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Full text of "Messager des sciences historiques, ou, Archives des arts et de la bibliographie de Belgique"

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DES  SCIENCES  HISTORIQUES 

ou 
ARCHIVES 

DES  ARTS  ET  DE  LA  BIBLIOGRAPHIE 

DE  BELGIQUE. 


LISTE  DES  COLLABORATEURS. 

M.  Emile  Vauencergh,  secrétaire  du  Comité  de  Rédaction,  à 
Gand. 


MM.  BEEnNAERTs,  avocat,  à  Malines. 

J.  BoRGNET,  archiviste  de  l'État  et  de  la  province,  à  IVamur. 

R.  CiiALON,  membre  de  l'Académie  de  Belgique,  à  Bruxelles. 

E.  DE  Barthélémy,  ancien  conseiller  général,  à  Cournielon  (France). 

Emile  de  Borchgrave.  secrétaire  de  légation,  à  Bruxelles. 

L'Abbé  IIyaciktue  De  Bruvn,  à  Bruxelles. 

Chevalier  L.  de  Burbore,  membre  de  l'Académie  de  Belgique,  à  Anvers. 

Edm.  De  Busscher,  membre  de  l'Académie  de  Belgique,  à  Gand. 

E.  De  Coussemaker,  correspondant  de  l'Institut  de  France,  à  Lille. 

A.  Dejabdin,  capitaine  du  génie,  à  Liège. 

Baron  M^"  de  Ring,  antiquaire,  à  Strasbourg. 

Le  Chan.  J.  J.  De  Smet,  membre  de  la  Comm.   royale  d'hist.,  à  Gand. 

L.  Devillers,  conservateur-adjoint  des  Archives  de  l'Etat,  à  Mons. 

A.  Du  Bois,  avocat  et  conseiller  communal,  à  Gand. 

B.  C.  Du  Mortier,  membre  de  la  Chambre  des  Représentants,  à  Tournay. 
J.  Felsenhart,  docteur  en  philosophie  et  lettres,  à  Bruxelles. 

L.  Galesloot,  chef  de  section  aux  Archives  du  royaume,  à  Bruxelles. 

P.  Génard,  archiviste  de  la  ville  d'Anvers. 

H.  Helbig,  bibliographe,  à  Liège. 

Fr.  Hennebert,  avocat,  à  Gand. 

H.  Hymams,  attaché  à  la  Bibliothèque  royale,  à  Bruxelles. 

Baron  Kervyn  de  Lettenuove,  membre  de  l'Académie  de  Belgique,  à 
Bruxelles. 

L'Abbé  J.  B.  Lavaut,  directeur  des  Sœurs  de  Notre-Dame,  à  Zèle. 

S.  Le  Grand  de  Reulandt,  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  d'Archéo- 
logie, à  Anvers. 

Emm.  Neeffs,  à  Malines. 

F.  NÈVE,  professeur  à  l'Université  de  Louvain. 

Alex.  Pinchart,  chef  de  section  aux  Archives  du  royaume,  à  Bruxelles 

J.  i.  E.  Proost,  docteur  en  sciences  poliliq.  et  administ  ,  à  Bruxelles. 

Ch.  Raulenbeek,  consul  de  Saxe-Weimar,  à  Bruxelles. 

F.  S.  Raymaekers,  chanoine  de  l'abbaye  de  Parc,  près  de  Louvain. 

J.  E.  G.  Roulez,  administrateur-inspecteur  de  l'Université  de  Gand. 

A.  Siret,  membre  de  l'Académie  de  Belgique,  à  S'-Nicolas. 

Gust.  Van  Coetsem,  avocat,  à  Gand. 

J,  Van  de  Velde,  archiviste,  à  Audenarde. 

Edw.  Van  Even,  archiviste  de  la  ville  de  Louvain. 

C.  Vervier,  président  de  la  Commission  des  monuments,  à  Gand. 

R    P,  Waldack,  à  Gand. 

W.  H.  James  Weale,  archéologue,  à  Bruges. 


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DIS  SCIENCES  HISTORIQUES 


ou 


ARCHIVES 

itô  ^rt0  ti  it  la  iBibUograpljie 

DE  BELGIQUE. 


Recueil  publié  par  MM.  A.  Tan  I^okereiv^  Avocat  et  Archiviste  honoraire 
de  la  ville,  et  le  6°°  Kekvyih  de  Volkaersbuke,  Membre  de  la 
Chambre  des  Représentants,  à  Gand. 


5ltttt^c   1871 


►t©®<Sg»— 


GAND 


IMPRIMERIE  ET  LITHOGRAPHIE  DE  LEONARD  HEBBELYNCK, 

Rue  des  Bagueltes. 


lIEffSRY 


în  €our  bc  ïlaucstein, 

A.    Oi^ND. 


Celait  une  bien  noble  et  illustre  maison  que  celle  des 
(lues  de  Clèves;  seigneurs,  puis  comtes,  puis  ducs,  leurs 
fils  épousèrent  des  reines,  leurs  filles  partagèrent  le  lit  des 
rois,  ou  de  seigneurs  plus  puissants  que  les  rois  mêmes  : 
leur  blason  est  uni  à  celui  de  toutes  les  cours  souveraines, 
leur  épée  se  trouve  à  tous  les  combats. 

C'était  aussi  une  bien  belle  et  vaste  demeure  que  possé- 
daient ces  ducs  dans  notre  bonne  ville  de  Gand;  on  l'ap- 
pelait la  cour  de  Clèves  ou  plutôt  encore,  la  cour  de 
Ravestein.  Cet  immense  hôtel  occupait  anciennement  tout 
le  terrain  situé  entre  la  place  Saint-Michel,  la  rue  de  la 
Vallée,  la  rue  de  l'Églantine  et  la  rue  d'Angleterre.  Il  y 
avait  là  des  bâtiments  d'habitation,  des  écuries,  des  dépen- 
dances de  toute  espèce  et  des  jardins.  Plus  tard,  on  sup- 
prima une  partie  des  jardins,  et  sur  cet  emplacement  s'éle- 
vèrent les  maisons  formant  le  coin  des  rues  de  la  Vallée 
et  de  l'Églantine,  celles  de  la  rue  d'Angleterre  et  celles  de 
la  rue  de  l'Églantine. 

Il  est  hors  de  doute  que  celte  habitation  subit  graduelle- 
ment de  nombreuses  transformations,  que  son  slyle  se 
ressentit  du  caractère  de  chaque  époque;  ainsi,  il  reste 
encore  quelques  toits  à  pignons  du  XVII''  siècle,  et  quel- 
ques ogives  qui  accusent  une  origine  remontant  bien  au 
XIV^* 

La  grande  entrée  de  l'hôtel,  ainsi  que  sa  façade  prin- 
cipale étaient  rue  de  la  Vallée,  en  face  du  couvent  des 

1871.  1 


Dominicains,  disent  les  anciens  actes;  mais  comme  il 
n'existe  aucune  reproduction,  ni  aucune  trace  de  con- 
structions anciennes  de  ce  côté,  nous  avons  préféré  donner 
la  vue  de  riiôtel  vers  la  place  Saint-Michel,  d'après  le  seul 
dessin  qui  en  existe  encore.  Du  reste,  vue  par  là,  la  cour 
de  Ravestein  permet  de  mieux  juger  de  sa  distribution 
intérieure,  que  du  côté  de  la  rue  de  la  Vallée,  où  elle  ne 
présentait,  selon  toute  apparence,  qu'une  longue  et  massive 
façade  percée  d'une  lourde  porte. 

L'habitation  qu'on  appelait  le  grand  quartier,  se  com- 
posait de  deux  grands  corps-de-logis,  l'un  (A),  qui  se  voit 
à  gauche  de  notre  dessin,  donnait  dans  la  rue  de  la  Vallée; 
l'autre  (B),  coupait  le  premier  à  l'angle  droit.  Près  de  la 
porte  qui  donnait  sur  la  place  Saint-Michel,  commençaient 
des  jardins  qui  s'étendaient  tout  autour  des  bâtiments  jus- 
que derrière  le  corps-de-logis  B.  Là  il  y  avait  une  grande 
cour,  au  bout  de  laquelle,  faisant  face  au  second  corps-de- 
logis,  se  trouvaient  les  écuries;  celles  qui  existent  actuel- 
lement sont  toutes  modernes,  et  ont  été  bâties  en  1726  par 
Jean  François  Délia  Faille,  alors  propriétaire  de  l'hôtel. 
Le  grand  bâtiment  carré  (C),  à  la  droite  de  notre  dessin, 
renfermait  la  chapelle;  une  galerie  qui  s'appuyait  d'un  côté 
sur  des  culs-de-lampe,  de  l'autre  sur  une  rangée  de  colon- 
nes, régnait  le  long  du  corps-de-logis  B,  et  conduisait  à 
cet  oratoire,  dont  il  a  été  légèrement  question  dans  le 
Messager  des  Sciences  de  l'année  1844.  La  voûte  en  était 
toute  en  bois  et  entièrement  semblable  à  celle  de  l'église 
des  Dominicains,  abattue  il  y  a  quelques  années,  presqu'en 
face  de  i'hôlel  :  elle  devait  dater  très-probablement  de  la 
seconde  moitié  du  XV^  siècle.  De  grosses  poutres  en  chêne 
y  formaient  trois  culs-de-lampe  sculptés,  le  premier  portait 
l'écu  écarlelé  Clèves  et  Lamark,  chargé  de  celui  de  Bour- 
gogne; le  second  était  aux  armes  de  Flandre,  et  le  troisième 
portait  un  G  couronné.  L'emplacement  de  l'école  de  jeunes 


filles  établie  sur  la  place,  était  occcupé  par  des  dépen- 
dances; le  petit  bâtiment  (D),  à  gauche  de  la  porte,  était 
destiné  aux  logements  des  domestiques.  Dans  la  niche  qui 
se  voit  au-dessus  de  la  porte,  se  trouvait  au  XVI^  siècle 
un  buste  en  marbre,  représentant  Bacchus  avec  des  mam- 
melles  de  femme;  le  seigneur  de  Ravestein,  qui  en  avait 
fait  l'acquisition  en  Italie,  l'y  avait  fait  placer.  Ce  buste, 
si  on  en  croit  Marcus  van  Vaernewyck,  opérait  des  mira- 
cles par  la  puissance  du  diable  (i). 

Sous  toutes  ces  constructions  régnaient  d'immenses  caves, 
qui  toutes  communiquaient  entre  elles  el  dont  les  voûtes 
en  ogive  reposent  sur  de  fortes  colonnes;  ces  souterrains 
existent  encore,  et  on  peut  dire  qu'ils  sont  la  seule  chose 
qui  soit  demeurée  presqu'intacte.  Les  anciens  murs  de 
l'hôtel  subsistent  bien  encore,  il  est  vrai,  mais  chaque  siècle 
y  a  laissé  sa  trace;  l'ogive  fut  d'abord  bouchée  pour  être 
remplacée  par  la  croisée  de  pierre,  celle-ci  disparut  à  son 
tour  pour  faire  place  au  châssis  moderne;  mais  sous  le 
plâtras  et  le  badigeon,  on  retrouve  encore  la  vieille  con- 
struction en  moellons  superposés;  ici  se  voit  encore  une 
muraille  en  vieilles  briques  rouges,  plus  loin,  un  vieux 
pignon  du  XVI^  siècle,  ailleurs,  un  lambeau  de  toit  en 
tuiles  plates,  et  dans  la  cour  de  l'hôtel,  rue  de  la  Vallée, 
quelques  traces  de  portes  en  ogive  murées  depuis  longtemps. 

Préciser  la  date  de  la  fondation  de  cet  hôtel,  serait  chose 
quasi  impossible;  mais  nous  croyons  ne  pas  trop  nous 
hasarder,  en  avançant  l'opinion  qu'il  existait  déjà  au  com- 
mencement du  XIV^  siècle.  C'est  déjà  là,  il  faut  l'avouer, 
une  antiquité  fort  respectable;  il  était  alors  le  Sleen  d'une 
noble  lignée,  pas  princière,  il  est  vrai,  comme  la  famille  de 
Clèves,  mais  qui  rendit  à  son  pays  de  nombreux  et  loyaux 


(1)  Vaernewyck,  l.  I,  p.  313.  —  Diericx,  Mémoires  sur  la  ville  de  Gand, 
t.  II,  p.  229. 


__  4  — 

services;  c'étaient  les  seigneurs  d'Oullre,  vicomtes  d'Ypres; 
ils  descendaient  de  Waulhier  d'Aa,  d'Anderleclit,  près  de 
Bruxelles,  seigneur  d'Oullre,  au  quartier  d'Alosl;  le  petit- 
fils  de  Waulhier,  qui  avait  nom  Louis,  épousa  Marie  de  Loo, 
vicomtesse  d'Ypres,  dernier  rejeton,  croyons-nous,  d'un 
bâtard  du  fameux  Guillaume  d'Ypres,  le  grand  condottiere 
flamand  du  X1I'=  siècle,  créé  comte  de  Kent  par  le  roi  Etienne 
d'Angleterre,  qu'il  avait  aidé  à  remonter  sur  le  trône.  Louis 
d'Oullre  fait  entrer  ainsi  dans  sa  famille  la  vicomte  d'Ypres 
et  de  nombreuses  seigneuries,  comme  Weldene,  Sanlber- 
gen,  etc.  Les  d'Oullre,  qui  portaient  de  gueules  au  sautoir 
d'argent,  s'allièrent  aux  meilleures  maisons  de  Flandre,  aux 
Borluut,  aux  Vaernewyck,  aux  d'Enghien,  aux  de  Lalaing; 
un  des  siens,  Roger  d'Oullre,  était  grand-bailli  de  Gand 
pendant  les  troubles  de  Flandre  sous  Louis  de  Maie. 

Les  princes  de  Clèves  succédèrent  dans  cet  hôtel  aux 
seigneurs  d'Oullre;  ils  venaient  d'Allemagne,  s'allièrent  à 
la  noble  maison  de  Bourgogne,  et,  s'il  faut  en  croire  la 
légende,  descendaient  d'un  mystérieux  inconnu,  Hélyas, 
surnommé  le  chevalier  du  Cygne. 

Le  mystérieux  et  le  surnaturel  ont  toujours  eu  une  large 
part  dans  les  anciens  récits  de  l'histoire,  qui  n'étaient  à 
proprement  parler  que  des  chants  poétiques  :  sur  le  fond 
sérieux  et  vrai,  ils  forment  une  broderie  éléganle,  qui  par- 
fois laisse  entrevoir  la  vérité  sous  un  réseau  diaphane,  cl 
parfois,  plus  épaisse,  la  dérobe  toute  entière.  Les  dieux  de 
la  mythologie  antique  n'étaient-ils  pas  fils  des  fleuves,  des 
montagnes  ou  des  bois;  faut-il  s'étonner  alors  que  les  ducs 
de  Clèves  descendent  du  chevalier  du  Cygne? 

Le  cygne  est  l'oiseau  sacré  du  Nord,  l'emblème  du  Nep- 
tune Scandinave  de  la  Saga  Yglinga;  les  Walkyries  étaient 
vêtues  de  la  dépouille  de  ce  noble  oiseau,  et  l'une  d'entre 
elles,  et  des  plus  belles,  avait  nom  Swamvit,  blanche 
comme  un  cygne. 


—  5  — 

C'était  en  l'an  de  grâce  711,  quand  l'empereur  Jusli- 
nien  II  régnait  sur  l'empire  d'Orient,  que  Childéric  était 
roi  de  France,  et  que  Pépin  d'ilerstal,  dit  la  légende,  était 
duc  de  Brabant  (?);  alors  vivait  Béalrix,  fille  unique  du 
duc  Dietrich  de  Clèves;  son  père,  en  mourant,  lui  avait 
laissé  le  pays  de  Clèves  et  d'autres  belles  seigneuries, 
mais  à  peine  était-il  descendu  dans  la  tombe,  que  des  en- 
nemis et  des  envieux,  voulant  profiter  de  la  jeunesse  de 
Béatrix,  tentèrent  de  lui  enlever  l'héritage  paternel.  La 
jeune  damoiselle  se  relira  au  château  de  Neubourg,  près 
de  Nymègue.  Un  jour,  qu'elle  était  plus  triste  et  plus 
songeuse  que  de  coutume,  au  souvenir  de  ses  malheurs, 
elle  aperçut  un  beau  cygne  blanc  qui  descendait  le  fleuve; 
il  avait  au  cou  une  chaîne  d'or  et  remorquait  une  légère 
nacelle,  où  se  trouvait  debout  un  jeune  chevalier  d'une 
figure  imposante.  Cet  étranger  portait  l'armet  en  tête,  om- 
bragé de  lambrequins  et  de  panaches  jaunes,  blancs,  verts 
et  rouges,  et  comme  cimier  un  cygne  blanc.  Du  bras  gauche 
il  tenait  son  écu,  de  gueules  chargé  d'un  autre  d'argent, 
ayant  au  centre  un  tourteau  de  sinople,  duquel  départaient 
huit  sceptres  pommelés  et  fleuronnés  d'or  remplissant 
l'écu.  Dans  la  main  droite,  il  avait  son  épée  d'or,  une 
trompe  d'or  était  suspendue  à  son  cou,  à  son  doigt  brillait 
un  large  anneau  d'or  aussi.  Il  s'arrêta  au  pied  du  château. 
Béatrix,  en  châtelaine  qui  connaît  ses  devoirs,  alla  au- 
devant  de  lui;  l'étranger  avait  la  mine  si  séduisante,  il 
promettait  avec  tant  d'assurance  de  protéger  les  domaines 
de  l'héritière  de  Clèves  et  d'en  chasser  ses  ennemis,  qu'il 
subjugua  la  princesse  et  obtint  sa  main.  H  lui  imposa 
seulement  la  loi  de  ne  jamais  s'enquérir  de  sa  naissance 
ou  de  son  origine.  Béalrix  fut  longtemps  discrète,  vécut 
de  longues  années  avec  Hélyas  et  lui  donna  plusieurs 
enfants;  enfin,  un  jour,  la  curiosité  l'emporla;  elle  en  fut 
cruellement  punie.  Hélyas  disparut,  et  nul  depuis  lors  ne  le 


V 


—  6   — 

revit.  Avant  son  départ,  il  se  contenta  de  léguer  à  ses  trois 
fils  les  trois  objets  précieux  qu'il  avait  apportés  du  pays 
mystérieux  d'où  il  était  venu  :  à  l'aîné,  Dietrich,  qui  fut 
duc  de  Clèves,  il  légua  son  épée  d'or;  sa  trompe,  à  Gode- 
froi,  le  second,  qui  fut  comte  de  Looz;  au  troisième, 
Conrad,  qui  fut  landgrave  de  Hesse,  son  anneau  d'or. 
Béatrix  éprouva  un  tel  repentir  de  sa  folle  curiosité,  qu'elle 
oulut  l'expier  en  veillant  à  la  conservation  de  la  maison 
de  Clèves;  à  la  veille  des  grands  événements  ou  de  la  mort 
d'un  des  membres  de  la  famille,  son  ombre,  vêtue  de  blanc, 
venait  errer  dans  les  vastes  salles  et  les  longs  corridors  du 
obàteau  où  elle  avait  vécu  avec  Hélyas.  Elle  ne  put  empê- 
cher cependant,  que  l'illustre  maison  de  Clèves  s'éteignit 
au  XVII*=  siècle  et  que  son  héritage  donnât  lieu  à  de  lon- 
gues et  sanglantes  querelles. 

Quelques-uns  ont  essayé  d'expliquer  la  légende,  et  pour- 
raient ne  pas  être  fort  loin  de  la  vérité  :  ils  disent  qu'Hélyas 
revenait  de  Palestine,  où  il  avait  assisté  aux  derniers  mo- 
ments de  Dietrich  et  descendait  le  Rhin,  se  rendant  auprès 
de  la  jeune  dame,  pour  lui  annoncer  la  mort  de  son  père 
et  lui  transmettre  ses  dernières  volontés. 

Adolphe  IV  de  la  Mark,  créé  premier  duc  de  Clèves  par 
l'empereur  Sigismond,  épousa,  en  1406,  la  fille  de  Jean 
sans  Peur,  Marie  de  Bourgogne,  qui,  entre  autres  apanages, 
reçut  la  terre  de  VV'inendale,  C'est  alors  que  l'hôtel  de  la 
rue  de  la  Vallée  commença  d'appartenir  aux  de  Clèves; 
Jean,  fils  aîné  d'Adolphe,  épousa  Elisabeth,  fille  de  Jean 
de  Bourgogne,  duc  de  Brabant;  Adolphe,  le  second,  fut 
seigneur  de  Ravestein,  il  eut  l'hôtel  en  partage  et  l'habita 
souvent;  c'est  de  lui  qu'il  a  conservé  jusqu'à  sa  destruc- 
tion, le  nom  de  cour  de  Ravestein,  hof  van  Ravestein. 
Ce  seigneur  et  son  fils  appartiennent  tout  entiers  à  notre 
histoire. 

Le  nom  d'Adolphe  de  Clèves  se  trouve  mêlé  à  tous  les 


évéïiemenls  de  celle  époque;  en  1440,  il  essayait  ses  forces 
dans  les  lournois  donnés  à  Bruges  en  l'honneur  du  duc 
d'Orléans;  il  fui  armé  chevalier  en  1452,  quand  les  Irou- 
pes  bourguignonnes  marchèrent  contre  les  Gaulois;  il  était 
à  la  bataille  de  Gavre  aux  côtés  de  Philippe  le  Bon,  dont 
il  conduisit  quelques  années  après  le  deuil,  avec  Jacques 
de  Bourbon.  Dans  les  fêles  splendides  que  Philippe  le  Bon 
donna  à  Lille  au  mois  de  février  14bD,  lorsqu'il  appelait 
tous  ses  seigneurs  à  prendre  la  croix,  Adolphe  de  Clèves 
se  montra  le  plus  brillant  et  le  plus  chevaleresque;  il  y 
prit  le  nom  et  les  armes  de  son  légendaire  ancélre  le  che- 
valier du  Cygne.  Olivier  de  la  Marche  nous  a  laissé  les  dé- 
tails de  toutes  ces  magnificences. 

«  Et  commença  ladite  fêle,  dit-il,  par  une  joule,  laquelle 
avait  élé  criée  en  un  très-beau  banquet  que  Monsieur  de 
Clèves  donna  en  ladite  ville  environ  dix-huit  jours  para- 
vanl,  auquel  fut  Mondictseigneur  (le  duc  de  Bourgogne), 
ensemble  la  seigneurie,  dames  et  damoyselles  de  sa  maison, 
et  fut  le  cri  tel,  que  le  chevalier  du  Cygne,  serviteur  aux 
dames,  faisait  savoir  à  tous  princes,  chevaliers  et  nobles 
hommes,  que  le  jour  que  Mondilseigneur  ferait  son  ban- 
quet, ou  le  trouverait  en  ladite  ville  armé  de  harnais  de 
joule,  en  selle  de  guerre,  pour  jouter  à  la  toile,  de  lances 
de  mesure  et  de  courtois  roquets,  à  {'encontre  de  tous  ceux 
qui  venir  y  voudraient,  et  celui  qui  pour  ce  jour  ferait  le 
mieux,  au  jugement  des  seigneurs  et  des  dames,  sans  ce 
qu'il  s'en  exceptast  en  rien,  gagnerait  un  riche  cygne  d'or 
enchaîné  d'une  chaîne  d'or,  et  au  bout  de  celle  chaîne  un 
riche  rubis,  que  les  dames  présenteraient  à  celui  qui  l'au- 
rait mérité.  Tel  fui  le  cri  par  ordonnance  et  aveu  de  Mon- 
sieur Adolphe  de  Clèves.  » 

Au  milieu  de  la  principale  table  du  banquet,  se  dres- 
sait «  une  nef  fort  bien  faite,  en  laquelle  était  un  chevalier 
tout  droit,  armé,  qui  le  corps  avait  vêtu  d'une  cotte  d'ar- 


—  8  — 

mes,  des  pleines  armes  de  Clèves;  el  devant  était  un  cygne 
d'argent,  portant  en  son  cou  un  collier  d'or,  auquel  tenait 
une  longue  chaîne  d'or,  dont  le  cygne  faisait  manière  de 
tirer  la  nef;  au  bout  de  la  nef  était  un  château,  fort  bien 
fait  et  richement,  auquel  flottait  un  faucon  dans  une  grosse 
rivière. 

•>  Au  jour  de  ce  banquet,  Monsieur  Adolphe,  qui  s'était 
fait  crier  le  chevalier  du  Cygne  vint  après-dîner  de  très- 
bonne  heure  sur  les  rangs,  et  fut  accompagné  du  lieu  où 
il  s'était  armé,  par  Mondilscigneur  le  duc,  par  Monsieur 
de  Charolais,  par  Monsieur  le  bâtard  de  Bourgogne,  vêtus 
tous  trois  de  robes  de  velours  noir,  et  avaient  chacun  un 
collier  d'or  enrichi  de  pierreries,  et  portait  Monditseigneur 
une  cornelle  à  son  chaperon,  fort  riche  de  pierreries.  Mon- 
sieur Adolphe,  ainsi  accompagné,  partit  de  son  hôtel  à 
grand  compagnie  de  gens,  vêtus  de  ses  robes,  qui  allaient 
devant;  et  après  eux  allaient  tambourins,  et  après  allait  un 
poursuivant  d'armes,  vêtu  d'une  cotte  d'armes  pleine  de 
cygnes,  et  après  allait  un  grand  cygne  merveilleusement  et 
subtilement  fait,  ayant  une  couronne  d'or  au  cou,  à  quoi 
pendait  un  écu  des  pleines  armes  de  Clêves,  et  à  cette 
couronne  pendait  une  chaîne  d'or,  qui  d'un  bout  tenait  à 
la  tresse  de  l'écu  de  chevalier;  ce  cygne  était  accompagné 
de  deux  sagittaires  fort  bien  faits,  qui  tenaient  arcs  et 
flèches  et  faisaient  semblant  de  tirer  à  rencontre  de  ceux 
qui  voulaient  approcher  le  cygne. 

»  Le  chevalier  tenant  la  chaîne  d'or,  suivait  le  cygne, 
armé  très-richement  de  toutes  armes;  son  clieval  était  cou- 
vert de  drap  de  damas  blanc,  bordé  de  franges  d'or,  et  son 
écu  de  même;  à  droite,  à  gauche  et  derrière  lui  marchaient 
trois  jeunes  pages  habillés  de  blanc  en  manière  d'anges, 
montés  sur  de  beaux  coursiers  enharnachés  de  drap  blanc; 
après  venait  un  palefrenier,  vêtu  de  blanc,  sur  un  petit 
cheval,  qui  menait  en  main  un  destrier  couvert  de  drap 


—  9  — 

blanc,  brodé  de  grandes  lellres  d'or  et  frangé  d'or,  à  la 
devise  dudit  chevalier.  »  Puis  venaient  le  duc  Jean  de 
Clèves,  frère  d'Adolphe,  et  d'autres  grands  seigneurs  por- 
tant la  lance  haute  (i). 

Le  sire  de  Ravestein  fit  plus  tard  partie  du  conseil  de 
la  jeune  Marie  de  Bourgogne,  après  la  mort  du  Téméraire, 
avec  la  duchesse  douairière,  le  sire  d'Humbercourt  et 
Hugonet.  La  chronique  de  Brabant  (die  Excellente  Chro- 
nycke)  rapporte  que  le  chancelier  Hugonet,  qui  avait  des- 
sein de  livrer  Marie  à  Louis  XI,  lui  avait  conseillé  d'aller 
chasser  hors  de  la  ville  et  de  fuir  en  France.  Adolphe  de 
Clèves  vit  l'émotion  de  la  princesse  et  ses  larmes,  lui  arra- 
cha la  révélation  des  projets  du  chancelier  et  se  hâta  d'aller 
en  instruire  les  doyens  des  métiers,  qui  firent  arrêter  la 
nuit  suivante  Hugonet,  Humbercoiirt  et  Guillaume  de 
Cluny  (2). 

Le  sire  de  Ravestein  avait  conçu  le  projet  d'obtenir 
pour  son  fîls  Philippe  la  main  de  la  duchesse;  mais  il 
échoua,  et  sa  conduite  ultérieure  ayant  mécontenté  les 
communes,  il  fut  obligé  de  se  retirer  en  Allemagne.  Il 
rentra  cependant  dans  le  pays  après  le  mariage  de  Marie 
avec  Maximilien,  et  revint  habiter  de  temps  en  temps  l'hôtel 
de  la  rue  de  la  Vallée;  dès  ce  moment  il  fut  mêlé  à  tous 
les  différends  entre  le  prince  et  les  Flamands,  et  se  rangea 
presque  toujours  du  parti  des  communes. 

Toute  la  famille  de  Clèves  était  extrêmement  populaire 
parmi  les  bonnes  gens  et  les  villes  de  Flandre  :  ce  qui  le 
prouve,  c'est  que  Jean  duc  de  Clèves,  frère  aine  d'Adolphe, 
envoyé  en  ambassade  auprès  du  Pape  par  le  duc  de  Bour- 


(1)  Tonte  la  cérémonie  du  vœu,  du  faisan  et  du  banquet  se  trouve  détaillée 
au  long  dans  Olivier  de  la  Marche. 

(2)  Ce  récit  de  la  chronique  n'est  sans  doute  que  la  reproduction  d'un 
bruit  répandu  à  cette  époque;  il  offre  peu  de  gages  de  vérité. 


—  10  — 

gogne  en  1439,  fui  autorisé  par  les  échevins  de  la  Keure 
de  Gand  à  emmener  avec  lui  les  six  clairons  et  trompettes 
qui  étaient  aux  gages  de  la  ville  (i). 

Le  plus  populaire  cependant  de  tous  les  seigneurs  de 
celte  maison,  fut  Philippe,  le  fils  d'Adolphe.  D'abord  dé- 
voué au  parli  de  la  cour,  ses  liens  de  famille,  de  même  que 
sa  position,  semblaient  devoir  l'y  attacher,  mais  les  cir- 
constances en  firent  en  quelque  sorte  un  héros  populaire, 
le  champion  de  la  liberté  des  communes.  Il  fut  pendant 
quelque  temps  comme  le  vrai  souverain  de  la  Flandre  et 
du  Brabanl,  où  les  traités  entre  les  communes  et  le  roi  des 
Romains  lui  accordaient  le  droit  d'insurrection,  à  la  moin- 
dre tentative  de  Maximilien  pour  contrevenir  aux  clauses 
arrêtées;  plus  tard  il  alla  gouverner  comme  vice-roi  l'anti- 
que cité  de  Gènes,  combattit  Bajazet  II,  fut  conseiller  de 
Charles-Quint,  rentra  ensuite  en  Flandre,  où  il  consacra 
ses  dernières  années  à  composer  des  commentaires  mili- 
taires remarquables  et  surtout  fort  rares  à  trouver  aujour- 
d'hui, et  finit  ses  jours  au  château  de  VVinendale,  où  au 
milieu  des  fanfares  joyeuses  d'un  bal,  il  tomba  frappé 
d'apoplexie,  en  1527  (2). 

Philippe  de  Clèves  n'avait  qu'un  seul  enfant,  qui  mou- 
rut victime  d'une  déplorable  erreur.  C'était  en  1491,  les 
bandes  d'Englebert  de  Nassau,  que  Maximilien  avait 
nommé  gouverneur  de  la  Flandre,  se  repliaient  du  côté  de 
Bruges,  poursuivies  par  les  milices  gantoises.  Près  de 
Sleydinge,  un  tout  jeune  seigneur,  qui  faisait  partie  de  ces 
dernières,  avait  laissé  ses  compagnons  prendre  les  devants 
et  chevauchait  seul  dans  la  campagne  au  pas  de  sa  mon- 


(1)  DiERicx,  Mim.  sur  la  ville  de  Gand,  t.  II,  p.  228,  et  en  noie  un  liocu- 
mcnl  des  Archives  à  l'appui. 

(2)  Voir  sur  Philippe  de  Clèves,  un   mémoire  fort  intéressant  du  général 
Guillaume,  dans  les  Bulletins  de  l'Académie,  1870. 


—  n  — 

ture,  quand  il  fui  rencontré  par  une  Iroupe  de  paysans 
qui,  le  prenant  pour  un  de  leurs  ennemis,  l'assaillirent  à 
coups  de  hache  et  de  fourches.  Il  eut  beau  implorer  sa 
grâce,  leur  jurant  qu'il  était  de  leurs  amis,  les  paysans  ne 
voulurent  rien  entendre  et  le  pendirent  aux  branches  d'un 
tilleul.  Cette  exécution  sommaire  fut  promptemenl  connue 
dans  le  village,  et  promptement  aussi  on  connut  le  nom  et 
le  rang  de  la  victime,  qui  était  le  fils  unique  de  Philippe  de 
Clèves.  Son  corps  fut  alors  respectueusement  déposé  dans 
un  cercueil  de  plomb  et  inhumé  au  pied  de  l'arbre  qui  lui 
avait  servi  de  gibet.  En  expiation  de  leur  crime,  les  meur- 
triers attachèrent  au  haut  du  tronc  de  ce  tilleul  une  image 
de  la  Vierge. 

Depuis  lors,  on  dit,  qu'à  l'heure  de  minuit,  le  jeune 
prince  de  Clèves  vient  rôder  autour  de  l'instrument  de 
son  supplice,  et  qu'un  vieux  noisetier  situé  à  quelques  pas 
de  là  sur  la  lisière  du  bois,  tremble  sans  cesse,  que  ses 
feuilles  bruissent  même  par  le  temps  le  plus  calme,  comme 
s'il  était  battu  par  la  tempête.  Dieu  voulant  ainsi  témoigner 
l'horreur  que  lui  inspira  l'acte  homicide  des  paysans  (ie 
Sleydinge. 

Aujourd'hui  le  noisetier  a  disparu,  mais  la  légende  est 
resiée,  et  la  Vierge  du  vieux  tilleul  est  encore  un  lieu  de 
pèlerinage  fort  fréquenté.  Anciennement  on  allait  y  prier 
pour  l'enfant  de  Clèves,  et  de  là  peut-être  est  venue  l'invo- 
cation flamande  :Laet  toch  leven/t  kind  van  Cleven!  Grâce 
pour  l'enfant  de  Clèves  ! 

Plusieurs  princesses  de  cette  maison  léguèrent  également 
leur  nom  à  l'histoire  :  l'une  fut  malheureuse,  c'était  Anne 
de  Clèves,  épouse  de  Henri  VIII,  roi  d'Angleterre,  qui 
paya  cher  l'honneur  de  monter  sur  le  trône;  deux  autres, 
toutes  deux  du  nom  de  Marie,  marquèrent  dans  les  annales 
galantes  :  la  première  épousa  le  duc  d'Orléans  et  fut  mère 
de  Louis  XII:  la  seconde  Marie  de  Clèves,  duchesse  de 


—  12  — 

Nevers,  fut  aimée  d'Henri  U\,  alors  duc  d'Anjou,  et  épousa 
le  prince  de  Condé;  c'est  d'elle  qu'il  est  question  dans  la 
pièce  de  poésie  de  Desportes,  intitulée  :  Eurylas  ou  Aven- 
ture première,  où  le  poëte  célèbre  les  amours  d'Eurylas  et 
d'Olympe;  Eurylas  est  ïJenri  III,  Olympe  est  Marie  de 
Clèves. 

Philippe  de  Clèves  étant  mort  sans  enfants,  la  propriété 
de  la  cour  de  Raveslein  passa  à  ses  collatéraux;  en  1609, 
Jean  Guillaume,  duc  de  Clèves,  étant  mort  également  sans 
enfants,  les  trois  filles  de  sa  sœur  aînée,  mariée  au  mar- 
grave de  Brandenbourg,  héritèrent  de  ses  biens  :  l'hôtel 
tomba  dans  le  lot  du  duc  de  Neubourg,  palatin  du  Rhin, 
époux  d'une  de  ces  princesses;  son  fils,  Wolfgang-Guillau- 
me,  fit  don  de  l'hôtel  et  de  ses  dépendances  à  Paul  de  Rou- 
gemont,  licencié,  son  conseiller,  le  2  janvier  1645,  moyen- 
nant d'en  payer  les  charges,  qui  consistaient  entre  autres 
en  une  rente  de  12,000  florins,  au  profit  de  Louis  de  Bla- 
sere,  seigneur  d'Idewalle,  qui  habitait  comme  locataire  la 
partie  appelée  le  grand  quartier. 

Ce  Louis  de  Blasere  est  le  magistrat  voyageur,  qui  visita 
la  Terre-Sainte,  en  passant  soit  au  départ  soit  au  retour  par 
la  France,  l'Allemagne,  la  Suisse,  l'Italie,  l'Egypte,  la  Syrie, 
l'Asie-Mineure,  la  Turquie,  la  Grèce  et  la  Dalmatie,  visita 
par  conséquent  presque  tout  le  vieux  monde,  et  écrivit  en- 
suite le  récit  de  ses  périgrinations  (i). 

Un  siècle  plus  tôt,  un  autre  personnage  distingué  de  la 
magistrature  flamande  tenait  également  l'hôtel  en  location; 
c'était  Guillaume  de  Pamele,  chef  et  président  du  Conseil 
privé  du  roi  et  créé  chevalier  le  20  septembre  1581.  Guil- 
laume de  Pamele  était  né  à  Bruges  en  1528. 

La  famille  de  Clèves,  au  commencement  du  XVP  siècle, 
avait  récupéré  une  maison  qui  touchait  à  l'hôtel  et  dont  la 
propriété  en  avait  été  séparée  précédemment. 

(1)  FoppENS,  t,  II,  p.  826. 


—  13  — 

Le  31  mars  1645,  trois  mois  après  être  entré  en  jouis- 
sance de  la  cour  de  Ravestein,  Rougemont  vendit  le  grand 
quartier,  pour  la  somme  de  20,400  florins,  à  Jean-Baptiste 
Délia  Faille,  seigneur  d'Eecloo,  de  Maria-Lierde,  conseiller 
au  conseil  provincial  de  Flandre,  qui  habitait  la  maison  à 
côté  de  riiôtel.  La  partie  postérieure  de  la  propriété,  celle 
que  représente  notre  dessin,  et  qui  avait  vue  sur  la  place 
Saint-Michel,  était  alors  occupée  par  le  docteur  Van  der 
Heyden,  à  litre  de  locataire;  en  1648,  la  veuve  de  Baul 
de  Rougemont  la  vendit  à  Jacques  le  Prévost,  dit  de  Basse- 
rode,  seigneur  d'Enghien  (i);  elle  passa  aux  descendants  de 
sa  flile  Catherine,  épouse  de  François  de  Brade,  qui  pos- 
sédait également  une  rente  à  charte  du  fonds,  et  fut  enfin 
achetée  en  1795  par  M.  Van  Petegem,  négociant  en  vins, 
dont  la  fille,  Madame  veuve  De  Vlieger-Van  Petegem,  l'ha- 
bite encore.  Les  dépendances  situées  à  côté,  vers  la  rue 
d'Angleterre,  passèrent  successivement  dans  plusieurs 
mains.  Elles  appartinrent  dans  ces  derniers  temps  à  feu  le 
docteur  Verbeke,  et  servent  aujourd'hui  à  une  école  de 
jeunes  filles. 

La  cour  de  Ravestein  ou  plutôt  le  grand  quartier  appar- 
tint successivement  à  plusieurs  membres  de  la  famille 
Délia  Faille  jusqu'en  1825.  En  1725,  dame  Isabelle  douai- 
rière Délia  Faille  la  vendit  à  son  fils  aîné,  Jean-François, 
seigneur  d'Assenede;  en  1815,  elle  fut  louée  au  sieur  Mon- 
lobbio,  marchand  de  vins,  qui  l'occupa  pendant  dix  ans;  à 
cette  époque,  le  comte  Joseph  Délia  Faille  et  ses  cohéri- 
tiers l'exposèrent  en  vente  publique  pour  sortir  d'indivi- 
sion. L'hôtel  fut  acquis  par  le  notaire  P.  Lamme,  et  en 
1832  mis  de  nouveau  aux  enchères  par  la  veuve  de  ce 
dernier,  et  adjugé  au  vicomte  de  Vaernevvyck  d'Angest, 
descendant  de  l'historien  du  même  nom,  qui  y  rassembla 

(1)  Terrier  de  la  seigneurie  d'Avryc,  aux  Archives  de  la  ville  de  Gand. 


—  u  — 

une  fort  belle  collection  de  vitraux.  En  1857,  la  cour  de 
Ravestein  fut  encore  vendue,  de  la  main  à  la  main,  cette 
fois,  et  acquise  le  28  avril  par  le  chevalier  Slas  de  Richelle, 
dont  la  douairière  l'habite  encore  aujourd'hui,  avec  son 
gendre,  M.  le  comte  de  Loen  d'Enschede  (i). 

Dans  l'hôtel  actuel,  on  chercherait  en  vain  à  reconnaître 
l'antique  demeure  des  ducs  de  Elèves.  Quant  à  l'autre 
partie,  il  n'en  existe  plus  de  traces;  plusieurs  maisons  mo- 
dernes ont  remplacé  les  anciens  bâtiments. 

Une  peinture  murale,  dans  la  cour  de  la  maison  habitée 
par  Madame  De  Vlieger-Van  Petegem,  représente  l'hôtel 
vu  du  côté  de  la  place  Saint-Michel,  tel  que  le  reproduit 
notre  dessin.  E'est  le  seul  souvenir  capable  de  nous  ap- 
prendre ce  que  fut  jadis  la  cour  de  Ravestein. 

La  demeure  princière  que  les  ducs  de  Elèves  possédaient 
à  Bruxelles  et  qui  porta  également  le  nom  de  cour  de  Ra- 
vestein, a  mieux  résisté  à  l'effort  du  temps;  elle  existe 
encore,  donnant  d'un  côté  dans  la  rue  Saint-Laurent,  de 
l'autre  dans  la  rueTerarken,  et  appartient  à  la  famille  de 
Neufforge  (2). 

Emile  Varenbergh. 


(1)  La  plupart  de  ces  détails  sont  tirés  des  litres  de  propriété  que  Madame 
la  douairière  Slas  de  Richelle  a  eu  l'obligeance  de  nous  communiquer. 

(2)  Messager  des  Sciences,  année  1849,  p.  Hô. 


—  15  — 


LE  LUXEMBOURG  BELGE 

ET  SON  ETHNOGRAPHIE 
SOUS    LA    DOMilNATION    ROIMAIISTE. 


II 

I.a  forêt  des  Ardennes. 

Formation  des  terrains  ardennais.  —  F.es  Ardennes  et  la  science  géologique. 
—  La  philologie  comparée.  —  L'Ardenne,  c'est  la  terre  par  excellence  des 
émigrés  primitifs  venus  d'Asie.  —  Diverses  étyraologies.  —  Episode  de 
Vuilfilaye.  —  Diane,  la  déesse  des  Ardennes.  —  Les  Ardennes  décrites 
par  un  touriste  de  ICI 9.  —  César  et  Slrabon.  —  Les  Trévires  révoltés  se 
réfugient  dans  la  forêt  des  Ardennes  :  épisode  de  Florus.  —  Pémans , 
Sègnes,  Condruses ,  Cérèses,  peuples  situés  sur  le  territoire  de  Luxem- 
bourg actuel.  —  Position  respective  de  ces  clients  des  Trévires.  —  Ce 
sont  des  peuplades  mixtes.  —  Roules  et  camp  de  Labiénus.  —  Opinions 
diverses. 

Nous  devons  envisager  Télat  présent  de  l'univers  (i) 
comme  Teffet  de  son  étal  antérieur  et  comme  la  cause  de 
celui  qui  va  suivre.  Une  intelligence  qui,  pour  un  instant 
donné,  connaîtrait  toutes  les  forces  dont  la  nature  est 
animée,  et  la  situation  respective  des  êtres  qui  la  com- 
posent, si  d'ailleurs  elle  était  assez  vaste  pour  soumettre 
ces  données  à  l'analyse,  embrasserait,  dans  la  même  for- 
mule, les  mouvements  des  plus  grands  corps  de  l'univers 

(1)  Laplace,  Essai  philosophique  sur  les  probabilités. 


—  16  — 

et  ceux  du  plus  léger  atome  :  rien  ne  serait  incertain 
pour  elle,  et  Tavenir,  comme  le  passé,  serait  présent  à 
ses  yeux  (i). 

N'est-ce  pas  l'expression  du  génie  et  de  la  prétention 
des  sciences  modernes?  Quand  la  croûte  de  la  terre, 
mince  et  fragile,  ne  pouvait  résister  aux  secousses  que  lui 
imprimait  le  bouillonnement  de  la  masse  intérieure  en 
fusion,  il  y  eut  des  soulèvements  qui  formèrent  les  premiè- 
res montagnes.  A  ces  époques  tellement  reculées  qu'il  n'est 
pas  possible  de  leur  assigner  une  date,  il  n'y  avait  qu'une 
seule  substance,  le  granit,  J^es  argiles  éprouvèrent  un 
commencement  de  fusion  ou  plutôt  de  vitrification,  qui  leur 
donna  cette  structure  feuilletée  qu'on  remarque  dans  les 
différentes  espèces  d'ardoises  et  qu'on  désigne  par  le  nom 
de  structure  schisteuse  (2).  Ces  scbistes  sont  de  la  plus 
ancienne  formation,  et  constituent  le  terrain  primitif  des 
Ardennes. 

Cet  épais  bourrelet  est  formé  de  terrains  primaires,  qui 
se  sont  élevés  par  des  mouvements  complexes,  dont  on 
reconnaît  encore  les  traces  dans  toute  l'étendue  du  relief. 
La  direction  du  surgissement  principal  des  masses  a  été 
celle  du  sud-ouest  au  nord-ouest,  qu'affecte  l'arèle  tout 
entière,  dans  le  travers  de  la  Belgique.  Mais  on  dislingue 
sur  le  dos  de  ce  surgissement  même  des  lies  plus  anciennes, 
allongées  dans  le  sens  général.  Le  voyageur  reconnaît  les 
contours  de  ces  îles  non  seulement  par  l'exbaussement  du 


(1)  A  ccUe  hauteur  vertigineuse  de  la  science,  je  serais  tenté  de  dire  d'un 
tel  homme,  ce  que  Ton  a  dit  dans  un  autre  sens  du  grand  Shakespeare  : 

"  iVature  lier  pencil  to  lus  hands  commils 
And  Ihen  in  ail  her  forms  lo  this  grcat  masler  sils.  >> 
La  nature  a  confié  son  pinceau  à  ce  grand  maître  et  a  posé  ensuite  sous 
toutes  les  foruies  en  faveur  du  grand  artiste. 

(2)  Voy.  Dr  Fil.  ScuoEDLER,  Das  BucU  dcr  Nalur,  et  Léon  Brothier,  His- 
toire de  la  Terre. 


—  il  — 

Icrrain,  mais  surtout  par  la  disparition  des  couches  sédi- 
mentaires  qui  les  composent.  C'est  ainsi  que  le  dos  de 
TArdenue  porte  des  Ilots  de  terrain  ancien.  Par  leur  émer- 
sion  précoce,  ces  ilôts  ont  échappé  à  la  sédimentation 
postérieure.  Les  couches  plus  récentes  les  entourent,  les 
empâtent  pour  ainsi  dire  comme  la  mer  les  enveloppait 
autrefois.  Et  en  descendant  de  leurs  sommités,  on  trouve- 
rait souvent  autour  d'eux  les  couches  concentriques  de  la 
plupart  des  dépôts  postérieurs.  On  peut  voir  les  contours 
précis  de  ces  îles  anciennes  qui  couronnent  l'Ardenne  sur 
la  belle  carte  géographique  de  M.  Dumont.  Les  différentes 
couches  qui  composent  ces  îles,  ont  reçu  le  nom  collectif 
de  terrain  ardennais.  Elles  appartiennent  à  la  subdivision 
la  plus  ancienne  des  terrains  primaires.  Leur  constitution 
propre  est  du  plus  haut  intérêt  pour  remonter  à  l'état  de 
rOcéan,  dans  l'antiquité  prodigieuse  où  elles  se  sont  for- 
mées (i). 

L'Ardenne  s'étend  comme  un  cordon  d'une  nature  pauvre 
et  rabougrie  entre  nos  plaines  riches  et  monotones  du  cou- 
chant et  les  campagnes  dorées  du  Luxembourg  et  de  la 
Lorraine.  C'est  en  franchissant  l'arête  dans  sa  moindre 
épaisseur,  de  Namur  et  de  Marche  à  V^irton,  que  l'habitant 
de  la  Belgique  passe  le  plus  rapidement  de  la  nature  de  la 
plaine  du  Nord  dans  celle  de  l'Europe  moyenne. 

En  parcourant  la  Belgique,  on  ne  larde  pas  à  observer 
que  les  vallées  à  fond  plat,  empâtées  d'un  limon  fertile, 
arrosées  comme  les  bords  de  l'Ourthe  et  de  la  Meuse,  par 
des  débordements  fréquents,  sont  la  véritable  zone  des 
prairies.  Les  crêtes  élevées,  comme  l'Ardenne,  les  sites 
accidentés  et  rocheux,  exposés  à  toute  l'action  des  météo- 


(1)  Voy.  Essai  d'une  géographie  physique  de  la  Belgique,  au  poinl  de  vue 
de  l'histoire  et  de  la  description  du  globe,  par  J.  C,  Houzeau,  ancien  aide  à 
l'Observatoire  de  Bruxelles;  1834. 

2 


—  18  — 

res,  sont  la  région  naturelle  des  forêts.  La  végétation  sau- 
vage se  présente,  en  effet,  sous  deux  aspects  fondamentaux, 
les  hautes  masses  sombres  et  les  riants  pâturages  (i). 

Tel  est  le  langage  de  la  science. 

Les  rares  éclaircissements  de  Thistoire  unis  à  la  géo- 
logie, cette  épopée  de  la  formation  terrestre,  de  concert 
avec  la  philologie  comparée,  vont  nous  initier  de  plus  en 
plus,  dans  les  limites  du  possible,  à  l'histoire  primitive  de 
celle  vaste  contrée. 

Le  mol  Ardenne  a  essayé  l'esprit  des  étymologistes,  qui 
lui  ont  donné  diverses  origines.  A  notre  tour  nous  allons 
tenter  de  pénétrer  dans  le  sens  primitif  de  ce  terme,  en  le 
rattachant  aux  considérations  géologiques  qui  précèdent, 
basées  sur  les  données  positives  de  la  science. 

Nous  prenons  pour  point  de  départ  airiha,  la  terre,  dans 
la  langue  des  Goths.  Comment  ce  mot  se  comporte-t-il 
avec  les  autres  vocables  des  rameaux  indo  germaniques? 
Parmi  les  formes  nombreuses  qu'il  affecte,  il  se  présente 
généralement  dans  les  idiomes  de  la  Germanie  sous  l'aspect 
d'eratha,  aerdho,  erdlha,  aarde,  aerde.  Une  forme  antique, 
c'est  cro,  solnm,  qui  rappelle  Hera,  Hère  ou  Herke,  la 
déesse  des  Saxons,  dans  des  allures  variées  et  qui,  par 
analogie,  se  rapproche,  se  confond  presque  dans  Cérès,  la 
productrice  des  fruits  de  la  terre. 

Dans  A7i[A>iT>ip,  Cérès,  l'altération  n'est  pas  radicale,  car 
ce  mol  se  décompose  en  65  dorien  pourra  et  rt»jp,  signes 
qui  font  penser  à  la  même  famille. 

En  remontant  de  Vairtha  d'Ulphilas  à  une  source  plus 
primitive,  nous  rencontrons  Herlhum,  Ertha,  dans  Ta- 
cite (2)  :  un  usage  commun  à  tous  les  Germains,  dit-il, 
c'est  l'adoration  d'Ertha,  la  terre-mère.  Qui   ne  voit  le 

(1)  Voy.  HouzEAU. 

(2)  Tac,  Gcrm.  XL. 


—  19  — 

même  mot  dans  è>aÇ£,  par  lerre,  l'pa,  la  lerre,  dans  le  sanscrit 
nrvi,  urvarà  (arabilis)  dans  ôlpoupa,  tto)vuy5poî,  et  dans  le  type 
arviim,  dont  l'air  de  famille  avec  l'Airlha  des  Gollis  ne 
saurait  être  méconnu.  Oserons-nous,  avec  J.  Grimm,  ra- 
mener ce  mot  à  Hpri?  Ce  serait  la  vénérable  Junon  aux 
grands  yeux  —  è'ssetasv  5è  powutç  TÔTvia  "Hp»)  —  qui  deviendrait 
ainsi  la  personnification  des  querelles  des  hommes  pour 
quelques  coins  de  terre,  après  avoir  tant  de  fois  porté  le 
trouble  dans  l'Olympe  d'Homère  (i).  En  basque,  idiome  in- 
décomposable, erria  signifie  terre  ou  pays.  Saluons-le  dans 
ara,  aria,  surface,  et  disons  qu'il  est  impossible  de  ne  pas 
l'apercevoir  dans  Aird,  autre  forme  des  Golhs,  et  dans 
l'anglais  earih.  Mais  il  est  temps  de  consulter  Pott  (2). 
D'après  ce  maitre  en  philologie  comparée,  art  en  armé- 
nien, c'est  une  partie  de  lerre  labourable,  et  ardiiin,  dans 
le  même  idiome,  signifie  production,  fruit.  Or,  le  persan 
erla  est  analogue  à  l'arménien  art,  et  l'arabe  ardun  a  son 
similaire  dans  le  kurdistan  ard,  terra. 

Voilà  donc  les  formes  les  plus  frappantes  parmi  les 
nombreuses  formes  connues  dans  lesquelles  s'est  trans- 
formé à  travers  les  âges  et  les  climats  le  signe  sensible, 
phonétique,  par  le  moyen  duquel  l'homme  de  la  langue 
primitive  a  désigné  son  séjour  terrestre.  Grâce  aux  émi- 
grations préhistoriques  échappées  aux  annales  des  peuples, 
cette  dénomination  s'est  répandue  partout  en  Europe  et 
ailleurs,  et  elle  a  été  comme  moulée  dans  des  formes  aux 
mille  variétés,  sous  l'action  lente  et  progressive  des  cli- 
mats et  des  siècles.  Et  s'il  est  vrai  qu'il  a  existé  une  langue 
primitive,  source  de  tous  les  phénomènes  de  linguistique, 
l'Ardenne,  Arduenna,  c'était  pour  les  émigrés  débordant 

(1)  HoM.,  //.,  chant  1er,  V.  568. 

(2)  Pott,  EUjmologisclie  Forschungen  auf  dem  Gehiclc  dcr  indo-germani- 
schen  Spraehen  (Rccherclies  élymologiques  dans  le  domaine  des  langues  indo- 
gennauiques);  Lemgo,  1833-183G. 


—  20  — 

d'Asie  en  marche  vers  le  Nord,  la  terre  par  excellence 
surgissant  au-dessus  des  flots,  dont  le  travail  opiniâtre 
devait  dépouiller  ses  flancs  schisteux  des  sédiments,  pour 
les  rouler  dans  les  pays  des  IVerviens  et  d'autres  contrées 
circonvoisines.  C'est  le  cri  d'allégresse,  terre!  tel  qu'il  a 
échappé  dans  les  temps  modernes  à  ces  hardis  navigateurs 
qui  ont  bravé  les  tempêtes  pour  aller  à  la  découverte  d'un 
nouveau  monde. 

Si  Ardîienna  venait  (ïardere,  par  allusion  à  l'écobuage, 
pourquoi  ne  trouverait-on  pas  de  traces  de  cette  origine 
dans  les  auteurs  classiques?  Les  Grecs,  —  qiii  sua  tanlùm 
mirantur,  dit  Tacite,  —  si  jaloux  de  leur  langue,  ne  se 
seraient  pas  fait  faute  de  donner  à  cette  dénomination  une 
tournure  hellénique.  Slrabon,  par  exemple,  qui  s'en  sert 
après  César,  et  dont  le  mépris  pour  la  science  romaine  est 
notoire,  n'aurait  pas  écrit  Apôoùevv*,  mais  aurait  trouvé  et 
nous  aurait  transmis  un  terme  correspondant  en  grec  avec 
le  sens  que  lui  attribuent  ceux  qui  le  dérivent  d'ardere. 
Si  l'on  objecte  que  le  géographe  grec  a  pu  l'apprendre  par 
les  Phocéens  de  Marseille,  nous  y  verrions  la  confirmation 
de  notre  opinion. 

Les  habitants  de  Marseille,  qui  veillaient  avec  la  plus 
grande  sollicitude  à  leurs  intérêts  commerciaux,  avaient 
chargé  un  de  leurs  savants  compatriotes,  Pylheas,  de  pé- 
nétrer dans  le  Nord,  afin  d'y  chercher,  comme  on  le 
conjecture,  des  débouchés  à  leur  commerce,  comme  ils 
avaient  donné  mission  à  Euthymènes  d'explorer  le  Sud. 
C'est  dans  le  yô?  ^ptoSo?  de  ce  voyageur  phocéen  ou  gaulois 
que  les  anciens  ont  puisé  leurs  premières  notions  géogra- 
phiques sur  la  Bretagne,  la  Gaule  et  la  Germanie,  car  il 
est  probable  qu'il  s'est  avancé  jusqu'aux  côtes  de  la  mer 
Baltique.  La  phrase  célèbre  de  Pline  :  Octogenis  cubitis 
supra  Britanniam  intumescere  aestus  Pylheas  Massiliensis 
aticlor  est,  et  interiora  autem  maria  terris  claiidunlur  ut 


—  21  — 

partis,  indique  assez,  nous  semble-l-il,  qu'il  a  poussé  ses 
investigations  aussi  loin  que  possible  dans  les  régions 
boréales  (i). 

Nous  le  répétons,  les  Grecs  étaient  tourmentés  du  besoin 
irrésistible  d'imprimer  à  tout  le  cachet  de  leur  nationalité. 
Or,  ils  ont  laissé  cette  dénomination  sans  changement; 
c'est  l'ignorance  de  la  signification  qui  les  a  contraints  à 
ce  dur  sacrifice.  Ils  ignoraient  Vairtha,  l'erfa,  VArduun, 
VArduemia,  la  vieille,  l'antique  terre  saluée  de  ce  nom  par 
les  premiers  immigrants  à  la  recherche  de  domiciles  fixes 
dans  ces  âges  primitifs,  où  le  souvenir  des  convulsions 
géologiques  était  encore  fortement  imprimé  dans  la  mé- 
moire des  hommes  (2). 

Quant  à  la  dénomination  germanique  que  lui  donnent 
les  habitants  du  Luxembourg  allemand,  elle  ne  saurait 
entrer  en  ligne  de  compte,  puisque,  à  toute  évidence,  elle 
éveille  l'idée  d'une  situation  géographique  de  Vuirlfia.  Elle 
est  jeune;  elle  est  d'hier  et  doit  être  traitée  comme  les 
prêtres  de  l'Egypte,  épris  de  l'antiquité,  ont  fait  des  doctes 
de  la  Grèce. 

D'autres  étymologies  ont  été  proposées.  On  a  vu  dans 
Ardeiana,  ancienne  déesse  des  Celtes,  l'origine  du  mot 
Ardenne,  ou  dans  ardu,  qui  signifie  lieu  sombre  dans  la 
langue  des  Gaulois.  Par  une  coïncidence  heureuse,  Ar, 
dans  le  même  idiome,  a  le  sens  d'endroit  élevé,  et  dcnu 
signifie  forêt;  quoi  de  plus  naturel  que  de  les  unir  dans  une 
union  fraternelle  pour  en  former  Ardenne! 

Mais  quelle  que  soit  l'opinion  à  laquelle  on  s'arrête. 


(1)  On  doit  à  Pythéas  la  découverte  de  Tlmle.  Il  vivait  du  temps  d'Aiistole 
et  d'Alexandre  le  Grand,  puisque  Polybc,  cité  par  Strabon,  témoignait  que 
DIcéarque,  disciple  d'Arislote,  avait  lu  les  ouvrages  de  Pythéas.  Quelques- 
uns  existaient  encore  à  la  fin  du  IV«^  siècle. 

(2)  Voy.  D«"  L.  DiEFENBACH,  Verglcichendes  Worlerbuch  der  golhischcn 
Sprache,  1851 . 


Qg  


ridée  (raiiliquilé  domine  pnrtoiit  dans  les  traditions  des 
Trévires.  La  preuve,  c'est  la  prétention  qui  de  nos  jours 
encore  s'étale  sur  une  maison  célèbre  de  la  ville  de  Trêves, 
où  on  lit  cette  inscription  :  Ante  Romani  Treviris  slelit 
annis  mille  trecentis,  qui  est  l'expression  de  la  probabilité 
aux  yeux  de  tous  ceux  qui  ont  étudié  la  question  de 
riiomme  préhistorique  dans  nos  contrées. 

On  sait,  enfin,  que  Diane  était  l'auguste  protectrice  de 
la  forêt  des  Ardennes.  Et  à  ce  propos  il  n'est  pas  inutile 
de  citer  Ersch  (i),  qui  trouve  dans  ce  mot  un  élément 
divin.  On  dérive  aussi,  dit-il,  le  terme  Arducnna  du  celti- 
que. Dans  ce  cas,  Ar-du-enna  signifierait  Forêt  située  sur 
tes  fleuves  de  Dieu.  En  effet,  continue-t-il,  Àr  veut  dire 
près  et  Duenna,  Duiona,  Ducona,  ont  le  sens  de  source, 
eau  de  Dieu.  On  voit  combien  cette  étymologie  se  rapproche 
de  celle  donnée  plus  haut. 

Quoi  qu'il  en  soit,  d'après  la  tradition,  il  y  avait  entre 
Ivoix(Carignan)  et  Virlon  une  statue  colossale  de  la  déesse. 
Elle  aurait  été  érigée  par  ordre  de  Domitien,  probablement 
au  retour  de  sa  ridicule  expédition  contre  les  Galles,  à  la 
suite  de  laquelle  il  prit  le  nom  de  Germanicus  sans  avoir 
vu  l'ennemi.  En  84  après  Jésus-Christ,  le  Panthéon  de 
Rome  ouvrit  ses  portes  à  la  statue  de  la  divinité  des  Arden- 
nes, avec  l'inscription  :  Deanue  Arduinnae.  Dans  un  autre 
chapitre  nous  nous  arrêterons  plus  longtemps  sur  la  valeur 
épigraphique  et  le  sens  de  ces  termes.  Ce  qui  nous  importe 
pour  le  moment,  c'est  de  constater  que  Domitien,  si  ce 
qu'on  lui  attribue  est  vrai,  aurait  honoré  le  pays  des  Ar- 
dennes dans  sa  divinité  protectrice,  plusieurs  siècles  avant 
qu'un  missionnaire,  mu  par  des  sentiments  de  prosélytisme, 
fît  renverser  celle  qui  s'élevait  dans  les  environs  de  la  cité 
romaine  de  Virton. 

(1)  Altgemcine  Encydopaedic,  etc.,  von  Ersch  und  Gruber,  1820. 


—  25  — 

Cet  épisode  se  produit  immédiatement  après  la  chute 
de  l'empire.  Il  rentre  tout  naturellement  dans  le  cadre  des 
annales  belges.  Nous  en  empruntons  le  récit  à  un  auteur 
dont  la  bonne  foi  s'allie  à  un  ton  de  naïveté  qui  n'exclut 
point  l'érudition. 

Il  y  a  apparence,  dit-il,  que  l'idolâtrie  subsista  bien  plus 
longtemps  dans  les  Ardennes  que  dans  nos  frontières; 
Reims  avait  reçu  la  foi  de  bonne  heure;  ainsi,  il  est  à 
croire  que  tel  a  été  le  destin  de  celte  ville,  tel  a  été  celui 
des  frontières. 

Quant  aux  Ardennes,  nous  trouvons  des  preuves  qu'elles 
étaient  encore  idolâtres  en  581,  que  Dieu  suscita  le  diacre 
saint  Vuilfilaye,  qu'on  nomme  aujourd'hui  saint  Walfroy, 
pour  opérer  la  conversion  de  ces  peuples,  nos  voisins  les 
plus  proches,  dont  il  fut  le  premier  apôtre;  il  s'y  prit  d'une 
manière  si  extraordinaire  qu'on  ne  pourrait  le  croire, 
si  elle  n'avait  l'autorité  d'un  auteur  Irès-respecté.  M.  de 
Fleury  rapporte,  sur  le  témoignage  de  Grégoire  de  Tours, 
que  ce  grand  historien,  dans  un  voyage  qu'il  fil  à  Trêves, 
passa  par  le  monastère  de  saint  Walfroy  et  qu'il  apprit  de 
la  bouche  de  ce  saint,  l'histoire  dont  voici  le  détail  : 

Le  diacre  Vuilfilaye  était  de  la  nation  des  Lombards  et 
fut  un  disciple  digne  de  mémoire  de  saint  Iriez  ou  Aridius, 
abbé  célèbre  en  Limousin,  qui  fut  aussi  chancelier  de 
Théodebert.  Saint  Walfroy,  dès  son  enfance,  eut  une  dé- 
votion particulière  à  saint  Martin,  sans  savoir  s'il  était 
martyr  ou  confesseur,  ni  en  quel  pays  étaient  ses  reliques; 
il  demeura  quelque  temps  au  monastère  de  Saint-Iriez, 
puis  il  passa  sur  les  frontières  de  la  Champagne  et  du 
Luxembourg,  et  alla  se  loger  sur  une  haute  montagne, 
située  près  d'un  château  nommé  Eporium  (c'est  Ivoy  ou 
Carignan);  sur  cette  montagne  il  bâtit  un  monastère,  dont 
l'église  était  dédiée  à  Saint-Martin;  il  y  fit  dresser  une 
colonne  où  il  demeura  debout  et  nu- pieds,  souffrant  les 


—  24  — 

rigueurs  de  l'hiver,  en  sorte  que  les  ongles  lui  tombèrent 
plusieurs  fois;  il  ne  vivait  que  de  pain  et  d'eau,  avec  quel- 
ques légumes.  Les  peuples  des  villages  voisins  accouraient 
à  ce  spectacle,  el  le  saint  homme  les  exhortait  à  renoncer 
au  culte  de  Diane  et  aux  chansons  profanes  qui  accom- 
pagnaient leurs  festins.  Ils  avaient  une  grande  idole  de 
cette  déesse,  du  temps  de  Jules  César;  elle  était  fort  célèbre 
dans  ces  vastes  forêts  sous  le  nom  de  la  grande  Diane  des 
Ardennes.  VValfroy  fit  tant  par  ses  exhortations  et  ses  priè- 
res, qu'il  convertit  les  idolâtres;  ils  brisèrent  d'abord  leurs 
petites  idoles,  el  ensuite,  réduisirent  en  poudre  la  grande. 

Les  évéques,  voyant  sa  manière  de  vivre,  lui  demandè- 
rent s'il  voulait  prétendre  à  imiter  le  grand  Siniéon  d'An- 
tioche,  qui  a  vécu  sur  la  colonne,  que  c'était  à  tort,  et  que 
la  rigueur  du  climat  ne  lui  permettait  pas  de  faire,  a  Descen- 
dez plulôt,  lui  dirent-ils,  et  logez  avec  les  frères  que  vous 
avez  assemblés.  »  L'obéissance  le  fit  descendre  sur  le 
champ  de  sa  colonne  pour  aller  vivre  avec  les  autres 
L'évéque  de  Trêves,  à  son  insu,  fit  abattre  la  colonne.  Ce 
saint,  ne  la  trouvant  plus,  fondit  en  larmes,  mais  de  peur 
de  désobéir  aux  évéques,  il  n'osa  la  relever;  c'est  l'unique 
exemple  de  moine  stylile  qu'on  sache  en  Occident.  Sur 
cette  montagne  il  y  a  encore  un  hermitage  que  trois  her- 
mites  habitent,  et  où,  tous  les  ans,  il  se  tient  deux  foires 
assez  célèbres  et  très-fréquentées. 

En  725,  le  pape  Grégoire  II,  secondant  le  zèle  de  saint 
Boniface,  dans  la  conversion  des  peuples  d'Allemagne, 
sollicita  saint  Hubert,  évéque  de  Maestricht,  à  achever 
celle  des  Ardennes,  du  Brabant  et  de  la  Campine;  il  réus- 
sit à  y  ruiner  toutes  les  idoles  et  à  abattre  ce  qui  était 
resté,  dans  ces  quartiers,  de  temples  et  d'autres  marques 
de  la  superstition  païenne;  quelque  temps  après,  Grippon, 
fils  de  Charles  Martel  et  de  Sonnechilde,  fut  exclu  par  les 
grands  du  royaume  de  la  succession  de  son  père,  sa  mère 


—  25  — 

n'ayant  point  été  reconnue  pour  reine.  S'étant  relire  dans 
Laon,  il  y  fut  assiégé  et  pris,  et  Carloman,  son  frère,  l'en- 
voya en  captivité  à  Neufciiâleau,  en  Ardennes(i). 

Afin  de  compléter  le  tableau,  nous  ajouterons  à  ce  qui 
précède  une  relation  curieuse  tirée  du  Voyage  en  Arden- 
nes,  Liège  et  Pays-Bas,  en  1619  (2)  :  «  Tout  ce  pays-là, 
dit  l'auteur  de  cet  intéressant  ouvrage,  tant  deçà  que  delà 
la  Meuse,  s'appelle  les  Ardennes  ou  la  forêt  d'Arden- 
nes  {Arduenna  sylva),  l'une  des  plus  grandes  et  célèbres 
de  la  Gaule-Belgique,  et  selon  César  et  Strabon,  elle 
s'étendait  jadis  depuis  le  Rhin  vers  Trêves,  jusques  en 
Artois  et  Tournesis  d'un  côté,  et  jusques  vers  Rheims  de 
l'autre,  couvrant  la  plupart  des  pays  qui  sont  entre  deux, 
comme  le  diocèse  de  Trêves,  Liège,  Luxembourg,  Hay- 
naut,  Juliers,  Aix,  Limbourg,  Lorraine,  Bar,  Bouillon, 
Metz,  Mayence,  Cologne,  Champagne,  Artois,  etc.  De 
sorte  qu'elle  s'épandait  largement  par  toute  la  Belgique, 
comme  la  Hercinie  par  toutes  les  Allemagnes.  Mais,  depuis 
le  pays  s'étant  défriché  et  cultivé,  elle  s'est  fort  diminuée, 
et-  ce  qui  en  est  resté  est  encore  non  tout  d'un  tenant, 
mais  fort  interrompu;  son  plus  épais  et  touffu  étant  de- 
meuré dans  le  Luxembourg  et  le  Liège,  et  son  centre  et 
milieu  est  environ  vers  Saint-Hubert,  fameux  pèlerinage 
des  Ardennes  et  de  Liège. 

»  Celte  forêt  est  fort  affreuse  et  de  difficile  accès,  comme 
le  témoigne  même  le  gentil  Pétrarque  en  ses  Épîtres, 
quand  il  dit  que  retournant  de  Cologne,  il  passa  seul  par 
cette  forêt  horrible  et  hideuse  à  voir.  Elle  produit  quantité 


(1)  Voy.  Mémoire  sur  les  antiquités  de  Sedan,  par  Lannoy,  publié  dans  la 
Revue  des  Ardennes.  —  Voy.  au  surplus  Beftholet,  Histoire  de  Luxem- 
bourg, etc.,  p.  2i;  Ortelius,  Theal.  Orb.,  p.  12;  Bertels,  De  Diis  gentium; 
Brower,  Anlic/uilalum  et  annalium  Trevirensium  libri  XXV. 

(2)  Ce  voyage  en  Ardennes,  à  Liège  et  dans  les  Pays-Bas  est  attribué  à 
Pierre  Bergeron,  né  à  Bélhisy  et  raort  en  1657.  Voy  Revue  liisl.  des  Arden- 
nes, publiée  par  M.  Sénemaud. 


—  26  - 

(le  toute  sorte  d'arbres;  mais  entre  antres  d'ifs  vers  Namur 
et  Huy.  C'est  une  espèce  de  sapin  dont  le  jus  est  mortifère 
et  vénéneux,  comme  aussi  Vombre  même,  mais  son  bois  est 
fort  propre  à  faire  des  arcs  et  des  arbalètes.  » 

L'auteur  de  celte  description  serait  bien  étonné  de  nos 
jours  en  voyant  l'antique  forêt  des  Ardennes  transformée 
presque  partout  en  plaines  et  plateaux  fertiles. 

Mais  abordons  les  documents  primitifs.  César,  qui  forme 
une  autorité  irréfragable,  en  parle  en  ces  termes  :  «  Indu- 
tiomar,  au  contraire,  lève  de  la  cavalerie  et  de  l'infanterie; 
tous  ceux  que  leur  âge  met  bors  d'état  de  porter  les  armes, 
il  les  fait  cacher  dans  la  forêt  des  Ardennes,  forêt  immense 
qui  traverse  le  territoire  des  Trévircs  et  s'étend  depuis  le 
fleuve  du  Rhin  jusqu'au  pays  des  Rémois  (i).  » 

A  un  autre  passage,  il  dit  :  «  Les  uns  se  réfugièrent 
dans  la  forêt  des  Ardennes,  les  autres  dans  les  marais 
voisins.  Ceux  qui  étaient  le  plus  près  de  l'Océan  se  cachè- 
rent dans  les  îles  que  forment  d'ordinaire  les  marées  (2).  » 

Il  devient  plus  explicite,  liv.  VI,  33,  lorsqu'il  dit  : 

«  Il  arrête  de  marcher  en  personne  avec  les  trois  autres 
vers  le  fleuve  de  l'Escaut,  qui  se  jette  dans  la  Meuse,  et 
de  gagner  l'extrémité  des  Ardennes,  où  il  entendit  dire 
qu'Ambiorix  était  retiré  avec  un  petit  nombre  de  cava- 
liers (3),  »  Un  instant  auparavant,  il  s'était  exprimé  ainsi  ; 


(1)  Caes.  ,  B.  G.  V,  3  :  «  At  Indutiomanis  eqnilatum  pedilumque  cogère 
iisque  qui  pei-  aelalein  in  armis  esse  non  poleranl  in  sijlvam  Arduennam , 
abditis  qiiae  ingenti  magniliuiine  |)er  medios  fines  Trevirorum  a  flumine 
Rheno  ad  initium  Renioriim  perlinet.  » 

(2)  Caes.,  B.  G.  VI,  31  :  «  Quorum  pars  in  Ardueunam  sylvam  pars  in  con- 
tinentes paludes  profugit  Qui  proxinii  Oceanuin  fuerunl  ii  in  insulis  sese 
occullaverunl  quas  aestus  effîcere  consuerunt.  » 

(3)  a  Ipse  ciiin  reliquis  Iribus  ad  flumen  Scaldim  quod  influit  in  Mosani, 
exlremasque  Ardueniiae  parles  ire  constituil,  quo  cum  paiicis  equilibus  pro- 
fectum  Ambiorigem  audiebat.  »  (II  est  bon  de  se  rappeler  que,  selon  les 
apparences,  la  Meuse,  du  temps  de  César,  communiquait  avec  l'Escaut 
oriental). 


—  27  — 

«  Quand  les  blés  commencèrent  à  mûrir,  il  envoya  à 
travers  la  forêt  des  Ardennes  L.  Miniiliiis  Basilus,  à  la 
tête  de  toute  la  cavalerie,  pour  faire  la  guerre  à  Ambiorix. 
Celte  forêt,  qui  est  la  plus  vaste  de  toute  la  Gaule,  s'élend 
depuis  les  frontières  des  Trévires  jusqu'aux  Nerviens,  sur 
un  développement  de  plus  de  cinq  cent  mille  pas  (»).  » 

Slrabon,  à  son  tour,  donne  quelques  détails  :  «  Les  J\er- 
viens,  dit-il,  d'origine  germanique,  confinent  aux  Trévires. 
Les  derniers  sont  les  Ménapiens  qui,  des  deux  côtés  de 
l'embouchure  du  fleuve,  habitent  les  marais,  les  brous- 
sailles, des  forêts  non  élevées,  mais  épaisses  et  épineuses.  » 
Plus  bas,  il  ajoute  :  o  La  contrée  des  Morins,  des  Atrébales 
et  des  Éburons,  du  reste,  est  semblable  à  celle  des  Ména- 
piens. C'est  une  forêt  qui  ne  porte  pas  d'arbres  de  très- 
haute  futaie;  elle  est  vaste,  mais  non  si  étendue  que  quel- 
ques écrivains  ont  voulu  le  dire,  de  quatre  milles  stades.. 
On  l'appelle  Ârdenne  (2).  » 

Lin  siècle  ne  s'est  pas  écoulé  après  que  les  Romains 
eurent  soumis  la  Belgique,  que  déjà  la  forêt  des  Ardennes 
servait  de  refuge  à  ceux  qui  haïssaient  la  domination 
de  Rome  ou  qui  avaient  à  redouter  la  rigueur  de  ses  lois. 
Pendant  la  révolte  des  Trévires,  que  raconte  Tacite,  Florus 
tenta  la  fidélité  d'une  aile  de  cavalerie  levée  à  Trêves  et 
disciplinée  à  la  manière  des  Romains.  Pour  exciter  les 
révoltés  à  la  guerre,  il  eut  recours  au  massacre  des  mar- 

(1)  B.  G.  VI,  29  :  «  Ipse  quuni  maturescere  frumenla  incipcrent,  ad  bellum 
Ambiorigis  per  Arduennam  s\ilvam  quae  est  totius  Galliae  maxima,  alque  ab 
ripis  Rheni  finibusque  Trevirorum  ad  Nervios  pertinet  millibusque  aniplius  D 
in  longiludinem  patel,  S.  Minuliiim  Basilum  cum  omni  equilatu  praeraittit.  » 

(2)  «  £[j.cp£pf|(;  5'èo"cl  t^  twv  MsvaTrftov  yi  lï  xwv  Mopivûv  xal  i^  xôiv  Arpe- 
PaXTwv  xal  Epoupûvwv'  u)vy)  yap  eullv  005^  'û'I/yiXwv  6£v5pcùv  T:oKkf\  \i.ïv,  où 
ToaaTÛ/i  5è  Sar^v  ol  ovyypacpei;  elpy^xaci  texpaxiç  yCkiio'^  ffxaSîwv,  xaT^oôai 
S'aûr/jV  ÂpSouivvav.  »  Il  est  évident  que  le  géographe  grec  fait  allusion  dans 
ce  passage  au  général  romain,  qui  aurait,  d'après  lui,  donné  de  trop  grandes 
dimensions  à  la  forêt  des  Ardennes.  — Voy.  Caes.,  B.  G.,  lib.  VI,  29,  déjà 
cité.  Ce  passage  mcrile  d'allirer  l'allenlion. 


—  28  — 

cliands  romains  (i).  Quelques  cavaliers  ne  résistèrent  point 
aux  tentatives  de  corruption,  mais  le  plus  grand  nombre, 
sans  doute  déjà  strict  observateur  de  la  discipline  militaire 
—  esprit  national  de  Rome  antique  —  resta  dans  le  devoir. 
Cependant  la  foule  des  débiteurs  et  des  clients  de  Florus 
recourut  aux  armes  et  gagna  la  forêt  des  Ardennes  (2), 
lorsque  les  légions  des  deux  armées  de  Visellius  et  de 
C.  Silius,  arrivant  par  des  cbemins  opposés,  leur  fermèrent 
le  passage. 

On  sait  que  Florus  se  tua  de  sa  propre  main  et  que  sa 
mort  mit  fin  à  la  révolte.  N'est-il  pas  vraiment  étonnant, 
qu'après  une  servitude  déjà  si  longue,  il  se  déploie  encore 
tant  de  vigueur  dans  la  métropole  et  la  province?  Nul 
doute  que,  sous  le  nom  d'obaerati  et  de  clientes,  le  grand 
historien  ne  cache  de  vaillants  patriotes  qui  ont  fait  d'inu- 
tiles eflorls  pour  recouvrer  la  liberté  et  l'indépendance. 

Quels  sont  les  peuples  qui  ont  animé  la  forêt  des  Ar- 
dennes aux  temps  les  plus  reculés?  C'est  une  de  ces 
questions  que  l'on  rencontre  tout  naturellement,  mais  à 
laquelle  il  n'est  pas  facile  de  satisfaire.  Le  seul  guide  que 
l'on  puisse  prendre,  la  source  unique  et  entourée  de  ga- 
ranties, parce  qu'elle  émane  d'un  témoin  oculaire,  c'est 


(1)  La  vanité  nationale  a  fait  dire  à  Velleius  Palerculus  une  de  ces  exagé- 
rations que  dément  le  récit  de  Tacite.  Au  livre  II,  129,  5,  il  dit  avec  l'empliase 
de  son  époque  :  «  Quanlae  molis  hélium,  principe  Gailiorum  ciente,  Sacro- 
viro,  Floroque  Julio  mira  celeritale  ac  virtute  corapressit  {Tiberius),  ut  antè 
populus  romanus  vicisse  se  quam  bellare  cognoscerct  nuntiosque  periculi 
victoriae  praecederel  nuntius.  »  Cette  révolte  éclata  vers  l'an  23  après  Jésus- 
Christ. 

(2)  Tacit.,  Annalhim  ,  lib.  III,  42  :  «  Intérim  Florus  insistere  destinatis, 
pelliccre  alam  equitum  quae,  conseripla  Trevcris,  mililia  discipiinaque 
nostra  habehatur  ut,  caesis  negotialoribus  romanis,  hélium  inciperet  :  pauci 
equitum  corrupti;  plures  in  officio  mansere.  Aliud  vulgus  obaeralorum  aul 
clientium  arma  ccpit  :  petehantque  saltus  quibus  nomen  Ardnenna,  quum 
legiones  ulroque  ab  exercita  quas  Visellius  et  C.  Silius  adversis  ilineribus 
objecerant  arcucrunt.  » 


—  29  — 

toujours  César.  C'est  donc  lui  que  nous  allons  interroger. 
Ses  commentaires  en  main,  nous  trouvons  qu'au  nord  des 
Trévires  étaient  situés  les  Pémans,  les  Cérèses,  les  Sègnes, 
les  Condruses,  renfermés  dans  les  limites  de  la  Meuse  et 
des  Nerviens  jusqu'aux  bords  du  Rhin. 

Au  rapport  de  César,  les  Condruses  et  les  Éburons 
virent  leur  territoire  envahi  par  les  Germains,  qui  fran- 
chirent le  Rhin.  En  effet,  il  dit  en  propres  termes  (i)  : 
«  Alléchés  par  cet  espoir,  les  Germains  pénétraient  plus 
loin  et  ils  étaient  déjà  parvenus  aux  pays  des  Eburons  et 
des  Condruses,  qui  sont  des  clients  des  Trévires.  » 

Vers  l'orient,  dans  le  voisinage  des  Condruses,  il  est 
permis  de  placer  les  Sègnes.  César,  dans  la  guerre  d'exter- 
mination qu'il  fil  aux  malheureux  Éburons,  ne  sépare  pas 
ces  deux  nations.  Il  dit  qu'ils  ne  lui  ont  pas  fait  la  guerre 
et  qu'ils  lui  ont  envoyé  une  députation.  Ses  paroles  doivent 
être  recueillies  dans  un  intérêt  de  géographie  ethnogra- 
phique :  «  Les  Sègnes  (2),  dit-il,  et  les  Condruses,  de  la 
race  et  de  la  population  des  Germains,  qui  sont  entre  les 
Eburons  et  les  Trévires,  envoyèrent  des  députés  à  César 
pour  le  prier  de  ne  pas  les  compter  au  nombre  de  ses 
ennemis  et  de  considérer  que  les  Germains  en-deça  du 
Rhin  n'avaient  pas  une  même  cause,  qu'ils  n'avaient  eu 
aucune  intention  de  guerre,  ni  envoyé  aucun  secours  à 
Ambiorix  (s).  » 

(1)  Caes.,  B.  g.  IV,  6  :  «  Quâ  spe  adducti  Germani  lalius  jam  vagabanlur 
et  in  fines  Eburonum  et  Condrusorum  qui  sunt  Trevirorum  clientes  perve- 
nerant.  » 

(2)  Les  villages  de  Sègne  et  Sougnez,  dans  les  environs  de  Spa,  semblent 
avoir  consacré  par  leurs  noms  le  souvenir  de  cette  peuplade. 

(3)  Caes.,  B.  G.,  VI,  52  .-  «  Segni,  Condrusique,  ex  gente  et  numéro  Ger- 
manorum,  qui  sunt  inter  Eburones  Trevirosque,  legatos  ad  Caesarem  mise- 
runt  oratum  ne  se  in  hoslium  numéro  ducerel  neve  omnium  Germanorum 
qui  essent  citra  Bhenum  causam  esse  unam  judicaret;  niliil  se  de  bello  cogi- 
tasse nuUa  Ambiorigi  auxilia  misisse.  » 


—  50  — 

Il  résulte  donc  manifestement,  ce  semble,  du  texte  de 
César,  que  ces  peuples  sont  situés  de  l'orient  à  l'occident, 
entre  les  Trévires  et  les  Éburons;  car  il  est  évident  que 
leurs  voisins  du  sud  sont  les  Trévires  et  du  nord  les  Ébu- 
rons. Ainsi  le  territoire  du  Luxembourg  belge  actuel  (Pé- 
mans,  Sègnes,  Cérèses,  Condruses)  est  une  antique  enclave 
du  pays  des  Trévires,  dont  les  limites  courent  vers  l'occi- 
dent du  Rhin  à  la  Meuse  et  avancent  dans  le  nord  jusqu'à 
l'Escaut  et  à  l'Océan. 

A  l'est  de  ces  peuples  coule  le  Rhin  (i).  Strabon  est  du 
même  avis.  Voici  comment  il  s'exprime  :  «  Après  les  Mé- 
diomatriques  et  les  Triboques  viennent  les  Trévires,  qui 
habitent  près  du  Rhin.  Les  Romains  en  guerre  maintenant 
avec  les  Germains  y  ont  construit  un  pont  (â).  » 

A  l'ouest,  les  Trévires  ont  pour  limites  la  Meuse,  les 
Rémois  et  les  Nerviens  (0),  et  au  sud  ils  ont  les  Médioma- 
triques  (Metz),  qui  s'étendent  depuis  le  territoire  des 
Rémois  jusqu'aux  bord  du  Rhin  (4).  Quant  aux  quatre 
peuples  du  Luxembourg  belge  actuel,  comme  nous  l'avons 
dit,  ils  étaient  au  nord  du  territoire  Irévirien. 


(1)  Caes.,  B.  g.,  lib.  IV,  10;  lib.  VI,  9;  lib.  V,  3.  —  Outre  le  chap.  9  ilu 
livre  VI,  c'est  le  chap.  3  du  livre  V  qui  est  le  plus  précis.  On  y  lit  :  «  Haec 
civilas  (Trevirorum)  longe  plurimùm  totius  Galiiae  equilatu  valet  magnasque 
habel  copias  pedilam  Rhenumque  ut  suprà  demonstravimus  tangil.  » 

(2)  «  Mexà  Ô£  Toùç  MEÔLO(iaTpixoùç  xal  Tpt6oa5(otji;  Trapoixoûai  tèv  'P-/)vov 
Tpyjoûtpoi,  xaO'ouî  TTîTcor/îTai  xà  ÇeùyH-a  Ùttô  twv  'Pufiaîwv  vuvl  ttôv  atpa- 
T-/)yoijVTWv  tôv  repfxavLxoù  Tr6X£[xov...  Tp/iOuEpoiç  6è  aovej^s'iç  Nspoûiot  (con- 
tigui  sunt  Nervii),  xai  loutô  yepjiavixôv  eOvoç-  TeXcUxaToi  Se  MEvdtiroi  TrXyiaEov 
xûv  ey.poXtôv  étp'  kxiztpoi.  xoù  Troxoifxoij  xaxoixoûvteç  i;X>]  xal  6pu[JL0Ù;  oùj( 
6i.[/>jX>iç,  aXXà  TCoxvvjî  uX/jî  xal  âxavGwSouç.  «(Strabonus  Gcograpliica,  lib.  III, 
cap    III]. 

(3)  Ptolémée,  liv.  II,  9.  —  Ptolémée  vivait  sous  le  règne  d'Adrien  et  de 
Mai'c-Aurèle. 

(4)  Voy.  Ces.,  liv.  IV,  10  :  «  Rlienus  auiem  oritur  ex  Lepontiis  qui  Alpes 
incoUint  et  longo  spalio  per  fines  Nantuatium,  Helveliorum ,  Sequanorum 
Medwmatricum,  Tvibocovum,  Trcvcrorum  citalus  fcrtur.  »  —  Strabo.n,  le  pas- 
sage ci-dessus. 


—  ôi  — 

La  belle  carie  de  la  Gaule  sous  César,  dressée  en  France 
par  une  commission  spéciale  instituée  au  ministère  de  l'in- 
struction publique,  est  aussi  du  plus  haut  intérêt  pour 
l'histoire  du  Luxembourg  romain.  On  trouve  consignés  sur 
cette  carte  les  noms  des  peuples  qui  habitaient  la  Belgique 
au  moment  de  la  conquête;  puis  les  marches  des  légions 
romaines,  les  champs  de  bataille  et  les  camps  dont  font 
mention  les  Commentaires  de  César,  et,  en  troisième  lieu, 
les  localités  où  Ton  a  déterré  des  monnaies  et  des  armes 
gauloises.  Sur  cette  carte,  les  Cérèses  sont  placés  du  côté 
de  Carignan  et  de  Villers-devant-Orval,  sur  les  rives  du 
Chiers.  L'opinion  commune  leur  avait  assigné  le  pays  de 
Caros  ou  Caeros-g^oty  entre  Bouillon,  Kerpen  et  Pruim. 

Aux  Segni  on  a  assigné  une  position  en  contradiction 
avec  César,  qui  les  place  entre  les  Nerviens  et  les  Ébu- 
rons  (Lib.  V,  38;  VI,  52).  Les  auteurs  de  la  carte  de 
la  Gaule  placent  les  Segni  du  côté  de  Chimai.  Les  erreurs 
signalées  dans  les  rapports  adressés  à  l'Académie  royale  (i), 
avaient  déjà  été  réfutées  par  Berlholet,  dans  son  Histoire 
du  Luxembourg .  Cet  historien  marque  ainsi  leur  position 
aux  anciens  peuples  du  Luxembourg  :  «  Les  Pémaniens 
sont  ceux  de  Famenne,  dit-il,  aux  environs  de  Marche;  les 
Condrusiens,  ceux  du  Condroz,  qui  avait  autrefois  plus 
d'étendue  et  s'avançait  beaucoup  dans  le  Luxembourg;  les 
Cérisiens,  ceux  de  Caros  ou  de  Caroscow,  dans  l'Fyfel, 
du  côté  de  l'abbaye  de  Pruim  et  de  Bullonge;  enfin,  les 
Médiomalriciens,  ceux  de  Metz,  où  est  situé  Thionville. 
Dans  une  note  explicative,  Bertholet,  en  réfutant  l'opinion 
de  M.  d'Ablancourt,  repousse,  comme  par  pressentiment, 
les  erreurs  commises  par  les  auteurs  chargés  de  dresser  la 
carte  de  la  Gaule  sous  César  (2). 

(1)  Voy.,  pour  plus  de  détails,  Bulletins  de  l'Académie  royale,  t.  XXXIV, 
année  1862,  p.  379. 

(2)  Voy.  Histoire  ecclésiastique  et  civile  dit  duché  de  Luxembourg  et  comté 
de  Chiuy,  par  le  R.  P.  Jean  Bertholet,  t.  I^'',  1731,  p.  17. 


—  32   — 


Iiidépendamincul  des  cilalions  empruiilées  à  César,  afin 
d'élablir  la  position  des  quatre  peuplades  luxembourgeoi- 
ses, il  convient  de  résumer  les  principaux  points  de  con- 
troverse que  celte  importante  question  a  fait  éclore. 

M.  Bernhardi,  à  cet  égard,  s'exprime  ainsi  :  «  A  considé- 
rer la  souche  principale,  les  Trévires  étaient  des  Germains, 
mais  ils  comprenaient  dans  leur  sein  des  populations  cel- 
tiques, dont  le  territoire  formait  une  partie  de  celui  du 
peuple  dominant  (i).  D'après  ce  point  de  vue,  les  Trévires 
étaient  un  peuple  mixte  composé  de  Celtes  et  de  Ger- 
mains. »  Cette  opinion  du  savant  allemand  correspond  à 
celle  de  M""  Am.  Thierry.  Selon  ce  dernier,  les  invasions 
des  Germains  se  réduisent  à  peu  près  à  rien.  La  Belgique 
aurait  toujours  été  celtique,  les  Germains  ne  seraient  par- 
venus à  se  fixer  à  demeure  de  l'autre  côté  du  Rhin  que 
difficilement  et  en  petit  nombre;  les  Sègnes,  les  Condruses, 
les  Pémans,  les  Cérèses,  débris  des  tribus  écrasées  et 
chassées  par  une  autre  confédération  de  la  même  race, 
auraient  passé  le  fleuve  et  occupé  une  partie  de  la  forêt 
des  Ardennes,  moins  par  la  force  des  armes,  que  du  con- 
sentement des  Trévires,  dont  ils  se  seraient  reconnus  tri- 
butaires et  clients. 

La  forêt  des  Ardennes  a  été  sillonnée  dans  toutes  les 
directions  de  routes  et  de  voies  militaires,  qu'il  est  impor- 
tant de  connaître,  mais  dont  nous  n'indiquerons  que  le  ré- 
seau principal. 

Auguste,  comme  on  sait,  donna  une  attention  particu- 
lière à  la  réparation  ou  à  la  construction  de  ces  importants 
moyens  de  mettre  les  peuples  en  rapport  et  de  parcourir 
rapidement  leur  pays.  Aussi  Agrippa  reçut-il  ordre  d'en 
percer  de  nouvelles  à  travers  les  Gaules  (2). 


(1)  K.  Bermiardi,  Spracitkarte  von  Deulschland, 

(2)  Voy.  Strabon. 


00    — 


Une  voie  immense  contournait  la  Médilerranée.  li  s'en 
délachail  des  embranchements  nombreux  qui  reliaient  toutes 
les  grandes  villes.  Et  tels  étaient  les  perfectionnements 
qu'on  apporta  successivement  à  ces  roules,  que  Tibère  fit 
deux  cents  milles  en  vingt-quatre  heures.  Il  se  rendit  de 
Lyon  en  Germanie,  pour  aller  voir  son  frère  Drusus,  sur 
le  point  de  mourir. 

Quant  aux  légions  qui  constituaient  l'armée  permanente 
de  l'empire,  elles  furent  rangées  le  long  du  Rhin,  du  Da- 
nube et  del'Euphrate. 

La  route  qui  part  de  la  ville  de  Reims,  est  encore  en 
partie  praticable  dans  la  Champagne  et  ailleurs  (i).  Elle 
traverse  la  IMeuse  à  Mosomagum  de  Wiltheim,  qui  est  Mo- 
somagus  de  Banville.  C'est  la  petite  ville  de  Mouzon,  qui 
fut  célèbre  sous  les  derniers  Carlovingiens,  entre  Stenai, 
l'ancien  Satanum,  où  se  trouve  le  tombeau  d'un  des  Dago- 
bert,  et  Sedan,  illustrée  par  la  naissance  et  la  jeunesse  de 
Turenne.  La  route  conduit,  à  moins  de  deux  lieues  plus  loin, 
à  Epoissus,  qui  est  Ivoi  ou  Carignan,  après  avoir  traversé 
le  Chiers,  rivière  considérable  et  par  conséquent  poste  dé- 
fendable. La  route  mène  à  Turris,  Brunechildis,  dont  le 
nom  est  sur  la  carte  de  Bertholet,  car  Bergier,  Wastelain, 
Danville,  n'en  font  point  mention;  elle  traverse  Stabulum, 
qui  est  le  village  d'Etalle.  La  roule  parvient  plus  loin  à 
l'importante  position  militaire  appelée  Orolannum  sur  les 
itinéraires  romains;  c'est  la  ville  d'Arlon,  située  sur  un 
tertre  qui  domine  toute  la  contrée. 

Voici  réunis  les  deux  itinéraires  connus  qui  s'appliquent 
immédiatement  au  Luxembourg  belge. 

Durocortoro  (Reims)  (2). 


(1)  Bulletins  de  l'Académie  royale,  etc.,  t.  V,  p.  341,  où  il  y  a  une  notice 
remarquable  de  M.  Marchal. 

(2)  Voy.  Géographie  ancienne  des  Gaules,  par  Waickenako;  Paris,  1839. 


—  54  — 

Vungo  Viens  (Vunc  ou  Vonc-Terron  sur  Aisne). 
.    Epoisso  (Iplsch  ou  Ivois,  aclucllement  Carignan). 
Oi'olauno  (Arlon). 
Andeliiannae  Nieder-Anwen  (i). 
Treveros  Civilas. 

La  lable  Théodosicnne  niarque  ainsi  Pilinéraire  de  la 
roule  de  Duro-Corluruin  (Reims)  à  Coloiiia  Agrippi- 
na  (Cologne). 

DurocorUirum.   .   .  Reims. 

INoviomagus.   .   .   .  Neuville  en  Tournasuy. 

Mose Mouzon. 

Meduanlo Menil  el  Marlué(2). 

Hamipré-Vaux-les-Rosières. 

. Baslogne,  Bourcy. 

Munerica Mellernich. 

Agripina Cologne. 

Ainsi  pour  embrasser  ces  itinéraires  sous  un  coup-d'œi!  : 
la  première  voie  qui  se  dirige  vers  le  Luxembourg  belge, 
sort  de  Rheims,  passe  par  Ivoix  (Carignan),  Etalle  (5), 
Arlon  et  se  rend  à  Trêves.  La  cinquième  part  d'Ivoix, 
passe  par  Mande-Sainl-Eticnne,  traverse  TArdenne  par 
Tommen  (Tombac)  (4),  Belsonacum,  Merica,  pour  aller  à 


(1)  BnowER  el  de  Feller  à  sa  suile  assurent  que  AnUven  ou  Nieder-Anlwen 
est  VAndethana,  de  la  carte  de  Peulinger. 

Cette  localité  est  à  3  2/3  lieues  E.  d'Arlon. 

(2)  WiLTHEiM,  édlt.  Neyen,  dit  lib.  III,  cap.  V,  p.  108  ••  «  Itlcduantum  esse 
Mantlam  facile  credidereni.  Daslonaco  liaud  procul  abest,  conspicuis  ibi 
publie!  aggeris,  longissimo  tractu,  reliquiis;  quanquam  non  hujus  illa  Viae, 
nisi  fallor,  dccussabant  Meduaiito  stalione  coniniuni.  » 

Je  nxe  suis  rendu  de  nouveau  sur  les  lieux,  en  scplembre  1870,  pour 
m'assurer  de  la  justesse  des  observations  de  Wiltlicim.  Il  me  parait  impossi- 
ble de  le  contredire. 

(3)  Deux  lieues  et  demie  0.  d'Arlon. 

(■ij  Tumbae,  aujourd'hui  Thommcn,  dans  l'ancien  quartier  de  Saint-Vitli. 


—  35  — 

Cologne  (i).  La  sixième  sort  d'Arlon,  va  à  Ma n de-Sain l- 
Étienne,  Saint-Huberl,  JXassogne,  JXamur. 

Pour  ce  qui  concerne  ces  voies  elles-mêmes,  voici  ce 
qu'on  en  dil  de  plus  généralement  : 

Les  voies  romaines  de  la  Belgique  étaient  du  genre  de 
celles  qu'on  appelait  vicie  stratae.  Elles  se  composaient 
d'une  ou  |)lusieurs  couches  de  gravier,  auxquelles  était  su- 
perposé un  pavement,  formé  de  cailloux  ou  de  pierres  de 
toute  dimension,  désigné  sous  le  nom  de  siimma  crusta. 
Ces  routes  n'avaient  pas  plus  de  six  ou  de  sept  mètres  de 
largeur;  elles  étaient  autant  que  possible  tirées  au  cordeau 
et  dirigées  sur  les  plateaux  ou  à  mi-côte  des  hauteurs.  Les 
étapes  et  relais  de  postes  (niansiones,  nnitationes),  placés 
de  distance  en  dislance,  étaient  composés  d'écuries,  de 
remises  et  de  bâtiments  pour  héberger  les  voyageurs,  qui 
ne  pouvaient  voyager  en  poste  qu'avec  une  permission 
spéciale.  Ces  distances  étaient  indiquées  sur  les  voies  mi- 
litaires de  la  Belgique,  par  des  colonnes  miliaires  que 
séparait  un  intervalle  de  quinze  cents  pas,  valeur  de  la 
lieue  ou  du  mille  gaulois. 

Je  ne  saurais  me  persuader  que  les  Romains  aient 
exécuté  les  premiers  le  tracé  de  ces  voies;  mais  je  penche 


(1)  Depuis  Trêves  el  le  haut  de  la  Meuse-,  jusqu'à  nos  fronlières,  les  villes 
ont  des  noms  romains  :  Luxembourg,  Villa  Luxis;  Arlon  ou  Arlun,  Aralunae; 
Marville,  Hlartis  villa;  Monlmédy,  liions  Mcdius  ou  Malediclus;  Longwii,  Lon- 
giis  vicus;  Metz,  Mclac,  qui  signifie  les  limites  puisqu'elle  faisait  la  séparation 
de  la  première  Belgique  d'avec  la  seconde. 

Du  temps  d'Auguste,  sous  Adrien  et  ses  successeurs,  on  travailla  à  con- 
struire des  chemins  ou  grandes  levées  qui  communiquaient  dans  toutes  les 
provinces  des  Gaules  :  on  leur  donna  le  nom  de  voies  militaires,  parce  que 
par  ce  moyen,  les  légions  pouvaient  se  rendre  en  peu  de  temps  jusqu'aux 
extrémités  des  Gaules,  pour  donner  en  cas  de  besoin  secours  à  celles  qui 
étaient  dispersées.  Entre  plusieurs  de  ces  voies  militaires  qui  traversaient 
Reims,  il  y  en  avait  une  qui  sortait  du  bourg  de  Gérés  et  qui  passant  à  Vau- 
detré,  Alligny,  Le  Cliesne,  Mouzon,  Ivoy,  Arlon  et  Eslernack,  se  rendait  à 
Trêves.  (Voy.  Mémoire  ckrunologiquc  sur  les  anliquités  de  Sedan,  par  Lan- 
NOY  (mort  à  Sedan  en  1734J. 


—  36  — 

à  croire  qu'ils  les  ont  trouvées  à  l'état  d'ébauche,  et  qu'ils 
leur  ont  donné  les  perfectionnements  que  la  pratique  de 
l'art  et  la  science  ont  inspirés.  En  partant  de  celte  idée,  il 
faudra  convenir  que  César,  pour  mettre  en  mouvement  ses 
légions,  les  a  envoyées  dans  les  directions  qu'il  a  trouvées 
toutes  faites  et  que,  par  conséquent,  l'emplacement  de  ses 
camps  devra  se  trouver  dans  le  sens  des  voies  créées  par 
Agrippa. 

En  ce  qui  concerne  le  Luxembourg,  on  est  très-embarrassé 
pour  retrouver  l'emplacement  du  camp  de  Labiénus.  Cet  em- 
barras vient  du  manque  de  détails  topographiques  précis. 

M.  Goeler,  dont  les  connaissances  stratégiques  sont  ad- 
mirées par  les  hommes  compétents,  dit  à  ce  propos  : 
«  D'après  le  chap.  V,  24,  Labiénus  campait  sur  le  terri- 
toire rémois,  à  la  limite  du  territoire  des  Trévires,  et  d'après 
le  chap.  V,  3,  la  forêt  des  Ardennes  s'étendait  à  travers 
le  pays  des  Trévires,  depuis  le  commencement  du  territoire 
rémois.  Conséquemment  il  faut  chercher  l'emplacement  du 
camp  de  Labiénus  vers  les  parties  méridionales  des  Arden- 
nes, le  long  de  la  rive  droite  de  la  Meuse,  lesquelles  ne 
sont  ni  si  inhospitalières  ni  si  incultes  que  d'autres  con- 
trées ardennaises  (i).  » 

Ailleurs,  le  même  auteur  commente  en  ces  termes  le 
chapitre  V  du  VI''  livre  : 

«  César  prit  donc  les  dispositions  suivantes  :  il  envoya 
deux  légions  avec  les  gros  bagages  vers  Labiénus,  qui  ne 
campait  plus  aux  frontières  rémo-lréviriennes,  mais  qui. 


(1)  Labiénus  stand  naralich  nach  V,  24,  «  auf  remischem  Gcbiele  auf  dcr 
Grenze  der  Trevirer  und  nacli  Y,  3,  zog  der  Ardennen  Wald  mitlen  durcli 
das  Land  der  Trevirer  zuni  Anfange  des  reniischen  Gebiels;  daher  miissen 
wir  auch  das  Lager  des  Labiénus  auf  den  sudlichen  Auslaûfern  der  Ardennen 
suclien  die  das  rechle  Maasufer  berûliren  und  nichl  so  unfruclilbar  und 
unwirlhlicli  sind  wie  andere  Ardcnnengegenden.  »  (Voy.  Caesar's  Gallischcr 
Krieg,  du  baron  de  Goeler,  1858,  p.  147).  —  Caes.  B.  G  V,  24  :  <■  Quarlam 
in  Remis  cum  T.  Labieno  in  confinio  Trevirorum  hiernare  jussit.  » 


—  37  — 

enlretemps,  avait  transporté  son  camp  sur  le  territoire 
même  des  Trévires,  vraisemblablement  près  d'Arlon  (i).  » 

Au  chapitre  suivant  du  même  livre,  M.  Goeier  exprime 
de  nouveau  cette  dernière  opinion. 

«  Lorsque  César,  dit-il,  quitta  le  pays  des  Sénons,  les 
Trévires  venaient  de  faire  une  grande  levée  de  fantassins 
et  de  cavaliers;  ils  s'avançaient  pour  attaquer  Labiénus 
dans  ses  quartier  d'hiver  près  d'Arlon  (2).  »  Cette  opinion, 
si  elle  n'est  pas  conforme  à  la  réalité,  réunit  au  moins  tous 
les  degrés  de  vraisemblance  (3). 

La  même  incertitude  se  produit  à  l'égard  de  l'endroit  où 
César  s'est  rendu,  quelque  part  sur  le  territoire  des  Tré- 
vires, pour  passer  en  revue  presque  toutes  ses  légions, 
comme  pour  leur  dire  un  dernier  adieu  avant  de  quitter  le 
théâtre  de  ses  triomphes  (4). 

Dans  cette  matière,  où  l'incertitude  est  l'écueil  inévitable, 
il  ne  faut  s'attacher  qu'aux  opinions  qui  présentent  le  plus 
de  caractères  de  vraisemblance.  C'est  ainsi  qu'on  a  désigné 
la  Vacherie  sur  l'Ourthe,  où  Labiénus  aurait  eu  ses  quar- 
tiers d'hiver.  On  y  a  trouvé  les  restes  d'un  camp.  Ce  serait 
également  sur  l'Ourthe,  aux  rives  escarpées,  que  le  choc 


(1)  Impedemenla  in  Treviros  mitlil,  VF ,  5.  «  Caesar  Iraf  daher  folgcnde 
Anordnung  :  zwei  Legioncm  mit  dem  schweren  Gepâck  sendele  er  zu  Labié- 
nus der  nichlmehr  an  der  remisch-lrevirischen  Grenze  sland,  sondern  in- 
dessen  sein  Lager  in  das  Gebiet  der  Trevirer  selbst  wahrsclieinlich  nach 
Arlon  verlegt  halte.  »  Voy.  Goeler,  p.  182. 

(2)  Dum  haec  a  Caesare  gcruntur,  VI,  7  :  «  Aïs  Caesar  ans  dem  Lande  der 
Senonen  aufbrach,  hatten  die  Trevirer  bereils  eine  grosse  Masse  an  Fussvolck 
und  Reiterei,  aufgeboten  und  ruckten  heran  um  Labiénus  in  seinem  Winler- 
lager  bei  Arlon  anzugreifen.  »  Voy.  Goeler,  p.  184. 

(3)  Toutefois  le  passage  de  César  ne  permet  pas  de  se  prononcer  d'une 
manière  absolue.  11  y  a  même  dans  le  texte  quelque  chose  qui  empêcherait 
celte  opinion,  si  Arlon  devait  être  considéré  comme  position  stratégique 
aux  bords  de  la  Semois  et  appliquée  rigoureusement  aux  termes  de  César, 
qui  dit  :  Erat  inter  Labienum  atque  hostem  diffîcili  transilu  flumcn  ripisque 
■praeruplis. 

(4)  Caes,  B.  g.  VllI,  52. 


—  38  — 

aurait  eu  lieu.  Les  uns  désigneiU  la  Sure,  qui  se  jelle  dans 
la  Moselle;  les  autres  la  Moselle  elle-même,  sur  la  frontière 
du  Luxembourg,  et  M.  Goeler  nomme  l'AIzelte,  qui  passe 
au  fond  du  ravin  de  la  forteresse  de  Luxembourg.  Il  yen  a 
qui  soutiennent  que  la  rencontre  a  eu  lieu  aux  bords  de  la 
Sure,  dans  les  environs  de  Martelange. 

S'il  faut  en  croire  le  père  Bertholet,  l'Ecuy  (Annales  de 
Carignan  et  de  Mouzon)  et  M.  Jeantin,  Labiénus,  quand 
il  fut  appelé  au  secours  de  Cicéron,  était  campé  près  de 
Mouzon.  Ils  admettent  que  les  limites  des  Trévires  et  des 
Rémois,  au  temps  de  César,  devaient  être  entre  Carignan 
et  Mouzon;  et  ils  ajoutent  qu'aucun  lieu  ne  pouvait  être 
plus  favorablement  choisi  pour  rétablissement  d'un  camp 
et  pour  le  déploiement  des  troupes,  que  le  terrain  qui  sé- 
pare la  Meuse  de  la  Chiers,  entre  Mouzon  et  Carignan  (i). 
Il  s'est  produit  encore  d'autres  opinions  sur  l'emplace- 
ment de  ce  camp  célèbre.  Ou  lui  a  assigné  Rocroi  et 
Revin  (2). 

Ces  assertions  diverses,  plus  ou  moins  fondées,  n'impo- 
sent point  la  conviction;  mais  parmi  celles  qui,  à  nos  yeux, 
réunissent  le  plus  de  caractères  de  probabilité,  nous  nous 
en  tenons  au  jugement  de  M.  Goeler.  Aux  extraits  que  nous 
avons  donnés  de  cet  auteur  sur  le  même  sujet,  nous  ajoute- 
rons un  autre  passage  par  lequel  nous  allons  terminer  ce 
chapitre.  11  nous  semble  de  nature  à  corroborer,  par  sa 
déduction  rigoureuse,  l'opinion  de  ce  stratégiste  en  faveur 
de  l'emplacement  du  camp  de  Labiénus  à  Arlon. 

{{)  Vcy.  Mémoire  rédigé  sur  la  demande  de  la  Commission  de  la  topogra- 
phie des  Gaules,  dans  la  Revue  historique  des  Ardennes.  —  Bertholet  s'atla- 
chanl  à  ropinioii  de  Cluvier,  le  place  près  de  la  rivière  d'Aisne,  à  quatre 
mille  pas  au-dessus  de  Ligny  et  quatorze  mille  de  la  Meuse. 

(2)  Quant  au  camp  de  Labiénus  chez  les  Rèmes,  dit  M.  Roulez,  je  ne  puis 
concevoir  qu'on  ait  pu  le  placer  à  Rocroi  ou  à  Revin,  en  hiver,  au  sein  d'un 
pays  où  pendant  la  bonne  saison,  les  armées  modernes  ont  déjà  tant  de 
peine  à  se  mouvoir;  sa  place,  selon  moi,  est  vers  Mouzon,  dans  la  direction 
d'Amiens  à  Trêves  et  de  Rheiras  à  Trêves  (11"  étude,  p.  442). 


—  39  — 


«  L'année  précédente,  dit  M.  Goeler  (i),  Labiénus  avait 
pris  position  sur  les  frontières  rénio-tréviriennes,  mais  sur 
le  territoire  rémois.  En  53,  il  s'avance  sur  le  territoire 
Irévirien  vraisemblablement,  parce  que,  après  la  défaite 
d'Amhiorix  et  d'Indutiomar,  il  n'y  avait  pas  tant  de  danger 
dans  une  position  isolée,  et  que  les  Rémois,  soumis  et  fidè- 
les, devaient  être  exemptés  du  fardeau  d'entretenir  les 
légions  de  Labiénus.  A  cause  de  sa  position  avantageuse 
pour  l'emplacement  d'un  camp  romain  et  d'après  les  né- 
cessités stratégiques  des  batailles  ultérieures,  Arlon,  comme 
je  m'en  suis  assuré  par  moi-même,  doit  être  regardé  pour 
l'endroit  où  Labiénus  se  tenait  en  53  avant  Jësus-Cbrisl.  » 


J.  Felsenuart, 

Docteur  en  pliilosoiihic  et  lellres. 


{Pour  être  conliniié). 


{i)  CAF.sAn's  Gallischer  Krieg.  —  V.  sur  B.  G.  V,  2-7,  édit.  île  Fr.  Kraiver, 
3til  Karle  von  Kicpcrl,  2  Ait/l.,  et  roiivragc  remarquable  de  M.  Speck,  Sur 
le  séjour  des  légions  de  César  dans  le  pays  de  Luxembourg,  inséré  dans  les 
publications  de  la  Société,  etc.,  année  1862,  l,  XVIII,  p.  156. 


—  40  — 


(SHuelque^  Bttanx 

DU  DIOCÈSE   DE   OAISTD   (i). 


IV. 

PAROISSE    DE    SAINT-SAUVEUR. 

Le  coin  original  de  la  mense  du  Saint-Esprit  dans  l'an- 
cienne église  de  Saint-Sauveur,  fait  partie  de  la  précieuse 
collection  de  M""  Ch,  Onghena.  L'empreinte  en  flgure  dans 
le  beau  travail  de  M' Kervyn  de  Volkaersbeke  sur  les  Églises 
de  G  and  (2). 

Le  sceau,  de  forme  ogivale,  semble  remonter  à  la  On  dn 
XIV^  siècle.  Au  milieu  d'un  champ  parsemé  de  branches, 
sur  un  demi-cercle  à  triple  bandeau  figurant  l'arc-en-ciel 
ou  les  nuages,  siège  le  Christ  revêtu  d'un  ample  manteau, 
la  tète  ornée  du  nimbe  crucifère,  les  mains  et  les  pieds  nus. 
Le  Sauveur  montre  les  cinq  plaies  glorieuses  et  semble 
prendre  l'attitude  indiquée  aux  Juifs  le  jour  de  sa  Passion  : 
Vous  verrez  le  fils  de  f homme  venant  sur  les  nuées  du 
ciel  (3). 

L'inscription  encadrée  par  un  double  gréuetis,  porte  en 
caractères  minuscules  séparés  par  des  globules  :  5'  sancti 
spiritus  ecclecie  sancti  ocpi  gandensis.  La  légende  commence 


(1)  Voir  année  1868,  p.  293;  année  1869,  pp.  i  et   129,  et  année  1870, 
pp.  178  et  3G0. 

(2)  Tome  II,  p.  274. 

(3)  Évangile  de  saint  Mathieu,  c.  XXVf,  v.  64, 


PL. XL 


J.D.uxvajAÀ,  del'. 


—  41  — 

par-  une  croix  formée  de  quatre  globules  et  se  termine  par 
une  branche,  particularité  déjà  signalée  dans  le  sceau  de 
l'officialité  de  Tournai  pour  la  Flandre  (i).  Le  module  du 
sceau  est  de  0'",051  sur  0"%033. 

Le  pèlerinage  à  Saint-Jacques  de  Compostelle  attirait 
chaque  année  une  multitude  immense  de  fidèles  de  toutes 
les  parties  de  la  chrétienté. 

Les  Flamands  se  distinguèrent  surtout  par  leur  dévotion 
constante  envers  l'apôtre  de  la  Gallice.  Dans  une  assem- 
blée solennelle  tenue  à  Gand  en  1282,  environ  cinq  cents 
pèlerins  se  constituèrent  en  confrérie  et  fondèrent  l'hôpital 
de  Saint-Jacques  dans  le  quartier  Terre  Neuve  lez  Gand, 
dépendant  de  la  jurisdiction  de  Saint-Bavon.  Cet  hôpital, 
richement  doté  en  1283  par  le  fameux  Henri  de  Gand, 
hébergeait  pendant  trois  jours  les  pèlerins  revenus  de  Gal- 
lice et  abritait  en  même  temps  plusieurs  pauvres  prében- 
diers,  hommes  et  femmes,  dont  le  nombre  s'éleva  au  XVl'' 
siècle  jusqu'à  trente-trois. 

Les  statuts  de  l'association  furent  définitivement  arrêtés 
en  1290.  Les  membres  des  deux  sexes  s'engageaient  à  faire, 
par  eux-mêmes  ou  par  procureurs,  le  pèlerinage  de  Com- 
postelle pendant  le  cours  de  l'année,  ou  à  payer,  en  cas 
d'empêchement  légitime,  une  somme  d'argent  destinée  à 
l'entretien  de  l'hospice. 

Le  coin  original  en  cuivre  du  sceau  de  l'hôpital  Saint- 
Jacques  se  conserve  au  musée  de  l'hôtel-de-ville.  L'exé- 
cution en  est  très-remarquable  et  rappelle  les  meilleures 
traditions  du  XIV*  siècle.  Le  champ  nous  représente  le 
Sauveur  et  saint  Jacques  debout,  la  tète  barbue  à  longue 
chevelure  ondoyant  sur  les  épaules  et  encadrée  par  un 
nimbe  simple  pour  l'apôtre,  crucifère  pour  son  divin 
maître.  Tous  deux  sont  drapés  dans  un  vêtement  long, 

(1)  V.  année  1868,  p.  296  et  pi.  I,  lig.  1. 


42  — 

chargé  d'un  large  manteau  relevé  sous  le  bras.  Ils  portent 
en  main  le  livre  fermé,  symbole  de  la  doctrine  céleste.  Le 
maître  présente  au  disciple,  qui  le  reçoit  avec  empresse- 
ment, le  flambeau  de  l'Evangile. 

Le  champ  porte  une  croix  à  chaque  coin  latéral,  et  une 
écaille  aux  extrémités  supérieure  et  inférieure.  Il  est  facile 
d'y  voir  une  allusion  à  la  croix  des  chevaliers  de  Saint- 
Jacques  et  à  l'écaillé  des  pèlerins  de  Compostelle. 

La  légende,  supérieurement  tracée  entre  deux  grénelis, 
commence  par  une  croix  et  porte  en  caractères  majuscules 
d'un  beau  type  :  5'  hospilaV  scii  Jacobi  —  sîip"  nova  f  ra 
j'itx'  Gandaw.,  c'est-à-dire  :  SigiUum  Iwspitalis  Sancti 
Jacobi  super  novam  terram  juxla  Gandavum.  Le  module 
est  de  0'",081  sur  0'",047  (PI.  XI,  fig.  1). 

Par  diplôme  du  3  mars  1527  (v.  s.),  Louis  de  Nevers,  à 
la  prière  des  magistrats  et  des  bourgeois  de  Gand,  amortit 
quatre  bonniers  de  terre  à  Roycnghem,  hors  de  la  porte  de 
Bruges,  pour  y  établir  un  prieuré  de  Chartreux. 

La  jeune  institution  fut  canoniquement  confirmée  en 
décembre  1529,  par  l'official  de  Tournai  et  par  Gérelm 
Borluut,  abbé  de  Saint-Bavon.  A  cet  important  document 
est  appenduentr'autres  le  sceau  de  la  nouvelleChartreuse(<). 

L'empreinte  est  en  cire  verte  et  mesure  0"S046  sur 
0'",032.  Sous  un  dais  à  double  arcature,  dont  l'intersection 
porte  une  tige  fleurée,  se  tiennent  debout  la  Vierge-Mère 
et  saint  Jean-Baptiste.  Marie  porte  la  couronne  royale.  Le 
divin  Enfant,  tout  habillé,  la  tète  encadrée  du  nimbe,  em- 
brasse sa  mère.  Le  Précurseur  porte  ses  attributs  ordinai- 
res; le  nimbe,  les  cheveux  longs,  la  barbe  moyenne,  le 
vêtement  court  et  le  disque  à  l'agneau.  Une  triple  arcature 
forme  le  support  du  dais. 


(1)  Archives  de  ta  calhcdralc  de  Sainl-Bavon,  fonds  des  Chartreux,  carlon  I, 
nos  15  et  1/i. 


—   43  — 

Le  choix  des  deux  saints  fut  déterminé  par  le  vocable 
même  de  la  Chartreuse,  dédiée  à  la  Vierge  Marie  et  à  saint 
Jean-Baptiste. 

La  légende  porte  en  caractères  majuscules  entre  deux 
grénetis  :  S'  doiniis  valUs  régal is  —  cartus  :  jiixta  Ganda. 
La  comparaison  de  ce  sceau,  avec  celui  de  la  confrérie 
de  Notre-Dame-aux-Rayons  représentant  le  même  sujet, 
démontre  à  Tévidence  la  supériorité  des  artistes  du  XIII'^ 
siècle  (i)  (V.  PI.  XI,  fig.  2). 

Le  document  que  nous  avons  sous  les  yeux  nous  fournit 
la  date  certaine  de  la  confection  du  sceau.  En  effet,  il  est 
plus  que  probable  que  c'est  bien  là  la  première  empreinte 
du  coin  original. 

La  dénomination  de  Vallis  regalis  rend,  d'après  la  fan- 
taisie des  traducteurs  de  l'époque,  le  nom  de  Royengliem  ou 
Conincxdal,  que  portait  le  quartier  de  la  paroisse  d'Ecker- 
gem,  sur  la  rive  gauche  de  la  Lys.  D'après  Sanderus  (2), 
ce  nom  fait  allusion  à  la  légende  populaire  consacrant  le 
séjour  des  trois  rois  de  France,  d'Angleterre  et  d'Ecosse 
qui,  au  fameux  siège  de  Gand  en  964,  établirent  leurs 
quartiers  dans  la  vallée  de  la  Lys. 

La  figure  3  de  la  planche  XI  représente  le  sceau  en  cire 
verte  du  prieur  Jacques  Ruebs.  Cette  empreinte  est  appen- 
due  à  un  acte  du  18  novembre  1453,  par  lequel  Colaert 
Cabeilliau  et  Hoste  de  Grutere,  receveurs  de  la  Gruute, 
transigent  avec  les  Chartreux  pour  les  droits  à  percevoir 
sur  la  bière  brassée  dans  le  couvent  (3). 

L'exécution  du  sceau,  quoique  digne  de  l'époque,  est 
bien   inférieure  à   celle   de   l'empreinte    précédente.    La 


(I)  V.  année  1869,  p.  134  et  pi.  Vlil,  no  3. 
(2j  Flandria  illustrala,  t.  hr,  p.  313. 

(3)  Archives  de  la  cathédrale  de  Saint-Bavon,  fonds  deg  Chartreux,  car- 
Ion  10,  no  158. 


—  44  — 

Vierge-Mère  couronnée  porte  le  divin  Enfant  nu  sur  le 
bras  gauche  et  tient  tie  la  main  droite  une  branche  fleurie 
et  un  manipule.  La  mère  et  le  fils  ont  la  tête  nimbée.  La 
légende,  encadrée  de  simples  filets,  porte  en  lettres  mi- 
nuscules :  5'  prioris  dom.  vallis  regalis  ord.  carlus.  prope 
Gandaw.  Le  module  est  de  0'°,034  sur  0'",025. 

La  Chartreuse  du  Val  royal,  détruite  dans  les  troubles 
religieux  du  XVP  siècle,  fut  transférée  dans  le  couvent 
des  frères  du  Tiers  ordre  de  Saint-François,  au  quartier 
dit  Meerhem,  dans  la  paroisse  de  Saint-Sauveur,  en  vertu 
d'une  bulle  du  pape  Grégoire  XIII,  en  date  du  13  août 
1S84  (i). 

La  nouvelle  maison,  intitulée  le  19  mai  1585,  par  le 
chapitre  général  de  l'ordre,  la  Chartreuse  de  Saint-Briinon 
dans  le  désert,  obtint,  en  1627,  aux  instances  du  prieur 
Liévin  De  Jaghere,  son  ancien  titre  de  Val  royal. 

Supprimés  par  Joseph  II,  en  1783,  les  Chartreux  re- 
vinrent en  1787,  mais  furent  dispersés  définitivement 
en  1796.  Leurs  archives  avaient  passé,  lors  de  la  première 
suppression,  au  chapitre  de  Saint-Bavon  et  forment  un 
dépôt  très-important,  qui  comprend  1438  pièces,  dont 
nous  avons  achevé  récemment  le  classement. 

Au  témoignage  de  Sanderus  (a),  les  armoiries  de  Val 
royal  étaient  :  d'argent  à  trois  trèfles  de  sinople  posées  2,  1 . 
On  les  trouvait  empreintes  sur  les  poteaux  et  autres  signes 
de  délimitation  agraire. 


L'abbé  J.-B.  Lavaut. 


{Pour  être  continué). 


(ï)lbid.,  carton  24,  n"  249. 

(2)  Flandria  iUuslrata,  t.  I",  p.  315. 


—  45  — 


HISTOIRE 

DES   RELATIONS    POLITIQUES 

ENTRE    LA    FLANDRE   ET    l' ANGLETERRE, 
AU    MOYEN    AGE. 


CHAPITRE  IX. 

(1305-1314). 

Robert  de  Béthune.  Edouard  l". 

Edouard  il. 

Robert  de  Bélhune  commença  tristement  son  règne  en 
souscrivant  aux  clauses  du  traité  d'Athies,  dit  le  traité 
d'iniquité.  En  retour  de  cette  soumission,  Philippe  le  Bel 
pria  le  roi  d'Angleterre  de  vouloir  rétablir  les  anciennes 
relations  qui  avaient  existé  entre  ses  sujets  et  la  Flandre. 
Edouard  y  consentit,  en  posant  toutefois  la  condition  que 
les  Ecossais,  avec  lesquels  il  était  en  état  permanent  d'hos- 
tilité, seraient  exclus  des  ports  de  Flandre.  Le  comte,  au 
risque  que  la  prohibition  continuât  pour  son  pays,  pro- 
testa contre  cette  prétention  ;  ses  ports  avaient  toujours 
été  considérés  comme  neutres,  jamais  ils  n'avaient  été 
fermés  pour  aucune  nation,  et  il  ne  voulait  pas,  en  posant 
cet  antécédent,  s'exposer  à  voir  plus  tard  d'autres  peu- 
ples déserter  ses  places  de  commerce,  par  la  crainte  que 
cette  mesure  se  répétât.  Il  écrivit  le  16  avril  1505  au  roi 
Edouard  une  lettre  fort  digne,  dans  laquelle  il  dit  que  son 


—  46  — 

pays  a  de  loul  temps  dû  sa  prospérilé  au  commerce,  qu'il 
a  servi  de  rendez-vous  à  tous  les  peuples  et  qu'il  lui  est 
impossible  de  souscrire  à  l'exclusion  des  Ecossais  (i);  la 
commune  de  Bruges  écrivit  de  son  côté  que  la  Flandre  était 
ouverte  aux  marchands  de  toutes  les  nations,  et  que  le 
magistrat  ne  pouvait  entraver  les  négociations  commercia- 
les, en  excluant  l'un  ou  l'autre  peuple  (2). 

Edouard  comprenant,  en  face  de  celte  altitude  des  Fla- 
mands et  de  leur  souverain,  ce  que  ses  exigeances  avaient 
de  vexatoire,  n'insista  pas;  un  peu  plus  tard  même,  il  ne 
les  expulsa  pas  d'Angleterre,  malgré  la  demande  que  Phi- 
lippe le  Bel,  de  nouveau  mécontent  du  comte,  lui  en  avait 
faite,  en  alléguant  qu'il  avait  défendu  l'entrée  de  la  France 
aux  Ecossais  (3). 

Les  relations  reprirent  donc  entre  la  Flandre  et  l'Angle- 
terre. Il  y  eut  bien  de  part  et  d'autre  quelques  difficultés 
de  détail,  mais  qui  n'allèrent  pas  jusqu'à  rompre  la  lionne 
harmonie;  ainsi  dans  le  courant  de  la  même  année  1505, 
des  corsaires  flamands,  dont  l'un  est  désigné  sous  le  nom 
de  Jean  de  Bierviiet,  s'étaient  emparés  de  marchandises 
appartenant  à  Bernard  Maglekin  et  Raymond  de  Meremars, 
tous  deux  sujets  anglais;  un  autre  Anglais,  Laurent  de 
Sandwich,  avait  été  également  victime  de  leurs  pirateries. 
Le  roi,  en  considération  de  ces  excès  que  rien  ne  légiti- 
mait, donna  ordre  de  saisir  les  biens  et  marchandises  des 
gens  du  comté  de  Flandre,  jusqu'à  concurrence  de  la 
somme  de  502  marcs,  montant  des  pertes  essuyées  par  ses 
sujets.  En  vertu  de  cette  injonction,  les  vicomtes  de  Lon- 
dres, Renaud  de  Chinderley  et  Guillaume  Cosyn,  s'empa- 
rèrent au  nom  du  roi  de  neuf  pièces  de  drap,  d'une  valeur 


(1)  RvMER,  édil.  angl.,  t.  I,  P.  II,  p.  972. 

(2)  Record  office. 

(3)  Wai.sisgam,  p.  90. 


—  47   — 

(le  19  livres  4  sous  steilings,  et  d'une  autre  pièce,  d'une 
valeur  de  45  sous  4  deniers,  le  tout  au  préjudice  de  Jean 
d'Ooslburg.  Ce  marchand  se  plaignit  au  comle,  sur  les 
réclamations  duquel  les  vicomtes  de  Londres  écrivirent  aux 
échevins  et  capitaines  de  Bruges,  ainsi  qu'aux  officiers  du 
comte,  pour  expliquer  leur  conduite  et  déclarer  que  les 
objets  saisis  avaient  été  remis  en  guise  d'indemnité  à  Ray- 
mond, Bernard  et  Laurent  (i).  Robert  de  Bélhune,  voulant 
du  reste  montrer  sa  bonne  intention  de  faire  rendre  justice 
aux  Anglais,  manda  au  roi  qu'il  allait  régler  promptement 
l'affaire  d'un  certain  Arnoul  Drokas,  dont  son  frère  Phi- 
lippe, au  temps  de  la  guerre,  avait  pris  le  vaisseau  et  les 
marchandises,  évalués  à  deux  cent  soixante  livres;  il  ajoute 
qu'il  fera  de  même  à  l'égard  de  tous  les  dommages  subis 
par  les  sujets  du  roi  et  prie  celui-ci  d'en  agir  de  même  à 
l'égard  des  Flamands  (2).  Le  comle  écrivit  presqu'en  même 
temps  une  autre  lettre  à  Edouard,  au  sujet  de  certaines 
réclamations  faites  par  des  marchands  anglais,  dont  on 
avait  confisqué  les  biens  à  l'Ecluse  (3).  A  la  suite  de  cela, 
le  roi  ordonna  à  ses  officiers  de  faire  rendre  justice  à  quel- 
ques marchands  flamands  pour  lesquels  le  comte  avait  in- 
tercédé (4),  et  renouvela  peu  après  le  privilège  commercial 
qu'Henri  III  avait  concédé  aux  bonnes  gens  d'Ypres  (s). 

Le  7  juillet  1507,  Edouard  P""  mourut,  laissant  le  trône 
au  faible  Edouard  IL 

Le  premier  acte  diplomatique  relatif  à  notre  pays  dont 
il  soit  fait  mention  sous  le  nouveau  roi,  est  une  lettre  au 
comte  de  Flandre  au  sujet  des  Hanséates.  Edouard,  mé- 


(1)  Archives  de  l'Elal,  à  GanJ,  chartes  des  comtes  de  Flandre;  Inventaire 
iiE  Saim-Genois,  n»  1137. 

(2)  RyjirR,  édit.  angl.,  t.  I,  P.  II,  p.  1013;  lettre  du  10  avril  1307. 

(3)  Record  office. 

(4)  Idem. 

(b)  Archives  d'Ypres;  Inventaire,  p.  204. 


—  48   — 

content  de  la  présompliou  et  de  la  témérité  de  ces  marins 
qu'on  appelait  Esterlings,  qui  avaient  fourni  des  secours 
aux  Ecossais  dans  leur  guerre  avec  TAngielerre  et  causé  de 
grands  dommages,  prie  Robert  de  Bélhune  de  sévir  contre 
ceux  qui  se  trouvent  avec  leurs  vaisseaux  dans  le  Zwyn; 
il  envoie  en  même  temps  son  serviteur,  Egide  de  la  Motte, 
chargé  d'exposer  au  comte  de  Flandre,  au  comte  de  Namur, 
ainsi  qu'à  la  ville  de  Bruges,  les  griefs  qu'il  dit  avoir,  et 
de  remettre  à  tous  trois  des  missives  scellées  de  son  sceau 
secret  (i).  Ces  réquisitions  n'eurent  pas  plus  d'effet  que 
celles  formulées,  quatre  ans  auparavant,  par  Edouard  I" 
au  sujet  des  Ecossais;  le  comte  était  trop  jaloux  de  con- 
server à  tous  les  peuples  la  libre  entrée  de  ses  ports,  pour 
consentir  à  des  demandes  de  ce  genre.  Dans  le  courant  de 
Tannée  1309,  le  roi  écrivit  encore  au  comte,  ainsi  qu'à  la 
ville  de  Bruges,  plusieurs  lettres  pour  demander  réparation 
des  pirateries  commises  par  les  Flamands  au  détriment  de 
ses  sujets  sous  la  régence  de  Philippe  de  Thielle  (â). 

Mais  un  procès  de  piraterie  plus  important,  à  cause 
surtout  de  la  position  des  prévenus,  força  bientôt  le  comte 
de  Flandre  à  faire  droit  aux  plaignants  anglais,  au  lieu  de 
se  borner  à  promettre.  Hugues  de  Gavre,  chevalier,  avait 
été  gravement  soupçonné  d'avoir,  avec  quelques  adhérents, 
dépouillé  en  mer  des  marchands  et  autres  gens  de  France 
et  d'Angleterre;  plainte  fut  portée  devant  le  comte,  mais 
celui-ci,  à  la  prière  de  quelques-uns  de  ses  sujets  qui  in- 
tercédèrent en  faveur  de  Hugues,  et  en  considération  des 
loyaux  services  que  celui-ci  avait  rendus,  pardonna  moyen- 
nant toutefois  que  le  sire  de  Gavre  consentirait  à  indem- 
niser les  marchands  qu'il  avait  pillés,  qu'il  promettrait  de 
s'abstenir  dorénavant  de   tous   actes  de  cette  espèce,  et 


(1)  Ryi«i;r,  édit.  angl.,  t.  H,  p.  70. 

(2)  RvMEn,  édit.  angl.,  l.  II,  pp.  73,  77  et  100.  Lettres  du  1"  juin,  4  juillet 
et  16  décembre. 


—  49  — 

reslerail  en  Flandre,  où  il  demeiirciail  toujours  allaclié  au 
parti  du  comte.  Hugues  consentit  à  tout,  il  promit  de  ne 
pas  quitter  le  pays,  ni  lui  ni  ses  enfants,  contre  la  volonté 
du  comte;  Arnould,  son  fils  aine,  pour  lui  et  son  frère,  se 
portèrent  garants  de  rexéculion  de  ces  engagements.  Mais 
la  paix  ayant  été  faite  avec  le  comte  de  Hollande,  Hugues 
passa  sur  les  terres  de  ce  dernier,  avec  l'assentiment  de 
Robert  de  Béthune,  et  obtint  de  ne  pas  être  inquiété,  si 
dans  le  cas  d'une  nouvelle  guerre  il  accomplissait  ses  de- 
voirs do  vassal  envers  le  comte  de  Hollande.  Il  s'engagea 
du  reste  à  se  rendre  dans  les  prisons  de  Robert,  un  mois 
après  en  avoir  été  requis.  Plusieurs  seigneurs  de  Flandre 
intervinrent  comme  répondants  de  Hugues;  c'étaient  Phi- 
lippe d'Axel,  avec  ses  fils  Philippe  et  VVautier,  et  Simon 
de  Desteldonc,  tous  chevaliers  («)• 

Le  comte  Robert,  qui  gardait  peut-être  une  certaine 
rancune  aux  Anglais  de  l'abandon  d'Edouard  I"  en  1297, 
ne  se  pressait  jamais  beaucoup  de  punir  les  Flamands 
coupables  d'attentats  contre  leur  personne  ou  leurs  biens; 
il  lui  arriva  même  de  refuser  complètement  de  faire  jus- 
tice à  leurs  doléances.  Jean  Aleyn  ,  marchand  de  Yar- 
moulh,  s'était  plaint,  en  1507,  à  Edouard  I",  que  les 
baillis  et  échevins  des  villes  de  Bruges,  Damme,  l'Ecluse 
et  Ardenbourg,  avaient,  malgré  sa  résistance  et  celle  de 
ses  matelots,  capturé  un  de  ses  navires,  appelé  le  Grand 
coq  de  Sainle-Marie,  de  Yarmouth,  chargé  depuis  long- 
temps dans  le  port  du  Zwyn,  de  différentes  marchandises 
en  destination  de  Soulhampton.  Aleyn,  privé  de  son  na- 
vire, éprouva  de  ce  chef  un  dommage  considérable,  mon- 
tant à  1 10  livres  sterlings;  le  roi  Edouard  I",  et  Edouard  H 
après  lui,  requirent  le  comte  de  Flandre  de  faire  justice  au 

(1)  Archives  de  l'Elat,  à  Gand;  chartes  des  comles  de  Flnndre,  pièces  dii 
10  cl  11  août  1309.  —  Inventaire  de  Saikt-Genois,  n"»  1200  et  1201. 

4 


—  50  — 

marchand.  Hobcrl,  au  rapporl  des  baillis  elaulorilt's  deYar- 
inoulli,  refusa  net  (i).  Alors  le  roi  d'Angleterre  qui  ne  se 
conlenlait  pas  de  ce  déni  de  justice,  ordonna  le  1"  septem- 
bre à  Jean  de  Bretagne,  comte  de  Ricbmond,  son  bailli,  de 
saisir  et  retenir  jusqu'à  concurrence  de  la  somme  susmen- 
tionnée, toutes  les  marchandises  des  marchands  de  Bruges, 
Damme,  l'Ecluse  et  Ardenbourg,  ou  d'autres  parties  de  la 
Flandre,  dont  il  pourrait  s'emparer  dans  l'étendue  de  sa 
juridiction,  jusqu'à  ce  que  Jean  Aleyn  eût  obtenu  satis- 
faction. Le  dit  bailli  fit  ensuite  connaître  qu'en  exécution 
de  cet  ordre  royal  il  avait  saisi  dans  la  villa  de  Sancto- 
Bolhero  (2),  le  navire  d'un  certain  Pierre  Reyner  d'Arden- 
bourg,  estimé  à  8  marcs,  les  draps  d'Hugues  Knobs, 
d'Oostbourg,  estimes  à  41  livres  15  sous  4  deniers;  les 
draps  de  Guillaume  Duck,  également  d  Ooslbourg,  estimés 
à  2G  livres  10  sous;  les  draps  d'Henri  Taille,  d'Arden- 
bourg,  estimés  à  06  livres  10  sous.  Ces  marchandises  valant 
ensemble  le  montant  des  dommages  subis  par  Aleyn,  le  roi 
enjoignit  au  bailli  de  les  lui  faire  remettre  et  d'en  exiger 
décharge  (3). 

Au  commencement  de  1510,  Robert  écrivit  deux  lettres 
à  Edouard  au  sujet  des  plaintes  formulées  par  celui-ci,  au 
mois  de  juin  de  l'année  précédente,  à  cause  des  déprada- 
tions  des  Flamands  et  lui  opposa  des  fins  de  non  rece- 
voir (4);  Edouard  lui  écrivit  également  au  mois  de  novembre, 
le  priant  d'interdire  ses  ports  aux  pirates  qui  profilaient 
de  la  guerre  avec  l'Ecosse  pour  nuire  à  ses  sujets;  et 
Robert  ne  se  rendit  pas,  que  nous  sachions,  à  ces  récla- 
mations du  roi  (5). 

(1)  Purliamcnlary  Wrillis,  l.  Il,  p.  \7 .  A"  1308. 

(2)  Sans  doule  Boston. 

(3;  Archives  de  rÉiat,  à  Gand;  chartes  des  comtes  de  Flandre.    —  Inven- 
taire DE  Saint-Genois,  n"  1203. 
{i)  Record  office. 
(5j  Rymer,  édil.  angl.,  t.  II,  p.  118. 


51  — 


Il  fanl  convenir  que  si  les  Anglais  avaient  des  giiels  à 
faire  valoir,  les  Flamands  n'en  avaient  pas  de  moins  grands; 
bien  au  contraire,  et  si  le  comte  se  montrait  peu  empressé 
de  faire  justice,  c'est  qu'on  ne  se  hâtait  pas  davantage  de 
l'autre  côté  du  détroit.  Les  documents  ne  manquent  pas, 
dans  lesquels  les  bonnes  gens  de  Flandre  exposent  les 
dommages  qu'ils  ont  eu  à  supporter  de  la  part  des  Anglais; 
nous  trouvons  d'abord  les  plaintes  des  habitants  d'Ostende, 
iîlankenberge,  Damme,  l'Ecluse,  La  Mude,  Ardenbourg, 
Oostbourg,  Dunkerque,  Nieuport,  Bierviiet  et  Lombarl- 
zyde;  puis  une  longue  énumération  des  excès  commis  sur 
les  pécheurs  de  harengs  de  Blankenberge,  depuis  la  trêve 
de  1297  jusqu'en  1310,  tant  dans  les  ports  d'Angleterre 
que  dans  ceux  de  Flandre,  pendant  les  débats  entre  les 
rois  de  France  et  d'Angleterre;  le  nombre  des  individus 
tués  par  les  Anglais  y  est  porté  à  quatre  cents  environ,  la 
valeur  des  dommages  et  des  objets  enlevés  à  plus  de  quatre 
mille  livres  sterlings,  et  celle  des  harengs  à  dix-sept  cent 
six  livres;  les  pécheurs  de  Dunkerque  et  de  Lombartzyde 
présentèrent  un  réquisitoire  du  même  genre  (i).  Un  certain 
Jean  Pot,  de  Bierviiet,  se  plaignit  de  ce  que  les  Anglais 
avaient  assommé  son  frère  et  deux  de  ses  compagnons,  et 
ensuite  blessé  huit  autres  d'entre  eux,  brûlé  les  agrès  de 
son  navire,  dont  ils  s'étaient  emparés,  ainsi  que  de  la  car- 
gaison (2). 

Il  était  indispensable  d'en  venir  entre  les  deux  pays  à 
un  accord  définitif  au  sujet  de  tous  ces  excès  commis  de 
part  et  d'autre.  A  la  fin  de  1511,  le  23  novembre,  les  en- 
voyés du  comte,  Jean  de  Fiennes  et  Guillaume  de  Nevele, 
chevaliers,  s'étant   réunis    avec    les   mandataires  du    roi 


(1)  Archives  de  l'Etal,  à  Gaïul;  chartes  des  comtes  île  Flandre.  —  Inven- 
taire DE  Saint-Genois,  nos  1235,  1236,  1237. 

(2)  Idem.  Inventaire  Gaillard,  p.  145. 


—  52  — 

«l'Angleterre  à  Westminster,  posèrent  les  bases  d'un  ac- 
commodement. Il  fut  stipulé  au  sujet  des  excès,  meurtres 
cl  violences  commis  par  les  Flamands  sur  les  Anglais  et 
réciproquement  depuis  ravènemenl  du  roi,  que  :  \°  les 
deux  parties  nommeront  de  chaque  côté  des  commissaires 
ou  enquéreurs  pour  examiner  les  faits;  ceux  du  roi  siége- 
ront à  Londres  et  ceux  du  comte  à  Bruges;  2"  le  roi  dé- 
signe à  cet  effet  messire  Robert  de  Kendale,  connétable  de 
Douvres  et  gardien  des  cinq  ports,  messire  Henri  de  Cobe- 
ham  le  puîné,  messire  Jean  de  Nortbwood  l'ainé,  et  mes- 
sire Jean  de  Frisingfeld,  chevaliers,  donnant  pouvoir  à 
tous  et  à  trois  ou  deux  d'entre  eux  d'agir  dans  cette  affaire 
selon  la  loi  et  coutume  de  la  terre  marchande;  5°  ces  com- 
missaires devront  se  trouver  à  leur  poste  pour  commencer 
les  enquêtes,  quinze  jours  après  la  Chandeleur,  ou  le 
17  février  suivant;  4°  les  commissaires  du  comte  devront 
se  trouver  à  Bruges  le  jeudi  après  le  Mi-Caréme,  ou  le 
9  mars;  5°  les  jugements  et  arrêts  obtenus  par  les  Fla- 
mands ou  les  Anglais,  jusqu'à  la  date  du  présent  accord, 
sortiront  leur  plein  effet,  mais  il  n'en  pourra  plus  être 
donné  de  nouveaux  jusqu'au  jeudi  désigné  plus  haut;  6°  il 
sera  publié  dans  tous  les  poris  du  royaume,  que  tous  Fla- 
mands qui  se  rendront  en  Angleterre  pour  poursuivre 
leurs  procès  contre  les  Anglais,  y  pourront  venir  libre- 
ment et  sans  crainte  et  devront  s'y  trouver  au  jour  désigné; 
7°  que  les  Anglais  qui  auront  à  se  plaindre  des  Flamands, 
devront  se  trouver  à  Bruges  au  terme  fixé,  et  qu'ils  pour- 
ront aussi  s'y  rendre  librement;  8°  qu'après  les  termes 
susmentionnés  les  plaignants  ne  seront  plus  admis;  9°  que 
les  plaignants  pourront  se  faire  représenter  par  leurs  pro- 
cureurs et  faire  valoir  toutes  preuves  servant  à  constater 
les  dommages  qu'ils  ont  éprouvés;  ÎO"  les  lettres  patentes 
des  communes  de  Flandre  et  des  chefs  gardiens  des  vil- 


55   — 


les  d'Angleterre  seront  admises  comme  bonnes  preuves  (i). 
Le  terme  fixé  pour  la  ralificalion  de  ce  traité  étant  le 
jour  de  Noël,  et  le  roi  n'ayant  pas  encore  reçu  à  cette  épo- 
que l'adhésion  du  comte  de  Flandre,  il  ne  fut  pas  procédé 
à  l'exécution  de  cet  accord.  Robert  ratifia  le  1"  janvier 
1ol!2  (n.  s.)  (2)  les  mesures  arrêtées  par  ses  députés  et 
envoya  au  roi,  à  Warwick,  Thierry  le  Dorpre,  bourgeois 
de  Gand,  et  Gillon  de  Hertsberghe,  son  valet,  avec  des 
lettres  scellées  de  son  sceau,  pour  exécuter  le  traité;  le  roi, 
nonobstant  ce  retard,  consentit  à  maintenir  les  conditions 
de  l'accord  conclu  et  à  fixer  aux  marchands  le  terme  des 
octaves  de  la  Trinité  pour  conjparaitre  à  Londres,  et  le 
lendemain  de  la  Saint-Jean-Dapliste  pour  comparaître  à 
Bruges.  Ce  nouvel  accord  fut  fait  à  Warwick,  en  présence 
de  l'évêque  de  Chester,  d'Edmond  de  Maule,  de  Gillon  de 
Juge,  du  sire  Adam  d'Osgodeby,  sire  Robert  de  Bardelby 
et  sire  Guillaume  de  Dyremyme,  gardiens  du  sceau.  Robert 
nomma  le  1 4  février,  en  qualité  de  commissaires,  Guillaume 
de  Nevele,  Guillaume  le  Poisson,  Baudouin  d'Arsebrouc 
et  Jean  de  Meniu,  leur  donnant  plein  pouvoir  d'agir  en  celte 
affaire  et  de  siéger  au  jour  désigné  dans  le  Bourg  de 
Bruges,  pour  entendre  les  plaintes  des  Anglais  contre  les 
Flamands,  les  examiner  et  prononcer  le  jugement  qu'il 
conviendrait  (5).  Le  roi  d'Angleterre  donna  le  21  mars 
avis  à  tous  les  vicomtes  et  baillis  de  la  nomination  des 
commissaires  cités  plus  haut,  en  leur  mandant  de  se  con- 


(1)  Arcliives  de  l'Elal,  à  Gand,-  cliarles  des  comtes  de  Flandre.  —  Invenl. 
OE  Saint-Genois,  n»  1247.  Y.  aux  Pièces  Justificatives. 

(2)  Arch.  départ,  de  Lille;  fonds  de  la  clianibrc  des  comples,  8^  carlulaire 
de  Flandre,  pièce  158. 

(3)  Archives  de  l'Étal,  à  Gand  :  cliarles  des  comtes  de  Flandre.  —  Invenl. 
DE  Saint-Genois,  n»  1247.  —  Il  se  trouve  aux  Archives  de  TÉtat  une  pièce 
où  sont  énumérées  les  différentes  sommes  dues  par  le  comte  aux  Anglais. 
Inventaire  Gaillard,  p.  71. 


—  u  — 

former  aux  décisions  qui  seraient  prises  en  son  nom  (i). 
Le  25  avril,  il  accorda  la  sandiou  royale  à  une  mesure 
dont  nous  avons  parlé  déjà  plus  haut  (2),  el  en  vertu  de 
laquelle  les  magistrats  de  Londres  défendaient  à  tout  mar- 
chand étranger  de  séjourner  dans  la  ville  plus  de  quarante 
jours  avec  ses  marchandises  sans  les  vendre  (3).  Les  rois 
anglais  étaient  souvent  obligés  de  passer  par  les  exigeances 
des  habitants  de  leur  capitale,  dont  la  jalousie  se  traduisit 
plusieurs  fois  en  mesures  de  ce  genre;  mais  les  habitants 
du  plat  pays  el  la  noblesse  étaient  plus  favorables  aux 
élrangers,  auxquels  ils  vendaient  leurs  produits  bruts  à  des 
prix  plus  élevés  qu'aux  habitants  des  villes  de  l'intérieur, 
dont  le  marché  était  plus  limité  (4). 

Peu  après  le  roi  confirma  le  privilège  des  Yprois,  el  le 
20  mai,  celui  de  l'étape  des  laines  que  possédait  la  Flandre, 
en  considération,  disait-il,  des  pertes  et  dommages  qu'avait 
souffert  le  commerce  de  ses  sujets  (5). 

Malgré  la  paix  et  les  accords  conclus  entre  les  deux  pays, 
quelques  marins  anglais  continuèrent  à  faire,  au  détriment 
de  la  Flandre,  le  métier  de  corsaires;  le  8  juin,  il  y  eut 


(1)  Rymer,  édil.  angl.,  t.  Il,  p.  IGO. 

(2)  Voir  plus  haut  le  Livre  II,  cliapitre  VI,  tic  la  Hanse  de  Londres,  el 
Pièces  justificatives. 

(5)  «  Mémorandum  quod  die  marlii  proxima  ante  feslum  saneti  Marci,  Evan- 
gelisle,  anno  regni  Edw.,  fdii  régis  Edw.  quinto,  omnes  niercalores  alieni- 
geni,  in  civilali  Londoniense  venietites,  veneruut  coram  Johannc  de  Gisorcio 
majore,  Johanne  de  Wengerne,  W"  de  Combemarlyn,  Je  de  Lincoln,  Galfrido 
de  Conductu,  Simon  Molet,  Aldermanis,  et  Ricardo  de  Wellefort,  vicecomite, 
per  summonilionem,  et  premunili  fuerunt  ex  parle  domini  régis,  quod  de 
cetero  non  raorentur  in  civitate  cum  bonis  et  marcandisis  suis  a  tempore 
quo  ex  civilati  duxerini  ullra  quadraginta  dies,  a  die  advenlus  sui,  nec  hona 
et  mercimonia  sua  ultra  idem  Icmpus  non  vendita  tenebunt,  sub  forisfac- 
tura  illius  rei  que  inveniri  continget,  etc.  »  {Archiv.  de  la  mairie  de  Lon- 
dres, reg.  C,  fol.  1-45  v».  —  Cfr.  Delpit,  Documents  français). 

(4-)  Lappknberc,  p.  283. 

(3)  Voir  aux  Pièces  justificatives.  —  Cfr.  Delpit,  Documents  français. 


—  55  — 

irn  combat  entre  des  équipages  anglais  et  flamands  à  Cras- 
down,  sur  les  côtes  d'Angleterre,  et  le  roi  manda  immédia- 
tement à  son  bailli,  Jean  de  Milford,  de  lui  envoyer  un 
rapport  à  ce  sujet  (i).  De  leur  côté,  les  habitants  de  Nieu- 
port  qui  avaient  souffert  de  méfaits  analogues,  commis 
depuis  la  Saint-Jean-Baptiste,  s'adressèrent  au  roi  pour 
obtenir  justice;  ils  se  plaignaient  que  le  H  juillet  un  de 
leurs  concitoyens,  Guillaume  Boilin,  patron  d'un  bateau, 
et  tous  ses  compagnons,  furent  assassinés  devant  I>one- 
wyt,  et  que  les  Anglais  leur  prirent  pour  une  valeur  de 
52  livres  sterlings;  que  le  19,  les  Anglais  coulèrent  un 
bateau  appartenant  à  Nicolas  Septsolz  et  à  ses  compagnons, 
leur  causant  un  dommage  de  12  livres;  que  Wautier,  fils 
de  Heneman  Blot,  fut  massacré  avec  huit  de  ses  com- 
pagnons et  que  les  Anglais  s'emparèrent  de  sa  barque  et  de 
la  cargaison;  qu'un  nommé  Lambert  Daniel  fut  assassiné 
avec  tous  ses  compagnons,  sauf  deux  (-i). 

Edouard  publia  peu  après  un  bref  en  vertu  duquel  il 
déclara  vouloir  redresser  tous  les  attentats  commis  par  ses 
sujets  sur  les  Flamands  et  par  les  Flamands  sur  ses  su- 
jets (ô).  Le  15  février  1313  (n.  s.),  il  écrit  au  comte  Robert 
deux  lettres,  la  première  pour  l'informer  qu'il  accepte  les 
bases  de  l'arrangement  conclu  par  ses  envoyés  au  sujet  des 
pertes  essuyées  par  leur  sujets  respectifs,  et  la  seconde, 
pour  l'engager  à  défendre  aux  Flamands  d'exporter  des 
munitions  de  guerre  ou  de  bouche  vers  les  Ecossais,  sou- 
levés contre  son  autorité  (4).  Puis,  dans  une  longue  lettre, 
datée  du  1"  mai,  Edouard  informe  le  comte  que  les 
Flamands  qui  ont  à  se  plaindre  de  délits  commis  à  leur 


(t)  Record  office. 

(2)  Archives  de  l'Etal,  à  Gand;  chartes  des  comtes  de  Flandre.  —  fnvcnt. 
Gaillard,  p.  146. 

(5)  RvMER,  édit.  angl.,  t.  II,  pp.  188  el  189, 
(4)  RïMEn,  édil.  angl.,  l.  M,  p.  202. 


—  56  — 

ilétrimeiil  par  les  Anglais,  et  surtout  de  rallental  de  Cras- 
down,  dont  il  a  été  question  plus  haut,  peuvent  se  présen- 
ter à  Londres  devant  les  commissaires  qu'il  a  désignés.  Il 
se  plaint  en  même  temps  qu'un  Flamand,  du  nom  de  Jean 
Crabbe,  et  quelques  autres,  ont  pillé  des  sujets  anglais, 
entre  Boulogne  et  Witsand,  et  enlevé  des  bijoux  de  grande 
valeur  appartenant  à  la  comtesse  Alice,  femme  du  maréchal 
d'Angleterre  (i);  il  déclare  que  pour  assurer  la  tranquillité 
et  la  sûreté  du  commerce,  il  fera  rendre  une  prompte  et 
sévère  justice,  et  exige  la  même  chose  en  retour.  Il  engage 
de  nouveau  Robert  à  défendre  aux  Flamands  de  secourir 
les  Ecossais,  et  lui  fait  observer  que  depuis  la  demande 
qu'il  lui  a  faite  le  13  février,  relativement  au  même  objet, 
treize  navires  flamands  sont  sortis  du  Zvvyn,  chargés  d'ar- 
mes et  de  munitions  de  bouche,  en  destination  de  l'Ecosse, 
ce  qui,  dit-il,  est  fort  étonnant,  si  le  comte  a  le  maintien 
de  la  paix  autant  à  cœur  qu'il  le  dit  (i). 

Les  afTaires  étaient  ainsi  pendantes,  quand  Philippe  le 
Bel  exigea  que  Robert  vînt  lui  renouveler  l'hommage; 
celui-ci  refusa  de  le  faire,  si  les  chàtellenies  de  Lille,  Douai 
et  Béthune  ne  lui  étaient  pas  rendues;  le  roi  de  France, 
irrité,  fit  ses  préparatifs  de  guerre  Profilant  du  mécon- 
tentement que  la  tolérance  de  Robert  vis-à-vis  de  ses 
sujets  qui  voulaient  porter  secours  aux  Ecossais,  avait 
provoqué  chez  Edouard  II,  il  engagea  celui-ci  à  faire 
arrêter  tous  les  F'iamands  qui  seraient  trouvés  dans  les 
ports  anglais;  à  force  d'intrigues  il  obtint  ce  qu'il  désirait, 
et  le  19  juin  parut  un  décret  royal,  enjoignant  aux  vi- 
comtes de  Londres  de  faire  arrêter  sans  délai  et  sans 
distinction  tous  les  navires  flamands  et  de  les  faire  garder 
soigneusement  jusqu'à  nouvel  ordre.  Cette  pièce,  dont  la 


(1)  liccord  office.  Ce  maréchal  d'Angleterre  était  le  comte  de  Norfolk. 

(2)  Ryjier,  cdit.  angl.,  t.  II,  p.  210. 


—  57  — 

brièveté  même  témoigne  d'un  méeontenlemenl  violemment 
excité,  jeta  le  trouble  et  la  conslernalion  en  Flandre  (i); 
rien  ne  faisait  présager  une  mesure  de  ce  genre;  mais 
Philippe  le  Bel  était  habile  et  cruel  dans  ses  vengeances; 
il  voulait  faire  passer  la  Flandre  par  les  conditions  qu'il 
aurait  bien  voulu  lui  imposer,  et  mettait  tout  en  œuvre 
pour  atteindre  son  but  {-i). 

Robert  de  Bélhune  se  plaignit  au  roi  d'Angleterre  de 
ces  arrestations,  qu'il  qualifie  de  peu  justes,  et  Edouard 
lui  répondit  le  16  novembre,  par  une  lettre  passablement 
machiavélique  à  notre  avis,  dans  laquelle  il  proteste  de 
son  amitié  pour  le  comte,  de  son  désir  de  maintenir  la 
paix,  et  promet  de  faire  droit  aux  Flamands  qui  auraient 
été  injustement  frustrés  (3). 

Philippe  le  Bel,  qui  n'était  pas  encore  satisfait  du  ré- 
sultai qu'il  avait  obtenu,  continua  ses  menées  l'année  sui- 
vante; d'abord  il  cita  le  comte  à  Paris,  et  le  menaça,  en  cas 
de  défaut,  de  faire  excommunier  tous  les  Flamands  et  de 
les  faire  massacrer  partout  son  royaume  {4);  il  faisait  tou- 
tefois une  exception  en  faveur  des  bourgeois  d'Ypres,  ainsi 
le  9  juillet,  il  demanda  au  roi  Edouard  de  protéger  plu- 
sieurs d'entre  eux  (s),  et  le  25  il  le  pria  de  permettre  à  tous 
ceux  de  cette  ville,  qui  lui  sont  restés  fidèles,  et  qu'il  espère 
voir  persister  dans  ces  sentiments,  de  pouvoir  traiter  libre- 
ment eu  Angleterre,  aller  et  venir  à  leur  fantaisie  sans  au- 


(1)  «  Rex  majori  et  viceconiitibus  I.ondon'  sahitem.  Quibusdam  de  caiisis 
vobis  prœcipimus  qiiod  onines  naves  et  alla  bona  hominum  de  Flandr',  qufe 
infra  ballivam  veslram  poterunt  inveniri,  sine  dilatione  arcsiari,  et  sub 
aresto  sine  disiraclione  aliquà,  salvo  cuslodiri  faciatis,  donec  aliud  a  nobis 
Inde  babuerilis  in  niandatis  ;  et  hoc  nullatenus  omitlatis.  »  Rvmer,  t.  Il, 
p.  219. 

(2)  Kervym,  t.  III,  p.  58. 

(3)  RîMEit,  édit.  angl.,  t.  Il,  p.  233. 

(4)  Kervyn,  t.  III,  p.  59.  —  Arch.  impér.  de  Paris,  J.  560.  —  Gailand, 
Mci.'i.  sur  la  Flandre,  p.  2.31. 

(5)  Ry.MER,  Odil.  angl.,  t.  Il,  p.  251. 


—  58  — 

cun  cmpèclicment  de  la  pari  des  aulorilés  anglaises  (i);  puis 
il  écrivil  au  roi  d'Angleterre  pour  l'engager  à  transporter 
l'étape  des  produits  anglais  à  Saint-Oiner  (2).  Edouard 
répondit  le  10  juillet  1314,  qu'il  lui  est  impossible  de 
donner  immédiatement  une  réponse  décisive,  mais  qu'il 
fera  examiner  l'afiaire  et  lâchera  de  concilier  tous  les  in- 
térêts (3). 

De  son  côté,  le  comte  de  Flandre  fit  un  appel  à  la  loyauté 
d'Kdouard;  le  "26  juillet,  il  lui  écrivit  pour  lui  rappeler 
qu'en  vertu  des  privilèges  qu'il  avait  octroyés,  les  mar- 
chands, tant  français  qu'anglais,  et  de  tout  pays,  pouvaient 
commercer,  aller  et  venir  en  Flandre;  il  lui  expose  qu'il 
continuera  à  faire  respecter  ces  privilèges  des  marchands 
étrangers,  et  demande  qu'il  soit  accordé  entre  les  autorités 
de  Flandre  et  d'Angleterre,  que  l'étape  des  laines  et 
autres  produits  anglais  sera  tenue  à  Bruges.  Il  espère  que 
le  roi  permettra  à  ses  sujets  de  commercer  librement  dans 
ses  domaines,  ou  du  moins  renouvellera  en  leur  faveur  les 
franchises  octroyées  par  ses  prédécesseurs,  dans  le  cas  où 
il  ne  consentirait  pas  à  leur  accorder  des  libertés  plus 
grandes  (4). 

Le  roi  d'Angleterre  se  rendit  apparemment  aux  instances 
de  Robert  de  Bélhune  et  trouva  plus  loyal  et  plus  conforme 

(1)  Rymer,  édil.  angl.,  t.  II,  p.  252. 

(2)  Voir  plus  haut,  Livre  II,  cliap.  VIII,  p.  376. 

(3)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  Il,  p.  251. 

(4)  «  Et  nous  volons  et  octrcons,  avons  fait  crycr,  commander  et  publier 
par  tout  nos  pays,  que  loiiles  maneres  de  marchands  de  France,  d'Englelerre 
et  autres,  pussent  et  porronl,  seurement  et  sauvemcnt,  eaus,  leurs  maismes 
et  leurs  biens,  venir,  demorer,  marchander  en  no  pais  de  Flandre,  et  re- 
tournir  là  il  lou  plerra,  sans  arrest,  ne  empeschement  nos,  ne  es  personnes, 
ne  es  biens;  es  chou  vous  lenrons  et  ferons  tenir  loiaument  et  en  bone  foi. 

»  Et  s'il  soit  acorde  entre  nous,  nos  gens,  d'une  part  et  vo  maieur  et  vo 
marchans  dEngleterre,  d'autre,  de  tenir  seurement  et  sauvement  leur  eslaplc 
de  laines  et  d'autres  biens  en  no  ville  de  Erur/es.  »  Rvmer,  cdit.  angl.,  t.  II» 
p.  232.  —  Cfr.  BiîALcouirr,  Bruysche  koophandcl,  p.  23. 


—  59  — 

aux  inléréls  de  son  peuple  de  ne  pus  molester  les  Fla- 
mands, plutôt  que  de  servir  le  ressentiment  de  Philippe  le 
Del;  la  situation  de  la  France,  du  reste,  fournissait  le 
moyen  de  répondre  aux  désirs  du  roi  par  une  fin  de  non 
recevoir.  Nous  n'avons  plus  découvert  de  traces  d'arresta- 
tions faites  au  détriment  des  Flamands  pendant  environ 
une  année.  Sur  ces  entrefaites,  Philippe  le  Bel,  le  faux 
monnayeur,  mourut  à  Fontainebleau,  le  30  octobre  1314; 
Louis  le  Hulin  lui  succéda,  inaugurant  son  règne  par  le 
redressement  des  abus;  malheureusement  la  suite  ne  ré- 
pondit pas  à  un  si  beau  commencement. 


I. 

(Voir  page  33). 

Accommodement  entre  le  comte  de  Flandre  et  le  roi  d'Analelcrre 

au  sujet  du  commerce. 

In  noniiiie  Domini,  amen.  Anno  nativilatis  ejnsdein  millc- 
simo  tricentesiino  duodecimo,  iiidictionc  décima  pontificatus 
domini  Clemenlis  pape  qiiinii,  anno  sepiimo,  mensis  jimii  die 
vicesima  quinta,  videlicet  die  doininica  immédiate  posl  festnm 
nativitatis  beati  Johannis  Baptistaî.  Hac  qtiidem  die  coram  nobis 
notariis  et  testibiis  infra  scriptis,  ad  hoc  vocatis  in  testimonium 
et  rogatis,  viri  nobiles  et  prudentes  Domini  Balduinus  de  Arse- 
broec  et  Johannos  de  Menin,  milites  tornacensis  diocesis,  poten- 
tis  et  excellentis  principis  domini  R.  comitis  Flandriae  consilia- 
rii,  propter  hoc  personaliler  conslituti,  quemdam  chyrographum 
dentaiim  scissnm  et  in  ejiis  utroque  laiere  scriptum  ac  qiiasdam 
patentes  littcras  sigillo  pendenti  prœfati  domini  comitis  robo- 
ratas,  qualibot  snscriptione  carentes  exhibtierunt  et  prescntavc- 
runt  ibidem  ac  dictum  cyrographum  et  litteras  ipsas,  de  verbo 
ad  verbum  seriose  legerunt  siib  formis  et  tenoribus  qui  secnntur. 

Acorde  est  et  assentu  entre  le  conseil  le  Roy  dEiigletcrrc  cî 


—  60  — 

monsieur  Jehan  seigneur  de  Fienles  et  monsieur  Guillaume  de 
Nivelle,  chevaliers,   messaiges  le  conte  de  Flandre,    qui   den- 
querre  sour  le  fait  de  gran  dommaige  entre  les  Engles  dune 
part  et  les  Flamens  dautre  part,  et  einsi  de  tous  autres  trespas 
fais  as  Flamens  par  Eugles,  puis   le  temps  que  le  dit  Roy  re- 
cheut  le  gouvernement  de  son  royaume  et  ensement  de  toutes 
autres  demandes  et  qiiereles  que  les  Flamens  ont  vers  les  Engles 
dudii  temps,  soient  assignées  de  par  ledit  Roy,  monsieur  Robert 
de  Kendale,  couestable  de  Dovre  et  gardein  des  chine  portz, 
monsieur  Henri   de  Cobeham   le  puisné,  monsieur  Jehan   de 
Northwode  leisné,  et  monsieur  Jehan  de  Fresingfeld,  cheva- 
liers, trois  ou  deus  deaus  et  quil  aient  plain  povoir  à  toutes  celles 
choses  oir  et  terminer  selonc  le  loy  et  le  costume  de  le  terre  la 
loy  marchande,  si  quel   commenchent  sour   celles  besoignes  à 
Londres  à  la  quinzaine  de  la  Chandeleur  prochaine  avenir  à  plus 
tard.  Et  que  le  conte  de  Flandre  assigne  emfinc  gens  suffîsans 
en  les  parties  de  Flandre  denquerre  et  de  oir  et  terminer  tous 
les  trespas  fais  as  gens  dEngleterre  et  du  povoir  le  Roy  et  au- 
tres demandes  et  quereles  que  les  Engles  ont  vers  les  Flamens 
du  temps  avant  dit  et  à  droit  faire  à  eaux  en  la  forme  susdite, 
si  commenchent  sour  celles  besoignes  a  Bruges  en  Flandre  le 
joedi  après  le  mi-quaresme  prochaine  à  venir  à  plus  tard.  Item, 
accorde  est  que  à  ceus  dEngleterre  et  du  povoir  le  Roy  que  ont 
sieuvvi  avant  ces  hores  devers  ledit  conte  pour  les  biens  recou- 
vrir si  que  leur  suite  est  toute  clere  trovee  et  aucuns  sont  serviz 
de  partie  greis  soit  fait  en  deuwe  manière  à  la  requeste  ledit 
Roy  ou  que  exécution  se  fâche  par  eaux  selonc  le  procès  quen 
est  fais  et  en  meismes  le  manière  soit  fais  as  Flamens  de  leur 
choses  que  sont  trovees  cleres  et   triées   mes  qe  pour  cesies 
choses  ou  autres  faites  puis  ledit  tans  nul  arrest  ne  soit  fait 
dune  part  ne  dautre  entre  chi  et  les  soesdit  après  le  mi-quaresme 
avant  dit.  Item,  acorde  est  que  une  proclamation   et  crye  se 
fâche  par  tous  les  ports  du  roiaume  que  tous  les  Flamens  qui 
vaudront  venir  en  Engleterre  pour  leur  plaintes  faire  vers  les 
Engles,  sauvement  et  seurement  viegnent  et  que  nus  ne  les  sache 
mal,  ne  moleste,  ne  destourbance  sour  grieve  fourfaiture  à  la 
volenteit  le  Roy,  et  qe  tous  cheus  dEngleterre  qui  se  vaudront 


—  Cl  — 

plaindre  des  Fhuncns  ne  mile  manière  do  trépas  fais  à  canx 
puis  ledit  temps  aillent  en  Flandre  à  la  ville  de  Bruges,  cinsi 
qiiil  soient  ilhiecqdes  le  soesdit  avantdit  à  pins  tard  et  monstrer 
et  sievre  leur  plaintes  devant  eaux  que  à  ce  seront  assignes  par 
ledit  conte,  et  que  après  cel  jour  il  ne  seront  pas  recheus  de 
nulle  plainte  monstrer  devant  les  dit  assignez  par  le  conte  et 
que  nul  arrest  pour  ceux  ne  soit  fait.  Et  que  le  dit  conte  fâche 
faire  autele  crye  et  proclamacion  dens  son  povoir  en  tous  poins 
si  comme  est  susdit.  C'est  assavoir  que  les  Flamens  soient  à 
Londres  pour  leur  plaintes  monstrer  et  sievre  à  la  quinzaine 
de  la  Chandeleur  avant  dite  au  plus  tard,  si  que  après  cel  jour 
il  ne  soient  pas  recheus  à  nulle  plainte  monstrer  devant  les  dis 
assignez  de  par  le  Roy  ne  darreste  pour  eaux  avoir,  si  comme 
est  susdit.  Et  que  les  gentz  dEnglelerre  et  du  povoir  le  Roy 
puissent  leur  plaintes  sauvement  et  seurement  monstrer  et  sievre 
en  la  terre  de  Flandres,  sans  mal,  damaige  ou  destourhande 
avoir.  Item,  acorde  est  que  les  marchans  dEngleterre  qui  ont 
recheus  damaiges  par  les  Flamens,  puissent  sievre  leur  plaintes 
en  Flandre  et  droit  rechoivre  par  procureurs  et  atlournez  tes- 
moignier  par  lettres  de  communautez  des  villes,  et  en  n>eismes 
le  manière  fâchent  les  Flamens  vers  les  Angles  en  Engleterre. 
Item,  acorde  est  que  lettres  patentes  des  communautez  et  des 
chiefs  gardeins  des  villes  que  quel  soient,  soient  recheues  dune 
part  et  dautre  et  aient   à  preuve  faire  des  damaiges  donnés 
dune  part  et  daulre  si  come  droit  et  reson,  costume  et  lois  mar- 
chande  demandent.  Et  fait  à  ramembrer  que  cest  accord  fut 
fait  a  Weslm.  en  le  parlement    ledit  Roy,   lan  de  son  règne 
quint,    le  jourde  saint  Clément  le  martyr.  Fait  à   remambrer 
que  sa  soit  che  que  le  Roy  ne  fust  pas  certefie  devant  le  Noël 
derrein  passée  si  comme  accorde  fust  de  la  volentei  le  conte  de 
Flandres  en   droit  del  accord  qui  se  fist  par  endenture  entre 
ceux  du  conseil  le  Roy  et  le  seigneur  de  Fienles  et  monseigneur 
Guillaume  de  Nivelle,  messaiges  dudit  coule,  par  quoi  de  celle 
besoigne  riens  ne   fust  encore  commenchie  par  ledit  Roy  en 
Engleterre,  non  pour  quant  pour  che  que  ledit  conte  envoia 
puis  au  Roy  à  Eurewyh,  Tyere  le  Dorpre,  son  bourgois  de  Gand, 
et  Gillion  de  Hertsberghe,  son  vallef,  à  plain  povir  de  pour- 


-  62  — 

sievre  et  accomplir  ietlii  acord,  si  comme  en  les  letlres  procii- 
ratie  qiiil  portèrent  avecques  eaux  sous  le  scel  ledit  conte,  dont 
le  copie  demeure  en  la  chancelerie,  plus  plainement  est  conte- 
nue; le  Roy  bonnement  grants  et  ouria  non  conistans  que  la 
besoigne  fust  einsi  délaye  que  aille  avant  en  le  dite  besoigne  et 
que  à  ce  faire  soient  jours  donnes  de  novel,  par  quoi  accorde 
est  qne  le  jour  que  deust  avoir  esteit  à  Londres  à  la  quinzaine 
de  le  Chandeleur  soit  illucques  à  les  octaves  de  la  ïriniieit,  et 
le  jour  que  deust  avoir  este  à  Bruges  en  Flandres  le  jocsdi 
après  my  quarcsme,  soit  illeques  lendemain  de  la  nativité  saint 
Jehan  le  bapiiseur  prochain  avenir,  tant  que  proclamacion  se 
face  dune  part  et  dautre  si  comme  est  contenu  en  lendenieure 
de  che  faite  et  que  toutes  les  autres  choses  en  meismes  celle 
endenteure  contenues  soient  gardez  et  tenues  si  comme  acorde 
fust,  etc.  Et  che  fu  fait  et  acordei  à  Eelwyh,  dcNanl  levesque 
de  Cester,  raons.  Edmon  de  Manie,  mons.  (Jillion  de  Juge  et 
sgr  Adam  de  Osgodeby,  sgr  Robert  de  Bardelby  et  sgr  Gillion 
de  Dyremyme,  gardeurs  du  scel  et  autres  du  conseil.  Et  les 
avautdisTierry  et  Gillion  le  joesdi  devant  le  jour  des  palmes,  etc., 
lan  quint,  etc.  Et  fait  assavoir  que  le  conte  de  Flandres  as  as- 
signe monseigneur  Guillaume  de  Nivelle,  monsgr  Guillaume  le 
Poisson,  monsgr  Baiiduin  de  Arsebroec  et  monsgr  Jehan  de 
Menin,  a  droit  faire  as  Engles  selonc  la  forme  accorde  en  len- 
denture  avant  dite  si  come  les  avandis  Tierri  et  Gillion  mon- 
strerent  par  ledit  conte  devant  le  conseil  le  Roy.  Item,  nous 
Robert,  cuens  de  Flandre,  faisons  savoir  à  tous  que  nous  le 
accord  fait  entre  le  conseil  de  très  haut,  très  excellent  prince 
et  très  puissant  monsgr  E.,  par  la  grâce  de  Dieu  Roy  dEngle- 
terre,  seigneur  dirlande  et  duc  dAquiiaine,  dune  pari,  et  Jehan 
seigneur  de  Fienics  et  Guillaume  de  Nivelle,  seigneur  de  Ut- 
beighes,  nos  cousins  très  chiers,  pour  nous  et  nos  gens  dauire 
part,  escript  en  une  cedule  endentee  qui  einsi  se  commenche. 
Acorde  est  assentu  entre  le  conseil  le  Roy  dEngleterre  et  monsgr 
Jehan,  de  Fienles,  et  monseigneur  Guillaume  de  Nivelle,  cheva- 
liers, niessaiges  le  conte  de  Flandres,  etc.,  et  einsi  se  deffine. 
Et  fait  à  remembrer  que  cest  accord  fu  fait  à  Wesimonstier  en 
un  parlement  ledit  Roy,  lan  de  son  règne  quint,  le  jour  de  saint 


—  65  — 

Glcmonl  le  martyr,  lequel  accord  fait  et  accorde  en  la  forme  et 
maiiicrc  dessus  dovisoes  nous  loons  et  greeons  et  pour  nous  et 
nos  gens  le  approuvons  et  ponrmettous  à  tenir  ferme  et  estavie. 
Et  comme  nous  doions  ordener  chevaliers  de  no  conseil  pour 
entendre  des  trespas  fais  as  Engles  et  autres  quereles  et  deman- 
des que  les  Engles  ont  envers  les  Flamens,  sachent  tous  que 
nous  avons  assigne  et  assomons  pour  entendre  as  dites  choses 
Guillaume  de  Nivelle  et  Guillaume  le  Poisson,  Baudoin  dArse- 
broee  et  Jehan  de  Menin,  nos  chevaliers,  trois  ou  deus  deaux 
et  leur  donnons  plaiu  pooir  de  oir  et  terminer  les  dites  choses 
selon  le  accord  dessus  nomme  par  le  tesmoingnaige  de  ces 
lettres  seelees  de  nostre  scel,  faites  et  données  à  Ypres  lende- 
main des  Brandons,  lan  de  grâce  mil  trois  cens  et  onze, 

Quibus  cyrographo  et  lilteris  per  dictum  dominum  Johannem 
de  Menin,  miliiem,  ipso  domino  B.  présente  et  assentienle,  lectis 
et  exposiiis,  diligcnter  iidem  domini  Balduinus  de  Arsebrocc  et 
Johannes  de  Menin,  milites,  in  predicto  negotio  audiendo,  exe- 
quendo  et  prout  justius  possent  terminando  ab  eodem  domino 
comité  deputati  offerebant  se  dicta  die  ad  hoc  assignata  Brugis, 
cum  efTectu  paratos  sedem  in  loco  publico  et  communi  in  Bru- 
gis, ac  ibidem  recipere,  admittere  et  audire  querelas  sive  re- 
questas  Auglicorum  sive  gentis  Anglie  omnes  et  singtilas  quas 
ipsi  de  Anglia,  dicta  die,  vellent,  curarent  aut  possent  dicere, 
proponere  corapetenter  et  probare  contra  Flamingos  sive  gentem 
Flandrie  super  iniuriis,  excessibus,  gravaminibus  atque  dampnis 
dictis  Anglicis  sive  gentibus  Anglie,  per  ipsos  Flamingos  seu 
gentem  Flandrie  quomodolibet  irrogalis,  illatis  et  factis  et 
easdem  querelas  et  requestas  determinare,  prout  jus  et  ratio 
suadent.  Necnon  et  facere  ac  complere  omnia  et  singula  que  in 
proniissis  et  circa  promissa  necessaria  fiuni  oporiuna  et  justa 
juxta  dictorum  cyrographi  et  comissionis  eis  facie  tenorem  et 
formam  ac  contentorum  in  illis  protestantes  milites  antedicii, 
quod  ilios  qui  dicta  die  coram  eis  suas  osteiistiri  queielas  et  re- 
questas super  dampnis  et  iniuriis,  ac  gravaminibus  prœlibalis 
distulerent  vel  non  curaverint  de  certo  ratione  et  pretextu  cy- 
rographi  et  commissionis  huiusmodi  non  reciperent,  nec  admit- 
lent  nec  eos  audire  deberent.  Actum  in  loco  publico  et  communi 


-    64  — 

videlicet  in  Biirgo  Briigensi,  aille  ccclesiam  sancti  Donaiiani, 
preseniibus  viris  sapienlibns  et  discretis  domiiiis  Pclro  diclo 
Coninc,  Waltero  de  Vinc,  militibiis,  Laniberto  Loevin,  Jacobo 
de  Cranenburch,  burgiinagistiis,  Egidio  de  Aririke,  Rugcro  de 
Coudeibouc,  Johanne  Sirekard,  Balduino  de  Waescapelle,  sca- 
binis  ville  Brugeiisis,  Laiireiitio  dicto  Uten  Broeke,  Jacobo  de 
I^effinghe,  Rogero  diclo  Ulen  Broeke,  Michaele  dicio  de  Ecclesia, 
clericis  et  iaicis  Tornacencis  dyocesis,  ei  pliiribus  aliis  tcstibus, 
ad  promissa  vocatis  in  lestimonio  et  rogaiis.  Hiis  aiitem  dicta 
die  sic  actis  prefati  domini  Baldiiiiius  de  Arsebroec  et  Johannes 
de  Menin,  milites,  ad  promissa  siib  certis  forma  et  tenipore  ut 
promitiit  depulati  coram  iiobis  cisdem  notare  cl  aliis  lestibus 
infra  scriplis,  anno,  indictione  pontificalii  et  mcnse  predicto,  die 
vicesima  sexta  dicte  mensis  jiinii,  in  Burgo  Brugonsi,  personaliler 
accedenles,  infirmarunt  et  publicarunt,  ac  ad  noiitiam  pleniorem 
vive  vocis  oraculo  produxerunt,  qiiod  die  suprascripla  hancdiem 
immédiate  précédente  sidissent  et  comparuisscni  personaliler 
tota  die  apud  pontem  santi  Johannis  in  Brngis,  tatiqtiam  in  loco 
magis  publico  et  communi  ville  Brugensis  parati  ad  andicndiim, 
recipiendum  et  admitiendum  qiierelas  seu  reqiiesias  eorum  de 
Anglia  prediciorum  si  quas  conlra  illos  de  Flandria  vel  eorum 
aliquas  super  iniiiriis,  excessibus,  gravaminibus  et  dampnis  ipsis 
de  Anglia,  ut  est  dictum  illalis  et  faciis,  dicere,  opponere  et  pro- 
bare  dicta  die  voluisseni,  poiuissent  vel  saltem  se  ipsos  ad  hoc 
paratos,  coram  eis  offerre  et  preseniare,  curassent,  assenles  mili- 
tes antedicli  terminum  in  diciis  cyrographo  et  litleris  assigna- 
tum,  infra  quem  vel  inquo  premissa  fiere  et  proponi  ab  Anglie 
gentibds  debebant.  Necuon  et  polesiatem  super  hiis  pro  comis- 
sionem  hujusmodi  eis  factam  peniius  expirasse  prout  ex  conti- 
nentia  et  inspectione  cyrographi  et  liilerarum  prediclarum 
evidentius  apparebat.  Nos  infrascriptos  nolarios  cum  inslantia 
requirebant  sibi  super  omnibus  etsingulis  suprascriptis  per  nos 
unum  vel  duo  in  premissorum  teslimonium  evidenliam  plenio- 
rem publica  fieri  insirumenla, 

Acium  Burgo  predicto,  presentibus  predictis  viris  Johannes 
Sence,  Gonrati  de  Prias,  Sence  Pères  de  Samarine  de  Castre, 
Père  Peros  Oardoignc,  Alfonse  Pères  de  Burch,  Diego  Marlines 


—  65  — 

de  Sanclo  Domingo,  Garse  Pères  de  Camaigo,  mercatorihiis 
regni  Hyspanie,  et  plnribus  aliis  mercatoribus  dicti  regni,  et 
aliorum  regnorrjiii  testibus  ad  premissa  vocaiis  et  rogatis. 

Suivent  les  signatures  et  attestations  de  «  Johannes  Karlin  de 
Bruges,  clericus  Tornacencis  dyoccsis,  etc.,  »  et  de  «  Johannes 
dictas  I.edersnidere  de  Bavenghem,  etc.  » 

[Archives  de  l'Étal,  à  Gand,  original.  Inventaire 
J.  DE  Saint-Génois,  n»  1247). 


II. 

(Voir  page  34). 

Brève  Domini  régis  de  Slainilà  lanarum. 

Edw.  Dei  gratia,  etc. 

