MESSAGER
DES SCIENCES HISTORIQUES
ou
ARCHIVES
DES ARTS ET DE LA BIBLIOGRAPHIE
DE BELGIQUE.
LISTE DES COLLABORATEURS.
M. Emile Vauencergh, secrétaire du Comité de Rédaction, à
Gand.
MM. BEEnNAERTs, avocat, à Malines.
J. BoRGNET, archiviste de l'État et de la province, à IVamur.
R. CiiALON, membre de l'Académie de Belgique, à Bruxelles.
E. DE Barthélémy, ancien conseiller général, à Cournielon (France).
Emile de Borchgrave. secrétaire de légation, à Bruxelles.
L'Abbé IIyaciktue De Bruvn, à Bruxelles.
Chevalier L. de Burbore, membre de l'Académie de Belgique, à Anvers.
Edm. De Busscher, membre de l'Académie de Belgique, à Gand.
E. De Coussemaker, correspondant de l'Institut de France, à Lille.
A. Dejabdin, capitaine du génie, à Liège.
Baron M^" de Ring, antiquaire, à Strasbourg.
Le Chan. J. J. De Smet, membre de la Comm. royale d'hist., à Gand.
L. Devillers, conservateur-adjoint des Archives de l'Etat, à Mons.
A. Du Bois, avocat et conseiller communal, à Gand.
B. C. Du Mortier, membre de la Chambre des Représentants, à Tournay.
J. Felsenhart, docteur en philosophie et lettres, à Bruxelles.
L. Galesloot, chef de section aux Archives du royaume, à Bruxelles.
P. Génard, archiviste de la ville d'Anvers.
H. Helbig, bibliographe, à Liège.
Fr. Hennebert, avocat, à Gand.
H. Hymams, attaché à la Bibliothèque royale, à Bruxelles.
Baron Kervyn de Lettenuove, membre de l'Académie de Belgique, à
Bruxelles.
L'Abbé J. B. Lavaut, directeur des Sœurs de Notre-Dame, à Zèle.
S. Le Grand de Reulandt, secrétaire perpétuel de l'Académie d'Archéo-
logie, à Anvers.
Emm. Neeffs, à Malines.
F. NÈVE, professeur à l'Université de Louvain.
Alex. Pinchart, chef de section aux Archives du royaume, à Bruxelles
J. i. E. Proost, docteur en sciences poliliq. et administ , à Bruxelles.
Ch. Raulenbeek, consul de Saxe-Weimar, à Bruxelles.
F. S. Raymaekers, chanoine de l'abbaye de Parc, près de Louvain.
J. E. G. Roulez, administrateur-inspecteur de l'Université de Gand.
A. Siret, membre de l'Académie de Belgique, à S'-Nicolas.
Gust. Van Coetsem, avocat, à Gand.
J, Van de Velde, archiviste, à Audenarde.
Edw. Van Even, archiviste de la ville de Louvain.
C. Vervier, président de la Commission des monuments, à Gand.
R P, Waldack, à Gand.
W. H. James Weale, archéologue, à Bruges.
MESSAGER
DIS SCIENCES HISTORIQUES
ou
ARCHIVES
itô ^rt0 ti it la iBibUograpljie
DE BELGIQUE.
Recueil publié par MM. A. Tan I^okereiv^ Avocat et Archiviste honoraire
de la ville, et le 6°° Kekvyih de Volkaersbuke, Membre de la
Chambre des Représentants, à Gand.
5ltttt^c 1871
►t©®<Sg»—
GAND
IMPRIMERIE ET LITHOGRAPHIE DE LEONARD HEBBELYNCK,
Rue des Bagueltes.
lIEffSRY
în €our bc ïlaucstein,
A. Oi^ND.
Celait une bien noble et illustre maison que celle des
(lues de Clèves; seigneurs, puis comtes, puis ducs, leurs
fils épousèrent des reines, leurs filles partagèrent le lit des
rois, ou de seigneurs plus puissants que les rois mêmes :
leur blason est uni à celui de toutes les cours souveraines,
leur épée se trouve à tous les combats.
C'était aussi une bien belle et vaste demeure que possé-
daient ces ducs dans notre bonne ville de Gand; on l'ap-
pelait la cour de Clèves ou plutôt encore, la cour de
Ravestein. Cet immense hôtel occupait anciennement tout
le terrain situé entre la place Saint-Michel, la rue de la
Vallée, la rue de l'Églantine et la rue d'Angleterre. Il y
avait là des bâtiments d'habitation, des écuries, des dépen-
dances de toute espèce et des jardins. Plus tard, on sup-
prima une partie des jardins, et sur cet emplacement s'éle-
vèrent les maisons formant le coin des rues de la Vallée
et de l'Églantine, celles de la rue d'Angleterre et celles de
la rue de l'Églantine.
Il est hors de doute que celte habitation subit graduelle-
ment de nombreuses transformations, que son slyle se
ressentit du caractère de chaque époque; ainsi, il reste
encore quelques toits à pignons du XVII'' siècle, et quel-
ques ogives qui accusent une origine remontant bien au
XIV^*
La grande entrée de l'hôtel, ainsi que sa façade prin-
cipale étaient rue de la Vallée, en face du couvent des
1871. 1
Dominicains, disent les anciens actes; mais comme il
n'existe aucune reproduction, ni aucune trace de con-
structions anciennes de ce côté, nous avons préféré donner
la vue de riiôtel vers la place Saint-Michel, d'après le seul
dessin qui en existe encore. Du reste, vue par là, la cour
de Ravestein permet de mieux juger de sa distribution
intérieure, que du côté de la rue de la Vallée, où elle ne
présentait, selon toute apparence, qu'une longue et massive
façade percée d'une lourde porte.
L'habitation qu'on appelait le grand quartier, se com-
posait de deux grands corps-de-logis, l'un (A), qui se voit
à gauche de notre dessin, donnait dans la rue de la Vallée;
l'autre (B), coupait le premier à l'angle droit. Près de la
porte qui donnait sur la place Saint-Michel, commençaient
des jardins qui s'étendaient tout autour des bâtiments jus-
que derrière le corps-de-logis B. Là il y avait une grande
cour, au bout de laquelle, faisant face au second corps-de-
logis, se trouvaient les écuries; celles qui existent actuel-
lement sont toutes modernes, et ont été bâties en 1726 par
Jean François Délia Faille, alors propriétaire de l'hôtel.
Le grand bâtiment carré (C), à la droite de notre dessin,
renfermait la chapelle; une galerie qui s'appuyait d'un côté
sur des culs-de-lampe, de l'autre sur une rangée de colon-
nes, régnait le long du corps-de-logis B, et conduisait à
cet oratoire, dont il a été légèrement question dans le
Messager des Sciences de l'année 1844. La voûte en était
toute en bois et entièrement semblable à celle de l'église
des Dominicains, abattue il y a quelques années, presqu'en
face de i'hôlel : elle devait dater très-probablement de la
seconde moitié du XV^ siècle. De grosses poutres en chêne
y formaient trois culs-de-lampe sculptés, le premier portait
l'écu écarlelé Clèves et Lamark, chargé de celui de Bour-
gogne; le second était aux armes de Flandre, et le troisième
portait un G couronné. L'emplacement de l'école de jeunes
filles établie sur la place, était occcupé par des dépen-
dances; le petit bâtiment (D), à gauche de la porte, était
destiné aux logements des domestiques. Dans la niche qui
se voit au-dessus de la porte, se trouvait au XVI^ siècle
un buste en marbre, représentant Bacchus avec des mam-
melles de femme; le seigneur de Ravestein, qui en avait
fait l'acquisition en Italie, l'y avait fait placer. Ce buste,
si on en croit Marcus van Vaernewyck, opérait des mira-
cles par la puissance du diable (i).
Sous toutes ces constructions régnaient d'immenses caves,
qui toutes communiquaient entre elles el dont les voûtes
en ogive reposent sur de fortes colonnes; ces souterrains
existent encore, et on peut dire qu'ils sont la seule chose
qui soit demeurée presqu'intacte. Les anciens murs de
l'hôtel subsistent bien encore, il est vrai, mais chaque siècle
y a laissé sa trace; l'ogive fut d'abord bouchée pour être
remplacée par la croisée de pierre, celle-ci disparut à son
tour pour faire place au châssis moderne; mais sous le
plâtras et le badigeon, on retrouve encore la vieille con-
struction en moellons superposés; ici se voit encore une
muraille en vieilles briques rouges, plus loin, un vieux
pignon du XVI^ siècle, ailleurs, un lambeau de toit en
tuiles plates, et dans la cour de l'hôtel, rue de la Vallée,
quelques traces de portes en ogive murées depuis longtemps.
Préciser la date de la fondation de cet hôtel, serait chose
quasi impossible; mais nous croyons ne pas trop nous
hasarder, en avançant l'opinion qu'il existait déjà au com-
mencement du XIV^ siècle. C'est déjà là, il faut l'avouer,
une antiquité fort respectable; il était alors le Sleen d'une
noble lignée, pas princière, il est vrai, comme la famille de
Clèves, mais qui rendit à son pays de nombreux et loyaux
(1) Vaernewyck, l. I, p. 313. — Diericx, Mémoires sur la ville de Gand,
t. II, p. 229.
__ 4 —
services; c'étaient les seigneurs d'Oullre, vicomtes d'Ypres;
ils descendaient de Waulhier d'Aa, d'Anderleclit, près de
Bruxelles, seigneur d'Oullre, au quartier d'Alosl; le petit-
fils de Waulhier, qui avait nom Louis, épousa Marie de Loo,
vicomtesse d'Ypres, dernier rejeton, croyons-nous, d'un
bâtard du fameux Guillaume d'Ypres, le grand condottiere
flamand du X1I'= siècle, créé comte de Kent par le roi Etienne
d'Angleterre, qu'il avait aidé à remonter sur le trône. Louis
d'Oullre fait entrer ainsi dans sa famille la vicomte d'Ypres
et de nombreuses seigneuries, comme Weldene, Sanlber-
gen, etc. Les d'Oullre, qui portaient de gueules au sautoir
d'argent, s'allièrent aux meilleures maisons de Flandre, aux
Borluut, aux Vaernewyck, aux d'Enghien, aux de Lalaing;
un des siens, Roger d'Oullre, était grand-bailli de Gand
pendant les troubles de Flandre sous Louis de Maie.
Les princes de Clèves succédèrent dans cet hôtel aux
seigneurs d'Oullre; ils venaient d'Allemagne, s'allièrent à
la noble maison de Bourgogne, et, s'il faut en croire la
légende, descendaient d'un mystérieux inconnu, Hélyas,
surnommé le chevalier du Cygne.
Le mystérieux et le surnaturel ont toujours eu une large
part dans les anciens récits de l'histoire, qui n'étaient à
proprement parler que des chants poétiques : sur le fond
sérieux et vrai, ils forment une broderie éléganle, qui par-
fois laisse entrevoir la vérité sous un réseau diaphane, cl
parfois, plus épaisse, la dérobe toute entière. Les dieux de
la mythologie antique n'étaient-ils pas fils des fleuves, des
montagnes ou des bois; faut-il s'étonner alors que les ducs
de Clèves descendent du chevalier du Cygne?
Le cygne est l'oiseau sacré du Nord, l'emblème du Nep-
tune Scandinave de la Saga Yglinga; les Walkyries étaient
vêtues de la dépouille de ce noble oiseau, et l'une d'entre
elles, et des plus belles, avait nom Swamvit, blanche
comme un cygne.
— 5 —
C'était en l'an de grâce 711, quand l'empereur Jusli-
nien II régnait sur l'empire d'Orient, que Childéric était
roi de France, et que Pépin d'ilerstal, dit la légende, était
duc de Brabant (?); alors vivait Béalrix, fille unique du
duc Dietrich de Clèves; son père, en mourant, lui avait
laissé le pays de Clèves et d'autres belles seigneuries,
mais à peine était-il descendu dans la tombe, que des en-
nemis et des envieux, voulant profiter de la jeunesse de
Béatrix, tentèrent de lui enlever l'héritage paternel. La
jeune damoiselle se relira au château de Neubourg, près
de Nymègue. Un jour, qu'elle était plus triste et plus
songeuse que de coutume, au souvenir de ses malheurs,
elle aperçut un beau cygne blanc qui descendait le fleuve;
il avait au cou une chaîne d'or et remorquait une légère
nacelle, où se trouvait debout un jeune chevalier d'une
figure imposante. Cet étranger portait l'armet en tête, om-
bragé de lambrequins et de panaches jaunes, blancs, verts
et rouges, et comme cimier un cygne blanc. Du bras gauche
il tenait son écu, de gueules chargé d'un autre d'argent,
ayant au centre un tourteau de sinople, duquel départaient
huit sceptres pommelés et fleuronnés d'or remplissant
l'écu. Dans la main droite, il avait son épée d'or, une
trompe d'or était suspendue à son cou, à son doigt brillait
un large anneau d'or aussi. Il s'arrêta au pied du château.
Béatrix, en châtelaine qui connaît ses devoirs, alla au-
devant de lui; l'étranger avait la mine si séduisante, il
promettait avec tant d'assurance de protéger les domaines
de l'héritière de Clèves et d'en chasser ses ennemis, qu'il
subjugua la princesse et obtint sa main. H lui imposa
seulement la loi de ne jamais s'enquérir de sa naissance
ou de son origine. Béalrix fut longtemps discrète, vécut
de longues années avec Hélyas et lui donna plusieurs
enfants; enfin, un jour, la curiosité l'emporla; elle en fut
cruellement punie. Hélyas disparut, et nul depuis lors ne le
V
— 6 —
revit. Avant son départ, il se contenta de léguer à ses trois
fils les trois objets précieux qu'il avait apportés du pays
mystérieux d'où il était venu : à l'aîné, Dietrich, qui fut
duc de Clèves, il légua son épée d'or; sa trompe, à Gode-
froi, le second, qui fut comte de Looz; au troisième,
Conrad, qui fut landgrave de Hesse, son anneau d'or.
Béatrix éprouva un tel repentir de sa folle curiosité, qu'elle
oulut l'expier en veillant à la conservation de la maison
de Clèves; à la veille des grands événements ou de la mort
d'un des membres de la famille, son ombre, vêtue de blanc,
venait errer dans les vastes salles et les longs corridors du
obàteau où elle avait vécu avec Hélyas. Elle ne put empê-
cher cependant, que l'illustre maison de Clèves s'éteignit
au XVII*= siècle et que son héritage donnât lieu à de lon-
gues et sanglantes querelles.
Quelques-uns ont essayé d'expliquer la légende, et pour-
raient ne pas être fort loin de la vérité : ils disent qu'Hélyas
revenait de Palestine, où il avait assisté aux derniers mo-
ments de Dietrich et descendait le Rhin, se rendant auprès
de la jeune dame, pour lui annoncer la mort de son père
et lui transmettre ses dernières volontés.
Adolphe IV de la Mark, créé premier duc de Clèves par
l'empereur Sigismond, épousa, en 1406, la fille de Jean
sans Peur, Marie de Bourgogne, qui, entre autres apanages,
reçut la terre de VV'inendale, C'est alors que l'hôtel de la
rue de la Vallée commença d'appartenir aux de Clèves;
Jean, fils aîné d'Adolphe, épousa Elisabeth, fille de Jean
de Bourgogne, duc de Brabant; Adolphe, le second, fut
seigneur de Ravestein, il eut l'hôtel en partage et l'habita
souvent; c'est de lui qu'il a conservé jusqu'à sa destruc-
tion, le nom de cour de Ravestein, hof van Ravestein.
Ce seigneur et son fils appartiennent tout entiers à notre
histoire.
Le nom d'Adolphe de Clèves se trouve mêlé à tous les
évéïiemenls de celle époque; en 1440, il essayait ses forces
dans les lournois donnés à Bruges en l'honneur du duc
d'Orléans; il fui armé chevalier en 1452, quand les Irou-
pes bourguignonnes marchèrent contre les Gaulois; il était
à la bataille de Gavre aux côtés de Philippe le Bon, dont
il conduisit quelques années après le deuil, avec Jacques
de Bourbon. Dans les fêles splendides que Philippe le Bon
donna à Lille au mois de février 14bD, lorsqu'il appelait
tous ses seigneurs à prendre la croix, Adolphe de Clèves
se montra le plus brillant et le plus chevaleresque; il y
prit le nom et les armes de son légendaire ancélre le che-
valier du Cygne. Olivier de la Marche nous a laissé les dé-
tails de toutes ces magnificences.
« Et commença ladite fêle, dit-il, par une joule, laquelle
avait élé criée en un très-beau banquet que Monsieur de
Clèves donna en ladite ville environ dix-huit jours para-
vanl, auquel fut Mondictseigneur (le duc de Bourgogne),
ensemble la seigneurie, dames et damoyselles de sa maison,
et fut le cri tel, que le chevalier du Cygne, serviteur aux
dames, faisait savoir à tous princes, chevaliers et nobles
hommes, que le jour que Mondilseigneur ferait son ban-
quet, ou le trouverait en ladite ville armé de harnais de
joule, en selle de guerre, pour jouter à la toile, de lances
de mesure et de courtois roquets, à {'encontre de tous ceux
qui venir y voudraient, et celui qui pour ce jour ferait le
mieux, au jugement des seigneurs et des dames, sans ce
qu'il s'en exceptast en rien, gagnerait un riche cygne d'or
enchaîné d'une chaîne d'or, et au bout de celle chaîne un
riche rubis, que les dames présenteraient à celui qui l'au-
rait mérité. Tel fui le cri par ordonnance et aveu de Mon-
sieur Adolphe de Clèves. »
Au milieu de la principale table du banquet, se dres-
sait « une nef fort bien faite, en laquelle était un chevalier
tout droit, armé, qui le corps avait vêtu d'une cotte d'ar-
— 8 —
mes, des pleines armes de Clèves; el devant était un cygne
d'argent, portant en son cou un collier d'or, auquel tenait
une longue chaîne d'or, dont le cygne faisait manière de
tirer la nef; au bout de la nef était un château, fort bien
fait et richement, auquel flottait un faucon dans une grosse
rivière.
•> Au jour de ce banquet, Monsieur Adolphe, qui s'était
fait crier le chevalier du Cygne vint après-dîner de très-
bonne heure sur les rangs, et fut accompagné du lieu où
il s'était armé, par Mondilscigneur le duc, par Monsieur
de Charolais, par Monsieur le bâtard de Bourgogne, vêtus
tous trois de robes de velours noir, et avaient chacun un
collier d'or enrichi de pierreries, et portait Monditseigneur
une cornelle à son chaperon, fort riche de pierreries. Mon-
sieur Adolphe, ainsi accompagné, partit de son hôtel à
grand compagnie de gens, vêtus de ses robes, qui allaient
devant; et après eux allaient tambourins, et après allait un
poursuivant d'armes, vêtu d'une cotte d'armes pleine de
cygnes, et après allait un grand cygne merveilleusement et
subtilement fait, ayant une couronne d'or au cou, à quoi
pendait un écu des pleines armes de Clêves, et à cette
couronne pendait une chaîne d'or, qui d'un bout tenait à
la tresse de l'écu de chevalier; ce cygne était accompagné
de deux sagittaires fort bien faits, qui tenaient arcs et
flèches et faisaient semblant de tirer à rencontre de ceux
qui voulaient approcher le cygne.
» Le chevalier tenant la chaîne d'or, suivait le cygne,
armé très-richement de toutes armes; son clieval était cou-
vert de drap de damas blanc, bordé de franges d'or, et son
écu de même; à droite, à gauche et derrière lui marchaient
trois jeunes pages habillés de blanc en manière d'anges,
montés sur de beaux coursiers enharnachés de drap blanc;
après venait un palefrenier, vêtu de blanc, sur un petit
cheval, qui menait en main un destrier couvert de drap
— 9 —
blanc, brodé de grandes lellres d'or et frangé d'or, à la
devise dudit chevalier. » Puis venaient le duc Jean de
Clèves, frère d'Adolphe, et d'autres grands seigneurs por-
tant la lance haute (i).
Le sire de Ravestein fit plus tard partie du conseil de
la jeune Marie de Bourgogne, après la mort du Téméraire,
avec la duchesse douairière, le sire d'Humbercourt et
Hugonet. La chronique de Brabant (die Excellente Chro-
nycke) rapporte que le chancelier Hugonet, qui avait des-
sein de livrer Marie à Louis XI, lui avait conseillé d'aller
chasser hors de la ville et de fuir en France. Adolphe de
Clèves vit l'émotion de la princesse et ses larmes, lui arra-
cha la révélation des projets du chancelier et se hâta d'aller
en instruire les doyens des métiers, qui firent arrêter la
nuit suivante Hugonet, Humbercoiirt et Guillaume de
Cluny (2).
Le sire de Ravestein avait conçu le projet d'obtenir
pour son fîls Philippe la main de la duchesse; mais il
échoua, et sa conduite ultérieure ayant mécontenté les
communes, il fut obligé de se retirer en Allemagne. Il
rentra cependant dans le pays après le mariage de Marie
avec Maximilien, et revint habiter de temps en temps l'hôtel
de la rue de la Vallée; dès ce moment il fut mêlé à tous
les différends entre le prince et les Flamands, et se rangea
presque toujours du parti des communes.
Toute la famille de Clèves était extrêmement populaire
parmi les bonnes gens et les villes de Flandre : ce qui le
prouve, c'est que Jean duc de Clèves, frère aine d'Adolphe,
envoyé en ambassade auprès du Pape par le duc de Bour-
(1) Tonte la cérémonie du vœu, du faisan et du banquet se trouve détaillée
au long dans Olivier de la Marche.
(2) Ce récit de la chronique n'est sans doute que la reproduction d'un
bruit répandu à cette époque; il offre peu de gages de vérité.
— 10 —
gogne en 1439, fui autorisé par les échevins de la Keure
de Gand à emmener avec lui les six clairons et trompettes
qui étaient aux gages de la ville (i).
Le plus populaire cependant de tous les seigneurs de
celte maison, fut Philippe, le fils d'Adolphe. D'abord dé-
voué au parli de la cour, ses liens de famille, de même que
sa position, semblaient devoir l'y attacher, mais les cir-
constances en firent en quelque sorte un héros populaire,
le champion de la liberté des communes. Il fut pendant
quelque temps comme le vrai souverain de la Flandre et
du Brabanl, où les traités entre les communes et le roi des
Romains lui accordaient le droit d'insurrection, à la moin-
dre tentative de Maximilien pour contrevenir aux clauses
arrêtées; plus tard il alla gouverner comme vice-roi l'anti-
que cité de Gènes, combattit Bajazet II, fut conseiller de
Charles-Quint, rentra ensuite en Flandre, où il consacra
ses dernières années à composer des commentaires mili-
taires remarquables et surtout fort rares à trouver aujour-
d'hui, et finit ses jours au château de VVinendale, où au
milieu des fanfares joyeuses d'un bal, il tomba frappé
d'apoplexie, en 1527 (2).
Philippe de Clèves n'avait qu'un seul enfant, qui mou-
rut victime d'une déplorable erreur. C'était en 1491, les
bandes d'Englebert de Nassau, que Maximilien avait
nommé gouverneur de la Flandre, se repliaient du côté de
Bruges, poursuivies par les milices gantoises. Près de
Sleydinge, un tout jeune seigneur, qui faisait partie de ces
dernières, avait laissé ses compagnons prendre les devants
et chevauchait seul dans la campagne au pas de sa mon-
(1) DiERicx, Mim. sur la ville de Gand, t. II, p. 228, et en noie un liocu-
mcnl des Archives à l'appui.
(2) Voir sur Philippe de Clèves, un mémoire fort intéressant du général
Guillaume, dans les Bulletins de l'Académie, 1870.
— n —
ture, quand il fui rencontré par une Iroupe de paysans
qui, le prenant pour un de leurs ennemis, l'assaillirent à
coups de hache et de fourches. Il eut beau implorer sa
grâce, leur jurant qu'il était de leurs amis, les paysans ne
voulurent rien entendre et le pendirent aux branches d'un
tilleul. Cette exécution sommaire fut promptemenl connue
dans le village, et promptement aussi on connut le nom et
le rang de la victime, qui était le fils unique de Philippe de
Clèves. Son corps fut alors respectueusement déposé dans
un cercueil de plomb et inhumé au pied de l'arbre qui lui
avait servi de gibet. En expiation de leur crime, les meur-
triers attachèrent au haut du tronc de ce tilleul une image
de la Vierge.
Depuis lors, on dit, qu'à l'heure de minuit, le jeune
prince de Clèves vient rôder autour de l'instrument de
son supplice, et qu'un vieux noisetier situé à quelques pas
de là sur la lisière du bois, tremble sans cesse, que ses
feuilles bruissent même par le temps le plus calme, comme
s'il était battu par la tempête. Dieu voulant ainsi témoigner
l'horreur que lui inspira l'acte homicide des paysans (ie
Sleydinge.
Aujourd'hui le noisetier a disparu, mais la légende est
resiée, et la Vierge du vieux tilleul est encore un lieu de
pèlerinage fort fréquenté. Anciennement on allait y prier
pour l'enfant de Clèves, et de là peut-être est venue l'invo-
cation flamande :Laet toch leven/t kind van Cleven! Grâce
pour l'enfant de Clèves !
Plusieurs princesses de cette maison léguèrent également
leur nom à l'histoire : l'une fut malheureuse, c'était Anne
de Clèves, épouse de Henri VIII, roi d'Angleterre, qui
paya cher l'honneur de monter sur le trône; deux autres,
toutes deux du nom de Marie, marquèrent dans les annales
galantes : la première épousa le duc d'Orléans et fut mère
de Louis XII: la seconde Marie de Clèves, duchesse de
— 12 —
Nevers, fut aimée d'Henri U\, alors duc d'Anjou, et épousa
le prince de Condé; c'est d'elle qu'il est question dans la
pièce de poésie de Desportes, intitulée : Eurylas ou Aven-
ture première, où le poëte célèbre les amours d'Eurylas et
d'Olympe; Eurylas est ïJenri III, Olympe est Marie de
Clèves.
Philippe de Clèves étant mort sans enfants, la propriété
de la cour de Raveslein passa à ses collatéraux; en 1609,
Jean Guillaume, duc de Clèves, étant mort également sans
enfants, les trois filles de sa sœur aînée, mariée au mar-
grave de Brandenbourg, héritèrent de ses biens : l'hôtel
tomba dans le lot du duc de Neubourg, palatin du Rhin,
époux d'une de ces princesses; son fils, Wolfgang-Guillau-
me, fit don de l'hôtel et de ses dépendances à Paul de Rou-
gemont, licencié, son conseiller, le 2 janvier 1645, moyen-
nant d'en payer les charges, qui consistaient entre autres
en une rente de 12,000 florins, au profit de Louis de Bla-
sere, seigneur d'Idewalle, qui habitait comme locataire la
partie appelée le grand quartier.
Ce Louis de Blasere est le magistrat voyageur, qui visita
la Terre-Sainte, en passant soit au départ soit au retour par
la France, l'Allemagne, la Suisse, l'Italie, l'Egypte, la Syrie,
l'Asie-Mineure, la Turquie, la Grèce et la Dalmatie, visita
par conséquent presque tout le vieux monde, et écrivit en-
suite le récit de ses périgrinations (i).
Un siècle plus tôt, un autre personnage distingué de la
magistrature flamande tenait également l'hôtel en location;
c'était Guillaume de Pamele, chef et président du Conseil
privé du roi et créé chevalier le 20 septembre 1581. Guil-
laume de Pamele était né à Bruges en 1528.
La famille de Clèves, au commencement du XVP siècle,
avait récupéré une maison qui touchait à l'hôtel et dont la
propriété en avait été séparée précédemment.
(1) FoppENS, t, II, p. 826.
— 13 —
Le 31 mars 1645, trois mois après être entré en jouis-
sance de la cour de Ravestein, Rougemont vendit le grand
quartier, pour la somme de 20,400 florins, à Jean-Baptiste
Délia Faille, seigneur d'Eecloo, de Maria-Lierde, conseiller
au conseil provincial de Flandre, qui habitait la maison à
côté de riiôtel. La partie postérieure de la propriété, celle
que représente notre dessin, et qui avait vue sur la place
Saint-Michel, était alors occupée par le docteur Van der
Heyden, à litre de locataire; en 1648, la veuve de Baul
de Rougemont la vendit à Jacques le Prévost, dit de Basse-
rode, seigneur d'Enghien (i); elle passa aux descendants de
sa flile Catherine, épouse de François de Brade, qui pos-
sédait également une rente à charte du fonds, et fut enfin
achetée en 1795 par M. Van Petegem, négociant en vins,
dont la fille, Madame veuve De Vlieger-Van Petegem, l'ha-
bite encore. Les dépendances situées à côté, vers la rue
d'Angleterre, passèrent successivement dans plusieurs
mains. Elles appartinrent dans ces derniers temps à feu le
docteur Verbeke, et servent aujourd'hui à une école de
jeunes filles.
La cour de Ravestein ou plutôt le grand quartier appar-
tint successivement à plusieurs membres de la famille
Délia Faille jusqu'en 1825. En 1725, dame Isabelle douai-
rière Délia Faille la vendit à son fils aîné, Jean-François,
seigneur d'Assenede; en 1815, elle fut louée au sieur Mon-
lobbio, marchand de vins, qui l'occupa pendant dix ans; à
cette époque, le comte Joseph Délia Faille et ses cohéri-
tiers l'exposèrent en vente publique pour sortir d'indivi-
sion. L'hôtel fut acquis par le notaire P. Lamme, et en
1832 mis de nouveau aux enchères par la veuve de ce
dernier, et adjugé au vicomte de Vaernevvyck d'Angest,
descendant de l'historien du même nom, qui y rassembla
(1) Terrier de la seigneurie d'Avryc, aux Archives de la ville de Gand.
— u —
une fort belle collection de vitraux. En 1857, la cour de
Ravestein fut encore vendue, de la main à la main, cette
fois, et acquise le 28 avril par le chevalier Slas de Richelle,
dont la douairière l'habite encore aujourd'hui, avec son
gendre, M. le comte de Loen d'Enschede (i).
Dans l'hôtel actuel, on chercherait en vain à reconnaître
l'antique demeure des ducs de Elèves. Quant à l'autre
partie, il n'en existe plus de traces; plusieurs maisons mo-
dernes ont remplacé les anciens bâtiments.
Une peinture murale, dans la cour de la maison habitée
par Madame De Vlieger-Van Petegem, représente l'hôtel
vu du côté de la place Saint-Michel, tel que le reproduit
notre dessin. E'est le seul souvenir capable de nous ap-
prendre ce que fut jadis la cour de Ravestein.
La demeure princière que les ducs de Elèves possédaient
à Bruxelles et qui porta également le nom de cour de Ra-
vestein, a mieux résisté à l'effort du temps; elle existe
encore, donnant d'un côté dans la rue Saint-Laurent, de
l'autre dans la rueTerarken, et appartient à la famille de
Neufforge (2).
Emile Varenbergh.
(1) La plupart de ces détails sont tirés des litres de propriété que Madame
la douairière Slas de Richelle a eu l'obligeance de nous communiquer.
(2) Messager des Sciences, année 1849, p. Hô.
— 15 —
LE LUXEMBOURG BELGE
ET SON ETHNOGRAPHIE
SOUS LA DOMilNATION ROIMAIISTE.
II
I.a forêt des Ardennes.
Formation des terrains ardennais. — F.es Ardennes et la science géologique.
— La philologie comparée. — L'Ardenne, c'est la terre par excellence des
émigrés primitifs venus d'Asie. — Diverses étyraologies. — Episode de
Vuilfilaye. — Diane, la déesse des Ardennes. — Les Ardennes décrites
par un touriste de ICI 9. — César et Slrabon. — Les Trévires révoltés se
réfugient dans la forêt des Ardennes : épisode de Florus. — Pémans ,
Sègnes, Condruses , Cérèses, peuples situés sur le territoire de Luxem-
bourg actuel. — Position respective de ces clients des Trévires. — Ce
sont des peuplades mixtes. — Roules et camp de Labiénus. — Opinions
diverses.
Nous devons envisager Télat présent de l'univers (i)
comme Teffet de son étal antérieur et comme la cause de
celui qui va suivre. Une intelligence qui, pour un instant
donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est
animée, et la situation respective des êtres qui la com-
posent, si d'ailleurs elle était assez vaste pour soumettre
ces données à l'analyse, embrasserait, dans la même for-
mule, les mouvements des plus grands corps de l'univers
(1) Laplace, Essai philosophique sur les probabilités.
— 16 —
et ceux du plus léger atome : rien ne serait incertain
pour elle, et Tavenir, comme le passé, serait présent à
ses yeux (i).
N'est-ce pas l'expression du génie et de la prétention
des sciences modernes? Quand la croûte de la terre,
mince et fragile, ne pouvait résister aux secousses que lui
imprimait le bouillonnement de la masse intérieure en
fusion, il y eut des soulèvements qui formèrent les premiè-
res montagnes. A ces époques tellement reculées qu'il n'est
pas possible de leur assigner une date, il n'y avait qu'une
seule substance, le granit, J^es argiles éprouvèrent un
commencement de fusion ou plutôt de vitrification, qui leur
donna cette structure feuilletée qu'on remarque dans les
différentes espèces d'ardoises et qu'on désigne par le nom
de structure schisteuse (2). Ces scbistes sont de la plus
ancienne formation, et constituent le terrain primitif des
Ardennes.
Cet épais bourrelet est formé de terrains primaires, qui
se sont élevés par des mouvements complexes, dont on
reconnaît encore les traces dans toute l'étendue du relief.
La direction du surgissement principal des masses a été
celle du sud-ouest au nord-ouest, qu'affecte l'arèle tout
entière, dans le travers de la Belgique. Mais on dislingue
sur le dos de ce surgissement même des lies plus anciennes,
allongées dans le sens général. Le voyageur reconnaît les
contours de ces îles non seulement par l'exbaussement du
(1) A ccUe hauteur vertigineuse de la science, je serais tenté de dire d'un
tel homme, ce que Ton a dit dans un autre sens du grand Shakespeare :
" iVature lier pencil to lus hands commils
And Ihen in ail her forms lo this grcat masler sils. >>
La nature a confié son pinceau à ce grand maître et a posé ensuite sous
toutes les foruies en faveur du grand artiste.
(2) Voy. Dr Fil. ScuoEDLER, Das BucU dcr Nalur, et Léon Brothier, His-
toire de la Terre.
— il —
Icrrain, mais surtout par la disparition des couches sédi-
mentaires qui les composent. C'est ainsi que le dos de
TArdenue porte des Ilots de terrain ancien. Par leur émer-
sion précoce, ces ilôts ont échappé à la sédimentation
postérieure. Les couches plus récentes les entourent, les
empâtent pour ainsi dire comme la mer les enveloppait
autrefois. Et en descendant de leurs sommités, on trouve-
rait souvent autour d'eux les couches concentriques de la
plupart des dépôts postérieurs. On peut voir les contours
précis de ces îles anciennes qui couronnent l'Ardenne sur
la belle carte géographique de M. Dumont. Les différentes
couches qui composent ces îles, ont reçu le nom collectif
de terrain ardennais. Elles appartiennent à la subdivision
la plus ancienne des terrains primaires. Leur constitution
propre est du plus haut intérêt pour remonter à l'état de
rOcéan, dans l'antiquité prodigieuse où elles se sont for-
mées (i).
L'Ardenne s'étend comme un cordon d'une nature pauvre
et rabougrie entre nos plaines riches et monotones du cou-
chant et les campagnes dorées du Luxembourg et de la
Lorraine. C'est en franchissant l'arête dans sa moindre
épaisseur, de Namur et de Marche à V^irton, que l'habitant
de la Belgique passe le plus rapidement de la nature de la
plaine du Nord dans celle de l'Europe moyenne.
En parcourant la Belgique, on ne larde pas à observer
que les vallées à fond plat, empâtées d'un limon fertile,
arrosées comme les bords de l'Ourthe et de la Meuse, par
des débordements fréquents, sont la véritable zone des
prairies. Les crêtes élevées, comme l'Ardenne, les sites
accidentés et rocheux, exposés à toute l'action des météo-
(1) Voy. Essai d'une géographie physique de la Belgique, au poinl de vue
de l'histoire et de la description du globe, par J. C, Houzeau, ancien aide à
l'Observatoire de Bruxelles; 1834.
2
— 18 —
res, sont la région naturelle des forêts. La végétation sau-
vage se présente, en effet, sous deux aspects fondamentaux,
les hautes masses sombres et les riants pâturages (i).
Tel est le langage de la science.
Les rares éclaircissements de Thistoire unis à la géo-
logie, cette épopée de la formation terrestre, de concert
avec la philologie comparée, vont nous initier de plus en
plus, dans les limites du possible, à l'histoire primitive de
celle vaste contrée.
Le mol Ardenne a essayé l'esprit des étymologistes, qui
lui ont donné diverses origines. A notre tour nous allons
tenter de pénétrer dans le sens primitif de ce terme, en le
rattachant aux considérations géologiques qui précèdent,
basées sur les données positives de la science.
Nous prenons pour point de départ airiha, la terre, dans
la langue des Goths. Comment ce mot se comporte-t-il
avec les autres vocables des rameaux indo germaniques?
Parmi les formes nombreuses qu'il affecte, il se présente
généralement dans les idiomes de la Germanie sous l'aspect
d'eratha, aerdho, erdlha, aarde, aerde. Une forme antique,
c'est cro, solnm, qui rappelle Hera, Hère ou Herke, la
déesse des Saxons, dans des allures variées et qui, par
analogie, se rapproche, se confond presque dans Cérès, la
productrice des fruits de la terre.
Dans A7i[A>iT>ip, Cérès, l'altération n'est pas radicale, car
ce mol se décompose en 65 dorien pourra et rt»jp, signes
qui font penser à la même famille.
En remontant de Vairtha d'Ulphilas à une source plus
primitive, nous rencontrons Herlhum, Ertha, dans Ta-
cite (2) : un usage commun à tous les Germains, dit-il,
c'est l'adoration d'Ertha, la terre-mère. Qui ne voit le
(1) Voy. HouzEAU.
(2) Tac, Gcrm. XL.
— 19 —
même mot dans è>aÇ£, par lerre, l'pa, la lerre, dans le sanscrit
nrvi, urvarà (arabilis) dans ôlpoupa, tto)vuy5poî, et dans le type
arviim, dont l'air de famille avec l'Airlha des Gollis ne
saurait être méconnu. Oserons-nous, avec J. Grimm, ra-
mener ce mot à Hpri? Ce serait la vénérable Junon aux
grands yeux — è'ssetasv 5è powutç TÔTvia "Hp») — qui deviendrait
ainsi la personnification des querelles des hommes pour
quelques coins de terre, après avoir tant de fois porté le
trouble dans l'Olympe d'Homère (i). En basque, idiome in-
décomposable, erria signifie terre ou pays. Saluons-le dans
ara, aria, surface, et disons qu'il est impossible de ne pas
l'apercevoir dans Aird, autre forme des Golhs, et dans
l'anglais earih. Mais il est temps de consulter Pott (2).
D'après ce maitre en philologie comparée, art en armé-
nien, c'est une partie de lerre labourable, et ardiiin, dans
le même idiome, signifie production, fruit. Or, le persan
erla est analogue à l'arménien art, et l'arabe ardun a son
similaire dans le kurdistan ard, terra.
Voilà donc les formes les plus frappantes parmi les
nombreuses formes connues dans lesquelles s'est trans-
formé à travers les âges et les climats le signe sensible,
phonétique, par le moyen duquel l'homme de la langue
primitive a désigné son séjour terrestre. Grâce aux émi-
grations préhistoriques échappées aux annales des peuples,
cette dénomination s'est répandue partout en Europe et
ailleurs, et elle a été comme moulée dans des formes aux
mille variétés, sous l'action lente et progressive des cli-
mats et des siècles. Et s'il est vrai qu'il a existé une langue
primitive, source de tous les phénomènes de linguistique,
l'Ardenne, Arduenna, c'était pour les émigrés débordant
(1) HoM., //., chant 1er, V. 568.
(2) Pott, EUjmologisclie Forschungen auf dem Gehiclc dcr indo-germani-
schen Spraehen (Rccherclies élymologiques dans le domaine des langues indo-
gennauiques); Lemgo, 1833-183G.
— 20 —
d'Asie en marche vers le Nord, la terre par excellence
surgissant au-dessus des flots, dont le travail opiniâtre
devait dépouiller ses flancs schisteux des sédiments, pour
les rouler dans les pays des IVerviens et d'autres contrées
circonvoisines. C'est le cri d'allégresse, terre! tel qu'il a
échappé dans les temps modernes à ces hardis navigateurs
qui ont bravé les tempêtes pour aller à la découverte d'un
nouveau monde.
Si Ardîienna venait (ïardere, par allusion à l'écobuage,
pourquoi ne trouverait-on pas de traces de cette origine
dans les auteurs classiques? Les Grecs, — qiii sua tanlùm
mirantur, dit Tacite, — si jaloux de leur langue, ne se
seraient pas fait faute de donner à cette dénomination une
tournure hellénique. Slrabon, par exemple, qui s'en sert
après César, et dont le mépris pour la science romaine est
notoire, n'aurait pas écrit Apôoùevv*, mais aurait trouvé et
nous aurait transmis un terme correspondant en grec avec
le sens que lui attribuent ceux qui le dérivent d'ardere.
Si l'on objecte que le géographe grec a pu l'apprendre par
les Phocéens de Marseille, nous y verrions la confirmation
de notre opinion.
Les habitants de Marseille, qui veillaient avec la plus
grande sollicitude à leurs intérêts commerciaux, avaient
chargé un de leurs savants compatriotes, Pylheas, de pé-
nétrer dans le Nord, afin d'y chercher, comme on le
conjecture, des débouchés à leur commerce, comme ils
avaient donné mission à Euthymènes d'explorer le Sud.
C'est dans le yô? ^ptoSo? de ce voyageur phocéen ou gaulois
que les anciens ont puisé leurs premières notions géogra-
phiques sur la Bretagne, la Gaule et la Germanie, car il
est probable qu'il s'est avancé jusqu'aux côtes de la mer
Baltique. La phrase célèbre de Pline : Octogenis cubitis
supra Britanniam intumescere aestus Pylheas Massiliensis
aticlor est, et interiora autem maria terris claiidunlur ut
— 21 —
partis, indique assez, nous semble-l-il, qu'il a poussé ses
investigations aussi loin que possible dans les régions
boréales (i).
Nous le répétons, les Grecs étaient tourmentés du besoin
irrésistible d'imprimer à tout le cachet de leur nationalité.
Or, ils ont laissé cette dénomination sans changement;
c'est l'ignorance de la signification qui les a contraints à
ce dur sacrifice. Ils ignoraient Vairtha, l'erfa, VArduun,
VArduemia, la vieille, l'antique terre saluée de ce nom par
les premiers immigrants à la recherche de domiciles fixes
dans ces âges primitifs, où le souvenir des convulsions
géologiques était encore fortement imprimé dans la mé-
moire des hommes (2).
Quant à la dénomination germanique que lui donnent
les habitants du Luxembourg allemand, elle ne saurait
entrer en ligne de compte, puisque, à toute évidence, elle
éveille l'idée d'une situation géographique de Vuirlfia. Elle
est jeune; elle est d'hier et doit être traitée comme les
prêtres de l'Egypte, épris de l'antiquité, ont fait des doctes
de la Grèce.
D'autres étymologies ont été proposées. On a vu dans
Ardeiana, ancienne déesse des Celtes, l'origine du mot
Ardenne, ou dans ardu, qui signifie lieu sombre dans la
langue des Gaulois. Par une coïncidence heureuse, Ar,
dans le même idiome, a le sens d'endroit élevé, et dcnu
signifie forêt; quoi de plus naturel que de les unir dans une
union fraternelle pour en former Ardenne!
Mais quelle que soit l'opinion à laquelle on s'arrête.
(1) On doit à Pythéas la découverte de Tlmle. Il vivait du temps d'Aiistole
et d'Alexandre le Grand, puisque Polybc, cité par Strabon, témoignait que
DIcéarque, disciple d'Arislote, avait lu les ouvrages de Pythéas. Quelques-
uns existaient encore à la fin du IV«^ siècle.
(2) Voy. D«" L. DiEFENBACH, Verglcichendes Worlerbuch der golhischcn
Sprache, 1851 .
Qg
ridée (raiiliquilé domine pnrtoiit dans les traditions des
Trévires. La preuve, c'est la prétention qui de nos jours
encore s'étale sur une maison célèbre de la ville de Trêves,
où on lit cette inscription : Ante Romani Treviris slelit
annis mille trecentis, qui est l'expression de la probabilité
aux yeux de tous ceux qui ont étudié la question de
riiomme préhistorique dans nos contrées.
On sait, enfin, que Diane était l'auguste protectrice de
la forêt des Ardennes. Et à ce propos il n'est pas inutile
de citer Ersch (i), qui trouve dans ce mot un élément
divin. On dérive aussi, dit-il, le terme Arducnna du celti-
que. Dans ce cas, Ar-du-enna signifierait Forêt située sur
tes fleuves de Dieu. En effet, continue-t-il, Àr veut dire
près et Duenna, Duiona, Ducona, ont le sens de source,
eau de Dieu. On voit combien cette étymologie se rapproche
de celle donnée plus haut.
Quoi qu'il en soit, d'après la tradition, il y avait entre
Ivoix(Carignan) et Virlon une statue colossale de la déesse.
Elle aurait été érigée par ordre de Domitien, probablement
au retour de sa ridicule expédition contre les Galles, à la
suite de laquelle il prit le nom de Germanicus sans avoir
vu l'ennemi. En 84 après Jésus-Christ, le Panthéon de
Rome ouvrit ses portes à la statue de la divinité des Arden-
nes, avec l'inscription : Deanue Arduinnae. Dans un autre
chapitre nous nous arrêterons plus longtemps sur la valeur
épigraphique et le sens de ces termes. Ce qui nous importe
pour le moment, c'est de constater que Domitien, si ce
qu'on lui attribue est vrai, aurait honoré le pays des Ar-
dennes dans sa divinité protectrice, plusieurs siècles avant
qu'un missionnaire, mu par des sentiments de prosélytisme,
fît renverser celle qui s'élevait dans les environs de la cité
romaine de Virton.
(1) Altgemcine Encydopaedic, etc., von Ersch und Gruber, 1820.
— 25 —
Cet épisode se produit immédiatement après la chute
de l'empire. Il rentre tout naturellement dans le cadre des
annales belges. Nous en empruntons le récit à un auteur
dont la bonne foi s'allie à un ton de naïveté qui n'exclut
point l'érudition.
Il y a apparence, dit-il, que l'idolâtrie subsista bien plus
longtemps dans les Ardennes que dans nos frontières;
Reims avait reçu la foi de bonne heure; ainsi, il est à
croire que tel a été le destin de celte ville, tel a été celui
des frontières.
Quant aux Ardennes, nous trouvons des preuves qu'elles
étaient encore idolâtres en 581, que Dieu suscita le diacre
saint Vuilfilaye, qu'on nomme aujourd'hui saint Walfroy,
pour opérer la conversion de ces peuples, nos voisins les
plus proches, dont il fut le premier apôtre; il s'y prit d'une
manière si extraordinaire qu'on ne pourrait le croire,
si elle n'avait l'autorité d'un auteur Irès-respecté. M. de
Fleury rapporte, sur le témoignage de Grégoire de Tours,
que ce grand historien, dans un voyage qu'il fil à Trêves,
passa par le monastère de saint Walfroy et qu'il apprit de
la bouche de ce saint, l'histoire dont voici le détail :
Le diacre Vuilfilaye était de la nation des Lombards et
fut un disciple digne de mémoire de saint Iriez ou Aridius,
abbé célèbre en Limousin, qui fut aussi chancelier de
Théodebert. Saint Walfroy, dès son enfance, eut une dé-
votion particulière à saint Martin, sans savoir s'il était
martyr ou confesseur, ni en quel pays étaient ses reliques;
il demeura quelque temps au monastère de Saint-Iriez,
puis il passa sur les frontières de la Champagne et du
Luxembourg, et alla se loger sur une haute montagne,
située près d'un château nommé Eporium (c'est Ivoy ou
Carignan); sur cette montagne il bâtit un monastère, dont
l'église était dédiée à Saint-Martin; il y fit dresser une
colonne où il demeura debout et nu- pieds, souffrant les
— 24 —
rigueurs de l'hiver, en sorte que les ongles lui tombèrent
plusieurs fois; il ne vivait que de pain et d'eau, avec quel-
ques légumes. Les peuples des villages voisins accouraient
à ce spectacle, el le saint homme les exhortait à renoncer
au culte de Diane et aux chansons profanes qui accom-
pagnaient leurs festins. Ils avaient une grande idole de
cette déesse, du temps de Jules César; elle était fort célèbre
dans ces vastes forêts sous le nom de la grande Diane des
Ardennes. VValfroy fit tant par ses exhortations et ses priè-
res, qu'il convertit les idolâtres; ils brisèrent d'abord leurs
petites idoles, el ensuite, réduisirent en poudre la grande.
Les évéques, voyant sa manière de vivre, lui demandè-
rent s'il voulait prétendre à imiter le grand Siniéon d'An-
tioche, qui a vécu sur la colonne, que c'était à tort, et que
la rigueur du climat ne lui permettait pas de faire, a Descen-
dez plulôt, lui dirent-ils, et logez avec les frères que vous
avez assemblés. » L'obéissance le fit descendre sur le
champ de sa colonne pour aller vivre avec les autres
L'évéque de Trêves, à son insu, fit abattre la colonne. Ce
saint, ne la trouvant plus, fondit en larmes, mais de peur
de désobéir aux évéques, il n'osa la relever; c'est l'unique
exemple de moine stylile qu'on sache en Occident. Sur
cette montagne il y a encore un hermitage que trois her-
mites habitent, et où, tous les ans, il se tient deux foires
assez célèbres et très-fréquentées.
En 725, le pape Grégoire II, secondant le zèle de saint
Boniface, dans la conversion des peuples d'Allemagne,
sollicita saint Hubert, évéque de Maestricht, à achever
celle des Ardennes, du Brabant et de la Campine; il réus-
sit à y ruiner toutes les idoles et à abattre ce qui était
resté, dans ces quartiers, de temples et d'autres marques
de la superstition païenne; quelque temps après, Grippon,
fils de Charles Martel et de Sonnechilde, fut exclu par les
grands du royaume de la succession de son père, sa mère
— 25 —
n'ayant point été reconnue pour reine. S'étant relire dans
Laon, il y fut assiégé et pris, et Carloman, son frère, l'en-
voya en captivité à Neufciiâleau, en Ardennes(i).
Afin de compléter le tableau, nous ajouterons à ce qui
précède une relation curieuse tirée du Voyage en Arden-
nes, Liège et Pays-Bas, en 1619 (2) : « Tout ce pays-là,
dit l'auteur de cet intéressant ouvrage, tant deçà que delà
la Meuse, s'appelle les Ardennes ou la forêt d'Arden-
nes {Arduenna sylva), l'une des plus grandes et célèbres
de la Gaule-Belgique, et selon César et Strabon, elle
s'étendait jadis depuis le Rhin vers Trêves, jusques en
Artois et Tournesis d'un côté, et jusques vers Rheims de
l'autre, couvrant la plupart des pays qui sont entre deux,
comme le diocèse de Trêves, Liège, Luxembourg, Hay-
naut, Juliers, Aix, Limbourg, Lorraine, Bar, Bouillon,
Metz, Mayence, Cologne, Champagne, Artois, etc. De
sorte qu'elle s'épandait largement par toute la Belgique,
comme la Hercinie par toutes les Allemagnes. Mais, depuis
le pays s'étant défriché et cultivé, elle s'est fort diminuée,
et- ce qui en est resté est encore non tout d'un tenant,
mais fort interrompu; son plus épais et touffu étant de-
meuré dans le Luxembourg et le Liège, et son centre et
milieu est environ vers Saint-Hubert, fameux pèlerinage
des Ardennes et de Liège.
» Celte forêt est fort affreuse et de difficile accès, comme
le témoigne même le gentil Pétrarque en ses Épîtres,
quand il dit que retournant de Cologne, il passa seul par
cette forêt horrible et hideuse à voir. Elle produit quantité
(1) Voy. Mémoire sur les antiquités de Sedan, par Lannoy, publié dans la
Revue des Ardennes. — Voy. au surplus Beftholet, Histoire de Luxem-
bourg, etc., p. 2i; Ortelius, Theal. Orb., p. 12; Bertels, De Diis gentium;
Brower, Anlic/uilalum et annalium Trevirensium libri XXV.
(2) Ce voyage en Ardennes, à Liège et dans les Pays-Bas est attribué à
Pierre Bergeron, né à Bélhisy et raort en 1657. Voy Revue liisl. des Arden-
nes, publiée par M. Sénemaud.
— 26 -
(le toute sorte d'arbres; mais entre antres d'ifs vers Namur
et Huy. C'est une espèce de sapin dont le jus est mortifère
et vénéneux, comme aussi Vombre même, mais son bois est
fort propre à faire des arcs et des arbalètes. »
L'auteur de celte description serait bien étonné de nos
jours en voyant l'antique forêt des Ardennes transformée
presque partout en plaines et plateaux fertiles.
Mais abordons les documents primitifs. César, qui forme
une autorité irréfragable, en parle en ces termes : « Indu-
tiomar, au contraire, lève de la cavalerie et de l'infanterie;
tous ceux que leur âge met bors d'état de porter les armes,
il les fait cacher dans la forêt des Ardennes, forêt immense
qui traverse le territoire des Trévircs et s'étend depuis le
fleuve du Rhin jusqu'au pays des Rémois (i). »
A un autre passage, il dit : « Les uns se réfugièrent
dans la forêt des Ardennes, les autres dans les marais
voisins. Ceux qui étaient le plus près de l'Océan se cachè-
rent dans les îles que forment d'ordinaire les marées (2). »
Il devient plus explicite, liv. VI, 33, lorsqu'il dit :
« Il arrête de marcher en personne avec les trois autres
vers le fleuve de l'Escaut, qui se jette dans la Meuse, et
de gagner l'extrémité des Ardennes, où il entendit dire
qu'Ambiorix était retiré avec un petit nombre de cava-
liers (3), » Un instant auparavant, il s'était exprimé ainsi ;
(1) Caes. , B. G. V, 3 : « At Indutiomanis eqnilatum pedilumque cogère
iisque qui pei- aelalein in armis esse non poleranl in sijlvam Arduennam ,
abditis qiiae ingenti magniliuiine |)er medios fines Trevirorum a flumine
Rheno ad initium Renioriim perlinet. »
(2) Caes., B. G. VI, 31 : « Quorum pars in Ardueunam sylvam pars in con-
tinentes paludes profugit Qui proxinii Oceanuin fuerunl ii in insulis sese
occullaverunl quas aestus effîcere consuerunt. »
(3) a Ipse ciiin reliquis Iribus ad flumen Scaldim quod influit in Mosani,
exlremasque Ardueniiae parles ire constituil, quo cum paiicis equilibus pro-
fectum Ambiorigem audiebat. » (II est bon de se rappeler que, selon les
apparences, la Meuse, du temps de César, communiquait avec l'Escaut
oriental).
— 27 —
« Quand les blés commencèrent à mûrir, il envoya à
travers la forêt des Ardennes L. Miniiliiis Basilus, à la
tête de toute la cavalerie, pour faire la guerre à Ambiorix.
Celte forêt, qui est la plus vaste de toute la Gaule, s'élend
depuis les frontières des Trévires jusqu'aux Nerviens, sur
un développement de plus de cinq cent mille pas (»). »
Slrabon, à son tour, donne quelques détails : « Les J\er-
viens, dit-il, d'origine germanique, confinent aux Trévires.
Les derniers sont les Ménapiens qui, des deux côtés de
l'embouchure du fleuve, habitent les marais, les brous-
sailles, des forêts non élevées, mais épaisses et épineuses. »
Plus bas, il ajoute : o La contrée des Morins, des Atrébales
et des Éburons, du reste, est semblable à celle des Ména-
piens. C'est une forêt qui ne porte pas d'arbres de très-
haute futaie; elle est vaste, mais non si étendue que quel-
ques écrivains ont voulu le dire, de quatre milles stades..
On l'appelle Ârdenne (2). »
Lin siècle ne s'est pas écoulé après que les Romains
eurent soumis la Belgique, que déjà la forêt des Ardennes
servait de refuge à ceux qui haïssaient la domination
de Rome ou qui avaient à redouter la rigueur de ses lois.
Pendant la révolte des Trévires, que raconte Tacite, Florus
tenta la fidélité d'une aile de cavalerie levée à Trêves et
disciplinée à la manière des Romains. Pour exciter les
révoltés à la guerre, il eut recours au massacre des mar-
(1) B. G. VI, 29 : « Ipse quuni maturescere frumenla incipcrent, ad bellum
Ambiorigis per Arduennam s\ilvam quae est totius Galliae maxima, alque ab
ripis Rheni finibusque Trevirorum ad Nervios pertinet millibusque aniplius D
in longiludinem patel, S. Minuliiim Basilum cum omni equilatu praeraittit. »
(2) « £[j.cp£pf|(; 5'èo"cl t^ twv MsvaTrftov yi lï xwv Mopivûv xal i^ xôiv Arpe-
PaXTwv xal Epoupûvwv' u)vy) yap eullv 005^ 'û'I/yiXwv 6£v5pcùv T:oKkf\ \i.ïv, où
ToaaTÛ/i 5è Sar^v ol ovyypacpei; elpy^xaci texpaxiç yCkiio'^ ffxaSîwv, xaT^oôai
S'aûr/jV ÂpSouivvav. » Il est évident que le géographe grec fait allusion dans
ce passage au général romain, qui aurait, d'après lui, donné de trop grandes
dimensions à la forêt des Ardennes. — Voy. Caes., B. G., lib. VI, 29, déjà
cité. Ce passage mcrile d'allirer l'allenlion.
— 28 —
cliands romains (i). Quelques cavaliers ne résistèrent point
aux tentatives de corruption, mais le plus grand nombre,
sans doute déjà strict observateur de la discipline militaire
— esprit national de Rome antique — resta dans le devoir.
Cependant la foule des débiteurs et des clients de Florus
recourut aux armes et gagna la forêt des Ardennes (2),
lorsque les légions des deux armées de Visellius et de
C. Silius, arrivant par des cbemins opposés, leur fermèrent
le passage.
On sait que Florus se tua de sa propre main et que sa
mort mit fin à la révolte. N'est-il pas vraiment étonnant,
qu'après une servitude déjà si longue, il se déploie encore
tant de vigueur dans la métropole et la province? Nul
doute que, sous le nom d'obaerati et de clientes, le grand
historien ne cache de vaillants patriotes qui ont fait d'inu-
tiles eflorls pour recouvrer la liberté et l'indépendance.
Quels sont les peuples qui ont animé la forêt des Ar-
dennes aux temps les plus reculés? C'est une de ces
questions que l'on rencontre tout naturellement, mais à
laquelle il n'est pas facile de satisfaire. Le seul guide que
l'on puisse prendre, la source unique et entourée de ga-
ranties, parce qu'elle émane d'un témoin oculaire, c'est
(1) La vanité nationale a fait dire à Velleius Palerculus une de ces exagé-
rations que dément le récit de Tacite. Au livre II, 129, 5, il dit avec l'empliase
de son époque : « Quanlae molis hélium, principe Gailiorum ciente, Sacro-
viro, Floroque Julio mira celeritale ac virtute corapressit {Tiberius), ut antè
populus romanus vicisse se quam bellare cognoscerct nuntiosque periculi
victoriae praecederel nuntius. » Cette révolte éclata vers l'an 23 après Jésus-
Christ.
(2) Tacit., Annalhim , lib. III, 42 : « Intérim Florus insistere destinatis,
pelliccre alam equitum quae, conseripla Trevcris, mililia discipiinaque
nostra habehatur ut, caesis negotialoribus romanis, hélium inciperet : pauci
equitum corrupti; plures in officio mansere. Aliud vulgus obaeralorum aul
clientium arma ccpit : petehantque saltus quibus nomen Ardnenna, quum
legiones ulroque ab exercita quas Visellius et C. Silius adversis ilineribus
objecerant arcucrunt. »
— 29 —
toujours César. C'est donc lui que nous allons interroger.
Ses commentaires en main, nous trouvons qu'au nord des
Trévires étaient situés les Pémans, les Cérèses, les Sègnes,
les Condruses, renfermés dans les limites de la Meuse et
des Nerviens jusqu'aux bords du Rhin.
Au rapport de César, les Condruses et les Éburons
virent leur territoire envahi par les Germains, qui fran-
chirent le Rhin. En effet, il dit en propres termes (i) :
« Alléchés par cet espoir, les Germains pénétraient plus
loin et ils étaient déjà parvenus aux pays des Eburons et
des Condruses, qui sont des clients des Trévires. »
Vers l'orient, dans le voisinage des Condruses, il est
permis de placer les Sègnes. César, dans la guerre d'exter-
mination qu'il fil aux malheureux Éburons, ne sépare pas
ces deux nations. Il dit qu'ils ne lui ont pas fait la guerre
et qu'ils lui ont envoyé une députation. Ses paroles doivent
être recueillies dans un intérêt de géographie ethnogra-
phique : « Les Sègnes (2), dit-il, et les Condruses, de la
race et de la population des Germains, qui sont entre les
Eburons et les Trévires, envoyèrent des députés à César
pour le prier de ne pas les compter au nombre de ses
ennemis et de considérer que les Germains en-deça du
Rhin n'avaient pas une même cause, qu'ils n'avaient eu
aucune intention de guerre, ni envoyé aucun secours à
Ambiorix (s). »
(1) Caes., B. g. IV, 6 : « Quâ spe adducti Germani lalius jam vagabanlur
et in fines Eburonum et Condrusorum qui sunt Trevirorum clientes perve-
nerant. »
(2) Les villages de Sègne et Sougnez, dans les environs de Spa, semblent
avoir consacré par leurs noms le souvenir de cette peuplade.
(3) Caes., B. G., VI, 52 .- « Segni, Condrusique, ex gente et numéro Ger-
manorum, qui sunt inter Eburones Trevirosque, legatos ad Caesarem mise-
runt oratum ne se in hoslium numéro ducerel neve omnium Germanorum
qui essent citra Bhenum causam esse unam judicaret; niliil se de bello cogi-
tasse nuUa Ambiorigi auxilia misisse. »
— 50 —
Il résulte donc manifestement, ce semble, du texte de
César, que ces peuples sont situés de l'orient à l'occident,
entre les Trévires et les Éburons; car il est évident que
leurs voisins du sud sont les Trévires et du nord les Ébu-
rons. Ainsi le territoire du Luxembourg belge actuel (Pé-
mans, Sègnes, Cérèses, Condruses) est une antique enclave
du pays des Trévires, dont les limites courent vers l'occi-
dent du Rhin à la Meuse et avancent dans le nord jusqu'à
l'Escaut et à l'Océan.
A l'est de ces peuples coule le Rhin (i). Strabon est du
même avis. Voici comment il s'exprime : « Après les Mé-
diomatriques et les Triboques viennent les Trévires, qui
habitent près du Rhin. Les Romains en guerre maintenant
avec les Germains y ont construit un pont (â). »
A l'ouest, les Trévires ont pour limites la Meuse, les
Rémois et les Nerviens (0), et au sud ils ont les Médioma-
triques (Metz), qui s'étendent depuis le territoire des
Rémois jusqu'aux bord du Rhin (4). Quant aux quatre
peuples du Luxembourg belge actuel, comme nous l'avons
dit, ils étaient au nord du territoire Irévirien.
(1) Caes., B. g., lib. IV, 10; lib. VI, 9; lib. V, 3. — Outre le chap. 9 ilu
livre VI, c'est le chap. 3 du livre V qui est le plus précis. On y lit : « Haec
civilas (Trevirorum) longe plurimùm totius Galiiae equilatu valet magnasque
habel copias pedilam Rhenumque ut suprà demonstravimus tangil. »
(2) « Mexà Ô£ Toùç MEÔLO(iaTpixoùç xal Tpt6oa5(otji; Trapoixoûai tèv 'P-/)vov
Tpyjoûtpoi, xaO'ouî TTîTcor/îTai xà ÇeùyH-a Ùttô twv 'Pufiaîwv vuvl ttôv atpa-
T-/)yoijVTWv tôv repfxavLxoù Tr6X£[xov... Tp/iOuEpoiç 6è aovej^s'iç Nspoûiot (con-
tigui sunt Nervii), xai loutô yepjiavixôv eOvoç- TeXcUxaToi Se MEvdtiroi TrXyiaEov
xûv ey.poXtôv étp' kxiztpoi. xoù Troxoifxoij xaxoixoûvteç i;X>] xal 6pu[JL0Ù; oùj(
6i.[/>jX>iç, aXXà TCoxvvjî uX/jî xal âxavGwSouç. «(Strabonus Gcograpliica, lib. III,
cap III].
(3) Ptolémée, liv. II, 9. — Ptolémée vivait sous le règne d'Adrien et de
Mai'c-Aurèle.
(4) Voy. Ces., liv. IV, 10 : « Rlienus auiem oritur ex Lepontiis qui Alpes
incoUint et longo spalio per fines Nantuatium, Helveliorum , Sequanorum
Medwmatricum, Tvibocovum, Trcvcrorum citalus fcrtur. » — Strabo.n, le pas-
sage ci-dessus.
— ôi —
La belle carie de la Gaule sous César, dressée en France
par une commission spéciale instituée au ministère de l'in-
struction publique, est aussi du plus haut intérêt pour
l'histoire du Luxembourg romain. On trouve consignés sur
cette carte les noms des peuples qui habitaient la Belgique
au moment de la conquête; puis les marches des légions
romaines, les champs de bataille et les camps dont font
mention les Commentaires de César, et, en troisième lieu,
les localités où Ton a déterré des monnaies et des armes
gauloises. Sur cette carte, les Cérèses sont placés du côté
de Carignan et de Villers-devant-Orval, sur les rives du
Chiers. L'opinion commune leur avait assigné le pays de
Caros ou Caeros-g^oty entre Bouillon, Kerpen et Pruim.
Aux Segni on a assigné une position en contradiction
avec César, qui les place entre les Nerviens et les Ébu-
rons (Lib. V, 38; VI, 52). Les auteurs de la carte de
la Gaule placent les Segni du côté de Chimai. Les erreurs
signalées dans les rapports adressés à l'Académie royale (i),
avaient déjà été réfutées par Berlholet, dans son Histoire
du Luxembourg . Cet historien marque ainsi leur position
aux anciens peuples du Luxembourg : « Les Pémaniens
sont ceux de Famenne, dit-il, aux environs de Marche; les
Condrusiens, ceux du Condroz, qui avait autrefois plus
d'étendue et s'avançait beaucoup dans le Luxembourg; les
Cérisiens, ceux de Caros ou de Caroscow, dans l'Fyfel,
du côté de l'abbaye de Pruim et de Bullonge; enfin, les
Médiomalriciens, ceux de Metz, où est situé Thionville.
Dans une note explicative, Bertholet, en réfutant l'opinion
de M. d'Ablancourt, repousse, comme par pressentiment,
les erreurs commises par les auteurs chargés de dresser la
carte de la Gaule sous César (2).
(1) Voy., pour plus de détails, Bulletins de l'Académie royale, t. XXXIV,
année 1862, p. 379.
(2) Voy. Histoire ecclésiastique et civile dit duché de Luxembourg et comté
de Chiuy, par le R. P. Jean Bertholet, t. I^'', 1731, p. 17.
— 32 —
Iiidépendamincul des cilalions empruiilées à César, afin
d'élablir la position des quatre peuplades luxembourgeoi-
ses, il convient de résumer les principaux points de con-
troverse que celte importante question a fait éclore.
M. Bernhardi, à cet égard, s'exprime ainsi : « A considé-
rer la souche principale, les Trévires étaient des Germains,
mais ils comprenaient dans leur sein des populations cel-
tiques, dont le territoire formait une partie de celui du
peuple dominant (i). D'après ce point de vue, les Trévires
étaient un peuple mixte composé de Celtes et de Ger-
mains. » Cette opinion du savant allemand correspond à
celle de M"" Am. Thierry. Selon ce dernier, les invasions
des Germains se réduisent à peu près à rien. La Belgique
aurait toujours été celtique, les Germains ne seraient par-
venus à se fixer à demeure de l'autre côté du Rhin que
difficilement et en petit nombre; les Sègnes, les Condruses,
les Pémans, les Cérèses, débris des tribus écrasées et
chassées par une autre confédération de la même race,
auraient passé le fleuve et occupé une partie de la forêt
des Ardennes, moins par la force des armes, que du con-
sentement des Trévires, dont ils se seraient reconnus tri-
butaires et clients.
La forêt des Ardennes a été sillonnée dans toutes les
directions de routes et de voies militaires, qu'il est impor-
tant de connaître, mais dont nous n'indiquerons que le ré-
seau principal.
Auguste, comme on sait, donna une attention particu-
lière à la réparation ou à la construction de ces importants
moyens de mettre les peuples en rapport et de parcourir
rapidement leur pays. Aussi Agrippa reçut-il ordre d'en
percer de nouvelles à travers les Gaules (2).
(1) K. Bermiardi, Spracitkarte von Deulschland,
(2) Voy. Strabon.
00 —
Une voie immense contournait la Médilerranée. li s'en
délachail des embranchements nombreux qui reliaient toutes
les grandes villes. Et tels étaient les perfectionnements
qu'on apporta successivement à ces roules, que Tibère fit
deux cents milles en vingt-quatre heures. Il se rendit de
Lyon en Germanie, pour aller voir son frère Drusus, sur
le point de mourir.
Quant aux légions qui constituaient l'armée permanente
de l'empire, elles furent rangées le long du Rhin, du Da-
nube et del'Euphrate.
La route qui part de la ville de Reims, est encore en
partie praticable dans la Champagne et ailleurs (i). Elle
traverse la IMeuse à Mosomagum de Wiltheim, qui est Mo-
somagus de Banville. C'est la petite ville de Mouzon, qui
fut célèbre sous les derniers Carlovingiens, entre Stenai,
l'ancien Satanum, où se trouve le tombeau d'un des Dago-
bert, et Sedan, illustrée par la naissance et la jeunesse de
Turenne. La route conduit, à moins de deux lieues plus loin,
à Epoissus, qui est Ivoi ou Carignan, après avoir traversé
le Chiers, rivière considérable et par conséquent poste dé-
fendable. La route mène à Turris, Brunechildis, dont le
nom est sur la carte de Bertholet, car Bergier, Wastelain,
Danville, n'en font point mention; elle traverse Stabulum,
qui est le village d'Etalle. La roule parvient plus loin à
l'importante position militaire appelée Orolannum sur les
itinéraires romains; c'est la ville d'Arlon, située sur un
tertre qui domine toute la contrée.
Voici réunis les deux itinéraires connus qui s'appliquent
immédiatement au Luxembourg belge.
Durocortoro (Reims) (2).
(1) Bulletins de l'Académie royale, etc., t. V, p. 341, où il y a une notice
remarquable de M. Marchal.
(2) Voy. Géographie ancienne des Gaules, par Waickenako; Paris, 1839.
— 54 —
Vungo Viens (Vunc ou Vonc-Terron sur Aisne).
. Epoisso (Iplsch ou Ivois, aclucllement Carignan).
Oi'olauno (Arlon).
Andeliiannae Nieder-Anwen (i).
Treveros Civilas.
La lable Théodosicnne niarque ainsi Pilinéraire de la
roule de Duro-Corluruin (Reims) à Coloiiia Agrippi-
na (Cologne).
DurocorUirum. . . Reims.
INoviomagus. . . . Neuville en Tournasuy.
Mose Mouzon.
Meduanlo Menil el Marlué(2).
Hamipré-Vaux-les-Rosières.
. Baslogne, Bourcy.
Munerica Mellernich.
Agripina Cologne.
Ainsi pour embrasser ces itinéraires sous un coup-d'œi! :
la première voie qui se dirige vers le Luxembourg belge,
sort de Rheims, passe par Ivoix (Carignan), Etalle (5),
Arlon et se rend à Trêves. La cinquième part d'Ivoix,
passe par Mande-Sainl-Eticnne, traverse TArdenne par
Tommen (Tombac) (4), Belsonacum, Merica, pour aller à
(1) BnowER el de Feller à sa suile assurent que AnUven ou Nieder-Anlwen
est VAndethana, de la carte de Peulinger.
Cette localité est à 3 2/3 lieues E. d'Arlon.
(2) WiLTHEiM, édlt. Neyen, dit lib. III, cap. V, p. 108 •• « Itlcduantum esse
Mantlam facile credidereni. Daslonaco liaud procul abest, conspicuis ibi
publie! aggeris, longissimo tractu, reliquiis; quanquam non hujus illa Viae,
nisi fallor, dccussabant Meduaiito stalione coniniuni. »
Je nxe suis rendu de nouveau sur les lieux, en scplembre 1870, pour
m'assurer de la justesse des observations de Wiltlicim. Il me parait impossi-
ble de le contredire.
(3) Deux lieues et demie 0. d'Arlon.
(■ij Tumbae, aujourd'hui Thommcn, dans l'ancien quartier de Saint-Vitli.
— 35 —
Cologne (i). La sixième sort d'Arlon, va à Ma n de-Sain l-
Étienne, Saint-Huberl, JXassogne, JXamur.
Pour ce qui concerne ces voies elles-mêmes, voici ce
qu'on en dil de plus généralement :
Les voies romaines de la Belgique étaient du genre de
celles qu'on appelait vicie stratae. Elles se composaient
d'une ou |)lusieurs couches de gravier, auxquelles était su-
perposé un pavement, formé de cailloux ou de pierres de
toute dimension, désigné sous le nom de siimma crusta.
Ces routes n'avaient pas plus de six ou de sept mètres de
largeur; elles étaient autant que possible tirées au cordeau
et dirigées sur les plateaux ou à mi-côte des hauteurs. Les
étapes et relais de postes (niansiones, nnitationes), placés
de distance en dislance, étaient composés d'écuries, de
remises et de bâtiments pour héberger les voyageurs, qui
ne pouvaient voyager en poste qu'avec une permission
spéciale. Ces distances étaient indiquées sur les voies mi-
litaires de la Belgique, par des colonnes miliaires que
séparait un intervalle de quinze cents pas, valeur de la
lieue ou du mille gaulois.
Je ne saurais me persuader que les Romains aient
exécuté les premiers le tracé de ces voies; mais je penche
(1) Depuis Trêves el le haut de la Meuse-, jusqu'à nos fronlières, les villes
ont des noms romains : Luxembourg, Villa Luxis; Arlon ou Arlun, Aralunae;
Marville, Hlartis villa; Monlmédy, liions Mcdius ou Malediclus; Longwii, Lon-
giis vicus; Metz, Mclac, qui signifie les limites puisqu'elle faisait la séparation
de la première Belgique d'avec la seconde.
Du temps d'Auguste, sous Adrien et ses successeurs, on travailla à con-
struire des chemins ou grandes levées qui communiquaient dans toutes les
provinces des Gaules : on leur donna le nom de voies militaires, parce que
par ce moyen, les légions pouvaient se rendre en peu de temps jusqu'aux
extrémités des Gaules, pour donner en cas de besoin secours à celles qui
étaient dispersées. Entre plusieurs de ces voies militaires qui traversaient
Reims, il y en avait une qui sortait du bourg de Gérés et qui passant à Vau-
detré, Alligny, Le Cliesne, Mouzon, Ivoy, Arlon et Eslernack, se rendait à
Trêves. (Voy. Mémoire ckrunologiquc sur les anliquités de Sedan, par Lan-
NOY (mort à Sedan en 1734J.
— 36 —
à croire qu'ils les ont trouvées à l'état d'ébauche, et qu'ils
leur ont donné les perfectionnements que la pratique de
l'art et la science ont inspirés. En partant de celte idée, il
faudra convenir que César, pour mettre en mouvement ses
légions, les a envoyées dans les directions qu'il a trouvées
toutes faites et que, par conséquent, l'emplacement de ses
camps devra se trouver dans le sens des voies créées par
Agrippa.
En ce qui concerne le Luxembourg, on est très-embarrassé
pour retrouver l'emplacement du camp de Labiénus. Cet em-
barras vient du manque de détails topographiques précis.
M. Goeler, dont les connaissances stratégiques sont ad-
mirées par les hommes compétents, dit à ce propos :
« D'après le chap. V, 24, Labiénus campait sur le terri-
toire rémois, à la limite du territoire des Trévires, et d'après
le chap. V, 3, la forêt des Ardennes s'étendait à travers
le pays des Trévires, depuis le commencement du territoire
rémois. Conséquemment il faut chercher l'emplacement du
camp de Labiénus vers les parties méridionales des Arden-
nes, le long de la rive droite de la Meuse, lesquelles ne
sont ni si inhospitalières ni si incultes que d'autres con-
trées ardennaises (i). »
Ailleurs, le même auteur commente en ces termes le
chapitre V du VI'' livre :
« César prit donc les dispositions suivantes : il envoya
deux légions avec les gros bagages vers Labiénus, qui ne
campait plus aux frontières rémo-lréviriennes, mais qui.
(1) Labiénus stand naralich nach V, 24, « auf remischem Gcbiele auf dcr
Grenze der Trevirer und nacli Y, 3, zog der Ardennen Wald mitlen durcli
das Land der Trevirer zuni Anfange des reniischen Gebiels; daher miissen
wir auch das Lager des Labiénus auf den sudlichen Auslaûfern der Ardennen
suclien die das rechle Maasufer berûliren und nichl so unfruclilbar und
unwirlhlicli sind wie andere Ardcnnengegenden. » (Voy. Caesar's Gallischcr
Krieg, du baron de Goeler, 1858, p. 147). — Caes. B. G V, 24 : <■ Quarlam
in Remis cum T. Labieno in confinio Trevirorum hiernare jussit. »
— 37 —
enlretemps, avait transporté son camp sur le territoire
même des Trévires, vraisemblablement près d'Arlon (i). »
Au chapitre suivant du même livre, M. Goeier exprime
de nouveau cette dernière opinion.
« Lorsque César, dit-il, quitta le pays des Sénons, les
Trévires venaient de faire une grande levée de fantassins
et de cavaliers; ils s'avançaient pour attaquer Labiénus
dans ses quartier d'hiver près d'Arlon (2). » Cette opinion,
si elle n'est pas conforme à la réalité, réunit au moins tous
les degrés de vraisemblance (3).
La même incertitude se produit à l'égard de l'endroit où
César s'est rendu, quelque part sur le territoire des Tré-
vires, pour passer en revue presque toutes ses légions,
comme pour leur dire un dernier adieu avant de quitter le
théâtre de ses triomphes (4).
Dans cette matière, où l'incertitude est l'écueil inévitable,
il ne faut s'attacher qu'aux opinions qui présentent le plus
de caractères de vraisemblance. C'est ainsi qu'on a désigné
la Vacherie sur l'Ourthe, où Labiénus aurait eu ses quar-
tiers d'hiver. On y a trouvé les restes d'un camp. Ce serait
également sur l'Ourthe, aux rives escarpées, que le choc
(1) Impedemenla in Treviros mitlil, VF , 5. « Caesar Iraf daher folgcnde
Anordnung : zwei Legioncm mit dem schweren Gepâck sendele er zu Labié-
nus der nichlmehr an der remisch-lrevirischen Grenze sland, sondern in-
dessen sein Lager in das Gebiet der Trevirer selbst wahrsclieinlich nach
Arlon verlegt halte. » Voy. Goeler, p. 182.
(2) Dum haec a Caesare gcruntur, VI, 7 : « Aïs Caesar ans dem Lande der
Senonen aufbrach, hatten die Trevirer bereils eine grosse Masse an Fussvolck
und Reiterei, aufgeboten und ruckten heran um Labiénus in seinem Winler-
lager bei Arlon anzugreifen. » Voy. Goeler, p. 184.
(3) Toutefois le passage de César ne permet pas de se prononcer d'une
manière absolue. 11 y a même dans le texte quelque chose qui empêcherait
celte opinion, si Arlon devait être considéré comme position stratégique
aux bords de la Semois et appliquée rigoureusement aux termes de César,
qui dit : Erat inter Labienum atque hostem diffîcili transilu flumcn ripisque
■praeruplis.
(4) Caes, B. g. VllI, 52.
— 38 —
aurait eu lieu. Les uns désigneiU la Sure, qui se jelle dans
la Moselle; les autres la Moselle elle-même, sur la frontière
du Luxembourg, et M. Goeler nomme l'AIzelte, qui passe
au fond du ravin de la forteresse de Luxembourg. Il yen a
qui soutiennent que la rencontre a eu lieu aux bords de la
Sure, dans les environs de Martelange.
S'il faut en croire le père Bertholet, l'Ecuy (Annales de
Carignan et de Mouzon) et M. Jeantin, Labiénus, quand
il fut appelé au secours de Cicéron, était campé près de
Mouzon. Ils admettent que les limites des Trévires et des
Rémois, au temps de César, devaient être entre Carignan
et Mouzon; et ils ajoutent qu'aucun lieu ne pouvait être
plus favorablement choisi pour rétablissement d'un camp
et pour le déploiement des troupes, que le terrain qui sé-
pare la Meuse de la Chiers, entre Mouzon et Carignan (i).
Il s'est produit encore d'autres opinions sur l'emplace-
ment de ce camp célèbre. Ou lui a assigné Rocroi et
Revin (2).
Ces assertions diverses, plus ou moins fondées, n'impo-
sent point la conviction; mais parmi celles qui, à nos yeux,
réunissent le plus de caractères de probabilité, nous nous
en tenons au jugement de M. Goeler. Aux extraits que nous
avons donnés de cet auteur sur le même sujet, nous ajoute-
rons un autre passage par lequel nous allons terminer ce
chapitre. 11 nous semble de nature à corroborer, par sa
déduction rigoureuse, l'opinion de ce stratégiste en faveur
de l'emplacement du camp de Labiénus à Arlon.
{{) Vcy. Mémoire rédigé sur la demande de la Commission de la topogra-
phie des Gaules, dans la Revue historique des Ardennes. — Bertholet s'atla-
chanl à ropinioii de Cluvier, le place près de la rivière d'Aisne, à quatre
mille pas au-dessus de Ligny et quatorze mille de la Meuse.
(2) Quant au camp de Labiénus chez les Rèmes, dit M. Roulez, je ne puis
concevoir qu'on ait pu le placer à Rocroi ou à Revin, en hiver, au sein d'un
pays où pendant la bonne saison, les armées modernes ont déjà tant de
peine à se mouvoir; sa place, selon moi, est vers Mouzon, dans la direction
d'Amiens à Trêves et de Rheiras à Trêves (11" étude, p. 442).
— 39 —
« L'année précédente, dit M. Goeler (i), Labiénus avait
pris position sur les frontières rénio-tréviriennes, mais sur
le territoire rémois. En 53, il s'avance sur le territoire
Irévirien vraisemblablement, parce que, après la défaite
d'Amhiorix et d'Indutiomar, il n'y avait pas tant de danger
dans une position isolée, et que les Rémois, soumis et fidè-
les, devaient être exemptés du fardeau d'entretenir les
légions de Labiénus. A cause de sa position avantageuse
pour l'emplacement d'un camp romain et d'après les né-
cessités stratégiques des batailles ultérieures, Arlon, comme
je m'en suis assuré par moi-même, doit être regardé pour
l'endroit où Labiénus se tenait en 53 avant Jësus-Cbrisl. »
J. Felsenuart,
Docteur en pliilosoiihic et lellres.
{Pour être conliniié).
{i) CAF.sAn's Gallischer Krieg. — V. sur B. G. V, 2-7, édit. île Fr. Kraiver,
3til Karle von Kicpcrl, 2 Ait/l., et roiivragc remarquable de M. Speck, Sur
le séjour des légions de César dans le pays de Luxembourg, inséré dans les
publications de la Société, etc., année 1862, l, XVIII, p. 156.
— 40 —
(SHuelque^ Bttanx
DU DIOCÈSE DE OAISTD (i).
IV.
PAROISSE DE SAINT-SAUVEUR.
Le coin original de la mense du Saint-Esprit dans l'an-
cienne église de Saint-Sauveur, fait partie de la précieuse
collection de M"" Ch, Onghena. L'empreinte en flgure dans
le beau travail de M' Kervyn de Volkaersbeke sur les Églises
de G and (2).
Le sceau, de forme ogivale, semble remonter à la On dn
XIV^ siècle. Au milieu d'un champ parsemé de branches,
sur un demi-cercle à triple bandeau figurant l'arc-en-ciel
ou les nuages, siège le Christ revêtu d'un ample manteau,
la tète ornée du nimbe crucifère, les mains et les pieds nus.
Le Sauveur montre les cinq plaies glorieuses et semble
prendre l'attitude indiquée aux Juifs le jour de sa Passion :
Vous verrez le fils de f homme venant sur les nuées du
ciel (3).
L'inscription encadrée par un double gréuetis, porte en
caractères minuscules séparés par des globules : 5' sancti
spiritus ecclecie sancti ocpi gandensis. La légende commence
(1) Voir année 1868, p. 293; année 1869, pp. i et 129, et année 1870,
pp. 178 et 3G0.
(2) Tome II, p. 274.
(3) Évangile de saint Mathieu, c. XXVf, v. 64,
PL. XL
J.D.uxvajAÀ, del'.
— 41 —
par- une croix formée de quatre globules et se termine par
une branche, particularité déjà signalée dans le sceau de
l'officialité de Tournai pour la Flandre (i). Le module du
sceau est de 0'",051 sur 0"%033.
Le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle attirait
chaque année une multitude immense de fidèles de toutes
les parties de la chrétienté.
Les Flamands se distinguèrent surtout par leur dévotion
constante envers l'apôtre de la Gallice. Dans une assem-
blée solennelle tenue à Gand en 1282, environ cinq cents
pèlerins se constituèrent en confrérie et fondèrent l'hôpital
de Saint-Jacques dans le quartier Terre Neuve lez Gand,
dépendant de la jurisdiction de Saint-Bavon. Cet hôpital,
richement doté en 1283 par le fameux Henri de Gand,
hébergeait pendant trois jours les pèlerins revenus de Gal-
lice et abritait en même temps plusieurs pauvres prében-
diers, hommes et femmes, dont le nombre s'éleva au XVl''
siècle jusqu'à trente-trois.
Les statuts de l'association furent définitivement arrêtés
en 1290. Les membres des deux sexes s'engageaient à faire,
par eux-mêmes ou par procureurs, le pèlerinage de Com-
postelle pendant le cours de l'année, ou à payer, en cas
d'empêchement légitime, une somme d'argent destinée à
l'entretien de l'hospice.
Le coin original en cuivre du sceau de l'hôpital Saint-
Jacques se conserve au musée de l'hôtel-de-ville. L'exé-
cution en est très-remarquable et rappelle les meilleures
traditions du XIV* siècle. Le champ nous représente le
Sauveur et saint Jacques debout, la tète barbue à longue
chevelure ondoyant sur les épaules et encadrée par un
nimbe simple pour l'apôtre, crucifère pour son divin
maître. Tous deux sont drapés dans un vêtement long,
(1) V. année 1868, p. 296 et pi. I, lig. 1.
42 —
chargé d'un large manteau relevé sous le bras. Ils portent
en main le livre fermé, symbole de la doctrine céleste. Le
maître présente au disciple, qui le reçoit avec empresse-
ment, le flambeau de l'Evangile.
Le champ porte une croix à chaque coin latéral, et une
écaille aux extrémités supérieure et inférieure. Il est facile
d'y voir une allusion à la croix des chevaliers de Saint-
Jacques et à l'écaillé des pèlerins de Compostelle.
La légende, supérieurement tracée entre deux grénelis,
commence par une croix et porte en caractères majuscules
d'un beau type : 5' hospilaV scii Jacobi — sîip" nova f ra
j'itx' Gandaw., c'est-à-dire : SigiUum Iwspitalis Sancti
Jacobi super novam terram juxla Gandavum. Le module
est de 0'",081 sur 0'",047 (PI. XI, fig. 1).
Par diplôme du 3 mars 1527 (v. s.), Louis de Nevers, à
la prière des magistrats et des bourgeois de Gand, amortit
quatre bonniers de terre à Roycnghem, hors de la porte de
Bruges, pour y établir un prieuré de Chartreux.
La jeune institution fut canoniquement confirmée en
décembre 1529, par l'official de Tournai et par Gérelm
Borluut, abbé de Saint-Bavon. A cet important document
est appenduentr'autres le sceau de la nouvelleChartreuse(<).
L'empreinte est en cire verte et mesure 0"S046 sur
0'",032. Sous un dais à double arcature, dont l'intersection
porte une tige fleurée, se tiennent debout la Vierge-Mère
et saint Jean-Baptiste. Marie porte la couronne royale. Le
divin Enfant, tout habillé, la tète encadrée du nimbe, em-
brasse sa mère. Le Précurseur porte ses attributs ordinai-
res; le nimbe, les cheveux longs, la barbe moyenne, le
vêtement court et le disque à l'agneau. Une triple arcature
forme le support du dais.
(1) Archives de ta calhcdralc de Sainl-Bavon, fonds des Chartreux, carlon I,
nos 15 et 1/i.
— 43 —
Le choix des deux saints fut déterminé par le vocable
même de la Chartreuse, dédiée à la Vierge Marie et à saint
Jean-Baptiste.
La légende porte en caractères majuscules entre deux
grénetis : S' doiniis valUs régal is — cartus : jiixta Ganda.
La comparaison de ce sceau, avec celui de la confrérie
de Notre-Dame-aux-Rayons représentant le même sujet,
démontre à Tévidence la supériorité des artistes du XIII'^
siècle (i) (V. PI. XI, fig. 2).
Le document que nous avons sous les yeux nous fournit
la date certaine de la confection du sceau. En effet, il est
plus que probable que c'est bien là la première empreinte
du coin original.
La dénomination de Vallis regalis rend, d'après la fan-
taisie des traducteurs de l'époque, le nom de Royengliem ou
Conincxdal, que portait le quartier de la paroisse d'Ecker-
gem, sur la rive gauche de la Lys. D'après Sanderus (2),
ce nom fait allusion à la légende populaire consacrant le
séjour des trois rois de France, d'Angleterre et d'Ecosse
qui, au fameux siège de Gand en 964, établirent leurs
quartiers dans la vallée de la Lys.
La figure 3 de la planche XI représente le sceau en cire
verte du prieur Jacques Ruebs. Cette empreinte est appen-
due à un acte du 18 novembre 1453, par lequel Colaert
Cabeilliau et Hoste de Grutere, receveurs de la Gruute,
transigent avec les Chartreux pour les droits à percevoir
sur la bière brassée dans le couvent (3).
