  fois  qu'il  Et  cil  estoii  a  la  veuc  dou  siècle  moult  sages  et  plains  de 
se  cassera  le  cou  felonnie  et  p[o]e[s]tis  hom  de  grant  riqueche  et  de 
en  tombant  depa,ens  Up^.  jq^j.  ^^^^  ^  Merlin  en  la  court,  si  le  vit, 
et  [li]  rtst  moult  grant  joie  et  moult  biel  samblance,  si 
[rjapiela  devant  le  lui  a  conseil  a  une  part.  A  che  conseil 


MFRLIN  8l 

n'otque  cinq  hommes,  et  chis  dist  au  roi  :  «  Sire,  veés 
chi  un  des  plus  sages  homfmes]  dou  monde.  Et  j'ai  oi 
dire  que  il  dist  Vertigier  sa  mort  et  que  il  morroit  de 
vostre  feu,  et  il  si  fist.  Et  pour  chou  vous  pri  jou  a  tous 
pour  Dieu,  que  vous  savés  bien  que  je  sui  malades,  que 
vous  li  priiés  que  il  vous  die  se  il  set  de  quel  mort  je 
morrai,  car  je  sai  bien,  se  il  veut,  il  le  savra  bien  dire.  » 
Et  li  rois  et  li  autre  em  prient  tout  Merlin.  Lors  respont 
Merlins,  qui  toute  la  parole  de  cheluiot  entendue,  et  set 
bien  Tenvie  et  le  mauvais  cuer  que  il  portoit,  se  li  '  dist  : 
«  Sire,  »  fait  il  au  roi,  «  vous  m^avés  priié  que  je  vous 
die  de  sa  mort.  Je  le  vous  dirai.  Or  sacés  bien  le  jour  que 
41  morra  il  kerra  de  son  cheval  et  brisera  le  col.  Et  ensi 
partira  ^  le  jour  de  vie.  » 

^s^UANT  cil  Fentendi,  si  dist  au  roi  :  a  Sire,  vous  oés 
bien  (5o  <^J  que  il  m'a  dit,  et  Dieus  m'en  gart.  »  Lors 
apiela  le  roi  ^  a  conseil  d'une  part,  se  li  dist  :  «  Sire,  or 
vous  souviegne  bien  que  Merlins  a  dit,  et  je  revenrai  en- 
core a  lui  en  autre  manière,  si  l'essaierai  »  Ensi  s'en  ala  cil 
en  son  pais  et  se  mist  en  diviers  abit.  Et  quant  il  s'i  fu 
mis,  si  revint  au  plus  tost  qu'il  pot  et  se  fist  malades.  Et 
manda  le  roi  a  conseil  que  il  amenast  Merlin  avoec  lui 
en  tel  manière  que  Merlins  ne  le  seust  pas  Et  li  rois  li 
manda  que  il  iroit  volentiers,  ne  que  ja  Merlins  par  lui 
ne  le  savroit.  Lors  vint  li  rois  a  Merlin  se  li  dist  : 
«  Merlins,  alons  moi  et  vous  veoir  un  malade  en  lele 
vile.  »  Et  Merlins  respont  en  riant  :  «  Sire,  nus  rois  ne 
doit  aler  si  seuls  qu'il  n'ait  avoec  lui  au  moins  vint 
hommes.  »  Lors  apiela  li  roi^  chiaus  qu'il  vaut  qui  avoec 
lui  alaissent,  et  alerent  veoir  chelui.  Quant  li  rois  et  sa 
compaignie  vinrent  la,  li  malades  ot  apparillie  sa  feme 
qui  se  laissa  chcoir  as  pies  le  roi  et  li  dist  :  u  Sire,  por 

I.  il  —  2.  partires  —  X.  lapida  li  rois 


82  MFRLIN 

Dieu,  faites  moi  dire  a  vostre  devin  de  mon  signeurse 
il  garira.  »  Et  li  rois  en  Hst  moult  simple  chiere  et  re- 
garda Merlin,  se  li  dist  :  «  Merlins,  porriés  vous  savoir 
que  ceste  teme  dist?  Elle  demande  de  son  signour.  » 
«  Sire,  »  fait  Merlins,  «  je  voel  bien  que  vous  sachiésque 
chis  malades  qui  chi  gist  ne  morra  mie  de  ceste  maladie 
(5o  ^J.  r>  Et  li  malades  s'esforcha  de  parler  par  samblant 
et  demanda  Merlin  :  «  Sire,  de  quel  mal  morrai  je 
la  seconde  fois  dont?  »  Et  Merlius  respont  :  «  Le  jour  que  tu  morras 
qu'il  sera  pendu,  seras  tu  trouvés  pendus.  »  A  ceste  parole  s'en  torne  Mer- 
lins de  devant  lui  et  Hst  samblant  que  il  fust  courechiés, 
si  laissa  le  roi  en  la  maison.  El  che  fist  il  pour  chou  que 
il  voloit  que  li  malades  parlast  au  roi.  Quant  li  malades 
le  sot,  si  dist  au  roi  :  «  Sire,  or  poés  bien  savoir  se  chis 
hom  est  faus  et  fse]  il  ment  de  chou  qu'il  m'a  dit,  quant  il 
m'a  donné  deus  mors  a  morir  que  l'une  ne  puel  estre 
acordable  a  l'autre.  Et  encore  Tassaicrai  jou  autre  fois 
devant  vous.  Je  irai  en  une  abbeie  et  me  ferai  la  malades, 
et  vous  envolerai  querre  par  Pabbé  et  li  abbes  dira  que 
jou  sui  uns  siens  moynes,  et  il  dira  que  il  est  moult  [d]es- 
trois  et  que  il  crient  que  il  ne  muire.  Si  vous  priera  l'abes 
que  vous  amenés  vostre  devin.  Et  je  vous  di  que  je  ne 
Tassaierai  que  ceste  fois.  »  Et  li  roisli  otroie  ceste  chose. 


tNsi  s'em  parti  li  rois  de  chelui  et  s'en  vint  arrière. 
Et  cil  s'en  ala  en  une  abbeie,  si  le  fist  (on)  ensi  comme  il 
ravoi(en)tditauroi, et envoia l'abbé  pourluiquerref'i/  ^). 
Et  li  rois  i  ala  et  mena  Merlin.  Ensi  chevaucha  li  rois 
tant  que  il  vint  a  l'abbeie.  Et  quant  il  i  fu  venus,  il  ala 
oir  messe,  se  vint  Tabbes  a  lui  et  bien  quinze  moines 
avoec  lui,  si  pria  au  roi  que  il  venist  veoir  leur  moyne 
qui  estoit  malades  et  si  i  amenast  son  devin.  Et  li  rois 
demanda  Merlin  se  il  iroit  avoec  lui.  Lors  apiela  Mer- 
lins le  roi  et  Uter  son  frère  devant  un  autel  et  lour  dist 
a  aus  deus  :  «  Signeur,  quant  je  plus  vous  acoint,  et  je 


MERLIN  83 

plus  VOUS  truis  faus.  Cindiés  vous  que  je  ne  sache  de 
quel  mort  c^^is  faus  morra  qui  m  assaie?  Si  m'ait  Dieus, 
je  le  sai  bien  et  je  le  vous  dirai.  Et  encore  plus  merville- 
rés  vous  de  chou  que  je  vous  dirai  que  des  autres  deus 
choses  [que  je  li  ai  ja  dites].  »  Et  li  rois  dist  :  «  Merlins, 
puet  il  estre  voirs  que  hom  puist  ensi  morir?  »  Et  Mer- 
lins  dist  :  •  Sire,  se  il  ne  muert  si,  ne  me  créés  jamais  de 
riens,  car  je  saFi)  bien  sa  mort.  Et  quant  vous  avérés  la 
soie  veue,  si  m'en  demanderés  de  la  vostre.  Et  tant  di 
jou  a  Uter  que  je  le  verrai  roi  ains  que  je  départe  de  sa 
compaignie.  » 

Atant  vinrent  entre  le  roi  et  Uter  et  Merlin  la  ou 
li  abbes  les  vaut  mener,  et  dist  li  abbes  au  roi  :  «  Sire, 
pour  Dieu,  faites  moi  dire  a  vostre  devin  se  li  moynes  qui 
la  gist  porra  (5i  ^)  garir  jamais.  »  Et  li  rois  li  demande. 
Et  Merlins  fait  samblant  de  courouch  et  dist  a  l'abbé  : 
«  Sire,  il  s'en  puet  bien  lever,  se  il  veut.  Car  il  n'a  mal 
et  por  nient  m'en  essaie.  Car  il  le  couverra  morir  de 
deus  mors  que  je  li  ai  dites  et  je  li  dirai  la  tierche  plus 
diverse  que  nule  des  autres  deus.  Car  après  le  brisier 
dou  col  et  que  il  pendera  noiera  il.  Toutes  ces  trois  cho-  et    la    dcrnicre 
ses  li  averront,  ne  ne  [sef]aingne  il  plus.  Car  je  sai  bien  q^^'»'  sera  noyé. 
tout  son  corage  et  tout  chou   que  ses  mauvais    cuers 
pense.  »  Et  cil  se  lieve  a  son  séant  et  dist  au  roi  :  «  Sire,    Lebarontriom- 
or  poés  vous  bien  connoistrc  sa  folie  et  que  il  ne  set  que  phe  de  cette  con- 
il  dist.  Comment  porroit  chou  csire  que  il  porroit  voir  ""^^'^^'o"' 
dire?  Car  il  dist  le  jour  que  je  morrai  que  je  briserai  le 
col  et  penderai  et  noierai  :  tout  chou  m'averra  le  jour 
que  je  morrai.  Ore  saichiés  bien  que  che  ne  porroit  ave- 
nir ne  de  mi  ne  d'autrui.  Ore  gardés  se  vous  estes  sages 
qui  tel  homm  créés  et  faites  signour  de  vous  et  de  vostre 
conseil,  t  Et  li  rois  dist  :  «  Je  nel  querrai  jamais  dusques 
adont  que  je  sache  se  che  iert  voirs  vraiemeiit.  »  Ore  fu 
cil  moult  irés  que  il  sot  que  Merlins  ne  seroit  pas  partis 


84  MERLIN 

dou  conseil  le  roi  dusques  apriès  sa  fin.  Ensi  remest  tous 
lour  affaires  et  fut  seut  par  tout  chou  que  Merlins  avoit 
dit  de  la  mort  a  cel  homme.  Ensi  f5i  <^)  fu  chascuns  en- 
tentis  a  chou  que  Merlins  avoit  dit. 


mais  peu  de  ApRÈs  che  lonc  tans  avint  un  jour  que  li  preudom 
tcmp»  après,  la  qui  ensi  devoit  morir  chevauchoit  a  grant  plenté  de  gent, 
triple  prédiction  et  vint  a  une  rivière.  Et  seur  celé  rivière  avoit  un  pont 
se  réalise.  ^q  f^^^^  g^  ^gg  palefrois  achoupa  et  chei  a  genous.  Et  cil 

broncha  aval  ei  chai  sur  seii  col  en  tel  manic-e  que  il  le 
brisa,  et  li  cors  lorna  ouire  et  chai  en  Tiaue  en  tel  ma- 
nière que  uns  des  paus  qui  avoit  esté  du  pont  vies  feri 
parmi  sa  roube,  si  que  se[s]  rains  remesent  en  haut,  et  re- 
mest pendant  la  teste  contreval,  si  que  la  teste  et  les  es- 
paulles  remesent  en  Tiaue  Et  cil  si  avoit  avoec  lui  se|s] 
gens  qui  che  virent.  Et  li  cris  fugrans  levés  si  que  la  gent 
de  la  vile  l'oirent,  si  acoururent  par  le  pont  et  par  l'iaue 
as  nés  au  plus  tost  qu'il  porent.  Et  quant  il  furent  venu, 
si  disent  li  preudomme  a  chiaus  qui  le  traisentde  Tiaue  : 
«  Signour,  prendés  garde  se  il  a  le  col  brisié.  »  Et  cil  le 
gardent  et  dient  que  oil  sans  faille.  Quant  cil  qui  estoient 
avoec  Toirent,  si  s'en  esmervillierent  moult  et  dient  : 
•  Voirement  dist  il  voir,  Merlins,  qui  dist  que  chis  hom 
briseroit  le  col  et  penderoit  et  noieroit.  Moult  par  est  faus 
qui  ne  le  croit  et  canque  il  dist,  que  il  nous  samble  bien 
que  il  (^i  ^)  dist  voir.  »  Merlins  qui  cesre  chose  sot  si  vint 
a  Uier  qui  l'amoit  moult,  se  li  dist  la  mort  a  cel  homme 
si  comme  elle  avoit  estet,  et  li  commande  que  il  le  desist 
au  roi  Et  Uters  vint  au  roi,  se  li  conta  comment  chis 
avoit  esté  mors.  Et  quant  li  rois  Toi,  si  s'en  esmiervilla 
Merlin  se  résout  moult  et  dist  a  Uter  son  frère  :  «  Qui  vous  a  chedi(s)t?  » 
à  ne  plus  dire  Et  il  dist  :  «  Sire,  Merlins.  »  Et  li  rois  commanda  a  Uter 
que  des  choses         -j  j-  (Jetant  quant  che  avint.  Et  Uters  vint  a  Mer- 

dont  on  ne  saura  ,.  ,,     ,  •        t-     «i     i-  n         •         •  t-        «i 

lavéritc  qu'après  ^*"'  ^^  ^*  demande.   Et  il  dist  :    «  Il  avint  1er.  Et  cil 
l'événement  ;       verront  qui  le  diront  au  roi  en  sis  jours  ;  et  je  m'en  vois. 


MERLIN  85 

car  je  ne  voel  mie  chi  estre  quant  il  verront,  que  il  m'en 
meteroient  en  mainte  manière  de  nouviele  dont  je  ne  lor 
vaurroie  respondre.  Ne  je  ne(n)  parlerai  plus  devant  le 
siècle  se  si  oscurement  non  que  il  ne  saveront  que  je  di- 
rai devant  que  il  le  voient.  » 

kJre  dist  li  contes  que  quant  Merlins  ot  ensi  parlé, 
si  s'en  ala  en  (52  ^)  Norhomberlande  a  Biaise.  Et  Uters 
vint  au  roi,  se  li  conta  au  roi  ensi  que  Merlins  H  ot  dit. 
Et  quant  li  rois  loi,  si  quida  que  Merlins  fust  coure- 
chiés,  et  demanda  ou  Merlins  estoit  aies.  Et  il  respont  : 
«  Sire,  je  ne  sai  ou.  Mais  il  dist  que  il  ne  voloit  pas  chi 
estre  quant  ces  nouvieles  verroient.  »  Ichi  remaint  dou 
roi  et  d'Uter  er  parole  de  Merlin  qui  fu  en  Norhomber- 
lande a  Biaise,  se  li  conta  toutes  ces  choses  et  autres  assés 
pour  baillier  matière  (et)  a  faire  son  livre  Ensi  demoura 
dusques  au  sisime  jour,  que  cil  vinrent  qui  furent  ala 
mort  a  cel  houme.  Et  quant  il  furent  venu,  si  contèrent 
au  roi  de  celé  merveille  si  comme  il  l'avoient  veue.  Lors 
dist  li  rois  et  tout  cil  qui  l'oirent  que  nus  n'est  si  sages 
conme  Merlins  est.  Et  disent  que  il  ne  li  orront  jamais 
dire  chose  qui  avenir  doive  que  il  ne  metent  en  escrit.  o"  «i<^cide  qu'on 
Ensi  l'ont  devisé  [Ensi  fu  conm^^nciés  uns  livre  que  on 
apelle  par  nom  le  livre  des  prophecies  Merlin,  de]  ^ 
chou  que  il  dist  des  rois  d'Eiigleterre  et  de  toutes  les 
autres  choses  dont  il  parla  puis.  Et  pour  chou  ne  dist 
pas  chis  livres  qui  Merlins  est  ne  dont  il  vint  *,  qu'il  ne 
metoient  en  escrit  fors  que  chou  que  il  disoit.  Et  ensi 
demora  Merlins  une  ^rant  pieche  la.  Et  en  icel  tans  fu 
Merlins  tous  sires  de  Pandragon  [le  roi,  que  li  Anglois 
apeloient  par  son  droit  nom  de  baiesmc  Aurelius  Am- 
broisius],  et  d'Uter  son  trcre.  Et  quant  Merlins  sot  que 
il  avoient  ensi  parlé  et  que  il  dévoient  en  escrit  mètre 

I.  Cl  pour  au  lieu  des  mots  suppléés.  —  i.  ne  qui  il  tu 


ccnra  toutes  ses 


86  MbRLIN 

ces  paroles,  si  le  dist  a  Biaise.   Et  Biaises  li  demanda  : 

«  Merlins,   seront  leur  livre  autel   conme  je  faich?   » 

Et  Merlins  respont  :  «  Nennii.  Il  ne  meteront  en  escrit 

se  chc  non   que  il   porront  connoistre  dusques  il  soit 

avenu.  »  Ensi  s'en  vint   Merlins  arrière  eu   la  court 

le  roi.  Et  quant  il  fu  venus,  se  li  contèrent  les  nouvieles 

et  c'est  le  livre  autressi  conme  se  il  n'en  seust  riens.  Et  Merlins  com- 

des  prophéties  de  me ncha  lors  a  dire  les  oscures  paroles  dont  ses  livres 

Merlin.  f^  f^jg  ^q^  prophesies  c'on  ne  puet  connoistre  dusques 

elles   soient   nouvieles    avenues.    Et   apriès   chou    vint 

Merlins  a  Pandragon  et  a  Uter  son  frère,  si  lour  dist 

moult  piteusement  que  il  les  amoit  (tt)  moult  et  voloit 

leur  grant  pooir  et  preu  et  leur  honneur.  Et  quant  il 

l'oirent,  si  s'en  esmierviUierent  moult  et  disent  a  Merlin 

Il  annonce  au  que  il  lour  desist  seurement  canques  il  vaurroit  et  que  il 

roiqueiesSaisncs  ne  louf  celast  uule  chose  de  lour  affaire.  Et  Merlins  res- 

vont  venir  avec  p^j^^  :  «  Je  ne  VOUS  Cèlerai  ja  chose  que  je  doive  dire  a 

une   grande   ar-  ^^    .  i-      •  ni 

inée  vous.  Et  je  VOUS  dirai  une  grant  merveille,  che  vous  sera 

avis. 


«  Membre  vous  i  des  Saisnes  que  vous  gietastes  fors  de 
vo  terre  apriès  la  mort  Hangus.-^  »  Et  il  respondent  : 
«  Oil  bien.  »  «  Icil  qui  s'en  alerent  disent  la  nouviele  as 
autres  Saisnes  de  la  mort  Hangus,  qui  moult  esloit  de 
très  (52  *j  grant  lignage.  Quant  les  lignages  oirent  la 
nouviele  que  Hangus  estoit  mors  et  que  cil  estoient  de  la 
terre  gieté,  siont  parlé  ensamble  et  dient  que  il  n'averont 
jamais  joie  tant  que  il  avero(ie)nt  vengié  la  mort  Hangus, 
et  cuident  bien  conquerre  ceste  terre.  »  Quant  Pandra- 
gons  et  Uters  l'oirent,  si  s'en  esmierviUierent  moult  et 
demandèrent  Merlin  :  «  Ont  il  dont  si  grant  gent  que  il 
puissent  guerroiier  nous?  »  Et  Merlins  respont  :  «  Pour 
un  homme  que  vous  avés  defensable  en  averont  il  deus. 
Et  se  vous  ne  le  faites  moult  sagement,  il  vous  destrui- 
ront  et  conquerront  vostre  règne.  »  Et  il  dient  :  «  Nous 


MtRLlN  87 

le  ferons  tout  a  votre  conseil,  ne  ja  ne  trespasserons 
chose  que  vous  nous  dites.  »  Et  puis  demandèrent  Mer- 
lin :  «  Quant  vous  est  il  avis  que  cest[e]gent  verront?  »  Et 
Merlins  dist  :  «  L'onsime  jour  de  jung[nei],  ne  ja  nus  en 
vostre  terre  nel  savra,  se  vous  ne  le  savés.  Et  je  vous  de- 
manc  que  nus  de  vous  n'en  parout,  mais  faites  che  que 
je  vous  dirai  :  mandés  tous  vos  hommes  et  vos  clievaliers 
povres  et  riciaes,  et  se  lour  faites  le  gringnour  joie  que 
vous  porrés,  car  il  i  a  moult  sens  a  garder  cors  d'ome,  et 
les  tenés  près  de  vous.  Et  (52  ^)  lour  priiés  que  a  lour 
pooir  soient  toute  la  daerrainne  semai nne  de  jung(net)  a 
vous  a  l'entrée  des  plains  de  Salesbieres.  Et  la  assamblés 
tout  votre  pooir  sour  la  rivière,  si  que  vous  lour  puissiés 
desfendre.  »  a  Comment!  »  fait  li  rois,  «  les  lairons  nous 
dont  arriver?  »  «  Oil,  se  vous  m'en  créés,  et  eslongier  de  et  lui  domic  k 
la  rive  bien  loing,  si  que  il  ne  savront  ja  (ja)  que  vous  moyen  do  k-s 
aiiés  vo  gent  assamblee.  Et  quant  il  seront  eslongiet,  vaincre, 
vousiourenvoierés  de  vogent  par  devier(e  s  les  vaissiaus 
pour  faire  samblant  que  vous  ne  volés  pas  qu^il  s'en  re- 
pairent.  Et  quant  il  verront  chou,  si  s'en  esmaieront 
moult.  Et  li  uns  de  vous  deus  s'en  voist  avoec  vo  gent, 
et  si  aies  si  près  que  vous  les  fachiés  logier  maugré  aus 
en  sus  de  la  rivière.  Et  quant  il  seront  logié,  si  averont 
grant  disete  d'iaue,  si  s'en  esmaieront  li  plus  hardi  d'eus. 
Et  ensi  les  ferés  tenir  deus  jours.  Et  au  tierch  jour  vous 
combaterés  vous  a  aus.  Et  se  vous  le  faites  ensi,  je  vous 
creanc  que  votre  gent  en  averont  la  victore.  »  Et  lors 
dient  li  doi  frère  :  «  Por  Dieu,  Merlins,  se  toi  plaist,  car 
nous  di  se  nous  morrons  en  ceste  bataille.  »  Et  Merlins 
lour  dist  :  (53  '^ j  a  Signeur,  il  n'est  nule  chose  qui  ait 
commenchement  qui(l)  n'ait  hn.  El  il  n'est  nus  hom  qui 
se  doive  esmaiier  de  la  mort  se  il  la  rechoit  si  conme  il 
doit,  car  chascuns  qui  vit  doit  savoir  que  il  morra.  Et 
ensi  devés  vous  savoir  de  vous  que  aussi  ferés  vous,  que 
nule  hautece  ne  nule  riquece  ne  vous  puet  garandir  que 
vous  ne  muiriés.  «  Et  Pandragous  li  dist  :  «  Merlins,  tu 


88  MERLIN 

me  desis  une  fois  que  tu  savoies  bien  ma  mort  aussi  que 
tu  savoies  la  mort  de  chelui  qui  t'assaioit.  Et  de  la  mort 
de  chelui  desis  tu  *  vérité.  Pour  chou  te  pri  jou,  se  il 
te  plaist,  que  tu  me  dies  la  moie  mort.  »  Et  Merlinsdist  : 
«  Je  voel  que  vous  faichiés  aporter  entre  vous  deus  les 
millours  saintuaires  et  reliques  que  vous  avés,  et  que  vous 
jurés  sour  sains  li  uns  et  li  autres  que  vous  ferés  chou 
que  je  vous  commanderai  por  vostre  preu  et  pour  vostre 
honneur.  Et  quant  vous  Tarés  juré,  si  vous  dirai  plus 
seurement  che  que  mestiers  vous  sera.  » 


1  OUT  ensi  conme  Merlins  lot  devisé  il  le  firent.  Et 
quant  il  l'orent  juré,  si  disent  :  «  Merlins,  nous  avons 
fait  ton  comman(deman)dement.  Ore  te  prions  nous,  se 
il  te  piaist,  que  tu  nous  dies  pour  coi  tu  le  nous  as  fait 
faire.  »  Et  Merlins  respont  au  roi  :  a  Tu  me  demandes 
une  question  de  ta  f53  ^)  mort  et  que  il  sera  de  ceste  ba- 
taille, et  je  le  te  dirai.  Savés  vous  que  li  uns  a  juré  a  Pau- 
tre?  Je  le  vous  dirai.  Vous  avés  juré(s)  que  vous  serés 
contre  ceste  bataille  preudomme  et  loial  viers  vous  meis- 
mes  et  viers  Dieu.  Et  je  vous  ensegnerai  comment  vous 
serés  preudonme  et  loia[l]  et  boin  justichier.  Je  vouscom- 
manch  que  vous  vous  faciès  confiés.  Car  vous  le  devés 
ore  mieus  estre  k'en  un  autre  termine  por  chou  que  vous 
savés  que  vous  vous  devés  combattre.  Et  se  vous  estes  tel 
que  je  vous  di,  seur  soiiés  que  vous  vainierés.  Car  il  ne 
croient  mie  en  la  trinité,  pour  coi  Jesucris  vint  en  terre, 
et  vous  desfendés  vostre  droit  yretage  qui  est  vostres  par 
droit.  Et  cil  qui  anchois  morra  en  son  droit  tenant  et  sera 
acordés  a  la  loy  Jesucrist  par  le  commandement  de  saint[e] 
eglyse  ne  doit  gaires  douter  la  mort.  Et  je  voel  bien 
que  vous  sachiés  que  puis  que  saint[e]  église  fu  establie 
en  ceste  iile  n'ot  mais  sigrant  bataille  ne  n'avra  de  vo  tans 

I .  de  chelui  que  tu  desis 


xMERLlN  89 

comme  ceste  sera.  Et  li  uns  de  vous  a  juré  a  l'autre  que 

il  fera  son  preu  et  sonneur.  Et  je  voel  que  vous  saichiés 

que  je  nei  vous  dirai  plus  descouvertement,  mais  tant 

sachiés  vous  bien  que  l'un   *  de  vous  deus  convient  le  ù  annonce  aussi 

siècle  laissier.  Et  cil  qui  remanra  fera  (53  ^)  la  ou  ceste  que  l'un  des  deux 

bataille  sera  une  chimentiere  le  plus  biele  et  le  plus  ri-  ^''^'"'^^      mourra 

,  .,  \  T?^  ■  •         «^^ns  la  bataille, 

che  que  il  porra  par  mon  los.  Et  le  vous  créant  que  lou   , 

^  r  r  /  T        '         et  que  le  survi- 

i  aiderai  tant  que  tout  le  tans  que  crestiientés  duerra  i  vant  lui  fera, 
parra  chou  que  jou  i  ferai.  Je  vous  ai  dit  de  Tun  de  vous  avec  l'aide  de 
deus  que  il  convient  morir:  ore  pensés  de  estre  preu-  ^"^'eriin,  la  piu^ 
domme.  »  ^^"^    f^'^"''^ 

du  monde. 


Cnsi  passa  li  termes  et  vint  li  jours  de  la  -  semonse. 
Et  li  doi  frère  orent  bien  fait  che  que  Merlins  lour  avoit 
commandé.  Et  si  vinrent  a  Penthecouste  le  lir  court  seur 
la  rivière,  et  la  assambla  li  peuples.  La  ot  moult  avoir 
donné  et  mainte  biele  chiere  faite.  Et  lors  i  furent  tant 
que  il  oirent  dire  que  li  vaissiel  furent  arrivé  le  pre- 
mière semainne  de  jungnet.  Et  quant  Uters  oi  chou,  si 

.,,.,.  ...         .^  ,  rivent;     la    ba- 

sot  bien  que  Merlins  li  ot  voir  dit,  si  rist  commander  as  ^^^n^  ^  .-^^^  ^ 
prelas  de  saint[e]  eglyse  qu'il  n'eust  honme  en  l'ost  qui  ne  saiesbièrcs ,  et, 
fust  confès  et  qui  ne  pardonnafst]  tout  l'un  viers  l'autre,  comme  MciHu 
Et  cil  lurent  tout  descendu  des  nés  et  orent  terre  prise  et  '"^^^'^  prédit,  un 

^  ,      •     •  ^  •  ,  ,  .  dragon     vermeil 

seiornerent  huit  lours,  et  au  nuevisme  chevauchierent.      ^   . 

.       .     _        ,  ...  .     ,  .    ,        ,  apparaît  en  l'air. 

Li  rois  Pandragons,  qui  bien  savoit  les  nouvieles  d'aus  et  ,^^  Bretons  sont 
ot  ses  espies  en  Tost  (et)  sot  que  il  chevauchierent,  si  lou(r)  vainqueurs ,    et 
dist   Merlin,  et  Merlins  li  dist  que  voirs  estoit.  Lors  li  l'^ndragon     est 
demanda  li  rois  comment  il  le  feroit.  Et  (53  ^)  Merlins  ^"''• 
li  dist   :   tt  Vous  i  envoierés  Uter  demain  atout  grant 
plenté  de  gent.    Et  quant  il  sara  et  il  verra  que  il  seront 
bien  eslon^iet  [de  la  rivière  et]  de  la  mer,  si  se  mete(nt) 
entre  deus,  si  se  (se)  tiene(nt)  si  pries  que  il  les  -^  fache(nt) 
herbegier  [en  mi  les  cnansj,  si  traie(ni)  airiere  sa  gent  et 


LosSaibUesar- 


1»  uns  —  z.  sa  —  i.  î>c 


90  MERLIN 

[au  matin  quant  li  Saisne  vaurront  errer  si  lor  core  sus 
et]  les  tiegne(nt)  si  près  que  il  ne  puissent  chevauchier. 
Lors  n'i  avra  chelui  qui  ne  vausist  estre  la  dont  il  estoit 
venus.  Et  ensi  le  face  ^  deus  jours  a  toute  vo  gent,  (et) 
si  tost  comme  li  jours  sera  biaus  et  clers  [lor  corés  seure 
a  celé  eure  que]  vous  verres  un  dragon  [vermoil]  qui 
courra  par  l'air  entre  le  ciel  et  la  terre.  Et  quant  vous 
avérés  veut  cel  signe,  si  le  pues  combatre  seurement,  car 
ch'iert  signes  de  ton  non.  Et  tes  gens  averont  la  vic- 
toire. »  [Et  ensi  se  départirent.  Et  Merlins  si  vint  a 
Uler,  si  li  dist  :  «  Pense  d'estre  preudom,  que  tu  n'as 
garde  de  mort  en  ceste  bataille.  »  Et  Merlins  s'en  ala  a 
Biaise  en  Norhomberlande,  si  li  raconta  tôt  et  dist,  et 
Biaises  le  mist  en  escrii  et  par  son  livre  le  resavons  nous 
encore.  Mais  or  se  laisi  alant  li  contes  de  lui  et  de  Mer- 
lin et  reiorne  a  parler  de  Uter  et  de  Pandragon  cornent 
il  esploitierent  en  la  bataille  as  Saisnes. 

V-/I  endroit  dit  li  contes  que  tôt  ensi  com  Merlins 
Tôt  devisé  as  deus  frères  il  le  firent.  Car  Uters  sevra 
une  grant  partie  de  gent  a  cheval  de  l'ost,  des  plus  fors  et 
des  meilleurs  que  il  i  pot  onques  eslire,  si  montèrent  et 
chevauchierent  tant  qu'il  virent  l'ost  des  Saisnes  qui 
s'estoient  logié  a  la  plaine  terre,  si  se  mistrent  a  bandon 
entre  lor  vaissiaus  et  lor  pavillons,  et  les  firent  herbergier 
icelui  soir  en  mi  les  chans  sans  iaue  et  loing  de  lor  vais- 
siaus ou  lor  vivre  estoient.  Et  Uters  les  tint  si  cors  deus 
jours  entiers  que  onques  chevauchier  ne  porent  ne  près 
ne  loing.  Et  au  tiers  jor  fu  li  rois  Pandragons  venus  a 
moult  grant  plenté  de  gent,  si  commanda  sa  gent  apa- 
reillier  et  ses  batailles  ordoner.  Et  quant  li  Saisne  virent 
les  deus  os,  si  furent  moult  esmaié.  Et  Uters  et  les  soes 
gens  lor  coururent  si  durement  sus  qu'il  les  firent  a  force 

I .  t'ai  les 


iMtKLIN 


91 


reverser  jusques  sur  l'ost  Pandragon.  Si  avoit  tel  bruit  et 
tel  noise  et  si  grant  criée  de  gent  que  l'en  n'oist  Dieu 
tenant.  Et  il  furent  tout  apareillié  de  ferir  en  la  bataille 
quant  li  rois  commanderoit,  mais  il  atendoit  que  li 
mostres  apareust  que  Merlins  li  dist.  Mais  ne  demora 
puis  gaires  que  li  mostres  lor  aparut  en  l'air;  car  il  vi- 
rent venir  volant  un  dragon  vermoil,  et  coroit  par  Pair 
et  getoit  feu  et  flamme  par  mi  lou  nés  et  par  mi  la  boche, 
et  s'en  vint  moult  roidement  bruissant  par  desus  l'ost  as 
Saisnes.  Et  quant  li  Saisne  lou  virent,  si  s'en  esmaierent 
moult  et  a  merveilles  en  orent  grant  paor.  Et  Pandra- 
gons  et  Uters  distrent  a  lor  gent  que  il  sont  descontit], 
et  il  orent  veut  tous  les  signes  que  Merlins  lour  ot 
dit.  Si  lour  courent  sus,  canques  chevaus  porent  ren- 
dre, les  gens  Pandragon.  Et  quant  Uters  vit  que  les 
gens  le  roi  furent  assamblees,  si  lour  courut  sus  a  toutes 
ses  gens.  Et  cil  vinrent  contre  iaus  aussi  hardiementu 
plus,  si  se  combatirent  moult  [rjuistement  li  uns  a  Tautre, 
et  si  fu  moult  la  bataille  fiere  et  dure.  Et  en  celé  bataille 
qui  moult  fu  crueuse  fu  mors  li  rois  Pandragons. 

54^  LNSi  come  vous  avés  oi  fu  fait[e]  la  bataille  de     ,.,,.     ,      „, 
Salesbieres,  et   Pandragons  fu  moi  s,  et  Uters  vainqui  la  roi,  il  taii  enter- 
bataille.  Et  moult  i  ot  mort  de  gent.  Et  li  Saisne  i  furent  icr  les  morts. 
tout  mort,  que  nus  n'en  eschapaqui  i  fust,  car  il  les  con- 
vint tous  a  noiier  ou  morir.  Et  ensi  fu  finee  la  bataille 
de  Salesbieres.  Apries  la  mort  Pandragon  remest  Uters,  et 
fu  rois.  Et  fist  tous  les  cors  des  cresiiens  entierer  et  mètre 
en  un  lieu,  et  chascuns  i  traist  de  ses  amis  l'un  apriés 
l'autre.  Et  Uters  flst  aportcr  le  cors  de  son  frère  avoec  ses 
honmes,  et  rist  escrirc  le  non  de  chascun  sur  sa  tombe  et 
qui  il  estoit.  Et  Uters  fist  lever  Pandragon  plus  haut  des 
autres,  et  dist  que  il  ne  feroit  ja  riens  sor  lui  escrire,  que 
moult  scroicnl  fol  cil  qui  la  tombe  vcrroicnl,  se  il  ne  la 
connissoient.  Quant  Uters  01  chou  fait, si  vint  a  Londres 


92  MbRLlN 

a  tous  ses  gens  et  tout  li  prélat  de  saint[e]eglyse  qui  sous 
lui  (54  ^)  estoient.  llluecques  porta  Uters  couronne.  Et 
quant  il  lot  trove[ej  et  portée,  au  quinsime  jour  après 
vint  Merlins  a  court. 


Moult  fist  li  rois  grant  joie  de  Merlin.  Et  Merlins 

li  dist  :  «  Uters,  je  voel  que  tu  me  dies  a  ton  peuple  chou 

que  je  te  dis  des  Saisnes  qui  venroient  en  ta  terre,  et  le 

couvent  que  tu  m'eus  entre  toi  et  Pandragon  et  les  sere- 

mens  que  li  uns  jura  a  l'autre.  »  Et  Uters  le  reconta  as 

ses  gens  tout  ensi  que  entre  lui  et  Pandragon  avoient 

ouvré  de  toutes  les  choses  que  Merlins  lour  ot  dites  del 

dragon  dont  il  ne  sa  voient  riens  ne  que  li  autre.  Lor  dist 

Merlins  apriès  la  senefiance  dou  dragon.  Dist  Merlins 

que  li  dragons  [qui]  estoit  venus  senertoit  *  la  mort  de 

Il  prend  le  nom  Pandragon  et  l'essauchement  dou  roi  Uter.  Et  (que  il  li 

d'Uter    Pendra-  fu  mis"  a  seurcnon^:  pour  Tounour  de  lui,  pour  la  mons- 

8**°-  trance  del  dragon,  et  la  senefiance  de  lui  fu  tous  jours 

apielés  Uters  Pandragons.  Et  ensi  sorent  li  baron  la  volenté 

et  le  commandement  que  Merlins  avoit  consilliet  as  deus 

frères.  Ensi  remest  une  grant  pieche  et  fu  Merlins  moult 

bien  d'Uter  Pandragon  et  de  son  conseil.  Et  tant  que  il 

avint  après  que  Uter  Pandragon  fu  en  son  règne.  Et 

iMeriiu,   tx)ur  Merlins  l'apiela  et  li  dist  :  «  Que  feras  tu  de  Pandragon 

honorer  Pendra  qui  gist  en  Salesbieres?  »  Etli  rois  respont  :  «  Je  en  ferai 

gon,  fait  venir  ^,^q^  q^g  j^  vaurras.  »  a  Tu  me  juras  (^4  ^)  que  tu  fe- 

d'Irlande  des       .        ^  ,  .  .  .  .  '  l^^.  /    \ 

.  ,  „    , roies  un  chimentiere,  et  le  meismes  1  aideroie  a  mon 

pierres   énormes  '  ' 

qui  sont  encore  pooir.  Et  je  t'ai  en  couvent  que  nous  ferons  chose  qui 

au  cimetière  de  i  parra  tant  com  li  siècles  durra.  Or  aquite  ton  serement, 

Salesbieres.        q^g  j'aquiîerai  moult  bien  ma  parole.  »  Et  li  rois  dist  a 

Merlin  :  a  K'en  porrai  je  faire?  »  Et  il  dist  :  «  Or  enpren 

a  faire  tel  chose  qui  onques  ne  fu  seue  et  si  en  sera  tous 

jours  mes  parole  ''.  »  Et  il  respont  :  «  Jel  ferai  volentiers.  » , 

1 .  senehier  —  2.  mes  —  3.  a  son  trere  — •   4.  tel  chose  que  ne^ 


MERLIN  9  3 

«  Ore  envoie  dont,  »  fait  Merlins.  «  querre  grosses  pierres 
qui  sont  en  Irlande,  si  i  envoie  tes  vaissiaus  et  fai  venir 
ces  pierres.  Ne  il  ne  les  saront  ja  si  grans  aporter  que  je 
ne  les  lieve.  Et  se  lour  irai  monstrer  celés  que  je  voel  que 
il  aportent.  »  Lors  i  envoia  li  rois  de  moult  grans  vais- 
siaus a  grant  plenté. 


VOUANT  il  i  furent  venut,  si  lour  moustra  Merlins 
moult  grosses  pierres  et  lour  dist  :  «  Veschi  les  pierres 
que  vous  emporterés.  »  Quant  cil  virent  les  pierres,  si 
le  tinrent  a  moult  grant  folie.  Et  disent  que  tous  li  mons 
n'en  torneroit  une,  ne  teus  pierres  ne  mêleront  il  pas  en 
leur  vaissiaus,  se  Dieu  plaist.  Et  Merlins  lour  dist  : 
«  Dont  estes  vous  pour  nient  venu.  »  Et  cil  s^en  revin- 
rent au  roi,  se  li  dient  la  mierveille  que  Merlins  lour 
avoit  commandé  a  faire,  che  que  il  cuidoi[enJt  que  nus  ne 
peust  faire  el  monde.  Et  li  rois  respont  :  (54  ^)  «  Or 
souffres  tant  que  Merlins  viegne.  »  Quant  Merlins  fu  ve- 
nus, se  li  dist  li  rois  chou  que  ses  gens  li  avoient  dit.  Et 
Meriins  respont  :  «  Dès  que  il  me  sont  failli,  je  aquiterai 
bien  mon  couvent.  »  Lors  tist  Merlins  par  forche  d'art 
aporter  les  pierres  dUrlande,  qui  encore  sont  en  le  chi- 
mentie[re]  de  Salesbieres.  Et  quant  eles  furent  venues,  si 
les  ala  veoir  li  rois,  et  mena  avoec  lui  grant  partie  de  son 
peule  pour  veoir  celé  mierveille  des  pierres.  Et  quant  li 
rois  et  ses  gens  furent  la,  disent  que  il  ne  virent  onques 
mais  si  grosses  pierres,  ne  ne  cuidoient  mie  que  tous  li 
mons  en  peust  une  remuer.  Moult  s'en  esmicrvillicrent 
les  gens  comment  Merlins  les  avoit  fait  illuec  venir,  que 
nus  ne  l'avoir  veu  ne  seu.  Va  Merlins  dist  que  il  les  te- 
sissent  drechier.  Et  li  rois  dist  :  «  Merlins,  che  ne  por- 
roit  nus  taire  fors  Dieus,  se  tu  nel  faisoies.  »  Et  Merlins 
dist  :  «  Or  vous  en  aies,  [si  avrai  mon  covent  vers  Pen- 

aoit  pas  seuc  et  si  orras  tous  jours  mes  paroles 


94  MEtLIN 

dragon  aquité,]  car  jou  avrai  pour  lui  faite  tel  chose  qui 

ne  porroit  '  ja  estre[par  nul  autre  home  mortel]  asovie*.» 

Ensi  fist  Merlins  les  pierres  drecicr  qui  encore  sont  el 

chimentiere  de  Salesbieres.  Ensi  remest  celé  oevre.  Et 

Merlins  ama  moult  le  roi  et  le  servi  lonc  tans,  tant  que 

il  avint  un  jour  que  il  le  traist  a  conseil,  se  li  dist  :  «  Il 

Merlin   rcHèie  converroit  que  je  me  descouvresisse  a  vous  del  plus  haut 

uu  roi  le  grand  conseil  que  je  sache.  Car  je  (55  <^)  voi  que  tous  chis  pais 

secret  des  deux  g^^  vosires.  Etpour  chou  que  vous  aim  vous  voel  jou  dire 

tables  saintes  de  i  !>      ^  •  j      u  -i 

^,  .  une  chose.  Dont  ne  vous  sauvai  i^e  de  Hangus  que  il  ne 

Jésus-Chnst     et  .         nw  ,  ... 

de  Joseph.  ^ovi^  ochist  mie  ?  Pour  chou  me  deveriés  moult  amer.  » 
Et  li  rois  respont  :  «  Il  n'est  nule  riens  que  vous  voelliés 
que  je  ne  face  a  men  pooir.  »  Et  Merlins  respont  :  «  Se 
vous  le  faites,  li  preus  en  iert  vostres.  Car  je  vous  ense- 
gnerai  tel  chose,  par  coi  vous  avrés  l'amour  de  Dieu.  » 
Et  li  rois  respont  :  «  Merlins,  di  seulement  chou  que  tu 
veuls.  Car  tu  ne  diras  ja  chose  qui  puist  estre  faite  par 
homme  que  je  ne  le  iache.  »  Lors  dist  Merlins  :  a  Sire, 
che  vous  sera  ja  moult  estraigne  chose  que  je  vous  dirai. 
Et  je  vous  pri  que  vous  le  celés.  Car  je  voel  que  li  preus 
et  li  honneurs  en  soit  vostres.  »  Et  li  rois  créante  Merlin 
que  il  n'en  parlera  ja.  Lors  dist  Merlins  au  roi  :  «  Sire, 
je  voel  bien  que  vous  saciés  que  je  sai  les  choses  dites,  fai- 
tes et  alees,  et  que  je  le  tiengpar  nature  d^anemi.  Et  nostte 
sires  qui  est  poissans  sour  tout  m'a  donné  sens  de  savoir 
toutes  choses  qui  sont  a  avenir  en  partie.  Et  par  che  m^ont 
anemi  perdu,  que  je  n'ouverrai  ja  a  le  leur  volenté.  Ore 
savés  vous  dont  li  pooirs  me  vint  de  chou  que  je  faich. 
Et  je  vous  dirai  chou  que  nostre  sires  (le)  veult  que  vous 
sachiés.  Quant  vous  le  sarés,  si  gardés  que  vous  en  ouvrés 
a  sa  volenté. 


OiRE,  vous  devés  croire  que  nostre   (^5  ^)  sires  vint 
I.  porra  —  ^.  seue 


MERLÎN  9b 

en  terre  peur  sauver  le  monde,  et  que  il  sist  a  la  chainne 

et  dist  as  ses  apostles  :  «  Un  en  i  a  de  vous  qui  me  tra- 

«  hira.  »  Et  chis  qui  che  fourtisi  fu  partis  de  sa  compaignie. 

si  comme  il  dist.  Sire,  après  chou  avint  que  nostre  sires 

souffri  mort  pour  nous,  et  que  uns  chevaliers  le  demanda 

et  Tosta  dou  torment  ou  il  fu  mis.  Sire,  apriès  chou  avint 

que  nostre  sires  fu  resuscités  et  que  chi[s]  saudoiiers  fu 

apriès  la  mort  Jesucrist  en  une  déserte  gastine,  et  il  et 

une  partie  de  son   lignage  et  autre  grant  peule  que  il 

avoit  avoec  lui.  Si  [lor  avint  une  moût  grant  famine,  si] 

se  complainsent  au  chevalier  qui  estoit  leur  maistres,  et 

cil  pria  Dieu  que  il  li  moustrast  pour  coi  il  souffroient 

celé  mesaise.  Et  nostre  sires  li  commanda  que  il  fesist 

une  table  el   non  de   la  table   de  la  chainne  [et  tôt  fust 

carrée],   et   un    vaissiel    que  il    avoit,   [ou    Jésus  et  li 

apostre  mangierent  a  la  chainne  meist  *  sour  cele  table, 

(et  le  vaissiel)  [quant  il  l'avroit  bien  coverte]  de  blans  dras 

[et  que  il  covrist  le  vaissiel  tôt]  fors  par  deviers  lui.  [Et 

Brons,  unssuens  serorges,  pescha  un  poisson  qui  fu  mis 

sorla table  ensel  mi  leuencoste  lou  vaisseldevant  Joseph.] 

Et  par  cel  vaissiel  fu  départie  la  compaignie  des  boins  et 

des  malvais.  Sire,  qui  a  cele  table  pooit  seoir,  il  avoit  l'a- 

complissement  de  son  cuer.  Sire,  a  cele  table  ai  voit]  tous 

jours  un  lieu  vient,  qui  senehe  le  lieu  ou  Judas  sist  a  le 

chaiime,  [et]  quant  il  oi  •  que  nostre  sires  fli)  disoit  pour 

lui  si  fu  partis  de  la  compaignie  Dieu.  (53  <=)  Et  ses  lieus 

fu  wuis,  fors  tant  que  nostre  sires  assist  un    houme  en 

son  lieu  pour  faire  le  conte  des  douze  apostles.  Ensi  sont 

ces  deus  tables  convegnables.  Ensi  acompli  nostre  sires 

cuer  d'oume  a  cele  table  seconde.  Et  ces  gens  claimment 

cel  vaissiel,  dont  il  ont  cele  grasce,  graal.  Et  se  vous  m'en  ^^    i^i    p.opos 

volés  croire,  vous  establirés  la  tierche  table  el  non  de  la  d  établir  la  irui 

trinité.  De  ces  trois  tables  senefia  la  trinités  trois  viertus.  ^'^'"'= 

Et  je  vous  créant  que  se  vous  le  faites,  il  vous  en  sera 

I.  un   vaj-'sicl  aiiou    nij  li  auoii  mis  —  .-..  sol 


96  MERLIN 

grans  biens  a  Pâme  et  au  cors.  Et  averront  en  vostre  tans 
teus  choses  dont  vous  vous  esmervillerés  moult.  Et  se 
vous  le  volés  faire,  je  vous  aiderai  moult.  Et  se  vous  le 
faites,  je  vous  creanc  que  che  sera  une  des  choses  dont  il 
sera  plus  parlé  au  siècle.  Se  vous  m'en  créés,  vous  le  ferés, 
et  se  vous  m'en  volés  croire,  vous  en  serés  moult  liés.  » 
Ensi  a  parlé  Merlins  au  roi.  El  li  rois  respondi  :  «  Je  ne 
Uier  le  charge  ^^tl  que  nostre  sires  i  perde  riens  por  moi.  Et  si  voel 
de  le  faire.  bien  que  lu  saces  que  je  mech  tout  sour  ti.  »  Et  Merlins 

dist  :  «  Or  esgardés,  sire,  la  ou  il  vous  plaira  mieus  a 
faire.  »  Et  li  rois  respont  :  «  Je  voel  que  il  soit  la  ou  il  te 
plaira.  »  Et  Merlins  dist  :  «  Vous  le  ferés  a  Carduel  en 
Gales,  et  la  fai  assambler  {^^  <^)  les  gens  de  ton  règne 
encontre  toi  a  Penihecouste,  et  tu  t'apareilles  pour  grans 
dons  donner,  et  si  me  baille  gens  qui  facent  a  mon  vo- 
loir.  Et  quant  tu  vauras,  je  eslirai  chiaus  qui  tel  *  seront 
que  il  (l)i  doive[nt]  estre  assis.  »  Ensi  le  fist  li  rois  savoir 
partout.  Et  Merlins  s'en  ala  et  fist  faire  la  table.  Et  che 
remaint  jusques  a  la  semainne  de  Penthecouste  que  li 
rois  vint  a  Carduel.  Et  quant  il  fu  venus,  il  demanda 
Merlin  conment  il  avoit  esploitié.  Et  Merlins  dist  :  «  Sire, 
moult  bien.  » 


Merlin  fait  la  tNsi  assambla  H  peuples  a  la  Penthecouste  a  Car- 
table à  Carduel  ^iuel  Assés  i  vint  chevaliers  et  dames.  Et  lors  dist  li  rois 
en  Gales  et  choi-  ^  jy^gj-jj^  ^  ^^  Quels  eens  esliras  tu  pour  seoir  a  ceste  ta- 

sitcinquante,,,        t-»#i  f-  m  -       1  j 

prud'hommes  ^^^-  ^^  ^^  Merlins  dist  :  «  Vous  en  verres  chou  demain 
pour  y  prendre  que  VOUS  n'en  quidastcs  onques  veoir.  Mais  je  eslirai  cin- 
place.  quante  des  plus  pieudomes  de  ceste  terre,  ne  ja  puisque 

il  i  averont  sis  ne  vaurront  en  leur  pais  retourner  ne  de  chi 
partir.  Et  lors  porrés  veoir  la  senefiance  del  lieu  wuit  et 
des  autres  deus  tables  en  la  vostre.  »  Et  li  rois  si  dist  : 
«  Che  vaurroie  je  moult  volentiers  veoir.  »  Et  Merlins 

I    che 


MERLIN  97 

eslist  cinquante  des  plus  preudomes  que  il  sot,  si  les  fist 
seoir  a  la  table  et  apiela  le  roi,  si  li  moustra  le  lieu 
wuit,  et  maint  autre  le  virent  et  si  ne  savoient  que  il 
senefioit  ne  (56  '^J  pour  coi  il  estoit  wuis  fors  li  rois  et 
Merlins.  Quant  Merlins  ot  ce  fait,  si  dist  le  roi  que  il 
s'alast  seoir.  Et  li  rois  dist  qu'il  ne  serroit  mie  tant  qu'il 
eust  veus  cheus  qui  estoient  a  la  table  servir,  si  les  fist 
li  rois  servir  ains  qu'il  s'en  meust  d'illuec.  Quant  il  fu- 
rent servi,  si  s'ala  li  rois  seoir. 


Ensi  furent  tous  les  uit  jours,  et  li  rois  donna  moult 
de  biaus  dons  et  de  grans  joiaus  as  dames  et  as  damoi- 
sieles.  Et  quant  vint  que  li  baron  prisent  congié  et  que 
il  s'en  départirent,  si  vinrent  as  preudommes  qui  seoient 
a  la  table.  Et  li  rois  meismes  lour  demanda  qu'il  lour  es- 
toitavis.  Et  il  respondirent  :  «  Sire,  nous  n'avons  (jamais) 
talent  de  mouvoir  jamais  de  chi,  ains  ferons  venir  nos 
femes  et  nos  enfans  en  ceste  vile,  et  ensi  viverons  au 
plaisir  nostre  signour  ;  car  teuls  est  nostres  corages.  »  Et 
li  rois  lour  demanda  :  «  Signour,  avés  vous  tout  tel  co- 
rage?  »  Et  il  respondent  tout  :  «  Oil,  si  nous  esmiervil- 
lons  moult  comment  che  puet  estre.  Car  il  i  a  de  teuls  de 
nous  que  onques  mais  ne  virent  li  uns  l'autre,  et  peu  i 
a  de  nous  dont  li  uns  fust  acointes  de  Tautre,  et  ore 
nous  entramons  autant  ou  plus  comme  fieus  seut  amer 
père.  Ne  nous  ja  mais,  chu  me  samble,  ne  ferons  (56  ^) 
desassamblee  ne  départirons,  se  mors  ne  nous  départ.  » 
Et  quant  li  rois  les  ot  ensi  parler,  si  le  tint  a  moult  très 
grant  merveille,  et  tout  cil  qui  dire  l'oirent  en  furent 
tout  esbahi.  Et  li  rois  en  fu  moult  liés,  et  commanda 
que  il  fuissent  houncic  en  la  ville  aussi  conme  ses  cors.  Mciim  annonce 
Et  quant  les  gens  furent  départi,  si  dist  li  rois  a  Mer- q"^ 'ciitu  videà 
lin  :  «  Voiremcnt  me  disoics  tu  voir.  Ore  croi  je  bien  i^  ta^^'c  ronde  ne 

,  ...  ...  .     sera  rempli  qu'au 

que  nostre  sircs  vcult  que  ceste  table  soit  cstablic  ;  mais  ,         , 

T  ^  '     ^  '  temps  ou  succc»- 

moult  m'csmcrveil  dcl  lieu  wuit,  et  moult  te  vaurroie  scurd'Uter 


98  MERLIN 

priicr,  se  tu  le  ses,  que  tu  me  desisses  qui  l'emplira.  »  Et 

Merlins  dist  :  <c  Tant  te  puis  jou  bien  dire  qu'il  ne  sera 

pas  emplis  en  ton  tans.  Et  cil  qui  remplira  naistera  de 

par  un  homme  celui  qui  engendrer  *  le  doit.  Et  n'a  point  encore  de  feme 

qui  n'est  pas  en-  prjge  ne  ne  set  riens  qu'i[l]  le  doie  engenrer.  Et  couverra 

core  n<^  et  qui    ^^  ^jj      •  gj^pjjj.  |g  ^JqJj  acomplisse  chelui  [lieu]  avant  ou 

aura  d'abord  ac-  ^        .      ^  ^  ,     .  .1         •  1  11. 

compii  l'aventure  ^^^  vaissiaus  del  graal  siet,  car  cil  qui  le  gardent  ne  le  vi- 
du  graal.  rent  onques  acomplir  ;  ne  che  ne  sera  jamais  en  ton  *  tans, 

ains  averra  au  tans  le  roi  qui  apriès  toi  verra.  Mais  je  te 
pri  que  tu  fâches  tes  assamblees  et  tes  grans  cours  en 
ceste  (56  ^)  vile,  et  que  tu  meismes  i  soies  et  tiegnes  tes 
cours  as  festes  anveus.  »  Et  li  rois  dist  :  <c  Merlins,  je 
le  ferai  moult  volentiers.  »  Et  Merlins  dist  :  «  Je  m'en 
irai  ;  tu  ne  me  verras  mais  devant  lonc  tans.  »  Lors  li 
demanda  li  rois  :  «  Merlins,  ou  iras  tu?  Dont  ne  serras 
tu  en  toutes  les  festes  en  ceste  ville  que  je  i  terrai?  »  Mer- 
lins dist  :  «  Nennil,  je  n'i  puis  pas  estre,  que  je  voel  que 
cil  qui  avoec  toi  sont  croient  chou  que  il  verront  avenir. 
Car  je  ne  voel  pas  qu'il  dient  que  che  aie  je  fait  qui(l) 
averra.  » 


V^Hi  endroit  dist   li  contes  que  Merlins  s'em  parti 
d'Uter  Pandragon  et  vint  en  Norhomberlande  a  Biaise, 
se  li  dist  ces  choses  et  ces  establissemens  de  celé  table  et 
maintes  autres  choses  que  vous  orrés  en  son  livre.  Et 
ensi  demoura  Merlins  plus  de  deus  ans  qu'il  ne  vint 
nient  a  court.  Et  ensi  fu  un  grant  tans  que  li  rois  tint 
uter  tient  une  acoustumeement  sa  court  a  Garduel,  tant  que  une  fois 
grande   cour   à  (S6  ^J  avint  un  jour  que  il  prist  talent  le  roi  que  il  se- 
arduei;  monroit  tous  ses  barons,  et  i  amenaissent  tout  lor  femes 

et  un  et  autre.  Ensi  les  fist  li  rois  semonre  al  Noël.  Et 
envoia  par  tout  ses  lettres.  Ensi  comme  li  rois  l'ot  com- 
mandé si  le  firent.  Et  bien  sachiés  que  il  i  vint  grant 

I.  emplir  —  2.  tous 


MERLIN  99 

plenté  de  damoisieles,  de  pucieles  et  de  chevaliers.  Je  ne 

puis  ne  ne  doi  tous  chiaus  dire  qui  a  celé  court  furent, 

mais  vous  conterai  chiaus  et  celés  dont  mes  contes  parole. 

Tant  voel  je  bien  que  vos  '  sach[i]és  que  11  dus  de  Tein- 

taguel  i  fu,  et  si  i  amena  sa  feme  Ygerne.  Et  quant  li 

rois  le  vit,  si  Fama  moult  en  son  cuer,  n'onques  ne  l'en  il  s'éprend  d'i- 

f(es)ist  samblant  se  de  tant  non  que  il  le  regardoit  plus  s^'""^'  femme  du 

volentiers  des  autres.  Et  de  che  se  prist  elle  meismes   ",^  ^.  '"^^^eu  , 

•     ,  celle-ci  s'en  aper- 

garde  et  sot  bien  en  son  corage  que  li  rois  la  veoit  moult  çq^j  ^^  essaie  de 
volentiers.  Et  quant  elle  s'en  fu  apercheue,  si  Teskiva  au  l'éviter. 
plus  que  elle  pot  et  se  targa  a  venir  devant  lui,  car  ele 
estoit  moult  preudefeme  et  moult  biele.  Et  li  rois,  pour 
s'amour  et  pour  chou  que  on  ne  s^en  presist  garde,  en- 
voia  joiaus  a  toutes  les  dames,  et  a  Ygerne  envoia  cheus 
que  il  cuida  que  plus  li  pleusissent.  Et  elle  vit  qu'il  en- 
voia a  toutes  les  autres,  si  ne  vaut  ne  n'osa  refuser  le  sien 
don. 


i^y  ^)  tNsi  départi  la  cours,  et  ains  qu'elle  fust  de- 
partie  pria  li  rois  a  tous  ^  ses  barons  que  il  fuissent  arrière 
a  la  Penthecouste  si  conme  il  avoient  esté  a  celé  fcste,  et 
aussi  a  toutes  les  dames.  Et  chascuns  l'otroie  moult  vo- 
lentiers. Et  quant  li  dus  de  Tintaguel  se  départi  de  la 
court,  li  rois  le  convoia  et  hounera  moult.  Au  départir 
si  dist  li  rois  a  Ygerne  tant  seulement  que  il  voloit  bien 
que  elle  seust  que  elle  emportoit  son  cuer  avoec  lui.  Et 
elle  n'en  fist  ains  samblant  que  elle  l'entendist.  Ensi  pri- 
sent congié^  li  uns  de  Tautre.  Et  li  rois  remest  a  Carduel 
et  fist  moult  grant  joie  et  reconforta  moult  les  preu- 
doumes  qui  a  la  table  seoient,  mais  tous  '*  dis  fu  ses  cuers 
a  Ygerne.  Et  ensi  sousfri  li  rois  dusques  a  Penthecouste. 
Et  lors  assamblcrcnt  (assamblercnt)  li  baron  et  les  dames. 

!.  lu  —  2.  tout  —  3.  conscl  —  4    tout 


100  MERLIN 


Moult  fu  liés  li  rois  quant  Ygerne  fu  venue,  et  moult 
donna  a  celé  feste  grans  dons.  Et  quant  li  rois  sist  au 
mengicr,  si  fist  le  duc  et  Igerne  seoir  decouste  lui.  Lors 
fist  tant  li  rois  par  ses  dons  et  par  ses  presens  que  Ygerne 
ne  s'en  pot  plus  desfendre  [que  ele  ne  seust  bien]  que  li 
rois  l'amoit.  Ensi  firent  a  celé  feste  grant  joie,  et  moult 
hounera  li  rois  ses  barons,  (^y  ^)  Et  quant  la  feste  fu 
passée,  si  s'en  vauit  chascuns  râler  en  son  pais,  et  prisent 
congiet.  Et  li  rois  lour  pria  et  requist  que  il  revenissent 
quant  il  les  manderoit,  et  il  li  otroiierent  tuit.  Ensi  de- 
parti  la  cours.  Et  li  rois  souffri  le  mesaise  tout  l'an. 
Quant  che  vint  au  chief  de  l'an,  si  se  complainst  a  deus 
de  ses  privés  et  dist  l'angoisse  que  il  sousfroit  pour 
Ygerne.  Et  il  li  dient  :  «  Sire,  que  volés  vous  que  nous 
en  fâchons  ?  Vous  ne  commanderés  ja  chose  que  nous 
ne  fâchons,  se  nous  le  poons  faire.  »  Et  li  rois  dist  : 
a  Conment  porroie  jou  plus  estre  avoec  Ygerne  ?»  Et  il 
dient  que  se  il  aloit  en  sa  terre  qu'il  en  seroit  blasmés 
et  lesgenss'en  apercheveroient.  «  Et  que[l]  conseil,  «dist 
li  rois,  «  m'en  donriés  vous  dont  ?  »  Et  il  dient  :  «  Le 
millour  que  nous  savrons.  Faites  semonre  une  grant 
court  a  Carduel  et  faites  savoir  a  tous  chiaus  qui  i 
verront  que  il  ne  s'en  muevent  devant  quinsainne  et 
que  chascuns  viegne  atournés  pour  séjourner  ^  quinze 
jours,  et  que  chascuns  de  vos  barons  i  amainne  sa 
A  une  nouvelle  f^"^^-  ^"^^  porrés  avoir  l'amour  Ygerne.  »  Et  li  rois 
fête,  uter  envoie  les  fist  semoure.  Et  il  vinrent  tout  a  Carduel.  Et  li  rois 
son  conseiller  ui-  i  donna  moult  de  biaus  dons.  Moult  fu  liés  li  rois  cel 
^'aruT'  "**"  *^  jour  que  il  tint  court,  si  parla  a  un  sien  consillier  (S7  *^) 
^^^^^'  qui  avoit  non  Urfins,  se  li  demanda  li  rois  que  porroit 
faire, que  Tamour  Ygerne  rochioit,si  que  il  ne  pooit  du- 
rer quant  il  ne  la  veoit,  et  quant  il  la  veoit  se  li  aliege 

I.  semonre 


MERLIN  101 

sa  dolours,  et  que  il  ne  puet  vivre  s'il  n'a  autre  conseil 
de  s'amour,  et  que  morir  Ten  convenra.  Et  respont  Ur- 
lins  :  «I  Vous  estes  moult  mauvais,  qui  pour  le  désir 
d'une  feme  cuidiés  morir.  Qui  oi  ains  parler  de  feme  qui 
bien  fust  priie  et  requise  et  (la)  on  peust  donner  a  li  et  a 
cheus  qui  sont  entour  li,  que  elle  ne  fesist  sa  volenté?  Et 
tu  t'esmaies.  »  Et  li  rois  respont  :  «  Tu  dis  moult  bien, 
et  tu  ses  bien  qu'il  convient  a  tel  chose.  Je  t'en  pri  que 
tu  m'en  aiues  en  toutes  les  manières  que  tu  savras,  et 
pren  canques  tu  vaurras  dou  mien,  et  donne  a  cheus  et 
a  celés  qui  sont  entour  li  et  parole  a  Ygerne  en  tel  ma- 
nière que  tu  ses  que  mestiers  m'est.  »  Et  Urfins  dist  : 
«  J'en  ferai  mon  pooir.  »  Ensi  ont  fine  lour  conseil.  Lors 
dist  au  roi  :  «  Gardés  que  vous  soiiés  bien  del  duc,  et  je 
penserai  de  parler  a  Ygerne.  »  Et  li  rois  dist  qu'il  le  fe- 
roit  moult  bien.  Ensi  l'ont  empris.  Li  rois  fist  moult 
grant  joie  le  duc  tous  les  uit  jours,  et  a  sa  compaignie 
donna  maint  biel  jouel.  Et  Urfins  parla  a  Ygerne,  se  li 
dist  les  choses  que  (^j  ^)  il  cuidoit  qui  miens  li  pleus- 
sent,  et  li  aporta  par  maintes  fois  moult  de  biaus  joiaus. 
Et  elle  s'en  desfent  et  n'en  veult  nul  prendre,  et  tant  que 
il  avint  un  jour  que  elle  traist  a  conseil  Urfin  et  li  dist  : 
«  Pour  coi  me  veuls  tu  donner  ces  jouaus  et  ces  biaus 
dons?  y>  Et  il  respont  :  «  Pour  vostre  sens  et  por  vostre 
grant  biauté.  Je  ne  vous  puis  riens  donner,  que  tout  li 
avoir  le  roi  sont  vostre ,  et  tous  ses  cors  a  vostre  plaisir  et 
a  vostre  volenté  faire.  »  Et  elle  respont  :  «  Gomment?  » 
Et  il  dist  :  «  Pour  chou  que  vous  avés  le  cuer  de  lui  tout 
entirement,  et  est  vostres  et  obeist  a  vous.  »  Et  elle  res- 
pont :  «  Dou  quel  cuer  dites  vous?  »  Et  il  dist  :  «  Dou 
roi.  »  Et  elle  se  saingne  et  dist  :  «  Dicus  !  conme  est  li  rois  ^^^j^  ^„^  ^,j,,jj_ 
traîtres,  qui  fait  samblant  del  duc  amer  et  (de)  moi  [vcui]  g„ect  menace  de 
honnir!  Urfins,»  fait  ele,  «  gardcsque  ja  mais  n'en  parles,  tout  dire  à  son 
Et  je  voel  que  vous  sachiés  que  je  le  diroie  mon  signour, 
et  se  il  le  savoit,  il  vous  en  converroit  morir.  Et  si  te  di 
que  je  ne  le  cèlerai  que  ccstc  fois.  »  Et  il  rcspoiii  :  «  Dame, 


mari. 


1 02  MERLIN 

che  sera  m'ounours  de  morir  pour  mon  signour.  Ne  on- 
ques  mais  dame  ne  se  desfendi  de  tel  chose  que  vous  des- 
fendés  del  roi  a  avoir  a  ami.  Car  il  vous  aimme  plus  que 
tout  le  monde.  Mais  espoir  vous  vous  gabés.  Mais,  por 
Dieu,  aiiés  merchi  dou  (^8  ^)  roy.  Et  sachiés  de  voir 
qu'il  vous  en  venra  encore  grans  maus,  ne  vous  ne  H  dus 
ne  se  puet  desfendre  contre  la  volenté  le  roi.  »  Et  elle 
respont  et  dist  em  plourant  :  «  Si  ferai,  se  a  Dieu  plaist, 
je  m'en  desfenderai  moult  bien.  Car  je  ne  serai  jamais  en 
lieu  ou  il  soit.  » 


Atant  se  départirent  entre  Urfin  et  Ygerne.  Et  Urfins 

vint  au  roi,  se  li  conta  canques  Ygerne  li  ot  dit.  Et  li 

rois  dist  que  ensi  doit  boine  dame  respondre  :  o  Nel  lais- 

Uier  fait  por-  siés  ja  pour  chou  a  proiier.  »  Un  jour  après  avint  que  li 

ter  publiquement  rois  fu  assis  au  mengicr  et  li  dus  seoit  dalés  lui.  Et  li 

à     igerne    une  j-qJj  ^y^j^  devant  lui  Une  moult  biele  coupe  d'or.  Et  Ur- 

coupc  d'or  où  son  ^  •ni  •        vi  •  i  ■\r  t^ 

*.,....   fins  conseille  le  roi  qu  il  envoie  celé  coupe  Yeerne.  Et 

raari    lui   dit  de  ^  r        d 

boire  pour  l'a-  li  Tois  dreche  sa  teste,  si  dist  au  duc  :  «  Sire,  mandés 
mour  du  roi.  Ygerne  que  elle  prenge  celé  coupe  et  ke  elle  i  boive 
pour  l'amour  de  moi.  Et  je  li  envolerai  plainne  de  boin 
vin  par  un  de  vos  chevaliers.  »  Et  li  dus  respont  comme 
cil  ki  nul  mal  n'i  entendoit  :  «  Sire,  grans  mierchis  ;  elle 
le  prendera  moult  volentiers.  »  Et  li  dus  apiela  un  sien 
chevalier  etli  dist  :  «  Bretel,  portés  vous  ceste  coupe  vos- 
tre  dame  de  par  le  roi,  et  li  dites  que  elle  i  boive  pour 
Tamour  de  lui.  »  Bretiaus  prist  f^6'  ^)  la  coupe  et  vint 
la  ou  Ygerne  estoit  et  li  dist  :  «  Dame,  li  rois  vous  envoie 
ceste  coupe,  et  mes  sires  vous  mande  que  vous  le  pren- 
dés,  et  que  vous  i  buvés  pour  l'amour  de  lui.  » 


Vj/UANT  Ygerne  l'entent,  si  en  ot  grant  honte  et  rougi. 
Et  prist  la  coupe  et  si  but  et  le  vaut  renvoiier  arrière. 
Et  Bretiaus  li  dist  :  «  Dame,  me  sires  vous  mande  que 


MERLIN  103 

VOUS  le  retenés.  »  Et  elle  le  retint.  EtBretiaus  s'en  va  de- 
vant le  roi  et  le  merchie  de  par  Ygerne  qui  •  onques  mot 
ne  li  avoir  dit.  Lors  ala  Urfins  veoir  que  Ygerne  faisoit, 
si  le  trova  moult  pensive.  Et  quant  les  tables  furent 
ostees,  si  apiela  Urfin  et  li  dist  :  «  Urfins,  par  grant  traison 
m'a  envoiié  vostre  sires  une  coupe.  Mais  tant  sachiés  vous 
bien  que  je  dirai  a  mon  seigneur  la  honte  que  vous  et  il 
me  pourcachiés.  »  Et  Urfins  respont  :  «  Dame,  vous  n'estes 
pas  si  foie  que  vous  ne  sachiés  bien  que  puis  que  feme 
di(s)t  tel  chose  a  son  signour,  ja  puis  ne  le  querra.  Et  pour 
che  vous  en  garderés  moult  bien.  »  Et  Ygerne  respont  : 
«  Dehait  qui  s'en  gardera  !  »  Atant  départi  Urfins  d'Y- 
gerne.  Et  li  rois  ot  mengié  et  fu  moult  liés,  si  prist  le  duc 
par  la  main  et  li  dist  :  «  Alons  veoir  ces  dames.  »  Et  il 
dist  :  «  Sire,  volentiers  (58  ^).  »  Lors  vont  li  rois  et  li  dus 
en  la  cambre  Ygerne.  Mais  li  rois  n'i  ala  fors  que  pour 
veoir  Ygerne,  et  ele  le  sot  bien.  Ensi  souffri  chelui  jour 
dusques  a  la  nuit.  Lors  s'en  ala  a  son  ostel,  et  quant 
vint  li  dus,  si  le  trouva  en  sa  chambre  plorant,  et  quant  18^'"'=  rcvcie 
il  le  vit,  si  s'en  esmiervilla  moult  et  le  prist  entre  ses  bras  ^°"^  "^  ^°"  "^,^'"'' 

.,         .  ,     ,,  .  ,.    ,  ,  ,  .      qui  part  secrete- 

com  cil  qui  moull  ramoit,  et  li  demande  que  ele  avoit.  ,j^g„j  avecciie. 

Et  ele  li  dist  :  «  Je  nel  vous  cèlerai  ja,  car  il  n'est  riens 

que  je  tant  aim  comme  vous.  »  Adont  li  dist  tout  l'afaire 

le  roi  si  comme  vous  Pavés  oi,  et  que  toutes  ces  dames 

que  il  mande  et  ces  assamblees  ne  fait  il  se  pour  li  non. 

«  Et  vous  m'avez  ore  fait  prendre  sa  coupe  et  me  man- 

daste[s]  que  je  i  beusse  pour  Tamour  de  lui.  Et  vous  di  bien 

que  je  ne  puis  plus  durer  [a  lui],  ne  a  Urfin  unsien  consil- 

lier.  Et  si  sai  bien  que  puis  que  je  le  vous  ai  dit,  il  ne  puet 

mais  remanoir  sans  grant  mal  faire.  Et  je  vous  pri  que 

vous  m'en   menés,  car  je  ne  voel  plus  estre  en   ceste 

ville.  »  Quant  li  dus  ot  oi  et  entendu  che  que  sa  feme  li 

dist,  si  en  fu  moult  irés,  car  il  l'amoit  moult  de  grant 

amour;  si  manda  ses  chevaliers  en  la  vile  a  conseil.  Et 


I.  que 


104  MERLIN 

quantil  furent  venu,  si  conurent' bien  que  lidusestoitirés. 
Etli  dusior  dist  :  «Signour,  apparilliés  vous  por  {^8  '^) 
chevauchier  tout  priveement  que  nus  nel  sache.  Et  n'en 
demandés  ja  pour  coi,  tant  que  je  le  vous  die.  »  Et  dient 
tout  :  «  A  vostre  commandement.»  Si  dist  li  dus  :  «  Lais- 
siés  vo  harnas  sans  vos  armes  et  vos  chevaus,  et  il  nous 
sivroni  bien  demain,  que  je  voel  que  li  rois  n'en  sache 
mot,  ne  nus  cui  ^  je  le  puisse  celer,  que  je  m'en  voise.  » 
Ensi  comme  li  dus  commande,  et  il  fu  fait.  Et  li  dus  ot 
commandé  ses  chevaus  a  amener  pour  chevauchier.  Et  li 
dus  et  Ygerne  chevaucierent  au  plus  celeement  qu'il 
porent.  Ensi  s'en  ala  li  dus  en  son  pais,  et  en  mena  sa 
feme.  Au  matin,  quant  il  s'en  fu  aies,  (fu  aies)  fu  grans  la 
uter,  courrou-  noise  par  la  vile  des  gens  le  duc  qui  estoient  remés.  Li 
cts  déclare  que  le  j-ois  sot  au  matin  que  li  dus  s'en  fu  aies,  si  en  ot  grant 
duc  l'a  offense  en  ^^^j   ^^  ^^^^^  p^^^         j^  ^^iç,  que  il  en  Ot  mené  Ygerne. 

quittant  sa  cour  ^.  ,  ,  i  i-  i  .       /i 

sans  congé  ^^  manda  tous  ses  barons  et  leur  dist  et  lour  monstra  (la 
vérité)  le  honte  et  le  despit  que  li  dus  li  avoit  fait  qui 
aies  s'en  estoit  et  sans  le  congié  de  court.  Et  il  respon- 
dent  que  il  s'en  esmiervellent  tout  et  qu'il  a  fait  folie. 
Ensi  parolent  cil  qui  ne  savoient  pour  coi  li  dus  s'en 
estoit  aies.  Et  li  rois  lour  dist  :  «  Signeur,  consilliés  moi 
comment  je  le  porrai  amender.  »  Et  il  dient  :  «  Sire,  ensi 
...    comme  il  vous  1^50  ^j  plaira.  »  Etli  rois  dist  :«  Je  liman- 

et  lui  envoie  dire  '  ■^-^    '  ^ 

de  revenir;  deral,  sc  VOUS  le  me  loés,  que  il  viegne  amender  le  four- 
fait  que  il  m'a  fait,  et  tout  ensi  comme  il  s'en  ala  revie- 
gne  arrière  por  faire  droit.  »  Et  tout  s'i  acordent. 

ENche  message  alerent  doi  preudoume  de  par  le  roi  et 
chevaucierent  tant  que  il  vinrent  a  Tintageul.  La  trou- 
vèrent le  duc.  Et  quant  il  l'orent  trouvé,  se  li  disent  che 
que  li  rois  li  mandoit.  Et  quant  li  dus  oi  qu'il  le  conver- 
roit  arrière  râler  si  comme  il  estoit  venus,  si  sot  bien 

I.  sauoient  —  2.  que 


MERLIN  105 

que  il  li  en  converroit  mener  Ygerne,  si  respondi  as  mes- 
sages :  <(  Or  poés  dire  au  roi  que  je  n^ira(i]  pas  arrière  a  leduc refuse, 
sa  court,  car  il  a  tant  fait  a  moi  et  as  miens  que  je  ne  le  ^'"Pi'"!"^''. 
doi  croire  ne  aler  a  sa  court.  Ne  je  n'en  parlerai  ja  autre- 
ment, mais  je  en  trai  bien  Dieu  a  garant,  qui  set  bien 
qu'il  m'a  tant  fait  que  je  nel  doi  plus  croire.  »  Ensi  repai- 
rent  ^  li  message  arrière  au  roi. 