Sciatis  quod  cum  ante  bec  tempora  dampna  et  gravamina 
diversa  mercatoribus  de  regno  nostro,  non  sine  dampno  proge- 
nilorum    nostrorum  quondam  regum  Anglie  et  nostro  avene- 
rint  multis  modis,  ex  eo  quod  mercatores,  lam  indigène  quam 
alienigene  lanas  et  pellas  lanutas  infra  regnum  prsedictiim  et 
potestatem  nostram  ementes  et  secum  eisdcm  lanis  et  pellibiis, 
ad  vendendum  eas  ad  diversa  loca  infra  terras  Brabancie,  Flan- 
drie  et  de  Artoys,  pro  eorum  libilo  transtulerent  :  nos  volentes 
hujusmodi  dampnis  et  gravaminibus  obviare  et  nostro  ac  mer- 
catorum  nostrorum  de  regno  predicio,  commodis  quatenus  bono 
modo  poterimns  providere,  voiumus  et  de  consilio  nostro  or- 
dinavimus    perpetuo    durand. ,    quod    mercatores   indigène  et 
alienigene  lanas  et   pellas  hujiis  nïodi  infra  regnum   et  potes- 
tatem praedictam  émeutes  et  ad  terras  prœdictas  ibidem  ven- 
dendas  ducere  volentes,  lanas  illas  et  pellas  ad  certaro  stapulam 
infra  aliquam  eorumdem  terrarum,  per  majorera  et  communi- 
tatem   diclorum   mercatorum   de  regno   nostro  ordinandam  et 
assignandam,  ac  prout  et  quando  expedire  viderint  muiandam 
et  non  ad  alia  loca  in  terris  illis  ducant  seu  duci  faciant  ullo 
modo;  concedentes  dictis  majori  et  mercatoribus  de  regno  nos- 
tro supradicto,  pro  nobis  et  hcrcdibus  nostris,  quod  ipsi  major 


—  GG  — 

oi  consilium  coniindcm  mcrcalonim,  qui  pro  temporc  fiicrint 
qiiibiisciimqiie  mercaioribtis  tam  indigenis  quain  alicnigenis  qui 
contra  tliciam  ordinaiionem  venerint  et  inde  per  predictos  ma- 
jorem  et  consilium  di<:lorum  mercatorum  rationabiliter  con- 
vincii  fuerint,  cerlas  pecunic  summas  pro  dilictis  illis  imponant, 
et  quod  ille  hujusmodi  pecunie  snmme  de  quibns  nos  aut  mi- 
jiiistri  nostri  per  predictum  majorem  fuerimus  informati,  de 
bonis  et  mcrciraoniis  mercatorum  sic  deliquentium,  ubiciimque 
ea  infra  regnum  et  poiestatem  prscdiclam  inveniri  contigerit, 
per  ministres  noslros  juxta  informalionera  praedi«lam  et  taxa- 
lionem  inde  per  ipsum  majorem  faciendam,  ad  opus  nostrum 
leventur  salvo  semper  dictis  majori  et  mercatoribus,  quod  ipsi 
mercatores  delinquentes,  si  eorum  bona  et  mercimonia  in  sta- 
pula  predicta  extra  regnum  et  potestatem  nostram  prediciam 
contigent  inveniri,  inter  se  rationabiliter  castigare  valeant  et 
punire,  sine  occasione  vel  impedimento  mortis  vel  herednm 
nostrorum  seu  ministrorum  nostrorum  quorum<;unque  sicut 
hactenus  facere  consueverunt.  In  cujus  rei  testimonium  bas 
litteras  nostras  fieri  facimus  patentes. 

Teste  me  ipso  apnd  (ilantuar.  vicesim.  die  maii,  anno  regni 
nostri  sexto  (1312). 


CHAPITRE  X. 

(1514-1322). 

Robert  de  Bétliune.  Edouard  lî. 

On  cùl  dit  que  Louis  X  voulût  continuer  les  traililions 
(le  despotisme  et  d'injustice  de  Philippe  le  Bel;  la  Flandre 
devait  être  la  première  à  s'en  ressentir;  il  prétendit  que 
Robert  de  Béthune  vînt  lui  prêter  hommage  en  personne; 
comme  le  comte,  déjà  vieux  et  infirme,  ne  se  trouvait  pas 
en  état  de  satisfaire  à  ce  caprice,  le  roi,  pour  se  venger, 
frappa  la  Flandre  en  même  temps  dans  ses  intérêts  com- 
merciaux et  dans  ses  senlimenls  religieux.  Le  18  juin,  il 


—  67  — 

écrit  à  Edouard  II  (i)  pour  le  requérir,  en  vertu  du  lieu 
féodal,  ainsi  que  des  alliances  existant  entre  eux,  et  du 
traité  de  1298  (2),  de  faire  arrêter  et  réduire  en  esclavage 
tous  les  Flamands  qu'il  trouverait  dans  ses  domaines;  pour 
légitimer  cet  acte,  il  invoque  les  traités  conclus  entre  son 
père  et  le  comte  de  Flandre,  que  celui-ci  et  les  Flamands 
s'étaient  engagés  sur  leurs  biens  et  leurs  personnes  à  ob- 
server loyalement;  le  comte,  d'après  lui,  avait  manqué  à 
sa  parale,  et  cité  de  ce  fait  en  la  cour  de  Paris,  il  avait  été 
condamné  par  défaut  comme  rebelle  et  parjure;  en  foi  de 
quoi,  ajoute-t-il,  «  nous,  pour  ces  choses,  leurs  personnes 
et  tous  leurs  biens,  avons  exposé  et  abandonnés  à  toutes 
manières  de  gens  qui  les  pourront  trouver,  en  quelque 
lieu  que  ce  soit,^  pour  être  serfs  et  esclaves  en  leurs  per- 
sonnes à  toujours  et  leurs  biens  être  forfaits  à  ceux  qui  les 
pourront  (3).  » 

Louis  X  avait  en  effet  fait  condamner  et  excommunier 
Robert,  avec  tous  ses  sujets,  en  la  cour  des  pairs  tenue  à 
Paris  le  30  juin. 

Le  14  juillet  fut  publié  l'arrêt  de  la  cour,  renfermant  un 
acte  d'accusation  en  forme,  défendant  à  tous  marchands  ou 
autres  d'entretenir  des  relations  avec  les  Flamands,  ou 
même  de  leur  payer  leur  dû,  et  renouvelant  les  ordres 
renfermés  dans  la  lettre  du  18  juin  (4). 


(1)  \l  existe  deux  pièces  diplomatiques  de  1315,  relatives  à  la  Flandre  et 
antérieures  à  la  lettre  du  18  juin,  ce  sont  : 

Une  lettre  d'Edouard  II  à  un  de  ses  officiers,  donnant  ordre  de  saisir  les 
navires  écossais  mouillés  dans  le  port  du  Zwyn,  aussitôt  qu'ils  retournaient 
dans  leur  pays  (Rymer,  édit.  angl.,  t.  II,  p.  265). 

Une  réclamation  du  comte  à  Edouard  II  au  sujet  de  marchands  d'Ypres, 
qui  ont  été  victimes  de  pirateries  de  marins  de  Rye  (Ry.mi;r,  édit.  angl.,  t.  Il, 
p.  265). 

(2)  Voir  plus  haut,  livre  II,  ch.  VIII,  p.  395. 

(3)  RvMER,  édit.  angl.,  t.  II,  p.  270.  —  Beaucourt,  BruQSclic  koophandel, 
p.  27. 

(4)  Rï.Mtn,  édit.  angl.,  t.  II,  p.  272. 


—  68  — 

Edouard  II  ii'osaiil  enlièremenl  refuser  d'exécuter  les 
arrêts  de  Louis  X  contre  les  Flamands,  et  trop  faible  du 
reste  pour  s'y  opposer  ouvertement,  rendit  contre  eux  un 
ordre  de  banissemenl  qui  leur  enjoignait  de  sortir  de  ses 
états  dans  les  quarante  jours,  tout  en  défendant  à  ses  sujets 
de  les  aider,  de  quelque  manière  que  ce  fût.  Il  restreignit 
cependant  cette  sentence  aux  seuls  Flamands  allant  et  ve- 
nant pour  leurs  affaires,  en  exceptant  ceux  qui  étaient 
mariés  el  fixés  dans  sou  royaume.  Il  y  avait  loin  de  là  aux 
désirs  du  roi  de  France.  Voici  ce  qui  est  dit  dans  l'ordon- 
nance communiquée  aux  vicomtes  de  Londres  : 

«Très-noble  prince  e  nostre  très-cber  frère,  sire  Lowys, 
a  ore  Uoi  de  France,  nous  est  signifie  que  les  gens  de  Flan- 
dre sont  ses  enemis,  e  bannis  de  son  roiaume. 

»  Nous  voillant  faire  en  cesle  partie,  ce  que  faire  devoms 
solom  la  forme  des  alliances,  vous  maundoms,  fermement 
enjoignantz  que  vous  facelz  crier  el  publier  en  nostre  dite 
cité  de  Londres  que  loulz  flemengs  enemis  et  banniz  del 
dit  Roi  de  France  sur  forfetur  de  cors  et  d'avoir,  vuident 
nostre  roiaume  dedentz  quarante  jors  après  la  feste  del 
Exaltacion  de  la  Seinle  Croix  procbein  avenir  (14  sep- 
tembre). 

»  Et  que  nul  de  nostre  roiaume,  ne  de  nostre  poer,  sur 
la  forfeture  avaunt  dite,  face  a  le  flemengs,  enemis  e  ban- 
nis del  dit  Roi  de  France,  confort,  soconrs,  ne  aide  de 
gentz  d'armes,  cbivaux,  armure,  vilailes,  ne  d'autres  cbo- 
ses,  queles  queles  soient,  contre  la  forme  des  alliances  avant 
dites. 

«  Et  n'est  mie  nostre  entencion  que  cestes  choses 
s'entendent  as  flemengs  mariés  et  demorantz  en  nostre 
roiaume  (i).  » 

(1)  RïMEn,  édit.  angl.,  t.  Il,  p.  277. 


—  69  — 

Cet  ordre,  daté  du  1"  septembre,  fui  envoyé  à  tous  les 
vicomtes  du  royaume  d'Angleterre  (i). 

Le  roi  de  France,  toujours  invoquant  le  traité  de  1298, 
ayant  voulu  obtenir  d'Edouard  qu'il  envoyât  une  flotte 
contre  la  Flandre,  celui-ci  ne  lui  donna  pas  non  plus 
satisfaction  de  ce  côté.  Il  s'excusa  de  ne  pouvoir  le  faire, 
sur  ce  que  toutes  ses  forces  navales  étaient  employées 
contre  les  Ecossais,  avec  qui  il  était  déjà  en  guerre  avant 
que  le  roi  de  France  eût  commencé  les  hostilités  contre  la 
Flandre;  de  peur  cependant  de  trop  mécontenter  Louis  X, 
et  pour  être  en  partie  du  moins  fidèle  au  traité,  il  ordonna 
à  Humfroi  de  Liltlebury  et  à  Jean  de  Sturney,  qu'il  avait 
mis  à  la  tête  de  la  flotte  envoyée  contre  l'Ecosse,  de  nuire 
le  plus  possible  aux  Flamands,  en  respectant  cependant  la 
clause  insérée  dans  l'acte  de  bannissement,  en  vertu  de 
laquelle  ceux-ci  avaient  quarante  jours,  à  dater  du  14  sep- 
tembre, pour  quitter  l'Angleterre  (a). 

La  Flandre  souffrit  considérablement  de  cet  état  de 
choses,  tout  commerce  était  rendu  impossible,  les  marins 
étaient  pillés  et  parfois  tués.  En  vertu  d'un  ordre  du  roi, 
du  9  novembre,  tous  les  Flamands  trouvés  en  Angleterre 
après  le  délai  de  quarante  jours,  furent  arrêtés  sans  misé- 
ricorde (s).  Aucune  sécurité  n'existait  plus,  ni  pour  les 
hommes,  ni  pour  les  biens.  J\os  dépôts  d'archives  nous 
fournissent  des  documents  nombreux  où  les  marchands 


(1)  Il  existe  au  Record  office  une  pièce  en  latin  du  21  juillet,  dans  laquelle 
Nieolas  de  Farndon,  maire  de  Londres,  et  son  alderman  se  plaignent  au  roi 
de  ce  que  le  comte  de  Flandre  n'a  pas  encore  restitué  les  bijoux  appartenant 
à  Alice,  comtesse  maréchale,  femme  du  duc  de  Norfolk,  qui  avaient  été 
enlevés  par  Jean  Crabbe  et  autres  sujets  dudit  comte,  entre  Boulogne  et 
Wilsand.  Nous  avons  parlé  de  cet  enlèvement  à  la  page  36. 

(2)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  Il,  p.  277  et  278;  lettres  du  IS  septembre,  au 
roi  de  France,  aux  officiers  de  la  flotte  et  aux  scnécliaux  de  ronlliieu  et  de 
Gascogne. 

l3)  RvMEii,  édit.  angl.,  t.  II,  p.  280. 


—  70   — 

exhalent  leurs  plaintes.  Ainsi  le  27  novembre  un  bourgeois 
(le  la  IMude  (i),  nomme  Jean  Cap,  expose  au  comte  que  les 
Anglais  lui  ont  enlevé  un  navire,  appelé  Cremenbuerch, 
qui  avait  été  chargé  de  20G  tonneaux  de  vin  à  Saint- 
Savien,  en  Poitou;  Lambert  Leblanc,  de  Damme,  se  plaint 
que  les  Anglais  lui  ont  capturé  le  sien,  appelé  Paradis, 
chargé  de  174  tonneaux  de  vin,  à  Neudes,  en  Poitou,  et 
deux  bâtiments  vides,  dont  l'un  se  rendait  à  Saint-Malo, 
pour  y  charger  du  froment,  l'autre  à  La  Rochelle;  Gilles 
Hooft,  de  Damme,  remontre  au  comte  qu'il  a  perdu 
17  tonneaux  de  vin  bastard  (?)  et  deux  pipes  et  quatre 
tonneaux  de  vin  rouge;  ce  vin  se  trouvait  dans  le  navire 
de  Guillaume  Amis,  capturé  dans  le  port  de  Winchelsea 
par  les  Anglais  (2).  Plusieurs  marins  de  l'Ecluse  se  plaigni- 
rent de  faits  analogues  et  prièrent  le  comte  d'intervenir 
auprès  du  roi  d'Angleterre  pour  leur  faire  restituer  leurs 
biens  (3),  et  les  bourgeois  d'Ypres,  fatigués  de  se  voir 
molestés  et  empêchés  dans  leurs  négociations,  chargèrent 
les  échevins  de  s'adresser  au  roi  d'Angleterre,  pour  solli- 
citer la  confirmation  du  privilège  commercial  qui  leur  avait 
été  accordé  par  ses  prédécesseurs  {4);  cette  demande  ne  leur 
fut  accordée  que  deux  ans  plus  tard,  en  1317  (5). 

Mais  si  la  Flandre  souffrit  de  l'hostilité  du  roi  de  France, 
les  affaires  ne  tournèrent  pas  à  l'honneur  de  ce  dernier, 
loin  de  là;  ayant  fait  une  expédition  contre  le  comte,  il 
fut  contraint  de  s'enfuir  honteusement  (e),  et  s'attira  un 
grand  nombre  de  réclamations  de  la  part  du  roi  d'Angle- 


(f)  Sinte-Anna  1er  Muiden,  près  de  l'Écluse. 

(2j  Archives  de  VElal,  à  Gand,  chartes  des  comtes  de  Flandre;  Inventaire 
DE  Saint-Génois,  n»  1313. 

(3)  Idem,  idem,  n»  1327. 

(4)  Lettre  du  12  novembre  1313;  original,  latin,  au  Record  o/pee. 

(5)  Archives  de  la  ville  d'Ypres,  pièce  originale. 

(6)  Kervyn,  t.  111,  p.  73  et  suiv. 


—   71   — 

lerre,  dont  les  marcijands  avaient  été  pillés  par  les  marins 
de  Calais,  qui  profilant  de  l'ordre  de  courir  sus  aux  Fla- 
mands, s'emparaient  de  tout  ce  qu'ils  trouvaient  à  leur 
convenance  (i).  D'un  autre  côté,  comme  il  n'avait  pas 
réussi  auprès  d'Edouard  à  retirer  l'étape  des  laines  à 
Anvers  pour  la  transférer  à  Saint-Omer,  il  voulut  l'obtenir 
pour  Calais  et  les  villes  situées  sur  les  bords  de  la  Seine, 
et  entama  des  négociations  dans  ce  but.  Edouard,  afin  de 
ne  donner  aucune  réponse  péremptoire,  et  peut-être  pour 
gagner  du  temps,  donna  le  16  décembre  ordre  à  ses  baillis, 
d'assembler  les  principaux  marchands  à  Lincoln  pour  les 
fêtes  Saint-Hilaire,  c'est-à-dire  pour  le  27  janvier  suivant, 
afin  de  discuter  cette  question  (2).  Nous  n'avons  trouvé  nulle 
part  qu'il  eût  été  donné  suite  à  celte  affaire,  soit  qu'on  eût 
opposé  au  roi  de  France  une  fin  de  non  recevoir,  soit  que 
sa  mort  ait  fait  tomber  celle  négociation  dans  l'oubli. 

La  suspension  des  hostilités  entre  la  Flandre  et  laFrance, 
et  la  mort  de  Louis  mirent  fin  à  cette  déplorable  situation, 
si  fatale  à  la  prospérité  du  comté.  Le  7  décembre  loi 6, 
le  roi  Edouard  manda  à  tous  les  vicomtes  du  royaume 
d'Angleterre,  que  la  paix  ayant  été  rétablie,  il  se  trouvait 
autorisé  à  rappeler  tous  les  ordres  de  bannissement  et  au- 
tres décrétés  contre  les  Flamands,  et  leur  enjoignit  de  faire 
publier  dans  tous  les  endroits  publics,  que  les  bonnes  gens 
de  Flandre  étaient  de  nouveau  autorisés  à  aller  et  venir  en 
Angleterre,  à  y  demeurer  et  y  commercer,  ainsi  qu'ils 
élaienl  accoutumés  avant  la  proclamation  d'expulsion  (3). 

(1)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  II,  pp.  279,  280,  281. 

(2)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  Il,  p.  281.  —  Parliamenlary  Wrillis,  P.  I,  p.  154, 
et  vol.  II,  liv,  III,  p.  1117. 

(3)  «  Quod  prœdicli  Flandrenses  in  regnum  noslrum  prœdiclum,  cum  bo- 
nis et  rebus  suis  secure  veniant,  et  ibidem  morenlur,  et  meicandisent,  et 
ab  inde  pro  voluntale  suâ  recédant,  proul  ante  diclam  proclamationem  faeere 
consueverunt,  justiciam  faciendo  et  recipiendo.  »  Rymer,  édit.  angl.,  t.  Il, 
p.  303. 


—  7-2  — 

Le  comle  Robert  profita  de  ces  dispositions  pour  prier, 
l'année  suivante  (1317),  le  roi  anglais  de  consentir  à  un 
règlement  de  compte  pour  les  prises  faites  de  part  et 
d'autre,  et  des  dommages  à  payer  de  ce  chef  (i);  les  anciens 
différends,  du  reste,  n'avaient  pas  encore  été  aplanis.  Il 
écrivit  également  une  lettre  pour  disculper  les  bourgeois 
d'Ypres  des  accusations  de  piraterie  portées  contre  eux,  et 
engager  le  roi  à  leur  rendre  ses  bonnes  grâces  (2).  C'est  à 
la  suite  de  cela  qu'Edouard  renouvela  les  privilèges  des 
Yprois,  de  même  que  ceux  des  Douaisiens  (0);  le  13  sep- 
tembre il  répondit  au  comte,  qu'étant  parfaitement  disposé 
à  se  rendre  à  son  désir,  et  considérant  que  les  difTicuîlés 
provenaient  surtout  de  la  conduite  des  habitants  des  Cinq 
Ports,  il  dit  avoir  envoyé  l'archevêque  de  Cantorbéry  et 
l'évéque  d'Ely,  son  trésorier,  vers  les  barons  des  dits 
Ports  (4),  afin  de  faire  une  enquête  au  sujet  des  dommages; 
il  espère  que  le  comte  fera  de  même  de  son  côté  et  de- 
mande qu'il  veuille  l'informer  de  ses  intentions  (5).  A  la 
suite  de  ces  négociations,  un  accord  définitif  fut  conclu 
entre  les  deux  princes,  qui  nommèrent  chacun  des  com- 
missaires chargés  de  l'enquête.  Le  roi  en  donna  avis  à 
tous  les  vicomtes  du  royaume  par  lettre  du  18  octobre, 
ajoutant  qu'en  vertu  des  traités  entre  lui  et  la  Flandre,  il 
leur  enjoignait  d'accorder  aide  et  protection  aux  sujets  du 

(1)  Rymer,  édil.  angl.,  t.  II,  p.  338. 

(2)  RvMEn,  édit.  angl.,  I.  II,  p.  340. 

(3)  Archives  de  la  ville  d'Ypres;  voir  plus  haul,  p.  70,  noie  i  —  Dehaisnes, 
p.  10.  —  Delpit,  Documents  français  en  Angleterre,  p.  50. 

(4)  Les  Cinq  Poris  d'Anglelerre  sont  Rye,  Ilillie,  Riimmey,  Douvres  et 
Sandwich.  Ces  cinq  villes  maritimes  députaient  chacune  un  bourgeois,  qui 
avait  titre  de  baron,  pour  assister  au  couronnement  des  rois  it'Angleterre. 
Elles  rendirent  de  grands  services  au  roi  Jean  pendant  la  guerre  civile, 
aussi  les  combla-t-il  de  privilèges.  —  Beeverel,  Délices  de  l'Angl.,  p.  758. 
—  MoiiEni,  Dict.  hist. 

(«)  RvMEP.,  édit.  angl  ,  t.  H,  p.  342. 


—    iù 


comte  et  défendait  aux  Anglais,  sous  peine  de  leurs  corps 
et  de  leurs  biens,  de  leur  nuire  en  quoi  que  ce  fût  (i).  F^e 
comte  chargea  pour  sa  part,  Jean  de  Menin,  chevalier, 
Jean  de  Warbeke,  chanoine  de  Courlrai,  Jean  Bourleke, 
clerc  de  la  ville  dTpres,  Jacques  Scutelaere,  échevin  de 
Bruges,  et  Alexandre  Rys,  d'entreprendre  toutes  les  dé- 
marches nécessaires  pour  mener  à  bonne  fin  rexéculion 
du  traité  conclu  l'année  précédente,  promettant  de  ratifier 
et  d'approuver  tout  ce  que  ces  délégués  feraient  en  son 
nom  {2).  Les  députés  nommés  par  Edouard  II  étaient  Gau- 
thier de  Norwich,  Guy  Ferre,  Guillaume  d'Ayremynne 
et  Jean  Waleweyn.  Cette  commission  devait  se  réunir  à 
Londres  dans  la  semaine  de  la  Nativité  de  saint  Jean- 
Baptiste  (2i  juin),  pour  procéder  à  l'examen  des  griefs 
des  gens  des  deux  nations  (3).  Mais  cette  réunion,  pour 
une  cause  que  nous  ignorons,  n'eut  pas  lieu;  à  la  suite  de 
cela,  le  roi  écrivit  au  comte  Robert  le  15  juillet,  lui  man- 
dant qu'il  désirait  ardemment  terminer  les  affaires  de  l'en- 
quête entre  la  fêle  de  Sainte-Marie-Madeleine,  le  22  juillet, 
et  celle  de  Saint-Michel,  le  29  septembre;  il  le  prie  en  même 
temps  de  vouloir  accorder  un  sauf-conduit  général  à  tous 
les  sujets  anglais,  promettant  de  le  faire  immédiatement 
pour  les  Flamands  (4).  Il  envoya  en  même  temps  à  tous 
ses  baillis,  ordre  de  laisser  passer  et  de  proléger  les  en- 
voyés  du  comte  jusqu'à  la  Noël,  et  donna  à  tous  les  sujets 


(1)  RvMEn,  édit.  angl.,  t.  Il,  p.  344.  —  Celle  pièce  ne  se  trouve  pas  dans 
rédilion  hollandaise. 

(2)  Archives  de  l'Etal,  à  Gund,  chai'les  des  comles  de  Fiandi'e.  —  Inven- 
taire DE  Saint-Genois,  no  1360. 

(3)  Rymer,  édit.  angl-,  t.  Il,  p.  361.  Celle  piéee  ne  se  trouve  pas  dans 
l'édition  hollandaise. 

(4)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  Il  :  p  367,  lettre  au  comle;  p.  3G8.,  lettre  aux 
vicomtes  d'Angleterre,  avec  ordre  de  protéger  les  Flamands;  p.  368,  sauf- 
conduit  général  aux  Flamands. 

6 


(le  Robert  un  satif-contluit  général  valable  jusqu'à  celle 
même  date  (i). 

Des  plaintes  nombreuses  furent  présentées  aux  commis- 
saires (2),  et  l'enquête  ne  put  être  terminée  à  l'époque  flxée. 
Une  note  cependant  fut  rédigée  le  oO  novembre  par  les 
ambassadeurs  d'Edouard  II  et  de  Robert  de  Bétbune,  qui 
réglait  une  partie  des  indemnités  à  accorder  aux  bourgeois 
des  deux  pays  (3).  Le  25  novembre,  le  roi  Edouard  pro- 
rogea le  sauf-conduit  qui  avait  été  accordé  aux  marchands 
de  Flandre,  et  les  autorisa  à  commercer  librement  jusqu'au 
jour  de  l'Assomption  de  l'année  suivante  (4).  La  veille,  il 
avait  écrit  aux  vicomtes  d'Angleterre  pour  inviter  les  prin- 
cipaux marchands  à  se  réunir  à  Londres,  non  plus  comme 
l'avait  désiré  Louis  X,  afin  de  juger  de  l'opportunité  du 
transfert  de  l'étape  à  Calais,  mais  afin  de  confirmer  ce 
privilège  en  faveur  de  la  Flandre  (s). 

L'année  suivante,  en  1519,  le  roi  d'Angleterre,  toujours 
en  hostilité  avec  les  Ecossais,  voulut  renouveler  à  l'égard 
de  nos  contrées  les  exigences  formulées  par  son  père  en 
1505;  il  écrivit  à  Robert  de  Bélhune  une  longue  lettre 
datée  du  25  mars,  dans  laquelle  il  développait  les  raisons 
qui  l'engageaient  à  prier  le  comte  d'interdire  ses  ports  à 


(1)  RvMER,  édit.  angl.,  t.  Il,  p.  368. 

(2j  Archives  de  l'E(al,  à  Gand,  chartes  des  comtes  de  Flandre;  Inventaire 
DE  Saim-Geîiois  :  N"  1371.  Liste  des  personnes  de  Lombardzyde  qui  ont  eu 
à  souffrir  de  la  part  des  Anglais.  —  N»  1372.  Autre  liste.  —  N"  1373.  Plain- 
tes de  ceux  d'Oslende.  —  N"  1374.  Plaintes  de  plusieurs  bourgeois  de  Dun- 
kerque.  —  N»  1584-.  Exposé  des  plaintes  de  quelques  bourgeois  de  l'Écluse. 
—  N»  1389.  Exposé  relatif  à  des  marchands  de  Flandre.  —  N»  1390.  Rapi- 
nes des  Anglais.  —  Record  office  :  Robert  à  Edouard  11,  en  faveur  de  plusieurs 
marchands  de  Bruges.  —  Les  avoués  et  les  échevins  d'Ypres  à  Edouard  II,  au 
sujet  des  violences  dont  leurs  administrés  ont  été  victimes.  —  Robert  de- 
mande réparation  des  outrages  commis  sur  ses  sujets  par  les  Anglais. 

(3)  Parliamentary  Wrilhs,  vol.  Il,  Div,  II,  Part.  II,  p.   155. 

(4j  Rymer,  édit.  angl.,  t.  Il,  p.  378. 

(5)     Id.,  id.,  id.,   p.  378. 


—  75  — 

la  nation  ennemie;  il  fit  la  même  demande  aux  magistrats 
des  villes  de  Bruges,  de  Damme,  de  Nieuport,  d'Ypres,  de 
Dunkerque  et  de  Malines,  ainsi  qu'au  duc  de  Brabanl  (i). 
La  réponse  du  comte  et  celle  des  bonnes  villes,  fut  celle 
à  laquelle  il  fallait  s'attendre  (2);  elle  était  identiquement  la 
même  qu'en  1305;  la  Flandre  ne  voyait  pas  dans  les  Ecos- 
sais qui  venaient  commercer  dans  ses  ports,  des  ennemis 
du  roi  d'Angleterre,  mais  des  négociants  dont  les  relations 
ne  pouvaient  qu'augmenter  la  prospérité  du  pays;  les  bannir 
eut  été  imprudent  et  risquer  de  pousser  le  comté  vers  la  dé- 
solation et  la  ruine.  Le  roi  d'Angleterre  fit  comme  avait  fait 
son  père,  il  n'insista  pas,  la  bonne  entente  ne  fut  pas  trou- 
blée, et  Edouard  se  montra  même  tout  disposé  à  faire  rendre 
justice  aux  Flamands  qui  avaient  été  lésés  par  ses  sujets; 
il  donna  ordre  de  continuer  l'enquête,  et  le  29  janvier  1 320, 
prolongea  la  trêve  marchande  jusqu'à  Pâques  (3),  et  ensuite 
jusqu'à  la  fin  de  juillet.  Au  mois  de  juin,  il  écrivit  au  comte 
Robert  pour  lui  témoigner  son  désir  de  rétablir  la  bonne 
intelligence  entre  la  Flandre  et  l'Angleterre,  l'asseoir  sur 
des  bases  plus  solides,  et  renouveler  les  traités  de  commerce 
qui  avaient  existé  entre  eux;  en  réponse  à  cette  lettre,  le 
comte  répondit  le  22  juillet,  par  l'envoi  en  Angleterre  de 
Michel  Belle,  bourgeois,  et  maître  Borlike  (4),  clerc  de  la 
ville  d'Ypres,  auxquels  il  donnait  plein  pouvoir  pour  obte- 
nir en  son  nom  et  au  nom  du  pays  de  Flandre  une  prolon- 
gation de  la  trêve,  qui  avait  été  respectivement  fixée  jusqu'à 
la  fête  de  Saint-Pierre  au  1"  août,  et  pour  prier  le  roi 
d'Angleterre  de  désigner  un  jour  pour  conclure  un  traité 


(1)  Rymer,  édil.  angl.,  t.  II,  p.  389. 

(2)  Id  ,  id.,  id.,   p.  394. 

(3)  Rymer,  édil,  angl.,  t.  IF,  p.  417.  —  Pâques  lombail  le  30  mars. 

(4)  Ce  nom  est  encore  écrit  Bourleke  ou  de  Burlegh,  dans  les  actes  diplo- 
lïiatiques. 


—  76  — 

défînilif  eiilre  les  deux  pays  (i).  Ces  lettres  furent  exhibées 
dans  le  conseil  du  roi  à  Westminster;  Edouard  y  répon- 
dit le  6  avril,  en  fixant  la  quinzaine  de  la  Sainl-lMicliel,  à 
Westminster,  pour  la  réunion  des  plénipotentiaires,  et  en 
envoyant  un  sauf-conduit  pour  les  ambassadeurs  du 
comte  (2).  Robert  avait  nommé  pour  traiter  en  son  nom, 
Eustaclie  Lauwaert,  chevalier,  Guillaume  De  Deken,  éche- 
vin  de  Bruges  (3),  Nicaise  le  Sage,  Michel  Belle,  conseillers 
jurés,  et  maître  Jean  Borlike,  clerc  d'Ypres  (4),  qui,  d'ac- 
cord avec  les  délégués  d'Edouard,  conclurent  un  arrange- 
ment le  1"  octobre,  en  vertu  duquel  le  roi  déclara  que  son 
désir  étant  de  maintenir  la  paix  et  la  bonne  intelligence,  il 
rendait  aux  Flamands  les  libertés  dont  ils  avaient  précé- 
demment joui  dans  ses  étals,  et  s'engageait  à  faire  décider 
promptement  toutes  les  affaires  relatives  aux  dommages  (s). 
A  la  suite  de  cet  acte,  il  donna  ordre  à  tous  ses  vicomtes 
ainsi  qu'aux  officiers  des  Cinq  Ports,  de  faire  proclamer 
que  tous  ceux  qui  avaient  des  différends  avec  les  Flamands, 
étaient  convoqués  à  Westminster  pour  la  quinzaine  de 
Pâques  de  l'année  suivante  (c). 

Mais  les  arrangements  qui  suivirent  ne  furent  pas,  à  ce 
qu'il  paraît,  de  nature  à  satisfaire  les  commissaires  fla- 
mands, car,  soit  pour  cette  raison,  soit  pour  une  autre,  ils 

(1)  Archives  de  l'Etal,  à  Garni,  chartes  des  comles  de  Flandre;  Inventaire 
DE  Saint-Genois,  n"  1376. 

(2;  RyMEH,  édit.  angl.,  t.  Il,  p    429. 

(3)  Il  s'agit  ici  de  Guillaume  De  Deken,  que  tous  les  actes  nomment  le 
Doyen,  qui  impliqué  dans  la  révolte  dont  l'issue  fut  la  bataille  de  Cassel, 
s'enfuit  en  Brabant,  fut  livré  au  roi  de  France  et  périt  à  Paris  sur  la  roue, 
en  1328.  —  Voir  notre  notice  biographique  sur  ce  personnage  dans  les 
Bttllelins  de  l'Académie  royale,  1871. 

(4)  Archives  départ,  de  Lille,  fonds  de  la  chambre  des  comptes,  carton  B, 
262. 

(3)  Uymer,  édit.  angl.,  t.  Il,  p    434.  —  Archives  départ,  de  Lille,  fonds  ilc 
la  chambre  des  comptes,  carton  B,  o67. 
(6)  RvMER,  édil.  angl.,  l.  Il,  p.  440. 


—  77  — 

quittèrent  les  conférences  assez  brusquement,  après  avoir, 
dans  le  principe,  paru  se  trouver  d'accord  avec  les  Anglais 
et  accepter  tout  ce  qui  avait  été  proposé.  Le  roi  d'Angle- 
terre, suflîsamment  surchargé  d'embarras  chez  lui,  n'eut 
pas  demandé  mieux,  que  de  voir  toutes  les  difficultés  apla- 
nies; aussi  écrivit-il  le  12  avril  1522  au  comte  pour  se 
plaindre  de  cette  espèce  de  rupture,  ainsi  que  de  l'embargo 
mis  sur  les  biens  de  quelques  Anglais,  et  exprimer  l'espoir 
qu'il  ferait  de  son  côté  ce  qu'il  pourrait  pour  renouveler 
les  traités  de  paix  (i). 

Robert  écrivit  de  Courirai,  le  27  mai,  à  Edouard,  une 
lettre,  dans  laquelle  il  explique  les  motifs  du  départ  préci- 
pité des  ambassadeurs  flamands,  et  déclare  que  s'il  a  fait 
mettre  sous  séquestre  les  biens  de  quelques  marchands 
anglais,  il  n'a  agi  que  par  réciprocité  :  il  avait  du  reste 
déjà  fait  au  roi  des  réclamations  à  sujet;  ainsi,  au  mois  de 
septembre  1319,  il  s'était  plaint,  qu'Egide  d'Artrike, 
Guillaume  van  de  Casteele,  Michel  Crakoen ,  Nicolas  de 
Thourout,  Jean  vander  Beke  et  Jean  de  Vasere,  de  Bru- 
ges, avaient  été  pillés  par  des  pirates  anglais;  à  la  fin  de 
la  même  année,  il  avait  réclamé  au  sujet  des  violences  exer- 
cées dans  les  ports  d'Angleterre  sur  des  marins  flamands, 
et  en  avait  demandé  réparation,  de  même  que  les  échevins 
d'Ypres.  Le  comte,  dans  sa  lettre,  justifie  encore  ses  sujets 
du  reproche  de  porter  des  secours  aux  Ecossais,  en  faisant 
remarquer  la  nature  de  leur  commerce.  Il  se  déclare  dis- 
posé, du  reste,  à  envoyer  des  mandataires  à  Saint-Omer 
pour  poursuivre  les  négociations. 

Mais  il  parait  que  les  marins  flamands,  malgré  toutes  les 


(1)  Rymur,  édit.  angl.,  t.  Il,  p.  iSô. 

(2)  Record  office.  —  Comptes-rendus  de  la  Corn,  d'IIisl.,  a»  1860,  pp.  100 
et  suiv.  —  Nous  aimerions  à  recourir  davantage  aux  documenls  découveris 
par  M.  Van  Bruyssel  au  Record  office,  mais  comme  il  est  rare  qu'ils  soieiil 
datés,  nous  n'osons  pas  nous  appuyer  sur  une  indication  aussi  vague. 


—  78  — 

observations,  refusaient  de  s'associer  au  ressentiment  du 
roi  d'Angleterre  à  l'égard  des  Ecossais;  Edouard  se  décida 
donc  à  prendre  une  mesure  extrême  à  leur  égard  et  donna 
l'ordre  à  des  vaisseaux  anglais,  ainsi  qu'aux  baillis  de  Yar- 
moulh  et  des  Cinq-Ports,  d'arrêter  les  bâtiments  qui  sortaient 
du  Zwyn  et  de  les  retenir  jusqu'à  ce  que  les  Flamands  se 
fussent  décidés  à  céder  à  ses  exigences.  Les  Anglais  s'em- 
parèrent de  quelques  navires  vénitiens,  mais  aussitôt  une 
flotte  flamande  s'avança,  prit  dix  des  vaisseaux  d'Edouard, 
et  se  dirigea  ensuite  vers  les  côtes  du  Norfolk  et  de  Sulîolk, 
où  elle  pilla  et  dévasta  tout  ce  qu'elle  rencontra,  s'empa- 
rant  de  la  plupart  des  barques  chargées  d'approvisionne- 
ments pour  l'armée  anglaise  en  Ecosse  (i).  Ils  inspiraient 
un  tel  efl'roi,  que  la  reine  d'Angleterre,  Isabelle  de  France, 
étant  en  mer,  se  réfugia,  pendant  une  tempête,  dans  un 
port  où  les  Flamands  avaient  coutume  d'aborder,  et  n'osa 
pas  s'y  arrêter,  de  peur  que  ceux-ci  ne  se  joignissent  aux 
Ecossais  pour  l'y  assiéger  (2). 

Malgré  cette  apparente  mauvaise  foi,  Edouard  voulut 
encore  témoigner  de  son  désir  de  voir  régner  la  bonne 
entente,  et  écrivit  au  comte  dans  ce  sens  le  6  mai  (3). 
M.  Kervyn  de  Leltenhove  croit  que  ces  expéditions  des 
Flamands,  contre  tout  droit  et  raison,  avaient  eu  lieu  à 
l'instigation  de  Louis  de  Nevers,  dont  les  sympathies 
étaient  pour  la  France,  et  qui  voulait  ainsi,  en  dépit  de 
son  aïeul  et  du  peuple  flamand,  se  concilier  l'affection 
d'une  puissance  dont  toute  la  politique  consistait  dans  l'a- 
baissement de  la  Flandre  (4);  cette  opinion  nous  parait  fort 
rationnelle. 


(1)  Rymer,  éilil.  angl.,   t.   Il,  p.  484  et  485.  —  Kcnvïn,  t.  III,  p.  133  cl 
suiv. 

(2)  Kervyn,  t.  III,  p.  13G,  note  1. 

(3)  Rymer,  édit.  angl.,   t.   II,  p.  483.  —  Archives  départ,  de  Lille,  fonds 
(le  la  chambre  des  comptes,  carton  B,  576. 

(4)  Kur.YYN,  t.  III,  p.  H4.  —  Nous  ferons  observer  seulement,  qu'en  adri- 


—  79  — 

Robert  (le  nélhimc  ne  vit  pas  la  fin  de  ce  (liiïcrend,  car 
il  mourut  le  17  septembre  1322,  à  l'âge  de  quatre-vingt- 
deux  ans,  avant  que  les  diffîcullés  fussent  aplanies  et 
qu'une  paix  solide,  exigée  par  rinlérét  des  deux  nations, 
eût  pu  se  conclure. 

{Pour  être  continné). 

Emile  Varenbrrgh. 


buanl  ces  déprédations  au  commencement  du  règne  de  Louis  de  Nevers,  nous 
croyons  que  le  savant  auteur  s'est  trompé;  elles  eurent  lieu,  nous  paraît-il, 
dans  les  premiers  mois  de  1322  (n.  s.),  alors  que  Robert  de  Béthune  vivait 
encore. 


—  80 


LE     DÉNONCIATEUR     DE     SORCIEES. 

1597-1598. 


Les  lecteurs  du  Messager  se  rappellenl  piobablemenl 
que  je  les  ai  entretenus,  il  n'y  a  pas  très-longtemps,  d'un 
certain  Jean  Baxius,  qui  faisait  le  triste  métier  de  décou- 
vrir et  de  dénoncer  les  soi-disant  sorciers  (i).  Des  pièces 
que  j'ai  trouvées  depuis  dans  les  archives  du  conseil  de 
Brabant,  me  mettent  à  même  de  fournir  quelques  rensei- 
gnements nouveaux  sur  ce  personnage. 

Si  un  homme  tel  que  Baxius  vivait  de  nos  jours,  il  atti- 
rerait certainement  sur  lui  l'attention  des  physiologistes  et 
avant  tout  celle  de  la  police.  Etait-ce  un  fanatique  convaincu, 
ou  bien  un  scélérat,  âpre  à  la  curée,  avide  d'avoir  sa  part 
des  dépouilles  des  condamnés?  A  en  juger  par  ses  actes,  on 
est  disposé  à  croire  qu'il  était  l'un  et  l'autre.  Une  chose  posi- 
tive, c'est  que  toutes  les  démarches  de  cet  homme  tendaient 
à  envoyer  le  plus  de  monde  possible  au  bûcher,  sans  dis- 
tinction de  condition  ni  de  sexe.  Malheur  à  qui  devenait 
l'objet  de  ses  soupçons  !  Baxius  ne  lâchait  pas  facilement 
sa  proie.  Cependant  l'impartialité  m'oblige  d'invoquer  en 
sa  faveur  le  bénéfice  des  circonstances  atténuantes.  N'ou- 
blions pas,  que  de  son  temps  la  société,  déjà  si  forlomenl 

(1)  Voy.  Messager  des  Scienees,  année  1809,  p.  .".iO. 


—  81  — 

«'•prouvce  par  des  guerres  incessanles,  était  travaillée,  pour 
comble  de  misères,  par  ce  terrible  fléau  moral  nommé  la 
sorcellerie,  préjugé  que  les  progrès  de  la  civilisation  n'ont 
pas  encore  enliérement  ôlé  de  l'esprit  du  vulgaire  (i).  La 
démence  était  alors  (1597)  à  son  paroxisme.  Les  docu- 
ments judiciaires  parvenus  jusqu'à  nous,  sont  là  pour  té- 
moigner qu'il  n'y  avait  guère  de  village  qui  ne  comptât 
plusieurs  victimes  exécutées  par  le  feu.  On  ne  voyait  par- 
tout que  sorciers  et  sorcières.  Baxius  s'était-il  imaginé  qu'il 
rendait  un  sei*vice  à  ses  concitoyens,  en  employant  tout  son 
zèle  à  exterminer  celte  race  maudite?  Voilà  une  question 
que  je  me  suis  faite  souvent,  quoique  j'avoue  qu'il  faut 
une  forte  dose  de  bonne  volonté  pour  défendre  un  être 
aussi  barbare,  aussi  froidement  cruel. 

Nous  avons  vu  le  dénonciateur  peser  sur  le  gouverne- 
ment au  point  de  faire  promulguer  une  ordonnance  contre 
les  sorciers;  nous  l'avons  vu  dressant  des  listes  entières 
de  proscriptions  :  maintenant  il  va  s'attaquer  non  pas  à  un 


(1)  Nous  en  avons  mallieureiiscnient  de  temps  en  lenips  des  exemples.  En 
voici  un  tout  récent.  Il  y  a  quelques  mois,  une  jeune  fille  du  pays  d"Al- 
tena  (Brabant  septentrional)  se  crut  ensorcelée,  parce  qu'elle  avait  touché 
une  vieille  femme.  La  scène  se  passait  sur  une  digue.  Comme  il  ventait  très- 
fort,  la  jeune  fille  s'était  évertuée  à  baisser  les  jupons  de  la  vieille,  soulevés 
par  le  vent,  <>  qu'avez-vous  lait!  lui  dirent  ses  compagnes.  —  Vous  avez 
»  touché  cette  vieille  :  vous  êtes  ensorcelée.  «  La  fille  relourne  chez  elle, 
l'esprit  frappé.  Son  amant,  un  batelier,  apprend  la  chose  et  attire  un  jour 
la  vieille  femme  chez  lui.  «  Vous  avez  ensorcelé  une  telle,  dit-il,  vous  allez 
»  la  désensorceler  ou  je  vous  brûle  vive.  »  Le  batelier  avait  allumé  un  grand 
feu  dans  son  four.  «  Je  n'ai  pas  ensorcelé  cette  fille,  répond  la  femme.  Je  ne 
»  sais  ce  que  vous  voulez  dire.  »  Le  batelier  lui  ordonne  de  faire  une  courte 
piiêre  pour  la  malade,  avec  menace  d'être  jetée  dans  le  four.  La  femme 
eut  des  scrupules,  parce  qu'elle  appartenait  à  une  secte  dissidente.  Elle  finit 
par  obtempérer  aux  injonctions  de  l'agresseur,  qui  avait  changé  la  forme  de  la 
prière  à  réciter.  Grâce  à  cette  transaction,  elle  put  s'en  aller.  Le  batelier  fut 
poursuivi  par  le  procureur  du  roi,  à  Bois-le-Duc.  C'est  de  la  bouche  de  ce 
magistral  que  M^  P.  Cuypers  apprit  cette  aventure,  et  M.  Cuypers  Ta  répété 
à  l'auleur  de  celte  notice. 


—  8-2  — 

sorcier,  mais  à  un  anti-sorcier,  à  un  exorciseur  (onloove- 
raer),  qui  était  évidemment  pour  lui  un  concurrent  non 
orthodoxe. 

Ce  dernier  personnage  ne  mérite  pas  moins  de  fixer  notre 
attention.  Son  art,  si  je  puis  le  dire,  est  un  fidèle  reflet  du 
sentiment  de  terreur  qui  régnait  parmi  les  masses  crédules. 
Pour  elles,  André  Peelers,  ainsi  se  nommait  l'exorciseur, 
était  une  sorte  de  prophète.  Il  avait  été  sacristain  de  l'église 
deWesterloo,  dans  la  Campine.  De  toute  part  les  personnes 
qui  se  croyaient  ensorcelées  accouraient  vers  lui.  Peeters 
était  incontestahlement  un  homme  inofl"ensif,  un  démon 
bienfaisant.  Voici,  d'après  un  fragment  d'enquête,  en  quoi 
consistait  un  de  ses  moyens  d'exorcisme.  Il  remettait  six 
billets  cachetés  au  malade,  qui  devait  en  porter  un  au  cou, 
et  rentré  chez  lui,  enterrer  les  cinq  autres  dans  sa  cave, 
un  à  chaque  coin  et  le  cinquième  au  milieu  de  la  place, 
en  y  joignant  partout  un  peu  de  terre  d'une  tombe  fraîche- 
ment creusée,  sauf  à  obtenir  pour  cela  la  permission  du 
curé.  De  l'aveu  des  moines  de  Tongerloo,  établis  près  de 
Westerloo,  Peelers  invoquait  aussi  Dieu,  la  Vierge  et  les 
saints.  En  outre,  il  se  servait  d'eau  bénite,  de  chandelles 
de  cire  et  de  quelques  signes  cabalistiques.  Enfin,  il  se  van- 
tait de  pouvoir  dire  au  juste  par  qui  on  avait  été  ensorcelé 
et  pour  quel  motif.  De  là  sa  réputation  de  ivaerscgger, 
ajoutée  à  celle  d'exorciseur. 

Ambroise  Peeters  se  livrait  depuis  quelque  temps  à  ses 
opérations,  avec  un  prestige  qui  étendait  au  loin  sa  renom- 
mée, quand  il  fut  dénoncé  à  l'évêque  de  Bois-le-Duc  (i), 
après  avoir  été  d'abord  destitué,  je  crois,  par  le  curé  de 
Westerloo  et  par  le  seigneur  du  village  (2),  qui  avait  la 
collation  de  l'oflicede  sacristain.  L'évêque  écrivit  à  Richard 


(1)  Westerloo  était  alors  dans  ce  iliocèse, 

(2)  Cette  terre  appartenait  à  la  maison  de  Mérode,  qui  la  possède  encore. 


—  85  — 

Dufraisne,  drossarci  de  Weslerloo,  pour  Tinviler  à  corriger 
Peelcrs,  faute  de  quoi,  disait-il,  il  devrait  y  pourvoir  lui- 
même.  En  conséquence,  le  drossard  se  mit  en  devoir  d'ar- 
rêter le  prévenu,  mais  il  ne  parvint  pas  à  le  trouver  :  Peelers 
s'était  caché.  Se  voyant  poursuivi,  il  se  rendit  auprès  de 
l'évêque,  qui  lui  pardonna,  à  condition  de  ne  plus  recom- 
mencer. L'ex-sacristain  ne  tint  pas  compte  de  cette  défense; 
mais  n'osant  plus  exorciser  ouvertement,  il  était  devenu 
latitant.  Les  gens  pressés  de  recourir  à  son  ministère, 
étaient  conduits  au  lieu  de  sa  retraite  par  des  affidés. 
D'après  le  témoignage  du  drossard,  l'afflluence  était  tou- 
jours considérable. 

Baxius,  informé  de  ce  qui  se  passait,  adressa  le  23  juillet 
1S97  une  requête  au  chancelier  de  Brabant,  Nicolas  Da- 
mant (i).  Il  commençait  par  rappeler  que  par  sa  science  (2), 
fruit  de  longues  études,  et  par  une  expérience  consommée, 
il  était  parvenu  à  découvrir  le  crime  secret  de  sorcellerie 
et  entre  autres  celui  de  ce  grand  ensalvador  ou  seigneur 
qui  guérissait  tant  de  paralytiques,  d'aveugles  et  de  malades 
incurables,  sans  remède  connu  de  la  médecine  ou  approu- 
vé (5).  Puis  Baxius  signalait  un  soldat  bourguignon,  qui 
faisait  également  profession  de  guérir  les  personnes  et  les 
bêtes  ensorcelées.  Dénonçant  ensuite  notre  fameux  exorci- 
seur, il  demandait  qu'on  procédât  à  son  arrestation,  s'en- 
gageant  à  en  subir  toutes  les  conséquences  s'il  n'établissait 
pas  clairement  et  sans  retard  que  Peelers  était  un  instru- 
ment de  l'esprit  malin.  Baxius  avait  soin  d'insister  sur  la 
défense  faite  par  l'évêque  de  Bois-le-Duc. 

Cette  requête  fut  remise  au  procureur  général  de  Bra- 

(1)  Sur  une  copie  qu'il  avait  faite  de  celle  requête,  Baxius  a  écrit  ceci  : 

Vescil  tarda  molimina  spiritus  sancii  gralia. 

(2)  Il  était  théologien.  Ses  lettres  portent  un  cacliet  armoirié,  avec  une 
devise.  Nous  n'avons  pu  y  reconnaître  qu'un  lion  passant  en  clief. 

(3;  Ce  merveilleux  personnage  n'esl  pas  nomme. 


-^   84  — 

baiil  (i),  afin  qu'il  ouvrît  une  enquèle  (apostille  du  26 
juillet).  Le  procureur  général  entendit  à  Bruxelles  le  dros- 
sard  Dufraisne,  dont  j'ai  utilisé  la  déposition  pour  donner 
quelques  renseignements  préalables.  D'après  les  assertions 
de  Baxius,  l'enquête  aurait  été  suivie  d'un  décret  de  prise 
de  corps;  mais  le  procureur  général  ne  l'aurait  pas  mis  à 
exécution  à  cause  des  frais  qui  devaient  en  résulter.  C'est  un 
point  que  je  n'ai  pu  vérifier.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  13  octo- 
bre suivant,  Baxius  se  rendit  d'Anvers,  où  il  demeurait,  à 
Bruxelles  pour  parler  au  procureur  général.  N'ayant  pas 
trouvé  ce  magistrat  en  son  logis,  il  lui  laisse  un  billet  qui 
mérite  d'être  lu.  On  y  verra  avec  quelle  indifférence  Baxius 
annonce  qu'il  est  appelé  à  iVIalines  pour  assister  à  la  tor- 
ture d'une  accusée. 

a  Monsigneur  le  conseillier,  alsoo  ick  noolelyck  wederomme 
naer  Mecheien  moet  gaen,  alwaer  morgen  een  gesuspecteerde 
van  tooverye  ter  bancken  comtnen  sal,  soo  de  scherprechter  van 
Brussel  daer  oniboden  is,  soe  hehbe  ick  aen  tiwe  Eer.  alhier 
gelalcn  d'iiiformatie  die  ick  van  den  cuysier  van  Westerloo  van 

Antvverpen  mede  gebrocht  hebben (a)  aengaende,  quod 

lanquam  ad  numen  et  Esctilapium  quendam  ad  eum  undequaque 
accurrilur,  lippis  et  lonsoribus  nolum  est  publiquaque  vox  et  fama 
inquisilioni  locum  facil.  Cetere  supplebit  vestra  prudentia  et  vigi- 
lans  zelus.  Hier  mede  nwe  Eer.  den  Heere  bevolen.  Tôt  Brnssel, 
lot  nwer  Eer.  hnyse  dcscn  Innae  xiit  oclob.  J597. 

«  Tuus  ex  animo, 

«  J.  Baxius, 
«13  Sbr  1597.  1) 

Ce  billet  n'eut  pas  le  résultat  que  Baxius  en  espérait. 
Aussi  fut-il  suivi,  le  S  novembre,  d'une  lettre  dont  le  lec- 
teur ne  sera  pas  fàcbé  de  prendre  connaissance. 

«  Mons.  le  conseillier,  naerdemael  daldergevuechelyxste  mid- 


(1)  Jacques  Van  Tseslicli. 

(2)  Mot  illisible. 


—  85  — 

del  om  de  fooveraers  tachterhaelen  is  duer  dapprehensie  van  de 
ontooveraers,  die  hen  nyet  en  vermyden  de  tooveraers  a  quibus 
nolamen  tum  immissum  est  te  aenneemen,  quod  expressi  cum  de- 
mone  pacti  argumenlnm  esse  dicunl  omnes  el  precipue  De  :  in  Malleo, 
is  daeromme  myn  bidden  dat  iiwe  Eerw.  gelieven  melten  ieer- 
sten  cens  rapport  te  doene  van  de  informaiie  van  dyen  zoo  zeer 
vermaerden  ontooveraer,  de  cuyster  van  Westerlo,  die  aile  de 
Kenipen  duer  ende  in  de  oniliggende  steden  soc  befaempt  is, 
dat  die  selve  famé  alleen  bastandt  is  om  dapprehensie  te  doen, 
cesserende  oick  (des  neen)  de  particulière  iuformatien  die  uwe 
Eerw.  aireede  genomen  hebbe  ende  eensdeels  by  my  in  handen 
van  uwen  clerck  over  de  3  weken  onbcgrepen  herwaerts,  gela- 
ten  om  aen  de  selve  uwe  Eerw.  gelevert  te  worden,  de  welcke 
lichlelyck  overwonnen  wesende,  absque  ulla  tortura,  sal  promp- 
telyck  weeten  te  aennoemen  aile  de  persoonen  die  de  nienschen 
oftebeesten  betooverl  hebben(i),  biddendedeshalven  uwe  Eerw. 
anderwerff,  d'occasie  die  hier  soo  schoon  is  gevende  nyet  verby 
te  laetcn  gaen,  wel  weetende  daimen  God  geenen  aengenamen 
dienst  gedoen  en  can,  dan  duer  dexterpatie  van  desen  aider- 
grouwelycxsten  criem,  hier  mede  uwe  Eerw.  den  Heeren  beve- 
lende,  vnyt  Aniwerpen  desen  5  9^«'"  1597. 

(lUwen  Eerw.  vriendt  ende  dienaer, 
«J.  Baxius, 

«  5   Ober  1597.   » 

Le  26  mars  1598,  on  enlendit  à  Louvain  Adrien  Ver- 
heyden,  notaire,  résidant  dans  l'abbaye  de  Tongerloo.  Sa 
déposition  ne  fut  pas  trop  défavorable  à  Ambroise  Peelers, 
non  plus  que  les  propos  que  les  moines  tenaient  sur  son 
compte  (2). 

Le  7  juin  suivant,  Baxius  demanda  un  entretien  au 
procureur  général,  pour  se  concerter  avec  lui  sur  les  moyens 
à  employer  pour  arrêter  le  prévenu.  C'est  ce  qui  résulte  du 
billet  que  voici  : 

a  Monsieur  conseillier,  di  gratie  dat  ick  niacli  hebben  copie 

(I)  Ce  passage  est  à  noter.  Il  dépeint  Tabominable  dénonciateur. 
(2j  Ceci  d"après  la  disposition  du  même  iiolaire. 


—  86  - 

van  beyde  myne  leste  requesten  aeu  deu  raedt  gepresenleert  by 
iny,  Ick  sal  morgeii  conimuniceren  met  iiwe  Ecrw.  op  een  be- 
qiiaem  middel  tôt  daprehciisie  van  dien  zeer  fameusen  NN.,  die 
uwe  Eerw.  wel  weet,  my  vuyt  ganscher  herten  louwaerts  recom- 
manderende,  desen  7  jiiny  1598.  Iloru  sccuuda  pomeridiana. 

«  Tuus  ex  animo, 

«  J.  Baxujs, 
«  7  juny  1598.  » 

Celle  démarche  élaiU  resiée  sans  suite  eomine  les  pré- 
cédentes, Baxius  présenta  une  nouvelle  requête  au  chan- 
celier de  Brabant,  afin  de  parvenir  à  une  arrestation  qu'il 
convoitait  avec  l'ardeur  d'un  ioup-cervier.  Il  convient,  me 
semble-t-il,  de  lui  laisser  une  dernière  fois  la  parole.  Ce 
qu'on  remarquera  dans  sa  requête,  c'est  que  le  dénonciateur 
ne  traite  plus  Peeters  d'ontooveraer,  mais  de  vrai  sorcier, 
invoquant  le  diable. 

d  Aen  mynen  Heer  den  Cancellier,  etc. 
«  Remonstreert  in  aider  reverentien  J.  Baxius,  alsoo  mynen 
heere  de  procureur  gênerai  ten  aengeven  des  remonstrants  van 
uwe  Eerw.  op  zyne  requeste  sedert  7»  S^'^r  jn  tvoirleden  jaer 
geohùneeri  heeh  decreliim  apprehensionis  ten  laste  van  den  coster 
van  Westerloo,  by  name  Ambrosius  Peeters,  als  by  den  remon- 
strant  aengegeven  als  een  zeer  fameus  tooveraer  ende  een  hooft 
dor  tooverareu,  tôt  Westerloo  woonende,  ende  dat  nyettegen- 
staende  de  remonstrant  tôt  effcctuatie  van  de  selve  apprehensie 
dry  verscheyden  requesten  aen  uwe  Eerw.  heeft  overgegeven, 
die  allegader  gcsteit  zyn  in  handen  van  den  selven  heer  procu- 
reur gênerai,  sonder  dat  uwe  Eerw.  eenige  appostillen  op 
eenige  der  selver  hebbe  gesteit,  ende  midts  de  voirs.  heer 
procureur  gênerai  noch  ter  tyt  egeen  effectucl  debvoir  gedaen 
en  heeft,  al  nyettegenslaende  de  remonstrant  heeft  aengegeven 
dat  men  de  selve  apprehensie  zeer  gevuechelyck  soude  conuen 

volvoeren  duer de  Mère,  schoutet  van  Herentals,  den 

selven  coster  naest  gesetcn,  die  de  remonstrant  verstaet  een 
govucch  officier  te  zyne  der  justitie  zeer  toegedacn  ,  die  den 
selven  gevangcn  hcbbcndc  meltcn  iccrstc  convoy  soude  mogcn 


—  87  — 

docn  brcngen  op  Aiilwerpen,  in  lianden  vau  ccncn  duerwccr- 

der,  OUI  zoo  voirts  opTruerenboi'ch(i)  gestclt  le  worden,  in  con- 

formiteyt  van  uwe  Eerw.  voorscydc  decrcten;  item,  ende  dat  de 

remoustrant  nyct  alleenlyck  gepresenteert  Iieeft  den  selven  cos- 

tcr  van  Westerloo ,   vel   unico  solum  examine  le   convinceren, 

etiam  confessione  propriœ,  dat  hy  nyet  alleenlyck  eenen  gemeys(?) 

looveraer  en  is,  maer  cen  hooft   der  tooveraers,  ende  lotten 

dyn  {sic)  in  dyn  (sic)  myncn  Eerw.  gelievc  hera  de  commissic 

te  geven  cum  clausula  subsidii  ad  omnes  judices,  oft  specialyck 

op  den  voirs.  schoutet  van  Herenlals,  dat  hy  oick  op  zynen  cosl 

sonder  eenige  procrastinatie  tvoirs.  décret  zal  doen  efifeclueren 

ende  den  selven  in  handen  desselfs  procureurs  le  doen  om.etc. 

Bidt  daeromme  de  reraonstrant  dat  uwe  Eerw.  gclieve  wille  de 

voors.  gedecerncerde  apprehcnsie  duer  deen  oft  dander  middel 

by  appostille  op  de  marge  van  dese  te  slellen,  te  doen  effectne- 

ren,  siende  dat  (loff  God)  nu  nyet  meer  questie  oft  swaricheyt  en 

valt  van  tooveraers  te  vinden,lc  ondersoecken  oft  te  ontdecken, 

maer  de  aireede  gedeprehendeerde  te  doen  apprehenderen,  jae 

zoo  solemnelen  décret  van  uwe  Eerw.  over  de  negen  maende 

gegeven  te  doen  effectueren  ende  namentlyck  jegens  eenen  open- 

baren  aenroeperder  duyvelen  ende  landsvyant  confremineerder 

ende   beletter  van  den    zoo  zeer  aengenacmen  peys.   Dwclck 

doende,  etc. 

«  J.  Baxhîs, 

«  30  Juny  1598.  » 

Le  conseil  de  Brabanl  mil  sur  ce  faclum  i'aposlille 
qui  suit  : 

«  Sy  gesteit  in  handen  van  den  procureur  generael,  oni  den 
selven  gehoort,  voirts  geordincert  te  wordenc  naer  behooren. 

«  Acium  in  den  raede  van  Brabant,  den  lesten  junyxv"^  xcviij.  » 

Ainsi  celle  fois  encore,  grâce  à  la  modération  du  con- 
seil de  Brabant,  Baxius  fut  déçu  dans  ses  espérances. 

Le  dossier  d'où  sont  tirés  les  renseignements  qui  précè- 
dent étant  incomplet,  il  ne   m'a  pas  été  possible  de  savoir 

comment  finit  celle  persécution. 

L.  G. 

(1)  Prison  à  Bruxelles. 


88  — 


l3tMia^ra^jl)ic  muôtcale. 


L'élude  de  la  bibliographie  musicale  est  une  des  plus 
imporlanles  parties  de  Tari  de  la  musique,  car  elle  en  est 
l'àme. 

Malgré  les  recherches  minutieuses  des  savants  historiens 
allemands,  belges,  français  et  hollandais,  un  grand  nombre 
de  compositions  musicales  et  de  livres  sur  la  musique  sont 
restés  inconnus  à  nos  biographes. 

Nous  faisons  suivre  une  nomenclature  de  nombreux  ou- 
vrages, qui,  nous  l'espérons,  sera  consultée  avec  intérêt 
par  les  artistes  et  les  historiens. 

On  comprendra  combien  il  a  fallu  de  recherches  pour  ce 
travail,  qui  contient  une  foule  d'œuvres  restées  inconnues. 

Les  Odes  de  Pierre  de  Ronsard,  mises  en  musique  par 
Pierre  Clercau,  à  Paris,  1596.  Et  livre  des  trios  d'Arca- 
delt,  à  Paris,  1588. 

M.  Fétis  mentionne  Clereau,  mais  l'œuvre  précitée  lui 
est  restée  inconnue. 

Les  cent  cinquante  Psaumes  de  David,  mis  en  musique 
par  Claude  Le  Jeune,  à  Paris,  1501. 

Le  Jeune,  de  Valenoiennes,  était  compositeur  de  la 
chambre  du  roi. 

Airs  mis  en  musique,  par  Johan  Planson,  à  Paris,  \  595. 
M.  Fétis  cite  ce  compositeur,  mais  omet  son  livre. 


—  89  — 

Airs  de  Court,  mis  en  musique  «  4,  5,  6  et  8  parties, 
par  Denis  Caignet,  à  Paris,  1597. 

Même  remarque  pour  celle  œuvre. 

Les  Psaumes  Oe  David,  mis  en  musique  à  quatre  et  cinq 
parties,  par  Claude  Le  Jeune.  A  Genève,  par  Jean  de  Tour- 
nes, 1627. 

Ce  livre  est  accompagné  du  porlrail  de  Le  Jeune,  el  d'un 
second  portrait,  qui  est,  croyons-nous,  celui  du  roi  de 
France.  11  est  dédié  à  Mgr  le  duc  de  Bouillon,  prince  sou- 
verain de  Sedan,  etc. 

Nous  y  trouvons  l'épitaphe  de  Le  Jeune  sur  l'anagramme 
de  son  nom  : 

Après  auoir  en  ces  accords 

Ravissants  les  cœurs  par  l'ouije, 

Esgalé  des  célestes  corps 

L'harmonieuse  mélodie  : 

Affranchi  du  mortel  lien 

Qui  lenoit  son  âme  arreslée, 

Claudin  ceste  terre  a  quittée 

Pour  eslre  au  ciel  un  Delien. 

\\.  E. 

Le  Jeune  fut  un  des  meilleurs  artistes  de  son  temps. 

Couranten  voor  een  hoogsle  en  middelsle  geluid,  van 
J.  Foucart.  Sans  date. 

Allemande,  par  Constantin.  Paris. 

Courante,  par  le  même. 

Constantin  vivait  à  Paris  au  XVII^  siècle. 

Adriani  Wilaertz  musici,  sex  vocum  moteltœ  (vt  vulgo 
nuncupantur),  impressœ  sunl  Venetiis  upud  Anloniunt 
Gardonum,  anno  Domini  1S42.  Eiusdem  et  jacliet  Psalmi 
vespertini  omnium  dierum  feslorum  per  annum,  quatuor 
vocum,  impressi  Venetiis,  \oo7 . 


—  90  — 

Andrew  Peuernagi  (Pevernage,  maître  de  chapelle,  à 
Anvers),  Corlracensis,  cantiones  aliquot  sacrœ,  sex,  seplem 
et  octo  vocum,  quibiis  addila  elogia  nonnulla  versibus  ex- 
pressa  Lalinis,  tam  viva  voce,  quam  omnis  generis  inslru- 
mentîs  cantala  comtnodiss.  In-4°.  Anno  1578. 

Gerardi  à  Turnhout.  Tricinîa  sacraruni  et  aliariim  can- 
tî'onum  tam  viva  voce  quam  instrumentis  commodissima. 
Louanii,  1569  (P.  Phalèse  père). 

Jacohi  Regnasci  Flandri,  Miisîci  S.  C.  M.  Imperatoris 
Rodolphi  secundi.  Cantionum  llalicarum  quinque  vocum, 
lib.  2.  In-4".  Norimbergœ,  1581. 

Adhœc  composiiit  sacras  aliquot  cantiones,  quas  motetas 
vulgus  appel lat  quinque  et  sex  vocum.  k.  Monachii.  Eiiis- 
dem  suauissimarum  Germanicarum  cantionum  trium  vo- 
cum, tomus  primus,  seciindus  et  tertius.  Norimbergœ. 

Madrigali  di  Rinaldo  del  Melle,  a  6  voci,  scilicet  alto, 
tenore,  canto,  quinlo,  scslo  et  basso. 
Anvers,  1588. 

Cet  artiste  naquit  en  Belgique  vers  1550  et  décéda  pro- 
bablement à  la  fin  du  XVI''  siècle. 

Chansons  de  Pevernage  à  6,  7  ef  8  parties,  scilicet  supe- 
rius,  ténor,  contra-tenor,  quinto  pars,  sexta  pars  et  bassus. 

Pevernage  était  maître  de  chant  à  la  cathédrale  d'An- 
vers, en  1580. 

Jaches  seu  Jacobi  Werth,  musici  suavissimi,  modulatio- 
num  sacrarum  quinque  et  sex  vocum  libri  très,  in  nnum 
volumen  redacti.  ^1-4".  Norimbergœ,  1583. 

Recueil  d'airs  et  romances  avec  guitare,  piano  ou  harpe, 
par  Jacques  Kafka,  professeur  de  musique  à  Gand. 

l*""  Recueil.  A  Paris  et  à  Gand,  chez  les  éditeurs  et 
chez  railleur.  —  Gravé  par  Plouvier,  à  Gand. 


—  91  — 

Ce  morceau  a  été  publié  du  temps  de  l'Empire  français. 
Auteur  et  recueil  inconnus  de  M.  Fétis. 
Le  recueil  est  gravé  par  Plouvier,  de  Gand. 
Les  paroles  sont  de  MM.  Liégeard,  C.  Van  Bemmel  et 
Ch.  Malingreau. 

Trois  sonates  pour  clavecin  avec  ace.  d'un  violon  et  vio- 
loncelle, dédiées  à  Son  A  Itesse  Royale  1/™*=  le  D?ic  Charles 
de  Lorraine  et  de  Baar,  etc.,  composées  par  Fer.  Staes, 
œuvre  premier.  Gravées  à  Bruxelles  par  M.  Van  Ypen, 
rue  de  Magdelaine. 

Il  y  a  une  dédicace  au  duc  de  Lorraine  et  une  belle  gra- 
vure pour  titre. 

Ces  œuvres  datent  d'environ  1780. 

Idées  de  campagne  pour  le  clavecin  avec  ace.  d'un  violon, 
violoncelle  et  deux  cors,  dédiées  aux  Dames.  Composées  par 
Ferd.  Staes.  Œuvre  VII.  A  Bruxelles,  MM.  Van  Ypen  et 
Mechtler.  A  Paris,  chez  Cornouaille. 

Pot-Pourri  arrangé  pour  le  piano,  par  J.  J.  Plouvier; 
à  Gand,  chez  Plouvier,  et  à  Paris,  chez  Doisy.  Œuvre  l"^"". 
Gravé  par  P.  J,  Plouvier. 

Ce  petit  pot-pourri  date  du  temps  de  l'Empire. 

Six  suites  pour  le  clavecin  avec  violon,  ad  libitum,  com- 
posées par  P.  G.  Van  den  Bosch.  Œuvre  IV.  Paris,  chez 
Le  Menu  (Environ  1775). 

Van  den  Bosch  était  organiste  à  la  cathédrale  d'Anvers, 
depuis  1765  jusqu'à  la  fermeture  des  églises.  Il  mourut  à 
Anvers,  en  1803. 

M.  Fétis,  qui  mentionne  tant  de  médiocrités,  n'a  pas 
connu  cet  artiste,  qui  jouissait  d'une  grande  réputation. 

On  lui  doit  encore  : 


—  92  — 

Concerto  pour  le  clavecin,  2*  œuvre.  Paris,  chezLeMemi. 
IV  Concerts  pour  le  clavecin,  œuvre  II F.   Paris,  chez 
le  même. 

Le  Menu  a  publié  plusieurs  pièces  de  musique  de  Schwiii- 
del,  Kennis  et  autres  auleurs  connus. 

6  Quatuors,  op.  1.  Composés  par  Michaels.  Amsterdam, 
chez  J.  Rummel,  1788. 

Oranje  Hof  {het  princelyke),  cîerlyk  beplant  met  oranje 
gezangen,  opgezongen  ter  gelegenheyd  van  de  verheffîng  van 
zyn  Doorl.  Hoogh.  den  Heere  Prince  van  Oranje,  enz., 
tôt  Erf-Stadhouder  kapiteyngeneraal.  Drie  stnkjes,'s  Gra- 
venhage,  by  Pieter  Servaas,  1748, 10-8".  Door  Frans  Piton. 

Pilon  élail  organiste  à  La  Haye. 
Artiste  et  livre  restés  inconnus  à  Gerber,  J.  Wallher, 
Schilling  et  Félis. 

Vyf  baletten  door  P.  D.  Pers. 

Pers  appartient  aux  Pays-Bas.  Peut-être  même  est-il  de 
cette  famille  Pers,  de  Bruges,  dont  un  des  membres  a  été 
anobli  et  gratifié  du  titre  de  baron  par  le  roi  Guillaume. 

Date  inconnue. 

Fantasia,  gemaekt  ter  eere  der  E.  E.  Juffrouw  Adriana 
Van  den  Bergli;  door  P.  D.  Pers. 

Balletten,  eerste  Ballet  van  B.  F.  De  Bruin.  Date  in- 
connue. 

Cet  auteur  appartient  à  la  Hollande. 

Frans  Air,  2  variatien  van  J.  Dix. 

Jean  Dix  était  carillonneur  du  Dom,  à  Ulrecht,  et  rem- 
plaça, en  1657,  J.  Van  Eyck. 
Il  décéda  vers  1669. 


—  93  — 

Carilenen,  Comarjaeti,  aile  met  Iwee  geluide»,  van  C.  Kial. 

Roger  el  I^e  Cène,  son  successeur,  onl  publié  des  contre- 
danses de  Kist. 

Kisl  appartient  à  la  Hollande  el  vivait  au  commencement 
du  siècle  dernier. 

Suites  pour  clavecin,  par  Overing  de  Popma.  Àinster- 
dam,  chez  E.  Roger.  Vers  1 720. 

Polonaise  pour  le  piano-forle,  composée  pur  Melchior 
Zwanefeld,  et  dédiée  à  3P^^^  la  Baronne  de  Zuylen  de  Ny- 
velt.  Amsterdam,  chez  J .  J.  Hummel. 

Ce  morceau,  d'un  compositeur  resté  inconnu,  plail  par 
son  style  élégant. 

Naainvkeurige  verhandelingen  van  de  eersle  iiitvindingen 
en  uitvinders,  enz.,  door  Henrikus  Wiuerda.  Amsterdam, 
bij  Pieter  Alderweereldt,  1733. 

L'ouvrage,  en  petit  format,  est  pourvu  d'une  jolie  plan- 
che en  gravure  el  d'un  éloge  en  vers,  adressé  à  l'auleur, 
signé  :  Ex  tempore.  Voici  les  chapitres  qui  onl  rapport  à 
la  musique  : 

XIX.  Van  de  Fluiten. 

XX.  Van  de  Trompetten. 

XXI.  Van  de  Orgelen. 

Ce  chapitre  offre  beaucoup  d'inlérét. 

XXII.  Van  de  Waterorgelen. 

XXIII.  Van't  Klokkenspeelen. 

XV.  Van  de  Zang-Konst. 

XVI.  Van  de  Sang-Nooten. 

XVII.  Van't  Musijk. 

XVIII.  Van  de  Speelkonst  en  Muzijk-instrumenten. 
Wiaerda  était  clerc-juré  du  secrétariat  de  Schoolerland. 

C.   Van  Eekes  koninklijke  Harpliederen,  vercierd  met 


—  94  — 

prœ-en  postludium.  Gecomponeerd  door  den  wijdberoemden 
Muzecijn  Joann  Schenk.  Opéra  qiiarta. 

Geschikt  om  te  kunnen  zingen  of  spelen.  Worden  ook 
verkogt  by  de  Erfrjenamen  van  J.  Lescailje,  toi  Amsterdam. 
—  Sans  dale. 

Schenk  naquit  vers  1620,  il  habitait  Amsterdam  et  y 
mourut  probablement  à  la  fin  du  XVII^  siècle. 

Son  frère  Pierre,  graveur  à  Amsterdam,  a  gravé  le  por- 
trait de  Jean  Schenk. 

6  Trios,  op.  1,  par  André  Van  Tellinrjen.  Amsterdam, 
1782,  chez  J.  Hummel. 

Psalmen  Davids  in  nederduytschen  Ripncn  gesteld  met 
sang  en  noten,  door  Arnoldus  Van  Overbeek  (Vers  1660). 

Ce  savant  naquit  vers  1630  et  vivait  à  Amsterdam  entre 
1663  et  1678. 

Quartet  voor  davecimbel,  twee  violen  en  alto. 
3  Trio' s  voor  davecimbel,  door  Verbriiggen. 
Ces  œuvres  sont  éditées  à  La  Haye,  en  1784. 

Compendium  mnsicie,  p.  François  Schooten. 

Schooten,  philosophe  à  Amsterdam,  vivait  en  cette  ville 
de  1627  à  1651. 

Il  était  maître  du  célèbre  Constantin  Huygens. 

Canzonello  amorose  a  una,  diici ,  tre  voci,  raccolta  da 
G.  Van  Geertsom.  In  Rotterdamo,  appresso  Giovanni  Va7i 
Geertsom,  del  ensegna  de  la  Régna  di  Polognna,  in  de  Meu- 
lesteegh,  1656.  ^1-4°. 

Ce  livre  contient  16  pièces  à  2  et  3  voix,  dont  plusieurs 
de  Di  Marco  Aurelli. 

Il  est  dédié  à  Reinier  Groenhout. 

Autour  et  ouvrages  restés  inconnus  aux  biographes. 


—  95  — 

Les  récréations  tV Apollon  ou  les  trois  symphonies,  à  deux 
violons,  taille  et  basse,  deux  /lûtes  et  deux  cornes  de  basse, 
tirés  des  meilleurs  opéras  français,  par  B.  Ruloffs,  organiste 
à  Amsterdam.  Partie  I.  A  Amsterdam ,  chez  J.  J.  lliim- 
mel,  1787. 

Le  titre  représente  un  orchestre,  un  flûtiste,  un  violon- 
celliste et  une  cantatrice. 

Troisième  recueil  d'ariettes  arrangées  pour  le  sixtre  ou 
guitarre  anglaise,  dédié  à  M.  J.  F.  Cellier,  docteur  en 
droit,  etc.,  par  D.  L.  Van  Dijk.  A  Amsterdam,  chés  C édi- 
teur D.  L.  Van  Dijk. 

Ce  recueil  contient  plusieurs  romances  pour  chant  et 
sistre.  11  a  29  pages,  et  la  notation  en  est  très-propre. 

Il  y  a  plusieurs  pièces  pour  le  sistre  seul,  entre  autres  : 

Vaudeville  de  l'opéra  den  Coopman  van  Smirna,  Me- 
nuetto,  Rondeau,  par  Fischer,  et  Marche  de  Colizzi. 

Nous  ne  saurions  préciser  la  date  de  la  publication  de  ce 
livre,  resté  ignoré  jusqu'ici. 

Le  pont  de  la  Veuve,  paroles  de  M.  Florian,  musique  de 
Adrien  Vaine.  Paris,  chez  Imbault. 

Adrien  naquit  à  Liège,  et  cette  œuvre  a  été  publiée 
vers  1790. 

Gvlde-Jaers  Feest-Dagen  of  den  Schat  der  geestlijckc 
Lof-Sangen. 

Gemaeckt  op  elcken  Feest  dagh  van^t  geheele  jaer.  Door 
den  eerw.  Heer  J.  S.  V.  W.  Tôt  Anlwerpen,  by  Jan  Cnob- 
baert,  1635. 

L'auteur  est  Jean  Slalpaert,  V.  W.  Ce  livre,  en  pelit 
in-4o,  n'a  pas  moins  de  1292  pages,  avec  un  nombre  con- 
sidérable de  chansons  à  une  voix. 

A  la  tin  du  volume,  il  y  a  une  série  de  vers  flamands  avec 
des  Madrigali  de  Luca  Marenzio.  Puis  suivent  des  Madri- 


-   9(')  — 

gali  en  poésie  flamande,  sans  musique,  avec  indication 
des  compositeurs. 

VI  Sonates  à  2  violoni,  violoncello  e  basse,  par  G.  De 
Swaen.  Amsterdam,  chez  E.  Roger. 

Maendelijkse  Musikaels  tijdverdrijf,  beslaende  in  nieiiwe 
Bollandsche  canzonelten  of  zang-liederen  op  d'Italiaensche 
trant  in  'f  Musiek  gebragt,  met  een  basso  continue;  meede 
zeer  bekwaem  om  op  de  clave-cimbael,  viool,  duars-fluit, 
Haine  en  andere  Instrumenten  gespeelt  te  worden.  Gecompo- 
neert  door  A.  Mahaut,  en  in  Diglniaat  door  K.  Elzevier. 

Ouvrage  bien  soigné,  contenant  100  chants  à  une  voix, 
avec  basse  chifl'rée,  et  quelques  morceaux  à  deux  voix. 
Voici  les  paroles  d'une  de  ces  chansons  de  ce  livre,  im- 
primé à  Amsterdam,  chez  Olopen,  vers  1730. 

MINNE-KLAGT. 

G  Beek  waer  ik  in  Iraneii  slort, 
Aen  uwen  groenen  kanl  gezeten, 
Laet  my,  door  snel  te  vloeyen  weten, 

Of  zy  doop  my  bewogen  wordl! 
Myn  Fillis  Iraclit  myn  min  le  ontvluclilcn, 

Zy  spol  met  mynen  leedren  gloed, 
Voer  heen,  ô  Beekje,  myne  zuchten, 

Gelyk  gy  myne  tranen  doet. 

Maer  ach  !  ik  zucht  en  ween  om  niet. 
Wat  is  my  in  dees'  staet  geboren, 
Een  ongelukkig  lot  beschoren  ! 

Ik  smoor,  lielaes  !  in  ziels  verdriel  ! 
G  Fillis,  zoo  gy  blyfl  verachlcn, 

Een  ziel  die  u  zoo  teêr  herainl. 
'k  Slrooi  dan  vcrgeefs  myn  droeve  klagten 

En  billre  zuchten  in  den  wind. 

Q.  Horatii  Flacci  odae  IV  et  alia  ode  in  lavdem  miisicœ 
descriplœ  modis  mvsicis,  vocis  et  instrvmenti  dicti  piano- 


—  97  — 

forte,  etc.,  a  Ch.  Fr,  Rvppe,  mvsicale  in  hac  Academia 
directore.  Lvgdvni  Batavorvm,  svmtibiis  avctoris,  181  G. 
A  .  Wijstnan,  seul  psi  t. 

Ce  recueil,  resté  inconnu,  conlienl  cinq  airs  et  duos. 

Marches  funèbres  en  Vhonneur  de  Frédéric  de  Mérode, 
mort  pour  la  patrie  le  6  novembre  1 850,  composées  pour 
les  obsèques  de  M.  le  comte  de  Mérode,  par  C.  J.  Tuer- 
linckx,  1830. 

Ce  morceau  est  composé  pour  liarmonie  militaire.  Le 
litre  est  arrangé  avec  beaucoup  de  goût. 

De  Zang-  en  Speelkonst  in  haar  nutlig  gebruik  en  scha- 
delijk  misbruik,  door  M.  Arkenbout.  Haarlem,  J.  Bosch, 
1771,  in-8". 

Grondig  onderwijs  in  de  Gregoriaansche  choorzang  of 
chooraal,  door  J.  Jurrns.  Amsterdam,  bij  F.  J.  Van  Tel- 
roode,  1789,  in- 4°. 

Les  principes  du  clavecin,  par  de  Saint-Lambert.  Am- 
sterdam, chez  E.  Roger. 
Date  environ  de  1720. 

Handleiding  tôt  het  grondig  aanleering  van  het  kerk- 
gezang,  door  W.  Oudshoff.  Rotterdam,  1822,  bij  Mensing, 

Het  Boeck  der  gccsllijcke  sangcn.  Amsterdam,  Stichter, 
1688.  —  Anonyme. 

Gezangen  van  St-Peters-Orde,  Amsterdam,  1781.  — 
Anonyme. 

Latijnsche  Hijmnen,  muzijk  van  C.  F.  Ruppe.  Rotter- 
dam, Thomson,  1810. 

Liederen  van  den  huislijken  godsdienst.  LIaarlem,  1804. 
—  Anonyme. 


—  98  — 

Mengeldichlen  in  rjezangen,  op  muzlek  gcbragt  door 
J.  Verschuo-e-Reijnvami.  Vlissingen,  bij  Briiijn,  1731. 

Oude  en  Nieuwe  Hollantse  Boeren-Lieljes  en  Conlre- 
dansen,  bestaande  uit  zestien  deelen.  Tiveede  druk.  Tôt 
Amsterdam,  bij  Estienne  Roger  en  Michel  Charles  Le  Cène. 

Dale  environ  de  1725. 

Vermeerderde  Zeede-  en  Harpgezangen.  Amsterdam,  bij 
Kliimper,  1753. 

C'est  la  3^  édition. 

Nut  en  dienslig  Zangbockje.  met  eene  cierlyke  groote  noot, 
de  eerste  vaarsen  der  Psalmen  Davids,  Lofzangen,  en  extra 
veele  Geeslelijke  Liederen,  bequaam  gemaakt  voor  die  de 
gemelde  Psalmen  Davids  gelieven  prompt  op  nooten  te  lee- 
ren,  kost  \^  stuivers,  Amsterdam,  by  A.  Olofsen,  1756. 

Edouard  Gregoir. 
{Vonr  être  continue). 


—  99 


Cljrontquc  hcô  2lrtô  et  îic5  Sciences,  et  \^avUté$. 


Le  Watergrave  de  Flakdre.  —  Un  des  oflicîers  du  comle,  de  Tordre  judi- 
ciaire, avait  l'intendance  des  chemins,  des  eaux  et  des  marais,  c'était  en 
quelque  sorte  un  ingénieur  en  chef;  cet  ofiicier  était  le  walergrave  en  mocr- 
7nc(:ster  ou  comte  des  eaux  et  mnilre  des  marais;  il  résidait  à  Gand.  Il  avait 
en  sa  charge  les  eaux,  rivières  et  chemins,  les  oiseaux  aqualiques,  sauvages 
ou  privés,  entre  autres  les  cygnes;  devait  empêcher,  à  peine  d'amende,  qu'on 
ne  leur  fit  du  tori;  baillait  en  arrentemenl  les  bruyères,  terres  vagues,  che- 
mins trop  larges  et  moeres  ou  marais  du  comtCj  fixait  et  percevait  les  droits 
dus  pour  l'extraction  de  la  tourbe,  etc.  Cet  office  fut  de  tous  temps  desservi 
par  des  gentilshommes,  écuyers  ou  chevaliers;  le  plus  ancien  que  l'on  con- 
naisse qui  fut  revêtu  de  cette  charge,  fut  Roger  van  Herlsberge,  en  1298; 
en  1341,  un  Guillaume  d'Artevelde,  que  l'Espinoy  appelle  un  noble  gentil- 
homme, était  walergrave  de  Flandre;  en  1434,  c'était  Jean  Utenhove,  d'une 
famille  des  plus  distinguées  de  Gand;  le  premier  il  eut,  avec  son  titre  de 
walergrave  ende  mocrmecsler,  celui  de  conseiller  du  prince.  Après  lui,  tous 
ces  officiers  portèrent  ce  titre,  et  furent  autorisés,  comme  tous  les  con- 
seillers, à  faire  précéder  leur  nom  de  l'appellation  hcere  ende  meesler.  Il  fut 
un  temps  cependant,  où  on  voulut  leur  dénier  celle  qualité;  c'était  vers  la 
fin  du  XVII<^  siècle,  alors  que  Jacques  de  Bernage,  conseiller  du  roi,  était 
watergrave.  Cet  officier  s'en  plaignit  au  souverain,  et  celui-ci  publia  un  édit 
en  vertu  duquel  il  reconnaissait  au  walergrave  et  lui  confirmait  le  titre  de 
hecre  ende  meesler;  voici  celte  pièce  : 

«  Sur  la  remonslrance  faicte  au  Roy  de  la  part  de  Jacques  de  Bernage, 
conseiller  de  S.  M  et  son  walergrave  et  moermeestere  de  Flandres,  qu'il  est 
dict  au  17^  art.  de  l'inslruclion  dudict  office,  que  le  suppliant  at  et  aura  tiltre 
de  honeur  de  conseiller  de  S.  M.  et  bien  qu'ensuille  il  est  tout  notoire  que 
ledict  honeur  est  tel  qu'il  soil  attribué  à  tous  conseillers,  et  nommément  à 
ceux  de  justice,  tel  qu'est  ainsy  le  suppliant,  celuy  de  liecre  ende  meesler,  ce 
nonobstant  aucuns  laschcnl  de  l'en  priver,  à  prétexte  de  la  non  déclaration 
précise  de  l'intenlion  de  Sa  Majesté  sur  ce  subjecl,  cause  qu'il  a  très  hum- 
blement suppliée  sadicte  Majesté  estre  servie  de  déclarer  qu'au  suppliant,  à 


—    iOO   — 

cause  (lu  lilie  de  conseiller  susJict,  doibl  cslre  attribué  le  prénom  d'iiou- 
neur  de  hcere  ende  meexler  en  tous  actes  publicques  quelconques,  si  bien  qu'es 
autres  sans  différence,  Sa  Majesté  ce  que  dessus  considéré,  et  en  sur  ce  l'advis 
des  président  et  gens  de  son  conseil  de  Flandres,  inclinant  favorablement  à 
la  supplication  et  requesles  dudict  suppliant,  luy  a  permis  et  permet  par 
celle  de  sa  qualité  heerc  ende  meestcr,  ordonnant  à  tous  ceux  qu'il  appartien- 
dra de  se  régler  selon  ce,  sans  aucune  difficulté.  Faicl  à  Bruxelles  le 
17  may  167â.  » 

Le  watergrave  avait  anciennement  aussi  l'inspection  des  digues  et  wale- 
ringues;  mais  cette  attribution  lui  fut  enlevée  en  1554,  par  l'ordonnance 
décrétant  l'établissement  d'un  intendant  des  digues,  dykgrave  ou  comte  des 
digues. 

Cette  ordonnance   stipulait  que  l'acheteur  d'une  motr  devait  payer  au 

moermeeslcr  une  certaine  quantité  de  vin  {!). 

Emile  V 

L'Hospitalité  belge....  d'autrefois.  —  Nos  maîtres  espagnols  n'aimaient 
point  les  Français,  mais,  quand  ceux-ci  étaient  des  liuguenots  fugitifs,  ils  les 
traitaient  en  criminels.  On  allait,  par  peur  ou  par  amour  pour  la  «  neutralité 
belgique,  «jusqu'à  emprisonner  nos  compatriotes  coupables  de  sympathie  ou 
d'assistance  envers  les  innocentes  victimes  de  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes 
de  168a.  En  voici  un  témoignage  aussi  tristement  éloquent  qu'authentique  : 

«  Monseigneur,  écrit  le  colonel  Vander  Piet,  gouverneur  de  Nieuport,  au 
.)  marquis  de  Gastanaga,  gouverneur-général  des  Pays-Bas  espagnols,  sous  la 
»  date  du  i  avril  1686,  je  suis  obligé  de  donner  part  à  Votre  Excellence  que 
»  deux  bourgeois  et  l'artificial  de  ceste  ville  ont  voulu  faire  accord  avec  un 
»  François,  pour  mener  à  mon  insceu,  et  sans  m'avoir  donné  cognoissance, 
«quelques  François  religionnaires  d'auprèz  de  Gravelines,  en  Angleterre, 
«ayant  voulu  à  cest  effet  débaucher  quelque  poissonnier  de  ce  port  pour  les 
»  transporter  avec  leurs  meubles;  et  comme  ceste  affaire  auroit  pu  causer 
«quelque  trouble  au  préjudice  du  Roy  ou  représailles,  j'ay  trouvé  à  propos, 
«après  avoir  pris  l'advis  de  messieurs  du  magistrat  de  ceste  ville,  de  les 
«  faire  tous  mettre  en  prison.  L'on  est  empesché  à  prendre  des  informations 
»  à  leur  charge  et  ne  manqueray,  si  tost  qu'ils  me  les  auront  mises  es  mains, 
»  de  les  envoyer  à  Votre  Excellence.  Sur  ce,  en  attendant  l'honneur  de  ses 
«ordres, je  me  dirai  avec  un  très-profond  respect  de  V.  E.  le  très-humble 
..  et  très-obéissant  serviteur.  „  p^^^^^  y^^„^„  p,„_  „ 


(1)  Voir  sur  les  Wutcrgravcn,  l'Espinov,  p.  194  et  suiv.;  MAncHAMiiîs, 
p.  105;  Dode  Placcaelboek  van  Vlaeiideren,  p.  206;  ^VAR^K0EMG,  Hist.  de 
Flandre  (trad.  de  GheldolC),  t.  11,  p    47;  Bibl.  Garni.,  MS.  n»  139,  fol.  15. 


—  401  — 

L'original  se  trouve  à  Bruxelles  aux  Archives  générales  du  royaume. 
Conseil  d'Élat,  cart.  8i. 

Quinze  ans  plus  tard,  en  1701,  et  à  l'autre  exlréniité  de  la  Belgique,  à 
Sorinne,  village  situé  sur  la  rive  gauche  de  la  Meuse,  à  une  lieue  de  Dînant, 
on  arrêta  cinq  hommes  el  cinq  femmes,  originaires  du  Périgord,  venant  avec 
leurs  hardes  et  bagages  chercher  un  refuge  sur  notre  sol.  Le  mayeur  de 
Sorinne  les  avait  dénoncés,  et  le  gouverneur  de  la  province,  comte  de  Bruay, 
«  à  l'instance  el  réquisition  »  du  lieutenant  criminel  Ximenès,  les  avait  fait 
conduire  dans  les  prisons  de  Namur.  Ces  pauvres  gens  étaient  en  grand 
danger  d'être  reconduits  à  la  frontière  de  France,  lorsque  le  conseil  provin- 
cial de  Namur  prit  fait  et  cause  pour  pour  eux,  bien  qu'ils  fussent  de  mé- 
chants hérétiques  destinés  à  ramer  sur  les  galères  du  grand  Roi,  et  les  re- 
commanda si  chaudement  à  la  bienveillance  du  conseil  d'Etat,  que,  par  un 
reste  de  pudeur,  on  les  rendit  à  la  liberté.  Comme  d'ordinaire,  la  Hollande 
fit  bon  accueil  à  ceux  que  la  Belgique  repoussait.  Ces  deux  exemples  suffisent, 
croyons-nous,  pour  faire  voir  quel  était  le  respect  de  nos  maîtres  étrangers 
pour  le  droit  d'asile,  pour  les  statuts  et  franchises  du  pays. 

X. 

Droits  du  Fauconnier  de  Flandre.  —  Faire  attaquer  le  héron,  le  canard, 
le  lièvre  et  autre  gibier  par  le  faucon,  était  anciennement  un  noble  et  royal 
plaisir.  Cette  chasse  était  d'autant  plus  en  estime,  que  le  faucon  était  un 
oiseau  farouche,  difficile  à  dresser  et  qu'il  coûtait  fort  cher;  il  en  est  ainsi 
de  tous  les  délassements  dans  tous  les  temps.  Cette  mode  dura  aussi  long- 
temps que  la  vie  de  château;  tout  seigneur  riche  voulait  avoir  sa  fauconnerie 
et  il  lui  en  coulait  gros.  Louis  XI,  qui  était  avare,  ruinait  le  peuple  avec  ses 
chiens  et  ses  oiseaux,  dit  Mézerai.  Les  faucons  venaient  de  Suède,  de  Nor- 
wége,  de  Chypre,  de  Turquie;  les  Flamands  étaient  presque  toujours  les 
entremetteurs  de  ceux  qui  venaient  du  Nord;  nous  le  voyons  dans  un  journal 
de  dépenses  d'Henri  IV,  de  l'année  1599  (1),  où  il  est  dit  qu'il  paya  160  écus 
à  «  Jean  de  Cassel,  faulconnier  flamand,  pour  son  payement  de  six  faulcons 
et  quatre  sacretz  (2);  »  et  ailleurs  à  «  Josse  Martin,  aussy  faulconnier  flamand, 
la  somme  de  cent  dix  escus,  à  luy  ordenez  pour  son  payement  de  trois  ger- 
fauts et  un  tiercelet  (3).  » 

(1)  Bibl.  Garni.,  MS.  n»  161. 

(2)  Mâle  du  sacre,  oiseau  de  proie  employé  dans  la  fauconnerie. 

(3)  Le  gerfaut  est  encore  un  oiseau  de  proie  qui  s'employait  comme  les  fau- 
cons. Le  tiercelet  est  le  nom  que  portail  le  faucon  niàlc. 


—   102  — 

Le  roi  faisait  royalemenJ  les  choses  et  payait  bien;  les  seigneurs  voulant 
faire  comme  le  roi,  payaient  aussi  parfois  sans  marchander,  mais  parfois 
aussi  inurciiandaient  et  prenaient  sans  payer. 

Ce  noble  plaisir  tomba  dans  un  complet  discrédit  sous  Louis  XIV,  qui 
préférait  la  chasse  aux  cerfs;  les  grands  et  les  courtisans  firent  comme  le  roi, 
et  bientôt  on  ne  parla  plus  ni  de  faucons  ni  de  fauconnerie. 

La  fauconnerie  occupait  un  grand  nombre  de  personnes;  elle  avait  chez 
les  rois  et  les  princes,  toute  une  organisation  :  à  la  tête  se  trouvait  le  grand 
fauconnier,  qui  avait  la  surintendance  sur  tous  les  officiers  de  la  fauconnerie, 
qui  étaient  nombreux,  les  chefs  de  vol  et  autres  employés,  et  pourvoyait  à 
leurs  charges.  En  France,  il  prêtait  serment  de  fidélité  entre  les  mains  du 
roi  et  jouissait  d'un  grand  nombre  de  droits  et  de  prérogatives. 

Le  plus  ancien  et  le  plus  curieux  ouvrage  sur  celte  matière,  est  le  Livre  du 
roy  Modm,  composé  en  français  en  1328.  Les  anciennes  éditions  en  sont 
fort  rares;  la  bibliothèque  de  Paris  en  possède  un  manuscrit,  qui  a  été  réédité 
en  1839,  par  IM^  Ehéar  Blaze,  en  caractères  gothiques,  avec  cinquante  gra- 
vures, faites  d'après  les  dessins  originaux  du  manuscrit. 

Les  comtes  de  Flandre  avaient  leur  fauconnerie  comme  les  rois  de  France. 
Nous  avons  trouvé  dans  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  de  Gand,  marqué 
n"  139,  fol.  32  v»,  l'ordonnance  qui  règle  les  droits  du  fauconnier  de  Flandre 
sous  les  ducs  de  Bourgogne.  Nous  croyons  intéressant  de  la  reproduire  : 

«  De  par  le  duc  de  Bourgogne,  comte  de  Flandre,  d'Artois  et  de  Bourgogne. 

»  Nos  amez  et  féaulx,  messire  Franchois  de  Ilaveskerke,  maistre  faucon- 
nier de  nostrc  pays  de  Flandres,  nos  a  envoie  par  escript  certains  droiz  en- 
cloz  dedens  cestes,  qu'il  disl  appcrtenir  à  l'oflice  de  la  fauconnerie  de  nostrc 
dict  pays  de  Flandres,  et  avoir  et  estre  ameneiz  par  ceulx  qui  les  doivent,  et 
sont  refusans  de  les  payer;  si  vous  mandons  que  vous  enquerrez  diligemment 
des  ditz  droitz  et  qu'ils  doivent  appcrtenir  en  noslre  dicte  fauconnerie,  et 
si  avant  que  vous  les  trouverez  estre,  et  qu'on  en  ait  cédé  en  temps  passé, 
mesmement  du  temps  de  feu  noslre  très  honoré  seigneur  et  père  le  comte  de 
Flandre  cui  Dieux  perdoinl,  les  garder  et  en  faictes  faire  exécution  et  con- 
traindre ceulx  qui  y  sont  tcnuz  à  payer  ce  qu'ils  en  doivent,  si  avant  et  par 
la  manière  que  vous  verrez  que  sera  à  faire  de  rayson,  et  se  vous  y  faissiez 
aulcune  double,  cela  nous  rescrivez,  et  en  quoy  avecques  voslre  advis  sur 
ce,  afin  que  nous  y  puissions  pourveoir  ainsi  que  nous  verrions  que  y  ap- 
pertiendra  de  rayson,  Nostre  Seigneur  soit  garde  de  vous;  escript  à  Conflans, 
le  septiesme  jour  de  novembre,  soubsigné  Gehbode.  » 

Et  sur  le  dos  :  «  A  nos  amez  et  féaulx  les  gens  de  nostrc  con.seil  de  Lille.  » 

Sous  :  «  Collalionné  avecque  certaine  lettre  missive  gardée  aux  Chartres  de 


—  103  — 

Flandres  et  liouvc  acordcr  par  moy  I/ermcs  de  Winghme,  conseiller  cl 
maislrc  de  requesles  en  privé  conseil  du  Roy  cl  trésorier  des  ditz  Chartres 
de  Flandres.  —  Signé  :  Hermès  de  Wingiiene. 

»  Concorde  avec  ladicte  copie.  F.  Van  Hule.  » 

Voici  quels  étaient  les  droits  énumérés  par  le  sire  de  Ilavcskerkc  : 

«  Clic  sont  les  droiz  appertenans  au  maistre  fauconnier  de  Flandre. 

«Premièrement,  ledict  fauconnier  doit  eslre  retenuz  à  Monsieur  e  quatre 
ehcvaulx  el  doit  avoir  son  fauconnier  et  ung  cheval. 

»  Item,  doibt  avoir  ledict  maistre  faulconnier  chascun  an  ung  cheval  bon 
et  souflisant  pour  son  corps. 

»  Item,  doit  avoir  ledict  fauconnier  deux  cens  livres  tic  gaigcs,  monnaie 
de  Flandres. 

»  Ilem»  doit  avoir  deux  fors  faucons  cl  deux  faucons  muez  el  quant  il 
luy  plaist,  pcult  aller  en  Flandre  avecque  les  fauconniers  de  Monsieur  sur 
les  abbayes  de  Flandres,  deux,  trois,  quatre  jours,  el  tant  qu'il  luy  plaist. 

»  Ilcm,  doil  audicl  fauconnier  l'abbaye  de  Dousl  donner  chascun  an  deux 
draps  souiHsanl  pour  veslir  les  fauconniers  de  Monsieur. 

»  Item,  si  aulcuns  marchans  d'oiseaulx  viengent  au  pays  de  Flandres  par 
terre  ou  par  mer,  qui  apportent  faucons  ou  aultres  oiseaulx,  ledit  fauconnier 
les  peut  arrestcr  et  prendre  le  chois  pour  Monsieur  pour  le  prys  du  marchant. 

»  Item,  si  aulcun  débat  vient  entre  marchans  doiseaulx  demourans  ou  pas- 
sans  par  ledit  pays  de  Flandres,  ledict  fauconnier  en  doibt  avoir  la  cognois- 
sance. 

»  Item,  chascune  abbaye  de  Flandres  qui  font  couroyer  cuir,  doivent  audicl 
fauconnier  une  douzesne  de  cuir  pour  faire  ehaprons  et  logeres. 

»  llem,  doibt  aussy  chascun  abbaye  qui  font  couroyer  cuir,  une  douzaine 
de  couroyes  de  cuir  pour  cornes  et  pour  logeres. 

»  Item,  toultefois  que  le  seigneur  ne  va  en  rivière,  il  pcult  prendre  deux 
ou  trois  faucons  pour  prendre  son  deduicl. 

»  Item,  doibt  ledit  maislre  fauconnier  aux  fauconniers  toutes  choses  né- 
cessaires pour  leurs  oyseaulx,  aux  frais  et  coulz  de  Monsieur. 

»  llem,  que  si  ung  cheval  est  malade  qui  soit  au  maislre  fauconnier  ou  à 
Fung  des  aultres  fauconniers  de  Monsieur,  il  le  peult  envoyer  à  une  des  dites 
abbayes  pour  séjourner  un  mois  ou  environ. 

i>  Item,  si  ledit  maislre  fauconnier  a  lévriers  pour  rivière,  le  seigneur  luy 
doil  bailler  pain  pour  lesdils  lévriers. 

»  llem,  doivent  à  Monsieur  lesdis  baillis  de  Bruges,  Gand,  d'Ypres,  de 
Fournes,  de  Courlray  el  du  pays  d'Alosl,  chascun  ung  esprevier  au  jour  de  la 
mi-aousl,  cl  en  cas  qu'ils  ne  paycnl  ledit  esprevier  audicl  jour,  ils  doivent  ung 


—  104  - 

faucon  soit  à  le  Sainct  Remy,  et  au  cas  que  ils  ne  payent  ledicl  faucon  ils 
doivent  ung  livre  de  gros. ^ 

«Item,  que  tous  oiseaulx  trouvez  qui  que  les  trouvoit,  soit  genlilhomes  ou 
aullres,  doivent  eslre  apportés  au  maisire  fauconnier  pour  rendre  à  ceux  à 
qui  il  appartiendra.  » 

«  C'est  l'ordonance  des  tendeurs  de  Monsieur  audict  pays  de  Flandres  : 

»  Premièrement,  pour  chascun  faucon  surpris  aux  tentes  de  Monsieur,  le 
receveur  doit  payer  au  tendeur  vj  livres  monnoie  de  Flandre. 

»  Item,  du  faucon  mue  de  haye  tenant  le  soir,  ledict  recepveur  doit  audict 
tendeur  cinq  livres  de  lad.  monnoie. 

»  Hem,  du  faucon  qui  ne  tient  point  de  soir,  ledicl  recepveur  doibt  trois 
livres  de  lad.  mon.  aud.  tendeur. 

»ltem,  du  tircelet  pris  aux  dictes  tentes,  ledict  recepv.  doibt  audict  ten- 
deur deux  livres  de  lad.  monnoie. 

»  Item,  d'un  laneret  pris  aux  dictes  tentes,  ledit  recepveur  doibt  audict 
tendeur  trois  livres  de  ladicte  nionnoye. 

»  Item,  d'un  lanier  comme  dict  est,  ledict  recepveur  doit  deux  livres  de  lad. 
mon.,  si  ledict  tendeur  lui  apporte  lettres  comme  ledict  fauconnier  ayt  reçeu 
lesdits  oiseaulx. 

»  Hem,  tous  aultres  oiseaulx  prises  aux  dites  tentes  sont  aux  tendeurs, 
excepté  les  hoslers. 

»  Item,  au  commencement  de  tendre,  chascun  desdits  tendeurs  doibt  avoir 
trois  frans  pour  ses  notes  et  despens. 

»  Item,  ledict  maistre  fauconnier  peut  mettre  à  chascune  tente  tant  de 
tendeurs  comme  il  luy  plaist. 

»  Hem,  le  tendeur  qui  tend  en  Vesterloo,  doibt  avoir  ses  despens  en  l'hoslel 
aux  maistres  de  Vesterloo  des  premiers  jours  d'aousl  jusque  en  la  feste  de  la 
Sl-Remy. 

»  Hem,  Monsieur  doit  payer  les  dons  au  tendeur  de  Vesterloo,  qui  valent 
huyt  frans. 

»  Soubz  esloit  escript  comme  s'ensuyt  : 

»  Collationné  aux  articles  escripts  en  papier  gardés  aux  chartes  de  Flandres 

et  trouvés  accorder  pour  raoy  Hermès  de  Winghene,  conseiller  et  maistre  de 

requesles  au  privé  conseil  du  Roy  et  trésorier  desdits  Chartres  de  Flandres, 

et  signé  Hermi^s  de  V^inghene.  » 

Emile  V.... 

L'ErÉE  DE  Jean  de  Weert.  —  Cette  relique  militaire,  qui  serait  mieux  à  sa 
place  au  Musée  de  la  porte  de  liai,  à  Bruxelles,  se  trouve  au  palais  Madame, 
à  Turin.  Elle  y  est  cataloguée  sous  le  n"  983.  Y  tient-on  beaucoup?  Nous 


—  105  — 

ne  savons,  mais  il  nous  semble  que  le  gouvernement  belge  pourrait  té- 
moigner le  désir  d'obtenir  ee  souvenir  d'un  de  nos  plus  glorieux  compatrio- 
tes, en  échange  d'objets  ayant  appar(enu  à  Philibert-Emmanuel,  à  Thomas 
ou  à  Eugène  de  Savoie.  L'épée  en  question  est  damasquinée  d'or,  illustrée  de 
dessins  et  d'emblèmes  guerriers  et  couverte  d'inscriptions.  L'une  d'elles  lait 
allusion  à  la  bataille  de  Noerdiingen  : 

Graf  Johann  von  Werth  hat  niich  zuin  Sfrcite  erkoliren  , 

Der  ofll  victorisicrt,  gar  weinig  mal  verlohien; 

Zum  Streit  wahr  nur  in  Feldt,  mich  liess  nie  von  der  Scitlicn, 

Doch  muss  er  endlich  auch  gefaiigen  in  Frankreicli  reitlien , 

Zeith  wàlirend  sein  Arrest  war  ihui  Koenig-  geneigt 

Dndt  llberiert  ihn  fur  seine  ganzc  Tageszeith  ; 

Wass  er  gewusst  recht  geschwind  und  wohl  belracht, 

Dass  cr  an  dem  Tage  scchs  Tausend  niedergeniacht. 

On  y  voit  aussi  la  marque,  le  numéro  d'ordre  de  fabrique  et  la  signature 
du  fabricant,  Abraham  Clauberg,  de  Solingcn. 

C.  A.  R. 

Tombes  celtiques  de  l'Alsace,  par  Max.  de  Ring.  —  Le  baron  Max.  de  Ring, 
notre  collaborateur  assidu,  est  avant  tout  un  savant  archéologue;  son  esprit 
d'investigation  s'est  surtout  exercé  sur  les  monuments  bien  rares,  qui  nous 
sont  restés  des  premiers  habitants  de  l'Europe  occidentale. 

A  son  instigation,  le  comité  de  la  Société  pour  la  conservation  des  monu- 
menls  historiques  de  l'Alsace  entreprit  les  premières  fouilles  pour  découvrir 
les  liimnli  que  lui-mcmc  avait  signalés.  Malheureusement,  après  quelques 
heureuses  trouvailles,  on  se  borna  à  recueillir  le  peu  d'objets  renfermés  dans 
les  tombes,  au  lieu  de  rechercher  et  d'étudier  par  leur  moyen  les  croyances 
et  les  habitudes  du  peuple  dont  ces  sépultures  sont  les  derniers  vestiges. 
En  effet,  les  tombes  celtiques  sont  le  seul  moyen  qui  reste  à  l'archéologue 
pour  refaire  l'histoire  des  établissements  de  ce  peuple  primitif;  pour  parve- 
nir à  ce  but,  il  faut  non  seulement  consulter  le  gisement  de  ces  tombes, 
mais  examiner  ce  qu'elles  renferment,  et  bien  se  rendre  compte  d'un  grand 
nombre  d'autres  détails,  comme  leur  orientation,  leur  construction,  etc. 
«  Il  est  permis  d'admettre,  dit  le  baron  de  Ring  dans  son  quatrième  fasci- 
cule, que  ceux  qui  donnèrent  leur  nom  à  ces  montagnes,  aux  nombreux  ha- 
meaux qui  se  groupèrent  dans  la  plaine,  aux  torrents  qui  la  parcourent,  ont 
aussi  laissé  leurs  ossements  sous  ces  tertres.  C'est  le  tlernier  témoignage  de 
leur  séjour  ici-bas.  » 

«  Nous  croyons  donc,  ajoute-t-il,  avoir  rendu  service  à  la  science  histori- 


—  106  — 

que,  en  exliumant  de  ces  lumnli  ce  que  la  civilisation  gauloise  des  premiers 
siècles  de  la  domination  romaine  dans  ces  conli-ées  y  a  laissé  en  dépôt,  et 
en  indiquant  dans  cet  aperçu  historique  d'après  les  données  que  ranliquilé 
littéraire  nous  a  conservées,  la  population  que  ces  tertres  renferment.  » 

Un  grand  nombre  de  noms  facilitent  la  reclierclie  de  ces  clablissemenls  et 
par  conséquent  celle  des  sépultures;  la  population  germanique  de  l'Alsace  a 
conservé  beaucoup  de  dénominations  de  ces  temps  reculés,  mais  défigurées; 
ainsi  des  monuments  funéraires,  des  fosses,  etc.,  sont  attribués  aux  Iluns, 
tandis  qu'ils  devi-aient  l'être  aux  Celles;  par  exemple,  Fliinnegrœber  et 
d'autres. 

Les  volumes  du  baron  de  Ring,  outre  leur  valeur  scientifique,  joignent 
l'agréable  à  l'utile,  en  présentant  à  la  vue  une  véritable  typographie  de  luxe 
dans  leur  format  grand  in-folio,  et  de  superbes  planches,  la  plupart  litho- 
graphiées,  représentant  la  situation  géographique  des  établissements,  les 
monuments,  les  bijoux  et  autres  objets  trouvés  dans  les  tombes. 

Emile  V.... 

Le  Père  de  Rcbens.  —  Feu  M.  Bacldiuysen  van  den  Brink  a  publié  en 
1801  (V.  I.cs  Rubens  à  Sicgcn,  La  Haye.  M.  Nyhoflf,  in-S»,  p.  xlvi)  une  lettre 
de  Jean  Rubens,  ancien  échevin  d'Anvers,  à  sa  femme,  dans  laquelle  il  avoue 
être  l'auteur  d'une  :  Oraison  ou  remonslrance  adressante  à  S.  31.  au  nom  des 
Estalz  et  peuple  du  Païs-Bas.  Il  ajoute  avoir  écrit  ce  document  d'abord  ea 
italien,  puis  en  français.  Nous  serions  curieux  de  savoir  si  ce  n'est  point  là 
la  plaquette  vendue  à  Gand,  en  1840,  avec  la  bibliothèque  Lammcns  (nolltS 
du  4^  vol.),  sous  le  titre  de  :  Supplication  so  im  Namen  aller  evangclischcn 
Kirchcn  in  Niderlanden  an  den  Koenig  auss  Spanien  umb  gnacdigc  ab  and 
Einstellung  der  vorhabenden  Kriegsrucslung  geschickl  worden.  Antorff,  1566. 

R.  S.  V.  r, 

RÉPERTOIRE  DE  l'eNSEIGNEMENT  POPtlLAIRE    EN   BELGIQUE   (1).   —    LcS  IcCtCUrS  du 

Messager  des  Sciences  se  rappellent  peut-être  le  remarquable  ouvrage  de 
M.  Léon  Lcbon,  Histoire  de  renseignement  populaire  en  Belgique,  dont  nous 
avons  rendu  compte  en  1868.  M.  Lcbon,  que  sa  position  de  chef  de  la  direc- 

(1)  Voici  le  titre  complet  de  cet  ouvrage  :  Instruction  du  peuple.  —  Ré- 
pertoire historique,  analytique  et  raisonné  de  l'enseignement  populaire  en 
Belgique;  Principes,  législation,  jurisprudence,  faits  cl  statistique,  par  Léon 
Lebon,  chef  de  la  direction  de  renseignement  primaire  au  fliinistère  de  Tla- 
lérieur.  —  2  vol.  in-S»,  Bruxelles,  Muquardt,  1871. 


—   107  — 

tion  de  renseignement  primaire  met  à  même  de  connaître  tout  ce  qui  a 
rapport  à  riustruclion  publique,  s'est  déjà  occupé  de  ce  sujet  dans  difïéren- 
tes  publications,  et  bien  qu'il  traite  toujours  une  même  question,  il  parvient 
à  éviter  la  monotonie  en  l'envisageant  sous  toutes  ses  faces,  en  la  dépouil- 
lant complètement.  Mieux  vaut,  en  effet,  ne  s'occuper  que  d'une  chose,  mais 
s'en  occuper  bien,  que  d'en  effleurer  un  grand  nombre. 

L'auteur  poursuit  son  œuvre  par  la  publication  de  l'ouvrage  dont  nous 
venons  d'inscrire  le  titre  en  tête  de  cet  article  :  après  avoir  considéré  dans 
ses  travaux  précédents  et  soiis  ses  différents  points  de  vue,  la  partie  théo- 
rique de  la  question  de  l'instruction  du  peuple,  il  aborde  le  côté  pratique  : 
dans  les  deux  volumes  de  son  Rcpcrtoire,  il  expose  l'histoire,  la  législation 
et  la  jurisprudence  relatives  au  service  de  l'enseignement  primaire.  Ces  deux 
volumes  ne  comprennent  pas  tout  l'ouvrage,  dit  l'auteur;  ils  n'en  forment 
que  la  première  partie,  qui  s'étend  jusqu'aux  écoles  primaires  inclusivement; 
la  suite  paraîtra  bientôt. 

Dans  cet  ouvrage-ci  plus  encore  que  dans  ceux  qui  l'ont  précédé,  nous 
nous  trouvons  à  même  de  juger  l'auteur  dans  sa  manière  de  travailler,  et 
nous  sommes  heureux  d'avouer  qu'après  examen  fait,  nous  n'avons  que  des 
louanges  à  donner  à  sa  méthode.  C'est  surtout  par  la  méthode  que  doit  se 
distinguer  un  travail  qu'on  intitule  Répertoire;  le  répertoire  est  une  espèce 
d'inventaire,  un  recueil  où  les  matières  sont  rangées  dans  un  ordre  qui  les 
rend  faciles  à  trouver;  il  lui  faut  donc  une  classification  exacte,  une  division 
dont  la  lucidité  et  la  clarté  ne  laissent  rien  à  désirer,  et  qui  permettent 
d'embrasser  l'ensemble  d'un  coup-d'œil  et  de  détailler  ensuite  sans  fatigue 
les  différentes  parties. 

Qu'on  juge  par  l'exposé  suivant  comment  M.  Lebon  a  exécuté  ces  condi- 
tions :  le  Répertoire  de  l'enseignement  populaire  est  divisé  en  cinq  Titres  : 
dans  le  premier,  l'auteur  expose  les  droits  et  les  devoirs  généraux  en  matière 
d'enseignement,  droits  et  devoirs  des  citoyens  en  particulier,  de  la  famille 
et  enfin  de  la  société;  ce  sont  là  les  considérations  générales  et  morales.  Au 
Titre  II  commence  la  loi  positive;  il  est  intitulé  ;  Législation  de  Vensciiinemenl 
primaire;  législation  à  toutes  les  époques,  depuis  la  période  antérieure  à 
Cliarlemagne  jusqu'aux  projets  du  pouvoir  actuel;  c'est  une  revue  aussi  cu- 
rieuse qu'instructive.  Le  Titre  III  traite  de  Vadministration,  direction  et  sur- 
veillance de  l'enseignement  primaire;  ainsi  on  y  voit,  d'après  les  lois  et  les 
instructions,  quels  sont  les  droits  du  pouvoir,  et  quelle  est  l'intervention  du 
clergé  dans  l'enseignement,  les  di'oits  de  la  commune,  de  la  province  et  ceux 
de  l'Etat,  comment  et  par  qui  ces  droits  sont  exercés  et  quelle  était  l'ancienne 
législation  au  sujet  du  programme  de  l'enseignement  primaire.  Mais  comme 


—  108  — 

il  ne  suffit  pas  de  s'occuper  de  l'clève  que  doit  former  le  mailre,  il  convient 
aussi,  et  surtout,  de  s'occuper  du  maîlre  lui-même  et  de  la  manière  dont  son 
instruction  doit  être  dirigée;  c'est  le  but  du  Titre  IV,  intitulé  :  Enseignement 
normal  primaire,  où  l'auteur  nous  donne  l'histoire  des  institutions  normales 
et  détaille  tout  au  long  l'organisation  des  établissement  normaux.  Le  Tilre  V 
et  dernier  s'occupe  des  écoles  primaires,  de  la  législation  et  de  la  jurispru- 
dence administrative  qui  s'y  ratlaclie. 

Nous  ne  pouvons  que  féliciter  M.  Lebon  de  l'entreprise  qu'il  a  commencée 
et  de  la  manière  dont  il  s'acquitte  de  sa  làcbe;  l'instruction  publique  est 
une  question  d'intérêt  général,  une  question  humanitaire,  en  même  temps 
que  chrétienne;  la  principe  de  l'instruction  est  venu  du  Christ,  qui  a  dit  à 
ses  disciples  ;  Allez  et  instruisez;  mais  il  faut  instruire  et  se  garder  d'égarer. 

Bien  que  la  matière  même  du  Répertoire  présente  un  champ  où  les  fleurs 
de  rhétorique  prendraient  difficilement,  l'auteur  est  parvenu  à  la  rendre 
attrayante  et  a  revêtu  autant  que  faire  se  pouvait  la  nudité  de  son  sujet 
d'une  forme  littéraire. 

Outre  son  utilité  pratique,  l'œuvre  de  M.  Lebon  présente  un  autre  avan- 
tage, c'est  d'apprendre  aux  étrangers  qu'en  fait  d'instruction,  la  Belgique 
méritait  mieux  que  l'oubli  complet  dans  lequel  l'ont  laissée  les  volumineux 
rapports  du  jury  de  l'Exposition  universelle  de  Paris  en  1867. 

Emile  V.... 

Un  document  relatif  a  la  Conspiration  des  Nobles.  —  Lorsque  la  noblesse 
belge  s'unit  pour  conspirer  contre  l'Espagne,  en  1632,  Carondelet,  doyen 
de  Cambrai,  envoyé  par  l'Infante  vers  le  roi  de  France,  pour  négocier  une 
réconciliation  entre  celui-ci  et  sa  mère,  sut  si  bien  se  laisser  brouiller  le 
cerveau  par  les  pensées  ambitieuses  qui  lui  furent  inspirées  à  la  cour,  qu'au 
lieu  de  traiter  des  affaires  qui  faisaient  l'objet  de  sa  mission,  il  servit  bientôt 
d'intermédiaire  entre  Richelieu  et  les  seigneurs  mécontents.  A  la  suite  de 
celle  ambassade,  Richelieu  donna  des  encouragements  à  la  ligue  et  lui  four- 
nit de  l'argent  (1).  Le  doyen  de  Cambrai  entraîna  facilement  de  son  côté 
son  frère  Georges  Carondelet,  seigneur  de  Noyelles,  gouverneur  de  Bouchain; 
et  celui-ci,  tout  en  protestant  de  sa  fidélité  pour  éloigner  les  soupçons,  se  mit 
à  servir  activement  le  parti  de  la  conspiration.  Une  occasion  se  présenta  qui 
lui  parut  favorablç  pour  frapper  un  grand  coup  en  faveur  de  la  ligue. 

Au  mois  d'août,  tandis  que  l'Infante  avait  assemblé  à  Bruxelles  les  cheva- 


(1)  Mémoires  de  Richelieu,  coll.  Pclilol,  l.  Vil,  p.  128. 


—   109  — 

licrs  de  lu  Toison  d'Or,  pour  les  consulter  sur  le  parti  à  prcmlrc  dans  la 
situation  critique  où  se  trouvait  le  pays,  Georges  Carondelet  prétexta  un 
conflit  entre  lui  et  le  prince  d'Espinoy,  avec  qui,  au  contraire,  il  était  par- 
faitement daccord;  il  fit  courir  le  bruit  que  le  prince  en  voulait  à  sa  vie, 
parce  qu'il  était  trop  attaché  à  son  prince.  II  prétendit  qu'à  cause  de  cela, 
ainsi  que  pour  le  bien  du  pays,  de  la  foi  et  de  Taulorilé  du  souverain,  il  avait 
besoin  de  s'appuyer  sur  des  forces  plus  grandes  que  celles  dont  il  disposait, 
et  fit  entrer  dans  Boucliain  un  corps  de  trois  cents  soldats  français.  Il 
comptait,  au  moyen  de  ce  renfort,  se  maintenir  dans  celte  place  au  profit 
des  conjurés.  Mais  comme  ceux  qui  servent  sciemment  une  mauvaise  cause, 
parviennent  rarement  à  se  disculper  à  leurs  propres  yeux,  Carondelet 
éprouva  le  besoin  de  justifier  ce  recours  à  l'appui  de  la  France;  il  écrivit  une 
lettre  aux  magistrats  de  Valenciennes,  dans  laquelle  il  essaya  d'expliquer 
ses  démarches;  la  voici  : 

«  Messieurs, 
»  Par  advis  qu'on  m'a  donné  qu'on  me  venoit  assiéger  en  ceslc  place, 
qu'on  avoit  choisy  un  aultre  Gouverneur  que  moy  pour  y  mectre,  qu'on  at- 
tentoit  à  ma  vie  que  je  ne  poldrois  perdre  qu'avecq  infamie,  j'ay  prompte- 
ment  cherché  et  trouvé  le  secours  qui  me  garantira,  avecq  ce  que  j'avois  de 
la  violence  de  mes  ennemiz  qui,  pour  une  menée  d'une  cause  particulière, 
en  ont  pensé  faire  (à  mon  inlérest)  une  d'EsIat  et  criminelle.  Je  ne  puis  assez 
admirer  que,  sans  aulcun  fondement  ny  apparence  de  vérité,  on  ayl  peu  me 
charger  et  oullrager  jusques  à  l'extrémité,  et  me  réduire  au  terme  du  déses- 
poir d'appeller  secours  estranger  contre  mon  inclination.  Je  seray  tousjours 
prest  de  le  quitter  quand  je  me  verray  alfranchy  de  la  persécution  présente, 
protestant,  en  oultre,  de  ne  faire  aucun  acte  d'hostilité  que  contre  ceulx  qui 
se  déclarront  mes  ennemiz,  de  laisser  passaige  libre  par  ceste  ville  et  aul- 
très  lieux  à  tous  marchands,  voicturiers  et  aullres  quclz  qu'ilz  soyent,  allant, 
retournant,  séjournant  en  quelque  façon  que  ce  soit;  que,  si  on  pasee  oultre, 
je  feray  veoir  ce  que  peult  un  couraigc  résolu  et  oultre  d'offence,  mais  ce  ne 
sera  jamais  que  le  bien  du  pays,  de  noslre  foy  et  à  la  recognoissance  et 
auclorité  de  nostre  souverain,  estant  clair,  au  dire  des  gens  d'Estat,  que  le 
nom  de  Roy  se  va  abolir,  la  foy  se  perdre  et  le  pays  réduire  en  extrême 
désolation.  En  ceste  résolution,  je  continueray  comme  depuis  deux  cent  ans 
ont  faict  mes  prédécesseurs;  j'ay  voulu  vous  faire  veoir  mon  procédé  dans 
lequel  je  n'ay  aulcun  intérest  que  celluy  que  je  vous  ay  dépaint.  Je  laisse  en 
arrière  tous  les  discours  que  je  poldrois  vous  dire  là  dessus  pour  vous  asseu- 
rer  que  je  ne  ciiangeray  mais  je  demeureray. 


—  110  — 

>»  iMcssicui's,  elc,  estant  signe  :  CaronJelet,  et  cacheté  de  son  caehet,  adres- 
sant à  Messieurs  du  Magistrat  de  Valenciennes. 

»  De  Boucliain,  17<=d'aougst  1G32  (1).  » 

Mais  la  tentative  de  Carondclel  échoua,  de  même  que  toutes  celles  du  parti 
conjuré.  Le  duc  d'Arschoot  fut  arrêté  en  Espagne;  Carondelet,  doyen  de 
Cambrai,  fut  pris  à  Bruxelles,  et  enfermé  dans  la  citadelle  d'Anvers,  ainsi 
que  le  prince  de  Barbançon;  le  prince  d'Espinoy  se  hâta  de  gagner  la  fron- 
tière de  France;  et  d'autres  seigneurs  prirent  également  le  parti  de  fuir. 
Carondelet  reçut  trop  tard  l'avis  que  les  détachements  espagnols,  forts  de 
six  mille  hommes  et  commandés  par  le  marquis  d'Aylona  lui-même,  s'avan- 
çaient vers  Bouchain.  11  voulut  payer  d'audace,  alla  au  devant  d'Aytona  et  le 
reçut  dans  la  place;  mais  aussitôt  les  soldats,  exécutant  l'ordre  de  leur  chef, 
se  saisirent  de  lui;  il  voulut  se  défendre,  tua  quatre  de  ceux  qui  cherchaient 
à  l'arrêter,  mais  dut  bientôt  céder  au  nombre  et  fut  assomme  d'un  coup  de 

crosse  de  mousquet  (2). 

Emile  V.... 

NÉCROLOGIE.  —  La  Belgique  est  frappée  d'un  grand  deuil  public  par  la 
mort  de  M.  le  baron  E.  C.  de  Gerlache,  premier  président  honoraire  de  la 
Cour  de  Cassation,  ancien  membre  des  Elals-généraux,  ancien  président  du 
Congrès  national  et  de  la  Chambre  des  Rcprésenta^nts,  membre  de  l'Acadé- 
mie royale  de  Belgique,  grand  cordon  de  l'ordre  de  Léopold,  officier  de  la 
Légion  d'honneur,  décoré  de  la  Croix  de  fer,  des  ordres  de  Saint-Grégoire 
le  Grand  et  de  Pie  IX,  elc  ,  elc. 

Avec  M.  de  Gerlache  disparaît  une  de  nos  plus  grandes  figures  historiques, 
car  cet  homme  éminenl  était  l'expression  la  plus  haute  du  grand  citoyen  et 
du  magistrat  intègre.  Le  rôle  que  M.  de  Gerlache  a  joué  dans  la  politique  et 
les  destinées  de  son  pays  esl  immense.  Il  s'était  placé,  par  ses  vertus  et  par 
SCS  talents,  au  premier  rang  des  gloires  belges  les  plus  pures.  Il  était  au 
nombre  de  celte  petite  pléiade  d'hommes  courageux  que  l'on  désigne  sous 
le  nom  de  «  fondateurs  de  notre  indépendance  nationale.  » 

Dans  cette  œuvre  de  liberté  et  de  régénération  politique,  M.  de  Gerlache 
a  sans  cesse  élé  au  premier  rang.  Son  aulorilé  a  été  considérable  dès  son 
cnlrée  dans  la  vie  politique,  car  à  un  grand  talent  il  joignait  des  vertus  sans 


(1)  Archives  déparlement,  de  Lille;  registre  T,  -49,  pièce  68. 

(2)  Voir  :  Tu.  Juste,  Conspiration  de  la  noblesse  belge  contre  l'Espagne.  — 
Mémoires  historiques  el  politiques  sur  les  Pays-Bas,  MS.  n»  12G  de  la  Bibl. 
de  Gand.  —  Mémoires  de  Riclielicu,  coll.  Petilol,  t.  VIF. 


—  ÎH   — 

lesquelles  le  mcrilc  est  presque  toujours  liénué  de  prestige  cl  d'cillicacilé  réelle. 

M.  le  baron  de  Gerlaclie  élait  ne  à  Biourge  (Luxembourg),  le  2G  décem- 
bre 1785.  11  a  donc  succombé  à  l'âge  de  quatre-vingt-cinq  ans  et  quelques 
mois.  11  était  issu  d'une  famille  anoblie  en  1751  par  Marie-Thérèse.  Quant 
à  lui,  il  fui  créé  baron  par  le  roi  Léopold  1<^'',  Je  20  août  1843,  en  récom- 
pense des  services  considérables  qu'il  avait  rendus  à  son  pays  et  à  la  dynastie. 

Le  baron  de  Gerlache  a  laissé,  dit-on,  des  mémoires  trcs-inlércssants  sur 
les  événements  auxquels  il  a  pris  une  part  si  considérable,  et  en  particulier 
sur  la  révolution  de  1830.  La  publication  n'en  sera  sans  doute  autorisée  que 
dans  quelques  années,  à  cause  des  personnalités  qu'ils  renferment. 

Entre  autres  ouvrages,  l'ancien  président  du  Congrès  laisse  six  volumes 
d'OEuvres  complètes,  où  il  raconte  les  différents  épisodes  de  sa  vie  politique, 
une  Histoire  de  Liège,  une  Histoire  du  royaume  des  Pays-Bas  (1). 

Clément  Wytsman  est  mort  à  Termonde  le  27  novembre  1870,  où  il  naquit 
le  17  mai  1823.  11  était  en  même  temps  archéologue,  numismate,  poclc  et 
musicien,  et  est  l'auteur  d'un  assez  grand  nombre  de  notices,  qui  toutes  ont 
rapport  à  la  ville  ou  au  pays  de  Termonde;  en  voici  les  principales  : 

Notice  historique  sur  la  ville  de  Termonde,  1849. 

Notice  sur  les  7Honnaies  frappées  à  Termonde,  18G0. 

Réorganisation  de  l'enseignement  moyen  à  Termonde,  1863. 

Une  confrérie  qui  bat  monnaie;  deniers  de  Notre-Dame  à  Termonde,  1SG3. 

Sceaux  communaux  et  administratifs  de  Termonde,  1864. 

Anciens  airs  et  chansons  populaires  de  Termonde,  1868. 

Notice  historique  sur  la  ville  de  Termonde.  Les  anciennes  fondations  chari- 
tables et  le  système  hospitalier  de  l'an  V. 

Clément  Wytsman  était  notaire,  ancien  échevin  de  la  ville  de  Termonde, 
président  de  la  ligue  de  l'enseignement,  fondateur  et  ancien  président  du 
cercle  archéologique  de  la  ville  et  de  l'ancien  pays  de  Termonde,  etc.,  et  avait 
été  lauréat  de  l'Académie  en  1857,  pour  la  cantate  le  Meurtre  d'Abcl. 

Il  laisse  une  collection  remarquable  de  monnaies. 

François-Joseph  Fétis,  compositeur  et  musicographe,  directeur  du  Conser- 
vatoire royal  de  musique,  est  mort  à  Bruxelles  le  26  mars,  à  l'âge  de  quatre- 
vingt-sept  ans;  il  était  né  à  Mons,  le  25  mars  1784.  Fils  d'un  organiste,  il 
manifesta  de  bonne  heure  une  aptitude  musicale  toute  particulière  :  Haydn 
et  Mozart  étaient  ses  maîtres  préférés.  Entré  au  conservatoire  de  Paris  en 

(1)  Voir  au  sujet  du  baron  de  Geri.ache,  le  Messager,  1870,  p.  569. 


—   H-2  — 

1800,  il  y  reçut  les  leçons  de  Rey  cl  de  BoiëUlieii;  en  1805,  il  enlrcpril  ses 
premières  périgrinalious  en  Allemagne  et  en  Italie,  pour  y  étudier  les  maî- 
tres; il  s'attacha  surtout  à  la  musique  classique,  Palestrina  et  Mozart,  ainsi 
qu'à  la  musique  ancienne. 

En  1806,  il  se  maria  richement,  se  ruina  peu  après  et  se  retira  d'abord 
dans  les  Ardennes  et  ensuite  dans  les  Flandres.  En  1818,  il  devint  professeur 
au  conservatoire  de  Paris,  où  il  remplaça  Eler,  et  publia  un  traité  du  contre- 
point et  de  la  fugue. 

En  1828,  il  fonda  la  Revue  musicale,  qu'il  rédigea  jusqu'en  1833.  En  1833, 
le  roi  Léopold  I^'  le  nomma  maître  de  chapelle  et  directeur  du  Conservatoire 
de  Bruxelles . 

Fétis  composa  deux  opéras  comiques  :  Y  Amant  et  le  Mari  et  la  Vieille;  et 
parmi  ses  autres  œuvres,  nous  citerons  :  HJùliode  des  méthodes  de  piano,  la 
Méthode  de  chant,  le  Coup-d'œll  sur  les  qualités  de  la  musique  des  Pays-Bas, 
la  Biographie  universelle  des  musiciens  et  Biographie  générale  de  musique. 

11  était  grand-officier  de  l'Ordre  de  Léopold,  officier  de  la  Légion  d'Hon- 
neur, chevalier  de  l'Aigle  Rouge  de  Prusse,  commandeur  de  la  Couronne  de 
Chêne  des  Pays-Bas  et  le  doyen  de  l'Académie  royale  de  Beaux-Arts,  Sciences 
et  Lettres  de  Belgique,  etc. 

Alexandre-Joseph  Desplanque,  ancien  archiviste  du  déparlement  de  l'Indre, 
archiviste  du  déparlement  du  Nord,  membre  d'un  grand  nombre  de  sociétés 
savantes,  entre  autres  du  Comité  flamand  de  France,  dont  il  était  secrétaire, 
est  décédé  le  8  février  1871  à  Lille,  à  l'âge  de  trente-six  ans.  M.  Desplan- 
que est  mort  trop  tôt  pour  la  science;  il  est  l'auteur  de  plusieurs  travaux 
historiques;  la  richesse  du  dépôt  dont  il  était  le  conservateur,  lui  fournissait 
le  moyen  de  faire  une  ample  moisson  de  documenls  originaux  et  inédits. 

Cet  hommage  à  sa  mémoire  est  en  même  temps  de  notre  part  un  acte  de 
reconnaissance,  car  M.  Desplanque  nous  fut  d'un  grand  secours  dans  les 
recherches  que  nous  avons  faites  aux  archives  de  la  Chambre  des  comptes  de 
Lille  pour  noire  ouvrage  sur  les  Relations  entre  la  Flandre  et  l'Angleterre. 

Emile  V.... 


113  — 


Sceau  île  la  wtUe  be  (j^anîr 

AU    XIII^    SIÈCLE. 


La  ville  de  Gand  possède  une  belle  série  de  sceaux 
communaux,  dont  une  partie  est  encore  pour  ainsi  dire 
inconnue.  31.  Kervyn  de  Volkaersbeke  a  fait  paraître,  dans 
un  précédent  volume  de  ce  recueil,  une  notice  sur  le  sceau 
dont  les  échevins  se  servaient  au  XIV*  siècle  (i);  l'acte  le 
plus  ancien  auquel  ce  sceau  se  trouve  appendu,  date  de 
1  année  1506,  ce  qui  est  à  peu  près  l'époque  à  laquelle  il 
aura  été  confectionné.  Le  sceau  communal  qui  a  précédé  ce 
dernier  est  d'un  type  tout  différent;  quoiqu'on  ne  trouve 
avant  l'année  1275  aucun  acte  qui  en  soit  muni,  je  ne  doute 
pas  qu'on  ne  puisse  le  faire  remonter  aux  premières  années 
du  XIII''  siècle.  Serait-il  contemporain  de  l'institution  du 
célèbre  collège  des  XXXIX,  établi  en  1228,  ou  de  la 
charte  de  commune  accordée  en  1192?  VVarnkœnig  en  a 
signalé  un  exemplaire  aux  archives  de  Lille  (2),  et  il  en 
existe  deux  empreintes,  parfaitement  conservées,  dans  le 
dépôt  des  archives  de  l'Étal  à  Gand  (s). 

Sous  un  portail  gothique,  surmonté  d'une  tourelle  et 
accompagné  de  deux  petites  tours,  on  voit  le  buste  de  saint 
Jean,  entre  deux  flambeaux  allumés;  le  portail  est  muni 


(1)  Messager  des  Sciences,  1857,  p.  246. 

(2)  WAnNKOENiG,  Documents  inédits  relatifs  à  l'histoire  des  Trente-Neuf,  à 
Gand,  p.  54. 

(5)  Gaillard,  Invent,  analyl.  des  chartes  des  comtes  de  Flandre,  nos  707, 
713,  729. 

1871.  9 


—  114  — 

de  créneaux,  sur  lesquels  sont  perchés  deux  oiseaux  (i). 
Le  sceau  porte  pour  légende  :  Sigillu.  S.  Johis  Bapt.  Gan- 
densîu.  civiu.  patroni,  elle  est  séparée  du  champ  du  sceau 
par  un  cordonnet.  Cette  légende  diffère  de  celle  que  donne 
Warnkœnig,  qui  y  ajoute  les  mots  ad  legationes;  mais  je 
suppose  qu'il  y  a  ici  une  erreur  ou  que  cet  écrivain  se  sera 
trop  inspiré  de  la  légende  du  sceau  du  XIV^«  siècle,  qui 
porte  en  effet  ces  mots.  Le  contre-sceau  ou  sceau  secret 
est  composé  d'un  agneau  pascal,  entouré  des  mots  :  Secre- 
tum  scahinorum.  Ce  sceau  est  conforme  à  la  description 
contenue  dans  un  vidinms  d'un  acte  de  l'année  1288,  donné 
par  le  juge  et  notaire  public,  A.  Plance,  en  1319  (2). 

La  question  la  plus  intéressante,  au  point  de  vue  ar- 
chéologique, que  puisse  soulever  l'examen  attentif  de  ce 
sceau,  est  de  savoir  si  le  portail  qui  y  est  représenté,  re- 
produit l'ancien  portail  de  l'église  de  Saint-Jean.  Quoiqu'il 
faille  se  méfier  des  illusions,  c'est  un  fait  dont  on  rencontre 
des  exemples  à  cette  époque.  M.  Piot  a  examiné  la  question 
de  l'existence  réelle  des  monuments  représentés  sur  les 
sceaux  du  moyen-âge,  et  après  une  étude  attentive,  il  a  cru 
pouvoir  dire  «  que  les  édifices  figurés  sur  les  sceaux  et  sur 
»  les  monnaies  du  XII^  siècle  et  du  suivant,  représentent 
»  des  édifices  qui  ont  existé  en  réalité,  et  qu'ils  ne  sont 
»  nullement  dus  à  l'imagination  de  l'artiste  chargé  de  les 
»  graver  (5).  »  Dans  le  choix  du  monument  destiné  à  être 
reproduit  sur  leur  sceau,  il  est  naturel  que  les  échevins 
aient  pris  de  préférence  l'église  de  Saint-Jean ,  comme 
étant  l'édifice  qui  rappelait  le  mieux  les  libertés  commu- 
nales de  la  ville  et  l'exercice  de  leur  autorité;  c'était  de- 


(1)  Ces  oiseaux  se  retrouvent  sur  le  sceau  ad  causas  de  la  ville  de  Gand, 
du  XV«  siècle,  publié  dans  ce  recueil,  en  1863. 

(2)  Van  Diiyse,  Invenl.  analyC.  des  Archives  de  Gand,  n»  1 53. 

(3)  Revue  de  la  Numism.  belge,  Ire  série,  t.  V,  p.  236.  —  Le  beffroi  de 
Tournai,  d'après  un  ancien  sceau,  par  le  nicme  auteur. 


—  115  — 

vant  le  portail  de  celte  église  que  se  trouvait  la  vkr- 
schaere  et  que  se  traitaient  les  affaires  de  la  commune; 
la  charte  de  confirmation  des  privilèges  des  Gantois,  don- 
née en  1191  ou  en  1192,  par  la  comtesse  Mathilde,  le  dit 
formellement  :  «  Causœ  oppidi  etplacita  non  tractabuntiir, 
»  nisi  apud  sanctum  Johannem,  in  qiiadrivio  prœtorii.  » 
Ce  n'était  que  dans  le  cas  où  le  comte  ou  le  châtelain  con- 
voquait les  échevins  pour  une  affaire  d'une  importance 
majeure,  qu'ils  se  réunissaient  sur  la  place  entre  la  ville 
du  comte  et  la  chapelle  de  Sainte-Pharaïlde  (i). 

La  question  que  j'ai  soulevée  ici  est  très-difficile  à 
résoudre  pour  la  ville  de  Gand,  car  il  ne  nous  reste  rien, 
sauf  quelques  débris  dans  la  crypte,  de  la  chapelle  primi- 
tive de  Saint-Jean,  bâtie  au  commencement  du  XI"  siècle, 
par  Lausus,  compagnon  d'armes  de  saint  Poppon;  deux 
cents  ans  plus  tard,  la  chapelle  ayant  besoin  de  réparations, 
et  ne  suffisant  plus,  sans  doute,  aux  besoins  du  culte,  le 
collège  des  Trente-Neuf  fît  bâtir,  en  1228,  un  nouveau 
chœur,  ainsi  que  les  nefs  latérales.  En  14G1,  on  jeta  les 
fondements  de  la  tour  actuelle,  et  le  restant  de  l'église  fut 
bâti  au  XVI''  siècle.  C'est  tout  ce  que  l'on  sait  de  l'an- 
cienne église.  Il  faut  en  conclure  que  la  partie  antérieure 
de  l'église,  comprenant  le  portail,  remontait  au  X^  siècle, 
si  tant  est  qu'elle  ait  été  conservée  lors  des  réparations 
faites  au  XIII"  (2).  Et  oserait-on  affirmer  que  le  }>ortail,  tel 
qu'il  est  figuré  sur  le  sceau,  reproduise  un  monument  d'une 
date  aussi  reculée? 

Le  sceau  dont  il  est  ici  question  offre  encore  un  intérêt 


(t)  DiEnicx,  Mémoires  sur  la  ville  de  Garni,  t.  I,  p.  12.  —  Ghei.uolf,  Cou- 
tumes du  pays  el  comlé  de  Flandre,  t    I,  p.  ôDi,  n"  21. 

(2)  Voir  Kervyn  de  VoLKAEnsBEKE,  Les  Églises  de  Gand,  t.  I.  —  Van  Loke- 
ncN,  Histoire  de  Vabbaye  de  Sainl-Davon,  etc.  —  11  est  inulile  de  rappeler 
aux  leclcurs  de  la  revue  que  Téglise  actuelle  de  Saiul-Bavon  remplace  l'an- 
cienne église  de  Saint-Jean. 


—  116  — 

d'un  autre  genre,  par  la  place  qu'il  occupe  dans  la  lutte 
entre  la  commune  de  Gand  et  le  comte  de  Flandre,  qui  a 
signalé  la  fin  du  XIII''  siècle.  L'histoire  de  ces  démêlés 
prouve  l'importance  attachée  à  la  possession  du  sceau  com- 
munal et  combien  le  comte  était  jaloux  de  le  voir  entre  les 
mains  des  échevins.  Je  suis  forcé  d'entrer  ici  dans  quel- 
ques détails  historiques,  pour  lesquels  j'ai  suivi  le  travail 
de  Warnkœnig  (i). 

L'administration  du  collège  des  XXXIX,  établi  en  1228, 
avait  subsisté  sans  changement  jusqu'en  1275;  à  celle 
époque,  la  bourgeoisie,  mécontente  de  la  gestion  des  affai- 
res de  la  ville  et  des  abus  qui  s'étaient  introduits  dans 
l'administration,  avait  adressé  des  plaintes  à  la  comtesse 
3Iarguerite.  Celle-ci  destitua  les  anciens  échevins  et  établit 
de  nouveaux  conseillers,  qui  étaient  soumis  à  une  élection 
annuelle,  tandis  que  les  anciens  échevins  avaient  été  nom- 
més à  vie.  Les  échevins  destitués  eurent  recours  au  roi  de 
France;  grâces  à  son  intervention,  on  fit  un  compromis, 
en  vertu  duquel  les  anciens  échevins  furent  rétablis,  sauf 
ceux,  qui  avaient  été  déclarés  indignes  d^occuper  cette 
place,  à  la  suite  de  l'enquête  à  laquelle  avaient  procédé  les 
commissaires  du  roi,  et  le  nouveau  collège  fut  obligé  de 
choisir  de  nouveaux  membres  pour  se  compléter  (22  juillet 
1277).  Cette  décision  n'avait  pas  aplani  toutes  les  difficul- 
tés, car  il  paraît  que  le  comte  de  Flandre  s'était  emparé 
du  sceau  de  la  ville,  pour  empêcher  les  échevins  de  poser 
aucun  acte  d'administration,  sans  son  assentiment  ou  celui 
de  son  bailli  (2). 


(1)  Warnkoenig,  Histoire  de  Flandre,  t.   III,  p.  96  et  suiv.  de  l'édition  de 

GllELDOLF. 

(2)  11  semble  que  le  comte  Guy  eut  plus  d'une  fois  recours  à  cette  étrange 
mesure.  Un  document  de  l'époque  nous  apprend  que  le  comte  avait  demande 
à  l'abbé  de  Cysoing  la  clef  du  sceau  de  son  chapitre;  il  la  rendit  cependant  à 
la  prière  de  Jean  de  Ville,  chargé  du  soin  de  conserver  celte  clef.  L'abbé  fit 


—  117  — 

Un  débat  judiciaire  s'éleva  au  sujet  du  sceau  de  Gand, 
ou  pour  une  autre  raison  qui  nous  est  inconnue,  entre  les 
échevins  et  le  comte;  celui-ci  offrit  aux  XXXIX  de  leur 
faire  droit;  mais  les  échevins,  trouvant  que  le  comte  diffé- 
rait trop  sa  décision,  portèrent  plainte  au  roi  de  France 
contre  lui,  pour  défaut  de  droit.  Le  parlement  de  France, 
saisi  de  l'affaire,  n'admit  pas  l'appel  des  échevins  et  il  les 
condamna  à  payer  une  amende  au  comte.  Cependant, 
comme  il  fallait  permettre  à  la  ville  de  régler  sa  position 
financière,  afin  de  pouvoir  payer  l'amende  due  au  comte, 
les  deux  parties  entrèrent  en  arrangement  (1280),  et  dans 
l'une  des  transactions  conclues  entre  elles,  il  fut  stipulé  que 
le  sceau  communal  serait  rendu  à  la  ville  après  l'extinc- 
tion des  dettes. 

La  levée  des  tailles,  pour  payer  cette  amende,  amena 
encore  de  longs  différends,  dans  lesquels  le  roi  était  charmé 
de  pouvoir  intervenir.  Le  6  janvier  1296,  le  comte  de 
Flandre  et  le  roi  de  France  firent  un  accord,  qui  maintint 
l'institution  toujours  menacée  des  XXXIX.  Mais  Philippe 


aussitôt  promettre  par  serment  à  ce  dernier  de  ne  plus  sceller  ni  de  ne  plus 
laisser  sceller  d'acte,  qui  pourrait  porter  préjudice  au  couvent. 
«  Lettres  de  ceus  de  Cysoing  parlans  de  le  warde  de  le  clef: 
»  Nous  Jehans  de  Ville,  canoines  de  Cysoing,  fach  savoir  à  tous,  ke  coume 
mes  abbés  et  li  couvens  de  Cysoing  maient  chargiet  en  warde  le  clef  dou 
saiel  dou  capille  de  Cysoing,  et  ie  le  dite  clef  aie  bailli  et  délivrée  h  noble 
houme  mon  chier  seigneur  le  conte  de  Flandres,  dou  greit  et  de  le  volontée 
de  mendit  abbeit  et  le  couvent,  et  li  dis  cuens  a  me  prière  et  a  me  requeste 
le  niait  rendue  et  remis  en  me  warde  en  tel  manière  ke  ie  li  ai  enconvent  et 
proumis  par  foit  et  par  saircment  coume  priestes  ke  dore  en  avant  ie  ne 
deliverrai  le  clef  ne  saielerai  ne  ferai  asaielcr  lettre  nule  quele  kelc  soit  la  u 
li  église,  li  abbes  et  li  couuens  ne  les  persones  de  le  église  de  Cysoing  soient 
de  riens  obligies  en  dette,  nule  ne  en  autre  cliose  ki  adamage  de  le  abbcie 
de  Cysoing  puist  tourner.  En  tiesmoignage  de  la  quel  chose  ie  ai  mis  mcn 
saiel  à  ces  présentes  lettres,  ki  furent  faites  et  données  en  Tan  de  grâce  mil 
deus  cens  quatre  vins  et  ons,  le  mardi  après  le  jour  saint  Nicholai,  » 

Sceau  endommagé  (Chartes  des  comtes  de  Flandre,  carton  M,  n»  27.  Ar- 
chives de  l'Etat,  à  Gand). 


—  418  — 

» 

le  Bel  ne  tarda  pas  à  se  départir  des  concessions  faites  aux 
Gantois,  énoncées  dans  ses  lettres  du  6  janvier.  Au  mois 
de  juin,  il  informa  les  habitants  de  Gand  qu'il  avait  nommé 
Albert  d'Hangest  gardien  de  leur  ville,  leur  ordonnant  de 
lui  obéir  dans  les  instructions  qu'il  lui  avait  données. 
Entre  autres  points,  il  fut  stipulé  que  le  sceau  de  la  ville 
serait  gardé  sous  trois  clefs,  dont  l'une  demeurerait  par 
devers  le  commissaire  du  roi,  l'autre  serait  en  la  possession 
des  échevins  et  la  troisième  aux  mains  d'un  prudhomme, 
au  nom  de  la  commune.  De  son  côté,  le  comte  fut  mandé 
à  Paris  pour  le  29  juillet,  afin  d'y  rendre  compte  de  sa 
conduite.  On  espérait  sans  doute  forcer  le  comte  à  rendre 
à  la  ville  son  sceau,  car  il  paraît  qu'il  l'avait  encore  en  sa 
possession,  ainsi  que  les  clefs  de  la  viile  et  d'autres  objets 
dépendant  du  pouvoir  des  échevins;  c'est  ce  qui  résulte  des 
lettres  par  lesquelles  le  roi  statua,  le  28  août  1296,  dans 
son  conseil,  relativement  aux  échevins  de  Gand. 

Le  comte,  pour  se  soustraire  à  la  juridiction  du  Par- 
lement, chercha  à  faire  un  arrangement  avec  la  ville;  mais 
le  roi  lui  rappela,  par  une  lettre  du  20  septembre,  qu'il 
l'avait  déjà  ajourné  devant  le  Parlement,  il  lui  reprochait 
en  même  temps  l'accord  conclu  avec  les  échevins  et  il 
l'assignait  de  nouveau  devant  le  Parlement.  Le  comte, 
ajoute  VVarnkœnig  (p.  12S),  n'eut  garde  d'obéir  à  ces  in- 
jonctions. Au  commencement  de  janvier  1297,  il  conclut 
une  alliance  plus  étroite  avec  le  roi  d'Angleterre,  et  bientôt 
après  il  était  en  guerre  avec  le  roi  de  France.  Pour  ne 
pas  laisser  une  ville  aussi  importante  que  Gand,  sous  l'ad- 
ministration de  magistrats,  qui  étaient  notoirement  portés 
pour  son  ennemi,  il  chargea  deux  commissaires  (4  avril) 
de  renouveler  les  XXXLK  de  Gand,  de  priver  les  anciens 
de  leurs  biens  et  de  les  bannir  de  sa  terre,  puis  il  donna 
pouvoir  à  ses  commissaires  de  briser  l'ancien  sceau  de  la 
ville  et  de  consentir  à  ce  qu'on  en  fît  un  nouveau.  Trois 


—  H9  — 

jours  après,  le  comte  prononça  contre  les  XXXIX  une 
sentence  de  destitution  et  de  bannissement;  à  la  suite  de 
ces  événements,  l'ancien  collège  des  XXXIX  disparut  sans 
retour,  et  en  1301  fut  inauguré  un  nouveau  corps  échevi- 
nal,  élu  d'une  façon  toute  différente,  qui  continua  à  régir 
la  ville  de  Gand  jusqu'à  l'invasion  des  rcpublicains  fran- 
çais en  Belgique  (i). 

T.  C'<=   DE  LiMBURG  SîinUM. 


(1)  Dicnicx,  Mémoire  sur  les  loix,  t.  I,  p.  594.  —  Warnkoekig,  cité,  p.  126. 
—  On  trouve  deux  exemples  de  bris  de  sceau,  ordonné  par  le  souverain, 
en  1410  et  1411,  dans  la  nolice  de  Wytsman,  Sur  les  sceaux  de  la  ville  de 
Termonde,  p.  24  et  26. 


i^20  — 


LE  LUXEMBOUEG  BELGE 

ET  SON  ETHNOGRAPHIE 
SOTJS    LA    IDOlSlINAJriO^^     RO^NIAUSTE. 


III 

Question   d'ideutitc. 

Le  Luxcuibourg  est  Tarène  des  grandes  questions  ethnographiques.  — 
L'origine  des  peuples  et  des  langues  forme  une  question  connexe.  — 
Débats  sur  l'identité  de  la  race  des  Germains  et  des  Gaulois.  —  La  ques- 
tion est  posée  en  Allemagne  et  en  Belgique.  —  Solutions  diverses.  — 
Discussion  à  propos  des  Galli  de  Salluste,  dans  Jugurtha.  —  Pausanias, 
Trogue-Pompée,  etc.  —  Les  noms  collectifs  de  peuples  couvrent  souvent 
Pignorance  des  anciens.  —  Passages  de  César  discutés.  —  Les  peuples 
indo-germaniques.  —  Avant  de  se  quitter,  ils  ont  touché  ensemble  les 
rivages  de  la  mer  Caspienne  on  de  la  mer  Noire.  —  Gaulois  et  Germains 
considérés  comme  unités  ethnographiques  distinctes.  —  Les  prolégomènes 
à  rhistoire  générale  de  la  Belgique  sous  la  domination  de  Rome.  —  Sour- 
ces historiques  grecques  et  latines. 

La  forêt  des  Arclenoes,  telle  qu'elle  se  dégage  des  docu- 
meuls  fournis  par  les  anciens,  n'est  pas  un  point  vague 
n'ayant  que  momentanément  paru  à  l'horizon  du  passé. 
Elle  a  donné  asile  à  des  peuples  qui  ont  joué  un  rôle  dans 
les  annales  de  Fhistoire,  particulièrement  à  cette  époque  où 
les  armes  de  Rome  triomphante  cherchèrent  à  réduire  au 
même  niveau  des  peuples  appelés  à  rajeunir  l'Europe. 

Ce  n'est  donc  pas  un  simple  point  géographique  que  les 
Ardennes.  Dans  ses  solitudes  vivaient  des  races  d'origine 
germanique,    Sègnes,   Pémans,    Condruses   et   Cérèses, 


—   121   — 

comme  nous  l'avons  vu,  et  les  Trévires,  race  mixle  (i),  dont 
ces  peuplades  étaient  les  subordonnés  politiques.  Mais  d'où 
sont-ils  venus?  On  sait  qu'ils  se  rattachent  aux  grands  em- 
branchements ethnographiques,  que  nous  appelons  les  Ger- 
mains et  les  Gaulois.  C'est  de  cette  source  qu'ils  dérivent. 
El  comme  ces  deux  races  ont  trouvé  sur  le  sol  des  Arden- 
nes  une  antique  et  large  hospitalité,  c'est  donc  dans  le 
Luxembourg  que  les  questions  qui  les  concernent  semblent 
mieux  s'agiter  comme  dans  leur  véritable  arène. 

Le  chantre  des  Géorgiques  et  de  l'Enéide,  dans  ses  vers 
immortels  sur  les  phénomènes  célestes  et  les  merveilles  de 
l'agriculture,  compte  au  nombre  des  félicités  de  l'homme  (2) 
le  talent  rare  de  remonter  à  l'origine  des  choses.  En  his- 
toire surtout,  cette  vérité  est  incontestée.  L'origine  des 
peuples  est  ce  qui  captive  le  plus  notre  curiosité,  et  cette 
origine  est  connexe  à  la  question  de  savoir  de  quelle  source 
dérivent  les  langues  ou  les  idiomes. 

En  parcourant  les  annales  d'un  peuple,  on  se  dit  pres- 
que involontairement  :  d'où  vient-il?  de  quelle  langue  ou 
de  quel  véhicule  intellectuel  s'est-il  servi  pour  se  mettre 
en  rapport  avec  les  individus  qui  le  composent?  L'origine 
d'un  peuple  !  c'est  un  point  déterminé  dans  l'espace  et  le 
temps,  d'où  il  marque  les  évolutions  à  travers  les  siècles. 
Quant  à  la  langue,  elle  est  le  dépositaire  sacré  et  autobio- 
graphique des  défaillances  de  ce  même  peuple,  de  ses  ex- 
ploits mémorables,  de  ses  progrès  intellectuels  et  moraux. 

Si  l'on  pouvait  reconstituer  les  idiomes  des  nations  dis- 

(1)  Dès  maintenant  il  est  bon  de  se  faire  à  celte  idée  par  la  comparaison 
des  passages  suivants  :  «  G.  Caesar,  Trcviris  in  Gallia  viclis,  ilerum  in  Ger- 
maniam  transiit;  nulloque  ibi  hoste  invenlo  reversus  in  Galliam  (Tit.  L., 
CVIIIJ,  »  DiOM,  XL,  32  :  «  ÈTtl  8e  ôr;  toÙç  KekzQut;  w<;  xal  Tp iouyîpoi<;  [3o"/i0ïï<iai 
é6£>,7ÎsavT£ç,  kaxpizeuae.  »  —  Caes.,V,  3,  tic,  passim.  Les  passages  de  Tacite 
cités  plus  loin  et  Cllsi  Comm.  50  :  Treviri  cqtiiles  opinatissimae  virtutis  intcr 
omnes  Gallos. 

(2)  Georc,  lib.  Il  :  Félix  qui  potuil  rerum  cognoscere  causas. 

10 


i22  

parues,  comme  les  Carlliaginois,  par  exemple,  je  ne  dis  pas 
dans  tout  leur  mécanisme  synlaxiqne,  mais  seulement  dans 
les  formes  diverses  de  la  lexigraphie,  on  sérail,  sans  aucun 
doute,  en  présence  du  plus  puissant  élément  de  nationalité. 
Car  le  mol,  rien  que  le  mol,  obéissant  aux  lois  de  la  flexion, 
trahit  déjà  le  génie  des  races.  Les  consonnes  accumulées 
et  se  heurlanl  contre  de  rares  voyelles  qui  étouffent,  ou 
bien  les  syllabes  sonores,  dégagées,  les  finales  harmonieuses 
el  variées,  sonl  des  miroirs  dans  lesquels  se  reflètent  des 
rayons  épars  de  la  culture  intellectuelle.  Sous  ce  rapport, 
malheureusement,  peu  de  peuples  anciens  peuvent  s'applau- 
dir d'avoir  survécu  à  eux-mêmes.  En  dehors  de  Tantiquilé 
classique,  il  n'y  a  guère  que  les  Hébreux,  les  Indiens  el 
les  Chinois  dont  les  idiomes  aient  échappé  au  naufrage. 
Pourquoi  les  Celles  ou  Gaulois  el  les  Germains,  venus  de 
l'Asie  aussi  bien  que  les  Phéniciens  el  les  Egyptiens  qui 
ont  pénétré  dans  la  Ilellade,  n'auraienL-ils  pas  élé  initiés, 
eux  aussi,  à  l'art  de  fixer  la  pensée  el  de  peindre  la  parole? 
Tous  les  peuples  de  l'Asie  connaissaient  cet  art  depuis  un 
temps  immémorial,  el  il  n'y  a  pas  de  donnée  historique 
qui  s'oppose  à  faire  coïncider  l'émigration  des  Celtes  et 
des  Germains  avec  l'arrivée  en  Europe  des  Phéniciens  et 
des  Egyptiens.  Dans  l'alphabet  runique  reparaissent  seize 
lettres  qui  rappellent  les  seize  cadméennes  de  l'alphabet 
grec,  emprunté  lui-même  aux  Phéniciens.  Comme  les  let- 
tres phéniciennes,  les  runes  ont  des  noms  dont  elles  for- 
ment les  initiales  en  même  temps  qu'elles  donnent  la  figure 
ou  l'hiéroglyphe  des  objets  que  ces  noms  désignent.  Les 
Germains  possédaient  au  fond  le  même  alphabet  que  loule 
l'Europe  |)olicée,  comme  ils  avaient  la  même  grammaire; 
mais  ils  n'avaient  pas  su   se  servir  de  ces  deux  grands 
moyens  de  civilisation  (i). 

(I)  A  la  viit;  (lu  ciel  rigoureux  de  la  Germanie,  de  celle  terre  ingrate  el 
de  CCS  tristes  déserts,  Tacite  ne  pouvait  comprendre  qu'on  eiit  pour  eux 
des  climats  meilleurs  (Gcrm.,  2);  il  croyait  les  Germains  aulochlhoues. 


—    123  — 

Or,  dans  l'élal  actuel  des  choses,  les  races  d'origine 
cellique  ou  gauloise  et  les  races  germaniques  se  servent 
d'idiomes  diamétralement  opposés.  On  peut  se  demander 
en  conséquence,  si,  en  dépit  de  ce  phénomène  linguisti- 
que, elles  ont  une  origine  commune,  c'est-à-dire,  forment 
une  identité.  Si  l'on  adoptait  comme  un  axiome  indu- 
bitable l'adage  d'une  certaine  école,  très-louable  dans  ses 
aspirations,  mais  quelquefois  trop  exclusive  :  de  taal  is 
gansch  het  volk,  alors  la  question  serait  résolue  et  sous- 
traite pour  toujours,  et  cela  par  voie  sommaire,  à  son  juge 
naturel,  qui  ne  peut  être  que  la  critique  ou  la  philosophie 
de  rhistoire. 

La  question  de  l'identité  ou  de  la  dualité  des  Germains 
et  des  Gaulois  se  glorifie  de  phalanges  d'érudits,  qui  luttent 
avec  ardeur  et  talent  pour  l'un  ou  l'autre  camp.  On  peut 
dire  que  le  succès  se  balance  ou  qu'il  est  fortement  dis- 
puté. Abstraction  faite  du  penchant  naturel,  déterminé  par 
les  données  historiques,  à  embrasser  un  parti  plutôt  qu'un 
autre,  il  est  impossible  de  méconnaître  ce  qu'il  y  a  de  res- 
pectable et  d'élevé  dans  l'opinion  contraire;  de  sorte  que 
le  Luxembourg  belge,  qui  semble  être  dans  l'histoire  de 
Belgique  le  point  de  contact  entre  les  deux  races,  le  point 
géographique  où  elles  se  confondent  dans  une  fraternelle 
synthèse,  se  présente  comme  le  théâtre  naturel  où  cette 
importante  question  d'ethnographie  doit  être  débattue. 

C'est  en  effet  dans  le  Luxembourg  belge,  uni  aux  po- 
pulations trévires,  où  la  domination  romaine  a  jeté  le  plus 
d'éclat,  où  elle  s'est  concentrée  un  certain  temps  comme 
en  un  point  lumineux,  projetant  ses  rayons  sur  toute  la 
Gaule.  A  part  les  notions  confuses  de  quelques  géogra- 
phes ou  voyageurs  grecs  (i),   c'est  à  Rome  guerrière  el 

(1)  Voy.  AjiMiiN.  Marcell.,  XV,  9.  —  Trr.  Liv.,  V,  35,  34;  XXI,  6,  et 
Stradon  (Trtitc/jH.  éd.),  \\,  p.  190.  —  Arrian.,  Anab.,  VII,  13.  —  La  Genèse, 
X,  5  :  île  des  Gentils.  —  HÉRon.,  Melp.,  27.  —  BARTifs  Teutschlands  Uryc- 
schiehlc,  t.  I^-^  pp.  7-16. 


—  154  — 

militaire  qu'il  faut  attribuer  la  gloire  d'avoir  déchiré  le 
voile  qui  dérobait  à  l'univers  raclivité  des  peuples  au  Nord 
et  à  rOccident  de  l'Europe.  Voilà  le  point  de  départ  de 
notre  ethnographie.  Il  est  la  base  de  la  certitude  relative 
de  nos  connaissances  dans  cette  partie  du  savoir  humain. 
Il  doit  inspirer  aux  Flamands  et  aux  Allemands,  aux  Gau- 
lois et  aux  Wallons  le  plus  puissant  intérêt,  puisqu'il  est 
lié  au  berceau  même  des  nationalités. 

Est-ce  à  dire  qu'une  solution  définitive,  qui  ne  laisse 
plus  de  place  à  la  réplique,  puisse  être  donnée  à  ce  débat 
grandiose?  Il  est  difficile  de  se  prononcer  catégoriquement 
à  cet  égard.  Mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  la  néga- 
tive réunit  autour  d'elle  les  arguments  les  plus  impor- 
tants. 

En  Angleterre,  en  France,  en  Belgique,  en  Hollande,  en 
Suisse  et  en  Allemagne,  on  rencontre  des  populations  qui 
ont  entre  elles  des  points  de  contact  et  des  rapports  ethno- 
graphiques frappants,  mais  aussi  des  traits  distinctifs,  re- 
marqués de  tout  temps,  et  qui  ont  engagé  les  critiques  à 
les  dériver  de  sources  différentes.  Ces  populations  se  re- 
flètent dans  les  Celtes  et  les  Germains. 

Les  monuments  historiques  qui  les  concernent  sont  peu 
nombreux,  vagues,  incertains  et  quelquefois  contradictoires. 
Le  monde  savant  les  a  soumis  à  un  sévère  examen,  mais 
jusqu'à  ce  jour  il  n'a  su  prendre  de  parti  décisif  ou  faire 
sortir  de  ces  données  une  conséquence  nette  et  claire  qui 
imposât  silence  à  toute  discussion.  Malgré  son  côté  émi- 
nemment attractif,  il  manque  à  ce  problème  des  données 
ou  des  prémisses  qui  excluent  le  doute. 

Sans  égard  aux  nombreuses  opinions  d'un  ordre  infé- 
rieur, dit  M"^  H.  Brandes,  qui  se  produisent  presque  tou- 
jours de  quelque  façon  autour  d'un  nouveau  critique,  on 
peut  exposer  ainsi  les  diverses  manières  de  voir  sur  ce 
sujet  :  tandis  que  Schilter,  Wachler,   Cluvier,  Pellou- 


—  125  — 

tier  (i),  Barth  (2),  Uadiof  (3),  Hirl  et  de  nos  jours  Hollz- 
mami  (4),  souliennenl  que  les  Germains  et  les  Celtes  sont 
identiques,  on  peut  admettre  à  cette  heure,  comme  système 
prédominant,  que  ces  peuples  sont  deux  branches  di- 
verses de  la  grande  souche  européenne.  D'un  autre  côté, 
tandis  que  Kennedy  (5),  F.  Schlegel,  Malte-Brun,  Pinkcr- 
ton  (g),  etc.,  refusent  de  reconnaître  aux  langues  celtiques 
une  origine  indo-européenne,  Bopp  (7),  Pictet,  Zeuss  (s) 
ont  démontré  sans  réplique  ralUuité  de  ces  langues  (9). 


(1)  Histoire  des  Celtes  et  particulièrement  des  Gattlois  et  des  Germains, 
depuis  le  temps  fabuleux  jusqu'à  la  prise  de  Home  par  les  Gaulois,  1740. 

(2)  Barth,  Ueber  die  Druiden  der  Kellcn  und  die  Priestcr  dcr  alten  Teul- 
sehen,  1826. 

(3)  Radlof,  Grundziige  einer  BihUmgsgeschichte  der  Gcrmancn  nach  den 
Urdenkmalen  der  Sprache  und  der  Gcschichle,  1826. 

(4)  Ai>.  HoLTZMANN,  Kelten  und  Gcrmaneu,  Slultgarl,  1855. 

(5)  Kennedy,  Researelies  inlo  ihe  origin  and  affinity  of  thc  principal  languuges 
of  Asia  and  Europe,  1828. 

(6)  PiNRERTON,  A  dissertation  of  tlie  origin  of  llie  Scythians  or  Golhs.  Lon- 
doii,  1787. 

L'auteur  y  expose  la  théorie  qu'il  maintint  toute  sa  vie  que  les  Celtes  d'Ir- 
lande, de  Galles  et  d'Ecosse  sont  des  sauvages  et  qu'ils  ont  été  sauvages 
depuis  le  commencement  du  monde. 

(7)  Ueber  die  Kaukasischen  Glieder  des  Indo-Europàischen  Sprachsys- 
/ems(Des  brandies  caucasiennes  delà  filiation  des  langues  indo-européennes); 
Berlin,  1847. 

(8*  Zeuss,  Grammatica  Ccltica;  Lipsiae,  1852. 

(9)  H.  B.  Brandes,  Dus  etnographische  Verhdltniss  der  Kellcn  und  Germa- 
nen,  nach  den  Ansichlen  der  Allen  und  den  sprachlichen  Ueberresten  darge- 
stellti  Leipsig,  1857  : 

n  Abgesehen  von  den  zalilreichen  Meinungsniodificationen  geringfiigiger 
Art,  wie  sie  fasl  bei  jedem  neuern  Forscher  in  dieser  und  jener  Riclitung 
hervortreten,  sind  folgendc  Hauptgegensatze  hervor  zu  lieben  :  1»  wâlirend 
Schilter,  Wachler,  Cluver,  Pelloutier,  Barth,  Radlof,  Hirt,  und  in  neuesler 
Zeit  Holtzraann,  die  Meinung  vertreten  dass  die  Germanen  Kelten  seien  kann 
man  es  als  die  jetzt  herrschende  Ansicht  bezeichnen  dass  die  genannlen 
Vôlker  zwei  gesonnderte  Zweige  des  grossen  Indo-Europaischen  Volker- 
stammes  seien;  und  2»  wâhrend  Kennedy,  F.  Schlegel,  Maltebrun,  Pinker- 
ton,  etc. ,  lâugnen  dass  die  Keltischen  Sprachen  zum  Indo-Kuropaisehen 
Sprachstamme  gehôren,  haben  Hopp,  Pictet,  Zeuss,  etc.,  diesen  Zusammen- 
hang  unwiderleglich  nachgewiesen.  « 


—  126  — 

Les  Celles  et  les  Germains  sont-ils  deux  races  dislincles? 
Dans  ranliquilé,  Slrabon  (i),  Suidas  (2)  et  Zonoras  (3)  in- 
clinent pour  l'affirmative.  En   1730,   Pelloutier  crut  dé- 
montrer l'identité  de  ces  peuples.  Il  eut  pour  adversaire 
Sclîoepflin  (4).  M.  Hollzmann  accueillit  de  nouveau   les 
idées  de  Pelloutier.  En  Belgique,  comme  l'atteste  une  lettre 
de  M.  le  général  Renard,  celte  question  avait  déjà  été  sou- 
mise, en  1847,  à  de  sérieux  et  savants  débats.  Dans  ses 
lettres  sur  l'identité  de  race  des  Gaulois  et  des  Germains, 
M.  Renard  constate  que  l'apparition  simultanée  à  Stuttgard 
et  à  Gand  de   deux   ouvrages,  où  MM.   les  professeurs 
Hollzmann  et  Moke  discutent  une  thèse  qu'il  avait  déjà 
soutenue  en   1847,  aboutirent  par  jeurs  arguments  aux 
mêmes   conséquences  logiques.   Mais   M.  Schayes,  dans 
notre  pays  (3),  se  rangea  du  côté  des  savants  allemands 


(1)  Sthab.,  Gcogr.,  lib.  IV,  cap.  I.  —  Ib.,  IV,  §  2.  —  Lib.  Vil,  §  1. 

(2)  Lexicographe  grec,  qui  vivait  au  XI"  siècle  :  «  KeXtoI  ovo[J.a  eOooi; 
ol  'kv(6\itvoi  repfjiavol  ol  à[j.»l  tôv  'P/,vov  itOTaiiov  tldi.  » 

(5)  Conipilaleur  byzantin,  mort  vers  1130.  On  lui  doit  une  chronique  en 
XVIll  livres. 

(4)  Voy.  Alsatia  illustrata.  Colmar,  1751-I76I. 

(5)  Voy.  Bull,  de  VAcad.,  t.  XXXlll,  2c  partie,  pp.  81,  87,  98,  221  et 
particulièrement  Lettres  sur  iidentUé  de  race  des  Gaulois  et  des  Germains; 
par  M.  le  général  Renard.  Bullcl.  de  l'Académie  royale,  t.  XXllI,  2«  partie, 
p.  98.  L'auteur  y  expose  le  sujet  de  son  ouvrage  en  ces  termes  :  «  Mon  tra- 
vail est  divisé  eu  trois  lettres  ou  parties  :  la  première  traite  de  Torigine  des 
Bas-Bretons,  que  je  prétends  ne  pas  être  gaulois;  la  deuxième  a  pour  objet 
de  prouver  d'une  manière  directe  l'identité  de  race  des  Gaulois  et  des  Ger- 
mains; la  troisième,  qui  est  un  appendice  des  deux  premières,  renferme 
différentes  considérations  sur  la  langue  parlée  par  les  vieux  Celtes.  >> 

Un  instant  auparavant,  l'auteur  avait  dit  :  «  Cette  queslion  n'est  pas  pour 
nous,  comme  pour  la  France  et  l'Allemagne,  un  simple  sujet  de  curiosité;  elle 
possède,  au  point  de  vue  de  notre  nationalité,  un  caractère  dont  il  n'est  pas 
possible  de  nier  l'importance.  >• 

M.  AnoLF  HoLTZMANN  donnc  une  autre  tournure  à  la  même  idée  et  se  place 
à  un  point  de  vue  différent,  p.  xiri  de  sa  préface  :  «  Es  sind  aber  nicht  die 
Kcllomancn,  die  ùber  mcin  Buch  sich  argern  werden,  sondern  fast  noch 
mehr  die  sogenannten  Franzoscnfresser  wcnn  es  deren  noch  gibt.  Man  liai 


—   !27  — 

dont  Tes  innombrables  recherches  tracèrent  de  nouveau, 
moins  toutefois  les  caractères  apodictiques  de  la  certitude, 
une  ligne  de  démarcation  bien  tranchée  entre  les  deux  na- 
tionalités. 

Schoepflin  (i),  qui  est  une  si  grande  autorité  dans  cette 
matière,  après  de  laborieuses  recherches  conduites  avec 
logique  et  méthode,  conclut  en  termes  catégoriques.  Il 
pense  qu'après  avoir  pesé  les  textes  qu'on  produit  de  part 
et  d'autre,  on  peut  en  toute  sûreté  se  ranger  du  côté  de 
ceux  qui  donnent  exclusivement  aux  Gaulois  le  nom  de 
Celtes.  Il  lui  semble  que  l'examen  des  documents  histori- 
ques ne  saurait  avoir  de  résultat  défavorable  pour  ceux 
qui  défendent  cette  opinion,  et  contrairement  au  sentiment 
de  Veiser,  Schoepfliu  proclame,  sans  arrière-pensée,  que 
les  écrivains  anciens,  abstraction  faite  de  quelques  fantai- 
sistes, auraient  attribué  aux  seuls  Gaulois  la  dénomina- 
tion ethnographique  de  Celtes.  Mais  dès  que  la  langue  de 
ce  peuple  eût  disparu  et  que  le  terme  national  par  lequel  il 
se  désignait  lui-même  eût  été  mis  hors  d'usage,  quelques 
écrivains,  bien  à  tort,  il  est  vrai,  l'auraient  également  appli- 
qué aux  Germains.  Au  XVI''  siècle,  Bodin  et  Hotman,  dans 


sich  so  lange  darin  gefallen  die  Gcrmanen  als  den  Infacgriflf  aller  Vollkom- 
menlieileri  dar/uslellen  und  Kellen  die  Vorfuliren  der  Franzosen  von  ilinen 
zu  scheiden.  Und  nun  sollen  wir  Kelten  sein?  »  Les  événeinenls  de  la  guerre 
franeo-alleniande  auronl-iis  fortifie  ce  désir?  Il  est  permis  d'en  douter. 

(1)  Jo.  Dan.  Schoepflin,  Ahalia  illuslrata,  t.  !'■',  p.  119,  1731  :  «  Compa- 
ralis  ergo  utrinque  leslibus  pro  illis  tuto  pronunliare  possumus  qui  nomine 
Celtarum  soles  Gallos  appcllant  Germanosque  a  comniunione  hujus  nominis 
totos  excludunt.  Iti  veterum  de  hoc  arguniento  dissensu  ubi  nonnisi  ex  ipsa 
testium  collalione  lis  polest  dijudieari,  quacunque   ratione   pugnare    velis 

semper  pro   prioribus  scntenlia  eadet Nos  inverso  Velseri  ordine  verius 

et  confidenlius  pronuntiamus  :  Cellarum  nomen  si  manifeslas  quorundam 
fabulas  excipimus  ab  anliquissimis  teniporibus  solis  GalUs  datum;  per  plu- 
rimas  aetales  et  per  saeculorum  seriein  constanler  :i  scripforibus  lioc  sensu 
servalum;  extincta  tandem  Cellica  lingua  indegeuaque  Cellarum  appellatione 
obsoleta  a  quibusdam  falso  ad  Germanos  quoque  esse  translalum.  » 


—   128  — 

un  intérêt  d'orclre  politique,  s'en  s'en  sont  saisis  comme 
(l'un  artifice  littéraire  pour  élever  leur  système  (i).  Hol- 
man  (Hotomannus)  a  écrit  un  livre  sous  le  litre  de  Gallo- 
Francia,  dans  lequel  l'auteur  s'efforce  de  reproduire  l'an- 
cien état  de  la  Gaule  sous  les  Romains  et  après  la  conquête 
des  Franks.  C'est  un  ouvrage  de  polémique  et  de  circon- 
stances, puisqu'il  a  vu  le  jour  en  1S73,  à  Genève,  dans 
un  moment  où  les  passions  déchaînées  enfantaient  de  pari 
et  d'autre  des  systèmes  qui  étaient  loin  d'avoir  constam- 
ment la  vérité  pour  objectif.  Comme  l'a  fort  bien  fait  re- 
marquer M""  Augustin  Thierry,  Hotman  suppose  entre  les 
Gaulois  et  les  peuples  germaniques  voisins  du  Rhin  une 
sorte  de  ligue  perpétuelle  pour  la  vengeance  ou  le  maintien 
de  la  liberté  commune. 

Beatus  Rhenanus  (2)  a  précédé  ces  polémistes  dans  ses 
Res  Germanicae,  il  s'autorise  de  César  pour  soutenir  que 
l'ancien  langage  des  Gaulois  différait  de  la  langue  des  Ger- 
mains. En  1738,  Dom  Martin  Bouquet  publia  à  Paris  les 
Rerum  Gallkarum  et  Francicarum  Scriptores  {Recueil  des 
historiens  des  Gaules  et  de  la  France).  L'auteur,  après  avoir 
cité  César  pour  établir  une  distinction  entre  la  langue  gau- 
loise et  la  langue  germanique,  continue  dans  ces  termes  : 
a  Cette  langue  gauloise  s'est  conservée  jusqu'aujourd'hui 
sans  altération  dans  cette  partie  de  la  Grande-Bretagne 
qu'on  appelle  le  pays  de  Galles:  c'est  aussi  celle  dont  se 
servent  encore  aujourd'hui  nos  Bas-Bretons,  peuples  situés 
sur  les  côtes  de  l'Océan.  C'était  aussi,  du  temps  de  César, 
la  langue  que  parlaient  les  Celtes  qui  habitaient  la  troi- 
sième partie  des  Gaules.  » 


(1)  Bodin  est  mort  en  1596,  à  l'âge  de  soixante-sept  ans.  —  Hotman,  né 
à  Paris  le  23  août  1324. 

(2)  Il  mourut  à  Strasbourg  le  21  mai  1547  :  «  Velcrem,  dit-il,  Gallorum 
linguam  divcrsam  a  scrmone  (jcrmanico  fuisse,  satis  indicat  Caesar.  » 


—  129  — 

De  nos  jours,  Mone  (i)  et  H.  Léo  (2)  ne  cachent  pas  leur* 
prédilection  pour  la  langue  kymrique  et  irlandaise.  Zeuss, 
dans  sa  Grammatka  celtica,  prouve  que  la  langue  kymri- 
que est  étroitement  liée  à  l'ancien  gaulois,  et  M.  Gerlach  (5) 
réfute  suffisamment  les  assertions  de  Strabon  (4). 

M""  Fr,  Dor.  Gerlach  (5)  a  passé  en  revue  les  textes,  en 
cherchant  à  en  tîxer  le  sens,  à  en  apprécier  la  portée  el 
l'autorité.  Ses  conclusions  sont  que  la  preuve  de  l'identité 
primitive  des  Gaulois  et  des  Germains  ne  saurait  être  re- 
gardée comme  suffisamment  établie,  et  qu'au  contraire, 
les  témoignages  des  anciens,  l'histoire  et  le  développement 
de  la  civilisation  conduisent  à  un  résultat  entièrement 
opposé  (e). 

M.  Schayes,  chargé  de  l'examen  critique  du  travail  de 
M.  le  général  Renard  dont  il  a  été  question,  soutient  que 
M.  Brandes  (7)  réfutait  avec  une  érudition  et  une  sagacité 
admirables  tout  ce  qui  a  été  dit  en  faveur  de  l'identité  des 
Celtes  et  des  Germains  par  Hollzmann  et  d'autres  parti- 
sans de  cette  hypothèse.  Leurs  contradicteurs  leur  oppo- 


(1)  MoîVE  (F.  J.),  Die  Gallische  Sprache  und  ihre  Brmichbarkeit  fur  die 
Geschiehte.  Carlsvuhe,  1851. 

(2)  Léo  (II.),  Feriensehriflen,  Vermischle  Abhandlungen  zur  Gcschichlc  der 
Deulschen  und  Kellischcn  Sprache;  1847. 

(3)  Dans  sa  Germania,  p.  33. 

(3)  Voy.  entre  autres,  Rapports  de  MM.  Roulez  et  Rorgnet,  à  propos  de  la 
sixième  el  dernière  lettre  sur  l'identité  de  race  des  Gaulois  et  des  Germains; 
par  M.  le  général  Renard.  Bulletins  de  rAeadémie  royale,  etc.,  t.  XXVII, 
1839,  pp.  204,  203,  el  lettres  de  ce  dernier,  publiées  dans  le  même  recueil. 