L'exécution du sceau, quoique digne de l'époque, est
bien inférieure à celle de l'empreinte précédente. La
(I) V. année 1869, p. 134 et pi. Vlil, no 3.
(2j Flandria illustrala, t. hr, p. 313.
(3) Archives de la cathédrale de Saint-Bavon, fonds deg Chartreux, car-
Ion 10, no 158.
— 44 —
Vierge-Mère couronnée porte le divin Enfant nu sur le
bras gauche et tient tie la main droite une branche fleurie
et un manipule. La mère et le fils ont la tête nimbée. La
légende, encadrée de simples filets, porte en lettres mi-
nuscules : 5' prioris dom. vallis regalis ord. carlus. prope
Gandaw. Le module est de 0'°,034 sur 0'",025.
La Chartreuse du Val royal, détruite dans les troubles
religieux du XVP siècle, fut transférée dans le couvent
des frères du Tiers ordre de Saint-François, au quartier
dit Meerhem, dans la paroisse de Saint-Sauveur, en vertu
d'une bulle du pape Grégoire XIII, en date du 13 août
1S84 (i).
La nouvelle maison, intitulée le 19 mai 1585, par le
chapitre général de l'ordre, la Chartreuse de Saint-Briinon
dans le désert, obtint, en 1627, aux instances du prieur
Liévin De Jaghere, son ancien titre de Val royal.
Supprimés par Joseph II, en 1783, les Chartreux re-
vinrent en 1787, mais furent dispersés définitivement
en 1796. Leurs archives avaient passé, lors de la première
suppression, au chapitre de Saint-Bavon et forment un
dépôt très-important, qui comprend 1438 pièces, dont
nous avons achevé récemment le classement.
Au témoignage de Sanderus (a), les armoiries de Val
royal étaient : d'argent à trois trèfles de sinople posées 2, 1 .
On les trouvait empreintes sur les poteaux et autres signes
de délimitation agraire.
L'abbé J.-B. Lavaut.
{Pour être continué).
(ï)lbid., carton 24, n" 249.
(2) Flandria iUuslrata, t. I", p. 315.
— 45 —
HISTOIRE
DES RELATIONS POLITIQUES
ENTRE LA FLANDRE ET l' ANGLETERRE,
AU MOYEN AGE.
CHAPITRE IX.
(1305-1314).
Robert de Béthune. Edouard l".
Edouard il.
Robert de Bélhune commença tristement son règne en
souscrivant aux clauses du traité d'Athies, dit le traité
d'iniquité. En retour de cette soumission, Philippe le Bel
pria le roi d'Angleterre de vouloir rétablir les anciennes
relations qui avaient existé entre ses sujets et la Flandre.
Edouard y consentit, en posant toutefois la condition que
les Ecossais, avec lesquels il était en état permanent d'hos-
tilité, seraient exclus des ports de Flandre. Le comte, au
risque que la prohibition continuât pour son pays, pro-
testa contre cette prétention ; ses ports avaient toujours
été considérés comme neutres, jamais ils n'avaient été
fermés pour aucune nation, et il ne voulait pas, en posant
cet antécédent, s'exposer à voir plus tard d'autres peu-
ples déserter ses places de commerce, par la crainte que
cette mesure se répétât. Il écrivit le 16 avril 1505 au roi
Edouard une lettre fort digne, dans laquelle il dit que son
— 46 —
pays a de loul temps dû sa prospérilé au commerce, qu'il
a servi de rendez-vous à tous les peuples et qu'il lui est
impossible de souscrire à l'exclusion des Ecossais (i); la
commune de Bruges écrivit de son côté que la Flandre était
ouverte aux marchands de toutes les nations, et que le
magistrat ne pouvait entraver les négociations commercia-
les, en excluant l'un ou l'autre peuple (2).
Edouard comprenant, en face de celte altitude des Fla-
mands et de leur souverain, ce que ses exigeances avaient
de vexatoire, n'insista pas; un peu plus tard même, il ne
les expulsa pas d'Angleterre, malgré la demande que Phi-
lippe le Bel, de nouveau mécontent du comte, lui en avait
faite, en alléguant qu'il avait défendu l'entrée de la France
aux Ecossais (3).
Les relations reprirent donc entre la Flandre et l'Angle-
terre. Il y eut bien de part et d'autre quelques difficultés
de détail, mais qui n'allèrent pas jusqu'à rompre la lionne
harmonie; ainsi dans le courant de la même année 1505,
des corsaires flamands, dont l'un est désigné sous le nom
de Jean de Bierviiet, s'étaient emparés de marchandises
appartenant à Bernard Maglekin et Raymond de Meremars,
tous deux sujets anglais; un autre Anglais, Laurent de
Sandwich, avait été également victime de leurs pirateries.
Le roi, en considération de ces excès que rien ne légiti-
mait, donna ordre de saisir les biens et marchandises des
gens du comté de Flandre, jusqu'à concurrence de la
somme de 502 marcs, montant des pertes essuyées par ses
sujets. En vertu de cette injonction, les vicomtes de Lon-
dres, Renaud de Chinderley et Guillaume Cosyn, s'empa-
rèrent au nom du roi de neuf pièces de drap, d'une valeur
(1) RvMER, édil. angl., t. I, P. II, p. 972.
(2) Record office.
(3) Wai.sisgam, p. 90.
— 47 —
(le 19 livres 4 sous steilings, et d'une autre pièce, d'une
valeur de 45 sous 4 deniers, le tout au préjudice de Jean
d'Ooslburg. Ce marchand se plaignit au comle, sur les
réclamations duquel les vicomtes de Londres écrivirent aux
échevins et capitaines de Bruges, ainsi qu'aux officiers du
comte, pour expliquer leur conduite et déclarer que les
objets saisis avaient été remis en guise d'indemnité à Ray-
mond, Bernard et Laurent (i). Robert de Bélhune, voulant
du reste montrer sa bonne intention de faire rendre justice
aux Anglais, manda au roi qu'il allait régler promptement
l'affaire d'un certain Arnoul Drokas, dont son frère Phi-
lippe, au temps de la guerre, avait pris le vaisseau et les
marchandises, évalués à deux cent soixante livres; il ajoute
qu'il fera de même à l'égard de tous les dommages subis
par les sujets du roi et prie celui-ci d'en agir de même à
l'égard des Flamands (2). Le comle écrivit presqu'en même
temps une autre lettre à Edouard, au sujet de certaines
réclamations faites par des marchands anglais, dont on
avait confisqué les biens à l'Ecluse (3). A la suite de cela,
le roi ordonna à ses officiers de faire rendre justice à quel-
ques marchands flamands pour lesquels le comte avait in-
tercédé (4), et renouvela peu après le privilège commercial
qu'Henri III avait concédé aux bonnes gens d'Ypres (s).
Le 7 juillet 1507, Edouard P"" mourut, laissant le trône
au faible Edouard IL
Le premier acte diplomatique relatif à notre pays dont
il soit fait mention sous le nouveau roi, est une lettre au
comte de Flandre au sujet des Hanséates. Edouard, mé-
(1) Archives de l'Elal, à GanJ, chartes des comtes de Flandre; Inventaire
iiE Saim-Genois, n» 1137.
(2) RyjirR, édit. angl., t. I, P. II, p. 1013; lettre du 10 avril 1307.
(3) Record office.
(4) Idem.
(b) Archives d'Ypres; Inventaire, p. 204.
— 48 —
content de la présompliou et de la témérité de ces marins
qu'on appelait Esterlings, qui avaient fourni des secours
aux Ecossais dans leur guerre avec TAngielerre et causé de
grands dommages, prie Robert de Bélhune de sévir contre
ceux qui se trouvent avec leurs vaisseaux dans le Zwyn;
il envoie en même temps son serviteur, Egide de la Motte,
chargé d'exposer au comte de Flandre, au comte de Namur,
ainsi qu'à la ville de Bruges, les griefs qu'il dit avoir, et
de remettre à tous trois des missives scellées de son sceau
secret (i). Ces réquisitions n'eurent pas plus d'effet que
celles formulées, quatre ans auparavant, par Edouard I"
au sujet des Ecossais; le comte était trop jaloux de con-
server à tous les peuples la libre entrée de ses ports, pour
consentir à des demandes de ce genre. Dans le courant de
Tannée 1309, le roi écrivit encore au comte, ainsi qu'à la
ville de Bruges, plusieurs lettres pour demander réparation
des pirateries commises par les Flamands au détriment de
ses sujets sous la régence de Philippe de Thielle (â).
Mais un procès de piraterie plus important, à cause
surtout de la position des prévenus, força bientôt le comte
de Flandre à faire droit aux plaignants anglais, au lieu de
se borner à promettre. Hugues de Gavre, chevalier, avait
été gravement soupçonné d'avoir, avec quelques adhérents,
dépouillé en mer des marchands et autres gens de France
et d'Angleterre; plainte fut portée devant le comte, mais
celui-ci, à la prière de quelques-uns de ses sujets qui in-
tercédèrent en faveur de Hugues, et en considération des
loyaux services que celui-ci avait rendus, pardonna moyen-
nant toutefois que le sire de Gavre consentirait à indem-
niser les marchands qu'il avait pillés, qu'il promettrait de
s'abstenir dorénavant de tous actes de cette espèce, et
(1) Ryi«i;r, édit. angl., t. H, p. 70.
(2) RvMEn, édit. angl., l. II, pp. 73, 77 et 100. Lettres du 1" juin, 4 juillet
et 16 décembre.
— 49 —
reslerail en Flandre, où il demeiirciail toujours allaclié au
parti du comte. Hugues consentit à tout, il promit de ne
pas quitter le pays, ni lui ni ses enfants, contre la volonté
du comte; Arnould, son fils aine, pour lui et son frère, se
portèrent garants de rexéculion de ces engagements. Mais
la paix ayant été faite avec le comte de Hollande, Hugues
passa sur les terres de ce dernier, avec l'assentiment de
Robert de Béthune, et obtint de ne pas être inquiété, si
dans le cas d'une nouvelle guerre il accomplissait ses de-
voirs do vassal envers le comte de Hollande. Il s'engagea
du reste à se rendre dans les prisons de Robert, un mois
après en avoir été requis. Plusieurs seigneurs de Flandre
intervinrent comme répondants de Hugues; c'étaient Phi-
lippe d'Axel, avec ses fils Philippe et VVautier, et Simon
de Desteldonc, tous chevaliers («)•
Le comte Robert, qui gardait peut-être une certaine
rancune aux Anglais de l'abandon d'Edouard I" en 1297,
ne se pressait jamais beaucoup de punir les Flamands
coupables d'attentats contre leur personne ou leurs biens;
il lui arriva même de refuser complètement de faire jus-
tice à leurs doléances. Jean Aleyn , marchand de Yar-
moulh, s'était plaint, en 1507, à Edouard I", que les
baillis et échevins des villes de Bruges, Damme, l'Ecluse
et Ardenbourg, avaient, malgré sa résistance et celle de
ses matelots, capturé un de ses navires, appelé le Grand
coq de Sainle-Marie, de Yarmouth, chargé depuis long-
temps dans le port du Zwyn, de différentes marchandises
en destination de Soulhampton. Aleyn, privé de son na-
vire, éprouva de ce chef un dommage considérable, mon-
tant à 1 10 livres sterlings; le roi Edouard I", et Edouard H
après lui, requirent le comte de Flandre de faire justice au
(1) Archives de l'Elat, à Gand; chartes des comles de Flnndre, pièces dii
10 cl 11 août 1309. — Inventaire de Saikt-Genois, n"» 1200 et 1201.
4
— 50 —
marchand. Hobcrl, au rapporl des baillis elaulorilt's deYar-
inoulli, refusa net (i). Alors le roi d'Angleterre qui ne se
conlenlait pas de ce déni de justice, ordonna le 1" septem-
bre à Jean de Bretagne, comte de Ricbmond, son bailli, de
saisir et retenir jusqu'à concurrence de la somme susmen-
tionnée, toutes les marchandises des marchands de Bruges,
Damme, l'Ecluse et Ardenbourg, ou d'autres parties de la
Flandre, dont il pourrait s'emparer dans l'étendue de sa
juridiction, jusqu'à ce que Jean Aleyn eût obtenu satis-
faction. Le dit bailli fit ensuite connaître qu'en exécution
de cet ordre royal il avait saisi dans la villa de Sancto-
Bolhero (2), le navire d'un certain Pierre Reyner d'Arden-
bourg, estimé à 8 marcs, les draps d'Hugues Knobs,
d'Oostbourg, estimes à 41 livres 15 sous 4 deniers; les
draps de Guillaume Duck, également d Ooslbourg, estimés
à 2G livres 10 sous; les draps d'Henri Taille, d'Arden-
bourg, estimés à 06 livres 10 sous. Ces marchandises valant
ensemble le montant des dommages subis par Aleyn, le roi
enjoignit au bailli de les lui faire remettre et d'en exiger
décharge (3).
Au commencement de 1510, Robert écrivit deux lettres
à Edouard au sujet des plaintes formulées par celui-ci, au
mois de juin de l'année précédente, à cause des déprada-
tions des Flamands et lui opposa des fins de non rece-
voir (4); Edouard lui écrivit également au mois de novembre,
le priant d'interdire ses ports aux pirates qui profilaient
de la guerre avec l'Ecosse pour nuire à ses sujets; et
Robert ne se rendit pas, que nous sachions, à ces récla-
mations du roi (5).
(1) Purliamcnlary Wrillis, l. Il, p. \7 . A" 1308.
(2) Sans doule Boston.
(3; Archives de rÉiat, à Gand; chartes des comtes de Flandre. — Inven-
taire DE Saint-Genois, n" 1203.
{i) Record office.
(5j Rymer, édil. angl., t. II, p. 118.
51 —
Il fanl convenir que si les Anglais avaient des giiels à
faire valoir, les Flamands n'en avaient pas de moins grands;
bien au contraire, et si le comte se montrait peu empressé
de faire justice, c'est qu'on ne se hâtait pas davantage de
l'autre côté du détroit. Les documents ne manquent pas,
dans lesquels les bonnes gens de Flandre exposent les
dommages qu'ils ont eu à supporter de la part des Anglais;
nous trouvons d'abord les plaintes des habitants d'Ostende,
iîlankenberge, Damme, l'Ecluse, La Mude, Ardenbourg,
Oostbourg, Dunkerque, Nieuport, Bierviiet et Lombarl-
zyde; puis une longue énumération des excès commis sur
les pécheurs de harengs de Blankenberge, depuis la trêve
de 1297 jusqu'en 1310, tant dans les ports d'Angleterre
que dans ceux de Flandre, pendant les débats entre les
rois de France et d'Angleterre; le nombre des individus
tués par les Anglais y est porté à quatre cents environ, la
valeur des dommages et des objets enlevés à plus de quatre
mille livres sterlings, et celle des harengs à dix-sept cent
six livres; les pécheurs de Dunkerque et de Lombartzyde
présentèrent un réquisitoire du même genre (i). Un certain
Jean Pot, de Bierviiet, se plaignit de ce que les Anglais
avaient assommé son frère et deux de ses compagnons, et
ensuite blessé huit autres d'entre eux, brûlé les agrès de
son navire, dont ils s'étaient emparés, ainsi que de la car-
gaison (2).
Il était indispensable d'en venir entre les deux pays à
un accord définitif au sujet de tous ces excès commis de
part et d'autre. A la fin de 1511, le 23 novembre, les en-
voyés du comte, Jean de Fiennes et Guillaume de Nevele,
chevaliers, s'étant réunis avec les mandataires du roi
(1) Archives de l'Etal, à Gaïul; chartes des comtes île Flandre. — Inven-
taire DE Saint-Genois, nos 1235, 1236, 1237.
(2) Idem. Inventaire Gaillard, p. 145.
— 52 —
«l'Angleterre à Westminster, posèrent les bases d'un ac-
commodement. Il fut stipulé au sujet des excès, meurtres
cl violences commis par les Flamands sur les Anglais et
réciproquement depuis ravènemenl du roi, que : \° les
deux parties nommeront de chaque côté des commissaires
ou enquéreurs pour examiner les faits; ceux du roi siége-
ront à Londres et ceux du comte à Bruges; 2" le roi dé-
signe à cet effet messire Robert de Kendale, connétable de
Douvres et gardien des cinq ports, messire Henri de Cobe-
ham le puîné, messire Jean de Nortbwood l'ainé, et mes-
sire Jean de Frisingfeld, chevaliers, donnant pouvoir à
tous et à trois ou deux d'entre eux d'agir dans cette affaire
selon la loi et coutume de la terre marchande; 5° ces com-
missaires devront se trouver à leur poste pour commencer
les enquêtes, quinze jours après la Chandeleur, ou le
17 février suivant; 4° les commissaires du comte devront
se trouver à Bruges le jeudi après le Mi-Caréme, ou le
9 mars; 5° les jugements et arrêts obtenus par les Fla-
mands ou les Anglais, jusqu'à la date du présent accord,
sortiront leur plein effet, mais il n'en pourra plus être
donné de nouveaux jusqu'au jeudi désigné plus haut; 6° il
sera publié dans tous les poris du royaume, que tous Fla-
mands qui se rendront en Angleterre pour poursuivre
leurs procès contre les Anglais, y pourront venir libre-
ment et sans crainte et devront s'y trouver au jour désigné;
7° que les Anglais qui auront à se plaindre des Flamands,
devront se trouver à Bruges au terme fixé, et qu'ils pour-
ront aussi s'y rendre librement; 8° qu'après les termes
susmentionnés les plaignants ne seront plus admis; 9° que
les plaignants pourront se faire représenter par leurs pro-
cureurs et faire valoir toutes preuves servant à constater
les dommages qu'ils ont éprouvés; ÎO" les lettres patentes
des communes de Flandre et des chefs gardiens des vil-
55 —
les d'Angleterre seront admises comme bonnes preuves (i).
Le terme fixé pour la ralificalion de ce traité étant le
jour de Noël, et le roi n'ayant pas encore reçu à cette épo-
que l'adhésion du comte de Flandre, il ne fut pas procédé
à l'exécution de cet accord. Robert ratifia le 1" janvier
1ol!2 (n. s.) (2) les mesures arrêtées par ses députés et
envoya au roi, à Warwick, Thierry le Dorpre, bourgeois
de Gand, et Gillon de Hertsberghe, son valet, avec des
lettres scellées de son sceau, pour exécuter le traité; le roi,
nonobstant ce retard, consentit à maintenir les conditions
de l'accord conclu et à fixer aux marchands le terme des
octaves de la Trinité pour conjparaitre à Londres, et le
lendemain de la Saint-Jean-Dapliste pour comparaître à
Bruges. Ce nouvel accord fut fait à Warwick, en présence
de l'évêque de Chester, d'Edmond de Maule, de Gillon de
Juge, du sire Adam d'Osgodeby, sire Robert de Bardelby
et sire Guillaume de Dyremyme, gardiens du sceau. Robert
nomma le 1 4 février, en qualité de commissaires, Guillaume
de Nevele, Guillaume le Poisson, Baudouin d'Arsebrouc
et Jean de Meniu, leur donnant plein pouvoir d'agir en celte
affaire et de siéger au jour désigné dans le Bourg de
Bruges, pour entendre les plaintes des Anglais contre les
Flamands, les examiner et prononcer le jugement qu'il
conviendrait (5). Le roi d'Angleterre donna le 21 mars
avis à tous les vicomtes et baillis de la nomination des
commissaires cités plus haut, en leur mandant de se con-
(1) Arcliives de l'Elal, à Gand,- cliarles des comtes de Flandre. — Invenl.
OE Saint-Genois, n» 1247. Y. aux Pièces Justificatives.
(2) Arch. départ, de Lille; fonds de la clianibrc des comples, 8^ carlulaire
de Flandre, pièce 158.
(3) Archives de l'Étal, à Gand : cliarles des comtes de Flandre. — Invenl.
DE Saint-Genois, n» 1247. — Il se trouve aux Archives de TÉtat une pièce
où sont énumérées les différentes sommes dues par le comte aux Anglais.
Inventaire Gaillard, p. 71.
— u —
former aux décisions qui seraient prises en son nom (i).
Le 25 avril, il accorda la sandiou royale à une mesure
dont nous avons parlé déjà plus haut (2), el en vertu de
laquelle les magistrats de Londres défendaient à tout mar-
chand étranger de séjourner dans la ville plus de quarante
jours avec ses marchandises sans les vendre (3). Les rois
anglais étaient souvent obligés de passer par les exigeances
des habitants de leur capitale, dont la jalousie se traduisit
plusieurs fois en mesures de ce genre; mais les habitants
du plat pays el la noblesse étaient plus favorables aux
élrangers, auxquels ils vendaient leurs produits bruts à des
prix plus élevés qu'aux habitants des villes de l'intérieur,
dont le marché était plus limité (4).
Peu après le roi confirma le privilège des Yprois, el le
20 mai, celui de l'étape des laines que possédait la Flandre,
en considération, disait-il, des pertes et dommages qu'avait
souffert le commerce de ses sujets (5).
Malgré la paix et les accords conclus entre les deux pays,
quelques marins anglais continuèrent à faire, au détriment
de la Flandre, le métier de corsaires; le 8 juin, il y eut
(1) Rymer, édil. angl., t. Il, p. IGO.
(2) Voir plus haut le Livre II, cliapitre VI, tic la Hanse de Londres, el
Pièces justificatives.
(5) « Mémorandum quod die marlii proxima ante feslum saneti Marci, Evan-
gelisle, anno regni Edw., fdii régis Edw. quinto, omnes niercalores alieni-
geni, in civilali Londoniense venietites, veneruut coram Johannc de Gisorcio
majore, Johanne de Wengerne, W" de Combemarlyn, Je de Lincoln, Galfrido
de Conductu, Simon Molet, Aldermanis, et Ricardo de Wellefort, vicecomite,
per summonilionem, et premunili fuerunt ex parle domini régis, quod de
cetero non raorentur in civitate cum bonis et marcandisis suis a tempore
quo ex civilati duxerini ullra quadraginta dies, a die advenlus sui, nec hona
et mercimonia sua ultra idem Icmpus non vendita tenebunt, sub forisfac-
tura illius rei que inveniri continget, etc. » {Archiv. de la mairie de Lon-
dres, reg. C, fol. 1-45 v». — Cfr. Delpit, Documents français).
(4-) Lappknberc, p. 283.
(3) Voir aux Pièces justificatives. — Cfr. Delpit, Documents français.
— 55 —
irn combat entre des équipages anglais et flamands à Cras-
down, sur les côtes d'Angleterre, et le roi manda immédia-
tement à son bailli, Jean de Milford, de lui envoyer un
rapport à ce sujet (i). De leur côté, les habitants de Nieu-
port qui avaient souffert de méfaits analogues, commis
depuis la Saint-Jean-Baptiste, s'adressèrent au roi pour
obtenir justice; ils se plaignaient que le H juillet un de
leurs concitoyens, Guillaume Boilin, patron d'un bateau,
et tous ses compagnons, furent assassinés devant I>one-
wyt, et que les Anglais leur prirent pour une valeur de
52 livres sterlings; que le 19, les Anglais coulèrent un
bateau appartenant à Nicolas Septsolz et à ses compagnons,
leur causant un dommage de 12 livres; que Wautier, fils
de Heneman Blot, fut massacré avec huit de ses com-
pagnons et que les Anglais s'emparèrent de sa barque et de
la cargaison; qu'un nommé Lambert Daniel fut assassiné
avec tous ses compagnons, sauf deux (-i).
Edouard publia peu après un bref en vertu duquel il
déclara vouloir redresser tous les attentats commis par ses
sujets sur les Flamands et par les Flamands sur ses su-
jets (ô). Le 15 février 1313 (n. s.), il écrit au comte Robert
deux lettres, la première pour l'informer qu'il accepte les
bases de l'arrangement conclu par ses envoyés au sujet des
pertes essuyées par leur sujets respectifs, et la seconde,
pour l'engager à défendre aux Flamands d'exporter des
munitions de guerre ou de bouche vers les Ecossais, sou-
levés contre son autorité (4). Puis, dans une longue lettre,
datée du 1" mai, Edouard informe le comte que les
Flamands qui ont à se plaindre de délits commis à leur
(t) Record office.
(2) Archives de l'Etal, à Gand; chartes des comtes de Flandre. — fnvcnt.
Gaillard, p. 146.
(5) RvMER, édit. angl., t. II, pp. 188 el 189,
(4) RïMEn, édil. angl., l. M, p. 202.
— 56 —
ilétrimeiil par les Anglais, et surtout de rallental de Cras-
down, dont il a été question plus haut, peuvent se présen-
ter à Londres devant les commissaires qu'il a désignés. Il
se plaint en même temps qu'un Flamand, du nom de Jean
Crabbe, et quelques autres, ont pillé des sujets anglais,
entre Boulogne et Witsand, et enlevé des bijoux de grande
valeur appartenant à la comtesse Alice, femme du maréchal
d'Angleterre (i); il déclare que pour assurer la tranquillité
et la sûreté du commerce, il fera rendre une prompte et
sévère justice, et exige la même chose en retour. Il engage
de nouveau Robert à défendre aux Flamands de secourir
les Ecossais, et lui fait observer que depuis la demande
qu'il lui a faite le 13 février, relativement au même objet,
treize navires flamands sont sortis du Zvvyn, chargés d'ar-
mes et de munitions de bouche, en destination de l'Ecosse,
ce qui, dit-il, est fort étonnant, si le comte a le maintien
de la paix autant à cœur qu'il le dit (i).
Les afTaires étaient ainsi pendantes, quand Philippe le
Bel exigea que Robert vînt lui renouveler l'hommage;
celui-ci refusa de le faire, si les chàtellenies de Lille, Douai
et Béthune ne lui étaient pas rendues; le roi de France,
irrité, fit ses préparatifs de guerre Profilant du mécon-
tentement que la tolérance de Robert vis-à-vis de ses
sujets qui voulaient porter secours aux Ecossais, avait
provoqué chez Edouard II, il engagea celui-ci à faire
arrêter tous les F'iamands qui seraient trouvés dans les
ports anglais; à force d'intrigues il obtint ce qu'il désirait,
et le 19 juin parut un décret royal, enjoignant aux vi-
comtes de Londres de faire arrêter sans délai et sans
distinction tous les navires flamands et de les faire garder
soigneusement jusqu'à nouvel ordre. Cette pièce, dont la
(1) liccord office. Ce maréchal d'Angleterre était le comte de Norfolk.
(2) Ryjier, cdit. angl., t. II, p. 210.
— 57 —
brièveté même témoigne d'un méeontenlemenl violemment
excité, jeta le trouble et la conslernalion en Flandre (i);
rien ne faisait présager une mesure de ce genre; mais
Philippe le Bel était habile et cruel dans ses vengeances;
il voulait faire passer la Flandre par les conditions qu'il
aurait bien voulu lui imposer, et mettait tout en œuvre
pour atteindre son but {-i).
Robert de Bélhune se plaignit au roi d'Angleterre de
ces arrestations, qu'il qualifie de peu justes, et Edouard
lui répondit le 16 novembre, par une lettre passablement
machiavélique à notre avis, dans laquelle il proteste de
son amitié pour le comte, de son désir de maintenir la
paix, et promet de faire droit aux Flamands qui auraient
été injustement frustrés (3).
Philippe le Bel, qui n'était pas encore satisfait du ré-
sultai qu'il avait obtenu, continua ses menées l'année sui-
vante; d'abord il cita le comte à Paris, et le menaça, en cas
de défaut, de faire excommunier tous les Flamands et de
les faire massacrer partout son royaume {4); il faisait tou-
tefois une exception en faveur des bourgeois d'Ypres, ainsi
le 9 juillet, il demanda au roi Edouard de protéger plu-
sieurs d'entre eux (s), et le 25 il le pria de permettre à tous
ceux de cette ville, qui lui sont restés fidèles, et qu'il espère
voir persister dans ces sentiments, de pouvoir traiter libre-
ment eu Angleterre, aller et venir à leur fantaisie sans au-
(1) « Rex majori et viceconiitibus I.ondon' sahitem. Quibusdam de caiisis
vobis prœcipimus qiiod onines naves et alla bona hominum de Flandr', qufe
infra ballivam veslram poterunt inveniri, sine dilatione arcsiari, et sub
aresto sine disiraclione aliquà, salvo cuslodiri faciatis, donec aliud a nobis
Inde babuerilis in niandatis ; et hoc nullatenus omitlatis. » Rvmer, t. Il,
p. 219.
(2) Kervym, t. III, p. 58.
(3) RîMEit, édit. angl., t. Il, p. 233.
(4) Kervyn, t. III, p. 59. — Arch. impér. de Paris, J. 560. — Gailand,
Mci.'i. sur la Flandre, p. 2.31.
(5) Ry.MER, Odil. angl., t. Il, p. 251.
— 58 —
cun cmpèclicment de la pari des aulorilés anglaises (i); puis
il écrivil au roi d'Angleterre pour l'engager à transporter
l'étape des produits anglais à Saint-Oiner (2). Edouard
répondit le 10 juillet 1314, qu'il lui est impossible de
donner immédiatement une réponse décisive, mais qu'il
fera examiner l'afiaire et lâchera de concilier tous les in-
térêts (3).
De son côté, le comte de Flandre fit un appel à la loyauté
d'Kdouard; le "26 juillet, il lui écrivit pour lui rappeler
qu'en vertu des privilèges qu'il avait octroyés, les mar-
chands, tant français qu'anglais, et de tout pays, pouvaient
commercer, aller et venir en Flandre; il lui expose qu'il
continuera à faire respecter ces privilèges des marchands
étrangers, et demande qu'il soit accordé entre les autorités
de Flandre et d'Angleterre, que l'étape des laines et
autres produits anglais sera tenue à Bruges. Il espère que
le roi permettra à ses sujets de commercer librement dans
ses domaines, ou du moins renouvellera en leur faveur les
franchises octroyées par ses prédécesseurs, dans le cas où
il ne consentirait pas à leur accorder des libertés plus
grandes (4).
Le roi d'Angleterre se rendit apparemment aux instances
de Robert de Bélhune et trouva plus loyal et plus conforme
(1) Rymer, édil. angl., t. II, p. 252.
(2) Voir plus haut, Livre II, cliap. VIII, p. 376.
(3) Rymer, édit. angl., t. Il, p. 251.
(4) « Et nous volons et octrcons, avons fait crycr, commander et publier
par tout nos pays, que loiiles maneres de marchands de France, d'Englelerre
et autres, pussent et porronl, seurement et sauvemcnt, eaus, leurs maismes
et leurs biens, venir, demorer, marchander en no pais de Flandre, et re-
tournir là il lou plerra, sans arrest, ne empeschement nos, ne es personnes,
ne es biens; es chou vous lenrons et ferons tenir loiaument et en bone foi.
» Et s'il soit acorde entre nous, nos gens, d'une part et vo maieur et vo
marchans dEngleterre, d'autre, de tenir seurement et sauvement leur eslaplc
de laines et d'autres biens en no ville de Erur/es. » Rvmer, cdit. angl., t. II»
p. 232. — Cfr. BiîALcouirr, Bruysche koophandcl, p. 23.
— 59 —
aux inléréls de son peuple de ne pus molester les Fla-
mands, plutôt que de servir le ressentiment de Philippe le
Del; la situation de la France, du reste, fournissait le
moyen de répondre aux désirs du roi par une fin de non
recevoir. Nous n'avons plus découvert de traces d'arresta-
tions faites au détriment des Flamands pendant environ
une année. Sur ces entrefaites, Philippe le Bel, le faux
monnayeur, mourut à Fontainebleau, le 30 octobre 1314;
Louis le Hulin lui succéda, inaugurant son règne par le
redressement des abus; malheureusement la suite ne ré-
pondit pas à un si beau commencement.
I.
(Voir page 33).
Accommodement entre le comte de Flandre et le roi d'Analelcrre
au sujet du commerce.
In noniiiie Domini, amen. Anno nativilatis ejnsdein millc-
simo tricentesiino duodecimo, iiidictionc décima pontificatus
domini Clemenlis pape qiiinii, anno sepiimo, mensis jimii die
vicesima quinta, videlicet die doininica immédiate posl festnm
nativitatis beati Johannis Baptistaî. Hac qtiidem die coram nobis
notariis et testibiis infra scriptis, ad hoc vocatis in testimonium
et rogatis, viri nobiles et prudentes Domini Balduinus de Arse-
broec et Johannos de Menin, milites tornacensis diocesis, poten-
tis et excellentis principis domini R. comitis Flandriae consilia-
rii, propter hoc personaliler conslituti, quemdam chyrographum
dentaiim scissnm et in ejiis utroque laiere scriptum ac qiiasdam
patentes littcras sigillo pendenti prœfati domini comitis robo-
ratas, qualibot snscriptione carentes exhibtierunt et prescntavc-
runt ibidem ac dictum cyrographum et litteras ipsas, de verbo
ad verbum seriose legerunt siib formis et tenoribus qui secnntur.
Acorde est et assentu entre le conseil le Roy dEiigletcrrc cî
— 60 —
monsieur Jehan seigneur de Fienles et monsieur Guillaume de
Nivelle, chevaliers, messaiges le conte de Flandre, qui den-
querre sour le fait de gran dommaige entre les Engles dune
part et les Flamens dautre part, et einsi de tous autres trespas
fais as Flamens par Eugles, puis le temps que le dit Roy re-
cheut le gouvernement de son royaume et ensement de toutes
autres demandes et qiiereles que les Flamens ont vers les Engles
dudii temps, soient assignées de par ledit Roy, monsieur Robert
de Kendale, couestable de Dovre et gardein des chine portz,
monsieur Henri de Cobeham le puisné, monsieur Jehan de
Northwode leisné, et monsieur Jehan de Fresingfeld, cheva-
liers, trois ou deus deaus et quil aient plain povoir à toutes celles
choses oir et terminer selonc le loy et le costume de le terre la
loy marchande, si quel commenchent sour celles besoignes à
Londres à la quinzaine de la Chandeleur prochaine avenir à plus
tard. Et que le conte de Flandre assigne emfinc gens suffîsans
en les parties de Flandre denquerre et de oir et terminer tous
les trespas fais as gens dEngleterre et du povoir le Roy et au-
tres demandes et quereles que les Engles ont vers les Flamens
du temps avant dit et à droit faire à eaux en la forme susdite,
si commenchent sour celles besoignes a Bruges en Flandre le
joedi après le mi-quaresme prochaine à venir à plus tard. Item,
accorde est que à ceus dEngleterre et du povoir le Roy que ont
sieuvvi avant ces hores devers ledit conte pour les biens recou-
vrir si que leur suite est toute clere trovee et aucuns sont serviz
de partie greis soit fait en deuwe manière à la requeste ledit
Roy ou que exécution se fâche par eaux selonc le procès quen
est fais et en meismes le manière soit fais as Flamens de leur
choses que sont trovees cleres et triées mes qe pour cesies
choses ou autres faites puis ledit tans nul arrest ne soit fait
dune part ne dautre entre chi et les soesdit après le mi-quaresme
avant dit. Item, acorde est que une proclamation et crye se
fâche par tous les ports du roiaume que tous les Flamens qui
vaudront venir en Engleterre pour leur plaintes faire vers les
Engles, sauvement et seurement viegnent et que nus ne les sache
mal, ne moleste, ne destourbance sour grieve fourfaiture à la
volenteit le Roy, et qe tous cheus dEngleterre qui se vaudront
— Cl —
plaindre des Fhuncns ne mile manière do trépas fais à canx
puis ledit temps aillent en Flandre à la ville de Bruges, cinsi
qiiil soient ilhiecqdes le soesdit avantdit à pins tard et monstrer
et sievre leur plaintes devant eaux que à ce seront assignes par
ledit conte, et que après cel jour il ne seront pas recheus de
nulle plainte monstrer devant les dit assignez par le conte et
que nul arrest pour ceux ne soit fait. Et que le dit conte fâche
faire autele crye et proclamacion dens son povoir en tous poins
si comme est susdit. C'est assavoir que les Flamens soient à
Londres pour leur plaintes monstrer et sievre à la quinzaine
de la Chandeleur avant dite au plus tard, si que après cel jour
il ne soient pas recheus à nulle plainte monstrer devant les dis
assignez de par le Roy ne darreste pour eaux avoir, si comme
est susdit. Et que les gentz dEnglelerre et du povoir le Roy
puissent leur plaintes sauvement et seurement monstrer et sievre
en la terre de Flandres, sans mal, damaige ou destourhande
avoir. Item, acorde est que les marchans dEngleterre qui ont
recheus damaiges par les Flamens, puissent sievre leur plaintes
en Flandre et droit rechoivre par procureurs et atlournez tes-
moignier par lettres de communautez des villes, et en n>eismes
le manière fâchent les Flamens vers les Angles en Engleterre.
Item, acorde est que lettres patentes des communautez et des
chiefs gardeins des villes que quel soient, soient recheues dune
part et dautre et aient à preuve faire des damaiges donnés
dune part et daulre si come droit et reson, costume et lois mar-
chande demandent. Et fait à ramembrer que cest accord fut
fait a Weslm. en le parlement ledit Roy, lan de son règne
quint, le jourde saint Clément le martyr. Fait à remambrer
que sa soit che que le Roy ne fust pas certefie devant le Noël
derrein passée si comme accorde fust de la volentei le conte de
Flandres en droit del accord qui se fist par endenture entre
ceux du conseil le Roy et le seigneur de Fienles et monseigneur
Guillaume de Nivelle, messaiges dudit coule, par quoi de celle
besoigne riens ne fust encore commenchie par ledit Roy en
Engleterre, non pour quant pour che que ledit conte envoia
puis au Roy à Eurewyh, Tyere le Dorpre, son bourgois de Gand,
et Gillion de Hertsberghe, son vallef, à plain povir de pour-
- 62 —
sievre et accomplir ietlii acord, si comme en les letlres procii-
ratie qiiil portèrent avecques eaux sous le scel ledit conte, dont
le copie demeure en la chancelerie, plus plainement est conte-
nue; le Roy bonnement grants et ouria non conistans que la
besoigne fust einsi délaye que aille avant en le dite besoigne et
que à ce faire soient jours donnes de novel, par quoi accorde
est qne le jour que deust avoir esteit à Londres à la quinzaine
de le Chandeleur soit illucques à les octaves de la ïriniieit, et
le jour que deust avoir este à Bruges en Flandres le jocsdi
après my quarcsme, soit illeques lendemain de la nativité saint
Jehan le bapiiseur prochain avenir, tant que proclamacion se
face dune part et dautre si comme est contenu en lendenieure
de che faite et que toutes les autres choses en meismes celle
endenteure contenues soient gardez et tenues si comme acorde
fust, etc. Et che fu fait et acordei à Eelwyh, dcNanl levesque
de Cester, raons. Edmon de Manie, mons. (Jillion de Juge et
sgr Adam de Osgodeby, sgr Robert de Bardelby et sgr Gillion
de Dyremyme, gardeurs du scel et autres du conseil. Et les
avautdisTierry et Gillion le joesdi devant le jour des palmes, etc.,
lan quint, etc. Et fait assavoir que le conte de Flandres as as-
signe monseigneur Guillaume de Nivelle, monsgr Guillaume le
Poisson, monsgr Baiiduin de Arsebroec et monsgr Jehan de
Menin, a droit faire as Engles selonc la forme accorde en len-
denture avant dite si come les avandis Tierri et Gillion mon-
strerent par ledit conte devant le conseil le Roy. Item, nous
Robert, cuens de Flandre, faisons savoir à tous que nous le
accord fait entre le conseil de très haut, très excellent prince
et très puissant monsgr E., par la grâce de Dieu Roy dEngle-
terre, seigneur dirlande et duc dAquiiaine, dune pari, et Jehan
seigneur de Fienics et Guillaume de Nivelle, seigneur de Ut-
beighes, nos cousins très chiers, pour nous et nos gens dauire
part, escript en une cedule endentee qui einsi se commenche.
Acorde est assentu entre le conseil le Roy dEngleterre et monsgr
Jehan, de Fienles, et monseigneur Guillaume de Nivelle, cheva-
liers, niessaiges le conte de Flandres, etc., et einsi se deffine.
Et fait à remembrer que cest accord fu fait à Wesimonstier en
un parlement ledit Roy, lan de son règne quint, le jour de saint
— 65 —
Glcmonl le martyr, lequel accord fait et accorde en la forme et
maiiicrc dessus dovisoes nous loons et greeons et pour nous et
nos gens le approuvons et ponrmettous à tenir ferme et estavie.
Et comme nous doions ordener chevaliers de no conseil pour
entendre des trespas fais as Engles et autres quereles et deman-
des que les Engles ont envers les Flamens, sachent tous que
nous avons assigne et assomons pour entendre as dites choses
Guillaume de Nivelle et Guillaume le Poisson, Baudoin dArse-
broee et Jehan de Menin, nos chevaliers, trois ou deus deaux
et leur donnons plaiu pooir de oir et terminer les dites choses
selon le accord dessus nomme par le tesmoingnaige de ces
lettres seelees de nostre scel, faites et données à Ypres lende-
main des Brandons, lan de grâce mil trois cens et onze,
Quibus cyrographo et lilteris per dictum dominum Johannem
de Menin, miliiem, ipso domino B. présente et assentienle, lectis
et exposiiis, diligcnter iidem domini Balduinus de Arsebrocc et
Johannes de Menin, milites, in predicto negotio audiendo, exe-
quendo et prout justius possent terminando ab eodem domino
comité deputati offerebant se dicta die ad hoc assignata Brugis,
cum efTectu paratos sedem in loco publico et communi in Bru-
gis, ac ibidem recipere, admittere et audire querelas sive re-
questas Auglicorum sive gentis Anglie omnes et singtilas quas
ipsi de Anglia, dicta die, vellent, curarent aut possent dicere,
proponere corapetenter et probare contra Flamingos sive gentem
Flandrie super iniuriis, excessibus, gravaminibus atque dampnis
dictis Anglicis sive gentibus Anglie, per ipsos Flamingos seu
gentem Flandrie quomodolibet irrogalis, illatis et factis et
easdem querelas et requestas determinare, prout jus et ratio
suadent. Necnon et facere ac complere omnia et singula que in
proniissis et circa promissa necessaria fiuni oporiuna et justa
juxta dictorum cyrographi et comissionis eis facie tenorem et
formam ac contentorum in illis protestantes milites antedicii,
quod ilios qui dicta die coram eis suas osteiistiri queielas et re-
questas super dampnis et iniuriis, ac gravaminibus prœlibalis
distulerent vel non curaverint de certo ratione et pretextu cy-
rographi et commissionis huiusmodi non reciperent, nec admit-
lent nec eos audire deberent. Actum in loco publico et communi
- 64 —
videlicet in Biirgo Briigensi, aille ccclesiam sancti Donaiiani,
preseniibus viris sapienlibns et discretis domiiiis Pclro diclo
Coninc, Waltero de Vinc, militibiis, Laniberto Loevin, Jacobo
de Cranenburch, burgiinagistiis, Egidio de Aririke, Rugcro de
Coudeibouc, Johanne Sirekard, Balduino de Waescapelle, sca-
binis ville Brugeiisis, Laiireiitio dicto Uten Broeke, Jacobo de
I^effinghe, Rogero diclo Ulen Broeke, Michaele dicio de Ecclesia,
clericis et iaicis Tornacencis dyocesis, ei pliiribus aliis tcstibus,
ad promissa vocatis in lestimonio et rogaiis. Hiis aiitem dicta
die sic actis prefati domini Baldiiiiius de Arsebroec et Johannes
de Menin, milites, ad promissa siib certis forma et tenipore ut
promitiit depulati coram iiobis cisdem notare cl aliis lestibus
infra scriplis, anno, indictione pontificalii et mcnse predicto, die
vicesima sexta dicte mensis jiinii, in Burgo Brugonsi, personaliler
accedenles, infirmarunt et publicarunt, ac ad noiitiam pleniorem
vive vocis oraculo produxerunt, qiiod die suprascripla hancdiem
immédiate précédente sidissent et comparuisscni personaliler
tota die apud pontem santi Johannis in Brngis, tatiqtiam in loco
magis publico et communi ville Brugensis parati ad andicndiim,
recipiendum et admitiendum qiierelas seu reqiiesias eorum de
Anglia prediciorum si quas conlra illos de Flandria vel eorum
aliquas super iniiiriis, excessibus, gravaminibus et dampnis ipsis
de Anglia, ut est dictum illalis et faciis, dicere, opponere et pro-
bare dicta die voluisseni, poiuissent vel saltem se ipsos ad hoc
paratos, coram eis offerre et preseniare, curassent, assenles mili-
tes antedicli terminum in diciis cyrographo et litleris assigna-
tum, infra quem vel inquo premissa fiere et proponi ab Anglie
gentibds debebant. Necuon et polesiatem super hiis pro comis-
sionem hujusmodi eis factam peniius expirasse prout ex conti-
nentia et inspectione cyrographi et liilerarum prediclarum
evidentius apparebat. Nos infrascriptos nolarios cum inslantia
requirebant sibi super omnibus etsingulis suprascriptis per nos
unum vel duo in premissorum teslimonium evidenliam plenio-
rem publica fieri insirumenla,
Acium Burgo predicto, presentibus predictis viris Johannes
Sence, Gonrati de Prias, Sence Pères de Samarine de Castre,
Père Peros Oardoignc, Alfonse Pères de Burch, Diego Marlines
— 65 —
de Sanclo Domingo, Garse Pères de Camaigo, mercatorihiis
regni Hyspanie, et plnribus aliis mercatoribus dicti regni, et
aliorum regnorrjiii testibus ad premissa vocaiis et rogatis.
Suivent les signatures et attestations de « Johannes Karlin de
Bruges, clericus Tornacencis dyoccsis, etc., » et de « Johannes
dictas I.edersnidere de Bavenghem, etc. »
[Archives de l'Étal, à Gand, original. Inventaire
J. DE Saint-Génois, n» 1247).
II.
(Voir page 34).
Brève Domini régis de Slainilà lanarum.
Edw. Dei gratia, etc.
Sciatis quod cum ante bec tempora dampna et gravamina
diversa mercatoribus de regno nostro, non sine dampno proge-
nilorum nostrorum quondam regum Anglie et nostro avene-
rint multis modis, ex eo quod mercatores, lam indigène quam
alienigene lanas et pellas lanutas infra regnum prsedictiim et
potestatem nostram ementes et secum eisdcm lanis et pellibiis,
ad vendendum eas ad diversa loca infra terras Brabancie, Flan-
drie et de Artoys, pro eorum libilo transtulerent : nos volentes
hujusmodi dampnis et gravaminibus obviare et nostro ac mer-
catorum nostrorum de regno predicio, commodis quatenus bono
modo poterimns providere, voiumus et de consilio nostro or-
dinavimus perpetuo durand. , quod mercatores indigène et
alienigene lanas et pellas hujiis nïodi infra regnum et potes-
tatem praedictam émeutes et ad terras prœdictas ibidem ven-
dendas ducere volentes, lanas illas et pellas ad certaro stapulam
infra aliquam eorumdem terrarum, per majorera et communi-
tatem diclorum mercatorum de regno nostro ordinandam et
assignandam, ac prout et quando expedire viderint muiandam
et non ad alia loca in terris illis ducant seu duci faciant ullo
modo; concedentes dictis majori et mercatoribus de regno nos-
tro supradicto, pro nobis et hcrcdibus nostris, quod ipsi major
— GG —
oi consilium coniindcm mcrcalonim, qui pro temporc fiicrint
qiiibiisciimqiie mercaioribtis tam indigenis quain alicnigenis qui
contra tliciam ordinaiionem venerint et inde per predictos ma-
jorem et consilium di<:lorum mercatorum rationabiliter con-
vincii fuerint, cerlas pecunic summas pro dilictis illis imponant,
et quod ille hujusmodi pecunie snmme de quibns nos aut mi-
jiiistri nostri per predictum majorem fuerimus informati, de
bonis et mcrciraoniis mercatorum sic deliquentium, ubiciimque
ea infra regnum et poiestatem prscdiclam inveniri contigerit,
per ministres noslros juxta informalionera praedi«lam et taxa-
lionem inde per ipsum majorem faciendam, ad opus nostrum
leventur salvo semper dictis majori et mercatoribus, quod ipsi
mercatores delinquentes, si eorum bona et mercimonia in sta-
pula predicta extra regnum et potestatem nostram prediciam
contigent inveniri, inter se rationabiliter castigare valeant et
punire, sine occasione vel impedimento mortis vel herednm
nostrorum seu ministrorum nostrorum quorum<;unque sicut
hactenus facere consueverunt. In cujus rei testimonium bas
litteras nostras fieri facimus patentes.
Teste me ipso apnd (ilantuar. vicesim. die maii, anno regni
nostri sexto (1312).
CHAPITRE X.
(1514-1322).
Robert de Bétliune. Edouard lî.
On cùl dit que Louis X voulût continuer les traililions
(le despotisme et d'injustice de Philippe le Bel; la Flandre
devait être la première à s'en ressentir; il prétendit que
Robert de Béthune vînt lui prêter hommage en personne;
comme le comte, déjà vieux et infirme, ne se trouvait pas
en état de satisfaire à ce caprice, le roi, pour se venger,
frappa la Flandre en même temps dans ses intérêts com-
merciaux et dans ses senlimenls religieux. Le 18 juin, il
— 67 —
écrit à Edouard II (i) pour le requérir, en vertu du lieu
féodal, ainsi que des alliances existant entre eux, et du
traité de 1298 (2), de faire arrêter et réduire en esclavage
tous les Flamands qu'il trouverait dans ses domaines; pour
légitimer cet acte, il invoque les traités conclus entre son
père et le comte de Flandre, que celui-ci et les Flamands
s'étaient engagés sur leurs biens et leurs personnes à ob-
server loyalement; le comte, d'après lui, avait manqué à
sa parale, et cité de ce fait en la cour de Paris, il avait été
condamné par défaut comme rebelle et parjure; en foi de
quoi, ajoute-t-il, « nous, pour ces choses, leurs personnes
et tous leurs biens, avons exposé et abandonnés à toutes
manières de gens qui les pourront trouver, en quelque
lieu que ce soit,^ pour être serfs et esclaves en leurs per-
sonnes à toujours et leurs biens être forfaits à ceux qui les
pourront (3). »
Louis X avait en effet fait condamner et excommunier
Robert, avec tous ses sujets, en la cour des pairs tenue à
Paris le 30 juin.
Le 14 juillet fut publié l'arrêt de la cour, renfermant un
acte d'accusation en forme, défendant à tous marchands ou
autres d'entretenir des relations avec les Flamands, ou
même de leur payer leur dû, et renouvelant les ordres
renfermés dans la lettre du 18 juin (4).
(1) \l existe deux pièces diplomatiques de 1315, relatives à la Flandre et
antérieures à la lettre du 18 juin, ce sont :
Une lettre d'Edouard II à un de ses officiers, donnant ordre de saisir les
navires écossais mouillés dans le port du Zwyn, aussitôt qu'ils retournaient
dans leur pays (Rymer, édit. angl., t. II, p. 265).
Une réclamation du comte à Edouard II au sujet de marchands d'Ypres,
qui ont été victimes de pirateries de marins de Rye (Ry.mi;r, édit. angl., t. Il,
p. 265).
(2) Voir plus haut, livre II, ch. VIII, p. 395.
(3) RvMER, édit. angl., t. II, p. 270. — Beaucourt, BruQSclic koophandel,
p. 27.
(4) Rï.Mtn, édit. angl., t. II, p. 272.
— 68 —
Edouard II ii'osaiil enlièremenl refuser d'exécuter les
arrêts de Louis X contre les Flamands, et trop faible du
reste pour s'y opposer ouvertement, rendit contre eux un
ordre de banissemenl qui leur enjoignait de sortir de ses
états dans les quarante jours, tout en défendant à ses sujets
de les aider, de quelque manière que ce fût. Il restreignit
cependant cette sentence aux seuls Flamands allant et ve-
nant pour leurs affaires, en exceptant ceux qui étaient
mariés el fixés dans sou royaume. Il y avait loin de là aux
désirs du roi de France. Voici ce qui est dit dans l'ordon-
nance communiquée aux vicomtes de Londres :
«Très-noble prince e nostre très-cber frère, sire Lowys,
a ore Uoi de France, nous est signifie que les gens de Flan-
dre sont ses enemis, e bannis de son roiaume.
» Nous voillant faire en cesle partie, ce que faire devoms
solom la forme des alliances, vous maundoms, fermement
enjoignantz que vous facelz crier el publier en nostre dite
cité de Londres que loulz flemengs enemis et banniz del
dit Roi de France sur forfetur de cors et d'avoir, vuident
nostre roiaume dedentz quarante jors après la feste del
Exaltacion de la Seinle Croix procbein avenir (14 sep-
tembre).
» Et que nul de nostre roiaume, ne de nostre poer, sur
la forfeture avaunt dite, face a le flemengs, enemis e ban-
nis del dit Roi de France, confort, soconrs, ne aide de
gentz d'armes, cbivaux, armure, vilailes, ne d'autres cbo-
ses, queles queles soient, contre la forme des alliances avant
dites.
« Et n'est mie nostre entencion que cestes choses
s'entendent as flemengs mariés et demorantz en nostre
roiaume (i). »
(1) RïMEn, édit. angl., t. Il, p. 277.
— 69 —
Cet ordre, daté du 1" septembre, fui envoyé à tous les
vicomtes du royaume d'Angleterre (i).
Le roi de France, toujours invoquant le traité de 1298,
ayant voulu obtenir d'Edouard qu'il envoyât une flotte
contre la Flandre, celui-ci ne lui donna pas non plus
satisfaction de ce côté. Il s'excusa de ne pouvoir le faire,
sur ce que toutes ses forces navales étaient employées
contre les Ecossais, avec qui il était déjà en guerre avant
que le roi de France eût commencé les hostilités contre la
Flandre; de peur cependant de trop mécontenter Louis X,
et pour être en partie du moins fidèle au traité, il ordonna
à Humfroi de Liltlebury et à Jean de Sturney, qu'il avait
mis à la tête de la flotte envoyée contre l'Ecosse, de nuire
le plus possible aux Flamands, en respectant cependant la
clause insérée dans l'acte de bannissement, en vertu de
laquelle ceux-ci avaient quarante jours, à dater du 14 sep-
tembre, pour quitter l'Angleterre (a).
La Flandre souffrit considérablement de cet état de
choses, tout commerce était rendu impossible, les marins
étaient pillés et parfois tués. En vertu d'un ordre du roi,
du 9 novembre, tous les Flamands trouvés en Angleterre
après le délai de quarante jours, furent arrêtés sans misé-
ricorde (s). Aucune sécurité n'existait plus, ni pour les
hommes, ni pour les biens. J\os dépôts d'archives nous
fournissent des documents nombreux où les marchands
(1) Il existe au Record office une pièce en latin du 21 juillet, dans laquelle
Nieolas de Farndon, maire de Londres, et son alderman se plaignent au roi
de ce que le comte de Flandre n'a pas encore restitué les bijoux appartenant
à Alice, comtesse maréchale, femme du duc de Norfolk, qui avaient été
enlevés par Jean Crabbe et autres sujets dudit comte, entre Boulogne et
Wilsand. Nous avons parlé de cet enlèvement à la page 36.
(2) Rymer, édit. angl., t. Il, p. 277 et 278; lettres du IS septembre, au
roi de France, aux officiers de la flotte et aux scnécliaux de ronlliieu et de
Gascogne.
l3) RvMEii, édit. angl., t. II, p. 280.
— 70 —
exhalent leurs plaintes. Ainsi le 27 novembre un bourgeois
(le la IMude (i), nomme Jean Cap, expose au comte que les
Anglais lui ont enlevé un navire, appelé Cremenbuerch,
qui avait été chargé de 20G tonneaux de vin à Saint-
Savien, en Poitou; Lambert Leblanc, de Damme, se plaint
que les Anglais lui ont capturé le sien, appelé Paradis,
chargé de 174 tonneaux de vin, à Neudes, en Poitou, et
deux bâtiments vides, dont l'un se rendait à Saint-Malo,
pour y charger du froment, l'autre à La Rochelle; Gilles
Hooft, de Damme, remontre au comte qu'il a perdu
17 tonneaux de vin bastard (?) et deux pipes et quatre
tonneaux de vin rouge; ce vin se trouvait dans le navire
de Guillaume Amis, capturé dans le port de Winchelsea
par les Anglais (2). Plusieurs marins de l'Ecluse se plaigni-
rent de faits analogues et prièrent le comte d'intervenir
auprès du roi d'Angleterre pour leur faire restituer leurs
biens (3), et les bourgeois d'Ypres, fatigués de se voir
molestés et empêchés dans leurs négociations, chargèrent
les échevins de s'adresser au roi d'Angleterre, pour solli-
citer la confirmation du privilège commercial qui leur avait
été accordé par ses prédécesseurs {4); cette demande ne leur
fut accordée que deux ans plus tard, en 1317 (5).
Mais si la Flandre souffrit de l'hostilité du roi de France,
les affaires ne tournèrent pas à l'honneur de ce dernier,
loin de là; ayant fait une expédition contre le comte, il
fut contraint de s'enfuir honteusement (e), et s'attira un
grand nombre de réclamations de la part du roi d'Angle-
(f) Sinte-Anna 1er Muiden, près de l'Écluse.
(2j Archives de VElal, à Gand, chartes des comtes de Flandre; Inventaire
DE Saint-Génois, n» 1313.
(3) Idem, idem, n» 1327.
(4) Lettre du 12 novembre 1313; original, latin, au Record o/pee.
(5) Archives de la ville d'Ypres, pièce originale.
(6) Kervyn, t. 111, p. 73 et suiv.
— 71 —
lerre, dont les marcijands avaient été pillés par les marins
de Calais, qui profilant de l'ordre de courir sus aux Fla-
mands, s'emparaient de tout ce qu'ils trouvaient à leur
convenance (i). D'un autre côté, comme il n'avait pas
réussi auprès d'Edouard à retirer l'étape des laines à
Anvers pour la transférer à Saint-Omer, il voulut l'obtenir
pour Calais et les villes situées sur les bords de la Seine,
et entama des négociations dans ce but. Edouard, afin de
ne donner aucune réponse péremptoire, et peut-être pour
gagner du temps, donna le 16 décembre ordre à ses baillis,
d'assembler les principaux marchands à Lincoln pour les
fêtes Saint-Hilaire, c'est-à-dire pour le 27 janvier suivant,
afin de discuter cette question (2). Nous n'avons trouvé nulle
part qu'il eût été donné suite à celte affaire, soit qu'on eût
opposé au roi de France une fin de non recevoir, soit que
sa mort ait fait tomber celle négociation dans l'oubli.
La suspension des hostilités entre la Flandre et laFrance,
et la mort de Louis mirent fin à cette déplorable situation,
si fatale à la prospérité du comté. Le 7 décembre loi 6,
le roi Edouard manda à tous les vicomtes du royaume
d'Angleterre, que la paix ayant été rétablie, il se trouvait
autorisé à rappeler tous les ordres de bannissement et au-
tres décrétés contre les Flamands, et leur enjoignit de faire
publier dans tous les endroits publics, que les bonnes gens
de Flandre étaient de nouveau autorisés à aller et venir en
Angleterre, à y demeurer et y commercer, ainsi qu'ils
élaienl accoutumés avant la proclamation d'expulsion (3).
(1) Rymer, édit. angl., t. II, pp. 279, 280, 281.
(2) Rymer, édit. angl., t. Il, p. 281. — Parliamenlary Wrillis, P. I, p. 154,
et vol. II, liv, III, p. 1117.
(3) « Quod prœdicli Flandrenses in regnum noslrum prœdiclum, cum bo-
nis et rebus suis secure veniant, et ibidem morenlur, et meicandisent, et
ab inde pro voluntale suâ recédant, proul ante diclam proclamationem faeere
consueverunt, justiciam faciendo et recipiendo. » Rymer, édit. angl., t. Il,
p. 303.
— 7-2 —
Le comle Robert profita de ces dispositions pour prier,
l'année suivante (1317), le roi anglais de consentir à un
règlement de compte pour les prises faites de part et
d'autre, et des dommages à payer de ce chef (i); les anciens
différends, du reste, n'avaient pas encore été aplanis. Il
écrivit également une lettre pour disculper les bourgeois
d'Ypres des accusations de piraterie portées contre eux, et
engager le roi à leur rendre ses bonnes grâces (2). C'est à
la suite de cela qu'Edouard renouvela les privilèges des
Yprois, de même que ceux des Douaisiens (0); le 13 sep-
tembre il répondit au comte, qu'étant parfaitement disposé
à se rendre à son désir, et considérant que les difTicuîlés
provenaient surtout de la conduite des habitants des Cinq
Ports, il dit avoir envoyé l'archevêque de Cantorbéry et
l'évéque d'Ely, son trésorier, vers les barons des dits
Ports (4), afin de faire une enquête au sujet des dommages;
il espère que le comte fera de même de son côté et de-
mande qu'il veuille l'informer de ses intentions (5). A la
suite de ces négociations, un accord définitif fut conclu
entre les deux princes, qui nommèrent chacun des com-
missaires chargés de l'enquête. Le roi en donna avis à
tous les vicomtes du royaume par lettre du 18 octobre,
ajoutant qu'en vertu des traités entre lui et la Flandre, il
leur enjoignait d'accorder aide et protection aux sujets du
(1) Rymer, édil. angl., t. II, p. 338.
(2) RvMEn, édit. angl., I. II, p. 340.
(3) Archives de la ville d'Ypres; voir plus haul, p. 70, noie i — Dehaisnes,
p. 10. — Delpit, Documents français en Angleterre, p. 50.
(4) Les Cinq Poris d'Anglelerre sont Rye, Ilillie, Riimmey, Douvres et
Sandwich. Ces cinq villes maritimes députaient chacune un bourgeois, qui
avait titre de baron, pour assister au couronnement des rois it'Angleterre.
Elles rendirent de grands services au roi Jean pendant la guerre civile,
aussi les combla-t-il de privilèges. — Beeverel, Délices de l'Angl., p. 758.
— MoiiEni, Dict. hist.
(«) RvMEP., édit. angl , t. H, p. 342.
— iù
comte et défendait aux Anglais, sous peine de leurs corps
et de leurs biens, de leur nuire en quoi que ce fût (i). F^e
comte chargea pour sa part, Jean de Menin, chevalier,
Jean de Warbeke, chanoine de Courlrai, Jean Bourleke,
clerc de la ville dTpres, Jacques Scutelaere, échevin de
Bruges, et Alexandre Rys, d'entreprendre toutes les dé-
marches nécessaires pour mener à bonne fin rexéculion
du traité conclu l'année précédente, promettant de ratifier
et d'approuver tout ce que ces délégués feraient en son
nom {2). Les députés nommés par Edouard II étaient Gau-
thier de Norwich, Guy Ferre, Guillaume d'Ayremynne
et Jean Waleweyn. Cette commission devait se réunir à
Londres dans la semaine de la Nativité de saint Jean-
Baptiste (2i juin), pour procéder à l'examen des griefs
des gens des deux nations (3). Mais cette réunion, pour
une cause que nous ignorons, n'eut pas lieu; à la suite de
cela, le roi écrivit au comte Robert le 15 juillet, lui man-
dant qu'il désirait ardemment terminer les affaires de l'en-
quête entre la fêle de Sainte-Marie-Madeleine, le 22 juillet,
et celle de Saint-Michel, le 29 septembre; il le prie en même
temps de vouloir accorder un sauf-conduit général à tous
les sujets anglais, promettant de le faire immédiatement
pour les Flamands (4). Il envoya en même temps à tous
ses baillis, ordre de laisser passer et de proléger les en-
voyés du comte jusqu'à la Noël, et donna à tous les sujets
(1) RvMEn, édit. angl., t. Il, p. 344. — Celle pièce ne se trouve pas dans
rédilion hollandaise.
(2) Archives de l'Etal, à Gund, chai'les des comles de Fiandi'e. — Inven-
taire DE Saint-Genois, no 1360.
(3) Rymer, édit. angl-, t. Il, p. 361. Celle piéee ne se trouve pas dans
l'édition hollandaise.
(4) Rymer, édit. angl., t. Il : p 367, lettre au comle; p. 3G8., lettre aux
vicomtes d'Angleterre, avec ordre de protéger les Flamands; p. 368, sauf-
conduit général aux Flamands.
6
(le Robert un satif-contluit général valable jusqu'à celle
même date (i).
Des plaintes nombreuses furent présentées aux commis-
saires (2), et l'enquête ne put être terminée à l'époque flxée.
Une note cependant fut rédigée le oO novembre par les
ambassadeurs d'Edouard II et de Robert de Bétbune, qui
réglait une partie des indemnités à accorder aux bourgeois
des deux pays (3). Le 25 novembre, le roi Edouard pro-
rogea le sauf-conduit qui avait été accordé aux marchands
de Flandre, et les autorisa à commercer librement jusqu'au
jour de l'Assomption de l'année suivante (4). La veille, il
avait écrit aux vicomtes d'Angleterre pour inviter les prin-
cipaux marchands à se réunir à Londres, non plus comme
l'avait désiré Louis X, afin de juger de l'opportunité du
transfert de l'étape à Calais, mais afin de confirmer ce
privilège en faveur de la Flandre (s).
L'année suivante, en 1519, le roi d'Angleterre, toujours
en hostilité avec les Ecossais, voulut renouveler à l'égard
de nos contrées les exigences formulées par son père en
1505; il écrivit à Robert de Bélhune une longue lettre
datée du 25 mars, dans laquelle il développait les raisons
qui l'engageaient à prier le comte d'interdire ses ports à
(1) RvMER, édit. angl., t. Il, p. 368.
(2j Archives de l'E(al, à Gand, chartes des comtes de Flandre; Inventaire
DE Saim-Geîiois : N" 1371. Liste des personnes de Lombardzyde qui ont eu
à souffrir de la part des Anglais. — N» 1372. Autre liste. — N" 1373. Plain-
tes de ceux d'Oslende. — N" 1374. Plaintes de plusieurs bourgeois de Dun-
kerque. — N» 1584-. Exposé des plaintes de quelques bourgeois de l'Écluse.
— N» 1389. Exposé relatif à des marchands de Flandre. — N» 1390. Rapi-
nes des Anglais. — Record office : Robert à Edouard 11, en faveur de plusieurs
marchands de Bruges. — Les avoués et les échevins d'Ypres à Edouard II, au
sujet des violences dont leurs administrés ont été victimes. — Robert de-
mande réparation des outrages commis sur ses sujets par les Anglais.
(3) Parliamentary Wrilhs, vol. Il, Div, II, Part. II, p. 155.
(4j Rymer, édit. angl., t. Il, p. 378.
(5) Id., id., id., p. 378.
— 75 —
la nation ennemie; il fit la même demande aux magistrats
des villes de Bruges, de Damme, de Nieuport, d'Ypres, de
Dunkerque et de Malines, ainsi qu'au duc de Brabanl (i).
La réponse du comte et celle des bonnes villes, fut celle
à laquelle il fallait s'attendre (2); elle était identiquement la
même qu'en 1305; la Flandre ne voyait pas dans les Ecos-
sais qui venaient commercer dans ses ports, des ennemis
du roi d'Angleterre, mais des négociants dont les relations
ne pouvaient qu'augmenter la prospérité du pays; les bannir
eut été imprudent et risquer de pousser le comté vers la dé-
solation et la ruine. Le roi d'Angleterre fit comme avait fait
son père, il n'insista pas, la bonne entente ne fut pas trou-
blée, et Edouard se montra même tout disposé à faire rendre
justice aux Flamands qui avaient été lésés par ses sujets;
il donna ordre de continuer l'enquête, et le 29 janvier 1 320,
prolongea la trêve marchande jusqu'à Pâques (3), et ensuite
jusqu'à la fin de juillet. Au mois de juin, il écrivit au comte
Robert pour lui témoigner son désir de rétablir la bonne
intelligence entre la Flandre et l'Angleterre, l'asseoir sur
des bases plus solides, et renouveler les traités de commerce
qui avaient existé entre eux; en réponse à cette lettre, le
comte répondit le 22 juillet, par l'envoi en Angleterre de
Michel Belle, bourgeois, et maître Borlike (4), clerc de la
ville d'Ypres, auxquels il donnait plein pouvoir pour obte-
nir en son nom et au nom du pays de Flandre une prolon-
gation de la trêve, qui avait été respectivement fixée jusqu'à
la fête de Saint-Pierre au 1" août, et pour prier le roi
d'Angleterre de désigner un jour pour conclure un traité
(1) Rymer, édil. angl., t. II, p. 389.
(2) Id , id., id., p. 394.
(3) Rymer, édil, angl., t. IF, p. 417. — Pâques lombail le 30 mars.
(4) Ce nom est encore écrit Bourleke ou de Burlegh, dans les actes diplo-
lïiatiques.
— 76 —
défînilif eiilre les deux pays (i). Ces lettres furent exhibées
dans le conseil du roi à Westminster; Edouard y répon-
dit le 6 avril, en fixant la quinzaine de la Sainl-lMicliel, à
Westminster, pour la réunion des plénipotentiaires, et en
envoyant un sauf-conduit pour les ambassadeurs du
comte (2). Robert avait nommé pour traiter en son nom,
Eustaclie Lauwaert, chevalier, Guillaume De Deken, éche-
vin de Bruges (3), Nicaise le Sage, Michel Belle, conseillers
jurés, et maître Jean Borlike, clerc d'Ypres (4), qui, d'ac-
cord avec les délégués d'Edouard, conclurent un arrange-
ment le 1" octobre, en vertu duquel le roi déclara que son
désir étant de maintenir la paix et la bonne intelligence, il
rendait aux Flamands les libertés dont ils avaient précé-
demment joui dans ses étals, et s'engageait à faire décider
promptement toutes les affaires relatives aux dommages (s).
A la suite de cet acte, il donna ordre à tous ses vicomtes
ainsi qu'aux officiers des Cinq Ports, de faire proclamer
que tous ceux qui avaient des différends avec les Flamands,
étaient convoqués à Westminster pour la quinzaine de
Pâques de l'année suivante (c).
Mais les arrangements qui suivirent ne furent pas, à ce
qu'il paraît, de nature à satisfaire les commissaires fla-
mands, car, soit pour cette raison, soit pour une autre, ils
(1) Archives de l'Etal, à Garni, chartes des comles de Flandre; Inventaire
DE Saint-Genois, n" 1376.
(2; RyMEH, édit. angl., t. Il, p 429.
(3) Il s'agit ici de Guillaume De Deken, que tous les actes nomment le
Doyen, qui impliqué dans la révolte dont l'issue fut la bataille de Cassel,
s'enfuit en Brabant, fut livré au roi de France et périt à Paris sur la roue,
en 1328. — Voir notre notice biographique sur ce personnage dans les
Bttllelins de l'Académie royale, 1871.
(4) Archives départ, de Lille, fonds de la chambre des comptes, carton B,
262.
(3) Uymer, édit. angl., t. Il, p 434. — Archives départ, de Lille, fonds ilc
la chambre des comptes, carton B, o67.
(6) RvMER, édil. angl., l. Il, p. 440.
— 77 —
quittèrent les conférences assez brusquement, après avoir,
dans le principe, paru se trouver d'accord avec les Anglais
et accepter tout ce qui avait été proposé. Le roi d'Angle-
terre, suflîsamment surchargé d'embarras chez lui, n'eut
pas demandé mieux, que de voir toutes les difficultés apla-
nies; aussi écrivit-il le 12 avril 1522 au comte pour se
plaindre de cette espèce de rupture, ainsi que de l'embargo
mis sur les biens de quelques Anglais, et exprimer l'espoir
qu'il ferait de son côté ce qu'il pourrait pour renouveler
les traités de paix (i).
Robert écrivit de Courirai, le 27 mai, à Edouard, une
lettre, dans laquelle il explique les motifs du départ préci-
pité des ambassadeurs flamands, et déclare que s'il a fait
mettre sous séquestre les biens de quelques marchands
anglais, il n'a agi que par réciprocité : il avait du reste
déjà fait au roi des réclamations à sujet; ainsi, au mois de
septembre 1319, il s'était plaint, qu'Egide d'Artrike,
Guillaume van de Casteele, Michel Crakoen , Nicolas de
Thourout, Jean vander Beke et Jean de Vasere, de Bru-
ges, avaient été pillés par des pirates anglais; à la fin de
la même année, il avait réclamé au sujet des violences exer-
cées dans les ports d'Angleterre sur des marins flamands,
et en avait demandé réparation, de même que les échevins
d'Ypres. Le comte, dans sa lettre, justifie encore ses sujets
du reproche de porter des secours aux Ecossais, en faisant
remarquer la nature de leur commerce. Il se déclare dis-
posé, du reste, à envoyer des mandataires à Saint-Omer
pour poursuivre les négociations.
Mais il parait que les marins flamands, malgré toutes les
(1) Rymur, édit. angl., t. Il, p. iSô.
(2) Record office. — Comptes-rendus de la Corn, d'IIisl., a» 1860, pp. 100
et suiv. — Nous aimerions à recourir davantage aux documenls découveris
par M. Van Bruyssel au Record office, mais comme il est rare qu'ils soieiil
datés, nous n'osons pas nous appuyer sur une indication aussi vague.
— 78 —
observations, refusaient de s'associer au ressentiment du
roi d'Angleterre à l'égard des Ecossais; Edouard se décida
donc à prendre une mesure extrême à leur égard et donna
l'ordre à des vaisseaux anglais, ainsi qu'aux baillis de Yar-
moulh et des Cinq-Ports, d'arrêter les bâtiments qui sortaient
du Zwyn et de les retenir jusqu'à ce que les Flamands se
fussent décidés à céder à ses exigences. Les Anglais s'em-
parèrent de quelques navires vénitiens, mais aussitôt une
flotte flamande s'avança, prit dix des vaisseaux d'Edouard,
et se dirigea ensuite vers les côtes du Norfolk et de Sulîolk,
où elle pilla et dévasta tout ce qu'elle rencontra, s'empa-
rant de la plupart des barques chargées d'approvisionne-
ments pour l'armée anglaise en Ecosse (i). Ils inspiraient
un tel efl'roi, que la reine d'Angleterre, Isabelle de France,
étant en mer, se réfugia, pendant une tempête, dans un
port où les Flamands avaient coutume d'aborder, et n'osa
pas s'y arrêter, de peur que ceux-ci ne se joignissent aux
Ecossais pour l'y assiéger (2).
Malgré cette apparente mauvaise foi, Edouard voulut
encore témoigner de son désir de voir régner la bonne
entente, et écrivit au comte dans ce sens le 6 mai (3).
M. Kervyn de Leltenhove croit que ces expéditions des
Flamands, contre tout droit et raison, avaient eu lieu à
l'instigation de Louis de Nevers, dont les sympathies
étaient pour la France, et qui voulait ainsi, en dépit de
son aïeul et du peuple flamand, se concilier l'affection
d'une puissance dont toute la politique consistait dans l'a-
baissement de la Flandre (4); cette opinion nous parait fort
rationnelle.
(1) Rymer, éilil. angl., t. Il, p. 484 et 485. — Kcnvïn, t. III, p. 133 cl
suiv.
(2) Kervyn, t. III, p. 13G, note 1.
(3) Rymer, édit. angl., t. II, p. 483. — Archives départ, de Lille, fonds
(le la chambre des comptes, carton B, 576.
(4) Kur.YYN, t. III, p. H4. — Nous ferons observer seulement, qu'en adri-
— 79 —
Robert (le nélhimc ne vit pas la fin de ce (liiïcrend, car
il mourut le 17 septembre 1322, à l'âge de quatre-vingt-
deux ans, avant que les diffîcullés fussent aplanies et
qu'une paix solide, exigée par rinlérét des deux nations,
eût pu se conclure.
{Pour être continné).
Emile Varenbrrgh.
buanl ces déprédations au commencement du règne de Louis de Nevers, nous
croyons que le savant auteur s'est trompé; elles eurent lieu, nous paraît-il,
dans les premiers mois de 1322 (n. s.), alors que Robert de Béthune vivait
encore.
— 80
LE DÉNONCIATEUR DE SORCIEES.
1597-1598.
Les lecteurs du Messager se rappellenl piobablemenl
que je les ai entretenus, il n'y a pas très-longtemps, d'un
certain Jean Baxius, qui faisait le triste métier de décou-
vrir et de dénoncer les soi-disant sorciers (i). Des pièces
que j'ai trouvées depuis dans les archives du conseil de
Brabant, me mettent à même de fournir quelques rensei-
gnements nouveaux sur ce personnage.
Si un homme tel que Baxius vivait de nos jours, il atti-
rerait certainement sur lui l'attention des physiologistes et
avant tout celle de la police. Etait-ce un fanatique convaincu,
ou bien un scélérat, âpre à la curée, avide d'avoir sa part
des dépouilles des condamnés? A en juger par ses actes, on
est disposé à croire qu'il était l'un et l'autre. Une chose posi-
tive, c'est que toutes les démarches de cet homme tendaient
à envoyer le plus de monde possible au bûcher, sans dis-
tinction de condition ni de sexe. Malheur à qui devenait
l'objet de ses soupçons ! Baxius ne lâchait pas facilement
sa proie. Cependant l'impartialité m'oblige d'invoquer en
sa faveur le bénéfice des circonstances atténuantes. N'ou-
blions pas, que de son temps la société, déjà si forlomenl
(1) Voy. Messager des Scienees, année 1809, p. .".iO.
— 81 —
«'•prouvce par des guerres incessanles, était travaillée, pour
comble de misères, par ce terrible fléau moral nommé la
sorcellerie, préjugé que les progrès de la civilisation n'ont
pas encore enliérement ôlé de l'esprit du vulgaire (i). La
démence était alors (1597) à son paroxisme. Les docu-
ments judiciaires parvenus jusqu'à nous, sont là pour té-
moigner qu'il n'y avait guère de village qui ne comptât
plusieurs victimes exécutées par le feu. On ne voyait par-
tout que sorciers et sorcières. Baxius s'était-il imaginé qu'il
rendait un sei*vice à ses concitoyens, en employant tout son
zèle à exterminer celte race maudite? Voilà une question
que je me suis faite souvent, quoique j'avoue qu'il faut
une forte dose de bonne volonté pour défendre un être
aussi barbare, aussi froidement cruel.
Nous avons vu le dénonciateur peser sur le gouverne-
ment au point de faire promulguer une ordonnance contre
les sorciers; nous l'avons vu dressant des listes entières
de proscriptions : maintenant il va s'attaquer non pas à un
(1) Nous en avons mallieureiiscnient de temps en lenips des exemples. En
voici un tout récent. Il y a quelques mois, une jeune fille du pays d"Al-
tena (Brabant septentrional) se crut ensorcelée, parce qu'elle avait touché
une vieille femme. La scène se passait sur une digue. Comme il ventait très-
fort, la jeune fille s'était évertuée à baisser les jupons de la vieille, soulevés
par le vent, <> qu'avez-vous lait! lui dirent ses compagnes. — Vous avez
» touché cette vieille : vous êtes ensorcelée. « La fille relourne chez elle,
l'esprit frappé. Son amant, un batelier, apprend la chose et attire un jour
la vieille femme chez lui. « Vous avez ensorcelé une telle, dit-il, vous allez
» la désensorceler ou je vous brûle vive. » Le batelier avait allumé un grand
feu dans son four. « Je n'ai pas ensorcelé cette fille, répond la femme. Je ne
» sais ce que vous voulez dire. » Le batelier lui ordonne de faire une courte
piiêre pour la malade, avec menace d'être jetée dans le four. La femme
eut des scrupules, parce qu'elle appartenait à une secte dissidente. Elle finit
par obtempérer aux injonctions de l'agresseur, qui avait changé la forme de la
prière à réciter. Grâce à cette transaction, elle put s'en aller. Le batelier fut
poursuivi par le procureur du roi, à Bois-le-Duc. C'est de la bouche de ce
magistral que M^ P. Cuypers apprit cette aventure, et M. Cuypers Ta répété
à l'auleur de celte notice.
— 8-2 —
sorcier, mais à un anti-sorcier, à un exorciseur (onloove-
raer), qui était évidemment pour lui un concurrent non
orthodoxe.
Ce dernier personnage ne mérite pas moins de fixer notre
attention. Son art, si je puis le dire, est un fidèle reflet du
sentiment de terreur qui régnait parmi les masses crédules.
Pour elles, André Peelers, ainsi se nommait l'exorciseur,
était une sorte de prophète. Il avait été sacristain de l'église
deWesterloo, dans la Campine. De toute part les personnes
qui se croyaient ensorcelées accouraient vers lui. Peeters
était incontestahlement un homme inofl"ensif, un démon
bienfaisant. Voici, d'après un fragment d'enquête, en quoi
consistait un de ses moyens d'exorcisme. Il remettait six
billets cachetés au malade, qui devait en porter un au cou,
et rentré chez lui, enterrer les cinq autres dans sa cave,
un à chaque coin et le cinquième au milieu de la place,
en y joignant partout un peu de terre d'une tombe fraîche-
ment creusée, sauf à obtenir pour cela la permission du
curé. De l'aveu des moines de Tongerloo, établis près de
Westerloo, Peelers invoquait aussi Dieu, la Vierge et les
saints. En outre, il se servait d'eau bénite, de chandelles
de cire et de quelques signes cabalistiques. Enfin, il se van-
tait de pouvoir dire au juste par qui on avait été ensorcelé
et pour quel motif. De là sa réputation de ivaerscgger,
ajoutée à celle d'exorciseur.
Ambroise Peeters se livrait depuis quelque temps à ses
opérations, avec un prestige qui étendait au loin sa renom-
mée, quand il fut dénoncé à l'évêque de Bois-le-Duc (i),
après avoir été d'abord destitué, je crois, par le curé de
Westerloo et par le seigneur du village (2), qui avait la
collation de l'oflicede sacristain. L'évêque écrivit à Richard
(1) Westerloo était alors dans ce iliocèse,
(2) Cette terre appartenait à la maison de Mérode, qui la possède encore.
— 85 —
Dufraisne, drossarci de Weslerloo, pour Tinviler à corriger
Peelcrs, faute de quoi, disait-il, il devrait y pourvoir lui-
même. En conséquence, le drossard se mit en devoir d'ar-
rêter le prévenu, mais il ne parvint pas à le trouver : Peelers
s'était caché. Se voyant poursuivi, il se rendit auprès de
l'évêque, qui lui pardonna, à condition de ne plus recom-
mencer. L'ex-sacristain ne tint pas compte de cette défense;
mais n'osant plus exorciser ouvertement, il était devenu
latitant. Les gens pressés de recourir à son ministère,
étaient conduits au lieu de sa retraite par des affidés.
D'après le témoignage du drossard, l'afflluence était tou-
jours considérable.
Baxius, informé de ce qui se passait, adressa le 23 juillet
1S97 une requête au chancelier de Brabant, Nicolas Da-
mant (i). Il commençait par rappeler que par sa science (2),
fruit de longues études, et par une expérience consommée,
il était parvenu à découvrir le crime secret de sorcellerie
et entre autres celui de ce grand ensalvador ou seigneur
qui guérissait tant de paralytiques, d'aveugles et de malades
incurables, sans remède connu de la médecine ou approu-
vé (5). Puis Baxius signalait un soldat bourguignon, qui
faisait également profession de guérir les personnes et les
bêtes ensorcelées. Dénonçant ensuite notre fameux exorci-
seur, il demandait qu'on procédât à son arrestation, s'en-
gageant à en subir toutes les conséquences s'il n'établissait
pas clairement et sans retard que Peelers était un instru-
ment de l'esprit malin. Baxius avait soin d'insister sur la
défense faite par l'évêque de Bois-le-Duc.
Cette requête fut remise au procureur général de Bra-
(1) Sur une copie qu'il avait faite de celle requête, Baxius a écrit ceci :
Vescil tarda molimina spiritus sancii gralia.
(2) Il était théologien. Ses lettres portent un cacliet armoirié, avec une
devise. Nous n'avons pu y reconnaître qu'un lion passant en clief.
(3; Ce merveilleux personnage n'esl pas nomme.
-^ 84 —
baiil (i), afin qu'il ouvrît une enquèle (apostille du 26
juillet). Le procureur général entendit à Bruxelles le dros-
sard Dufraisne, dont j'ai utilisé la déposition pour donner
quelques renseignements préalables. D'après les assertions
de Baxius, l'enquête aurait été suivie d'un décret de prise
de corps; mais le procureur général ne l'aurait pas mis à
exécution à cause des frais qui devaient en résulter. C'est un
point que je n'ai pu vérifier. Quoi qu'il en soit, le 13 octo-
bre suivant, Baxius se rendit d'Anvers, où il demeurait, à
Bruxelles pour parler au procureur général. N'ayant pas
trouvé ce magistrat en son logis, il lui laisse un billet qui
mérite d'être lu. On y verra avec quelle indifférence Baxius
annonce qu'il est appelé à iVIalines pour assister à la tor-
ture d'une accusée.
a Monsigneur le conseillier, alsoo ick noolelyck wederomme
naer Mecheien moet gaen, alwaer morgen een gesuspecteerde
van tooverye ter bancken comtnen sal, soo de scherprechter van
Brussel daer oniboden is, soe hehbe ick aen tiwe Eer. alhier
gelalcn d'iiiformatie die ick van den cuysier van Westerloo van
Antvverpen mede gebrocht hebben (a) aengaende, quod
lanquam ad numen et Esctilapium quendam ad eum undequaque
accurrilur, lippis et lonsoribus nolum est publiquaque vox et fama
inquisilioni locum facil. Cetere supplebit vestra prudentia et vigi-
lans zelus. Hier mede nwe Eer. den Heere bevolen. Tôt Brnssel,
lot nwer Eer. hnyse dcscn Innae xiit oclob. J597.
« Tuus ex animo,
« J. Baxius,
«13 Sbr 1597. 1)
Ce billet n'eut pas le résultat que Baxius en espérait.
Aussi fut-il suivi, le S novembre, d'une lettre dont le lec-
teur ne sera pas fàcbé de prendre connaissance.
« Mons. le conseillier, naerdemael daldergevuechelyxste mid-
(1) Jacques Van Tseslicli.
(2) Mot illisible.
— 85 —
del om de fooveraers tachterhaelen is duer dapprehensie van de
ontooveraers, die hen nyet en vermyden de tooveraers a quibus
nolamen tum immissum est te aenneemen, quod expressi cum de-
mone pacti argumenlnm esse dicunl omnes el precipue De : in Malleo,
is daeromme myn bidden dat iiwe Eerw. gelieven melten ieer-
sten cens rapport te doene van de informaiie van dyen zoo zeer
vermaerden ontooveraer, de cuyster van Westerlo, die aile de
Kenipen duer ende in de oniliggende steden soc befaempt is,
dat die selve famé alleen bastandt is om dapprehensie te doen,
cesserende oick (des neen) de particulière iuformatien die uwe
Eerw. aireede genomen hebbe ende eensdeels by my in handen
van uwen clerck over de 3 weken onbcgrepen herwaerts, gela-
ten om aen de selve uwe Eerw. gelevert te worden, de welcke
lichlelyck overwonnen wesende, absque ulla tortura, sal promp-
telyck weeten te aennoemen aile de persoonen die de nienschen
oftebeesten betooverl hebben(i), biddendedeshalven uwe Eerw.
anderwerff, d'occasie die hier soo schoon is gevende nyet verby
te laetcn gaen, wel weetende daimen God geenen aengenamen
dienst gedoen en can, dan duer dexterpatie van desen aider-
grouwelycxsten criem, hier mede uwe Eerw. den Heeren beve-
lende, vnyt Aniwerpen desen 5 9^«'" 1597.
(lUwen Eerw. vriendt ende dienaer,
«J. Baxius,
« 5 Ober 1597. »
Le 26 mars 1598, on enlendit à Louvain Adrien Ver-
heyden, notaire, résidant dans l'abbaye de Tongerloo. Sa
déposition ne fut pas trop défavorable à Ambroise Peelers,
non plus que les propos que les moines tenaient sur son
compte (2).
Le 7 juin suivant, Baxius demanda un entretien au
procureur général, pour se concerter avec lui sur les moyens
à employer pour arrêter le prévenu. C'est ce qui résulte du
billet que voici :
a Monsieur conseillier, di gratie dat ick niacli hebben copie
(I) Ce passage est à noter. Il dépeint Tabominable dénonciateur.
(2j Ceci d"après la disposition du même iiolaire.
— 86 -
van beyde myne leste requesten aeu deu raedt gepresenleert by
iny, Ick sal morgeii conimuniceren met iiwe Ecrw. op een be-
qiiaem middel tôt daprehciisie van dien zeer fameusen NN., die
uwe Eerw. wel weet, my vuyt ganscher herten louwaerts recom-
manderende, desen 7 jiiny 1598. Iloru sccuuda pomeridiana.
« Tuus ex animo,
« J. Baxujs,
« 7 juny 1598. »
Celle démarche élaiU resiée sans suite eomine les pré-
cédentes, Baxius présenta une nouvelle requête au chan-
celier de Brabant, afin de parvenir à une arrestation qu'il
convoitait avec l'ardeur d'un ioup-cervier. Il convient, me
semble-t-il, de lui laisser une dernière fois la parole. Ce
qu'on remarquera dans sa requête, c'est que le dénonciateur
ne traite plus Peeters d'ontooveraer, mais de vrai sorcier,
invoquant le diable.
d Aen mynen Heer den Cancellier, etc.