VOUANT  li  message  s'en  furent  parti,  si  a  mandé  li  dus 
les  preudoumes  de  son  privé  conseil,  si  lour  conta  et  dist 
[por]  quoi  ^  il  en  estoit  venus  de  Carduel,  et  la  desloiauté 
que  li  rois  li  pourcachoit  de  sa  feme.  Quant  cil  Toirent, 
si  disent  que  che  n'averra  ja,  se  Dieu  plaist,  et  que  bien 
devroit  mal  avoir  cil  qui  pourcache  tel  chose  viers  son 
homme.  Lors  dist  li  (^g  ^J  dus  :  «  Signeur,  je  vous  pri  pour 
Dieu  et  por  chou  que  faire  le  devés  que  vous  m'aidiés  a  des- 
fendre ma  terre,  se  li  rois  m'assaut.»  Et  il  respondent  que 
si(l)  feront  il  moult  volentiers,  et  li  aideront  si  avant 
comme  il  porront.  Ensi  se  consiila  li  dus  as  ses  hom- 
mes. Et  li  message  revinrent  arrière  au  roy,  se  li  contè- 
rent la  response  le  duc.  Et  quant  il  l'oi,  si  [dist  qu'ilj  s'es- 
miervilloit^  moult  de  la  folie  que  li  dusavoit  dite,  car  il  le 
cuidoit  moult  a  sage  home.  Et  li  rois  prie  as  ses  barons 
que  il  li  aident  a  amender  le  honte  de  sa  court  que  li 
dus  li  avoit  faite.  Et  cil  respondent  que  chou  ne  li  puecnt 
il  veer,  mais  il  li  prient  tout  ensamble  pour  la  loiauté 
que  il  le  fâche  desfier  avant  a  quarante  iours.  Et  ensi  le 
fist  li  rois,  et  lour  pria  que  au  chicf  de  quarante  jours 
fuissent  a  Tintageul  comme  pour  ostoiier.  Et  il  dient 
que  si  feront  il.  Et  li  rois  envoie  ses  messages  pour  des- 
fier le  duc.  Et  quant  il  Torent  desfié,  li  dus  dist  que  il  utcrfaii  défier 
s'en  desfendcroit  se  il  pooit,  et  cil  qui  Forent  desfic '^ '^^^■. 
s'en  retorncrent,  et  li  dus  s'apparilla  de  lui  dcsicndrc.  Et 

I.  ripairent  —  2.  que  —  3.  scsmieruilla 


I06  MERLIN 

li  message  dicnl  au  roi  que  li  dus  s'en  desfendera  se  on 
l'assaut. 


et  bientôt  envahit     VOUANT  H  rois  ot  chou  oi,  si  en  fu  moult  iriés,  et  envoia 
sa  terre,  par  toute  sa  terre  pour  semonre  ses  barons,  si  les  fist  tous 

assambler  a  Tentree  de  la  terre  le  duc  (^g  <^j,  si  destruist 
et  villes  et  chastiaus.  Et  si  oi  dire  que  li  dus  estoit  a  une 
part  en  un  de  ses  chastiaus  et  sa  feme  en  Fautre.  Lors 
parla  li  rois  a  son  conseil  et  lour  dist  que  il  le  consillais- 
sent  le  quel  il  assaurroit  avant.  Et  ses  consaus  li*  loe  que 
il  voist  assaillir  le  duc,  que  se  il  le  prent  il  avéra  le  pais 
et  la  terre  toute.  Ensi  s'en  sont  acordé,  et  li  rois  Potria,  et 
quant  il  chevauchierent  ou  li  dus  estoit,  si  dist  li  rois  a 
Urfin  :  «  Urfins,  quel  conseil  porrai  je  prendre  d'Ygerne  ?  » 
EtUrfinsreipont  :  «  Sire, de  che  c'onnepuet  avoir  se  con- 
vient sousfrir.  Et  devés  grant  forche  mètre  a  prendre  le 
duc  ;  car,  se  vous  l'aviés  pris,  vous  en  verriés  bien  a  chief 
de  Tautre  affaire.  » 


et  assiège  le  duc     \^^i  endroit  dist  li  contes  que  li  rois  assist  le  duc  en 

dans  un  château,  i       ^*    i    o-  •       ..  -.     •      u  j 

nd  nt   u'i       ^^^  chastiel.  Si  1  ert  grant  piecne  que  onques  prendre  ne 

ne  est  dans  Tin-  le  pot,  si  en  fu  moult  dolans,  et  si  estoit  moult  angois- 

tagcui.  scus  pour  Ygerne,  (5g  ^J  et  tant  que  il  estoit  en  son  pa- 

Uter  se  désole  villon,  si  plouroit.  Et  quant  si  homme  le  virent  plourer, 

de  ne  pas  la  voir;  ^j  ^^  aleicnt,  et  le  laissiercnt  tout  seul.  Et  Urtins  qui 

estoit  fors,  quant  il  le  sot,  si  vint  devant  lui  et  le  trouva 

plourant,  si  Ten  pesa  moult,  et  li  demanda  pour  coi  il 

plouroit.  Et  li  rois  li  dist  :  «  Urfins,  tu  dois  bien  savoir 

pour  coi,  que  tu  ses  bien  que  je  me  (men)  muir  pour 

Ygerne.  Et  je  voi  bien  que  morir  m'en  convient,  car  j'ai 

perdu  tout  le  repos  que  hom  doit  avoir;  pour  chou  si  sai 

bien  que  je  m'en  muir.  Car  je  ne  voi  comment  je  puisse 


MERLIN  107 

avoir  garison.  »  Et  Urfins  li  dist  :  ce  Sire,  vous  estes  moule 

de  foible  cuer,  que  vous  cuidiés  morir  pour  une  feme. 

Mais  je  vous  donrai  boin  conseil,  se  vous  volés.  Se  vous  umn  lui  conseille 

faisiés  querre  Merlin  et  mander  tant  qu'il  venist  a  vous,  dcrccouriràMci- 

il  ne  porroit  estre  qu'il  ne  vous  en  seust  consillier.  gç ''"  = '"^'■^"i"'-^' 

^.    .  .     .  ,  a  dcfendu   quVn 

vous  II  dounissies  canques  ses  cuers  vaurroit.  »  Et  li  rois  i-emovrit  chcr- 
respont  :  «  Il  n'est  riens  que  on  peust  faire  nule  que  je  cher. 
ne  fesisse.  Mais  je  sai  bien  que  Merlins  set  bien  ma  des- 
trece,  si  criem  que  je  Taie  courechié  de  che  que  [li]  lieus 
[vuis]  de  la  table  reonde  fu  assaiiés,  qu'il  i  a  moult  grant 
pieche  qu'il  ne  fu  en  lieu  ou  je  fuisse  ;  ou  espoir  qu'il  li  ' 
poise  quant  je  aim  la  feme  de  mon  houme,  mais  certes 
(60  ^)  je  n'en  puis  mais,  car  mes  cuers  ne  s'en  puet  par- 
tir. Et  je  sai  bien  que  il  me  dist  que  je  ne  l'envoiaisse  ja 
querre.  w  Et  Urfins  respont  :  «  Sire,  d'une  chose  sui  je 
certains,  que  se  il  est  sains  et  haitie's  et  il  vous  aimme  tant 
comme  il  seut  et  il  set  la  destrece  que  vous  avés,  et  il  ne 
demourra  pas  que  il  ne  viegne  a  vous.  »  Ensi  comfortc 
Urfins  le  roi,  et  li  dist,  se  il  faisoit  biele  chiere  et  grain 
joie  et  mandast  ses  houmes  et  fust  avoec  aus,  il  alegeroit 
grant  partie  de  sa  doulour.  Et  li  rois  dist  que  il  fera  moult 
volentiers  che  que  il  li  conseille,  mais  l'amour  Ygernc  ne 
porroit  il  oublier.  Ensi  se  comforta  li  rois  une  grant  pie- 
che, et  refist  le  chastiel  assallir,  mais  il  ne  le  pot  prendre. 


Un  jour  avint  que  Urfins  chevauchoit  par  l'ost,  tant     in  jour  nnn 
qu'il  encontra  un  homme  k'il  ne  connissoit  mie.   Et  cil     icncunno  un 
hom  li  dist  :  «  Sire  Urfins,  je  parleroie  volentiers  a  vous  ^''^'"^".^  '^''\  '"' 

.      r  -r-     T  T    ^         ,.     1-  V.      •  ï  ,        '^'^  qu  il  se  char- 

la  fors.  »  Et  Urfins  li  dist  :  «  Et  je  a  vous.  »  Lors  s  en  ^^^.^^^   ,,j^,„    j^. 

alerent  fors  de  l'ost.  Et  Urfins  descent  a  pié,  pour  par-  faire  p.ricr  i  ter 

1er  a  lui,  et  li  demande  qui  il  estoit.  Et  il  li  dist  :  «  Je  ^  '; 

sui  uns  hom  vicus,  et  fui  ja  tenus  pour  sages  quant  je 

fui    jovenes,  mais  on  dist  que  je  radote.  Mais  je  vous 


nie 


I.  il 


[o8 


MERLIN 


di  a  conseil  que  je  fui  n'a  gaires  a  Tintageul,  si  fu  a- 
cointes  d'un  preudomme  qui  me  dist  que  (f.  60  ^)  vostre 
rois  amoit  Ja  feme  au  duc,  et  que  pour  chou  li  destruist 
li  rois  sa  terre  que  li  dus  Ten  mena  de  Carduel.  Et  se 
vous  me  volés  croire  et  donner  boin  loiier,  je  sai  tel 
homme  qui  vous  feroit  bien  parler  a  Ygerne  et  con- 
seillier  le  roi  de  s'amour.  »  Quant  Urfins  oi  ainsi  par- 
ler le  viel  homme,  si  s'esmiervilla  moult  ou  il  prendoit 
chou  qu'il  disoit,  se  li  prie  que,  se  il  set,  que  il  li  ensegne 
celui  qui  le  roi  en  porroit  consillier.  Et  il  respont  :  a  Je 
savrai  anchois  quel  loiier  li  rois  en  donroit.  »  Et  Urfins 
dist  :  «  Quant  jou  avrai  parlet  au  roy,  te  trouverai  jou 
chi  ?»  Et  il  dist  :  «  Vous  me  troverés  ou  moi  ou  mon  mes- 
sage. »  Et  cil  le  commande  a  Dieu,  si  s'en  va.  Et  Urfins 
vint  au  roi,  se  li  dist  tout  chou  que  il  avoit  trouvé.  Et 
uter  devine  que  quant  li  rois  Toi,  si  en  rist  et  li  demande  :  «  Urfins,  con- 
c'estMerhn.  jj^jg  j^  ^gj  homme?  »  Et  il  dist  :  «  Sire,  c'est  uns  vieus 
hom.  »  Et  li  rois  li  demande  :  «  Quant  doit  il  reparler  a 
toi?  »  Et  Urfins  dist  :  a  Le  matin,  et  me  dist  que  li  sa- 
che a  dire  le  loiier  que  vous  li  donrés.  »  Et  li  rois  dist  : 
11  se  montre  «  Jou  irai  le  matin.  »  Lors  ala  li  rois  la  ou  Urfins  l'en 
sous  les  traits  mena,  si  troverent  un  contrait,  quant  il  furent  issu  de 
d'un  infirme,  j'ost ,  et  li  rois  passa  par  devant  lui,  et  li  contrais  li 
crie  :  «  Rois,  se  Dieus  acomplisse  ton  cuer  de  la  chose 
du  monde  que  tu  plus  aimmes,  donff.  60  ^jne  moi  tel 
chose  dont  je  te  saice  gré.  »  Et  li  rois  rist  et  dist  a  Ur- 
fin  :  «  Urfins,  feroies  tu  riens  pour  moi?  »  Et  iP  dist  : 
«  Sire,  oil,  canques  je  porroie.  d  «  Or  va  dont,  >  dist  li 
rois,  «  si  te  donne  a  cel  contrait,  et  li  di  que  je  te  ai 
donné  et  que  je  n'ai  chose  avoec  moi  dont  je  soie  (si)  sai- 
sis. »  Et  Urfins  s'ala  seoir  dalés  lui  tantost.  Et  quant  li 
contrais  vit  Urfin ,  se  li  dist  :  «  Que  venés  vous 
querre?  »  Et  il  dist  :  a  Li  rois  veult  que  je  soie  vostres.» 
Et  quant  li  contrais  l'entendi,  si  s'en  rist  et  li  dist  :  t  Li 

I.  li 


MERLIN  I OQ 

rois  s'est  apercheus  et  me  connoist  mouk  mieus  que  tu 
ne  fais.  Mais  or  t^en  va  au  roi,  se  li  di  que  il  te  feroit 
grant  meskief  faire  pour  sa  volenté,  et  que  je  li  manc 
qu'il  s'est  tost  apercheus,  et  que  mieus  l'en  sera.  »  Et 
Urfins  vint  au  roi,  se  li  conte.  Et  quant  li  rois  oi  chou, 
si  chevaucha  arrière  grant  aleure,  et  quant  il  vinrent  la 
ou  il  1  avoient  trouvé,  [si  n'en  trouvèrent  point,]  si  dist 
li  rois  a  Urfin  :  «  Ses  qui  li  hom  est  qui  ier  parla  a  vous 
en  samblance  de  vieil  homme  ^?  C'est  cil  meismes  que  tu 
as  hui  veu  contrait*.»  Et  Urfins  respont  :  «  Puet  il  estre 
que  hom  se  puet  desfigurer?  et  qui  est  il  qui  ensi  se  des- 
figura? »  Et  il  respont  :  «  Saichiés  que  c'est  Merlins  qui 
ensi  se  gabe  de  nous.  Et  quant  il  vaurra  parlera  nous, il 
le  nous  fera  bien  savoir.  »  Ensi  le  laissierent  ester.  Et 
Merlins  vint  en  la  ten  (f.  60  ^)  te  le  roi  en  sa  droite  sam- 
blance et  demanda  ou  li  rois  estoit.  Et  uns  messages  vint  puisvienttrouver 
au  roi,  se  li  dist  que  Merlins  le  demandoit.  Et  quant  li  ^^  'O'  sous  sa 
rois  Toi,  si  en  fu  moult  liés  et  s'en  vint  au  plus  tost  qu'il  ^""^"^  forme  et  im 
pot  la  ou  Merlins  estoit,  et  apiela  Urfin  :  «  Or  verras  chou  ^r^'"*"  j.'*!^^^"!." 

'  ^  plir  sesdcsirss  il 

que  je  te  dis,  que  Merlins  est  venus,  et  lesavoie  bien  que  luijuredeiui  ac- 
pour  nient  le  querfrjoit  on.  »  Et  Urfins  dist  :  «  Sire,  or  cordcriedonqu'ii 
i  parra  se  vous  onques  riens  vausistes  ne  seustes  faire  a  sa  '"'  J'^mandeia. 
volenté,  car  il  n'est  nus  hom  qui  mieus  or  vous  puist  aidier 
de  l'amour  d'Ygerne.»  Et  Merlins  vint  a  Urfin  et  li  dist  : 
«  Se  li  rois  me  voloit  jurer  sour  sains  que  il  me  donroit 
un  don  tel  que  je  li  demanderoie  sauve  s'ounour,  je  li 
aideroie  a  avoir  l'amour  d'Ygerne.  Et  toi  meismes  le 
convient  jurer  avant  que  tu  ne  t'en  iras  a  rencontre.  » 
Et  Urfins  respont  :  a  Che  poise  moi  qu'il  n'est  ja  fait.  » 
Et  li  rois  otroie  chou  que  Urfins  "  a  dit  [  ;  et  dit  Uifins  : 
«  Mais]  or  pense  comment  il  puist  estre  alegics.»  Etquant 
Merlins  ot  ceste  parole,  si  s'en  rist  et  dist  que  «  quant  li 
serement  seront  fait,  je  vous  dirai  conment  che  porroit  es- 
tre.» Lors  fist  li  rois  aporter  les  sains,  et  illuecques  jura  li     lc  roi  jure. 

I.  conlrail  —  2.  qui  lu  trouuas  cel  vicl  homme  —  3.  Merlins 


110  MERLIN 

roisetUrfins che  que  Merlins  lour devise  que li  rois lidonra 
che  que  Merlins  li  demandera.  Ensi  furent  li  serement 
fait  et  Merlins  les  ot  pris.  (f.  61  ^)  Lors  dist  li  rois  :  9  Or 
vous  pri  je,  Merlins,  que  vous  pensés  de  mon  affaire  comme 
li  hom  ou  monde  qui  gringnour  mestier  en  a.  »  Lors  dist 
Merlins  :  t  Sire,  il  vous  converra  aler  en  moult  diverse 
manière  la  ou  Ygerne  est.  Car  elle  est  moult  sage  dame 
et  moult  loiausenviersDieuet  enviers  son  signour.  Mais 
ore  verres  quel  pooir  j'ai  de  vostre  volenté  accomplir.  » 
Lors  dist  au  roi  :  «  Sire,  je  vous  baillerai  la  samblance 
le  duc  si  bien  que  de  nului  ne  serés  conneus.  Et  li  dus 
a  deus  chevaliers  qui  sont  si  privé  de  lui  que  nus  plus  et 
d^Ygerne  aussi  :  li  uns  a  a  non  Bretiaus  et  li  autres 
Jourdains.  Je  baillerai  Urfin  la  samblance  Jordain  et  je 
prenderai  la  samblanche  Bretel,  et  je  ferai  ouvrir  la 
porte  dou  chastiel  ou  Ygerne  est,  et  vous  ferai  entrer 
laiens,  et  girrés  a  li.  Et  je  et  Urfins  enterrons  apriés  vous 
par  les  samblances  que  nous  prenderons.  Mais  vous  en 
convenra  moult  main  issir  fors,  quant  nous  serons 
laiens,  que  au  matin  orrons  moult  estranges  nouvieles. 
Et  si  atornés  votre  ost  a  l'issir  et  vos  barons.  Et  desfen- 
dés  que  nus  n'aille  viers  le  chastiel  devant  chou  que 
nous  soions  revenu.  Et  gardés  que  vous  ne  le  dites  nu- 
lui homme  ou  vous  voler  aler  que  a  nous  deus  qui  chi 
soumes.  »  (f.  61  ^)  Et  Urfins  et  li  rois  respondent  que  il  le 
feront  tout  ensi  comme  il  Ta  devisé.  «  Or  vous  aprestés,  » 
fait  Merlins,  «  car  je  vous  baillerai  ces  samblances  par 
voies.  »  Li  rois  se  hasta  de  faire  chou  que  Merlins  li  dist 
au  plus  tost  que  il  pot.  Et  quant  il  l'ot  fait,  si  dist  a 
Merlin  :  «  Avés  vous  apparillié?  »  Et  il  respont  :  «  11  n'i  a 
fors  de  l'aler.  »  Atant  se  metent  a  la  voie,  et  tant  alerent 
Merlin  donne  qu'il  vinrent  au  chastiel.  Lors  dist  Merlins  au  roi  :  «  Sire, 
au  roi  la  forme  du  or  VOUS  remaués  chi  et  nous  en  irons  entre  moi  et  Urfin.  » 
duc,  à  lui  et  à  LQj.g  g.gj^   ^,Qj^^     gj  donna  samblance  lui  et  Urfin.  Et 

UlÉln     celle     de  .,    ^  .  ,  ,  ,        .  . 

deux  de  SCS  che- ^^^"^  ^^  furent  dessamble,  si  revinrent  arrière  au  roi. 
vaiicrs;  Merlius  li  aporta  une  herbe  et  si  li  dist  ;  «  Sire,  frotés 


MERLIN  1  j  I 

vostre  visage  de  ceste  herbe  et  vos  mains.  »  Li  rois  le  fist, 
et  quant  il  ot  chou  fait,  si  ot  tout  apertement  le  sam- 
blance  le  duc.  Et  lors  dist  au  roi  :  «  Sire,  or  vous  sou- 
viegne  se  vous  veistes  onques  Jourdain.  »  Et  li  rois  dist  : 
a  Oil,  je  le  connois  moult  bien.  »  Et  Merlins  vint  a 
Urfin,  si  li  remist  la  samblance  Jourdain  et  lors  l'amena 
par  devant  le  roi.  Et  Urfins  dist  :  «  Je  ne  le  connois  pour 
nul  homme  se  che  n'est  pour  le  duc.  »  Et  li  rois  dist 
d'Urfin  k'il  li  samble  Jourdain.  Et  quant  il  orent  un 
poi  ensi  esté,  si  regardèrent  Merlin,  si  lour  fu  avis  que 
che  fust  Bretiaus.  Ensi  parlèrent  {f.  6i  ^)  ensamble  et  at- 
tendirent jusques  a  la  nuit.  Et  quant  il  fu  a  la  nuit  un 
poi  annuitié,  si  vinrent  a  la  porte  deTintageul.  Et  Mer-  ns  entrent  ainsi 
lins  apiela  le  portier,  et  li  portiers  et  cil  ki  gardoient  la  dansTintageui; 
porte  vi(n)rent  tout  apertement  Bretel  et  le  duc  et  Jour- 
dain ,  et  ouvrirent  la  porte  et  les  laissierent  ens  en- 
trer. Et  quant  il  furent  ens,  si  desfendi  Bretiaus  que 
nus  ne  desist  que  li  dus  fust  venus.  Asse's  fu  qui  ala 
dire  a  la  duchoise  que  li  dus  estoit  venus.  Et  cil  che- 
vaucent  tant  que  il  vinrent  devant  le  palais.  Lors  des- 
cendirent et  li  rois  traist  Merlin  a  conseil,  et  Merlins 
lui,  et  li  dist  qu'il  setiegne  moult  liement  comme  li  dus. 
Et  ensi  vinrent  li  Iroi  jusques  a  la  chambre  Ygerne,  qui 
estoit  ja  couchie,  et  au  plus  tost  qu'il  porent  firent  il 
leur  signour  couchier. 

Cnsi  jurent  li  rois  et  Ygerne  celé  nuit,  et  en  celé  ic  roi  partage  ic 
nuit  engenra  il  le  boin  roi  qui  fu  apiclés  Artus.  La  dame  ''^  d'Yi^'cmc    et 
fist  grant  joie  d'Uter  Pandragon  comme  dou  duc  son  si-  '^"S^"-"^  •^'^"■ 
gnour  que  elle  amoit  moult  (.  Ensi  avint  que  li  rois  et 
Ygerne  jurent  ensamble  toute  nuit,  et  en  ccle  nuit  en- 
genra il  Artu),  dusques  a  Fajournee  que  nouvieles  vin- 
rent en  la  ville  que  li  dus  estoit  mors  et  ses  chastiaus     i.<>  mmin  on 
(f.  6i  ^)  pris.  Les  nouvicllcs   vinrent  moult  celccmcnt  '11'^'^"^  q"o   ic 
laiens.  Et  quant  Brciiaus  et  Jourdains  qui  cstoicnt  ja    ^^*"''-'  "^' 


112  MERLIN 

levé  oirent  ces  nouvieles,  si  vinrent  la  ou  lour  sires  gi- 
soit,  si  dirent  :  «  Sire,  levés  sus,  si  vous  hastés  et  aies  a 
utcr  le  dément,  vostre  chastiel,  que  vos   gens  cuident  que  vous  soiiés 
et  8ort  de  Tinta-  ^lors.  ))  Et  il  lour  dist  :   €  Che  n'est  pas  merveille  se  il 
^'■"'  le  cuident,  car  jou  issi  en  tel  manière  dou  chastiel  que 

nus  n'en  sot  mot.»  Il  prist  congiet  a  Ygerne  et  le  baisa 
moult  doucement  au  départir,  voiant  tous  chiaus  qui 
laiens  estoient.  Et  puis  issirent  dou  chastiel  au  plus  tost 
qu'il  porent,  c'onques  ne  furent  ravisé  de  nului,  si  fu  li 
rois  moult  liés.  Et  Merlins  li  dist  :  «  Sire,  je  vous  ai 
bien  tenu  vos  couvens.  Or  gardés  vous  que  vous  me 
tenés  les  miens.  »  Et  li  rois  dist  :  a  Vous  m'avés  fait  la 
gringnour  amour  que  on  peust  faire  et  le  plus  biel  ser- 
viche  que  nus  hom  peust  faire  a  autre.  Et  les  vos  cou- 
vens vous  tenrai  jou  bien  se  Dieu  plaist.»  Et  Merlins  dist 
au  roi  :  a  Je  le  te  demanc,  et  voel  que  tu  saces  que  tu  as 
gaaignié(e)  un  hoir,  et  que  tu  le  m'as  dounet,  car  tu  ne 
le  dois  avoir.  Et  tel  pooir  coume  tu  i  as  tu  le  me  don- 
ras.  Et  si  fai  mettre  l'eure  et  la  nuit  en  escrit  que  tu  Ten- 
genras,  si  savras  se  je  t'ai  voir  ff.  62  ^)  dit.  »  «  Et  je 
t'ai  juré,  »  fait  li  rois,  a  si  le  te  ferai  si  comme  tu  l'as  dit, 
et  si  le  te  doing.»  Ensi  chevauchierent  jusques  aune 
iaue  :  a  celé  iaue  le[s]  fist  Merlins  laver,  et  puis  refurent 
comme  devant.  Lors  chevaucierent  dessi  a  Tost  au  plus 
Uter,  ayant  re-  tost  qu'il  porent.  Et  si  tost  coume  il  (Iji  furent  venu,  si 
prissafigure,  re- houme  s'assamblerent  entour  lui  et  li  disent  que  li  dus 
vientà  son  camp,  ^^^^j^  mors.   Et  li  rois  lour  demanda  comment    chou 

où     il     apprend  .  't--ii-  ^  ^  i-  «i» 

qu'en  effet  1  d  c  ^^<^^^  ^^^^'  ^^  ^*  ^^  conterent  que  le  jour  que  il  s  em  parti 
a  été  tué  cette  cstoit  li  OS  moult  coie  et  série:  «  Et  li  dus  s'aperchut  que 
nuit  mc-me  dans  VOUS  n'i  cstiés  mie,  si  fist  sa  gent  armer  et  s'en  issirent 
une  sortie.  ^Qut  a  piet  et  a  cheval  et  se  ferirent  en  nostre  ost,  et  il 

firent  grant  damage,  ains  que  vo  gent  fuissent  armé.  Et 
li  cris  leva  et  la  noise,  et  no  gent  s'armèrent  et  lour  cou- 
rurent seure,  et  les  remisent  jusques  devant  la  porte.  La 
guenchi  li  dus,  [et]  fist  moult  d'armes,  et  iiluec  fu  ses 
chevaus  ochis  et  il  abatus;  et  iiluec  fu  mors  li  dus  entre 


I 


en     ncgocia- 
tions. 


MERLIN  I  l3 

no  gent  a  piet  qui  ne  le  connissoient  mie.  Et  nous  hur- 
lâmes a  iaus  parmi  la  porte,  et  cil  se  desfendirent  moult 
petit,  puis  que  il  orent  perdu  le  duc.  »  Li  rois  dist  que 
moult  li  poise  de  la  mort  le  duc. 


Ensi  fu  li  dus  de  Tintageul  mors  et  ses  chastiaus  Le  roi  exprime 
(J.  62  ^J  pris.  Li  rois  parla  as  ses  barons  et  lour  moustra  son  regret  de  la 
que  moult  li  pesoit  de  la  mesqueance  le  duc,  si  lor  de-  ^^^^  ^"  ^^^  ^^ 

,  ..  ...  ,  ,         son  désir  de  l'a- 

manda  conseil  comment  il  porroit  ceste  chose  amender,  mendercnversics 
qu'il  ne  voloit  pas  que  il  en  fust  blasmés,  car  il  ne  haoit  siens  :  on  entre 
pas  le  duc  de  mort  :  «  Si  l'amenderai  a  men  pooir.»  Lors  en  délibérations 
parla  Urfins,  qui  moult  estoit  bien  dou  roi,  se  li  dist  :  ^^ 
«  Sire,  dès  que  la  chose  est  faite,  si  la  convient  amender 
au  plus  biel  que  on  porra.  »  Lors  traist  Urfins  grant 
planté  de  ses  barons  a  conseil  et  lor  dist  :  «  Signour, 
comment  loés  vous  que  li  rois  amende  a  la  dame  le  mort 
de  son  baron  et  as  ses  amis  ?  Car  il  vous  en  requiert  con- 
seil, si  Ten  devés  consillier  a  vo(sj  pooir  comme  vostre  si- 
gnour. »  Et  il  respondent  :  «  Nous  le  consillerons  vo- 
lentiers,  et  vous  nous  consiiliés  de  chou  qui  mieus  nous 
vaille  a  requérir  ;  car  nous  savons  bien  que  vous  estes 
moult  bien  de  son  conseil.  »  Et  Urfins  respont  :  «  Cui- 
diés  vous,  pour  chou  se  je  sui  bien  de  lui,  que  je  li  loe 
chose  par  derrière  que  je  ne  li  loe  par  devant?  Dont  me 
terriés  vous  a  traites.  Et  se  li  '  los  estoit  seur  moi  de  la 
pais  as  amis  a  la  dame,  je  en  locroie  tel  chose  que  vous 
n'oseriés  mie  penser.  »  Et  il  respondent  :  «  Nous  vous 
en  requérons  (/.  62  <=)  bien  et  savons  bien  que  vous  estes 
(et)  deboin  conseil,  et  nous  vous  prions  que  vous  en  dites 
vostre  avis,  si  comme  vous  avés  oi.  »  Et  il  dist  :  «  J'en 
dirai  mon  avis,  et  se  vous  savcs  mieus  si  le  dites.  Je 
loeroie  que  li  rois  mandast  par  tout  (et)  la  ou  li  ami  a  la 
dame  et  au  duc  seroicnt  et  les  fesist  venir  a  Tintageul, 

I.  il 


114  MERLIN 

et  li  rois  i  fust  et  fesist  la  dame  et  ses  *  amis  venir  devant 
li  et  si  lour  fesist  li  rois  querre  pais  de  la  mort  le  duc 
tele  que  s'il  le  refusoient  qu^il  en  fuissent  blasmé  et  li 
rois  tenus  por  loiaus.  »  Ensi  vinrent  devant  le  roi,  se  li 
ont  conté  lour  conseil,  mais  il  ne  dient  mie  que  Urfins 
lour  eust  dit,  car  il  l'ot  desfendu.  Si  respondi  li  rois  et 
dist  :  a  Signour,  a  che  conseil  m'acort  je  bien,  et  je  voel 
que  il  soit  ensi  conme  vous  Tavés  devisé.  » 


Ensi  manda  li  rois  les  parens  le  duc  par  les  terres  et 
que  il  venissenta  Tintageul  par  boines  trives,  qu'il  lour 
voloit  amender  toutes  les  choses  dont  il  se  plaignoient 
de  lui.  Et  Merlins  vint  a  conseil  et  (li)  dist  au  roi  :  «  Sire, 
savés  vous  qui  che  conseil  a  donné  que  vous  faites?» 
Et  li  rois  dist  :  «  Naje,  autrement  que  li  baron  le  me  loent.  » 
Et  Merlins  dist  :  «  Sire,  il  ne  le  vos  *  seussent  pas  entre 
iaus  [tous  itel  loer],  mais  Urfins  qui  moult  est  sages  et 
loiaus  a  porpensé  la  pais  en  son  cuer  la  millour  et  la  plus 
hounerabie  qui  soit.  Et  si  nequide(nt)  pasque  nus  le  sace; 
et  non  fet  il,  et  je  seulement  et  vous  cui  ^  je  Fai  dit.  » 
Et  li  rois  (li)  prie  Merlin  que  il  li  die.  Et  Merlins  le 
conte  au  roi.  Et  quant  il  Toi,  si  en  ot  moult  grant  joie 
et  dist  a  Merlin  :  «  Que  m'en  loés  vous  de  ceste  chose?  » 
Et  Merlins  dist  :  «  Je  ne  sai  millour  conseil  douner  ne 
plus  loial,  et  si  avras  acomplie  toute  la  volenté  de  ton 
cuer  dont  tu  iés  si  desirrans.  Et  je  m'en  voel  aler.  Mais 
je  voel  avant  parler  a  toi  par  devant  Urfin.  Et  quant  je 
m'en  serai  aies,  tu  porras  bien  demander  a  lui  coument 
il  a  pensée  ceste  pais.  »  Et  li  rois  dist  que  ensi  le  fera  il. 
Atant   fu  Urfins  apielés,  et  quant  il  fu  venus  devant 

Merlin  réclame  J^us,  si  parla  Merlins  et  dist  :  «  Sire,  vous  m'avés  en 
le  don  promis  ;  couvent  que  VOUS  me  donrés  l'oir  que  vous  avésengenré, 

c'est  l'enfant    qu'ji  ^'est  pas  raisons  que  vous  le  tiegniés  a  vostre  fil. 

qu'Igcrnc  a  con- 
çu; 

1.  les  —  2.  nen  s.  —  3.  que 


MERLIN  ll5 

Et  VOUS  avés  la  nuit  et  Peure  en  escrit  qu'il  fu  engenrés, 
et  si  savés  bien  que  vous  Pavés  engenré  par  moi;  si  seroit 
vostre  li  pechiés,  se  je  ne  li  aidoie,  car  espoir  encore 
porroit  avoir  sa  mère  grant  honte  de  lui,  et  feme  n'a 
point  de  sens  cont[r]e  chou  qu'elle  ne  puet  celer.  Si  voel 
que  Urfins  (f.  63  ^)  en  face(s)  ses  lettres  et  que  il  le  terme 
et  le  nuit  que  il  fu -engenrés  i  mèche  ;  il  ne  vous  ne  me 
verres  mais  devant  le  jour  que  il  naistera,  la  nuit.  Et  je 
vous  pri  comme  a  mon  signour  que  vous  créés  Urfin 
de  canques  il  vous  dira.  Car  il  vous  aimme  de  tout  son 
cuer,  ne  il  ne  vous  loera  ja  chose  qui  ne  soit  a  vostre 
preu  et  a  vostre  hounour.  Et  je  n^en  parlerai  mais  a  vous 
devant  sis  mois,  mais  je  parlerai  entre  chi  et  dont  a 
Urfin.  Et  che  que  je  vous  manderai  par  Urfin  créés  et 
faites  se  vous  volés  [estre]  bien  de  moi  et  de  lui  et  se  vous 
volés  vostre  loiauté  sauver  d'or  en  avant.  » 


Ensi  retint  Urfins  [le  terme  de]  Pengendrement  ^  de  pour  qu'elle  ne 
l'enfant,  etMerlins  traist  le  roi  a  conseil  :  o  Sire,  tu  te  s'oppose  pas  à  sa 

j  j  "V7-  i_  *  1-  remise,   Uter  ne 

prenderas  garde  que  Ygerne  ne  sache  que  tu  as  a  li  geu.     .       ,  ■  ,  , 

Chou  est  la  riens  que  plus  le  fera  tenir  en  ta  merchi  :  que  i^,.  q^^  ^'cj^  j^j 

se  tu  li  demandes  de  sa  grossece  et  de  qui  elle  est  grosse,  qui  est  son  père. 

elle  ne  savera  trouver  le  père,  si  en  avéra  grant  honte  de 

toi.  Et  chou  est  la  chose  dont  tu  me  porras  mieus  aidier 

que  je  aie  Penfant.»  Ensi  prist  Merlins  congict  du  roi  et 

d'Urfin.  Et  li  rois  chevaucha  tant  que  il  vint  a  Tintageul. 

EtMerlins  s^en  ala  en  Norhombcrlande  a  Biaise,  se  li  conta 

ces  choses,  et  il  les  mist  en  escrit  et  par  lui  le  savons 

nous.  Et  quant  li  rois  fu  a  Tintageul,  si  (de)manda  ses 

(/,  63  ^)  hommes  a  conseil  et  lour  demande  qu'il  fera 

de  ceste  chose.  Et  il  li  dient  :  «  Sire,  nous  vous  loons 

que  vous  fachiés  pais  a  la  duchoise  et  viers  ses  amis  et 

viers  les  amis  au  duc.»  Ec  li  rois  dist  que  il  aillent  parler 

I.  lenselgnemcnt 


Il6  MERLIN 

a  li  et  que  il  [li]  dient  que  elle  ne  se  puet  desfendre  a  lui, 
et  se  ele  veult  la  pais,  il  le  fera  tout  a  sa  volenté.  A  tant 
s'en  alerent  li  baron  a  Tintageul.  Et  li  rois  remest  et 
traist  Urfin  a  conseil  et  li  dist  :  «  Que  me  loes  tu  de  ceste 
pais?  »  Et  li  rois  li  fist  entandant  k'il  savoit  bien  quUl 
avoit  pourparlé.  Et  Urfins  dist  :  «  Sire,  je  l'ai  pour- 
parlé.  Ore  savés  vous  bien  se  elle  vous  plaist.  » 
Et  li  rois  respont  :  «  Elle  me  plaist  bien,  et  je  vaur- 
roie  ja  qu'elle  fust  chi.  »  Et  Urfins  dist  :  «  Sire,  ne 
vous  entremêlés  ja  de  Totriier,  car  je  le  querrai  bien.  » 
Ensi  ont  fine  lour  conseil.  Et  li  message  vinrent  a  Tin- 
tageul, si  trouvèrent  la  duchoise  et  les  amis  au  duc,  se  li 
contèrent  comment  li  dus  avoit  esté  mors  et  par  son  ou- 
trage. Et  dient  que  moult  em  poise  le  roi,  et  que  il  en 
feroit  pais  a  la  dame  et  as  ses  amis.  Et  il  voient  bien  que 
il  ne  se  pueent  tenir  vers  le  roi,  et  loent  bien  li  preu- 
domme  a  la  dame  et  a  tous  ses  amis  la  pais  au  roi.  Et  il 
respondent  que  il  s'en  consilleront,  si  se  traisent  a  (f.  63  ^) 
une  part.  Lors  dient  li  ami  a  la  dame  et  cil  au  duc  :  «  Li 
preudomme  dient  voir  de  chou  qu'il  dient  que  nous  ne 
nous  poons  viers  le  roi  desfendre.  Mais  oons  quel  pais  il 
vaurroit  faire  a  vous  et  a  nous.  En  tele  manière  le  puet 
li  rois  offrir  qu'elle  ne  doit  estre  refusée.  Et  ensi  le  loons 
nous.  »  Et  la  dame  respont  :  «  Je  ne  me  gelai  onques 
dou  conseil  mon  signour,  non  ferai  jou  del  vostre.»  En- 
si  revinrent  arrière  de  lour  conseil.  Et  lors  parla  li  uns 
des  plus  sages  et  dist  as  messages  :  «  Signour,  ma  dame 
dist  [que  elle  veut  savoir]  quel  amende  li  rois  vaurroit 
faire.  »  Et  li  message  respondent  et  dient  :  «  Nous  ne  sa- 
vons pas  la  volenté  le  roi,  mais  tant  dist  il  que  ill'amen- 
dera  tout  au  dit  de  ses  barons.  »  Et  cil  respondent  : 
te  Dont  Tamenderoit  il  bien,  se  c'estoit  voirs.  Et  vous 
estes  si  preudoume  que  vous  liloerésbien,  se  Dieu  plait, 
qu'il  soit  a  sen  hounour  \  » 

1.  hounoir 


MERLIN  117 


Jcnsi  prisent  un  jour  dusques  a  quinsainne  que  la 
dame  et  si  ami  venront  ^  devant  le  roi  pour  oir  qu'il  vaurra 
dire.  Ensi  fu  pris  li  Jours,  et  li  message  vinrent  devant 
le  roi  et  li  disent  chou  que  il  avoient  trouvé(e)  a  la  dame  et 
as  ses  amis.  Et  li  rois  dist  que  conduite  sera  elle  bien 
et  tout  cil  qui  avoec  lui  verront  et  que  tout  l'otrient 
vo  (f.  63  ^j  lentiers.  Ensi  sejorna  li  rois  celé  quinsainne, 
et  orent  entre  lui  et  Urfin  parlé  de  mainte  chose.  Et 
quant  vint  li  jours  de  la  quinsainne,  li  rois,  si  comme  si 
baron  li  loerent,  envoia  la  dame  querre  en  ^  conduit.  Et 
quant  elle  fu  venue  a  l'ost,  li  rois  fist  tous  ses  barons  as- 
sambler  a  son  conseil  et  lour  demanda  que  il  voloient 
requerre  de  par  la  dame  pour  endroit  celé  pais.  Li  con- 
saus  a  la  dame  respont  :  «  Sire,  la  dame  n'est  pas  chi  ve- 
nue pour  demander,  mais  por  oir  que  vous  li  offerrés  de 
la  mort  de  son  baron.  »  Et  quant  li  rois  les  oi,  si  les  tint 
moult  a  sages.  Et  li  rois  traist  a  une  part  (le  sien  a)  son 
conseil,  et  li  rois  lour  demande  :  v  Signour,  que  me  loe's 
vous  de  cest  affaire?  »  Et  il  respondent  :  a  Sire,  che  ne 
puet  nus  savoir  fors  vostre  cuers  quel  pais  vous  volés  a 
iaus  ne  que  vous  lour  volés  offrir.  »  Et  li  rois  respont  : 
«  Je  le  vous  dirai.  Vous  estes  tout  mi  homme  et  tout  si 
preudomme  que  vous  ne  me  mesconsillerés  mie,  si  le 
mech  dou  tout  seur  vous.  »  Et  il  dient  ;  «  Sire,  vous  nous 
cargiés  moult.  Dont  commandés  Urfin  que  il  soit  a  nostre 
conseil,  car  nous  riens  n'en  feriens  se  il  n'estoit  a  nostre 
conseil.  » 


VOUANT  li  rois  ot  oi  qu'il  (f.  64  ^)  demandoient  Urfin 
pour  iaus  consillier,  si  fist  samblant  qu'il  en  fust  liés^, 
et  dist  a  Urfin  :  «  Je  t'ai  norri  et  fait  riche  homme,  et  je 

I.  vinrent  —  2.  et  —  3.  iries 


I  1 8  MERLIN 

sai  bien  que  tu  iés  sages.  Va,  si  les  conseille  par  mon 
commandement.  »  Et  Urfins  dist  :  «  Si  ferai  je,  dès  que 
vous  le  loés.  Mais  tant  voel  je  bien  que  vous  sachiés  que 
nus  sires  ne  puet  estre  trop  amés  de  ses  honmes,  et  se  il 
sont  preudoume,  il  ne  se  puet  pas  viers  iaus  trop  humil- 
liier  pour  avoir  les  cuers.»  Ensi  va  Urfins  au  conseil  as  ' 
barons.  Et  quant  il  furent  tout  a  une  part  trait,  se  li  de- 
mandèrent :  tt  Urfins,  que  loés  vous  de  ceste  chose?»  Et 
Urfins  respont  :  «  Vous  avés  oi  que  li  rois  se  met  seur 
vous.  Ore  alons  a  la  dame  et  as  ses  amis  pour  savoir  se  il 
se  meteront  seur  vous.  »  Et  il  respondent  tout  qu'il  a 
bien  dit.  Ensi  alerent  parler  a  la  dame  et  a  son  conseil. 
Et  quant  il  furent  devant  lui,  si  dirent  que  li  rois  se  me- 
toit  del  tout  sour  iaus  et  terroit  la  pais  tele  comme  il  le 
feroient,  et  il  estoient  venu  pour  demander  se  ses  con- 
saus  s'i  meteroit.  Et  cil  respondent  :  «  De  chou  se  doit  on 
bien  consillier.»  Si  s^en  consillierent,  et  dirent  que  li  rois 
n'en  pooit  plus  faire  offre  que  de  soi(t)  mètre  sour  ses  ba- 
rons. Ensi  s'acorda  la  dame  et  ses  consaus  (f.  64  ^J  et  li 
parent  au  duc  qu^fl]  s'i  meteroient,  et  cil  em  prisent  la 
seurté.  Adont  se  traisent  a  consel  et  demandèrent  li  uns 
a  l'autre  que  chascuns  en  looit.  Et  quant  chascuns  en  ot 
dit  son  avis,  il  demandèrent  a  Urfin  qu'il  en  looit.  Et 
Urfins  dist  :  «  Je  en  dirai  mon  avis  a  tous.  Signeur,  vous 
savés  bien  que  li  dus  est  mors  par  le  roi,  ne  il  n'avoit 
pas  faite  chose  dont  il  deust  morir.  N'est  che  voirs  que  je 
di?  Et  sa  feme  est  remese  chargie  d'enfanz*,  si  savés  bien 
que  li  rois  li  a  sa  terre  gastee  ;  et  est  la  mieudre  dame 
dou  monde  et  la  plus  biele  et  la  plus  sage.  Et  savés  que 
A  la  conférence  ^^  P^''^"^  ^^  ^"c  Ont  ore  moult  perdu  en  sa  mort,  si  est 
des  barons  des  ^^^^  ^^^^^^  4^^  ^^  ^ois  lour  rende  partie  de  lour  pertes,  si 
deux  parts,  Urfin  que  il  peust  avoir  leur  amour.  D'autre  part,  vous  savés 
propose  qu'Uter  que  li  rois  est  sans  feme.  Si  di  en  mon  dit  que  li  rois  ne 
épouse  igerne  et  j^-    ^g^  restorer  son  damage  ne  amender  se  il  ne  le  prent, 

que  le    roi    Lot       '^  '^  ^  ' 

d'Orkanie  épouse 

la  fille  du  duc.  i.  les  —  2.  denfant 


MERLIN  119 

si  m'est  avis  que  il  le  deveroit  bien  faire  et  pour  lui 
amender  et  ^  pour  nos  amours  avoir  et  por  tous  chiaus 
dou  règne.  Et  quant  il  avéra  chou  fait  et  otroiiet,  que  il 
marie  le  fille  dou  duc  au  roi  Loth  d'Orkenie  qui  chi  est, 
et  as  autres  amis  fâche  tant  que  il  le  tiegnent  a  ami  et  a 
signeur  et  a  roi  loial. 

if.  64^)  «  Ur avés oit,»  fait Urfins,« mon  conseil  [; or 
poés  dire  autre,]  se  vous  [ne]  vous  i  acordés.  »  Et  il  res- 
pondent  tout  :  «  Vous  avés  le  mieus  dit  que  nus  peu[s]t 
penser.  Et  se  vous  l'osiés  le  roi  retraire,  et  nous  veions 
que  il  s'i  acort,  nous  nous  i  acorderons  tout.»  Et  Urfins 
respont  :  «  Signeur,  vous  ne  dites  mie  assés.  Mais  se 
vous  vous  i  acordés  plenierement,  je  recorderai  la  parole 
au  roi.  Veschi  le  roi  d'Orkenie  sur  coi  il  gistgrant  partie 
(partie)  de  la  pais,  et  il  die  de  la  pais  son  avis.»  Et  il  res- 
pont :  «  Ja  pour  chose  que  vous  en  aiiés  seur  moi  dite 
ne  vueu  ge  que  la  pais  remaingne.  »  Et  quant  li  autre 
l'oirent,  se  s'i  acorderent  tout.  A  tant  vin[dren]t  la  ou  li 
rois  estoit,  et  la  dame  fu  mandée  et  tous  ses  consaus.  Et 
quant  il  turent  tout  venu,  si  lour  dist  Urfins  et  recorda 
la  pais  si  comme  il  l'avoient  pourparlee,  et  puis  de- 
manda as  barons  :  «  Loés  vous  ceste  acorde?  »  Et  il  res- 
pondent  tout  :  «  Oil.  »  Et  Urfins  se  torne  deviers  le  roi 
et  li  dist  :  «  Sire,  que  dites  vous?  Dont  loés  vous  Tacor- 
dement  de  ces  preudoumes?  »  Et  il  respont  :  «  Je  le  voel 
bien,  se  la  dame  et  si  ami  s'i  acordent  et  li  rois  Loth 
voelle  prendre  pour  moi  la  fille  au  duc.  »  Lors  respont 
li  rois  Loth  :  «  Sire,  vous  ne  me  loe^rés]  ja  chose  pour 
bien  que  je  ne  face  pour  vostre  amour  et  pour  (f.  64^) 
la  pais.»  Lors  parla  Urfins  devant  tous  a  chclui  qui  por- 
toit  les  paroles  a  la  dame,  et  li  demande  :  a  Loés  vous 
ceste  pais?»   Et  il  respont  conme  sages,  et  regarde  la 

I .  que 


laO  MERLIN 

dame  et  son  conseil  qui  furent  si  morne  et  si  piteus  que 

Piaue  dou  cuer  lour  montoit  as  ieus,  si  que  de  teuls  i 

avoi(en)t  qui  plouroient  de  pitié  et  de  joie.  Et  chis  meis- 

Lcs  parent»  du  j^ç^  qui  devoit  respondre  plouroit  et  dist  em  plourant  : 

duc  et  igernc  ac-  ^  Onques  mais  si  boine  amende  ne  ffistl  sires  a  houmes.» 

ccptcnt  avec  jojc  ;  _^      ,  ,         ,       ,  ,      ,  ,      , 

Et  demanda  a  la  dame  et  as  parens  le  duc  :  «  Loes  vous 
cestc  pais?  »  La  dame  se  teut.  Et  li  parent  a  la  dame  et 
au  duc  parlèrent  et  dient  tout  :  «  11  n'est  nus  qui  ne  le 
doive  loer,  et  nous  le  loons  bien.  Car  nous  tenons  le  roi 
a  si  preudomme  et  a  si  loial  que  nous  nous  meterons  de 
toutes  les  autres  choses  sour  lui.  »  (et)  Ensi  fu  creantee  la 
pais  d'une  part  et  d'autre,  et  ensiprist  Uters  Pandragons 
Ygerne  et  donna  sa  fille  au  roi  Loth  d'Orkanie.  Les  nue- 
ches  dou  roi  et  d^Ygerne  furent  au  tresime  jour  [après  la 
quinzaine  dou  jor  ou  li  parlement  avoit  esté,  et  trois  se- 
maines devant  le  parlement  avoit  esté  ocis  le  dus  ;  ensi 
poez  conter  deux  mois  entiers  dès  le  jorj  que  li  rois  avoit 
geut  a  li  en  sa  chambre.  Et  de  la  fille  que  il  donna  le  roi 
les  noces  se  font.  Loth  issi  Mordrès  et  me  sires  Gauvains  [et  Agrevains]  et 
De  cette  fille  G[u]er[re]hès  et  Gahariès.  Et  li  rois  Neutres  de  Sorhaut 
mariée  à  Lot  na-  ot  Fautre  fille  bastarde  qui  (/.  65  ^)  ot  non  Morgans.  Par 
quircnt  Mordret,  \q  conseil  de  tous  scs  amis  ensamble  une  autre  fille  qui 
Gauvain,  Agre-  ^^  ^  ^^^  Mofgue  fist  li  rois  aprcudre  a  kttre  en  une  mai- 

vain,    Guerrehes  ,  ,      •  n  .  ...  .      , 

et  Gaheriet.  Une  ^^"  "^  relegion,  et  elle  aprist  tant  et  si  bien  que  aprist  les 
autre  fille,  Mor-  sct  ars,  et  si  sot  mierveilles  d'un  art  que  on  apiele  as- 
gan,  épouse  le  roi  trenomie,  et  elle  en  ouvra  moult  tost  et  tous  jours,  et 
de  Sorhaut.  Une  moult  sot  de  fisike,  et  par  celé  fisike  fu  elle  apielee  Mor- 
autre,     orgue,         j^  ^-^^  ^^^  autres  eufaus  adrecha  li  rois  tous,  et  moult 

est  mise  aux  let-  *-' 

très  et  devient  ^^^  ^cs  parens  le  duc. 

très  savante. 

uter  interroge  -l-Nsi  Ot  li  rois  Ygerne  et  la  tint  tant  que  la  grossece 
igerne  sur  sa  apparut,  et  tant  que  li  rois  gisoit  une  nuit  avoec  li,  si 
grossesse  ;  jnist  sa  main  sour  son  ventre  et  demanda  de  qui  elle  es- 

toit  grosse.  Car  elle  ne  pooit  mie  estre  grosse  de  lui  puis 
que  il  l'ot  prise,  qui  n'avoit  onques  nulle  fois  geut  a  li 


MERLIN  121 

qu'il  n[e  r]eust  en  escrit,  ne  elle  ne  pooitpas  estre  grosse 
del  duc,  car  il  avoit  grant  pieche  devant  sa  mort  qu'il 
n*avoit  geu  a  li.  Et  quant  la  dame  ot  chou,  si  ot  honte  et 
commenche  a  plourer,  si  dist  em  plourant  :  «  Sire,  de 
chou  que  vous  savés  ne  vous  puis  jou  faire  menchoingne 
a  croire.  Ne  autre  chose  ne  vous  dirai  je  mie,  mais  pour 
Dieu  aiiés  mierchi  de  moi;  car  je  vous  dirai  merveilles 
et  voir,  se  vous  m'asseurés  que  vous  ne  me  lairés  (/.  65  ^j 
mie.  »  Et  il  l'en  asseure  que  ja  por  chose  que  elle  die  ne 
le  laira. 


VOUANT  la  roine  oi  son  signour  qui  l'asseura,  si  en  fu  eiic  lui  raconte 
moult  lie  et  li  dist  :  «  Sire,  je  vous  conterai  merveilles.  »  qu'^^i'^  «  ^^'^  i^ 
Et  elle  li  conte  comment  uns  hom  avoit  jeu  avoec  li  en  ^^'^^'"^*^  ^'""^  ''- 
sa  chambre  [en  semblance  dou  duc  son  signour]  :  «  Et 
avoit  amené   avoec    lui  deus  des  hommes  ou   monde 
que  mes  sires  mieus  amoit.  Et  ensi  vint  a  moi  en  ma 
chambre,  voiant   toute  ma  gent,  et  jut  '  a  moi.  Et  je 
cuidai  certainnement  que  che  fust  mes  sires.    Et  chis 
hom  engenra  cel  oir  dont  je  sui  grosse,  et  je  sai  bien  que 
il  fu  engenrés  la  nuit  que  mes  sires  fu  mors.  Et  gisoit 
encore  avoec  mi  quant  les  nouvieles  vinrent  de  sa  mort. 
Lors  me  fist  entendant  que  c'estoit  mes  sires  et  que  ses 
gens  ne  savoient  que  il  fust  devenus,  et  ensi  s'en  ala.  » 
Quant  la  roine  ot  sa  nouviele  contée,  si  respondi  li  rois 
et  li  dist  :  «  Biele  amie,  gardés  que  nus  hom  ne  nulle    utcr  lui  dit  de 
fcme  ne  le  sache  a  cui  vous  le  puissics  celer,  car  vous  en  le  tenu-  secret,  et 

.,     ,  .  ,  -^     T7..    •  lu-  de  donner  à  quel- 

senes  honnie,  se  on  le  savoit.  Et  je  vocl  bien  que  vous     ,        ,.,  ^,  . 

'  .  '  qu  un  qu  il  dcsi- 

sachiés  que  cis  enfes  qui  de  vous  naistra  n'est  pas  ne  g„^.r^i^.,^f^niu,ie 
miens  ne  vostres  raisonnablement,  ne  jou  ne  vous  ne  fois  né. 
Tarons  a  nostre  oes,  ains  vous  pri  que  vous  le  doingnics 
sitostcommeil  naistera  a  chclui  que  je  vouscom/"/*.  6^  '^J- 
manderai ,  si  que  ja  mais  n'orrons  nouvieles  de  lui.» 


I .  vint 


122  MERLIN 

Et  elle  respont  :  «  Sire,  de  moi  et  de  canques  a  moi 
atient  poés  faire  a  vostre  volonté.  »  Lors  vint  li  rois  a 
Urfin  et  li  conta  les  paroles  de  li  et  de  la  roine.  Et  quant 
Urtins  Tôt,  si  respondi  et  dist  :  «  Sire,  or  poés  bien  sa- 
voir qu'elle  est  sage  et  loiaus,  (et)  quant  de  si  grant  des- 
conneue  ne  vous  osa  mentir.  Et  vous  avés  bien  fait  la 
besoigne  Merlin ,  car  il  ne  porroit  en  autre  manière 
avoir  l'enfant.  » 


Atant  demoura  jusques  au  sisime  moys ,  que  Mer- 
lins  ot  convent  de  revenir.  Si  vint  et  parla  priveement  a 
Urfin  et  li  demanda  nouvieles  de  chou  que  il  vaut,  et 
Urfins  li  dist  voir  de  chou  que  il  sot.  Et  quant  il  orent 
parlé  ensamble,  si  manda  li  rois  Merlin  par  Urfin.  Et 
quant  il  furent  tout  trois  ensamble,  si  dist  li  rois  a  Mer- 
lin si  com  il  avoit  ouvré  de  la  roine  et  comment  il 
avoient  pourparlee  la  pais  que  il  le  prist  a  feme.  Et 
Merlins  respont  :  «  Sire,  Urfins  est  aquitiés  dou  pechiet 
quant  il  ot  les  ^  amours  faites  de  ti  ^  et  de  la  roine.  Mais 
je  ne  m'en  sui  mie  encore  aquitiés  de  che  que  je  Paidai  a 
dechevoir  de  l'engien  que  je  fis  et  de  l'engenrement  que 
celé  a  de  (f.  65  ^)  dens  li,  que  elle  ne  set  de  qui  chou 
est.  »  Et  li  rois  respondi  :  «  Vous  estes  si  sages  que  vous 
vous  en  savrés  bien  aquitier.  »  Et  Merlins  dist  :  «  Sire, 
il  convient  que  vous  m'i  aidiés.  »  Et  li  rois  dist  que  il 
l'en  aidera  en  toutes  les  manières  que  il  savra,  etPenfant 
Merlin  vient  set  il  bien  que  il  li  fera  avoir.  Et  Merlins  dist  :  «  Il  a  en 
trouver  le  roi  et  ^este  ville  le  plus  preudommc  de  ceste  terre,  et  si  a  le 
lui  indique  dans    j^^  preudefeme  et  le  plus  afifaitie  et  entechie  de  toutes 

la  ville  un  prud-  ;  \,,  ,  .^     .  ,,  u-      j, 

homme  qui  devra  ^^^  ^""^"^^^  ^^'^"^^  4^^  soient,  et  elle  est  acouchie  d  un 

se    charger    de  fil,  et  li  sires  si  n'est  pas  trop  riches  hom  ;  si  voel  que 

l'enfant.  VOUS  le  mandés  et  que  vous  li  doingniés  del  vostre  en  tel 

manière  que  li  sires  et  la  dame  juerront  sour  sains  que  il 

1.  tes  —  2.  li 


MERLIN  120 

noriront  un  enfant  qui  aportés  lour  sera  et  del  lait 
meismes  a  la  dame,  et  il  feront  leur  enfant  alaitier  d^une 
autre  feme ,  et  chelui  norriront  comme  lour  fil  de- 
mainne.  »  Et  li  rois  dist  :  «  Merlins,  ensi  comme  tu  le 
dis  et  je  l'otroi.  »  Lors  prist  li  rois  congiet  a  Merlin  et 
Merlins  s'en  ala  a  son  maisire  Bla[i]se. 


Li  rois  fist  le  preudomme  mander  ,  et  quant  il  fu  uter  le  fait 
venus,  si  en  fist  11  rois  moult  grant  joie.  Et  chis  s'esmer-  venir  et  lui  de- 
villa  moult  del  roi  qui  tele  joie  li  faisoit,  et  li  rois  li  "^'"^'^'^''^''^"''■'' 

j.  ^  r>-  •        1  •  -1  •  •      x^    /-/-  ^»  <ic   faire  allaiter 

dist  :  «  Biaus  amis  chiers,  il  convient  que  le  (f.  bb  ^) 

'  n         ;      i^  /  par  sa  femme  un 

me  descuevre  a  vous  d'une  merveille  qui  avenue  m'est,  enfant  qu'on  lui 
Et  vous  estes  mes  hom  liges,  si  vous  requier  par  la  foi  remettra. 
que  vous  me  devés  que  vous  m'aidiés  d^une  chose  que  je 
vous  dirai  et  celerés  a  vostre  pooir.  »  Et  cil  dist  :  «  Sire, 
vous  ne  me  savriés  ja  riens  commander  que  je  ne  face 
se  je  le  puis  faire.  Et  se  je  ne  le  puis  faire,  si  le  cèlerai 
jou  bien.  »  Et  li  rois  li  dist  :  «  Il  m'est  avenu  une  mer- 
veille en  mon  dormant.  Car  il  m'estoit  avis  que  uns 
preudom  venoit  a  moi  en  mon  dormant  qui  me  disoit 
que  vous  estiés  li  plus  preudom  de  mon  règne  et  li  plus 
loiaus  ;  et  me  dist  que  vous  avés  engenré  un  fil  en  vostre 
feme,  qui  est  nés  ;  si  me  commanda  '  [que  je  vous 
priasse]  que  vous  sevrissiés  vostre  fil  et  mesissiés  a 
une  autre  feme,  et  que  vostre  feme  pour  l'amour  de 
moi  et  de  vous  alaitast  un  enfant  qui  li  scroit  apor- 
tés. >  Et  li  preudom  respont  :  «  Sire,  chou  est  moult 
grant  chose  que  vous  me  dites.  Et  je  vous  pri  que  vous 
me  diiés  quant  cis  enfes  nous  sera  aportés.  »  Et  li 
rois  li  dist  :  «  Si  m'ait  Dieus,  je  ne  sai.  «  Et  li  preudom  Auctor  ic  pro- 
dist  qu'il  fera  sa  volentc.  Et  lors  li  donna  si  biau  don  li  '"^t, 
rois  que  li  preudom  en  fu  tous  esbahis,  et  ensi  se  départi 
li  rois  del  preudomme.  Et  vint  li  preudom  a  sa  feme,  se 

I.  en  vostre  f.  que  mest  commande 


et   sa   femme 
consent  aussi 


124  MERLIN 

li  con  ta  chou  que  li  rois  {f.  66  ^)  li  ot  dit.  Et  quant  elle 
Toi,  si  li  sambla  moult  estrange  chose,  si  dist  :  «  Porrai 
je  chou  faire  que  je  laisse  mon  fil  pour  un  autre  alai- 
tier?  »  Et  il  li  dist  :  «  11  n'est  nule  riens  que  nous  ne 
doions  faire  pour  nostre  signour.  Et  il  nous  a  tant  fait  et 
tant  nous  pramet  que  il  convient  que  nous  faisons  son 
plaisir.  Et  je  voel  outreement  que  vous  le  me  créantes.  » 
Et  elle  li  dist  :  «  Je  sui  vostre(s)  et  li  enfes,  si  ferés  de  moi 
Ils  donncmicûr  ^^  ^^  ^^^  vostre  volenté.  Et  je  rotroi,car  je  ne  doi  estre  de 
propre  enfant  à  riens  coutre  VOUS.  »  Lors  fu  moult  [liés]  li  preudom 
une  nourrice.  quant  il  Ot  la  volenté  de  sa  feme.  Lors  li  dist  qu'elle  que- 
sist  qui  lour  enfant  norresist  avant  c'om  li  aportast  l'enfant. 
Ensi  sevra  li  preudom  son  fil.  Et  avint  chose  que  la  roine 
fu  preste  d'acouchier,  et  le  jour  devant  que  elle  acou- 
chast  vint  Merlins  a  court  priveement  et  parla  a  Urfin 
et  li  dist  :  «  Urfins,  moult  me  lo  dou  roi  qui  a  si  sage- 
ment parlé  a  Auctor  de  che  que  je  li  avoie  priié.  Ore  H 
di  qu'il  aille  a  la  roine  et  se  li  die  qu'el  avra  demain  au 
soir  enfant  apriès  la  mie  nuit.  Et  si  li  commant  que  elle 
le  face  bailiier  au  preudonme  qui  sera  fors  de  la  sale.  » 
Et  Urfins  quant  il  Tôt  entendu  se  li  dist  :  «  Merlins, 
dont  ne  parlerés  vous  au  roi  ?  »  Et  Merlins  dist  :  c  Je 
n'i  parlerai  mie  a  ceste  fois.»  Lors  vint  Urfins  au  roi,  se 
li  dist  chou  que  Merlins  li  ot  commandé. 

VOUANT  li  rois  Toi,  si  en  fist  moult  grant  joie  et  dist  : 
«  Urfins,  ne  parlera  il  a  moi  ains  qu'il  s'en  voist?  »  Et  Ur- 
fins dist  :  «  Nennil,  mais  faites  chou  que  il  vous  con- 
mande.  »  Lors  vint  li  rois  a  la  roine,  se  li  dist  :  «  Dame, 
je  vous  dirai  une  chose,  se  m'en  créés  et  faites  chou  que 
je  vous  commanderai.  »  Et  la  roine  dist  :  «  Sire,  je  vous 
querrai  de  canqu'il  vous  plaira,  et  ferai  chou  que  vous 
me  commanderés.  »  Et  li  rois  dist  :  «  Dame,  demain  au 
soir  apriès  la  mienuit  avérés  enfant  a  l'aide  de  Dieu.  Et 
je  vous  pri  et  commant  que  si  tost  conme  il  sera  nés  que 


MERLIN  125 

VOUS  le  faites  baillier  par  une  de  vos  privées  femes  au 

premier  houme  qu'elle  trouvera  a  l'issue  de  la  sale.  Et 

commandés  a  toutes  celés  qui  au    naistre    seront  que 

nule  ne  die  que  vous  aiiés  eu  enfant,  car  grant  honte 

seroit  a  moi  et  a  vous  ;  car  pluiseurs  gens  diroient  que  il 

ne  seroit  mie  de  moi,  ne  il  ne  sambie  mie  que  il  le  doie 

estre.  »  Et  la  dame  respont  :  «  Sire,  il  est  voirs  che  que 

jou  vous  ai  autre  fois  conté.  Et  je  en  ferai  chou  que 

vous  commanderés;  mais  grant   mierveille  ai  de  chou 

que  vous  savés    ma  délivrance.   »  Et  li    rois  li  dist  • 

«  Dame,  je  vous  pri  que  vous  faichiés  che  (f,  66^)  que 

je  vous  commant.  »  Et  elle  respont  :  «  Sire,  je  le  ferai 

moult  bien,  se  Dieu  plaist,  »  Atant  se  départ  li  rois  de  la 

roine.   Et  tant  qu'il  plot  a  Dieu  que  Fendemain  apriès 

viespres  li  prist  ses  maus,  et  travilla  jusques  a  celé  eure 

que  li  rois  ot  dit,  si  se  délivra  après  la  mienuit  devant  le    vgcrne  accou- 

jour.  Et  si  tost  coume  elle  fu  délivrée,  apiela  une  feme  che  ;  on   remet 

en  qui  elle  se  fioit  moult  et  li  di[st]  :  «  Biele  amie,  pren  cel  ''^"^^^^  ^  '^^"'■•'" 

.  .  ,  11    •      1  1  1  qui  l'attend,  sous 

enfant  et  si  le  porte  a  ruis  de  celé  sale,  et  se  vous  trou-  ^^^  forme  incon- 
vés  nul  homme  qui  le  demant,  se  li  bailliés.  Et  si  vous  nue,  à  un  endroit 
prendés  garde  quels  hom  che  sera.  )>  Celé  fist  che  que  la  convenu, 
roine  li  commanda,  et  mist  l'enfant  es  plus  riches  dras 
qu'elle  avoit,  et  puis  si  le  porta  a  l'uis  de  la  sale.  Et 
quant  elle  i  vint,  si  vit  un  homme  ki  mierveilles  sam- 
bloit  estre  febles.  Et  celé  li  dist  :  «  Bons  hom,  c'atendés 
vouschi?»   Et  il  respont:  «  J'atent  chou  que  tu  m'a- 
portes.  »  Et  elle  li  demande  :  «  Quels  hom  estes  vous  ne 
que  dirai  je  a  ma  dame  qui  j'ai  son  entant  baillié?  »  Et 
il  respont  :  «  De  canques  tu  demandes  n'as  tu  que  faire; 
fai  chou  que  on  te  commande.  »  Et  celé  li  tent  l'enfant, 
et  il  le  prent,  ne  onques  puis  que  il  le  tint  ne  sot  celé 
que  il  fu  devenus.   Et  elle  vint  arrière  a  la  dame,  se  li 
dist  :    tt  Dame,  j'ai    baillié    l'enfant  (f.   67  ^)   un  vicl 
"homme  ;  je  ne  sai  autrement  qui  il  est.  »  La  roine  pleure 
coume  celé  qui  moult  a  grant  duel.  Et  cil  a  qui  li  en-  ^^     •  i^  remet 
fes  fu  bailliés  s'en  ala  au  plus  tost  qu'il  pot  a  Auctor.  Auctor. 


126  MERLIN 

Le  matin  le  trouva  si  comme  il  aloit  a  la  messe',  et 
Merlins  Tapicle,  se  11  dist  :  «  Auctor,  je  voel  a  toi  par- 
ler. »  Et  Auctor  le  regarde,  se  li  samble  a  miervelles 
preudom,  el  il  li  dist  :  <  Sire,  que  plaist  vous?  »  Et  li 
vieus  hom  li  dist  :  «  Auctor,  je  t'aport  un  enfant,  et 
si  te  pri  que  tu  le  faces  nonir  plus  richement  que  le  tien 
mcismes.  Et  bien  saches  que  se  tu  le  fais,  grans  biens 
t^en  venra  a  ti  et  a  tes  hoirs.  Et  qui  le  te  diroit  tu  nel 
querroies  mie.  »  Et  Auctor  li  dist  :  «  Sire,  est  che  li  en- 
fes  dont  li  rois  m'a  tant  priiet  del  norrir?  »  Et  cil  res- 
pont  :  «  Oil,  sans  faille.  Et  li  rois  et  tout  li  preudomme 
t'en  doivent  priier.  Et  saches  que  ma  priiere  ne  vaut  pas 
mains  d'un  bien  riche  homme.»  Et  Auctor  prist  l'enfant, 
si  le  vit  moult  biel,  si  li  demande  se  il  estoit  baptisiés. 
Et  cis  li  dist  que  nennil  :  «  Mais  orendroit  le  fai  bapti- 
sier.  »  Et  Auctor  respont  :  «  Moult  volentiers.»  Et  lors 
prist  l'enfant  et  li  demanda  coument  il  avroit  non.  Et 
il  li  dist  qu'il  averoit  non  Artus  :  «  Et  je  m  en  vois,  car 
je  n'ai  chi  rien  que  faire.  Et  a  che  t'aperchoi(s)  que 
(f,  6y  *y  [grans  biens  t'en  doit  venir  que]  tu  ne  l'averas 
gaires  euut  quant  vous  ne  savrés  le  quel  vous  amerés  mieus 
ou  vostre  enfant  ou  cestui.»  Et  Auctor  respont  :  «  Sire, 
que  dirai  jou  le  roi  qui  le  m'a  baillié,  ne  vous  qui  estes?  » 
Et  cil  li  dist  :  «  Tu  ne  saveras  ore  plus  a  ceste  fois.  » 

Celui-ci  le  bap  C>Hi  endroit  dist  li  contes  que  Merlins  se  parti  d'Auc- 
tisedunomd'Ar-  tor.  Et  Auctor  fist  baptisier  Tenfant  tout  erraument,  et 
tu,  eti'éiùve.  ot  non  Artus.  Et  lors  emporta  l'enfant  a  sa  feme  et  li 
dist  :  a  Dame,  veschi  Tentant  dont  je  vous  ai  tant  priie.  » 
Et  elle  respont  que  bien  fust  il  venus,  et  le  prent,  et 
demanda  a  son  signour  se  il  estoit  baptisiés.  Et  il  res- 
pont que  il  avoit  a  non  Artus.  Lors  le  prist  la  dame  et 
l'alaitaet  norri  et  le  sien  mist  a  norriche.  Et  li  rois  tint 

I.  le  tr.  a  la  m.  si  c.  il  a. 


MERLIN  127 

puis  la  terre  lonc  tans.  Et  puis  avint  que  il  chai  en  une 
grant  maladie  de  goûte  et  des  mains  et  des  pies.  Lors  si    Longtemps  a- 
revelerent  en  pluiseurs  lieus  li  Saisne  en   sa   terre,   et  P''^^.  uter  étant 
tant  li  firent  if.  67  0  de  contraire  qu'il  s'en  clama  as  ses  "'''''^''  '"'  '"" 

.    ,  ,.    -  •!     ,  •  nemis  se  soulè- 

barons,  et  si  baron  li  loerent  que  se  il  s  en  pooit  ven-  ^^^^ 
gier  qu'il  s'en  vengast.  Et  lors  dist  li  rois  que  pour  Dieu 
et  pour  lui  que  il  i  alaissent,  si  comme  preudomme  doi- 
vent faire  pour  leur  signour.  Et  il  respondent  tout  que 
il  iront  volontiers:  si  i  alerent  et  trouvèrent  les  anemis 
le  roi,  et  virent  qu'il  avoient  grant  partie  de  la  terre 
traite  a  iaus.  Si  vinrent  contre  iaus,  et  les  gens  le  roi  ^^  .  '"   troupes 

,  ,  .  .  -  qu'il  envoie  con- 

assamblerent  a  iaus  comme  gent  sans  signour  et  furent  tre  eux  sont  vain- 
desconfi,  et  pierdi  li  rois  illuec  moult  de  ses  hommes.      eues. 


VOUANT  la  nouviele  fu  aportee  au  roi  que  ses  gens 
estoient  desconfi,  si  en  fu  moult  iriés.  Et  lors  vint  li  re- 
manans  de  chiaus  qui  en  la  bataille  avoient  esté  [,  et  se 
plainstrent  moût  durement].  Et  quant  li  Saisne  orent  la 
bataille  vencue,  si  crurent  moult  lour  gent  et  esforchie- 
rent.  Et  Merlins,  qui  toutes  ces  choses  savoit  bien,  si 
vint  au  roi,  qui  moult  estoit  foibles  de  sa  maladie,  et 
avoit  auques  de  son  tans  usé. 