(6)  Cependant  Fr.  Dor.  Gerlach,  dans  un  opuscule  qui  a  pour  titre:  Die 
aellesle  Bevôlkerung  Italiens,  dit  p.  31,  note  43  :  «  Die  nalionalilat  der 
Rhaetier  ist  darum  schwierig  zu  bestimmen  weil  aile  positiven  Grunlagen 
der  Forscliung  felilen  und  der  Name  Kelten  selbst  zweidcutig  ist.  »  Le  terme 
Keltoi  ne  peut  être  équivoque  que  s'il  désigne  tantôt  les  Germains,  tantôt 
les  Gaulois. 

(7)  Das  elhnographische  Vcrhàltniss  der  Kelten  und  Germanen,  nach  den 
Ansichten  der  Altcn  und  den  sprachlichen  Ueberresten  dargestelt,  Leipsig,  1 857) 
Voigl  u.  Giintlicr. 


—  150  — 

saieiil  entre  autres  Beda  et  Suétone,  l'un  comme  preuve 
que  l'Angleterre  fut  peuplée  de  colons  sortis  de  l'Armori- 
qiie,  l'autre  comme  témoignage  de  la  dualité  des  Celtes  et 
des  Germains  et  de  la  diflérence  réelle  qui  existait  entre 
ces  deux  grandes  races  de  l'Europe  occidentale  (i). 

De  son  côté,  M.  Roulez  pense  que  les  peuples  habitant 
la  Belgique  lors  de  l'invasion  romaine,  se  confondaient 
avec  les  Gaulois  sous  le  rapport  du  culte,  des  mœurs,  des 
inslilutions  et  de  la  langue. 

Il  appuie  son  travail  de  ces  preuves  :  1"  les  noms  des 
peuples  de  la  Belgique  appartiennent  tous  ou  presque  tous 


(1)  Sdet.  in  Calig.,  G,  47  :  Occupe  du  soin  de  son  Iriomplie  (Caligula),  il 
choisit  pour  en  faire  l'ornement  entre  les  prisonniers  et  les  transfuges  bar- 
bares ceux  des  Gaulois  qui  étaient  de  la  taille  la  plus  haute,  et  comme  il  le 
disait  la  plus  triomphale,  et  même  quelques-uns  de  leurs  princes.  11  les 
obligea  à  se  peindre  les  cheveux  à  la  manière  des  Germains,  o  apprendre 
leur  langue  et  même  à  se  donner  des  tioms  germains. 

Dans  le  second  passage,  Beda,  en  écrivant  dans  la  Grande-Bretagne  au  Vl« 
siècle,  atteste  que  cette  île  fut  peuplée  par  des  colons  germaniques.  «  Uaec 
insula  Brilones  solum  in  primis  a  quibus  nomen  accepit,  incolas  habuit, 
qui  de  traclu  armoricano  (ut  forsan)  Britanniam  advecli,  ausli'ales  ibi  parles 
illius  vindicarunl.  Et  quuni  plurimum  insulae  partera  (incipientes  ab  anstro) 
possedissent ,  contigit  gentem  Piclorum  de  Scythia  (ut  perhibent)  longis 
navibus  non  multis  oceanuni  ingressam,  circumvagante  flatu  ventorum  extra 
fines  rursus  Britannos  Hiberniam  perveuisse,  etc.  »  (Beda,  Hisl.  eccles.  Bri- 
tanniae,  t.  1).  Voy.  Ballet,  de  l'Acad.  royale,  année  1837,  t.  XXIV,  p.  18. 

En  déterminant  les  limites  des  PIctes  et  des  Bretons,  le  même  auteur 
dit  [Hisl.  eccles.  I,  1)  :  «  Est  autem  sinus  maris  permaximus  qui  ab  occi- 
denle  in  terras  longo  spalio  erumpit,  ubi  est  civilas  Brilonum  munitissiraa 
usque  hodie  quae  vocatur  ÂIcluith  (Dunbarlon).  » 

Il  y  a,  à  mon  avis,  dit  M.  Scuayes  {BulleC.  de  l'Acad.  de  Bruxelles,  t.  XXII, 
2"  partie,  p.  97),  dans  les  commentaires  de  César  et  la  Ger mania  de  Tacite, 
deux  passages  qui,  quelle  que  soit  l'opinion  que  l'on  se  forme  de  la  langue 
des  Celles,  prouvent  d'une  manière  pércmptoire  qu'elle  différait  totalement 
de  celle  des  Germains  ou  du  teuton.  Le  premier,  c'est  celui  où  César  avance 
que,  par  une  longue  habitude,  Ariovisle  avait  acquis  une  connaissance  fami- 
lière du  gaulois  (Caes.,  B,  G.  1.,  il ,  éd.  Dr.  A.  Doberenz).  Dans  le  second 
passage,  Tacite  [Germ.,  c.  45),  dit  des  Gothins  que,  parlant  le  gaulois,  ils 
ne  pouvaient  être  considérés  comme  Germains. 


—  151  — 

à  la  langue  celtique.  2°  Il  ne  paraît  pas  que  les  Germains 
aient  battu  monnaie;  cependant  nous  trouvons  des  ateliers 
monétaires  chez  les  Trévires,  chez  les  Nerviens  et  chez  les 
Éburons.  3°  On  a  découvert  dans  le  Luxembourg,  et  no- 
tamment à  Elhe,  à  Latour,  à  Villers-sur-Semois,  à  Amber- 
loup,  des  autels  antiques;  or,  les  divinités  qu'ils  représen- 
tent sont  évidemment  gallo-romaines.  4°  Suivant  Flavius 
Vopiscus,  c'est  à  Tongres  qu'une  druidesse  prédit  à  Dio- 
clélicn  son  avènement  à  l'empire.  Les  druides  étaient  en- 
tièrement étrangers  aux  Germains;  l'empereur  qui  racontait 
lui-même  cette  histoire,  se  serait  bien  gardé  d'en  placer  le 
théâtre  dans  un  lieu  où  il  n'eût  pas  existé  de  druides. 
5°  Sur  les  grandes  voies  romaines,  les  distances  se  comp- 
taient par  lieues,  leugae,  mesure  propre  aux  Gaulois  et 
inconnue  aux  Germains,  qui  la  remplaçaient  par  la  raste. 
C°  Les  noms  de  presque  toutes  les  stations  sur  ces  routes 
sont  d'origine  celtique  (i). 

Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  constater  la  présence  d'une 
druidesse  à  Tongres;  mais  il  se  pourrait  cependant  qu'il 
eût  existé  dans  cette  localité  une  de  ces  Vélléda  ou  de  ces 
Auricanie  auxquelles  les  Germains  ajoutaient  tant  de  foi,  et 
dont  la  spécialité  était  de  prédire  l'avenir. 

Dioclélien  n'avait  pas  encore  franchi  les  grades  subal- 
ternes, lorsqu'il  lui  arriva  l'aventure  qui  eut  sur  le  reste 
de  sa  vie  une  grande  influence.  Il  était  logé  dans  une 
auberge  de  Tongres,  à  une  époque  où  il  servait  encore 
dans  les  derniers  rangs  de  l'armée  et  qu'il  faisait  avec 
une  druidesse  le  compte  de  sa  dépense  journalière,  cette 
femme  lui  dit  :  «  Dioclétien,  vous  êtes  trop  avare,  trop 
économe.  —  Je  serai  plus  libéral,  lui  répondit-il  en  riant, 
lorsque  je  serai  empereur.  —  Ne  riez  pas,  Dioclétien,  re- 


(1)  Voy.  BuUelins  de  l'Académie,  l.  XVII,  p.  loi. 


—  132  — 

prit  la  druidesse,  car  vous  serez  empereur  dès  que  vous 
aurez  tué  un  sanglier  (>).  »  A  partir  de  cette  prédiction, 
Dioclétien  continua  sans  relâche  à  faire  la  chasse  aux 
sangliers  et  finit  par  tuer  Aper,  préfet  des  Prétoriens.  Cette 
conduite  de  Dioclétien  est  une  preuve  de  sa  confiance 
dans  les  devineresses,  et  le  mot  druidesse  parait  être  ici 
un  terme  générique  pour  désigner  les  femmes  de  celte 
espèce. 

Il  n'est  pas  certain,  du  reste,  que  les  noms  de  tous  les 
peuples  de  la  Belgique  dérivent  du  celtique.  Suivant 
M.  Hojzer,  dans  un  savant  mémoire  sur  le  sens  du  mot 
Anverpo,  il  faudrait  remonter  au  sanscrit  pour  trouver 
l'étymologie  de  Condros.  C'est  un  chef,  un  cacique  dont  les 
sujets  s'appellent  Condrusi  de  ghàndârus  (prononcez  : 
ghondoras).  Les  Condru&i,  s'il  faut  s'en  rapporter  au  sens 
du  mot  sanscrit,  signifieraient  ceux  qui  exhalent  du  parfum, 
ceux  qui  se  frottent  d'essences  odoriférantes.  D'après  le 
même  écrivain,  les  Menapii  rappellent  un  peuple  aux  che- 
veux en  longues  tresses,  et  Caeresi  comprendraient  ceux  qui 
ont  l'habitude  de  se  tatouer  (2). 

Quant  aux  Trévires,  selon  Barlh  (Urg,  t.  1",  p.  359),  ce 
nom  peut  se  rattacher  à  des  liaisons  ethnographiques  entre 


(1)  Celle  anecdote,  tirée  des  Scriplores  hisloriae  Anguslae,  est  attribuée  à 
Flavius  Vopiscus,  le  plus  iraporlant  et  le  plus  sagace  de  ces  auteurs  comme 
nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  le  proclamer.  Le  texte,  c.  13,  est  comme 
suit  :  «  Quum  Diocletianus  apud  Tungros  in  Gallia  quâdam  in  cauponâ  mo- 
raretur,  in  minoribus  adhuc  locis  raililans  et  cum  Druide  quâdam  mulierc 
rationem  convictùs  sui  quolidiani  faceret  atque  diceret.  —  Diocletiane,  ni- 
mium  avarus  minium  parcus  es,  joeo  non  serio  Diocletianus  respondisse 
ferlur;  «  tune  ero  largus  quum  imperator  fuero.  »  Posl  quod  verbum  Druias 
dixisse  fertur  :  «  Diocletiane,  jocari  noli;  nam  imperator  erls  quum  Aprum 
occideris.  » 

Le  même  Vopiscus  (Aurel.,  44)  rapporte  qu'Aurélien  est  allée  consulter 
une  druidesse  gauloise,  pour  connaître  les  destinées  de  sa  dynastie. 

(2)  Voy,  Annales  de  l'Académie  d'archéologie  de  Belgique,  l.  XXIII,  p.  560. 


—  133  — 

peuples  lointains.  En  effet  Tpiîpwv  signifie  fugitif.  Les  Trères 
de  la  Thrace  virent  leurs  villes  détruites  par  un  déluge,  et 
Thucydide  dit  que  les  derniers  peuples,  sujets  des  Odryses, 
étaient  les  Trères  (i). 

D'accord  avec  les  historiens  les  plus  autorisés  de  l'anti- 
quité, le  monde  savant,  à  part  quelques  divergences,  ne 
laissait  point,  dans  les  temps  modernes,  planer  de  doute 
sur  la  distinction  ethnographique  des  Gaulois  et  des  Ger- 
mains. On  s'était  également  habitué  à  regarder  les  Irlan- 
dais, les  Ecossais  et  les  Kymri  comme  des  restes  d'anciennes 
populations  celtiques.  Diefenbach  fait  observer  qu'on  peui 
suivre,  l'histoire  à  la  main,  la  marche  rétrograde  de  la 
langue  kymrique  vers  l'Occident.  Dans  le  Dorsetshire, 
Wiltshire,  Devonshire,  les  Cornouailles  où  l'on  parle  an- 
glais, une  grande  partie  de  la  population  se  servait  encore 
de  ce  dialecte  au  XVI*  siècle  (2).  A  entendre  M.  Holtzmann, 
ces  données,  presque  à  l'abri  de  discussion,  avaient  comme 
force  de  loi;  c'étaient  une  espèce  d'arrêt  suprême  de  l'his- 
toire. Nul  n'aurait  osé  y  contredire.  Pourtant  il  s'efforce  de 
casser  celle  sentence  et  d'y  substituer  une  autre  dans  la 
forme  comme  dans  le  fond,  d'une  teneur  non  moins  tran- 
chante ou  absolue.  Il  oppose  dogme  à  dogme  (3).  Longtemps 


(1)  xà  Sk  Tpôç  Tpipa>i)voùî  xal  touxouî  aÙTOvdixoui;  Tprj'psi;  ciptÇov,  et  Pline, 
IV,  17. 

(2)  DfEFENBACH,  Celtictt,  2»  vol.,  II,  p.  UO. 

(3)  Holtzmann,  Germancn  und  Kcllen  : 

«  In  der  Vorrede  zu  meinen  Untersuchungen  ùber  die  Nibelungen  habe 
ich  folgende  Sâlzc  aufgestellt  :  «  Dass  die  Kellen  die  Icbenden  Repraesentan- 
ten  in  den  Iren,  Schotlen  und  Kymren  haben,  isl  ein  Satz  an  dem  jelzt 
nirgends  im  gerîngslen  gezweifelt  wird  und  der  doch  nirgends  erwiesen  ist 
und  kaum  mit  dem  Schatten  eines  Bevveises  begrûndel  werden  kann.  Dass 
die  Germanen  ein  ganz  andrer  Volksstamm  als  die  Kellen  seien,  ist  ebenfalls 
jetzt  ein  nicht  im  mindesten  bezweifelter  Satz,  er  grûndel  sich  aber  auf 
nichts  als  auf  jene  unerwiesene  Meinung  und  kann  aufs  voUstàndigste  wi- 
derlegt  werden.  Es  wird  also  hier  eine  ganz  pardoxe  Lehre  ausgesproclien, 
dje  in  folgenden  zwei  Sàlzen  beslclit  :  I.  Die  Gcrmane7i  sind  Kelteu;  II.  Die 


—   134  — 

on  avait  dit  :  Les  Germains  ne  sont  pas  des  Celtes,  mais 
les  Kymri  el  les  Gaels  sont  des  Celtes;  il  faudra  dire  désor- 
mais, d'après  lui  :  les  Germains  sont  des  Celles,  mais  les 
Kymri  et  les  Gaels  ne  sont  pas  de  la  race  des  Celtes  (i). 

Le  réformateur  n'a  nullement  dissimulé  le  but  qu'il  a 
voulu  atteindre.  En  vérité,  si  le  système  dont  il  a  poursuivi 
la  pénible  construction  répondait  à  son  attente,  nous  serions 
forcé  de  donner  une  tout  autre  base  à  nos  conceptions  sur 
les  annales  primitives  de  l'Allemagne,  de  la  France,  de 
l'Angleterre  et,  comme  corollaire,  de  la  Belgique  (2).  Les 
Kymri  et  les  Gaels  seraient  contraints  de  céder  leurs  titres 
et  de  renoncer  à  l'antiquité  de  leur  race. 


Kymren  und  Gaelen  sind  keine  Kelten.  Die  bciJen  Satze  stehen  aufs  scliroffste 
der  herrschenden  Ansicht  engegen,  welche  lehrt  :  I.  Die  Germancn  sind 
keine  Kelten;  II.  Die  Kymren  und  Gaelen  sind  Kelten.  » 

(1)  Voy.  Bulletins  de  l'Acad.,  t.  XXIII,  2c  partie,  p.  98  :  Lettres  sur  l'iden- 
tité de  race  des  Gaulois  et  des  Germains,  par  M.  le  général  Renard  à  MM.  les 
membres  de  l'Acad.  royale,  où  Tauleur  dit  :  «  Aujourd'hui  deux  faits  se  sont 
produits  qui  me  donnent  la  hardiesse  de  m'adresser  à  vous.  Le  premier  est 
l'apparition  simultanée  à  Sluttgard  el  à  Gand,  de  deux  ouvrages  où  MM.  les 
professeurs  Holtzmann  et  Moke ,  discutant  la  thèse  que  je  soutenais  déjà 
en  1847,  dans  ma  Première  élude  sur  l'histoire  de  Belgique,  déduisent  de 
leur  argumentation  la  conclusion  à  laquelle  j'étais  moi-même  arrivé. 
MM.  Moke  et  Holtzmann  ne  se  sont  certainement  pas  concertés  et  ils  igno- 
raient que  mon  œuvre  existât,  car  ils  ne  la  citent  nulle  part.  Il  y  a  donc 
quelque  chose  de  sérieux  et  de  digne  d'attention  dans  ces  investigations 
parties  de  trois  points  différents  et  convergeant,  par  une  argumentation 
presque  identique,  vers  une  théorie  commune. 

»  Le  second  fait  est  une  note  insérée  dans  le  travail  du  savant  M.  Schayes 
sur  les  Cimmériens.  » 

(2)  «  Die  vorliegende  Schrift  hat  dcn  Zweck  die  herrschende  Ansicht  zu 
stùrzen  und  die  entgegenstehende  an  ihre  Stelle  zu  erheben.  Die  Frage  ist 
von  der  grôssten  Wichtigkeit  und  von  den  weitgreifendsten  Folgen.  Die 
ganze  Grundanschaùung  auf  welclier  jetzt  die  Geschichte  von  Deutschland, 
Frankreich  und  England  allegemein  beruht  soil  umgestossen  werden.  Die 
Kymren  und  Gaelen  sollen  verzicliten  auf  ein  Alterthum  das  ihnen  jetzt  be- 
reilwiilig  zugcstanden  wird  und  in  dessen  rechtmassigera  Besitz  sie  sichcr 
zu  sein  glauben;  sie  iverden  nich  gutwiiiig  verzicliten,  sie  mùssen  gezwun- 
gen  werden.  » 


1^  V» 
oo    

Avant  d'invoquer  Taulorilé  des  classiques,  l'adversaire 
délerminé  du  syslème  de  ridenlilé  s'appuie  de  l'ascendant 
de  plusieurs  érudits  modernes.  Boxiiorn  (i)  prétend  qu'il 
existait  entre  Germains  et  Gaulois,  comme  en  bien  d'autres 
choses,  la  communauté  de  langage.  Leibnilz  (2)  n'est  pas 
moins  explicite.  Il  assure  que  les  anciens  comprenaient 
Germains  et  Gaulois  sous  la  dénomination  de  Celtes.  Bol- 
landus  (3),  dans  son  introduction  De  sanctis  Martyribiis 
Clémente,  etc.,  s'exprime  à  cet  égard  on  ne  peut  plus  caté- 
goriquement :  autrefois,  dit-il,  la  langue  teutonique  était 
commune  à  tous  les  Gaulois.  J.  Is.  Pontanus  (4)  pense  que 
les  mots  prétendument  gaulois,  que  les  écrivains  latins  et 
grecs  nous  ont  transmis,  sont  d'origine  germanique  et  qu'en 
dépit  de  César,  les  langues  des  Germains  et  des  Gaulois 
ont  beaucoup  d'analogie. 

Frick  (5)  manifeste  son  opinion  sur  l'identité  de  race  en 
plusieurs  endroits.  D'une  part,  il  établit  que  les  Germains 
ont  fait  partie  des  Celtes  et  de  l'autre,  il  affirme  qu'il  serait 
possible  de  démontrer,  par  plusieurs  témoignages  des  an- 
ciens, que  les  Gaulois  et  les  Germains  ont  autrefois  porté 
le  même  nom  de  Celles. 

M.  Brandes  relève  le  défi  de  M.  Hollzmann.  Les  écrivains 


(1)  BoxHORN,  Origines  gnUicae,  1654  :  «  Gallivelcres  et  Germani  ut  plcraque 
alia  omnia  ila  linguam  imprimis  communia  et  eadem  habuere.  » 

(2)  Leibnitz,  dans  les  Colteclanca  elymoiogira  :  «  Vclcrcs  Celtarum  nomine 
Gcrmanos  Gallosque  compreliendebanl .  » 

(3)  BoLLANDus,  1643,  Acta  Sanclorum  :  «  Teutonica  lingua  olira  omnibus 
Gallis  communis.  » 

(4)  Pontanus  (mort  en  1640),  Origines  francicae  :  «  Yocabula  quae  ab 
autoribus  graecis  lalinisque  ul  Gallica  adducunlur  esse  Gernianicae  indolis 
inlegro  iexico  demonslrari  possit.  » 

(5)  Frick,  dans  la  Commcnlalio  de  Druidis,  Ulmae,  1744,  p.  21  :  «  Velcres 
Cellae  quorum  pars  Germani  fuere,-  «  p.  22  :  «  Gallos  aequc  ac  Germanos 
communi  Cellarum  nomine  olim  fuisse  insignilos  plurimis  si  opus  foret  vclc- 
rum  leslimoniis  comprobari  posset.  » 


-   J3G  — 

antérieurs  à  César  n'ont  pas  assez  bien  connu  le  nord  de 
l'Europe,  et  par  conséquent  ils  étaient  dans  l'impossibilité 
de  déterminer  la  dualité  entre  les  populations  celtiques  et 
germaniques.  Mais  depuis  les  conquêtes  du  grand  capitaine 
romain,  les  notions  de  géographie  et  d'ethnographie  ont 
pris  une  extension  assez  grande  pour  permettre  aux  écri- 
vains grecs  et  à  tous  les  auteurs  romains  de  constater  la 
véritable  situation  ethnographique  des  deux  races.  Les 
Celtes  furent  les  ancêtres  des  Bretons  et  des  Gallois. 
Ceux-ci  sont  unis  aux  autres  peuples  anciens  de  la  Grande- 
Bretagne  par  les  liens  de  la  consanguinité  de  race  (i).  César 
et  les  auteurs  latins  qui  viennent  après  lui  ou  qui  le  pren- 
nent pour  guide,  proclament  que  les  Celtes  et  les  Germains 
sont  deux  races  distinctes.  Les  auteurs  grecs  d'une  époque 
postérieure  à  César  sont  du  même  avis,  à  l'exception  de 


(1)  Voici  les  sources  auxquelles  on  peut  recourir  si  l'on  veut  se  faire  une 
idée  des  notions  géograpliiques  que  les  anciens  possédaient  sur  le  Nord- 
Ouest  de  l'Europe  : 

HippARQUE  (milieu  du  Ile  siècle),  cité  par  Str4bon,  liv.  II,  éd.  Tauchnitii. 
On  sait  que  Cliaron  {vers  504  avant  J.-C),  Hirailcon  (voy.  PtmE,  Hisl.  nal,, 
II,  G7) ,  et  Pytheas,  que  nous  avons  déjà  mentionné,  ont  entrepris  des 
voyages  dans  le  Nord.  Les  fragments  de  ces  auteurs  sont  de  la  plus  grande 
importance.  Strabon,  IV,  p.  190,  et  Tite-Live,  XXI,  6.  —  Hérodote,  V,  9. 

—  Un  fragment  d'EpuoRE  (380,  330  avant  J.-C),  dans  Strabon,  I,  p.  34.. 

—  Un  fragment  d'Hésiode,  conservé  par  Strabon,  VIII,  p.  300.  —  Strabôn, 
IV,  p.  199.  —  DioD.  Sic,  IV,  56.  —  Aristote,  Tzipl  xÔjjjlov,  c.  3,  et  le  sclio- 
lion  d'Aristote,  Météorol.,  I,  13,  qu'il  faut  comparer  avec  liv.  VI,  24,  des 
Commentaires  de  César.  —  Il  résulte  des  passages  qui  précèdent  que  les  an- 
ciens, avant  César,  n'avaient  que  des  notions  excessivement  vagues  sur  la 
Germanie.  C'est  Polybe  lui-môme  qui  constate  cette  vérité,  III,  38.  —  Apol- 
LODORE  (140  av.  J.-C),  cité  par  Stephanos,  le  Bysanlin,  et  Skymnos  (100  av. 
J.-C.)  :  Toijxwv  (scil.  KeXtcov)  ôè  xeïzon  XeyofxevévT]  ti;  èaj^aT»]  aTY^Xy)  Sôpeto;. 
C'est  la  colonne  du  Nord  des  Celtes  qu'il  est  difficile  d'assigner  d'une  manière 
précise.  —  Posidonius,  cité  par  Pline,  flist.  nal.,  VI,  21.  —  Dents  d'Hali- 
CARNASSE  {Les  excerpltt,  XIV,  1).  —  Pline,  flisl.  nal.,  IV,  25.  —  Tite-Live, 
XXI,  20. 


—   137  — 

Flavius  Josèphe  (i),  de  Dion  Ca),  de  Libanius  (3)  et  d'Aris- 
tide (4);  Dion  Cassius  et  Libanius  donnent  aux  Germains 
les  noms  de  Celtes.  Finalement  la  population  de  la  Bretagne 
est  d'origine  celtique,  en  dépit  des  émigrés  sortis  de  la 
Grande-Bretagne  et  qui  y  sont  allés  chercher  des  établis- 
sements (s). 

Comme  Bodin,  mais  à  un  autre  point  de  vue,  Barlh 
semble  être  pénétré  d'idées  politiques  analogues  avec  une 

(1)  FuviDS  Josèphe  (37-100  après  J.-C),  B.  /.,  lib.  Il,  16,  i  :  «  "PïJvov 
TT)?  ôpixT^ç  Spov  £j(0UTt.  »  (Rhenum  impetùs  sui  terminum  habent).  — Voy.  en 
outre,  Antiq.  Jud.,  lib.  XIX,  1,  15.  Dans  ces  passages,  Flavius  Josèphe  ne 
parle  guère  des  Gaulois  et  des  Germains  que  comme  soldats  mercenaires. 
Voy.  B.  J  ,  lib.  VII,  8,  2. 

(2)  Dion,  L.  III,  12  :  «  KeXtwv  yàp  xive'î  ou?  6r)  Tepiiavoûç  xaXoûfxev,  itâaav 
TÎjV  itpôî  'P7ÎV(j)  KeXIixYiv  xaTcij^ovTsç,  FepfAavMv  ôvoixâÇeaGai  èitotJiaav.  » 

(3)  Libanius  (314-400  après  J.-C.)  :  Oratio  XI,  Antiochicus,  Lutetiae, 
MDCXLVII,  p.  2G8,  et  surtout  Orallo  If!,  Basilicus,  p.  137  :«  éaxl  xévoî 
Ke^Tixàv  ÛTrip  'Pvjvov  iroTajjLOv  Itt'  aÙTÔv  iîxeavàv  xaOï^xov.  » 

(4)  AnisTiDE,  mort  vers  189  de  J.-C.  Dans  son  panégyrique  de  Marcus 
Aurelius  Antonius,  surnommé  le  Philosophe,  il  dit,  après  la  victoire  rempor- 
tée sur  les  Marcomans  :  «  6'Ttou  yàp  KeXxol  [j.èv,  ol  iiiyiozii  xal  (povtxiwTatot 
Twv  utp'  i[Km  TtoXXà  5y)  xal  TravxoTa  xo'k\t.-q<jix'^'ZE<;  vûv  upoaxuvoûai  x-r)v  Sea- 
■KÔrriM.  »  {Édil.  Dindorf). 

(5)  A  la  question  :  les  Celtes  sont-ils  des  Bretons?  il  faut  relire  dans  les 
auteurs  anciens  les  passages  qui  suivent  : 

Caes.,B.  G.,V,  12;  V,  11,  12,  14.  —  /6jrf.,  VII,  76.  -  /ôirf.,  B.  G  ,  IV, 
20.  —  Stbab.,  IV,  p.  194.  —  Lucrèce,  VI,  1104.  —  Cat.,  H  et  29.  —  CicÉ- 
noN  à  son  frère  Quintus,  M,  16.  —  Le  même  à  Atticus,  IV,  16.  —  Strabon, 
IV,  p.  200.  —  Tac.  Agrie.,  13.  -  Dion,  XLIX,  38;  LUI,  22.  —  Strab.,  VI, 
p.  200.  —  DiODORE  DE  Sicile,  V,  21.  —  Virgile,  Ed.,  I,  67.  —  Strab.,  II, 
p.  73.  —  Ibid.,  IV,  p.  199.  —  Dion,  LXII,  6,  et  LXXVI,  12,  et  Strab.,  iV, 
p.  201.  —  DiOD.  Se,  V,  32,  et  Caes.,  B.  G.,  VI,  21,  Tac.  Germ.,  19  et  20, 
ainsi  que  Cassiod.,  Var.,  I,  37.  —  Pomponius  Mêla,  III,  6,  et  Pline,  Hist. 
nal.,  XVII,  4.  -  Ibid.,  XXX,  3,  —  Ibid.,  XXXI II,  6.  —  Le  chapitre  II  dans 
Tac.  Agric.y  est  particulièrement  important.  —  Pline,  Hist.  nat.,  IV,  17,  31, 
et  Caes.,  B.  G.,  Il,  4.  —  Ibid.,  B.  G.,  VI,  13,  et  Strabon,  IV,  p.  197,  ainsi 
qu'AjiMiEN  Marcellin,  XV,  9.  —  Athénée  (sous  Commode)  cite  VI,  cap.  12,  un 
passage  de  Posidonius  (50  avant  J.-C).  —  Tac.  Ann.,  XIV,  29  et  30.  — 
TiT.  Liv.,  IV,  P33,  et  VII,  17.  -  Florus,  I,  12,  7,  et  Frontin,  II,  4,  18.  — 
Caes.,  B.  G.  VI,  13.  —  Libanius,  in  Panegyr.  Const,  et  Const.  —  Eutrope, 
VI,  17.  —  Ptolomée,  II,  3,  et  Pline,  Hist.  nat.,  IV,  31.  —  Beda,  Hist.  eccl., 


—   158  —    ■ 

forle  Icndance  au  pangermanisme.  II  esl  enlhousiasle  à  la 
manière  de  M""=  de  Slaël,  aspirant  à  saisir  l'infini  et  l'invi- 
sible dans  ses  mystérieuses  profondeurs.  Depuis  le  littoral 
des  mers  du  Nord,  dit- il,  jusqu'aux  rocs  sourcilleux  des 
Alpes,  des  rives  de  la  Meuse  et  de  l'Escaut  jusqu'à  la  Mardi 
et  au-delà  de  l'Oder,  s'étend  l'empire  d'Allemagne  avec  une 
population  germanique  (i).  Ne  dirait-on  pas  la  synthèse  que 
se  propose  de  réaliser  un  homme  d'Etat  occupé  à  diriger 
les  destinées  d'un  grand  peuple  qui  a  foi  dans  sa  mission 
historique.  C'est  le  moment  d'écouler  la  voix  de  ces  grands 
penseurs  de  l'Allemagne,  dégagés  des  intérêts  matériels  et 
purifiés  par  la  doctrine  de  ses  philosophes.  Quand  les  idées 
se  répandent  dans  la  nation  pures  et  nettes,  elles  ennoblis- 
sent le  cœur  du  peuple;  leur  exagération  même  porte  la 
pensée  aux  sublimes  conceptions.  D'une  question  histori- 
que, si  l'on  en  éloigne  les  plats  documcntistes,  race  exoti- 
que béant  aux  écus,  comme  les  badauds  aux  corneilles,  on 
peut  en  arriver  à  un  idéal  qui,  relégué  dans  un  lointain 
inaccessible,  semble  inviter  par  son  attraction  tout  un  peu- 
ple instruit  à  porter  une  pierre  à  l'édifice  social  de  la 
patrie.  Est-ce  que  jamais  exploiteur  littéraire  aurait  trouvé 
ces  superbes  accents?  Partout,  dit  le  même  écrivain  (après 
les  événements  de  1815),  partout,  si  ce  n'est  dans  notre 
propre  patrie,  nous  sommes  à  la  recherche  de  mœurs  et  de 
liens  de  consanguinité,  depuis  l'Egypte  jusqu'au  cap  du 
Nord  et  des  l^yrénées  jusqu'à  l'Oby  et  au  cœur  de  la  Perse. 
Nous  y  avons  mis  une  différence  primordiale  entre  les  Celles 
et  les  Germains  et  fait  appel  à  notre  sagacité  afin  d'imaginer 
des  distinctions;  nous  avons  laissé  dans  l'obscurité  la  Cel- 
tique des  Germains,  bien  qu'elle  parle  notre  idiome,  et  mis 


(l)«Von  den  Kusten  iler  nordisclien  Meere,  bis  an  die  iiberhangenden 
Alpen,  von  den  Ufern  der  Maas  und  Schelde  bis  an  die  March  und  jenseitz 
der  Oder  ist  teulsches  Reicli  und  Volk;  und  von  deni  wolien  wir  wissen.  » 


—  139  — 

on  relief  les  Francs  seuls;  nous  avous  suivi  les  Golhs  dans 
leurs  expéditions,  les  Suéves  en  Espagne,  les  Vandales  en 
Afrique.  Mais  nous  avons  mis  en  oubli  une  moitié  de  notre 
terre  germanique,  nous  en  avons,  à  l'instar  de  beaux-frères, 
laissé  une  portion,  afin  que,  à  l'exemple  d'enfants  abandon- 
nés, quelques-uns  puissent  se  créer  un  titre  honorifique  de 
leur  origine  bâtarde  (i).  On  le  voit,  la  question  prend,  aux 
yeux  de  cet  auteur  un  peu  enthousiaste,  une  couleur  pas- 
sablement politique. 

Le  système  de  ceux  qui  adhèrent  à  l'identité  de  race  se 
développe  à  peu  près  de  cette  façon,  d'après  les  sources 
historiques  fournies  par  les  anciens. 

Au-delà  du  Rhône  et  de  la  Garonne  jusqu'à  la  Seine,  il 
y  eut  de  nombreuses  populations  qui  se  donnaient  elles- 
mêmes  le  nom  de  Celles  (2).  Les  peuples  de  la  Narbonnaise 
jusqu'aux  Pyrénées  furent  regardés  de  bonne  heure  comme 
appartenant  à  cette  souche  (3).  Une  tribu  nouvelle  avait- 
elle  repoussé  les  Ibériens,  ou  bien  de  nouveaux  noms 
s'étaienl-ils  produits  à  la  faveur  de  l'obscurité  historique 
dans  l'Occident?  Strabon  présume  que  la  dénomination 
ethnographique  de  Celtes  a  été  empruntée  à  ces  peuples  et 


(1)  Wir  suclien  ûLerïill  nacli  teulscher  Sitle  und  Verwandschaft  von 
Aegyplen  bis  auf  das  Nordkap,  von  den  Pyrenaeen  bis  an  den  Oby  und  hi- 
nein  nach  Persien  —  nur  nicht  im  eigenon  Valerland.  Da  haben  wir  eine 
Urvei'schiedenheit  geselzt  zwischen  Kellen  und  Germanen  und  den  Scharfsinn 
aufgebolen,  Unlerscheidungen  zu  erdenken,  haben  das  teutsche  Kellien  im 
Dunkel  gelassen,  obgleich  es  unsere  Zunge  sprichl,  haben  die  Frauken  allein 
hervorgehoben,  sind  den  Gollien  auf  ihren  Zûgen  gefolgt,  den  Sueben  nach 
Spanien,  bis  Afrika  den  Wandalen.  Nur  unseres  teulschen  Landes  Haelfte 
haben  wir  vergessen  wie  Sliefbruder  einen  Theil  slehen  lassen,  dass  — 
zui'iickgeselzlen  Kindern  gleicii  inanclie  selbst  sich  einen  Ehrenschein 
kiinstein  woUlen  aus  der  unaechlen  Arl  {Préface,  p.  2]. 

(2)  Caes.,  B.  g.,  I,  1. 

l3)  PoLYBE,  n,  33  :  «  irâv  tô  ra)vaTtxàv  tpûXov.  11  avait  fait  lui-même  des 
voyages  dans  la  Celtique  et  l'Ibério.  Il  ne  paraît  pas  avoir  eu  connaissance 
d'un  peuple  au-delà  du  Rhin,  différent  des  Celles  (Holtzmann,  p.  27j. 


—   140  — 

éteiulue  à  tous  les  Galales  comme  un  nom  glorieux  (i). 
On  ne  rencontre  pas  de  peuplade  en-deçà  des  Pyrénées  qui 
ail  loul  particulièrement  porté  le  nom  de  Celtes. 

Cette  donnée,  puisée  dans  Appien,  pourrait  se  concilier 
à  la  rigueur  avec  Strabon,  qui  dit  que  les  coutumes  des 
Germains  de  son  temps  sont  conformes  à  ce  que  Ton  en 
connaît  d'anciennes  sources.  Il  se  prononce  pour  une  ori- 
gine commune  des  Germains  et  des  Gaulois,  dont  la  ma- 
nière de  vivre,  le  caractère  et  le  régime  politiques,  ainsi 
que  le  pays,  séparé  seulement  par  le  Rhin,  auraient  la  plus 
grande  analogie  (2).  Ailleurs,  le  même  écrivain  place  les 
Germains  après  les  Celtes,  à  l'orient  du  Rhin.  Ils  ne  diffè- 
rent des  Gaulois,  selon  lui,  que  parce  qu'ils  sont  plus 
grands,  plus  blonds  et  plus  sauvages.  Pour  le  reste  :  figures 
et  mœurs,  ils  ressemblent  aux  Gaulois,  et  celte  similitude 
leur  a  valu  le  nom  de  Germains  (frères),  qui  leur  aurait 
été  donné  par  les  Romains  (s). 

Celles,  Galates,  Gaulois  sont  des  noms  qui  se  rappro- 
chent, qui  s'associent  étroitement.  A  l'emboucliure  de  la 
Seine  {4),  on  trouve  des  Gallèles  ou  Calètes  et  dans  les 
Alpes  Pline  signale  GallUae  (5).  Aux  temps  primitifs,  le 
nom  de  Galates  suit  partout  celui  des  Celtes,  dont  il  pour- 
rait bien  n'être  qu'une  forme  radoucie. 

Les  écrivains  de  l'antiquité,  pour  des  raisons  sans  doute 

(1)  SiRAB.,  Gcog.,  lib.  IV,  I,  §  14  :  «  xaû-ca  [jlIv  ûiràp  tûv  V£[xo[iévo5V  ttjv 
NapPoivÎTiv  èTTtxpàTîiav  XÉYOfJisv,  o'jç  ol  Ttpôxepov  KeXtaç  (I)vc5[iaÇov ,  âità 
toûtwv  ô'ot|iai  xal  toùî  (jùfxiravTei;  FaXaxaî  Kc)iioùî  ÛTii  EXXrjvcov  irpouayo- 
p£u9y)vai.  » 

(2j  Strabon,  Geog.,  lib.  IV,  2  :  «  àXX'  èx  t5v  TiaXaiôJv  ^(pôvojv  èx  Te  twv  {a^xP^ 
vûv  au[i|j:£v6vTcov  itapà  tolî  r£p[j.avoïî  vo[x£[awv  xal  y*?  "^Z  'pû<J£i  xal  toTî 
DoXtxeûtiautv  £[j.cpEp£'tî  elai  xal  auyyEVET;  aXXrjXotç  o[xopov  T£  oîxoûat  ^wpav 
5iopiÇoiA£v>)V  T(jS  'P/jvto  Ttoxaixt^  xal  itapaTtXrjata  È'^ouaav  ta  '•7i)v£TffTa.  » 

(3)  Voy.  le  texle  dans  une  note  ci-après. 

U)  Pline,  IV,  52.  —  Caes.,  B.  G.,  II,  4;  VIII,  7;  VII,  75  ;  Calelcs  ou 
Caleli.  —  Strabon,  G.,  IV,  5,  3  S,  et  I,  §  15. 

(5)  Pline,  III,  24. 


—    141  — 

individuelles,  tantôt  établissent  et  tantôt  n'établissent  pas 
de  différence  entre  ces  dénominations.  C'est  ainsi  que 
s'exprime  à  cet  égard  Strabon  :  «  Quelques-uns,  dit-il, 
partagent  les  Gaulois  en  trois  parties,  en  Aquitains,  Belges 
et  Celtes.  Les  Aquitains  diffèrent  absolument  des  Belges  et 
des  Celtes,  non  seulement  par  le  langage,  mais  encore  par 
leur  physionomie,  qui  se  rapproche  davantage  de  celle  des 
Espagnols  que  de  celle  des  Gaulois  (i).  Les  traits  propres 
aux  Gaulois  caractérisent  les  habitants  des  deux  autres 
parties  de  la  Gaule,  quoiqu'on  observe  quelque  différence 
parmi  les  peuples,  soit  pour  la  langue,  soit  pour  la  manière 
de  vivre  (2). 


(1)  Strab.,  Geog.,  lib.  IV,  cap.  J;  VII,  1,  §  1.  —  Cfr.  ibid.,  lib.  Il  et 
IV,  4,  §6. 

(2)  Voici  les  principaux  renseignemcnls  qu'on  trouve  ilans  les  anciens  sur 
le  nord-ouesl  de  l'Europe,  à  partir  de  Strabon  : 

Strabon.  Il,  pp.  93,  H7;  IV,  pp.  176,  177,  189;  VIII,  p.  290.  —  Eust.4- 
TUius  (érudit  du  XII«  siècle),  qui  a  commenté  le  passage  prééédent.  —  Pline, 
Hist.  nat.,  XXXVII,  H.  —  IbicL,  XXX,  1,  —  Suétone,  «aMt/e,  25;  Aurcl., 
Vict.  Caes.,  A  :  «  Praetor  Lusitaniam  et  post  Galliam  ab  Alpibus  usque  et 
Oceanum  bis  classe  transgressas,  Brilanniam  subegit.  »  — Tac.,//îs/.,  IV,  54. 

—  VelleiusPaterculus,  II,  12.  — Monumentum Ancyranum(lah.\ , Vin.  lG-17). 

—  PoMPONius  Mêla,  III,  6,  4.  —  Ibid.,  Il,  5,  et  III,  2.  —  Ann.  Seneca,  de 
Providcntia,  c.  4  :  «  Germanos  dico  et  quidquid  circa  Istrum  vagarum  gen- 
tium  occursat.  —  Ibid.,  de  Ira,c.  H.  —  Ibid.,  de  Benef.,  V,  c.  16.  —  Ibid., 
Nat.  Qtiest  ,  l,  praef,  —  Ibid.,  de  Morlc  Ctaud.,  c.  6.  —  Lucain,  I,  arg.  v.  1 
etv.  7,  ainsi  que  I,  v.  392-395.  —  Tac,  fïisl.,  IV,  12,  et  Plktarque,  Otlio, 
c.  12.  —  Tac,  Germ.,  c.  29.  —  Ibid.,  Ilisl.,  IV,  15,  et  V,  16.  —  Pline  (Voy. 
FoRBiGER,   Handbuch  der  alleu  Géographie),  Hisl.  nat.,  IV,  23, «28,  31.   — 
Comp.  Pline,  Hisl.  nat.,  III,  4,  et  Ptoi.,  Geg.,  II,  6,  59,  et  Ibid  ,  II,  6,  30, 
et  II,   14,  3.   —  Fl.  Josèphe,  Archaeolog.  Jud.,  XIX,  1.  —   Dion  Cassius, 
LVI,  23,  et  Suet.,  Calig.,  58.  —  Fl,  Josèphe,  B.  Jud.,  I,  proœm.;  Ibid.,  Il, 
28;  ibid.,'S\\,  4.  —  Tacite,  Hisl.,  IV,  71,  et  Germ.,  43.  —  Tacite,  Germ., 
2  et  3.  —  Ibid.,  Ann.,  IV,  47;  Hisl.,  II,  22;  Dion  Cassius,  XXXVIII,  45; 
le  Misopagon  de  Julien.  —  Caes.,  B.  G.,  VI,  6,  et  Tac,  Germ.,  38;  il  faut 
comparer  avec  le  chapitre  27.  —  Ibid.,  43.  —  Tac,  Ann.,  III,  44,  et  ibid. 
IV,  3,  ainsi  que  Hisl.,  IV,  25,  61.  —  Tac,  Germ.,  37,  et  Plutarque,  Mar. 
c.  24.  —  Liv.  XXXVII,  56,  où  il  faut  faire  attention  au  sens  de  Germanitas 
où  ce  mot  ne  se  rapporte  pas  à  une  confédération  politique,  mais  à  la  com 
munauté  d'origine.  —  Les  Fasli  Capitolini  {de  Gallris  [iisuhribus  et  Germa 
ncis),  et  Liv.  XXI,  38. 


—  442  — 

Au-delà  du  Rhin  el  de  la  Celtique,  au  nord  du  Danube, 
jusqu'au  Paius-Méolide,  il  y  avait  des  tribus  de  Celles  et  de 
Germains  (i).  Celles  et  Galales  sont  synonymes  aux  yeux 
des  écrivains  de  la  Grèce  (2).  L'un  assigne  pour  demeure 
aux  Celles  le  pays  qui  s'étend  au-delà  de  Marseille,  entre 
les  Alpes  et  les  Pyrénées,  et  l'autre  place  les  Galates  au- 
dessus  de  ceux-ci,  vers  le  nord-est,  à  l'Océan  et  au  Harz 
jusqu'aux  Scythes  (3).  Un  troisième,  dans  un  sens  inverse, 
donne  le  Rhin  pour  frontières  naturelles  à  ces  peuples.  En 
suivant  le  cours  de  ce  fleuve  vers  l'Océan,  on  trouve  les 
Gaulois  (Galales)  à  gauche  et  les  Celtes  à  droite  (4).  Aux 
temps  primitifs,  seuls  les  habitants  des  bords  du  Rhin 
portèrent  le  nom  de  Celles  (s).  Dans  ce  cas,  les  Germains 
auraient  élé  des  Celles.  Mais  d'un  autre  côlé,  par  une  nou- 
velle contradiction,  celle  antique  et  vénérable  dénomina- 
tion ethnographique  s'étend  jusqu'aux  bords  de  la  Garonne. 
La  ('eltique,  c'est  la  contrée  entre  les  Pyrénées  et  le 
Rhin  (e),  la  Gaule  (Galatie)  en  est  le  terme  romain,  et  ce- 
pendant on  rencontre  des  Celtes  à  la  rive  droite  du  Rhin  (7). 

Celte  question,  qui  est  si  importante  pour  les  annales 


M)  Strabon,  Geog.,  lib.  III,  1,  1  :  «  •jrposàpxtixa  [xèv  ouv  èutl  Ttp  "laxptj) 
xà  iripav  toû  'PVivou  xal  ti^ç  KeXxixîïi;  xaùta  6'èaxl  -rà  xè  FaXaxixà  e9v>)  xal 
xà  FepiJiavtxà  \i-eypt.  Bacjxapvwv  xal  xoû  ax6[JLaxOî  xrjç  MaitôxiSo;.  » 

(2)  Voy.  Strabok,  Geog.,  lib.  I,  1,  et  le  remarquable  passage,  VIM,  2: 
«  EÙ6ÙÎ  xoîvuv  xà  Tiépav  toû  'Piqvou  [j.£xà  xoù;  KeXxoùç  irpôî  x^v  ïiù  xîxXi- 
fjiéva  repjiavof  v£[i0VTai,  [j.ixpàv  éÇaXXotxxovxei;  xoû  KeXxixoû  fukou  x(ï>  xe 
'iîX£Ovaj|J.ô)  XT)?  àypiôx>)xoç  xal  xoû  jj.£Y£6ooç  xaî  xt^î  ÇavOéxi^xoç  xà)v>ia  ôà 
TrapaTt)iiqijioi  xal  (xopipaTç  xal  rfieai  xal  pEoKj  ovxeç  otou?  etpi5a|X£v  xoùî  KeXxoÛç. 
AtèSr)  xal  \iol  ôoxoûai  'Pwfjialot  xoûtô  aûxoTç  ôso'Oai  xouvofxa  tô;  av  yv^ufouç 
ra)vaxai;  tppaÇ£tv  PouXo|i.£vof  Y>)ff£ol  yap  oi  Tepiiavot  xaxà  x/jv  Pwjxalojv 
8tâX£xiov.  »  (Germani  eiiim  Romanoruni  lingoa  genuini  dicunlur). 

(3)  DiODORE  DE  Sicile,  V,  32. 

(4)  Dio  Cassids,  XXXIX,  49. 

(5)  Ibid.,  XXXIX,  46,  48;  LXXI,  3;  XLIV.  42;  LX,  31;  LXXVll,  13. 

(6)  Appian.,  De  rébus  Uisp.,  1  :  «  KeXxol  Saoi  FaXaxal  i£  xal  FâXXot  vûv 
TtpoaaYopsûovxat.  » 

^7)  Appuk.,  Prooem.,  4  :  «  KeXxwv  xwv  ÛTtèp  'P/)vov.  » 


—   U5  — 

des  nalionalilés  anciennes,  n'aboutit  pas,  il  faut  l'avouer,  à 
des  conclusions  tellement  péremptoires  qu'elles  lèvent  tout 
doute.  Elle  restera  longtemps,  peut-être  toujours,  ouverte 
à  l'examen  et  aux  débats  de  la  critique.  Mais  il  n'en  est 
pas  moins  vrai,  qu'elle  restera  éternellement  jeune,  en  ce 
sens  que,  s'adressant  à  l'un  de  nos  sentiments  les  plus  vifs, 
celui  de  remonter  à  la  source  des  choses,  elle  conservera 
le  privilège  d'exercer  sur  nous  une  attraction  si  puissante 
qu'il  serait  difficile  de  s'y  soustraire. 

Un  passage  qui  frappe  surtout,  parce  qu'il  est  de  nature 
à  soulever  tous  les  points  de  la  thèse,  c'est  celui  de  Salluste, 
au  dernier  chapitre  de  son  immortelle  histoire  de  Jugurlha. 
L'auteur,  après  avoir  raconté  que  le  roi  des  Numides,  en- 
chaîné, fut  remis  à  Sylla,  qui  le  conduisit  à  Marius,  ajoute 
ces  paroles  :  o  Vers  le  même  temps,  deux  de  nos  généraux, 
Q.  Cépion  et  M.  iManlius,  furent  battus  par  les  Gaulois  (Per 
idem  tempus  advorsum  G  altos  ab  ducibus  nostrîs  Q.  Cae- 
pione  et  M.  Manlio  malè  pugnatum  est).  Puis,  après  ce 
rapprochearent,  il  continue  :  «  On  pensait  alors,  comme 
nous  le  pensons  encore  aujourd'hui  (i),  que  les  Romains 
devaient  triompher  de  tous  les  peuples,  mais  qu'en  s'atta- 
quant  aux  Gaulois,  ce  n'était  plus  la  gloire  en  jeu;  il 
s'agissait  de  l'existence  »  Or,  ces  Gaulois  qui  infligèrent 


(I)  Plutarque,  Camill.,  19  :  en  premier  lieu  ,  leur  armée  (des  Romains)  fut 
dépouillée  par  les  Cimbres. 

Ibid.,  4t.  «  La  crainte  des  Gaulois  était  si  grande  que  les  Romains  avaient 
porté  une  loi  qui  exemptait  les  prêtres  du  service  militaire,  à  l'exception 
d'une  guerre  contre  les  Gaulois.  » 

On  dirait  que  le  grand  écrivain  grec,  en  Iraçanl  ces  lignes,  avait  sous  les 
yeux  l'histoire  de  Salluste.  Au  reste,  PtUTARQDE,  Mar.,  c.  H;  Camill  ,  c.  13; 
Caes.,  c.  19;  Serl.,  c.  3,  reconnaît  assez  explicitement  la  dualilé. 

Voy  App.,  Prooem.,  3  :  «  xal  KeXxwv  ô'cja  È'Ovr)  -cà  [ièv  h  tt^vÔc  t7]V  QôcXas- 
aav,  xà  Ô£  ï^  tov  pôpetov  toxeavôv  àtpopî,  zà.  5e  -rtapà  'Pïjvov  itOTafxèv  yxrjrai.» 

Dans  son  histoire  romaine  en  vingt-quatre  livres,  Aitien  regarde  les  Ger- 
mains et  les  Gaulois  comme  deux  races  distinctes,  dont  le  i)assage  cilc  peu 
être  regardé  comme  l'expression  de  leur  position  géographique. 


—  J44  — 

une  si  sanglante  défaite  aux  deux  généraux  romains,  n'é- 
taient autres  que  les  Cimbres  et  les  Teutons,  peuples  ger- 
maniques, comme  l'attestent  entre  autres  Tile-Live,  Velléius 
Paterculus,  Valère  Maxime,  Orose  et  Eutrope  (i).  Ce  grand 
événement  eut  lieu  en  104  av.  J.  C,  c'est-à-dire  dix-huit 
ans  seulement  avant  la  naissance  de  Salluste.  Cet  historien 
fameux  avait  vingt-sept  ans  lorsque  César  ouvrit  ses  pro- 
digieuses campagnes  contre  les  Gaulois  et  les  Germains. 
Quand  il  revint  définitivement  en  Italie,  le  grand  capitaine 
s'était  mesuré  avec  Arioviste;  il  avait  rompu,  non  sans 
peine,  les  lignes  formidables  du  vaillant  Boduognat,  dompté 
les  Trévires,  exterminé  les  Eburons,  réuni  les  deux  rives 
du  Rhin,  le  fleuve  de  la  Germanie,  poursuivi  en  vain  de 
forêt  en  forêt  l'intrépide  Ambiorix,  éteint  dans  le  sang  des 
Gaulois  le  vaste  incendie  allumé  par  l'amour  de  l'indépen- 


(1)  César  lui-même  en  parle  en  divers  endroits  :  lib.  I,  33,  40;  II,  4; 
VII,  77.  L'identité  des  Cimbres  et  des  Teutons,  ainsi  que  des  Gallide  Salluste, 
est  attestée  par  ce  passage  du  discours  de  César,  lib.  I,  40  :  «  Faclum  ejus 
hostis  periculum  patrutn  nostrorum  mcmoria  cum  Cimbris  el  Teutonis  a  Gaio 
Mario  piilsis  non  minorcm  laudem  exercilus  quam  ipse  imperalor  mcrilus  vide- 
bttlur.  »  Cet  ennemi  a  été  mis  à  l'épreuve  à  l'époque  de  nos  ancêtres;  c'est 
lorsque  par  la  défaite  des  Cimbres  et  des  Teutons,  il  devint  évident  que  l'ar- 
mée s'était  attirée  non  moins  de  gloire  que  son  chef. 

Valerii  Max,  lib.  IV,  7,  3.  Tribunus  enim  plebis  Caepionem  in  carcerem 
conjectum,  quod  iliius  culpa  exercitus  noster  à  Cimbris  et  Teutonis  videbalur 
delelus. 

Velleii  Paterculi,  Hisl.  rom.,  lib.  II,  8,  3  :  Tum  Cimbri  el  Teutoni  trans- 
cendere  Rhenum  multis  mox  noslris  suisque  cladibus  nobiles. 

Le  passage  suivant,  du  même  auteur,  lib.  II,  12,  2,  est  surtout  décisif  : 

EfTusa,  ut  praediximus,  immanis  vis  Germanarum  genlium  quibus  nomen 
cimbris  ac  Teutonis  erat  quura  Caepionem  Rlanliumque  consules  et  ante 
Carbonem  Silanumque,  fudissent  fugassentque  in  Galliis  et  exuissenl  exercitu, 
Scaurumque  Aurelium  consularem  et  alios  celeberrimi  nominis  viros  truci- 
dassent; populus  Romanus  non  alium  repellendis  lanlis  hostibus  magis  ido- 
neum  imperalorem  quam  lHarium  est  ratus. 

EuTROP.,  IV,  10  :  «  Nuntiatum  Romae  est,  Cimbros  e  Galliâ  in  Ilaliam 
transisse.  »  —  P.  Orosii  Presb.  Hisp.  Hisl.,  lib.V,  cap.  16. 

TiT.  Liv.,  LXIII  :  •  Cimbri,  gens  vaga,  populabundi  in  Iliyricum  venerunl  : 
ab  iis  Papirius  Carbo  Consul  cum  exercitu  fusus  est.  » 


—  145  — 

dance  et  répandu  partout,  par  ses  Commentaires,  le  récit 
de  toutes  ces  lugubres  merveilles.  Qui  alors,  dans  la  partie 
éclairée  du  monde  romain,  n'avait  entendu  parler  des  Ger- 
mains? Et  toutefois  Tauleur  de  Jugurtha  prend  les  uns 
pour  les  autres  et  écrit  :  advorsiim  Gallos,  au  lieu  de  . 
advorsum  Germanos. 

D'où  vient  celle  confusion  dans  un  historien  si  correct 
et  si  exact?  Embrassait-il  sous  une  appellation  commune 
Gaulois  et  Germains,  ou  bien  ne  connaissail-il  pas  celle 
dernière  dénomination?  Ignorait-il  le  terme  ethnographique 
de  Germains,  pour  l'appliquer  aux  Cimbres  et  aux  Teu- 
tons? Celle  dernière  hypothèse  est  inadmissible.  Les  Com- 
mentaires avaient  illuminé,  à  l'époque  où  Sallusle  rédigea 
son  histoire,  le  monde  barbare  d'un  éclat  tout  nouveau. 
Cicéron,  l'ennemi  de  Sallusle  et  l'adversaire  de  César, 
avait  déjà  porté  sur  les  Commentaires  de  César  un  juge- 
ment définitif,  confirmé  et  ratifié  par  la  postérité.  César, 
dit-il  dans  Bnitiis  (i),  n'a  eu  que  la  prétention  de  laisser 
des  matériaux  à  ceux  qui  voudront  écrire  l'histoire.  C'est 
un  piège  qu'il  a  tendu  aux  insensés  qui  chercheront  à  se 
parer  de  colifichets  d'emprunt;  mais,  sûrement,  il  a  ôlé 
aux  hommes  de  bon  sens  le  courage  d'écrire  après  lui.  — 
Cet  éloge,  échappé  à  la  plume  d'un  adversaire,  n'a  pu  passer 
inaperçu;  Sallusle  n'a  pu  l'ignorer,  lui  l'ami  de  César  et 
qui  en  avait  reçu  le  commandement  de  la  Numidie.  Comme 
Cicéron,  il  avait  donc  lu  et  parcouru  les  mémoires  de  Cé- 
sar et  pris  connaissance  de  tous  les  peuples  qui  apparais- 
saient sur  le  théâlre  nouveau  de  la  lutte  entre  Rome  et  la 
Germanie. 


(1)  C.  73.  Voy.  Suétone,  Cacs,,  S5  et  56,  el  Hirtius  venait  peut-être  de 
lire  le  jugement  porté  par  Cicéron,  lorsqu'il  écrivit  {de  Bello  GalL,  VIII)  ces 
paroles  :  «  Constat  enim  inter  omnes  niliil  tara  operose  ab  aliis  esse  pcrfec- 
lum,  quod  non  liorum  eleganlia  Comraentariorum  superelur.  Qui  sunt  editi 
ne  scienlia  tanlarum  rerum  scriploribus  deesset,  adeoque  probanlur  om- 
nium judicio  ul  praerepla  non  praebila  facullas  scri[)toribus  videalur.  » 


—  146  — 

N'esl-il  pas  étrange  que  cet  écrivain,  occupé  à  faire 
oublier  les  malversations  du  concessionnaire  par  la  renom- 
mée de  l'historien,  n'ait  pas  adopté  les  expressions  ethno- 
graphiques consacrées  par  son  illustre  protecteur  ?  Comment 
résoudre  celte  contradiction?  En  admettant  que  Salluste, 
en  dépit  des  progrès  de  la  géographie  et  de  l'ethnographie, 
conservait  encore  le  terme  archaïque  de  Gaulois,  sous 
lequel  on  comprenait  Germains  et  Gaulois  avant  l'expédi- 
tion de  César.  Avait-il  des  motifs  sérieux  d'en  agir  ainsi, 
alors  que  César  lui-même  s'est  chargé  de  lui  apprendre  en 
termes  clairs  et  nets  que  les  Cimbres  et  les  Teutons  sont 
de  race  germanique?  Aucun  texte  ne  fournit  de  réponse 
définitive.  Cependant  Tacite  (i)  affirme  que  la  dénomina- 
tion de  Germain  est  de  date  récente  :  le  nom  de  Germain, 
dit-il,  est  moderne  et  ajouté  depuis  peu.  Diodore  de  Sicile  (2) 
prétend  que  les  Gaulois  enlevèrent  aux  Carthaginois  le 
commerce  de  l'étain  et  de  l'ambre  jaune,  et  ce  qui  est  plus 
remarquable,  c'est  l'assertion  de  Pline  prétendant  que  ce 
fut  le  commerce  de  l'ambre  jaune  qui  aurait  mis  en  com- 
munication les  Germains  et  les  Massilioles,  et  inspiré  aux 
premiers  l'envie  de  fonder  des  établissements  en  Pro- 
vence (3).  Apparemment  les  Gaulois,  qui  ôtèrenl  aux  Car- 
thaginois le  commerce  de  l'ambre  jaune,  sont  les  mêmes 
que  les  Germains,  qui  tentent  de  se  fixer  dans  le  midi  de 
la  Gaule.  Tite-Live  appelle  les  habitants  des  Alpes  demi- 
Germains  (4),  et  ailleurs  ils  rentrent  dans  la  catégorie  des 

(1)  Germanie,  II.  L'opinion  commune  est  que  les  Gcrniiiins  signifient  hom- 
mes de  guerre.  Grimm  el  Fr.  Schlegel  :  c'est  la  l'éunion  des  hommes  libres  en 
âge  de  perler  les  armes.  L'opinion  de  Strabon  n'est  qu'étrange.  M.  Van  Has- 
SELT,  dans  son  Hisl  des  Belges,  dit  que  ce  nom  signifie  les  hommes  aux  longues 
lances  {ger,  lance,  et  mati,  homme).  —  Voy.  plus  loin  d'autres  recherches. 

(2)  DioDORE,  V,  22,  23. 

(3)  Pline,  Hisl.  nul.,  XXXVII,  H. 

(4)  TiT.-Liv.  «  Nec  verisimile  est  ea  tum  (2IG  av.  J-C  ).  ad  Galliam  patuisse 
ilenera;  ulique  quac  ad  Penninum  ferunt  (le  Simplon)  obsepta  semi  germanis 
fuissent.  » 


—  447  — 

Gaulois.  En  parlant  des  Boies,  il  dil  que  le  langage  de  leurs 
ambassadeurs  offrait  peu  de  différence  avec  celui  des  Gaulois 
des  Alpes.  Justin  nous  apprend  que  les  Scordiskes  sont  des 
descendants  des  Gaulois  qui,  sous  la  conduite  de  Brcnmis, 
ont  attaqué  la  ville  de  Delphes.  Tite-Live,  de  son  côté,  dil 
que  ces  Scordiskes  parlent  le  même  langage  que  les  Bostar- 
nes,  lesquels,  aux  yeux  de  Tacite,  sont  des  Germains  (0. 
Strabon  regarde  les  Gaulois  el  les  Germains  comme  deux 
peuples  de  même  race.  Seulement  il  les  distingue  par  des 
qualités  physiques  et  morales,  comme  la  férocité,  la  haute 
stature  el  la  couleur  des  cheveux.  En  cela  il  est  d'accord 
avec  une  certaine  assertion  de  VAgricola  de  Tacite  (3), 

Dans  le  discours  que  Trogue  Pompée  mit  dans  la  bouche 
de  Milhridate,  occupé  à  enflammer  les  soldats  afin  d'en- 
Irainer  l'Orienl  contre  Rome,  il  emploie  des  expressions 
analogues  à  celles  de  Salluste,  el  leur  dit  que  le  nom  gaulois, 
Gallorum  nomen,  a  toujours  épouvanté  les  Romains,  et  se 
hâte  d'ajouter  :  les  Gaulois  qui  habitent  l'Asie  ne  diffèrent 
que  pur  leurs  demeures  de  ceux  qui  occupèrent  f  Italie. 
Nouvelle  preuve  que  le  nom  de  Gaulois  esl  souvent  un  nom 
collectif,  qui  comprend  Gaulois  et  Germains,  et  que,  avant 
les  notions  précises  de  géographie  vulgarisées  par  César,  il 
n'y  avait  pas  de  différence  ethnographique  bien  tranchée  el 
bien  établie  entre  les  deux  races  de  peuples  (4). 


(Ij  Tac,  Germ.,  XLVI  ;  les  Peucins,  que  quelques-nns  nomment  Baslar- 
nes,  ont  le  langage,  riiabilleraenl,  les  liabilalions  fixes  des  Germains. 

(2)  Ammien  Marcellin  l'a  peut-être  traduit  inexactement  dans  ce  passage, 
où  il  dil  des  Gaulois  .-  «  Celsioris  statarae  et  candidi  poene  Galli  sunt  omnes 
et  l'ulili,  luminumque  lorvilate  terribiles,  avidi  jurgiorum  et  sublatius  inso- 
lescentes.  »  N'est-ce  pas  en  partie  le  portrait  des  Germains? 

(ô)  Tac,  Agricola,  2  :  «  Rulilae  Caledoniam  liabitantium  comae,  magni 
arlus,  Gennanicam  originem  adseverant.  »  El  Juvenal,  Sal.,  XIII,  «  qui  s'é- 
tonne des  yeux  bleus  des  Germains,  de  leur  blonde  chevelure  tressée  et 
réunie  en  gerbe  sur  la  tète.  » 

(4)  Trogce  Pompée  ou  Justin  dit  :  «  Gallorum  aulem  nomen  quod  sempcr 
Romanos  terru'U  in  partem  virium  suarum  ipse  numerct,  et  Salluste  avec 
plus  d'élégance  el  d'énergie  :  Cum  Gultis  pru  sainte  non  pro  tjloria  verlari.  • 


—  148  — 

Suivant  Justin  et  Pausanias  {^),  les  hordes  qui  se  ren- 
dirent en  Thrace,  en  Pannonie  et  en  Macédoine  étaient  de 
la  même  race  que  les  peuples  qui  avaient  jeté  l'épouvante 
en  Italie;  ils  avaient  quitté,  disait-on,  les  rives  d'une  mer 
située  à  l'extrémité  septentrionale  de  l'Europe,  que  les 
inondations  et  les  bêtes  féroces  rendaient  inhabitables.  De 
la  Pannonie,  Brennus,  l'un  des  chefs  qui  étaient  à  leur 
tête,  se  dirigea  sur  Delphes.  La  cavalerie  dominait  dans 
son  armée  (2);  elle  en  formait  au  moins  la  dixième  partie. 
Chaque  cavalier  était  accompagné  de  deux  écuyers,  qui 
lui  donnaient  leurs  chevaux  quand  il  avait  perdu  le  sien. 
Quand  Brennus  se  mit  à  piller  Delphes,  «  il  faut,  disait-il, 
que  les  dieux  qui  sont  riches  partagent  avec  les  mortels.  » 
Brennus  fut  défait  et  se  donna  la  mort.  De  l'armée  de  ce 
chef  sauvage  il  restait  encore  20,000,  lesquels,  grossis  par 
d'autres  hordes,  allèrent  fonder  un  peuple  mixte,  que  l'on 
connaît  sous  le  nom  de  Galales  ou  Gallo-Grecs.  S'il  fallait 
en  croire  le  récit  de  Pausanias,  ces  sauvages  ennemis  égor- 
gèrent les  enfants,  burent  leur  sang  et  se  nourrissaient  de 
leur  chair  (3).  On  dit  aussi  qu'ils  égorgèrent  leurs  blessés 
pour  ne  pas  embarrasser  leur  marche  (278  avant  J.-C). 

Dans  le  nord  de  l'Europe,  le  nom  de  Scythes,  dans  le  sud- 
ouest,  celui  de  Celtes  (4),  étaient  des  noms  collectifs  par 
lesquels  les  anciens  cherchaient  à  cacher  leur  ignorance 
du  véritable  nom  des  différents  peuples.  Du  reste,  il  arrive 
souvent  que  l'on  comprend   plusieurs   peuples  sous  un 


(1)  Il  vivail  au  Ile  siècle  sous  Antonin  le  Philosophe.  Il  nous  reste  de  lui 
une  exeellenle  Description  de  la  Grèce.  Voy.  liv.  X,  ex  Phocicis,  passim. 

(2)  Caes.,  B.  g.,  y,  3  :  Haec  civilas  (Trevirorum)  longé  plurimum  lotius 
Galliae  equilatu  volet.  -  Voy.  Jiist.,  XXXVII,  4.  —  Ibid.,  XXXI,  2. 

(3)  Voy.  Histoire  de  Belgique,  par  J.  J.  De  Smet,  t.  I«r,  p.  15,  où  l'auteur 
dit  :  les  Tréviriens  faisaient  partie  de  l'armée  gauloise  qui  fonda  dans  l'Asie 
le  royaume  des  Gallo-Grecs  ou  des  Galates. 

(4)  Voy.  PmsTER,  Histoire  d'Allemagne  depuis  les  temps  les  plus  reculés  Jus- 
qu'à nos  jours. 


—  U9  — 

même  nom,  à  cause  d'une  certaine  ressemblance,  quelles 
que  soient  d'ailleurs  leurs  autres  différences.  Celle  dénomi- 
nation a  ordinairement  pour  base  quelque  trait  caractéris- 
tique particulier,  comme  la  race,  le  pays,  les  armes,  etc. 
Ainsi,  d'après  Hérodote,  Scythe  veut  dire  archer  à  che- 
val. Il  est  probable  que  le  nom  de  Celtes  a  une  semblable 
origine  (»).  Mais  il  faut  bien  distinguer  les  Celles  des 
Gales,  VVales  ou  Wallises,  que  l'on  rencontre  dans  diffé- 
rents pays. 

Encore  aujourd'hui  on  appelle  Walliser,  Valois,  les 
habitants  de  la  vallée  du  Rhône,  mais  les  habitants  de  la 
vallée  du  Rhin  portent  aussi  ce  nom  dans  les  écrits  du 
moyen-âge.  Les  peuples  qui  venaient  des  vallées  des  Alpes 
étaient  donc  par  leur  patrie  des  Wales,  Vales,  et  c'est  pro- 
bablement de  là  qu'est  venu  le  nom  latin  Galli.  D'après 
leur  métier  d'hommes  de  guerre  {held,  héros,  kerl,  vir),  on 
les  appelait  Celtes  ou  Keltes. 

Pour  en  revenir  à  Salluste,  cet  historien  n'aurail-il  pas 
été  induit  en  erreur  par  des  textes  trop  peu  clairs  ou  trop 
peu  décisifs  de  César,  partout  où  celui-ci  fait  mention  des 
Trévires?  Au  moins  y  a-t-il  apparence.  Au  chapitre  37  du 
I"  livre,  il  semblerait  que  les  Trévires  sont  d'origine  ger- 
manique, tandis  qu'au  chapitre  24  du  U"  livre,  il  dit  posi- 
tivement qu'ils  jouissent  parmi  les  Gaulois  de  la  réputation 
d'être  des  cavaliers  d'une  bravoure  remarquable  :  Quitus 
rébus  permoti  équités  Treveri,  quorum  inter  Gallos  virtulis 
est  opinio  singularis.  Ce  passage,  je  le  sais  fort  bien,  peut 


(1)  Aux  explications  que  Barth  {Urgeschichtc,  I,  93)  a  recueillies,  on  peut 
ajouter  que  le  mot  gala  dans  l'anglo-saxon  et  dans  le  danois,  le  mot  citcll 
dans  ridiome  des  Âlamans,  et  Kall,  dans  le  daiécarlien,  qui  dérivent  tous 
trois  de  la  même  racine,  veulent  dire  homme  (vir)  comme  les  mots  de  l'alle- 
mand d'aujourd'hui,  held  et  kerl.  Voy.  Fulda,  Diclionnairc  des  racines. 
D'après  une  autre  élymologie  (p.  76),  kclt  voudrait  dire  un  mauvais  sujet, 
un  vaurien.  Ce  nom  serait  encore  pris  des  pays  d"où  étaient  venus  les  hom- 
mes de  guerre. 


—   150  — 

èire  iiilerprélé  d'une  aulre  fiiçon.  On  peut  alléguer  que  hi 
renommée  guerrière  des  Trévires  avait  pénétré  au-delà  de 
leurs  frontières,  et  que  c'était  particulièrement  parmi  les 
Gaulois  qu'elle  s'était  le  plus  répandue.  Mais  il  faul  avouer 
qu'il  restait,  même  dans  cette  supposition,  assez  peu  de 
données  certaines  pour  ôler  à  l'esprit  de  Salluste  tout  sujet 
de  perplexité.  En  lisant  (liv.  IH,  cliap.  1 1)  que  César  place 
T.  Labiénus  chez  les  Trévires,  avec  ordre  de  contenir  les 
Rémois  et  les  autres  Belges  et  de  s'opposer  aux  Germains 
si  ceux-ci  voulaient  tenter  le  passage  du  Rhin,  il  semble 
sauter  aux  yeux  qu'il  ait  établi  une  ligne  de  démarcation 
bien  définie  entre  Trévires  et  Germains.  Cependant,  dans 
un  autre  endroit,  il  ouvre  de  nouveau  la  porte  toute  large 
au  doute  et  à  l'incertitude.  FI  y  dit  que  la  plupart  des  Bel- 
ges tirent  leur  origine  des  Germains.  Invités  par  la  fertilité 
du  sol  de  la  Gaule,  ils  ont  passé  le  Rhin  et  se  sont  établis 
dans  cette  contrée  depuis  un  temps  immémorial.  Ils  ont 
contraint  les  anciens  habitants  de  quitter  leurs  foyers,  tout 
en  refoulant  les  Cimbres  et  les  Teutons  en  route  vers  l'Ita- 
lie, qu'ils  allaient  envahir.  Salluste  pouvait-il  croire  que 
les  Belges,  dont  les  Trévires  sont  un  des  puissants  éléments, 
barreraient  le  passage  à  leurs  frères  d'outre  Rhin,  à  moins 
que  ces  Trévires  n'appartinssent  à  la  race  des  Gaulois  dont 
ils  avaient  ravagé  le  pays  (i)?  Au  livre  V,  chap.  II,  on  lit 
qu'ils  se  refusèrent  de  venir  aux  assemblées  et  qu'ils  se 
montrèrent  récalcitrants.   Il  y  a  plus,  ils  excitèrent  les 
Germains  qui  habitaient  de  l'autre  côté  du  Rhin.  Mais  au 
chapitre  qui  suit,  leur  position  ethnographique  est  bien  dé- 


(1)  Voici  le  texte  de  ce  passage  si  précieux  :  «  Plerosque  Belgas  esse  ortos 
ab  Germanis  Rheiiumque  antiquilus  traductos  propter  loci  fertilitatem  ibi 
consedisse  Gallosque,  qui  ea  loca  incolerent ,  expulisse  solosque  esse  qui 
patrum  nostrorura  memoria,  omiii  Gallia  vexala  Teutonos  Cimbrosque  intra 
fines  suos  ingredi  prohibuerinl.Voy.  Caes,,  B.  G.,  Il,  4.  —  Cfr.  Appian.  de  reb. 
GalL,  I,  4  :  Yiaav  ôè  xwv  Ki[JL|îpwv  xal  TïutÔvcdv  àiioyôvoi. 


—  151  — 

terminée.  iVous  voyons  qu'ils  cxcellcnl  par  leur  nombreuse 
cavalerie,  la  meilleure  de  toute  la  Gaule,  et  que  leur  terri- 
toire est  arrosé  par  le  Rhin.  Il  n'y  a  plus  à  s'y  méprendre, 
ce  sont  des  Gaulois  à  la  première  lecture  superficielle; 
mais  cette  conviction  disparait  si  l'on  se  représente  le 
passage  déjà  cité,  liv.  II,  cliap.  4,  de  sorte  que  la  confu- 
sion introduite  par  Salluste  ne  se  dissipe  nullement  par  les 
notions  géographiques  transmises  par  César. 

Labiénus,  dans  un  autre  endroit  des  Commentaires, 
remporte  un  grand  succès  au  territoire  même  des  Trévires 
sur  ces  derniers  et  les  Germains,  toujours  en  train  de  voler 
au  secours  des  ennemis  de  Rome  (i).  Dans  ce  passage,  le 
contraste  entre  Trévires  et  Germains  est  vif  et  tranchant. 
Il  ne  l'est  pas  moins  livre  VIII,  chap.  65.  Une  assemblée 
avait  été  convoquée  à  Bibracte  (Aulun)  de  toutes  les  parties 
de  la  Gaule.  On  y  ratifia  la  nomination  du  généralissime 
Vercingétorix,  Mais  ni  Rémois,  ni  Lingons,  ni  Trévires  ne 
s'étaient  rendus  au  concilium  national.  César  en  donne  les 
raisons.  Les  premiers  voulaient  s'en  tenir  aux  obligations 
que  leur  imposait  leur  amitié  pour  les  Romains,  tandis  que 
les  seconds,  les  Trévires,  couraient  les  plus  grands  périls 
de  la  part  des  Germains.  Donc  les  Trévires  tantôt  Germains 
et  tantôt  Gaulois,  au  moins  selon  les  apparences,  n'ont 
pas  eu  dans  César  même  une  position  ethnographique  assez 
tranchée  pour  déterminer  Salluste  à  corriger  son  point  de 
vue  historique  sur  les  Galli.  Il  y  a  là  évidemment  un  mi- 
rage trompeur,  qui  déroute  la  sagacité  du  penseur  et  de 
l'historien  de  l'antiquité. 

Les  Gaulois  sont  partis,  dit  Florus,  des  extrémités  de  la 


(1)  Caes.,  B.  g.,  VIII,  m  :  Labiénus  intérim  in  Treveris  equeslre  proeliuni 
facil  secunduni  compluribusque  Treveris  inlerfcctis  et  Germants  qui  nullis 
adversus  Ronianos  auxilia  denegabanl,  principes  eorum  vivos  redigit  in 
suaiii  poleslalem. 


—  152  — 

lerre  el  des  bords  de  l'Océau,  qui  entoure  loul  (i).  Une 
voix  céleste,  s'écrie  Juvcnal,  entendue  au  milieu  de  la  nuit 
avertit  nos  aïeux  que  les  Gaulois  arrivaient  des  bords  de 
l'Océan  (2).  Tite-Live  avait  déjà  dit,  en  parlant  des  Gau- 
lois :  un  ennemi  nouveau,  dont  on  n'avait  point  encore 
entendu  parler,  vint  des  bords  de  l'Océan  et  des  confins 
extrêmes  du  globe  (5).  Ne  sent-on  pas  le  vague  et  l'indé- 
cision des  expressions,  qui  nous  ramènent  involontairement 
à  l'école  de  Salluste?  Si  l'on  rapproche  de  ces  faits  ce  que 
César  raconte  de  l'émigration  des  Belges,  descendants  des 
Germains,  qui  ont  traversé  le  Rhin  pour  s'établir  sur  le  sol 
fertile  de  la  Gaule,  avec  un  passage  d'Aurelius  Victor,  qui 
dit  que  les  Gaulois  Sénonais  ont  quitté  leur  territoire  à 
cause  de  sa  stérilité,  on  est  de  plus  en  plus  convaincu  que 
les  anciens  auteurs  n'avaient  que  des  notions  confuses  sur 
l'ethnographie  de  ces  deux  peuples  (4). 

Sextus  Rufus,  qui  vivait  dans  la  seconde  moitié  du 
IV«  siècle  après  J.  C,  dit  sans  détour  que  Marins  chassa 
les  Gaulois  de  l'Italie.  Le  témoignage  de  Rufus  n'est 
peut-être  pas  d'un  bien  grand  poids,  mais  à  coup  sûr,  il 
ne  contredit  point  les  conceptions  historiques  de  Sal- 
luste (5).  On  pourrait  aussi  invoquer  Florus  (e)  lorsqu'il 
dit  que  les  Cimbres,  les  Teutons  el  les  Tigurins  ont  quitté 
Vextrémité  de  la  Gaule  pour  se  dérober  aux  inondations 
de  l'Océan.  Il  n'avait  pas  de  notion,  comme  on  le  voit, 
bien  précise  sur  l'ethnographie  de  ces  peuples.  D'un  autre 


(1)  Florus,  I,  C. 

(2)  JCVENAL,  XI,    H3. 

(3)  TiTE-LivE,  V,  37  :  «  Inusilalo  alque  inaudito  liosle  ab  Oceano  terra- 
rumque  ullirais  oris  bellum  cienle.  » 

(4)  Caes.,  B.  g.,  4,  et  Aurelius  Victor,  XXIII,  G  :  «  Mox  quum  Galli  Scno- 
nes,  reliclis  ob  sterililatera  agris.  » 

(5)  Sexti  Rlfi  Breviarium,  \l  ;  «  Marius  Gallos  de  Italia  expiilil  et  Irans- 
ccHsis  Alpibus  féliciter  adversus  eos  pugnavit.  » 

(6)  Florus,  III,  8  :  «  Cimbri,  Teuloni  alque  Tigurini  ab  exlremis  Galliae 
profugi  quum  terras  corum  inundasset  Oceanus.  » 


côlé,  Tile-Live  el  Froiiliu  en  marquent  mieux  la  diffé- 
rence (i). 

Si  nous  ouvrons  Justin,  Appien  et  les  auteurs  grecs,  à 
partir  d'Arislote,  on  voit  que  Germains  et  Gaulois  sont 
confondus  par  ces  derniers  auteurs  dans  le  collectif  d'Hy- 
perboréens  (2). 

Dans  la  redoutable  révolte  de  toute  la  Gaule  contre  les 
aigles  de  Rome,  on  voit  la  cavalerie  germaine,  composée 
de  quatre  cents  bommes,  marcher  au  secours  des  cavaliers 
romains  qui  pliaient  (3).  Ainsi,  déjà  avant  la  soumission 
entière  de  la  Gaule,  les  Germains  figuraient  dans  les  cadres 
des  légions  de  César  comme  troupes  auxiliaires  et  passaient, 
aux  yeux  du  vainqueur,  comme  une  individualité  ethno- 
graphique, dont  les  caractères  distinctifs  avec  les  Gaulois 
n'apparaissent  du  reste  nulle  part  sous  la  forme  du  doute. 
Et,  néanmoins,  lesTrévires,  d'origine  germanique,  d'après 
les  afTirmalions  positives  de  Tacite,  se  confondent  encore 
dans  un  célèbre  passage,  avec  les  races  éminemment 
gauloises,  parmi  lesquelles  les  place  César  dans  un  mo- 
ment où  il  a  recours  à  une  mesure  politique  (4).  Selon 

(1)  TiTE  LivE,  XCVII  :  «  M.  Crassus  Praclor  primum  cum  parle  fugitivo- 
rum  quae  ex  Gallis  Germanisque  conslabal  féliciter  pugnavil.  » 

Frontin,  n,  5,  no  34  :  «  ....  parle  alia  Gallos  Germanosque  eliceret  ad 
pugnam.  » 

(2)  Jtisl.,  XXIV,  4  :  a  Nomque  Galli,  abundanli  mulliludine,  quuin  eos 
non  caperenl  terrae  quae  genuerant,  trecenla  niillia  liominum  ad  sedes 
novas  quaerendas,  velut  ver  sacrum  miscrunt.  Ex  his  porlio  in  Ilalia  con- 
sedit  quae  et  urbem  Romanam  caplam  inccndit  et  porlio  Illyricos  sinus  per 
strages  barharorum  penetravit.  » 

App.,  IV  :  «  "Oti  OXu[ntiâ5(ov  toI<;  ^'EXXigaiv  eir-ca  xal  tvv£viQxovTa  yeye- 
vyî[J.ÊVWv  T>)ç  yrjZ  twv  KéXxwv  oOx  àpxoûffyjî  aÙToTç  6ià  tô  itXviOoî  âviutaTat 
|j.oTpa  KeXxwv  twv  à[i(cl  xôv,  'P/ivov  Ixavr)  xaxà  Cô^isf^v  ÈTÉpaî  yr^î,  » 

(3;Caes.,  B.  g.,  VII,  13  :  Caesarex  castris  equilalum  educi  jubet,  proelium 
équestre  comraillil  :  loborantibus  jam  suis  Germanos  cquiles  circiter  CD 
summillil,  quos  ab  inilio  babere  secuin  instituerai.  Eoruin  inipclum  Galli 
sustinere  non  potuerunl.... 

(4)  Ibid.,  VI,  3.  —  Concilie  Galliae  primo  vere  ut  instituerai  indiclo  qutiii» 

t2 


—  154  — 

son  habitude,  au  commencement  du  printemps,  il  con- 
voquait le  concilium  de  la  Gaule.  Tous  s'y  rendirent,  à 
Texceplion  des  Sénons  (partie  de  la  Champagne  entre  la 
Seine  et  Marne  :  Sens),  les  Carnutes  (aux  deux  rives  de  la 
Loire  :  Orléans  et  Charlrain)ct  les  Trévires.  Ce  qui  parut 
un  commencement  de  rébellion  et  de  guerre.  Pour  étouffer 
cette  révolte  avant  tout,  il  transféra  le  siège  de  l'assemblée 
à  Paris.  Donc  partout  César  laisse  dans  le  vague  l'ancienne 
notion  que  les  hommes  de  l'école  deSalluste  s'étaient  faite 
des  Gain. 

Il  met  dans  la  bouche  d'Ambiorix,  répondant  à  Caius 
Arpinéius  et  à  ses  collègues,  des  expressions  qui  ne  contri- 
buent certainement  pas  à  faire  discerner  la  différence  entre 
Gaulois  et  Germains.  Notons  d'abord  que  César  a  établi 
que  les  Éburons  (i)  sont  de  race  germanique,  que  ce  peu- 
ple, disséminé  pour  la  majeure  partie  entre  le  Rhin  et  la 
Meuse,  obéit  à  Ambiorix  et  à  Catavolk.  Dans  l'entrevue  où 
il  s'agit  de  négocier  pour  lever  quelques  dilTicullés,  afin 
d'améliorer  la  position  critique  de  Cotla  et  de  Sabinus,  le 
chef  des  Éburons,  après  quelques  révélations,  ajoute  qu'il 
eût  été  difficile  pour  des  Gaulois  de  refuser  quelque  chose 
à  des  Gaulois,  d'autant  plus  qu'ils  s'étaient  concertés  pour 
recouvrer  leur  indépendance.  Ambiorix,  chef  des  Germains, 
fait  évidemment  confusion  entre  les  deux  races.  Il  les  com- 
prend dans  un  terme  générique.  Et  on  voudrait  que  Sal- 
luste  ne  s'y  laissât  point  prendre,  quand  on  lit  qu'Ambiorix 
a  donné  satisfaction  aux  Gaulois  dans  la  mesure  de  son 
patriotisme  (5). 

rcliqui  pracler  Senones,  Carnules  Treverosque  vcnissent,  iniliimi  bclli  ac 
defeclionis  hoc  esse  arbitralus  ut  omnia  poslponere  vidcretur  concilium 
Lulctiam  Parisiorum  transfert. 

(1)  B.  G.,lib.  II,  6. 

(2)Ibid.,  V,  24. 

(3)  Ibid.,  V,  27  :  non  facile  Gallos  Gallis  ncgare  jwluisse  praescrlim  quatn 
de  recuperanda  co7nmuni  libcrlale  concilium  inilum  vidcretur.  Quibus  quoniam 
pro  pietate  salisfecerit...  Lapidas  dans  ce  passage,  c'est  l'amour  de  la  patrie, 
ce  sont  les  sentiments  patriotiques. 


—  155  — 

Un  Nervien,  du  nom  de  Verlicou,  qui  se  trouvait  dans 
le  camp  de  Cicéron,  chargea  un  esclave  de  porter  à  César 
des  nouvelles  sur  la  position  critique  de  son  général.  Ce 
Gaulois  mêlé  aux  Gaulois  (et  Gallus  inler  Gallos),  sans 
éveiller  de  soupçon,  parvint  heureusement  jusqu'à  César. 
Il  traversa  les  lignes  nerviennes.  Or,  les  Nerviens  sont 
d'origine  germanique  et  dans  ce  passage  ils  sont  confondus 
avec  les  Gaulois.  De  plus,  il  est  assez  surprenant  que  ce 
Verticon,  Nervien  ou  Germain,  s'entoure  d'esclaves  de  race 
gauloise,  dans  lesquels  les  Germains  ne  pouvaient  avoir 
conOance  (i).  Ou  bien  faut-il  supposer  que  les  JVerviens, 
Germains  à  l'origine  de  leur  nationalité,  soient  devenus 
par  la  suite  un  mélange  des  deux  races? 

A  un  autre  passage  (B.  G.  VIII,  25),  César  semble  se 
déclarer  sans  réserve  pour  la  distinction  entre  les  Trévires 
et  les  Germains.  Après  avoir  désolé  le  pays  d'Ambiorix 
par  l'incendie  et  les  rapines,  tué  ou  pris  un  grand  nombre 
d'hommes,  il  envoya  son  lieutenant  Labiénus,  à  la  tête  de 
deux  légions,  chez  les  Trévires,  qui,  impliqués  dans  des 
guerres  de  tous  les  jours,  à  cause  de  leur  situation  limi- 
trophe de  la  Germanie,  ne  différaient  pas  beaucoup  des 
Germains  par  leur  manière  de  vivre  et  leur  étal  sauvage  (2). 
Il  est  évident  que  César  ne  range  point  ce  peuple  sans 
restriction  dans  la  collectivité  germanique;  car,  ailleurs, 
pour  faire  entendre  qu'il  classe  les  Helvètes  sous  la  grande 


(1)  Caes.,  b.  g.,  V,  43;  II,  4,  13;  V,  27,  36,  39,  42,  31;  VI,  2,  Ces  lignes 
n'emprunlenl  de  caraclère  décisif  que  si  on  les  corrobore  d'une  citation  bien 
connue  de  Tacite,  Germ.,  28,  ou  de  Strabon,  IV,  3,  §  4  :  «  Nepoûioi  xal 
zoZzo  y£p[Aavcxôv  è'Ôvoî.  » 

(2)  Quum  in  omnes  parles  finiura  Anibiorigis  aut  iegiones  aul  auxilia  di- 
misisset  atque  oninia  caedibus,  incendiis,  rapinis  vastasset  magno  numéro 
bominum  intcrfecto  aut  capto  Labicnum  cum  duabus  legionibus  in  Treveros 
niiltit  quorum  civita.i  propler  Gcrmaniac  vicinitatem  quotidianis  exercitala 
bellis  cultu  et  feritale  ho»  mullum  a  Germanis  differebat. 


—  15G  — 

famille  gauloise  (»),  il  a  soin  de  dire  que  les  Helvètes  sur- 
passent en  bravoure  le  reste  des  Gaulois  et  donne  claire- 
ment à  entendre  que  les  Helvètes  et  les  Gaulois,  à  ses  yeux, 
sont  une  identité  de  race  :  ce  qu'il  n'aurait  pas  manqué  de 
faire  dans  le  passage  qui  nous  occupe,  si  ses  renseigne- 
ments lui  avaient  démontré  que  les  Trévires  ne  formaient 
qu'une  branche  du  même  arbre  germanique. 

César  constate  que  les  Aluatiques  (2)  sont  les  descen- 
dants de  ces  Cimbres  et  de  ces  Teutons  qui  avaient  laissé 
en-deçà  du  Rhin  des  bagages  qu'ils  ne  pouvaient  emmener 
avec  eux.  Ils  s'étaient  fixés  dans  les  lieux  où  César  vient 
de  transporter  le  théâtre  de  la  guerre  après  la  défaite  des 
Nerviens.  Or,  ces  Aluatiques  tournent  quelque  peu  en 
plaisanterie  les  formidables  préparatifs  de  siège  faits  par 
les  Romains,  qu'ils  prennent  pour  des  espèces  de  nains 
dont  la  taille,  si  peu  en  rapport  avec  leurs  merveilleux 
appareils,  excite  la  verve  comique  des  assiégés.  Et  lorsque 
César,  surpris  de  cette  altitude,  nous  dit  que  la  plupart  des 
Gaulois,  à  cause  de  l'élévation  de  leur  taille,  méprisent  la 
petitesse  des  Romains,  il  va  sans  dire  qu'il  confond  les 
Atuatiques,  issus  des  Cimbres  et  des  Teutons,  dans  la  dé- 
nomination ethnographique  de  Gaulois.  Et  voilà  pourtant 
de  ces  contradictions  ou,  si  l'on  veut,  de  ces  distinctions 
assez  peu  nettes,  capables  d'induire  en  erreur  un  esprit 
comme  Salluste,  tout  imbu  encore  des  anciens  préjugés  qui 
faisaient  des  Germains  et  des  Gaulois  un  ensemble  com- 
pacte, une  même  souche.  Ariovistc  cependant  s'était  chargé 
lui-même  d'établir  une  distinction  bien  tranchée  entre  les 
deux  races.  Le  roi  des  Germains  répondit  aux  députés  de 

(1)  B.  G.,  1.  I,  1  :  quà  de  causa  Helvellii  qiioque  reliquos  Gallos  virlule 
piaecedunt.  Voyez  aussi  B.  G.,  II,  3  :  ncque  se  cura  Belgis  reliquis  consen- 
sisse....  reliquos  omnes  Beigns  in  arniis  esse. 

(2)  B.  G.,  lib.  Il,  29  et  50  :  nam  pleruraque  hominibus  Gallis  prae  magni- 
ludiue  corporuin  suorum  bicvilas  iiosira  conlemptui  est. 


—  157  — 

César  qu'il  étail  prêt  à  en  venir  aux  mains  pour  apprendre 
à  César  ce  que  peut  le  courage  des  Germains  invincibles. 
C'est  bien  là  une  preuve  que  les  Germains,  en  négociant 
avec  les  Romains,  se  donnaient  à  eux-mêmes  la  dénomina- 
tion de  Germani  (i). 

Sallusle,  pour  en  finir,  devient  encore  plus  excusable 
si  l'on  réfléchit  que  quelques  auteurs  sont  d'avis  que  le 
terme  Belgium  doit  se  restreindre  à  une  partie  du  terri- 
toire belge  habité  par  les  Bellovaques  (entre  la  Somme,  la 
Seine  et  l'Oise),  les  Atrébates  (Artois)  et  les  Ambianiens, 
dont  la  capitale  était  Samarobriva,  aujourd'hui  Amiens. 
Mais  en  comparant  ch.  V,  24  et  25,  ainsi  que  VIII,  54, 
où  Belgae  et  Belgium  sont  deux  termes  qui  s'entendent  de 
la  même  circonscription  territoriale,  on  ne  tardera  pas  à 
se  convaincre  que  Belgae  et  Belgium  sont  des  expressions 
identiques.  Il  faut  encore  rapprocher  ch.  V,  12,  et  VIII, 
46,  49,  et  il  deviendra  encore  plus  évident  qu'il  n'y  a  pas 
possibilité  d'admettre  dans  Belgium  la  désignation  spéciale 
d'une  partie  du  territoire  belge.  Voici  ces  deux  passages  : 
Quatuor  legiones  in  Belgio  collocavit  ciim  M.  Antonio  et 
C.  Trebonio  et  P.  Vatinio  legatis,  et  Caesar  in  Belgio  quum 
hiemaret,  unum  illud  propositum  habebat,  continere  in 
amicitia  civitates,  milli  spem  aut  causant  dare  armorum. 
Le  seul  endroit  qui  offre  quelque  difficulté  est  dans  le 
chapitre  V,  24.  César  y  énumère  plusieurs  populations 
belges  et  semble  désigner  Belgae  comme  ne  formant  qu'une 
fraction  du  territoire.  En  réfléchissant  bien  sur  la  distri- 
bution des  forces  de  César,  on  ne  sera  pas  éloigné,  je  pense, 
de  croire  que  les  très  in  Belgis  collocavit  pourraient  bien 
s'interpréter  ainsi  :  il  dispersa  trois  légions  sur  différents 
points  de  la  Belgique.  De  cette  façon,  la  difficulté  serait 
levée  sans  faire  violence  au  texte.  On  sait  que  les  Grecs  et 

(I)  Caes,,  B.  g  ,  lib.  I,  56. 


—  158  — 

les  Romains  aimaient  à  désigner  les  pays  par  les  noms  des 
peuples  qui  les  habitaient.  Au  reste,  même  avec  cette  ex- 
plication, il  faut  l'avouer,  le  doute  n'est  pas  dissipé,  à 
moins  de  supposer  (autre  difficulté)  que  le  mot  aliis  soit 
ellipse. 

On  peut  admettre,  d'après  les  observations  critiques  de 
Kritz,  que  les  ouvrages  de  Sallusle  ont  paru  entre  les  an- 
nées 43  et  3S  avant  J.  C.  Ces  écrits  ont  donc  été  composés 
après  l'époque  de  César;  mais  l'auteur  de  Catilina  a  eu 
recours  à  d'autres  sources  que  les  Commentaires.  Dans  ses 
fragments  historiques,  on  lit  ce  passage  :  Germani  intectum 
rhenonibus  corpus  tecjunt,  et  César,  B.  G.,  VI,  21,  s'ex- 
prime à  peu  près  dans  les  mêmes  termes.  Ainsi,  d'après 
ces  deux  écrivains,  les  Germains  se  servaient  de  rhenones, 
habillement  en  peau,  qui,  couvrant  les  épaules,  retombait 
jusqu'au  milieu  du  corps.  Comme  les  termes  sont  presque 
identiques,  il  est  évident  que  Salluste  avait  le  travail  his- 
torique de  César  cous  les  yeux  pour  la  composition  de  son 
histoire  (i).  Cette  circonstance  donne  un  nouveau  poids 
aux  observations  que  la  comparaison  des  textes  nous  a 
suggérées. 

Mais  que  doit-on  penser  du  bouclier  de  Marius?  On  sait 
par  Cicéron  (2)  que  son  bouclier  cimbrique  représentait  un 
Gaulois,  les  joues  pendantes  et  la  langue  tirée.  On  s'est 
emparé  de  cette  circonstance  pour  confondre  les  Gaulois 
du  V^  siècle  avant  l'ère  chrétienne  avec  les  Cimbres  ou  les 
Kymris.  Voici  comment.  A  la  façade  de  l'une  des  boutiques 
qui  se  trouvaient  au  Forum,  on  avait  attaché  un  bouclier 

(1)  B.  G.,  Hv.  VI,  21  :  «  Aut  parvis  rhenonum  tegimenlis  utimttcr  magna 
corporis  parte  nuda.  »  L'ablatif  absolu  magna  corporis  parte  nuda  est  sur- 
tout frappant,  comparé  à  l'adjectif  intecliim,  dont  se  sert  Salluste  comme 
plus  élégant  et  peut-être  aussi  parce  qu'il  cite  de  mémoire. 

(2)  De  Oral.,  lib.  Il,  66  :  «  Dcmonstravi  digilo  pictum  Gallum  in  Mariano 
seule  Cimbrico  sub  Novis,  distortum,  éjecta  lingua  buccis  fluentibus.  » 


—  159  — 

pris  aux  Cimbres;  depuis  lors,  cet  espace  fut  connu  sons 
le  nom  de  Tabernae  argentariae  novae  ad  scutiim  Cimbri- 
citm.  Cependant  un  des  fragments  des  Fastes  capîtolins 
nous  apprend  que  vers  l'an  de  Rome  S80,  Q.  Aufidius,  l'un 
des  banquiers  de  ces  tavernes,  fut  poursuivi  en  justice.  On 
a  tiré  de  ce  fait  la  conclusion  que  le  bouclier  en  question 
devait  avoir  existé  avant  Marius.  Mais  le  scutum  Cimbri- 
cum  était  l'enseigne  non  de  Q.  AuGdius,  mais  de  toute  la 
série  de  boutiques  sur  le  Forum,  et  comme  les  Fastes  capî- 
tolins ont  été  rédigés  sous  l'Empire,  il  est  naturel  de  sup- 
poser que  les  auteurs  de  ces  documents  ont  conservé  aux 
Tabernae  argentariae  novae  le  nom  sous  lequel  ces  comp- 
toirs étaient  connus  de  tous  temps  (i). 

En  résumé,  l'histoire  à  la  main,  l'identité  de  race  n'a 
que  de  faibles  apparences  de  réalité.  Elle  ne  s'appuie  sur 
aucune  donnée  claire,  précise,  positive.  Mais  il  est  vrai  de 
dire  aussi  qu'on  ne  saurait  assigner  les  différences  primor- 
diales de  ces  deux  races,  qui  appartiennent  sans  contredit 
à  la  branche  indo-germanique. 

Les  peuples  indo-germaniques  ne  formaient  qu'un  seul 
corps  et  parlaient  encore  la  môme  langue,  alors  que  déjà 
ils  avaient  conquis  une  certaine  civilisation;  et  leur  voca- 
bulaire, dont  la  richesse  était  en  rapport  avec  leurs  progrès, 
formait  un  trésor  commun  où  chacun  d'eux  puisait  selon 
les  lois  précises  et  constantes.  Nous  n'y  trouvons  pas  seu- 
lement l'expression  des  idées  simples,  de  Vôtre,  de  Vaction, 
la  perception  des  rapports  (sum,  do,  pater),  c'est-à-dire 
l'écho  des  premières  impressions  que  le  monde  extérieur 
apporte  à  la  pensée  de  l'homme,  nous  y  rencontrons  aussi 
un  grand  nombre  d'autres  mots  impliquant  une  certaine 
culture,  tant  par  les  radicaux  eux-mêmes  que  par  les 
formes  que  l'usage  leur  a  déjà  données.  Ces  mots  appar- 

(1)  Bulletins  dq,  l'Académie  de  Bruxelles,  IJ"";  partie,  t.  XXIII,  p.  412. 


—  160  — 

tiennent  à  toute  la  race  et  sont  antérieurs  soit  à  des  em- 
prunts faits  au  dehors,  soit  aux  effets  du  développement 
simultané  des  idiomes  secondaires  (i).  Les  races  indo- 
germaniques ont  leur  patrie  dans  la  région  occidentale  du 
centre  de  l'Asie.  C'est  de  là  qu'elles  se  sont  étendues  les 
unes  au  sud  et  dans  l'Inde,  les  autres  au  nord-ouest  vers 
l'Europe.  Dire  plus  exactement  le  pays  qu'elles  habitèrent, 
serait  chose  bien  difficile  :  on  conjecture  seulement  qu'il 
était  situé  dans  l'inlérieur  des  terres,  loin  de  la  mer,  celle-ci 
n'ayant  point  de  nom  qui  appartienne  à  la  fois  aux  idiomes 
de  l'Asie  et  à  ceux  de  l'Europe.  Des  indications  assez  nom- 
breuses semblent  désigner  les  espaces  qui  avoisinenl  l'Eu- 
phrate;  d'où  la  coïncidence  remarquable  qui  rattache  à  une 
même  contrée  les  origines  des  deux  races  les  plus  impor- 
tantes de  l'histoire,  celles  des  Araméens  et  des  Indo- 
Germains,  et  qui,  si  l'on  se  reporte  jusqu'à  l'ère  inconnue 
où  naquirent  les  langues  et  la  civilisation,  semblerait  aussi 
attester  la  communauté  première  des  uns  et  des  autres. 
//  se  peut  qu'après  le  départ  de  la  famille  indienne,  les 
Européens  aient  encore  séjourné  en  Perse  et  en  Arménie  : 
la  culture  des  champs  et  la  vigne  y  a  été  inventée,  dit-on. 
L'orge,  l'épeautre,  le  froment,  sont,  en  effet,  indigènes  en 
Mésopotamie  :  la  vigne  croît  naturellement  au  sud  du  Cau- 
case et  de  la  mer  Caspienne,  en  même  temps  que  le  pru- 
nier, le  noyer  et  un  certain  nombre  d'autres  arbres  à  fruit 
d'une  acclimatation  facile.  Chose  remarquable  aussi,  le 
mot  mer  est  commun  à  la  plupart  des  races  européennes, 
aux  Latins,  aux  Celtes,  aux  Germains  et  aux  Slaves;  d'où 
l'on  conclut  qu'avant  leur  séparation  ils  ont  dû  toucher 
ensemble  les  rivages  de  la  mer  Caspienne  ou  de  la  mer 
Noire. 


(1)  MoMMSEN,  Hisl.  ruin.,  irtuluit  par  C.  A.  ALEXANonE,  t.  l*^"",  p.  20;  Paris, 

1863. 


—  161  — 

Celte  magnifique  hypothèse  n'impose  point  la  conviction. 
Mais  d'après  tout  ce  qui  précède,  il  est  permis  de  regarder 
les  Germains  et  les  Gaulois  comme  deux  unités  ethnogra- 
phiques distinctes  qui  se  sont  formées  progressivement  par 
l'action  du  temps  et  qui,  à  l'époque  des  Romains  et  surtout 
avant  leur  domination,  conservaient  encore  un  grand  nom- 
bre de  traces  d'une  commune  origine  (t).  Il  importe  donc 


(1)  On  peut  s'en  convaincre  de  plus  en  plus,  en  lisant  les  auteurs  anciens 
qui  s'éloignent  de  l'époque  classique  et  progressivement  à  partir  de  celle-ci  : 

Voy.  Elablissemenls  des  Germains  en  Gaule  ;  Uorkt.,  Od.,  IV,  14,  49.  — 
Liv.  Epit.  (Justin),  137,  139.  —  Suétone,  Aug.,  21,  etTiB.,  9.  —  Tac,  Ann., 
XII,  39.  —  EuTnop.,  YII,  5.  —  Aijrel.,  Vict.  v.  Aug.  —  Eumen.,  Pancg. 
Const.  Chlori,  4,  9.  —  Aristides  (elî  paffi>i,  vol.  I,  p.  111,  éd.  Dindorf).  — 
Dion  Cassius,  LUI,  12;  LIV,  20;  LXXI,  3;  XXXIX,  49.  —  Cf.  AnniEN  (il  a 
écrit  quelque  temps  après  Plutarque),  Anabas,  I,  3,  avec  Vell.  Paterculus, 

II,  108,  109,  et  Strab.,  VII,  p.  301. 

Pausanias  (écrivit  170  ap.  J.-C).  Voy.  fin  du  1"  liv.  et  I,  9;  VIII,  43.  — 
Agathemeros  (200  ap.  J.-C),  II,  4.  —  Clément  d'Alexandrie,  Paedag.,  III,  3, 
§  24,  et  Strom,  I,  15,  §  71  et  suiv.  —  b  Marcien  d'Héraclée  (420  ap,  J.-COi 
TreptTrXoui;  t^ç  IÇw  9aXc(jar)ç,  conf.  avec  Geographi  graeci  minores,  éd.  Mullcr, 
vol.  I,  p.  5bO  et  suiv.  —  Zozime  (milieu  du  V«  siècle  après  J.-C),  Hist.  eccl., 

III,  9;  IV,  9;  ib.,  24;  ib.,  34,  et  VI,  b.  —  Suidas.  —  Plutarque  (presque 
contemporain  de  Tacite;  voy.  les  passages  :  Mar.,  c.  II;  Caes.,  c.  15,  19; 
Cam.,  15;  Marcel.,  c.  7;  Sert.,  c.  3.  D'après  ce  dernier  passage,  on  doit 
admettre  que  la  langue  des  Germains  et  celle  des  Gaulois  renfermaient  des 
éléments  communs).  —  Appien,  Bell.  Hisp.,  I;  Dello-GalL,  I;  Proocm.,  c.  4. 

—  Dion  Cassius  (155-240).  —  Hérodien  (240  après  J.-C).  —  Denys  le  Pé- 
RiÉGÈTE  (vers  le  IV^  siècle  de  l'ère  chrétienne).  —  Nicephore  Blemmiuas  (XIII^ 
siècle).  —  AviÉNUs  (vécut  à  Borne  vers  la  fin  du  4«  siècle  de  notre  ère).  — 
Priscien  (Ve  siècle),  auquel  on  doit  une  traduction  de  Denys  le  Périégètc, 
et  EusTATHE,  arcli.  de  Thessalonique  (mort  en  1198)  écrivit  aussi  un  com- 
mentaire sur  Denys  le  Périégètc. 

EpHRAëMos  (Ephrem),  chroniqueur  du  XV«  siècle.  —  Etienne  (Stcphanus), 
de  Byzance.  il  vivait  probablement  dans  le  Vl^  siècle  de  l'ère  chrétienne. 
Sous  le  titre  'EOvixa,  il  publia  un  lexique  géographique  dont  on  a  un  abrégé. 

—  Jean  Lydus,  écrivain  byzantin  (490-565),  —  El  Nicephore  Grécoras,  qui 
naquit  vers  1295. 

Les  sources  d'origine  latine  sont  d'abord  ;  Trebellius  Pollio  et  Nolitia 
dignitalum  utrinsque  imperii,  où  il  y  a  des  passages  qui  ne  sont  pas  favora- 
bles à  la  dualité  de  race.  Entre  autres  les  cohortes  Cellarum  de  la  Notilia. 

C,  SuETONiusTRANQ.Voy.  Aug. ,1\ ,  ciTib. ,  9,  17;  Caw.,  23,  58;  ClaïuL,  2; 


—  162  — 

de  les  examiner  dans  leurs  traits  primitifs,  d'un  côté  comme 
prolégomènes  à  l'histoire  générale  de  la  Belgique  pendant 
la  période  romaine,  et  de  l'autre,  comme  se  rattachant  à 
l'ethnographie  spéciale  des  populations  du  Luxembourg  : 
Sègnes,  Condruses,  Pémans,  Cérèses  et  Trévires.  C'est 
sous  ce  dernier  point  de  vue  que  nous  traiterons  le  plus 
succinctement  possible  de  la  question  des  Gaulois  et  des 
Germains. 

J.  Felsenfiart, 

Docleur  en  philosophie  cl  Icllres. 

{Pour  être  continué). 


TA.,  41,  conf.  avec  Claud.,  24,  et  T.  Ann.,  XIII,  54,  avec  ClaucL,  23;  Aug., 
21  et  23,  avec  Cacs.,  25  et  28;  Tib.,  9,  conf.  17;  Calig.,  47.  —  Julius  Flo- 
Rus,  I,  37,  44,  conf.  Caes.,  B,  G.,  VII,  63.  —  Silius  Italicus  qui  emploie  le 
terme  Cellae  et  Ausone  (Clar.  urb.,  14),  v.  29-32.  —  Dans  les  Scriptores 
hisloriae  Augustae,  Vopiscus,  numer.,  c.  13;  ihid.,  AttreL,  44,  conf.  53.  — 
EuMÈNE,  Panegyr.  in  Const.,  c.  3,  —  St.  Jérôme,  HUar.,  c.  81  :  «  Intcr 
Saxones  et  Alemanos  gens  est  lam  lala  quant  valida:  apud  hisloricos  Gcrmania 
7iunc  Francia  voeatur.  »  Comm.  in  epist.  ad  Galat.  proL,  c.  3.  —  Adrelius 
Victor  (560  après  J.-C),  cap.  16.  —  Eutrop.,  V,  1,  et  VII,  9,  11;  IX,  7,  8; 
X,  14,  15.  —  Ammien  Marcellin,  XV,  9,  10;  XXI,  3.  —  Grégoire  de  Tours; 
Procope  {De  bell.  Vandal.,  I,  3)  :  «  à?  Tepiia.vo'Ji  ol'  vûv  (p^ôc^yoi  xaXoûvTat; 
Bell.  Goth.,  I,  II;  comp.  avec  Vopisc,  Procul.,  13  :  «  Nonniliilum  (Proculus) 
tamen  Gallis  profuit.  Nam  Allemannos  qui  tune  adhuc  Gcrmani  diccbantur 
non  sine  gloriae  splendore  conlrivit.  »  On  ne  doit  point  perdre  de  vue,  en 
lisant  ce  passage,  que  FI.  Vopiscus  écrivait  sous  Dioclclien  et  Constance  Chlore. 


—  463  — 


its  Sires  bc  €arnat)aL 


ÉPISODES   DE   l'hISTOIEE  DE  l' ABBAYE   DE   PARC-LES  DAMES. 


L'abbaye  de  Parc-Ies  Dames  (i),  de  l'ordre  de  Cileaux, 
siluée  dans  la  seigneurie  de  Wesemael,  ne  figure  pas  parmi 
les  communautés  religieuses  qui  ont  joué  un  rôle  impor- 
tant dans  les  annales  de  notre  pays;  mais  si  sou  histoire 
ne  présente  aucun  fait  mémorable  (2),  elle  fournit  cepen- 


(1)  La  fondation  de  celte  abbaye  fut  confirmée,  en  1215,  par  Henri  I^r,  duc 
de  Brabant,  et  la  ducliesse  Aleide  appiouva,  en  12GI,  les  donations  faites  au 
même  monastère  par  Arnold  de  Rolselaer,  sénéclial  de  Brabant.  Jeanne  d'Epi- 
noy,  femme  d'Henri  d'Assche,  lui  légua,  la  même  année,  une  rente  de  trente 
sous  de  Flandre,  pour  son  anniversaire  et  pour  une  pitance  en  faveur  des 
religieuses;  et  en  1509,.  Sibille,  veuve  d'Henri,  seigneur  de  Grimberglie,  et 
Henri,  son  fils,  confirmèrent  une  donation  faite  à  l'abbaye  de  Pare-les  Dames 
par  Waulbier  de  Worseke,  en  considération  de  trois  de  ses  filles  qui  y  avaient 
pris  l'babit  (Voir  Mir^us,  t.  IV,  pp.  562,  717,  719). 

Ce  monastère  cessa  d'exister,  ainsi  qu'il  conste  par  le  procès-verbal  de 
suppression,  le  14-  vendémiaire  an  V  (5  octobre  1790).  A  cette  époque  il  comp- 
tait dix-neuf  religieuses,  y  comprise  l'abbesse,  et  douze  sœurs  converses. 

(2)  Le  silence  de  l'bistoire  est  abondamment  compensé  par  la  légende.  Nous 
engageons  beaucoup  nos  lecteurs  à  lire  le  chapitre  que  M.  Gens  a  consacré  à 
Pare-les  Dames  dans  son  livre  intitulé  :  Ruines  et  paysages  en  Belgique,  et 
surtout  le  charmant  récit  qu'il  y  fait  de  la  légende  de  sœur  Béatrix. 

La  tradition  a  complètement  dénaturé  cette  légende;  les  habitants  de  Wese- 
mael et  de  Rotselaer  racontent  que  l'àmc  d'une  abbesse,  morte  dans  l'impé- 
nitence,  vient  encore  errer,  toutes  les  nuits,  autour  du  monastère.  «  Quelque- 
fois, disent-ils,  à  l'heure  de  minuit,  on  entend  toul-à-coup  des  cris  perçants 
sortir  d'un  petit  bois  qui  se  trouve  de  l'autre  côté  de  la  chaussée  et  où  elle 
oublia  ses  vœux  pour  la  première  fois.  Le  bois  s'éclaire  de  lueurs  étranges 
et  l'abbesse,  assise  à  califourchon  sur  une  énorme  truie  —  d'où  lui  est  venu  le 


—  164  — 

dant  des  épisodes  curieux,  se  rattachant  à  des  coutumes,  à 
des  usages  locaux  qui  méritent  sans  conteste  d'être  tirés 
de  l'oubli  :  telle  est  entre  autres  l'élection  que  faisaient, 
l'avant-dernier  jour  du  carnaval,  les  jeunes  gens  de  Rol- 
selaer  et  de  Wesemael  d'un  prince  et  d'une  princesse,  élec- 
tion qui  causait,  paraît-il,  beaucoup  de  soucis  et  d'ennuis 
aux  dames  de  Parc.  C'était,  en  effet,  dans  leur  monastère 
qu'ils  prétendaient  exercer  les  prérogatives  de  leur  éphé- 
mère souveraineté,  et  si  on  examine  les  plaintes  auxquelles 
donnait  lieu  leur  conduite,  ils  ne  devaient  guères  ressembler 
à  ce  placide  roi  d'Ivelot,  que  Béranger,  dans  une  de  ses 
chansons,  célèbre  comme  le  type  du  potentat  paisible,  trou- 
vant l'extrême  bonheur  dans  une  quiétude  parfaite  et 
subordonnant  tout  à  l'amour  de  la  paix.  Autant  il  était 
tranquille,  autant  ils  étaient  bruyants;  aussi  la  manière 
dont  ils  tenaient  leur  cour  produisit-elle  les  plus  fâcheux 
tiraillements  entre  les  habitants  des  deux  villages  et  les 
religieuses  de  Parc. 

Celte  abbaye,  depuis  une  époque  très-reculée,  avait  l'ha- 
bitude de  distribuer  tous  les  ans,  l'avant-dcrnier  jour  du 
carnaval,  aux  pauvres  de  Rolselaer  et  de  Wesemael,  du 
pain,  du  lard  et  de  la  bierre,  qu'ils  consommaient  soit  de- 
vant la  porte,  soit  à  l'intérieur  du  monastère;  mais  ces 
agapes  ne  tardèrent  pas  à  dégénérer  en  orgie  et  à  occasion- 
ner de  graves  désordres.  A  pareil  jour,  les  jeunes  gens  de 
Rotselaer  proclamaient  tm  prince  de  j'oyeuselé,  qui  s'inti- 
tulait le  comte  de  Lokeren  ou  sire  de  Carnaval  {vasten- 
avondheer),  et  les  jeunes  filles  de  Wesemael  choisissaient, 
de  leur  côté,  une  dame.  Immédiatement  après  leur  élection, 
ces  potentats  d'un  jour,  escortés  par  leurs  sujets,  armés  de 


nom  de  Mcvrouw  op  liacr  zocg  —  poussant  des  cris  aigus,  en  sorl  cl  se  dirige, 
au  grand  galop  de  sa  bizarre  monture,  vers  les  bâtiments  de  l'abbaye,  où  elle 
disparaît  sans  qu'on  puisse  voir  par  où  clic  est  eutrcc.  » 


—  165  — 

sabres  de  bois  et  coslumés  en  fous  (kleedende  alsdan  ah 
zotten),  se  rendaient  au  monaslère.  A  leur  arrivée,  les 
portes  du  couvent  s'ouvraient,  de  gré  ou  de  force,  et  la 
joyeuse  cohue,  envahissant  l'asile  de  la  prière  et  du  recueil- 
lement, s'y  établissait  et  s'y  gorgeait  de  lard,  de  pain,  etc. 
Après  le  banquet,  le  bal,  c'est  dans  l'ordre  :  aux  accords 
criards  des  violons  du  village,  nos  souverains  improvisés  et 
leurs  vassaux  se  trémoussaient  et  se  livraient,  dans  le  réfec- 
toire des  domestiques,  aux  entrechats  les  plus  échevelés. 

Ces  saturnales  n'étaient  pas  du  goût  des  révérendes 
dames  de  Parc,  et  certes  elles  n'avaient  pas  tort.  En  1621, 
sous  la  prélature  de  Catherine  Bellens  (i),  les  habitants  de 
Rotselaer  et  de  Wesemael  avaient  mis  en  pièces  une  partie 
du  portail  de  l'église  abbatiale  et,  se  servant  d'un  arbre 
en  guise  de  levier,  ils  avaient  enfoncé  une  autre  porte  du 
monastère.  Ils  avaient  promis  en  outre  de  recommencer 
de  plus  belle  l'année  suivante.  Le  conseil  de  Brabant  fut 
saisi  de  cette  affaire;  par  sentence  du  20  janvier  1622,  il 


(1)  Voici  les  noms  des  abbesses  qui  onl  gouverné  Pare-les  Dames  :  Margue- 
rite, vivait  en  1223;  Ermenlrude  BoUo,  1233;  Ode,  1237,  1244;  Margue- 
rite, 1254;  E...,  1261;  Marguerite,  12G6;  E...,  1272;  Agathe  van  Dicvcn, 
f  23  mai  1275;  Anne  van  Merxem,  1297;  Marguerite  van  Rotselaer,  1291; 
Mathilde  van  Calslre,  1309;  Marie  van  den  Calstre,  1326;  Gertrude  du  Duras, 
1351;  Marguerite  van  Dormaele,  1334;  Marguerite  van  Rode,  1344;  Mathilde 
de  Boleric,  1364;  Mathilde  de  BoUo,  1365;  Marguerite  Ocmkens,  1381;  Cathe- 
rine van  Wilre,  1392;  Marie  van  Latiiem,  f  20  avril  1415;  Marguerite  van 
Wesemalc,  1423;  Marie  van  Dorraale,  f  12  octobre  1441;  Marie  Lieflkenrode, 
-J- 20  janvier  1470;  Anne  van  Rivieren,  f  21  février  1495;  Jeanne  vaudcr 
Smissen,  f  7  mars  1517;  Gertrude  van  Huile,  f  4  avril  1521;  Marguerite 
van  Dormale,  1522;  Jeanne  van  Rivieren,  f  le  27  juillet  1532;  Jacqueline 
vander  Smissen,  -^^  27  juillet  1553;  Anne  vander  Vliet,  -|- 7  novembre  1559; 
Catherine  Ilax,  -J-  11  novembre  1574;  Jeanne  de  Ferry,  f  21  mars  1C04; 
Christine  vander  Meren,  f  27  juin  1618;  Catherine  Bellens,  f  30  sep- 
tembre 1638;  Marie  van  Ryckel,  f  15  octobre  1655;  Robertine  d'Amezaga, 
-J-  26  avril  1663;  Bernardine  Taelmans,  f  26  novembre  1074;  Benoile  Hau- 
waart,  -}-  1712;  Robertine  Rozeneck,  f  1729;  Bernardine  de  Fusco,  f  1733; 
Ursule  van  Ursel,  f  1766;  Ernestine  de  Roi,  f  1776;  Constance  Verheyden 
était  encore  abbesse  en  1796,  lors  de  la  suppression  de  l'abbaye. 


—  166  — 

tléfeiulit  aux  officiers  et  aux  habitants  des  susdites  localités, 
sous  peine  d'une  correction  arbitraire,  de  se  livrer  désor- 
mais à  de  semblables  excès,  et  il  autorisa  les  religieuses  à 
afficher  cette  sentence  sur  un  poleau  devant  leur  abbaye. 
Il  les  prit  en  outre  sous  sa  sauvegarde  spéciale  (i). 

Désormais  la  guerre  était  déclarée  entre  Pare-les  Dames 
et  les  villageois.  Ceux-ci  avaient  contre  cet  établissement 
une  haine  profonde  et  cherchaient  par  tous  les  moyens  à 
lui  susciter  des  embarras.  En  1632,  la  prélate  ayant  refusé 
aux  habitants  de  Rotselaer  de  leur  délivrer  un  arbre  pour 
la  plantation  d'un  mai  devant  la  maison  des  archers,  ils 
ne  tinrent  aucun  compte  du  refus  et  s'en  allèrent  couper 
un  chêne  dans  la  forêt  du  monastère.  Comme  bien  on 
pense,  ils  n'avaient  pas  choisi  le  moins  splendide.  Les 
chevaux  qu'ils  avaient  emmenés  ne  purent  le  traîner,  et  ils 
furent  réduits  à  s'en  retourner  au  village  pour  aller  en 
quérir  d'autres.  Entretemps,  l'abbesse,  profitant  de  leur 
absence,  fit  transporter  le  chêne  à  l'intérieur  du  monastère; 
elle  espérait  le  mettre  à  l'abri  et  en  quelque  sorte  sous 
séquestre,  jusqu'à  décision  de  la  question  de  droit.  C'était 
mal  connaître  ses  adversaires;  ils  revinrent  bientôt  et  exi- 
gèrent, sans  autre  forme  de  procès,  qu'on  le  leur  remît. 
L'abbesse  n'ayant  pas  voulu  condescendre  à  leur  demande, 
nos  gars  se  mirent  en  mesure  d'emporter  le  chêne,  objet 
de  leurs  convoitises,  et  l'un  d'eux,  grimpant  sur  la  muraille 
du  couvent,  parvint,  au  moyen  d'un  levier,  à  en  ouvrir  la 
porte.  «  Voici,  s'écria-t-il,  en  le  jetant  au  milieu  de  ses 
compagnons,  la  clé  de  l'abbaye  de  Pare-les  Dames.  »  Ces 
mots  furent  le  signal  de  l'envahissement  du  monastère. 
Entrer  dans  la  cour  et  enlever  le  chêne,  fut  l'affaire  d'un 
instant.  La  supérieure  eut  beau  protester,  à  ces  réclama- 
tions les  villageois  répondirent  d'une  manière  ironique;  ils 

(1)  Annexe,  n"  I. 


—   1G7   - 

n'étaient  pas  éloignés,  disaient-ils,  de  restituer  ce  qu'ils 
avaient  pris,  ils  rapporteraient  volontiers  Tarbre,  mais  à 
condition  que  l'abbesse  donnât  une  aime  de  bierre  à  ceux 
qui  le  lui  ramèneraient  (i). 

Cette  affaire  n'était  pas  de  nature  à  calmer  l'animosité 
que  les  habitants  de  Rotselaer  nourrissaient  contre  Paro- 
les Dames,  elle  fut  au  contraire  le  point  de  départ  de  nou- 
veaux excès  à  l'occasion  du  carnaval.  Les  religieuses, 
persécutées  d'une  manière  indigne,  s'adressèrent  de  rechef 
au  conseil  de  Brabant;  elles  y  obtinrent  une  sentence,  le 
23  août  1635,  à  l'effet  de  réprimer  les  insolences  dont  les 
villageois  se  rendaient  coupables  envers  elles,  mais  poussant 
la  mansuétude  à  l'extrême,  elles  préférèrent  entrer  en 
arrangement  avec  leurs  adversaires  au  sujet  de  la  distribu- 
tion des  vivres,  qui  depuis  un  temps  immémoral  se  faisait 
le  jour  du  carnaval  dans  leur  monastère.  En  vertu  de  ce 
compromis  du  9  janvier  1656,  l'abbaye  de  Pare-les  Dames 
devait  donner  tous  les  ans  à  ceux  de  Rotselaer,  pour  les 
masques  de  ce  village  (vastenavondzotten),  3  flor.  du  Rhin, 
au  lieu  de  la  bierre  qu'on  leur  avait  précédemment  versée 
à  boire  :  elle  s'engagea,  en  outre,  à  payer  au  sire  de  Car- 
naval el  à  la  Dame  choisie  par  les  filles  de  Wesemael, 
1  schelling,  faisant  6  sous.  Le  mayeur,  ou  à  sa  place  un 
des  échevins,  accompagné  de  deux  ou  au  plus  de  trois 
habitants,  était  tenu  d'aller  recevoir  les  vivres,  qui  consis- 
taient en  un  quartier  de  lard  et  15  pains  d'abbaye,  ainsi 
que  la  gratification  dont  nous  venons  de  parler.  A  cet  effet, 
ils  devaient  se  rendre  à  l'abbaye,  entre  neuf  et  dix  heures 
du  matin,  sans  bruit  ni  vacarme  et  sans  se  faire  suivre  des 
instrumentistes,  dont  les  bruyants  accords  sonnaient  si 
mal  aux  oreilles  des  révérendes  dames  (2). 


(1)  Archives  de  l'abbaye  de  Pare-les  Dames. 

(2)  Annexe,  n»  11. 


—  108   — 

Le  23  février  1645,  Claire-Eugénie  d'Arenberg,  prin- 
cesse douairière  de  Chiniai,  ayant  la  direction  des  affaires 
et  des  biens  de  son  frère  Philippe-François,  prince  d'Aren- 
berg, duc  d'Arschol  (i),  ordonna  aux  habitants  de  Rolse- 
laer  d'observer  le  susdit  accord,  sous  peine  d'une  amende 
de  50  florins,  à  payer  pour  chaque  contravention.  Inutile 
de  dire  que  ce  règlement  pesait  beaucoup  aux  turbulents 
vassaux  du  sire  de  Carnaval.  En  1657,  brisant  le  frein  qui 
leur  avait  été  imposé,  ils  arrivèrent  devant  l'abbaye  au 
nombre  de  trois  cents,  bien  déterminés  à  célébrer  bruyam- 
ment l'élection  de  l'illustre  comte  de  Lokeren.  En  un 
instant  la  porte  cède  sous  leurs  efforts;  une  fois  à  l'intérieur, 
ils  se  mirent  à  briser  portes  et  fenêtres,  à  démantibuler  les 
tables,  les  chaises,  les  bancs,  etc.,  et  à  la  grande  frayeur 
des  pieuses  recluses,  ils  allumèrent  un  immense  brasier, 
comme  s'ils  avaient  voulu  incendier  le  monastère.  Pareils 
désordres  n'étaient  plus  tolérables;  par  ordonnance  du 
28  novembre  1657,  Philippe  IV  statua  que,  vu  le  mauvais 
usage  que  l'on  faisait  des  vivres  qui  se  distribuaient  à 
Pare-les  Dames,  cette  distribution  n'aurait  plus  lieu  à 
l'avenir  en  espèces.  De  dix  en  dix  ans,  on  devait  en  liquider 
la  valeur  et  la  réduire  en  argent  à  partager,  par  les  maîtres 
de  la  table  du  Saint-Esprit,  aux  pauvres  des  paroisses  de 
Rotselaer  et  de  Wesemael,  en  présence  du  curé.  Défense 
était  faite  au  mayeur,  aux  échevins  et  aux  habitants  de  vexer 
désormais  les  religieuses,  sous  peine  d'une  punition  à 
déterminer  suivant  la  gravité  du  cas  (2). 

Dans  le  but  de  faire  disparaître  toute  animosité  entre 
les  villageois  et  les  dames  de  Parc,  Philippe-François 
d'Arenberg,  baron  de  Rotselaer,  décréta,  le  20  août  1659, 
un  nouveau  règlement  concernant  la  distribution  des  vivres. 
En  voici  les  principales  dispositions  : 


(!)  Arcliives  tle  rabhftye  de  Paro-loz  Dniiips. 
(2)  Annexe,  n»  Ul. 


—  169  — 

1°  L'abbessc  consentait  à  donner  100  florins,  qui,  avec 
60  florins  accordés  par  le  duc  d'Arenberg,  devaient  être 
appliqués  à  la  table  du  Saint-Esprit  de  Rotselaer; 

2"  Défense  aux  liabitanls  de  molester  l'abbaye,  de  prendre 
ou  de  donner  le  litre  de  comte  de  Lokeren,  sous  peine 
d'une  amende  de  100  réaux  d'or; 

3°  Le  majeur  de  Rotselaer  devait  tous  les  ans,  le  dernier 
dimanche  du  carnaval,  publier  le  susdit  règlement  devant 
la  porte  de  l'église; 

4"  Les  parents  étaient  tenus,  quant  à  l'exécution  de  ce 
règlement,  d'être  garants  pour  leurs  enfants,  et  les  maîtres 
et  maîtresses  pour  leurs  valets; 

5°  Enfln,  les  confrères  de  la  gilde  devaient,  si  quelqu'un 
s'avisait  d'enfreindre  l'ordonnance  du  duc,  s'armer  pour 
réprimer  les  excès  qui  pouvaient  se  produire  (i)- 

Ces  dispositions  sages  et  énergiques  à  la  fois,  mirent  fin 
au  règne  de  très-hauts  et  très-puissants  sires  de  Carnaval, 
comte  et  comlesse  de  Lokeren. 


J.  J.  E.  Proost, 


(1)  Annexe,  n"  IV. 

13 


—   170   — 

Annexes  (i). 

I. 

Ordonnance  du  conseil  de  Brabant  défendant,  sons  peine 
d'une  correction  arbitraire,  aux  habitants  de  Rotselaer 
et  de  Wesemael,  de  se  livrer  à  de  nouveaux  excès  contre 
Fabbaye  de  Pare-les  Dames, 

20  Janvier  1622. 

Gesicn  in  den  raede  van  onscn  genadichsten  heere  die  ko- 
ninck  van  Caslillien,  van  Arragon,  van  Léon,  van  beyde  Sici- 
lien, van  Jérusalem,  van  Poritigael ,  etc.,  aertshertoge  van 
Oostenryçk,  hertoge  van  Bourgoignen,  van  Lotryck,  van  Bra- 
bant, van  Limborch,  van  Giielre,  etc.,  ende  van  Milanen,  etc., 
geordonneert  in  desen  zynre  Majesteits  lande  ende  hertochdome 
van  Brabant,  die  requeste  aldaer  overgegeven  ende  gepresen- 
teert  by  oft  van  weghen  die  vrouwe  abdisse  ende  religieusen 
des  Godshuys  van  Vrouwenperck,  inboudende  hoe  datmen  ge- 
woen  is,  voor  oft  binnen  den  poorten  van  't  selve  cloostere,  le 
doen  sekere  distributie  van  speck,  broot  ende  bier  aen  d'inge- 
setenen  van  Rotselaer  ende  Wesemael;  ende  hoewel  dat  d'inge- 
setenen  van  de  selve  plaefsen,  ontfangende  de  vorscreve  distri- 
butie, hun  soude  behoiren  te  comporteren  ende  te  draegen  in 
aile  modestie  sonder  derhalvens  te  gebruycken  eenige  vvegen 
van  force  oft  gevvelt,  soo  ist  nochtans  dat  in  hun  het  vuerleden 
jaer  hebben  vervoirdert  te  bedryven  seer  veele  ende  groote 
insolentie,  hebbende  het  portael  vande  kercke  voor  een  deel 
ontstucken  gebroecke,  ende  daercnboven  oyck  opgeloopen  met 
gewelt  ende  crachte  van  boomen  sekere  deure  van  't  voerschre- 
ven  cloosfer,  jae  dat  meer  is  -hebben  gedreyght  dat  zy  het 
toecommende  jaer  noch  wel  anders  souden  vuyt  richten,  nyet- 
tegenstaende  die  supplianten  hun  in  ailes  behoire  syn  acquite- 
rcnde  sonder  die  voerscreven  ingesetenen  te  geven  eenige  de 
minste  redene  van  te  doen  dyergelykc  insolentien  in  een  vrou- 

(1)  Les  pièces,  publiées  sons  ce  titre,  sont  conservées  dans  les  archives  de 
Tabbaye  de  Pare-les  Dames. 


—   171  — 

wen  cloosier,  die  welckc  gheene  defentien  van  waepcncn  oft 
andersints  en  connen  gedaen,  mits  den  welcken  hebben  die 
supplianten  zeer  oitmoedelycke  gcbeden  dat  de  voerschreven 
raede  gelieven  wilde  daer  inné  in  tyts  le  versien  by  alsulke 
middelen,  aïs  den  selve  raede  bevinde  souden  te  behoirene, 
't  hoff,  den  redenen  voerscreven  aengemercht ,  ende  in  aile 
inconvenienten  te  prevenieren  beeft  geinterdiceert  ende  verboe- 
den,  interdiceert  ende  verbiedt  wel  expresselyke,  by  desen, 
d'officieren  ende  ingesetenen  van  de  voerscreven  dorpen  van 
Rotselaer  ende  Weesemael  hen  te  verdraegen  van  eenige  inso- 
lentien  oft  moetwillicheden  meer  te  doene  oft  te  gebruycken  int 
haelen  van  de  voerscreven  disfribulie,  op  arbitreele  correctie, 
van  de  selve  hove,  maer  dat  zy  hun  daer  inné  snllen  bebben  te 
comporleren  met  aile  modestie  ende  siillicheyt,  gelyck  bunne 
voersaeten  hebben  gedaen.  Permiiterende  die  supplianten  van 
dese  tegenwordige  interdiciie  publicatie  te  moegen  doen,  ende 
voerts  de  selve  doen  stellen  op  een  block  voor  de  poorie  van  de 
voerscrevene  goidshuyse,  nemende  voert  't  voerscreven  boff  de 
selve  supplianten  in  hunne  protectie  ende  sauvegarde.  Gedaen 
in  den  voerschreven  raede,  den  twintichsten  januarii  int  jaer 
XVI'  ende  tweentwintich. 


II. 

Accord  conclu  entre  l'abbaye  de  Pare-les  Dames  et  les 
habitants  de  la  baronnie  de  Rotselaer,  au  sujet  de  la 
distribulion  de  vivres  qui  se  faisait  dans  cette  abbaye 
V avant-dernier  jour  de  carnaval. 

9  Janvier  1656. 

Op  heden  den  negensten  januarius  XVI"  sessenderlich  is 
tusschcn  de  gegoeyde  ende  de  générale  gemeyntenaers  der 
baenderye  van  Rotselaer,  ter  nedergelicht  het  différent  ende 
geschil  dat  zy  hadden  met  den  godshuyse  van  Vrouwenpercq 
ende  dat  over  de  oude  gewoonelycke  usancie  van  distributie, 
zoo  van  broot  ende  speck  op  den  naestlesten  dach  van  de  vas- 
tenavont,  die  zy  naer  ouder  gewoonte  plachten  te  hebben  ende 


—  n-2  — 

te  drincken  in  couvents  hier,  die  nien  aen  de  selve  gewillich- 
lycken  waeren  gevende  binnen  der  poorte  van  den  selven  goids- 
hnyse  met  de  gemeyne  ingesetene  der  baenderye  van  Wesemael; 
soo  zyn  wy  tusschcn  spreecke  van  goede  mannen  ende  meeste 
gegoeyde  der  selven  baenderye  van  Rotselaer  met  den  Goids- 
huyze  overcommen  ende  veraccord  om  voordaen  aile  qiieslicn, 
insolentien,    moetwillicheden   ende    differentien    te   schoiiwen 
omme  nu  ende  ter  eeuwighen  daghen,  ten  weder  zyden,  daer- 
naer  te  reguleren  ende  dat  volgens  de  presentalien  ende  pro- 
testatie  alhier  gedaen,  tôt  welchen  eynde  van  wegen  den  voor- 
noempden   Goidshuyze    van  Vrouwenpercq   expresselychen    is 
compareert  hunnen  rentmeester  in  persoone,  als  last  ende  irre- 
vocabel  procuratie  hebbende  van  het  selve  couvent,  den  welchen 
verbaelychen  int  jaergedingen  alhier   heeft  gepresenteert  aen 
onsen  dorpe  van  Rotselaer  drye  rinsguldens  jaerlycx  voor  de 
selve  vastenavont  gasten,  ende  dat  in  plaetse  van  het  couvents 
hier,  d'welch  hun  by  den  Goidshuyse  wirde  gegeven.  Ende  dat 
in  het  halen  van  de  gevvoonelycke  distribuiie  van  broot  ende 
speck,  daermede  de  voorschreven  vrouwe  abdisse  ende  conven- 
tualen  versocht  hebben  met  de  voorschreve  drye  rinsguldens 
te  gestaen  ende  daer  beneffens  te  vreden  dat  den  meyer  vander 
plaelsen,oft  wel  yemandt  in  zynen  naem,een  van  de  schepenen, 
die  met  hem  zal  mogen  nemen  twee  ofte  drye  ten  hoochsien 
van  de  binnegasten  van  den  selven  dorpe,  zonder  meer,  omme 
de  voorschreven  gcwoonelycke  distribuiie  te  halen  int  clooster, 
te  weeien  voor  die  van  Rotselaer  een  zyde  speck  met  derihien  cou- 
vents brookens,  die  zy  zullen  ontvangen  met  aile  modestie  ende 
stillichede  binnen  der  poorte  van  den  selven  cloostere,  ende  als- 
dan  ooch  jaerlycx  mede  geven  om  te  geven  aen  den  vastenavont 
heer  mede  voor  die  vrouwe  van  die  van  Wezemael  eick  eenen 
schellinck,  maekende  scsse  sluyvers.  Aile  welcke  provisie  ende 
gifte,  zoo  vooren  gezegt  is,  door  de  genomineerde  persoonen 
sal  gehaelt  worden   smorgens  tusschen  den  negen  ende  thien 
uren  met  expresse  protestatie,  zonder  by  hun  hebbende  oft  doen 
mede  commen  eenighe  instrumenten  van  geweer  oft  plaisier, 
van  eenighe  de  minste  speluyden  dan  alleenelychen  hun  sullen 
moeten  te  vreden  houden  met  't  gène  voorschreven  is  ende  vol- 
brengen  't  gène  alzoo  hier  vooren  gementionneert  is,  met  con- 


—  175  — 

tiniiaiie  ende  observatie  van  jaere  te  jaere  onverbreckelychen 
sonder  eenige  fraude  oft  argelist.  Zoo  heeft  den  voorschreven 
Goidshuyse  geconsenteert,  geljck  zy  consenteren  by  desen  ac- 
cord, te  vreden  zynde  dat  de  costen  dyer  geresen  zyn  tôt  laste 
van  de  voorschreve  gemeyntenaeren  van  Rotselaer  in  den  raede 
van  Brabant,  achtervolgens  den  vonnlsse  vander  daete  den 
vyffventvvintichste  augusti  XVI"  vyffvendertieh,  geteekent  :  Four- 
dyn,  loco  Mastelyn,  sal  laeten  glisseren,  anderssints  dat  't  voor- 
schreven cloosler  sal  blyven  in  hun  geheel,  die  ter  contrarien 
deser  eenichsints  waere  attenterende  oft  wel  int  minste  daer 
naer  en  wilde  regiileren, 

Gehoort  hebbende  het  voorschreven  vercleeren  ende  condi- 
tien  hier  vooren  gemeniionneert,  zoo  is  den  heere  Pasloor 
nietten  heere  Drossart  ab  Angelis,  meyer,  schepenen  ende  de 
principaele  gegoeyde  met  de  generaele  gemeynte  vergaedert,  op 
heden  int  voorschreven  jaergedinghe  om  vrientschappe  ende 
altoos  goede  correspondentie  voordaen  te  houden  met  het  voor- 
schreven presentatie  in  conformiteit  met  de  selve  articulen  ende 
conditien  aïs  vooren  geaccepteert,  gelyck  wy  accepteren,  by 
desen,  nu  ende  ten  eeuwighen  jaere  aizoo  te  volbrengene  ende 
't  observerene.  Aldus  geresolveert  ende  gesloten  ten  huyze  van 
den  meyer  tôt  Rotselaer,  ende  omme  beter  't  effectuerene, 
hebben  partyen  hinc  inde  dese  voorschreven  ordonnantie  on- 
derteekent  ende  eick  met  onsen  gewoonelycke  schependoms 
ende  couvents  zegel,  opt  spaiium  van  dese  gedruckt  op  datum 
ende  jaere  als  boven. 

III. 

Ordonnance  de  Philippe  IV,  portant  que  la  distribution  de 
vivres  qui  se  faisait  précédemment  à  l'abbaye  de  Paro- 
les Dames  l' avant-dernier  jour  du  carnaval,  n'aurait 
plus  lieu,  et  que  la  valeur  en  serait  distribuée  par  les 
maîtres  du  Saint-Esprit  de  Rotselaer  et  de  Wesemael, 
aux  pauvres  de  ces  deux  paroisses. 

28  Novembre  1657. 
Alsoo  aen  onzeu  seer  lieven  ende  ghetrouwen  die  cancellier 


—  174  — 

ende  luyden  van  onsen  rade  van  Brabandt,  by  den  raede  ende 
procureur  generael  van  den  voorschreven  rade  op  den  13  ja- 
nuarii  1657  ware  requeste  ghepresenteert  ende  te  kennen  ghe- 
gheven,  soo  't  synder  kennisse  was  ghekomen  dat  in  de  abdye 
van  Wrouwen  Perck  jaerlycks  gheschiedt  eene  uytreyckinghe 
van  broodt,  speck  ende  bier  aen  de  armen  van  de  by-Iigghende 
prochien  van  Rotselaer  ende  Wesemael,  op  den  naest  lesien 
vastenavondt  dagh;  ende  hoe  wel  d'intentie  van  de  fondateurs 
ontwyffelyck  soiiden  hebben  ghedraeghen  dat  sulcx  soude  ge- 
schieden  op  goede  manieren,  tôt  laeffenisse  van  de  arme  ende 
sonder  oppressie  van  het  cloosier,  ghelyck  hier  voormaels 
plachte  te  geschieden,  soo  syn  evenwel  door  de  verargheringe 
des  tydts  die  saken  soo  verre  verloopen  dat  die  voorschreven 
almoessen  't  sedert  eenige  jaere  herwarts  aen  de  armen  syn 
ontnomen  door  verscheyde,  soo  nians  als  vronwe  persoonen,  die 
voorschreven  almoessen  niet  van  noode  hebben,  ende  die  welcke 
de  selve  ghelyck  met  gheweit  ende  andersints  met  groote  moeye- 
lyckheden,  ontstichtinghe  ende  schandalen  in  hei  voorscreven 
clooster  verteren,  oock  directelyck  teghens  accorden  ende  or- 
donnantien,  daer  over  ghemaeckt,  ende  publication  daer  over 
ghedaen.  Om  waer  inné  voor  het  toekomende  te  versien,  soo 
ist  dat  wy  hier  op  ghehadt  hebbende  d'advys  van  onsen  voor- 
schreve  rade,  ende  ghehoort  die  respective  meyers  ende  sche- 
penen  van  Wesenmael  ende  Rotselaer  voorschreve,  hebben 
geordonneert  ende  ordonneren  mits  desen,  dat  die  voorschre- 
ven uytreyckinghe  van  broodt,  speck  ende  bier  voortaen  niet 
meer  en  sal  geschieden  in  specie,  noch  in  de  voorschreven 
abdye,  maer  dat  die  weerde  daer  van  te  liquideren  van  thien 
tôt  thien  jaren  met  die  heyleghen  Gheest  meesters  van  de 
voorschreve  twee  dorpen  sa!  reduceert  worden  in  ghelde  ende 
op  den  voormelden  dagh  by  de  voorschreve  heylighen  Gheest 
meesters  naer  het  ghetael  van  de  armen  der  voorschreven  res- 
pective prochien,  ten  overstaen  van  de  pastoers,  eick  in  syne 
prochie  uyfgheryckt  wordcn.  Ordonneren  aen  de  meyers,  sche- 
penen  ende  ingcselenen  van  Wesenmael  ende  Rotselaer  voor- 
schreven ende  allen  anderen,  die  sulcks  soude  moghen  raken, 
hun  daer  mede  te  ghenueghen,  sonder  aen  die  van  de  voor- 
schreven abdye,  ter  oorsake  van  het  voorschreve  broodt,  speck 


—  175  — 

ende  bier  vooriaen,  eenighe  moeyclyckheyt  acn  le  doen,  oft 
ter  oorsaken  van  dyen  by  weghe  van  feyt  iet  auders  te  preten- 
deren,  op  pêne  van  dacr  voor  anderen  ten  exemple  ghestraft 
te  worden,  't  zy  in  lyf  ofi  goet,  naer  gheleghentheyt  van  de 
sake.  Bevelende  aen  de  voorschreven  meyers  ende  schepenen 
van  Wesemael  ende  Rotselaer,  dat  sy  dese  onsen  ordonnanticn 
sullen  hebben  te  doen  publiceren  ende  stellen  ter  behoorelycker 
execulie,  voor  soo  vêle  hun  soude  moghen  raken,  verclaerende 
dacr  en  boven  dat  wy  't  voorschreven  clooster  ende  invvoon- 
deren  van  't  selve  teghens  die  voor  verhaelde  ende  dierghelycke 
voorstellen  hebben  ghenomen  in  onsen  besundcre  protexie  ende 
sauvegarde,  ende  dat  wy  teghens  de  ghene  die  contraire  dese 
soude  presumeren  te  doen  int  besundere  oock  sullen  doen  pro- 
cederen,  ghelyck  teghens  die  overfreden  van  onsen  sauvegarde. 
Wanl  alsoo  ghelieft.  Gheghcven  in  ouse  stadt  van  Brussele, 
den  28  november  lGo7. 

IV. 

Acte  de  Pfiilippe- François,  duc  d'Arenberg,  promulguant 
différentes  mesures  pour  mettre  fin  aux  excès  que  com- 
mettaient au  carnaval  les  habitants  de  sa  baronnie  de 

Rotselaer. 

20  Août  1659. 

Wy  Philips  Franz,  byder  gratie  Gods,  hertoge  van  Arenberg, 
hertog  van  Arschot  en  Croy,  prince  van  Porcean  ende  Bebecque, 
marckgrave  van  Montcornet,  grave  van  Lallaing  en  van  Senne- 
ghem,  baenderheere  van  Commeren,  Rotselar,  Bierbeke,  He- 
verlé  en  lande  van  Beveren,  heere  der  steden,  landen  en  heer- 
licheden  van  Edinghen,  Halle,  Braine-le-Comte,  Geldenaken, 
Floyon,  Pronny,  VVarpeut,  Hussignies,  Graide,  Marbourg,  etc., 
doen  te  weten  aile  de  gène,  die  dese  letteren  sullen  sien  oft 
hooren  lesen,  dat  alsoo  't  onser  kennisse  geconmien  is  dat  die 
van  het  Godshuys  van  Vrouweperck  in  ouden  lyden  hebben 
gewoone  geweest  jaerlycx  op  den  naest  leslen  vasielavont  dach 
vuyt  te  reycken  aen  de  joncheyt  ons  dorps  van  Rotselaer  en  aen 
die  vau  Wesemael  eenich  broot ,  spek  ende  hier,  't  gène  zy 


—  ne  — 

droncken  binneii  de  poorte  des  voorschreven  Godshuys,  ende 
gebeuri  is  met  lancheyt  van  tyden  dat  sy  aldaer  hebben  begonst 
te  bedryven  groote  insolentien  ende  moetwillichedcn,  niet  beta- 
melick,  noch  verdragelick  in  dier  gelyke  plaetse,  gedeslineert 
tôt  Godsdienst,  welck  quaet  soo  gegroeyt  is  dat  de  selve  joncheyt 
heeft  gecosen  eenen  heer  onder  die  van  onse  dorpe  van  Rotse- 
laer  eude  eene  vroiiwe  onder  die  van  Wesemael,  welchen  heer 
sy  noemden  den  grave  van  Lockeren  oft  heer  van  Vaslelavont, 
onder  vviens  compaignie  en  commande  sy  seyden  te  wesen,  hun 
kleedende  alsdan  gelyck  sotlen,  ende  om  hunne  brootdronken- 
schappen  te  beter  vuyt  te  wercken  waren  al  gewapent  met  groote 
honte  sweerden,  belettende  die  van  Rotselaer  aile  man  eenich 
werck  te  doen,  soo  in  schuren  als  in  velden,  ende  die  van 
Wesemael  affronteerden  aile  passanten  op  de  bane.  Om  aile 
't  weltk  te  voorcomende  ende  heel  te  doen  cesseren  ten  res- 
pecte des  voorschreven   Godshuys  van  Vrouweperck,   die  hun 
der  voorschreven  moetwillicheden  hadden  beclaeghen  in  den 
raet  van  Brabant,  ende  aldaer  den  xxv  augiisti  xvi''  vyffvender- 
tich  becommen  vonnisse  met  condamnatie  van    costen ,   dies 
niettegenstaende  hebben  die  van  voorschreven  Godshuys,  om  in 
vrientschap  te  leven   met   hunne   nabueren,  verstaen  tôt  een 
minnelyck  accord,  aengegaen  in  januario  xvi°  zessendertich  , 
onderteekend  by  wylcn  Jan  ab  Angelis,  doen  ter  tyt  Drossard 
ons  hertochdoms  van  Arschot,  by  onsen  meyer,  schepenen  ende 
dorpmeesters  van  Rotselaer,  soo  in  hunnen  naem  als  van  prin- 
cipaelste  gegoeyde  mette  generaele  gemeynte,  die  int  geaccor- 
deerd  geconsenteert  hebben  int  jaergedingh  alsdoen  onder  de 
gewoonelycke  zegelen  van  het  couvent  des  voorschreven  Gods- 
huys en  ons  schepcndom  van  Rotselaer;  by  welcken  accord  was 
besproken  dat  't  voorscreven  Godshuys  jaerelycx  soude  geven 
aen  die  van  Rotselaer  dry  guldens  voor  de  vastelavontgasten, 
ende  dat  int  plaetse  van  't  couvents  hier  dat  zy  plachten  te 
drincken  in  de  poorte  des  voorschreven  Godshuys,  met  een 
zyde  speck  ende  derthien  couvents  broykens,  met  eenen  schel- 
linck  voor  de  vastelavont  heer  hun  mosten  genoegen,  als  welck 
onsen  meyer  van  Rotselaer  oft  een  van  onse  schepenen  in  synen 
name,  die  met  hem  mochte  nemen  twee  oft  drye  van  de  binne- 
gasten  van  den  dorpe,  moste  comen  ontfangcn,  smorgens  tus- 


—  177  — 

schea  negen  ende  (bien  uren,  met  aile  modestie  ende  stillicheyt 
binnen  de  poorte  des  voorschreven  Godshuys,  sonder  by  bun 
le  bebben  oft  doen  medecommen  eenicb  geweer  oft  eenigh 
minste  spel  noeb  speelieden.  Ende  boewel  aile  't  selve  baeren 
behooren  onverbrckelyck  acbtervolght  ende  onderbouden  te 
worden,  soo  ist  nocbtans  dat  die  vastelavontgasten  der  naer 
wederom  bebben  begonst  de  voorscbeve  insolentien  ende  moet- 
willicheyden  voor  te  stellen,  bebben  soo  verre  vergeten  dat  sy 
int  jaer  xvi''  zeven  en  vyfticb  bun  bebben  verstout  wel  dry 
bondert  sterck  te  comen  gewapent  aen  voorsebreven  Godsbuys, 
alvvaer  sy  als  barbarissche  met  gewelt  bebben  geforceert  de 
poorte,  ende,  ingecomen  zynde,  bebben  in  stucken  geslagen  aile 
deuren  en  vensters  daer  sy  aen  conden,  ende  in  camers  aile 
tafelen,  stoelen,  bancken,  scbaprayen,  scbrynwerck,  eenen  put 
gevult  met  bout  ende  aerde,  ende  soo  groot  vier  gemaeckt,  al 
oft  sy  die  plaetse  badden  willen  in  brant  steken.  By  welcken 
crinien  ende  misdaeden  sy  notoirelyck  waren  vervallen  van  aile 
pretentien,  die  sy  badden  totte  voorscbreve  gifte  van  gelt, 
speck,  broot  ende  bier,  ende  souden  ontwyffelyck  alsoo  bebben 
verclaert  geweest  in  de  raede  van  Brabant,  alwaer  de  vrouwe 
abdesse  van  Vrouweperck  baer  op  een  nieuws  badden  beclaegbt, 
'l  welck  sy  't  onse  versueke  heeft  geglisseert  ende  verclaert  (oni 
met  bare  geburen  te  leven  in  vrientscbap  ende  goede  corres- 
pondentie,  ende  om  vander  voorsebreven  gifte  ende  aile  moetwil- 
licbeyden  ende  insolentien,  te  dier  oorsaecken  bedreven,  inder 
eeuwicbeyt  te  syn  ontlasi),  te  vreden  te  syn  te  geven  de  somme 
van  bondert  guldens  eens,  die  wy  willen  geappliceert  worden 
mets  noch  't  sesticb  guldens,  die  wy  vuyt  onse  beurse  daertoe 
bebben  geordonneert  tôt  behoeft  vanden  beyligen  Geest  onse 
voorscreven  dorps  van  Rotselaer,  waer  van  particulière  notitie 
sal  gebouden  worden  in  de  rekeningen  van  den  voorsebreven 
beyligen  Geest,  willende  dat  onser  meyer,  scbepenen,  secretaris, 
dorpmeesters,  kerck  ende  b.  Geestmeesters  met  de  principaelstc 
gegoeyde  ende  pacbters  ons  dorps  van  Rotselaer  dese  acte  sullen 
accepteren,  teekenen,  met  bun  scbependoms  zegel  bevestigen 
ende  punctuelyck  onderbouden,  soo  wy  willen  voor  ons,  onse 
boirs  ende  nacomelingen,  by  aile  onse  ondersalen  ten  eeuwigbe 
dagen  onderbouden  te  worden,  vcrbicdon  deroin  aen  aile  onse 


—   178  — 

ondersaten  van  Rotselaer  ende  aile  anderen,  présent  ende  toe 
comende,  aen  die  van  't  voorschreven  godshuys  van  Vroiiwe- 
perck  iramermeer  te  doen,  ter  oorsaken  voorschreven,  eenige  de 
niinste  moeyelicheyt  oft  yet  deshalven  te  heysschen  oft  preten- 
deren,  oft  aen  te  nemen  den  name  van  grave  van  Lockeren  oft 
heer  van  Vastelavont,  oft  aen  nyemant  dien  naem  te  geven,  op 
peue  van  hondert  gauden  realen,  te  verbeuren  by  elck  eenen 
contrarie  doenden ,  inden  verslanden  dat  de  ouders  siillen 
instaen  voor  hunnen  kinderen  ende  de  meesters  ende  vrouwe 
voor  hunnen  knechten.  Ende  op  dat  aile  't  gène  voorschreven 
puntuelyck  geobserveert  worden,  willen  wy  dat  onsen  mcyer 
van  Rotselaer,  nu  synde  ende  die  naemacls  wesen  sal,  dese 
acte  aile  jare  op  den  lesten  zondagh  van  vastelavont  sal  pu- 
bliceren  aen  de  kercke  deure,  het  welcke  raoest  vergadert  synde 
op  dat  nyemant  dcr  van  ignorantie  en  pretendere.  Ende  oft 
gebeurde  dat  ycmant  hem  verstoutede  yet  't  attenteren  tegens 
dese  ordonnantie  ende  verboih,  wy  willen  dat  de  Guldebroeders 
hun  datelych  sullen  slellen  inde  wapenen  om  aen  onsen  meyer 
oft  andere  onse  officiers  te  doen  aile  behoorelycke  assisieniie, 
om  feytelyck  te  beletten  het  voernemen  van  quaetwillighe, 
sonder  in  faute  te  blyven,  op  pêne  van  thien  gaude  realen  te 
verbeuren  by  eicken  défaillant. Tôt  corroboratie  van  aile  't  welcke 
hebben  desen  onderteekent  ende  met  onsen  groon  zegcl  beves- 
tichl,  in  Brussel,  den  xx  dach  augusti  xvi"=  negen  en  vyftich. 


—  179  — 


HISTOIRE 

DES    RELATIONS    POLITIQUES 

ENTRE    LA    FLANDRE    ET    L^ANGLETERRE, 
AD    MOYE.N    AGE. 


CHAPITRE  Xï. 

(1322-1336). 

Louis  de  Nevers.  Edouard  II. 

Edouard  III. 

Le  nouveau  comte  entama  des  relations  avec  l'Angleterre, 
en  demandant  au  roi  Edouard  de  vouloir  bien  terminer  tout 
différend;  dans  sa  lettre  il  proleste  de  son  respect  pour  la 
paix,  déplore  les  excès  commis  par  ses  sujets  du  temps 
de  son  père,  tant  à  cause  du  dommage  qui  en  est  résulté 
pour  les  sujets  du  roi,  que  pour  les  suites  désastreuses 
que  pourrait  avoir  la  mésintelligence  entre  les  deux  pays, 
et  prie  le  roi  d'accorder  une  trêve  marchande  aux  Fla- 
mands, promettant  de  faire  de  même  pour  les  Anglais  (i). 

La  réponse  du  roi  d'Angleterre  ne  se  flt  pas  fort  long- 
temps attendre;  sa  lettre  du  4  décembre  est  l'expression 
du  mécontentement  qu'avaient  provoqué  en  lui  les  derniers 
événements  :  «  C'est  votre  aïeul,  le  comte  Robert,  dit-il, 
qui  a  provoqué  et  donné  occasion  aux  différends  qui  se 


(i;  Rymer,  L^dit.  angl.,  t.  II,  P.  I,  p.  499.  —  Lettre  du  4  novembre  1322. 
Cetle  pièce  ne  se  trouve  pas  dans  rédition  iiollandaise. 


—  180  — 

sont  élevés  et  aux  méfaits  qui  ont  eu  lieu.  —  Cependant, 
ajoute-l-il,  si  vous  et  vos  sujets  avez  un  véritable  désir  de 
la  paix,  il  faut  que  vous  et  les  vôtres  renonciez  à  porter 
tout  secours  aux  Ecossais,  nos  ennemis,  et  rebelles  envers 
nous;  à  ces  conditions  nous  acceptons  une  conférence  et 
nous  enverrons  des  sauf-conduits  pour  vos  ambassa- 
deurs (j).  » 

Cette  question  des  secours  donnés  aux  Ecossais  fut 
souvent  une  pierre  d'achoppement  aux  rapports  amicaux 
entre  la  Flandre  et  l'Angleterre;  nous  l'avons  déjà  vue  mise 
plusieurs  fois  en  avant  par  les  rois  anglais  depuis  quelques 
années,  et  nous  la  verrons  encore  revenir  bien  des  fois  dans 
un  court  espace  de  temps. 

Comme  Louis  de  Nevers  résidait  beaucoup  en  France, 
Guy  de  Flandre  et  le  chancelier  de  Flandre,  Otto  Bono  de 
Caretlo  (2),  prévôt  de  Sainl-Donat,  gouvernèrent  momen- 
tanément en  son  nom;  ils  réitérèrent  au  roi  d'Angleterre 
la  demande  du  comte  au  sujet  de  la  paix  et  lui  donnèrent 
à  l'égard  des  secours,  dont  le  comté  tolérait  l'envoi  aux 
Ecossais,  quelques  explications  :  Edouard  se  montra  fort 
bien  disposé  à  l'endroit  de  la  paix,  mais  dans  la  missive 
qu'il  fit  parvenir,  le  26  février  1323,  aux  deux  régents, 
ainsi  qu'aux  échevins  de  Gand,  Bruges  et  Ypres,  il  répète 
que  le  comte  fut  cause  des  difficultés  qui  survinrent  et  exige 
de  nouveau  que  toute  relation  cesse  entre  les  Ecossais  et 
la  Flandre;  il  consent  celte  condition  à  ce  que  la  trêve  soit 
prolongée  jusqu'à  la  Saint-Michel  (29  septembre)  et  promet 
un  sauf-conduit  aux  envoyés  flamands,  valable  jusqu'à  la 
nativité  de  Saint-Jean-Baptiste  (4  juin).  Après  cela  il  fit 
immédiatement  proclamer  cette  prolongation  dans  tous  ses 


(1)  Rymer,  édit.  aiigl.,  l.  Il,  P.  F,  p.  500. 

(2)  Vingtième  prévôt  de  Saint-Donat,  était  italien  de  naissance;  nous  trou- 
vons que  dans  Rymer  son  nom  est  écrit  erronément  :  Oclobonus  de  Carecto. 
Cfr.  BEAUcouni,  Bcscliryvinghe  van  deu  Prooxche,  p.  22. 


—  181  — 

étais  (i).  Le  17  avril  suivant,  cette  trêve  fut  prolongée  de 
nouveau  jusqu'à  l'oclave  de  Sainl-Jean-Baplisle  de  l'année 
suivante  (2);  le  lendeman,  il  renouvela  ses  ordres  aux  baillis, 
leur  enjoignant  de  respecter  et  les  marchands  flamands  et 
le  privilège  d'étape  accordé  à  leur  pays  (3),  et  le  22  juillet, 
il  prolongea  une  troisième  fois  la  Irève  jusqu'à  la  fêle  de 
Pâques  de  l'année  suivante  (4). 

Cette  même  année,  le  comte,  voulant  favoriser  la  ville 
de  Bruges,  lui  accorda  l'étape  de  toutes  les  marchandises 
étrangères;  et  comme  la  Flandre  possédait  le  privilège  de 
l'étape  des  produits  anglais,  la  prospérité  de  cette  grande 
commune  s'accrut  considérablement.  En  vertu  de  cet  oc- 
troi, tout  bâtiment  chargé  qui  entrait  dans  le  Zwyn,  était 
obligé  de  décharger  à  Bruges,  avant  que  les  marchands 
pussent  présenter  leurs  produits  en  vente  nulle  part  ail- 
leurs, même  à  l'Ecluse,  à  Damme  et  aux  autres  endroits  où 
ils  passaient.  Voici  du  reste  comment  s'exprimait  le  comte  : 

«  Toute  manière  d'avoir  venant  dedens  Swin,  quelque 
il  soit  anchons  que  l'on  le  vende,  un  achat  vendra  à  son 
droit  slaple  à  Bruges  et  non  alleurs  dont  estaple  pas,  ce 
n'est  avoir  que  on  poeult  mettre  sus  au  Dam,  à  le  Houicke 
et  à  le  Monekerede,  par  ainsi  que  les  marchans  l'aiment 
mieulx  à  mettre  jusque  à  Bruge. 

»  C'est  assavoir  vins,  nefves  denrées,  cendre,  thar  (s)  en 
tonneaulx  et  méses  venant,  chevaulx,  buefs,  grasses  den- 
rées af  est  bures,  suin,  harens  es  tonneaulx  et  tout  ce  qui 
vient  en  cyens  de  fuste,  hormis  goule,  oyie  et  venegre,  que 
doivent  venir  à  Bruges  semblen  poura  mètre  sus  à  le  Houke 


(1)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  II,  P.  I,  p.  508  et  513. 

(2)  Idem,         idem,  idem,      p.  513. 

(3)  Idem,         idem,  idem,      p.  516. 

(4)  Idem,         idem,  idem,      p.  528.  —  Beaucourt,  Brugsche  koop- 
handel,  p.  29. 

(5)  Goudron. 


—   182   — 

el  à  le  Monekerede,  tout  manière  de  sec  poisson,  blé,  seil, 
poiitaz,  mas,  crombois  de  neifs  et  tout  appartiens  à  appa- 
reil de  mer,  comme  autres  tonnetures  et  ubois  de  neifs. 

»  Item,  tout  manière  de  frais  poisson  de  nier  et  blé  et  sel 
paurra  avoir  sa  vente  au  bort  de  la  mer,  et  on  ne  tienne 
à  l'Ecluse  nul  estaple  de  draps,  ne  de  tailles  de  draps,  ne 
hoslilles,  ne  frons,  ne  lis,  ne  netaigne  de  nulle  taertence. 

Item,  que  nul  estraingue,  ne  nul  de  TEscluse,  ne  autre 
ne  pourra  bois  mettre  sus  l'Escluse  pour  estaple  tenir,  ain- 
cors  vendra  toute  manière  de  bois  à  son  droit  estaple  de 
Bruges  (i).  » 

Vers  la  fin  de  l'année,  Guy  de  Flandre  se  rendit  en  An- 
gleterre avec  six  autres  notables  flamands,  entre  autres 
Jérôme  Van  de  Putte,  député  de  Gand  (2),  pour  traiter  des 
affaires  d'intérêt  commun,  et  obtint  qu'à  l'expiration  de  la 
trêve  accordée,  le  roi  la  prorogeât  encore  une  fois,  par 
lettre  du  1"  avril  1324,  jusqu'à  la  fête  de  Pâques  de  l'an- 
née suivante,  c'est-à-dire  pour  une  année  (3). 

Le  22  mai  suivant,  le  comte  Louis  de  Nevers  écrivit  à 
Edouard  pour  l'informer  qu'il  avait  assemblé  les  notables 
de  ses  bonnes  villes,  et  que  de  concert  avec  eux,  il  avait 
été  décidé  d'envoyer  des  députés  à  Londres  le  lendemain 
de  la  Pentecôte,  soit  le  3  juin,  pour  traiter  une  bonne  fois 
de  la  paix  (4).  Trois  bourgeois  de  Flandre,  Jean  d'Eticove, 
Guillaume  de  Deken  et  Jean  Burleke  (5),  se  rendirent  donc 


(1)  Beaucocrt,  Brugsche  koophandel,  p.  32. 

(2;  Complcs'Vendus  de  la  Commission  d'histoire,  a.  1860,  p.  102.  Lettres 
patentes  des  éclievins  de  Gand  à  Jérôme  de  Puteo,  pour  les  représenter  au- 
près d'Edouard  11,  avec  les  députés  du  comte  et  des  communes,  le  dimanche 
avant  la  Saint-Matthieu  1323. 

(3)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  II,  P.  I,  p.  S30. 

(4)  Idem,  idem,  idem,  p.  534.  —  Pâques  tombait  celte  année- 
là  le  15  avril. 

(3)  Rymer,  édil.  angl.,  l.  Il,  P.  I,  p.  Sfii.  —  Celte  pièce  ne  se  trouve  pas 

dans  l'édition  hollandaise.   —  Les  trois  noms  y  sont,  croyons-nous,   mal 

énoncés,  on  y  lit  :  Johannos  de  Elycone,Guiielmus  Le  Deen,Johannes  Burlek. 


—  183  — 

auprès  du  roi;  ils  séjournèrent  en  Angleterre  pendant  un 
mois,  sans  pouvoir  obtenir  de  solution  satisfaisante  aux 
questions  en  litige;  au  bout  de  ce  temps,  Jean  d'Elicbove 
et  Jean  Burleke  retournèrent  en  Flandre;  quant  à  Guillau- 
me de  Deken,  il  resta  de  l'autre  côté  du  détroit,  poursuivant 
sa  mission. 

Au  commencement  de  Tannée  suivante,  le  H  janvier, 
jour  de  la  Saint-Hilaire,  il  devait  y  avoir  de  nouvelles  con- 
férences, mais  les  villes  de  Flandre  se  trouvèrent  dans  l'im- 
possibilité d'y  envoyer  leurs  députés;  elles  s'en  excusèrent 
auprès  du  roi,  et  déclarèrent  avoir  toute  confiance  dans  les 
commissaires,  Guilaume  de  Deken  et  Etienne  d'Abyngdon, 
pour  ce  qu'il  y  aurait  à  traiter  jusqu'au  moment  où  la  com- 
mission pourrait  se  réunir  (i). 

La  trêve  devait  expirer  le  7  avril,  jour  de  Pâques;  ce 
jour-là  même,  les  députés  anglais,  autorisés  par  leur  sou- 
verain, déclarèrent  avec  Guillaume  de  Deken  la  prolonger 
jusqu'à  quarante  jours  après  la  Pentecôte,  c'est-à-dire  jus- 
ques  dans  les  premiers  jours  de  juillet  (2).  Les  plénipoten- 
tiaires flamands  étaient  invités,  du  reste,  à  se  trouver  à 
Londres  vers  la  fête  de  l'Ascension.  La  ville  de  Bruges  et 
les  autres  communes  consentirent  à  cet  arrangement  (3). 

Au  jour  désigné,  les  députés  des  villes  se  rendirent  à 
Londres;  c'étaient  François  Pul,  prêtre,  pour  la  ville  de 
Gand,  et  Nicaise  Le  Sage,  échevin,  pour  Ypres,  qui  allèrent 
rejoindre  le  bourgmestre  Guillaume  de  Deken,  représen- 
tant de  Bruges,  resté  en  Angleterre,  ainsi  que  nous  venons 
de  le  voir.  Le  résultat  de  cette  nouvelle  conférence  fut 
une  prolongation  d'une  année  (4),  que  le  roi  fit  publier  le 

(1)  Rymer,  édit.  angl,,  t.  Il,  P.  I,  p.  S89. 

{2j  Archives  de  la  ville  de  Bruges,  orig.,  parch.  —  Voir  aux  Pièces  jiu- 
ificalives. 
(3)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  Il,  P.  I,  p.  598. 
(A)  Idem,         idem,  idem,       p.  600. 


—   184  — 

27  aoùl;  la  Irève  devait  donc  durer  jusqu'à    la  fêle  de 
Pâques  de  Tannée  suivante,  c'est-à-dire  jusqu'au  23  mars 

1326  (n.  s.)(0- 

On  remarquera  que  depuis  une  année,  ce  sont  les  villes 
qui  traitent  avec  le  roi  et  ses  députés;  cela  provient  de  ce 
que  le  comte  était  presque  toujours  absent  et  laissait  aller 
comme  elles  pouvaient  les  affaires  de  son  comté;  les  villes 
étaient  donc  obligées  de  soigner  elles-mêmes  leurs  intérêts. 

Il  était  fort  difficile  d'en  venir  entre  les  deux  pays  à  une 
paix  définitive,  les  villes  de  Gand  et  Bruges  étaient  telle- 
ment occupées  de  leurs  discordes  qu'elles  ne  se  trouvaient 
pas  en  état  d'envoyer  leurs  députés,  et  il  fallait  finir  à 
chaque  terme  par  prolonger  toujours  la  trêve.  C'est  ce  qui 
fut  fait  de  nouveau  par  lettres  du  roi  Edouard,  en  date  du 
3  juin  1326,  qui  la  prolongeait  jusqu'aux  fêles  de  Pâques 
(12  avril)  1327  (2). 

Edouard  Ill-était  monté  sur  le  trône  à  la  suite  de  la 
déposition  d'Edouard  II,  le  25  janvier  1327.  Fidèle  aux 
traditions  de  ses  prédécesseurs,  il  s'empressa  de  renouer 
les  relations  entre  l'Angleterre  et  la  Flandre.  La  trêve, 
déjà  plusieurs  fois  prolongée,  allait  expirer.  Le  29  mars, 
il  publia  un  bref  en  vertu  duquel  il  la  prolongeait  de  nou- 
veau pour  deux  ans  {3);  il  écrivit  en  même  temps  aux 
magistrats  de  Bruges,  pour  les  informer  de  cette  pro- 
longation, et  leur  dire  que  cette  situation  provisoire  ne 
pouvant  continuer  indéfiniment,  il  espère  qu'une  paix 
définitive  mettra  bientôt  les  parties  d'accord  sur  tous  les 
points  et  réparera  les  dommages  causés.  Afin  de  témoigner 

(1)  Archives  départ,  de  Lille,  fonds  de  la  chambre  des  comptes,  carton  B, 
GOl.  —  RvMER,  édit.  angl.,  t.  II,  P.  I,  p.  601.  Cette  pièce  n'est  pas  dans  Té- 
dilion  hollandaise. 

(2)  Rymer,  édit.  angl.,  t.I  1,  P.  I,  p.  629.  —  Cfr.  une  charte  des  Archives 
départ,  de  Lille,  fonds  de  la  chambre  des  comptes,  carton  B,  603. 

(3j  Rymer,  édit.  angl.,  t.  II,  P.  II,  p.  700. 


—  185  — 

de  son  bon  vouloir  à  cet  égard,  il  écrivit  au  mois  d'avril 
aux  mêmes  magistrats,  en  réponse  à  une  de  leurs  réclama- 
tions au  sujet  de  la  prise  d'un  navire  appartenant  à  la  ville 
de  Nieuport  (i),  et  leur  promet  prompte  justice  s'ils  veu- 
lent lui  envoyer  des  chargés  de  pouvoirs  pour  traiter  de 
celte  affaire  (2).  A  la  fin  de  celte  même  année,  il  donna  à 
ses  officiers  un  ordre  équivalent,  relativement  à  une  affaire 
du  même  genre  (3). 

Edouard,  qui  avait  épousé  Philippine,  fille  du  comte  de 
Hainaul,  en  janvier  1328,  se  fit  de  ce  souverain  un  allié  (4); 
il  désirait  fort  vivement  la  conclusion  d'une  paix  solide  et 
durable  avec  la  Flandre,  car  il  comprenait  tous  les  avan- 
tages que  des  relations  pacifiques  et  sincères  produisaient 
pour  les  deux  pays;  aussi  lorsque  les  magistrats  de  Bruges 
lui  firent  savoir  qu'il  leur  avait  été  impossible  d'envoyer 
des  députés  pour  régler  les  conditions,  il  leur  exprima  ses 
regrets  dans  une  lettre  datée  du  6  avril  1528,  trois  jours 
après  Pâques,  les  priant  de  députer  leurs  ambassadeurs 
vers  lui  à  Londres,  le  jour  de  la  nativité  de  Saint-Jean- 
Baplisle  (24  juin)  (s),  et  peu  après,  le  11  mai,  il  leur 
envoie  un  messager,  pour  les  engager  à  devancer  la  date 
de  ce  rendez-vous  et  à  se  réunir  aux  commissaires  anglais 
le  plus  tôt  possible;  il  demande  même  que  la  réponse  soit 
remise  au  porteur  de  celte  dépêche  (e). 


(1)  Voir  plus  haut,  a"  1870,  p.  396. 

(2)  RïMER,  édit.  angl.,  t.  11,  P.  II,  p.  703. 

(3)  Idem,         idem,  idem,      p.  723. 

(4.)  Ou  trouve  dans  les  papiers  du  Record  office  la  concession  d'une  renie 
de  mille  marcs  à  Jean  de  Hainaut,  sur  le  produit  de  certaines  douanes.  Jean 
de  Hainaut  avait  du  reste  rendu  de  grands  services  à  Edouard  III. 

(5)  Rymer,  édit.  angl.,  l.  II,  P.  II.  p.  758. 

(6)  «  Considérantes  commoda  quœ  ex  mutua  communione  terrarum 

Angliae  et  Flandrise  provenire  polerunt,...  ad  nos  in  Angliara  celeriter  mitte- 
relis...  nobis  rescribere  velitis  per  presentium  portitorem.  »  Rymer,  t.  II, 
P.  II,  p.  742. 

14 


—  186  — 

Les  négociations  furent  reprises  :  Guillaume  de  Dcken, 
accompagné  celle  fois  d'un  clerc  de  Bruges,  Pierre  Zuine- 
keke,  et  de  Jean  Scliinkele,  se  rendit  en  Angleterre;  il  n'y 
resta  pas  longtemps,  car  nous  voyons  qu'au  commencement 
de  juillet,  il  en  était  déjà  parti.  A  la  suite  de  cette  confé- 
rence, le  12  juillet,  le  roi  Gt  proclamer  en  Angleterre  que 
tous  ceux  de  ses  sujets  qui  avaient  eu  à  se  plaindre  des 
Flamands,  n'avaient  qu'à  se  rendre  à  York  le  jour  de  Saint- 
Pierre  es  liens  (2  août),  pour  y  exposer  leurs  plaintes  (i), 
et  vingt-sept  jours  plus  tard,  le  7  août,  il  envoya  en  Flan- 
dre un  seigneur,  du  nom  de  Jean  de  Chidiok,  avec  une 
lettre  dans  laquelle  il  priait  le  bourgmestre  de  Bruges  de 
s'entendre  avec  ses  collègues,  et  avec  le  messager  anglais, 
sur  certains  points  que  Chidiok  était  chargé  d'expliquer 
verbalement  (2). 

Pendant  cet  intervalle,  Edouard  avait  pris  une  mesure 
qui  devait  considérablemcnl  faciliter  les  négociations  inter- 
nationales :  par  un  bref  daté  de  la  fin  du  mois  d'avril,  trois 
semaines  après  Pâques,  il  avait  déclaré  que  toutes  les 
peines  établies  pour  les  infractions  au  droit  d'étape,  et  le 
droit  d'étape  lui-même,  établi  dans  les  villes  anglaises, 
étaient  abolis;  que  tous  les  marchands  anglais  et  étran- 
gers obtenaient  conséquemment  le  droit  d'aller  et  de  venir 
par  toute  l'Angleterre  avec  leurs  marchandises  (3).   Cette 


(1)  Rymer,  éclit.  angl.,  t.  Il,  P.  II,  p.  74G. 

(2)  Idem,  idem,  idem,  p.  747.  —  On  peut  voir  sur  la  fin 
niallieurcusc  de  Guillaume  de  Ockcn,  noire  notice  biograpliique,  déjà  citée, 
insérée  dans  les  Bulletins  de  i Académie  royale,  a»  1871. 

(3)  «  Ensemcnt  est  accordé  et  établi  que  les  étaples  par  deçà  et  par  delea 
ordcinez  par  les  rois  en  temps  passé,  et  les  peines  sur  ce  ordeinées  cessent  : 
et  que  touz  marcliaus  aliens  et  privés  puissent  aler  et  venir  od  lour  mar- 
ehandiscs  en  Engleterre,  selonc  la  teneur  de  la  grande  cliartre;  et  que  sur 
ces  briefs  soient  mandez  à  tous  les  vicomtes  dEngleterre  et  as  meires  et 
baillifs  (les  bones  villes  où  mcslier  sera.  »  Statulcs  of  Ihe  Realm,  p.  259. 

Par  diplôme  du  21  mars  lôôl,  Edouard  lll  accorda  des  lettres  de  sauf- 


—  i87  — 

ordonnance  renversait  complètement  les  édils  du  parle- 
ment, même  récents,  puisqu'ils  étaient  du  1"  mai  de  l'an- 
née précédente,  en  vertu  desquels  était  strictement  interdit 
aux  marchands  du  royaume  d'exporter  n'importe  quelles 
marchandises,  mais  spécialement  des  laines,  peaux  et 
cuirs,  avant  de  les  avoir  exposées  en  vente  dans  les 
villes  d'étape  désignées  par  le  parlement;  c'étaient  pour 
l'Angleterre,  Newcastle,  York,  Lincoln,  Norwich,  Lon- 
dres, Winchester,  Exeter  et  Bristol;  le  pays  de  Galles 
et  l'Irlande  avaient  également  leurs  villes  d'étape  (i). 
Edouard  mettait  généralement  la  prérogative  royale  au- 
dessus  des  décisions  du  parlement,  et  traitait  les  statuts 
de  l'assemblée  avec  un  grand  sans  gêne;  lorsqu'il  lui  fut 
fait  des  remontrances  à  ce  sujet,  il  répondit  nettement 
qu'il  prétendait  agir  sur  cet  article  comme  bon  lui  sem- 
blait (2),  et  quelque  temps  après,  le  8  août,  il  confirma  les 
privilèges  octroyés  en  1505  aux  étrangers  par  Edouard  II, 


conduit  pour  les  habitants  de  Louvain,  trafiquant  en  Angletrre  {Record  office. 
—  Complcs-rendus  de  la  Commission  royale  d'histoire,  a.  1867,  p.  503). 

Il  existe  dans  les  papiers  du  Record  office,  au  sujet  des  relations  entre 
Louis  de  Nevers  et  Edouard  III,  un  document  aussi  curieux  qu'important: 
c'est  la  concession  d'une  somme  de  mille  marcs  au  profit  du  comte,  en  re- 
tour de  riiommage  que  celui-ci  prêtait  au  roi  anglais.  Cette  concession  est 
la  résurrection  du  fief  d'argent,  concédé  par  Guillaume  le  Conquérant  et 
dont  nous  avions  perdu  la  trace  sous  Guy  de  Dampierre.  C'est  ici  la  seule 
fois  qu'il  en  est  encore  question.  Voici  du  reste  le  texte  de  ce  document  : 
«  Rex  omnibus,  etc.  Novcritis  nos  teneri  et  per  prœsenles  obligari  nobili 
viro  domino  comiti  Flandrensi  faciendo  nobis  homagium  et  servicia  sua,  in 
mille  marcis  slerlingorum  prœfato  comiti  seu  assignatis  suis  ad  scarrarium 
nostrum  ad  festum  Tasclice  et  sancli  Michaelis,  per  equales  portiones  solven- 
dis  quousque  sibi  de  mille  marcatis  terrae  et  redditus  in  locis  compelenlibus 
infra  regnum  nostrum  fuerimus  provideri.  In  cujus,  etc.  Datum  apud  No- 
tingham,  xvii  seplembris  (1550).  »  {Comptes-rendus  de  la  Commission  royale 
d'histoire,  1867,  p.  502). 

(1)  Rymer,  édit.  angl  ,  t.  Il,  P.  Il,  p.  703. 

(2)  Hume,  Hist.  d'Angl.,  t.  III,  p.  210.  —  Cotton,  p.  117. 


—  188  — 

cl  les  étendit  considérablement  (i):  mais  ces  avantages  n'é- 
taient cependant  pas  gratuits;  il  établit  en  même  temps  des 
droits  fort  élevés  sur  toutes  les  marchandises  que  les  étran- 
gers introduisaient  en  Angleterre  ou  y  achetaient;  la  laine, 
par  exemple,  fut  taxée  à  quarante  deniers  de  plus  que  le 
demi-marc  qu'on  payait  précédemment  par  sac;  les  cuirs 
furent  augmentés  d'un  demi-marc  de  droits  par  lot,  et  les 
peaux  brutes,  de  quarante  deniers,  comme  les  laines  (2). 
Somme  toute,  les  droits  réunis  de  lonlieux,  issue,  etc., 
étaient  à  peu  près  aussi  élevés  que  ceux  que  payaient  nos 
marchands  il  y  a  une  vingtaine  d'années;  surtout  le  prix 
de  revient  différait  considérablement  (5). 

On  a  souvent  donné  à  Edouard  le  surnom  de  père  du 
commerce  anglais;  c'est  bien  à  tort  cependant;  jusqu'à  lui 
les  ordonnances  et  les  chartes,  tant  du  parlement  que  des 
rois,  n'avaient  eu  pour  but  que  de  favoriser  les  négocia- 
lions  commerciales  dans  l'intérêt  des  deux  pays  :  dès 
qu'Edouard  fut  monté  sur  le  trône,  le  besoin  continuel 
d'argent  le  poussa  à  promulguer  des  lois  qui,  tout  en  régle- 
mentant le  commerce,  ne  lui  étaient  pas  favorables,  mais 
avaient  le  grand  avantage  de  faire  entrer  l'argent  dans  le 
trésor  royal  (4). 

Le  commerce  et  l'industrie,  loin  de  prospérer  sous  son 
règne,  furent  presque  toujours  dans  un  étal  d'abaissement 
continuel;  les  exportations  se  bornaient  aux  laines,  cuirs, 
plomb,  peaux,  fourrures,  beurre,  élain  et  autres  matières 
premières,  dont  la  laine  cependant  formait  la  majeure  par- 
tie; les  importations  consistaient  en  toiles,  draps  fins  et 


(1)  Le  24  avril  1333,  Edouard  renouvela  la  charte  de  privilèges  accordée 
par  son  père  aux  bourgeois  de  Saint-Omer.  Rymer,  t.  II,  P.  Il,  p.  839. 