« Remonstreert in aider reverentien J. Baxius, alsoo mynen
heere de procureur gênerai ten aengeven des remonstrants van
uwe Eerw. op zyne requeste sedert 7» S^'^r jn tvoirleden jaer
geohùneeri heeh decreliim apprehensionis ten laste van den coster
van Westerloo, by name Ambrosius Peeters, als by den remon-
strant aengegeven als een zeer fameus tooveraer ende een hooft
dor tooverareu, tôt Westerloo woonende, ende dat nyettegen-
staende de remonstrant tôt effcctuatie van de selve apprehensie
dry verscheyden requesten aen uwe Eerw. heeft overgegeven,
die allegader gcsteit zyn in handen van den selven heer procu-
reur gênerai, sonder dat uwe Eerw. eenige appostillen op
eenige der selver hebbe gesteit, ende midts de voirs. heer
procureur gênerai noch ter tyt egeen effectucl debvoir gedaen
en heeft, al nyettegenslaende de remonstrant heeft aengegeven
dat men de selve apprehensie zeer gevuechelyck soude conuen
volvoeren duer de Mère, schoutet van Herentals, den
selven coster naest gesetcn, die de remonstrant verstaet een
govucch officier te zyne der justitie zeer toegedacn , die den
selven gevangcn hcbbcndc meltcn iccrstc convoy soude mogcn
— 87 —
docn brcngen op Aiilwerpen, in lianden vau ccncn duerwccr-
der, OUI zoo voirts opTruerenboi'ch(i) gestclt le worden, in con-
formiteyt van uwe Eerw. voorscydc decrcten; item, ende dat de
remoustrant nyct alleenlyck gepresenteert Iieeft den selven cos-
tcr van Westerloo , vel unico solum examine le convinceren,
etiam confessione propriœ, dat hy nyet alleenlyck eenen gemeys(?)
looveraer en is, maer cen hooft der tooveraers, ende lotten
dyn {sic) in dyn (sic) myncn Eerw. gelievc hera de commissic
te geven cum clausula subsidii ad omnes judices, oft specialyck
op den voirs. schoutet van Herenlals, dat hy oick op zynen cosl
sonder eenige procrastinatie tvoirs. décret zal doen efifeclueren
ende den selven in handen desselfs procureurs le doen om.etc.
Bidt daeromme de reraonstrant dat uwe Eerw. gclieve wille de
voors. gedecerncerde apprehcnsie duer deen oft dander middel
by appostille op de marge van dese te slellen, te doen effectne-
ren, siende dat (loff God) nu nyet meer questie oft swaricheyt en
valt van tooveraers te vinden,lc ondersoecken oft te ontdecken,
maer de aireede gedeprehendeerde te doen apprehenderen, jae
zoo solemnelen décret van uwe Eerw. over de negen maende
gegeven te doen effectueren ende namentlyck jegens eenen open-
baren aenroeperder duyvelen ende landsvyant confremineerder
ende beletter van den zoo zeer aengenacmen peys. Dwclck
doende, etc.
« J. Baxhîs,
« 30 Juny 1598. »
Le conseil de Brabanl mil sur ce faclum i'aposlille
qui suit :
« Sy gesteit in handen van den procureur generael, oni den
selven gehoort, voirts geordincert te wordenc naer behooren.
« Acium in den raede van Brabant, den lesten junyxv"^ xcviij. »
Ainsi celle fois encore, grâce à la modération du con-
seil de Brabant, Baxius fut déçu dans ses espérances.
Le dossier d'où sont tirés les renseignements qui précè-
dent étant incomplet, il ne m'a pas été possible de savoir
comment finit celle persécution.
L. G.
(1) Prison à Bruxelles.
88 —
l3tMia^ra^jl)ic muôtcale.
L'élude de la bibliographie musicale est une des plus
imporlanles parties de Tari de la musique, car elle en est
l'àme.
Malgré les recherches minutieuses des savants historiens
allemands, belges, français et hollandais, un grand nombre
de compositions musicales et de livres sur la musique sont
restés inconnus à nos biographes.
Nous faisons suivre une nomenclature de nombreux ou-
vrages, qui, nous l'espérons, sera consultée avec intérêt
par les artistes et les historiens.
On comprendra combien il a fallu de recherches pour ce
travail, qui contient une foule d'œuvres restées inconnues.
Les Odes de Pierre de Ronsard, mises en musique par
Pierre Clercau, à Paris, 1596. Et livre des trios d'Arca-
delt, à Paris, 1588.
M. Fétis mentionne Clereau, mais l'œuvre précitée lui
est restée inconnue.
Les cent cinquante Psaumes de David, mis en musique
par Claude Le Jeune, à Paris, 1501.
Le Jeune, de Valenoiennes, était compositeur de la
chambre du roi.
Airs mis en musique, par Johan Planson, à Paris, \ 595.
M. Fétis cite ce compositeur, mais omet son livre.
— 89 —
Airs de Court, mis en musique « 4, 5, 6 et 8 parties,
par Denis Caignet, à Paris, 1597.
Même remarque pour celle œuvre.
Les Psaumes Oe David, mis en musique à quatre et cinq
parties, par Claude Le Jeune. A Genève, par Jean de Tour-
nes, 1627.
Ce livre est accompagné du porlrail de Le Jeune, el d'un
second portrait, qui est, croyons-nous, celui du roi de
France. 11 est dédié à Mgr le duc de Bouillon, prince sou-
verain de Sedan, etc.
Nous y trouvons l'épitaphe de Le Jeune sur l'anagramme
de son nom :
Après auoir en ces accords
Ravissants les cœurs par l'ouije,
Esgalé des célestes corps
L'harmonieuse mélodie :
Affranchi du mortel lien
Qui lenoit son âme arreslée,
Claudin ceste terre a quittée
Pour eslre au ciel un Delien.
\\. E.
Le Jeune fut un des meilleurs artistes de son temps.
Couranten voor een hoogsle en middelsle geluid, van
J. Foucart. Sans date.
Allemande, par Constantin. Paris.
Courante, par le même.
Constantin vivait à Paris au XVII^ siècle.
Adriani Wilaertz musici, sex vocum moteltœ (vt vulgo
nuncupantur), impressœ sunl Venetiis upud Anloniunt
Gardonum, anno Domini 1S42. Eiusdem et jacliet Psalmi
vespertini omnium dierum feslorum per annum, quatuor
vocum, impressi Venetiis, \oo7 .
— 90 —
Andrew Peuernagi (Pevernage, maître de chapelle, à
Anvers), Corlracensis, cantiones aliquot sacrœ, sex, seplem
et octo vocum, quibiis addila elogia nonnulla versibus ex-
pressa Lalinis, tam viva voce, quam omnis generis inslru-
mentîs cantala comtnodiss. In-4°. Anno 1578.
Gerardi à Turnhout. Tricinîa sacraruni et aliariim can-
tî'onum tam viva voce quam instrumentis commodissima.
Louanii, 1569 (P. Phalèse père).
Jacohi Regnasci Flandri, Miisîci S. C. M. Imperatoris
Rodolphi secundi. Cantionum llalicarum quinque vocum,
lib. 2. In-4". Norimbergœ, 1581.
Adhœc composiiit sacras aliquot cantiones, quas motetas
vulgus appel lat quinque et sex vocum. k. Monachii. Eiiis-
dem suauissimarum Germanicarum cantionum trium vo-
cum, tomus primus, seciindus et tertius. Norimbergœ.
Madrigali di Rinaldo del Melle, a 6 voci, scilicet alto,
tenore, canto, quinlo, scslo et basso.
Anvers, 1588.
Cet artiste naquit en Belgique vers 1550 et décéda pro-
bablement à la fin du XVI'' siècle.
Chansons de Pevernage à 6, 7 ef 8 parties, scilicet supe-
rius, ténor, contra-tenor, quinto pars, sexta pars et bassus.
Pevernage était maître de chant à la cathédrale d'An-
vers, en 1580.
Jaches seu Jacobi Werth, musici suavissimi, modulatio-
num sacrarum quinque et sex vocum libri très, in nnum
volumen redacti. ^1-4". Norimbergœ, 1583.
Recueil d'airs et romances avec guitare, piano ou harpe,
par Jacques Kafka, professeur de musique à Gand.
l*"" Recueil. A Paris et à Gand, chez les éditeurs et
chez railleur. — Gravé par Plouvier, à Gand.
— 91 —
Ce morceau a été publié du temps de l'Empire français.
Auteur et recueil inconnus de M. Fétis.
Le recueil est gravé par Plouvier, de Gand.
Les paroles sont de MM. Liégeard, C. Van Bemmel et
Ch. Malingreau.
Trois sonates pour clavecin avec ace. d'un violon et vio-
loncelle, dédiées à Son A Itesse Royale 1/™*= le D?ic Charles
de Lorraine et de Baar, etc., composées par Fer. Staes,
œuvre premier. Gravées à Bruxelles par M. Van Ypen,
rue de Magdelaine.
Il y a une dédicace au duc de Lorraine et une belle gra-
vure pour titre.
Ces œuvres datent d'environ 1780.
Idées de campagne pour le clavecin avec ace. d'un violon,
violoncelle et deux cors, dédiées aux Dames. Composées par
Ferd. Staes. Œuvre VII. A Bruxelles, MM. Van Ypen et
Mechtler. A Paris, chez Cornouaille.
Pot-Pourri arrangé pour le piano, par J. J. Plouvier;
à Gand, chez Plouvier, et à Paris, chez Doisy. Œuvre l"^"".
Gravé par P. J, Plouvier.
Ce petit pot-pourri date du temps de l'Empire.
Six suites pour le clavecin avec violon, ad libitum, com-
posées par P. G. Van den Bosch. Œuvre IV. Paris, chez
Le Menu (Environ 1775).
Van den Bosch était organiste à la cathédrale d'Anvers,
depuis 1765 jusqu'à la fermeture des églises. Il mourut à
Anvers, en 1803.
M. Fétis, qui mentionne tant de médiocrités, n'a pas
connu cet artiste, qui jouissait d'une grande réputation.
On lui doit encore :
— 92 —
Concerto pour le clavecin, 2* œuvre. Paris, chezLeMemi.
IV Concerts pour le clavecin, œuvre II F. Paris, chez
le même.
Le Menu a publié plusieurs pièces de musique de Schwiii-
del, Kennis et autres auleurs connus.
6 Quatuors, op. 1. Composés par Michaels. Amsterdam,
chez J. Rummel, 1788.
Oranje Hof {het princelyke), cîerlyk beplant met oranje
gezangen, opgezongen ter gelegenheyd van de verheffîng van
zyn Doorl. Hoogh. den Heere Prince van Oranje, enz.,
tôt Erf-Stadhouder kapiteyngeneraal. Drie stnkjes,'s Gra-
venhage, by Pieter Servaas, 1748, 10-8". Door Frans Piton.
Pilon élail organiste à La Haye.
Artiste et livre restés inconnus à Gerber, J. Wallher,
Schilling et Félis.
Vyf baletten door P. D. Pers.
Pers appartient aux Pays-Bas. Peut-être même est-il de
cette famille Pers, de Bruges, dont un des membres a été
anobli et gratifié du titre de baron par le roi Guillaume.
Date inconnue.
Fantasia, gemaekt ter eere der E. E. Juffrouw Adriana
Van den Bergli; door P. D. Pers.
Balletten, eerste Ballet van B. F. De Bruin. Date in-
connue.
Cet auteur appartient à la Hollande.
Frans Air, 2 variatien van J. Dix.
Jean Dix était carillonneur du Dom, à Ulrecht, et rem-
plaça, en 1657, J. Van Eyck.
Il décéda vers 1669.
— 93 —
Carilenen, Comarjaeti, aile met Iwee geluide», van C. Kial.
Roger el I^e Cène, son successeur, onl publié des contre-
danses de Kist.
Kisl appartient à la Hollande el vivait au commencement
du siècle dernier.
Suites pour clavecin, par Overing de Popma. Àinster-
dam, chez E. Roger. Vers 1 720.
Polonaise pour le piano-forle, composée pur Melchior
Zwanefeld, et dédiée à 3P^^^ la Baronne de Zuylen de Ny-
velt. Amsterdam, chez J . J. Hummel.
Ce morceau, d'un compositeur resté inconnu, plail par
son style élégant.
Naainvkeurige verhandelingen van de eersle iiitvindingen
en uitvinders, enz., door Henrikus Wiuerda. Amsterdam,
bij Pieter Alderweereldt, 1733.
L'ouvrage, en petit format, est pourvu d'une jolie plan-
che en gravure el d'un éloge en vers, adressé à l'auleur,
signé : Ex tempore. Voici les chapitres qui onl rapport à
la musique :
XIX. Van de Fluiten.
XX. Van de Trompetten.
XXI. Van de Orgelen.
Ce chapitre offre beaucoup d'inlérét.
XXII. Van de Waterorgelen.
XXIII. Van't Klokkenspeelen.
XV. Van de Zang-Konst.
XVI. Van de Sang-Nooten.
XVII. Van't Musijk.
XVIII. Van de Speelkonst en Muzijk-instrumenten.
Wiaerda était clerc-juré du secrétariat de Schoolerland.
C. Van Eekes koninklijke Harpliederen, vercierd met
— 94 —
prœ-en postludium. Gecomponeerd door den wijdberoemden
Muzecijn Joann Schenk. Opéra qiiarta.
Geschikt om te kunnen zingen of spelen. Worden ook
verkogt by de Erfrjenamen van J. Lescailje, toi Amsterdam.
— Sans dale.
Schenk naquit vers 1620, il habitait Amsterdam et y
mourut probablement à la fin du XVII^ siècle.
Son frère Pierre, graveur à Amsterdam, a gravé le por-
trait de Jean Schenk.
6 Trios, op. 1, par André Van Tellinrjen. Amsterdam,
1782, chez J. Hummel.
Psalmen Davids in nederduytschen Ripncn gesteld met
sang en noten, door Arnoldus Van Overbeek (Vers 1660).
Ce savant naquit vers 1630 et vivait à Amsterdam entre
1663 et 1678.
Quartet voor davecimbel, twee violen en alto.
3 Trio' s voor davecimbel, door Verbriiggen.
Ces œuvres sont éditées à La Haye, en 1784.
Compendium mnsicie, p. François Schooten.
Schooten, philosophe à Amsterdam, vivait en cette ville
de 1627 à 1651.
Il était maître du célèbre Constantin Huygens.
Canzonello amorose a una, diici , tre voci, raccolta da
G. Van Geertsom. In Rotterdamo, appresso Giovanni Va7i
Geertsom, del ensegna de la Régna di Polognna, in de Meu-
lesteegh, 1656. ^1-4°.
Ce livre contient 16 pièces à 2 et 3 voix, dont plusieurs
de Di Marco Aurelli.
Il est dédié à Reinier Groenhout.
Autour et ouvrages restés inconnus aux biographes.
— 95 —
Les récréations tV Apollon ou les trois symphonies, à deux
violons, taille et basse, deux /lûtes et deux cornes de basse,
tirés des meilleurs opéras français, par B. Ruloffs, organiste
à Amsterdam. Partie I. A Amsterdam , chez J. J. lliim-
mel, 1787.
Le titre représente un orchestre, un flûtiste, un violon-
celliste et une cantatrice.
Troisième recueil d'ariettes arrangées pour le sixtre ou
guitarre anglaise, dédié à M. J. F. Cellier, docteur en
droit, etc., par D. L. Van Dijk. A Amsterdam, chés C édi-
teur D. L. Van Dijk.
Ce recueil contient plusieurs romances pour chant et
sistre. 11 a 29 pages, et la notation en est très-propre.
Il y a plusieurs pièces pour le sistre seul, entre autres :
Vaudeville de l'opéra den Coopman van Smirna, Me-
nuetto, Rondeau, par Fischer, et Marche de Colizzi.
Nous ne saurions préciser la date de la publication de ce
livre, resté ignoré jusqu'ici.
Le pont de la Veuve, paroles de M. Florian, musique de
Adrien Vaine. Paris, chez Imbault.
Adrien naquit à Liège, et cette œuvre a été publiée
vers 1790.
Gvlde-Jaers Feest-Dagen of den Schat der geestlijckc
Lof-Sangen.
Gemaeckt op elcken Feest dagh van^t geheele jaer. Door
den eerw. Heer J. S. V. W. Tôt Anlwerpen, by Jan Cnob-
baert, 1635.
L'auteur est Jean Slalpaert, V. W. Ce livre, en pelit
in-4o, n'a pas moins de 1292 pages, avec un nombre con-
sidérable de chansons à une voix.
A la tin du volume, il y a une série de vers flamands avec
des Madrigali de Luca Marenzio. Puis suivent des Madri-
- 9(') —
gali en poésie flamande, sans musique, avec indication
des compositeurs.
VI Sonates à 2 violoni, violoncello e basse, par G. De
Swaen. Amsterdam, chez E. Roger.
Maendelijkse Musikaels tijdverdrijf, beslaende in nieiiwe
Bollandsche canzonelten of zang-liederen op d'Italiaensche
trant in 'f Musiek gebragt, met een basso continue; meede
zeer bekwaem om op de clave-cimbael, viool, duars-fluit,
Haine en andere Instrumenten gespeelt te worden. Gecompo-
neert door A. Mahaut, en in Diglniaat door K. Elzevier.
Ouvrage bien soigné, contenant 100 chants à une voix,
avec basse chifl'rée, et quelques morceaux à deux voix.
Voici les paroles d'une de ces chansons de ce livre, im-
primé à Amsterdam, chez Olopen, vers 1730.
MINNE-KLAGT.
G Beek waer ik in Iraneii slort,
Aen uwen groenen kanl gezeten,
Laet my, door snel te vloeyen weten,
Of zy doop my bewogen wordl!
Myn Fillis Iraclit myn min le ontvluclilcn,
Zy spol met mynen leedren gloed,
Voer heen, ô Beekje, myne zuchten,
Gelyk gy myne tranen doet.
Maer ach ! ik zucht en ween om niet.
Wat is my in dees' staet geboren,
Een ongelukkig lot beschoren !
Ik smoor, lielaes ! in ziels verdriel !
G Fillis, zoo gy blyfl verachlcn,
Een ziel die u zoo teêr herainl.
'k Slrooi dan vcrgeefs myn droeve klagten
En billre zuchten in den wind.
Q. Horatii Flacci odae IV et alia ode in lavdem miisicœ
descriplœ modis mvsicis, vocis et instrvmenti dicti piano-
— 97 —
forte, etc., a Ch. Fr, Rvppe, mvsicale in hac Academia
directore. Lvgdvni Batavorvm, svmtibiis avctoris, 181 G.
A . Wijstnan, seul psi t.
Ce recueil, resté inconnu, conlienl cinq airs et duos.
Marches funèbres en Vhonneur de Frédéric de Mérode,
mort pour la patrie le 6 novembre 1 850, composées pour
les obsèques de M. le comte de Mérode, par C. J. Tuer-
linckx, 1830.
Ce morceau est composé pour liarmonie militaire. Le
litre est arrangé avec beaucoup de goût.
De Zang- en Speelkonst in haar nutlig gebruik en scha-
delijk misbruik, door M. Arkenbout. Haarlem, J. Bosch,
1771, in-8".
Grondig onderwijs in de Gregoriaansche choorzang of
chooraal, door J. Jurrns. Amsterdam, bij F. J. Van Tel-
roode, 1789, in- 4°.
Les principes du clavecin, par de Saint-Lambert. Am-
sterdam, chez E. Roger.
Date environ de 1720.
Handleiding tôt het grondig aanleering van het kerk-
gezang, door W. Oudshoff. Rotterdam, 1822, bij Mensing,
Het Boeck der gccsllijcke sangcn. Amsterdam, Stichter,
1688. — Anonyme.
Gezangen van St-Peters-Orde, Amsterdam, 1781. —
Anonyme.
Latijnsche Hijmnen, muzijk van C. F. Ruppe. Rotter-
dam, Thomson, 1810.
Liederen van den huislijken godsdienst. LIaarlem, 1804.
— Anonyme.
— 98 —
Mengeldichlen in rjezangen, op muzlek gcbragt door
J. Verschuo-e-Reijnvami. Vlissingen, bij Briiijn, 1731.
Oude en Nieuwe Hollantse Boeren-Lieljes en Conlre-
dansen, bestaande uit zestien deelen. Tiveede druk. Tôt
Amsterdam, bij Estienne Roger en Michel Charles Le Cène.
Dale environ de 1725.
Vermeerderde Zeede- en Harpgezangen. Amsterdam, bij
Kliimper, 1753.
C'est la 3^ édition.
Nut en dienslig Zangbockje. met eene cierlyke groote noot,
de eerste vaarsen der Psalmen Davids, Lofzangen, en extra
veele Geeslelijke Liederen, bequaam gemaakt voor die de
gemelde Psalmen Davids gelieven prompt op nooten te lee-
ren, kost \^ stuivers, Amsterdam, by A. Olofsen, 1756.
Edouard Gregoir.
{Vonr être continue).
— 99
Cljrontquc hcô 2lrtô et îic5 Sciences, et \^avUté$.
Le Watergrave de Flakdre. — Un des oflicîers du comle, de Tordre judi-
ciaire, avait l'intendance des chemins, des eaux et des marais, c'était en
quelque sorte un ingénieur en chef; cet ofiicier était le walergrave en mocr-
7nc(:ster ou comte des eaux et mnilre des marais; il résidait à Gand. Il avait
en sa charge les eaux, rivières et chemins, les oiseaux aqualiques, sauvages
ou privés, entre autres les cygnes; devait empêcher, à peine d'amende, qu'on
ne leur fit du tori; baillait en arrentemenl les bruyères, terres vagues, che-
mins trop larges et moeres ou marais du comtCj fixait et percevait les droits
dus pour l'extraction de la tourbe, etc. Cet office fut de tous temps desservi
par des gentilshommes, écuyers ou chevaliers; le plus ancien que l'on con-
naisse qui fut revêtu de cette charge, fut Roger van Herlsberge, en 1298;
en 1341, un Guillaume d'Artevelde, que l'Espinoy appelle un noble gentil-
homme, était walergrave de Flandre; en 1434, c'était Jean Utenhove, d'une
famille des plus distinguées de Gand; le premier il eut, avec son titre de
walergrave ende mocrmecsler, celui de conseiller du prince. Après lui, tous
ces officiers portèrent ce titre, et furent autorisés, comme tous les con-
seillers, à faire précéder leur nom de l'appellation hcere ende meesler. Il fut
un temps cependant, où on voulut leur dénier celle qualité; c'était vers la
fin du XVII<^ siècle, alors que Jacques de Bernage, conseiller du roi, était
watergrave. Cet officier s'en plaignit au souverain, et celui-ci publia un édit
en vertu duquel il reconnaissait au walergrave et lui confirmait le titre de
hecre ende meesler; voici celte pièce :
« Sur la remonslrance faicte au Roy de la part de Jacques de Bernage,
conseiller de S. M et son walergrave et moermeestere de Flandres, qu'il est
dict au 17^ art. de l'inslruclion dudict office, que le suppliant at et aura tiltre
de honeur de conseiller de S. M. et bien qu'ensuille il est tout notoire que
ledict honeur est tel qu'il soil attribué à tous conseillers, et nommément à
ceux de justice, tel qu'est ainsy le suppliant, celuy de liecre ende meesler, ce
nonobstant aucuns laschcnl de l'en priver, à prétexte de la non déclaration
précise de l'intenlion de Sa Majesté sur ce subjecl, cause qu'il a très hum-
blement suppliée sadicte Majesté estre servie de déclarer qu'au suppliant, à
— iOO —
cause (lu lilie de conseiller susJict, doibl cslre attribué le prénom d'iiou-
neur de hcere ende meexler en tous actes publicques quelconques, si bien qu'es
autres sans différence, Sa Majesté ce que dessus considéré, et en sur ce l'advis
des président et gens de son conseil de Flandres, inclinant favorablement à
la supplication et requesles dudict suppliant, luy a permis et permet par
celle de sa qualité heerc ende meestcr, ordonnant à tous ceux qu'il appartien-
dra de se régler selon ce, sans aucune difficulté. Faicl à Bruxelles le
17 may 167â. »
Le watergrave avait anciennement aussi l'inspection des digues et wale-
ringues; mais cette attribution lui fut enlevée en 1554, par l'ordonnance
décrétant l'établissement d'un intendant des digues, dykgrave ou comte des
digues.
Cette ordonnance stipulait que l'acheteur d'une motr devait payer au
moermeeslcr une certaine quantité de vin {!).
Emile V
L'Hospitalité belge.... d'autrefois. — Nos maîtres espagnols n'aimaient
point les Français, mais, quand ceux-ci étaient des liuguenots fugitifs, ils les
traitaient en criminels. On allait, par peur ou par amour pour la « neutralité
belgique, «jusqu'à emprisonner nos compatriotes coupables de sympathie ou
d'assistance envers les innocentes victimes de la révocation de l'Edit de Nantes
de 168a. En voici un témoignage aussi tristement éloquent qu'authentique :
« Monseigneur, écrit le colonel Vander Piet, gouverneur de Nieuport, au
.) marquis de Gastanaga, gouverneur-général des Pays-Bas espagnols, sous la
» date du i avril 1686, je suis obligé de donner part à Votre Excellence que
» deux bourgeois et l'artificial de ceste ville ont voulu faire accord avec un
» François, pour mener à mon insceu, et sans m'avoir donné cognoissance,
«quelques François religionnaires d'auprèz de Gravelines, en Angleterre,
«ayant voulu à cest effet débaucher quelque poissonnier de ce port pour les
» transporter avec leurs meubles; et comme ceste affaire auroit pu causer
«quelque trouble au préjudice du Roy ou représailles, j'ay trouvé à propos,
«après avoir pris l'advis de messieurs du magistrat de ceste ville, de les
« faire tous mettre en prison. L'on est empesché à prendre des informations
» à leur charge et ne manqueray, si tost qu'ils me les auront mises es mains,
» de les envoyer à Votre Excellence. Sur ce, en attendant l'honneur de ses
«ordres, je me dirai avec un très-profond respect de V. E. le très-humble
.. et très-obéissant serviteur. „ p^^^^^ y^^„^„ p,„_ „
(1) Voir sur les Wutcrgravcn, l'Espinov, p. 194 et suiv.; MAncHAMiiîs,
p. 105; Dode Placcaelboek van Vlaeiideren, p. 206; ^VAR^K0EMG, Hist. de
Flandre (trad. de GheldolC), t. 11, p 47; Bibl. Garni., MS. n» 139, fol. 15.
— 401 —
L'original se trouve à Bruxelles aux Archives générales du royaume.
Conseil d'Élat, cart. 8i.
Quinze ans plus tard, en 1701, et à l'autre exlréniité de la Belgique, à
Sorinne, village situé sur la rive gauche de la Meuse, à une lieue de Dînant,
on arrêta cinq hommes el cinq femmes, originaires du Périgord, venant avec
leurs hardes et bagages chercher un refuge sur notre sol. Le mayeur de
Sorinne les avait dénoncés, et le gouverneur de la province, comte de Bruay,
« à l'instance el réquisition » du lieutenant criminel Ximenès, les avait fait
conduire dans les prisons de Namur. Ces pauvres gens étaient en grand
danger d'être reconduits à la frontière de France, lorsque le conseil provin-
cial de Namur prit fait et cause pour pour eux, bien qu'ils fussent de mé-
chants hérétiques destinés à ramer sur les galères du grand Roi, et les re-
commanda si chaudement à la bienveillance du conseil d'Etat, que, par un
reste de pudeur, on les rendit à la liberté. Comme d'ordinaire, la Hollande
fit bon accueil à ceux que la Belgique repoussait. Ces deux exemples suffisent,
croyons-nous, pour faire voir quel était le respect de nos maîtres étrangers
pour le droit d'asile, pour les statuts et franchises du pays.
X.
Droits du Fauconnier de Flandre. — Faire attaquer le héron, le canard,
le lièvre et autre gibier par le faucon, était anciennement un noble et royal
plaisir. Cette chasse était d'autant plus en estime, que le faucon était un
oiseau farouche, difficile à dresser et qu'il coûtait fort cher; il en est ainsi
de tous les délassements dans tous les temps. Cette mode dura aussi long-
temps que la vie de château; tout seigneur riche voulait avoir sa fauconnerie
et il lui en coulait gros. Louis XI, qui était avare, ruinait le peuple avec ses
chiens et ses oiseaux, dit Mézerai. Les faucons venaient de Suède, de Nor-
wége, de Chypre, de Turquie; les Flamands étaient presque toujours les
entremetteurs de ceux qui venaient du Nord; nous le voyons dans un journal
de dépenses d'Henri IV, de l'année 1599 (1), où il est dit qu'il paya 160 écus
à « Jean de Cassel, faulconnier flamand, pour son payement de six faulcons
et quatre sacretz (2); » et ailleurs à « Josse Martin, aussy faulconnier flamand,
la somme de cent dix escus, à luy ordenez pour son payement de trois ger-
fauts et un tiercelet (3). »
(1) Bibl. Garni., MS. n» 161.
(2) Mâle du sacre, oiseau de proie employé dans la fauconnerie.
(3) Le gerfaut est encore un oiseau de proie qui s'employait comme les fau-
cons. Le tiercelet est le nom que portail le faucon niàlc.
— 102 —
Le roi faisait royalemenJ les choses et payait bien; les seigneurs voulant
faire comme le roi, payaient aussi parfois sans marchander, mais parfois
aussi inurciiandaient et prenaient sans payer.
Ce noble plaisir tomba dans un complet discrédit sous Louis XIV, qui
préférait la chasse aux cerfs; les grands et les courtisans firent comme le roi,
et bientôt on ne parla plus ni de faucons ni de fauconnerie.
La fauconnerie occupait un grand nombre de personnes; elle avait chez
les rois et les princes, toute une organisation : à la tête se trouvait le grand
fauconnier, qui avait la surintendance sur tous les officiers de la fauconnerie,
qui étaient nombreux, les chefs de vol et autres employés, et pourvoyait à
leurs charges. En France, il prêtait serment de fidélité entre les mains du
roi et jouissait d'un grand nombre de droits et de prérogatives.
Le plus ancien et le plus curieux ouvrage sur celte matière, est le Livre du
roy Modm, composé en français en 1328. Les anciennes éditions en sont
fort rares; la bibliothèque de Paris en possède un manuscrit, qui a été réédité
en 1839, par IM^ Ehéar Blaze, en caractères gothiques, avec cinquante gra-
vures, faites d'après les dessins originaux du manuscrit.
Les comtes de Flandre avaient leur fauconnerie comme les rois de France.
Nous avons trouvé dans un manuscrit de la Bibliothèque de Gand, marqué
n" 139, fol. 32 v», l'ordonnance qui règle les droits du fauconnier de Flandre
sous les ducs de Bourgogne. Nous croyons intéressant de la reproduire :
« De par le duc de Bourgogne, comte de Flandre, d'Artois et de Bourgogne.
» Nos amez et féaulx, messire Franchois de Ilaveskerke, maistre faucon-
nier de nostrc pays de Flandres, nos a envoie par escript certains droiz en-
cloz dedens cestes, qu'il disl appcrtenir à l'oflice de la fauconnerie de nostrc
dict pays de Flandres, et avoir et estre ameneiz par ceulx qui les doivent, et
sont refusans de les payer; si vous mandons que vous enquerrez diligemment
des ditz droitz et qu'ils doivent appcrtenir en noslre dicte fauconnerie, et
si avant que vous les trouverez estre, et qu'on en ait cédé en temps passé,
mesmement du temps de feu noslre très honoré seigneur et père le comte de
Flandre cui Dieux perdoinl, les garder et en faictes faire exécution et con-
traindre ceulx qui y sont tcnuz à payer ce qu'ils en doivent, si avant et par
la manière que vous verrez que sera à faire de rayson, et se vous y faissiez
aulcune double, cela nous rescrivez, et en quoy avecques voslre advis sur
ce, afin que nous y puissions pourveoir ainsi que nous verrions que y ap-
pertiendra de rayson, Nostre Seigneur soit garde de vous; escript à Conflans,
le septiesme jour de novembre, soubsigné Gehbode. »
Et sur le dos : « A nos amez et féaulx les gens de nostrc con.seil de Lille. »
Sous : « Collalionné avecque certaine lettre missive gardée aux Chartres de
— 103 —
Flandres et liouvc acordcr par moy I/ermcs de Winghme, conseiller cl
maislrc de requesles en privé conseil du Roy cl trésorier des ditz Chartres
de Flandres. — Signé : Hermès de Wingiiene.
» Concorde avec ladicte copie. F. Van Hule. »
Voici quels étaient les droits énumérés par le sire de Ilavcskerkc :
« Clic sont les droiz appertenans au maistre fauconnier de Flandre.
«Premièrement, ledict fauconnier doit eslre retenuz à Monsieur e quatre
ehcvaulx el doit avoir son fauconnier et ung cheval.
» Item, doibt avoir ledict maistre faulconnier chascun an ung cheval bon
et souflisant pour son corps.
» Item, doit avoir ledict fauconnier deux cens livres tic gaigcs, monnaie
de Flandres.
» Ilem» doit avoir deux fors faucons cl deux faucons muez el quant il
luy plaist, pcult aller en Flandre avecque les fauconniers de Monsieur sur
les abbayes de Flandres, deux, trois, quatre jours, el tant qu'il luy plaist.
» Ilcm, doil audicl fauconnier l'abbaye de Dousl donner chascun an deux
draps souiHsanl pour veslir les fauconniers de Monsieur.
» Item, si aulcuns marchans d'oiseaulx viengent au pays de Flandres par
terre ou par mer, qui apportent faucons ou aultres oiseaulx, ledit fauconnier
les peut arrestcr et prendre le chois pour Monsieur pour le prys du marchant.
» Item, si aulcun débat vient entre marchans doiseaulx demourans ou pas-
sans par ledit pays de Flandres, ledict fauconnier en doibt avoir la cognois-
sance.
» Item, chascune abbaye de Flandres qui font couroyer cuir, doivent audicl
fauconnier une douzesne de cuir pour faire ehaprons et logeres.
» llem, doibt aussy chascun abbaye qui font couroyer cuir, une douzaine
de couroyes de cuir pour cornes et pour logeres.
» Item, toultefois que le seigneur ne va en rivière, il pcult prendre deux
ou trois faucons pour prendre son deduicl.
» Item, doibt ledit maislre fauconnier aux fauconniers toutes choses né-
cessaires pour leurs oyseaulx, aux frais et coulz de Monsieur.
» llem, que si ung cheval est malade qui soit au maislre fauconnier ou à
Fung des aultres fauconniers de Monsieur, il le peult envoyer à une des dites
abbayes pour séjourner un mois ou environ.
i> Item, si ledit maislre fauconnier a lévriers pour rivière, le seigneur luy
doil bailler pain pour lesdils lévriers.
» llem, doivent à Monsieur lesdis baillis de Bruges, Gand, d'Ypres, de
Fournes, de Courlray el du pays d'Alosl, chascun ung esprevier au jour de la
mi-aousl, cl en cas qu'ils ne paycnl ledit esprevier audicl jour, ils doivent ung
— 104 -
faucon soit à le Sainct Remy, et au cas que ils ne payent ledicl faucon ils
doivent ung livre de gros. ^
«Item, que tous oiseaulx trouvez qui que les trouvoit, soit genlilhomes ou
aullres, doivent eslre apportés au maisire fauconnier pour rendre à ceux à
qui il appartiendra. »
« C'est l'ordonance des tendeurs de Monsieur audict pays de Flandres :
» Premièrement, pour chascun faucon surpris aux tentes de Monsieur, le
receveur doit payer au tendeur vj livres monnoie de Flandre.
» Item, du faucon mue de haye tenant le soir, ledict recepveur doit audict
tendeur cinq livres de lad. monnoie.
» Hem, du faucon qui ne tient point de soir, ledicl recepveur doibt trois
livres de lad. mon. aud. tendeur.
»ltem, du tircelet pris aux dictes tentes, ledict recepv. doibt audict ten-
deur deux livres de lad. monnoie.
» Item, d'un laneret pris aux dictes tentes, ledit recepveur doibt audict
tendeur trois livres de ladicte nionnoye.
» Item, d'un lanier comme dict est, ledict recepveur doit deux livres de lad.
mon., si ledict tendeur lui apporte lettres comme ledict fauconnier ayt reçeu
lesdits oiseaulx.
» Hem, tous aultres oiseaulx prises aux dites tentes sont aux tendeurs,
excepté les hoslers.
» Item, au commencement de tendre, chascun desdits tendeurs doibt avoir
trois frans pour ses notes et despens.
» Item, ledict maistre fauconnier peut mettre à chascune tente tant de
tendeurs comme il luy plaist.
» Hem, le tendeur qui tend en Vesterloo, doibt avoir ses despens en l'hoslel
aux maistres de Vesterloo des premiers jours d'aousl jusque en la feste de la
Sl-Remy.
» Hem, Monsieur doit payer les dons au tendeur de Vesterloo, qui valent
huyt frans.
» Soubz esloit escript comme s'ensuyt :
» Collationné aux articles escripts en papier gardés aux chartes de Flandres
et trouvés accorder pour raoy Hermès de Winghene, conseiller et maistre de
requesles au privé conseil du Roy et trésorier desdits Chartres de Flandres,
et signé Hermi^s de V^inghene. »
Emile V....
L'ErÉE DE Jean de Weert. — Cette relique militaire, qui serait mieux à sa
place au Musée de la porte de liai, à Bruxelles, se trouve au palais Madame,
à Turin. Elle y est cataloguée sous le n" 983. Y tient-on beaucoup? Nous
— 105 —
ne savons, mais il nous semble que le gouvernement belge pourrait té-
moigner le désir d'obtenir ee souvenir d'un de nos plus glorieux compatrio-
tes, en échange d'objets ayant appar(enu à Philibert-Emmanuel, à Thomas
ou à Eugène de Savoie. L'épée en question est damasquinée d'or, illustrée de
dessins et d'emblèmes guerriers et couverte d'inscriptions. L'une d'elles lait
allusion à la bataille de Noerdiingen :
Graf Johann von Werth hat niich zuin Sfrcite erkoliren ,
Der ofll victorisicrt, gar weinig mal verlohien;
Zum Streit wahr nur in Feldt, mich liess nie von der Scitlicn,
Doch muss er endlich auch gefaiigen in Frankreicli reitlien ,
Zeith wàlirend sein Arrest war ihui Koenig- geneigt
Dndt llberiert ihn fur seine ganzc Tageszeith ;
Wass er gewusst recht geschwind und wohl belracht,
Dass cr an dem Tage scchs Tausend niedergeniacht.
On y voit aussi la marque, le numéro d'ordre de fabrique et la signature
du fabricant, Abraham Clauberg, de Solingcn.
C. A. R.
Tombes celtiques de l'Alsace, par Max. de Ring. — Le baron Max. de Ring,
notre collaborateur assidu, est avant tout un savant archéologue; son esprit
d'investigation s'est surtout exercé sur les monuments bien rares, qui nous
sont restés des premiers habitants de l'Europe occidentale.
A son instigation, le comité de la Société pour la conservation des monu-
menls historiques de l'Alsace entreprit les premières fouilles pour découvrir
les liimnli que lui-mcmc avait signalés. Malheureusement, après quelques
heureuses trouvailles, on se borna à recueillir le peu d'objets renfermés dans
les tombes, au lieu de rechercher et d'étudier par leur moyen les croyances
et les habitudes du peuple dont ces sépultures sont les derniers vestiges.
En effet, les tombes celtiques sont le seul moyen qui reste à l'archéologue
pour refaire l'histoire des établissements de ce peuple primitif; pour parve-
nir à ce but, il faut non seulement consulter le gisement de ces tombes,
mais examiner ce qu'elles renferment, et bien se rendre compte d'un grand
nombre d'autres détails, comme leur orientation, leur construction, etc.
« Il est permis d'admettre, dit le baron de Ring dans son quatrième fasci-
cule, que ceux qui donnèrent leur nom à ces montagnes, aux nombreux ha-
meaux qui se groupèrent dans la plaine, aux torrents qui la parcourent, ont
aussi laissé leurs ossements sous ces tertres. C'est le tlernier témoignage de
leur séjour ici-bas. »
« Nous croyons donc, ajoute-t-il, avoir rendu service à la science histori-
— 106 —
que, en exliumant de ces lumnli ce que la civilisation gauloise des premiers
siècles de la domination romaine dans ces conli-ées y a laissé en dépôt, et
en indiquant dans cet aperçu historique d'après les données que ranliquilé
littéraire nous a conservées, la population que ces tertres renferment. »
Un grand nombre de noms facilitent la reclierclie de ces clablissemenls et
par conséquent celle des sépultures; la population germanique de l'Alsace a
conservé beaucoup de dénominations de ces temps reculés, mais défigurées;
ainsi des monuments funéraires, des fosses, etc., sont attribués aux Iluns,
tandis qu'ils devi-aient l'être aux Celles; par exemple, Fliinnegrœber et
d'autres.
Les volumes du baron de Ring, outre leur valeur scientifique, joignent
l'agréable à l'utile, en présentant à la vue une véritable typographie de luxe
dans leur format grand in-folio, et de superbes planches, la plupart litho-
graphiées, représentant la situation géographique des établissements, les
monuments, les bijoux et autres objets trouvés dans les tombes.
Emile V....
Le Père de Rcbens. — Feu M. Bacldiuysen van den Brink a publié en
1801 (V. I.cs Rubens à Sicgcn, La Haye. M. Nyhoflf, in-S», p. xlvi) une lettre
de Jean Rubens, ancien échevin d'Anvers, à sa femme, dans laquelle il avoue
être l'auteur d'une : Oraison ou remonslrance adressante à S. 31. au nom des
Estalz et peuple du Païs-Bas. Il ajoute avoir écrit ce document d'abord ea
italien, puis en français. Nous serions curieux de savoir si ce n'est point là
la plaquette vendue à Gand, en 1840, avec la bibliothèque Lammcns (nolltS
du 4^ vol.), sous le titre de : Supplication so im Namen aller evangclischcn
Kirchcn in Niderlanden an den Koenig auss Spanien umb gnacdigc ab and
Einstellung der vorhabenden Kriegsrucslung geschickl worden. Antorff, 1566.
R. S. V. r,
RÉPERTOIRE DE l'eNSEIGNEMENT POPtlLAIRE EN BELGIQUE (1). — LcS IcCtCUrS du
Messager des Sciences se rappellent peut-être le remarquable ouvrage de
M. Léon Lcbon, Histoire de renseignement populaire en Belgique, dont nous
avons rendu compte en 1868. M. Lcbon, que sa position de chef de la direc-
(1) Voici le titre complet de cet ouvrage : Instruction du peuple. — Ré-
pertoire historique, analytique et raisonné de l'enseignement populaire en
Belgique; Principes, législation, jurisprudence, faits cl statistique, par Léon
Lebon, chef de la direction de renseignement primaire au fliinistère de Tla-
lérieur. — 2 vol. in-S», Bruxelles, Muquardt, 1871.
— 107 —
tion de renseignement primaire met à même de connaître tout ce qui a
rapport à riustruclion publique, s'est déjà occupé de ce sujet dans difïéren-
tes publications, et bien qu'il traite toujours une même question, il parvient
à éviter la monotonie en l'envisageant sous toutes ses faces, en la dépouil-
lant complètement. Mieux vaut, en effet, ne s'occuper que d'une chose, mais
s'en occuper bien, que d'en effleurer un grand nombre.
L'auteur poursuit son œuvre par la publication de l'ouvrage dont nous
venons d'inscrire le titre en tête de cet article : après avoir considéré dans
ses travaux précédents et soiis ses différents points de vue, la partie théo-
rique de la question de l'instruction du peuple, il aborde le côté pratique :
dans les deux volumes de son Rcpcrtoire, il expose l'histoire, la législation
et la jurisprudence relatives au service de l'enseignement primaire. Ces deux
volumes ne comprennent pas tout l'ouvrage, dit l'auteur; ils n'en forment
que la première partie, qui s'étend jusqu'aux écoles primaires inclusivement;
la suite paraîtra bientôt.
Dans cet ouvrage-ci plus encore que dans ceux qui l'ont précédé, nous
nous trouvons à même de juger l'auteur dans sa manière de travailler, et
nous sommes heureux d'avouer qu'après examen fait, nous n'avons que des
louanges à donner à sa méthode. C'est surtout par la méthode que doit se
distinguer un travail qu'on intitule Répertoire; le répertoire est une espèce
d'inventaire, un recueil où les matières sont rangées dans un ordre qui les
rend faciles à trouver; il lui faut donc une classification exacte, une division
dont la lucidité et la clarté ne laissent rien à désirer, et qui permettent
d'embrasser l'ensemble d'un coup-d'œil et de détailler ensuite sans fatigue
les différentes parties.
Qu'on juge par l'exposé suivant comment M. Lebon a exécuté ces condi-
tions : le Répertoire de l'enseignement populaire est divisé en cinq Titres :
dans le premier, l'auteur expose les droits et les devoirs généraux en matière
d'enseignement, droits et devoirs des citoyens en particulier, de la famille
et enfin de la société; ce sont là les considérations générales et morales. Au
Titre II commence la loi positive; il est intitulé ; Législation de Vensciiinemenl
primaire; législation à toutes les époques, depuis la période antérieure à
Cliarlemagne jusqu'aux projets du pouvoir actuel; c'est une revue aussi cu-
rieuse qu'instructive. Le Titre III traite de Vadministration, direction et sur-
veillance de l'enseignement primaire; ainsi on y voit, d'après les lois et les
instructions, quels sont les droits du pouvoir, et quelle est l'intervention du
clergé dans l'enseignement, les di'oits de la commune, de la province et ceux
de l'Etat, comment et par qui ces droits sont exercés et quelle était l'ancienne
législation au sujet du programme de l'enseignement primaire. Mais comme
— 108 —
il ne suffit pas de s'occuper de l'clève que doit former le mailre, il convient
aussi, et surtout, de s'occuper du maîlre lui-même et de la manière dont son
instruction doit être dirigée; c'est le but du Titre IV, intitulé : Enseignement
normal primaire, où l'auteur nous donne l'histoire des institutions normales
et détaille tout au long l'organisation des établissement normaux. Le Tilre V
et dernier s'occupe des écoles primaires, de la législation et de la jurispru-
dence administrative qui s'y ratlaclie.
Nous ne pouvons que féliciter M. Lebon de l'entreprise qu'il a commencée
et de la manière dont il s'acquitte de sa làcbe; l'instruction publique est
une question d'intérêt général, une question humanitaire, en même temps
que chrétienne; la principe de l'instruction est venu du Christ, qui a dit à
ses disciples ; Allez et instruisez; mais il faut instruire et se garder d'égarer.
Bien que la matière même du Répertoire présente un champ où les fleurs
de rhétorique prendraient difficilement, l'auteur est parvenu à la rendre
attrayante et a revêtu autant que faire se pouvait la nudité de son sujet
d'une forme littéraire.
Outre son utilité pratique, l'œuvre de M. Lebon présente un autre avan-
tage, c'est d'apprendre aux étrangers qu'en fait d'instruction, la Belgique
méritait mieux que l'oubli complet dans lequel l'ont laissée les volumineux
rapports du jury de l'Exposition universelle de Paris en 1867.
Emile V....
Un document relatif a la Conspiration des Nobles. — Lorsque la noblesse
belge s'unit pour conspirer contre l'Espagne, en 1632, Carondelet, doyen
de Cambrai, envoyé par l'Infante vers le roi de France, pour négocier une
réconciliation entre celui-ci et sa mère, sut si bien se laisser brouiller le
cerveau par les pensées ambitieuses qui lui furent inspirées à la cour, qu'au
lieu de traiter des affaires qui faisaient l'objet de sa mission, il servit bientôt
d'intermédiaire entre Richelieu et les seigneurs mécontents. A la suite de
celle ambassade, Richelieu donna des encouragements à la ligue et lui four-
nit de l'argent (1). Le doyen de Cambrai entraîna facilement de son côté
son frère Georges Carondelet, seigneur de Noyelles, gouverneur de Bouchain;
et celui-ci, tout en protestant de sa fidélité pour éloigner les soupçons, se mit
à servir activement le parti de la conspiration. Une occasion se présenta qui
lui parut favorablç pour frapper un grand coup en faveur de la ligue.
Au mois d'août, tandis que l'Infante avait assemblé à Bruxelles les cheva-
(1) Mémoires de Richelieu, coll. Pclilol, l. Vil, p. 128.
— 109 —
licrs de lu Toison d'Or, pour les consulter sur le parti à prcmlrc dans la
situation critique où se trouvait le pays, Georges Carondelet prétexta un
conflit entre lui et le prince d'Espinoy, avec qui, au contraire, il était par-
faitement daccord; il fit courir le bruit que le prince en voulait à sa vie,
parce qu'il était trop attaché à son prince. II prétendit qu'à cause de cela,
ainsi que pour le bien du pays, de la foi et de Taulorilé du souverain, il avait
besoin de s'appuyer sur des forces plus grandes que celles dont il disposait,
et fit entrer dans Boucliain un corps de trois cents soldats français. Il
comptait, au moyen de ce renfort, se maintenir dans celte place au profit
des conjurés. Mais comme ceux qui servent sciemment une mauvaise cause,
parviennent rarement à se disculper à leurs propres yeux, Carondelet
éprouva le besoin de justifier ce recours à l'appui de la France; il écrivit une
lettre aux magistrats de Valenciennes, dans laquelle il essaya d'expliquer
ses démarches; la voici :
« Messieurs,
» Par advis qu'on m'a donné qu'on me venoit assiéger en ceslc place,
qu'on avoit choisy un aultre Gouverneur que moy pour y mectre, qu'on at-
tentoit à ma vie que je ne poldrois perdre qu'avecq infamie, j'ay prompte-
ment cherché et trouvé le secours qui me garantira, avecq ce que j'avois de
la violence de mes ennemiz qui, pour une menée d'une cause particulière,
en ont pensé faire (à mon inlérest) une d'EsIat et criminelle. Je ne puis assez
admirer que, sans aulcun fondement ny apparence de vérité, on ayl peu me
charger et oullrager jusques à l'extrémité, et me réduire au terme du déses-
poir d'appeller secours estranger contre mon inclination. Je seray tousjours
prest de le quitter quand je me verray alfranchy de la persécution présente,
protestant, en oultre, de ne faire aucun acte d'hostilité que contre ceulx qui
se déclarront mes ennemiz, de laisser passaige libre par ceste ville et aul-
très lieux à tous marchands, voicturiers et aullres quclz qu'ilz soyent, allant,
retournant, séjournant en quelque façon que ce soit; que, si on pasee oultre,
je feray veoir ce que peult un couraigc résolu et oultre d'offence, mais ce ne
sera jamais que le bien du pays, de noslre foy et à la recognoissance et
auclorité de nostre souverain, estant clair, au dire des gens d'Estat, que le
nom de Roy se va abolir, la foy se perdre et le pays réduire en extrême
désolation. En ceste résolution, je continueray comme depuis deux cent ans
ont faict mes prédécesseurs; j'ay voulu vous faire veoir mon procédé dans
lequel je n'ay aulcun intérest que celluy que je vous ay dépaint. Je laisse en
arrière tous les discours que je poldrois vous dire là dessus pour vous asseu-
rer que je ne ciiangeray mais je demeureray.
— 110 —
>» iMcssicui's, elc, estant signe : CaronJelet, et cacheté de son caehet, adres-
sant à Messieurs du Magistrat de Valenciennes.
» De Boucliain, 17<=d'aougst 1G32 (1). »
Mais la tentative de Carondclel échoua, de même que toutes celles du parti
conjuré. Le duc d'Arschoot fut arrêté en Espagne; Carondelet, doyen de
Cambrai, fut pris à Bruxelles, et enfermé dans la citadelle d'Anvers, ainsi
que le prince de Barbançon; le prince d'Espinoy se hâta de gagner la fron-
tière de France; et d'autres seigneurs prirent également le parti de fuir.
Carondelet reçut trop tard l'avis que les détachements espagnols, forts de
six mille hommes et commandés par le marquis d'Aylona lui-même, s'avan-
çaient vers Bouchain. 11 voulut payer d'audace, alla au devant d'Aytona et le
reçut dans la place; mais aussitôt les soldats, exécutant l'ordre de leur chef,
se saisirent de lui; il voulut se défendre, tua quatre de ceux qui cherchaient
à l'arrêter, mais dut bientôt céder au nombre et fut assomme d'un coup de
crosse de mousquet (2).
Emile V....
NÉCROLOGIE. — La Belgique est frappée d'un grand deuil public par la
mort de M. le baron E. C. de Gerlache, premier président honoraire de la
Cour de Cassation, ancien membre des Elals-généraux, ancien président du
Congrès national et de la Chambre des Rcprésenta^nts, membre de l'Acadé-
mie royale de Belgique, grand cordon de l'ordre de Léopold, officier de la
Légion d'honneur, décoré de la Croix de fer, des ordres de Saint-Grégoire
le Grand et de Pie IX, elc , elc.
Avec M. de Gerlache disparaît une de nos plus grandes figures historiques,
car cet homme éminenl était l'expression la plus haute du grand citoyen et
du magistrat intègre. Le rôle que M. de Gerlache a joué dans la politique et
les destinées de son pays esl immense. Il s'était placé, par ses vertus et par
SCS talents, au premier rang des gloires belges les plus pures. Il était au
nombre de celte petite pléiade d'hommes courageux que l'on désigne sous
le nom de « fondateurs de notre indépendance nationale. »
Dans cette œuvre de liberté et de régénération politique, M. de Gerlache
a sans cesse élé au premier rang. Son aulorilé a été considérable dès son
cnlrée dans la vie politique, car à un grand talent il joignait des vertus sans
(1) Archives déparlement, de Lille; registre T, -49, pièce 68.
(2) Voir : Tu. Juste, Conspiration de la noblesse belge contre l'Espagne. —
Mémoires historiques el politiques sur les Pays-Bas, MS. n» 12G de la Bibl.
de Gand. — Mémoires de Riclielicu, coll. Petilol, t. VIF.
— ÎH —
lesquelles le mcrilc est presque toujours liénué de prestige cl d'cillicacilé réelle.
M. le baron de Gerlaclie élait ne à Biourge (Luxembourg), le 2G décem-
bre 1785. 11 a donc succombé à l'âge de quatre-vingt-cinq ans et quelques
mois. 11 était issu d'une famille anoblie en 1751 par Marie-Thérèse. Quant
à lui, il fui créé baron par le roi Léopold 1<^'', Je 20 août 1843, en récom-
pense des services considérables qu'il avait rendus à son pays et à la dynastie.
Le baron de Gerlache a laissé, dit-on, des mémoires trcs-inlércssants sur
les événements auxquels il a pris une part si considérable, et en particulier
sur la révolution de 1830. La publication n'en sera sans doute autorisée que
dans quelques années, à cause des personnalités qu'ils renferment.
Entre autres ouvrages, l'ancien président du Congrès laisse six volumes
d'OEuvres complètes, où il raconte les différents épisodes de sa vie politique,
une Histoire de Liège, une Histoire du royaume des Pays-Bas (1).
Clément Wytsman est mort à Termonde le 27 novembre 1870, où il naquit
le 17 mai 1823. 11 était en même temps archéologue, numismate, poclc et
musicien, et est l'auteur d'un assez grand nombre de notices, qui toutes ont
rapport à la ville ou au pays de Termonde; en voici les principales :
Notice historique sur la ville de Termonde, 1849.
Notice sur les 7Honnaies frappées à Termonde, 18G0.
Réorganisation de l'enseignement moyen à Termonde, 1863.
Une confrérie qui bat monnaie; deniers de Notre-Dame à Termonde, 1SG3.
Sceaux communaux et administratifs de Termonde, 1864.
Anciens airs et chansons populaires de Termonde, 1868.
Notice historique sur la ville de Termonde. Les anciennes fondations chari-
tables et le système hospitalier de l'an V.
Clément Wytsman était notaire, ancien échevin de la ville de Termonde,
président de la ligue de l'enseignement, fondateur et ancien président du
cercle archéologique de la ville et de l'ancien pays de Termonde, etc., et avait
été lauréat de l'Académie en 1857, pour la cantate le Meurtre d'Abcl.
Il laisse une collection remarquable de monnaies.
François-Joseph Fétis, compositeur et musicographe, directeur du Conser-
vatoire royal de musique, est mort à Bruxelles le 26 mars, à l'âge de quatre-
vingt-sept ans; il était né à Mons, le 25 mars 1784. Fils d'un organiste, il
manifesta de bonne heure une aptitude musicale toute particulière : Haydn
et Mozart étaient ses maîtres préférés. Entré au conservatoire de Paris en
(1) Voir au sujet du baron de Geri.ache, le Messager, 1870, p. 569.
— H-2 —
1800, il y reçut les leçons de Rey cl de BoiëUlieii; en 1805, il enlrcpril ses
premières périgrinalious en Allemagne et en Italie, pour y étudier les maî-
tres; il s'attacha surtout à la musique classique, Palestrina et Mozart, ainsi
qu'à la musique ancienne.
En 1806, il se maria richement, se ruina peu après et se retira d'abord
dans les Ardennes et ensuite dans les Flandres. En 1818, il devint professeur
au conservatoire de Paris, où il remplaça Eler, et publia un traité du contre-
point et de la fugue.
En 1828, il fonda la Revue musicale, qu'il rédigea jusqu'en 1833. En 1833,
le roi Léopold I^' le nomma maître de chapelle et directeur du Conservatoire
de Bruxelles .
Fétis composa deux opéras comiques : Y Amant et le Mari et la Vieille; et
parmi ses autres œuvres, nous citerons : HJùliode des méthodes de piano, la
Méthode de chant, le Coup-d'œll sur les qualités de la musique des Pays-Bas,
la Biographie universelle des musiciens et Biographie générale de musique.
11 était grand-officier de l'Ordre de Léopold, officier de la Légion d'Hon-
neur, chevalier de l'Aigle Rouge de Prusse, commandeur de la Couronne de
Chêne des Pays-Bas et le doyen de l'Académie royale de Beaux-Arts, Sciences
et Lettres de Belgique, etc.
Alexandre-Joseph Desplanque, ancien archiviste du déparlement de l'Indre,
archiviste du déparlement du Nord, membre d'un grand nombre de sociétés
savantes, entre autres du Comité flamand de France, dont il était secrétaire,
est décédé le 8 février 1871 à Lille, à l'âge de trente-six ans. M. Desplan-
que est mort trop tôt pour la science; il est l'auteur de plusieurs travaux
historiques; la richesse du dépôt dont il était le conservateur, lui fournissait
le moyen de faire une ample moisson de documenls originaux et inédits.
Cet hommage à sa mémoire est en même temps de notre part un acte de
reconnaissance, car M. Desplanque nous fut d'un grand secours dans les
recherches que nous avons faites aux archives de la Chambre des comptes de
Lille pour noire ouvrage sur les Relations entre la Flandre et l'Angleterre.
Emile V....
113 —
Sceau île la wtUe be (j^anîr
AU XIII^ SIÈCLE.
La ville de Gand possède une belle série de sceaux
communaux, dont une partie est encore pour ainsi dire
inconnue. 31. Kervyn de Volkaersbeke a fait paraître, dans
un précédent volume de ce recueil, une notice sur le sceau
dont les échevins se servaient au XIV* siècle (i); l'acte le
plus ancien auquel ce sceau se trouve appendu, date de
1 année 1506, ce qui est à peu près l'époque à laquelle il
aura été confectionné. Le sceau communal qui a précédé ce
dernier est d'un type tout différent; quoiqu'on ne trouve
avant l'année 1275 aucun acte qui en soit muni, je ne doute
pas qu'on ne puisse le faire remonter aux premières années
du XIII'' siècle. Serait-il contemporain de l'institution du
célèbre collège des XXXIX, établi en 1228, ou de la
charte de commune accordée en 1192? VVarnkœnig en a
signalé un exemplaire aux archives de Lille (2), et il en
existe deux empreintes, parfaitement conservées, dans le
dépôt des archives de l'Étal à Gand (s).
Sous un portail gothique, surmonté d'une tourelle et
accompagné de deux petites tours, on voit le buste de saint
Jean, entre deux flambeaux allumés; le portail est muni
(1) Messager des Sciences, 1857, p. 246.
(2) WAnNKOENiG, Documents inédits relatifs à l'histoire des Trente-Neuf, à
Gand, p. 54.
(5) Gaillard, Invent, analyl. des chartes des comtes de Flandre, nos 707,
713, 729.
1871. 9
— 114 —
de créneaux, sur lesquels sont perchés deux oiseaux (i).
Le sceau porte pour légende : Sigillu. S. Johis Bapt. Gan-
densîu. civiu. patroni, elle est séparée du champ du sceau
par un cordonnet. Cette légende diffère de celle que donne
Warnkœnig, qui y ajoute les mots ad legationes; mais je
suppose qu'il y a ici une erreur ou que cet écrivain se sera
trop inspiré de la légende du sceau du XIV^« siècle, qui
porte en effet ces mots. Le contre-sceau ou sceau secret
est composé d'un agneau pascal, entouré des mots : Secre-
tum scahinorum. Ce sceau est conforme à la description
contenue dans un vidinms d'un acte de l'année 1288, donné
par le juge et notaire public, A. Plance, en 1319 (2).
La question la plus intéressante, au point de vue ar-
chéologique, que puisse soulever l'examen attentif de ce
sceau, est de savoir si le portail qui y est représenté, re-
produit l'ancien portail de l'église de Saint-Jean. Quoiqu'il
faille se méfier des illusions, c'est un fait dont on rencontre
des exemples à cette époque. M. Piot a examiné la question
de l'existence réelle des monuments représentés sur les
sceaux du moyen-âge, et après une étude attentive, il a cru
pouvoir dire « que les édifices figurés sur les sceaux et sur
» les monnaies du XII^ siècle et du suivant, représentent
» des édifices qui ont existé en réalité, et qu'ils ne sont
» nullement dus à l'imagination de l'artiste chargé de les
» graver (5). » Dans le choix du monument destiné à être
reproduit sur leur sceau, il est naturel que les échevins
aient pris de préférence l'église de Saint-Jean , comme
étant l'édifice qui rappelait le mieux les libertés commu-
nales de la ville et l'exercice de leur autorité; c'était de-
(1) Ces oiseaux se retrouvent sur le sceau ad causas de la ville de Gand,
du XV« siècle, publié dans ce recueil, en 1863.
(2) Van Diiyse, Invenl. analyC. des Archives de Gand, n» 1 53.
(3) Revue de la Numism. belge, Ire série, t. V, p. 236. — Le beffroi de
Tournai, d'après un ancien sceau, par le nicme auteur.
— 115 —
vant le portail de celte église que se trouvait la vkr-
schaere et que se traitaient les affaires de la commune;
la charte de confirmation des privilèges des Gantois, don-
née en 1191 ou en 1192, par la comtesse Mathilde, le dit
formellement : « Causœ oppidi etplacita non tractabuntiir,
» nisi apud sanctum Johannem, in qiiadrivio prœtorii. »
Ce n'était que dans le cas où le comte ou le châtelain con-
voquait les échevins pour une affaire d'une importance
majeure, qu'ils se réunissaient sur la place entre la ville
du comte et la chapelle de Sainte-Pharaïlde (i).
La question que j'ai soulevée ici est très-difficile à
résoudre pour la ville de Gand, car il ne nous reste rien,
sauf quelques débris dans la crypte, de la chapelle primi-
tive de Saint-Jean, bâtie au commencement du XI" siècle,
par Lausus, compagnon d'armes de saint Poppon; deux
cents ans plus tard, la chapelle ayant besoin de réparations,
et ne suffisant plus, sans doute, aux besoins du culte, le
collège des Trente-Neuf fît bâtir, en 1228, un nouveau
chœur, ainsi que les nefs latérales. En 14G1, on jeta les
fondements de la tour actuelle, et le restant de l'église fut
bâti au XVI'' siècle. C'est tout ce que l'on sait de l'an-
cienne église. Il faut en conclure que la partie antérieure
de l'église, comprenant le portail, remontait au X^ siècle,
si tant est qu'elle ait été conservée lors des réparations
faites au XIII" (2). Et oserait-on affirmer que le }>ortail, tel
qu'il est figuré sur le sceau, reproduise un monument d'une
date aussi reculée?
Le sceau dont il est ici question offre encore un intérêt
(t) DiEnicx, Mémoires sur la ville de Garni, t. I, p. 12. — Ghei.uolf, Cou-
tumes du pays el comlé de Flandre, t I, p. ôDi, n" 21.
(2) Voir Kervyn de VoLKAEnsBEKE, Les Églises de Gand, t. I. — Van Loke-
ncN, Histoire de Vabbaye de Sainl-Davon, etc. — 11 est inulile de rappeler
aux leclcurs de la revue que Téglise actuelle de Saiul-Bavon remplace l'an-
cienne église de Saint-Jean.
— 116 —
d'un autre genre, par la place qu'il occupe dans la lutte
entre la commune de Gand et le comte de Flandre, qui a
signalé la fin du XIII'' siècle. L'histoire de ces démêlés
prouve l'importance attachée à la possession du sceau com-
munal et combien le comte était jaloux de le voir entre les
mains des échevins. Je suis forcé d'entrer ici dans quel-
ques détails historiques, pour lesquels j'ai suivi le travail
de Warnkœnig (i).
L'administration du collège des XXXIX, établi en 1228,
avait subsisté sans changement jusqu'en 1275; à celle
époque, la bourgeoisie, mécontente de la gestion des affai-
res de la ville et des abus qui s'étaient introduits dans
l'administration, avait adressé des plaintes à la comtesse
3Iarguerite. Celle-ci destitua les anciens échevins et établit
de nouveaux conseillers, qui étaient soumis à une élection
annuelle, tandis que les anciens échevins avaient été nom-
més à vie. Les échevins destitués eurent recours au roi de
France; grâces à son intervention, on fit un compromis,
en vertu duquel les anciens échevins furent rétablis, sauf
ceux, qui avaient été déclarés indignes d^occuper cette
place, à la suite de l'enquête à laquelle avaient procédé les
commissaires du roi, et le nouveau collège fut obligé de
choisir de nouveaux membres pour se compléter (22 juillet
1277). Cette décision n'avait pas aplani toutes les difficul-
tés, car il paraît que le comte de Flandre s'était emparé
du sceau de la ville, pour empêcher les échevins de poser
aucun acte d'administration, sans son assentiment ou celui
de son bailli (2).
(1) Warnkoenig, Histoire de Flandre, t. III, p. 96 et suiv. de l'édition de
GllELDOLF.
(2) 11 semble que le comte Guy eut plus d'une fois recours à cette étrange
mesure. Un document de l'époque nous apprend que le comte avait demande
à l'abbé de Cysoing la clef du sceau de son chapitre; il la rendit cependant à
la prière de Jean de Ville, chargé du soin de conserver celte clef. L'abbé fit
— 117 —
Un débat judiciaire s'éleva au sujet du sceau de Gand,
ou pour une autre raison qui nous est inconnue, entre les
échevins et le comte; celui-ci offrit aux XXXIX de leur
faire droit; mais les échevins, trouvant que le comte diffé-
rait trop sa décision, portèrent plainte au roi de France
contre lui, pour défaut de droit. Le parlement de France,
saisi de l'affaire, n'admit pas l'appel des échevins et il les
condamna à payer une amende au comte. Cependant,
comme il fallait permettre à la ville de régler sa position
financière, afin de pouvoir payer l'amende due au comte,
les deux parties entrèrent en arrangement (1280), et dans
l'une des transactions conclues entre elles, il fut stipulé que
le sceau communal serait rendu à la ville après l'extinc-
tion des dettes.
La levée des tailles, pour payer cette amende, amena
encore de longs différends, dans lesquels le roi était charmé
de pouvoir intervenir. Le 6 janvier 1296, le comte de
Flandre et le roi de France firent un accord, qui maintint
l'institution toujours menacée des XXXIX. Mais Philippe
aussitôt promettre par serment à ce dernier de ne plus sceller ni de ne plus
laisser sceller d'acte, qui pourrait porter préjudice au couvent.
« Lettres de ceus de Cysoing parlans de le warde de le clef:
» Nous Jehans de Ville, canoines de Cysoing, fach savoir à tous, ke coume
mes abbés et li couvens de Cysoing maient chargiet en warde le clef dou
saiel dou capille de Cysoing, et ie le dite clef aie bailli et délivrée h noble
houme mon chier seigneur le conte de Flandres, dou greit et de le volontée
de mendit abbeit et le couvent, et li dis cuens a me prière et a me requeste
le niait rendue et remis en me warde en tel manière ke ie li ai enconvent et
proumis par foit et par saircment coume priestes ke dore en avant ie ne
deliverrai le clef ne saielerai ne ferai asaielcr lettre nule quele kelc soit la u
li église, li abbes et li couuens ne les persones de le église de Cysoing soient
de riens obligies en dette, nule ne en autre cliose ki adamage de le abbcie
de Cysoing puist tourner. En tiesmoignage de la quel chose ie ai mis mcn
saiel à ces présentes lettres, ki furent faites et données en Tan de grâce mil
deus cens quatre vins et ons, le mardi après le jour saint Nicholai, »
Sceau endommagé (Chartes des comtes de Flandre, carton M, n» 27. Ar-
chives de l'Etat, à Gand).
— 418 —
»
le Bel ne tarda pas à se départir des concessions faites aux
Gantois, énoncées dans ses lettres du 6 janvier. Au mois
de juin, il informa les habitants de Gand qu'il avait nommé
Albert d'Hangest gardien de leur ville, leur ordonnant de
lui obéir dans les instructions qu'il lui avait données.
Entre autres points, il fut stipulé que le sceau de la ville
serait gardé sous trois clefs, dont l'une demeurerait par
devers le commissaire du roi, l'autre serait en la possession
des échevins et la troisième aux mains d'un prudhomme,
au nom de la commune. De son côté, le comte fut mandé
à Paris pour le 29 juillet, afin d'y rendre compte de sa
conduite. On espérait sans doute forcer le comte à rendre
à la ville son sceau, car il paraît qu'il l'avait encore en sa
possession, ainsi que les clefs de la viile et d'autres objets
dépendant du pouvoir des échevins; c'est ce qui résulte des
lettres par lesquelles le roi statua, le 28 août 1296, dans
son conseil, relativement aux échevins de Gand.
Le comte, pour se soustraire à la juridiction du Par-
lement, chercha à faire un arrangement avec la ville; mais
le roi lui rappela, par une lettre du 20 septembre, qu'il
l'avait déjà ajourné devant le Parlement, il lui reprochait
en même temps l'accord conclu avec les échevins et il
l'assignait de nouveau devant le Parlement. Le comte,
ajoute VVarnkœnig (p. 12S), n'eut garde d'obéir à ces in-
jonctions. Au commencement de janvier 1297, il conclut
une alliance plus étroite avec le roi d'Angleterre, et bientôt
après il était en guerre avec le roi de France. Pour ne
pas laisser une ville aussi importante que Gand, sous l'ad-
ministration de magistrats, qui étaient notoirement portés
pour son ennemi, il chargea deux commissaires (4 avril)
de renouveler les XXXLK de Gand, de priver les anciens
de leurs biens et de les bannir de sa terre, puis il donna
pouvoir à ses commissaires de briser l'ancien sceau de la
ville et de consentir à ce qu'on en fît un nouveau. Trois
— H9 —
jours après, le comte prononça contre les XXXIX une
sentence de destitution et de bannissement; à la suite de
ces événements, l'ancien collège des XXXIX disparut sans
retour, et en 1301 fut inauguré un nouveau corps échevi-
nal, élu d'une façon toute différente, qui continua à régir
la ville de Gand jusqu'à l'invasion des rcpublicains fran-
çais en Belgique (i).
T. C'<= DE LiMBURG SîinUM.
(1) Dicnicx, Mémoire sur les loix, t. I, p. 594. — Warnkoekig, cité, p. 126.
— On trouve deux exemples de bris de sceau, ordonné par le souverain,
en 1410 et 1411, dans la nolice de Wytsman, Sur les sceaux de la ville de
Termonde, p. 24 et 26.
i^20 —
LE LUXEMBOUEG BELGE
ET SON ETHNOGRAPHIE
SOTJS LA IDOlSlINAJriO^^ RO^NIAUSTE.
III
Question d'ideutitc.
Le Luxcuibourg est Tarène des grandes questions ethnographiques. —
L'origine des peuples et des langues forme une question connexe. —
Débats sur l'identité de la race des Germains et des Gaulois. — La ques-
tion est posée en Allemagne et en Belgique. — Solutions diverses. —
Discussion à propos des Galli de Salluste, dans Jugurtha. — Pausanias,
Trogue-Pompée, etc. — Les noms collectifs de peuples couvrent souvent
Pignorance des anciens. — Passages de César discutés. — Les peuples
indo-germaniques. — Avant de se quitter, ils ont touché ensemble les
rivages de la mer Caspienne on de la mer Noire. — Gaulois et Germains
considérés comme unités ethnographiques distinctes. — Les prolégomènes
à rhistoire générale de la Belgique sous la domination de Rome. — Sour-
ces historiques grecques et latines.
La forêt des Arclenoes, telle qu'elle se dégage des docu-
meuls fournis par les anciens, n'est pas un point vague
n'ayant que momentanément paru à l'horizon du passé.
Elle a donné asile à des peuples qui ont joué un rôle dans
les annales de Fhistoire, particulièrement à cette époque où
les armes de Rome triomphante cherchèrent à réduire au
même niveau des peuples appelés à rajeunir l'Europe.
Ce n'est donc pas un simple point géographique que les
Ardennes. Dans ses solitudes vivaient des races d'origine
germanique, Sègnes, Pémans, Condruses et Cérèses,
— 121 —
comme nous l'avons vu, et les Trévires, race mixle (i), dont
ces peuplades étaient les subordonnés politiques. Mais d'où
sont-ils venus? On sait qu'ils se rattachent aux grands em-
branchements ethnographiques, que nous appelons les Ger-
mains et les Gaulois. C'est de cette source qu'ils dérivent.
El comme ces deux races ont trouvé sur le sol des Arden-
nes une antique et large hospitalité, c'est donc dans le
Luxembourg que les questions qui les concernent semblent
mieux s'agiter comme dans leur véritable arène.
Le chantre des Géorgiques et de l'Enéide, dans ses vers
immortels sur les phénomènes célestes et les merveilles de
l'agriculture, compte au nombre des félicités de l'homme (2)
le talent rare de remonter à l'origine des choses. En his-
toire surtout, cette vérité est incontestée. L'origine des
peuples est ce qui captive le plus notre curiosité, et cette
origine est connexe à la question de savoir de quelle source
dérivent les langues ou les idiomes.
En parcourant les annales d'un peuple, on se dit pres-
que involontairement : d'où vient-il? de quelle langue ou
de quel véhicule intellectuel s'est-il servi pour se mettre
en rapport avec les individus qui le composent? L'origine
d'un peuple ! c'est un point déterminé dans l'espace et le
temps, d'où il marque les évolutions à travers les siècles.
Quant à la langue, elle est le dépositaire sacré et autobio-
graphique des défaillances de ce même peuple, de ses ex-
ploits mémorables, de ses progrès intellectuels et moraux.
Si l'on pouvait reconstituer les idiomes des nations dis-
(1) Dès maintenant il est bon de se faire à celte idée par la comparaison
des passages suivants : « G. Caesar, Trcviris in Gallia viclis, ilerum in Ger-
maniam transiit; nulloque ibi hoste invenlo reversus in Galliam (Tit. L.,
CVIIIJ, » DiOM, XL, 32 : « ÈTtl 8e ôr; toÙç KekzQut; w<; xal Tp iouyîpoi<; [3o"/i0ïï<iai
é6£>,7ÎsavT£ç, kaxpizeuae. » — Caes.,V, 3, tic, passim. Les passages de Tacite
cités plus loin et Cllsi Comm. 50 : Treviri cqtiiles opinatissimae virtutis intcr
omnes Gallos.
(2) Georc, lib. Il : Félix qui potuil rerum cognoscere causas.
10
i22
parues, comme les Carlliaginois, par exemple, je ne dis pas
dans tout leur mécanisme synlaxiqne, mais seulement dans
les formes diverses de la lexigraphie, on sérail, sans aucun
doute, en présence du plus puissant élément de nationalité.
Car le mol, rien que le mol, obéissant aux lois de la flexion,
trahit déjà le génie des races. Les consonnes accumulées
et se heurlanl contre de rares voyelles qui étouffent, ou
bien les syllabes sonores, dégagées, les finales harmonieuses
el variées, sonl des miroirs dans lesquels se reflètent des
rayons épars de la culture intellectuelle. Sous ce rapport,
malheureusement, peu de peuples anciens peuvent s'applau-
dir d'avoir survécu à eux-mêmes. En dehors de Tantiquilé
classique, il n'y a guère que les Hébreux, les Indiens el
les Chinois dont les idiomes aient échappé au naufrage.
Pourquoi les Celles ou Gaulois el les Germains, venus de
l'Asie aussi bien que les Phéniciens el les Egyptiens qui
ont pénétré dans la Ilellade, n'auraienL-ils pas élé initiés,
eux aussi, à l'art de fixer la pensée el de peindre la parole?
Tous les peuples de l'Asie connaissaient cet art depuis un
temps immémorial, el il n'y a pas de donnée historique
qui s'oppose à faire coïncider l'émigration des Celtes et
des Germains avec l'arrivée en Europe des Phéniciens et
des Egyptiens. Dans l'alphabet runique reparaissent seize
lettres qui rappellent les seize cadméennes de l'alphabet
grec, emprunté lui-même aux Phéniciens. Comme les let-
tres phéniciennes, les runes ont des noms dont elles for-
ment les initiales en même temps qu'elles donnent la figure
ou l'hiéroglyphe des objets que ces noms désignent. Les
Germains possédaient au fond le même alphabet que loule
l'Europe |)olicée, comme ils avaient la même grammaire;
mais ils n'avaient pas su se servir de ces deux grands
moyens de civilisation (i).
(I) A la viit; (lu ciel rigoureux de la Germanie, de celle terre ingrate el
de CCS tristes déserts, Tacite ne pouvait comprendre qu'on eiit pour eux
des climats meilleurs (Gcrm., 2); il croyait les Germains aulochlhoues.
— 123 —
Or, dans l'élal actuel des choses, les races d'origine
cellique ou gauloise et les races germaniques se servent
d'idiomes diamétralement opposés. On peut se demander
en conséquence, si, en dépit de ce phénomène linguisti-
que, elles ont une origine commune, c'est-à-dire, forment
une identité. Si l'on adoptait comme un axiome indu-
bitable l'adage d'une certaine école, très-louable dans ses
aspirations, mais quelquefois trop exclusive : de taal is
gansch het volk, alors la question serait résolue et sous-
traite pour toujours, et cela par voie sommaire, à son juge
naturel, qui ne peut être que la critique ou la philosophie
de rhistoire.
La question de l'identité ou de la dualité des Germains
et des Gaulois se glorifie de phalanges d'érudits, qui luttent
avec ardeur et talent pour l'un ou l'autre camp. On peut
dire que le succès se balance ou qu'il est fortement dis-
puté. Abstraction faite du penchant naturel, déterminé par
les données historiques, à embrasser un parti plutôt qu'un
autre, il est impossible de méconnaître ce qu'il y a de res-
pectable et d'élevé dans l'opinion contraire; de sorte que
le Luxembourg belge, qui semble être dans l'histoire de
Belgique le point de contact entre les deux races, le point
géographique où elles se confondent dans une fraternelle
synthèse, se présente comme le théâtre naturel où cette
importante question d'ethnographie doit être débattue.
C'est en effet dans le Luxembourg belge, uni aux po-
pulations trévires, où la domination romaine a jeté le plus
d'éclat, où elle s'est concentrée un certain temps comme
en un point lumineux, projetant ses rayons sur toute la
Gaule. A part les notions confuses de quelques géogra-
phes ou voyageurs grecs (i), c'est à Rome guerrière el
(1) Voy. AjiMiiN. Marcell., XV, 9. — Trr. Liv., V, 35, 34; XXI, 6, et
Stradon (Trtitc/jH. éd.), \\, p. 190. — Arrian., Anab., VII, 13. — La Genèse,
X, 5 : île des Gentils. — HÉRon., Melp., 27. — BARTifs Teutschlands Uryc-
schiehlc, t. I^-^ pp. 7-16.
— 154 —
militaire qu'il faut attribuer la gloire d'avoir déchiré le
voile qui dérobait à l'univers raclivité des peuples au Nord
et à rOccident de l'Europe. Voilà le point de départ de
notre ethnographie. Il est la base de la certitude relative
de nos connaissances dans cette partie du savoir humain.
Il doit inspirer aux Flamands et aux Allemands, aux Gau-
lois et aux Wallons le plus puissant intérêt, puisqu'il est
lié au berceau même des nationalités.
Est-ce à dire qu'une solution définitive, qui ne laisse
plus de place à la réplique, puisse être donnée à ce débat
grandiose? Il est difficile de se prononcer catégoriquement
à cet égard. Mais il n'en est pas moins vrai que la néga-
tive réunit autour d'elle les arguments les plus impor-
tants.
En Angleterre, en France, en Belgique, en Hollande, en
Suisse et en Allemagne, on rencontre des populations qui
ont entre elles des points de contact et des rapports ethno-
graphiques frappants, mais aussi des traits distinctifs, re-
marqués de tout temps, et qui ont engagé les critiques à
les dériver de sources différentes. Ces populations se re-
flètent dans les Celtes et les Germains.
Les monuments historiques qui les concernent sont peu
nombreux, vagues, incertains et quelquefois contradictoires.
Le monde savant les a soumis à un sévère examen, mais
jusqu'à ce jour il n'a su prendre de parti décisif ou faire
sortir de ces données une conséquence nette et claire qui
imposât silence à toute discussion. Malgré son côté émi-
nemment attractif, il manque à ce problème des données
ou des prémisses qui excluent le doute.
Sans égard aux nombreuses opinions d'un ordre infé-
rieur, dit M"^ H. Brandes, qui se produisent presque tou-
jours de quelque façon autour d'un nouveau critique, on
peut exposer ainsi les diverses manières de voir sur ce
sujet : tandis que Schilter, Wachler, Cluvier, Pellou-
— 125 —
tier (i), Barth (2), Uadiof (3), Hirl et de nos jours Hollz-
mami (4), souliennenl que les Germains et les Celtes sont
identiques, on peut admettre à cette heure, comme système
prédominant, que ces peuples sont deux branches di-
verses de la grande souche européenne. D'un autre côté,
tandis que Kennedy (5), F. Schlegel, Malte-Brun, Pinkcr-
ton (g), etc., refusent de reconnaître aux langues celtiques
une origine indo-européenne, Bopp (7), Pictet, Zeuss (s)
ont démontré sans réplique ralUuité de ces langues (9).
(1) Histoire des Celtes et particulièrement des Gattlois et des Germains,
depuis le temps fabuleux jusqu'à la prise de Home par les Gaulois, 1740.
(2) Barth, Ueber die Druiden der Kellcn und die Priestcr dcr alten Teul-
sehen, 1826.
(3) Radlof, Grundziige einer BihUmgsgeschichte der Gcrmancn nach den
Urdenkmalen der Sprache und der Gcschichle, 1826.
(4) Ai>. HoLTZMANN, Kelten und Gcrmaneu, Slultgarl, 1855.
(5) Kennedy, Researelies inlo ihe origin and affinity of thc principal languuges
of Asia and Europe, 1828.
(6) PiNRERTON, A dissertation of tlie origin of llie Scythians or Golhs. Lon-
doii, 1787.
L'auteur y expose la théorie qu'il maintint toute sa vie que les Celtes d'Ir-
lande, de Galles et d'Ecosse sont des sauvages et qu'ils ont été sauvages
depuis le commencement du monde.
(7) Ueber die Kaukasischen Glieder des Indo-Europàischen Sprachsys-
/ems(Des brandies caucasiennes delà filiation des langues indo-européennes);
Berlin, 1847.
(8* Zeuss, Grammatica Ccltica; Lipsiae, 1852.
(9) H. B. Brandes, Dus etnographische Verhdltniss der Kellcn und Germa-
nen, nach den Ansichlen der Allen und den sprachlichen Ueberresten darge-
stellti Leipsig, 1857 :
n Abgesehen von den zalilreichen Meinungsniodificationen geringfiigiger
Art, wie sie fasl bei jedem neuern Forscher in dieser und jener Riclitung
hervortreten, sind folgendc Hauptgegensatze hervor zu lieben : 1» wâlirend
Schilter, Wachler, Cluver, Pelloutier, Barth, Radlof, Hirt, und in neuesler
Zeit Holtzraann, die Meinung vertreten dass die Germanen Kelten seien kann
man es als die jetzt herrschende Ansicht bezeichnen dass die genannlen
Vôlker zwei gesonnderte Zweige des grossen Indo-Europaischen Volker-
stammes seien; und 2» wâhrend Kennedy, F. Schlegel, Maltebrun, Pinker-
ton, etc. , lâugnen dass die Keltischen Sprachen zum Indo-Kuropaisehen
Sprachstamme gehôren, haben Hopp, Pictet, Zeuss, etc., diesen Zusammen-
hang unwiderleglich nachgewiesen. «
— 126 —
Les Celles et les Germains sont-ils deux races dislincles?
Dans ranliquilé, Slrabon (i), Suidas (2) et Zonoras (3) in-
clinent pour l'affirmative. En 1730, Pelloutier crut dé-
montrer l'identité de ces peuples. Il eut pour adversaire
Sclîoepflin (4). M. Hollzmann accueillit de nouveau les
idées de Pelloutier. En Belgique, comme l'atteste une lettre
de M. le général Renard, celte question avait déjà été sou-
mise, en 1847, à de sérieux et savants débats. Dans ses
lettres sur l'identité de race des Gaulois et des Germains,
M. Renard constate que l'apparition simultanée à Stuttgard
et à Gand de deux ouvrages, où MM. les professeurs
Hollzmann et Moke discutent une thèse qu'il avait déjà
soutenue en 1847, aboutirent par jeurs arguments aux
mêmes conséquences logiques. Mais M. Schayes, dans
notre pays (3), se rangea du côté des savants allemands
(1) Sthab., Gcogr., lib. IV, cap. I. — Ib., IV, § 2. — Lib. Vil, § 1.
(2) Lexicographe grec, qui vivait au XI" siècle : « KeXtoI ovo[J.a eOooi;
ol 'kv(6\itvoi repfjiavol ol à[j.»l tôv 'P/,vov itOTaiiov tldi. »
(5) Conipilaleur byzantin, mort vers 1130. On lui doit une chronique en
XVIll livres.
(4) Voy. Alsatia illustrata. Colmar, 1751-I76I.
(5) Voy. Bull, de VAcad., t. XXXlll, 2c partie, pp. 81, 87, 98, 221 et
particulièrement Lettres sur iidentUé de race des Gaulois et des Germains;
par M. le général Renard. Bullcl. de l'Académie royale, t. XXllI, 2« partie,
p. 98. L'auteur y expose le sujet de son ouvrage en ces termes : « Mon tra-
vail est divisé eu trois lettres ou parties : la première traite de Torigine des
Bas-Bretons, que je prétends ne pas être gaulois; la deuxième a pour objet
de prouver d'une manière directe l'identité de race des Gaulois et des Ger-
mains; la troisième, qui est un appendice des deux premières, renferme
différentes considérations sur la langue parlée par les vieux Celtes. >>
Un instant auparavant, l'auteur avait dit : « Cette queslion n'est pas pour
nous, comme pour la France et l'Allemagne, un simple sujet de curiosité; elle
possède, au point de vue de notre nationalité, un caractère dont il n'est pas
possible de nier l'importance. >•
M. AnoLF HoLTZMANN donnc une autre tournure à la même idée et se place
à un point de vue différent, p. xiri de sa préface : « Es sind aber nicht die
Kcllomancn, die ùber mcin Buch sich argern werden, sondern fast noch
mehr die sogenannten Franzoscnfresser wcnn es deren noch gibt. Man liai
— !27 —
dont Tes innombrables recherches tracèrent de nouveau,
moins toutefois les caractères apodictiques de la certitude,
une ligne de démarcation bien tranchée entre les deux na-
tionalités.
Schoepflin (i), qui est une si grande autorité dans cette
matière, après de laborieuses recherches conduites avec
logique et méthode, conclut en termes catégoriques. Il
pense qu'après avoir pesé les textes qu'on produit de part
et d'autre, on peut en toute sûreté se ranger du côté de
ceux qui donnent exclusivement aux Gaulois le nom de
Celtes. Il lui semble que l'examen des documents histori-
ques ne saurait avoir de résultat défavorable pour ceux
qui défendent cette opinion, et contrairement au sentiment
de Veiser, Schoepfliu proclame, sans arrière-pensée, que
les écrivains anciens, abstraction faite de quelques fantai-
sistes, auraient attribué aux seuls Gaulois la dénomina-
tion ethnographique de Celtes. Mais dès que la langue de
ce peuple eût disparu et que le terme national par lequel il
se désignait lui-même eût été mis hors d'usage, quelques
écrivains, bien à tort, il est vrai, l'auraient également appli-
qué aux Germains. Au XVI'' siècle, Bodin et Hotman, dans
sich so lange darin gefallen die Gcrmanen als den Infacgriflf aller Vollkom-
menlieileri dar/uslellen und Kellen die Vorfuliren der Franzosen von ilinen
zu scheiden. Und nun sollen wir Kelten sein? » Les événeinenls de la guerre
franeo-alleniande auronl-iis fortifie ce désir? Il est permis d'en douter.
(1) Jo. Dan. Schoepflin, Ahalia illuslrata, t. !'■', p. 119, 1731 : « Compa-
ralis ergo utrinque leslibus pro illis tuto pronunliare possumus qui nomine
Celtarum soles Gallos appcllant Germanosque a comniunione hujus nominis
totos excludunt. Iti veterum de hoc arguniento dissensu ubi nonnisi ex ipsa
testium collalione lis polest dijudieari, quacunque ratione pugnare velis
semper pro prioribus scntenlia eadet Nos inverso Velseri ordine verius
et confidenlius pronuntiamus : Cellarum nomen si manifeslas quorundam
fabulas excipimus ab anliquissimis teniporibus solis GalUs datum; per plu-
rimas aetales et per saeculorum seriein constanler :i scripforibus lioc sensu
servalum; extincta tandem Cellica lingua indegeuaque Cellarum appellatione
obsoleta a quibusdam falso ad Germanos quoque esse translalum. »
— 128 —
un intérêt d'orclre politique, s'en s'en sont saisis comme
(l'un artifice littéraire pour élever leur système (i). Hol-
man (Hotomannus) a écrit un livre sous le litre de Gallo-
Francia, dans lequel l'auteur s'efforce de reproduire l'an-
cien état de la Gaule sous les Romains et après la conquête
des Franks. C'est un ouvrage de polémique et de circon-
stances, puisqu'il a vu le jour en 1S73, à Genève, dans
un moment où les passions déchaînées enfantaient de pari
et d'autre des systèmes qui étaient loin d'avoir constam-
ment la vérité pour objectif. Comme l'a fort bien fait re-
marquer M"" Augustin Thierry, Hotman suppose entre les
Gaulois et les peuples germaniques voisins du Rhin une
sorte de ligue perpétuelle pour la vengeance ou le maintien
de la liberté commune.