VOUANT  li  rois  sot  que  Merlins  venoit,  si  en  fu  moult 
liés  et  pensa  en  son  cuer  que  encore  averoit  il  confort. 
Quant  Merlins  vint  devant  Utcr  Pandragon  (f,  67  ^),  si 
fist  moult  biele  chiere.  Et  Merlins  dist  :  «  Sire,  vous  es- 
tes moult  effraés.  »  Et  li  rois  dist  :  «  Merlins,  je  n'en 
puis  mais.  Car  vous  savés  bien  que  mi  homme  et  cil  dont 
je  me  cuidoie  aidier  et  dont  je  ne  cuidoie  avoir  garde 
m'ont  mon  règne  destruit  et  mes  houmes  mors  et  descon- 
fis en  bataille.  »  Et  Merlins  li  dist  :  «  Sire,  or  poés  vous 
bien  veoirque  nus  ne  vaut  riens  en  bataille  sans  signour.  )' 


128  MERLIN 

Et  li  rois  li  dist  :  «  Merlins,  consilliés  moi  pour  Dieu  que 

Merlin  vient  le  j'en  porrai  faire.  »  Et  Merlins  li  dist  :  «  Sire,  je  vous  di- 

trouvcr,  lui  an-  f^j  yngs  briés  parolcs  et  privées  que  je  voel  que  vous 

nonce  qu'il  sera  ^.^.g^g   Faites  semonre  vos  os  et  vos  gens,  et  quant  il  se- 

vainqueur  s'il  se  ,  , ,      .  r  -  i  •  • 

fait  porter  en  li-  ^^^^  ^^"^  assamble,  SI  VOUS  faites  mètre  en  une  litière  et 
tierce  la  tctedes  s^alés  combatre  a  eus.  Et  saciés  certainnement  que  il  se- 
sicns,  mais  qu'il  roHt  descoufi.  Et  quaut  VOUS  les  avrés desconfis,  si  saverés 
mourra  aprcs  a-  ^-^^^  q^g  ^gj.j.g  ^^^^  signour  ne  vaut  riens.  Et  quant  vous 
tTiUc^et^"u'iKcrâ  ^^^^^^  ^^^  ^^^^  ^^  départes  vostre(s)  tresor(s),  que  je  voi 
une  bonne  fin.  bien  que  VOUS  ne  poés  gaires  longement  vivre.  Et  je  voel 
que  vous  saichiés  que  cil  qui  ont  les  grans  avoirs  et  muè- 
rent a  tout,  qu'il  ne  les  pueent  départir  ne  bien  faire  pour 
lor  âmes  (f.  68  ^)^  que  lour  avoir  ne  sont  pas  leur,  ains 
sont  chiaus  qui(l)  ne  lour  laissent  bien  faire,  et  saichiés 
que  che  sont  li  dyable.  Et  mieus  verroit  au  riche  qu'il 
n'eust  onques  riens  eut  des  riqueches  de  ceste  terriiene  vie. 
Et  les  hounours  ne  sont  se  nuisement  non  as  âmes,  se  on 
ne  les  départ  si  conmeon  doit.  Et  [tu  qui]  ses  avant  que  a 
finer  t'estuet,  si  le  dois  bien  départir  en  tel  manière  que 
tu  n'en  perdes  la  joie  de  (cest  siècle  de)  l'autre  siècle,  que 
la  joie  de  cestui  siècle  ne  vaut  riens  enviers  la  joie  de  las- 
sus,  et  se  te  dirai  por  coi  a  uns  seul  mot  :  tu  ses  qu'il 
n'a  el  siècle  si  grant  joie  qui(l)  ne  faille  (et  quant  on  a  en 
cest  mortel  vie  este),  et  ces  joies  que  on  achate  en  Pautre 
siècle  ne  pueent  morir  ne  faillir.  Et  canques  on  a  en  ceste 
mortel  vie  sueffre  nostre  sires  a  avoir  pour  esprouver  de 
l'autre  recouvrer  ^  Ore  convient  dont  ki  veult  estre  sages 
que  de  chou  que  Dieus  li  a  donné  en  ceste  mortel  vie 
qu'il  en  achat(ast)  la  vie  pardurable.  Et  tu  qui  tant  as 
eut  de  tous  biens  en  cest  siècle,  quels  biens  as  tu  fais 
pour  nostre  signour?  Je  t'ai  moult  amé  et  moult  je 
t'aime,  et  sach[i)es  bien  que  nus  ne  te  doit  mieus  amer 
de  toi  ;  et  je  le  tedi  bien  que  tu  ne  pues  durer  apriès 
ceste  victoire  que  tu  C/.  68  ^)  avras  en  cest  estour  et  en 

I.  p.  cspr.  les  autres 


MERLIN  129 

ceste  bataille.  Et  saches  bien  que  toutes  les  honneurs 
que  li  hom  mainne  en  cest[e)  siècle  ne  li  pue[en]t  tant  va- 
loir comme  li  boine  fins.  Et  se  tu  avoies  tous  les  biens  du 
monde  fais  et  tu  eusses  malvaise  fin,  se  seroîes  tu  en 
aventure  de  tout  perdre  ;  et  se  tu  avoies  moult  de 
maus  fais  et  eusses  boine  fin,  si  averoies  tu  pardon. 
Et  je  voel  bien  que  tu  saces  que  tu  n^en  porteras  ja 
riens  de  cest  siècle  que  aumosnes  et  bien  fais.  Or  f  ai 
moustré  et  dit  ton  affaire.  Tu  ses  bien  que  Ygerne  ta 
feme  est  morte  et  tu  ne  pues  autre  feme  mais  avoir.  Ensi 
remanra  apriès  ti  ta  terre  sans  oir,  pour  coi  tu  te  dois 
moult  esforchier  de  bien  faire.  Je  m'en  irai,  car  je  n'ai 
plus  a  toi  affaire.  Mais  Urfin  prie  k'il  me  croie  quant 
mestiers  sera.  »  Et  li  rois  parole  a  Merlin  et  dist  :  «  Fiere 
chose  m'as  contée,  qui  m'as  dit  que  je  vainquerai  mes  ane- 
mis.  Et  commant  porrai  je  guerredonner  a  nostre  si- 
gnour?  ))  Et  Merlins  respont  :  «  Seulement  par  boine  fin. 
Je  m'en  irai,  et  si  te  pri  qu'il  te  souviegne  de  toi  meismes 
apriès  la  bataille  et  de  che  que  je  t'ai  dit.  »  Et  li  rois  de- 
mande Merlin  de  [son]  fil  qu'il  em  porta.  Et  Merlins  dist  : 
a  De  che  ne  te  tient  il  riens  a  enquerre,  mais  je  voel  bien 
que  (f,  68  ^)  tu  saches  que  li  enfes  est  boins  et  biaus  et 
bien  norris.  »  Et  li  rois  dist  :  «  Merlins,  te  verrai  je  ja 
mais?  »  Et  Merlins  dist  :  a  Oil,  une  seule  fois  (fois)  sans 
plus.  » 


Ensi  s'en  départirent  entre  le  roi  et  Merlin.  Et  li  En  eiTd,  itcr 
rois  semonst  ses  gens  et  dist  qu'il  iroit  contre  ses  anemis.  est  vaiiKiucm, 
Lors  i  ala  et  se  fist  porter  sour  une  litière,  si  les  trouva. 
Et  il  vinrent  contre  lui,  si  se  combatircnt,  et  les  gens  le 
roi  par  le  confort  de  leur  signour  les  desconfirent  et  en 
ochirent  a  grant  plenté.  Ensi  ot  li  rois  le  victoire  de  la 
bataille  et  destruist  ses  anemis.  Et  lors  remest  la  terre 
tout  cm  pai.i. 


l3o  MERLIN 


et  meurt  après  Ensi  conme[s)  VOUS  avés  oi  le  fist  li  rois.  Lors  li  sou- 
avoir  fait  beau-  vint  dc  chou  quc  Merlins  li  avoit  dit,  si  s'en  repaira  a 
coup  de  bonne»  i^q^^qs.  Et  lors,  quant  il  i  fu  venus,  si  manda  tous  ses 
oeuvres.  grans  tresors  et  ses  grans  avoirs.  Et  fist  (a)  savoir  a  toutes 

manières  de  boines  gens  ou  li  plus  ^  mesaaisié(e)  de  son  rè- 
gne [estoient],  si  lour  donna  moult  grans  avoirs  et  grans 
aumosnes  et  bieles,  et  le  sourplus  départi  par  le  conseil 
et  la  volenté  des  menistres  de  saint[e]  église,  et  ensi  ouvra 
li  rois  et  départi  la  soie  chose  que  onques  nus  avoirs  n'i 
remest  dont  il  fust  ramembrans  que  il  tout  ne  donnast 
pour  Tamour  de  Diu  et  par  (f.  68'^)  le  conseil  Merlin. 
Moult  s'umilia  li  rois  viers  Diu  et  viers  ses  menistres  si 
doucement  que  il  en  orent  pitié.  Ensi  le  gardèrent  ses 
gens  malade  un  lonc  tans,  et  tant  que  sa  grans  maladie 
li  aggreva.  Et  ses  peuples  fu  assamblés  a  Logres,  qui 
moult  avoient  grant  pitiet  de  sa  mort,  et  veoient  bien 
que  a  morir  le  convenoit.  Tant  fu  malades  que  il  afifoibli 
et  amui  et  qu'il  ne  pot  parler  (si  mui)  trois  jours.  Lors 
vint  Merlins  en  la  ville,  qui  toutes  les  choses  savoit.  Et 
quant  il  i  fu  venus,  li  preudoume  de  la  terre  le  firent  ve- 
nir devant  eus.  Et  quant  il  i  fu  venus,  se  li  dient  :  «  Mer- 
lins, or  est  mors  li  rois  qui  vous  tant  amies.  »  Et  Merlins 
respont  :  v  Vous  ne  dites  mie  bien  :  nus  ne  muert  qui  si 
boine  fin  face  que  il  a  fait,  ne  il  n'est  mie  encore  mors.  » 
Et  il  dient  que  si  est,  car  il  a  trois  jours  qu'il  ne  paria 
ne  ja  mais  ne  parlera.  Et  Merlins  respont  :  «  Si  fera,  se 
Dieu  plaist.  Ore  en  venés,  si  le  vous  ferai  parler.»  Et  il 
s'en  vont  jusques  la  ou  li  rois  gisoit.  Et  il  firent  toutes 
les  fenestres  ouvrir.  Et  li  rois  esgarda  Merlin  et  se  torna 
dcviers  lui  a  son  pooir  et  fist  samblant  que  il  le  conneust. 
Et  Merlins  parole  et  dist  as  barons  qui  illuec  estoient  et 
as  preias  qui  illuecques  estoient  de  sainte  eglyse  :  «  Qui 

I .  et  a  tous  les 


MERLIN  l3l 

vaurra  oir  les  paroles  que  li  rois  dira  si  se  {f.  6g  ^)  traie 
près.»  Et  il  li  demandent  :  «  Merlins,  comment  le  cuides 
tu  faire  parler?  »  Lors  se  torna  Merlins  de  l'autre  part 
deviers  le  chief  le  roi  et  li  consilla  moult  bas  en  l'oreille  : 
«  Rois,  tu  as  faite  moult  bonne  fin,  se  la  conscience  est 
tele  comme  la  samblance.  Et  je  te  di  que  tes  fius  Artus 
sera  chiés  de  ton  règne  apriès  toi  par  la  viertu  de  Jesu- 
crist.  Et  sera  acomplissables  de  la  table  reonde  que  tu 
as  fondée.  »  Et  quant  li  rois  oi  ces  miervelles  que  Mer- 
lins  dist,  si  se  traist  viers  lui  et  li  dist  :  «  Merlins,  priiés 
li  pour  Dieu  que  il  prit  a  Jhesucrist  por  moi.  »  Et  Mer- 
lins parole  a  tous  cheus  qui  illuec  estoient  et  lour  dist  : 
«  Signour,  or  avés  oi  chou  que  vous  ne  cuidiés  pas  que 
estre  peust  ;  saichiés  que  c'est  la  daerrainne  parole  que  il 
ja  mais  doie  dire.»  Et  lors  se  leva  Merlins  et  tout  li  autre 
qui  grant  mierveille  orent  eue  de  chou  que  li  rois  a 
parlé,  ne  il  n'en  i  ot  onques  uns  qui  peust  savoir  que  ja 
avoit  dit  a  Merlin. 


t  NSI  fina  ^  li  rois  la  nuit.  Et  li  baron  et  li  clerc  et  li  ar- 
chevesque  li  firent  le  plus  biel  serviche  et  le  gringneur 
honneur  que  il  porent  faire.  Ensi  fina  Uters  Pandragons,     i  ^   terre  est 
et  la  terre  remest  sans  hoir.  L'endemain  que  li  rois  tu  sans  roi  icgitimc; 
enterre's  si  s'assamblerent  li  baron  et  tout  li  prélat  de '"  grands  du  ro- 
sainte  (f.  60  ^)  église,  et  prisent  conseil  comment  li  peu-  ^""""^    ^^on^^u 

t  .  ,  .,  ,  tent  Merlin, 

pies  seroit  gouvernes,  ne  il  ne  se  porent  acorder  a  nu- 
lui.  Et  lors  disent  ensamble  que  il  se  consillaissent  a 
Merlin,  qui  moult  estoit  sages  et  de  boin  conseil  ne 
onques  ne  sourconsilla.  Ensi  s'acorderent  tout  a  Mer- 
lin, et  lors  l'envoiierent  querre.  Et  quant  il  fu  venus, 
si  disent  :  «  Merlins,  nous  savons  bien  que  tu  iés  moult 
sages,  et  tu  as  moult  amé  les  rois  de  cel  règne.  Et  tu 
vois  bien  que  la  terre  est  remcsc  sans  hoir  et  que  terre 

I.  tu 


l32  MERLIN 

sans  signour  ne  vaut  gaires.  Pour  chou  te  prions  nous 
pour  Dieu  et  requérons  que  tu  nous  aiues  a  eslire  tel 
homme  qui  le  règne  puisse  gouvrener  au  pourfit  de 
sainte  église  et  au  salut  dou  peuple.  »  Et  Merlins  lour 
dist  :  «  Signour,  Je  ne  sui  mie  Dius  que  je  doie  tel 
affaire  conseillier  ne  que  je  doie  eslire  roi  ne  gouvre- 
nour.  Mais  se  vous  acorde's  a  mon  conseil,  je  le  vous 
diroie.  Et  ne  vous  (vous)  i  acordés  pas  se  je  ne  le  vous 
doing  boin.  »  Et  il  respondent  :  a  Au  bien  et  au  pourfit 
de  la  terre  nous  doinst  Dieus  acorder.  »  Et  Merlins  lour 
dist  :  «  J'ai  moult  amé  cel  règne  et  toutes  les  gens  qui  i 
sont.  Et  se  je  disoie  que  vous  fesissiés  de  l'un  de  vous 
roi,  je  feroie  bien  a  croire,  et  drois  seroit.  Mais  il  {f.  6g  ^) 
vous  est  biele  aventure  avenue,  se  vous  le  volés  con- 
qui  les  engage  noistre.  Li  rois  est  mors  dès  la  quinsainne  de  la  saint 
à  attendre  Noci  :  Martin  et  d'illucc  n'a  ore  gaires  jusqucs  au  Noël  ;  et  se 
Dieu  leur  mon-  ^^^^  ^^^  couseil  creés,  je  le  vous  donrai  boin  et  loial 

trera  alors  qui  il  ,  .  ,.  ,        .      ,  i-      -i  j 

faut  choisir.  Ils  ^^  selonc  Sainte  église  et  le  siècle.  »  Et  il  respondent 
s'y  accordent,  tout  a  un  mot  :  «  Mcrllns,  di  chou  que  tu  vaurras,  et 
nous  te  querrons  de  chou  que  tu  diras.  »  Et  il  dist  : 
a  Signour,  nous  savons  bien  que  la  feste  vi[e]nt  ou  li  rois 
nasqui  qui  est  sires  de  tous  les  rois  et  gouvreneres  de 
toutes  les  choses  qui  sont  et  sousteneres  de  tous  biens. 
Et  je  vous  sui  pièges,  se  vous  le  faites  otroiier  au  peule, 
si  comme  chascuns  a  mestier  de  boin  gouvreneur,  que  il 
par  sa  bonté  et  par  sa  humilité  a  celé  feste  qui  est  ^  apielee 
Noël,  ou  il  li  plot  a  naistre  hom*  si  voirement  que  il 
nasqui  rois  de  toutes  choses,  que  a  chelui  jour  nous 
eslise  tel  homme  a  roi,  qui  soit  a  son  plaisir  et  a  sa  vo- 
lenté  faire.  Aussi  vraiement  nous  fâche  il  vraie  demous- 
trance  a  chelui  jour  de  soi  a  son  plaisir  et  a  sa  volenté 
en  tel  manieC/.  6g  ^Jre  que  li  peules  connoisse  que  pour 
celé  élection  sera  rois  sans  élection  d'autrui.  Et  je  vous 
creanc,  se  vous  le  faites  faire  au  commun  peuple,  que 

1.  ert  —  2.  comme 


MERLIN  l33 

VOUS  en  verres  la  senefianche.  »  Lors  respondent  tout  a 
un  mot  et  dient  :  «  Merlins,  chou  est  li  mieudres  con- 
saus  que  on  peust  donner.  »  Lors  dient  li  un  as  autres  : 
«  Vous  acordés  vous  a  che  conseil  ?  »  Et  il  respondent  tout  : 
«  Il  n'est  nus  qui  acorder  ne  s'i  doive.  »  Et  lors  prient  tout 
ensamble  li  barons  as  vesques  et  as  archevesques^  que  il  au 
commun  del  peuple  facent  faire  orisons  et  aumosnes,  et 
par  toutes  les  églises  soi(en)t  commandé  et  que  chasquns 
[prestre]  le  face  a  savoir,  [et  face  seurté]  li  uns  a  Fautre 
(et)  que  il  en  terront  et  nous  avocc  -  les  commandemens 
de  sainte  église  et  la  senefianche  que  Dieus  nous  mous- 
terra.  Ensi  sont  tout  li  baron  acordé  au  conseil  Merlin. 
Et  puis  prist  congiet  a  iaus.  Et  il  li  prient  que  il  revie- 
gne  au  Noël  pour  savoir  se  che  sera  voirs  chou  que  il 
lour  ensegne.  Et  Merlins  respont  :  «  Je  n'i  serai  pas, 
ne  ne  nVi  verres  devant  Telection.  »  Atant  s'en  ala  Mer- 
lins a  Biaise  et  se  li  dist  ces  choses  que  il  savoit  qui  a 
venir  estoient.  Et  li  preudomme  del  roiaume  et  li  me- 
nistre  de  sainte  église  firent  ceste  cose  par  tout  savoir  et 
que  li  preuf/".  ']o  ^jdomme  del  roiaume  venissent  tout 
au  Noël  a  Logres  pour  veoir  l(e)'election  de  Jhesucrist. 

Ensi  fu  ceste  chose  seue  et  entendue  par  tout,  et  lors  Artu  a  grandi; 
attendirent  jusques  au  Noël.  Et  Auctor  (qui)  avoit  l'en-  Auctor,  qui  vient 
fant  tant  norri  que  il  estoit  grans  escuiiers,  ne  n'ot  alai-  d'armer  chevahcr 

.*..,v  !•  1  r  r  r  '  ^     ^    '  ^'  '  son  fils  Kc,  amc- 

tie  d  (e)  autre  lait  que  de  sa  feme  [,  et  ses  hus  avoit  alaitie  ^^  ^  ^^  ^^^   ^ 
du  lait  d'une  garce].  Et  Auctor  ne  savoit  gaires  prcu  le  ^^^^  \^^  deux 
quel  il  amoit  micus  ou  son  fil  ou  lui,  ne  il  ne  l'avoit  jeunes  gens  qui 
onques    apielé  se   son    fil    non,   et  li  enfes  le  cuidoit  s'^ '■r*^^^"^  f"^>"- 
bien  meismes.  A  le  Toussains  avint  devant   cel   Nocl 
que  il  fist  chevalier  son  fil  [Ké].  Et  au  Nocl  en  vint  a 
Logres  aussi  conme  li   autre   et  amena   avoec    lui   ses 
deus  fieus.  La  veille  dou  Noël  vinrent  tout  ensamble  et 

I.  ensamble  et  vcsque  et  archeuesquc  —  2.  que  nous  terrons 


l34  MERLIN 

clerc  et  prouvoire  et  tout  li  preudomme  del  roiaume,  et 
orent  bien  fait  che  que  Merlins  lour  ot  commandé.  Et 
quant  furent  tout  venut,  si  menèrent  moult  boine  vie  et 
attendirent  la  venue  de  la  festc  si  comme  drois  fu,  et  fu- 
rent a  la  messe  de  la  mienuit  et  firent  lour  priieres  a  nos- 
tre  signour  qu'il  envoiasl  tel  hom  qui(l)  fust  pourfitables 
a  le  crestiienté  maintenir.  Ensi  furent  a  celé  première 
messe,  et  quant  il  l'orent  oie,  si  s'en  alerent  teuls  en  i 
ot,  et  teuls  i  otqui  re(/.  70  ^Jmesent  ou  moustier.  Ensi 
attendirent  la  messe  dou  jour.  Si  ot  maint  hommes  qui 
disent  que  moult  estoient  fol  qui  cuidoient  que  nostre 
sires  mesist  entention  del  roi(s)  eslire.  Ensi  comme  il  par- 
loient,  si  avint  que  la  messe  sonna,  si  alerent  tout  au 
serviche.  Et  quant  il  furent  tout  assamblé  pour  oir,  si 
fu  apparilliés  uns  des  plus  preudom[mes]  de  la  terre  pour 
la  messe  chanter.  Et  devant  chou  qu'il  chantast,  si  parla 
au  puple  et  lour  dist  :  «  Signour,  vous  devés  chi  estre 
assamblé  pour  bien,  et  pour  trois  choses,  si  vous  dirai 
queles  :  pour  le  sauvement  de  vos  âmes,  et  pour  Pounour 
de  vos  vie[s],  et  pour  veoir  le  myracleque  nostre  sires  fera 
hui,  si  li  plaist,  por  nous  donner  roi  pour  maintenir 
sainte  eglyse  et  pour  desfendre  le  peuple  et  tout  le 
roiaume. 


a  INous  sommes  tout  en  contenchon  d'eslire  l'un  de 
nous.  Et  nous  ne  sommes  pas  si  sage  que  nous  seussife]- 
mes  eslire  le  plus  pourfitable.  Par  chou  que  nous  nel 
savons,  prions  a  Jhesucrist  que  il  nous  fâche  hui  de- 
moustrance  d'avoir  roi  par  son  plaisir  si  voirement  que 
il  nasqui  au  jour  d'ui.  Et  en  prie  chascun  de  vous  au 
mieus  que  il  savra.  »  Ensi  le  firent  comme  (/.  yo  <^)  il 
lour  ot  commandé.  Et  il  aia  canter  messe  jusques  a 
l'evangille.  Et  jà  eurent  offert  de  teus  en  i  ot,  si  s'en 
alerent  ensamble  devant  le  moustier.  Illuec  avoit  une 
grant  place.  Et  quant  cil  qui  avoient  offert  furent  issu, 


MERLIN  l3b 

si  fu  ajorné,  et  lors  vinrent  devant  le  moustier,  et  vi-  Le  jour  de 
rent  [devant  la  porte  del  moustier,  devant  la  galileej  un  Noci,  au  matin, 
perron  tout  quarré  ^  en  quatre  costes,  si  nesorentonques  ^pp^'^^'^  ^^^^"ï 

.  ,  ,      .  .1    r  !•  M  •       1     l'tiglise   un    bloc 

connoistre  de  quel  pierre  il  fu  et  dient  que  il  estoit  de  ^^  ^-^^^^^  ^^^  ,^_ 
marbre.  Et  sour  cel  perron  avoit  en  mi  lieu  [une  en-  quel  est  une  cn- 
glume  de  fier]  largement  demi  pié  (de  fier)  haute  ^.  Et  ciumc,  et  dans 
parmi  cel[e]  englume  ot  une  espee  férue  dusc'au  heut.  Et  """^  c"ciumc  est 

.,,o-  .  •  ••  1  fichée  une  épée  ; 

quant  cil  le  ^  virent  qui  premiers  estoient  issu  dou  mous- 
tier, si  en  orent  moult  grant  mierveille  et  vinrent  arrière 
au  moustier,  si  le  disent  au  peule.  Et  quant  li  preudom 
qui  cantoit  la  messe  qui  i  estoit  Toi,  li  archevesques  de  rarchevôque  voit 
Logres  Toi,  si  prlst  l'iaue  benoite  et  tous  les  saintuaires,  sur  répéedesict- 
si  vint  la  tout  avant  et  puis  li  autre  après,  et  esgarderent  ^'"^^   ^"^   ^•'^^"^ 

,,.  .,x  1,  .,.  ^.^  .   que  Dieu  désigne 

moult  le  pierre  et  vi  njrent  1  espee  en  mi  lieu  et  jetèrent  ^  ,  . 

^  V    /  r  /  ^     pour     roi     celui 

de  l'iaue  benoite  sus.  Lors  esgarda  li  [archejvesques  et  vit     •  pourra  reti- 
lettresd'or  qui  estoient  a[u  pomeldejl'espee,  si  les  liut  "*,  rer  rcpOe  de  l'en. 
et  disoient  que  cil  qui  osteroit  (/.  yo  '^j  cele  espee,  il  se-  ciume. 
roit  rois  de  la  terre  par  l'élection  Jhesucrist. 


VOUANT  li  archevesques  ot  veut  les  lettres,  si  le  dist  Après  des  dis- 
au  peule.  Lors  fu  li  perrons  baillie's  a  garder  a  neuf  preu-  eussions  sur  ror- 
dommes  et  a  cinq  clers.  Et  lors  dient  que  grant  sene-  '^'"'^  '^^"^  ''^'^"''' 

f,  .  .     TN-  ...  .         on  fera  l'épreuve, 

nance  lour  avoit  Dieus  moustree,  si  s'en  vinrent  arrière  ^^^^  essaient 

pour  dire  la  messe  et  pour  rendre  grasce  a  nostre  signour, 

et  cantent  :  Te  Deum  laudamus.  Et  quant  li  preudom 

fu  venus  a  Tautel,  si  se  torna  deviers  le  peule  et  lour 

dist  :  a  Ore  pocs  savoir  que  auchuns  de  nous  iest  bons, 

quant  nostre  sires  a  fait  pour  nous  tel  demoustrance. 

Et  de  la  senefiance  nous  mousterra  il  a  sa  volente'.  »  Lors 

canta  li  preudom  la  messe.  Et  quant  elle  fu  dite,  si  [s'a]- 

samblerent  tout  au  perron.  Et  lors  demandèrent  li  uns  a 

Pautre  qui  assaiera  li  premiers,  et  lors  s'acordent  tout  qu'il 

n'i  assaieront  ja  fors  si  comme  [IclocrontliJ  mcnistic  de 

I    une  pierre  toute  quarrcc  —  2.  ente  —  3.  li  —  4.  lizoient 


l36  MERLIN 

sainte  église.  A  ceste  parole  ot  grant  discorde.  Car  li  plus 
haut  et  li  plus  (bas)  poissant,  qui  plus  grant  force  avoient, 
voloient  assaier  avant.  A  che  ot  mainte  parole  dite  qui  ne 
doivent  mie  estre  retraites.  Et  li  [archejvesques  paria  si 
que  liplus  d'aus  Toirent  :  a  Signour,  vous  n'estes  pas  si 
sage|com  je  vaurroie  ne  si  pre[u]doume.  Et  (f.  j  i  ^}  tant 
voel  je  bien  que  vous  saciés  que  nostre  sires  voit  et  set  et 
en  a'un  eslit,  mais  ne  savons  le  quel.  Et  tant  vous  puis  je 
bien  dire  que  riqueche  ne  gentillece  ne  fiertés  n^i  a  mes- 
tier,  se  la  volenté  non  a  nostre  signeur.  Mais  je  me  fi 
tant  en  lui  que,  se  cil  qui  doit  ceste  espee  oster  estoit  en- 
core a  naistre,  que  elle  ne  seroit  ja  ostee  devant  qu'il  l'os* 
te  roi  t.  » 


A  che  s'acordent  tout  li  haut  homme  et  li  riche,  [si]  se 
traient  a  une  part  et  dient  que  il  s'acorderont  a  le  volenté 
Tarchevesque  et  que  il  ouverro(ie)nt  tout  par  [son] conseil. 
Et  quant  li  archevesques  Toi,  si  en  ot  moult  grant  joie  et 
ploura  de  grant  joie  et  dist  :  «  Segneur,  ceste  humilité 
que  vous  avés  dite  est  venue  en  vous  de  par  Dieu.  Et 
sach[ijés  que  j'en  ouverrai  tout  a  sa  volenté  et  si  que  je 
n'en  serai  ja  blasmés.  »  Chis  parlemens  fu  pris  devant  la 
grant  messe.  Li  archevesques  lor  a  retrait  que  nostre  sires 
a  grant  miracle  fait  pour  nous  et  que  moult  a  ci  biele 
demoustrance  ;  car  nostre  sires  quant  il  commanda  '  justice 
en  terre  si  le  mist  en  espee,  et  Tespee  fu  baillie  au 
commenchement  des  quatre  ordres  as  chevaliers  pour 
desfendre  sainte  eglyse  et  pour  droite  justiche  tenir.  Et 
nostre  sires  nous  ^  fait  ore  (nous)  par  l'espee  ceste  élection. 
Et  sachiés  bien  qu'il  (f.  y i  b]  est  vcu  et  esgardé  a  qui  il 
veult  baillier  ceste  justice.  Et  ne  se  hastent  ja  li  haut 
homme  pour  essaiier,  car  elle  ne  puet  (estre)  ne  ne  veult 
mie  par  riqueche  ne  par  orgueil  estre  traite  ;  ne  ne  s'en 

I.  demanda  —  2.  se 


aucun    ne 
réussit. 


MERLIN  1  37 

courechent  mie  li  povre  se  li  riche  Tassaient  avant,  car 
il  est  drois  et  raisons  :  car  li  plus  haut  homme  et  li  gentil 
doivent  essaiier  avant.  »  Ensi  s^acordent  tout  a  chou  que 
li  archevesques  dist,  que  il  fâche  essaiier  Fespee  a  cui  que 
il  vaurra,  et  que  il  obéiront  et  terront  pour  signeur 
chelui  qui  Dieus  en  donra  la  grasce.  Lors  vinrent  arrière, 
et  li  archevesques  en  eslit  deus  cent  et  cinquante  des 
plus  preudommes  que  il  sot  a  son  ensiant  et  lor(s)  fist  as- 
saiier  a  l'espee.  Et  quant  il  Forent  assaiié,  si  commanda 
as  autres  que  il  i  alaissent.  Et  lors  l'aissaierent  (tout)  li  mais 
uns  apriès  l'autre  tout  cil  qui  assaiier  le  vaurrent,  mais  r*^' 
ains  n'i  ot  chelui  qui  oster  le  peust  ne  remouvoir.  Et 
puis  fu  commandés  li  perrons  pour  garder  a  neuf  preu- 
dommes. Et  lors  fu  dit  [au  peuple]  que  ^  s'i  assaieroit  (u) 
qui  assaiier  s'i  vaurroit,  et  bien  i  preissent  garde  li  preu- 
domme  qui  cil  seroit  qui  Tespee  osteroit  ^  [  ;  mais  onqucs 
ne  pot  estre  ostee  de  nul  qui  i  venist]. 


JuNSi  fu  l'espee  tous  les  huit  jours  jusques  au  jour 
de  Tan.  Et  furent  tout  li  baron  a  le  grant  messe,  et  li  ar- 
chevesques les  sermonna  et  moustra  (f.  7/  ^)  dou  bien 
che  que  il  pot.  Après  lour  dist  :  «  Signour,  je  vous  avoie 
bien  dit  que  tout  par  loisir  pooi(i)ent  venir  li  plus  lontain 
a  l'espee  oster.  Ore  poés  savoir  li  quels  Postera  que  Dieus 
l'a  eslit.  V  Et  il  dicnt  tout  que  il  ne  se  mouvcront  tant 
qu'il  voient  a  cui  Dieus  en  donra  le  don.  Ensi  fu  la 
messe  chantée,  et  alcrent  li  baron  a  leur  osteus.  Et  après 
mengier  si  comme  il  soloient  alerent  li  chevalier(s)  be-  Au  jour  de 
hourder  defors  la  ville  as  chans,  si  alereni  li  plus  des  l'a"  »  ^^^ .  <!"' 
sens  pour  veoir  le  behourdis.  Et  li  neuf  prcudomme  qui  ^'"'^"'^  '^'^'^  'V  '^^ 

1  1.  -1  T-  -1  11  .  -  jeux       guerriers 

gardèrent  1  espee  1  alerent.  Et  quant  il  orent  behourdc  j^^,.^  j^  ,^  y|„^.^ 

une  grande  picche,  si  baillierent  lour  escus  a  lour  serjans  envoie  son  frère 

et  cil  commenchierent  a  behourder.  Et  tant  behourde-  Anu   lui   cher- 
cher son  éptc  en 

ville; 
I.  qui  —  2.  prent  garde  se  il  losleroii. 


l38  MERLIN 

rent  que  entre  iaus  leva  une  grande  meslee,  si  que  tout 
cil  de  la  ville  i  acoururent.  Auctor  avoit  fait  de  son  fil 
l'aisné  chevalier  a  la  Toussains.  Quant  la  meslee  fucom- 
menchie,  si  apiela  cil  son  frère,  se  li  dist  :  «  Va  a  mon 
hostel  querre  m'espee.  »  Chis  fu  moult  preus  et  igniaus, 
si  dist  :  €  Sire,  volentiers.  »  Lors  vint  a  Tostel,  si  quist 
Artu  ne  la  trouve  l'espee  son  frère  ou  une  autre,  mais  n'en  pot  nulle  trou- 
pas;  mais,  pas- ver,  si  commencha  a  plourer  et  fu  moult  destrois.  Et 
sant  devant  l'en-  j^^.^  ^^^^  ^-^^^  arrière  par  de/7*.  71  ^Jvant  le  moustier  ou 

clumc,    il    saisit  ,.  .  .,,.,,. 

iv'pée,  la  retire  ^^  pcrrons  estoit,  et  Vit  lespee,  ou  il  n  avoit  onques  as- 

sans  peine  et  la  saiié.  Lors  se  pensa  que  se  il  le  pooit  avoir  que  il  le 

porte  à  Ki.         porteroit  son  frère,  et  vint  tout  a  cheval,  si  le  prist  par  le 

heudure,  si  l'emporta  et  le  couvri  dou  pan  de  sa  cote.  Et 

ses  frères  qui  l'atendoit  defors  la  ville  le  vit  venir,  se  li 

ala  a  l'encontre  et  li  demanda  s'espee.  Et  cil  dist  qu'il  ne 

le  pooit  trouver,  mais  il  en  aportoit  une  autre,  si  traist 

Ké,  apprenant  cheli  de  SOUS  sa  cote.  Et  il  li  demanda  ou  il  l'a  prise.  Et 

où  il  l'a  prise,  il  u  dist  que  c'est  l'espee  dou  perron.  Et  Kés  li  prent,  si 

va  trouver  son  j^  ^^^  dcssous  le  pan  de  sa  cote  et  quist  son  père  tant 

D^rc  et  se  Viintc  — 

de  l'avoir  retirée-  ^"^  ^^  ^^  trouva.  Et  quant  il  l'ot  trouvé,  se  li  dist  : 
'  a  Sire,  je  serai  rois;  veschi  Pespee  dou  perron.  »  Quant 
Auctor  le  vit,  si  s'esmervilla  moult  et  li  demanda  com- 
ment il  l'avoit  eue.  Et  cil  dist  qu'i[l]  l'avoit  prise  ou  per- 
ron. 


Qc 


'uANT  Auctor  oi  son  fil  ensi  parler,  si  (le)  ne  l'en 

crei  pas,  ains  li  dist  que  il  savoit  bien  que  il  mentoit. 

Lors  s'en  alerent  viers  Teglise  entr'aus  deus,  et  li  autres 

variés  apriès.  Quant  Auctor  vit  le  perron  dont  Pespee 

estoit  ostee  si  dist  :  «  Kés,  ne  me  ment  pas.  Comment 

ostastes  vous  ceste  espee?  Carse  vous  me  mentes  ("/.  72  ^), 

sel  savrai  jou  bien,  et  ja  mais  ne  vous  ameroie.  »  Et  cil 

mais  Auctor  lui  respont  comme  cil  qui  ot  honte,  et  dist  :  «  Sire,  je  ne 

fait  avouer  lavé-  vous  mentirai  pas.  Artus  mes  frères  le  m'aporta,  si  ne  sai 

"^*^'  comment  il  l'ot.  »  Quant  Auctor  Pot,  si  dist  :  «  Bailliés 


MERLIN  iSg 

le  moi,  biaus  fieus.  ^  JEt  Auctor  regarde  derrière  soi  et  et  devant  lui  Ar- 
vit  Artu  et  li  dist  :  «  Biaus  fieus,  cha  venés,  prenés  Tes-  tu  remet  à  sa 
pee  et  si  le  remetés  arrière  de  la  ou  vous  le  presistes.  »  ^^'^^^  ''"^p^*^-  ^"' 

T-     »  ,  .  ,  1,         1  11     adhère    de    nou- 

Et  Artus  le  prent,  si  le  remet  ens  en  1  englume,  et  elle  y^au  à  rcnciumc. 
se  tint  autressi   bien  comme  devant.   Et  Auctor  com- 
manda a  Ké  son  fil  que  il  li  baillast.  Kés  le  sace,  mais  ne 
li  pot  baillier.  Lors  s'en  ala  Auctor  ou  moustier  et  apiela 
ses  deus  enfans.  Lors  prist  Artu  entre  ses  bras,  si  dist  : 
«  Biaus  sire,  chiers  fieus,  se  je  vous  pooie  pourcachier    Auctor  annon- 
que  vous  fuissiés  rois,  quel  mieus  m?en  seroit  il?  »  Et  ^^  -^  ^'"^'-'  ^^'^^ 
Artus  respont  :  «  Sire,  je  ne(l]  puis  avoir  ne  cel  bien  ne  ^'^^^  ^^!'  ^^  ^^J 

*■  ,  '  /.  1  ri  apprend  en  me- 

autre  que  vous  n  en  sones  [sires]  comme  [mes]  pères.  »  j^^.  ^^mps  qu'il 
Et  Auctor  li  dist  :  «  Vostre  pères  sui  jou  coume  de  nor-  n'est    pas    son 
reture,  mais  certes  je  ne  sai  qui  vous  engenra  ne  qui  p^i"^- 
vostre  mère  fu.  » 


VOUANT  Artus  oi  que  cil  qui  il  cuidoit  qui   fust  ses    ii  lui  fait  pro- 
peres  le  denoia  a  fil,  si  ploura  et  ot  moult  grant  duel.  Et  mettre,    comme 
dist  :  «  Biaus  sire  Diex,  comment  avérai  jou  bien,  quant  ^^^^  ^"   ^"'"'^ 
j'ai  failli  //.  72  ^;a(u)pere?»  Et  Auctor  li  dist  :  a  Biaus  ^"J^  ^"'  ^U^ 
sires  chiers,  comment  que  vous  père  aiiés  eu,  se  nostre  Ké'son  scntchai 
sires  veult  que  vous  aiiés  ceste  grasce,  et  je  le  vous  aiue  et  de  ic  garder 
a  pourcachier,  quel  mieus  m'en  sera  il?  »   Et  Artus  li  quoi  qu'il  arrive; 
dist  :  «  Sire,  teuls  comme  vous  plaira.  »  Lors  li  conte 
Auctor  la  bonté  qu'il  li  avoit  faite  et  comment  il  l'a 
norri  et  sevra  son  fil  et  le  fist  norrir  a  une  estraingne 
feme,  •  pour  coi  vous  deveriés  moi  et  mon  fil  rendre  le 
guerredon,  que  onques  hom   ne  norri  plus   doucement 
enfant  que  je  vous  ai  norri.  Ore  si  vous  pri  que  se  vous 
avés  ceste  grasce  et  je  le  vous  aiue  a  porcacbier  que  vous 
le  merissiés  a  mon  fil.  »  Et  Artus  li  dist  :  a  Sire,  je  vous 
pri  que  vous  ne  me  desavoués  pas  de  fil.  Car  je  ne    sa- 
vroic  ou  aler.  Et  se  vous  me  pocs  ceste  grasce  pourcacicr 
et  Dieus  veut  que  je  Taie,  je  n'avrai  riens  qui  ne  soit  en 
vostre  commaiit.  »  Et  Auctor  lidist  :  «  Biaus  fieus,  je  ne 


140  MERLIN 

VOUS  demanderai  pas  ore  vostre  règne,  mais  tant  vous 
prie  je  quant  vous  serés  rois  que  vous  faciès  vostre  frère 
senescal  de  votre  terre  (en)  en  tel  manière  que  pour  four- 
fait  que  il  face  ne  perde  le  senescauchie,  que  tous  jours 
si  Kc  a  des  di-  tant  comme  il  vivra  autres  scnescaus  ne  soit.  Et  se  il  est 
faut»,  c'est  qu'il  fgi  e^  fjjus  gj  vilains,  vous  (/.  j2  ^)  le  devés  bien  sous- 
a  <ii<5  pnvc  du  ^-^.j^  toutes  les  mauvaises  choses  qu'il  a  n'a  il  pri- 

lait  de  sa  mère  et  '  ^  .   ,      ,  .   ,         ?  '^ 

a  sucé  celui  dune  ses  se  par  le  norriche  ^  non  qui  l'alaita,  et  pour  vous 

femme  inférieure,  nofrir  est  il  si  desnaturés.  Et  pour  chou  le  devés  vous 

mieus  sousfrir.  Si  vous  pri  que  vous  li  doingniés  chou 

que  je  vous  demanc.  »  Et  Artus  dist  :  «  Sire,  je  li  doins 

moult  volentiers.  »  Lors  le  mena  Auctor  a  Fautel,  si  le 

jura  Artus  a  tenir  bien  et  a  foi.  Et  quant  il  li  ot  juré,  si 

vinrent  devant  le  moustier.  Et  lors  fu  la  meslee  remese, 

si  s'en  vinrent  li  baron  en  Feglise  arrière  pour  viespres 

oir.  Et  lors  apiela  Auctor  ses  amis  et  son  lingnage  et  dist 

Tarchevesque  :  «  Sires,   veschi  un  mien  enfant  qui  n'est 

encore  mie  chevaliers,  si  me  prie  que  je  li  face  assaiiera 

ceste  espee  ;  si  vous  pri  que  vous  apielés  de  ces  barons.  » 

Devant  tous  Et  il  si  fist.  Et  lors  s'assamblcrcnt  tout  au  perron,  et 

les  barons  réu-  q^j^^t  il  (l)i  furent,  Auctor  Commanda  Artu(s)  que  il  (le) 

ms,   Artu  retire  .      ,.      '  ,      ,     .,i  i.        .  .,     .    , 

l'éfHie  de  l'enciu-  V^^^^^^  ^  ^^P^^  ^^  ^^  baillast  a  1  archevesque,  et  il  si  tist. 

me.  Et  quant  l'archevesques  le  tint,  si  le  prist  entre  ses  bras 

et  commenche  a  chanter  en  haut  :  Te  Deum  laudamus^. 


JCnsi  fu  portés  Artus  el  moustier.  Li  baron  qui  chou 
orent  veut  furent  moult  angoisseus,  et  dient  que  che 
neporroitpasestreque  uns  (/.  j2  '^)  garchons  fust  sires 
d'aus.  Et  li  archevesques  se  courecha  et  dist  :  «  Biau 
signeur,  nostre  sires  set  mieus  qui  chascuns  est  que 
vous  ne  sachics.  »  Et  Auctor  et  ses  lignages  et  grant 
partie  de  la  gent  se  tenoient  deviers  Artu.  Et  li  com- 


i.norrechon—  2.  Ces  trois  mots  sont  en  tétc  du  paragraphe 
suivant. 


MERLIN  141 

muns  del  peuple  et  li  baron  de  la  terre  se  tenoient  a 
rencontre.   Lors   dist   li    archevesques  une  hardie   pa- 
role :  a  Signeur,  se  tout  cil  dou  monde  voloient  aler 
contre  ceste  élection  et  nostre  sires  tousseus  le  vausist,  si 
seroit  elle.  Et  je  vous  mousterrai  quel  fianche  j'ai  en 
Dieu.  Aies,  Artus,  biau  frère,  remetre  l'espee  ou  vous  le 
presistes.  »  Et  Artus  le  reporta  et  le  remist  voiant  tous,  puis  la  remet; 
Et  quant  il  Tôt  remise,  si  parla  li  archevesques  et  dist  : 
»  Onques  mais  plus  biele  élection  ne  fu  faite  ne  veue. 
Ore  aies,  signeur  riche  houme,  et  essaiiés  se  vous  le  por- 
rés  oster.  »  Et  il  si  font,  mais  ains  n'i  ot  nul  qui  avoir  le  les   autres    cs- 
peust.  Et  li  archevesques  lour  dist  :  «  Moult  est  faus  ki  ^^Jcnt  en   vain 
contre  la  volenté  de  Dieu  vait.  »  Et  il  dient  :  «  Sire,  nous  d'en  faire  autant. 
n'alons  pas  contre  sa  volenté,  mais  il  nous  est  moult  es- 
trange  chose  que  uns  garchons  soit  sires  de  nous.  »  Et 
li  archevesques  lour  dist  que  «  cil  qui  l'a  esleuut  le  con- 
noist  mieus  de  vous.  » 


ff.  y 3  ^)  LoRS  prient  li  baron  Tarchevesque  qu'il  lait  Les  barons , 
l'espee  el  perron  dessi  a  la  Candeler,  se  s'i  assaieront  en-  m<-'«-oiitents  d'a- 
core  pluisour  que  onques  n'i  assaiierent.  Et  li  archeves-  ^*^"""  '■°'  ^^  ^' 

,  .       -^      .  ,,  ,  petite  condition, 

ques  lour  otria.  Ensi  remest  1  espee  ou  perron  dusques  a  demandent  un 
la  Chandeler,  et  lors  fu  tous  li  peules  assamblés  et  s'i  répit  jusqu'à  la 
assaia  qui  essaiier  s'i  vaut.  Et  quant  il  s'i  orent  tout  es-  ciiandeieur.  L'é- 
saiié,  si  dist  l'archevesques  :  a  11  seroit  bien  drois  que  P'"'^"^'^  ^^^  ^'^""^ 

r    •  1  1      .  '  T  •   ..  recommencée 

nous  fesissons  la  volentc  Jesucrist. 


«  Alés,  biaus  fieus  Artus,  se  nostre  signour  plaist  que  et  réussit  de  mê- 
vous  soiie's  gouvreneres  de  cest  peule,  si  me  bailliés  celé  '^''* 
espee.»  Et  Artus  va  avant,  se  li  baille.  Et  quant  li  arche- 
vesques le  vit  et  li  peuples,  si  plourerent  de  joie  et  de 
pitié  et  demandèrent  :  «  A  il  mais  chelui  qui  contre     ^"    convient 

,        .  •    -»        T-     ,.      ,    N-    1      I  1  d'un  nouveau  ré- 

ceste  élection  soit?  »  Et  li  r(o)iche  homme  respondcnt  :    -^  ^,3J^v^  p.-,. 
«  Sire,  nous  vous  prions  encore  que  vous  le  laissiés  dus-  ques. 


142  MERLIN 

ques  a  Pasques.  Et  se  il  ne  vi[e]nt  adonques  qui  le  peusl 
oster,  nous  obéirons  par  couvent  a  cestui.  Et  se  vous  le 
volés  autrement  faire,  si  fera  chascuns  au  mieus  que  il 
porra.  »  Et  li  archevesques  dist  :  «  Obeirés  ^  vous  tout  a 
lui  de  bon  cuer,  si  je  le  lais?  »  Et  il  dien[t]  tout  :  t  Oil,  et 
il  fâche  tous  jours  de  la  terre  et  dou  règne  a  sa  volenté.  » 
Et  li  archevesques  dist  :  «  Artus,  frère,  remet  Tespee  el 
if.  y 3  *j  perron.  Et  se  Diu  plaist,  vous  ne  faurrés  ja  au 
bien  que  Dieus  vous  apramis.»  Et  cil  va  avant,  si  rassiet 
Tespee  en  son  lieu.  Et  quant  elle  fu  rassise,  si  le  fist 
couvrir,  et  elle  s'i  tint  aussi  comme  elle  ot  onques  fait. 
Et  li  archevesques  qui  avoit  pris  l'enfant  en  garde  dist  : 
«  Artus,  seurement  sachiés  que  vous  estes  rois  et  sires  de 
cest  peuple.  Et  gardés  que  vous  soiiés  preudom.  Et  dès 
ore  en  avant  gardés  qui  vous  volés  qui  sache  vos  privées 
paroles  et  vostre  conseil,  et  dounés  et  départes  vos  hou- 
nours  et  vos  mestiers  de  vostre  maison,  tout  autressi  que 
se  vous  estiés  ja  rois.  Car  vous  le  serés,  se  Dieu  plaist.  » 
Artus  respont  :  «  Sire,  jou  mech  canques  Dieus  veut 
mètre  de  bien  en  moi  en  la  garde  de  sainte  eglyse  et  en 
vostre  conseil.  Et  eslisiés  vous  meesmes  quels  gens  me 
seroient  boin  a  faire  le  volenté  nostre  signour  et  au  preu 
de  la  crestiienté.  Et  apielés  se  vous  plaist  a  vous  mon 
signour.  »  Et  lors  apiela  li  archevesques  Auctor  (et)  se  li 
moustra  les  boines  paroles  que  Artus  avoit  dites. 


La  veille  de  LoRS  H  eslirent  teuls  consilliers  comme  il  vaurrent. 
Pûques,  les  ba-  £[  p^r  \q  conseil  Tarchevesque  et  tous  ses  barons  fist  Ké 
rons  demandent  j^  senescal  de  sa  terre.  Et  les  autres  choses  laissa  jusques 

que  le  sacre  soit       ^  t-     .  y       o     ,  r>  /•  • 

remisa  la  Pente  »  Pasqucs.  Et,/.  7  J  ^^  quant  Pasques  furent  venues,  si 

côte  :  ils  veulent  s'assamblerent  tout  a  Logres.  Et  quant  il  furent  tout  as- 

c^prouver  Artu.    samblé  la  veille  de  Pasques,  li  archevesques  les  manda 

tous  en  son  palais  pour  consillier.  Et  quant  il  furent  tout 

I.  obeissies 


MERLIN  143 

venu,  si  lour  retrait  chou  que  il  veoit  de  la  volenté 
Jhesucrist  qui  voloit  par  élection  que  li  enfes  eust  le 
règne.  El  lors  retraist  les  boin[e]s  teches  qu'il  a  en  lui  veut 
puis  que  il  Pacointa.  Lors  dient  li  baron  :  «  Sire,  nous 
ne  volons  pas  estre  contre  la  volenté  nostre  signour,  mais 
che  nous  est  moult  grant  mierveille  d'oume  de  si  bas 
lieu  qui  ensi  sera  sires  de  nous.  »  Et  li  archevesques 
dist  :  «  Vous  n'estes  pas  boin  crestiien,  se  vous  volés 
aler  encontre.  »  Et  il  dient  :  0  Sire,  nous  n'irons  pas, 
mais  faites  ent  d'une  partie  a  nos  grés.  Vous  avés  veut 
cel  enfant  sage  et  conneu  de  pluiseurs  choses,  et  nous  ne 
Tavons  ne  conneu  ne  essaiié,  ne  nous  ne  savons  se  pau 
non  de  son  estre;  si  vous  volons  priier  que  anchois  qu'il 
soit  sacrés  le  nous  laissiés  essaiier  quels  hom  il  vaurra 
estre.  Car  se  nous  ^  veons  son  estre,  il  i  avéra  tel  de  nous 
qui  bien  le  cuidera  connoistre,  se  il  veoit  sa  manière.  » 
Et  il  dist  :  «  Volés  vous  que  on  mèche  en  respit-  son  sa- 
cre? »  Et  il  dient  :  «  Sire,  nous  le  volons  bien,  et  soit 
(f,  y 3  ^)  respité(e)  jusques  a  demain.  Et  se  il  avi[e]nt  que 
[nous  le  trouvons  tel]  il  (ne)  doive  estre  rois,  si  metés 
le  sacre  en  respit  jusques  a  la  Penthecouste.  Ensi  [vous] 
volons  nous  prier  ^  que  vous  le  fachiés^.  »  Et  li  arche- 
vesques respont  :  a  Ja  pour  chou  ne  lairons.  »  Ensi  dé- 
partent lour  conseil,  et  l'endemain  apriès  a  la  grant  messe 
si  amenèrent  l'enfant  a  l'élection,  si  rosla  Artus  Tespee 
si  comme  il  avoit  fait  devant.  Et  lors  le  prisent  et  levé- 
rent  en  haut  et  le  tinrent  pour  lour  signour.  Et  lors  li 
prient  tout  que  il  remeche  Tespee  arrière  et  que  il  parlast 
a  iaus.  Et  il  dist  que  il  le  feroit  volenticrs,  et  lors  remist 
Tespee  ou  perron  arrière,  et  il  le  menèrent  a  la  maistrc 
eglyse  pour  parl(er)er  a  lui  et  pour  lui  essaiier. 


I.  ou  —  2.  cscrit  —  3.  faire  —  4.  sachies 


144  MERLIN 


Ils  le  font  en  «  SrRE,  nous  vcons  bien  que  nostre  sires  veult  que 
effet,  et,  le  trou-  ^qus  soiiés  Fois  et  sires  de  nous,  et  dès  que  il  le  veult 
Tant  sage  ^^^^  j^  volons,  si  VOUS  terrons  a  signour  et  volons  tenir 

nos  yretages  de  vous,  et  vous  prions  que  vous  respite's 
vostre  sacre  dusques  a  la  Penthecouste,  ne  ja  pour  chou 
ne  soiiés  mains  sires  del  règne  et  de  nous.  Et  de  chou 
volons  nous  que  vous  nous  respondés  sans  conseil.  » 
Et  Artus  respont  :  «  Signeur,  de  chou  que  vous  me  dites 
que  jou  prenge  vo(u)s  houmages  et  que  je  vous  {f,  74  ^j 
rende  vos  hounours  et  les  tiegniés  de  moi,  che  ne  puis 
je  pas  faire  ne  ne  doi  ',  je  ne  puis  vos  hounours  ne  les 
autrui  baillier  ne  gouvrener  devant  chou  que  jou  aie  la 
moie.  Et  de  chou  que  vous  me  dites  que  je  soie  sires 
dou  règne,  che  ne  puet  estre  devant  chou  que  jou  aie 
eut  le  sacre  et  le  couronne  et  Tounour  del  roiaume. 
Mais  le  respit  que  vous  me  demandés  d'endroit  le  sacre 
vous  donrai  jou  moult  volentiers,  ne  je  ne  puis  avoir 
sacre  se  de  par  Dieu  non  et  de  par  vous.» 


Vc/UANT  li  baron  oirent  chou  que  li  enfes  lour  a  dit,  si 
dient  que  chis  enfes  sera  moult  sages,  se  il  vit,  [car]  moult 
a  bien  respondu.  Lors  dient  :  «  Sire,  il  seroit  moult 
mieus  que  vous  fuissiés  couronnés  et  sacrés  a  le  Penthe- 
couste. »  Et  dedens  che  obéirent  a  Artu  par  le  congiet 
et  libéral,  Tarclievesque.  Lors  firent  aporter  les  chiers  avoirs  et  les 

grans  joiaus  pour  savoir  s'il  en  covoiteroit  nul.  Et  il 
demande  a  cheus  de  qui  il  estoit  acointes  de  quel  val- 
lanche  chascuns  estoit,  et  selonc  chou  qu'il  oi  dire  de 
chascun,  si  faisoit.  Quant  il  avoit  tout  pris  les  avoirs,  si 
les  deparloit  ensi  que  je  vous  ai  dit,  selonc  chou  que 


I .  dou 


MERLIN  145 

chascun  afferoit.  Ensi  donnoit  a  chascun  (f,  y4  ^)  chou 
que  plus  li  est[ov]oit. 


Cnsi  departoit  les  dons  c^om  li  dounoit  pour  lui  es- 
saiier,  ne  onques  nul  n'en  retenoit.  Et  quant  il  le  virent 
ensi  maintenir,  si  n'en  i  ot  nul  qui  ne  le  prisast  en  son 
cuer.   Et  bien   disoient  en  derrière  qu'il  seroit  de  haut 
affaire,  que  il  ne  veoient  en  lui  nule  convoitise  ne  nule 
mauvaisté,  que  si  tost  comme  il  l'avoit  pris  autressi  tost 
le  ravoit  il  emploiié  ;  ne  ne  voient  que  tout  si  don  ne  ne  font  plus  d'ob 
soient  regnaule  selon  chou  que  chascuns  iert.  Ensi  as-  jcction. 
saiierent  Artu  que  nule  mauvaise  teche  ne  porent  en  lui 
trouver.  Et  attendirent  jusques  a  le  Penthecouste.   Et 
quant  vint  a  la  Penthecouste,  si  s'assamblerent  tout  li 
baron  a  Logres,  et  essaiierent  a  l'espee  tout  cil  qui  es- 
sayer i  vaurrent,  ne  onques  ne  le  porent  avoir.  Et  li 
archevesques  ot  apparillié  le  couronne  et  le  sacre  a  le 
veille  de  le  Penthecouste  le  samedi  au  soir  devant  vies-    La  vciiic  de  la 
près.  Par  le  commun  conseil  et  par  l'acort  des  plus  des  Pentecôte,    rar- 
barons  fist  Tarchevesques  Artu  chevalier.  Et  celé  nuit  si  *^^^^^^"*^ 

•11      *  ,  .  1.         •  j  •  chevalier, 

veilla  Artus  a  la  maistre  église  dusques  au  demain  au 
jour  que  il  fu  ajorné.  Si  furent  mandé  tout  li  baron  et 
assamblé  a  la  maistre  église.  Et  parla  li  archevesques  a 
eus  tous  et  lour  (f,  74  <^)  dist  :  a  Signeur,  veschi  un 
homme  que  nostre  sires  nous  a  eslit  par  tele  élection 
coume  vous  veés  et  avés  veut  dès  le  Noël  en  encha,  que 
tout  cil  (qui  sont)  se  sont  essaiié  a  l'cspec  qui  essaiier  s'i 
vaurrent,  ne  onques  nel  pot  nus  avoir  fors  Artus  qui 
chi  est.  Et  veschi  les  vestcmens  roiaus  et  le  couronne 
par  le  commun  conseil  et  par  vos  bouches  '  mesmes.  Ore 
voel  je,  se  il  i  a  nul  de  vous  qui  contre  ceste  élection  soit, 
qu'i[i]  le  die.  »  Et  il  respondent  ensamble  :  «  Sire,  nous 
nous  i  acordons  bien,  et  volons  de  par  Dieu  que  il  soit 
rois  sacrés,  en  tel  manière  que  se  il  i  avoit  nul  de  nous 

r .  boins  10 


146  MERLIN 

viers  cui  il  euust  nule  maie  volenté  de  chou  qu'il  ont 
esté  contre  son  sacre  et  contre  s'election  dusques  a  hui, 
que  il  lour  pardoinst  a  tous  communaument.  »  Et  lors 
s*agenoillierent  et  crièrent  tout  communaument  merchi. 
Et  Artus  pleure  de  pitié  et  s'agenoille  viers  aus.  Et  dist  : 
€  Signeur,  je  le  vous  pardoins,  et  prie  a  cel  signour  ki 
ceste  hounour  m'a  consentie  a  avoir  qu'i[l]  le  vous  par- 
doinst. »  Atant  se  levèrent  et  prisent  Artu  entre  lour 
bras  et  l'en  menèrent  entre  lour  bras  ou  li  roial  vieste- 
ment  estoient  et  l'en  viestirent.  Et  puis  fu  11  archeves- 
ques  apparilliés  pour  la  messe  chanter,  et  dist  a  Artu  : 
«  Sire,  aies  querre  Tespee  et  (f.  7^  ^)  la  justiche  dont 
vous  devés  desfendre  sainte  église  et  la  crestiienté  gar- 
der. »  Lors  ala  la  porcessions  au  perron.  Et  puis  com- 
manda li  archevesques  et  dist  :  a  Artus,  se  tu  iés  teuls 
que  tu  voelles  jurer  a  Dieu  et  a  son  pooir  d'aidier  sainte 
eglyse  et  essauchier  et  tenir  loiauté  en  terre  et  pais  a  ton 
pooir  et  maintenir  droiture,  si  va  avant  et  pren  l'espee 
dont  nostre  sires  t'a  fait  élection.  »  Quant  Artus  ci  chou, 
si  pleure  de  pitié  et  maint  autre  baron,  et  dist  :  «  Aussi 
vraiement  comme  nostre  sires  est  Dieus  et  sires  deseure 
toutes  choses  qui  sont,  me  doinst  il  forche  et  pooir  de 
faire  et  de  maintenir  chou  que  vous  avés  [dit],  si  vraiement 
que  je  l'ai  en  talent.» 

et  le  sacre  le  jour  v-'RE  dist  li  contes  que  Artus  fu  agenoilliés  et  prist 
de  la  Pentecôte.  Pcspee  as  SCS  mains  jointes  et  le  leva  de  Penglume  aussi 
legierement  comme  se  elle  n'i  tenist  riens.  Et  lors  porta 
l'espee  entre  ses  mains  (et)  toute  droite,  et  le  menèrent  a 
Tau-f/.  ']5  ^>tel  et  il  le  mist  sus.  Et  quant  il  il  l'i  ot  mise, 
si  le  sacrèrent  et  oinsent  et  fisent  tout  chou  c'on  doit  faire 
a  roy.  Quant  Artus  fu  sacrés  et  la  messe  chantée,  s'e[n] 
assirent  dou  moustier,  si  esgarderent,  et  ne  virent  point 
del  perron,  et  ne  sorent  qu'il  fu  devenus.  Ensi  fu  Artus 
esleus  a  roi,  et  tint  la  terre  et  le  règne  de  Logres  lonc  tans 
a  pais. 


MERLIN  147 


RE  dist  que  un  mois  *  après  le  couronnement    un  mois  après 
le  roi  Artu  vint  a  une  grant  court  que  li  rois  Anu    tient    sa 
semonst  a  Carduel  en  Gales  la  feme  le  roi  ^°"''-  /^^  ^^^"^^ 
Loth  d'Orkanie,  serour  le  roi  (i  fu).  Mais  quoi  que  elle   "  !^°\ 

'  N         /  ~i  -1  y  vient  avec  ses 

fust  sa  suer,  [si]   n'en  savoit  elle  riens.  La  dame  vint  fiisGauvain,Ga- 
moult  richement  a  court  a  grant  compaignie  de  dames  et  heriet,  Agravain 
de  damoisieles.  Et  ot  avoec  li  grant  plenté  de  chevaliers.  etCuerrehis; 
Et  amena  avoec  li  quatre  fieus  que  elle  avoit  eut  dou  roi 
Loth,  qui  estoient  moult  bel  enfant  et  de  tel  aage  que  li 
ainsnés  n  avoit  que  dis  ans  seulement,  et  estoit  li  aisnés 
apiele's  Gavai ns  et  li  autres  Gahariès,  et  li  tiers  Aggra- 
vains  et  li  quars  Guerrehès. 


tnsi  vint  la  dame  a  court  o  tout  ses  enfans  qu^elle 
avoit  moult  chiers.  Et  elle  estoit  de  si  grant  biauté 
plainne  que  a  paines  peust  on  veir  ne  trouver  sa  pareille 
de  biauté.  Si  l'a  moult  (f.  y 5  ^)  houneree  li  rois  pour 
chou  que  elle  estoit  roine  couronnée  et  de  haut  lignage 
conme  dou  roy  Uter  Pandragon.  Moult  fist  li  rois  Artus 
grant  joie  de  ^  la  dame  et  moult  le  festia  et  li  et  ses  en- 
fans.  Li  rois  vit  la  dame  de  grant  biauté  plainne,  si  Artu,  ne  sachant 
l'ama  durement,  et  la  fist  demourer  en  sa  court  deus  P^s  qu'elle  est  sa 
mois  entiers.  Et  tant  qu'en  chelui  terme  il  gut  a  li  et  ^°^"'"' ^'^""^  ^^  ^ 

,.,,,  .^^  ^  ,/.  ^  d'elle     Mordrec, 

engenra  en  h  Mordrec,  par  cui  tant  grant  mal  furent  ^^j^^j^pj^^j^^J 
puis  fait  en  la  terre  de  Logres  et  en  tout  le  monde.  le  trahir. 


.Dorrr  conut  ^  li  frères  carneument  sa  serour   et 


I .  Le  manuscrit  ne  présente  pas  ici  d'autre  division  que  celle 
d'un  paragraphe  ordinaire  —  2.  uns  rois  —  3.  da  —  4.  conchiut 


148  MERLIN 

porta  la  dame  chelui  qui  puissedi  le  traist  a  mort  et  mist 
a  destruction  et  a  martyre  la  terre,  dont  vous  porrés  oir 
viers  la  fin  dou  livre.  Qant  la  dame  s'en  fu  ralee  en  son 
pais,  une  moult  grant  aventure  avint  au  roi  Artus,  [que  il 
Ji  a  bientôt  un  li  fu  avis]  en  son  dormant  qu'il  estoit  assis  en  une  kaiiere, 
songe  qai  j'in-  gj  comme  il  l'avoit  commandé,  et  deseur  lui  avoit  si  grant 
^"'*^**  plenté  d'oisiaus  que  il  s'esmiervilloit  dont  il  pooient  tout 

estre  venu.  Et  quant  il  ot  veut  celle  samblance,  se  li  fu 
avis  que  d'autre  part  revenoit  avolant  uns  grans  dragons 
et  moult  grans  plenté  de  griffons  avolant  et  aloient  parmi 
le  roiaume  de  Logres  et  a  mont  et  a  val  (f,  y 5  <^),  Et  par- 
tout la  ou  il  aloient  argoient  canque  il  encontroient,  et 
apriès  iaus  ne  demoroit  chastiaus  que  tous  ne  fust  ars  et 
destruis,  et  ensi  metoit  a  gast  et  a  destruction  trestout 
le  roiaume  de  Logres.  Et  quant  il  avoit  chou  fait,  il  re- 
venoit tantost  et  assailloit  lui  et  tous  chiaus  qui  avoec 
estoient,  si  que  li  serpens  ochioit  et  metoit  a  mort  tous 
chiaus  qui  avoec  le  roi  estoient.  Et  quant  il  avoit  chou 
fait,  il  couroit  sus  au  roi  trop  vilainnement.  Et  lors 
commenchoit  d'aus  deus  la  bataille  trop  dure  et  trop 
felenesse,  si  avenoit  que  li  rois  tuoit  le  serpent,  mais  il 
remanoil  trop  durement  navrés,  si  que  a  morir  l'en  con- 
venoit. 


Li  rois  ot  si  grant  paour  de  cest  songe  qu'il  s'en  es- 
villa  et  fu  tant  a  malaise  qu'il  ne  sot  quel  conseil  il 
peuust  prendre  de  soi,  que  onques  puis  toute  la  nuit  ne 
Le  lendemain  pot  dormir,  ains  pensa  tous  jours  a  ceste  chose.  A  Ten- 
iivaà  la  chasse;  demain  quant  il  fu  jours,  il  dist  as  ses  hommes  :  «  Ap- 
parilliés  vous  et  montés,  car  je  vaurrai  aler  cachier.»  Et 
quant  il  oirent  son  commandement,  si  le  firent.  Et  quant 
il  furent  apparillié,  li  rois  monta  sour  un  cheval  grant  et 
fort  (f.  j5  ^)y  viestus  d'une  roube  a  cacheour,  si  s'en 
parti  de  Carduel  a  moult  grant  compaignie  de  serjans  et 
de  chevaliers.  Et  quant  il  furent  entré  en  la  foriest,  il 


MERLIN 


149 


aqueillirent  un  cierf  grant  et  parcreu,  si  laissierent  les 
chiens  aler  après.  Li  rois  qui  bien  estoit  montés  com- 
mencha  a  sivir  le  chierf  devant  tous  ses  compaignons  et 
moult  se  hasta  d'aler  après,  si  que  il  les  ot  eslongiés  en 
petit  d'eure  plus  de  deus  liues  englesques,  si  que  il  ne 
les  vit  ne  ne  (les)  sot  quel  part  il  estoient. 


hîisî  fu  li  rois  eslongiés  de  ses  houmes,  et  keurt  après  u  perd  ses  hom- 
son  chierf  tant  com  il  puet.  Et  tant  le  cacha  en  tel  ma-  mes,  et  son  che- 
niere  que  li  chevaus  ne  le  pot  plus  soustenir,  ains  chai  ^^'  ^^^^^  "^^""^ 
mors  desous  lui.  Quant  il  se  senti  a  pié,  si  ne  sot  que  ^°"^  "'" 
faire,  car  si  houme  estoient  moult  loing  de  lui  et  dou 
chierf.  Et  li  chiers  en  va  grant  oirre,  si  que  li  rois  en  ot 
en  poc  d'eure  pierdu  la  veue,  si  s'en  vint  tout  a  pié  (a  pie) 
apriès  le  cierf,  car  il  cuide(nt)  bien  que  sa  gens  i  doivent 
venir  tout  a  tans  et  que  il  l'aient  pris  tout  certainnement. 
Et  li  rois  est  cheus  et  lassés  et  tressuans,  ne  ne  puet  en 
avant,  ainss'assietsour  une  fontainne.  Aussi  tost  comme     n  se  repose 
ff.  j6  ^)  s'est  assis,  il  commencha  a  penser  a  chou  qu'il  P^"  ^'""^  ^°"' 
ot  veut  la  nuit  en  son  dormant.  Et  en  che  qu'il  pensoit  il  ^^'"^' 
escoute  et  ot  uns  grans  glas  de  chiens  qui  faisoient  aussi 
grant  noise  que  se  il  fuissent  trente  ou  quarante,  et  ve- 
noient  viers  lui,  che  li  samble,  si  cuide  que  che  soient 
si  lévrier,  si  lieve  la  teste  et  commenche  a  regarder  celé 
part  dont  il  les  ot  venir.  Et  ne  demoura  gaires  que  il 
vit  venir  une  beste  moult  grant,  ki  estoit  la  plus  diverse  et  voit  venir  une 
qui  onques  fust  veue  de  sa  figure  qui  tant  estoit  estrain-  bctccirangc, 
gne  de  cors  et  de  faiture,  et  non  mie  tant  defors  comme 
dedens  son  cors  '. 


I.  //  manque  ici  quelque  chose;  cf.  Malory,  I,  ly  :  The  noise 
was  in  the  beasi's  bcUy  like  unio  the  qucsling  of  tbirty  couple 
hounds. 


iSO  MERLIN 


La  beste  vint  grant  oirre  a  la  fontainne  et  moult 
avoit  grant  talent  de  boivre.  Et  quant  Ji  rois  Tôt  bien  es- 
gardee,  si  se  commencha  a  saingnier  et  dist  a  soi  meis- 
mes  par  soi  :  «  Ore  vol  jou  les  gringnors  merveilles  que 
jou  onques  mais  veisse.  Car  de  si  divierse  beste  coume 
ceste  est  n'oi  jou  onques  mais  parler.  Et  se  elle  est  mier- 
villeuse  par  defors,  encore  est  elle  plus  miervilleuse  par 
dedens.  Car  je  puis  oir  et  connoistre  tout  apertement 
que  elle  a  dedens  son  cors  brakès  tout  vis  qui  glatissent. 
Onques  mais  ou  roiame  de  Logres  ne  furent  trouvées  ne 
veues  teus  {f,  y6  ^)  mierveilles.  » 

Ensi  dist  li  rois  de  la  beste.  Et  si  tost  comme  elle  ot 

dans  le  corps  de  commenchiet  a  boire,  le[s]  biestes  qui  dedens  li  estoient  et 

laquelle  jappent  glatissoient  s'acoisent  et  se  tinrent  coiement.  Quant  elle 

des  chiens.         ^^  ^^^  g^  £^  \ss\it  de  la  fontainne,  si  recommancierent  a 

glatir  autressi  comme  il  faisoient  devant.  Et  fisent  au- 

tretel  noise  comme  fesissent  vint    braket   apriès   une 

beste  sauvage.  Ensi  repaire  la  beste  de  la  fontainne  a 

grant  noise  et  a  grant  glatissement.  Li  rois  la  regarde 

toutes  voies,  si  esbahis  de  la  mierveille  que  il  vit  que  i} 

ne  savoit  se  il  dormoit  ou  se  il  veilloit.  Et  s'en  ^  ala 

grant  oirre,  si  que  li  rois  en  ot  tost  pierdue  Toie  et  la 

veue.  Et  quant  il  lot  pierdue,  il  recommencha  a  penser 

plus  qu'il  n'avoit  fait  devant.  Endementiers  qu'il  estoit 

Arrive  un  che-  en  si  grans  pensées  vint  devant  li  uns  chevaliers,  et  estoit 

vaiicr  qui  se  dé-  ^quI  a  pié,  et  dist*  :  «  Os  tu,  chevaliers,  qui  la  penses,  di 

&oie  d  avoir  per-  ^^^j  ^j^^^         •    ^^  demanderai.  »  Li  rois  lieve  la  teste  et 

du    son    cheval,         »        ,  ,.  .  ,.  o..  i  ,-  • 

sans  quoi  il  au-  ^^  ^^  chevalier,  SI  h  respont  :  «  Sire  chevaliers,  que  dé- 
fait atteint  la  bc- mandés  vous?  »  «  Je  vous  demant,  »  fait  li  chevaliers, 
te,  qu'il  suit  de-  «  sc  VOUS  veistes  par  ichi  passer  la  diverse  beste,  celé  qui 

puis  un  an. 

I.  Et  che  en  —  2.  uns  cheualiers  dist  et  est.  t.  a  p. 


MERLIN  ibl 

a  dedens  soi  les  glas  des  brakès?  »  a  Certes,  »  fait  li  rois, 
«  je  la  vi  vraiement,  ovenff.  y 6  <^;droit  estoit  elle  chi. 
Elle  ne  puet  pasestreeslongiedeus  liues.»  «  Ha!  Dieus,  n 
faitli  chevaliers,  «  que  tant  sui  mescheans  !  Seore  ne  fust 
mes  chevaus  (ore)  mors,  ataint  Teusse,  si  fust  ma  queste 
affinée.  Ha!  Dieus,  je  Tai  sivie  un  an  entier  et  plus  pour 
savoir  la  vérité  de  li.  » 


«  C-«ouMENT,  sire  chevaliers,  »  fait  li  rois,  «  si  l'avés 
si  longement  sivie?  »  «  Sire,  oil.  »  a  Et  por  coi,  biau 
sire?  Itant  vous  loeroie  jou  que  vous  le  me  desissiés, 
s'il  vous  plaisoit.  »  «  Certes,  »  fait  li  chevaliers,  «  che 
vous  dirai  jou  bien.  Il  est  voirs  et  nous  le  savons 
bien  que  ceste  beste  doit  morir  par  un  houme  de  mon 
parenté,  mais  il  convient  que  che  soit  li  mieudres  cheva- 
liers qui  doive  issir  dou  règne  et  de  nostre  lignage.  Ore 
est  il  ensi  que  on  me  tient  au  milleur  chevalier  de  nostre 
terre  et  de  toute  no  contrée.  Et  pour  chou  que  je  voloie 
counoistre  se  j'estoie  li  meudres  de  nostre  lignage,  pour 
chou  l'ai  jou  si  longement  sivie  et  [sui]  aies  après  lui,  si 
ne  Tai  mie  dit  pour  vantance  de  moi,  mais  pour  savoir 
la  vérité  de  moi  meesmes.  »  «  Ciertes,  »  che  dist  li  rois, 
€  assés  en  avés  dit,  sire  chevaliers.  Ore  vous  en  poés  aler 
quant  il  vous  plaira.»  a  A  pié?  »  fait  li  chevaliers;  «  ains 
attenderai  auchune  aventure  de  chevalier  ou  de  serjant 
qui  Dieus  amaintcha  (/.  76^)^  qui  son  cheval  me  voellc 
douner.  » 


Ln  che  qu'il  parloit  ensi  au  roi  venoit  uns  escuiiers  un  Ocuycr 
celé  part  montes  sour  un  grant  cheval  fort  et  isnicl  et  d'Artu  survenant 
aloit  le  roi  querant  au  plus  que  il  pooit.  Quant  li  rois  avec  un  dicvai, 
le  vit  venir,  il  li  dist  :  «  Descent  et  me  lais  monter  sour  '"^    ^^^   ^^'"^  '"^ 

,     ,  ,       .  ,      ,  .  ,  ,  .  .     ,         ,  .      ,        prendre  pour  sui- 

cel  cheval,  si  voel  aler  apncs  une  bicstc  qui  de  chi  s  en       ,  , .. 

'  '  *  vrc  la  bete,  mais 

vait.  »  «  Ha  î  sire,  »  fait  li  chevaliers,  «  vous  ne  fcrcs  pas  ic  chevalier  s'm- 


j52  MERLIN 

digne,  scmpare  (el  vilounie  que  VOUS  sour  ma  beste  vous  embatés  et  que 
du  cheval,  et  s'en  -.^  cachic  SI  loiic  tans,  mais  faites  que  courtois,  donnés 

va  ;   Artu  et  lui  '       .     ,         ,  ,       .  ^  .        ,   . 

se  promettent  de  ^^^  ^^®  chcval,  SI  me  remetcrai  en  ma  queste,  car  je  n  ai 
se  combattre  plus  que  demorer.  Et  se  je  par  le  defaute  de  vous  la  perdoie, 
urd.  la  honte  en  seroit  vostre  et  li  damages  miens.  »  «  Sire 

chevaliers,  »  fait  li  rois,  «  vous  avés  la  queste  tant  lon- 
gement  menée  que  assés  la  devés  laissier.  Ore  remanés, 
et  je  la  maintenrai  pour  vous  et  tant  que  Dieus  m'en 
doingne  l'ounour,  se  lui  plaist.  »  a  Coument  !  »  fait  cil, 
a  dans  mauvais  chevaliers,  si  vous  volés  embatre  seur  ma 
queste  a  force,  qui  tant  m''a  lassé  et  travillié?  Certes 
non  ferés.  »  Et  lors  traist  la  ou  il  voit  Tescuiier  et  le  jeté 
jus  dou  cheval  et  monte  sus  ains  que  li  rois  i  soit  venus. 
Et  lors  dist  au  roi  :  «  Dans  mauvais  chevaliers,  or  ne 
vous  sai  je  gré  se  je  m'en  vois  apriès  ma  beste.  Ore  re- 
manés, et  je  m'en  irai.  Et  saff.  y 7  «jc[i]és  se  je  vieng  en 
lieu,  je  vous  guerredonnerai  moult  bien  che  que  vous 
m'avés  fait,  que  vous  me  voliés  tollir  ma  queste.  Et  de 
che  seulement  que  vous  en  si  haute  queste  comme  ceste 
estoit  vous  voliés  entremetre,  de  che  vous  lien  ge  a  fol  et 
a  chaiiif.  Car  certes  vous  n'estes  pas  chevaliers  qui  de  si 
haut  affaire  se  doive  entremetre.  »  «  Chevaliers,  »  fait  li 
rois,  a  tu  me  diras  che  que  il  te  plaira  et  je  t'escouterai, 
mais  tant  sach(i)es  tu  bien  que  se  je  te  cuidoie  trouver  hui 
u  demain,  fust  près  ou  loing,  je  iroie  après  toi,  et  te 
mousterrai  au  branc  d'achier  que  je  sui  au  mien  espoir 
aussi  boins  chevaliers  comme  tu  iés  et  aussi  dignes  d'une 
grant  queste  coume  tu  iés.»  «  Il  ne  t'en  couverra  ja  gran- 
ment  chevauchier,  »  fait  li  chevaliers,  «  se  tu  me  veuls 
trouver,  car  je  demeure  tout  dis  en  ceste  foriest  pour  sivre 
ceste  beste.  »  a  Dont  te  creanc  je,  »  fait  li  rois,  «  que  ja 
mais  ne  serai  aise  devant  que  je  sace  et  que  j'aie  esprouvé 
li  quels  est  mieudres  chevaliers  de  nous  deus.  »  «  Quant 
tu  me  vaurras  trover,  »  fait  li  chevaliers,  «  si  vien  a 
ceste  fontainne.  Et  saces  que  se  tu  m'i  veuls  mètre  jour 
que  tu  m'i  trouveras,  car  il  n'est  nus  jours  que  je  n'i 


MERLIN  l53 


viegne.  »  «  Ore  t'en  pues  aler,  »  fait  li  rois,  «  car  je  ne 
quier  plus  savoir  de  ton  affaire.  » 


(f.  jj  ^]  Atant  s'em  parti  11  chevaliers  et  s'en  vait 
grant  oirre  celé  part  ou  sa  beste  s^en  estoit  alee.  Et  li  rois 
vint  a  rescuiier,  se  li  dist  qu'il  s'en  aille  et  li  amaint 
uns  autre  cheval.  Et  cil^  s'en  revient  grant  oirre  tout 
a  piet  la  ou  il  cuida  ses  compaignons  trouver,  et  li  rois 
remaint  illuec  touls  seus  et  recommanche  a  penser  aussi 
comme  il  faisoit  autre  fie.  Illuec  demoura  li  rois  grant 
pièce  tant  pensis  de  ces  aventures  ^  qu'il  avoit  le  jour  veues 
que  il  ne  [se]  savoit  preu  consillier.  Et  en  chou  qu'il  estoit 
si  pensis  si  vint  Merlins  devant  lui  en  samblance  d'un  survient  Mer- 
enfant  de  quatre  ans.  Il  connut  bien  le  roi  si  tost  li»  sous  la  forme 
comme  le  vit,  si  le  salue,  et  ne  fait  mie  samblant  qu'il  '^'"^  '^^^^"^  '^^ 
seuust  qu'il  fust  rois.  Et  li  rois  dreche  la  teste,  se  li  dist  :  '^"^^^^  *"^" 
«  Valeton[s],  Dieus  te  beneie  !  Qui  iés  tu?  »  Et  Merlins 
respont:  a  Je  sui  uns  valiès  d'estraignes  terres,  mais  moult 
m'esmerveil  que  vous  pensés  issi  au  chevalier,  que  ne  me 
samble  (f.  yj)  pas  que  nus  hom  qui  riens  vaille  doive 
penser  a  chose  dont  il  puet  bien  trouver  conseil.»  Li  rois 
regarde  Penfant,  si  s'esmierveille  de  chou  qu'il  parole  si 
sagement.  «  Enfes,  je  ne  quit  pas  que  nus  hom  fors  Dieus 
me  peust  consiUier  de  chose  que  je  pense.  »  «  Cier- 
tes,  »  fait  Merlins,  «  tu  ne  penses  chose  que  je  ne  sache, 
ne  ne  fesis  hui  chose  que  je  ne  seusse.  Sire,  que  vous 
estes  esbahis  pour  noient  !  Car  tu  ne  veis  chose  en  dor- 
mant qui  ne  viegne  a  avenir.  Ensi  plaist  il  au  créa- 
teur dou  monde.  Et  se  tu  as  veut  en  dormant  ta 
mort,  tu  ne  t'en  dois  pas  esbahir.  »  Et  quant  li  rois 
ci  Merlin  qui  ensi  parla ,  si  n'est  pas  mierveille  s'il 
en  fu  esbahis.  Et  Merlins  dist  encore  :  «  Pour  chou  que 
tu  aies  gringnour  merveille  te  deviserai  jou  que  tu  son- 

I.  sil  —  2.  de  cel  auenture 


l54  MERLIN 

gas  a  nuit.  »  «  Par  mon  chief,  »  fait  li  rois,  c  se  tu  chou 
me  pues  faire»  encore  [le]  terrai  jou  aplusgrant  merveille 
que  je  n'ai  hui  oies  ne  veues.  »  «  Et  je  te  dirai,  »  fait 
Merlins.  «  Lors  s'en  venras  a  grignour  pensée  que  tu  ne 
faisoies  devant.  » 


Lors  li  raconte  son  songe  tout  ensi  comme  li  rois 
Tôt  songiet.   Et  quant  li  rois  l'a  bien  entendu,  il  se 
sainne  de  la  merveille  qu'il  en  a,  si  respont  erraument  : 
«  Tu  n'iés  pas  hom  que  on  d(r)oie  croire,  mais  anemis. 
Car  par  sens  d'oume  ne  porroies  {f.  yj  ^)  tu  pas  savoir 
si  repostes  choses  que  tu  m'as  chi  devisees.  »  «  Por  chou 
se  je  te  devis  des  choses  [repostes],  »  fait  Merlins,  «  ne  pues 
tu  pas  dire  par  raison  que  je  soie  anemis.  Mais  je  te  prou  vé- 
role a  droit  que  tu  iés  dyables  et  anemis  Jhesucrist  et  li 
plus  desloiaus  chevaliers' de ceste  contrée.  Car  tu  iés  rois 
sacrés,  [et]  en  celé  honneur  et  en  celé  dignité  fus  tu  mis 
Il  dit  à  Artu  seurement  par  la  grasce  Jhesucrist 'non  par  autre.  Artus, 
qu'il  a  commis  un  j^  35  fait  si  trés  grant  desloiauté  que  tu  as  geu  carnel- 
pcciic  horrible  en  j^gj^^  ^^  ^^  serour  gcrmainnc  que  tes  perès  engenra  et  ta 

ayant  commerce  .  .  *  ^  t  •    •  1 

mère  porta,  si  i  as  engenre  un  ni  qui  lert  teuls  conme 
Dieus  set  bien,  car  par  lui  verra  moult  de  grant  mal  en 
terre.  » 


Atant  respont  li  rois,  trop  honteus  de  ceste  parole,  et 
dist  :  «  Anemis  drois,  de  chou  dont  tu  m'acuses  ne  pues 
tu  estre  certains,  se  tu  ne  ses  vraiement  que  j'aie  serour; 
mais  che  ne  pues  tu  savoir  ne  tu  ni  autres,  quant  jou 
meismes  ne  le  sai.  Ne  nus,  che  me  samble,  ne  puet  estre 
certains  de  ceste  chose  plus  comme  moi;  mais  je  n'en  sai 
riens.  »  a  Par  foi,  »  fait  Merhns,  a  tu  ne  dis  pas  voir.  Je 


I.  et  le  plus  desloial  cheualier  —  2.  en  ceie  dignité  de  la  grasc^ 
jhesucrist  seurement  tauoit  mis 


avec  sa  sœur, 


MERLIN  l55 

sui  mieus  certains  de  caste  chose  que  toi,  car  tu  meismes 
n'en  ses  riens.  Car  je  sai  bien  qui  fu  tes  pères  et  qui  fu  ta 
mère  et  [qui  sont]  tes  serours.  Et  (f.  jS  ^)  nonporquant 
il  a  grant  tans  que  je  ne  les  vi,  et  si  sai  bien  que  eles  sont 
sainnes  et  vives.  »  Lors  se  reconforte  moult  li  rois  de 
ceste  chose.  Et  nonporquant  il  ne  cuide  mie  que  cil  li 
die  vérité,  car  il  cuide  bien  que  che  soit  anemis.  Et  non- 
porquant il  li  dist  :  «  Se  tu  me  pues  certefiier  de  mon 
père  et  de  ma  mère  et  de  mes  serours,  et  me  fâches  con- 
noistre  dou  quel  lignage  je  sui  issus,  ja  ne  savras  de- 
mander chose  que  je  ne  te  doingne  pour  que  je  l'aie  en 
ma  baillie.  s>  o  Le  me  créantes  tu  comme  rois  ?  »  fait 
Merlins.  a  Car  bien  saces  se  tu  me  mentoies,  grignour 
mal  t'en  porroit  avenir  que  tu  ne  cuides.  »  «  Je  le  te 
creanc,  »  fait  li  rois,  «  loiaument.  »  «  Et  je  le  te  dirai,  » 
fait  Merlins,  «  et  t'en  ferai  certain  assés  prochaine- 
ment. 