(2)  Rymer,  édit.  angl.,  l.  H,  P.  Il,  p.  747. 

(3)  Voir  plus  haut,  a»  1870,  p.  135. 

(4)  WiLL.  LoNCMAN,   Life  and  limes  of  Edward  IIl,  t.  I,  p.  76.  —  Noire 
note  dans  le  Messager  des  Sciences,  a.  1869,  p.  508  et  suiv. 


—  189  — 

vins.  D'après  un  registre  de  l'Ecliiquier,  les  exporlations 
s'élevèrent,  en  1354,  à  294,184  livres  sleriings,  et  les  im- 
portations seulement  à  38,970  livres;  l'imposition  de 
40  deniers,  établie  en  1328,  avait  réduit,  en  1349,  l'ex- 
portation à  trente  mille  sacs,  qui  avaient  rapporté  au  roi 
en  une  année  60,000  livres  sterling  d'impôts.  D'après  un 
autre  calcul  du  parlement,  l'exportation  de  cette  marchan- 
dise seule  monta  parfois  jusqu'à  4S0,000  livres  sterlings. 

La  marine  était  tombée,  à  la  fin  du  règne  d'Edouard, 
dans  une  décadence  déplorable,  ce  qu'il  faut  attribuer  à 
l'abus  que  le  ^'oi  faisait  de  son  autorité,  en  ordonnant  à 
tout  instant  de  faire  saisir  dans  les  ports  les  vaisseaux  de 
commerce,  pour  les  convertir  en  vaisseaux  de  guerre, 
dont  il  avait  besoin  pour  ses  fréquentes  expéditions.  Une 
remontrance  du  parlement,  au  commencement  du  règne 
de  Richard  II,  renferme  la  déclaration  qu'avant  Edouard  III 
un  seul  port  de  mer  contenait  habituellement  plus  de 
vaisseaux  qu'il  n'y  en  avait  alors  dans  tout  le  royaume;  la 
même  assemblée  avait  déjà  formulé,  mais  inutilement,  une 
plainte  analogue  eu  1373. 

Le  surnom  de  père  du  commerce  anglais  est  sans  doute 
dû  à  l'introduction  par  Edouard  des  manufactures  de  laine 
en  Angleterre,  et  à  la  protection  dont  ce  roi  couvrit  les 
manufacturiers  étrangers  qui  voulaient  s'établir  dans  ses 
états;  il  publia  même  un  décret  qui  défendait  à  ses  sujets 
de  porter  d'autres  étoffes  que  celles  de  fabrique  anglaise; 
le  parlement  prohiba  l'exportation  des  laines  manufactu- 
rées, tandis  que  d'un  autre  côté  il  encourageait  l'exporta- 
tion de  la  matière  première  (i). 

Edouard  eut  les  circonstances  pour  lui;  les  troubles  qui 
affligèrent  la  Flandre  sous  Louis  de  Nevers,  ainsi  que  les 
persécutions  et  les  proscriptions  qui  en  furent  la  suite, 

(1)  Home,  Hist.  d'Angl.,  t.  III,  p.  206  el  suiv. 


—  190  — 

forcèrent  bien  des  Flamands  à  émigrer;  le  roi  les  attira 
dans  ses  étals  par  toute  espèce  de  séduisantes  promesses; 
on  leur  annonçait,  dit  un  auteur  anglais  (i),  une  nourriture 
abondante  et  bonne,  de  beaux  habits,  de  bons  lits,  de  belles 
compagnes,  que  les  plus  riches  seigneurs  seraient  heureux 
de  leur  donner  pour  épouses,  un  vrai  paradis  de  Mahomet, 
qui  ne  fut  pas  sans  doute  sans  allécher  bien  des  Flamands. 
A  peine  était-il  revenu  d'Ecosse,  après  la  bataille  d'Halidon- 
Flill,  qu'Edouard  publia  une  charte  dans  laquelle  il  enga- 
geait les  tisserands  flamands  et  brabançons  à  s'établir  dans 
ses  états  (2);  un  des  nombreux  privilèges  accordés  dans  ce 
but  nous  a  été  conservé;  il  fut  octroyé  le  28  juillet  1531, 
à  un  Flamand  nommé  Jean  Kempe,  tisserand  de  laine; 
Edouard  déclare  le  prendre  sous  sa  protection  spéciale,  lui 
et  les  siens,  ouvriers  et  apprentis  du  métier  des  tisserands, 
attendu  qu'il  a  exprimé  le  désir  de  s'établir  en  Angleterre; 
il  promet  en  outre  à  tous  hommes  du  même  métier,  ainsi 
qu'aux  teinturiers  et  aux  foulons  qui  voudront  s'établir 
par  deçà  la  mer  et  y  exercer  leur  métier,  de  semblables 
lettres  de  protection  (3);  la  reine  Philippine  de  Hainaut 
visitait  souvent  Norwich,  où  la  plupart  des  ouvriers  étran- 
gers s'étaient  fixés,  et  le  roi  les  défendit  constamment  par 
toutes  espèces  de  moyens  contre  la  jalousie  que  leur  té- 
moignaient les  Anglais  (4).  C'est  ainsi,  dit  l'historien  de 
la  Flandre,  «  qu'Edouard  III,  qui  fut  quelques  années  plus 
lard  le  fidèle  allié  des  communes  flamandes,  prépara  à  la 
fois,  dès  ce  moment,  la  ruine  de  la  Flandre  et  la  grandeur 
de  l'Angleterre  (s).  » 


(1)  FoLLER,  Chtireh  Hislory.  —  Kervïn,  t.  III,  p.  161. 

(2)  W.  LoNGMAN,  t.  I,  p.  8S.  —  Rymer,  l.  Il,  P.  Il,  p.  849;  charle  du 
30  janvier  1353.  —  John  James,  Hislory  of  tite  worsled  manufacture  in  En- 
gland. 

(3)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  II,  P.  Il,  p.  823. 

(4)  W.  LONGMAN,  t.   Il,  p.  87. 

(5)  Kervïn,  t.  III,  p.  161. 


—  19Ï  — 

Au  mois  de  mars  1353,  Edouard  promet  au  comte  et  aux 
bonnes  villes  de  donner  des  instructions  à  quelques  seigneurs 
qu'il  allait  cliargcr  de  le  représenter  en  Flandre  pour  la  con- 
clusion du  traite  de  commerce  projeté  entre  les  deux  pays, 
et  cela  afin  d'en  venir  à  une  prompte  solution  (i);  le  comte 
et  les  villes  ayant  mis  en  avant  quelques  nouvelles  propo- 
sitions, le  roi  prolesta  de  nouveau  de  sa  bonne  volonté  de 
tout  arranger,  dans  une  lettre  datée  du  5  juin  {2).  Mais 
d'un  autre  côté,  il  se  montrait  vexé  de  l'attitude  d'un  cer- 
tain nombre  de  marins  flamands  qui,  malgré  l'état  momen- 
tané de  paix,  dans  lequel  l'Angleterre  se  trouvait  vis-à-vis 
de  l'Ecosse,  s'étaient  joints  à  des  marins  de  ce  dernier 
pays  pour  continuer  en  pirates  des  bostilités  tout  au  plus 
pardonnables  pendant  la  guerre;  il  écrivit  à  ce  sujet  au 
comte,  le  27  avril  (3);  Louis  de  Nevers  lui  répondit  que  ce 
fait  lui  était  inconnu,  mais  qu'à  sa  connaissance,  des  ma- 
rins anglais  avaient  pillé  des  navires  de  Flandre  et  tué  les 
équipages,  ce  dont  il  demandait  justice;  Edouard  ne  se 
contenta  pas  de  cette  fin  de  non  recevoir,  il  revint  à  la 
charge  dans  une  lettre  datée  du  7  juin,  et  envoya  peu 
après  au  comte  et  aux  bonnes  villes  de  Gand,  Bruges  et 
Ypres,  Jean  de  Hildesle,  baron  de  l'Echiquier,  Guillaume 
de  la  Pôle  et  Robert  de  Kelleseye,  pour  poursuivre  les 
négociations  et  tâcher  d'aplanir  les  difticultés  (4).  C'est 
sans  doute  à  ces  affaires  d'Ecosse  qu'il  faut  rattacher 
une  ordonnance  du  19  juin  1552,  dans  laquelle  Edouard 
enjoint  à  tous  ses  baillis  d'arrêter  sans  délai  les  navires 
de   Flandre   et  d'en  confisquer  les  cargaisons;  il   serait 


(1)  Archives  départ,  de  Lille;  fonds  de  la  chambre  des  comptes,  carton  B, 
691.  —  Le  roi  fit  une  promesse  et  un  arrangement  analogue  avec  le  Cra- 
bant,  à  la  même  époque.  Voir  Bull,  du  Bihlioph.  belge,  a.  1860,  p.  273. 

(2)  RvMER,  édit.  angl.,  t.  Il,  P.  II,  p.  862. 

(3)  Idem,         idem,  idem,       p.  860. 

(4)  Idem,         idem,  idem,       p.  862. 


—  d92  — 

impossible  sans  cela  d'expliquer  un  pareil  ordre  (i). 
Au  mois  d'avril,  Edouard  envoya  ses  plénipotentiaires 
au  comte,  et  pria  un  chevalier  flamand,  Guillaume  Sanson, 
de  les  protéger  et  de  favoriser  leur  mission  (2);  les  négo- 
ciations étaient  déjà  en  bonne  voie  et  ne  tardèrent  pas  à 
aboutir  à  un  accord,  qui  fut  conclu  au  commencement  de 
septembre  (3).  Il  fut  convenu  entre  le  roi  d'un  côté,  le 
comte  et  les  bonnes  villes  de  Gand,  Bruges  et  Ypres  de 
l'autre,  que  tous  les  griefs  de  part  et  d'autre  seraient  re- 
dressés; que  de  part  et  d'autre  on  nommerait  deux  com- 
missaires; que  la  commission,  ainsi  composée  de  ces  quatre 
personnes  dignes  de  confiance,  se  réunirait  d'abord  à  York, 
vers  la  fête  de  la  Toussaint,  et  après  avoir  juré  sur  les 
Evangiles,  porterait  un  jugement  juste  et  équitable,  et 
procéderait  à  une  enquête  minutieuse,  dont  elle  prendrait 
note  exacte;  qu'ensuite  elle  se  transporterait  à  Bruges, 
afin  d'y  procéder  d'une  manière  analogue;  le  comte  et  le 
roi  s'engageaient  chacun  de  son  côté  à  se  conformer  à  la 
décision  des  commissaires,  à  donner  satisfaction  à  qui  de 
droit,  avant  la  Purification  de  l'année  suivante,  à  observer 
strictement  et  loyalement  la  paix,  et  à  donner,  dans  leurs 
états  respectifs,  toute  liberté  aux  marchands  des  deux  na- 
tions (4).  Aussitôt  après  la  conclusion  de  celle  convention, 
Edouard  donna  ordre  à  ses  vicomtes  et  baillis  de  relâcher 


(1)  «  Quibusdam  de  causis  vobis  praecipimus,  quod  omnes  naves  ac  alia 
bona  hominum  de  Flandrià  qui  infra  baillivam  vestram  poterunt  inveniri 
sine  dilatione  areslari,  et  sub  areslo  sine  dislrictione  aliqua  salvo  cuslodiri 
facialis  donec  aliud  a  nobis  indè  habueritis  in  mandalis,  et  hoc  nullo  modo 
omittalis.  Teste  me  ipso  apud  Pontoyse,  xix  die  junii,  anno  regni  nostro  Yl.  » 
—  Delpit,  Documents  français, 

(■■2)  Archives  départ,  de  Lille,  fonds  de  la  chambre  des  comptes,  carton  B, 
697. 

(3)  Kervyn,  t.  III,  p.  160. 

(4)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  Il,  P.  II,  p.  871. 


—  193  — 

les  navires  qu'il  avait  fait  arrêter  et  de  restituer  les  car- 
gaisons à  leurs  propriétaires  (»). 

Les  arbitres  qui  se  réunirent  à  York,  furent  d'abord, 
du  côté  des  Anglais,  Thomas  de  Brayton  et  Simon  de 
Stanes,  et  du  côté  des  Flamands,  le  sire  de  Steeland  et 
un  autre  député  des  bonnes  villes  (2);  mais  au  mois  de 
janvier  de  l'année  suivante  (1334),  nous  voyons  que  lors- 
que les  mêmes  commissaires  durent  se  transporter  à 
Bruges,  Edouard  remplaça  Thomas  de  Brayton,  empêché 
de  se  rendre  à  son  poste,  par  Robert  de  Scorburgh,  et  que 
du  côté  de  la  Flandre,  il  y  avait  pour  s'entendre  avec  eux, 
Paulin  de  la  Motte,  chanoine  de  Saint-Donat,  et  Jean 
d'Harlebeke,  bourgeois  de  Bruges  (3). 

Le  16  mars,  le  comte  de  Flandre  permit  par  lettres 
patentes  aux  marchands  d'Angleterre  de  commercer  dans 
ses  étals  jusqu'au  8  septembre,  jour  de  la  Nalivité  de  la 
Sainte  Vierge,  en  attendant  l'arrangement  définitif  de 
toutes  les  affaires  pendantes  entre  les  deux  pays  (4). 

Edouard  fit  la  même  chose  de  son  côté,  le  5  avril,  en 
faveur  des  Flamands  qui  voulaient  fréquenter  les  foires 
d'Angleterre;  seulement  son  sauf-conduit  n'est  valable  que 
jusqu'au  jour  de  l'Assomption  (s). 


(1)  Rymer,  édil.  angl.,  t.  II,  P.  II,  p.  869. 

(2)  Idem,         idem,  idem,       p.  872. 

(3)  Idem,         idem,  idem,       p.  875. 

(4-)  «  Quod  mercatores  regni  Anglie  secure  par  comilalum  Flandrie,  et 
mercalores  Flandrie  par  regnum  Anglie  sive  in  terra,  sive  in  mari  possint 
mcrcari,  morari,  conversari  et  esse....  mei-caluras  de  una  palria  ad  aliam 
cumferre  sine  impedimentis  quibuscumque  usque  ad  presens  et  instans  fes- 
tum  Nativitatis  bealae  Marie  mensis  septembris.  Datum  et  aclum  apud  Alde- 
nardum,  xvi  die  mensis  marlii,  anno  Domini  mill»  ecc  tertio  (133i,  n.  s.).  » 
—  Arcliiv.  départ,  de  Lille,  fonds  de  la  chambre  des  comptes,  carton  B,  706. 

(5)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  II,  P.  II,  p.  884.  —  Il  se  présente  ici  une  cer- 
taine confusion  de  dates.  Nous  venons  de  reproduire  dans  la  note  précédente 
Toclroi  du  comte,  tiré  des  Archives  départementales  de  Lille,  daté  du  16 
mars;  et  nous  voyons  qu'Edouard,  dans  son    ociroi  reproduit  par  Rymer, 


—  194  — 

Mais  les  négocialions  n'aboutissaient  pas;  elles  traînaient 
en  longueur,  peul-clre  à  cause  des  nombreuses  réclama- 
lions  au  sujet  des  dommages,  peut-être  aussi  pour  d'autres 
motifs;  ces  relards  nécessitèrent  l'envoi  de  nouveaux  délé- 
gués de  la  part  du  roi  d'Angleterre  au  comle  de  Flandre; 
c'étaient  Simon  Francis  et  Henri  de  Colcbester  qu'Edouard 
adjoignit  à  Simon  de  Stanes,  chargé  de  continuer  sa  mis- 
sion; il  manda  le  fait  aux  Gantois,  les  priant  de  bien  rece- 
voir ses  délégués  et  de  leur  faciliter  leur  tâche  (i).  Le  sauf- 
conduit  temporaire  accordé  au  mois  de  mars  n'ayant  cours 
que  jusqu'à  l'Assomption,  il  fallait  nécessairement  le  re- 
nouveler; le  comte  et  le  roi,  chacun  de  son  côté,  publièrent 
un  décret,  le  premier,  le  22  août,  le  second  le  27  sep- 
tembre, en  vertu  duquel  ils  octroyaient  la  liberté  du  com- 
merce aux  marchands  des  deux  nations  jusqu'aux  fêles  de 
la  Pentecôte  de  l'année  suivante  (2). 

L'année  toute  entière  se  passa  sans  solution,  et  le 
16  mai  1535,  Edouard  envoya  de  nouveaux  députés  en 
Flandre;  c'étaient  Guillaume  de  la  Pôle,  qui  n'en  était  pas 
à  sa  première  mission,  Jean  de  Causton,  Guillaume  Fox  et 
Guillaume  de  Preston,  tous  et  chacun  en  particulier  munis 
de  pleins  pouvoirs.  On  fut  cependant  obligé  de  prolonger 
la  trêve  encore  cette  fois,  et  il  fut  convenu,  de  part  et 
d'autre,  que  la  liberté  du  commerce  et  de  toutes  les  rela- 
tions existerait  entre  les  deux  peuples,  à  dater  du  15  juin 
de  la  même  année  jusqu'à  la  fin  de  1355,  et  depuis  ce 
moment  pendant  une  année  entière  (5). 

dil  que  le  comle  a  permis  aux  Anglais,  par  acte  du  23  mars  au  lieu  du  16, 
de  commercer  dans  ses  étals  jusqu'à  la  fête  de  TAssomplion ,  au  lieu  que 
c'est  jusqu'au  8  septembre. 

(1)  Archives  de  la  ville  de  Gand.  Inventaire  n»  379.  —  Archives  départ, 
de  Lille,  fonds  de  la  chambre  des  comptes,  carton  B,  71  G.  Voir  aux  Pièces 
juslificalives. 

(2)  Rymer,  édit.  ang!,,  t.  Il,  P.  II,  p.  893. 

(ô)  kl.,  id.,  id.,  p.  918  et  924. 


—  195  — 

Il  était  convenu  également  que,  pendant  cet  intervalle, 
les  délégués  s'assembleraient  encore  pour  traiter  des  me- 
sures à  prendre;  la  date  flxée  pour  celle  réunion,  qui  devait 
avoir  lieu  en  Flandre,  était  la  quinzaine  de  Pâques,  mais 
Edouard  se  vit  empêché  d'envoyer  ses  députés;  il  s'en  excusa 
dans  une  lettre  au  comte,  et  dans  une  autre  aux  bonnes 
villes,  les  priant  de  ne  pas  attribuer  cet  empêchement  à  la 
mauvaise  volonté,  et  de  vouloir  bien,  malgré  cela,  obser- 
ver et  faire  observer  la  trêve  jusqu'à  la  fin  de  l'année,  ce 
qu'il  s'engageait  à  exécuter  lui-même  (i).  L'affaire  resta 
donc  pendante,  et  avant  qu'elle  fût  arrangée,  d'autres  faits 
plus  graves  survinrent  qui  compliquèrent  les  événements. 


I. 

(Voir  p.  183). 
Prolongation  de  la  trêve  entre  la  Flandre  el  V Angleterre. 

A  tous  y  ceux  qi  cestes  lettres  verront  ou  oerront.  Nous 
Wilium  le  Dene,  chivaler,  et  Estephane  Dabindone,  commis- 
saires et  messages  de  très  excellent  et  très  puissant  prince  uo 
1res  chier  et  très  amé  seigneur  monseigneur  Edward,  parla  grâce 
de  dieux  roi  dEngleterre,  seigneur  dtrlande  e  ducs  dAquitaine 
salus.  Sachent  tous  qe  nous,  pour  le  comun  profit  des  niar- 
chans  et  des  marchandises  du  pais  dEngleterre  et  de  Flandres, 
par  le  povoir  nous  comis  et  doné  de  nostre  seigneur  le  roi 
desus  dit,  avons  tretés  et  accordés  avesques  honorables  homes 
et  sages  eschevins  et  conseil  de  la  vile  de  Gaund ,  burgh- 
maistres,  eschevins  et  conseil  de  la  vile  de  Brughe  et  advoé 
eschevins  et  conseil  de  la  vile  dYpre,  une  soffrance  et  respit  entre 
les  gents  et  subges  de  nostre  seigneur  le  roi  dune  part,  el  les 
gens  et  subges  de  noble  prince  et  très  puissant  monsgr  le  comte 

(1)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  Il,  P.  II,  p    933;  20  mars  1336. 


—  i96  — 

de  Flandre  dautre  part,  tant  par  mer  conie  par  terre,  durant 
du  jour  de  la  date  de  cestes  lettres,  jusqes  à  quarante  jours 
après  la  Pentecoste  prochein  avenir.  La  quele  soffrance  et  res- 
pit  nous  permectons  pour  nostre  seiineur  le  roi  desusdit  e  en 
son  nom  e  pour  tous  ces  subges,  à  tenir  bien  e  fermement;  si 
mandoms  et  comandoms  par  la  vertu  du  roi  nostre  seigneur, 
à  tous  justiciers,  sergeans  et  tous  subges  dudit  nostre  seigneur 
le  roi  qe  y  ceste  soffrance  et  respit  tiegnent  sans  rien  venir 
alencontre  et  si  asqun,  quelconqes  ce  fust,  fesist  alencontre  en 
fesant  griefs  ou  moleste  ou  iniure  à  ditz  gents  de  Flandre,  en 
qelconqes  manière  qe  ce  fust  le  dit  terme  durant,  nous  per- 
mectons en  le  nom  dudit  nostre  seigneur  le  roi,  qil  le  ten- 
droit  fait  corne  à  luy  mesmes  et  le  ferroit  adresser,  et  avant  qil 
deveroit  suffire  par  toute  raison.  En  tesmoignance  de  quele 
chose,  nous  avoms  cestes  présentes  lettres  ensealés  de  nos  pro- 
pres seals;  faits  et  donnés  à  Bruges,  le  iour  de  la  Résurrection 
nostre  Seigneur  lan  de  grâce  m.  ccc  vint  e  cink  (1525). 

Archives  de  la  ville  de  Bruges.  Original,  parchemin.  Sceaux 
pendant  chacun  à  une  bande  de  parchemin,  l'un  perdu, 
l'aulre  brisé. 


H. 

(V.   page  194). 
Lettre  d'Edouard  III  aux  Gantois,  en  faveur  de  ses  ambassadeurs. 

Edward,  parla  grâce  de  Dieu  roi  dEngleterre,  seigneur  dlr- 
lande  et  duc  dAquitanie,  à  nos  bien  amez  burghmestres,  esche- 
vins  et  conseilliers  de  la  ville  de  Gant,  saluz.  Comme  nous 
enveons  dercchief  par  devers  nostre  chier  cousin  le  conte  de 
Fflandres,  nos  chiers  et  foial.x  mestre  Simon  de  Stanes,  Simon 
Franceis  et  meistre  Henri  de  Colcestre,  nos  messagies,  pour 

dacord  faire  entre  ledit  conte  et  nous  et  nos 

subgitz  dune  part  et  dautre,  selonc  ce  que  les  choses  furent 
nadgaires  pourparlées  et  ordenées ,  entre  ledit  conte  et  nos 
autres  messages,  sur  quelcunques  trespas,  damages,  injures,  ro- 
beries  et  autres  déprédacions  quelcunques.  Vous  prions  chère- 


—  197  — 

ment  que  nos  ditz  messages  voiliez  bénigaement  recevire  et 
favorablement  ei  gracieusement  délivrer  tant  comme  en  vous 
por  amitié  de  nous.  Donné  sous  nostre  privé  seal  à  Odiham, 
le  vii]*"  jour  daugst,  lan  de  nostre  règne  sesisme  (8  août  1334). 

{Archives  de  la  ville  de  Gand.  Original,  parchemin,  sans  trace 
de  sceau;  provenant  des  Charles  confisquées.  —  inventaire 
n»  579). 


CHAPITRE  XII. 

(1336-1340). 

Louis  de  Nevers.  Edouard  III. 

Edouard  III,  après  bien  des  hésilalions,  s'élail  enfin  dé- 
cidé à  disputer  la  couronne  à  Philippe  de  Valois,  le  roi 
trouvé;  il  commença  les  hoslililés  en  Guyenne.  Dans  celle 
occurence,  Louis  de  Nevers  voulut  témoigner  de  sa  fidélité 
au  roi  de  France  et  fit,  sans  aucun  motif,  sans  qu'il  y  eût 
aucun  grief  à  leur  charge,  et  malgré  les  traités,  arrêter 
tous  les  Anglais  qui  se  trouvaient  dans  ses  états  et  con- 
fisquer leurs  biens  et  marchandises.  Le  roi  d'Angleterre 
fut  extrêmement  irrité  de  ce  procédé,  qu'il  qualifia  de 
malice  sans  pareille,  et  ordonna  immédiatement  à  tous  les 
vicomtes  des  comtés  d'Angleterre,  de  faire  arrêter  sans 
délai  et  détenir  les  hommes  de  Flandre  partout  oîi  on  les 
trouverait,  et  de  mettre  l'embargo  sur  leurs  navires,  leurs 
marchandises  et  tous  leurs  biens  meubles  et  immeubles 
jusqu'à  nouvel  ordre  de  sa  part  (i).  Froissart  dit  même 
qu'il  supprima  l'étape  des  laines  en  Flandre  (2).  Louis  de 
]\evers  aurait  dû  agir  avec  plus  de  prudence,  car,  après  la 
mesure  qu'il  avait  prise,  il  fallait  s'attendre  à  des  repré- 
sailles dont  les  intérêts  de  la  Flandre  toute  entière  auraient 


(1)  RvMER,  édil.  angl.,  t.  II,  P.  II,  p.  9-48.  —  Lettre  du  S  octobre  1336. 

(2)  Froissart,  édit.  Kervvn,  I.  I,  p.  440. 


—  198  — 

eu  à  souffrir;  il  est  vrai  de  dire  que  le  comte  avait  peu 
souci  du  bien-être  de  ses  sujets. 

Cet  état  de  choses  pesait  à  Edouard,  qui,  dans  un  but 
commercial  et  dans  l'espoir  d'engager  les  Flamands  à  s'allier 
avec  lui  contre  Philippe  de  Valois,  ne  demandait  pas  mieux 
que  de  voir  la  paix  régner  entre  le  comte  et  l'Angleterre.  Il 
écrivit  donc  le  18  octobre  à  Louis  de  Nevers,  pour  lui 
demander  de  relâcher  les  Anglais,  lui  promettant  de  faire 
la  même  chose  de  son  côté  et  de  retirer  toutes  les  mesu- 
res répressives  édictées  contre  les  hommes  de  Flandre  (i). 
Mais  cette  démarche  conciliatrice  resta  sans  réponse;  les 
Anglais  demeurèrent  dans  les  prisons  du  comte  et  les 
marchands  de  Flandre  dans  celles  d'Edouard;  le  commerce 
et  l'industrie  durent  forcément  chômer,  et  la  misère  que 
les  crises  de  ce  genre  amènent  toujours  avec  elles,  vint 
s'asseoir  au  foyer  des  ouvriers  de  nos  villes  et  de  nos  cam- 
pagnes. 

Le  Brabant,  rival  en  industrie  de  la  Flandre,  voulut 
profiler  de  ces  circonstances  :  sachant  que  son  alliance 
était  également  précieuse  à  l'Angleterre,  le  duc  demanda 
que  l'étape  des  produits  anglais  fût  transférée  dans  ses 
états  (2)  et  fut  bien  près  de  l'obtenir;  des  négociations 
furent  entamées,  des  ambassadeurs  furent  envoyés  par 
Edouard  au  duc  et  aux  bonnes  villes  de  Bruxelles,  Lou- 
vain  et  Malines  (0).  On  eût  dit  que  le  roi  voulait  tout 
sacrifier  à  son  ressentiment;  il  engagea  même  ses  alliés, 
entre  autres  le  roi  de  Castille,  des  états  duquel  les  Fla- 
mands tiraient  des  laines,  à  cesser  avec  eux  toute  rela- 
tion (4). 


(1)  Rymer,  cdit.  angl.,  1.  Il,  P.  II,  p.  948. 

(2)  Idem,         idem,  idem,       p.  9S2. 
(5)  Idem,         idem,  idem,       p.  939. 

(4j  Idem,         idem,  idem,       p.  9G1.   Lettre  au   roi   de   Casiille,    18 

mars  1337.  —  Nous  trouvons  dans  les  Complen-rendiis  de  la  Commission 


—  199  — 

Les  villes  de  Flandre  ne  pouvaieul  longtemps  supporter 
cet  état  de  choses;  après  avoir  fait  preuve  d'indépendance 
eu  s'alliant  aux  villes  du  Brabanl  (i),  elles  refusèrent  de 
suivre  plus  longtemps  leur  comte  dans  son  système  d'hosti- 
lité vis-à-vis  de  l'Angleterre  et  voulurent  entrer  en  pour- 
parlers avec  Edouard.  Depuis  trois  ans,  le  commerce  des 
laines  était  presque  nul;  la  fortune  du  pays  en  souffrait,  à 
tel  point  qu'un  écrivain  anglais  dit  que  ces  Flamands,  dont 
l'affection  s'adressait  plutôt  aux  sacs  de  laine  qu'au  peuple 
anglais,  avaient  déjà  rabattu  beaucoup  de  leur  fierté  (2). 

Edouard  avait  fait  depuis  Tannée  précédente  les  pre- 
miers pas  dans  la  voie  de  la  conciliation;  il  tenait  beaucoup 
à  avoir  les  Flamands,  seuls  ou  avec  leur  comte,  de  son  côté, 
dans  le  grand  duel  qu'il  commençait  avec  Philippe  de 
Valois;  aussitôt  qu'il  eût  vu  les  dispositions  des  bonnes 
villes,  il  ordonna  qu'on  protégeât  tous  les  ouvriers  fla- 
mands qui  voudraient  venir  en  Angleterre  (5).  Le  15  avril 
1537,  il  envoya  l'évêque  de  Lincoln,  Guillaume  de  Mon- 
taigu,  comte  de  Salisbury,  Guillaume  de  Clynton,  comte  de 
Huntington,  Renaud  de  Cobham,  Guillaume  Trussel  et 
JNicolas  de  la  Bêche,  pour  s'entendre  avec  les  villes  et  con- 
clure même  un  arrangement  pour  fixer  de  nouveau,  d'une 
manière  stable,  l'étape  de  laines  en  Flandre  (4).  Ces  mêmes 

royale  d'histoire,  a"  1809,  p  506,  une  charle  ilécoiivcrle  par  M.  Van  Bruys- 
sel,  dans  les  Arcliives  du  Record  office,  qu'il  attribue  au  19  février  1557, 
dans  laquelle  Edouard  donne  commission  à  trois  seigneurs  anglais  de  con- 
clure un  traité  avec  le  comte.  11  nous  est  impossible  d'admettre  la  date 
assignée  à  ce  document  par  M.  Vaa  Bruyssel,  par  conséquent  d'en  faire  usage, 
attendu  qu'au  mois  de  février  1537  Edouard  III  était  en  état  d'hostilité  dé- 
clarée avec  la  Flandre. 

(1)  Kervyn,  t.  III,  p.  166. 

(2j  «  Rêvera  per  très  annos  elapsos  passagium  de  lanis  cessabat  ut  citius 
Flandrensium  superbiam  rex  devinceret  qui  plus  saccos  quam  Angiicos  vene- 
rabantur.  »  Walsingham,  p.  151. 

(3|  Walsingham,  p.  131. 

(4)  Rymer,  édit.  angl  ,  t.  Il,  P.  II,  p.  966. 


—  200  — 

seigueurs  avaient  commission  de  la  pari  du  roi  pour  faire 
des  traités  d'alliance  avec  tous  seigneurs  nobles  et  puis- 
sants dans  rinlérèt  de  leur  maître  (i),  et  proposer,  comme 
gage  de  la  paix,  un  mariage  entre  le  fils  aîné  du  comte  de 
Flandre  et  la  princesse  Jeanne  d'Angleterre  (2). 

Les  ambassadeurs  du  roi  d'Angleterre  débarquèrent  à 
Dunkerque,  de  là  se  rendirent  à  Valenciennes  auprès  du 
comte  de  Hainaut,  et  réussirent  à  attirer  dans  le  parti 
d'Edouard  le  duc  de  Brabant  et  plusieurs  puissants 
seigneurs  du  continent  (3).  Le  comte  de  Flandre  seul  resta 
sourd  à  leurs  paroles  et  voulut  demeurer  l'allié  fidèle  du 
roi  de  France,  qui,  pour  reconnaître  sa  constance,  lui 
promit  de  ne  faire  ni  paix  ni  trêve  avec  le  roi  d'Angleterre, 
le  duc  de  Bavière  et  tous  leurs  adhérents,  sans  le  com- 
prendre dans  le  traité  (4). 

Quelque  temps  après,  au  commencement  d'octobre,  une 
députalion  encore  plus  nombreuse  fut  envoyée  par  Edouard 
sur  le  continent;  elle  se  composait  de  plus  de  soixante 
seigneurs  (5),  parmi  lesquels  l'évèque  Lincoln,  le  comte  de 
Norlhampton,  celui  de  Suffolk,  le  sénéchal  du  palais,  Jean 
Darcq,  Richard  de  Wynkele,  provincial  des  Dominicains 
en  Angleterre,  Jean  d'Ufford,  chanoine  de  Londres,  Jean 
de  Monigommery,  chevalier,  et  Jean  Walwein,  chanoine, 
étaient  chargés  de  pleins  pouvoirs  pour  traiter  avec  le 
comte,  les  bonnes  villes  et  les  souverains  du  continent.  Ces 
seigneurs  se  rendirent  dans  les  différentes  villes  de  Flan- 
dre, à  Bruges,  à  Ypres,  et  le  plus  grand  nombre  à  Gand, 
où  Sohier  le  Courtroisin  leur  fit  grand    accueil  et  leur 


(1)  Rymer,  édit.  angl.,  l.  II,  P.  II,  p.  967. 

(2)  Idem,         idem,  idem,       p.  967. 

(3)  Froissart,  édit.  Kervyn,  t.  I,  p.  383. 

(4)  Archives  départ,  de  Lille,  fonds  de  la  chambre  des  comptes,  carton  B, 
752. 

(5)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  Il,  P.  Il,  p.  997. 


—  201  — 

promit  ralliance  des  communes  (i);  les  Anglais  faisaient 
de  grandes  dépenses  el  tenaient  grand  état,  dit  Froissart, 
cherchant  à  se  concilier  la  population;  mais  s'ils  gagnèrent 
les  Flamands,  ils  échouèrent  dans  le  point  principal  de 
leurs  négociations,  qui  était  de  persuader  au  comte  de  se 
mettre  du  parti  du  roi  d'Angleterre  et  de  faire  épouser  la 
princesse  Jeanne  à  son  fils;  ils  ne  purent  rien  obtenir  de 
ce  côté  et  durent  retourner  à  la  cour  du  comte  de  Hai- 
naut,  après  avoir  vu  arrêter  Sohier  le  Courtroisin,  que  ses 
sympathies  pour  les  intérêts  du  peuple  et  l'alliance  anglaise 
avaient  rendu  odieux  à  Louis  de  Nevers.  A  peine  avaient- 
ils  quitté  la  Flandre,  qu'ils  apprirent  que  le  comte  avait 
envoyé  des  vaisseaux  vers  les  bouches  de  l'Escaut  et  avait 
mis  une  garnison  dans  l'ile  de  Cadsand  pour  s'emparer 
d'eux  s'ils  partaient  pour  Anvers.  Par  crainte  d'être  pris, 
ils  passèrent  par  les  possessions  du  duc  de  Brabant  el  s'em- 
barquèrent à  Dordrecht  (2), 

Quand  les  envoyés  anglais  eurent  exposé  à  Edouard 
l'insuccès  de  leur  entreprise  et  les  mauvais  procédés  du 
comte  de  Flandre  à  leur  égard,  le  roi,  fort  mécontent,  se 
contenta  de  leur  répondre  qu'il  porterait  promptement 
remède  à  cet  état  de  choses;  aussitôt  il  ordonna  au  comte 
de  Derby,  son  cousin,  à  Gauthier  de  Mauny,  au  comte  de 
SufFolk,  à  Renaud  de  Cobham,  Roger  de  Beauchamp, 
Guillaume  Filz  Warin,  au  sire  de  Bercler  et  à  d'autres, 
d'aller  avec  deux  mille  archers  et  cinq  cents  hommes  d'ar- 
mes, attaquer  les  Flamands  dans  l'île  de  Cadsand,  pour 
venger  l'affront  que  lui  faisait  Louis  de  Nevers.  Le  comte 
avait  là  cinq  mille  hommes  d'armes,  commandés  par  Guy 
de  Flandre,  son  frère  bâtard  ;  parmi  eux  on  voyait  les 


(1)  Froissart,  édit.  Buchon,  t.  I,  p.  187.  —  Édit.  Kervvn,  t.  I,  p.  379  et 
527,  aux  notes. 

(2)  Froissart,  édit.  KtRVYN,  t.  I,  p.  384. 

IS 


—   20!2  — 

principaux  seigneurs  Icliaerts,  le  sire  de  Halluin,  Jean 
(le  Rodes,  Gilles  de  Walervliet,  Simon  et  Jean  de  13rug- 
dam,  Pierre  d'Ingelmunster  et  bien  d'autres  (i);  malgré 
leur  infériorité  numérique,  les  Anglais  furent  vainqueurs; 
plus  de  trois  mille  Flamands  furent  tués  et  un  grand 
nombre  furent  faits  prisonniers ,  parmi  lesquels  Guy 
de  Flandre,  qui,  cette  même  année,  dit  Froissart,  entra 
dans  le  parti  du  roi  d'Angleterre  et  lui  jura  foi  et  hom- 
mage. Les  seigneurs  que  nous  avons  nommé  et  environ 
vingt-six  autres  chevaliers  et  écuyers  perdirent  la  vie.  Les 
Anglais  pillèrent  toute  l'île  de  Cadsand  et  livrèrent  tout 
aux  flammes.  Les  Brugeois,  apercevant  de  loin  les  lueurs 
de  l'incendie,  prirent  les  armes  et  accoururent  vers  l'Ecluse; 
mais  les  Anglais,  satisfaits  de  leur  vengeance,  s'étaient  déjà 
rembarques.  Cette  sanglante  affaire  eut  lieu  le  9  novem- 
bre 1337  (2). 

Peu  après  parut  sur  la  scène  le  fameux  Jacques  van 
Artevelde.  Nous  ne  discuterons  pas  ici  la  question  de  sa- 
voir si  le  fameux  capitaine  de  Saint-Jean  fut  un  enfant  du 
peuple  ou  sortit  d'un  noble  lignage;  élevé  par  la  faveur 
populaire,  il  sut  se  maintenir  par  ses  hautes  qualités;  il 
fut  l'âme  de  toutes  les  négociations  qui  eurent  lieu  pendant 
sept  ans  entre  la  Flandre  et  l'Angleterre,  et  si  nous  ne  le 
trouvons  pas  spécialement  désigné  dans  les  pièces  diplo- 
matiques, nous  savons  parfaitement  aujourd'hui  que  ce  fut 
lui  qui  fit  proclamer  la  neutralité  de  la  Flandre,  au  milieu 
de  la  guerre  entre  les  deux  grandes  puissances  voisines, 
resserra  les  liens  qui  unissaient  les  communes  à  l'Angle- 
terre, et  leur  donna  une  nouvelle  force  en  concluant  l'al- 
liance des  villes  de  Flandre,  du  Brabant  et  du  Hainaut  (5). 


(1)  Froissart,  édil.  Kervyn,  t.  I,  p.  431. 

(2)  Froissart,  édil.  Kervyn,  t.  I,  p.  433. 

(3)  Kervyn,  t.  III,  p.  172. 


—  203  — 

Le  comte  et  Philippe  de  Valois,  voyant  les  dispositions 
des  communes  et  apprenant  que  Gand,  d'après  les  conseils 
d'Ai'tevelde,  avait  changé  toute  son  organisation,  voulurent 
tenter  une  démarche  afin  de  dissuader  les  Flamands  de 
s'allier  à  l'Angleterre.  Une  assemhlée  devait  avoir  lieu  à 
Eecloo,  le  15  janvier  1338;  le  roi  y  envoya  l'évêque  de 
Cambrai,  Guillaume  d'Âuxonne,  qui  ne  put  rien  obtenir; 
on  lui  répondit  que  l'alliance  anglaise  était  pour  l'industrie 
de  la  Flandre  une  condition  d'existence  et  que  les  com- 
munes n'y  renonceraient  pas. 

Artevelde,  rentré  à  Gand,  choisit  dans  chacune  des  trois 
villes  quatre  bourgeois,  avec  lesquels  il  se  rendit  en  Angle- 
terre pour  annoncer  à  Edouard  que  les  Flamands  étaient 
prêts  à  faire  cause  commune  avec  lui  et  demandaient  le 
rétablissement  des  anciennes  relations  commerciales.  Le 
roi,  voyant  qu'on  allait  au-devant  de  ses  désirs,  les  reçut 
avec  honneur  au  château  d'Etham;  Artevelde  surtout  fut 
l'objet  de  nombreuses  attentions  (i).  Tous  les  conseillers 
du  roi  avaient  été  convoqués  à  Westminster;  les  députés 
flamands  y  exposèrent  leurs  demandes,  auxquelles  on 
répondit  favorablement,  et  s'en  retournèrent  ensuite  dans 
leur  pays. 

Le  1"  février,  les  échevins  de  Gand  eurent  une  confé- 
rence à  Louvain  avec  le  comte  de  Gueldre,  plénipotentiaire 
d'Edouard  III,  et  signèrent  une  convention  qui  assurait  la 
réconciliation  du  roi  et  des  communes  et  les  autorisait  à 
aller  prendre  à  Dordrecht  les  laines  anglaises,  que  l'on 
porta  triomphalement  à  Gand  (2). 

Edouard  ne  se  contentait  pas  de  traiter  avec  les  bonnes 
villes,  il  s'efforçait  d'entretenir  dans  la  population  les  sen- 
timents favorables  à  sa  cause;  son  agent,  le  clerc  Jean  de 


(1)  Froissart,  édit.  Kebvyn,  t.  I,  p.  437  cl  540. 
(2j  Kehvïn,  Jacques  (T Artevelde ,  p.  48. 


—  204  — 

Tlirantlcslone,  allait  cl  venait  presque  sans  cesse  du  conti- 
nent en  Angleterre;  au  mois  de  février  nous  le  trouvons 
en  Flandre,  voyageant  de  Bruges  à  Gand  et  de  là  dans 
d'autres  villes,  puis  allant  rendre  compte  de  sa  mission  à 
son  maître.  Le  2S  avril  il  était  de  retour  à  Anvers,  d'où 
il  alla  à  Gand,  à  Bruges,  à  Ypres  (i).  Ce  fut  lui  sans  doute 
qui  transmit  aux  bonnes  villes  les  lettres  de  son  maître, 
qui  les  assurait  de  son  amitié,  et  au  fils  du  malheureux 
Sohier  le  Cortroisin  des  paroles  de  condoléance  et  d'en- 
couragement (2). 

Edouard  était  heureux  de  voir  que  la  Flandre,  tout  en 
obéissant  à  son  propre  intérêt,  servait  sa  cause;  ses  lettres 
le  témoignent  clairement.  «  Nous  avons  appris  avec  une 
grande  joie  et  une  intime  satisfaction,  dit-il  aux  magistrats 
de  Gand,  que  vous  avez  fait  un  pacte  d'amitié  avec  nous; 
et  nous  nous  efforcerons,  avec  l'aide  de  Dieu,  de  vous  té- 
moigner notre  reconnaissance,  de  ce  que,  malgré  les  périls, 
vous  exposiez  pour  nous  vos  personnes  et  vos  biens.  »  Il 
leur  annonce  en  même  temps  que  ses  plénipotentiaires 
vont  se  rendre  en  Brabant  et  les  engage  à  traiter  avec  eux. 
Edouard  eut  beaucoup  désiré  que  les  communes  fissent 
avec  lui  une  alliance  politique;  mais  celles-ci,  qui  avaient 
plus  souci  de  leur  prospérité  commerciale  que  de  courir 
les  chances  de  la  guerre  dans  l'intérêt  d'autrui,  tenaient  à 
ne  traiter  que  sur  le  terrain  de  la  liberté  commerciale  et 
de  la  neutralité  du  territoire  (3).  Le  19  mai,  elles  trans- 
mirent leur  réponse  à  Jean  de  Thrandestone,  qui  se  trou- 
vait dans  ce  moment  à  Beveren,  se  rendant  auprès  des 
envoyés  du  roi  à  Anvers  (4). 


(1)  Bulletins  de  l'Académie  royale,  1869. 

(2)  Letlre  aux  Gantois,  du  8  mai;  —  aux  Brugeois,  de  la  même  date;  — 
aux  Yprois,  même  date;  —  au  sire  Coiiriresyn,  de  la  même  date.  —  Rymer, 
édil.  aiigl.,  t.  Il,  P.  H,  p.  1035.  —  Sohier  le  Courlroisin  fut  exécuté  le 
21  mars,  dans  sa  prison  du  château  de  Rupelmonde. 

(3)  Kehvyn,  Jacques  d'Arlevclde,  p.   156. 

(4)  Bulletins  de  l'Académie  royale,  18G0. 


—  205  — 

Les  députés  des  bonnes  villes  ne  tardèrent  pas  à  s'y 
rendre  également;  ils  y  trouvèrent  le  comte  de  Gueidre, 
avec  qui  ils  avaient  déjà  traité  à  Louvain  au  mois  de 
février,  ainsi  que  l'évêque  de  Lincoln,  les  comtes  de 
Northampton,  de  Suffolk  et  le  sénéchal  Jean  Darcy,  et 
conclurent  avec  eux,  le  \0  juin,  un  traité  dont  voici  les 
dispositons  principales  : 

Les  plénipotentiaires  promettaient  au  nom  du  roi  d'An- 
gleterre aux  bonnes  gens  de  Flandre,  à  compter  du  moment 
de  la  conclusion  du  traité,  liberté  pleine  et  entière  d'acheter 
des  laines  et  toute  autre  matière  venue  d'Angleterre  en 
Hollande,  Zélande  ou  ailleurs. 

Les  marchands  de  Flandre  étaient  autorisés  à  se  rendre 
dans  les  ports  d'Angleterre  et  dans  tous  ceux  où  le  roi 
avait  quelque  autorité  et  à  y  rester  et  demeurer  saufs  et 
francs  pour  leurs  corps  et  leurs  biens. 

Il  était  convenu  que  les  Flamands  ne  donneraient  aucun 
secours  aux  Ecossais;  le  roi,  du  reste,  était  autorisé,  sans 
rompre  la  paix,  à  s'attaquer  à  ceux  qui  auraient  enfreint 
cet  article  du  traité. 

Il  était  convenu  que  les  bonnes  gens  n'avaient  pas  à  se 
mêler  de  la  guerre  que  le  roi  d'Angleterre  faisait  à  Philippe 
de  Valois,  «  qui  se  tient  pour  roi  de  France,  »  en  aidant 
ou  en  s'unissant,  soit  à  l'un,  soit  à  l'autre. 

Le  roi  d'Angleterre  s'interdisait,  pour  lui  et  pour  les 
siens,  de  traverser  le  pays  de  Flandre  en  se  rendant  en 
armes  contre  Philippe  de  Valois,  et  de  même  que  les  gens 
de  Flandre  ne  devaient  pas  souffrir  que  les  soldats  du  roi 
de  France  vinssent  en  Flandre  pour  nuire  au  roi  Edouard, 
ils  étaient  même  autorisés  à  s'opposer  par  la  force  aux  em- 
piétements des  gens  d'armes  anglais. 

Toutefois,  le  roi  d'Angleterre,  d'un  commun  accord  avec 
les  Flamands,  se  réservait  le  droit  de  faire  route  par  les 
eaux  et  la  mer  de  Flandre,  pourvu  que  les  hommes  mon- 


—  206  — 

tant  ses  embarcations  ne  descendissent  point  à  terre,  sans 
un  consentement  spécial  des  Flamands;  et  si  le  roi  d'An- 
gleterre ou  les  siens  entraient  dans  le  havre  du  Zwyn  à 
l'Ecluse,  ce  ne  pouvait  être  que  pour  le  temps  d'une  seule 
marée,  sauf  le  cas  de  tempête;  et  alors,  aussitôt  la  tempête 
apaisée,  ils  devaient  reprendre  la  mer. 

Les  Anglais  devaient  jouir  en  Flandre  des  mêmes  liber- 
lés  dont  les  Flamands  jouiraient  en  Angleterre,  en  bonne 
paix  et  en  payant  les  droits  accoutumés. 

Il  était  convenu  de  part  et  d'autre  que  le  comte  de  Flan- 
dre n'était  pas  compris  dans  ce  traité,  car  en  sa  qualité 
d'homme-lige  du  roi  de  France,  il  pouvait  se  trouver  ap- 
pelé à  le  servir  hors  du  pays  avec  ses  hommes  de  fief,  ce 
que  les  bourgeois  et  habitants  des  villes  s'interdisaient,  au- 
tant que  le  permettaient  les  franchises  de  leurs  villes  (i). 

Edouard  III  confirma  ce  traité  le  26  juin,  le  fil  immédia- 
tement publier  (2)  et  se  disposa  à  quitter  l'Angleterre, 
accompagné  des  comtes  de  Derby,  de  Warwick,  de  Kent, 
de  Robert  d'Artois  et  d'un  grand  nombre  d'autres  grands 
seigneurs;  la  reine  Philippine  de  Hainaut,  avec  une  suite 
de  nobles  dames,  vint  le  rejoindre  plus  tard  (3).  Il  partit 
de  Walton  le  12  juillet  pour  aller  rejoindre  sa  flotte  à 
Yarmouth  et  faire  voile  vers  la  Flandre  (4).  Il  avait  obtenu 
de  son  parlement  un  subside  de  vingt  mille  sacs  de  laine, 
qu'il  comptait  vendre  en  Flandre  pour  payer  ses  troupes  et 
la  complaisance  de  ses  alliés,  et  donna  ordre  de  les  expé- 
dier sur  Anvers  (s).  Le  19  juillet,  il  parut  devant  l'Ecluse; 
Artevelde  s'y  rendit  avec  une  troupe  composée  d'hommes 


(1)  Rymer,  édil.  angl  ,  t.  II,  P.  II,  p.  1042. 

(2)  Idem,         idem,  idem,       p.  1043  et  1046. 

(3)  La  date  de  son  passage  n'est  pas  connue,  mais  le  8  septembre,  elle  se 
trouvait  encore  en  Angleterre.  —  FnoissART,  édit.  Kervïn,  t.  I,  p.  545. 

(4)  Rymer,  cdit.  angl.,  t.  Il,  P.  II,  p.  1030. 

(5)  Idem,  idem,  idem,       p.  lOul. 


—   207  — 

des  milices,  pour  lui  faire  honneur.  Le  monarque  anglais 
respectant  le  traité  conclu  un  mois  auparavant,  ne  débar- 
qua pas  sur  le  sol  de  Flandre,  il  continua  sa  route  vers 
Anvers,  où  Artevelde  le  rejoignit  avec  soixante  notables  fla- 
mands ()).  Il  fut  fort  étonné  de  ne  trouver  là  que  deux  mille 
sacs  de  laine,  au  lieu  de  vingt  mille  qu'il  attendait,  mais 
comme  d'autres  intérêts  étaient  en  jeu  pour  lui,  il  se  rendit 
en  hâte  en  Cologne,  où  Jean  de  Thrandestone  le  trouva  le 
1"  août  (2).  Trois  jours  après  il  était  de  retour  à  Anvers  et 
écrivait  au  trésorier  et  aux  chambellans  de  l'Echiquier  une 
lettre  fort  amère,  dans  laquelle  il  se  plaint  du  retard  apporté 
dans  l'envoi  du  trésor,  vivres  et  bagages  qu'il  attendait  et 
dont  l'absence  le  mettait  dans  le  plus  grand  embarras;  sans 
le  prêt  considérable  que  lui  fit  un  especial  amy,  dit-il,  le 
royaume  d'Angleterre  eût  été  en  péril  et  lui-même  déshonoré 
pour  toujours.  Cet  amy  était-il  peut-être  Artevelde  (3)? 


(1)  II  nous  esl  impossible  d'iijoulcr  foi  du  récit  de  Gillis  Li  Muisis,  d'après 
lequel  Edouard  se  disposait  à  débarquer  à  l'Ecluse,  et  en  fut  empêché  par 
Artevelde  et  les  milices,  qui  le  forcèrent  à  respecter  la  neutralité  du  territoire. 
Ce  fait  a  été  reproduit  par  M.  Lemz,  dans  sa  brochure  intitulée  : /acçMfs 
Van  Artevelde  considéré  comme  homme  ])olilique.  Nous  croyons  malgré  les 
comptes  de  la  ville  de  Gand,  interprétés  dans  ce  sens  par  M.  Lentz,  que  c'est 
avoir  trop  mauvaise  opinion  du  roi  d'Angleterre  de  supposer  qu'il  eût  voulu 
rompre  un  traité  conclu  si  récemment,  et  qu'il  ne  faut  pas  attribuer  légère- 
ment à  Artevelde  un  exploit  dont  sa  réputation  n'a  pas  besoin. 

(2)  Dullelins  de  f  Académie  royale,  1869. 

(3)  Voici  cette  lettre  : 

«  Edward,  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  dEngleterre,  seigneur  dYrlande  et 
duc  dAquitanie,  as  trésorier  et  chambellan  de  nostre  eschequer,  salut  : 

»  Savoir  vous  faisons  qe,  tut  soit  ensint  que  avant  nostre  départ  hors 
dEngleterre,  qui  dions  que  nous  deussions  avoir  trové  devant  nous  à  Anvers, 
à  nostre  aryvaille,  trésor,  vilailles  el  totes  autres  choses  ù  foison  busoigna- 
bles  aussi  bien  pur  nous  et  pur  nos  gcnls  comc  pur  les  fiés  par  nous  dus  as 
gents  de  nos  alliances  es  parties  ou  nous  sûmes,  ne  pur  quant  à  nostre  venue 
illoêqcs  nous  ne  trovames  recovrir  de  trésor,  vi tailles,  ne  de  nulle  autres 
biens  pur  nos,  ne  par  aul  de  nos;  et  si  ne  eust  este  une  chcvance  que  nous 
avons  fait  faire  à  grant  peine  puis  nostre  venue  et  celles  |)arlies  dun  de  nos 
especials  amys,  et  ce  en  espoir  désire  basteinienl  aides  de  nos  Icyncs,  de 


—  208  — 

Le  7  août,  il  écrivit  à  quelques-uns  de  ses  officiers,  leur 
enjoignant  d'expédier  promptement  les  laines,  et  le  16  il 
permit  que  les  étoffes  revêtues  du  sceau  de  la  ville  de  Gand 
circulassent  librement  par  toute  l'Angleterre  (î). 

A  la  fin  du  mois,  il  se  rendit  en  Allemagne  auprès  de 
l'empereur  Louis  de  Bavière,  qui,  cédant  à  ses  instances, 
le  proclama,  au  commencement  de  septembre,  vicaire  de 
l'empire. 

Edouard  III  cberchait  en  même  temps  à  s'attacber  les 
bonnes  villes  et  à  ébranler  la  fidélité  du  comte  â  la  France; 
le  12  novembre,  il  cbargea  le  comte  de  Gueidre  de  proposer 
à  Louis  de  Nevers  un  mariage  entre  sa  fille  Isabelle  et  le 
jeune  Louis  de  Maie;  Jeanne,  dont  il  avait  été  question 

qelle  chevance  si  nous  nen  eussions  fait  gré  à  ascuns  genis  de  nos  allianres 
en  partie  de  la  somme  que  nous  les  devons,  nous  eussions  esté  déshonoré  à 
tous  jours,  et  nous  et  nos  gens  et  nosire  raialme  dEnglelerre  en  péril,  qe 
Dieu  défend  !  Si  envoicns  as  parties  de  la  Seint  Botuiph  et  Kensingslon  et 
Hull,  nos  biens  amés  Nicole  Pykart,  Tliomas  de  Suelesham  et  Richard  Fill, 
od  xiiii  nos  neefs  pur  faire  hasteiment  venir  à  nous  leynes,  vitailles  et  aullres 
choses,  dont  nous  leur  avons  chargés,  pur  qei  vous  mandons  et  chargeons 
fermement,  enjoignants  sur  la  foi  et  lamur  qe  vous  nous  deves,  qe  sans 
nulle  délai  faces  paicr  as  dits  Nichol,  Thomas  et  Richard,  deniers  et  vitailles 
par  les  gages  et  despens  deux  et  des  marins  eslants  sur  les  dites  neefs  del 
vint  et  quart  jour  de  juyl  davrein  passée  jusqes  leur  venue  à  vous  et  de  ce  jour 
pur  III  semesgnes  prochein  suiants,  et  pur  ce  qe  nous  avons  ordeneis  qe  del 
heure  qe  nos  dites  neefs  serout  venues  à  nous  es  dites  parties  ou  nous  sûmes 
et  deschargées  de  leynes,  vilaiijes  et  autres  choses  qelles  nous  amesneront 
od  layde  de  Dieu,  eles  retourneront  as  parties  de  Sandwi,  et  de  iloeqes  pren- 
drons leur  voies  viers  ascunes  ou  nous  les  avoms  chargées.  Or  vous  mandons 
et  chargeons  qe  vous  faces  hasiivement  envoler  as  dites  parties  de  Sandwi 
contre  leur  retourner  iloeqes  deniers  et  vitailles  à  tiele  somme  comme  bu- 
soignables  leur  seront  par  les  gages  et  susienance  pur  dys  semaignes  prou- 
chains,  ensuanfs  en  manière  et  selon  ceu  qijs  vous  chargeront  plus  pleine- 
ment de  par  nous.  Gestes  choses  prenés  si  tendrement  à  cuer  corne  vous 
porrés.  D'autre  part,  vous  mandons  qe  à  lesdils  Nichole,  Thomas  et  Richard 
faces  livrer  soufTisamment  deniers  pur  repareiller  nos  dites  neefs...  Donné 
soubs  nostre  privé  séel  à  Anvers,  le  quart  jour  de  august;  lan  de  nostre 
règne  dousisme  (Bulletins  de  l'Académie  royale,  1869;  tiré  des  papiers  du 
Record  office,  à  Londres,  par  M.  Kervvn  de  LetteshoveU 
(1)  Ryjier,  édit.  angl.,  t.  Il,  P.  II,  pp.  10j4  et  1055. 


—  209  — 

précédemment  dans  une  combinaison  analogue,  n'était  déjà 
plus  disponible,  elle  élail  fiancée  au  fils  du  roi  de  Castille. 
Pour  allécher  les  communes,  il  leur  fil  offrir  de  rétablir 
en  Flandre  l'étape  des  produits  anglais,  afin,  disait-il,  de 
mettre  tout  en  œuvre  pour  consolider  et  consacrer  une 
alliance  durable  entre  lui  et  elles  (i). 

Mais  les  Flamands  ne  se  laissèrent  pas  ébranler;  ils 
continuaient  à  considérer  Philippe  de  Valois  comme  leur 
suzerain  et  voulaient  conserver  la  stricte  neutralité  jurée 
par  les  traités,  dans  la  guerre  entre  leurs  deux  voisins  ri- 
vaux, tout  en  profilant  des  bénéfices  que  celle  position  leur 
assurait  de  la  part  des  belligérants. 

«  Plus  on  approfondit  l'histoire  de  cette  époque,  dit 
M.  Kervyn  dans  sa  remarquable  Histoire  de  Flandre,  plus 
on  reste  convaincu  que  les  communes  flamandes  étaient 
sincères  dans  leur  résolution,  et  que  si  les  événements  ne 
s'y  fussent  opposés,  Jacques  d'Ârtevelde,  aussi  bien  que 
leurs  autres  chefs,  y  eût  persévéré.  Si  les  liens  qui  les 
unissaient  à  Philippe  de  Valois  se  rompirent  presque 
aussitôt,  si  ceux  qui  existaient  entre  les  communes  et  le 
comte  de  Flandre  s'afFaiblirent  et  se  relâchèrent  avec  la 
même  célérité,  il  ne  faut  en  chercher  la  cause  que  dans  la 
perfidie  de  ces  princes,  seuls  responsables  aux  yeux  de  la 
postérité,  de  l'anéanlissement  de  celle  thèse  sublime  de 
neutralité  pacifique  et  industrielle  que  Jacques  d'Artevelde 
avait  conçue  (2).  » 

En  vertu  de  sa  nouvelle  dignité,  le  roi  d'Angleterre  or- 


(1)  « necnon  de  slapulà  lanarum,  corriorum  et  pellium  lanutarum 

extra  regnum  nostrum  ediicendorum,  in  aliquo  loco  congrue  infra  Flandriam 
concedendà,  et  ea  quae  sic  traclatà  et  concordata  fuerint  quàciinque  firmi- 
tale  vallanduRi;  et  ad  omnia  et  singula  concedendum  faciendum  et  exoran- 
dum,  quse  in  preemissis,  et  ad  roborationem  et  conservationem  perpeluani 
amoris  solidi  il  auxilii  nuitui  fuerint  oportuna.  »  Rymer,  édil.  angl.,  t.  H, 
P.  ir,  p.  1065. 

(2i  Kervvn,  t.  m,  p.  210. 


—  210  — 

donna  aux  feudalaires  de  l'empire  de  se  réunir  à  Malines 
pour  relever  leurs  fiefs;  le  comle  de  Flandre  ne  se  rendit 
pas  à  cette  injonction,  mais  y  envoya  des  ambassadeurs 
pour  annoncer  qu'il  était  prêt  à  s'acquitter  vis-à-vis  de 
l'empire  de  tous  les  devoirs  qui  lui  incombaient. 

Vers  ce  temps,  il  fit  notifier  à  la  Flandre  sa  nomination 
de  vicaire  de  l'empire,  par  le  comte  de  Gueidre,  qui,  dans 
le  même  manifeste  publié  au  nom  d'Edouard,  exposa  les 
prétentions  de  ce  roi  à  la  couronne  de  France  et  ses  inten- 
tions à  l'égard  du  comte  et  des  bonnes  villes.  Voici  ce  do- 
cument : 

«  D'abord  nous  requérons,  au  nom  de  l'empereur,  le 
comte  de  Flandre  de  se  rendre  près  de  lui  ou  près  de  son 
vicaire,  afin  de  relever  certains  fiefs,  comme  il  y  est  tenu 
de  droit. 

»  Nous  requérons  le  commun  pays  de  Flandre  d'y  enga- 
ger le  comte  et  de  l'aider  à  faire  ce  qu'il  est  tenu  de  faire 
vis-à-vis  de  l'empereur,  de  son  vicaire  et  de  l'empire. 

»  Nous  faisons  savoir,  au  nom  de  l'empereur,  au  comte 
et  au  commun  pays  de  Flandre,  que  l'empereur  a  tenu  à 
Coblentz  une  cour  de  justice  dans  tout  l'éclat  de  sa  dignité 
impériale,  entouré  des  électeurs  qui  s'y  étaient  rendus, 
tels  que  l'archevêque  de  Mayence,  l'archevêque  de  Trêves, 
le  comte  palatin  du  Rhin  et  le  duc  de  Saxe,  et  des  députés 
qu'y  avaient  envoyé  les  deux  autres  électeurs,  l'archevêque 
de  Cologne  et  le  marquis  de  Brandebourg,  ainsi  que  de 
beaucoup  d'autres  ducs,  marquis,  barons,  seigneurs,  che- 
valiers et  commun  peuple  là  présents,  et  qu'il  y  a  été  dé- 
cidé en  droit  que  si  l'empereur  ou  son  vicaire  jugeait 
convenable  de  défendre  et  de  recouvrer  les  droits  de  l'em- 
pire et  de  réparer  les  torts  faits  à  l'empire,  chacun  serait 
tenu  de  le  suivre  aussi  loin  que  l'empereur  ou  son  vicaire 
le  jugerait  convenable.  Il  y  fut  aussi  jugé  que  si  quelque 
feudataire  de  l'empereur  ou  de  l'empire  refusait  de  suivre 


—  211  — 

Tempereur  ou  son  vicaire,  dans  le  cas  susmentionné,  lous 
les  biens  qu'il  tiendrait  de  l'empire  rentreraient  dans  la 
main  et  au  pouvoir  de  l'empereur. 

»  Il  y  fut  aussi  jugé  qu'un  véritable  vicaire  de  l'empire 
possède,  pour  agir  et  pour  faire  droit,  tous  les  pouvoirs 
qui  appartiennent  à  un  véritable  empereur.  Ce  jugement 
fut  prononcé  par  l'archevêque  de  Trêves  au  nom  des  élec- 
teurs et  des  pairs  de  l'empire;  et  là  furent  aussi  prononcés 
d'autres  jugements,  dont  nous  ne  faisons  point  mention  ici. 

»  A  la  cour  de  justice  tenue  par  l'empereur  à  Coblenlz, 
étaft  présent  le  roi  d'Angleterre,  qui,  à  la  prière  de  l'em- 
pereur et  de  l'assentiment  général  des  électeurs,  fut  créé  et 
établi  vicaire  général  de  l'empire  dans  toutes  les  Germanies 
et  dans  toutes  les  Allemagnes  et  dans  toutes  les  provinces 
et  dans  tous  les  pays  qui  en  dépendent. 

»  Aussitôt  après,  le  roi  d'Angleterre,  vicaire  de  l'empire, 
envoya  ses  lettres  au  duc  de  Brabant,  au  comte  de  Flandre, 
au  comte  de  Hainaut  et  aux  prélats  et  seigneurs  feudataires 
de  l'empire,  dont  les  domaines  se  trouvent  par-delà  la 
marche  de  Cologne,  afin  qu'ils  se  rendissent  à  Malines  à 
certain  jour  qui  était  fixé  pour  l'entendre;  car  il  se  propo- 
sait d'y  prononcer,  au  nom  de  l'empereur,  des  jugements 
tels  qu'il  appartenait  à  l'empereur  de  les  prononcer,  et  il 
voulait  s'entretenir  avec  eux  des  grandes  afTaires  qui  con- 
cernaient l'empire;  et,  en  effet,  le  comte  de  Flandre  y  en- 
voya ses  députés,  qui  annoncèrent  qu'il  était  prêt  à  faire 
vis-à-vis  de  l'empereur,  de  son  vicaire  et  de  l'empire,  ce 
qu'il  était  tenu  de  faire;  après  cette  déclaration,  nous  re- 
quîmes, au  nom  de  l'empire,  le  roi  d'Angleterre,  vicaire  de 
l'empereur,  qu'il  permît  au  comte  de  venir  relever  certains 
fiefs,  comme  il  y  est  tenu,  et  qu'il  l'exhorlàt  à  aider  l'em- 
pereur ou  son  vicaire  à  reconquérir  les  cités  qui  avaient 
été  enlevées  à  l'empire  et  réparer  les  torts  faits  depuis  long- 
temps au  droit  de  l'empire,  ce  sous  peine  de  forfaire  les 
fiefs  qu'il  tient  de  l'empire. 


—  212  — 

»  Nous  faisons  savoir,  au  nom  de  l'empereur,  que  depuis 
lors,  nous  avons  été  envoyé  par  l'empereur  vers  ledit 
comte  et  le  commun  pays  de  Flandre,  et  attendu  que  l'em- 
pereur n'avait  reçu  aucune  réponse,  il  nous  a  chargé  de 
déclarer  ce  qui  suit  audit  comte  et  au  commun  pays  de 
Flandre.  Le  comte  et  ses  sujets  ont  été  dépouillés  par  la 
couronne  de  France  de  grands  biens  qui  autrefois  leur  ont 
appartenu  :  or,  le  comte  de  Flandre  est  son  feudataire,  et 
si  le  comte  et  le  pays  de  Flandre  déploraient  le  dommage 
qui  leur  a  été  causé,  l'empereur  serait  prêt  à  les  protéger 
dans  leurs  corps  et  dans  leurs  biens,  et  à  les  aider  avec 
toute  sa  puissance  à  reconquérir  les  châtellenies  de  Lille,  de 
Douay  et  de  Bétbune  dont  ils  ont  été  dépouillés,  et  pour 
qu'ils  en  soient  plus  certains,  l'empereur  est  prêt  à  s'y 
engager. 

»  Nous  requérons  aussi  le  comte  de  Flandre,  au  nom  du 
roi  d'Angleterre,  comme  roi  de  France  et  d'Angleterre,  de 
reconnaître  ce  qui  est  de  droit  et  de  raison,  et  de  se  rendre 
près  du  roi  pour  relever  les  fiefs  qu'il  tient  de  la  couronne 
de  France,  car  il  est  l'un  des  pairs  de  France,  et  le  roi 
d'Angleterre  est  roi  légitime  de  Franee. 

»  Nous  requérons  aussi,  au  nom  du  roi  de  France  et 
d'Angleterre,  les  trois  bonnes  villes  de  Gand,  de  Bruges  et 
d'Ypres  et  le  commun  pays  de  Flandre,  d'examiner,  comme 
personnes  sages  et  pleines  de  conscience,  le  droit  et  la 
justice,  et  de  conseiller  le  comte,  leur  seigneur,  en  l'aidant 
à  faire  ce  qu'il  est  tenu  de  faire,  de  telle  sorte  qu'il  relève 
son  fief  du  roi  de  France  et  d'Angleterre,  et  l'aide  à  recou- 
vrer son  royaume  qui  lui  a  été  injustement  enlevé,  car  il  est 
le  légitime  héritier  de  la  couronne  de  France. 

»  Puisque  le  droit  ne  peut  se  passer  d'appui,  le  roi  de 
France  et  d'Angleterre  requiert,  comme  prince  souverain, 
le  commun  pays  de  Flandre  de  se  montrer  (lors  même  que 
le  comte  n'exécuterait  pas   les  conseils   qui   lui  seraient 


—  213  — 

donnés)  fidèle  à  Dieu  el  au  bon  droit,  et  de  l'aider  à  recou- 
vrer son  droit.  Le  roi  est  prêt  à  réparer  le  tort  que  la  cou- 
ronne de  France  a  fait  éprouver  au  pays  de  Flandre  en  le 
dépouillant  d'une  grande  partie  son  territoire,  à  assurer  à 
ses  habitants  telles  libertés  et  à  les  combler  de  tels  bienfaits, 
qu'eux  et  leurs  successeurs  en  conserveront  à  toujours  la 
mémoire. 

»  Si  l'avis  du  comte  et  du  commun  pays  de  Flandre  est 
d'aider  le  roi,  nous  Renaud,  comte  de  Gueidre,  nous 
sommes  autorisé  à  assurer  au  comte  et  au  pays  de  Flandre 
les  avantages  suivants,  savoir  : 

»  Que  si  Dieu  lui  accorde  la  couronne  de  France,  il  fera 
battre  perpétuellement  une  bonne  monnaie,  semblable  à 
celle  du  roi  saint  Louis; 

»  Qu'il  rétablira  pour  le  profit  el  l'utilité  des  métiers  du 
pays  de  Flandre,  toutes  les  coutumes  et  tous  les  bons  usages 
que  les  rois  de  France  aient  jamais  établis. 

»  Qu'il  fixera  en  Flandre  l'étape  des  laines,  selon  l'avis 
des  bonnes  gens  de  Flandre. 

»  Qu'il  les  aidera  à  reconquérir  les  cbâtellenies  de  Lille, 
de  Douai  et  de  Béthune,  pour  les  réunir  perpétuellement 
au  comté  el  pays  de  Flandre. 

»  Qu'il  révoquera  à  toujours  toutes  les  sentences,  amen- 
des, obligations  et  autres  servitudes  qui  leur  auraient  été 
illcgitimemenl  imposées  par  la  couronne  de  France. 

»  Qu'il  préservera  le  pays  de  Flandre  de  tout  brigandage. 

»  Qu'il  ne  conclura  à  l'avenir  aucun  traité,  si  ce  n'est 
d'un  commun  accord  avec  le  comte  et  le  pays  de  Flandre. 

»  Qu'il  accordera  au  pays  de  Flandre,  aussi  bien  en 
France  et  en  Angleterre  qu'en  Flandre,  toutes  libertés  qui 
pourraient  lui  être  utiles  el  qu'il  serait  possible  de  lui 
accorder  (i). » 


(1)  Archives  de  la  ville  d'Yprcs;  document  en  flamand.  —  Kehvyji,  Jacques 
d'Arlevelde,  p.  59. 


—   214  — 

Si  noire  sol  vit  s'accroître  la  famille  du  roi  d'Angleterre  (i), 
il  n'en  fut  pas  de  même  de  son  trésor;  les  documents  con- 
temporains témoignent  d'assez  grands  embarras  pécuniai- 
res :  Edouard,  au  mois  d'août  1558,  fit  des  emprunts  con- 
sidérables aux  Bardi  et  au  Perucci;  nous  avons  déjà  vu  plus 
haut  que  les  communes  d'Angleterre  n'avaient  pas  été  fort 
pressées  d'acquitter  le  subside  des  vingt  mille  sacs  de  laines 
accordé  par  le  parlement;  il  paraît  qu'en  1559  il  fallut 
de  nouveau  les  harceler;  Edouard  fut  obligé  de  mettre  la 
couronne  d'Angleterre  en  gage  à  Trêves,  sous  la  garantie 
de  l'archevêque  (a);  dans  le  courant  du  mois  d'août,  il  en- 
gagea les  joyaux  de  la  couronne  chez  les  Bardi  et  les 
Perrucci,  à  Bruges  (5);  et  ces  emprunts  augmentèrent  an- 
nuellement tant  et  si  bien,  qu'en  1545  il  devait  à  ces  ban- 
quiers italiens  neuf  cent  mille  florins  d'or  (4);  les  bourgeois 
de  Gand  lui  prêtèrent  également  de  grandes  sommes,  et  à 
Anvers,  lors  de  ses  différents  séjours  pendant  toute  l'année 
qu'il  passa  sur  le  continent,  il  souscrivit  de  nombreuses 
promesses  (5). 

Les  barons  allemands  ayant  enfin  rejoint  Edouard  aux 
environs  de  Vilvorde,  vers  la  fin  de  l'été  1559,  le  roi  se 
mit  en  campagne  contre  Philippe  de  Valois;  parmi  les 
seigneurs  qui  l'accompagnaient,  étaient  les  flamands  Henri 
de  Flandre,  comte  de  Lodi,  qu'il  arma  chevalier,  et  auquel 
au  mois  d'août,  il  avait  concédé  une  pension  de  mille  flo- 
rins de  Florence  et  le  droit  d'acheter  des  laines  anglaises 
et  de  les  conduire  en  Flandre,  lors  même  que  lui  Edouard 
serait  en  guerre  avec  le  comte  de  Flandre  ou  le  duc  de 


(1)  Au  mois  de  décembre  1338,  la  reine  Philippine,  étant  à  Anvers,  y 
accoucha  d'un  jeune  prince.  Rymep.,  édit.  angl.,  t.  II,  P.  II,  p.  I0G7. 

(2)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  Il,  P.  II,  p.  1075. 

(3)  Idem,  idem,  idem,  p.  1088. 

(4)  Kervvn,  t.  III,  p.  209. 

(t>)  Kunst- en  Lcllcrblad,  a.  1844,  p.  78. 


—  215  — 

lirabanl  (i),  puis  Hector  Vilain,  Jean  de  Rode,  Wulfarl  de 
Gliislelles,  Guillaume  de  Stralen,  (ioswin  vauder  Muelene, 
les  sires  de  Gruulhuse  et  d'Halewyn.  Mais  la  campagne  fut 
de  courte  durée  et  se  termina  sans  combat;  Edouard  rentra 
en  Brabant  et  licencia  son  armée.  Le  roi  de  France,  profi- 
tant de  cette  circonstance,  envoya  ses  hommes  d'armes  faire 
des  incursions  en  Flandre  et  rompit  ainsi  le  traité  qui  con- 
sacrait la  neutralité  du  comté  et  le  respect  de  son  territoire 
par  les  belligérants.  Philippe  de  Valois  ayant  violé  ses 
promesses,  il  ne  restait  plus  à  la  Flandre  qu'à  se  tourner 
complètement  du  côté  de  l'Angleterre;  mais  pour  cela  la 
plus  grande  difficulté  n'était  pas  levée;  les  communes  re- 
connaissaient la  suzeraineté  du  roi  de  France  et  voulaient 
rester  fidèles  à  leurs  serments. 

Artevelde  se  chargea  de  préparer  le  coup  d'État  qui 
devait  changer  complètement  la  situation  et  délier  les 
Flamands  de  leur  serment  à  Philippe  de  Valois,  qui  faisait 
si  bon  marché  des  siens.  Accompagné  des  députés  des 
communes,  il  alla  trouver  en  Brabant  Edouard,  qui  se  pré- 
parait à  retourner  en  Angleterre,  et  l'engagea  à  prendre  le 
titre  et  les  armes  de  roi  de  France,  auxquels  il  avait  droit 
par  sa  mère;  ce  fait  devait  faire  de  lui  le  suzerain  de  la 
Flandre;  le  roi,  dit  Froissart,  fit  observer  que  n'ayant  pas 
enlevé  une  seule  ville  à  Philippe  de  Valois,  c'était  chose 
grave  que  de  lui  prendre  le  titre  qu'il  avait  porté  jusque-là; 
mais  réfléchissant  sans  doute  à  ce  que  les  conseils  d'Arle- 
velde  avaient  de  praticable,  il  ajourna  son  départ. 

Le  2  novembre,  nous  le  trouvons  à  Gand,  au  monastère 
de  Saint-Bavon,  où  il  eut  une  entrevue  avec  Artevelde  (2); 
il  ne  larda  pas  cependant  à  retourner  à  Anvers,  où  vinrent 
le  trouver  ses  principaux  alliés. 

(1)  Bull,  de  l'Acad.  royale,  18G9. 

(2}  Cfr.  Rymer,  édil.  angl.,  l,  11,  P.  IF,  p.  1093,  une  Ictlre  dalée  de  Gand, 
2  novembre,  qui  prouve  son  séjour  dans  celle  ville. 


—  216  — 

Edouard  qui,  oulre  Tamitié  des  communes,  à  laquelle  il 
tenait  beaucoup,  aurait  désiré  de  s'attacher  la  Flandre  par 
une  alliance  plus  solide,  voulut  de  nouveau  reprendre  les 
négociations  relatives  au  projet  de  mariage  entre  sa  fllle 
et  le  fils  de  Louis  de  Nevers.  Le  12  novembre,  il  donna 
commission  au  comte  de  Salisbury,  maréchal  d'Angleterre, 
et  Henri  de  Ferrers,  chambellan,  Geoffroi  Scrop  et  Maurice 
de  Berkeley,  son  secrétaire,  pour  traiter  de  ce  sujet  avec 
le  comte  de  Flandre  et  convenir  d'une  alliance  perpétuelle, 
de  la  confirmation  des  anciens  privilèges  dont  le  pays  avait 
joui  sous  tous  les  rois  de  France  et  d'Angleterre,  ses  pré- 
décesseurs, et  même  de  l'octroi  de  nouvelles  franchises  et 
libertés.  Les  ambassadeurs  étaient  en  oulre  chargés  de 
convenir,  subsidiairement  à  la  question  du  mariage,  de  la 
restitution  au  comté  des  châteaux,  villes,  terres  et  domaines 
qui  en  avaient  dépendu.  Le  15  novembre,  le  duc  de  Bra- 
bant,  les  comtes  de  Norlhampton  et  de  Suffolk  vinrent  se 
joindre  à  la  dépulalion  et  proposèrent  oulre  tous  les  avan- 
tages déjà  ofl"erts,  une  indemnité  pécuniaire  pour  l'incendie 
et  le  pillage  de  l'ile  de  Cadsand  en  1557  (i).  Le  comte  resta 
sourd  à  toutes  les  propositions,  dont  les  avantages  dépen- 
daient, il  est  vrai,  de  son  acquiescement  à  l'union  de  son 
fils  avec  Isabelle  d'Angleterre;  mais  il  ne  fut  pas  assez  fort 
pour  empêcher  les  communes  de  continuer  leurs  négocia- 
tions avec  Edouard. 

Le  4  janvier  1540,  le  roi  renouvela  les  pouvoirs  de  ses 
ambassadeurs  et  les  envoya  de  nouveau  vers  le  comte  pour 
renouveler  leurs  tentatives  matrimoniales;  ils  étaient  char- 
gés de  répéter  les  propositions  déjà  faites  précédemment  et 
de  recevoir  l'hommage  de  Louis  de  Nevers  et  des  bonnes 
villes  (2).  Mais  les  démarches  réitérées  auprès  du  comte 


(1)  Rymer,  édil.  angl.,  t.  Il,  P.  U,  p.  1007. 

(2)  Idem,         idem,         idem,         p.  H06. 


—  217  — 

iraboutissanl  à  rien,  Edouard  se  conleula  du  consenlement 
des  communes.  Le  21,  il  élail  encore  à  Anvers;  le  23,  il 
arriva  à  Gand;  la  ville  avait  envoyé  un  messager  à  sa  ren- 
contre (i).  Là,  jugeant  que  l'heure  d'hésiter  était  passée  et 
qu'il  avait  suffisamment  délibéré,  il  prit  publiquement  le 
litre  et  les  armes  de  France,  avec  la  devise  :  «  Dieu  et  mon 
droit,  »  qui  fut  alors  employée  pour  la  première  fois  (2). 


Emile  Varenbergh. 
{Pour  être  continué). 


(1)  Comptes  lie  la  ville. 

(2)  LONGMAN,  t.  I,  p.   156. 

16 


—  218   — 


d'apuès  ses  nouveaux  historiens  (l), 


Froissart  est  demeuré  un  écrivain  populaire  :  deux 
éditions  de  ses  œuvres,  qui  paraissent  en  même  temps  à 
Paris  cl  à  Bruxelles,  —  Tune  par  les  soins  de  M.  Luce, 
l'un  des  fonctionnaires  les  plus  érudits  des  archives  fran- 
çaises, l'autre,  par  ceux  de  M.  le  baron  Kervyn  de  l.el- 
lenhove,  l'un  des  savants  les  plus  estimés  et  des  hommes 
politiques  les  plus  appréciés  de  la  Belgique,  —  prouvent 
l'attrait  que  les  chroniques  de  cet  historien  rencontrent 
encore  auprès  des  lettrés  de  notre  temps.  Il  faut,  en  effet, 
reconnaître  qu'elles  offrent  la  lecture  la  plus  agréable. 
«  Conter  est  tout  le  génie  de  Froissart,  a  dit  M.  Villemain; 
il  ne  s'inquiète  pas  des  causes  et  des  moyens.  Son  livre  en 
ressemble  d'autant  plus  aux  romans  de  chevalerie,  où  l'on 
ne  dit  jamais  les  détails  prosaïques  de  la  vie.  Une  infinie 
variété  naît  de  sa  naïve  exactitude;  son  âme  vive  et  mobile, 
enjouée  plutôt  que  forte,  est  un  miroir  fidèle  où  se  reflète 
tout  le  moyen-âge Grands  événements,  anecdotes  fami- 
lières, nations  diverses.  Anglais,  Français,  Flamands, 
tout  se  mêle  et  se  succède  sans  confusion;  et  jamais  les 
couleurs  de  l'historien  ne  sont  semblables,  quoiqu'il  soit 
toujours  naïf,  naturel,  abandonné.  » 

(1)  OEuvres  de  Froissart,  publiées  par  le  baron  Kervyn  de  Lettekhove, 
10  vol.  in-8o,  parus;  Bruxelles,  Devaux.  —  Clironiqties  de  Froissart,  pu- 
bliées pour  la  Société  d'Iiisloire  de  France,  par  Sinéon  Luge,  2  vol.  in-S», 
parus;  Paris,  Renouard. 


—  2i9  — 

Mais  nous  ne  prétendons  pas  apprécier  ici  la  valeur 
hislorique  et  littéraire  de  l'œuvre  de  Froissart.  Nous  vou- 
lons seulement  raconter  sa  vie  d'après  les  travaux  de  ses 
récents  éditeurs,  étude  qui  ne  sera  pas  sans  intérêt,  car 
elle  nous  fera  pénétrer  dans  la  société  du  XIV*"  siècle,  à 
la  cour,  aussi  bien  que  dans  les  cliàleaux  de  la  noblesse  et 
les  maisons  de  la  bourgeoisie.  A  ce  point  de  vue,  ce  ne  sera 
pas  seulement  la  vie  d'un  homme  que  nous  raconterons; 
ce  sera  aussi  un  croquis  de  l'ancienne  société  provinciale 
que  nous  essaierons,  en  groupant  les  faits  autour  d'un  nom 
justement  estimé  et  incontestablement  populaire. 

I. 

L'un  des  jurés  de  la  ville  de  Beaumont-en-Ardennes, 
était  en  l'an  de  grâce  1500  Mahieu  Froissart,  et  dans  une 
localité  voisine,  à  Thuin,  vivait  à  la  même  époque  Everard 
Froissart,  marchand  assez  riche  pour  obtenir  du  comte  de 
Hainaut  une  indemnité  considérable,  à  cause  des  pertes 
qu'il  subit  lors  la  prise  de  cette  ville.  Mahieu  quitta 
Beaumont  pour  aller  se  fixer  à  Valenciennes,  seigneurie 
appartenant  également  à  Baudouin  d'Avesnes,  et  où  des 
privilèges  singulièrement  libéraux  attiraient  les  gens  des 
environs.  Un  de  ses  fils,  nommé  Mahieu,  comme  son  père, 
demeura  cependant  à  Beaumont.  On  croit  que  Froissart 
fut  appelé  à  Valenciennes,  à  cause  de  son  talent  comme 
«  enlumineur,  »  surtout  comme  peintre  héraldiste,  et  on 
lui  attribue  les  écussons  de  la  Salle-le-Comte,  construite 
sous  Baudouin  le  Bâtisseur.  M.  de  Lettenhove  n'admet 
pas  cette  tradition,  qui  ne  repose  en  effet  sur  aucun  fonde- 
ment, et  il  présume  que  ce  Mahieu  était  tout  simplement 
changeur  :  il  serait  venu  par  conséquent  à  Valenciennes 
pour  exercer  son  industrie  sur  un  théâtre  plus  avantageux  : 
il  voit  un  souvenir  de  cette  profession  paternelle  dans  ces 
vers  du  chroniqueur  : 


—  220  — 

Clinnge  esl  paraJis  à  l'argent, 

Car  il  a  là  tous  ses  déduits, 

Ses  bons  jours  et  ses  bonnes  nuits; 

el  dans  ses  armes,  où  figureut  trois  besaces,  signe  con- 
ventionnel en  blason  des  pièces  d'or  et  d'argent. 

Toujours  est-il  que  Jean  Froissart  naquit,  comme  il 
a  soin  de  nous  l'apprendre  lui-même,  à  Valenciennes, 
en  1353.  Sa  jeunesse  fut  libre  et  joyeuse  jusqu'au  jour  où 
ses  parents  songèrent  qu'il  y  avait  pour  lui  autre  chose  à 
faire  que  jouer  à  la  pince-merine,  aux  papelolles,  à  la 
brimbetelle  ou  au  trottot-merlot. 

On  me  fist  latin  apprendre, 

dit-il  mélancoliquement;  mais  en  vain  le  maître  mit-il  tous 
ses  efforts  à  instruire  son  élève,  recourant  même  à  la  force, 
le  jeune  Jean  se  montrait  insoumis  et  paresseux,  trouvant 
qu'il  était  né  pour 

F^oer  Dieu  et  servii'  le  monde. 

Il  grandit  cependant,  se  laissant  de  plus  en  plus  aller  à 
son  goût  pour  la  poésie.  Il  quittait  volontiers  V^alenciennes 
pour  venir  prendre  ses  ébats  à  Beaumont,  au  milieu  de 
cette  vieille  forêt  des  Ardennes,  toute  pleine,  nous  dit-il, 
«  de  hauts  bois,  de  diverses  et  estranges  vallées,  de  roches 
et  de  montagnes.  »  Il  grandit  et  l'amour  se  mit  de  la 
partie.  Jeune,  beau,  poëte,  Jean  Froissart  devait  séduire 
bien  des  cœurs  :  il  nous  peint  ses  débuts  avec  trop  de 
grâce  pour  ne  pas  lui  céder  la  plume  : 

En  mon  jouvent,  tous  tels  cstoie 
Que  trop  volontiers  m'esbatoie. 
Très  qui  n'avoie  que  douse  ans, 
Estoie  forment  goulousans 
De  veoir  danses  et  carolcs, 
D'oir  ménestrels  et  paroles. 
Qui  s'aperliennent  à  déduit 
El  de  ma  nature  introduit. 


221  

Que  d'amer  par  amour  tous  céauls 
Qui  aimcnl  el  cliicns  et  oiscauls. 
El  quand  on  me  niisl  à  Tescole, 
Il  y  avait  des  puceleltcs 
Qui  de  mon  temps  èrent  jonetles, 
Et  me  sambloit,  au  voir  enqucrre 
Granl  proescc  à  leur  grâce  acqucrre. 

Pendant  plusieurs  années,  Froissart  se  laissa  aller  corn- 
plélement  à  ses  amoureux  penclianls,  el  il  en  sentait  le 
charme  et  la  douceur  : 

Je  passoie  à  si  grant  joie 
Celi  temps,  se  Diex  me  resjoie. 
Que  tout  me  venoil  à  plaisir. 
Et  le  parler  et  le  taisir. 

Mais  sa  famille  regrettait  de  lui  voir  ainsi  perdre  son 
temps  el  elle  parvint  à  le  décider  à  occuper  plus  sérieuse- 
ment sa  vie. 

Si  me  mil  en  la  marchandise, 

dil-il  lui-même,  ce  qui  ne  rempèclia  ni  de  rimer,  ni  d'ai- 
mer, el  il  nous  raconte  une  franche  escarmouche  amou- 
reuse où  il  ne  remporta  pas  la  victoire,  échec  qui  lui  dut 
être  d'autant  plus  sensible,  que  le  portrait  qu'il  trace  de 
Marguerite  est  séduisant. 

Le  sire  de  Beaumont  semble  avoir  particulièrement 
protégé  Froissart,  sans  que  nous  ayons  de  détails  positifs 
à  ce  sujet;  mais  il  est  certain  qu'aussitôt  après  la  mort  de 
ce  seigneur,  Jean  quitta  Valenciennes  (16  avril  1356) 
pour  franchir  la  Manche  et  aller  [)résenter  à  la  reine 
d'Angleterre,  nièce  de  Jean  de  Beaumont,  une  a  compila- 
lion  rimée  »  de  l'histoire  des  guerres  qui  ensanglantaient 
alors  la  France.  Il  fut  très-bien  accueilli  à  la  cour  de 
Windsor,  et  il  y  prit  promptement  ses  habitudes. 

Avec  les  seigneurs  et  les  dames 
M'esbatoie  très  volonllers. 


—  222  — 

Il  ne  larda  pas  à  y  ébaucher  un  tendre  roman  qui  lui 
fil  composer  le  poëme  inlilulé  :  la  Court  de  May.  Au  bout 
de  quelques  semaines,  Froissarl  demanda  la  permission  de 
rentrer  dans  sa  patrie,  à  la  reine,  qui  la  lui  accorda  en  le 
comblant  de  riches  cadeaux  et  en  lui  faisant  promettre  de 
revenir;  il  parait  aussi  que  c'est  de  celte  époque  et  à  la 
prière  de  cette  princesse  qu'il  conçut  le  projet  de  com- 
mencer les  chroniques  qui  ont  illuslré  son  nom  :  a  Si  ay, 
dit-il,  toujours  à  mon  povoir  enquis  et  demandé  du  l'ait 
des  guerres  el  des  aventures,  et  par  espécial  depuis  la 
grosse  bataille  de  Poitiers.  » 

Il  semble  que  Froissart  ait  surtout  voulu  revenir  à  Va- 
lenciennes  pour  revoir  la  jeune  fille  qu'il  aimait  :  sa 
première  course  fut  chez  une  dame  qui  protégeait  ses 
amours;  elle  lui  donna  quelques  consolations  en  lui  assu- 
rant que  la  belle  avait  prononcé  plusieurs  fois  son  nom. 
Mais  le  rang  qu'elle  occupait  rendait  la  rencontre  difficile, 
et  l'amoureux  transi  avoue  qu'il  fut  réduit  à  passer  une 
nuit,  caché  près  d'une  fenêtre,  pour  la  voir  danser  el 
s'amuser  avec  d'autres.  Elle  s'humanisa  cependant  un  peu; 
elle  consentit  à  voir  Froissart,  mais  sans  lui  laisser  grande 
espérance,  d'après  ce  récit  assurément  fidèle  :  «  La  dame 
très-grâcieuse  n  entra  un  jour  dans  la  chambre  de  son 
amie  où  Froissart  se  trouvait  :  tous  deux  rougirent,  mais 
notre  poëte  fui  le  plus  intimidé  des  deux  : 

Ung  grant  temps  éuisse  esté  là 
Sans  parler,  mais  elle  parla, 
Soie  merci;  moult  doucement, 
Et  si  me  demanda  comment 
J'avoie  fait  en  ce  voyage, 
Et  je  li  di  :  «  Madame,  s'ai-je 
Pour  vous  eu  maint  souvenir.  » 

—  Pour  moi?  voire?  Et  dont  poet  venir? 

—  De  ce,  dame,  que  tant  vous  aime. 
Qu'il  n'est  heure,  ne  soir,  ne  matin, 
Que  je  ne  pense  à  vous  toudis.  » 


—  223  — 

Froissait,  pour  tant  d'amour,  obtint  un  don  de  cinq 
violettes,  qu'il  chanta  avec  délire;  puis  l'amie  commune 
mourut  et  le  roman  finit.  Nous  sommes  ensuite  quelque 
temps  sans  suivre  exactement  la  trace  de  notre  héros,  mais 
nous  ne  pouvons  douter  que  son  départ  de  V^alenciennes 
n'ait  pour  cause  unique  sa  déception  amoureuse.  La  lec- 
ture attentive  de  ses  vers  nous  apprend  qu'alors  il  visita 
Avignon,  Narhonne,  les  côtes  de  la  Méditerranée  (1360); 
il  revint  ensuite  à  Paris,  où  il  paraît  avoir  suivi  quelques 
cours  littéraires  et  pris  ample  moisson  de  notes  pour  sa 
chronique  au  sujet  de  la  bataille  de  Poitiers.  La  peste  le 
décida  à  s'éloigner  de  celte  ville  et  à  reprendre  le  chemin 
de  l'Angleterre  en  traversant  la  Picardie,  et  allant  certaine- 
ment faire  une  étape  auparavant  dans  sa  ville  natale. 

Il  fut  reçu  avec  une  rare  faveur  à  la  cour  de  Windsor  : 
le  roi  lui  donna  la  charge  de  clerc  de  son  cabinet,  et  il  eut 
surtout  pour  fonctions  de  «  le  servir  de  beaux  dittiers  et 
trettiés  amoureux.  »  La  reine  Philippine  Isabelle  d'Angle- 
terre et  Blanche  de  Lancastre  accablaient  de  prévenances 
l'heureux  voyageur,  qui  devint  le  poëte  attitré  de  la  cour 
et  y  mena  la  vie  la  plus  joyeuse  et  la  plus  agréable  : 
l'amitié  que  le  roi  et  la  reine  lui  témoignaient,  lui  procu- 
rait les  bonnes  cràces  de  tous  les  courtisans.  Froissart 
voyait  avec  un  plaisir  particulier  les  gentilshommes-ôfages 
du  roi  Jean  et  se  renseignait  auprès  d'eux.  11  ne  quittait 
pas  d'ailleurs  la  cour,  et  c'est  à  celte  époque  qu'il  com- 
posa ses  principales  poésies  :  la  Métaphysique  poétique, 
VEspinette  amoureuse,  le  Paradis  d'amour,  V Horloge 
amoureuse^  on  sait  qu'à  celle  époque  la  langue  française 
était  le  seul  langage  usité  dans  la  haute  société  anglaise. 
Il  entretenait  des  relations  intimes  avec  les  principaux 
poêles  de  l'Angleterre,  notamment  avec  Lower  et  avec 
Chaucer.  Rien  ne  lui  manquait  enfin  pour  avoir  l'existence 
la  plus  heureuse,  il  en  jouissait,  s'en  montrait  reconnais- 
sant  et  payait  largement  sou  écot. 


—  224  — 

Froissart  assista  au  retour  volontaire  de  Jeau  dans  sa 
captivité  (23  février  15G9),  et  il  composa  pour  le  royal 
prisonnier  une  pastourelle,  qu'il  lui  offrit  à  Eltham.  Il  est 
probable  que  ce  prince  le  reçut  souvent  :  il  aimait  beau- 
coup les  vers  et  avait  amené  avec  lui  un  «  roi  des  ménesle- 
reulx.  »  Sa  présence  semble  avoir  donné  encore  plus  de 
mouvement  à  la  cour  d'Angleterre  :  Jean   ne  cbercbait 
nullement  à  supporter  avec  austérité  sa  ca|)tivilé,  et  Frois- 
sart nous  dit  que  l'hiver  se  passa  «  liement  et  amoureuse- 
ment en  grands  reviaus  et  récréations,  en  disners  et  en 
soupers  et  en  aullres  manières.  »  Le  roi  de  France  mourut 
au  printemps  et  on  croit  que  Froissart  accompagna  le  cor- 
tège qui  reconduisit  son  corps  et  qu'il  assista  aux  céré- 
monies du  sacre  de  son  successeur  à  Reims.  Dans  tous  les 
cas,  il  vint  avec  Charles  V  à  Paris  et  il  prit  part  aux  fêtes 
qui  suivirent  le  couronnement.  Au  mois  d'août  1364,  il 
était  à  Valenciennes,  et  l'année  suivante  il  reçut  de  la  reine 
d'Angleterre  une    mission   officielle   pour  se   rendre   en 
Ecosse,  à  la  cour  du  roi  David  Bruce,  pour  y  étudier  sur 
place  l'histoire  de  la  récente  guerre  qui  avait  eu  ce  pays 
pour  théâtre  et  qui  y  avait  laissé  de  si  lugubres  traces. 
Froissart  arriva  précisément  au  moment  où  David  entre- 
prenait la  visite  de  ses  états,  et  il  l'accompagna  constam- 
ment dans  ce  voyage.  Son  nom  le  flt  accueillir  partout  avec 
faveur  et  il  rima  plus  d'une  de  ses  jolies  pièces  en  l'honneur 
de  quelques-uns  des  comtes  écossais  qui  lui  montraient 
tant  d'empressement  à  le  fêter.  C'est  durant  ces  chevau- 
chées en  compagnie  de  son  auguste  hôte,  qu'il  composa  le 
Débat  d'un  cheval  et  d'un  lévrier,  petit  poëme  vraiment 
exquis,  écrit  en  vers  simples  et  naturels,  gracieux  tableau 
de  mœurs  aimables  et  douces.  Au  bout  de  six  mois,  notre 
poêle  rentra  en  Angleterre,  mais  dès  l'année  suivante,  il 
reprit  son  vol  pour  aller  visiter   l'est  de  ce  pays  avec 
Edouard   Despencer,  l'un  des  plus  riches  seigneurs   du 


—  225  — 

royaume,  grâces  aux  rapines  de  ses  ancêtres,  favoris 
d'Edouard  II,  et  qui,  parait-il,  se  montra  très-généreux 
envers  son  compagnon  : 

Car  il  ne  fu  oncques  lassés 

De  moi  donner,  quel  part  qu'il  fust. 

Ce  n'estoient  cailliel,  ne  fust, 

Mes  chevaus  el  florins  sans  comple. 

Ce  voyage  rentrait  dans  la  mission  de  Froissart,  car  il 
avait  à  recueillir  des  renseignements  sur  les  tragiques  cir- 
constances de  la  fin  violente  des  Despencer.  Il  continua 
son  œuvre  en  traversant  la  mer  pour 

Clierchier  le  royaulrae  de  France, 
De  chief  encor  par  ordenance. 

C'était  au  moment  où  Du  Gueselin  emmena  les  «  grandes 
compagnies  »  guerroyer  au-delà  des  Pyrénées,  au  secours 
de  Henri  de  Transtamare.  Froissart  traversa  le  Brabant  au 
mois  d'avril  1566,  gagna  la  Bretagne,  l'Aunis  et  arriva  à 
Bordeaux  pour  la  naissance  du  fils  du  prince  Noir  (6  jan- 
vier 1567).  Il  reprit  le  chemin  de  Valenciennes  avec  Gui 
de  Blois,  auquel  le  roi  d'Angleterre  venait  de  rendre  la 
liberté.  Froissart  aimait  voyager  avec  de  grands  seigneurs  : 
il  épargnait  de  la  sorte  des  dépenses  considérables,  que  les 
déplacements  entraînaient  à  celle  époque;  il  recevait  sou- 
vent, au  contraire,  de  ses  compagnons  de  riches  présents 
et  recueillait  toujours  d'amples  renseignements  sur  les  évé- 
nements auxquels  ces  personnages  avaient  été  mêlés.  Avant 
la  fin  de  l'année,  il  était  rentré  à  Londres,  d'où  il  partit  au 
printemps  suivant  pour  venir  à  Paris  avec  le  duc  de  Cla- 
rence,  qui  allait  à  Milan  épouser  Yolande  Visconti.  On  peut 
désormais  le  considérer  comme  l'historiographe  de  la  cour 
d'Angleterre  :  il  prit  part  aux  fêtes  les  plus  splendides,  qu'il 
chanta  volontiers  dans  ses  petits  vers,  en  constatant  volon- 
tiers la  beauté  des  Milanaises;  il  reçut  de  riches  cadeaux, 
il  menait  grand  train. 

En  arroi  de  souflisani  lioinnie, 


—  226  — 

ayant  ses  haquenées,  ses  roncins  pour  ses  domestiques  et 
ses  bagages,  vivant  d'ailleurs  à  sa  guise  et  réglant  à  son 
gré  ses  voyages.  Il  souhaitait  de  s'avancer  jusqu'à  Rome, 
mais  la  guerre  que  soutenait  ri^]mpereur  ne  rendait  point 
les  routes  sûres.  Il  gagna  cependant  Bologne,  et  y  rencon- 
tra le  roi  de  Chypre;  fidèle  à  son  système,  il  trouva  moyen 
de  se  faire  admettre  dans  sa  suite  pour  aller  à  Ferrare  : 
encore  reçut-il  quarante-trois  ducats  pour  sa  peine.  La  paix 
fut  précisément  signée  alors  entre  Charles  IV  et  Galéas 
Visconti,  et  quelques  jours  après,  notre  touriste  foulait  le 
sol  de  la  ville  éternelle.  Il  ne  paraît  pas  en  avoir  éprouvé 
une  vive  impression,  car  il  en  parle  à  peine  :  il  abrégea 
d'ailleurs  son  séjour  pour  ne  pas  laisser  échapper  l'occa- 
sion de  voyager  avec  le  maréchal  d'Aquitaine,  qui  était 
venu  remplir  une  mission  de  la  part  du  prince  de  Galles 
auprès  d'Urbain  V;  il  le  quitta  en  Provence,  pour  ne  pas 
traverser  la  France  désolée  par  la  guerre,  et  regagna  le 
Brabant  par  l'Alsace  et  la  Lorraine.  Il  y  apprit  en  arrivant 
la  mort  de  la  reine  d'Angleterre,  «  la  plus  gentil  roine, 
plus  large  et  plus  courtoise  qui  oncques  régna  en  son 
temps.  »  La  perte  de  celte  puissante  et  libérale  prolectrice 
le  décida  à  demeurer  dans  sa  patrie  et  à  s'y  créer  de  nou- 
veaux patrons  à  l'aide  des  nombreuses  et  grandes  connais- 
sances qu'il  avait  faites  pendant  ses  voyages.  Il  lui  fallut 
peu  de  temps  pour  se  faire  aussi  bien  venir  de  la  cour  de 
Brabant  que  de  celle  d'Angleterre  et  s'y  rendre  indispen- 
sable pour  les  fêles  qui  s'y  succédaient  sans  cesse  et  qui, 
d'après  ses  récits,  étaient  des  plus  brillantes,  des  plus  va- 
riées et  des  plus  joyeuses. 

II. 

Ce  fut  pour  Froissart  un  moment  de  repos  et  il  y  avait 
droit  après  la  vie  singulièrement  agitée  qu'il  venait  de  me- 


—  227  — 

ner  :  ce  fut  aussi  le  moment  où  il  fit  connaissance  de  «  ce 
chanoine  de  Spinl-Lamberl  de  Liège,  qui  devait  rester  son 
maître,  aussi  habile  à  porter  l'épée  que  l'aumusse,  à  écrire 
des  récils  de  bataille  que  des  virelais,  qui  devait  d'ailleurs 
à  une  heureuse  nature  la  prudence  et  le  bon  sens,  en  même 
temps  que  ce  penchant  aux  déduits  et  aux  solus  qui  le 
rendait  «  lie,  gai  et  joli  «jusqu'en  ses  quatre-vingt  ans  »  : 
de  Jean  le  Bel. 

La  guerre  vint  troubler  cette  heureuse  existence  :  le  duc 
de  Brabant  se  fit  battre  et  prendre  par  le  duc  de  Juliers. 
Dès  lors  plus  de  cour,  plus  de  réjouissances,  et  Froissarl 
se  retira  à  Lestines,  bourg  voisin  de  Binche,  où  était  fixée 
une  branche  de  sa  famille  paternelle,  dont  les  membres 
étaient  dans  la  plus  honorable  situation  (décembre  1371). 
Il  paraît  que  le  désastre  de  la  cour  de  Brabant  influa  sur 
la  position  pécuniaire  de  Froissart  :  il  fit  des  perles  d'ar- 
gent, dut  emprunter;  puis  tout  d'un  coup  il  entre  définitive- 
ment dans  les  ordres  et  devient,  en  1371,  curé  de  Lestines. 
C'était  un  bénéfice  avantageux,  à  la  nomination  de  l'évêque 
de  Cambrai.  Froissart  recevait  en  outre  du  duc  de  Brabant 
une  pension  en  argent  et  une  redevance  de  quelques  muids 
de  blé;  quand  ce  prince  sortit  de  prison,  il  recommença  à 
faire  de  fréquents  cadeaux  à  son  poëte  favori,  qu'il  appelait 
souvent  auprès  de  lui  et  qu'il  aimait  à  consulter.  Froissart, 
curé,  continuait  d'ailleurs  à  mener  une  vie  agitée,  tout  en 
ne  fournissant  aucune  prise  à  la  malignité  au  point  de  vue 
moral.  Il  voyait  familièrement  ses  paroissiens,  dont  les  uns, 
comme  Moreat,  était  un  vaillant  chevalier,  et  comme  Jake- 
mot,  un  joyeux  ménestrel,  les  autres,  de  riches  taverniers 
fournisseurs  des  vins  de  la  cour  et  le  mayeur  du  bourg,  et 
de  non  moins  riches  bourgeois.  Il  allait,  nous  venons  de  le 
dire,  souvent  à  Bruxelles  auprès  du  duc  Wenceslas,  à  Mons 
près  le  duc  de  Bavière,  gouverneur  du  Hainaut;  à  Beau- 
mont,  dans  les  châteaux  des  environs,  où  il  était  assuré  de 


228  

toujours  rencontrer  l'accueil  le  plus  empressé  :  il  a  soin  de 

nous  nommer  tous  ces  seigneurs  dans  un  poëme  composé  à 

Lestines,  car  le  curé  n'en  était  pas  moins  resté  poêle.  C'est 

dans  son  presbytère  qu'il   rima  la  Prison  anumreiise,  le 

Buisson  de  jonèce  et  diverses  ballades.  Le  premier  de  ces 

poèmes  avait  pour  objet  de  chanter  et  d'adoucir  la  captivité 

du  duc  Wenceslas. 

Mais  Froissart  allait  bientôt  occuper  plus  utilement  ses 

loisirs.  C'est  à  Lestines  qu'il  commença  la  rédaction  de 

sa  chronique  :  lui-même  nous  le  dit  dans  sa    Vision  de 

philosophie  : 

El  adoiiques  me  renouvellL- 

Philosophie  un  haull  penser 

El  ilist  :  «  Il  te  eonvient  penser 

Au  temps  passé  et  à  tes  œvres; 

El  voeil  que  sus  cesté  tu  œvres. 

Il  ne  l''est  mie  si  lointains, 

Ne  tu  si  frois,  ne  si  eslains 

Que  mémoire  ne  l'en  revicgne   >» 

Ce  travail  semble  avoir  dès  lors  complètement  absorbé 
notre  héros,  don  t  on  n'entend  plus  parlerpendant  plusieurs 
années.  Il  ne  paraît  pas  avoir  quitté  sa  cure,  sinon  pour 
soumettre  son  travail  à  Gui  de  Blois,  qui  habitait  alors  le 
château  de  Beaumont,  et  à  Robert  de  Namur,  oncle  de  la 
comtesse  de  Blois,  qui  y  venait  souvent.  Le  12  décembre 
1581,  on  apprit  tout  d'un  coup  à  Paris  que  le  régent  venait 
de  faire  saisir»  cinquante-six  quayers  que  messire  Jehan 
Froissart,  prestre,  recteur  de  l'église  parrochiale de  Lestines- 
au-\Iont,  près  de  Mons,  avoit  fait  escrire,  faisans  mention 
de  plusieurs  et  diverses  batailles  et  besoignes  en  fait  d'ar- 
mes, faits  au  royaume  de  France,  le  temps  passé,  lesquels 
cinquante-six  quayers  de  romans  ou  croniques,  ledit  messire 
Jehan  Froissart  avoit  envoyé  pour  enluminer  à  Guillaume 
de  Bailly,  enlumineur,  et  lesquels  ledit  messire  Jehan  pro- 


229  

poiisoil  à  envoyer  au  roy  d'Angleterre,  adversaire,  elc.  (i).  » 
Froissarl  destinait  ce  manuscrit  à  être  offert  comme  ca- 
deau de  noces  à  Richard  III,  à  l'occasion  de  son  mariage 
avec  Anne  de  Bohème.  Il  ne  paraît  pas  avoir  obtenu  la 
restitution  de  ces  «  quayers,  »  et  il  s'en  consola  en  dédiant 
au  duc  Wenceslas  le  poëme  de  Méliador  et  en  continuant 
sans  nul  doute  son  travail  historique.  Mais  ce  prince  mourut 
peu  de  temps  après  (7  décembre  1383),  et  Froissart,  qui 
semble  avoir  toujours  eu  besoin  d'un  patron,  s'attacha  com- 
plètement à  Gui  de  Blois,  qui,  après  avoir  encore  accom- 
pagné Charles  VI  dans  l'expédition  de  Roosebeke,  se  retira 
définitivement  à  Beaumont.  Il  fît  venir  Froissarl  auprès  de 
lui,  en  qualité  de  chapelain  et  en  lui  donnant  en  outre  un 
canonical  à  Chimay.  Cette  vie  lui  convenait  mieux  que 
celle  de  la  cure  de  Lestines.  a  Si  le  bénéfice  de  Leslines, 
dit  M.  de  Lettenhove,  avait  réduit  Froissart  à  une  résidence 
qui  ne  fut  ni  silencieuse,  ni  oisive,  sa  chapellenie  et  son 
canonicat  lui  assuraient  plus  de  liberté.  Gui  de  Blois  voya- 
geait-il, il  l'accompagnait  comme  chapelain,  et  lors  même 
que  son  bon  seigneur  et  maître  se  reposait,  notre  chanoine 
obtenait  aisément  la  permission  d'attacher  à  son  aumusse 
son  escarcelle  de  chroniqueur.  Nous  le  retrouverons  bientôt 
chevauchant  sur  les  grands  chemins  et  accueilli  avec  hon- 
neur à  la  cour  des  princes  comme  dans  les  châteaux  des 
barons.  »  Il  alla  ainsi  à  Blois  pour  les  préparatifs  du  ma- 
riage du  fils  de  Gui  de  Blois  avec  Marie  de  Berry,  lequel  ne 
fut  célébré  que  cinq  mois  plus  tard  à  Bourges  (août  1586); 
il  composa  à  cette  occasion,  outre  une  très-galante  pastou- 
relle, son  poëme  du  Temple  d'honneur.  Froissart  —  il 
aimait  décidément  voyager  à  la  suite  des  princes  —  partit 
pour  la  Flandre  avec  le  duc  de  Berry,  qui  se  rendait  au 

(I)  Journal  de  Jehan  Le  Fedvre,  évèqiic  ilc  Chartres,  Le  Labodrelr,  Inirod. 
du  reliq.  de  Saiiil-Denis,  p.  69. 


—  250  — 

cainj)  de  l'Ecluse  avec  une  lenteur  prcmédiléc,  qui  sauva 
rAnglelerre  d'une  invasion,  mais  irrilail  Froissant,  pressé 
d'arriver  à  Valenciennes,  où  il  savait  trouver  le  comte  de 
Blois,  le  duc  de  Bourgogne  et  le  duc  de  Bavière,  et  ap- 
prendre d'importantes  nouvelles  sur  la  grande  expédition 
que  la  France  projetait  au-delà  de  la  Manche.  Il  y  avait  au 
palais  nombreuse  compagnie,  la  dame  de  Moriaumès,  la 
dame  de  Gommignies  et  une  foule  de  chevaliers,  «  et  vous 
dis,  écrivait  Froissart,  qu'il  sembloit  bien,  qui  les  oyoit 
parler,  que  Engleterre  estoil  prise,  conquestée  et  perdue.  » 
Mais  il  ne  put  demeurer  inactif  au  milieu  de  ce  mouvement 
militaire  et  il  courut  repaitre  ses  yeux  curieux  du  magni- 
fique spectacle  du  camp  et  de  la  flotte  de  l'Ecluse.  Il  y  con- 
stata lui-même  que  la  lenteur  volontaire  du  duc  de  Berry, 
en  retardant  le  départ  à  l'arrière-saison,  ruina  cette  gigan- 
tesque entreprise,  destinée  peut-être  à  renouveler  à  trois 
siècles  de  distance  la  conquête  de  Guillaume  le  Bâtard. 

Après  avoir  passé  quelques  jours  dans  ce  camp,  où  cha- 
que baron  faisait  assaut  de  luxe  pour  surpasser  son  voisin, 
le  chanoine  de  Chimay  parcourut  la  Flandre,  se  plaisant  à 
voir  la  reprise  du  commerce  et  de  l'industrie  dans  ce  riche 
pays.  Il  passa  à  Bruges,  séjourna  assez  longtemps  à  Gand 
pour  y  apprendre  des  acteurs  de  la  dernière  guerre  bien 
des  détails  qu'il  nous  a  conservés.  De  retour  à  Valencien- 
nes, Froissart  s'occupe  de  rédiger  la  suite  de  sa  chronique, 
tout  en  ne  renonçant  pas  à  ses  inspirations  poétiques.  Mais 
il  se  sentait  encore  trop  vert  pour  ne  pas  en  profiter  et  con- 
tinuer par  de  nouveaux  voyages  son  enquête  historique. 
«  Je  considéray  en  moy-mesme  que  nulle  espérance  n'estoit 
que  aucuns  faits  d'armes  se  fissent  es  parties  de  Picardie 
et  de  Flandres,  puisque  paix  y  estoit,  et  point  ne  vouloit 
estre  oiseux,  et  entrementes  que  j'avois,  Diet  mercy,  sens, 
mémoire,  et  bonne  souvenance  de  toutes  les  choses  passées, 
engin  clair  et  aigu  pour  concevoir  tous  les  faits  dont  je 


—  251  — 

poiirrois  eslre  informé,  loiicliant  à  ma  principale  malière, 
âge,  corps  et  membres  pour  souffrir  paine,  me  avisai  que 
je  ne  voulois  mie  séjourner  de  non  poursuivre  ma  matière.  » 
Froissarl  partit  donc  pour  le  midi  de  la  France,  au  prin- 
temps 1388,  avec  le  comte  de  Blois.  Ce  qu'il  apprit  en 
route  du  faste  de  la  cour  d'Ortlièz  et  de  la  générosité  du 
comte  de  Foix  le  décida  à  se  rendre  près  de  lui,  en  che- 
vauchant d'abord  le  long  de  la  Loire,  heureux  de  pouvoir 
bientôt  «  s'accointer  »  en  la  compagnie  d'un  vaillant  cheva- 
lier, Guillaume  d'Ancenis,  qu'il  avait  connu  au  camp  de 
l'Ecluse  et  qui  lui  fournit  plus  d'un  intéressant  détail  rétro- 
spectif. En  route  il  reçut  l'avis  de  Gui  de  Blois  d'aller  cher- 
cher dans  une  abbaye  entre  Lunel  et  Montpellier,  quatre 
lévriers  que  ce  prince  voulait  offrir  au  comte  de  Foix,  puis, 
avec  ce  précieux  convoi,  il  s'achemina  sur  Pamiers,  où  il 
apprit  que  le  comte  Gaston  n'était  plus  dans  le  pays  de  Foix, 
mais  en  Béarn.  Cette  nouvelle  course  à  faire  seul,  dans  des 
contrées  complètement  inconnues,  l'efifraya  un  peu  et  il  la 
retarda  «  pour  attendre  compagnie.  »  Bien  lui  en  prit,  car 
au  bout  de  huit  jours,  il  put  faire  route  avec  messire  Es- 
paing  de  Lyon,  l'un  des  principaux  conseillers  du  comte, 
qui  lui  conta  force  renseignements  «  sur  les  besognes  de 
France.  »  Il  lui  avait  confié  très-franchement  le  but  de  son 
voyage,  et  messire  Espaing  se  mettait  absolument  à  sa  dis- 
position :  souvent  il  lui  disait  :  «  Avez-vous  mis  dans  votre 
histoire  dont  vous  m'avez  parlé?  "Si  ses  souvenirs  sem- 
blaient près  de  s'épuiser,  Froissart  s'empressait  adroitement 
de  «  le  remettre  en  parole,  »  selon  sa  pittoresque  expression. 
En  arrivant  devant  le  château  de  Lourdes,  notre  chroni- 
queur apprit  avec  joie  que  Gaston  de  Foix  avait  dans  son 
trésor  «  trente-trois  cent  mille  florins,  »  que  chaque  année 
il  en  distribuait  plus  de  soixante  mille  et  qu'il  en  donnait 
volontiers  bonne  part  o  aux  étrangers  qui  vont  en  chevau- 
chant par  son  pays  et  qui  parlent  de  lui.  » 


—  232  — 

Le  conile  de  Foix  Ol  le  plus  gracieux  accueil  au  voyageur, 
qu'il  garda  trois  mois  «  dans  son  ostel,  »  se  plaisant  à  en- 
tendre ses  récils  et  à  lui  faire  lire  ses  vers.  Mais  Froissart 
ne  perdait  pas  son  temps  et  il  savait  faire  ample  provision 
de  documents  historiques.  11  prolongea  son  séjour  beau- 
coup plus  qu'il  ne  l'avait  projeté:  il  alla  une  fois  d'Orllièz 
à  Bordeaux  pour  assister  à  des  fêtes  données  en  l'honneur 
de  la  duchesse  de  Lancastre,  puis,  trouvant  l'occasion  de 
faire  roule  avec  trois  ambassadeurs  du  duc  de  Berry  — 
venus  pour  demander  la  main  de  Jeanne  de  Boulogne  au 
nom  de  leur  maître,  —  il  prit  congé  de  son  généreux  hôle 
et  il  suivit  le  brillant  cortège  jusques  à  Avignon  —  le  pape 
Clément  VII  étant  cousin  germain  du  père  de  la  fiancée  — 
(mai  1389).  Le  voyage  continua  de  fêtes  en  fêtes  le  long 
du  Rhône.  Froissart  prit  ensuite  directement  le  chemin  de 
Paris  avec  le  sire  de  la  Rivière  :  il  y  rencontra  le  sire  de 
Coucy,  qui  fut  tellement  heureux  de  faire  sa  connaissance 
que,  partant  précisément  pour  le  Cambrésis,  il  l'emmena 
avec  lui.  Avouons  que  Froissart  était  un  habile  homme 
pour  économiser  ses  frais  de  route!  Il  consacra  quelques 
jours  à  son  nouvel  ami,  quelques  autres  à  sa  famille  de 
Valenciennes  et  alla  aussi  passer  un  mois  à  Schoonhove, 
en  Hollande,  auprès  de  Gui  de  Blois.  Mais  Froissart,  ap- 
prenant la  prochaine  entrée  solennelle  de  la  reine  Isabeau 
à  Paris,  n'avait  garde  de  manquer  à  son  rôle  de  chroni- 
queur, qui  lui  commandait  d'y  assister.  Il  y  arriva  au  mois 
d'août  et  put  raconter  de  visu  les  fêtes  splendides  qui  signa- 
lèrent cette  cérémonie. 

Le  15  juillet  1391,  Froissart  perdit  Guy  de  Blois,  dont 
la  maladie  avait  singulièrement  aigri  sur  la  fin  et  même 
dénaturé  le  caractère.  C'était  son  dernier  protecteur  et  il  ne 
laissait  que  des  dettes  :  Froissart  avait  alors  soixante  ans; 
il  commençait  à  éprouver  le  besoin  de  ce  repos  digne  et 
calme,  olium  citni  dignitate,  qui  s'impose  à  l'âge  comme 


—  23Ô  — 

an  travail,  mais  il  semble  que  les  ressources  pécuniaires 
lui  faisaient  défaut  à  l'heure  où  il  en  aurait  eu  le  plus 
besoin,  car  le  chapelain  du  dernier  comte  de  Blois  devait 
être  habitué  à  une  existence  que  ne  signalaient  pas  préci- 
sément l'austérité  et  la  pauvreté.  Pendant  son  séjour  à 
Avignon,  on  lui  avait  promis  un  canonical  à  Notre-Dame 
de  Rheims,  «  qui  vaut  en  résidence  cent  florins  et  en  ab- 
sence trente  francs,  »  et,  ce  qui  était  infiniment  plus  profi- 
table, une  «  chanoinie  »  de  Lille.  Rien  ne  vint  et  il  demeura, 
comme  il  le  dit  en  plaisantant,  chanoine  de  Lille  «  en 
herbe.  » 

Froissart  rentra  alors  à  Valencienneset  continua  sa  chro- 
nique, s'acquittant  de  la  promesse  faite  à  messire  Espaing 
de  Lyon  :  «  Toutes  vos  paroles  seront  mises  en  mémoire 
et  en  remonstrances  en  l'histoire  que  je  poursuis.  »  Arrivé 
anx  événements  de  l'année  1385,  il  trouve  de  nombreuses 
lacunes  pour  le  récit  des  affaires  de  Caslille  et  de  Portugal. 
Voulant  y  suppléer,  il  se  rendit  à  Bruges,  où  les  Portugais 
afiluaienl,  attirés  par  les  importants  comptoirs  d'or  mon- 
nayé, qui  y  appelaient  les  étrangers  de  toute  l'Europe.  Il 
y  apprit  qu'un  conseiller  du  roi  de  Portugal  venait  de  dé- 
barquer à  Middelbourg;  il  y  court,  se  fait  présenter  par  de 
notables  personnages  et  remplit  sa  mémoire  au  gré  de  ses 
désirs.  Nous  le  retrouvons  ensuite  à  Paris  pendant  l'été  et 
l'automne  de  l'année  1392;  au  printemps  suivant,  il  était 
à  Abbeville,  où  le  roi  et  le  duc  d'Orléans  suivaient  de 
près  les  négociations  qui,  comme  on  sait,  avaient  pour 
objet  la  cession  de  l'Agénois,  du  Périgord  et  du  Limousin; 
il  se  renseignait,  tout  en  prenant  part  à  de  «  nombreux  et 
joyeux  esbals.  »  Froissart  faisait  son  métier  en  conscience 
et  peu  de  reporters  de  nos  jours  pourraient  présenter  de 
pareils  étals  de  services.;  il  n'atteignit  pas  son  but  à  Abbe- 
ville. Les  deux  princes  s'étaient  engagés  à  tenir  le  traité 
secret,  et  il  dut  avouer  que  bien  qu'il  s'efforçât  «  d'oïr  et  de 

17 


—  234  — 

savoir  nouvelles,  «  il  ne  put  «  pour  lors  savoir  la  vérité 
comme  la  paix  esloit  emprise.  » 

Froissart  songea  à  s'allaclicr  au  duc  d'Orléans,  qui  lui 
fit  remettre  «  vint  francs  d'or,  »  pour  prix  du  DU  royal 
dont  il  avait  accepté  Thommage,  mais  ce  projet  n'eut  pas  de 
suite  et  il  alla,  en  1395,  présenter  ses  hommages  à  Ri- 
chard II,  roi  d'Angleterre,  pourvu  de  nombre  de  lettres  de 
recommandation  des  plus  grands  seigneurs  de  la  cour  de 
France.  Il  fil  «  escripre,  grosser  et  enluminer  tous  les  trai- 
tés amoureux  et  de  moralité  que  au  terme  de  trente-quatre 
ans  »  il  avait  composés  et  il  s'embarqua  pour  Londres,  mais 
il  y  arriva  pour  éprouver  une  grande  déception,  ne  ren- 
contrant presqu'aucun  de  ses  anciens  amis  et  trouvant  les 
mœurs  singulièrement  changées  depuis  vingt-huit  ans  qu'il 
n'était  venu  en  ce  pays.  Le  roi   heureusement  lui  fit  le 
meilleur  accueil,  en  lui  disant  que  puisqu'il  avait  été  «  de 
l'hôtel  du  roi  son  aïeul  et  de  la  reine  son  aïeule,  il  devait 
toujours  se  considérer  comme  étant  de  l'holel  du  roi  d'An- 
gleterre. »  Froissart  n'eut  garde  de  refuser  cette  bonne  au- 
baine et  il  se  mit  de  nouveau  à  chevaucher  à  la  suite  de 
la  cour,  hantant  les  châteaux  et  prenant  part  aux  fêtes  qui 
se  succédaient  sans  cesse,  causant  tant  et  plus  avec  ceux 
auprès  desquels  «  il  s'accointait,  »  et  se  renseignant  sur  les 
événements  contemporains.   Richard  II  reçut  les  œuvres 
du  chanoine  de  Chimay  avec  faveur,  et  quand  ce  dernier 
se  relira  pour  regagner  la  France,  il  lui  fit  remettre  un 
gobelet  d'argent  doré,  pesant  plus  de  deux  marcs  et  con- 
tenant cent  nobles  (octobre). 

Froissart  débarqua  en  Bretagne  au  moment  où  une  partie 
de  la  noblesse,  avec  le  comte  de  Nevers  et  le  sire  de  Coucy, 
rêvait  d'aller  de  nouveau  tenter  fortune  en  Orient  :  il  ad- 
mira ce  mouvement,  mais  sans  l'approuver,  et  dans  son 
Trésor  amoureux  il  laisse  voir  qu'il  y  aurait  peut-être  plus 
d'utilité  à  conserver  en   France  ces  gentilshommes,  qui 


—  235  — 

pourraient  bientôt  trouver  à  y  employer  leur  bravoure.  II 
était  alors  à  Sainl-Omer,  où  il  vint  offrir  ce  poëme  au  duc 
de  Bourgogne  (octobre  1o9G)  et  où  il  comptait  assister  aux 
félcs  données  par  les  souverains  de  la  France  et  de  TAn- 
glelerre,  mais  Eustaclie  Deschamps  nous  apprend  qu'on 
vola  la  bourse  de  notre  chroniqueur,  qui  fut  mis  de  la 
sorte  dans  l'impossibilité  de  continuer  son  voyage.  C'est  là 
qu'il  apprit  le  désastre  de  Nicopolis,  où  échoua  la  croisade 
qu'il  venait  de  blâmer,  tout  en  rendant  hommage  à  l'esprit 
chevaleresque  qui  animait  ceux  qui  y  avaient  pris  part. 

Depuis  celte  époque,  la  vie  de  Froissart  est  mal  connue. 
On  croit  qu'il  se  retira  dans  l'abbaye  de  Cantimpré,  aux 
portes  de  Cambrai,  où  il  mit  probablement  la  dernière 
main  à  la  rédaction  de  ses  chroniques.  Il  devait  d'ailleurs 
sentir  le  besoin  de  se  reposer  après  une  vie  aussi  remuante, 
et  éprouver  le  désir  de  se  retirer  du  monde  avant  d'être 
abandonné  par  lui.  Les  idées  de  recueillement  et  de  retraite 
semblent  s'être  alors  entièrement  emparées  de  lui,  et  l'on 
considère  comme  une  de  ses  dernières  œuvres  les  vers 
pieux  et  tristes  qu'il  écrivit  sur  un  exemplaire  du  chro- 
niqueur de  Saint-Denis,  qu'il  avait  reçu  de  Jean  de  Bel 
et  qu'il  donna  à  Pierre  d'Ailly,  évêque  de  Cambrai. 

Een-loy.  —  A  qui?  —  Tu  le  sauras. 

—  Et  quoy  je  feis?  —  Brève  nature. 

—  Qu'en  sera-t-il?  —  Tu  en  mourras. 

—  Quant?  —  Tempremenl.  —  C'est  chose  dure. 
Las!  où  yray?  —  En  pourriture. 

—  Conseil  me  faull.  —  Va  confesser» 
Car  je  ne  scé  meilleur  trouver. 

Se  j'ay  pechié?  —  Tu  le  diras. 

—  Et  s'en  ay  peine?  —  Si  l'endure. 

—  S'on  m'a  faict  mal?  —  D'entente  pure, 

—  Et  qui  dit-ce?  —  Sainte-Escripture 
Est  à  temoing  pour  ce  prouver, 

Car  je  ne  scé  meilleur  trouver. 


—  236  — 

Je  me  rens.  —  Celle  foy  tenras. 

—  Ce  feray  mon.  —  Tu  dis  droicture. 

—  El  de  mes  biens  ?  —  Tu  en  feras 

Aux  povres.  —  Quoy?  —  Leur  nourriture. 

—  El  que  mengeray?  —  La  paslure 
Tele  si  que  preslre  scel  savrer, 

Car  je  ne  scé  meilleur  Irouver. 

On  croit  qu'après  un  séjour  à  Cantimpré,  Froissarl  se 
retira  définitivement  à  Chimay,  où  ii  avait,  comme  on  sait, 
un  canonical.  Il  travailla  jusques  à  ses  derniers  jours,  et 
ses  nombreux  manuscrits  prouvent  qu'il  ne  se  lassait  pas 
de  reprendre  sa  rédaction,  soit  pour  y  ajouter  des  faits  ou 
des  éclaircissements,  soit  pour  la  corriger  et  améliorer  le 
style.  On  ignore  l'époque  de  sa  mort  ;  tous  ses  biographes 
la  placent  à  l'an  1400;  un  manuscrit  de  Chimay  la  recule 
jusqu'en  1419,  et  M.  de  Lettenhove  ne  met  pas  en  doute 
qu'elle  fut  certainement  postérieure  à  1400;  il  croit  exacte 
la  tradition  qui  le  fait  inhumer  dans  l'église  de  Chimay, 
sans  que  les  nombreuses  recherches,  faites  à  ce  sujet,  aient 
jamais  amené  de  résultat. 


III. 

Nous  n'avons  pas  à  apprécier  la  valeur  des  œuvres  histo- 
riques et  poétiques  de  Froissart.  Cela  a  été  fait  avant  nous 
trop  souvent,  et  tout  a  été  dit  à  ce  sujet.  Nous  préférons 
rendre  hommage  en  finissant  à  l'excellente  étude  sur  la  vie 
du  célèbre  chroniqueur  que  nous  devons  à  M.  le  baron 
Kervyn  de  Lettenhove.  C'est  un  travail  historique  où  le 
charme  du  style  ne  nuit  en  rien  à  la  sûreté  de  l'érudition, 
et  je  crois  que  l'on  ne  peut  qu'adresser  à  l'auteur  des 
éloges;  l'Académie  française  l'a  d'ailleurs  solennellement 
constaté,  en  couronnant,  dès  18b7,  un  premier  essai,  dont 
ce  nouveau  travail  n'est  que  le  développement  plus  savant 


—  237  — 

plus  élégant  encore. Nous  ne  pouvons  pas  comparer  ici  l'œuvre 
de  M.  le  baron  de  Lellenhove  à  celle  de  M.  Luce,  parce  que 
Tuu  a  écrit  d'abord  la  vie  de  Froissart  et  l'autre  n'a  encore 
apprécié  que  l'œuvre  matérielle  et  intellectuelle  du  chroni- 
queur. Tous  deux  sont  d'accord  pour  constater  la  difficulté 
de  composer  une  édition  de  Froissart.  «  Trop  longtemps,  a 
dit  M.  le  marquis  de  Laborde,  on  s'est  mépris  sur  le  mode 
de  publication  qui  convient  aux  chroniques  de  Froissart. 
On  a  traité  le  chroniqueur  du  moyen-âge  comme  les  clas- 
siques des  grandes  époques  de  la  littérature  grecque,  ro- 
maine et  française.  Rien  de  plus  simple  que  de  publier  les 
œuvres  de  ces  écrivains.  On  choisit  le  plus  ancien  texte, 
épurant  ce  texte  primitif,  le  châtiant,  le  complétant,  travail 
délicat  qui,  s'il  a  profilé  à  Hérodote,  ne  convient  nullement 
à  Froissart.  En  effet,  pour  cet  écrivain  mobile,  il  y  a  de 
tout  autres  exigences.  Froissart  n'a  pas  laissé  à  la  postérité 
un  texte  ne  varietur.  Nous  avons  de  sa  main  plusieurs 
chroniques  différentes,  et  ces  rédactions  distinctes  sont 
l'œuvre  de  cinquante  années  consacrées  à  rechercher  de 
nouvelles  informations.  »  M.  Luce,  dans  l'édition  dont  la 
Sociélé  de  Vhistoire  de  France  a  entrepris  la  publication 
entravée  par  les  déplorables  événements  qui  depuis  tant 
de  mois  étouffent  la  vie  intellectuelle  chez  nous,  a  étudié  à 
fond  le  classement  de  ces  diverses  rédactions  et  de  ces 
différents  manuscrits  pour  ce  qui  concerne  le  premier  livre 
du  chroniqueur.  Trois  versions  existent.  L'une,  qu'il  ap- 
pelle ordinaire,  compte  une  cinquantaine  d'exemplaires 
connus  et  est,  pour  M.  Luce,  la  première  rédaction  du 
chanoine  de  Chimay;  la  seconde  n'existe  qu'à  Amiens  et  à 
Valenciennes;  la  dernière  n'a  qu'un  exemplaire  conservé 
à  Rome.  Par  l'étude  la  mieux  approfondie,  par  des  rap- 
prochements habiles,  des  commentaires  ingénieusement 
incontestables,  M.  Luce  est  parvenu  à  donner  des  dates 
évidemment  exactes  pour  ces  divers  manuscrits,  et  il  n'a 


—  258  — 

pas  reiulu  un  mince  service  à  riiisloire  en  éclaircissanl 
définitivement  ces  ombres.  Ces  diverses  dates,  en  effet, 
expliquent  les  changements  du  chroniqueur,  changements 
qui  ont  certes  leur  importance,  parce  qu'ils  résultent  de 
nouveaux  renseignements,  d'éclaircissements  qui  lui  ont 
paru  plus  sûrs.  «  Lorsque  Froissart  a  varié  dans  ses  senti- 
ments, dans  ses  jugements,  dit  M.  Luce,  soit  sur  les  indi- 
vidus, soit  sur  les  peuples,  on  peut  être  sûr  qu'il  a  modifié 
sa  manière  de  voir  en  toute  liberté,  en  toute  sincérité. 
Kien  n'est  plus  curieux  à  cet  égard  que  le  changement 
qui  s'est  opéré  dans  les  dispositions  de  notre  chroniqueur 
à  l'endroit  des  Anglais  :  après  les  avoir  admirés  d'abord 
presque  sans  réserve,  notamment  dans  la  première  rédaction 
de  son  premier  livre,  il  finit  par  les  juger,  dans  la  troisième 
rédaction  de  ce  même  livre,  avec  la  sévérité  la  plus  perspi- 
cace.... Soit  que  l'on  compare  les  diverses  rédactions  du 
premier  livre  au  point  de  vue  de  leurs  ressemblances, 
continue  M.  Luce,  soit  qu'on  les  confronte  sous  le  rapport 
de  leurs  divergences,  on  voit  que  l'esprit  désintéressé,  che- 
valeresque de  Froissart  et  la  fidélité,  sinon  l'impartialité, 
de  ses  récits,  ressortent  victorieusement  de  cette  compa- 
raison. » 

M.  Luce  constate  ensuite  l'exactitude  relative  de  Frois- 
sart :  il  reconnaît  certainement  qu'au  point  de  vue  de  la 
chronologie  et  de  la  géographie,  l'œuvre  du  chanoine  de 
Chimay  laisse,  comme  cela  se  conçoit,  beaucoup  à  dési- 
rer; mais  sans  que  ces  imperfections  atteignent  jamais  la 
bonne  foi  du  chroniqueur,  qui  mettait  tous  ses  efforts  pré- 
cisément à  se  montrer  exact  sous  tous  les  rapports.  Puis  le 
savant  éditeur  apprécie  le  charme  du  narrateur,  le  talent 
de  l'écrivain  «  pour  ne  pas  dire  du  peintre,  »  et  il  donne 
libre  carrière  à  l'admiration  qu'il  professe  pour  son  héros, 
a  Ce  charme,  dit-il,  est  vraiment  irrésistible,  il  a  parfois 
été  inspirateur;  et  ce  n'est  pas  une  médiocre  gloire  pour 


—  239  — 

l'auteur  des  chroniques  iravoir  coniribuc  puissamment  à 
éveiller  le  génie  de  l'un  des  grands  enchanteurs  de  ce  siècle, 
de  Walter  Scott.  Ce  qui  fait  goûter  un  si  vif  agrément  à 
la  lecture  de  Froissarl  prosateur,  c'est  que  la  pensée  ou  le 
sentiment  y  porte  toujours  l'expression  :  le  procédé,  le 
métier,  l'école  ne  se  trahit  nulle  part;  on  sent  que  l'on  a 
affaire  à  un  homme,  non  à  un  rhéteur  ou  à  un  virtuose, 
comme  on  dirait  aujourd'hui.  Aussi  les  beaulés  du  chro- 
niqueur n'ont-elles  rien  d'arllHciel,  d'apprêté,  rien  qui 
sente  la  serre-chaude  :  elles  fleurissent  souvent  au  milieu 
des  aspérités  ou  de  la  rusticité  inculte  de  la  langue  et  elles 
ont  moins  d'éclat  que  de  parfum.  Toutefois,  au  point  de 
vue  littéraire  comme  au  point  de  vue  historique,  on  n'a 
peut-être  pas  rendu  jusqu'à  ce  jour  pleine  justice  à  Frois- 
sart,  parce  qu'on  ne  le  connaissait  pas  tout  entier.  La  troi- 
sième rédaction  du  premier  livre,  dont  la  publication  est 
très-récente  (i),  nous  montre  une  face  inaltendue  et  nou- 
velle du  génie  du  grand  chroniqueur.  Dans  cette  rédaction, 
qui  date  des  dernières  années  de  sa  vie,  Froissarl,  mûri 
sans  doute  par  l'âge  et  l'expérience,  fait  preuve  d'une  pro- 
fondeur d'observation  qu'aucun  écrivain  n'a  surpassée.  » 
M.  Luce  en  donne  comme  preuve  ce  portrait  de  la  nation 
anglaise  el  nous  ne  résisterons  pas  non  plus  au  plaisir  de 
le  citer  : 

«  Englès  sont  de  merveilleuses  conditions,  chaut  el 
houllanl,  los  esmeu  en  ire,  tari  apaisie  ne  amodé  en  dou- 
çour;  el  se  delitlenl  el  confortent  en  batailles  et  en  ocisions. 
Convoileus  el  envieus  sont  trop  grandement  sur  le  bien 
dautrui  et  ne  se  puuent  conjoindre  parfaitement  ne  nalu- 
relemenl  en  l'amour  ne  aliance  de  nation  estragne,  el  sont 
couvert  el  orguilleus.  El  par  espécial  desous  le  soleil  n'a 
nul   plus  perilleus  peuple,  tant  que  de  hommes  meslis, 

(1)  Publiée  pour  la  première  fois  par  M.  de  Lettenhove  en  1863. 


—  240  — 

comme  il  sont  en  Englelerre.  Et  trop  fort  se  différent  en 
Englelerre  les  natures  et  conditions  des  nobles  aux  hommes 
mestis  et  vilains,  car  li  genlilhommes  sont  de  noble  et  loiale 
condition,  et  li  communs  peuples  est  de  fêle,  périlleuse, 
orguilleuse  et  desloiale  condition.  Et  là  où  li  peuples 
vodroit  monster  sa  félonnie  et  poissance,  li  noble  n'aue- 
roient  point  de  durée  à  euls.  Or  sont  il  et  ont  esté  un  lonch 
temps  moult  bien  d'acort  ensamble,  car  11  noble  le  demande 
au  peuple  que  toute  raison.  Aussi  on  ne  li  souffreroit  point 
que  il  presist,  sans  paiier,  un  oef  ou  une  poulie.  L'homme 
de  mestier  et  li  laboureur  parmi  Engleterre  vivent  de  ce 
que  il  sévent  faire,  et  li  gentilhomme,  de  lors  rentes  et 
revenues;  et  se  li  rois  les  ensonnie,  il  sont  paiiet,  non  que 
li  rois  puist  laillier  son  peuple,  non,  ne  li  peuples  ne  le 
vodroit  ne  pardit  souffrir.  Et  i  a  certaines  ordonnances  et 
pactions  assisses  sur  le  staple  des  lainnes,  et  de  ce  est  li 
rois  aidies  au  desus  de  ses  rentes  et  revenues;  et  quand  ils 
fait  gerre,  celle  partion  on  li  double.  Engleterre  est  la  terre 
dou  monde  la  mieulx  gardée.  » 

Ce  manuscrit  a,  comme  importance  historique,  une  très- 
grande  valeur,  en  ce  qu'il  prouve  que  Froissart  a  vécu 
postérieurement  à  l'année  1400.  Ce  passage  relatif  à  la  belle 
Jeanne  de  Kent,  femme  du  Prince  noir  et  mère  de  l'infor- 
tuné Richard  II,  le  prouve  du  reste  :  o  Celte  jone  damoi- 
sclle  de  Qent  estoit  cousine  germaine  dou  roi  Edouwart 
d'Englelerre;  et  fis  en  son  temps  la  plus  belle  dame  de  tout 
le  roiaulme  d'Engleterre  et  la  plus  amoureuse;  mais  toute 
sa  génération  vint  à  povre  conclusion  par  les  fortunes  de 
ce  monde  qui  sont  moult  diverses,  ensi  que  vous  ores  re- 
corder avant  en  Tisloire.  »  —  Ces  lignes,  continue  M.  Luce, 
renferment  une  allusion  évidente  à  la  fin  malheureuse  de 
Richard  II  et  sont  par  conséquent  postérieures  à  l'an  1400, 
date  de  la  mort  de  ce  prince. 

Nous  ne  prolongerons  pas  celle  étude.  Nous  avons  cru 


—  241   — 

devoir  signaler  aux  amis  des  lellres  et  des  travaux  histo- 
riques les  deux  éditions  nouvelles  des  œuvres  de  Froissart  : 
nous  serons  heureux  si  nous  contrihuons  à  faire  apprécier 
les  efforts  de  MM.  le  baron  de  Leltenhove  et  Siniéon  Luce 
et  de  leur  attirer  plus  nombreux  les  remerciements  du 
monde  savant.  Nous  ajouterons  seulement  que  M.  de 
Leltenhove  publie  les  œuvres  complètes  de  Froissart,  chro- 
niques et  poésies  avec  les  variantes,  tandis  que  M.  Luce 
n'édite  que  les  chroniques. 


Edouard  de  BARrHÉLEMY. 


is 


242 


Cc5  2xcï)m6  et  le  (EonserDûtoire  îrc  musique  k  6ûnî> 


DEVANT     LA     CnAMBRE. 


Comme  tout  ce  qui  intéresse  les  sciences  el  les  arts  est 
de  la  compétence  du  Messager  des  Sciences,  nous  croyons 
faire  plaisir  aux  lecteurs  de  cette  publication,  en  rendant 
compte,  d'après  \es  Annales  pnrlementah'es,  des  débals  où 
il  a  été  question  du  dépôt  des  Archives  de  l'Etal  à  Gand  et 
du  Conservatoire  de  musique. 

Il  serait  à  désirer,  tant  au  point  de  vue  de  la  science 
historique  qu'à  celui  de  l'amour-propre  national,  de  voir 
les  dépôts  d'archives  établis  dans  des  conditions  de  sécurité 
telles,  qu'ils  se  trouvent  autant  que  possible  à  l'abri  de  l'in- 
cendie, et  dans  des  locaux  au  moins  suffisants.  Il  n'en  est 
malheureusement  pas  ainsi  :  pour  ne  parler  que  de  Gand, 
les  Archives  de  l'Etat,  où  sent  réunies  les  chartes  des  comtes 
de  Flandre,  celles  des  anciennes  abbayes  et  communautés 
religieuses  de  cette  province,  les  greffes  des  anciennes  sei- 
gneuries, et  d'autres  documents  nombreux  el  importants, 
sont  depuis  leur  organisation  déposées  dans  une  aile  de 
l'hôtel  du  Gouvernement  provincial  et  quasi-perdues  au 
milieu  de  paperasses  administratives. 

D'abord,  ce  n'est  pas  là  leur  place,  el  ensuite,  l'exiguité 
du  local  rend  difficiles,  nous  dirons  même  impossible,  non 
seulement  le  classement,  mais  l'accès  d'une  grande  partie 
du  dépôt. 

Il  y  a  déjà  bien  des  années  qu'il  a  été  parlé  de  l'acqui- 
sition d'un  nouveau  local,  pour  lequel  le  Gouvernement 


—  243  — 

provincial  vola  à  celle  époque  un  subside  do  soixanle  mille 
francs;  mais  ce  projet  est  jusqu'ici  toujours  resté  sans 
exécution. 

Dans  ces  derniers  temi)s,  des  négociations  furent  enta- 
mées avec  l'administration  des  hospices  civils  de  Gand 
pour  l'acquisition  de  l'ancienne  demeure  seigneuriale,  dite 
Geeraerds  Dtiivehteen,  occupée  mainlenant  par  les  Orphe- 
lins, située  place  de  l'Évêché;  mais  après  des  pourparlers 
qui  auraient  pu  faire  prévoir  une  entente,  certaines  diffî- 
cultés  et  certaines  objections,  soulevées,  nous  a-l-on  dit, 
plutôt  par  le  gouvernement  provincial  que  par  la  commis- 
sion des  hospices,  ont  enrayé  la  réalisation  de  ce  projet 
avantageux  au  point  de  vue  des  archives  et  des  études 
historiques. 

Dans  cet  état  de  choses,  M.  Van  Lokeren,  membre  de  la 
Commission  de  surveillance  des  archives,  adressa  une  péti- 
tion à  la  Chambre  des  Représentants,  pour  la  prier  d'exa- 
miner l'opportunité  de  la  question  du  transfert  de  ce  dépôt 
et  engager  le  Gouvernement  à  faire  l'acquisition  du  local 
des  Orphelins. 

C'est  dans  la  séance  du  o  mai  dernier  que  fut  présenté 
le  rapport  sur  cette  pétition,  et,  à  ce  propos,  M.  Kervyn 
de  Voikaersbeke,  toujours  sur  la  brèche  quand  il  s'agit 
d'art  et  de  sciences,  a  pris  la  parole  pour  l'appuyer.  Voici 
la  partie  des  Annales  qui  reproduit  le  rapport  de  la  com- 
mission et  le  discours  de  l'honorable  député  de  Gand  : 

«  Messieurs,  cette  question  est  importante,  surtout  pour 
la  province  et  la  ville  de  Gand.  Aujourd'hui,  il  y  a  encom- 
brement des  archives  et  des  documents  qui  concernent 
l'histoire  de  nos  Flandres.  Le  pétitionnaire  entre  dans  de 
très-longs  détails  pour  démontrer  la  nécessité  impérieuse 
de  pourvoir  à  l'encombrement  des  archives  dans  les  dépôts 
actuels  de  la  ville  de  Gand  et  demande  l'acquisition  de 
l'hospice  des  Orphelins,  qui  aujourd'hui  est  inoccupé,  pour 


—  2/i.4  — 

y  installer  cesdocumciils  précieux.  Celle  ncquisilion  serait, 
nous  paraît-il,  très -désirable  et  votre  commission  conclut 
au  renvoi  de  la  pétition  à  MM.  les  Ministres  de  Tlntérieur 
et  des  Finances,  en  la  recommandant  à  leur  bienveillante 
attention.  » 

M.  Kervyn  de  Volkaersdeke.  «  Messieurs,  cette  pétition 
est  datée  du  21  février;  elle  est  donc  antérieure  à  la  discus- 
sion du  budget  de  l'intérieur,  pendant  laquelle  j'ai  appelé 
l'atlentiou  du  Gouvernement  sur  la  nécessité  de  donner  aux 
archives  de  l'État  à  Gand,  un  autre  local  répondant  mieux 
à  sa  destination. 

»  Si  les  archives  devaient  rester  encore  longtemps  où 
elles  se  trouvent,  il  y  aurait  un  tel  encombrement  de  pa- 
piers, car  les  archives  modernes  sont,  en  quelque  sorte, 
mêlées  aux  anciennes,  que  bientôt  les  parties  les  plus  im- 
portantes de  ce  précieux  dépôt  seraient  fort  difficiles  à 
découvrir,  et  l'utilité  qu'elles  présentent,  au  point  de  vue 
scientifique,  deviendrait  illusoire.  Dans  l'état  présent  des 
choses,  il  est  impossible  que  le  classement  se  fasse  d'une 
manière  satisfaisante. 

»  J'appuie  donc  la  pétition  qui  nous  esl  adressée  et  qui 
signale  avec  beaucoup  de  clarté  les  inconvénients  de  l'in- 
stallation actuelle  et  les  avantages  de  celle  qu'elle  propose. 

»  .J'appuie  également  les  conclusions  de  l'honorable  rap- 
porteur, c'est-à-dire  le  renvoi  à  MM.  les  Ministres  de  l'In- 
térieur et  des  Finances,  quoique  nous  connaissions  parfai- 
tement la  réponse  qui  nous  sera  donnée. 

»  En  effet,  lorsquej'eus  l'honneur  d'interpeller  l'honorable 
Ministre  de  l'intérieur,  pendant  la  discussion  du  budget  de 
son  département,  sur  la  question  relative  à  l'achat  de  l'hos- 
pice des  Orphelins,  situé  sur  le  Bas-Escaut,  il  me  répondit 
que  les  négociations  entamées  avec  l'administration  des  hos- 
pices civils  de  Gand  étaient  interrompues  par  suite  de  diffi- 
cultés qui  s'étaient  produites,  mais  qu'il  espérait  pouvoir 


—  245  — 

écarter,  el  qu'il  ne  négligerait  rien  pour  procurer  au  dépôt 
des  arciiives  de  l'Elal  à  Gand  une  installation  plus  conve- 
nable. Je  sais  que  depuis  lors  aucun  changement  n'est 
survenu  dans  les  dispositions  de  l'administration  des  hos- 
pices. Cependant,  je  nourris  l'espoir  que  les  efforts  du 
Gouvernement  obtiendront  un  plein  succès  et  que  les  né- 
gociations interrompues  pourront  être  reprises  dans  un  bref 
délai. 

»  Je  recommande  donc  cette  affaire  à  la  sollicitude  du 
Gouvernement  et  je  suis  heureux  que  M.  Van  Lokeren,  le 
savant  éditeur  des  cartulaires  des  abbayes  de  Saint-Davon 
et  de  Saint-Pierre,  m'ait  fourni  Toccasion  d'en  signaler  une 
seconde  fois  toute  l'importance.  » 

Dans  la  séance  du  30  mars,  lors  de  la  discussion  du 
budget  de  l'Intérieur,  M.  Kervyn  avait  déjà  appelé  l'atten- 
tion du  Gouvernement  sur  les  archives  en  général  :  il  fit 
d'abord  observer  que  chaque  année  le  même  chapitre  est 
soumis  à  la  Chambre,  et  que  régulièrement  chaque  année 
se  passe  sans  solution;  cependant,  ajouta  l-il,  on  ne  saurait 
apporter  assez  tôt  un  remède  au  mal.  Il  y  a  aux  Archives 
générales  du  royaume,  établies  au  Palais  de  Justice  de 
Bruxelles,  disait  M.  Kervyn,  un  entassement  qui  s'aug- 
mente tous  les  jours,  et  un  danger  réel,  si  le  feu  se  décla- 
rait soit  dans  une  partie  quelconque  du  palais,  soit  dans  des 
maisons  qui  entourent  l'édifice.  C'est  là,  du  reste,  aussi 
l'avis  des  hommes  compétents,  qu'invoque  l'orateur. 

Après  les  Archives  générales,  M.  Kervyn  s'arrête  aux 
dépôts  des  archives  de  l'État  conservés  dans  les  chefs-lieux 
de  provinces,  et  il  constate  que  sauf  à  Mons,  tous  les  docu- 
ments les  plus  précieux  sont  installés  d'une  façon  déplora- 
ble :  le  dépôt  de  Gand,  le  plus  riche  des  dépôts  provinciaux, 
brille  entre  tous  par  la  défectuosité  de  son  aménagement. 

Il  serait  particulièrement  désirable  que  le  Gouvernement 
tint  compte  des  observations  réitérées  de  l'honorable  député 


—  246  — 

de  Gand;  cependant  nous  craignons  fort  que  ses  justes  ré- 
clamalions  aient  le  même  sort  que  tant  d'autres  également 
justes,  également  urgentes. 

Il  est  grand  temps,  cependant,  de  remédier  à  cet  état 
de  choses,  défectueux  depuis  plus  de  trente  ans,  dont  la 
défectuosité  tend  à  s'accroître,  et  présente  un  danger  sans 
cesse  croissant,  par  la  masse  des  papiers  qui  y  sont  dé- 
posés tous  les  jours.  Puisque  nous  sommes  dans  un  siècle 
de  matière,  il  est  bien  permis  de  faire  sonner  très-haut  le 
danger  matériel  :  l'embrasement  de  dépôts  considérables  de 
papiers  peut  occasionner  des  désastres  immenses  et  en- 
traîner bien  des  ruines.  Qu'on  mette  donc  bien  à  l'abri  les 
archives,  et  ce  sera  un  acte  de  bonne  administration,  en 
même  temps  qu'un  service  rendu  à  la  science.  On  ne  peut 
lésiner  sur  un  objet  d'un  si  haut  intérêt:  la  dépense  mi- 
nime qu'entraînerait  ce  déplacement,  passerait  inaperçue 
dans  le  budget  de  l'État.  Si  des  motifs  d'opposition,  entés 
sur  des  dispositions  ministérielles  antérieures,  existaient, 
on  peut  croire  qu'elles  ne  sont  pas  irréfragables;  M.  le 
Ministre  peut  les  révoquer  ou  les  interpréter,  sans  prendre 
souci  de  l'amour-propre  de  tel  ou  tel  employé,  qui  ne  con- 
naît ces  archives  que  de  nom. 


Lors  de  la  discussion  du  chapitre  des  Beaux- Arts, 
M.  Kervyn  a  encore  relevé  une  véritable  injustice,  com- 
mise par  continuation  à  l'égard  du  Conservatoire  de 
musique  de  Gand.  Cet  établissement  avait  jusqu'ici  été 
obligé  de  voler  de  ses  propres  ailes,  attendu  que  le  sub- 
side du  Gouvernement  se  bornait  à  la  somme  insignifiante 
de  5000  francs.  Si  l'on  considère  les  succès  de  notre  école 
musicale,  obtenus  depuis  quelques  années,  il  faudra  en 
conclure  que  le  Gouvernement  encourageait  jusqu'ici  les 
15eaux-Arts  d'une  singulière  façon,  à  moins  qu'il  faille  sup- 


—   247   — 

poser  que  les  subsides  ue  soient  une  prime  accordée  à  l'in- 
dolence et  à  l'incurie,  dans  l'csftoir  d'un  changement  de 
conduite. 

Le  Conservatoire  de  Bruxelles,  dit  M.  Kervyn  dans  un 
discours  prononcé  le  30  mars  à  la  Chambre,  émarge 
79,540  francs;  celui  de  Liège,  40,240. 

Ces  deux  établissements  peuvent  avoir  des  titres  à  de 
semblables  largesses,  nous  ne  discuterons  pas  celle  ques- 
tion; mais  il  nous  semble  à  nous,  que  tous  deux  vivent  un 
peu  sur  leur  ancienne  réputation,  et  que  s'il  est  bon  d'ac- 
corder les  faveurs  du  Gouvernement  à  ceux  qui  les  ont 
mérité  jadis,  il  ne  faut  pas  négliger  les  mérites  récents. 
Le  Conservatoire  de  Gand  a  toujours  élé  admirablement 
administré,  nous  en  félicitons  la  commission  directrice,  à 
la  tête  de  laquelle  se  trouve  M.  de  Burbgre;  elle  n'avait  pas 
à  gaspiller,  du  reste;  en  est-il  de  même  ailleurs,  à  Bruxelles 
par  exemple?  le  nouveau  directeur  de  cet  établissement, 
M.  Gevaerl,  serait  à  même  de  répondre  à  cette  question. 
Une  bonne  administration  mérite  bien  une  prime  aussi; 
ensuite  Gand  a  produit  des  résultais  dont  le  pays  a  le  droit 
d'être  fier,  a  dit  M.  Kervyn;  quatre  prix  de  Rome,  Gevaert, 
Van  den  Eede,  Van  Geluwe,  Walpul,  cela  vaut,  en  effet, 
bien  la  peine,  et  malgré  cela  Gand  est  resté  dans  l'oubli. 

Il  y  avait  là  une  injustice  à  réparer,  et  M.  Kervyn  pro- 
posa un  amendement  ainsi  conçu  :  «  Conservatoire  de  musi- 
que de  Gand.  Dotation  de  l'Elat  destinée,  avec  les  subsides 
de  la  province  et  de  la  ville,  à  couvrir  les  dépenses  du 
personnel  et  du  matériel  :  21,000  francs.  » 

Après  une  discussion,  à  laquelle  prirent  part  plusieurs 
orateurs,  et  malgré  une  certaine  opposition  à  laquelle 
l'honorable  député  de  Gand  tint  courageusement  tête,  le 
subside  de  21,000  francs  fut  voté.  C'est  assurément  là  un 
beau  succès,  pour  lequel  on  ne  saurait  assez  féliciter 
M.  Kervyn;  21,000  francs  est  un  subside  considérable,  si 


248 


on  le  compare  à  ce  que  recevait  naguère  noire  école  de 
musique.  Celte  allocation,  il  est  vrai,  laisse  encore  Gand 
au  troisième  rang,  bien  que  ses  mérites  artistiques  l'élèvent 
plus  haut,  mais  on  ne  peut  pas  tout  faire  d'un  coup,  et  il 
est  fort  beau  d'obtenir  le  maximum  de  ce  qui  est  disponible 
pour  le  moment.  Dans  tout  cela,  le  plus  étonnant  à  nos 
yeux,  c'est  que  la  situation  des  Archives  et  la  position 
d'infériorité  dans  laquelle  on  laissait  le  Conservatoire  de 
musique  n'ont  jamais  préoccupé  les  membres  de  l'ancienne 
députation  gantoise;  peut-être  voulaient-ils  éviter  de  blesser 
la  susceptibilité  très-irritante  d'un  des  chefs  de  leur  parti, 
en  mettant  en  regard  linfériorité  des  succès  et  la  scanda- 
leuse supériorité  de  l'allocation  budgétaire  du  Conservatoire 


de  Liège. 


Emile  V. 


—  249  — 


Cl)ronique  h(s  ^vtô  et  îre^  0cicncc0,  et  tîarietéiî. 


Crypte  de  Saint-Bavoih,  a  Gaxd.  —  Nous  appelons  la  sérieuse  altention  de 
MM.  les  chanoines  de  la  cathédrale  de  Saint-Bavon,  sur  la  transformation 
que  l'on  a  fait  subir,  ù  leur  insu,  nous  aimons  à  le  croire,  au  plus  ancien 
monument  du  culte  catholique  dans  la  ville  de  Gand;  nous  voulons  dire  de  la 
chapelle  de  Saint-Jean-Baptiste,  aujourd'hui  la  crypte  de  Saint-Bavon.  Celle 
vénérable  église  ne  présente  plus  aujourd'hui  qu'un  ignoble  réceptacle 
d'objets  de  toute  nature,  hors  d'usage.  Rien  n'y  est  respecté,  ni  autels,  ni 
tombeaux,  tout  y  sert  aujourd'hui  de  point  d'appui  à  mille  objets  sans  nom, 
entassés  pêle-méle,  dans  un  désordre  incomparable,  au  point  que  le  tombeau 
si  remarquable  de  la  comtesse  Vilain  y  échappe  à  la  vue;  nous-même,  à 
qui  cette  crypte  est  connue  jusque  dans  les  plus  pelils  recoins,  nous  avons 
dû  aller  à  la  recherche  de  ce  tombeau,  que  nous  avons  trouvé  enfoui  sous 
des  caisses  de  cactus  et  entouré  d'antepodiums,  de  civières,  etc.  Que  la  circu- 
lalion  y  soit  devenue  difficile  par  un  grand  nombre  de  bancs,  qui  servent 
à  l'instruction,  nous  le  concevons;  mais  à  voir  ce  ramassis  de  vieilles 
nippes,  de  débris  de  tous  les  objets  qui  ont  servi  au  culte,  couvrant 
les  tombeaux  d'illustres  personnages  et  cachant  leurs  pierres  lumulaires, 
peul-on  supposer  qu'un  historien  de  réputation  fasse  partie  du  chapitre  et 
qu'il  existe  dans  la  province  de  la  Flandre  orientale  une  Commission  à  la- 
quelle la  conservation  des  monuments  est  spécialement  dévolue;  celle-ci 
devrait  au  moins  savoir  qu'il  n'est  pas  permis  d'apporler  aux  anciens  monu- 
ments des  changements  quelconques,  sans  qu'elle  ait  été  consultée  :  or,  dans 
k  partie  gauche  de  la  cryple,  on  a  bouché  les  jours  qui  y  jetaient  encore  quel- 
ques lueurs  de  clarté;  que  pensent  les  étrangers,  qui  journellement  vont 
visiter  ce  monument,  de  l'abandon  où  il  est  laissé  et  de  l'ignoble  Iransfor- 

malion  qu'on  lui  a  fait  subir  au  su  de  l'administration? 

A.  V.  L. 

Les  enfants  de  Quentin  Metsïs.  —  Tout  le  monde  a  lu  avec  profit  et  plai- 
sir la  savante  monographie  de  l'ancienne  école  de  peinture  de  Louvain,  pu- 
bliée ici  même,  en  1869,  par  M'  Edward  Van  Even;  mais  on  le  sait  aussi,  il 


—  250  — 

n'est  point  de  (ravail  si  bien  fait  auquel  il  ne  soit  possible  d'ajoulei'  quelque 
chose.  Nous  devons,  sous  le  couvert  de  cette  excuse,  signaler  aux  futurs  bio- 
graphes du  célèbre  pciiilre-forgeron,  qu'Anvers  et  Louvain  se  disputaient 
autrefois  l'iionneur  de  posséder,  quelques  renseignements  recueillis  par 
hasard. 

Le  fO  novembre  1544.,  le  procureur  général  de  Brabant  publia  une  sen- 
tence de  bannissement  avec  confiscalion  des  biens,  pour  cause  d'hérésie, 
contre  Jlichel,  Philippe  et  Corneille  Quintens,  frères;  le  même  jour,  une  sen- 
tence de  même  teneur  frappait  un  autre  membre  de  la  même  famille,  Jean 
Quintens,  peintre.  Ce  dernier  se  trouvait  également  et,  fort  heureusement 
pour  lui,  à  l'abri  des  poursuites  des  inquisiteurs. 

Au  bout  de  sept  ans,  cependant,  il  adressa  au  chancelier  de  Brabant  une 
requête  dans  le  but  de  faire  lever  une  copie  de  la  sentence  qui  l'avait  frappé, 
ce  qui  signifiait  assez  clairement,  nous  semblc-l-il,  que  l'exil  lui  pesait,  et 
qu'il  éprouvait  un  vif  désir  de  revoir  son  pays. 

Voici  cette  pièce  telle  qu'elle  se  trouve  transcrite  dans  le  n»  590  des  actes 
du  Conseil  de  Brabant,  conservé  aux  Archives  générales  de  Belgique. 

«  A  en  myn  lietr  dcn  cancelllcr  van  Brabant, 
»  Tlioent  zeer  ootmoedelyck  uwe  omlcnlanighe  Jan  Quintens,  sehildere  van 
Antwerpcn,  lioe  dat  hy  vcrstaen  hceft  dat  die  procureur  generael  in  Brabant 
tegen  hem  soude  inden  jare  xv»  xliij,  op  S'  Merttens  avent,  overniets  zynde 
nyet  comparilien,  hier  tcn  hove  vcrworvcn  hcbbcn  zekere  vonnisse  van  ban- 
nissemcntc,  vuyt  dycn  die  suppl.  in  eenighe  pointen  soude  gecontravcniert 
hebben  gehadt  der  ordinantien  onzen  heeren  des  keysers  op  't  sluck  van 
heresien  oft  dwaelinge  inden  geloove  gcraaect,  van  welcke  vonnisse  die  suppl. 
gherne  soude  copie  oft  acte  lichten,  maer  en  wilt  die  greffier  van  dezen  hove 
die  den  suppl.  oft  synen  gecommitteerde  nyet  levercn,  sonder  ordonnancie 
van  desen  hove,  nieltegenstaende  dat  hem  wel  betaerapt  dieselve  acte  te 
hebben  als  hem  teenemael  ende  grootelyck  aengaende,  biddende  daeromme 
dat  uwcr  Ecrw.  beliefe  sy  den  greffier  van  dezen  hove  by  appostille  op  marge 
van  desen  le  consenteren  dat  hy  den  suppl.  oft  syne  huysvrouwe  mag  uyl- 
ghcven  act  oft  copie  aulhentyck  van  voers.  vonnisse  op  synen  redelycken 
salarie.  Dwelck  doende,  etc. 

»  CORNEI-IUS  WeLLKMANS. 

»  Geconsenteert  in  den   Rade  van  Brabant    ix  aprilis   anuo  x\c  een   ende 
vyflich  nae  Passchen. 

M  BOUDF.WVNS.  » 


—  231  — 

Essai  sur  les  colonies  belges  em  Hongrie  et  en  Transylvanie  (I).  —  Nous 
iivons  mentionné,  dans  le  volume  de  Tannée  1870,  le  dernier  ouvrage  cou- 
ronné de  Wr  Emile  de  Borchgravc;  mainlenanl  qu'il  a  paru,  nous  allons  en 
donner  une  légère  analyse. 

Au  XI"  siècle,  sous  le  roi  saint  Etienne,  une  grande  famine,  qui  avait  sévi 
par  toute  TEurope,  mais  plus  violemment  encore  en  Hongrie,  engagea  un 
certain  nombre  de  Hongrois  à  émigrer  vers  la  principauté  de  Liège,  qui 
avait  moins  souffert.  Vers  le  milieu  du  même  siècle,  des  relations  s'établirent 
dune  manière  plus  directe  et  plus  officielle;  ce  fut  encore  à  l'occasion  d'une  di- 
sette; celte  fois  elle  désola  le  pays  de  Liège,  et  des  Liégeois  émigrèrent  vers  la 
Hongrie,  où  le  roi  André  h»",  en  reconnaissance  des  bons  trailcmenls  que  les 
Hongrois  avaient  trouvé  à  Liège,  leur  donna  un  territoire  dans  le  diocèse 
actuel  d'Erlau,  en  leur  recommandant  de  ne  pas  désapprendre  leur  langage. 
Celle  colonie,  qui  avait  conservé  jusqu'au  XV|e  siècle  son  langage  et  ses 
habitudes,  disparut  vers  la  fin  du  même  siècle,  probablement  après  les  dé- 
vastations des  Turcs  dans  ce  pays,  et  aujourd'hui  il  n'en  reste  plus  de  traces. 

Au  XI1«  siècle,  le  conseil  de  tutelle  du  roi  Geiza  II  fit  appel  aux  habitants 
des  Pays-Bas,  pour  obvier  à  la  dépopulation  qui  menaçait  la  Haute-Hongrie; 
les  Flamands  répondirent  en  grand  nombre  et  allèrent  s'établir  principale- 
ment dans  le  comté  de  Zips,  situé  dans  la  partie  nord  du  pays.  Cette  colonie 
n'exista  pas  longtemps,  les  invasions  des  Tartares  vinrent  la  détruire,  mais 
deux  institutions  qu'elle  avait  fondées  sur  ce  territoire  lui  survécurent  :  c'était 
la  prévôté  libre  de  la  Zips  et  la  fédération  de  quatorze  villes. 

Quant  à  la  Transylvanie,  ce  fut  vers  le  milieu  du  XI1«  siècle  que  plusieurs 
milliers  d'habitants  de  la  Flandre  et  de  la  Basse-Allemagne  allèrent  s'y  éta- 
blir; on  leur  assigna  un  territoire  désert,  où  au  bout  de  peu  de  temps  s'éle- 
vèrent des  villes,  des  bourgs,  des  villages.  A  partir  du  Xlll<^  siècle,  ces  colons 
perdirent  leur  nom  et  ne  furent  plus  connus  que  sous  celui  de  Saxons;  de 
nombreux  colons  allemands  s'étant  portés  vers  le  même  pays,  l'élément  belge 
se  fondit  dans  l'élément  allemand. 

Nos  compatriotes  ne  consentirent  à  s'établir  dans  ces  contrées  lointaines 
qu'à  certaines  conditions,  relatives  à  leurs  libertés  et  privilèges  civils.  Ainsi 
ils  y  acquirent  le  droit  de  s'administrer  eux-mêmes  au  civil,  de  former  une 
communauté  indépendante  de  l'ordinaire  dans  l'ordre  ecclésiastique.  Ce  pri- 

(1)  Essai  historique  sur  les  colonies  belges  qui  s'clablireni  en  Hongrie  el  en 
Transylvanie  pendant  les  ÀV",  A7/c  et  Xllh  siècles,  par  Emile  de  Bor€hgi;ave, 
docteur  en  droit,  secrétaire  de  légation,  membre  correspondant  de  l'Académie 
royale  de  Belgique,  viii-126  pp.  Bruxelles,  C.  .^lucquardl,  1871. 


—  252  — 

vilégc  était  comraun  aux  colons  liégeois  en  Hongrie  et  aux  Flamands  île  la 

Zips  et  de  Transylvanie;  en  se  fixant  là-bas,  ils  y  fixèrent  avec  eux  à  leur 

profit  les  libertés  civiles  et  politiques  dont  ils  jouissaient  sur  leur  sol  natal. 

Ils  étaient  tenus  en  retour  au  paiement  de  GOO  marcs  d'argent  au  profit  du 

trésor  royal,  au  service  militaire,  cinq  cents  hommes  pour  les  campagnes  à 

rinlérieur,  cent  pour  celles  à  Textérieur  du  royaume;  enfin,  ils  étaient  obliges 

de  donner  Thospitalilé  au  roi,  quand  il  lui  plaisait  de  venir  résider  au  milieu 

d'eux. 

Cette  analyse  donne  une  idée  suffisante  de  l'intérêt  qui  s'attache  au  travail 

de  notre  savant  collaborateur;  aussi  l'Académie  n'a-t-elle  pas  hésité  à  lui 

accorder  la  palme. 

Emile  V.... 

Les  murailles  RÉvOLUTioNNAinES  AD  XVIe  SIÈCLE.  —  Y  a-t-il  quoi  que  ce  soit 
d'absolument  nouveau  au  monde?  On  nous  permettra  d'en  douter.  Tout  ce 
qui  se  fait,  s'est  déjà  fait.  Les  républiques  italiennes  du  moyen-àge,  rEsjiagne 
sous  Charles-Quint,  ont  vu  de  terribles  Inttes  civiles  qui  toutes  ont  tourné 
contre  la  liberté  et  le  progrès  social.  La  race  des  communeux  et  des  inter- 
nationalistes est  vieille  comme  le  monde;  sa  raison  d'être  n'existe  que  dans 
la  haine  aveugle  de  toute  vaillance,  de  toute  supériorité.  Ses  procédés  sont 
connus.  Elle  travaille  dans  lombre  et  le  mystère,  et  procède  par  coups  de 
foudre.  Les  révolutions  avouables  agissent  autrement;  elles  ne  frappent 
pas  leurs  ennemis  par  derrière;  elles  ne  cherchent  point  leur  triomphe  dans 
l'exploitation  cent  fois  criminelle  d'un  grand  désastre,  d'une  calamité  pu- 
blique; elles  se  montrent  et  elles  se  découvrent.  C'est  ainsi  que  nos  pères 
agirent  sous  Charles-Quint,  sous  Joseph  II,  sous  Guillaume  I'^''.  Leurs  affiches 
imprimées  ou  manuscrites ,  leurs  pétitions,  leurs  humbles  remonstrances, 
leurs  chansons  et  leurs  éplgrammes  sont  autant  de  documents  que  l'histoire 
recueille  avec  un  légitime  empressement.  Nous  en  possédons  quelques-unes 
qui  sont  inédites,  et  nous  en  avons  vues  qui  portaient  la  trace  des  cachets 
au  moyen  desquels  on  les  avait  attachées  en  quelque  lieu  public.  Malheureu- 
sement ce  qu'on  crayonnait  ou  charbonnait  sur  les  portes  des  couvents  et 
les  murs  des  auberges  ne  pouvait  être  conservé  de  la  même  manière.  Ce  que 
nous  en  savons  est  dû  aux  chroniqueurs  locaux,  aux  rapports  de  police  du 
temps.  L'un  des  plus  curieux  renseignements  du  genre  est  donné  au  mois 
d'octobre  1332  par  le  procureur  général  de  Lille  au  Conseil  privé  à  Bruxelles. 
Nous  ne  changeons  rien  au  style  et  à  l'orthographe  du  digne  magistral. 

«  Pour  mettre  ordre,  dit-il,  aux  affaires  conlenuez  èz  articles  qui  s'ensny- 
»  vent  nous  semble  cstre  expédient,  en  parlant  soubs  la  noble  correction  de 


—  255  — 

»  Monseigneur  le  Présiilcnl  cl  Messeigncurs  du  Conseil  île  Sa  W'"^,  faire  ce  que 

>>  s'cnsuyl  : 

»  Premièrement  faut  auolcr  que  en  la  chastelienie  de  Lille,  pais  de  Flandres, 

»  et  ailleurs  par  gens  mal  sentans  de  la  foy  plusieurs  dicliers  et  ballades  se 

»  escripvenl  aux  murs  et  parois  des  tavernes,  liostelcries  et  aullres  lieux,  si 

»  comme  : 

»  Un  riche  prcbslre  et  un  gras  chien 

»  Ne  serviront  jamais  bien. 
»  Item  : 

»  Waren  die  papen,  seapen  ende  ralten  dood, 

»  Zoo  en  waren  de  duyvels,  wolven  ende  catten  van  ghenere  noot. 

»  Pour  5  quoy  obvier  semble  estre  expédient,  en  parlant  soubs  correction, 

»  de  dcffendrc  par  quelque  peine  que  nul  ne  escripve  plus  semblables  dictiers 

»  ne  ballades,  et  que  cculx  qui  reeoguoislronl  les  cscripvains  de  lelz  dictiers 

»  et  ballades  seront  tenuz  les  découvrir  à  la  justice,  comme  aussy  seront  les 

"  liosles  et  hoslesses  desd.  tavernes  et  hosteleries,  et  ceulx  es  maisons  des- 

»  quels  telz  dictiers  et  ballades  seront  escripis  les  effacier  des  murs  et  parois, 

»  le  tout  sur  paine  arbitraire.  » 

C.  A.  R. 

Tables  GÉ^ÉnALES  des  Annales  de  la  Société  d'Emulation  de  Bruges.  — 
En  1865,  la  Société  d'Emulation  célébrant  le  vingt-cinquième  anniversaire 
de  son  existence  jugea  opportun  de  clore  la  seconde  série  de  ses  Annales. 
A  cette  occasion.  M""  Félix  D'Hoop,  membre  du  comité  de  la  Société,  actuelle- 
ment archiviste  de  PËtat  à  Gand,  et  qui  occupait  alors  le  même  emploi  à 
Bruges,  proposa  de  se  charger  de  la  rédaction  de  Tables  générales  pour  les 
dix-sept  volumes  parus.  Rédiger  des  tables  n'est  pas  une  tâche  difficile  en 
elle-même,  mais  de  toutes  celles  dont  un  écrivain  peut  se  voir  chargé,  c'est 
bien  la  plus  longue,  la  plus  insipide.  M.  D'Hoop  s'est  parfaitement  tiré  de  la 
besogne  qu'il  avait  entreprise,  car  ses  tables  sont  1out-à-fait  suffisantes; 
voici,  du  reste,  comment  il  s'y  est  pris  et  quelle  est  sa  classification  : 
\°  la  Table  des  auteurs  par  ordre  alphabétique  des  noms  d'auteurs;  2"  la 
Table  des  planches  dans  l'ordre  de  leur  publication;  cet  ordre  satisfaisant 
pour  une  nomenclafure  restreinte,  ne  le  serait  pas  à  noire  avis  si  celle-ci 
était  plus  volumineuse;  nous  préférerions  alors  l'ordre  alphabétique,  car  on 
cherche  d'abord  la  chose  elle-même  avant  de  vouloir  connaître  la  date  de  sa 
publication;  3»  la  Table  chronologique  des  documents  publiés;  cette  table 
peut. être  d'une  grande  utilité  pour  ceux  qui  s'occupent  de  recherches  histori- 
ques; 4»  les  listes  des  établissements  et  sociétés  qui  ont  reçu  les  Annales  de  la 


—  254   — 

Sociélé  (rÉmulalioii;  celte  calégorie  est  à  nos  yeux  iPune  inipoi-laiicc  plus 
secondaire,  bien  que  nous  n'allions  pas  jusqu'à  blâmer  M.  D'Hoop  de  ly 
avoir  introduite;  3»  la  Table  générale  des  matières  et  des  noms  de  personnes 
et  de  lieux  par  ordre  alphabélique;  cette  table  comprend  toutes  les  auli'cs; 
c'est  celle  aussi  pour  laquelle  on  est  obligé  de  mettre  le  plus  de  patience  en 
usage.  Nous  félicitons  M.  D'Hoop  et  lui  avouons  avec  plaisir,  que  si  nous 
avions  des  tables  à  dresser,  nous  ne  serions  pas  éloigné  d'adopter  sa  clas- 
sification. ^         ,, 

Emile  V..,. 

Pierre  d'Herenthals.  —  Le  savant  Wattenbacli  nous  donne,  dans  le 
XLIIe  volume  des  Archives  hisloriques,  publiées  par  l'Académie  impériale  des 
Sciences  de  Vienne  {Archiv  fiir  kunde  oesterreicliischer  Geschichlsquellen),  une 
curieuse  dissertation  sur  ce  chroniqueur  belge  du  XlVe  siècle.  Il  a  comparé 
entre  eux  les  MSS-  du  Compcndium  chronicorum  qui  existent  dans  les  biblio- 
thèques publiques  de  Bruxelles,  de  Paris,  de  Vienne,  de  La  Haye,  de  Nurem- 
berg, de  Cologne,  de  Leipzig  et  de  Giessen,  il  en  a  noté  les  variantes  et  les 
transposilious,  et  il  finit  par  celte  déclaration  :  quoique  le  MS.  du  Compcndium 
de  Leipzig  soit  attribué  à  Jean-Guillaume  von  Arnstein,  un  copiste  sans  doute, 
nous  maintenons  que  l'auteur  s'appelait  Pierre  et  qu'il  était  né  en  1322  (Voir 
Archiv,  v.  X«,  p.  618).  Ce  Pierre  n'est  point  un  inconnu.  Fabricius  lui  a 
consacré  un  article.  Baluze  s'est  servi  de  lui  pour  ses  Vies  des  Papes 
d'Avignon.  Mais  ici  surgit  une  dilTiculté.  Pierre  d'Herenthals  a-t-il  écrit  plus 
d'un  ouvrage?  Il  le  faut  bien,  puisque  sa  chronique,  telle  que  nous  la  con- 
naissons, ne  s'occupe  point  de  VHisloire  des  Papes-  Mais  si  ces  renseigne- 
ments ne  se  trouvent  point  dans  le  Compcndium,  on  les  trouve  ça  et  là  dans 
le  Magnum  chronicon  Delgicum,  quelques-uns,  pas  tous,  ce  qui  porterait  à 
croire  que  V Histoire  des  Papes  d'Avignon  a  été  puisée  à  diverses  sources. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  Compcndium  chronicorum  n'est  connu  jusqu'ici  que 
d'une  manière  bien  incomplète,  et  sa  publication  serait  chose  fort  utile. 
Seulement  il  faudrait  pour  cela  faire  usage  de  la  version  de  Paris,  laquelle 
est  aux  yeux  de  Wattenbach  la  plus  complète  et  la  meilleure. 

Comme  la  Biographie  nationale  est  arrêtée  à  la  lettre  C  et  n'en  sortira 
probablement  point  de  si  tôt,  ces  détails,  qui  se  rapportent  à  un  personnage 
classé  sous  la  lettre  P,  ne  sauraient  intéresser  que  ses  futurs  collaborateurs; 
mais  nous  possédons  aussi  à  Bruxelles  une  Commission  pour  la  publication 
d'une  collection  des  grands  écrivains  du  pays,  et  celte  commission-là  ne  sera 
pas  fâchée  sans  doute  d'avoir  un  nouvel  objet  à  soumettre  à  ses  doctes  déli- 
bérations. 

C.    A.   RâlILENBECK. 


—  255   - 

Question  artistiquiî.  —  Un  bieiiveillanl  lecteur  ilu  Messager  des  Sciences, 
M""  J.  Bernnerl,  que  nous  voudrions  conuaîlre  davantage,  afin  de  lui  ofl'i'ii-  nos 
rcuiercimeuls  poui'  sa  communication,  a  découvert  sur  le  dernier  feuillet 
d'un  ancien  ouvrage  hollandais,  YOllen  van  Passait,  fiocck  des  Giddens 
throcns  (Ulrecht,  1480,  sans  nom  d'imprimeur,  mais  attribué  à  G.  Lempt, 
in-fol.,  51  lignes,  2  coll.,  301  f.),une  note  indiquant  que  les  figures  assez 
curieuses  de  cette  publication  sont  de  la  main  d'une  fille  de  Vcldener,  nommée 
Marie,  épouse  de  Van  Danricourt,  en  1429.  Qu'était  celte  Marie  Vcldener, 
dont  on  ne  trouve,  du  reste,  aucune  mention  ailleurs;  nous  nous  sommes 
adressé  à  plusieurs  de  nos  amis  qui  s'occupent  de  l'histoire  de  l'art,  entre 
autres  à  M""  Ad.  Siret,  auteur  du  Dictionnaire  des  peintres,  et  aucun  n'a  été  en 
état  de  nous  répondre.  Nous  livrons  spécialement  la  question  à  nos  confrères 
d'Ulrecht,  qui  sont  plus  en  position  que  nous  de  la  résoudre. 

{La  Rédaction). 

Ruines  romaines.  —  On  vient  de  découvrir  à  Feluy-Arquennes  les  ruines 
d'une  villa  romaine  qui  parait  des  plus  intéressantes  au  point  de  vue  archéo- 
logique. M.  le  docteur  Cloquet,  de  Feluy,  amateur  distingué,  est  chargé  par 
la  Société  archéologique  de  l'arrondissement  de  Cliarleroi,  de  diriger  les 
fouilles,  avec  l'assistance  de  MM.  Demesse  et  l'abbé  Grégoire;  la  Société  a  volé 
les  fonds  nécessaires  pour  les  recherches. 

Depuis  peu  de  temps  que  les  travaux  sont  commencés,  on  a  déjà  réuni  une 
magnifique  collection  d'objets  usités  à  l'époque  où  cette  villa  était  habitée 
par  les  Romains. 

NÉCROLOGIE.  —  M.  Ulysse  Capitaine,  de  Liège,  est  mort  le  51  mars  der- 
nier, à  l'âge  de  quarante-deux  ans,  à  Rome,  où  il  était  allé  passer  la  mau- 
vaise saison,  pour  la  rétablissement  de  sa  santé.  11  était  conseiller  provincial, 
membre  de  la  commission  administrative  du  Conservatoire  royal  de  Liège, 
secrétaire  général  de  la  Société  d'Émulation  de  Liège  depuis  1835,  et  secré- 
taire honoraire  depuis  18G7. 