Beatus Rhenanus (2) a précédé ces polémistes dans ses
Res Germanicae, il s'autorise de César pour soutenir que
l'ancien langage des Gaulois différait de la langue des Ger-
mains. En 1738, Dom Martin Bouquet publia à Paris les
Rerum Gallkarum et Francicarum Scriptores {Recueil des
historiens des Gaules et de la France). L'auteur, après avoir
cité César pour établir une distinction entre la langue gau-
loise et la langue germanique, continue dans ces termes :
a Cette langue gauloise s'est conservée jusqu'aujourd'hui
sans altération dans cette partie de la Grande-Bretagne
qu'on appelle le pays de Galles: c'est aussi celle dont se
servent encore aujourd'hui nos Bas-Bretons, peuples situés
sur les côtes de l'Océan. C'était aussi, du temps de César,
la langue que parlaient les Celtes qui habitaient la troi-
sième partie des Gaules. »
(1) Bodin est mort en 1596, à l'âge de soixante-sept ans. — Hotman, né
à Paris le 23 août 1324.
(2) Il mourut à Strasbourg le 21 mai 1547 : « Velcrem, dit-il, Gallorum
linguam divcrsam a scrmone (jcrmanico fuisse, satis indicat Caesar. »
— 129 —
De nos jours, Mone (i) et H. Léo (2) ne cachent pas leur*
prédilection pour la langue kymrique et irlandaise. Zeuss,
dans sa Grammatka celtica, prouve que la langue kymri-
que est étroitement liée à l'ancien gaulois, et M. Gerlach (5)
réfute suffisamment les assertions de Strabon (4).
M"" Fr, Dor. Gerlach (5) a passé en revue les textes, en
cherchant à en tîxer le sens, à en apprécier la portée el
l'autorité. Ses conclusions sont que la preuve de l'identité
primitive des Gaulois et des Germains ne saurait être re-
gardée comme suffisamment établie, et qu'au contraire,
les témoignages des anciens, l'histoire et le développement
de la civilisation conduisent à un résultat entièrement
opposé (e).
M. Schayes, chargé de l'examen critique du travail de
M. le général Renard dont il a été question, soutient que
M. Brandes (7) réfutait avec une érudition et une sagacité
admirables tout ce qui a été dit en faveur de l'identité des
Celtes et des Germains par Hollzmann et d'autres parti-
sans de cette hypothèse. Leurs contradicteurs leur oppo-
(1) MoîVE (F. J.), Die Gallische Sprache und ihre Brmichbarkeit fur die
Geschiehte. Carlsvuhe, 1851.
(2) Léo (II.), Feriensehriflen, Vermischle Abhandlungen zur Gcschichlc der
Deulschen und Kellischcn Sprache; 1847.
(3) Dans sa Germania, p. 33.
(3) Voy. entre autres, Rapports de MM. Roulez et Rorgnet, à propos de la
sixième el dernière lettre sur l'identité de race des Gaulois et des Germains;
par M. le général Renard. Bulletins de rAeadémie royale, etc., t. XXVII,
1839, pp. 204, 203, el lettres de ce dernier, publiées dans le même recueil.
(6) Cependant Fr. Dor. Gerlach, dans un opuscule qui a pour titre: Die
aellesle Bevôlkerung Italiens, dit p. 31, note 43 : « Die nalionalilat der
Rhaetier ist darum schwierig zu bestimmen weil aile positiven Grunlagen
der Forscliung felilen und der Name Kelten selbst zweidcutig ist. » Le terme
Keltoi ne peut être équivoque que s'il désigne tantôt les Germains, tantôt
les Gaulois.
(7) Das elhnographische Vcrhàltniss der Kelten und Germanen, nach den
Ansichten der Altcn und den sprachlichen Ueberresten dargestelt, Leipsig, 1 857)
Voigl u. Giintlicr.
— 150 —
saieiil entre autres Beda et Suétone, l'un comme preuve
que l'Angleterre fut peuplée de colons sortis de l'Armori-
qiie, l'autre comme témoignage de la dualité des Celtes et
des Germains et de la diflérence réelle qui existait entre
ces deux grandes races de l'Europe occidentale (i).
De son côté, M. Roulez pense que les peuples habitant
la Belgique lors de l'invasion romaine, se confondaient
avec les Gaulois sous le rapport du culte, des mœurs, des
inslilutions et de la langue.
Il appuie son travail de ces preuves : 1" les noms des
peuples de la Belgique appartiennent tous ou presque tous
(1) Sdet. in Calig., G, 47 : Occupe du soin de son Iriomplie (Caligula), il
choisit pour en faire l'ornement entre les prisonniers et les transfuges bar-
bares ceux des Gaulois qui étaient de la taille la plus haute, et comme il le
disait la plus triomphale, et même quelques-uns de leurs princes. 11 les
obligea à se peindre les cheveux à la manière des Germains, o apprendre
leur langue et même à se donner des tioms germains.
Dans le second passage, Beda, en écrivant dans la Grande-Bretagne au Vl«
siècle, atteste que cette île fut peuplée par des colons germaniques. « Uaec
insula Brilones solum in primis a quibus nomen accepit, incolas habuit,
qui de traclu armoricano (ut forsan) Britanniam advecli, ausli'ales ibi parles
illius vindicarunl. Et quuni plurimum insulae partera (incipientes ab anstro)
possedissent , contigit gentem Piclorum de Scythia (ut perhibent) longis
navibus non multis oceanuni ingressam, circumvagante flatu ventorum extra
fines rursus Britannos Hiberniam perveuisse, etc. » (Beda, Hisl. eccles. Bri-
tanniae, t. 1). Voy. Ballet, de l'Acad. royale, année 1837, t. XXIV, p. 18.
En déterminant les limites des PIctes et des Bretons, le même auteur
dit [Hisl. eccles. I, 1) : « Est autem sinus maris permaximus qui ab occi-
denle in terras longo spalio erumpit, ubi est civilas Brilonum munitissiraa
usque hodie quae vocatur ÂIcluith (Dunbarlon). »
Il y a, à mon avis, dit M. Scuayes {BulleC. de l'Acad. de Bruxelles, t. XXII,
2" partie, p. 97), dans les commentaires de César et la Ger mania de Tacite,
deux passages qui, quelle que soit l'opinion que l'on se forme de la langue
des Celles, prouvent d'une manière pércmptoire qu'elle différait totalement
de celle des Germains ou du teuton. Le premier, c'est celui où César avance
que, par une longue habitude, Ariovisle avait acquis une connaissance fami-
lière du gaulois (Caes., B, G. 1., il , éd. Dr. A. Doberenz). Dans le second
passage, Tacite [Germ., c. 45), dit des Gothins que, parlant le gaulois, ils
ne pouvaient être considérés comme Germains.
— 151 —
à la langue celtique. 2° Il ne paraît pas que les Germains
aient battu monnaie; cependant nous trouvons des ateliers
monétaires chez les Trévires, chez les Nerviens et chez les
Éburons. 3° On a découvert dans le Luxembourg, et no-
tamment à Elhe, à Latour, à Villers-sur-Semois, à Amber-
loup, des autels antiques; or, les divinités qu'ils représen-
tent sont évidemment gallo-romaines. 4° Suivant Flavius
Vopiscus, c'est à Tongres qu'une druidesse prédit à Dio-
clélicn son avènement à l'empire. Les druides étaient en-
tièrement étrangers aux Germains; l'empereur qui racontait
lui-même cette histoire, se serait bien gardé d'en placer le
théâtre dans un lieu où il n'eût pas existé de druides.
5° Sur les grandes voies romaines, les distances se comp-
taient par lieues, leugae, mesure propre aux Gaulois et
inconnue aux Germains, qui la remplaçaient par la raste.
C° Les noms de presque toutes les stations sur ces routes
sont d'origine celtique (i).
Il n'est pas sans intérêt de constater la présence d'une
druidesse à Tongres; mais il se pourrait cependant qu'il
eût existé dans cette localité une de ces Vélléda ou de ces
Auricanie auxquelles les Germains ajoutaient tant de foi, et
dont la spécialité était de prédire l'avenir.
Dioclélien n'avait pas encore franchi les grades subal-
ternes, lorsqu'il lui arriva l'aventure qui eut sur le reste
de sa vie une grande influence. Il était logé dans une
auberge de Tongres, à une époque où il servait encore
dans les derniers rangs de l'armée et qu'il faisait avec
une druidesse le compte de sa dépense journalière, cette
femme lui dit : « Dioclétien, vous êtes trop avare, trop
économe. — Je serai plus libéral, lui répondit-il en riant,
lorsque je serai empereur. — Ne riez pas, Dioclétien, re-
(1) Voy. BuUelins de l'Académie, l. XVII, p. loi.
— 132 —
prit la druidesse, car vous serez empereur dès que vous
aurez tué un sanglier (>). » A partir de cette prédiction,
Dioclétien continua sans relâche à faire la chasse aux
sangliers et finit par tuer Aper, préfet des Prétoriens. Cette
conduite de Dioclétien est une preuve de sa confiance
dans les devineresses, et le mot druidesse parait être ici
un terme générique pour désigner les femmes de celte
espèce.
Il n'est pas certain, du reste, que les noms de tous les
peuples de la Belgique dérivent du celtique. Suivant
M. Hojzer, dans un savant mémoire sur le sens du mot
Anverpo, il faudrait remonter au sanscrit pour trouver
l'étymologie de Condros. C'est un chef, un cacique dont les
sujets s'appellent Condrusi de ghàndârus (prononcez :
ghondoras). Les Condru&i, s'il faut s'en rapporter au sens
du mot sanscrit, signifieraient ceux qui exhalent du parfum,
ceux qui se frottent d'essences odoriférantes. D'après le
même écrivain, les Menapii rappellent un peuple aux che-
veux en longues tresses, et Caeresi comprendraient ceux qui
ont l'habitude de se tatouer (2).
Quant aux Trévires, selon Barlh (Urg, t. 1", p. 359), ce
nom peut se rattacher à des liaisons ethnographiques entre
(1) Celle anecdote, tirée des Scriplores hisloriae Anguslae, est attribuée à
Flavius Vopiscus, le plus iraporlant et le plus sagace de ces auteurs comme
nous avons déjà eu l'occasion de le proclamer. Le texte, c. 13, est comme
suit : « Quum Diocletianus apud Tungros in Gallia quâdam in cauponâ mo-
raretur, in minoribus adhuc locis raililans et cum Druide quâdam mulierc
rationem convictùs sui quolidiani faceret atque diceret. — Diocletiane, ni-
mium avarus minium parcus es, joeo non serio Diocletianus respondisse
ferlur; « tune ero largus quum imperator fuero. » Posl quod verbum Druias
dixisse fertur : « Diocletiane, jocari noli; nam imperator erls quum Aprum
occideris. »
Le même Vopiscus (Aurel., 44) rapporte qu'Aurélien est allée consulter
une druidesse gauloise, pour connaître les destinées de sa dynastie.
(2) Voy, Annales de l'Académie d'archéologie de Belgique, l. XXIII, p. 560.
— 133 —
peuples lointains. En effet Tpiîpwv signifie fugitif. Les Trères
de la Thrace virent leurs villes détruites par un déluge, et
Thucydide dit que les derniers peuples, sujets des Odryses,
étaient les Trères (i).
D'accord avec les historiens les plus autorisés de l'anti-
quité, le monde savant, à part quelques divergences, ne
laissait point, dans les temps modernes, planer de doute
sur la distinction ethnographique des Gaulois et des Ger-
mains. On s'était également habitué à regarder les Irlan-
dais, les Ecossais et les Kymri comme des restes d'anciennes
populations celtiques. Diefenbach fait observer qu'on peui
suivre, l'histoire à la main, la marche rétrograde de la
langue kymrique vers l'Occident. Dans le Dorsetshire,
Wiltshire, Devonshire, les Cornouailles où l'on parle an-
glais, une grande partie de la population se servait encore
de ce dialecte au XVI* siècle (2). A entendre M. Holtzmann,
ces données, presque à l'abri de discussion, avaient comme
force de loi; c'étaient une espèce d'arrêt suprême de l'his-
toire. Nul n'aurait osé y contredire. Pourtant il s'efforce de
casser celle sentence et d'y substituer une autre dans la
forme comme dans le fond, d'une teneur non moins tran-
chante ou absolue. Il oppose dogme à dogme (3). Longtemps
(1) xà Sk Tpôç Tpipa>i)voùî xal touxouî aÙTOvdixoui; Tprj'psi; ciptÇov, et Pline,
IV, 17.
(2) DfEFENBACH, Celtictt, 2» vol., II, p. UO.
(3) Holtzmann, Germancn und Kcllen :
« In der Vorrede zu meinen Untersuchungen ùber die Nibelungen habe
ich folgende Sâlzc aufgestellt : « Dass die Kellen die Icbenden Repraesentan-
ten in den Iren, Schotlen und Kymren haben, isl ein Satz an dem jelzt
nirgends im gerîngslen gezweifelt wird und der doch nirgends erwiesen ist
und kaum mit dem Schatten eines Bevveises begrûndel werden kann. Dass
die Germanen ein ganz andrer Volksstamm als die Kellen seien, ist ebenfalls
jetzt ein nicht im mindesten bezweifelter Satz, er grûndel sich aber auf
nichts als auf jene unerwiesene Meinung und kann aufs voUstàndigste wi-
derlegt werden. Es wird also hier eine ganz pardoxe Lehre ausgesproclien,
dje in folgenden zwei Sàlzen beslclit : I. Die Gcrmane7i sind Kelteu; II. Die
— 134 —
on avait dit : Les Germains ne sont pas des Celtes, mais
les Kymri el les Gaels sont des Celtes; il faudra dire désor-
mais, d'après lui : les Germains sont des Celles, mais les
Kymri et les Gaels ne sont pas de la race des Celtes (i).
Le réformateur n'a nullement dissimulé le but qu'il a
voulu atteindre. En vérité, si le système dont il a poursuivi
la pénible construction répondait à son attente, nous serions
forcé de donner une tout autre base à nos conceptions sur
les annales primitives de l'Allemagne, de la France, de
l'Angleterre et, comme corollaire, de la Belgique (2). Les
Kymri et les Gaels seraient contraints de céder leurs titres
et de renoncer à l'antiquité de leur race.
Kymren und Gaelen sind keine Kelten. Die bciJen Satze stehen aufs scliroffste
der herrschenden Ansicht engegen, welche lehrt : I. Die Germancn sind
keine Kelten; II. Die Kymren und Gaelen sind Kelten. »
(1) Voy. Bulletins de l'Acad., t. XXIII, 2c partie, p. 98 : Lettres sur l'iden-
tité de race des Gaulois et des Germains, par M. le général Renard à MM. les
membres de l'Acad. royale, où Tauleur dit : « Aujourd'hui deux faits se sont
produits qui me donnent la hardiesse de m'adresser à vous. Le premier est
l'apparition simultanée à Sluttgard el à Gand, de deux ouvrages où MM. les
professeurs Holtzmann et Moke , discutant la thèse que je soutenais déjà
en 1847, dans ma Première élude sur l'histoire de Belgique, déduisent de
leur argumentation la conclusion à laquelle j'étais moi-même arrivé.
MM. Moke et Holtzmann ne se sont certainement pas concertés et ils igno-
raient que mon œuvre existât, car ils ne la citent nulle part. Il y a donc
quelque chose de sérieux et de digne d'attention dans ces investigations
parties de trois points différents et convergeant, par une argumentation
presque identique, vers une théorie commune.
» Le second fait est une note insérée dans le travail du savant M. Schayes
sur les Cimmériens. »
(2) « Die vorliegende Schrift hat dcn Zweck die herrschende Ansicht zu
stùrzen und die entgegenstehende an ihre Stelle zu erheben. Die Frage ist
von der grôssten Wichtigkeit und von den weitgreifendsten Folgen. Die
ganze Grundanschaùung auf welclier jetzt die Geschichte von Deutschland,
Frankreich und England allegemein beruht soil umgestossen werden. Die
Kymren und Gaelen sollen verzicliten auf ein Alterthum das ihnen jetzt be-
reilwiilig zugcstanden wird und in dessen rechtmassigera Besitz sie sichcr
zu sein glauben; sie iverden nich gutwiiiig verzicliten, sie mùssen gezwun-
gen werden. »
1^ V»
oo
Avant d'invoquer Taulorilé des classiques, l'adversaire
délerminé du syslème de ridenlilé s'appuie de l'ascendant
de plusieurs érudits modernes. Boxiiorn (i) prétend qu'il
existait entre Germains et Gaulois, comme en bien d'autres
choses, la communauté de langage. Leibnilz (2) n'est pas
moins explicite. Il assure que les anciens comprenaient
Germains et Gaulois sous la dénomination de Celtes. Bol-
landus (3), dans son introduction De sanctis Martyribiis
Clémente, etc., s'exprime à cet égard on ne peut plus caté-
goriquement : autrefois, dit-il, la langue teutonique était
commune à tous les Gaulois. J. Is. Pontanus (4) pense que
les mots prétendument gaulois, que les écrivains latins et
grecs nous ont transmis, sont d'origine germanique et qu'en
dépit de César, les langues des Germains et des Gaulois
ont beaucoup d'analogie.
Frick (5) manifeste son opinion sur l'identité de race en
plusieurs endroits. D'une part, il établit que les Germains
ont fait partie des Celtes et de l'autre, il affirme qu'il serait
possible de démontrer, par plusieurs témoignages des an-
ciens, que les Gaulois et les Germains ont autrefois porté
le même nom de Celles.
M. Brandes relève le défi de M. Hollzmann. Les écrivains
(1) BoxHORN, Origines gnUicae, 1654 : « Gallivelcres et Germani ut plcraque
alia omnia ila linguam imprimis communia et eadem habuere. »
(2) Leibnitz, dans les Colteclanca elymoiogira : « Vclcrcs Celtarum nomine
Gcrmanos Gallosque compreliendebanl . »
(3) BoLLANDus, 1643, Acta Sanclorum : « Teutonica lingua olira omnibus
Gallis communis. »
(4) Pontanus (mort en 1640), Origines francicae : « Yocabula quae ab
autoribus graecis lalinisque ul Gallica adducunlur esse Gernianicae indolis
inlegro iexico demonslrari possit. »
(5) Frick, dans la Commcnlalio de Druidis, Ulmae, 1744, p. 21 : « Velcres
Cellae quorum pars Germani fuere,- « p. 22 : « Gallos aequc ac Germanos
communi Cellarum nomine olim fuisse insignilos plurimis si opus foret vclc-
rum leslimoniis comprobari posset. »
- J3G —
antérieurs à César n'ont pas assez bien connu le nord de
l'Europe, et par conséquent ils étaient dans l'impossibilité
de déterminer la dualité entre les populations celtiques et
germaniques. Mais depuis les conquêtes du grand capitaine
romain, les notions de géographie et d'ethnographie ont
pris une extension assez grande pour permettre aux écri-
vains grecs et à tous les auteurs romains de constater la
véritable situation ethnographique des deux races. Les
Celtes furent les ancêtres des Bretons et des Gallois.
Ceux-ci sont unis aux autres peuples anciens de la Grande-
Bretagne par les liens de la consanguinité de race (i). César
et les auteurs latins qui viennent après lui ou qui le pren-
nent pour guide, proclament que les Celtes et les Germains
sont deux races distinctes. Les auteurs grecs d'une époque
postérieure à César sont du même avis, à l'exception de
(1) Voici les sources auxquelles on peut recourir si l'on veut se faire une
idée des notions géograpliiques que les anciens possédaient sur le Nord-
Ouest de l'Europe :
HippARQUE (milieu du Ile siècle), cité par Str4bon, liv. II, éd. Tauchnitii.
On sait que Cliaron {vers 504 avant J.-C), Hirailcon (voy. PtmE, Hisl. nal,,
II, G7) , et Pytheas, que nous avons déjà mentionné, ont entrepris des
voyages dans le Nord. Les fragments de ces auteurs sont de la plus grande
importance. Strabon, IV, p. 190, et Tite-Live, XXI, 6. — Hérodote, V, 9.
— Un fragment d'EpuoRE (380, 330 avant J.-C), dans Strabon, I, p. 34..
— Un fragment d'Hésiode, conservé par Strabon, VIII, p. 300. — Strabôn,
IV, p. 199. — DioD. Sic, IV, 56. — Aristote, Tzipl xÔjjjlov, c. 3, et le sclio-
lion d'Aristote, Météorol., I, 13, qu'il faut comparer avec liv. VI, 24, des
Commentaires de César. — Il résulte des passages qui précèdent que les an-
ciens, avant César, n'avaient que des notions excessivement vagues sur la
Germanie. C'est Polybe lui-môme qui constate cette vérité, III, 38. — Apol-
LODORE (140 av. J.-C), cité par Stephanos, le Bysanlin, et Skymnos (100 av.
J.-C.) : Toijxwv (scil. KeXtcov) ôè xeïzon XeyofxevévT] ti; èaj^aT»] aTY^Xy) Sôpeto;.
C'est la colonne du Nord des Celtes qu'il est difficile d'assigner d'une manière
précise. — Posidonius, cité par Pline, flist. nal., VI, 21. — Dents d'Hali-
CARNASSE {Les excerpltt, XIV, 1). — Pline, flisl. nal., IV, 25. — Tite-Live,
XXI, 20.
— 137 —
Flavius Josèphe (i), de Dion Ca), de Libanius (3) et d'Aris-
tide (4); Dion Cassius et Libanius donnent aux Germains
les noms de Celtes. Finalement la population de la Bretagne
est d'origine celtique, en dépit des émigrés sortis de la
Grande-Bretagne et qui y sont allés chercher des établis-
sements (s).
Comme Bodin, mais à un autre point de vue, Barlh
semble être pénétré d'idées politiques analogues avec une
(1) FuviDS Josèphe (37-100 après J.-C), B. /., lib. Il, 16, i : « "PïJvov
TT)? ôpixT^ç Spov £j(0UTt. » (Rhenum impetùs sui terminum habent). — Voy. en
outre, Antiq. Jud., lib. XIX, 1, 15. Dans ces passages, Flavius Josèphe ne
parle guère des Gaulois et des Germains que comme soldats mercenaires.
Voy. B. J , lib. VII, 8, 2.
(2) Dion, L. III, 12 : « KeXtwv yàp xive'î ou? 6r) Tepiiavoûç xaXoûfxev, itâaav
TÎjV itpôî 'P7ÎV(j) KeXIixYiv xaTcij^ovTsç, FepfAavMv ôvoixâÇeaGai èitotJiaav. »
(3) Libanius (314-400 après J.-C.) : Oratio XI, Antiochicus, Lutetiae,
MDCXLVII, p. 2G8, et surtout Orallo If!, Basilicus, p. 137 :« éaxl xévoî
Ke^Tixàv ÛTrip 'Pvjvov iroTajjLOv Itt' aÙTÔv iîxeavàv xaOï^xov. »
(4) AnisTiDE, mort vers 189 de J.-C. Dans son panégyrique de Marcus
Aurelius Antonius, surnommé le Philosophe, il dit, après la victoire rempor-
tée sur les Marcomans : « 6'Ttou yàp KeXxol [j.èv, ol iiiyiozii xal (povtxiwTatot
Twv utp' i[Km TtoXXà 5y) xal TravxoTa xo'k\t.-q<jix'^'ZE<; vûv upoaxuvoûai x-r)v Sea-
■KÔrriM. » {Édil. Dindorf).
(5) A la question : les Celtes sont-ils des Bretons? il faut relire dans les
auteurs anciens les passages qui suivent :
Caes.,B. G.,V, 12; V, 11, 12, 14. — /6jrf., VII, 76. - /ôirf., B. G , IV,
20. — Stbab., IV, p. 194. — Lucrèce, VI, 1104. — Cat., H et 29. — CicÉ-
noN à son frère Quintus, M, 16. — Le même à Atticus, IV, 16. — Strabon,
IV, p. 200. — Tac. Agrie., 13. - Dion, XLIX, 38; LUI, 22. — Strab., VI,
p. 200. — DiODORE DE Sicile, V, 21. — Virgile, Ed., I, 67. — Strab., II,
p. 73. — Ibid., IV, p. 199. — Dion, LXII, 6, et LXXVI, 12, et Strab., iV,
p. 201. — DiOD. Se, V, 32, et Caes., B. G., VI, 21, Tac. Germ., 19 et 20,
ainsi que Cassiod., Var., I, 37. — Pomponius Mêla, III, 6, et Pline, Hist.
nal., XVII, 4. - Ibid., XXX, 3, — Ibid., XXXI II, 6. — Le chapitre II dans
Tac. Agric.y est particulièrement important. — Pline, Hist. nat., IV, 17, 31,
et Caes., B. G., Il, 4. — Ibid., B. G., VI, 13, et Strabon, IV, p. 197, ainsi
qu'AjiMiEN Marcellin, XV, 9. — Athénée (sous Commode) cite VI, cap. 12, un
passage de Posidonius (50 avant J.-C). — Tac. Ann., XIV, 29 et 30. —
TiT. Liv., IV, P33, et VII, 17. - Florus, I, 12, 7, et Frontin, II, 4, 18. —
Caes., B. G. VI, 13. — Libanius, in Panegyr. Const, et Const. — Eutrope,
VI, 17. — Ptolomée, II, 3, et Pline, Hist. nat., IV, 31. — Beda, Hist. eccl.,
— 158 — ■
forle Icndance au pangermanisme. II esl enlhousiasle à la
manière de M""= de Slaël, aspirant à saisir l'infini et l'invi-
sible dans ses mystérieuses profondeurs. Depuis le littoral
des mers du Nord, dit- il, jusqu'aux rocs sourcilleux des
Alpes, des rives de la Meuse et de l'Escaut jusqu'à la Mardi
et au-delà de l'Oder, s'étend l'empire d'Allemagne avec une
population germanique (i). Ne dirait-on pas la synthèse que
se propose de réaliser un homme d'Etat occupé à diriger
les destinées d'un grand peuple qui a foi dans sa mission
historique. C'est le moment d'écouler la voix de ces grands
penseurs de l'Allemagne, dégagés des intérêts matériels et
purifiés par la doctrine de ses philosophes. Quand les idées
se répandent dans la nation pures et nettes, elles ennoblis-
sent le cœur du peuple; leur exagération même porte la
pensée aux sublimes conceptions. D'une question histori-
que, si l'on en éloigne les plats documcntistes, race exoti-
que béant aux écus, comme les badauds aux corneilles, on
peut en arriver à un idéal qui, relégué dans un lointain
inaccessible, semble inviter par son attraction tout un peu-
ple instruit à porter une pierre à l'édifice social de la
patrie. Est-ce que jamais exploiteur littéraire aurait trouvé
ces superbes accents? Partout, dit le même écrivain (après
les événements de 1815), partout, si ce n'est dans notre
propre patrie, nous sommes à la recherche de mœurs et de
liens de consanguinité, depuis l'Egypte jusqu'au cap du
Nord et des l^yrénées jusqu'à l'Oby et au cœur de la Perse.
Nous y avons mis une différence primordiale entre les Celles
et les Germains et fait appel à notre sagacité afin d'imaginer
des distinctions; nous avons laissé dans l'obscurité la Cel-
tique des Germains, bien qu'elle parle notre idiome, et mis
(l)«Von den Kusten iler nordisclien Meere, bis an die iiberhangenden
Alpen, von den Ufern der Maas und Schelde bis an die March und jenseitz
der Oder ist teulsches Reicli und Volk; und von deni wolien wir wissen. »
— 139 —
on relief les Francs seuls; nous avous suivi les Golhs dans
leurs expéditions, les Suéves en Espagne, les Vandales en
Afrique. Mais nous avons mis en oubli une moitié de notre
terre germanique, nous en avons, à l'instar de beaux-frères,
laissé une portion, afin que, à l'exemple d'enfants abandon-
nés, quelques-uns puissent se créer un titre honorifique de
leur origine bâtarde (i). On le voit, la question prend, aux
yeux de cet auteur un peu enthousiaste, une couleur pas-
sablement politique.
Le système de ceux qui adhèrent à l'identité de race se
développe à peu près de cette façon, d'après les sources
historiques fournies par les anciens.
Au-delà du Rhône et de la Garonne jusqu'à la Seine, il
y eut de nombreuses populations qui se donnaient elles-
mêmes le nom de Celles (2). Les peuples de la Narbonnaise
jusqu'aux Pyrénées furent regardés de bonne heure comme
appartenant à cette souche (3). Une tribu nouvelle avait-
elle repoussé les Ibériens, ou bien de nouveaux noms
s'étaienl-ils produits à la faveur de l'obscurité historique
dans l'Occident? Strabon présume que la dénomination
ethnographique de Celtes a été empruntée à ces peuples et
(1) Wir suclien ûLerïill nacli teulscher Sitle und Verwandschaft von
Aegyplen bis auf das Nordkap, von den Pyrenaeen bis an den Oby und hi-
nein nach Persien — nur nicht im eigenon Valerland. Da haben wir eine
Urvei'schiedenheit geselzt zwischen Kellen und Germanen und den Scharfsinn
aufgebolen, Unlerscheidungen zu erdenken, haben das teutsche Kellien im
Dunkel gelassen, obgleich es unsere Zunge sprichl, haben die Frauken allein
hervorgehoben, sind den Gollien auf ihren Zûgen gefolgt, den Sueben nach
Spanien, bis Afrika den Wandalen. Nur unseres teulschen Landes Haelfte
haben wir vergessen wie Sliefbruder einen Theil slehen lassen, dass —
zui'iickgeselzlen Kindern gleicii inanclie selbst sich einen Ehrenschein
kiinstein woUlen aus der unaechlen Arl {Préface, p. 2].
(2) Caes., B. g., I, 1.
l3) PoLYBE, n, 33 : « irâv tô ra)vaTtxàv tpûXov. 11 avait fait lui-même des
voyages dans la Celtique et l'Ibério. Il ne paraît pas avoir eu connaissance
d'un peuple au-delà du Rhin, différent des Celles (Holtzmann, p. 27j.
— 140 —
éteiulue à tous les Galales comme un nom glorieux (i).
On ne rencontre pas de peuplade en-deçà des Pyrénées qui
ail loul particulièrement porté le nom de Celtes.
Cette donnée, puisée dans Appien, pourrait se concilier
à la rigueur avec Strabon, qui dit que les coutumes des
Germains de son temps sont conformes à ce que Ton en
connaît d'anciennes sources. Il se prononce pour une ori-
gine commune des Germains et des Gaulois, dont la ma-
nière de vivre, le caractère et le régime politiques, ainsi
que le pays, séparé seulement par le Rhin, auraient la plus
grande analogie (2). Ailleurs, le même écrivain place les
Germains après les Celtes, à l'orient du Rhin. Ils ne diffè-
rent des Gaulois, selon lui, que parce qu'ils sont plus
grands, plus blonds et plus sauvages. Pour le reste : figures
et mœurs, ils ressemblent aux Gaulois, et celte similitude
leur a valu le nom de Germains (frères), qui leur aurait
été donné par les Romains (s).
Celles, Galates, Gaulois sont des noms qui se rappro-
chent, qui s'associent étroitement. A l'emboucliure de la
Seine {4), on trouve des Gallèles ou Calètes et dans les
Alpes Pline signale GallUae (5). Aux temps primitifs, le
nom de Galates suit partout celui des Celtes, dont il pour-
rait bien n'être qu'une forme radoucie.
Les écrivains de l'antiquité, pour des raisons sans doute
(1) SiRAB., Gcog., lib. IV, I, § 14 : « xaû-ca [jlIv ûiràp tûv V£[xo[iévo5V ttjv
NapPoivÎTiv èTTtxpàTîiav XÉYOfJisv, o'jç ol Ttpôxepov KeXtaç (I)vc5[iaÇov , âità
toûtwv ô'ot|iai xal toùî (jùfxiravTei; FaXaxaî Kc)iioùî ÛTii EXXrjvcov irpouayo-
p£u9y)vai. »
(2j Strabon, Geog., lib. IV, 2 : « àXX' èx t5v TiaXaiôJv ^(pôvojv èx Te twv {a^xP^
vûv au[i|j:£v6vTcov itapà tolî r£p[j.avoïî vo[x£[awv xal y*? "^Z 'pû<J£i xal toTî
DoXtxeûtiautv £[j.cpEp£'tî elai xal auyyEVET; aXXrjXotç o[xopov T£ oîxoûat ^wpav
5iopiÇoiA£v>)V T(jS 'P/jvto Ttoxaixt^ xal itapaTtXrjata È'^ouaav ta '•7i)v£TffTa. »
(3) Voy. le texle dans une note ci-après.
U) Pline, IV, 52. — Caes., B. G., II, 4; VIII, 7; VII, 75 ; Calelcs ou
Caleli. — Strabon, G., IV, 5, 3 S, et I, § 15.
(5) Pline, III, 24.
— 141 —
individuelles, tantôt établissent et tantôt n'établissent pas
de différence entre ces dénominations. C'est ainsi que
s'exprime à cet égard Strabon : « Quelques-uns, dit-il,
partagent les Gaulois en trois parties, en Aquitains, Belges
et Celtes. Les Aquitains diffèrent absolument des Belges et
des Celtes, non seulement par le langage, mais encore par
leur physionomie, qui se rapproche davantage de celle des
Espagnols que de celle des Gaulois (i). Les traits propres
aux Gaulois caractérisent les habitants des deux autres
parties de la Gaule, quoiqu'on observe quelque différence
parmi les peuples, soit pour la langue, soit pour la manière
de vivre (2).
(1) Strab., Geog., lib. IV, cap. J; VII, 1, § 1. — Cfr. ibid., lib. Il et
IV, 4, §6.
(2) Voici les principaux renseignemcnls qu'on trouve ilans les anciens sur
le nord-ouesl de l'Europe, à partir de Strabon :
Strabon. Il, pp. 93, H7; IV, pp. 176, 177, 189; VIII, p. 290. — Eust.4-
TUius (érudit du XII« siècle), qui a commenté le passage prééédent. — Pline,
Hist. nat., XXXVII, H. — IbicL, XXX, 1, — Suétone, «aMt/e, 25; Aurcl.,
Vict. Caes., A : « Praetor Lusitaniam et post Galliam ab Alpibus usque et
Oceanum bis classe transgressas, Brilanniam subegit. » — Tac.,//îs/., IV, 54.
— VelleiusPaterculus, II, 12. — Monumentum Ancyranum(lah.\ , Vin. lG-17).
— PoMPONius Mêla, III, 6, 4. — Ibid., Il, 5, et III, 2. — Ann. Seneca, de
Providcntia, c. 4 : « Germanos dico et quidquid circa Istrum vagarum gen-
tium occursat. — Ibid., de Ira,c. H. — Ibid., de Benef., V, c. 16. — Ibid.,
Nat. Qtiest , l, praef, — Ibid., de Morlc Ctaud., c. 6. — Lucain, I, arg. v. 1
etv. 7, ainsi que I, v. 392-395. — Tac, fïisl., IV, 12, et Plktarque, Otlio,
c. 12. — Tac, Germ., c. 29. — Ibid., Ilisl., IV, 15, et V, 16. — Pline (Voy.
FoRBiGER, Handbuch der alleu Géographie), Hisl. nat., IV, 23, «28, 31. —
Comp. Pline, Hisl. nat., III, 4, et Ptoi., Geg., II, 6, 59, et Ibid , II, 6, 30,
et II, 14, 3. — Fl. Josèphe, Archaeolog. Jud., XIX, 1. — Dion Cassius,
LVI, 23, et Suet., Calig., 58. — Fl, Josèphe, B. Jud., I, proœm.; Ibid., Il,
28; ibid.,'S\\, 4. — Tacite, Hisl., IV, 71, et Germ., 43. — Tacite, Germ.,
2 et 3. — Ibid., Ann., IV, 47; Hisl., II, 22; Dion Cassius, XXXVIII, 45;
le Misopagon de Julien. — Caes., B. G., VI, 6, et Tac, Germ., 38; il faut
comparer avec le chapitre 27. — Ibid., 43. — Tac, Ann., III, 44, et ibid.
IV, 3, ainsi que Hisl., IV, 25, 61. — Tac, Germ., 37, et Plutarque, Mar.
c. 24. — Liv. XXXVII, 56, où il faut faire attention au sens de Germanitas
où ce mot ne se rapporte pas à une confédération politique, mais à la com
munauté d'origine. — Les Fasli Capitolini {de Gallris [iisuhribus et Germa
ncis), et Liv. XXI, 38.
— 442 —
Au-delà du Rhin el de la Celtique, au nord du Danube,
jusqu'au Paius-Méolide, il y avait des tribus de Celles et de
Germains (i). Celles et Galales sont synonymes aux yeux
des écrivains de la Grèce (2). L'un assigne pour demeure
aux Celles le pays qui s'étend au-delà de Marseille, entre
les Alpes et les Pyrénées, et l'autre place les Galates au-
dessus de ceux-ci, vers le nord-est, à l'Océan et au Harz
jusqu'aux Scythes (3). Un troisième, dans un sens inverse,
donne le Rhin pour frontières naturelles à ces peuples. En
suivant le cours de ce fleuve vers l'Océan, on trouve les
Gaulois (Galales) à gauche et les Celtes à droite (4). Aux
temps primitifs, seuls les habitants des bords du Rhin
portèrent le nom de Celles (s). Dans ce cas, les Germains
auraient élé des Celles. Mais d'un autre côlé, par une nou-
velle contradiction, celle antique et vénérable dénomina-
tion ethnographique s'étend jusqu'aux bords de la Garonne.
La ('eltique, c'est la contrée entre les Pyrénées et le
Rhin (e), la Gaule (Galatie) en est le terme romain, et ce-
pendant on rencontre des Celtes à la rive droite du Rhin (7).
Celte question, qui est si importante pour les annales
M) Strabon, Geog., lib. III, 1, 1 : « •jrposàpxtixa [xèv ouv èutl Ttp "laxptj)
xà iripav toû 'PVivou xal ti^ç KeXxixîïi; xaùta 6'èaxl -rà xè FaXaxixà e9v>) xal
xà FepiJiavtxà \i-eypt. Bacjxapvwv xal xoû ax6[JLaxOî xrjç MaitôxiSo;. »
(2) Voy. Strabok, Geog., lib. I, 1, et le remarquable passage, VIM, 2:
« EÙ6ÙÎ xoîvuv xà Tiépav toû 'Piqvou [j.£xà xoù; KeXxoùç irpôî x^v ïiù xîxXi-
fjiéva repjiavof v£[i0VTai, [j.ixpàv éÇaXXotxxovxei; xoû KeXxixoû fukou x(ï> xe
'iîX£Ovaj|J.ô) XT)? àypiôx>)xoç xal xoû jj.£Y£6ooç xaî xt^î ÇavOéxi^xoç xà)v>ia ôà
TrapaTt)iiqijioi xal (xopipaTç xal rfieai xal pEoKj ovxeç otou? etpi5a|X£v xoùî KeXxoÛç.
AtèSr) xal \iol ôoxoûai 'Pwfjialot xoûtô aûxoTç ôso'Oai xouvofxa tô; av yv^ufouç
ra)vaxai; tppaÇ£tv PouXo|i.£vof Y>)ff£ol yap oi Tepiiavot xaxà x/jv Pwjxalojv
8tâX£xiov. » (Germani eiiim Romanoruni lingoa genuini dicunlur).
(3) DiODORE DE Sicile, V, 32.
(4) Dio Cassids, XXXIX, 49.
(5) Ibid., XXXIX, 46, 48; LXXI, 3; XLIV. 42; LX, 31; LXXVll, 13.
(6) Appian., De rébus Uisp., 1 : « KeXxol Saoi FaXaxal i£ xal FâXXot vûv
TtpoaaYopsûovxat. »
^7) Appuk., Prooem., 4 : « KeXxwv xwv ÛTtèp 'P/)vov. »
— U5 —
des nalionalilés anciennes, n'aboutit pas, il faut l'avouer, à
des conclusions tellement péremptoires qu'elles lèvent tout
doute. Elle restera longtemps, peut-être toujours, ouverte
à l'examen et aux débats de la critique. Mais il n'en est
pas moins vrai, qu'elle restera éternellement jeune, en ce
sens que, s'adressant à l'un de nos sentiments les plus vifs,
celui de remonter à la source des choses, elle conservera
le privilège d'exercer sur nous une attraction si puissante
qu'il serait difficile de s'y soustraire.
Un passage qui frappe surtout, parce qu'il est de nature
à soulever tous les points de la thèse, c'est celui de Salluste,
au dernier chapitre de son immortelle histoire de Jugurlha.
L'auteur, après avoir raconté que le roi des Numides, en-
chaîné, fut remis à Sylla, qui le conduisit à Marius, ajoute
ces paroles : o Vers le même temps, deux de nos généraux,
Q. Cépion et M. iManlius, furent battus par les Gaulois (Per
idem tempus advorsum G altos ab ducibus nostrîs Q. Cae-
pione et M. Manlio malè pugnatum est). Puis, après ce
rapprochearent, il continue : « On pensait alors, comme
nous le pensons encore aujourd'hui (i), que les Romains
devaient triompher de tous les peuples, mais qu'en s'atta-
quant aux Gaulois, ce n'était plus la gloire en jeu; il
s'agissait de l'existence » Or, ces Gaulois qui infligèrent
(I) Plutarque, Camill., 19 : en premier lieu , leur armée (des Romains) fut
dépouillée par les Cimbres.
Ibid., 4t. « La crainte des Gaulois était si grande que les Romains avaient
porté une loi qui exemptait les prêtres du service militaire, à l'exception
d'une guerre contre les Gaulois. »
On dirait que le grand écrivain grec, en Iraçanl ces lignes, avait sous les
yeux l'histoire de Salluste. Au reste, PtUTARQDE, Mar., c. H; Camill , c. 13;
Caes., c. 19; Serl., c. 3, reconnaît assez explicitement la dualilé.
Voy App., Prooem., 3 : « xal KeXxwv ô'cja È'Ovr) -cà [ièv h tt^vÔc t7]V QôcXas-
aav, xà Ô£ ï^ tov pôpetov toxeavôv àtpopî, zà. 5e -rtapà 'Pïjvov itOTafxèv yxrjrai.»
Dans son histoire romaine en vingt-quatre livres, Aitien regarde les Ger-
mains et les Gaulois comme deux races distinctes, dont le i)assage cilc peu
être regardé comme l'expression de leur position géographique.
— J44 —
une si sanglante défaite aux deux généraux romains, n'é-
taient autres que les Cimbres et les Teutons, peuples ger-
maniques, comme l'attestent entre autres Tile-Live, Velléius
Paterculus, Valère Maxime, Orose et Eutrope (i). Ce grand
événement eut lieu en 104 av. J. C, c'est-à-dire dix-huit
ans seulement avant la naissance de Salluste. Cet historien
fameux avait vingt-sept ans lorsque César ouvrit ses pro-
digieuses campagnes contre les Gaulois et les Germains.
Quand il revint définitivement en Italie, le grand capitaine
s'était mesuré avec Arioviste; il avait rompu, non sans
peine, les lignes formidables du vaillant Boduognat, dompté
les Trévires, exterminé les Eburons, réuni les deux rives
du Rhin, le fleuve de la Germanie, poursuivi en vain de
forêt en forêt l'intrépide Ambiorix, éteint dans le sang des
Gaulois le vaste incendie allumé par l'amour de l'indépen-
(1) César lui-même en parle en divers endroits : lib. I, 33, 40; II, 4;
VII, 77. L'identité des Cimbres et des Teutons, ainsi que des Gallide Salluste,
est attestée par ce passage du discours de César, lib. I, 40 : « Faclum ejus
hostis periculum patrutn nostrorum mcmoria cum Cimbris el Teutonis a Gaio
Mario piilsis non minorcm laudem exercilus quam ipse imperalor mcrilus vide-
bttlur. » Cet ennemi a été mis à l'épreuve à l'époque de nos ancêtres; c'est
lorsque par la défaite des Cimbres et des Teutons, il devint évident que l'ar-
mée s'était attirée non moins de gloire que son chef.
Valerii Max, lib. IV, 7, 3. Tribunus enim plebis Caepionem in carcerem
conjectum, quod iliius culpa exercitus noster à Cimbris et Teutonis videbalur
delelus.
Velleii Paterculi, Hisl. rom., lib. II, 8, 3 : Tum Cimbri el Teutoni trans-
cendere Rhenum multis mox noslris suisque cladibus nobiles.
Le passage suivant, du même auteur, lib. II, 12, 2, est surtout décisif :
EfTusa, ut praediximus, immanis vis Germanarum genlium quibus nomen
cimbris ac Teutonis erat quura Caepionem Rlanliumque consules et ante
Carbonem Silanumque, fudissent fugassentque in Galliis et exuissenl exercitu,
Scaurumque Aurelium consularem et alios celeberrimi nominis viros truci-
dassent; populus Romanus non alium repellendis lanlis hostibus magis ido-
neum imperalorem quam lHarium est ratus.
EuTROP., IV, 10 : « Nuntiatum Romae est, Cimbros e Galliâ in Ilaliam
transisse. » — P. Orosii Presb. Hisp. Hisl., lib.V, cap. 16.
TiT. Liv., LXIII : • Cimbri, gens vaga, populabundi in Iliyricum venerunl :
ab iis Papirius Carbo Consul cum exercitu fusus est. »
— 145 —
dance et répandu partout, par ses Commentaires, le récit
de toutes ces lugubres merveilles. Qui alors, dans la partie
éclairée du monde romain, n'avait entendu parler des Ger-
mains? Et toutefois Tauleur de Jugurtha prend les uns
pour les autres et écrit : advorsiim Gallos, au lieu de .
advorsum Germanos.
D'où vient celle confusion dans un historien si correct
et si exact? Embrassait-il sous une appellation commune
Gaulois et Germains, ou bien ne connaissail-il pas celle
dernière dénomination? Ignorait-il le terme ethnographique
de Germains, pour l'appliquer aux Cimbres et aux Teu-
tons? Celle dernière hypothèse est inadmissible. Les Com-
mentaires avaient illuminé, à l'époque où Sallusle rédigea
son histoire, le monde barbare d'un éclat tout nouveau.
Cicéron, l'ennemi de Sallusle et l'adversaire de César,
avait déjà porté sur les Commentaires de César un juge-
ment définitif, confirmé et ratifié par la postérité. César,
dit-il dans Bnitiis (i), n'a eu que la prétention de laisser
des matériaux à ceux qui voudront écrire l'histoire. C'est
un piège qu'il a tendu aux insensés qui chercheront à se
parer de colifichets d'emprunt; mais, sûrement, il a ôlé
aux hommes de bon sens le courage d'écrire après lui. —
Cet éloge, échappé à la plume d'un adversaire, n'a pu passer
inaperçu; Sallusle n'a pu l'ignorer, lui l'ami de César et
qui en avait reçu le commandement de la Numidie. Comme
Cicéron, il avait donc lu et parcouru les mémoires de Cé-
sar et pris connaissance de tous les peuples qui apparais-
saient sur le théâlre nouveau de la lutte entre Rome et la
Germanie.
(1) C. 73. Voy. Suétone, Cacs,, S5 et 56, el Hirtius venait peut-être de
lire le jugement porté par Cicéron, lorsqu'il écrivit {de Bello GalL, VIII) ces
paroles : « Constat enim inter omnes niliil tara operose ab aliis esse pcrfec-
lum, quod non liorum eleganlia Comraentariorum superelur. Qui sunt editi
ne scienlia tanlarum rerum scriploribus deesset, adeoque probanlur om-
nium judicio ul praerepla non praebila facullas scri[)toribus videalur. »
— 146 —
N'esl-il pas étrange que cet écrivain, occupé à faire
oublier les malversations du concessionnaire par la renom-
mée de l'historien, n'ait pas adopté les expressions ethno-
graphiques consacrées par son illustre protecteur ? Comment
résoudre celte contradiction? En admettant que Salluste,
en dépit des progrès de la géographie et de l'ethnographie,
conservait encore le terme archaïque de Gaulois, sous
lequel on comprenait Germains et Gaulois avant l'expédi-
tion de César. Avait-il des motifs sérieux d'en agir ainsi,
alors que César lui-même s'est chargé de lui apprendre en
termes clairs et nets que les Cimbres et les Teutons sont
de race germanique? Aucun texte ne fournit de réponse
définitive. Cependant Tacite (i) affirme que la dénomina-
tion de Germain est de date récente : le nom de Germain,
dit-il, est moderne et ajouté depuis peu. Diodore de Sicile (2)
prétend que les Gaulois enlevèrent aux Carthaginois le
commerce de l'étain et de l'ambre jaune, et ce qui est plus
remarquable, c'est l'assertion de Pline prétendant que ce
fut le commerce de l'ambre jaune qui aurait mis en com-
munication les Germains et les Massilioles, et inspiré aux
premiers l'envie de fonder des établissements en Pro-
vence (3). Apparemment les Gaulois, qui ôtèrenl aux Car-
thaginois le commerce de l'ambre jaune, sont les mêmes
que les Germains, qui tentent de se fixer dans le midi de
la Gaule. Tite-Live appelle les habitants des Alpes demi-
Germains (4), et ailleurs ils rentrent dans la catégorie des
(1) Germanie, II. L'opinion commune est que les Gcrniiiins signifient hom-
mes de guerre. Grimm el Fr. Schlegel : c'est la l'éunion des hommes libres en
âge de perler les armes. L'opinion de Strabon n'est qu'étrange. M. Van Has-
SELT, dans son Hisl des Belges, dit que ce nom signifie les hommes aux longues
lances {ger, lance, et mati, homme). — Voy. plus loin d'autres recherches.
(2) DioDORE, V, 22, 23.
(3) Pline, Hisl. nul., XXXVII, H.
(4) TiT.-Liv. « Nec verisimile est ea tum (2IG av. J-C ). ad Galliam patuisse
ilenera; ulique quac ad Penninum ferunt (le Simplon) obsepta semi germanis
fuissent. »
— 447 —
Gaulois. En parlant des Boies, il dil que le langage de leurs
ambassadeurs offrait peu de différence avec celui des Gaulois
des Alpes. Justin nous apprend que les Scordiskes sont des
descendants des Gaulois qui, sous la conduite de Brcnmis,
ont attaqué la ville de Delphes. Tite-Live, de son côté, dil
que ces Scordiskes parlent le même langage que les Bostar-
nes, lesquels, aux yeux de Tacite, sont des Germains (0.
Strabon regarde les Gaulois el les Germains comme deux
peuples de même race. Seulement il les distingue par des
qualités physiques et morales, comme la férocité, la haute
stature el la couleur des cheveux. En cela il est d'accord
avec une certaine assertion de VAgricola de Tacite (3),
Dans le discours que Trogue Pompée mit dans la bouche
de Milhridate, occupé à enflammer les soldats afin d'en-
Irainer l'Orienl contre Rome, il emploie des expressions
analogues à celles de Salluste, el leur dit que le nom gaulois,
Gallorum nomen, a toujours épouvanté les Romains, et se
hâte d'ajouter : les Gaulois qui habitent l'Asie ne diffèrent
que pur leurs demeures de ceux qui occupèrent f Italie.
Nouvelle preuve que le nom de Gaulois esl souvent un nom
collectif, qui comprend Gaulois et Germains, et que, avant
les notions précises de géographie vulgarisées par César, il
n'y avait pas de différence ethnographique bien tranchée el
bien établie entre les deux races de peuples (4).
(Ij Tac, Germ., XLVI ; les Peucins, que quelques-nns nomment Baslar-
nes, ont le langage, riiabilleraenl, les liabilalions fixes des Germains.
(2) Ammien Marcellin l'a peut-être traduit inexactement dans ce passage,
où il dil des Gaulois .- « Celsioris statarae et candidi poene Galli sunt omnes
et l'ulili, luminumque lorvilate terribiles, avidi jurgiorum et sublatius inso-
lescentes. » N'est-ce pas en partie le portrait des Germains?
(ô) Tac, Agricola, 2 : « Rulilae Caledoniam liabitantium comae, magni
arlus, Gennanicam originem adseverant. » El Juvenal, Sal., XIII, « qui s'é-
tonne des yeux bleus des Germains, de leur blonde chevelure tressée et
réunie en gerbe sur la tète. »
(4) Trogce Pompée ou Justin dit : « Gallorum aulem nomen quod sempcr
Romanos terru'U in partem virium suarum ipse numerct, et Salluste avec
plus d'élégance el d'énergie : Cum Gultis pru sainte non pro tjloria verlari. •
— 148 —
Suivant Justin et Pausanias {^), les hordes qui se ren-
dirent en Thrace, en Pannonie et en Macédoine étaient de
la même race que les peuples qui avaient jeté l'épouvante
en Italie; ils avaient quitté, disait-on, les rives d'une mer
située à l'extrémité septentrionale de l'Europe, que les
inondations et les bêtes féroces rendaient inhabitables. De
la Pannonie, Brennus, l'un des chefs qui étaient à leur
tête, se dirigea sur Delphes. La cavalerie dominait dans
son armée (2); elle en formait au moins la dixième partie.
Chaque cavalier était accompagné de deux écuyers, qui
lui donnaient leurs chevaux quand il avait perdu le sien.
Quand Brennus se mit à piller Delphes, « il faut, disait-il,
que les dieux qui sont riches partagent avec les mortels. »
Brennus fut défait et se donna la mort. De l'armée de ce
chef sauvage il restait encore 20,000, lesquels, grossis par
d'autres hordes, allèrent fonder un peuple mixte, que l'on
connaît sous le nom de Galales ou Gallo-Grecs. S'il fallait
en croire le récit de Pausanias, ces sauvages ennemis égor-
gèrent les enfants, burent leur sang et se nourrissaient de
leur chair (3). On dit aussi qu'ils égorgèrent leurs blessés
pour ne pas embarrasser leur marche (278 avant J.-C).
Dans le nord de l'Europe, le nom de Scythes, dans le sud-
ouest, celui de Celtes (4), étaient des noms collectifs par
lesquels les anciens cherchaient à cacher leur ignorance
du véritable nom des différents peuples. Du reste, il arrive
souvent que l'on comprend plusieurs peuples sous un
(1) Il vivail au Ile siècle sous Antonin le Philosophe. Il nous reste de lui
une exeellenle Description de la Grèce. Voy. liv. X, ex Phocicis, passim.
(2) Caes., B. g., y, 3 : Haec civilas (Trevirorum) longé plurimum lotius
Galliae equilatu volet. - Voy. Jiist., XXXVII, 4. — Ibid., XXXI, 2.
(3) Voy. Histoire de Belgique, par J. J. De Smet, t. I«r, p. 15, où l'auteur
dit : les Tréviriens faisaient partie de l'armée gauloise qui fonda dans l'Asie
le royaume des Gallo-Grecs ou des Galates.
(4) Voy. PmsTER, Histoire d'Allemagne depuis les temps les plus reculés Jus-
qu'à nos jours.
— U9 —
même nom, à cause d'une certaine ressemblance, quelles
que soient d'ailleurs leurs autres différences. Celle dénomi-
nation a ordinairement pour base quelque trait caractéris-
tique particulier, comme la race, le pays, les armes, etc.
Ainsi, d'après Hérodote, Scythe veut dire archer à che-
val. Il est probable que le nom de Celtes a une semblable
origine (»). Mais il faut bien distinguer les Celles des
Gales, VVales ou Wallises, que l'on rencontre dans diffé-
rents pays.
Encore aujourd'hui on appelle Walliser, Valois, les
habitants de la vallée du Rhône, mais les habitants de la
vallée du Rhin portent aussi ce nom dans les écrits du
moyen-âge. Les peuples qui venaient des vallées des Alpes
étaient donc par leur patrie des Wales, Vales, et c'est pro-
bablement de là qu'est venu le nom latin Galli. D'après
leur métier d'hommes de guerre {held, héros, kerl, vir), on
les appelait Celtes ou Keltes.
Pour en revenir à Salluste, cet historien n'aurail-il pas
été induit en erreur par des textes trop peu clairs ou trop
peu décisifs de César, partout où celui-ci fait mention des
Trévires? Au moins y a-t-il apparence. Au chapitre 37 du
I" livre, il semblerait que les Trévires sont d'origine ger-
manique, tandis qu'au chapitre 24 du U" livre, il dit posi-
tivement qu'ils jouissent parmi les Gaulois de la réputation
d'être des cavaliers d'une bravoure remarquable : Quitus
rébus permoti équités Treveri, quorum inter Gallos virtulis
est opinio singularis. Ce passage, je le sais fort bien, peut
(1) Aux explications que Barth {Urgeschichtc, I, 93) a recueillies, on peut
ajouter que le mot gala dans l'anglo-saxon et dans le danois, le mot citcll
dans ridiome des Âlamans, et Kall, dans le daiécarlien, qui dérivent tous
trois de la même racine, veulent dire homme (vir) comme les mots de l'alle-
mand d'aujourd'hui, held et kerl. Voy. Fulda, Diclionnairc des racines.
D'après une autre élymologie (p. 76), kclt voudrait dire un mauvais sujet,
un vaurien. Ce nom serait encore pris des pays d"où étaient venus les hom-
mes de guerre.
— 150 —
èire iiilerprélé d'une aulre fiiçon. On peut alléguer que hi
renommée guerrière des Trévires avait pénétré au-delà de
leurs frontières, et que c'était particulièrement parmi les
Gaulois qu'elle s'était le plus répandue. Mais il faul avouer
qu'il restait, même dans cette supposition, assez peu de
données certaines pour ôler à l'esprit de Salluste tout sujet
de perplexité. En lisant (liv. IH, cliap. 1 1) que César place
T. Labiénus chez les Trévires, avec ordre de contenir les
Rémois et les autres Belges et de s'opposer aux Germains
si ceux-ci voulaient tenter le passage du Rhin, il semble
sauter aux yeux qu'il ait établi une ligne de démarcation
bien définie entre Trévires et Germains. Cependant, dans
un autre endroit, il ouvre de nouveau la porte toute large
au doute et à l'incertitude. FI y dit que la plupart des Bel-
ges tirent leur origine des Germains. Invités par la fertilité
du sol de la Gaule, ils ont passé le Rhin et se sont établis
dans cette contrée depuis un temps immémorial. Ils ont
contraint les anciens habitants de quitter leurs foyers, tout
en refoulant les Cimbres et les Teutons en route vers l'Ita-
lie, qu'ils allaient envahir. Salluste pouvait-il croire que
les Belges, dont les Trévires sont un des puissants éléments,
barreraient le passage à leurs frères d'outre Rhin, à moins
que ces Trévires n'appartinssent à la race des Gaulois dont
ils avaient ravagé le pays (i)? Au livre V, chap. II, on lit
qu'ils se refusèrent de venir aux assemblées et qu'ils se
montrèrent récalcitrants. Il y a plus, ils excitèrent les
Germains qui habitaient de l'autre côté du Rhin. Mais au
chapitre qui suit, leur position ethnographique est bien dé-
(1) Voici le texte de ce passage si précieux : « Plerosque Belgas esse ortos
ab Germanis Rheiiumque antiquilus traductos propter loci fertilitatem ibi
consedisse Gallosque, qui ea loca incolerent , expulisse solosque esse qui
patrum nostrorura memoria, omiii Gallia vexala Teutonos Cimbrosque intra
fines suos ingredi prohibuerinl.Voy. Caes,, B. G., Il, 4. — Cfr. Appian. de reb.
GalL, I, 4 : Yiaav ôè xwv Ki[JL|îpwv xal TïutÔvcdv àiioyôvoi.
— 151 —
terminée. iVous voyons qu'ils cxcellcnl par leur nombreuse
cavalerie, la meilleure de toute la Gaule, et que leur terri-
toire est arrosé par le Rhin. Il n'y a plus à s'y méprendre,
ce sont des Gaulois à la première lecture superficielle;
mais cette conviction disparait si l'on se représente le
passage déjà cité, liv. II, cliap. 4, de sorte que la confu-
sion introduite par Salluste ne se dissipe nullement par les
notions géographiques transmises par César.
Labiénus, dans un autre endroit des Commentaires,
remporte un grand succès au territoire même des Trévires
sur ces derniers et les Germains, toujours en train de voler
au secours des ennemis de Rome (i). Dans ce passage, le
contraste entre Trévires et Germains est vif et tranchant.
Il ne l'est pas moins livre VIII, chap. 65. Une assemblée
avait été convoquée à Bibracte (Aulun) de toutes les parties
de la Gaule. On y ratifia la nomination du généralissime
Vercingétorix, Mais ni Rémois, ni Lingons, ni Trévires ne
s'étaient rendus au concilium national. César en donne les
raisons. Les premiers voulaient s'en tenir aux obligations
que leur imposait leur amitié pour les Romains, tandis que
les seconds, les Trévires, couraient les plus grands périls
de la part des Germains. Donc les Trévires tantôt Germains
et tantôt Gaulois, au moins selon les apparences, n'ont
pas eu dans César même une position ethnographique assez
tranchée pour déterminer Salluste à corriger son point de
vue historique sur les Galli. Il y a là évidemment un mi-
rage trompeur, qui déroute la sagacité du penseur et de
l'historien de l'antiquité.
Les Gaulois sont partis, dit Florus, des extrémités de la
(1) Caes., B. g., VIII, m : Labiénus intérim in Treveris equeslre proeliuni
facil secunduni compluribusque Treveris inlerfcctis et Germants qui nullis
adversus Ronianos auxilia denegabanl, principes eorum vivos redigit in
suaiii poleslalem.
— 152 —
lerre el des bords de l'Océau, qui entoure loul (i). Une
voix céleste, s'écrie Juvcnal, entendue au milieu de la nuit
avertit nos aïeux que les Gaulois arrivaient des bords de
l'Océan (2). Tite-Live avait déjà dit, en parlant des Gau-
lois : un ennemi nouveau, dont on n'avait point encore
entendu parler, vint des bords de l'Océan et des confins
extrêmes du globe (5). Ne sent-on pas le vague et l'indé-
cision des expressions, qui nous ramènent involontairement
à l'école de Salluste? Si l'on rapproche de ces faits ce que
César raconte de l'émigration des Belges, descendants des
Germains, qui ont traversé le Rhin pour s'établir sur le sol
fertile de la Gaule, avec un passage d'Aurelius Victor, qui
dit que les Gaulois Sénonais ont quitté leur territoire à
cause de sa stérilité, on est de plus en plus convaincu que
les anciens auteurs n'avaient que des notions confuses sur
l'ethnographie de ces deux peuples (4).
Sextus Rufus, qui vivait dans la seconde moitié du
IV« siècle après J. C, dit sans détour que Marins chassa
les Gaulois de l'Italie. Le témoignage de Rufus n'est
peut-être pas d'un bien grand poids, mais à coup sûr, il
ne contredit point les conceptions historiques de Sal-
luste (5). On pourrait aussi invoquer Florus (e) lorsqu'il
dit que les Cimbres, les Teutons el les Tigurins ont quitté
Vextrémité de la Gaule pour se dérober aux inondations
de l'Océan. Il n'avait pas de notion, comme on le voit,
bien précise sur l'ethnographie de ces peuples. D'un autre
(1) Florus, I, C.
(2) JCVENAL, XI, H3.
(3) TiTE-LivE, V, 37 : « Inusilalo alque inaudito liosle ab Oceano terra-
rumque ullirais oris bellum cienle. »
(4) Caes., B. g., 4, et Aurelius Victor, XXIII, G : « Mox quum Galli Scno-
nes, reliclis ob sterililatera agris. »
(5) Sexti Rlfi Breviarium, \l ; « Marius Gallos de Italia expiilil et Irans-
ccHsis Alpibus féliciter adversus eos pugnavit. »
(6) Florus, III, 8 : « Cimbri, Teuloni alque Tigurini ab exlremis Galliae
profugi quum terras corum inundasset Oceanus. »
côlé, Tile-Live el Froiiliu en marquent mieux la diffé-
rence (i).
Si nous ouvrons Justin, Appien et les auteurs grecs, à
partir d'Arislote, on voit que Germains et Gaulois sont
confondus par ces derniers auteurs dans le collectif d'Hy-
perboréens (2).
Dans la redoutable révolte de toute la Gaule contre les
aigles de Rome, on voit la cavalerie germaine, composée
de quatre cents bommes, marcher au secours des cavaliers
romains qui pliaient (3). Ainsi, déjà avant la soumission
entière de la Gaule, les Germains figuraient dans les cadres
des légions de César comme troupes auxiliaires et passaient,
aux yeux du vainqueur, comme une individualité ethno-
graphique, dont les caractères distinctifs avec les Gaulois
n'apparaissent du reste nulle part sous la forme du doute.
Et, néanmoins, lesTrévires, d'origine germanique, d'après
les afTirmalions positives de Tacite, se confondent encore
dans un célèbre passage, avec les races éminemment
gauloises, parmi lesquelles les place César dans un mo-
ment où il a recours à une mesure politique (4). Selon
(1) TiTE LivE, XCVII : « M. Crassus Praclor primum cum parle fugitivo-
rum quae ex Gallis Germanisque conslabal féliciter pugnavil. »
Frontin, n, 5, no 34 : « .... parle alia Gallos Germanosque eliceret ad
pugnam. »
(2) Jtisl., XXIV, 4 : a Nomque Galli, abundanli mulliludine, quuin eos
non caperenl terrae quae genuerant, trecenla niillia liominum ad sedes
novas quaerendas, velut ver sacrum miscrunt. Ex his porlio in Ilalia con-
sedit quae et urbem Romanam caplam inccndit et porlio Illyricos sinus per
strages barharorum penetravit. »
App., IV : « "Oti OXu[ntiâ5(ov toI<; ^'EXXigaiv eir-ca xal tvv£viQxovTa yeye-
vyî[J.ÊVWv T>)ç yrjZ twv KéXxwv oOx àpxoûffyjî aÙToTç 6ià tô itXviOoî âviutaTat
|j.oTpa KeXxwv twv à[i(cl xôv, 'P/ivov Ixavr) xaxà Cô^isf^v ÈTÉpaî yr^î, »
(3;Caes., B. g., VII, 13 : Caesarex castris equilalum educi jubet, proelium
équestre comraillil : loborantibus jam suis Germanos cquiles circiter CD
summillil, quos ab inilio babere secuin instituerai. Eoruin inipclum Galli
sustinere non potuerunl....
(4) Ibid., VI, 3. — Concilie Galliae primo vere ut instituerai indiclo qutiii»
t2
— 154 —
son habitude, au commencement du printemps, il con-
voquait le concilium de la Gaule. Tous s'y rendirent, à
Texceplion des Sénons (partie de la Champagne entre la
Seine et Marne : Sens), les Carnutes (aux deux rives de la
Loire : Orléans et Charlrain)ct les Trévires. Ce qui parut
un commencement de rébellion et de guerre. Pour étouffer
cette révolte avant tout, il transféra le siège de l'assemblée
à Paris. Donc partout César laisse dans le vague l'ancienne
notion que les hommes de l'école deSalluste s'étaient faite
des Gain.
Il met dans la bouche d'Ambiorix, répondant à Caius
Arpinéius et à ses collègues, des expressions qui ne contri-
buent certainement pas à faire discerner la différence entre
Gaulois et Germains. Notons d'abord que César a établi
que les Éburons (i) sont de race germanique, que ce peu-
ple, disséminé pour la majeure partie entre le Rhin et la
Meuse, obéit à Ambiorix et à Catavolk. Dans l'entrevue où
il s'agit de négocier pour lever quelques dilTicullés, afin
d'améliorer la position critique de Cotla et de Sabinus, le
chef des Éburons, après quelques révélations, ajoute qu'il
eût été difficile pour des Gaulois de refuser quelque chose
à des Gaulois, d'autant plus qu'ils s'étaient concertés pour
recouvrer leur indépendance. Ambiorix, chef des Germains,
fait évidemment confusion entre les deux races. Il les com-
prend dans un terme générique. Et on voudrait que Sal-
luste ne s'y laissât point prendre, quand on lit qu'Ambiorix
a donné satisfaction aux Gaulois dans la mesure de son
patriotisme (5).
rcliqui pracler Senones, Carnules Treverosque vcnissent, iniliimi bclli ac
defeclionis hoc esse arbitralus ut omnia poslponere vidcretur concilium
Lulctiam Parisiorum transfert.
(1) B. G.,lib. II, 6.
(2)Ibid., V, 24.
(3) Ibid., V, 27 : non facile Gallos Gallis ncgare jwluisse praescrlim quatn
de recuperanda co7nmuni libcrlale concilium inilum vidcretur. Quibus quoniam
pro pietate salisfecerit... Lapidas dans ce passage, c'est l'amour de la patrie,
ce sont les sentiments patriotiques.
— 155 —
Un Nervien, du nom de Verlicou, qui se trouvait dans
le camp de Cicéron, chargea un esclave de porter à César
des nouvelles sur la position critique de son général. Ce
Gaulois mêlé aux Gaulois (et Gallus inler Gallos), sans
éveiller de soupçon, parvint heureusement jusqu'à César.
Il traversa les lignes nerviennes. Or, les Nerviens sont
d'origine germanique et dans ce passage ils sont confondus
avec les Gaulois. De plus, il est assez surprenant que ce
Verticon, Nervien ou Germain, s'entoure d'esclaves de race
gauloise, dans lesquels les Germains ne pouvaient avoir
conOance (i). Ou bien faut-il supposer que les JVerviens,
Germains à l'origine de leur nationalité, soient devenus
par la suite un mélange des deux races?
A un autre passage (B. G. VIII, 25), César semble se
déclarer sans réserve pour la distinction entre les Trévires
et les Germains. Après avoir désolé le pays d'Ambiorix
par l'incendie et les rapines, tué ou pris un grand nombre
d'hommes, il envoya son lieutenant Labiénus, à la tête de
deux légions, chez les Trévires, qui, impliqués dans des
guerres de tous les jours, à cause de leur situation limi-
trophe de la Germanie, ne différaient pas beaucoup des
Germains par leur manière de vivre et leur étal sauvage (2).
Il est évident que César ne range point ce peuple sans
restriction dans la collectivité germanique; car, ailleurs,
pour faire entendre qu'il classe les Helvètes sous la grande
(1) Caes., b. g., V, 43; II, 4, 13; V, 27, 36, 39, 42, 31; VI, 2, Ces lignes
n'emprunlenl de caraclère décisif que si on les corrobore d'une citation bien
connue de Tacite, Germ., 28, ou de Strabon, IV, 3, § 4 : « Nepoûioi xal
zoZzo y£p[Aavcxôv è'Ôvoî. »
(2) Quum in omnes parles finiura Anibiorigis aut iegiones aul auxilia di-
misisset atque oninia caedibus, incendiis, rapinis vastasset magno numéro
bominum intcrfecto aut capto Labicnum cum duabus legionibus in Treveros
niiltit quorum civita.i propler Gcrmaniac vicinitatem quotidianis exercitala
bellis cultu et feritale ho» mullum a Germanis differebat.
— 15G —
famille gauloise (»), il a soin de dire que les Helvètes sur-
passent en bravoure le reste des Gaulois et donne claire-
ment à entendre que les Helvètes et les Gaulois, à ses yeux,
sont une identité de race : ce qu'il n'aurait pas manqué de
faire dans le passage qui nous occupe, si ses renseigne-
ments lui avaient démontré que les Trévires ne formaient
qu'une branche du même arbre germanique.
César constate que les Aluatiques (2) sont les descen-
dants de ces Cimbres et de ces Teutons qui avaient laissé
en-deçà du Rhin des bagages qu'ils ne pouvaient emmener
avec eux. Ils s'étaient fixés dans les lieux où César vient
de transporter le théâtre de la guerre après la défaite des
Nerviens. Or, ces Aluatiques tournent quelque peu en
plaisanterie les formidables préparatifs de siège faits par
les Romains, qu'ils prennent pour des espèces de nains
dont la taille, si peu en rapport avec leurs merveilleux
appareils, excite la verve comique des assiégés. Et lorsque
César, surpris de cette altitude, nous dit que la plupart des
Gaulois, à cause de l'élévation de leur taille, méprisent la
petitesse des Romains, il va sans dire qu'il confond les
Atuatiques, issus des Cimbres et des Teutons, dans la dé-
nomination ethnographique de Gaulois. Et voilà pourtant
de ces contradictions ou, si l'on veut, de ces distinctions
assez peu nettes, capables d'induire en erreur un esprit
comme Salluste, tout imbu encore des anciens préjugés qui
faisaient des Germains et des Gaulois un ensemble com-
pacte, une même souche. Ariovistc cependant s'était chargé
lui-même d'établir une distinction bien tranchée entre les
deux races. Le roi des Germains répondit aux députés de
(1) B. G., 1. I, 1 : quà de causa Helvellii qiioque reliquos Gallos virlule
piaecedunt. Voyez aussi B. G., II, 3 : ncque se cura Belgis reliquis consen-
sisse.... reliquos omnes Beigns in arniis esse.
(2) B. G., lib. Il, 29 et 50 : nam pleruraque hominibus Gallis prae magni-
ludiue corporuin suorum bicvilas iiosira conlemptui est.
— 157 —
César qu'il étail prêt à en venir aux mains pour apprendre
à César ce que peut le courage des Germains invincibles.
C'est bien là une preuve que les Germains, en négociant
avec les Romains, se donnaient à eux-mêmes la dénomina-
tion de Germani (i).
Sallusle, pour en finir, devient encore plus excusable
si l'on réfléchit que quelques auteurs sont d'avis que le
terme Belgium doit se restreindre à une partie du terri-
toire belge habité par les Bellovaques (entre la Somme, la
Seine et l'Oise), les Atrébates (Artois) et les Ambianiens,
dont la capitale était Samarobriva, aujourd'hui Amiens.
Mais en comparant ch. V, 24 et 25, ainsi que VIII, 54,
où Belgae et Belgium sont deux termes qui s'entendent de
la même circonscription territoriale, on ne tardera pas à
se convaincre que Belgae et Belgium sont des expressions
identiques. Il faut encore rapprocher ch. V, 12, et VIII,
46, 49, et il deviendra encore plus évident qu'il n'y a pas
possibilité d'admettre dans Belgium la désignation spéciale
d'une partie du territoire belge. Voici ces deux passages :
Quatuor legiones in Belgio collocavit ciim M. Antonio et
C. Trebonio et P. Vatinio legatis, et Caesar in Belgio quum
hiemaret, unum illud propositum habebat, continere in
amicitia civitates, milli spem aut causant dare armorum.
Le seul endroit qui offre quelque difficulté est dans le
chapitre V, 24. César y énumère plusieurs populations
belges et semble désigner Belgae comme ne formant qu'une
fraction du territoire. En réfléchissant bien sur la distri-
bution des forces de César, on ne sera pas éloigné, je pense,
de croire que les très in Belgis collocavit pourraient bien
s'interpréter ainsi : il dispersa trois légions sur différents
points de la Belgique. De cette façon, la difficulté serait
levée sans faire violence au texte. On sait que les Grecs et
(I) Caes,, B. g , lib. I, 56.
— 158 —
les Romains aimaient à désigner les pays par les noms des
peuples qui les habitaient. Au reste, même avec cette ex-
plication, il faut l'avouer, le doute n'est pas dissipé, à
moins de supposer (autre difficulté) que le mot aliis soit
ellipse.
On peut admettre, d'après les observations critiques de
Kritz, que les ouvrages de Sallusle ont paru entre les an-
nées 43 et 3S avant J. C. Ces écrits ont donc été composés
après l'époque de César; mais l'auteur de Catilina a eu
recours à d'autres sources que les Commentaires. Dans ses
fragments historiques, on lit ce passage : Germani intectum
rhenonibus corpus tecjunt, et César, B. G., VI, 21, s'ex-
prime à peu près dans les mêmes termes. Ainsi, d'après
ces deux écrivains, les Germains se servaient de rhenones,
habillement en peau, qui, couvrant les épaules, retombait
jusqu'au milieu du corps. Comme les termes sont presque
identiques, il est évident que Salluste avait le travail his-
torique de César cous les yeux pour la composition de son
histoire (i). Cette circonstance donne un nouveau poids
aux observations que la comparaison des textes nous a
suggérées.
Mais que doit-on penser du bouclier de Marius? On sait
par Cicéron (2) que son bouclier cimbrique représentait un
Gaulois, les joues pendantes et la langue tirée. On s'est
emparé de cette circonstance pour confondre les Gaulois
du V^ siècle avant l'ère chrétienne avec les Cimbres ou les
Kymris. Voici comment. A la façade de l'une des boutiques
qui se trouvaient au Forum, on avait attaché un bouclier
(1) B. G., Hv. VI, 21 : « Aut parvis rhenonum tegimenlis utimttcr magna
corporis parte nuda. » L'ablatif absolu magna corporis parte nuda est sur-
tout frappant, comparé à l'adjectif intecliim, dont se sert Salluste comme
plus élégant et peut-être aussi parce qu'il cite de mémoire.
(2) De Oral., lib. Il, 66 : « Dcmonstravi digilo pictum Gallum in Mariano
seule Cimbrico sub Novis, distortum, éjecta lingua buccis fluentibus. »
— 159 —
pris aux Cimbres; depuis lors, cet espace fut connu sons
le nom de Tabernae argentariae novae ad scutiim Cimbri-
citm. Cependant un des fragments des Fastes capîtolins
nous apprend que vers l'an de Rome S80, Q. Aufidius, l'un
des banquiers de ces tavernes, fut poursuivi en justice. On
a tiré de ce fait la conclusion que le bouclier en question
devait avoir existé avant Marius. Mais le scutum Cimbri-
cum était l'enseigne non de Q. AuGdius, mais de toute la
série de boutiques sur le Forum, et comme les Fastes capî-
tolins ont été rédigés sous l'Empire, il est naturel de sup-
poser que les auteurs de ces documents ont conservé aux
Tabernae argentariae novae le nom sous lequel ces comp-
toirs étaient connus de tous temps (i).
En résumé, l'histoire à la main, l'identité de race n'a
que de faibles apparences de réalité. Elle ne s'appuie sur
aucune donnée claire, précise, positive. Mais il est vrai de
dire aussi qu'on ne saurait assigner les différences primor-
diales de ces deux races, qui appartiennent sans contredit
à la branche indo-germanique.
Les peuples indo-germaniques ne formaient qu'un seul
corps et parlaient encore la môme langue, alors que déjà
ils avaient conquis une certaine civilisation; et leur voca-
bulaire, dont la richesse était en rapport avec leurs progrès,
formait un trésor commun où chacun d'eux puisait selon
les lois précises et constantes. Nous n'y trouvons pas seu-
lement l'expression des idées simples, de Vôtre, de Vaction,
la perception des rapports (sum, do, pater), c'est-à-dire
l'écho des premières impressions que le monde extérieur
apporte à la pensée de l'homme, nous y rencontrons aussi
un grand nombre d'autres mots impliquant une certaine
culture, tant par les radicaux eux-mêmes que par les
formes que l'usage leur a déjà données. Ces mots appar-
(1) Bulletins dq, l'Académie de Bruxelles, IJ""; partie, t. XXIII, p. 412.
— 160 —
tiennent à toute la race et sont antérieurs soit à des em-
prunts faits au dehors, soit aux effets du développement
simultané des idiomes secondaires (i). Les races indo-
germaniques ont leur patrie dans la région occidentale du
centre de l'Asie. C'est de là qu'elles se sont étendues les
unes au sud et dans l'Inde, les autres au nord-ouest vers
l'Europe. Dire plus exactement le pays qu'elles habitèrent,
serait chose bien difficile : on conjecture seulement qu'il
était situé dans l'inlérieur des terres, loin de la mer, celle-ci
n'ayant point de nom qui appartienne à la fois aux idiomes
de l'Asie et à ceux de l'Europe. Des indications assez nom-
breuses semblent désigner les espaces qui avoisinenl l'Eu-
phrate; d'où la coïncidence remarquable qui rattache à une
même contrée les origines des deux races les plus impor-
tantes de l'histoire, celles des Araméens et des Indo-
Germains, et qui, si l'on se reporte jusqu'à l'ère inconnue
où naquirent les langues et la civilisation, semblerait aussi
attester la communauté première des uns et des autres.
// se peut qu'après le départ de la famille indienne, les
Européens aient encore séjourné en Perse et en Arménie :
la culture des champs et la vigne y a été inventée, dit-on.
L'orge, l'épeautre, le froment, sont, en effet, indigènes en
Mésopotamie : la vigne croît naturellement au sud du Cau-
case et de la mer Caspienne, en même temps que le pru-
nier, le noyer et un certain nombre d'autres arbres à fruit
d'une acclimatation facile. Chose remarquable aussi, le
mot mer est commun à la plupart des races européennes,
aux Latins, aux Celtes, aux Germains et aux Slaves; d'où
l'on conclut qu'avant leur séparation ils ont dû toucher
ensemble les rivages de la mer Caspienne ou de la mer
Noire.
(1) MoMMSEN, Hisl. ruin., irtuluit par C. A. ALEXANonE, t. l*^"", p. 20; Paris,
1863.
— 161 —
Celte magnifique hypothèse n'impose point la conviction.
Mais d'après tout ce qui précède, il est permis de regarder
les Germains et les Gaulois comme deux unités ethnogra-
phiques distinctes qui se sont formées progressivement par
l'action du temps et qui, à l'époque des Romains et surtout
avant leur domination, conservaient encore un grand nom-
bre de traces d'une commune origine (t). Il importe donc
(1) On peut s'en convaincre de plus en plus, en lisant les auteurs anciens
qui s'éloignent de l'époque classique et progressivement à partir de celle-ci :
Voy. Elablissemenls des Germains en Gaule ; Uorkt., Od., IV, 14, 49. —
Liv. Epit. (Justin), 137, 139. — Suétone, Aug., 21, etTiB., 9. — Tac, Ann.,
XII, 39. — EuTnop., YII, 5. — Aijrel., Vict. v. Aug. — Eumen., Pancg.
Const. Chlori, 4, 9. — Aristides (elî paffi>i, vol. I, p. 111, éd. Dindorf). —
Dion Cassius, LUI, 12; LIV, 20; LXXI, 3; XXXIX, 49. — Cf. AnniEN (il a
écrit quelque temps après Plutarque), Anabas, I, 3, avec Vell. Paterculus,
II, 108, 109, et Strab., VII, p. 301.
Pausanias (écrivit 170 ap. J.-C). Voy. fin du 1" liv. et I, 9; VIII, 43. —
Agathemeros (200 ap. J.-C), II, 4. — Clément d'Alexandrie, Paedag., III, 3,
§ 24, et Strom, I, 15, § 71 et suiv. — b Marcien d'Héraclée (420 ap, J.-COi
TreptTrXoui; t^ç IÇw 9aXc(jar)ç, conf. avec Geographi graeci minores, éd. Mullcr,
vol. I, p. 5bO et suiv. — Zozime (milieu du V« siècle après J.-C), Hist. eccl.,
III, 9; IV, 9; ib., 24; ib., 34, et VI, b. — Suidas. — Plutarque (presque
contemporain de Tacite; voy. les passages : Mar., c. II; Caes., c. 15, 19;
Cam., 15; Marcel., c. 7; Sert., c. 3. D'après ce dernier passage, on doit
admettre que la langue des Germains et celle des Gaulois renfermaient des
éléments communs). — Appien, Bell. Hisp., I; Dello-GalL, I; Proocm., c. 4.
— Dion Cassius (155-240). — Hérodien (240 après J.-C). — Denys le Pé-
RiÉGÈTE (vers le IV^ siècle de l'ère chrétienne). — Nicephore Blemmiuas (XIII^
siècle). — AviÉNUs (vécut à Borne vers la fin du 4« siècle de notre ère). —
Priscien (Ve siècle), auquel on doit une traduction de Denys le Périégètc,
et EusTATHE, arcli. de Thessalonique (mort en 1198) écrivit aussi un com-
mentaire sur Denys le Périégètc.
EpHRAëMos (Ephrem), chroniqueur du XV« siècle. — Etienne (Stcphanus),
de Byzance. il vivait probablement dans le Vl^ siècle de l'ère chrétienne.
Sous le titre 'EOvixa, il publia un lexique géographique dont on a un abrégé.
— Jean Lydus, écrivain byzantin (490-565), — El Nicephore Grécoras, qui
naquit vers 1295.
Les sources d'origine latine sont d'abord ; Trebellius Pollio et Nolitia
dignitalum utrinsque imperii, où il y a des passages qui ne sont pas favora-
bles à la dualité de race. Entre autres les cohortes Cellarum de la Notilia.
C, SuETONiusTRANQ.Voy. Aug. ,1\ , ciTib. , 9, 17; Caw., 23, 58; ClaïuL, 2;
— 162 —
de les examiner dans leurs traits primitifs, d'un côté comme
prolégomènes à l'histoire générale de la Belgique pendant
la période romaine, et de l'autre, comme se rattachant à
l'ethnographie spéciale des populations du Luxembourg :
Sègnes, Condruses, Pémans, Cérèses et Trévires. C'est
sous ce dernier point de vue que nous traiterons le plus
succinctement possible de la question des Gaulois et des
Germains.
J. Felsenfiart,
Docleur en philosophie cl Icllres.
{Pour être continué).
TA., 41, conf. avec Claud., 24, et T. Ann., XIII, 54, avec ClaucL, 23; Aug.,
21 et 23, avec Cacs., 25 et 28; Tib., 9, conf. 17; Calig., 47. — Julius Flo-
Rus, I, 37, 44, conf. Caes., B, G., VII, 63. — Silius Italicus qui emploie le
terme Cellae et Ausone (Clar. urb., 14), v. 29-32. — Dans les Scriptores
hisloriae Augustae, Vopiscus, numer., c. 13; ihid., AttreL, 44, conf. 53. —
EuMÈNE, Panegyr. in Const., c. 3, — St. Jérôme, HUar., c. 81 : « Intcr
Saxones et Alemanos gens est lam lala quant valida: apud hisloricos Gcrmania
7iunc Francia voeatur. » Comm. in epist. ad Galat. proL, c. 3. — Adrelius
Victor (560 après J.-C), cap. 16. — Eutrop., V, 1, et VII, 9, 11; IX, 7, 8;
X, 14, 15. — Ammien Marcellin, XV, 9, 10; XXI, 3. — Grégoire de Tours;
Procope {De bell. Vandal., I, 3) : « à? Tepiia.vo'Ji ol' vûv (p^ôc^yoi xaXoûvTat;
Bell. Goth., I, II; comp. avec Vopisc, Procul., 13 : « Nonniliilum (Proculus)
tamen Gallis profuit. Nam Allemannos qui tune adhuc Gcrmani diccbantur
non sine gloriae splendore conlrivit. » On ne doit point perdre de vue, en
lisant ce passage, que FI. Vopiscus écrivait sous Dioclclien et Constance Chlore.
— 463 —
its Sires bc €arnat)aL
ÉPISODES DE l'hISTOIEE DE l' ABBAYE DE PARC-LES DAMES.
L'abbaye de Parc-Ies Dames (i), de l'ordre de Cileaux,
siluée dans la seigneurie de Wesemael, ne figure pas parmi
les communautés religieuses qui ont joué un rôle impor-
tant dans les annales de notre pays; mais si sou histoire
ne présente aucun fait mémorable (2), elle fournit cepen-
(1) La fondation de celte abbaye fut confirmée, en 1215, par Henri I^r, duc
de Brabant, et la ducliesse Aleide appiouva, en 12GI, les donations faites au
même monastère par Arnold de Rolselaer, sénéclial de Brabant. Jeanne d'Epi-
noy, femme d'Henri d'Assche, lui légua, la même année, une rente de trente
sous de Flandre, pour son anniversaire et pour une pitance en faveur des
religieuses; et en 1509,. Sibille, veuve d'Henri, seigneur de Grimberglie, et
Henri, son fils, confirmèrent une donation faite à l'abbaye de Pare-les Dames
par Waulbier de Worseke, en considération de trois de ses filles qui y avaient
pris l'babit (Voir Mir^us, t. IV, pp. 562, 717, 719).
Ce monastère cessa d'exister, ainsi qu'il conste par le procès-verbal de
suppression, le 14- vendémiaire an V (5 octobre 1790). A cette époque il comp-
tait dix-neuf religieuses, y comprise l'abbesse, et douze sœurs converses.
(2) Le silence de l'bistoire est abondamment compensé par la légende. Nous
engageons beaucoup nos lecteurs à lire le chapitre que M. Gens a consacré à
Pare-les Dames dans son livre intitulé : Ruines et paysages en Belgique, et
surtout le charmant récit qu'il y fait de la légende de sœur Béatrix.
La tradition a complètement dénaturé cette légende; les habitants de Wese-
mael et de Rotselaer racontent que l'àmc d'une abbesse, morte dans l'impé-
nitence, vient encore errer, toutes les nuits, autour du monastère. « Quelque-
fois, disent-ils, à l'heure de minuit, on entend toul-à-coup des cris perçants
sortir d'un petit bois qui se trouve de l'autre côté de la chaussée et où elle
oublia ses vœux pour la première fois. Le bois s'éclaire de lueurs étranges
et l'abbesse, assise à califourchon sur une énorme truie — d'où lui est venu le
— 164 —
dant des épisodes curieux, se rattachant à des coutumes, à
des usages locaux qui méritent sans conteste d'être tirés
de l'oubli : telle est entre autres l'élection que faisaient,
l'avant-dernier jour du carnaval, les jeunes gens de Rol-
selaer et de Wesemael d'un prince et d'une princesse, élec-
tion qui causait, paraît-il, beaucoup de soucis et d'ennuis
aux dames de Parc. C'était, en effet, dans leur monastère
qu'ils prétendaient exercer les prérogatives de leur éphé-
mère souveraineté, et si on examine les plaintes auxquelles
donnait lieu leur conduite, ils ne devaient guères ressembler
à ce placide roi d'Ivelot, que Béranger, dans une de ses
chansons, célèbre comme le type du potentat paisible, trou-
vant l'extrême bonheur dans une quiétude parfaite et
subordonnant tout à l'amour de la paix. Autant il était
tranquille, autant ils étaient bruyants; aussi la manière
dont ils tenaient leur cour produisit-elle les plus fâcheux
tiraillements entre les habitants des deux villages et les
religieuses de Parc.
Celte abbaye, depuis une époque très-reculée, avait l'ha-
bitude de distribuer tous les ans, l'avant-dcrnier jour du
carnaval, aux pauvres de Rolselaer et de Wesemael, du
pain, du lard et de la bierre, qu'ils consommaient soit de-
vant la porte, soit à l'intérieur du monastère; mais ces
agapes ne tardèrent pas à dégénérer en orgie et à occasion-
ner de graves désordres. A pareil jour, les jeunes gens de
Rotselaer proclamaient tm prince de j'oyeuselé, qui s'inti-
tulait le comte de Lokeren ou sire de Carnaval {vasten-
avondheer), et les jeunes filles de Wesemael choisissaient,
de leur côté, une dame. Immédiatement après leur élection,
ces potentats d'un jour, escortés par leurs sujets, armés de
nom de Mcvrouw op liacr zocg — poussant des cris aigus, en sorl cl se dirige,
au grand galop de sa bizarre monture, vers les bâtiments de l'abbaye, où elle
disparaît sans qu'on puisse voir par où clic est eutrcc. »
— 165 —
sabres de bois et coslumés en fous (kleedende alsdan ah
zotten), se rendaient au monaslère. A leur arrivée, les
portes du couvent s'ouvraient, de gré ou de force, et la
joyeuse cohue, envahissant l'asile de la prière et du recueil-
lement, s'y établissait et s'y gorgeait de lard, de pain, etc.