0  Je  te  di,  »  fait  Merlins,  «que  tu  iés  geniieus  hom 
et  de  si  haut  lignage  conme  fieus  de  roi  et  de  roine.  Et 
fu  tes  pères  preudom  et  boins  chevaliers.»  «  Coument  !  » 
fait  li  rois,  «  sui  jou  dont  si  gentius  hom  comme  tu  dis? 
S'il  estoit  ensi,  je  ne  fineroie  jamais  ne  averoie  gran- 
ment  de  repos  devant  que  je  avroie  mis  en  ma  subjec- 
tion  la  gregnour  partie  dou  monde.  »  «  Certes,  »  fait 
Merlins,  «  il  ne  demourra  mie  pour  chou  que  tu  n'aies 
assés  gentillece.  Ore  garde  que  tu  en  feras.  Car  se  tu 
iés  aussi  preu(/.  yé^f'Jdom  comme  tes  pères  fu,  tu  ne 
perderas  ja  terre,  ains  en  conquerras  assés.  »  «  Et  com- 
ment, »  fait  li  rois,  «  ot  non  mes  pères?  Che  me  pues  tu 
bien  dire.  »  «  Certes,  »  fait  Merlins,  «  il  ot  a  non  Uters  et  lui  rcvèic  qu'il 
Pandragons  et  fu  sires  de  toute  ceste  terre.  »  «  En  non  ^^^  fi'=^  dLicr. 
Dieu,  »  fait  li  rois,  a  se  chis  dont  tu  m'aparoles  fu  mes 
pères,  je  ne  puis  faillir  a  cstrc  preudom.  Car  de  chclui  ai 
jou  tant  oi  parler  que  je  sai  bien  que  il  fu  si  preudom 


l56  MERLIN 

que  il  ne  peust  pas  issir  [de  lui]  malvais  oirs,  se  mierveilles 

ne  fust.  Et  ciertes  se  il  estoit  bien  voirs,  si  le  creroient  ja 

moult  envis  li  preudomme  de  cest  pais.  »  t  Je  lour  ferai 

a  savoir  si  bien,  »  fait  Merlins,  «  qu'il  en  seront  tout 

bien  certain,  anchois  que  chis  mois  soit  passés,  si  que  il 

connisteront  de  voir  que  tu  fus  fieus  Uter  Pandragon  et 

la  roine  Igerne[estJ  ta  mère.»  t  Mierveilles  me  dis,»  fait  li 

rois,  «  si  k'a  painnes  t'en  querroie  jou,  se  te  dirai  pour  coi. 

Se  je  fuisse  lieus  de  chelui  que  tu  me  dis,  on  ne  m'eust 

pas  mis  en  la  main  d'un  tel  vavassor  comme  chis  est  qui 

me  norri,  et  si  ne  fuisse  pas  si  mesconneus  comme  je  sui. 

Car  il  ne  puet  pas  estre  que  cil  qui  me  norri  ne  me  con- 

neust,  et  il  meismes  me  dist  que  il  n'estoit  pas  mes  pères, 

et  que  il  ne  savoit  qui  j'estoie.  Et  tu  qui  iés  uns  estranges, 

comment  (/.  76*  <^)  puet  chou  estre  que   tu  en  saches 

mieus  la  vérité  que  cil  entour  qui  j'ai  esté  tout  mon 

eage?  »  «  Se  je  ne  t'ai  dit  vérité,  »  fait  Merlins,  «t  de  can- 

ques  tu  as  chi  oi,  ne  me  ren  pas  chou  que  tu  me  dois.  Et 

saches  que  je  ne  le  te  disoie  pas  pour  despit  de  ti  ne  pour 

haine,  mais  pour  chou  que  je  t'aing.  Et  si  t'ai  tel  parole 

orendroit  dite  que  ja  mais  ne  sera  par  moi  descouverte, 

et  saches  (le)  vraiement  que  je  le  cèlerai  aussi  bien  conme 

tu  meismes  :  c'est  dou  pechié  de  ta  serour  a  qui  tu  as 

geu  carneument,  ensi  comme  je  t'ai  dit.  Si  ne  (te)  cèlerai 

mie  autant  pour  l'amour  de  toi  ceste  chose  conme  pour 

l'amour  de  ton  père  qui  moult  m'ama,  et  moult  fist  pour 

moi  et  je  pour  lui.  »  «  Dis  tu  ceste  chose  pour  voir?  » 

«  Oil,  certes,  »  fait  Merlins.  «  En  non  de  Dieu,  »  fait  li 

rois,  «  ore  te  di  je  dont  que  d'ore  en  avant  ne  te  querrai 

Artu  refuse  de  je  mais  de  chose  que  tu  me  dies.  Car  tu  n'es  mie  de 

croire  cet  enfant,  Paage  que  tu  peulsses  onques  avoir  veut  mon  ^  père,  se  che 

qui  dit  avoir  été  ^^  (j^ers  Pandragons,  pour  coi  il  ne  pot  onques  riens 
l'ami  de  son  père.  ^  °        '   ^  .    _  1 

faire  pour  toi  ne  tu  pour  lui.  Et  pour  chou  te  requier 
jou  que  tu  t'en  ailles  de  chi,  que  après  ceste  menchoinge 

I.  ton 


MERLIN  I  5  7 

si  aperte  que  lu  me  veus  faire  acroire  pour  vérité  ne  (le) 
quier  jou  plus  avoir  la  compaignie  de  toi.  m 


'  (f-  7^^)  VOUANT  Merlins  entent  ceste  parole,  il  fait  Merlin  s'c- 
samblant  que  il  soit  moult  courechiés  et  se  part  errau-  '°*8"e»  puis  re- 
ment dou  roi  et  se  met  tantost  en  la  foriest  la  ou  il  la  vit  p^'^^'^J^"^  ^  ^~ 

.    gure  d  un  vieil- 

plus  empressée.  Et  lors  canga  la  samblance  que  il  avoit  ^^^^^ 
adont  et  prent  la  forme  d'un  viel  home  et  anchiien  de 
Taage  de  quatre  vins  ans,  si  feble  par  samblance  k'a  pain- 
nes  pooit  il  aler.  Et  fu  viestus  d^une  grise  roube.  En  tel 
abit  vint  devant  le  roi,  si  ot  samblant  de  sage  homme.  Et 
salue  le  roi  aussi  que  s'il  [ne]  le  conneust,  et  li  dist  :  «  Dieus 
vous  gart,  sire  chevaliers,  et  vous  doinst  vostre  pensé  bien 
mener  a  cief.  Car  il  m^est  avis  que  vous  n'estes  pas  bien 
aise.  »  «  Dieus  le  face,  sire  preudom,  »  fait  li  rois  ;  «  car 
ciertes  jou  en  aroie  boin  mestier.  Et  venés  vous  seoir,  s^il 
vous  plaist,  avoec  moi,  tant  que  mes  escuiiers  viegne.  » 
Et  lors  s^assiet  Merlins  d'encoste  lui  et  commenchent  en-  et  s'entretient 
tr'aus  deus  a  parler  de  maintes  choses,  si  trueve  li  rois  ^^cc  le  roi. 
Merlin  si  sage  en  toutes  les  choses  qu'il  enquiert  qu'il 
s'esmierveille  tous.  Et  lors  li  dist  Merlins  :  «  Queleochoi- 
sons  vous  faisoit  penser  si  durement, quant  je  vi(e)ng  chi  ?  » 
«  Sire  preudom,  »  fait  li  rois,  «  onques  hom  de  mon  aage 
ne  vit  autant  {f.  jg  ^)  de  mierveilles  en  un  pau  de  tans 
ne  n'oi  onques  que  j'ai  eut  en  dormant  et  en  veillant  puis 
ersoir.  Et  la  chose  que  je  tieng  a  plus  grant  mierveille, 
si  est  que  uns  enfes  de  petit  aage  vint  orendroit  a  mi  qui 
me  dist  teuls  paroles  que  je  ne  cuidaisse  pas  que  nus  hom 
morteus  seuust  fors  mi  seulement.  »  «  Sire,  »  fait  li  preu- 
dom, a  de  chou  ne  vous  devés  vous  pas  miervillier,  que  il 
n'est  nule  si  celée  chose  que  elle  ne  soit  descouverte.  Et  se 
la  chose  estoit  faite  desous  terre,  si  en  seroit  la  vérités  seue 
deseure  terre.  »  Lors  dist  Merlins  au  roi  :  «  Sire,  pour 
Dieu,  ne  soiiés  a  malaise  ne  ne  pensés  tant,  mais  dites 
moi  que  vous  avés.  Et  je  vous  en  consillerai  en  tel  ma- 


l58  MERLIN 

niere  que  vous  vous  terré[s]  a  assené  de  toutes  les  choses 
dont  vous  estes  en  doutance.  » 


Li  rois  regarda  le  viel  houme,  se  li  fu  avU  qu'il  es- 
toit  moult  sages  hom  et  a  la  chiere  de  lui  et  as  paroles 
qu'il  entent,  si  pense  qu'il  li  dira  partie  de  son  affaire  et 
partie  l'en  chelera.  Et  lors  li  conmenche  a  conter  son 
songe  tout  ensi  conme  li  contes  a  devisé.  Et  li  dist  la  vé- 
rité de  la  beste  et  dou  chevalier.  Et  quant  il  li  ot  conté 
tout  chou  quil  li  plot,  Merlins  li  respont  :  a  Sire,  de 
et  lui  explique  {f.  'j  ()  V  ccst  souge  VOUS  aiderai  je  quant  je  porrai  sans 
son  songe  :  un  moi  mesfaire.  Sachiés  que  vous  tornerés  a  dolour  et  a  es- 
chevaiier  qui  est  g-j        ^^  chevalier  qui  est  engenrés,  mais  il  n'est  encore 

conçu  mais  non         ^     ,      _^  ,  •         •  , 

encore  ne  causera  P^^  ^^^*  "^^  ^^^^  ^^^^  roiaumcs  en  Sera  dcstruis,  et  11  preu- 
sa  perte  et  celle  domme  et  li  bolu  chcvalicr  dou  roiame  de  Logres  en  se- 
du  royaume  de  ront  detreuchict  et  ochis.  Et  li  pais  en  remanra  or- 
Logres.  phcuins  de  boins  chevaliers  que  tu  i  verras  a  ton  tans. 


«  Ensi  remanra  ceste  terre  déserte  par  les  oevres  de  che- 

lui  pecheo(i)r.»  a  Certes,  »  faitli  rois,  «  s'ilavi[e]nt  ensi 

conme  vous  me  dites,  trop  sera  chis  domages  outrageus, 

et  mieus  vaurroit  ^  ore,  che  m'est  avis,  et  gringnour  au- 

mosne  seroit  que  celé  chaitive  personne  et  chis  chaitis 

cors  qui  doit  naistre  fust  destruis  si  tost  comme  il  naistera 

que  tant  de  grans  maus  avenissent  par  lui.  Et  puis  que 

vous  m'en  avés  tant  dit,  il  ne  puet  estre  que  vous  ne  sai- 

chiés  bien  quant  il  naistera  et  de  qui,  si  vous  pri  que 

Merlin  refuse  VOUS  me  le  dites,  Car  ja  si  tost  ne  naistera  sour  terre  que 

de  faire  connaître  je  le  ferai  ardoir,  s'il  plaist  a  nostre  signour  que  je  sache  la 

»oU  nié'*^"'^''*^'''  ^^^^^^  ^^  s^  naissance.  »  «  Certes,  »  fait  Merlins,  «  ja,  se 

Dieu  plaist,  la  créature  nostre  signour  ne  rechevra  (f,  y  g  ^) 

ja  par  moi  mal.  Car  comment  qu'il  soit  trechieres  viers  la 

I.  vaurront 


MERLIN  1 59 

fin,  tant  conme  il  sera  innocent  seroit  il  desloiaus  qui 
Pochiroit.  Et  je  vousdi  que  je  me  senc  si  cargiet  de  mon 
pechiet  et  si  coupable(s)  a  nostre  signour  que  ja,  se  Dieus 
veult,  ceste  desloiauté  ne  ferai  que  enfes,  créature  noient 
nuisant,  reçoive  '  mort  par  mon  conseil.  Ne  ne  m'en  re- 
querés  pas,  que  de  che  ne  feroie  je  nient.  »  «  Dont  haés 
vous  cest(e)  regnet  rop  mortelment,  »  fait  li  rois,  «  et  si  vous 
mousterrai  comment.  Vous  dites,  et  je  le  croi  bien,  que 
par  un  chevalier  sera  li  roiames  de  Logres  désertés  et  tor- 
nés  a  destruction.  En  ne  vaurroit  il  dont  mieus  que  cil 
par  cui  ceste  grant  dolour  venra  fust  destruis  seus,  que 
tant  de  gent  morussent  par  ses  oevres  ?»  «  Oil  voir,  »  fait 
Merlins,  «  mieus  vaurroit  sa  mors  que  sa  vie.  ï>  «  Dont 
vous  di  jou,  »  fait  li  rois,  «  mieus  vaut  ^  que  vous  le  nous 
dites,  de  qui  il  naistera,  que  vous  le  nous  celés,  car  par  le 
descouvrir  porra  estre  la  terre  garandie  et  par  le  celer 
perdue.  »  t  Sire,  >  fait  Merlins,  «  [je  cuit  bien]  que  li 
descouvrirs  ^  vaurroit  mieus,  qui  vaurroit  garder  au  preu 
de  la  terre.  Mais  quel  chose  que  la  terre  i  gaaignast,  jou 
i  perderoie  trop.  Car  je  i  perderoie  Tame  de  moi,  dont 
il  m'est  ore  plus  que  (f.  yg  <^)  de  tout  che  pais.  Et 
pour  chou  le  vous  cèlerai  jou.  Je  voel  mieus  m'ame  sau- 
ver que  la  terre.  »  k  Itant  me  poés  vous  bien  dire,  »  fait 
li  rois,  €  quant  il  naistera  et  en  que[I]  lieu.»  Et  Merlins 
commenche  a  sorrire  et  li  dist  :  «  Par*  chou  le  quides  tu 
trouver.  Mais  non  feras,  car  a  nostre  signeur  ne  plaist 
mie.  »  «  Ciertes,  »  fait  li  rois,  a  si  ferai.  Se  je  sai  Teure 
de  son  naistre  et  le  pais  ou  il  naistera,  ja  ceste  terre  ne 
sera  destruite  par  lui,  car  je  le  desavancherai.  »  «  Et  je 
le  te  dirai,  »  fait  Merlins,  t  et  si  i  faurras  dou  tout.  Sa- 
ches qu'il  naistera  le  premier  jour  de  may  et  ou  roiame 
de  Logres.  j»  «  Est  che  voirs?  »  fait  li  rois.  «  Oil,  che 
saches  tu,  »  fait  Merlins.  a  Et  je  m'en  tairai  a  tant,  » 
fait  li  rois,  <c  que  ja  plus  n'en  demanderai.  Mais  or  me 

I.  recueure  —  2.  vint  —  3.  celers  --  4.  Por 


l60  MERLIN 

redi  plus  :  de  tout  chou  que  je  te  demanderai  me  dois 
tu  assener. 


Quant  à  la  w-     a  JN  *A  pas'gramment  que  chi  vint  une  beste  la  plus  di- 
te, elle  a  trait  yierse  dont  jou  oisse  onques  parler,  divierse  de  fachon  et 
aux  aventures  du  gs^-^nge^  g^  avoit  dedens  soi  bestes  qui  glatissoient.  Et 
che  me  samble  songes,  car  il  m'est  bien  avis  que  nule 
créature  terriiene  puisse  mètre  sa  vois  fors  tant  que  elle 
soit  au  ventre  de  sa  mère.»  «  Certes,  »  fait  Merlins,  «  se 
tu  en  iés  esbahis,  je  ne  m'en  {f,  80  •^)  esmierveil,  que 
sans  faille  c'est  mierveille  a  oir  et  a  veir.  »  «  Or  me  di,  » 
fait  li  rois,  «  que  chou  est.  >    «  Che  est,  »  fait  Merlins, 
«  une  des  aventures  dou  graal.  Si  ne  t'en  pu  je  plus 
dire,    car  a  mi   n'en   affiert  plus  :    plus  preudom  que 
et  clic  sera  expii-  jg  ^e  sui  le  te  dira.  »  «  Et  qui  est  il?  »  fait  li  rois.  «  Il 
quée  à  u^e""  par  j^'gst  eucore  pas  cngeurés  ne  nés,  »  fait  (li  rois)  Merlins, 

Perccval  le  Ga-  .    .,  ^        ,   ^.  '        ,     -X     ■  ^,  i.- 

lois,  le  chevalier  «mais  il  sera  prochainnementengenres.  Et  si  1  engend[er]- 
vicrge,  qui  sera  «  Ta,  fait  il  ^  li  chevaliersquc  tu  veis  qui cachoit  la  beste.» 
le  6is  du  cheva-  Lors  dist  li  rois  a  Merlins  :  «  Ses  tu  que  je  l'aie  veut  ?  » 
hcr^  qui  chasse  ^  jg  jg  g^^j  j^jg^j^  ^  ^^^^  -j^  ^  g^  ^gg  convenances  qui  sont 

entre  vous  deus  sai  ge  toute  la  vérité.  »  «  Ore  me  di,  »  fait 
li  rois,  «  quels  chevaliers  est  il?  »  «  Tu  le  savras  bien,  » 
fait  Merlins,  «  se  tu  Tassaies  au  jouster.  Ne  ja  plus  ne  te 
dirai  de  lui  a  ceste  fie,  mais  tant  te  di  ge  de  la  beste  que 
tu  n'en  savras  ja  la  vérité  de  l'aventure  devant  que  cil 
qui  de  cestui  istera  le  te  fera  connoistre.  Et  cil  avra  non 
Percheval  li  Galois,  pour  chou  que  de  Gales  sera  nés,  et 
sera  uns  des  boins  chevaliers  dou  monde  et  gracieus  viers 
nostre  signeur,  qu'il  gardera  sa  virginité  si  seurement  et 
si  miervilleusement  qu'il  istera  de  famé  vierges  et  en  sa 
,  mère  enterra  vierges.  Ceste  viertu  avra  li  chevaliers  qui 

de  ceste  besie  te  dira  l'aven^/.  80  ^Jture.  Et  ja  n'en  seras 
assenés  devant  que  il  le  te  die.  » 

I.  li  fait 


MERLIN  l6l 


«  iln  non  Dieu,  »  fait  li  rois,  <  assés  me  converra 
dont  attendre,  s'il  est  ensi  comme  tu  me  dis.  »  «  Ensi 
sera  il,  >  fait  Merlins.  «  Et  tu  k'en  ses?  »  fait  li  rois. 
«  Es  tu  dont  si  certains  des  choses  qui  sont  a  avenir?  x^ 
«  Oil  voir,  »  fait  Merlins  ;  «  ceste  grasce  m^a  Dieus 
otroiie  la  soie  mierchi.  »  «  Puis  que  tu  des  choses  a 
avenir  iés  certains,  »  fait  li  rois,  «  moult  deveroies  bien 
savoir  celés  qui  ont  esté  faites  a  ton  tans.  »  »  Certes,  » 
fait  Merlins,  a  si  sa  ge.  Pau  a  on  fait  des  choses  en  che 
pais  puis  que  je  sui  nés  qui  a  retraire  fâchent  que  je  ne 
sace  tout  vraiement.  »  «  Dont  me  savras  tu,  »  faitli  rois, 
a  a  dire  d'une  chose  dont  je  moult  désire  a  savoir.  »  «  Je 
le  te  dirai,  »  fait  Merlins,  «  car  je  sai  bien  que  tu  me 
veuls  demander.»  a  Tu  le  ses?  »  fait  li  rois:  «  encore  ne 
le  t'ai  je  pas  dit.  Comment  puet  chou  estre?  »  «  Tu 
verras  bien,  »  fait  Merlins,  )>  se  je  le  sai.  Ore  te  tais  un  peu 
et  si  escoute.»  Lors  li  dist  :  «  Tu  me  veuls  demander  :  qui  i^jernn  ^^^  ^^_ 
fu  mes  pères  ?  Et  tu  ne  cuides  pas  que  nus  le  sace  puis  suite  au  roi  qu'il 
que  tu  ne  le  ses.  Mais  si  font  aucun.  Et  si  te  ferai  •"'f'^'"^'-o""^»^''c. 
connoistre  que  je  le  sai.  Et  a  cheus  de  che  pais  ferai  je  ^'"^'  .'^"'^  ^°"*' 

^   .    r  ,  ,.,  '     de  qui  il  est  fils. 

connoistre  qui  fu  tes  pères,  pour  chou  qu  il  en  sont  en 
doutanche.  » 


(f.  80  <=)  Li  rois  dreche  sa  main  et  se  saingne  de  la 
grant  mierveille  qu'il  a  oie,  si  dist  a  Merlin  :  «  Tu  me 
lais  merveillier  de  teus  paroles,  que  tu  me  dis  chou  que 
je  pense,  ne  je  ne  cuidaissc  pas  que  nus  hom  fors  Dieus 
peust  che  faire.  Pour  chou, se  il  teplaist,sueffre  que  jeté 
connoisse,  et  me  di  comment  tu  as  non.  Et  se  il  [te]  plaist 
remanoir  en  ma  compaignie,  il  n'est  riens  que  tu  me 

r  ,  7  . .        Il   Uii  apprend 

requières  que  je  ne  face  pour  le  grant  sens  dont  lu  les  ^,^^,^^^.^     -|,  ^.^^ 
garnis.  »  «  Rois,  »  fait  Merlins,  «  je  sui  chius  qui  ne  me  Merlin, 

II 


102  MERLIN 

cèlerai  jamais  viers  toi.  Saches  que  je  sui  Merlins  lî 
boins  devins  dont  tu  as  tantes  fois  oi  parler.  » 


Ore  dist  li  contes  que  quant  li  rois  ot  ceste  parole, 
il  est  tant  liés  que  nus  hom  plus,  si  tent  les  bras  a  Mer- 
lin et  li  di(s)t  :  «  Ha  !  Merlins,  puis  que  tu  iés  cil  dont 
tout  li  sage  dou  siècle   parolent,  je  ne  te  mesquerrai 
ja  mais  de  parole  que  tu  me  dies.  Pour  Dieu,  se  tu  me 
veuls  mètre  [a]  aise,  certe(/.  80  ^;)fie  moi  de  chou  dont  je 
puis  loi  révèle  sa  sui  en  si  grant  doutance.  »  «  Volentiers,  »  fait  il  ;  «  je  te 
naissance  d'Uter  di  de  voir  que  li  rois  Uters  Pandragons  fu  tes  pères  et 
Pendragonetd'i-  t^engenra  en  Ygerne,  mais  elle  n'estoit  mie  encore  roine.» 
gernc,  Adont  li  cont(r)e  par  quel  decevanche  il  jut  '  a  li  premiè- 

rement. «  Et  quant  je  soi  que  tu  dévoies  naistre,  je  te  de- 
mandai a  ton  père  en  don.  Et  il  dist  que  volentiers  tedon- 
roit  a  moi,  por  chou  qu'il  savoit  bien  que  je  l'amoie  de 
grant  amour.  »  Apriès  li  conte  la  vie  de  lui  et  l'afaire  et 
comment  il  le  fist  norrir  dou  lait  dont  Ké[s]  devoit  estre 
norris,  et  tout  li  conte  canques  il  estoit  avenu  d'Uter 
Pandragon  etd'Ygerne,  tout  ensi  conme  li  contes  l'a  ja 
comme  monsei-  devisé.  Ne  mes  sires  Robiers  de  Borron  ne  veult  mie 
gncur  Robert  de  racoutcr  chou  qu'il  a  autre  fois  dit,  car  il  ne  veult  mie 
Borron  l'a  déjà  croig^rg  son  livre  de  tais  paroles,ains  ti[e]nt  la  droite  voie 

raconté.  , . 

et  dist  : 

Artu  voudrait  VOUANT  H  rois  Ot  oi  loute  sa  uaissauce  et  son  estre,  îl 
cacher  à  tous  le  ^ist  a  Merlin  :  «  Merlins,  tu  amas  moult  mon  père  et 
péché  qu'il  a  corn-  ^^^j^  j-  ^^^  loiaus,  et  il  ne  t'amoit  mie  petit.  Tu  ses  de 

mis  avec  sa  sœur;  r  •  i  «i     i  i        rx  t-.* 

mais  il  n'y  a  pas  ^^^^  afaire  plus  que  tout  Cil  dou  monde.  Pour  Dieu, 

moyen.  consllliés  moi  comment  je  porroie  celer  mon  pechié  de  la 

feme  le  roi  Loth  que  jou  ai  carnelment  conneue.  Chc 

ne  te  puis  je  celer,  car  je  sai  bien  que  tu  le  ses,  ne  je  ne 


I-  )"g 


MERLIN  l63 

vaurroie  (f.  8i  ^)  pour  riens  que  li  mondes  le  seust 
ensi  comme  il  m'est  avenu.  »  «  Se  je  t'ensegnoie  a  celer 
cel  pechié,  »  fait  Merlins,  «  si  pecheroie  mortelment. 
Car  tel  troi  le  sevent,  cil  qui  mieus  sont  de  ta  chambre, 
qu'il  converroit  primes  a  morir,  ne  tresque  la  ne  te 
consilleroie  pas.  Mais  de  che  que  tu  saces  et  li  peuples 
sace  que  tu  iés  fieus  Uter  Pandragon(s)  m'entremeterai 
je  tant  que  je  lour  face  apertement  connoistre.  »  «  Je  ne 
demantplus  a  toi,  »  fait  li  rois,  «  car  adont  m'averoies 
tu  trop  servi.  » 


Endementiers  qu'il   parloient    ensi    de   ceste  chose,     Leshommesdu 

vinrent  celé  part  li  homme  le  roi  qui  l'aloient  querant  ro»  le  rejoignent, 

par  mi  la  foriest.  Et  quant  il  troverent  lor  signour,  il  en  '^^  °"  retourne  à 
f  1    •  •  1-  !•  '1  11       •       ^  •    Carduei.  Sui  ra- 

turent moult  joiant  et  li  disent  que  il  Tavoient  trop  quis  ^.^  ^^  i\<^x\\\\ 

et  a  mont  et  a  val.  Li  rois  monte  maintenant  sour  un  sien  Artu    convoqué 

cheval,  et  fist  monter  Merlin  sour  un  autre,  si  s'en  tor-  tous  les  barons  à 

nerent  erraument  a  Carduei.  Et  Merlins  ala  toutes  voies  ^acour. 

consillant  au  roi,  et  li  ensegnoit  comment  il  fera  que  li 

homme  dou  roiaume  savront  vraiement  qu'il  fu  fieus 

Uter  Pandragon.  «  Et  je  voel,  »  fait  il,  «  que  vous  mandés 

entour  ceste  jusques  a  trois  jornees  a  tous  vos  barons 

qu'il  soient  de  diemenche  en  uit  jours  a  vostre  court, 

et  amaint  chascuns  avoec  soi  sa  moillier.  Et  autrcssi 

ferés  %2i(8i  ^^voir  a  la  roine  Ygerne,  et  li  mandés  que 

elle  amaint  avoec  soi  Morgain  sa  fille.  Et  lors  quant  elle 

sera  venue  etli  haut  baron  seront  assamblé  en  vostre  sale, 

je  ferai  itant  a  l'aiue  de  Dieu  que  je  li  ferai  connoistre 

que  vous  estes  ses  fieus.  »  Et  li  rois  dist  quMl  ne  quiert 

plus,  a  Si  médites,»  fait  Merlins:  a  que  cuidiés  vous  qui 

che  fust  qui  parloir  ier  a  vous  a  la  fontainne  en  samblance 

de  jovenchiel  ?»  «  Je  n'en  savoie  que  cuidier,  »  fait  li  rois, 

«  mais  or  pense  jou  bien  que  che  fustes  vous ,  car  j'ai 

maintes  fois  oi  dire  que  vous  mués  vostre  samblance  en 

tel  couleur  que  vous  volés,  vostre  forme  en  tel  samblance 


164  MERLIN 

qu'il  VOUS  plaist.  Et  pour  chou  ne  croi  je  mie  que  che 
fust  autres  que  vous  meismes.  »  «  Certes,  »  fait  Merlins, 
«  che  fui  je  vraiement.  Et  tout  ensi  que  vous  en  avés  esté 
decheus  fu  vostre  mère  decheue  par  samblance  le  nuit 
que  vous  fustes  engenrés.  Car  elle  quidoit  dou  roi  Uter 
Pandragon  que  che  fust  ses  sires  qui  a  li  geust.  » 


Tant  ont  parlé  en  tel  manière  qu'il  vinrent  en  la 
chité,  et  descendi  li  rois  en  sa  court  et  fist  Merlin  descen- 
dre et  l'en  mena  avoecques  lui  en  son  palais,  si  li  fist 
moult  grant  joie  et  moult  grant  feste.  Et  maintenant 
transmist  ses  briés  a  tous  ses  barons  qu'i[l]  fuissent  au 
jour  déterminé  a  sa  court  a  Carduel  (81  <=).  Ne  n'oublia 
pas  qu'il  n'envoiast  son  propre  message  a  la  roine 
Ygerne,  que  elle  ses  propres  cors  i  fust,  ne  n'i  envoiast 
autrui  por  li,  et  amenast  avoecques  li  Morgain  sa  fille. 


t  NSI  furent  mandé  li  un  et  li  autre  a  la  court  a  Carduel. 
Et  il  s'esmervillierent  moult  pour  coi  li  rois  les  mandoit; 
si  i  vinrent  li  un  [et  li  autre]  por  chou  qu'il  voloient  oir 
qu'il  diroit.  Quant  la  roine  Yeerne  oi  que  li  rois  leman- 

Igerne  s'y  rend    J    .  ,,  ,  ,.,  ,.       *    .  ,. 

avec  son  gendre  ^^^^  ^  court,  elle  ot  paour  k  il  ne  11  vausist  tolir  sa  terre 
le  roi  Loth  et  ses  et  dou  tout  desirctcr,  si  manda  le  roi  Loth  et  sa  fille  et 
parents,  uifin  et  tout  sou  autrc  parenté  a  venir  a  court  a  li,  et  que  se  li 
Auctor    y  sont  j.Q-g  jj  voloit  faire  tort  par  auchune  aventure,  il  li  aide- 

Aussi. 

roient  a  tout  lour  pooir.  Merlins  manda  Urfin  qu'il  ve- 

nist  a  court,  et  chil  i  vint  si  tost  que  il  sot  que  Merlins 

i  estoit,  si  en  fu  moult  liés  et  moult  li  fist  grant  joie 

quant  il  le  vit.  Li  rois  fist  venir  Auctor  a  court.  Et  quant 

il  i  fu  venus,  Merlins  prist  Auctor  et  Urfin  ensamble  et 

dist  a  Urfin  :  «  Tu  ses  bien  que  Uters  Pandragons  me 

donna  sen  premier  oir  a  faire  ma  volenté.  »  «  Voirs  est,  » 
Merlin  s'entend  r  -^  n  n  •        •  l-       1     -  -t  r        »      ^       vi 

avec  eux  ^^^  Urfins  :  a  je  sai  bien  le  jour  que  il  fu  nés  et  qu'il  vous 

fu  bailliés.  »  «  Et  vous,  »  fait  il  a  Auctor,  a  savés  qui  vous 


MERLIN  l65 

bailla  Artufs)?  »  Et  Auctors  regarde  (8i  ^)  Merlin,  se  li 
respont  :  «  Vous  le  me  baillastes  et  a  chelui  jour.  »  Se  li 
nomme  le  jour.  Et  lors  sont  ambedui  ramembrant  par  le 
jour  et  par  l'eure.  Et  pour  chou  que  Merlins  lour  fait 
entendant  que  Artus  fu  fieus  Uter  Pandragon,  si  dient 
que  onques  mais  si  grant  joie  n'avint  ou  roiaume  de 
Logres  que  li  baron  feront  quant  il  orront  ceste  chose. 
Car  il  le  contrehaoient  et  despisoient  por  chou  que  il  ne 
savoient  nule  chose  de  son  parenté. 


VJTRANT  fu  la  joie  que  li  rois  fist  a  Urfin.  Car  Merlins 
li  avoit  fait  entendant  que  si  haut  baron  querroient 
moult  Urfin  de  ceste  chose,  meesmement  pour  chou  que 
Urfins  avoit  esté  moult  privés  de  Uter  Pandragon  le  roi. 
Merlins  dist  a  Auctor  :  «  Auctor,  garde  chelui  jour  que 
tu  aies  en  ta  compaignie  tes  voisins  qui  sevent  bien  le 
tans  que  Artus  te  fu  bailliés.  »  Et  cil  dist  qu'il  avra  teuls 
tiesmoinsde  ceste  chose  qui  bien  en  feront  a  croire.  Ensi 
demoura  Merlins  avoec  le  roi  dusques  au  jour  qu'il  vin- 
rent a  court  ensi  comme  il  estoit  commandé. 


A  chelui  jourot  grant  gent  a  court  et  grant  peuple. 
Et  la  roine  Ygerne  i  vint  moult  richement  et  a  grant 
compaignie  de  chevaliers  (82  ^).  Et  toutes  voies  avoit 
elle  moult  grant  paour  que  li  rois  ne  li  vausist  tolir  sa 
terre  et  que  elle  ne  tenist  pas  si  grant  pais  en  sa  main 
comme  elle  tenoit,  pour  chou  que  feme  estoit.  Quant 
elle  fu  venue  a  court,  li  rois  li  fist  moult  biele  chicre  et 
moult  la  rechiut  bien  entre  li  ei  sa  compaignie,  et  com- 
manda as  ses  serjans qu'il  l'ouneraissent  et  tenissent  chiere 
sur  tous  chiaus  de  laiens.  Et  cil  en  firent  bien  son  com- 
mandement, mais  moult  s'esmervillierent  pour  coi  c'cs- 
toil.  Si  i  ot  auchun  qui  bien  savoit  l'afaire  de  lui  et  de 


1 66  MERLIN 

la  femc  le  roi  Loth,  si  qu'il  cuidoient  vraiement  que  il 
fcsisi  a  la  mère  ceste  fcste  pour  l'amour  de  la  fille. 


En  chclui  jour  que  je  vous    di   peussiés    veoir   ou 

palais  le  roi  maint  boin  chevalier  viestu  et  apparilliet 

biel  et  richement  et  mainte  biele  damoisiele  et  mainte 

biele  dame  prisie  de  biauté  ;  mais  sor  toutes  celés  qui  le 

La  plus  belle  jouT  i  furent  emporta  le  pris  et  Founour  de  biauté  Mor- 

dame est  Morgue,  g^g  ja  fille  Igcrne.  Et  sans  faille  elle  fu  bêle  damoisiele 

a  sœur  d'Artu;  j^gq^gg  a  celui  terme  que  elle  commencha  aprendre  des 

mais  elle  devint'      ^  ,7  •  •  ..xy-otx 

laide  plus  tard  enchantemcns  et  des  charroies;  mais  puis  que  h  (f,  82  ^) 
quand  elle  se  fut  auemis  fu  dedens  li  mis,  et  elle  fu  aspirée  et  de  luxure  et 
donnée  au  diable,  de  dyable,  elle  pierdi  si  otreement  sa  biauté  que  trop 

devint  laide,  ne  puis  ne  fu  nus  qui  a  bêle  le  tenist,  s'il 

ne  fu  enchantés. 


Le  soir  de  la  VOUANT  les  tables  furent  mises  et  il  furent  assis  par 
cour  uifin  se  Jaiens,  Ulfins  vint  par  devant  le  roi  et  dist  si  haut  que 
lève    et  accuse  ^^^^  j^  pQ^ent  bien  oir  :  «  Rois  Artus,  moult  m'esmer- 

Igeme    d'avoir        .,    ,       ,  ^  ,  ,     ,    .  i 

supprimé  le  fils  ^^^^  "^  chou  quc  tu  suefires  que  dame  desloiaus  et  tele 
qu'elle  avait  eu  que  elle  ne  deveroit  pas  tenir  terre  mengue  a  [ta]  table.  Et 
d'Uter.  qui  vaurroit  la  chose  mener  si  haut  comme  la  vérités 

mousterroit,  il  trouveroit  tout  apertement  qu^il  a  en  li 
murdre  et  traison.  Et  puis  que  on  te  tient  a  si  vaillant  (a 
si  vaillant)  homme,  [et  tu]  sueffresquesidesloial  mengue 
a  ta  table,  certes,  on  ne  te  doit  pas  tenir  pour  roi,  mais 
pour  le  plus  desloial  houme  dou  siècle.  »  Li  rois  fait 
samblant  qu'il  soit  trop  courechiés  de  ceste  parole,  si 
respont  erraument  :  «  Ulfins,  garde  te  bien  au  commen- 
chier  que  tu  ne  dies  parole  que  tu  ne  puisses  prouver  a 
vraie.  Car  tu  en  seroies  tenus  pour  fol  et  si  t'en  poroit 
mal  avenir.»  t  Sire,  je  sai  bien  que  a  vostre  table  mengue 
tele  qui  mengier  n'i  doit  ne  ne  doit  tenir  terre,  si  tient 
ele  de  biele  (J.  82  c)  et  de  riche  grant  partie.  Car  elle  fist, 


MERLIN  167 

a  mon  tans  et  au  vostre,  murdre  et  desloiauté  si  grant  que 
elle  ne  pot  faire  grigneur.  Et  se  elle  estoit  tele  que  elle  le 
vausist  noiier,  je  seroie  près  dou  ^  prouver  encontre  le 
milleur  chevalier  de  la^  court,  s'il  en  i  avoit  nul  si  hardi 
qui  pour  li  ceste  chose  desfendre  vausist  et  entrer  en 
camp  encontre  moi.  d  «  Par  foi,  »  fait  li  rois,  «  assés  en 
avés  dit.  Or  convient  que  vous  dites,  voiant  tous  ces 
barons,  le  non  de  cheli  que  vous  accusés  si  malement.  » 
a  Certes,  »  fait  il,  <f  che  vous  dirai  bien.  C'est  la  roine 
Ygerne  qui  la  siet.  Ne  elle  ne  sera  ja  si  hardie  que  elle 
l'ost  noiier.  » 


Lors  fait  li  rois  moult  grant  samblant  qu'il  soit  tous 
esbahis  de  ceste  merveille,  si  dist  a  la  dame  :  a  Dame, 
vous  oés  bien  que  chis  chevaliers  dist  seur  vous.  Orc 
gardés  que  vous  en  ferés,  que  se  il  pooit  prouver  devant  la 
court  chou  que  il  dist,  vous  estes  celé  qui  ja  mais  ne 
terroit  plain  pié  de  terre  en  ma  poesté.  Et  se  je  meismes 
le  voloie  souffrir,  si  feroie  jou  ma  honte.  Car  ciertes  tel 
dame  com  il  dist  ne  deveroit  pas  a  mon  regart  remanoir 
ou  siècle,    mais   estre  condampnee  pardurablement  ou 
estre  mise  dedens  terre  toute  vive.  »  La  roine  est  toute 
esba//.  82  <^yhie  de  chou   que  Ulfins  li  met  sus,  pour 
chou  que  elle  set  bien  qu'il  connoist  grant  partie  de  ses 
affaires.    Et   neporquant  ele  respont  tout  sans  conseil 
d'autrui  :  «  Sire,  s'il  avoit  tendu  son  gage  de  prouver 
sour  moi  murdre  et  desloiauté,  je  cuic  bien  que  auchuns 
m'en  desfenderoit  a  l'aieue  de  Dieu.  Car  certes  onques 
de  tel  felounie  ne  m'entremis,  che  set  bien  Dieus.  »  Et 
Ulfins  saut  maintenant  avant  etient  son  gage  en  la  main 
le  roi  et  dist  si  haut  que  tout  le  pueent  oir  :  «  Signour 
baron  dou  roiaume  de  Logres,  sachiés  que  ceste  querrclc 
vous  touce  autant  comme  moi.  Car  vecs  ichi  la  roine 

I.  de  —  2.  sa 


l68  MERLIN 

Ygerne  qui  conchut  dou  roi  Uter  Pandragon  dou 
commenchement  qu'i[l]  se  fu  de  11  acointiés  un  hoir,  et 
quant  11  fu  nés,  on  sot  bien  que  il  fu  malles;  mais  elle 
qui  plus  baoit  au  destruisement  de  cest  règne  que  au  preu 
ne  vaut  pas  que  li  malles  i  remansist,  ains  Tenvoia  ne 
sai  ou  morjr  u  faire  autre  fin,  a  tele  eure  qu'il  ne  fu  puis 
a  mon  ensient  nus  qui  vérité  seust  de  celé  créature.  Rois 
Artus,  en  ne  fist  ceste  dame  desloiauté  de  chelui  mesmes 
qui  de  li  estoit  issus  ?  Si  passa  ses  cuers  desloiaus  et 
félons  toutes  manières  d'autres  mères,  car  toute[s]  mères 
aimment  lour  enfans  natureuff.  83  ^)ment.  Et  se  elle 
voioit  noiier  que  elle  ceste  desloiauté  n^'euust  faite,  je 
seroieprès  dou  prouver.  Mais  je  ne  cuic  mie  quUl  m'en 
conviegne  a  veslir  hauberc,  car  ele  set  bien  que  je  di 
vérité.  » 


Li  rois  fait  samblant  que  il  tiegne  la  chose  a  moult 

grant  miervelle,  si  se  seigne  et  regarde  la  roine  et  dist  : 

«  Haï  dame,  es  che  voirs  que  chishomdist?  Certes, 

malement  avés  esploitié,  s'il  est  ensi  que  il  dist.  »  Et  ele 

est  si  honteuse  que  elle  ne  set  que  respondre.  Car  elle 

set  maintenant  que  chis  dist  vérité.  Et  lors  lieve  une 

grant  noise  et  une  grant  friente  en  la  court.  Car  li  povre 

et  li  riche   qui  de  ceste  chose   orent  oi  la  parole  en 

commencierent  tout  a  parler,  et  dient  que  Ulfins  pooit 

bien  voir  dire  et  que  la  roine  estoit  bien  digne  de  le  mort 

rechevoir,  quant  elle  avoit  ensi  ouvré.  Et  li  rois  les  fait 

acoisier  et  taire.  Et  quant  la  cours  est  acoisie,  li  rois  dist 

a  la  roine  :  «  Dame,  respondés  a  che  que  cis  chevaliers 

igernc  éper-  VOUS  met  SUS.»  Et  elle  est  si  espoentee,  pour  chou  que  elle 

due  maudit  Mer- se  sent  coupable  de  che  que  il  dist,  que  elle  tramble 

Un ,  cause  de  son  toute  de  paour.  Et  lors  dist  une  parole   en  guise  de 

malheur,  {^mo,  qui  ait  grant  doutance  :  «  Ha  1  Merlins,  maudis 

soies  tu  !    En  ceste  dolour  m'a[s]  tu  mise,  car  tu  euus 

l'enfant  et  en  fesis  ta  volenté  (/.  83  *j.  »  Et  lors  parole 


MERLIN  169 

Merlins  et  dist  a  la  roine  :   «  Dame,  pour  coi  maudistes 

Merlin  ?  Il  vous  valut  et  aida  mainte  fie  et  a  vous  et  au 

roy  Uter,  ne  ja  ne  fust  li  rois  au  point  ou  il  fu,   se 

Merlins  ne  fust.»  Et  elle  le  regarde,  si  respont  :  «  S'il  nous 

fist  bien  au  commenchement,  il  le  nous  vendi  bien  au 

daerrain.    Car  le  premier  enfant   que  Dieus  nous  ot  qui  a  emporte  cet 

envoiiet  emporta   il,  si  ne  sai  qu'il  en  fist,  si  moustra  enfant. 

bien  qu'il  estoit  estrait  (dou  dyable)  d'anemi,  quant  il  ne 

vaut  mie  tant  attendre  que  li  enfes  fust  crestiiens,  ains 

remporta  anchois    qu'il    eust  rechut  baptesme,   pour 

chou  que  il  ne  voloit  mie  que  Dieus  euust  part  en  la 

créature.»  «  Dame,»  fait  Merlins,  «  je  diroiemieus  vérité 

de  ceste  chose  que  vous  ne  fériés,  se  je  voloie.  »  «  Ghe  ne 

porroit  estre,  »  fait  elle,  «  car  vous  ne  le  porriés  mieus 

savoir  que  je  fach.   »    «  Sire,   »  fait   Merlins  au  roi, 

«  vous  plairoit  il  a  oir  pour  coi  Merlins  enporta  [ren- 

fant  ?»  «  L'emporta  il  dont  ?  »  fait  li  rois.  «  Oil,  »  fait 

Merlins,  «  vraiement  le  saciés  vous.  Et  si  vous  conterai, 

si  vous  plaist,  comment  che  fu,  mais  que  vous  faciès 

jurer  a  la  roine  seur  sains  que  elle  ne  mentira  de  vérité 

que  je  li  die.  »  Lors  fait  maintenant  aporter  les  sains  en 

mi  le  palais  la  ou  il  mengoient.  Et  la  roine  se  lieve  de  la 

table  et  dist  a  Merlin  :    «  Je  ferai  cest  serement,  mais 

que  (f.  83  ^)  vous  me  dites  qui  vous  estes.  »  Et  elle  jure 

erraumentsour  sains  qu'elle  ne  [le]  desdira  de  vérité  qu'il 

die,  si  baise  les  sains  et  se  relieve.  Et  li  rois  le  fait  asseoir 

la  ou  elle  estoit  devant.  Et  lors  dist  a  Merlin  :  «  Dites 

chou  que  vous  avés  promis.  »  «  Sire,  si  ferai  jou  volen- 

tiers.  »  Et  lors  saut  la  roine  avant  et  dist  a  Merlin  :  «  Je 

voel  que  vous  diiés  vostre  non  anchois  que  vous  diiés 

autre  chose.  »  Et  il  se  met  erraument  en  sa^  samblancc    Merlin  répand 

vraie,  en  autele  comme  clic  Tavoit  autre  fois  veu,  si  alors    sa    vraie 

respont  Merlins  :  «  Dame,  se  vous  ne  savés  mon  non,  je  ^"""'^' 

le  vous  dirai,  mais  je  quidai  que  vous  me  conncussiés,  et 

I.  la 


J70  MERLIN 

VOUS  le  deussiés  bien  faire,  car  autre  fois  me  veistes  vous 
ja.  »  Et  elle  le  regarde  et  si  l'en  connoist  maintenant.  Et 
lors  respont  a  Merlin  :  «  Ore  sa  ge  bien  que  vous 
m'avés  occoisonnee  de  ceste  chose,  si  avés  fait  desloiauté, 
che  m'est  avis,  car  che  que  je  fis  de  mon  enfant  fis  jou 
par  le  commandement  mon  signour  le  roi,  si  convient 
que  vous  l'enfant  rendes  ou  vous  i  morrés;  car,  par  mon 
chief,  on  le  vous  bailla,  che  sai  ge  tout  vraiement.  Et  se 
vous  le  volés  noiier  que  bailliés  ne  vous  eust  esté,  je  vous 
en  feroie  honnir  dou  cors,  {f.  83  ^J  que  ja  pour  tous  vos 
enchantemens  ne  remanroit.  » 


Lors  commenche  Merlins  a  sorrire,  et  dist  au  roi  : 
a  Sire,  la  dame  dist  chou  qu'elle  veult,  et  je  li  consent  ^ 
pour  chou  que  haute  dame  est  ;  mais  encore  di  je  bien,  se 
il  vousplaisoit,  je  diroie  chou  que  jou  commenchai  a  dire 
pour  [quoi]  Merlins  en  porta  l'enfant.  »  Et  li  rois  respont  : 
«  Je  voel  avant  savoir  de  vostre  bouce  se  vous  estes 
Merlins,  si  que  mi  baron  l'oent  apertement.  »  Et  il  res- 
pont :  «  Je  sui  vraiement  Merlins.  »  Et  tout  li  autre  baron 
qui  autre  fois  Tavoient  veut  et  qui  adont  le  reconnurent 
escrient  a  une  vois  :  «  Sire,  chou  est  Merlins,  vraiement 
le  saciés  vous.  »  Ne  il  ne  cuidoient  point  que  li  rois  le 
conneust.  Lors  les  fait  taire  li  rois,  et  quant  il  sont  acoi- 
sié,  si  dist  a  Merlin  :  «  Merlins,  il  convient  que  vous 
respondés  a  chou  que  la  dame  vous  demande.  »  «  Sire, 
de  quoi?  »  «  De  l'enfant,  »  fait  il,  «  qui  vous  fu  bailliés.» 
o  Pour  Dieu,  »  fait  la  dame,  «  faites,  sire,  m'ent  droit, 
s'il  vous  plaist,  voiant  les  barons  de  vostre  règne.  »  Et  li 
rois  dist  a  Merlin  :  «  Merlins,  respondés,  qu'il  le  vous 
convient  faire.»  «  Sire,  >  fait  il,  «  volentiers  vous  res- 
ponderai.  Et  sachiés  que  je  ne  vous  mentirai  de  chose 
(f.  84  ^J  que  je  chi  vous  die. 

I.  conterai 


MERLIN  171 


«  VoiRS  tu  que  li  enfes  dont  nous  parlons  ichi  me  fu 
dounés  dès  lors  que  il  estoit  au  ventre  sa  mère.  Et  le 
m'otria  ses  pères  que  je  Faveroie,  ou  fust  u  marie  u  fe- 
mele.  Et  quant  il  fu  a  naissance,  si  comme  Dieu  plot,  il 
m'en  tinrent  si  bien  convenent  qu'il  m'en  saisirent.  Je 
avoie  le  père  moult  amé,  si  en  devoit  estre  mieus  au  fil, 
et  si  fu  il  ;  car,  si  tost  comme  j^en  fui  saisis,  je  le  mis  en 
sauve  main  et  en  boine  garde  [a  teus]  qui  le  norrirent 
aussi  doucement  et  plus  qu'ail  ne  firent  lor  enfant  meis- 
mes.  Et  se  chius  a  qui  je  le  baillai  voloit  noiier  que  je  et  raconte  qu'il  a 
ne  li  eusse  baillié,  je  li  feroie  connoistre  par  mi  la  bouce,  ^""^"^  l'enfam  à 
ou  il  vausist  ou  non.»  Lors  se  torne  celé  part  ou  Auctor    "'^  °^\  ,  'l"' 

•  somme  de  le  fai- 

seoit  et  li  dist  :  «  Auctor,  je  vous  demande  chou  que  je  re  connaître. 
vous  baillai,  celui  enfant  dont  Uters  vous  proia  tant  dou 
norrir.  Et  sach[i]ésque  che  est  cil  que  on  me  demande.» 
Et  Auctor  respont  :  «  Merlins,  sach[i]és  pour  voir  que  je 
en  ai  fait  tant  que  tout  cil  dou  roiame  m'en  deveroient 
savoir  boin  gré.»  «  Rendes  le  moi,  »  fait  Merlins,  «  aussi 
comme  je  le  vous  baillai.  »  «  Aussi  fait,  »  dist  Auctor, 
«  ne  le  puis  je  rendre,  car  n'est  pas  a  moi,  ains  sui  je  a 
lui  ;  mais  je  le  vous  mousterrai  grant  et  (f.  84  ^)  par- 
creu,  mais  vous  le  me  baillastes  petite  créature  et  povre 
chose.  » 


Lors  se  drece  en  estant  et  vint  au  roi  et  li  dist  : 
«  Sire,  ne  vous  poise  se  je  touche  a  vous.  »  Et  li  rois 
dist  que  non  fait  il.  Et  il  le  prent  maintenant  par  le  Auctordcsignc 
puing  et  dist  a  Merlin  :  «  Merlins,  veschichou  que  vous  ''^'^°'' 
me  baillastes  :  en  ai  ge  fait  bonne  garde?  »  «  Se  che  est 
il,  »  fait  Merlins,  «  tu  n'en  dois  pas  estre  blasmés,  mais 
encore  ne  t'en  querrai  je  mie  devant  chou  que  tu  Me 


I.  te 


172  MERLIN 

m'aies  maintenant  mieus  fait  connoistre.  »   Et  Auctor 
et  prouve  parte-  j-^gp^j^^  :  «  Je  le  prouverai  par  le  tiesmoing  de  tous  mes 

moins     qu'Arlu        /.  ...        ^  .    .    ^  ,.r,,         ^     ^   .,,., 

Mt  bien  l'enfant  voisins,  qui  Diensevent  lejour  qu  i[lj  me  fu  baillies,  etont 
qu'on  lui  a  con-  puls  tout  dis  esté  avoec  l'enfant.  »  Et  li  voisin  que  Auc- 
fi*'  tor  avoit  fait  venir  a  court  sallent  avant  et  dient  que  de 

che  que  il  dist  tiesmoignent  il.  Et  Merlins  respont  : 
a  Vous  ne  dites  riens  entre  vous  tout,  mais  tant  me  dites 
se  vous  savés  le  tans  que  il  fu  baillés.  »  Et  il  rescrient 
tout  a  une  vois  :  «  Nous  le  savons  bien.  »  «  Et  combien 
puet  avoir,  »  fait  Merlins,  a  que  il  li  fu  bailliés?  »  «  Il 
avra  prochainnement  quinze  ans,  î  font  il.  Et  il*  dient  le 
jour  ou  li  quinze  *  an  dévoient  estre  acompli.  Et  li  cha- 
pelains qui  baptesme  li  avoit  donné  dist  a  Merlin  : 
«  Merlins  (J.  84  <^)^  il  rechiut  baptesme  de  ma  main  a 
chelui  jour  meisme  qu'i[l]  te  vont  disant,  et  il  porte  mon 
non,  non  mie  pour  moi,  mais  pour  chou  que  il  fu  com- 
mandé ensi  a  Auctor,  che  me  dist  Auctor  meismes.  » 


Lors  dist  Merlins  as  barons  qui  laiens  estoient  : 
«  Segneur  baron  de  Logres,  me  puis  je  tenir  a  paiié  de 
che  que  cil  vont  tiesmoignant?  »  Et  il  dient  :  a  Merlins, 
nous  vous  en  tenons  bien  a  paiiet,  car  on  les  tient  a(s) 
loiaus  gens.  »  a  Par  foi,  »  fait  il,  a  dont  ne  serai  je  hui 
mais  encoupés  a  mon  ensiant  de  chou  dont  je  sui  accusés 
en  ceste  court.  »  Lors  dist  a  la  roine  :  a  Dame,  vous 
m'avés  demandé  vostre  premier  enfant  qui  donnés  me  fu 
de  Tacort  le  roi,  et  je  le  vous  rent  moult  autre  qu'il 
[me]  fu  bailliés.»  Lors  prent  Artu  par  le  brach  et  li  dist  : 
a  Artu[s],  tes  pères  te  douna  a  moi  en  guerredon  de  tout 
mon  service.  De  chou  que  tu  fus  miens  (te)  cui  ge  k'en- 
core  te  porrai  je  aparler  et  a  droit,  mais  tant  di  jou  sour 
ma  vie  et  sour  canques  je  tieng  de  Dieu  que  je  voel  que 
tout  sachent  que  la  roine  Ygerne  est  ta  mère  et  que  tu  iés 

I.  li  -    2.  .xvij. 


MERLIN  173 

ses  fieus,  et  H  rois  Uters  Pandragonst'engenra  le  première 
nuit  qu'il  vint  a  ta  mère  ;  si  convient  que  tu  ailles  a  li  et 
le  requier[e]s  comme  ta  mère  et  elle  ti  coume  son  fil.  Et 
vous,  segneur  baron  {f.  84  ^)  dou  roiame  de  Logres,  di 
que  plus  nedesprisiésvostre  signour  pour  chou  que  vous 
ne  connissiés  son  lignage.  Je  sui  Merlins  qui  sai  les 
obscures  choses  et  les  repostes,  che  savés  vous  bien,  et 
pour  chou  me  devés  vous  croire  de  chou  que  je  vous  di- 
rai. Sachiés  que  vous  devés  amer  et  prisier  vostre  signour, 
pour  chou  premièrement  que  vous  Peustes  par  la  grasce 
nostre  signour,  ne  mie  par  autre  ;  apriés  pour  chou  qu'il 
est  de  son  aage  li  plus  sages  princes  qui  soit  ou  roiame 
de  Logres  ;  après  pour  chou  qu'il  est  si  gentieus  hom 
comme  cil  qui  est  engenrés  dou  roi  Uter  Pandragon.  Et 
pour  chou  que  vous  Favés  tenu  pour  vil  dusques  chi  en 
vos  cuers,  pour  chou  que  vous  ne  connissie's  dont  il  estoit 
estrais,  vous  requier  jou  que  vous  dès  ore  mais  ne  Paiiés 
contre  cuer,  mais  com  droiturier  segnour  le  tenés  et  par 
Tesgart  de  nostre  signour  et  par  lingnage.  » 


A.  che  mot  commenche  la  joie  par  laiens  trop  grant  cette  révcia- 
et  trop  miervilieuse.  Car  li  rois  se  lieve  de  la  table  et  tion  produit  une 
keurt  a  la  roine  sa  mère  la  ou  il  la  voit,  et  l'acole  et  joie  générale.  Ar- 
baise,  et  elle  autressi  lui,  et  pleurent  ambedui  de  joie  et  ^"  ^^   ^^  '"^^"^ 

-        /.,    _  ,.  ,  .  ,  -, /,   s  s  embrassent    en 

de  pitie.  Et  quant  li  baron  voient  ceste  chose,  se  il  (le)  eus-  pleurant. 
sent  Dieu  ne  fuissent  il  pas  plus  liet.  Et  dient  que  Mer- 
lins  ne  mist  onques  (/.  8çy  ^)  si  grant  joie  ou  roiame  de 
Logres  com  il  a  orendroit,  «  et  beneois  soit  Dieus  qui  a 
ceste  fois  l'a  ceste  part  amené!  car  de  la  connissance  et  de 
la  gentillece  vaurra  mieus  a  tout  nostre  vivant  li  roiau- 
mes  de  Logres.»  Grant  fu  la  joie  de  ceste  connissanche 
ou  roiame  de  la  grant  Brctaigne  en  tous  les  lieus  ou  li 
rois  Artus  estoit  sires.  Et  dura  celé  feste  quinze  jours 
tous  pleniers. 


74  MERLIN 


Un  jour  un  é-  Un  jour  que  la  feste  estoit  grant  et  plenicrc  et  li  rois 
caycr  arrive  à  la  f^  gggis  HU  disncr  et  il  ot  eut  le  premier  mes,  avint  que 
cour,    escortant  ^^^  escuiiers  vint  tout  a  cheval  en  mi  le  palais,  qui  estoit 

un  chevalier  mor-  .  ,  r  )  ^ 

tellement  bicssii  ;  P^^  terre,  et  apoftoit  devant  soi  un  chevalier  navré  mor- 
teument,  et  estoit  férus  tout  de  nouviel  d'une  lanche  par 
mi  le  cors,  et  estoit  encore  garnis  de  son  hauberc  et  de 
ses  cauches  de  fier,  mais  son  hiaume  il  n'avoit  pas  en  son 
chief. 


Li  escuiiers  portoit  devant  soi  le  chevalier.  Et  quant 
(f.  8^  ^)  il  vint  a  l'entrée  de  la  sale,  il  ne  trouva  qui  li 
contredesist,  et  pour  chou  vint  il  tout  a  cheval  devant 
cheus  qui  mengeoient.Et  il  descendi  maintenant  et  mist 
son  signour  a  la  terre,  qui  estoit  jonchie  d'erbe  verde,  et 
lors  dist  si  haut  que  tout  cil  de  laiens  le  porent  oir  : 
a  Rois  Artus,  a  toi  me  fait  venir  li  grans  besoins  que  jou 
ai  de  t'aide  et  de  ton  secours,  et  se  te  dirai  pour  coi. 
Voirsestque  tuiésroi[s]  et  sires  de  ceste  terre  parla  grasce 
de  nostre  signour,  et  quant  tu  fus  saisis  dou  roiaume  tu 
creantas  le  peuple  que  tu  amenderoies  a  ton  pooir  tous 
les  mesfais  que  on  feroit  en  ta  terre,  fust  chevaliers  ou 
autres.  Et  il  est  ore  cnsi  avenu  c'uns  chevaliers,  ne  sai 
qui  il  est,  a  par  son  orgueil  mon  signeur  orendroit  ochis 
en  celé  foriest  chi  dalés.  Ore  i  parra  comme  vous  ven- 
gerés  la  mort  de  mon  segnour.  » 

Li  rois  est  moult  courechiés  de  ceste  nouviele,  si  en 
devint  tous  pensis,  ne  n'entent  pas  a  chose  que  li  escuiiers 
die.  Et  Merlins  le  commenche  a  regarder  et  dist  :  «  Rois, 
es  tu  esbahis  de  ceste  nouviele  ?  Onques  n'i  pense,  car 
trop  averoies  a  faire  se  tu  te  voloies  courechier  toutes 
les  fois  que  tu  verras  a  court  tés  nouvieles  avenir.  Che 


MERLIN  175 

est  la  première  aventure  qui  if.  85  ^  est  a  ta  court  ave- 
nue, si  me  poise  moult  que  li  commenchemens  en  est 
teuls,  car  li  signes  en  est  malvais  et  anieus.  Fai  ceste 
mètre  en  escrit  et  les  autres  après  ensi  conme  elles  aven- 
ront  ou  roiaume  de  Logres.  Et  saces  que  anchois  que  tu 
trespasses  de  cest  siècle  en  seront  tantes  avenues  que  li 
escris  qui  en  sera  fais  porra  faire  un  grant  livre.  Ceste 
parole  t'ai  jou  dite  pour  chou  que  je  ne  voel  pas  que  tu 
t'esbahisses  de  teus  aventures,  ains  voel  que  tu  te  man- 
tiengnes  vighereusement  quant  tu  les  verras  avenir.  »  Et 
li  rois  respont  qu'il  ne  vit  onques  teuls  choses  avenir  en 
sa  terre,  et  pour  chou  en  a  il  esté  un  poi  esbahis  plus 
qu'il  n'eust  se  elles  fuissent  avenues  souvent.  Lors  de- 
mande a  l'escuiier  ou  est  li  chevaliers  qui  cestui  ochist  : 
«  Par  foit,  »  fait  li  escuiiers,  «  qui  a  lui  vaurroit  aler,il  le  jj  g^  pj^i^t 
porroit  trouver  dedens  la  foriest  a  Tentree,  en  une  prae-  son  maître  ait  été 
rie  qui  est  enclose  de  brokes  et  a  un  paveillon  tendu  victime  d'un  che- 
d'encoste  une  fontainne.  Et  est  li  paveillons  li  plus  ri-  vaher  qui  a  dres- 
ches  et  li  plus  cointes  que  je  onques  veisse.  Et  demeure  ^     "?  pav'iion 
illuec  de  nuit  et  de  jour  a  le  compaignie  de  deus  escuiiers  force    tous    les 
seulement.  Et  a  fait  a  un  arbre  qui  est  devant  son  pa-  chevaliers  à  joû- 
veillon  [f,  85  ^)  drechier  glaives  et  escus,  et  convient  a  ^"^^  contre  lui. 
chascun  chevalier  qui  par  illuec  trespasse  jouster  a  lui.  ■ 
c(  Par  Dieu,  »  fait  li  rois,  a  de  grant  mierveille  s'est  en- 
tremis chis  chevaliers  et  de  grant  cuer  li  vint,  quant  il 
veult  assaiier  tous  les  trespassans.  Ore  convient  que  on 
ait  conseil  sour  ceste  chose,  car  il  a  commenchié  chou 
dont  nus  ne  s'osa  entremetre.  Et  vous,  Merlins,  qui  sa- 
vés  que  on  doit  faire,  je  vous  pri  que  vous  m'en  con- 
silliés.»  «  Ciertes,  »  fait  Merlins,  «si  ferai  je.  Etceste  ma- 
nière je  vous  ensegnerai  ore  si  que  elle  sera  tenue  tout 
vostre  vivant,  mais  apriès  ne  verra  nus  si  preudom  en 
ceste  terre  qui  maintenir  la  puisse,  car  il  ne  varront  mie 
tant.  Ore  escouiés,  je  vous  dirai.  Et  vous,  signour  che- 
valier qui  ci  estes,  s'il  vous  samblc  que  je  die  bien,  si  le 
dites. 


176  MERLIN 


«  VoiRS  est  que  chis  chevaliers  a  commenchié  ces 
aventures  chevaliers  encontre  autre ,  et  puis  qu'il  a 
commenchiet  en  tel  manière,  il  convient  que  chou  qu'il 
a  mesfait  soit  amendé  par  un  chevalier.  »  «  Dont  con- 
vient il,  j  fait  li  rois,  a  que  uns  chevaliers  de  ceste  cort 
i  voit?  »  «  Voirs  est,  »  fait  Merlins. 


A  ces  paroles  sailli  avant  uns  escuiiers  qui  servoit 

Un  jeune  hom-  devant  le  roi,  et  avoit  non  Gifflès  li  fieus  Dou,  et  l'amoit 

medeiâgedAr-  jj  ^^.^^5-,  /^  ^Qa) de  moult  grant  amour.car Gifflès estoit 

tu,  Gifflet,  filsde  ,  .  '  .  .        !^  •.  j      r  1  •*. 

'  du  t>iaus  et  gens  et  vistes  et  estoit  de  1  aage  le  roi  Artu,  en 

roi'  de  le  faire  tel  manière  qu'il  n'avoit  que  trois  mois  plus  que  li  rois. 
chevalier,  pour  H  vint  devant  le  roi  moult  apiers  et  dist  :  «  Sire,  je  vous 
qu'il  puisse  aller  gj  ^^xs\  dusques  chi  au  mieus  que  je  peuch.  Et  si  vous 
combattre  le  che-     •      'gj^  euerredon  de  mon  serviche  me  doingniés  ar- 

vaher  de  la  foret.  ^     ^  °  ,         , .        /^         .  •  . 

mes  et  me  faites  chevalier.  Car  ciertes  je  ne  quic  pas  que 
de  la  main  a  plus  preudomme  de  vous  peusse  a  che  tans 
d  orendroit  armes  porter.  Pour  chou  vous  pri  jou  que 
vous  me  faichiés  chevalier,  biau  sire,  si  irai  veoir  main- 
tenant qui  chis  chevaliers  est  qui  ensi  a  par  son  orgueil 
encommenchiet  a  ochirre  les  chevaliers  trespassans.  Et 
se  vostre  cours  en  est  vengie  par  mon  cors,  je  n'en  de- 
verai  estre  blasmés.  »  «  Gifflet,  biaus  amis,  »  fait  li  rois, 
«  vous  estes  trop  jovene  a  emprendre  si  grant  chose 
conme  ceste  est  vraiement  encontre  un  chevalier  esleu. 
Et  certes  je  sai  bien  que  s'il  ne  fust  boins  chevaliers  et  de 
haut  affaire  il  n'eust  ja  encommenchiet  si  grant  chose. 
Pour  chou  vous  loe  jou  que  vous  souffres  de  cest  affaire, 
car  jou  i  envoierai  auchun  autre  de  chaiens  ki  plus  est 
durs  de  cest  mestier  que  vous  n'estes.  »  «  Sire,  »  fait 
Gifflès,  a  chou  (/.  86  ^)  est  li  premiers  dons  que  je  vous 
aie  requis  puis  que  vous  premiers  portastes  couronne  : 
se  je  onques  iis  chose  qui  vous  pleust,  ne  m'en  escondi- 


MERLIN  177 

siés.  »  Et  lors  se  met  a  genous  devant  li  et  li  prie  tout 
em  plourant.  Et  li  rois  li  dist  :  «  Je  te  donrai  chou  que     Artu,  malgré 
tu  requiers,  mais  che  poise  moi,  se  Dieus  m'ait,  car  je  lui,  est  obligé  d'y 
faing  moult,  si  ne  porra  estre  que  je  n'en  soie  dolans  s'il  «^Q'^sentir. 
t'en  meskiet.  Ore  atten  jusques  a  le  matin  que  je  t'adou- 
berai et  te  donrai  armes.  Et  lors  f  en  poras  aler  au  che- 
valier, se  li  cuers  le  te  loe.  »  Et  cil  dist  qu'il  attendera 
dont  dusques  a  demain  puis  que  li  rois  le  veult,  et  moult 
Ten  merchie  de  chou  qu^il  li  a  ottroiié. 


Cnsi  remest  celé  chose.  Li  rois  fist  mètre  en  une 
chambre  de  laiens  le  chevalier  au  plus  aise  qu'il  pot, 
mais  il  ne  vesqui  que  trois  jours  après,  car  trop  mor- 
telment  l'avoit  l'autres  chevaliers  féru.  Au  soir  vint  Mer- 
lins  au  roi  et  li  dist  :  «  Vous  amés  moult  Gifflet  et  vous  Merlin  dit  le 
avés  droit,  car  il  vous  aimme  de  tout  son  cuer  et  a  esté  soir  au  roi  que 
norris  avoec  vous  ;  se  vous  di  que  se  vous  ne  metés  con-  ^^^^^  "*^  ^^^"^ 

résister  à  ce  cnC" 

seil,  il  ne  revenra  ja  vis  de  la  ou  il  ira  demains  ;  car  trop  ^^jj^^.      .  ^,^^^ 

est  li  chevaliers  de  la  foriest  boins  chevaliers  et  de  grant  autre  que  celui 

proeche.  (/.  86  ^j  Et  savés  vous  qui  il  est?  »  «  Nennil,  »  qui  chassait  la 

fait  li  rois.  «  Ore  saciés  dont,  »  fait  Merlins,  «  que  che  bcte  jappante  ; 

est  li  chevaliers  a  qui  vous  parlastes  avant  ier,  et  cil  qui 

avoit  si  longement  maintenue  la  cache  de  la  miervilleuse 

beste;  dont  il  averra  queseGifflès^  qui  est  (boins)  jovenes 

hom  et  tenres  vait  a  lui,  chis  qui  est  fors  chevaliers  et 

durs  et  anchiiens  l'avra  maintenant  ochis,  se  la  bataille 

dure  longement.  Et  se  Gifflès^ore  moroit  en  che  point  il  faut  qu'Artu 

d'orendroit,  che  seroit  domaces  trop  grans  ^  ;  car  se  il  vit  ^^^^^  ^'"^'^^'  '^"' 

.    ,     .   ^      ,       ^,.  .        ,  doit  plus  tard  le 

par  aage,  il  sera  aussi  boins  chevaliers  u  mieudres  que  j^jgj^ggj.^jj.j,^.jj.g 
chis  n'est  (se  il  vit  longement  par  aage).  Et  se  vous  di  une  ic  dernier  homme 
chose  que  vous  verres  encore  avenir  :  il  ^  sera  li  chevaliers  qui  le  verra  vi- 
dou  monde  qui  plus  longement  vous  tenra  compaignie,  v^"^: 
et  apriès  chou  qu'il  vous  avéra  laissiet,  ne  mie  par  sa  vo- 

1.  gifflet  —  2.  grani  —  3.  et 


lyS  MERLIN 

lente  mais  par  le  vostre,  ne  sera  nus  chevaliers  qui  com- 
paignie  vous  tiegne  puis  ne  qui  vous  voie  *  si  ce  n'est  en 
songe.  Et  che  sera  li  gregnours  dolours  que  a  vo  tans 
aviegne  el  roiame  de  Logres.  » 


A  cest  mot  commencha  li  rois  a  penser  durement, 
que  il  aperchoit  maintenant  que  c'estoit  de  sa  mort  dont 
Merlins  parloit,  si  en  fu  tous  escommeus  a  celé  fois.  Et 
Merlins  (f.  86  <9  li  dist  :  «  Rois,  que  penses  tu?  Ensi  es- 
tuet  que  les  choses  aviegnent  comme  nostre  sires  [les]  a 
ordenees.  Ne  t'esmaie  mie,  que  che  que  je  t^en  ai  dit  nV 
verra  pas  en  mon  vivant.  Et  se  tu  muers,  aussi  fera  chas- 
Artu  mourra  cuns.  Et  Certes  se  tu  savoies  comme  de  honnerable  mort 
d'ailleurs  hono- ^^j^Qj-j-g^g  ^^  ^-^^^  eseoiroifels  moult,  et  [par  droit]  si 

rablement, tandis  f       .  '      ^  ,.  ./  -*  ^  *  i^ 

que  lui  Merlin  f^^oics  tu.  Et  poes  bien  dire  que  nos  mors  sont  moult 
il  sera  honteuse-  divierses,  la  moie  et  la  toie.  »  «  Pour  coi  ?  »  fait  li 
ment  mis  tout  vi- rois';  «  iche  me  dites.»  «  Pour  chou»,  fait  il,  «  que 
vant  en  terre.  tu  morras  a  hounour  et  jou  a  honte.  Et  seras  richement 
ensevelis  et  je  serai  tous  vis  mis  en  terre.  Et  c'est  bien 
honteuse  mort.  »  Li  rois  se  saingne  de  la  parole  qu^ii 
entent,  si  dist  :  «  Conment  I  Merlins,  si  morras  si 
deshonnereement  comme  vous  me  dites?  »  «  Ne  je  ne 
voi  chose  [,  »  fait  Merlins,  «J  qui  destorner  m'en  puisse 
fors  Dieus  seulement.  »  «  Che  est  merveille,  »  fait  li  rois, 
«  quant  par  ton  grant  sens  ne  te  pues  destorner  de  si 
grant  mésaventure  comme  tu  contes  a  moi.  »  «  Ore  lais- 
sons a  parler  de  ceste  chose  »,  fait  Merlins;  «  car  je  n'ai(t) 
dit  chose  qui  n'aviegne  tout  ensi  conme  je  l'ai  devisé. 
Mais  de  Gifflet  parlons,  qui  est  em  péril  de  mort  se  nous 
n'i  metons  conseil.  Voirs  estquMl  ne  lairoit  pour  homme 
nul  que  il  n'alast  jouster  au  chevalier  si  tost  conme  il  sera 
adoubés,  (f,  8j  ^J  si  averra  que  li  chevaliers  qui  est  de 
si  grant  force  le  portera  a  terre  de  la  première  jouste  ;  et 

I.  voist 


MERLIN  179 

puis  si  vi[e]nt  a  la  mellée  des  brans,  illuec  avéra  Gifflès 

del  tout  perdu  :  car  chis  estli  mieudres  fereres  d'espee  qui 

soit  en  tout  che  pais.  Ore  gardons  que  on  en  porra  faire.  » 

«  Certes,  je  ne  sai,  »  fait  li  rois.  «  Et  je  le  vous  dirai,  » 

fait  Merlins.  c  II  est  voirs  que  vous  le  ferés  chevalier.  Et     Pour    sauver 

quant  il  avéra  recheu  de  vostre  main  l'ordre  de  chevalerie,  G'^^^»  ^^^^  '"^ 

il  ne  vous  osera  par  droit  escondire  le  premier  don  que  '^^^^^^[^  ^°"^" 

*  ^  -^  ^,       me  don  de  reve- 

vous  11  demanderes.  Et  saves  vous  que  vous  li  querres  ?  „jj.  gp^^s  ,a  pre. 
Que  si  tost  qu'il  avéra  jousté  au  chevalier  qu'il  s'en  re-  mière  joute. 
venra,  ou  s'il  ^  li  avi[e]nt  bien  de  la  jouste,  ou  s'il  l'en 
mesavient.  Et  par  ceste  requeste  porra  il  estre  garandis 
de  mort.  »  Et  li  rois  dist  que  cis  consaus  est  boins  et 
loiaus. 


Artu  arme  Gif- 
flet  chevalier  et 
lui    demande   ce 


A  Tendemain  fist  Gifflet  li  rois  Artus  chevalier,  et  il  Le  lendema 
estoit  grans  et  biaus  d'aage  et  legiers  durement.  Et  si  tost 
comme  li  rois  li  ot  donné  l'ordre  de  chevalerie,  se  li  dist, 
voiant  tous  chiaus  de  la  place  :  «  Gifflès  %  je  vous  ai  fait  don 
chevalier,  vous  ne  me  poés  escondire  le  premier  don  que 
je  vous  demanderai.»  «  Sire,  che  est  voirs  ;  demandés,  car 
je  sui  près  dou  donner  a  vous  a  mon  pooir.  »  Et  li  rois 
li  dist  :  «  Je  voel  que  si  tost  que  vous  avérés  jousté  au 
chevalier,  ou  (/.  Sj  ^)  bien  vous  en  kiece  ou  mal,  que 
vous  en  repairiés  sans  plus  faire,  soit  a  pié  ou  a  cheval.  » 
Et  cil  dist  :  «  Sire,  puis  qu'il  vous  plaist,  si  ferai  jou  a 
men  pooir.  »  Lors  fait  venir  ses  armes  et  dist  qu'il  ne 
demorra  plus  qu'il  n'aille  veoir  le  chevalier.  Et  quant  il 
est  tous  armés,  il  monte  seur  sen  cheval  et  prent  un  escu 
et  a  son  col  le  met,  et  on  li  aporte  une  moult  boine  glaive 
et  fort,  et  il  se  part  maintenant  de  court  en  tel  manière  ^'^^^  p^""^ 
qu'il  ne  veult  avoec  soi  mener  serjant  ne  escuiier.  Et  li 
rois  remest  en  son  palais  moult  pensis,  car  il  amoit  Gifflet 
degrant  amour.  Les  tables  furent  mises,  et  s'assirent  tout 

I.  ensi  —  2.  gifflet 


l8o  MERLIN 

par  laiens.  Et  en  che  que  H  rois  mengoit,  es  vous  par 

Entrent  dans  laiens  entrer  douze  hommes  qui  tout  estoient  vestu  de 

le  palais  douze  [yi^^ç  samit.  Et  estoient  tout  li  honme  viel  et  anchiien 

vieillards     vCtus  •  i  i    ,        •  ,  v  •      i 

de  blanc  et  por-  ct  tout  blanc  dekenissure(s),  et  portoit  chascuns  en  samain 
tant  des  branches  "^1  rain  d'olive  par  senefiance.  Quant  il  vinrent  devant 
d'olivier.  le  roi,  il  s'arresturent  et  le  saluèrent  tout,  et  il  lour  rendi 

lour  salut  comme  cil  qui  assés  savoit.  Et  Tun  d'eus  prist 

la  parole  sour  lui  et  dist  : 


iisréciamentà      «  Kois  Artus,  che  te  mande  H  empereres  de  Roume 
rtu  de  la  part  ^      j  ^^^^  jj  signeur  teriien  doivent  obéir  que  tu  envoies 

de  l'empereur  de       -i  ,  .  !•/>.<->, -«.t»* 

Rome  le  tribut  ^  Rou'^e  tcs  treus  que  tes  roiames  doit.  (f.  8y  ^)  Ne  li 

qu'il  lui  doit.       tau  ^  mie  sa  rente  longement  plus  que  elle  li  a  esté  tolue, 

car  grant  mal  en  venroit  a  toi  premièrement  et  puis  a  tes 

honmes,  et  la  terre  en  seroit  destruite.  Or  garde  bien  que 

tu  oevres  sagement  a  ceste  fois,  car  tu  ne  poes  ore  garir 

de  mort  se  lu  nel  fais.  »  Quant  il  ont  dite  lour  parole  en 

Arto  dit  qu'il  tel  manière,  li  rois  respont  :  «  Signeur[s],  je  neti(e)ngon- 

ne  tient  son  ro-  quesdcRoume  nul[e]  chose,  ne  janequier  quej'entiegne, 

yaume   que     e  g^  cj^qu  que  je(n)  ticng  je  le  tieng  de  Dieu  seulement,  qui 

en  ceste  poesté  et  en  ceste  grasce  me  mist,  au  destruise- 

ment  de  m'ame  se  je  n^i  faich  chou  que  je  doî,  et  au  sau- 

vement  se  je  i  tieng  le  peule  comme  pères  le  doit  tenir. 