Numismate  distingué  et  bibliophile  savant,  il  avait  réuni  à  grand  peine 
un  dépôt  précieux  d'objets  d'art  et  une  riche  bibliothèque  composée  de  do- 
cuments, de  livres,  de  caries,  de  plans,  de  médailles,  de  manuscrits  se  rap- 
portant presque  exclusivement  à  l'histoire  du  pays  de  Liège.  Il  a  légué  loiilcs 
ces  richesses  à  sa  ville  natale. 

Ulysse  Capitaine  a  publié  une  excellenle  histoire  des  journaux  liégeois, 
dont  il  préparait  une  nouvelle  édition.  Son  Nécrologe  liégeois  restera  une 
source  de  renseignements  précieux  pour  tous  ceux  qui  s'occuperont  de  l'his- 
toire de  cette  ville. 


—  256  — 

CiuntES  Louis  IIanssens,  compositeur,  membre  de  TAcadémie  de  Belgique 
depuis  1843,  est  mort  à  Bruxelles  le  8  avril  dernier;  il  était  né  à  Gand 
le  10  juillet  1802.  Hanssens  était  né  artiste;  à  dix  ans  il  jouait  du  violoncelle 
au  théâtre  d'Amsterdam;  il  fut  attaché  successivement  à  différents  théâtres 
du  continent,  dirigea  le  théâtre  royal  de  Gand  et  celui  de  la  Monnaie,  à 
Bruxelles. 

AuBER,  directeur  du  Conservatoire  de  Paris,  y  est  mort  le  li  mai,  à  Tâge 
de  quatre-vingt-neuf  ans;  il  était  membre  de  l'Institut.  Né  à  Caen,  le  29  jan- 
vier 1782,  d'un  père  marchand  d'estampes  qui  le  destinait  à  lui  succéder, 
Auber  préféra  se  lancer  dans  la  carrière  artistique,  où  on  connaît  ses  succès. 
En  1842,  il  succéda  à  Chérubini  comme  directeur  du  Conservaloire  de  Paris. 

Le  comte  Achmet  de  Seunin  d'Héricourt,  numismate,  bibliophile  et  archéo- 
logue, maire  de  Souehez,  né  à  Hébécourt  (Sommeil  en  1819,  est  mort  à  Sou- 
ciiez le  21  janvier  dernier.  11  est  connu  par  de  nombreuses  publications  et  sa 
eollaboralion  à  divers  recueils  du  nord  de  la  France  et  de  la  Belgique. 

RI.  DE  LA  Fontaine,  archéologue,  ancien  gouverneur  du  grand-duché  de 
Luxembourg,  président  du  Conseil  d'Elat,  membre  associé  de  l'Académie 
royale  de  Belgique,  est  mort  à  Luxembourg,  le  1 1  février,  âgé  de  quatre-vingt- 
cinq  ans. 

Le  général  russe  Iwan  de  Bartuolomei,  savant  numismate,  est  mort  à  Saint- 
Pétersbourg,  à  l'âge  de  soixante-huit  ans. 

iNoTE.  — A  la  page  104  et  suivante  du  présent  volume,  dans  l'article  relatif 
aux  droits  du  fauconnier  de  Flandre,  il  s'est  glissé  une  faute  typographique 
qu'il  est  bon  de  relever  :  au  lieu  de  Veslerloo,  il  faut  lire  Vlslerloo;  c'est  la 
forêt  de  Flandre,  dont  il  est  si  souvent  question  dans  le  roman  populaire  de 
Rcinaert  tic  Vos. 

{La  Rédaclion). 


—  257  — 

(SHuelques  sceaxtx 

DU  DIOCÈSE  DE  aAND  («). 


Les  renseignements  fournis  par  les  savants  auteurs  de 
la  monographie  d'Evergem  (2),  nous  dispensent  de  longs 
détails  sur  l'abbaye  Cistercienne  de  Doornsele.  Nous  nous 
permettrons  cependant  quelques  rectifications. 

Un  acte  passé  au  mois  de  décembre  1234  et  cité  tex- 
tuellement par  les  historiens  de  Doornsele  nous  semble 
dissiper  tous  les  doutes  et  concilier  les  opinions  si  diver- 
ses sur  l'origine  de  cette  abbaye.  Une  colonie  de  Bénédic- 
tines de  Sainte-Godelieve  de  Ghislelles,  désirant  pratiquer 
la  règle  plus  sévère  de  Citeaux,  vint  s'établir  vers  12  lo 
dans  un  lieu  désert,  hérissé  de  ronces  et  d'épines  et  pour 
cette  raison  connu  déjà  en  967  sous  le  nom  caractéristique 
de  Dorisele.  Ce  quartier,  formant  une  dépendance  d'Ever- 
gem, appartenait  au  couvent  de  Ghistelles  et  fut  cédé  par 
l'abbesse,  en  faveur  des  futures  cisterciennes,  aux  prières 
de  l'évéque  de  Tournai  e(  de  l'archidiacre  de  Flandre.  Les 
conditions  de  ce  premier  contrat  parurent  toutefois  léser 
les  intérêts  de  la  maison-mère  et  furent  modifiées  à  la  sa- 
tisfaction des  deux  parties  par  la  convention  de  1234. 

Aleidis  Van  de  Walle,  supérieure  de  la  colonie  pieuse, 
décéda  peu  après  la  fondation  du  nouvel  établissement. 

(1)  Voir  année   1868,   p.  293;  année  1869,  pp.   1  et  129;  année  1870, 
pp.  178  et  360,  et  année  1871,  p.  40. 

1,2)  Fr.  De  Potier  en  J.  Bhoecraert,  Geschiedenis  van  de  gemecnlen  dcr 
provincie  OoslVlaanderen,  U<  deel. 

19 


—  258  — 

En  1353,  Jean  d'Iïonl  gratifia  l'abbaye  de  Doornselc 
d'une  somme  d*argent,  à  condition  d'offrir  annuellement  à 
l'abbé  de  Saint-Bavon  un  cierge  et  une  livre  parisis  le  jour 
de  la  Sainte-Barbe,  et  de  payer  au  prieur  dix  cscalins. 
Celle  redevance  fut  reconnue  par  l'abbesse  Joaeskme  Van 
de  Pille,  le  4  avril  1354  (i).  Le  premier  acte  est  muni  du 
sceau  de  l'abbaye,  qui  ne  diffère  de  celui  du  Nouveau- 
Bois  (2)  que  par  de  légers  détails.  En  effet,  de  cbaque  côté 
du  dais  le  cbamp  est  chargé  d'une  branche  d'épines  posée 
en  pal,  et  faisant  allusion  au  nom  du  couvent.  La  légende 
porte  :  Sigillum  conventus  monasterii  de  Dorensele.  Dans 
les  deux  sceaux,  le  caractère  du  travail  et  les  dimensions 
sont  les  mêmes.  Aussi  n'hésilons-nous  pas  à  les  attribuer 
au  même  graveur.  Signalons  en  passant  Terreur  bien  invo- 
lontaire, causée  par  le  mauvais  état  des  types  connus,  erreur 
qui  a  fait  prendre  pour  des  tiges  de  ronces  et  d'épines  les 
figures  agenouillées  sous  le  manteau  de  la  Vierge-mère, 
prolectrice  générale  des  Cisterciennes. 

Le  sceau  appendu  à  la  seconde  charte  nous  représente, 
sous  un  dais  flanqué  d'arcalures  géminées  à  deux  étages, 
l'abbesse  debout,  tenant  de  la  main  gauche  un  livre  fermé 
et  de  la  droite  la  crosse  à  volute  tournée  en  dehors.  Entre 
deux  grénetis  se  lît  le  fragment  : Van  den  Pille —  Do- 
rensele. Les  dimensions  sont  de  0'",048  sur  0"',032. 

Le  texte  de  l'acte  citant  très-lisiblement  Joaeskine  Van 
den  Pille  abdesse  in  Dorensele,  corrige  la  double  erreur  de 
nom  et  de  date  commise  par  Sanderus  et  ses  copistes, 
donnant  le  nom  d'une  Pascliasia  Van  de  Putle,  décédée  en 
1542,  détails  enlièremcnt  erronés. 

Nous  possédons  parmi  les  chartes  de  l'abbaye  du  Nou- 
veau-Bois une  pièce  datée  du    1G  mai  1558,  constituant 

(1)  Archives  de  la  Flandre  orienlalc,  Saiiil-Bavon,  case  3,  2,  n"  72. 

(2)  Voir  année  1870,  p.  189,  cl  planche  IX,  fig.  4. 


—  259  — 

une  rente  de  deux  livres  de  gros  sur  les  dîmes  de  Nieuwen- 
hove  à  Cluisen,  à  charge  de  Doornsele  et  en  faveur  du 
Nouveau-Bois.  Le  sceau  ogival  en  cire  brune  figure,  sous 
un  dais  en  style  Renaissance,  Tabbesse  Marie  Van  Bour- 
goingnen  debout,  tenant  de  la  main  droite  un  livre  fermé, 
de  la  gauche  une  crosse  à  volute  tournée  en  dehors  et  à 
position  oblique.  De  chaque  côté  du  dais,  une  rangée  d'arca- 
tures  longe  le  filet  intérieur.  La  partie  inférieure  du  champ 
et  de  la  légende  est  occupée  par  l'écusson  de  l'abbesse  aux 
armes  de  Bourgogne.  La  légende  commence  par  le  bas  du 

sceau  et  porte  :  s',  vrawe.  maria,  van.  bor van  doori- 

SEELLE.  Les  dimensions  sont  de  0°',060  sur  0"',057. 

Ce  document  rectifie  une  nouvelle  erreur  de  Sanderus  et 
des  autres  historiens  de  Doornsele,  qui  font  commencer 
l'administration  de  Marie  de  Bourgogne  en  Tannée  1564. 
Cette  abbesse  mourut  en  1585,  après  trente-deux  ans  de 
gouvernement,  au  lieu  des  vingt-quatre  années  qu'on  lui 
attribuait  jusqu'ici. 

Dispersées  par  les  Gueux  en  1578,  les  religieuses  de 
Doornsele  vinrent  habiter,  en  1584,  un  modeste  refuge 
qu'elles  possédaient  depuis  longtemps  près  de  la  nouvelle 
église  de  Saint-Sauveur,  dans  la  Papeslraele  ou  rue  des  Prê- 
tres, et  y  élevèrent  un  couvent  qui  fut  supprimé  en  1796.  En 
1847,  la  dernière  religieuse  eut  la  satisfaction  de  finir  ses 
jours  dans  son  ancienne  retraite,  devenue,  au  commence- 
ment de  ce  siècle,  une  florissante  institution  de  demoiselles 
sous  la  direction  des  Dcuiies  chrétiennes. 

Terminons  celte  revue  sigillaire  des  établissements  de  la 
paroisse  de  Saint-Sauveur,  en  signalant  le  sceau  des  frères 
de  la  maison  de  Saint-Jacques,  attachés  au  service  de  l'hô- 
pital du  même  nom  mentionné  plus  haut.  Ces  frères  sont 
déjà  cités  dans  le  diplôme  de  fondation  de  la  chapellenie, 
octroyé  par  l'évêque  de  Tournai  au  mois  d'octobre  1283. 
L'empreinte  en  cire  verte  que  nous  reproduisons  (PI.  XII, 


—  260  — 

fig.  1),  sert  à  contre-sceller  le  sceau  de  l'hôpilal  Saint- 
Jacques.  Elle  représente  le  buste  de  Tapôlre,  tèlc  nue, 
accompagné  à  droite  d'une  écaille,  à  gauche,  d'un  cou- 
teau poignard.  Peut-être  Tartiste  a-t-il  voulu  faire  allu- 
sion au  martyre  de  l'apôtre,  décapité  à  Césarée  par  ordre 
du  tétrarque  Hérode.  La  légende  encadrée  à  l'intérieur  par 
un  filet,  à  l'extérieur  par  un  grénetis,  commence  par  une 
étoile  à  six  raies  et  porte  :  S.  Broed.  Va.  Sinte  Jacops.  hus. 
ou  :  Sceau  des  frères  de  la  maison  de  Saint-Jacques.  Le  dia- 
mètre est  de  0"%024.  Celle  pièce  appartient  évidemment 
au  XIII"  siècle. 

V. 

PAROISSE    DE    SAINT-JACQUES. 

Fondée  au  XII'^  siècle,  l'église  de  Saint-Jacques  est  une 
des  plus  anciennes  de  Gand.  Malheureusement  les  archives 
des  premiers  siècles  ont  disparu.  Le  seul  sceau  connu  jus- 
qu'ici est  celui  de  la  Quotidienne,  reproduit  dans  les  Églises 
de  Gand  de  M.  Kervyn  (i).  Celle  pièce  date  de  la  deuxième 
moitié  du  XIV^  siècle,  et  représente  sous  un  dais  fleuronné 
à  gable  polylobé  le  saint  patron  debout,  tenant  de  la  droite 
l'Evangile  fermé,  de  la  gauche  le  bâton  surmonté  de  l'écaillé 
des  pèlerins  de  Composlelle.  De  chaque  côté  du  dais,  se 
dessine  une  écaille  semblable  entre  deux  qualre-feuilles. 
Le  bas  du  champ  est  occupé  par  les  armoiries  de  Bernard 
d'IIerzele,  étant  d'argent  au  chevron  de  sable,  chargé  de 
trois  étoiles  à  cinq  raies  d'argent.  La  légende  porte  en  Ire 
deux  grénetis  ;  s'Cotidianaru.  sa.  Jacobi  Gandensis.  Les 
dimensions  sont  de  0"%045  sur  0™,027. 

Nous  avons  découvert  en  outre  aux  archives  provinciales 
parmi  les  sceaux  détachés,  deux  empreintes  en  cire  verte 

(I)  Tome  II,  p.  37.  . 


PL.Xll 


^■.B  LavûUM,  oxl': 


—  261   — 

très-remarquabic's  et  de  plus,  inédites.  La  première  est  le 
sceau  du  proviseur  de  la  fabrique  et  date  du  XIV"  siècle. 
Sous  un  dais  trilobé,  flanqué  de  contre-forts,  d'arcs  bou- 
tants et  d'arcalures,  figure  le  patron  de  l'église,  avec  les 
mêmes  attributs  que  dans  le  sceau  de  la  Quotidienne,  mais 
d'une  exécution  supérieure.  Deux  écailles  ornent  le  baut 
du  cbamp  au-dessus  des  arcs  boutants.  L'inscription  com- 
prend entre  deux  filets  ces  mots  :  s'Provisoris  fabrice  sancti 
Jacobi  Garnie.  (Voir  PI.  XII,  fig.  2).  Cette  belle  pièce 
mesure  0^,064  sur  0°',045. 

Le  second  sceau  est  beaucoup  plus  simple,  mais  d'un 
genre  assez  rare.  Le  cbamp  porte  uniquement  le  bàlon  de 
pèlerin,  posé  en  pal,  entouré  d'un  ruban,  portant  une  écaille 
au  bas  et  accompagné  de  deux  écailles  à  la  partie  supérieure. 
La  légende  commence  par  une  croix  au  bas  du  sceau  et  porte 
séparés  par  des  branches  les  mots  :  Sigilhim.  secre.  causa, 
sci.  Jocobi  Ganclensis.  Cette  pièce  curieuse  mesure  0"',051 
sur  0",029  (PI.  XII,  fig.  3).  C'est  le  premier  sceau  secret 
que  nous  rencontrons  dans  nos  églises  paroissiales. 

Derrière  l'église  de  Saint-Jacques,  fut  fondé,  dans  la  se- 
conde moitié  du  XII''  siècle,  l'hospice  de  Saint-Jean  appelé 
vulgairement  Saint-Jean  aux  enragés  (len  dullen),  ou  Saint- 
Jean  à  l'huile  (Sint  Jan  in  d'olie),  ou  simplement  maison 
Saint- Jean  (Sint  Jans  hus).  Cet  hôpital  fut  dirigé  et  desservi 
par  les  frères  et  les  sœurs  de  la  Vie  commune  au  service  des 
malades  et  des  aliénés  des  deux  sexes.  Sanderus  (i)  prétend 
que  ce  fut  le  premier  hôpital  de  la  ville  et  qu'on  y  logeait 
des  pèlerins.  La  première  règle  fut  approuvée  en  H9G  par 
Everdée  II,  abbé  de  Sainl-Bavon  (2),  confirmée  en  1237  par 
Gautier  de  Marvis,  évèque  de  Tournai,  et  renouvelée  le 
2  juillet  1450  par  son  successeur  Jean  de  Tlioisi. 

(1)  Flandria  illuslrula,  I,  p.  332. 

(2)  Archives  de  Gand,  i\°  17  de  rinvL'iilairc,  et  Van  Lokeuln,  Hisloirc  de 
l  abbaye  de  Sainl-Davon,  p.  204, 


~  W2  — 

Des  religieuses  de  Saint-Auguslin,  chassées  de  Ninové 
par  les  guerres  civiles  du  XV'=  siècle,  obtinrent  la  surinten- 
dance des  frères  et  des  sœurs  de  Saint-Jean.  Les  religieux 
de  la  Vie  commune  disparurent  de  nos  hospices  vers  le  mi- 
lieu du  XVI''  siècle.  Les  prétentions  des  échevins,  qui  de 
tuteurs  naturels  des  aliénés  soignés  dans  l'hospice,  voulu- 
rent devenir  supérieurs  directs  des  religieuses,  causèrent 
au  XVII'^  siècle  beaucoup  de  troubles,  augmentés  encore 
par  la  répugnance  de  quelques  membres  de  la  commu- 
nauté à  l'égard  des  prescriptions  épiscopales.  Le  chevalier 
Diericx,  ennemi  systématique  ei  aveugle  de  la  jurisdiction 
ecclésiastique,  prétend  que  l'évêque  de  Gand,  Ignace  de 
Grobbendonck,  voulant  s'ingérer  dans  la  direction  interne 
dndit  hôpital,  fit  intimer  aux  échevins  de  consigner  tous  les 
titres  relatifs  à  celte  maison;  mais,  ajoute-l-il,  le  tribunal, 
dit  le  conseil  de  Flandre,  le  déclara  non  recevable  par  sen- 
tence du  12  juillet  1674,  sur  le  motif  que  cet  établissement 
était  de  fondation  laïque  (i). 

Nous  remarquerons  d'abord  que  l'hospice  de  Saint-Jean 
fut  une  institution  à  la  fois  religieuse  et  civile,  où  les  deux 
pouvoirs  exercèrent  dès  le  principe  leur  contrôle  respectif. 
Successeurs  légitimes  des  abbés  de  Saint-Bavon,  les  évê- 
ques  ne  firent  pas  autre  chose  que  maintenir  leur  droits  de 
jurisdiction  canonique  dans  les  questions  de  discipline  et 
d'administration,  sans  empiéter  sur  le  terrain  des  éche- 
vins tuteurs  de  l'hospice.  La  tâche  de  nos  prélats  fut  ren- 
due très-difficile  par  l'esprit  d'indépendance  qui,  à  la  suite 
des  commotions  du  XVP  siècle,  gagna  presque  toutes  les 
institutions.  Diericx  le  savait  mieux  que  tout  autre,  et 
ses  injustes  accusations  sont  d'autant  plus  inconcevables 
qu'elles  portent  entièrement  à  faux.  L'évêque  Van  Grob- 
bendonck ne  prit   possession  du  siège   de  Gand  que  le 

(1)  Mémoires,  M,  pp.  186  et  187. 


PL.XIII 


■  t.uavcaii:,ûicL! 


—  263  — 

26  décembre  1679.  Il  ne  peut  donc  cire  en  cause  dans  !a 
sentence  du  12  juillet  1674.  A  cette  époque,  l'épiscopal 
était  même  vacant  et  le  resta  jusqu'au  1"  juillet  1677. 

L'hosj)ice  subit,  en  1794,  le  sort  de  tous  nos  établis- 
sements religieux.  La  majeure  partie  des  édifices  devint 
bientôt  après  le  siège  de  la  commission  des  hospices  civils. 
Les  autres  bâtiments  furent  affectés  au  logement  de  douze 
prébendières  transférées  en  1862,  et  à  Thospice  des  Knfanls 
trouvés,  desservi  par  les  sœurs  de  la  Sainte-Enfance.  De 
1828  à  1840,  on  y  établit  également  une  école  communale 
pour  les  deux  sexes. 

Après  cette  courte  digression,  que  le  lecteur  nous  par- 
donnera dans  l'intérêt  de  la  vérité,  passons  à  l'examen  du 
sceau  de  l'hôpital  de  Saint-Jean.  La  matrice  originale,  en 
cuivre,  se  conserve  aux  Archives  provinciales.  Cette  belle 
pièce  appartient  au  commencement  du  X11I«  siècle.  L'apô- 
tre saint  Jean,  la  léte  nue  et  nimbée,  assis  pieds  nus  sur 
un  siège  à  dossier  et  drapé  dans  un  habit  long  à  larges 
plis,  trace  à  l'aide  d'un  roseau  et  d'un  poinçon  des  carac- 
tères bibliques  sur  un  parchemin  que  supporte  un  pupitre 
monopédiculé  à  volutes.  Le  saint  travaille  sous  l'inspiration 
de  l'Esprit  saint,  figuré  par  la  colombe  à  tète  nimbée  posée 
sur  l'épaule  gauche.  Deux  étoiles  à  huit  raies  surmontent 
la  tète  de  l'évangélislc.  Au  sommet  du  champ,  une  main 
divine  bénissante  sort  des  nuages.  La  légende  commence 
par  une  croix  et  porte  entre  deux  filets  en  beaux  caractères  : 
Sigillum  domus  :  sci.  Juhannis  in  Gandavo  (Voir  PI.  XIII, 
fig.  1).  Les  dimensions  sont  de  0'",068  sur  0,™047. 

La  manie  de  nos  chroniqueurs  tant  laïcs  que  religieux, 
de  confondre  avec  la  fondation  des  couvents  la  protection 
accordée  à  ces  maisons  par  nos  comtes  de  Flandre  et  sur- 
tout par  Baudouin  IX  et  ses  deux  filles,  Jeanne  et  Margue- 
rite, a  donné  lieu  aux  plus  singulières  erreurs.  C'est  ainsi 
qu'on  a  voulu  retrouver  à  tout  prix  dans  l'abbaye  Cisler- 


—  264  — 

cienne  de  Bodelo,  à  Sinay,  uue  inslilulion  de  Baudouin 
de  Conslanlinople  et  expliquer  le  nom  par  Balduîni  lucm, 
bois  de  Baudouin,  élymologie  que  l'orthographe  Bodelo, 
suivie  constamment  dans  les  chartes  les  plus  anciennes, 
nous  semble  rendre  au  moins  très-douteuse.  Quant  à  nous, 
nous  ne  trouvons  dans  Bodelo  qu'une  hauteur  boisée,  loo, 
avoisinant  un  bas-fonds  ou  dépendant  d'un  manoir,  bode. 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'abbaye  fondée  à  Bodelo  sur  le  ter- 
ritoire du  petit  Sinay,  vers  1197,  par  Guillaume  de  Bocla, 
Bénédictin  de  Saint-Pierre  à  Gand,  adopta  la  règle  de 
Citeaux  vers  1233.  Nos  religieux  acquirent  en  1259,  des 
échevins  de  Gand,  un  terrain  au  quartier  aquatique,  le 
long  du  fossé  d'Othon  et  à  proximité  de  l'église  de  Saint- 
Jacques.  Les  moines  y  établirent  un  refuge  qui,  rebâti  en 
1526  par  l'abbé  Jean  Van  Deynse,  devint,  après  la  tour- 
mense  iconoclaste,  la  résidence  définitive  des  religieux. 
Après  la  suppression  de  l'abbaye,  les  bâtiments  furent  oc- 
cupés successivement  par  l'École  centrale,  le  Lycée  impé- 
rial, le  Collège  royal  et  enfin  par  l'Athénée  royal.  L'église 
et  ses  dépendances  furent  affectées  au  service  de  la  Biblio- 
thèque de  l'Université. 

Malgré  d'activés  recherches,  nous  n'avons  pu  réussir  à 
retrouver  le  sceau  primitif  de  l'abbaye,  qui  probablement 
différait  peu  de  celui  des  Cisterciennes  du  Nouveau-Bois, 
de  Doornsele  et  de  la  Byloke,  dont  le  type  était  unifornae. 
Ce  qui  nous  confirme  dans  notre  opinion,  c'est  que  nous 
retrouvons,  sur  le  sceau  moderne  de  Bodelo,  la  Vierge- 
mère  assise  à  peu  près  dans  la  même  attitude  que  dans  les 
types  sigillaires  des  abbayes  mentionnées.  Les  colonnettes, 
le  soubassement  et  le  couronnement  du  dais  rappellent 
également  les  ornements  accessoires  des  empreintes  dé- 
crites plus  haut. 

L'exécution  du  sceau  n'est  pas  dépourvue  de  mérite,  eu 
égard  à  l'époque  de  décadence  où  l'-art  était  arrivé.  Le 


—  265  — 

champ  porte  le  millésime  1582.  A  cette  époque,  les  reli- 
gieux séjournaient  à  Cologne,  où  ils  restèrent  environ 
quatre  ans,  sous  la  conduite  de  l'abbé  Jacques  Delrio,  dont 
les  armoiries  figurent  probablement  au-dessus  du  dais  tri- 
lobé. La  légende  porte  entre  deux  filets  les  mots  suivants, 
séparés  par  des  points  :  Sigilhim.  coventtis.  mon.  Be.  Ma- 
riœ.  de.  Bodelo.  C'est-à-dire  :  Sigilhim  convenais  monas- 
terii  Beatœ  Mariœ  de  Bodelo,  inscription  parfaitement 
semblable  à  celle  des  sceaux  des  trois  abbayes  cisterciennes 
citées  précédemment.  Le  sceau  de  Bodelo  est  orbiculaire, 
au  diamètre  de  0"',046  (PI.  XIII,  fig.  2). 

Quant  aux  sceaux  d'abbés,  nous  citerons  entre  autres  le 
sceau  en  cire  verte  appendu  à  un  acte  du  28  juin  1287, 
par  lequel  est  réglée  entre  les  abbayes  de  Bodelo  et  du  Nou- 
veau-Bois la  perception  de  dimes  novales  à  Lokeren.  L'abbé 
y  est  représenté  tête  nue,  revêtu  de  ses  ornements  ponti- 
ficaux, tenant  de  la  main  gauche  un  livre  fermé  et  de  la 
droite  une  crosse  à  volute  tournée  en  dedans.  Le  légende 
renfermée  entre  de  triples  filets,  porte  :  Sigilhim  abbatis  de 
Bodelo.  Les  dimensions  sont  de  0'",043  sur  0'",024. 

Un  Vidimus  de  la  donation  faite  au  Nouveau-Bois,  par 
Daniel  de  Berlare  et  son  épouse,  Agnès,  d'une  terre  située 
au  Slrit  à  Uitbergen,  est  muni  du  sceau  de  l'abbé  Guillaume 
et  date  du  i4  avril  1337.  L'empreinte  ogivale,  en  cire 
verte,  représente  sous  un  dais  à  triple  gable,  flanqué  d'ar- 
catures  géminées,  le  prélat  avec  les  mêmes  attributs  qu'au 
sceau  précédent,  mais  la  volute  de  la  crosse  est  tournée  en 
dehors.  Deux  grénetis  encadrent  l'inscription  :  Sigilhim 
fratris  Willelmi  abbat.  de  Bodelo.  Celte  pièce,  supérieure- 
ment exécutée,  mesure  0",048  sur  0"%032. 

L'abbé  J.-B.  Lavaut. 
{Pour  être  continue). 


—  266  — 


HISTOIRE 

DES   RELATIONS    POLITIQUES 

ENTRE    LA    FLANDRE    ET    l' ANGLETERRE, 
AU    MOYKN    AGE. 


CliAPITRK  XHI. 

(1540-1345). 

Louis  de  Nevers.  Edouard  III. 

Edouard  venait  donc  de  se  déclarer  roi  de  France,  ei 
cela  sur  le  conseil  d'Arlevelde  (i).  Le  28  janvier,  il  auto- 
risa le  comte  de  Gueldre  à  jurer  en  son  nom,  la  main  sur 
l'Evangile,  qu'il  observerait  pleinement  et  inviolablement 
les  conventions  faites  entre  ses  ambassadeurs  et  les  capi- 
taines, bourgmestres  et  bonnes  gens  des  villes  de  Gand, 
Bruges  et  Ypres,  ainsi  que  des  autres  villes  et  communes 
du  comté  de  Flandre  (2).  Ces  conventions  étaient  toutes  à 
l'avantage  de  la  Flandre,  mais  également  favorables  au 
commerce  du  Brabant;  c'était  bien  le  moins  qu'Edouard  se 
montrât  reconnaissant  à  l'égard  d'un  pays,  à  la  faveur  du- 
quel il  avait  réussi  à  lever  tous  ses  scrupules. 

Ces  privilèges,  si  importants  pour  notre  histoire,  sont 

(1)  Knyciiton. 

(2)  Rymeiî,  cdit,  angl  ,  t    11,  1»,  II,  p.  1107. 


—  267  — 

contenus  dans  trois  diplômes,  conservés  en  original  aux 
archives  départementales  de  Lille  (i). 

Dans  le  premier  de  ces  actes,  Edouard,  considérant  le 
grand  secours  que  lui  ont  accordé  les  bonnes  villes  de 
Flandre,  Gand,  Bruges,  Ypres  et  tout  le  commun  pays,  vu 
aussi  leur  grande  amitié  pour  lui,  déclare  que  Télape  des 
laines  de  tout  le  royaume  d'Angleterre  et  de  tous  les  pays 
en  deçà  comme  par  delà  la  mer,  qui  sont  sous  sa  domi- 
nation, sera  rétablie  à  perpétuité  sur  le  territoire  de  la 
Flandre  ou  du  Brabant  dès  la  publication  des  présentes 
pièces. 

Que  tous  les  draps  du  pays  de  Flandre  et  du  Brabant 
seront  reçus  dans  les  pays  de  sa  domination  sans  aucune 
formalité,  pourvu  qu'ils  portent  les  marques  et  sceaux  de 
leur  provenance. 

Que  tous  les  habitants  du  pays  de  Flandre  pourront  cir- 
culer dans  ses  pays  avec  leurs  marchandises,  en  payant 
seulement  les  droits  anciens  de  dix  sols  sterlings  par  sac 
de  laine  qu'ils  achèteraient  ou  feraient  acheter,  avec  la 
restriction  toutefois  que  celte  disposition  ne  sera  exécutoire 
qu'à  partir  du  jour  de  la  Pentecôte  de  l'année  1347,  et  que 
jusqu'à  cette  époque  ils  payeront  les  mêmes  droits  que  les 
Anglais. 

Que  tous  les  Anglais  qui  négocieront  avec  les  habitants  du 
pays  de  Flandre  ou  du  Brabant,  ou  contracteront  avec  eux 
sur  obligations  scellées,  seront  tenus  de  payer  exactement 
leurs  dettes,  à  défaut  de  quoi,  eux,  leurs  veuves,  leurs  hoirs 
et  successeurs  seront  justiciables  des  magistrats  du  lieu  de 
leur  domicile,  qui  les  condamneront  à  s'exécuter  promp- 
tement. 


(1)  Archives  départ,  de  Lille;  fonds  de  la  chambre  des  comptes,  carton  B, 
777.  —  Archives  de  la  ville  de  Bruges,  Rudcnbock,  {<>  XXIX.  —  Archives  de  la 
ville  d' Ypres,  originaux,  sur  parchemin,  scellés  d'un  sceau  placard,  aujour- 
d'hui détruit.  —  ParliamcnUmj  Wrilhs  ;  Abreviatio  rotulorttm,  p.   142. 


—  268  — 

Il  garantit  que  tous  privilèges,  franchises  ou  libertés 
accordés  aux  pays,  villes  et  châtellenies  de  Flandre,  par 
lui  ou  ses  prédécesseurs,  demeureront  valables  et  sont  con- 
firmés par  la  teneur  des  présentes. 

Il  promet  de  bonne  foi  et  loyalement  de  ne  faire  aucun 
traité,  paix  ou  accord  d'aucune  espèce,  lui  ou  ses  alliés, 
avec  Philippe  qui  se  dit  roi  de  France,  ou  ses  alliés,  sans 
le  conseil,  volonté  et  consentement  du  pays  de  Flandre,  et 
sans  que  celui-ci  y  soit  expressément  compris. 

Il  prend  en  sa  «  sauve  et  certaine  protection  et  espécial 
garde,  «  par  tout  le  royaume  d'Angleterre,  les  habitants  du 
pays  de  Brabant  et  de  Flandre,  leurs  hoirs,  successeurs  et 
familles,  et  considère  comme  ennemis  tous  ceux  qui  moles- 
teraient un  d'entre  eux,  et  promet  de  les  protéger  si  Phi- 
lippe de  Valois  ou  un  autre  tentait  de  les  molester  ou 
d'entamer  leurs  privilèges,  s'engageant  à  les  aider,  confor- 
ter et  défendre  à  ses  frais  et  dépens,  comme  il  ferait  pour 
ses  propres  sujets. 

Que  lui  ou  son  successeur  passera  la  mer  en  Flandre, 
pour  continuer  la  guerre  commencée,  avec  l'aide  de  Dieu. 

Pour  garantir  l'exécution  du  traité,  il  s'engage,  lui,  ses 
hoirs  et  successeurs,  par  sa  chevalerie,  loyauté  et  foi  ple- 
nière,  sous  la  foi  de  son  grand  scel,  et  engage  les  prélats, 
Jean  archevêque  de  Cantorbéry,  primat  d'Angleterre,  Ri- 
chard évéque  de  Durham,  Henri  de  Lincoln,  Roger  de 
Cestre,  Raoul  de  Londres,  Jean  de  Kardoul;  les  seigneurs 
Hunin  comte  de  Derby,  William  comte  de  Northampton, 
Thomas  comte  de  VVarvick,  Hugues  comte  de  Glocester, 
William  comte  de  Huntinghton,  Jean  comte  d'Oxford,  Henry 
de  Percy,  Raoul  de  Nevill,  Jean  de  Segrave,  Henry  de  Fer- 
rers,  Jean  Darcy,  Thomas  de  Berkeley,  Thomas  de  Brai- 
derstone,  Richard  de  Wilugby,  Jean  de  Stonore,  Robert  de 
Saddingdon,  chevaliers;  les  maires  et  les  communiers  des 
cinq  bonnes  villes  de  Londres,  Everwyck,  Lincoln,  Bristol 


—  209  — 

et  NorwicI),  ainsi  que  les  cinq  ports  Sandwichj  Douvres, 
Winchelsea,  Haslings  et  Rye,  qu'il  prie  d'apposer  leurs 
sceaux  à  cet  acte  à  la  suite  du  sien. 

La  solennité  que  mettait  Edouard,  en  traitant  cette 
affaire  avec  la  Flandre,  et  le  style  noble  de  ce  document, 
témoignent  assez  de  Timportance  qu'il  y  attachait. 

Dans  le  second  diplôme,  Edouard  répète  d'aliord  que  ses 
pays  sont  ouverts  aux  marchands  de  Flandre  et  de  Brabant, 
et  déclare  ensuite  que  chaque  fois  que  ces  deux  états  auront 
besoin  de  secours  pour  pourvoir  à  leur  sûreté,  il  mettra 
ses  navires  en  mer  et  armera  des  gens  d'armes;  le  tiers  de 
la  troupe  à  lever  sera  prise  en  Angleterre,  les  deux  autres 
en  Flandre  et  en  Brabant;  quant  à  lui,  il  supportera  les 
frais  de  l'expédition.  Il  promet  en  outre  de  payer  aux  com- 
munes la  somme  de  cent  quarante  mille  livres  sterlings  en 
quatre  paiements,  et  établit  pour  quinze  ans  à  Bruges 
l'étape  des  laines,  qu'il  avait  promis  dans  l'acte  précédent 
de  fixer  à  perpétuité  en  Flandre  ou  en  Brabant. 

Au  point  de  vue  politique,  dit  un  auteur  (»),  le  troi- 
sième traité  est  le  plus  important;  il  l'est  en  effet,  quand 
on  considère  qu'il  aurait  changé  notablement  la  situation 
de  la  Flandre  s'il  avait  pu  être  mis  à  exécution.  Edouard, 
en  vertu  de  sa  puissance  et  de  son  autorité  comme  roi  de 
France,  casse  et  met  à  néant  tout  droit  qu'avait  le  suze- 
rain roi  de  France,  par  autorité  papale,  d'appeler  en  tout 
temps  l'excommunication  sur  la  Flandre.  Il  renonce  à  tous 
droits  que  lui  ou  ses  prédécesseurs,  rois  de  France,  ont  eu 
ou  ont  sur  les  villes  de  Lille,  Douai,  Béthune  et  Orchies, 
en  faveur  du  comte  de  Flandre,  ses  hoirs  et  successeurs, 
auxquels  il  transmet  ces  villes  et  chàlellenies  en  propre 
domaine.  Quant  au  comté  d'Artois,  qui  «  entièrement  fuist 
et  soioit  estre  »  au  comte  de  Flandre  et  qui  «  indeuwement 

(1)  Kervyn,  t.  m,  p    227. 


~  270  — 

fut  (]e  iuy  alliénée,  »  il  le  lui  reslilue  avec  ses  renies  et 
cliâlellcnies,  et  lui  donne  la  cité  de  Tournai,  également  avec 
ses  châlelleuies  et  avoueries  en  fief,  à  condition  de  foi  el 
hommage.  Il  confirme  les  privilèges,  franchises  et  libertés 
dont  les  Flamands  avaient  joui  du  temps  du  comte  Roherl; 
il  promet  pour  lui,  ses  hoirs  et  successeurs,  de  ne  lever 
ni  souffrir  qu'on  lève  des  impositions,  exactions,  tailles  ou 
extorsions  en  Brabant  ou  en  Flandre,  ou  qu'il  soit  commis 
en  France  des  exactions  ou  extorsions  au  détriment  des 
bonnes  gens  de  Flandre.  Pour  le  plus  grand  profit  de  tous 
ses  sujets  et  pour  faciliter  les  négociations,  il  accorde 
qu'une  «  bonne,  loyale  et  commune  monnaie  d'or  »  soit 
faite  en  France,  en  Brabant  et  en  Flandre,  avec  un  signe 
distinclif  pour  chaque  pays  :  cette  monnaie  devant  avoir 
cours  légal  en  Angleterre  (i). 

Le  8  février,  Edouard  publia  une  proclamation  aux  pré- 
lats, aux  seigneurs  et  au  peuple  de  France,  dans  laquelle, 
après  leur  avoir  annoncé  que  la  Flandre  l'a  reconnu  comme 
roi  de  France,  il  promet  de  rétablir  leurs  franchises  et 
privilèges,  redresser  tous  les  torts  et  gouverner  selon  les 
lois  et  coutumes  de  saint  Louis,  son  aïeul  ('i). 

Cependant  Edouard,  voyant  que  la  période  d'hiver  ne 
lui  permettrait  pas,  aussi  longtemps  qu'elle  durerait,  de 
faire  le  moindre  acte  d'hostilité,  voulut  retourner  en  Angle- 
terre; mais  ses  alliés  s'y  opposèrent  avant  qu'il  n'eût  pris  au 
préalable  des  arrangements  ou  donné  des  garanties  pour 
le  paiement  des  dettes  considérables  qu'il  avait  contractées 
sur  le  continent  et  qui  montaient  bien  à  500,000  livres  ster- 
lings.  Il  se  vit  obligé  de  faire  la  promesse  solennelle  de 
revenir  dans  un  court  délai,  avant  les  fêtes  de  la  Saint-Jean- 


(1)  Voir  CCS  trois  diplômes  dans  KEnvYN,  t.  III,  p.   G05,  aux  Pièces  Jusli- 
ficalivcs. 

(2)  Rymer,  édit,  angl.,  t.  Il,  P.  II,  p.  1108. 


—  271  — 

liaplislcdt!  l'année  suivante,  remit  comme  gage  de  sa  parole 
et  comme  garantie  de  ses  promesses,  les  comtes  de  Derby 
et  de  Salisbury,  et  promit  qu'au  dimanche  de  la  mi-caréme, 
les  comtes  de  Suffolk  et  de  Northampton  viendraient  se 
joindre  aux  autres  otages;  il  laissa  également  en  Flandre 
la  reine  Philippine  de  Hainaut,  sa  femme,  qui  accoucha 
peu  après,  à  l'abbaye  de  Saint-Pierre  à  Gand,  d'un  fils, 
qui  est  connu  dans  l'histoire  sous  le  nom  de  Jean  de  Gand, 
duc  de  Lancastre.  Alors  on  le  laissa  partir;  mais  avant  son 
départ,  il  fit  encore  un  appel  à  tous  les  seigneurs  de  France 
et  de  Flandre,  leur  disant  que  s'ils  voulaient  le  reconnaître 
pour  roi,  il  les  recevrait  en  paix  et  protection,  et  délégua 
au  comte  de  Gueldre  et  à  Artevelde  le  pouvoir  de  recevoir 
leur  hommage  en  son  nom  (i).  H  autorisa  le  duc  de  Bra- 
banl  à  continuer  la  guerre  en  sa  place,  en  se  conformant 
toutefois  aux  conseils  d'Artevelde  (2).  Le  21  février,  il  dé- 
barqua à  Orewel  (3);  plusieurs  seigneurs  et  députés  de 
Flandre,  entre  autres  Guillaume  de  Sleeland  et  Nicolas  de 
Scotelaere,  l'accompagnèrent  en  Angleterre. 

Le  29  mars,  Edouard  tint  un  parlement  à  Westminster 
et  là  il  prêta  serment  sur  les  Evangiles,  d'observer  les  trai- 
tés qu'il  avait  approuvés  à  Gand;  les  évéques  de  Cantor- 
béry,  de  Durham,  de  Lincoln  et  de  Londres,  les  principaux 
seigneurs  d'Angleterre  et  les  villes  prononcèrent  le  même 
serment.  Ces  grands  privilèges  accordés  à  des  étrangers 
|)rovoquèrent  quelques  murmures  dans  les  villes  commer- 
çantes d'Angleterre.  Nous  avons  vu  plus  haut  (4)  que  la  ville 
de  Londres  édicta  au  siècle  précédent  des  mesures  restric- 
tives à  l'égard  des  marchands  étrangers;  dans  celte  circon- 

(1)  LoNGMàN,  t.  I.   p.  139.  —  Voisin,  p.  30.  —  RvMEn,  édil.   nngl.,   i.  Il, 
V.  II,  p.  1111. 

(2)  Voisin,  p.  ID.  —  Longman,  t.  I,  p.  157. 
(2)  Rymeiî,  édit.  angl.,  l.  Il,  P.  Il,  p.  1113. 
(4)  Messager  des  Sciences,  a"  1870,  p.  ICI. 


—   272  — 

stauce-ci  elle  se  plaignit  vivement;  elle  invoqua  ses  anciens 
privilèges  et  s'abstint  d'apposer  son  sceau  aux  décisions 
du  parlement  de  Westminster. 

Deux  mois  s'écoulèrent  ainsi;  le  23  mai,  Edouard  III  fit 
appeler  à  la  Tour  de  Londres  le  lord-maire,  les  aldermen 
et  les  plus  notables  bourgeois  de  Londres;  il  leur  raconta 
que  pendant  son  séjour  à  Gand  il  avait  promis  aux  com- 
munes de  Flandre  que  les  communes  anglaises  ratifieraient 
ses  promesses;  il  les  pressa  au  nom  de  l'amour  qu'ils  lui 
portaient,  de  ne  pas  démentir  son  serment;  il  alla  même 
jusqu'à  leur  dire  qu'il  renoncerait  plutôt  à  sa  femme,  à  ses 
fils,  à  ses  filles,  à  son  royaume,  à  la  vie  même.  La  com- 
mune résista  encore;  alors  le  roi,  s'indignant,  la  somma 
d'obéir,  ce  qu'elle  fit  à  regret  (i). 

Pendant  ce  temps,  Philippe  de  Valois  attaquait  la  Flan- 
dre; il  la  fit  d'abord  excommunier,  puis  envoya  pour  la  piller 
ses  hommes  d'armes,  qui  battirent  les  Flamands  à  Mar- 
quette, oîi  les  comtes  de  Salisbury  et  de  Suffolk  furent  pris 
et  envoyés  ensuite  à  Paris;  il  équipa  une  flotte  qu'il  envoya 
croiser  sur  les  côtes  du  comté  pour  s'emparer  du  roi  d'An- 
gleterre lorsqu'il  retournerait  en  Flandre  :  cette  flotte  comp- 
tait plus  de  huit  cents  voiles,  dont  cent  quarante  gros  navires, 
équipés  à  Calais  et  dans  les  ports  de  Normandie,  trente  galè- 
res génoises  sous  les  ordres  du  corsaire  Barbavera,  et  un 
grand  nombre  de  vaisseaux  de  toute  espèce;  elle  était  montée 
par  trente  mille  hommes,  commandés  par  un  chevalier 
d'Artois,  nommé  Hugues  Quiéret;  Nicolas  Béhuchet,  tréso- 
rier du  roi,  avait  pris  le  commandement  supérieur  de  celte 
expédition  et  était  fort  curieux  d'assister  à  une  bataille. 

Le  7  juin,  la  flotte  française  parut  à  l'entrée  du  Zwyn; 
Béhuchet  fit  immédiatement  débarquer  un  grand  nombre 
d'hommes  d'armes  et  les  envoya  piller,  brûler  et  tuer  dans 

(1)  Voir  ces  détails  dans  Kervyn,  Jacques  d'Arlcvelde,  pp.  88  el  suiv. 


—  273  — 

le  pays  de  Cadsand.  Les  bourgeois  de  Bruges,  avertis  de 
cet  exploit,  accoururent  vers  l'Ecluse,  sous  la  conduite  de 
Jean  Breydel  et  de  Jean  Schynkele;  mais  les  Français 
s'étaient  déjà  retirés  sur  leurs  navires;  les  Brugeois  durent 
se  contenter  de  contempler  les  restes  de  l'incendie,  et  de 
voir  au  loin  les  navires  se  maintenant  ensemble  au  moyen 
de  chaînes  de  fer  pour  éviter  le  mouvement  de  la  marée; 
ils  guettaient  là,  entre  les  dunes  qui  fermaient  l'entrée  du 
port  de  l'Ecluse,  l'arrivée  du  roi  d'Angleterre,  espérant 
que  celui-ci,  ignorant  le  danger,  se  laisserait  prendre. 

Deux  jours  après  cependant,  l'arrivée  des  Français  fut 
connue  à  Orewel,  où  Edouard  se  disposait  à  s'embarquer 
le  12  pour  le  continent.  Le  roi  refusa  d'ajouter  foi  à  cette 
nouvelle,  malgré  le  récit  d'un  pilote  qu'on  lui  amena  et  qui 
avait  été  témoin  des  manœuvres  de  Béhuchet;  il  fallut  un 
message  du  comte  de  Gueidre  pour  le  convaincre;  alors 
seulement  il  consentit  à  retarder  son  départ  de  quelques 
jours,  jusqu'à  ce  qu'on  eût  pu  réunir  autour  de  lui  un 
nombre  suffisant  de  navires;  Edouard  tenait  à  être  fidèle  à 
sa  promesse  et  à  se  trouver  en  Flandre  à  l'époque  fixée. 
Le  22  juin,  il  vit  que  deux  à  trois  cents  navires  l'avaient 
rejoint,  et  mil  à  la  voile  le  lendemain.  A  peine  fut-il  en 
vue  des  côtes  de  Flandre,  qu'il  se  fit  débarquer.  «  Grâces 
soient  rendues  à  Dieu,  s'écria-til,  lorsque  je  quittai  ce 
pays,  j'avais  le  ferme  espoir  d'y  être  revenu  avant  la  Saint- 
Jean-Bapliste,  et  c'est  aussi  ce  que  j'ai  fait,  car  me  voici 
enfin  debout  sur  la  côte.  »  Renaud  de  Cobbam,  Jean  Chan- 
dos  et  Etienne  de  Labourquin,  s'avancèrent  le  long  des 
dunes,  et  aperçurent  de  loin,  au-delà  des  prairies,  toute  la 
flotte  française  qui  remplissait  les  deux  bras  du  Zwyn. 
Les  magistrats  flamands  auxquels  ils  parlèrent  leur  dirent 
qu'un  seul  jour  suflirail  pour  rassembler  deux  cents  vais- 
seaux afin  d'appuyer  les  manœuvres  du  roi  d'Angleterre. 

Edouard  fit  alors  jeter  l'ancre  et  attendit  le  lever  du 

20 


—  274  — 

soleil  pour  se  porter  vers  l'ennemi;  il  était  impatient  de 
combattre  :  «  J'ay  longtemps  désiré  que  je  les  pusse  com- 
battre, disait-il;  si  les  combattrons,  s'il  plait  à  Dieu  et  à 
saint  George.  »  Mais  le  lendemain  le  vent  avait  tourné,  et 
il  fut  impossible  aux  vaisseaux  anglais  d'entrer  dans  le 
Zwyn;  sur  ces  entrefaites  on  vil  les  galères  génoises  sortir 
du  golfe  pour  gagner  la  mer;  Rarbavcra,  en  marin  expé- 
rimenté, avait  exposé  à  Béhucbet  qu'enfermée  dans  le 
Zwyn,  la  flotte  française  perdait  tous  ses  avantages,  et 
n'ayant  pas  réussi  à  le  convaincre,  il  s'éloignait  de  l'Ecluse 
avec  ses  navires,  ne  voulant  pas  se  rendre  complice  des 
fautes  du  trésorier  du  roi,  «  qui  savait  mieux  se  mêler  d'un 
compte  à  faire,  que  de  guerroyer  en  mer,  * 

Edouard  fît  sonner  l'attaque;  Barbavera  se  défendit 
courageusement,  mais  réduit  à  céder,  il  se  retira  suivi  de 
ses  navires.  Le  roi,  emporté  par  son  courage,  s'était  jeté 
au  milieu  des  traits  ennemis  et  eut  la  cuisse  percée  d'une 
flèche.  La  marée  montante  porta  les  vaisseaux  anglais  dans 
le  Zwyn;  là  la  mêlée  devint  encore  plus  sanglante;  les 
vaisseaux  flamands  que  la  ville  de  Bruges  avait  mis  toute 
la  nuit  à  préparer,  s'avançaient  au  secours  d'Edouard; 
l'arrivée  de  ce  renfort  décida  de  la  victoire.  Toute  la  flotte 
française  fut  détruite  ou  conquise;  deux  grands  navires  an- 
glais, le  Christophe  et  VEdouard,  que  les  Français  avaient 
autrefois  enlevés  chargés  de  laines,  furent  repris  par  le  roi; 
les  Français  essuyèrent  une  perte  immense,  et  le  massacre 
fut  tel  que  les  hommes  d'armes  et  les  soldats  se  précipi- 
taient du  tillac  dans  les  flots,  espérant  encore  avoir  ainsi 
une  chance  de  salut;  mais  les  milices  des  communes,  arri- 
vées à  la  rescousse,  tuèrent  sans  merci  tous  ceux  qui  tou- 
chaient le  rivage.  Dans  les  navires  il  y  avait  un  si  grand 
nombre  de  morts  et  de  blessés,  que  l'on  marchait  dans  le 
sang  jusqu'à  la  cheville;  la  mer  prit  une  teinte  rougeâtre 
dans  tout  le  golfe;  plus  de  trente  mille  Français  périrent  et 


—  275  — 

environ  dix  mille  Anglais.  Nicolas  Béiiuuhel  fui  pris  el 
pendu  au  haut  d'un  mat  pour  venger  la  dévastation  de 
Cadsand.  Hugues  Quiéret  fut  tué;  un  pirate  fort  entrepre- 
nant, surnommé  Spondevisch,  réussit  à  s'échapper  avec 
quelques  barques,  et  un  des  principaux  personnages  de 
TEcluse,  Jean  van  Eyle,  qui  s'était  joint  aux  Français  et 
commandait  le  Christophe,  fut  pris  et  décapité  sur  la 
Graud'Place  de  Bruges.  «  Si  furent  les  Flamands,  Hai- 
neyers  et  Brabançons  moult  réjouys  de  cette  victoire,  dit 
Froissart,  et  les  Français  tout  courroucés  (i).  » 

La  nouvelle  de  cet  important  fait  d'armes  se  répandit 
comme  une  traînée  de  feu;  dès  le  lendemain,  la  reine  d'An- 
gleterre accourait  de  Gand,  escortée  de  Thomas  de  Vaer- 
newyck  et  de  Jean  Uutenhove,  pour  féliciter  Edouard,  que 
sa  blessure  à  la  cuisse  empêchait  de  quitter  son  vaisseau. 
Edouard,  fier  du  succès  de  ses  armes,  écrivit  aux  évêques 
d'Angleterre  et  au  prince  de  Galles  les  détails  du  combat  (2); 
et  lorsque  cette  belle  victoire  fut  connue  à  Valenciennes, 
où  se  trouvaient  le  duc  de  Brabant,  le  comte  de  Hainaut 
el  Arlevelde,  celui-ci  monta  dans  une  tribune  érigée  sur  la 
place  du  Marché  et  prononça  un  discours  des  plus  remar- 
quables, pour  démontrer  les  droits  d'Edouard  III  à  la  cou- 
ronne de  France;  son  éloquence  excita  l'admiration  géné- 
rale, el  tout  le  monde  fut  d'avis  que  ce  grand  homme  était 
digne  de  gouverner  la  Flandre  (3). 

De  là,  Arlevelde  se  rendit  à  Gand,  puis  le  30  juin  à 


(1)  FnoissART,  édit.  Buchon,  I.  1,  pp.  353  el  suiv.  —  Idem,  édit.  KenvïN, 
t.  m,  pp.  191  et  suiv.  —  Kervïn,  Jacques  d'Arlevelde,  p.  77  el  suiv.  — 
Chronique  de  Jean  Bocndale,  dit  Jean  de  Klerk.  —  Grande  chronique  de 
France.  —  Les  phrases  en  vieux  français,  placées  entre  guillemets,  sont  géné- 
ralement empruntées  à  Froissart,  à  moins  qu'une  note  n'indique  le  contraire. 

(2)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  Il,  P.  Il,  p-  1129.  —  Archives  de  la  mairie  de 
Londres. 

(3)  Meyer,  Ad  antium. 


—  276  — 

Ardenbourg,  où  le  roi  d'Angleterre,  à  peine  guéri,  était 
allé  en  pèlerinage.  Ils  vinrent  ensuite  ensemble  à  Bruges,  où 
se  trouvaient  le  comte  de  Gueldre,  celui  de  Ilainaut  et  les 
députés  des  communes;  c'est  là  qu'il  fut  décidé  que  les  Fla- 
mands mettraient  cent  cinquante  mille  bommes  sur  pied 
pour  aller  conquérir  Tournai  et  l'Artois,  que  le  roi  d'Angle- 
terre leur  avait  cédé  en  sa  qualité  de  roi  de  France.  Le  roi 
devait  commander  cent  mille  bommes  pour  faire  le  siège  de 
Tournai,  les  cinquante  mille  autres  devaient  se  diriger  vers 
Saint-Omer,  sous  les  ordres  de  Robert  d'Artois  (i);  les 
Flamands,  qu'on  disait  gagnés  par  l'or  de  l'Angleterre,  s'en- 
gagèrent à  servir  sans  solde  la  cause  de  leur  pays. 

Le  27  juillet,  Edouard  envoya  un  cartel  à  Pbilippe,  dans 
lequel  il  dit  qu'il  est  entré  en  la  terre  de  Flandre  comme 
seigneur  suzerain,  et  a  passé  par  le  pays  (2). 

Pbilippe  crut  que  le  meilleur  parti  était  de  recourir  aux 
négociations;  mais  comme  Edouard  s'était  engagé  à  ne  con- 
clure ni  paix  ni  trêve  avec  la  France,  sans  l'assentiment 
des  communes  de  Flandre,  il  fallait  nécessairement  que 
celles-ci  fussent  consultées;  elles  ne  consentirent  qu'à  la 
condition  d'un  pardon  général  et  du  retrait  de  l'excommuni- 
cation; la  trêve  d'Esplecbin,  près  de  Tournai,  fil  droit  à 
leurs  exigences  (3);  elle  fut  conclue  le  25  septembre  1540 
et  devait  durer  jusqu'au  24  juin  1541. 

Edouard  était  rentré  en  Flandre,  cbargé  plus  que  jamais 
de  dettes  énormes;  les  remises  d'Angleterre  n'arrivaient  pas, 
et  c'était  en  vain  qu'il  écrivait  à  l'arcbevéque  de  Cantor- 
béry  et  aux  autres  ministres;  ils  ne  lui  envoyaient  que  des 


(1)  RïMER,  édit.  angl.,  t.  H,  P.  II,  p.  1130. 

(2)  Idem,  idem.  idem,       p.  H3i. 

(3)  Pour  loiis  les  détails  de  celte  affaire,  et  en  général  pour  ceux  qui  n'ont 
pas  directement  trait  à  Tliisloire  des  relations  de  la  Flandre  avec  l'Angle- 
terre, on  peut  consulter  V Histoire  de  Flandre  du  baron  Kervyn  de  Letteniiove, 
que  nous  aimons  à  citer  souvent. 


—  277  — 

promesses,  des  excuses  et  point  d'argent;  le  seul  subside 
qu'il  obtint  fut  une  expédition  de  vingt  mille  sucs  de  laine, 
marchandise  anglaise  dont  le  prix  certain  sur  les  marchés 
étrangers  permettait  de  se  procurer  de  l'argent  comptant; 
mais  un  pareil  secours  était  loin  de  suffire  :  le  roi  se  vit 
contraint  d'emprunter  de  l'argent  à  des  bourgeois  de  Gand; 
dans  celte  désagréable  situation,  il  appela  auprès  de  lui 
Jacques  van  Artevelde  et  les  autres  magistrats  de  Flandre, 
qu'il  appelle  «  ses  fidèles  amis,  les  compagnons  de  ses  pé- 
régrinations et  de  ses  tribulations,  »  et  leur  exposa  ses 
embarras.  Les  Flamands  lui  répondirent  par  un  prêt  de 
cinquante  mille  marcs  d'Angleterre,  qui  équivalaient  à  deux 
cent  mille  florins,  en  disant  que  le  pays  de  Flandre  était 
assez  riche  pour  subvenir  à  ses  besoins.  En  reconnais- 
sance de  cela,  Edouard  promit  un  envoi  de  trois  mille  cinq 
cents  sacs  de  laine,  expédia  un  ordre  à  ses  lieutenants  de 
prêter  aide  et  protection  aux  marchands  de  Flandre,  et 
renouvela  le  privilège  accordé  précédemment  aux  Yprois(i). 

Mais  les  dissensions  qui  se  faisaient  jour  en  Angleterre, 
rendirent  le  départ  du  roi  indispensable;  toutefois  le  projet 
en  fut  tenu  secret.  Le  14  novembre,  avant  de  quitter  Gand, 
il  promit  au  duc  de  Brabant  que  si  ses  dettes  n'étaient  pas 
payées  dans  les  premiers  jours  de  février,  les  barons  anglais 
qui  s'étaient  engagés  avec  lui,  se  constitueraient  prisonniers 
dans  un  hôtel  de  Bruxelles,  promettant  de  n'en  sortir  qu'au 
jour  du  remboursement  intégral  (2);  c'est  au  sujet  de  ces 
sommes  que  peu  après  les  bourgeois  de  Gand  firent  arrêter 
et  retinrent  prisonnier  Henri  de  Lancaslre,  comte  de  Derby, 
une  des  cautions  d'Edouard. 

Le  roi  se  rendit  bientôt  directement  à  l'Ecluse,  où  il 
s'embarqua  avec  le  comte  de  Northampton.  Les   bonnes 


(1)  Archives  de  la  ville  (TYpres. 

(2)  KcnvïN,  Jacques  d'Artevclde,  p.  88. 


—  278   — 

villes  ne  furent  instruites  de  cette  brusque  fuite  que  par  les 
lettres  suivantes,  quand  Kdouard  avait  déjà  mis  à  la  voile  : 

a  Edward,  par  la  grâce  de  Dieu,  roi  de  France  et 
dEngleterre  et  seigneur  dlilande,  à  nos  chers  et  bien  amez 
burghniaislres,  eskevins,  capitaines  et  counseilz  de  Gannt, 
Brugges  et  Ipre  et  autres  bones  villes  de  Flandres,  salut 
et  conoissance  de  véritet.  Du  bon  port  et  naturel  affection 
que  vous  avez  eu  envers  nous,  puis  que  l'alliance  se  fist 
entre  nous  et  vous,  vous  mercions  tant  corne  nous  savons 
et  poons  et  vous  supplions  de  en  celte  volenté  demorer 
devers  nous  en  temps  à  venir,  et  Dieu  plaist  en  droit  de 
nous,  nous  tendrons  les  alliances  et  ferrons  quantque  en 
monde  purrons  pour  lonneur  et  proufit  de  vous  louz  et  du 
pays,  mes  au  fin  que  noslre  aler  vers  Engicterre  vous  soit 
connuz  et  par  si  hastive  manière,  nous  vous  signifions  la 
cause,  que  aucuns  de  nos  féaux  conseillers  et  ministres  en 
Engleterre  se  sont  portiez  par  liclle  manière  devers  nous, 
que  si  nous  ne  portons  briefment  remède,  nous  ne  trove- 
rons  ayde  de  faire  gré  à  vous  des  convenances  entre  nous 
et  vous,  et  si  doutons  que  si  nous  ne  mettions  ayde  par 
nous  meismes,  que  nos  mauveis  ministres  susditz  met- 
Iroient  haslivement  nostre  people  en  meschief  ou  en 
désobéissance  de  nous...  et  si  nul  y  feust  qui  vodroit  faire 
voler  autre  parole  que  nostre  aler  n'est  pas  le  bien  du  pays 
de  Flandre,  n'el  teignez  nul  pour  amy  du  pais,  car,  od 
leide  nostre  seigneur  Dieux,  le  fait  se  monstrera  haslive- 
ment, et  Dieu  nous  voille  louzjours  garder.  Donné  en  la 
mer,  le  xxviiie  jour  de  novembre  (i).  » 

Le  roi,  d'après  celte  lettre,  élait  presque  honteux  de  ce 
départ  précipité,  qui  ressemblait  à  une  fuite,  mais  la  situa- 
tion tendue  des  affaires  en  Angleterre  l'excusait  en  quelque 

(1)  Areliivis  de  la  ville  de  Gand,  n«40l.  —  KEnvvN,  Histoire  de  Flandre, 
\.  !ll,  |).  272.  —  Messager  des  Sciences,  a"  1833,  p.  4-49 


—  279  — 

sorte;  d'uu  autre  côté,  il  était  tellement  irrité  du  peu  de 
succès  de  ses  opératious  militaires,  des  vexations  de  ses 
créanciers,  et  du  défaut  de  collection  des  nouvelles  taxes 
qu'il  avait  établies,  qu'il  fît  porter  la  peine  de  ces  contra- 
riétés à  tous  ceux  qu'il  rencontra.  Les  ministres,  les  ma- 
gistrats de  Londres  et    les   collecteurs   de   taxes   furent 
emprisonnés  et  destitués.  Cela  n'empêchait  pas  les  embar- 
ras tînanciers  d'exister  :  après  les  emprunts,  il  ne  restait 
pour  se  procurer  de  l'argent,  qu'à  recourir  encore  à  de 
nouveaux  emprunts.  Jean  de  Thrandeslone,  clerc  du  roi, 
que  nous  avons  déjà  vu  à  la  besogne,  se  rendit  dans  ce  but 
à  l'Ecluse,  à  Gand,  à  Bruxelles;  il  alla   même  présenter 
une  lettre  du  roi  au  sire  de  Cuyk,  qui  répondit  aussitôt  ; 
0  qu'il  aveit  tant  baillé  q'il  ne  pooit  plus  bailler,  et  par  dé- 
faute  dargent  aveit  mys  un  coursier  en  gage  pur  dix  livres,  » 
ce  qui  par  la  faute  du  roi  lui  en  fil  perdre  vingt  sur  sa  bête. 
Le  clerc  alla  aussi  à  Trêves  pour  essayer  de  retirer  la 
couronne  d'Angleterre  qu'Edouard  y  avait  mis  en  gage  (i), 
Edouard  III  était  trop  occupé  pour  pouvoir  reprendre 
promptement  la  campagne;  aussi  consentit-il  à  prolonger 
la  trêve  d'Esplechin,  qui  devait  expirer  le  24  juin,  toujours 
en  y  comprenant  la  Flandre  :  le  10  avril  il  donna  dans  ce 
sens  des  pouvoirs  à  ses  ambassadeurs  (2);  le  24  mai  il 
chargea  de  la  même  mission  le  duc  de  Brabant,  le  comte 
de  Gueldre,  le  comte  de  Juliers,  le  comte  de  Ilainaul  et 
Jean  de  Beaumont  {3);  par  leurs  soins  la  trêve  fut  prolon- 
gée jusqu'au  1"  août,  jour  de  Saint-Pierre  es  liens;  ainsi 
que  le  roi  l'annonça  aux  villes  de  Flandre  par  une  lettre 
datée  du  18  juin,  dans  laquelle  il  les  prie  d'adhérer  à  cette 
convention  (4). 

(1)  Record  office.  —  Kervyn,  Bulletins  de  l'Académie  royale,  a"  1869, 

(2)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  H,  P.  II,  p.  H 36. 
(5)  Idem,  idem,  idem,  p.  1160. 
(4)    Idem,         idem,           idem,      p.  1165. 


—  280  — 

Au  1"  août  étail  fixée  une  réunion  à  Antoing  entre  les 
députés  d'Edouard  et  ceux  de  Philippe  de  Valois;  les  com- 
missaires voyant  cfu'il  étail  impossible  de  s'entendre,  et  de 
concilier  les  prétentions  d'Edouard  avec  les  résistances  de 
Philippe,  se  séparèrent  après  avoir  décrété  que  la  trêve 
durerait  jusqu'au  24  juin  de  l'année  1542  (i).  Sur  ces 
entrefaites,  un  autre  événement  vint  vivement  contrarier  le 
roi  d'Angleterre;  l'année  précédente  il  n'était  parvenu 
qu'au  prix  de  nombreuses  démarches  à  se  faire  nommer 
vicaire  de  l'empire,  et  tout-à-coup  il  apprit  que  l'empereur, 
à  la  sollicitation  de  Philippe  de  Valois,  qui  lui  fit  en  même 
temps  des  propositions  d'accommodement,  dans  une  décla- 
ration solennelle,  datée  du  \ù  juin,  lui  relirait  ce  titre  et 
ces  pouvoirs  acquis  avec  tant  de  peine  (2). 

Au  milieu  de  ses  désagréments,  Edouard,  qui  cherchait 
à  s'assurer  l'appui  des  communes  de  Flandre,  édicla  une 
mesure  d'une  incontestable  importance  au  point  de  vue  des 
intérêts  commerciaux  de  nos  compatriotes.  Le  8  août,  il 
data  de  la  Tour  de  Londres  une  charte,  en  vertu  de  laquelle 
il  déclare  maintenir  l'étape  de  Bruges,  pour  les  laines  et 
autres  produits  anglais,  et  ordonne  les  règles  d'après  les- 
quelles celte  étape  devra  désormais  être  tenue  :  «  Sachant, 
dit-il;  que  la  contrebande  s'exerce  fréquemment  tant  par 
des  marchands  de  ce  pays  que  par  des  étrangers,  qui  con- 
duisent hors  d'Angleterre  la  laine  et  autres  produits,  à  la 
prière  de  nos  fidèles,  nous  voulons  et  concédons,  que  les 
laines  et  autres  marchandises,  au  sortir  de  nos  royaumes, 
devront  être  transportées  directement  à  Bruges  en  Flandre, 
oîi  l'élape  doit  en  être  tenue,  d'après  conventions  existantes 


(1)  RvMER,  édit.  angl.,  t.  Il,  P.  II,  p.  H77. 

(2J  Archives  départ,  de  Lille,  fonds  de  la  cliambre  des  comptes,  carton  B, 
780.  -  Rymer,  édit.  angl  ,  t.  II,  P.  II,  p    1167.  -  Belgisch  Muséum,  t.  IV, 

p.  374. 


—  281  — 

eulre  nous  et  nos  chers  et  fidèles  les  bonnes  gens  de 
Flandre. 

»  Celle  étape,  dit-il,  sera  dorénavant  gouvernée  par  un 
maire  et  des  conétables,  élus  librement  par  les  marchands 
anglais;  ces  officiers  seront  spécialement  chargés  de  sur- 
veiller la  bonne  exécution  des  règlements  de  l'étape  et  de 
punir  les  contrevenants,  sous  l'égide  du  roi. 

»  Toutes  les  marchandises  présentées  à  l'élape  devront^ 
porter  le  sceau  royal  et  celui  du  marchand. 

»  Afin  qu'une  peine  garantisse  mieux  l'exécution  de  ces 
ordres,  toute  marchandise  non  scellée  comme  ci-dessus  sera 
confisquée. 

»  En  cas  de  non  présentation  à  l'étape  de  Bruges  des 
marchandises  sorties  du  royaume,  le  contrevenant  sera 
puni  d'une  amende  de  soixante  sous,  sauf  le  cas  de  force 
majeure.  » 

Enfin,  l'étape  devait  être  moins  soumise  au  droit  strict 
qu'aux  principes  équitables  de  la  coutume  et  de  la  juridic- 
tion commerciale  (i). 

Cependant  le  temps  marchait,  et  l'été  de  l'année  1342 
était  déjà  passé  à  moitié;  la  reprise  des  hostilités  était 
imminente;  au  commencement  du  mois  d'août,  les  milices 
de  Flandre  se  dirigèrent  vers  l'Artois,  et  Edouard,  sur 
l'aide  duquel  comptaient  les  communes,  ne  paraissait  pas 
et  ne  donnait  aucune  de  ses  nouvelles.  C'est  dans  ces  cir- 
constances que  le  comte  Louis  de  Nevers,  appuyé  par  l'au- 
torité du  pape  et  celle  de  Philippe  de  Valois,  essaya 
quelques  tentatives  pour  détacher  ses  sujets  de  l'alliance 
anglaise.  Edouard  ne  fut  pas  sans  en  être  informé,  mais  la 
guerre  de  la  succession  au  duché  de  Bretagne,  où  il  soute- 


Ci)  RïJiER,  édit.  angl.,  t.  II,  P.  Il,  p.  1172.  —  Au  mois  de  décembre  1341, 
Edouard  III  écrivit  directement  à  Artevcidc  une  lettre  qui  se  trouve  dans 
les  papiers  du  Record  office.  V.  KiinvvN,  BuUct.  de  V Académie  royale,  a»  18G9. 


—  282  — 

nait  Monlfort  contre  Charles  de  Blois,  Tempéchail  de 
s'occuper  aclivemenl  de  la  Flandre.  Voulant  toutefois  com- 
battre les  menées  du  comte  et  s'assurer  de  la  fidélité  des 
communes,  il  envoya  vers  elles  Guillaume  Trussel,  un  de 
ses  conseillers.  Les  députés  des  bonnes  villes  s'étaient 
réunis  le  9  novembre  à  Damme,  où  le  comte  de  Flandre 
avait  expliqué  plus  clairement  ses  intentions  et  les  avait 
vues  repoussées;  ils  se  réunirent  peu  après  à  Gand,  où  ils 
décidèrent  à  l'unanimité  qu'il  fallait  rester  fidèle  à  l'Angle- 
terre, et  envoyèrent  une  lettre  dans  ce  sens  à  Edouard. 

«  Après  avoir  mûrement  réfléchi,  disent-ils  dans  celte 
pièce,  pris  conseil  et  avis  des  bonnes  gens  et  communau- 
tés des  villes  et  communes  de  Flandre,  nous  vous  signi- 
fions que  nous  sommes  d'accord  avec  tout  le  pays  de 
maintenir  et  accomplir  à  tout  jamais  les  alliances  faites 
entre  notre  seigneur  le  roi  et  le  pays  de  Flandre;  et  d'après 
cela  nous  avons  renouvelé  notre  serment  et  l'avons  fait 
renouveler  par  toutes  les  villes  et  chàtellenies  (i).  » 

Celte  fidélité  à  toute  épreuve  était  d'autant  plus  admi- 
rable, que  dans  ce  moment  la  Flandre  se  trouvait  aban- 
donnée à  ses  propres  forces  et  obligée  de  faire  la  guerre; 
c'est  alors  que  la  commune  de  Gand  revêtit  d'un  mandat 
d'ambassadeur  la  femme  de  Jacques  van  Arlevelde,  Jonkfro 
Kateline,  comme  l'appellent  les  comptes  manuscrits  de  la 
ville;  elle  se  rendit  eu  Angleterre  pour  voir  Edouard;  mais 
celui-ci  venait  de  partir  pour  la  Bretagne,  où  la  querelle 
de  succession  entre  Montfort,  qu'il  soutenait,  et  Charles  de 
Blois,  qu'aidait  la  France,  rendait  sa  présence  nécessaire. 

L'accueil  que  reçut  au-delà  de  la  mer  l'épouse  du  capi- 
taine de  Saint-Jean  fut  digne  de  la  nation  anglaise,  digne 
du  mandat  dont  Catherine  était  investie  et  de  l'homme 


(1)  Rymer,  édit.  angl,,  t.  II,  P.  Il,  p.   1215.  —  LclUe  du  29  novembre, 
veille  de  la  Saint-André,  1342. 


—  283  — 

dont  elle  était  la  compagne;  d'après  les  ordres  du  roi,  les 
sergents  royaux  s'étaient  rendus  au-devant  d'elle  et  des 
seigneurs  qui  l'accompagnaient,  et  les  ménestrels,  chaque 
jour  à  son  lever,  devaient  jouer  de  leurs  instruments,  «  en 
l'honneur  de  la  terre  de  Flandre  (i)   » 

Mais  Catherine  van  Artevelde  ne  séjourna  pas  longtemps 
en  Angleterre,  elle  alla  rejoindre  Edouard  en  Bretagne. 
Les  négociations  aboutirent  à  peu  de  chose,  elle  ne  put 
obtenir  le  remboursement  des  sommes  prêtées,  ne  reçut 
du  roi  que  cinq  cents  livres  pour  payer  les  milices  com- 
munales (2),  et  aucun  autre  secours,  ni  aucune  autre  pro- 
messe pour  le  moment. 

Nous  venons  de  voir  que  les  tentatives  du  comte  pour 
détacher  la  Flandre  de  l'Angleterre  avaient  complètement 
échoué;  aussi  au  commencement  de  janvier  1343,  se  re- 
tira-t-il  en  France,  et  peu  après,  le  19  janvier,  la  trêve  de 
Malestroit,  qui  reproduisit  les  stipulations  de  celle  d'Esple- 
chin,  vint  lui  ôter  tout  espoir. 

Au  mois  de  juillet,  le  roi  d'Angleterre  envoya  ses  dé- 
putés en  Flandre  pour  traiter  avec  les  bonnes  villes  de 
certaines  mesures  à  prendre  pour  assurer  la  bonne  exécu- 
tion de  ses  règlements  sur  l'étape  de  Bruges,  et  au  sujet 
de  quelques  contraventions  commises  de  part  et  d'autre; 
mais  le  principal  but  de  son  ambassade  était  l'accord  rela- 
tif à  une  nouvelle  monnaie  d'or  et  d'argent  du  meilleur 
aloi,  qui  devait  être  frappée  et  avoir  cours  tant  en  Angle- 
terre qu'en  Flandre,  en  vertu  des  actes  passés  en  1340  (3). 

Mais  pendant  que  la  Flandre  et  l'Angleterre  renouve- 
laient leur  mutuelle  amitié,  tandis  que  la  Flandre  reprenait 


(1)  Kervyn,  Jacques  d' Artevelde,  p.  91.  —  Comptes  des  villes  de  GanU  et 
de  Bruges. 

(2)  Kervyn,  idem. 

(ô)  RïMER,  étUt.  nngl  ,  t.  M,  V.  II,  p.  1227. 


—  284   — 

haleine,  et  à  la  faveur  des  avantages  qu'elle  s'était  créés 
elle-même,  voyait  refleurir  son  commerce  et  son  industrie, 
le  comte,  honteux  d'avoir  vu  échouer  ses  tentatives,  excité 
par  quelques-uns  de  ses  conseillers,  donna  un  ordre,  en 
vertu  duquel  plusieurs  marchands  anglais  furent  pris,  em- 
prisonnés et  leurs  hiens  confisqués.  Aussitôt  qu'Edouard  eût 
connaissance  de  ces  actes  de  basse  vengeance,  il  écrivit  aux 
communes  pour  les  prier  de  réparer  le  mal,  en  faisant  re- 
lâcher ses  sujets,  et,  si  faire  se  pouvait,  leur  rendre  leurs 
biens,  qui  s'élevaient  à  dix  mille  livres  slerlings.  Nous 
pouvons  supposer,  sans  trop  de  présomption,  qu'il  fût  fait 
droit  à  cette  réclamation,  car  nous  n'avons  plus  trouvé  dans 
la  suite  de  trace  de  cette  aff*aire  (i). 

Louis  de  Nevers  fit  aussi  quelques  tentatives  pour  ren- 
trer dans  le  pays  et  ressaisir  par  la  même  occasion  son 
autorité;  Edouard  l'apprit  (2),  et  par  deux  différentes 
lettres  en  informa  les  villes  de  Gand,  Bruges  et  Ypres,  et 
tout  le  pays  de  Flandre;  dans  la  première,  il  les  engage  à 
ne  pas  traiter  avec  le  comte,  sans  son  assentiment,  cela 
étant  contraire  aux  conventions  de  Malestroit;  dans  la  se- 
conde, il  leur  fait  savoir  qu'il  ne  s'oppose  nullement  à  la 
rentrée  du  comte,  si  celui-ci  consent  d'abord  à  amener  en 
Flandre  la  comtesse,  sa  femme,  et  son  fils  aîné,  et  ensuite 
à  se  rendre  lui-même  en  Angleterre,  pour  prêter  entre  ses 
mains  royales  foi  et  hommage,  comme  il  est  dû  au  suze- 


(1)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  H,  P.  Il,  p.  1233. 

(2)  Voici  comment  les  conseillers  d'Edouard  dépeignent  la  situation  au 
Parlement  :  «  Ledit  adversaire  (Philippe  de  Valois)  s'efforce  de  tollir  à  nostre 
signeur  le  roy,  ses  alliés,  aussi  bien  en  Brabant  et  en  Flandre,  comme  Alle- 
maigne,  et  si  est-il  en  ferme  purpose  à  ce  que  nostre  signeur  le  roy  et  son 
conseil  ont  entendu  en  certain,  de  dcslruire  la  langue  anglaise,  et  de  occu- 
per la  terre  dEngleterre  (que  Dieu  dcffende)  !  si  remédié  ne  soit  mys  contre 
la  malice  par  force.  »  [Parliam.  Rolls.  —  KenviN,  note,  édition  Froissart, 
p.  467). 


-   585  — 

rain  du  pays,  «  splonc  la  forme  des  convenances  taillez 
entre  nous  et  vous;  »  il  les  engage,  si  Louis  de  Nevers  veut 
souscrire  à  ces  conditions,  à  le  recevoir  honorablement  (i). 
Le  14  mars,  il  informe  les  bourgmestres,  éclievins  et  con- 
seillers de  Bruges,  qu'il  a  fait  inviter  ceux  de  ses  sujets 
qui  font  le  commerce  des  laines,  à  fréquenter  l'élape  de 
leur  ville  (2). 

Le  parti  qui  se  montrait  hostile  au  roi  d'Angleterre, 
était  plus  puissant  à  Gand  que  dans  aucune  autre  ville  de 
Flandre;  mais  cette  opposition  n'était  au  fond  qu'une  haine 
personnelle,  un  parti  pris  contre  Artevelde;  elle  n'empêcha 
donc  pas  qu'il  y  eût  des  négociations  dans  le  but  d'opérer 
un  rapprochement  entre  le  comte  et  Edouard  III;  le  duc  de 
Brabant,  dont  la  fille  était  fiancée  au  prince  de  Galles,  y 
prit  une  part  fort  active;  c'est  sans  doute  à  cette  question 
qu'il  faut  attribuer  le  voyage  de  Robert  de  Fiennes,  châte- 
lain de  Bourbourg,  auquel  Edouard  accorda  le  6  juin,  un 
sauf-conduit  (3). 

Pendant  ce  temps,  le  roi  d'Angleterre  avait  fait  de  grands 
préparatifs  pour  se  remettre  en  campagne  contre  Philippe 
de  Valois  et  ses  alliés;  il  se  trouvait  à  Sandwich,  prêt  à 
partir,  quand  des  ambassadeurs  de  Flandre  vinrent  le 
trouver,  lui  exposèrent  les  menées  du  comte  et  le  prièrent 
de  se  diriger  plutôt  vers  leurs  côtes,  s'il  voulait  maintenir 
son  autorité  dans  le  pays.  Edouard  se  rendit  à  leurs  rai- 
sons, et  le  3  juillet  fit  immédiatement  voile  pour  la  Flan- 
dre; ce  brusque  changement  d'itinéraire  avait  besoin  d'une 


(1)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  III,  P.  I,  p.  30.  —  Une  charte  clans  les  Complcs- 
re)iiltts  de  la  Commission  d'Histoire,  a"  1860,  p.  116,  lirce  des  papiers  du 
Record  office.  Celte  pièce  est  donnée  en  entier  par  M.  Keuvïn,  au  t.  IV, 
p.  469,  de  son  édition  de  Froissaiit. 

(2)  Record  office.  —  Comptes-rendus  de  la  Commission  d'histoire,  a"  1867, 
p.  507.  —  Voir  aux  Pièces  juslificalives. 

(5)  RvMER,  édit.  angl.,  t.  III,  P.  I,  p.  45. 


—  286  — 

explication  vis-à-vis  du  peuple  anglais;  aussi,  après  son 
retour,  le  roi  donna-t-il  satisfaction  sur  ce  point  (i). 

Le  5  juillet,  au  soir,  le  roi  anglais  était  à  l'Ecluse.  Le 
lendemain,  une  dépulation  de  bourgeois  notables  de  Bruges 
se  rendit  auprès  de  lui;  ou  y  voyait  Gilles  Lam,  Gilles 
Priem,  Jean  d'Harlebeke,  Gilles  Hooft,  François  van  Arle- 
velde,  Gilles  de  Coudenbrouck  (2).  Jacques  van  Artevelde, 
auquel  le  parti  gantois,  opposé  à  l'alliance  anglaise,  avait 
ôté  sa  charge  de  capitaine  de  Saint-Jean,  s'y  rendit  aussi 
et  y  arriva  le  7  juillet;  mais  son  départ  n'étant  pas  du 
goût  des  nouveaux  magistrats  de  la  commune,  on  envoya 
une  troupe  d'hommes  à  pied  pour  le  ramener  (3).  Arte- 
velde arriva  cependant  à  l'Ecluse  avant  qu'ils  l'eussent 
atteint,  et  engagea  Edouard  à  se  rendre  à  Gand;  mais  le  roi 
avait  hàle  d'arranger  les  affaires  de  Flandre,  pour  pouvoir 
reprendre  la  mer  et  se  rendre  en  Normandie,  destination  de 
son  armement.  Alors  Artevelde  retourna  à  Gand. 

Le  11  juillet,  les  députés  des  bonnes  villes  de  Gand, 
Bruges  et  Ypres  allèrent  à  l'Ecluse,  selon  le  désir  d'Edouard, 
pour  conférer  avec  lui.  Ces  députés  étaient  les  échevins  de 
Bruges  et  d'Ypres,  et  pour  Gand,  Jean  vander  Vloet,  Lié- 
vin  van  Waes,  Pierre  van  den  Hovene,  Jean  Utenhove, 
Guillaume  van  Vaernewyc,  Augustin  et  Josse  Aper;  Arte- 
velde était  avec  eux,  mais  les  accompagnait  sans  mandat 
officiel  (4). 


(1)  «  Et  orJinato  nuper  propter  hoc  passagio  nostro  super  mare,  propler 
aliqua  nova  suhila,  quae  venerunt  nobis,  super  procinclu  dieti  passagii,  de 
perditione  terrae  nostrae  Flandrie,  et  quorumdani  alligatorum  nostrorura.  » 
Rymer,  édit.  angl.,  t.  III,  P.  I,  p.  b5. 

(2)  Kervyn,  Jacques  d' Artevelde,  p.  100. 

(3)  «  Deghene  die  naer  hem  ghesent  warcn  te  paerde  ende  le  voet  1er 
Sluus....  omme  hem  te  ghebringhene  te  Ghent  waert.  »  Comptes  de  Gand, 
1545,  fol.  141. 

(4)  Comptes  de  la  ville  de  Gand,  a"  1545,  fol  141  v».  —  Cfr.  Lenz,  Jacques 
van  Artevelde,  p.  67. 


—   287  — 

Dans  celle  eonféicnce,  Edouard  propose  aux  députés 
des  communes  de  sommer  le  comte  de  lui  prêter  foi  et 
hommage  comme  au  légitime  souverain  de  la  France  et 
suzerain  de  la  Flandre,  et  les  engage  à  ne  plus  reconnaître 
Tautorité  de  Louis  de  Nevers,  aussi  longtemps  qu'il  n'aura 
pas  obtempéré  à  cette  injection. 

On  a  cru  généralement  qu'Artevelde  proposa  aux  dépu- 
tés des  communes  de  prononcer  la  déchéance  du  comte, 
si,  dans  un  délai  déterminé,  celui-ci  n'avait  pas  obéi  à 
l'injonction  d'Edouard  III,  et  de  choisir  à  sa  place  le 
prince  Noir  pour  comte  ou  duc;  mais  ni  les  comptes  des 
villes,  ni  les  lettres  d'Edouard  ne  font  aucune  mention  de 
ce  fait;  celte  assertion,  qui  remonte  à  Froissart  ou  du 
moins  à  une  de  ses  rédactions,  est  même  démentie  par  un 
autre  texte  du  chroniqueur,  où  il  n'est  plus  question 
de  la  présence  du  prince  de  Galles  à  l'Ecluse.  Ce  qui  est 
plus  probable,  c'est  que  d'un  côté  le  comte  ne  voulant  pas 
prêter  l'hommage  qu'on  exigeait  de  lui,  et  d'un  autre  côté 
les  communes  ne  consentant  pas  aussi  facilement  à  rompre 
les  liens  qui  existaient  entre  elles  et  le  comte,  qu'elles 
n'avaient  admis  le  changement  de  suzerain.  Le  projet  déjà 
mis  sur  le  tapis  de  faire  épouser  au  jeune  Louis  de  Maie 
une  fille  d'Edouard  III,  fut  repris  de  nouveau.  Cette  union, 
si  elle  avait  pu  se  faire,  aurait  comblé  les  désirs  des  Fla- 
mands, en  rétablissant  la  paix  et  en  sanctionnant  l'alliance 
des  communes  avec  l'Angleterre,  par  l'union  du  jeune 
comte  avec  la  fille  du  roi. 

Les  communes  persistaient  donc  dans  leur  amitié  pour 
l'Angleterre,  et  il  fut  décidé  dans  les  conférences  qu'elles 
eurent  avec  Edouard,  que  celui-ci  leur  remettrait  certaines 
sommes  d'argent  (i)  et  qu'il  leur  donnerait  une  centaine 


(1)  »  A  Boudin  Reniy,  pour  Iroil  jours  gisant  h  Bruges,  pour  reclievoir 
une  somme  d'argent  du  roy  dEnglelcrre.  »  Comptes  d'Yprcs.  —  Kervïn,  Jac- 
ques d'ArlcvcIde,  p.  101. 


—  288  — 

d'archers  gallois,  sous  les  ordres  de  Montravers,  pour  leur 
aider  à  aller  assiéger  Termonde,  occupé  par  les  Leliaerls. 
Les  députés  se  séparèrent  le  lendemain  12  juillet,  mais 
Artevelde  resta  encore  auprès  du  roi  el  lui  promit  d'en- 
gager les  Flamands  à  observer  fidèlement  toutes  les  stipu- 
lations des  traités  antérieurs,  à  condition  que  le  roi  renonçât 
au  droit  de  déclarer  la  déchéance  de  la  dynastie  des  Dam- 
pierre,  el  qu'en  vertu  de  son  autorité  de  suzerain,  il 
prendrait  toutes  les  mesures  conservatrices  exigées  par  les 
circonstances  (i). 

Après  cette  conférence,  Artevelde  se  rendit  à  Bruges  et 
à  Ypres,  dit  Froissart,  et  le  récit  qu'il  fil  de  sa  conversa- 
tion avec  le  roi  d'Angleterre  y  fut  accueilli  avec  joie.  Le 
24  juillet  il  rentra  à  Gand;  on  n'y  connaissait  pas  le  résul- 
tat que  sa  diplomatie  venait  d'obtenir;  il  fut  mal  reçu;  le 
parti  qui  lui  avait  enlevé  sa  charge  de  capitaine  de  Saint- 
Jean  était  ameuté  contre  lui;  on  l'apostropha,  en  lui  lançant 
des  accusations  complètement  fausses,  en  lui  demandant 
compte  des  sommes  énormes  prêtées  à  l'Angleterre,  et 
qu'on  l'accusait  de  détenir  après  en  avoir  reçu  le  rem- 
boursement; enfin,  il  fut  assailli  dans  sa  demeure  et  tué 
d'un  coup  de  hache.  Ainsi  mourut  l'homme  qui  fut  pendant 
huit  ans  le  plus  ferme  champion  de  l'alliance  anglaise,  tout 
en  sauvegardant  les  droits  du  souverain  légitime  (2). 

(Pour  être  continué). 

Emile  Varenbergh. 


(1)  Lenz,  oiivr.  cilé,  pp.  73  et  74.  Celle  proposition  d'Artevclde  est  ilonc 
bien  loin  des  intentions  qu'on  lui  a  longtemps  attribuées. 

(2)  Consultez  pour  les  derniers  momcnls  d'Artevelde  cl  la  cause  de  sa 
niort:KEUVYN,  Jacques  d'Artevclde,  pp.  103  et  suiv.  —  LE^z,  Jacques 
van  Artevelde,  pp.  74  et  suiv.  —  FroissART,  édit.  KE.nvvN,  t,  IV,  pp.  312  cl 
suiv.,  et  464  et  suiv.  —  Dans  les  Issue  rolls  de  l'année  1346,  la  mention 
d'une  pension  accordée  à  la  veuve  et  aux  enfants  d'Artevclde. 


—  289 


(Voir  page  285), 

Edouard  III  aux  bourgmestres,  échevins  et  conseillers  de  Bruges, 
les  informant  qu'il  a  fait  inviter  ceux  de  ses  sujets  qui  font  le 
commerce  des  laines  h  fréquenter  l'étape  de  ladite  ville. 

Roy  as  chicrs  et  foiaix  burgmestrcs,  cskevyiis  et  conseilx  de 
la  ville  de  Bruges,  salutz. 

Nostre  bien  aniez  marchant,  Thomas  Melchebourne,  meire 
de  l'eslaple,  est  vcnuz  pardevers  nous  et  nous  a  clerement 
monslrez  l'entier  amour  que  vous  portez  tousjours  vers  nous, 
quele  chose  nous  entendîmes,  et  cornent  vous  avez  oiireiez  bo- 
nement  que  chescun  home  venant  à  l'estaple  y  puisse  franche- 
ment achater  leynes  et  les  amesner  et  carier  d'illoecques,  tant 
par  terre  comme  par  mère,  par  là  où  il  ira  son  profit  faire,  sans 
desturbance  mettre  en  temps  à  venir,  de  quoy  nous  vous  savons 
très -bon  grée,  et  desirantz  le  pluis  partant  que  ledit  estaple 
soit  maintenu  et  gardé  et  le  reparir  des  marchandz  illeques  le 
plus...  a  ese  et  profit  de  vous.  Si  avons  mandetz  molt  estret- 
tcment  par  noz  briefs  par  touz  les  countess  et  portz  de  nostre 
roialme  dEngleterre,  de  faire  crier  et  proclamer  que  tous  ceux 
que  amesnent  leynes,  quirs  ou  pealx  lametz  hors  de  nostre  dit 
roialme  les  amesnent  audit  estaple  et  nul  partout  sur  quant 
qils  purrent  forfaire  devers  nous  et  si  uulz  facent  au  contraire, 
nous  les  ferons  si  punir  que  autres  ent  serront  chastiez,  par 
quoi  nous  vous  prions  et  chargeons  en  lamour  que  vous  facetz 
auxi  crier  et  fermement  garder  devant  vostre  pooir  les  choses 
que  sont  ottreiez  de  vostre  part,  ajouslantz  plenere  foy  et  cre- 
dence  audit  meire  de  ceo  quil  vous  dira  de  par  nous  en  ceste 
part  et  es  autres  choses  tochanies  comme  profit  et  meinteance 
et  amendement  dudite  estaple. 

Donné  à  Westminster,  le  xiii*  jour  de  martz  (1345). 

{Record  office) , 


21 


—  290  — 


LE  LUXEMBOURG  BELGE 

ET  SON   ETHNOGRAPHIE 
SOXJS    L^    330]ytINATION    R01MA.INE, 


Celtes,   Gniilols  et   Wallons. 

Coup-d'œil  général  sur  les  Germains  cl  les  Gaulois  dans  leurs  aspirations 
jusqu'à  nos  jours.  —  Rôle  joué  par  les  Gaulois  dans  les  annales  du  monde. 

—  M.  Claudius  Marcellus,  les  Fastes  capitolins  et  Properce.  —  La  Gaule 
envahie  par  les  Germains  et  défendue  par  les  empereurs  romains.  —  Le 
caractère  national  des  Gaulois  jugé  par  l'antiquité  et  apprécié  par  les 
auteurs  modernes  de  la  France.  —  Le  Misopogon  de  Julien.  —  Migrations 
des  Celtes.  —  Arrivée  des  Kymris.  —  Géographie  ethnographique  de  ce 
peuple.  —  Leur  idiome.  —  La  langue  latine  en  Gaule.  —  Son  influence. 

—  Sidoine  Apollinaire,  Sulpice-Sévère  et  recherches  sur  les  débris  de  la 
langue  gauloise,  conservés  dans  les  auteurs  anciens.  —  Eludes  compara- 
tives. —  Les  Druides  et  les  Rischis  des  Indes.  —  Le  golh  et  l'ancien 
teuton  en  face  de  la  langue  latine  sur  le  sol  de  la  Gaule.  —  Les  Wallons. 

—  Appréciation  des  Ncrviens  comme  type  des  Wallons.  —  Recherches 
étymologiques.  —  Antiquité  du  dialecte  wallon.  —  Trévires  et  Ncrviens 
devant  Tacite.  —  Saint  Jérôme  et  les  Galates.  —  Discussions.  —  Conjec- 
tures sur  l'introduction  du  wallon  en  Belgique.  —  Opinions  diverses.  — 
Évaluation  des  termes  germaniques  dans  les  dialectes  romans.  —  Cir- 
conscription géographique  dans  les  limites  de  laquelle  s'agitaient  en  Bel- 
gique Gaulois  et  Wallons. 

Nous  avons  vu  qu'à  une  époque  prodigieusement  loin  de 
nous,  les  populations  germaniques  et  celles  vécurent  pro- 
bablement ensemble  sur  le  plateau  de  TAsie  avant  de  se 
répandre  en  Europe  (i).  Cette  grande  immigration  primor- 

(1)  Voy.  Henri  Mabtin,  IIlsl.  de   France,  I,  p.  10    «  Celle  brillante  race 


—  291   — 

(liale  apparaît  dans  l'histoire  comme  une  sorte  de  pliospho- 
resceiice  dont  les  lueurs  vagues  n'éclairent  que  faiblement 
les  annales  des  peuples.  Tandis  que  Babylone  etiNinived'un 
côté,  fameuses  par  leurs  cataclysmes,  disparaissent  comme 
à  la  dérobée,  que  l'Egypte  étonne  l'univers  ancien  par  sa 
sagesse,  Athènes  par  son  génie  civilisateur  et  Sparte  par 
sa  discipline  de  fer,  les  Gaulois  et  les  Germains  rangés  dans 
la  catégorie  des  races  hyperboréennes  (i),  au  nord  et  à 
l'occident  de  l'Europe,  attendent,  presque  ignorées  ou  in- 
connues, l'heure  où  leurs  destinées  les  appelleront  sur  la 
scène  du  monde.  Ce  moment  viendra  après  une  longue 
série  de  siècles  nécessaires  à  l'enfantement  du  plus  grand 
des  colosses  politiques.  Longtemps  avant  l'apparition  des 
Germains,  les  Gaulois  avec  leur  furia  (2)  s'attaquèrent  au 
futur  maître  du  monde.  Mais  le  Germain  avec  sa  lenteur 
apparente,  parce  qu'elle  est  mesurée,  son  inébranlable  con- 
stance finira  par  précipiter  dans  le  même  gouffre  le  Romain 
corrompu  et  l'implacable  ennemi  de  celui-ci ,  le  Gaulois 
infecté  de  la  corruption  romaine 

Ne  dirait-on  pas  à  les  voir  acharnées  contre  le  même 
empire,  qui  opprime  l'une  et  veut  imposer  son  joug  à 
l'autre,  que  les  deux  races  marcheront  la  main  dans  la 
main  vers  des  destinées  communes?  Il  n'en  est  rien  pour- 


npparlenail  à  la  grande  famille  humaine  dont  l'Asie  centrale  fut  le  berceau; 
les  langues  gauloises,  comme  le  grec,  comme  le  latin,  comme  le  ludesque, 
comme  le  slave,  paraissent  se  rattacher  au  sanscrit,  »  Voy.  aussi  Sciuciit, 
De  elemenlis  germanicis  potissimum  linguac  franco-gallicae,  1853,  p.  2. 

(1)  Voy.  HÉRODOTE,  liv.  IV  [Mclpombiie),  15,  33,  36.  Voy.  en  outre  :  Ge- 
nèse, X,  3;  Plin.  Hisl.  nal.,  IV,  22  et  26;  Pausanus,  1,  31;  Diodor.  Sic,  II, 
47,  111,  38;  Cl.  Aeliax.,  X,  26,  XI,  1,  XII,  40.  —  Mêla,  I,  19,  III,  3; 
Ltjcaim,  III,  273  et  V,  23;  Plis.,  IV,  24,  V,  27,  VI,  5.  —  Juvemal,  VI,  470. 
—  -Martial,  VII,  6.  —  Colujielle,  De  cullu  hortornm,  77. 

(2)  Voy.  un  passage  peu  citt5  dans  Elien  {siib  Adrinno),  lib.  XII,  cap.  23, 
et  PoLYB. ,  lib.  II  :  «  ffuvswpaxÔTe;  yàp  èx  tôSv  itpoycyovô'ctùV  xiv5iJvwv  b'xi 
xoTî  Ts  8u[xoTi;  xatà  t/jv  iipwr/jv  è'woSov,  l'w;  àv  àxÉpaiov  vi,  cpopepwTaxov  kvzi 
iràv  TÔ  yaXatixov  tpûXov.  » 


—  292  — 

lant  jusqu'à  ce  jour.  Que  de  flots  de  sang  ont  coûté  à 
riiumanilé  leurs  rivalités  ou  leurs  haines  politiques,  depuis 
Arioviste,  Probus  et  Clovis,  Louis  XIV,  la  révolution  de  89 
et  le  premier  Empire  français  jusqu'aux  trophées  sanglants 
du  haut  desquels  on  voit  Sedan  et  Paris  et  ses  ruines  et 
l'aigle  de  l'antique  Germanie  planant  au-dessus  du  roc  lé- 
gendaire où  Barberousse  s'est  enfin  réveillé,  avec  le  vieil 
empire  d'Allemagne,  de  sa  lourde  léthargie  politique  (i). 
Les  nations  gauloises  ont  laissé  les  traces  les  plus  pro- 
fondes dans  l'histoire.  L'antiquité  est  remplie  de  l'éclat  de 
leur  nom  et  de  leurs  aventures.  Aucune  des  races  de  notre 
Occident,  dit  un  écrivain  bien  connu  (2),  n'a  accompli  une 
carrière  plus  agitée  et  plus  brillante.  Les  courses  de  celle-ci 
embrassent  l'Europe,  l'Asie  et  l'Afrique;  son  nom  est  in- 
scrit avec  terreur  dans  les  annales  de  presque  tous  les 
peuples.  Elle  brûle  Rome;  elle  enlève  la  Macédoine  aux 
vieilles  phalanges  d'Alexandre,  force  les  Thermopyles  et 
pille  Delphes;  puis  elle  va  planter  ses  lentes  sur  les  ruines 


(1)  Fiédéric  Barberousse  poursuivit  l'idée,  comme  on  sait, de  rétablir  l'em- 
pire dans  son  ancienne  splendeur.  Cet  illustre  empereur  est  devenu  parmi 
les  populations  germaniques  l'objet  de  toutes  sortes  de  récils  légendaires. 
La  poésie  s'est  emparé  de  son  nom  et  a  chanté  ses  exploits.  Ami  des  minne- 
saenger,  il  est  surtout  connu  dans  les  ballades,  où  il  figure  le  génie  allemand, 
enseveli  dans  son  profond  sommeil  et  qui  doit  se  réveiller  un  jour  pour 
donner  à  la  patrie  sa  puissance  antique.  On  le  représente  avec  son  fidèle 
êcuyer  dans  une  grotte.  Tous  les  deux  sont  plongés  dans  le  plus  profond 
sommeil.  Il  y  a  bien  longtemps  que  dort  le  vaillant  Barberousse,  car  les 
poils  de  sa  barbe  ont  poussé  à  travers  la  table  de  marbre  sur  laquelle  il 
incline  sa  télc  fatiguée.  Tous  les  cent  ans,  l'écuyer  fait  la  ronde  autour  du 
roc  sourcilleux  dans  lequel  est  creusée  la  grotte.  Quand  il  rentre,  son  maître 
lui  demande  :  «  Les  corbeaux  croassent-ils  encore  autour  de  la  montagne?  » 
Sur  la  réponse  affirmative  de  l'écuyer,  l'empereur  se  rendort  en  s'écriant  : 
«  Maiidiles  cent  années  !  »  Cette  scène  romanesque  doit  se  reproduire  jus- 
qu'au moment  où  l'empire  renaîtra  enfin  de  son  abaissement. 

(2)  Voy.  Am.  Thierry,  Histoire  des  Gaulois,  depuis  les  temps  les  plus  recu- 
lés jusqu'à  Venlihre  soumission  de  la  Gaule  à  la  domination  romaine,  Paris, 
1828,  t.  I. 


—  293  — 

d(i  l'iiueienne  Troie,  dans  les  places  publiques  de  Milet, 
aux  bords  du  Saiigarius  et  à  ceux  du  Nil;  elle  assiège  Car- 
lliage,  menace  Mempliis,  compte  parmi  ses  tributaires  les 
plus  puissants  monarques  de  TOrient;  à  deux  reprises  elle 
fonde,  dans  la  haute  Italie,  un  grand  empire,  et  elle  élève 
au  fond  de  la  Plirygie  cet  autre  empire  des  Galates,  qui 
domina  longtemps  toute  l'Asie  mineure.  Par  un  hasard 
digne  de  remarque,  c'est  toujours  sous  l'épée  des  Romains 
que  tombe  la  puissance  des  nations  gauloises;  à  mesure 
que  la  domination  romaine  s'étend,  la  domination  gauloise, 
jusque  là  assurée,  recule  et  décline;  on  dirait  que  les  vain- 
cus et  les  vainqueurs  d'Allia  se  suivent  sur  tous  les  points 
de  la  terre  pour  y  vider  la  vieille  querelle  du  Capitole  (i). 
Aux  temps  les  plus  reculés,  les  Gaulois  passèrent  les 
Alpes  (au  VP  siècle  avant  J.  C.)  et  fondèrent  Milan,  leur 
premier  établissement  en  Italie  (2).  Suivis  de  nouveaux 
essaims  qui  se  succédèrent  rapidement,  ils  eurent  bientôt 
en  leur  possession  toute  la  vallée  du  Pô.  En  391,  une  tribu 
gauloise,  les  Senonais,  mirent  le  siège  devant  Clusium.  On 
connaît  le  désastre  de  l'Allia  et  les  suites  de  ce  grand  fait 
d'armes.  Depuis  590,  date  de  la  prise  de  Rome  par  les 
Gaulois,  les  Romains  furent  impliqués  dans  une  lutte  de 
cent  septante-huit  ans  avant  de  réussir  à  conquérir  l'Italie 
supérieure  sur  les  émigrés  gaulois. 

(1)  Les  Romains  ciircnl  bien  des  guerres  avee  les  Gaulois.  L'amour  de  hx 
gloire,  le  mépris  de  la  mort,  l'obslinalion  pour  vaincre,  étaient  les  nièmes 
dans  les  deux  peuples;  mais  les  armes  étaient  différentes.  Le  bouclier  des 
Gaulois  était  petit  et  leur  épée  mauvaise  :  aussi  furent-ils  traités  à  peu  prés 
comme  dans  les  derniers  siècles  les  Mexicains  l'ont  été  par  les  Espagnols. 
Et  ce  qu'il  y  a  de  surprenant,  c'est  que  ces  peuples,  que  les  Romains  ren- 
contrèrent presque  dans  tous  les  lieux  et  dans  presque  tous  les  temps,  se 
laissbrcnl  dilruire  les  uns  après  les  autres,  sans  jamais  connaître,  chercher 
ni  prévenir  la  cause  de  leurs  malheurs.  (Montesquiiîu,  Grandeur  cl  décadence 
des  liojnains,  chap.  IV). 

(2)  Voy.  TiTE-LivE,  lib.  V,  cap.  34,  53;  —  I'lutauque,  îu  Camillo,  des  dé- 
tails circonstanciés,  cl  Polybe,  lib.  I. 


—  294  — 

C'esl  Marseille  (Massilia)  qui  fournit  aux  Romains  l'oc- 
casion de  s'immiscer  dans  les  affaires  de  la  Gaule  propre- 
ment dite  ou  la  Gaule  transalpine.  Deux  colonies  de  celte 
ville:  Nice  {Nicaea,  Nizza)  et  Anlipolis  (Amibes)  furent 
attaquées  et  pillées,  en  134  av.  J.  C,  par  les  Liguriens. 
Marseille  demanda  du  secours  à  Rome.  Le  consul  Opimius 
vainquit  les  Liguriens  et  rendit  à  Marseille  le  territoire 
dont  il  les  dépouilla  (i). 

En  12S  av.  J.C,  les  Romains  ouvrirent  la  campagne 
contre  les  Salluviens,  qui  avaient  inquiété  les  alliés  de 
Marseille.  C.  Sextus  Calvinus  les  vainquit  et  fonda  Aix 
{Aquae Sexliae) >  la  première  colonie  romaine  dans  la  Gaule 
transalpine.  Pour  mieux  enraciner  sa  domination,  Rome 
saisit  ou  créa  des  prétextes.  Celte  politique  la  mit  aux  prises 
avec  les  Allobroges,  qui  furent  défaits  par  Cn.  Domilius 
Ahenobarbus  en  122  et  par  Qu.  Fabius  Maximus  en  121 
av.  J.  C.  Le  consul  Qu.  Marcius  Rex  établit  la  colonie 
Narbo  Marcius,  qui  donna  son  nom  à  la  Narbounaise  {Gal- 
lia  Narbonensis)  (i). 

Le  passage  des  Cimbres  et  des  Teutons  ne  fut  qu'une 
tempête  pour  la  Gaule  méridionale,  et  la  valeur  politique 
et  commerciale  des  possessions  romaines  dans  les  Gaules 
ne  fit  que  s'accroître.  Le  splendide  climat  de  celle  province, 
qui  se  rapproche  du  ciel  d'Italie,  la  fécondité  de  son  sol, 
la  facilité  de  ses  relations  commerciales  par  terre  et  par 
mer,  donnèrent  rapidement  à  la  Celtique  méridionale  une 
importance  que  l'Espagne  ne  put  obtenir  pendant  des  siècles 
de  domination  romaine.  Aussi  les  émigrés  italiens  afïluè- 
rent-ils  en  Gaule.   Ils  allèrent  s'établir  aux  bords  de  la 


{{)  Ex  excerplis  legationihus  de  Gallis  (dans  le  Recueil  des  historiens  des 
Gaules  et  de  la  France),  t.  I,  p    205  sq.  —  Tite-Live,  Epil.,  lib.  XLVII. 

(2)  C.  Velleii  Pater.,  Hisl.  rom.,  lib.  I,  cap.  15,  4.  —  Amji.  Marcell., 
lib.  XV,  12,  5.  —  EuTROp.,  Hist.  rom.,  lib.  IV.  —  Voy.  Gp.uter,  p.  298, 
num.  3. 


—  295  — 

Garonne  ou  du  Rhône.  Et  s'il  faut  en  croire  Cicéron,  la 
Gaule  fourniillail  à  son  époque  de  marchands  et  de  citoyens 
romains,  qui  concentraient  dans  leurs  mains  toutes  les 
transactions  commerciales  (i)- 

Un  document  de  la  plus  grande  valeur  est  très-souvent 
mis  à  profit  pour  assigner  une  date  au  premier  contact  des 
Germains  et  des  Gaulois  avec  les  Romains.  Nous  savons 
que  M.  Claudius  Marcellus,  selon  les  Fastes  capitolins, 
remporta  sur  les  Germains,  vers  l'an  S51,  une  éclatante 
victoire.  Elle  procura  à  Rome  son  premier  triomphe  sur 
les  Germains.  On  lit  dans  cette  inscription  :  31.  Claudius 
M.  F.  M.  N.  Marcellus.  Cos.  de  Galleis.  Insubribus, 
Germaneis.  R.  Martique.  op.  relulit,  duce  hosliuni  vir. 
Clasiid.  Prosperce  parle  aussi  de  cet  événement  dans 
ses  vers  :  «Claudius,  dit-il,  arrêta  les  Gaulois  qui  avaient 
traversé  l'Eridan,  et  rapporta  à  son  tour  le  vaste  bou- 
clier de  leur  chef  Viridumar,  qui  se  vantait  d'avoir  pour 
aïeul   le   Rhin    lui-même  (2).    Il    était  fameux    par  son 


(1)  Cic.  pro  M.  FoNTEio  ;  «  Refcrla  Gallia  ncgolialoi'um  est,  plena  civium 
loiiianorum.  Nciuo  Galloruni  sine  cive  romaiio  quidquam  ncgolii  geril  :  iium- 
mus  in  Gallia  nuUus  sine  civium  romanoruin  labulis  comniovctur.  »  Voy. 
aussi  MoMMSEN,  Rom.  Gesch,,  p.  203. 

(2)  PnopEiiT.,  lib.  IV,  clcg.  XI  : 

«  Claudius  Eridanum  Irajeclos  arcuil  hosics, 
Belgica  cui  vasta  parma  relata  ducis 
Vii'dumari.  Genus  liic  Rlicno  jaclabat  ab  ipso 
Nobilis  e  tcctis  gesa  rôtis. 

Voy.  Flouus,  11,  4;  Plutarque,  Marcell.,  6.  Les  Grecs  écrivent  ;  BpiTO|j:âp- 
Tûç;  DiOD.  Sic,  XXV,  5,  où  il  dit  que  les  Celles  et  les  Galates  s'avancèienl 
contre  les  Germains,  au  lieu  de  Gaulois  et  Germains,  d'après  nos  conceptions. 
Voy.  en  outre  :  Aurel.  Victor,  d.  v.  ilL,  2a;  Valerii  Maxim.,  Dicl.  facl.  Mem., 
lib.  III,  5;  EuTUOP.  m,  2  :  «  Marcellus  cum  parva  manu  cquitum  dimicavit 
et  rcgem  Galloruni,  Viridomarum  noniine,  manu  sua  occidit.  Postea  cum 
collega  ingentes  copias  Galloium  peremit.  »  Voy.  Frontin,  Slralay.,  IV,  3, 
no  4.  —  Plutarque,  Marcellus,  6  et  7  :  «  EiteXOsv  [.luptouç  twv  rejffatôJv  ô 
PafftXeû;  Bpot6[j.apTO<;  àvaXapwv  t-J^v  Tcspi  Ilâûou  ■/ôipoL'^  £i:opO£i...,  »  Au  point 
de  vue  des  Fastes  et  de  Properce,  il  n'est  pas  sans  intérêt  de  bien  peser  ces 
paroles  de  Plutarque ,  qui  dit  de  Viridomar  :  «  àvrjp  [J-eyéOet  xe  awixatoi; 
eÇoj(oi;  raXaxiùv.  »  {Vir  eral  corporis  proccrilalc  caetcris  Gallis  clalior). 


—  296  — 

adresse  à  lancer  des  traits  du  haut  d'un  char  couvert  (i).  » 
Ce  passage  du  chantre  de  Cynlhie  a  été  corrigé,  dressé 
et  rectifié  selon  le  point  de  vue  que  les  auteurs  se  propo- 
sent d'atteindre.  On  convient  assez  qu'en  l'an  5ol  de  la 
fondation  de  Rome,  il  existait  dans  la  haute  Italie  des  peu- 
plades germaniques;  mais  beaucoup  de  critiques  aussi  pen- 
sent qu'il  n'y  faut  voir  que  des  Gaulois,  en  dépit  du  texte 
de  Properce,  où  il  y  aurait  bien  des  modifications  à  faire. 
Il  est  certain  que  le  nom  de  Viridomarus,  environ  cent  cin- 
quante ans  après  la  victoire  de  Marcellus,  reparaît  dans 
César  avec  toutes  les  allures  d'un  chef  gaulois  (2). 

En  234  ap.  J.  C,  sous  le  règne  d'Alexandre  (3),  l'em- 
pire courut  le  plus  grand  péril  par  l'invasion  des  Germains, 
qui  se  répandaient  partout  sur  la  Gaule  comme  les  flots 
d'une  inondation.  Mais  les  légions  révoltées  ne  purent  sup- 
porter sa  sévérité  (4).  C'est  Galliénus  qui  s'oppose  à  leurs 
incursions  en  Gaule,  un  peu  plus  tard,  vers  234;  mais  il 
finit  par  conclure  un  traité  avec  des  chefs  de  celte  nation  (s). 


(1)  Voy.  Caes  ,  B  G,,  lib.  IV,  33.  Dans  IIoltzmam  et  BRiNoiis,  l'inscription 
des  Fasti  et  le  passage  de  Properce  servent  de  thème  à  d'interminables  dis- 
cussions sur  l'identité  des  Germains  et  des  Gaulois. 

(2)  Voy.  B.  G.,  lib.  Vil,  54.  et  33  :  «  Eo  quum  Eporedorix  VIridomarusque 
venissenl....  »  Riiiis,  dans  ses  Commentaires  sur  Tacite,  voudrait  convertir 
Germaneis  en  Gonomaneis  ou  Ccnomaneis.  Below,  dans  ses  Mémoires  sur 
Vhisloire  des  Gertnains,  propose  de  donner  au  passage  de  :  Insiibribus  et 
Germaneis,  le  sens  de  sur  les  Insubres  et  leurs  alliés.  Mais  dans  les  Fastes 
capilolins  sont  constamment  précités  les  noms  des  peuples  qui  font  l'objet 
des  triomphes,  et  nulle  part  ne  se  trouve  ajoutés  à  ces  noms  les  termes  de 
soeii,  faedtrati,  fralres,  consanguinei. 

(5)  Aell.  Lampridius  [Script.  Hisl.  Aug.)  :  «  Erat  aulem  gravissimum  rei- 
pablicae  et  ipsi  (Alexandre)  quod  Germanorum  vasialionibus  Gallia  diripie- 
balur.  » 

(4)  Sext.  Aur.  Victoris,  Hist.  rom.  De  Caesaribus,  cap.  24-,  3. 

(5)  ZoziM.,   Hist.  (fnter  Romnnae  hist.   script.  Graecos  minores),  lib.  I  ; 

«  eôoÇsv  èv  (lÉpei  lov  xîvôovov    èXaTtoûv   T(p    anôwjLi  Tipô;  xtva  r;youfjLÉvwv 
s&voûç  yeffiavtxov  TZTzoïriaOoLi.  » 


—  297  — 

Gallien  les  expulse  de  la  Gaule  en  260  (i),  et  Poslliumus 
sut  la  défendre  pendant  sept  ans  contre  leurs  ravages  (2). 
Probus  rétablit  une  véritable  restauration  en  Gaule  par 
une  longue  suite  de  combats  heureux  livrés  aux  Ger- 
mains. Il  envoie  au  Sénat  une  lettre  dans  laquelle  il  rend 
compte  de  ses  exploits  :  toute  la  Germanie  est  soumise, 
neuf  rois  sont  à  ses  pieds,  et  septante  villes  des  plus  illuslres 
sont  arrachées  à  la  domination  des  conquérants.  Cependant 
il  concède  aux  Francs  des  établissements  dans  la  Gaule 
(277  ap.  J.  C.)  (3), 


(\)  Sext.  Aur.  Vict.,  De  Caes.,  33  :  «  Licinius  Gnlliemis  qniim  a  Gallia 
Gcrmanos  strenue  arcerel.  » 

(2)  Trebeil.  Pollio  {Hist.  Aug.)  :  »  Nam  et  per  annos  seplem  Poslumius 
imperavit  et  Gallias  ab  omnibus  circumfluentibus  barbares  validissimc  vin- 
dicavit.  » 

Même  au  point  de  vue  exclusivement  littéraire,  c'est-à-dire  de  la  forma- 
tion graduelle  du  franco-gaulois  ou  du  français  et  par  suite  du  wallon,  il 
faut  particulièrement  signaler  Tannée  241  de  notre  ère,  où  les  Francs  appa- 
raissent en  quelque  sorte  oflicielleraent  dans  les  annales  de  l'histoire.  C'est 
Fl.  Vopiscus  qui  annonce  cette  apparition  en  ces  termes  :  «  Idem  (Aurelia- 
nus)  apud  Moguntiacum  tribunus  legiouis  sextae  Gallicanae,  Francos  irruen- 
les,  quum  vagarentur  per  totam  Gailiam,  sic  adflixil  ut  trec.entos  ex  his 
captos,  scplingentis  intcremptis,  sub  corona  vendiderit.  Unde  iterum  de  eo 
facta  est  cantilena  :  Mille  Francos,  mille  Sarmatas  semel  {et  semel)  occidimus  ; 
mille,  mille,  mille,  mille,  mille  Persas  quaerimiis.  » 

(3)  EuTROP.,  Hist.  rom.,  lib.  IX.  —  Paul.  Orosii,  lib.  VI.  —  Ex  Eusebii 
Chronico  CCLXIV.  Olymp.,  an.  I,  Probi,  2.  —  ZosiMi,  Hist.,  où  cet  historien 
relate  sa  victoire  sur  les  Germains  et  les  Francs.  Enfin  selon  Flav.  Vopiscus, 
après  avoir  remis  la  Gaule  sur  un  bon  pied,  il  écrivit  au  sénat  la  lettre  dont 
nous  avons  parlé  et  dont  voici  le  texte  :  «  Ago  Diis  immortalibus  gratias. 
Patres  conscripti,  quia  veslra  in  me  judicia  comprobarunt.  Subacta  est  oni- 
nis,  quà  tenditur  latè,  Germania  :  novem  reges  genlium  diversarum  ad  meos 
pedes,  imo  ad  vestros,  supplices  slrati  jaeuerunt.  Omnes  jam  barbari  vobis 
arant,  vobis  jam  serunt  et  contra  interiores  gentes  militant.  Supplicationes 
igilur  veslro  more  decernite.  Nam  et  quadraginla  millia  hostium  caesa  sunt 
et  sedecim  millia  armatorum  nobis  oblata  et  septuaginla  urbes  nobilissimae 
caplivitate  hostium  vindicatae,  et  omnes  penitùs  Galliae  liberatae.  Coronas 
quas  mihi  oblulerunt  omnes  Galliae  civitales  aureas,  vestrae  P.  C.  Clemen- 

tiae  dedicavi Aranlur  Gallicana  rura  barbaris  bobus  et  juga  Germanica 

captiva  praebent  nostris  colla  cultoribus.  « 


—  298  — 

Maximien  Hercule  repousse  les  Bourguignons,  les  Cliai- 
bons  et  les  Herules  (28C),  dont  les  hordes  menacent  de 
couvrir  de  ruines  toute  la  Gaule  (i).  H  part  de  Trêves  le 
prem'ier  jour  même  de  son  consulat,  et  après  avoir  mis  les 
Germains  en  déroute,  il  revient  à  Trêves  jouir  des  honneurs 
du  triomphe  (287)  (2).  Il  assigne  aux  Francs,  pour  les  cul- 
tiver, les  champs  incultes  des  Nerviens  et  des  Trévires  (5). 

Des  auteurs  anciens  représentent  les  Gaulois  comme 
un  peuple  impie,  contempteur  des  dieux.  Il  durent  celte 
renommée  en  partie  au  pillage  du  temple  de  Delphes. 
Cicéron,  dans  son  plaidoyer  pour  Fonléius  (4),  constate 
cette  mauvaise  impression.  «  Est-ce  qu'un  Induliomar  sau- 
rait ce  que  c'est  que  le  témoignage?  dit-il.  Pensez-vous 
que  ces  races-là  (les  Gaulois),  en  faisant  des  dépositions, 
prêtent  serment  avec  des  sentiments  religieux  et  sous  la 

crainte  des  dieux Ce  sont  bien  là  ces  nations  qui  ont 

quitté  leurs  plages  lointaines  pour  venir  à  Delphes  ravager 
et  piller  le  temple  d'Apollon,  l'oracle  de  l'univers....  Qui 
de  nous  ignore  que  jusqu'à  ce  jour  les  Gaulois  ont  conservé 
la  coutume  féroce  et  barbare  d'immoler  des  victimes  hu- 


(1)  Pancg.  Cl.  Mamertim,  in  Max.  Herculetim,  cap.  5  :  «  Quôd  vero  sla- 
tim,  vixdum  niiscro  illo  furore  sopilo,  quum  oinnes  barbarae  naliones  exci- 
dium  iiniversac  Galliac  niinarenlur,  nequc  solum  Buigundioncs  et  Alamani 
sed  etiam  Cliaibones  Erulique,  viiibus  primi  barbarorum,  locis  iiltimi, 
praccipili  iinpetu,  in  bas  provincias  irruisscul,  quis  Deus  lam  insperalam 
salulem  noliis  atlulissct  nisi  tu  adfuisses?  » 

(2)  Ibid.,  cap.  6. 

(5)  Pancff.  EuMENii,  in  Constanlium,  cap.  21.  Le  Lactus  de  ce  passage 
désigne-l-il  une  population  distincte  isolée,  ou  est-ce  une  épitliètc  qui  qualifie 
Franeics?  Zosime  dit,  lib.  II  :  «  eiç  Aetouff  eOvoç  raXaxixôv.  »  Il  y  a  des  Laeli 
Teuloniciani,  Laeli  Dalavi,  Laeli  Genlilex  Sucvi;  il  y  a  lerrac  laelicae. 

(4)  Ex  Oralione  pro  M.  Fomeio....  «  Quis  enira  ignorât  cos  usque  ad  banc 
diem  relinere  illam  immanem  ac  barbaram  consuetudincm  liominum  iinnio- 
landorum?  Quamobrcm  quali  fuie,  quali  pietate  existimatis  esse  eos,  qui 
etiam  deos  immortales  arbilrcntur  hominum  scelcre  et  sanguine  facile  posse 
placari?....  Lactantius,  Div.  InsL,  lib,  1  :  «  Galli  Esuni  atque  Tculatcni  hu- 
mano  cruore  placabant.  » 


—  299  — 

mailles.  Et  de  quelle  loyauté,  de  quels  sentiments  religieux 
peuvent  être  animés  des  hommes  qui  sont  d'avis  qu'on 
peut  facilement  apaiser  les  dieux  immortels  par  le  crime 
et  le  sang?  »  Ces  reproches  amers  lui  ont  été  peut-être 
inspirés  par  la  lecture  des  Commentaires,  car  César  at- 
teste que  ces  horribles  sacrifices  étaient  en  usage  dans 
la  Gaule  (i).  Un  autre  trait  du  caractère  gaulois  nous  est 
communiqué  par  Strabon  (a).  L'écrivain  grec  rapporte  que 
les  Gaulois  se  réunissaient  par  bandes  nombreuses  pour 
des  expéditions  entreprises  en  vue  de  causes  qui  leur  étaient 
étrangères  (5).  Cet  auteur,  en  alléguant  ces  tendances 
centralisatrices,  semble  donner  un  démenti  à  César,  qui 
dit  :  «En  Gaule  {3),  non  seulement  dans  toutes  les  cités, 
mais  dans  tous  les  cantons  et  dans  chaque  localité,  presque 
dans  chaque  maison  il  y  a  des  factions.  »  Selon  Dion 
Cassius,  les  Gaulois  entreprennent  tout  avec  un  élan  irré- 
fléchi. Leur  audace  comme  leur  frayeur  n'ont  point  de 
bornes.  Chez  eux  de  l'audace  à  la  panique  et  de  celle-ci  à 
la  témérité,  il  n'y  a  qu'un  pas.  Caton  l'Ancien  (4)  a  dit 

(1)  Caes.,  B.  g.,  lib.  VI,  16  :  «  Ant  pro  vicliinis  liomines  immolant  aul 
se  immolaturos  vovenl  adminislrisque  ad  ea  sacrificia  druidibus  uluiilur, 
quod,  pro  vita  hominis  nisi  hominis  vila  reddalur,  non  posse  dcorum  im- 
mortalium  numcn  placari  arbitranlur  publiceque  ejus  generis  babcnl  insli- 
tula  sacrificia.  >>  —  Strabon,  lib.  IV,  est  d'accord  avec  César,  et  il  ajoute  un 
trait  de  plus  :  «  "AvôpuTrov  yàp  xaxsaTïeEfffxevov  TtaicravTEi;  èç  vûtov  [i.aja.ip(x, 
èfjLavTEtjovTo  èx  xoû  ff'^a5aa[Jt.oû:  èOuov  6k  oùx  av£U  Sputowv.  »  Cicéron  et  Césau 
ont  soin  d'oublier  qu'en  228  avant  J.-C,  l'an  S25  de  Rome,  les  Décemvirs 
firent  enterrer  vifs  un  Gaulois  et  une  Gauloise  dans  le  marché  aux  bœufs.  — 
Comp.  PoMP.  Mêla,  111,  2. 

(2)  Strab.,  lib.  iV  :  «  auviaii  Ô£  xat  xarà  tiXyÏOoç  paôiwi;  Sla  zb  aTtXoûv  xai 
aiôéxafftov  auvayavaxtoûvieç  toI;  àStxewOxi  ôoxoûdi  àel  tôSv  Ttk/iisio^.  » 

(3)  B.  G.,  VI,  H  :  «  In  Gallia  non  solum  m  omnibus  civilalibus  alque  in 
omnibus  pagis  parlibusque  sed  paene  etiam  in  singnlis  domibus  facliones  siint.  » 
Dion  Cassius,  Hisl.  romana,  lib.  XXXIX  :  «  àTrX>]ffTOi  yàp  àLkoy\.zz{x>c,  ol  Fa- 
\6iia.i  èç  TtdtvO  ôii-oEto;  ovteç  out£  tô  Gapaoûv  (j«)wv,  outî  ib  ôeoiôç  [xexpiâÇouaiv, 
a>iV  ex  x£  TOÛ  Ttpàç  ôeiXîav  àvéXTTiffxov  xa(  eÇ  èxctvou  Ttpèç  Gâpaoç  irpoTicXi? 
sxTitTtxouai.  »  —  Couip.  Justin  XX,  5. 

(■i)  M.  Cato,  Orig.,  2:  «  Plaaquc  Gallia  duas  res  induslriosissimè pcrscqiti- 
lur;  rem  mililarcm  et  arffiab  loqni.  >>  —  Voy.  Momesquieu,  Pensées  diverses. 


—  500  — 

des  Gaulois  qu'ils  aiment  passionnément  deux  choses  :  bien 
combattre  et  finement  parler.  Plus  tard,  quand  la  patrie 
de  Caton  aura  disparu,  depuis  longtemps  engloutie  sous  les 
avalanches  de  Tinvasion  germanique,  Montesquieu  dira  : 
«  La  France  se  perdra  par  les  gens  de  guerre.  » 

César,  qui  avait  étudié  leur  caractère  à  fond,  s'accorde 
avec  les  assertions  de  Dion  Cassius.  Il  dit  de  ce  peuple 
que  par  son  courage  il  s'empresse  à  entreprendre  des 
guerres,  mais  que  son  âme  n'est  pas  propre  à  supporter 
les  désastres  (i).  Enfin,  saint  Jérôme  dit  :  la  Gaule  est  la 
seule  qui  n'ait  point  de  monstres,  mais  elle  a  toujours  été 
féconde  en  hommes  courageux  et  très-éloquents  (2). 

Pour  ne  rien  omettre  de  ce  que  l'antiquité  nous  trans- 
met des  Gaulois,  nous  dirons  que  dans  la  Celtique,  selon 
une  antique  tradition,  vivait  un  homme  qui  s'était  fait 
universellement  aimer  et  respecter.  Il  avait  une  fille  d'une 
beauté  et  d'une  intelligence  remarquables,  mais  elle  répu- 
diait tous  ceux  qui  demandèrent  sa  main.  Hercule,  à  son 
retour  de  i'Ibérie,  lui  plut.  Le  héros  avait  alors  bâti  Alesia 
et  arraché  les  Celtes  à  la  funeste  habitude  d'immoler  des 
étrangers.  Elle  eut  d'Hercule  un  fils,  qui  reçut  le  nom  de 
Galates.  Ce  nom  fut  transmis  aux  Galates  (s). 


(1)  Voy.  Caes.,  B.  g.,  III,  19  :  -(  Nam  ul  ad  bclla  suscipienda  Gallorum 
alacer  ae  promplus  est  animus  sic  mollis  ae  minime  resislens  ad  calamilales 
perfcrcndas  mens  coriim  est.  » 

(2)  Ex  libro  adversus  Vigilanlium  :  «  Sola  Gaili.i  monslra  non  babiiit  seil 
viris  scmper  forlibus  et  cloqiienlissimis  abundavit;  «cl  Juvenal  {Sal.  15, 
V,  111)  : 

«  Gallia  causidicos  docuil  facunda  Britannos.  » 

(5)  DiODOR.  Sic.  V,  24;  IV,  19.  —  Justin.,  IV,  2.  —  App.,  De  rclnis  illy- 
ricis,  2.  —  Plin.,  III,  14,  Calatani.  —  Ibid.,  V,  7.  —  Mêla,  7.  —  Tite-Live, 
XXVI,  3.  —  Strab.,  XI,  6,  S  2,  Les  Cello-Scijthes. 

Voy.  Recueil  des  historiens  des  Gaules,  par  Dora  Martin  Bouquet,  Paris, 
1869,  Prcf.,  p.  22,  où  la  question  d'origine  est  exposée  aussi  d'après  l'opi- 
nion d'une  certaine  école,  représentée  par  Pezron  : 

«  Hercule,  d'après  Partbenius,  revenant  d'Erylbie,  parcourut  la  Celtique, 


—  301   — 

Si  Ton  compare  inaiiilcnanl  les  Germains  aux  Gaulois, 
les  parlicularilés  ethnographiques  de  ces  derniers  ressor- 
liront  mieux  de  ce  parallèle. 

s'arrêta  clicz  un  certain  Brctanniis,  dont  la  fille  Ccllinc,  éprise  iramour 
poiii'' Hercule,  lui  cacha  les  bœufs  de  Géryon  et  ne  voulut  pas  les  lui  rendre, 
qu'il  n'eût  couché  avec  elle.  Il  en  cul  un  fils,  nomme  Cellus,  d'où  vient  le 
nom  de  Celles.  DiODonE  de  Sicile  raconte  les  choses  autrement  sur  le  rap- 
port des  autres.  11  dit  qu'Hercule,  au  temps  de  son  expédition  conire  Géryon, 
prit  son  chemin  par  la  Celtique,  qu'il  y  bùlit  la  ville  d'Alise,  cl  que  la  fille 
du  roi  de  ee  pays  devint  éperdumcnt  amoureuse  d'Hercule,  dont  elle  eut  un 
fils,  appelé  Galatès  :  que  ce  fils  ayant  succédé  dans  la  suite  au  royaume  pa- 
ternel, donna  à  ses  sujets  le  nom  de  Galales,  d'où  est  venu  celui  de  Galalie 
ou  de  Gaule.  Cette  diversité  d'opinions  répond  plus  de  ténèbres  qu'elle 
n'apporte  de  lumière. 

»  L'historien  Josèpiie  dit  que  les  Gaulois  viennent  de  Gomer  (Lib.  antiq. 
Judaic,  c.  7j,  fils  aîné  de  Japhct.  Gomar,  dil-il,  a  été  le  père  et  le  fondateur 
des  Gomariles,  que  les  Grecs  appellent  Galales  ou  Gaulois.  Eustacue  d'Antio- 
cue,  saint  Jérôme,  Isidore,  la  Chronique  Pascale,  Josèphe,  fils  de  Gorion, 
donnent  la  même  origine  aux  Gaulois.  Josèpiie  n'a  point  forgé  celte  opinion 
de  son  chef;  il  est  plus  vraisemblable  qu'il  l'a  puisée  dans  quelques  anciens 
monuments.  Il  ne  faut  donc  pas  la  rejeter  légèrement;  elle  père  Dom  Pezron 
ne  sérail  pas  ù  blâmer  s'il  s'élail  eonlenlé  de  la  soutenir,  et  qu'il  en  fut 
resté  là.  Mais  lorsque  dans  son  livre  intitulé  :  Antiquité  de  la  nation  cl  de  la 
langue  des  Celtes ,  autrement  appelés  Gaulois,  il  fait  venir  les  Gomérites  de 
l'Asie,  qu'il  les  conduit  comme  par  la  main  dans  le  pays  qu'on  a  appelé  la 
Gaule;  lorsqu'il  recherche  scrupuleusement  les  noms  qu'ils  ont  eus  et  l'éty- 
mologie  de  ces  noms;  lorsqu'il  examine  soigneusement  les  terres  qu'ils  ont 
parcourues  et  où  ils  ont  fixé  leur  demeure,  il  nous  donne  à  la  vérité  de 
grandes  preuves  de  son  érudition,  mais  (ne  lui  déplaise)  il  se  livre  trop  aux 
conjectures  ;  et  pour  le  faire  voir  il  ne  faut  qu'exposer  son  sentiment  en 
abrégé. 

»  Les  Gomérites  donc,  si  nous  en  croyons  le  P.  Pezron,  habilèrent  la 
Margiane,  la  Baciriane  et  la  Sogdiane.  Ceux  des  Gomérites  qui  avaient  oc- 
cupé les  provinces  situées  au  nord  de  la  Médie  et  du  mont  Taurus,  furent 
appelés  Scythes  avec  les  autres  peuples  septentrionaux.  Ce  qui  est  si  vrai, 
dit  Dom  Pezkon,  que  lorsqu'ils  passèrent  en  Europe  et  qu'ayant  pris  le 
nom  de  Celtes,  ils  s'y  établirent,  ils  furent  appelés  Cclto-Scythes  par  les 
anciens  Grecs.  Les  Gomérites  qui  habitaient  la  Margiane,  pays  riche  et  fer- 
tile, s'élant  infinémenl  multipliés,  ne  vécurent  pas  longtemps  dans  le  repos 
et  la  tranquillité;  la  jalousie  et  les  dissensions  s'élani  glissées  parmi  eux, 
ils  se  divisèrent  en  plusieurs  factions,  en  sorte  que  ceux  qui  se  trouvèrent 
les  plus  faibles,  soit  en  force,  soit  en  nombre,  furent  contraints  de  quitter 
le  pays.  Ces  fugitifs  ayant  passé  les  vastes  montagnes  qui  sonl  au  midi  de 


—  302   - 

Chez  les  nations  germaniques,  dit  Ampère,  les  imlivi- 
dus  ont  en  général  une  tendance  native  à  se  subordonner 
les  uns  aux  autres,  dans  une  hiéracliie  graduée  d'après  une 
répartition  inégale  de  droits  et  de  privilèges.  En  même 
temps  chacun  est  disposé  à  proléger  énergiquement  son 
indépendance  et  sa  dignité  personnelle,  chacun  accepte  et 
maintient  son  rang;  d'où  il  résulte  que  les  nations  germa- 
niques ont  un  faible  instinct  d'égalité,  et,  au  contraire,  une 
assez  grande  capacité  de  liberté.  L'histoire  de  ces  nations, 
et  surtout  l'histoire  du  peuple  anglais,  est  là  pour  l'attester. 
Tout  le  monde  sait  à  quel  point  chez  ce  peuple  la  liberté 
politique  s'accomode  des  inégalités  sociales.  En  France,  ce 
qui  a  toujours  dominé  tout  le  reste,  c'est  le  besoin  d'éga- 
lité, encore  aujourd'hui  incomparablement  plus  fort  que 
le  besoin  de  liberté.  II  faut  reconnaître  qu'il  est  de  la  na- 
ture de  l'égalité  d'appeler  la  liberté;  cependant  il  n'en  est 
pas  toujours  ainsi,  et  l'égalité  s'est  arrangée  du  despotisme 
toutes  les  fois  que  le  despote  a  pu  inspirer  un  enthousiasme 
personnel.  On  l'a  vu  sous  Louis  XIV  et  Napoléon.  On  sur- 
prend l'origine  de  cette  disposition,  qui  nous  est  particu- 
lière, dans  quelques  paroles  expressives  de  César;  autant 
César  mit  de  légèreté  dans  l'expression  de  son  opinion  sur 
les  rapports  à  établir  entre  les  dialectes  barbares,  autant, 
quand  il  s'agissait  d'instincts  sociaux  et  politiques,  il  fut 
bon  juge.  César  reconnaît  que  les  Gaulois  sont  réduits  à 
une  véritable  servitude  par  les  deux  castes  dominantes,  les 


la  Margiane,  cnlrèrciit  dans  un  pays  alors  occupé  par  les  Mèdes,  et  ils  s'y 
établirent.  Et  comme  ils  avaient  été  chassés  de  leur  pays,  il  furent  appelés 
Partîtes,  comme  si  vous  disiez,  séparés  des  autres,  bannis,  exilés;  car  encore 
aujourd'hui,  Parthu  signifie  séparer,  diviser,  en  langue  celtique,  qui  était 
celle  des  Gomérites.  C'est  de  ces  mêmes  Parlhes  que  sont  venus  les  Perses. 
Après  cela,  le  père  Pezron  n'est  pas  surpris  do  trouver  un  grand  nombre  de 
mots  celtiques  dans  la  langue  des  Perses  :  ceux-ci  les  ont  reçus  des  Parlhes, 
les  Parthes  des  Gomérites  auxquels  les  Celtes  doivent  leur  origine.  » 


—  505  — 

druides  el  la  noblesse  armée  (i).  Le  reste  du  peuple,  dil-il, 
est  comme  esclave.  Ainsi,  il  n'y  avait  aucune  liberté  chez 
les  Gaulois,  tandis  qu'il  y  avait  beaucoup  de  liberté  cliez 
les  Germains;  voyez  Tacite.  Mais  un  impérieux  sentiment 
d'égalité  existait  chez  celte  nation  gauloise  si  peu  libre. 
Tous  les  ans  on  partageait  les  terres,  et  elles  changeaient 
de  possesseur.  C'était  comme  le  petit  jubilé  des  Juifs,  une 
vraie  loi  agraire,  en  prenant  le  mot,  non  dans  son  sens 
historique  (il  avait  à  Rome  une  tout  autre  acception), 
mais  dans  son  sens  vulgaire  et  absolu,  en  l'entendant  non 
comme  les  Gracches,  mais  comme  Babeuf.  Et  pourquoi 
cette  division  périodique  des  terres?  César  va  nous  en 
donner  la  raison  (2).  C'est  afin, dit-il,  que  le  peuple  soit 
content  en  voyant  sa  richesse  égale  à  celle  des  grands. 
Ainsi  ces  grands,  sans  respect  pour  la  liberté,  font  au  sen- 
timent d'égalité,  celte  concession  étrange,  presque  unique 
dans  l'histoire  du  monde. 


(1)  CâEs.,  B.  G.,  VI,  15  :  «  In  omni  Galiia  eorum  hominttm  qui  aliquo  snnl 
numéro  alqtie  honore,  gênera  sicnt  duo.  Nain  placbes  poene  scrvorum  habe- 
lur  loco,  quae  nihil  audet  per  se,  nnllo  adliibelur  consilio.  Plcrique,  quitm 
aul  aère  aliéna  aul  magniludine  Iribulorum  aul  injuria  polcnlioriim  prcmun- 
tur  sese  in  servituletn  dicant  nobilibus.  In  hos  eadem  omnia  sunl  jura  quae 
dominis  in  servos.  » 

(2)  Ibid.,  B.  G.,  VI,  22,  ci-après.  —  Nulle  part  ni  dans  les  traditions, 
ni  dans  l'histoire,  on  ne  rencontre  dans  les  mœurs  germaniques  des 
tendances  au  babouvismc;  on  pourra  s'en  convaincre  par  ceci  :  «  Il  nous 
faut,  porte  le  Manifeste  des  égaux,  rédigé  par  Sylvain  Maréchal  el  jelé  au 
sein  de  la  population  en  avril  1796,  il  nous  faut  non  pas  seulement  celle 
égalité  transcrite  dans  la  déclaration  des  droits  de  l'homme  et  du  citoyen, 
nous  la  voulons  au  milieu  de  nous,  sous  le  toit  de  nos  maisons.  Périssent, 
s'il  le  faut,  tous  les  arts,  pourvu  qu'il  nous  reste  l'égalité  réelle!  » 

Et  plus  loin  :  «  La  loi  agraire  ou  partage  des  campagnes ,  fut  le  voeu 
instantané  de  quelques  soldats  sans  principes,  de  quelques  peuplades  mues 
par  leur  instinct  plutôt  que  par  la  raison.  Nous  tendons  ù  quelque  chose  de 
plus  sublime  el  de  plus  équitable,  le  bien  commun  ou  la  communauté  de 
biens.  Plus  de  propriété  individuelle  des  terres  :  la  terre  n'est  à  personne. 
Nous  réclamons,  nous  voulons  la  jouissance  communale  des  fruits  de  la 
terre  :  les  fruils  sont  i\  tout  le  monde.  Nous  déclarons  ne  pouvoir  soufl'rir 


—   304  — 

Remarquez  d'autre  pari,  que  chez  les  Gaulois  le  pen- 
chanl  à  s'oublier,  à  s'anéantir  soi-même  pour  le  chef 
qu'on  idolâtre,  ce  qui  produit  chez  nous  r adoration  des 
grands  despotes.  Il  était  dans  les  mœurs  gauloises  de  se 
dévouer  à  un  chef  sans  réserve,  jusqu'à  se  tuer  le  jour  où 
il  mourait. 

Ce  brillant  tableau  n'emprunte  pas  à  l'histoire  ses  véri- 
tables couleurs.  Le  sentiment  d'égalité  ne  remonte  pas  aux 
sources  primitives  de  l'histoire  telles  que  César  nous  les 
montre  dans  ses  Commentaires.  Car,  si  l'on  interprétait  les 
paroles  de  César  comme  Ampère  l'a  fait,  c'est  aux  Ger- 
mains qu'appartiendrait  cette  espèce  de  prérogative  natio- 
nale. Cela  résulte  à  l'évidence  du  texte  des  Commentaires, 
à  moins  que  l'on  veuille  lui  faire  violence,  remplacer  Ger- 
mani,  au  chapitre  XXI,  par  Galli,  ou,  ce  qui  reviendrait 
au  même,  opérer,  pour  le  besoin  de  la  thèse,  une  fusion 
complète  entre  la  race  germanique  et  la  race  gauloise. 
Auquel  cas  on  se  heurterait  contre  l'esprit  qui  domine  dans 


davantage  que  la  très-grande  majorité  des  hommes  travaille  et  sue  au  service 
et  sous  le  bon  plaisir  de  rcxtrême  minorité  :  assez  et  trop  longtemps,  moins 
d'un  million  d'individus  disposa  de  ce  qui  appartient  à  plus  de  vingt  millions 
de  leurs  semblables,  de  leurs  égaux.  » 

Et  ailleurs  :  «  Qu'il  ne  soit  plus  d'autre  différence  parmi  les  hommes  que 
celles  de  l'âge  et  du  sexe.  Presque  tous  ont  les  mêmes  facultés,  les  mêmes 
besoins  :  qu'il  n'y  ait  plus  pour  eux  qu'une  seule  éducation,  une  seule  nour- 
riture. Ils  se  contentent  d'un  seul  soleil  et  d'un  air  pour  tous  :  pourquoi  la 
même  portion  et  la  même  quantité  d'aliments  ne  suffiraient-elles  pas  pour 
chacun  d'eux.  « 

Pour  la  nourriture  intellectuelle,  Babeuf  est  d'une  rigueur  à  la  hauteur 
du  communisme  :  «  Ni  philosophie,  ni  théologie,  ni  poésie,  ni  roman,  ni 
peinture,  ni  statuaire,  ni  gravure,  sinon  comme  délassement.  Sera  artiste 
qui  voudra,  à  la  condition  de  redevenir  laboureur  et  de  laisser  le  pinceau 
ou  le  ciseau  pour  retourner  à  la  charrue.  » 

Dans  le  code  de  la  nature  de  MoRELtv,  on  trouve  la  même  prescription, 
mais  avec  une  sanction  plus  sévère  :  «  Celui  qui  osera  prononcer  le  mot 
propriété,  sera  enfermé  comme  fou  furieux  dans  une  caverne  (Le  Bas,  Dk- 
lionnairc  encyclopédique  de  la  France,  cl  Revcvud,  Éludes  sur  les  réforma- 
teurs contemporains). 


—   303  — 

tout  le  système  elhnographique  de  César,  qui,  comme  nous 
l'avons  déjà  établi,  tend,  à  quelques  contradictions  appa- 
rentes près,  à  constituer  entre  les  deux  races  une  ligne  de 
démarcation  bien  tranchée.  Dans  la  phrase  citée,  le  sens 
s'oppose  au  rapprochement  entre  la  situation  des  esprits 
dans  la  Gaule  primitive  et  la  France  de  nos  jours.  L'auteur 
des  Commentaires  veut  dire  qu'on  cherchait  à  tenir  en 
bride  le  peuple  ou  la  masse  par  le  calme,  par  le  contente- 
ment intérieur  (animi  aequitaté).  Ce  n'est  pas  là  l'esprit 
d'égalité,  né  de  la  révolution  à  la  suite  du  vaste  travail  phi- 
losophique qui  s'est  fait  jour  au  XVIII''  siècle. 

Avant  cette  époque  d'effervescence,  alors  qu'on  s'apprê- 
tait à  employer  tous  les  dissolvants  pour  décomposer  la 
vieille  société,  sans  songer  aux  principes  sur  lesquels  re- 
poserait le  futur  édifice  social  et  politique,  un  des  grands 
penseurs  du  XV^IP  siècle,  Montesquieu  (i),  avait  bien 
mieux  saisi  l'esprit  des  Commentaires,  quand  il  écrivit  ces 
paroles  :  «  Les  Gaules  furent  envahies  par  les  nations 
germaines  :  les  Wisigoths  occupèrent  la  Narbonnaise  et 
presque  tout  le  midi;  les  Bourguignons  s'établirent  dans  la 
partie  qui  regarde  l'ouest;  et  les  Francs  conquirent  à  peu 
près  le  reste. 

»  Il  ne  faut  pas  douter  que  ces  barbares  n'aient  conservé 
dans  leurs  conquêtes  les  mœurs,  les  inclinations  et  les 
usages  qu'ils  avaient  dans  leur  pays,  parce  qu'une  nation 
ne  change  pas  dans  un  instant  de  manière  de  penser  et 
d'agir.  Ces  peuples  dans  la  Germanie  cultivaient  peu  les 
terres.  Il  parait  par  Tacite  et  César,  qu'ils  s'appliquaient 
beaucoup  à  la  vie  pastorale  :  aussi  les  dispositions  des  codes 
de  lois  des  barbares  roulent-elles  presque  toutes  sur  les 
troupeaux.  Roricon,  qui  écrivait  l'histoire  chez  les  Francs, 
était  pasteur.  »  Ce  passage  rétablit  en  quelque  sorte  dans 


(1)  Voy.  Montesquieu,  De  l'esprit  des  lois,  livre  XXX,  chap.  VI. 


22 


—  50G  — 

leurs  droits  César  et  Tacite,  et  empêche  de  tirer  du  texte 
(les  conséquences  qu'il  ne  comporte  pas  (i). 

Ailleurs  réminent  écrivain  s'explique  avec  plus  de  clarté 
encore.  César  dit  (ce  sont  ses  termes),  «  que  les  Germains 
ne  s  attachaient  point  à  l'agriculture;  que  la  plupart  vivaient 
de  lait,  de  fromage  et  de  chair;  que  personne  n'avait  de 
terres  ni  de  limites  qui  lui  fussent  propres;  que  les  princes 
et  les  magistrats  de  chaque  nation  donnaient  aux  particu- 
liers la  portion  de  terre  qu'ils  voulaient  et  dans  le  lieu 
qu'ils  voulaient  et  les  obligeaient  Vannée  suivante  de  passer 
ailleurs.  «  Montesquieu  a  puisé  ces  traits  de  mœurs  évi- 
demment au  chapitre  des  Commentaires  que  nous  avons 
cité  et  qu'il  a  traduit,  comme  il  est  facile  de  s'en  assurer. 
Ils  concordent,  du  reste,  avec  ce  que  Tacite  dit  des  Cattes: 
w  Aucun  de  ces  guerriers  n'a  ni  maison,  ni  (erre,  ni  souci 
de  terre  au  monde.  Ils  se  rendent  chez  le  premier  venu  et 
s'y  font  nourrir,  prodigues  du  hien  d'autrui,  indifférents 
au  leur,  jusqu'à  ce  que  la  vieillesse  glacée  leur  interdise 
une  si  rude  vertu  (2).  »  Voilà  donc  la  vérité  historique  ré- 


(1)  Voy.  Caes.,  B.  g  ,  VI,  22  :  «  Agricullurae  non  studeni,  majorqiic  pars 
eoriim  victus  in  laele,  caseo,  carne  consislit.  Neque  qiiisqiiam  agri  modum 
ccrtum  aut  fines  habet  proprios;  sed  niagistralus  ac  principes  in  annos  sin- 
gulos  genlibus  cognalionibusque  lioniinum,  qui  una  coicruni,  quanlum  el 
quo  loco  visum  est  agri  altribuunt  alque  anno  post  alio  Iransire  cogunt. 
Ejus  rei  multas  afferunl  causas  :  ne  assidua  consueludine  capli  studium  beili 
gcrendi  agricullura  commutcnl;  ne  lalos  fines  parare  sludanl,  polenlioresque 
humiliores  possessionibus  expelianl;  ne  accuralius  ad  frigora  alque  aeslus 
vitandos  aedificenl;  ne  qua  oriatur  pecuniae  cupiditas,  quo  ex  re  factiones 
disscnsionesquc  nascunlur;  ul  animi  aequilale  plebem  conlineanl  quum  suas 
quisque  opes  cum  potentissimis  acquari  videal.  »  Le  chap.  22  en  question  se 
rattache  évidemment  au  chap.  21,  dont  il  est  la  suite  logique.  Tout  ce  qui 
s"y  dit  s'entend  sans  aucun  doute  des  Germains,  puisque  César  commence  le 
chap.  21  avec  une  certaine  emphase  pour  bien  marquer  le  contraste  entre 
les  Gaulois  dont  il  a  |)arlé,  et  les  Germains  dont  il  se  propose  de  peindre 
les  mœui's. 

(2j  Tacit.,  Germ.,  XXXI  :  «  Nulii  domus,  aut  ager,  aut  aliqua  cura  :  prout 
ad  quemque  venêre,  aiuntur,  prodigi  alieni,  confemplores  sui,  donec  cxsan- 
guis  seneclas  tam  durae  virluti  impares  fiât.  » 


—  307   — 

lablie  sur  sa  base,  loin  de  ce  faux  cliuquaul,  par  lequel  on 
exerce  sur  les  faits  un  pouvoir  arbitraire  et  on  va  jusqu'à 
sacrifier  aux  préjugés  des  peuples,  faux  dieux  qui  ne  creu- 
sent que  gouffres  et  abîmes.  »  Transporter  (i)  dans  les 
siècles  reculés  toutes  les  idées  du  siècle  où  l'on  vit,  c'est 
des  sources  de  Terreur  celle  qui  est  la  plus  féconde.  A  ces 
gens  qui  veulent  rendre  modernes  tous  les  siècles  anciens, 
je  dirai  ce  que  les  prêtres  d'Égyple  dirent  à  Solon  : 
«  0  Athéniens  (2),  vous  n'êtes  que  des  enfants  !  » 

Le  tableau  de  M""  Am.  Thierry  est  plus  conforme  aux 
données  de  l'histoire,  sans  rien  perdre  de  son  brillant  co- 
loris (5). 

Les  traits  saillants  de  la  famille  gauloise,  dit-il,  ceux 
qui  la  différencient  le  plus,  à  mon  avis,  des  autres  familles 
humaines,  peuvent  se  résumer  ainsi  :  une  bravoure  per- 
sonnelle que  rien  n'égale  chez  les  peuples  anciens;  un 
esprit  franc,  impétueux,  ouvert  à  toutes  les  impressions, 
éminemment  intelligent;  mais  à  côté  de  cela,  une  mobilité 
extrême,  point  de  constance,  une  répugnance  marquée  aux 
idées  de  discipline  et  d'ordre,  si  puissantes  chez  les  races 
germaniques,  beaucoup  d'ostentation,  enfin  une  désunion 


(1)  «  Les  peuples  qui  conquirent  l'empire  romain  claient  sortis  de  la  Ger- 
manie. Quoique  peu  irauleurs  anciens  nous  aient  décrit  leurs  mœurs,  nous 
en  avons  deux  qui  sont  d'un  très-grand  poids.  Césau  faisant  la  guerre  aux 
Germains,  décrit  les  mœurs  des  Germains  (B.  G.,  liv.  VI)  :  et  c'est  sur  ces 
mœurs  qu'il  a  réglé  quelques-unes  de  ses  entreprises.  Quelques  pages  de 
César  sur  cette  matière  sont  des  volumes. 

»  Tacite  fait  un  ouvrage  exprès  sur  les  mœurs  des  Germains.  Il  est  court, 
cet  ouvrage,  mais  c'est  l'ouvrage  de  Tacite  qui  abrégeait  tout,  parce  qu'il 
voyait  tout. 

»  Ces  deux  auteurs  se  trouvent  dans  un  tel  concert  avec  les  codes  des  lois 
des  peuples  barbares  que  nous  avons,  qu'en  lisant  ces  codes  on  retrouve 
partout  César  et  Tacite.  »  (Montesquieu,  De  l'esprit  des  lois,  liv.  XXX,  eh.  II 
et  ch.  XIV. 

(2)  Apud  Platon,  m  Timaeo  vel  de  nalura. 

(5)  Voy.  Hist.  des  Gaulois  depuis  les  temps  les  pltis  recules,  par  Am.  THiFnnv, 
t.  I;  Paris,  1828,  Introd.,  p.  v. 


—  308  — 

pcrpéluc'lle,  fruit  de  l'excessive  vanilc.  Si  Ton  voulait 
comparer  sommairement  celte  famille  gauloise  à  celle  fa- 
mille germanique,  que  nous  venons  de  nommer,  on  pour- 
rait dire  que  le  sentiment  personnel,  le  moi  individuel, 
est  trop  développé  chez  la  première,  et  que,  chez  l'autre, 
il  ne  l'est  pas  assez;  aussi  trouvons-nous  à  chaque  page 
de  rhisloire  des  Gaulois,  des  personnages  originaux  qui 
excitent  vivement  et  concentrent  sur  eux  noire  sympathie, 
en  nous  faisant  oublier  les  masses;  tandis  que,  dans  l'his- 
toire des  Germains,  c'est  ordinairement  des  niasses  que 
ressort  tout  l'effet  (i). 

Plus  tard,  un  témoin  oculaire,  un  observateur  dont  on 
ne  contestera  pas  la  finesse,  l'empereur  Julien,  dans  son 
Misopogon,  dépeint  ainsi  les  Gaulois  et  les  Germains  : 
«  Caton  était  romain  et  je  suis  naturalisé  gaulois.  Il  vécut 
presque  toujours  dans  le  sein  de  sa  pairie;  et  moi,  après 
avoir  été  nourri,  dès  ma  première  jeunesse,  de  la  lecture 
de  Platon  et  d'Aristote,  sans  talents  pour  la  vie  civile,  sans 
goût  pour  les  plaisirs,  j'avais  à  peine  atteint  l'âge  viril 


(1)  Appian.,  De  bellis  gallicis,  VI;  Tite  Live,  V,  43  :  «  Gens  est  cui  natura 
corpora  animosquc  magna  magis  quam  firma  dederil;  Tite  Live,  liv.  XXIV, 
47  :  «  Labor  et  aeslus  mollia  cl  fluida  corpora  Gallorum  et  minime  patientia 
sitis,  quuin  decedere  pugna  coegisset,  in  paucos  restantes  impelum  Romani 
fecerunt.  » 

Ibid.,  XXXIII,  17,  le  consul  Cn.  Manlius  dit  :  «  Romanis  Gallici  lumultûs 
assuelis  etiam  vanitates  notas  sunl.  Semel  primo  congressu  ad  Alliam  olini 
fuderunt  majores  nostros  :  ex  co  lempore  per  ducenlos  jam  annos  pecorum 
in  modum  consternalos  caedunt  fugantque  :  et  plures  quoque  de  Gallis 
triumphi  quam  de  toto  terrarum  orbe  acli  sunt.  Jam  usu  hoc  cognilum  est, 
si  prinium  impetum  quem  fervido  ingenio  et  caeca  ira  cifundunt,  sustinueris; 
fluunt  sudore  et  lassitudine  merabra,  labant  arma  :  mollia  corpora,  molles, 
ubi  ira  consedit  :  animos  sol,  pulvis,  sitis,  ut  fcrrum  non  admoveas,  pros- 
ternant. » 

Sallust.  Calilina  :  «  Quod  natura  gens  gallica  bcllicosa  esset,  »  et  dans  le 
discours  de  Caton,  ibid.  : 

«  Cognoveram....  facundia  Graccos,  gloria  bclli  Gallos  antc  Romanos 
fuisse.  »  Voy.  San  liai.  Punica,  lib.  Vlll,  16. 


—  309  — 

que  je  me  vis  relégué  pjirmi  les  Gaulois  cl  les  Gcr*mains, 
et  jusque  dans  la  forêt  d'IIercinie,  sans  cesse  aux  prises 
avec  des  sauvages,  comme  un  chasseur  avec  des  bêles 
féroces.  Je  me  trouvais  avec  des  hommes  incapables  de 
faire  leur  cour  et  de  flatter,  accoutumes  de  vivre  simple- 
ment et  librement  avec  tout  le  monde.  Je  commandais  à 
des  peuples  guerriers  et  pleins  de  courage,  qui  ne  connais- 
saient Vénus  que  parce  que  cette  déesse  préside  aux  ma- 
riages et  à  leur  fécondité,  et  Bacchus,  dieu  du  vin,  que  pour 
user  avec  reconnaissance  de  ses  dons  en  proportion  de  leurs 
besoins  respectifs.  »  En  finissant,  l'empereur  dit  aux  habi- 
tants dégénérés  d'Antioche  :  a  On  ne  voit  chez  eux  ni  Tin- 
solence,  ni  l'obscénité,  ni  les  danses  lascives  de  vos  théâ- 
tres (i).  »  Quel  fer  chaud  appliqué  au  front  des  peuples 
en  décadence,  si  ceux-ci  pouvaient,  hélas  !  encore  sentir 
les  injures  ! 

Dans  l'ordre  des  conceptions  religieuses,  on  peut  sup- 
poser avec  vraisemblance  que  les  Phéniciens  ont  servi 
d'intermédiaire  entre  la  Gaule  et  l'Orient.  On  trouve  dans 
la  religion  des  druides  la  cruauté  phénicienne  (2).  L'Apol- 
lon gaulois,  Belenus,  serait-il  le  Bel  des  nations  babylo- 
niennes? L'Hercule  tyrien  a  beaucoup  d'analogie  avec 
l'Hercule  gaulois  (3).  Dans  la  cosmogonie  des  druides,  la 
vie  du  monde  se  compose  d'époques  successives  (4).  Cette 

(1)  Voy.  :  'lou  Xiâvou  toû  aùxo  xpotiopoç  MwwTtwywv,  Lipsiae,  éilit.  Eze- 
CHiEL  Spaniieim,  et  OEuvrcs  complètes  de  l'empereur  Julien,  etc.,  par  Tosiret, 
Paris,  1821. 

(2)  Caes.,  B.  g.,  VI,  16  :  «  Aul  pro  viclimis  honiines  immolant,  etc.  »  — 
Cfr.  Strabon,  liv.  IV. 

(3)  Lucien,  Hercules  Gallicus  :  «  tôv  'HpaXxéa  ol  KeXxol  "Oyiiiov  ôvojAàÇovGi 
(ftov-jï  -cj)  kTC.-/o)plî^.  Ta  3è  eISo;  toûGeoû  uâvo  àXXéxoxov  tppâtpoufft.  Fépwv 
èaxTv  aÙToTç  èç  xà  eaj^axov  àvafjcpaXavxiaç  (recalvastcr),  Tzokioz  âxptpûi;,  osât 
"ko'vKcn  xûv  xpij(ûv,  puaoç  xô6ép(j.a  xat  Siaxexaûfievoç  èî  xà  jAeXâvxaxov  oTol 
eïdi  01  flaXaxxoupyol  ylpovxeç.  » 

(i)  Caes.,  B.  G.,  VI.  14  :  «  Imprimis  hoc  vohinl  persuadcre  non  inlcrire 
animas  sed  ab  aliis  posl  mortcm  transirc  ad  alios  alquc  hoc  maxime  ad  vir- 


—  310  — 

(loclrine  corresponrl  à  renseignement  de  Babylone.  Enfin, 
les  savants  ont  cru  trouver  dans  le  gaulois  des  éléments  de 
ridiome  phénicien  (i). 

César  constate  chez  les  prêtres  gaulois  le  même  esprit. 
Ceux  qui  se  soumirent  à  leur  discipline  étaient  obligés 
d'apprendre  par  cœur  un  grand  nombre  de  vers,  et  il  ne 
leur  était  pas  permis  de  les  mettre  par  écrit  ou  d'en  pu- 
blier la  doctrine  (2). 

La  grande,  l'immense  naiion  des  Celtes  se  compose  de 
beaucoup  de  sous-races.  D'après  l'opinion  de  plusieurs 
savants,  les  Basques  et  les  Galls  en  forment  le  noyau  le 
plus  ancien.  Les  Celtes  Curent  tellement  resserrés  dans 
leurs  limites  par  les  Cimmériens  (Kymris)  (3),  qui  recu- 
laient devant  les  Scythes  vers  l'Occident,  qu'ils  ne  restè- 
rent plus  en  possession  que  de  l'Espagne  et  de  la  Gaule 
située  au-delà  des  Pyrénées. 

Une  partie  de  ce  peuple,  sous  le  nom  de  Calédoniens  et 
de  Gaëls,  passa  dans  la  Haute-Ecosse  et  en  Irlande.  Depuis 


tulem  excilari  pulant  mclu  niortis  neglccto.  »  —  Chez  les  Babyloniens,  les 
puissances  créatrices  procédaient  les  unes  des  autres  pour  aboutir  à  Bel, 
l'organisateur  du  monde  et  de  la  société,  le  fondateur  de  Babylone 

(1)  Voy.  Ampère,  Histoire  de  lillérature  française  avant  le  Xlh  siècle,  1859, 
t.  !,  pp.  83  et  suiv.  On  rapproche  les  ternies  suivant  :  Beul.  Belenus  (Bcal 
Bealon,  Irl),  pli.  Baal  ou  Bel;  g.  Teutalès,  ph.  Taut;  g.  Andrasté,  ph.  As- 
tarlé;  Flésus,  le  Mars  gaulois  est  peut-être  le  même  qu'Aziz  (le  fort),  le  Mars 
phénicien.  Samolns  est  le  nom  que  donnent  les  anciens  à  une  plante  mysté- 
rieuse que  les  Druides  ne  devaient  cueillir  que  de  la  main  gauche,  el  samol 
est  le  nom  de  la  main  gauche  en  hébreu;  barde  signifie  chanteur  selon  Fes- 
TUS,  et  jyarl  pourrait  bien  être  une  racine  sémitique  qui  a  le  sens  de  modu- 
ler. Le  mot  soc  est  aussi  d'origine  phénicienne  selon  Ampère.  Il  est  à 
remarquer  qu'il  y  a,  selon  Bochart,  Geng.  sacra,  p.  682,  quatre  mois 
celtiques  pour  dire  ville,  qui  se  trouvent  tous  les  quatre  dans  les  langues 
sémétiques  :  caer,  dinas,  fre,  hiran. 

(2)  Caes.,  B.  g.,  VI,  14,  el  Amm.  Marcell.,  XV,  IX,  8  :  «  Euhages  vero 
scrutantes  scriem  et  sublimia  naturae  pondère  conabanlur.  Inter  hos  Drui- 
dae  ingeniii  celsiores » 

(5)  Voy.  HÉRODOTE,  I,  ti,  13,  16;  IV,  1,  11,  12;  VIII,  12. 


—  31 1  — 

ces  peuplades  reslèreul  pour  toujours  séparées  de  leurs 
frères  du  coiiliiieiil. 

Entre  les  Basques  et  les  Galls  péiiétrèreul  plus  lard  les 
Kymris.  Ils  s'établirent  de  préférenee  au  nord  de  la  Gaule, 
où  ils  se  firent  connaître  dans  la  suite  des  siècles  sous  le 
nom  de  Belges.  Ceux-ci  peuplèrent  aussi  la  Bretagne  mé- 
ridionale, en  même  temps  que,  se  mêlant  aux  anciennes 
nations  de  la  Gaule  centrale,  ils  fondèrent  la  domination 
des  Celles  dans  le  sens  restreint  de  ce  terme. 

Eludions  maintenant  de  plus  près  cette  nalion  des  Celtes 
et  des  Gaulois. 

On  distingue  parmi  les  Celles  des  sous-races  bleu  lian- 
cbées  :  Aquitains,  Celtes  pi'oprement  dits  ou  Galls,  ou 
Gaulois,  et  Belges  ou  Bolg,  au  nord  de  lu  Gaule,  plus  ou 
moins  mêlés  de  sang  germain,  plus  sauvages,  plus  belli- 
queux, plus  réfractaires  à  la  civilisation  que  leurs  voisins 
du  sud.  Les  Belges  paraissent  être  les  derniers  venus  et  les 
avant-coureurs  des  Germains  qui  arrivent  sur  leurs  talons. 
Les  Galls  peuplèrent  l'IIelvélie,  la  Gaule  centrale,  la  Basse- 
Bretagne  (Armorique)  et  même  les  îles  britanniques,  où 
d'ailleurs,  au  nord  surtout,  les  Kymris  ont  aussi  dispersé 
des  essaims  (i). 

Le  type  celtique  (2),  tel  que  nous  le  connaissons,  n'a 
rien,  au  contraire,  qui  ressemble  au  type  français.  Les 
Armoricains  aux  cheveux  blonds  et  aux  yeux  bleus,  rap- 
pellent, à  cet  égard,  les  Gaulois  (3);  mais  ils  n'en  ont  ni  la 
haute  taille,  ni  la  légèreté  d'esprit  et  de  corps;  ils  se  rap- 
prochent, au  contraire,  des  Celtes-Kymris,  dont  ils  parlent 
la  langue  et  qui  avaient  peuplé  l'Angleterre  et  le  nord  de 


(1)  Voy.  le  savant  appendice  à  l'histoire  romaine  de  Th.  Mommsen,  par 
C  A.  Alexandre,  t.  VII,  p.  3ôC,  18G9.  —  V.  aussi  Milne  Erwahds  [Lettres 
à  M.  Amédée  Thierry). 

(2)  Voy.  A.  Maury,  La  terre  et  l'homme,  p.  -iOS. 

(3)  Consultez  AiiM.  Mabcellin,  XV,  12,  1. 


—  312  — 

la  Gaule.  Les  Kymris,  en  effet,  n'élaient  ni  aussi  lurbu- 
leuls,  ni  aussi  curieux,  ni  aussi  parleurs  que  les  Gaulois; 
ils  avaient  plus  d'affinité  avec  la  race  germanique  qui  se 
mêla  à  eux  dans  la  Belgique  et  l'Angleterre. 

Les  Celtes  ne  sont  plus  guère  représentés  que  par  les 
Irlandais,  les  VVelches  ou  habitants  du  pays  de  Galles,  les 
Ecossais,  surtout  ceux  de  la  ïlaute-Ecosse,  et  les  Armori- 
cains ou  Bas-Bretons.  Les  Français,  descendants  des  Gau- 
lois, sont  issus  du  mélange  d'une  race  celtique  avec  les 
Latins  ou  Italiotes,  puis  avec  les  Francs,  peuple  germanique; 
mais  ces  deux  éléments  ont  pénétré  plutôt  par  infiltration 
que  par  véritable  mélange  (i). 

Les  Gaulois  sont  un  rameau  détaché  de  la  grande  souche 
indo-européenne  ou  indo-germanique.  Ils  ont  quitté  les  pla- 
teaux de  l'Asie  centrale  avant  la  descente  des  Argos  aux 
Indes.  Les  Kelloi  des  Grecs,  Gaels,  Celti,  ne  sont  que  des 
appellations  identiques.  Leur  langue  appartient  à  la  famille 
des  langues  à  flexion  ou  de  celles  qui  ont  parcouru  la  pé- 
riode monosyllabique  et  la  période  de  l'agglutination  ou  les 
époques  de  l'organisme  purement  élémentaire  {2).  On  re- 
monte facilement,  en  suivant  les  lois  de  la  permutation  des 
consonnes,  du  celle  au  sanscrit  et  à  l'iranien.  Chez  les  Cel- 
tes, on  retrouve  dans  le  pronom,  dans  la  conjugaison  des 
verbes  et  ailleurs,  les  caractères  marqués  de  la  langue 
indo-européenne  (3). 

La  plus  difficile  comme  la  plus  intéressante  des  ques- 
tions est,  à  côté  de  l'origine  des  Celtes  et  des  Gaulois, 
l'histoire  de  l'idiome  dont  se  sont  servi  ces  nations.  —  Un 
des  auteurs  les  plus  érudits  du  XVII"  siècle,  Pezron  (4), 


(1)  Maury,  Histoire  de  l'homme  et  de  la  terre. 

(2)  J.  Grimm. 

(3)  Ad.  PicTET,  Affiiiilé  des  langues  celtiques.  —  W.  Edwaris,  Recherches 
sur  les  langues  celtiques. 

(4.)  Né  à  Hennebon,  en  Bretagne,  vers  1639.  Il  a  écrit  :  Traité  de  l'anti- 
quité de  la  nation  cl  de  la  langue  des  Celtes,  autrement  appelés  Gaulois. 


—  313  — 

Armoricain  lui-même  et  qui  avait  fait  une  étude  spéciale 
de  cette  thèse  épineuse,  semble  avoir  devancé  les  recher- 
ches opiniâtres  de  la  science  moderne.  Dans  le  principe, 
selon  lui,  les  habitants  de  l'Europe  ne  formaient  qu'une 
seule  famille  de  peuples  obéissant  à  des  magistrats  et  à  des 
lois  identiques  et  parlant  la  même  langue.  Diverses  émi- 
grations sorties  de  l'Asie  modifièrent  cette  situation,  et 
comme  les  colonies  nouvelles  firent  route  vers  l'Occident, 
il  se  fit  que  le  grec,  le  latin  et  le  germain  s'ajoutèrent  aux 
éléments  du  celte.  Les  contrées  les  plus  exposées  aux  in- 
vasions, subirent  les  premiers  changements.  Celles  qui, 
comme  le  pays  de  Galles,  l'Ecosse,  l'Irlande  et  bien  d'au- 
tres, étaient  d'un  abord  plus  difficile,  continuèrent  à  garder 
leur  antique  régime.  Chose  digne  de  remarque,  dans  ces 
pays,  on  rencontre  encore  des  vestiges  de  druidisme  comme 
incrustrés,  malgré  tant  de  révolutions  religieuses  et  mora- 
les, dans  l'esprit  du  peuple. 

Les  langues  celtiques  peuvent  être  réparties  en  deux 
sections  bien  distinctes,  embrassant  chacune  trois  langues  : 
la  branche  kymrique  ou  bretonne  et  la  branche  gallique  ou 
gaélique.  Ces  deux  branches  sont  séparées  par  des  diffé- 
rences assez  profondes,  qui  paraissent  remonter  à  une 
époque  ancienne.  Dans  la  pre'mière  section,  se  placent  : 
le  kymrique  proprement  dit  ou  ivelche,  langue  du  pays  de 
Galles;  l'idiome  du  Cornwall,  enfin  l'armoricain  ou  bas- 
bretou.  A  la  seconde  section  appartiennent  l'irlandais,  le 
gaélique  proprement  dit  ou  langue  erse,  parlé  dans  la 
Haute-Ecosse;  enfin  le  manx  ou  dialecte  de  l'île  de  Man. 

L'irlandais  est  certainement  de  toutes  ces  langues  celle 
qui  a  conservé  davantage  les  formes  antiques.  Nous  ne 
possédons  guère  de  monuments  des  idiomes  celtiques  anté- 
rieurs au  X«  ou  XI"  siècle.  . 

C'est  incontestablement  à  celte  famille  de  langues  qu'ap- 
partenait la  langue  des  Gaulois,  dont  on  n'a  malheureu- 


—  314  — 

sèment  conservé  aucun  monument  et  dont  nous  ne  con- 
naissons qu'un  petit  nombre  de  mots  que  nous  ont  transmis 
les  auteurs  grecs  et  latins  ou  qui  se  sont  conservés  dans 
les  désignations  de  rivières,  de  montagnes  et  de  localités. 
Les  dialectes  gaulois  ont  été  complètement  effacés  par  le 
latin  (i). 

Les  Gaulois  jouirent  de  bonne  heure,  sous  la  domination 
romaine,  d'éclatants  privilèges,  à  la  condition  de  connaître, 
paraît-il,  la  langue  latine  (2).  Plusieurs  grandes  villes  re- 
çurent le  pis  italicum,  et  du  temps  de  César,  des  Gaulois 
furent  admis  au  sénat  romain  (3). 

Les  écoles  de  Narbonne,  de  Toulouse,  de  Lyon,  de  Bor- 
deaux, d'Augustodunum  ont  brillé  d'un  vif  éclat  (4).  On 
parla  le  latin  au  foyer  de  la  famille  et  pour  communiquer 
au  peuple  la  parole  de  Dieu  (s).  Bientôt  les  classes  élevées 
et  les  populations  des  villes  furent  entièrement  conquises 


(1)  Macrt,  p.  304. 

(2)  Voy.  CicÉRO  pr.  Fonleio,  c.  1,  et  Just.,  lib    XXVI,  chap.  2. 

(3)  Voy.  Dic,  De  censibus  (L.  15);  Suét.,  Cacs.,  76;  Tacit.,  Ann.,  XI,  2i. 

(4)  Voy.  FiURiEi,  Ampère,  Thierry,  Dom  Martin  Bouquet. 

Ce  dernier  dit  :  «  La  Gaule  Narbonnaise,  qui  était  une  province  romaine 
longtemps  avant  César,  en  recevant  des  Romains  le  joug  de  la  servitude, 
reçut  en  même  temps  celui  de  leur  langue.  Les  autres  provinces  des  Gaules, 
après  qu'elles  furent  vaincues  par  César  et  qu'elles  devinrent  provinces  de 
l'empire  romain,  subirent  le  même  joug,  si  cependant  l'on  en  excepte 
quelques  peuples  de  la  Gaule  Lyonnaise,  c'est-à-dire  les  Bas-Bretons,  qui 
ont  conservé  jusqu'à  présent  le  langage  celtique.  Les  Gaulois  néanmoins,  en 
prenant  la  langue  des  Romains,  n'ont  pas  absolument  abandonné  la  leur  : 
car  ils  ont  retenu  un  grand  nombre  de  mots  celtiques,  dont  ils  se  servent 
encore  aujourd'hui.  Antonlus  Primiis,  né  à  Toulouse,  zélé  défenseur  du 
parti  de  Vespasicn,  fut  surnommé  Beccus  dans  sa  jeunesse,  comme  nous 
l'apprend  Suétone,  qui  ajoute  que  ce  mot  signifiait  bec  de  coq.  Nous  nous 
servons  encore  aujourd'hui  de  ce  mot  pour  exprimer  non  seulement  le  bec 
de  coq,  mais  encore  celui  de  toute  sorte  d'oiseaux.  » 

Voici  les  propres  termes  de  Suétone  :  «  Ctii  [Anionio  Primo)  Tolosae  nalo 
cognomen  in  pueritia  Becco  fuerat.  Id  valet  Gallinacci  roslrum,  »  {In  ViUllio, 
cap.  18). 

(5)  Sidoine  AppoLLI^AIRE,  Episl.  VII,  9. 


—  315  — 

à  la  langue  et  à  la  civilisation  de  Kome.  Mais  la  langue 
gauloise,  en  dépit  du  rayonnement  du  lalin  dans  tout  l'em- 
pire, ne  fut  pas  totalement  éclipsée  (i). 

Cependant  elle  s'effaça  en  partie,  du  moins  au  commen- 
cement du  III''  siècle,  lorsque  l'indépendance  nationale  se 
fut  entièrement  évanouie.  Rome  impérieuse  (2)  et  hautaine, 
avec  son  joug  de  fer,  imposa  sa  langue  aux  vaincus  par 
les  relations  sociales.  Celle-ci  s'implanta  dans  les  localités 
où  il  y  avait  des  magistrats  et  des  soldats  romains.  Par 
l'activité  et  le  mouvement  que  ceux-ci  imprimèrent  à  toute 
chose,  la  langue  qu'ils  parlaient  devint  insensiblement  la 
langue  usuelle  du  peuple. 

Ce  n'est  pas  en  Gaule  que  les  Romains  commencèrent 
pour  la  première  fois  à  mettre  en  pratique  leurs  procédés  de 
romanisation.  Après  la  sujétion  de  la  Grèce,  les  magistrats 
romains,  de  peur  de  ternir  leur  prestige,  avaient  soin  de  ne 
communiquer  qu'en  lalin  avec  les  Grecs.  Ils  redoutèrent 
l'excessive  volubilité  de  langue  dont  la  nature  avait  doué 


(1)  On  conclut  d'après  quelques  vers  de  Vena.ntius  FoniuNATUs  el  un  pas- 
sage de  GitÉGOiRE  DE  Tours  (344-393),  que  du  temps  de  ces  écrivains  la  langue 
gauloise  existait  encore.  Ce  dernier  rapporte  (I,  30)  que  Clirocus  détruisit 
un  temple  que  les  Gaulois  dans  leur  langue  nommèrent  Vasso.  On  pense 
qu'ils  désignèrent  par  ce  nom  le  dieu  Uars.  Voici  les  propres  termes  de 
Grégoire  de  Tours  :  «  Veniens  verô  (Chrocus)  Arvernos,  delubrum  illud  quod 
Gallicà  lingua  Vasso  Galatae  vocant,  incendit,  diruil  atque  subverlil.  »  For- 
TUNATUS  {Venantii  Honorii  Clcmenlissimi  Forlunali,  Presbyleri  ilalici,  episcopi 
Piclaviensis  Carmina  liistorica)  est  venu  en  France  vers  362,  sous  le  règne  de 
Sigibert.  Par  ses  vers  il  s'attira  l'amitié  de  tous  les  hommes  célèbres  de  son 
époque,  et  c'est  peut-être  à  son  talent  poétique  prodigieusement  exagéré  de 
son  temps  qu'il  dut  l'honneur  d'être  élevé  à  l'épiscopat  vers  l'année  399. 
Le  passage  de  son  poërae,  auquel  nous  faisons  allusion  dans  le  texte,  est 
le  suivant  (I,  9,  9)  : 

«  Nomine  Vernemetes  voluit  vocitare  vetusta 

»  Quod  quasi  fanum  ingens  Gallica  lingua  rcfert.  » 

(2)  Voy.  AuGUST.,  De  civ.  Dei,  XIX,  7  :  «  At  enim  opéra  data  est  ut  im- 
|)criosa  civilas  non  solum  jugum  verum  etiam  linguani  suam  domilis  genlis 
per  pacem  societatis  imponcret.  » 


—  316  — 

leurs  nouveaux  sujets,  et  pour  la  combattre  avec  succès, 
ils  les  forcèrent  à  se  servir  d'interprètes  à  Rome,  en  Grèce 
et  en  Asie.  De  cette  manière,  la  langue  latine  acquit  de 
Téclat  et  inspira  le  respect  aux  nations.  Le  pallium  devait 
s'effacer  devant  la  toge,  et  dans  ces  temps  plus  reculés,  les 
magistrats  romains  avaient  pour  principe  que  les  charmes, 
les  douces  jouissances  de  la  littérature  grecque  ne  devaient 
point  exercer  d'influence  sur  la  gravité  et  l'ascendant  de 
Rome  (i). 

Le  gaulois  ne  se  maintint  et  ne  fut  plus  cultivé  que  dans 
les  régions  protégées  par  les  marais  et  les  montagnes  escar- 
pées contre  la  civilisation  romaine.  Au  surplus,  on  parla 
encore  le  celtique  chez  les  Belges  à  l'époque  de  l'invasion 
des  Francs  dans  ce  pays,  et  la  langue  latine,  en  se  répan- 
dant dans  la  population  gauloise,  fut  profondément  modifiée 
et  altérée.  Elle  dut  se  plier  très-souvent  à  l'influence  du 
génie  étranger  (2). 

Voici  comment  à  son  tour  un  écrivain  français  suit  les 
progrès  de  la  langue  latine. 

Le  latin  s'introduisit  et  se  répandit  insensiblement  dans 
les  Gaules  par  l'administration,  la  justice,  les  lois,  les 
institutions  politiques,  civiles  et  militaires,  la  religion,  le 
commerce,   la  littérature,   le   théâtre  et  tous   les   autres 


(1)  Voy.  VALEnii  Max.,  lib.  Il,  c.  2. 

(2)  Voy.  Fauriel,  Hisl.  de  la  poésie  provinciale,  vol.  I,  p.  191  :  «  Quant  à 
la  Gaule,  les  chances  de  rallération  du  latin  dans  la  bouche  des  basses  classes 
du  peuple  y  étaient  évidemment  plus  nombreuses  et  plus  fortes  qu'à  Rome, 
dit-il,  les  Gaulois  devaient  oublier  leurs  anciennes  langues;  et  un  oubli  de 
ce  genre,  même  avec  la  volonté  décidée  d'y  parvenir,  est  toujours,  pour  la 
masse  d'un  peuple,  la  chose  du  monde  la  plus  lente  et  la  plus  difficile.  Les 
termes,  les  idiotismes  nationaux,  devaient  à  chaque  instant  percer  dans  le 
latin  d'un  Celle,  d'un  Gaulois,  d'un  Aquitain,  qui  ne  l'avaient  point  appris 
systématiquement,  mais  par  l'usage  et  pour  le  strict  besoin.  De  ce  mélange 
forcé,  de  celle  inévitable  collision  du  latin  et  des  idiomes  primitifs  de  la 
Gaule,  durent  nécessairement  se  former  des  dialectes  intermédiaires,  un  latin 
populaire,  que  je  distinguerai  dès  à  présent  par  le  nom  de  lalin  rustique.  >« 


—  317  — 

moyens  dont  Rome  savait  si  habilement  se  servir  pour 
imposer  sa  langue  aux  nations,  comme  elle  leur  imposait  le 
joug  de  sa  domination. 