Après le banquet, le bal, c'est dans l'ordre : aux accords
criards des violons du village, nos souverains improvisés et
leurs vassaux se trémoussaient et se livraient, dans le réfec-
toire des domestiques, aux entrechats les plus échevelés.
Ces saturnales n'étaient pas du goût des révérendes
dames de Parc, et certes elles n'avaient pas tort. En 1621,
sous la prélature de Catherine Bellens (i), les habitants de
Rotselaer et de Wesemael avaient mis en pièces une partie
du portail de l'église abbatiale et, se servant d'un arbre
en guise de levier, ils avaient enfoncé une autre porte du
monastère. Ils avaient promis en outre de recommencer
de plus belle l'année suivante. Le conseil de Brabant fut
saisi de cette affaire; par sentence du 20 janvier 1622, il
(1) Voici les noms des abbesses qui onl gouverné Pare-les Dames : Margue-
rite, vivait en 1223; Ermenlrude BoUo, 1233; Ode, 1237, 1244; Margue-
rite, 1254; E..., 1261; Marguerite, 12G6; E..., 1272; Agathe van Dicvcn,
f 23 mai 1275; Anne van Merxem, 1297; Marguerite van Rotselaer, 1291;
Mathilde van Calslre, 1309; Marie van den Calstre, 1326; Gertrude du Duras,
1351; Marguerite van Dormaele, 1334; Marguerite van Rode, 1344; Mathilde
de Boleric, 1364; Mathilde de BoUo, 1365; Marguerite Ocmkens, 1381; Cathe-
rine van Wilre, 1392; Marie van Latiiem, f 20 avril 1415; Marguerite van
Wesemalc, 1423; Marie van Dorraale, f 12 octobre 1441; Marie Lieflkenrode,
-J- 20 janvier 1470; Anne van Rivieren, f 21 février 1495; Jeanne vaudcr
Smissen, f 7 mars 1517; Gertrude van Huile, f 4 avril 1521; Marguerite
van Dormale, 1522; Jeanne van Rivieren, f le 27 juillet 1532; Jacqueline
vander Smissen, -^^ 27 juillet 1553; Anne vander Vliet, -|- 7 novembre 1559;
Catherine Ilax, -J- 11 novembre 1574; Jeanne de Ferry, f 21 mars 1C04;
Christine vander Meren, f 27 juin 1618; Catherine Bellens, f 30 sep-
tembre 1638; Marie van Ryckel, f 15 octobre 1655; Robertine d'Amezaga,
-J- 26 avril 1663; Bernardine Taelmans, f 26 novembre 1074; Benoile Hau-
waart, -}- 1712; Robertine Rozeneck, f 1729; Bernardine de Fusco, f 1733;
Ursule van Ursel, f 1766; Ernestine de Roi, f 1776; Constance Verheyden
était encore abbesse en 1796, lors de la suppression de l'abbaye.
— 166 —
tléfeiulit aux officiers et aux habitants des susdites localités,
sous peine d'une correction arbitraire, de se livrer désor-
mais à de semblables excès, et il autorisa les religieuses à
afficher cette sentence sur un poleau devant leur abbaye.
Il les prit en outre sous sa sauvegarde spéciale (i).
Désormais la guerre était déclarée entre Pare-les Dames
et les villageois. Ceux-ci avaient contre cet établissement
une haine profonde et cherchaient par tous les moyens à
lui susciter des embarras. En 1632, la prélate ayant refusé
aux habitants de Rotselaer de leur délivrer un arbre pour
la plantation d'un mai devant la maison des archers, ils
ne tinrent aucun compte du refus et s'en allèrent couper
un chêne dans la forêt du monastère. Comme bien on
pense, ils n'avaient pas choisi le moins splendide. Les
chevaux qu'ils avaient emmenés ne purent le traîner, et ils
furent réduits à s'en retourner au village pour aller en
quérir d'autres. Entretemps, l'abbesse, profitant de leur
absence, fit transporter le chêne à l'intérieur du monastère;
elle espérait le mettre à l'abri et en quelque sorte sous
séquestre, jusqu'à décision de la question de droit. C'était
mal connaître ses adversaires; ils revinrent bientôt et exi-
gèrent, sans autre forme de procès, qu'on le leur remît.
L'abbesse n'ayant pas voulu condescendre à leur demande,
nos gars se mirent en mesure d'emporter le chêne, objet
de leurs convoitises, et l'un d'eux, grimpant sur la muraille
du couvent, parvint, au moyen d'un levier, à en ouvrir la
porte. « Voici, s'écria-t-il, en le jetant au milieu de ses
compagnons, la clé de l'abbaye de Pare-les Dames. » Ces
mots furent le signal de l'envahissement du monastère.
Entrer dans la cour et enlever le chêne, fut l'affaire d'un
instant. La supérieure eut beau protester, à ces réclama-
tions les villageois répondirent d'une manière ironique; ils
(1) Annexe, n" I.
— 1G7 -
n'étaient pas éloignés, disaient-ils, de restituer ce qu'ils
avaient pris, ils rapporteraient volontiers Tarbre, mais à
condition que l'abbesse donnât une aime de bierre à ceux
qui le lui ramèneraient (i).
Cette affaire n'était pas de nature à calmer l'animosité
que les habitants de Rotselaer nourrissaient contre Paro-
les Dames, elle fut au contraire le point de départ de nou-
veaux excès à l'occasion du carnaval. Les religieuses,
persécutées d'une manière indigne, s'adressèrent de rechef
au conseil de Brabant; elles y obtinrent une sentence, le
23 août 1635, à l'effet de réprimer les insolences dont les
villageois se rendaient coupables envers elles, mais poussant
la mansuétude à l'extrême, elles préférèrent entrer en
arrangement avec leurs adversaires au sujet de la distribu-
tion des vivres, qui depuis un temps immémoral se faisait
le jour du carnaval dans leur monastère. En vertu de ce
compromis du 9 janvier 1656, l'abbaye de Pare-les Dames
devait donner tous les ans à ceux de Rotselaer, pour les
masques de ce village (vastenavondzotten), 3 flor. du Rhin,
au lieu de la bierre qu'on leur avait précédemment versée
à boire : elle s'engagea, en outre, à payer au sire de Car-
naval el à la Dame choisie par les filles de Wesemael,
1 schelling, faisant 6 sous. Le mayeur, ou à sa place un
des échevins, accompagné de deux ou au plus de trois
habitants, était tenu d'aller recevoir les vivres, qui consis-
taient en un quartier de lard et 15 pains d'abbaye, ainsi
que la gratification dont nous venons de parler. A cet effet,
ils devaient se rendre à l'abbaye, entre neuf et dix heures
du matin, sans bruit ni vacarme et sans se faire suivre des
instrumentistes, dont les bruyants accords sonnaient si
mal aux oreilles des révérendes dames (2).
(1) Archives de l'abbaye de Pare-les Dames.
(2) Annexe, n» 11.
— 108 —
Le 23 février 1645, Claire-Eugénie d'Arenberg, prin-
cesse douairière de Chiniai, ayant la direction des affaires
et des biens de son frère Philippe-François, prince d'Aren-
berg, duc d'Arschol (i), ordonna aux habitants de Rolse-
laer d'observer le susdit accord, sous peine d'une amende
de 50 florins, à payer pour chaque contravention. Inutile
de dire que ce règlement pesait beaucoup aux turbulents
vassaux du sire de Carnaval. En 1657, brisant le frein qui
leur avait été imposé, ils arrivèrent devant l'abbaye au
nombre de trois cents, bien déterminés à célébrer bruyam-
ment l'élection de l'illustre comte de Lokeren. En un
instant la porte cède sous leurs efforts; une fois à l'intérieur,
ils se mirent à briser portes et fenêtres, à démantibuler les
tables, les chaises, les bancs, etc., et à la grande frayeur
des pieuses recluses, ils allumèrent un immense brasier,
comme s'ils avaient voulu incendier le monastère. Pareils
désordres n'étaient plus tolérables; par ordonnance du
28 novembre 1657, Philippe IV statua que, vu le mauvais
usage que l'on faisait des vivres qui se distribuaient à
Pare-les Dames, cette distribution n'aurait plus lieu à
l'avenir en espèces. De dix en dix ans, on devait en liquider
la valeur et la réduire en argent à partager, par les maîtres
de la table du Saint-Esprit, aux pauvres des paroisses de
Rotselaer et de Wesemael, en présence du curé. Défense
était faite au mayeur, aux échevins et aux habitants de vexer
désormais les religieuses, sous peine d'une punition à
déterminer suivant la gravité du cas (2).
Dans le but de faire disparaître toute animosité entre
les villageois et les dames de Parc, Philippe-François
d'Arenberg, baron de Rotselaer, décréta, le 20 août 1659,
un nouveau règlement concernant la distribution des vivres.
En voici les principales dispositions :
(!) Arcliives tle rabhftye de Paro-loz Dniiips.
(2) Annexe, n» Ul.
— 169 —
1° L'abbessc consentait à donner 100 florins, qui, avec
60 florins accordés par le duc d'Arenberg, devaient être
appliqués à la table du Saint-Esprit de Rotselaer;
2" Défense aux liabitanls de molester l'abbaye, de prendre
ou de donner le litre de comte de Lokeren, sous peine
d'une amende de 100 réaux d'or;
3° Le majeur de Rotselaer devait tous les ans, le dernier
dimanche du carnaval, publier le susdit règlement devant
la porte de l'église;
4" Les parents étaient tenus, quant à l'exécution de ce
règlement, d'être garants pour leurs enfants, et les maîtres
et maîtresses pour leurs valets;
5° Enfln, les confrères de la gilde devaient, si quelqu'un
s'avisait d'enfreindre l'ordonnance du duc, s'armer pour
réprimer les excès qui pouvaient se produire (i)-
Ces dispositions sages et énergiques à la fois, mirent fin
au règne de très-hauts et très-puissants sires de Carnaval,
comte et comlesse de Lokeren.
J. J. E. Proost,
(1) Annexe, n" IV.
13
— 170 —
Annexes (i).
I.
Ordonnance du conseil de Brabant défendant, sons peine
d'une correction arbitraire, aux habitants de Rotselaer
et de Wesemael, de se livrer à de nouveaux excès contre
Fabbaye de Pare-les Dames,
20 Janvier 1622.
Gesicn in den raede van onscn genadichsten heere die ko-
ninck van Caslillien, van Arragon, van Léon, van beyde Sici-
lien, van Jérusalem, van Poritigael , etc., aertshertoge van
Oostenryçk, hertoge van Bourgoignen, van Lotryck, van Bra-
bant, van Limborch, van Giielre, etc., ende van Milanen, etc.,
geordonneert in desen zynre Majesteits lande ende hertochdome
van Brabant, die requeste aldaer overgegeven ende gepresen-
teert by oft van weghen die vrouwe abdisse ende religieusen
des Godshuys van Vrouwenperck, inboudende hoe datmen ge-
woen is, voor oft binnen den poorten van 't selve cloostere, le
doen sekere distributie van speck, broot ende bier aen d'inge-
setenen van Rotselaer ende Wesemael; ende hoewel dat d'inge-
setenen van de selve plaefsen, ontfangende de vorscreve distri-
butie, hun soude behoiren te comporteren ende te draegen in
aile modestie sonder derhalvens te gebruycken eenige vvegen
van force oft gevvelt, soo ist nochtans dat in hun het vuerleden
jaer hebben vervoirdert te bedryven seer veele ende groote
insolentie, hebbende het portael vande kercke voor een deel
ontstucken gebroecke, ende daercnboven oyck opgeloopen met
gewelt ende crachte van boomen sekere deure van 't voerschre-
ven cloosfer, jae dat meer is -hebben gedreyght dat zy het
toecommende jaer noch wel anders souden vuyt richten, nyet-
tegenstaende die supplianten hun in ailes behoire syn acquite-
rcnde sonder die voerscreven ingesetenen te geven eenige de
minste redene van te doen dyergelykc insolentien in een vrou-
(1) Les pièces, publiées sons ce titre, sont conservées dans les archives de
Tabbaye de Pare-les Dames.
— 171 —
wen cloosier, die welckc gheene defentien van waepcncn oft
andersints en connen gedaen, mits den welcken hebben die
supplianten zeer oitmoedelycke gcbeden dat de voerschreven
raede gelieven wilde daer inné in tyts le versien by alsulke
middelen, aïs den selve raede bevinde souden te behoirene,
't hoff, den redenen voerscreven aengemercht , ende in aile
inconvenienten te prevenieren beeft geinterdiceert ende verboe-
den, interdiceert ende verbiedt wel expresselyke, by desen,
d'officieren ende ingesetenen van de voerscreven dorpen van
Rotselaer ende Weesemael hen te verdraegen van eenige inso-
lentien oft moetwillicheden meer te doene oft te gebruycken int
haelen van de voerscreven disfribulie, op arbitreele correctie,
van de selve hove, maer dat zy hun daer inné snllen bebben te
comporleren met aile modestie ende siillicheyt, gelyck bunne
voersaeten hebben gedaen. Permiiterende die supplianten van
dese tegenwordige interdiciie publicatie te moegen doen, ende
voerts de selve doen stellen op een block voor de poorie van de
voerscrevene goidshuyse, nemende voert 't voerscreven boff de
selve supplianten in hunne protectie ende sauvegarde. Gedaen
in den voerschreven raede, den twintichsten januarii int jaer
XVI' ende tweentwintich.
II.
Accord conclu entre l'abbaye de Pare-les Dames et les
habitants de la baronnie de Rotselaer, au sujet de la
distribulion de vivres qui se faisait dans cette abbaye
V avant-dernier jour de carnaval.
9 Janvier 1656.
Op heden den negensten januarius XVI" sessenderlich is
tusschcn de gegoeyde ende de générale gemeyntenaers der
baenderye van Rotselaer, ter nedergelicht het différent ende
geschil dat zy hadden met den godshuyse van Vrouwenpercq
ende dat over de oude gewoonelycke usancie van distributie,
zoo van broot ende speck op den naestlesten dach van de vas-
tenavont, die zy naer ouder gewoonte plachten te hebben ende
— n-2 —
te drincken in couvents hier, die nien aen de selve gewillich-
lycken waeren gevende binnen der poorte van den selven goids-
hnyse met de gemeyne ingesetene der baenderye van Wesemael;
soo zyn wy tusschcn spreecke van goede mannen ende meeste
gegoeyde der selven baenderye van Rotselaer met den Goids-
huyze overcommen ende veraccord om voordaen aile qiieslicn,
insolentien, moetwillicheden ende differentien te schoiiwen
omme nu ende ter eeuwighen daghen, ten weder zyden, daer-
naer te reguleren ende dat volgens de presentalien ende pro-
testatie alhier gedaen, tôt welchen eynde van wegen den voor-
noempden Goidshuyze van Vrouwenpercq expresselychen is
compareert hunnen rentmeester in persoone, als last ende irre-
vocabel procuratie hebbende van het selve couvent, den welchen
verbaelychen int jaergedingen alhier heeft gepresenteert aen
onsen dorpe van Rotselaer drye rinsguldens jaerlycx voor de
selve vastenavont gasten, ende dat in plaetse van het couvents
hier, d'welch hun by den Goidshuyse wirde gegeven. Ende dat
in het halen van de gevvoonelycke distribuiie van broot ende
speck, daermede de voorschreven vrouwe abdisse ende conven-
tualen versocht hebben met de voorschreve drye rinsguldens
te gestaen ende daer beneffens te vreden dat den meyer vander
plaelsen,oft wel yemandt in zynen naem,een van de schepenen,
die met hem zal mogen nemen twee ofte drye ten hoochsien
van de binnegasten van den selven dorpe, zonder meer, omme
de voorschreven gcwoonelycke distribuiie te halen int clooster,
te weeien voor die van Rotselaer een zyde speck met derihien cou-
vents brookens, die zy zullen ontvangen met aile modestie ende
stillichede binnen der poorte van den selven cloostere, ende als-
dan ooch jaerlycx mede geven om te geven aen den vastenavont
heer mede voor die vrouwe van die van Wezemael eick eenen
schellinck, maekende scsse sluyvers. Aile welcke provisie ende
gifte, zoo vooren gezegt is, door de genomineerde persoonen
sal gehaelt worden smorgens tusschen den negen ende thien
uren met expresse protestatie, zonder by hun hebbende oft doen
mede commen eenighe instrumenten van geweer oft plaisier,
van eenighe de minste speluyden dan alleenelychen hun sullen
moeten te vreden houden met 't gène voorschreven is ende vol-
brengen 't gène alzoo hier vooren gementionneert is, met con-
— 175 —
tiniiaiie ende observatie van jaere te jaere onverbreckelychen
sonder eenige fraude oft argelist. Zoo heeft den voorschreven
Goidshuyse geconsenteert, geljck zy consenteren by desen ac-
cord, te vreden zynde dat de costen dyer geresen zyn tôt laste
van de voorschreve gemeyntenaeren van Rotselaer in den raede
van Brabant, achtervolgens den vonnlsse vander daete den
vyffventvvintichste augusti XVI" vyffvendertieh, geteekent : Four-
dyn, loco Mastelyn, sal laeten glisseren, anderssints dat 't voor-
schreven cloosler sal blyven in hun geheel, die ter contrarien
deser eenichsints waere attenterende oft wel int minste daer
naer en wilde regiileren,
Gehoort hebbende het voorschreven vercleeren ende condi-
tien hier vooren gemeniionneert, zoo is den heere Pasloor
nietten heere Drossart ab Angelis, meyer, schepenen ende de
principaele gegoeyde met de generaele gemeynte vergaedert, op
heden int voorschreven jaergedinghe om vrientschappe ende
altoos goede correspondentie voordaen te houden met het voor-
schreven presentatie in conformiteit met de selve articulen ende
conditien aïs vooren geaccepteert, gelyck wy accepteren, by
desen, nu ende ten eeuwighen jaere aizoo te volbrengene ende
't observerene. Aldus geresolveert ende gesloten ten huyze van
den meyer tôt Rotselaer, ende omme beter 't effectuerene,
hebben partyen hinc inde dese voorschreven ordonnantie on-
derteekent ende eick met onsen gewoonelycke schependoms
ende couvents zegel, opt spaiium van dese gedruckt op datum
ende jaere als boven.
III.
Ordonnance de Philippe IV, portant que la distribution de
vivres qui se faisait précédemment à l'abbaye de Paro-
les Dames l' avant-dernier jour du carnaval, n'aurait
plus lieu, et que la valeur en serait distribuée par les
maîtres du Saint-Esprit de Rotselaer et de Wesemael,
aux pauvres de ces deux paroisses.
28 Novembre 1657.
Alsoo aen onzeu seer lieven ende ghetrouwen die cancellier
— 174 —
ende luyden van onsen rade van Brabandt, by den raede ende
procureur generael van den voorschreven rade op den 13 ja-
nuarii 1657 ware requeste ghepresenteert ende te kennen ghe-
gheven, soo 't synder kennisse was ghekomen dat in de abdye
van Wrouwen Perck jaerlycks gheschiedt eene uytreyckinghe
van broodt, speck ende bier aen de armen van de by-Iigghende
prochien van Rotselaer ende Wesemael, op den naest lesien
vastenavondt dagh; ende hoe wel d'intentie van de fondateurs
ontwyffelyck soiiden hebben ghedraeghen dat sulcx soude ge-
schieden op goede manieren, tôt laeffenisse van de arme ende
sonder oppressie van het cloosier, ghelyck hier voormaels
plachte te geschieden, soo syn evenwel door de verargheringe
des tydts die saken soo verre verloopen dat die voorschreven
almoessen 't sedert eenige jaere herwarts aen de armen syn
ontnomen door verscheyde, soo nians als vronwe persoonen, die
voorschreven almoessen niet van noode hebben, ende die welcke
de selve ghelyck met gheweit ende andersints met groote moeye-
lyckheden, ontstichtinghe ende schandalen in hei voorscreven
clooster verteren, oock directelyck teghens accorden ende or-
donnantien, daer over ghemaeckt, ende publication daer over
ghedaen. Om waer inné voor het toekomende te versien, soo
ist dat wy hier op ghehadt hebbende d'advys van onsen voor-
schreve rade, ende ghehoort die respective meyers ende sche-
penen van Wesenmael ende Rotselaer voorschreve, hebben
geordonneert ende ordonneren mits desen, dat die voorschre-
ven uytreyckinghe van broodt, speck ende bier voortaen niet
meer en sal geschieden in specie, noch in de voorschreven
abdye, maer dat die weerde daer van te liquideren van thien
tôt thien jaren met die heyleghen Gheest meesters van de
voorschreve twee dorpen sa! reduceert worden in ghelde ende
op den voormelden dagh by de voorschreve heylighen Gheest
meesters naer het ghetael van de armen der voorschreven res-
pective prochien, ten overstaen van de pastoers, eick in syne
prochie uyfgheryckt wordcn. Ordonneren aen de meyers, sche-
penen ende ingcselenen van Wesenmael ende Rotselaer voor-
schreven ende allen anderen, die sulcks soude moghen raken,
hun daer mede te ghenueghen, sonder aen die van de voor-
schreven abdye, ter oorsake van het voorschreve broodt, speck
— 175 —
ende bier vooriaen, eenighe moeyclyckheyt acn le doen, oft
ter oorsaken van dyen by weghe van feyt iet auders te preten-
deren, op pêne van dacr voor anderen ten exemple ghestraft
te worden, 't zy in lyf ofi goet, naer gheleghentheyt van de
sake. Bevelende aen de voorschreven meyers ende schepenen
van Wesemael ende Rotselaer, dat sy dese onsen ordonnanticn
sullen hebben te doen publiceren ende stellen ter behoorelycker
execulie, voor soo vêle hun soude moghen raken, verclaerende
dacr en boven dat wy 't voorschreven clooster ende invvoon-
deren van 't selve teghens die voor verhaelde ende dierghelycke
voorstellen hebben ghenomen in onsen besundcre protexie ende
sauvegarde, ende dat wy teghens de ghene die contraire dese
soude presumeren te doen int besundere oock sullen doen pro-
cederen, ghelyck teghens die overfreden van onsen sauvegarde.
Wanl alsoo ghelieft. Gheghcven in ouse stadt van Brussele,
den 28 november lGo7.
IV.
Acte de Pfiilippe- François, duc d'Arenberg, promulguant
différentes mesures pour mettre fin aux excès que com-
mettaient au carnaval les habitants de sa baronnie de
Rotselaer.
20 Août 1659.
Wy Philips Franz, byder gratie Gods, hertoge van Arenberg,
hertog van Arschot en Croy, prince van Porcean ende Bebecque,
marckgrave van Montcornet, grave van Lallaing en van Senne-
ghem, baenderheere van Commeren, Rotselar, Bierbeke, He-
verlé en lande van Beveren, heere der steden, landen en heer-
licheden van Edinghen, Halle, Braine-le-Comte, Geldenaken,
Floyon, Pronny, VVarpeut, Hussignies, Graide, Marbourg, etc.,
doen te weten aile de gène, die dese letteren sullen sien oft
hooren lesen, dat alsoo 't onser kennisse geconmien is dat die
van het Godshuys van Vrouweperck in ouden lyden hebben
gewoone geweest jaerlycx op den naest leslen vasielavont dach
vuyt te reycken aen de joncheyt ons dorps van Rotselaer en aen
die vau Wesemael eenich broot , spek ende hier, 't gène zy
— ne —
droncken binneii de poorte des voorschreven Godshuys, ende
gebeuri is met lancheyt van tyden dat sy aldaer hebben begonst
te bedryven groote insolentien ende moetwillichedcn, niet beta-
melick, noch verdragelick in dier gelyke plaetse, gedeslineert
tôt Godsdienst, welck quaet soo gegroeyt is dat de selve joncheyt
heeft gecosen eenen heer onder die van onse dorpe van Rotse-
laer eude eene vroiiwe onder die van Wesemael, welchen heer
sy noemden den grave van Lockeren oft heer van Vaslelavont,
onder vviens compaignie en commande sy seyden te wesen, hun
kleedende alsdan gelyck sotlen, ende om hunne brootdronken-
schappen te beter vuyt te wercken waren al gewapent met groote
honte sweerden, belettende die van Rotselaer aile man eenich
werck te doen, soo in schuren als in velden, ende die van
Wesemael affronteerden aile passanten op de bane. Om aile
't weltk te voorcomende ende heel te doen cesseren ten res-
pecte des voorschreven Godshuys van Vrouweperck, die hun
der voorschreven moetwillicheden hadden beclaeghen in den
raet van Brabant, ende aldaer den xxv augiisti xvi'' vyffvender-
tich becommen vonnisse met condamnatie van costen , dies
niettegenstaende hebben die van voorschreven Godshuys, om in
vrientschap te leven met hunne nabueren, verstaen tôt een
minnelyck accord, aengegaen in januario xvi° zessendertich ,
onderteekend by wylcn Jan ab Angelis, doen ter tyt Drossard
ons hertochdoms van Arschot, by onsen meyer, schepenen ende
dorpmeesters van Rotselaer, soo in hunnen naem als van prin-
cipaelste gegoeyde mette generaele gemeynte, die int geaccor-
deerd geconsenteert hebben int jaergedingh alsdoen onder de
gewoonelycke zegelen van het couvent des voorschreven Gods-
huys en ons schepcndom van Rotselaer; by welcken accord was
besproken dat 't voorscreven Godshuys jaerelycx soude geven
aen die van Rotselaer dry guldens voor de vastelavontgasten,
ende dat int plaetse van 't couvents hier dat zy plachten te
drincken in de poorte des voorschreven Godshuys, met een
zyde speck ende derthien couvents broykens, met eenen schel-
linck voor de vastelavont heer hun mosten genoegen, als welck
onsen meyer van Rotselaer oft een van onse schepenen in synen
name, die met hem mochte nemen twee oft drye van de binne-
gasten van den dorpe, moste comen ontfangcn, smorgens tus-
— 177 —
schea negen ende (bien uren, met aile modestie ende stillicheyt
binnen de poorte des voorschreven Godshuys, sonder by bun
le bebben oft doen medecommen eenicb geweer oft eenigh
minste spel noeb speelieden. Ende boewel aile 't selve baeren
behooren onverbrckelyck acbtervolght ende onderbouden te
worden, soo ist nocbtans dat die vastelavontgasten der naer
wederom bebben begonst de voorscbeve insolentien ende moet-
willicheyden voor te stellen, bebben soo verre vergeten dat sy
int jaer xvi'' zeven en vyfticb bun bebben verstout wel dry
bondert sterck te comen gewapent aen voorsebreven Godsbuys,
alvvaer sy als barbarissche met gewelt bebben geforceert de
poorte, ende, ingecomen zynde, bebben in stucken geslagen aile
deuren en vensters daer sy aen conden, ende in camers aile
tafelen, stoelen, bancken, scbaprayen, scbrynwerck, eenen put
gevult met bout ende aerde, ende soo groot vier gemaeckt, al
oft sy die plaetse badden willen in brant steken. By welcken
crinien ende misdaeden sy notoirelyck waren vervallen van aile
pretentien, die sy badden totte voorscbreve gifte van gelt,
speck, broot ende bier, ende souden ontwyffelyck alsoo bebben
verclaert geweest in de raede van Brabant, alwaer de vrouwe
abdesse van Vrouweperck baer op een nieuws badden beclaegbt,
'l welck sy 't onse versueke heeft geglisseert ende verclaert (oni
met bare geburen te leven in vrientscbap ende goede corres-
pondentie, ende om vander voorsebreven gifte ende aile moetwil-
licbeyden ende insolentien, te dier oorsaecken bedreven, inder
eeuwicbeyt te syn ontlasi), te vreden te syn te geven de somme
van bondert guldens eens, die wy willen geappliceert worden
mets noch 't sesticb guldens, die wy vuyt onse beurse daertoe
bebben geordonneert tôt behoeft vanden beyligen Geest onse
voorscreven dorps van Rotselaer, waer van particulière notitie
sal gebouden worden in de rekeningen van den voorsebreven
beyligen Geest, willende dat onser meyer, scbepenen, secretaris,
dorpmeesters, kerck ende b. Geestmeesters met de principaelstc
gegoeyde ende pacbters ons dorps van Rotselaer dese acte sullen
accepteren, teekenen, met bun scbependoms zegel bevestigen
ende punctuelyck onderbouden, soo wy willen voor ons, onse
boirs ende nacomelingen, by aile onse ondersalen ten eeuwigbe
dagen onderbouden te worden, vcrbicdon deroin aen aile onse
— 178 —
ondersaten van Rotselaer ende aile anderen, présent ende toe
comende, aen die van 't voorschreven godshuys van Vroiiwe-
perck iramermeer te doen, ter oorsaken voorschreven, eenige de
niinste moeyelicheyt oft yet deshalven te heysschen oft preten-
deren, oft aen te nemen den name van grave van Lockeren oft
heer van Vastelavont, oft aen nyemant dien naem te geven, op
peue van hondert gauden realen, te verbeuren by elck eenen
contrarie doenden , inden verslanden dat de ouders siillen
instaen voor hunnen kinderen ende de meesters ende vrouwe
voor hunnen knechten. Ende op dat aile 't gène voorschreven
puntuelyck geobserveert worden, willen wy dat onsen mcyer
van Rotselaer, nu synde ende die naemacls wesen sal, dese
acte aile jare op den lesten zondagh van vastelavont sal pu-
bliceren aen de kercke deure, het welcke raoest vergadert synde
op dat nyemant dcr van ignorantie en pretendere. Ende oft
gebeurde dat ycmant hem verstoutede yet 't attenteren tegens
dese ordonnantie ende verboih, wy willen dat de Guldebroeders
hun datelych sullen slellen inde wapenen om aen onsen meyer
oft andere onse officiers te doen aile behoorelycke assisieniie,
om feytelyck te beletten het voernemen van quaetwillighe,
sonder in faute te blyven, op pêne van thien gaude realen te
verbeuren by eicken défaillant. Tôt corroboratie van aile 't welcke
hebben desen onderteekent ende met onsen groon zegcl beves-
tichl, in Brussel, den xx dach augusti xvi"= negen en vyftich.
— 179 —
HISTOIRE
DES RELATIONS POLITIQUES
ENTRE LA FLANDRE ET L^ANGLETERRE,
AD MOYE.N AGE.
CHAPITRE Xï.
(1322-1336).
Louis de Nevers. Edouard II.
Edouard III.
Le nouveau comte entama des relations avec l'Angleterre,
en demandant au roi Edouard de vouloir bien terminer tout
différend; dans sa lettre il proleste de son respect pour la
paix, déplore les excès commis par ses sujets du temps
de son père, tant à cause du dommage qui en est résulté
pour les sujets du roi, que pour les suites désastreuses
que pourrait avoir la mésintelligence entre les deux pays,
et prie le roi d'accorder une trêve marchande aux Fla-
mands, promettant de faire de même pour les Anglais (i).
La réponse du roi d'Angleterre ne se flt pas fort long-
temps attendre; sa lettre du 4 décembre est l'expression
du mécontentement qu'avaient provoqué en lui les derniers
événements : « C'est votre aïeul, le comte Robert, dit-il,
qui a provoqué et donné occasion aux différends qui se
(i; Rymer, L^dit. angl., t. II, P. I, p. 499. — Lettre du 4 novembre 1322.
Cetle pièce ne se trouve pas dans rédition iiollandaise.
— 180 —
sont élevés et aux méfaits qui ont eu lieu. — Cependant,
ajoute-l-il, si vous et vos sujets avez un véritable désir de
la paix, il faut que vous et les vôtres renonciez à porter
tout secours aux Ecossais, nos ennemis, et rebelles envers
nous; à ces conditions nous acceptons une conférence et
nous enverrons des sauf-conduits pour vos ambassa-
deurs (j). »
Cette question des secours donnés aux Ecossais fut
souvent une pierre d'achoppement aux rapports amicaux
entre la Flandre et l'Angleterre; nous l'avons déjà vue mise
plusieurs fois en avant par les rois anglais depuis quelques
années, et nous la verrons encore revenir bien des fois dans
un court espace de temps.
Comme Louis de Nevers résidait beaucoup en France,
Guy de Flandre et le chancelier de Flandre, Otto Bono de
Caretlo (2), prévôt de Sainl-Donat, gouvernèrent momen-
tanément en son nom; ils réitérèrent au roi d'Angleterre
la demande du comte au sujet de la paix et lui donnèrent
à l'égard des secours, dont le comté tolérait l'envoi aux
Ecossais, quelques explications : Edouard se montra fort
bien disposé à l'endroit de la paix, mais dans la missive
qu'il fit parvenir, le 26 février 1323, aux deux régents,
ainsi qu'aux échevins de Gand, Bruges et Ypres, il répète
que le comte fut cause des difficultés qui survinrent et exige
de nouveau que toute relation cesse entre les Ecossais et
la Flandre; il consent celte condition à ce que la trêve soit
prolongée jusqu'à la Saint-Michel (29 septembre) et promet
un sauf-conduit aux envoyés flamands, valable jusqu'à la
nativité de Saint-Jean-Baptiste (4 juin). Après cela il fit
immédiatement proclamer cette prolongation dans tous ses
(1) Rymer, édit. aiigl., l. Il, P. F, p. 500.
(2) Vingtième prévôt de Saint-Donat, était italien de naissance; nous trou-
vons que dans Rymer son nom est écrit erronément : Oclobonus de Carecto.
Cfr. BEAUcouni, Bcscliryvinghe van deu Prooxche, p. 22.
— 181 —
étais (i). Le 17 avril suivant, cette trêve fut prolongée de
nouveau jusqu'à l'oclave de Sainl-Jean-Baplisle de l'année
suivante (2); le lendeman, il renouvela ses ordres aux baillis,
leur enjoignant de respecter et les marchands flamands et
le privilège d'étape accordé à leur pays (3), et le 22 juillet,
il prolongea une troisième fois la Irève jusqu'à la fêle de
Pâques de l'année suivante (4).
Cette même année, le comte, voulant favoriser la ville
de Bruges, lui accorda l'étape de toutes les marchandises
étrangères; et comme la Flandre possédait le privilège de
l'étape des produits anglais, la prospérité de cette grande
commune s'accrut considérablement. En vertu de cet oc-
troi, tout bâtiment chargé qui entrait dans le Zwyn, était
obligé de décharger à Bruges, avant que les marchands
pussent présenter leurs produits en vente nulle part ail-
leurs, même à l'Ecluse, à Damme et aux autres endroits où
ils passaient. Voici du reste comment s'exprimait le comte :
« Toute manière d'avoir venant dedens Swin, quelque
il soit anchons que l'on le vende, un achat vendra à son
droit slaple à Bruges et non alleurs dont estaple pas, ce
n'est avoir que on poeult mettre sus au Dam, à le Houicke
et à le Monekerede, par ainsi que les marchans l'aiment
mieulx à mettre jusque à Bruge.
» C'est assavoir vins, nefves denrées, cendre, thar (s) en
tonneaulx et méses venant, chevaulx, buefs, grasses den-
rées af est bures, suin, harens es tonneaulx et tout ce qui
vient en cyens de fuste, hormis goule, oyie et venegre, que
doivent venir à Bruges semblen poura mètre sus à le Houke
(1) Rymer, édit. angl., t. II, P. I, p. 508 et 513.
(2) Idem, idem, idem, p. 513.
(3) Idem, idem, idem, p. 516.
(4) Idem, idem, idem, p. 528. — Beaucourt, Brugsche koop-
handel, p. 29.
(5) Goudron.
— 182 —
el à le Monekerede, tout manière de sec poisson, blé, seil,
poiitaz, mas, crombois de neifs et tout appartiens à appa-
reil de mer, comme autres tonnetures et ubois de neifs.
» Item, tout manière de frais poisson de nier et blé et sel
paurra avoir sa vente au bort de la mer, et on ne tienne
à l'Ecluse nul estaple de draps, ne de tailles de draps, ne
hoslilles, ne frons, ne lis, ne netaigne de nulle taertence.
Item, que nul estraingue, ne nul de TEscluse, ne autre
ne pourra bois mettre sus l'Escluse pour estaple tenir, ain-
cors vendra toute manière de bois à son droit estaple de
Bruges (i). »
Vers la fin de l'année, Guy de Flandre se rendit en An-
gleterre avec six autres notables flamands, entre autres
Jérôme Van de Putte, député de Gand (2), pour traiter des
affaires d'intérêt commun, et obtint qu'à l'expiration de la
trêve accordée, le roi la prorogeât encore une fois, par
lettre du 1" avril 1324, jusqu'à la fête de Pâques de l'an-
née suivante, c'est-à-dire pour une année (3).
Le 22 mai suivant, le comte Louis de Nevers écrivit à
Edouard pour l'informer qu'il avait assemblé les notables
de ses bonnes villes, et que de concert avec eux, il avait
été décidé d'envoyer des députés à Londres le lendemain
de la Pentecôte, soit le 3 juin, pour traiter une bonne fois
de la paix (4). Trois bourgeois de Flandre, Jean d'Eticove,
Guillaume de Deken et Jean Burleke (5), se rendirent donc
(1) Beaucocrt, Brugsche koophandel, p. 32.
(2; Complcs'Vendus de la Commission d'histoire, a. 1860, p. 102. Lettres
patentes des éclievins de Gand à Jérôme de Puteo, pour les représenter au-
près d'Edouard 11, avec les députés du comte et des communes, le dimanche
avant la Saint-Matthieu 1323.
(3) Rymer, édit. angl., t. II, P. I, p. S30.
(4) Idem, idem, idem, p. 534. — Pâques tombait celte année-
là le 15 avril.
(3) Rymer, édil. angl., l. Il, P. I, p. Sfii. — Celte pièce ne se trouve pas
dans l'édition hollandaise. — Les trois noms y sont, croyons-nous, mal
énoncés, on y lit : Johannos de Elycone,Guiielmus Le Deen,Johannes Burlek.
— 183 —
auprès du roi; ils séjournèrent en Angleterre pendant un
mois, sans pouvoir obtenir de solution satisfaisante aux
questions en litige; au bout de ce temps, Jean d'Elicbove
et Jean Burleke retournèrent en Flandre; quant à Guillau-
me de Deken, il resta de l'autre côté du détroit, poursuivant
sa mission.
Au commencement de Tannée suivante, le H janvier,
jour de la Saint-Hilaire, il devait y avoir de nouvelles con-
férences, mais les villes de Flandre se trouvèrent dans l'im-
possibilité d'y envoyer leurs députés; elles s'en excusèrent
auprès du roi, et déclarèrent avoir toute confiance dans les
commissaires, Guilaume de Deken et Etienne d'Abyngdon,
pour ce qu'il y aurait à traiter jusqu'au moment où la com-
mission pourrait se réunir (i).
La trêve devait expirer le 7 avril, jour de Pâques; ce
jour-là même, les députés anglais, autorisés par leur sou-
verain, déclarèrent avec Guillaume de Deken la prolonger
jusqu'à quarante jours après la Pentecôte, c'est-à-dire jus-
ques dans les premiers jours de juillet (2). Les plénipoten-
tiaires flamands étaient invités, du reste, à se trouver à
Londres vers la fête de l'Ascension. La ville de Bruges et
les autres communes consentirent à cet arrangement (3).
Au jour désigné, les députés des villes se rendirent à
Londres; c'étaient François Pul, prêtre, pour la ville de
Gand, et Nicaise Le Sage, échevin, pour Ypres, qui allèrent
rejoindre le bourgmestre Guillaume de Deken, représen-
tant de Bruges, resté en Angleterre, ainsi que nous venons
de le voir. Le résultat de cette nouvelle conférence fut
une prolongation d'une année (4), que le roi fit publier le
(1) Rymer, édit. angl,, t. Il, P. I, p. S89.
{2j Archives de la ville de Bruges, orig., parch. — Voir aux Pièces jiu-
ificalives.
(3) Rymer, édit. angl., t. Il, P. I, p. 598.
(A) Idem, idem, idem, p. 600.
— 184 —
27 aoùl; la Irève devait donc durer jusqu'à la fêle de
Pâques de Tannée suivante, c'est-à-dire jusqu'au 23 mars
1326 (n. s.)(0-
On remarquera que depuis une année, ce sont les villes
qui traitent avec le roi et ses députés; cela provient de ce
que le comte était presque toujours absent et laissait aller
comme elles pouvaient les affaires de son comté; les villes
étaient donc obligées de soigner elles-mêmes leurs intérêts.
Il était fort difficile d'en venir entre les deux pays à une
paix définitive, les villes de Gand et Bruges étaient telle-
ment occupées de leurs discordes qu'elles ne se trouvaient
pas en état d'envoyer leurs députés, et il fallait finir à
chaque terme par prolonger toujours la trêve. C'est ce qui
fut fait de nouveau par lettres du roi Edouard, en date du
3 juin 1326, qui la prolongeait jusqu'aux fêles de Pâques
(12 avril) 1327 (2).
Edouard Ill-était monté sur le trône à la suite de la
déposition d'Edouard II, le 25 janvier 1327. Fidèle aux
traditions de ses prédécesseurs, il s'empressa de renouer
les relations entre l'Angleterre et la Flandre. La trêve,
déjà plusieurs fois prolongée, allait expirer. Le 29 mars,
il publia un bref en vertu duquel il la prolongeait de nou-
veau pour deux ans {3); il écrivit en même temps aux
magistrats de Bruges, pour les informer de cette pro-
longation, et leur dire que cette situation provisoire ne
pouvant continuer indéfiniment, il espère qu'une paix
définitive mettra bientôt les parties d'accord sur tous les
points et réparera les dommages causés. Afin de témoigner
(1) Archives départ, de Lille, fonds de la chambre des comptes, carton B,
GOl. — RvMER, édit. angl., t. II, P. I, p. 601. Cette pièce n'est pas dans Té-
dilion hollandaise.
(2) Rymer, édit. angl., t.I 1, P. I, p. 629. — Cfr. une charte des Archives
départ, de Lille, fonds de la chambre des comptes, carton B, 603.
(3j Rymer, édit. angl., t. II, P. II, p. 700.
— 185 —
de son bon vouloir à cet égard, il écrivit au mois d'avril
aux mêmes magistrats, en réponse à une de leurs réclama-
tions au sujet de la prise d'un navire appartenant à la ville
de Nieuport (i), et leur promet prompte justice s'ils veu-
lent lui envoyer des chargés de pouvoirs pour traiter de
celte affaire (2). A la fin de celte même année, il donna à
ses officiers un ordre équivalent, relativement à une affaire
du même genre (3).
Edouard, qui avait épousé Philippine, fille du comte de
Hainaul, en janvier 1328, se fit de ce souverain un allié (4);
il désirait fort vivement la conclusion d'une paix solide et
durable avec la Flandre, car il comprenait tous les avan-
tages que des relations pacifiques et sincères produisaient
pour les deux pays; aussi lorsque les magistrats de Bruges
lui firent savoir qu'il leur avait été impossible d'envoyer
des députés pour régler les conditions, il leur exprima ses
regrets dans une lettre datée du 6 avril 1528, trois jours
après Pâques, les priant de députer leurs ambassadeurs
vers lui à Londres, le jour de la nativité de Saint-Jean-
Baplisle (24 juin) (s), et peu après, le 11 mai, il leur
envoie un messager, pour les engager à devancer la date
de ce rendez-vous et à se réunir aux commissaires anglais
le plus tôt possible; il demande même que la réponse soit
remise au porteur de celte dépêche (e).
(1) Voir plus haut, a" 1870, p. 396.
(2) RïMER, édit. angl., t. 11, P. II, p. 703.
(3) Idem, idem, idem, p. 723.
(4.) Ou trouve dans les papiers du Record office la concession d'une renie
de mille marcs à Jean de Hainaut, sur le produit de certaines douanes. Jean
de Hainaut avait du reste rendu de grands services à Edouard III.
(5) Rymer, édit. angl., l. II, P. II. p. 758.
(6) « Considérantes commoda quœ ex mutua communione terrarum
Angliae et Flandrise provenire polerunt,... ad nos in Angliara celeriter mitte-
relis... nobis rescribere velitis per presentium portitorem. » Rymer, t. II,
P. II, p. 742.
14
— 186 —
Les négociations furent reprises : Guillaume de Dcken,
accompagné celle fois d'un clerc de Bruges, Pierre Zuine-
keke, et de Jean Scliinkele, se rendit en Angleterre; il n'y
resta pas longtemps, car nous voyons qu'au commencement
de juillet, il en était déjà parti. A la suite de cette confé-
rence, le 12 juillet, le roi Gt proclamer en Angleterre que
tous ceux de ses sujets qui avaient eu à se plaindre des
Flamands, n'avaient qu'à se rendre à York le jour de Saint-
Pierre es liens (2 août), pour y exposer leurs plaintes (i),
et vingt-sept jours plus tard, le 7 août, il envoya en Flan-
dre un seigneur, du nom de Jean de Chidiok, avec une
lettre dans laquelle il priait le bourgmestre de Bruges de
s'entendre avec ses collègues, et avec le messager anglais,
sur certains points que Chidiok était chargé d'expliquer
verbalement (2).
Pendant cet intervalle, Edouard avait pris une mesure
qui devait considérablemcnl faciliter les négociations inter-
nationales : par un bref daté de la fin du mois d'avril, trois
semaines après Pâques, il avait déclaré que toutes les
peines établies pour les infractions au droit d'étape, et le
droit d'étape lui-même, établi dans les villes anglaises,
étaient abolis; que tous les marchands anglais et étran-
gers obtenaient conséquemment le droit d'aller et de venir
par toute l'Angleterre avec leurs marchandises (3). Cette
(1) Rymer, éclit. angl., t. Il, P. II, p. 74G.
(2) Idem, idem, idem, p. 747. — On peut voir sur la fin
niallieurcusc de Guillaume de Ockcn, noire notice biograpliique, déjà citée,
insérée dans les Bulletins de i Académie royale, a» 1871.
(3) « Ensemcnt est accordé et établi que les étaples par deçà et par delea
ordcinez par les rois en temps passé, et les peines sur ce ordeinées cessent :
et que touz marcliaus aliens et privés puissent aler et venir od lour mar-
ehandiscs en Engleterre, selonc la teneur de la grande cliartre; et que sur
ces briefs soient mandez à tous les vicomtes dEngleterre et as meires et
baillifs (les bones villes où mcslier sera. » Statulcs of Ihe Realm, p. 259.
Par diplôme du 21 mars lôôl, Edouard lll accorda des lettres de sauf-
— i87 —
ordonnance renversait complètement les édils du parle-
ment, même récents, puisqu'ils étaient du 1" mai de l'an-
née précédente, en vertu desquels était strictement interdit
aux marchands du royaume d'exporter n'importe quelles
marchandises, mais spécialement des laines, peaux et
cuirs, avant de les avoir exposées en vente dans les
villes d'étape désignées par le parlement; c'étaient pour
l'Angleterre, Newcastle, York, Lincoln, Norwich, Lon-
dres, Winchester, Exeter et Bristol; le pays de Galles
et l'Irlande avaient également leurs villes d'étape (i).
Edouard mettait généralement la prérogative royale au-
dessus des décisions du parlement, et traitait les statuts
de l'assemblée avec un grand sans gêne; lorsqu'il lui fut
fait des remontrances à ce sujet, il répondit nettement
qu'il prétendait agir sur cet article comme bon lui sem-
blait (2), et quelque temps après, le 8 août, il confirma les
privilèges octroyés en 1505 aux étrangers par Edouard II,
conduit pour les habitants de Louvain, trafiquant en Angletrre {Record office.
— Complcs-rendus de la Commission royale d'histoire, a. 1867, p. 503).
Il existe dans les papiers du Record office, au sujet des relations entre
Louis de Nevers et Edouard III, un document aussi curieux qu'important:
c'est la concession d'une somme de mille marcs au profit du comte, en re-
tour de riiommage que celui-ci prêtait au roi anglais. Cette concession est
la résurrection du fief d'argent, concédé par Guillaume le Conquérant et
dont nous avions perdu la trace sous Guy de Dampierre. C'est ici la seule
fois qu'il en est encore question. Voici du reste le texte de ce document :
« Rex omnibus, etc. Novcritis nos teneri et per prœsenles obligari nobili
viro domino comiti Flandrensi faciendo nobis homagium et servicia sua, in
mille marcis slerlingorum prœfato comiti seu assignatis suis ad scarrarium
nostrum ad festum Tasclice et sancli Michaelis, per equales portiones solven-
dis quousque sibi de mille marcatis terrae et redditus in locis compelenlibus
infra regnum nostrum fuerimus provideri. In cujus, etc. Datum apud No-
tingham, xvii seplembris (1550). » {Comptes-rendus de la Commission royale
d'histoire, 1867, p. 502).
(1) Rymer, édit. angl , t. Il, P. Il, p. 703.
(2) Hume, Hist. d'Angl., t. III, p. 210. — Cotton, p. 117.
— 188 —
cl les étendit considérablement (i): mais ces avantages n'é-
taient cependant pas gratuits; il établit en même temps des
droits fort élevés sur toutes les marchandises que les étran-
gers introduisaient en Angleterre ou y achetaient; la laine,
par exemple, fut taxée à quarante deniers de plus que le
demi-marc qu'on payait précédemment par sac; les cuirs
furent augmentés d'un demi-marc de droits par lot, et les
peaux brutes, de quarante deniers, comme les laines (2).
Somme toute, les droits réunis de lonlieux, issue, etc.,
étaient à peu près aussi élevés que ceux que payaient nos
marchands il y a une vingtaine d'années; surtout le prix
de revient différait considérablement (5).
On a souvent donné à Edouard le surnom de père du
commerce anglais; c'est bien à tort cependant; jusqu'à lui
les ordonnances et les chartes, tant du parlement que des
rois, n'avaient eu pour but que de favoriser les négocia-
lions commerciales dans l'intérêt des deux pays : dès
qu'Edouard fut monté sur le trône, le besoin continuel
d'argent le poussa à promulguer des lois qui, tout en régle-
mentant le commerce, ne lui étaient pas favorables, mais
avaient le grand avantage de faire entrer l'argent dans le
trésor royal (4).
Le commerce et l'industrie, loin de prospérer sous son
règne, furent presque toujours dans un étal d'abaissement
continuel; les exportations se bornaient aux laines, cuirs,
plomb, peaux, fourrures, beurre, élain et autres matières
premières, dont la laine cependant formait la majeure par-
tie; les importations consistaient en toiles, draps fins et
(1) Le 24 avril 1333, Edouard renouvela la charte de privilèges accordée
par son père aux bourgeois de Saint-Omer. Rymer, t. II, P. Il, p. 839.
(2) Rymer, édit. angl., l. H, P. Il, p. 747.
(3) Voir plus haut, a» 1870, p. 135.
(4) WiLL. LoNCMAN, Life and limes of Edward IIl, t. I, p. 76. — Noire
note dans le Messager des Sciences, a. 1869, p. 508 et suiv.
— 189 —
vins. D'après un registre de l'Ecliiquier, les exporlations
s'élevèrent, en 1354, à 294,184 livres sleriings, et les im-
portations seulement à 38,970 livres; l'imposition de
40 deniers, établie en 1328, avait réduit, en 1349, l'ex-
portation à trente mille sacs, qui avaient rapporté au roi
en une année 60,000 livres sterling d'impôts. D'après un
autre calcul du parlement, l'exportation de cette marchan-
dise seule monta parfois jusqu'à 4S0,000 livres sterlings.
La marine était tombée, à la fin du règne d'Edouard,
dans une décadence déplorable, ce qu'il faut attribuer à
l'abus que le ^'oi faisait de son autorité, en ordonnant à
tout instant de faire saisir dans les ports les vaisseaux de
commerce, pour les convertir en vaisseaux de guerre,
dont il avait besoin pour ses fréquentes expéditions. Une
remontrance du parlement, au commencement du règne
de Richard II, renferme la déclaration qu'avant Edouard III
un seul port de mer contenait habituellement plus de
vaisseaux qu'il n'y en avait alors dans tout le royaume; la
même assemblée avait déjà formulé, mais inutilement, une
plainte analogue eu 1373.
Le surnom de père du commerce anglais est sans doute
dû à l'introduction par Edouard des manufactures de laine
en Angleterre, et à la protection dont ce roi couvrit les
manufacturiers étrangers qui voulaient s'établir dans ses
états; il publia même un décret qui défendait à ses sujets
de porter d'autres étoffes que celles de fabrique anglaise;
le parlement prohiba l'exportation des laines manufactu-
rées, tandis que d'un autre côté il encourageait l'exporta-
tion de la matière première (i).
Edouard eut les circonstances pour lui; les troubles qui
affligèrent la Flandre sous Louis de Nevers, ainsi que les
persécutions et les proscriptions qui en furent la suite,
(1) Home, Hist. d'Angl., t. III, p. 206 el suiv.
— 190 —
forcèrent bien des Flamands à émigrer; le roi les attira
dans ses étals par toute espèce de séduisantes promesses;
on leur annonçait, dit un auteur anglais (i), une nourriture
abondante et bonne, de beaux habits, de bons lits, de belles
compagnes, que les plus riches seigneurs seraient heureux
de leur donner pour épouses, un vrai paradis de Mahomet,
qui ne fut pas sans doute sans allécher bien des Flamands.
A peine était-il revenu d'Ecosse, après la bataille d'Halidon-
Flill, qu'Edouard publia une charte dans laquelle il enga-
geait les tisserands flamands et brabançons à s'établir dans
ses états (2); un des nombreux privilèges accordés dans ce
but nous a été conservé; il fut octroyé le 28 juillet 1531,
à un Flamand nommé Jean Kempe, tisserand de laine;
Edouard déclare le prendre sous sa protection spéciale, lui
et les siens, ouvriers et apprentis du métier des tisserands,
attendu qu'il a exprimé le désir de s'établir en Angleterre;
il promet en outre à tous hommes du même métier, ainsi
qu'aux teinturiers et aux foulons qui voudront s'établir
par deçà la mer et y exercer leur métier, de semblables
lettres de protection (3); la reine Philippine de Hainaut
visitait souvent Norwich, où la plupart des ouvriers étran-
gers s'étaient fixés, et le roi les défendit constamment par
toutes espèces de moyens contre la jalousie que leur té-
moignaient les Anglais (4). C'est ainsi, dit l'historien de
la Flandre, « qu'Edouard III, qui fut quelques années plus
lard le fidèle allié des communes flamandes, prépara à la
fois, dès ce moment, la ruine de la Flandre et la grandeur
de l'Angleterre (s). »
(1) FoLLER, Chtireh Hislory. — Kervïn, t. III, p. 161.
(2) W. LoNGMAN, t. I, p. 8S. — Rymer, l. Il, P. Il, p. 849; charle du
30 janvier 1353. — John James, Hislory of tite worsled manufacture in En-
gland.
(3) Rymer, édit. angl., t. II, P. Il, p. 823.
(4) W. LONGMAN, t. Il, p. 87.
(5) Kervïn, t. III, p. 161.
— 19Ï —
Au mois de mars 1353, Edouard promet au comte et aux
bonnes villes de donner des instructions à quelques seigneurs
qu'il allait cliargcr de le représenter en Flandre pour la con-
clusion du traite de commerce projeté entre les deux pays,
et cela afin d'en venir à une prompte solution (i); le comte
et les villes ayant mis en avant quelques nouvelles propo-
sitions, le roi prolesta de nouveau de sa bonne volonté de
tout arranger, dans une lettre datée du 5 juin {2). Mais
d'un autre côté, il se montrait vexé de l'attitude d'un cer-
tain nombre de marins flamands qui, malgré l'état momen-
tané de paix, dans lequel l'Angleterre se trouvait vis-à-vis
de l'Ecosse, s'étaient joints à des marins de ce dernier
pays pour continuer en pirates des bostilités tout au plus
pardonnables pendant la guerre; il écrivit à ce sujet au
comte, le 27 avril (3); Louis de Nevers lui répondit que ce
fait lui était inconnu, mais qu'à sa connaissance, des ma-
rins anglais avaient pillé des navires de Flandre et tué les
équipages, ce dont il demandait justice; Edouard ne se
contenta pas de cette fin de non recevoir, il revint à la
charge dans une lettre datée du 7 juin, et envoya peu
après au comte et aux bonnes villes de Gand, Bruges et
Ypres, Jean de Hildesle, baron de l'Echiquier, Guillaume
de la Pôle et Robert de Kelleseye, pour poursuivre les
négociations et tâcher d'aplanir les difticultés (4). C'est
sans doute à ces affaires d'Ecosse qu'il faut rattacher
une ordonnance du 19 juin 1552, dans laquelle Edouard
enjoint à tous ses baillis d'arrêter sans délai les navires
de Flandre et d'en confisquer les cargaisons; il serait
(1) Archives départ, de Lille; fonds de la chambre des comptes, carton B,
691. — Le roi fit une promesse et un arrangement analogue avec le Cra-
bant, à la même époque. Voir Bull, du Bihlioph. belge, a. 1860, p. 273.
(2) RvMER, édit. angl., t. Il, P. II, p. 862.
(3) Idem, idem, idem, p. 860.
(4) Idem, idem, idem, p. 862.
— d92 —
impossible sans cela d'expliquer un pareil ordre (i).
Au mois d'avril, Edouard envoya ses plénipotentiaires
au comte, et pria un chevalier flamand, Guillaume Sanson,
de les protéger et de favoriser leur mission (2); les négo-
ciations étaient déjà en bonne voie et ne tardèrent pas à
aboutir à un accord, qui fut conclu au commencement de
septembre (3). Il fut convenu entre le roi d'un côté, le
comte et les bonnes villes de Gand, Bruges et Ypres de
l'autre, que tous les griefs de part et d'autre seraient re-
dressés; que de part et d'autre on nommerait deux com-
missaires; que la commission, ainsi composée de ces quatre
personnes dignes de confiance, se réunirait d'abord à York,
vers la fête de la Toussaint, et après avoir juré sur les
Evangiles, porterait un jugement juste et équitable, et
procéderait à une enquête minutieuse, dont elle prendrait
note exacte; qu'ensuite elle se transporterait à Bruges,
afin d'y procéder d'une manière analogue; le comte et le
roi s'engageaient chacun de son côté à se conformer à la
décision des commissaires, à donner satisfaction à qui de
droit, avant la Purification de l'année suivante, à observer
strictement et loyalement la paix, et à donner, dans leurs
états respectifs, toute liberté aux marchands des deux na-
tions (4). Aussitôt après la conclusion de celle convention,
Edouard donna ordre à ses vicomtes et baillis de relâcher
(1) « Quibusdam de causis vobis praecipimus, quod omnes naves ac alia
bona hominum de Flandrià qui infra baillivam vestram poterunt inveniri
sine dilatione areslari, et sub areslo sine dislrictione aliqua salvo cuslodiri
facialis donec aliud a nobis indè habueritis in mandalis, et hoc nullo modo
omittalis. Teste me ipso apud Pontoyse, xix die junii, anno regni nostro Yl. »
— Delpit, Documents français,
(■■2) Archives départ, de Lille, fonds de la chambre des comptes, carton B,
697.
(3) Kervyn, t. III, p. 160.
(4) Rymer, édit. angl., t. Il, P. II, p. 871.
— 193 —
les navires qu'il avait fait arrêter et de restituer les car-
gaisons à leurs propriétaires (»).
Les arbitres qui se réunirent à York, furent d'abord,
du côté des Anglais, Thomas de Brayton et Simon de
Stanes, et du côté des Flamands, le sire de Steeland et
un autre député des bonnes villes (2); mais au mois de
janvier de l'année suivante (1334), nous voyons que lors-
que les mêmes commissaires durent se transporter à
Bruges, Edouard remplaça Thomas de Brayton, empêché
de se rendre à son poste, par Robert de Scorburgh, et que
du côté de la Flandre, il y avait pour s'entendre avec eux,
Paulin de la Motte, chanoine de Saint-Donat, et Jean
d'Harlebeke, bourgeois de Bruges (3).
Le 16 mars, le comte de Flandre permit par lettres
patentes aux marchands d'Angleterre de commercer dans
ses étals jusqu'au 8 septembre, jour de la Nalivité de la
Sainte Vierge, en attendant l'arrangement définitif de
toutes les affaires pendantes entre les deux pays (4).
Edouard fit la même chose de son côté, le 5 avril, en
faveur des Flamands qui voulaient fréquenter les foires
d'Angleterre; seulement son sauf-conduit n'est valable que
jusqu'au jour de l'Assomption (s).
(1) Rymer, édil. angl., t. II, P. II, p. 869.
(2) Idem, idem, idem, p. 872.
(3) Idem, idem, idem, p. 875.
(4-) « Quod mercatores regni Anglie secure par comilalum Flandrie, et
mercalores Flandrie par regnum Anglie sive in terra, sive in mari possint
mcrcari, morari, conversari et esse.... mei-caluras de una palria ad aliam
cumferre sine impedimentis quibuscumque usque ad presens et instans fes-
tum Nativitatis bealae Marie mensis septembris. Datum et aclum apud Alde-
nardum, xvi die mensis marlii, anno Domini mill» ecc tertio (133i, n. s.). »
— Arcliiv. départ, de Lille, fonds de la chambre des comptes, carton B, 706.
(5) Rymer, édit. angl., t. II, P. II, p. 884. — Il se présente ici une cer-
taine confusion de dates. Nous venons de reproduire dans la note précédente
Toclroi du comte, tiré des Archives départementales de Lille, daté du 16
mars; et nous voyons qu'Edouard, dans son ociroi reproduit par Rymer,
— 194 —
Mais les négocialions n'aboutissaient pas; elles traînaient
en longueur, peul-clre à cause des nombreuses réclama-
lions au sujet des dommages, peut-être aussi pour d'autres
motifs; ces relards nécessitèrent l'envoi de nouveaux délé-
gués de la part du roi d'Angleterre au comle de Flandre;
c'étaient Simon Francis et Henri de Colcbester qu'Edouard
adjoignit à Simon de Stanes, chargé de continuer sa mis-
sion; il manda le fait aux Gantois, les priant de bien rece-
voir ses délégués et de leur faciliter leur tâche (i). Le sauf-
conduit temporaire accordé au mois de mars n'ayant cours
que jusqu'à l'Assomption, il fallait nécessairement le re-
nouveler; le comte et le roi, chacun de son côté, publièrent
un décret, le premier, le 22 août, le second le 27 sep-
tembre, en vertu duquel ils octroyaient la liberté du com-
merce aux marchands des deux nations jusqu'aux fêles de
la Pentecôte de l'année suivante (2).
L'année toute entière se passa sans solution, et le
16 mai 1535, Edouard envoya de nouveaux députés en
Flandre; c'étaient Guillaume de la Pôle, qui n'en était pas
à sa première mission, Jean de Causton, Guillaume Fox et
Guillaume de Preston, tous et chacun en particulier munis
de pleins pouvoirs. On fut cependant obligé de prolonger
la trêve encore cette fois, et il fut convenu, de part et
d'autre, que la liberté du commerce et de toutes les rela-
tions existerait entre les deux peuples, à dater du 15 juin
de la même année jusqu'à la fin de 1355, et depuis ce
moment pendant une année entière (5).
dil que le comle a permis aux Anglais, par acte du 23 mars au lieu du 16,
de commercer dans ses étals jusqu'à la fête de TAssomplion , au lieu que
c'est jusqu'au 8 septembre.
(1) Archives de la ville de Gand. Inventaire n» 379. — Archives départ,
de Lille, fonds de la chambre des comptes, carton B, 71 G. Voir aux Pièces
juslificalives.
(2) Rymer, édit. ang!,, t. Il, P. II, p. 893.
(ô) kl., id., id., p. 918 et 924.
— 195 —
Il était convenu également que, pendant cet intervalle,
les délégués s'assembleraient encore pour traiter des me-
sures à prendre; la date flxée pour celle réunion, qui devait
avoir lieu en Flandre, était la quinzaine de Pâques, mais
Edouard se vit empêché d'envoyer ses députés; il s'en excusa
dans une lettre au comte, et dans une autre aux bonnes
villes, les priant de ne pas attribuer cet empêchement à la
mauvaise volonté, et de vouloir bien, malgré cela, obser-
ver et faire observer la trêve jusqu'à la fin de l'année, ce
qu'il s'engageait à exécuter lui-même (i). L'affaire resta
donc pendante, et avant qu'elle fût arrangée, d'autres faits
plus graves survinrent qui compliquèrent les événements.
I.
(Voir p. 183).
Prolongation de la trêve entre la Flandre el V Angleterre.
A tous y ceux qi cestes lettres verront ou oerront. Nous
Wilium le Dene, chivaler, et Estephane Dabindone, commis-
saires et messages de très excellent et très puissant prince uo
1res chier et très amé seigneur monseigneur Edward, parla grâce
de dieux roi dEngleterre, seigneur dtrlande e ducs dAquitaine
salus. Sachent tous qe nous, pour le comun profit des niar-
chans et des marchandises du pais dEngleterre et de Flandres,
par le povoir nous comis et doné de nostre seigneur le roi
desus dit, avons tretés et accordés avesques honorables homes
et sages eschevins et conseil de la vile de Gaund , burgh-
maistres, eschevins et conseil de la vile de Brughe et advoé
eschevins et conseil de la vile dYpre, une soffrance et respit entre
les gents et subges de nostre seigneur le roi dune part, el les
gens et subges de noble prince et très puissant monsgr le comte
(1) Rymer, édit. angl., t. Il, P. II, p 933; 20 mars 1336.
— i96 —
de Flandre dautre part, tant par mer conie par terre, durant
du jour de la date de cestes lettres, jusqes à quarante jours
après la Pentecoste prochein avenir. La quele soffrance et res-
pit nous permectons pour nostre seiineur le roi desusdit e en
son nom e pour tous ces subges, à tenir bien e fermement; si
mandoms et comandoms par la vertu du roi nostre seigneur,
à tous justiciers, sergeans et tous subges dudit nostre seigneur
le roi qe y ceste soffrance et respit tiegnent sans rien venir
alencontre et si asqun, quelconqes ce fust, fesist alencontre en
fesant griefs ou moleste ou iniure à ditz gents de Flandre, en
qelconqes manière qe ce fust le dit terme durant, nous per-
mectons en le nom dudit nostre seigneur le roi, qil le ten-
droit fait corne à luy mesmes et le ferroit adresser, et avant qil
deveroit suffire par toute raison. En tesmoignance de quele
chose, nous avoms cestes présentes lettres ensealés de nos pro-
pres seals; faits et donnés à Bruges, le iour de la Résurrection
nostre Seigneur lan de grâce m. ccc vint e cink (1525).
Archives de la ville de Bruges. Original, parchemin. Sceaux
pendant chacun à une bande de parchemin, l'un perdu,
l'aulre brisé.
H.
(V. page 194).
Lettre d'Edouard III aux Gantois, en faveur de ses ambassadeurs.
Edward, parla grâce de Dieu roi dEngleterre, seigneur dlr-
lande et duc dAquitanie, à nos bien amez burghmestres, esche-
vins et conseilliers de la ville de Gant, saluz. Comme nous
enveons dercchief par devers nostre chier cousin le conte de
Fflandres, nos chiers et foial.x mestre Simon de Stanes, Simon
Franceis et meistre Henri de Colcestre, nos messagies, pour
dacord faire entre ledit conte et nous et nos
subgitz dune part et dautre, selonc ce que les choses furent
nadgaires pourparlées et ordenées , entre ledit conte et nos
autres messages, sur quelcunques trespas, damages, injures, ro-
beries et autres déprédacions quelcunques. Vous prions chère-
— 197 —
ment que nos ditz messages voiliez bénigaement recevire et
favorablement ei gracieusement délivrer tant comme en vous
por amitié de nous. Donné sous nostre privé seal à Odiham,
le vii]*" jour daugst, lan de nostre règne sesisme (8 août 1334).
{Archives de la ville de Gand. Original, parchemin, sans trace
de sceau; provenant des Charles confisquées. — inventaire
n» 579).
CHAPITRE XII.
(1336-1340).
Louis de Nevers. Edouard III.
Edouard III, après bien des hésilalions, s'élail enfin dé-
cidé à disputer la couronne à Philippe de Valois, le roi
trouvé; il commença les hoslililés en Guyenne. Dans celle
occurence, Louis de Nevers voulut témoigner de sa fidélité
au roi de France et fit, sans aucun motif, sans qu'il y eût
aucun grief à leur charge, et malgré les traités, arrêter
tous les Anglais qui se trouvaient dans ses états et con-
fisquer leurs biens et marchandises. Le roi d'Angleterre
fut extrêmement irrité de ce procédé, qu'il qualifia de
malice sans pareille, et ordonna immédiatement à tous les
vicomtes des comtés d'Angleterre, de faire arrêter sans
délai et détenir les hommes de Flandre partout oîi on les
trouverait, et de mettre l'embargo sur leurs navires, leurs
marchandises et tous leurs biens meubles et immeubles
jusqu'à nouvel ordre de sa part (i). Froissart dit même
qu'il supprima l'étape des laines en Flandre (2). Louis de
]\evers aurait dû agir avec plus de prudence, car, après la
mesure qu'il avait prise, il fallait s'attendre à des repré-
sailles dont les intérêts de la Flandre toute entière auraient
(1) RvMER, édil. angl., t. II, P. II, p. 9-48. — Lettre du S octobre 1336.
(2) Froissart, édit. Kervvn, I. I, p. 440.
— 198 —
eu à souffrir; il est vrai de dire que le comte avait peu
souci du bien-être de ses sujets.
Cet état de choses pesait à Edouard, qui, dans un but
commercial et dans l'espoir d'engager les Flamands à s'allier
avec lui contre Philippe de Valois, ne demandait pas mieux
que de voir la paix régner entre le comte et l'Angleterre. Il
écrivit donc le 18 octobre à Louis de Nevers, pour lui
demander de relâcher les Anglais, lui promettant de faire
la même chose de son côté et de retirer toutes les mesu-
res répressives édictées contre les hommes de Flandre (i).
Mais cette démarche conciliatrice resta sans réponse; les
Anglais demeurèrent dans les prisons du comte et les
marchands de Flandre dans celles d'Edouard; le commerce
et l'industrie durent forcément chômer, et la misère que
les crises de ce genre amènent toujours avec elles, vint
s'asseoir au foyer des ouvriers de nos villes et de nos cam-
pagnes.
Le Brabant, rival en industrie de la Flandre, voulut
profiler de ces circonstances : sachant que son alliance
était également précieuse à l'Angleterre, le duc demanda
que l'étape des produits anglais fût transférée dans ses
états (2) et fut bien près de l'obtenir; des négociations
furent entamées, des ambassadeurs furent envoyés par
Edouard au duc et aux bonnes villes de Bruxelles, Lou-
vain et Malines (0). On eût dit que le roi voulait tout
sacrifier à son ressentiment; il engagea même ses alliés,
entre autres le roi de Castille, des états duquel les Fla-
mands tiraient des laines, à cesser avec eux toute rela-
tion (4).
(1) Rymer, cdit. angl., 1. Il, P. II, p. 948.
(2) Idem, idem, idem, p. 9S2.
(5) Idem, idem, idem, p. 939.
(4j Idem, idem, idem, p. 9G1. Lettre au roi de Casiille, 18
mars 1337. — Nous trouvons dans les Complen-rendiis de la Commission
— 199 —
Les villes de Flandre ne pouvaieul longtemps supporter
cet état de choses; après avoir fait preuve d'indépendance
eu s'alliant aux villes du Brabanl (i), elles refusèrent de
suivre plus longtemps leur comte dans son système d'hosti-
lité vis-à-vis de l'Angleterre et voulurent entrer en pour-
parlers avec Edouard. Depuis trois ans, le commerce des
laines était presque nul; la fortune du pays en souffrait, à
tel point qu'un écrivain anglais dit que ces Flamands, dont
l'affection s'adressait plutôt aux sacs de laine qu'au peuple
anglais, avaient déjà rabattu beaucoup de leur fierté (2).
Edouard avait fait depuis Tannée précédente les pre-
miers pas dans la voie de la conciliation; il tenait beaucoup
à avoir les Flamands, seuls ou avec leur comte, de son côté,
dans le grand duel qu'il commençait avec Philippe de
Valois; aussitôt qu'il eût vu les dispositions des bonnes
villes, il ordonna qu'on protégeât tous les ouvriers fla-
mands qui voudraient venir en Angleterre (5). Le 15 avril
1537, il envoya l'évêque de Lincoln, Guillaume de Mon-
taigu, comte de Salisbury, Guillaume de Clynton, comte de
Huntington, Renaud de Cobham, Guillaume Trussel et
JNicolas de la Bêche, pour s'entendre avec les villes et con-
clure même un arrangement pour fixer de nouveau, d'une
manière stable, l'étape de laines en Flandre (4). Ces mêmes
royale d'histoire, a" 1809, p 506, une charle ilécoiivcrle par M. Van Bruys-
sel, dans les Arcliives du Record office, qu'il attribue au 19 février 1557,
dans laquelle Edouard donne commission à trois seigneurs anglais de con-
clure un traité avec le comte. 11 nous est impossible d'admettre la date
assignée à ce document par M. Vaa Bruyssel, par conséquent d'en faire usage,
attendu qu'au mois de février 1537 Edouard III était en état d'hostilité dé-
clarée avec la Flandre.
(1) Kervyn, t. III, p. 166.
(2j « Rêvera per très annos elapsos passagium de lanis cessabat ut citius
Flandrensium superbiam rex devinceret qui plus saccos quam Angiicos vene-
rabantur. » Walsingham, p. 151.
(3| Walsingham, p. 131.
(4) Rymer, édit. angl , t. Il, P. II, p. 966.
— 200 —
seigueurs avaient commission de la pari du roi pour faire
des traités d'alliance avec tous seigneurs nobles et puis-
sants dans rinlérèt de leur maître (i), et proposer, comme
gage de la paix, un mariage entre le fils aîné du comte de
Flandre et la princesse Jeanne d'Angleterre (2).
Les ambassadeurs du roi d'Angleterre débarquèrent à
Dunkerque, de là se rendirent à Valenciennes auprès du
comte de Hainaut, et réussirent à attirer dans le parti
d'Edouard le duc de Brabant et plusieurs puissants
seigneurs du continent (3). Le comte de Flandre seul resta
sourd à leurs paroles et voulut demeurer l'allié fidèle du
roi de France, qui, pour reconnaître sa constance, lui
promit de ne faire ni paix ni trêve avec le roi d'Angleterre,
le duc de Bavière et tous leurs adhérents, sans le com-
prendre dans le traité (4).
Quelque temps après, au commencement d'octobre, une
députalion encore plus nombreuse fut envoyée par Edouard
sur le continent; elle se composait de plus de soixante
seigneurs (5), parmi lesquels l'évèque Lincoln, le comte de
Norlhampton, celui de Suffolk, le sénéchal du palais, Jean
Darcq, Richard de Wynkele, provincial des Dominicains
en Angleterre, Jean d'Ufford, chanoine de Londres, Jean
de Monigommery, chevalier, et Jean Walwein, chanoine,
étaient chargés de pleins pouvoirs pour traiter avec le
comte, les bonnes villes et les souverains du continent. Ces
seigneurs se rendirent dans les différentes villes de Flan-
dre, à Bruges, à Ypres, et le plus grand nombre à Gand,
où Sohier le Courtroisin leur fit grand accueil et leur
(1) Rymer, édit. angl., l. II, P. II, p. 967.
(2) Idem, idem, idem, p. 967.
(3) Froissart, édit. Kervyn, t. I, p. 383.
(4) Archives départ, de Lille, fonds de la chambre des comptes, carton B,
752.
(5) Rymer, édit. angl., t. Il, P. Il, p. 997.
— 201 —
promit ralliance des communes (i); les Anglais faisaient
de grandes dépenses el tenaient grand état, dit Froissart,
cherchant à se concilier la population; mais s'ils gagnèrent
les Flamands, ils échouèrent dans le point principal de
leurs négociations, qui était de persuader au comte de se
mettre du parti du roi d'Angleterre et de faire épouser la
princesse Jeanne à son fils; ils ne purent rien obtenir de
ce côté et durent retourner à la cour du comte de Hai-
naut, après avoir vu arrêter Sohier le Courtroisin, que ses
sympathies pour les intérêts du peuple et l'alliance anglaise
avaient rendu odieux à Louis de Nevers. A peine avaient-
ils quitté la Flandre, qu'ils apprirent que le comte avait
envoyé des vaisseaux vers les bouches de l'Escaut et avait
mis une garnison dans l'ile de Cadsand pour s'emparer
d'eux s'ils partaient pour Anvers. Par crainte d'être pris,
ils passèrent par les possessions du duc de Brabant el s'em-
barquèrent à Dordrecht (2),
Quand les envoyés anglais eurent exposé à Edouard
l'insuccès de leur entreprise et les mauvais procédés du
comte de Flandre à leur égard, le roi, fort mécontent, se
contenta de leur répondre qu'il porterait promptement
remède à cet état de choses; aussitôt il ordonna au comte
de Derby, son cousin, à Gauthier de Mauny, au comte de
SufFolk, à Renaud de Cobham, Roger de Beauchamp,
Guillaume Filz Warin, au sire de Bercler et à d'autres,
d'aller avec deux mille archers et cinq cents hommes d'ar-
mes, attaquer les Flamands dans l'île de Cadsand, pour
venger l'affront que lui faisait Louis de Nevers. Le comte
avait là cinq mille hommes d'armes, commandés par Guy
de Flandre, son frère bâtard ; parmi eux on voyait les
(1) Froissart, édit. Buchon, t. I, p. 187. — Édit. Kervvn, t. I, p. 379 et
527, aux notes.
(2) Froissart, édit. KtRVYN, t. I, p. 384.
IS
— 20!2 —
principaux seigneurs Icliaerts, le sire de Halluin, Jean
(le Rodes, Gilles de Walervliet, Simon et Jean de 13rug-
dam, Pierre d'Ingelmunster et bien d'autres (i); malgré
leur infériorité numérique, les Anglais furent vainqueurs;
plus de trois mille Flamands furent tués et un grand
nombre furent faits prisonniers , parmi lesquels Guy
de Flandre, qui, cette même année, dit Froissart, entra
dans le parti du roi d'Angleterre et lui jura foi et hom-
mage. Les seigneurs que nous avons nommé et environ
vingt-six autres chevaliers et écuyers perdirent la vie. Les
Anglais pillèrent toute l'île de Cadsand et livrèrent tout
aux flammes. Les Brugeois, apercevant de loin les lueurs
de l'incendie, prirent les armes et accoururent vers l'Ecluse;
mais les Anglais, satisfaits de leur vengeance, s'étaient déjà
rembarques. Cette sanglante affaire eut lieu le 9 novem-
bre 1337 (2).
Peu après parut sur la scène le fameux Jacques van
Artevelde. Nous ne discuterons pas ici la question de sa-
voir si le fameux capitaine de Saint-Jean fut un enfant du
peuple ou sortit d'un noble lignage; élevé par la faveur
populaire, il sut se maintenir par ses hautes qualités; il
fut l'âme de toutes les négociations qui eurent lieu pendant
sept ans entre la Flandre et l'Angleterre, et si nous ne le
trouvons pas spécialement désigné dans les pièces diplo-
matiques, nous savons parfaitement aujourd'hui que ce fut
lui qui fit proclamer la neutralité de la Flandre, au milieu
de la guerre entre les deux grandes puissances voisines,
resserra les liens qui unissaient les communes à l'Angle-
terre, et leur donna une nouvelle force en concluant l'al-
liance des villes de Flandre, du Brabant et du Hainaut (5).
(1) Froissart, édil. Kervyn, t. I, p. 431.
(2) Froissart, édil. Kervyn, t. I, p. 433.
(3) Kervyn, t. III, p. 172.
— 203 —
Le comte et Philippe de Valois, voyant les dispositions
des communes et apprenant que Gand, d'après les conseils
d'Ai'tevelde, avait changé toute son organisation, voulurent
tenter une démarche afin de dissuader les Flamands de
s'allier à l'Angleterre. Une assemhlée devait avoir lieu à
Eecloo, le 15 janvier 1338; le roi y envoya l'évêque de
Cambrai, Guillaume d'Âuxonne, qui ne put rien obtenir;
on lui répondit que l'alliance anglaise était pour l'industrie
de la Flandre une condition d'existence et que les com-
munes n'y renonceraient pas.
Artevelde, rentré à Gand, choisit dans chacune des trois
villes quatre bourgeois, avec lesquels il se rendit en Angle-
terre pour annoncer à Edouard que les Flamands étaient
prêts à faire cause commune avec lui et demandaient le
rétablissement des anciennes relations commerciales. Le
roi, voyant qu'on allait au-devant de ses désirs, les reçut
avec honneur au château d'Etham; Artevelde surtout fut
l'objet de nombreuses attentions (i). Tous les conseillers
du roi avaient été convoqués à Westminster; les députés
flamands y exposèrent leurs demandes, auxquelles on
répondit favorablement, et s'en retournèrent ensuite dans
leur pays.
Le 1" février, les échevins de Gand eurent une confé-
rence à Louvain avec le comte de Gueldre, plénipotentiaire
d'Edouard III, et signèrent une convention qui assurait la
réconciliation du roi et des communes et les autorisait à
aller prendre à Dordrecht les laines anglaises, que l'on
porta triomphalement à Gand (2).
Edouard ne se contentait pas de traiter avec les bonnes
villes, il s'efforçait d'entretenir dans la population les sen-
timents favorables à sa cause; son agent, le clerc Jean de
(1) Froissart, édit. Kebvyn, t. I, p. 437 cl 540.
(2j Kehvïn, Jacques (T Artevelde , p. 48.
— 204 —
Tlirantlcslone, allait cl venait presque sans cesse du conti-
nent en Angleterre; au mois de février nous le trouvons
en Flandre, voyageant de Bruges à Gand et de là dans
d'autres villes, puis allant rendre compte de sa mission à
son maître. Le 2S avril il était de retour à Anvers, d'où
il alla à Gand, à Bruges, à Ypres (i). Ce fut lui sans doute
qui transmit aux bonnes villes les lettres de son maître,
qui les assurait de son amitié, et au fils du malheureux
Sohier le Cortroisin des paroles de condoléance et d'en-
couragement (2).
Edouard était heureux de voir que la Flandre, tout en
obéissant à son propre intérêt, servait sa cause; ses lettres
le témoignent clairement. « Nous avons appris avec une
grande joie et une intime satisfaction, dit-il aux magistrats
de Gand, que vous avez fait un pacte d'amitié avec nous;
et nous nous efforcerons, avec l'aide de Dieu, de vous té-
moigner notre reconnaissance, de ce que, malgré les périls,
vous exposiez pour nous vos personnes et vos biens. » Il
leur annonce en même temps que ses plénipotentiaires
vont se rendre en Brabant et les engage à traiter avec eux.
Edouard eut beaucoup désiré que les communes fissent
avec lui une alliance politique; mais celles-ci, qui avaient
plus souci de leur prospérité commerciale que de courir
les chances de la guerre dans l'intérêt d'autrui, tenaient à
ne traiter que sur le terrain de la liberté commerciale et
de la neutralité du territoire (3). Le 19 mai, elles trans-
mirent leur réponse à Jean de Thrandestone, qui se trou-
vait dans ce moment à Beveren, se rendant auprès des
envoyés du roi à Anvers (4).
(1) Bulletins de l'Académie royale, 1869.
(2) Letlre aux Gantois, du 8 mai; — aux Brugeois, de la même date; —
aux Yprois, même date; — au sire Coiiriresyn, de la même date. — Rymer,
édil. aiigl., t. Il, P. H, p. 1035. — Sohier le Courlroisin fut exécuté le
21 mars, dans sa prison du château de Rupelmonde.
(3) Kehvyn, Jacques d'Arlevclde, p. 156.
(4) Bulletins de l'Académie royale, 18G0.
— 205 —
Les députés des bonnes villes ne tardèrent pas à s'y
rendre également; ils y trouvèrent le comte de Gueidre,
avec qui ils avaient déjà traité à Louvain au mois de
février, ainsi que l'évêque de Lincoln, les comtes de
Northampton, de Suffolk et le sénéchal Jean Darcy, et
conclurent avec eux, le \0 juin, un traité dont voici les
dispositons principales :
Les plénipotentiaires promettaient au nom du roi d'An-
gleterre aux bonnes gens de Flandre, à compter du moment
de la conclusion du traité, liberté pleine et entière d'acheter
des laines et toute autre matière venue d'Angleterre en
Hollande, Zélande ou ailleurs.
Les marchands de Flandre étaient autorisés à se rendre
dans les ports d'Angleterre et dans tous ceux où le roi
avait quelque autorité et à y rester et demeurer saufs et
francs pour leurs corps et leurs biens.
Il était convenu que les Flamands ne donneraient aucun
secours aux Ecossais; le roi, du reste, était autorisé, sans
rompre la paix, à s'attaquer à ceux qui auraient enfreint
cet article du traité.
Il était convenu que les bonnes gens n'avaient pas à se
mêler de la guerre que le roi d'Angleterre faisait à Philippe
de Valois, « qui se tient pour roi de France, » en aidant
ou en s'unissant, soit à l'un, soit à l'autre.
Le roi d'Angleterre s'interdisait, pour lui et pour les
siens, de traverser le pays de Flandre en se rendant en
armes contre Philippe de Valois, et de même que les gens
de Flandre ne devaient pas souffrir que les soldats du roi
de France vinssent en Flandre pour nuire au roi Edouard,
ils étaient même autorisés à s'opposer par la force aux em-
piétements des gens d'armes anglais.
Toutefois, le roi d'Angleterre, d'un commun accord avec
les Flamands, se réservait le droit de faire route par les
eaux et la mer de Flandre, pourvu que les hommes mon-
— 206 —
tant ses embarcations ne descendissent point à terre, sans
un consentement spécial des Flamands; et si le roi d'An-
gleterre ou les siens entraient dans le havre du Zwyn à
l'Ecluse, ce ne pouvait être que pour le temps d'une seule
marée, sauf le cas de tempête; et alors, aussitôt la tempête
apaisée, ils devaient reprendre la mer.
Les Anglais devaient jouir en Flandre des mêmes liber-
lés dont les Flamands jouiraient en Angleterre, en bonne
paix et en payant les droits accoutumés.
Il était convenu de part et d'autre que le comte de Flan-
dre n'était pas compris dans ce traité, car en sa qualité
d'homme-lige du roi de France, il pouvait se trouver ap-
pelé à le servir hors du pays avec ses hommes de fief, ce
que les bourgeois et habitants des villes s'interdisaient, au-
tant que le permettaient les franchises de leurs villes (i).
Edouard III confirma ce traité le 26 juin, le fil immédia-
tement publier (2) et se disposa à quitter l'Angleterre,
accompagné des comtes de Derby, de Warwick, de Kent,
de Robert d'Artois et d'un grand nombre d'autres grands
seigneurs; la reine Philippine de Hainaut, avec une suite
de nobles dames, vint le rejoindre plus tard (3). Il partit
de Walton le 12 juillet pour aller rejoindre sa flotte à
Yarmouth et faire voile vers la Flandre (4). Il avait obtenu
de son parlement un subside de vingt mille sacs de laine,
qu'il comptait vendre en Flandre pour payer ses troupes et
la complaisance de ses alliés, et donna ordre de les expé-
dier sur Anvers (s). Le 19 juillet, il parut devant l'Ecluse;
Artevelde s'y rendit avec une troupe composée d'hommes
(1) Rymer, édil. angl , t. II, P. II, p. 1042.
(2) Idem, idem, idem, p. 1043 et 1046.
(3) La date de son passage n'est pas connue, mais le 8 septembre, elle se
trouvait encore en Angleterre. — FnoissART, édit. Kervïn, t. I, p. 545.
(4) Rymer, cdit. angl., t. Il, P. II, p. 1030.
(5) Idem, idem, idem, p. lOul.
— 207 —
des milices, pour lui faire honneur. Le monarque anglais
respectant le traité conclu un mois auparavant, ne débar-
qua pas sur le sol de Flandre, il continua sa route vers
Anvers, où Artevelde le rejoignit avec soixante notables fla-
mands ()). Il fut fort étonné de ne trouver là que deux mille
sacs de laine, au lieu de vingt mille qu'il attendait, mais
comme d'autres intérêts étaient en jeu pour lui, il se rendit
en hâte en Cologne, où Jean de Thrandestone le trouva le
1" août (2). Trois jours après il était de retour à Anvers et
écrivait au trésorier et aux chambellans de l'Echiquier une
lettre fort amère, dans laquelle il se plaint du retard apporté
dans l'envoi du trésor, vivres et bagages qu'il attendait et
dont l'absence le mettait dans le plus grand embarras; sans
le prêt considérable que lui fit un especial amy, dit-il, le
royaume d'Angleterre eût été en péril et lui-même déshonoré
pour toujours. Cet amy était-il peut-être Artevelde (3)?
(1) II nous esl impossible d'iijoulcr foi du récit de Gillis Li Muisis, d'après
lequel Edouard se disposait à débarquer à l'Ecluse, et en fut empêché par
Artevelde et les milices, qui le forcèrent à respecter la neutralité du territoire.
Ce fait a été reproduit par M. Lemz, dans sa brochure intitulée : /acçMfs
Van Artevelde considéré comme homme ])olilique. Nous croyons malgré les
comptes de la ville de Gand, interprétés dans ce sens par M. Lentz, que c'est
avoir trop mauvaise opinion du roi d'Angleterre de supposer qu'il eût voulu
rompre un traité conclu si récemment, et qu'il ne faut pas attribuer légère-
ment à Artevelde un exploit dont sa réputation n'a pas besoin.
(2) Dullelins de f Académie royale, 1869.
(3) Voici cette lettre :
« Edward, par la grâce de Dieu, roi dEngleterre, seigneur dYrlande et
duc dAquitanie, as trésorier et chambellan de nostre eschequer, salut :
» Savoir vous faisons qe, tut soit ensint que avant nostre départ hors
dEngleterre, qui dions que nous deussions avoir trové devant nous à Anvers,
à nostre aryvaille, trésor, vilailles el totes autres choses ù foison busoigna-
bles aussi bien pur nous et pur nos gcnls comc pur les fiés par nous dus as
gents de nos alliances es parties ou nous sûmes, ne pur quant à nostre venue
illoêqcs nous ne trovames recovrir de trésor, vi tailles, ne de nulle autres
biens pur nos, ne par aul de nos; et si ne eust este une chcvance que nous
avons fait faire à grant peine puis nostre venue et celles |)arlies dun de nos
especials amys, et ce en espoir désire basteinienl aides de nos Icyncs, de
— 208 —
Le 7 août, il écrivit à quelques-uns de ses officiers, leur
enjoignant d'expédier promptement les laines, et le 16 il
permit que les étoffes revêtues du sceau de la ville de Gand
circulassent librement par toute l'Angleterre (î).