A  chelui  dont,  signour[s],  qui  en  ceste  hautece  me  mist  sui 

je  tenus  que  je  li  rende  treu  de  toutes  les  hounours  qui 

en  sa  baillie  m'avenront,  mais  a  nul  autre  je  ne  sui  tenus, 

car  nus  autres  ne  me  mist  en  possession.  Pour  coi  je  voel 

bien  que  vous  dites  a  vostre  empereour  qu^il  ne  fu  mie 

sages  quant  il  tel  parole  me  manda,  que  je  sui  chius  qui 

riens  ne  li  renderoie,  ne  riens  ne  terroiede  lui.  Ains  vous 

di  bien  que  s'il  estoit  demain  entrés  en  ma  terre  pour  oc- 

coison  de  gerroiier,  il  neverroit  ja  mais  a  Roume,  se  Dieus 

ne  me  nuisoit  trop  dure('/.  8y  ''/'ment.    Et  gardés  que 


I .  tant 


MERLIN  l8l 

VOUS  ne  soiiés  ja  mais  si  hardi  que  vous  en  ma  terre  entrés 
pour  teuls  paroles  anonchier,  que  mal  vous  en  porroit 
venir  de  vos  cors.  Et  saichiés  que  se  vous  ne  fuissiés  mes- 
sage(s),  je  vous  fesisse  honnir,  ne  ja  n'en  eussiés  autre 
chose,  »  fait  li  rois.  «  Ore  vous  desfions  nous  dont  de  par    Les  messagers 
le  pooir  de  Roume  et  de  par  toutes  les  terres  qui  sougites  le  défient  et  s'en 
sont  a  lui,  si  vous  disons  bien  que  vous  ne  fesistes  on-  ^°"^' 
ques  chose  dont  si  grant  mal  vous  doive  avenir.  »  «  Aies 
vous  enr.  »  fait  li  rois,  «  car  bien  avés  fait  vos  mes- 
sages, ï) 

Atant  se  départent  cil  de  devant  le  roi,  et  vinrent  en 
la  court,  si  montent.  Et  li  rois  remest  entre  ses  gens  et 
commencha  a  parler  de  remper[e]our  et  dist  qu'il  n'estoit 
bien  sages  quant  il  11  avoit  mandé  qu'il  li  envoiast  treuu, 
car  che  ne  feroit  il  a  nul  homme  terriien.  Mais  or  laisse 
li  contes  a  parler  dou  roi  et  de  sa  compaignie  et  retorne 
a  Gifflet. 


(J,  88  '^)  vJre  di(s)t  li  contes  que  quant  Gifflès  se  fu      Gifflet  arrive 
partis  de  la  court  il  chevaucha,  tout  ensi  armés  comme  ^"  pavillon  du 
il  estoit,  grant  oirre,  et  tant  qu'il  vint  a  la  forest,   si  se  J'^^J^'"^^"  ^'^  '-^ 
torna  celé  part  ou  il  cuida  le  chevalier  trouver  plus  le- 
gierement.   Tant  a  aie  en  tel  manière  qu'il  vint  en  la 
praerie  ou  li  chevaliers  s'estoit  logiés,  et  vint  alafontain- 
ne,  et  le  paveillon  si  biel  et  si  cointe  vit  comme  s'on 
Teust  devisé.  Et  a  Fentree  dou  paveilon  estoit  atachiés 
uns  chevaus  grans  et  fors  plus  noirs  que  meure,  et  de- 
vant a  un  petit  arbrissiel  pendoit  uns  escus  a(u)  chevalier. 
Quant  il  voit  chou,  il  point  son   cheval  celé  part  et  et  le  provoque; 
s'adrece  viers  Tescu  et  le  porte  a  terre.  Et  li  chevaliers 
saut  maintenant  fors  dou  pavillon  et  dist  a  Gifflet  la  ou 
il  le  voit  :  a  Ha  !  sire  chevaliers,  vous  n'avés  mie  fait  que 
courtois  qui  mon  escu  avés  abatu.  A  moi  vous  deussiés 


1 83  MERLIN 

prendre,  se  je  vous  eusse  mesfait,  et  non  pas  a  l'escu  ki 
riens  ne  vous  demandoit.  »  Et  Gifflès  ^  respont  qu'il  Ta 
fait  ou  despit  de  lui  :  «  Or  Tamende,  se  tu  as  le  pooir.» 
«  Or  me  dites  par  corioisie,  »  fait  li  chevaliers,  «  a  qui  vous 
estes.  »  Et  Gifflès  ^  dist  qu'il  est  au  roi  Artu.  «  Voire,  » 
fait  il,  a  or  (f,  88  ^  me  dites,  par  la  foi  que  vous  li  de- 
vés,  chou  que  je  vous  demanderai.  Combien  a  que  vous 
celui-ci,  sachant  fustes  chevaliers?  »  t  Certes,  i  fait  Gifflès,  «vous  m'avés 
qu'il  est  chevalier  ^^^^  conjuré  que  je  ne  vous  mentiroie  pas.  Je  vous  di 
l'engage  àTenon-  loî^iument  que  je  rechui(t)  au  jour  d'ui  l'ordre  de  cheva- 
cer  à  un  combat  lerie  de  la  main  le  roi  Artu(s)  meismes.»  a  Voire,  »  fait 
inégal;  cil,  a  si  estes  si  nouviaus  chevaliers,  et  avéssi  grant chose 

entrepris  comme  de  combatre  encontre  moi,  qui  sui  uns 
des  plus  rennomés  chevaliers  de  ma  terre?  Or  vous  en 
raies  arrière  :  que  nostre  sires  vous  face  preudomme.  Et 
ciertes  si  serés  vous,  se  Dieu  plaist,  que  hautement  avés 
encommenchié  de  cevalerie.  »  «  Comment  dont!  cheva- 
liers,» fait  Gifflès  \  «  si  volés  que  je  m'en  aille  sans  jous- 
ter  a  vous  ?  Che  ne  porroit  estre.  »  «  Si  ferés,  »  fait  li 
chevaliers;  «  car  je  ne  jousteroie  a  vous  ore,  que  se  je 
vous  blechoie,  je  ne  seroie  jamais  liés.  Car  j'ai  espérance 
que  vous  serés  encore  preudom  et  boins  chevaliers  a 
l'aide  de  Dieu.  »  «  Tout  che  ne  vous  vaut  riens,  »  fait 
Gifflès  ^  «  Il  convient  que  vous  montés  et  prendés  vostre 
escu  et  vo  glave,  si  jousterons  ensamble.  Et  se  vous 
chou  me  refusés,  vous  me  ferés  faire  une  chose  qui  a 
honte  me  sera  tornee  :  car  je  sui  a  cheval,  si  vous  fer[r]ai 
la  u  vous  estes  a  pié.  » 

mais  Gifflct  le      {f.  88  ^)  VOUANT  li  chevalicrs  ot  ceste  parole,  il  res- 
menaçant,  pont  tout  en  sourriant  :  «  Certes,  sire  chevaliers,  se  Dieu 

plaist,  vous  ne  commencherés  ja  a  faire  vilounie  pour  de- 
faute  de  moi.  »  Lors  vint  a  son  cheval,  si  monte  et  prent 

I.  gitttet 


MERLIN  l83 

son  escu  et  sa  glave,  et  lors  dist  a  Gifïlet  :  «  Sire  cheva- 
liers, encore  vous  loeroie  jou  ceste  chose  anchois  que  pis 
vous  en  venist.»  Et  Gifflès  dist  que  ja  Dieus  ne  li  ait  se 
il  ensi  le  laisse.  Et  li  chevaliers  respont  qu'il  ne  l'en  priera 
hui  mais,  si  broche  le  ceval  des  espérons  et  s'adrece  a 
Gifflet,  et  il  refait  tout  autretel,  si  s'entrevinrent  tant  il  joute  contre  lui 
comme  il  porentdes  destriers  traire,  et  s'entrefierent  et  si^  ^t  le  renverse  as- 
[s'entredounent]  les  gringneurs  cols  qu'i[l]  se  porent  en-  ^"  .  durement 
tredouner.  Gifflès  fait  sa  glave  voler  en  escars.  Et  li  che- 
valiers, qui  a  droit  le  ^  prist  comme  cil  qui  bien  en  estoit 
acoustumés,  le  fiert  si  durement  qu'il  li  perche  l'escu  et 
l'aubierc,  se  li  met  par  mi  le  costé  senestre  le  fer  de  la 
glave  a  tout  grant  partie  del  fust,  si  que  li  fers  parut 
de  l'autre  part.  Et  de  tant  li  avint  il  bien  que  la  plaie  ne 
fu  mie  morteus.  Il  l'enpaint  bien  conme  cil  qui  estoit  de 
grant  forche,  si  le  porta  tout  enviers  a  la  terre,  et  au 
parcheoir^  brisa  la  glaive,  si  que  chis  remest  a  la  terre 
tous  enferrés.  Et  li  chevaliers  fait  outre  son  poindre  et 
revint  arrière.  Et  quant  il  vit  (f.  88  ^)  chelui  qui  a  terre 
gisoit  qui  n'avoit  pooir  de  soi  relever,  il  descent  errau- 
ment  et  cuide  bien  qu'il  l'ait  mort,  si  en  est  trop  coure- 
chiés  et  le  plaint  trop  durement,  et  dist  que  c'est  damages, 
que  se  il  vesquist  longuement  il  ne  peuust  faillir  a  estre 
boins  chevaliers,  car  il  estoit  trop  hardis.  Lors  li  deslace 
le  hiaume  et  li  oste  et  li  abat  la  ventaille  pour  le  vent 
recueillir.  Et  quant  cil  a  esté  grant  pieche  en  tel  ma- 
nière, il  revint  en  son  pooir,  si  se  dreche  aussi  vighereu- 
sement  que  se  il  fust  tous  sains,  et  vint  a  son  cheval,  que 
li  chevaliers  avoit  retenu,  si  monte  assés  bien  comme  de 
chevalier  qui  moult  estoit  navrés  durement.  Et  prent 
son  escu,  et  il  ot  remis  son  hiaume,  et  lors  dist  au  cheva- 
lier :  «  Certes,  sire  chevaliers,  je  ne  puis  dire  que  vous  Gifflet  se  rcicvc, 
ne  soiiés  preudom  et  boins  chevaliers  ;  assés  savés  mieus  et,  fiJcic  à  sa  pro 
ferir  de  la  laiiche  que  je  ne  cuidoie  ;  mais  se  Dieus  me  con- 

I.  si  et  —  2.  adoroit  li.  —  3.  percheoir 


1 84  MERLIN 

saut,  se  je  eusse  plus  congiet  de  faire  enviers  vous  [que]  de 
lanche,  ja  pour  chou  que  je  sui  navrés  ne  remansist  que 
je  ne  vous  essaaisse  a  Tespée.  »  Et  cil  respont  :  «  Certes, 
sire  jovenes  chevaliers,  vous  avés  assés  cuer  pour  com- 
menchier  une  grant  chose.  Nostre  sires  vous  doinst  le 
pooir  de  vous  eslever,  car  ensi  ser(i)és  vous  uns  des  boins 
che(f.  8g  ^)valiers  dou  monde.  »  Il  ne  respont  a  riens 
que  li  chevaliers  li  die.  Ensi  en  vait  grant  oirre,  si  na- 
vrés que  uns  autres  hora,  s'il  ne  fust  de  trop  grant  cuer, 
ne  se  peust  tenir  en  sele  pour  riens  dou  monde. 


revient  à  la  cour,  Ensi  chevauce  tant  que  a  la  court  vint  a  eure  de 
où  on  panse  ses  vespres,  et  il  estoit  encore  tous  enferrés.  Et  il  en  vint  en 
plaies.  j^  g^jg  ^Q^^  ^  cheval,  et  quant  li  rois  le  vit  venir  san- 

glent si  coume  il  estoit,  il  li  dist  trop  courechiés  :  0  Ha! 
Gifflès  \  or  vous  vausist  mieus  que  vous  fuissiés  remés. 
Je  vous  disoie  bien  que  vous  n'av[r]iés  durée  au  chevalier. 
Que  vous  en  samble  il?  »  «  Sire,  se  Dieu[s]  m'ait,  c'est  li 
mieudres  chevaliers  que  je  veisse  piecha  et  li  plus  cour- 
tois que  je  onques  trouvaisse.  Car  il  jousta  moult  a  en- 
vis  a  moi  pour  chou  qu'il  me  veoit  si  jovene  houme,  et 
au  daerrain  il  m'euust  ochis  si  li  pleust,  mais  il  ne 
vaut,  ains  me  rendi  mon  cheval  et  me  dist  que  trop  li 
pesoit  de  chou  que  il  m'ot  navré.  »  «  Par  Diu,  »  fait  li 
rois,  a  vaillans  est  li  chevaliers,  et  bien  est  gratieus  et  de 
chevalerie  et  de  cortoisie.  Pleust  ore  a  Dieu  que  je  le  re- 
samblaisse!  »  Lors  sont  mandé  li  mire,  si  font  desa[r]mer 
Gifflet  et  le  desfererent,  et  dient  au  roi  qu'il  n'a  garde  de 
morir,  car  il  le  cuident  bien  garir  assés  prochainne- 
if'  ^9  y  ment.  Mais  (c)oren  laisse  li  contes  a  parler  de 
Artuseièvcia  lui,  et  dist  que  li  rois  Artus  pensa  moult  au  chevalier  la 
nuit,  s'arme  en  ^^jf  Et  se  il  peust  aler  a  lui  si  couvertement  que  si 
'^''^'^^'  homme  ne  le  seussent,  volontiers  le  fesist  ;  et  tant  fu  li 

I  gitflet 


MERLIN  l85 

rois  pensis  celé  nuit,  si  dormi  peu  et  pensa  moult.  Et  un 
peu  devant  chou  qu^il  deuust  ajorner,  il  apiela  un  sien 
cambrelent  qui  moult  estoit  ses  privés,  se  li  dist  :  «  Va,  si 
me  porcache  orendroit  mes  armes  a  cheval  et  canqu'il 
affiert  a  chevalier,  et  fai  ceste  chose  si  couvertement  que 
nus  ne  le  sace  ne  mais  tu  seulement.  »  «  Ha!  sire,  »  fait 
il,  «  k'en  volé[s]  vous  faire?  »  «  Ne  te  caille,»  faitli  rois  : 
«  ne  t'esmaie,  car  je  revenrai,  se  Dieu  plaist,  a  eure  de 
prime.  » 


t^His  n'ose  refuser  le  conmandement  de  son  signour, 
si  keurt  et  appareille  vistement  canques  ses  sires  li  ot 
commandé.  Et  quant  il  vint  en  la  cambre,  si  trueve  que 
li  rois  estoit  vestus  et  ^  cauchiés.  «  Sire,»  fait  il,  «  tout  che 
que  vous  me  commandastes  est  apparillié.  »  «  Che  me 
plaist  moult,  »  fait  li  rois,  si  prent  ses  armes  mainte- 
nant. Et  quant  il  est  tous  armés,  si  fait  son  cheval  me- 
ner fors  de  la  chité  par  un  jardin  qui  d'encoste  sa  cham- 
bre  estoit.  Quant  li  rois  fu  hors  des  murs,  il  monte  en  ^^  ^^^.^^^  j^yj,,^ 
son  cheval  et  prent  son  escu  (/.  8g  <=J  et  sa  glaive.  Et  pour  aller  com- 
lors  dist  a  soncambrelent:  «  Je  voelque  tu  remaingne[s]  battre  le  chevalier 
sous^cest  arbre,  et  m'aten  tant  que  je  reviegne.  Car  se  tu  de  la  forêt. 
aloies  laiens,  mi   houme   t'acoisonneroient   pour  moi 
quant  il  ne  me  trouveroient.  »  Et  cil  dist  :  «  Sire,  vous 
dites  voir.  Et  pour  chou  remanra  je  et  vous  atlenderai 
tant  que  Dieus  vous  ramaint.  )) 


Atant  se  part  li  rois  de  son  cambrelent  tout  ensi  ar-  Aujour,iircn- 
més  com  il  estoit,  et  cevauchc  le  petit  pas  del  cheval  tant  contre  dans  la  fo- 
comme  a  la  foriest  vint,  et  lors  fu  li  jours  grans  et  biaus  r^t^io'»",  poul- 
et clers.  En  che  qu'il  fu  mis  en  la  foriest,  il  encontre  ^"'^'P^'-^'^'^^û. 

XM      \-  -1  r    •    .  .1  •  •    chcrons  qui  veu- 

Merlmquisen  afuioit  canques  il  pooit  pour  trois  vi- 1^,^^,^,^^^.^; Artu 

les  met  en  luite. 
I.  a  —  2.  scur 


l86  MERLIN 

lains,  leur  cuingnies  a  leurs  cols  dont  (dont)  il  li  voloîent 

coper  la  teste.  Et  quant  li  rois  voit  Merlin  et  il  le  con- 

noist,  si  en  fu  moult  esbahis,  si  vint  au  vilain  qui  de 

plus  près  le  venoit  ataignant  et  dist  :  €  Fui,  vilains,  ne 

le  touce  pas,  car  je  te  tuerai  maintenant.»  Et  quant  cil 

voit  le  chevalier  armé  qui  le  manace,  il  tour[ne]  en  fuies  et 

se  fiert  en  la  forest  la  ou  il  se  cuide  plus  tost  garandir, 

et  aussi  font  li  autre,  qui  n'avoient  pas  petit  de  paour 

dou  chevalier  armé.  Et  li  rois  vint  a  Merlin  et  li  dist  : 

«  Merlins,  vous  estiés  près  de  mort  se  Dieus  ne  m'eust  a 

che  point  amené  seur  vous.  »  «  Ne  vous  esmaiC/.  8g  ^'Jiés 

Merlin  lui  dit  dont,  rois,  »  fait  Merlins,  «  car  vous  estes  plus  près  de 

qu'il  va  courir  un  j^^  ^oxx  que  je  n'cstoie  se  on  ne  met  conseil  en  votre 

gran    anger.car  ^^^^^^^  »  a  Et  VOUS  que  savés  ?  »  fait  li  rois.  «  Je  le  sai 

Il  n'a  encore  ni  la  .  *■ 

force  qu'il  aura  bien,  »  fait  Merlins.  «  Dont  n'estes  vous  cha  venus  pour 
plus  tard  ni  une  combatre  au  chevalier  dou  paveillon?  »  «  Oil  voir,  »  fait 
épée  comparable  ]\  fois.  «  Orc  sac[i]és  de  voir,  »  fait  Merlins,  «  que  vous 
à  celle  de  son  ad-  ^,j  ^verés  ja  durée,  et  si  vous  dirai  pour  coi.  Il  est  durs 

vcrsïiirc 

chevaliers  et  fors  et  ausés  del  mestier  et  preus  et  hardis, 
et  vos  estes  jovenes  et  tenres,  ne  n'estes  pas  en  si  grant 
force  de  la  moitiet  que  vous  serés  encore  tresqu'a  cinc 
ans,  ne  ne  Pavés  ausé,  si  n'avés  armeure  qui  riens  vaille, 
ne  espee  tele  comme  elle  vous  afiferroit,  et  il  a  les  mil- 
lours  armeures,  en  mon  ensient,  qui  soient  en  che  pais. 
Et  avoec  chou  il  a  une  espee  qui  bien  affiert  a  roi  tele, 
car  ele  est  par  convent  la  meillour  que  chevaliers  q  ui 
soit  en  che  pais  ait  en  sa  baillie.  Ore  esgardés  que  vous 
estes  bien  garnis  encontre  lui.  Je  ne  voi  chose  qui  vous 
doive  orendroit  valoir  fors  boin  cuer  et  le  hardement 
dont  vous  estes  plains.  Dont  je  vous  pri  que  vous  retor- 
nés,  car  trop  seroit  grans  duels  et  damages  [que  vous],  qui 
devés  venir  a  très  grant  honnour  et  a  trop  ^  g[r]eignour 
chose  que  vous  ne  sariés  (f.  go  ^J  cuidier  %  perissiés  en 
tele  manière.  »   «  Merlins,  vous  ne  me  poriés  dire  chou 

1.  1res  — •  2.  cuidies 


MERLIN  187 

por  coi  je  retornaisse  devant  che  que  j'aie  le  chevalier    Mais  Artu veut 
essaiié  a  l'espee  et  a  la  lanche.  »   «  Et  puis  que  mon  absolument     ce 
conseil  ne  volés  croire,  »  fait  Merlins,  «  ore  vous  en  con- 
viegne  bien,  car  je  ne  m'en  entremeterai  hui  mai[n)s.» 


Lors  dist  li  rois  a  Merlin  :  «  Merlins,  pour  coi  vous 
cachoient  ore  li  vilain  ?»  Et  Merlins  commenche  a  sor- 
rire  et  puis  si  dist  :  «  Il  me  cachoient  pour  une  parole 
que  je  leur  dis  et  si  estoit  vérités.  »  Et  li  rois  demande 
quels  ele  fu.  «  Che  vous  dirai  je  bien,  »  fait  Merlins. 

a   VoiRS  est  que  quant  j'aloie  ore  par  ceste   forest    Merlin  lui  ra- 
ainsi  seul  comme  vous  veés,  aventure  me  mena  sour  ces  conte  que  lesbû- 
vilains  qui  caupoient  deus  kaisnes  et  se  hastoient  moult  ^hérons   im   en 
durement  de(l)  les  mettre  par  terre.  Et  je  lor  dis  :  «  Pour  q°?ii^'J"ur  avait 
coi  vous  hastés  vous  si  de  ceste  besoigne  ?  )>  «  Pour  chou  p,édit  leur  mort 
qu'il  nous  est  besoing,  »  respondent  il.   «  Voire,  a  ma-  prochaine,  qui  va 
leure,»  fis  jou,  a  si  vous  est  grant  besoing  que  vous  venés  e»  effet  arriver. 
«  a  votre  honte.  Certes  c'est  grant  folie,  car  bien  sach[i]és 
a  que  vous  de  tant  les  verres  plus  tost  abatus,  de  tant 
«  recheverés  vous  plus  tost  mort.  Carli  dui  de  vous  seront 
«  pendu  a  ces  kaisnes  meismes,  et  li  tiers  sera  ochis  d'une 
a  de  (f.  go  ^J  vos  cuingnies.»  Quant  il  oirent  chou  que  je 
disoie,  si  en  furent  moult  tormenté  [de]  la  parole  et  me 
coururent  sus,  les  cuingnies  en  leur  mains,  pour  moi  oc- 
chirre.  Il  m'eussent  mal  fait,  s'il  eussent  loisir  eut.  » 
«  Ore  me  dites,  Merlins,  est  il  voirs  qu'il  leur  avenra 
ensi  conme  vousl'avés  dit?  »  «  Certes  oil,»  fait  Merlins, 
«  que  si  tost  comme  il  seront  la  '  venu  il  s'entremelleront 
ja  ensamble  pour  un  cheval  qu'il  achatcront  entrevoies; 
car  chascuns  le  vaurra  avoir  a  sa  part  pour  chou  que  li 
marchiés  lour  samble  boins.  Et  pour  chou  montera  cn- 


I.  la 


1 88  MERLIN 

tr'aus  trois  la  mellee,  si  ochirront  11  dul  qui  frère  sont  le 
tierc,  qui  est  lour  cousins  germains.  Et  maintenant  verra 
sur  le  fait  meismesla  justice  de  la  ville,  qui  les  fera  saisir 
et  pendre  as  chaisnes  meismes  que  il  averont  aporté  dou 
bos,  pour  chou  que  si  près  seront  trouv(i)et  li  fust.»  Et  li 
rois  commenche  a  sorrire  de  ceste  chose  et  dist  que  ceste 
aventure  que  Merlins  set  ne  set  il  mie  de  par  Dieu,  mais 
de  par  le  mal  esprit.  «  Or  ne  parlés  plus,  i)  fait  Merlins, 
«  de  mon  savoir  ;  je  cuic  qu'il  vous  vaurra  encore  mieus 
que  toute  vostre  poesté.  » 

Ils  arrivent  au       1  ANT  Ont  aie  parlant  en  tel  manière  qu^il  vinrent  en 
pavillon  ;  Merlin  la  praerie  ou  li  chevaliers  {f.  go  <=)  s'estoit  logiés.   Et 
isparait.  quant  li  rois  se  regarda,  il  ne  vit  Merlin  ne  loing  ne 

près,  si  prist  a  sorrire  et  dist  que  moult  a  afaire  qui  le 
dyable  veult  garder  :  il  cuidoit  bien  que  Merlins  fust  en- 
core d'encoste  lui,  et  ore  Ta  si  dou  tout  perdu  qu'il 
n'en  (nen)  set  ne  vent  ne  voie.  Quant  li  rois  vint  dalés 
la  fontainne,  si  trouva  le  chevalier  tout  armé  fors  d'escu 
et  de  glave  qui  se  seoit  en  une  kaiiere  a  l'entrée  dou 
Artu  provoque  paveillon.  Li  rois  li  dist  sans  saluer  :  «  Sire  chevaliers, 
le  chevalier;  q^j  y^^g  Commanda  a  garderie  trespas  de  ceste  forest 
en  tel  manière  qu'il  n'est  chevaliers  estraingnes  ne  privés 
qui(l)  trespasse  par  mi  la  foriest  le  chemin  qu'il  ne  con- 
viegne  jouster  a  vous?  »  «  Sire  chevaliers,  »  fait  il,  t  jou 
meesmes  em  pris  le  congié  sur  moi  sans  auctorité  et  sans 
grasce  d'autrui.  »  «  Vous  estes  trop  mesfait,  »  fait  li  rois, 
a  en  tant  quant  vous  a  tout  le  mains  n'en  prisistes  con- 
giet  au  signeur  de  la  terre.  Et  je  vous  commanc  de  par 
lui  que  vous  ostés  votre  paveillon  de  chi,  et  ne  soiiés  ja- 
mais si  hardis  que  vous  vous  entremêlés  de  tel  chose 
faire.  »  Et  il  respont  qu'il  n'en  laira  riens  pour  lui  ne 
pour  autrui  devant  chou  que  aventure  ait  amené  cheva- 
lier qui  par  armes  le  puisse  conquerre.  «  Par  mon  chief,  » 
fait  li  rois,  «  ore  est  cil  venus  ff,  go'^)  qui  par  armes 


MERLIN  189 

VOUS  conquerra,  ou  Je  serai  en  ceste  place  honnis  et  re- 
creans.  Et  pour  chou  voel  jou  que  vous  vous  gardés  de 
moi,  car  je  vous  desfi,  et  montés  isnielement  sour  vostre 
cheval,  u  autrement  vous  feroie  jou  toute  vilounie  la  ou 
vous  en  estes  ensi  tout  a  piet.  » 


Li  chevaliers  respont  qu'il  a  oi  maint  orgilleus  par-  iis  joutent 
1er  dont  il  prisoit  moult  petit  l'orgueil,  et  si  fait  il  de 
cestui ,  et  bien  le  cuide  mètre  en  mesure  en  peu  de 
terme.  Lors  vint  a  son  cheval,  si  monte,  et  prent  son 
escu,  sa  glaive,  et  demande  au  roi  Artu(s)  s'il  veultjouster. 
Et  il  respont  qu'il  n'est  venus  ceste  part  pour  autre 
chose.  Si  s'entreslongent  erraument  plus  que  uns  arpens  une  première 
ne  dure,  et  s'entrevienent  grant  oirre  les  glaives  abais- 
sies,  si  s'entrefierent  si  durement  que  les  glaives  volent 
en  pièces,  et  s'entrehurtent  des  cors  et  des  visages  si  que 
il  en  sont  estourdi  et  estonné,  mais  ne  chei  ne  li  uns  ne 
li  autres  a  celé  fie,  ains  s'em  passent  outre  ambedui 
mal  arreé  et  tout  desconreé.  Et  quant  il  furent  mis  ou 
repairier,  li  rois  met  la  main  a  Tespee  et  vaut  courre  sus 
au  chevalier.  Mais  li  chevaliers  dist  :  «  Ha  I  sire  cheva- 
liers, s'il  vous  plaist,  (f.  gi  ^)  si  ne  commenchons  mie 
encore  la  mellee  des  brans,  mais  je  vous  dirai  que  nous 
ferons,  et  si  sera  grant  cortoisie.  Nous  avons  lanches  a 
grant  plenté,  fortes  et  boin[e]s,  [si  en  prenons]  et  re- 
commenchons  entre  moi  et  vous  a  jouster  tant  que  li  uns 
de  nous  d'eus  chiece.  Après  quant  li  uns  de  nous  sera 
cheus,  lors  porrons  nous,  s'il  vous  bien  plaist,  commen- 
chier  le  caple.  »  Et  li  rois  dist  que  che  veult  il  bien.  Et 
maintenant  aporte  li  chevaliers  deus  glaives,  si  en  baille  et  une  deuxième 
l'une  au  roi  et  l'autre  retient,  et  lors  rencommenche  a  fo'^  sans  résuu 
jouster  a  lui,  et  laisse  courre  li  uns  a  l'autre,  et  refont  ^''^• 
voler  leur  glaives  en  escars,  mais  nus  d'eus  ne  versa  a 
terre.  Et  lors  dist  li  chevaliers  al  roi  :  «  Si  m'ait  Dicus, 
sire  chevaliers,  je  ne  sai  qui  vous  iestes  ;  car  vous  estes  li 


igO  MERLIN 

mieudres  jousteres  que  jeonques  Irouvaîsse.  Si  n'ensoiiés 
mie  orgilleus,  que  je  ne  le  di  mie  pour  amour  que  j'aie  a 
vous,  mais  pour  le  bien  que  jou  i  voi.  » 


Li  rois  ne  respont  a  riens  que  li  chevaliers  li  die. 
Et  cil  li  redist  :  a  Je  vous  pri  que  vous  joustés  encore 
la  tierce  lanche.  »  Et  li  rois  li  dist  que  il  ne  l'en  faudra 
ja  tant  com  il  puist  son  cors  tenir  en  sele.  Et  cil  li  reporte 
à  la  troisième,  erraument  une  autre  lanche,  et  il  la  prent  ;  nonporquant 
si  se  doloit  il  moult  de[s]  deus  joustes  qu'il  avoit  {f,gi  ^) 
faites,  car  trop  estoit  li  chevaliers  de  grant  force.  Lors 
laissent  courre  moult  aireement  li  uns  viers  l'autre,  et  si 
poise  moult  chascun  de  chou  qu'il  n'a  son  compaignon 
abatu  ;  si  s'entrevienent  si  angoisseusement  qu'il  samble 
bien  a  la  friente  des  chevaus  que  la  terre  doive  fondre 
devant  eus,  et  quant  il  s'entraprochent  si  s'entrefierent 
si  durement  qu'il  metent  les  fers  des  glaives  par  mi  les 
escus;  mais  ii  hauberc  sont  si  fort  ambedui  qu'il  ne  se 
pueent  entamer.  Il  vinrent  de  grant  force,  si  font  les 
glaives  voler  ^  em  pièces,  et  par  [le]  hurter  qu'il  firent  des 
le  cheval  d'Artu  cors  et  dcs  escus  vole  a  terre  li  chevaus  le  roi  sour  sen 
est  renverses  et  cors.  Et  li  autres  chevaliers  fait  outre  son  poindre  et  re- 
s'enfuit  dans  la  yiept  assés  tost.  Et  li  rois  fu  ja  relevés  de  terre,  mais  de 
son  cheval  il  n'ot  point,  car  il  se  fu  férus  en  la  forest.  Et 
quant  li  chevaliers  voit  le  roi  a  piet,  il  li  dist  :  «  Sire 
chevaliers,  vous  savés  bien  comment  il  est  et  connissiés 
bien  que  jou  ai(e)  le  meillour  de  la  bataille,  car  vous  estes 
a  piet  et  je  sui  a  cheval.  Mais  par  mi  chou  que  vous  estes 
li  mieudres  jousteres  que  je  onques  trouvaisse  vous  qui- 
terai  je  de  ceste  bataille,  s'il  vous  plaisoit  ;  car  je  en  nulle 
manière  ne  vaurroie  qu'il  vous  avenist  honte  en  lieu  u 
je  fuisse.»  (J.  gi  ^)  Et  li  rois  dist  que  ja,  se  Dieu  plaist, 
pour  chou  se  il  li  est  ore  mesavenu  au  jouster  ne  laira  il 

.  volées 


MERLIN  191 

ja  sa  bataille,  ains  le  siurra  dusques  a  la  fin,  et  qui 
Dieus  en  donra  l'ounour,  si  la  prengne.  Quant  li  cheva- 
liers oi  ceste  parole,  si  respont  :  «  Comment!  (se)  vous 
[vous]  volés  combatte  a  moi  qui  sui  a  cheval  et  vous  estes 
a  pié?  si  veés  vous  bien  que  j'en  ai  le  milleur.  »  «  Gom- 
ment que  vous  en  soiiés  au  desus,  »  fait  li  rois,  a  ma  ba- 
taille ne  laira  je  mie,  car  je  n'averoie  ja  mais  hounour, 
en  chou  que  je  sui  encore  sains  et  haitiés.  » 


VIDANT  li  chevaliers  voit  que  autrement  ne  puet  es-  Le  chevalier 
tre,  il  se  pourpensa  lors  d'une  proueche  ki  adonques  descend  alors  du 
n'avoit  esté  faite  ou  roiame  de  Logres,  et  puis  la  firent  ^*^"'  ^^  îiscom- 
ensi  maint  preudomme.  Li  rois  tint  l'escu  en  cantel  et  f  ^,^"^  '^'^  ^ 
Tespee  en  la  main,  et  s'adrece  viers  celui  qui  a  cheval  es- 
toit.  Et  quant  cil  le  voit  venir,  il  se  traist  un  poi  arrière 
et  dist  au  roi  :  «  Sire  chevaliers,  souffres  vous;  ja  se  Diu 
plaist  ne  me  combaterai  a  vous  tant  comme  je  soie  a 
cheval  et  vous  a  pié.  Car  certes  se  je  vous  conqueroie  en 
tel  manière  n'i  avroie  ja  hounour.  »  Lors  descent  errau- 
ment  et  atache  son  cheval  a  l'entrée  de  son  paveillon, 
et  lors  embrace  Tescu  et  trait  l'espee  et  (f.  gi  ^}  dist  au 
roi  :  «  Sire  chevaliers,  ore  avérai  jou  gringnour  honnour 
de  combatre  a  vous  que  je  n'eusse  a  cheval.  Mais  encore 
vous  loeroie  jou  en  droit  de  bien  que  vous  laissiés  ceste 
bataille  ester.  »  Et  li  rois  dist  que  che  ne  feroit  il  en  nule 
manière.  Et  lors  laisse  li  chevaliers  courre,  et  li  donne 
grant  cop  sour  sen  escu,  si  qu'il  en  abat  un  cantel.  Et  li 
rois  n'est  mie  lens,  ains  li  donne  par  mi  le  hiaume  si 
grant  cop  que  il  puet  amener  de  haut,  si  que  li  cheva- 
liers est  tous  cargiés  dou  cop  soustenir.  Mais  il  estoit 
fors  et  hardis  et  ausés  de  tel  mestier  et  savoit  de  l'escre- 
mie,  si  tient  le  roi  si  court  a  l'espee  trenchant  que  an- 
chois que  chis  premiers  assaus  remansist  ot  li  rois  deus 
plaies  ou  cors  dont  uns  autres  hom  se  tenist  a  mort  fcrus 
de  la  menour,  si  ot  ja  moult  pierdu  son  sanc,  car  l'espee 


192  MERLIN 

àu  chevalier  estoit  de  moultgrant  bonté.  Etli  rois  (toutes) 
voies,  qui  de  grantcuer  et  degrant  hardement  estoit  gar- 
nis, s'esforce  toutes  voies  et  endure  que  cil  giete  seur  lui 
menu  et  souvent,  mais  il  n^ot  pas  esté  si  lens'  qu'il  n'ait 
au  chevalier  trait  assés  par  pluiseurs  parties,  car  il  li  ot 
fait  plaies  assés,  petites  et  grans. 


Le  combat  est  1  ANT  dure  en  tel  manière  que  li  uns  et  li  autres  est 
long,  et  monsei-  (f.g2^)  assés  travilliés.  Et  che  avoit  au  roi  moult  aidié 
gneur  Robert  de         j|  gg^^j^  j^q^j^  pjug  legiers  et  plus  vistes  que  li  au- 

Borron  dit  que  le  ^  1  ,.  ,  .  .  ,         •    ,       . 

roi  aurait  bien  pu  ^^^^  chevalicrs  n  cstoit,  qui  cncore  n'avoit  barbe  ne  gren- 
«tre  vainqueur  ;  HOU,  ains  iert  jovencs  enfes.  Et  se  il  fust  aussi  bien  ar- 
més et  d'espee  et  de  toutes  choses  comme  li  autres 
chevaliers  estoit,  me  sires  Robiers  de  Borron  =  qui  cest 
conte  mist  en  escrit  di(s)t  tout  apertement  que  li  rois  peust 
bien  avoir  au  loing  le  plus  biel  de  la  bataille,  a  chou  qu'il 
n'eust  mie  tant  perdu  de  sanc  comme  il  avoit.  Et  chou 
estoit  une  chose  qui  auques  l'avoit  alenti  et  tolut  grant 
partie  de  sa  force  et  de  son  pooir. 


Après  le  premier  assaut,  quant  il  se  furent  un  poi 

reposé,  rapiela  li  chevaliers  le  roi  a  la  bataille.  Et  cil 

l'assaut  vighereusement,  mais  moult  le  fesist  encore  plus 

tost  se  pour  le  sanc  ne  fust  dont  il  avoit  perdu  foison. 

Si  avint  a  chelui  cop  que  li  rois  haucha  l'espee  pour  ferir 

le  chevalier,  et  li  chevaliers  refist  tout  autretel  pour  ferir 

au  roi,  se  il  peust,  et  ensi  que  les  espees  vinrent  l'une 

contre  l'autre  et  li  achier  s'entrecontrerent,  convint  que 

mais    son  épée  H  piour  brissast  et  faussast.  Et  pour  chou  que  l'espee  au 

se  brise  contre  chevalier  cstoit  la  millour  et  la  plus  dure,  en  copa  il  Tes- 

celle  du  cheva- pegigj.oi(t)  tout  outre  par  mi  par  devant  le  heut^jC/.  p2  ^) 

I.  lent  —  2.  birron  --  3.  heus 


MERLIN  193 

si  que  li  brans  l'en  chei  a  terre,  et  le  heudure  en  re- 
mest  le  roi  en  sa  main. 


V^ANT  li  rois  voit  qu'il  a  s'espee  perdue,  il  n'est  pas 
bien  asseur,  a  chou  que  il  se  sent  navret  et  travillié  et 
connoist  son  anemi  a  tre's  boin  chevalier,  si  ne  set  que 
faire,  car  ore  se  voit  il  em  péril  de  perdre  la  vie  et  toute 
l'ounour  terriiene,  ne  si  n^ot  onques  mais  si  grant  dou- 
tance  comme  il  a  orendroit.  Et  quant  li  chevaliers  le  vit 
sans  espee,  il  se  ^  pensa  qu'il  le  metera  jusques  a  paour 
de  mort  pour  savoir  s'il  en  porroit  traire  parole  de 
couardise,  car  de  tant  set  il  bien  qu'il  est  drois  hardis. 
Lors  commencha  a  gieter  sor  lui  plus  et  plus;  et  li  dé- 
pêcha son  hiaume  et  son  escu  et  son  hauberc.  Et  li  rois 
se  cuevre  toutes  voies  de  tant  d'escu  comme  il  avoit,  et 
endure  et  suefFre  le  force  dou  chevalier;  et  il  avoit  tant 
apris  de  Tescremie  que  peu  avient  que  li  chevaliers  le 
fiere  se  sour  son  escu  non.  Si  s'esmierveille  moult  li  Ceiui-d engage 
chevaliers  comment  li  rois  puet  tant  soustenir,  car  che  Artu  à  s'avouer 
set  il  bien  qu'il  a  trop  perdu  de  sanc,  se  li  pèsera  trop  si  ^''*'"'^"' 
le  mainne  a  mort,  car  moult  Ta  trouvé  boin  chevalier 
et  preu,  et  le  prise  sour  tous  chiaus  qu'il  encontrast 
onques.  Lors  dist  au  roi  pour  essaiier  qu'il  dira  :  «  Sire 
chevaliers,  vous  savés  bien  comment  il  est.  Vous  estes 
aies,  se  vous  (f.g2^)  ne  vous  tenés  a  outré  et  a  vaincu 
de  ceste  bataille.  Et  bien  sachiés,  se  vous  ne  vous  metés 
del  tout  en  ma  merchi,  vous  n'avérés  ja  raenchon  que  je 
ne  vous  caupe  le  chief.  »  a  Certes,  dans  chevaliers,  »  fait 
li  rois,  «  vous  estes  fols  de  ce  requerre.  Ja  se  Dieu  plaist 
pour  paour  de  mort  ne  dirai  parole  qui  a  honte  me  peust 
torner,  car  certes  je  doue  plus  honte  que  je  ne  faich  le 
mort.  »  a  Che  n'a  mestier,  »  fait  li  chevaliers  :  «  a  dire 
vous  comvient  autre  chose,  ou  vous  estes  a  la  mort  vc- 


194  MERLIN 

nus.  »  «  Quant  la  mort  verra,  »  fait  li  rois,  €  a  reche- 

voir  le  me  converra.  Mais  je  ne  cuich  mie  que  la  mors 

me  soit  encore  si  prochainne  comme  vous  le  dites.»  Et 

lors  jeté  l'escu  a  terre  et  tant  comme  il  tenoit  de  l'espee 

mais  il  refuse,  et,  en  sa  main,  et  court  au  chevalier  et  Pembrace  par  mi  les 

Raisissant  le  chc-  fl^ns  et  le  licve  haut  de  terre  un  pié  ou  plus  et  puis  le 

vaher,  le  jette  à  ^^^  ^  ^^^  ^^^^^  desous  lui,  si  qu'il  le  tient  entre  lui  et  la 

terre,  sans  pou-  _..,..,  ,.,  r 

voir  le  tuer  faute  terre.  Et  Cil  chei  SI  durement  qu  il  en  tu  tous  estounes. 

d'arme.  Et  li  rois  ahert  son  hiaume  si  fort  qu'il  en  derront  les 

las,  et  li  esrache  dou  chief,  ou  cil  voelle  u  non,  et  le  gete 
en  voiles.  Et  se  il  euust  adont  euut  de  quoi  le  chevalier 
damagier,  finee  fust  la  bataille  ;  mais  il  avoit  les  mains 
toutes  vuides,  se  ne  li  pot  mesfaire  rien  se  petit  non. 


(f-  9^  V  Vc^ANT  li  chevaliers  voit  qu'il  est  ensi  au 

desousquechi[lJ  l'a  mis  desous  lui  etli  a  tolut  son  hiaume, 

il  n'est  pas  bien  asseur  ;  car  se  li  rois  puet  tant  faire  que 

il  tiegne  as  ses  mains  l'espee,  qui  assés  estoit  près  de  lui 

et  qui  estoit  cheue  des  mains  au  chevalier  au  cheoir  qu'il 

fist  a  terre,  il  connoist  bien  qu'il  a  Testour  perdu.  Et 

Celui-ci  serre  pour  chou  s'csforcc  pour  paour  de  mort,  et  prent  le  roi 

Artu  si  fort  qu'il  de  toute  sa  fofce  as  deus  bras,  si  l'estraint  encontre  son 

lui    fait   lâcher    -    g-  Purement  qu'il  li  fu  avis  qu'il  doive  d'angoisse 

prise,  le  renverse  ^        .  .  ,  .tir  i>  «i- 

sousiui,etvaiui  "^o^^^>  ^^  P^^^  ^^  P^^^^  ^*  ^^  force,  tant  1  cstraïut  chis 
couper  la  tête,  durement.  Et  quant  li  chevaliers  voit  le  roi  laskier,  il 
vient  desus  et  met  le  roi  desous.  Et  se  traist  viers  l'espee 
et  tant  fait  qu'i[l]  la  prent;  et  si  tost  qu'il  la  ti[e]nt,  il  est 
si  dolans  de  la  painne  et  dou  travail  qu'il  a  souffert  et  de 
la  paour  qu'il  ot  euue  que  il  en  oublie  toute  deboinai- 
reté,  et  s'appareille  dou  roi  cauper  la  teste.  En  çou  qu'il 
li  voloit  cauper  les  las  dou  hiaume,  Merlins,qui  près  d'il- 
luec  estoit  et  avoit  tout  dis  regardé  la  bataille,  quant  il 
voit  le  roi  em  péril  de  mort,  il  li  est  avis  que  il  porroit 
bien  trop  attendre,  car  s'il  demeure  un  peu  il  n'i  verra 
ja  mais  a  tans. 


MERUN  195 


Lors  vint  celé  part  si  grant  comme  il  puet  {f,  g3  ^) 
oirre,  et  trueve  que  li  chevaliers  avoit  ja  au  roi  osté  le  ^ 
hiaume  fors  de  la  teste.  Et  quant  il  voit  celé  chose,  il  a    q"and   Merlin 
paour  et  trait  au  chevalier  :  «  Chevaliers,  ne  le  touchiés  ''^"'^'^'^  <^^^"'  '^'^ 

,  f  r  -^       j  1  ^       r        •        1  •  1     que  son  adversai- 

ne  plus  ne  h  faites  de  mal  :  car  tu  feroies  le  roiame  de         ,     .  » 

.  ,  re  est  le  roi  Artu. 

Logres  orfenin  de  boin  signour.  »  «  Gomment  !  »  fait  li  L'autre   n'écou- 
chevaliers,  «  es  che  dont  li  rois  Artus?  »  «  Oil,  certes,  »  tant  rien,  Merlin 
fait  Merlins.  Et  cil  fu  courechiés,  si  dist  que  ja  pour  chou  ''endort       d'un 
ne  laira  qu'il  ne  l'ochie,  si  dreche  l'espee  pour  ferir.  Et  '°'''"^'"    "''^^■ 
quant  Merlins  voit  chou,  si  gete  son  enchantement  si  ^"'^' 
qu'il  fait  endormir  le  chevalier  desus  le  cors  Artu[s).  Et 
Merlins  dreche  sus  le  roi  et  li  dist  :  «  Ore  pues  tu  veoir 
que  mieus  te  vaut  mes  sens  que  ta  proueche.  Et  che  te  di[s] 
je  hui  matin  qu'il  averroit.»  Li  rois  se  dreche  erraument 
et  trueve  le  chevalier  qui  dormoit  et  qui(l)  ne  se  remuoit 
de  riens,  si  quide  bien  qu'il  soit  mors  et  que  Merlins 
l'ait  ochis  par  son  enchantement;  si  dist  erraument  a  Mer- 
lin :  «  Ha  I  Merlins,  mal  as  fait  qui  cest  chevalier  as 
mort  :   ja  mais  chis  damages  n'iert  recouvrés  ;  car  chou 
estoit  a  mon  ensient  li  mieudres  chevaliers  dou  monde. 
Si  vausisse  mieus,  se  Dieus  me  consaut,  avoir  pierdu  le 
milleur  chastiel  que  j^aie  que  tu  Teusses  ensi  ochis.  )> 
t   Comment  !  »   fait   Merlins,    «  quides   tu    dont  qu^il 
{f.  g3  ^)  soit  mors?  »  «  Il  le  me  samble,  »  fait  li  rois. 
«  Ore  saches,  »  fait  Merlins,  «  qu'il  est  tout  vis,  et  qu'il 
ne  s'esveillera  ja  devant  che  qu'il  me  plaira.  »  «  A  poi,  »     Artu  voit  com 
fait  li  rois,  a  que  je  n'ai  esté  hounis  par  m'espee  qui  me  ^'^"  ""'^  ''^""'^ 

r  -11-  XT      1  j-      •      •      .•  f  •      XA      ,.         <^'P^e  lui  est  nc- 

failli.  »  «  Ne  le  vous  disoie  je  bien,  »  fait  Merlins,  ccssairo;  Merlin 
«  qu'elle  ne  vous  averoit  ja  durée?  Et  saces  que  je  ne  lui  dit  qu'il  n'y 
sai  en  che  pais  c'une  boine  espec,  et  celé  est  en  un  lach  en  a  dans  ic  pays 
ou  fées  habitent.  Se  celle  poés  avoir,  elle  vous  durroii ''"'""'^  bonne, 
tresqu'a  la  fin.  »  «  Ha!  biaus  amis  Merlins,  »  fait  li  rois,  [^c'veiiieuse- c'iic 

est  dans  un  lac, 

i.li 


196  MERLIN 

où  habitent  les  «  porriés  VOUS  faire  que  je  l'eusse?  »  «  Je  vous  merrai 
fc^es;  iifaudraes-  ^-^^^^  ^  f^j^  j^grlins,  «  dc  chi  la  ou  elle  est;  mais  pour 

sîivcr  dc  l'âVOir  •  •       •  •        ▼— » 

.    .,   ,.      '  moi  ne  la  porriés  vous  avoir,  car  je  n'i  ai  pooir.  Et  ne- 

majs  Merlm   ne  •  *  1  • 

peut  la  procurer,  porquaul  je  sai  bien  que  vous  Taveres  et  en  tel  manière 
que  vous  vous  en  esmervillerés  trop. 

a  Ore  en  alons  entre  moi  et  vous  chiés  un  hermite,  si 
vous  i  reposerés  a  nuit  mais.  Et  demain,  quant  on  se  sera 
pris  garde  de  vos  plaies  et  elles  seront  affaities,  lors  nous 
em  partirons  ensamble  et  irons  celé  part  ou  je  t'ai  dit 
que  l'espee  est,  s'il  est  ensi  que  adont  puissons  chevau- 
chier,  mais  je  me  doue  que  vous  ne  soiiés  navrés  si  dure- 
ment qu'il  vous  nuise  a  errer.  »  Et  li  rois  respont  qu'il 
n'a  plaie  qui  le'  chevauchier  li^  toille.  Lors  monte  li  rois 
seur  le  cheval  au  chevalier  a  qui  (f.  g3  <^)  il  s'estoit  com- 
iis  vont  se  lo-  batus,  si  s'en  vait  avoec  Merlin.  Et  il  le  mainne  en  un 
Rcr  chez  un  cr-  hermitage  en  une  montaigne,  et  estoit  li  hermites  moult 
preudom  et  de  sainte  vie,  et  avoit  esté  mierveilles  boins 
chevaliers  au  siècle,  et  savoit  assés  de  plaies  garir. 


mite, 


VOUANT  li  rois  fu  laiens  descendus,  on  le  desarme,  et 
li  preudom  prist  garde  de  ses  plaies,  si  dist  au  roi  qu'il 
n'euust  doutance,  car  il  gariroit  assés  legierement,  a 
qui    panse    les  chou  qu'il  n'avoit  nule  plaie  qui  moult  fust  périlleuse. 
plaies  du  roi.  Le  Chclui  jouT  dcmoura  laiens  li  rois,  Merlins  avoec  lui,  et 
surlendemain      l'enje^ain,  que  onques  ne  s'en  murent.  Lors  s'em  parti- 
rent et  alerent  tant  qu'il  vinrent  a  la  mer  auques  près. 
Merlins  torna  a  diestre  viers  une  montaigne,  et  tant  ala 
ils  viennent  à  un  qu'il  vint  a  un  lach,  et  il  dist  au  roi  ;  «  Rois,  que  te 
lac   près  de  la  samble deccstc  eaue?»  «  Merlins,  »  fait  li  rois,  «  elle  me 
'"'='  •  samble  parfonde  durement,  et  si  est  en  tel  manière  que 

nus  hom  ne  s'i  meteroit  qui  ne  fust  pcris.  »  «  Certes,  » 

I.  a  —  i.\c 


MERLIN  197 

fait  Merlins,  «  vous  dites  voir.  Nus  n'i  enterroit  sans  le 

congiet  as  fées  qui  ne  fust  mors  erramment.  Et  bien  sa- 

chiés  que  en  cest  lach  estla  boine  espee  que  je  vous  di[s].)) 

«  En  cest  lach?  »  fait  li  rois.  «  Et  comment  le  porra  on 

avoir?  »  «  Che  verres  vous,  »  fait  Merlins,  a  assés  pro- 

chain(/.  g3  ^jnement,   se  Dieu  plaist.  »   Endementiers 

qu'il  parloient  en  tel  manière,  il  regardèrent  en  mi  le    Du  milieu  du 

lach  et  voient  une  espee  apparoir  par  desus  l'iaue  en  une  'aciis  voient  soi- 

main  et  en  un  brac  qui  apparoit  tresque  au  keute,  et  ^^'"""^'"^^^''"^"^ 

^    •       .      ^        ,.  ,  j,  -Il  .1  •        une  épce  ;  il  n'y 

estoit  viestus  h  bras  d  un  samit  blanc,  et  tenoit  la  mains 

'  a   aucun   moyen 

l'espee  hors  de  l'iaue.  a  Or  poe's  veoir,  »  fait  Merlins,  de  rapprocher. 
a  Tespee  dont  je  vous  ai  conté,  celé  que  vous  en  porte- 
rés.  »  «  Ha  !  Dieus,  »  fait  li  rois,  t  comment  la  porriens 
nous  avoir?  Car  en  cel  lach  ne  se  porroit  nus  hom  met- 
tre qui  péris  ne  fust.  »  «  Dieus  vous  envoiera  auchun 
conseil,  »  fait  Merlins.  «Or  attendons  encore,  »  fait  Mer- 
lins, «  unpoi.»  Ensi qu'il  tenoientparolede  Tespee,  atant 
voient  une  damoisele  qui  venoit  par  de  viers  la  mer.  Et    Anive  une  de 
estoit  si  escaufee  qu'il  sambloit  bien  que  elle  fust  venue  'ï^oiseiie, 
moult  grant  oirre,  et  chevauchoit  un  palefroi  noir  petit 
ne  mie  grant. 


Q. 


UANT  elle  vint  priés  du  lac,  si  salue  le  roi,  et  Mer-  qui    les    salue, 
lins  li  rent  son  salut,  et  elle  lour  dist  :  «f  Je  sai  bien  que  '^''^'''"   •"'   *^^- 
vous  attendes  tant  que  vous  ailés  celé  espee  en  aucune  '"^"  '^ 
manière.  Mais  c'est  folie  de  béer  a  l'avoir,  car  ja  sans 
faille  ne  l'avérés  si  par  moi  n'est.  »  «  Ciertes,  damoi- 
sele,» fait  Merlins  ',  «  je  le  sai  bien  (f.  g4  ^J  que  on  ne  le 
puet  avoir  se  par  vous  n'est  ;  car  se  nus  fors  vous  le  deust 
avoir,  je  le  seusse  bien.  Mais  vous  avés  si  cest  lac  en- 
chanté que  après  chou  ne  vaurroit  nus  enchantemens. 
Et  pour  chou  vous  vaurroie  jou  priier  en  guerredon  que  ^c  donner  l'épOe 
vous  l'alissiés   querre  et   le  bailliés  a  mon  signour  le  "  '^'^" 

I .  li  rois 


igS  MERLIN 

roi.  Carche  savons  nous  bien  quMl  n^est  pas  orendroit 
ou  monde  en  qui  ele  fust  mieusemploiie  comme  en  lui.» 
Elle  y  consent  «  Che  sai  gc  bien,  »  fait  elle.  «  Et  pour  chou  me  sui  jou 
s'il  promet  de  lui  hastee  de  chevauchier  que  je  fuisse  a  tans  a  vostre  venue; 
accorder  le  prc-  ^j  ^^^^  jj      g  gijj  ^^  creantoit  que  il  me  donroit  le  pre- 
mier don  qu'elle       .        ,  ...  ....  ,,  ,. 

lui  demandera  ^^^^  "°^  ^^^  ^^  "  requerroie,  je  iroie  querre  1  espee  et  h 
Artuie  promet,  donroie.»  Et  li  rois  li  créante  qu'il  li  donra,  se  che  est 
dons  que  il  puisse  donner.  «  Ge  ne  vous  demant,  »  fait 
Elle  marche  a-  elle,  a  plus.  »  Si  se  met  erranment  en  l'iaue  et  passe  par 
lors  sur  l'eau,  desus  tout  a  pict  sec,  en  tel  manière  que  ses  pies  ne  au- 
prend  Vépéc  et  la  ^^.^  ^^^^^  ^^  ^.  ^ç,  ^^  douillet,  si  vint  a  l'espee  et  le  prent. 

donne  au  roi.  Le  „      ,  .  .    ,  .  ,  ... 

bras  rentre  dans  ^t  la  main  qui  la  soustenoit  se  reboute  en  riaue,  que 
l'eau.  plus  ne  parut  a  celé  fie.  Et  la  damoisiele  revint  au  roi  et 

il  dist  :  «  Sire,  veschi  l'espee.  Et  sachiés  vraiement  que 
je  ne  cuic  pas  qu^il  ait  deus  aussi  bonnes  en  tout  le 
monde.  Et  certes  se  je  cuidaisse  que  elle  ne  fust  bien 
(f.  g4  ^)  emploiie  en  vous,  vous  ne  Teussiés  pas,  car  il  i 
a  plus  rice  trésor  que  vous  ne  cuidiés.  » 


Li  rois  prent  l'espee  et  moult  en  merchie   la  damoi- 
siele. Et  elle  li  dist  :  «  Sire,  je  m'en  vois  de  chi,  car 
moult  ai  a  faire  aillors.  Or  vous  souviengne  bien  que 
vous  me  devés  un  guerredon  ;  car  je  le  vous  demanderai 
par  aventure  plus  tost  que  vous  ne  cuidiés.  »  Et  il  li 
respont  que  il  li  doit  voirement  :  demander  le  viegne 
quant  il  li  plaira,  car  il  s^en  aquitera  a  son  pooir.  Et 
Elle  s'en  va.     elle  s'em  part   maintenant,   et  Merlins  le  commande 
moult  a  Dieu  et  moult  le  merchie  de  ceste  bonté.  Et  li 
rois  regarde  Tespee  et  voit  que  li  fuerres  estoit  a  mer- 
Le  roi  admire  veilles  riches,  si  le  prise  moult.  Puis  traist  fors  l'espee, 
l'épiie;  si  la  regarde  et  la  voit  si  boine  et  si  biele  a  son  avis  qu'il 

ne  cuide  mie  qu'il  ait  si  boine  ne  si  biele  en  tout  le 
monde.  Et  Merlins  dist  au  roi  :  «  Sire,  que  vous  samble 
de  ceste  espee  ?»  «  Je  la  prise  tant,»  fait  li  rois,  «  k'il  n'a 
el  monde  chastiel  pour  coi  je  la  donnasse,  ne  je  ne  cuit 


MERLIN  199 

pas  que  nule  armeure  puisse  contre  li  durer,  par  coi 

preudom  le  tenist  en  sa  main.  »  «  Or  me  dites  :  le  quel 

prisiés  vous  mieus,  ou  le  fuerre  ou  Tespee?  »  «  Je  prise 

mieus,  »  fait  li  rois,  «  Tespee  que  le  fuerre ,  s 'il  en  i 

avoit  teuls  cent  (f.  g4  ^),  Et  nonpourquant  chis  est  li 

plus  biaus  et  li  plus  riches  que  je  onques  veisse,  ne  je 

ne  cuit  pas  que  el  monde  ait  nul  si  biel.  »  a  Certes, 

sire,  »  fait  Merlins,  «  or  sai  ge  bien  que  vous  estes  po- 

vrement  connissans  de  la  bonté  que  la  damoisiele  vous  a  Merlin  lui  dit  que 

faite.  Saichiés  vraiement  que  li  fuerres  vaut  mieus  que '^/°"^''^^"  ^^"^ 

teuls  dis  espees  ne  font:  car  il  est  d'un  cuir  qui  a  tel  "^^<^"^ 'i"*^ '^  '^•; 

/  •  1     •    1  ^^>  *'^^  CQmi  qui 

viertu  que  ja  nom  qui  sour  lui  le  porte  ne  perdera  sanc  i^  p^^.^^  ^^  p^^ 
ne  ne  rechevra  ja  plaie  mortel,  pour  qu'il  soit  armés  a  recevoir  de  bies- 

raison.  »  sures  mortelles. 


Jlusi  dist  Merlins  dou  fuerre  de  l'espee,  et  il  disoit 
voir,  mais  comment  che  peuust  estre  ne  le  devise  pas  li 
contes  orendroit,  ains  atent  ceste  chose  a  conter  dusques  pius  tard  Mor- 
a  celé  eure  que  l'istoire  le  devise,  comment  Morgue  sa  sue  déroba  ce 
seur  li  embla  pour  baillier  a  son  ami  qui  au  roi  Artu  se  ^°"'"'"^^"  p°"^  '^ 
devoit  combatre.  Et  pour  chou  que  celé  li  embla  eust  li  ^i  qui  combattait 
rois  esté  ochis,  se  ne  fust  la  porveance  de  Merlin.  Et  Anu  ;  c^est  ce  qui 
tresqu'a  chelui  point  atent  li  contes  a  deviser  conment  sera  raconté  par 
che  pooit  estre  que  li  fuerres  fust  teuls.  '^  ^"'^^' 


VOUANT  li  rois  entendi  que  Merlins  looit  tant  le  Merlin  prédit 
fuerre,  il  li  dist  :  «  Merlins,  es  che  vérité  que  tu  médis?  »  ^"^  '^  fourreau 
«  Tu  nel  savras  ja  apertement,  »  fait  Merlins,  «  devant  ^^^.^  ^!''^°I'^   ^" 

,  .  ,  ,  .  roi,  qui  alors  en 

que  tu  raveras  perdu;   mais  adont  le  connisteras  tu  appr^^-j^^j-a  la  va- 
quant tu  Faveras  perdu.  »  «  Conment!  Merlins,  le  per-  icur. 
derai  je  dont?  »  «  Il  te  sera  emblés,  »  (f.  ()4  ^)  fait  Mer- 
lins. «  Atant  m'en  lai  le  demander,  que  je  n'en  diroie 
plus.  »  Atant  s'em  partirent  ambedui  dou  lac,  si  em  porta 
li  rois  respe[e],  et  la  chainst  entour  lui,  si  fu  moult 


200  MERLIN 

liés  de  chou  que  aventure  li  avoit  envoiie  si  riche  chose. 
Tant  ala  en  tel  manière  entre  lui  et  Merlin  qu'il  vin- 
rent la  ou  il  s'estoit  devant  combatus  au  chevalier,  si 
troverent  le  paveillon  aussi  biel  et  aussi  riche  comme  il 
l'avoient  autre  fois  veu,  mais  dou  chevalier  ne  trouvè- 
rent il  point. 


Li  rois  demande  a  Merlin  :  «  Savés  vous  que  chis 
chevaliers  est  devenus  ?  »  «  Oil,  »  fait  Merlins,  a  je  le 
vous  dirai.  11  avint  orendroit  que  aventure  amena  ceste 
part  un  chevalier  de  vostre  court  que  on  apiele  Heglan, 
et  est  de  la  chité  de  Camaloth.  Quant  il  s'entrevirent, 
il  s'entrecoururent  sus,  et  tant  dura  la  mellee  que  He- 
glan torna  en  fuies  comme  cil  qui  plus  ne  puet  durer, 
et  avoit  paour  de  morir.  Et  ensi  commencha  la  cache 
viers  Carduel,  et  que  elle  ait  ^  tant  durée  je  vous  di  que 
nous  Tenconterrons  la  ou  il  le  sieut  vers  la  chité.  »  «  Je 
vous  di  dont,  »  fait  li  rois,  «  qu'il  ne  puet  faillir  a  la 
melle[e]  de  la  moie  part.  Car  s'il  ne  trouvoit  auchun 
qui  le  mesist  au  desous,  ja  mais  chevaliers  ne  passe- 
(/.  ^5  ^jroit  par  devant  son  paveillon  qui  s'en  alast  qui- 
tes  de  la  bataile.  »  «  Ciertes,  »  fait  Merlins,  «  ja  par 
mon  conseil  ne  l'asaurrés  a  ceste  fois,  que  vous  nU  ave- 
riés  nule  hounour,  a  chou  que  vous  estes  frès  et  auques 
reposés,  et  il  est  lassés  et  travilliés.  »  Et  li  rois  dist 
dont  laira  il  la  bataille  a  ceste  fois.  Lors  demande  il 
Merlin  :  «  Dites  moi  comment  che  puet  estre  que  la 
damoisiele  aloit  par  deseure  l'eaue  a  pié  sec.  »  Et  Mer- 
lins  commencha  a  rire  et  dist  :  «  Sire,  il  n'estoit  pas 
ensi  comme  vous  veistes  %  mais  je  vous  dirai  comment 
il  est  dou  lac,  car  je  le  sai  bien. 

I.  ot  —  2.  vees 


MERLIN  201 


a  VoiRS  est  qu'il  i  a  un  lac  grant  et  miervilleusement  Merlin  explique 
profont.  Et  en  mi  lieu  de  cel  lac  a  une  roche  ou  il  a  au  roi  que  sur  ic 
maisons  bieles  et  riches  et  palais  grans  (grans)  et  mier-  '^ciiy  a  un  pont 

...  .     .,  .  11»  invisible,  par  où 

villeus;  mais  il  sont  si  tout  entour  clos  d  encantement  ^  „^^  .,    .^,^  . 

'  a  passe  1(1  ucinoi- 

que  nus  qui  par  dehors  soit  nel  puet  veoir,  s''il  n^est  de  ^ciie. 
laiens.  Et  la  ou  vous  veistes  que  la  damoisiele  se  mist 
n'avoit  il  point  d'iaue,  ains  est  uns  pons  de  fust  que 
chascuns  ne  puet  pas  aperchevoir.  Et  par  illuec  endroit 
passent  cil  qui  laiens  vont,  car  {J.  g^^)  il  voient  le 
pont,  che  que  autre  gent  ne  voit  mie.  «  En  non  Dieu,  » 
fait  li  rois,  «  ensi  quide  jou  bien  qu'il  soit,  car  autre- 
ment ne  fust  elle  mie  passée  si  tost.  » 


tNsi  vont  parlant  tant  que  il  aprochierent  la  chité. 
Et  lors  encontrerent  li  rois  et  Merlins  le  chevalier  del 
paveillon.  Il  ne  li  disent  riens  ne  autressi  ne  fist  a  eus, 
ains  passent  outre,  si  s'en  entra  li  rois  en  la  chité;  mais    Artu  revient  à 
onques  ne  veistes  si  grant  joi[e]  coume  cil  de  la  chité  li  '^  ^'"*^'  "  '"^'"'*^ 

£.  .,  -        .  ...  sa  soeur  Morgaiu 

firent  quant  il  le  virent,  car  il  avoient  euut  trop  grant  ^^  .^^  urien 
paour  de  lui.  Chelui  soir  que  li  rois  fu  revenus,  li  re- 
quist  li  rois  Uriiens  Morgain  sa  serour  a  feme.  Et  il  li 
douna  moult  volentiers,  car  il  ne  le  peust  mie  mieus 
marier  en  houme  de  sa  terre  ;  et  avuec  chou  li  douna  il 
grant  partie  de  son  règne,  et  li  douna  un  chastiel  que 
on  apieloit  Taruc,  et  seoit  chis  chastiaus  sour  mer, 
mais  tant  estoit  fors  que  nus  plus. 


Li  rois  Uriiens  de  Garlot  fist  nueces  grans  et  mier- 
villeuses,  et  moult  fu  liés  de  chou  qu^il  estoit  si  haute- 
ment mariés.  Et  la  première  nuit  qu'il  gieut  avoec  Mor- 


302  MERLIN 

quieneutYvain.  gain  engcnra  il  Yvain  le  fiP  au  roi  Uriien.   Li  rois 

s'em  parti  des  noches  et  vint  aCarlion.  Et  la  u  il  se  seoit 

Artu  étant  à  un  jour  a  sa  table,  vint  uns  chevaliers  devant  lui  (et) 

Cariion  reçoit  un  moult  cointement  vestus  et  moult  richement  acesmés,  et 

message  du  roi  ^-^^    .j        .  ,j   ^^   ^.^j    j^   ^^  jj  |g  ^j^  ^^^^ç,  ^^^  houmes  l 
Rion  de  Norga-       t^    .      .  ,  i     i-       •    t^-  i-     •         j    xt 

les,  qui  lui  récia-  *  '^^^^  Artus,  che  te  mande  li  rois  Rions,  h  sires  de  Nor- 
me son  hommage  gales,  qu'il  a  conquis  tresqu''a  onze  rois  qui  tout  sont  en 
et  sa  barbe,  pour  son  service.  Et  en  ramembrance  de  ceste  victoire  a  il 
la  joindre  à  celles  pj.jg  jg  ^.j^j^gj^yj^  des  rois  la  barbe  et  en  a  fait  orler  un 
c  onze  rois   c-  ^.^^  mantiel.  Mais  pour  chou  qu'il  te  prise  plus  que  nul 

jà  vamcus,  dont  '  .      ^  *  i  i 

il  a  bordé  un  ^^'îl  ^^^  conquis  te  mande  il  que,  se  tu  ne  veuls  perdre 
manteau.  ta  terre,  vien  a  lui  et  se  li  fai  houmage  et  la  rechoif  de  li. 

Et  a  cest  commandement  li  envoie  la  barbe  :  il  le  fera 
mètre  es  ataches  de  son  mantiel.  Et  ensi  le  fais  qu'i[l]  le 
te  mande,  u  autrement  tu  ne  pues  faillir  qu'il  ne  te  toille 
ta  terre,  car  encontre  son  pooir  ne  poroies  tu  durer.  » 


Artu  rit  et  rc-     Li  rois  Artus  se  rist  dou  commandement.  Et  quant 
fuse.  \[  messages  ot  parlé,  si  dist  li  rois  :  «  Biaus  [amis],  il  ne 

me  samble  mie  que  je  soie  chis  a  qui  li  rois  Rions  t'en- 
voia  ;  car  je  n'euch  onques  barbe,  trop  sui  encore  jove- 
nes,  et  se  je  encore  bien  Tavoie  ne  l'aroit  il  pas  :  mieus 
ameroie  avoir  perdu  le  cief.  Et  de  tant  comme  il  m'en  a 
mandé  le  tien  ge  au  plus  fol  dont  jou  oisse  onques  par- 
ler. Se  li  di  que  se  il  entre  en  ma  terre  por  moi  forfaire 
d'auchune  chose,  il  n'avéra  pooir  dou  revenir  s'avéra 
eut  chose  qui  li  anuiera.  liant  li  di  de  par  moi.»  Et  cil 
dist  que  cest  message  (f.  g5  ^)  li  fera  il  bien,  si  s'en  tome 
devant  le  roi  et  s'en  rêvait  sa  voie.  Et  quant  il  s'en  est 
partis,  li  rois  en  parole  assés  et  dist  qu'il  n'oi  onques 
mais  parler  de  si  fol  mandement  ne  de  si  orgilleus  come 
chis  li  mande.  Et  apriès  demande  a  cheus  qui  entour  lui 
estoient  :  «  A  il  nul  de  vous  qui  counoisse  le  roi  Rion?  » 

I.  li  fieus 


MERLIN  203 

«  Sire,  •  fait  uns  chevaliers  qui  avoit  non  Narran,  «  pie- 
ch'a  que  je  le  counuch.  Sachiés  qu'il  est  uns  des  biaus 
chevaliers  dou  monde,  et  de  toutes  les  guerres  qu'il  em- 
prent  il  ne  commenche  nule  dont  il  ne  viegne  bien  a 
chief  a  s'ounour.  Et  pour  chou  me  doue  je  moult  qu^il 
ne  vous  mèche  au  desous  ains  la  fin  de  la  guerre.  »  Et  li 
rois  dist,  quoi  qu'il  l'en  doie  (a)  avenir,  il  vaurroit  ja 
que  il  fust  venus  pour  guerroiier. 


AssÉs  parlèrent  de  ces  choses.  Et  li  rois  dist  un  jour 
a  Merlins  :  «  Merlin,  par  tans  aprochera  li  termes  que 
vous  désistes  que  chis  naisteroit  par  cui  oevres  chis  res* 
nés  torneroit  a  destruction.  Or  sachiés  que  ja  enfant  ne 
naistera  el  roiame  en  chelui  mois  que  jou  ne  face  pren- 
dre et  mètre  en  une  tour  ou  en  deus  ou  en  trois,  se  tant 
en  convient.  Et  illuec  les  ferai  norrir  tant  que  j'aie  eu 
conseil  de  chou  que  vous  m'avés  dit.  »  «  Rois,  »  fait 
Merlins,  «  pour  nient  vous  (f.  gô  ^)  en  travilliés.  Et  sa- 
ciés  que  vous  ne  le  trouvères  pas,  ains  averra  ensi  comme 
je  vous  ai  dit,  car  ensi  le  convient  estre.  »  Et  li  rois 
dist  que  tout  ensi  le  terra  il  que  il  l'a  beé  a  faire. 


Ensi  attendi  li  rois  desque  près  del  terme  que  dis  Le  terme  ap- 
avoitesté.  Et  lors  fait  ci[e]rkier  par  tout  le  roiame  de  Lo-  piochant  où  doit 
grès  que  tout  li  enfant  dou  roiame  de  Logres  li  fuissent  "'"^'^  ''""^''"^  ^'^' 

^  ,    ^.,    ,    ,        .  ...  •     ,      .  ,•  tal,    le    roi    fait 

aporte.  Cil  del  pais  necuidaissent  mie  legierement  que  li  conduiredansdes 
rois  en  vausist  faire  tel  micrveille  comme  il  fist,  se  li  en-  tours  tous  les  en- 
vola chascuns  son  enfant.  Et  tant  l'en  aporterent,  ains  funts  qui  nais- 
que  li  jours  venist  que  li  enfes  Mordrès  fust  nés,  qu'il  en  ^'^"^• 
fist  bien  mètre  en  une  tour  plus  de  cinc  cent  et  cin- 
quante, et  li  ainsnés  n'avoit  pas  d'aage  plus  de  trois  se- 
mainnes. 


204  MERLIN 


Cnsi  fisent  li  povre  et  li  rice,  que  si  tost  que  leur  enfant 
estoient  né,  maintenant  qu'il  avoient  crestiienté,  qu'il 
les  faisoient  aporter  au  roi,  et  il  conmandoit  tantost  que 
on  les  estoiast  en  ses  tours.  Li  rois  Loth,  qui  connissoit 
que  sa  feme  estoit  grosse  et  toute  preste  de  [ajcouchier,  de- 
manda maintes  fois  au  roi  qu'il  par  voloit  faire  de  tous  ces 
enfans  qu'il  faisoit  ensi  assambler,  et  il  li  celoit  toutes 
La  femme  du  voies,  que  riens  ne  li  voloit  dire.  Quant  il  sot  que  sa  feme 
roiLothaccouche  ^^^qI^  délivrée  et  vit  que  li  enfes  estoit  nés,  il  le  fist  bap- 

d'un    fils    qu'on  ,^  ai**  •  ^*i  tii'/i'\ 

appelle  Mordrcc.  (^'  97  V  tisier  et  ot  uon  en  baptesme  Mordrec.  Il  dist  (dist) 
a  la  roine  sa  feme:  «  Dame,  je  voel  envoiier  vostre  fil  au 
roi  vostre  frère;  car  ensi  i  envoient  tout.»  a  Je  le  voel 
bien,  »  fait  la  dame,  «  puis  qu'il  vous  plaist.  » 


Loth  l'envoie  au  LoRS  fist  li  rois  mètre  l'enfant  en  un  berchuel  qui 
roi  Artu  d'après  j^^j^  estoit  biaus  et  riches.  Et  en  che  que  la  mère  metoit 
seborres.  ^enfant  dcdeus  le  berchuel,  il  avint  que  il  se  hurta  el 
chief  desus,  si  qu'il  ot  une  grant  plaie  en  mi  le  front  qui 
puis  i  parut  tous  les  jours  de  sa  vie.  Li  rois  fu  moult 
courechiés  de  la  plaie  et  aussi  furent  tout  li  autre.  Et 
pour  chou  ne  remest  il  pas  que  il  ne  le  mesissent  u  ber- 
chuel. Apriès  le  misent  en  une  nef  a  grant  compaignie 
de  dames  et  de  chevaliers,  et  dist  li  rois  qu'il  s'en  iront 
ensi  par  mer  et  conduiront  l'enfant  jusques  au  roi  son 
oncle,  a  Et  quant  vous  serés  la,  se  li  dites  que  je  li  en- 
voie son  neveu.  »  Et  cil  dient  que  cel  message  feront  il 
bien,  se  Dieus  les  laissoit  venir  a  droit  part. 


iIn  tel  manière  se  partirent  de  la  chité  d'Orkanie  li 
homme  le  roi  Loth.  Et  li  vens  se  feri  ou  voile  de  leur 
nef,  si  les  eut  en  poi  d'eure  si  eslongiés  dou  port  que  il 
ne  virent  terre  de  nule  part.  Ensi  coururent  chelui  jour 


MERLIN  205 

el  la  nuit  autressi,  car  uns  orés  commenche  si  grans  en 
la  mer  que  tout  cil  de  (/.  g6  9  la  nef  commenchierent  a 
crier  :  «  Ha!  Jhesucris,  ne  nous  laissiés  chi  périr.  Aiiés 
pitié  de  nous  et  de  ceste  petite  créature  fil  de  roi.  »  Ensi 
crioient  li  un  (s)  et  li  autre  et  reclamoient  sains  et  saintes 
et  faisoient  veus  et  afflictions.  Et  la  mers  fu  si  esmeae  et 
li  vens  engroissiés  que  la  nef  vint  hurtant  a  une  roche,  si  le  vaisseau  qui  le 
fu  erramment  esquasse  en  plus  de  dis  pièces.  Et  furent  porte  fait  naufra- 
tout  cil  de  la  nef  péri,  fors  seulement  Fenfant  qui  el  ber-  ^^' 
chuel  se  gisoit.  Si  avint  que  li  berchues  aloit  fîotant  sour 
la  rive,  après  chou  que  li  autre  estoient  tout  noiié.  Et  Penfantseui  sur- 
lors  vint  celé  part  uns  peschieres  qui  aloit  querans  pois-  vit,  il  est  recueilli 
sons  et  estoit  en  un  petit  vaissiel.  Et  quant  il  trouva  le  p^"^""  pêcheur, 
bierchuel  et  Fenfant  en  rive,  il  en  fu  a  merveillies  liés 
et  si  prist  et  Tun  et  l'autre  et  mist  tout  dedens  son  vais- 
siel. Mais  quant  il  vit  que  li  enfes  estoit  si  richement 
atornés,  comme  chis  qui  tous  estoit  mis  en  dras  de  soie 
et  en  autres  vesteures,  il  pensa  bien  errant  qu'il  estoit 
estrais  de  haute  gent,  si  en  fu  plus  liés  que  devant.  Il  se 
mist  erramment  arrière  et  prist  le  bierchuel  a  tout  l'en- 
fant et  le  mist  a  son  col  et  s'en  retorna  grant  oirre  viers 
la  ville,  et  ala  par  une  destornee  a  son  ostel,  en  tel  ma- 
nière que  il  n'i  parut,  si  monstra  a  sa  feme  qui  laiens 
(f.  gô  ^j    estoit  chou  que   Dieus  lour  avoit  envoiié. 
«  Certes,  »  fait  la  dame,  «  moult  a  chi  bicle  aventure,  et 
Dieus  l'a  fait  pour  nostre  garison.  Car  de  la  riquece  de 
cest  bierchuel  nous  porrons  vivre  bien  et  cortoisement  vint 
ans,  si  quide  que  ceste  chose  nous  ait  Dieus  faite  pour 
nous  en voiier  secours   » 


«  Uame,  ))  fait  li  preudom,  «  chis  enfes  est  de  haut 
lignage,  che  poons  nous  bien  connoistre.  Il  converra 
qu'il  soit  norris  au  mieus  que  on  porra.  Car  se  Dieus  don- 
noit  que  cil  dont  il  est  estrais  le  peussent  reconnoistre, 
il  nous  en  seroit  de  mieus,  et  bien  nous  en  feroient.  Et 


206  MERLIN 

il  ne  puet  estre  que  il  ne  soit  reconnneus  ains  lonc  terme. 
Et  encore  loeroie  je  mieus  que  nous  le  portissons  ensi 
comme  nous  l'avons  trouvé  au  segneur  de  ceste  terre  que 
nous  le  tenissons.  Car  se  il  pooit  savoir  par  nule  aven- 
ture que  nous  l'eussons  trouvé  et  ne  li  eussiens  porté 
tout  maintenant,  il  nous  feroit  destruire  nous  et  nostre 
lignage.»  Et  la  dame  ^  dist  que  chou  est  li  mieudres  con- 
sauset  li  plussainsque  il -a  donné.  «Oreenalonsdont,» 
fait  il,  «  entre  moi  et  vous,  si  ferons  au  segneur  le  pré- 
sent de  cest  enfant.  »  Et  elle  s'i  acorde  bien. 