Déjà  du  vivant  de  Cicéron,  comme  le  grand  orateur 
nous  l'apprend  lui-même,  la  Gaule  était  pleine  de  mar- 
chands romains  et  il  ne  se  faisait  pas  une  affaire  que  quel- 
que Romain  n'y  participât.  Mais  ce  qui  dut  le  plus  puissam- 
ment contribuer  à  la  propagation  de  la  langue  latine,  ce  fui 
le  besoin  où  se  trouvèrent  les  Gaulois  de  recourir  au 
magistrat  romain  pour  obtenir  justice;  car  toutes  les  causes 
se  plaidaient  en  latin,  et  une  loi  expresse  défendait  au  pré- 
teur de  promulguer  un  décret  en  aucune  autre  langue  qu'en 
langue  latine.  A  partir  du  règne  de  Claude,  la  langue 
latine  fît  de  rapides  progrès  dans  les  Gaules,  et  bientôt  des 
écoles  de  grammaire  et  de  rhétorique  s'établirent  de  toutes 
parts.  Il  faut  citer  parmi  les  plus  célèbres,  celles  de  Tou- 
louse, de  Bordeaux,  d'Autun,  de  Trêves  et  de  Reims, 
écoles  qui  ne  tardèrent  pas  à  acquérir  une  renommée  telle, 
que  des  empereurs  mêmes  y  envoyèrent  leurs  enfants, 
Crispus,  fils  aîné  de  Constantin,  et  Gratien  firent  leurs 
études  à  Trêves.  A  la  fin  du  1V<=  siècle,  le  latin  était  devenu 
la  langue  usuelle  des  hautes  classes  de  la  société  et  des 
femmes  elles-mêmes. 

Quant  au  peuple,  et  particulièrement  à  celui  de  la  cam- 
pagne, il  se  montra  plus  rebelle  à  l'adoption  d'un  idiome 
dont  il  ne  ressentait  pas  également  la  nécessité;  mais  lors- 
qu'il n'entendit  plus  parler  autour  de  lui  que  la  langue  de 
Rome,  il  s'avisa  enfin  de  la  bégayer;  à  l'exemple  des  puis- 
sants et  des  riches,  il  laissa  peu  à  peu  le  celtique  dans  un 
dédaigneux  oubli,  et  les  paysans  gaulois  firent  pour  le  latin, 
ce  que  font  de  nos  jours  pour  le  français  les  paysans  de 
l'Alsace,  de  la  Bretagne,  etc.  (i). 

(I)  Voy.  CiiEVALLET,  Origine  et  formation  de  la  langue  française. 


-    518  — 

César  lui-même  ne  jelle  aucune  lumière  sur  la  question 
(les  idiomes.  II  constate  que  Belges,  Aquitains  diffèrent 
entre  eux  de  langage,  de  mœurs  et  de  lois  (i).  Mais  il 
n'apporte  aucune  notion  essentielle  qui  éclaircit.  Strabon 
nous  apprend  que  Celtes  et  Belges,  bien  que  Gaulois  par 
les  traits  de  physionomie,  n'ont  pourtant  pas  le  même 
idiome  (2).  A  cet  égard,  Ammien  Marcellin  n'est  pas  moins 
explicite.  Les  Celtes  de  la  Gaule,  dit-il,  les  Aquitains  et  les 
Belges  n'ont  en  commun  (5)  ni  langue,  ni  institutions,  ni 
lois. 

Mais  n'est-ce  pas  une  réminiscence  de  César?  En  médi- 
tant sur  le  texte  du  géographe  grec,  il  est  facile  de  voir  que 
le  type  national  des  Gallo-Belges  est  resté  intact  après  la 
conquête;  mais  leur  idiome  avait  subi,  déjà  à  l'époque  de 
Strabon,  de  profondes  altérations.  11  existe  vivant  sous  nos 
yeux  un  peuple  qui,  tout  en  adoptant  la  langue  du  vain- 
queur, a  conservé  jusqu'à  nos  jours  les  traits  distinctifs  de 
l'ancienne  race.  Nous  parlons  des  Daces,  que  Trajan  sou- 
mit. A  ce  propos,  M.  Pirot  dit  dans  sa  Revue  de  liguisti- 
que  (4)  :  Chose  remarquable,  les  idiomes  de  la  race  barbare 

(1)  Caes.,  B.  g.,  I,  1  :  «  Hi  omncs  liiiguâ,  inslitulis,  legibus  inler  se  diffe- 
runl.  » 

(2)  «  TO'Jî  §£  XoiTZQ'Jc,  ra>,aTixoù;  jjiÉv  t-?;v  ot|'iv  ôjxoyîvcÔTTOOi;  5e  où  TiavTaî 
aXi\  èvtouî  [JLixpôv  TtapaTkXdéxxovTai;  xaTç  yXiôtTatç,  Straro,  IV,  1.  »  Pour  bien 
saisir  la  porlée  de  ce  passage  de  Strabon,  il  faut  bien  se  rappeler  que  cer- 
tains faits,  certaines  dates  consignés  dans  les  ouvrages  de  Strabon  semblent 
eu  placer  la  rédaction  entre  13  et  25  de  J.-C,  alors  que  l'auteur  aurait  eu 
quatre-vingts  ans  et  davantage.  Malte-Brun  pense  que  Strabon,  surpris  par 
la  mort,  n'aurait  pas  mis  la  dernière  main  à  son  ouvrage.  Il  néglige  presque 
entièrement  les  écrivains  romains,  soit  par  infatuation  de  la  langue  grecque, 
soit  parce  qu'il  ne  possédait  pas  assez  la  langue  latine.  Les  Romains  sem- 
blent lui  rendre  le  dédain  qu'il  affecte  pour  leur  science;  ils  ne  le  citent  que 
rarement.  Le  IV"  livre  de  sa  géographie  comprend  la  Gaule,  la  Breta- 
gne (Grande-Bretagne)  avec  lerné  ou  l'Irlande. 

(3)  AsiM.  Marc,  XV,  11,  1  :  «  Temporibus  priscis  quuni  laterent  hac 
partes  ut  barbarae,  tripartitae  fuisse  credunlur  in  Celtas  eosdemque  Gallos 
dlvisae  et  Âquitanos  et  Belgas,  lingua,  institulis,  Icgibusque  discrepanlcs .  « 

(4)  Revue  de  Ungnistique,  t.  Il,  1868. 


—  519  — 

se  sonl  beaucoup  mieux  conservés  que  la  langue  qu'elle 
(levait  parler.  Tandis  que  Ton  ne  peut  apprécier  avec  cer- 
titude la  part  que  l'idiome  dace  a  eue  dans  la  formation  du 
roumain,  nous  retrouvons  dans  le  paysan  moldo-valaque  le 
type  exact  de  ces  guerriers  à  longs  cheveux  que  nous  re- 
présentent les  bas-reliefs  de  la  colonne  Trajane. 

Quand  Arioviste  donne  jour  à  César  pour  une  seconde 
entrevue,  César  se  contente  de  lui  envoyer  C.  Valérius 
Procillus,  fils  de  C.  Valérius  Caburus,  jeune  homme  plein 
d'honneur  et  de  vertu,  en  qui  il  avait  confiance,  qui  de 
plus  savait  la  langue  gauloise,  qu'Arioviste  avait  apprise 
depuis  qu'il  était  dans  les  Gaules  (i).  César  ne  se  soucie 
pas  d'étudier  la  langue  des  vaincus.  Les  Romains  n'avaient 
pas  une  haute  opinion  de  la  flexibilité  de  l'idiome  germani- 
que. On  sait  ce  qu'ils  en  pensaient. 

Le  gaulois,  à  son  tour,  a  réagi  sur  l'idiome  latin,  et 
celui-ci  n'étant  pas  parvenu  à  déraciner  partout  ce  dialecte, 
il  est  résulté  de  cette  lutte  inégale  un  latin  composé  d'élé- 
ments mixtes.  Dans  sa  biographie  de  Martin,  Sulpice  Sé- 
vère constate  l'existence  d'un  latin  corrompu,  rustique, 
entièrement  différent  de  celui  en  usage  dans  les  cercles 
plus  raffinés  des  villes  (2).  Un  passage  de  Sidoine  Apolli- 
naire semble  avoir  en  vue  le  langage  contraire  à  la  bonne 

(1)  Caes  ,  B.  g.,  I,  47  :  «  El  propler  fulem  et  propler  linguac  gallicae, 
scienliam  quà  inulla  jam  Ariovislus  loginqua  consueludiiie....  ulebalur.  » 

(2)  SoLP.  Sev.,  DiaL,  c.  2G  ••  «  Sed  dum  cogilo,  me  hominem  Gallum  inlcr 
Afjuitanos  verba  faclurum,  vcrcor,  ne  o/fendal  veslras  nimium  urbanas  aures 
scrmo  rusticior,  audiclis  me  lamcn  ut  Gurdoniciim  hominem,  nihil  cum  fuseis 
aul  colhurno  loqitenlem.  Nam  si  mihi  Iribuitis,  Martini  me  esse  discipulum^ 
ilUid  cliam  concedite,  ul  milii  liccat  exiemplù  illius  inanes  scrmonum  phaleras 
et  verborum  ornamenla  conlcmnere.  Tu  vcro,  inquil,  Postumianus,  vel  Celiice 
aul,  si  mavis,  Gallire  loquere,  dummodo  jam  Martinum  loquaris.  »  Nul  lioule 
qu'il  ne  s'agisse  ici  sous  ces  dénominations  de  celle  et  de  gaulois,  de  deux 
des  anciens  idiomes  de  la  Gaule,  encore  alors  subsistants,  mais  de  l'un  des- 
quels toute  trace  se  perd  dès  ce  moment.  (Voy.  Fauriel,  Uist.  de  la  poésie 
provençale,  t.  I,  p.  193). 


320   — 


latinité,  quand  il  aflirnie  que  la  noblesse  des  Arvernes  se 
dépouillera  de  la  grossièreté  du  langage  celtique  (i).  D'au- 
tres ont  vu  dans  ces  paroles  la  preuve  que  la  langue  gau- 
loise s'était  conservée  jusqu'au  V*^  siècle  (2). 

Il  se  forma  par  la  suite  une  langue  populaire  dans  la- 
quelle les  éléments  de  la  lingua  rustka,  que  les  Romains 
apportèrent  en  Gaule,  s'assimilèrent  à  ceux  de  la  langue 


(1)  Sidoine  Apollinaire,  dont  l'aïeul  avait  été  préfet  des  Gaules,  mourut 
vers  488.  Il  écrit  (Epist.,  III,  ô)  : 

a  Oniitlo  islic  ob  gratiam  pueriliae  luae  undique  genlhini  confluxisse  studia 
iterarum  luaeqxie  personae  quondam  debilum ,  quod  sermonis  Ccllici  squamam 
dcposilura  nobilitas  nune  oratorio  slylo  mine  cliam  camoenalibus  modis  im- 
buebalur.  » 

(2)  L'emploi  de  la  langue  gauloise  a  survécu  assez  longtemps  à  la  con- 
quête romaine.  Selon  Ulpien,  elle  ponvait  être  employé  dans  les  testaments; 
elle  avait  donc  encore  au  1II«  siècle  une  existence  légale.  Au  IV",  saint 
JÉRÔME  reconnaissait  chez  les  Galales  d'Asie  l'idiome  qu'il  avait  entendu 
parler  aux  environs  de  Trêves.  Au  V«,  Sclpice  Sévère,  dans  ses  dialogues 
sur  la  vie  de  saint  Martin,  dit  à  son  interlocuteur  :  «  Parle  nous  en  celtique 
ou  en  gaulois,  pourvu  que  tu  nous  parles  de  Martin;  »  ce  qui  montre  qu'à 
cette  époque  les  dialectes  trouvés  par  César  au  nord  de  la  Garonne  subsis- 
taient encore  distincts.  Au  Vie,  Sidoine  Apollinaihe  écrivait  à  son  ami  :  «  La 
noblesse  de  ce  pays  commence  seulement  à  déposer  la  croûte  de  l'éducation 
gauloise;  «  et  saint  Grégoire,  employant  le  mot  fol,  dit  qu'il  parle  à  la  ma- 
nière gauloise  [more  gatlico)  :  «  Fol  est  en  effet  celtique.  « 

Après  cette  époque,  on  ne  trouve  plus  la  langue  indigène  de  la  Gaule 
qu'en  Bretagne;  dans  ce  pays  la  vieille  couche  gauloise  fut  récrépie  en  quel- 
que sorte  par  les  Bretons  d'Angleterre,  qui,  au  commencement  du  IV<=  siècle, 
accompagnèrent  l'usurpateur  Maxime,  et  restèrent  dans  l'Armorique,  appelée 
depuis  Petite-Bretagne.  Dans  celte  province  située  hors  de  la  direction  des 
voies  romaines,  qui  se  dirigeaient  vers  le  Rhin,  éloignée  du  théâtre  des 
luttes  que  rE.npire  soutint  contre  les  barbares  et  des  longues  guerres  que 
la  Gaule  du  Nord  fit  plus  tard  à  la  Gaule  du  Midi,  dans  cette  Bretagne  sou- 
mise Irès-longlemps  à  un  chef  indépendant,  l'idiome  celtique,  protégé  par 
son  isolement,  s'est  maintenu  et  perpétué  jusqu'à  nos  jours  (Ampère,  Hisl. 
de  la  lin.  de  la  France,  t.  I,  p.  36). 

M.  Fauriel  a  fait  sur  le  provençal  une  opération  philologique,  de  laquelle 
il  résulte  qu'il  y  a  en  provençal  trois  mille  mois  qui  ne  sont  pas  d'origine 
latine.  Or,  sur  ces  trois  mille  mots  tout  ce  qui  n'est  pas  grec,  basque  ou 
arabe  est  en  grande  partie  celtique  (Voy.  Fauriel,  Histoire  de  la  poésie  pro- 
vençale, t.  I,  p.  195.  Conf.  ibid.,  p.  193). 


—  521  — 

«alionale,  pour  en  faire  un  loul  nouveau  sous  le  contrôle 
du  génie  latin.  Déjà  vers  la  fin  du  11^  siècle,  on  rencontre 
des  traces  de  celle  transformation.  Saint  Irénée,  second 
évèque  de  Lyon,  en  parle  dans  un  passage  où  il  fait  men- 
tion du  dialecte  celtique,  qu'il  n'a  pas  appris,  comme  il 
le  dit  lui-même  (\).  Étanl  Grec  de  naissance,  originaire 
de  Smyrne  ou  des  environs,  il  ne  peut  être  question 
sous  sa  plume  de  la  langue  populaire  en  opposition  à  la 
langue  classique,  à  la  langue  des  savants,  qu'il  s'était  sans 
doute  appropriée  par  l'étude.  La  langue  romano-gauloise, 
plus  vigoureuse  dans  le  sud  que  dans  le  nord,  où  elle  eut  à 
combattre  l'élément  germanique,  ne  fut  pas  même  entière- 
ment engloutie  par  l'irruption  des  Francs.  Au  troisième 
concile,  rassemblé  à  Tours  en  813,  on  arrêta  de  translater 


(1)  n  moui'ul  vers  202  pendant  la  persécution  ordonnée  par  Seplime 
Sévère.  On  lit  dans  la  préface  de  son  traité  contre  les  hérésies  :  «  oùx 
èTtiÇ7]Tr,aeii;  8é  irap'  rjfxwv  ,  tôSv  èv  KsXxoTç  ôiaTpipôvTWV  xal  pâpPapov  ià 
TrXeTffTOV  àa);^oXou[J.lvwv,  Xôywv  té/^v/jv  '^'v  oùx  è|j.ccOo[Aev.  » 

(2)  Voy.  La  barbarie  franke  cl  la  civilisation  romaine,  par  Gérard,  Brux., 
1843,  p.  149  :  «  Qu'on  refasse  l'iiisloire  de  France  et  de  Belgique  en  se 
plaçant  au  point  de  vue  que  nous  avons  indiqué  :  on  la  verra  dominée  dans 
toutes  ses  parties  par  un  grand  fait,  qui  se  perpétue  et  qui  n'est  autre  que 
la  lutte  de  l'élément  germanique  et  de  l'clément  gallo-romain.  En  Belgique, 
ou,  pour  parler  plus  exactement  dans  le  pays  d'Oster,  l'élément  germanique 
étant  pur,  cette  lutte  n'a  pas,  dès  les  premiers  temps,  le  même  caractère 
que  dans  la  Ni-Oster.  » 

iVotons  ce  fait  à  propos  de  la  langue  rustique,  que  Cicéron  s'insinua  parmi 
les  matelots  pour  en  étudier  les  termes,  ou  comme  nous  dirions  l'argot,  cl 
qu'il  ne  mentionne  aucun  terme  ou  idiotisme  du  domaine  particulier  du 
latin  populaire. 

A  ce  propos  on  peut  citer  Raynouard.  L'auteur  des  Templiers  dit  dans  sa 
Grammaire  comparée  des  langues  de  l'Europe  latine  avec  la  langue  des  trou- 
badours, p.  xLviii  :  a  Et  même  les  savants  qui  ont  démontré  que  le  peuple 
de  Rome  et  des  campagnes  parlait  un  latin  corrompu,  se  servait  d'expres- 
sions, de  termes  insolites  ou  inélégants,  et  de  tournures  triviales,  n'onl-ils 
pas  fourni  par  leurs  propres  reclierches,  une  preuve  évidente  qu'il  n'existait 
pas  à  Rome  un  idiome  particulier,  puisque  ces  termes,  ces  mots,  quoique 
grossiers,  étaient  toutefois  employés  selon  l'esprit  et  d'après  les  formes  de 
la  grammaire  latine.  » 

23 


3-22 


les  homélies  en  langue  romaine  rustique  el  en  ludesque, 
afin  d'être  à  la  portée  de  tout  le  monde. 

Six  langues  romanes,  deux  à  Test  :  la  langue  italienne 
et  la  walaque,  deux  au  sud-ouest  :  la  langue  espagnole  el 
portugaise,  et  deux  au  nord-ouest  :  la  langue  provençale 
et  la  française,  s'imposent  à  l'attention  par  leurs  analogies 
linguistiques  et  leur  valeur  littéraire.  Elles  dérivent  toutes 
d'une  source  commune  :  la  langue  latine.  Il  ne  s'agit  pas 
ici  de  la  langue  classique  dont  se  servaient  les  écrivains 
de  Rome,  mais  du  latin  vulgaire  ou  rustique  qui  subsistait 
à  côté  de  la  première.  Cet  idiome  du  peuple  se  faisait  re- 
marquer sans  doute  par  des  acceptions  de  mots  toutes 
spéciales  [vocabula  ruslica,  vidgaria,  sordida),  une  pronon- 
ciation particulière,  l'exclusion  de  certaines  formes  gram- 
maticales el  l'emploi  de  tours  el  d'expressions  soigneuse- 
ment proscrits  par  la  langue  scientifique. 

Ennius,  Plante  et  Vitruve  se  servent  de  termes  popu- 
laires. A  la  fin  de  l'empire  d'Occident,  les  idiotismes  et 
les  provincialismes  font  irruption  dans  le  domaine  de  la 
langue  patricienne.  Alors  les  provinces  s'étaient  élevées 
par  les  droits  politiques  au  niveau  de  la  capitale,  et  comme 
elles  en  voulaient  à  son  prestige  politique,  elles  se  sou- 
ciaient peu  de  la  pureté  du  langage.  Les  nations  soumises 
à  Rome  y  apportèrent,  dit  Isidore,  avec  leurs  richesses,  la 
corruption  des  mots  el  des  mœurs  (i). 

Dans  le  midi  des  Gaules,  on  parlait  de  préférence  le 
latin;  mais  il  est  difficile  de  supposer  que  les  Romains  aient 
envahi  la  Gaule  en  assez  grand  nombre  pour  lui  faire 
perdre  l'idiome  national  (2).  Pour  emprunter  à  M""  Abel 


(1)  Voy.  Cric,  I,  31;  Aul.  Gellius,  Noeles  atlicae,  9,  13;  Festus,  De 
significalione  verborum  ;  NoNius  MAncELLUS ,  De  cojnpcndiosa  doclrinâ,  et 
Fabius  Planciades  Fulgentius  :  Exposilio  scrmonum  anliquorum. 

(2)  Trois  peuples  bien  distincts  se  partageaient  la  Gaule  à  l'époque  de  la 
conquête  par  Jules  César  de  cette  vaste  contrée  :  les  Aquitains,  les  Belges 


—  323  — 

Rémusat  une  règle  judicieuse,  nous  disons  qu'il  faut  ad- 
mellre  qu'une  langue  étrangère  se  mêle  à  la  langue  indigène 
en  proportion  du  nombre  de  ceux  qui  l'apportent  dans  le 
pays.  La  vieille  langue  des  aïeux,  s'écrie  M.  Demogeot, 
presque  exilée  des  grandes  villes,  se  conservait  vivante  et 
révérée  dans  les  hameaux,  dans  les  campagnes,  au  bord 
des  forets  druidiques.  L'érudition  en  a  suivi  pieusement 
les  traces  d'âge  en  âge,  à  travers  le  texte  des  écrivains 
latins.  Au  VP  siècle,  le  poète  Fortunat  rend  encore  té- 
moignage de  son  existence  et  de  ses  inspirations  lyriques. 
A  cette  époque,  le  celtique  recule  devant  les  conquérants 
germains;  il  se  replie  peu  à  peu  et  comme  en  grondant, 
jusque  dans  l'Armorique,  son  dernier  et  inexpugnable 
asile.  C'est  là  qu'aujourd'hui  encore,  après  tant  de  siècles, 
tant  d'invasions,  tant  de  bouleversements,  il  subsiste  tel 
qu'on  le  parlait  au  W^  siècle  de  noire  ère.  Au  milieu  des 
changements  universels  de  l'Europe,  la  Bretagne  semble 
demeurer  immobile,  et,  pareille  à  ses  mystérieux  dolmens, 
elle  s'élève  dans  un  coin  de  la  France  comme  l'ombre  de 
notre  passé,  comme  le  dépositaire  des  vieilles  mœurs  et 
des  antiques  souvenirs.  » 

Ce  mépris  de  la  langue  du  monde  barbare  est  une  des 
causes  qui  nous  ont  privé  de  presque  tous  nos  éléments 
d'appréciation.  Mais  notre  ignorance  à  cet  égard  doit  aussi 
être  attribuée  en  partie  à  l'organisation  religieuse  et  même 
civile  de  ces  peuples.  C'est  ce  que  nous  explique  parfaite- 
ment César,  quand  il  dit  :  «  Les  druides  (i)  président  aux 


el  les  Celles.  Sthabon  nous  apprend  qu'il  n'y  avait  pas  de  différence  essen- 
tielle dans  leurs  dialectes.  C'est  Strabon  qui  l'afllrme;  Sulpice  Sévère  dit  que 
le  Belge  comprenait  l'Aquitain,  et  que  ce  dernier  entendait  le  langage  du 
Celte.  Voy.  Glossaire  élymologiquc  el  comparatif  du  patois  picard  ancien  ei 
moderne,  par  Jules  Corblet,  1831. 

(1)  Caes.,  B.  g.,  lib.  VI,  14  :  «  Illi  rébus  divinis  intersunl,  sacrificia  pu- 
blica  ac  privata  procurant,  religiones  inlerprctantur .  » 


—  324  — 

choses  divines,  ils  règlent  les  sacrifices  tant  publics  que 
particuliers  et  expliquent  les  cérémonies  ei  usages  du  culte.  » 
Et  plus  loin  :  «  On  dit  qu'ils  apprennent  par  cœur  un  grand 
nombre  de  vers  :  aussi  quelques-uns  restent-ils  des  vingt 
années  sous  la  discipline  de  leurs  maîtres  (i),  qui  ne  per- 
mettent pas  qu'ils  écrivent  ces  vers,  quoique  dans  plusieurs 
autres  affaires  et  publiques  et  particulières,  ils  se  servent 
de  caractères  grecs.  »  Celait  pour  éviter  la  profanation  des 
mystères  aussi  bien  que  des  institutions  civiles,  que  cette 
coutume  s'était  introduite;  nous  lui  devons  notre  ignorance 
presque  complète  dans  cette  matière  d'une  si  grande  im- 
portance ethnographique.  Quelque  chose  d'analogue  se 
passa  dans  les  Indes. 

Les  Mantras,  collection  de  cantiques  et  de  prières,  pro- 
viennent des  Rischis,  poètes  inspirés,  espèce  de  druides  de 
l'Inde.  Ces  grandes  recueils  auraient  été  transmis  de  bouche 
en  bouche  pendant  plus  de  quatre  cents  ans.  Ils  n'avaient 
pas  été  fixés  par  l'écriture  durant  ce  long  espace.  Dans  un 
de  ses  mémoires,  le  savant  indianiste,  M.  Westergaard  (2), 
prétend  même  qu'ils  ont  été  pendant  plus  longtemps  confiés 
à  la  précieuse  faculté  de  conserver  les  idées  du  passé  (s). 

(1)  Ibi<l.,  VI,  14  :  «  Magnum  ihi  numerum  versuum  cdiscere  dicunlur.  Ila- 
qiie  annos  nonnulU  vicenos  in  disciplina  permanent.  Neque  fas  esse  exisiimanl 
ea  lilleris  mandare  qnum  in  reliquis  fere  rébus  puhlicis  privatisque  rationi- 
bus  Graecis  litleris  ulanlur.  » 

(2)  Voy.  FÉLIX  NÈVE,  RuUelins  de  l'Académie  royale  de  Bruxelles  :  Du  beau 
littéraire  dans  les  œuvres  du  génie  ùif/Zen;  Weber,  Acadcmische  Vorlesungcn 
ûber  die  indische  Lileralurgeschichle,  Berlin,  1852;  Westergaard,  Uber  den 
àltesten  Zeilraum   der  indischen  Geschichle  mil  Rilcksichl  auf  die  Literatur. 

(3)  Un  phénomène  analogue  se  proiluit  dans  la  littérature  provençale. 
Nous  voulons  parler  de  jongleurs.  Les  uns  étaient  libres  el  menaient  une 
vie  ambulante,  récitant  dans  les  rues  el  sur  les  places  publiques  les  pièces 
de  vers  qu'ils  savaient  par  cœur.  Les  autres  étaient  attachés  au  service  par- 
ticulier des  troubadours  célèbres,  qui  les  menaient  partout  avec  eux,  dans 
les  châteaux  et  les  cours  pour  y  chanter  leurs  vers.  Les  Arabes  andalous 
eurent  aussi  des  poètes  de  cour  et  des  poètes  populaires,  des  raoui  et  des 
jongleurs.  Chez  les  Scandinaves,  plusieurs  des  Skaldes  sont  connus  pour 
avoir  su  de  mémoire  quelques-uns  des  chants  de  l'Edda. 


~  325  — 

On  le  voit,  dans  le  monde  moral,  comme  dans  le  monde 
physique,  tout  se  tient,  tout  s'enchaine. 

Le  latin  cessa  d'être  parlé  dans  la  Gaule  vers  le  milieu 
du  Vll^  au  milieu  du  IX"  siècle.  Cet  idiome,  qui  faisait 
le  fond  de  tous  les  dialectes  populaires,  ne  dominait  plus 
également  dans  tous.  Les  pouvoirs  politiques  de  cette  épo- 
que n'étant  pas  assez  forts,  l'Église  se  chargea  du  soin  de 
rapprocher  les  divers  idiomes  de  la  Gaule.  V^ers  813,  les 
fidèles  de  l'Église  d'Occident  n'entendirent  plus  le  latin. 
Charlemagne,  voulant  réformer  l'Eglise,  convoqua  des 
conciles  provinciaux  à  Arles,  à  Mayence,  à  Rheims,  à 
Chàlons-sur-Saône  et  à  Tours.  Par  un  canon  du  concile  de 
Mayence,  il  fut  enjoint  aux  prédicateurs  de  se  mettre  à  la 
portée  du  peuple,  c'est-à-dire  de  lui  adresser  la  parole  en 
langue  teutonique.  Les  conciles  de  Rheims  et  de  Tours 
ordonnèrent  de  faire  l'instruction  religieuse  en  langue  vul- 
gaire. Les  évêques  assistants  eurent  ordre  de  faire  usage 
de  la  langue  tudesque,  pour  instruire  dans  leur  croyance 
et  leurs  devoirs  les  chrétiens,  leurs  diocésains  de  race 
franque  et  de  se  servir  de  la  langue  romaine  rustique  ou 
romane  avec  les  anciens  habitants  du  pays.  Le  même  dé- 
cret indique  avec  précision,  dit  Fauriel,  que  l'enseigne- 
ment, auquel  il  s'agissait,  pour  la  première  fois,  d'appliquer 
une  autre  langue  que  le  latin,  devait  rouler  sur  les  ré- 
compenses et  les  peines  de  l'autre  vie,  sur  les  moyens 
d'éviter  les  unes  et  de  gagner  les  autres,  sur  la  résurrec- 
tion et  le  jugement  dernier.  Il  est  surtout  intéressant 
d'observer  que  les  homélies  à  prêcher  sur  ces  divers  objets 
devaient  être  composées  en  latin,  pour  être  ensuite  tra- 
duites dans  l'idiome  vulgaire  (i). 

Ce  ne  fut  point  la  faute  de  Sidoine  Appollinaire  si  les 
débris  gaulois  trouvèrent  encore  quelque  asile  au  sein  des 

(1)  Voy.  Histoire  de  la  poésie  provençale,  t.  l'"",  p.  256. 


—  326  — 

populations.  Quand  la  culture  des  lettres  latines  s'éteignit, 
il  s'y  attacha  avec  passion.  A  ceux  qui  maintinrent  encore 
rhonneur  des  lettres  et  du  goût,  il  dit  :  «  Si  vous,  en  petit 
nombre,  ne  sauvez  pas  de  la  rouille  du  barbarisme  subtil 
la  pureté  de  la  langue,  bientôt  nous  la  trouverons  morte  et 
abolie  à  jamais  (t).  »  Il  remercie  Arebogasle  (2),  dont  le 
nom  trahit  une  origne  germanique,  de  conserver  dans  une 
province  des  plus  barbares,  sur  les  rives  de  la  Moselle,  les 
traditions  de  la  langue  latine.  «Si  l'éclat  du  langage  romain, 
écrit-il,  subsiste  encore  quelque  part  (il  a  été  banni  autre- 
fois des  terres  de  Belgique  et  du  Rhin),  c'est  près  de  toi, 
dans  ton  noble  cœur,  que  quelques  vestiges  subsistent  en- 
core. »  Au  reste,  l'élude  approfondie  de  la  loi  salique  a  mis 
en  lumière  ce  fait,  qu'à  côté  d'institutions  romaines  long- 
temps ont  continué  à  fleurir  en  Belgique  des  formes  juri- 
diques propres  aux  Celtes,  et  que  la  langue  des  indigènes 
a  longtemps,  dans  ce  pays,  maintenu  ses  droits  contre  la 
langue  latine  (0). 

La  conquête  des  provinces  romaines  par  les  peuples  de 
la  Germanie  se  fit  dans  le  courant  du  V  et  se  prolongea 
jusque  dans  le  VI^  siècle.  Cette  émigration  par  la  force  des 
armes  n'était  pas  invariablement  la  même.  Dans  quelques 
pays,  les  peuples  arrivèrent  successivement;  dans  d'autres, 
ils  s'établirent  à  côté  les  uns  des  autres.  Au  milieu  du 
V«  siècle,  la  domination  des  Hérules  disparut  en  Italie, 
puis  s'éteignit  celle  des  Ostrogoths,  dont  la  durée  fut  de 


(1)  Ephl.,  I,  VIII,  cp.  2. 

(2)  Epist.,  IV,  cp.  17  :  «  Quirinalis  implelus  fonte  facundiae,  polor  Mosel- 
lae  Tiberim  ructas.  Sic  Barbarum  familiaris,  quôd  tamen  nescio  barbaris- 
morura,  par  ducibus  antiquis  lingua  manuque;  sed  quorum  dextra  solebat 
non  minus  stylum  traclare  quam  gladium.  Quocircà  scrnionis  pompa  Ro- 
mani si  qua  adhuc  uspiam  est,  Belgicis  olim  sive  Rhenanis  abolita  terris  in 
te  resedit  :  quo  vel  incolumi  vel  peroranli  etsi  apud  limitera  ipsura  latine 
jura  ceciderunt,  verba  non  titubant.  » 

(3)  Voy.  BEnwHARDY,  Rom.  Lilleratur,  p.  72. 


~  327  — 

soixaiile-six  ans,  el  plus  tard  celle  des  Lombards,  qui  avait 
existé  deux  cents  ans.  Dès  le  commencement  du  V'  siècle, 
les  Visigoths  occupèrent  le  sud-ouest  de  la  Gaule,  ensuite 
les  Burgondes  s'emparent  de  la  partie  sud-est  de  ce  pays, 
et  les  Francs,  du  nord.  De  même  TEspagne  fut  couverte 
de  diverses  peuplades  germaniques.  La  Gallicie,  les  As- 
luries,  Léon,  une  partie  de  la  Lusilanie  devinrent  dans 
le  même  siècle  la  proie  des  Suèves,  l'autre  eut  pour  maî- 
tres les  Alains,  tandis  que  les  Vandales  s'établirent  dans  le 
sud.  Les  Visigotlis  se  répandirent  dans  le  nord-ouest  et  ne 
tardèrent  pas,  au  siècle  suivant,  a  ranger  toute  la  pénin- 
sule ibérique  sous  leur  domination.  Dans  ces  allées  et 
venues,  plusieurs  peuplades  furent  anéanties.  C'est  ainsi 
qu'il  ne  resta  que  peu  d'Ostrogoths  en  Italie;  mais,  sou- 
vent, les  races  germaniques  furent  soumises  par  d'autres 
de  la  même  famille  et  en  reçurent  leur  organisation. 

Ces  divers  peuples  exercèrent  une  certaine  influence 
sur  la  romana  rustica;  mais  cette  influence  ne  doit  pas 
être  exagérée  et  encore  moins  doit-on  la  regarder  comme 
la  cause  déterminante  des  diff'érents  dialectes  romans.  A 
l'époque  des  émigrations,  les  dialectes  germaniques  for- 
maient un  tout  encore  bien  compact,  au  point  que  les 
peuples  de  la  Germanie,  dispersés  dans  les  pays  conquis, 
se  comprenaient  entre  eux  sans  efl"ort. 

Les  langues  romanes  ont  conservé  un  nombre  considé- 
rable d'éléments  ayant  une  origine  germanique.  La  langue 
française  est  celle  qui  nous  en  a  transmis  le  plus.  Cela  se 
comprend  aisément.  La  Gaule  ayant  été  le  plus  inondée 
des  flots  de  l'invasion  (i). 

Ce  qui  a  dû  particulièrement  étonner  les  Gaulois  roma- 
nisés  et  les  Germains,  c'est  que  la  langue  parlée  alors  par 
les  Gaulois  façonnés  à  la  civilisation  romaine  el  celle  des 

(1)  Voy.  Fr.  Diez,  Grammatik  der  romanischen  Sprachen,  t.  I,  pp.  CO,  63. 


528  — 


Germains  avaient  des  vocables  el  des  expressions  qui  de- 
vaient les  émerveiller  par  leur  similitude. 

II  existe  entre  certains  termes  latins  et  germaniques  une 
si  grande  affinité,  qu'on  est  forcé  d'avouer  qu'ils  remontent 
à  une  source  commune.  Ce  fait  favorisa  singulièrement 
la  formation  du  nouveau  dialecte  franco  gaulois  ou  du 
français.  Pour  s'en  convaincre,  on  n'a  qu'à  comparer  les 
vocables  suivants  : 

A  goth. 

kara  =  cura, 


Aljai  =  alii, 
marei  =  mare, 
hiian  =  quando, 
plapja  =  platea, 
gras  =  gramen, 
asilus  =  asinus, 
sakkiis  =  saccus, 
sait  =s  sal, 
akrs  =  ager, 
faskja  =  fascia, 
hafja  =  capio, 
saps  =  satur, 
aggvus  =  angiislus, 


niala  =  inolo, 
tamja  =  clomo, 
nahts  :=  nox, 


aimt  =  anas, 
hapém  =  habco, 
aha  =  aqua, 
nacliul  =  nudus, 
vaz  =  vas, 
walles  =  valli, 
salz  =  sal, 
part  =  barba, 


namo  =  nomen, 
haba  =  habeo. 
rapjô  =  ratio, 
hias  =  bilarisj 
aggilus  =  angélus, 
assarjus  =  assarium, 
karkara  =  carcer, 
ahva  =  aqua, 
vasti  =  vcstis, 
atisk  ^  ador, 
hafts  =  captus. 

•A  changé  en  0  dans 

alêv  =  oleuni, 
laggs  =  longus, 
vaka  =  vigilo. 

A  {anc.  teuton). 

nionôm  —  mouco, 
mako  =  (sto)inachus, 
sat  =  saïur, 
halla  =  aula, 
wanna  =  vauuus, 
marcha  =  marca, 
asc  =  aescuhis. 


—  329  — 

A  changé  en  E. 

mâiiot  =  incnsis,  saino  =  senicns, 

wanpa  =  venter,  zand  =  dens. 

E  {anc.  teiu.)  ai  en  golh. 
nêst  =  nidiis,  wcllan  =  velle. 

J  golh. 

sila  =  sileo,  sineigs  =  senex, 

grid  =  gradum,  midja  =  mediiim, 

vidiivo  =  vidua,  mita  =  metior, 

milip  =  nicl,  sita  =  sedeo, 

sinilê  =  semper,  vinds  =  ventus, 

intinda  =  inceudo,  fisks  ^  piscis, 

anc,  tcut.  lise  =  discus. 

0  atic.  teut. 

vvorm  =  vermis,  horn  =  cornu, 

hôran  =  audire,  ôra  =  auris. 

flôdar  =  fluor, 

U  golh. 

juk  =  juguin,  sunna,  sauil  =  sol, 

juggs  =  juvenis,  pund  =  pondus, 

anakumbjan  =  accumbere,       lukarn  =  luccrna. 

U  anc.  lent. 

knuz  =  nux,  fluz  =  fluxus, 

suin  =  sus,  scùni  =  spuma; 

mus  =  nuis,  ûr  =  urus. 

AI  golh. 

aigh,  aih  —  habeo,  aiz  =  aes, 

mais  =  magis,  leihts  =  levis. 

AU  goth. 
râubo  =  rapio,  auka  =  augeo  (t). 

^^)  Jak.  Grimm,  Deutsche  Grammalik,  1. 


24 


—  330  — 

Ce  qui  précède  avait  déjà  frappé  M.  Bormans,  qui,  selon 
nous,  à  part  ses  judicieuses  observations,  ne  s'en  lient  pas 
assez  rigoureusement  au  dialecte  qui  fut  contemporain  de 
l'invasion  germanique. 

Le  latin,  dit-il,  comme  langue  indo-germanique,  avait 
avec  lui  une  foule  de  racines  communes.  C'étaient,  en 
élargissant  un  peu  le  sens  du  mot,  deux  dialectes  qui,  mis 
en  contact,  devaient  se  confondre  en  se  modifiant  l'un 
l'autre,  mais  ne  pouvaient  se  détruire,  quand  même  l'un 
ne  serait  pas  appuyé  sur  le  sol  et  une  population  plus  nom- 
breuse, l'autre  sur  l'influence  d'une  civilisation  supérieure, 
sur  l'autorité  des  lois  et  sur  la  force  du  commandement. 
Le  latin  donc,  en  tant  que  latin,  c'est-à-dire  en  tant  que 
constituant  une  langue  ayant  son  caractère  propre,  importa 
dans  la  Gaule  un  grand  nombre  de  mots,  et  l'on  peut  dire, 
généralement,  de  formes  nouvelles;  mais  il  y  réimporta  en 
même  temps,  sous  ces  nouvelles  formes,  un  nombre  bien 
plus  grand  encore  de  mots  à  base  germanique,  qui  n'étaient 
pas  nouveaux  du  tout,  ou  qui  devaient  cesser  de  l'être  du 
moment  qu'ils  étaient  compris.  De  même  le  romain  devait 
bientôt  reconnaître  dans  l'idiome  gaulois  ses  propres  ra- 
cines. J'ai  parlé  tantôt  du  verbe  secare,  en  vieux  thiois 
segan;  lequel  des  deux,  du  Gaulois  ou  du  Romain,  pouvait 
ne  pas  comprendre  l'autre,  quand  il  prononçait  l'un  de  ces 
mots?  J'en  dirai  autant  de  rapere  et  rapen,  de  spiimare, 
schumen,  de  forare  et  boren,  de  spiœre  et  spuiven,  de  edere 
et  eten,  de  trekken  ou  dragen  et  tf^aho,  de  breken  et 
frango  (fregi),  que  je  prends  au  basard,  et  de  mille  autres. 
Il  saute  aux  yeux  que  la  principale  différence  consiste  dans 
la  terminaison  (i). 

J.  Felsenhart. 

{Pour  être  continué). 

(1)  Voy.  Bidlelin  de  l" I aslltut  archéologique  liégeois,  t.  II,  p.  528. 


ôoi 


SOUVENIRS  AROHÉOLOaiQUES 


DE 


r.A    YILl,E    DE    GAMD. 


Sous  ce  tilre,  le  Blessager  publiera  une  suite  de  notices 
accompagnées  d'une  collection  de  planches,  représentant 
soit  d'anciens  monuments,  soit  des  morceaux  d'architec- 
ture ou  de  sculpture. 

Parmi  ces  restes  d'une  époque  qui  n'est  plus,  les  uns 
existent  encore,  d'autres  ont  disparu. 

Tel  est  le  sort  de  ce  que  nous  ont  légué  les  siècles  pas- 
sés, de  tomber  l'un  jour  ou  l'autre  sous  le  marteau  du 
temps  ou  de  démolisseurs,  aveugles  parfois  comme  le 
destin. 

Un  grand  nombre  des  planches  que  nous  publierons  sont 
tirées  de  l'album  de  M.  Van  Lokeren,  qui  depuis  quarante 
ans  n'a  cessé  d'exercer  son  crayon  pour  sauver  de  l'oubli 
du  moins  la  silhouette  des  œuvres  de  nos  ancêtres. 

Si  notre  époque  vise  au  confortable  dans  ce  qu'elle  pro- 
duit en  fait  d'architecture,  on  ne  peut  nier  que  les  siècles 
passés  imprimaient  à  leurs  productions  un  cachet  plus 
original;  personne  ne  s'arrête  devant  la  longue  file  de  faça- 
des blanches  de  nos  maisons  modernes,  tandis  que  les  vieux 


—  33^2  — 

pignons  ornés  de  bas-reliefs,  percés  de  vieilles  croisées  de 
pierre,  ou  bien  nos  vieilles  églises  gothiques,  attirent  et 
attireront  toujours  les  regards;  demain  peut-être  ces  objets 
qu'on  admire  aujourd'hui,  n'existeront  plus  :  voilà  pour- 
quoi nous  tenons  à  en  perpétuer  le  souvenir;  ce  que  nous 
voulons,  c'est  empêcher  le  niveau  moderne  de  s'appesantir 
sur  le  passé  jusfju'à  l'engloutir,  jusqu'à  le  dévorer  pour  le 
remplacer  par  l'oubli. 

Les  notices  qui  serviront  de  texte  aux  planches,  seront 
dues  à  la  collaboration  de  MM.  Van  Lokeren  et  Emile  Va- 
renbergh.  Ce  seront  de  simples  récits,  quelques  observa- 
lions,  quelques  rapprochements,  le  souvenir,  en  un  mol, 
de  nos  promenades  à  travers  la  vieille  cite  d'Artevelde  el 
de  Charles-Quint;  nous  ne  diviserons  pas  la  ville  par  quar- 
tiers, nous  ne  suivrons  pas  un  ordre  méthodique,  mais 
laissant  errer  nos  pas  et  notre  plume,  nous  ferons  nos  éta- 
pes à  mesure  que  les  monuments  ou  les  objets  d'art  se 
présenteront  à  nos  yeux,  lâchant  alors  de  rassembler  ce 
que  notre  mémoire  a  retenu  de  leur  passé. 

La  première  étape  est  faite,  elle  a  eu  pour  litre  la  cour 
de  Ravestein,  voici  la  seconde,  les  autres  suivront  succes- 
sivement. 


C.tTelL. 


—  353   — 


Ca  €oxxx  bc  2troncl)ieniU5. 


Il  n'y  a  pas  plus  de  cinq  ans,  qu'on  voyait  encore  dans 
la  rue  Longue  des  Pierres  (Lange  Stcenslruel),  qu'on  ap- 
pellerait avec  plus  de  raison  rue  longue  du  Château,  puisque 
steen  veut  dire  château,  à  côté  de  ce  qui  reste  du  couvent 
des  frères  de  Notre  Dame  du  Mont  Carmel,  appelés  en 
flamand  Onze  Licve  Vromve  Broeders,  une  grande  maison 
d'antique  apparence,  dans  laquelle  on  entrait  par  une  porte 
cintrée,  garnie  de  gros  clous,  d'un  vasistas  en  fer,  d'une 
lourde  serrure,  de  larges  charnières,  et  élevée  de  quelques 
marches  au-dessus  du  niveau  de  la  rue.  Au  dessus  de  cette 
porte  se  trouvait  dans  un  médaillon  de  pierre  le  millésime 
de  1618.  Cette  maison  avait  servi  de  Refuge  aux  moines  de 
Tabbaye  de  Tronchiennes,  située  sur  la  Lys,  à  une  demi- 
lieue  de  Gaud  et  portait  le  nom  de  maison,  cour  ou  au- 
berge de  Tronchiennes  {huis,  hof  of  herberg  van  Drotigen); 
la  rue  à  côté  a  jusqu'à  nos  jours  conservé  la  dénomination 
de  cour  de  Tronchiennes  (Dro7i(jcnhof);  elle  s'appelle  aussi 
la  rue  du  Bac. 

Presque  toutes  les  communautés  religieuses  du  plat  pays 
avaient  une  maison  de  Refuge  dans  quelque  ville  fermée, 
où  les  moines  allaient,  en  temps  de  guerre  ou  de  tourmente 
politique,  se  mettre  à  l'abri  du  pillage  derrière  les  remparts. 
La  ville  de  Gand  possédait  un  grand  nombre  de  ces  Refu- 
ges, qui  parfois  après  la  destruction  des  abbayes  devenaient 
la  maison  principale;  l'abbaye  de  Raudeloo,  dont  les  bâti- 
ments servent  aujourd'hui  à  l'Alhénéectà  la  Bibliothèque, 
en  est  un  exemple  entre  beaucoup  d'autres. 


—  334  — 

Ce  fui  surtout  lors  des  incursions  des  Normands  que  les 
anciennes  abbayes  eurent  à  souflVir;  plusieurs  furent  alors 
détruites  de  fond  en  comble.  Celle  de  Tronchiennes,  pas  plus 
que  tant  d'autres,  que  celle  de  Saint-Pierre  du  Mont-Blan- 
din  à  Gand,  que  celle  de  Saint-Bavon,  ne  fut  épargnée  par 
ces  barbares;  en  851,  ils  la  bouleversèrent  entièrement  et 
en  chassèrent  les  quarante-trois  chanoines  qui  l'habitaient. 

Le  Refuge  de  Tronchiennes  occupait  dans  les  derniers 
temps  tout  le  carré  situé  entre  le  couvent  des  frères  de 
Notre-Dame  du  Carmel,  la  rue  Longue  des  Pierres,  la  rue 
du  Bac  et  la  place  actuelle  du  Jeu  de  Paume.  La  première 
fois  qu'il  en  est  question,  c'est  vers  la  fin  du  XIII*^  siècle  : 
l'abbaye  était  alors  gouvernée  par  l'abbé  Arnoud  Hendricx, 
qui  acquit  d'une  certaine  dame  Avezoete  la  maison  dont  il 
est  question  dans  cet  article  et  y  fit  transporter  toutes  les 
reliques,  les  vases  précieux  de  son  église,  en  un  mot,  tout  le 
trésor  de  sa  communauté.  Nous  croyons  toutefois  que  cette 
maison  ne  servit  à  proprement  parler  de  Refuge  qu'après 
les  désordres  des  Iconoclastes  du  XVI''  siècle;  jusqu'alors 
elle  ne  fut  qu'une  succursale  de  l'abbaye,  une  maison  où 
l'abbé  et  les  moines  descendaient  lorsqu'ils  venaient  en  ville. 

La  rue  Longue  des  Pierres,  de  même  que  le  quartier  qui 
s'étend  jusqu'à  la  place  actuelle  des  Fabriques,  s'appelait 
alors  la  Place  aux  tourbes  {de  Turfbriel);  le  pont  aux  petites 
Clefs  {Sleutelkem  brucj),  proche  de  là,  était  le  Pont  aux 
moutons  (Schnpen  brug),  et  la  rue  du  Bac  portait  aussi  le 
nom  de  rue  du  Lion  rouge  {Roode  Leeuwstraet). 

Diericx,  dans  ses  Mémoires  stir  la  ville  de  Gand  (i),  dit 
qu'il  est  fait  mention  de  ce  Refuge  pour  la  première  fois 
dans  un  acte  de  l'année  138G,  mais  il  a  ignoré  l'époque  de 
l'établissement  de  cette  succursale  de  l'abbaye;  l'acte  qu'il 
cite  porte  la  date  du  17  novembre  1586,  et  parle  du  Refuge 
en  des  termes  qui  constatent  qu'il  existait  déjà;  il  y  est  dit  : 

(1)  T.  u,  p.  ao3. 


355 


«  la  maison  de  Troncliiennes  près  du  pont  aux  Moulons  » 
Çt  /mus  van  Dronghcnc  by  cler  Schaepbrucjrjhe).  L'auteur 
des  Mémoires  n'a  donc  pas  pu  supposer  que  Tacquisition 
du  Refuge  ne  remontait  pas  plus  haut.  Un  autre  acte,  cité 
également  par  Diericx,  pourrait  faire  supposer  que  le 
bâtiment  primitif  du  Refuge  était  construit  en  bois,  comme 
du  reste  un  grand  nombre  d'habitations  l'étaient  à  celle 
époque,  et  serait  resté  dans  cet  état  jusqu'en  1415,  dale  à 
laquelle  l'abbé  Jean  VI  Colinszaens  fit  rebâtir  la  façade  en 
briques  et  en  pierres  (eeneu  steenenin  ghevel)  par  les  maçons 
Henri  De  Vos  et  Jean  Celius. 

Quelques  années  plus  tard,  en  14-55,  l'abbé  Olivier  Sta- 
pink  agrandit  le  Refuge  par  l'achat  d'une  maison  acquise 
des  héritiers  Pauwels,  pour  la  somme  de  54  livres  de  gros, 
et  située  à  côté,  vers  le  pont  aux  Moulons  {allernaest  de  lier- 
berghe  van  Dronghene,  deender  zyde  ende  an  dander  zyde 
1er  Schaepbrughewaert).  Cinq  ans  après,  l'abbaye  acquiert 
une  autre  maison  du  côté  de  la  chapelle,  et  qui  pour  celle 
raison  s'appela  ter  capelle,  proche  la  chapelle;  c'est  celle 
sans  doute  que  les  actes  mentionnent  sous  le  nom  de  hel 
Swaenljen,  le  petit  cygne,  dans  la  rue  du  Lion  rouge. 

Les  moines  n'occupèrent  pas  toujours  le  Refuge  tout 
entier;  en  temps  ordinaire,  ils  se  contentaient  de  la  maison 
principale,  celle  acquise  la  première  et  où  se  trouvait  la 
porte  que  représente  notre  gravure;  le  reste  était  loué  en 
différentes  parties  :  ainsi,  en  1724,  le  bâtiment  acheté 
en  1455  était  occupé  par  Bernard  Vander  Vynckt,  con- 
seiller au  Conseil  de  Flandre,  frère  de  Luc  Vander  Vynckl, 
auteur  de  VHistoire  des  troubles  des  Pays-Bas  sons  Phi- 
lippe II,  des  Magistratures  du  Pays  de  Waes,  etc.;  ce 
Bernard,  vu  son  état  maladif,  se  démit  de  sa  place  de 
conseiller  au  Conseil  de  Flandre  et  fut  remplacé,  sur  sa 
demande,  par  son  frère  Luc  (i). 

(1)  Messager  des  Sciences,  a"  18b9,  p.  408. 


—  536  — 

En  1740,  celle  partie  élait  louée  à  la  dame  douairière 
de  Vinderhaule,  pt)ur  60  livres  par  an;  en  176S,  l'avocat 
fiscal  Diericx,  Thabilail  à  raison  de  65  livres;  une  aulrc 
partie  élait  louée  20  livres;  une  autre  encore  en  1719; 
la  maison  het  Zwaentje  avec  une  partie  de  la  chapelle,  qui 
ne  servait  plus  au  culte,  rapportait  56  livres  de  gros  et  était 
occupée  par  un  marchand  du  nom  de  Mathieu  Chombaert, 
qui  employait  la  chapelle  comme  magasin;  en  1745,  la 
veuve  de  ce  marchand  reprit  le  bail. 

La  jolie  chapelle  gothique  du  Refuge,  dont  le  dessin  ac- 
compagne cette  notice,  existait  déjà  avant  le  milieu  du  W^ 
siècle,  puisqu'il  en  est  question  en  1440,  lors  de  l'acqui- 
sition d'une  maison  qui  y  élait  contiguë.  En  1607,  elle  fut 
rebâtie  telle  qu'elle  existe  encore;  elle  est  un  des  derniers 
monuments  gothiques  élevés  à  Gand;  l'église  des  Capucins 
toutefois  lui  est  postérieure  puisqu'elle  fut  bâtie  en  1634. 

C'était  à  la  suite  des  troubles  religieux;  les  moines 
avaient  été  chassés  de  leur  abbaye,  dispersés  et  forcés 
d'errer  de  côté  et  d'autre;  ils  n'avaient  plus,  dit  la  chro- 
nique, ni  un  siège  pour  s'asseoir,  ni  un  pain  à  manger; 
après  bien  des  malheurs,  seize  d'entre  eux  se  réunirent, 
ils  trouvèrent  temporairement  un  asile  chez  les  frères  de 
Notre-Dame  du  Carmel,  dont  le  couvent  élait  conligu  à  leur 
Refuge;  ils  habilèrenl  aussi  pendant  quelque  temps  au  petit 
Béguinage.  Au  commencement  du  XVIl''  siècle,  ils  rentrè- 
rent dans  leur  maison  de  la  rue  Longue  des  Pierres;  c'est 
alors  que  l'abbé  Liévin  Vandér  Meulen,  trente-troisième 
abbé  de  Tronchiennes,  entreprit  de  convertir  celle  succur- 
sale en  couvent,  ne  voyant  pas  de  sitôt  le  moyen  de  rentrer 
en  possession  de  l'abbaye.  Il  plaça  un  orgue  dans  la  chapelle, 
qu'il  embellit  considérablement,  et  orna  le  maître-autel  d'un 
tableau  représentant  la  Résurrection  du  Sauveur.  Celte  toile 
élait  due  à  un  peintre  du  nom  de  Raphaël,  intitulé  peintre 
de  Sa  Majesté,  qui,  ayant  été  hébergé,  en  1589,  avec  sa 


—  337  — 

famille  par  les  religieux,  voulut  ainsi  témoigner  sa  recon- 
naissance pour  riiospitalité  qui  lui  avait  été  accordée. 

Il  faut  croire  que  les  moines  de  Troncliiennes  ne  se 
piquaient  pas  d'employer  pour  la  chapelle  de  leur  Refuge  des 
matériaux  aussi  solides  que  ceux  dont  on  faisait  générale- 
ment usage  à  celle  époque  pour  la  construction  des  édifices 
religieux,  car  à  peine  un  siècle  et  demi  après  cette  re- 
construction, en  1749,  il  fut  question  de  l'état  de  ruine 
dans  lequel  cet  oratoire  se  trouvait.  Depuis  un  certain 
nombre  d'années  déjà,  la  chapelle  ne  servait  plus  au  culte; 
nous  avons  vu  qu'en  1719  elle  élait  en  partie  louée  comme 
magasin;  en  1749,  on  y  mettait  du  bois;  cette  année-là, 
l'abbé  représenta  aux  échevins  de  la  Keure  que  le  toit  d'ar- 
doises de  sa  chapelle  était  dans  un  fort  mauvais  état,  litté- 
ralement pourri  (teenemael  rot)  et  que  le  clocheton  qui  la 
surmontait  tombait  en  ruines;  il  demanda  en  conséquence 
l'autorisation  de  démolir  le  clocheton  et  de  remplacer  les 
ardoises  du  toit  par  des  tuiles  bleues.  Ces  deux  demandes 
lui  furent  accordées;  aujourd'hui  encore  la  chapelle,  de- 
venue magasin  de  fer,  a  un  toit  en  tuiles,  mais  elles  sont 
rouges;  serait-ce  peut-être  depuis  l'occupation  française  et 
la  Terreur  qu'on  en  a  changé  la  nuance  pour  adopter  la 
couleur  favorite  des  terroristes? 

L'architecture  de  la  chapelle,  d'après  ce  qu'on  peut  en 
juger,  était  simple  et  élégante;  une  grande  croisée  sur- 
montait la  porte  d'entrée,  deux  croisées  étaient  percées 
dans  le  mur  latéral.  Un  médaillon,  enchâssé  dans  ce  mur, 
était  chargé  d'un  bas-relief  dont  les  sculptures  sont  effa- 
cées; peut-être  représentait-il  les  armes  de  l'abbé  qui  fit 
rebâtir  l'oratoire  ou  celles  de  l'abbaye,  un  cygne  d'argent 
nageant,  avec  la  devise  :  Vita  brevis,  la  vie  est  courte.  Ce 
qu'il  y  a  de  remarquable  en  même  temps  que  d'étrange 
dans  l'archileclure  de  cet  édifice,  c'est  qu'il  n'a  de  contre- 
forts que  d'un  côté;  du  côté  gauche  que  baignait  le  fossé 
des  Corroyeurs,  il  n'y  en  avait  pas. 


—  358  — 

Lors  de  l'occupation  française,  le  Refuge  subit  le  sort  de 
tous  les  couvents;  Tabbaye  fut  supprimée,  et  la  maison  de 
la  rue  Longue  des  Pierres,  de  même  que  ce  qui  en  dépen- 
dait, fut  vendue  avec  le  reste;  la  propriété,  divisée  en  lots, 
fut  acquise  par  divers;  celle  dont  nous  représentons  la  porte 
d'entrée  avec  ses  accessoires,  devint  la  propriété  de  M.  Van 
Wambeke,  d'Alost,  ancien  représentant  au  Corps  législatif 
de  France,  depuis  président  au  tribunal  de  première  in- 
stance à  Anvers  et  en  dernier  lieu  professeur  de  droit 
civil  à  l'Université  de  Gand.  Aujourd'hui  il  ne  reste  quasi 
plus  de  traces  du  Refuge,  seuls  les  quatre  murs  de  la  cha- 
pelle sont  encore  debout;  mais  ils  sont  bien  vieux,  hélas! 
et  combien  de  temps  rappelleront-ils  encore  que  là  fut  la 
cour  de  Tronchiennes? 

La  porte,  dont  nous  donnons  le  dessin,  date  de  1618; 
elle  était  lourde  et  massive;  nous  nous  la  rappelons  parfai- 
tement, élevée  au-dessus  de  ses  quelques  marches  de  pierre 
blanche  :  le  caractère  de  son  architecture  formait  un  con- 
traste avec  les  belles  portes  chargées  d'ornements  sculptés 
du  couvent  des  Frères  de  Notre-Dame  du  Carmel,  situé  à 
côté,  et  dont  M.  Van  Lokeren  s'occupera  dans  une  pro- 
chaine notice.  Les  ferrures  de  cette  porte  en  étaient  les 
parties  les  plus  remarquables  :  les  charnières  et  la  serrure 
étaient  d'une  composition  simple  et  élégante,  mais  le  vasis- 
tas était  une  véritable  œuvre  d'art,  vrai  bijou  de  feronne- 
rie  que  n'aurait  pas  désavoué  Quentin  Metsys,  le  célèbre 
peintre-forgeron.  Il  formait  une  saillie  de  deux  ou  trois 
centimètres,  et  avait  par  conséquent  la  forme  d'une  boîte  à 
couvercle  travaillé  à  jour  et  appliquée  contre  le  bois  de 
la  porte;  par  la  reproduction  très-fidèle  que  nous  en  don- 
nons, et  qui  est  tirée  de  l'album  de  M'  Ch.  T'Felt,  graveur, 
on  peut  juger  de  la  beauté  et  de  la  finesse  de  son  exécu- 
tion. Rarement  nous  avons  vu  un  objet  de  ce  genre  aussi 
parfait;  les  collections  du  musée  de  Cluny,  à  Paris,  en  ren- 


C.t'Felt. 


—  339  — 

ferment  un  qui  se  rapproche  beaucoup  de  celui-ci.  Nous 
ignorons  ce  qu'est  devenue  celle  belle  pièce,  car  nos  inves- 
tigations sont  restées  sans  résultat.  Peut-èlre,  lors  de  la 
démolition  du  Refuge,  remplacé  aujourd'hui  par  un  hôlc! 
moderne,  habité  par  M.  de  Kerkhove,  fut-elle  jetée  parmi 
les  vieilles  ferrailles,  vendue  et  employée  comme  telle? 

La  fondation  de  l'abbaye  de  Tronchiennes  remonte  à 
saint  Amand,  le  grand  fondateur  des  principales  commu- 
nautés religieuses  de  la  Flandre,  qui  vint  civiliser  noire 
pays  en  y  prêchant  la  foi  catholique;  elle  avait  donc  tra- 
versé une  période  de  plus  de  mille  ans,  essuyé  bien  des 
vicissitudes,  bien  des  ruines,  lorsque  le  torrent  de  quatre- 
vingt-treize  vint  l'engloutir  à  jamais. 

Comme  l'histoire  de  l'abbaye  est  intimement  liée  à  celle 
du  Refuge,  nous  ne  croyons  pas  hors  de  propos  d'en  dire 
ici  quelques  mots. 

L'origine  de  l'abbaye  de  Tronchiennes  est  quelque  peu 
légendaire.  C'était  au  VII«  siècle;  saint  Amand,  après  avoir 
converti  les  habitants  de  ce  hameau,  aurait  bien  voulu  les 
doter  d'une  église,  afin  de  ne  pas  perdre  les  fruits  de  sa 
mission,  mais  les  fonds  lui  manquaient;  il  s'adressa  à 
Dieu,  qui  exauça  sa  prière,  et  voici  de  quelle  façon  : 

Un  grand  seigneur  franc,  du  nom  de  Bazin,  chassait 
dans  la  contrée;  depuis  trois  jours  et  trois  nuits,  il  pour- 
suivait un  cerf  de  taille  extraordinaire,  quand,  arrivé  à 
un  endroit  situé  entre  la  Lys  et  une  forêt,  là  où  s'élevait 
la  croix  plantée  par  saint  Amand,  l'animal  disparut  à  ses 
yeux.  Bazin,  épuisé  de  fatigue,  tomba  au  pied  de  la  croix 
et  s'endormit;  alors  il  eut  une  vision  dans  laquelle  il  crut 
voir  Dieu  lui  ordonner  de  construire  trois  oratoires,  l'un 
en  l'honneur  de  la  Sainte  Vierge,  les  deux  autres  en  l'hon- 
neur de  saint  Jean  et  de  saint  Pierre. 

Peu  après,  par  les  soins  de  Bazin,  les  trois  oratoires 
s'élevèrent  à  peu  de  dislance  l'un  de  l'autre,  à  proximité  de 


—  340  — 

la  Lys,  et  quelques  maisons  furent  bâlies  autour,  pour  des 
prêtres  laïques,  chargés  du  soin  de  ces  nouveaux  autels. 

L'année  suivante,  la  fille  de  ce  seigneur,  Aldegonde, 
aveugle  de  naissance,  recouvra  la  vue  par  un  miracle  dans 
un  voyage  qu'elle  fit  à  Tronchieunes,  et  Bazin,  à  cette  oc- 
casion, donna  de  grands  biens  à  la  communauté  naissante. 

Malgré  les  prédications  et  l'exemple  des  prêtres ,  il 
restait  un  ferment  de  barbarie  dans  l'esprit  des  habitants 
de  Tronchieunes;  quelques  années  plus  tard,  une  bande 
de  païens  vint  piller  l'abbaye;  Bazin  accourut  pour  la  dé- 
fendre, repoussa  les  barbares,  mais,  blessé  à  mort  dans  le 
combat,  il  mourut  peu  après;  il  fut  canonisé  ainsi  que  sa 
fille  Aldegonde,  et  lous  deux  devinrent  les  patrons  de 
Tronchieunes. 

Les  Normands  pillèrent  et  saccagèrent  le  couvent  au 
W^  siècle  à  deux  reprises  différentes,  vers  851  et  vers 
880,  lorsque  à  peine  la  communauté  se  relevait  de  ses 
ruines. 

En  884  elle  fut  rebâtie  de  nouveau.  Mais  les  barbares 
ne  furent  pas  les  seuls  qui  mirent  la  main  sur  les  biens  des 
moines.  Vers  le  milieu  du  X°  siècle,  Albert,  fils  naturel 
du  comte  Baudouin  le  Chauve,  chassé  par  les  habitants 
de  Paris  du  siège  épiscopal  qu'il  y  occupait,  fut  créé  pré- 
vôt de  l'abbaye,  qui  comptait  alors  seize  chanoines;  au 
lieu  d'administrer,  comme  il  fallait,  les  biens  déjà  consi- 
dérables de  la  communauté,  il  retira  leurs  bénéfices  à  deux 
des  chanoines  pour  en  gratifier  deux  courtisans  de  son 
frère,  le  comte  Arnould  le  Vieux. 

En  1075,  l'abbé  Folcard  agrandit  l'église,  qui  ne  suffi- 
sait plus  aux  besoins.  L'abbé  Amand,  en  1088,  réussit  à 
soustraire  l'abbaye  à  la  domination  du  comle  de  Flandre, 
ce  qui  la  mettait  à  l'abri  des  convoitises,  et  à  trouver  en 
lui  un  avoué  ou  protecteur.  Robert  le  Frison  fut  le  premier 
qui  accepta  ce  titre;  il  témoigna  sa  bienveillance  à  la 


—  541  — 

communauté,  en  lui  concédant  de  grands  avantages, 
comme  les  dîmes  de  Tronchiennes,  Landegem,  Ruysselede, 
Vursle  et  autres  lieux. 

Au  mois  de  mars  1090,  Tabbaye  fut  le  théâtre  de  scènes 
extrêmement  regrettables  :  les  serviteurs  d'un  chanoine, 
nommé  Etienne,  se  prirent  de  querelle  avec  ceux  d'un 
autre  chanoine,  nommé  Conon  :  celui-ci  fit  mettre  les  pre- 
miers au  cachot.  L'abbé  consulta  le  chapitre,  et  d'après 
sa  décision,  déclara  le  temple  fermé  jusqu'à  ce  que  Conon 
eût  fait  relâcher  les  prisonniers;  cette  mesure  n'était  pas 
faite  pour  apaiser  le  vindicatif  chanoine;  Conon,  à  la  nou- 
velle de  la  décision  de  son  supérieur,  arma  ses  serviteurs 
et  d'autres  gens  qu'il  prit  à  gages,  saccagea  l'abbaye,  s'en 
rendit  maître,  en  chassa  les  habitants,  abandonna  le  tout 
au  pillage,  et  mit  le  feu  au  pavillon  de  l'abbé;  de  là  les  flam- 
mes se  propagèrent  plus  loin,  et  bientôt  non  seulement  le 
couvent,  mais  le  village  entier  fut  la  proie  de  l'élément. 
Conon  mourut  peu  après  de  mort  subite,  et  les  chanoines 
rentrèrent  en  possession  des  restes  de  leurs  demeures,  qui 
furent  promptement  rebâties. 

Vers  cette  époque,  Baudouin  de  Gand,  seigneur  de  Tron- 
chiennes, s'y  prit  d'une  assez  singulière  façon  pour  couvrir 
les  frais  de  son  voyage  en  Terre  sainte,  à  la  suite  de  la 
croisade  de  Godefroid  de  Bouillon.  Il  obtint  sur  le  trésor 
de  l'église  un  don  de  42  marcs  d'argent;  mais  non  content 
de  cette  libéralité,  il  fit  enlever  les  châsses,  les  ornements 
sacerdotaux,  enfin  tout  ce  que  l'abbaye  possédait  en  objets 
d'or  et  d'argent.  La  communauté  ne  se  laissa  pas  faire  sans 
se  plaindre,  et  le  comte  de  Flandre  condamna  le  trop  zélé 
seigneur  à  livrer  à  l'abbaye  150  boisseaux  d'avoine  par  an, 
hypothéqués  sur  un  de  ses  domaines  du  nom  d'Ootcgcm, 
situé  sur  le  territoire  de  Tronchiennes. 

L'abbaye  était  parvenue  à  un  haut  degré  de  prospérité 
et  de  richesses.  Cette  situation  eut  pour  effet  de  relâcher 


,—  W2  — 

considérablement  la  discipline  parmi  les  chanoines;  Ivvan 
d'Alost,  seigneur  de  Tronchiennes  (i),  à  la  vue  des  désor- 
dres qui  souillaient  la  communauté,  voulut  proposer  aux 
moines  d'adopter  la  réforme  des  Prémonlrés;  mais  celte 
proposition  n'était  nullement  de  leur  goùl;  le  seigneur  s'a- 
dressa alors  au  comte  de  Flandre,  qui  donna  ordre  aux 
chanoines  de  se  soumettre  ou  de  quitter  le  monasière.  Tous 
jusqu'au  dernier  préférèrent  abandonner  leurs  bénéfices, 
plutôt  que  de  commencer  une  existence  dont  l'austérité  était 
peu  en  rapport  avec  leur  manière  de  vivre. 

Cela  se  passait  au  mois  de  mai  1138;  ainsi  disparut  le 
chapitre  fondé  par  saint  Amaud. 

Le  seigneur  de  Tronchiennes  fit  alors  venir  de  Laon 
des  religieux  de  la  règle  de  Saint-Norbert  ou  Prémontrés; 
il  fît  de  grands  dons  à  l'abbaye,  et  obtint  pour  elle  de  son 
beau-père,  le  comte  de  Flandre,  la  forêt  d'Hulsterloo. 

Lors  du  schisme  d'Occident,  il  y  eut  quelques  difficultés 
dans  le  sein  de  l'abbaye  :  Philippe  le  Hardi  voulait  forcer 
les  moines  à  reconnaître  Clément  VII,  tandis  que  ceux-ci, 
comme  toute  la  Flandre,  restaient  soumis  à  Urbain,  le 
pape  de  Rome.  A  ce  sujet,  nous  ferons  observer  que  les 
Flamands,  en  parlant  du  pape,  diront  encore  tous  :  de 
paus  van  Rome,  le  pape  de  Rome;  cette  expression  remonte 
à  coup  sûr  à  l'époque  du  schisme,  la  Flandre  n'ayant  ja- 
mais voulu  obéir  au  pape  d'Avignon.  Le  prince,  pour  forcer 
les  moines,  nomma  un  abbé  de  son  choix,  et  fit  même 
intervenir  le  grand-bailli  de  Gand. 

Pendant  la  guerre  entre  Philippe  le  Bon  et  les  Gan- 
tois, l'abbé  de  Tronchiennes  fut  choisi  jusqu'à  quatre  fois 
par  ces  derniers  comme  leur  ambassadeur  auprès  du 
prince.  Quelque  temps  après,  au  milieu  des  difficultés 
et  des  guerres  civiles  nées  du  peu  d'entente  qui  existait 

(1)  Voir  sur  ce  seigneur,  Diericx,  Mcm  sur  la  ville  de  Gand,  l.  I,  p.  51. 


—  343  — 

entre  les  Flamands  et  Max  i  mi  lien  d'Autriche,  les  moines, 
fatigués  sans  doute  d'être  rançonnés,  tantôt  par  les  Français, 
tantôt  par  les  Allemands,  abandonnèrent  l'abbaye  et  se 
dispersèrent.  Cet  exil  volontaire  ne  fut  pas  de  longue 
durée,  mais  les  exactions  des  bandes  belligérantes  durèrent 
encore  plusieurs  années. 

D'autres  m'alheurs  plus  grands  fondirent  sur  l'abbaye 
au  milieu  du  siècle  suivant.  C'était  au  temps  où  la  réforme 
entreprit  de  détruire  tout  ce  qui  tenait  de  près  ou  de  loin 
à  l'église  romaine;  le  25  août  1566,  une  troupe  de  miséra- 
bles, sous  les  ordres  d'un  certain  Onghena,  se  rua  sur  l'ab- 
baye; l'abbé  était  précisément  occupé  à  dire  la  messe;  les 
furieux  se  jetèrent  sur  lui,  lui  arrachant  qui  le  calice,  qui  ses 
habits  sacerdotaux,  et  pendant  que  ces  sacrilèges  parodiaient 
les  cérémonies  du  sacrifice,  d'autres  maltraitaient  l'abbé. 
Les  moines  n'eurent  que  le  temps  de  se  sauver  de  l'autre 
côté  de  la  rivière,  dans  un  petit  château  fortifié,  apparte- 
nant à  Gérard  de  Blasere.  Maîtres  de  la  place,  les  bandits 
saccagèrent  l'église,  où  rien  ne  resta  entier  ou  debout;  un 
Christ,  suspendu  à  la  voûte,  fut  surtout  le  point  de  mire  de 
leur  fureur;  les  fonts  baptismaux,  les  orgues,  les  vitraux, 
tout  fut  réduit  en  poussière;  la  trahison  se  mettant  de  la 
partie;  les  serviteurs  du  couvent  indiquèrent  aux  dévasta- 
teurs où  étaient  cachés  les  tableaux  de  prix;  toutes  les 
tombes  de  personnages  appartenant  aux  premières  familles 
du  pays,  furent  violées  et  les  pierres  brisées;  l'abbaye 
toute  entière  fut  livrée  au  pillage,  les  objets  de  valeur 
furent  emportés,  les  autres,  comme  livres  et  parchemins, 
qui,  aux  yeux  de  ces  gens,  paraissaient  n'en  avoir  aucune, 
furent  lancés  par  les  fenêtres;  vers  le  soir,  la  troupe, 
gorgée  de  vin  et  de  butin,  reprit  la  route  de  la  ville.  Les 
moines  alors  rentrèrent  dans  leurs  demeures,  dont  il  ne 
restait  plus  que  les  murs;  mais  du  moins  ceux-ci  étaient 
debout;  les  châsses  précieuses  de  leurs  patrons,  couvertes 


—  344  — 

d'or,  d'argent' et  de  statuettes  précieuses,  avaient  été  sau- 
vées d'abord  dans  une  cachette  au-dessus  des  cellules,  puis 
transportées  au  château  de  Gavre. 

Douze  ans  plus  tard,  sous  la  dictature  d'Hembyse  et  de 
Ryhove,  les  monastères  furent  d'abord  rançonnés  et  puis 
pillés;  tout  ce  qui  leur  appartenait  fut  vendu  à  l'encan  à 
des  prix  dérisoires.  Les  moines  étaient  sans  asile,  leur 
Refuge  même  leur  était  fermé;  ce  ne  fut  que  quelques 
années  plus  tard  qu'ils  purent  y  rentrer;  au  milieu  du 
siècle  suivant  seulement,  l'abbaye  fut  relevée  de  ses  ruines, 
et  la  dédicace  des  nouveaux  bâtiments,  ainsi  que  la  réin- 
stallalion  des  reliques,  eut  lieu  en  1G98.  Après  cela,  l'ab- 
baye n'eut  plus  qu'un  siècle  de  repos  et  d'existence.  Lors 
de  la  première  invasion  française,  Tronchiennes  ne  fut  que 
rançonné,  mais  rançonné  au  point  de  devoir  engager  les 
biens  de  la  communauté  pour  se  procurer  de  l'argent. 
En  1791,  elle  fut  supprimée  de  par  la  loi;  toutes  ses  pro- 
priétés, tous  ses  biens,  meubles  et  immeubles,  furent 
vendus  comme  biens  nationaux.  L'abbaye  comptait  alors 
onze  siècles  d'existence,  depuis  sa  première  fondation  par 
saint  Amand. 

Les  bâtiments  furent,  au  commencement  de  ce  siècle, 
appropriés  par  Liévin  Bauwens  à  une  filature  de  colon  ; 
aujourd'hui  ils  renferment  le  noviciat  des  Jésuites  de 
Belgique. 

Ce  qui  reste  des  archives  de  l'ancienne  abbaye  repose 
au  dépôt  des  archives  de  l'Etat,  à  Gand;  nous  y  avons  eu 
recours  pour  cette  notice,  ainsi  qu'au  bel  ouvrage  de 
MM.  De  Potier  et  Broeckaert  sur  les  communes  de  la 
Flandre  orientale,  à  la  Flandre  illustrée  de  Sanderus,  aux 
Gentsche  Geschiedenissen  du  P.  De  Jonghe,  aux  Mémoires 
sur  la  ville  de  Gand  de  Diericx  et  à  la  Chronique  de  l'ab- 
baye, publiée  dans  le  t,  I,  p.  591,  du  Corpus  chronîcorum 
Flandriae. 

Emile  Varenbergh. 


—  545 


LA  PEINTURE   ET  LA  SCULPTURE  A  MALINES. 


LA  GILDE  DE  SAINT-LUC 

ET     lVcADÉMIE    royale     DES     BEAUX- ARTS. 


L 

l.a   Gllde   «le   j^nint-l^uc. 

Sommaire  .•  Coup-d'œil  sur  les  corporations  malinoises.  —  Archives  de  la  gildo 
de  Saint-Luc.  —  Son  origine.  —  Distinction  entre  les  corporations  (am- 
bachlen)  et  les  sections  ((/czclschappen).  —  Les  peintres  sont  constitués  en 
association.  —  Fondation  de  la  messe  de  Sainl-Luc.  —  Les  sculpteurs.  — 
Développement  de  la  gilde.  —  Son  apogée.  —  Expositions  de  tableaux. 
—  Les  guerres  de  religion.  —  Le  Iriplyque  de  Jean  de  Maubeuge.  —  Re- 
constitution de  la  gilde.  —  Le  tableau  d'Abraham  Janssens.  —  Admission 
des  orfèvres.  —  Les  sculpteurs  d'albâtre.  —  Modifications  apportées  aux 
règlements.  —  Décadence  de  la  gilde.  —  Établissement  de  l'Académie  des 
Beaux-Arts.  —  Jubilé  de  Saint-Rombaut.  —  Chute  de  la  gilde. 

En  écrivant  la  monographie  de  la  gilde  de  Saint-Luc, 
je  détache  un  rameau  de  l'arbre  puissant  des  corporations, 
dont  l'influence  était  si  étendue  au  moyen-âge. 

C'est  un  point  du  plus  haut  intérêt  et  riche  en  épisodes 
que  l'histoire  de  ces  compagnies  industrielles,  de  leur  ori- 
gine, de  leur  développement  et  de  leur  rôle  politique  et 
social.  Cette  étude  se  rapproche  de  la  matière  dont  je 
m'occupe;  mais  il  est  d'autant  plus  facile  de  parler  de  la 
gilde  des  peintres  et  des  sculpteurs  et  de  l'isoler,  sans  avoir 
égard  à  l'organisation  et  à  l'importance  politique  des  cor- 
as 


—  546  — 

poralions  en  général,  que  celle-ci  n'avait  qu'une  position 
secondaire  dans  le  corps  des  métiers. 

Son  intervention  dans  les  choses  de  la  commune  était 
presque  nulle,  car  ses  doyens  ne  siégeaient  point  au  large- 
conseil  (Breeden-racd)  et  ses  membres  ne  pouvaient  aspi- 
rer directement  à  Téchevinage  (i). 

11  serait  malaisé,  sinon  impossible,  de  déterminer  l'épo- 
que précise  de  la  formation  de  la  gilde  malinoise  de  Saint- 
Luc.  Nous  devons  ici  laisser  derrière  nous  un  horizon 
vague  et  obscur,  dont  nous  aurions  de  la  peine  à  caracté- 
riser les  détails. 


(1)  Il  y  avait  à  Malines  dix-scpl  grands  métiers  el  vingt  petits  métiers.  Les 
premiers  seuls  avaient  le  droit  d'envoyer  leurs  doyens  au  large-conseil.  Six 
métiers  seulement  concouraient  à  la  formation  du  magistrat,  en  se  faisant 
représenter  chacun  par  un  cchevin,  clioisi  dans  leur  sein;  c'étaient  les  bou- 
langers, les  brasseurs,  les  teinturiers,  les  boucliers,  les  tanneurs  et  les  pois- 
sonniers. 

Voici  quels  étaient  les  trente-sept  métiers  de  Malines.  Ils  sont  cités  selon 
le  rang  qu'ils  occupaient  dans  les  processions  : 


1.  Les  forgerons. 

2.  Les  charpentiers. 
5.  Les  maçons. 

4.  Les  merciers. 

5.  Les  chapeliers. 

6.  Les  cordiers,  harnacheurs  et  sel- 

liers. 

7.  Les  meuniers. 

8.  Les  bateliers. 

9.  Les  bouchers. 
10.  Les  poissonniers. 
H.  Les  débardeurs, 

12.  Les  brasseurs. 

13,  Les  brouetteurs. 

14.  Les  boulangers. 

15,  Les  jardiniers,  fruitiers  et  van- 

niers. 
IG.  Les  tisserands  en  laine. 

17.  Les  lissiers, 

18.  Les  tondeurs  de  drap. 


19.  Les  tailleurs, 

20.  Les  chausseliers. 

21.  Les  tanneurs. 

22.  Les  corroyeurs. 

23.  Les  cordonniers. 

24.  Les  graissicrs. 

25.  Les  charrons. 
2G.  Les  tonneliers. 

27.  Les  menuisiers. 

28.  Les  tourneurs. 

29.  Les  marchands  de  lin. 
50.  Les  tisserands  en  lin, 
81,  Les  fripiers. 

52.  Les  barbiers. 

33.  Les  peintres,  sculpteurs  cl  orfè- 

vres, 

34.  Les  scieurs. 

33,  Les  couvreurs  en  paille, 
36.  Les  tapissiers, 
57.  Les  boutonniers. 


—  547  ~ 

MalheureuscmeiU  les  archives  de  la  corporation  sont 
perdues;  il  nous  faudra  réunir  les  rares  matériaux,  épaves 
du  naufrage  révolutionnaire  de  93,  pour  essayer  ainsi  de 
jeter  quelque  lumière  sur  l'association  des  artistes.  Le  livre 
d'inscription  au  métier  a  disparu;  il  ne  reste  que  les  Rolle 
ou  règlements  originaux  de  la  compagnie,  manuscrit  que 
je  possède,  et  quelques  pièces  détachées,  conservées  à 
rhôtel-de-ville  de  Malines.  Je  dois  la  communication  de 
celte  dernière  farde  à  l'obligeance  du  savant  et  regretté 
archiviste.  M""  J.  van  Doren. 

Comme  nous  venons  de  le  voir,  un  voile  épais  nous  dé- 
robe tout  renseignement  sur  les  premiers  jours  de  la  cor- 
poration. Nous  ignorons  jusqu'à  l'époque  à  laquelle  ceux 
qui  pratiquaient  l'art  se  sont  groupés  en  corps.  Quoi  qu'il 
en  soit,  nous  pouvons  fixer  comme  date  probable,  non  pas 
de  l'érection  du  métier  des  peintres  ou  des  sculpteurs, 
mais  d'une  sorte  de  fédération  entre  les  artistes  de  même 
profession,  soit  peintres,  soit  sculpteurs,  le  commencement 
du  XV^''  siècle. 

Si  nous  tenons  compte  de  l'état  antérieur  des  arts  dans 
notre  patrie,  et  si  nous  considérons  l'élan  rapide  que  don- 
nèrent à  la  peinture  les  frères  van  Eyck,  joint  aux  condi- 
tions de  bien-être  matériel  de  nos  provinces  à  l'époque 
bourguignonne,  il  paraît  peu  probable  qu'avant  ces  années 
les  peintres  aient  pu  se  réunir  en  société. 

Au  XII%  au  XIII''  et  même  au  début  du  XIV^  siècle, 
l'art  de  la  peinture  n'était  guère  cultivé  que  dans  les  ab- 
bayes et  les  monastères.  Les  artistes  qui  vivaient  en  dehors 
du  cloître  étaient  peu  nombreux,  et  souvent  encore  ils 
comptaient  dans  les  rangs  du  clei'gé  séculier.  Les  coloristes 
laïcs  de  cette  seconde  catégorie  étaient,  en  outre,  placés 
dans  une  position  plus  défavorable  que  les  artistes-clercs; 
car  dans  ces  siècles  de  piété,  un  relief  naturel  était  la  pré- 
rogative des  gens  d'église.  Le  fidèle,  désireux  de  se  procu- 


—  348  — 

rer  une  bible  arlistemenl  exéculée,  un  livre  d'beures 
enluminé  ou  une  image  pieuse,  préférait  avoir  recours  au 
travail  patient  des  moines  et  encourager  leurs  talents. 

Les  conditions  mêmes  dans  lesquelles  vivaient  ceux  qui 
s'adonnaient  à  l'art,  s'opposaient  à  son  progrès.  Il  y  avait 
absence  de  concurrence,  de  là  point  d'émulation  :  l'artiste 
se  contentait  trop  fréquemment  d'imiter  un  devancier;  au- 
cune originalité  ne  signalait  son  œuvre. 

Ensuite,  l'échelle  sur  laquelle  s'étendait  surtout  l'in- 
dustrie des  artistes,  était  resserrée  et  peu  variée;  elle 
comprenait  l'enluminure  des  manuscrits  et  la  peinture  à 
la  détrempe.  Le  premier  de  ces  deux  genres  était  par- 
ticulièrement exercé  sous  le  toit  monastique;  le  second, 
au  contraire,  semble  avoir  été  davantage  confié  à  des 
mains  laïques.  Cependant,  tout  en  rendant  hommage  aux 
mérites  et  à  la  constance  à  l'ouvrage  des  enlumineurs 
gothiques,  et  tout  en  appréciant  hautement  les  anciennes 
fresques  et  peintures  en  détrempe,  nous  devons  avouer 
que  le  procédé  de  l'art  était  encore  un  obstacle  à  sa  vul- 
garisation. 

Le  coût  excessif  des  peintures  sur  parchemin  et  des 
miniatures,  produites  au  prix  de  longs  labeurs;  les  prix 
élevés  et  la  fragilité  de  la  peinture  à  la  détrempe  ou  des 
décorations  murales,  étaient  autant  de  motifs  qui  rendaient 
les  demandes  rares  et  qui  empêchaient  ainsi  de  gagner  à 
l'art  de  nouveaux  adeptes. 

L'art,  longtemps  endormi,  se  réveilla  sous  l'influence  de 
Tétat  prospère  de  nos  villes.  F^es  libertés  communales  élar- 
gies, un  commerce  florissant,  une  aristocratie  riche,  le 
peuple  libre  et  industrieux,  le  luxe  qu'inaugura  la  cour  de 
Bourgogne,  telles  furent  les  causes  qui  favorisèrent  la  re- 
naissance des  arts.  La  découverte  de  van  Eyck,  par  une 
nouvelle  application  de  la  couleur  à  l'huile,  ouvrit  à  la 
peinture  une  ère  nouvelle. 


—  349  ~ 

Les  circonstances  que  nous  venons  d'énumérer  nous 
portent  à  croire  que  c'est  dans  ces  temps  heureux  que  les 
peintres  malinois  cimentèrent  une  union  entre  tous  ceux 
qui  maniaient  le  pinceau.  Rien  ne  s'oppose  donc  à  croire 
que  la  gilde  de  Saint-Luc  est  l'une  des  plus  jeunes  des 
trente-sept  jurandes  de  Malines.  Si  l'ordre  suivant  lequel 
celles-ci  cheminaient  dans  les  processions  les  groupait 
selon  le  rang  d'ancienneté,  comme  nos  chroniqueurs  pa- 
raissent le  croire,  la  corporation  des  peintres  serait  la 
trente-troisième  en  âge. 

La  question  de  savoir  quelle  était,  avant  l'érection  d'une 
gilde  séparée,  la  position  sociale  des  rares  artistes  laïcs  se 
présente  ici  tout  naturellement.  Nous  croyons,  la  preuve  à 
l'appui,  qu'à  cette  date  les  peintres  et  les  sculpteurs  étaient 
agrégés  à  une  autre  corporation,  à  laquelle  ils  étaient  liés 
par  la  nature  même  de  leur  profession,  envisagée  alors 
comme  complémentaire  du  métier  principal.  Les  peintres 
faisaient  partie  du  corps  des  menuisiers;  les  sculpteurs 
étaient  inscrits  parmi  les  maçons. 

Primitivement,  aucune  distinction  n'existait  entre  l'ar- 
tiste et  l'artisan,  dont  il  était  le  confrère  par  la  force  du 
règlement  de  la  gilde.  Il  eût  été  impossible,  d'ailleurs,  de 
créer  dans  le  métier  une  section  spéciale  pour  le  peintre 
ou  pour  le  sculpteur,  faute  d'individus  pratiquant  exclu- 
sivement l'art.  D'un  autre  côté,  une  union  étroite  rattachait 
le  peintre  au  menuisier,  qui  ayant  achevé  son  œuvre  l'en- 
duisait de  couleurs  ou  de  dorures;  le  sculpteur  aussi  pou- 
vait presque  toujours  être  confondu  avec  le  tailleur  de 
pierre,  qui  n'était  qu'un  maçon-statuaire. 

Mais  quand  le  nombre  des  imagiers  eut  pris  de  Texten- 
sion  par  l'usage  de  la  couleur  à  l'huile,  et  lorsque  le  style 
gothique,  ayant  dépouillé  sa  première  simplicité,  com- 
mença à  s'adjoindre  les  ornements  taillés,  les  figures  et  les 
statues,  apanages  des  sculpteurs  proprement  dits,  alors  les 


—  350  — 

artistes  tentèrent  de  secouer  le  joug  de  la  corporation - 
mère  pour  s'allier  en  compagnies  à  part. 

Toutefois  la  scission  s'opéra  sans  secousse  violente.  Nos 
artistes  restèrent  sous  la  bannière  de  la  gilde  dont  ils 
avaient  jadis  accepté  le  patronage;  mais  ils  constituèrent 
dans  le  métier  un  corps  réglementé  par  certaines  disposi- 
tions particulières,  nécessitées  par  la  nature  de  leurs 
occupations.  Ils  avaient  leurs  doyens  et  leurs  jurés  à  eux 
et  choisis  parmi  les  leurs.  Leur  association  était  désignée 
sous  le  nom  de  geselschap,  tandis  que  la  véritable  nation 
prenait  le  titre  de  ambacht. 

Ainsi  l'amour-propre  était  sauf,  et  nul  ne  pouvait  con- 
fondre l'artiste,  appliqué  aux  arts  libéraux,  avec  l'ouvrier 
soumis  au  travail  servile. 

La  première  trace  historique  que  nous  trouvons  d'un 
corps  établi  des  peintres  date  du  28  août  14-39.  Les  archi- 
ves de  la  corporation  des  Qualre-Couronnés  ou  des  maçons 
nous  révèlent  qu'à  ce  jour  surgit  une  contestation  entre  les 
jurés  des  peintres  et  ceux  des  maçons.  Les  premiers  pré- 
tendaient avoir  sous  leur  juridiction  les  verriers;  les  seconds 
défendaient  leur  droit  et  réclamaient  les  verriers  comme 
compagnons.  Le  différend  fut  tranché  à  l'avantage  des 
maçons,  en  vertu  d'une  ordonnance  du  3  avril  1429,  qui 
avait  immatriculé  les  verriers  parmi  les  maçons  (i). 

L'année  suivante  (21  avril  1440),  les  comptes  commu- 
naux de  Malines  relatent  que  le  métier  des  peintres  paya 
au  receveur  de  la  ville  la  somme  de  six  sous  de  gros  (2). 

La  formation  de  notre  association  semble  devoir  se  rap- 
porter à  cette  époque  :  car  le  16  octobre  1443,  fut  fondée 


(1)  Brieven  lot  fondalien,  vonnissen  ende  terminalien  ter  cameren  mctscrs 
anibaclits.  RISS. 

(2)  Item,  ontfangen  van  don  ambaclite  van  den  scilders  van  vj  s.  gio. 
oiilerff.  gaven  valc  de  raet.  Wouler  van  Ballele  en  Cldcs  Daman,  xxj  in  april 

im^xL. 


—  351  — 

dans  le  couvent  des  Franciscains  la  messe  solennelle  à  cé- 
lébrer annuellement  à  rintcnlion  de  saint  Lue,  patron  des 
peintres. 

L'acte  constitutif  de  cette  fondation  nous  a  été  conservé 
dans  un  manuscrit  inédit,  intitulé  :  Analecta  belgica  prœ- 
sertim  Mechliniensia,  par  l'archidiacre  J.  F.  Foj)pens. 

«  Wy  broeders  Matthys  Roegiers,  gardyaen,  Coenrael 
»  van  Arensbergh,  leesmeester,  Jacop  van  Berghen,  vice- 
»  gardyaen,  met  allen  den  anderen  ouders  ende  gemeynen 
»  convente  van  de  Mynderbroederen  van  Mechelen,  gelegen 
»  int  bysdom  van  Cameryc,  doen  weten  allen  den  ghenen 
»  die  desen  bryef  selen  syen  oft  lioren  lesen,  dat  wy  broe- 
»  ders  vore  ghenoemt,  aengesyen  bebben  die  lyefde  ende  die 
»  begheerle  ons  lyeve  vryents  Jans  van  Battele,  poerter  van 
3  Mechelen,  die  hy  dreccht  tolter  ordenen  van  Sinte  Fran- 
»  ciscus  ende  sonderlycx  tôt  onsen  cloester  van  Mechelen, 
»  de  welcken  hy  heeft  sonderlynghe  almoesene  wt  godyker 
»  mynen  ghegheven  op  dat  wy  broeders  voirscreven  van 
»  den  voernoemden  cloester  dan  noet  ontdanckeeryck  sun- 
»  der  ghunsteu  ende  der  gyflen  ons  lyeven  vryents  voer- 
»  ghenoemt,  soe  verbinden  wy  ons  ende  aile  onse  nacome- 
»  lynghe  ter  eeren  Gods  en  des  weerden  heyiighe  evangelyste 
»  Sinte  Lucas,  een  patroen  der  schylders,  jaerlycx  een  mysse 
»  le  synghene  metlen  orghelen,  op  Sinte  Lucas  dach,  int 
»  covent  voerscreven,  in  Sinte  Maryen  Magdelenen  capelle, 
»  toi  salicheyen  ons  voirscreven  vryents  Jans  van  Battele 
»  ende  le  weerdicheyen  des  eerbareu  ambacht  der  schylders 
»  met  haren  medegesellen.  In  kennissen  der  waerheyt,  soo 
»  hebben  wy  broeders  voirscreven  onsen  gemeyne  seghel 
I)  van  ons  convenlen  voirscreven  hyer  aen  ghehanghcn,  inl 
»  jaer  ons  heeren  duysent  vier  hondcrt  end  XLIll,  sestyen 
«  daghe  in  octobcr.  » 

Lociim  -j-  sigilti. 


—  352  — 

Sur  le  revers  : 

«  Dei)  onde  brief  vaii  de  Minnebroeders  hoe  sy  belooft 
»  hebben  jaerlycx  eeu  misse  le  doen  in  huerlieder  cloesler, 
»  op  Sinle  Lucas  dach,  solemnelycke  mette  orgliele.  » 

Les  registres  aux  adhérilances  nous  apprennent  que  le 
21  janvier  H79,  Jean  Crabbe,  Jean  de  Bruyne,  jurés  de 
la  corporation  des  peintres,  el  VVautbier  van  Batlele,  Da- 
niel Dregghe,  Baudouin  van  der  Wyct,  Michel  vanden  Rode, 
Laurent  Diericx,  Jean  de  Hollander,  Jacques  van  Assche, 
tous  membres  du  métier,  fondèrent  dans  l'église  de  Saint- 
Rombaut,  une  messe  à  l'autel  de  Saint-Jean-Baptiste  (près 
de  celui  dédié  à  la  Sainte-Vierge)  pour  le  repos  de  Tàme 
de  leur  confrère,  Jean  de  Zelere  [Zellaer),  el  de  son  épouse, 
Elisabeth  Bosschaert,  tous  deux  décédés. 

La  nouvelle  jurande  était  donc  organisée,  mais  nous 
remarquons  que  dans  les  documents  mentionnés,  il  n'est 
point  question  des  sculpteurs.  Ceux-ci  étaient  encore  con- 
fondus parmi  les  maçons,  bien  qu'ils  fussent  aussi  confé- 
dérés entre  eux  dès  cette  époque. 

On  s'élonnera  peut-être  de  ce  que  la  séparation  de  l'art 
avec  le  travail  industriel  ait  tant  lardé  et  qu'au  XV«  siècle, 
si  intelligent,  cette  confusion  existait  encore.  Un  intérêt 
réciproque  maintenait  celle  étrange  alliance  entre  deux 
branches  extrêmes  du  génie  humain.  Les  artistes  compre- 
naient qu'en  continuant  à  marcher  sous  la  vieille  bannière 
des  ouvriers,  ils  étaient  une  force;  tandis  que  détachés  de 
ceux-ci  et  réduits  à  eux-mêmes,  ils  eussent  été  privés  des 
franchises  et  des  privilèges  dont  la  corporation-mère  était 
avantagée  el  qu'ils  partageaient  avec  elle.  Aussi  ne  deman- 
daient-ils que  d'avoir  leurs  chefs  choisis  par  eux  et  parmi 
les  leurs,  d'être  régis  par  une  charte  propre  et  de  ne  plus 
être  dorénavant  mis  sur  le  même  rang  que  le  manouvrier. 
Ils  tenaient  même  à  reconnaître  la  suzeraineté  du  métier 
principal,  dont  ils  étaient  en  quelque  sorte  les  vassaux. 


—  353  — 

Le  grand  mélier  n'attachait  pas  moins  de  prix  à  conser- 
ver les  artistes  dans  son  giron;  il  maintenait  ainsi  sa  puis- 
sance et  pouvait  au  besoin  étaler  une  force  numérique  plus 
grande. 

La  division  entière  et  définitive  entre  les  peintres  et  les 
menuisiers  ne  fut  consommée  que  lorsque  le  nombre  des 
artistes,  devenu  trop  grand,  leur  permit  d'ériger  avec 
sécurité  un  corps  à  part.  Chaque  jour  éloignait  davantage 
les  uns  des  autres  les  objets  de  leurs  professions  respec- 
tives. La  considération  croissante,  qu'avait  acquise  Part 
pendant  la  renaissance,  les  encourageait  à  réclamer  pour 
eux  également  la  constitution  en  corporation  autonome. 

Les  sculpteurs  formaient  entre  eux  une  des  sous-divi- 
sions de  la  gilde  des  maçons.  Cette  dernière  association 
comprenait  quatre  sections,  désignées  sous  le  nom  général 
de  métier  des  Quatre-Couronnés.  C'étaient  \°  les  maçons, 
proprement  dits,  qui  avaient  pour  patron  saint  Claude; 
2°  les  tailleurs  de  pierre,  placés  sous  l'invocation  de  saint 
JNicostrate;  S*»  les  verriers  et  les  vitriers,  honorant  saint 
Castor;  4"  les  sculpteurs,  dont  saint  Symphorien  était  le 
protecteur. 

Cette  agrégation  des  sculpteurs  aux  maçons  s'explique 
aisément  si  l'on  lient  compte  du  lien  intime,  qui  au  moyen 
âge  reliait  les  premiers  aux  seconds.  La  sculpture  était  le 
complément  de  l'art  de  bâtir.  Elle  y  apportait  son  gracieux 
contingent,  en  donnant  le  coup  de  ciseau,  qui  enfantait  les 
ornementations.  C'était  alors  une  espèce  de  sculpture  in- 
dustrielle, quoique  déjà  bien  artistique. 

Ici  également  à  mesure  que  l'art  s'élevait,  il  se  dégageait 
des  liens  matériels  qui  l'enveloppaient.  Bientôt  le  ciseau, 
d'inférieur  qu'il  était,  devient  l'égal  de  la  truelle;  il  la  dé- 
passe; il  finit  par  la  mépriser  et  autorise  ceux  qui  la 
manient  à  réclamer  une  existence  politique  et  sociale 
distincte. 


—  354  — 

Avant  de  jouir  du  privilège  d'une  mailrise  spéciale,  lors- 
que les  peintres  ne  formaient  entre  eux  qu'une  compagnie 
(gezelschap),  ils  appliquèrent  tous  leurs  efforts  à  fortifier 
leur  association,  à  lui  gagner  des  prérogatives  et  à  élargir 
son  cercle,  pour  en  venir  peu  à  peu  à  acquérir  l'état  de 
corporation.  Dès  le  XV«  siècle,  nous  voyons  les  jurés  des 
peintres  s'en  prendre  aux  doyens  des  maçons  et  leur  con- 
tester la  juridiction  qu'ils  avaient  sur  ceux  des  verriers  qui 
se  servaient  de  brosses  et  de  couleurs  pour  exécuter  les 
vitraux.  L'affaire  fut  jugée,  le  15  janvier  1480,  mais  au 
désavantage  des  demandeurs.  L'arrêt  déclara  ces  verriers 
suppôts  de  la  nation  des  Quatre-Couronnés  (i). 

La  réunion  des  peintres  et  des  sculpteurs,  sous  le  nom 
de  gilde  de  Saint-Luc,  s'opéra  probablement  en  1541,  car 
la  première  trace  de  rolle  octroyés  aux  peintres  et  aux 
sculpteurs  conjointement,  apparaît  en  cette  année. 

La  séparation  des  sculpteurs  de  la  gilde-mère  ne  se  fit 
point  sans  difficultés.  Le  métier  des  maçons  mit  tout  en 
œuvre  pour  retenir  dans  son  sein  ceux  qu'elle  y  avait  si 
longtemps  nourris.  Vers  l'époque  de  la  création  de  la  ju- 
rande de  Saint-Luc,  les  sculpteurs  s'agitèrent  et  firent  des 
tentatives  pour  se  soustraire  à  la  corporation  dont  ils 
étaient  membres.  En  1539,  surgit  un  conflit  sérieux  entre 
les  quatre  éléments  constitutifs  de  la  gilde  des  bâtisseurs. 
Le  point  en  litige  était  de  savoir  à  quelle  corporation  cha- 
cune des  professions  ressortissant  des  maçons  devait  se 
rattacher.  Les  fauteurs  de  la  discorde  étaient  les  sculpteurs 
qui,  comme  de  juste,  prétendaient  devoir  s'allier  aux 
peintres.  Cependant  leur  tentative  fut  infructueuse  :  le 
magistral  trancha  la  question  et  il  décida,  le  20  août  1559, 
que  les  sculpteurs  faisaient  partie  du  corps  des  Quatre- 


(l)Bricven  tôt  fondatien,  vonisscn  endc  terminalien  ter  camcrcn  mctsers 
ambachls.  MSS. 


—  555  — 

Couronnés  et  ne  pouvaient  s'adjoindre  aux  peintres  (i). 

Les  rolle  accordés  aux  peintres  et  aux  sculpteurs  en 
1564,  sont  le  premier  document  contenu  dans  le  registre 
de  la  corporation.  Il  est  rappelé  dans  Tinlroduction  à  ce 
dispositif  du  magistrat,  qu'au  5  avril  1541  la  régence  ap- 
prouva, sous  forme  de  règlement,  certains  rolle,  arrêtés 
entre  les  peintres  et  les  sculpteurs  d'une  part  et  les  me- 
nuisiers d'autre  part;  ensuite,  que  le  17  février  1543  in- 
tervint un  arrangement  réglementaire  entre  les  sculpteurs 
et  les  maçons.  Ces  transactions  consacrèrent  la  séparation 
des  métiers;  les  actes  que  mentionne  la  pièce  de  1564 
avaient  stipulé  les  conditions  auxquelles  le  nouvel  état  des 
choses  fut  établi. 

La  gilde  de  Saint-Luc,  comprenant  dès  lors  les  peintres 
et  les  sculpteurs,  inaugura  une  existence  indépendante  à 
la  suite  du  contrat  passé  avec  les  menuisiers;  quant  aux 
décisions  prises  le  17  février  1543,  elles  aplanirent  les 
dernières  contestations  entre  les  maçons  et  les  sculpteurs. 
Cette  résolution  reconnut  aux  membres  de  la  sodalilé  de 
Saint-Luc  le  droit  de  tailler  des  images  de  bois,  d'albâtre 
et  de  pierre,  pour  autant  que  l'exécution  de  ces  œuvres  ne 
préjudiciât  en  rien  aux  intérêts  des  maçons  et  des  tailleurs 
de  pierre  (2). 

(1)  Voici  l'arrêt  du  magistrat  .- 

«  Opt  geschil  dat  geporleert  is  voor  myn  heeren  commoignemccstcrs,  sce- 
pcnen,  dekcns  en  gesworene  rcntmeesters  ende  raed  der  stad  Mechelcn, 
tusschen  de  geswoorncn  van  de  metsers,  gelaesmaekers,  clcyslekers,  sleyne 
beeldsnyders,  is  by  myae  heeren  gedetermineert  dat  de  cleystekers  en  steyne 
beeldsnyders  biyven  siillen  by  de  geswoornen  van  de  metsers  en  bun  am- 
bacht,  alsoo  sy  tôt  nog  toe  geweest  hebben,  dus  sullen  de  voors.  metsers  en 
consGorten  ende  anderen  hun  vuegen  en  reguleeren  na  de  rolle  by  myne 
heeren  verleent  20  aug.  1559  en  dewelcke  meesler  Dirik  van  Orsclc,  uyt 
commisie  van  deselve  myne  heeren  by  geschrift  geven  sal. 

{Actum  23  aug.  1339). 

(2)  La  formule  du  serment  d'admission  ù  la  gilde  de  Sainl-Luc  était,  d'aprOs 
les  roUc  ■• 


—  356  —  ' 

La  charte  de  1S41,  accordée  collectivement  aux  peintres 
et  aux  sculpteurs,  est  assurément  la  première  franchise 
dont  la  gilde  ait  été  dotée. 

Il  est  vrai  que  par  requête  soumise  au  magistral  en 
Î562,  la  jurande  demanda  l'addition  de  quelques  articles 
supplémentaires  aux  rolle  reçus  en  1500.  l/octroi,  dont 
il  s'agit  ici,  était  évidemment  un  dispositif  que  l'autorité 
avait  imposé  aux  peintres,  lorsque  ces  derniers  étaient 
encore  incorporés  parmi  les  menuisiers.  Du  reste,  dans 
le  complément  que  les  artistes  réclamèrent,  nulle  mesure 
n'était  prise  pour  les  sculpteurs.  La  pétition  émana  des 
peintres  seuls,  qui  désiraient  développer,  selon  l'exigence 
du  temps,  un  vieux  règlement  que  l'érection  de  la  com- 
pagnie en  corporation  n'avait  point  infirmé  et  dont  cer- 
tains points  pouvaient  trouver  chaque  jour  encore  une 
application  utile. 

Ainsi  nous  trouvons  encore  les  peintres,  en  1515,  pro- 
priétaires d'un  autel  dans  l'église  de  Sainl-Rombaut,  bien 
qu'ils  fussent  sous  la  dépendance  des  menuisiers,  qui 
avaient  aussi  leur  autel  privé.  Le  chroniqueur  Pierre  van 


Ick  swere  onsen  Coninck  goet  enile  gclroinvc  le  syne  ciide  de  Ileylighe 
Kercke. 

De  stact  van  Meclielcn  goet  ende  getrouwe  te  syne. 

Dambacht  vande  sehilders  goet  en  getrouwe  te  syne. 

Des  anibaclits  profyt  sal  ick  voerderen. 

De  scade  van  den  ambachle  zal  ick  beletten. 

Ick  sal  scot  en  lotgeven. 

Wakcn  en  braken  gelyck  myn  mombiers. 

Ick  sal  calensieren  dat  te  ealensieren  staet. 

Ten  onbicden  van  mynen  geswoeren  zal  ick  comen. 

Al  dat  ic  hier  beloefl  hebbe  zal  ick  houwcu. 

By  mynder  manne  waerheyt, 

By  myndep  ceren. 

By  mynder  trouwen. 

Soe  moet  my  Godt  helpen 

En  aile  syn  lieve  heyligen. 


—  ool   — 

Opmccr  rapporte  que  Jean  Gossart,  dit  de  Maubeuge, 
acheva,  en  1515,  un  tableau  pour  la  corporation  des  colo- 
ristes (i). 

Le  sujet  de  ce  panneau  était  saint  Luc  peignant  le  por- 
trait de  la  Sainte  Vierge.  Deux  volets  furent  ajoutés  dans 
la  suite  à  la  pièce  centrale.  Ces  oeuvres,  dignes  de  figurer 
à  côté  de  la  brillante  production  de  Gossart,  avaient  été 
exécutées  par  un  membre  de  la  gilde  malinoise,  Michel 
van  Coxcyen.  L'un  des  vantaux  représentait  saint  Jean 
jeté  dans  la  fournaise;  sur  le  revers,  ou  voyait  saint  Luc, 
en  pied.  Le  second  vantail  offrait,  à  l'intérieur,  l'épisode 
de  saint  Jean  dans  l'ile  de  Palhmos;  à  l'extérieur  était  dé- 
peint le  même  saint,  également  en  pied. 

L'association  des  artistes  était  donc  parfaitement  orga- 
nisée. Il  ne  lui  manquait  que  le  litre  de  corporation,  et  la 
jouissance  des  privilèges  propres  aux  gildes  :  elle  n'avait 
point  ce  que  nous  appelons  aujourd'hui  la  personnification 
civile.  Tous  deux  ouvriers  intellectuels,  les  sculpteurs  et 
les  peintres  se  réunissaient  déjà;  ils  célébraient  entre  eux 
certaines  fêtes,  parlaient  d'art  et  projetaient  pour  l'avenir 
la  fondation  d'un  métier  indépendant. 

Lorsque  Albert  Durer  visita  les  Pays-Bas,  en  1521,  il 
fut  reçu  en  grande  pompe  par  les  peintres  et  les  tailleurs 
d'images  malinois.  Il  nous  raconte  dans  son  itinéraire, 
qu'un  festin  lui  fut  offert  par  les  artistes,  dans  le  courant 
de  la  semaine  suivant  celle  de  la  Fête-Dieu.  Le  banquet, 
auquel  le  fondateur  de  l'École  allemande  assista  en  com- 
pagnie de  sa  femme  et  de  sa  servante  Suzanne,  fut  dressé 
dans  la  maison  oîi  l'illustre  hôte  était  descendu.  Les  prati- 
ciens de  l'art  n'étant  point  régulièrement  constitués  en 
corps,  ne  disposaient  ni  d'un  local,  ni  d'une  chambre  de 
métier,  ils  durent  donc  se  résoudre  à  offrir  la  fête  de  bien- 

(1)  p.  Opmeerus,  Opus  chronographicum,  t.  I",  p.  450. 


—  358  — 

venue  dans  la  demeure  d'Henri  le  Peintre,  où  Durer  rece- 
vait l'hospitalité  (i). 

La  jeune  gilde  comptait  à  peine  deux  années  d'existence 
légale,  qu'elle  se  sentait  assez  forte  pour  défendre  ses 
droits  et  maintenir  ses  privilèges.  Ce  fait  ressort  d'une 
sentence  rendue  par  le  Grand  Conseil  de  Malines,  le 
30  juin  1543,  dans  un  procès  soutenu  d'une  part  entre  le 
chapitre  de  Saint-Rombaut,  prenant  cause  pour  Gilles 
Verne,  clerc  de  l'église  des  SS.  Pierre  et  Paul  en  celte 
ville,  suppliant  par  requête  du  2  mai  1343,  et  d'autre  part, 
entre  le  métier  des  peintres,  le  magistrat  et  les  officiers  de 
Malines. 

Le  chapitre  prétendait  que  les  officiers  de  la  commune 
avaient  exécuté  à  tort  le  susdit  clerc,  en  vertu  d'un  juge- 
ment rendu  par  un  des  commune-maîtres  et  motivé  sur  ce 
que  Gilles  V^erné  avait  peint  au  tabernacle  de  l'église,  à 
laquelle  il  était  attaché,  et  avait  été  de  ce  chef  mis  à 
l'amende  par  ceux  du  corps  de  Saint-Luc;  à  quoi  les  dé- 
fendeurs répondaient,  que  les  clercs  mariés  étaient  justi- 
ciables du  magistrat  pour  tout  ce  qui  ne  concernait  point 
leurs  fonctions  de  clerc,  principalement  en  ce  qui  regar- 
dait un  métier. 

Le  Grand  Conseil  déclara  le  chapitre  non  fondé  et  accorda 
gain  de  cause  à  la  corporation  (2). 

Suivant  l'ordre  chronologique  des  pièces  que  nous  con- 
sultons, nous  rencontrons  à  la  date  du  4  octobre  15S8, 
un  acte  qui  ne  peut  offrir  d'autre  intérêt  que  celui  des 
noms  propres.  C'est  une  déclaration  relative  à  une  falsifi- 
cation de  couleur  :  Servais  Boisemans,  peintre  à  Malines, 
âgé  de  trente-cinq  ans,  et  Jean  van  Beringhen,  varlet  du 
métier  [knape),  âgé  de  trente-six  ans,  déclarent  conjointe- 


(1)  F.  Verachter.  Albrecht  Durer  in  de  Nederlandcn. 

(2)  VA^  DoREN.  Inventaire  des  archives  de  Mulincs,  t.  1er,  p.  229,  n»  388. 


—  559  — 

ment  que  la  couleur  bleue,  achclée  à  Amsterdam  par 
Rombaut  van  den  Bossche,  est  falsifiée  (i). 

Le  13  décembre  15G2,  le  magistrat,  vu  Tinsuftisance  des 
anciens  rolle,  accorda  à  la  gilde  de  Saint-Luc  le  droit  d'y 
ajouter  quelques  articles  destinés  à  suppléer  aux  lacunes. 

Cette  décision  avait  été  provoquée  par  une  pétition 
longuement  motivée  du  métier.  La  copie  de  cette  dernière 
pièce  repose  aux  archives  communales;  les  artistes  énu- 
mèrent  plusieurs  abus  qui  nuisent  à  leur  corporation  et 
contre  lesquels  leur  vieille  législation  est  impuissante  à 
sévir.  Ils  citent  également  plusieurs  paragraphes  de  leur 
code,  qui,  par  suite  des  changements  survenus  dans  les 
moeurs,  ne  sont  plus  applicables  ou  devenus  inutiles. 

Ce  document,  curieux  à  plus  d'un  point  de  vue,  permet 
de  redresser  une  exagération  que  plusieurs  auteurs  anciens 
se  sont  plus  à  répéter  et  que  les  écrivains  modernes  n'ont 
pas  dédaignée.  Charles,  van  Mander,  qui  d'ordinaire  puisait 
à  bonne  source  et  dont  les  données  sont  rarement  fautives, 
a  partagé  l'erreur  commune.  Dans  la  vie  de  Hans  Bol,  ce 
biographe  rapporte  que  vers  le  milieu  du  XVP  siècle,  il  y 
avait  à  Malines  au-delà  de  cent  cinquante  ateliers  de  pein- 
ture. Cette  assertion  est  loin  d'être  confirmée  par  la  requête 
en  question.  Bien  au  contraire;  cependant  la  supplique  des 
coloristes  appuie  tout  particulièrement  sur  la  grande  exten- 
sion qu'a  acquise  la  gilde,  à  tel  point  que  «  les  anciens 
»  ro//esont  devenus  insuffisants  pour  une  société  aussi  puis- 
sante et  aussi  nombreuse.  »  Les  requérants  exposèrent  au 
magistrat  que  depuis  trois  années  (1559  à  1562)  le  nombre 
des  peintres  s'était  tellement  accru,  que  l'on  comptait  à 
Malines  cinquante  et  un  francs-mailrcs,  qui  tous  donnaient 
l'éducation  artistique  à  un  nombre  «  infini  »  de  jeunes  ap- 
prentis. 

(1)  Archives  de  Malines.  GiKlcs,  corporations,  maîtrises  et  jurandes. 


—  360  — 

L'opinion  des  historiens  a  singulièrement  défiguré  les 
choses.  Les  gens  du  métier  accusent  ofliciellement  cinquante 
et  un  francs-maîtres,  ce  qui  revient  à  un  même  nombre 
d'ateliers.  Toutefois,  notre  document  répond  à  la  date  de 
van  Mander,  qui  détermine  le  milieu  du  XVI''  siècle;  il  a 
été  rédigé  à  un  moment  où  Malines  jouissait,  avec  le  reste 
de  nos  provinces,  d'une  paix  profonde  et  d'une  grande 
prospérité  commerciale. 

La  même  adresse  signale  l'existence  d'un  dispositif  de 
1550,  par  lequel  les  échevins  prescrivirent  le  mode  selon 
lequel  les  doyens  devraient  dorénavant  clôturer  leurs  comp- 
tes. Elle  en  donne  l'analyse  succinte  et  relate  les  causes  qui 
en  avaient  déterminé  la  délivrance. 

Le  \d  février  1562,  le  magistrat  promulgua  un  nouveau 
règlement  concernant  les  dépenses  du  métier. 

A  peine  deux  ans  après  la  publication  de  celte  pièce,  des 
désordres  sérieux  vinrent  troubler  la  corporation.  Une 
mauvaise  législation,  augmentée,  revue  et  diminuée  tour  à 
tour,  avait  donné  naissance  à  mille  abus  et  à  mille  fraudes, 
inventés  pour  éluder  les  prescriptions  de  la  gilde. 

Résolus  d'en  finir  avec  des  inconvénients  sans  cesse  ré- 
pétés, les  commune-maîtres  et  les  échevins  approuvèrent, 
le  15  décembra  1562,  une  nouvelle  charte,  divisée  en 
soixante-deux  articles.  Ils  abrogèrent  expressément  tout 
ancien  rolle,  traçant  ainsi  une  voie  sûre  à  la  conduite  des 
doyens  et  des  jurés. 

Les  articles  des  statuts  antérieurs,  dont  l'application 
offrait  encore  quelqu'utilité,  furent  conservés,  groupés  et 
rédigés  convenablement;  ceux  qui  étaient  devenus  incom- 
patibles avec  les  mœurs  du  jour  ou  qui  étaient  insuflîsanls, 
furent  supprimés  entièrement  ou  revus. 

L'ensemble  de  ce  travail  paraissait  très-complet  et  ré- 
pondait aux  nécessités  du  moment.  Il  donne  une  idée  assez 
juste  de  l'organisation  intérieure  de  la  gilde  de  Saint-Luc. 


—  361  — 

L'association  pourvoyait  annuelieiMeiit  à  l'élection  des 
charges  administratives  de  la  compagnie.  Pour  deux  fonc- 
tionnaires à  nommer,  le  corps  de  métier  présentait  une 
liste  de  six  candidats,  parmi  lesquels  le  magistrat  choisis- 
sait les  plus  dignes  et  les  plus  aptes.  Un  bulletin  d'élection 
de  1574  conflrme  celte  assertion.  L'intérêt  qui  s'attache 
à  ce  billet,  tableau  nécrologique  d'artistes  du  XVI''  siècle, 
nous  engage  à  le  transcrire  ici  : 

In  den  eersten  voer  2  dekens. 
Jan  Feremans, 
Jaks  Keynooghe, 
Anthone  van  Duerne, 
Peeter  Cornelis, 
Jan  van  der  Venue, 
Jan  Terwys. 

Voor  2  busmeesters. 

Adriaen  van  den  Hou  te, 
Jan  de  Neve, 
Merten  Verhuist, 
Machiel  van  Trille, 
Matheus  Hens, 
Vincent  Cornelis. 

Voor  2  waerdermeesters.  Den  eenen  moet  een  beldesnyder, 
een  anderen  een  stojferdere. 

Machiel  de  Bruyne,  stofferdere, 
Peeter  Rogouts,  beldesnyder, 
Huybrecht  Bedar,  stofferdere, 
Loeyick  Janssens,  stofferdere, 
Peeter  van  den  Blocke,  beldesnyder. 

L'apogée  de  la  gilde  malinoise  fut  contemporaine  du 
XVI'=  siècle.  Tous  les  genres  de  peinture  et  de  sculpture  y 
florissaient  à  la  fois  avec  un  égal  succès. 

26 


—  502  — 

A  la  Icle  (le  récole  historique  et  religieuse  brillait  Michel 
van  Coxcyen,  entouré  d'artistes  de  renom,  tels  que  Frede- 
nian,  Bol,  Hais,  Vlicrick,  Vinckenboons,  Snellinckx  et 
d'autres.  La  peinture  à  la  détrempe  était  également  en 
pleine  activité;  de  nombreux  ateliers  occupaient  une  infi- 
nité de  pinceaux,  appliqués  exclusivement  à  l'achèvement 
des  tentures  de  toile  historiées,  que  le  goût  du  jour  exigeait 
pour  la  décoration  des  salons.  Les  deux  grandes  indus- 
tries locales,  celle  de  la  fabrication  du  cuir  doré  et  celle  de 
la  dentelle,  relevaient  encore  des  compagnons  de  Saint-Luc, 
dont  les  crayons  fournissaient  les  modèles  et  les  patrons. 

La  sculpture  n'était  pas  moins  dignement  représentée 
dans  notre  ville.  Une  réputation  européenne  lui  était  ac- 
quise, grâce  à  son  chef,  le  mystérieux  Conrad  de  Malines, 
que  les  auteurs  célèbrent  à  l'envie,  mais  dont  aucune  œuvre 
ne  nous  est  positivement  connue. 

Les  cours  de  Marguerite  d'Autriche,  de  Marie  de  Hon- 
grie et  la  présence  du  jeune  Charles-Quint,  contribuèrent 
puissamment  à  étendre  et  à  maintenir  cet  état  prospère. 

L'exemple  venu  de  haut  lieu  fut  imité  par  la  noblesse 
attachée  aux  personnes  royales.  Les  titulaires  du  Grand 
Conseil,  les  descendants  des  membres  du  Parlement  établi 
par  le  Téméraire,  les  corporations,  les  couvents,  les  églises 
et  la  ville  elle-même  s'engagèrent  dans  la  voie  tracée  par 
les  princes. 

Les  expositions  de  tableaux  et  les  loteries  apparurent  en 
même  temps;  elles  venaient  apporter  un  éclatant  et  public 
stimulant  au  progrès  des  arts.  Les  archives  communales 
abondent  en  citations  relatives  aux  exhibitions  d'œuvres 
d'art.  Le  local  habituel  où  s'ouvraient  ces  galeries  était  le 
cloître  du  préau,  au  monastère  des  Frères-Mineurs,  dits 
Récollels. 

Mais  le  soir  de  ce  siècle,  qui  s'était  levé  sous  de  si  heu- 
reuses auspices,  fut  sombre  et  sanglant.  Une  grande  ombre 
s'étendit  sur  la  gloire  de  la  corporation  de  Saint-Luc. 


—  363  — 

Comme  toutes  les  institutions  politiques  ou  religieuses, 
le  corps  des  artistes  eut  à  souffrir  des  guerres  de  religion 
qui  ravagèrent  les  Pays-Bas.  Ses  membres  individuelle- 
ment, en  proie  au  pillage  et  à  la  misère,  furent  encore  plus 
éprouvés.  Quelques-uns  cherchèrent  leur  salut  dans  rexi4; 
d'autres  demeurèrent  et  embrassèrent  les  doctrines  nou- 
velles ou,  fidèles  au  roi  et  à  l'Eglise,  subirent  patiemment 
les  horreurs  de  ces  temps  désastreux. 

L'industrie  était  immobile  ou  produisait  peu;  mais  l'art 
était  mort.  Aux  yeux  des  iconoclastes,  c'était  un  crime  de 
l'exercer. 

Les  briseurs  d'images  ne  songeaient  donc  point  qu'en 
détruisant  ses  productions,  ils  préparaient  à  l'art  un  im- 
mense et  général  encouragement,  dont  l'essort  devait  être 
simultané  avec  la  renaissance  des  temples  et  du  culte. 

Dans  la  grande  tourmente  qui  fondit  sur  Malines  par 
l'invasion  des  Gueux,  la  corporation  perdit  la  perle  de  son 
autel,  la  riche  peinture  de  Jean  de  Maubeuge.  Elle  fut  en- 
levée de  l'église  métropolitaine  le  9  avril  1380,  et  l'archi- 
duc Mathias  l'emporta  lorsqu'il  quitta  les  Pays-Bas.  Le 
biographe  van  Mander,  dans  la  notice  qu'il  consacre  à 
Bernard  van  Orley,  ou  Barend  van  Brussel,  comme  il 
l'appelle,  lui  attribue  erronément  le  tableau  en  question. 
Les  autres  circonstances  que  l'écrivain  rapporte  au  sujet  de 
cette  œuvre  sont  plus  véridiques.  Il  reconnaît  Michel  Goxie 
pour  l'auteur  des  vantaux,  et  il  ajoute  que  Mathias  fît  de 
ces  dernières  pièces  son  butin.  Quant  au  tableau  central, 
l'historien,  ne  se  prononçant  pas,  semble  avoir  ignoré  son 
sort. 

Le  triptyque  ne  tarda  pas  à  exciter  en  Allemagne  l'ad- 
miration des  amateurs.  En  1G12,  le  tableau  de  Saint-Luc 
ornait  le  palais  impérial  à  Prague.  Les  tentatives  pour  re- 
couvrer le  chef-d'œuvre  ne  firent  point  défaut  de  la  part 
des  membres  du  métier,  mais  elles  furent  infructueuses. 


—  3G4  — 

Espérant  plus  de  succès,  la  gilde  résolut  de  s'adresser 
directemeiU  à  Tempereur  pour  obtenir  le  joyau  perdu.  La 
ville  de  Malines  s'intéressa  à  la  plainte  des  jurés;  le 
12  mars  1614,  le  magistrat,  de  concert  avec  la  corpora- 
tion, envoya  une  requête  à  l'empereur  Mathias,  pour  le 
supplier  de  vouloir  ordonner  la  restitution  de  la  peinture 
de  Mabuse. 

La  pétition  de  l'autorité  communale  était  appuyée  par 
les  doyens  de  l'association  :  Jehan  van  den  Bossche,  Rom- 
boult  Machiels,  Cornille  Feremans  et  Michel  Verschueren. 

Malheureusement  la  supplique,  comme  les  démarches 
précédentes  des  pétitionnaires,  resta  sans  réponse,  et  le 
tableau  demeura  à  Prague,  où  il  se  trouve  encore  dans 
l'église  de  Saint-Gui. 

Bon  nombre  d'artistes,  fuyant  les  maux  de  la  guerre, 
s'étaient  réfugiés  eu  Hollande  et  en  Angleterre.  Leur  talent 
reçut  généralement  un  accueil  favorable  dans  ces  pays,  ce 
qui  les  décida  à  y  fixer  définitivement  leur  résidence.  Ce- 
pendant, lorsque  la  ville  de  Malines  fut  revenue  sous  le 
sceptre  de  Philippe  II,  la  plupart  des  fugitifs  furent  heureux 
de  rentrer  dans  la  patrie;  quelques-uns  seulement  préfé- 
rèrent demeurer  en  terre  étrangère  et  renoncèrent  à  leur 
ville  natale. 

Les  noms  de  ces  derniers  nous  ont  été  conservés  :  une 
liste  en  fut  dressée  le  19  juillet  138S.  C'étaient  :  Jacques 
Bol,  Martin  et  Luc  van  Valckenburch,  Hans  Bol,  François 
Brassaerts,  Jean  Schetelmans,  Jean  van  Noterschaten,  Jean 
van  der  Vekene,  Pierre  van  der  Vekene,  Henri  Thys  et 
Crépin  Colyns.  Celui-ci  s'était  retiré  à  Anvers,  où  il  rési- 
dait encore  (i). 

La  restauration  des  temples  et  des  monastères  contribua 
fortement  à  assurer  le  bien-être  des  membres  de  la  corpo- 

(1)  Gebeurlenisse  van  Meclielen,  a»  1386,  Archives  communales. 


—  365  — 

ration.  Dès  Tannée  1591,  le  métier  s'était  relevé  des  perles 
qu'il  avait  subies.  De  nouveaux  compagnons  furent  inscrits 
sur  le  registre  de  Saint-Luc.  Les  comptes  de  l'église  de 
Saint-Rombaut  attestent  que  l'importance  de  la  gildc  s'ac- 
croissait rapidement.  Sous  le  titre  :  Ontfanck  van  nieitwe 
meesters  van  ambachlen  den  eedt  ghedaen  hebbende  op  ten 
11  septembrîs  1591,  sont  consignées  les  receltes  que  pré- 
levait la  fabrique  métropolitaine  sur  les  nouvelles  maîtrises. 
Dans  le  chapitre  consacré  aux  peintres,  nous  trouvons,  en 
cette  année,  une  entrée  de  viij  sous.  Nous  pouvons  nous 
figurer  la  valeur  de  ce  chiffre  et  en  conclure  au  progrès 
de  l'association,  lorsque  nous  comparons  celte  recette  à  ce 
que  l'administration  paroissiale  avait  recueilli  des  maîtres 
entrés  dans  les  autres  corporations  :  les  boulangers  payè- 
rent, la  même  année,  xvj  sous;  c'est  la  plus  forte  somme 
perçue.  En  1592,  les  confrères  de  Saint-Luc  fournirent 
encore  viij  sous;  en  1593  et  eu  1594,  leur  contribution 
s'éleva  à  xij  sous, 

Em.  Neeffs. 
(Pour  être  continué). 


566  — 


6ibU0^ropl)te  muôicûlc  (i). 


Het  boek  Oer  Psalmen,  nevens  de  Gezangen  bij  de  her- 
vormde  kerk  van  Nederland  in  gebruik,  etc.  Te  Amsterdam, 
bij  de  Wed.  Loveringh  en  Allarl,  1776. 

Ce  livre,  iu  4%  avec  irès-beau  litre,  gravé  par  R.  Vin- 
keles,  conlient  un  psaume,  Opwekken  tôt  God  verheerlij- 
kend,  à  2  voix,  musique  de  Bart.  Ruioffs. 

On  trouve  dans  ce  livre  plusieurs  poésies,  planches  et 
les  portraits  en  gravure  sur  cuivre  du  baron  J.  van  Lijven 
et  de  Thomas  Hoog. 

Dissertatio  inaugiiraiis  de  vi  Miisicae,  ad  excolenditm 
hominem,  a  sententia  Platonis.  Utrecht,  Paddenburg  et 
Schoonhoven,  1816. 

Ce  livre  est  d'Anne  Den  Tex,  de  Tilbourg. 

Kerkelijke  redevoering  en  gezangen  bij  de  verbctering 
van  het  kerkgebouw  en  or  gel  te  Loosduinen.  's  Gravenhage, 
Thierry  en  Mensing,  1791.  In-S". 

Nagedachtenis  van  J.  Haydn,  gevierd  in  Félix  Merilis, 
Amsterdam,  1810.  In-8°. 

Verhandeling  om  de  Muziek  tôt  meerder  klaarheid  te 
brengen,  enz.  's  Hage,  Klis,  1784.  In-8°. 

Zang-  en  speeloefening  voor  die  zig  aan  den  zang-  of 
speelkonst  begeven,  met  eenige  fraaiste  zangstukjes.  2'^  dnik, 
Haarlem,  bij  J.  Van  Hulkenroy,  17oo.  Petit  octavo. 

(1)  Sufte.  V.  pag.  88. 


—  307  — 

Convivium  Canlorum  Monachi,  1585. 
(Swerlii  Alhen.  I3elg.). 

Ce  livre  est  de  Gérard  de  Roo,  né  à  Oudewaler,  mort 
en  1590. 

Ouvrage  resté  inconnu  à  Gerber,  Schilling  et  Fétis. 

Suites  des  pièces  à  deux  /lûtes,  par  Quoiiance. 

Quoiiance  était  un  artiste  français,  qui  vivait  au  com- 
mencement du  siècle  dernier. 

Deux  concertos  à  violon  principal,  etc.,  composés  par 
J.  Touchemoulin,  élève  da  célèbre  Tartini.  Œuvre  II''. 
Paris,  chez  Bailleux.  A  Lyon,  chez  Castaud. 

Écrit  par  Ribière. 

Ces  compositions  sont  écrites  dans  un  bon  style  et  pu- 
bliées vers  1780. 

M.  Fétis  dit  que  cet  artiste  a  laissé  ses  œuvres  en  ma- 
nuscrit. 

L'œuvre  1'''=  nous  est  inconnue. 

Le  Sourire,  séguedille,  paroles  de  Pelletier-Duclary, 
musique  de  Charles  Lis. 

L'Inconstance  justifiée,  boléro,  paroles  d'Armand  Gouffé, 
musique  de  Ch.  Lis. 

Ces  deux  morceaux  de  chant,  ignorés  jusqu'ici,  aj)par- 
liennent  à  M.  Lis,  né  à  Bruxelles  en  1784,  et  qui  mourut 
eu  1845. 

De  Muzijkonderwijzer  of  volledig  onderwijs  in  de  (jron- 
den  der  muzijk-kunde.  Rotterdam,  het  jaar  1780,  bij 
L.  J.  Burcjvliet.  In -8". 

Ce  livre,  sans  indication  d'auteur,  avec  plusieurs  plan- 
ches, est,  croyons-nous,  composé  par  plusieurs  musiciens. 
Il  contient  beaucoup  de  chapitre  traduits  de  l'allemand. 


—  368  — 

C'est  un  livre  utile  pour  ceux  qui  se  destinent  à  la  car- 
rière musicale. 

Il  a  388  pages,  avec  une  table  détaillée  des  matières  in- 
sérées dans  l'ouvrage. 

Baletlen  voor  3  stemmen,  door  Giov.  De  Haas.  Amster- 
dam,  bij  Et.  Roger.  Tweede  werk. 

Cata.  de  Roger. 

3  Couranten  van  een  hoogste  en  middelste  gehnd,  van 
J.  Foucart. 

Date  inconnue. 

Sei  sinfonie  a  violini  I  et  II  viola  et  basso,  op.  I.  In-fol. 
DeGraaf,\7U. 

Sei  ariette  a  canlo  e  cemb.  op.  \ .  Racolla  d'Arie  sciolte 
con  sinfonia,  con  2  viol.,  '2  ob.,^  con  Viola  et  Bass.  op.  2. 
6  Canzonetta  a  pin  voce,  op.  3.  Aria  sciolte,  con  coro  didio 
al  sign.  Metastasio,  op.  4. 

Ces  œuvres  sont  de  M^^^  la  baronne  van  Boelzlaar,  qui 
se  fixa,  croyons-nous,  à  La  Haye. 
Elles  datent  de  1780. 

De  kerk  van  Nederland,  ter  gelegenheid  van  de  verbete- 
ringeder  Psalmberijminge,  enz.,  door  Berm.  Adri.  Brui- 
ning.  Middelburg,  bij  P.  Gillissen.  Gr.  in-^». 

Bruining  naquit  à  Rotterdam  le  15  novembre  1738,  et 
décéda  à  Veere  le  7  janvier  1811. 

Auteur  resté  inconnu  à  Gerber,  Scbilling  et  Fétis. 

Pièces  pour  le  luth,  par  Bruinings.  Amsterdam,  E.  Ro- 
ger, 1720 

6  Sonates  à  une  basse  de  violon  et  G.  B.,  par  Jacques 
Klein.  Amsterdam,  chez  E.  Roger  (vers  1740). 


— •  369  — 

2  Klavierwerke,  elk  met  6  sonaten,  Amsterdam,  cl.  Kar. 
God.  Geilfus. 

Geilfus  était  organiste  à  Utrecht,  où  il  décéda  en  1740. 
On  louait  beaucoup  le  talent  de  cet  artiste,  resté  inconnu 
à  M.  Fétis. 

Aanmerking  op  het  gewoon  Psalmgezang,  met  eene  korte 
aanleidinge  tôt  verbeteringe,  door  Daniel  Rademacher, 
Middelburg,  bij  Lieven  Moens,  1776.  In-S". 

Toccaten,  Fugen,  Ciaconen,  Suilen  nebenst  vielen  Galan- 
terien,  pour  le  clavesiné  organo,  von  Br'ônmuller.  Amster- 
dam, Fr.  Halma,  Boekverkoopcr  en  drukker  der  stalen  van 
Friesland,  30  april  1710. 

M.  Fétis  consacre  quelques  lignes  à  ce  musicien  et  ne 
donne  aucun  litre  complet  de  ses  œuvres. 

Het  wel  en  Gode  behagend  singen,  voorgesteld  en  aange- 
prezen  in  eene  kerkelijke  Redevoering,  door  G.  Van  Selm. 
In- i°.  Amsterdam,  bij  J.  Wessing-Willems,  1774. 

Cet  écrit  a  été  publié  du  temps  qu'on  reformait  en  Hol- 
lande le  cbant  des  Psaumes,  qui  trouva  peu  de  sympathie. 

M.  Fétis  mentionne  le  même  ouvrage,  mais  moins  com- 
plet et  à  deux  noms  différents. 

Page  11,  t.  Vin,  le  livre  est  indiqué  dans  une  courte 
notice  sur  Selm  (Gérard  Van). 

Dans  le  même  volume,  l'ouvrage  est  indiqué  sous  le  nom 
de  Zeilmann  Van  Salm  (Gérard). 

II  y  a  là  évidemment  une  erreur,  mais  Touvrage  est  dû 
à  Van  Selm. 

6  Trios  pour  2  clarinettes  et  un  basson,  à  deux  violons 
et  une  basse,  composés  par  H.  J.  Tobi,  premier  cor  de  chasse 
d'Anvers.  OEuvre  2«.  A  Anvers,  chez  l'auteur. 

Celte  œuvre  date  de  la  fin  du  siècle  dernier. 

M.  Fétis  cite  une  œuvre  de  ce  maître  et  le  dit  allemand. 


—  370  — 

Ces  six  trios  sont  édités  à  Paris,  chez  Le  Meuu,  im- 
primés par  Richomme  et  écrits  par  Ribière. 

6  Sonates  à  2  violons,  dédiées  à  M.  Marcel  De  Vos,  abbé 
de  l'Abbaye  de  Saint-Michel,  à  Anvers,  composées  par 
P.  J.  Guislain.  Œuvre  1^'.  Anvers,  chez  l'auteur. 

Imp.  par  P.  Van  den  Berg. 

Date  environ  de  1780. 

Gravure  sur  zinc,  mais  médiocre.  Papier  très-fort. 

Kirchcn-musik  :  3  bis  8  stimmige  Gesànge,  von  J.  Lohner, 
1700. 

Cet  artiste,  omis  par  M.  Fétis,  naquît  le  12  décem- 
bre 1045,  à  Nuremberg.  Il  était  organiste  à  l'église  Saint- 
Laurent,  en  cette  ville,  et  y  mourut  le  2  avril  170S. 

Ouverture  de  l'Olympiade,  avec  des  ariettes,  etc.,  par 
M.  De  Boeck.  A  Bruxelles,  chez  M'''  Gram  et  Ceulemans, 
M'^'  éditeurs  de  musique  D.  S.  A.  R.,  etc.,  et  aux  adresses 
ordinaires  de  musique. 

Cet  œuvre,  d'un  auteur  inconnu,  date  du  siècle  dernier. 

Nomenclator  octilinguis  omnium  rerum,  propria  noniina 
continens. 

Ab  Adriano  Junio  ante  hac  collectus,  etc.  Ex  typogra- 
phia  Jacobi  Sloer,  1619. 

Adrien  Junius,  docteur  en  philosophie,  naquit  à  Hoorn, 
le  l^juillet  1512,  et  décéda  à  Ameiden  le  6  juin  1575.  Cet 
ouvrage  traite  de  :  Musica  instrumenta  coque  spectantia. 

Il  y  a  eu  plusieurs  éditions  de  ce  livre.  La  troisième 
date  de  1 583  et  parut  à  Anvers. 

L'édition  que  nous  avons  sous  les  yeux  est  un  livre 
explicatif  de  mots  ;  ainsi  il  explique  le  mot  Musiciis  en 
différentes  langues. 

Le  chapitre  Artium  nomina,  traite  aussi  de  la  musique. 


—  371   — 

Stichlelîjcke  rij'men  van  D.  R.  Camphuyscn,  enz.,  en  aile 
gecomponeerd  om  te  zinqen  en  speclen,  met  tivee  stemmen, 
door  Joseph  Butler,  Music.  tôt  Ainsteldam.  '/  Amsteldam, 
bij  Pauius  Matlhîjs,  in  't  Musyc-boeck,  en  zijn  te  bekomen 
bij  Abraham  de  Wees,  op  de  Middeldam,  A"  16S2. 

Ce  livre,  inconnu,  est  in-i"  et  imprimé  avec  soin.  Dans 
la  préface  on  lit  : 

«  Tôt  het  maken  en  compoiicren  der  Mnsyc,  hebbe  Ick  Joseph 
Butler  bewillight,  die  niet  iiagelatcn  heeft  zyn  konst  en  vlytt 
hier  toe  te  wenden;  en  aizoo  yets  dient  gezcydt  tôt  narechtinge, 
zal  ick  't  gène  door  hem  tôt  dien  eynde  ontworpen  is,  in  't  korte 
stellcn    » 

On  ne  connaît  rien  de  la  vie  artistique  de  J.  Butler. 
Le  livre  contient  un  beau  portrait  de  D.  Camphuyscn, 
gravé  par  C.  Casteleyn,  avec  les  vers  suivants  : 

Hier  sielge  H  Beeld  van  die  eenvakiigh  allyil  song 

Van  Goed,  van  God,  van  Deugd,  van  Lyden,  van  Vcrsakcn. 

Niet  ais  de  VVeiit,  in  schijn,  alleen  sleclits  met  de  Tong. 

Om  eer  of  Lof,  of  Gunst,  maer  Gode  te  genalœn  : 

Dies  vond  Jiy  sielen  Rust  (0  soct'  en  Heylge  vreugd'), 

En  hem  op  Acrd  van  'l  Aerdscli,  verselt  met  aile  Deugd. 

Sonate  a  violino  sol  e  basse  contimio,   de  Thevenart. 
Amsterdam,  chez  Le  Cène  (vers  1735). 

Proeven  van  Muzikale  uitspanningeu  met  de  melodiën 
achteraan,  d.  W.  van  Ollefen.  Amsterdam,  Elwe,  1783. 

VI  Klavîersonalen,  door  Lodewijk  Gautier.  Amster- 
dam,  1763. 

Édité  probablement  chez  A.  Olofsen. 

Premières  leçons  pour  apprendre  le  Piano-forte,  etc. ,  par 
C.  F.  Ruppe.  Œuvre  XIII.  A  Leide,  chez  fauteur.  Gravé 
par  A.  Wijsman. 

Geestelijke  rijmstoffen  met  mvziek  voor  2  stemmen,  door 
W.  Vcrmoolcn,  1782. 


—  372  — 

Vermooleii  était  attaché,  en  1770,  à  l'église  de  Haarlem 
en  qualité  de  chanteur. 

Vriendenzangen  tôt  gezellige  vreugd.  Haarlem,  6/j 
Loosjes,  1801.  —  Anonyme. 

Simphoni  périodique  à  deux  violons,  taille  et  basse,  flûle 
et  hautbois  et  cornes  de  chasse.  Composé  par  Sr.  Ditters,  à 
Vienne.  N.  IV.  A  Amsterdam,  chez  J.  J.  Hummel. 

Belle  notation. 

Date  environ  de  17G0. 

Symphonie  périodique  à  deux  violons,  deux  flûtes,  deux 
cornes  de  chasse,  deux  tailles  obligés  e  vîoloncello,  composé 
par  G.  Th.  Greiner.  Amsterdam,  chez  J.  G.  Sivache  et 
Comp.,  marchand  et  imprimeur  de  musique. 

Stukken  voor  tivee  fioolen  de  Gamba  met  korte  onder- 
wijzing  op  de  handfluijt.  2  deelen.  Amsterdam,  bij  Paulus 
Matthijsz.,  1649. 

Un  autre  titre  de  ce  livre  indique  : 

Goden-Fluit  Hemel,  van  d'aller  konstighsle  meesters 
dezer  tijd  gesteld. 

Ce  livre  est  dédié  à  iM"<^  Adriana  Van  den  Bergh,  qui 
cultiva  avec  fruit  la  musique. 

Dans  la  dédicace,  Timprimeur  s'exprime  ainsi  : 

«  Zoo  heldcr  klink  ia  dien  tijd  Uw  E.  fluit,  daer  al  de  we- 
reld  met  verwoiuleringh  lof  van  spreekt;  En  gelijk  Uw  E.  de 
natuurc  te  baat  hceft  en  d'aardigheid  van  handelingh  Uw  E. 
kioek  vernuft  niet  ontvalt,  zoo  hoort  men  nu  als  op-getoogcn, 
de  zoete  snaaren  van  Uw  E.  fiool  de  Gamba  door  haar  zuiver 
geluid  de  keiirige  ooren  dcr  specl-mecstercn  vcrnocgen ,  die 
van  Uw  E.  hun  besle  stukken  wenschcn  te  laten  goct  keurcn, 
en  daar  in  zich  gclukkig  achten,  dat  Uw  E.  bchaagcn  mo- 
ghen,  enz. 

»  Uw  E.  dienstwillighste  dienaar, 

»  Paulus  Mattiiijs.  » 


O  tù    — 


VI  sonaten,  ivaarvan  o  voor  twee  fluilen  en  bas,  en  5 
voor  finit,  vedel en  bas,  cl.  A.  C.  Slechwij.  Amslcrdam  (vers 
1760). 

Cel  arlisle,  resté  ignoré  par  Schilling,  Félis  et  d'autres, 
était  organiste,  en  1760,  à  la  cathédrale  de  Zwolle. 

L'année  1771,  il  était  organiste  à  Téglise  Westerkerk,  à 
Amsterdam. 

Burney,  qui  l'entendit  toucher  l'orgue,  en  dit  beaucoup 
de  bien. 

Hammel  édita  de  lui  sous  ce  titre  :  VI  sonate,  3  a  due 
Flut.  trav.  e  3  a  FI.  trav.  e  V,  op.  I. 

C'est  le  même  œuvre. 

De  150  Psalmc.n  Davids  met  der  zelver  Lofzangen, 
gemaakt  voor  het  davier  en  orgel,  na  hunne  gegronde  en 
ware  harmonie,  toon-aart,  bassen,  becyjferingen,  musicale 
afdeelen  en  kleine  agrementen;  door  Conr.  F.  Hûrlebusch, 
Amsterdam,  bij  J.  Freislich,  1766, 

Les  Psaumes  avec  basse  chiffrée. 

L'ouvrage,  de  160  pages,  est  imprimé  avec  grand  soin. 

Les  mélodies  sont  surchargées  de  ces  notes  d'agrément 
et  de  fantaisie  qui  dénaturent  d'une  manière  étrange  le 
chant  principal.  Celte  manière  de  contrefaire  les  mélodies 
primitives,  fut  très  en  usage  au  siècle  dernier.  On  a  plu- 
sieurs ouvrages  de  cet  artiste,  resté  ignoré  à  M.  Félis. 

Le  privilège  des  états  de  ce  livre  date  du  19  mars  1761. 

Voici  les  ouvrages  qu'on  y  trouve  mentionnés  : 

a  Coenraad  Frederick  Hûrlebusch ,  burger  tôt  Amster- 
dam, enz. 

i)  Tagtig  à  hondert  Italiaansche  Ariën  met  instrumcnten. 

»  Twee  geheele  opéras,  geintituleerd  VInnocenza  difesa  en 
Flavio  Cuniberto. 

»  Twaalf  italiaansche  cantaten,  met  instrumcnten. 

1)  Vierentwintig  italiaansche  cantaten,  met  bassen  en  zang- 
stemmen. 


—  374   — 

»  Twaaif  conccrtcn,  iwaalf  sonaton  en  agt  ouvcrtiircii,  aile 
voor  violine  en  andere  instrunienien. 

1)  Zcs  clavierconcerten  met  instruinenten. 

«  Vierentwintig  Fugen  voor  't  clavier  en  orgcl. 

))  Agtien  sonaten  of  suiten  voor  't  clavier. 

»  Een  Miisicaal  Tractaat,  geintituleerd  vaststclling  en  ieere 
dat  de  oneindige  veranderde  Musicq,  uit  drie  grondbcginsclcn 
of  principia  afkomslig  was.  » 

Hurlebusch  décéda  vers  1770. 

Andante  avec  neuf  variations  pour  piano,  par  Charles 
Bitlerman.  Anvers,  chez  Bachem. 

Publié  au  commencement  de  ce  siècle. 
Auteur  resté  inconnu. 

VI  Ariettes  ital.,  avec  accornpagnement  de  piano,  par 
Zoncada,  1802. 

Auteur  inconnu. 

12  Sonaten  in  4  deelen,  per  il  Cambalo.  Amsterdam,  hij 
A.  Olofsen,  1738. 

Eene  redevoerinrj  over  den  oorsprong  en  voortgang  van 
het  heilig  zingen,  in  het  bijzondcr  van  het  Psalmzingen  zoo 
omler  het  onde  als  nieuwe  verbondt,  tôt  dezen  tij'd,  enz.  Te 
Arnhem,  bij  J.  H.  Moeleman  en  W.  Troost,  \77^.  In-8°. 

Ce  livre  est  dû  à  J.  Vitringa,  prédicant  à  Arnhem. 

Sous  le  rapport  de  l'historique  du  chant  d'église,  cet 
ouvrage  mérite  l'attention  de  ceux  qui  s'occupent  de  cette 
partie. 

Zeventig  muziekstukken  in  de  Nederlandsche  taal  en 
christeUjk  gecomponeerd,  door  Willem  Swart. 

Ce  compositeur  naquit  à  Arnhem  au  XVII^  siècle. 
Il  reçut  un  privilège  pour  la  publication  de  ce  livre. 
C'est  peut-être  le  même  qui  fabriqua  un  piano  en  porce- 
laine, dont  M.  Dodt  cite  cette  note  : 


—  375  - 

«  1655.  Is  VVilhcm  Swert,  musicien,  focgcicct  twintich  giil- 
(!cns,  voor  dat  hij  haro  IIo.  Mo.  vcrtlioont  hcoft  zccckcr  cla- 
vicijnbcl  van  porcclcijn,  dacrovcr  hij  dcrlhicn  jacrcn  besich  is 
gcw'cest  om  desclve  met  hct  getal  vancte  rcsonancicn  ua  dcn 
cijsch  correct  le  vinden  (Aug.  21).  » 

B.  Fritz's  ondcrwij's  om  clavicrcn,  claccvimbcls  en  orgcls 
te  stemmen,  door  Van  Elvesvcldt.  Amsterdam,  J.  J.  Hum- 
mel,  1788. 

De  zangkunst  gemakkcl/jk  gemaakt  door  D .  H.  Amster- 
dam, bij  Gortmann,  1788. 

L'auteur  de  cet  écrit  est  inconnu. 

Le  Civisme,  cantate  patriotique  improvisée  en  Vhonneur 
de  Guillaume  /",  roi  des  Pays-Bas,  par  J.  B.  Caroli,  ci- 
toyen belge,  natif  de  Mons,  dédiée  à  la  nation  Néerlandaise 
par  J.  H.  Mees,  et  enrichi  du  portrait  du  Boi,  dessiné  par 
S.  Guyard.  A  Bruxelles,  chez  l'auteur. 

Ce  couplet,  avec  chœur  et  accompagnement  d'harpe  ou 
piano,  date  de  1818. 
L'édition  est  fort  belle. 
Voici  les  vers  du  chœur  : 

Chantez,  chantez,  enfants  de  la  patrie. 
Chantez  la  liberté  chérie! 
Et  pour  elle  cl  vos  rois,  affrontant  mille  maux. 

VI  Sinfonie  a  diioi  violini  (quatuor),  dus  corni  di  caccio, 
0  trombe  ad  libi,  da  don  Vlacido  de  Camerlohrer.  Opéra  2, 
gravés  par  Benoît  Andrez,  derrière  Saint-Thomas,  à  Liège. 

Cet  ouvrage  est  dédié  à  la  baronne  d'Eykner,  née  com- 
tesse de  Lizelburg.  Il  date  environ  de  175o. 

M.  Fétis  ne  fait  que  mentionner  ce  livre,  qui  se  distingue 
par  de  belles  notes. 

Musicœ  rudimenta  Latino  Belgica  ex  prolixoribus  musi- 
corimi  prœccptis   cxccrpta.  In  2isum  illustris   Gymnasii 


—  370  — 

Geldro-  Velarici  qiiod  est  Uardcnici.  Uardenici  Geldrorimi, 
apud  Gedeomtm  de  Bacs,  Bibliopolum,  Anno  1G05.  Pet.  4". 

D'un  côté  se  trouve  une  traduction  hollandaise. 

Il  y  a  eu  d'autres  éditions  en  1621,  1C5G  et  1G45. 

VI  Duos  pour  deux  violoncelles,  par  Salivas  de  Paris. 
Op.I. 

Publié  à  Paris,  vers  1780. 

VI  Duos  pour  clarinettes,  par  Satis.  Op.  I.  Paris  (vers 
1784). 

Auteur  inconnu,  comme  le  précédent. 

Liedboek,  inhotidende  de  schriftinirlijke  vcrmaanlicderen, 
claechliedercn,  cnz.,  der  Medeleeden  van  de  Mennoniten 
Gemeenlen,  door  Uans  de  Rijs.  Rotterdam,  bij  Dirk  Mul- 
lem,  1728.^1-8°. 

Kelner  (/>')»  Korte  en  betrouwe  onderrintinge  van  de 
generaal  bass,  of  bassus  continuus,  door  G.  Uavingha. 
Amsterdam,  bij  J.  Covens,  junior,  1751. 

Traduction  du  traité  d'harmonie  de  Kelner.  Un  beau  vo- 
lume de  171  pages,  avec  papier  solide  et  beaux  caractères. 

Uavingha  vivait  encore  en  1751. 

De  zangivijzen  der  CL  Psalmen  Davids  en  der  lofbesan- 
gen,  so  als  dezclve  in  de  reformecrde  kerkcn  zijn  opgesteld 
voor  zulke  die  de  basso-continuo  niet  verstaan. 

Ces  œuvres  sont  de  la  composition  de  F.  G.  Michelet, 
professeur  dans  une  des  écoles  à  Franeker,  et  qui  naquit 
en  Frise  l'an  1750.  Nous  trouvons  ces  œuvres  dans  un  ca- 
talogue. 

L'auteur  est  resté  inconnu. 

1°  Apollo  en  Daphne,  van  Karel  Zweets,  op  muzijk  door 
Hendrik  A7idcrs,  te  Amsterdam  vcrtoond,  en  gcdrukt  al- 
daar  bij  Kornelis  Zweets,  1G97.  In-8''. 


—  377  — 

2°  Min  en  Slrijdt,  Herderspel  met  muzijk  van  den  Heer 
Ànders.  Te  Lciden,  voor  de  Leitze  en  Baarjsche  schouw- 
burgen,  1719.  In-8°. 

On  dit  beaucoup  de;  bien  des  œuvres  d'Anders,  qui  ont 
été  omises  par  M.  Félis. 

Der  Fluylen  Lust-Hof  beplant  met  Psahnen,  Pavanen, 
Almanden,  Conranten,  enz.,  door  den  Ed.  Jr.  van  Eyck, 
Mnsicijn  toi  UUrecht,  enz.  't  Amsterdam,  bij  Paulus  Mat- 
thijs,  in  de  Stoof-Steerjh,  1654. 

Ce  livre  est  dédié  à  C.  Huygens,  seigneur  de  Zuylichem 
et  secrétaire  du  prince  d'Orange. 

Muziekboeken  cjecomponecrd  door  Michiel  Lamerelte, 

Dans  une  demande  adressée  aux  États  boilandais  et 
signée  de  M.  Lamerette,  il  est  question  de  publications 
musicales  éditées  par  Charles  de  Scbildere,  imprimeur  à 
Middelbourg  en  1594. 

a  Op  de  requeste  van  M'  Mich.  Lanicretle  verzoekende  octroij 
voor  Charles  de  Schildcre,  enz.,  om  voor  den  tijd  van  6  jarcn 
alleen  le  mogen  drukken  ende  in  de  geunieerde  proviniien 
vcrcoopen  al  suitke  boecken,  als  hij  in  miisijque  gesleld  ende 
geconipencerd  heeft  met  drij,  vicr,  vijf  ende  zcs  partijen,  eens 
deels  tenderende  tôt  eer  ende  loff  van  sijn  Excellenlie  over 
deszelfs  victorien  tegens  den  vijant  met  inierdictie,  enz.  » 

Douze  romances,  chantées  par  Lavigne,  arrangées  pour 
deux  flûtes  par  C.  Laurent.  Prix  :  fr.  4-50.  A  Liège,  chez 
la  veuve  Terrij. 

Cette  œuvre  date  du  commencement  de  ce  siècle.  Elle  est 
ornée  du  portrait  du  célèbre  chanteur  français  Lavigne,  qui 
s'est  fait  un  nom  distingué  en  Europe  (i)  et  que  M.  Fétis 
a  omis. 


(I)  Nous  avons  une  œuvre  de  A.  F.  Lavigne  fils,  élève  ilu  Conservatoire  de 
Paris,  qui  contient  des  airs  varies  pour  (liite,  œuvre  2",  édités  à  Paris,  ehcz 
P.  J.  Plouvicr.  27 


—  578  — 

Lavigne  naquit  à  Pau  vers  1778  et  précéda  Nourrit  et 
Duprez  à  rAcadémie  de  musique  de  Paris. 

Il  fil  ses  débuts  avec  un  certain  éclat  le  2  mai  1809,  dans 
le  rôle  important  il'Iphigénie  en  Aiilide.  Il  resta  à  l'Opéra 
jusqu'en  182o,  et  fut  1"  haut-contre  et  chanteur  de  la  cha- 
pelle de  S.  M.  le  roi. 

Eu  1821 ,  il  est  venu  donner  des  représentations  à 
Bruxelles  et  à  Anvers. 

Il  provoqua  avec  la  puissance  de  sa  voix  un  enthousiasme 
indescriptible. 

Lavigne  s'était  retiré  dans  sa  ville  natale,  par  suite  d'une 
paralysie,  et  il  y  décéda  en  185S. 

Il  était  surnommé  ï Hercule  du  chant. 

Premières  leçons  pour  apprendre  le  piano-forte,  consis- 
tant en  6  sonatines,  dont  la  sixième  à  4  mains,  etc.,  par 
C.  F.  Ruppe,  maître  de  chapelle  de  C  Université  de  Leide. 
A  Leide,  chez  l'auteur. 

Ce  livre  date  du  commencement  de  ce  siècle. 

De  mnzijk  van  de  Psalmen  benevens  de  lofzangen,  naar 
den  nieuwen  zangtrant  met  Prœ-  en  Interhidium  en  Bassen, 
door  Jacob  Potholt.  Amsterdam,  bij  J.  Brandt,  1798. 

La  musique  des  Psaumes,  avec  basse  chiffrée. 

Ce  livre,  de  118  pages,  contient  des  chorals  accom- 
pagnés de  toutes  sortes  de  fioritures,  si  en  usage  au  siècle 
dernier,  et  ne  donne  pas  une  idée  bien  grande  du  goût  de 
nos  artistes  accompagnateurs.  Toutes  ces  figures  de  pure 
fantaisie,  ôtent  le  caractère  austère  que  doit  avoir  toute 
exécution  de  chant  choral. 

Pothold  est  signalé  comme  un  des  plus  habiles  organistes 
et  carillonneurs  de  son  temps. 

Edouard  Gregoir. 
{Pour  être  continué). 


—  379  — 


CI)ronti]ue  Îrc5  ^xts  et  ics  Sciences,  et  Uarte'te'ô. 


La  fête  des  moissomveors  a  Zdlte.  —  Le  temps  passé  ne  revient  pas, 
dit-on,  et  les  vieux  usages  tendent  à  s'effacer  graduellement;  on  rencontre 
toutefois  encore  de  loin  en  loin  quelques  épaves  d'un  autre  âge,  qui,  à  tout 
prendre,  sont  réellement  des  vestiges  de  l'époque  féodale,  que  les  grands 
mots  d'égalilé,  de  liberté  et  de  fraternité  n'ont  pas  eu  la  puissance  d'abolir 
jusqu'à  ce  jour.  Ainsi  naguère  nous  fûmes  témoins  d'une  fête  de  moisson- 
neurs, souvenir,  à  n'en  pas  douter,  d'un  us  des  temps  les  plus  reculés,  et 
dont,  comme  archéologue,  nous  aimons  à  constater  l'existence.  C'était  à  Zulle, 
petit  village  de  la  Flandre  Orientale,  adossé  à  la  Lys  et  à  cheval  sur  la  grande 
route  de  Gand  à  Courtraij  il  est  pourvu  d'une  église  qui  n'est  pas  à  dédaigner 
et  d'un  joli  château,  apanage  de  la  famille  Limnander  de  Zulte,  dont  la  der- 
nière héritière  a  épousé  le  baron  Charles  van  Zuylen  van  Nyevelt. 

Voici  comment  se  passent  les  choses  : 

Le  soir  du  jour  où  les  derniers  épis  sont  tombés  sous  la  faucille,  les  ouvriers 
de  chaque  ferme  se  réunissent  par  escouades;  chaque  escouade  alors  se  rend 
tour  à  tour  au  château;  la  marche  est  ouverte  par  une  jeune  fdle  portant  une 
gerbe  couronnée  de  fleurs,  enguirlandée  de  drapeaux  de  papier  aux  couleurs 
vives,  éclairée  d'un  grand  nombre  de  petites  chandelles  et  surmontée  d'un 
oiseau  en  carton;  puis  viennent  les  moissonneuses,  la  tête  couronnée  de 
fleurs,  tenant  à  la  main  quelques  outils;  derrière  elles  marchent  les  mois- 
sonneurs, couronnés  d'épis  et  de  fleurs,  portant  sur  l'épaule  leurs  faucilles 
enguirlandées;  sur  les  côtés  de  la  troupe  marchent  quelques  hommes  qui  tien- 
nent des  torches  allumées;  le  fermier  vient  le  dernier.  La  troupe  arrivée 
devant  la  grille  du  château,  qu'elle  trouve  fermée,  s'arrête;  le  fermier  se  la 
fait  ouvrir,  en  disant  que  les  moissonneurs  de  sa  ferme  viennent  saluer  le 
seigneur  et  lui  annoncer  l'heureux  succès  de  la  moisson. 

Le  seigneur  averti,  s'avance,  suivi  de  sa  famille,  de  ses  invités  et  de 
toute  sa  maison;  aussitôt  que  les  moissonneurs  l'aperçoivent,  ils  le  saluent 
par  des  hourrahs  frénétiques;  il  s'arrête  à  la  grille  qu'on  ouvre  toute  grande; 
la  jeune  fllle  qui  porte  le  trophée  s'approche  alors  de  quelques  pas,  et  en- 
tonne une  chanson  du  pays,  que  toute  la  troupe  répète  en  chœur;  la  chanson 


—  380  — 

finie,  les  hourrahs  recommencent,  dirigés  par  une  espèce  de  corypliée,  qui 
donne  le  Ion  en  poussant  d'abord  seul  ce  cri;  les  gosiers  alors  se  trouvant 
suffisamment  altérés,  le  seigneur  fait  circuler  les  bouteilles  :  après  quelques 
rasades,  la  troupe  entonne  une  seconde  clianson,  suivie  de  nouveaux  liour- 
ralis;  lout-à-coup  succède  un  grand  silence,  et  le  coryphée  cric  à  pleins  pou- 
mons :  «  Quel  est  le  plus  beau  village  du  pays?  —  «  Le  nôtre!  »  répond  la 
troupe.  —  «  Quelle  est  la  plus  belle  moisson  du  village?»  —  «  La  nôtre!  » 
—  «  Quelle  est  la  meilleure  ferme  du  village?  »  —  «  La  nôtre  !»  —  «  Quel  est 
le  meilleur  seigneur  du  pays?  »  —  «  Le  nôtre!  Vive  monsieur  le  baron!  »  — 
Alors  la  scène  change  :  les  porteurs  de  torches  s'éloignent  un  peu,  forment 
un  grand  cercle,  au  milieu  duquel  on  plante  le  trophée,  les  chants  repren- 
nent, et  les  moissonneurs  commencent  un  bal  champêtre  où,  autre  abus  des 
anciens  âges,  dira-l-on,  les  hommes  dansent  entre  eux  et  les  femmes  entre 
elles  autour  du  trophée. 

Après  les  danses,  toute  la  troupe  se  remet  en  ordre,  pousse  encore  quel- 
ques hourrahs  et  quelques  vivats  à  l'adresse  du  seigneur  et  prend  le  chemin 
de  la  ferme,  dans  le  même  ordre  qu'elle  en  est  partie;  là  le  souper  l'attend, 
et  après  quelques  nouvelles  rasades,  chacun  va  se  reposer  pour  reprendre  ses 
travaux  le  lendemain. 

Après  qu'une  troupe  de  moissonneurs  a  fait,  au  châtelain,  la  visite  telle 
que  nous  venons  de  la  décrire,  elle  est  suivie  peu  après  par  une  autre,  qui 
marche  dans  le  même  ordre,  accompagnée  de  torches  et  précédée  également 
d'une  jeune  fille  portant  un  trophée  analogue;  tout  se  passe  comme  la  pre- 
mière fois,  et  se  renouvelle  autant  de  fois  qu'il  y  a  de  fermes  dépendantes 
du  château. 

Si  les  modernes  niveleurs  regardent  cet  usage  comme  un  abus,  nous  con- 
viendrons que  c'en  est  un,  mais  c'est  un  abus  du  cceur;  et  ces  messieurs  ne  se 
sont  pas  montrés  jusqu'ici  compétents  dans  celte  matière. 

Emile  V.... 

Correspondance  et  actes  pour  l'histoire  de  la  guerre  de  Trente  Ans  (1). 
—  Voici  un  ouvrage  allemand,  peut-être  encore  fort  peu  connu  dans  notre 
pays,  et  qui  mérite  cependant  bien  d'attirer  l'attention.  Il  est  précédé  d'une 
introduction  enrichie  de  notes,  mis  au  jour  par  M'  Moriz  Ritter  et  publié 
sous  les  auspices  du  roi  de  Bavière,  par  la  Commission  royale  d'histoire  de 
Munich. 


(1)  Bricfe  und  acten  fur  Geschichle  des  Dreissiclijahrigen  Kricges  in  dcn 
Zcilcn  des  vorwaltendcn  einflusscn  der  Wittclsbachcr. 


—  381    — 

Le  volume  que  nous    avons   sous  les    yeux  est  le   premier,   contient   les 

cumcnts  des  années    1598   ù  1G08,  et  se  rapporte  à  l'établissement  de 

nîon. 

C'est  à  la  période  historique,  qui  s'étend  depuis  le  milieu  du  XV!"  siècle 
iqu'au  traité  de  Westplialie,  en  lG-18,  qu'anparlienl  l'histoire  de  la  guerre 

Trente  Ans;  h  cette  époque,  l'Allemagne,  qui  avait  été  la  patrie  de  la  ré- 
rme,  devint  le  centre  de  la  politique  européenne.  Les  tempêtes  s'étaient  un 

u  apaisées  dans  le  sein  de  l'cnipirc;  mais  au  commencement  du  XYII"-'  siècle, 
lUtriche  fui  de  nouveau  en  proie  à  la  sédition;  la  Hongrie  refusait  d'obéir 
l'empereur  Rodolphe  et  choisissait  son  frère  Mathias  pour  roi. 

Les  protestants,  heureux  de  voir  ces  divisions  se  présenter  même  au  sein 

la  famille  impériale,  voulurent  en  profiter  pour  recommencer  la  lutte;  ils 
inclurent  une  alliance  offensive  et  défensive,  que  l'électeur  pala.'in  'Je  la 
aison  de  Wittelsbach  consacra  sous  le  nom  d'Union. 

.liais  l'Union  n'étant  pas  assez  forte  pour  agir  seule,  après  avoir  essayé  de 
•mbaltre  sous  rélccleur  palatin,  s'adressa  successivement  au  Danemarck,  à 

I  Suède  et  ù  la  France.  C'est  ce  qui  partage  la  guerre  de  Trente  Ans  en  li'ois 
ériodes  :  la  période  palatine,  la  période  danoise  et  suédoise,  et  la  période 
■ançaise. 

Une  grande  partie  des  documents  contenus  dans  le  volume  que  nous  avons 
'S  yeux,  sont  surtout  tirés  des  archives  de  l'Etat  à  Munich,  d'autres  de  celles 
e  Casscl,  quelques-uns  de  la  Bibliothèque  ci-devant  impériale  de  Paris  (sec- 
on  des  .^ISS.),  ou  des  actes  de  l'Union  déposés  ù  Berlin,  etc. 

Ce  premier  volume  se  compose  de  îîTG  pièces,  lettres  ou  actes,  qui  toutes 

II  une  valeur  historique  incontestable. 

Emile  V.... 

.MvsTÈnE  DE  SAINT  Lûuis,  —  Sous  ce  titre  vient  de  paraître,  en  Angleterre, 
n  mystère  du  XV«  siècle,  conservé  à  la  Bibliothèque  ci-devant  impériale  de 
aris,  et  qui  raconte  la  vie  de  saint  Louis  sous  forme  dramatique.  C'est 
'r  Francisque  Michel  qui  est  Téditeur  de  cette  publication,  tirée  à  cent  e.\em- 
laires  seulement,  et  imprimée  ù  Westminster  pour  le  Roxburger-Club. 

{Pûlybibliun). 

CiLESDRiEn  DES  Aztèques.  —  Le  ministre  des  États-Unis  ù  Mexico  a  faitpar- 
onir  au  gouverneur  de  l'Indiana  un  spécimen  du  calendrier  des  Aztèques, 
racé  sur  une  table  de  pierre.  Cette  découverte  montre  avec  quelle  exactilude 
ancien  peuple  du  Mexique  était  arrivé  ù  mesurer  la  marche  du  temps. 
I  Nelson  a  accompagné  sou  envoi  d'une  lettre,  dans  laquelle  il  explique  que 
'  calendrier  est  resté  enseveli  sous   terre  depuis  l'epoquc   de  la  couiiuètc 


—  582  — 

Jusqu'au  jour  de  sa  découverte  accidentelle,  vers  la  fin  du  siècle  dernier.  E 
1790,  le  vice-roi  (du  Mexique),  Reville  Gigcdo,  ordonna  de  paver  à  nouvca 
la  place  principale  de  Mexico.  Dans  le  cours  de  cette  opération,  on  découvri 
des  monuments  antiques  et  intéressants  de  l'époque  aztèque. 

Le  premier  est  une  statue  colossale  du  dieu  de  la  guerre,  Iluizilopoclili  (1 
Vilzilipurzli  de  Diaz  de  Solis),  le  même  dont  le  culte  avait  lieu  au  sommet  d 
temple  (piramidal)  o'       jocali  »  à  Mexico,  lors  de  la  destruction  de  cette  vill 
par  Fernand  Cortez.  Le  seccnd,  la  table-calendrier,  fut  découvert  en  la  mém 
année  (1790),  non  loin  de  la  Grand'Place,  et  juste  en  face  de  l'entrée  d 
palais-.  La  matière  dont  il  se  compose  est  une  pierre  de  basalte  excessivemei. 
^iire,  qui  se  trouyt  à  une  grande  distance  de  Mexico.  11  a  11  pieds  (anglai- 
/    de  liautcur,  8  po-  '•es  de  diamètre  et  G  pouces  d'épaisseur. 
l^  L'année  -.■..ilc  des  Aztèques  se  composait  de  18  mois  de  20  jours,  auxquel 

/  on  ajoutait  5  jours  complémentaires,  qui  étaient  censés  n'appartenir  à  aucui 

^  ,v_V:.->  mois  et  que  les  Aztèques  comptaient  comme  des  jours  malheureux.  A  l'expira 
tion  du  cycle  de  S2  ans,  on  intercalait  12  jours  cl  demi  pour  compenser  Ic: 
G  heures  par  jour  perdues  annuellement. 

M.  Gaiatin  tire  de  l'examen  des  hiéroglyphes  cette  conclusion  :  «  Non 
voyons  tracées  sur  cette  pierre  toutes  les  dates  des  positions  principales  di 
soleil.  Il  parait  que  les  Aztèques  avaient  déterminé  avec  une  grande  précisioi 
les  jours  correspondants  des  deux  passages  du  soleil  au  zénith  de  Mexico,  de£ 
deux  équinoxes  et  des  solstices  d'hiver  et  d'été.  Par  là  ils  étaient  en  mesuri 
de  déterminer  et  de  vérifier  de  six  manières  la  longueur  de  l'année  solaire.  >- 


Académie  rov.me  dlj  Sciences,  des  Lettres  et  des  BE.iiix-AnTS  de  Crcxelles. 
—  Programmes  de  concûlrs  pour  1872  et  1873.  —  Programme  pour  1872.  — 
Première  question.  —  "  On  demande  un  essai  sur  la  vie  et  le  règne  de  Seplim( 
Sévère.  » 

Deuxiime  question.  —  «  Exposer  avec  détail  la  philosophie  de  saint  Anselnn 
de  Cantorbéry;  en  faire  connaître  les  sources;  en  apprécier  la  valeur  et  cr. 
montrer  l'influence  dans  Tliistoire  des  idées.  » 

Troisième  question.  — «Apprécier  le  règne  de  Marie-Thérèse  aux  Pays-Bas.' 

Quatrième  question.  —  «  Donner  la  théorie  économique  des  rapports  di 
capital  et  du  travail.  » 

L'Académie  désire  que  l'ouvrage  soit  d'un  slyic  simple,  à  la  portée  de 
toutes  les  classes  de  la  société. 

Cinquième  question.  —  «  Faire  l'histoire  de  la  philologie  thyoisc  durant  li 
XVI<:  siècle  et  pciidau!  la  première  moitié  du  XVlli-'.  u 


—  585  — 

.e  prix  des  lr«,  2c  et  S^  questions  sera  une  méilaillc  d'or  de  la  valeur  de 
cents  francs;  il  est  porté  à  mille  francs  pour  les  4c  et  ïi". 
-es  mémoires  doivent  cire  adressés,  francs  de  port,  avant  le  1er  février 
"2,  à  M.  Quetelet,  secrétaire  perpétuel  de  rAcadéniic,  Boulevard  de  l'Ob- 
'.atoire,  à  Bruxelles.  —  Les  concurrents  doivent  se  eonfoimer  aux  condi- 
is  ordinaires  des  concours  de  l'Académie. 

'nocRAMME  POUR  187Ô.  —  Prcwitre  question.  —  «  .  -^  ^lippréciation  du 
■ni  de  Cliastcllain,  de  son  influence,  de  ses  idées  poiiliques  ^t  Je  ses  len- 
ccs  littéraires.  »  .  -, 

deuxième  question.  —  «  Traiter  1  histoire  politique  de  la  FlanL>e  denuif  "■ 
0  jusqu'à  l'avènement  de  la  maison  de  Boui-go^nc  (1382),  en  s'attachùiUV"- 
iicipalement  aux  modificalions  qu'ont  subies,  ù  cé}£  époque,  les  insU cu- 
is  générales  du  comté  et   les   inslitulions  particulières  de  s^jl  '^[l'andcs 
imunes.  >> 

Troisième  question.  —  »  On  demande  une  appréciation  du  règne  de  Cliai'les 
Téméraire  et  des  projets  que  ce  prince  avait  conçus  dans  rintérèt  de  la 
ison  de  Bourgogne.  » 

'Quatrième  question.  —  «  Quels  seraient,  en  Belgique,  les  avantages  et  les 
ouvénients  du  libre  exercice  des  professions  libérales?  » 
Auquieme  question.  —  «  Expliquer  le  phénomène  historique  de  la  conscr- 
ion  de  notre  caractère  ualional  à  travers  toutes  les  dominations  étran- 
es.  » 

.e  prix  de  chacune  de  ces  questions  sera  une  médaille  en  or  de  la  valeur 
ix  cents  francs. 

:  PERPÉTUEL  INSTITUÉ  PAR  LE  DARON  DE  STASSART  POUR    UNE  QUESTION    d'UISTOIRE 

NATIONALE. 

lonformément  à  la  volonté  du  donateur  et  à  ses  généreuses  dispositions, 
lasse  a  ouvert  la  deuxième  période  sexennale  de  ce  concours  en  posant  la 
stioa  suivante  : 

Exposer  quels  étaient,  à  l'époque  de  l'invasion  française  en  1794,  les 
icipes  constitutionnels  communs  à  nos  diverses  provinces  et  ceux  par 
uels  elles  différaient  entre  elles.  » 

e  prix  habituel  de  trois  mille  francs  sera  réservé  à  la  solution  de  cette 
ilion. 

es  concurrents  auront  ù  se  conformer  aux  formalités  et  aux  règles  des 
:ours  de  la  classe.  L'époque  du  terme  fatal  qui  expirait  le  l»^""  février  1871 
é  prorogée  jusqu'au  1"  février  1873. 


■  —  38i  — 

^ECKOLOGiE.   —  M.  Etienne   Sûudiie,  dirculour   du   Conservatoire  de  i: 
siquc  de  Liège  et  compositeur,  chevalier  de  l'ordre  Lcopold,  est  mort  dr 
le  courant  du  mois  de  septembre;  sa  perle  est  vivement  sentie  par  tous 
amis  de  l'art. 

Gervais  CiiARrcMiEnj  l'édilcar   bien  connu  de  la  volumineuse  collecti 
parue  sous  le  no 7a' de  Bibliothèque  Charpcnlicr,  est  mort   ù  Paris   le   14 
mois  de^niiiti  1871. 

oon  FiAVûK  Bt^ii  Sacha,  ne  en  1798  à  la  Corogne  (Espagne),  est  moi- 
Xlorlailla^v^i^isse).  IJ  était  associé  à  l'Acadcmie  des  Sciences  de  Delgiq 
■  rorr>^P^n<l'int  de  rAcadénùejr'^s  Sciences  morales  et  politiques  de  Fran 
tT,!^»!'  un  homme  fort  v/isé  dans  les  sciences  historiques  et  économiqi; 
il  était,  en  onlrf..J'r\anl  botaniste.  Son  Histoire  de  Cuba,  qui  devait  forn 
diX''o]umes,  n'est  pr.s  terminée.  La  Sagra  avait  ctc,  ]icndr!nt  douze  ans, 
recteur  du  jardin  botanique  de  la  Havane. 

Alexandre  Keith  Jo:xston,  savant  géographe  anglais,  auteur  du  Natio 
Allas,  du  Plujsical  Allas  et  du  Gcographical  Diclionary,  est  mort  le  0  ji 
Ict  1871,  ù  Tùge  de  soi.\anlc-sept  ans. 

Lmill  V 


385  — 


LE  LUXEMBOURG  BELGE 

ET  SON  ETHNOGRAPHIE 
SOUS    LA    JDOM-lNJ^'nON     TElOjyLA^lNJE. 


IV   (Suite). 


Après  la  soumission  de  la  Gaule,  malgré  le  travail 
d'exlirpalion  de  Rome  (i),  la  langue  nationale  des  Gaulois 
continua  encore  pendant  quelque  temps  à  végéter  comme 
idiome  populaire.  On  peut  s'en  convaincre  par  certains 
passages  conservés  dans  les  auteurs  {2).  Au  commencement 
du  III'' siècle,  Ulpien  parle  du  gaulois  comme  d'une  langue 
encore  existante.  Nous  avons  déjà  cité  saint  Jérôme.  Sul- 
pice  Sévère  atteste  ce  fait  à  son  tour:  vel  celtice,  aut  si 
mavis  gallice  loqiiere.  Marcellus  Empirions  énumère  un 
grand  nombre  de  plantes  qui  portent  des  noms  gaulois  (3). 
Après  le  milieu  du  \^  siècle,  Sidoine  Apollinaire  blâme  la 
noblesse  de  son  pays  qui  tient  encore  à  la  grossièreté  cel- 
tique du  langage.  A  la  seconde  moitié  du  W  siècle,  Gré- 
goire de  Tours  cite  encore  un  mol  celte.  C'est  une  preuve 

(1)  Voy.  Fn.  DrEZ,  Grammatik  der  romanischen  Sprache;  ersler  TItcil. 
Bonn,  1856,  p.  H6  seq. 

(2)  Ulpianus  in  Digg.,  XXXII,  til.  I,  p.  11  :  «  Fidci  commissa  quocunque 
sermone  rdinqui  possunt,  non  solum  Latina  vel  Graeca,  sed  eliara  Punica 
vel  Gallicana  vel  alterius  cujuscunque  gcntis.  » 

(3)  Médecin  né  à  Bordeaux.  On  prétend  qu'il  fui  maître  des  offices  sous 
Théodose  le  Grand  (579-39S).  Il  a  laissé  un  ouvrage  pliarmaceulique  qu'il 
avait  composé  pour  ses  enfants. 

28 


—  386  - 

que  ee  langage  n'élail  pas  encore  éleinl  de  son  lenîps  ilans 
l'Auvergne  (i). 

Les  mois  d'origine  gauloise  conservés  par  les  auteurs 
anciens  ne  sont  pas  en  nombre  considérable.  Parmi  les 
pbilologues  modernes,  les  uns  —  ce  sont  les  partisans  de 
l'identité  des  Celtes  ou  Gaulois  et  des  Germains  —  les  font 
remonter  à  des  radicaux  germaniques,  et  les  autres  — 
ceux  du  parti  contraire  —  leur  assignent  des  étymologies 
puisées  dans  des  idiomes  différents  du  germain. 

Voici  la  nomenclature  de  ces  mots  : 

Alauda  (2),  ambactits  (3),  bardns  (4), 


(1)  vu.  pair.,  cap.  12  :  Drachio  quod  eorum  {Arvernorum)  lingua  inlcrpre- 
latur  ursi  catulus. 

Dans  yïlLuis  Lampridius  (fnler  Scriptorcs  sex  hisl.  Attg.),  une  dniidesse  se 
serl  de  la  langue  gauloise,  à  Sicila,  que  quelques-uns  croient  èlre  Siclingen, 
dans  rancicn  pagus  de  Trêves.  •<  Mulivr  Druias  eunli  cxclamavil  gatlico  ser- 
mone.  » 

(2j  Plin.XI,  17;  ScETON  , /.  Cacs.,  24;  Gregor.  Tur.,  i.  3t.  «  In  ecclesia 
vero  Arverna  duni  nialulinae  celcbrarenlur  vigiliae  in  quudam  fesiivilale, 
avis  corijdalus,  quam  alandam  vocamus,  ingressa,  omnia  luniinaria  quae 
lucebanl,  alis  superpositis  in  tanla  velocilale  extinxit  {An.  Clirisl.,  571),  ul 
pulares  ea  in  unius  hominis  manu  posila.  » 

(3)  Caes.  B.  g.,  VI,  15;  comp.  golh.  andbothjan  (Marc,  X,  43). 

(4)  Strab  ,  IV  :  BàpSoi;  Amm.  Marceli.,  XV,  9,  où  il  dislingue  Etihagcs, 
Dardes  et  Druides;  Paul.  Diacre  dit  :  «  Bardus  galjice  appellatur  cantor  qui 
virorum  fortium  laudes  cauit.  »  —  Posidonius,  cité  par  ATllÊ^ÉE,  VI.  —  Dans  un 
autre  passage  d'ATHÉNÉE  (lib  IV,  13),  des  éditeurs  publient  [3apPâpiov,  tandis 
que  c'est  pâpStov  probablement  qu'il  faudrait  lire,  attendu  que  Posidonius  les 
désigne  clairement  avec  les  qualités  que  nous  leur  connaissons  d'ailleurs  et 
dont  le  passage  du  livre  VI,  cliap.  12,  est  la  définition.  —  Ampère,  Histoire 
littéraire  de  la  France  avant  le  XII«  siècle,  vol.  I*"",  p.  77,  dit  :  «  L'existence 
des  bardes  était  liée  à  celle  des  druides.  »  —  Tacit.,  Ann  ,  XIV,  30;  Tacit., 
Agr.,  18.  Holzmann  (p.  92)  avoue  que  ce  mot  se  trouve  dans  tous  les  dialec- 
tes de  la  Grande-Bretagne.  Bard  signifie  chanteur,  et  on  le  trouve  dans  des 
noms  de  lieux  :  Bardenwiek,  et  dans  le  Luxembourg  belge  :  Bardonwcz,  dé- 
pendance de  la  commune  de  BefTe,  près  de  La  Boche,  le  chemin  des  bardes. 
Remarquons  en  passant  le  second  terme  composant  wez,  qui  répond  entière- 
ment au  goth.  wigs  (Math  ,  VII,  13).  Ou  le  dériverait  aussi  bien  de  veha, 
voie;  mais  alors  comment  expliquer  la  transformation  de  ce  dernier  mol,  si 
ce  n'est  qu'il  a  reçu  la  forme  wez  =  wigs  par  des  organes  purement  germa- 


387  — 


Benna   (i),    Belidla  (2),  bulga  (3), 
Braccae  (4),  brace  (b), 


niques.  Voilà  bien  une  preuve  palpable,  du  reste,  conforme  à  lliisloirp,  que 
les  populations  du  Luxembourg  sont  d'origine  germanique  et  que  la  con- 
quête, aidée  de  la  romanisation,  n'a  pu  arriver  à  l'extirpation  complète  des 
anciens  idiomes.  Ce  qui  confirme  notre  manière  de  voir  sur  Bardonwez,  c'est 
que  BoxMORN  {Lcx.  A  ni.  Dril.)  nous  donne  encore  Barddoni  =  pocta,  Barddo- 
neg,  Barddoniaelh  =.  poelicus,  qu'il  va  puiser  dans  le  dialecte  de  la  princi- 
pauté de  Galles  Mais  César,  B.  G.,  V,  12,  dit  que  de  bonne  lieure  des  Belges 
sont  venus  habiter  les  côtes  maritimes  de  la  Grande-Bretagne  pour  faire  du 
butin  et  se  livrer  à  la  guerre  et  cela  ex  Belgls,  de  tout  le  pays.  Il  y  a  donc 
similitude  frappante  appuyée  sur  des  données  inconteslabies  de  l'histoire, 
entre  le  gothique,  le  belge  primitif  et  le  langage  primitif  du  pays  de  Galles. 
Un  nom  de  lieu,  au  centre  des  Ardennes,  Bcrchewcz,  dép.  de  la  commune  de 
Villers-Ia-Loue  (Virlon),  provoque  également  des  observations,  mais  dans  un 
autre  but,  et  seulement  pour  fixer  le  sens  du  dernier  terme  composant.  En 
Allemagne,  plusieurs  localités,  placées  à  des  distances  considérables,  ont  avec 
Bardonwez  ou  Bardouwez  une  ressemblance  qui  équivaut  à  l'identité  :  Bar- 
dau  et  Barden,  dans  le  cercle  de  Kœnigsberg;  Bardenbach,  village  dans  le 
cercle  de  Trêves;  Bardenberg,  dans  le  cercle  d'Aix-la-Chapelle,  et  Bardo,  dans 
le  cercle  de  Posen. 