A la fin du mois, il se rendit en Allemagne auprès de
l'empereur Louis de Bavière, qui, cédant à ses instances,
le proclama, au commencement de septembre, vicaire de
l'empire.
Edouard III cberchait en même temps à s'attacber les
bonnes villes et à ébranler la fidélité du comte â la France;
le 12 novembre, il cbargea le comte de Gueidre de proposer
à Louis de Nevers un mariage entre sa fille Isabelle et le
jeune Louis de Maie; Jeanne, dont il avait été question
qelle chevance si nous nen eussions fait gré à ascuns genis de nos allianres
en partie de la somme que nous les devons, nous eussions esté déshonoré à
tous jours, et nous et nos gens et nosire raialme dEnglelerre en péril, qe
Dieu défend ! Si envoicns as parties de la Seint Botuiph et Kensingslon et
Hull, nos biens amés Nicole Pykart, Tliomas de Suelesham et Richard Fill,
od xiiii nos neefs pur faire hasteiment venir à nous leynes, vitailles et aullres
choses, dont nous leur avons chargés, pur qei vous mandons et chargeons
fermement, enjoignants sur la foi et lamur qe vous nous deves, qe sans
nulle délai faces paicr as dits Nichol, Thomas et Richard, deniers et vitailles
par les gages et despens deux et des marins eslants sur les dites neefs del
vint et quart jour de juyl davrein passée jusqes leur venue à vous et de ce jour
pur III semesgnes prochein suiants, et pur ce qe nous avons ordeneis qe del
heure qe nos dites neefs serout venues à nous es dites parties ou nous sûmes
et deschargées de leynes, vilaiijes et autres choses qelles nous amesneront
od layde de Dieu, eles retourneront as parties de Sandwi, et de iloeqes pren-
drons leur voies viers ascunes ou nous les avoms chargées. Or vous mandons
et chargeons qe vous faces hasiivement envoler as dites parties de Sandwi
contre leur retourner iloeqes deniers et vitailles à tiele somme comme bu-
soignables leur seront par les gages et susienance pur dys semaignes prou-
chains, ensuanfs en manière et selon ceu qijs vous chargeront plus pleine-
ment de par nous. Gestes choses prenés si tendrement à cuer corne vous
porrés. D'autre part, vous mandons qe à lesdils Nichole, Thomas et Richard
faces livrer soufTisamment deniers pur repareiller nos dites neefs... Donné
soubs nostre privé séel à Anvers, le quart jour de august; lan de nostre
règne dousisme (Bulletins de l'Académie royale, 1869; tiré des papiers du
Record office, à Londres, par M. Kervvn de LetteshoveU
(1) Ryjier, édit. angl., t. Il, P. II, pp. 10j4 et 1055.
— 209 —
précédemment dans une combinaison analogue, n'était déjà
plus disponible, elle élail fiancée au fils du roi de Castille.
Pour allécher les communes, il leur fil offrir de rétablir
en Flandre l'étape des produits anglais, afin, disait-il, de
mettre tout en œuvre pour consolider et consacrer une
alliance durable entre lui et elles (i).
Mais les Flamands ne se laissèrent pas ébranler; ils
continuaient à considérer Philippe de Valois comme leur
suzerain et voulaient conserver la stricte neutralité jurée
par les traités, dans la guerre entre leurs deux voisins ri-
vaux, tout en profilant des bénéfices que celle position leur
assurait de la part des belligérants.
« Plus on approfondit l'histoire de cette époque, dit
M. Kervyn dans sa remarquable Histoire de Flandre, plus
on reste convaincu que les communes flamandes étaient
sincères dans leur résolution, et que si les événements ne
s'y fussent opposés, Jacques d'Ârtevelde, aussi bien que
leurs autres chefs, y eût persévéré. Si les liens qui les
unissaient à Philippe de Valois se rompirent presque
aussitôt, si ceux qui existaient entre les communes et le
comte de Flandre s'afFaiblirent et se relâchèrent avec la
même célérité, il ne faut en chercher la cause que dans la
perfidie de ces princes, seuls responsables aux yeux de la
postérité, de l'anéanlissement de celle thèse sublime de
neutralité pacifique et industrielle que Jacques d'Artevelde
avait conçue (2). »
En vertu de sa nouvelle dignité, le roi d'Angleterre or-
(1) « necnon de slapulà lanarum, corriorum et pellium lanutarum
extra regnum nostrum ediicendorum, in aliquo loco congrue infra Flandriam
concedendà, et ea quae sic traclatà et concordata fuerint quàciinque firmi-
tale vallanduRi; et ad omnia et singula concedendum faciendum et exoran-
dum, quse in preemissis, et ad roborationem et conservationem perpeluani
amoris solidi il auxilii nuitui fuerint oportuna. » Rymer, édil. angl., t. H,
P. ir, p. 1065.
(2i Kervvn, t. m, p. 210.
— 210 —
donna aux feudalaires de l'empire de se réunir à Malines
pour relever leurs fiefs; le comle de Flandre ne se rendit
pas à cette injonction, mais y envoya des ambassadeurs
pour annoncer qu'il était prêt à s'acquitter vis-à-vis de
l'empire de tous les devoirs qui lui incombaient.
Vers ce temps, il fit notifier à la Flandre sa nomination
de vicaire de l'empire, par le comte de Gueidre, qui, dans
le même manifeste publié au nom d'Edouard, exposa les
prétentions de ce roi à la couronne de France et ses inten-
tions à l'égard du comte et des bonnes villes. Voici ce do-
cument :
« D'abord nous requérons, au nom de l'empereur, le
comte de Flandre de se rendre près de lui ou près de son
vicaire, afin de relever certains fiefs, comme il y est tenu
de droit.
» Nous requérons le commun pays de Flandre d'y enga-
ger le comte et de l'aider à faire ce qu'il est tenu de faire
vis-à-vis de l'empereur, de son vicaire et de l'empire.
» Nous faisons savoir, au nom de l'empereur, au comte
et au commun pays de Flandre, que l'empereur a tenu à
Coblentz une cour de justice dans tout l'éclat de sa dignité
impériale, entouré des électeurs qui s'y étaient rendus,
tels que l'archevêque de Mayence, l'archevêque de Trêves,
le comte palatin du Rhin et le duc de Saxe, et des députés
qu'y avaient envoyé les deux autres électeurs, l'archevêque
de Cologne et le marquis de Brandebourg, ainsi que de
beaucoup d'autres ducs, marquis, barons, seigneurs, che-
valiers et commun peuple là présents, et qu'il y a été dé-
cidé en droit que si l'empereur ou son vicaire jugeait
convenable de défendre et de recouvrer les droits de l'em-
pire et de réparer les torts faits à l'empire, chacun serait
tenu de le suivre aussi loin que l'empereur ou son vicaire
le jugerait convenable. Il y fut aussi jugé que si quelque
feudataire de l'empereur ou de l'empire refusait de suivre
— 211 —
Tempereur ou son vicaire, dans le cas susmentionné, lous
les biens qu'il tiendrait de l'empire rentreraient dans la
main et au pouvoir de l'empereur.
» Il y fut aussi jugé qu'un véritable vicaire de l'empire
possède, pour agir et pour faire droit, tous les pouvoirs
qui appartiennent à un véritable empereur. Ce jugement
fut prononcé par l'archevêque de Trêves au nom des élec-
teurs et des pairs de l'empire; et là furent aussi prononcés
d'autres jugements, dont nous ne faisons point mention ici.
» A la cour de justice tenue par l'empereur à Coblenlz,
étaft présent le roi d'Angleterre, qui, à la prière de l'em-
pereur et de l'assentiment général des électeurs, fut créé et
établi vicaire général de l'empire dans toutes les Germanies
et dans toutes les Allemagnes et dans toutes les provinces
et dans tous les pays qui en dépendent.
» Aussitôt après, le roi d'Angleterre, vicaire de l'empire,
envoya ses lettres au duc de Brabant, au comte de Flandre,
au comte de Hainaut et aux prélats et seigneurs feudataires
de l'empire, dont les domaines se trouvent par-delà la
marche de Cologne, afin qu'ils se rendissent à Malines à
certain jour qui était fixé pour l'entendre; car il se propo-
sait d'y prononcer, au nom de l'empereur, des jugements
tels qu'il appartenait à l'empereur de les prononcer, et il
voulait s'entretenir avec eux des grandes afTaires qui con-
cernaient l'empire; et, en effet, le comte de Flandre y en-
voya ses députés, qui annoncèrent qu'il était prêt à faire
vis-à-vis de l'empereur, de son vicaire et de l'empire, ce
qu'il était tenu de faire; après cette déclaration, nous re-
quîmes, au nom de l'empire, le roi d'Angleterre, vicaire de
l'empereur, qu'il permît au comte de venir relever certains
fiefs, comme il y est tenu, et qu'il l'exhorlàt à aider l'em-
pereur ou son vicaire à reconquérir les cités qui avaient
été enlevées à l'empire et réparer les torts faits depuis long-
temps au droit de l'empire, ce sous peine de forfaire les
fiefs qu'il tient de l'empire.
— 212 —
» Nous faisons savoir, au nom de l'empereur, que depuis
lors, nous avons été envoyé par l'empereur vers ledit
comte et le commun pays de Flandre, et attendu que l'em-
pereur n'avait reçu aucune réponse, il nous a chargé de
déclarer ce qui suit audit comte et au commun pays de
Flandre. Le comte et ses sujets ont été dépouillés par la
couronne de France de grands biens qui autrefois leur ont
appartenu : or, le comte de Flandre est son feudataire, et
si le comte et le pays de Flandre déploraient le dommage
qui leur a été causé, l'empereur serait prêt à les protéger
dans leurs corps et dans leurs biens, et à les aider avec
toute sa puissance à reconquérir les châtellenies de Lille, de
Douay et de Bétbune dont ils ont été dépouillés, et pour
qu'ils en soient plus certains, l'empereur est prêt à s'y
engager.
» Nous requérons aussi le comte de Flandre, au nom du
roi d'Angleterre, comme roi de France et d'Angleterre, de
reconnaître ce qui est de droit et de raison, et de se rendre
près du roi pour relever les fiefs qu'il tient de la couronne
de France, car il est l'un des pairs de France, et le roi
d'Angleterre est roi légitime de Franee.
» Nous requérons aussi, au nom du roi de France et
d'Angleterre, les trois bonnes villes de Gand, de Bruges et
d'Ypres et le commun pays de Flandre, d'examiner, comme
personnes sages et pleines de conscience, le droit et la
justice, et de conseiller le comte, leur seigneur, en l'aidant
à faire ce qu'il est tenu de faire, de telle sorte qu'il relève
son fief du roi de France et d'Angleterre, et l'aide à recou-
vrer son royaume qui lui a été injustement enlevé, car il est
le légitime héritier de la couronne de France.
» Puisque le droit ne peut se passer d'appui, le roi de
France et d'Angleterre requiert, comme prince souverain,
le commun pays de Flandre de se montrer (lors même que
le comte n'exécuterait pas les conseils qui lui seraient
— 213 —
donnés) fidèle à Dieu el au bon droit, et de l'aider à recou-
vrer son droit. Le roi est prêt à réparer le tort que la cou-
ronne de France a fait éprouver au pays de Flandre en le
dépouillant d'une grande partie son territoire, à assurer à
ses habitants telles libertés et à les combler de tels bienfaits,
qu'eux et leurs successeurs en conserveront à toujours la
mémoire.
» Si l'avis du comte et du commun pays de Flandre est
d'aider le roi, nous Renaud, comte de Gueidre, nous
sommes autorisé à assurer au comte et au pays de Flandre
les avantages suivants, savoir :
» Que si Dieu lui accorde la couronne de France, il fera
battre perpétuellement une bonne monnaie, semblable à
celle du roi saint Louis;
» Qu'il rétablira pour le profit el l'utilité des métiers du
pays de Flandre, toutes les coutumes et tous les bons usages
que les rois de France aient jamais établis.
» Qu'il fixera en Flandre l'étape des laines, selon l'avis
des bonnes gens de Flandre.
» Qu'il les aidera à reconquérir les cbâtellenies de Lille,
de Douai et de Béthune, pour les réunir perpétuellement
au comté el pays de Flandre.
» Qu'il révoquera à toujours toutes les sentences, amen-
des, obligations et autres servitudes qui leur auraient été
illcgitimemenl imposées par la couronne de France.
» Qu'il préservera le pays de Flandre de tout brigandage.
» Qu'il ne conclura à l'avenir aucun traité, si ce n'est
d'un commun accord avec le comte et le pays de Flandre.
» Qu'il accordera au pays de Flandre, aussi bien en
France et en Angleterre qu'en Flandre, toutes libertés qui
pourraient lui être utiles el qu'il serait possible de lui
accorder (i). »
(1) Archives de la ville d'Yprcs; document en flamand. — Kehvyji, Jacques
d'Arlevelde, p. 59.
— 214 —
Si noire sol vit s'accroître la famille du roi d'Angleterre (i),
il n'en fut pas de même de son trésor; les documents con-
temporains témoignent d'assez grands embarras pécuniai-
res : Edouard, au mois d'août 1558, fit des emprunts con-
sidérables aux Bardi et au Perucci; nous avons déjà vu plus
haut que les communes d'Angleterre n'avaient pas été fort
pressées d'acquitter le subside des vingt mille sacs de laines
accordé par le parlement; il paraît qu'en 1559 il fallut
de nouveau les harceler; Edouard fut obligé de mettre la
couronne d'Angleterre en gage à Trêves, sous la garantie
de l'archevêque (a); dans le courant du mois d'août, il en-
gagea les joyaux de la couronne chez les Bardi et les
Perrucci, à Bruges (5); et ces emprunts augmentèrent an-
nuellement tant et si bien, qu'en 1545 il devait à ces ban-
quiers italiens neuf cent mille florins d'or (4); les bourgeois
de Gand lui prêtèrent également de grandes sommes, et à
Anvers, lors de ses différents séjours pendant toute l'année
qu'il passa sur le continent, il souscrivit de nombreuses
promesses (5).
Les barons allemands ayant enfin rejoint Edouard aux
environs de Vilvorde, vers la fin de l'été 1559, le roi se
mit en campagne contre Philippe de Valois; parmi les
seigneurs qui l'accompagnaient, étaient les flamands Henri
de Flandre, comte de Lodi, qu'il arma chevalier, et auquel
au mois d'août, il avait concédé une pension de mille flo-
rins de Florence et le droit d'acheter des laines anglaises
et de les conduire en Flandre, lors même que lui Edouard
serait en guerre avec le comte de Flandre ou le duc de
(1) Au mois de décembre 1338, la reine Philippine, étant à Anvers, y
accoucha d'un jeune prince. Rymep., édit. angl., t. II, P. II, p. I0G7.
(2) Rymer, édit. angl., t. Il, P. II, p. 1075.
(3) Idem, idem, idem, p. 1088.
(4) Kervvn, t. III, p. 209.
(t>) Kunst- en Lcllcrblad, a. 1844, p. 78.
— 215 —
lirabanl (i), puis Hector Vilain, Jean de Rode, Wulfarl de
Gliislelles, Guillaume de Stralen, (ioswin vauder Muelene,
les sires de Gruulhuse et d'Halewyn. Mais la campagne fut
de courte durée et se termina sans combat; Edouard rentra
en Brabant et licencia son armée. Le roi de France, profi-
tant de cette circonstance, envoya ses hommes d'armes faire
des incursions en Flandre et rompit ainsi le traité qui con-
sacrait la neutralité du comté et le respect de son territoire
par les belligérants. Philippe de Valois ayant violé ses
promesses, il ne restait plus à la Flandre qu'à se tourner
complètement du côté de l'Angleterre; mais pour cela la
plus grande difficulté n'était pas levée; les communes re-
connaissaient la suzeraineté du roi de France et voulaient
rester fidèles à leurs serments.
Artevelde se chargea de préparer le coup d'État qui
devait changer complètement la situation et délier les
Flamands de leur serment à Philippe de Valois, qui faisait
si bon marché des siens. Accompagné des députés des
communes, il alla trouver en Brabant Edouard, qui se pré-
parait à retourner en Angleterre, et l'engagea à prendre le
titre et les armes de roi de France, auxquels il avait droit
par sa mère; ce fait devait faire de lui le suzerain de la
Flandre; le roi, dit Froissart, fit observer que n'ayant pas
enlevé une seule ville à Philippe de Valois, c'était chose
grave que de lui prendre le titre qu'il avait porté jusque-là;
mais réfléchissant sans doute à ce que les conseils d'Arle-
velde avaient de praticable, il ajourna son départ.
Le 2 novembre, nous le trouvons à Gand, au monastère
de Saint-Bavon, où il eut une entrevue avec Artevelde (2);
il ne larda pas cependant à retourner à Anvers, où vinrent
le trouver ses principaux alliés.
(1) Bull, de l'Acad. royale, 18G9.
(2} Cfr. Rymer, édil. angl., l, 11, P. IF, p. 1093, une Ictlre dalée de Gand,
2 novembre, qui prouve son séjour dans celle ville.
— 216 —
Edouard qui, oulre Tamitié des communes, à laquelle il
tenait beaucoup, aurait désiré de s'attacher la Flandre par
une alliance plus solide, voulut de nouveau reprendre les
négociations relatives au projet de mariage entre sa fllle
et le fils de Louis de Nevers. Le 12 novembre, il donna
commission au comte de Salisbury, maréchal d'Angleterre,
et Henri de Ferrers, chambellan, Geoffroi Scrop et Maurice
de Berkeley, son secrétaire, pour traiter de ce sujet avec
le comte de Flandre et convenir d'une alliance perpétuelle,
de la confirmation des anciens privilèges dont le pays avait
joui sous tous les rois de France et d'Angleterre, ses pré-
décesseurs, et même de l'octroi de nouvelles franchises et
libertés. Les ambassadeurs étaient en oulre chargés de
convenir, subsidiairement à la question du mariage, de la
restitution au comté des châteaux, villes, terres et domaines
qui en avaient dépendu. Le 15 novembre, le duc de Bra-
bant, les comtes de Norlhampton et de Suffolk vinrent se
joindre à la dépulalion et proposèrent oulre tous les avan-
tages déjà ofl"erts, une indemnité pécuniaire pour l'incendie
et le pillage de l'ile de Cadsand en 1557 (i). Le comte resta
sourd à toutes les propositions, dont les avantages dépen-
daient, il est vrai, de son acquiescement à l'union de son
fils avec Isabelle d'Angleterre; mais il ne fut pas assez fort
pour empêcher les communes de continuer leurs négocia-
tions avec Edouard.
Le 4 janvier 1540, le roi renouvela les pouvoirs de ses
ambassadeurs et les envoya de nouveau vers le comte pour
renouveler leurs tentatives matrimoniales; ils étaient char-
gés de répéter les propositions déjà faites précédemment et
de recevoir l'hommage de Louis de Nevers et des bonnes
villes (2). Mais les démarches réitérées auprès du comte
(1) Rymer, édil. angl., t. Il, P. U, p. 1007.
(2) Idem, idem, idem, p. H06.
— 217 —
iraboutissanl à rien, Edouard se conleula du consenlement
des communes. Le 21, il élail encore à Anvers; le 23, il
arriva à Gand; la ville avait envoyé un messager à sa ren-
contre (i). Là, jugeant que l'heure d'hésiter était passée et
qu'il avait suffisamment délibéré, il prit publiquement le
litre et les armes de France, avec la devise : « Dieu et mon
droit, » qui fut alors employée pour la première fois (2).
Emile Varenbergh.
{Pour être continué).
(1) Comptes lie la ville.
(2) LONGMAN, t. I, p. 156.
16
— 218 —
d'apuès ses nouveaux historiens (l),
Froissart est demeuré un écrivain populaire : deux
éditions de ses œuvres, qui paraissent en même temps à
Paris cl à Bruxelles, — Tune par les soins de M. Luce,
l'un des fonctionnaires les plus érudits des archives fran-
çaises, l'autre, par ceux de M. le baron Kervyn de l.el-
lenhove, l'un des savants les plus estimés et des hommes
politiques les plus appréciés de la Belgique, — prouvent
l'attrait que les chroniques de cet historien rencontrent
encore auprès des lettrés de notre temps. Il faut, en effet,
reconnaître qu'elles offrent la lecture la plus agréable.
« Conter est tout le génie de Froissart, a dit M. Villemain;
il ne s'inquiète pas des causes et des moyens. Son livre en
ressemble d'autant plus aux romans de chevalerie, où l'on
ne dit jamais les détails prosaïques de la vie. Une infinie
variété naît de sa naïve exactitude; son âme vive et mobile,
enjouée plutôt que forte, est un miroir fidèle où se reflète
tout le moyen-âge Grands événements, anecdotes fami-
lières, nations diverses. Anglais, Français, Flamands,
tout se mêle et se succède sans confusion; et jamais les
couleurs de l'historien ne sont semblables, quoiqu'il soit
toujours naïf, naturel, abandonné. »
(1) OEuvres de Froissart, publiées par le baron Kervyn de Lettekhove,
10 vol. in-8o, parus; Bruxelles, Devaux. — Clironiqties de Froissart, pu-
bliées pour la Société d'Iiisloire de France, par Sinéon Luge, 2 vol. in-S»,
parus; Paris, Renouard.
— 2i9 —
Mais nous ne prétendons pas apprécier ici la valeur
hislorique et littéraire de l'œuvre de Froissart. Nous vou-
lons seulement raconter sa vie d'après les travaux de ses
récents éditeurs, étude qui ne sera pas sans intérêt, car
elle nous fera pénétrer dans la société du XIV*" siècle, à
la cour, aussi bien que dans les cliàleaux de la noblesse et
les maisons de la bourgeoisie. A ce point de vue, ce ne sera
pas seulement la vie d'un homme que nous raconterons;
ce sera aussi un croquis de l'ancienne société provinciale
que nous essaierons, en groupant les faits autour d'un nom
justement estimé et incontestablement populaire.
I.
L'un des jurés de la ville de Beaumont-en-Ardennes,
était en l'an de grâce 1500 Mahieu Froissart, et dans une
localité voisine, à Thuin, vivait à la même époque Everard
Froissart, marchand assez riche pour obtenir du comte de
Hainaut une indemnité considérable, à cause des pertes
qu'il subit lors la prise de cette ville. Mahieu quitta
Beaumont pour aller se fixer à Valenciennes, seigneurie
appartenant également à Baudouin d'Avesnes, et où des
privilèges singulièrement libéraux attiraient les gens des
environs. Un de ses fils, nommé Mahieu, comme son père,
demeura cependant à Beaumont. On croit que Froissart
fut appelé à Valenciennes, à cause de son talent comme
« enlumineur, » surtout comme peintre héraldiste, et on
lui attribue les écussons de la Salle-le-Comte, construite
sous Baudouin le Bâtisseur. M. de Lettenhove n'admet
pas cette tradition, qui ne repose en effet sur aucun fonde-
ment, et il présume que ce Mahieu était tout simplement
changeur : il serait venu par conséquent à Valenciennes
pour exercer son industrie sur un théâtre plus avantageux :
il voit un souvenir de cette profession paternelle dans ces
vers du chroniqueur :
— 220 —
Clinnge esl paraJis à l'argent,
Car il a là tous ses déduits,
Ses bons jours et ses bonnes nuits;
el dans ses armes, où figureut trois besaces, signe con-
ventionnel en blason des pièces d'or et d'argent.
Toujours est-il que Jean Froissart naquit, comme il
a soin de nous l'apprendre lui-même, à Valenciennes,
en 1353. Sa jeunesse fut libre et joyeuse jusqu'au jour où
ses parents songèrent qu'il y avait pour lui autre chose à
faire que jouer à la pince-merine, aux papelolles, à la
brimbetelle ou au trottot-merlot.
On me fist latin apprendre,
dit-il mélancoliquement; mais en vain le maître mit-il tous
ses efforts à instruire son élève, recourant même à la force,
le jeune Jean se montrait insoumis et paresseux, trouvant
qu'il était né pour
F^oer Dieu et servii' le monde.
Il grandit cependant, se laissant de plus en plus aller à
son goût pour la poésie. Il quittait volontiers V^alenciennes
pour venir prendre ses ébats à Beaumont, au milieu de
cette vieille forêt des Ardennes, toute pleine, nous dit-il,
« de hauts bois, de diverses et estranges vallées, de roches
et de montagnes. » Il grandit et l'amour se mit de la
partie. Jeune, beau, poëte, Jean Froissart devait séduire
bien des cœurs : il nous peint ses débuts avec trop de
grâce pour ne pas lui céder la plume :
En mon jouvent, tous tels cstoie
Que trop volontiers m'esbatoie.
Très qui n'avoie que douse ans,
Estoie forment goulousans
De veoir danses et carolcs,
D'oir ménestrels et paroles.
Qui s'aperliennent à déduit
El de ma nature introduit.
221
Que d'amer par amour tous céauls
Qui aimcnl el cliicns et oiscauls.
El quand on me niisl à Tescole,
Il y avait des puceleltcs
Qui de mon temps èrent jonetles,
Et me sambloit, au voir enqucrre
Granl proescc à leur grâce acqucrre.
Pendant plusieurs années, Froissart se laissa aller corn-
plélement à ses amoureux penclianls, el il en sentait le
charme et la douceur :
Je passoie à si grant joie
Celi temps, se Diex me resjoie.
Que tout me venoil à plaisir.
Et le parler et le taisir.
Mais sa famille regrettait de lui voir ainsi perdre son
temps el elle parvint à le décider à occuper plus sérieuse-
ment sa vie.
Si me mil en la marchandise,
dil-il lui-même, ce qui ne rempèclia ni de rimer, ni d'ai-
mer, el il nous raconte une franche escarmouche amou-
reuse où il ne remporta pas la victoire, échec qui lui dut
être d'autant plus sensible, que le portrait qu'il trace de
Marguerite est séduisant.
Le sire de Beaumont semble avoir particulièrement
protégé Froissart, sans que nous ayons de détails positifs
à ce sujet; mais il est certain qu'aussitôt après la mort de
ce seigneur, Jean quitta Valenciennes (16 avril 1356)
pour franchir la Manche et aller [)résenter à la reine
d'Angleterre, nièce de Jean de Beaumont, une a compila-
lion rimée » de l'histoire des guerres qui ensanglantaient
alors la France. Il fut très-bien accueilli à la cour de
Windsor, et il y prit promptement ses habitudes.
Avec les seigneurs et les dames
M'esbatoie très volonllers.
— 222 —
Il ne larda pas à y ébaucher un tendre roman qui lui
fil composer le poëme inlilulé : la Court de May. Au bout
de quelques semaines, Froissarl demanda la permission de
rentrer dans sa patrie, à la reine, qui la lui accorda en le
comblant de riches cadeaux et en lui faisant promettre de
revenir; il parait aussi que c'est de celte époque et à la
prière de cette princesse qu'il conçut le projet de com-
mencer les chroniques qui ont illuslré son nom : a Si ay,
dit-il, toujours à mon povoir enquis et demandé du l'ait
des guerres el des aventures, et par espécial depuis la
grosse bataille de Poitiers. »
Il semble que Froissart ait surtout voulu revenir à Va-
lenciennes pour revoir la jeune fille qu'il aimait : sa
première course fut chez une dame qui protégeait ses
amours; elle lui donna quelques consolations en lui assu-
rant que la belle avait prononcé plusieurs fois son nom.
Mais le rang qu'elle occupait rendait la rencontre difficile,
et l'amoureux transi avoue qu'il fut réduit à passer une
nuit, caché près d'une fenêtre, pour la voir danser el
s'amuser avec d'autres. Elle s'humanisa cependant un peu;
elle consentit à voir Froissart, mais sans lui laisser grande
espérance, d'après ce récit assurément fidèle : « La dame
très-grâcieuse n entra un jour dans la chambre de son
amie où Froissart se trouvait : tous deux rougirent, mais
notre poëte fui le plus intimidé des deux :
Ung grant temps éuisse esté là
Sans parler, mais elle parla,
Soie merci; moult doucement,
Et si me demanda comment
J'avoie fait en ce voyage,
Et je li di : « Madame, s'ai-je
Pour vous eu maint souvenir. »
— Pour moi? voire? Et dont poet venir?
— De ce, dame, que tant vous aime.
Qu'il n'est heure, ne soir, ne matin,
Que je ne pense à vous toudis. »
— 223 —
Froissait, pour tant d'amour, obtint un don de cinq
violettes, qu'il chanta avec délire; puis l'amie commune
mourut et le roman finit. Nous sommes ensuite quelque
temps sans suivre exactement la trace de notre héros, mais
nous ne pouvons douter que son départ de V^alenciennes
n'ait pour cause unique sa déception amoureuse. La lec-
ture attentive de ses vers nous apprend qu'alors il visita
Avignon, Narhonne, les côtes de la Méditerranée (1360);
il revint ensuite à Paris, où il paraît avoir suivi quelques
cours littéraires et pris ample moisson de notes pour sa
chronique au sujet de la bataille de Poitiers. La peste le
décida à s'éloigner de celte ville et à reprendre le chemin
de l'Angleterre en traversant la Picardie, et allant certaine-
ment faire une étape auparavant dans sa ville natale.
Il fut reçu avec une rare faveur à la cour de Windsor :
le roi lui donna la charge de clerc de son cabinet, et il eut
surtout pour fonctions de « le servir de beaux dittiers et
trettiés amoureux. » La reine Philippine Isabelle d'Angle-
terre et Blanche de Lancastre accablaient de prévenances
l'heureux voyageur, qui devint le poëte attitré de la cour
et y mena la vie la plus joyeuse et la plus agréable :
l'amitié que le roi et la reine lui témoignaient, lui procu-
rait les bonnes cràces de tous les courtisans. Froissart
voyait avec un plaisir particulier les gentilshommes-ôfages
du roi Jean et se renseignait auprès d'eux. 11 ne quittait
pas d'ailleurs la cour, et c'est à celte époque qu'il com-
posa ses principales poésies : la Métaphysique poétique,
VEspinette amoureuse, le Paradis d'amour, V Horloge
amoureuse^ on sait qu'à celle époque la langue française
était le seul langage usité dans la haute société anglaise.
Il entretenait des relations intimes avec les principaux
poêles de l'Angleterre, notamment avec Lower et avec
Chaucer. Rien ne lui manquait enfin pour avoir l'existence
la plus heureuse, il en jouissait, s'en montrait reconnais-
sant et payait largement sou écot.
— 224 —
Froissart assista au retour volontaire de Jeau dans sa
captivité (23 février 15G9), et il composa pour le royal
prisonnier une pastourelle, qu'il lui offrit à Eltham. Il est
probable que ce prince le reçut souvent : il aimait beau-
coup les vers et avait amené avec lui un « roi des ménesle-
reulx. » Sa présence semble avoir donné encore plus de
mouvement à la cour d'Angleterre : Jean ne cbercbait
nullement à supporter avec austérité sa ca|)tivilé, et Frois-
sart nous dit que l'hiver se passa « liement et amoureuse-
ment en grands reviaus et récréations, en disners et en
soupers et en aullres manières. » Le roi de France mourut
au printemps et on croit que Froissart accompagna le cor-
tège qui reconduisit son corps et qu'il assista aux céré-
monies du sacre de son successeur à Reims. Dans tous les
cas, il vint avec Charles V à Paris et il prit part aux fêtes
qui suivirent le couronnement. Au mois d'août 1364, il
était à Valenciennes, et l'année suivante il reçut de la reine
d'Angleterre une mission officielle pour se rendre en
Ecosse, à la cour du roi David Bruce, pour y étudier sur
place l'histoire de la récente guerre qui avait eu ce pays
pour théâtre et qui y avait laissé de si lugubres traces.
Froissart arriva précisément au moment où David entre-
prenait la visite de ses états, et il l'accompagna constam-
ment dans ce voyage. Son nom le flt accueillir partout avec
faveur et il rima plus d'une de ses jolies pièces en l'honneur
de quelques-uns des comtes écossais qui lui montraient
tant d'empressement à le fêter. C'est durant ces chevau-
chées en compagnie de son auguste hôte, qu'il composa le
Débat d'un cheval et d'un lévrier, petit poëme vraiment
exquis, écrit en vers simples et naturels, gracieux tableau
de mœurs aimables et douces. Au bout de six mois, notre
poêle rentra en Angleterre, mais dès l'année suivante, il
reprit son vol pour aller visiter l'est de ce pays avec
Edouard Despencer, l'un des plus riches seigneurs du
— 225 —
royaume, grâces aux rapines de ses ancêtres, favoris
d'Edouard II, et qui, parait-il, se montra très-généreux
envers son compagnon :
Car il ne fu oncques lassés
De moi donner, quel part qu'il fust.
Ce n'estoient cailliel, ne fust,
Mes chevaus el florins sans comple.
Ce voyage rentrait dans la mission de Froissart, car il
avait à recueillir des renseignements sur les tragiques cir-
constances de la fin violente des Despencer. Il continua
son œuvre en traversant la mer pour
Clierchier le royaulrae de France,
De chief encor par ordenance.
C'était au moment où Du Gueselin emmena les « grandes
compagnies » guerroyer au-delà des Pyrénées, au secours
de Henri de Transtamare. Froissart traversa le Brabant au
mois d'avril 1566, gagna la Bretagne, l'Aunis et arriva à
Bordeaux pour la naissance du fils du prince Noir (6 jan-
vier 1567). Il reprit le chemin de Valenciennes avec Gui
de Blois, auquel le roi d'Angleterre venait de rendre la
liberté. Froissart aimait voyager avec de grands seigneurs :
il épargnait de la sorte des dépenses considérables, que les
déplacements entraînaient à celle époque; il recevait sou-
vent, au contraire, de ses compagnons de riches présents
et recueillait toujours d'amples renseignements sur les évé-
nements auxquels ces personnages avaient été mêlés. Avant
la fin de l'année, il était rentré à Londres, d'où il partit au
printemps suivant pour venir à Paris avec le duc de Cla-
rence, qui allait à Milan épouser Yolande Visconti. On peut
désormais le considérer comme l'historiographe de la cour
d'Angleterre : il prit part aux fêtes les plus splendides, qu'il
chanta volontiers dans ses petits vers, en constatant volon-
tiers la beauté des Milanaises; il reçut de riches cadeaux,
il menait grand train.
En arroi de souflisani lioinnie,
— 226 —
ayant ses haquenées, ses roncins pour ses domestiques et
ses bagages, vivant d'ailleurs à sa guise et réglant à son
gré ses voyages. Il souhaitait de s'avancer jusqu'à Rome,
mais la guerre que soutenait ri^]mpereur ne rendait point
les routes sûres. Il gagna cependant Bologne, et y rencon-
tra le roi de Chypre; fidèle à son système, il trouva moyen
de se faire admettre dans sa suite pour aller à Ferrare :
encore reçut-il quarante-trois ducats pour sa peine. La paix
fut précisément signée alors entre Charles IV et Galéas
Visconti, et quelques jours après, notre touriste foulait le
sol de la ville éternelle. Il ne paraît pas en avoir éprouvé
une vive impression, car il en parle à peine : il abrégea
d'ailleurs son séjour pour ne pas laisser échapper l'occa-
sion de voyager avec le maréchal d'Aquitaine, qui était
venu remplir une mission de la part du prince de Galles
auprès d'Urbain V; il le quitta en Provence, pour ne pas
traverser la France désolée par la guerre, et regagna le
Brabant par l'Alsace et la Lorraine. Il y apprit en arrivant
la mort de la reine d'Angleterre, « la plus gentil roine,
plus large et plus courtoise qui oncques régna en son
temps. » La perte de celte puissante et libérale prolectrice
le décida à demeurer dans sa patrie et à s'y créer de nou-
veaux patrons à l'aide des nombreuses et grandes connais-
sances qu'il avait faites pendant ses voyages. Il lui fallut
peu de temps pour se faire aussi bien venir de la cour de
Brabant que de celle d'Angleterre et s'y rendre indispen-
sable pour les fêles qui s'y succédaient sans cesse et qui,
d'après ses récits, étaient des plus brillantes, des plus va-
riées et des plus joyeuses.
II.
Ce fut pour Froissart un moment de repos et il y avait
droit après la vie singulièrement agitée qu'il venait de me-
— 227 —
ner : ce fut aussi le moment où il fit connaissance de « ce
chanoine de Spinl-Lamberl de Liège, qui devait rester son
maître, aussi habile à porter l'épée que l'aumusse, à écrire
des récils de bataille que des virelais, qui devait d'ailleurs
à une heureuse nature la prudence et le bon sens, en même
temps que ce penchant aux déduits et aux solus qui le
rendait « lie, gai et joli «jusqu'en ses quatre-vingt ans » :
de Jean le Bel.
La guerre vint troubler cette heureuse existence : le duc
de Brabant se fit battre et prendre par le duc de Juliers.
Dès lors plus de cour, plus de réjouissances, et Froissarl
se retira à Lestines, bourg voisin de Binche, où était fixée
une branche de sa famille paternelle, dont les membres
étaient dans la plus honorable situation (décembre 1371).
Il paraît que le désastre de la cour de Brabant influa sur
la position pécuniaire de Froissart : il fit des perles d'ar-
gent, dut emprunter; puis tout d'un coup il entre définitive-
ment dans les ordres et devient, en 1371, curé de Lestines.
C'était un bénéfice avantageux, à la nomination de l'évêque
de Cambrai. Froissart recevait en outre du duc de Brabant
une pension en argent et une redevance de quelques muids
de blé; quand ce prince sortit de prison, il recommença à
faire de fréquents cadeaux à son poëte favori, qu'il appelait
souvent auprès de lui et qu'il aimait à consulter. Froissart,
curé, continuait d'ailleurs à mener une vie agitée, tout en
ne fournissant aucune prise à la malignité au point de vue
moral. Il voyait familièrement ses paroissiens, dont les uns,
comme Moreat, était un vaillant chevalier, et comme Jake-
mot, un joyeux ménestrel, les autres, de riches taverniers
fournisseurs des vins de la cour et le mayeur du bourg, et
de non moins riches bourgeois. Il allait, nous venons de le
dire, souvent à Bruxelles auprès du duc Wenceslas, à Mons
près le duc de Bavière, gouverneur du Hainaut; à Beau-
mont, dans les châteaux des environs, où il était assuré de
228
toujours rencontrer l'accueil le plus empressé : il a soin de
nous nommer tous ces seigneurs dans un poëme composé à
Lestines, car le curé n'en était pas moins resté poêle. C'est
dans son presbytère qu'il rima la Prison anumreiise, le
Buisson de jonèce et diverses ballades. Le premier de ces
poèmes avait pour objet de chanter et d'adoucir la captivité
du duc Wenceslas.
Mais Froissart allait bientôt occuper plus utilement ses
loisirs. C'est à Lestines qu'il commença la rédaction de
sa chronique : lui-même nous le dit dans sa Vision de
philosophie :
El adoiiques me renouvellL-
Philosophie un haull penser
El ilist : « Il te eonvient penser
Au temps passé et à tes œvres;
El voeil que sus cesté tu œvres.
Il ne l''est mie si lointains,
Ne tu si frois, ne si eslains
Que mémoire ne l'en revicgne >»
Ce travail semble avoir dès lors complètement absorbé
notre héros, don t on n'entend plus parlerpendant plusieurs
années. Il ne paraît pas avoir quitté sa cure, sinon pour
soumettre son travail à Gui de Blois, qui habitait alors le
château de Beaumont, et à Robert de Namur, oncle de la
comtesse de Blois, qui y venait souvent. Le 12 décembre
1581, on apprit tout d'un coup à Paris que le régent venait
de faire saisir» cinquante-six quayers que messire Jehan
Froissart, prestre, recteur de l'église parrochiale de Lestines-
au-\Iont, près de Mons, avoit fait escrire, faisans mention
de plusieurs et diverses batailles et besoignes en fait d'ar-
mes, faits au royaume de France, le temps passé, lesquels
cinquante-six quayers de romans ou croniques, ledit messire
Jehan Froissart avoit envoyé pour enluminer à Guillaume
de Bailly, enlumineur, et lesquels ledit messire Jehan pro-
229
poiisoil à envoyer au roy d'Angleterre, adversaire, elc. (i). »
Froissarl destinait ce manuscrit à être offert comme ca-
deau de noces à Richard III, à l'occasion de son mariage
avec Anne de Bohème. Il ne paraît pas avoir obtenu la
restitution de ces « quayers, » et il s'en consola en dédiant
au duc Wenceslas le poëme de Méliador et en continuant
sans nul doute son travail historique. Mais ce prince mourut
peu de temps après (7 décembre 1383), et Froissart, qui
semble avoir toujours eu besoin d'un patron, s'attacha com-
plètement à Gui de Blois, qui, après avoir encore accom-
pagné Charles VI dans l'expédition de Roosebeke, se retira
définitivement à Beaumont. Il fît venir Froissarl auprès de
lui, en qualité de chapelain et en lui donnant en outre un
canonical à Chimay. Cette vie lui convenait mieux que
celle de la cure de Lestines. a Si le bénéfice de Leslines,
dit M. de Lettenhove, avait réduit Froissart à une résidence
qui ne fut ni silencieuse, ni oisive, sa chapellenie et son
canonicat lui assuraient plus de liberté. Gui de Blois voya-
geait-il, il l'accompagnait comme chapelain, et lors même
que son bon seigneur et maître se reposait, notre chanoine
obtenait aisément la permission d'attacher à son aumusse
son escarcelle de chroniqueur. Nous le retrouverons bientôt
chevauchant sur les grands chemins et accueilli avec hon-
neur à la cour des princes comme dans les châteaux des
barons. » Il alla ainsi à Blois pour les préparatifs du ma-
riage du fils de Gui de Blois avec Marie de Berry, lequel ne
fut célébré que cinq mois plus tard à Bourges (août 1586);
il composa à cette occasion, outre une très-galante pastou-
relle, son poëme du Temple d'honneur. Froissart — il
aimait décidément voyager à la suite des princes — partit
pour la Flandre avec le duc de Berry, qui se rendait au
(I) Journal de Jehan Le Fedvre, évèqiic ilc Chartres, Le Labodrelr, Inirod.
du reliq. de Saiiil-Denis, p. 69.
— 250 —
cainj) de l'Ecluse avec une lenteur prcmédiléc, qui sauva
rAnglelerre d'une invasion, mais irrilail Froissant, pressé
d'arriver à Valenciennes, où il savait trouver le comte de
Blois, le duc de Bourgogne et le duc de Bavière, et ap-
prendre d'importantes nouvelles sur la grande expédition
que la France projetait au-delà de la Manche. Il y avait au
palais nombreuse compagnie, la dame de Moriaumès, la
dame de Gommignies et une foule de chevaliers, « et vous
dis, écrivait Froissart, qu'il sembloit bien, qui les oyoit
parler, que Engleterre estoil prise, conquestée et perdue. »
Mais il ne put demeurer inactif au milieu de ce mouvement
militaire et il courut repaitre ses yeux curieux du magni-
fique spectacle du camp et de la flotte de l'Ecluse. Il y con-
stata lui-même que la lenteur volontaire du duc de Berry,
en retardant le départ à l'arrière-saison, ruina cette gigan-
tesque entreprise, destinée peut-être à renouveler à trois
siècles de distance la conquête de Guillaume le Bâtard.
Après avoir passé quelques jours dans ce camp, où cha-
que baron faisait assaut de luxe pour surpasser son voisin,
le chanoine de Chimay parcourut la Flandre, se plaisant à
voir la reprise du commerce et de l'industrie dans ce riche
pays. Il passa à Bruges, séjourna assez longtemps à Gand
pour y apprendre des acteurs de la dernière guerre bien
des détails qu'il nous a conservés. De retour à Valencien-
nes, Froissart s'occupe de rédiger la suite de sa chronique,
tout en ne renonçant pas à ses inspirations poétiques. Mais
il se sentait encore trop vert pour ne pas en profiter et con-
tinuer par de nouveaux voyages son enquête historique.
« Je considéray en moy-mesme que nulle espérance n'estoit
que aucuns faits d'armes se fissent es parties de Picardie
et de Flandres, puisque paix y estoit, et point ne vouloit
estre oiseux, et entrementes que j'avois, Diet mercy, sens,
mémoire, et bonne souvenance de toutes les choses passées,
engin clair et aigu pour concevoir tous les faits dont je
— 251 —
poiirrois eslre informé, loiicliant à ma principale malière,
âge, corps et membres pour souffrir paine, me avisai que
je ne voulois mie séjourner de non poursuivre ma matière. »
Froissarl partit donc pour le midi de la France, au prin-
temps 1388, avec le comte de Blois. Ce qu'il apprit en
route du faste de la cour d'Ortlièz et de la générosité du
comte de Foix le décida à se rendre près de lui, en che-
vauchant d'abord le long de la Loire, heureux de pouvoir
bientôt « s'accointer » en la compagnie d'un vaillant cheva-
lier, Guillaume d'Ancenis, qu'il avait connu au camp de
l'Ecluse et qui lui fournit plus d'un intéressant détail rétro-
spectif. En route il reçut l'avis de Gui de Blois d'aller cher-
cher dans une abbaye entre Lunel et Montpellier, quatre
lévriers que ce prince voulait offrir au comte de Foix, puis,
avec ce précieux convoi, il s'achemina sur Pamiers, où il
apprit que le comte Gaston n'était plus dans le pays de Foix,
mais en Béarn. Cette nouvelle course à faire seul, dans des
contrées complètement inconnues, l'efifraya un peu et il la
retarda « pour attendre compagnie. » Bien lui en prit, car
au bout de huit jours, il put faire route avec messire Es-
paing de Lyon, l'un des principaux conseillers du comte,
qui lui conta force renseignements « sur les besognes de
France. » Il lui avait confié très-franchement le but de son
voyage, et messire Espaing se mettait absolument à sa dis-
position : souvent il lui disait : « Avez-vous mis dans votre
histoire dont vous m'avez parlé? "Si ses souvenirs sem-
blaient près de s'épuiser, Froissart s'empressait adroitement
de « le remettre en parole, » selon sa pittoresque expression.
En arrivant devant le château de Lourdes, notre chroni-
queur apprit avec joie que Gaston de Foix avait dans son
trésor « trente-trois cent mille florins, » que chaque année
il en distribuait plus de soixante mille et qu'il en donnait
volontiers bonne part o aux étrangers qui vont en chevau-
chant par son pays et qui parlent de lui. »
— 232 —
Le conile de Foix Ol le plus gracieux accueil au voyageur,
qu'il garda trois mois « dans son ostel, » se plaisant à en-
tendre ses récils et à lui faire lire ses vers. Mais Froissart
ne perdait pas son temps et il savait faire ample provision
de documents historiques. 11 prolongea son séjour beau-
coup plus qu'il ne l'avait projeté: il alla une fois d'Orllièz
à Bordeaux pour assister à des fêtes données en l'honneur
de la duchesse de Lancastre, puis, trouvant l'occasion de
faire roule avec trois ambassadeurs du duc de Berry —
venus pour demander la main de Jeanne de Boulogne au
nom de leur maître, — il prit congé de son généreux hôle
et il suivit le brillant cortège jusques à Avignon — le pape
Clément VII étant cousin germain du père de la fiancée —
(mai 1389). Le voyage continua de fêtes en fêtes le long
du Rhône. Froissart prit ensuite directement le chemin de
Paris avec le sire de la Rivière : il y rencontra le sire de
Coucy, qui fut tellement heureux de faire sa connaissance
que, partant précisément pour le Cambrésis, il l'emmena
avec lui. Avouons que Froissart était un habile homme
pour économiser ses frais de route! Il consacra quelques
jours à son nouvel ami, quelques autres à sa famille de
Valenciennes et alla aussi passer un mois à Schoonhove,
en Hollande, auprès de Gui de Blois. Mais Froissart, ap-
prenant la prochaine entrée solennelle de la reine Isabeau
à Paris, n'avait garde de manquer à son rôle de chroni-
queur, qui lui commandait d'y assister. Il y arriva au mois
d'août et put raconter de visu les fêtes splendides qui signa-
lèrent cette cérémonie.
Le 15 juillet 1391, Froissart perdit Guy de Blois, dont
la maladie avait singulièrement aigri sur la fin et même
dénaturé le caractère. C'était son dernier protecteur et il ne
laissait que des dettes : Froissart avait alors soixante ans;
il commençait à éprouver le besoin de ce repos digne et
calme, olium citni dignitate, qui s'impose à l'âge comme
— 23Ô —
an travail, mais il semble que les ressources pécuniaires
lui faisaient défaut à l'heure où il en aurait eu le plus
besoin, car le chapelain du dernier comte de Blois devait
être habitué à une existence que ne signalaient pas préci-
sément l'austérité et la pauvreté. Pendant son séjour à
Avignon, on lui avait promis un canonical à Notre-Dame
de Rheims, « qui vaut en résidence cent florins et en ab-
sence trente francs, » et, ce qui était infiniment plus profi-
table, une « chanoinie » de Lille. Rien ne vint et il demeura,
comme il le dit en plaisantant, chanoine de Lille « en
herbe. »
Froissart rentra alors à Valencienneset continua sa chro-
nique, s'acquittant de la promesse faite à messire Espaing
de Lyon : « Toutes vos paroles seront mises en mémoire
et en remonstrances en l'histoire que je poursuis. » Arrivé
anx événements de l'année 1385, il trouve de nombreuses
lacunes pour le récit des affaires de Caslille et de Portugal.
Voulant y suppléer, il se rendit à Bruges, où les Portugais
afiluaienl, attirés par les importants comptoirs d'or mon-
nayé, qui y appelaient les étrangers de toute l'Europe. Il
y apprit qu'un conseiller du roi de Portugal venait de dé-
barquer à Middelbourg; il y court, se fait présenter par de
notables personnages et remplit sa mémoire au gré de ses
désirs. Nous le retrouvons ensuite à Paris pendant l'été et
l'automne de l'année 1392; au printemps suivant, il était
à Abbeville, où le roi et le duc d'Orléans suivaient de
près les négociations qui, comme on sait, avaient pour
objet la cession de l'Agénois, du Périgord et du Limousin;
il se renseignait, tout en prenant part à de « nombreux et
joyeux esbals. » Froissart faisait son métier en conscience
et peu de reporters de nos jours pourraient présenter de
pareils étals de services.; il n'atteignit pas son but à Abbe-
ville. Les deux princes s'étaient engagés à tenir le traité
secret, et il dut avouer que bien qu'il s'efforçât « d'oïr et de
17
— 234 —
savoir nouvelles, « il ne put « pour lors savoir la vérité
comme la paix esloit emprise. »
Froissart songea à s'allaclicr au duc d'Orléans, qui lui
fit remettre « vint francs d'or, » pour prix du DU royal
dont il avait accepté Thommage, mais ce projet n'eut pas de
suite et il alla, en 1395, présenter ses hommages à Ri-
chard II, roi d'Angleterre, pourvu de nombre de lettres de
recommandation des plus grands seigneurs de la cour de
France. Il fil « escripre, grosser et enluminer tous les trai-
tés amoureux et de moralité que au terme de trente-quatre
ans » il avait composés et il s'embarqua pour Londres, mais
il y arriva pour éprouver une grande déception, ne ren-
contrant presqu'aucun de ses anciens amis et trouvant les
mœurs singulièrement changées depuis vingt-huit ans qu'il
n'était venu en ce pays. Le roi heureusement lui fit le
meilleur accueil, en lui disant que puisqu'il avait été « de
l'hôtel du roi son aïeul et de la reine son aïeule, il devait
toujours se considérer comme étant de l'holel du roi d'An-
gleterre. » Froissart n'eut garde de refuser cette bonne au-
baine et il se mit de nouveau à chevaucher à la suite de
la cour, hantant les châteaux et prenant part aux fêtes qui
se succédaient sans cesse, causant tant et plus avec ceux
auprès desquels « il s'accointait, » et se renseignant sur les
événements contemporains. Richard II reçut les œuvres
du chanoine de Chimay avec faveur, et quand ce dernier
se relira pour regagner la France, il lui fit remettre un
gobelet d'argent doré, pesant plus de deux marcs et con-
tenant cent nobles (octobre).
Froissart débarqua en Bretagne au moment où une partie
de la noblesse, avec le comte de Nevers et le sire de Coucy,
rêvait d'aller de nouveau tenter fortune en Orient : il ad-
mira ce mouvement, mais sans l'approuver, et dans son
Trésor amoureux il laisse voir qu'il y aurait peut-être plus
d'utilité à conserver en France ces gentilshommes, qui
— 235 —
pourraient bientôt trouver à y employer leur bravoure. II
était alors à Sainl-Omer, où il vint offrir ce poëme au duc
de Bourgogne (octobre 1o9G) et où il comptait assister aux
félcs données par les souverains de la France et de TAn-
glelerre, mais Eustaclie Deschamps nous apprend qu'on
vola la bourse de notre chroniqueur, qui fut mis de la
sorte dans l'impossibilité de continuer son voyage. C'est là
qu'il apprit le désastre de Nicopolis, où échoua la croisade
qu'il venait de blâmer, tout en rendant hommage à l'esprit
chevaleresque qui animait ceux qui y avaient pris part.
Depuis celte époque, la vie de Froissart est mal connue.
On croit qu'il se retira dans l'abbaye de Cantimpré, aux
portes de Cambrai, où il mit probablement la dernière
main à la rédaction de ses chroniques. Il devait d'ailleurs
sentir le besoin de se reposer après une vie aussi remuante,
et éprouver le désir de se retirer du monde avant d'être
abandonné par lui. Les idées de recueillement et de retraite
semblent s'être alors entièrement emparées de lui, et l'on
considère comme une de ses dernières œuvres les vers
pieux et tristes qu'il écrivit sur un exemplaire du chro-
niqueur de Saint-Denis, qu'il avait reçu de Jean de Bel
et qu'il donna à Pierre d'Ailly, évêque de Cambrai.
Een-loy. — A qui? — Tu le sauras.
— Et quoy je feis? — Brève nature.
— Qu'en sera-t-il? — Tu en mourras.
— Quant? — Tempremenl. — C'est chose dure.
Las! où yray? — En pourriture.
— Conseil me faull. — Va confesser»
Car je ne scé meilleur trouver.
Se j'ay pechié? — Tu le diras.
— Et s'en ay peine? — Si l'endure.
— S'on m'a faict mal? — D'entente pure,
— Et qui dit-ce? — Sainte-Escripture
Est à temoing pour ce prouver,
Car je ne scé meilleur trouver.
— 236 —
Je me rens. — Celle foy tenras.
— Ce feray mon. — Tu dis droicture.
— El de mes biens ? — Tu en feras
Aux povres. — Quoy? — Leur nourriture.
— El que mengeray? — La paslure
Tele si que preslre scel savrer,
Car je ne scé meilleur Irouver.
On croit qu'après un séjour à Cantimpré, Froissarl se
retira définitivement à Chimay, où ii avait, comme on sait,
un canonical. Il travailla jusques à ses derniers jours, et
ses nombreux manuscrits prouvent qu'il ne se lassait pas
de reprendre sa rédaction, soit pour y ajouter des faits ou
des éclaircissements, soit pour la corriger et améliorer le
style. On ignore l'époque de sa mort ; tous ses biographes
la placent à l'an 1400; un manuscrit de Chimay la recule
jusqu'en 1419, et M. de Lettenhove ne met pas en doute
qu'elle fut certainement postérieure à 1400; il croit exacte
la tradition qui le fait inhumer dans l'église de Chimay,
sans que les nombreuses recherches, faites à ce sujet, aient
jamais amené de résultat.
III.
Nous n'avons pas à apprécier la valeur des œuvres histo-
riques et poétiques de Froissart. Cela a été fait avant nous
trop souvent, et tout a été dit à ce sujet. Nous préférons
rendre hommage en finissant à l'excellente étude sur la vie
du célèbre chroniqueur que nous devons à M. le baron
Kervyn de Lettenhove. C'est un travail historique où le
charme du style ne nuit en rien à la sûreté de l'érudition,
et je crois que l'on ne peut qu'adresser à l'auteur des
éloges; l'Académie française l'a d'ailleurs solennellement
constaté, en couronnant, dès 18b7, un premier essai, dont
ce nouveau travail n'est que le développement plus savant
— 237 —
plus élégant encore. Nous ne pouvons pas comparer ici l'œuvre
de M. le baron de Lellenhove à celle de M. Luce, parce que
Tuu a écrit d'abord la vie de Froissart et l'autre n'a encore
apprécié que l'œuvre matérielle et intellectuelle du chroni-
queur. Tous deux sont d'accord pour constater la difficulté
de composer une édition de Froissart. « Trop longtemps, a
dit M. le marquis de Laborde, on s'est mépris sur le mode
de publication qui convient aux chroniques de Froissart.
On a traité le chroniqueur du moyen-âge comme les clas-
siques des grandes époques de la littérature grecque, ro-
maine et française. Rien de plus simple que de publier les
œuvres de ces écrivains. On choisit le plus ancien texte,
épurant ce texte primitif, le châtiant, le complétant, travail
délicat qui, s'il a profilé à Hérodote, ne convient nullement
à Froissart. En effet, pour cet écrivain mobile, il y a de
tout autres exigences. Froissart n'a pas laissé à la postérité
un texte ne varietur. Nous avons de sa main plusieurs
chroniques différentes, et ces rédactions distinctes sont
l'œuvre de cinquante années consacrées à rechercher de
nouvelles informations. » M. Luce, dans l'édition dont la
Sociélé de Vhistoire de France a entrepris la publication
entravée par les déplorables événements qui depuis tant
de mois étouffent la vie intellectuelle chez nous, a étudié à
fond le classement de ces diverses rédactions et de ces
différents manuscrits pour ce qui concerne le premier livre
du chroniqueur. Trois versions existent. L'une, qu'il ap-
pelle ordinaire, compte une cinquantaine d'exemplaires
connus et est, pour M. Luce, la première rédaction du
chanoine de Chimay; la seconde n'existe qu'à Amiens et à
Valenciennes; la dernière n'a qu'un exemplaire conservé
à Rome. Par l'étude la mieux approfondie, par des rap-
prochements habiles, des commentaires ingénieusement
incontestables, M. Luce est parvenu à donner des dates
évidemment exactes pour ces divers manuscrits, et il n'a
— 258 —
pas reiulu un mince service à riiisloire en éclaircissanl
définitivement ces ombres. Ces diverses dates, en effet,
expliquent les changements du chroniqueur, changements
qui ont certes leur importance, parce qu'ils résultent de
nouveaux renseignements, d'éclaircissements qui lui ont
paru plus sûrs. « Lorsque Froissart a varié dans ses senti-
ments, dans ses jugements, dit M. Luce, soit sur les indi-
vidus, soit sur les peuples, on peut être sûr qu'il a modifié
sa manière de voir en toute liberté, en toute sincérité.
Kien n'est plus curieux à cet égard que le changement
qui s'est opéré dans les dispositions de notre chroniqueur
à l'endroit des Anglais : après les avoir admirés d'abord
presque sans réserve, notamment dans la première rédaction
de son premier livre, il finit par les juger, dans la troisième
rédaction de ce même livre, avec la sévérité la plus perspi-
cace.... Soit que l'on compare les diverses rédactions du
premier livre au point de vue de leurs ressemblances,
continue M. Luce, soit qu'on les confronte sous le rapport
de leurs divergences, on voit que l'esprit désintéressé, che-
valeresque de Froissart et la fidélité, sinon l'impartialité,
de ses récits, ressortent victorieusement de cette compa-
raison. »
M. Luce constate ensuite l'exactitude relative de Frois-
sart : il reconnaît certainement qu'au point de vue de la
chronologie et de la géographie, l'œuvre du chanoine de
Chimay laisse, comme cela se conçoit, beaucoup à dési-
rer; mais sans que ces imperfections atteignent jamais la
bonne foi du chroniqueur, qui mettait tous ses efforts pré-
cisément à se montrer exact sous tous les rapports. Puis le
savant éditeur apprécie le charme du narrateur, le talent
de l'écrivain « pour ne pas dire du peintre, » et il donne
libre carrière à l'admiration qu'il professe pour son héros,
a Ce charme, dit-il, est vraiment irrésistible, il a parfois
été inspirateur; et ce n'est pas une médiocre gloire pour
— 239 —
l'auteur des chroniques iravoir coniribuc puissamment à
éveiller le génie de l'un des grands enchanteurs de ce siècle,
de Walter Scott. Ce qui fait goûter un si vif agrément à
la lecture de Froissarl prosateur, c'est que la pensée ou le
sentiment y porte toujours l'expression : le procédé, le
métier, l'école ne se trahit nulle part; on sent que l'on a
affaire à un homme, non à un rhéteur ou à un virtuose,
comme on dirait aujourd'hui. Aussi les beaulés du chro-
niqueur n'ont-elles rien d'arllHciel, d'apprêté, rien qui
sente la serre-chaude : elles fleurissent souvent au milieu
des aspérités ou de la rusticité inculte de la langue et elles
ont moins d'éclat que de parfum. Toutefois, au point de
vue littéraire comme au point de vue historique, on n'a
peut-être pas rendu jusqu'à ce jour pleine justice à Frois-
sart, parce qu'on ne le connaissait pas tout entier. La troi-
sième rédaction du premier livre, dont la publication est
très-récente (i), nous montre une face inaltendue et nou-
velle du génie du grand chroniqueur. Dans cette rédaction,
qui date des dernières années de sa vie, Froissarl, mûri
sans doute par l'âge et l'expérience, fait preuve d'une pro-
fondeur d'observation qu'aucun écrivain n'a surpassée. »
M. Luce en donne comme preuve ce portrait de la nation
anglaise el nous ne résisterons pas non plus au plaisir de
le citer :
« Englès sont de merveilleuses conditions, chaut el
houllanl, los esmeu en ire, tari apaisie ne amodé en dou-
çour; el se delitlenl el confortent en batailles et en ocisions.
Convoileus el envieus sont trop grandement sur le bien
dautrui et ne se puuent conjoindre parfaitement ne nalu-
relemenl en l'amour ne aliance de nation estragne, el sont
couvert el orguilleus. El par espécial desous le soleil n'a
nul plus perilleus peuple, tant que de hommes meslis,
(1) Publiée pour la première fois par M. de Lettenhove en 1863.
— 240 —
comme il sont en Englelerre. Et trop fort se différent en
Englelerre les natures et conditions des nobles aux hommes
mestis et vilains, car li genlilhommes sont de noble et loiale
condition, et li communs peuples est de fêle, périlleuse,
orguilleuse et desloiale condition. Et là où li peuples
vodroit monster sa félonnie et poissance, li noble n'aue-
roient point de durée à euls. Or sont il et ont esté un lonch
temps moult bien d'acort ensamble, car 11 noble le demande
au peuple que toute raison. Aussi on ne li souffreroit point
que il presist, sans paiier, un oef ou une poulie. L'homme
de mestier et li laboureur parmi Engleterre vivent de ce
que il sévent faire, et li gentilhomme, de lors rentes et
revenues; et se li rois les ensonnie, il sont paiiet, non que
li rois puist laillier son peuple, non, ne li peuples ne le
vodroit ne pardit souffrir. Et i a certaines ordonnances et
pactions assisses sur le staple des lainnes, et de ce est li
rois aidies au desus de ses rentes et revenues; et quand ils
fait gerre, celle partion on li double. Engleterre est la terre
dou monde la mieulx gardée. »
Ce manuscrit a, comme importance historique, une très-
grande valeur, en ce qu'il prouve que Froissart a vécu
postérieurement à l'année 1400. Ce passage relatif à la belle
Jeanne de Kent, femme du Prince noir et mère de l'infor-
tuné Richard II, le prouve du reste : o Celte jone damoi-
sclle de Qent estoit cousine germaine dou roi Edouwart
d'Englelerre; et fis en son temps la plus belle dame de tout
le roiaulme d'Engleterre et la plus amoureuse; mais toute
sa génération vint à povre conclusion par les fortunes de
ce monde qui sont moult diverses, ensi que vous ores re-
corder avant en Tisloire. » — Ces lignes, continue M. Luce,
renferment une allusion évidente à la fin malheureuse de
Richard II et sont par conséquent postérieures à l'an 1400,
date de la mort de ce prince.
Nous ne prolongerons pas celle étude. Nous avons cru
— 241 —
devoir signaler aux amis des lellres et des travaux histo-
riques les deux éditions nouvelles des œuvres de Froissart :
nous serons heureux si nous contrihuons à faire apprécier
les efforts de MM. le baron de Leltenhove et Siniéon Luce
et de leur attirer plus nombreux les remerciements du
monde savant. Nous ajouterons seulement que M. de
Leltenhove publie les œuvres complètes de Froissart, chro-
niques et poésies avec les variantes, tandis que M. Luce
n'édite que les chroniques.
Edouard de BARrHÉLEMY.
is
242
Cc5 2xcï)m6 et le (EonserDûtoire îrc musique k 6ûnî>
DEVANT LA CnAMBRE.
Comme tout ce qui intéresse les sciences el les arts est
de la compétence du Messager des Sciences, nous croyons
faire plaisir aux lecteurs de cette publication, en rendant
compte, d'après \es Annales pnrlementah'es, des débals où
il a été question du dépôt des Archives de l'Etal à Gand et
du Conservatoire de musique.
Il serait à désirer, tant au point de vue de la science
historique qu'à celui de l'amour-propre national, de voir
les dépôts d'archives établis dans des conditions de sécurité
telles, qu'ils se trouvent autant que possible à l'abri de l'in-
cendie, et dans des locaux au moins suffisants. Il n'en est
malheureusement pas ainsi : pour ne parler que de Gand,
les Archives de l'Etat, où sent réunies les chartes des comtes
de Flandre, celles des anciennes abbayes et communautés
religieuses de cette province, les greffes des anciennes sei-
gneuries, et d'autres documents nombreux el importants,
sont depuis leur organisation déposées dans une aile de
l'hôtel du Gouvernement provincial et quasi-perdues au
milieu de paperasses administratives.
D'abord, ce n'est pas là leur place, el ensuite, l'exiguité
du local rend difficiles, nous dirons même impossible, non
seulement le classement, mais l'accès d'une grande partie
du dépôt.
Il y a déjà bien des années qu'il a été parlé de l'acqui-
sition d'un nouveau local, pour lequel le Gouvernement
— 243 —
provincial vola à celle époque un subside do soixanle mille
francs; mais ce projet est jusqu'ici toujours resté sans
exécution.
Dans ces derniers temi)s, des négociations furent enta-
mées avec l'administration des hospices civils de Gand
pour l'acquisition de l'ancienne demeure seigneuriale, dite
Geeraerds Dtiivehteen, occupée mainlenant par les Orphe-
lins, située place de l'Évêché; mais après des pourparlers
qui auraient pu faire prévoir une entente, certaines diffî-
cultés et certaines objections, soulevées, nous a-l-on dit,
plutôt par le gouvernement provincial que par la commis-
sion des hospices, ont enrayé la réalisation de ce projet
avantageux au point de vue des archives et des études
historiques.
Dans cet état de choses, M. Van Lokeren, membre de la
Commission de surveillance des archives, adressa une péti-
tion à la Chambre des Représentants, pour la prier d'exa-
miner l'opportunité de la question du transfert de ce dépôt
et engager le Gouvernement à faire l'acquisition du local
des Orphelins.
C'est dans la séance du o mai dernier que fut présenté
le rapport sur cette pétition, et, à ce propos, M. Kervyn
de Voikaersbeke, toujours sur la brèche quand il s'agit
d'art et de sciences, a pris la parole pour l'appuyer. Voici
la partie des Annales qui reproduit le rapport de la com-
mission et le discours de l'honorable député de Gand :
« Messieurs, cette question est importante, surtout pour
la province et la ville de Gand. Aujourd'hui, il y a encom-
brement des archives et des documents qui concernent
l'histoire de nos Flandres. Le pétitionnaire entre dans de
très-longs détails pour démontrer la nécessité impérieuse
de pourvoir à l'encombrement des archives dans les dépôts
actuels de la ville de Gand et demande l'acquisition de
l'hospice des Orphelins, qui aujourd'hui est inoccupé, pour
— 2/i.4 —
y installer cesdocumciils précieux. Celle ncquisilion serait,
nous paraît-il, très -désirable et votre commission conclut
au renvoi de la pétition à MM. les Ministres de Tlntérieur
et des Finances, en la recommandant à leur bienveillante
attention. »
M. Kervyn de Volkaersdeke. « Messieurs, cette pétition
est datée du 21 février; elle est donc antérieure à la discus-
sion du budget de l'intérieur, pendant laquelle j'ai appelé
l'atlentiou du Gouvernement sur la nécessité de donner aux
archives de l'État à Gand, un autre local répondant mieux
à sa destination.
» Si les archives devaient rester encore longtemps où
elles se trouvent, il y aurait un tel encombrement de pa-
piers, car les archives modernes sont, en quelque sorte,
mêlées aux anciennes, que bientôt les parties les plus im-
portantes de ce précieux dépôt seraient fort difficiles à
découvrir, et l'utilité qu'elles présentent, au point de vue
scientifique, deviendrait illusoire. Dans l'état présent des
choses, il est impossible que le classement se fasse d'une
manière satisfaisante.
» J'appuie donc la pétition qui nous esl adressée et qui
signale avec beaucoup de clarté les inconvénients de l'in-
stallation actuelle et les avantages de celle qu'elle propose.
» .J'appuie également les conclusions de l'honorable rap-
porteur, c'est-à-dire le renvoi à MM. les Ministres de l'In-
térieur et des Finances, quoique nous connaissions parfai-
tement la réponse qui nous sera donnée.
» En effet, lorsquej'eus l'honneur d'interpeller l'honorable
Ministre de l'intérieur, pendant la discussion du budget de
son département, sur la question relative à l'achat de l'hos-
pice des Orphelins, situé sur le Bas-Escaut, il me répondit
que les négociations entamées avec l'administration des hos-
pices civils de Gand étaient interrompues par suite de diffi-
cultés qui s'étaient produites, mais qu'il espérait pouvoir
— 245 —
écarter, el qu'il ne négligerait rien pour procurer au dépôt
des arciiives de l'Elal à Gand une installation plus conve-
nable. Je sais que depuis lors aucun changement n'est
survenu dans les dispositions de l'administration des hos-
pices. Cependant, je nourris l'espoir que les efforts du
Gouvernement obtiendront un plein succès et que les né-
gociations interrompues pourront être reprises dans un bref
délai.
» Je recommande donc cette affaire à la sollicitude du
Gouvernement et je suis heureux que M. Van Lokeren, le
savant éditeur des cartulaires des abbayes de Saint-Davon
et de Saint-Pierre, m'ait fourni Toccasion d'en signaler une
seconde fois toute l'importance. »
Dans la séance du 30 mars, lors de la discussion du
budget de l'Intérieur, M. Kervyn avait déjà appelé l'atten-
tion du Gouvernement sur les archives en général : il fit
d'abord observer que chaque année le même chapitre est
soumis à la Chambre, et que régulièrement chaque année
se passe sans solution; cependant, ajouta l-il, on ne saurait
apporter assez tôt un remède au mal. Il y a aux Archives
générales du royaume, établies au Palais de Justice de
Bruxelles, disait M. Kervyn, un entassement qui s'aug-
mente tous les jours, et un danger réel, si le feu se décla-
rait soit dans une partie quelconque du palais, soit dans des
maisons qui entourent l'édifice. C'est là, du reste, aussi
l'avis des hommes compétents, qu'invoque l'orateur.
Après les Archives générales, M. Kervyn s'arrête aux
dépôts des archives de l'État conservés dans les chefs-lieux
de provinces, et il constate que sauf à Mons, tous les docu-
ments les plus précieux sont installés d'une façon déplora-
ble : le dépôt de Gand, le plus riche des dépôts provinciaux,
brille entre tous par la défectuosité de son aménagement.
Il serait particulièrement désirable que le Gouvernement
tint compte des observations réitérées de l'honorable député
— 246 —
de Gand; cependant nous craignons fort que ses justes ré-
clamalions aient le même sort que tant d'autres également
justes, également urgentes.
Il est grand temps, cependant, de remédier à cet état
de choses, défectueux depuis plus de trente ans, dont la
défectuosité tend à s'accroître, et présente un danger sans
cesse croissant, par la masse des papiers qui y sont dé-
posés tous les jours. Puisque nous sommes dans un siècle
de matière, il est bien permis de faire sonner très-haut le
danger matériel : l'embrasement de dépôts considérables de
papiers peut occasionner des désastres immenses et en-
traîner bien des ruines. Qu'on mette donc bien à l'abri les
archives, et ce sera un acte de bonne administration, en
même temps qu'un service rendu à la science. On ne peut
lésiner sur un objet d'un si haut intérêt: la dépense mi-
nime qu'entraînerait ce déplacement, passerait inaperçue
dans le budget de l'État. Si des motifs d'opposition, entés
sur des dispositions ministérielles antérieures, existaient,
on peut croire qu'elles ne sont pas irréfragables; M. le
Ministre peut les révoquer ou les interpréter, sans prendre
souci de l'amour-propre de tel ou tel employé, qui ne con-
naît ces archives que de nom.
Lors de la discussion du chapitre des Beaux- Arts,
M. Kervyn a encore relevé une véritable injustice, com-
mise par continuation à l'égard du Conservatoire de
musique de Gand. Cet établissement avait jusqu'ici été
obligé de voler de ses propres ailes, attendu que le sub-
side du Gouvernement se bornait à la somme insignifiante
de 5000 francs. Si l'on considère les succès de notre école
musicale, obtenus depuis quelques années, il faudra en
conclure que le Gouvernement encourageait jusqu'ici les
15eaux-Arts d'une singulière façon, à moins qu'il faille sup-
— 247 —
poser que les subsides ue soient une prime accordée à l'in-
dolence et à l'incurie, dans l'csftoir d'un changement de
conduite.
Le Conservatoire de Bruxelles, dit M. Kervyn dans un
discours prononcé le 30 mars à la Chambre, émarge
79,540 francs; celui de Liège, 40,240.
Ces deux établissements peuvent avoir des titres à de
semblables largesses, nous ne discuterons pas celle ques-
tion; mais il nous semble à nous, que tous deux vivent un
peu sur leur ancienne réputation, et que s'il est bon d'ac-
corder les faveurs du Gouvernement à ceux qui les ont
mérité jadis, il ne faut pas négliger les mérites récents.
Le Conservatoire de Gand a toujours élé admirablement
administré, nous en félicitons la commission directrice, à
la tête de laquelle se trouve M. de Burbgre; elle n'avait pas
à gaspiller, du reste; en est-il de même ailleurs, à Bruxelles
par exemple? le nouveau directeur de cet établissement,
M. Gevaerl, serait à même de répondre à cette question.
Une bonne administration mérite bien une prime aussi;
ensuite Gand a produit des résultais dont le pays a le droit
d'être fier, a dit M. Kervyn; quatre prix de Rome, Gevaert,
Van den Eede, Van Geluwe, Walpul, cela vaut, en effet,
bien la peine, et malgré cela Gand est resté dans l'oubli.
Il y avait là une injustice à réparer, et M. Kervyn pro-
posa un amendement ainsi conçu : « Conservatoire de musi-
que de Gand. Dotation de l'Elat destinée, avec les subsides
de la province et de la ville, à couvrir les dépenses du
personnel et du matériel : 21,000 francs. »
Après une discussion, à laquelle prirent part plusieurs
orateurs, et malgré une certaine opposition à laquelle
l'honorable député de Gand tint courageusement tête, le
subside de 21,000 francs fut voté. C'est assurément là un
beau succès, pour lequel on ne saurait assez féliciter
M. Kervyn; 21,000 francs est un subside considérable, si
248
on le compare à ce que recevait naguère noire école de
musique. Celte allocation, il est vrai, laisse encore Gand
au troisième rang, bien que ses mérites artistiques l'élèvent
plus haut, mais on ne peut pas tout faire d'un coup, et il
est fort beau d'obtenir le maximum de ce qui est disponible
pour le moment. Dans tout cela, le plus étonnant à nos
yeux, c'est que la situation des Archives et la position
d'infériorité dans laquelle on laissait le Conservatoire de
musique n'ont jamais préoccupé les membres de l'ancienne
députation gantoise; peut-être voulaient-ils éviter de blesser
la susceptibilité très-irritante d'un des chefs de leur parti,
en mettant en regard linfériorité des succès et la scanda-
leuse supériorité de l'allocation budgétaire du Conservatoire
de Liège.
Emile V.
— 249 —
Cl)ronique h(s ^vtô et îre^ 0cicncc0, et tîarietéiî.
Crypte de Saint-Bavoih, a Gaxd. — Nous appelons la sérieuse altention de
MM. les chanoines de la cathédrale de Saint-Bavon, sur la transformation
que l'on a fait subir, ù leur insu, nous aimons à le croire, au plus ancien
monument du culte catholique dans la ville de Gand; nous voulons dire de la
chapelle de Saint-Jean-Baptiste, aujourd'hui la crypte de Saint-Bavon. Celle
vénérable église ne présente plus aujourd'hui qu'un ignoble réceptacle
d'objets de toute nature, hors d'usage. Rien n'y est respecté, ni autels, ni
tombeaux, tout y sert aujourd'hui de point d'appui à mille objets sans nom,
entassés pêle-méle, dans un désordre incomparable, au point que le tombeau
si remarquable de la comtesse Vilain y échappe à la vue; nous-même, à
qui cette crypte est connue jusque dans les plus pelils recoins, nous avons
dû aller à la recherche de ce tombeau, que nous avons trouvé enfoui sous
des caisses de cactus et entouré d'antepodiums, de civières, etc. Que la circu-
lalion y soit devenue difficile par un grand nombre de bancs, qui servent
à l'instruction, nous le concevons; mais à voir ce ramassis de vieilles
nippes, de débris de tous les objets qui ont servi au culte, couvrant
les tombeaux d'illustres personnages et cachant leurs pierres lumulaires,
peul-on supposer qu'un historien de réputation fasse partie du chapitre et
qu'il existe dans la province de la Flandre orientale une Commission à la-
quelle la conservation des monuments est spécialement dévolue; celle-ci
devrait au moins savoir qu'il n'est pas permis d'apporler aux anciens monu-
ments des changements quelconques, sans qu'elle ait été consultée : or, dans
k partie gauche de la cryple, on a bouché les jours qui y jetaient encore quel-
ques lueurs de clarté; que pensent les étrangers, qui journellement vont
visiter ce monument, de l'abandon où il est laissé et de l'ignoble Iransfor-
malion qu'on lui a fait subir au su de l'administration?
A. V. L.
Les enfants de Quentin Metsïs. — Tout le monde a lu avec profit et plai-
sir la savante monographie de l'ancienne école de peinture de Louvain, pu-
bliée ici même, en 1869, par M' Edward Van Even; mais on le sait aussi, il
— 250 —
n'est point de (ravail si bien fait auquel il ne soit possible d'ajoulei' quelque
chose. Nous devons, sous le couvert de cette excuse, signaler aux futurs bio-
graphes du célèbre pciiilre-forgeron, qu'Anvers et Louvain se disputaient
autrefois l'iionneur de posséder, quelques renseignements recueillis par
hasard.
Le fO novembre 1544., le procureur général de Brabant publia une sen-
tence de bannissement avec confiscalion des biens, pour cause d'hérésie,
contre Jlichel, Philippe et Corneille Quintens, frères; le même jour, une sen-
tence de même teneur frappait un autre membre de la même famille, Jean
Quintens, peintre. Ce dernier se trouvait également et, fort heureusement
pour lui, à l'abri des poursuites des inquisiteurs.
Au bout de sept ans, cependant, il adressa au chancelier de Brabant une
requête dans le but de faire lever une copie de la sentence qui l'avait frappé,
ce qui signifiait assez clairement, nous semblc-l-il, que l'exil lui pesait, et
qu'il éprouvait un vif désir de revoir son pays.
Voici cette pièce telle qu'elle se trouve transcrite dans le n» 590 des actes
du Conseil de Brabant, conservé aux Archives générales de Belgique.
« A en myn lietr dcn cancelllcr van Brabant,
» Tlioent zeer ootmoedelyck uwe omlcnlanighe Jan Quintens, sehildere van
Antwerpcn, lioe dat hy vcrstaen hceft dat die procureur generael in Brabant
tegen hem soude inden jare xv» xliij, op S' Merttens avent, overniets zynde
nyet comparilien, hier tcn hove vcrworvcn hcbbcn zekere vonnisse van ban-
nissemcntc, vuyt dycn die suppl. in eenighe pointen soude gecontravcniert
hebben gehadt der ordinantien onzen heeren des keysers op 't sluck van
heresien oft dwaelinge inden geloove gcraaect, van welcke vonnisse die suppl.
gherne soude copie oft acte lichten, maer en wilt die greffier van dezen hove
die den suppl. oft synen gecommitteerde nyet levercn, sonder ordonnancie
van desen hove, nieltegenstaende dat hem wel betaerapt dieselve acte te
hebben als hem teenemael ende grootelyck aengaende, biddende daeromme
dat uwcr Ecrw. beliefe sy den greffier van dezen hove by appostille op marge
van desen le consenteren dat hy den suppl. oft syne huysvrouwe mag uyl-
ghcven act oft copie aulhentyck van voers. vonnisse op synen redelycken
salarie. Dwelck doende, etc.
» CORNEI-IUS WeLLKMANS.
» Geconsenteert in den Rade van Brabant ix aprilis anuo x\c een ende
vyflich nae Passchen.
M BOUDF.WVNS. »
— 231 —
Essai sur les colonies belges em Hongrie et en Transylvanie (I). — Nous
iivons mentionné, dans le volume de Tannée 1870, le dernier ouvrage cou-
ronné de Wr Emile de Borchgravc; mainlenanl qu'il a paru, nous allons en
donner une légère analyse.
Au XI" siècle, sous le roi saint Etienne, une grande famine, qui avait sévi
par toute TEurope, mais plus violemment encore en Hongrie, engagea un
certain nombre de Hongrois à émigrer vers la principauté de Liège, qui
avait moins souffert. Vers le milieu du même siècle, des relations s'établirent
dune manière plus directe et plus officielle; ce fut encore à l'occasion d'une di-
sette; celte fois elle désola le pays de Liège, et des Liégeois émigrèrent vers la
Hongrie, où le roi André h»", en reconnaissance des bons trailcmenls que les
Hongrois avaient trouvé à Liège, leur donna un territoire dans le diocèse
actuel d'Erlau, en leur recommandant de ne pas désapprendre leur langage.
Celle colonie, qui avait conservé jusqu'au XV|e siècle son langage et ses
habitudes, disparut vers la fin du même siècle, probablement après les dé-
vastations des Turcs dans ce pays, et aujourd'hui il n'en reste plus de traces.
Au XI1« siècle, le conseil de tutelle du roi Geiza II fit appel aux habitants
des Pays-Bas, pour obvier à la dépopulation qui menaçait la Haute-Hongrie;
les Flamands répondirent en grand nombre et allèrent s'établir principale-
ment dans le comté de Zips, situé dans la partie nord du pays. Cette colonie
n'exista pas longtemps, les invasions des Tartares vinrent la détruire, mais
deux institutions qu'elle avait fondées sur ce territoire lui survécurent : c'était
la prévôté libre de la Zips et la fédération de quatorze villes.
Quant à la Transylvanie, ce fut vers le milieu du XI1« siècle que plusieurs
milliers d'habitants de la Flandre et de la Basse-Allemagne allèrent s'y éta-
blir; on leur assigna un territoire désert, où au bout de peu de temps s'éle-
vèrent des villes, des bourgs, des villages. A partir du Xlll<^ siècle, ces colons
perdirent leur nom et ne furent plus connus que sous celui de Saxons; de
nombreux colons allemands s'étant portés vers le même pays, l'élément belge
se fondit dans l'élément allemand.
Nos compatriotes ne consentirent à s'établir dans ces contrées lointaines
qu'à certaines conditions, relatives à leurs libertés et privilèges civils. Ainsi
ils y acquirent le droit de s'administrer eux-mêmes au civil, de former une
communauté indépendante de l'ordinaire dans l'ordre ecclésiastique. Ce pri-
(1) Essai historique sur les colonies belges qui s'clablireni en Hongrie el en
Transylvanie pendant les ÀV", A7/c et Xllh siècles, par Emile de Bor€hgi;ave,
docteur en droit, secrétaire de légation, membre correspondant de l'Académie
royale de Belgique, viii-126 pp. Bruxelles, C. .^lucquardl, 1871.
— 252 —
vilégc était comraun aux colons liégeois en Hongrie et aux Flamands île la
Zips et de Transylvanie; en se fixant là-bas, ils y fixèrent avec eux à leur
profit les libertés civiles et politiques dont ils jouissaient sur leur sol natal.
Ils étaient tenus en retour au paiement de GOO marcs d'argent au profit du
trésor royal, au service militaire, cinq cents hommes pour les campagnes à
rinlérieur, cent pour celles à Textérieur du royaume; enfin, ils étaient obliges
de donner Thospitalilé au roi, quand il lui plaisait de venir résider au milieu
d'eux.
Cette analyse donne une idée suffisante de l'intérêt qui s'attache au travail
de notre savant collaborateur; aussi l'Académie n'a-t-elle pas hésité à lui
accorder la palme.
Emile V....
Les murailles RÉvOLUTioNNAinES AD XVIe SIÈCLE. — Y a-t-il quoi que ce soit
d'absolument nouveau au monde? On nous permettra d'en douter. Tout ce
qui se fait, s'est déjà fait. Les républiques italiennes du moyen-àge, rEsjiagne
sous Charles-Quint, ont vu de terribles Inttes civiles qui toutes ont tourné
contre la liberté et le progrès social. La race des communeux et des inter-
nationalistes est vieille comme le monde; sa raison d'être n'existe que dans
la haine aveugle de toute vaillance, de toute supériorité. Ses procédés sont
connus. Elle travaille dans lombre et le mystère, et procède par coups de
foudre. Les révolutions avouables agissent autrement; elles ne frappent
pas leurs ennemis par derrière; elles ne cherchent point leur triomphe dans
l'exploitation cent fois criminelle d'un grand désastre, d'une calamité pu-
blique; elles se montrent et elles se découvrent. C'est ainsi que nos pères
agirent sous Charles-Quint, sous Joseph II, sous Guillaume I'^''. Leurs affiches
imprimées ou manuscrites , leurs pétitions, leurs humbles remonstrances,
leurs chansons et leurs éplgrammes sont autant de documents que l'histoire
recueille avec un légitime empressement. Nous en possédons quelques-unes
qui sont inédites, et nous en avons vues qui portaient la trace des cachets
au moyen desquels on les avait attachées en quelque lieu public. Malheureu-
sement ce qu'on crayonnait ou charbonnait sur les portes des couvents et
les murs des auberges ne pouvait être conservé de la même manière. Ce que
nous en savons est dû aux chroniqueurs locaux, aux rapports de police du
temps. L'un des plus curieux renseignements du genre est donné au mois
d'octobre 1332 par le procureur général de Lille au Conseil privé à Bruxelles.
Nous ne changeons rien au style et à l'orthographe du digne magistral.
« Pour mettre ordre, dit-il, aux affaires conlenuez èz articles qui s'ensny-
» vent nous semble cstre expédient, en parlant soubs la noble correction de
— 255 —
» Monseigneur le Présiilcnl cl Messeigncurs du Conseil île Sa W'"^, faire ce que
>> s'cnsuyl :
» Premièrement faut auolcr que en la chastelienie de Lille, pais de Flandres,
» et ailleurs par gens mal sentans de la foy plusieurs dicliers et ballades se
» escripvenl aux murs et parois des tavernes, liostelcries et aullres lieux, si
» comme :
» Un riche prcbslre et un gras chien
» Ne serviront jamais bien.
» Item :
» Waren die papen, seapen ende ralten dood,
» Zoo en waren de duyvels, wolven ende catten van ghenere noot.
» Pour 5 quoy obvier semble estre expédient, en parlant soubs correction,
» de dcffendrc par quelque peine que nul ne escripve plus semblables dictiers
» ne ballades, et que cculx qui reeoguoislronl les cscripvains de lelz dictiers
» et ballades seront tenuz les découvrir à la justice, comme aussy seront les
" liosles et hoslesses desd. tavernes et hosteleries, et ceulx es maisons des-
» quels telz dictiers et ballades seront escripis les effacier des murs et parois,
» le tout sur paine arbitraire. »
C. A. R.
Tables GÉ^ÉnALES des Annales de la Société d'Emulation de Bruges. —
En 1865, la Société d'Emulation célébrant le vingt-cinquième anniversaire
de son existence jugea opportun de clore la seconde série de ses Annales.
A cette occasion. M"" Félix D'Hoop, membre du comité de la Société, actuelle-
ment archiviste de PËtat à Gand, et qui occupait alors le même emploi à
Bruges, proposa de se charger de la rédaction de Tables générales pour les
dix-sept volumes parus. Rédiger des tables n'est pas une tâche difficile en
elle-même, mais de toutes celles dont un écrivain peut se voir chargé, c'est
bien la plus longue, la plus insipide. M. D'Hoop s'est parfaitement tiré de la
besogne qu'il avait entreprise, car ses tables sont 1out-à-fait suffisantes;
voici, du reste, comment il s'y est pris et quelle est sa classification :
\° la Table des auteurs par ordre alphabétique des noms d'auteurs; 2" la
Table des planches dans l'ordre de leur publication; cet ordre satisfaisant
pour une nomenclafure restreinte, ne le serait pas à noire avis si celle-ci
était plus volumineuse; nous préférerions alors l'ordre alphabétique, car on
cherche d'abord la chose elle-même avant de vouloir connaître la date de sa
publication; 3» la Table chronologique des documents publiés; cette table
peut. être d'une grande utilité pour ceux qui s'occupent de recherches histori-
ques; 4» les listes des établissements et sociétés qui ont reçu les Annales de la
— 254 —
Sociélé (rÉmulalioii; celte calégorie est à nos yeux iPune inipoi-laiicc plus
secondaire, bien que nous n'allions pas jusqu'à blâmer M. D'Hoop de ly
avoir introduite; 3» la Table générale des matières et des noms de personnes
et de lieux par ordre alphabélique; cette table comprend toutes les auli'cs;
c'est celle aussi pour laquelle on est obligé de mettre le plus de patience en
usage. Nous félicitons M. D'Hoop et lui avouons avec plaisir, que si nous
avions des tables à dresser, nous ne serions pas éloigné d'adopter sa clas-
sification. ^ ,,
Emile V..,.