Ensi  prisent  Mordrec  et  s'en  partirent  de  l'ostel  et 

s'en  aie//,  gj  ^^rent  droit  au  chastiel  qui  tout  le  pais 

qui  le  porte  au  justichoit,  et  trovereut  laiens  le  signour,  qui  estoit  apie- 

seigneurdupays,  j^^  ^^\^^^  ij  Derr[e]és  et  avoit  unpetitfildeTeagedecinc 

Nabur  le  Desrcé;  .  .        ^  ]         .    , ,    r.  ,      ^   ^.. 

celui-ci  le  fait  semaïunes  qui  estoit  apieles  Sagremor  :  puis  fu  il  com- 
éiever  avec  son  pains  de  la  table  reonde,  et  fu  chevaliers  miervelles  bons, 
fils  Sagremor,  etotuon  en  son  droit  uou  Sagrcmorli  Derr[e]és,  si  comme 
li  contes  le  devisera  cha  avant  apertement.  Moult  fu  Na- 
bur liés  de  l'enfant  que  cil  li  aporterent  ;  car  bien 
pensoit  qu'il  estoit  estrais  de  boine  gent  et  de  haute  et  de 
poissant  ou  biel  apparillement  qu'il  avoit  entour  lui.  Il 
douna  au  peskiere  de  son  présent  tel  guerredon  que  cil 
s'en  ti(e)nt  bien  a  paiiet.  Et  li  sires  fist  retenir  Tenfant  et 
mètre  avoc  Sagremor  son  fil  ;  si  les  fist  ensi  norrir  en- 
samble,  et  dist  que  se  Dieus  les  amendoit  tant  qu'il  ve- 
nissent  en  l'aage  de  estre  chevalier,  il  les  feroit  faire 
chevaliers  ensamble. 


Cnsi  eschapa  Mordrec  de  péril,  et  tout  li  autre  furent 
et  le  fait  guérir  noiié.  Car  ensi  aloit  l'aventure.  Li  dus  Nabur  le  fist  garir 
d'une  plaie  qu'il  de  la  plaie  qu'il  avoit  en  mi  le  front.  Et  trouva  [en]  un 

avait  au  front* 

1.  li  sires  —  2.  elle 


MERLIN  207 

escrit  qui  el  bierchuel  estoit  que  on  Tapieloit  Mordrec, 
mais  il  ne  trouva  plus  en  Pescrit  de  sa  naissance  et  de 
son  lignage.  Ensi  trouva  Mordrec  secours  et  aide  apriès 
le  péril  de  la  (f.  gj  ^)  mer.  Mais  or  laisse  li  contes  a 
parler  atant  et  retourne  au  roi  Artu[s). 


Li  rois  Artus,  che  dist  li  contes,  ot  fait  assambler    Artu  pense  h 
en  ces  tours  les  enfans  qui  en  son  pais  naissoient,  si  ^^^""^  ^"^'"  ^°"^ 

.1      .    ,    T-.^  ^  !•   ^  1  -Kit  les  enfants  qu'il 

comme  je  vous  ai  devise.  Et  quant  li  termes  dont  Mer-  ., 

'  ^  a  réunis;  mais  il 

Ims  avoit  parlé  fu  passe's,  li  rois  pensa  qu'il  feroit  tous  ^  un  songe  dans 
les  enfans  occhirre;  car  il  cuidoit  vraiement  que  chis  i  lequel  n  reçoit  le 
fust  dont  si  grant  mal  dévoient  venir,  et  qu'il  fust  en '^°"s<^*'^e^^^^";- 
celé  compaignie.  Un  soir  qu'il  sefn)  dormoit  en  son  lit  li  ^^"^^^^"^     f^^^^ 

-  .  ,  ,    .  .  ,  .  dans  un  vaisseau 

tu  avis  que  devant  lui  venoit  uns  nom  si  grans  que  on-  ^^^^  jj^^ç 
ques  n'avoit  veu  plus  grant,  et  le  portoient  quatre  bestes, 
mais  li  rois  ne  pot  onques  connoistre  quelles  elles  es- 
toient. 


Li  hom  disoit  au  roi  :  «  Rois,  pour  coi  appareilles 
tu  si  grant  mal  a  faire,  qui  volés  destruire  teuls  créatures 
saintes  et  innocentes  qui  sontencore  pur[e]s  etne[te]sdela 
porreture  ^  dou  monde?  Encore  venist  mieus  au  creatour 
dou  chiel  et  de  la  terre  qu'il  ne  t'eust  pas  donné  la 
grasce  qu'il  ra  toi  otroiie.  Il  t'avoit  establi  a  estre  pas- 
tour  de  ces  gens,  et  tu  iés  devenus  desloiaus  et  anemis. 
Quel  chose  te  pucent  ore  avoir  mesfait  ces  créatures  que 
tu  veus  meire  a  destruction?  Ciertes,  se  tu  le  fais,  li 
haus  maistres  qui  te  (f.,  97  ^)  misten  cest[e]  poésie  ou  tu 
iés  pendera  si  grant  vengeance  de  toi  qu'il  en  sera  a  tous 
jour  mais  parler.  » 

I    purtc 


208  MERLIN 


Li  rois  regardoit  le  '  preudomme,  si  estoit  tous  esba- 
his  de  che  qu'il  li  disoit,  si  commcncha  a  penser  en  ceste 
chose.  Et  li  preudom  ii  redist  :  «  Je  te  dirai  que  tu  feras, 
si  t'en  deveras  bien  tenir  a  vengié.  Fai  les  tous  mètre  en 
une  nef  en  la  mer,  et  soit  la  nef  sans  maistre,  et  soit 
[li]  voiles  tendus.  Etpuis  faiManef  espoindre  enla  mer,  et 
puis  aille  de  quel  part  que  li  vens  le  merra.  Et  adont  se 
il  pue[en]t  eschaper  de  tel  péril,  bien  mousterra  Jhesucris 
qu'il  les  aimme  et  qu'il  ne  veult  pas  la  destruction  des 
enfans.  Et  ceste  chose  te  doit  bien  souffire  se  tu  ^  n'iés  li 
plus  desloiaus  rois  qui  onques  fust  en  terre.  »  Li  rois 
disoit  au  preudomme  :  «  Ciertes,  miervilleuse  venjanche 
m'avés  ensegnie.  Ja  autrement  ne  l'esploiterai  fors  ensi 
comme  vous  Tavés  dit.  »  «  Che  n'est  pas  venjance  que 
tu  feras,  car  il  ne  mesfirent  onques  riens  ne  a  toi  ne  a 
autrui(i),  mais  chou  est  pour  ta  volenté  acomplir,  et  pour 
chou  que  tu  cuides  par  ceste  chose  destorner  la  destruc- 
tion delroiame  de  Logres  ;  mais  non  feras,  car  elle  averra 
tout  ensi  comme  li  fieus  a  l'anemi  le  t'a  devisé.  » 


Il  se  décide  à      Atant  s'esveilla  li  rois,  et  li  fu  bien  avis  que  (f,  gy  ^J 

agir  ainsi,  encorc  cstoit  devant  lui  li  preudom  qui  a  lui  avoit  parlé. 

Et  quant  il  vit  que  che  est  songes,  il  se  commande  a 

nostre  signeur  et  fait  signe  de  la  crois  en  son  vis.  Et  dist 

que  tout  ensi  comme  il  a  songié  des  enfans  le  fera  il. 

Gel  jour  fist  apparillier  une  nef  assés  grant;  mais  onques 

ne  le  sorent  a  celé  fie  cil  meismes  qui  Tapparilloient  por 

quoi  il  le  faisoit  faire.  Au  soir,  si  tost  comme  il  fu  anui- 

et  embarque  les  tié,  si  fist  H  rois  prendre  tous  les  enfans,  qui  estoient  par 

enfants  au  nom-  conte  sct  Cent  *  et  douze,  et  les  fist  mètre  dedens  la  nef. 

bre  de  7 1 2 

I.  li  —  2.  fu  —  3.  ti  —  4,  Le  manuscrit  porte  viint;  c/.  ci-des- 
sus, p.  20 3 


MERLIN  209 

Et  quant  il  furent  dedens  mis,  li  rois  fist  tendre  le  voile 
de  la  nef,  et  li  vens  qui  estoit  levés  seferi  maintenant  de- 
dens le  voile,  si  que  la  nef  fu  en  peu  d'eure  empainte  en 
la  haute  mer. 


Cnsi  furent  li  enfant  mis  en  aventure  de  morir. 
Mais  a  nostre  signour  ne  plot  mie  qu'il  fuissent  ensi  pe- 
rillié,  qu'il  veoit  les  créatures  qui  n'avoient  pas  deservi  a 
périr  en  tel  manière.  Et  mist  tel  conseil  par  sa  miséri- 
corde^ que  la  nef  arriva  a  un  chastiel  que  on  apieloit  le  vaisseau  est 
Amalvi.  Et  estoit  li  chastiaus  (et)  biaus  et  bien  seans,  et  poussé  près  d'A- 
en  estoit  sires  uns  rois  qui  avoit  esté  paiiens  lonc  tans,  '^^^^''  ^^  '^^"'^ 

.     .,  .      ,  .    ,  ..  ,  .  le  roi  Oriant,  pè- 

mais  il  estoit  de  nouviel  crestiiens,  et  moult  amoit  nos-  ^^  ^'Acanor  qui 
tre  signeur  et  doutoit,  et  avoit  eut  de  famé  siue  un  fil  fut  plus  tard  sur- 
tout de  (f.  g8  ^)  nouviel,  si  apieloit  l'enfant  Acanor,  nommé  le  Laid 
mais  puis  fu  ses  nous  cangiés  ^  en  la  court  le  roi  Artus,  et  W''^^'^'- 
pour  chou  qu'il  n'estoit  mie  biaus  chevaliers,  mais  noirs 
et  harlés  a  la  samblance  de  son  père,  et  estoit  si  preus  et 
si  hardis  que  nus  plus,  ore  Tapielerent  il  par  tout  le  Lait 
Hardi.  Et  de  lui  parole  li  contes  moult  de  fies  la  ou  (o)il 
se  traist  de  la  queste  dou  graal  et  devant. 


VOUANT  la  nef  fu  venue  de  la  rive  dou  chastiel  que  je     Oriant  trouve 
vous  di,  il  avint  que  li  rois  Orians  fu  issis  fors  de  laiens,  '«^^  ^"^^"^s  et  s'é- 

^  .  .  •       •       1        I  1-  r     merveille. 

et  avoit  avoec  soi  grant  compaignie  de  chevaliers,  et  fu 
venus  par  aventure  juer  seur  le  port;  et  quant  il  vit  la 
nef  qui  fu  arrivée,  il  dist  a  cheus  qui  avoec  lui  estoient  : 
«  Alons  veoir  celé  nef  por  savoir  qu'il  a  dedens,  car  il 
me  samble  qu'elle  viegne  de  loing.»  Lors  vont  celé  part 
grant  aleure  pour  chou  que  il  voient  que  au  roi  plaist. 
Et  quant  il  sont  venu  a  la  nef  et  entré  dedens  et  il  true- 
venl  si  grant  plenté  d'enfans  comme  il  (l)i  avoit,  si  se 

I.  misirecorde  —  2.  cargics 

14 


210  MERLIN 

saingnent  de  la  merveille  qu'il  en  ont.  Et  li  rois  dist 
as  ses  compaignons  :  c  Dieu  merchi,  dont  puet  estrc 
que  cil  enfant  pueent  venir,  ne  qui  en  puet  tant  assam- 
bler  ne  mètre  ensamble  ?  Car  je  ne  cuidaisse  pas  qu'il  en 
eust  autant  en  tout  le  monde.  »  «  Par  mon  chief, 
Un  chevalier  ^y*.  gS  bj  sire,  ))  fait  uns  vieus  chevaliers  au  roi,  «  je  vous 
qui    revient  de  ^[^q^  qu^  c'est,  que  ja  ne  vous  en  mentirai.  Voirs  est  que 

Logres     lui    dit  •  j      t  -. 

^ ,.     .  c»   o  „  aventure  me  mena  aventurer  ou  roiaume  de  Logres,  et 

que    c  est    sans  ^       ' 

doute  Artu  qui  tant  quc  je  vi(e)ng  en  la  court  le  roi  Artu(s).  Illuec  sans 
les  a  ainsi  fait  a- faille  alns  quc  je  m'en  parte(se)sisse  vi  ge  que  li  rois 
bandonner  ;  Artus  faisoit  assambler  tous  les  enfans  dou  roiaume  de 
Logres,  ensi  comme  il  naissoient,  et  les  metoit  on  es 
tours  le  roi,  mais  nus  ne  pooit  savoir  pour  coi  li  rois  le 
faisoit.  Ore  cuide  jou  bien  et  croi  qu'il  soit  vérités  que  li 
baron  dou  roiame  les  aient  mis  ensi  en  mer  pour  au- 
chun  mal  par  aventure  qui  lour  en  devoit  avenir,  [et]  il 
ne  porent  pas  souffrir  qu'il  en  morussent  devant  eus.  Et 
pour  chou  les  firent  mètre  en  mer  el  conduit  de  nostre 
signour  et  en  ^  l'esgardement  de  fortune.  Et  che  puet  chas- 
cuns  veoir  que  se  li  baron  amaissent  autant  lour  vie  * 
comme  lour  mort,  il  n'eussent  mie  laissiet  aler  le  vais- 
siel  sans  gouvreneur.  » 


A  che  mot  respondi  li  rois  :  «  Je  croi  que  vous  me 
dites  voir  de  canques  vous  me  dites,  et  bien  me  samble", 
vérité.  Or  gardons  que  nous  en  porrons  faire  des  enfans/ 
Car  puis  que  Dieus  le[s]  nous  a  envoiié[s],  je  vaurroie  qu'il 
fuissent  mi(eu)s  en  lieu  ou  peu  de  gent  les  i  seussent. 
Car  (f.  g8  ^)  puis  que  li  rois  les  fist  mètre  en  aventure 
de  mort,  je  sai  bien  que  se  li  rois  pooit  savoir  que  je  les 
eusse,  il  ne  m'en  savroit  ja  gré,  ains  m'en  harroi{en)l 
par  aventure,  ne  se  haine  je  ne  vaurroie  en  nule  ma- 
nière, car  maus  em  porroit  venir  a  moi  et  a  ma  terre.  » 

I.  el  —  2.  vis 


MERLIN  2  I  I 


«  biRE,  »  fait  li  vieus  chevaliers,  «  je  vous  dirai  que 
vous  en  porrés  faire.  Metés  en  ceste  nef  gent  qui  sacent 
de  mer,  et  puis  envoiiés  ces  enfans  en  auchun(s)  de  ces 
repaires  en  auchune  isle  de  mer.  Et  certes  on  (ne)  les 
porra  (ja)  si  coiement  tenir  que  li  rois  Artus  n'en  orra  ja 
parler.  »  Ensi  comme  il  le  devisa  le  fist  li  rois  faire,  si  les 
fist  mètre  en  un  sien  repaire  et  mist  norriches  avoec  iaus  on  les  expédie 
tant  comme  il  lour  convint.  Apriès  il  fist  faire  un  chas-  '^^"s  un  château 
tiel  boin  et  fort,  et  quant  il  fu  fais,  li  rois  l'apiela  pour  \";°"  'pp'^'''  '" 

,        ,         .    .  ^      .    '  ^,    .  1    •         ,.  châtel  aux  Gen- 

1  amour  d  eus  le  chastiel  as  Gen[v]res.  Mais  or  laisse  h  ^,^.^^ 
contes  d^aus  et  retorne  au  roi  Artu(s). 


Ore  dist  li  contes  que  quant  li  ba/y.  g8  '^Jvon  dou  Les  barons  de 
roiame  de  Logres  sorent  chou  que  li  rois  avoit  fait  de  ^05^<^^  s'indi- 
leur  enfans,  il  en  furent  tant  dolant  que  nus  plus.  Il  s"'"^/|'  ^"''^''' 

'  ^  r  ment  de  leurs  en- 

vinrent  a  Merlin  por  chou  qu'il  savoient  qu'il  estoit  si  f^^^s  ;  Merlin  les 

bien  dou  roi,  et  li  disent  :  «  Merlins,  que  porrons  nous  apaise  en  leur  en 

faire  de  ceste  desloiauté  que  chis  rois  a  faite?  Onques  ^^P'^i^^"^^^^^'- 

nus  rois   ne  fist  si  grant.  »  «  Ha  !  biau  signeur,  pour  ^°"* 

Dieu,  »  fait  Merlins,  «  ne  vous  aires  si  durement.  Car 

ceste  chose  a  il  fait  pour  le  commun  pourfit  dou  roiame 

de  Logres.  Car  bien  sachiés  vraiement  k'en  che  mois  ou 

nous  sommes  maintenant  est  nés  en  che  pais  uns  enfes 

par   quels  oevres   et  par  quel  pourcach  li  roiames  de 

Logres  doit  estre  si  essiliés  c'apriès  lui  ne  remenra  preu- 

domme  qui  ne  rechoive  mort  en  une  bataille  campel.  Et 

ensi  doit  chis  pais  remanoir  orfenins  et  desnués  et  de 

boin  roi  et  de  bons  chevaliers.  Et  sachiés  que  ceste  chose 

n'est  raie  fable,  ains  est  aussi  vérités  comme  vous  veés 

que  je  parole  a  vous.  Et  pour  chou  que  li  rois  vausist 

volentiers  que  ceste  dolours  fust  destourbee  ne  que  elle 

n'avenist  ja  a  son  tans  ne  de  lui  ne  de  vous  a  il  fait  des 

enfans  chou  qu'il  en  a  fait.  » 


2  12  MERLIN 


VOUANT  li  baron  oirent  ceste  parole,  il  dient  a  Mer- 
lin :  a  Nous  dites  vous  voir  qu'il  l'a  fait  pour  celé  enten- 
cion?  »  «  Oil,  se  {f,  gg  ^)  Dieus  m'ait,  »  fait  Merlins. 
«  Et  encore  vous  di  jou  plus  de  vos  enfans.  Saichiés 
vraiement  qu'il  sont  tout  sain  et  tout  haitiet  et  eschapé 
de  péril  de  mort,  car  a  nostre  signeur  ne  plaisoit  mie 
qu'il  morussent.  Et  anchois  que  viegne  dis  ans,  en  ver- 
res vous  les  plus  sains  et  haitiés.  »  Quant  il  entendent 
que  Merlins  lour  dist  ensi,  il  en  sont  moult  plus  aise 
quUl  n'estoient  devant,  si  se  restrainsent  de  leur  ire(s)  et 
de  leur  maltalent,  car  il  creoient  outreement  Merlin  de 
canques  il  lour  disoit,  si  clamèrent  le(i)  roi  quite  de 
canques  il  en  ot  fait,  et  disent  que  jamais  ne  l'en  sa- 
vront  mal  gré.  Ensi  acorda  Merlins  le  roi  as  ses  barons, 
si  em  peust  grant  mal  estre  avenu  ou  pais,  si  Merlins  n'i 
eust  mise  cest[e]  acorde. 


Artu    reçoit      Jj  ^  jq^.  g^^j^  jj  j.Q.g  ^  ^^^  disner,  et  ot  la  eut  tous  ses 

l'annonce       que  r     ^  -,    -A  i  «m  i    •         i    •  i  i    • 

Rion  est  entré  [ï^^^].  Et  enchou  qu  il  parloient  laiens  par  le  palais,  atant 
dans  ses  terres  Voient  uu  chevalier  entrer  en  la  sale,  et  fu  tous  armés  a 
cheval,  mais  il  estoit  teuls  atornés  que  li  sans  li  saloit 
par  les  costés  en  plus  de  trois  lieus,  et  ses  chevaus  estoit 
teuls  atornés  du^  courre  qu'il  avoit  fait  qu'il  chai  desous 
lui  en  mi  le  palais  si  tost  comme  il  fu  entrés.  Et  li  che- 
valiers qui  estoit  assés  vistes  et  legiers  sailli  sus  et  dist 
au  roi  :  o  Sire,  if-gg  ^)  nouvieles  vous  aporc  assés  anieu- 
ses  et  mauvaises.  Li  rois  Rions  est  entrés  en  vostre  terre 
a  si  grant  gent  que  aine  grignour  ne  veistes,  si  vait  vos- 
tre terre  ardant  et  dévastant  et  ochiant  vos  hommes  la 
ou  il  les  puet  trouver.  Et  a  ja  pris  de  vos  chastiaus  ne  sai 


.de 


MERLIN  2l3 

quàns.  Se  vous  n'i  metés  autre  conseil,  vous  ares  toute 
vostre  terre  perdue  dedens  brief  terme.  » 


Li  rois  qui  escoute  ceste  nouviele  respont  au  cheva- 
liers :  «  U  laissas  tu  le  roi  Rion?  Garde  que  tu  me  dies 
voir.  »  «  Sire,  je  le  laissai  a  un  vostre  chastiel  que  on 
apiele  Tarabel,  ou  il  avoit  le  chastiel  assis  a  si  grant  plenté  et  assiège  le  châ- 
de  gent  que  [c'ert]  une  fine  merveille.  »  a  Ore  assiece,  »  te^u  de  Tarabei; 
fait  li  rois,  «  que  je  le  ferai  lever(e)  a  sa  honte,  se  Dieu  (s) 
plaist,  assés  prochainnement.  »  Lors  commande  a  chiaus 
de  laiens  qu'il  desarment  le  chevalier  et  le  mainnent  es 
chambres,  et  se  prengent  garde  [de]  lui.  Et  cil  le  font 
ensi  comme  on  leur  ot  commandé.  Et  li  rois  commande 
erraument  a  faire  les  briés  et  les  envoie  a  mont  et  a  val  as 
ses  barons  et  lour  commande  qu^il  viegnent  erramment    ii  mande  ses 
a Camaloth  sans  nul  autre delay.  Etquantli  baron  [s]orent  iiommes  pour  le 
que  li  rois  les  mandoit  a  si  grant  besoing,  il  s'appareil-  '^o'^''a"''e. 
lent  au  plus  tost  qu'il  porent  et  hastent  de  (f.  gg  ^}  venir 
a  la  chité,  si  em  peussiés  ^  veoir  assambler  dedens  trois 
mois  plus  de  quatre  mil  chevaliers,  dont  li  plus  couart 
quident  estre  preu  et  hardi. 


E^  ,.       .  j ,  ,  ..    c  ^  Le  jour  où  il  va 

NSI  Ot  11  rois  mande  ses  houmes,  et  il  furent  venu       .  . 

'  partir,    une   de- 

assés  esforchiement.  Et  le  jour  qu'il  doit  monter  vint  moiseiie, envoyée 
laiens  une  damoisiele  riche  et  de  grant  biauté  plainne,  et  par  la  dame  de 
estfoit  a]  la  dameapieleeladamedeTisled'Avalon.Si  dist  l'îic  d'Avaion,  se 
au  roi  :  a  A  toi  m'envoie,  rois,  ma  dame  de  l'isle  d'Ava-  •''"'^"^^    ''    ^^ 

,  ,  .....  cour,  et  lui  de- 

lon  pour  chou  que  je  soie  aidie  et  secourue  en  ta  court  ,na,ideson  aide 
d'une  chose  qui  moult  me  grieve  et  dont  je  ne  cuic  ja-  Eiie  est   ceinte 
mais  estre  délivrée,  se  en  ta  court  je  ne  sui  deUvree.  »  d'une  cpdc  dont 
Lors  oste  de  son  col  un  mantiel  dont  elle  estoit  affublée  ""^    "^^  pourra 
et  lors  dit  au  roi  :  «  Rois,  veschi  une  espee  que  jou  ai  '^^"o"^'" '<^'*^<-'«- 

'  ri/  ^^g^  5,  ce  n  est  le 

meilleur    clieva- 
I .  peussier  lier  du  pays. 


214  MERLIN 

chainte  entour  moi,  si  comme  tu  pues  veoir;  mais  saches 
que  je  n'en  puis  mie  faire  si  ma  volenté  que  je  la  puisse 
traire  del  fuerre  ne  desçaindre  ^  d'entour  moi,  car  che 
n'est  mie  chose  qui  soit  a  femeotriee,  ne  a  chevalier  s'i[lj 
n'est  li  mieudrcs  chevaliers  de  cest  pais  et  li  plus  loiaus 
sans  trecherie  et  sans  boisdie  et  sans  traison.  Mais  qui 
teus  sera,  si  porra  desnoer  le[s]  renges'  de  Tespee  et  apor- 
ter  avoec  soi  l'espee  et  délivrer  mo[i]  de  che(/!  gg  ^)  dont 
je  sui  malement  encombrée;  car  tant  que  je  l'eusse  tout 
dis  ensi  avoec  moi  ne  porroie  jou  jamais  avoir  ne  bien 
ne  repos.  »  • 


VOUANT  li  rois  entent  chou  que  la  damoisiele  di- 
soit,  il  respont  :  «  Certes,  damoisiele,  vous  me  faites 
moult  esmiervillier.  Car  il  ne  me  samble  mie  que  chas- 
cuns  ne  peust  bien  oster  d'entour  vous  celé  espee  que 
vous  avés  chainte.  »  «  Or  sachiés,  »  fait  elle,  a  sire,  qu'il 
n'est  pas  ensi  conme  vous  cuidiés  ;  car  nus  ne  la  porroit 
deschaindre  s'il  n'est  teus  comme  je  vous  ai  devisé.  ■ 
«  Par  foi,  »  fait  li  rois,  «  dont  s'i  doit  bien  chascuns  es- 
saiier,  cil  qui  sont  chevalier.  Car  grant  honnour  i  con- 
querra chisqui  la  porra  deschaindre^.  Car  par  chou  me- 
ner a  chief  monsterra  il  qu'i|l]  soit  li  mieudres  chevaliers 
de  son  pais  et  qu'il  soit  si  bien  entechiés  comme  vous  avés 
dit.  Et  pour  chou  que  je  sui  sires  de  ceste  terre  et  de  tous 
chiaus  qui  chaiens  sont  l'essaierai  je  tout  premiers,  non 
mie  por  chou  que  je  cuic  estre  le  millour  chevalier  de  cest 
pais,  mais  pour  donner  essample  as  autres  qu'i[l]  Tas- 
saient.» Lors  se  lieve  li  rois  Artus  de  la  ou  il  se  seoit,  et 
vait  a  la  damoisiele  (/!  100  ^),  [et]  prentlesrenges"*  del'es- 
pee,  si  lescuide  desnoer,  mais  de  che  ne  puet  estre  :  qu'il 
cuidoit  que  che  fuissent  unes  renges  comme  as  autres  es- 
pees.  La  damoisiele  li  dist  :   «  Ha  1  rois,  n'i  metés  mie  si 

I.  descainbre  —  2.  règnes  —  3.  deschainbre  —  4.  règnes 


MERLIN  2l5 

grantforche,  car  force  n'i  vaut  riens.  Cil  qui  merra  ceste  a- 

venture  a  fin  n'i  metra  mie  si  grant  painne.  »  Lors  s'en  va    Artu,  puis  tous 

li  rois  aseoir et  dist  a  cheus  qui  avoec lui  estoient  :  «  Ceste  les  autres,  ics- 

aventure  n^est  pas  moie.  Ore  Tessaiiés  entre  vous,  et  qui  ^^^^"^  ^"  ^^"^' 

Dieus  en  donra  Tounour,  si  la  prengne.  »  Et  lors  i  as- 

saient  tout  li  baron  li  un  apriès  les  autres,  mais  onques 

n'i  ot  nul  qui  les  renges  ^  en  peust  desnoer.  Ensi  i  assaiie-  sauf  un  pauvre 

rent  tout  cil  de  laiens,  ne  mais  uns  povres  chevaliers  qui  chevalier ,  exilé 

estoit  nés  de  Norhomberlande.  Chisavoit  estédesiretés  de  ^^    Norhomber- 

par  le  roi  de  Norhomberlande  pour  un  parent  le  roi  qu'il  n^eurtre,  et  dom 

avoit  ochis,  etl'avoitCon]  mis  em' prison  plus  de  demi  an,  on  ne  faisait  nui 

si  en  iert  de  nouviel  issus.  Et  pour  chou  estoit  il  si  povres  cas  à  cause  de  sa 

qu'il  n'avoitsi  petit  non.  Mais  s'il  estoit  povres  d'avoir,  il  Pauvreté. 

estoit  riche[s]  de  cuer  et  de  hardement  et  de  (pro)  proueche, 

qu'en  tout  le  roiame  de  Logres  n'avoit  pas  a  chelui  tans 

millour  chevalier.  Et  pour  chou  que  povres  sambloit, 

l'en  faisoit  [on]  honte(ou)  entre  les  gens  (autres), ne  nule 

parole  n'estoit  (f.  loo  ^i  de  lui  ne  nus  ne  s'en  prendoit 

garde;  car  on  ne  tient  mie  bien  grant  conte  de  povre  gent 

entre  riches. 


V^ANT  tout  cildou  palais,  povre  et  riche,  orent  assaiié 
l'espee  fors  que  cil  seulement,  li  rois,  qui  bien  cuidoit 
que  tout  i  fuissent  venu ,  si  dist  a  la  damoisiele  : 
•  Dame,  il  vous  convient  aillours  aler,  se  vous  volés  es- 
tre  délivrée.  Car  chaiens,  che  m'est  avis,  ne  trouvères 
vous  nul  qui  vous  en  délivre.  Che  me  poise  chierement; 
car  se  cil  de  mon  ostel  peussent  ceste  chose  mener  a  fin, 
je  i  eusse  hounour  grant.  »  «  Ha  1  Dieus,  »  fait  elle,  «  si  '  »  demoiselle 
m'en  irai  je  donques  si  desconsillie  de  ceste  court  ou  il  a  ^*^"^  ^'^^  ^"^'"' 
tant  de  preudommcs  et  de  boins  chevaliers?  Ciertes,  or 
ne  sage  mais  ou  aler,  quant  j'ai  chi  failli.  Carj'avoie 
ja  esté  en  la  court  le  roi  Rion,  ou  je  ne  poc  trouver 

X.  règnes  —  2,  om 


2l6  MERLIN 

autre  conseil  que  je  faich  ichi  orendroit.  •  •  Damoi- 
siele,  »  fait  li  rois,  «  nous  ne  vous  poons  douner  autre 
conseil  orendroit,  puis  qu'a  nostre  signeur  ne  plaist.  » 
«  Ha!  Dieus,  »  fait  elle,  «  si  m'est  ore avis  qu'i[l]  me con- 
verra  dès  ore  mais  souffrir  ceste  painne,  cest  martyre  et 
ceste  dolour,  et  si  ne  l'avoie  je  pas  deservi.  » 


Lors  commencha  la  damoisielle  a  plorcr  moult  du- 

(/*.  7  00  <^jrement,  si  dist  qu'elle  s'en  ira.  Et  commanda  le 

roi  a  Dieu  et  toute  sa  compaigne.  Et  quant  li  povres 

chevaliers  voit  qu'elle  ne  demourra  plus  et  qu'elle  s'en 

mais  le  chevalier  vait  dou  tout,  si  saut  outre  li  chevaliers.  Et  estoit  moult 

exilé  demande  à  dolaus  de  chou  quc  nus  ne  li  avoit  commandé  qu'il  s'as- 

essaycr  aussi,      saiast  a  l'espee  si  comme  on  avoit  fait  as  autres,  si  huce 

la  damoisiele  et  li  dist  oiant  tous  chiaus  de  laiens  :  •  Ha! 

damoisiele,  par  courtoisie  attendes  tant  que  je  aie  eu 

l'espee  assaiie  aussi  comme  li  autre  ont  fait.>  Et  elle  le 

voit  de  si  povre  affaire  par  samblance  qu'elle  ne  se  puet 

celer  qu'elle  ne  die  :  «  Certes,  sires  chevaliers,  je  croi 

que  vous  l'assaierés  pour  noient  ;  car  je  ne  querroie  pas 

a  essient  que  vous  fuissiés  li  mieudres  chevaliers  de  ceste 

sale,  ou  il  en  a  orendroit  tant  de  boins.  »  Et  il  est  tous 

honteus,   si  respont  par  courouch  :  «   Damoisiele,  ne 

m'aiiés  en  despit  pour  ma  povreté  :  je  fui  ja  plus  riches. 

Encore  n'a  il  nul  chaiens  a  qui  je  veaisse  mon  escu.  » 

Il  réussit,  et  Lors  prent  les  renges  ^  de  l'espee  et  met  les  mains  as  neus 

garde  l'cpvie  pour  et  les  desnouc  erraumcnt  et  tire  l'espee  a  lui.  Et  lors 

lui,  bien  que  la  ^j^^  ^  |^  damoisiele  :  a  Or  vous  en  poés  aler  toute  deli- 

dcmoiselleluian-  ,,  ,    .  .1, 

^Qj^^g  vree  quant  il  vous  plaira,  mais  1  espee  me  remanra,  car 

il  m'est  avis  que  je  l'ai  gaaignie.»  Lors  la  trait  dou  fuerre, 
si  la  commence  (f.  100  '^J  a.  regarder  et  la  voit  si  biele  et 
si  boine  par  samblant  qu'il  n'en  vit  onques  nule  qu'il 
prisast  autretant.  Et  lors  le  remet  ou  fuerre,  et  la  damoi- 

1 .  règnes 


MERLIN 


217 


siele  li  dist  erramment  :  «  Sire  chevaliers,  vous  m'ave's 
délivrée  et  si  i  avés  moult  grant  hounour  conquis;  car 
il  est  prouvée  chose  et  aperte  par  ceste  oevre  que  vous 
estes  li  mieudres  chevaliers  de  chaiens.  Mais  pour  chou 
se  vous  m'avés  délivrée  ne  fu  il  pas  el  convenant  que 
Tespee  vous  remansist  ;  si  vous  pri  que  vous  le  me  ren- 
des, ensi  comme  il  avoir  doit  courtoisie  en  vous  selonc 
la  prouece  qui  i  est.»  Et  li  chevaliers  dist  que  l'espee  ne 
li  rendera  il  pas,  s^il  en  devoit  estre  tenus  a  vilains  de 
tous  chiaus  de  la  court.  «  Et  je  vous  di,  »  fait  elle,  «  que 
se  vous  l'em  porte's  qu'il  vous  en  mal  averra.  Car  bien 
sachiés  que  li  hom  qne  vous  primes  en  ochirrés  sera  li  qu'il  en  tuera 
hom  ou  monde  que  vous  plus  amés.»  Et  il  dist  que  l'es-  l'iioni^c  qu'il  ai- 
pee  em  portera  il,  se  il  meismes  en  devoit  estre  ochis.  '"^  •'-^  ""^'^^ 
a  Voire  ,  »  fait  elle  ,  «  ore  ensi  soit ,  puis  qu'il  vous 
plaist.  Et  bien  sachiés  que  vous  ne  l'avérés  mie  deus 
mois  eue  que  vous  vous  en  repentirés.  Mais  je  vous  di- 
rai encore  une  autre  mierveille,  et  saciés  que  elle  averra 
tout  ensi  comme  je  le  vous  conte  orendroit  :  anchois  que 
chis  ans  soit  passés  vous  (f.  10 1  ^)  combaterés  vous  a  et  qu'avant  un 
un  chevalier  qui  vous  occirra  de  l'espee  et  vous  lui.  Et  '^"  ii  sera  lui-mô- 
pour  chou  que  je  ne  voloie  pas  que  ceste  mésaventure  "^*^.  ^^"  ^^^  ^^^^'^ 
avenist  a  si  boin  chevalier  comme  vous  estes  Tcn  voloie 
jou  porter  ;  car  se  Dieus  me  consaut,  tant  comme  elle 
fust  ensi  que  chevaliers  ne  la  portast,  n'en  eussiés  garde 
que  vous  morussiés  d'armes.  Orc  le  portés,  se  il  vous 
plaist,  que  bien  sachiés  que  vous  em  portés  vostre  mort 
avoecques  vous.  »  Et  cil  li  dist  que  se  la  mors  i  devoit 
estre,  si  l'em  portcroit  il,  car  trop  li  samble  Pespee 
boine  et  biele.  Lors  dist  a  un  sien  escuiier  qui  devant 
lui  estoit  :  a  Va,  si  m'aporte  mes  armes  et  amainne  mon 
cheval,  que  je  sui  cil  qui  plus  ne  demourraa  ceste  court; 
car  il  m'ont  bien  monstre  a  cest  ostcl  que  povretcs  fait 
tenir  mains  preudoumes  vil.  » 


2l8  MERLIN 


Li  escuiiers  se  part  de  laiens  pour  faire  le  comman- 
dement de  son  signour.  Et  li  rois  qui  ot  veu  ceste  chose 
trop  estoit  honteus  de  la  parole  qu'il  ot  oi  dire  au  che- 
valier, si  vient  a  lui  et  li  dist  :  «  Ha  !  sire  chevaliers,  pour 
Dieu  ne  vous  poist  de  chou  que  j'ai  esté  vilains  viers 
vous.  Je  sui  tous  près  que  je  le  vous  amène  a  vostre  vo- 
lenté  et  a  vostre  esgart.  Mais  certes  je  ne  vous  connissoie, 
si  n'en  doi  pas  estre  blasmés  ;  car  il  a  tant  de  preudom- 
mes  chaiens  que  je  ne  sai  au  quel  je  doive  courre.  Or 
remanés  chaiens,  sire  chevaliers,  je  vous  (f.  joi  ^J  em 
prie.  Et  je  vous  creanc  que  ja  mais  tant  comme  je  vive 
ne  vous  faurrai  a  compaignie.  Car  ja  chose  ne  me  sarés 
demander  que  je  ne  le  vous  dongne  a  mon  pooir  pour 
chou  que  vous  remaingniés  de  ma  maisnie.  »  Et  li  che- 
valiers respont  k'il  ne  remanroit  a  ceste  fois  en  nule  ma- 
nière pour  prière  c'on  l'en  fesist  ne  pour  don  que  on  li 
seust  donner.  Et  li  rois  dist  [que]  de  ceste  chose  est  il 
moult  dolans,  car  il  ne  vit  piech'a  mais  chevaliers  en  sa 
court  dont  il  amast  autant  la  compaignie  coume  il  fesist 
de  lui. 


JVlouLT  parloient  tout  cil  de  laiens  del  chevalier  qui 

a  (a)mené  a  fin  l'aventure  ou  tout  li  autre  avoient  failli,  si 

dient  li  auquant  qu'il  savoit  d'enchantement  et  qu'il  l'a 

plus  fait  [par  enchantement]  que  par  la  prouece  de  lui.  En- 

dementiers  qu'il  parloient  par  laiens  d[e  c]es  choses,  atant 

Arrive  la  de-  cs  VOUS  Une  damoisicle  tout  a  cheval  qui  laiens  entra,  et 

moiseiie  qui  avait  tout  eusi  commc  elle  cstoit  montée  vint  devant  le  roi  et 

donne  à  Artu  l'é-  |j  ^jj^^ .  ^  Rqîs,  tu  me  dois  un  guerredon  ;  acuité  t'ent  voiant 

pcc  u  ac.         tous  ces  preudommes  de  chaiens.»  Et  li  rois  regarde  la  da- 

moisiele  et  connoist  que  che  est  celé  qui  Tespee  li  donna, 

si  respont  :  «  Certes,  damoisiele,  un  don  vous  doi  jou  voi- 

rement,  si  m'en  aquiterai  a  mon  pooir.  Mais  se  il  vous 


MERLIN  219 

plaisoit,  dites  moi  une  chose  que  je  vous  obliai  ademan- 
(f.  lOi  ^jder.  »  a  Et  que  es  che?  »  fait  elle,  a  C'est  li 
nons  de  l'espee  que  vous  me  dounastes.  »  «  Or  saiciés,  »  gHe  lui  en  ap- 
fait  elle,  t  que  Tespee  est  apielee  par  son  droit  non  Esca-  prend  le  nom, 
libor.  »  «  Ore  demandés,  »  fait  il,  «  chou  qu'il  vous  Escaiibor,  et  lui 
plaira,  car  je  le  vous  donrai,  se  je  le  puis  faire.»  «  Je  vous  '"•^'^'^"^^  ^^  °" 
demanc,  »  fait  elle,  «  la  teste  [de]  la  demoisiele  qui  celé  j^j^.  c'est  la  tête 
espee  aporta  chaiens  ou  dou  chevalier  qui  Fa.  Et  savés  ou  de  la  demoi- 
vous,  »  fait  elle,  a  pour  coi  je  demanc  si  miervilleusdon?  seiie  qui  a  appor- 
Sachiés  que  chis  chevaliers  ochist  un  mien  frère  preu-  ^^  ^'*^p'"'*^  °^  ^^ 
domme  et  boin  chevalier,  et  ceste  damoisiele  fist  mon  *^^^^^'^''  ^^\  ^ 

'  détachée,  qu'elle 

père  occhire.  Pour  chou  si  vaurroie  volentiers  estre  ven-  ^^-^^   comme 

gie  ou  de  Fun  U  de  Fautre.  »  meurtriers,  l'une 

de  son  père,  l'au- 
tre de  son  frère. 

VOUANT  li  rois  entent  ceste  demande,  il  se  traist  ar-    ^^^^  ^^^  ^^^^^, 
riere  tous  esbahis  et  dist  :  «  Damoisiele,  pour  Dieu  vous  fait  de  cette  re- 
pri  que  vous  me  demandés  une  autre  chose.  Car  certes  quCte; 
de  cel  don  m'aquiteroie  jou  moult  mauvaisement  viers 
vous  :  car  certes  il  n'est  nus  qui  a  mauvaisté  ne  a  felenie 
ne  le  me  peuust  atorner,  se  je  faisoie  ochirre  auchun  de 
ces  deus  qui  riens  ne  m'ont  mesfait.  »  Et  quant  li  cheva-  mais  le  chevalier 
liers  entent  que  la  damoisiele  demande  son  chief,  il  vient  exilé  reproche  ù 
viers  la  damoisiele  et  li  dist  :  «  Haï  damoisiele,  moult  la  demoiselle  d'a- 

.  ,  'r     1        1  j     ^      •  •  voir  empoisonné 

vous  ai  longement  qui[se];  plus  a  de  trois  ans  que  je  ne  f.- V  lui) 
vous  final  de  {f.  lOi  ^j  querre.  Vous  estes  celé  qui  arsis- 
tes  de  venin  mon  frère.  Et  pour  chou  que  je  vous  haoie  si 
mortelment  ne  ne  vous  pooie  trouver  ochis  jou  vostre 
frère.  Mais  puis  quMl  est  ensi  avenu  que  je  vous  ai  chi 
trouvée,  ja  mais  ailleurs  ne  vousquerrai.  » 


LoRS  traist  Fespee  du  fuerre.  Quant  la  damoisiele  le  cttirantrépcciui 
voit  venir,  elle  s'en  vaut  aler  fors  de  la  sale  pour  escha-  '^""p^  •'^  ^^^^• 
per  des  mains  de  chelui.  Et  il  li  dist  :  «  Cestui  mestier 
vous  ren  ge  :  ou  lieu  que  vous  demandastes  ma  teste  au 


une 


220  MERLIN 

roi,  li  donrai  jou  la  vostre.  »  Lors  fait  un  saut  tresqu'a 
la  damoisiele  et  la  fiert  de  l'espee  si  durement  qu'il  li 
fait  la  teste  voler  a  terre.  Et  lors  prent  Tespee  et  le  chief 
et  vient  au  roi  et  li  dist  :  «  Sire,  or  saichiés  que  veeschi 
le  chief  de  la  plus  desloial  demoisiele  qui  onques  entrast 
en  votre  court.  Et  encore  vous  en  avenist  mains  maus, 
se  elle  repairast  longement  en  vostre  court,  et  maint  mal 
vous  en  avenissent;  si  vous  di  bien  que  onques  si  grant 
joie  n'avint  en  nule  terre  que  on  fera  en  la  terre  de  Nor- 
homberlande,  si  tost  c'om  savra  la  mort  de  li.  » 


Artuentredans  C^UANT  li  rois  volt  cestc  aventurc,  si  est  trop  coure- 
grande  co-  chiés,  si  respont  au  chevalier  :  «  Certes,  dans  chevaliers, 

'^^^^  vous  avés  (f.  102  ^)  fait  la  gringnour  vilounie  que  je  on- 

ques veisse  faire  a  tel  chevalier  que  je  cuidoie  que  vous 
fuissie's.  Ne  je  ne  cuidaisse  pas  que  nus  chevaliers,  fust 
estranges  u  privés,  fust  si  hardis  qu'il  me  fesist  si  grant 
honte  comme  vous  avés  fait.  Car  certes  gringnour  honte 
ne  me  peust  nus  faire  que  d^ochirre  damoisiele  devant 
moi  qui  estoit  en  mon  conduit,  que  je  dévoie  garandir; 
car  puis  que  elle  estoit  en  mon  ostel,  ne  deust  elle  avoir 
garde  ne  doute  de  nului  tant  l[i]  euust  mesfait,  ains  le 
deuust  mes  osteus  garandir  encontre  tous  tant  comme 
elle  fust  dedens.  Tés  estoit  la  manière  et  la  coustume  de 
mon  ostel,  que  vous  avés  enfrainte  et  depechie  premiè- 
rement par  vostre  orgueil  ;  si  vous  di  bien  que  se  vous 
estiés  mes  frères,  si  vous  repentirés  vous  de  che  fait.  Ore 
wuidiés  ma  court  vistement  et  aies  fors.  Et  bien  sachiés 
que  je  n^en  serai  gramment  liés  devant  (vous)  que  chis 
grans  orguels  soit  vengiés.  » 

Vç/UANT  li  chevaliers  entent  que  li  rois  est  si  courre- 

chiés  de  ceste  chose,  il  s'aperchoit  adont  qu'il  ot  fait  trop 
grant  mesprison  et  trop  grant  fourfait  de  la  damoisiele 


MERLIN  22  I 

ochirre  voiant  le  roi  meismes.  Lors  s'agenoulle  devant  et  malgré  les  cx- 
le  roi  et  li  dist  :  «  Haï  (/"•/ 02  ^)  sire,  pour  Dieu  merchi.  cuses  du  cheva- 
Je  reconnois  bien  que  je  sui  trop  durement  mesfais.  ^'^'"'  ''  ^"'  ordon- 

T-k  TN»  1  '1  -vi  1'^        T-^i-        •     ne  de  sortir  do  sa 

Pour  Dieu  pardounes  le  moi,  s  il  vous  plaist.  »  Et  li  rois 

r  ^  '^  cour. 

dist  qu'il  n'a  talent  qu'il  li  pardoinst.  «  Non,  sire?  Ore 
faites  tant  de  courtoisie  a  tout  le  mains,  pour  chou  que 
a  vostre  court  sui  venus,  que  je  aie  trives  de  vous  et  de 
vos  hommes.  »  «  Ciertes,  »  fait  li  rois^  «  non  avérés, 
ains  leurpri  et  requier  qu'il  facent  tant  que  ceste  honte 
soit  vengie  ;  car  aussi  perdent  il  comme  jou  faich.  Car 
quant  vous  ne  pour  moi  ne  pour  eus  n'en  laissastes  riens, 
si  poons  bien  dire  que  petit  nous  prisastes,  quant  pour 
l'onnour  de  nous  ne  pour  doutance  n'en  laissastes  vous 
vostre  felounie  a  faire.  Et  aies  de  chi,  que  vous  n'en  tro- 
verés  en  moi  autre  chose  a  ceste  fie.  » 


V/UANT  li  chevaliers  entent  qu'il  n'i  prendra  plus  ne 
[ne]  porra  mierchi  trouver  de  son  mesfait,  il  se  lieve  de  de- 
vant le  roi  et  se  part  de  sa  court  et  s'en  vient  a  son  ostel. 
Et  toutes  voies  s'em  porte  avoec  lui  le  cief  de  la  damoi- 
siele.  Et  quant  il  est  a  son  ostel  venus,  il  trueve  son  es-  Le  chevalier, 
cuiier  et  li  dist  :  «  Veschi  le  cief  de  la  damoisiele  que  '"^'"'"^  ^^^^^  '"*' 

.,         •         •    1  ^  •  rr-^  1       ^  r-  T  dit  à  son  écuyer 

1  avoie  si  longement  quise.   »   «   Et  ou  le   trouvastersl      ,.. 

-..,__.,,.  -^  qu  il  compte    a- 

vous?  ))  fait  cil.  Et  il  11  conte  erramment  comment  elle  priser  Artu  eu 
s'estoit  venue  devant  le  roi  et  comment  (/.  102  ^)  elle  lui  rendant  mort 
avoit  demandé  son  chicf,  et  il  dist  outreemcnt  tout  chou  o"  ^'^  ^o"  ^""'-'- 
qui  estoit  avenu  et  le  rcsponse  le  roi  et  le  département  '"'  ''^  '^^  ^'°"' 
de  la  court.  Lors  commcncha  li  variés  a  plourer  trop  du- 
rement et  dist  a  son  signour  :  «  Hal  sire,  mal  avés  es- 
ploitié,  quant  vous  avés  par  vostre  fourfait  le  compaignie 
de  la  court  et  l'acointancc  del  roi  perdue  pour  ceste  da- 
moisiele. Mal  fust  elle  onqucs  née!  »  «  Ore  ne  t'esmaie,» 
fait  il,  «  que  se  j'ai  par  mon  forfait  [tant]  fait  que  j'ai  perdu 
la  compaignie  dou  roi,  je  ferai  prochainnement,  se  Dieu 
plaist,  qu'il  sera  (prochainnement)  apaisiés  a  moi,  se  nus 


222  MERLIN 

frans  chevaliers  se  puet  apaisier  pour  prouece  qui  en 
honme  peust  estre.  »  «  Et  qu'en  baés  vous  a  faire?  »  fait 
li  escuiicrs.  «  Je  bee,»  fait  li  chevaliers,  «que  li  aporte  la 
teste  dou  plus  mortel  anemi  et  de  chelui  que  il  redoute 
plus  orendroit,  ou  que  je  li  envoie  tout  vif  en  sa  prison.» 
a  Et  qui  est  cil?  »  fait  li  escuiiers.  «  Che  est,  »  fait  il, 
a  li  rois  Rions,  li  plus  poissans  hom  que  je  saiche  oren- 
droit cl  monde  fors  seulement  le  roi  Artu(s).  Et  tout  soit 
il  ore  moult  poissans,  si  le  cuic  je  amener  a  l'aide  de  Dieu 
a  la  merchi  le  roi  Artu(s).  Et  che  sera  une  chose  pour  coi 
je  deveroie  bien  trouver  pais  enviers  le  roi  [J,  102  ^)  Ar- 
tu(s),  se  ja  mais  la  dévoie  trover.  »  «  Ore  vous  en  doinst 
Dieus  pooir,  »  fait  li  variés  ;  «  car  certes  je  désir  moult 
que  il  aviegne  si  conme  vous  Tavés  dit.  »  «  Je  te  dirai 
voirement,  »  fait  li  chevaliers,  «  que  tu  feras.  Tu  te  par- 
II  l'envoie  en  tiras  de  moi  et  t'en  iras  ou  roiame  de  Norhomberlande 
Norhomberiande  g^  q^  porteras  avoec  toi  la  teste  de  la  damoisiele,  et  la 

annoncer  la  vcn-  ,  ^  .     ,  ^       '  vi  ^    r^^i      -  \ 

ecance  u'i  f  é  présenteras  a  mes  amis  la  ou  tu  ses  qu'il  sont.  Etlor(s) 
de  celle  qui  avait  porras  dire  que  ensi  m'en  sui  vengiés  de  celé  qui  mon 
tu(i  son  frère,  frcfc  ochist  et  en  tel  lieu  ou  il  avoit  plenté  des  millours 
chevaliers  del  monde.  »  Chil  dist  que  tout  cel  message 
fera  il  bien,  mais  il  demande  comment  il  le  porra  trou- 
ver au  revenir.  «  Je  cuic,  »  fait  il,  «  que  tu  me  troveras 
en  la  court  le  roi  Artu(s).  Car  ains  que  tu  reviegnes  avrai 
jou,  se  Diu  plaist,  faite  ma  pais  viers  le  roi.  » 


et  il  part,  ayant      LoRs  prent  ses  armes,  si   monte  en   son   cheval  et 
àsaceinturedeux  ^^^^^^^  y^  .-j  ^^  ^^  j^  damolsicle  dejoustc  cele  k'il 

épées,   la  sienne  .,.,.,  ,  ^  »    t- 

et  celle  qu'il  vient  po^toit  devant,  SI  qu'il  en  ot  deus  a  son  coste.  Et  prent 

de  conquérir.       un  escu  et  une  glaive  gros[se]  et  fort  et  se  part  de  la  ville 

et  s'adrece  cele  part  ou  il  cuidoit  que  li  rois  Rions  fust  a 

tout  son  ost,  et  li  escuiiers  s'en  rêvait  d'autre  part  en 

son  commandement. 


1 


MERLTN  223 


(f.  104^)^  ^  -Ct  si  te  mousterrai  comment  il  est.  Voirs  Merlin  raconte 
est  que  elle  a  un  frère  moult  boin  chevalier,  preu  et  ^  ^'"^^  ^"^ '''^ ''e- 
hardi,  assés  plus  iovene  que  elle  n'est.  Et  ceste  damoi-  "'"'"'^"'^  -i"'   -^ 

.    ,  .  ^  '  ...  ,  u         1-         1     apporté  rcpce   à 

siele,  SI  comme  je  le  sai  bien,  a  ame  un  chevalier  le  ^a  ceinture  avait 
plus  desloial  et  le  plus  félon  qui  soit  ou  roiaume  de  un  amant  que  son 
Logres.  Ore  avint  puis  que  li  chevaliers  qui  frères  estoit  f^'^'e  (îi  tiie)  a 
a  celé  damoisiele  encontra  par  aventure  chelui  que  elle  ^""^    ^"^"^    ^''•"" 

-,      ,  ,       .  vcnaer,  clic  s'est 

amoit.  Il  s  entrecoururent  sus  et  tant  se  combatirent    ,,     ■  -  ,  ^ 

adressée  a  la  da- 

ensamble  que  li  frères  ochist  l'ami  a  la  damoisiele.  Dont  me  de  nie  d^A- 
elle  ot  si  grant  duel  que  (jamais)  elle  dist  que  ja  mais  vallon;  cciic-ci 
ne  seroit  aise  devant  que  elle  avroit  pourcachiet  la  mort  '"^  ^  attaché  l'é- 
de  son  frère.  Elle  estoit  moult  bien  de  la  dame  de  l'isle  P'''  ^" '"irisant 

...  .   Il      t  ,  ,.  *iue  celui  qui  la 

d  Avalon ,  se  h  pria  tant  qu  elle  le  vengeast  de  son  frère  détacherait   la 

qui  son  ami  li  avoit  ochis,  et  elle  dist  que  elle  l'en  feroit  vengerait  de  son 

aide  ;  et  maintenant  le  chainst  de  l'espee  que  elle  aporta  fi^^'e: 

en  ceste  court  et  dist  a  li  :  «  Il  convient  que  chis  qui 

«  ceste  espee  deschaindra  soit  li  mieudres  chevaliers  de  sa 

«  contrée  et  li  plus  loiaus  et  sans  toute  trecherie.  Or  le 

((  quiertantque  tule  truises.  Et  saches  quechiusqui  t'en 

a  deliverra  metera  ton  frère  a  mort  par  force  de  chevale- 

«  rie  ;  et  ensi  t^en  vengera  il  de  chou  dont  tu  iés  plus 

«  courechie.  » 


Cnsi  rechiut  ceste  desloiaus  demisiele  Y^s-ff.  104  ^J 


I.  Le  fol.  I  o3  manque  dans  le  manuscrit.  Voici  en  bref,  d'après 
Malory  (l.  Il,  c.  4},  ce  qui  y  était  raconté  :  Un  chevalier  d'Irlande, 
appelé  Lanceor,  demande  et  obtient  d'Artu  la  permission  de  sui- 
vre le  chevalier  exilé  pour  le  punir  de  l'affront  qu'il  a  fait  au  roi. 
Merlin  arrive,  et  explique  ce  qui  vient  de  se  passer  :  la  demoiselle 
qui  a  apporté  Vépée  attachée  à  sa  ceinture  (et  qui  est  encore  de- 
vant le  roi)  est  la  plus  perfide  qui  ait  jamais  existé.  Le  discours 
de  Merlin  continue  par  les  premiers  mots  du  fol.  104,  qui  corn- 
mencent  cet  alinéa 


2  24  MERLIN 

pee  pour  chou  que  ses  frères  en  recheust  mort,  et  si  fera 
et  c'est  ce  qui  ar-  [{^  car  [[  en  sera  ochis  assés  prochainnement.  Et  si  n'a- 
rivcra  en  effet;  ^^^^^  ^^  ^^^^^  ^^        ^^j^  ^^^j  ^^^  a  son  frère,  ains  en 

mais  de  cette  i-  .,     ,    .  .  .  .  .  f 

jMîe  pc^riront  le*  "^orront  Cil  dui  que  je  connois  vraiement  qui  sont  li 
deux  meilleurs  millor  chevalier  dou  roiaume  de  Logres.  Ore  esgardés 
chevaliers  du  ro-  com  grant  dolour  averra  par  l'esmeute  de  li.  Certes  il  me 
yaumc.  samble  et  si  est  voirs  que  elle  euust  mieus  deservi  mort 

que  celé  qui  orendroit  morut  ichi.»  «  En  non  Diu,  Mer- 
lins,  »  fait  li  rois,  «  vous  dites  voir.  Car  il  me  samble 
qu'elle  morut  par  trop  grant  desraison.  »  Et  quant  la 
damoisiele  entent  que  li  rois  s'acorde  a  Merlin,  elle  ne 
La  demoiselle  demeure  plus  en  la  court,  ains  s'en  vait  grant  oirre  fors 
s'en  va.  Je  laieus.  Et  li  rois  dist  a  Merlin  : 


a  Merlins,  que  porra  on  faire  del  chevalier  qui  tant 
a  ma  court  desprisie  que  pour  moi  (et)  ne  pour  tous  chiaus 
qui  i  estoient  ne  laissa  qu'il  n'ocheist  la  damoisiele 
voiant  nous  tous?  »  «  Ha!  sire,  »  fait  Merlin,  «  ne  parlés 
ja  de  sa  mort.  Certes  c^est  damages  qu'il  ne  doit  durer 
longuement,  car  a  merveilles  est  preudom  et  boins  che- 
valiers. Et  saichiés  que  ces  dis  ans  ne  morra  nus  cheva- 
liers en  votre  court  de  cuî  vous  plaingniés  autant  sa 
mort  comme  de  cestui  quant  vous  savrés  qu'ifl]  sera  dé- 
viés. Pour  chou  vous  pri  jou  pour  (f,  104  <^)  Dieu,  sire, 
que  vous  cestui  mesfait  li  pardoingniés.  Que  bien  saiciés 
qu'il  est  teuls  hom  a  cui  on  (le)  doit  bien  pardonner  un 
grant  mesfait.  Et  certes  se  vous  le  connissiés  aussi  bien 
com  je  le  connois,  vous  vous  en  repentiriés  seulement 
de  chou  que  vous  li  avés  dit.  Et  a  vous,  signeur  baron, 
qui  li  savés  mal  gré  de  che  mesfait,  je  vous  pri  que  vous 
n'aiiés  plus  enviers  lui  maie  volenté.  Car  bien  saichiés 
que  il  (l)amendera  hautement  cestui  mesfait  a  la  court 
ains  brief  terme.  Et  bien  mousterra  qu'il  deveroit  mieus 
avoir  Tespce  que  nus  qui  ore  soit  en  vie.  »  «  Hal  Mer- 
lins,  »  fait  li  rois,  «  il  me  samble  que  vous  le  connissiés 


ai  d  cc'.ut 


;!ge  pour  1^ 


MERLIN  2  2D 

bien.  Pour  Dieu  dites  moi  qui  il  est?  »  «  Je  vous  [di],  » 

fait  Merlins,  «  (di)  qu'il  a  a  nonBalaain[s]  li  sauvages,  et    ^:c^;;u  a- 

est,  che  sai  ge  bien,  li  millours  chevaliers  dou  monde,  -'^^ 'o^^-'ioi 

par  coi  je  le  plains.  Car  sa  mors  verra  anchois  qu'il  ne 

fust  mestiers  au  roiaume  de  Logres.  »  i-,ai"aai:i  w.  Sau- 

Aage    :    ^a    mort 

prochain-,.-       sera 

VOUANT  11  baron  entendent  che  que  Merlins  dist,  il  se  "' 
refraingnent  tout  de[l]  maltalent  qu'il  avoient  devant  au  '^'' 
chevalier,  et  prient  chascuns  pour  lui  et  dient  que  nostre  " 
sire  le  conduie   en   quel   lieu   qu'il  voise.    Et  li    rois 
meismes  n'en  est  mie  si  maltalentis  come  il  estoit  devant, 
car  il  creoit  Merlin  de  canques  il  {/'.  104  ^J  disoit;  si  ' 
vaurroit  ore  qu'il  n'eust  mie  parlet  au  chevalier  si  tele- 
nessement  comme  il  parla.  «  Ha!  rois,  »  fait  Merlins, 
«  chou  est  a  tart  que  tu  soies  de  li  percheus.  Sachiés  qu'il 
ne  te  feraja  mais  courtoisie  ne  compaignie  se  petit  non  : 
che  est  damages.  »  Et  ensi  parole  li  uns  et  li  autres  del 
chevalier.  Et  li  rois  dist  a  Merlin  :  «  Merlins,  que  medi-    M^i'inannooLt; 
tes  vous  dou  roi  Rion  ?  Me  porra  il  nuire  de  noient?  »  '\'^'^^i^  '^,'"  '^'' 
«  Chevauche,  roi,  asseur,  »  fait  Merlins,  «  que  nostre  sires  ^Ji^jon. 
te  fera  assés  gringnour  honnour  que  tu  ne  cuides,  ne  il 
ne  t^a  pas  mis  en  la  hauteche  ou  tu  iés  pour  si  tost  faire 
tresbuchier.  Pour  chou  ne  t'esmaiier,  car  il  te  secourra 
en  tous  lieus,  se  che  n'est  par  vo  defaute  2.  »  Ensi  parole 
Merlins  au  roi  et  le  chasiie  del  chevalier.  Et  li  rois  li 
respont  qu'il  se  repent  moult  de  chou  qu'il  li  a  dit.  Mais 
a  tant  laisse  ore  li  contes  a  parler  [d'aus]  et  retorne  au 
chevalier  d'Irlande  ensi  comme  il  est  partis  de  son  ostel. 


O, 


're  dist  li  contes  que  quant  li  (/.  io5  ^)  chevaliers     ^^'P>^"J'"'«    '^ 
se  fu  partis  de  son  hostiel  ensi  armés  comm.e  il  estoit,  il  '^'"')'"^'         ' 

.  r  '''"^^  atteint  Ha- 

chevaucha  et  issi  fors  de  la  ville  et  trouva  les  esclos  dou  i,,i,i  ^i  1^  j,.i,^ 


qui  —  2.  dcfaiic 


2'iO  MERLIN 

chevalier  qui  devant  lui  s'en  aloit.  Et  neporquant  il  ne 
le  connissoit  mie  très  bien.  Mais  aventure  le  mist  en 
chelui  meisme  chemin  ou  il  aloit.  Tant  chevaucha  en  tel 
manière  le  grant  aleure  qu'il  ataint  au  pié  d'une  montai- 
gne  le  chevalier  qu'il  aloit  querant.  Il  li  crie  de  si  loins 
com  il  cuide  qu'il  le  puistoir:  «  Dans  chevaliers,  tornés 
cha  cestui  escu,  u  je  vous  ferrai  par  derrière,  si  arois 
gringnour  honte.  » 


ijaiaaiu  icco.n-  "^  ^^"  paroles  sc  regard  e  Balaain[s]  etconnoist  que 
bat  à  ro-ret  et  !c  joustcT  le  Convient  erramment,  se  li  a  dit  si  haut  que  chis 
^^<^-  le  puet  bien  entendre  :  «  Chevaliers,  anchois  que  tu  jous- 

tes  a  moi,  di  moi  a  cui  tu  iés.  »  Et  cil  respont  :  «  Je  sui 
au  roi  Artu(s)  qui  cha  m'envoia  pour  ton  damage.  Je  te 
desfi,  et  te  garde  de  moi,  car  a  jouster  te  convient.  »  Et 
cil  respont  :  «  Certes,  che  poise  moi  que  tu  iés  a  lui.  Car 
se  je  t'ochi,  or  serai  je  plus  coupables  a  lui  que  je  n'estoie 
devant,  et  si  mêlerai  en  tel  manière  mesfait  seur  mes- 
fait.  »  Lors  li  adrece  le  cheval  et  joint  l'escu  encontre 
son  pis,  [et]  baisse  la  glaive.  Et  cil  li  vint  de  si  grant  oirre 
comme  il  pooit  de  cheval  traire,  se  li  perce  l'escu  et 
brise  li  la  glaive  en  mié  le  pis,  mais  de  la  sele  ne  le  re- 
mue. Et  li  chevaliers  le  fiert  si  durement  qu'il  li  perce 
{/.  io5  ^)  l'escu  et  li  ront  les  mailles  dou  hauberc  et  li 
met  parmi  le  cors  la  glave  si  que  li  fers  a  tout  grant  par- 
tie del  fust  apparut  de  l'autre  part.  Il  vint  de  grant  for- 
che,  si  Fempaint  a  terre  par  desus  la  crupe  dou  cheval. 
Et  au  retraire  qu'il  fait  de  la  glaive  se  taist  cil  qui  sent  la 
destrece  de  la  mort.  Et  cil  fait  outre  son  poindre,  et  re- 
torne  maintenant,  et  traist  l'espee  ;  car  il  ne  cuidoit  pas 
encore  que  li  chevaliers  fust  mors.  Et  quant  il  est  venus 
seur  lui  et  il  a  un  peu  demouré,  il  voit  tout  entour  lui  la 
terre  qui  estoil  toute  couverte  de  son  sanc.  Et  lors  s'a- 
perchiut  il  bien  qu'il  est  mors,  si  l'em  poise  très  dure- 
ment pour  chou  que  de  la  maison  le  roi  Artu(s)  estoit.  Il 


MERLIN  227 

commenche  a  penser  que  il  porra  faire  ;  car  volentiers  li 

fesist  auchune  hounour,  se  il  peust.  Et  en  chou  qu'il 

pensoit  en  tel  manière,  a  tant  es  vous  une  damoisiele  qui     L'amie  du  chc- 

venoit  celé  part  si  grant  oirre  conme  elle  puet  chevaucier.  vaiicr    d'Irlande 

Et  quant  elle  fu  venue  tresque  la  ou  li  chevaliers  eisoit,  ^"'"^^'^"^    ^^    '^ 

,,      j  ^  ,,  ...  .     voyant   mort  se 

elle  descent  erramment  ;  car  elle  ne  cuidoit  encore  ïTiie^^^g^j.gQj^       ^ 

quUl  fust  mors.  Mais  quant  elle  le  connoist  et  aperçoit, 

(f,  io5  ^)  elle  commenche  a  faire  un  duel  si  grant  que 

cil  qui  la  regarde  dist  bien  qu'il  ne  vit  onques  autre  tel. 

Celé  se  pasme  et  repasme.  Et  quant  elle  est  a  chief  de 

pieche  revenue  de  pasmison  et  elle  a  pooir  de  parler,  elle 

dist  a  Balaain  :  «  Ha  !  sire,  deus  cuers  avés  ochis  en  un 

et  deus  cors  en  un,  et  deus  âmes  ferés  perdre  pour  une.  » 

Lors  prent  l'espee  au  chevalier  et  le  traist  dou  fuerre  et 

dist  :  a  Amis,  après  vous  me  convient  aler.  Car  il  me 

samble  bien  que  j'aie  trop  demouré  de  la  mort;  se  elle 

fust  aussi  douce  conme  ceste  me  samble,  onques  gens  ne 

morussent  si  a  aise  conme  nous  fesissons.  »  Lors  se  fiert 

de  l'espee  par  mi  le  pis  si  durement  qu'elle  se  met  la  pointe 

par  mi  le  cuer.  Et  lors  se  tient  près  dou  chevalier,  ne 

onques  Balaains,  qui  l'espee  li  voloit  oster  des  mains 

quant  il  vit  que  elle  se  voloit  occhirre,  ne  se  puet  si  has- 

ter  que  elle  ne  s'en  fust  férue  '  anchois. 


Os 


UANT  il  voit  ceste  aventure,  il  ne  set  que  dire;  car 
il  est  si  durement  esbahis  qu'il  ne  set  s'il  dort  ou  s^il 
veille.  Car  il  ne  vit  onques  ou  siècle  chose  dont  il  s'cs- 
mervillast  autant  conme  il  fait  de  ceste,  si  dist  que  loiau- 
ment  amoit  la  damoisiele  et  que  il  ne  cui  (f.  io5  '^j  doit 
pas  que  en  cuer  de  fcme  peust  entrer  amour  (de  femme)  si 
vraie.  Endemeniiers  qu'il  rcgardoit  a  ceste  chose,  que  il 
pensoit  que  il  porroit  faire  de  Tun  et  de  Tautrc,  car  il- 
luec  ne  les  baoit  il  pas  a  laissier,  il  regarde  vicrs  la  foricst 

I.  furuc 


228  MERLIN 

et  en  voit  issir  Balaa(i)n  son  frère  armé  de  toutes  armeu- 

res,  ne  n^amenoit  avoec  soi  en  sa  compaignie  fors  que  un 

Baïaain     voit  scul  escuiier.  Quant  il  le  voit  venir,  il  11  vait  a  l'encontre 

arriver  son  frère  q^  jj  ^rie  que  bien  soit  il  venus.  Cil  qui  l'entent  le  con- 

aiaan  ,     qu  il  j^jg^^jf  p^j,  j^g  gj-mes  qu'il  avoit  autre  fois  veues.  Si  tost 

croyait  en  prison.  .  .... 

comme  il  le  reconnoist,  il  gieta  son  hyaume  fors  de  sa 
teste,  et  lors  le  veissiés  plourer  de  joie  et  de  pitié,  et  li 
dist  :  «  Ha  !  frère,  je  ne  vous  cuidai  ja  mais  veoir.  Par  quel 
aventure  estes  vous  délivrés  de  la  dolereuse  prison  ou 
vous  estiés?  »  Et  il  respont  que  la  fille  le  roi  meismes 
l'en  délivra,  et  se  elle  ne  fust,  encore  i  demourast  il. 
a  Mais  quel  aventure,  »  fait  il,  «  vous  amenoit  cha?  » 
«  Certes,  Balaains',  on  me  dist  au  chastiel  de[s]  quatre 
perrieres  que  vous  estiés  délivrés,  et  que  on  vous  avoit 
veut  a  la  cour  le  roi  Artus.  Et  pour  chou  venoie  je  cha  si 
grant  oirre  que  je  vous  i  cuidoie  trouver.  Or  me  dites  se 
vous  i  avés  esté.  »  Il  dist  (f.  io6  ^)  que  il  en  vint  tout 
Il  lui  raconte  orendroit.  «  Et  pour  coi  vous  em  partistes  vous?  »  Et  il 
ses  aventures.  \{  conte  tout  '  maintenant  tout  chou  qu'il  a  veu  et  de  le 
court  et  de  l'espee  et  de  la  damoisiele  qu'il  ochist,  pour 
coi  il  s'est  si  tost  partis  de  court  ;  car  autrement  il  de- 
mourast gramment  avoec  la  compaignie  des  autres  preu- 
dommes  ;  et  puis  encore  que  il  s'en  départi  li  est  il  si 
mescheat  qu'il  a  cest  chevalier  ochis  :  che  poise  li  moult 
durement.  «  Et  de  ceste  damoisiele,  »  fait  il,  a  comment 
est  elle  morte?  »  Et  il  li  conte  erraument.  Lors  li  res- 
pont Balaa(i)ns  que  loialment  amoit  la  damoisiele,  et  pour 
la  loiauté  qui  estoit  en  li  ne  faudra  il  jamais  damoisiele 
qui  d'aide  le  requière.  «  Et  de  ces  cors,  frère  Balaain, 
qu'en  porrons  nous  faire?  »  Et  il  li  dist  que  il  n'i  set  mè- 
tre conseil,  se  Dieus  li  ait. 