La  jolie  localité  appelée  Clairefonlaine,  près  d'Arlon,  porte  également  la 
dénomination  germanique  de  Bardenburg.  C'est  en  cet  endroit,  dit-on, 
qu'Ermésinde  eut  une  vision,  à  la  suite  de  laquelle  elle  fonda  le  monastère 
dont  on  voit  encore  de  nos  jours  quelques  ruines. 

(1)  Festus  :  «  Benna  lingua  gallica  genus  vehiculi  appellatur  unde  vocan- 
tur  combcnnoncs  in  eadem  benna  sedcnles.  Comp.  :  allem.  Bcnnl  ou  Bundl; 
Demi  dans  la  Lorraine  ail.  et  Batm  dans  le  Luxembourg;  fieiine  ou  Ben  en 
flamand  (panier);  angl.  sax  ,  binn  —  praescpc,  de  binden,  tresser,  natter;  les 
mots  français  vieillis  ;  bennel,  benci,  bencaii,  et  wallon  :  6è«e,  banne  (grande 
manne  pour  transporter  des  marchandises).  Yoy.  pour  ce  dernier  Diction, 
élym.  de  la  lang.  walL,  par  Cei.  Grandgagnage. 

(2)  Plin.,  Hisl.  nat.,  XVI,  18  :  ■<  Gaudet  frigus  sorbus  et  magis  etiani  be- 
tulla.  Gallica  hacc  arbor,  mirabili  candore  alque  tcnuitaîe.  »  C'est  le  bouleau. 
On  disait  anciennement  bez  et  bulclc.  Comp.  irl.  bcith. 

(3j  Festds  :  bulgas  Galli  saccnlos  scorleos  vocanl.  D'où  les  termes  romans  ; 
bolgia,  boge.  bougelle.  Ags.  bogell,  d'où  budget;  aha.  bidga,  de  bclgan  =^  gon- 
fler; et  balg  et  le  flam.  balg  =  peau,  ventre. 

(4)  Braccae,  bracae,  Ppaxai.  Voy.  Ovide,  Tacit.,  Diod.  de  Sicile,  V,  29; 
CicÉaos.  Comp.  bret.  braycz  =  culotte;  afr.  braie-,  aha.  bruoch;  ags.  broc; 
flam.  broek;  wall.  brdie,  et  peut-être  le  terme  bragar. 

(5j  Voy.  Plin.,  Hisl.  nat.,  XVII!  {blé  blane  du  Dauphiné),  en  latin  san- 
dala  :  «  Galliae  quoque  suum  genus  farris  dedere  ;  quod  illic  bracem  vocanl, 


—  388  — 

brachio  (i),  biirrjus  (2),  camisia  (3),  Carn  (4), 
cateia  (5),  Cimbri  (c),  crolla,  chrotta  (7), 

apud  nos  sandiilam,  nilidissiini  grani.  »  Comp.  Irna.  brachtm,  br axare ;  ccoss. 
braich,  brocha;  al.  braucn,  alni.  briuwcn;  flam.  ôrouwcn,-  franc,  brasser;  afr. 
èra*  =  le  malt,  la  drèclie;  wall.  briser  et  brésène  (brasserie);  brù,  aw  braz, 
grain  bragé,  braise,  brcsé  el  brahi. 

(l)Voy.  Gregor.  Turon.,  De  vilis  pair.,  12.  Conip.  irl.  brach,  qui  esl  d'une 
ressemblance  frappante.  Mais  le  même  Grégoire  de  Tours,  Hist.  Francorum, 
V,  12,  dit  :  Brachio  abhas  génère  Thoringus;  ce  terme  serait  donc  en  même 
temps  allemand  et  un  argument  pour  ceux  qui  ne  voient  que  des  nuances  de 
dialecte  dans  le  germain  et  le  celte. 

(2j  On  lit  dans  Paul  Orose,  Hist.  Ub.,  VII,  cap.  32  :  «  A(que  ita  Burgun- 
diones  nomen  ex  opère  praesumsisse  quia  erebra  per  limitem  habilacula 
conslituta  burgos  vulgo  vocant,  »  Nulle  part  ce  terme  n'est  cité  comme  un 
nom  appellatif  gaulois.  Dérivé  de  bergan,  il  a  probablement  passe  du  latin 
dans  les  langues  romanes.  Comp.  goth.  baurgs. 

(3)  La  première  trace  de  ce  mot  esl  dans  saint  Jérôme  :  «  Soient  mililanles 
haberc  linvas  quas  camisias  vocant.  »  On  a  proposé  de  le  dériver  d'une  an- 
cienne forme  allemande  hemcdi,  qui  ferait  soupçonner  une  forme  camilhi. 
Comp.  il.  camice,  aube;  patois  de  Mons  :  kimiche  {Voy.  J.  Sicart,  Gloss. 
étym.). 

(4)  IIesvch  î  «  Kâfvov  tyjV  cakKiy^a.  raXârai,  »  Comp.  afr.  corne,  lat. 
cornu  (Kâpvu?  dans  Eustathe);  prov.  corna:  angl.  corn;  ail.  horn  el  le  goth. 
haurn;  walI.  coirner  (sonner  d'une  corne). 

(5)  Cateia  (sorte  de  javelot).  Yirc.,  Aen.,  VII,  Til  :  «  Teiilonico  rilu  solili 
torquere  cateias.  »  Comp.  kymr.  calai,  pi.  cateion  (a  cutter,  a  weapon),  de 
forme  presque  identique.  On  trouve  catiger,  calivoleus.  Le  premier  peut  être 
un  composé  de  caleia.  Kat  en  flamand  est  souvent  synonyme  de  stormtuig  = 
bélier,  machine  de  guerre,  ce  qui  parait  être  quelquefois  la  signification  du 
latin  caleia.  Cette  idée  de  machine  esl  conservée  dans  le  patois  de  Mons  : 
catpuche,  cadpuche  ^=.  crochet  à  une  corde-puits,  mol  à  mol  chat  de  puits  (V. 
Gloss.  étytn.,  etc  ,  par  J.  Sigart). 

(6)  Cimbri,  nom  d'une  tribu  germanique,  qui  doit  être  naturellement  re- 
cherché dans  la  langue  allemande,  mais  Festus  dit  :  «  Cimbri  lingua  gallica 
lalrones  dicuntur.  »  Et  Plut.,  in  Mario  :  xai  ôti  Kifi-Ppouç  éTtovoixaÇouai 
Fspixavoi  Tou;  X-fiffTàç  cl  quod  Cimbros  Gcrmani  nominent  lalrones.  Il  existe 
un  chumbirra  qui  a  été  rendu  par  tribus.  Comp.  le  bas  sax.  kemper  ■=-.  gla- 
diateur. Voy,  Caes.,  B.  G.,  VI,  23.  En  patois  de  Mons,  chimer  signifie  s'en- 
fuir (V.  Sic). 

(7)  Instrument  à  cordes  particulier  aux  Bretons.  Voy.  Venantii  Fortunati, 
Carmina  hisl  ,  VII,  8.  En  français,  c'est  rotte;  alm.  rotla.  Voy.  Glossariurn 
Germ.,  de  Wachter  :  «  Nolkcrus  in  fine  Symboli  Athanas.  iiomen  barbariciim 
vocat  alibi,  vero  theoliscum  a  sono  ficlum.  »  Comp.  KpOTÉco  =  pulso,  plaudo, 
et  KpoToXov. 


—  389  — 


didoron  (i),  dunum  (2),  durum  (5),  Druida  (4), 
eporcdia  (s),  Gacsati  (c),  gacsiim  (7), 


(1)  Plin.,  //is<.  nal.,  XIV  :  «  Tcgulne  apiul  G:ilIos  didoron  diclac  a  longi- 
tiuline  duoruin  palmoriini.  »  Comp.  forme  anc.  irl.,  di  de  =  deux  cl  dorn 
=  la  main.  Mais  en  grec  TexpâSwpov,  TrevrâSwpov  (Swpov  =  paume  de  la 
main)  sont  des  pierres  de  taille;  d'où  il  résulle  que  ce  mot  s'est  glissé  en 
Gaule  par  les  Massilioles,  el  sa  ressemblance  frappante  avec  les  mots  celti- 
ques n'est  qu'un  effet  du  hasard. 

(2)  Dùnum,  terminaison  de  noms  de  villes  :  Angutlodunum,  Campoditnum 
avec  M  pénultième.  Comp.  ags.  lùn,  alia.  zùn,  angl.  lown  el  ail.  zaïm  = 
enceinte,  ville.  Zeuss,  dans  Gr.  Cclt.  rappelle  que  l'irl.  dùn  =  caslrum,  arx. 
Le  flamand  tuin,  clôture,  enceinte,  marque  encore  mieux  que  zatm  la  tran- 
sition à  town  el  à  dunwn  du  primitif  tùn. 

(3)  Est  également  une  syllabe  finale  qu'on  rencontre  dans  les  noms  de 
villes  :  liojodarum,  etc.  Comp.  aha  lôr  el  Thor,  goth.  daur,  mais  d'après 
Zeust,  dur  en  irl.  sign.  aussi  arx,  comme  le  précédent  dân.  En  breton  dour 
=  aqua,  qu'on  expliquerait  en  ce  sens  que  les  habitants  primitifs  rcclier- 
ehaient  les  cours  d'eau  pour  asseoir  leurs  villes.  Ce  qui  n'est  pas  vrai  d'une 
manière  absolue.  Le  flam.  torcn,  conservé  dans  sa  forme  moderne,  est  le 
même  que  l'anc.  haut  allemand. 

(4)  Druida.  Le  bon  sens  qui  doit  guider  toutes  les  recherches,  nous  dit  à 
■priori,  que  ce  mot  ne  peut  être  que  d'origine  gauloise.  Zeuss  assure  que 
druid  se  présente  deux  fois  dans  les  gloses  irland.  du  codex  de  Wurzbourg  : 
da  druitli  aegcplacdi  =  dus  druidac  aegypliaci.  Il  a  la  signification  de  magus, 
magicien.  En  anglo-saxon,  (^ry,  pi.  drtjos  =  magicien.  On  sait  que  l'étym.  ord. 
est  ôpû?.  Ce  terme  s'est  conservé  dans  plusieurs  noms  de  localités  de  l'Alle- 
magne. Voy.  aussi  le  passage  de  Lucain,  Phars.,  lib.  M,  v.  447  et  suivants, 
où  Bardi  et  Druidae  se  suivent  de  façon  qu'on  en  puisse  faire  une  espèce 
d'opposition.  Dans  Diodore  de  Sicile,  les  Gaulois  sembleraient  avoir  des 
bardes  (eIcti  Tuapua'xolç  xal  itotyiTal  [iri>»â)v  oïx;  ^apSom;  6vô[xaÇouai,  el  plus 
bas  :  tpiXoaocpol  ôà  Tivèç  clui  xai  ôeôXoyoi  oOç  SapoûTôaç  6vop.aÇouffi.)  el  des 
druides  simultanément.  Les  premiers  comme  poêles  el  les  seconds  comme 
théologiens.  Il  n'est  donc  pas  si  facile  de  rejeter  absolument  l'exislence  chez 
les  Germains  d'une  caste  analogue  à  celle  des  druides. 

(5)  Eporedia,  Plin.,  III,  17  :  «  Eporedias  Galli  bonos  equorum  domitores 
vocant.  »  La  première  partie  du  mot  epo  =  equus.  Comp.  aha,  ehu. 

(6)  PoLYn,,  11,  22,  dit  expressément  qu'on  les  appelait  Gésates,  parce 
qu'ils  faisaient  la  guerre  comme  mercenaires.  En  parlant  de  cette  donnée, 
il  est  utile  de  comparer  l'irl.  gaide  =  pilalus  de  Zkuss,  le  participe  al.  gaesal 
pour  gaesant,  die  gcrnde  Unie,  ceux  qui  furent  des  expéditions  pour  vivre 
du  produit  de  la  guerre. 

(7)  VinciLE  el  César  emploient  ce  terme.  On  le  trouve  dans  les  noms  d'hom- 
mes GaescricHS  Ariogaisusj  ancirl.,  dans  Ztuss,  qui  donne  gai  =  liasla. 


—  390  ~ 

isarnodornm  (i),  leuca  (2),  magiis  (3),  marka  (4), 
[j.oi^naLybv  (5),  mcilarîs,  materls,  malara  (e), 

(1)  Isarnoiloriim.  Voy.  Acl.  sancl.  Bolland.  1  Janv.  vila  S.  Eugenii,  où  il 
esl  dit  que  ce  mot  signifie  porte  de  fer,  d'où  isàrn  =  ferriim,  et  il  est  dit 
dans  le  texte  cité  que  c'est  un  mot  gaulois;  s'il  en  est  ainsi,  il  faut  convenir 
que  le  gaulois  et  le  germain  se  correspondent.  Comp.  le  flam.  yzer. 

(2)  Ex  aucl.  ling.  lalinae  (dans  le  Recueil  des  liisl.  des  Gaules,  etc.,  édit. 
1869,  t.  I,  p.  819)  :  «  Mensuras  viarum  nos  milliaria  decimus,  Graeci  sladia. 
Gain  leueas.  —  AsiM.  MvncELL.,  XV,  II,  17  :  selon  lui,  c'est  au  confluent  du 
Rhône  et  de  la  Saône  que  commence  la  Gaule,  et  c'est  aussi  à  partir  de  là 
que  l'on  commence  à  compter  par  lieues  :  cxindèque  non  millenis  passibiis, 
sed  Icucis  itinera  meliunlur.  Quoi  qu'il  en  soit ,  on  peut  comparer  avec  ce 
mot  le  terme  allemand  :  laclnis  =^  division,  qui  se  déduit  d'un  acte  de  dona- 
tion en  date  de  770  après  noire  ère,  et  ags.  leove,  d'après  Graff. 

(3)  Terminaison  d'un  grand  nombre  de  noms  de  lieux  -.  Augustomng'is. 
Comp.  l'irl.  mag  =  plaine,  champ,  ags.  gcmaea,  aha,  ^ewor/iO^=  socius; 
fr.  maçon,  qui  suppose  un  primitif  mac  =  habitation,  et  qu'on  dérive  de 
gemarha.  Celui-ci  s'est  conservé  dans  l'allemand  moderne  Gemach  =  con- 
clave, chambre,  cabinet.  Il  est  étonnant  que  ce  mol  ne  soit  pas  conservé 
dans  le  flamanil  avec  le  sens  de  conclave,  ce  qui  ne  doit  pas  surprendre,  ce- 
pendant, si  l'on  considère  que  les  anciens  philologues  le  dérivent  de  fio/dç  = 
penelrale,  lieu  le  plus  retiré  d'un  édifice  ou  sanctuaire,  tandis  que  sa  dériva- 
tion de  viachcn  dans  ses  formes  primordiales  saule  aux  yeux.  Dans  le  patois 
de  Mons,  maison  a  une  signification  qui  s'approche  du  penclrale.  C'est  une 
pièce  qui  sert  de  cuisine  et  de  chambre  à  manger  dans  une  habitation  villa- 
geoise. Et  s'il  est  vrai  que  ce  terme  se  présente  dans  le  wallon  sans  la  forme 
mahon,  il  n'est  nullement  nécessaire  de  le  dériver  de  mansio;  magus  et  ma- 
hon  sont  de  la  même  source.  Cela  justifierait  du  reste  ce  que  nous  avons  dit 
ailleurs  que  le  wallon  a  des  formes  indépendantes  et  parlant  dénote  un  idiome 
qui  a  conservé  les  débris  d'un  idiome  disparu  et  de  la  plus  haute  antiquité. 

(i)  Marka  ^^  cheval  en  gaulois,  d'après  Pausamas,  lib.  X,  De  Phocicis  : 
«  xal  "tittwv  xè  ovcijxa  VsTti)  Tt<;  [lâpxav  ovia  UTto  tôSv  KÉXtwv.  »  Ce  mot  a  pu 
entrer  en  la  composition  de  IHarcomans,  cavaliers,  soldats  qui  combattent  à 
cheval.  Comp.  kymr.  mardi,  ail.  marc,  mar;  et  le  flam.  maerseh  =  prairie, 
marécage,  n'en  est  pas  bien  loin. 

(5)  PoLVB.,  XI,  31  :  «  /puaoyv  «^/éXXtov  8  tcEpoûai  irepT  tà^  ytipoLi;  r|  xov 
Tpâ/y)Xov  ol  ràXarai.  (Comp.  aha,  metini,  ans.  »»««'  dans  lialsmcni).  (Voy. 
IIoltzmann). 

(6)  TiT.  Liv.,  lib.  VII,  24;  Cic,  Rhclor.,  lib.  IV;  NoNius  MAncELics  :  «  Gallia 
malcribus  suevi  lanceis  configunt.  Ex  Sisennae.  »  Hisl.,  lib.  III.  Comp  flam. 
mes,  ail.  messer,  aha.  mezzeres.  Le  couteau  était  aussi  un  projectile,  une 
arme  de  trait,  comme  il  est  aisé  de  le  voir  dans  quelques  romans  allem  du 
moyen-àge.  Voy.  encore  Strad.,  IV,  et  Caes.,  B.  G.,  lib.  I,  26.  Malrasse, 
terme  du  moyen  âge,  pour  dire  :  un  projectile  tiré  par  une  arbalète. 


—  391  — 

nemel{\),  Ogmius  (2),  pelorrilum  (3), 
pimpedula  (4),  spams,  spurnm  (5), 
unis,  bubalus  (g),  Fer  (7),  Verrjobrelus  («), 


{\)  Nemct  =■  sanctuaire,  temple.  Voy.  Venant.  Fortunatus,  I,  9;  Stiiadon, 
XII,  IT,  ou  l'on  voit  que  le  conseil  des  Irctarqucs  se  resscmblail  dans  un 
endroit  qui  s'appelait  AeuvatfisTOV.  C'est  donc,  d'après  ces  témoignages,  un 
terme  frappé  au  bon  vieux  coin  gaulois.  Or,  comp.  ancirl.  ncmed  =  sacel- 
tum  (Zeuss,  p.  Il,  766).  Chez  les  Germains,  les  sacra  silimrum,  lès  lieux 
sacrés  dans  les  forcis,  s'appelaient  Nimidas  (Voy.  Vlndiculus  supcrslitio- 
niim,  etc.,  art.  6,  cilé  par  Waciiteb).  Comp.  les  noms  de  ville  :  Auguslone- 
mctum,  Ncmelocenna. 

(2)  Ogmius,  l'Hercule  gaulois  dé  Lucien;  comp.  Ogma,  l'inventeur  de  l'écri- 
ture en  li-lande,  et  le  golh.  alima,  qui  signifie  Xô^oî. 

(3)  Voy.  Aulu-Gelle,  liv.  XV,  31,  qui  dit,  d'après  Varron,  que  c'est  un 
mol  gaulois;  Epilome  Sext.  Pomp.  Festi,  confecla  à  Paulo  Diacono,  qui 
s'exprime  ainsi  :  c'est  un  véhicule  gaulois,  et  son  nom,  comme  on  pense,  lui 
vient  du  nombre  de  quatre  roues  :  à  numéro  quatuor  rotarum.  Le  premier 
moi  pelor  ^  le  gotli.  fidur,  quatre,  ri7u»/j,  rota,  alia,  raad;  kym.  petguar. 
Dans  le  patois  de  Mons  (V.  Sigart), /jc'/roM  signifie  petit  cultivateur.  Nous  ne 
le  rapprochons  qu'à  tilre  de  curiosité.  Cependant  dans  le  dialecte  éol.,  quatre 
=  Ttétopa.  Voy.  Plin.,  lib.  XXXIV,  17. 

(4)  En  grec  TrevxâtpuXXov.  Comp.  kym.  pcirtp  =  ung,  et  dail  =^  feuille,  et 
selon  HoLTZMANN,  une  anc.  f.  ail.  pimp/lad  pour  fimblatl.  Voy.  dans  la  bible 
d'Ulphilas  le  fimf.  Luc,  XIV,  19. 

(5)  Sparus.  Comp.  alm.  spcer,  ags.  sper,  alia.  spev;  le  flam  sper  et  spar 
=^  perche.  Voy.  Festus  :  «  Rumex,  genus  teii  simile  spari  gallicl.  »  (Paulus). 

(6)  Vrus.  Voy.  Caes.,  B.  G.,  VI,  28.  Marobius  :  «  Vri  enim  gallica  vox  est 
quâ  fcri  bovrs  significantur.  »  Plin.,  lib.  VIII,  13  :  «  Uris  et  bisontibus  Gcr- 
maniae  impcrilum  vulgus  bubalorum  nomcn  imposuisse.  » 

(7)  Fortunatus  définit  Vernemctum,  fanum  ingens,  cl  ver  correspondrait 
dans  ce  cas  à  la  particule  germanique  ver,  qui  renforce  et  amplifie  l'idée  dans 
plusieurs  cas.  Comp.  aha.  weralt  {7nundus),  et  flam.  wereld.  Il  est  encore  le 
terme  initial  de  plusieurs  noms  propres,  dans  lesquels  très-souvent  il  signifie 
homme  comme  le  montre  le  golh.  wair  =  vir  :  fimf  ihusundjus  waire  (Luc, 
VIII,  27)  =  quinque  millin  viri;  Ibid.,  IX,  14  et  50  :  Iwai  ivairas  et  twans 
wairans  =  duo  viri  et  duos  viros.  Voy.  aussi  Herod.,  IV,  110,  une  sem- 
blable appellation  chez  les  Seythes,  qui  appellent,  dit-il,  les  Amazones 
Oiorpala,  c'est-à-dire  en  grec,  tueuses  d'hommes  ;  car  oior  signifie  hoiume, 
et  pata,  tuer.  Le  patois  de  Mons  l'a  bien  conservé  :  warou  (V.  Sigart). 

(8)  Voy.  Caes.  B.  G.,  1,  16.  Schilter,  dans  son  Gioss.  Teul.,  le  dérive  de 
l'ail,  werk  =  opus,  et  brel  =^  illuslris.  Zeuss,  p.  12,  l'emploie  pour  le 
kym.  fear  go  breith  =  vir  ad  judicium ,  fear  co  breilh  =  homme  qui 
juge;  c'est  ce  qu'avaient  dit  bien  avant  lui  Tolandus,  dans  ses  additions  à 


—  392  —  j 

VerlrcKjus  (i),  Wargiis  (2).  j 

M.  Van  Hasselt  nous  paraît  peindre  en  peu  de  mots  la 
murche  formatrice  de  la  langue  wallonne  dans  nos  provin- 
ces. Si,  avant  d'aborder  l'histoire  de  la  poésie  française  en 
Belgique,  dit  cet  écrivain,  nous  avions  à  décrire  la  for- 
mation de  la  langue  romane  commencée  dans  nos  pro- 
vinces, nous  aurions  à  retracer  l'histoire  de  toutes  les 
invasions  successives  que  les  dialectes  du  Nord,  d<?puis  le 
V^  siècle,  opérèrent  dans  la  Gaule  avec  les  peuples  barbares 
qui  les  parlaient.  Nous  aurions  d'abord  à  vous  montrer  la 
langue  latine  couvrant  toute  cette  contrée,  comme  une 
nappe  dont  la  transparence  et  la  pureté  n'étaient  troublées, 
çà  et  là,  que  par  quelques  restes  des  idiomes  importés  dans 
la  commune  patrie  par  les  populations  dont  nos  pères 
descendaient.  Sous  Gallien,  les  Francs  commencent  dans 
la  Gaule  cette  série  d'irruptions  qui  se  continue  avec  cette 
inconcevable  opiniâtreté  que  le  Nord  met  à  se  ruer  sans 
cesse  sur  le  [Midi  et  sur  l'Occident  de  l'Europe,  à  travers 
les  règnes  de  Valentinien,  de  Constance  et  de  .Julien  (3). 


VHistoire  des  Druides,  et  Boxiiorn  {Lex.  Ant.  brit.).  Conip.  le  golli.  gevarg- 
jan  —  condemnare.  Dom  Maiîtin  Bouquet  [Recueil  des  liist.  des  Gaules),  dit, 
t.  [,  p.  210  :  «  Notai  Ilotmanus  hujus  magistralùs  vesligia  eliamnum  Au- 
gusloduni  manere  :  ubi  qui  summum  in  civilale  lionorem  gerit  Vuerg 
appcllatur.  » 

(1)  C'est  le  vellre,  vioutre,  terme  suranné,  pour  lévrier.  Arrian,  De 
venat.,  3  :  oÙEftpayoi  dit  que  ce  sont  chez  les  Celtes  des  chiens  aux  pieds 
agiles.  Comp.  Pertz,  Monum.  Germ.,  vol.  IF,  p.  739.  Martial,  XIV,  200. 
Corap.  goth.  Ihragian  =  currere,  et  kym.  Iraig  =  pes. 

(2)  Wargus.  D'après  la  quatre-vingtième  loi  ripuaire  et  la  cinquantième  loi 
salique,  wargus  signifie  fugitif,  banni.  Mais  dans  Sidoine  Apollinaire  (lib.VJ, 
episl.  V,  Papae  Lupo),  les  Arvernes  appelaient  de  ce  nom  les  petits  vo- 
leurs (/a(ruHcu/o*). Wachter  s'exprime  ainsi  à  ce  sujet  :  inde  Germanis  wargcn 
lalrocinari  et  warg-man,  latro  apud  Slilerum  in  Lexico...  Suecis  tverg  est 
lupus  quia  latro  inter  feras.  Comp.  golh.  launavargs,  voleur,  ingrat  et 
gavargian  =  condemnare. 

(5j  Voy.  Essai  sur  l'histoire  de  la  poésie  française  en  Belgique,  dans  les 
Mémoires  eouronnés  par  l'Académie  royale,  t.  XIII,  année  1858,  p.  3. 


—  395  — 

On  doit  d'abord  admetlre  qu'à  l'invasion  des  Francs,  les 
Belgo-Celtes  avaient  subi  une  transformation  complète  sous 
l'influence  de  Rome  (i).  Les  Francs,  naturellement,  conti- 
nuèrent péniblement  à  parler  leur  idiome.  Mais  ils  don- 
nèrent aux  termes  que  l'usage  réservait  une  tournure 
empruntée  au  latin.  Peu  à  peu  il  se  forma  une  langue  dont 
la  grammaire  rappelait  la  langue  classique  de  Rome, 
comme  un  pâle  reflet  de  la  lune  rappelle  le  soleil.  Les 
mots  germaniques  dominèrent  dans  cette  langue,  mais  ar- 
rangés, égalises,  polis,  en  un  mot  adaptés  à  l'organisme 
plus  délicat  des  Gallo-Romains.  La  latinité  victorieuse 
effaça  le  celtique;  la  latinité  mourante  absorba  la  Germa- 
nie envahissante  et  ne  reçut  d'elle  que  quelques  mots, 
assez  nombreux  pour  témoigner  du  passage  des  Germains, 
assez  rares  pour  témoigner  de  la  prépondérance  des  popu- 
lations romanes. 

A  l'époque  de  la  conquête  de  César,  les  Nerviens,  les 
Aluatiques,  les  Éburons,  les  Condruses,  les  Sègnes,  les 
Pémans,  les  Gerèses,  peut-être  tous  d'origine  germanique, 
habitaient  le  pays  qu'on  désigne  aujourd'hui  du  nom  de 
Pays-Wallon. 

L'idiome  dont  se  servent  les  populations  de  cette  grande 
circonscription,  c'est  le  wallon,  l'une  des  branches  les  plus 
anciennes  du  français,  qui,  lui-même,  s'est  formé  par  alté- 
ration du  latin  et  d'autres  nombreux  débris  linguistiques. 

La  philologie  moderne  reconnaît  dans  le  dialecte  wallon, 
comme  nous  venons  de  le  voir,  trois  éléments  bien  dis- 
tincts :  le  celte,  le  germain  et  le  latin.  Pott  dérive  le  terme 
wallon  lui-même  du  celte.  Au  reste,  Walh  ou  Walah  sont 
des  expressions  déjà  en  usage  au  VIII^  siècle  pour  désigner 
les  Gaulois  romamsés.  Le  terme  anglais  Wales  et  notre 
Wallon  sont  identiques;  ainsi  de  Gall,  Gallas,  par  corrup- 

(i)  LiTTRÉ,  Dictionnaire  de  la  langue  française. 


—  394  — 

tioii  ou  alléralion,  est  venue  l'appellalion  de  Wallon.  Du 
reste,  rélymologie  du  mot  Celle  lui-même  divise  les  philo- 
logues en  deux  camps,  selon  qu'ils  s'attachent  à  ledériver 
de  l'allemand  ou  du  gaulois  ou  breton. 

D'après  les  règles  rigoureuses  de  la  permutation  des 
voyelles,  le  terme  gallique  Kelt,  s'il  est  vraiment  dans  les 
racines  des  mots  germaniques,  prendra  la  forme  de  hell/i 
ou  par  euphonie  helith.  Sous  cet  aspect  on  retrouve  ce 
vocable  :  helith,  pi.  helilhos,  et  hàlelh,  pi.  hàlethos,  dans 
l'ancien  idiome  saxon  et  en  anglo-saxon.  Il  répond  alors  à 
vir,  homo.  De  même  que  le  terme  générique  thiiida,  gens, 
se  transforma  en  nom  collectif,  qui  devint  un  nom  de  peu- 
ple, de  même  aussi  helith,  vir,  homo,  prit  une  acception 
générale.  D'après  cela,  les  Celles  furent  un  peuple  d'hom- 
mes, un  helitho  foie,  helilho  cunni,  d'après  les  expressions 
du  Heliand,  pour  désigner  l'homme.  On  en  conclut,  en 
invoquant  Taulorilé  de  Leibnilz,  qui  voit  dans  Cetta  le  mol 
allemand  Held,  que  la  langue  des  Celtes  était  affiliée  à  h 
langue  allemande. 

Mais  les  Celles  se  sont  aussi  appelés  raXâTai?  Comme 
Keltae,  ce  terme  se  prend  pour  désigner  toute  la  race, 
et  raXâxai,  KÉXrat,  nc  diffèrent  que  par  des  nuances  dialecti- 
ques; dans  ce  cas,  le  second  alpha  dans  raXâxai  ne  serait 
que  purement  euphonique  et  on  aurait  raXt,  Galt,  d'autant 
plus  que  le  terme  romain  Galli  présuppose  cette  forme.  Les 
Grecs  entendirent  prononcer  ce  mot  Galat  par  inlercala- 
tion  de  l'a,  et  les  Romains  Gall,  par  assimilation  de  /  à  /. 
Mais  ce  dernier  procédé  semble  trop  commode.  Il  faut 
donc  admettre  une  troisième  appellation,  indépendante  de 
KéXxat  et  de  Galat,  Gall;  c'est  Galli. 

D'abord  Galt  est-il  conservé  dans  la  langue  allemande, 
comme  nous  avons  vu  Kelt?  Zeuss  penche  pour  Galatae, 
un  ancien  mot  irlandais,  gai,  introduit  dans  beaucoup  de 
mots  composés.  La  signification  répond  à  lutte,  dispute. 


—  595  — 

arw/e,  d'où  :  Galli  viri  purjnaces,  armalî.  Mais  que  devient 
le  dérivé  galat,  que  devient  surtout  son  sens  ethnogra- 
phique étendu  à  toute  une  colleclivilé  d'individus  appar- 
tenant à  la  même  nation?  Le  nom  primitif,  primordial 
pourrait  bien  avoir  été  Galta,  au  moins  y  a-t-il  moyen 
d'en  faire  un  nom  de  peuple;  car,  si  Galt  peut  devenir 
Gant,  il  est  conservé  dans  Eystragautar,  Veslraymitar  et 
Saegeàtas,  en  anglo-saxon.  On  retrouve  ce  phénomène  lin- 
guistique dans  les  mots  flamands  gond,  oui  (oud),  woiit, 
gond  pour  gold,  ait,  tvalt,  d'où  d'abord  Galtiis  et  ensuite 
Gallus,  comme  le  suédois  kall,  luxembourgeois  kàl  pour 
kalt,  néerlandais  olkr  (i),  luxembourgeois  àkr  ou  èkr 
pour  aller. 

Selon  Barth  {2),  la  Celtique,  comme  Ligye,  peut  désigner 
en  général  l'Occident.  Celle  veut  dire  voyageur,  cavalier, 
et  Galate,  la  jeunesse.  Le  terme  suranné  Kallen  se  retrouve 
encore  dans  Gàllen.  Il  est  très  en  usage  dans  le  dialecte 
luxembourgeois  :  gai,  flamand  galm,  signifie  son;  gall,  le 
cri;  guider,  le  chanteur. 

Hùlmann  (Hist.  elym.  Vers,  des  celt.  germ.  Volksst., 
pp.  117,  139),  en  parlant  de  don  (dunum)  et  ak  (ahva?) 
parvient  d'une  façon  toute  spécieuse  à  prêter  au  terme 
Celte  une  origine  germanique.  Comme  il  signifierait  dans 
le  cas  des  établissements  aux  bords  d'nne  eau  claire,  nous 
aurions  tout  d'abord  Hell-don,  qui  serait  devenu  par  alté- 
retion  Keldon,  d'où  KeXxaî  et  ensuite  Kaledon,  lequel  nom 
aurait  formé  Kalètes  =  Galates  =  Galls. 

Les  érudits  d'Allemagne  accordent  la  prépondérance  à 


(1)  Glossarium  Germanieum,  de  Jean  G.  Waciiteb,  1757  :  angl.  old;  belg. 
oud  per  suncopen;  sax.  inf.  oU. 

(2j  Caes.  B.  g.,  if,  28  :  «  Quos  Caesar  ut  in  miseros  ac  supplices  usus 
misericordià  viderelur,  diligentissimc  conscrvavit  suisque  fiuibus  alque  op- 
pidis  uti  jussit  alque  finilimis  iiuperavit,  ut  ab  injuria  et  malcficio  se  suosque 
prohibèrent.  » 


—  596  — 

l'élément  germain  dans  ridiome  wallon.  Mais  il  y  a  exa- 
gération. En  outre,  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  cet 
élément  augmente  ou  diminue  suivant  certaines  localités. 
Cela  s'explique  aisément.  César  aiïecte  de  dire  qu'il  a  pres- 
que extirpé  la  race  et  effacé  jusqu'au  nom  des  Nerviens, 
mais  il  ne  tarde  pas  d'ajouter  qu'il  a  accordé  aux  tristes 
débris  de  cette  courageuse  nation  la  permission  d'habiter 
le  pays  et  les  villes.  Le  vainqueur  a  même  donné  ordre 
aux  peuples  limitrophes  de  ne  pas  inquiéter  les  vaincus  (i). 
Or,  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  les  Nerviens,  les  Ebu- 
rons,  les  Aluatiques  descendent  des  Germains  (2).  Ces 
débris,  conservés  par  la  politique  de  César,  mêlés  aux 
colons  gaulois  qu'on  dit  être  venus  pour  combler  les  vides 
faits  par  la  guerre,  ont  été  parfaitement  en  situation  pour 
transmettre  les  radicaux  plus  ou  moins  défigurés  de  leur 
vieil  idiome. 

Mais  examinons  la  présence  de  l'élément  celtique  dans 
le  wallon. 

A  l'époque  où  les  Germains  passèrent  le  Rhin,  ils  refou- 
lèrent les  Celtes,  lesquels,  au  rapport  de  Slrabon,  se  réfu- 
gièrent, probablement  pour  se  soustraire  à  la  fureur  des 
conquérants,  dans  les  endroits  les  plus  déserts  et  les  plus 
inaccessibles,  à  peu  près,  mais  dans  un  autre  sens,  comme 
les  Indiens  de  l'Amérique  fuient  devant  les  progrès  de  la 
civilisation. 

Il  est  constant  que  les  envahisseurs  germains  ne  parvin- 
rent pas  à  absorber  complètement  les  Celtes,  et  l'élément 
celtique  put  continuer  à  côté  de  l'élément  germain,  jusqu'à 


(1)  Caes.  B.  g.  if,  32  :  «  Se  id,  quoil  in  Ncrvios  fecissel  facttirum,  finili- 
misque  imperatorura  ne  quam  dediticiis  poptili  Rom.  injuriam  inferrent,  » 

(2)  Caes.  B.  G.,  Il,  4  :  «  Plerosque  Belgas  esse  orlos  a  Gcrmanis,  ele.  »  C'est 
le  plus  précieux  ehapitre  pour  rethnograpliie  primitive  de  la  Belgique  an- 
cienne. Voy.  Appien  (ex  libre  de  Bellis  Gallicis,  passage  cité  plus  haut)  et  nos 
citations  de  Tacite. 


—  397   — 

ce  que  lous  les  deux,  confondus  dans  le  huin,  anivassenl 
dcligurcs  el  mutilés  aux  formes  qui  existent  encore. 

Au  surplus,  on  peut  invoquer  des  considérations  d'un 
ordre  tout  moral  en  faveur  de  ce  système. 

A  cet  effet,  il  sulTit  d'examiner  la  race  wallonne  de  nos 
jours.  Qui  oserait  lui  disputer  la  bravoure  el  l'énergie  unie 
à  la  solide  loyauté?  C'est  la  même  qu'au  temps  de  César. 
Les  Nerviens,  qui  en  sont  le  type  principal,  repoussent 
toute  immixtion  étrangère.  Ils  sont  fiers  de  la  bravoure  de 
leurs  ancêtres;  ils  ne  veulent  se  soumettre  à  aucun  prix, 
ils  n'entendent  pas  accepter  de  condition  de  paix  (i).  Avant 
de  céder,  il  faut  qu'on  les  extermine  avec  les  Atuatiques  et 
les  Eburons.  Les  Trévires,  inspirés  par  les  idées  fédéra- 
listes de  la  Gaule  (2),  décident  de  garder  l'offensive  et  de 
défendre  pied  à  pied  le  sol  de  la  patrie;  les  Sègnes,  les 
Pémans,  les  Cérèses  et  les  Condruses  les  suivent  dans  cette 
voie  extrême  de  salut  public.  Plularque,  en  parlant  des 
Nerviens,  dit  que  César  marcba  contre  eux,  et  qu'ils  sont 
les  plus  sauvages  et  les  plus  belliqueux  des  Belges  (3). 
De  tels  peuples  ne  sont  pas  faits  pour  abandonner  du  jour 
au  lendemain  la  langue  de  leurs  aïeux  (4).  Car  l'homme, 
même  dégradé  par  la  servitude,  s'attache  à  son  idiome, 


(1)  Caes.,  B.  g.,  II,  15.  —  B,  G.,  V,  58;  V,  42,  58. 

(2)  Id.,  B.  G.,  Il,  24;  B.  G.,  V,  27  ;  sed  esse  Galliae  commune  consilium. 
—  B.  G.,  V,  47;  B.  G.,  V,  56,  57;  B.  G.,  56,  57;  B.  G.,  Vlll,  45.  Voy.  aussi 
B,  G.,  H,  53,  et  VI,  54, 

(,5)  Plutarque,  Caes.,  20  ;  6è  touç  àypiuxaxoui;  xat  (xaj(i[iWTàTOtJî  xwv  z^St 
Neppôouç  èffxpâxeuaev. 

Voy.  aussi  le  savant  traité  :  Hislorisch-philogischc  Sludic  ûber  das  belgische 
Gallien,  etc  ,  under  besondcr  Berucksichligung  des  luxemburgischen  Dialeklvs, 
par  Dr  M.  Stronck. 

(4)  César  donne  une  notice  géographique  sur  l'étendue  de  la  dominalion 
des  Nerviens  en  Belgique.  Voy.  à  cet  effet  B.  G.,  lib.  V,  39.  —  Voy.  aussi 
l'ouvrage  récent  de  Mr  L.  Galesloot  :  La  province  de  Brabanl  avant  l'inva- 
sion des  Romains,  Bruxelles,  1871,  où  l'auteur  expose  ses  recherches  sur 
les  Nerviens  pour  prouver  qu'il  y  a  des  vestiges  d'un  oppidum  nervien  prés 
de  Vilvorde. 


—  598  - 

comme  au  palladium  de  la  dignité  humaine.  Que  dire  donc 
d'une  race  qui  a  donné  tant  de  preuves  de  viguenr  na- 
tionale? 

C'est  qu'il  est  totalement  impossible  qu'elle  ait  aban- 
donné tous  les  éléments  de  son  idiome  primitif.  Celte 
remarque  seule,  indépendamment  de  toute  recherche,  doit 
uous  faire  soupçonner  que  les  débris  de  la  langue  germa- 
nique sont  conservés  en  grand  nombre  dans  le  dialecte 
wallon.  Au  commencement  du  XVI"  siècle,  Jean  Lemaire 
s'exprimait  de  la  sorte  en  parlant  des  habitants  de  Bra- 
bant  :  «  Ceux-ci  parlent  le  vieil  langage  gallique  que  nous 
appelons  wallon  ou  romand  et  en  usons  en  IJainaut,  Cam- 
bresis,  Artois,  Namur,  Liège,  Lorraine,  Ardennes  et  en 
Roman-Brabant  et  est  beaucoup  différent  du  françois  (i).  » 
Ce  vaste  cadre  linguistique  n'a  pas  subi  d'altérations  jus- 
qu'à nos  jours. 

Le  remarquable  passage  auquel  Tacite  fait  allusion  est 
consigné  livre  VI,  24,  des  Commentaires.  Antérieurement, 
dit  César,  alors  que  les  Gaulois  étaient  supérieurs  aux  Ger- 
mains par  le  courage,  les  premiers  prirent  l'initiative  de 
la  guerre  et  établirent  au-delà  dn  Rhin  des  colonies,  à 
cause  de  l'exubérance  de  leur  population  et  la  pauvreté 
de  leurs  champs.  Aussi  les  Voisques  Teclosages  occupè- 
rent-ils les  endroits  les  plus  fertiles  de  la  Germanie 
autour  de  la  forêt  hercynienne  où  ils  s'établirent.  Era- 
tosthène  (né  à  Cyrcne,  en  Libye,  vers  272  av.  J.  C.)  et 
d'autres  Grecs,  d'après  ce  que  je  lis,  connaissaient,  sur 
le  rapport  d'autrui,  l'existence  de  cette  forêt  qu'ils  appe- 
laient Orcynia  (2).  » 

(1)  Les  illusiralions  de  la  Gaule-Belgique  de  Jean  Lemaire  (1473-1348). 
Voy.  l'éloge  que  fait  de  cet  écrivain  M.  Moke,  dans  son  Histoire  de  la  liUcra- 
lure  française. 

(2)  Ac  fuit  antea  tempus  quum  Gcrmanos  Galli  virlute  superarent  ultro 
bella  inferrent  propter  hominuni  niultiludineni  agrique  inopiam  trans  Rlie- 
num  colonias  mitterent.  Itaque  ea  quae  ferlilissima  Gernianiae  sunt  loca 
circum  Hcfcyniam  silvam  quani  Eralostlicni  et  quibusdam  Graecis  fama  no- 


—  399  — 

Pour  en  finir  avec  celle  queslion,  écoutons  Tacile  :  «  Les 
Trévires  el  les  Nerviens,  dil-il,  sonl  les  premiers  à  se  dire 
issus  de  Germains  et  à  s'en  faire  honneur  comme  d'une 
origine  dont  la  gloire  les  sépare  des  Gaulois  et  les  absout 
de  la  lâcheté  reprochée  à  ceux-ci.  »  Plus  haut,  avec  l'ac- 
cent de  la  vérité  qui  le  dislingue,  il  avait  dit  :  «  Le  meilleur 
de  tous  les  garants,  Jules  César,  témoigne  que  les  Gaulois 
eurent  leur  époque  de  supériorité  el  l'on  peut  croire  que 
des  Gaulois  passèrent  aussi  en  Germanie  (i).  » 

Voici  une  preuve  que  les  habitants  du  Luxembourg,  au 
commencement  du  IV*  siècle,  étaient  encore  romanisés. 

Le  huitième  discours  de  la  collection  des  Panégyriques 
anciens  est  attribué  à  Nazaire,  rhéleur  gallo-romain  dis- 
tingué, dont  parlent  saint  Jérôme  et  Ausone.  Prononcé  à 
Trêves  en  313,  ce  discours  célèbre  dans  le  langage  le  plus 
enflé  la  victoire  de  Constantin  sur  Maxence.  Le  mérite  lit- 
téraire ou  historique  de  celte  œuvre  peut  être  contesté, 
mais  en  ce  qui  concerne  les  anciens  habitants  du  territoire 
des  Trévires,  il  est  du  plus  grand  intérêt.  Il  témoigne 
que,  en  dépit  des  efîorls  de  Rome,  la  langue  primitive 
n'avait  pu  être  extirpée  complètement.  L'adulateur  ofliciel 
de  Constantin  s'exprime  ainsi  dans  son  enthousiasme  ser- 
vile  :  «  Je  n'ignore  point  dans  quel  état  d'infériorité  in- 
tellectuelle nous  sommes  vis-à-vis  des  Romains;  ils  doivent 
à  la  nature  de  parler  latin  avec  éloquence,  nous  ne  parve- 
nons à  celle  perfection  qu'à  force  de  travail  (2).  » 


tam  esse  video  quam  illi  Orcyniam  appellanl  Volcae  Teelosages  occupaverunt 
alque  ibi  consederunt. 

(1)  Validiores  olim  Gallorum  res  fuisse  sumraus  auctorum  divus  Juliiis 
Iradit  :  eôque  credibile  est  eliam  Gallos  in  Germaniani  ti-ansgressos...  Treviri 
et  Nervii  circa  affeclalionem  Gei-manieae  originis  uKio  ambiliosi  sunl  tani- 
quam  per  hanc  gloriam  sanguinis  a  simililudine  ci  inerliâ  Gallorum  sepa- 
renlup.  Tac,  Germ.,  27. 

(2)  «  Neque  enim  ignora  quanta  inferlora  suit  ingénia  nos'ra  Romanis  :  si- 
quidem  latine  et  diserte  loqiii  illis  ingeneralum  est;  nobis  claboralum.  »  Voy. 
Ineerti  panegyricus  Constanlino  Auguslo  diclns. 


—  400  — 

Dans  sou  panégyrique  de  Théodose,  Pacalus  parle  avec 
mépris  de  la  langue  des  Gallo-Romains,  qu'avec  une  exagé- 
ration liabiluelle  aux  rhéteurs  de  son  époque  il  appelle  : 
riidem  hune  et  incertum  sennonis  transalpini  Iwrrorem  (i). 
Celte  emphase  de  bel  esprit,  qui  pouvait  avoir  beaucoup 
d'adeptes,  ainsi  que  nous  le  montre  l'histoire  des  littéra- 
tures modernes  et  notamment  de  la  langue  allemande, 
devait  contribuer,  en  dehors  d'autres  causes  que  l'on  de- 
vine, à  nous  priver  des  documents  nécessaires  à  une  con- 
naissance exacte  de  la  langue  des  Gaules.  D'après  ce  que 
disent  certains  éditeurs  de  la  poésie  d'Ossian,  il  existerait 
à  une  bibliothèque  publique  de  Paris  un  discours  de  Clovis 
en  celtique,  que  le  docteur  Diefenbach  présume  être,  si  ce 
document  existe,  une  traduction  gadhéliqiie,  dialecte  com- 
mun an  gaélique  et  à  l'irlandais.  Quoi  qu'il  en  soit,  saint 
Jérôme,  philologue  d'une  bien  autre  trempe  que  ce  Pa- 
catus  romanisé,  n'affecte  pas  le  même  dédain  (2).  On  dirait 

(1)  Latam  Pacati  Drepani,  etc.,  dans  les  Vclcrcs  pancgyrici  ad  usum  Del- 
phini,  p.  310.  L'interprète  dit  :  «  Propler  innolam  et  quam  a  majoribus 
acccpere  facundiam  diffieilius  est  ul  impolita  et  iniperfecta  liominis  trans- 
alpes  uali  oratio  non  laeda  sit  alque  adeo  horrida  videaliir.  » 

(2)  Voy.  Sancli  Eus.  Hieronymi  opcrum,  (otniis  IV,  Parisiis,  MDCCV, 
p.  255.  Voici  le  texte  de  ce  passage  si  célèbre  :  «  Ununi  est  quod  inferimus 
et  proniissum  iu  exordio  reddimus,  Gulalas  exceplo  sermone  graeco  quo 
omnis  Oriens  loquitur  propriam  eamdem  pcnè  habcrc  quam  Treviros,  née 
referre  si  aliquo  exinde  corruperint  quum  et  Aphri  Phaenicam  linguain  non- 
nulla  ex  parte  mntaverint  et  ipsa  latinitas  cl  regionibus  quolidiè  mutetur  et 
tempore.  » 

Voy.  JoiNNES  NicoLAus  AB  Ho^THEIM,  dans  :  Hisloria  Trevirenlis  diplomalica 
et  pragmatica  inde  a  translata  Treviri  praefeclara  practorio  Galtiarum  ad 
haec  usqiie  tempora,  Augustae  Vind.  et  Hcrbipoli,  anno  MDCCL.  Nous  ne 
rapprochons  de  ce  passage,  qu'à  titre  de  renseignement,  l'opinion  de  Tima- 
GÈNE,  cité  par  Amm.  Marcellin,  qui  attribue  l'origine  du  nom  de  Celtes  à  un 
roi  de  ce  nom,  et  celui  de  Galates,  terme  dont  se  servent  les  Grecs  pour 
désigner  les  Gaulois,  à  Galate,  mère  de  ce  roi  :  Cellan  nomine  régis  amabilis 
cl  matris  ejus  vocabulo  Galatas  dictas  ;  ila  enim  Gallos  scrmo  graecos  adpel- 
lai  (Amm.  Marcell.,  XV,  9,  3).  Saint  .Jérôme  rapporte,  sur  l'autorité  de  Var- 
ron,  un  autre  fuit  qu'il  semble  implicitement  donner  comme  existant  de  son 


—  401   — 

qu'il  invoque  comme  une  gloire,  pour  les  Galales,  d'avoir 
conservé  en  face  de  la  langue  hellénique,  le  caraclère  spé- 
cial de  leur  propre  idiome,  analogue,  selon  lui,  à  la  langue 
que  parlent  les  Trcvires  de  son  époque.  «  Nous  constatons 
comme  nous  l'avons  promis  au  début,  dit-il,  que,  même 
après  l'adoption  de  la  langue  grecque  en  usage  dans  tout 
rOrient,  les  Galates  ont  une  langue  qui  leur  est  propre, 
presque  la  même  que  celle  des  Trévires.  Les  quelques 
altérations  ne  tirent  pas  à  conséquence.  Est-ce  que  la 
langue  des  Phéniciens  n'a  pas  été  modifiée?  Grâce  aux 
temps  et  aux  lieux,  la  latinité  elle-même  s'altère  tous  les 
jours.  » 

L'assemblée  nationale  des  Galates  s'appelait  Drynaimet, 
que  l'on  dérive  du  celtique  Dry  {drei  et  menu),  comme 
étant  la  place,  le  rendez-vous  de  trois  peuples,  ou  de  dere- 


tcnips;  il  dit  qu'outre  le  latin  et  le  grec,  on  parlait  à  Marseille  et  dans  le 
voisinage  un  troisième  idiome,  qni  ne  pouvait  être  que  l'un  des  trois  idiomes 
primitifs  de  la  Gaule,  Or,  les  lieux  dont  il  s'agit  avaient  été  soumis  durant 
plus  de  mille  ans  consécutifs  à  l'aclion  de  la  civilisation  grecque  et  romaine. 
DoM  Martin  Bouquet  (Recueil  des  Histoires  de  la  Gaule  et  la  France),  p.  743, 
fait  les  réflexions  suivantes  sur  le  fait  rapporté  par  saint  Jérôme  :  «  Si  ve- 
rum  est  quod  tradit  Hieronymus,  necessaris  dicendum  est,  Caesarem,  quum 
ait  Belgas,  Aquitanos  et  Cellas  lingua  intcr  se  differre,  liane  differentiam 
non  in  ipsa  lingua  ponere,  sed  tanlùm  in  dialecto  seu  vario  loquendi  génère. 
Nam  si  diversa  fueril  Celtarum  et  Belgarum  lingua  quomodo  Teclosages,  qui 
in  Asiam  irruperunl,  quique  profcclô  Cellae  erant,  eamdcm  linguam  habuc- 
rint  quam  Treviri,  qui  semper  cum  Belgis  annumerali  sunt?  » 

TiiÉMisTius,  Eo'fKJT/)?,  XXII,  fait  de  la  Galilie  (éd.  de  G.  Dindorf,  p.  3G0, 16) 
une  contrée  purement  grecque  :  «  xal  otj  XÉyw  xô  affxu  eoû  AvTt6/ov,  ojôe 
6'cTOiî  èyel  ^uvàfii^a  àvSfâTt  xà  èfxà  cpopxta  [ia^xéouji  xal  irepi  7:oiou[Ji£votç, 
o'jSî  8<T0tî  èv  TaXaxîa  xr;  'EX>v/jVt6i.  »  Mais  l'opinion  de  Thémistius,  d'ailleurs 
erronée,  ne  peut  prévaloir  en  tout  cas  contre  celle  de  saint  Jérôme,  parce 
le  philosophe  grec,  restaurateur  passioné  du  polythéisme,  de  l'art  et  de  la 
science  helîéniques,  exagérait  constamment  ses  opinions  et  dénaturait  les 
faits  en  les  forçant  dans  leurs  conséquences.  Toutefois  est-il  raisonnable 
de  supposer  que  les  Galates  soient  parvenus  à  supprimer  tout  vestige  de 
grec  dans  le  pays  qu'ils  ont  conquis?  C'est  la  négative  probablement  que 
Thémistius  entend  soutenir. 

29 


—  402  — 

men,  un  endroit  entouré  de  chênes.  LesGalates  se  donnaient 
dans  leur  propre  langue  le  nom  de  Gomaras,  d'après  Jo- 
sèphe.  Cela  rappelle  les  Cimmériens.  Toutefois,  il  ne  faut 
pas  perdre  de  vue  qu'en  Asie  et  en  Thrace  il  y  avait  des 
peuples  du  nom  de  Trères  et  de  Trerons  (i),  dont  il  serait 
inutile  de  montrer  la  frappante  similitude  avec  ceux  des 
bords  de  la  Moselle  (2). 

Mais  est-il  bien  nécessaire  de  poser  en  principe  l'extinc- 
tion complète  de  la  langue  primitive  des  Trévires?  L'auteur 
du  panégyrique  attribué  à  Eumène,  prononcé  en  l'honneur 
de  l'empereur  Constantin,  nous  apprend  qu'en  291  ap.  J.  C. 
des  hordes  de  Francs  se  sont  établies  dans  les  districts  dé- 
vastés des  Trévires  et  des  Nerviens  (3).  Il  pouvait  encore 
exister  quelques  débris  de  l'ancienne  population  à  côté  de 
la  population  romanisée  de  la  métropole  et  les  Francs  dis- 
séminés dans  la  campagne,  car  il  est  bien  constaté  par 
saint  Jérôme  lui-même,  que  ce  père  de  l'Église  a  visité 
dans  son  enfance  les  bords  du  Rhin,  par  conséquent  en- 
viron soixante  ans  après  que  les  Francs  se  furent  fixés  au 
sein  des  Trévires  (4). 


(1)  Herod.,  Clis  ,  28  :  «  0pî/jx<i)V  tûv  év  t^  'Aa£i[i.  »  Tlialia,  90,  Polymnia, 
76.  —  Strabon  :  «  ol  Sk  xal  Tpvjpwv  ôS;  uuvoixwv  0paÇlv  ovxov.  »  Thucydide,  II. 

(2)  Voy.  Teulschlands  Urgeschichle,  von  Chr.  Karl  Bartu,  BaireuUi,  1817, 
p.  215,  —  Plin.,  IV,  17,  place  les  Trères  aux  bords  de  TAxius.  —  Nous 
avons  exprimé  celle  idée  à  un  autre  poinl  de  vue  au  chapitre  :  Question 
d'idenlilé. 

(3)  Paneg.  Emn.  m  Const.  «  Sicut  poslea  luo,  Maximiane  Auguste,  nulu 
Terviorura  et  Treverorum  arma  jacenlia  Laelus  postliminis  reslilutus  el  re- 
ceplus  in  leges  Francus  excoluil.  » 

(4)  BuANDES,  p.  243  :  «  Hieronyraus  selbst  (contr.  Jov.,  II)  erzablt  dass  er 
in  seinen  erslen  Jiinglingsjabren  (adolescentulus)  die  halbbarbarischen  Ufer 
des  Rbcins  und  bei  dieser  Gelegenbeil  auch  Trier  besuchl  habe  (Vergl.  episl. 
6  und  H).  AIso  nur  60  Jahre  lagon  zwischen  der  Ansiedlung  der  Franken 
und  der  Anwesenheil  dièses  Kirchenvalers  am  Rhein  .-  man  braucbt  dahcr 
niclil  anzunehmcn  dass  damais  schon  die  aile  Sprache  der  eigcntlkhen  Trevircr 


—  405  — 

Le  passage  dont  il  s'agit  a  été  différemment  interprété. 
Il  est  de  la  plus  haute  importance  dans  la  question  de  l'i- 
dentité de  race.  On  se  demande  naturellement  si  Jérôme 
a  puisé  cette  donnée  à  une  source  historique.  Si  cela  est, 
la  langue  des  Gaulois  et  des  Trévires  correspondait  par  ses 
principaux  éléments,  et  comme  ce  dernier  peuple  était 
compris  dans  les  populations  helges  d'origine  germanique, 
on  serait  autorisé  à  déduire  de  ce  fait  la  conclusion  que  le 
langage  belge  offrit  de  frappantes  analogies  avec  celui 
des  Gaulois.  Holtzmann  s'empare  de  ce  texte  pour  donner 
plus  de  cohésion  à  son  système.  Selon  lui  (Pacatius  au  be- 
soin le  prouverait),  les  habitants  de  Trêves  avaient  depuis 
longtemps  oublié  la  langue  dont  ils  se  servaient  au  temps 
de  César.  D'un  autre  côté,  Salvien  rapporte  qu'après  la 
destruction  de  leur  ville,  le  premier  soin  des  Trévires  fut 
de  restaurer  les  jeux  du  cirque.  Ce  qui  ne  laisserait  aucun 
doute  sur  leur  complète  métamorphose  en  Romains  :  Vous 
désirez  des  jeux  publics,  habitants  de  Trêves,  dit-il,  après 
le  sang,  après  les  supplices,  vous  demandez  des  théâtres; 
vous  réclamez  du   prince  un  cirque  (i)  !  Ce  langage  est 


auss  dem  Gediichtniss  der  Mensclien  ganziich  verscliwunden  war.  »  Saint 
Jérôme  est  né  en  342.  Il  n'avait  donc  que  dix-huit  ans  lorsqu'il  vint  à 
Trêves. 

Voy.  aussi  sur  ce  passage  de  saint  Jérôme  les  senlimenls  de  Schayes  et 
MoKE,  ainsi  que  l'habile  discussion  de  M.  Ernst,  Ilisl,  du  Litnbourg,  t.  J, 
p.  145,  exposée  pur  M""  A.  Le  Roi,  dans  ses  Lellres  ébttrvnnes.  Revue  Iri- 
meslrielle,  t.  XI,  pp.  212,  213. 

(1)  Salvianus,  de  Gub.,  div.  I,  G  :  o  Circenses  ergô  Treviri  desideratis  et  hoc 
vaslati,  hoc  expugnati,  post  cladem,  post  sanguinem,  post  supplicia,  post 
civilatem,  post  lot  eversa  urbis  cxcidia.  »  (Quatrième  ravage  de  Trêves,  vers 
41G  après  J.-C).  Ces  paroles  s'adressent  aux  habitants  notables  de  celle 
ville  qui  avaient  fait  des  instances  auprès  d'un  général  d'Honoriu?,  pour  que 
celui-ci  relevât  le  cirque. 

Dès  le  commencement  du  V«  siècle,  les  Ripuaires  avaient  occupé  Cologne 
et  toutes  les  villes  situées  entre  le  Rhin  et  la  Meuse.  On  peut  juger  de  leurs 
ravages  par  le  tableau  que  fait  Salvien  de  la  ruine  de  Trêves,  prise  alors 


—  404  — 

bien  digne  de  celui  qui  a  dit  :  «  Le  monde  romain  meurt 
en  rianl.  » 

Au  reste,  on  pourrait,  selon  le  même  critique  allemand, 
passer  avec  indifférence  sur  Tidiome  primitif  gaulois  ou 
germain  desTrévires,  que  son  système  resterait  intact.  Aux 
temps  les  plus  reculés,  comme  le  dit  Pontanus  (i),  ils  par- 
laient donc  germain;  mais  quand  saint  Jérôme,  au  milieu 
du  VI^  siècle,  vint  dans  leur  ville,  il  n'y  aurait  plus  eu  de 
trace  de  leur  langage  primitif  (2). 

On  ne  saurait  souscrire  sans  restriction  à  l'opinion  que 
Schayes  exprime  avec  trop  de  rigueur  sur  les  premiers 
habitants  de  la  Belgique.  Mais  ainsi  présentée,  elle  prête 
ordre  et  appui  à  celle  de  M.  Hollzman.  «  Occupée  exclu- 
sivement par  des  Germains,  la  Belgique,  dit-il,  au  temps 
de  César,  ne  conservait  pour  souvenir  des  Celtes,  ses  pre- 
miers habitants,  que  son  ancien  nom  gaulois  de  Belgique, 
laissé  au  pays  par  ses  nouveaux  possesseurs  qui  eux-mêmes 


pour  la  Iroisièine  fois  :  «  La  première  cilé  des  Gaules  n'étail  plus  qu'un  sé- 
pulcre. Ceux  que  l'ennemi  avait  épargnés  n'échappèrent  pas  aux  calamités 
qui  suivirent.  Les  uns  mouraient  lentement  de  leurs  blessures,  les  autres 
périssaient  de  faim  et  de  froid;  et  ainsi  par  divers  chemins  tous  arrivaient 
au  tombeau  J'ai  vu,  et  mes  yeux  en  ont  soutenu  le  spectacle,  j'ai  vu  des 
corps  d'hommes  et  de  femmes,  nus,  déchirés  par  des  chiens  et  les  oiseaux  de 
proie,  étendus  dans  les  rues  qu'ils  profanaient  L'infection  des  cadavres  tuait 
les  vivants,  et  la  mort,  pour  ainsi  dire,  s'exhalait  de  la  mort.  »  Il  faut  re- 
marquer que  Salvien  a  dû  être  élevé,  s'il  n'y  est  pas  né,  à  Trêves,  cenire  de 
la  culture  gallo-romaine  dans  le  Nord. 

(!)  PoNTA^us,  epist.  XVI,  apud  Mulhaeum  Analcct.  T.  V,  p.  999. 

(2j  IIoLTZMANN,  KclUn  und  Gcrniancn,  p.  88  :  «  Es  ist  ganz  gleichgûllig  ob 
die  urspringliche  Sprache  der  Trcviri  die  gallische  oder  die  germanische 
^\'ar  obgleich  nach  dera  ausdrucklichen  Zeugniss  des  Tacilus  nicht  bezwcifclt 
werden  kann  dass  sic  sich  germanischer  Abkùnft  riihmlen  und  aiso  auch 
deulsch  sprachen  wie  ganz  richtig  Pontanus  sagt  :  «  Trcvirorutn  idioma  sive 
dialcclicum  fuisse  teulonicam  uli  et  reliquorura  Belgai'um  nemo  dubilabit.  » 
Es  kommt  darauf  nicht  an  weil  ohnc  Zweifcl  in  der  Milte  des  vierten  Jahr- 
hunderts  als  Hieronymus  in  Trier  wohnte  die  Sprache  der  Urbcwohner  der 
StadI  langst  vergesscn  war.  » 


—  405  — 

adoptèi'cnl  pour  nom  générique  la  dénomination  de  Beiges; 
c'est  ainsi  que  du  temps  de  Tacite  le  nom  de  Bohème  était 
aussi  le  seul  prestige  qui  restât  du  séjour  des  Boieux  sur 
le  bord  du  Danube  (i).  »  Il  prétend  aussi  que  les  auteurs 
qui  se  sont  occupés  de  la  vie  privée  des  Beiges  avant  et 
après  la  domination  romaine,  n'ont  pas  fait  de  distinction 
assez  marquée  entre  les  Celto-Belges  et  les  Romano-Belges. 
La  Belgique,  peuplée  dans  le  principe  par  des  peuplades  de 
race  celtique,  le  fut  exclusivement  depuis  l'expulsion  de 
ces  derniers  par  les  Germains,  qui  se  firent  toujours  un 
litre  de  gloire  de  conserver  intacts  et  purs  le  sang  et  les 
mœurs  de  la  mère-patrie  (2). 

Les  auteurs  sont  loin  d'être  d'accord  quand  il  s'agit  d'ex- 
pliquer la  naissance  du  wallon  en  Belgique. 

Van  Tliielen  (3)  croit  que  les  anciens  Belges  (les  Cimbres 
d'Amedée  Thierry,  les  Germano-Belges  de  Schayes),  de  race 
finnoise  et  non  de  race  teutonique,  sont  les  Wallons  d'au- 
jourd'hui, c'est-à-dire  les  peuples  que  les  Francs,  dont  les 
Flamands  sont  les  représentants,  ont  refoulé  pendant  les 
IV*  et  V^  siècles  dans  les  montagnes  et  les  forêts  inacces- 
sibles des  Ardennes.  Ces  anciens  Belges,  en  s'établissant 
dans  les  Pays-Bas,  en  France  et  dans  les  îles  britanniques, 
s'y  sont  mélangés  avec  les  habitants  romaïques  qu'ils  y  ont 
trouvés,  et  de  cette  fusion  sont  résultés  les  dialectes  finnois- 
romaïques,  le  wallon,  le  bas-breton,  le  patois  du  nord  des 
Gaules,  le  breton  de  l'Angleterre,  dont  le  cambrien  ou 
welsch  (4)  est  le  représentant  moderne. 

(1)  Voy.  Schayes,  Les  Pays-Bas  avant  et  durant  la  domination  romaine, 
t.  I",  p.  40. 

(2)  ScuAYES,  ibid.,  p.  62. 

(3)  Les  Scythes  et  J.  Britz,  Code  de  l'ancien  droit  Belgique,  1847,  p.  7, 

(4)  Comp.  Qiiaelen,  Gael,  Galls,  Galatai,  Wallcn,  Wallon;  J.  G.  WAciiTEit, 
Glossarium  germanicum,  1737  :  «  Welscli  conlraclum  ex  luelisch  quod  est  a 
wale,  percgrinus,  alienus,  per  terminalioneni  gencris  indicem  isch.  {Dérive 
de  Wale,  qui  signifie  étranger);  voy.  Caes.,  B.  G.,  !!,  4;  V,  12,  14,  VI,  13. 


~  406  — 

Les  Wallons  sont  plus  anciens  que  les  Flamands  ou  Ger- 
mains qui  ont  passé  le  Rhin  aux  époques  historiques.  Les 
Finnois,  à  qui  appartiennent  les  Wallons,  se  sont  répandus 
vers  l'occident  et  le  nord  de  l'Europe,  en  parlant  de  l'Ou- 
ral, leur  siège  primitif.  II  y  a,  du  reste,  des  vestiges  finnois 
dans  quelques  noms  topographiques  de  notre  pays  (i). 

Le  Wolga,  c'est  le  Rha  de  Plolemée.  On  le  retrouve  dans 
rail,  raiin,  Rhin,  pjw,  couler.  Le  Rha,  an  moyen-àge,  est 
Oarus,  de  la  racine  ouar,  rivière.  Il  en  vient  Our,  Ourthe 
et  Orneau.  Attel  étant  sous  diverses  formes  un  cours  d'eau 
considérable,  on  retrouverait  ce  mot  dans  Attert(2),  comme 
il  l'est  dans  Eltelbriick,  le  pont  sur  l'Ettel,  établi  par  les 
Germains  sur  une  rivière  antérieurement  nommée  par  les 
Finnois.  Au  reste,  Raepsaet  avait  déjà  constaté  l'idenlilé 
progressive  des  noms  de  lieux  et  de  rivières,  depuis  le  Pont- 
Euxin  jusque  dans  les  Pays-Bas.  Mais  son  point  de  départ 
était  nécessairement  différent  (s). 


(1)  Voy.  HouzEAu,  p.  269;  MeyerÎ  Nouveaux  mémoires  de  l'Académie  de 
Bruxelles,  t.  III. 

M.  Alphonse  Le  Roi,  dans  ses  Lellres  éburonnes  (La  controverse  sur  l'ori- 
gine des  Wallons),  Revue  trimestrielle,  t.  IX,  p.  127,  constate  delà  manière 
suivante  ce  qu'il  y  a  de  positif  dans  les  controverses  sur  les  anciens  habi- 
tants de  l'Europe  et  de  la  Belgique  : 

«  1"  Que  les  Celtes,  en  venant  s'établir  chez  nous,  y  ont  trouvé  une  po- 
pulation appartenant  à  une  race  petite,  brune  et  barbare  jusqu'à  l'anthro- 
pophagie (PoMPONius  Mêla,  liv.  111,  ch.  11); 

»  2"  Que  cette  race  n'a  pas  disparu  immédiatement  des  contrées  qu'elle  a 
occupées,  et  que  les  traditions  nous  montrent  les  nains  comme  ayant  con- 
servé certaines  relations  avec  les  nouveaux  habitants  du  pays; 

»  a»  Que  ce  fait  se  retrouve  à  la  première  page  de  Thisloire  de  la  plupart 
des  peuples  de  l'Europe  septentriolale  et  occidentale; 

»  i»  Que,  toutefois,  l'ignorance  où  nous  sommes  des  destinées  de  cette 
race  anté-historique  ne  peut  influer  en  rien  sur  la  question  de  l'origine  des 
Wallons.  » 

(2)  Commune  du  canton  et  à  une  lieue  et  demie  nord  d'Arlon.  Une  petite 
rivière,  nommée  TAttert,  prend  sa  source  dans  cette  commune. 

(3;  Voy.  OEuvres  complètes  de  J.  J,  Raepsaet,  1838,  t.  I,  p.  86  et  suiv. 


—  407  — 

Cet  écrivain  dit  :  «  Les  Hollandais,  les  Brabançons  et 
les  Flamands  (i)  sont  originaires  des  cotes  de  la  mer 
Noire;  les  Nerviens,  Eburons  et  Alluatiques  qui  ont  habile 
le  Hainaut,  le  Namurois  et  le  pays  de  Liège,  avaient  la 
même  origine;  mais  les  trois  derniers  peuples  ayant  été 
détruits  par  César,  presque  jusqu'au  dernier  homme,  ont 
été  repeuplés  par  des  colonies  gauloises,  lesquelles  y  ont 
introduit  la  langue,  les  mœurs  et  les  usages  des  Gaulois. 
Ces  nations,  originaires  du  Pont-Euxin  et  de  la  mer  Noire, 
ont  quitté  leur  pays  natal  par  voie  de  transmigrations  par- 
tielles et  successives.  » 

Nos  ancêtres  étaient  donc  Wallons,  c'est-à-dire  Gaulois 
ou  Celtes;  mais  ils  étaient  aussi  Germains,  ils  étaient 
même,  si  l'on  veut,  Germains  en  grande  majorité,  si  bien 
que  leur  langue  n'avait  même  gardé  que  de  faibles  traces 
de  l'élément  celtique.  Après  cela,  nous  entrons  en  plein 
dans  l'histoire.  Je  laisse  parler  M.  Ch.  Grandgagnage  : 
«I  D'après  ce  que  nous  savons  de  l'obstination  que  met- 
taient les  Romains  à  transformer  les  peuples  vaincus  en 
un  seul  peuple  romain,  on  pourrait  affirmer  à  priori, 
qu'ils  parvinrent  à  implanter  pendant  leur  longue  domi- 
nation leur  civilisation  et  leur  langue  dans  les  parties  de 
la  Belgique  qui  se  trouvaient  sur  leurs  voies  de  commu- 
nication, ou  qui  étaient  assez  fertiles  pour  y  fonder  des 
établissements.  Il  est  tout  simple,  par  exemple,  que  les 
Romains  aient  laissé  les  Ménapiens,  les  Nerviens  septen- 
trionaux et  les  Toxandrins  dans  les  marais  et  les  bruyères 
qui  s'étendent  de  la  Flandre  maritime  à  la  Campine;  tandis 
que  les  plaines  fertiles  du  Hainaut,  du  Brabant  méridional 
et  de  la  Hesbaie  —  plaines  que  traverse  la  chaussée  nom- 
mée encore  aujourd'hui  romaine  —  devaient  les  attirer. 


(I)  Voy.  J.  J.  Raepsaiît,  Mémoire  sur  Voriginc  des  Belges,  dans  ses  OEuvres 
complcles,  1858,  t.  I,  p.  117. 


—  408  — 

De  là,  il  résullait  deux  choses  :  ces  pays  acquérant  de 
l'imporlance,  les  Romains  attachaient  du  prix  à  les 
transformer;  en  second  lieu,  celte  transformation  s'opé- 
rait d'elle-même  par  le  contact  prolongé  des  deux  popu- 
lations. » 

Non  seulement  le  latin  s'implanta  dans  nos  contrées, 
mais  (nouvelle  influence)  il  y  arriva  «  en  quelque  sorte 
teint  de  celtique  dans  son  passage  par  les  Gaules  (i).  » 

Cette  opinion  concorde  avec  celle  qui  se  manifeste  en 
ces  termes  :  «  Tout  le  monde  sait  que  la  langue  des  Gau- 
lois était  le  celte,  et  que  la  langue  romane,  dont  le  wallon 
est  un  dialecte,  n'existait  pas  à  l'époque  où  les  Romains 
occupaient  la  Gaule  germanique.  Cet  idiome  ne  peut  y 
avoir  été  introduit  que  par  les  moines,  qui  parlaient  le 
latin  rustique,  et  il  n'y  eut  pas  de  monastère  dans  ce  pays 
avant  le  VU"  siècle.  Si  les  dialectes  wallons  étaient  un 
héritage  des  Romains,  on  ne  parlerait  pas  l'allemand  à 
Trêves  et  à  Cologne,  qui  furent  les  grandes  villes  romai- 
nes du  nord  de  la  Gaule;  et  l'on  ne  parlerait  pas  le  flamand 
à  Tongres,  le  seul  endroit  des  environs  de  Liège  où  il  soit 
constaté  que  les  Romains  ont  eu  des  habitations  (2).  » 

L'élément  wallon,  à  l'extrémité  nord-est  de  la  langue 
cVoil,  d'un  côté  entre  le  picard  et  de  l'autre  entre  le  bour- 
guignon et  le  lorrain,  afl'ecle  les  allures  d'un  idiome  in- 
dépendant. Il  s'est  créé  une  échelle  de  voyelles,  qui  lui 
est  propre  et  a  quelques  traits  qui  rappellent  une  haute 
antiquité.  Il  ne  doit  pas  êlre  confondu  avec  le  rouchi  ni 
avec  le  lorrain.  Le  mot  Wallon  est  peut-être  de  prove- 
nance germanique  ou  bien  les  habitants  de  l'étendue  terri- 
toriale habitée  par  les  Wallons  se  sont  attribués  eux-mêmes 


(t)  Voy.  Mr  Alp.  Le  Roi,  Lettres  éburonnes,  dans  la  Revue  Irimeslriellc , 
t.  XIII,  pp.  217,  219,  d'où  est  tiré  ce  passage. 

(2)  Voy.  GÉRAno,  Histoire  des  Francs  d'Auslrasie,  liv.  Il,  ch.  Il,  p.  i)8. 


—  409  — 

ce  terme  générique  Walah,  qui  caractérisait  les  Gaulois, 
On  le  retrouve  en  Walachie  et  dans  la  population  romane 
du  canton  des  Grisons,  qu'on  appelait  autrefois  Churewala, 
où,  selon  Grafl",  cette  dénomination  est  restée  par  un  effet 
contraire.  En  1136,  Rudolph,  abbé  de  Saint-Trond,  s'ex- 
prime en  ces  termes  :  «  Adelard,  dont  la  langue  natale  ne 
fut  pas  le  teuton,  mais  celle  qu'on  appelle  par  corruption 
la  langue  romane,  en  teuton  wallon  (t).  » 

Dans  l'ensemble  des  langues  d'origine  latine  se  trouve 
un  grand  nombre  d'éléments  germaniques  (2).  On  a  calcule 
que  ceux-ci  s'élèvent  approximativement  à  neuf  cent  trente 
mots,  dont  une  partie  est  encore  en  usage.  Cependant  l'au- 
thenticité de  quelques-uns  ne  laisse  pas  que  d'être  mise  en 
doute.  En  outre,  ces  vocables  ramenés  à  leur  souche  dimi- 
nueraient encore  de  nombre.  D'un  autre  côté,  dans  la 
quantité  indiquée  on  ne  comprend  ni  les  mots  dérivés,  ni 
les  mots  composés,  ni  les  noms  propres.  L'idiome  le  plus 
riche  en  éléments  germaniques,  c'est  le  français.  Cela  devait 
être.  Les  conquérants  pénétrèrent  partout  en  Gaule  par  ses 
vastes  frontières.  Mais  dans  la  partie  méridionale,  l'effet  de 
la  germanisation  se  fît  moins  vivement  sentir.  Aussi  y 
rencontre-t-on  moins  de  termes  employés  que  dans  le  Nord, 


(1)  Voy.  Grandgagnage,  De  l'origine  des  Wallons,  Liège,  1852  :  «  Adclar- 
dus...  nalivam  lingiiam  non  habuil  teulonicam,  sed  quam  corruple  nominant 
romanam,  tenlonicè  loallonieam.  »  M^  A.  Le  Roi  pourrait  bien  avoir  fait 
allusion  tout  spécialement  à  cette  assertion  de  l'abbé  de  Saint-Trond,  lors- 
qu'il dit  :  «  Quand  même  M.  Grandgagnage  me  démontrerait  péremptoirement 
que  toute  la  langue  wallonne  se  compose  d'allemand  et  de  latin  corrompu, 
je  n'en  croirais  pas  moins  que  j'ai  un  peu  de  sang  gaulois  dans  les  veines. 
Je  porte  le  nom  de  Wallon,  et  je  ne  saurais  en  méconnaître  la  signification, 
et  enfin  quand  je  mets  le  nez  à  la  fenêtre  pour  voir  passer  un  cràmignon, 
je  ne  puis  m'empécher  d'avouer  que  si  les  danseurs  sont  les  fils  des  blonds 
Germains,  ils  ne  ressemblent  guère  à  leurs  parents  [Lettres  éburonnes.  Revue 
trim  ,  t.  XI,  p.  220,  1856). 

(2)  Voy.  Gr.  Diez,  Grammatik  dcr  Romanischen  Sprachen,  t.  I,  p.  65,  et 
le  Dictionnaire  étymologique  du  même  auteur. 


—  410  -- 

et  notamment  de  termes  importés  par  l'invasion  des  Nor- 
mands ())•  Des  neuf  cent  trente  mots  germaniques  dont  il 
s'agit,  on  en  attribue  quatre  cent  cinquante  à  la  Gaule. 
Après  le  français,  c'est  l'italien  le  plus  riche  en  termes 
germaniques.  Il  en  renferme  environ  cent  quarante.  Les 
langues  du  sud-ouest  peuvent  à  peine  en  montrer  cinquante. 
Le  valaque  est  l'idiome  d'origine  latine,  comptant  le  moins 
de  ces  termes.  Cependant  dès  272,  l'empereur  Aurélien 
dut  céder  la  Dacie  aux  Gollis;  mais  la  domination  de  ceux-ci 
était  trop  éphémère  pour  exercer  une  influence  marquante 
sur  la  langue  du  pays. 

Cependant,  les  peuples  même  qui  avaient  pris  le  parti 
de  la  civilisation,  qui  s'étaient  établis  avec  respect  dans  ses 
ruines,  y  avaient  apporté  les  passions  et  les  habitudes  de 
leur  patrie.  Les  rois  des  Francs  portaient  la  pourpre  et 
parlaient  latin;  mais  on  retrouve  en  eux  les  deux  mauvais 
instincts  des  hommes  du  Nord,  la  soif  de  l'or  et  la  soif  de 
la  vengeance.  Quand  Grégoire  de  Tours  raconte  les  fureurs 
de  Frédégonde,  quand  il  rapporte  comment  Clovis,  après 
avoir  fait  assassiner  le  roi  des  Ripuaires  par  son  fils,  fit 
tuer  le  meurtrier  à  coups  de  hache  au  moment  oîi  celui-ci 
se  baissait  pour  considérer  de  près  ses  trésors,  on  croirait 
lire  les  plus  tragiques  récils  de  l'Edda.  Chez  les  Visigoths, 


(1)  Voy.  Ampère,  Hisl.  lia.,  t.  II,  p.  123  :  «  L'histoire  des  langues  est 
toujours  celle  des  peuples  qui  les  parlent.  Ainsi  dans  le  midi  de  la  Gaule, 
où  les  influences  germaniques  se  sont  fait  moins  sentir,  ont  été  plus  tôt 
domptées  par  ce  qui  restait  de  l'ancienne  existence  romaine,  les  langues 
germaniques  ont  en  moins  d'empire;  on  y  voit  plutôt  apparaître  la  langue 
vulgaire.  Au  nord,  la  langue  franque  lutte  mieux  contre  le  latin.  Charle- 
magne  et  Louis  le  Débonnaire  parlaient  encore  leur  idiome  national;  le  pre- 
mier s'efl'orça  même  d'en  faire,  jusqu'à  un  certain  point,  une  langue  litté- 
raire et  scientifique;  il  écrivit  une  grammaire  francique,  donna  aux  mois 
des  noms  tudesques  et  recueillit  d'anciens  chants  germaniques.  Le  célèbre 
serment  de  842  montre  le  dialecte  teuton  du  nord  en  présence  des  dialectes 
néo-latins  du  midi.  Depuis  lors,  le  premier  ne  paraît  plus,  et  il  ne  reste  de 
lui  que  les  débris  dont  il  a  semé  la  langue  française.  » 


~  411  — 

nous  avons  vu  Aslaulfe,  séduit  par  la  douceur  des  mœurs 
romaines,  embrasser  le  service  des  César,  en  même  temps 
qu'il  épouse  leur  sœur  Placidie  (i).  Il  aime  à  se  montrer  vêtu 
de  la  toge,  traîné  avec  sa  noble  épouse  sur  un  char  à  quatre 
chevaux.  Mais  ses  compagnons  d'armes  s'indignent  de  ce 
changement  comme  d'une  Irahison;  ils  égorgent  Aslaulfe  à 
Barcelone  et  se  donnent  pour  chef  Sigeric,  qui  inaugura 
son  règne  en  poignardant  de  sa  main  les  six  enfants  de  son 
prédécesseur.  Les  Goths  d'Italie  n'opposèrent  pas  la  même 
résistance  à  la  politique  réparatrice  de  Théodoric  (2).  Cepen- 
dant ce  grand  homme  ne  signait  ses  édits  qu'à  l'aide  d'une 
lame  d'or  découpée  à  jour.  Il  relevait  les  écoles,  mais  seu- 
lement pour  ses  sujets  romains;  il  craignait,  disait-il,  que 
la  main  accoutumée  à  trembler  sous  la  férule  ne  tint  pas  le 
glaive  avec  fermeté.  Aussi,  au  bout  d'un  règne  glorieux,  il 
fit  éclater  l'humeur  sanguinaire  de  sa  race  par  le  supplice 
de  Boèce  et  de  Symmaque.  Nous  avons  trouvé  des  rhéteurs 
et  des  légistes  latins  dans  toutes  les  cours;  mais  en  y  regar- 
dant de  près,  nous  les  verrons  souvent  humiliés  et  inquiets, 
comme  Sidome  Apollinaire,  «  au  milieu  de  ces  guerriers 
hauts  de  sept  pieds,  frottant  de  beurre  rance  leur  longue 
chevelure  et  chantant  à  tue-tête  des  refrains  sauvages  qu'il 
faut  applaudir.  »  Si  les  villes  avaient  conservé  leur  sénat 
municipal  et  quelques  restes  de  leur  droit  public,  dans 
chacune  d'elle  siégeait  un  comte  barbare,  qui  l'écrasait  de 
ses  exactions.  Enfin,  quand  on  considère  la  multitude  des 
bandes  conquérantes  qui  couvrirent  les  campagnes  et  qui 
formèrent  le  gros  de  la  population  dans  les  provinces  du 
Rhin  et  du  Danube,  on  est  surpris  de  reconnaître  à  peu 


(1)  Voy.  DoM  Bouquet  :  Ex  vetcri  chronico  Hlotssiacensis,  p.  648.  —  S.  Isi- 
DORi  Hispaniensis  Hisl.  Gotlioriim  ;  «  Aslaulfus  quinlo  regni  anno  tle  Ualia 
reccdeus,  Gallias  adiit,  Placidiam  Tlieodosii  Imperatoris  filiani  quam  Romae 
Golhi  ceperunt,  conjugem  sibi  assunipsit.  » 

(2)  Voy.  JoRNA.'tDis  Uisloria  de  Francis. 


—  412  — 

près  les  Germains  de  Tacite.  Au  VI"^  siècle,  VVodan  avait 
encore  des  adorateurs  dans  toute  la  Gaule  orientale,  dans 
toute  les  vallées  des  Vosges,  sur  les  bords  des  lacs  de  Zu- 
rich et  de  Constance,  et  jusqu'en  Italie.  Le  culte  des  dieux 
du  Nord  était  public;  on  leur  sacrifiait  impunément  des 
victimes  humaines.  Les  libations  païennes  se  faisaient  non 
en  secret,  mais  jusqu'à  la  table  des  rois;  sans  parler  des 
superstitions  innombrables,  qui  s'attachaient  aux  pierres 
sacrées,  aux  arbres,  aux  fontaines.  Elles  avaient  jeté  leurs 
racines  dans  la  terre  comme  dans  les  âmes;  elles  y  tenaient 
si  fort,  qu'après  avoir  disparu  pour  un  temps  devant  le 
zèle  des  prédicateurs  et  la  sévérité  des  lois,  elles  n'atten- 
daient pour  reparaître  qu'un  nouveau  flot  de  barbares 
qui  vint  raviver  les  vieux  germes  ((). 

Voici  maintenant,  pour  en  finir,  le  théâtre  sur  lequel 
s'agitaient  Gaulois  et  Wallons  dans  notre  pays. 

Auguste  divisa  toutes  les  contrées  comprises  sous  le  nom 
de  Belgique,  en  Belgique  proprement  dite  et  en  Germanie 
supérieure  et  inférieure  :  celle-ci  embrassait  en  partie  les 
Belges  d'origine  gauloise,  et  celle-là  exclusivement  ceux 
d'extraction  germanique.  Des  différentes  parties  de  la  Bel- 
gique actuelle,  la  provincia  belgica  contenait  le  Luxem- 
bourg, le  pays  des  Nerviens  et  celui  des  Ménapiens;  la 
Tongrie  et  la  Toxandrie  faisaient  partie  de  la  Germanie 
inférieure  {Germanîa  mferior). 

Sous  Dioclétien  ou  Constantin,  la  Belgique  romaine 
subit  un  nouveau  remaniement;  la  province  de  la  Belgique 
créée  par  Auguste,  fut  alors  partagée  en  première  et  en 
seconde  Belgique,  et  les  provinces  de  la  Germanie  supé- 
rieure et  inférieure,  en  première  et  en  seconde  Germani- 
que. Les  Nerviens  et  les  Ménapiens  firent  partie  de  la 
seconde  Belgique,  dont  la  métropole  ou  le  chef-lieu  était 

(1)  Voy.  OzANAM,  Les  Germains  avant  le  clirislianisme. 


415 


Reims;  le  Luxembourg  apparlinl  à  la  première  Belgique, 
sous  la  métropole  de  Trêves j  les  Tonj^rois  cl  les  Toxaiidies 
à  la  seconde  Germanique,  qui  avait  pour  chef-lieu  la  ville 
de  Cologne  (t). 


(1)  Voy  ScHAYES,  La  Belgique  cl  les  Pays-Bas  avant  cl  pendant  la  domina- 
tion romaine,  t.  I,  p.  409,  édil.  1858.  —  Voy.  la  division  de  la  Gaule  allri- 
buée  à  César  par  Amm.  RIaucell.jHv.  XV,  H,  division  que  les  auteurs  modernes 
ont  fort  critiquée.  —  Beaucoup  d'écrivains  s'imaginent  que  le  préfet  des 
Gaules  (praefectus  praelorio  Galliarum)  avait  sa  résidence  ordinaire  à  Trêves. 
Ou  sait  en  effet  que  saint  Athanase  appela  Trêves  la  métropole  des  Gaules, 
qu'en  378  après  J.-C.  Ausone  séjourna  dans  cette  ville  en  qualité  de  préfet 
du  prétoire  sous  Gralien,  et  qu'en  587,  pendant  le  séjour  à  Ti'èves  du  tyran 
Maxime,  Evodius  y  fut  avec  le  titre  de  pracfectus  praelorio. 

Mais  on  se  hâterait  trop  de  conclure  de  toutes  ces  circonslauces  que  Trêves 
fut  le  siège  permanent  de  la  préfecture  des  Gaules.  11  est  vraisemblable 
qu'Atlianase  ne  donna  à  Trêves  la  dénomination  de  métropole,  que  parce 
que  celte  ville  fut  la  résidence  des  empereurs  pour  un  temps  assez  long-  11 
n'y  a  pas,  à  proprement  parler,  de  métropoles  des  préfectures  ou  des  dio- 
cèses. Aussi  ne  peut-on  pas  dire,  politiquement  parlant,  qu'il  y  eut  une  mé- 
tropole des  Gaules,  mais  il  y  eut  des  méiropoles  de  provinces.  Le  passage 
qu'on  cite  de  YHisloire  des  Ariens,  d'AïiiANASE  :  IlaoXIvoi;,  ô  àità  Tpepépwv 
TT^ç  [xyjTpoTciXïiûi;  tôSv  raXXlwv  éTcîirxoTio?  et  un  autre  du  même  genre  dans  son 
Apologie  de  fuga,  pourraient  s'interpréter  dans  ce  sens  qu'Athanase  mainlienl 
à  Trêves  le  titre  de  métropole  des  Gaules,  parce  qu'elle  était  la  métropole  de 
la  Dclgica  prima,  comme  il  nomme  Cologne  la  métropole  de  la  Gaule  supé- 
rieure ^septentrionale).  C'est  ainsi  qu'il  parle  d'Euphrate,  évèque  de  Cologne 
vers  34-7  :  Eucppar/jv  5e  tôv  àTzb  AypiTtTtfvyjî,  eaxt  5^  xaî  autyi  [j.y)Tfoii6Xt(;  Trjî 
avw  TaXXÎaî.  —  Euphratc  d'Agrippina  (Cologne);  c'est  une  métropole  de  la 
Gaule  supérieure  (septentrionale).  On  lit  dans  Ammien  Marcellin  (liv.  XVII,  3; 
XX,  8),  que  Florentins,  préfet  du  prétoire,  demeura  à  Paris  pendant  les  hivers 
de  558  et  560,  en  même  temps  que  Julien,  comme  il  séjourna  en  554  à  Arles, 
pendant  le  séjour  de  Constance  dans  celte  dernière  ville  (Ausone,  De  claris 
tirbibus  :  VIII,  Arelas).  Doji  Martin  Bouquet  (Recueil  des  historiens  des  Gaules, 
t.  Kr,  pp.  7G6  et  776,  édil.  1809),  prend  Arles  pour  le  siège  constant  et 
régulier  de  la  préfecture  des  Gaules.  En  tout  cas,  au  1V«  siècle.  Trêves  fut  la 
métropole  de  la  Belgica  prima  et  eut  tous  les  avantages  attachés  au  siège  des 
administrations  supérieures.  Tout  le  monde  sail  que  jusqu'à  la  Révolution 
française,  les  évêchés  de  Metz,  Toul  et  Verdun  étaient  compris  dans  l'arche- 
vêché de  Trêves,  de  sorte  que  jusqu'il  nos  jours  les  circonscriplions  politi- 
ques établies  par  Constantin  s'étaient  conservées  dans  la  division  des  pro- 
vinces ecclésiastiques.  On  peut  mettre  celle  dernière  à  profil  pour  déterminer 
les  limites  de  la  Germania  prima  el  de  la  Belgica  prima  vers  le  territoire  dcs 


—  414  — 

Trévircs  (Voy.  J.  Steiningei»,  Gesehichte  der  Trevircr  tmlcr  der  Herschaj't  der 
Ruiner,  Trier,  1845,  pp,  237,  238). 

AusoNE,  du  reste,  au  passage  cité,  parle  d'Arles  avec  le  slyle  pompeux  qui 
convient  à  la  splendeur  de  la  rivale  de  Trêves  : 

«  Pande  duplex  Arelale  luos  blanda  hospita  porlus. 
Gallula  Ronia  Arelas;  quam  Narbo  Marlius,  et  quam 
Accolit  Alpinis  opulenta  Vienna  colonis. 
Praecipilis  Rliodani  sic  inlercisa  fluenlis, 
Ut  mediam  facias  navali  poule  plaleam  : 
Fer  quem  Romani  commercia  suscipis  orbis, 
Nec  cohibes;  populosque  alios  et  mœnia  ditas  : 
Gallia  quis  fruilur,  greraioque  Aquitania  lato.  « 


{Pour  êlre  continué). 

J.  Felsenhart. 


—  415  — 


HISTOIRE 

DES   RELATIONS   POLITIQUES 

ENTRE    LA    FLANDRE    ET    l' ANGLETERRE, 
AU    MOYEN    AGE. 


CHAPITRE  XIV. 

(d  545-1 350). 

Louis  de  Nevers.  Edouard  III. 

Louis  de  Maie. 

Edouard  avait  alleint  le  but  pour  lequel  il  s'était  dé- 
tourné de  sa  route,  en  dirigeant  sa  flotte  vers  l'Ecluse,  et 
s'était  assuré  de  l'alliance  de  la  Flandre.  Aussi  ne  retarda- 
t-il  pas  davantage  son  départ;  il  donna  l'ordre  d'appa- 
reiller le  2i  juillet  1345,  au  moment  où  coulait  à  Gand 
le  sang  de  son  cher  compère  Artevelde.  Mais  à  peine  eut-il 
pris  la  mer,  qu'une  violente  tempête  vint  l'assaillir  (i).  Il 
fut  pendant  deux  jours  aux  prises  avec  les  éléments,  et 
parvint  enfin,  le  26,  à  relâcher  à  Sandwich  (s). 

Cette  tempête,  qui  avait  fait  beaucoup  de  mal  â  la  flotte 
anglaise,  eut  pour  efl'et  d'empêcher  le  roi  d'aller  en  Bre- 
tagne prêter  main-forte  à  ses  ofliciers. 


(1)  Rymeb,  édit.  angL,  t.  III,  p.  55.  Lellre  du  3  aoùl  1345. 

(2)  «  Mémorandum  quod  Dominus  Rex,  à  parlibus  Flaiidria:  in  Angliam 
rediens,  viccsimo  sexto  die  julii  anno  pra;senli  apud  Sandwicum  liorà  prima 
applicuit.  »  RïMER,  édit.  angl.,  t.  III,  p.  53. 


—  -il6  — 

Le  5  août  il  était  à  Londres;  là  il  écrivit  au  vicomle  de 
Laiicastre,  pour  lui  annoncer  Theureux  succès  de  ses  négo- 
ciations avec  la  Flandre,  dont  il  avait  «  raffermi  la  fidélité,  » 
dit-il,  au  point  que  les  liens  entre  l'Angleterre  et  ce  pays 
étaient  plus  étroits  que  jamais,  lui  déclarer  sou  intention 
de  s'embarquer  bientôt  pour  la  France,  et  ordonner  à  tous 
ses  lieutenants,  barons,  bannerets  et  chevaliers,  de  se  tenir 
prêts  à  raccompagner  dans  cette  expédition  (i). 

Edouard  ignorait  encore  l'assassinat  d'Artevelde;  il  n'ap- 
prit que  quelques  jours  plus  tard  celte  déplorable  nouvelle, 
qui  vint  contrarier  vivement  ses  desseins.  Le  8  août  il 
était  à  Hereford,  c'est  là  qu'il  connut  l'événement,  ainsi 
que  le  fait  supposer  un  acte  daté  de  cet  endroit,  dans  le- 
quel, pour  certains  motifs,  il  ordonne  d'arrêter  tous  ceux 
qui  apportent  des  lettres  de  l'étranger  (2);  il  craignait  sans 
doute  que  l'Angleterre  connût  trop  tôt  cet  attentat. 

La  date  des  pièces  diplomatiques  et  leur  teneur,  nous 
portent  à  adopter  l'opinion  de  M.  Kervyn  de  Leltenhove, 
qui  place  la  mort  du  capitaine  au  24  juillet,  contraire- 
ment aux  récits  de  Froissart,  et  à  l'opinion  de  Meyer, 
Despars  et  Villani,  qui  l'attribuent  au  17  ou  au  19  juillet. 
Si  Arlevelde  était  mort  le  17  ou  le  19,  Edouard  n'aurait 
pas  ignoré  cet  événement  le  24,  jour  de  sou  dépari,  et  le 


(1)«  Rex  vicecoinili  Lancastriœ,  salulem....  Et  ordiiiato  luipep  propter 
}ioc  passagio  nostro  super  mare  propler  aliqua  nova  subila,  quae  veneninl 
nobis,  super  procincto  diclo  passagii  de  perditione  lerrœ  Flandriœ  et  quo- 
rumdam  alligalorum  noslrorum ,  nisi  illue  statim  personaliler  veniremus 
illuc  cum  exercitu  noslro,  sicut  nécessitas  exigcbat,  transivimus  et  diclam 
tcrram  Flandriœ  (laudelur  Deus)  stabilivirnus  ita  quod  nuuquam  fuit  in  fide- 
lilate  noslra  magis  fîrma.  —  Cumque  de  dictis  parlibus  festinantes  juxta 
prinium  propositum  ad  partes  inimicorum  noslrorum  pro  expedilione  guerrae 
nostrœ  Iransire  disponeremus,  irruit  super  nos  Vfinlus  conlrarius  et  Icmpcs- 
las,  et  sic  ad  cosleram  Angliae  cum  magno  periculo  projecli  fuimus,  etc.  »  — 
5  août  lois.  —  RruER,  édil.  angi.,  t.  III,  p.  53. 

(2)  Close  rolls,  a"  1345. 


—  417  — 

1  août  il  ne  se  fui  pas  à  coup  sûr  félicilé  d'avoir  affermi 
son  influence  en  Flandre. 

La  mort  de  Jacques  van  Artevcide  fui,  dans  la  silualion 
des  choses,  un  événement  lellement  importanl  aux  yeux 
d'Edouard  III,  qu'il  ajourna  jusqu'à  l'année  suivanle  l'ex- 
pédilion  qu'il  élail  prêt  d'entreprendre  contre  la  France. 
La  preuve  en  est  dans  l'inexécution  de  l'ordre  donné  par  la 
lettre  du  5  août  :  «  Kxtitit  unanimiler  concordatum  quod 
ad  transeundum  mare...  nos  celeriler  paremus.  » 

Les  bonnes  villes  craignant,  non  sans  raison,  que  la 
colère  d'Fdouard,  à  la  nouvelle  de  la  mort  tragique  de  son 
a  grand  amy  et  cher  compère,  »  n'eût  des  suites  funestes 
pour  leurs  intérêts,  décidèrent  de  lui  envoyer  des  députés. 
Ceux  de  Bruges  se  rendirent  dès  le  8  août  à  l'Ecluse  pour 
s'y  embarquer  :  mais  à  peine  arrivés  là,  on  les  rappela 
pour  introduire  dans  leurs  lettres  certaines  modifications 
qui  ne  nous  sont  pas  parvenues  :  Bruges,  Ypres,  le  Franc, 
Courtrai,  Audcnarde,  Gand,  toutes  les  villes  étaient  re- 
présentées dans  celte  députation  (i),  qui  fut  reçue  à  VVest- 
minsler  par  le  roi,  «  environ  la  Saint-Michel,  »  dit  Frois- 
sart,  par  conséquent  vers  la  fin  de  septembre. 

Les  députés  jurèrent  au  roi  que  les  autorités  de  leurs 
villes  n'avaient  en  aucune  manière  participé  à  la  mort 
d'Artevelde,  attendu  qu'elles  ignoraient  même  le  mécon- 
tentement d'une  partie  des  Gaulois,  et  que  si  elles  en  avaient 
été  instruites,  elles  auraient  fait  tous  leurs  efforts  pour  en 
empêcher  le  triste  dénouement.  Ils  représentèrent  à  Edouard 
que  la  mort  du  capitaine  gantois  n'était  cependant  pas  une 
raison  de  nature  à  devoir  altérer  les  bons  rapports  entre  la 
Flandre  et  rAngleter''e;  mais  que  dans  tous  les  cas,  il  ne 
fallait  pas  songer  à  donner  à  un  prince  anglais  la  couronne 


(I)  Guillaume  de  Vaernewycli  représentait  Garni.  —  Kervyn,  Jacques  van 
Arlevclde,  p.  112. 

30 


—  MS  — 

(le  Flandre,  en  détrônant  le  souverain  légitime.  «  Mais,  cher 
Sire,  ajoulèrenl-ils,  vous  avez  de  beaux  enfants,  flls  et  filles; 
le  prince  vostre  aisné  fils  ne  peut  faillir  qu'il  ne  soit  encore 
grand  sire  sûrement  sans  Théritage  de  Flandre,  et  vous  avez 
une  fille  puisnée,  et  nous  avons  un  jeune  damoiselque  nous 
nourrissons  et  gardons,  qui  est  héritier  de  Flandre;  si  se 
pourroil  bien  encore  faire  un  mariage  d'eux  deux.  Ainsi 
demoureroit  toujours  le  comté  de  Flandre  à  l'un  de  vos 
enfants  (i).  » 

Ces  propositions  furent,  à  ce  qu'il  paraît,  assez  goûtées 
du  roi  d'Angleterre;  il  se  déclara  satisfait,  et  l'alliance 
avec  les  bonnes  villes  fut  maintenue.  Le  8  septembre, 
Edouard  chargea  deux  gentilshommes  anglais,  Guillaume 
de  Stury  et  Thomas  de  Melbourne,  maire  de  l'étape  des 
marchandises  anglaises  à  Bruges,  de  traiter  avec  les  villes 
et. le  pays  de  Flandre  au  sujet  de  la  monnaie  d'or  qu'il 
avait  promis  de  faire  frapper  par  des  chartes  de  1340, 
et  qui  devait  être  appelée  le  noble  (2).  Le  10  octobre  sui- 
vant, il  adjoignit  à  ces  deux  plénipotentiaires,  Gilbert  de 
Wendlynbourg,  et  chargea  ces  trois  seigneurs  de  s'assurer 
de  l'obéissance  de  tous  les  Flamands,  tant  religieux  et 
clercs  que  laïques,  à  sa  personne  comme  roi  de  France,  et 
de  traiter  des  secours  à  accorder  à  la  Flandre  (3). 

Les  députés  s'élant  mis  d'accord  avec  le  pays  et  les 
bonnes  villes,  et  étant  retournés  de  leur  mission,  le  roi 
Edouard  ordonna,  par  acte  du  24  mars  1546,  de  battre  la 
monnaie  d'or  dont  il  avait  été  question  dans  les  négocia- 
tions (4).  Vers  la  même  époque  que  parut  celle  ordonnance, 


(!)  Froissaut,  édit.]BucJion,  l/II,  p.  2G0. 

(2)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  lU,  p.  59. 

(5)  Rymer,  id.,  id.,"  p.  Gl. 

(4)  «  Rex  omnibus,  elc,  salutem.  —  Quia  pro  ulililale  publicà,  prœcipuè 
mercalorum  et  aliorum  liominum,  tam  regni  nostri  Angliee,  quam  comilaUis 
Flandriœ,  desidcramus  quod  monclœ  iiosira  auri,  vocalœ  le  Noble  (quam  cu- 
dere  fecimus  in  Anglià)  eumdem  cursum  habcat  in  Flandrià  quam  liabel  in 


—  419  — 

le  pape  ayant  envoyé  deux  cardinaux  pour  lâcher  de  né- 
gocier la  paix  entre  l'Angleterre  et  la  France,  Edouard 
répondit  aux  légats  (i)  qu'il  ne  pouvait  traiter  avec  eux 
sans  l'assentiment  de  ses  alliés  de  Flandre,  et  écrivit,  le 
22  avril,  aux  communes  une  lettre  à  ce  sujet.  La  voici  : 
«  Le  roi  à  Burghmestres,  Eskevyns,  Conselx  et  Avowes 
de  les  trois  bonnes  villes  de  Gaund,  Brugges  et  Ipre, 
salulz  —  Comme  les  Révérends  Pieres  en  Dieu,  les  car- 
dinales de  Naples  et  de  Cleremont,  envoiez  à  nous  de  par 
nostre  Saint  Piere  le  Pape  de  faire  traitez  de  pais  entre 
nous  et  nostre  adversaire  de  France,  à  ce  qu'ils  nous  ont 
doné  à  entendre,  nous  aient,  avant  ces  heures,  sovenlfoitz 
reques  par  lour  lettre  de  lour  mander  nos  lettres  de  con- 
duyt,  qu'il  et  lour  mêmes  purroient  sauvement  venir  à  nous 
en  Engleterre  pour  la  cause  susdite,  —  Et  nous  lour  avons 
respondez,  que  nous  ne  pourrons  ne  ne  vourrions  tenir 
telle  trettée  avesque  eux,  sans  assent  de  vous  et  de  nostre 
autres  allietz  et  parties  de  delà 

Nous  (comment  que  nous  soions  tous  jours  demoranlz  en 
nostre  primère  purpos)  nienlmoins,  à  la  révérence  de 
nostredit  Saint  Piere,  et  desdilz  cardinalz,  par  avis  de 
nostre  conseil,  fumes  assentus  d'envoier  à  eux  s'il  vous 
semble  que  ce  soit  affaire,  nostre  chère  clerc  mestre  Andreu 
de  Offord,  professeur  de  leis,  et  mestre  William  Bomere, 
ou  un  autre  que  vous  nomerez,  tant  seulement  au  lieu  oîi 
ils  purroient  seurement  venir  de  oier  ce  qu'ils  vourront 


Angliâ.  El  qiiod  ad  majorem  mulliplicationem  diclœ  monelœ,  monela  prae- 
dicla  (videlicel)  denarii,  oboli,  et  quadrantes,  vocali  Nobles,  nomine  noslro 
cudantur  in  Flandrià,  ila  quod  cursum  tam  in  Flandriâ  quam  in  Angliâ 
habeant  uniformem....  —Teste  Rege  apud  Westminster  vicesimo  quarto  die 
marlii.  »  Rvmer,  édit.  angl.,  t.  lil,  p.  77. 

(1)  Par  arrêté  du  20  avril,  il  avait  nommé  des  commissaires  chargés  de 
traiter  en  son  nom  avec  les  légats. 


—  420    - 

dire  ou  monstrer  si  qu'ils  n'entrent  point  en  trelée  et  de 
reporter  à  vous  leur  entenlion.  —  Par  quoi  vous  prions 
que  sur  cesles  choses  voiiliez  hastivement  aviser,  et  faire 
eut  ce  que  mielx  vous  semble,  que  soit  à  honure  et  profit 
de  nous  et  de  vos  et  que  nostre  dit  clerc  puisse  lost  eslre 
delivers  et  retourner  à  nous  (i).  » 

La  joie  que  le  comte  de  Flandre,  Louis  de  Nevers,  avait 
manifestée  eu  apprenant  l'assassinat  de  van  Artevelde,  el 
ses  efforts  pour  ressaisir  par  la  ruse  et  les  moyens  iniques 
une  autorité  fort  compromise,  excitèrent  l'indignation  po- 
pulaire. Les  députés  de  toutes  les  villes  se  réunirent  à 
Gand,  au  mois  de  juin,  et  déclarèrent,  au  nom  de  la  Flan- 
dre, qu'ils  resteraient  fidèles  à  l'Angleterre  el  prêteraient 
main-forte  au  roi  dans  toutes  ses  expéditions  (2). 

Par  un  acte  daté  du  20  juin,  Edouard  avait  nommé  son 
lieutenant  en  Flandre  Hugues  de  Hastings,  qui  y  aborda 
le  16  juillet  avec  vingt  navires  el  six  cents  archers  (3). 

Cet  officier  venait,  d'après  les  ordres  du  roi,  el  les  ter- 
mes de  la  notification  faite  aux  Flamands  de  sa  nomination, 
également  par  acte  du  20  juin,  inviter  les  bonnes  gens  des 
villes  à  remplir  les  engagements  pris  dans  l'assemblée  de 
Gand  (4). 


(1)  RvMtR,  édil.  angl.,  l.  III,  p.  80. 

(2)  GiLLis  Li  Moisis,  p.  226. 

(3)  RvMER,  cdit.  angl.,  t.  II!,  p.  83. 

(4)  «  Rex  dileclo  consangiiineo  el  fldeli  siio  Iliigoni  tle  Ilaslinges,  salu- 
teni,  —  Cum  nos  ad  partes  liansmarinas  pro  expedilione  guerrœ  Franciae, 
simus  jam,  mediante  Domino,  profecluri,  et  dilecli  el  fidèles  communilales 
villarum  de  Gandavo,  Bruggcs  el  Ipre,  ac  aliorum  parlium  terrœ  Flandriœ; 
nobis  de  cerlo  subsldio  liominum  ad  arma  el  aliorum,  in  auxilium  expedi- 
lionis  guerrae  noslrae  prœdiclae,  si  aliquem  idoneum  capilancum  de  sanguine 
noslro  ad  lerram  prœdictam  millere  curaremus,  proiniserint  bénévole  sub- 
venirc • 

Teste  Rege  apud  Porceslrum,  vices,  junii. 

Et  mandatum  est  universis  et  singulis  biirgimagistris,  capitancis,  advo- 
catis,  scabinis,  fonsulibus,  caslcUanis,  offlciariis,  ministris,  et  aliis  fidelibus 


—  42!   — 

Cependant  le  roi  qui  avail  pressé  ses  armements,  cingla 
vers  la  Normandie  dans  les  premiers  jours  de  juillet.  Arrivé 
à  l'ile  deWight,  il  écrivit  aux  bonnes  villes  pour  leur  re- 
commander la  justice  de  sa  cause  et  les  engager  à  lui  rester 
fidèles;  dans  sa  missive,  il  en  appelle  à  celui  qui  ne  se 
trompe  pas  et  n'est  jamais  trompé,  au  Juge  suprême  (i). 

Aussitôt  toutes  les  milices  s'arment  et  envahissent  l'Ar- 
tois, sous  les  ordres  de  Henri  de  Flandre.  Repoussées 
d'abord  par  une  garnison  française  qui  gardait  le  pont  de 
i'Estaire,  elles  passent  l'Escaut  à  Merville  et  s'em|)arent, 
le  10  août,  du  bourg  de  Saint- Venant;  le  château  ne  résista 
que  quelques  jours;  et  la  veille  de  l'Assomption,  l'armée 
flamande  mit  le  siège  devant  Bélhune.  Après  plusieurs 
tentatives  infructueuses,  elle  fut  obligée  de  se  retirer;  et 
la  dissension  ayant  éclaté  entre  les  milices  de  Bruges  et 
celles  du  Franc,  toute  l'armée  se  replia  sur  Merville. 

Sur  ces  entrefaites,  plusieurs  navires  chargés  de  vin, 
en  destination  de  la  Flandre,  furent  capturés  par  l'amiral 
de  la  flotte  anglaise  de  Bayonne,  Pierre  de  Vyna,  comme 
sortant  de  jiorts  ennemis,  Edouard,  après  information, 
écrivit,  le  28  juin,  à  ce  sujet  aux  bonnes  villes,  chargeant 
son  lieutenant  et  parent  Hastings  de  leur  donner  des  expli- 
cations relativement  à  celte  affaire  (2).  A  la  même  date  il 
avait  promulgué  une  charte,  dans  laquelle  il  enjoint  au 
même  officier  d'aplanir  les  difficultés  survenues  entre  ses 
hommes  et  les  Flamands  (3).  Cette  pièce  a-t-elie  rapport 

régis,  terrœ  Flandriœ,  quod  prœfalo  Hugoni,  lanquam  capilaneo  et  locum 
régis  tenenlis  in  prœdicta  terra  Flandriœ  ad  duclori  hominum  prœdielorum, 
in  prœdiclorwn,  in  prœmissis  omnibus  et  singutis  inlendentes  sint,  eonsntentes 
et  auxiliantes.  —  Rïmeh,  cdit.  angl.,  t.  III,  p.  83. 

(1)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  Ill,  p.  85. 

(2)  Record  office.  —   Compte-rendus  de  la  Commission  royale  d'Histoire, 
a»  1869,  p.  519.  —Voir  aux  Pièces  justificatives. 

(5)  « Nos  de  fidelitate  et  circumspccliotie  veslris  confidentes,  ad  qiise- 

relas  omnium  et  singniorum  Anglicanœ  nalionis  sub  duclione  vestrâ  exis- 


—  422  — 

à  la  capture  des  navires  dont  nous  venons  de  parler?  Cela 
se  peut. 

Edouard  III  ayant  appris  que  l'armée  flamande  avait 
franchi  la  Lys,  prit  immédiatement  ses  mesures  afin  d'o- 
pérer sa  jonction  avec  elle.  Mais  Philippe  de  Valois, 
l'ayant  prévenu  en  arrivant  à  Amiens  le  20  août,  et  le  roi 
de  Bohème  lui  barrant  le  passage  au  pont  de  Saint-Valéry, 
il  se  vit  bientôt  dans  une  situation  fort  critique,  rejeté 
vers  Saint-Valéry,  entre  la  Somme  et  la  mer.  Alors  il  se 
dirigea  vers  le  gué  de  la  Blanche-Taque,  où  il  défit  un 
corps  de  Français,  après  avoir  chargé  un  seigneur  flamand, 
Wulfard  de  Ghislelles,  de  proléger  ses  mouvements  en 
s'emparant  d'Argies.  Ayant  ensuite  passé  la  Somme,  il 
alla  prendre  ses  positions  près  de  la  forél  de  Crécy,  où 
il  attendit  les  Français.  C'est  là  qu'eut  lieu  quelques  jours 
après  la  fameuse  rencontre,  où  le  marchand  de  laines, 
comme  Philippe  de  Valois  appelait  Edouard,  fit  subir  à  la 
chevalerie  française  une  défaite  aussi  sanglante  que  celle 
des  Eperons  d'or.  Le  comte  de  Flandre,  Louis  de  Nevers, 
succomba  dans  la  mêlée,  et,  par  sa  mort,  laissa  le  trône 
à  son  fils  Louis  de  Maie,  âgé  de  seize  ans. 

Tandis  qu'Edonard  combattait  à  Crécy,  les  milices  flaman- 
des assiégeaient  Bélhune.  Tout-à-coup  le  bruit  se  répandit 
que  l'armée  anglaise,  défaite,  fuyait  devant  les  Français. 
Aussitôt  les  Flamands  lèvent  le  siège  afin  d'aller  proléger 


tentîum,  coram  vobis  de  injuriis,  violenliis  ex  excessibus,  siLi  faclis  conqueri 
volenlîum,  audiendum,  el  terminandum,  nec  non  ad  exeessus  et  dampna, 
data  lani  Angliis  per  Flandrenses  seu  alios  ullramarinœ  nationis,  quam  ipsis 
Flandrensibus  et  aliis  per  Anglios,  unà  cum  quodam  ex  parte  ipsorum  Flan- 
drensium,  ad  hoc  vobiscnm  seu  cum  depulando  a  vobis,  assignando,  siini- 
liter  audiendum,  terminandum,  scdandum  et  reformandum  et  ad  plenani  et 
celerem  justiciam,  inde  proùt  juris  et  rationis  fueril  nostris  vice  et  nomine 
faciendum....  » 

Teste  Kege  apud  Porceslriam,  vicesimo  octavo  die  junii.  —  Rïmer,  édit, 
angl.,  t.  !II,  p.  Si. 


—  423  — 

fa  retraite  de  leur  allie.  Chemin  faisant,  elles  apprirent 
que  leurs  informations  étaient  fausses,  et  allèrent  brûler 
Térouanne,  en  quelque  sorte  pour  se  dédommager  du  déran- 
gement que  leur  avait  causé  cette  fausse  nouvelle.  Après 
la  défaite  de  l'armée  de  Philippe  de  Valois,  l'aide  des  Fla- 
mands devenant  inutile  au  roi  d'Angleterre,  les  milices 
rentrèrent  dans  leurs  foyers, 

La  fausse  rumeur  de  la  défaite  des  Anglais  avait  fait  du 
chemin;  elle  était  même  parvenue  à  Gand,  où  les  magis- 
trats publièrent  en  toute  liàle  une  ordonnance  enjoignant  à 
tous  les  hommes  capables  de  porter  les  armes,  de  s'armer 
et  de  se  diriger  immédiatement  vers  l'Artois.  Grâce  aux 
nouvelles  qui  vinrent  infirmer  celles  qui  avaient  provoqué 
cette  mesure,  l'appel  aux  armes  n'eut  pas  de  suites;  mais 
le  zèle  généreux  des  Flamands  ne  leur  attira  pas  moins  la 
reconnaissance  d'Edouard  III.  Voulant  leur  témoigner  ses 
bons  sentiments,  il  quitta  Calais,  et  vint  en  Flandre  dans 
le  courant  d'octobre,  avec  la  reine  Philippine  de  Haiuaut. 
Il  alla  d'abord  à  Ypres,  puis  à  Gand,  où  il  eut  de  fréquentes 
conférences  avec  les  autorités  des  bonnes  villes.  De  là  il  se 
dirigea  sur  Ath,  où  les  députés  du  Hainaut,  de  la  Flandre 
et  du  Brabant  renouvelèrent  leur  serment  de  rester  fidèles 
aux  traités  et  alliances  conclus  précédemment  (i). 

Louis  de  Maie  ayant  fait  notifier  aux  Flamands  son  avè- 
nement au  comté,  les  bonnes  villes,  qui  voulaient  concilier 
les  droits  de  leurs  princes  avec  les  intérêts  du  pays,  en- 
voyèrent des  députés  à  Ilalewyn,  vers  le  comte,  pour  traiter 
des  conditions  auxquelles  celui-ci  pourrait  rentrer  en  Flan- 
dre. Louis  consentit  à  tout  :  dès  le  7  novembre  il  arriva  à 
Courtrai,  et  visita  successivement  Ypres,  Bruges  et  Gand. 


(1)  GiLLis  Li  Muisis.  —  Archives  de  Mons.  —  D'après  W.  Kkiivyn,  Pliilip- 
pine  de  Hainaut  avait  rejoint  le  roi  devant  Calais  le  5  septembre,  au  lieu  de 
se  trouver  à  lu  bataille  livrée  aux  Écossais  à  Neviirs  Cross,  le  17  octobre, 
d'après  le  récit  de  FnoissAnr. 


_  424  — 

Aussitôt  que  le  roi  d'Angleterre  en  fut  instruit,  il  envoya 
en  Flandre  le  comte  de  Norlhampton,  le  comte  d'Arundel 
et  le  sire  de  Cobham  pour  rappeler  aux  Flamands  la  pro- 
messe qu'ils  avaient  faite  à  Westminster,  Tannée  précé- 
dente, de  faire  épouser  sa  fdle  Isabelle  à  leur  comte.  Les 
bourgeois  remontèrent  au  jeune  prince  les  avantages  que 
son  union  avec  une  fille  du  roi  d'Angleterre  avait  sur  un 
mariage  avec  la  fille  du  duc  de  Brabant,  Mais  Louis,  qui 
penchait  pour  ce  dernier  parti,  refusait  de  se  rendre  à 
leurs  raisons,  et  «  disoit  tondis,  que  il  n'auroit  jà  à  femme 
la  fille  de  celuy  qui  avoit  son  père  occis,  et  lui  dut-on 
donner  la  moitié  du  royaume  d'Angleterre  (i).  »  On  tâcha  de 
lui  faire  comprendre  que  l'atlachement  de  son  père  pour 
la  France  avait  été  la  cause  de  tous  les  malheurs  de  la 
Flandre,  que  s'il  avait  voulu  consentir  à  être  moins  Fran- 
çais, il  aurait  été  bien  plus  puissant  et  aurait  recouvré  les 
villes  de  Lille,  Douai  et  Orchies,  que  le  roi  d'Angleterre 
promettait  de  rendre.  On  lui  fit  observer  qu'un  mariage  avec 
une  princesse  de  Brabant  ne  serait  d'aucun  profil  pour  le 
pays,  et  servirait  seulement  l'ambition  française;  que  l'An- 
gleterre seule  était  en  état  de  fournir  la  laine,  sans  laquelle 
le  commerce  et  l'industrie  de  la  Flandre  étaient  condamnés 
à  périr,  et  le  peuple  exposé  à  mourir  de  faim.  Le  comte 
répondait  toujours  la  même  chose,  et  engageait  fortement 
ses  sujets  à  faire  la  paix  avec  la  France  et  se  détacher  de 
l'Angleterre.  De  part  et  d'autre,  chacun  tenait  à  sou  idée; 
et  les  bonnes  gens  qui  trouvaient  «  que  plus  esloit  néces- 
saire l'amour  du  roy  d'Angleterre  et  plus  profitable,  » 
voyant  que  leurs  observations  ne  faisaient  aucun  effet, 
mirent  tout  simplement  leur  seigneur  en  «  prison  cour- 
toise (2),  »  et  lui  firent  entendre  qu'ils  ne  le  relâcheraient 


(1)  Froissabt,  édition  Kervyn,  t.  V,  pp    149  et  suiv. 

(2)  Idem,  idem,  p.  151. 


—  425  — 

qu'à  la  seule  condition  de  suivre  leurs  conseils.  Telle  fut 
l'origine  des  premiers  démêlés  entre  Louis  de  Maie  et  ses 
sujets. 

Edouard  continuait  de  son  côté  à  accorder  des  privilèges 
aux  Flamands,  et  toute  es|)èce  do  facilités  pour  leur  com- 
merce. Le  28  janvier  1547,  il  ratifia  un  traité  de  commerce 
conclu  entre  eux  et  la  ville  de  (Rayonne,  concernant  le  libre 
commerce  entre  les  parties  contractantes  (i). 

Cependant  le  jeune  comte,  pour  lequel  la  prison  cour- 
toise, avec  le  marquis  de  Juliers,  beau-frère  du  roi  d'An- 
gletere,  pour  geôlier,  n'avait  que  peu  de  charmes,  résolut 
de  ruser.  «  Il  mua  son  propos  et  dit  à  ses  gens  qu'il  créroil 
leur  conseil.  Ces  paroles  réjouirent  moult  les  Flamands; 
si  le  mirent  tantôst  hors  de  prison.  »  Ils  lui  permirent 
même  d'aller  à  la  chasse  sur  le  bord  des  rivières,  plaisir 
que  le  jeune  comte  affectionnait  beaucoup;  mais  toujours 
sous  bonne  garde,  à  tel  point  qu'il  ne  pouvait  se  permettre 
le  moindre  mouvement  sans  être  surveillé. 

Ce  genre  de  liberté  ne  plaisait  pas  plus  au  comte  que  la 
prison  courtoise,  et  il  voului  pousser  la  ruse  jusqu'au  bout, 
même  jusqu'à  la  mauvaise  foi  et  le  parjure,  plutôt  que  de 
se  séparer  de  la  France.  Il  fît  la  promesse  aux  gens  de 
Flandre  d'épouser  la  princesse  Isabelle  d'Angleterre  et  con- 
sentit à  se  rendre,  le  14  mars,  à  l'abbaye  de  Saint- Winoc, 
près  de  Bergues  (2),  où  se  trouvait  Edouard  avec  la  reine 
et  sa  fille. 

Les  notables  et  les  magistrats  des  bonnes  villes  s'y  ren- 
dirent en  grande  pompe  avec  le  comte.  Louis  s'approcha 
du  roi  et  s'inclina  devant  lui  et  devant  la  reine.  Le  roi  lui 
prit  la  main  droite,  «  moult  doucement  et  le  fêta  en  parlant  ; 


(1)  Archives  de  la  ville  de  Gand.  —  Imprimé  dans  OuDEGHEnsT,  édit.  de 
Lcsbroussarl,  t.  II,  p.  303. 

(2)  M.  Van  Praet  {Histoire  de  Flandre)  dit  erronément  Bruges. 


—  426  — 

et  puis  s'excusa  de  la  mort  de  son  père,  et  dît  que  si  Dieu 
lui  put  aider,  que  oncques  tout  le  jour  de  la  bataille  de 
Crécy  ni  lendemain  aussi,  il  ne  vist  ne  ouit  parler  du  comte 
de  Flandre  son  père  (i).  » 

Le  jeune  comte  parut  satisfait  de  ces  explications;  après 
quoi  on  parla  du  mariage.  Dans  un  acte  daté  de  Dunkerque, 
la  veille,  Louis  en  avait  déjà  approuvé  les  conditions  et  pro- 
mis de  se  fiancer  solennellement  à  Isabelle. 

Voici  un  extrait  de  cet  acte,  dans  lequel  Louis  de  Maie 
ne  fait  aucune  mention  du  titre  de  roi  de  France  que  pre- 
nait Edouard. 

«  Louis,  comte  de  Flandre,  de  Nevers  et  de  Rechest  (Re- 
thel),  à  tous  ceux,  etc 

»Nous  —  voyans  en  cheste  chose  le  évident  prouffit  de  nous 
et  de  nostre  commun  pays  de  Flandre,  Tamour,  le  bien,  le 
pais,  repos  et  tranquillité  qui  par  l'adjonction  d'icelle  ma- 
riage se  peut  norrir,  demores  à  tous  jours  mais  entre  ledit 
Monsieur  le  roy,  ses  gens,  et  son  royaume  et  nous,  nos 
gens  et  nostre  dit  pays,  audit  mariage  de  nous  et  de  ladite 
Ysabel. 

1)  Nous  accordons  et  consultons  et  promettons  loyaument 
et  en  bonne  foy  ladite  Ysabel  fiancer  solempnellemeut.  Et 
au  surplus  procéderons  avant  audit  mariage  loyaument  en 
tous  cas  et  ycelle  épouserons,  en  fâche  de  sainte  Eglise 
dedans  quinze  jours  après  le  jour  de  Grandes  Pasques  pro- 
chainement venant. 

»  Si  est  assavoir  que  dès  maintenant  nous  assignons  et 
donnons  à  ladite  Ysabel  en  fourme  et  à  cause  de  douayre 
le  somme  de  dys  mille  livrées  de  terre  au  Parisis  par  an, 
celle  monnoie  et  de  celle  valeur  comme  li  conte  de  Flandre 
recevra  pour  le  temps  de  ses  rentes  en  Flandre,  à  prendre, 
lever  et  recevoir  ycelle  rente  en  nom  de  Douayre  après 

(1)  FfioissART,  édit.  Kervyn,  t.  V,  p.   132. 


—  427   — 

notre  décès  sur  les  plus  apparens  biens,  prouflîz,  renies, 
revenues,  et  émolumens  de  nos  contes  de  Nevers  et  de 
Rechest  et  des  appartenances. 

»  Au  regard  de  nos  amis  carneis  et  des  siens  avecques  ce 
li  assignerons  nous  chaslel  ou  maison  souffisans  pour  son 
Douayre  en  lieux  dessus  dits  : 

»  Et  s'il  avenoit  que  par  aucune  manière  quele  que  elle 
fust,  ou  puist  estre,  ledit  Ysabel  ne  peuist  paisiblement  joir 
des  dessus  dites  dys  mille  livrées  de  terre  et  de  la  maison  ou 
chastel  es  contes  de  Nevers  et  de  Rechest  dessus  dites, 

»  Nous  de  rechief  et  dès  maintenant  li  asseons  et  assignons 
et  en  nom  de  Douayre,  ycelle  dys  mille  livrées  de  terre 
dessus  dite  sur  les  plus  apparans  biens,  prouffîtz,  rentes, 
revenues  et  émoluments  quelconques  que  nous  aurons  et 
qui  à  nous,  nos  heirs  contes  de  Flandre  avesque  suffisant 
maison,  ou  chatel  comme  dessus,  au  rewart  des  bonnes  gens 
de  nos  trois  bonnes  villes,  lesquels  nous  en  donnons  plein 
povoir  et  à  che  les  commettons  par  ces  présentes  lettres. 

»  Et  ladite  assiete  et  assignation  faite  si  que  dit  est  nous 
en  promettons  à  donner  à  la  dite  Ysabelle  nos  lettres  ou- 
vertes souffisans  et  prouffitables  pour  li,  en  la  meilleur  ma- 
nière et  forme  que  nous  porrons,  selon  ce  che  qu'il 
appartiendra  à  celé  chose. 

»  Avenques  che  nous  volons  et  accordons  que  avenques 
ledit  douayre,  le  conté  de  Ponthieu,  Monstruel,  le  Prevosté 
Chastel,  les  appendences  et  appartenances  entièrement 
d'yceux  lieux,  le  vint  chine  mille  livres  de  rente  en  deniers 
en  lieu  et  recompensation  de  ladite  conté  de  Ponthieu,  de 
Montruel,  etc.,  des  appartenances  ou  les  vint  chine  mille 
livres  de  terre  qui  en  lieu  de  ce  nous  seroient  assises  près 
de  Flandre,  si  comme  es  lettres  dou  dit  Monsieur  le  Roy  à 
nous  bailliés  sur  ce,  est  plus  planement  contenu,  reviengnent 
entièrement  et  retournent  à  ladite  Ysabel  comme  son  propre 
héritage. 


—  428  — 

»  Lesquels  choses  et  chascune  par  lui,  nous  permeHons, 
et  avons  en  convcnt  loyaunient  et  en  boane  foy  tenir  et 
accomplir  forniement  et  entièrement. 

»  Kt  quant  à  ce  nous  obligons  nous,  nos  heirs,  nos  suc- 
cesseurs, nos  biens —  envers  ledit  Monsieur  le  Roy  et  la 
dite  Ysabel,  et  envers  les  advis  quelconques  ayans,  pour 
le  temps,  charge,  cause,  ou  mandement  d'yceux  ou  d'au- 
cune d'eux. 

»  Et  témoignage  et  cognoissance  des  choses  dessusdites, 
nous  avons  à  ces  lettres  fait  mettre  notre  grand  scel. 

0  Donné  à  Dunkerque,  le  Ireisième  jour  dou  moys  de 
march  l'an  de  grâce  mil  trois  cent  quarante  six  (v.  s.)  et  se- 
lon le  compte  accoustumé  de  nostre  pays  de  Flandre  (i).  » 

En  même  temps,  Edouard,  pour  témoigner  des  bons  sen- 
timents dont  il  était  animé,  promit  de  fonder  un  hôpital 
pour  les  pauvres  cl  une  église  avec  un  couvent  pour  treize 
religieux,  dans  l'iie  de  Cadsand,  où  avait  eu  lieu  le  combat 
du  9  novembre  1537.  Cette  promesse  fut  faite  dans  un  acte 
donné  à  Bergues-S'-Winoc,  le  même  jour,  15  mars  1547  (-2). 

II  semblait  donc  que  rien  ne  pouvait  plus  s'opposer  au 


(1)  RrsiEn,  cilit.  angl.,  t.  III,  p.   H2. 

(2)  n  Edward,  par  la  grâce  de  Dieu  roi  de  France  et  d'Englelerre  et  seigneur 

d'Irlande,  à  tous  ceuix Come  par  aucun  fait  que  depieça  avint  à 

Cadsant,  lu  où  aucuns  des  gentz  du  pays  de  Flandre  et  des  nostres  dcniou- 
rèrent  et  arsins  et  roberies  faites  matires  de  rancunes  fouissent  demorer  entre 
nez  gentz  et  les  gcnlz  du  pays  de  Flandre,  nous  désirant  nurrir  ferme  amislié 

entre  nos  dites  gentz  et  ouster  toutes  matières  de  dissenlions 

promis  et  occordé  à  founder  et  édifier  a  perpétuité  une  église  et  cloistre  de 
Cliartreus  en  lieu  convenable  dedcins  Tisle  de  Cadsand,  là  où  il  aura  treize 

frères  et  ycelle  doier  amorliser  et  renier  de  leurs  vivres 

promis  et  promectons  à  founder  et  édifier  à  perpétuité  un  Iiospilal  en  la 
comté  do  Flandres  hors  de  le  dite  isle  de  Cadsant,  là  où  il  aura  sept  dames 

parmi  la  prense  là  où  li  povres  seront  rcceus  est  hospitale,  etc 

nous  parferons  tout  ce  qui  y  sera  a  parfaire  selon  les  ordinances  dedcins  trois 
ans,  etc.  »  —  Archives  départ,  de  Lille,  fonds  de  la  chambre  des  comptes, 
carton  B,  812. 


—  4-29  — 

mariage.  Les  Flamands  ne  se  possédaient  pas  de  joie.  Ils 
renlrèreul  en  Flandre  avec  leur  seigneur,  et  Edouard  re- 
tourna à  Calais. 

On  conçoit  facilement  que  Louis  de  Maie  ne  se  trouvait 
pas  fort  heureux  de  la  lutelle  des  bonnes  sens  des  commu- 
nes et  de  la  pression  qu'ils  prétendaient  exercer  relativement 
à  un  choix  diamétralement  opposé  à  ses  inclinations,  ainsi 
qu'à  ses  engagements  secrets  avec  Philippe  de  Valois.  Tou- 
tefois les  apparences  de  satisfaction  qu'il  se  donnait  trom- 
pèrent ses  sujets  qui,  dit  Froissart,  «ne  connoissoient  pas 
bien  encore  la  condition  de  leur  seigneur;  car  quelque 
semblant  qu'il  montroit  dehors,  il  avoil  dedans  le  courage 
tout  françois,  ainsi  qu"il  le  prouva  par  ses  œuvres.  » 

Environ  quinze  jours  avant  l'époque  fixée  pour  soo 
mariage  avec  la  fille  d'Edouard,  des  envoyés  anglais  pres- 
sèrent le  comte  de  se  mettre  à  la  léle  des  milices  flamandes 
qui  se  préparaient  à  aller  combattre  le  roi  de  France  en 
Artois.  Ces  instances,  qui  n'étaient  nullement  tl'accord 
avec  ses  vues,  et  la  crainte  que  les  Flamands  ne  l'emme- 
nassent de  force  avec  eux,  hâtèrent  l'exécution  d'un  projet 
qu'il  avait  conçu.  Froissart  tait  un  piquant  récit  de  cet 
épisode;  en  le  lisant,  on  croirait  avoir  sous  les  yeux  une 
page  du  politique  Commines,  racontant  un  trait  de  son  bon 
maître  Louis  XL 

«  Un  jour,  dit-il,  il  étoil  allé  voler  en  rivière,  et  fut  en 
la  semaine  qu'il  devoit  épouser  la  dessusdite  demoiselle 
d'Angleterre,  et  jeta  son  fauconnier  un  faucon  après  le 
héron,  et  le  comte  aussi  un.  Si  ce  mirent  ces  deux  faucons 
en  chasse  et  le  comte  après,  ainsi  que  pour  les  loirrer,  eu 
disant  :  «  Hoie!  hoie  !  »  et  quand  il  fut  en  petit  eslongié  et 
que  il  eut  l'avantage  des  champs,  il  férit  cheval  des  éperons 
et  s'en  alla  toujours  avant  sans  retourner,  par  telle  manière 
que  ses  gardes  le  perdirent.  Si,  s'en  vint  ledit  comte  en 
Artois  et  là  fut  assuré,  et  puis  vint  en  France  devers  le  roi 


—  450  — 

Philippe  el  les  François,  auxquels  il  conla  ses  aventures, 
et  comment  par  grand  sublililé,  il  éloit  échappé  de  ses 
gens  el  des  Anglois.  Le  roi  de  France  en  cul  grand  joie  et 
dit  qu'il  avoit  bien  ouvré,  et  autant  en  dirent  les  François, 
el  les  Anglois  dirent  d'aulre  part  qu'il  les  avoit  trahis  (i).  » 

Il  faut  avouer  que  si  celle  conduite  de  Louis  de  Maie 
prouve  en  faveur  de  sa  «  grand'  sublililé,  »  elle  ne  témoigne 
pas  de  beaucoup  de  respect  pour  la  foi  jurée. 

Le  roi  d'Angleterre  fut  vivement  offensé  de  celte  injure 
faite  à  sa  flile.  Les  communes  de  Flandre,  de  leur  côlé, 
extrêmement  courroucées  de  s'être  vues  jouées  de  la  sorte 
parce  «  jeune  damoisel  qu'elles  nourrissoientel  gardoient,» 
protestèrent  de  toutes  leurs  forces  devant  Edouard  III 
contre  celle  violation  de  serment  dont  elles  n'étaient  pas 
complices.  Le  roi,  convaincu  que  le  comte  n'avait  point 
agi  d'après  le  conseil  de  ses  sujets,  mais  d'après  ses  propres 
inspirations,  les  crut  facilement  et  «  ne  laissa  mie,  dit 
Froissart,  de  les  tenir  en  amour.  » 

Cependant  Philippe  de  Valois  voulait  une  revanche  de 
Crécy;  il  convoqua  à  Hesdin,  toutes  les  forces  dont  la 
France  pouvait  disposer,  «  car  le  royaume  de  France  est  si 
grand,  et  tant  y  a  de  bonne  et  noble  chevalerie  et  écuyerie 
qu'il  n'en  peut  être  dégarni.  »  Il  fit  de  nouveaux  efforts 
pour  détacher  les  Flamands  du  parti  de  l'Angleterre,  ou 
du  moins  pour  obtenir  leur  neutralité.  Robert  d'Avesbury 
raconte  les  détails  de  cette  négociation.  Philippe  offrait  aux 
Flamands  de  faire  lever  l'interdit  jeté  sur  le  comté,  d'en- 
tretenir pendant  six  ans  le  prix  du  blé  à  quatre  sous,  au 
lieu  de  douze  que  la  mesure  coûtait  alors,  de  leur  livrer 
les  laines  de  France,  en  leur  donnant  le  droit  de  fixer  le 


(1)  L'évasion  du  comte  eut  lieu  le  28  mars  (5  des  calendes  d'avril,  d'après 
MeyerJ.  —  Le  mardi  des  fêles  de  Pâques  soit  le  3  avril,  d'après  les  Chroni- 
ques de  France. 


—  431   — 

prix,  et  ajoutaiil  le  privilège  de  vendre  excliisivcmenl  en 
France  les  draps  fabriqués  de  ces  laines;  de  rendre  les 
villes  de  Lille,  Béihune  et  Douai;  de  les  défendre  envers 
et  cou/re  tous;  et  pour  gage  de  ses  promesses,  de  leur  en- 
voyer de  grandes  sommes  d'argent. 

Les  communes  considérant  ces  promesses  comme  trop 
belles  pour  être  sérieuses  et,  du  reste,  voulant  rester 
fidèles  à  leurs  serments  vis-à-vis  d'Edouard,  refusèrent 
unanimement. 

A  la  demande  du  roi  d'Angleterre,  les  milices  flamandes 
vont  mettre  le  siège  devant  la  ville  d'Aire  et  incendient 
tout  le  pays  environnant,  Merville,  Saint- Venant,  La 
Gorgue,  le  pays  de  la  Loeve  jusqu'aux  portes  de  Saint- 
Omer  et  de  Térouanne,  et  défont  à  Cassel  un  corps  fran- 
çais commandé  par  Jean,  le  fils  aîné  de  Philippe  de  Valois. 

Sur  ces  entrefaites,  le  1"  juillet,  eut  lieu  à  Térouanne  le 
mariage  de  Louis  de  Maie  avec  Marguerite  de  Brabant;  et 
à  la  fin  du  même  mois,  Philippe  de  Valois  se  dirigea  vers 
Calais  avec  son  armée.  Il  en  était  à  peine  séparé  par  une 
courte  dislance,  quand  il  apprit  la  marche  de  soixante 
mille  Flamands,  qui,  sous  les  ordres  du  marquis  de  Ju- 
liers,  s'avançaient  au  secours  d'Edouard;  peu  après,  on  lui 
annonce  que  le  1"  août  l'avant-garde  des  Flamands,  com- 
posée de  dix-sept  mille  hommes,  a  rejoint  l'armée  an- 
glaise (t).  Le  roi  de  France,  craignant  alors,  avec  raison, 
d'avoir  à  combattre  simultanément  les  Flamands  et  les 
Anglais,  se  relira  précipitamment  pendant  la  nuit.  Cette 
fuite  entraîna  la  reddition  de  Calais.  Voilà  comment  Phi- 
lippe de  Valois  vengea  le  désastre  de  Crécy. 

On  peut  voir,  d'après  cela,  que  c'est  à  l'intervention  des 
Flamands  qu'est  dû  le  succès  du  siège  de  Calais;  sans  leur 
fidélité  aux  engagements  pris  avec  Edouard,  sans  leur  se- 

(1)  Stow,  General  chronicle.  —  Li  Muisis,  p.  270. 


—  432    — 

cours  arrivé  si  à  point,  les  événcmeuls  eussent  pu  prendre 
une  tournure  toute  différente. 

Grâce  aux  efforts  des  légats  du  Pape,  une  trêve  fut 
conclue  entre  les  deux  rois,  le  28  septembre  1547.  Elle 
devait  durer  depuis  le  moment  de  sa  conclusion  jusqu'aux 
premiers  jours  de  juillet  de  Tannée  suivante.  Celte  trêve 
s'étendait  à  tous  les  alliés  d'Edouard.  En  ce  qui  concerne 
la  Flandre,  elle  portait  que  «  le  comte  de  Flandre  soit  liés 
»  en  espécial  par  serment  de  tenir  les  trewes  et  toute  les 
»  pointz  de  ycelles,  et  qu'il  ne  fera  guerre  ne  grevaunce 
»  par  luy  ou  par  ses  aliés,  ne  aultre  de  par  luy  en  pais  de 
»  Flandre  ne  de  Flemynges  durant  les  trewes.  »  Toutes 
les  relations  commerciales  pouvaient  être  reprises,  et  il 
était  formellement  entendu  que  les  Flamands  anciennement 
bannis,  pourraient  circuler,  en  France  «  sans  moleste  ou 
»  empeschement  du  comte  de  Flandre.  »  En  outre  les  légats 
s'engageaient  à  suspendre  la  lecture  de  la  sentence  d'ex- 
communication qui  avait  lieu  chaque  semaine  dans  les 
diocèses  de  Cambrai,  Tournai,  Térouanne  et  Arras,  et  à 
employer  leurs  bons  offices  auprès  du  pape  pour  lui  faire 
révoquer  cette  sentence  (i). 

Mais  les  Flamands  prétendaient  user  avec  trop  d'into- 
lérance du  privilège  d'étape  établi  à  Bruges;  les  marchands 
de  Flandre  et  surtout  les  tisserands  qui  avaient  grand  in- 
térêt à  maintenir  les  laines  au  plus  bas  prix  possible,  vou- 
lurent entraver  les  négociations  des  lombards  et  autres 
étrangers  sur  la  place  de  Bruges,  et  les  empêcher  de  leur 
faire  par  là  une  concurrence  qui  avait  pour  effet  la  hausse 
dans  le  prix  de  la  matière.  Cette  exigeance  ne  faisait  nul- 
lement le  compte  des  producteurs  anglais;  ils  s'en  plaigni- 
rent à  Edouard,  et  celui-ci  qui  avait,  du  reste,  ses  raisons 
pour  ménager  les  lombards  à  cause  des  fréquents  emprunts 

(1)  Rymer,  cdit.  angl.,  t.  III,  p.  136. 


—  435  — 

qu'il  leur  avait  faits,  écrivit  aux  bonnes  villes  pour  les 
engager  à  en  agir  autrement,  et  à  laisser  les  étrangers  faire 
leurs  achats  en  toute  liberté  (i). 

Il  paraît  que  nos  ancêtres  ne  firent  pas  assez  prompte- 
ment  droit  à  «  sa  requeste,  »  comme  il  l'appelle,  et  il  se 
décida  à  les  punir  :  il  venait  de  peupler  Calais  d'Anglais, 
et  voulant  favoriser  sa  nouvelle  conquête,  et  avoir  un  en- 
trepôt dont  il  fut  le  maître  sur  le  continent,  il  y  transporta 
l'étape  des  draps  anglais,  des  plombs,  étains,  cuirs  et  au- 
tres produits,  laissant  toutefois  celle  des  laines  à  Bruges; 
il  obligea  tous  les  Anglais  comme  les  étrangers  à  s'y  rendre, 
les  premiers  pour  mettre  leur  marchandise  en  vente,  les 
seconds  pour  les  acheter  (2).  Dans  un  temps  où  les  com- 
munications entre  les  états  étaient  encore  imparfaites,  celte 
institution,  dit  un  auteur,  fut  peut-être  avantageuse  à  l'An- 
gleterre, quoique  nuisible  à  sa  navigation  (5). 

Sur  la  foi  de  la  trêve,  la  Flandre  jouissait  depuis  une 
année  environ  d'un  peu  de  tranquillité,  quand  soudain,  au 
mépHs  de  toutes  ses  promesses  et  au  mépris  des  traités 
et  de  ses  récentes  proclamations,  Philippe  de  Valois  fait, 
au  mois  d'août  1548,  mettre  en  campagne  les  hommes 
d'armes  des  garnisons  d'Aire  et  de  Saint-Omer.  Ils  s'avan- 
cent dans  la  vallée  de  Cassel,  qui  se  trouvait  abandonnée 
et  sans  défense,  et  livrent  tous  les  environs  au  pillage  et 
aux  flammes.  Les  communes,  prises  à  l'improviste,  se  tour- 
nent vers  leur  allié  Edouard  d'Angleterre  et  lui  envoyenl 
des  députés  pour  réclamer  du  secours.  Mais  celui-ci,  qui 
voyait  son  trésor  épuisé  par  une  guerre  déjà  longue  et 
ruineuse  cl  conservait  un  certain  méconlenlement  contre 
elles,  leur  répond  qu'ayant  prolongé  la  trêve  conclue  avec 

(1)  RvMER,  édil.  angl.,  t.  III,  p.  153.  Lellre  ihi  14  février  I3i8. 

(2)  Rymer,  édit.  angl.,  t.   III,  p.    158.   Lellre  du  5  avril.    -  L'élape  des 
laines  ne  fiil  enlevée  à  Bruges  qu'en  1353. 

(3)  Hume,  Hist.  d'Angl.,  l.  III,  p.  144. 

31 


—  434  — 

la  France,  il  ne  peut  rien  en  leur  faveur;  que  du  reste  il 
avait  autrefois  payé  leurs  frais  de  guerre,  lorsqu'elles  l'ai- 
dèrent à  envahir  la  France,  et  qu'aujourd'hui  c'était  à  elles 
à  fournir  les  subsides  (i).  Cette  réponse  mécontenta  consi- 
dérablement les  Flamands,  qui  furent  obligés  de  s'en  re- 
tourner sans  avoir  pu  rien  obtenir.  L'irritation  fut  grande  à 
leur  retour,  et  les  plus  exaltés,  poussés  par  les  partisans 
du  comte,  s'écriaient  déjà  :  «  IVous  avons  été  trompés  par 
le  roi  d'Angleterre  (2).  » 

L'insuccès  des  communes  fut  un  encouragement  pour 
les  partisans  du  comte,  qui  rentra  en  Flandre,  où  il  entre- 
tint deux  mois  durant  une  guerre  malheureuse,  dans  l'es- 
poir de  ressaisir  son  auloriié.  A  la  fin,  voyant  qu'il  ne 
savait  venir  à  bout  des  villes  de  Gand  et  d'Ypres,  il  eut 
de  nouveau  recours  à  sa  a  grand'  subtilité.  »  Il  changea 
complètement  sa  manière  de  faire;  il  déclara  qu'il  voulait 
se  séparer  de  Philippe  de  Valois,  et  se  réconcilier  avec 
Edouard  III,  afin  de  reconquérir  les  villes  de  Lille,  Douai 
et  Béthune,  que  la  France  détenait  injustement.  Edouard 
consentit  à  se  faire  le  médiateur  entre  les  sujets  et  le  sou- 
verain, et  envoya  pour  examiner  le  différend,  l'évéque  de 
Norwich,  le  comte  de  Lancastre,  le  comte  de  Suffolk,  le 
comte  de  Huntinglon,  Gauthier  de  Mauny  et  cinq  autres 
clercs  et  docteurs  (5). 

Le  comte  de  Lancastre  qu'Edouard  nomma  vers  la  fin 
d'octobre  son  lieutenant  à  Calais  et  en  Flandre  (4),  pous- 
sait activement  les  négociations.  Déjà  par  son  initiative,  les 
Flamands  avaient  été  compris  dans  la  trêve  conclue  le 
18  novembre  entre  la  France  et  l'Angleterre,  comme  alliés 
d'Edouard,  et  le  ruwaert  de  Flandre  y  était  désigné  con- 

(1)  Li  Moisis,  p.  278  et  suiv. 

(2)  Li  Moisis,  p.  279. 

(3)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  III,  p.  175. 

(4)  RvMCR,  édit.  angl.,  t.  III,  p.  17G. 


—  435  — 

joinlement  avec  le  capitaine  de  Calais  comme  gardiens  de 
la  trêve  en  Flandre  et  en  Picardie  (i). 

Le  traité  fut  signé  par  les  commissaires  de  Flandre  el 
d'Angleterre  le  10  décemlv'e  1548,  et  ratifié  par  le  roi  d'An- 
gleterre. En  voici  la  teneur  (2)  :  «  Edward,  par  la  grâce  de 
Dieu  roi  de  France  et  dEngleterre,  el  seigneur  dirlande, 
et  nous,  Loys,  contes  de  Flandres,  de  Nevcrs  et  de  Relliel, 
estant  de!  âge  el  dyswyt  anz  el  plus,  aianlz  franke,  géné- 
rale et  libérale  poair,  disposicion  el  adminislracion  de 
nostre  personne,  de  noz  biens,  moebles  el  non  moebles, 
seignories,  jurisdiclions  et  de  toutes  maneres  de  droits  et 
avoirs,  à  nous  apparlcnanlz,  sans  curateur,  nient  con- 
traints, ne  oppressez  par  force  ne  violence,  ne  par  doute 
de  nul!  homme,  ne  de  null  sieur  du  monde,  mais  de  nostre 
ferme,  franke  el  certaine  volenté,  ne  decheu  par  tendreche 
de  eage,  ne  par  erreur,  ne  par  nulle  autre  manere,  mais 
euwe  bone  et  longue  déliberaciou  de  nous  et  de  nostre  noble, 
sage  el  sain  conseil  el  de  entier  el  plains  assenl  el  accord 
de  tout  nostre  dit  sage  conseil;  c'est  (assaver)  de  plusiers 
el  de  plus  sages  docteurs  es  loys  et  autres  clercs  et  lais  de 
noz  terres  et  seignories,  de  certaine  science  de  nous  el  de 
nostre  dit  sage  conseil  el  pour  perpétuel  profit  de  nous,  de 
nos  successeurs  el  de  nostre  dit  pais  de  Flandres,  ratifiions 
el  confirmons  les  articles  qui  s'ensienl  : 

»  Premièrement,  que  d'une  pari  et  d'autres  toutes  ran- 


ci) Rymer,  édil.  angl.,  t.  III,  p.  178. 

(2)  Rymer,         id.,  iil.,      p.  178.  —  La  ville  de  Gand  avait  nommé 

pour  s'entendre  avec  les  plénipotentiaires  anglais  el  ceux  du  comte,  Guil- 
laume de  Vaernewyc,  chevalier,  Simon  Relin,  Jean  Wiltebrood,  Thomas  van 
der  Burgt,  échevins,  et  Jacques  van  Lovelde,  clerc  de  la  ville;  Ypres  avait 
député  :  Viclor  Dcvos,  Jean  de  Stekerape,  échevins,  Jean  Reubelin,  clerc, 
Jean  Heulare,  Lambert  de  Wachlere,  Jean  Roze,  Jean  vander  Leye,  Jean 
Slatin  et  Jacques  de  Bailleul,  bourgeois;  pour  Bruges,  il  y  avait  Jacques  de 
Metteneye,  qui  seul  parut  dans  les  négociations  définitives  et  signa  le  traité 
avec  Henri  de  Flandre  et  Soliier  d'Enghien,  commissaires  du  comte.  Cfr. 
Archiv.  de  l'État  à  Gand,  n"»  1701  et  1702  de  l'Inv.  du  B""  J.  de  Saint-Genois. 


—  436  — 

cunes,  haynes  et  malevoillanccs  sont  pardonnez  entre  nous, 
roi  dEnglelerre  et  conte  de  Flandre  dessusdit. 

»  Item,  que  nous  roi  dEngleterre  dessusdil  tendrons  et 
accomplirons,  ferons  tenir  et  accomplir  par  noz  subgylz 
toutes  les  grantes  promesses  et  convences  à  cascune,  âpre 
li  que  nous  fesimes  et  promesimes,  au  dit  pais  de  Flandres, 
en  temps  que  les  alliances  entre  nous  et  le  dit  pais  de 
Flandres  furent  failz  et  accordés. 

»  Ilem,  que  nous,  contes  dcssusdilz,  pardonnons  à  ceux 
de  Gand  et  dYpre  tout  ce  que  ils  ont  meffait  à  nous  et  à 
nos  prédécesseurs,  de  temps  passé  jusque  au  jour  de  Iiuy 
sans  en  faire  loy  et  justice;  et  si  aucun  d'eux  en  aucun 
temps  à  venir  forfaisist  aucune  chose,  qui  que  ces  ne  ser- 
roit  plus  punnys,  que  la  loy  et  franchise  d'icelle  ville 
contient  et  requiert. 

«Item,  que  les  mesmes  villes  Gand  et  Y\we  demorronl 
en  leurs  franchises  et  libertés  aussi  franchement  comme 
elles  onque  furent  devant  en  aucun  temps  passé. 

»  Item,  que  le  cbivalier,  escuier  et  autre  dou  pais  de 
Flandres,  qui  ont  esté  et  hors  doudit  pais  avecques  nous 
conte  de  Flandres  et  qui  ores  sont  Tentriez,  soient  aussi 
bone  tenuz  et  obligiez  à  nous  roi  dEngleterre  dessusdit,  et 
à  nostres,  et  par  ce  meisme  manere  et  serements,  que  le 
autres  qui  sont  dou  dit  pais  de  Flandres. 

»  Item,  que  cil  de  Gand  et  dYpre  venront  à  vraye  obéis- 
sance de  nous  contes  de  Flandre  dessusdit,  comme  à  leur 
droit  seigneur  naturel  sans  moyen,  et  feront  envers  nous 
et  nos  hoirs  tout  ce  que  bons  subgylz  doivent  et  sont  tenuz 
de  faire;  et  que  avecques  de  ceux  deGand  et  dYppre  de- 
morront  en  le  alloyance  de  nous  roys  dEnglelerre  dessus 
dit,  si  comme  devant  ont  fait. 

»  Ilem,  que,  en  toutes  les  choses  dessusdites,  soient 
sauves  toutes  alliances  alliances  faites  entre  nous  roi  dEn- 
glelerre et  les  genlz  et  pais  de  Flandre,  et  ensement  soient 
sauves  les  alliances  que  nostre  très  cbers  sires  et  pères  de 


—  437  — 

nous  coules  de  Flandre  dessus  dit  (que  Dieu  absoille)  et 
noslre  pais  de  Flandre  ont  au  duc  de  Brabanl,  lesqueles 
alliances  feurenl  faites  devant  les  alliances  faites  entre 
ledit  roi  et  noslre  dit  pais  de  Flandres,  lesqueles  alliances 
nous  contes  dessusdils  avons  promises  et  confermées.  » 

Le  13,  le  comte  se  rendit  à  Dunkerque  pour  ratifier  ces 
clauses,  et  en  jurer  l'observation  en  présence  des  comtes 
de  Suffolk,  de  Lancastre,  de  Tévèque  de  Norwich  et  des 
autres  délégués  anglais  (»).  On  sait  déjà  ce  que  valaient 
les  serments  de  Louis  de  Maie.  Le  même  jour  il  publia 
une  charte  séparée,  renfermant  les  conditions  de  pardon 
des  villes  de  Gand  et  d'Ypres  (2). 

Bien  que  Louis  de  Maie  continuât  à  rester  attaché  de 
cœur  à  Philippe  de  Valois,  les  bonnes  gens  de  Flandre  n'en 
persistaient  pas  moins  à  considérer  Edouard  III  comme  le 
suzerain  du  comté;  aussi  les  villes  ne  firent-elles  aucune 
difficulté  de  renouveler  le  serment,  au  mois  de  février  1349, 
entre  les  mains  des  délégués  du  roi,  Richard  Talbot,  séné- 
chal, Thomas  de  Carlelon,  docteur  es  lois,  et  Elienne  de 
Kensingslon,  chevalier  (3). 

Le  26  septembre,  Edouard  voulant  s'assurer  des  dispo- 
sitions du  comte,  députa  vers  lui  Robert  de  Herle,  capi- 
taine de  Calais,  et  Richard  de  Tolesham,  pour  confirmer 
et  renouveler  le  traité  de  Dunkerque;  et  le  15  octobre,  il 
désigna  Guillaume  de  Burlon  et  Yves  de   Glynlon  pour 

approuver  la  convention  (4). 

Emile  Vareisbergh. 

(Pour  être  coniimié). 


{\)  Rymer,  édit.  angl  ,  t.  111,  p.    179. 

(2)  Archives  départ,  de  Lille,  fonds  de  la  chambre  des  comptes,  carlon  B, 
813.  —  Archives  de  la  ville  de  Gand,  Inventaire,  n»  409.  —  Archives  d'Ypres. 
—  Document  reproduit  par  Kervyn,  Histoire  de  Flandre,  t.  III,  p.  348,  en 
note,  et  Ocjdegiierst,  édit.  Lesbroussarl,  t.   Il,  p.  483. 

(3)  Rymer,  édit.  angl.,  t.  III,  p.  181.  —  Ils  étaient  en  même  temps  chargés 
de  recevoir  le  serment  de  tous  les  Flamands  bannis  par  Louis  de  Malc. 

(4)  Rymer,  cdil.  angl.,  t.  111,  pp.  189  et  190. 


—  438  — 

Edouard  III,  roi  d'Angleterre,  aux  bourgmestres  et  éche- 
vins  de  Gand,  Bruges  et  Ypres,  concernant  la  capture 
de  divers  navires  chargés  de  vins. 

(28  Juin  1346). 

a  Rex  dilectiset  fulelibiis  burgomagistris,  advocatis,  scabinis, 
capitaneis  et  magnis  consulibiis  bunarum  villaruni  de  Flandria, 
Gandavo,  Bruggis  et  Ypre,  et  de  commuiiis  patria  de  Flandria, 
saluteni. 

»  In  vestram  et  publicam    deduciinus  nolionem   quod   cum 
nuper  Petrus  de  Vynam,  admirallus  floiœ  nosirae  Baion  obviam 
in  mari  dederit  ex  opposite  insulaniin  nosiraruin  de  Gereseye 
et   Guerneseye  certo   numéro   naviiim   Ispaniarum  et   aliarum 
partium  et  terrarum  vinis,  in  de  terra  iuimicorum   nostrorum 
carcalarum  seu  onustarum,  ad  partes  inimicorum,  ut  per  multa 
indicia  eidem  admiralo  prima  facie  apparuit  frettatarum,  ipsas 
naves,  magistris  earum  ad  interrogatoria  pertinentia  varie  va- 
ciilanter  et  pertinaciier  respondenlibus,  ad  certum  portum  regni 
nostri   Angliifi  secum  transduxit,  constanter  asserens  easdem 
naves,  magistros  et  marinarios  ipsarum  ac  vina  et  alia  qusecnm- 
que  bona  in  eis  contenta  fuisse,  notorie  forisfacta  et  cum  sub- 
sequenter  vestrse  successivis  temporibus  divers*  litterae  ad  nos 
per  vestros  certos  nuncios  mitterentur,  per  qiias  intelleximus 
aliquos  de  vesiris  in  eisdem  litteris  nominales  ceriam  vinorum 
porlionem  juxta  informationes  et  causas  prœlensas  tanquam  sua 
vina  propria  vendicare,  tam  justiciariis  nostris  per  quos  justicia 
in  regno  nostro  Angliae  cuicumque  fit  et  redditur   quereianti 
quam  alliis  magnis  et  peritis  de  consilio  nostro  juratis  districte 
praecipiendo  duximus  injungendum  quatenus  in  praesentia  praî- 
diciorum  Pelri,  magislrorum  et  nunciorum  vestrorum  prcedic- 
toruni,  vocatisspecialiter  pro  veritate  in  bac  parte  investiganda 
vinetariis  et  mercatoribus  ad  emendum  vina  venalia  in  portibus 
Vasconiœ  et  vicinis  solitis  transfutare  de  métis  sive  signis  mer- 
catorum  de  dictis  partibus  majorem  inter  noslros  notitiam  ha- 
bentibus,  sub  juramenti  vinculo  astringcndis  de  hujus  modi 
ncgotio  et  ejus  circumstanciis  investigarent  et  inquirerent  veri- 


—  459  — 

falem  et  nos  de  eo  qiiod  per  eos  in  ca  parte  inveniri  contingcret 
inflilale  rcdderent  cerliores;  qui  quidem  justiciarii  nostri  primo 
London  pro  hoc  congregati  injnnctionis  nostr*  prsediclae  ser- 
vatis  finibus,  et  post  modum  alii  de  consilio  nostro  majores 
nobis  apud  castrum  novum  de  Porcestre,  super  passagio  nostro 
assistentes  totum  factum  hujusmodi  ciim  plena  causse  cognitione 
et  exactissima  diligcntia  perlraclarunt  et  finaliter  deciderunt 
nullo  titubante  relicto  per  quam  decisionem  declararunt  prai- 
dicta  viua  tempore  frctlalionis,  carcalioniset  arrestationis  eorum- 
dura  inimicorum  nostrorum  de  regno  Franciae  exlitisse  et  per 
consequens  ea  omnia  tempore  patentis  guerrse  sic  per  nostrum 
admiralum  prsedictum  occupala  et  arrestata  nobis  fuisse  et  esse 
notorie  forisfacta.  Motiva  vero,  indicia,  causas,  atque  média 
decisionis  praedictœ  dilecti  et  fidèles  nostri  Hugo  de  Hastinges, 
consanguineus  noster  carissimus,  Johannes  Matraus,  Johannes 
de  MoiTte  Gomerii,  magistri  VVillelmus  de  Honyngton  et  Johan- 
nes de  Stredle,  de  ipsis  ccrtitudinabiliter  informati  vobis  ex 
parte  nostra  dilucide  declarabunt  et  toiius  rei  gestae  explicabunt 
explicabitve  quilibet  eorumdem. 

1  Datum  apud  Porcestre,  xxviir''  die  junii.  » 

[Record  Office). 


440  — 


|)l)ilippe  i3lommacrt. 


Philippe-JMarie  Blommaert  iiaquil  à  Garni  le  27  août  1 809; 
il  était  fils  de  Messire  Jacques-Ferdinand,  membre  des 
États  députés  de  la  Flandre  Orientale,  échevin  de  la  ville 
de  Gand  et  en  dernier  lieu  commissaire  royal  de  l'arron- 
dissement de  Gand,  et  de  Dame  Catherine-Philippine  Van 
den  Bossche.  Il  fit  ses  éludes  humanitaires  au  collège  royal 
de  Gand  et  s'y  lia  étroitement  avec  le  professeur  D'tiulster, 
littérateur  flamand  et  même  poêle  très-distingué;  il  suivit 
les  cours  de  droit  à  l'Université  de  cette  ville,  où  il  prit 
le  grade  de  docteur  en  juillet  1830.  Comme  complément 
à  ses  études,  il  fit  un  voyage  en  Allemagne,  en  Suisse  et 
en  Italie. 

De  retour  à  Gand,  il  aima  mieux  se  livrer  à  des  études 
historiques  et  linguistiques  que  de  suivre  la  carrière  du 
barreau  ou  de  la  magistrature.  Le  flamand  l'occupait  de 
préférence,  et  c'est  dans  cette  langue  qu'il  écrivit  les  prin- 
cipaux ouvrages  dont  il  enrichit  Thistoire  et  la  littérature. 

Il  était  de  la  sociabilité  la  plus  agréable,  quoique  d'un 
abord  froid  et  réservé,  c'était  un  aimable  causeur,  mais 
sérieux.  L'aménité  de  son  caractère  lui  conciliait  l'afTection 
de  toutes  les  personnes  avec  lesquelles  il  entrait  en  relation; 
ses  conseils  ne  faisaient  jamais  défaut  aux  jeunes  adeptes 
de  sa  littérature  de  prédilection,  et  sa  position  lui  per- 
mettait de  leur  fournir  parfois  de  secours  plus  efiicaces 
que  des  avis.  Il  concourut  à  la  fondation  de  toutes  les 
sociétés  flamandes  ou  autres,  qui  s'érigèrent  à  Gand;  pour 


a^  ^/^ 


a.^t.-'i^-. 


—  441  — 

quelques-unes  il  fil  plus,  il  y  paya  de  sa  personne,  soit 
en  y  donnant  des  leçons,  soit  en  y  faisant  des  lectures 
attrayantes  et  instructives,  ne  s'épargnant  ni  peine  ni  labeur 
pour  engendrer  le  goût  de  l'élude  de  sa  langue  maternelle, 
qu'il  mettait  au-dessus  de  toutes  les  autres.  Aucune  con- 
sidération ne  put  l'engager  à  placer  ses  enfants  dans  un 
établissement  d'instruction  publique,  (juelqu'ortbodoxe  qu'il 
fût  d'ailleurs,  si  on  n'y  enseignait  le  flamand  dans  les  vrais 
principes.  Ses  opinions  politiques  étaient  libérales,  mais 
modérées;  il  fut  élu  membre  du  Conseil  communal  de  la 
ville  de  Gand  :  il  renonça  à  son  mandat  pour  cause  de  santé. 
Il  était  membre  de  la  Commission  des  écoles  gratuites  de 
cette  ville,  fonctions  qu'il  déclina  quand  l'échevin  Cai- 
ller en  prit  la  direction.  Il  devint  secrétaire  de  la  société 
des  Bibliopbiles  en  1859;  il  était  aussi  l'un  des  adminis- 
trateurs de  la  société  De  laal  is  ganscli  het  volk.  Enfin,  en 
récompense  de  ses  travaux  lilléraires,  l'Académie  royale 
de  Bruxelles  l'éleva  au  rang  de  Membre  correspondant. 

Qu'il  nous  soit  permis  de  rapporter  ici  quelques  mots 
de  Blommaert,  qui  reflètent  toute  l'ardeur  de  ses  aspira- 
tions pour  le  culte  de  la  langue  néerlandaise  :  «  La  langue 
flamande,  »  s'écrie-t-il  dans  le  rapport  qu'il  fit  du  mé- 
moire de  son  ami  le  docteur  Snellaerl,  sur  la  poésie 
néerlandaise  en  Belgique,  couronné  par  l'Académie  de 
Bruxelles,  «  la  langue  flamande  est,  sans  contredit,  un 
des  éléments  les  plus  forts  de  notre  nationalité;  c'est  par 
elle  que  le  présent  et  le  passé  se  touchent  et  se  lient; 
les  faits  héroïques  de  nos  ancélres  ont  été  célébrés  en  fla- 
mand, et  dans  les  grandes  crises  politiques,  ce  fut  dans 
cette  langue  que  retentirent  les  chants  de  vengeance,  qui 
précédèrent  maintes  fois  la  délivrance  de  notre  patrie  du 
joug  étranger.  Opprimée  depuis  plus  d'un  siècle  par  un 
gouvernement  étranger,  la  Belgique  était  tombée  dans  un 
état  de  marasme  moral,  la  langue  nationale  était  négligée, 


_  442  — 

et  pendant  toute  cette  période,  aucun  auteur  de  quelque 
renom  ne  surgit  chez  nous;  l'influence  française  s'étendit 
de  plus  en  plus,  et  dédaigner  le  flamand,  fut  bientôt  de 

mode Et  maintenant  un  parti  s'élève....  qui  prend  à 

cœur  d'opprimer,  d'extirper,  s'il  est  possible,  la  langue  du 
pays.  La  nation  qui  se  laisse  dépouiller  de  sa  langue,  per- 
dra bientôt  la  mémoire  de  son  origine,  et,  comme  le  jouet 
des  peuples  voisins,  elle  rampera  à  la  voix  du  premier  con- 
quérant qui  paraîtra  à  ses  frontières.  La  langue  flamande, 
ose-t-on  nous  dire,  n'a  point  de  force  civilisatrice!  Cepen- 
dant notre  patrie  possède  une  littérature  ancienne,  qui  ne 
le  cède  en  rien  à  celle  des  plus  grands  peuples,  et  dans 
l'époque  actuelle  même ,  les  ouvrages  qui  paraissent  en 
flamand  l'emportent,  (ant  sous  le  rapport  du  mérite  que 
sous  celui  du  nombre,  sur  tout  ce  que  les  Wallons  font 
chez  nous  en  français....  »  Ces  paroles  chaleureuses  éta- 
blissent que  sa  préférence  était  plutôt  basée  sur  l'amour 
de  la  patrie,  que  sur  des  idées  étroites  d'exclusivisme;  il  a 
d'ailleurs  publié  un  assez  bon  nombre  d'articles  en  français 
dans  notre  recueil,  à  la  direction  duquel  il  participa  pen- 
dant cinq  années,  de  1839  à  184S  inclus. 

En  1832,  il  publia  ses  Aenmerkingen  over  het  verwaer- 
loozen  cler  Nederduitsche  tael,  cris  de  détresse  d'une  âme 
éplorée,  et  en  1834,  dans  le  Letterkimdig  Jaerboekje,  quel- 
ques pièces  de  poésie  et  des  ballades  empreintes  d'un  pro- 
fond caraclère  de  nationalité.  Les  traditions  populaires, 
sous  sa  plume  facile  et  agréable,  comme  on  l'a  dit,  revêtent 
toutes  les  formes  d'un  drame  palpitant  d'intérêt. 

En  la  même  année,  parut  son  Liederkk  de  Buck,  poëme 
en  trois  chants,  dans  lequel  il  raconte  les  aventures  cheva- 
leresques du  premier  forestier  de  Flandre,  plutôt  son  pre- 
mier gouverneur  :  cette  saga,  peut-être  vraie,  que  nos  mères 
se  plaisaient  à  nous  raconter  pendant  la  veillée  ! 

La   même  année,  il  fil    paraître,   conjointement  avec 


—  443  — 

MM.  Willems,  Van  Duyse  et  Serrure,  sous  le  titre  de 
Nederduitsche  Letteroefeningen,  un  recueil  périodique  des- 
tiné spécialement  à  la  liltéralure  et  à  l'hisloire  de  la  Flan- 
dre, qui  a  cessé  trop  vite  d'exister.  En  1856,  il  publia  un 
poëme  inédit  jusqu'alors,  le  Theophilus,  poème  flamand 
mystique  et  bizarre  du  X1V«  siècle,  dans  lequel  Goellie 
peut  avoir  puisé  la  pensée  fondamentale  de  Faust  et  Mar- 
guerite. Trois  autres  productions  poétiques  de  la  même 
époque  étaient  jointes  à  ce  poëme  :  cette  publication  est 
enricbie  d'observations  grammaticales,  d'annotations  et  d'un 
glossaire.  L'Histoire  des  chambres  de  Rêlhorique  de  Garni 
suivit  de  près  cette  publication;  plusieurs  documents  iné- 
dits, qu'il  y  a  joints,  donnent  la  mesure  du  développe- 
ment intellectuel  et  littéraire  des  villes  de  Flandre  au  moyen 
âge.  En  1838,  il  édita  plusieurs  anciens  poèmes  flamands, 
sous  le  titre  de  Oudvlaemsche  Gedichten  der  X//%  X///'= 
en  XIV"  eeuivcn,  transcrits  dans  un  MS.  de  la  bibliothè- 
que Van  Hulthem  (Voy.  t.  V,  n"  192  du  catal.).  Le  premier 
a  trait  à  la  guerre  de  Troie  {de  Trojaensche  oorlog)  :  l'éditeur 
pense  que  c'est  un  poëme  composé  par  Seger  Dieregodgaf; 
le  second  raconte  une  aventure  amoureuse  de  la  châte- 
laine de  V^ergi  et  d'un  chevalier  de  la  cour  de  Bourgogne  : 
c'est  un  poëme  écrit  au  commencement  du  XIV""  siècle.  Le 
troisième  comprend  les  dictons  de  Sénèque  {Dit  sijn  Seneka 
leren),  traduction  amplifiée  d'un  recueil  latin  intitulé  Ex- 
cerpta  qiiaedam  e  libris  Senecae.  Le  quatrième  est  une  chro- 
nique rimée  du  Hrabant,  que  l'éditeur  a  publiée  d'après 
le  MS.  de  Kluit,  avec  les  variantes  du  MS.  Van  Hulthem. 
Enfin  le  cinquième  est  le  voyage  de  saint  Brandaine  {Reis 
van  Sinte  Brandoen);  poëme  du  XII°  siècle,  comprenant 
2198  vers,  un  des  plus  anciens  poèmes  flamands  con- 
nus jusqu'à  ce  jour;  ouvrage  singulier  par  sa  conception, 
les  aventures  que  l'on  y  relate  et  les  idées,  qui  sont  puisées 
dans  VEdda. 


—  441  — 

Voici  la  nomenclalure  des  articles  qu'il  fll  paraître  dans 
le  Belgisch  Muséum  : 

1"  [nhulduuj  van  Jau-zonder-Vrees,  als  graef  van  Vlaen- 
deren  te  Gent,  in  het  jaer  1403  (1857). 

2"  Vreugdebedryven  by  de  geboorte  van  Keizer  Karel  den 
Vyfden  (\S^S). 

5°  Joannes  Petriis  Van  Maie,  als  dichter  (1838). 

4°  Nederlandsclie  Sagen  (1839). 

5°  Over  de  Rederykers  van  Veurne  en  omstreken  (1830). 

6°  Ambachtgilden  en  neeringen  te  Gent  (1840). 

7"  Boudewyn  den  Yzeren.  diclUstuk,  gevolgd  naer  de  ond- 
eugelsche  ballade  in  de  Reliques  ofancient  englisch  poelry, 
by  Percy.  Avec  l'original  de  ce  poëme  en  anglais  (1840). 

8"  Vryheidscharter  der  Vlaeminghen  te  Weenen,  in  1204 
(1846). 

On  lui  doit  encore  :  un  travail  intitulé  Aloude  geschie- 
denis  der  Belgen;  la  biographie  des  écrivains  flamands  nés 
à  Gand,  ouvrage  en  deux  volumes,  et  Iwein  van  Aelst, 
roman  historique. 

Il  fournit  aussi  plusieurs  articles  d'un  haut  intérêt  au 
Messager  des  Sciences  historiques;  nous  les  énumérons  ici 
dans  l'ordre  de  leur  insertion.  En  1838,  une  notice  sur  le 
château  de  Laerne;  en  1830,  1840  et  1841,  une  notice 
sur  le  village  de  Heusden  lez-Gand;  dans  le  cours  des 
mêmes  années,  La  guerre  de  la  ville  de  Gand  contre  le 
duc  de  Bourgogne,  et  une  traduction  d'un  ouvrage  alle- 
mand, intitulé  :  Recherches  sur  r ancienne  école  des  peintres 
flamands.  Eu  1839, 1°  VUtenhovensteen:ï\  y  a  produit  plu- 
sieurs documents  relatifs  à  celte  demeure  seigneuriale,  qui 
fut  transmise  par  Jean  Utenhove  en  1450  en  la  possession 
de  son  oncle,  Jacques  Utenhove;  au  XVP  siècle,  elle  appar- 
tenait à  la  corporation  des  merciers;  conûsquée  à  la  suite 
des  troubles  de  1 539,  elle  fut  vendue,  le  1 6  décembre  1 542, 
pour  la  somme  de  56  livres  18  sols,  en  sus  des  charges 


—  445  — 

(loiU  elle  élail  grevée.  Le  magistral  de  Gand  en  fil  l'acqui- 
silion  en  157G;  depuis  elle  passa  en  plusieurs  mains,  el  en 
1859,  elle  fui  vendue  Tocluple  de  la  somme  pour  laquelle 
elle  avail  élé  acquise  en  1576,  el  rasée  malgré  les  vives 
réclamalions  des  amis  des  antiquilés  communales. 

2°  Une  analyse  Irès-élendue  du  Lion  de  Flandre,  de  Con- 
science, el  de  Richilde,  épisodes  de  Vhisloire  de  Flandre  au 
XF  siècle,  par  Coomans  aîné.  Ces  analyses  lui  fournissent 
roccasion  de  donner  un  aulre  témoignage  de  la  vive  affec- 
tion qu'il  portait  à  son  pays  natal  :  il  parle  avec  entrain 
de  celle  époque  où  une  poignée  de  Flamands  refoula  les 
soldats  français  qui  avaient  envahi  le  pays  et  défit  une 
armée  formidable  aux  cris  de  Flandre  au  Lion! 

ù°  Une  analyse  des  Mengelpoëzy,  de  P.  J.  Blieck,  et  des 
Bloemen  myner  Lente,  par  Ch.  Ledeganck.  Il  prend  texte 
de  ces  deux  productions  pour  dire  que  l'amour  de  la  patrie 
s'est  retrempé  dans  l'enlhousiasme  que  produisit  la  victoire 
de  Waterloo,  et  que  depuis  lors  les  Flamands  jetèrent  les 
yeux  sur  leurs  propres  annales,  qui  trouvèrent  des  histo- 
riens et  des  peintres  pour  en  perpétuer  le  souvenir  et  les 
célébrer. 

En  1841,  analyse  de  l'histoire  de  la  patrie  (Vaderland- 
sche  historié)  de  J.  David.  Tout  en  approuvant  hautement 
la  manière  d'exposer  les  faits,  qui  doivent  avoir  pour  con- 
séquence d'exciter  la  haine  contre  tout  peuple  conquérant, 
il  regrette  que  l'auteur  ait  passé  sous  silence  une  période 
de  quatre  siècles,  depuis  Jules  César  jusqu'à  l'invasion  des 
Germains  el  qu'il  n'ait  pas  narré  les  événements  qui  se 
déroulèrent  sous  Claude  Civilis. 

En  1845,  analyse  très-étendue  de  l'imporlant  onvrage 
de  J.  G.  Wolf  s«r  les  traditions  belges,  qui,  suivant  Blom- 
maerl,  aideront  puissamment  un  jour  à  la  reconstruction 
du  monde  germanique.  Il  y  entre  dans  des  considérations 
du  plus  haut  intérêt  sur  les  mythes  el  les  traditions  con- 
signées dans  VEdda  et  le  Nibelungennoth. 


—  44e.  — 

En  1844,  il  rendit  compte  du  discours  latin  que  pro- 
nonça le  savant  professeur  Schrant,  en  déposant  la  dignité 
du  rectorat  de  l'Université  de  Leyden,  sur  Arminhis  et 
Claude  Civilis,  discours  d'une  haute  valeur  historique  et 
d'une  justesse  d'appréciations  incontestable;  il  déplore  tou- 
tefois profondément  que  ce  discours  ne  fût  pas  prononcé 
en  langue  nationale,  puisqu'il  était  temps  de  secouer  le 
joug  moral  d'un  peuple  dont  la  domination  avait  pesé  si 
durement  sur  le  pays,  et  dont  l'entrave  pernicieuse  arrêtait 
encore  le  libre  développement  de  l'esprit  et  la  marche  de 
la  nationalité  de  la  race  des  Pays-Bas. 

En  1854,  il  donna  l'historique  du  château  de  TerLaken, 
dit  Uplinter,  situé  dans  la  seigneurie  de  S'-Pierre  Icz-Gand. 
Ce  travail  est  rempli  de  détails  précieux  sur  la  topographie 
et  les  demeures  seigneuriales  des  environs  de  Gand. 

Philippe  Blommaert  est  le  philologue  qui  a  rendu  les 
services  les  plus  signalés  à  la  littérature  flamande;  le  plus 
puissant  mobile  de  ce  cœur  d'élite  était  l'amour  de  la  patrie. 
Homme  d'un  profond  savoir,  d'une  bienfaisance  inépuisa- 
ble pour  ceux  qui  le  secondaient  dans  le  but  qu'il  voulait 
atteindre,  et  d'autant  plus  méritoire  que  sa  modestie  en 
effaçait  les  moindres  traces,  Blommaert  fut  enlevé  trop  tôt 
à  la  cause  généreuse  qu'il  avait  embrassée  avec  tant  d'en- 
thousiasme; il  succomba  aux  atteintes  d'une  longue  et  péni- 
ble maladie,  le  14  août  1871 ,  à  l'âge  de  soixante-deux  ans, 
profondément  regretté  de  tous  ceux  qui  ont  eu  l'avantage 
de  le  connaître  et  qui  ont  été  à  même  de  pouvoir  apprécier 
ses  nobles  qualités  et  l'élévation  de  son  esprit. 


A.V.  L. 


—  447  — 


LA  PEINTURE   ET  LA  SCULPTURE  A  MALINES. 


LA.  GILDE  DE  SAINT-LUC 


ET     L  ACADÉMIE    ROYALE     DES     BEAUX- ARTS. 


I. 
I.a   Gilde    de   iSaint-Luc  (t). 

Au  XVII«  siècle,  l'histoire  de  la  gilde  artistique  ne  pré- 
sente guère  de  particularités.  Nous  nous  bornerons  à  indi- 
quer sommairement  les  actes  officiels  relatifs  au  métier. 

Ces  actes  le  plus  souvent  viennent  apporter  des  modifi- 
cations à  quelqu'article  des  rolle  ou  en  expliquer  la  portée, 
selon  les  besoins  du  moment. 

Un  premier  arrêté,  enregistré  en  chambre  de  police  le 
26  septembre  1600,  autorisa  les  francs-maitres  à  recevoir 
dans  leurs  ateliers,  chaque  année,  un  nouvel  apprenti,  outre 
celui  qu'ils  avaient  déjà.  Ces  jeunes  gens  étaient  soumis 
pour  le  reste  aux  règlements  existants.  De  cette  disposition 
ressort  la  preuve  de  l'état  prospère  de  la  société,  dont  le 
nombre  de  membres  croissait  au  point  qu'il  fallait  permettre 
aux  maîtres  d'augmenter  le  chiffre  de  leurs  élèves.  Il  est 
vrai  de  dire  néanmoins  que,  depuis  les  dernières  guerres, 
on  comptait  moins  d'ateliers  que  précédemment. 

Dans  une  autre  réunion  de  la  même  chambre,  le  9  oc- 
tobre 1606,  il  fut  stipulé  que  le  taux  d'entrée  dans  le  corps 
des  peintres  et  des  sculpteurs  serait  élevé.  Ce  moyen  sem- 

(1)  Suile,  V.  p.  345. 