Pierre d'Herenthals. — Le savant Wattenbacli nous donne, dans le
XLIIe volume des Archives hisloriques, publiées par l'Académie impériale des
Sciences de Vienne {Archiv fiir kunde oesterreicliischer Geschichlsquellen), une
curieuse dissertation sur ce chroniqueur belge du XlVe siècle. Il a comparé
entre eux les MSS- du Compcndium chronicorum qui existent dans les biblio-
thèques publiques de Bruxelles, de Paris, de Vienne, de La Haye, de Nurem-
berg, de Cologne, de Leipzig et de Giessen, il en a noté les variantes et les
transposilious, et il finit par celte déclaration : quoique le MS. du Compcndium
de Leipzig soit attribué à Jean-Guillaume von Arnstein, un copiste sans doute,
nous maintenons que l'auteur s'appelait Pierre et qu'il était né en 1322 (Voir
Archiv, v. X«, p. 618). Ce Pierre n'est point un inconnu. Fabricius lui a
consacré un article. Baluze s'est servi de lui pour ses Vies des Papes
d'Avignon. Mais ici surgit une dilTiculté. Pierre d'Herenthals a-t-il écrit plus
d'un ouvrage? Il le faut bien, puisque sa chronique, telle que nous la con-
naissons, ne s'occupe point de VHisloire des Papes- Mais si ces renseigne-
ments ne se trouvent point dans le Compcndium, on les trouve ça et là dans
le Magnum chronicon Delgicum, quelques-uns, pas tous, ce qui porterait à
croire que V Histoire des Papes d'Avignon a été puisée à diverses sources.
Quoi qu'il en soit, le Compcndium chronicorum n'est connu jusqu'ici que
d'une manière bien incomplète, et sa publication serait chose fort utile.
Seulement il faudrait pour cela faire usage de la version de Paris, laquelle
est aux yeux de Wattenbach la plus complète et la meilleure.
Comme la Biographie nationale est arrêtée à la lettre C et n'en sortira
probablement point de si tôt, ces détails, qui se rapportent à un personnage
classé sous la lettre P, ne sauraient intéresser que ses futurs collaborateurs;
mais nous possédons aussi à Bruxelles une Commission pour la publication
d'une collection des grands écrivains du pays, et celte commission-là ne sera
pas fâchée sans doute d'avoir un nouvel objet à soumettre à ses doctes déli-
bérations.
C. A. RâlILENBECK.
— 255 -
Question artistiquiî. — Un bieiiveillanl lecteur ilu Messager des Sciences,
M"" J. Bernnerl, que nous voudrions conuaîlre davantage, afin de lui ofl'i'ii- nos
rcuiercimeuls poui' sa communication, a découvert sur le dernier feuillet
d'un ancien ouvrage hollandais, YOllen van Passait, fiocck des Giddens
throcns (Ulrecht, 1480, sans nom d'imprimeur, mais attribué à G. Lempt,
in-fol., 51 lignes, 2 coll., 301 f.),une note indiquant que les figures assez
curieuses de cette publication sont de la main d'une fille de Vcldener, nommée
Marie, épouse de Van Danricourt, en 1429. Qu'était celte Marie Vcldener,
dont on ne trouve, du reste, aucune mention ailleurs; nous nous sommes
adressé à plusieurs de nos amis qui s'occupent de l'histoire de l'art, entre
autres à M"" Ad. Siret, auteur du Dictionnaire des peintres, et aucun n'a été en
état de nous répondre. Nous livrons spécialement la question à nos confrères
d'Ulrecht, qui sont plus en position que nous de la résoudre.
{La Rédaction).
Ruines romaines. — On vient de découvrir à Feluy-Arquennes les ruines
d'une villa romaine qui parait des plus intéressantes au point de vue archéo-
logique. M. le docteur Cloquet, de Feluy, amateur distingué, est chargé par
la Société archéologique de l'arrondissement de Cliarleroi, de diriger les
fouilles, avec l'assistance de MM. Demesse et l'abbé Grégoire; la Société a volé
les fonds nécessaires pour les recherches.
Depuis peu de temps que les travaux sont commencés, on a déjà réuni une
magnifique collection d'objets usités à l'époque où cette villa était habitée
par les Romains.
NÉCROLOGIE. — M. Ulysse Capitaine, de Liège, est mort le 51 mars der-
nier, à l'âge de quarante-deux ans, à Rome, où il était allé passer la mau-
vaise saison, pour la rétablissement de sa santé. 11 était conseiller provincial,
membre de la commission administrative du Conservatoire royal de Liège,
secrétaire général de la Société d'Émulation de Liège depuis 1835, et secré-
taire honoraire depuis 18G7.
Numismate distingué et bibliophile savant, il avait réuni à grand peine
un dépôt précieux d'objets d'art et une riche bibliothèque composée de do-
cuments, de livres, de caries, de plans, de médailles, de manuscrits se rap-
portant presque exclusivement à l'histoire du pays de Liège. Il a légué loiilcs
ces richesses à sa ville natale.
Ulysse Capitaine a publié une excellenle histoire des journaux liégeois,
dont il préparait une nouvelle édition. Son Nécrologe liégeois restera une
source de renseignements précieux pour tous ceux qui s'occuperont de l'his-
toire de cette ville.
— 256 —
CiuntES Louis IIanssens, compositeur, membre de TAcadémie de Belgique
depuis 1843, est mort à Bruxelles le 8 avril dernier; il était né à Gand
le 10 juillet 1802. Hanssens était né artiste; à dix ans il jouait du violoncelle
au théâtre d'Amsterdam; il fut attaché successivement à différents théâtres
du continent, dirigea le théâtre royal de Gand et celui de la Monnaie, à
Bruxelles.
AuBER, directeur du Conservatoire de Paris, y est mort le li mai, à Tâge
de quatre-vingt-neuf ans; il était membre de l'Institut. Né à Caen, le 29 jan-
vier 1782, d'un père marchand d'estampes qui le destinait à lui succéder,
Auber préféra se lancer dans la carrière artistique, où on connaît ses succès.
En 1842, il succéda à Chérubini comme directeur du Conservaloire de Paris.
Le comte Achmet de Seunin d'Héricourt, numismate, bibliophile et archéo-
logue, maire de Souehez, né à Hébécourt (Sommeil en 1819, est mort à Sou-
ciiez le 21 janvier dernier. 11 est connu par de nombreuses publications et sa
eollaboralion à divers recueils du nord de la France et de la Belgique.
RI. DE LA Fontaine, archéologue, ancien gouverneur du grand-duché de
Luxembourg, président du Conseil d'Elat, membre associé de l'Académie
royale de Belgique, est mort à Luxembourg, le 1 1 février, âgé de quatre-vingt-
cinq ans.
Le général russe Iwan de Bartuolomei, savant numismate, est mort à Saint-
Pétersbourg, à l'âge de soixante-huit ans.
iNoTE. — A la page 104 et suivante du présent volume, dans l'article relatif
aux droits du fauconnier de Flandre, il s'est glissé une faute typographique
qu'il est bon de relever : au lieu de Veslerloo, il faut lire Vlslerloo; c'est la
forêt de Flandre, dont il est si souvent question dans le roman populaire de
Rcinaert tic Vos.
{La Rédaclion).
— 257 —
(SHuelques sceaxtx
DU DIOCÈSE DE aAND («).
Les renseignements fournis par les savants auteurs de
la monographie d'Evergem (2), nous dispensent de longs
détails sur l'abbaye Cistercienne de Doornsele. Nous nous
permettrons cependant quelques rectifications.
Un acte passé au mois de décembre 1234 et cité tex-
tuellement par les historiens de Doornsele nous semble
dissiper tous les doutes et concilier les opinions si diver-
ses sur l'origine de cette abbaye. Une colonie de Bénédic-
tines de Sainte-Godelieve de Ghislelles, désirant pratiquer
la règle plus sévère de Citeaux, vint s'établir vers 12 lo
dans un lieu désert, hérissé de ronces et d'épines et pour
cette raison connu déjà en 967 sous le nom caractéristique
de Dorisele. Ce quartier, formant une dépendance d'Ever-
gem, appartenait au couvent de Ghistelles et fut cédé par
l'abbesse, en faveur des futures cisterciennes, aux prières
de l'évéque de Tournai e( de l'archidiacre de Flandre. Les
conditions de ce premier contrat parurent toutefois léser
les intérêts de la maison-mère et furent modifiées à la sa-
tisfaction des deux parties par la convention de 1234.
Aleidis Van de Walle, supérieure de la colonie pieuse,
décéda peu après la fondation du nouvel établissement.
(1) Voir année 1868, p. 293; année 1869, pp. 1 et 129; année 1870,
pp. 178 et 360, et année 1871, p. 40.
1,2) Fr. De Potier en J. Bhoecraert, Geschiedenis van de gemecnlen dcr
provincie OoslVlaanderen, U< deel.
19
— 258 —
En 1353, Jean d'Iïonl gratifia l'abbaye de Doornselc
d'une somme d*argent, à condition d'offrir annuellement à
l'abbé de Saint-Bavon un cierge et une livre parisis le jour
de la Sainte-Barbe, et de payer au prieur dix cscalins.
Celle redevance fut reconnue par l'abbesse Joaeskme Van
de Pille, le 4 avril 1354 (i). Le premier acte est muni du
sceau de l'abbaye, qui ne diffère de celui du Nouveau-
Bois (2) que par de légers détails. En effet, de cbaque côté
du dais le cbamp est chargé d'une branche d'épines posée
en pal, et faisant allusion au nom du couvent. La légende
porte : Sigillum conventus monasterii de Dorensele. Dans
les deux sceaux, le caractère du travail et les dimensions
sont les mêmes. Aussi n'hésilons-nous pas à les attribuer
au même graveur. Signalons en passant Terreur bien invo-
lontaire, causée par le mauvais état des types connus, erreur
qui a fait prendre pour des tiges de ronces et d'épines les
figures agenouillées sous le manteau de la Vierge-mère,
prolectrice générale des Cisterciennes.
Le sceau appendu à la seconde charte nous représente,
sous un dais flanqué d'arcalures géminées à deux étages,
l'abbesse debout, tenant de la main gauche un livre fermé
et de la droite la crosse à volute tournée en dehors. Entre
deux grénetis se lît le fragment : Van den Pille — Do-
rensele. Les dimensions sont de 0'",048 sur 0"',032.
Le texte de l'acte citant très-lisiblement Joaeskine Van
den Pille abdesse in Dorensele, corrige la double erreur de
nom et de date commise par Sanderus et ses copistes,
donnant le nom d'une Pascliasia Van de Putle, décédée en
1542, détails enlièremcnt erronés.
Nous possédons parmi les chartes de l'abbaye du Nou-
veau-Bois une pièce datée du 1G mai 1558, constituant
(1) Archives de la Flandre orienlalc, Saiiil-Bavon, case 3, 2, n" 72.
(2) Voir année 1870, p. 189, cl planche IX, fig. 4.
— 259 —
une rente de deux livres de gros sur les dîmes de Nieuwen-
hove à Cluisen, à charge de Doornsele et en faveur du
Nouveau-Bois. Le sceau ogival en cire brune figure, sous
un dais en style Renaissance, Tabbesse Marie Van Bour-
goingnen debout, tenant de la main droite un livre fermé,
de la gauche une crosse à volute tournée en dehors et à
position oblique. De chaque côté du dais, une rangée d'arca-
tures longe le filet intérieur. La partie inférieure du champ
et de la légende est occupée par l'écusson de l'abbesse aux
armes de Bourgogne. La légende commence par le bas du
sceau et porte : s', vrawe. maria, van. bor van doori-
SEELLE. Les dimensions sont de 0°',060 sur 0"',057.
Ce document rectifie une nouvelle erreur de Sanderus et
des autres historiens de Doornsele, qui font commencer
l'administration de Marie de Bourgogne en Tannée 1564.
Cette abbesse mourut en 1585, après trente-deux ans de
gouvernement, au lieu des vingt-quatre années qu'on lui
attribuait jusqu'ici.
Dispersées par les Gueux en 1578, les religieuses de
Doornsele vinrent habiter, en 1584, un modeste refuge
qu'elles possédaient depuis longtemps près de la nouvelle
église de Saint-Sauveur, dans la Papeslraele ou rue des Prê-
tres, et y élevèrent un couvent qui fut supprimé en 1796. En
1847, la dernière religieuse eut la satisfaction de finir ses
jours dans son ancienne retraite, devenue, au commence-
ment de ce siècle, une florissante institution de demoiselles
sous la direction des Dcuiies chrétiennes.
Terminons celte revue sigillaire des établissements de la
paroisse de Saint-Sauveur, en signalant le sceau des frères
de la maison de Saint-Jacques, attachés au service de l'hô-
pital du même nom mentionné plus haut. Ces frères sont
déjà cités dans le diplôme de fondation de la chapellenie,
octroyé par l'évêque de Tournai au mois d'octobre 1283.
L'empreinte en cire verte que nous reproduisons (PI. XII,
— 260 —
fig. 1), sert à contre-sceller le sceau de l'hôpilal Saint-
Jacques. Elle représente le buste de Tapôlre, tèlc nue,
accompagné à droite d'une écaille, à gauche, d'un cou-
teau poignard. Peut-être Tartiste a-t-il voulu faire allu-
sion au martyre de l'apôtre, décapité à Césarée par ordre
du tétrarque Hérode. La légende encadrée à l'intérieur par
un filet, à l'extérieur par un grénetis, commence par une
étoile à six raies et porte : S. Broed. Va. Sinte Jacops. hus.
ou : Sceau des frères de la maison de Saint-Jacques. Le dia-
mètre est de 0"%024. Celle pièce appartient évidemment
au XIII" siècle.
V.
PAROISSE DE SAINT-JACQUES.
Fondée au XII'^ siècle, l'église de Saint-Jacques est une
des plus anciennes de Gand. Malheureusement les archives
des premiers siècles ont disparu. Le seul sceau connu jus-
qu'ici est celui de la Quotidienne, reproduit dans les Églises
de Gand de M. Kervyn (i). Celle pièce date de la deuxième
moitié du XIV^ siècle, et représente sous un dais fleuronné
à gable polylobé le saint patron debout, tenant de la droite
l'Evangile fermé, de la gauche le bâton surmonté de l'écaillé
des pèlerins de Composlelle. De chaque côté du dais, se
dessine une écaille semblable entre deux qualre-feuilles.
Le bas du champ est occupé par les armoiries de Bernard
d'IIerzele, étant d'argent au chevron de sable, chargé de
trois étoiles à cinq raies d'argent. La légende porte en Ire
deux grénetis ; s'Cotidianaru. sa. Jacobi Gandensis. Les
dimensions sont de 0"%045 sur 0™,027.
Nous avons découvert en outre aux archives provinciales
parmi les sceaux détachés, deux empreintes en cire verte
(I) Tome II, p. 37. .
PL.Xll
^■.B LavûUM, oxl':
— 261 —
très-remarquabic's et de plus, inédites. La première est le
sceau du proviseur de la fabrique et date du XIV" siècle.
Sous un dais trilobé, flanqué de contre-forts, d'arcs bou-
tants et d'arcalures, figure le patron de l'église, avec les
mêmes attributs que dans le sceau de la Quotidienne, mais
d'une exécution supérieure. Deux écailles ornent le baut
du cbamp au-dessus des arcs boutants. L'inscription com-
prend entre deux filets ces mots : s'Provisoris fabrice sancti
Jacobi Garnie. (Voir PI. XII, fig. 2). Cette belle pièce
mesure 0^,064 sur 0°',045.
Le second sceau est beaucoup plus simple, mais d'un
genre assez rare. Le cbamp porte uniquement le bàlon de
pèlerin, posé en pal, entouré d'un ruban, portant une écaille
au bas et accompagné de deux écailles à la partie supérieure.
La légende commence par une croix au bas du sceau et porte
séparés par des branches les mots : Sigilhim. secre. causa,
sci. Jocobi Ganclensis. Cette pièce curieuse mesure 0"',051
sur 0",029 (PI. XII, fig. 3). C'est le premier sceau secret
que nous rencontrons dans nos églises paroissiales.
Derrière l'église de Saint-Jacques, fut fondé, dans la se-
conde moitié du XII'' siècle, l'hospice de Saint-Jean appelé
vulgairement Saint-Jean aux enragés (len dullen), ou Saint-
Jean à l'huile (Sint Jan in d'olie), ou simplement maison
Saint- Jean (Sint Jans hus). Cet hôpital fut dirigé et desservi
par les frères et les sœurs de la Vie commune au service des
malades et des aliénés des deux sexes. Sanderus (i) prétend
que ce fut le premier hôpital de la ville et qu'on y logeait
des pèlerins. La première règle fut approuvée en H9G par
Everdée II, abbé de Sainl-Bavon (2), confirmée en 1237 par
Gautier de Marvis, évèque de Tournai, et renouvelée le
2 juillet 1450 par son successeur Jean de Tlioisi.
(1) Flandria illuslrula, I, p. 332.
(2) Archives de Gand, i\° 17 de rinvL'iilairc, et Van Lokeuln, Hisloirc de
l abbaye de Sainl-Davon, p. 204,
~ W2 —
Des religieuses de Saint-Auguslin, chassées de Ninové
par les guerres civiles du XV'= siècle, obtinrent la surinten-
dance des frères et des sœurs de Saint-Jean. Les religieux
de la Vie commune disparurent de nos hospices vers le mi-
lieu du XVI'' siècle. Les prétentions des échevins, qui de
tuteurs naturels des aliénés soignés dans l'hospice, voulu-
rent devenir supérieurs directs des religieuses, causèrent
au XVII'^ siècle beaucoup de troubles, augmentés encore
par la répugnance de quelques membres de la commu-
nauté à l'égard des prescriptions épiscopales. Le chevalier
Diericx, ennemi systématique ei aveugle de la jurisdiction
ecclésiastique, prétend que l'évêque de Gand, Ignace de
Grobbendonck, voulant s'ingérer dans la direction interne
dndit hôpital, fit intimer aux échevins de consigner tous les
titres relatifs à celte maison; mais, ajoute-l-il, le tribunal,
dit le conseil de Flandre, le déclara non recevable par sen-
tence du 12 juillet 1674, sur le motif que cet établissement
était de fondation laïque (i).
Nous remarquerons d'abord que l'hospice de Saint-Jean
fut une institution à la fois religieuse et civile, où les deux
pouvoirs exercèrent dès le principe leur contrôle respectif.
Successeurs légitimes des abbés de Saint-Bavon, les évê-
ques ne firent pas autre chose que maintenir leur droits de
jurisdiction canonique dans les questions de discipline et
d'administration, sans empiéter sur le terrain des éche-
vins tuteurs de l'hospice. La tâche de nos prélats fut ren-
due très-difficile par l'esprit d'indépendance qui, à la suite
des commotions du XVP siècle, gagna presque toutes les
institutions. Diericx le savait mieux que tout autre, et
ses injustes accusations sont d'autant plus inconcevables
qu'elles portent entièrement à faux. L'évêque Van Grob-
bendonck ne prit possession du siège de Gand que le
(1) Mémoires, M, pp. 186 et 187.
PL.XIII
■ t.uavcaii:,ûicL!
— 263 —
26 décembre 1679. Il ne peut donc cire en cause dans !a
sentence du 12 juillet 1674. A cette époque, l'épiscopal
était même vacant et le resta jusqu'au 1" juillet 1677.
L'hosj)ice subit, en 1794, le sort de tous nos établis-
sements religieux. La majeure partie des édifices devint
bientôt après le siège de la commission des hospices civils.
Les autres bâtiments furent affectés au logement de douze
prébendières transférées en 1862, et à Thospice des Knfanls
trouvés, desservi par les sœurs de la Sainte-Enfance. De
1828 à 1840, on y établit également une école communale
pour les deux sexes.
Après cette courte digression, que le lecteur nous par-
donnera dans l'intérêt de la vérité, passons à l'examen du
sceau de l'hôpital de Saint-Jean. La matrice originale, en
cuivre, se conserve aux Archives provinciales. Cette belle
pièce appartient au commencement du X11I« siècle. L'apô-
tre saint Jean, la léte nue et nimbée, assis pieds nus sur
un siège à dossier et drapé dans un habit long à larges
plis, trace à l'aide d'un roseau et d'un poinçon des carac-
tères bibliques sur un parchemin que supporte un pupitre
monopédiculé à volutes. Le saint travaille sous l'inspiration
de l'Esprit saint, figuré par la colombe à tète nimbée posée
sur l'épaule gauche. Deux étoiles à huit raies surmontent
la tète de l'évangélislc. Au sommet du champ, une main
divine bénissante sort des nuages. La légende commence
par une croix et porte entre deux filets en beaux caractères :
Sigillum domus : sci. Juhannis in Gandavo (Voir PI. XIII,
fig. 1). Les dimensions sont de 0'",068 sur 0,™047.
La manie de nos chroniqueurs tant laïcs que religieux,
de confondre avec la fondation des couvents la protection
accordée à ces maisons par nos comtes de Flandre et sur-
tout par Baudouin IX et ses deux filles, Jeanne et Margue-
rite, a donné lieu aux plus singulières erreurs. C'est ainsi
qu'on a voulu retrouver à tout prix dans l'abbaye Cisler-
— 264 —
cienne de Bodelo, à Sinay, uue inslilulion de Baudouin
de Conslanlinople et expliquer le nom par Balduîni lucm,
bois de Baudouin, élymologie que l'orthographe Bodelo,
suivie constamment dans les chartes les plus anciennes,
nous semble rendre au moins très-douteuse. Quant à nous,
nous ne trouvons dans Bodelo qu'une hauteur boisée, loo,
avoisinant un bas-fonds ou dépendant d'un manoir, bode.
Quoi qu'il en soit, l'abbaye fondée à Bodelo sur le ter-
ritoire du petit Sinay, vers 1197, par Guillaume de Bocla,
Bénédictin de Saint-Pierre à Gand, adopta la règle de
Citeaux vers 1233. Nos religieux acquirent en 1259, des
échevins de Gand, un terrain au quartier aquatique, le
long du fossé d'Othon et à proximité de l'église de Saint-
Jacques. Les moines y établirent un refuge qui, rebâti en
1526 par l'abbé Jean Van Deynse, devint, après la tour-
mense iconoclaste, la résidence définitive des religieux.
Après la suppression de l'abbaye, les bâtiments furent oc-
cupés successivement par l'École centrale, le Lycée impé-
rial, le Collège royal et enfin par l'Athénée royal. L'église
et ses dépendances furent affectées au service de la Biblio-
thèque de l'Université.
Malgré d'activés recherches, nous n'avons pu réussir à
retrouver le sceau primitif de l'abbaye, qui probablement
différait peu de celui des Cisterciennes du Nouveau-Bois,
de Doornsele et de la Byloke, dont le type était unifornae.
Ce qui nous confirme dans notre opinion, c'est que nous
retrouvons, sur le sceau moderne de Bodelo, la Vierge-
mère assise à peu près dans la même attitude que dans les
types sigillaires des abbayes mentionnées. Les colonnettes,
le soubassement et le couronnement du dais rappellent
également les ornements accessoires des empreintes dé-
crites plus haut.
L'exécution du sceau n'est pas dépourvue de mérite, eu
égard à l'époque de décadence où l'-art était arrivé. Le
— 265 —
champ porte le millésime 1582. A cette époque, les reli-
gieux séjournaient à Cologne, où ils restèrent environ
quatre ans, sous la conduite de l'abbé Jacques Delrio, dont
les armoiries figurent probablement au-dessus du dais tri-
lobé. La légende porte entre deux filets les mots suivants,
séparés par des points : Sigilhim. coventtis. mon. Be. Ma-
riœ. de. Bodelo. C'est-à-dire : Sigilhim convenais monas-
terii Beatœ Mariœ de Bodelo, inscription parfaitement
semblable à celle des sceaux des trois abbayes cisterciennes
citées précédemment. Le sceau de Bodelo est orbiculaire,
au diamètre de 0"',046 (PI. XIII, fig. 2).
Quant aux sceaux d'abbés, nous citerons entre autres le
sceau en cire verte appendu à un acte du 28 juin 1287,
par lequel est réglée entre les abbayes de Bodelo et du Nou-
veau-Bois la perception de dimes novales à Lokeren. L'abbé
y est représenté tête nue, revêtu de ses ornements ponti-
ficaux, tenant de la main gauche un livre fermé et de la
droite une crosse à volute tournée en dedans. Le légende
renfermée entre de triples filets, porte : Sigilhim abbatis de
Bodelo. Les dimensions sont de 0'",043 sur 0'",024.
Un Vidimus de la donation faite au Nouveau-Bois, par
Daniel de Berlare et son épouse, Agnès, d'une terre située
au Slrit à Uitbergen, est muni du sceau de l'abbé Guillaume
et date du i4 avril 1337. L'empreinte ogivale, en cire
verte, représente sous un dais à triple gable, flanqué d'ar-
catures géminées, le prélat avec les mêmes attributs qu'au
sceau précédent, mais la volute de la crosse est tournée en
dehors. Deux grénetis encadrent l'inscription : Sigilhim
fratris Willelmi abbat. de Bodelo. Celte pièce, supérieure-
ment exécutée, mesure 0",048 sur 0"%032.
L'abbé J.-B. Lavaut.
{Pour être continue).
— 266 —
HISTOIRE
DES RELATIONS POLITIQUES
ENTRE LA FLANDRE ET l' ANGLETERRE,
AU MOYKN AGE.
CliAPITRK XHI.
(1540-1345).
Louis de Nevers. Edouard III.
Edouard venait donc de se déclarer roi de France, ei
cela sur le conseil d'Arlevelde (i). Le 28 janvier, il auto-
risa le comte de Gueldre à jurer en son nom, la main sur
l'Evangile, qu'il observerait pleinement et inviolablement
les conventions faites entre ses ambassadeurs et les capi-
taines, bourgmestres et bonnes gens des villes de Gand,
Bruges et Ypres, ainsi que des autres villes et communes
du comté de Flandre (2). Ces conventions étaient toutes à
l'avantage de la Flandre, mais également favorables au
commerce du Brabant; c'était bien le moins qu'Edouard se
montrât reconnaissant à l'égard d'un pays, à la faveur du-
quel il avait réussi à lever tous ses scrupules.
Ces privilèges, si importants pour notre histoire, sont
(1) Knyciiton.
(2) Rymeiî, cdit, angl , t 11, 1», II, p. 1107.
— 267 —
contenus dans trois diplômes, conservés en original aux
archives départementales de Lille (i).
Dans le premier de ces actes, Edouard, considérant le
grand secours que lui ont accordé les bonnes villes de
Flandre, Gand, Bruges, Ypres et tout le commun pays, vu
aussi leur grande amitié pour lui, déclare que Télape des
laines de tout le royaume d'Angleterre et de tous les pays
en deçà comme par delà la mer, qui sont sous sa domi-
nation, sera rétablie à perpétuité sur le territoire de la
Flandre ou du Brabant dès la publication des présentes
pièces.
Que tous les draps du pays de Flandre et du Brabant
seront reçus dans les pays de sa domination sans aucune
formalité, pourvu qu'ils portent les marques et sceaux de
leur provenance.
Que tous les habitants du pays de Flandre pourront cir-
culer dans ses pays avec leurs marchandises, en payant
seulement les droits anciens de dix sols sterlings par sac
de laine qu'ils achèteraient ou feraient acheter, avec la
restriction toutefois que celte disposition ne sera exécutoire
qu'à partir du jour de la Pentecôte de l'année 1347, et que
jusqu'à cette époque ils payeront les mêmes droits que les
Anglais.
Que tous les Anglais qui négocieront avec les habitants du
pays de Flandre ou du Brabant, ou contracteront avec eux
sur obligations scellées, seront tenus de payer exactement
leurs dettes, à défaut de quoi, eux, leurs veuves, leurs hoirs
et successeurs seront justiciables des magistrats du lieu de
leur domicile, qui les condamneront à s'exécuter promp-
tement.
(1) Archives départ, de Lille; fonds de la chambre des comptes, carton B,
777. — Archives de la ville de Bruges, Rudcnbock, {<> XXIX. — Archives de la
ville d' Ypres, originaux, sur parchemin, scellés d'un sceau placard, aujour-
d'hui détruit. — ParliamcnUmj Wrilhs ; Abreviatio rotulorttm, p. 142.
— 268 —
Il garantit que tous privilèges, franchises ou libertés
accordés aux pays, villes et châtellenies de Flandre, par
lui ou ses prédécesseurs, demeureront valables et sont con-
firmés par la teneur des présentes.
Il promet de bonne foi et loyalement de ne faire aucun
traité, paix ou accord d'aucune espèce, lui ou ses alliés,
avec Philippe qui se dit roi de France, ou ses alliés, sans
le conseil, volonté et consentement du pays de Flandre, et
sans que celui-ci y soit expressément compris.
Il prend en sa « sauve et certaine protection et espécial
garde, « par tout le royaume d'Angleterre, les habitants du
pays de Brabant et de Flandre, leurs hoirs, successeurs et
familles, et considère comme ennemis tous ceux qui moles-
teraient un d'entre eux, et promet de les protéger si Phi-
lippe de Valois ou un autre tentait de les molester ou
d'entamer leurs privilèges, s'engageant à les aider, confor-
ter et défendre à ses frais et dépens, comme il ferait pour
ses propres sujets.
Que lui ou son successeur passera la mer en Flandre,
pour continuer la guerre commencée, avec l'aide de Dieu.
Pour garantir l'exécution du traité, il s'engage, lui, ses
hoirs et successeurs, par sa chevalerie, loyauté et foi ple-
nière, sous la foi de son grand scel, et engage les prélats,
Jean archevêque de Cantorbéry, primat d'Angleterre, Ri-
chard évéque de Durham, Henri de Lincoln, Roger de
Cestre, Raoul de Londres, Jean de Kardoul; les seigneurs
Hunin comte de Derby, William comte de Northampton,
Thomas comte de VVarvick, Hugues comte de Glocester,
William comte de Huntinghton, Jean comte d'Oxford, Henry
de Percy, Raoul de Nevill, Jean de Segrave, Henry de Fer-
rers, Jean Darcy, Thomas de Berkeley, Thomas de Brai-
derstone, Richard de Wilugby, Jean de Stonore, Robert de
Saddingdon, chevaliers; les maires et les communiers des
cinq bonnes villes de Londres, Everwyck, Lincoln, Bristol
— 209 —
et NorwicI), ainsi que les cinq ports Sandwichj Douvres,
Winchelsea, Haslings et Rye, qu'il prie d'apposer leurs
sceaux à cet acte à la suite du sien.
La solennité que mettait Edouard, en traitant cette
affaire avec la Flandre, et le style noble de ce document,
témoignent assez de Timportance qu'il y attachait.
Dans le second diplôme, Edouard répète d'aliord que ses
pays sont ouverts aux marchands de Flandre et de Brabant,
et déclare ensuite que chaque fois que ces deux états auront
besoin de secours pour pourvoir à leur sûreté, il mettra
ses navires en mer et armera des gens d'armes; le tiers de
la troupe à lever sera prise en Angleterre, les deux autres
en Flandre et en Brabant; quant à lui, il supportera les
frais de l'expédition. Il promet en outre de payer aux com-
munes la somme de cent quarante mille livres sterlings en
quatre paiements, et établit pour quinze ans à Bruges
l'étape des laines, qu'il avait promis dans l'acte précédent
de fixer à perpétuité en Flandre ou en Brabant.
Au point de vue politique, dit un auteur (»), le troi-
sième traité est le plus important; il l'est en effet, quand
on considère qu'il aurait changé notablement la situation
de la Flandre s'il avait pu être mis à exécution. Edouard,
en vertu de sa puissance et de son autorité comme roi de
France, casse et met à néant tout droit qu'avait le suze-
rain roi de France, par autorité papale, d'appeler en tout
temps l'excommunication sur la Flandre. Il renonce à tous
droits que lui ou ses prédécesseurs, rois de France, ont eu
ou ont sur les villes de Lille, Douai, Béthune et Orchies,
en faveur du comte de Flandre, ses hoirs et successeurs,
auxquels il transmet ces villes et chàlellenies en propre
domaine. Quant au comté d'Artois, qui « entièrement fuist
et soioit estre » au comte de Flandre et qui « indeuwement
(1) Kervyn, t. m, p 227.
~ 270 —
fut (]e iuy alliénée, » il le lui reslilue avec ses renies et
cliâlellcnies, et lui donne la cité de Tournai, également avec
ses châlelleuies et avoueries en fief, à condition de foi el
hommage. Il confirme les privilèges, franchises et libertés
dont les Flamands avaient joui du temps du comte Roherl;
il promet pour lui, ses hoirs et successeurs, de ne lever
ni souffrir qu'on lève des impositions, exactions, tailles ou
extorsions en Brabant ou en Flandre, ou qu'il soit commis
en France des exactions ou extorsions au détriment des
bonnes gens de Flandre. Pour le plus grand profit de tous
ses sujets et pour faciliter les négociations, il accorde
qu'une « bonne, loyale et commune monnaie d'or » soit
faite en France, en Brabant et en Flandre, avec un signe
distinclif pour chaque pays : cette monnaie devant avoir
cours légal en Angleterre (i).
Le 8 février, Edouard publia une proclamation aux pré-
lats, aux seigneurs et au peuple de France, dans laquelle,
après leur avoir annoncé que la Flandre l'a reconnu comme
roi de France, il promet de rétablir leurs franchises et
privilèges, redresser tous les torts et gouverner selon les
lois et coutumes de saint Louis, son aïeul ('i).
Cependant Edouard, voyant que la période d'hiver ne
lui permettrait pas, aussi longtemps qu'elle durerait, de
faire le moindre acte d'hostilité, voulut retourner en Angle-
terre; mais ses alliés s'y opposèrent avant qu'il n'eût pris au
préalable des arrangements ou donné des garanties pour
le paiement des dettes considérables qu'il avait contractées
sur le continent et qui montaient bien à 500,000 livres ster-
lings. Il se vit obligé de faire la promesse solennelle de
revenir dans un court délai, avant les fêtes de la Saint-Jean-
(1) Voir CCS trois diplômes dans KEnvYN, t. III, p. G05, aux Pièces Jusli-
ficalivcs.
(2) Rymer, édit, angl., t. Il, P. II, p. 1108.
— 271 —
liaplislcdt! l'année suivante, remit comme gage de sa parole
et comme garantie de ses promesses, les comtes de Derby
et de Salisbury, et promit qu'au dimanche de la mi-caréme,
les comtes de Suffolk et de Northampton viendraient se
joindre aux autres otages; il laissa également en Flandre
la reine Philippine de Hainaut, sa femme, qui accoucha
peu après, à l'abbaye de Saint-Pierre à Gand, d'un fils,
qui est connu dans l'histoire sous le nom de Jean de Gand,
duc de Lancastre. Alors on le laissa partir; mais avant son
départ, il fit encore un appel à tous les seigneurs de France
et de Flandre, leur disant que s'ils voulaient le reconnaître
pour roi, il les recevrait en paix et protection, et délégua
au comte de Gueldre et à Artevelde le pouvoir de recevoir
leur hommage en son nom (i). H autorisa le duc de Bra-
banl à continuer la guerre en sa place, en se conformant
toutefois aux conseils d'Artevelde (2). Le 21 février, il dé-
barqua à Orewel (3); plusieurs seigneurs et députés de
Flandre, entre autres Guillaume de Sleeland et Nicolas de
Scotelaere, l'accompagnèrent en Angleterre.
Le 29 mars, Edouard tint un parlement à Westminster
et là il prêta serment sur les Evangiles, d'observer les trai-
tés qu'il avait approuvés à Gand; les évéques de Cantor-
béry, de Durham, de Lincoln et de Londres, les principaux
seigneurs d'Angleterre et les villes prononcèrent le même
serment. Ces grands privilèges accordés à des étrangers
|)rovoquèrent quelques murmures dans les villes commer-
çantes d'Angleterre. Nous avons vu plus haut (4) que la ville
de Londres édicta au siècle précédent des mesures restric-
tives à l'égard des marchands étrangers; dans celte circon-
(1) LoNGMàN, t. I. p. 139. — Voisin, p. 30. — RvMEn, édil. nngl., i. Il,
V. II, p. 1111.
(2) Voisin, p. ID. — Longman, t. I, p. 157.
(2) Rymeiî, édit. angl., l. Il, P. Il, p. 1113.
(4) Messager des Sciences, a" 1870, p. ICI.
— 272 —
stauce-ci elle se plaignit vivement; elle invoqua ses anciens
privilèges et s'abstint d'apposer son sceau aux décisions
du parlement de Westminster.
Deux mois s'écoulèrent ainsi; le 23 mai, Edouard III fit
appeler à la Tour de Londres le lord-maire, les aldermen
et les plus notables bourgeois de Londres; il leur raconta
que pendant son séjour à Gand il avait promis aux com-
munes de Flandre que les communes anglaises ratifieraient
ses promesses; il les pressa au nom de l'amour qu'ils lui
portaient, de ne pas démentir son serment; il alla même
jusqu'à leur dire qu'il renoncerait plutôt à sa femme, à ses
fils, à ses filles, à son royaume, à la vie même. La com-
mune résista encore; alors le roi, s'indignant, la somma
d'obéir, ce qu'elle fit à regret (i).
Pendant ce temps, Philippe de Valois attaquait la Flan-
dre; il la fit d'abord excommunier, puis envoya pour la piller
ses hommes d'armes, qui battirent les Flamands à Mar-
quette, oîi les comtes de Salisbury et de Suffolk furent pris
et envoyés ensuite à Paris; il équipa une flotte qu'il envoya
croiser sur les côtes du comté pour s'emparer du roi d'An-
gleterre lorsqu'il retournerait en Flandre : cette flotte comp-
tait plus de huit cents voiles, dont cent quarante gros navires,
équipés à Calais et dans les ports de Normandie, trente galè-
res génoises sous les ordres du corsaire Barbavera, et un
grand nombre de vaisseaux de toute espèce; elle était montée
par trente mille hommes, commandés par un chevalier
d'Artois, nommé Hugues Quiéret; Nicolas Béhuchet, tréso-
rier du roi, avait pris le commandement supérieur de celte
expédition et était fort curieux d'assister à une bataille.
Le 7 juin, la flotte française parut à l'entrée du Zwyn;
Béhuchet fit immédiatement débarquer un grand nombre
d'hommes d'armes et les envoya piller, brûler et tuer dans
(1) Voir ces détails dans Kervyn, Jacques d'Arlcvelde, pp. 88 el suiv.
— 273 —
le pays de Cadsand. Les bourgeois de Bruges, avertis de
cet exploit, accoururent vers l'Ecluse, sous la conduite de
Jean Breydel et de Jean Schynkele; mais les Français
s'étaient déjà retirés sur leurs navires; les Brugeois durent
se contenter de contempler les restes de l'incendie, et de
voir au loin les navires se maintenant ensemble au moyen
de chaînes de fer pour éviter le mouvement de la marée;
ils guettaient là, entre les dunes qui fermaient l'entrée du
port de l'Ecluse, l'arrivée du roi d'Angleterre, espérant
que celui-ci, ignorant le danger, se laisserait prendre.
Deux jours après cependant, l'arrivée des Français fut
connue à Orewel, où Edouard se disposait à s'embarquer
le 12 pour le continent. Le roi refusa d'ajouter foi à cette
nouvelle, malgré le récit d'un pilote qu'on lui amena et qui
avait été témoin des manœuvres de Béhuchet; il fallut un
message du comte de Gueidre pour le convaincre; alors
seulement il consentit à retarder son départ de quelques
jours, jusqu'à ce qu'on eût pu réunir autour de lui un
nombre suffisant de navires; Edouard tenait à être fidèle à
sa promesse et à se trouver en Flandre à l'époque fixée.
Le 22 juin, il vit que deux à trois cents navires l'avaient
rejoint, et mil à la voile le lendemain. A peine fut-il en
vue des côtes de Flandre, qu'il se fit débarquer. « Grâces
soient rendues à Dieu, s'écria-til, lorsque je quittai ce
pays, j'avais le ferme espoir d'y être revenu avant la Saint-
Jean-Bapliste, et c'est aussi ce que j'ai fait, car me voici
enfin debout sur la côte. » Renaud de Cobbam, Jean Chan-
dos et Etienne de Labourquin, s'avancèrent le long des
dunes, et aperçurent de loin, au-delà des prairies, toute la
flotte française qui remplissait les deux bras du Zwyn.
Les magistrats flamands auxquels ils parlèrent leur dirent
qu'un seul jour suflirail pour rassembler deux cents vais-
seaux afin d'appuyer les manœuvres du roi d'Angleterre.
Edouard fit alors jeter l'ancre et attendit le lever du
20
— 274 —
soleil pour se porter vers l'ennemi; il était impatient de
combattre : « J'ay longtemps désiré que je les pusse com-
battre, disait-il; si les combattrons, s'il plait à Dieu et à
saint George. » Mais le lendemain le vent avait tourné, et
il fut impossible aux vaisseaux anglais d'entrer dans le
Zwyn; sur ces entrefaites on vil les galères génoises sortir
du golfe pour gagner la mer; Rarbavcra, en marin expé-
rimenté, avait exposé à Béhucbet qu'enfermée dans le
Zwyn, la flotte française perdait tous ses avantages, et
n'ayant pas réussi à le convaincre, il s'éloignait de l'Ecluse
avec ses navires, ne voulant pas se rendre complice des
fautes du trésorier du roi, « qui savait mieux se mêler d'un
compte à faire, que de guerroyer en mer, *
Edouard fît sonner l'attaque; Barbavera se défendit
courageusement, mais réduit à céder, il se retira suivi de
ses navires. Le roi, emporté par son courage, s'était jeté
au milieu des traits ennemis et eut la cuisse percée d'une
flèche. La marée montante porta les vaisseaux anglais dans
le Zwyn; là la mêlée devint encore plus sanglante; les
vaisseaux flamands que la ville de Bruges avait mis toute
la nuit à préparer, s'avançaient au secours d'Edouard;
l'arrivée de ce renfort décida de la victoire. Toute la flotte
française fut détruite ou conquise; deux grands navires an-
glais, le Christophe et VEdouard, que les Français avaient
autrefois enlevés chargés de laines, furent repris par le roi;
les Français essuyèrent une perte immense, et le massacre
fut tel que les hommes d'armes et les soldats se précipi-
taient du tillac dans les flots, espérant encore avoir ainsi
une chance de salut; mais les milices des communes, arri-
vées à la rescousse, tuèrent sans merci tous ceux qui tou-
chaient le rivage. Dans les navires il y avait un si grand
nombre de morts et de blessés, que l'on marchait dans le
sang jusqu'à la cheville; la mer prit une teinte rougeâtre
dans tout le golfe; plus de trente mille Français périrent et
— 275 —
environ dix mille Anglais. Nicolas Béiiuuhel fui pris el
pendu au haut d'un mat pour venger la dévastation de
Cadsand. Hugues Quiéret fut tué; un pirate fort entrepre-
nant, surnommé Spondevisch, réussit à s'échapper avec
quelques barques, et un des principaux personnages de
TEcluse, Jean van Eyle, qui s'était joint aux Français et
commandait le Christophe, fut pris et décapité sur la
Graud'Place de Bruges. « Si furent les Flamands, Hai-
neyers et Brabançons moult réjouys de cette victoire, dit
Froissart, et les Français tout courroucés (i). »
La nouvelle de cet important fait d'armes se répandit
comme une traînée de feu; dès le lendemain, la reine d'An-
gleterre accourait de Gand, escortée de Thomas de Vaer-
newyck et de Jean Uutenhove, pour féliciter Edouard, que
sa blessure à la cuisse empêchait de quitter son vaisseau.
Edouard, fier du succès de ses armes, écrivit aux évêques
d'Angleterre et au prince de Galles les détails du combat (2);
et lorsque cette belle victoire fut connue à Valenciennes,
où se trouvaient le duc de Brabant, le comte de Hainaut
el Arlevelde, celui-ci monta dans une tribune érigée sur la
place du Marché et prononça un discours des plus remar-
quables, pour démontrer les droits d'Edouard III à la cou-
ronne de France; son éloquence excita l'admiration géné-
rale, el tout le monde fut d'avis que ce grand homme était
digne de gouverner la Flandre (3).
De là, Arlevelde se rendit à Gand, puis le 30 juin à
(1) FnoissART, édit. Buchon, I. 1, pp. 353 el suiv. — Idem, édit. KenvïN,
t. m, pp. 191 et suiv. — Kervïn, Jacques d'Arlevelde, p. 77 el suiv. —
Chronique de Jean Bocndale, dit Jean de Klerk. — Grande chronique de
France. — Les phrases en vieux français, placées entre guillemets, sont géné-
ralement empruntées à Froissart, à moins qu'une note n'indique le contraire.
(2) Rymer, édit. angl., t. Il, P. Il, p- 1129. — Archives de la mairie de
Londres.
(3) Meyer, Ad antium.
— 276 —
Ardenbourg, où le roi d'Angleterre, à peine guéri, était
allé en pèlerinage. Ils vinrent ensuite ensemble à Bruges, où
se trouvaient le comte de Gueldre, celui de Ilainaut et les
députés des communes; c'est là qu'il fut décidé que les Fla-
mands mettraient cent cinquante mille bommes sur pied
pour aller conquérir Tournai et l'Artois, que le roi d'Angle-
terre leur avait cédé en sa qualité de roi de France. Le roi
devait commander cent mille bommes pour faire le siège de
Tournai, les cinquante mille autres devaient se diriger vers
Saint-Omer, sous les ordres de Robert d'Artois (i); les
Flamands, qu'on disait gagnés par l'or de l'Angleterre, s'en-
gagèrent à servir sans solde la cause de leur pays.
Le 27 juillet, Edouard envoya un cartel à Pbilippe, dans
lequel il dit qu'il est entré en la terre de Flandre comme
seigneur suzerain, et a passé par le pays (2).
Pbilippe crut que le meilleur parti était de recourir aux
négociations; mais comme Edouard s'était engagé à ne con-
clure ni paix ni trêve avec la France, sans l'assentiment
des communes de Flandre, il fallait nécessairement que
celles-ci fussent consultées; elles ne consentirent qu'à la
condition d'un pardon général et du retrait de l'excommuni-
cation; la trêve d'Esplecbin, près de Tournai, fil droit à
leurs exigences (3); elle fut conclue le 25 septembre 1540
et devait durer jusqu'au 24 juin 1541.
Edouard était rentré en Flandre, cbargé plus que jamais
de dettes énormes; les remises d'Angleterre n'arrivaient pas,
et c'était en vain qu'il écrivait à l'arcbevéque de Cantor-
béry et aux autres ministres; ils ne lui envoyaient que des
(1) RïMER, édit. angl., t. H, P. II, p. 1130.
(2) Idem, idem. idem, p. H3i.
(3) Pour loiis les détails de celte affaire, et en général pour ceux qui n'ont
pas directement trait à Tliisloire des relations de la Flandre avec l'Angle-
terre, on peut consulter V Histoire de Flandre du baron Kervyn de Letteniiove,
que nous aimons à citer souvent.
— 277 —
promesses, des excuses et point d'argent; le seul subside
qu'il obtint fut une expédition de vingt mille sucs de laine,
marchandise anglaise dont le prix certain sur les marchés
étrangers permettait de se procurer de l'argent comptant;
mais un pareil secours était loin de suffire : le roi se vit
contraint d'emprunter de l'argent à des bourgeois de Gand;
dans celte désagréable situation, il appela auprès de lui
Jacques van Artevelde et les autres magistrats de Flandre,
qu'il appelle « ses fidèles amis, les compagnons de ses pé-
régrinations et de ses tribulations, » et leur exposa ses
embarras. Les Flamands lui répondirent par un prêt de
cinquante mille marcs d'Angleterre, qui équivalaient à deux
cent mille florins, en disant que le pays de Flandre était
assez riche pour subvenir à ses besoins. En reconnais-
sance de cela, Edouard promit un envoi de trois mille cinq
cents sacs de laine, expédia un ordre à ses lieutenants de
prêter aide et protection aux marchands de Flandre, et
renouvela le privilège accordé précédemment aux Yprois(i).
Mais les dissensions qui se faisaient jour en Angleterre,
rendirent le départ du roi indispensable; toutefois le projet
en fut tenu secret. Le 14 novembre, avant de quitter Gand,
il promit au duc de Brabant que si ses dettes n'étaient pas
payées dans les premiers jours de février, les barons anglais
qui s'étaient engagés avec lui, se constitueraient prisonniers
dans un hôtel de Bruxelles, promettant de n'en sortir qu'au
jour du remboursement intégral (2); c'est au sujet de ces
sommes que peu après les bourgeois de Gand firent arrêter
et retinrent prisonnier Henri de Lancaslre, comte de Derby,
une des cautions d'Edouard.
Le roi se rendit bientôt directement à l'Ecluse, où il
s'embarqua avec le comte de Northampton. Les bonnes
(1) Archives de la ville (TYpres.
(2) KcnvïN, Jacques d'Artevclde, p. 88.
— 278 —
villes ne furent instruites de cette brusque fuite que par les
lettres suivantes, quand Kdouard avait déjà mis à la voile :
a Edward, par la grâce de Dieu, roi de France et
dEngleterre et seigneur dlilande, à nos chers et bien amez
burghniaislres, eskevins, capitaines et counseilz de Gannt,
Brugges et Ipre et autres bones villes de Flandres, salut
et conoissance de véritet. Du bon port et naturel affection
que vous avez eu envers nous, puis que l'alliance se fist
entre nous et vous, vous mercions tant corne nous savons
et poons et vous supplions de en celte volenté demorer
devers nous en temps à venir, et Dieu plaist en droit de
nous, nous tendrons les alliances et ferrons quantque en
monde purrons pour lonneur et proufit de vous louz et du
pays, mes au fin que noslre aler vers Engicterre vous soit
connuz et par si hastive manière, nous vous signifions la
cause, que aucuns de nos féaux conseillers et ministres en
Engleterre se sont portiez par liclle manière devers nous,
que si nous ne portons briefment remède, nous ne trove-
rons ayde de faire gré à vous des convenances entre nous
et vous, et si doutons que si nous ne mettions ayde par
nous meismes, que nos mauveis ministres susditz met-
Iroient haslivement nostre people en meschief ou en
désobéissance de nous... et si nul y feust qui vodroit faire
voler autre parole que nostre aler n'est pas le bien du pays
de Flandre, n'el teignez nul pour amy du pais, car, od
leide nostre seigneur Dieux, le fait se monstrera haslive-
ment, et Dieu nous voille louzjours garder. Donné en la
mer, le xxviiie jour de novembre (i). »
Le roi, d'après celte lettre, élait presque honteux de ce
départ précipité, qui ressemblait à une fuite, mais la situa-
tion tendue des affaires en Angleterre l'excusait en quelque
(1) Areliivis de la ville de Gand, n«40l. — KEnvvN, Histoire de Flandre,
\. !ll, |). 272. — Messager des Sciences, a" 1833, p. 4-49
— 279 —
sorte; d'uu autre côté, il était tellement irrité du peu de
succès de ses opératious militaires, des vexations de ses
créanciers, et du défaut de collection des nouvelles taxes
qu'il avait établies, qu'il fît porter la peine de ces contra-
riétés à tous ceux qu'il rencontra. Les ministres, les ma-
gistrats de Londres et les collecteurs de taxes furent
emprisonnés et destitués. Cela n'empêchait pas les embar-
ras tînanciers d'exister : après les emprunts, il ne restait
pour se procurer de l'argent, qu'à recourir encore à de
nouveaux emprunts. Jean de Thrandeslone, clerc du roi,
que nous avons déjà vu à la besogne, se rendit dans ce but
à l'Ecluse, à Gand, à Bruxelles; il alla même présenter
une lettre du roi au sire de Cuyk, qui répondit aussitôt ;
0 qu'il aveit tant baillé q'il ne pooit plus bailler, et par dé-
faute dargent aveit mys un coursier en gage pur dix livres, »
ce qui par la faute du roi lui en fil perdre vingt sur sa bête.
Le clerc alla aussi à Trêves pour essayer de retirer la
couronne d'Angleterre qu'Edouard y avait mis en gage (i),
Edouard III était trop occupé pour pouvoir reprendre
promptement la campagne; aussi consentit-il à prolonger
la trêve d'Esplechin, qui devait expirer le 24 juin, toujours
en y comprenant la Flandre : le 10 avril il donna dans ce
sens des pouvoirs à ses ambassadeurs (2); le 24 mai il
chargea de la même mission le duc de Brabant, le comte
de Gueldre, le comte de Juliers, le comte de Ilainaul et
Jean de Beaumont {3); par leurs soins la trêve fut prolon-
gée jusqu'au 1" août, jour de Saint-Pierre es liens; ainsi
que le roi l'annonça aux villes de Flandre par une lettre
datée du 18 juin, dans laquelle il les prie d'adhérer à cette
convention (4).
(1) Record office. — Kervyn, Bulletins de l'Académie royale, a" 1869,
(2) Rymer, édit. angl., t. H, P. II, p. H 36.
(5) Idem, idem, idem, p. 1160.
(4) Idem, idem, idem, p. 1165.
— 280 —
Au 1" août étail fixée une réunion à Antoing entre les
députés d'Edouard et ceux de Philippe de Valois; les com-
missaires voyant cfu'il étail impossible de s'entendre, et de
concilier les prétentions d'Edouard avec les résistances de
Philippe, se séparèrent après avoir décrété que la trêve
durerait jusqu'au 24 juin de l'année 1542 (i). Sur ces
entrefaites, un autre événement vint vivement contrarier le
roi d'Angleterre; l'année précédente il n'était parvenu
qu'au prix de nombreuses démarches à se faire nommer
vicaire de l'empire, et tout-à-coup il apprit que l'empereur,
à la sollicitation de Philippe de Valois, qui lui fit en même
temps des propositions d'accommodement, dans une décla-
ration solennelle, datée du \ù juin, lui relirait ce titre et
ces pouvoirs acquis avec tant de peine (2).
Au milieu de ses désagréments, Edouard, qui cherchait
à s'assurer l'appui des communes de Flandre, édicla une
mesure d'une incontestable importance au point de vue des
intérêts commerciaux de nos compatriotes. Le 8 août, il
data de la Tour de Londres une charte, en vertu de laquelle
il déclare maintenir l'étape de Bruges, pour les laines et
autres produits anglais, et ordonne les règles d'après les-
quelles celte étape devra désormais être tenue : « Sachant,
dit-il; que la contrebande s'exerce fréquemment tant par
des marchands de ce pays que par des étrangers, qui con-
duisent hors d'Angleterre la laine et autres produits, à la
prière de nos fidèles, nous voulons et concédons, que les
laines et autres marchandises, au sortir de nos royaumes,
devront être transportées directement à Bruges en Flandre,
oîi l'élape doit en être tenue, d'après conventions existantes
(1) RvMER, édit. angl., t. Il, P. II, p. H77.
(2J Archives départ, de Lille, fonds de la cliambre des comptes, carton B,
780. - Rymer, édit. angl , t. II, P. II, p 1167. - Belgisch Muséum, t. IV,
p. 374.
— 281 —
eulre nous et nos chers et fidèles les bonnes gens de
Flandre.
» Celle étape, dit-il, sera dorénavant gouvernée par un
maire et des conétables, élus librement par les marchands
anglais; ces officiers seront spécialement chargés de sur-
veiller la bonne exécution des règlements de l'étape et de
punir les contrevenants, sous l'égide du roi.
» Toutes les marchandises présentées à l'élape devront^
porter le sceau royal et celui du marchand.
» Afin qu'une peine garantisse mieux l'exécution de ces
ordres, toute marchandise non scellée comme ci-dessus sera
confisquée.
» En cas de non présentation à l'étape de Bruges des
marchandises sorties du royaume, le contrevenant sera
puni d'une amende de soixante sous, sauf le cas de force
majeure. »
Enfin, l'étape devait être moins soumise au droit strict
qu'aux principes équitables de la coutume et de la juridic-
tion commerciale (i).
Cependant le temps marchait, et l'été de l'année 1342
était déjà passé à moitié; la reprise des hostilités était
imminente; au commencement du mois d'août, les milices
de Flandre se dirigèrent vers l'Artois, et Edouard, sur
l'aide duquel comptaient les communes, ne paraissait pas
et ne donnait aucune de ses nouvelles. C'est dans ces cir-
constances que le comte Louis de Nevers, appuyé par l'au-
torité du pape et celle de Philippe de Valois, essaya
quelques tentatives pour détacher ses sujets de l'alliance
anglaise. Edouard ne fut pas sans en être informé, mais la
guerre de la succession au duché de Bretagne, où il soute-
Ci) RïJiER, édit. angl., t. II, P. Il, p. 1172. — Au mois de décembre 1341,
Edouard III écrivit directement à Artevcidc une lettre qui se trouve dans
les papiers du Record office. V. KiinvvN, BuUct. de V Académie royale, a» 18G9.
— 282 —
nait Monlfort contre Charles de Blois, Tempéchail de
s'occuper aclivemenl de la Flandre. Voulant toutefois com-
battre les menées du comte et s'assurer de la fidélité des
communes, il envoya vers elles Guillaume Trussel, un de
ses conseillers. Les députés des bonnes villes s'étaient
réunis le 9 novembre à Damme, où le comte de Flandre
avait expliqué plus clairement ses intentions et les avait
vues repoussées; ils se réunirent peu après à Gand, où ils
décidèrent à l'unanimité qu'il fallait rester fidèle à l'Angle-
terre, et envoyèrent une lettre dans ce sens à Edouard.
« Après avoir mûrement réfléchi, disent-ils dans celte
pièce, pris conseil et avis des bonnes gens et communau-
tés des villes et communes de Flandre, nous vous signi-
fions que nous sommes d'accord avec tout le pays de
maintenir et accomplir à tout jamais les alliances faites
entre notre seigneur le roi et le pays de Flandre; et d'après
cela nous avons renouvelé notre serment et l'avons fait
renouveler par toutes les villes et chàtellenies (i). »
Celte fidélité à toute épreuve était d'autant plus admi-
rable, que dans ce moment la Flandre se trouvait aban-
donnée à ses propres forces et obligée de faire la guerre;
c'est alors que la commune de Gand revêtit d'un mandat
d'ambassadeur la femme de Jacques van Arlevelde, Jonkfro
Kateline, comme l'appellent les comptes manuscrits de la
ville; elle se rendit eu Angleterre pour voir Edouard; mais
celui-ci venait de partir pour la Bretagne, où la querelle
de succession entre Montfort, qu'il soutenait, et Charles de
Blois, qu'aidait la France, rendait sa présence nécessaire.
L'accueil que reçut au-delà de la mer l'épouse du capi-
taine de Saint-Jean fut digne de la nation anglaise, digne
du mandat dont Catherine était investie et de l'homme
(1) Rymer, édit. angl,, t. II, P. Il, p. 1215. — LclUe du 29 novembre,
veille de la Saint-André, 1342.
— 283 —
dont elle était la compagne; d'après les ordres du roi, les
sergents royaux s'étaient rendus au-devant d'elle et des
seigneurs qui l'accompagnaient, et les ménestrels, chaque
jour à son lever, devaient jouer de leurs instruments, « en
l'honneur de la terre de Flandre (i) »
Mais Catherine van Artevelde ne séjourna pas longtemps
en Angleterre, elle alla rejoindre Edouard en Bretagne.
Les négociations aboutirent à peu de chose, elle ne put
obtenir le remboursement des sommes prêtées, ne reçut
du roi que cinq cents livres pour payer les milices com-
munales (2), et aucun autre secours, ni aucune autre pro-
messe pour le moment.
Nous venons de voir que les tentatives du comte pour
détacher la Flandre de l'Angleterre avaient complètement
échoué; aussi au commencement de janvier 1343, se re-
tira-t-il en France, et peu après, le 19 janvier, la trêve de
Malestroit, qui reproduisit les stipulations de celle d'Esple-
chin, vint lui ôter tout espoir.
Au mois de juillet, le roi d'Angleterre envoya ses dé-
putés en Flandre pour traiter avec les bonnes villes de
certaines mesures à prendre pour assurer la bonne exécu-
tion de ses règlements sur l'étape de Bruges, et au sujet
de quelques contraventions commises de part et d'autre;
mais le principal but de son ambassade était l'accord rela-
tif à une nouvelle monnaie d'or et d'argent du meilleur
aloi, qui devait être frappée et avoir cours tant en Angle-
terre qu'en Flandre, en vertu des actes passés en 1340 (3).
Mais pendant que la Flandre et l'Angleterre renouve-
laient leur mutuelle amitié, tandis que la Flandre reprenait
(1) Kervyn, Jacques d' Artevelde, p. 91. — Comptes des villes de GanU et
de Bruges.
(2) Kervyn, idem.
(ô) RïMER, étUt. nngl , t. M, V. II, p. 1227.
— 284 —
haleine, et à la faveur des avantages qu'elle s'était créés
elle-même, voyait refleurir son commerce et son industrie,
le comte, honteux d'avoir vu échouer ses tentatives, excité
par quelques-uns de ses conseillers, donna un ordre, en
vertu duquel plusieurs marchands anglais furent pris, em-
prisonnés et leurs hiens confisqués. Aussitôt qu'Edouard eût
connaissance de ces actes de basse vengeance, il écrivit aux
communes pour les prier de réparer le mal, en faisant re-
lâcher ses sujets, et, si faire se pouvait, leur rendre leurs
biens, qui s'élevaient à dix mille livres slerlings. Nous
pouvons supposer, sans trop de présomption, qu'il fût fait
droit à cette réclamation, car nous n'avons plus trouvé dans
la suite de trace de cette aff*aire (i).
Louis de Nevers fit aussi quelques tentatives pour ren-
trer dans le pays et ressaisir par la même occasion son
autorité; Edouard l'apprit (2), et par deux différentes
lettres en informa les villes de Gand, Bruges et Ypres, et
tout le pays de Flandre; dans la première, il les engage à
ne pas traiter avec le comte, sans son assentiment, cela
étant contraire aux conventions de Malestroit; dans la se-
conde, il leur fait savoir qu'il ne s'oppose nullement à la
rentrée du comte, si celui-ci consent d'abord à amener en
Flandre la comtesse, sa femme, et son fils aîné, et ensuite
à se rendre lui-même en Angleterre, pour prêter entre ses
mains royales foi et hommage, comme il est dû au suze-
(1) Rymer, édit. angl., t. H, P. Il, p. 1233.
(2) Voici comment les conseillers d'Edouard dépeignent la situation au
Parlement : « Ledit adversaire (Philippe de Valois) s'efforce de tollir à nostre
signeur le roy, ses alliés, aussi bien en Brabant et en Flandre, comme Alle-
maigne, et si est-il en ferme purpose à ce que nostre signeur le roy et son
conseil ont entendu en certain, de dcslruire la langue anglaise, et de occu-
per la terre dEngleterre (que Dieu dcffende) ! si remédié ne soit mys contre
la malice par force. » [Parliam. Rolls. — KenviN, note, édition Froissart,
p. 467).
- 585 —
rain du pays, « splonc la forme des convenances taillez
entre nous et vous; » il les engage, si Louis de Nevers veut
souscrire à ces conditions, à le recevoir honorablement (i).
Le 14 mars, il informe les bourgmestres, éclievins et con-
seillers de Bruges, qu'il a fait inviter ceux de ses sujets
qui font le commerce des laines, à fréquenter l'élape de
leur ville (2).
Le parti qui se montrait hostile au roi d'Angleterre,
était plus puissant à Gand que dans aucune autre ville de
Flandre; mais cette opposition n'était au fond qu'une haine
personnelle, un parti pris contre Artevelde; elle n'empêcha
donc pas qu'il y eût des négociations dans le but d'opérer
un rapprochement entre le comte et Edouard III; le duc de
Brabant, dont la fille était fiancée au prince de Galles, y
prit une part fort active; c'est sans doute à cette question
qu'il faut attribuer le voyage de Robert de Fiennes, châte-
lain de Bourbourg, auquel Edouard accorda le 6 juin, un
sauf-conduit (3).
Pendant ce temps, le roi d'Angleterre avait fait de grands
préparatifs pour se remettre en campagne contre Philippe
de Valois et ses alliés; il se trouvait à Sandwich, prêt à
partir, quand des ambassadeurs de Flandre vinrent le
trouver, lui exposèrent les menées du comte et le prièrent
de se diriger plutôt vers leurs côtes, s'il voulait maintenir
son autorité dans le pays. Edouard se rendit à leurs rai-
sons, et le 3 juillet fit immédiatement voile pour la Flan-
dre; ce brusque changement d'itinéraire avait besoin d'une
(1) Rymer, édit. angl., t. III, P. I, p. 30. — Une charte clans les Complcs-
re)iiltts de la Commission d'Histoire, a" 1860, p. 116, lirce des papiers du
Record office. Celte pièce est donnée en entier par M. Keuvïn, au t. IV,
p. 469, de son édition de Froissaiit.
(2) Record office. — Comptes-rendus de la Commission d'histoire, a" 1867,
p. 507. — Voir aux Pièces juslificalives.
(5) RvMER, édit. angl., t. III, P. I, p. 45.
— 286 —
explication vis-à-vis du peuple anglais; aussi, après son
retour, le roi donna-t-il satisfaction sur ce point (i).
Le 5 juillet, au soir, le roi anglais était à l'Ecluse. Le
lendemain, une dépulation de bourgeois notables de Bruges
se rendit auprès de lui; ou y voyait Gilles Lam, Gilles
Priem, Jean d'Harlebeke, Gilles Hooft, François van Arle-
velde, Gilles de Coudenbrouck (2). Jacques van Artevelde,
auquel le parti gantois, opposé à l'alliance anglaise, avait
ôté sa charge de capitaine de Saint-Jean, s'y rendit aussi
et y arriva le 7 juillet; mais son départ n'étant pas du
goût des nouveaux magistrats de la commune, on envoya
une troupe d'hommes à pied pour le ramener (3). Arte-
velde arriva cependant à l'Ecluse avant qu'ils l'eussent
atteint, et engagea Edouard à se rendre à Gand; mais le roi
avait hàle d'arranger les affaires de Flandre, pour pouvoir
reprendre la mer et se rendre en Normandie, destination de
son armement. Alors Artevelde retourna à Gand.
Le 11 juillet, les députés des bonnes villes de Gand,
Bruges et Ypres allèrent à l'Ecluse, selon le désir d'Edouard,
pour conférer avec lui. Ces députés étaient les échevins de
Bruges et d'Ypres, et pour Gand, Jean vander Vloet, Lié-
vin van Waes, Pierre van den Hovene, Jean Utenhove,
Guillaume van Vaernewyc, Augustin et Josse Aper; Arte-
velde était avec eux, mais les accompagnait sans mandat
officiel (4).
(1) « Et orJinato nuper propter hoc passagio nostro super mare, propler
aliqua nova suhila, quae venerunt nobis, super procinclu dieti passagii, de
perditione terrae nostrae Flandrie, et quorumdani alligatorum nostrorura. »
Rymer, édit. angl., t. III, P. I, p. b5.
(2) Kervyn, Jacques d' Artevelde, p. 100.
(3) « Deghene die naer hem ghesent warcn te paerde ende le voet 1er
Sluus.... omme hem te ghebringhene te Ghent waert. » Comptes de Gand,
1545, fol. 141.
(4) Comptes de la ville de Gand, a" 1545, fol 141 v». — Cfr. Lenz, Jacques
van Artevelde, p. 67.
— 287 —
Dans celle eonféicnce, Edouard propose aux députés
des communes de sommer le comte de lui prêter foi et
hommage comme au légitime souverain de la France et
suzerain de la Flandre, et les engage à ne plus reconnaître
Tautorité de Louis de Nevers, aussi longtemps qu'il n'aura
pas obtempéré à cette injection.
On a cru généralement qu'Artevelde proposa aux dépu-
tés des communes de prononcer la déchéance du comte,
si, dans un délai déterminé, celui-ci n'avait pas obéi à
l'injonction d'Edouard III, et de choisir à sa place le
prince Noir pour comte ou duc; mais ni les comptes des
villes, ni les lettres d'Edouard ne font aucune mention de
ce fait; celte assertion, qui remonte à Froissart ou du
moins à une de ses rédactions, est même démentie par un
autre texte du chroniqueur, où il n'est plus question
de la présence du prince de Galles à l'Ecluse. Ce qui est
plus probable, c'est que d'un côté le comte ne voulant pas
prêter l'hommage qu'on exigeait de lui, et d'un autre côté
les communes ne consentant pas aussi facilement à rompre
les liens qui existaient entre elles et le comte, qu'elles
n'avaient admis le changement de suzerain. Le projet déjà
mis sur le tapis de faire épouser au jeune Louis de Maie
une fille d'Edouard III, fut repris de nouveau. Cette union,
si elle avait pu se faire, aurait comblé les désirs des Fla-
mands, en rétablissant la paix et en sanctionnant l'alliance
des communes avec l'Angleterre, par l'union du jeune
comte avec la fille du roi.
Les communes persistaient donc dans leur amitié pour
l'Angleterre, et il fut décidé dans les conférences qu'elles
eurent avec Edouard, que celui-ci leur remettrait certaines
sommes d'argent (i) et qu'il leur donnerait une centaine
(1) » A Boudin Reniy, pour Iroil jours gisant h Bruges, pour reclievoir
une somme d'argent du roy dEnglelcrre. » Comptes d'Yprcs. — Kervïn, Jac-
ques d'ArlcvcIde, p. 101.
— 288 —
d'archers gallois, sous les ordres de Montravers, pour leur
aider à aller assiéger Termonde, occupé par les Leliaerls.
Les députés se séparèrent le lendemain 12 juillet, mais
Artevelde resta encore auprès du roi el lui promit d'en-
gager les Flamands à observer fidèlement toutes les stipu-
lations des traités antérieurs, à condition que le roi renonçât
au droit de déclarer la déchéance de la dynastie des Dam-
pierre, el qu'en vertu de son autorité de suzerain, il
prendrait toutes les mesures conservatrices exigées par les
circonstances (i).
Après cette conférence, Artevelde se rendit à Bruges et
à Ypres, dit Froissart, et le récit qu'il fil de sa conversa-
tion avec le roi d'Angleterre y fut accueilli avec joie. Le
24 juillet il rentra à Gand; on n'y connaissait pas le résul-
tat que sa diplomatie venait d'obtenir; il fut mal reçu; le
parti qui lui avait enlevé sa charge de capitaine de Saint-
Jean était ameuté contre lui; on l'apostropha, en lui lançant
des accusations complètement fausses, en lui demandant
compte des sommes énormes prêtées à l'Angleterre, et
qu'on l'accusait de détenir après en avoir reçu le rem-
boursement; enfin, il fut assailli dans sa demeure et tué
d'un coup de hache. Ainsi mourut l'homme qui fut pendant
huit ans le plus ferme champion de l'alliance anglaise, tout
en sauvegardant les droits du souverain légitime (2).
(Pour être continué).
Emile Varenbergh.
(1) Lenz, oiivr. cilé, pp. 73 et 74. Celle proposition d'Artevclde est ilonc
bien loin des intentions qu'on lui a longtemps attribuées.
(2) Consultez pour les derniers momcnls d'Artevelde cl la cause de sa
niort:KEUVYN, Jacques d'Artevclde, pp. 103 et suiv. — LE^z, Jacques
van Artevelde, pp. 74 et suiv. — FroissART, édit. KE.nvvN, t, IV, pp. 312 cl
suiv., et 464 et suiv. — Dans les Issue rolls de l'année 1346, la mention
d'une pension accordée à la veuve et aux enfants d'Artevclde.
— 289
(Voir page 285),
Edouard III aux bourgmestres, échevins et conseillers de Bruges,
les informant qu'il a fait inviter ceux de ses sujets qui font le
commerce des laines h fréquenter l'étape de ladite ville.
Roy as chicrs et foiaix burgmestrcs, cskevyiis et conseilx de
la ville de Bruges, salutz.
Nostre bien aniez marchant, Thomas Melchebourne, meire
de l'eslaple, est vcnuz pardevers nous et nous a clerement
monslrez l'entier amour que vous portez tousjours vers nous,
quele chose nous entendîmes, et cornent vous avez oiireiez bo-
nement que chescun home venant à l'estaple y puisse franche-
ment achater leynes et les amesner et carier d'illoecques, tant
par terre comme par mère, par là où il ira son profit faire, sans
desturbance mettre en temps à venir, de quoy nous vous savons
très -bon grée, et desirantz le pluis partant que ledit estaple
soit maintenu et gardé et le reparir des marchandz illeques le
plus... a ese et profit de vous. Si avons mandetz molt estret-
tcment par noz briefs par touz les countess et portz de nostre
roialme dEngleterre, de faire crier et proclamer que tous ceux
que amesnent leynes, quirs ou pealx lametz hors de nostre dit
roialme les amesnent audit estaple et nul partout sur quant
qils purrent forfaire devers nous et si uulz facent au contraire,
nous les ferons si punir que autres ent serront chastiez, par
quoi nous vous prions et chargeons en lamour que vous facetz
auxi crier et fermement garder devant vostre pooir les choses
que sont ottreiez de vostre part, ajouslantz plenere foy et cre-
dence audit meire de ceo quil vous dira de par nous en ceste
part et es autres choses tochanies comme profit et meinteance
et amendement dudite estaple.
Donné à Westminster, le xiii* jour de martz (1345).
{Record office) ,
21
— 290 —
LE LUXEMBOURG BELGE
ET SON ETHNOGRAPHIE
SOXJS L^ 330]ytINATION R01MA.INE,
Celtes, Gniilols et Wallons.
Coup-d'œil général sur les Germains cl les Gaulois dans leurs aspirations
jusqu'à nos jours. — Rôle joué par les Gaulois dans les annales du monde.
— M. Claudius Marcellus, les Fastes capitolins et Properce. — La Gaule
envahie par les Germains et défendue par les empereurs romains. — Le
caractère national des Gaulois jugé par l'antiquité et apprécié par les
auteurs modernes de la France. — Le Misopogon de Julien. — Migrations
des Celtes. — Arrivée des Kymris. — Géographie ethnographique de ce
peuple. — Leur idiome. — La langue latine en Gaule. — Son influence.
— Sidoine Apollinaire, Sulpice-Sévère et recherches sur les débris de la
langue gauloise, conservés dans les auteurs anciens. — Eludes compara-
tives. — Les Druides et les Rischis des Indes. — Le golh et l'ancien
teuton en face de la langue latine sur le sol de la Gaule. — Les Wallons.
— Appréciation des Ncrviens comme type des Wallons. — Recherches
étymologiques. — Antiquité du dialecte wallon. — Trévires et Ncrviens
devant Tacite. — Saint Jérôme et les Galates. — Discussions. — Conjec-
tures sur l'introduction du wallon en Belgique. — Opinions diverses. —
Évaluation des termes germaniques dans les dialectes romans. — Cir-
conscription géographique dans les limites de laquelle s'agitaient en Bel-
gique Gaulois et Wallons.
Nous avons vu qu'à une époque prodigieusement loin de
nous, les populations germaniques et celles vécurent pro-
bablement ensemble sur le plateau de TAsie avant de se
répandre en Europe (i). Cette grande immigration primor-
(1) Voy. Henri Mabtin, IIlsl. de France, I, p. 10 « Celle brillante race
— 291 —
(liale apparaît dans l'histoire comme une sorte de pliospho-
resceiice dont les lueurs vagues n'éclairent que faiblement
les annales des peuples. Tandis que Babylone etiNinived'un
côté, fameuses par leurs cataclysmes, disparaissent comme
à la dérobée, que l'Egypte étonne l'univers ancien par sa
sagesse, Athènes par son génie civilisateur et Sparte par
sa discipline de fer, les Gaulois et les Germains rangés dans
la catégorie des races hyperboréennes (i), au nord et à
l'occident de l'Europe, attendent, presque ignorées ou in-
connues, l'heure où leurs destinées les appelleront sur la
scène du monde. Ce moment viendra après une longue
série de siècles nécessaires à l'enfantement du plus grand
des colosses politiques. Longtemps avant l'apparition des
Germains, les Gaulois avec leur furia (2) s'attaquèrent au
futur maître du monde. Mais le Germain avec sa lenteur
apparente, parce qu'elle est mesurée, son inébranlable con-
stance finira par précipiter dans le même gouffre le Romain
corrompu et l'implacable ennemi de celui-ci , le Gaulois
infecté de la corruption romaine
Ne dirait-on pas à les voir acharnées contre le même
empire, qui opprime l'une et veut imposer son joug à
l'autre, que les deux races marcheront la main dans la
main vers des destinées communes? Il n'en est rien pour-
npparlenail à la grande famille humaine dont l'Asie centrale fut le berceau;
les langues gauloises, comme le grec, comme le latin, comme le ludesque,
comme le slave, paraissent se rattacher au sanscrit, » Voy. aussi Sciuciit,
De elemenlis germanicis potissimum linguac franco-gallicae, 1853, p. 2.
(1) Voy. HÉRODOTE, liv. IV [Mclpombiie), 15, 33, 36. Voy. en outre : Ge-
nèse, X, 3; Plin. Hisl. nal., IV, 22 et 26; Pausanus, 1, 31; Diodor. Sic, II,
47, 111, 38; Cl. Aeliax., X, 26, XI, 1, XII, 40. — Mêla, I, 19, III, 3;
Ltjcaim, III, 273 et V, 23; Plis., IV, 24, V, 27, VI, 5. — Juvemal, VI, 470.
— -Martial, VII, 6. — Colujielle, De cullu hortornm, 77.
(2) Voy. un passage peu citt5 dans Elien {siib Adrinno), lib. XII, cap. 23,
et PoLYB. , lib. II : « ffuvswpaxÔTe; yàp èx tôSv itpoycyovô'ctùV xiv5iJvwv b'xi
xoTî Ts 8u[xoTi; xatà t/jv iipwr/jv è'woSov, l'w; àv àxÉpaiov vi, cpopepwTaxov kvzi
iràv TÔ yaXatixov tpûXov. »
— 292 —
lant jusqu'à ce jour. Que de flots de sang ont coûté à
riiumanilé leurs rivalités ou leurs haines politiques, depuis
Arioviste, Probus et Clovis, Louis XIV, la révolution de 89
et le premier Empire français jusqu'aux trophées sanglants
du haut desquels on voit Sedan et Paris et ses ruines et
l'aigle de l'antique Germanie planant au-dessus du roc lé-
gendaire où Barberousse s'est enfin réveillé, avec le vieil
empire d'Allemagne, de sa lourde léthargie politique (i).
Les nations gauloises ont laissé les traces les plus pro-
fondes dans l'histoire. L'antiquité est remplie de l'éclat de
leur nom et de leurs aventures. Aucune des races de notre
Occident, dit un écrivain bien connu (2), n'a accompli une
carrière plus agitée et plus brillante. Les courses de celle-ci
embrassent l'Europe, l'Asie et l'Afrique; son nom est in-
scrit avec terreur dans les annales de presque tous les
peuples. Elle brûle Rome; elle enlève la Macédoine aux
vieilles phalanges d'Alexandre, force les Thermopyles et
pille Delphes; puis elle va planter ses lentes sur les ruines
(1) Fiédéric Barberousse poursuivit l'idée, comme on sait, de rétablir l'em-
pire dans son ancienne splendeur. Cet illustre empereur est devenu parmi
les populations germaniques l'objet de toutes sortes de récils légendaires.
La poésie s'est emparé de son nom et a chanté ses exploits. Ami des minne-
saenger, il est surtout connu dans les ballades, où il figure le génie allemand,
enseveli dans son profond sommeil et qui doit se réveiller un jour pour
donner à la patrie sa puissance antique. On le représente avec son fidèle
êcuyer dans une grotte. Tous les deux sont plongés dans le plus profond
sommeil. Il y a bien longtemps que dort le vaillant Barberousse, car les
poils de sa barbe ont poussé à travers la table de marbre sur laquelle il
incline sa télc fatiguée. Tous les cent ans, l'écuyer fait la ronde autour du
roc sourcilleux dans lequel est creusée la grotte. Quand il rentre, son maître
lui demande : « Les corbeaux croassent-ils encore autour de la montagne? »
Sur la réponse affirmative de l'écuyer, l'empereur se rendort en s'écriant :
« Maiidiles cent années ! » Cette scène romanesque doit se reproduire jus-
qu'au moment où l'empire renaîtra enfin de son abaissement.
(2) Voy. Am. Thierry, Histoire des Gaulois, depuis les temps les plus recu-
lés jusqu'à Venlihre soumission de la Gaule à la domination romaine, Paris,
1828, t. I.
— 293 —
d(i l'iiueienne Troie, dans les places publiques de Milet,
aux bords du Saiigarius et à ceux du Nil; elle assiège Car-
lliage, menace Mempliis, compte parmi ses tributaires les
plus puissants monarques de TOrient; à deux reprises elle
fonde, dans la haute Italie, un grand empire, et elle élève
au fond de la Plirygie cet autre empire des Galates, qui
domina longtemps toute l'Asie mineure. Par un hasard
digne de remarque, c'est toujours sous l'épée des Romains
que tombe la puissance des nations gauloises; à mesure
que la domination romaine s'étend, la domination gauloise,
jusque là assurée, recule et décline; on dirait que les vain-
cus et les vainqueurs d'Allia se suivent sur tous les points
de la terre pour y vider la vieille querelle du Capitole (i).
Aux temps les plus reculés, les Gaulois passèrent les
Alpes (au VP siècle avant J. C.) et fondèrent Milan, leur
premier établissement en Italie (2). Suivis de nouveaux
essaims qui se succédèrent rapidement, ils eurent bientôt
en leur possession toute la vallée du Pô. En 391, une tribu
gauloise, les Senonais, mirent le siège devant Clusium. On
connaît le désastre de l'Allia et les suites de ce grand fait
d'armes. Depuis 590, date de la prise de Rome par les
Gaulois, les Romains furent impliqués dans une lutte de
cent septante-huit ans avant de réussir à conquérir l'Italie
supérieure sur les émigrés gaulois.
(1) Les Romains ciircnl bien des guerres avee les Gaulois. L'amour de hx
gloire, le mépris de la mort, l'obslinalion pour vaincre, étaient les nièmes
dans les deux peuples; mais les armes étaient différentes. Le bouclier des
Gaulois était petit et leur épée mauvaise : aussi furent-ils traités à peu prés
comme dans les derniers siècles les Mexicains l'ont été par les Espagnols.
Et ce qu'il y a de surprenant, c'est que ces peuples, que les Romains ren-
contrèrent presque dans tous les lieux et dans presque tous les temps, se
laissbrcnl dilruire les uns après les autres, sans jamais connaître, chercher
ni prévenir la cause de leurs malheurs. (Montesquiiîu, Grandeur cl décadence
des liojnains, chap. IV).
(2) Voy. TiTE-LivE, lib. V, cap. 34, 53; — I'lutauque, îu Camillo, des dé-
tails circonstanciés, cl Polybe, lib. I.
— 294 —
C'esl Marseille (Massilia) qui fournit aux Romains l'oc-
casion de s'immiscer dans les affaires de la Gaule propre-
ment dite ou la Gaule transalpine. Deux colonies de celte
ville: Nice {Nicaea, Nizza) et Anlipolis (Amibes) furent
attaquées et pillées, en 134 av. J. C, par les Liguriens.
Marseille demanda du secours à Rome. Le consul Opimius
vainquit les Liguriens et rendit à Marseille le territoire
dont il les dépouilla (i).
En 12S av. J.C, les Romains ouvrirent la campagne
contre les Salluviens, qui avaient inquiété les alliés de
Marseille. C. Sextus Calvinus les vainquit et fonda Aix
{Aquae Sexliae) > la première colonie romaine dans la Gaule
transalpine. Pour mieux enraciner sa domination, Rome
saisit ou créa des prétextes. Celte politique la mit aux prises
avec les Allobroges, qui furent défaits par Cn. Domilius
Ahenobarbus en 122 et par Qu. Fabius Maximus en 121
av. J. C. Le consul Qu. Marcius Rex établit la colonie
Narbo Marcius, qui donna son nom à la Narbounaise {Gal-
lia Narbonensis) (i).
Le passage des Cimbres et des Teutons ne fut qu'une
tempête pour la Gaule méridionale, et la valeur politique
et commerciale des possessions romaines dans les Gaules
ne fit que s'accroître. Le splendide climat de celle province,
qui se rapproche du ciel d'Italie, la fécondité de son sol,
la facilité de ses relations commerciales par terre et par
mer, donnèrent rapidement à la Celtique méridionale une
importance que l'Espagne ne put obtenir pendant des siècles
de domination romaine. Aussi les émigrés italiens afïluè-
rent-ils en Gaule. Ils allèrent s'établir aux bords de la
{{) Ex excerplis legationihus de Gallis (dans le Recueil des historiens des
Gaules et de la France), t. I, p 205 sq. — Tite-Live, Epil., lib. XLVII.
(2) C. Velleii Pater., Hisl. rom., lib. I, cap. 15, 4. — Amji. Marcell.,
lib. XV, 12, 5. — EuTROp., Hist. rom., lib. IV. — Voy. Gp.uter, p. 298,
num. 3.
— 295 —
Garonne ou du Rhône. Et s'il faut en croire Cicéron, la
Gaule fourniillail à son époque de marchands et de citoyens
romains, qui concentraient dans leurs mains toutes les
transactions commerciales (i)-
Un document de la plus grande valeur est très-souvent
mis à profit pour assigner une date au premier contact des
Germains et des Gaulois avec les Romains. Nous savons
que M. Claudius Marcellus, selon les Fastes capitolins,
remporta sur les Germains, vers l'an S51, une éclatante
victoire. Elle procura à Rome son premier triomphe sur
les Germains. On lit dans cette inscription : 31. Claudius
M. F. M. N. Marcellus. Cos. de Galleis. Insubribus,
Germaneis. R. Martique. op. relulit, duce hosliuni vir.
Clasiid. Prosperce parle aussi de cet événement dans
ses vers : «Claudius, dit-il, arrêta les Gaulois qui avaient
traversé l'Eridan, et rapporta à son tour le vaste bou-
clier de leur chef Viridumar, qui se vantait d'avoir pour
aïeul le Rhin lui-même (2). Il était fameux par son
(1) Cic. pro M. FoNTEio ; « Refcrla Gallia ncgolialoi'um est, plena civium
loiiianorum. Nciuo Galloruni sine cive romaiio quidquam ncgolii geril : iium-
mus in Gallia nuUus sine civium romanoruin labulis comniovctur. » Voy.
aussi MoMMSEN, Rom. Gesch,, p. 203.
(2) PnopEiiT., lib. IV, clcg. XI :
« Claudius Eridanum Irajeclos arcuil hosics,
Belgica cui vasta parma relata ducis
Vii'dumari. Genus liic Rlicno jaclabat ab ipso
Nobilis e tcctis gesa rôtis.
Voy. Flouus, 11, 4; Plutarque, Marcell., 6. Les Grecs écrivent ; BpiTO|j:âp-
Tûç; DiOD. Sic, XXV, 5, où il dit que les Celles et les Galates s'avancèienl
contre les Germains, au lieu de Gaulois et Germains, d'après nos conceptions.
Voy. en outre : Aurel. Victor, d. v. ilL, 2a; Valerii Maxim., Dicl. facl. Mem.,
lib. III, 5; EuTUOP. m, 2 : « Marcellus cum parva manu cquitum dimicavit
et rcgem Galloruni, Viridomarum noniine, manu sua occidit. Postea cum
collega ingentes copias Galloium peremit. » Voy. Frontin, Slralay., IV, 3,
no 4. — Plutarque, Marcellus, 6 et 7 : « EiteXOsv [.luptouç twv rejffatôJv ô
PafftXeû; Bpot6[j.apTO<; àvaXapwv t-J^v Tcspi Ilâûou ■/ôipoL'^ £i:opO£i..., » Au point
de vue des Fastes et de Properce, il n'est pas sans intérêt de bien peser ces
paroles de Plutarque , qui dit de Viridomar : « àvrjp [J-eyéOet xe awixatoi;
eÇoj(oi; raXaxiùv. » {Vir eral corporis proccrilalc caetcris Gallis clalior).
— 296 —
adresse à lancer des traits du haut d'un char couvert (i). »
Ce passage du chantre de Cynlhie a été corrigé, dressé
et rectifié selon le point de vue que les auteurs se propo-
sent d'atteindre. On convient assez qu'en l'an 5ol de la
fondation de Rome, il existait dans la haute Italie des peu-
plades germaniques; mais beaucoup de critiques aussi pen-
sent qu'il n'y faut voir que des Gaulois, en dépit du texte
de Properce, où il y aurait bien des modifications à faire.
Il est certain que le nom de Viridomarus, environ cent cin-
quante ans après la victoire de Marcellus, reparaît dans
César avec toutes les allures d'un chef gaulois (2).
En 234 ap. J. C, sous le règne d'Alexandre (3), l'em-
pire courut le plus grand péril par l'invasion des Germains,
qui se répandaient partout sur la Gaule comme les flots
d'une inondation. Mais les légions révoltées ne purent sup-
porter sa sévérité (4). C'est Galliénus qui s'oppose à leurs
incursions en Gaule, un peu plus tard, vers 234; mais il
finit par conclure un traité avec des chefs de celte nation (s).
(1) Voy. Caes , B G,, lib. IV, 33. Dans IIoltzmam et BRiNoiis, l'inscription
des Fasti et le passage de Properce servent de thème à d'interminables dis-
cussions sur l'identité des Germains et des Gaulois.
(2) Voy. B. G., lib. Vil, 54. et 33 : « Eo quum Eporedorix VIridomarusque
venissenl.... » Riiiis, dans ses Commentaires sur Tacite, voudrait convertir
Germaneis en Gonomaneis ou Ccnomaneis. Below, dans ses Mémoires sur
Vhisloire des Gertnains, propose de donner au passage de : Insiibribus et
Germaneis, le sens de sur les Insubres et leurs alliés. Mais dans les Fastes
capilolins sont constamment précités les noms des peuples qui font l'objet
des triomphes, et nulle part ne se trouve ajoutés à ces noms les termes de
soeii, faedtrati, fralres, consanguinei.
(5) Aell. Lampridius [Script. Hisl. Aug.) : « Erat aulem gravissimum rei-
pablicae et ipsi (Alexandre) quod Germanorum vasialionibus Gallia diripie-
balur. »
(4) Sext. Aur. Victoris, Hist. rom. De Caesaribus, cap. 24-, 3.