I.  balaam  —  2.  tant 


i 


MERLIN  229 


Ènsi  comme  il  estoient  en  ceste  parole,  atant  es  vous  Aniveun  nain 
un  nain  qui  de  la  chité  estoit  issus  et  venoit  si  grant 
oirre  comme  il  pooit  del  cheval  traire.  Et  quant  il  est 
venus  dessus  '  les  cors  et  il  les  reconnoist,  il  commenche 
a  faire  trop  grant  duel  et  detirer  ses  cheviaus  et  debatre 
ses  paumes  ensamble.  Et  quant  il  a  cel  duel  assés  mené, 
il  demande  as  deus  chevaliers  :  «  Dites  moi  li  quels  de 
vous  deus  occhist  cest  homme.»  Et  Balaains  ^  respont  : 
o  Por  if .  106  ^)  coi  le  demandes  tu?  »  «  Pour  che,  »  fait, 
«  que  je  le  voel  savoir.  »  «  Et  je  te  di,  »  fait  il,  «  que  je 
Tochis,  mais  che  fu  sour  moi  desfendant,  ne  onques  ne 
m'en  fu  biel,  se  Dieus  m'ait,  ains  m'en  pesa  et  poise  en- 
core. »  «  Et  de  ceste  damoisiele,  »  fait  li  nains,  «  me  re- 
dites la  vérité,  puis  que  vous  del  chevalier  le  m^avés 
dite.  »  Et  il  li  conte  erramment  tout  chou  que  il  en  avoit 
veu,  et  comment  la  damoisiele  meismes  s'ochist  pour 
l'amour  del  chevalier.  «  Certes,  »  fait  li  nains,  a  se  elle 
le  fist,  che  n'est  mie  grant  merveille;  car  li  chevaliers  es- 
toit  uns  des  vaillans  chevaliers  del  monde;  et  esloit  lieus 
de  roi.  Et  bien  saichiés  que  en  chou  que  vous  l'avés  qui  prédit  à  Ba- 
ochis  avés  vostre  mort  pourcachie.  Car  il  est  de  si  boine  'aainquciomcur- 

,       .        ...  ,  ,.  r         ,^.  tre  du  chevalier 

eent  et  estrais  de  si  vaillant  chevaher  que  nus  tors  Dieus  j,,  ,     .  ,       « 

°  _  ^  ^         ^  d  Irlande  lui  cou- 

ne  vous  porroit  garandir  que  vous  n'en  morussiés  si  tost  icraiavic. 
comme  la  vérités  en  sera  ja  contée  de  sa  mort  a  son  pa- 
renté; car  il  vous  querront  anchois  par  tout  le  monde 
qu'il  ne  vous  trouvaissent.  p  a  Or  ne  sai,  »  fait  li  cheva- 
liers, «  qu'il  en  averra,  mais  il  m'en  poise,  non  mie  pour 
doutance  que  j'aie  de  ses  parens,  mais  pour  l'amour  le 
roi  Artu(s)  qui  chevaliers  il  estoit.  » 

I.  dessus  venus—  2.  balaams 


23o 


MERLIN 


Arrive  le  roi      Cndementiers  quc  li  dui  chevalier  parloient  ensi  au 

Marc,  qui  épousa  ^ain  issi  fors  de  la  forest  li  rois  Mars,  f/.  loô*^)  qui 

epuis  scut  .  1       j^  ^^  ^  ^^^g  Yseut  la  blonde,  si  comme  chis  contes 

se  rend  chez  son  '^  ' 

suzerain  Artu  ;  mcismes  devisera  apertement  pour  chou  que  conter  i  con- 
vient pour  une  aventure  dont  li  Graa[u]s  parole.  Li  rois 
Mars  avoit  adont  esté  couronnés  nouvielement,  ne  n'a- 
voit  pas  d'aage  plus  de  dis  et  set  ans,  et  aloit  au  roi  Artu(s) 
pour  lui  aidier  de  sa  guerre,  car  toute  sa  terre  estoit  sou- 
gite  au  roiame  de  Logres.  Quant  il  fu  venus  la  ou  li  dui 
cors  gisoient  a  la  terre  et  il  en  sot  la  vérité  ensi  comme 
li  dui  frère  li  contèrent,  il  dist  qu'il  n'avoit  onques  mais 
oi  parler  de  damoisiele  qui  si  loiaument  amast  :  pour 
Tamour  et  pour  la  loiauté  de  li  fera  (fera)  il  hounour  a 
l'un  et  a  l'autre. 


apprenant  l'aven-  LoRS  Commanda  que  toute  sa  maisnie  descendist,  et 
tare  du  chevalier  il  le  firent  errammeut.  Et  il  dist  :  «  Je  voel  querre  par 
d'Irlande  et  de  cest(e)  pais  une  tombe  la  plus  biele  et  la  plus  riche  que  on 

son  amie,  .  ,     /<     i  /         i  i 

porroit  trover,  et  le  fach  on  cha  aporter  au  plus  tost  que 
on  porra,  car  bien  saciés  que  je  sui  cil  qui  ja  mais  ne  me 
remuerai  de  ceste  place  devant  qu'il  soient  enterré  en- 
samble  en  tel  lieu  meisme  ou  il  rechurent  mort.  »  Quant 
cil  oirent  ceste  parole,  il  commenchierent  a  querre  par 
le  pais  et  jus  et  sus,  et  tant  qu'il  trouvèrent  (f.  160'^)  en 
une  église  une  tele  comme  li  rois  demandoit.  Il  la  firent 
aporter  la  ou  li  rois  estoit,  qui  avoit  ja  fait  tendre  son  pa- 
villon en  la  place,  comme  cil  qui  ne  se  voloit  pas  remuer 
devant  chou  qu^il  euust  fait  chou  qu'il  baoit  a  faire. 
il  leur  fait  faire  Quant  il  vit  que  la  tombe  fu  aportee,  il  fist  mètre  les  cors 
une  tombe,  avec  ^^  ^gj.j.g  ^55^5  richement  et  la  tombe  dessus.  Et  fist  en- 
une    mscnption  ^g^-jjjgj.  ^^  pj^  jg  j^^  tombe  desus  lettres  qui  disoient  : 

qui  dit  que  la  git  ^  j    r        ?•       • 

Lancer,  fils  du  roi  Chi  gtst  Lancer  y  fins  au  roi  d'Irlande,  et  datés  li  gist 
d'Irlande.    Mer-  Lionc  s'amtc,  qui pour  le  duel  de  li  s'ochist  si  tost  conme 


MERLIN  23 1 

elle  le  vit  mort.  Li  rois  fist  mètre  au  gros  chief  de  la  lin,  en  ngurc  de 
tombe  une  crois  de  fust  biele  et  riche,  car  assés  i  avoit  ^''^'"'  <^^"t  «ur 
or  et  argent  et  pierre  de  déverses  manières.  Et  en  chou  J;^  ^Q"^"^*^  ^"''-'"  " 

,.,,...,         .  ,#      ,.  .  ,  '"2"  combattront 

qu  il  se  voioit  partir,  il  avint  que  Merlins  vint  celé  part  jes    deux    plus 

en  samblance  d'un  fort  vilain,  et  commencha  a  escrire  au  loyaux     amants 

cief  de  la  tombe  lettres  d'or  qui    disoient  :  En  ceste  du  monde,  Lan 

place  assambleront  a  bataille  li  dui  plus  loial  amant  que  ''^^^^  ^"^  ^^^  ^^ 

a  lour  tans  soient.  Et  sera  celé  bataille  la  plus  mîervil- 

leuse  qui  devant  eus  ait  esté  ne  qui  après  celé  soit  sans 

mort  d'oume.  Et  quant  il  a  che  fait  et  il  a  bien  regardé 

le  brief,  il  commencha  a  escrire  en  mi  lieu  de  la  tombe 

et  escrit  ff.  loj  ^J  deus  nous,  et  estoit  li  uns  des  nons 

Lanscelot  dou  lac  et  li  autres  Tristrans.  Et  quant  il  a 

che  fait,  li  rois  qui  regarde  l'euvre  s'esmerveille  trop  de 

chou  que  uns  vilains  si  rudes  puet  che  faire,  si  li  demande 

qui  il  est.  «  Rois,  »  fait  Merlins,  «  che  ne  te  dirai  je  pas, 

mais  tu  le  savras  encore  a  icel  jour  que  Tristrans  li  loiaus 

sera  pris  avocc  s'amie,  et  dont  te  dira  on  teuls  nouvielles 

de  moi  qui  te  desplairont.  » 


LoRS  dist  a  Balaain  *  :  a  Sire  chevaliers ,  occoisons  de 
grant  dolour,  pour  coi  souffris  que  ceste  damoisiele 
s'ochist?  »  «  Je  ne  me  poc,  »  fait  cil,  «  si  haster  que  ele 
ne  se  fust  ochise  ains  que  je  li  peusse  oster  Tespee  de  la 
main.»  «  Tu  ne  seras  mie  si  lens,  »  fait  Merlins,  «  comme  Merlin  prédit 
tu  fus  chi,  quant  tu  ferras  le  dolereus  cop  par  coi  troi  ^  Baïaam  qu'il 

^ ,     ^  •  1      •    ..     ..    j  frappera  le  dou- 

roiame  en  seront  a  povrete  et  en  essil  vint  et  deus  ans.  , 

^  lourcux  coup  qui 

Et  saces  que  onques  si  dolereus  ne  si  lais  ne  fu  fais  par  causera  pendant 
un  homme  ne  n^iert  comme  chis  cops  sera,  car  toutes  22  ansia détresse 
dolours  et  toutes  misères  en  averront;  si  m'est  avis  que '''^  ^""«'s  royau- 
nous  avons  recouvré  en  toi  Evain  notre  mère  :  car  tout  '^"  ^^  blessera 

,  ..11  ^  1     le     plus      saint 

aussi  conme  par  ses  oevres  avint  la  grant  dolour  et  la  ^     "^    ^  .     .. 

•  ^  homme  qui  soit 

grant  misère  que  nous  tout  comparons  et  es  painnes  m,  monde. 
I.  balaam 


232  MERLIN 

sommes  de  jour  en  jour,  aussi  seront  [c]il  de  trois  roiames 
en  povreté  et  (/*.  loy  ^)  en  escil  par  lecop  que  tu  ferras. 
Et  tout  aussi  comme  il  avoit  desfens  del  '  dolereus  fruit 
a  mengier,  et  ensi  a  il  desfens'  del  haut  maistre  meismes 
de  che  faire  que  tu  feras.  Si  n'averra  mie  caste  dolour 
pour  chou  que  tu  ne  soies  li  mieudres  chevaliers  qui 
orendroit  soit  el  monde,  mais  por  chou  que  tu  trespas- 
seras  le  commandement  que  nus  ne  doit  (ne  doit)  trespas- 
ser,  et  mehaingneras  ^  le  plus  preudomme  viers  nostre 
Signeur  qui  orendroit  soit  el  monde.  Et  se  tu  savoies 
comme  cest[e]  dolours  sera  grans  et  comme  elle  sera  chie- 
rement  comparée,  tu  diroies  que  uns  seuls  hom  ne  fist 
onques  si  grant  dolour  en  terre  comme  tu  i  meteras,  si 
sera  encore  tele  eure  que  tu  vaurroies  mieus  estre  mors 
que  tu  eusses  cel  cop  féru.  »  Lors  demande  li  chevaliers 
qui  il  est  qui  ensi  devise  de  lui  les  choses  qui  sont  a 
avenir.  Et  Merlins  respont  :  «  Tu  nel  savras  pas  ore  a 
ceste  fois  ;  mais  qui  que  je  soie,  il  t'averra.  »  Et  Balaains 
respont  :  «  Ja  Dieus  ne  le  voelle  que  tu  dies  voir  de  ceste 
chose.  Et  se  je  cuidoie  que  si  dolereuse  chose  avenist  par 
moi  comme  tu  devises,  je  m'ochiroie  anchois  que  ne  t'en 
fesisse  menteour,  et  j'aroie  droit  de  che  faire;  car  mieus 
vaurroit  ma  mors  que  ma  vie.  » 


(f.  107  ^)  Apriès  chou  qu'il  ot  parlet  ne  demoura 

plus  Merlins,  ainss'en  ala  d'autre  part  si  soutilment  *  que 

li  rois  Mars  ne  li  autre  qui  la  estoient  ne  sorent  que  il 

fu  devenus.  N'il  n'ot  mie  granment  aie  quant  ilencontra 

Biaise.  Il  li  vient  a  l'encontre  et  li  fait  joie  grant  et 

Merlin  s'éioi-  miervilleuse  et  il  li  dist  :  «  Biaises,  bien  soiiés  vous  venus. 

gne;  il  rencontre  Ore  m'aquiterai  jou  de  chou  que  je  vous  ai  pramis  en 

Bia.se  et  •"»  ^it  j^Qj.j^Qj^^gj.|^j^jg     ^^^  y^-^  ^^^^^  pcnsé  Comment  vous 

d'aller  l'atteudrc  .,  ,•/-.,/  r^ 

àCamaiaot.       peussies  mener  vo  livre  a  fin.  Aies  vous  ent  en  Cama- 
I .  desfendu  les  —  2.  desfendu  —  3.  menchongneras  —  4  seulement 


MERLIN  233 

lahot  et  illuec  m'atendés.  Et  quant  je  revenrai  de  la 
honte  le  roi  Rion  et  de  ^  veoir  le  mescheant  chevalier 
comment  il  se  provera  en  ceste  grant  bataille  ^..»  Lors  li 
demande  Biaises  quant  il  cuide  revenir.  «  Dedens  un 
mois,  »  fait  il,  «  m'avras  tu.  Et  ses  tu  ou  tu  me  trouveras? 
Dedens  Camalaoth  meismes.  »  Et  Biaises  se  part  mainte- 
nant de  Merlin,  si  que  li  uns  s'en  va  d'une  part  et  li 
autres  d'autre.  Mais  ore  laisse  li  contes  a  parler  de  Mer- 
lin et  de  Biaise  et  retorne  a  Balaa[ijn  et  a  son  frère. 


if.  107  ^j  Ure  dist  li  contes  que  quant  che  vint  au  Marc  se  sépare 
départir,  que  li  dui  frère  tornerent  d'une  part  pour  aler  ^^^  deux  frcrcs; 
a  Tost  le  roi  Rion,  et  li  rois  Mars  torna  viers  la  chité.  Li  ^'"^    ^'^'^"^    ^"^ 

,  ,  1  ,.  T-.    T>    ,        .X  •  Balaain  s  appelle 

rois  demande  au  chevalier  son  non.  Et  Balaafmis,  qui  ne  j^  chevalier  aux 
voultpas  que  ses  frères  soit  conneus,  dist  au  roi  :  «  Sire,  deuxcpées. 
bien  le  poés  savoir.  Les  deus  espees  qu'il  porte  sont 
senefience  de  son  non.  Si  saichiés  que  quant  vous  orrés 
parler  du  chevalier  as  deus  espees,  che  ert  de  lui.  »  Et  li 
rois  respont  que  bien  doit  avoir  cestui  non,  puis  que  il 
porte  les  deus  espees. 


Atant  se  partirent  li  un  des  autres.  Et  li  dui  cheva-    Les  deux  frères 
lier  s'en  alerent  droit  vers  Tost  le  roi  Rion.  Si  n'orent  marchant  contre 

.1,  ...i  ••  xK      \'  -î        Rion  rencontrent 

pas  eramment  aie  quant  il  aconsivirent  Merlin  qui  s  en  ..   ,. 

^     ,  *■  ^  .     Merlin  sous  une 

aloit  le  chemin  a  pié,  mais  en  autre  samblance  cstoit  nouvelle  forme. 
qu'il  n'estoit  adont  quant  il  parla  a  eus  a  l'autre  fois.  11  n  leur  donne  le 
s'arresta  a  eus  et  lour  dist  :  «  Ou  aies  vous  ?»  «  A  toi  moyen  de  sur- 
qu'en  affiert  ?  »  fait  Bal[a]ain| si.  «  Que  nous  porroit  il  va-  f""'"'^'"*^  ^  '^  ""'' 

,    .  ,  ,.  .  T.  •     ,  •  r  .    le  roi  Rion  peu 

loir,  se  nous  le  te  disons  ?»  «  Il  vous  porroit  bien,  »  fait   ^ ,„.,, 

'  ^  ^  .  accompagne. 

Merlins,  «  tant  valoir  que  se  vous  voliés  et  osiés  entre- 
prendre chou  que  je  vous  diroie,  onques  a  deus  cheva- 
liers [n'Javint  autant  d'où  (/.  108  ^)  nour  conmc  il  vous 

I.  ve  —  2.  Lacune 


234  MERLIN 

aver[rJoit  ains  demain  le  jour,  que  vous  porriés  en  ceste 
nuit  venir  a  chief  de  chou  que  vous  aies  querant,  et 
conquerre  si  grant  hounour  qu'il  en  seroit  parlet  a  tous 
jours  mais.  »  Et  Balaain[s]  li  demanda  pour  lui  essaiier  : 
«  Et  que  ses  tu  que  nous  alons  querant?  »  «  Je  sai,  »  fait 
il,  a  que  vous  aies  querant  le  damage  au  roi  Rion  de  tous 
vos  pooirs.  Mais  canques  vous  pensés  a  faire  ne  vous 
vaurra  autant  comme  chou  que  je  vous  ensegnerai,  se 
vous  avés  hardement  dou  faire.  Et  saichiés  que  vous  le 
porre's  legierement  mener  a  chief  par  la  proueche  de  vous 
deus,  se  cuers  ne  vous  faut.  » 

VOUANT  il  oirent  (fait)  ceste  parole,  il  s'en  esbahissent 
tout,  se  li  respondent  :  «  Ore  nous  ensegne  comment 
nous  porrons  conquerre  si  grant  hounour  comme  tu 
nous  dis.  Et  se  nous  voions  qu'il  puist  avenir,  nous  le 
ferons  tout  ensi  comme  tu  le  nous  ensegneras.  »  «  Et  je 
vous  ferai,  »  fait  il,  «  entendre  chou  que  je  vous  di. 

a  kJre  saiciés  que  li  rois  Rions,  qui  chi  près  est  herbe- 
giés  a  tout  son  est,  a  pris  un  parlement  de  venir  a  nuit 
gésir  avoec  la  feme  le  duc  {/.  io8  ^)  des  Vaus;  si  saichiés 
qu'il  s'en  partira  de  son  ost  pour  venir  au  chastiel  ou  la 
dame  demeure.  Si  tost  comme  il  sera  anuitié  verra,  en 
sa  compaignie  quarante  chevaliers,  dont  li  un  seront 
armé  et  li  autre  desarmé.  Et  par  mi  celle  terre  verra  il 
armés  d'unes  armes  vermeilles  et  montés  seur  le  grin- 
gneur  cheval  de  toute  sa  compaignie  :  a  ches  ensegnes  le 
porrés  vous  connoistre.  Ceste  chose  vous  ai  je  descou- 
verte pour  chou  que  se  vous  avés  cuer  et  hardement 
d'entreprendre  a  desconfire  le  roi,  je  vous  connois  ambe- 
deus  a  si  preudommes  que  je  sai  bien  que  vous  en  avérés 
le  pooir,  se  cuer  ne  vous  faillent.  Ne  onques  mais  n'avint 
si  grant  hounour  deus  chevaliers  conme  il  vous  averra  ; 


MERLIN  235 

Car  bien  sachiés  que  vous  retenrés  le  roi  tout  pris  en  tel 
manière  que  vous  l'em  porrés  enmener  en  la  prison  le 
roi  Artu(s)  ou  en  autre  lieu  s'il  vous  plaist.  » 


VOUANT  il  entendent  ceste  parole,  il  en  sont  assés 
plus  liet  que  devant,  si  dient  a  Merlin  :  «  Comment  te 
querrons  nous  de  ceste  chose?  Car  se  nous  savons  que 
che  puet  estre  vérités,  nous  ne  lairiesmes  por  tout  che 
roiarae  que  nous  ne  li  (fuis)  {f.  io8  <^)  fuissiemes  a  ren- 
contre. »  «  Je  vous  dirai,  »  fait  Merlins,  «  que  je  vous 
ferai.  Je  m'en  irai  avoec  vous  dusques  a  tant  que  je  vous 
avrai  mis  en  la  voie  par  ou  li  rois  verra.  Por  chou  que 
vous  soiiés  plus  asseur  de  moi  que  de  ma  parole,  je 
demourrai  avoec  vous  tant  que  je  vous  aie  moustré  le  roi 
et  sa  compaignie.  »  Et  il  dient  que  en  tel  manière  iront 
il  avoec  lui  ;  car  se  il  les  voloit  dechevoir  ne  mètre  en 
nul  péril,  che  seroit  cil  qui  tout  au  commencement  s'en 
repentiroit,  car  il  en  morroit  tous  premiers.  «  N'aiiés 
doutance,  »  fait  Merlins,  «  car  se  Dieus  me  consaut,  ja 
par  moi  ne  vous  verra  maus  ne  a  chevalier  qui  au  roi 
Artu(s)  voelle  aidier  ;  car  sans  faille  che  est  li  hom  el 
monde  que  je  vaurroie  orendroit  plus  son  essaucement.  » 


Qy 


_UANT  il  entendent  che  que  Merlins  lour  ot  dit,  il 
respondent  :  «  Puis  que  chou  veuls  faire  que  tu  avoecques 
nous  verras,  et  nous  ferons  a  no  pooir  chou  que  tu  nous 
amonnestes.  Mais  s'il  ensi  est  que  li  rois  n'i  viegne  et  que 
tu  nous  dies  menchoigne  de  ta  parole,  saces  que  nous 
t'ochirrons.  »  «  Je  voel,  »  fait  il,  «  que  vous  m'ochiés  se 
li  rois  n'i  vient.  Mais  se  vous  perdes  par  vos  mauvaistés  a 
lui  prendre,  je  ne  voel  mie  que  {J.  io8^)  mal  m'en  avie- 
gne.  Ore  alons  dont  ensamble,  »  fait  Merlins;  si  acueil- 
lent  maintenant  leur  chemin,  tant  que  il  vinrent  en  une 
montaigne,  li  dui  a  cheval  et  li  tiers  a  pic.  Et  se  il  li  pleust, 


236  MERLIN 

li  uns  des  deus  frères  l'euust  mis  sour  son  cheval,  mais  il 
ne  vaut,  ains  dist  que  il  iroit  a  piet  a  celé  fie. 


II  les  cache  £nsi  acueillircnt  lor  chemin  tant  qu'il  vinrent  en 
***T  ^"/^'î"^*  une  grant  montaigne  et  la  ou  il  avoit  grant  plenté  d'ar- 
tendre.  ^^^^*  ^^  Merlins  les  mainne  desous  les  arbres  et  lor  dist  : 

«  Ichi  remanrés  et  demourrés  tant  que  li  rois  viegneceste 
voie.  Et  aaisiés  ces  chevaus  et  vous  meismes,  se  vous  le 
poés  faire.  »  Et  il  descendent  erraument,  si  ostent  a  lour 
chevaus  lour  frains  et  les  laissent  paistre,  si  s'aaisent  de 
tant  conme  il  pueent,  mais  che  fu  poi,  car  il  n'orent  la 
nuit  ne  a  boire  ne  a  mengier. 


tNsr  attendirent  desous  les  arbres  tant  que  la  nuis  fu 
venue.  Et  Merlins  estoit  avoec  iaus  toutes  voies  et  parloit 
a  eus  de  mainte  chose  pour  iaus  reconforter.  Et  maintes 
fois  li  demandèrent  qui  il  estoit.  Et  Merlins  leur  disoit  : 
«  Uns  hom  sui  teuls  comme  vous  poés  veoir.  A  vous 
{f,  log  ^)  k'en  apartient  del  demander,  mais  que  je  vous 
face  veoir  chou  que  je  vous  ai  pramis?  »  Et  il  li  dient  que 
il  ne  li  demandent  plus.  Et  Balaains  dist  toutes  voies  a 
Merlin  :  a  II  ne  me  samble  pas  que  voussoiiés  preudom, 
quant  vous  ne  vous  osés  nonmer.  »  a  Quels  que  je  soie,  » 
fait  Merlins,  a  je  vous  di  qu'il  sera  plus  parlé  de  mon 
sens  apriès  ma  mort  qu'il  ne  sera  de  vostre  prouece.  Et 
si  estes  vous  uns  des  boins  chevaliers  dou  monde  et  des 
hardis.  » 


tNsi  parloient  entre  eus  trois  ensamble  de  moult 
de  choses.  Et  quant  la  lune  '  fu  levée  biele  et  (et)  clere, 
Merlins  dist  as  deus  frères  :   «  Apparilliés  vous,  car 

1.  la  biele 


MERLIN  287 

li  rois  aproce.  »  En  chou  qu'il  disoit  celé  parole,  il  voient 
par  devant  eus  passer  seur  un  grand  destrier  un  escuiier 
tout  seul  qui  s'en  aloit  si  grant  oirre  comme  il  pooit  dou 
cheval  traire.  Et  li  chevaliers  as  deus  espees  demande  a 
Merlin  :  «  Ses  tu  qui  chis  est  qui  chi  s"'en  va  si  grant 
oirre?  »  a  Oil,  »  fait  Merlins,  «  c'est  li  messages  le  roi  qui 
s'en  vait  devant  pour  dire  a  la  feme  le  duc  que  li  rois  i 
vient.  Ore  vous  apparilliés,  car  il  ne  demourra  mie  gran- 
ment  ;  et  pour  Dieu,  se  vous  onques  fustes  boins  cheva- 
liers, si  le  monstres  a  ceste  fie;  car  certes  vous  poés  ichi 
conquerre  hounourqui  ja  mais  (f.  log  ^)  ne  vous  faurra. 
Et  se  cuers  vous  faut  '  que  couardise  se  puisse  embatre  en 
vous,  saichiés  que  nule  riens  ne  vous  porroit  garandir  que 
vous  ne  fuissiés  ochis  et  detrenchié(s).  Car  cil  qui  avoec 
le  roi  vienent  ne  sont  mie  si  niche  que  il  n'aient  tost  acon- 
neu  se  vous  estes  preudomme  u  non. 


«  A  ceste  fois  vous  di  jou,  biau  signour,  pour  chou  que 
vous  poés  a  che  point  d'ore  mètre  pais  ou  roiame  de  Lo- 
grès  et  vengier  le  roi  Artu(s)  del  homme  dou  siècle  qui  plus 
le  puet  nuire.  Et  je  vous  di  que  se  ore  faillies  que  le  roi 
ne  relingniés,  jamais  ne  verres  en  si  boin  point.  »  a  Ore 
ne  vous  esmaiiés,  »  font  il;  «  car,  se  Dieu  plaist,  nous  en 
verrons  bien  a  cief.  »  Lors  montent  en  leur  chevaus  et 
prendent  lour  escus  et  lour  glaives,  et  il  estoient  en  l'om- 
bre des  arbres,  si  que  cil  ki  par  le  chemin  trcspassoient 
nés  peussent  pas  veoir  a  l'ensient. 


VOUANT  il  orent  un  poi  esté  en  tel  manière  qu'il  es- 
toient remonté  et  garni  de  lour  escus  et  de  lour  armes  et 
de  lour  glaives,  si  oient  friente  de  chevaus  venir  qui  ja 
avoient  monté  le  tertre  et  paroient  el  plain  de  la  mon- 


I.  fait 


238  MERLIN 

A  la  nuit  ar-  taigne,  eî  H  plains  duroit  '  bien  uit  liues  englesques  de  lé 

rive  en  effet  Rion,  ^^  ^^^^  ^^  ^^^^   ^^  ^^^j^  ^^  ^^^     j^j^^  ^^^  {orestff.  lOQ  ^) 
allant  à  un  ren-         ,  .   ,  ,.,,,,  ^  . 

dcz-vous     d'à-  ^^  ^^^^^  et  grant  qui  pourprendoit  le  plus  de  la  montai- 
mour;  gue.  Ensi  attendent  un  petit  après  chou  qu'il  orent  veut 

venir  les  premiers  qui  au  roi  tenoient  compaignie;  et  il 
venoient  petit  et  petit,  car  li  chemins  par  les  tertres  es- 
toit  estrois  pour  aler  a  la  montaigne,  que  il  n'i  pooit  aler 
fors  que  uns  seus  chevaliers.  Quant  il  apparut  en  la  mon- 
taigne  jusques  a  dis  compaignons  le  roi,  si  se  voloient 
laissier  courre,  car  moult  estoient  désirant  d'assambler 
a  eus,  et  Merlins  lour  dist  :  a  Attendes  encore  un  peu 
tant  que  li  rois  soit  venus  en  la  montaigne,  et  lors  le 
porrons  sousprendre  a  essient;  car  cil  qui  avoec  lui  ver- 
ront seront  si  esbahi  de  legier.  »  Et  il  dient  :  «  Pour 
Dieu,  ne  nous  faites  mie  trop  atendre  longuement.  » 
«  Ne  vous  entremetés  ja,  »  fait  Merlins,  «  car  je  vous  en 
dirai  moult  mieus  le  point  que  vous  meesmes  nel  con- 
nisterés.  »  Et  cil  se  tinrent  tout  coi  après  ceste  parole. 


il  est  accompa-  A  cief  de  picces,  quant  il  porent  bien  estre  en  la  mon- 
gné  de  40  cheva-  taignc  trcsqu'a  vint  et  deus  chevaliers,  si  dist  Merlins  as 
iiers;  mais   les  ^^^^  freres  :  «  Vous  souvient  il  de  chou  que  je  vous  dis 

deux  frères  rat-  .  .  ,     ,  .  . 

taquent  à  l'im- "^^  matin  et  comment  VOUS  porries  le  roi  connoistre? 

proviste,  Ore  le  poés  connoistre  apertement.  Ore  i  parra  que  vous 

ferés;  Q.2s(f.  log  ^)  huimais  Pavés  ^  vous  contre  vous.  » 
A  cest  mot  n'i  atent  plus  li  chevaliers  a  deus  espees,  et 
laisse  courre  celé  part  ou  il  voit  le  roi  si  grant  oirre 
comme  il  puet  del  cheval  traire,  et  li  crie  de  loing  : 
«  Garde  toi,  roi  !  »  Et  le  fiert  si  durement  qull  li  perche 
le  hauberc,  car  escu  n'avoit  il  point,  et  li  met  par  mi  le 
costé  destre  le  fer  de  la  glaive,  qu'il  apert  de  l'autre  part; 
mais  il  ne  la  prise  mie  si  parfont  que  la  plaie  fust  mor- 
teuls.  Il  l'empaint  bien,  de  chou  qu'il  vint  si  roidement 


I.  diroit  —  2.  les  aues 


I 


MERLIN  2.HJ 

a  si  grant  oirre,  si  le  porte  si  durement  a  terre  que  li  rois 
est  tous  esquasse's  au  cheoir  et  se  pasme  de  la  grant  an- 
goisse qu'il  sent  et  caide  morir  en  la  plache.  Et  Balaans, 
qui  voit  son  trere  em  péril,  relaisse  courre  as  autres  la  u 
il  voit  la  gringnour  presse,  et  avint  qu'il  encontra  pre- 
mièrement le  neveu  le  roi;  il  le  fiert  si  durement  de 
toute  sa  force  qu'il  li  met  par  mi  le  cors  le  fier  de  sa 
glaive,  si  l'empaint  a  terre  qu'il  n'a  pooir  de  soi  relever; 
car  la  mors  l'avoit  ja  souspris.  Et  quant  chascuns  des 
frères  ot  fait  son  cop,  il  metent  les  mains  as  espees  et 
commenchent  a  départir  grand  caus  et  d'une  part  et  d'au- 
tre, et  abatent  chevaliers  et  font  tre  (f.  iio  'V  buchier 
des  chevaus.  El  tout  li  autre  sont  si  esbahi  des  mierveilles 
qu'il  voient  que  cil  font  qu'il  cuident  bien  qu'il  soient 
plus  de  cent;  si  lour  est  avis  qu'il  ne  porront  durer,  a 
chou  qu'il  voient  lour  compaignons  cheoir  des  chevaus 
menut  et  souvent.  Et  quant  li  autre,  qui  apriès  le  roi  ve- 
noient  et  montoient  encor  la  montaigne,  voient  la  meslee 
commenchie  et  de  lor  compaignons  les  uns  fuir  et  les 
autres  agesirs  mors  et  navrés,  il  cuident  bien  qu'il  soient 
agaitiet  de  toute  l'ost  le  roi  Artu,si  torn(e)rent  erramment 
en  fuies,  et  ne  voient  comment  il  se  puissent  eschaper,  si 
se  laissent  cheoir  a  val  la  montagne,  car  ensi  cuident  il 
bien  fuir  et  eschaper;  mais  la  valee  estoit  si  roste  et  si 
haute  qu'il  laissent  la  doutouse  mort  et  emprendent  la 
certainne;  car  nus  qui  a  val  se  laisse  cheoir  ne  la  puet 
eskiver  qu'il  ne  muire  erraument. 


Cnsi  furent  torné  a   desconfiture   la   rnaisnie    ie  roi  on  tuent  as,  et 
Rion,  si  en  ot  tant  ochis  des  quarante  ciievaliers  que  il  <"it  ic^  12  au- 
\\ç,x\  remest  en  vie  que  douze  et  li  '  rois  seulement,  et  cil  ^'^"^'  '^"'"'  ^'"" 
cstoient  tel  atorné  et  des  plaies  et  des  blccheures  que  on  '^'^""''''"'• 
lour  avoit  fait  que  il  ni  ot  chelui  qui  cust  pooir  de  soi 


240  MERLIN 

relever,  et  gisoient  aussi  comme  mort.  Et  {f.  iio  ^) 
quant  li  dui  frère  virent  qu'il  avoient  si  outreement  des- 
confi  lour  anemis,  il  vienent  au  roi  pour  veoir  s'il  estoit 
(encore)  mors,  si  li  deslacent  le  hiaume  et  li  ostent  de  son 
chiet  et  li  abatent  sacoife  de  fer  pour  recueillir  le  vent  et 
pour  reprendre  s'alainne.  Quant  il  ot  esté  une  pieche  en 
tel  manière  et  il  fu  auques  reposés,  il  giete  un  souspir 
aussi  comme  uns  hom  qui  vi[e]ntdepasmisonset  oevre  les 
ieus,  et  il  dient  :  «  Tu  iés  mors  sans  merchi  trouver,  se  tu 
ne  fianches  prison.  »  Et  il  lievent  les  espeeset  font  sam- 
blant  qu'il  li  voellent  le  chief  trenchier.  Et  quant  il  voit 
les  espees  nues  que  cil  traient  sour  lui,  il  a  doutance  de 
morir,  si  lour  dist  errament  :  «  Ha!  franc  chevalier,  ne 
m'ochiés  mie;  vous  poés  plus  gaaignier  en  ma  vie  que 
en  ma  mort;  car  de  ma  mort  ne  vous  puet  il  nul  preu 
venir,  mais  de  ma  vie  si  fait,  ne  il  n*est  riens  que  je  ne 
faiche  pour  ma  vie  sauver.  «  «  Dont  nous  fianchiés,  »  font 
il,  <  que  vous  ferés  chou  que  nous  vous  commanderons.  » 
Et  il  lour  fiance.  Et  il  l'asseurent  adont,  et  dient  que  il 
n'a  garde  d'eus,  car  plus  ne  li  feront  mal  ;  si  revienent  as 
autres  qui  n'estoient  pas  encore  mie  moult  navré,  si  dient 
qu'il  estoient  mort,  s'il  ne  leur/^.  iio  ^J  fianchent  a  te- 
nir prison  la  ou  il  commanderont.  Et  cil  qui  orent  paoul' 
de  mort  le  tianchenr,  et  lors  les  asseurent  lui  dui  frère,  et 
dient  que  ja  plus  ne  les  adeseront. 


Merlin  leur  dit  Cndementiers  qu'il  parloient  de  ceste  chose,  si 
de  mener  leurs  yint  a  eus  Mcflins  et  dist  as  deus  frères  :  «  Je  voel  un 
prisonnier^      a      •  pj^j-jgj.  ^  vous  ;  tomés  cha,  »  et  il  i  vont.  Et  il  lour 

Artu,     qui    leur    ,.      ^       ,,  1     ,  • 

.»nrn  un  «r-^v  "ist  '.  €  Il  VOUS  est  moult  faiett  avenu  de  ceste  aventure. 

saura  un  grc  e\- 

trcmc  d'un  tel  Nostre  sires  vous  a  fait  moultgrand  hounour,  quant  vous 
service;  ils  le  si  haut  houme  comme  li  rois  est  avés  pris  par  vostre  vas- 
tiouvcronticsoir  ggjjjgg   q^.^  ^q^^^  ^Jj.^j  ^^g  ^.^^g  ferés,  sc  volés  acquerrc 

même  au  château  ,,  ,,  ,  ,  •    »         ,  ^       • 

.  ™,    .  ,         1  amour  et  1  acordance  dou  roi  Artu  si;  si  mouves  orcn- 

dc  larabel.  ^  ^  '  ' 

droit  de  chi  et  conduisiés  avoec  vous  jusques  au  chastiel 


i 


MERLIN  241 

de  Tarabel  ces  prisons.  Et  li  chastiaus  n^est  mie  loing, 
si  vous  est  si  bien  avenu  que  vous  trouvères  le  roi  Artu, 
et  je  vous  di  que  il  vient  anuit  gésir  a  tout  grant  plenlé 
de  son  ost;  et  je  vous  di  qu'il  atent  a  demain  la  bataille 
dou  roi  Rion  a  moult  très  grant  doutance,  car  on  li  a 
bien  dit  qu'il  i  a  trop  gringnour  gent  par  deviers  i'ost  le 
roi  Rion  que  il  n'ait  par  deviers  son  ost;  et  pour  chou 
n'est  il  pas  orendroit  asseur,  ains  atent  la  bataille 
C/.  I/o  ^)  a  moult  grant  doutanche,  ne  il  n'a  en  sa  com- 
paignie  homme  si  hardi  qu'il  n'ait  doute  pour  les  nou* 
vieles  c'on  lour  a  aportees  del  grant  peuple.  Et  pour  chou 
que  li  os  est  ore  en  si  grant  esmai  vous  di  je  bien  que 
vous  ne  porriés  faire  chose  pour  le  roi  Artu(s)  ne  li  apor- 
ter  nouvieles  que  autant  li  plaisent  comme  cestes  feront, 
meismement  en  cestui  point  d'orendroit.  »  «  Ore  nous 
dites,  »  font  il,  «  se  nous  i  trouverons  tout  pour  voir  le 
roi  Artu(s)  la  ou  vous  le  nous  ensegniés.  »  «  Oil,  »  fait 
il;  «  et  se  vous  vous  hastés  bien,  vous  trouvères  qu'il 
ne  sera  pas  encore  couchiés  quant  vous  verres  la.  «  Ha  ! 
Deus,»  font  il,  «et  tant  nous  seroit  bien  avenut,  se  nous 
le  poons  trouver  et  parler  a  lui,  ains  qu'il  fust  ajornés!  » 
«  Se  vous  i  estes  aussi  tost  comme  je  serai,  vous  i  verres 
anchois  que  je  le  vous  aie  devisé(e).  »  Et  cil  dient  que 
bien  verront  il  dont  a  tans,  car  il  i  cuidc[nt]  estre  aussi  tost 
comme  il  i  sera.  «  Or  vcnés  dont  tost,  car  je  i  serai  pro- 
chainement, »  fait  Merlins,  si  se  part  d^eus.  Et  cil  vien- 
nent au  roi  et  a  ses  compaignons  et  lour  dient  :  «  Nous 
vous  coumandons  sour  hanches  que  vous  vous  partes 
orendroit  de  chi,  et  alons  au  chastiel  de  (/.  ///  ^)  Tara- 
bel sans  repos  nul;  et  illuec  vous  renderons  au  roi  Ar- 
tu(s)  de  par  nous  deus.  »  Et  lors  rcspont  Balaan  :  «  Je  ne 
voel  mie  de  par  nous  deus,  mais  de  par  le  chevalier  as 
deus  espees.  »  Et  li  '  rois  Rions  dist  :  «  Je  vous  di  sour  ma 
fiance  que  je  ne  porroic  en  nulc  manière  chcvaucier  que 

I.  il 


242  MERLIN 

je  ne  fuisse  mors  d'angousse  anchois  que  je  venisse  tres- 
qu'au  chastiel.  Or  metés  conseil  sour  ceste  chose.  »  Et  il 
fonterrament  une  bière  chevaucherece  et  metent  le  roi 
dedens,  puis  descendent  de  la  montaigne.  Et  quant  il 
sont  venut  au  plain,  si  se  hastent  de  tost  aler  assés  plus 
qu'il  ne  lour  fust  mestiers,  car  moult  estoient  tuit  na- 
vré. Neonques  ne  se  targierent  d'aler  pour  le  roi  ;  car  li 
dui  frère  les  hastoient,  si  errèrent  en  tel  manière  a  grant 
Ils  y  arrivent,  dolour  tant  que  il  sont  au  chastiel  venu.  Et  quant  il  vin» 
remettent  les  cap-  ^^^^^  ^^  l'entrée,  H  doi  frère  remesent  dehors  et  disent  a 
i  s   au  por  ler    j^^j^j  ^^j  j^  porte  gardoit  :  «  Biaus  amis,  vois  tu  chefs] 

qui  leur  ouvre,  en  n  r  o  *  l  j 

le  priant  de  les  prisonnier[s]  que  nous  amenons  au  roi  Artu(s)  ?Mamneles 

remettre  au  roi.   devant  le  roi  et  garde  que  tu  n'en  perdes  nul.  Et  nous 

te  disons  certainement  que  li  rois  n'ot  piecha  mais  si 

grant  joie  comme  il  avra  de  ceste  aventure  si  tost  comme 

il  connistera  qui  sont  (f,  m  ^)  li  prisonnier.  »   Il  dist 

qu'il  soient  tout  asseur,  que  il  rendera  les  prisons  au  roi. 

Et  Merlins,  qui  s'estoit  ja  avanchiés,  fu  venus  au  roi,  et 

trouva  qu'il  n'estoient  pas  encore  endormi,  ains  parloit 

en  sa  cambre  au  roi  Marc  et  a  quatre  autres  barons,  et 

prendoit  conseil  de  sa  guerre,  ne  il  ne  Ten  savoient  preu 

consillier,  car  trop  redoutoient  a  assambler  au  roi  Rion 

pour  les  nouvieles  qu'il  avoient  oies  de  son  peuple.  Et 

Merlin  annonce  lors  vient  avant  Merlins  et  dist  au  roi  :  «  Rois,  nouvieles 

à  Artu  la  prise  t^aport  et  bieles  et  boines  a  toi  et  a  tous  chiaus  de  cest(e) 

de  Rion,  règne,  et  les  plus  riches  nouvieles  qui  piecha  mais  ave- 

nissent  en  tout  cest  roiame.  Saches  que  li  plus  poissans 

anemis  que  tu  aies  est  pris  et  vient  a  ta  mierchi  a  estre 

prisons  par  la  plus  biele  aventure  dont  tu  oisses  onques 

parler.  » 


Li  rois  lieve  la  teste  et  voit  que  c'est  Merlins  qui  ceste 
nouvele  li  raconte.  Il  demande  :  <  Di  moi,  Merlins,  qui 
chis  anemis  est.  »  *  Che  est,  »  fait  il,  <  li  rois  Rions,  qui 
est  pris  et  vient  cha,  si  que  tu  le  verras  ja  en  ta  sale.»  Et 


MERLIN  24D 

li  rois  en  est  tous  esbahis  de  ceste  nouviele,  car  il  ne  puet 
mie  croire  que  che  soit  voirs,  si  dist  :  «  Puet  che  dont 
estre  voirs,  Merlins,  que  che  soit  avenu  ensi  comme 
tu  le  m'as  contet?  »(/.///  ^;  «  Oil  voir,  »  fait  Merlins, 
c  et  le  verras  apertement  anchois  que  on  peuust  avoir 
chevaucié  une  Hue  englesque.  Ore  vien  ors  en  celé  sale 
entre  toi  et  tes  barons,  si  te  contien  si  biele  et  si  haute- 
ment et  a  si  grant  hounour,  et  tout  cil  qui  avoec  toi  se- 
ront se  tiennent  bien  cointement,  si  que  li  rois  Rions 
en  soit  tous  esbahis,  quant  il  verra  en  ta  présence.  »  Et 
quant  li  rois  entent  que  ceste  chose  est  avenue  si  a  cierte 
comme  Merlins  li  conte,  il  en  devient  tous  esbahis  et 
dist  :  «  Ha  !  Dieus,  beneois  soiiés  vous,  quant  vous  (a)  si 
grant  hounour  me  faites  sans  ma  déserte  !  x> 


Lors  est  moult  liés  et  moult  joious,  et  mande  par  mi 
les  osteus  dou  chastiel  a  tous  ses  hommes  que  il  viegnent 
a  lui.  Et  il  vienent  erramment  si  grant  plenté  que  toute 
la  sale  en  fu  raemplie.  Et  lors  ne  demoura  gaires  après 
ceste  chose  que  laiens  entrèrent  li  douze  chevalier  le  roi 
Rion  qui  le  roi  aportoient  en  la  bière  chevauceresse.  Et  qui  est  introduit, 
quant  il  entrèrent  laiens,  il  commenchierent  a  faire  le  se dcciarc vaincu, 
grignour  duel,  et  misent  la  bière  en  mi  la  sale  tout  en 
plorant.  Et  quant  li  rois  Rions  se  vit  entre  ses  barons  et 
sot  que  devant  lui  estoit  li  rois  Artus,  il  se  drecha  en 
son  estant  ensi  cou(/.  11 1  ^jme  il  pooit,  car  moult  es- 
toit  navrés  durement,  et  demande  li  quels  estoit  li  rois 
Artus.  Et  cil  de  laiens  li  enseignicrent.  Et  il  en  vait 
erramment  celé  part,  et  s'agenoulle  devant  lui,  et  li  dist  : 
«  Rois  Artus,  a  toi  m'envoie(i)  en  ta  prison  li  chevaliers 
a  deus  espees,  qui  [m'a  conquis]  par  le  grignour  mier- 
veilleque  je  onques  veisse,  a  l'aide  d'un  seul  homme,  et  si 
avoie  avoec  moi  chevaliers  quarante  armés  :  si  a  tous  mes 
hommes  mors  entre  li  et  son  compagnon,  forsccs  que  vous 
ichi  veés.  Et  moi  meismeseuust  ilochis  sans  repos  qucrrc, 


244  MERLIN 

se  je  ne  li  eusse  acreanté  corne  rois  que  je  me  meteroie  ou*» 
treement  en  vostre  prison.  Or  m'en  aquite  de  chou  que  li 
creantai,  car  je  me  met  del  tout  en  vostre  manaide,  si 
porrés  ore  faire  de  moi  canques  il  vous  plaira,  ou  de 
Tocirre  ou  de  laissier  vivre.  »  Li  rois  respont  que  tel 
prison  ne  refuse  il  mie.  Et  lors  vienent  li  autre  avant  et 
font  autretel  comme  li  rois  avoil  fait,  et  il  les  rechoit, 
moult  joious  de  ceste  aventure  que  Dieus  li  avoit  envoiie. 
Et  li  rois  li  dist  :  «  Sire,  pour  Dieu,  se  vous  ne  baés  a 
ma  mort,  faites  moi  mètre  en  tel  lieu  ou  je  puisse  reposer, 
la  ou  on  prendera  garde  de  moi.  Et  je  vous  di  que  il  le 
convient,  {f.  i\2  ^y*  car  je  sui  si  durement  navrés  que 
autrement  ne  porroie  jou  durer  gramment  sans  morir,  a 
chou  que  jou  ai  gramment  de  mon  sanc  perdu  puis  que 
et  est  remis  aux  je  fui  primes  navrés.  »  Et  li  rois  commande  erramment 
mains  des  méde- qug  Qfj  pj-enge  lui  et  SCS  compaignons  et  les  mèche  es 
chambres  de  laiens,  et  leur  amaint  on  les  mirres  qui  de 
lour  plaies  se  prengent  garde.  Tout  ensi  comme  li  rois 
le  commande  le  firent  cil  de  son  ostel  ;  car  il  en  menè- 
rent le  roi  et  ses  compaignons  es  chambres  de  laiens.  Et 
lors  dist  li  rois  a  Merlin  :  «  Ses  tu  qui  li  chevaliers  est 
qui  tant  de  bonté  m^a  faite  qu'il  a  envoie  en  ma  prison 
si  riche  homme  comme  li  rois  estoit?  »  a  Sire,  »  fait 
Merlins,  «  je  le  connois  bien,  et  s'il  vous  plaist  je  le 
vous  dirai.  »  «  Et  moult  ^  me  targe,  »  fait  li  rois,  «  que 
,       .  je  le  sache,  et  moult  le  désir.»  «  Or  saichiés,  »  fait  Mer- 

Le  roi,  appre-  *  '  ' 

nant  le  nom  de  lin,  «  que  che  est  H  chevaliers  qui,  en  vostre  court  et 
celui  qui  lui  en-  voiant  VOUS  mcismes,  fist  si  grant  outrage  coume  d'o- 
voie  ce  prison-  chirre  la  damoisielc,  dont  vous  vous  courchastes  si  a  lui 

nier,luipardonne  ,  .      ,        ,  .  ^  ^, 

^  .  que  vous  le  congiastes  de  vostre  court.»  «  Che  me  poise,  ï» 
voir  mais  il  est  f^'^  li  rois,  a  que  je  le  congiai;  or  m'en  repent,  car  bien 
loin.  Merlin  an-  a  il  amendé  le  mesfait  de  la  damoisiele.  Ore  vauroie,  se 
nonce  au  roi  qu'il  il  li  plaisoit,  que  il  revenist  a  court.  Et  se  je  li  avoie  dit 
va  avoir  à  lut-  ^hof/.  112  ^Jst  qui  desplcust,  je  li  amenderoie  tout  a  sa 

ter   contre   deux  j  r  >  # 

ennemis  redouta- 
bles, le  frère  de       i.  comment 


MERLIN  245 

volenté.  Car  certes  il  a  plus  fait  pour  moi  que  chevaliers  Rion,  Nero,  tt  k 
morteus  peust  faire,  ensi  que  je  cuidoie.  »  «  Rois,  »  fait  beau-frère  d'Ar- 
Merlins,  «  or  laissiés  ceste  parole  a  tant;  assés  Pavés  dit.  ^"'  '^  ^°'  ^°^^^ 

-,  1,  .  •  •  •       •      d'Orkanie,    furi- 

Vous  ne  laveres  em  pièce  mais  en  vostre  compaignie, 

'  ^  ^  r     o        >  eux    parce   qu'il 

non  par  aventure  ja  mais.  Mais  pensés  a  une  chose  dont  croit    sou    fiis 
il  vous  est  orendroit  mestiers.  »  «  Ore  dites,  »  fait  li  rois,  Mordrcc  noyé  a- 
«  car  je  n'en  ferai  nient  se  par  vo  conseil  non.  »  «  Je  vec    les   autres 
vous  demant,  »  fait  Merlins,  a  se  vous  vous  devésassam-  ^"^^"^^■ 
bler  as  hommes  le  roi  Rion.  »  «  Comment  dont  ?  »  fait  li 
rois,  «  ne  se  deveront  il  dont  tenir  en  pais,  puis  qu'il 
savront  lour  signour  en  ma  prison?  »  «  Rois,  »  fait  Mer- 
lins,  «  che  saichiés  vous  de  voir  que  il  ne  porroient  en 
nulle  manière  croire  que  che  fust  vérités  que  vous  l'eus- 
siés  ensi  en  vostre  prison.  Et  d'autre  part  s'il  le  savoient 
bien,  si  a  li  rois  un  frère,  riche  roi  et  poissant,  que  on 
apiele  Nero  ;  et  si  ^  vous  di  que  chis  les  fera  assembler  a 
vous  et  a  vo  gent,  comment  qu'il  leur  en  doive  avenir. 
Et  pour  che  vous  devés  mètre  conseil  en  vo(u)s  affaires  et 
garnir  vous  si  bien  encontre  vos  enemis  qu'il  ne  vous 
puissent  sousprendre  mauvaisement.  »  Et  li  (f.  112  ^) 
rois  respont  :  «  Merhns,  je  ne  ferai  nule  riens  faire  se  par 
vostre  conseil  non.  Ore  nous  dites  chose  qui  nous  puisse 
valoir,  car  nous  volons  user  dou  tout  a  vostre  conseil.  » 


«  Ici  vous  voel  acoîntier,  »  fait  Merlins,  «  d'une  chose 
dont  ^  vous  cuideriés  bien  venir  a  chief  se  je  ne  le  vous 
disoie,  et  chou  est  chou  qui  vous  puet  tollir  vos  terres.» 
Et  il  dist  :  «  Nous  volons  user  dou  tout  a  vostre  con- 
seil. >  «  Je  vous  di  que  vous  avcs  a  faire  demain  a  tel 
gent  qui  moult  font  a  redouter.  Premièrement  '^  a  la 
compaignie  le  roi  Rion,  qui  ne  sont  mie  si  poi  de 
gent  qu'il  ne  soient  plus  que  ne  soient  vostre  homme. 


I.  Le  ms.  commence  ici  un  paragraphe  et  lit  Knsi  —    2.  t|ui 
3.  Le  ms.  fait  ici  un  paragraphe 


246  MERLIN 

En  cheus  sans  faille  n*a  mie  trop  grant  péril  a  eus 
atendre,  car  il  avront  assés  petit  hardement,  si  tost 
comme  il  savront  comment  il  lour  est  avenu  del  roi 
Rion,  et  pour  chou  qu'il  seront  si  durement  descom- 
forté  de  lui  porront  il  legierement  estre  desconfi,  et 
si  seront  il  sans  faille.  Mais  encore  soit  il  ensi  que  vous 
en  viegniés  au  deseure  a  vostre  volenté,  vous  di  je  que 
vous  avés  a  faire  a  chelui  qui  ne  porra  gaires  mains 
nuire  dou  roi  Rion.  Et  savés  vous  qui  c'est?  C'est  li  rois 
Loth  d'Orkanie  vostre  serorges,  qui  est  li  mieudrcs  che- 
valiers que  vous  sachiés  en  votre  roiame  (f.  112^)  de 
cheus  meesmement  qui  portent  couronne.  Et  il  est  mal 
de  vous  et  vous  het  moult  (moult)  mortelment.  Et  savés 
vous  pour  coi  ?  Vous  savés  bien  que[l]  felonnie  vous  fesis- 
tes  des  enfans  que  vous  mandastes  par  vostre  terre  que 
on  vous  aportast.  Et  che  fu  ou  tans  que  vous  faisiés  les 
enfans  prendre  que  vostre  serour  la  feme  le  roi  Loth  ot 
un  enfant.  Il  le  misent  en  mer  pour  vous  envoiier.  Et 
quelque  chose  qu'il  avenist  de  l'enfant,  fust  mors  ou  visi 
il  cuide  vraiement  que  on  le  vous  ait  aporté  et  que  vous 
l'aiiés  mis  en  mer  aussi  comme  les  autres.  Dont  il  ont 
enviers  vous  acueilli  si  très  grant  haine,  et  tout  aussi 
vostre  serours  comme  li  rois,  (et)  que  il  ont  fait  assambler 
tous  les  preudommes  et  les  boins  chevaliers  dou  roiame 
d'Orkanie  et  les  ont  fait  venir  jusquesaCamalahot,  aussi 
comme  che  fust  pour  vostre  aide;  mais  che  n'est  mie 
voirs,  ains  est  del  tout  pour  vostre  nuisement  ;  dont  nous 
verrons  avenir  demain,  quant  nous  verrons  a  bataille 
encontre  le  frère  le  roi  Rion,  qu'i[l]  vous  verra  entre  lui  et 
sa  compaignie,  quant  11  autre  vous  seront  au  devant  : 
che  sera  tout(e)  a  une  eure.  Ore  gardés  que  vous  porrés 
faire  de  ceste  aventure.  Car  je  ne  (f.  ii3  V  ai  dit  chose 
qui  ne  vous  aviegne  tout  ensi  comme  je  le  vous  ai  dit,  se 
Dieus  me  consent.  » 


MERLIN  247 


VOUANT  li  roi  entent  ceste  aventure,  il  n'est  mie  peu 
esbahis,  car  li  rois  Loth  estoit  li  hom  de  sa  terre  que  il 
redoutoit  plus,  si  dist  a  Merlin  :  *  Je  ne  sai  que  dire, 
puis  que  li  rois  Loth  me  veult  mal.  Car  chc  est  cil  de 
ma  terre  en  qui  je  me  fiaisse  plus  au  grant  besoing,  et 
pour  cui  je  fesisse  plus.  Et  je  le  dévoie  faire,  che  m'es- 
toit  avis.  »  «  Il  est  tout  ensi,  »  fait  Merlins,  »  que  vous 
en  savrés  demain  la  vérité.  »  a  Ore  me  dites,  »  fait  li 
rois,  a  que  on  porra  faire  :  que  se  il  me  vienent  au  derrier 
et  mi  anemi  me  sont  au  devant,  ensi  porra  estre  li  roia- 
mes  de  Logres  en  aventure  de  perdre  toute  hounour.  » 
«  Je  vous  dirai,  »  fait  Merlins,  a  que  vous  ferés.  Vous 
avérés  conseil  de  ceste  chose  tel  comme  je  vous  dirai.  Li 
rois  Loth  est  moult  preudom  et  boins  chevaliers;  moult 
le  doit  on  redouter  pour  trop  de  choses.  Mandés  li  pre-  n  engage  Artu 
mierement  amistié,  et  li  faites  a  savoir  que  il  ne  laisse  en  à  envoyer  des 
nule  manière  que  il  ne  sekeure  le  roiame  de  Logres  si  messagers  à 
comme  il  le  doit  faire,  et  que  il  li  prenne  pitié  de  la  cou-  ^°^'^'  '^'^^'^  ^°"^ 

j    ,         .        ^  j      ,  .  ,      j       prcs  avec  son  ar- 

roune,  que  li  hounours  del  roiame  ne  dechiee  par  le  de-  ^^^^  ^n  lui  de- 
faute  de  lui.  Et  li  faites  savoir  que  vous  volés  que  il  mandant  son  sc- 
conduie  vostre  première  bataille  et  que  il  face  porter  cours  et  promet- 
vostre  confanon,  et  qu'il  ait  a  mainte^/.  ii3  ^jnir  Fou-  tantdeiuiamcn- 

j  .  1-1  j    •       1  ^  dcr toute  injure. 

nour  dou  règne  ensi  comme  loiaus  homme  se  doit  aler  et 
aidier  a  maintenir  l'ounour  de  son  signour;  et  se  vous 
li  avés  mesfait  en  riens  dou  siècle,  vous  li  amanderés  a 
sa  semonse  si  hautement  comme  li  baron  dou  roiame  de 
Logres  le  savront  deviser.  Et  tout  chou  li  mandes  oren- 
droit,  et  puis  s'orrons  chou,  que  il  nous  remandera,  si 
avrons  conseil.  »  «  Et  ou  cuidiés,  »  fait  li  rois,  «  qu'il 
soit  trouvés?  »  a  II  est,  >  fait  Merlins,  a  près  de  chi  a 
deus  lieues  englesques  a  tout  son  ost,  ne  n'atent  tant 
seulement  fors  tant  que  vous  soiiés  assamblcs  as  hommes 
le  roi  Rion,  et  lors  vous  cuidc  il  Icgicremcnt  dcsconlirc. 
Ore  vous  hasics  de  lui  mander  chou  que  je  vous  ai  dit. 


248  MERLIN 

Car  vous  n'avés  que  demeurer,  a  chou  que  li  roi  apro- 
chera  tost.  » 


Lors  apiele  li  rois  deus  de  ses  chevaliers  et  lour  dist 
qu'il  aillent  au  roi  Loth  a  ferir  des  espérons,  et  lour 
carge  son  message  au  mieus  qu'il  le  set  faire.  Et  cil  se 
partent  erramment  de  court  et  tant  font  qu'a  l'ost  le  roi 
Loth  vienent,  et  vont  droit  a  son  mestre*  tref  et  le  saluent 
de  par  le  roi  Artu(s).  Et  puis  li  content  le  message  tout 
ensi  comme  il  lour  avoit  este  cargié,  et  que  il  ne  le  lais- 
saissent  mie  a  lour  ensient.  Quant  li  rois  Loth  che  en- 
tent que  li  rois  Artus  mande,  (f.  1 13  <^)  il  ne  se  refresne 
Loth  reçoit  fort  point  de  son  mal  talent,  ains  respont  as  messages  :  «  Di- 
mai  le  message  ^^^  yostre  signour  que  a  m'aide  a  il  failli  et  a  tous  les 

et    déclare    qu'il  ,  .  .     ,.  .      r  -  •■ 

ne  fera  jamais  la  ^^^"^  ^^^  1^  ^^  porroie  faire,  se  11  mousterrai  au  plus  tost 
paix  avec  Artu.  que  je  porrai  (et)  que  je  ne  li  doi  pas  aidier,  mais  nuire  a 
men  pooir  de  tant  comme  je  li  porrai.  »  «  Comment? 
sire,  »  font  li  message,  «  sera  il  dont  ensi?  »  t  Oil,  »  fait 
il,  «  en  tel  manière  que  je  ferai  mon  pooir  de  lui  tollir 
terre  et  d'oster  le  couronne  del  chief,  car  il  l'a  bien  de- 
servi,  ne  homme  si  desloiel  comme  il  est  ne  deust  por- 
ter couronne  au  mien  esgart,  puis  qu'il  fist  si  très 
grant  desloiauté  comme  d'ochirre  les  enfans  de  son  règne. 
Et  se  li  baron  dou  roiame  fuissent  si  preudomme  comme 
il  deussent  estre,  il  ne  l'eussent  ja  puis  tenu  a  signour, 
ains  l'eussent  ochis  et  destruit,  si  comme  on  doit  faire 
roi  desloial  et  mauvais.  Et  aies  vous  ent  de  chi;  bien  li 
dites  qu'il  ne  trouvera  ja  pais  en  moi  devant  que  jou  aie 
vengiet  men  fil,  la  petite  créature  que  il  deust  amer 
tant  comme  sa  char  meisme,  et  il  le  destruist  et 
mist  a  mort  sans  déserte ,  par  coi  je  le  destruirai ,  se 
Dieus  le  me  vcult  soufifrir.  Et  itant  li  dites  que  je  li 
manc.»  Et  cil  dient  ke  cest  message  feront  il,  mais  moult 

I.  désire 


MERLIN  249 

lor  ^  poise  qu'il  n'ont  en  ("/.  ii3^)  lui  trouvé  millour 
conseil. 


A  tant  se  partent  li  message,  et  montent,  et  vont  tant 
que  au  roi  Artu(s)  vienent,  se  li  content  tout  chou  que  il 
orent  trouvé  ou  roi  Loth.  Et  li  rois  en  est  moult  dolans 
et  moult  en  est  plus  esmaiiés  qu'il  ne  seut.  Et  Merlins 
li  dist  :  «  Rois,  ne  te  desconforte,  car  nostre  sires  te  se- 
courra. Et  bien  sachiés  qu'il  ne  te  mist  pas  en  si  haute 
segnourie  pour  oster  t'en  si  delivrement,  se  tu  trop  ne  li 
mesfais.  Ore  chevauce  tout  asseur  et  ordene  tes  gens  au 
mieus  que  tu  savras.  Et  je  te  di  que  nostre  sires  te  fera 
hui  le  grignour  hounour  qui  piecha  mais  avenist  a  roi 
pecheour.  Et  je  (vous)  voel  que  tu  te  rendes  confès  de 
toutes  les  choses  (que)  dont  tu  te  sens  coupables  vers  nos- 
tre signour.  Et  je  te  di  que  che  est  une  chose  qui  moult 
te  pourfitera  et  moult  te  porra  aidier.  » 

1  DUT  ensi  comme  Merlins  le  consilla  au  roi,  tout  ensi  Artuscprcparc 
le//.  114  ^)  fist  il.  Et  si  tost  comme  il  fu  ajorné,  il  or-  'i '-'«'"''^'ittre. 
dena  ses  hommes  et  vit  quMi  avoit  bien  mil  chevaliers, 
sans  les  serjans  a  piet  et  a  cheval.  Et  establi  errant  dis 
batailles,  et  demanda  as  ses  honmes  s'il  iroit  avant  ou  il 
atenderoit  en  cele  place  ses  anemis.  Et  il  li  locnt  que  il 
les  attende  iJluec,  si  ne  seront  pas  lour  cheval  lasset  ne 
iravilliet  de  courre  parmi  la  plainne.  Ensi  ot  li  rois  Ar- 
tus  ses  batailles  ordenees ,  et  se  fu  arrestés  en  mi  liu 
d'une  plainne  pour  attendre  ses  enemis  ensi  comme  il 
verroient,  si  ot  moult  amonnesté  ses  hommes  de  bien 
faire,  si  que  l'onnour  dou  roiame  de  Logres  ne  fust  le 
jour  perie  par  defaute  d'eus.  Et  cil  li  respondircnt  qu'il 
volloient  tout  mieus  morir  en  la  place  mcismes  cju'il 


250  MERLIN 

n'eussent  Tounour  de  la  bataille.  Mais  or  laisse  li  contes 
a  parler  de  lui  et  de  sa  compaignie,  et  retorne  a  conter 
des  deus  frères  qui  le  roi  Rion  avoient  amené  au  roi 
Artu(s). 

Baïaain  et  Ba-  //.  //^  i^JvJre  dist  H  contes  quc  quant  li  dui  frère 
laan  apprennent  ©rent  baillié  lour  prisons  en  la  main  dou  portier,  il  se 
c  ez  un  ermite  p^r^jj-ent  de  Tarabel.  Etchevaucent  viers  un(e)  hermitaee 

qu'il   va  y  avoir  ^     .        ,  .  t  •     l 

une  grande  ba-  ^^^  P^^^  "  illuec  estoit  a  unc  liue  cnglcsque.  Li  cheva- 
taille  entre  Artu  liers  a  deus  especs  estoit  moult  acointes  de  l'ermite,  si 
ctNero.  l'apiela  tant  que  il  le  connut,  et  ouvri  erramment  son 

huis,  et  le  rechuit  en  son  ostel  entre  lui  et  son  frère  a 
moult  très  biele  chiere,  et  les  aaisa  de  canques  il  pot  et 
lour  donna  a  mengier  pain  et  eve,  car  autre  chose  n'a- 
voit  il  en  sa  maison.  La  nuit  jurent  laiens  li  dui  frère  et 
aaisierent  lour  cors  et  lour  chevaus  de  chou  qu'il  trouvè- 
rent en  l'ostel,  si  dormirent  jusques  a  l'endemain.  Au 
matin,  quant  solaus  fu  levés,  il  se  levèrent  et  se  firent  ar- 
mer a  lour  escuiiers.  Et  lors  (dist  et)  vi(e)nt  laiens  uns  val- 
lès  qui  estoit  parens  a  l'ermite,  qui  lour  dist  :  «  Nouviel- 
les  vous  sai  a  dire  mervilleuses.  En  che  jour  d'ui  sera 
chi  près  la  gringnour  bataille  qui  onques  fust  ou  roiaume 
de  Logres.  Car  li  rois  Artus  et  li  honme  le  roi  Rion  as- 
sambleront  orendroit  en  bataille  campel  en  une  plainne 
cha  devant.  »  «  Ses  le  tu  bien?  >  fait  li  fj.  114  <^)  cheva- 
liers. €  Oil,  »  fait  il,  «  car  j'ai  veut  les  banieres  drechier 
au  vent.  Ore  en  soit  (il)  nostre  sires  en  l'aide  dou  roi  Ar- 
tu(s),  car  certes  che  seroit  damages  trop  dolereus  s'il  en 
estoit  mis  au  desous.  »  Lors  se  traient  a  une  part  et 
prendent  conseil  entr*aus  deus  qu'ils  porroient  faire,  et 
Balaans  dist  :  «  Sire,  comment  vous  plaist  il  que  nous 
alons  a  ceste  bataille  ?»  «  Je  voel  »  [,  fait  Balaains,]  »  que 
nous  alons  (ceste  bataille  et)  celé  part  [ou  la  bataille 
doitestre].  Et  quant  nous  verrons  que  li  frères  au  roi 
Rion  sera  meus  en  ceste  bataille,  lors  nous  adrecerons 


MERLIN 


25 


a  lui  ;  et  s'il  nous  avenoit  si  bien,  ou  par  le  volenté 
de  nostre  signour  ou  par  autre  chose,  que  nous  le  peus- 
sons  sousprendre  entre  ses  honmes,  je  ne  cuic  pas  qu^il 
escapast  legierement  dusques  [a  tant]  qu'il  averoit  fait  en- 
vers nous  auchun  plait  a  nostre  volenté.  Et  se  Dieus  nous 
faisoit  si  boins  eureus  que  nous  le  peussons  prendre  et 
mètre  es  mains  le  roi  Artu(s),  je  cuic  que  encore  troveroie 
je  bien  ma  pais  envers  lui  et  avroie  s'acointance  et  s'a- 
mour  aussi  que  jou  avoie  avant  que  je  ochesisse  la  da- 
moisiele.»  Et  il  s'acordent  bien  a  ceste  chose,  si  viennent 
a  Termite  et  prendent  congiet  a  lui  et  s'em  partent  er- 
ramment,  et  s'en  vont  celé  part  ou  il  sevent  que  la  ba-  ils  s'y  rendent. 
taille  devoit  estre,  si  n''orent  gaires  aie  quant  il  voient 
(f.  114  ^)  toute  la  campagne  couverte  de  chevaliers  ar- 
més, et  voient  d'une  part  et  d'autre  les  ensegnes  drechies 
au  vent  et  les  banieres  bieles  et  riches  de  divierses  cou- 
lours.  Et  Nero  li  frères  au  roi  Rion  savoit  ja  bien  nou- 
vielles  de  son  frère  qui  estoit  pris,  mais  il  Favoit  si  bien 
celé  de  ciaus  de  l'ost  que  il  n'en  i  avoit  encore  nul 
qui  en  seust  la  vérité,  ne  mais  uns  siens  cousins  germains 
qui  li  avoit  conté.  Et  au  matin  quant  li  haut  baron  de 
l'ost  demandèrent  ou  li  rois  estoit,  lour  respondi  il  : 
«  Chevauciés  asseur,  car  entre  moi  et  lui  conduirons  la 
première  bataille,  ou  la  daeirrenne.  Or  ne  vous  esmaiiés, 
car  ja  caup  ne  ferrés  sans  sa  compaignie.  » 


Ch  tel  manière  et  Nero  ses  batailles  ordenees,  et  en 
fist  dis  aussi  comme  li  rois  Artus  avoit  fait;  mais  moult 
avoit  plus  de  gent  par  deviers  lui  que  par  deviers  le  roi 
Artu(s).  Et  quant  il  les  ot  ordenees  au  mieus  qu'il  pot,  il 
envoia  avant  les  trois  premières,  si  peussiés  veoir,  [a  l'jas-  Après  divers 
sambler  desdeusos,  lanches  brisier  et  chevaliers  cheoir,  et  succès. 
chevaus  courre  tous  esiraiiers  et  loing  et  près,  qu'il  n'es- 
toit  nus  qui  les  retenist,  car  trop  avoit  chascuns  a  enten- 
dre [a]  autre  chose.  Mais  (/.  1 15  ^)  cil  qui  par  deviers  le 


2Ô2  MERLIN 

roi  Artu(s)  estoient  n'avoient  pas  tant  de  gent,  si  souffri- 
rent moult  et  endurèrent  au  commenchement,  et  s*il  ne 
fuissent  si  preudomme  et  si  boin  chevalier  comme  il 
estoient,  legierement  peussent  estre  desconfi.  Mais  il 
estoient  viste  et  legier  et  de  boin  aage  et  jovene  houme 
tout  li  plus  et  abandonné  de  mort  rechevoir  ains  qu^il 
perdissent  honneur  en  la  bataille,  et  cest[ej  chose  iour 
tist  tant  endurer  chelui  jour  que  assés  en  i  avoit  de  mors 
et  de  mehaigniés.  Quant  les  lanches  furent  brisies,  il 
misent  d'une  part  et  d'autre  les  mains  as  espees,  si  corn- 
menchierent  les  meslees  si  morteus  et  si  périlleuses  que 
en  peu  d'eure  peust  on  veoir  la  place  toute  couverte  de 
chevaliers  mors  et  de  mehaigniés.  Mais  toutes  voies  par 
esfors  gaaignierent  li  houme  le  roi  Artu(s)  la  place,  si  que 
la  desconfiture  torna  sour  les  hommes  le  roi  Rion,  si  k^a 
force  convi(e)nt  les  dos  torner  as  trois  premières  batailles, 
et  se  ferirent  sour  les  autres  compaignons  qui  les  venoient 
secourre  de  tout  Iour  pooir.  Et  avoit  en  celé  compaignie 
trois  batailles  toutes  ordenees.  fervestues  et  bien  armées. 


{f.  IIS  ^)  A  cel  encontre  ot  porté  a  terre grant  plenté 
des  hou  mes  le  roi  Artu(s)  et  assés  en  i  ot  de  navrés  et  de 
malmenés,  car  trop  estoient  peu  de  gent  encontre  cheus 
qui  sour  eus  estoient  venu,  si  i  peussent  tost  rechevoir 
mort  en  tel  manière  que  ja  n'en  eschapast  pies  que  tuit 
ne  fuissent  detrenchié.  Mais  li  rois  Artus  Iour  envoia 
trois  batailles  pour  eus  secourre,  bien  ordenees  et  appa- 
rillies.  Lors  se  tinrent  auques  bien.  Et  nonpourquant 
trop  avoit  plus  de  gent  par  deviers  le  roi  Rion  que  par 
deviers  le  roi  Artu(s).  En  tel  manière  assamblerentd'am- 
besdeus  pars  toutes  les  batailles  :  car  quant  li  un  avoient 
le  pis,  si  estoient  errant  secourut  de  leur  compaignons. 
Et  quant  li  rois  Artus  vit  que '[Et]  li  doi  frère 

\.  Il  y  a  ici  une  lacune 


MERLIN  253 

se  furent  mis  en  la  bataille,  et  dient  que  trop  ont  voyant  les  gens 
attendu  a  lour  anemis  grever,  et  que  trop  longuement  d'Artu,  moins 
les  ont  laissiet  ester.  Lors  s'adrechent  viers  la  daerrainne  "«"ii-^'"^^^'  ri'cr, 

,     ^    .,,  ,  .  -^T  ^    -^       ^  I  ils   entrent  dans 

bataille,  celé  meismesou  Nero  estoit,  et  se  tornent  la  ou  ,  ^  .  .,, 

'  '  la  bataille,  et  font 

il  voient  la  gringnour  presse,  si  encontrerent  en  lour  des  prodiges. 
venir  deus  chevaliers  que  on  tenoit  a  moult  preudom- 
mes.  Il  lor  metent  les  glaives  parmi  les  cors,  car  li  escu 
ne  li  hauberc  ne  Iqs  ff.  7r5<^jporent  garandir  contre 
les  fers,   si  les  portent  des  chevaus  teuls  atornés  qu'il 
n'ont  de  mire  mestier,  car  il  estoient  ambcdui  navré  a 
mort,  et  au  (per)cheoir  qu'il  font  brisent  ambedeus  les 
glaives.  Il  metent  les  mains  as  espees  et  commenchent  a 
départir  as  uns  et  as  autres  grans  caus,  si  abatent  cheva- 
liers et  ochient,  et  esrachent  hyaumes  de  testes  et  escus 
de  cols,  et  font  ambedui  grant  mierveilles  d'armes,  voiant 
leur  anemis,  que  nus  nés  voit  qui  n'en  soit  esbahis.  Et    Baïaain  se  sert 
se  auchuns  me  demandoit  de  la  quele  espee  c'estoit  que  '^^  ^o"  ancienne 
li  chevaliers  a  deus  espees  ^  se  combatoit,  ie  responde-  '^^^''^*^'  '^^  "°"    *^ 

.      ,     /         .  .      ,     ,',  ^ .  r         celle  de  la  demoi- 

roie  que  che  estoit  de  la  soie  et  ne  mie  de  l'espee  qui  fu  a  g^.,,^  ^ont  il  de- 
la  damoisiele  ;  car  de  celé  espee  ne  se  combati  il  onques  vait  plus  tard 
devant  le  jour  que  il  fu  mis  ou  camp  contre  Balaan  son  tuer  son  frère  et 
frère,  si  qu'ill  ocist  par  mesconnissance  son  frère  de  celé  ""^^^  ^""^  P^'"  '"'• 

^  r  1  1  •  ..    I         1  •  •  comme  le  racon- 

espee,  et  ses  frères  le  rochist  de  celé  meismes,  si  comme         n  >    .  j 

^      '  »  tcra    Robert    de 

Robers  de  Borron  le  contera  ja  avant  a  la  seconde  partie  Borron. 
de  son  livre. 


GArtii,  Kc,  Hcr 
RANT  fu  chelui  jour  la  bataille  en  la  plainne  de  niidc  Rivci,  font 
Tharabel,  si  le  fist  moult  bien  li  rois  Artus  ichclui  jour,  ^'^  grandes 
et  moult  en  ochist  et  mehaigna,  et  bien  moustra  as  ses  p'^""'*^-"':  '"*'*'*^ 

//.  ..  •     1      ,  '    1        •  T-        T-i  -1         "^l      n'approche 

a(j.  lit)  '^ynemis  la  bonté  de  s  espee  Escalibor  ;  si  acha-  j^,  chevalier  aux 
terent  chierement  chou  que  elle  trcnchoit  si  bien,  car  il  deux  cpccs.  dont 
en  ochist  de  sa  main  de  la  propre  espee,  ains  que  la  ba-  amu  dit  que  ce 

taille  fust  Hnee,  plus  de  vint  chevaliers  et  en  mehaigna  '>'"t  pas  un  che- 
valier conunc  un 
autre ,    mais   un 
I.  que  il  se  c.  Ctrc  surnaturel. 


254  MERLIN 

plus  de  quarante.  Et  Kés  H  seneschaus  le  refist  moult 
bien  endroit  soi,  et  tant  fist  icelle  jornee  qu'il  acueilli 
los  et  pris  qui  li  dura  lonc  tans  après.  Et  autressi  le  refist 
bien  Hernil  de  Rivel,  qui  a  chelui  tans  estoit  assés  jove- 
nes  chevaliers.  Mais  nul  bien  fait  que  il  fesist  chelui  jour 
ne  il  ne  autre  ne  fu  tant  loés  comme  che  fu  que  fist  li 
chevaliers  a  deus  espees.  Car  cil  faisoit  une  chevaleries  si 
apertes,  en  quel  lieu  que  il  venoit,  que  tuit  le  regar- 
doient  a  merveilles,  ne  il  ne  disoient  pas  que  il  fust  che- 
valiers morteus,  mais  auchuns  monstres,  ou  auchuns 
anemis  que  mésaventure  avoit  la  amené.  Et  li  rois  Artus 
meismes,  quant  il  l'ot  bien  esgardé,  et  il  vit  les  merveilles 
que  il  faisoit,  il  dist  que  che  n'estoit  pas  chevaliers 
conme  autres,  mais  hom  nés  sour  terre  pour  destruction 
de  gent.  Et  ceste  parole  dist  il  a  Gifflet,  qui  puis  fu  en 
maint  lieu  retraite. 


Merlin  va  trou-  (f.ii6^)  lInsi  fu  la  bataille  mellee  et  commcnchie 
ver  Loth  et  essaie  d'une  part  et  d'autre.  Et  Merlins  s^en  fu  aies  au  roi  Loth, 
de  le  ramener  en  ^^  ^j,^^^^  qu'il  apparilloit  ses  hommes  tant  comme  il 

lui    disant    que  .  ^,  ^*,  ..         /at-i         ,-i.      »»i. 

Mordrcc  n'est  pas  pooit  pour  aler  seur  le  roi  Artu(s).  Et  lors  h  dist  Merlins  : 
mort;  «  Hé!  rois  Loth,  tu  as  esté  dusques  chi  moult  loiaus 

hom  viers  ton  signour  naturel.  Ore  iés  ensi  comme  cil 
qui  se  recroit  de  boines  oevres  faire  viers  sa  fin.  Tu  as 
esté  dusques  chi  loiaus  ;  ore  quant  tu  t'aproces  de  ta 
mort  si  veuls  devenir  desloiaus  et  monstrer  tout  aperte- 
ment  ta  desloiauté  au  peuple.  Ore  regarde  :  comment 
peusses  tu  faire  si  grant  desloiauté  conme  de  lui  faillir 
au  besoing  quant  il  se  combat  pour  toi  et  pour  son  peu- 
ple, et  met  son  cors  en  aventure  por  toi  et  pour  tous  les 
autres  oster  de  la  subjection  as  estranges  princes?  Et  tu 
sour  cest  péril  li  appareilles  encore  un  autre  !  Car  la  ou 
il  met  son  cors  por  toi  desfendre  et  de  tes  anemis,  tu 
t'apareilles  de  lui  occhirre  a  ton  pooir.  Ore  garde  se 
chou  est  desloiautés  et  felonnie.»  a  Merlins,  »  fait  li  rois. 