—  448  — 

blait  efficace  pour  diminuer  l'affluence  des  aspirants.  Le 
produit  de  la  contribution  nouvelle  devait  être  affecté  à  la 
réédification  de  Tautel  du  patron  de  la  jurande,  car  la 
révolution  de  1580  avait  dépouillé  celle-ci,  non  seulement 
du  triptyque  de  Gossart  et  de  Coxie,  mais  encore  des  or- 
nements sacrés  destinés  au  culte  de  saint  Luc.  Au  retour 
de  la  paix,  les  gens  du  métier  ne  purent  revenir  à  Saint- 
Rombaut  deux  fois  dévasté,  ni  s'y  agenouiller  devant 
l'image  du  premier  peintre  cbrétien,  que  la  piété  de  leurs 
devanciers  s'était  plu  à  enricbir. 

La  reconstitution  du  métier,  après  les  troubles,  eut  pour 
premier  effet  le  rétablissement  d'un  autel.  Les  novateurs, 
assez  forts  pour  briser  les  signes  extérieurs  du  culte,  n'é- 
taient point  parvenus  à  déraciner  l'idée  religieuse  du  cœur 
des  populations. 

Les  compagnons  de  Saint-Luc  firent  choix  de  l'église  de 
Sainte-Catherine  pour  y  ériger  la  statue  de  leur  protecteur. 
Toutefois  leur  installation  en  cette  paroisse  ne  fut  que 
provisoire  ;  ils  nourrissaient  l'espérance  de  revoir  un  jour 
dans  la  cathédrale  un  autel  qui  fût  digne  de  leur  art. 

L'église  de  Sainte-Catherine  avait  été  réconciliée  par  l'ar- 
chevêque, Jean  Hauchin,  le  20  août  1583.  Ce  fut  néces- 
sairement après  cette  date,  sans  qu'il  soit  possible  d'en  fixer 
une  autre  plus  précise,  que  la  congrégation  des  artistes  fut 
établie  à  Sainte-Catherine.  Les  confrères  commencèrent 
par  se  procurer  un  autel  sans  apparat  et  des  ornements 
simples,  proportionnés,  du  reste,  à  leurs  faibles  ressour- 
ces. Ils  ménagèrent  le  luxe,  réservant  plus  de  richesse 
pour  le  moment  où  ils  rentreraient  à  Saint-Rombaut. 

Les  comptes  paroissiaux  de  Sainte-Catherine  menlion- 
nent,  au  8  août  1606,  une  recette  de  viii  florins  et  x  sous, 
produit  de  la  vente  d'un  tableau  et  d'une  statue,  placés  sur 
l'autel  dédié  au  Saint-Esprit  et  appartenant  à  la  corpora- 
tion des  peintres.  La  statue  et  le  tableau  par  le  prix  qu'ils 


—  ii9  — 

rapportèrent,  témoignent  de  la  modestie  du  premier  éta- 
blissement des  artistes;  ceux-ci  abandonnèrent  le  produit 
de  la  vente  à  la  fabrique,  en  reconnaissance  de  l'Iiospilalité 
qu'ils  avaient  reçue  d'elle. 

C'est  en  quittant  l'église  de  Sainte-Catberine  que  la  gilde 
revint  se  fixer  à  Saint-Rombaut,  L'administration  de  celte 
métropole  assigna  aux  nouveaux  venus,  pour  le  placement 
de  leur  autel,  le  cinquième  pilier  à  partir  du  transept  nord 
du  temple. 

Lorsque  dans  le  courant  du  XVIl^  siècle  (vers  1650), 
les  statues  des  apôtres  furent  adossées  aux  colonnes,  on 
dégagea  les  bases  de  celles-ci  des  autels  qui  les  encom- 
braient. L'autel  des  peintres  fil  place  à  la  statue  de  saint 
Bartbélemi,  et  il  fut  transféré  dans  le  pourtour  du  cbœur, 
dans  la  chapelle  dite  de  Schoonjans. 

Le  retour  de  la  gilde  dans  la  vaste  église  exigeait  un  autel 
dont  la  richesse  fût  en  rapport  avec  le  monument  et  avec 
celui  que  les  iconoclastes  avaient  renversé.  Les  peintres  ne 
cessaient  de  se  bercer  de  l'espoir  de  rentrer  en  possession 
du  triptyque  de  Jean  de  Maubeuge.  Nous  avons  vu  que  les 
démarches  qu'ils  firent  à  ce  sujet,  n'aboutirent  à  aucun 
résultat.  Toute  chance  de  recouvrer  le  chef-d'œuvre  ayant 
disparu,  la  compagnie  décida  de  s'adresser  à  un  maître 
célèbre  et  de  lui  commander  un  tableau  avec  volets,  pour 
décorer  le  nouvel  autel. 

Le  choix  des  artistes  tomba  sur  Abraham  Janssens, 
d'Anvers.  Ce  peintre  exécuta  le  tableau  que  l'on  voit  en- 
core dans  l'église  de  Saint-Rombaut. 

Le  panneau  principal,  mesurant  2"i,93  de  hauteur,  re- 
présente Saint  Luc  peignant  le  portrait  de  la  Sainte  Vierge. 
Il  a  été  reproduit  en  gravure  par  F.  Peeters.  Celle  œuvre, 
d'une  belle  coloration  et  d'une  composition  simple,  a  souffert 
de  retouches  maladroites,  qui  lui  donnent  un  aspect  lourd. 

Le  premier  vantail  :  Saint  Jean  dans  la  fournaise,  est 

32 


—  450  — 

d'une  exécution  plus  magistrale  que  la  pièce  précédente. 
Le  revers  porte  :  Saint  Luc  écrivant  son  évangile. 

Sur  le  second  volet,  à  l'avers,  est  dépeint  Saint  Jean 
dans  file  de  Pathmos;  à  l'extérieur,  on  retrouve  le  même 
saint,  en  pied  (i).  Celte  dernière  porte  se  distingue  par 
la  fougue  du  dessin. 

Le  triptyque,  érigé  d'abord  selon  sa  destination  en 
rétable  sur  l'autel,  fut  plus  tard  descendu  de  cette  place. 
Les  artistes  eux-mêmes,  engoués  de  la  mode  du  siècle, 
voulurent  un  autel  de  marbre.  Ils  délaclièrent  les  vantaux 
du  tableau  central  et  enchâssèrent  celui  ci  dans  le  nouvel 
édicule.  Dans  la  suite,  revenant  au  bon  goût,  ils  se  décidè- 
rent à  réunir  comme  autrefois  les  trois  peintures.  Leur  ré- 
solution excita  quelques  difficultés,  qui  furent  tranchées  à 
l'avantage  de  la  jurande  par  le  Grand-Conseil  de  iMalines. 

Cette  cour  suprême,  par  jugement  du  7  septembre  1G99, 
autorisa  les  peintres  à  adapter  les  volets  au  panneau  du 
milieu  et  à  prendre  les  mesures  nécessaires  pour  garantir 
l'œuvre  contre  le  froid  et  l'humidité  du  marbre.  Le  même 
arrêt  accorda  aux  doyens  la  faculté  de  faire  reproduire 
l'écusson  du  métier  et  les  outils  des  arts  sur  le  balustre  qui 
devait  entourer  l'autel  (2). 

Des  fraudes  pour  déjouer  les  dispositions  de  la  charte 
constitutionnelle  de  la  gilde  s'élant  introduites,  les  syndics 
du  métier  recoururent  encore  au  Magistrat,  le  priant  de 
vouloir  y  obvier.  Le  conseil  de  la  commune  fît  droit  aux 
remontrants,  en  ratiOant,  en  séance  du  9  mars  1609,  les 
moyens  de  répression  proposés. 

Le  3  janvier  ICI  1,  les  commune-maîtres  et  les  échevins 
adressèrent  à  leur  tour  une  prière  aux  doyens  et  aux  jurés 
de  la  gilde.  Ils  réclamèrent  les  bons  offices  de  ces  derniers, 


(1)  Inventaire  historique  des  tableaux  et  des  sculptures  se  trouvant  à  Ma- 
lines,  par  Emm.  Neeffs. 

(2)  Archives  de  l'église  de  Sainl-Rombaut. 


—  151    — 

aliii  qu'ils  permissent  aux  orphelins,  admis  clans  les  hos- 
pices (les  enfanls  abandonnés  ou  dans  celui  dit  Blauwhiiis, 
d'être  reçus  en  qualité  d'élèves  dans  un  atelier  où  il  y  avait 
déjà  un  apprenti.  La  demande  du  magistrat  avait  été  in- 
spirée par  le  sculpteur  Corneille  Verhaycht,  qui  désirait 
donner  des  leçons  à  un  pauvre  enfant  trouvé,  Philippe 
Verbrugghen. 

Les  maîtres  ayant  délibéré  sur  la  proposition  des  édiles, 
l'accueillirent  à  condition  que  les  jeunes  gens  en  question 
fussent  soumis  au  droit  commun.  Ils  voulaient  notamment 
que  si  quelqu'artiste  charitable  consentait  à  donner  l'édu- 
cation à  un  pensionnaire  des  hospices,  il  fût  tenu  de  suivre 
les  statuts  de  la  compagnie  et  à  ne  prendre  qu'un  seul  ap- 
prenti à  la  fois.  Ces  conditions  étaient  trop  justes  pour 
n'être  pas  appréciées  par  l'autorité,  qui  les  accepta  offici- 
ellement en  chambre  de  police  le  17  janvier  suivant. 

En  1618,  le  conseil  de  l'hôtel-de-ville  fut  saisi  d'une 
nouvelle  pétition  présentée  par  la  corporation  de  Saint- 
Luc.  Le  métier  ne  songeait  à  rien  moins  qu'à  étendre  le 
cercle  de  ses  membres  en  y  admettant  les  orfèvres  ou  bat- 
teurs d'or  ((joiilslagers). 

Ce  fait  parait  trahir  que  notre  jurande,  jadis  si  prospère 
et  si  fière  de  son  art,  était  en  souffrance  et  qu'elle  redou- 
tait un  avenir  plus  funeste,  par  suite  de  la  désertion  de  ses 
affiliés.  Ceux-ci,  en  grand  nombre,  allaient  en  effet  à  cette 
époque  puiser  les  principes  de  leur  profession  à  l'école 
d'Anvers. 

Aucune  des  considérations  précédentes  n'est  cependant 
émise  dans  la  requête  envoyée  au  Magistrat, 

Les  maîtres  de  la  corporation  argumenlent  de  l'exemple 
de  la  ville  d'Anvers,  où  les  batteurs  d'or  sont  inscrits  sur 
les  liggere  de  Saint-Luc.  Ils  disent  que  les  pétitionnaires, 
travaillant  les  métaux  précieux,  leur  ont  adressé  la  de- 
mande d'être  reçus  dans  leur  association,  s'engageanl  à 


—  452  — 

payer  les  taxes  el  les  contributions  dues  au  métier,  à  as- 
sister aux  enterrements  des  collègues,  à  accompagner  les 
processions,  à  y  marcher  à  la  suite  des  trophées  de  la 
gilde,  à  se  soumettre,  en  un  mot,  entièrement  aux  pres- 
criptions de  la  charte  des  artistes.  Quant  aux  apprentis, 
ils  observeront  tout  ce  qui  est  requis  des  élèves  de  la  nation 
de  Saint-Luc. 

En  outre,  la  pétition  expose  qu'en  aucune  façon  cette 
agrégation  ne  pourrait  nuire  au  métier  principal  :  qu'il 
serait  strictement  défendu  aux  orfèvres  de  vendre  ou  de 
brocanter  des  tableaux  à  l'huile  ou  à  la  détrempe,  de  tra- 
fiquer de  sculptures  polychromes  ou  non  enluminées,  d'ou- 
vrages d'albàtre  ou  en  quelqu'autre  matière,  exécutés  au 
ciseau;  que  même,  si  un  apprenti-orfèvre,  sentant  sa  voca- 
tion changer,  voulait  s'appliquer  à  la  peinture  ou  à  la  sculp- 
ture, il  devrait  suivre  les  leçons  d'un  franc-mailre  pendant 
quatre  années,  tout  comme  s'il  était  étranger  au  métier. 

Les  conditions  dans  lesquelles  cette  adjonction  devait  se 
faire,  ne  préjudiciaienl  pas  à  l'association  des  coloristes. 
D'ailleurs,  ceux-ci  devaient  avoir  pesé  suffisamment  les 
effets  que  l'acceptation  de  leur  demande  pouvait  avoir;  en 
conséquence,  le  Magistrat  apposa  son  approbation  à  la  sup- 
plique, le  19  mars  1618  (i). 

D'après  une  requête  des  sculpteurs,  sanctionnée  en 
chambre  de  police  le  7  mai  1G18,  il  paraîtrait  que  le 
travail  de  l'albâtre,  dont  parlent  nos  batteurs  d'or,  fui 
longtemps  une  spécialité  propre  à  la  corporation  mali- 
noise.  Les  confrères  demandèrent  par  la  pièce  soumise  à 
la  régence,  d'abord  de  leur  permettre  de  restreindre  le 
nombre  d'élèves  qui  aspiraient  à  s'exercer  dans  l'art  de 


(i)  Registre  aux  rollc.  —  Policey  boek,  1612-1G18,  p.  192. 

L'association  des  batteurs  d'or  fut  honorée  d'une  constitution  spéciale  en 
1400,  par  la  duchesse  Jeanne  de  Brabant.  Elle  était  placée  sous  le  patronage 
de  S.  Eloi. 


—  453  — 

Siîulpler  celle  rnalièie,  ensuite  de  vouloir  défendre  à  ceux 
de  la  mailrise  de  livrer  au  commerce  des  œuvres  de  celle 
espèce,  qui  ne  seraient  pas  étoffées. 

Comme  ils  le  disent  dans  leur  adresse,  il  faut  empêcher 
le  chiffre  des  apprentis  de  s'accroître,  en  n'autorisant  chacun 
des  francs-maitres  à  ne  recevoir  dans  son  école  qu'un  seul 
élève  lous  les  qualre  ans.  Par  cette  mesure,  ils  espéraient 
maintenir  chez  eux  celte  profession,  dont  ils  avaient  quasi 
le  monopole;  car,  disaient-ils,  en  multipliant  à  l'excès  les 
leçons,  les  apprentis,  à  leur  tour  revélus  de  la  maîtrise, 
ne  larderont  pas  à  se  disperser  et  à  répandre,  tant  dans 
les  villes  voisines  qu'en  contrée  étrangère,  le  genre  dont 
la  corporation  de  Malines  s'honore. 

La  défense  de  vendre  des  œuvres  non  étoffées  avait  pour 
but  d'empêcher  que  les  sculptures  inachevées,  qui  auraient 
pu  compromettre  la  réputation  du  métier,  entrassent  en 
circulation. 

La  demande  des  sculpteurs  d'albâtre  était  évidemment 
intéressée,  dictée  bien  plus  par  l'amour  du  lucre  que  par 
l'amour  de  l'art.  Les  praticiens  étaient  peu  nombreux,  leur 
occupation  était  facile  et  productive;  ils  voulaient  conserver 
cet  âge  d'or,  en  éloignant  la  concurrence.  Le  moyen  le  plus 
simple  était,  sans  doute,  de  n'enseigner  à  personne  leur 
procédé  ou  de  l'étendre  le  moins  possible. 

Les  œuvres  dont  il  s'agit,  consistaient  généralement  en 
statuettes  et  surtout  en  bas-reliefs.  Ceux-ci  étaient  de  petite 
dimension  et  rappelaient  des  sujets  mythologiques  ou  plus 
souvent  des  épisodes  bibliques  ou  religieux.  La  sculpture 
était  rehaussée  de  légères  dorures,  appliquées  en  bordure 
ou  en  dessins  variés  sur  les  vêtements  des  personnages.  Un 
grand  nombre  de  ces  petites  productions  nous  sont  conser- 
vées. La  majorité  ne  décèle  pas  un  grand  talent  de  la  pari 
de  leurs  auteurs. 

L'exécution  de  ces   pièces,   dont  les  premiers  échan- 


— .  454  — 

tillons  furent  importés  d'Italie,  s'opérait  sans  peines  et 
rapidement.  Elle  mettait  les  sculpteurs  à  même  d'en 
fournir  une  grande  quantité,  à  des  conditions  de  pri\ 
très- avantageuses.  Ce  travail  de  routine  était  donc  une 
spéculation  lucrative,  dont  nos  artistes  profitèrent  large- 
ment pendant  quelques  années  (i). 

Malgré  la  vigilance  que  les  membres  du  serment  dé- 
ployaient pour  la  surveillance  de  leurs  intérêts,  ils  eurent 
à  souffrir  d'une  concurrence  illicite  et  clandestine  de  la 
part  de  certains  trafiquants  de  la  ville.  Ceux-ci,  tout  com- 
me s'ils  eussent  été  disciples  de  Saint-Luc  ou  revêtus  de 
la  maîtrise  des  arts,  se  permettaient  de  faire  exécuter  des 
œuvres  pour  les  céder  ensuite  aux  brocanteurs  des  cités 
voisines.  Il  résultait  de  ce  procédé  un  tort  notable  pour  la 
corporation,  car  souvent  ces  pièces  avaient  été  achevées 
par  des  apprentis  et  obtenues  à  un  taux  peu  élevé.  Les 
marchands  étrangers,  qui  trouvaient  grand  avantage  à  se 
fournir  de  cette  façon,  ne  visitaient  plus  les  ateliers  des 
maîtres.  Au  lieu  de  faire  en  ville  un  séjour  de  quinze  jours 
ou  plus  long,  comme  ils  en  avaient  l'habitude  jadis,  soit 
pour  choisir  les  objets  de  leur  achat,  soit  pour  en  surveiller 
l'achèvement,  ils  se  contentaient  d'une  course  rapide,  sans 
faire  de  dépenses  dans  la  localité.  Une  requête  de  la  gilde 
fut  soumise  au  Magistrat,  le  priant  de  réprimer  cet  abus  et 
de  comminer  une  amende  de  25  florins  contre  les  délin- 
quants. Cet  acte  fut  apostille  le  8  mai  161 9.  Tous  les  francs - 
maîtres,  au  nombre  de  96,  contresignèrent  l'écrit.  Nous 
rapportons  ces  signatures,  qui  présentent  un  curieux  ta- 
bleau de  la  composition  du  métier  à  cette  date. 

Michel  Verschueren,  doyen;  Tobie  van  Tissenack,  doyen. 

Van  den  Bossche,  ouderman. 

Martin  van  Caestre,  trésorier. 

Pierre  Ceulemans,  trésorier. 

(l)  Policcy  Bocck,  vol.  16/2-1618,  p.  192. 


9    K.)   «J 

Rombaut  Michiels.  —  Corneille  Feremans.  —  Barlhé- 
lemi  van  Conincxloo.  —  Hombaul  van  Avond.  —  Augustin 
(le  Munck.  —  Corneille  Verhaychl.  —  Antoine  Fayd'lierbe. 

—  Gaspar  Schillemans.  —  Pierre  van  Oisterwyck.  — 
François  Del  Voe.  —  Abraham  van  Avond.  —  Philippe 
Wouters.  —  IMelchior  ileussen.  —  Remy  de  Dryver.  — 
Jean  van  der  Beken. —  Maur.  Moreels,  —  Melchior  Dassom- 
vile.  —  Liévin  van  Ëegheni.  —  François  van  der  Beke.  — 
Pierre  Crabbe.  —  Rombaut  Hans.  —  Henri  Fayd'herbe. 

—  Pierre  Verschueren.  —  Jacques  Verhulsl.  —  Rombaut 
Rogouls.  —  Jean  Mallhys.  —  Jean  van  Dorne.  —  Jean 
Korrans.  —  Gilles  Vrints.  —  Gilles  Neus.  —  Gaspar  He- 
melers.  — Guillaume  Op  de  Beeck.  —  Jacques  Verschueren. 

—  Baptiste  van  Loey.  —  Charles  Zuetens.  —  Guillaume 
Verhaycht.  —  Ambroise  Verschueren.  —  Georges  Scherps. 

—  Gérard  Rommens.  —  François  Bisschops.  —  Georges 
Berincx.  —  Jean  de  Hondt.  —  Mathieu  Matlheeusens.  — 
François  van  Ophem.  —  Jean  de  No.  —  Philippe  de  Rey- 
gher.  —  Guillaume  Matlheeusens.  —  Rombaut  Storms.  — 
Pierre  Keulemans.  —  Lorencio  de  Marchin.  —  Jean  de  Helt. 

—  Jean  Mattheeusens.  —  Jean  Bisschop.  —  Adrien  Mat- 
lheeusens. —  Nicolas  van  Ophem.  —  Nicolas  Tousyns.  — 
Josse  Bacx.  —  Jacques  Stevens.  —  Jean  van  Raes.  —  Jean 
Stevens. — Joachim  Thys.  — Gilles  Adriaens. —  Corneille 
Verpoorten.  —  Jean  van  Redit.  — Wauthicr  van  Elsen.  — 
Georges  Disson.  —  Jean  Wollebosch.  —  Pierre  des  Mares. 

—  Pierre  Zilvoorts.  —  Antoine  Félix.  — •  Josse  Salmier.  — 
Pierre  van  den  Bossche.  —  Charles  van  Lemmen.  —  Mathieu 
van  Mechelen.  —  Jean  Vermasen.  —  François  van  llasselt. 

—  Engelbert  Ceulemans.  —  Jean  Walravens.  —  Remy 
Vrints.  —  Balihazar  Huys.  —  Jean  van  der  Strepen.  — 
Charles  van  den  Bossche.  —  Jean  de  Croy.  —  Josse  Ste- 
vaert.  —  Luc  Franchois.  —  Antoine  Bayens.  —  Jacques 
deSchepper.  —  Guillaume  van  Recht.  —  Roland  de  Clerck. 

—  Armand  Lauwerens.  —  Melchior  van  Avont. 


—  456  — 

La  chambre  de  police  approuva  la  proposition  de  la  gilde 
le  27  mai  1619. 

Une  seconde  disposition  de  l'autorité  vint  compléter,  le 
3  juin  1619,  celle  qui  précède.  Par  cet  arrêté,  le  Magistrat 
accorda  aux  doyens  du  métier  un  droit  qui  paraît  exlior- 
bitanl;  il  leur  permit  de  faire  à  certains  jours,  avec  l'auto- 
risation préalable  des  échevins,  des  visites  domiciliaires 
chez  ceux  qui,  sans  être  francs-maitres,  étaient  suspectés 
de  vendre  des  œuvres  d'art. 

Les  compagnons  de  Saint-Luc  étaient  astreints,  comme 
toutes  les  corporations,  à  accompagner  la  procession  de 
Malines.  Une  ordonnance  de  la  ville  traça  aux  dignitaires 
de  la  gilde  la  manière  et  l'ordre  suivant  lequel  les  membres 
de  l'association  marcheraient  dans  le  cortège.  Elle  stipula 
que  pour  celte  procession  du  second  jour  de  Pâques,  qui 
faisait  le  tour  des  remparts,  la  jurande  désignerait  neuf 
confrères  qui,  avec  neuf  délégués  du  métier  des  chausse- 
tiers,  porteraient  la  châsse  de  saint  Rombaut,  depuis  la 
porte  dite  Blockpoorte  jusqu'à  l'endroit  désigné  sous  le 
nom  de  Berthouclershoff  ou  Zandpoorte. 

Le  règlement  exigeait  en  outre,  que  les  personnes  choi- 
sies à  cet  effet  par  les  syndics  fussent  prises  parmi  les  plus 
honorables  de  la  compagnie.  Etaient  libérés  de  cette  obli- 
gation, ceux  à  qui  leur  santé  ou  leur  conformation  phy- 
sique ne  permettait  pas  de  porter  le  reliquaire  du  patron 
communal.  Les  gens  de  mauvaise  vie  et  ceux  qui  se  pré- 
sentaient en  état  d'ivresse  au  lieu  du  rendez-vous  avant* le 
départ,  étaient  absolument  exclus  de  la  cérémonie. 

Les  confrères  ainsi  invités  par  les  chefs,  ne  pouvaient 
se  soustraire  à  leur  devoir;  sous  peine  d'une  amende  de 
3  florins  10  sous,  à  payer  à  ceux  qui  allaient  à  leur  place. 

Ils  devaient  tous  se  ranger  sous  la  bannière  de  la  gilde, 
porter  tour  à  tour  les  trophées  du  métier  et  les  reliques 
de  saint  Rombaut.  Une  amende  de  3  florins  frappait  celui 


—  457  — 

qui  s'y  refusait.  Ce  disposilif  fui   inséré  au  rolle  le  24 
mars  1GI9. 

La  concorde  des  membres  et  même  des  ciiefs  entre  eux 
n'était  point  la  vertu  dislinclive  de  la  corporation.  Mais, 
en  bons  frères,  ils  avouaient  leur  faiblesse,  et  ils  prièrent 
les  commune-maitres  de  vouloir,  dans  rinlérêtde  la  paix, 
leur  délivrer  un  règlement  qui  rétablit  la  bonne  entente  ou 
qui  contribuât  à  la  maintenir.  Nos  doyens  eux-mêmes  pro- 
posèrent au  conseil  échevinal  les  remèdes  qu'ils  croyaient 
les  plus  efficaces. 

Ils  confessaient  ingénuemenl  que,  dans  leurs  assemblées, 
il  y  avait  parfois  des  dissensions  assez  vives  et  assez  lon- 
gues. Ces  luttes,  ajoutaient-ils,  n'avaient  rien  que  de  fort 
naturel;  car  parmi  eux,  il  en  était  de  professions  bien  dif- 
férentes :  il  s'y  trouvait  des  peintres,  des  sculpteurs,  des 
enlumineurs  et  des  sculpteurs  d'albâtre.  Partout,  du  reste, 
où  il  y  a  plusieurs  maîtres,  il  y  a  diversité  d'opinions  :  ce 
qui,  au  dire  des  syndics,  prolonge  singulièrement  leurs  réu- 
nions; d'autant  plus  qu'en  vertu  du  serment,  ils  étaient  obli- 
gés de  trancher,  séance  tenante,  les  questions  soumises  à  leur 
jugement,  qui  excitaient  souvent  d'aigres  et  de  longs  débats. 
En  attendant,  le  lem|)S  passait  :  c'étaient  autant  d'heures 
enlevées  au  travail  et  au  bénéfice,  tandis  que  leur  présence 
au  conseil  décanal  ne  leur  rapportait  qu'un  sou  par  tète. 

De  leur  côté,  les  simples  confrères  de  la  gilde  ne  se  dis- 
putant pas  mal  entre  eux,  déferaient  la  solution  de  leurs 
ditférends  aux  chefs.  Le  tribunal  de  ces  derniers  avait  déjà 
à  juger  toutes  les  affaires  du  ressort  du  métier;  elles  étaient 
nombreuses;  à  celles-ci  venaient  se  joindre  les  contestations 
que  les  associés  soumettaient  à  l'arbitrage  de  leurs  élus. 

Les  juges  avaient  donc  de  bons  motifs  pour  se  plaindre 
des  inconvénients  de  leurs  honneurs.  Ils  proposèrent  au 
Magistrat  des  mesures  que  le  seul  désintéressement  n'avait 
peut-être  pas  dictées,  bien  qu'elles  parussent  pouvoir  aider 
à  ramener  l'ordre  dans  le  corps  artistique. 


—  458  — 

Les  doyens  demandèrent  d'augmenter  le  taux  de  leurs 
jetons  de  présence  aux  réunions  et  de  le  porter  d'un  à  quatre 
sous.  Le  motif  allégué  plus  haut,  la  perte  de  temps,  était 
renforcé  dans  la  pétition  par  la  considération  de  la  cherté 
des  vivres. 

Voici  comment  les  syndics  de  la  nation  voulaient  par  le 
moyen  proposé  atteindre  leur  but.  Les  parties  comparantes 
consigneraient  chacune  une  somme  de  huit  sous;  la  partie 
gagnante  rentrerait  dans  sa  mise.  Les  huit  sous  restants 
seraient  partagés  entre  les  deux  doyens.  «  Ainsi,  dit  l'adres- 
»  se,  nous  empêcherons  les  membres  de  notre  métier  de 
»  saisir  notre  conseil  de  balivernes  et  de  nous  faire  perdre 
»  bien  plus  de  quatre  sous.  »  Nous  ajouterons  que  nous  ne 
voyons  pas  de  quelle  manière  cette  disposition  empêcherait 
les  doyens  d'avoir  des  altercations  entre  eux.  Néanmoins 
la  proposition  fut  acceptée  en  chambre  de  police,  le  20 
mars  1617. 

La  corporation  de  Saint-Luc  n'était  pas  riche.  Ses  res- 
sources étaient  bien  inférieures  à  celles  des  autres  métiers 
de  la  ville,  auxquels  leurs  règlements  respectifs  permet- 
taient de  percevoir  des  amendes  et  des  droits  d'entrée  beau- 
coup plus  forts. 

Une  ordonnance  du  18  janvier  Î627  améliora  quelque 
peu  la  situation  financière  de  notre  corps.  Dès-lors,  mais 
pour  un  laps  de  six  années  seulement,  le  prix  d'immatri- 
culation fut  élevé  à  28  florins  pour  ceux  qui  étaient  étran- 
gers à  la  gilde  et  à  15  florins  pour  ceux  qui  étaient  fils  de 
francs-maîtres. 

Après  les  six  ans,  l'association  retomba  dans  sa  pénurie 
antérieure.  Depuis  ce  terme,  une  augmentation  sensible 
s'était  opérée  dans  la  valeur  des  denrées  alimentaires,  et 
le  métier  avait  à  faire  face  à  des  frais  considérables.  Les 
doyens,  pressés  par  la  nécessité,  demandèrent  à  pouvoir 
fixer  la  contribution  d'entrée  à  60  florins  pour  ceux  qui 


-  459  — 

n'élaienl  pas  fils  de  maîtres;  pour  ces  derniers,  ils  main- 
teiiaieiil  runcien  taux,  lis  argumentaient  de  ce  que  l'intro- 
duction d'une  règle  analogue  avait  été  autorisée  en  faveur 
d'autres  métiers.  Ils  rappelaient  que  les  dépenses  indis- 
pensables de  leur  société  résultaient  des  frais  de  location 
de  la  chambre  de  réunion,  des  gages  d'un  varlet,  de  l'en- 
tretien des  ornements  servant  à  VOmmejany,  de  l'achat  des 
flambeaux  et  des  cierges  pour  les  processions,  de  la  déco- 
ration de  l'autel  de  Saint-Luc,  pour  lequel  tout  récemment 
encore  ils  avaient  eu  à  solder  150  florins.  Ils  faisaient 
remarquer  que  la  contribution  d'entrée  devait  servir  à  payer 
la  réception  des  francs-maîtres,  des  jurés  et  des  confrères  : 
qu'à  Bruxelles  même,  quand  un  nouvel  associé  n'était  pas 
afl'ranchi,  il  versait  100  florins  le  jour  de  son  inscription 
au  livre  de  la  gilde;  qu'à  Malines,  aucune  corporation, 
même  celles  qui  étaient  les  plus  riches  en  rentes  et  en  im- 
meubles, n'admettait  de  récipiendaire  à  moins  de  50,  60, 
70,  80  florins  ou  au-delà,  tant  pour  couvrir  les  dépenses 
du  festin  liaditionnel  que  pour  les  autres  frais  d'ancien 
usage. 

En  présence  de  ces  considérations,  les  échevins  fixèrent 
la  taxe  d'entrée  à  la  jurande  à  40  florins  pour  les  artistes, 
non  francs-maîtres,  et  à  23  florins  pour  les  descendants  au 
premier  degré  de  ceux  qui  avaient  été  investis  de  la  maî- 
trise (29  octobre  1655). 

La  recherche  des  moyens  d'améliorer  la  situation  pécu- 
niaire du  corps  à  la  tête  duquel  ils  étaient  placés,  était  une 
préoccupation  constante  pour  les  syndics  du  métier.  Les 
revenus  de  la  fédération  ne  consistaient  guère  que  dans  les 
droils  d'entrée  et  dans  les  amendes.  Cette  dernière  source, 
il  est  vrai,  tendait  même  à  s'agrandir  à  raison  du  nombre 
croissant  des  infractions  faites  aux  articles  de  la  charte  fon- 
damentale; néanmoins  elle  était  peu  productive,  parce  que 
la  valeur  de  l'argent  avait  considérablement  diminué  depuis 
la  rédaction  du  code  de  1564. 


—  460  — 

L'adrninislralion  trouvait  ici  une  veine  à  exploiter  :  de 
fréquents  appels  à  l'autorité  supérieure  témoignent  des  di- 
verses augmentations  que  subit  le  taux  des  amendes. 

L'esprit  de  confraternité  s'affaiblissant  chaque  jour  da- 
vantage dans  l'association,  les  doyens  usèrent  encore  des 
peines  pécuniaires  pour  tenter  de  renouer  ces  liens,  en 
obligeant  les  membres  du  métier  à  se  réunir  et  à  se  voir 
entre  eux. 

Les  processions  et  les  cortèges  fournissaient  au  senti- 
ment de  corps  une  occasion  de  se  manifester  publiquement  ; 
les  collègues  d'une  même  corporation  y  étaient  groupés, 
sous  la  conduite  du  drapeau  du  saint,  protecteur  de  leur 
industrie.  Malheureusement,  dans  notre  gilde,  les  associés 
se  dispensaient  volontiers  de  figurer  dans  les  solennités  de 
ce  genre  :  quatre  sous  rachetaient  leur  présence. 

Les  jurés,  voulant  prévenir  cette  négligence,  décidèrent 
d'élever  à  dix-huit  sous  la  taxe  pénale. 

Dans  les  cérémonies  funèbres,  la  tendance  à  rompre  le 
nœud  de  famille  n'était  pas  moins  évidente  :  les  vieux  rolle 
exigeaient  que  la  gilde  assistât  au  complet  aux  enterrements 
des  confrères.  A  cette  époque,  la  convenance  de  rendre  un 
dernier  hommage  à  la  mémoire  d'un  ami  ou  d'un  collègue 
était  si  peu  mise  hors  de  doute,  que  la  charte  ne  prononce 
que  le  paiement  d'un  sou  contre  celui  qui  ferait  défaut  aux 
funérailles  d'un  associé.  Mais  au  XVII^  siècle,  les  temps 
étaient  bien  changés;  il  fallait  la  puissance  coercitive  de 
l'argent,  une  amende  de  cinq  sous,  pour  obliger  les  con- 
frères à  remplir  ce  pieux  devoir.  La  plupart  des  artistes 
ne  se  souciaient  guère  de  suivre  le  cercueil  de  leur  com- 
pagnon qui  n'était  plus  (i). 

Des  idées  nouvelles  s'étaient  fait  jour.  On  regardait  les 
maîtrises  et  les  jurandes  comme  des  institutions  surannées, 
dont  il  fallait  combattre  le  monopole.  Il  fallait  se  soustraire 

(I)  Anùté  (le  la  chambre  de  police,  6  avirl  1664. 


—    4G1     — 

onx  obligations  contraclces  par  le  serment  prclé  au  mélier; 
briser  Tesprit  de  famille  d'abord,  ruiner  la  corporalion  en- 
suite. L'espril  de  famille  avait  déjà  reçu  une  atteinte  grave 
el  profonde;  restait  à  lutter  contre  la  cbarte  décrépite. 

Le  vieil  arbre  avait  poussé  de  trop  profondes  racines 
pour  céder  aux  premiers  efforts;  un  long  ébranlement 
devait  précéder  sa  cluite. 

Ces  nouveautés  n'étaient  cependant  point  le  fait  des  vieux 
maîtres.  Elevés  sous  l'aile  de  la  gilde,  ils  conservaient  dans 
l'àme  le  sentiment  de  la  reconnaissance;  ils  étaient  fiers  de 
leurs  devanciers  el  des  glorieux  pinceaux  formés  à  l'école 
de  Saint-Luc. 

Les  ennemis  de  la  corporalion  étaient  les  artistes  mé- 
diocres, que  l'appât  du  gain  seul  inspirait;  c'étaient  les 
brocanteurs,  intéressés  à  acbeter  des  œuvres  à  bas  prix, 
el  certains  apprentis,  pressés  de  secouer  le  joug  du  patron, 
pour  travailler  librement  pour  leur  compte. 

Ils  démolissaient  peu  à  peu  les  règlements  du  métier,  en 
éludant  leurs  dispositions  et  en  leur  multipliant  les  embar- 
ras. Ils  introduisaient  secrètement  en  ville  des  œuvres  exé- 
cutées au  debors;  ils  les  avaient  achetées  à  bon  compte  et 
les  revendaient  chèrement.  Ainsi  ils  atteignaient  en  partie 
leur  double  but  :  celui  de  gagner  de  l'argent,  sans  se  donner 
de  peine,  el  celui  de  ruiner  les  ateliers  des  maîtres  de  la 
ville. 

Cependant  les  francs-maîtres  protestèrent. 

Le  Magistrat  porta  une  ordonnance  contre  ces  criantes 
injustices  el  condamna  les  coupables,  d'abord  à  la  confis- 
cation des  pièces  importées  de  cette  manière,  ensuite  au 
paiement  d'une  amende  considérable  (Chambre  de  police, 
6  novembre  1679)  (i). 

(1)  La  protestation  des  artistes  était  signée  par  Jean  de  Dryver  et  Daniel 
Janssens,  doyens;  François  de  Wiltc,  Jean  Bcrincx,  Corneille  Scliillemans, 
Jean  de  Herb,  Pierre  Caulicr,  Philippe  de  Graeve,  Nicolas  van  dur  Vrkcnc, 


—  AG-2  — 

r^e  manque  d'ouvrage,  qui  résultait  de  ces  manœuvres 
frauduleuses,  avait  forcé  les  maîtres  à  élever  leurs  prix. 

Une  branche  importante  et  productive  de  leur  profession 
était  la  peinture  des  blasons  funéraires.  Une  noblesse  nom- 
breuse rendait  les  demandes  des  pièces  de  celte  espèce 
abondantes.  Mais  nos  peintres  abusèrent  de  leur  privilège; 
ils  étaient  devenus  intraitables  pour  l'entreprise  de  ces 
décorations. 

Le  Grand-Conseil  coupa  court  à  leurs  exigences  et  leur 
imposa  un  tarif  (1668)  ; 
Pour  les  grands  écussons,  sur  panneaux,  de 

trois  pieds  carrés,  sans  supports 5  florins. 

Pour  les  écussons  de  même  dimension,  avec 

supports 6       » 

Pour  les  quartiers,  sur  bois,  peints  à  l'huile, 

avec  les  métaux 1        » 

Pour  les  grands  blasons,  sur  papier  épais  .   .   1       » 
Pour  les  petits  écussons,  d'une  feuille  entière.  4  sous. 
Pour  les  mêmes,  d'une  demi-feuille 2       » 

Les  efforts  des  doyens  et  des  commune-maîtres  réunis 
furent  impuissants  à  arrêter  la  corporation  dans  la  voie  mal- 
heureuse sur  laquelle  elle  glissait.  Le  respect  des  rolle  était 
perdu;  journellement  des  faits  nouveaux  venaient  les  en- 
freindre. Malgré  l'arrêté  du  6  novembre  1679,  les  fraudes 
continuaient;  seulement  elles  étaient  organisées^d'une  autre 
façon.  Cette  fois,  nous  constatons  que  la  corruption  avait 
gagné  du  terrain.  Les  francs-maîtres  se  menaient  de  la 
partie  et  méprisaient  à  leur  tour  les  sages  règles  qui  les 
gouvernaient  depuis  si  longtemps. 


Clirélien  van  der  Vorst,  Norbert  de  Hemelaer,  Gilles  Smeycrs,  Jean  de  Kael 
Guillaume  Vermeulen,  Jean  de  Hondt,  Gaspar  van  den  Steen,  François  van 
Craesbeeck ,  Jean  Verliuyckl,  François  Langhmans,  François  de  Dryver, 
François  van  der  Zype,  M.  Jacobs,  Jean  Laureys,  Théodore  Egret ,  Henri 
Toussyn,  Wautliier  van  Winselhovcn,  Jean  de  Vos,  Malliiou  de  Reyger,  Con- 
rad van  den  Kerckhoven,  Baudouin  Gcens. 


—  iG5  — 

Sans  souci  de  la  prospérilé  du  corps  auquel  ils  appar- 
tenaient, ni  des  intéréls  de  leurs  collègues  dans  l'art,  ils 
se  laissaient  gagner  par  des  peintres  ou  par  des  sculpteurs 
étrangers,  auxquels  ils  lâchaient  de  faire  obtenir  la  maî- 
trise et  leur  permettaient  ainsi  d'exercer  librement  leur 
profession  en  ville,  en  concurrence  avec  les  membres  de 
la  gilde.  —  D'autres  fois,  ils  accordaient  à  des  maîtres  du 
dehors  l'affranchissemeut  nécessaire  pour  les  rendre  aptes 
à  pratiquer,  sans  crainte  de  poursuites. 

L'ordonnance  du  6  novembre  1679,  en  suite  de  ces  abus, 
fut  interprétée  en  ce  sens,  qu'aucun  suppôt  de  la  corpo- 
ration ne  pourrait  dorénavant  libérer  du  serment  les  maîtres 
étrangers  ou  quelque  autre,  n'étant  point  du  compagnon- 
nage; que  les  productions  de  ceux-ci  ou  même  les  pièces 
dans  lesquelles  ils  auraient  une  part,  ne  pourraient  être 
livrées  au  commerce;  qu'ils  ne  pourraient  en  exécuter  en 
cette  ville,. sous  peine  pour  les  étrangers  de  voir  leurs 
œuvres  confisquées,  et  pour  les  membres  de  la  gilde,  qui 
auraient  favorisé  ces  méfaits,  de  devoir  fermer  leur  atelier 
pour  un  terme  de  six  mois.  {Ch.  de  police,  8  avril  1702). 

Cette  mesure  sévère  avait  été  provoquée  par  une  de- 
mande datée  du  4  mars  1702.  Les  requérants  étaient  : 
H.  Berincx  et  Toussyn,  doyens;  Gilles  Smeyers,  Nicolas 
van  der  Vekene,  Laurent  van  der  Meulen,  Jean  de  Hondl, 
Jean  van  Elewyt,  Pierre  Simon  Verlinden ,  Jean  de  Vos, 
François  Boecksluyns,  Jacques  Smeyers,  François  Langh- 
mans,  Pierre  van  Hove  ,  Jean  van  Tuerenhout,  Juste 
Smeyers,  Jean  Edmond  Turner  et  Jean  Turner. 

Les  novateurs  comprenaient  qu'en  mettant  la  cognée  au 
tronc  des  privilèges,  ils  parviendraient  à  abattre  l'inslilu- 
lion  qui  les  gênait. 

La  gilde  de  Saint-Luc  languissait  sous  le  poids  d'une 
longue  et  lente  agonie,  qui  minait  graduellement  ses  forces 
vitales.  Le  nombre  de  ses  affiliés  était  descendu  à  moins 
de  la  moitié  de  ce  qu'il  avait  été  jadis. 


—  464  — 

Le  Irisle  tableau  de  cet  état  précaire  nous  est  dépeint 
par  une  supplique  soumise  au  Magistrat  et  approuvé  par 
lui  le  20  janvier  1720.  Les  jurés  prièrent  la  chambre  de 
police  de  vouloir  leur  octroyer  de  ne  plus  se  faire  repré- 
senter à  l'avenir  dans  la  procession  annuelle  de  Saint- 
Rombaut  que  par  quatre  délégués.  Ils  alléguèrent  la 
situation  malheureuse  de  leur  association,  qui  ne  comptait 
plus  que  vingt-trois  ou  vingt-quatre  maîtres,  parmi  lesquels 
onze  étaient  impotents  et  incapables  de  charger  sur  leurs 
épaules  la  châsse  du  patron  communal.  Quant  à  ceux  aux- 
quels leur  santé  permettait  de  prendre  part  à  la  cérémonie, 
déjà  ils  y  figuraient  à  litre  d'hommes  de  serment  militaire. 

Le  trésor  de  la  corporation  était  obéré  et  sans  revenus. 
Les  recettes  étaient  slationnaires,  car  depuis  longtemps  on 
n'avait  eu  à  enregistrer  ni  réception  de  franc-maitre,  ni  ag- 
grégation  d'apprenti.  Dans  cet  état  déplorable  des  finances, 
il  devenait  onéreux  pour  la  société  d'envoyer  neuf  députés 
accompagner  la  solennité  religieuse,  obligation  pour  laquelle 
chacune  des  personnes  désignées  touchait  cinq  sous,  à 
payer  par  la  caisse  commune. 

La  lutte  entreprise  contre  la  gilde  mourante  continuait 
sans  relâche;  néanmoins,  malgré  sa  faiblesse,  celle-ci  s'ef- 
forçait de  se  soutenir  et  de  défendre  ses  droits.  Plusieurs 
nouveaux  venus,  maniant  le  pinceau  ,  prétendaient  élre 
affranchis  de  l'association  au  métier,  sous  le  prétexte  que 
leur  profession  était  une  spécialité  indépendante  de  la 
maîtrise  de  Saint-Luc.  Ainsi  deux  artisans,  qui  à  vrai  dire 
n'avaient  de  commun  avec  les  artistes  que  l'usage  de  la 
palette  et  du  ciseau,  refusaient  de  s'enrôler  dans  la  com- 
pagnie. L'un,  Charles  Berger,  était  peintre  de  voilures 
et  de  cheminées;  l'autre,  nommé  Dominique  Hertoghe, 
était  menuisier  et  s'occupait  quelque  peu  de  tailler  les 
sculptures  qu'exigeaient  certaines  œuvres  de  son  industrie. 

Tous  deux  avaient  un  atelier  public  et  ouvert.  Les  doyens 


—  465  — 

se  raidissaient  conUe  ces  innovations  et  déclaraient  que  ces 
niailrcs-ouvriers  devaient  se  soumettre  aux  rolle  et  au  ser- 
ment, «  que  n'avaient  pas  dédaigné  de  prêter  les  excellents 
»  peintres  Franchoys,  de  Hornes,  Huysmans  et  Ant.  Coxie, 
»  ni  les  sculpteurs  Fayd'lierbe,  Langlimans  et  bien  d'antres, 
»  tout  aussi  comme  cela  se  pratiquait  encore  à  Bruxelles, 
»  à  Louvain  et  à  Anvers.  » 

Le  5  décembre  173o,  ils  en  appelèrent  à  rhôtel-de-ville. 
Les  échevins,  comprenant  la  situation  des  idées,  prirent  un 
moyen  terme.  Ils  ordonnèrent  que  ceux  qui  voudraient 
exercer  de  semblables  professions  à  Malines,  seraient  tenus 
uniquement  à  payer  les  taxes  statuées  par  les  règlements; 
mais  qu'ils  seraient  libérés  de  la  prestation  du  serment  et 
des  cbarges  incombant  à  la  jurande. 

Cette  disposition  est  significative;  elle  indique  la  cbnte 
procbaine  des  vieilles  associations  ouvrières  et  l'approcbe 
d'une  révolution  sociale  (i). 

Cependant  la  corporation,  jalouse  de  ses  prérogatives, 
combattait  contre  le  mouvement  de  l'opinion  et  poursuivait 
avec  ardeur  l'investigation  des  délits  qu'elle  jugeait  commis 
dans  le  domaine  des  arts,  empire  dont  elle  étendait  singu- 
lièrement les  limites.  Car  les  syndics  portèrent  une  con- 
damnation de  quatre  florins  carolus  d'amende  contre  les 
nommés  Pierre  Braes  et  Corneille  de  Winter,  qui,  sans  être 
francs-maîtres,  avaient  osé  peindre  la  façade  de  la  maison 
du  conseiller  Snoy  (2  août  î7ol). 

En  1764,  les  dignitaires  du  métier  intentèrent  un  procès 
à  un  peintre  de  portraits,  Stengele,  et  à  un  paysagiste, 
Verryck,  qui  se  refusaient  tous  deux  au  paiement  d'une 
amende  de  douze  florins,  à  laquelle  le  conseil  décanal  les 
avait  condamnés  pour  avoir  travaillé  à  Malines,  sans  auto- 
risation préalable  (2). 


(1)  Chambre  de  police,  18  mars  1737. 

(2)  Archives  communales.  Maîtrises  et  jurandes.  Corporation  des  peintres. 

33 


—  466  — 

L'aulorilé  communale,  en  dépit  des  mœurs  nouvelles, 
avait  l'obligation  de  prêter  son  concours  au  maintien  et, 
au  besoin,  à  la  défense  de  la  corporation,  dont  l'existence 
était  juridiquement  reconnue  dans  la  commune.  Elle  ne 
pouvait  donc  cesser  d'écouter  les  plaintes  des  jurés,  et  elle 
devait  apporter  aux  règlements  les  modifications  que  le 
temps  rendait  nécessaires.  La  cbambre  de  police  fut  fidèle 
à  ces  devoirs  et  accorda  aux  doyens  des  artistes  les  faveurs 
qu'elle  estimait  utiles.  Un  dispositif  du  2  janvier  1758  et 
un  autre  du  24  mai  1772  réglèrent  quelques  points  d'ordre 
intérieur  :  en  vertu  d'un  article  de  l'acte  de  1772,  il  était 
permis  à  tout  sculpteur  d'exercer  la  peinture  et  la  dorure, 
et  réciproquement,  tout  peintre  ou  doreur  pouvait  s'adon- 
ner à  la  sculpture. 

Dans  ces  derniers  temps,  chaque  arrêté  marque  avec 
jine  vigueur  croissante  l'état  de  délabrement  dans  lequel 
se  trouvait  la  gilde. 

Pour  empêcher  la  concurrence  en  dehors  du  métier,  les 
syndics  durent  se  résigner  à  rendre  les  conditions  d'admis- 
sion faciles  et  renoncer  à  leurs  vieux  privilèges. 

Ces  changements  contribuèrent  à  abattre  rapidement  la 
gilde;  le  compagnonnage,  l'apprentissage  et  la  maîtrise 
n'existaient  plus  que  de  nom  et  se  vendaient  à  prix  d'ar- 
gent. L'élude  de  l'art  était  négligée;  la  peinture  et  la  sculp- 
ture étaient  redevenues  tributaires  et  dépendantes  de  l'in- 
dustrie, comme  au  moment  de  leur  naissance.  La  ruine 
était  complète;  la  profession  d'artiste  était  moins  qu'une 
industrie,  c'était  un  gagne-pain,  un  métier  qui  tendait  une 
main  suppliante  aux  artisans,  les  priant  de  vouloir  l'ac- 
cueillir comme  auxiliaire. 

Une  princesse  éclairée,  l'Impératrice  3Iarie-Thérèse, 
mesura  d'un  coup-d'œil  la  position;  elle  comprit  que  les 
Pays-Bas  allaient  perdre  leur  plus  belle  gloire,  leur  école 
flamande,  si  l'on  n'y  apportait  un  prompt   remède. 


—  467  — 

La  souveraine  ne  supprima  poiiil  la  corporaliou  deSainl- 
Luo,  mais  elle  établit  par  un  décret  du  13  novembre  1773, 
publié  à  Malines  le  2  décembre  suivant,  une  Académie  des 
Beaux-Arts,  où  les  artistes  pourraient  se  former  sous  une 
bonne  direction. 

Dans  sa  missive  adressée  aux  autorités  malinoises, 
l'Impératrice  retrace  la  situation;  elle  encourage  le  culte 
des  arts,  en  lui  octroyant  pleine  liberté. 

«  Ces  arts,  y  est-il  dit,  jadis  si  florissants  étant  tombés, 
)>  ont  attiré  notre  attention  et  celle  de  notre  beau-frère  et 
!'  iiepveu,  Charles-Alexandre,  duc  de  Lorraine,  gouverneur 
»  général  des  Pays-Bas,  voulant  faire  revivre  ces  arts  a  érigé 
»  l'académie,  ordonnons  que  la  peinture,  sculpture,  gravure 
»  et  architecture  ne  dérogent  point  à  la  noblesse  et  que  cha- 
»  cun  peut  librement  exercer  ces  arts  et  vendre  ses  oeuvres 
»  sans  devoir  se  faire  inscrire  en  quelque  métier,  ni  se  faire 
»  reconnaître  par  eux,  puisque  le  maître  d'art  exerce  son 
»  art  sans  s'occuper  d'œuvres  mécaniques,  réservées  aux 
»  métiers.  En  outre,  les  graveurs  n'ont  pas  besoin  de  nos 
»  lettres  d'octroi  pour  éditer  leurs  oeuvres,  après  les  avoir 
»  soumises  à  l'approbation  de  notre  Fiscal  avant  de  les 
1)  donner  au  jour  (i).  » 

Si  l'acte  impérial  ne  supprimait  point  de  droit  la  gildedes 
peintres  et  des  sculpteurs,  elle  la  paralysait  complètement 
en  infirmant  toutes  ses  prérogatives  :  dorénavant,  libre  édu- 
cation et  libre  concurrence;  le  champ  était  ouvert  au  progrès. 

Le  règlement  abandonnait  au  métier  «  les  œuvres  méca- 
niques »  la  partie  matérielle  de  la  profession.  Chose  étrange 
à  croire,  la  corporation  de  Saint-Luc  saisit  avec  avidité 
celte  branche,  que  jadis  elle  eut  répudiée  en  rougissant. 
Elle  la  prit  et  voulut  en  avoir  le  monopole.  Elle  exigea  du 


(1)  Règlement  de  S.  M.  toiicliant  In  peinture,  sculpture,  gravure  el  archi- 
tecture. 


—  468  — 

Magistral  une  défense  formelle,  à  l'adresse  de  N.  van  den 
Bosselle,  de  peindre  les  façades  ou  de  s'occuper  d'autres 
travaux  réservés  au  métier,  sous  peine  de  six  florins  d'a- 
mende; car  il  n'était  point  investi  de  la  franche-maîtrise 
(3  avril  1775). 

La  gilde  végétait  honteusement  à  côté  de  sa  jeune  rivale, 
l'Académie.  Elle  essayait  de  se  soutenir  et  de  garder  un 
rang  parmi  les  autres  corporations;  mais  la  position  débile 
qu'elle  avait  encore,  elle  le  devait  surtout  aux  orfèvres,  ses 
coassociés. 

Une  des  dernières  apparitions  que  le  métier  fît  dans 
l'histoire  locale,  date  du  jubilé  de  Saint-Rombaut,  célébré 
en  1775.  Le  corps  des  peintres,  des  sculpteurs  et  des  or- 
fèvres fît  construire  pour  la  cavalcade  de  VOmmegang  un 
char  sur  lequel  était  représenté  le  Triomphe  du  Chcistia- 
nisme  à  Malines.  Sur  les  débris  du  temple  de  Diane,  l'apôtre 
de  iMalines  plantait  la  croix;  le  comte  Adon,  Elisabeth,  son 
épouse,  et  la  Pucelle  de  Malines  s'inclinaient  devant  le  bois 
vénérable  (i). 

Après  cette  solennité,  nous  ne  trouvons  guère  de  vestiges 
de  la  corporation  de  Saint-Luc.  Une  statistique  du  30  avril 
1783  établit  que  le  métier  comptait  encore  douze  francs- 
maîtres.  Cette  gilde,  autrefois  si  féconde  en  grands  artistes, 
expira  dans  l'oubli.  Méconnaissable  et  rebutée  jusque  par 
ses  anciens  disciples,  elle  gisait  presque  sans  vie,  lorsque 
enfin  son  souffle  s'éteignit  sans  bruit  sous  l'étreinte  de  la 
nouvelle  Académie,  à  laquelle  une  organisation  moderne 
promettait  un  brillant  et  utile  avenir. 


(1)  Praeltrcyn  zullende  geschieden  den  2C  van  junius.  dcn  3  van  jiilius, 
den  10  van  julius  MDCCLXXV.  —  Cinquième  char. 


—  409 


Annexes. 


I.  Doyens  de  la  rjUde  de  Saint-Luc,  à  Mali  nés. 

Nous  iloanous  ici  la  liste  des  doyens  de  la  corporation 
des  peintres  et  des  sculpteurs,  telle  que  nous  avons  pu  la 
reconstituer  au  moyen  de  documents  épars. 

4479.  Jean  Crahbe,  juré. 

Jean  de  Briiyne,  juré. 
1535.  François  Crabbe,  juré. 
1539.  François  Crabbo,  jure. 
4540.  Nicolas  de  Poeys. 

François  <^rabl)e. 

Willem  Palete,  jures. 
4549.   François  Crabbe. 

Antoine  van  Outcrschaten. 
4559.  Jean  Fcernians. 

Jean  Vinckenboons. 
4563.  François  Verbeock. 

Antoine  van  Diieriie. 

Charles  van  Diierne,  jurés. 
4584.  Godefroid  van  Steyneinolen, 

Daniel  Snellinckx. 
4584.  Jérôme  de  Vadder. 

Henri  van  der  Oiiwcrmciilcn. 

4599.  P)arthélcmy  van  Conincxloo. 
Jean  Verbcke. 

Ronibaut  Machicis. 

4600.  Corneille  Feermans. 
Jean  van  Duerne. 

4644.  Jean  van  den  Bossche. 

Piond)aut  Machiels. 
4019.  Micbiel  Verschueren. 

Tobie  van  Tissenack. 


—  470  — 

1625.  Martin  van  Calster. 

Ambroise  Verschiiercn. 

4625.  Martin  van  Calster. 
Luc  Franchoys. 

4626.  Jacques  van  don  Bossche. 
Gaspar  Schillemans. 

1627.  Martin  van  Calster. 
Jean  van  Rcclit. 

1628.  Antoine  Fiderbe. 
Ambroise  Verschueren. 

4629.   Pierre  Verschueren. 
Grégoire  Berincx. 

4634.  Jean  van  Recht. 
Ambroise  V^erscliuercn. 

1632.   Luc  Franchoys. 

Grégoire  Berincx. 

4635.  Jean  van  Recht. 
Gaspar  Schillemans. 

4634.  Luc  Franchoys. 
Grégoire  Berincx. 

4635.  François  van  Loy, 
Maximilicn  Labbé. 

4637.  Luc  Franchoys. 
François  van  Loy. 

4638.  Gaspar  Schillemans. 
Jean  van  Recht. 

4639.  Maximilicn  Labbé. 
Grégoire  Berincx. 

4640.  Luc  Franchoys. 
François  van  Loo. 

1641.  Jean  van  Recht. 

Wautier  van  KIscn. 

4642.  Gaspar  Schillemans. 
Grégoire  Berincx. 

4643.  François  van  Loo. 
Jacques  V^oorspoel. 

4644.  Gaspar  Schillemans. 
Waiiiicr  van  Elsen. 


—  471  — 

1645.  Grégoire  Lccrcns. 
Jacques  Voorspoel. 

1646.  VVaulicr  van  EIscn. 
Gaspar  Schillemans. 

164-7.  Gaspar  Schillemans, 
François  van  I^oy. 

1649.  Wautier  van  Elsen. 
François  van  Camp. 

1650.  Grégoire  Berincx  ou  Grégoire  r.cerens. 
Maximilien  Labbé. 

1651.  Wautier  van  Elsen. 
Gaspar  Schillemans. 

1652.  François  de  Wilde. 
François  van  Loo. 

1653.  Maximilien  Labbé. 
François  van  Cattenhotit. 

1654.  François  de  Wilde. 
François  van  Loo. 

1655.  Gaspar  Schillemans. 
Wautier  van  Elsen. 

1657.  François  van  Campsnhonl. 
Jean  van  Doren. 

1658.  Maximilien  Labbé. 
François  van  Orsagghcn. 

1659.  Winne  van  Elsen. 
Jacques  Doorne. 

1660.  Barthélémy  van  Elsen. 
Jean  Berincx. 

1661.  François  de  Wiide. 
Maximilien  Labbé. 

1662.  Barthélémy  van  Elsen. 
Jean  Berincx. 

1664.  Barthélémy  van  Elsen. 
François  van  Orsagghen. 

1667.  François  van  Orsagghen. 
Barthélémy  van  Elsen. 

1668.  Jacques  de  Horen. 
Michel  van  den  Eyndc. 


—  472  — 

4669.  Jean  Verhoeven. 

Jean  Berincx, 
1670.   Barthélémy  van  Elsen. 

Jacques  de  Horen. 
1675.   Corneille  Scliilleinans, 

Jacques  de  Horn. 

1675.  Jean  de  Dryver. 
Daniel  Janssens. 

1676.  Barthélémy  van  Elseo. 
Maximiiien  Labbé. 

1679.  Jean  de  Dry  ver. 
Daniel  Janssens. 

1680.  Jean  Berincx. 

Nicolas  van  der  Vekene. 

1681.  Gilles  Smeyers. 
Jean  de  Dryvcr. 

1682.  Jean  Berincx. 
François  Langhmans. 

1683.  Nicolas  van  der  V'ckene. 
Jean  de  Dryver. 

1684.  François  Langhmans. 
Gilles  Smeyers. 

1685.  Jean  de  Dryver. 
Jean  Berincx. 

1686.  Gilles  Smeyers. 
François  Langhmans. 

1687.  Jean  de  Dryver. 

1689.  Jean  Berincx. 
Jean  de  Dryver. 

1690.  Nicolas  van  der  Vekene. 
Jean  de  Hondt. 

1691.  Laurent  van  der  Meulen. 
Gilles  Smeyers. 

1692.  Jean  de  Hondt. 
Nicolas  van  der  Veken. 

1695.   Laurent  van  der  Meulen. 

Pierre  Simon  Verlinden. 
1702.  Jean  Berincx. 

Nicolas  ïonssyn. 


—  473   - 

II.  Armoiries  de  la  gitcle  de  Saint-Luc. 

La  corporation  îles  artistes  de  Maliiies  portail  pour  blason 
les  armoiries  qui  élaicnL  gcnéraleinenl  en  usa^iC  parmi  les 
métiers  îles  peintres  et  des  sculpteurs  aux  Pays-Bas;  à  sa- 
voir :  d'azur  à  trois  éciissoiis  d^tryent;  cimier,  îtne  tête  de 
bœuf  au  naturel. 

Em.  Neeffs. 


"474 


SOUVENIRS  ARCHEOLOaiQUES 


DE 


1..%    YII.I.E    DE    GAUD. 


II. 

I 

i^oB^ïcc   tUcnemacr. 

Des  divers  refuges  pour  la  vieillesse  et  les  indigents  que 
la  ville  de  Gand  devait  à  la  munificence  de  ses  citoyens, 
bientôt  il  n'en  existera  plus  qu'un  seul.  C'est  celui  fondé 
aux  frais  des  frères  Halyn,  que  Philippe  van  Potteisberghc 
et  son  épouse,  dame  de  Steenland,  firent  restaurer  vers  le 
milieu  du  XVI«  siècle.  Dans  peu  les  derniers  vestiges  des 
bâtiments  de  l'institution  Wenemaer  auront  disparu  ;  les 
descendants  de  ce  vaillant  soldat  ont  vainement  protesté 
contre  ce  vandalisme,  ont  même  intenté  une  action  en  jus- 
tice aux  administrateurs  des  hospices;  leurs  droits,  sans 
être  entièrement  méconnus,  n'ont  pu  empêcher,  dans  l'élat 
actuel  de  la  législation,  que  l'établissement  ne  fût  vendu. 
La  ville  de  Gand  en  a  fait  l'acquisition  et  se  dispose  à  le 
transformer  en  marché  couvert.  Voici  en  quelques  mots 
l'historique  de  cette  institution,  que  nous  extrayons  de 
l'excellent  travail  de  feu  notre  collaborateur,  Jules  de  Saînt- 
Genois  (i).  La  comtesse  Marguerite  de  Flandre  et  son  fils 
Guy  cédèrent,  en  1269,  à  Foulques  Masch  certaine  étendue 
de  terrain,  gisant  au  pied  de  leur  château,  avec  l'attérisse- 

(1)  V.  Messager  des  Sciences  historiques,  année  1834,  p.  169. 


C.tFeltsc. 


—  475  — 

ment  qui  s'y  élail  formé  par  la  jonction  du  canal  Je  la  Lievc 
à  la  Lys,  derrière  les  écoles  de  l'église  de  S'^-Pliaraïlde  et 
la  demeure  de  leur  gérant.  Dans  cette  cession  était  comprise 
une  ruelle  longeant  son  château  et  aboutissant  à  la  Lieve, 
probablement  au  pont  nommé  Iloofd-hrugge,  dont  l'accès 
était  défendu  par  une  porte.  L'acquéreur  avait  le  droit  de 
disposer  de  tout  ce  qui  se  trouvait  sur  ce  terrain,  arbres 
et  constructions  :  les  limites  en  avaient  été  fixées  par  un  ar- 
penteur. Cette  vente  fut  approuvée,  en  131 1 ,  par  Robert  de 
Béthune.  L'acquéreur  y  construisit  une  maison,  peut-être 
ne  fit-il  qu'agrandir  un  bâtiment  qui  s'y  trouvait,  et  qu'il 
nomma  le  Paradis.  Dans  la  suite,  Foulques  donna  celte  pro- 
priété à  la  ville  de  Gand;  mais  ses  héritiers,  ayant  contesté 
la  validité  de  cette  donation,  elle  fut  annulée,  et  ils  vendirent 
cette  alluvion  et  ses  dépendances  à  Guillaume  Wenemaer  et 
à  sa  femme,  Marguerite  Sbrunen,  qui  déclarèrent  dans  un 
acte  portant  la  date  du  mois  de  juillet  1323,  qu'ils  mettaient 
cette  maison  à  la  disposition  de  leurs  concitoyens  pauvres 
et  infirmes,  tout  en  s'en  réservant  l'usage  leur  vie  durant. 
Louis  de  Nevers,  informé  des  intentions  bienfaisantes  des 
époux  Wenemaer,  affranchit  cette  maison  de  la  rente  dont 
elle  avait  été  grevée  lors  de  la  vente  primitive. 

Après  la  mort  de  Guillaume  Wenemaer,  qui  succomba 
glorieusement  dans  un  combat  livré  au  pont  de  Rekcling, 
près  de  Deinze,  en  1323,  sa  douairière  songea  à  assurer 
le  service  et  l'administration  de  leur  refuge,  auquel,  elle 
et  son  mari,  avaient  donné  GO  bonniers  de  terre  à  Somer- 
gem  et  Waerschoot,  donation  qui  fut  approuvée  par  le 
comte  le  7  juin  1327.  Cette  fondation  de  bienfaisance  n'ob- 
tint la  confirmation  épiscopale  qu'en  juin  1330. 

En  13S9,  le  20  mai,  Marguerite  Sbrunen  donna  toute  sa 
fortune  à  l'hospice  qu'elle  avait  aidé  à  fonder;  elle  apposa 
quelques  conditions  à  cette  donation,  concernant  l'adminis- 
tration et  son  régime  intérieur  :  dès  ce  moment  l'hospice 
était  en  état  de  pourvoir  à  tous  ses  besoins. 


—  476  — 

Dans  la  suile,  vers  le  milieu  du  XVI''  siècle,  de  nou- 
veaux bâtiments  y  furent  élevés;  une  lettre  de  Marguerite 
de  Parme,  du  28  novembre  1565,  en  fait  mention.  Ce 
modeste  réduit,  consacré  au  soulagement  des  misères  du 
peuple,  ne  put  trouver  grâce  auprès  des  iconoclastes  du 
XVI''  siècle  :  ils  ravagèrent  son  église  et  détruisirent  même 
le  tombeau  de  ses  fondateurs.  Après  que  la  tranquillité  fut 
rétablie,  la  fortune  de  l'hospice  lui  permit  de  faire  restau- 
rer tous  les  dégâts  qui  avaient  été  commis  à  Téglise  et  aux 
bâtiments.  Ces  travaux  furent  exécutés  en  1584,  millésime 
inscrit  sur  la  façade  des  maisons  du  côté  de  la  place,  les- 
quelles sont  reproduites  sur  la  planche  ci-jointe. 

L'église  fut  consacrée,  le  25  février  1588,  par  Liévin 
Daman,  deuxième  évêque  de  Gand.  Le  dessin  de  l'église 
accompagne  l'histoire  de  cet  hospice  par  de  Saint-Génois; 
c'est  un  monument  de  l'architecture  de  la  renaissance, 
d'un  aspect  assez  imposant.  Cette  église  fut  occupée  par 
les  chanoines  de  Sainte-Pharaïlde  jusqu'en  1614  :  à  cette 
époque  elle  fut  rendue  à  sa  destination  primitive  et  servit 
d'oratoire  aux  prébendiers.  L'hospice  proprement  dit,  se 
composait  de  dix-huit  cellules,  qui  donnaient  en  partie  sur 
le  jardin  et  en  partie  sur  le  canal  de  la  Lieve.  On  y  avait 
ménagé  une  vaste  salle  au  rez-de-chaussée,  pour  iuflrmerie 
à  l'usage  des  prébendiers  malades  ou  d'un  âge  trop  avancé 
pour  pouvoir  se  soigner  eux-mêmes.  Il  est  probable  que 
l'hôtel  primitif  du  Paradis  avait  une  façade  apparente,  ainsi 
que  son  église;  mais  depuis  sa  restauration,  les  bâtiments 
de  l'hospice  ont  été  entourés  de  maisons  louées  à  des  parti- 
culiers, dont  quelques-unes  ont  été  vendues,  mais  dont  trois 
existent  encore,  portant  la  date  de  1584.  Deux  de  ces  mai- 
sons sont  en  briques,  et  présentent  de  beaux  spécimens  des 
constructions  particulières  de  cette  époque  :  elles  sont  à 
pignons  découpés  et  percés  de  plusieurs  rangs  de  fenêtres 
à  croisillons  de  pierre,  surmontés  d'une  arcature  borne  en 
plein  cintre.  La  porte  d'entrée  est  d'une  date  plus  ancienne  : 


C.  TF^ 


—  477  — 

elle  est  à  simple  battant,  flanquée  de  pilastres  bandés  et 
striés  avec  bossages.  I^]lle  supporte  une  niche,  entourée  de 
guirlandes  de  fleurs,  dans  laquelle  se  trouvait  la  statue  de 
saint  Laurent,  patron  de  l'hospice:  un  écusson  porte  la  dalc 
de  1516.  La  maison  du  coin  de  la  rue  Haute  du  Soleil  est 
plus  moderne  et  présente  des  réminiscences  de  Tarchitec- 
ture  grecque. 

Les  dalles  en  cuivre  ciselé,  qui  couvraient  autrefois  le 
tombeau  des  fondateurs  et  qui  échappèrent  au  marteau 
sacrilège  des  iconoclastes,  furent  placées  en  'loS9  dans  le 
vestibule  de  l'hospice,  avec  inscriptions  commémoratives. 
Le  dessin  en  est  reproduit  au  volume  de  1853  de  cette  col- 
lection, p.  64.  Aujourd'hui  ces  dalles  sont  transférées  au 
local-musée  de  la  Commission  chargée  de  la  conservation 
des  anciens  monuments,  et  le  tableau  qui  ornait  le  maître- 
autel  se  trouve  déposé  au  Musée  de  la  ville  de  Gand. 

Nous  formons  le  vœu  que  le  monument  funéraire  élevé 
au  commencement  du  siècle  dernier,  dans  la  chapelle  de 
l'établissement  Wenemaer,  en  mémoire  de  ses  fondateurs, 
et  portant  l'inscription  suivante  : 

D.  0.  M. 

ET 

/ETER-N^  ME.MORLE 

D.   GUILLELMI  WE.NEMAER,  EQUITIS. 

ET 

D^m  51ARGUARET.E  SBRUNE, 

CONJUGUM, 

FUIUS  DOMUS  FUNDATORUM. 

GBIIT  ILLE   V  JULII   1323, 

H^C  VII  SEPTEMBRIS   1352. 

R.  I.  P. 

Que  ce  cénotaphe,  disons-nous,  soit  placé  dans  l'église  du 
Grand-Béguinage,  dans  lequel  est  transférée  aujourd'hui  lu 
demeure  des  prébendières  de  cette  antique  institution. 

A.  V.  L. 


478 


LES  FRANKS 

^V^N"T    L'i^ISTNÉE    418. 


Sidooius  Apollinaris,  évêque  de  Clcrmonl,  qui  vivait 
en  460,  décrit  une  revue  militaire  dont  il  fut  témoin  : 
«  Le  commandant,  dit-il,  marchait  à  pied,  entouré  de  ses 
»  lieutenants;  son  vêtement  d'écarlate  et  de  soie  blanche, 
B  était  rehaussé  d'or;  ses  soldats  étaient  chaussés  de  peaux 
»  de  hètes  garnies  de  tout  leur  poil;  leurs  jambes  étaient 
»  nues;  leurs  tuniques  bigarrées  partaient  du  cou,  serraient 
»  la  taille  et  les  hanches  et  descendaient  à  peu  près  au 
»  jarret;  les  manches  ne  dépassaient  pas  le  coude.  Sur  ce 
»  vêlement,  ils  portaient  un  manteau  vert  (i)  bordé  d'écar- 
»  late,  puis  un  camail  en  fourrure  (2),  retenu  par  une 
»  agrafFe.  Les  glaives  pendaient  à  un  ceinturon  étroit  : 
»  de  la  droite  ils  portaient  ou  des  angons  (5)  ou  des 
»  haches;  de  la  gauche,  le  bouclier,  dont  les  ornements 
»  étaient  d'argent  ou  dorés  (4).  »  Ces  soldats  étaient  des 
Franks,  et  c'est  de  ce  peuple  qui  «  peu  nombreux,  mais 
»  fort  et  brave,  secoua  de  sa  tête  le  dur  joug  des  Ro- 
»  mains  (s),  »  que  nous  allons  exposer  brièvement  la  for- 
mation, et  les  développements  qu'il  prit  pour  aboutir  à 
l'indépendance. 


{{)  Sagum,  manleau  militaire.  Cfr.  A.  Unas,  Coslumc  des  peuples  de  l'an- 
tiquité. 

(2)  Rhenone.  Cfr.  Des  Brosses,  Note  sur  l'Iiistoire  romaine,  t.  Il,  p.  641  : 
petite  pélériae. 

(3)  Javelot  en  fer  à  deux  crochets. 

(4)  SiD.  Apoll.,  lib.  IV,  Epist.  ad  Domnil. 

(5)  Prologue  de  la  Loi  salique. 


—  Aid  — 

«  Plusieurs  critiques,  dit  Augustin  Thierry,  onl  pensé 
«  que  le  mol  Franks  équivaut  à  celui  d'hommes  libres,  et 
»  ils  se  sont  trompés.  Ce  nom  signifie  proprement  âpre  ou 
»  rude,  et  indiquait  la  volonté  de  pousser  la  guerre  à  ou- 
"  trance,  sans  peur  et  sans  miséricorde  (i).  »  Il  y  a  quelque 
chose  de  plausible  dans  cette  opinion,  lorsqu'on  tient  compte 
de  la  signification  du  mol  thiois  (en  dialecte  du  Brabant) 
Vrauk  ou  Frank  (hardi)  et  de  l'expression  wallonne  dis- 
franchi (saisi  de  peur). 

La  vallée  du  Bas-Rhin,  englobant  celles  de  la  Meuse,  de 
l'Ems  et  de  Weser,  a  été  habitée,  dès  la  naissance  de  l'his- 
toire, par  une  population  germanique  toul-à-fail  homogène, 
distinguée  des  Germains  des  hautes  terres  par  le  dialecte 
seulement.  Des  peuplades  diverses  s'étaient  partagé  ce  ter- 
ritoire, s'élendant  au  levant  du  Rhin  et  de  la  Meuse  comme 
au  couchant,  el  quand  César  nous  montre  celles  qui  habi- 
taient notre  pays,  il  les  déclare  indépendantes  à  l'égard 
l'une  de  l'autre,  bien  qu'alliées  entre  elles  pour  la  défense 
commune.  —  Malgré  la  communauté  d'origine,  nous  ne 
pouvons  admettre  la  conclusion  absolue  qu'en  a  tiré 
J.  F.  Peppe,  écrivant  d'une  des  campagnes  de  César  con- 
tre nous  :  «  C'est  alors  qu'on  découvre  déjà  l'origine  de  la 
ligue  des  peuples  belgiques  el  germaniques,  si  célèbres 
ensuite  sous  le  nom  de  Francs,  laquelle,  après  avoir  lutté 
quatre  ou  cinq  siècles  contre  les  forces  romaines,  parvint 
enfin  au  but  de  les  chasser,  non  seulement  de  la  Belgique, 
mais  de  toutes  les  Gaules  (i).  » 

(1)  Dix  ans  d'études,  p.  27),  2  X,  public  en  1820,  dans  le  Censeur  eu- 
ropéen . 

(i)  L'avocat  J.  F.  Peppe  était  conseiller  de  préfecture  à  Anvers,  cumulant 

le  mandat  de  député  au  corps  législatif  du  haut  empire  français.  Un  seul  de 

ses  écrits  a  vu  le  jour  sous  le  titre  de  :  Disserlation  historique  et  critique  sur 

l'origine  des  Francs  Saliens,  pour  servir  d'introduction  à  un  précis  historique 

ur  la  constitution  brabançonne.  Bruxelles,  Simon,  1828. 


—  480  — 

Il  est  évident  que  Taltaque  a  appelé  la  défense;  mais 
l'idée  de  constituer  une  fédération  aussi  bien  organisée  que 
celle  des  Franks,  telle  que  l'histoire  nous  la  fait  connaître, 
n'a  pu  prendre  naissance  que  par  suite  d'attaques  et  d'a- 
gressions réitérées,  et  reportées  dans  plusieurs  lieux  con- 
tigus.  Ainsi,  le  passage  du  Rhin  par  César,  les  agressions 
de  Drusus  jusqu'au  cœur  de  la  Germanie  (i),  continuées 
par  Tibère  et  Germanicus,  et  l'occupation  de  la  Chaucide 
st  de  la  Frise  par  Corbulon,  ont  été  des  causes  multiples 
de  soulèvement  que  Civilis  sut  utiliser.  Cette  première 
grande  entreprise  contre  Rome  a  été  pour  les  Germains 
une  leçon  stratégique  qu'ils  ont  dû  médiler.  Leur  fédéra- 
lion  sous  l'ordre  du  chef  batave  a  été  l'ébauche  de  la  ligue 
franke  (2);  mais  celle-ci  nous  parait  avoir  une  origine  plus 
rapprochée  de  nous,  bien  qu'antérieure  à  l'an  240,  où  les 
écrivains  latins  nous  la  font  connaître. 

Après  l'expédition  de  Civilis,  Domilien  tenta  contre  les 
Cattes  une  expédition  qui  lui  fut  contraire.  Nous  ne  savons 
rien  des  faits  et  gestes  d'Anlonius  et  de  L.  Maximus,  qui 
gouvernèrent  la  Germanie  inférieure  avant  M.  U.  Trajan, 
qui  assura  la  frontière  du  Rhin,  en  régularisant  son  cours 
par  des  endigucments  (5),  et  instituant  la  Colnnia  Trajana, 
près  de  Clèves,  et  les  Castra  Trajana  en  face  de  Mayence. 

Les  généraux  romains  eurent  plus  d'adresse;  ils  réus- 
sirent à  semer  la  discorde  parmi  les  Germains,  et  Rome 
mt  reconnaître  le  service  (jue  lui  rendit  ainsi  Vestricius 
Spurina,  qui,  ayant  fomenté  les  factions  chez  les  Rruclères, 
les  avait  poussées  à  s'entre-délruire  jusqu'à  ce  que  soixante 
mille  des  leurs  eussent  péri,  l'an  99  (4). 


(1)  C'est  sur  les  rives  de  TEIbe  que  fureut  élevés  les  trophées  de  Drusus. 
On  croit  que  ce  fut  à  Weissenfcis  (Alting). 

(2)  Warnkoemg  et  Gérard,  Histoire  des  Carolingiens,  t.  I,  p.  20. 

(3)  D.  BuuDiNCH,  Wandelingen  door  de  Betuve,  Tiel,  18G1,  p.  18. 
(4-)  Alting,  Frisia  vox  Brucleri,  cilanl  Pline,  Episl.  H,  lib.  II. 


—  48i  — 

Rome  n'abandonna  plus  I  usage  de  celle  |jolilif|ue  envers 
les  Germains.  Mais  ceux-ci  s'en  élant  aperçus,  ils  se  sen- 
tirent entraînés  à  en  tirer  vengeance,  et  se  préparèrent  à 
faire  reculer  des  frontières  les  garnisons  de  l'Empire. 

Ces  dispositions  ont  dû  s'être  fait  jour  pendant  le  règne 
d'Antonin-Pie,  car  au  début  de  celui  de  Marc-Aurèle,  nous 
voyons  la  Germanie  se  présenter  en  armes  sur  le  Rliin  et 
le  Danube.  Là,  les  Quades  et  les  Marcomans,  au  centre  les 
Galles,  qui  en  sont  peu  écartés  et  qui  confinent  à  la  grande 
nation  des  Chauques  ici  sur  l'Océan,  semblent  s'èlre  alliées 
pour  enserrer  la  frontière  romaine  d'un  cercle  menaçant. 
En  168,  Helvius  Perlinax,  gouverneur  de  la  Germanie  in- 
férieure, remporta  un  avantage  sur  les  Galles,  qui,  parait-il, 
avaient  francbi  le  Rbin;  et,  s'il  était  possible  d'ajouter  foi 
aux  récits  légendaires  de  nos  cbroniqueurs,  les  Germains 
eussent  été  soutenus,  aidés,  appelés  peul-éirre  par  nos  an- 
cêlres  s'insurgeant  contre  Rome  (i).  La  nature  des  plaintes 
qu'avait  formulées  Civilis  contre  le  gouvernement  impérial, 
rend  très-vraisemblable  la  participation  des  peuplades  bel- 
ges à  celle  agression  germanique.  «On  nous  traite  en  escla- 
»  ves,  dit-il,  et  quand  les  centurions  sont  rassasiés  de  nos 
»  dépouilles,  on  les  cbange  et  il  faut  fournir  de  nouvelles 
»  proies.  »  La  sage  administration  de  Marcus  UlpiusTrajan 
avait  su  porter  remède  à  toutes  ces  avanies.  Ses  rescrils 
nous  laissent  entrevoir  l'une  des  vexations  auxquelles  les 
troupes  belges  auxiliaires  étaient  exposées.  En  même  temps 
qu'ils  accordent  congé  ou  démission  bonorable  aux  bommes 
des  contingents  nerviens,  bélbasiens,  longrois,  suuiques, 
etc.,  les  rescrils  leur  confèrent  le  jus  conmibium  (2),  par 
conséquent  confirment  aux  héritiers  naturels  le  droit  de 
succéder  à  leurs  biens;  car,  en  Tabsence  de  ces  conditions. 


(1)  Cfr.  Peppe,  Dissertation,  p.  16,  note. 

(2)  Ch.  Duvivier,  Pagus  Hanioensis.  Preuves,  I,  II,  III. 

3* 


—  48^2   — 

le  mariage,  considéré  comme  non  légal  par  les  préfets 
romains,  était  lenu  pour  nul,  les  biens  confisqués,  la 
femme  et  les  enfants  vendus  comme  esclaves.  Il  eût  suffi 
que  ces  abus  de  pouvoir  se  fussent  reproduits  cbez  nous 
—  et  l'abus  est  dans  la  nature  des  choses  —  pour  que  nos 
pères  eussent  participé  à  une  attaque  contre  les  Romains 
qui  les  opprimaient. 

Mais  ce  fut  vers  l'année  174-,  qu'une  véritable  invasion 
des  forces  germaniques  eut  lieu  sous  la  direction  princi- 
pale de  la  puissante  nation  des  Chauques.  Celte  guerre,  à 
peine  mentionnée  par  Xiphilin,  eut  des  résultats  de  des- 
truction terribles  :  les  découvertes  provenant  des  fouilles 
opérées  sur  notre  territoire,  dénoncent  qu'une  grande  quan- 
tité d'établissements  romains,  antérieurs  à  cette  époque,  a 
été  la  proie  de  l'incendie  (i).  On  ne  peut  dire  combien  de 
campagnes  a  duré  cette  guerre,  que  Salvius  Didius  Julianus 
termina  par  une  victoire  à  l'avantage  de  Rome  en  176. — 
Environ  seize  ans  plus  tard,  Clodius  Albinus,  gouverneur 
pour  Commode,  refoula  un  corps  de  Frisons  qui  avait  en- 
vahi la  Belgique  (2).  C'est  à  ces  expéditions  que  nous 
croyons  poavoir  faire  remonter  l'origine  de  la  confédéra- 
tion franke,  dont  les  écrivains  latins  nous  parlent  pour  la 
première  fois,  cinquante  ans  plus  tard,  mais  comme  d'une 
ligue  dont  l'existence  était  connue.  En  effet,  le  document 
le  plus  ancien  qui  nomme  les  Franks,  est  antérieur  à 
l'an  240  :  c'est  la  Table  de  Peutinger.  Mannert,  qui  cer- 
tainement est  compétent  dans  la  question  d'origine  des 
documents  de  cette  espèce,  l'attribue  à  l'année  2o0. 

L'auteur  d'une  édition  de  cette  Table,  qui  parut  à  Bude 
en  1823,  avance  qu'elle  appartient  au  règne  de  Marc  y\urèle 


(1)  Cfr.  H.  SciiUERMANS,  Annales  de  l'Académie  d'Archéol.  de  Belgique,  t.  II, 
p.  48,  2<=  série. 

(2)  Jules  Capitqlin,  In  Albino,  p.  C.  —  Voir  aussi  Peppe,  libro  citalo,  et 
More,  Belgique  ancienne. 


—  -485  — 

quant  à  sa  rédaction,  qui  romontrail  ainsi  aux  temps  antc- 
iicurs  à  Tan  180.  Or  cette  Table  porte  le  nom  de  fr\.\cia 
écrit  en  grandes  lettres  sur  la  rive  droite  du  Uliin,  et  en 
outre  les  noms  suivants,  en  parlant  de  rcmboucliurc  du 
fleuve  pour  le  remonter  :  Chaucf,  Ambsibarii,  Cuamavi  qui 
ET  Franci  el  le  mot  Fresii  dominant  sur  ceux  qui  précèdent, 
enfin  Brlcturi  au  S.  E. 

La  situation  des  Chaucf  sur  le  rivage  de  l'Océan,  el 
adossés  au  Uhin  sur  le  territoire  qu'on  attribue  générale- 
ment aux  Caninéfates,  au  moins  pour  les  époques  anté- 
rieures, nous  montre,  non  la  grande  nation  des  Chauques 
domiciliée  entre  PEms  et  l'Elbe,  et  confinant  aux  Cattes 
dans  la  direction  du  midi,  mais  un  essaim  de  ce  peuple 
maritime  que  Pline  (i)  signale  déjà,  et  que  Des  Hoclies  a 
placé  près  du  Helder  (2).  Les  rapports  du  Caninéfate  Ga- 
nascus  avec  les  Cbauques  du  Weser  dénoncent  des  rela- 
tious  fort  anciennes  entre  les  riverains  de  cette  rivière  et 
ceux  du  bas  Rhin.  Aussi  trouvons-nous  au  nord  de  Leyde 
le  village  de  Cage,  et  à  peu  de  distance  à  Touest,  celui  de 
Sassenem,  reproduisant  le  nom  des  Saxons,  que  les  Cbau- 
ques portèrent  dans  la  suite,  et  qui  peut-être  était  le  nom 
générique  indigène  de  la  nation;  enfin  la  passe  près  de 
Goerée,  nommée  Quacksdiep,  qui  semble  rappeler  la  fré- 
quentation de  ces  parages  par  des  marins  de  ce  peuple. 
Ces  Cbauques,  alliés  aux  Frisons  et  fédérés  aux  Franks, 
constituèrent  ces  floKes  de  corsaires  qui  allèrent  rançonner 
les  côtes  des  Gaules  el  d'Espagne  pendant  le  IIÎ"  siècle  (3). 


(1)  (I  In  Rlieno  ipso,  pi'ope  C.  M.  p.  in  longiludincm  nobilissinia  Batavo- 
riim  insula  et  Caninefatum,  el  alise  FiMsiorum,  Caiiclionim,  Frisiabonum, 
Sluriorum,  Marsafiorum;  quae  slernunlur  inler  ndium  el  Flevum.  »  Hisl. 
na(.,  lib.  IV,  c.  13. 

(2)  Histoire  des  Pays-Bas  autrichiens,  I.  I,  p.  213. 

(3)  Les  Chauci,  Chauken,  Kaiiken  ou  Quackcii,  eiilrc  TEms  cl  IT.Ibc,  ont 
laissé  leur  nom  à  Quackenbrug  sur  le  IFaas.  Ce  nom  vicndrail  de  Quakclige 
bodem,  selon  H.  G.  Hartman  Jz.  {Nederduilsch  Tijdschrifl,  1867,  p.  27). 


—  4S4  — 

Orleliiis  place  les  Chamavi  daus  le  Veluwe,  donl  la  côle, 
jusqu'à  rcmbouchure  de  TYsscl,  portail  dans  le  haut  moyen 
âge  le  nom  de  [îamaland.  Ils  dominaient  donc,  à  l'époque 
où  la  Table  de  Peulinger  fut  rédigée,  sur  l'ancien  territoire 
des  Marsaci  (i);  «  mais,  comme  le  dit  Pinkerton,  si  les 
maîtres  changent,  les  habitants  demeurent  (2).  »  Tacite 
nous  fait  connaître  que  la  vallée  de  l'Yssel  et  de  ses  affluents 
à  l'est  avait  été  d'abord  occupée  par  les  Chamaves,  avant 
de  devenir  le  domicile  des  Tubantes  et  des  Usipiens  (3). 
Depuis  l'an  58,  cette  vallée  était  devenue  l'asyle  des  Amb- 
siDARii,  qui  s'y  développèrent  au  point  d'être  comptés  parmi 
les  tribus  marquantes  des  Franks.  Le  souvenir  de  leur  nom 
s'est  conservé  dans  les  villages  de  Amsscn,  près  Lochem, 
el  Amerscliot,  près  Borkeloo.  Ils  occupaient  les  cantons  de 
Twente  et  Bentheim,  ancien  domicile  des  Tubantes,  et  le 
Salland,  qui  retrace  le  nom  des  Saliens,  dénomination  qui 
plus  lard  devint  générique  pour  tous  les  Franks  du  nord- 
ouest.  Les  Chamaves  s'étendaient  encore  le  long  du  Rhin, 
frontière  de  l'Empire,  qu'ils  séparaient  ainsi  des  Ambsibarii, 
el  ayant  devant  eux  les  Sicambres,  dits  Gugernes,  donnaient 
la  main  aux  Bructeri,  qui  au  IIF  siècle  occupaient  tout  le 
territoire  jusqu'aux  Galles  d'une  part  el  aux  Grands  Chau- 
ques  de  l'autre.  Les  Franks  donc  enserraient  la  frontière 
au-delà  de  laquelle  ils  avaient  des  adhérents  sympathiques 
dans  les  Sicambres,  les  Taxandres,  les  Tongrois  et  autres 
peuplades  tudesques,  donl  les  mœurs,  le  culte  et  les  lois 
étaient  sertiblables  aux  leurs. 

En  214,  Caracalla  fil  la  guerre  aux  Galles  et  aux  Alle- 
mans,  dont  la  fédération  s'était  fait  connaître  dès  le  temps 
de  Marc-Aurèle,  et  il  resta  assez  longtemps  parmi  eux, 
tantôt  comme  ami,  tantôt  comme  ennemi  (4). 

(1)  La  trace  du  nom  se  trouve  dans  Marsen  sur  le  Veclil,  N.  0.  d'UlrecIit. 

(2)  Élablissemenl  des  Scythes,  p.  66. 

(3)  Twente.  —  Bentheim;  —  et  Zutplien,  Weesep.,  etc. 

(4)  HEEnEN,  Manuel,  p.  570. 


—  485  — 

Les  Frauks  ne  s'abstinrent  pas  longtemps  de  rançonner 
fes  provinces  de  l'Empire,  et  quoiqu'ils  eussent  été  vaincus 
par  M.  Alexandre  Sévère  et  par  son  successeur  Maximin, 
ils  n'en  furent  désormais  que  plus  animés  contre  les  Uo- 
mains.  En  leur  offrant  un  tribut  pour  ne  point  violer  les 
limites,  Alexandre  n'avait  fait  que  les  allécbcr  davantage, 
et  en  accordant  des  terres  en  bénéfice  aux  généraux  et  com- 
mandants de  son  armée,  déjà  en  partie  Germains  (i),  il 
avait  créé  un  nouvel  appât  à  l'ambition  avide  des  barbares, 
pour  lesquels  l'obligation  de  défendre  ces  terres  par  les 
armes  était  une  charge  d'autant  moins  légère,  qu'elle  ré- 
pondait à  leurs  instincts  guerriers.  Aussi,  sous  les  règnes 
des  Gordiens,  de  Philippe  et  de  Dèce,  pensons-nous  que 
les  Frauks  ont  commencé  à  dominer  réellement  sur  la 
partie  de  la  rive  gauche  du  Rhin,  sans  que  leur  domina- 
tion toutefois  y  fut  permanente.  Cette  hypothèse  résulte 
des  considérations  suivantes.  La  colonie  que  Trajan  avait 
établie  chez  les  Sicambres  entre  la  Meuse  et  le  Rhin, 
Ulpia  colonia  Trajana  était  devenue  prospère  en  un  temps 
assez  court,  comme  le  nombre  et  la  nature  des  monuments 
qu'on  a  découvert  à  Kellen  (5  kilomètres  de  Clèves)  l'in- 
diquent. Plusieurs  de  ces  monuments  sont  datés  par  la 
mention  des  consulats  contemporains;  or,  le  plus  récent 
de  ces  monuments,  que  nous  sachions,  est  du  consulat  de 
Gordien  et  Alviola,  c'est-à-dire  de  l'année  239  (-2).  Ulpia 
Trajana  Colonia  est  encore  mentionnée  ultérieurement,  il 
est  vrai;  dans  Ammien,  Oblrkesimœ,  dans  l'Uinéraire, 
vetera  Legio  XXX  U/pia,  et  dans  le  géographe  de  Ravenne 
Traja;  mais  ce  n'est  plus  qu'une  ville  déchue,  dont  les 
occupants,  toujours  tenus  eu  éveil,  n'ont  plus  le  loisir 
d'élever  des  monuments.  Nous  disons  qu'il  s'agit  ici  de 


(1)  Lampridius,  In  Alexandro  Severo,  p.  202. 

(2;  Cfr.  Alti>g,  Gamania  infcrior.  Vox  Colonia  Trajona  Ulpiu. 


—  486  - 

Kellen,  el  Ton  pourrait  nous  objecter  que  des  auteurs  al- 
ij'ibuent  les  monuments  signalés  à  Xanten.  En  effet,  bien 
que  Waslelain  el  la  majorilé  des  écrivains  regardent  Kellen 
pour  le  lieu  de  cantonnement  de  la  XXX'^  Légion  Ulpia, 
et  Xanten  (Vetera)  pour  celui  de  la  XXI^  Trajana,  Alting 
affirme  Tattribulion  inverse.  Mais  la  solution  de  celte  di- 
vergence d'opinion  n'a  |ias  d'importance  dans  la  question 
qui  nous  occupe.  Ces  localités  ne  sont  distantes  l'une  de 
l'autre  qu'environ  vingt  kilomètres,  et  les  Coloni  romani 
ont  pu  facilement  se  confondre  avec  les  soldats  romains 
de  la  XXIMégion  après  un  siècle  et  demi  de  fréquentation. 
Valérien,  qui  sut  distinguer  parmi  ses  généraux  Cassia- 
nus  Latinus  Poslbumus  (t),  réussit  par  son  moyen  à  tenir 
les  Franks  à  distance,  mais  sous  son  successeur  Galien,  il 
n'en  fut  plus  de  même;  bien  qu'il  vînt  en  personne  cam- 
per sur  le  Rhin,  il  ne  put  maîtriser  leurs  entreprises,  el 
crut  être  parvenu  à  neutraliser  leurs  tentatives  en  con- 
cluant la  paix  avec  leurs  chefs,  à  condition  qu'ils  s'oppo- 
sassent aux  détachements  franks  qui,  par  continuation, 
cherciieraienl  encore  à  franchir  le  Rhin  (à).  Ainsi,  dés  259, 
les  Césars  étaient  forcés  à  traiter  avec  la  confédération;  et 
les  conditions  reprises  dénoncent  que  dès  lors  les  popula- 
tions des  rives  gauches  du  Bas-Rhin  et  de  la  Meuse  élaient 
unies  aux  Franks.  En  2G2,  leur  influence  fit  déférer  la 
pourpre  à  L.  Poslbumus,  qui  déjà  avait  enrôlé  seize  mille 
des  leurs  comme  auxiliaires  sous  les  aigles  romaines.  Cet 
empereur  était  né  dans  la  Gaule,  très-probablement  dans  la 
Gaule-Belgique  (s).  Il  parvint  à  chasser  les  Romains  au- 


(1)  «  Poslhuiuus  in   Gallia  obscurissime   natusr  »  Eutrop.  ,  Hisl.   rom., 
ib    IX. 

(2)  ZoziM,  lib.  I,  et  Zonaras,  Ann  ,  XIJ. 

(5)  Selon  Dom  RlAnTiN,  PosUiumus  se  faisait  représenter  sur  les  nionu- 
nienls  et  sur  ses  monnaies,  sous  les  traits  de  Mercure.  En  1695,  on  décou- 
vrit près  de  Bauvais  une  pierre  portant  en  relief  un  Mercure  barbu  avec 


—  -487  — 

delà  des  Alpes,  mais  il  fut  assassiné  à  Mayence  après  un 
règue  de  dix  ans,  longlem|)s  cité  pour  ses  bienfaits.  Les 
Franks  furent  en  hostililés  conslanlcs  pendant  la  période 
décennale  qui  suivit.  Tantôt  victorieux,  tantôt  vaincus, 
leur  existence  de  ce  côté-ci  des  frontières  de  la  (iaule- 
Belgique  ressort  de  tous  les  passages  des  auteurs  latins. 
Dès  l'an  260,  ils  avaient  occupé  Tile  des  Bataves  (i),  et  si 
Tempereur  Probus  parvint  à  les  vaincre,  ils  ne  tardèrent 
point  à  y  dominer  de  nouveau.  C'est  l'époque,  disent  les 
fables  de  la  Frise,  où  les  Franks  commencèrent  à  être  renom- 
més, et  où  noire  cbef  Ubbo  (Obbe)  lit  subir  une  sanglante 
défaite  aux  Bataves  qui  l'avaient  attaqué  (2). 

Dans  les  cantons  méridionaux  de  la  Belgique,  le  pou- 
voir des  Romains  se  trouvait  mieux  établi.  Si  les  Césars 
n'ont  en  aucun  siècle  commandé  d'une  manière  non  inter- 
rompue en  Ménapie,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'une 
partie  de  ce  territoire  avait  été  modifiée  par  l'occupation 
permanente,  et  fournissait  sans  interruption  les  contingents 
militaires^  l'empire.  Nous  voulons  parler  de  cette  partie 
qui  constitua  dans  la  suite  l'office  (cimbaçht)  de  Cassel,  la 
châlellenie  de  Lille  et  le  Tournaisis.  C'est  dans  les  limites 
de  ces  cantons  que  dut  naître,  vers  l'époque  de  Valérien, 
le  célèbre  (3)  Carausius,  Civis  Mmapius,  auquel  l'empire 
confia  le  commandement  de  la  flotte  de  Boulogne,  et  la 
mission  de  donner  la  cliasse  aux  corsaires  et  pirates  saxons 


avec  rinscription  :  Mehccrio  Augusto  {Rd.  des  Gaulois,  t.  I.  p.  343).  Quoique 
l'auteur  ne  veuille  pas  voir  l'oslliunie  sur  ce  monumeut,  il  n'Iiésile  pas  à 
allribuer  à  son  fils  le  Mei-cure  adolescent  trouvé  à  Maubeuge.  p.  360. 

(1)  JcNius,  Balavia,  p.  126. 

(2)  Ce  même  chef  construisit  le  château  de  Tecklenburg,  près  des  sources 
de  la  Haase.  Hamcoimii  Frisia,  p.  17. 

(3)  Sa  renommée  a  atteint  de  nos  jours  les  États-Unis.  Du;  Pi;ysti:iii;  y 
a  publié  :  Hislory  of  Carmtsiuii,  Ihe.  DvJch  Anijuslus  and  Empcror  of  Ihc 
Brilons.  Pougkeepsie,  a»  1838  (I  vol.,  333  pp..)  Renseignement  du  à  l'obli- 
geance  de  mon  ami,  D.  Buddingh. 


—  488  — 

qui  infestaient  les  côtes.  La  répartition  des  prises  donna 
lieu  à  un  conflit,  et  comme  il  ne  voulait  point  se  sou- 
mettre, le  César  Maxitnianus  commanda  de  le  tuer.  Le 
Ménapien,  averti,  se  déclara  indépendant  et  appela  les 
Franks  à  son  aide.  Ceux-cî,  qui  s'étaient  déjà  infiltrés  sur 
ce  que  Ton  nommait  le  territoire  de  l'Empire,  vinrent  en 
force  et  firent  reculer  les  troupes  romaines.  Carausius  les 
confirma  dans  leurs  possessions  qui  s'étendaient  sur  les 
rives  et  les  îles  du  Bas-Escaut  (i).  Dès  lors,  leur  domina- 
tion s'établit  sur  le  sol  belge,  et  la  fusion  entre  eux  et  les 
indigènes  devint  d'autant  plus  complète,  que  Maximianus  se 
hàla  de  traiter  avec  eux  pour  les  détacher  de  Carausius, 
qui  prenait  la  pourpre  dans  la  Grande-Bretagne,  et  concéda 
des  terres  à  ces  peuples  que  commandaient  Genobald  et 
Areth.  Il  nous  paraît  que  ce  fut  dans  ces  conflits  que  l'im- 
portance de  Mont-Cassel,  Caslelhim  Menapiorum,  s'éclipsa 
pour  laisser  prendre  la  place  de  métropole  de  la  Ménapie 
à  Tournai.  C'est  à  une  dixaine  d'années  de  là  que  les  lé- 
gendes montrent  saint  Piat  à  Tournai,  et  indiquent  l'im- 
portance de  eette  ville,  sans  faire  la  moindre  mention  de 
Cassel  (2). 

En  293,  l'année  même  où  Carausius  fut  assassiné  en 
Grande-Bretagne,  Constance-Chlore  marcha  contre  les 
Franks  et  les  refoula  vers  l'île  des  Bataves;  mais  il  eut 
soin  d'emmener  ses  captifs,  pour  les  fixer  en  qualité  de 
Lètes  sur  les  terres  incultes  des  environs  d'Amiens,  Beau- 
vais,  Troyes  et  Langres  (3).  Cependant  les  Franks  du 


(1)  J.  C.  Marschall,  Essai  historique  sur  Anvers,  citant  FRÊnET,  De  la 
monar.  franc,  p.  11.  —  «  Intérim  Batavia  Galliae  regio  per  Francos  reges 
aliquot,  occupala  ad  Carausium  tyrannum  déficit.  »  Sicosius,  lib.  I,  p.  12. 

(2)  ScRkYES,  La  Belgique  et  les  Pays-Bas  avant  etpendant,  etc.,  t.  II,  p.  281 
et  283.  —  Les  médailles  les  plus  récentes  trouvées  à  iMont-Cassel,  sont  de 
Prohus.  Ibid.,  t.  m,  p.  417. 

(5)  JuNius,  Batavia,  p.  128.  —  Mamemikus,  Panegyr.  Maximiani. 


—  489  — 

Haut-Rhin  ne  tardèrent  point  à  se  montrer,  et  en  50G, 
Constantin  marcha  contre  eux,  les  vainquit  et  livra  leurs 
rois,  Ascarie  et  Gaëso,  aux  bctes  du  cirque  de  Trêves; 
action  qu'exaltèrent  les  courtisans  d'un  trône  autour  du- 
quel on  se  plaisait  à  répéter  :  Francnm  habeio  amiciun  at 
non  vicinum  (i).  En  somme,  les  Romains  les  haïssaient; 
«  les  Franks  sont  menteurs,  mais  hospitaliers,  dit  Sal- 
vien  (2);  »  Vopiscus  et  Procope  les  accusent  de  se  faire  un 
jeu  de  violer  leur  foi;  et  Nazarius,  d'être  le  plus  féroce  des 
peuples.  On  ne  peut  s'arrêter  à  des  accusations  de  cette 
nature  lancées  par  des  ennemis,  surtout  quand  ces  enne- 
mis sont  des  Romains  du  Bas-Empire. 

Constantin  avait  voulu  dompter  les  Franks,  et  non  les 
détruire;  il  avait  besoin  des  soldats  de  cette  nation;  aussi 
assure-t-on  (3)  qu'un  corps  de  milices  frankes  combattit 
sous  ses  étendards  aux  Roches-Rouges,  là,  où  deux  reli- 
gions semblaient  aux  prises,  rencontre  qu'on  a  nommée  à 
tort  bataille  du  Pont-Melvius,  événement  qui  exerça  son 
influence  sur  tous  les  siècles,  et  où  le  paganisme  officiel 
reçut  un  coup  mortel  (4).  Le  frank  Bonicius  commandait 
ces  auxiliaires,  qui,  en  318,  s'illustrèrent  encore  pour  la 
cause  de  Constantin  contre  Licinius.  Ce  fut  peut-être  à 
cette  occasion  que  l'empereur  rendit  un  décret  permettant 
aux  Césars  de  s'allier  au  sang  des  Franks,  bien  que  ce  ne 
fut  qu'au  VIII'  siècle,  lors  de  la  pleine  puissance  des  Car- 
lovingiens  que  Constantin-Porphyrogénête  fît  connaître 
cette  disposition. 

Dès  l'an  312,  on  compta  sans  interruption  des  cohortes 
de  Franks  dans  les  camps  romains.  Ce  que  nous  avons  vu 


{{)  C'était  un  dicton  grec.  Tèv  tppayxôv  (ptXovÈ'/joi;,  yeStov  oux£-/ïi<;. 

(2)  De  Gubcrnat.  Dci,  lib.  Yll. 

(3)  CEDnE^us,  Aeta  concil.  Nieœ,  lib.  !,  c.  3,  cité  par  S.  Dopleix. 

(4)  Ag.  De  Gasparin,  Constantin,  p.   19. 


—  490  — 

plus  haut,  nous  amène  à  dire  que  ces  contingents  étaient 
fournis  par  la  rive  gauche  du  Rhin,  au-delà  duquel  Rome 
ne  prétendait  pas  trouver  encore  le  sol  impérial.  Depuis 
Carausius,  la  Zélande,  le  Nord-Brabant,  Anvers,  une 
grande  partie  du  Limbourg,  de  la  Haute-Gueldre  et  de 
Clèves,  l'ile  des  Balaves,  etc.,  étaient  franks,  bien  que  de 
temps  à  autre  ces  contrées  fussent  ramenées  sous  l'obéis- 
sance temporaire  de  l'Empire.  Il  y  a  plus,  le  traité  de 
Maximianus  leur  avait  concédé  des  terres  dans  les  limites 
des  Nerviens  et  des  Tréviricns  (i).  Chez  les  premiers,  ces 
terres  étaient  peut-être  aux  environs  de  Lede,  où  l'on  a 
trouvé  un  cimetière  frank  et  les  vestiges  d'un  camp  de  ce 
peu|)le  (2),  et  autour  d'Assche,  où  il  y  avait  \eCastra  stativa 
des  Romains,  le  Keyzers-Oord,  qui  put  les  surveiller;  chez 
les  seconds,  on  peut  les  supposer  dans  les  localités  voisines 
de  Clerfayt  (3).  Ces  colons,  quoique  régis  par  leurs  pro- 
pres coutumes  identiques  à  celles  des  Germano-Belges,  se 
trouvaient  établis  sur  le  territoire  impérial,  m  solo  romano, 
et  dans  cette  condition,  soumis  à  l'obligation  de  fournir 
des  contingents,  qu'ils  constituaient  du  reste  avec  ardeur, 
par  suite  de  leur  amour  des  entreprises  guerrières.  Une 
fusion  complète  s'était  depuis  longtemps  opérée  entre  eux 
et  les  indigènes  d'origine  germanique. 

Un  passage  de  Procope  de  Césarée,  auteur  du  VI''  siècle, 
a  donné  le  change  pendant  longtemps  sur  la  manière  par 
laquelle  la  fusion  s'était  opérée,  et  ce  par  suite  d'une 
erreur  de  plume.  Traitant  de  l'alliance  des  Franks  avec 
les  cités  armoricaines  conclue  après  la  conquête,  il  écrit 


(1)  «  Sicul  poslea  tuo  Maximiane  Auguste,  iiulu  Nerviorutn  et  Treverorum 
arva  jaeenlia  laîtus  postliminlo  reslilulus  et  rcceplus  in  Icges  Fraucus  exco- 
lit.  »  (Mamert,  Pancg.  Max, 

(2)  ScHAYES,  La  Belgique  avant  et  pendant,  t.  III ,  p.  572.  —  Zellick  et 
Hamerghem,  près  Bouchout,  fout  penser  aux  Salii  et  aux  Chamavi. 

(3)  Allwies;  —  Salscliafl  et  Salselle. 


—  401   — 

Arborichœ  au  lieu  iVArmorichœ.  Celle  lellre  li  a  dérouté 
nos  savants  au  point  de  leur  faire  imaginer  un  peuple 
ignoré  de  tous  les  autres  écrivains.  Bucherius,  Valesius  cl 
Tabbé  Dubos  onl  signalé  l'erreur  du  copiste,  erreur  qui 
avait  poussé  Junius  à  l'identifier  avec  les  Abodridcs  des 
bords  de  l'Elbe.  Mais  le  passagge  entier  cl  la  position  qu'il 
occupe  dans  le  récit  font  clairemenl  reconnaître  un  fait 
appartenant  au  début  du  règne  de  Clovis  et  spécial  à  la 
Gaule  (i). 

A  partir  du  traité  d'alliance  que  Constantin  II  fil  avec 
les  Franks,  en  542,  nous  voyons  leurs  forces  cl  leur  in- 
fluence continuellement  s'accroître.  Ils  figurent  avec  éclat 
dans  toutes  les  révolutions  du  gouvernement,  se  préparant 
ainsi  à  saisir  la  domination,  et  pour  y  réussir  occupant 
quarante  villes  des  bords  du  Rbin,  en  534.  Mais  Rome 
parvint  à  entraver  leurs  succès,  en  leur  opposant  des  trou- 
pes aguerries  commandées  par  Julien,  Après  avoir  battu 
les  Allemans,  ce  prince  passa  le  Rhin  à  Mayence  pour  aller 
barceler  les  Franks  chez  eux.  Mais  ce  qui  prouve  la  puis- 
sance de  leur  occupation  sur  notre  territoire,  c'est  la  ren- 
contre que  fît  son  lieutenant  Severus,  aux  bords  de  la 
Meuse,  en  se  rendrnl  de  Cologne  à  Reims.  11  se  heurta  à 
un  corps  de  seize  cents  Franks  qui  rançonnaient  les  Ro- 
mains. S'élanl  réfugiés  dans  deux  forteresses  voisines  de  la 
rivière,  Severus  les  assiégea  pendant  cinquante-quatre  jours 
de  l'hiver  de  l'an  557,  cl  les  força  de  capituler.  Ces  deux 
forts  pourraient  bien  être  ceux  de  Sanson  (2)  et  de  Mont- 
Bourdon,  qui  en  est  voisin.  Décidé  à  réduire  les  Franks, 


(1)  Cfr.  Wastelain,  Desc.  de  la  Gaule  Belgique,  p.  42.  —  Junius,  Batavia, 
p.  137.  —  L'abbé  Lepaige  de  La  Lagiie  écrivit  une  dissertation  sur  la  qualité 
de  Belges  des  Arboriches?  elle  se  trouve  dans  les  anciens  Mémoires  de  l'Aca- 
démie de  Bruxelles. 

(2)  On  y  a  trouvé  des  vestiges  de  Tépoquc.  Cfr.  A.  Becquet,  Annales  de  la 
Société  archéologique  de  IVamur,  t.  IX,  p.  SSi. 


—  492  — 

Julien  se  rendit  à  Tongres  Tannée  suivante,  dans  le  but 
d'attaquer  les  Saliens  qui  en  étaient  peu  éloignés  (i). 
Ammien-Marcellin  les  place  dans  la  Taxandrie,  vers  Tes- 
seuderloo  et  Schaffen,  où  l'on  a  reconnu  des  vestiges  de 
l'occupation  franke.  Julien  marcha  de  là  contre  les  Chama- 
ves,  qui  se  seraient  donc  trouvés  également  de  côté-ci  de 
la  Meuse.  Le  village  de  Cham,  aujourd'hui  Chaem,  près 
Alfen,  se  rapporte  peut-être  à  leur  séjour.  Julien  accorda 
la  paix  aux  Saliens,  à  la  condition  de  fournir  un  contin- 
gent régulier.  La  notice  de  l'Empire  mentionne  des  cohortes 
de  Saliens;  celles-ci  furent  très-probablement  désignées 
par  le  nom  de  Salii  Seniores,  et  la  cohorte  des  Juniores 
aurait  été  formée  par  le  corps  de  la  nation  que  Julien  ren- 
contra plus  au  nord.  Les  Chamaves  obtinrent  la  paix  à 
condition  de  retourner  dans  leur  pays,  au  nord  du  Rhin. 

Ammien-Marcellin  établit  deux  grandes  divisions  de  la 
nation  franke  :  les  Salii,  originaires  des  contrées  arrosées 
par  l'Yssel  et  occupant  le  Bas-Rhin  avec  les  Chamaves;  et 
les  Hattuarii  (2),  renfermant  les  Brucetères  et  les  Catles 
au-delà  du  Rhin.  Ce  nom  signifie-t-il  «  descendants  des 
Cattes,  »  la  syllabe  varii  ayant  ce  sens  dans  quelques  dia- 
lectes; ou  est-il  la  latinisation  du  nom  de  Wetterauern  (la 
Veteravie?)  Quoi  qu'il  en  soit,  les  Hattuarii,  quand  plus 
tard  ils  eurent  franchi  le  Rhin,  occupèrent  l'ancien  terri- 
toire des  Sicambres,  dont  le  nom  fut  aussi  attribué  aux 
Saliens,  surtout  par  les  poètes  et  les  rhéteurs  panégyristes. 

Ceux  des  Saliens  qui  habitaient  l'Ile  des  Balaves,  voyant 
leurs  compatriotes  reçus  en  grâce  par  Julien,  songèrent  à 
mériter  sa  protection.  Une  agression  venue  de  l'extérieur 
précipita  leurs  démarches.  Les  Chauques  de  la  confédéra- 
tion saxonne  se  présentèrent  pour  s'emparer  de  l'île  des 


(1)  p.  A.  J.  GÉRARD,  Hisloirc  des  Francs  d'Austrasie,  t.  I,  p.  59  cl  scq. 

(2)  Alting,  Nolitia  Balaviœ  Frisiœquc,  p.  71. 


—   495  — 

Balavcs,  cl  malgré  la  résistance  des  Franks  qu'ils  expul- 
sèrent, ils  alleignircnl  leur  but.  Mais  Julien  vint  au  secours 
des  Saliens,  ordonnant  à  ses  troupes  d'épargner  eux  et  leurs 
biens,  mais  de  poursuivre  les  Saxons,  qui  furent  dispersés. 
Les  fables  frisonnes  rapportent  à  la  même  époque  le  règne 
de  Richold-Uflb,  le  premier  chef  qui  eût  pris  le  litre  de  roi 
des  Frisons,  après  avoir  vaincu  les  Balaves  et  détruit  leurs 
forteresses  (i). 

Le  texte  original  grec  de  Zozime,  écrit  vers  440,  ne 
laisse  d'être  un  peu  confus  sur  ces  événements,  en  ce  sens 
qu'il  écrit  Quadi  au  lieu  de  Chaud,  tout  en  ajoutant  qu'il 
s'agit  d'une  tribu  saxonne.  Quand  nous  avons  égard  à  ce 
que  la  prononciation  du  mot  a  pu  faire  écrire  Qiiaki,  selon 
Harlman,  on  peut  supposer  que  la  lettre  X  initiale  ait  été 
muée  en  K,  et  que  dans  le  mot  même  le  delta  ait  pris  la 
place  d'un  kappa,  soit  par  inadvertance  d'un  copiste,  soit 
par  une  confusion  de  l'auteur  byzantin  lui-même  (2). 

Selon  Nenniu^,  la  confédération  saxonne  remontait  à 
l'an  260,  sous  l'impulsion  de  Bodon  qui  en  eût  été  le  pro- 
moteur; époque  coïncidant  avec  celle  où  les  compilateurs 
frisons  placent  la  construction  des  châteaux  de  Tecklen- 
burg  et  de  Dokkum  (s).  La  ligue  s'est  développée  d'abord 
par  les  courses  maritimes,  et  au  détriment  des  Franks  dès 


(1)  Hamconu  Frisia,  p.  21.  —  Par  un  singulier  anachronisme,  il  fait  ce  roi 
oncle  de  Hengsl  el  de  Horse,  qui  fondèrent  le  royaume  de  Kcnl  en  4G0. 

(2)  D'autres  ont  voulu  lire  Calti;  mais  ceux-ci,  fédérds  aux  Franks,  n'en- 
trèrent jamais  dans  la  ligue  saxonne.  Au  surplus,  voici  le  passage  de  Zozime, 
selon  Leunclavius  :  «  Quum  Saxoncs  omnium  eas  regiones  incolcnlium  bar- 
barorum....  forlissimi  habili,  Quados  nationis  suœ  partem  in  solum  a  Roma- 
nis occupalum  emitlanl.  »  Zozimi,  Hisloria  nova,  p.  232;  Itnae,  1G79,  lib,  III, 
c.  6.  —  Cluvier  et  Leidnitz  croient  qu'il  faut  lire  Cliauques.  Nous  redres- 
sons en  conséquence  ce  que  nous  avons  dit  autre  part  sur  (Juaed-Mcchclen, 
c'est  donc  Quaek-Mcchekn;  on  sait  que  dans  la  prononciation,  le  K  s'élide 
devant  M. 

(3)  EccARD,  De  origine  Germanorum,  p.  199.  —  Cfr.  ci-haut,  noie  p.  486. 
el  Hamcomus,  p.  17. 


—  494   - 

rinstanl  où  ceux-ci  eureiil  contracté  des  alliances  avec 
l'Empire,  circonstance  qui  excita  un  esprit  liostile  chez 
d'anciens  alliés.  A  l'époque  de  Julien,  la  confédération 
saxonne,  qui  comprenait  les  Frisons,  s'efforçait  d'étendre 
sa  puissance  sur  l'intérieur  du  continent.  Après  le  règne 
de  Julien,  nous  les  trouvons  établis  sur  nos  côtes,  et  cher- 
chant à  se  consolider  en  occupant  des  cantons  de  l'intérieur 
où  ils  confinent  aux  Franks.  Nous  voyons  qu'en  566,  les 
Romains  sous  le  commandement  de  Théodose,  général  de 
Valenlinien,  leur  infligèrent  une  sanglante  défaite  près  de 
Denson,  qui  paraît  répondre  à  Deinze.  Le  Liitits  saxotii- 
cum  est  signalé  dans  la  Notice  de  l'Empire,  et  si  elle 
nomme  Mardik  comme  une  de  ses  localités  dans  les  limites 
de  l'Empire,  nous  remarquerons  qu'au  nord  de  celte  limite 
ses  vestiges  se  sont  conservés  dans  le  nom  deSaxenhaven(i), 
qui  jusqu'au  X\\^  siècle  désigna  la  ville  de  Huist,  où  pri- 
mitivement passait  le  bras  principal  de  l'Escaut. 

Les  corsaires  saxons  furent  aussi  désignés  par  les  noms 
de  Roelhen,  Rulheni,  d'où  selon  le  docteur  Henry,  auteur 
d'une  histoire  d'Angleterre,  Paitupife,  aujourd'hui  Richbo- 
roug,  aurait  reçu  son  nom,  ainsi  que  Rodenburg,  main- 
tenant Aardenburg,  dans  la  Flandre  zélandaise  (2).  Ces 
coureurs  des  mers  ont  été  les  prédécesseurs  des  Danois  et 
des  Normands.  Les  chants  de  ces  derniers  énumèrent  les 
côtes  qui  furent  le  théâtre  de  leurs  exploits,  et  les  nom- 
ment Breettland,  Syllingaer,  Valland,  Kunstcar  et  Keira- 
land.  On  y  reconnaît  bien  la  Grande-Bretagne,  les  Sorlin- 
gues,  la  Gaule,  le  Kent  (3);  mais  le  Keiraland  se  rapporle-t-il 
à  la  côte  de  Flandre*^  Le  canton  de  l'intérieur,  que  les  char- 


(1)  Warnkoenig,  Hi/tloire  de  la  Flandre  cl  de  ses  inslilulions,  t.  I,  p.   119. 

(2)  Marshall,  Essai  sur  l'origine  d'Anvers,  p.  12. 

(3)  Depping,  Histoire  des  expéditions  maritimes  des  Normands,  t.  Il,  p.  1G7. 
Pièces  juslificalivcs. 


—  495  — 

tes  oui  nommé  plus  lard  Carabanlum,  Iciidrail  à  le  faire 
croire. 

A  l'occasion  de  l'extension  et  de  l'immigration  des  diilé- 
rentes  tribus,  nous  croyons  intéressant  de  signaler  les 
remarques  fournies  par  des  philologues.  L'aflllnitéde  quel- 
ques-uns de  nos  dialectes  avec  ceux  usités  à  l'est  du  Rhin, 
ont  i\xé  leur  attention.  Ainsi,  celui  d'Arcnsbcrg,  dans  le 
canton  du  Sauerland,  est  l'ancien  saxon  analogue  à  l'idiome 
de  la  Frise;  l'idiome  du  pays  de  Munster  serait  analogue 
au  hollandais,  et  celui  du  comté  de  la  Mark  se  rapproche 
considérablement  du  dialecte  brabançon  (i). 

Julien,  après  ses  succès  au  couchant  du  Rhin,  résolut 
de  réparer  trois  forts  pour  défendre  le  passage  delà  Meuse, 
preuve  que  Rome  n'occupait  plus  cette  ligne  d'une  manière 
permanente.  Quels  étaient  ces  forts?  En  conséquence  d'une 
correction  au   texte  de  I.ibanius,  suggérée  par  Boucher, 
Dewez  pense  que  Kessel  fût  l'un  de  ces  forts  (2).  Mais 
quand  nous  voyons  la  table  de  Peulinger  marquant,  au- 
dessous   de  Maestricht   les   trois  stations  de  Calualium, 
Blerik,  où  l'on  a  retrouvé  les  vestiges  d'un  fort  romain  (5), 
et  Kuyk,  Cevelum,  il  nous  semble  ralionel  d'admettre  ces 
localités,  tout  en  reconnaissant  que  Kessel,  peu  écarté  de 
ïlalen  où  l'on  place  Catualium,  l'ail  remplacé  au  point  de 
vue  stratégique. 

En  560,  Julien  fit  une  expédition  contre  les  Ilatluaires, 
qu'il  vainquit,  et  avec  lesquels  il  conclut  la  paix.  Ses  armes 
furent  les  dernières  qui  jetèrent  quelqu'éclat  sur  le  nom 
romain. 

Valentinien  I",  qui  régna  de  364  à  375,  se  contenta 
d'étaler  sa  puissance  aux  yeux  des  Franks,  puis  se  les 
attacha  pour  avoir  les  moyens  de  repousser  les  Allemans. 

(1)  F.  B.  (Baader?)  Pan-Germane,  p.  H 3. 

(2)  Dictionnaire  géogr.  des  Pays-Bas,  article  CaslcUum. 

(3)  ScHAYES,  liv.  cilé,  l.  III,  p.  572. 


—  490  — 

Leurs  chefs,  Merobaudes  et  Mellobaudes,  furent  comblés 
d'honneurs;  et  un  récit  fabuleux  avance  que  pour  les  succès 
obtenus  par  les  Franks  dans  une  expédition  commandée 
par  Valenlinien  contre  les  Alains,  retranchés  dans  les 
Palus-Mœolides,  ils  obtinrent  le  privilège  d'être  affranchis 
des  impôts  pendant  dix  ans.  Si  le  nom  d'Alani  s'est  substi- 
tué ici  à  celui  d'Alemani,  les  Paelen  c/es  Mems  (Meingau), 
pourrait  bien  avoir  cédé  la  place  au  Palus-Mœotides  sous 
la  plume  des  compilateurs?  Sylvius,  Gaguin  et  Paul-Émile 
écrivent  que  ce  fut  à  l'occasion  de  cette  expédition  que  les 
Franks  reçurent  leur  nom,  qui  dans  la  langue  attique 
signifierait:  nobles  et  féroces  (i).  Lingua  Chattica,  ou  Hat- 
tica,  indique  le  dialecte  de  la  Hesse,  le  haut-allemand,  et  le 
motFrech,  dévié  de  Frank,  signifie: arrogant.  Est-ce  là  ce 
qu'indique  cette  tradition? 

Gralien,  fils  et  successeur  de  Valentinien,  le  premier 
des  empereurs  chrétiens  qui  renonça  officiellement  au  litre 
de  Maximus  Pontifex  (2),  sut  utiliser  les  Franks,  de  même 
que  son  prédécesseur.  En  384,  leur  roi  Richomerus  fut 
porté  au  consulat  avec  Cléarque.  Mais  l'insurrection  de 
Maximus,  proclamé  César  dans  la  Grande-Bretagne,  fut 
l'occasion  offerte  aux  Franks  de  tenter  avec  vigueur  la 
fondation  de  leur  indépendance  sur  le  territoire  de  l'Em- 
pire. La  guerre  civile  étant  terminée  en  388,  par  la  mort 
de  Maximus,  on  les  vit  tous  en  armes,  tant  le  long  du  Rhin 
que  dans  toute  la  Germanie  inférieure.  «Ils  avaient  passé 
la  frontière,  dit  Sulpice-Alexandre,  et  portaient  l'épouvante 
jusqu'à  Cologne  (3).  »  Cette  dernière  phrase  indique  qu'ils 
ne  venaient  point  du  Rhin,  mais  du  nord  et  de  l'ouest  de 
Cologne;  c'était  bien  toute  la  nation.  —  A  celte  nouvelle, 


(1)  «  Sine  qnod   féroces  et  nobilcs,  allica  liiiguâ   Franci  dicerenlur.  » 
JuNius,  Batavia,  p.  156. 

(2)  BuiSGENER,  Ambroise,  p.  27.  —  Christianisme  au  IV''  siècle,  p.  169. 

(3)  GÉRAitD,  Histoire  des  Franks  d'Auslrasic,  l.  I,  p.  69. 


—  497  — 

Nannenus  et  Quiiilinus,  que  JVlaximus  avait  donné  pour 
commandants  à  Trêves,  marchèrent  à  Tennemi  dans  la 
direction  de  Coloi^ne;  mais  le  dcHachcmcnl  signalé  dans  ces 
contrées  avait  repassé  le  iliiin  avec  son  butin,  f.e  gros  de 
Tarméc,  sous  les  ordres  de  Genobaid,  Marcomir  et  son 
frère  Sunon,  roi  des  Chamaves,  se  tenait  dans  la  Carbona- 
rîa  sylva.  Les  Romains  les  attaquèrent  près  de  cette  forêt 
et  furent  vainqueurs,  mais  ne  poussèrent  pas  plus  avant 
dans  cette  direction,  et  se  replièrent  sur  le  Rhin,  au-delà 
duquel  ils  éprouvèrent  une  sanglante  défaite  (i). 

La  forêt  Charbonnière  s'étendait  sur  le  Hainaut  et  le 
Drabant  (2);  et  en  conduisant  l'armée  de  Cologne  ou  de 
Trêves  par  Arlon,  Mande  (3),  Saint-Etienne,  Marche  et 
Namur,  nous  pouvons  admettre  que  la  rencontre  eut  lieu 
sur  la  lisière  orientale  de  la  forêt.  La  situation  de  Fran- 
quignies,  près  Ollignies,  sur  la  limite  de  la  Charbonnière, 
pourrait  bien  mettre  sur  la  voie  de  cette  mémorable  ren- 
contre. 

Par  suite  de  la  défaite  de  Maximus,  Valenlinien  II 
chargea  le  Frank  Arbogaste  de  poursuivre  cette  guerre.  Ce 
général  passa  le  Rhin,  et  après  avoir  momentanément  ter- 
rifié les  populations,  amena  son  maître  Eugenius  qu'il  avait 
mis  sur  le  trône  en  place  de  Valentinien,  à  renouveler 
avec  les  Franks  les  anciens  traités.  Théodose  s'élant  porté 
vengeur  de  Valentinien,  marcha  contre  Eugenius  et  le 
vainquit,  ce  qui  porta  Arbogaste  à  se  donner  la  mort,  en 
394.  Thédose,  seul  maître  de  l'Empire,  mourut  l'année 
suivante. 

Il  nous  est  parvenu  un  document  que  nous  attribuons  à 
l'époque  de  Théodose,  c'est  l'Itinéraire  connu  sous  le  nom 

(1)  Gregor.  TcnoN.,  Hisl.  Franc,  liv.  Il,  c.  9. 

(2)  Cfr.  Ch.  Duvivier,  Pagus  Hainoensis,  p.  23. 

(o)  Meduantum  de  la  Table.  —  Sciuves,  La  Belgique  et  les  Pays-Bas,  clc, 

t.  11,  p.  468. 

35 


—  498  — 

d'Antonin.  Ce  dernier  nom,  selon  Wesseling,  est  un  pseu- 
donyme, plusieurs  copies  portent  même  le  nom  d'Honorius 
ou  d'iElhicus  (i).  Cluvier  partage  également  l'opinion  que 
ce  document  n'appartient  pas  au  règne  d'Antonin-Pie,  mais 
bien  au  IV'=  siècle.  Il  ressort  de  l'Itinéraire  une  silnation 
politique  intérieure  toute  autre  pour  nous,  que  les  prestiges 
dn  nom  romain  auraient  pu  nous  le  faire  croire.  D'abord, 
si  nous  observons  que  la  roule  méridionale  de  la  Balavie, 
et  celle  longeant  la  rive  gaucbe  de  la  Meuse,  qui  figurent 
sur  la  Table,  ont  disparu  de  l'Itinéraire,  nous  pouvons  en 
conclure  que  les  Romains  n'en  étaient  plus  en  possession. 
La  voie  septentrionale  qui  passait  par  Maenen  (2)  sous  Elde, 
au  nord  du  Rhin,  contrairement  à  ce  qu'indiquait  la  Table, 
fait  supposer  que  la  voie  méridionale  était  au  pouvoir  des 
Germains  libres;  et,  sur  notre  propre  territoire,  les  distan- 
ces reprises  nous  ont  fait  admettre  que  la  Haute-Chaussée 
vers  Gemblours  était  également  au  pouvoir  des  Franks  (3). 
Quant  à  l'embranchement  conservé  par  l'Empire  le  long 
de  la  rive  du  Rhin,  nous  rencontrons  dss  indications  de 
nature  à  nous  confirmer  dans  notre  aperçu.  Voici  comment 
les  localités  de  cette  ligne  sont  signalées  dans  l'Itérinaire: 
Vetera  castra  Leg.  XXX  Ulpia.  —  Calo  Leg.  IX  ala.  — 
Gelduba  Leg.  IX  ala.  —  Novesium  Leg.  V  ala.  —  Buroncus 
Leg.  V  ala.  —  Durnomagus  Leg.  VII  ala.  —  Colonia  Agrip- 
pina  Leg.  XVI.  —  Tolbiacum  vicus  Supenorum  Leg.  X.  — 
Belgiea  Leg.VIII.  —  Marcomagus  Leg.  VIII.  —  Mediolanum 
Leg.  VIII.  —  Sablones  Leg.VIII.  —  Mederiacum  Leg.  X. 
—  Bedavicus  Leg.  XII.  —  Ausava  Leg.  XII.  —  Egoriius 
Leg.  XII.  — Vungus  Leg.  XXII.  —  Epoïssus  Leg.  XXII. 
—  Orolaunum  Leg.  XX.  —  Andethanale  Leg.  XV. 


(1)  ScHAYES,  liv.  cilé,  t,  II,  p.  248.  —  Ci.uverius,  Germ.  atUiquœ,  liv.  II,  c.  S, 

(2)  Munaricium.  Cfr.  D.  Buddingh,  Insula  Batavorutn  of  Kaart  van  Balh- 
aûe. 

(ô)  Documents  et  rapports  de  la  Société  paléonlologique  et  archéologique  de 
Char  1er oi,  t.  I,  p.  53. 


—  499  — 

Bergier  el  Waslelain  pensent  que  ces  cliilîVes  désignent 
des  lieues,  Leugœ,  tout  en  reconnaissant  que  le  mol  ala 
signifie  une  aile  de  cavalerie  cantonnée  à  l'onilroil  indicjué. 
Si,  d'après  celle  hypothèse,  un  ou  deux  chiffres  correspon- 
dent aux  distances  effectives,  il  n'en  est  pas  de  même  de 
leur  plus  grande  partie.  Aussi  Surila,  l'un  des  éditeurs  de 
l'Itinéraire,  inlcrprèle-t-il  Leg.  par  Legio.  Waslelain  recon- 
naît que  lorsque  celle  abréviation  est  accompagnée  d'une 
épithèle,  elle  signifie  Légion,  comme  Leg.  I  Ilalica  (»)•  Or 
nous  avons  justement  ici  Leg.  XXX  Ulpia,  cantonnée  à 
Xanten,  d'où  nous  concluons  que  tous  les  autres  Leg. 
signifient  Legio,  et  d'autant  mieux  que  le  même  Itinéraire 
nous  met  sur  cette  voie  quand  il  marque  sur  la  direction 
de  Reims  à  Boulogne  :  Suessones  XXXVII.  Leg.  XXV. 
Noviomague  XXVII.  Leg.  XVIII.  Selon  nous  donc,  il  s'agit 
ici  de  canlonnenienls  de  parties  de  Légions,  et  il  se  peni, 
que  dans  la  langue  du  Bas-Empire,  Ala  signifiait  un  déta- 
chement d'une  arme  quelconque,  et  non  plus  de  cavalerie 
exclusivement.  En  outre,  il  est  à  remarquer  que  les  posi- 
tions de  Buroncus  et  de  Durnomagus  sont  interverties 
relativement  à  Cologne,  ce  qui  peut  s'expliquer  en  tenant 
compte  de  ce  que  Neusz  et  Wœringuen  servirent  ensemble 
de  cantonnement  à  la  Legio  V.  Selon  l'Itinéraire  donc,  la 
ligne  centrale  entre  Meuse  et  Rhin  est  occupée  par  des  dé- 
tachements de  la  VIIÎ''  et  de  la  X''  légion. 

Au  point  de  vue  que  nous  indiquons,  cet  Itinéraire  parait 
répondrecomplélement  à  la  campagne  queSlilicon  fil  contre 
les  Franks  en  596;  alors  qu'à  la  suite  de  la  mort  d'Arbo- 
gasle  ils  s'étaient  mis  en  armes.  Stilicon  vainquit  IMar- 
comir  et  Sunon,  fit  le  premier  prisonnier  et  l'envoya  en 
exil  dans  la  Toscane,  Sunon  ayant  voulu  venger  son  frère, 
fut  tué  par  ses  guerriers  qui  ne  voulaient  plus  combattre. 

(1)  Description  de  la  Gaule  Belgique,  p.  {li. 


—  500  — 

L'Empire  donna  traulres  rois  Franks,  et  le  poêle  Ciaudicn 
écrivait  :  «  La  Gaule  rcjellerait  plutôt  de  son  sein  les  offi- 
ciers envoyés  par  Rome,  que  le  pays  des  Franks  rejettera 
les  rois  que  l'empereur  leur  a  donnés  (i).  »  Peut-être  pou- 
vons-nous ranger  parmi  ceux-ci  Thiudmer,  fils  de  ce 
Ricimerus  qui  avait  été  honoré  du  consulat.  Dans  le  mor- 
ceau intitulé  :  «  La  guerre  gothique,  »  Claudien  nous  fait 
savoir  que  Stilicon  dégarnit  toute  la  frontière  septentrionale 
des  Gaules,  pour  opposer  ses  troupes  à  l'armée  d'Alaric.  » 
La  circonstance  fut  utilisée  par  les  Franks  de  la  rive  droite 
du  Rhin,  ceux  qu'Ammien-Marcellin  nomma  Hattuaires. 
Ils  s'emparèrent  de  Cologne,  s'avancèrent  sur  Trêves, 
qu'ils  emportèrent  en  599,  la  livrèrent  au  pillage,  et  se 
rendirent  définitivement  maîtres  de  la  rive  gauche  du  Rhin, 
d'où  on  les  désigna  par  les  noms  de  Ripuarm,  Ripariolf. 

C'est  à  la  période  initiative  du  V*  siècle  que  nous  attri- 
buons la  rédaction  de  la  notice  des  dignités  de  l'Empire. 
Il  y  avait  encore  un  personnage  consulaire  dans  la  Germa- 
nie inférieure,  à  la  disposition  du  vicaire  impérial;  Trêves 
renfermait  encore  une  foule  de  fonctionnaires  romains  su- 
périeurs; mais  les  localités  les  plus  septentrionales  demeu- 
rées romaines  étaient  Marcis  (Mardik,  sur  la  côte),  un 
port  sur  l'Ysère  ou  l'Yperlée  nommé  vEpatiacm;  Torna- 
cum  (Tournai);  Fanum-Martis,  Famars;  Lociis  Quartensis, 
Quartes,  près  de  Pont-de-Sambre.  —  Epo'ùsiis,  Ivoix;  — 
Lagenses,  Lowaige  (Aalweg),  près  Tongres,  et  Antimaciim, 
Andernach  (2), 

Le  dernier  jour  de  l'an  406  vit  fondre  sur  le  pays  la 
grande  invasion  des  Barbares.  Les  Franks  tinrent  tête  à 
l'orage.  Déjà  ils  avaient  emporté  l'avantage  sur  les  Van- 
dales unis  aux  Suèves  et  aux  Goths,  quand  les  Alains 


(1)  Latts  Sdlicionis,  lib.  I. 

(2)  Wastelair',  Gaule  Belgique,  p.  440.  Preuves. 


—  501   — 

vinrent  au  secours  de  leurs  alliés,  et  rempoiièrenl  la  vic- 
toire. Dès  lors,  la  voie  fut  ouverte  à  leur  marche  et  ils  se 
répandirent  sur  (ouïe  la  Gaule.  Ce  fut  le  coup  de  grâce  du 
pouvoir  impérial  et  le  berceau  de  la  puissance  politique 
des  Franks.  Car  les  Romains  de  la  Grande-Bretagne  ayant 
proclamé  empereur  un  Constantin  ,   ils  passèrent  sur  le 
continent  et  vainquirent  l'armée  envahissante  près  Cateau- 
Cambresis,  puis  intronisèrent  le  nouveau  César  à  Trêves, 
où  celui-ci  conclut  une  alliance  avec  les  Franks-Ripuaires, 
en  vertu  de  laquelle  il  obtint  un  secours  d'hommes,  de 
même  que  des  Saliens,  pour  chasser  les  Vandales  des  Gau- 
les. Constantin  ayant  [)éri  peu  de  temps  après,  et  des  cités 
gauloises  et  armoricaines  s'étant  affranchies  et  constituées 
en  républiques  (i),  les  Franks  unis  aux  indigènes  belges 
furent  dès  lors  indépendants,  s'aulorisant  de  cet  exemple 
dans  leurs  rapports  avec  Rome.  Si  le  24  août  410,  la  ville 
de  Rome  fut  emportée  par  Alaric,  vers  le  même  temps  la 
ville  de  Trêves  subit  un  sort  semblable  de  la  part  des  Ri- 
puaires  (2).  Castinus,  envoyé  contre  les  auteurs  des  désas- 
tres subis  par  Trêves,  fut  contraint  de  confirmer  les  Franks 
dans  la  possession  de  la  Ripuarie,  bien  qu'on  nous  apprenne 
qu'il  les  eût  vaincus  (3).  Les  Romains  de  celte  période  sem- 
blaient ne  reculer  que  par  suite  de  leurs  propres  victoires! 
signe  indélébile  d'une  décadence  définitive. 

Le  pays  était  désormais  affranchi  de  la  pression  romaine, 
et  nous  voyons  par  la  Notice  de  l'Fmpire  les  alliés  qu'il 
pouvait  trouver  dans  les  limites  de  l'Empire.  Des  garnisons 
fournies  par  des  peuples  alliés  aux  Saliens  et  aux  Ripuaires 
se  trouvaient  encore  sous  les  aigles  :  à  Saverne,  un  corps 
de  Ménapiens;  à  Ivoix,  de  Lètes  Asti  ou  Astingi;  à  Famars, 


(1)  ZoziM  ,  lib.  VI. 

(2)  Salvuncs,  De  Gubern,  Dei,  lib,  VI. 

(3)  J,  B.  Des  Roches,  jEpilome,  l.  I,  p.  57. 


—  502  — 

des  Sèles  Nerviens;  à  Arras  et  à  Noyon,  de  Sèles  Balaves, 
à  lleirns  et  à  Senlis,  des  Lètes  de  toutes  les  tribus,  comme 
élaicnl  sans  doute  ceux  de  Lowaige,  tandis  qu'à  Langres 
ils  étaient  issus  de  ceux  que  Constance-Chlore  y  avait  éta- 
blis. Ces  conditions  expliquent  la  facilité  avec  laquelle  la 
conquête  s'affermit  dans  la  suite,  et  éclaire  la  phrase  de 
Procope  touchant  les  Romains  contraints  de  subir  la  loi  des 
Franks,  et  qui  continuèrent  à  vivre  parmi  eux  (i).  Enfin, 
lorsque  par  l'édit  du  17  avril  4.18,  Honorius  statua  que  les 
diètes  des  Gaules  se  réuniraient  désormais  à  Arles,  au  lieu 
de  Trêves,  les  Franks  complétèrent  leur  constitution  politi- 
que indépendante.  Ainsi  donc,  cet  établissement  n'a  été  le 
résultat  ni  d'une  invasion,  ni  de  la  conquête  d'une  armée 
étrangère,  mais  la  formation  graduelle  d'un  peuple  par  sa 
fusion  avec  des  éléments  qui,  bien  qu'exotiques  pour  lui, 
étaient  surgis  de  la  même  souche  tudesque.  Les  guerres 
contre  Rome,  que  celte  Reine  du  monde  nommait  des  ir- 
.luptions,  étaient  pour  nous  de  véritables  insurrections 
contre  une  autorité  avide  et  tracassière. 

Si  la  population  de  notre  pays  eût  regardé  les  Franks 
comme  des  ennemis  étrangers,  devenus  maîtres  par  la  con- 
quête, elle  n'aurait  pas  conservé  ses  alleuds,  mais  en  eût 
été  dépossédée,  du  moins  en  partie,  comme  le  fait  se  pro- 
duisit dans  la  Gaule  (2);  régie  par  les  lois  romaines,  elle 
ne  se  serait  pas  soumise  aux  lois  et  coutumes  germaniqnes, 
que  les  Franks  du  reste  n'imposaient  pas  :  ils  respectaient 
les  législations  personnelles  chez  les  vaincus.  Ce  fut  tout  le 
contraire  qui  arriva,  et  des  dispositions  du  Code  saliquc 
restèrent  en  vigueur  dans  notre  droit  coulumier  jusqu'en 
179S,  comme  Peppe  l'a  signalé  dans  sa  dissertation. 

Depuis  près  de  trois  cents  ans,  l'étude  des  lois  frankes, 


(1)  De  licllo  Golhico,  lib.  I,  c.  12. 

(2)  SiSMOND[,  Hisl,  des  Français,  t.  I,  p,  p.  97. 


—  503  — 

frisonnes,  anglo-saxonnes,  etc.,  a  donné  naissance  à  des 
écrils  du  plus  haut  inléicl  (i).  Les  principes  de  liberlé 
individuelle,  renfermés  dans  ces  coulumes,  el  que  ces  écrils 
ont  fait  ressortir,  excite  en  nous  le  vif  désir  de  connailre 
le  «  Gaii  Primordial  »  dans  ses  rapports,  comme  nous  avons 
appris  ce  qu'était  «  La  Cité  antique  »  par  le  beau  livre  de 
Fustel  de  Coulange,  qui  expose  les  institutions  des  Grecs 
et  des  Romains  par  les  idées  qui  les  ont  produites,  et  sur- 
tout par  les  croyances  religieuses  de  la  race.  Puisse  une 
plume  exercée  au  service  d'une  pensée  lucide  combler  la 
lacune  que  nous  signalons. 

C  Van  der  Elst. 


(1)  WeNDELIN.    —   ECCARD.    —    MuRATOUI.    —    SlBllAND.    —     SiCCAMA.    —    Yl'EY. 

—  Grimm.  —  Pardessus.  —  Peticny.  —  Daoud   Oglou.  —  Rotii.  —  Gérard, 
elc,  etc.,  etc.,  etc. 


—  504  — 


CI)r(ruii|ue  ôeô  TivU  et  î»c^  0ftencc0,  et  \^axUUô. 


Chartes  et  documents  de  l'abbaye  de  Saint-Pierre,  au  mont  Blandin,  a  Gand, 
PUBLIÉS  PAR  Mr  A.  Van  Lokeren  (1).  —  Lorsqu'une  première  fois  nous  nous 
sommes  occupé  de  ce  carlulaire,  dans  le  volume  île  l'année  1869  (2),  nous 
avons  eu  soin  d'en  constater  la  haute  portée  historique;  il  est  donc  inutile 
de  revenir  sur  ce  point.       ^ 

Les  documents  contenus  dans  le  premier  volume  (Partie  I  et  Partie  II) 
comprenaient  l'histoire  diplomatique  de  l'abbaye;  ceux  qui  viennent  de 
paraître  ont  rapport  à  la  partie  administrative;  mais  bien  qu'ils  puissent 
au  premier  coup-d'œil  avoir  une  importance  moins  grande,  un  examen 
même  superficiel  force  de  reconnaître  à  ces  derniers  un  intérêt  tout  aussi 
majeur  qu'à  ceux  précédemment  publiés. 

Empruntons  ici  quelques  lignes  à  l'avant-propos  dont  M.  Van  Lokeren  a 
fait  précéder  ce  second  volume,  ses  paroles  exposeront  mieux  que  nous  ne 
pourrions  le  faire,  la  valeur  des  pièces. 

«  La  confiscation  brutale  de  ses  domaines  (de  l'abbnye)  en  Angleterre,  en 
dépit  des  décrets  du  Concile  de  Baie  (1431-1443),  des  décrets  royaux  et  des 
bulles,  par  Henri  VIH,  jetèrent  quelques  troubles  dans  l'étal  de  ses  finances, 
mais  qui  ne  lardèrent  pas  à  reprendre  par  le  produit  des  domaines  qu'elle 
acquit  en  Zélande,  et  dans  les  Quatre  Métiers,  à  la  suite  de  l'immense  ac- 
croissement des  allérissements  (schorren)  auxquels  elle  avait  droit  comme 
propriétaire  riverain,  ou  comme  décimaleur  à  litre  de  patron.  Les  terribles 
inondations  de  la  mer,  qui,  aux  XlV<i  et  XV«  siècles,  vinrent  ravager  ses 
propriétés  et  confondre  toutes  limites,  fui-ent  encore  cause  de  dispendieux 
procès;  elles  donnèrent  lieu  aussi  à  une  décision  de  l'autorité  supérieure  en 
matière  d'endiguemenl.  » 

«  L'abbaye  ne  s'opposa  pas  aux  innovations  sociales  que  l'émancipation 
des  communes  avait  engendrées;  elle  régularisa  la  position  et  les  attributions 
de  ses  officiers  judiciaires,  publia  des  ordonnances  de  police  sur  la  voierie  et 

(1)  Tome  II.  Gand,  Hoste,  1871. 

(2)  Messager  des  Sciences,  année  18C9,  i>.  234. 


—  505  — 

sur  les  marchés,  arrêta  pendant  la  période  qui  nous  occupe  des  règlements 
pour  le  mélier  des  tisserands,  qui  élaient  fort  nombreux  dans  la  seigneurie 
de  Saint-Pierre.  L'un  de  ses  abbés  arrêta  les  principes  à  suivre  i)our  la 
nomination  des  baillis,  de  leurs  hommes  de  fief  et  des  échcvins.  » 

La  collection  des  documents  est  précédée  d'une  suite  de  notices  biographi- 
ques sur  les  abbés  de  Saint-Pierre,  depuis  1308  jusqu'en  1597. 

Entre  autres    chartes  qui   intéressent  plus  spécialement  l'histoire  de  la 
Flandre,  ses  relations  à  l'étranger  et  sa  délimitation,  se  trouvent  : 
Au  no  1147,  ao  1336.  L'inventaire  des  documents  concernant  les  biens  de 

l'abbaye  en  Angleterre,  déposés  chez  les  frères  mineurs  à  Londres. 
^''  1153,  a"  1336.  État  des  biens  de  rab!)aye  à  Lievesham,  etc.  (Londres). 
N»  1167,  a»  1342.  Donation  à  l'abbaye  par  le  curé  de  Garlencsse  d'une  rente 

de  5  livres  par  an. 

N»  1169,  a»  1343.  Jugement  arbitral  prononcé  entre  l'abbaye  et  la  comtesse 
de  Namur,  au  sujet  d'une  alluviou  à  Zaemslag. 

N»  1192,  a»  1350.  Le  comte  Louis  de  Maie  décide  que  les  dîmes  du  nouveau 
poldre  près  île  Terneuzen  et  de  celui  de  la  Trinité,  doivent  être  considé- 
rées comme  des  dîmes  de  novales,  provenant  de  terres  nouvellement  en- 
diguées. 

N"  1341,  a»  1387.  Octroi  délivré  par  le  duc  Philippe,  comte  de  Flandre,  pour 

le  réendiguement  du  poldre  nommé  de  Oude  Yevene. 
N»  1396,  a"  1393.  Tarif  de  monnaies  (Dit  es  de  avalualie  van  der  munten  die 

gheboden  en  huulgeroupen  was  in  Ghent  den  vii'«  dach  van  aprilie  int 

jaer  MCCCXCIll). 
N»  1462,  a»  1399.  Acte  au  sujet  du  réendiguement  de  poldres  à  Ossenesse,ete., 

Inondés  par  suite  de  rupture  de  digues. 
N»  1708,  a»  1441.  Le  souverain  bailli  de  Flandre  et  le  bailli  du  Vieux-Bourg 

ne  peuvent  exercer  aucun  acte  de  justice  dans  la  seigneurie  de  Scalkclcde 

à  Ruyslede,  Aerzeele  et  Canegem. 
N»  1864,  a»  1465.  Le  Conseil  de  Flandre  reconnaît  que  l'abbaye  a  le  droit  de 

faire  grâce  aux  personnes  condamnées  par  ses  tribunaux. 
N»  2024,  a"  1 5 1 0.  Acte  au  sujet  de  l'cndiguement  de  quelques  poidres;  il  y  est 

question  de  la  situation  de  VVielingen  (1). 
K"  2183,  a»  1546.  Coutumes  de  la  cour  féodale  de  Saint-Pierre. 


(1)  Warnkoenig,  édit.  Gheldolf,  Hist.  de  Flandre,  t.  II,  p.  9  et  10.  L'opi- 
nion de  Warnkœnig  est  conforme  aux  indications  émises  dans  cet  acte. 


—  506  — 

N^âlSi,  a»  1546.  Coutumes  de  la  seigneurie  de  Saint-Pierie. 

Le  carlulaire  renferme  encore  plusieurs  autres  coutumes  de  communes  cl 
seigneuries. 

N"  2257,  a»  1534.  Tous  les  nobles  du  comté  de  Flandre  sont  appelés  sous  les 

armes,  sous  peine  de  déchéance. 
N»  2259,  a"  1559.  La  cour  de  Hollande  maintient  l'abbaye  en  possession  de 

son  privilège  d'exemption  de  toulieue  en  Hollande  et  Zélande. 
N"  2502    a"  1370.  Au  sujet  de  l'endiguement  de  poldres  dans  le  pays  de  8aef- 

tingen,  inondé  par  suite  de  la  rupture  des  digues  (1). 
N»  2528,  a»  1578.  Vérification  de  la   limite  de  la  juridiction  respective  de 

l'abbaye  et  de  la  ville  de  Gand  du  côté  de  la  rue  Neuve  Saint-Pierre  jus- 
qu'au Rempart  aux  Chaudrons. 
No  2548,  a»  1585.  Philippe  II,  vu  la  cherté,  défend  l'exportation  des  grains. 
N»  2580,  a»  1292.  Les  échevins  de  Gand,  à  la  demande  de  l'abbé,  constatent  les 

dégâts  que  les  hérétiques  ont  commis  dans  l'abbaye. 

M.  Van  Lokeren  a  joint  à  ce  second  volume  une  riche  planche  chromolilho- 
graphique,  représentant  deux  vues  de  l'abbaye  d'après  le  MS.  de  Arent  de 
Wynendaele,  de  1580.  Cet  ouvrage,  qu'il  faut  une  dose  considérable  de  cou- 
rage pour  aborder,  et  énormément  de  persévérance  pour  achever,  est  comme 
les  collections  de  Rymer,  de  Dumont,  Mirœus,  etc.,  qui  seront  de  tout  temps 
consultées  avec  fruit,  et  s'il  n'obtient  pas  un  succès  de  vogue  éphémère  comme 
tant  d'écrits  contemporains,  il  a  du  moins  une  valeur  réelle  et  durable. 

Emile  V.... 

Histoire  de  Carausics.  —  En  1858  parut  à  Poughkeepsie,  état  de  New-York, 
VHistoire  de  Carausius,  l'Auguste  Néerlandais,  etc.  (2),  par  J.  Watts  de 
Peyster.  L'auteur,  qui  dédie  son  livre  à  J.  Walcotl-Phelps,  capitaine  d'ar- 
tillerie aux  Étals-Unis,  nous  apprend,  f»  125,  que  ses  ancêtres  sont  origi- 
naires du  Nord-Brabant;  et  que  l'un  de  ses  auteurs  s'embarqua  pour  le 
Nouveau-Monde,  en   1638,  à  Rotterdam.  Il  allait  s'établir  dans  le  Novutn 


(1)  Voir  Messager  des  Sciences,  a"  1843,  carte  des  pays  inondés. 

(2)  «  The  History  of  Carausius,  the  dutch  Augustus,  and  emperor  of  Bri- 
tain,  Zeeland,  Dutch-Flanders,  Armorica  and  the  Seas,  the  grealfirst  admirai 
of  Ilolland,  and  the  first  sailorking  of  England,  with  which  is  interwoven  an 
historical  and  ethnological  account  of  the  Menapii,  the  ancient  Zeelanders, 
and  Dutch-Flemings;  corapiled  from  about  two  hundred  ancient,  mediœval, 
and  modem  authorities.  »  By  J.  Watls  de  Peyster,  Poughkeepsie,  Platt  and 
Schram,  printers,  1858. 


—  507  — 

Belgium,  où  dix  ans  auparavant  le  sire  de  lîapcille  (Aisch-Refeil)  avait  con- 
duit une  colonie  de  Wallons  (1). 

Le  volume,  qui  dtlnile  par  un  i)oi'mc  anglais  de  Robert  de  Glouccsler, 
contient  333  pages.  L'auteur,  au  f»  209,  expose  le  motif  de  la  production  de 
son  œuvre.  «  C'est  pour  sauver  de  l'ouhli,  dit-il,  la  gloire  passée  d'un  peuple 
»  que  les  préjugés,  la  partialité  et  les  idées  fausses  se  sont  efl'orcés  d'eflacer 
»  de  la  mémoire  des  hommes.  »  Ce  peuple,  est  le  peuple  ménapien,  au  sein 
duquel  naquit  Carausius,  héros  dont  de  Peyster  fait  le  panégyrique,  en  oppo- 
sition à  ceux  de  Maximien  et  de  Constance  Chlore,  par  Eumêne,  pour  aboutir 
à  le  montrer  comme  le  fondateur  de  la  marine  sur  la  mer  du  Nord;  œuvre 
de  laquelle  sont  issues  les  marines  des  Provinces-Unies,  de  la  Grande-Bre- 
tagne et  de  l'Amérique  du  Nord,  «  cette  merveille  de  nos  jours,  »  comme  il 
dit  emphatiquement  et  qui  lui  fait  conclure  son  livre  par  :  Vivat  Carausius! 
Ménapien  boven  op  ! 

Ce  n'est  point  sans  émotion  que  nous  avons  recueilli  cet  écho  de  l'amour 
du  sol  natal,  arrivant  de  l'autre  rive  de  l'Océan. 

Pour  assigner  à  son  héros  la  place  qu'il  lui  destine,  l'auteur  lui  confirme 
d'abord  ses  connaissances  incontestées  dans  l'art  nautique,  puis  le  montre 
comme  un  grand  politique  qui  a  saisi  le  côté  faible  de  l'Empire  :  sa  privation 
actuelle  d'une  marine.  En  conséquence,  dès  que  Carausius  est  résolu  à  s'in- 
surger, il  noue  des  intelligences  non  seulement  avec  les  Franks  voisins,  mais 
encore  avec  ceux  que  Probus  a  transportés  sur  les  rives  de  l'Euxin.  Selon  notre 
auteur,  c'est  à  son  instigation  que  ces  corsaires  entreprirent  leurs  courses 
dans  la  Méditerranée,  en  rançonnèrent  les  côtes,  ainsi  que  celles  de  l'Océan, 
et  vinrent  dans  nos  mers  opérer  leur  jonction  avec  la  flotte  de  Carausius.  La 
plupart  de  nos  sources,  les  plus  estimées  jusqu'en  1830,  ont  été  consullées 
par  de  Peyster,  auquel  elles  donnent  occasion  de  glorifier  les  Ménapiens, 
dont  aucun,  selon  lui,  ne  fut  jamais  assujetti  à  Rome.  Ce  livre  curieux  mé- 
rite d'être  lu  et  surtout  d'être  consulté. 

C,  V. 

Geschiedenis  van  de  Gemeenten  der  PROviNciE  Oost-Ylaanderen,  par  Fr.  De 
PoTTER  ET  J.  Broeckaert.  —  Depuïs  que  nous  avons  entretenu  nos  lecteurs  de 
la  publication  de  MM.  De  Potter  et  Broeckaert,  les  deux  derniers  volumes  de 
la  première  série  ont  paru;  ces  volumes,  le  douzième  et  le  treizième,  con- 
tiennent les  monographies  des  communes  de  Gottem,  Grammene,  Olsene, 
Poeke,  Ursel,  Wontcrgem,   Zulie,  Kaprijek  et  Lembeke.   Nous  y   trouvons 

(1)  BooTii,  Hist.  of  New-York,  p.  75. 


—  508  — 

aussi  les  tables  ononiasiiques,  promises  l'année  dernière,  pour  toute  la  ma- 
tière parue. 

Il  ne  reste  plus  maintenant  pour  celui  qui  veut  conserver  cette  colleclion 
convenablement  classée,  qu'à  détacher  les  différentes  monographies,  et  à  les 
distribuer  dans  l'ordre  indiqué  par  les  auteurs  sur  les  feuilles  de  titre  et 
faux  titre,  qui  accompagnent  le  douzième  volume.  Toute  cette  première  série 
formerait,  d'après  ces  indications,  huit  volumes  où  les  communes  seraient 
placées  par  ordre  alphabétique. 

Tout  en  félicitant  les  auteurs  de  ce  long  et  important  travail,  de  se  voir 
arrivés  au  bout  de  la  première  partie  de  leur  tâche,  nous  nous  permet- 
trons une  observation  dont  ils  pourront  profiter  dans  la  suite  :  au  lieu  de 
paginer  simplement  les  différentes  monographies  comme  ils  l'ont  fait,  ils 
procéderaient  mieux,  croyons-nous,  en  mettant  en  tète  de  chaque  page  le 
nom  de  la  commune  dont  il  est  question,  et  dans  le  coin  de  la  page  le  chiffre 
de  la  pagination;  de  cette  manière  celui  qui  veut  trouver  un  fait  consigné 
dans  riiistoirc  d'une  commune,  découvrira  plus  facilement  dans  le  volume 
où  cela  se  trouve,  et  la  commune  et  la  page  dont  il  a  besoin. 

Emile  V.... 

Tableacx  enlevés  a  la  Belgique  par  les  Français.  —  Nous  croyons  intéres- 
sant de  mettre  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  la  dépèche  du  duc  de  Wellington 
relative  à  l'enlèvement  des  tableaux  eu  Belgique  sous  Napoléon  I,  et  dans 
laquelle  il  demande  la  restitution  de  ces  toiles: 

Au  vicomte  Casllcreagh,  chevalier  de  la  Jarretière. 

Paris,  22  septembre  1815. 
Mon  cher  Lord, 

On  a  beaucoup  discuté  ici  dans  ces  derniers  temps  au  sujet  des  mesures 
que  j'ai  été  obligé  de  prendre  afin  de  restituer  au  roi  des  Pays-Bas  les 
tableaux,  etc.,  des  Musées,  et  dans  la  pensée  que  ces  bruits  pourraient 
arriver  à  l'oreille  du  prince  régent,  je  prends  la  liberté  de  vous  importuner 
par  le  récit  de  ce  qui  s'est  passé,  afin  que  vous  en  informiez  S.  A.  R. 

Peu  de  temps  après  l'arrivé  des  souverains  à  Paris,  le  ministre  du  roi  des 
Pays-Bas  réclama  les  tableaux,  etc.,  appartenant  à  son  maître,  au  même 
titre  que  ceux  des  autres  puissances,  et  d'après  ce  que  j'ai  appris,  il  ne  put 
obtenir  une  réponse  satisfaisaute  du  gouvernement  français. 

Après  divers  entretiens  avec  moi,  il  adressa  ù  Votre  Seigneurie  une  note 
officielle  qui  fut  soumise  aux  ministres  des  souverains  alliés,  assemblés  en 
conférence.  La  question  fut  prise  en  considération  plusieurs  fois,  en  vue  de 
découvrir  le  moyen  de  rendre  justice  à  ceux  qui  réclamaient  les  œuvres  d'art 
des  Musées,  sans  heurter  les  sentiments  du  roi  de  France. 


—  509  — 

En  même  lemps  les  Prussiens  avaient  obtenu  »le  S.  SI,,  non  soulcmenl 
tous  les  lableaux  prussiens,  mais  encore  eeux  qui  apparlenaienl  aux  villes 
prussiennes  de  la  rive  gauche  du  Rhin  et  aux  alliés  de  S.  M.  prussienne.  Il 
fallait  donc  une  solution  immédiate,  et  Voire  Seigneurie  écrivit  sa  note  du 
10  courant,  dans  laquelle  la  question  était  mûrement  discutée. 

Le  ministre  des  Pays-Bas,  n'ayant  toujours  pas  reçu  de  réponse  satis- 
faisante du  gouvernement  français,  s'adressa  à  moi  en  qualité  de  comman- 
dant en  chef  des  troupes  du  roi  des  Pays-Bas,  afin  de  savoir  si  j'avais 
quelques  objections  à  me  servir  de  ces  troupes  pour  obtenir  la  restitution 
de  ce  qui  était  sa  propriété  indiscutable.  Je  transmis  celte  requête  aux 
ministres  des  cours  alliées,  et,  n'ayant  pas  reçu  d'objections,  je  crus  de  mon 
devoir  de  prendre  les  mesures  nécessaires  pour  obtenir  la  satisfaction  d'un 
droit. 

Je  parlai  donc  an  prince  de  Talleyrand,  lui  expliquant  ce  qui  s'était  passé 
dans  la  conférence  et  les  raisons  qui  me  faisaient  croire  que  le  roi  des 
Pays-Bas  était  dans  son  droit.  Je  le  priai  de  soumettre  l'affaire  au  roi  et  de 
prier  S.  M.  de  m'accorder  la  faveur  de  m'indiquer  le  moyen  de  donner 
satisfaction  au  roi  des  Pays-Bas ,  en  étant  le  moins  désagréable  à  Sa 
Majesté. 

Le  prince  de  Talleyrand  me  promit  une  réponse  pour  le  lendemain.  Ne 
l'ayant  pas  reçue,  je  lui  rendis  visite  le  soir  et  j'eus  avec  lui  un  entretien 
dans  lequel  il  me  déclara  que  le  Roi  ne  pouvait  donner  d'ordre  à  ce  sujet, 
que  je  pouvais  agir  à  ma  convenance,  et  m'entendre  directement  avec 
M.  Denon. 

J'envoyai  le  lendemain  matin  mon  aide-de-camp,  le  colonel  Frccmanllc, 
chez  M.  Denon,  qui  lui  déclara  qu'il  n'avait  reçu  aucun  ordre  de  livrer  des 
tableaux  du  Musée  et  qu'il  ne  les  céderait  que  s'il  y  était  contraint  par  la 
force. 

J'envoyai  ensuite  le  colonel  Frcemantle  chez  le  prince  de  Talleyrand  pour 
lui  faire  connaître  cette  réponse  et  lui  apprendre  que  le  lendemain,  à  midi, 
les  troupes  iraient  prendre  possession  des  tableaux  appartenant  au  roi  des 
Pays-Bas.  Je  le  chargeai  d'ajouter  que  si  cette  mesure  amenait  quelque 
trouble,  les  ministres  du  roi  en  seraient  responsables  et  non  pas  moi.  Le 
colonel  Freemantle  fit  une  communication  identique  à  M.  Denon. 

Il  ne  fut  pas  nécessaire  toutefois  d'envoyer  des  troupes,  une  garde  prus- 
sienne ayant  pris  possession  de  la  galerie,  et  les  tableaux  furent  enlevés  sans 
aucun  concours  de  mon  armée,  si  ce  n'est  pour  aider  à  descendre  et  à  em- 
baller les  œuvres  d'art. 

On  a  prétendu  qu'en  me  prêtant  à  l'enlèvement  des  lableaux  appartenant 


—  510  — 

au  roi  des  Pays-Bas  à  la  galerie  des  Tuileries,  j'avais  violé  un  Irailé  que 
j'avais  rédigé  moi-même,  et  comme  il  n'est  pas  fait  mention  des  Musées 
dans  le  trailé  du  23  mars,  et  que  l'on  fait  allusion  au  traité  de  Paris,  il  est 
nécessaire  de  montrer  comment  cette  conviction  a  rapport  au  Musée. 

Il  n'y  a  pas  lieu  de  discuter  ici  la  question  de  savoir  si  les  alliés  étaient 
ou  n'étaient  pas  en  guerre  avec  la  France.  Il  n'y  a  pas  de  doute  que  leurs 
armées  entrèrent  à  Paris  aux  termes  d'une  convention  militaire,  conclue  avec 
un  fonctionnaire  du  gouvernement,  le  préfet  de  la  Seine,  et  un  officier  de 
l'armée  représenlant  les  autorités  et  traitant  en  leur  nom. 

L'article  de  celte  convention  que  l'on  dit  violé,  est  le  onzième,  qui  se 
rapporte  aux  propriélés  publiques.  Je  nie  formellement  que  cet  article  eût 
trait,  d'une  façon  quelconque,  aux  Musées  ou  galeries  de  tableaux. 

Les  commissaires  français  proposèrent  d'insérer  dans  le  projet  primitif  un 
article  destiné  à  garantir  la  sécurité  de  ce  genre  de  propriétés. 

Le  prince  Bliicher  ne  voulut  pas  y  consentir  et  dit  qu'il  y  avait  dans  le 
Musée,  des  tableaux  qui  avaient  été  pris  à  la  Prusse,  que  S.  M.  Louis  XYIII 
avait  promis  de  l'cstituer,  mais  qu'il  n'avait  jamais  reslilués.  Je  communiquai 
ce  fait  aux  commissaires  français,  et  ils  offrirent  alors  d'adopter  cet  article 
en  faisant  une  exception  pour  les  tableaux  prussiens. 

A  cette  offre,  je  répondis  que  je  parlais  ici  comme  allié  de  toutes  les 
nations  de  l'Europe,  et  que  toute  concession  faite  à  la  Prusse  devait  être 
réclamée  par  moi  au  nom  des  autres  nations.  J'ajoulai  que  je  n'avais  pas 
d'instructions  au  sujet  des  Musées,  ni  aucun  moyen  de  prévoir  l'allilude  des 
souverains;  qu'ils  insisteraient  probablement  pour  que  le  roi  exécutât  ses 
engagements;  et  que  je  recommandais  de  laisser  cet  objet  de  côté,  en  réservant 
la  question  au  jugement  du  souverain,  lors  de  son  arrivée. 

Ainsi  la  question  des  Musées  est  subordonnée  aux  traités.  La  convention 
de  Paris  n'eu  parle  pas,  et  la  question  a  été  réservée  à  la  décision  des 
souverains  alliés. 

En  supposant  que  le  silence  du  traité  de  Paris  de  mai  1814,  au  sujet  du 
Musée,  eût  donné  au  gouvernement  français  le  droit  de  s'en  prévaloir  en 
toute  circonstance,  ce  droit  serait  incontestablement  ébranlé  par  la  déclara- 
tion que  je  signale. 

Ceux  qui,  autrefois,  ont  agi  au  nom  du  gouvernement  français,  ont  pensé 
qu'une  armée  victorieuse  avait  le  droit  de  mettre  la  main  et  mettrait  la  main 
sur  les  Musées,  puisqu'ils  ont  tenté  de  protéger  ceux-ci  par  un  article  de  la 
convention  militaire. 

Cet  article  a  été  rejeté  et  le  droit  des  alliés  sur  leurs  tableaux  a  été  affirmé 
par  leurs  négociateurs.  Tel  fut  le  motif  du  rejet  de  l'article,  Ainsi,  non  seu- 


—    oll    — 

leracnl  la  convention  mililairc  n'a  pas  garanti  la  possession.  maTs  la  ik'liLéra- 
lion  ci-dessus  indiepice  a  eu  pour  résultai  iraflaiblir  le  dioilde  possession  du 
gouvernemenl  français  que  Ton  fonde  sur  le  silence  du  traité  de  i'aris  de 
mai  t814. 

Les  alliés  ayant  ainsi  Icgilinicmcnl  en  leur  pouvoir  le  contenu  des  Musées, 
n'ont  pu  faire  aulrenient  que  de  le  restituer  aux  pays  qui  se  le  sont  vu 
enlever  pendant  la  désastreuse  époque  de  la  révolution  française  et  de  la 
tyrannie  de  Bonaparte,  contrairement  aux  usages  de  la  guerre  entre  nations 
civilisées. 

La  conduite  des  alliés  à  l'égard  des  Musées,  à  l'époque  du  traité  de  Paris, 
a  pu  être  attribuée  à  leur  désir  de  se  concilier  l'armée  française  et  de  conso- 
lider la  réconciliation  de  cette  armée  avec  l'Europe. 

Mais  les  circonstances  sont  aujourd'hui  tout  autres.  L'armée  a  déçu  rattcnlc 
légitime  du  monde;  elle  a  saisi  la  première  occasion  de  se  révolter  contre 
son  souverain,  en  prêtant  ses  services  à  l'ennemi  commun  de  l'Iiumanité,  en 
vue  de  ressusciter  la  désastreuse  époque  que  l'on  croyait  finie,  et  de  renou- 
veler les  scènes  de  pillage  dont  le  monde  s'était  débarrassé  par  des  efforts 
gigantesques. 

Celle  armée  ayant  été  défaite  par  l'Europe,  a  été  dissoute  par  le  Conseil 
des  Souverains  assemblés,  cl  il  n'y  a  pas  de  raison  pour  laquelle  les  puissances 
européennes  feraient  tort  à  leurs  propres  sujets  en  vue  de  ménager  leurs 
ennemis.  Il  ne  m'a  pas  non  plus  semblé  nécessaire  que  les  Souverains  alliés 
laissassent  échapper  celte  occasion  de  rendre  justice  à  leurs  propres  sujets 
en  vue  de  plaire  au  peuple  français. 

Les  sentiments  du  peuple  français  à  cet  égard  sont  de  purs  sentiments  de 
vanité  nationale.  On  désire  conserver  ces  chefs-d'œuvre  de  l'art,  non  pour  le 
motif  que  Paris  est  l'endroit  qui  leur  convient  le  mieux,  car  les  artistes,  les 
connaisseurs  et  les  écrivains  sont  d'accord  pour  demander  qu'ils  soient  rap- 
portés au  lieu  d'origine,  mais  parce  quils  ont  été  obtenus  par  la  conquête 
dont  ils  sont  les  trophées. 

Les  sentiments  qui  portent  le  peuple  français  à  retenir  les  tableaux  et  les 
statues  des  autres  nations,  doivent  naturellement  porter  celles-ci,  après  le 
succès,  à  les  restituer  à  leurs  légitimes  propriétaires,  cl  les  Souverains  alliés 
doivent  être  désireux  d'agir  dans  ce  sens. 

Il  est  désirable,  d'ailleurs,  à  divers  points  de  vue,  aussi  bien  pour  son 
propre  bonheur  que  pour  celui  du  monde,  que  le  peuple  français,  s'il  ne 
croit  pas  encore  que  l'Europe  est  plus  forte  que  lui,  arrive  à  s'en  convaincre, 
et  qu'il  se  pénètre  bien  de  celle  idée  qu'à  toute  époque  un  succès  momentané 
et  partiel  remporté  sur  une  puissance  quelconque,  sera  suivi  de  représailles. 


—  512  — 

Dès  lors,  d'après  moi,  il  serait  non  seulement  injuste  de  la  pari  des  Sou- 
verains alliés  de  complaire  au  peuple  français  sur  ce  point,  aux  dépens  de 
leurs  propres  sujets;  mais  un  tel  sacrifice  de  leur  part  serait  impolitique  et 
les  priverait  de  l'occasion  de  donner  au  peuple  français  une  grande  leçon  de 
morale. 

Croyez  moi,  etc. 

Wellington, 

Cette  pièce  importante  et  curieuse  a  été  publiée  par  VEcho  du  Parlement 
belge,  au  commencement  du  mois  de  novembre  dernier. 

Exposition  internationale  de  Londres  de  1871.  —  L'exposition  interna- 
tionale de  Londres  qui  vient  de  clore,  a  fourni  à  nos  nationaux  une  excellente 
occasion  de  céder,  à  des  prix  largement  rémunérateurs,  les  objets  qu'ils  y 
avaient  envoyés. 

Voici  le  résumé  des  ventes  qui  ont  été  notifiées  à  la  commission  belge. 

Trente-neuf  tableaux  ont  été  achetés  dans  la  galerie  belge  au  prix  global  de 
185,000  francs,  ce  qui  représente  une  moyenne  de  4,750  francs  par  tableau. 
Voici  les  prix  atteints  par  quelques  œuvres:  22,250  fr.,  1 6,250 fr.,  13,730  fr., 
12,500  fr.,  8,750  fr.,  8,000  fr..  elc. 

La  vente  d'autres  objets  artistiques  ou  de  luxe,  tels  que  statues,  meubles, 
dentelles,  peintures  sur  faïences,  ouvrages  d'orfèvrerie,  etc.,  a  produit  une 
somme  de  60,000  francs. 

En  ajoutant  à  ces  chiffres  le  montant  de  quelques  transactions  particu- 
lières, dont  l'exposition  de  1871  a  été  le  point  de  départ,  on  peut  évaluer  à 
plus  de  500,000  francs  le  montant  des  ventes  réalisées  dès  l'époque  de  la 
clôture  (30  septembre). 

D'un  autre  côté,  plusieurs  exposants  ont  reçu  des  commandes  dont  ils  se 
montrent  fort  satisfaits. 

La  commission  belge  a  cru  que  ces  résultats  étaient  dignes  d'être  signalés; 
ils  permettent  de  bien  augurer  des  expositions  qui  suivront  celle  de  1871. 

Académie  d'Archéologie  de  Belgique.  —  Concours  de  1873.  —  Premier 
sujet.  Prix  :  500  francs.  —  «Traiter  une  question  archéologique  ou  histori- 
que relative  à  l'ancien  comté  de  Flandre  ou  à  l'ancien  duché  de  Brabant.  » 

Le  choix  du  sujet  est  abandonné  à  l'auteur. 

Deuxième  sujet.  Prix  :  500  francs.  —  «  Faire  l'histoire  du  Grand  Conseil 
de  Malines.  » 

Troisième  sujet.  Prix  :  500  francs.  —  «  Faire  l'histoire  des  coutumes  de  la 
ville  et  de  la  banlieue  d'Anvers  depuis  les  temps  les  plus  anciens  jusqu'à 
l'époque  de  la  révolution  brabançonne.  » 


—  5t3  — 

L'auteur  expliquera  l'application  particulière  de  ces  coutumes  dans  les 
circonscriptions  du  marquisat  du  Saint-Empire,  du  quartier  d'Anvers  et  du 
pays  de  Ryen.  Il  exposera  les  principes  de  la  juridiction  des  magistrats  en 
matière  civile,  commerciale  et  criminelle.  Il  indiquera  les  attributions  res- 
pectives de  l'écoutète,  de  l'amman,  des  bourgmestres  et  des  éclievins,  en 
tant  qu'officiers  de  justice,  11  fera  connaître  les  rapports  du  tribunal,  vier- 
schaer,  d'Anvers,  soit  comme  tribunal  de  première  instance,  soit  comme  cour 
d'appel,  avec  d'autres  tribunaux. 

Indépendamment  de  ces  prix,  l'Aeadémje  décernera  à  chaque  auteur  cou- 
ronné une  médaille  de  vermeil  et  lui  donnera  30  exemplaires  de  son  mémoire. 

Les  mémoires  devront  être  rédigés  en  français  ou  en  flamand;  ils  seront 
adressés  francs  de  port  au  Secrétariat,  22,  rue  Conscience,  à  Anvers,  avant 
le  1"  février  1873. 

NÉCROLOGIE.  —  Henri-Marie  Raepsaet,  juge-de-paix  du  canton  de  Lokeren, 
est  mort  dans  cette  ville  le  7  novembre  dernier,  ù  l'âge  de  cinquanle-ciuq  ans. 
Il  avait  à  maintes  reprises  fourni  au  Messager  des  Sciences  des  notices  fort 
intéressantes,  était  membre  de  la  Commission  provinciale  des  monuments 
et  collaborait  aux  travaux  de  la  Commission  pour  la  publication  de  la 
Biographie  nationale. 

Raepsaet  était  pelit-fils  du  savant  J.  J.  Raepsaet,  dont  il  possédait  un  grand 
nombre  de  manuscrits  encore  inédits,  et  s'il  n'eut  pas  la  profonde  érudition 
de  son  grand-père,  il  tint  à  prouver  en  mainte  occasion  qu'il  ne  méprisait 
pas  d'aussi  nobles  exemples. 

Henri  Raepsaet  était  essentiellement  bon,  et  ses  excellentes  qualités,  qui  le 

faisaient  aimer  partout,  le  feront  partout  regretter. 

Emile  V.... 


TABLE    DES    MATIÈRES. 


ANNEE  1871. 


ItottffB  et  WiBsntatmxB. 

La  Cour  de  Ravestein,  à  GanJ.  Par  Emile  Varenbebgh 1 

Le  Luxembourg  belge  cl  son  ellinographie  sous  la  domination  romaine. 

Par  J.  FELSENnAitT 15,120,290,385 

Quelques  sceaux  du  diocèse  de  Gand.  Par  Tabbé  J-B,  Lavact  .     .     40,  257 
Histoire  des  relations  politiques  entre  la  Flandre  el  l'Angleterre,  au 

moyen  âge.  Par  Emile  Varenbergh 4-5,  179,  266,  415 

Baxius,  le  dénonciateur  des  sorciers.  1597-1598.  Par  L.  G 80 

Bibliographie  musicale.  Par  Edouard  Grégoir 88,  566 

Sceau  de  la  ville  de  Gand  au  XIII«  siècle.  Par  T.  C'^  de  Limburg  Stirum.  113 
Les  Sires  de  Carnaval.  Épisodes  de  l'histoire  de  l'abbaye  de  Parc-Ies- 

Dames.  Par  J.  J.  E.  Proost 163 

Froissart,  d'après  ses  nouveaux  historiens.  Par  EnouAnn  de  BARTnÉtEMY.  218 
Les  Archives  el  le  Conservatoire  de  musique  de  Gand  devant  la  Cham- 
bre. Par  Emile  V 242 

Souvenirs  archéologiques  de  la  ville  de  Gand.  —  I.  La  Cour  de  Tron- 

chicnnes.  Par  Emile  Varenbergh 331 

II.  Hospice  Wenemaer.  Par  A.  V.  L 474 

Philippe  Blommaert 440 

La  peinture  et  la  sculpture  à  Malines.  —  La  Gilde  de  Saint-Luc  et  l'Aca- 
démie royale  des  Beaux-Arts.  Par  Em.  Neeffs 343,  447 

Les  Franks  avant  l'année  418.  Par  C.  Van  der  Elst 478 

€:l)r0ttti|ue  îrcô  Remues  et  Îre0  ^xts. 

Le  Watergrave  de  Flandre.  —  Emile  V 99 

L'Hospitalité  belge....  d'autrefois.  —  X 100 

Droits  du  Fauconnier  en  Flandre.  —  Emile  V 101 


—  5IS  — 

L'Épce  de  Jean  de  Wcert.  —  C.  A.  R lOi 

Tombes  celtiques  de  l'Alsace,  par  Max.  de  Ring.  —  Emile  V 103 

Le  Père  de  Riibcns lOG 

Réperloire  de  rciiseignemenl  populaire  en  Belgique.  —  Emile  V Ib. 

Un  docuiucnl  relatif  à  la  Conspiration  des  Nobles.  —  Emile  V 108 

Crypte  de  Sainl-Bavon,  à  Gand.  —  A   V.  L 249 

Les  enfants  de  Quentin  Mctsys Ib. 

Essai  sur  les  colonies  belges  en  Hongrie  et  en  Transylvanie.—  Emile  V...  251 

Les  murailles  révolutionnaires  au  XVIc  siècle.  —  C.  A.  R 252 

Tables  générales  des  Annales  de  la  Société  d'Émulation  de  Bruges.  — 

Emile  V 253 

Pierre  d'IIorcntlials    —  C.  A.  Rahlenueck     .      ,..,....  254 

Question  artistique 255 

Ruines  romaines Ib. 

La  fêle  des  moissonneurs  à  Zulle.  —  Emile  V S79 

Correspondance  et  actes  pour  l'histoire  de  la  guerre  de  Trente  Ans.  — 

Emile  V 380 

Mystère  de  saint  Louis 381 

Calendrier  des  Aztèques Ib. 

Charles  et  documents  de  l'abbaye  de  Saint-Pierre,  au  mont  Blandin,  à 

Gand,  publiés  par  M'  A.  Van  Lokeren.  —  Émue  V 504 

Histoire  de  Carausius.  —  C.  V 306 

Geschiedenis  van  de  Gemeenlen  der  provincie  Oost-Ylaanderen,  par 

Fr.  De  Potter  et  J.  Broeckaert.  —   Emile  V 307 

Tableaux  enlevés  à  la  Belgique  par  les  Français 508 

Exposition  internationale  de  Londres  de  1871 512 

Académie  royale  des  Sciences,  des  Lettres  el  des  Beaux-Arts  de  Bruxel- 
les.—  Programmes  de  concours  pour  1872  et  1873 382 

Prix  perpétuel  institué  par  le  baron  de  Stassarl  pour  une  question 

d'histoire  nationale 383 

Académie  d'Archéologie  de  Belgique.  —  Concours  de  1875  .     .     .     .  512 

Nécrologie  :  le  baron  E.  C.  de  Gcrlachc 110 

»          Clément  Wytsman 111 

»          François-Joseph  Félis Ib. 

»          Alexandre-Joseph  Desplanque 112 

')          Ulysse  Capitaine 255 

»          Charles-Louis  Ilanssens >  236 

•>          Auber Ib. 

»          le  comte  Achniet  de  Sernin  d'IIcricourt Ib. 

»          de  la  Fontaine Ib. 


—  516  — 

Nécrologie  :  le  général  russe  Iwan  de  Bartholomei 256 

»          Etienne  Soubre 384 

»          Gervais  Charpentier Ib. 

»          Don  Ramon  de  la  Sagra /6. 

»          Alexandre  Keith  Jonston /&. 

»          Henri-Marie  Raepsaet 513 


Planches. 

La  cour  de  Ravestein,  à  Gand,  en  1820 1 

Sceaux  du  diocèse  de  Gand.  PI.  XI 4tO 

»             »         PI.  Xli 260 

»               »             »         PI.  XIII 262 

Sceau  de  la  ville  de  Gand  au  XIII^  siècle 113 

Vue  de  l'abbaye  de  Pare-les  Dames 163 

Porte  de  la  Cour  de  Troiichiennes 332 

Chapelle         »                   » 336 

Ferrures  de  la  porte        »             338 

Portrait  de  Ph.  Blonimaert 440 

Façade  de  rHospice  Wenemaer 474 

Porte  de          »                «         476 


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