MERLIN  255 

€  se  je  le  haç,  che  n'est  pas  mierveille.  Car  il  a  fait  tout 
de  nouviel  la  gringnor  desloiauté  que  rois  fesist  onques, 
si  en  a  adamagié  tous  les  f/.  1 16  ^)  haus  hommes  de  cest 
règne.  Et  moi  meismes  en  a  il  apovroiié  d'un  hoir  meis- 
mes  que  Dieus  m'avoit  envoiié;  si  ne  regarda  onques  a 
chou  qu'il  estoit  mes  fieus,  qui  estoie  li  plus  haus  hom 
de  son  règne,  et  je  estoie  si  ses  amis  que  je  avoie  sa  se- 
rour  a  feme,  et  a  chou  que  mes  enfes  estoit  ses  niés.  Or 
regarde  que  sa  felonnie  fu  par  se  desloiauté.  » 

«  vJr  me  dites,  »  fait  Merlins,  <(  quides  tu  dont  qu'il 
ait  ton  enfant  ochis?  »  «  Oil,  »  fait  li  rois  :  «  je  le  sai 
tout  certainnement  :  il  le  mist  en  la  mer  avoec  les  au- 
tres, par  coi  je  ne  l'amerai  ja  mais  ne  ne  quier  qu'il  ait 
amour  ne  concorde  nule  entre  moi  et  lui,  mais  guerre  a 
tous  les  jours  de  ma  vie.  »  «  Rois,  »  fait  Merlins,  «  tu 
as  tort  ;  tu  ne  deusses  mie  dire  chose  ou  il  n'eust  vérité. 
Saches  que  Mordrec  est  vis.  Et  se  tu  voloies  laissier  [l'Jem- 
prise  que  tu  as  orendroit  faite,  je  te  creanc  que  je  le  te 
mousterroie  tout  sain  et  tout  vif'  dedens  deus  mois.  » 
«  Je  n'en  querroie  nullui,  »  fait  li  rois,  «  pour  parole 
que  on  m'en  seust  dire  devant  que  je  le  veisse.  »  «  Et 
k'en  veuls  tu  faire?  »  fait  Merlins.  »  «  Je  ne  m'en  parti- 
rai ja,  »  fait  li  rois,  «  se  par  bataille  non.  Et  illuec  m'en 
vengerai,  se  la  mors  (f.  1 16  ^)  no.  m'en  destorne.  »  «  Et 
je  te  di,  »  fait  Merlins,  «  se  tu  en  aventure  de  la  bataille 
te  mes,  je  te  di  que  tu  en  seras  honnis.  Car  tu  en  reman- 
ras  recreans  et  i  seras  pris  et  ti  homme  li  pluiseur  ochis  ; 
et  si  me  deusses  bien  croire  de  chou  que  te  di,  car  tu 
n'ois  onques  dire  que  je  fuisse  menchoigniers  de  parole 
que  je  affremaisse  pour  vérité;  si  t'en  repentiras  se  tu  ne 
fais  chou  que  je  te  lo.  »  Et  cil  dist  qu'il  ne  lairoit  pour 
homme  qu'il  ne  s'en  mesist  en  aventure  de  querrc  vcn- 


I.    VIS 


256  MERLIN 

janclie.»  «  Ore  t^en  conviegne  bien,  »  fait  Merlins,  a  car 
certes  tu  t^cn  repentiras  tele  eure  que  ne  le  porras  amen- 
der. Et  chis  repentirs  verra  trop  a  tart,  si  sera  damages 
grans.  » 


mais    Loth    ne      Endementiers  que  Mcrlins   parloit   ensi   au    roi  ,  il 

veut  rien  cnten-  j^y^jj  piuseurs  barons  en  la  place,  dont  chascuns  disoit 

re  ;    u  moins       ^^.  .  ^  p^^^  j  gjj.g    p^^j.  £)ieu   faites  chou  que  Merlins 

Merlin  le  retient  '    *  '  ^ 

par     enchante-  VOUS  loe.  Ja  ciertes  de  son  conseil  ne  verra  maus  a  vous 
ment,  ne  a  autre.  »  Et  li  rois  dist  toutes  voies  que  ja  n'en  fera 

riens.  Et  Merlins,  qui  bien  savoit  que  a  celé  eure  se  corn- 
batoit  li  rois  Artus,  et  s'il  avenist  que  li  rois  Loth  li  cou- 
ru[s]t  sus  a  celé  fois  que  damages  empeust  avenir  grans,  et 
toutes  voies  Merlins  tenoit  le  roi  tout  dis  en  sa  parole,  et 
le  faisoit  a  lui  entendre,  et  le  destourboit  d'aler  avant  au 
plus  que  il  pooit.  Ne  il  ne quer(r;oit  (f.  1 16  ^)  que  li  rois 
euust  plus  de  respit  fors  tant  seulement  que  il  eust 
vaincu  les  hommes  au  roi  Rion.  Et  pour  chou  fist  Mer- 
lins demourer  le  roi  Loth  dusques  a  eure  de  tierce.  Et 
le  tient  en  tel  manière  qu'il  ne  chevaucha  pas  de  lonc  ^ 
plus  de  quatre  arpens  de  terre.  Et  tout  chou  fist  il  par 
enchantement,  tant  que  il  peust  veoir  que  la  bataille  de- 
voit  avenir.  Il  secourut  tant  le  roi  Artu(s)  toutes  voies, 
qu'il  aimme  mieus  et  voloit  mieus  que  li  rois  Artus  fust 
sains  et  haitiés  et  li  rois  Loth  fust  ochis.  Et  il  savoit 
bien  que  li  uns  d'aus  deus  i  morroit,  se  la  bataille  feroit 
ensamble. 


tant  qu'arrive  la  Apriès  eure  de  tierce  tout  droit  avint  que  uns  mes- 
nouveiie  qu'Artu  sagcs  vint  devant  le  roi  Loth,  et  li  dist  :  «  Sire,  nouvieles 
a  complètement  ^^^g  aporch  assés  mcrviUeuses.  Li  rois  Artus  a  vaincu 
Rio,'/  ^'^^^^^  ^^  ^^^  hommes  le  roi  Rion.  Mais  onques  ne  veistes  si  grant 

1.  loing 


MERLIN  267 

bataille  ne  si  pesant  conme  ceste  a  esté,  car  trop  en  i  a 
de  mors  et  d'une  part  et  d'autre.  Mais  en  fait  avant  li  rois 
amener  tant  de  prisons  qu'il  sont  plus  de  cinc  cens,  tous 
rices  hommes  a  mon  ensient.  »  Quant  li  rois  entent  ceste 
aventure,  il  en  devint  tous  esbahis  et  regarde  tout  en- 
tour  lui  pour  savoir  se  il  veist  Merlin  ;  car  il  li  voloit 
coper  la  teste,  pour  chou  {f.   ii'j  ^)  qu'il  estoit  ore  bien 
apercheus  que  Merlins  l'avoit  enchanté  et  fait  atargier 
tout  de  gré.  Et  lors  dist  as  ses  hommes  :  a  Merlins  m'a     Loth  se  dcsok 
mort:  se  je  eusse  dès  hui  matin  chevauchié  a  esfors,  je  ^^   ^°"  retard, 
eusse  le  roi  desconht  et  gaaignie  ma  querele.  Or  en  sui  ai.. 
plus  loing  que  je  ne  fui  ^  onques  mais,  ne  ja  mais  tant  moins     bataille 
comme  je  vive  n'avrai  le  roi  en  aussi  boin  point  comme  aux  gens  d'A^rtu, 
jou  avoie  hui  matin.  Or  ne  sai  jou  que  faire.  Car  se  je  '^^  ^*^  ''■'"'"  ^^'^' 
m'en  vois  a  lui,  il  me  fera  prendre  com  son  anemi  pour  "^'^'"  ^°"'^''^- 
chou  que  je  ne  vauc  faire  chou  que  il  me  requist;  et  se 
je  m'en  vois  en  ma  terre,  il  assamblera  ses  houmes  et 
venra  a  ost  sour  mi,  et  ensi  destruira  moi  et  ma  terre, 
queja  n'en  avra  merchi  autrement  que  je  eusse  de  lui, 
se  je  en  venisse  au  dessus.  Ensi  ne  sai  je  prendre  conseil. 
Je  ne  voi  ma  sauveté  de  nule  part.  »  Et  lors  li  respont 
uns  siens  chevaliers  qui  estoit  ses  cousins  germains  : 
«  Sire,  vous  ne  troverés  ja  merchi  viers  le  roi,  se  vous  ne 
la  desraisniés  au  branc  d'achier.  Assamblés  seurement  a 
lui,  car  nostre  sires  vous  donra  l'ounour  de  la  bataille.  » 
t  Allons  dont,  »  fait  li  rois  :  «  ja  mais  ne  m'en  quier  aler 
se  par  la  bataille  non.  »  Lors  demanda  li  rois  au  mes- 
sage :  «  A  bien  grant  gent  li  rois  Artus  avoec  lui  ?   » 
«  Certes,  nenil,  »  fait  (/.  1/7  *)  li  vallès,  <c  et  sont  pres- 
que tuit  navré  et  alassé  li  plus  frès,  de  ceste  bataille  qu'il 
ont  hui  vaincue.  » 


<  \Jr  alons  dont,  »  fait  li  rois,  «  et  gardés  que  vous 


I.  SUl 


258  MERLIN 

le  faites  si  miervilleusement  k'en  vostre  venir  n'en  re- 
maingne  nus  en  sele.  *  Et  cil  dient  qu'il  en  sont  prest 
(puis)  puis  que  au  roi  plaist  vraiement.  Lors  n'i  ot  plus 
demouré,  ains  ordenerent  maintenant  lour  batailles,  et 
s'en  vont  tout  lour  chemin  tout  droit  viers  l'ost  le  roi 
Artu(s).  Et  Merlins  fu  ja  revenus  au  roi,  et  le  trouva  na- 
vré en  plus  de  huit   lieus  de  plaies  petites  et  grans,  et 
vit  que  si  houme  le  desarmoient  pour  chou  qu'il  alast 
plus  aise,  car  il  ne  cuident  pas  que  il  le  convenist  com- 
Meriin  annon-  t>atre  ichelui  jour.  Et  lors  dist  Merlins  au  roi  :  «  Ha  ! 
ce  l'approche  de  rois,  pren  ton  hauberc  [ne]  ne  te  desarme  pas,  car  tu  as 
Loth  au  roi,  qui  plus  a  faire  que  tu  ne  cuides.  Veschi  le  roi  Loth  d'Orkanie 
se  désarmait,      entre  lui  et  tous  ses  barons  qui  vienent  a  ost  sour  toi,  si 
en  poes  ja  veoir  les  ensaignes  lassus  en  celé  montaigne, 
[et]  les  confanonsdrechiés  ^  qui  cha  vienent  grant  aleure 
encontre  toi.»  «  Ha!  Dieus,»  fait  li  rois,  «  tant  a  chi grant 
pestilence!  Geste  painne  m'envoiiés  vous  pour  mon  pe- 
chié.  Ore  cuide  que  li  preudommecomparront  chou  que 
Les    barons  j^  "i^  sui  mesfais  viers  vous.  »  Et  quant  li  baron  enten- 
d'Artui'encoura- dent  celé  parole,  il  n'i  a  cel  (f.  iij  <^)  qui  toute  pitié 
Rcm,  n'en  ait  en  son  cuer,  si  respondent  :  «  Rois,  ne  l'esmaie 

mie,  mais  chevauce  tout  asseur,  que  nostre  Sires  te  con- 
duira et  te  metera  au  dessus  de  tes  anemis  en  tel  ma- 
nière que  tu  avéras  victoire  la  ou  il  avront  toute  des- 
hounour.  » 

notamment    l'un        - 

deux,  qui  avait  LoRs  parla  uns  chevalicrs  de  la  compaignie  le  roi, 
fait  des  merveii-  g^  ^.j^g  estoit  cil  qui  tant  longement  ot  cachié  la  diverse 
eb   pen  ant    le  ^^^^      ^j^jg  ^^j    p^jg    meismcs    engeura   Parcheval,  si 

combat,    et   qm  '         ,  .    ^  ,       ,      .  r-     -i   i.         • 

n'était  autre  que  co^rnc  chis  contes  le  devisera  apertement.  lit  il  1  avoit 
le  chevalier  qui  si  bien  fait  en  la  bataille  ichelui  jour  que  nus  n'estoit 
avait  longtemps  prisiés  a  bien  faire  fors  que  il  et  li  chevaliers  a  deus  es- 
chassé  la  bctedi-       ^  seulement  et  ses  frères.  «  Sire,  »  fait  il  au  roi,  «  on- 

vcrse.  et  qui  de- 
vait être  le  père 
de  Perceval.  i  •  lirechicr 


MERLIN  259 

ques  de  chou  ne  vous  esmaiiés,  que  bien  sachiés  que 
vous  vainterés.  »  Et  li  rois  respont  :  «  Sire  chevaliers,  la 
vostre  merchi  de  chou  que  vous  m'avés  si  durement  ai- 
dié.  Ore  sachiés  bien  que  toute  ma  fiance  est  en  Dieu  et 
en  vous  et  es  autres  prcudommes.  Et  certes  s^il  estoient 
par  devise  tout  autel  chevalier  conme  vous  estes,  je  sai 
de  voir  qu'ail  averotie]nt  courte  durée.  Et  je  vous  pri  que 
vous  me  dites  qui  vous  estes,  car  je  ne  vous  connois  pas 
as  armeures  que  vous  portés.  »  «  Je  nel  vous  cèlerai 
mie,  »  fait  il:  «  je  sui  li  chevaliers  a  qui  vous  veistes 
siure  la  diver  (f.  iij  ^}  se  beste.  Et  par  la  bonté  que  je 
Savoie  en  vous  vous  sui  ge  venus  aidier,  ne  mie  por 
chou  que  je  règne  tiegne  de  vous,  che  savés  vous  bien.  » 
«  Certes,  j  fait  li  rois,  «  vous  en  terrés  quant  il  vous 
plaira,  que  vous  en  estes  bien  dignes.  »  Quant  il  orent 
lour  batailles  ordenees,  il  s'en  vont  droit  viers  les  hom-  Les  deux  ar- 
mes le  roi  Loth.  Si  peussés  veoir  a  rencontrer  des  deus  mées se  choquent 
batailles  assés  gringnour  abateis  ^  de  chevaliers  et  plus  ^^^^     '^     '^'"^ 

,.    .     ,  .,       ,         .  ...  grande  violence. 

grant  mortalité  de  gent  que  il  n  avoient  huimais  eues, 
car  il  estoient  boin  chevalier  et  d'une  part  et  d'autre,  et 
s'entrecontrerent  si  morteument  que  vous  en  peussiés 
veoir  au  premier  abateis  *  teuls  cent  jesir  a  terre  dont  les 
armes  estoient  parties  des  cors. 


V-/ELE  bataille  sans  faille  (qui)  tant  tu  crueus  et  fele- 
nesse  que  elle  commencha  a  eure  de  tierce  et  dura  dus- 
ques  a  eure  de  viespres.  Et  se  li  rois  Loth  ne  fust  si  très 
bons  chevaliers  comme  il  estoit,  si  houme  eussent  esté 
plus  tost  dcsconfi  que  il  ne  furent.  Mais  il  tous  sens  sous- 
tenoit  si  le  fais  de  la  bataille  par  deviers  soi,  que  tout  cil 
qui  Tesgardoient  se  sainnoient  a  mierveilles  que  il  puet 
endurer  la  moitié  de  chou  que  il  souffroit.  Il  enpren- 
(f.  118  ^J  doit  si  toutes  les  proueches  et  tous  les  caus  a 

I   abatic 


200  MERLIN 

faire,  voiant  tous  cheus  qui  atendre  Tosoient,  qu'il  nU 
avoit  si  hardi  par  devers  le  roi,  pour  qu'il  Peust  bien  re- 
gardé, qui  devant  ses  cous  n'eust  toute  paour.  Et  quant  li 
rois  vit  ceste  merveille  et  ill  ot  bien  reconneu   le  roi 
Loth,  il  dist  :  «  Ha  !  Dieus,  quel  damage  (que)  quant  si 
preudom  conme  cis  est  se  mesfait  si  durement  !  Car  par 
Loth,aprèsdcs  la  proueche  que  je  voi  en  li  m'est  il  bien  avis  qu'il  soit- 
prouesses    mer-  bien  dignes  d'avoir  tout  le  mont  en  sa  baillie.  »  Li  rois  Tôt, 
veilleuses,   ren-  qui  ne  baoit  a  autre  chose  fors  qu'il  peust  le  roi  Artu(s) 
ochirre.  Il  laisse  courre  toute  l'espee  traite,  comme  cil  qui 
ne  baoit  fors  a  sa  mort.  Et  quant  li  rois  Artus  le  voit  ve- 
nir, il  ne  fu  pas  si  bien  apparilliés  de  lui  rechevoir,  si 
traist  son  frain  arrière  et  jeté  encontre  le  cop  son  escu. 
Et  cil,  qui  ot  son  cop  entesé,  failli  a  ataindre  le  roi,  si 
aconsiut  le  cheval  droit  parmi  l'archon  par  devant,  et 
l'espee  fu  boine  et  trenchans,  li  cous  vint  de  haut  et  li 
rois  fu  de  vertu  plains,  si  fiert  le  cheval  si  durement  qu'il 
le  trenche  tout  par  mi  les  espaules,  si  que  li  chevaas  chiet 
mors  a  la  terre  et  li  rois  si  tresbuce  par  dessus  le  col.  Et 
lors  (f.  1 18  ^)  cuide  bien  li  chevaliers  a  la  diverse  beste 
que  li  rois  fust  mors,  si  en  est  moult  dolans  et  dist  que 
chis  damages  est  trop  grans,  car  cil  dou  roiame  de  Lo- 
gres  ne  recouverront  a  roi  si  preudomme  comme  chis  es- 
toit  :  «  Se  le  vengerai,  se  je  onques  puis.  » 


Lors  laisse  courre  au    roi   Loth  l'espee   traite.    Et 

quant  cil  le  voit  venir  il  ne  le  refuse  pas,  ains  l'atent 

tout  outreement  et  sans  escu,  car  li  siens  li  estoit  cheus 

erraument  en  la  place.  Et  cil  le  fiert  si  durement  que  li 

mais  est  tué  par  hyaumes  ne  la  coife  de  fer  nel  garandist  qu'il  nel  pour- 

le  roi  Pciiinor,  le  fende  lout  jusques  ens  espauUes.  Il  estort  son  cop,  si  fait 

chevalier    à   la  voler  le  roi  Loth  a  terre.  Et  quant  cil  d'Orkanie  voient 

bote;  les  hommes  ^^j^gj^i  caup,  il  devienent  si  esbahi  qu'il  ne  sevent  quel 

d'Orcanie     sont  ..-ii-         ^  j  ^-i..  «-i 

conseil  il  doivent  prendre,  quant  cil  est  mors  en  qui  il 

mis  en  dcroute.  .  y    ^  ,         .  i     i         .,i  •  •    r 

avoient  tant  de  fiance  de  vaintre  la  bataille,  se  ja  mais  fust 


MERLIN  261 

vaincue.  Et  quant  li  homme  le  roi  Artu(s)  voient  celui 
mort,  qui  tout  le  jour  les  avoit  plus  damagiés  et  empi- 
riés  que  la  moitiet  de  ses  compaignons  n'avoient,  si  se 
rasseurent  moult  plus  que  il  ne  firent  huimais,  si  cour- 
rent  sus  tous  eus  sour  chiaus  d'Orka  {f.  iiS  <^)  nie,  et  il 
les  ochient  et  abatent  et  mehaignent  le  plus  qu'il  porent. 
Et  cil  sont  si  espoentet  qu'il  ne  pueent  longuement  souf- 
frir, ains  tornerentlesdosetv(u)uidentvistement  la  place 
et  s'en  fui(r)ent  si  grant  oirre  comme  il  pueent  des  che- 
vaus  traire,  conme  cil  qui  ne  béent  fors  qu'a  lour  cors 
garandir,  car  il  voient  bien  que  la  desconfiture  est  dou 
tout  tornee  sour  eus.  Et  cil  les  encauchent  ki  morteu- 
ment  les  heent,  si  les  detrenchent  et  ochient  si  espesse- 
ment  que  li  chemin  en  remainnent  couvert  par  la  ou  il 
trespassent.  En  si  furent  desconfit  cil  d'Orkanie,  si  rechiu- 
rent  chelui  jour  tel  honte  que  lor  fu  reprochié  longue- 
ment, et  tout  dis  lour  fu  mise  la  traisons  devant  qu'il 
avoient  fait  en  camp  pour  desloial  et  pour  traitour  et 
mauvais  de  lour  lige  signour.  Et  il  furent  descomfi,  et 
ocist  ^  Pellinor  le  roi  Loth  d'Orkanie.  Et  tout  si  fil 
quant  il  vinrent  a  chevalerie  [voudrent  vengier  la]  honte 
[de  leur  père]  et  de  tout  lour  parenté,  dont  Gavains  ^ 
ochist  puis  [Pellinor  et]  Melodiam  aisné  fil,  et  Agloval  Acausedcceia 
ochist  il  en  la  queste  del  saint  graal,  si  comme  mes  sire=^  Gavain,  fîis  de 

T>    1  •  1      r»  11*  1-  Loth,    tua    plus 

Robiers  de  Borron  le  devisera  apertement  en  son  livre.  ^^^^  pdiinor  et 
Mais  se  Percheval  li  gentius  chevaliers,  qui  ff.  ii8^)  ^^^  ^^ux  nis, 
frères  estoit  Agloval,  seuust  la  mort  Agloval  a  chelui  ircres  de  Pcrcc- 
point  que  elle  avint,  il  eust  Agloval  vengiet  sans  faille,  val,  comme  le 
a  che  qu'il  amoit  Agloval  plus  que  nus  frères  amast  ^^^°"^^^''*'  ^"^^"^^^ 
autre. 


VOUANT  la  bataille  fu  vaincue  si  outrcemcnt  que  de 


I.    H    uns    —   2.  il;   tout  ce  passage  est  gravement  altéré  — 
3.  meismes 


202  MERLIN 

tous  chiaus  d'Orkanie  n'i  ot  un  remés  qui  ne  fust  u  mors 
ou  pris,  H  rois  fist  prendre  ces  chevaliers  qui  mort  es- 
Le   roi  Artu  tolent  et  fist  mètre  les  cors  tous  ensamble  en  une  roche 
fait  enterrer  les  qui  moult  estoit  profonde,  et  dessus  fist  faire  une  eglyze, 
"^°'"^*-  ou  on  priast  pour  les  âmes  de  chiaus  qui  laiens  estoient 

enterré.  Des  autres  cors  ne  fist  on  mie  si  grant  feste,  fors 
k'en  terre  furent  mis  et  par  bos  et  par  plaingnes.  En  la 
bataille  le  roi  Rion  fu  si  avenu  que  tuit  chil  ^  douze  roi 
furent  occhis.  Li  rois  fist  prendre  les  cors  et  les  fist  mètre 
ensamble  en  l'église  saint  Estevene  de  Camalaoth,  et  fist 
escrire  chascun  dessus  son  non.  Mais  dou  roi  Loth,  pour 
chou  que  moult  l'avoit  amé,  fist  il  assés  gringnour  feste, 
car  il  (il)  le  fist  mètre  en  une  tombe  moult  biele  et  moult 
riche.  Et  fist  pour  hounour  de  lui  en  cel  lieu  meismes 
une  église  estorer  qui  puis  fu  de  haut  (f.  iig  ^)  pris  et 
sera  tant  comme  li  siècles  duerra.  Et  fu  celé  église  apie- 
lee  l'iglise  de  saint  Jehan. 


A  l'enterrement  La  Toinc  sa  fcmc  et  tout  si  quatre  fil,  qui  moult  es- 
de  Loth,  Gavain,  toieut  biel  enfant,  vinrent  a  Tenterrer,  si  i  ot  moult  grant 
âgé  de  onze  ans  ^^^j  ^^  ^^^  ^^^  ^^  j^^  autrcs,  Car  moult  amoient  le  roi 

seulement,   jure  tit--tt..  ••  **■  r 

de  le  venger  Loth.  Li  rois  Uriiens  1  vmt  et  Morgue  sa  feme,  si  en- 
chainte  que  elle  estoit  toute  preste  d'avoir  enfant.  Elle 
estoit  moult  malicieuse  durement  et  moult  savoit  de  tin- 
tin  et  de  maie  pensée.  Et  quant  li  rois  fu  enterrés,  Ga- 
vains  ses  aisnés  fieus,  qui  moult  estoit  biaus  enfes  dure- 
ment et  n'avoit  encore  d'aage  que  onze  ans,  en  fist  duel 
si  mervilleus  que  tout  cil  qui  le  veoient  en  avoient  pitiet 
grant.  Et  quant  il  ot  faite  la  plainte  de  son  père  tele  que 
nus  hom  de  son  aage  ne  pot  faire  plus  biel,  il  dist  une 
parole  qui  bien  fu  entendue  et  ne  fu  pas  oubliée,  et  fu  la 
parole  tele  :  «  Ha  !  sire,  tant  m'a  endamagiet  dolereuse- 
ment  li  rois  Pellinor  qui  vous  a  occhis,  et  tant  a  nostre 

I.  touschi 


MERLIN  203 

lignage  abaissiet  et  apovri  par  la  vostre  mort  !  Et  li  roiames 
de  Logres  meismes  certes  en  sera  plus  apovris  quMl  ne 
fust  a  set  millours  rois  qui  i  soient.  Ja  Dieus  ne  place, 
sire,  que  je  face  chevalerie  (f.  i  ig  ^)  qui  soit  loee  dus- 
ques  que  j'en  aie  prise  tele  venjance  que  on  en  doit  pren- 
dre, c'est  ochirre  roi  pour  roi.  »  Et  Gavains  l'avoit  ja  si 
bien  apris  que  li  rois  Pellinor  li  avoit  son  père  ochis.  De 
ceste  parole  s'esmervillierent  moult  cil  qui  Toirent,  car 
moult  estoit  haute,  meesmement  de  tel  enfant  comme 
Gavains  estoit  a  cel  terme.  Si  disent  li  auquant  qui  Ten- 
tendirent  :  «  Haute  parole  a  chis  enfes  dite.  Encore  ven- 
gera il  son  père.  »  Et  il  le  fist  tout  ensi  comme  il  le  dist, 
car  puissedi  occhist  il  le  roi  Pellinor  et  deus  de  ses  en- 
fans. 


Li  rois  Artus,  qui  moult  estoit  liés  de  si  biele  aven-  vainqueur  de 
ture  que  nostre  sires  li  avoit  envoiie,  dist  que  as  octaves  treize  rois,  Anu 
feroit  il  faire  la  feste  de  ceste  victoire.  Lors  fist  faire  ^^'^  p^^"''  ^" 
douze  rois  de  métal  seurareentés  et  dorés  richement,  et  /^"^ 

*-'  '        leurs  statues  qui 

avoit  chascun  en  son  chief  une  couronne  d'or,  et  avoit  s-inciincnt     dc- 

chascuns  escrit  son  non  en  son  pis  devant.  Et  avoec  chou  vant  la  sienne, 

fist  faire  un  roi  en  samblance  dou  roi  Loth,  au  plus 

samblant  que  on  le  pot  faire.  Aprièsces  rois  fist  faire  un 

autre  roi  plus  dis  tans  riche  que  tuit  li  autre  n'estoient, 

et  fu  fais  en  samblance  dou  roi  Ariu(s).  Et  quant  toutes 

ces  ymages  furent  parfaites,  li  treize  furent  {f.  iig  c)  fait 

en  tel  manière  que  chascuns  tenoit  en  sa  main  un  can- 

deler,  mais  li  autres,  cil  qui  estoit  fais  en  la  samblance 

dou  roi  Artu(s),  tenoit  en  sa  main  une  espce  toute  nue  en 

samblance  qu'il  manechast  les  gens.  Quant  toute  celé 

oevre  fu  acomplie,  li  rois  fist  mètre  les  ymages  en  la 

maistre  forterece  de  la  tour  en  haut  dessus  les  creniaus, 

si  que  tout  cil  de  la  chité  le  v[e]oient  apertement,  et  tint 

chascuns  des  rois  un  gros  chicrgc  alumé.  Et  en  mi  liu 

des  douze  estoit  l'image  le  roi  Artu[s),  assés  plus  haut  qu'il 


204  MERLIN 

n'estoiint  tuit,  et  tenoit  s'espee  en  sa  main  et  faisoit 
samblant  quMl  manechast  cheus  qui  entour  lui  estoient. 
Et  cil  toutes  voies  li  estoient  enclin  aussi  conme  il  li 
criaissent  merchi  d'auchun  mesfait. 


,     ,  ,„       OuANT  ceste  chose  fu  ensi  faite  conme  je  vous  devise, 

et     donne     une         ^«-  '  ' 

grande  fcte.        io^s  commencha  la  feste  dedens  Gamalaoth,  ki  dura  huit 

jours  tous  pleniers.  Et  le  premier  jour  que  elle  fu  com- 

menchie,  quant  li  rois  Artus  regardoit,  il  dist  a  Merlin 

qui  dejouste  lui  estoit  :  •  Merlins,  il  me  samble  que  chi 

eust  trop  biele  chose  se  cist  chierge  peussent  tout  dis 

durer  en  tel  manière  que   il  n'estainsissent   point  de 

if.  I  ig  ^)  nuit  et  de  jour  ne  par  vent  ne  pour  plueve 

Merlin  fait  par  que  il  feist  ^  »  «  Certes,  »  fait  Merlins,  «  je  le  vous  ferai 

enchantement  ^^^^^  p^^g  durer  que  VOUS  u'oseriés  cuidier.  ■>»  Lors  fait 

que    es  cierges  j^^jj^^gj^^j^^  5qj^  enchantement,  et  puis  dist  au  roi  :  «  Rois, 

tenus  par  les  sta-  ^       •  ' 

tues  des  rois  saciésquecist  chierge  n'esteinderont devant  que  l'ame  [me] 
brûlent  toujours;  départira  du  cors.  En  chelui  jour  qu'il  estainderont  aver- 
iis  s'éteindront  j-qj-^j  deus  merveilles  en  ceste  terre  :  car  je  serai  livrés  a 
cependant  le  jour  ^^^^        engin  de  fcme,  et  si  fera  li  chevaliers  as  deus  es- 

ou  Merlin  mourra  r  o  ,      ,      r 

par  ruse  de  fem-  P^^s  le  dolereus  caup  encontre  le  desfence  nostre  signour, 
me,  et  où  lèche- pour  coi  les  aventures  dou  saint  graal  averront,  espe- 
vaiier  aux  deux  ciaument  OU  Toiaume  de  Logres.  Et  lors  commencheront 
épées  frappera  le  j^^  dolours  et  les  tcmpestes  par  toute  la  grant  Bretaigne, 

douloureux  coup  .  .,  .  , 

qui  fera  commen-  ^^  averront  SI  souvent  que  tout  cil  qui  les  verront  ave- 
cer  en  Grande  nir  cn  scront  tout  csbahi,  et  duerrontsans  doutance  vint 

Bretagne  les  mer-  et  dcuS  anS.  » 

veilles   du  saint 
graal. 

«  jVIerlins,  »  fait  li  rois,  «  par  ceste  parole  que  vous 
m^avés  devisee  porroie  je  bien  connoistre  le  jour  que 
trespasserés  soit  près  ou  loing.  »  «  Voirs  est  que  ensi 
porrés  vous  savoir,  »  fait  Merlins,  «  le  jour  que  les  aven- 

1 ,  feust 


MERLIN  265 

tures  commencheront.  Car  adont  estainderont  cist  chierge 
el  sera  espandue  une  grant  obscurtés  ens  en  mi  lieu  dou 
jour  tout  par  mi  ceste  terre,  si  qu'il  ne  verront  goûte 
{f.  120  ^)  entour  eure  de  miedi.  Et  a  celé  eure  meismes 
averra  que  vouschacerés,  et  serés  descendus  dalés  une  fon- 
tainne  pour  la  beste  ochirre,  et  lors  vous  sourvendra 
l'oscurtés,  si  que  vous  ne  sarés  que  vo  beste  sera  deve- 
nue ;  si  vous  di  que  a  chelui  terme  ne  serés  vous  sans 
grant  doute  et  sans  grant  paour.  »  Li  rois  s'esmiervilia 
de  cest  afaire,  si  dist  a  Merlin  :  «  Merlins,  vous  me  poés 
bien  dire  quant  ch'averra.  »  «  Ja  nel  savrés  par  moi,  » 
fait  Merlins,  «  ne  vous  ne  autres.  »  Et  li  rois  l'en  laisse 
a  tant  ester,  mais  il  li  demande  d'autre  part  :  «  Dites  moi    Artu  demande 
que  li  rois  Pellinor  est  devenus  et  li  dui  frère  qui  si  bien  '^^  ^^^  ^'^"î  ^c- 
se  prouvèrent  en  la  bataille.  Ge  les  fis  querre  et  loing  et  ^'""'  ^''^''"  ""' 
près,  ne  ne  porent  estre  trouve.  Et  il  ont  tant  tait  pour 
moi  que  je  ne  serai  ja  mais  aise  devant  que  je  lour  aie 
guerredonné  a  mon  pooir.  »  «  Je  vous  di,  »  fait  Merlins,  Merlin  dit  qu'il 
«  que  les  deus  frères  ne  verres  vous  mie  si  tostconmevous  "c  les  reverra  que 
cuidiés.  Et  quant  vous  les  verres,  ne  vous  en  sera  jj  po"'" '-"  ^^'O'""   " 

,     ,  .,  r  .  •       déplaisir. 

point  bel,  car  il  vous  feront  tout  anui  par  mesconnis- 
sanche.  » 


AssÉs  parlèrent  celui  jour  de  maintes  choses,  et  tant  Merlin  rccom- 
que  Merlins  dist  au  roi  :  «  Rois  Artus,  je  ne  serai  mie  «nande  à  Artu  de 
eramment  avoec  vous,  mais  une  chose  vous  dirai  jou  ^"^"  ^''^''^''  ''"'" 

^  .    \,  ,  r       •'^    fourreau    de 

dont  vous  me  qucrres  (/.  120  ^)  se  vous  estes  sages.  Le  ^^^  .^.^^ 
fuerre  de  votre  espce  gardés  bien,  que  je  vous  di  bien  que 
vous  ne  trouvères  ja  mais  si  mervilleuse  se  vous  ia  perdes. 
Ne  en  nule  main  ne  le  metés  se  vous  ne  vous  i  fiés  trop 
durement,  car  se  li  fuerres  estoit  reconneus,  vous  nel 
bailleriés  jamais.  Et  bien  peuustes  avant  ier  veoir  que  li 
fuerres  vous  valut  :  car  vous  eustes  en  la  bataille  plui- 
seurs  plaies,  ne  pour  chou  ne  perdistes  vous  gaires  de 
sanc.  »  «  Je  le  garderai,  »  fait  li  rois,  «  a  men  pooir.  » 


266  MERLIN 

Chelui  jour  fist  li  rois  Rions  houmage  au  roi  Ar- 
tus  et  rechuit  sa  terre  de  lui.  Et  li  rois  Artus  establi 
(li)  rois  par  trestous  les  roiames  qui  estoient  desous  lui. 
Assés  parlèrent  li  un  et  li  autre  des  chierges  qui  ensi  ar- 
doient.  Et  quant  Morgain  sot  que  Merlins  avoit  che  fait 
par  enchantement,  elle  s'apensa  que  elle  s'acointeroit  de 
lui  et  aprenderoit  tant  de  son  sens  que  elle  porroit  faire 
par  tout  ou  elle  vaurroit  partie  de  sa  volenté. 


Morgue,  sœur      *-ORS  s'acointa  de  Merlin  et  li  pria  que  il  li  apresist 

dArtu,    inspire  de  che  qu'il  savoit,  par  couvent  que  elle  feroit  pour  lui 

de    l'amour    à  canques  il  li   oseroit  requerre.  Et  quant  il  le  voit  de  si 

Merlin,  qui  lui  gra^t    biauté ,  il    l'enama  moult  durement  et  li  dist  : 

courde  secretT'  **  I^^i^e»  pour  coi  le  VOUS  celeroie  je?  Vous  ne  me  vaur- 

rés  chose  requer  (f.  120  ^)  re  que  je  ne   fesisse  a   mon 

pooir.  »  «  Sire,  grans  merchis,  »  fait  elle  :  a  che  verrai 

je  bien,  que  ore  vous  requier  jou  que  vous  m'aprendés 

tant  d'enchantement  qu'il  n'ait  feme  en  ceste  terre  qui 

plus  en  sache  de  moi.  »  Et  il  dist  que  che  li  aprenderoit 

il  bien.  Se  li  aprist  tant  en  poi  de  terme,  a  chou  que  elle 

estoit  soutive  et  engingnouse  et  curiouse  d'aprendre,  que 

elle  sot  grant  partie  de  chou  que  elle  desirroit,  et  moult 

li  plot  la  scienche  d'ingromanchie  et  Fart.  Quant  vint 

Elle  met    au  au  terme  de  l'enfanter,  elle  ot  un  enfant  marie  que  on 

monde  un    fils  apiela  en  baptesme  Yvain.  Et  ce  fu  puis  chevaliers  re- 

appeié  Yvain.      noumés  de  grant  proueche  et  de  grant  force.  Quant  elle 

ot  tant  apris  d'art  d'ingromanchie  comme  il  li  plot,  elle 

Elle  chasse  Mer-  cacha  d'entour  lui  Merlin,  pour  chou  que  elle  s'aperchut 

lin,  qui  s'éloigne  bien  que  il  Famoit  de  foie  amour,  et  li  dist  que  elle  le 

de  la  cour.       fgroit  hounir  se  repairoit  plus  entour  li.  Il  en  ot  duel 

moult  grant,  mais  mal  ne  voult  faire  pour  chou  que 

moult  amoit  le  roi  Artu(s),  si  s'en  fui  d'enlour  li  au  plus 

tost  qu'il  pot. 


MERLIN  267 

El  roiame  i  avoit  un  chevalier  moult  bicl  homme  Attu  contk  lo 
et  preu  de  son  cors  durement,  que  elle  amoit  de  fine  fourreau  à  sa 
amour  et  il  li  autressi.  Tant  ala  l'uns  entour  l'autre  qu^il  ^^^^^    Morgue. 

t  ji  ,  .1  .        ,  CcUe-ci   a    un 

la  connut  (f.  120  ^)  carnelmenl,  si  plot  tant  a  la  dame  ^^^.^^^^ 
son  affaire  que  elle  Tama  sour  tous  hommes.  Et  elle  re- 
pairoit  dou  tout  en  l'ostel  le  roi,  et  li  rois  se  creoit  plus 
en  li  que  en  riens  dou  siècle,  et  pour  la  fiance  qu'il 
avoit  en  li  li  bailloit  il  a  garder  l'espee  et  li  disoit  tou- 
tes voies  :  «  Pour  Dieu,  gardés  le  moi,  et  le  fuerre  tenés 
encore  plus  chier  que  autre  chose,  car  che  est  li  garne- 
mens  ou  siècle  que  je  mieus  aim  et  que  je  doi  plus  chier 
tenir.  »  Quant  elle  oi  ceste  chose,  elle  s'en  esmervilla 
moult  que  che  pooit  estre,  si  le  dist  au  chevalier  que 
elle  amoit.  Et  quant  il  Toi,  il  li  respondi  :  «  Ore  vous 
pri  jou,  se  vous  onques  m'amastes,  que  vous  saichiés 
pour  coi  il  a  le  fuerre  si  chier,  car  sans  raison  n'est  che 
mie.»  «  Je  le  vous  savrai,  »  fait  elle,  «  prochainnement  a 
dire,  se  je  puis.  » 


Un  jour  le  demanda  au  roi.  Et  il  se  crfejoit  moult  en  ^  ayant  appris 
li,  se  li  conta  erramment  pour  coi  il  avoit  si  chier  le    "^'^"   ^  ''^^^^ 

r  T^        r    •  r   •         11  »  •  .•     «merveilleuse    du 

fuerre.  «  Par  foi,  »  fait  elle,  a  ore  m  en  aves  tant  dit  fourreau,  ciic  en 
que  ja  mais  hom  ne  Tavra  entre  mains,  se  vous  seulement  fait  taire  un  pa- 
n'estes.  Ore  le  garderai  moult  plus  chierement  que  je  ne  reiipour  donner 
fesisse  devant.  »  Au  soir  revient  ses  amis  et  elle  li  conta  ''^  ^'''^'    ^   *°" 

,  !•      /•  f        •     ,•  .      ,.      amant. 

erramment  tout  chou  que  h  (f.  121  ^)  li  rois  li  avoit  dit. 
a  Par  foi,  »  fait  cil,  «  puis  qu'il  a  si  grant  vertu,  je  le 
voel  avoir.  »  «  Je  le  vocl  bien,  »  fait  elle,  «  mais  vous  at- 
tenderés  tant  que  j'aie  fait  contrefaire  un  fuerre  qui  sam- 
blables  soit  a  cestui  et  de  fachon  et  de  samblance.  Car  se 
je  le  vous  dounoie  ore  et  li  rois  le  dcmanJoit  après  et 
je  ne  li  peusse  moustrer  ou  chclui  ou  autrctcl,  il  me 
destruiroit  erramment.  »  «  Ore  vous  en   hasics  dont,  » 


208  MERLIN 

fait  il,  t  car  ja  mais  ne  serai  aise  devant  chou  que  je 
Taie.  » 


Lors  manda  Morgain  un  honme  a  venir  devant  lui 
qui  s'entremet{er)oit  de  teuls  oevres,  [si  liconmanda]  que 
un  autretel  lui  en  fesist.  Et  cil  le  regarda,  si  dist  que  si 
feroit  il  bien,  mais  qu'il  eust  toutes  eures  devant  lui  l'es- 
sanplaire.  Morgain  le  mist  dedens  une  des  chambres  de 
laiens,  pour  chou  que  li  fuerres  ne  fust  perdus.  Et  cil  ou- 
vra la  dedens  tant  que  un  autretel  en  ot  fait,  et  furent 
ambedui  si  semblable  qu'il  n'avoit  mie  trois  hommes  el 
monde  qui  connussent  Tun  de  Tautre.  Quant  li  ouvriers 
ot  che  fait  et  Morgue  vit  que  tout  estoit  fait  très  bien  a 
point,  elle  ot  paour  que  cil  ne  la  descouvrist  en  auchun 
lieu  [et]  que  li  rois  ne  l'ochesist,  s'il  en  pooit  savoir  la 
vérité,  si  fist  tantost  {f.  121  bJ  coper  la  teste  a  chelui  et  le 
cors  fist  gieter  en  mer.  Lors  manda  a  son  ami  qu'il  venist 
parler  a  lui,  et  il  si  fist.  Et  en  che  qu'il  estoit  en  sa  cham- 
bre, [et]  il  regardèrent  les  fuerres  Pun  et  l'autre,  il  avint 
que  li  rois  Artus  entra  en  la  sale,  qui  venoit  de  cachier. 
Il  furent  esbahi  et  orent  doute  que  se  li  rois  les  trouvast 
ensi  sens  qu'il  le  ^  tornast  a  mal,  si  s'en  fuirent  l'uns  d'une 
part  et  l'autres  d'autre  es  chambres  de  laiens,  et  laissierent 
les  fuerres  en  un  lit,  l'un  dessus  l'autre,  et  l'espee  dessus 
un  tapie.  Li  huis  de  la  chambre  fu(st)  clos,  si  que  nus 
n'entra  laiens.  Et  li  rois  entra  en  sa  cambre  et  trouva  Mor- 
Mais  elle  con-  gain  qui  a  lui  fu  venue  devant.  Quant  elle  otgrant  pièce 
fond  le  vrai  et  le  demouré  avoec  lui,  elle  revint  la  dont  elle  estoit  partie 
faux,  et  lui  donne  devant.  Et  lors  regarde  les  fuerres,  si  ne  connut  l'un  de 
l'autre,  car  trop  estoientsanlable,  si  en  fu  toute  esbahie. 
Lors  li  avint,  ensi  conme  a  Diu  plot,  que  elle  prist  le 
boin  fuerre  et  mist  dedens  l'espee,  mais  elle  lecuide  faire 
autrement.  Lors  bailla  a  son  ami  meismes  tout  enccl  jour 

I.  li 


MERIIN  269 

l'autre  fuerre  et  li  dist  :  «  Ore  avés  chou  la  cui  ^  bontés  ne 

porroit  pas  estre  eligie  legierement.  Je  vous  en  ravest.  »  Et 

chisprent  le  fuerre,  qui  bien  (f.  121  <^y  cuida  estre  paiiés, 

si  remporte  avoec  lui.    Cele  semainne  meismes  il  avint    i/amam, ayant 

que  il  se  combati  a  un  chevalier  qui  ses  anemis  estoit  et  ^'^    gncvemcnt 

rencontra  en  une  forest.  Et  fu  ensi  que  cele  chose  ou  il  '^'*^'''^'  ^^^^  "" 

n'y  i-'j«  •  1-1  •        c     combat  maigre  le 

se  noit  plus  ne  h  aida  riens  ne  riens  ne  li  valut,  ains  f u  .  ., 

f^  ^  '  fourreau  ,     croit 

si  navrés  en  cele  bataille  et  tant  i  perdi  del  sanc  k'il  en  que  Morgue  v\ 
deut  estre  mors.  Mais  toutes  voiiejs  s'en  eschapa  ensi  trompé  exprès, 
comme  il  pot,  et  vint  a  son  ostel  si  navrés  et  si  malme-  c^^'^^^^-^  venger 

,  '  ,-i\  ' ^  •  I  ^       •  1       II   r  1     en    racontant  au 

nesque  a  painnes  se(il   pooitil  tenir  en  sele.  Il  fu  moult     ., 

*  "^  '  '  roi  latralnson  de 

dolans  de  ceste  aventure,  car  il  cuidoit  bien  que  elle  ^a  sœur. 
Teust  decheu  tout  de  son  gré,  si  pensa  qu'il  s'en  venge- 
roit,  se  il  onques  pooit.  Mais  il  ne  veoit  pas  comment  il 
le  peust  faire,  s'il  ne  le  disoit  le  roi  Artu(s).  Lors  s'apensa 
conment  il  le  porroit  descouvrir  en  tel  manière  qu'il 
n*en  savroit  ja  mal  gré  a  nului  fors  a  Morgain. 


Un  jour  ala  li  rois  chacier  en  une  forest  grande  et    i^c    chevalier 
parfonde.  Et  avint  que  li  chevaliers  le  sivoit  plus  près  '"*'^''*''  ^^  ''^'  '** 
que  nus  des  autres.  Et  fu  chose  que  li  rois  perdi  toute  sa  '"''"^°"     *■'    ''^ 
compaignie  fors  cel  chevalier.  Et  quant  il  out  tant  ca- 
chié  comme  li  plot,  il  s'en  tourna  f/.  121  ^J  entre  lui 
et  le  chevalier,  et  lors  commenchierent  il  a  parler  de 
moult  de  choses,  et  tant  que  li  chevaliers  li  dist  :  a  Sire, 
je  vous  diroie  une  chose  se  je  cuidoie  que  mal   ne  m'en 
avenist.  Et  sachiés  que  je  le  vous  dirai  pour  voslre  prcu 
et  pour  vostre  pourfit.  n  «  Dites,  »  fait  li   rois,  a  que  ja 
mal  ne  vous  en  averra,  mais  tout  bien,  se  je  voi  que  mes 
preus  i  soit.  »  «  Sire,   »  fait  li  chevaliers,  «  je  vous  pri 
merchi  d'une  chose  que  jeavoic  apparillie  a  faire  a  vostre 
nuisement,  et  si  vous  dirai  que  c'est.  Voirs  est  que  Mor- 
gue vostre  serour  vous  het,  et  si  ne  sai  por  coi  c'est  ;  mais 

I.  chou  que 


270  MERLIN 

cele  haine  par  est  si  grans  que  elle  pourcache  voslre 
mort  toutes  voies  en  toutes  les  manières  que  elle  puet. 
Pour  coi  elle  me  manda  avant  ier  a  venir  devant  li,  et  me 
fist  jurer  sour  sains  que  je  feroie  outreement  che  que 
elle  me  requerroit.  Et  quant  je  och  fait  che  serement, 
elle  me  dist  :  «  Je  voel  que  tu  me  venges  en  tel  manière 
«  que  tu  Tochies  sans  délai.  »  Et  je  li  respondi  :  «  Dame, 
«  che  ne  porroie  je  faire  que  je  ne  morusse.»  «  De  che,  » 
fait  elle,  t  n'as  tu  garde.  Car  je  te  baillerai  tel  garne- 
*  ment  que  tant  comme  tu  le  porteras  sour  toi  tu  ne  per- 
«  deras  goûte  de  sanc  ne  ne  recheveras  plaies  morteus.  » 
Lors  me  bailla  le  fuerre  d'uf'/.  122  ^)nc  espee  et  dist  : 
«  Je  le  te  doing  :  chis  te  vaurra  tant  comme  je  t^ai  de- 
a  visé.  Et  saches  que  se  tu  me  venges  de  mon  frère  ensi 
tt  comme  je  le  t^ai  conté,  trop  ^  te  ferai  (faire)  riche  homme 
a  a  tous  les  jours  de  ta  vie.  »  Sire,  ensi  me  dist  vostre  se- 
rour.  Mais  pour  chou  que  jou  sui  vostre  hom  liges,  ne  ne 
doi  vostre  mal  pourcachier  por  chose  quMl  aviegne,  che 
vous  reconnois  jou,  et  vous  pri  que  vous  vous  gardés  de 
li.  Que  bien  saichiés  que  elle  ne  het  autant  riens  comme 
vous.  * 


Q, 


UANT  li  rois  entent  ceste  parole,  si  [se]  saingne  de  la 
mierveille  que  il  en  a,  et  demande  le  fuerre  au  cheva- 
lier :  «  Ore  me  bailliés  le  fuerre.  Et  saches  que  je  me  ven- 
gerai moult  bien  de  ceste  desloiauté.  »  Et  cil  li  baille  er- 
ramment,  qui  bien  cuide avoir  fait  sa  besoigne.  Et  li  rois 
mais  Morgue,  s'en  retorne  droitement  au  chastiel  ou  il  avoit  laissiet 
prc  venue  par  Morgain.  Mais  Merlins,  qui  par  ses  agais  et  par  son  en- 
Merhn,  s'enfuit  chantcment  savoit  canques  li  rois  avoit  dit  au  chevalier, 

en    faisant    dire  ^«i-^  i-        •  •^••'  l.«i-i 

,   quant  il  vit  que  li  rois  venoit  si  aires  au  chastiel,  il  sot 

au    roi    que     le  ^^  ,^  ' 

fourreau   lui   a  cle  voir  qu'il  ochirroit  erramment  Morgain,  se  elle  ne 
étc' volé,  s'estoit  errammeut  destornee.  Il  amoit  moult  Morgain, 


MERLIN  271 

tout  fust  il  ensi  que  elle  l'en  eust  cachié  d'entour  li;  si 
vint  a  (/.  122  ^J  (a)  li  grant  oirre  et  li  dist  :  «  Vous  estes 
morte  et  hounie.  »  Et  lors  li  conte  tout  erramment  del 
roi  et  del  chevalier.  Et  quant  elle  entent  que  la  chose  va 
ensi,  elle  a  trop  grant  paour  que  li  rois  ne  la  fâche  des- 
truire,  si  crie  merchi  a  Merlin  et  s'agenoulle  devant  li  et 
li  dist:  «  Ha!  Merlins,  aiiés  merchi  de  moi.  Aidiés  moi  a 
cest  besoing,  car  autrement  seroie  jou  hounie.  Et  certes 
lu  ses  bien  que  je  onques  ne  di  au  chevalier  che  dont  il 
m^a  au  roi  accuset.  »  «  Comment  vous  en  porroie  jou 
aidier?  P  fait  Merlins.  «  Je  le  te  dirai  bien,  »  fait  elle. 
a  Vous  remanre's  ichi,  et  je  monterai  seur  men  palefroi 
et  m'en  isterai  de  cest  chastiel  et  ferai  samblant  que  je 
m'en  voelle  dou  tout  aler.  Et  quant  li  rois  verra  et  il  de- 
mandera de  moi,  vous  li  ferés  entendant  que  on  m'enbla 
Pespee  a  tout  le  fuerre,  et  pour  la  doute  oi  ^  je  si  grant 
paour  que  je  n'osai  demourer  chaiens,  pour  la  doutance 
que  je  avoie  de  mon  frère.  Et  li  chevaliers  iert  honnis.  )> 
Et  Merlins  dist  que  tout  chou  fera  il  bien  pour  l'amour 
de  li.  Et  elle  fait  erramment  enseler  un  sien  palefroi,  et 
repont  laiens  le  fuerre  que  elle  gardoit,  pour  chou  que 
li  rois  ne  le  trouvast,  et  ^maintenant  se  parti  dou  chas- 
tiel toute  seule  sans  compaignie. 

(f.  122  ^)  Apriès  chou  ne  demoura  gaires  que  li  rois 
revint  del  bois,  et  ot  trouvé  sa  compaignie.  Et  quant  il  i 
fu  venus,  et -il  demanda  erramment  ou  Morgue  sa  scrour 
estoit.  Et  Merlins  saut  avant  et  dist  au  roi  :  «  Sire,  ma- 
lement  vait  ;  elle  s'en  est  fuie  de  vostrc  ostel  et  s'en  vait 
en  son  roiamc.  »  «  Et  pour  coi  s'en  vait  elle?  »  fait  li 
rois,  a  Sire,  pour  chou  que  on  li  embla  par  ne  sai  quel 
mésaventure  le  fuerre  d'une  espec  que  vous  li  avics  bail- 
lie  a  garder,  et  li  aviés  dit  que  elle  le  vous  gardast  chie- 

I .  ai  —  2.  se 


272  MERLIN 

« 

rement  sour  toutes  choses.  Or  l'a  perdu  par  auchun  des- 
loial  chevalier  qui  estoit  entour  lui,  si  redoute  tant 
vostre  corouch  que  elle  ne  vous  osa  attendre,  ains  s'en 
est  alee.  » 


sur  quoi  le  roi  VOUANT  H  rois  entent  ceste  nouviele,  si  chiet  erram- 
trancheiatêtcdu  ment  en  un  nouviel  penser,  et  cuide  bien  adont  que  li 
chevalier,  fait  rc-  chevaliers  ait  emblé  le  fuerre  et  qu'il  li  ait  dites  paroles 
hiTrend°iT"four-  P^^"^  auchune  haine  de  Morgain.  Lors  est  moult  coure- 
reau.  ciés  et  regarda  trop  ireement  le  chevalier  et  li  dist  : 

a  Ha  !  sire  chevaliers,  a  poi  que  vous  ne  m'avés  fait  faire 
la  gregnour  desmesure  que  (li)  rois  fesist  piecha.  Car  se 
jou  eusse  a  che  point  d'orendroit  ma  serour  trouvée,  je 
Teusse  ochise  par  vos  paroles.  Mais  je  connois  ore  bien 
que  vous  estes  menchoingniers  de  tout  chou  que 
(f.  122  ^)  vous  me  fesistes  entendant.  »  Lorstraist  Tespee 
et  li  dist  :  «  Veschi  vostre  loiier  de  vostre  faus  message.  » 
Et  le  tiert  si  grant  coup  qu'il  li  fait  le  chief  voler  plus 
d'une  lanche  loing  del  bu.  Et  lors  dist  a  Merlin  :  «  Quel 
part  cuidiés  vous  que  ma  serour  soit  trouvée?  »  Et  il  li 
ensegne.  Et  li  rois  envoie  après  li  au  ferir  des  espérons; 
si  la  trouvèrent  cil  qui  raler(en)ent  querre  en  uneabbeie 
de  nonnains,  et  l'amenèrent  au  roi.  Et  quant  il  la  vit,  il 
li  rendi  le  fuerre,  et  li  dist  :  «  Ore  la  gardés  mieus  une 
autre  fois.  Car  aventure  le  m'a  rendu.  Et  se  je  vous 
euusse  chi  trouvée,  vous  Teussies  chier  comparée.  »  Et 
encore  cuidoit  li  rois  que  celui  fuerre  que  il  tenoit  fust 
cil  qui  avoec  Fespee  li  ot  esté  '  donnés.  Ensi  fîslMorgue par 
son  engien  pais  vers  son  frère,  qui  mort  elle  pourcachoit 
a  son  pooir.  Li  rois  ne  s'en  aperchuit  pas  qu'elle  baast  a 
nul  mal,  et  pour  chou  la  tint  il  entour  soi. 


i.q 


ui  auoec  li  estoit 


MERLIN  273 


Li  rois  Uriiens  repaira  moult  (f,  i23^)sl  la  court  Merlin  prédit 
leroiArtu(s)  pour  l'amour  de  sa  feme,  qui  toutdis  i  estoit  ^""^  Baudema- 
et  de  jour  et  de  nuit.  Et  pour  chou  que  elle  estoit  si  sou-  s"="  J*^"»'^  ^""- 

'  ^  *  sin  du  roi  Lrieii, 

tive  en  moult  de  choses  i'amoit  moult  li  rois  Artus;  s^^a  tue  par 
mais  puis  le  hai  il  trop  mortelment,  si  comme  chis  con-  cavain,  qui  est 
tes  le  devise,  et  a  droit,  que  elle  le  dut  faire  occhirre.  Li  ^«"  meilleur  ami 
rois  Uriiens  avoit  un  sien  cousin  qui  moult  estoit  biaus 
enfes  et  fiers,  et  estoit  si  sages  de  son  eage  que  tuit  s'en 
esmervilloient,  ne  nul  enfant  qui  fu  a  chclui  tans  ou 
roiame  de  Logres  ne  tenoit  on  a  si  gracieus,  car  il  estoit 
et  biaus  et  preus  et  gracieus.  Li  enfes  estoit  de  Teage  de 
dis  et  set  ans,  tout  près  de  rechevoirTounour  de  chevale- 
rie. Et  li  rois  Uriiens  n*amoit  riens  ou  siècle  autant 
comme  il  faisoit  lui,  et  l'apieloient  tout  communaument 
Baudemagus.  Il  repairoit  trop  volentiers  avoec  le  fil  le 
roi  Loth,  c'on  apieloit  Gavain,  et  avoec  Gahariet  son 
frère,  ne  il  n'amoit  nule  conpaignie  autant  comme  il 
amoit  la  compaignie  d'aus  deus  ;  ne  il  n'estoit  aisnés  de 
Gavain  que  sis  ans. 


Un  jour  orent  li  enfant  laiens  servi  par  mi  le  palais, 
et  avoit  ja  li  rois  mengiet,  et  il  s'aloient  par  laiens  es- 
banoiant  tout  troi.  Et  estoit  Baudem(/.  /^J^jagus  en 
milieu,  et  tenoit  son  brach  dcstre  sour  Gavain  et  son 
seniestre  sour  Gaharie[t],  et  trespaserent  en  tel  manière 
tout  iroi  par  devant  Merlin.  Et  il  les  prist  a  regarder  et 
commencha  a  airer  de  mal  talent  et  de  courouch,  si  dist 
mai-ntenant  si  haut  que  li  pluiseur  de  laiens  le  porent 
bien  oir:  «  Haï  Baudemagus,  a  ta  destre  est  par  cui  tu 
périras,  si  est  damages,  car  en  cest  pais  ne  morra  en  ton 
vivant  ne  a  ton  tans  plus  sages  prinches  de  toi.  »  Geste 
parole  oirent  li  pluiseur,  et  si  ne  l'entendirent  pas  très 
bien;  car  des  choses  qui  cstoicnt  a  avenir  ne  savoicnl  il 

18 


274  MERLIN 

riens.  Et  li  rois  Artus  li  demanda  quMl  li  desist  encore 
que  clie  est  qu'il  a  dit  ;  mais  il  ne  li  veult  dire.  Et  cil  qui 
l'avoient  oi(e)  le  disent  au  roi  tout  ensi  comme  il  Tavoient 
oi  dire.  Li  rois  le  fist  erramment  mètre  en  escrit,  et  si 
ne  savoit  il  pas  que  chou  estoit  a  dire  ;  mais  puis  entendi 
il  bien  ceste  prophesie,  car  il  le  sot  vraiement,  que  me 
sires  Gavains  ochist  puis  Baudemagus. 


AssÉs  parlèrent  par  laiens  de  Baudemagus  li  un  et 
H  autre  a  celé  fois,  et  tant  que  li  pères  Saigremor,  qui 
dalés  le  roi  Uriien  estoit  et  estoit  venus  a  court  a 
chelui  jour,  cil  meismes  qui  faisoit  Mordrec  norrir  avocc 
son  fil,  dist  au  roi  Uriien  :  «  Sire,  moult  vous  devés  es- 
goir  de  si  hon(f.  I23  ^Jne  norreture  comme  vous  avés 
fait  en  Baudemagus.  Car  certes  je  ne  sai  ore  en  tout  ccst 
pais  nul  damoisiel  qui  tant  fâche  a  prisier  comme  il 
fait.  Et  pleust  ore  a  Dieu  que  je  eusse  un  autretel  hoir 
comme  il  est,  car  certes  je  le  tenroie  moult  chier.  » 
«  En  non  Diu,  »  fait  li  rois  Uriiens,  <i  je  Tainc  tant  que 
je  ne  cuic  mie  que  se  che  estoit  mes  fieus  que  je  l'amaisse 
plus  ;  si  Taim  plus  pour  le  bien  que  je  voi  en  lui  que  je 
ne  faich  pour  chou  qu'il  m'apartiegne.»  A  ces  paroles 
sailli  avant  Merlins  et  dist  au  père  Sagremor  :  «  Li  rois 
Uriiens  se  puet  plus  esgoir  de  sa  norreture  que  vous  ne 
faites  de  la  vostre,  et  esgoira;  car  il  verra  sa  norreture 
et  que  l'enfant  Venir  a  bien,  et  vous  verres  que  la  vostre  vous  fera  mo- 
cicvc  par  le  père  rir  aius  vo(u)s  jours  d'une  glaive  ague  trenchant.  Et  li 
de  Sagremor  yns  de  CES  deus  qui  ore  sont  assamblé  occhirra  l'autre; 

(Mordrec)  le  fera  ^j         -^  ^-^^^   ^-j.^  ^^^^  ^^^^   j^j^  j^   1^^    avoec  Tai- 

mourir.  .    ,     r^  .,..,.  ,  i       i  » 

gniel.  Tout  ensi  s  esjoira  h  uns  en  la  mort  de  l  autre. 
Et  chelui  jour  averra  que  la  bataille  morteus  sera  faite 
en  la  plaingne  de  Salesbieres,  quant  li  haute  chevalerie 
del  roiame  de  Logres  sera  tournée  a  mort  et  a  destruc- 
tion. » 


MERLIN  275 


A  ceste  parole  s'esmervillierent  li  un  et  li  autre,  si  la 
disent  crramment  au  roi.  Et  li  rois  vtsfj,  128  '^jpondi  : 
«  Che  sont  des  prophesies  Merlin.  Mettes  ceste  en  escrit 
avoec  les  autres.  »  Et  cil  si  firent  a  cui  il  l'ot  commandé. 
Lors  dist  li  rois  a  Merlin  :  «  Merlins,  tant  me  dites  se 
ches  choses  que  vous  dites  oiant  moi  averront  a  mon 
tans.  »  «  Oil,  voir,  »  fait  Merlins;  «  je  ne  di  obscure 
parole  dont  vous  n^en  connissiés  bien  la  vérité  ains  que 
vous  trespassés  de  cest  siècle.  »  Et  li  rois  dist  que  che 
veult  il  moult  bien. 


A  Tendemain  entour  eure  de  miedi  que  li  rois  ot  un  jour  le  roi 
fait  tendre  ses  pavillons  dehors  le  chastiel  en  une  prae-  ^'°''  P^^^^f"  "" 
ne,  et  fu  ses  très  desus  ens  ou  chemin  entre  petis  ar-  '^''^^^'''^[  ^"""»=- 

,..,..  .  .  .  ,  ne  grand  deuil  et 

bnssiaus,  h  rois  se  sentoit  un  poi  pesant,  si  se  coucha  en  refuse  de  lui  dire 

son  pavillon,  et  ot  commandé  *  que  tout  se  partissent  pourquoi. 

d'illuec  entour  fors  que  ses  cambrelens.   Il  commencha 

a  penser  a  une  chose  qui  moult  li  desplaisoit,  et  en  cel 

penser  estoit  tant  dolans  que  nus  plus,  et  pour  chou 

ne  pooit  il  cheoir  en  repos.  Endementiers  qu'il  estoit  en 

cel  penser,  il  escoute  et  ot  venir  tout  le  chemin  le  frientc 

d'un  cheval  qui  assés  venoit  grant  oirre,  et  hennissoit 

li  chevaus  et  faisoit  la  plus  fort  friente  del  monde.  Li 

rois  saut  sus  de  son  lit  pour  veoir  quel  chose  c'cstoit,  et 

saut  fors  de  son  pavillon,  et  trueve  que  tuit  si  cambre- 

lenc  se  dormoient /'Z.  124^).  Et  il  voit  que  deviers  le 

chastiel  de  Meliot  venoit  uns  chevaliers  armés  de  toutes 

armes,  et  faisoit  le  gringneur  duel  del  monde,  et  disoit  en 

son  langage  :  «  Ha  !  Dieus,  ou  deservi  jou  qu'il  me  cou- 

venist  a  faire  si  grant  mal  ne  si  grant  dolour  ?  Ne  je  ne 

voi  que  le  puisse  acomplir.  Ja  n'estoie  jou  pas  acousiu- 

I.  commanda 


276  MERLIN 

mes  de  faire  si  grans  desloiautés.  »  Et  quant  il  a  ceste 
parole  dite,  il  recommence  son  duel  aussi  grant  ou  grin- 
gnour  comme  il  faisoit  devant.  Et  quant  il  vint  devant 
le  roi,  li  rois  li  dist  :  «  Ha!  sire  chevaliers,  je  vous  pri 
par  courtoisie  que  vous  me  dites  pour  coi  vous  faites 
cel  duel  si  grant.  »  Et  li  chevaliers  respont  :  «  Sire,  je 
ne  vous  dirai  nule  chose,  car  vous  n'estes  mie  poissans 
de  l'amender.  »  Si  s'en  vait  outre  sans  plus  dire.  Et 
quant  li  rois  voit  quMl  n'en  savra  plus,  il  est  trop  do- 
lans,  si  dist  a  soi  meismes  :  «  Ha  !  sire  Dieus,  tant  m'en 
poise  que  je  ne  sai  pour  coi  chis  chevaliers  est  si  a  mal 
aise  !  »  Et  li  chevaliers  s'en  vait  toutes  voies  son  droit 
chemin  viers  une  montaigne,  et  li  rois  le  regarde  tant 
comme  il  puet  et  dist  :  «  Ha  !  Dieus,  tant  me  poise  que 
Il  envoie  après  je  ne  sai  le  secré  de  cel  chevalier  !  »  Et  en  che  qu'i[lj  le 
lui  le  chevalier  regardoit  ne  demeure  mie  gramment  qu'il  voit  venir  au 
aux  deux  épecs,  jj-jj^gj-s  del  chemin  le  chevalier  a  deus  espees,  le  cheva- 
lier ou  (f.  124  ^)  monde  que  il  looit  plus  a  chelui  tans 
de  pris  d'armes,  et  venoit  droit  a  lui.  Et  quant  il  voit  le 
roi,  il  li  vait  a  l'encontre  et  li  dist  :  «  Sire,  je  sui  appa- 
rilliés  por  vous  faire  canques  je  porroie  en  cest  siècle.  » 
«  Vous  le  m'avés  bien  moustré,  »  fait  li  rois,  «  n'a  pas 
lonc  tans.  Mais  encore  vous  prie  jou  que  vous  fachiés 
pour  moi  une  chose  qui  ne  vous  grèvera  pas  gramment 
au  mien  cuidier.  »  Et  cil  dist  que  se  elle  li  devoit  bien 
grever,  si  l'essaiera  il  puis  ^  qu'il  l'en  requiert.  «  Je  vous 
pri,  »  fait  li  rois,  «  que  vous  ailliés  apriès  un  chevalier 
qui  par  chi  s'en  vait.  »  Se  li  monstre  la  voie  par  ou  li  che- 
valiers s'en  aloit:  «  Et  faites  tant  par  amours  ou  par  autre 
chose  que  il  viegne  tresqu'a  moi.  Et  saichiés  que  je  ne  le 
voel  pas  por  son  mal,  mais  je  vaudroie  ore  savoir,  se  il  li 
plaisoit,  pour  coi  il  en  aloit  ore  par  chi  si  grant  duel  fai- 
sant. »  ((  Sire,  »  fait  li  chevaliers  a  deus  espees,  c  grant 
mierchis,  quant  il  vous  plaist.  Puis  que  vous  le  me  com- 

I.  plus 


MERLIN  277 

mandés,  jou  irai  volentiers  et  le  vous  amer[r]ai,  se  Dieu 
plaist.  » 


Lors  monte  sour  son  cheval  et  s'en  part  dou  roi  et 
s'en  vait  moult  grant  oirre  apriès  le  chevalier,  si  n'a  pas 
gramment  chevauchié  qu'il  le  vit  devant  lui  aler ,  et 
avoit  unes  (f.  124  <=)  blanches  couvertures  et  a  lui  et  a 
son  cheval.  Et  li  chevaliers  a  deus  espees  se  haste  tant  de 
chevauchier  qu'il  Tataint  au  piet  d'une  montaigne.  Et 
dejouste  lui  avoit  une  damoisiele  qui  li  disoit  :  «  Pour 
coi  faites  vous  duel?  Se  vous  nel  fesissiés,  si  le  fesist  uns 
autres.  »  Et  il  respondoit  :  «  Je  vausisse  mieus  estre 
mors  passé  a  dis  ans  qu'il  me  convenist  a  suivre  ceste 
aventure.  »  Et  toutes  voies  menoit  son  duel,  et  lors  vint 
a  lui  li  chevaliers  a  deus  espees  et  li  dist  ;  «  Sire,  Dieus 
vous  conduiel  »  Et  li  autres  li  respont  que  Dieus  le  be- 
neie.  «  Biaus  sire  dous,  »  fait  cil  a  deus  espees,  «  je  vous 
vaurroie  priier  pour  Dieu  et  pour  chevalerie  que  vous 
retornissiés  un  poi  tant  que  vous  eussiés  parlé  au  roi 
Artu(s)  qui  vous  demande.»  Et  il  li  respont  :  «  Sire,  ne 
vous  poist  :  je  vous  di  que  je  ne  porroie  retorner  a 
ceste  fois  en  nule  manière.  Et  pour  Dieu  nel  tenés  a  or- 
guel;  car  certes  se  je  le  peusse  faire,  je  le  fesisse  volen- 
tiers. »  «  Ha  !  »  fait  cil  a  deus  espees,  a  sire,  pour  Dieu 
nel  dites  pas  a  certes  :  se  vous  ne  tournés  arrière,  vous 
m'avrés  mort  et  malbailli,  car  j'ai  créante  au  roi  que  je 
vousamerrai  en  auchune  manière.  »  Et  cil  dist  qu'il  n'en 
retornera  pas;  car  il  ne  porroit.  «  Et  bien  saichiés,  »  fait 
il,  €  que  se  je  Tc(f.  1 24  ^Jtornoïc  qu'il  m'en  mcskcr- 
roit.  »  €  Se  vous  ne  retornés,  »  fait  li  autres,  «  vous  me 
ferés  faire  une  vilonnie,  car  je  m'en  prcndcrai  a  vous  a 
bataille  pleniere;  si  m'en  poise,  se  Dieus  or  m'ait,  pour 
chou  que  preudomme  me  rcsamblcs.»  t  Coument  !  »  fait 
li  autres  chevaliers  :  «  si  me  couverra  combatrc  a  vous 
se  je  ne  retorne?  Par  foi,  je  n'oi  onques  parler  de  si 


278  MERLIN 

grant  desraison.  »  «  En  non  Dieu,  »  fait  cil  as  dcus  cs- 

pees,  «  il  vous  en  convient  venir;  si  m'en  poise,  se  Dieus 

qui  le  ramène,  m'ait;  mais  a  faire  le  me  convient,  car  je  creantai  au  roi 

mais  après  avoir  que  je  fcroic  mon  pooir  de  vous  ramener.  »  «  Par  foi,  » 

jure,     s'il    luj  ^gjj  jj  autres,  «  je  sai  bien,  se  je  m'en  vois  avoec  vous, 

arrive    malheur,         ...  ,  ,  .  , 

de  poursuivre  la  ^"  "  ^^  meskcrra  en  auchune  manière  [et]  qu'il  me  con- 
quête que  l'in-  verra  a  laissier  ceste  queste  ou  je  sui  entrés.  Et  quant  je 
connu  a  corn- Tavrai  laissic,  qui  sera  cil  qui  le  prendera?  »  «  Je  le 
niencce.  prendrai,  »  fait  cil  as  deus  espees,  «  ne  ja  mais  ne  la 

laira[i]  dusques  a  la  mort  tant  que  je  l'aie  achievee.  »  «  Se 
vous  le  me  vol[i]és  fiancier,  »  fait  li  chevaliers,  «  je  m'en 
retorneroie.  »  Et  il  li  fianche.  «  Ore  m'en  retornerai  je,  » 
fait  li  chevaliers;  t  mais  bien  saichiés  que  je  voel  que 
vous  me  prendés  en  vostre  conduit,  si  que  li  blasmes  en 
soit  seur  vous  meismes  ;  car  créante  vous  le  m'avés.  »  Et 
cil  respont  que  che  veult  il  bien. 


A  TANT  retorne  li  chevaliers  (/.  i25  ^)  et  dist  a  che- 

lui  a  deus  espees  :  «  Aies  devant,  car  je  vous  siurrai.  » 

Et  cil  se  metent  el  chemin,  si  oirrent  tant  en  tel  manière 

Arrivé  non  loin  qu'il  aprochent  le  paveillon.  Et  quant  il  sont  près  k'a 

du  roi,  l'inconnu  une  archie,  li  chevaliers  qui  derrière  venoit  s'escrie  ; 

meurt,  frappé  par  ^  j^^  j  gjj.^  chevaliers  qui  les  deus  espees  portés,  mors 

une      ance     que        .,  ^    j       ,^  ^  .    ^^  :     ^^  ^j^^j  ^^  VOStre  Con- 

tient  une    main  ^        '  ^ 

invisible.  duit.  Se  je  sui  ochis  avoec  vous,  si  en  iert  la  honte  vos- 

tre et  li  damages  miens.  »  A  che  mot  se  regarde  li  che- 
valiers as  deus  espees  et  voit  que  chis  estoit  cheus  del 
cheval  a  la  terre.  Et  il  retorne  maintenant  et  descent,  et 
quant  il  est  venus  a  lui,  il  treuve  qu'il  est  férus  par  mi 
le  cors  d'une  glaive  si  durement  que  li  fiers  li  passe  tout 
outre  par  mi  le  cors.  Lors  est  tant  dolans  que  nus  plus, 
si  dist  :  «  Ha!  Dieus,  honnis  sui  quant  chis  preudom 
est  ensi  mors  en  men  conduit!  »  Et  li  chevaliers  li  dist 
a  moult  grant  painne  :  «  Sire  chevaliers,  mors  sui.  Li 
blasmes  en  doit  estre  vostre.  Ore  vous  convient  entrer 


MERLIN  279 

en  la  queste  que  j'avoie  encommenchie  et  mener  a  fin 
selonc  vostre  pooir.  Montés  seur  mon  cheval,  qui  mieus 
vaut  que  li  vostre,  et  aies  apriès  la  damoisiele  que  vous 
veistes  en  ma  compaignie.  Ceie  vous  merra  la  ou  vous 
devés  aler,  et  vous  mou(f.  12^  ^jsterra  en  brief  terme 
chelui  qui  m'a  ochis.  Ore  i  parra  comment  vous  me 
vengerés.  »  Et  si  tost  comme  il  a  cest[e]  parole  dite,  il 
s'estent  *  maintenant,  et  lors  li  part  l'ame  dou  cors. 


Li  rois  Artus  fu  la  venus  anchois  que  li  chevaliers 
fust  mors,  et  oi  grant  partie  des  paroles  qu'il  avoit  dites. 
Et  chil  a  deus  espees  li  dist:  «  Sire,  je  sui  honnis,  quant 
si  preudom  comme  chis  estoit  est  mors  en  mon  con- 
duit. »  «  Certes,  »  fait  li  rois,  «  je  ne  vi  onques  si  grant  ï-e  chevalier 
merveille  comme  ceste  est.  Car  je  le  vi  ferir,  et  si  ne  vi  ^^^  ^'^^^  ^^"^ 
mie  chelui  qui  le  feri.  »  Lors  prent  li  chevaliers  la  glaive  ^^^'°"^^''  ^  ^" 

'■  *  "  moiselle  qui  doit 

dont  il  estoit  férus  et  li  traist  fors  del  cors.  Puis  dist  au  ^^^■^    indiquer  la 

roi  :  «  Sire,  je  m'en  vois  de  chi,  si  vous  commanc  a  quête  à  pomsui- 

Dieu,  que  je  sui  cil  qui  ja  mais  n'enterra  en  vostre  court  ^'^^• 

devant  que  j'aie  cest  chevalier  vengié  et  mené  a  fin  la 

(que)  queste  que  il  avoit  encommenchie.  >  Et  lors  vint 

au  cheval  le  chevalier  et  monte,  et  prent  son  escu  et  s'en 

part  des  pavillons,  si  s'en  vait  apriès  la  damoisiele.  Et  li 

rois  remest  au  chevalier  encoste  lui,  et  estoit  si  esbahis 

qu'il  ne  set  qu'il  doie  dire.  Entrues  que  il  se  regardoit 

vinrent  illuec  si  canbrelent  et  li  disent  :  «  Sire,  quia 

cest  chevalier  occhisP»  t  Ne  sai,  »  fait  il,  «  se  Dieus 

m'ait.  »  A  ces  paroles  qu'il  disoient  vint  Merlins  entr'eus, 

qui  dist  :  ff.  i25  ^)  «  Rois,  ne  vous  esbahissiés  pas  de 

ceste  aventure,  car  encore  en  verras  tu  de  plus  mervil- 

leuses,  mais  fai  faire  une  tombe  biele  et  riche,  et  metés 

dedens  le  cors  del  chevalier,  et  faites  dessus  la  tombe  es- 

crire  :   Chi  gist   li  chevaliers    mesconneus.    Et  saches 

I .  sestut 


280  MERLIN 

que  a  che  jour  que  tu  savras  le  non  de  lui  avra  si 
grant  joie  en  ta  court  que  devant  ni  après  n'i  orras  au- 
tre qui  soit  aussi  grans.  Et  devant  l'eure  nel  savras.  »  Li 
rois  le  fist  ensi  conme  Merlins  li  ot  dit. 


Or  laisse  li  contes  a  parler  dou  roi  et  de  Merlin  et 
parole  del  chevalier  as  deus  espees,  et  pour  conter  com- 
ment il  vi(e)nt  de  la  queste  a  chief,  et  comment  il  fist  le 
cop  par  coi  les  aventures  avinrent  el  roiame  de  Logres  qui 
durèrent  vint  et  deus  ans,  et  comment  il  ochist  son  frère 
îci  finit  la  pre- par   mesaveuture  et  ses  frères  lui.  Et  sacent  tuit  (que 
mière  partie  du  ^Qut)  cil    qui  Testoire    mon   signeur    de    Borron   vau- 
livre  de  inonseï- ^^^   /2ç''jront  oir  comme  il  devise  son  livre  en  trois 

gneur  de  Borron,  .        ,,  .  ...  ,,  , 

qui  en  a  trois  P^rti^s,  1  unc  partie  aussi  (aussi)  grant  comme  1  autre,  la 
de  même  gran-  première  aussi  grande  comme  la  seconde,  et  la  seconde 
deur;  la  seconde  aussi  grant  conme  la  tierche.  Et  la  première  partie  fenist 
finit  au  commen- -j  ^^  commeuchement  de  ceste  queste,  et  la  seconde 
centien    u  graa    ^j  commcnchemcnt  dou  eraal,  et  la  tierche  fenist  il  (il) 

et  la  troisième  à  o         >  v    / 

la  mort  de  Lan-  apnès  la  mort  de  Lanscelot,  a  chelui  point  meisme  qu'il 
ceiot  et  du  roi  devise  de  la  mort  le  roi  March.  Et  cest[ej  chose  amen- 
^^'"■c.  joit  en  la  fin  dou  premier  livre  pour  chou  que  [se]  l'es- 

toire  dou  graal  estoit  corrompue  par  auchuns  transla- 
tours  qui  après  lui  venissent,  tout  li  sage  houme  qui 
meteroient  lour  entente  a  oir  et  a  escouter  porroient  par 
ceste  parole  savoir  se  elle  lour  seroit  baillie  entière  ou 
corrompue,  et  connisteroient  bien  combien  il  i  faur- 
roit.  Puis  qu'il  a  ore  ensi  devisé  l'assenement  de  son  li- 
vre, il  retorne  a  sa  matière  en  tel  manière. 


FIN  DU  TOME  I 


Le  Puy.  —  Imprimerie  de  Marchessou  fils,  boulevard  Saint-Laurent,  i3 


BlriUirvv3i  obv^  I  •      uu  i   o  I  * 


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PQ  Merlin 

1/^96  Merlin 

VU 

1886 

t.l