(5) ZoziM., Hist. (fnter Romnnae hist. script. Graecos minores), lib. I ;
« eôoÇsv èv (lÉpei lov xîvôovov èXaTtoûv T(p anôwjLi Tipô; xtva r;youfjLÉvwv
s&voûç yeffiavtxov TZTzoïriaOoLi. »
— 297 —
Gallien les expulse de la Gaule en 260 (i), et Poslliumus
sut la défendre pendant sept ans contre leurs ravages (2).
Probus rétablit une véritable restauration en Gaule par
une longue suite de combats heureux livrés aux Ger-
mains. Il envoie au Sénat une lettre dans laquelle il rend
compte de ses exploits : toute la Germanie est soumise,
neuf rois sont à ses pieds, et septante villes des plus illuslres
sont arrachées à la domination des conquérants. Cependant
il concède aux Francs des établissements dans la Gaule
(277 ap. J. C.) (3),
(\) Sext. Aur. Vict., De Caes., 33 : « Licinius Gnlliemis qniim a Gallia
Gcrmanos strenue arcerel. »
(2) Trebeil. Pollio {Hist. Aug.) : » Nam et per annos seplem Poslumius
imperavit et Gallias ab omnibus circumfluentibus barbares validissimc vin-
dicavit. »
Même au point de vue exclusivement littéraire, c'est-à-dire de la forma-
tion graduelle du franco-gaulois ou du français et par suite du wallon, il
faut particulièrement signaler Tannée 241 de notre ère, où les Francs appa-
raissent en quelque sorte oflicielleraent dans les annales de l'histoire. C'est
Fl. Vopiscus qui annonce cette apparition en ces termes : « Idem (Aurelia-
nus) apud Moguntiacum tribunus legiouis sextae Gallicanae, Francos irruen-
les, quum vagarentur per totam Gailiam, sic adflixil ut trec.entos ex his
captos, scplingentis intcremptis, sub corona vendiderit. Unde iterum de eo
facta est cantilena : Mille Francos, mille Sarmatas semel {et semel) occidimus ;
mille, mille, mille, mille, mille Persas quaerimiis. »
(3) EuTROP., Hist. rom., lib. IX. — Paul. Orosii, lib. VI. — Ex Eusebii
Chronico CCLXIV. Olymp., an. I, Probi, 2. — ZosiMi, Hist., où cet historien
relate sa victoire sur les Germains et les Francs. Enfin selon Flav. Vopiscus,
après avoir remis la Gaule sur un bon pied, il écrivit au sénat la lettre dont
nous avons parlé et dont voici le texte : « Ago Diis immortalibus gratias.
Patres conscripti, quia veslra in me judicia comprobarunt. Subacta est oni-
nis, quà tenditur latè, Germania : novem reges genlium diversarum ad meos
pedes, imo ad vestros, supplices slrati jaeuerunt. Omnes jam barbari vobis
arant, vobis jam serunt et contra interiores gentes militant. Supplicationes
igilur veslro more decernite. Nam et quadraginla millia hostium caesa sunt
et sedecim millia armatorum nobis oblata et septuaginla urbes nobilissimae
caplivitate hostium vindicatae, et omnes penitùs Galliae liberatae. Coronas
quas mihi oblulerunt omnes Galliae civitales aureas, vestrae P. C. Clemen-
tiae dedicavi Aranlur Gallicana rura barbaris bobus et juga Germanica
captiva praebent nostris colla cultoribus. «
— 298 —
Maximien Hercule repousse les Bourguignons, les Cliai-
bons et les Herules (28C), dont les hordes menacent de
couvrir de ruines toute la Gaule (i). H part de Trêves le
prem'ier jour même de son consulat, et après avoir mis les
Germains en déroute, il revient à Trêves jouir des honneurs
du triomphe (287) (2). Il assigne aux Francs, pour les cul-
tiver, les champs incultes des Nerviens et des Trévires (5).
Des auteurs anciens représentent les Gaulois comme
un peuple impie, contempteur des dieux. Il durent celte
renommée en partie au pillage du temple de Delphes.
Cicéron, dans son plaidoyer pour Fonléius (4), constate
cette mauvaise impression. « Est-ce qu'un Induliomar sau-
rait ce que c'est que le témoignage? dit-il. Pensez-vous
que ces races-là (les Gaulois), en faisant des dépositions,
prêtent serment avec des sentiments religieux et sous la
crainte des dieux Ce sont bien là ces nations qui ont
quitté leurs plages lointaines pour venir à Delphes ravager
et piller le temple d'Apollon, l'oracle de l'univers.... Qui
de nous ignore que jusqu'à ce jour les Gaulois ont conservé
la coutume féroce et barbare d'immoler des victimes hu-
(1) Pancg. Cl. Mamertim, in Max. Herculetim, cap. 5 : « Quôd vero sla-
tim, vixdum niiscro illo furore sopilo, quum oinnes barbarae naliones exci-
dium iiniversac Galliac niinarenlur, nequc solum Buigundioncs et Alamani
sed etiam Cliaibones Erulique, viiibus primi barbarorum, locis iiltimi,
praccipili iinpetu, in bas provincias irruisscul, quis Deus lam insperalam
salulem noliis atlulissct nisi tu adfuisses? »
(2) Ibid., cap. 6.
(5) Pancff. EuMENii, in Constanlium, cap. 21. Le Lactus de ce passage
désigne-l-il une population distincte isolée, ou est-ce une épitliètc qui qualifie
Franeics? Zosime dit, lib. II : « eiç Aetouff eOvoç raXaxixôv. » Il y a des Laeli
Teuloniciani, Laeli Dalavi, Laeli Genlilex Sucvi; il y a lerrac laelicae.
(4) Ex Oralione pro M. Fomeio.... « Quis enira ignorât cos usque ad banc
diem relinere illam immanem ac barbaram consuetudincm liominum iinnio-
landorum? Quamobrcm quali fuie, quali pietate existimatis esse eos, qui
etiam deos immortales arbilrcntur hominum scelcre et sanguine facile posse
placari?.... Lactantius, Div. InsL, lib, 1 : « Galli Esuni atque Tculatcni hu-
mano cruore placabant. »
— 299 —
mailles. Et de quelle loyauté, de quels sentiments religieux
peuvent être animés des hommes qui sont d'avis qu'on
peut facilement apaiser les dieux immortels par le crime
et le sang? » Ces reproches amers lui ont été peut-être
inspirés par la lecture des Commentaires, car César at-
teste que ces horribles sacrifices étaient en usage dans
la Gaule (i). Un autre trait du caractère gaulois nous est
communiqué par Strabon (a). L'écrivain grec rapporte que
les Gaulois se réunissaient par bandes nombreuses pour
des expéditions entreprises en vue de causes qui leur étaient
étrangères (5). Cet auteur, en alléguant ces tendances
centralisatrices, semble donner un démenti à César, qui
dit : «En Gaule {3), non seulement dans toutes les cités,
mais dans tous les cantons et dans chaque localité, presque
dans chaque maison il y a des factions. » Selon Dion
Cassius, les Gaulois entreprennent tout avec un élan irré-
fléchi. Leur audace comme leur frayeur n'ont point de
bornes. Chez eux de l'audace à la panique et de celle-ci à
la témérité, il n'y a qu'un pas. Caton l'Ancien (4) a dit
(1) Caes., B. g., lib. VI, 16 : « Ant pro vicliinis liomines immolant aul
se immolaturos vovenl adminislrisque ad ea sacrificia druidibus uluiilur,
quod, pro vita hominis nisi hominis vila reddalur, non posse dcorum im-
mortalium numcn placari arbitranlur publiceque ejus generis babcnl insli-
tula sacrificia. >> — Strabon, lib. IV, est d'accord avec César, et il ajoute un
trait de plus : « "AvôpuTrov yàp xaxsaTïeEfffxevov TtaicravTEi; èç vûtov [i.aja.ip(x,
èfjLavTEtjovTo èx xoû ff'^a5aa[Jt.oû: èOuov 6k oùx av£U Sputowv. » Cicéron et Césau
ont soin d'oublier qu'en 228 avant J.-C, l'an S25 de Rome, les Décemvirs
firent enterrer vifs un Gaulois et une Gauloise dans le marché aux bœufs. —
Comp. PoMP. Mêla, 111, 2.
(2) Strab., lib. iV : « auviaii Ô£ xat xarà tiXyÏOoç paôiwi; Sla zb aTtXoûv xai
aiôéxafftov auvayavaxtoûvieç toI; àStxewOxi ôoxoûdi àel tôSv Ttk/iisio^. »
(3) B. G., VI, H : « In Gallia non solum m omnibus civilalibus alque in
omnibus pagis parlibusque sed paene etiam in singnlis domibus facliones siint. »
Dion Cassius, Hisl. romana, lib. XXXIX : « àTrX>]ffTOi yàp àLkoy\.zz{x>c, ol Fa-
\6iia.i èç TtdtvO ôii-oEto; ovteç out£ tô Gapaoûv (j«)wv, outî ib ôeoiôç [xexpiâÇouaiv,
a>iV ex x£ TOÛ Ttpàç ôeiXîav àvéXTTiffxov xa( eÇ èxctvou Ttpèç Gâpaoç irpoTicXi?
sxTitTtxouai. » — Couip. Justin XX, 5.
(■i) M. Cato, Orig., 2: « Plaaquc Gallia duas res induslriosissimè pcrscqiti-
lur; rem mililarcm et arffiab loqni. >> — Voy. Momesquieu, Pensées diverses.
— 500 —
des Gaulois qu'ils aiment passionnément deux choses : bien
combattre et finement parler. Plus tard, quand la patrie
de Caton aura disparu, depuis longtemps engloutie sous les
avalanches de Tinvasion germanique, Montesquieu dira :
« La France se perdra par les gens de guerre. »
César, qui avait étudié leur caractère à fond, s'accorde
avec les assertions de Dion Cassius. Il dit de ce peuple
que par son courage il s'empresse à entreprendre des
guerres, mais que son âme n'est pas propre à supporter
les désastres (i). Enfin, saint Jérôme dit : la Gaule est la
seule qui n'ait point de monstres, mais elle a toujours été
féconde en hommes courageux et très-éloquents (2).
Pour ne rien omettre de ce que l'antiquité nous trans-
met des Gaulois, nous dirons que dans la Celtique, selon
une antique tradition, vivait un homme qui s'était fait
universellement aimer et respecter. Il avait une fille d'une
beauté et d'une intelligence remarquables, mais elle répu-
diait tous ceux qui demandèrent sa main. Hercule, à son
retour de i'Ibérie, lui plut. Le héros avait alors bâti Alesia
et arraché les Celtes à la funeste habitude d'immoler des
étrangers. Elle eut d'Hercule un fils, qui reçut le nom de
Galates. Ce nom fut transmis aux Galates (s).
(1) Voy. Caes., B. g., III, 19 : -( Nam ul ad bclla suscipienda Gallorum
alacer ae promplus est animus sic mollis ae minime resislens ad calamilales
perfcrcndas mens coriim est. »
(2) Ex libro adversus Vigilanlium : « Sola Gaili.i monslra non babiiit seil
viris scmper forlibus et cloqiienlissimis abundavit; «cl Juvenal {Sal. 15,
V, 111) :
« Gallia causidicos docuil facunda Britannos. »
(5) DiODOR. Sic. V, 24; IV, 19. — Justin., IV, 2. — App., De rclnis illy-
ricis, 2. — Plin., III, 14, Calatani. — Ibid., V, 7. — Mêla, 7. — Tite-Live,
XXVI, 3. — Strab., XI, 6, S 2, Les Cello-Scijthes.
Voy. Recueil des historiens des Gaules, par Dora Martin Bouquet, Paris,
1869, Prcf., p. 22, où la question d'origine est exposée aussi d'après l'opi-
nion d'une certaine école, représentée par Pezron :
« Hercule, d'après Partbenius, revenant d'Erylbie, parcourut la Celtique,
— 301 —
Si Ton compare inaiiilcnanl les Germains aux Gaulois,
les parlicularilés ethnographiques de ces derniers ressor-
liront mieux de ce parallèle.
s'arrêta clicz un certain Brctanniis, dont la fille Ccllinc, éprise iramour
poiii'' Hercule, lui cacha les bœufs de Géryon et ne voulut pas les lui rendre,
qu'il n'eût couché avec elle. Il en cul un fils, nomme Cellus, d'où vient le
nom de Celles. DiODonE de Sicile raconte les choses autrement sur le rap-
port des autres. 11 dit qu'Hercule, au temps de son expédition conire Géryon,
prit son chemin par la Celtique, qu'il y bùlit la ville d'Alise, cl que la fille
du roi de ee pays devint éperdumcnt amoureuse d'Hercule, dont elle eut un
fils, appelé Galatès : que ce fils ayant succédé dans la suite au royaume pa-
ternel, donna à ses sujets le nom de Galales, d'où est venu celui de Galalie
ou de Gaule. Cette diversité d'opinions répond plus de ténèbres qu'elle
n'apporte de lumière.
» L'historien Josèpiie dit que les Gaulois viennent de Gomer (Lib. antiq.
Judaic, c. 7j, fils aîné de Japhct. Gomar, dil-il, a été le père et le fondateur
des Gomariles, que les Grecs appellent Galales ou Gaulois. Eustacue d'Antio-
cue, saint Jérôme, Isidore, la Chronique Pascale, Josèphe, fils de Gorion,
donnent la même origine aux Gaulois. Josèpiie n'a point forgé celte opinion
de son chef; il est plus vraisemblable qu'il l'a puisée dans quelques anciens
monuments. Il ne faut donc pas la rejeter légèrement; elle père Dom Pezron
ne sérail pas ù blâmer s'il s'élail eonlenlé de la soutenir, et qu'il en fut
resté là. Mais lorsque dans son livre intitulé : Antiquité de la nation cl de la
langue des Celtes , autrement appelés Gaulois, il fait venir les Gomérites de
l'Asie, qu'il les conduit comme par la main dans le pays qu'on a appelé la
Gaule; lorsqu'il recherche scrupuleusement les noms qu'ils ont eus et l'éty-
mologie de ces noms; lorsqu'il examine soigneusement les terres qu'ils ont
parcourues et où ils ont fixé leur demeure, il nous donne à la vérité de
grandes preuves de son érudition, mais (ne lui déplaise) il se livre trop aux
conjectures ; et pour le faire voir il ne faut qu'exposer son sentiment en
abrégé.
» Les Gomérites donc, si nous en croyons le P. Pezron, habilèrent la
Margiane, la Baciriane et la Sogdiane. Ceux des Gomérites qui avaient oc-
cupé les provinces situées au nord de la Médie et du mont Taurus, furent
appelés Scythes avec les autres peuples septentrionaux. Ce qui est si vrai,
dit Dom Pezkon, que lorsqu'ils passèrent en Europe et qu'ayant pris le
nom de Celtes, ils s'y établirent, ils furent appelés Cclto-Scythes par les
anciens Grecs. Les Gomérites qui habitaient la Margiane, pays riche et fer-
tile, s'élant infinémenl multipliés, ne vécurent pas longtemps dans le repos
et la tranquillité; la jalousie et les dissensions s'élani glissées parmi eux,
ils se divisèrent en plusieurs factions, en sorte que ceux qui se trouvèrent
les plus faibles, soit en force, soit en nombre, furent contraints de quitter
le pays. Ces fugitifs ayant passé les vastes montagnes qui sonl au midi de
— 302 -
Chez les nations germaniques, dit Ampère, les imlivi-
dus ont en général une tendance native à se subordonner
les uns aux autres, dans une hiéracliie graduée d'après une
répartition inégale de droits et de privilèges. En même
temps chacun est disposé à proléger énergiquement son
indépendance et sa dignité personnelle, chacun accepte et
maintient son rang; d'où il résulte que les nations germa-
niques ont un faible instinct d'égalité, et, au contraire, une
assez grande capacité de liberté. L'histoire de ces nations,
et surtout l'histoire du peuple anglais, est là pour l'attester.
Tout le monde sait à quel point chez ce peuple la liberté
politique s'accomode des inégalités sociales. En France, ce
qui a toujours dominé tout le reste, c'est le besoin d'éga-
lité, encore aujourd'hui incomparablement plus fort que
le besoin de liberté. II faut reconnaître qu'il est de la na-
ture de l'égalité d'appeler la liberté; cependant il n'en est
pas toujours ainsi, et l'égalité s'est arrangée du despotisme
toutes les fois que le despote a pu inspirer un enthousiasme
personnel. On l'a vu sous Louis XIV et Napoléon. On sur-
prend l'origine de cette disposition, qui nous est particu-
lière, dans quelques paroles expressives de César; autant
César mit de légèreté dans l'expression de son opinion sur
les rapports à établir entre les dialectes barbares, autant,
quand il s'agissait d'instincts sociaux et politiques, il fut
bon juge. César reconnaît que les Gaulois sont réduits à
une véritable servitude par les deux castes dominantes, les
la Margiane, cnlrèrciit dans un pays alors occupé par les Mèdes, et ils s'y
établirent. Et comme ils avaient été chassés de leur pays, il furent appelés
Partîtes, comme si vous disiez, séparés des autres, bannis, exilés; car encore
aujourd'hui, Parthu signifie séparer, diviser, en langue celtique, qui était
celle des Gomérites. C'est de ces mêmes Parlhes que sont venus les Perses.
Après cela, le père Pezron n'est pas surpris do trouver un grand nombre de
mots celtiques dans la langue des Perses : ceux-ci les ont reçus des Parlhes,
les Parthes des Gomérites auxquels les Celtes doivent leur origine. »
— 505 —
druides el la noblesse armée (i). Le reste du peuple, dil-il,
est comme esclave. Ainsi, il n'y avait aucune liberté chez
les Gaulois, tandis qu'il y avait beaucoup de liberté cliez
les Germains; voyez Tacite. Mais un impérieux sentiment
d'égalité existait chez celte nation gauloise si peu libre.
Tous les ans on partageait les terres, et elles changeaient
de possesseur. C'était comme le petit jubilé des Juifs, une
vraie loi agraire, en prenant le mot, non dans son sens
historique (il avait à Rome une tout autre acception),
mais dans son sens vulgaire et absolu, en l'entendant non
comme les Gracches, mais comme Babeuf. Et pourquoi
cette division périodique des terres? César va nous en
donner la raison (2). C'est afin, dit-il, que le peuple soit
content en voyant sa richesse égale à celle des grands.
Ainsi ces grands, sans respect pour la liberté, font au sen-
timent d'égalité, celte concession étrange, presque unique
dans l'histoire du monde.
(1) CâEs., B. G., VI, 15 : « In omni Galiia eorum hominttm qui aliquo snnl
numéro alqtie honore, gênera sicnt duo. Nain placbes poene scrvorum habe-
lur loco, quae nihil audet per se, nnllo adliibelur consilio. Plcrique, quitm
aul aère aliéna aul magniludine Iribulorum aul injuria polcnlioriim prcmun-
tur sese in servituletn dicant nobilibus. In hos eadem omnia sunl jura quae
dominis in servos. »
(2) Ibid., B. G., VI, 22, ci-après. — Nulle part ni dans les traditions,
ni dans l'histoire, on ne rencontre dans les mœurs germaniques des
tendances au babouvismc; on pourra s'en convaincre par ceci : « Il nous
faut, porte le Manifeste des égaux, rédigé par Sylvain Maréchal el jelé au
sein de la population en avril 1796, il nous faut non pas seulement celle
égalité transcrite dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen,
nous la voulons au milieu de nous, sous le toit de nos maisons. Périssent,
s'il le faut, tous les arts, pourvu qu'il nous reste l'égalité réelle! »
Et plus loin : « La loi agraire ou partage des campagnes , fut le voeu
instantané de quelques soldats sans principes, de quelques peuplades mues
par leur instinct plutôt que par la raison. Nous tendons ù quelque chose de
plus sublime el de plus équitable, le bien commun ou la communauté de
biens. Plus de propriété individuelle des terres : la terre n'est à personne.
Nous réclamons, nous voulons la jouissance communale des fruits de la
terre : les fruils sont i\ tout le monde. Nous déclarons ne pouvoir soufl'rir
— 304 —
Remarquez d'autre pari, que chez les Gaulois le pen-
chanl à s'oublier, à s'anéantir soi-même pour le chef
qu'on idolâtre, ce qui produit chez nous r adoration des
grands despotes. Il était dans les mœurs gauloises de se
dévouer à un chef sans réserve, jusqu'à se tuer le jour où
il mourait.
Ce brillant tableau n'emprunte pas à l'histoire ses véri-
tables couleurs. Le sentiment d'égalité ne remonte pas aux
sources primitives de l'histoire telles que César nous les
montre dans ses Commentaires. Car, si l'on interprétait les
paroles de César comme Ampère l'a fait, c'est aux Ger-
mains qu'appartiendrait cette espèce de prérogative natio-
nale. Cela résulte à l'évidence du texte des Commentaires,
à moins que l'on veuille lui faire violence, remplacer Ger-
mani, au chapitre XXI, par Galli, ou, ce qui reviendrait
au même, opérer, pour le besoin de la thèse, une fusion
complète entre la race germanique et la race gauloise.
Auquel cas on se heurterait contre l'esprit qui domine dans
davantage que la très-grande majorité des hommes travaille et sue au service
et sous le bon plaisir de rcxtrême minorité : assez et trop longtemps, moins
d'un million d'individus disposa de ce qui appartient à plus de vingt millions
de leurs semblables, de leurs égaux. »
Et ailleurs : « Qu'il ne soit plus d'autre différence parmi les hommes que
celles de l'âge et du sexe. Presque tous ont les mêmes facultés, les mêmes
besoins : qu'il n'y ait plus pour eux qu'une seule éducation, une seule nour-
riture. Ils se contentent d'un seul soleil et d'un air pour tous : pourquoi la
même portion et la même quantité d'aliments ne suffiraient-elles pas pour
chacun d'eux. «
Pour la nourriture intellectuelle, Babeuf est d'une rigueur à la hauteur
du communisme : « Ni philosophie, ni théologie, ni poésie, ni roman, ni
peinture, ni statuaire, ni gravure, sinon comme délassement. Sera artiste
qui voudra, à la condition de redevenir laboureur et de laisser le pinceau
ou le ciseau pour retourner à la charrue. »
Dans le code de la nature de MoRELtv, on trouve la même prescription,
mais avec une sanction plus sévère : « Celui qui osera prononcer le mot
propriété, sera enfermé comme fou furieux dans une caverne (Le Bas, Dk-
lionnairc encyclopédique de la France, cl Revcvud, Éludes sur les réforma-
teurs contemporains).
— 303 —
tout le système elhnographique de César, qui, comme nous
l'avons déjà établi, tend, à quelques contradictions appa-
rentes près, à constituer entre les deux races une ligne de
démarcation bien tranchée. Dans la phrase citée, le sens
s'oppose au rapprochement entre la situation des esprits
dans la Gaule primitive et la France de nos jours. L'auteur
des Commentaires veut dire qu'on cherchait à tenir en
bride le peuple ou la masse par le calme, par le contente-
ment intérieur (animi aequitaté). Ce n'est pas là l'esprit
d'égalité, né de la révolution à la suite du vaste travail phi-
losophique qui s'est fait jour au XVIII'' siècle.
Avant cette époque d'effervescence, alors qu'on s'apprê-
tait à employer tous les dissolvants pour décomposer la
vieille société, sans songer aux principes sur lesquels re-
poserait le futur édifice social et politique, un des grands
penseurs du XV^IP siècle, Montesquieu (i), avait bien
mieux saisi l'esprit des Commentaires, quand il écrivit ces
paroles : « Les Gaules furent envahies par les nations
germaines : les Wisigoths occupèrent la Narbonnaise et
presque tout le midi; les Bourguignons s'établirent dans la
partie qui regarde l'ouest; et les Francs conquirent à peu
près le reste.
» Il ne faut pas douter que ces barbares n'aient conservé
dans leurs conquêtes les mœurs, les inclinations et les
usages qu'ils avaient dans leur pays, parce qu'une nation
ne change pas dans un instant de manière de penser et
d'agir. Ces peuples dans la Germanie cultivaient peu les
terres. Il parait par Tacite et César, qu'ils s'appliquaient
beaucoup à la vie pastorale : aussi les dispositions des codes
de lois des barbares roulent-elles presque toutes sur les
troupeaux. Roricon, qui écrivait l'histoire chez les Francs,
était pasteur. » Ce passage rétablit en quelque sorte dans
(1) Voy. Montesquieu, De l'esprit des lois, livre XXX, chap. VI.
22
— 50G —
leurs droits César et Tacite, et empêche de tirer du texte
(les conséquences qu'il ne comporte pas (i).
Ailleurs réminent écrivain s'explique avec plus de clarté
encore. César dit (ce sont ses termes), « que les Germains
ne s attachaient point à l'agriculture; que la plupart vivaient
de lait, de fromage et de chair; que personne n'avait de
terres ni de limites qui lui fussent propres; que les princes
et les magistrats de chaque nation donnaient aux particu-
liers la portion de terre qu'ils voulaient et dans le lieu
qu'ils voulaient et les obligeaient Vannée suivante de passer
ailleurs. « Montesquieu a puisé ces traits de mœurs évi-
demment au chapitre des Commentaires que nous avons
cité et qu'il a traduit, comme il est facile de s'en assurer.
Ils concordent, du reste, avec ce que Tacite dit des Cattes:
w Aucun de ces guerriers n'a ni maison, ni (erre, ni souci
de terre au monde. Ils se rendent chez le premier venu et
s'y font nourrir, prodigues du hien d'autrui, indifférents
au leur, jusqu'à ce que la vieillesse glacée leur interdise
une si rude vertu (2). » Voilà donc la vérité historique ré-
(1) Voy. Caes., B. g , VI, 22 : « Agricullurae non studeni, majorqiic pars
eoriim victus in laele, caseo, carne consislit. Neque qiiisqiiam agri modum
ccrtum aut fines habet proprios; sed niagistralus ac principes in annos sin-
gulos genlibus cognalionibusque lioniinum, qui una coicruni, quanlum el
quo loco visum est agri altribuunt alque anno post alio Iransire cogunt.
Ejus rei multas afferunl causas : ne assidua consueludine capli studium beili
gcrendi agricullura commutcnl; ne lalos fines parare sludanl, polenlioresque
humiliores possessionibus expelianl; ne accuralius ad frigora alque aeslus
vitandos aedificenl; ne qua oriatur pecuniae cupiditas, quo ex re factiones
disscnsionesquc nascunlur; ul animi aequilale plebem conlineanl quum suas
quisque opes cum potentissimis acquari videal. » Le chap. 22 en question se
rattache évidemment au chap. 21, dont il est la suite logique. Tout ce qui
s"y dit s'entend sans aucun doute des Germains, puisque César commence le
chap. 21 avec une certaine emphase pour bien marquer le contraste entre
les Gaulois dont il a |)arlé, et les Germains dont il se propose de peindre
les mœui's.
(2j Tacit., Germ., XXXI : « Nulii domus, aut ager, aut aliqua cura : prout
ad quemque venêre, aiuntur, prodigi alieni, confemplores sui, donec cxsan-
guis seneclas tam durae virluti impares fiât. »
— 307 —
lablie sur sa base, loin de ce faux cliuquaul, par lequel on
exerce sur les faits un pouvoir arbitraire et on va jusqu'à
sacrifier aux préjugés des peuples, faux dieux qui ne creu-
sent que gouffres et abîmes. » Transporter (i) dans les
siècles reculés toutes les idées du siècle où l'on vit, c'est
des sources de Terreur celle qui est la plus féconde. A ces
gens qui veulent rendre modernes tous les siècles anciens,
je dirai ce que les prêtres d'Égyple dirent à Solon :
« 0 Athéniens (2), vous n'êtes que des enfants ! »
Le tableau de M"" Am. Thierry est plus conforme aux
données de l'histoire, sans rien perdre de son brillant co-
loris (5).
Les traits saillants de la famille gauloise, dit-il, ceux
qui la différencient le plus, à mon avis, des autres familles
humaines, peuvent se résumer ainsi : une bravoure per-
sonnelle que rien n'égale chez les peuples anciens; un
esprit franc, impétueux, ouvert à toutes les impressions,
éminemment intelligent; mais à côté de cela, une mobilité
extrême, point de constance, une répugnance marquée aux
idées de discipline et d'ordre, si puissantes chez les races
germaniques, beaucoup d'ostentation, enfin une désunion
(1) « Les peuples qui conquirent l'empire romain claient sortis de la Ger-
manie. Quoique peu irauleurs anciens nous aient décrit leurs mœurs, nous
en avons deux qui sont d'un très-grand poids. Césau faisant la guerre aux
Germains, décrit les mœurs des Germains (B. G., liv. VI) : et c'est sur ces
mœurs qu'il a réglé quelques-unes de ses entreprises. Quelques pages de
César sur cette matière sont des volumes.
» Tacite fait un ouvrage exprès sur les mœurs des Germains. Il est court,
cet ouvrage, mais c'est l'ouvrage de Tacite qui abrégeait tout, parce qu'il
voyait tout.
» Ces deux auteurs se trouvent dans un tel concert avec les codes des lois
des peuples barbares que nous avons, qu'en lisant ces codes on retrouve
partout César et Tacite. » (Montesquieu, De l'esprit des lois, liv. XXX, eh. II
et ch. XIV.
(2) Apud Platon, m Timaeo vel de nalura.
(5) Voy. Hist. des Gaulois depuis les temps les pltis recules, par Am. THiFnnv,
t. I; Paris, 1828, Introd., p. v.
— 308 —
pcrpéluc'lle, fruit de l'excessive vanilc. Si Ton voulait
comparer sommairement celte famille gauloise à celle fa-
mille germanique, que nous venons de nommer, on pour-
rait dire que le sentiment personnel, le moi individuel,
est trop développé chez la première, et que, chez l'autre,
il ne l'est pas assez; aussi trouvons-nous à chaque page
de rhisloire des Gaulois, des personnages originaux qui
excitent vivement et concentrent sur eux noire sympathie,
en nous faisant oublier les masses; tandis que, dans l'his-
toire des Germains, c'est ordinairement des niasses que
ressort tout l'effet (i).
Plus tard, un témoin oculaire, un observateur dont on
ne contestera pas la finesse, l'empereur Julien, dans son
Misopogon, dépeint ainsi les Gaulois et les Germains :
« Caton était romain et je suis naturalisé gaulois. Il vécut
presque toujours dans le sein de sa pairie; et moi, après
avoir été nourri, dès ma première jeunesse, de la lecture
de Platon et d'Aristote, sans talents pour la vie civile, sans
goût pour les plaisirs, j'avais à peine atteint l'âge viril
(1) Appian., De bellis gallicis, VI; Tite Live, V, 43 : « Gens est cui natura
corpora animosquc magna magis quam firma dederil; Tite Live, liv. XXIV,
47 : « Labor et aeslus mollia cl fluida corpora Gallorum et minime patientia
sitis, quuin decedere pugna coegisset, in paucos restantes impelum Romani
fecerunt. »
Ibid., XXXIII, 17, le consul Cn. Manlius dit : « Romanis Gallici lumultûs
assuelis etiam vanitates notas sunl. Semel primo congressu ad Alliam olini
fuderunt majores nostros : ex co lempore per ducenlos jam annos pecorum
in modum consternalos caedunt fugantque : et plures quoque de Gallis
triumphi quam de toto terrarum orbe acli sunt. Jam usu hoc cognilum est,
si prinium impetum quem fervido ingenio et caeca ira cifundunt, sustinueris;
fluunt sudore et lassitudine merabra, labant arma : mollia corpora, molles,
ubi ira consedit : animos sol, pulvis, sitis, ut fcrrum non admoveas, pros-
ternant. »
Sallust. Calilina : « Quod natura gens gallica bcllicosa esset, » et dans le
discours de Caton, ibid. :
« Cognoveram.... facundia Graccos, gloria bclli Gallos antc Romanos
fuisse. » Voy. San liai. Punica, lib. Vlll, 16.
— 309 —
que je me vis relégué pjirmi les Gaulois cl les Gcr*mains,
et jusque dans la forêt d'IIercinie, sans cesse aux prises
avec des sauvages, comme un chasseur avec des bêles
féroces. Je me trouvais avec des hommes incapables de
faire leur cour et de flatter, accoutumes de vivre simple-
ment et librement avec tout le monde. Je commandais à
des peuples guerriers et pleins de courage, qui ne connais-
saient Vénus que parce que cette déesse préside aux ma-
riages et à leur fécondité, et Bacchus, dieu du vin, que pour
user avec reconnaissance de ses dons en proportion de leurs
besoins respectifs. » En finissant, l'empereur dit aux habi-
tants dégénérés d'Antioche : a On ne voit chez eux ni Tin-
solence, ni l'obscénité, ni les danses lascives de vos théâ-
tres (i). » Quel fer chaud appliqué au front des peuples
en décadence, si ceux-ci pouvaient, hélas ! encore sentir
les injures !
Dans l'ordre des conceptions religieuses, on peut sup-
poser avec vraisemblance que les Phéniciens ont servi
d'intermédiaire entre la Gaule et l'Orient. On trouve dans
la religion des druides la cruauté phénicienne (2). L'Apol-
lon gaulois, Belenus, serait-il le Bel des nations babylo-
niennes? L'Hercule tyrien a beaucoup d'analogie avec
l'Hercule gaulois (3). Dans la cosmogonie des druides, la
vie du monde se compose d'époques successives (4). Cette
(1) Voy. : 'lou Xiâvou toû aùxo xpotiopoç MwwTtwywv, Lipsiae, éilit. Eze-
CHiEL Spaniieim, et OEuvrcs complètes de l'empereur Julien, etc., par Tosiret,
Paris, 1821.
(2) Caes., B. g., VI, 16 : « Aul pro viclimis honiines immolant, etc. » —
Cfr. Strabon, liv. IV.
(3) Lucien, Hercules Gallicus : « tôv 'HpaXxéa ol KeXxol "Oyiiiov ôvojAàÇovGi
(ftov-jï -cj) kTC.-/o)plî^. Ta 3è eISo; toûGeoû uâvo àXXéxoxov tppâtpoufft. Fépwv
èaxTv aÙToTç èç xà eaj^axov àvafjcpaXavxiaç (recalvastcr), Tzokioz âxptpûi;, osât
"ko'vKcn xûv xpij(ûv, puaoç xô6ép(j.a xat Siaxexaûfievoç èî xà jAeXâvxaxov oTol
eïdi 01 flaXaxxoupyol ylpovxeç. »
(i) Caes., B. G., VI. 14 : « Imprimis hoc vohinl persuadcre non inlcrire
animas sed ab aliis posl mortcm transirc ad alios alquc hoc maxime ad vir-
— 310 —
(loclrine corresponrl à renseignement de Babylone. Enfin,
les savants ont cru trouver dans le gaulois des éléments de
ridiome phénicien (i).
César constate chez les prêtres gaulois le même esprit.
Ceux qui se soumirent à leur discipline étaient obligés
d'apprendre par cœur un grand nombre de vers, et il ne
leur était pas permis de les mettre par écrit ou d'en pu-
blier la doctrine (2).
La grande, l'immense naiion des Celtes se compose de
beaucoup de sous-races. D'après l'opinion de plusieurs
savants, les Basques et les Galls en forment le noyau le
plus ancien. Les Celtes Curent tellement resserrés dans
leurs limites par les Cimmériens (Kymris) (3), qui recu-
laient devant les Scythes vers l'Occident, qu'ils ne restè-
rent plus en possession que de l'Espagne et de la Gaule
située au-delà des Pyrénées.
Une partie de ce peuple, sous le nom de Calédoniens et
de Gaëls, passa dans la Haute-Ecosse et en Irlande. Depuis
tulem excilari pulant mclu niortis neglccto. » — Chez les Babyloniens, les
puissances créatrices procédaient les unes des autres pour aboutir à Bel,
l'organisateur du monde et de la société, le fondateur de Babylone
(1) Voy. Ampère, Histoire de lillérature française avant le Xlh siècle, 1859,
t. !, pp. 83 et suiv. On rapproche les ternies suivant : Beul. Belenus (Bcal
Bealon, Irl), pli. Baal ou Bel; g. Teutalès, ph. Taut; g. Andrasté, ph. As-
tarlé; Flésus, le Mars gaulois est peut-être le même qu'Aziz (le fort), le Mars
phénicien. Samolns est le nom que donnent les anciens à une plante mysté-
rieuse que les Druides ne devaient cueillir que de la main gauche, el samol
est le nom de la main gauche en hébreu; barde signifie chanteur selon Fes-
TUS, et jyarl pourrait bien être une racine sémitique qui a le sens de modu-
ler. Le mot soc est aussi d'origine phénicienne selon Ampère. Il est à
remarquer qu'il y a, selon Bochart, Geng. sacra, p. 682, quatre mois
celtiques pour dire ville, qui se trouvent tous les quatre dans les langues
sémétiques : caer, dinas, fre, hiran.
(2) Caes., B. g., VI, 14, el Amm. Marcell., XV, IX, 8 : « Euhages vero
scrutantes scriem et sublimia naturae pondère conabanlur. Inter hos Drui-
dae ingeniii celsiores »
(5) Voy. HÉRODOTE, I, ti, 13, 16; IV, 1, 11, 12; VIII, 12.
— 31 1 —
ces peuplades reslèreul pour toujours séparées de leurs
frères du coiiliiieiil.
Entre les Basques et les Galls péiiétrèreul plus lard les
Kymris. Ils s'établirent de préférenee au nord de la Gaule,
où ils se firent connaître dans la suite des siècles sous le
nom de Belges. Ceux-ci peuplèrent aussi la Bretagne mé-
ridionale, en même temps que, se mêlant aux anciennes
nations de la Gaule centrale, ils fondèrent la domination
des Celles dans le sens restreint de ce terme.
Eludions maintenant de plus près cette nalion des Celtes
et des Gaulois.
On distingue parmi les Celles des sous-races bleu lian-
cbées : Aquitains, Celtes pi'oprement dits ou Galls, ou
Gaulois, et Belges ou Bolg, au nord de lu Gaule, plus ou
moins mêlés de sang germain, plus sauvages, plus belli-
queux, plus réfractaires à la civilisation que leurs voisins
du sud. Les Belges paraissent être les derniers venus et les
avant-coureurs des Germains qui arrivent sur leurs talons.
Les Galls peuplèrent l'IIelvélie, la Gaule centrale, la Basse-
Bretagne (Armorique) et même les îles britanniques, où
d'ailleurs, au nord surtout, les Kymris ont aussi dispersé
des essaims (i).
Le type celtique (2), tel que nous le connaissons, n'a
rien, au contraire, qui ressemble au type français. Les
Armoricains aux cheveux blonds et aux yeux bleus, rap-
pellent, à cet égard, les Gaulois (3); mais ils n'en ont ni la
haute taille, ni la légèreté d'esprit et de corps; ils se rap-
prochent, au contraire, des Celtes-Kymris, dont ils parlent
la langue et qui avaient peuplé l'Angleterre et le nord de
(1) Voy. le savant appendice à l'histoire romaine de Th. Mommsen, par
C A. Alexandre, t. VII, p. 3ôC, 18G9. — V. aussi Milne Erwahds [Lettres
à M. Amédée Thierry).
(2) Voy. A. Maury, La terre et l'homme, p. -iOS.
(3) Consultez AiiM. Mabcellin, XV, 12, 1.
— 312 —
la Gaule. Les Kymris, en effet, n'élaient ni aussi lurbu-
leuls, ni aussi curieux, ni aussi parleurs que les Gaulois;
ils avaient plus d'affinité avec la race germanique qui se
mêla à eux dans la Belgique et l'Angleterre.
Les Celtes ne sont plus guère représentés que par les
Irlandais, les VVelches ou habitants du pays de Galles, les
Ecossais, surtout ceux de la ïlaute-Ecosse, et les Armori-
cains ou Bas-Bretons. Les Français, descendants des Gau-
lois, sont issus du mélange d'une race celtique avec les
Latins ou Italiotes, puis avec les Francs, peuple germanique;
mais ces deux éléments ont pénétré plutôt par infiltration
que par véritable mélange (i).
Les Gaulois sont un rameau détaché de la grande souche
indo-européenne ou indo-germanique. Ils ont quitté les pla-
teaux de l'Asie centrale avant la descente des Argos aux
Indes. Les Kelloi des Grecs, Gaels, Celti, ne sont que des
appellations identiques. Leur langue appartient à la famille
des langues à flexion ou de celles qui ont parcouru la pé-
riode monosyllabique et la période de l'agglutination ou les
époques de l'organisme purement élémentaire {2). On re-
monte facilement, en suivant les lois de la permutation des
consonnes, du celle au sanscrit et à l'iranien. Chez les Cel-
tes, on retrouve dans le pronom, dans la conjugaison des
verbes et ailleurs, les caractères marqués de la langue
indo-européenne (3).
La plus difficile comme la plus intéressante des ques-
tions est, à côté de l'origine des Celtes et des Gaulois,
l'histoire de l'idiome dont se sont servi ces nations. — Un
des auteurs les plus érudits du XVII" siècle, Pezron (4),
(1) Maury, Histoire de l'homme et de la terre.
(2) J. Grimm.
(3) Ad. PicTET, Affiiiilé des langues celtiques. — W. Edwaris, Recherches
sur les langues celtiques.
(4.) Né à Hennebon, en Bretagne, vers 1639. Il a écrit : Traité de l'anti-
quité de la nation cl de la langue des Celtes, autrement appelés Gaulois.
— 313 —
Armoricain lui-même et qui avait fait une étude spéciale
de cette thèse épineuse, semble avoir devancé les recher-
ches opiniâtres de la science moderne. Dans le principe,
selon lui, les habitants de l'Europe ne formaient qu'une
seule famille de peuples obéissant à des magistrats et à des
lois identiques et parlant la même langue. Diverses émi-
grations sorties de l'Asie modifièrent cette situation, et
comme les colonies nouvelles firent route vers l'Occident,
il se fit que le grec, le latin et le germain s'ajoutèrent aux
éléments du celte. Les contrées les plus exposées aux in-
vasions, subirent les premiers changements. Celles qui,
comme le pays de Galles, l'Ecosse, l'Irlande et bien d'au-
tres, étaient d'un abord plus difficile, continuèrent à garder
leur antique régime. Chose digne de remarque, dans ces
pays, on rencontre encore des vestiges de druidisme comme
incrustrés, malgré tant de révolutions religieuses et mora-
les, dans l'esprit du peuple.
Les langues celtiques peuvent être réparties en deux
sections bien distinctes, embrassant chacune trois langues :
la branche kymrique ou bretonne et la branche gallique ou
gaélique. Ces deux branches sont séparées par des diffé-
rences assez profondes, qui paraissent remonter à une
époque ancienne. Dans la pre'mière section, se placent :
le kymrique proprement dit ou ivelche, langue du pays de
Galles; l'idiome du Cornwall, enfin l'armoricain ou bas-
bretou. A la seconde section appartiennent l'irlandais, le
gaélique proprement dit ou langue erse, parlé dans la
Haute-Ecosse; enfin le manx ou dialecte de l'île de Man.
L'irlandais est certainement de toutes ces langues celle
qui a conservé davantage les formes antiques. Nous ne
possédons guère de monuments des idiomes celtiques anté-
rieurs au X« ou XI" siècle. .
C'est incontestablement à celte famille de langues qu'ap-
partenait la langue des Gaulois, dont on n'a malheureu-
— 314 —
sèment conservé aucun monument et dont nous ne con-
naissons qu'un petit nombre de mots que nous ont transmis
les auteurs grecs et latins ou qui se sont conservés dans
les désignations de rivières, de montagnes et de localités.
Les dialectes gaulois ont été complètement effacés par le
latin (i).
Les Gaulois jouirent de bonne heure, sous la domination
romaine, d'éclatants privilèges, à la condition de connaître,
paraît-il, la langue latine (2). Plusieurs grandes villes re-
çurent le pis italicum, et du temps de César, des Gaulois
furent admis au sénat romain (3).
Les écoles de Narbonne, de Toulouse, de Lyon, de Bor-
deaux, d'Augustodunum ont brillé d'un vif éclat (4). On
parla le latin au foyer de la famille et pour communiquer
au peuple la parole de Dieu (s). Bientôt les classes élevées
et les populations des villes furent entièrement conquises
(1) Macrt, p. 304.
(2) Voy. CicÉRO pr. Fonleio, c. 1, et Just., lib XXVI, chap. 2.
(3) Voy. Dic, De censibus (L. 15); Suét., Cacs., 76; Tacit., Ann., XI, 2i.
(4) Voy. FiURiEi, Ampère, Thierry, Dom Martin Bouquet.
Ce dernier dit : « La Gaule Narbonnaise, qui était une province romaine
longtemps avant César, en recevant des Romains le joug de la servitude,
reçut en même temps celui de leur langue. Les autres provinces des Gaules,
après qu'elles furent vaincues par César et qu'elles devinrent provinces de
l'empire romain, subirent le même joug, si cependant l'on en excepte
quelques peuples de la Gaule Lyonnaise, c'est-à-dire les Bas-Bretons, qui
ont conservé jusqu'à présent le langage celtique. Les Gaulois néanmoins, en
prenant la langue des Romains, n'ont pas absolument abandonné la leur :
car ils ont retenu un grand nombre de mots celtiques, dont ils se servent
encore aujourd'hui. Antonlus Primiis, né à Toulouse, zélé défenseur du
parti de Vespasicn, fut surnommé Beccus dans sa jeunesse, comme nous
l'apprend Suétone, qui ajoute que ce mot signifiait bec de coq. Nous nous
servons encore aujourd'hui de ce mot pour exprimer non seulement le bec
de coq, mais encore celui de toute sorte d'oiseaux. »
Voici les propres termes de Suétone : « Ctii [Anionio Primo) Tolosae nalo
cognomen in pueritia Becco fuerat. Id valet Gallinacci roslrum, » {In ViUllio,
cap. 18).
(5) Sidoine AppoLLI^AIRE, Episl. VII, 9.
— 315 —
à la langue et à la civilisation de Kome. Mais la langue
gauloise, en dépit du rayonnement du lalin dans tout l'em-
pire, ne fut pas totalement éclipsée (i).
Cependant elle s'effaça en partie, du moins au commen-
cement du III'' siècle, lorsque l'indépendance nationale se
fut entièrement évanouie. Rome impérieuse (2) et hautaine,
avec son joug de fer, imposa sa langue aux vaincus par
les relations sociales. Celle-ci s'implanta dans les localités
où il y avait des magistrats et des soldats romains. Par
l'activité et le mouvement que ceux-ci imprimèrent à toute
chose, la langue qu'ils parlaient devint insensiblement la
langue usuelle du peuple.
Ce n'est pas en Gaule que les Romains commencèrent
pour la première fois à mettre en pratique leurs procédés de
romanisation. Après la sujétion de la Grèce, les magistrats
romains, de peur de ternir leur prestige, avaient soin de ne
communiquer qu'en lalin avec les Grecs. Ils redoutèrent
l'excessive volubilité de langue dont la nature avait doué
(1) On conclut d'après quelques vers de Vena.ntius FoniuNATUs el un pas-
sage de GitÉGOiRE DE Tours (344-393), que du temps de ces écrivains la langue
gauloise existait encore. Ce dernier rapporte (I, 30) que Clirocus détruisit
un temple que les Gaulois dans leur langue nommèrent Vasso. On pense
qu'ils désignèrent par ce nom le dieu Uars. Voici les propres termes de
Grégoire de Tours : « Veniens verô (Chrocus) Arvernos, delubrum illud quod
Gallicà lingua Vasso Galatae vocant, incendit, diruil atque subverlil. » For-
TUNATUS {Venantii Honorii Clcmenlissimi Forlunali, Presbyleri ilalici, episcopi
Piclaviensis Carmina liistorica) est venu en France vers 362, sous le règne de
Sigibert. Par ses vers il s'attira l'amitié de tous les hommes célèbres de son
époque, et c'est peut-être à son talent poétique prodigieusement exagéré de
son temps qu'il dut l'honneur d'être élevé à l'épiscopat vers l'année 399.
Le passage de son poërae, auquel nous faisons allusion dans le texte, est
le suivant (I, 9, 9) :
« Nomine Vernemetes voluit vocitare vetusta
» Quod quasi fanum ingens Gallica lingua rcfert. »
(2) Voy. AuGUST., De civ. Dei, XIX, 7 : « At enim opéra data est ut im-
|)criosa civilas non solum jugum verum etiam linguani suam domilis genlis
per pacem societatis imponcret. »
— 316 —
leurs nouveaux sujets, et pour la combattre avec succès,
ils les forcèrent à se servir d'interprètes à Rome, en Grèce
et en Asie. De cette manière, la langue latine acquit de
Téclat et inspira le respect aux nations. Le pallium devait
s'effacer devant la toge, et dans ces temps plus reculés, les
magistrats romains avaient pour principe que les charmes,
les douces jouissances de la littérature grecque ne devaient
point exercer d'influence sur la gravité et l'ascendant de
Rome (i).
Le gaulois ne se maintint et ne fut plus cultivé que dans
les régions protégées par les marais et les montagnes escar-
pées contre la civilisation romaine. Au surplus, on parla
encore le celtique chez les Belges à l'époque de l'invasion
des Francs dans ce pays, et la langue latine, en se répan-
dant dans la population gauloise, fut profondément modifiée
et altérée. Elle dut se plier très-souvent à l'influence du
génie étranger (2).
Voici comment à son tour un écrivain français suit les
progrès de la langue latine.
Le latin s'introduisit et se répandit insensiblement dans
les Gaules par l'administration, la justice, les lois, les
institutions politiques, civiles et militaires, la religion, le
commerce, la littérature, le théâtre et tous les autres
(1) Voy. VALEnii Max., lib. Il, c. 2.
(2) Voy. Fauriel, Hisl. de la poésie provinciale, vol. I, p. 191 : « Quant à
la Gaule, les chances de rallération du latin dans la bouche des basses classes
du peuple y étaient évidemment plus nombreuses et plus fortes qu'à Rome,
dit-il, les Gaulois devaient oublier leurs anciennes langues; et un oubli de
ce genre, même avec la volonté décidée d'y parvenir, est toujours, pour la
masse d'un peuple, la chose du monde la plus lente et la plus difficile. Les
termes, les idiotismes nationaux, devaient à chaque instant percer dans le
latin d'un Celle, d'un Gaulois, d'un Aquitain, qui ne l'avaient point appris
systématiquement, mais par l'usage et pour le strict besoin. De ce mélange
forcé, de celle inévitable collision du latin et des idiomes primitifs de la
Gaule, durent nécessairement se former des dialectes intermédiaires, un latin
populaire, que je distinguerai dès à présent par le nom de lalin rustique. >«
— 317 —
moyens dont Rome savait si habilement se servir pour
imposer sa langue aux nations, comme elle leur imposait le
joug de sa domination.
Déjà du vivant de Cicéron, comme le grand orateur
nous l'apprend lui-même, la Gaule était pleine de mar-
chands romains et il ne se faisait pas une affaire que quel-
que Romain n'y participât. Mais ce qui dut le plus puissam-
ment contribuer à la propagation de la langue latine, ce fui
le besoin où se trouvèrent les Gaulois de recourir au
magistrat romain pour obtenir justice; car toutes les causes
se plaidaient en latin, et une loi expresse défendait au pré-
teur de promulguer un décret en aucune autre langue qu'en
langue latine. A partir du règne de Claude, la langue
latine fît de rapides progrès dans les Gaules, et bientôt des
écoles de grammaire et de rhétorique s'établirent de toutes
parts. Il faut citer parmi les plus célèbres, celles de Tou-
louse, de Bordeaux, d'Autun, de Trêves et de Reims,
écoles qui ne tardèrent pas à acquérir une renommée telle,
que des empereurs mêmes y envoyèrent leurs enfants,
Crispus, fils aîné de Constantin, et Gratien firent leurs
études à Trêves. A la fin du 1V<= siècle, le latin était devenu
la langue usuelle des hautes classes de la société et des
femmes elles-mêmes.
Quant au peuple, et particulièrement à celui de la cam-
pagne, il se montra plus rebelle à l'adoption d'un idiome
dont il ne ressentait pas également la nécessité; mais lors-
qu'il n'entendit plus parler autour de lui que la langue de
Rome, il s'avisa enfin de la bégayer; à l'exemple des puis-
sants et des riches, il laissa peu à peu le celtique dans un
dédaigneux oubli, et les paysans gaulois firent pour le latin,
ce que font de nos jours pour le français les paysans de
l'Alsace, de la Bretagne, etc. (i).
(I) Voy. CiiEVALLET, Origine et formation de la langue française.
- 518 —
César lui-même ne jelle aucune lumière sur la question
(les idiomes. II constate que Belges, Aquitains diffèrent
entre eux de langage, de mœurs et de lois (i). Mais il
n'apporte aucune notion essentielle qui éclaircit. Strabon
nous apprend que Celtes et Belges, bien que Gaulois par
les traits de physionomie, n'ont pourtant pas le même
idiome (2). A cet égard, Ammien Marcellin n'est pas moins
explicite. Les Celtes de la Gaule, dit-il, les Aquitains et les
Belges n'ont en commun (5) ni langue, ni institutions, ni
lois.
Mais n'est-ce pas une réminiscence de César? En médi-
tant sur le texte du géographe grec, il est facile de voir que
le type national des Gallo-Belges est resté intact après la
conquête; mais leur idiome avait subi, déjà à l'époque de
Strabon, de profondes altérations. 11 existe vivant sous nos
yeux un peuple qui, tout en adoptant la langue du vain-
queur, a conservé jusqu'à nos jours les traits distinctifs de
l'ancienne race. Nous parlons des Daces, que Trajan sou-
mit. A ce propos, M. Pirot dit dans sa Revue de liguisti-
que (4) : Chose remarquable, les idiomes de la race barbare
(1) Caes., B. g., I, 1 : « Hi omncs liiiguâ, inslitulis, legibus inler se diffe-
runl. »
(2) « TO'Jî §£ XoiTZQ'Jc, ra>,aTixoù; jjiÉv t-?;v ot|'iv ôjxoyîvcÔTTOOi; 5e où TiavTaî
aXi\ èvtouî [JLixpôv TtapaTkXdéxxovTai; xaTç yXiôtTatç, Straro, IV, 1. » Pour bien
saisir la porlée de ce passage de Strabon, il faut bien se rappeler que cer-
tains faits, certaines dates consignés dans les ouvrages de Strabon semblent
eu placer la rédaction entre 13 et 25 de J.-C, alors que l'auteur aurait eu
quatre-vingts ans et davantage. Malte-Brun pense que Strabon, surpris par
la mort, n'aurait pas mis la dernière main à son ouvrage. Il néglige presque
entièrement les écrivains romains, soit par infatuation de la langue grecque,
soit parce qu'il ne possédait pas assez la langue latine. Les Romains sem-
blent lui rendre le dédain qu'il affecte pour leur science; ils ne le citent que
rarement. Le IV" livre de sa géographie comprend la Gaule, la Breta-
gne (Grande-Bretagne) avec lerné ou l'Irlande.
(3) AsiM. Marc, XV, 11, 1 : « Temporibus priscis quuni laterent hac
partes ut barbarae, tripartitae fuisse credunlur in Celtas eosdemque Gallos
dlvisae et Âquitanos et Belgas, lingua, institulis, Icgibusque discrepanlcs . «
(4) Revue de Ungnistique, t. Il, 1868.
— 519 —
se sonl beaucoup mieux conservés que la langue qu'elle
(levait parler. Tandis que Ton ne peut apprécier avec cer-
titude la part que l'idiome dace a eue dans la formation du
roumain, nous retrouvons dans le paysan moldo-valaque le
type exact de ces guerriers à longs cheveux que nous re-
présentent les bas-reliefs de la colonne Trajane.
Quand Arioviste donne jour à César pour une seconde
entrevue, César se contente de lui envoyer C. Valérius
Procillus, fils de C. Valérius Caburus, jeune homme plein
d'honneur et de vertu, en qui il avait confiance, qui de
plus savait la langue gauloise, qu'Arioviste avait apprise
depuis qu'il était dans les Gaules (i). César ne se soucie
pas d'étudier la langue des vaincus. Les Romains n'avaient
pas une haute opinion de la flexibilité de l'idiome germani-
que. On sait ce qu'ils en pensaient.
Le gaulois, à son tour, a réagi sur l'idiome latin, et
celui-ci n'étant pas parvenu à déraciner partout ce dialecte,
il est résulté de cette lutte inégale un latin composé d'élé-
ments mixtes. Dans sa biographie de Martin, Sulpice Sé-
vère constate l'existence d'un latin corrompu, rustique,
entièrement différent de celui en usage dans les cercles
plus raffinés des villes (2). Un passage de Sidoine Apolli-
naire semble avoir en vue le langage contraire à la bonne
(1) Caes , B. g., I, 47 : « El propler fulem et propler linguac gallicae,
scienliam quà inulla jam Ariovislus loginqua consueludiiie.... ulebalur. »
(2) SoLP. Sev., DiaL, c. 2G •• « Sed dum cogilo, me hominem Gallum inlcr
Afjuitanos verba faclurum, vcrcor, ne o/fendal veslras nimium urbanas aures
scrmo rusticior, audiclis me lamcn ut Gurdoniciim hominem, nihil cum fuseis
aul colhurno loqitenlem. Nam si mihi Iribuitis, Martini me esse discipulum^
ilUid cliam concedite, ul milii liccat exiemplù illius inanes scrmonum phaleras
et verborum ornamenla conlcmnere. Tu vcro, inquil, Postumianus, vel Celiice
aul, si mavis, Gallire loquere, dummodo jam Martinum loquaris. » Nul lioule
qu'il ne s'agisse ici sous ces dénominations de celle et de gaulois, de deux
des anciens idiomes de la Gaule, encore alors subsistants, mais de l'un des-
quels toute trace se perd dès ce moment. (Voy. Fauriel, Uist. de la poésie
provençale, t. I, p. 193).
320 —
latinité, quand il aflirnie que la noblesse des Arvernes se
dépouillera de la grossièreté du langage celtique (i). D'au-
tres ont vu dans ces paroles la preuve que la langue gau-
loise s'était conservée jusqu'au V*^ siècle (2).
Il se forma par la suite une langue populaire dans la-
quelle les éléments de la lingua rustka, que les Romains
apportèrent en Gaule, s'assimilèrent à ceux de la langue
(1) Sidoine Apollinaire, dont l'aïeul avait été préfet des Gaules, mourut
vers 488. Il écrit (Epist., III, ô) :
a Oniitlo islic ob gratiam pueriliae luae undique genlhini confluxisse studia
iterarum luaeqxie personae quondam debilum , quod sermonis Ccllici squamam
dcposilura nobilitas nune oratorio slylo mine cliam camoenalibus modis im-
buebalur. »
(2) L'emploi de la langue gauloise a survécu assez longtemps à la con-
quête romaine. Selon Ulpien, elle ponvait être employé dans les testaments;
elle avait donc encore au 1II« siècle une existence légale. Au IV", saint
JÉRÔME reconnaissait chez les Galales d'Asie l'idiome qu'il avait entendu
parler aux environs de Trêves. Au V«, Sclpice Sévère, dans ses dialogues
sur la vie de saint Martin, dit à son interlocuteur : « Parle nous en celtique
ou en gaulois, pourvu que tu nous parles de Martin; » ce qui montre qu'à
cette époque les dialectes trouvés par César au nord de la Garonne subsis-
taient encore distincts. Au Vie, Sidoine Apollinaihe écrivait à son ami : « La
noblesse de ce pays commence seulement à déposer la croûte de l'éducation
gauloise; « et saint Grégoire, employant le mot fol, dit qu'il parle à la ma-
nière gauloise [more gatlico) : « Fol est en effet celtique. «
Après cette époque, on ne trouve plus la langue indigène de la Gaule
qu'en Bretagne; dans ce pays la vieille couche gauloise fut récrépie en quel-
que sorte par les Bretons d'Angleterre, qui, au commencement du IV<= siècle,
accompagnèrent l'usurpateur Maxime, et restèrent dans l'Armorique, appelée
depuis Petite-Bretagne. Dans celte province située hors de la direction des
voies romaines, qui se dirigeaient vers le Rhin, éloignée du théâtre des
luttes que rE.npire soutint contre les barbares et des longues guerres que
la Gaule du Nord fit plus tard à la Gaule du Midi, dans cette Bretagne sou-
mise Irès-longlemps à un chef indépendant, l'idiome celtique, protégé par
son isolement, s'est maintenu et perpétué jusqu'à nos jours (Ampère, Hisl.
de la lin. de la France, t. I, p. 36).
M. Fauriel a fait sur le provençal une opération philologique, de laquelle
il résulte qu'il y a en provençal trois mille mois qui ne sont pas d'origine
latine. Or, sur ces trois mille mots tout ce qui n'est pas grec, basque ou
arabe est en grande partie celtique (Voy. Fauriel, Histoire de la poésie pro-
vençale, t. I, p. 195. Conf. ibid., p. 193).
— 521 —
«alionale, pour en faire un loul nouveau sous le contrôle
du génie latin. Déjà vers la fin du 11^ siècle, on rencontre
des traces de celle transformation. Saint Irénée, second
évèque de Lyon, en parle dans un passage où il fait men-
tion du dialecte celtique, qu'il n'a pas appris, comme il
le dit lui-même (\). Étanl Grec de naissance, originaire
de Smyrne ou des environs, il ne peut être question
sous sa plume de la langue populaire en opposition à la
langue classique, à la langue des savants, qu'il s'était sans
doute appropriée par l'étude. La langue romano-gauloise,
plus vigoureuse dans le sud que dans le nord, où elle eut à
combattre l'élément germanique, ne fut pas même entière-
ment engloutie par l'irruption des Francs. Au troisième
concile, rassemblé à Tours en 813, on arrêta de translater
(1) n moui'ul vers 202 pendant la persécution ordonnée par Seplime
Sévère. On lit dans la préface de son traité contre les hérésies : « oùx
èTtiÇ7]Tr,aeii; 8é irap' rjfxwv , tôSv èv KsXxoTç ôiaTpipôvTWV xal pâpPapov ià
TrXeTffTOV àa);^oXou[J.lvwv, Xôywv té/^v/jv '^'v oùx è|j.ccOo[Aev. »
(2) Voy. La barbarie franke cl la civilisation romaine, par Gérard, Brux.,
1843, p. 149 : « Qu'on refasse l'iiisloire de France et de Belgique en se
plaçant au point de vue que nous avons indiqué : on la verra dominée dans
toutes ses parties par un grand fait, qui se perpétue et qui n'est autre que
la lutte de l'élément germanique et de l'clément gallo-romain. En Belgique,
ou, pour parler plus exactement dans le pays d'Oster, l'élément germanique
étant pur, cette lutte n'a pas, dès les premiers temps, le même caractère
que dans la Ni-Oster. »
iVotons ce fait à propos de la langue rustique, que Cicéron s'insinua parmi
les matelots pour en étudier les termes, ou comme nous dirions l'argot, cl
qu'il ne mentionne aucun terme ou idiotisme du domaine particulier du
latin populaire.
A ce propos on peut citer Raynouard. L'auteur des Templiers dit dans sa
Grammaire comparée des langues de l'Europe latine avec la langue des trou-
badours, p. xLviii : a Et même les savants qui ont démontré que le peuple
de Rome et des campagnes parlait un latin corrompu, se servait d'expres-
sions, de termes insolites ou inélégants, et de tournures triviales, n'onl-ils
pas fourni par leurs propres reclierches, une preuve évidente qu'il n'existait
pas à Rome un idiome particulier, puisque ces termes, ces mots, quoique
grossiers, étaient toutefois employés selon l'esprit et d'après les formes de
la grammaire latine. »
23
3-22
les homélies en langue romaine rustique el en ludesque,
afin d'être à la portée de tout le monde.
Six langues romanes, deux à Test : la langue italienne
et la walaque, deux au sud-ouest : la langue espagnole el
portugaise, et deux au nord-ouest : la langue provençale
et la française, s'imposent à l'attention par leurs analogies
linguistiques et leur valeur littéraire. Elles dérivent toutes
d'une source commune : la langue latine. Il ne s'agit pas
ici de la langue classique dont se servaient les écrivains
de Rome, mais du latin vulgaire ou rustique qui subsistait
à côté de la première. Cet idiome du peuple se faisait re-
marquer sans doute par des acceptions de mots toutes
spéciales [vocabula ruslica, vidgaria, sordida), une pronon-
ciation particulière, l'exclusion de certaines formes gram-
maticales el l'emploi de tours el d'expressions soigneuse-
ment proscrits par la langue scientifique.
Ennius, Plante et Vitruve se servent de termes popu-
laires. A la fin de l'empire d'Occident, les idiotismes et
les provincialismes font irruption dans le domaine de la
langue patricienne. Alors les provinces s'étaient élevées
par les droits politiques au niveau de la capitale, et comme
elles en voulaient à son prestige politique, elles se sou-
ciaient peu de la pureté du langage. Les nations soumises
à Rome y apportèrent, dit Isidore, avec leurs richesses, la
corruption des mots el des mœurs (i).
Dans le midi des Gaules, on parlait de préférence le
latin; mais il est difficile de supposer que les Romains aient
envahi la Gaule en assez grand nombre pour lui faire
perdre l'idiome national (2). Pour emprunter à M"" Abel
(1) Voy. Cric, I, 31; Aul. Gellius, Noeles atlicae, 9, 13; Festus, De
significalione verborum ; NoNius MAncELLUS , De cojnpcndiosa doclrinâ, et
Fabius Planciades Fulgentius : Exposilio scrmonum anliquorum.
(2) Trois peuples bien distincts se partageaient la Gaule à l'époque de la
conquête par Jules César de cette vaste contrée : les Aquitains, les Belges
— 323 —
Rémusat une règle judicieuse, nous disons qu'il faut ad-
mellre qu'une langue étrangère se mêle à la langue indigène
en proportion du nombre de ceux qui l'apportent dans le
pays. La vieille langue des aïeux, s'écrie M. Demogeot,
presque exilée des grandes villes, se conservait vivante et
révérée dans les hameaux, dans les campagnes, au bord
des forets druidiques. L'érudition en a suivi pieusement
les traces d'âge en âge, à travers le texte des écrivains
latins. Au VP siècle, le poète Fortunat rend encore té-
moignage de son existence et de ses inspirations lyriques.
A cette époque, le celtique recule devant les conquérants
germains; il se replie peu à peu et comme en grondant,
jusque dans l'Armorique, son dernier et inexpugnable
asile. C'est là qu'aujourd'hui encore, après tant de siècles,
tant d'invasions, tant de bouleversements, il subsiste tel
qu'on le parlait au W^ siècle de noire ère. Au milieu des
changements universels de l'Europe, la Bretagne semble
demeurer immobile, et, pareille à ses mystérieux dolmens,
elle s'élève dans un coin de la France comme l'ombre de
notre passé, comme le dépositaire des vieilles mœurs et
des antiques souvenirs. »
Ce mépris de la langue du monde barbare est une des
causes qui nous ont privé de presque tous nos éléments
d'appréciation. Mais notre ignorance à cet égard doit aussi
être attribuée en partie à l'organisation religieuse et même
civile de ces peuples. C'est ce que nous explique parfaite-
ment César, quand il dit : « Les druides (i) président aux
el les Celles. Sthabon nous apprend qu'il n'y avait pas de différence essen-
tielle dans leurs dialectes. C'est Strabon qui l'afllrme; Sulpice Sévère dit que
le Belge comprenait l'Aquitain, et que ce dernier entendait le langage du
Celte. Voy. Glossaire élymologiquc el comparatif du patois picard ancien ei
moderne, par Jules Corblet, 1831.
(1) Caes., B. g., lib. VI, 14 : « Illi rébus divinis intersunl, sacrificia pu-
blica ac privata procurant, religiones inlerprctantur . »
— 324 —
choses divines, ils règlent les sacrifices tant publics que
particuliers et expliquent les cérémonies ei usages du culte. »
Et plus loin : « On dit qu'ils apprennent par cœur un grand
nombre de vers : aussi quelques-uns restent-ils des vingt
années sous la discipline de leurs maîtres (i), qui ne per-
mettent pas qu'ils écrivent ces vers, quoique dans plusieurs
autres affaires et publiques et particulières, ils se servent
de caractères grecs. » Celait pour éviter la profanation des
mystères aussi bien que des institutions civiles, que cette
coutume s'était introduite; nous lui devons notre ignorance
presque complète dans cette matière d'une si grande im-
portance ethnographique. Quelque chose d'analogue se
passa dans les Indes.
Les Mantras, collection de cantiques et de prières, pro-
viennent des Rischis, poètes inspirés, espèce de druides de
l'Inde. Ces grandes recueils auraient été transmis de bouche
en bouche pendant plus de quatre cents ans. Ils n'avaient
pas été fixés par l'écriture durant ce long espace. Dans un
de ses mémoires, le savant indianiste, M. Westergaard (2),
prétend même qu'ils ont été pendant plus longtemps confiés
à la précieuse faculté de conserver les idées du passé (s).
(1) Ibi<l., VI, 14 : « Magnum ihi numerum versuum cdiscere dicunlur. Ila-
qiie annos nonnulU vicenos in disciplina permanent. Neque fas esse exisiimanl
ea lilleris mandare qnum in reliquis fere rébus puhlicis privatisque rationi-
bus Graecis litleris ulanlur. »
(2) Voy. FÉLIX NÈVE, RuUelins de l'Académie royale de Bruxelles : Du beau
littéraire dans les œuvres du génie ùif/Zen; Weber, Acadcmische Vorlesungcn
ûber die indische Lileralurgeschichle, Berlin, 1852; Westergaard, Uber den
àltesten Zeilraum der indischen Geschichle mil Rilcksichl auf die Literatur.
(3) Un phénomène analogue se proiluit dans la littérature provençale.
Nous voulons parler de jongleurs. Les uns étaient libres el menaient une
vie ambulante, récitant dans les rues el sur les places publiques les pièces
de vers qu'ils savaient par cœur. Les autres étaient attachés au service par-
ticulier des troubadours célèbres, qui les menaient partout avec eux, dans
les châteaux et les cours pour y chanter leurs vers. Les Arabes andalous
eurent aussi des poètes de cour et des poètes populaires, des raoui et des
jongleurs. Chez les Scandinaves, plusieurs des Skaldes sont connus pour
avoir su de mémoire quelques-uns des chants de l'Edda.
~ 325 —
On le voit, dans le monde moral, comme dans le monde
physique, tout se tient, tout s'enchaine.
Le latin cessa d'être parlé dans la Gaule vers le milieu
du Vll^ au milieu du IX" siècle. Cet idiome, qui faisait
le fond de tous les dialectes populaires, ne dominait plus
également dans tous. Les pouvoirs politiques de cette épo-
que n'étant pas assez forts, l'Église se chargea du soin de
rapprocher les divers idiomes de la Gaule. V^ers 813, les
fidèles de l'Église d'Occident n'entendirent plus le latin.
Charlemagne, voulant réformer l'Eglise, convoqua des
conciles provinciaux à Arles, à Mayence, à Rheims, à
Chàlons-sur-Saône et à Tours. Par un canon du concile de
Mayence, il fut enjoint aux prédicateurs de se mettre à la
portée du peuple, c'est-à-dire de lui adresser la parole en
langue teutonique. Les conciles de Rheims et de Tours
ordonnèrent de faire l'instruction religieuse en langue vul-
gaire. Les évêques assistants eurent ordre de faire usage
de la langue tudesque, pour instruire dans leur croyance
et leurs devoirs les chrétiens, leurs diocésains de race
franque et de se servir de la langue romaine rustique ou
romane avec les anciens habitants du pays. Le même dé-
cret indique avec précision, dit Fauriel, que l'enseigne-
ment, auquel il s'agissait, pour la première fois, d'appliquer
une autre langue que le latin, devait rouler sur les ré-
compenses et les peines de l'autre vie, sur les moyens
d'éviter les unes et de gagner les autres, sur la résurrec-
tion et le jugement dernier. Il est surtout intéressant
d'observer que les homélies à prêcher sur ces divers objets
devaient être composées en latin, pour être ensuite tra-
duites dans l'idiome vulgaire (i).
Ce ne fut point la faute de Sidoine Appollinaire si les
débris gaulois trouvèrent encore quelque asile au sein des
(1) Voy. Histoire de la poésie provençale, t. l'"", p. 256.
— 326 —
populations. Quand la culture des lettres latines s'éteignit,
il s'y attacha avec passion. A ceux qui maintinrent encore
rhonneur des lettres et du goût, il dit : « Si vous, en petit
nombre, ne sauvez pas de la rouille du barbarisme subtil
la pureté de la langue, bientôt nous la trouverons morte et
abolie à jamais (t). » Il remercie Arebogasle (2), dont le
nom trahit une origne germanique, de conserver dans une
province des plus barbares, sur les rives de la Moselle, les
traditions de la langue latine. «Si l'éclat du langage romain,
écrit-il, subsiste encore quelque part (il a été banni autre-
fois des terres de Belgique et du Rhin), c'est près de toi,
dans ton noble cœur, que quelques vestiges subsistent en-
core. » Au reste, l'élude approfondie de la loi salique a mis
en lumière ce fait, qu'à côté d'institutions romaines long-
temps ont continué à fleurir en Belgique des formes juri-
diques propres aux Celtes, et que la langue des indigènes
a longtemps, dans ce pays, maintenu ses droits contre la
langue latine (0).
La conquête des provinces romaines par les peuples de
la Germanie se fit dans le courant du V et se prolongea
jusque dans le VI^ siècle. Cette émigration par la force des
armes n'était pas invariablement la même. Dans quelques
pays, les peuples arrivèrent successivement; dans d'autres,
ils s'établirent à côté les uns des autres. Au milieu du
V« siècle, la domination des Hérules disparut en Italie,
puis s'éteignit celle des Ostrogoths, dont la durée fut de
(1) Ephl., I, VIII, cp. 2.
(2) Epist., IV, cp. 17 : « Quirinalis implelus fonte facundiae, polor Mosel-
lae Tiberim ructas. Sic Barbarum familiaris, quôd tamen nescio barbaris-
morura, par ducibus antiquis lingua manuque; sed quorum dextra solebat
non minus stylum traclare quam gladium. Quocircà scrnionis pompa Ro-
mani si qua adhuc uspiam est, Belgicis olim sive Rhenanis abolita terris in
te resedit : quo vel incolumi vel peroranli etsi apud limitera ipsura latine
jura ceciderunt, verba non titubant. »
(3) Voy. BEnwHARDY, Rom. Lilleratur, p. 72.
~ 327 —
soixaiile-six ans, el plus tard celle des Lombards, qui avait
existé deux cents ans. Dès le commencement du V' siècle,
les Visigoths occupèrent le sud-ouest de la Gaule, ensuite
les Burgondes s'emparent de la partie sud-est de ce pays,
et les Francs, du nord. De même TEspagne fut couverte
de diverses peuplades germaniques. La Gallicie, les As-
luries, Léon, une partie de la Lusilanie devinrent dans
le même siècle la proie des Suèves, l'autre eut pour maî-
tres les Alains, tandis que les Vandales s'établirent dans le
sud. Les Visigotlis se répandirent dans le nord-ouest et ne
tardèrent pas, au siècle suivant, a ranger toute la pénin-
sule ibérique sous leur domination. Dans ces allées et
venues, plusieurs peuplades furent anéanties. C'est ainsi
qu'il ne resta que peu d'Ostrogoths en Italie; mais, sou-
vent, les races germaniques furent soumises par d'autres
de la même famille et en reçurent leur organisation.
Ces divers peuples exercèrent une certaine influence
sur la romana rustica; mais cette influence ne doit pas
être exagérée et encore moins doit-on la regarder comme
la cause déterminante des diff'érents dialectes romans. A
l'époque des émigrations, les dialectes germaniques for-
maient un tout encore bien compact, au point que les
peuples de la Germanie, dispersés dans les pays conquis,
se comprenaient entre eux sans efl"ort.
Les langues romanes ont conservé un nombre considé-
rable d'éléments ayant une origine germanique. La langue
française est celle qui nous en a transmis le plus. Cela se
comprend aisément. La Gaule ayant été le plus inondée
des flots de l'invasion (i).
Ce qui a dû particulièrement étonner les Gaulois roma-
nisés et les Germains, c'est que la langue parlée alors par
les Gaulois façonnés à la civilisation romaine el celle des
(1) Voy. Fr. Diez, Grammatik der romanischen Sprachen, t. I, pp. CO, 63.
528 —
Germains avaient des vocables el des expressions qui de-
vaient les émerveiller par leur similitude.
II existe entre certains termes latins et germaniques une
si grande affinité, qu'on est forcé d'avouer qu'ils remontent
à une source commune. Ce fait favorisa singulièrement
la formation du nouveau dialecte franco gaulois ou du
français. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à comparer les
vocables suivants :
A goth.
kara = cura,
Aljai = alii,
marei = mare,
hiian = quando,
plapja = platea,
gras = gramen,
asilus = asinus,
sakkiis = saccus,
sait =s sal,
akrs = ager,
faskja = fascia,
hafja = capio,
saps = satur,
aggvus = angiislus,
niala = inolo,
tamja = clomo,
nahts := nox,
aimt = anas,
hapém = habco,
aha = aqua,
nacliul = nudus,
vaz = vas,
walles = valli,
salz = sal,
part = barba,
namo = nomen,
haba = habeo.
rapjô = ratio,
hias = bilarisj
aggilus = angélus,
assarjus = assarium,
karkara = carcer,
ahva = aqua,
vasti = vcstis,
atisk ^ ador,
hafts = captus.
•A changé en 0 dans
alêv = oleuni,
laggs = longus,
vaka = vigilo.
A {anc. teuton).
nionôm — mouco,
mako = (sto)inachus,
sat = saïur,
halla = aula,
wanna = vauuus,
marcha = marca,
asc = aescuhis.
— 329 —
A changé en E.
mâiiot = incnsis, saino = senicns,
wanpa = venter, zand = dens.
E {anc. teiu.) ai en golh.
nêst = nidiis, wcllan = velle.
J golh.
sila = sileo, sineigs = senex,
grid = gradum, midja = mediiim,
vidiivo = vidua, mita = metior,
milip = nicl, sita = sedeo,
sinilê = semper, vinds = ventus,
intinda = inceudo, fisks ^ piscis,
anc, tcut. lise = discus.
0 atic. teut.
vvorm = vermis, horn = cornu,
hôran = audire, ôra = auris.
flôdar = fluor,
U golh.
juk = juguin, sunna, sauil = sol,
juggs = juvenis, pund = pondus,
anakumbjan = accumbere, lukarn = luccrna.
U anc. lent.
knuz = nux, fluz = fluxus,
suin = sus, scùni = spuma;
mus = nuis, ûr = urus.
AI golh.
aigh, aih — habeo, aiz = aes,
mais = magis, leihts = levis.
AU goth.
râubo = rapio, auka = augeo (t).
^^) Jak. Grimm, Deutsche Grammalik, 1.
24
— 330 —
Ce qui précède avait déjà frappé M. Bormans, qui, selon
nous, à part ses judicieuses observations, ne s'en lient pas
assez rigoureusement au dialecte qui fut contemporain de
l'invasion germanique.
Le latin, dit-il, comme langue indo-germanique, avait
avec lui une foule de racines communes. C'étaient, en
élargissant un peu le sens du mot, deux dialectes qui, mis
en contact, devaient se confondre en se modifiant l'un
l'autre, mais ne pouvaient se détruire, quand même l'un
ne serait pas appuyé sur le sol et une population plus nom-
breuse, l'autre sur l'influence d'une civilisation supérieure,
sur l'autorité des lois et sur la force du commandement.
Le latin donc, en tant que latin, c'est-à-dire en tant que
constituant une langue ayant son caractère propre, importa
dans la Gaule un grand nombre de mots, et l'on peut dire,
généralement, de formes nouvelles; mais il y réimporta en
même temps, sous ces nouvelles formes, un nombre bien
plus grand encore de mots à base germanique, qui n'étaient
pas nouveaux du tout, ou qui devaient cesser de l'être du
moment qu'ils étaient compris. De même le romain devait
bientôt reconnaître dans l'idiome gaulois ses propres ra-
cines. J'ai parlé tantôt du verbe secare, en vieux thiois
segan; lequel des deux, du Gaulois ou du Romain, pouvait
ne pas comprendre l'autre, quand il prononçait l'un de ces
mots? J'en dirai autant de rapere et rapen, de spiimare,
schumen, de forare et boren, de spiœre et spuiven, de edere
et eten, de trekken ou dragen et tf^aho, de breken et
frango (fregi), que je prends au basard, et de mille autres.
Il saute aux yeux que la principale différence consiste dans
la terminaison (i).
J. Felsenhart.
{Pour être continué).
(1) Voy. Bidlelin de l" I aslltut archéologique liégeois, t. II, p. 528.
ôoi
SOUVENIRS AROHÉOLOaiQUES
DE
r.A YILl,E DE GAMD.
Sous ce tilre, le Blessager publiera une suite de notices
accompagnées d'une collection de planches, représentant
soit d'anciens monuments, soit des morceaux d'architec-
ture ou de sculpture.
Parmi ces restes d'une époque qui n'est plus, les uns
existent encore, d'autres ont disparu.
Tel est le sort de ce que nous ont légué les siècles pas-
sés, de tomber l'un jour ou l'autre sous le marteau du
temps ou de démolisseurs, aveugles parfois comme le
destin.
Un grand nombre des planches que nous publierons sont
tirées de l'album de M. Van Lokeren, qui depuis quarante
ans n'a cessé d'exercer son crayon pour sauver de l'oubli
du moins la silhouette des œuvres de nos ancêtres.
Si notre époque vise au confortable dans ce qu'elle pro-
duit en fait d'architecture, on ne peut nier que les siècles
passés imprimaient à leurs productions un cachet plus
original; personne ne s'arrête devant la longue file de faça-
des blanches de nos maisons modernes, tandis que les vieux
— 33^2 —
pignons ornés de bas-reliefs, percés de vieilles croisées de
pierre, ou bien nos vieilles églises gothiques, attirent et
attireront toujours les regards; demain peut-être ces objets
qu'on admire aujourd'hui, n'existeront plus : voilà pour-
quoi nous tenons à en perpétuer le souvenir; ce que nous
voulons, c'est empêcher le niveau moderne de s'appesantir
sur le passé jusfju'à l'engloutir, jusqu'à le dévorer pour le
remplacer par l'oubli.
Les notices qui serviront de texte aux planches, seront
dues à la collaboration de MM. Van Lokeren et Emile Va-
renbergh. Ce seront de simples récits, quelques observa-
lions, quelques rapprochements, le souvenir, en un mol,
de nos promenades à travers la vieille cite d'Artevelde el
de Charles-Quint; nous ne diviserons pas la ville par quar-
tiers, nous ne suivrons pas un ordre méthodique, mais
laissant errer nos pas et notre plume, nous ferons nos éta-
pes à mesure que les monuments ou les objets d'art se
présenteront à nos yeux, lâchant alors de rassembler ce
que notre mémoire a retenu de leur passé.
La première étape est faite, elle a eu pour litre la cour
de Ravestein, voici la seconde, les autres suivront succes-
sivement.
C.tTelL.
— 353 —
Ca €oxxx bc 2troncl)ieniU5.
Il n'y a pas plus de cinq ans, qu'on voyait encore dans
la rue Longue des Pierres (Lange Stcenslruel), qu'on ap-
pellerait avec plus de raison rue longue du Château, puisque
steen veut dire château, à côté de ce qui reste du couvent
des frères de Notre Dame du Mont Carmel, appelés en
flamand Onze Licve Vromve Broeders, une grande maison
d'antique apparence, dans laquelle on entrait par une porte
cintrée, garnie de gros clous, d'un vasistas en fer, d'une
lourde serrure, de larges charnières, et élevée de quelques
marches au-dessus du niveau de la rue. Au dessus de cette
porte se trouvait dans un médaillon de pierre le millésime
de 1618. Cette maison avait servi de Refuge aux moines de
Tabbaye de Tronchiennes, située sur la Lys, à une demi-
lieue de Gaud et portait le nom de maison, cour ou au-
berge de Tronchiennes {huis, hof of herberg van Drotigen);
la rue à côté a jusqu'à nos jours conservé la dénomination
de cour de Tronchiennes (Dro7i(jcnhof); elle s'appelle aussi
la rue du Bac.
Presque toutes les communautés religieuses du plat pays
avaient une maison de Refuge dans quelque ville fermée,
où les moines allaient, en temps de guerre ou de tourmente
politique, se mettre à l'abri du pillage derrière les remparts.
La ville de Gand possédait un grand nombre de ces Refu-
ges, qui parfois après la destruction des abbayes devenaient
la maison principale; l'abbaye de Raudeloo, dont les bâti-
ments servent aujourd'hui à l'Alhénéectà la Bibliothèque,
en est un exemple entre beaucoup d'autres.
— 334 —
Ce fui surtout lors des incursions des Normands que les
anciennes abbayes eurent à souflVir; plusieurs furent alors
détruites de fond en comble. Celle de Tronchiennes, pas plus
que tant d'autres, que celle de Saint-Pierre du Mont-Blan-
din à Gand, que celle de Saint-Bavon, ne fut épargnée par
ces barbares; en 851, ils la bouleversèrent entièrement et
en chassèrent les quarante-trois chanoines qui l'habitaient.
Le Refuge de Tronchiennes occupait dans les derniers
temps tout le carré situé entre le couvent des frères de
Notre-Dame du Carmel, la rue Longue des Pierres, la rue
du Bac et la place actuelle du Jeu de Paume. La première
fois qu'il en est question, c'est vers la fin du XIII*^ siècle :
l'abbaye était alors gouvernée par l'abbé Arnoud Hendricx,
qui acquit d'une certaine dame Avezoete la maison dont il
est question dans cet article et y fit transporter toutes les
reliques, les vases précieux de son église, en un mot, tout le
trésor de sa communauté. Nous croyons toutefois que cette
maison ne servit à proprement parler de Refuge qu'après
les désordres des Iconoclastes du XVI'' siècle; jusqu'alors
elle ne fut qu'une succursale de l'abbaye, une maison où
l'abbé et les moines descendaient lorsqu'ils venaient en ville.
La rue Longue des Pierres, de même que le quartier qui
s'étend jusqu'à la place actuelle des Fabriques, s'appelait
alors la Place aux tourbes {de Turfbriel); le pont aux petites
Clefs {Sleutelkem brucj), proche de là, était le Pont aux
moutons (Schnpen brug), et la rue du Bac portait aussi le
nom de rue du Lion rouge {Roode Leeuwstraet).
Diericx, dans ses Mémoires stir la ville de Gand (i), dit
qu'il est fait mention de ce Refuge pour la première fois
dans un acte de l'année 138G, mais il a ignoré l'époque de
l'établissement de cette succursale de l'abbaye; l'acte qu'il
cite porte la date du 17 novembre 1586, et parle du Refuge
en des termes qui constatent qu'il existait déjà; il y est dit :
(1) T. u, p. ao3.
355
« la maison de Troncliiennes près du pont aux Moulons »
Çt /mus van Dronghcnc by cler Schaepbrucjrjhe). L'auteur
des Mémoires n'a donc pas pu supposer que Tacquisition
du Refuge ne remontait pas plus haut. Un autre acte, cité
également par Diericx, pourrait faire supposer que le
bâtiment primitif du Refuge était construit en bois, comme
du reste un grand nombre d'habitations l'étaient à celle
époque, et serait resté dans cet état jusqu'en 1415, dale à
laquelle l'abbé Jean VI Colinszaens fit rebâtir la façade en
briques et en pierres (eeneu steenenin ghevel) par les maçons
Henri De Vos et Jean Celius.
Quelques années plus tard, en 14-55, l'abbé Olivier Sta-
pink agrandit le Refuge par l'achat d'une maison acquise
des héritiers Pauwels, pour la somme de 54 livres de gros,
et située à côté, vers le pont aux Moulons {allernaest de lier-
berghe van Dronghene, deender zyde ende an dander zyde
1er Schaepbrughewaert). Cinq ans après, l'abbaye acquiert
une autre maison du côté de la chapelle, et qui pour celle
raison s'appela ter capelle, proche la chapelle; c'est celle
sans doute que les actes mentionnent sous le nom de hel
Swaenljen, le petit cygne, dans la rue du Lion rouge.
Les moines n'occupèrent pas toujours le Refuge tout
entier; en temps ordinaire, ils se contentaient de la maison
principale, celle acquise la première et où se trouvait la
porte que représente notre gravure; le reste était loué en
différentes parties : ainsi, en 1724, le bâtiment acheté
en 1455 était occupé par Bernard Vander Vynckt, con-
seiller au Conseil de Flandre, frère de Luc Vander Vynckl,
auteur de VHistoire des troubles des Pays-Bas sons Phi-
lippe II, des Magistratures du Pays de Waes, etc.; ce
Bernard, vu son état maladif, se démit de sa place de
conseiller au Conseil de Flandre et fut remplacé, sur sa
demande, par son frère Luc (i).
(1) Messager des Sciences, a" 18b9, p. 408.
— 536 —
En 1740, celle partie élait louée à la dame douairière
de Vinderhaule, pt)ur 60 livres par an; en 176S, l'avocat
fiscal Diericx, Thabilail à raison de 65 livres; une aulrc
partie élait louée 20 livres; une autre encore en 1719;
la maison het Zwaentje avec une partie de la chapelle, qui
ne servait plus au culte, rapportait 56 livres de gros et était
occupée par un marchand du nom de Mathieu Chombaert,
qui employait la chapelle comme magasin; en 1745, la
veuve de ce marchand reprit le bail.
La jolie chapelle gothique du Refuge, dont le dessin ac-
compagne cette notice, existait déjà avant le milieu du W^
siècle, puisqu'il en est question en 1440, lors de l'acqui-
sition d'une maison qui y élait contiguë. En 1607, elle fut
rebâtie telle qu'elle existe encore; elle est un des derniers
monuments gothiques élevés à Gand; l'église des Capucins
toutefois lui est postérieure puisqu'elle fut bâtie en 1634.
C'était à la suite des troubles religieux; les moines
avaient été chassés de leur abbaye, dispersés et forcés
d'errer de côté et d'autre; ils n'avaient plus, dit la chro-
nique, ni un siège pour s'asseoir, ni un pain à manger;
après bien des malheurs, seize d'entre eux se réunirent,
ils trouvèrent temporairement un asile chez les frères de
Notre-Dame du Carmel, dont le couvent élait conligu à leur
Refuge; ils habilèrenl aussi pendant quelque temps au petit
Béguinage. Au commencement du XVIl'' siècle, ils rentrè-
rent dans leur maison de la rue Longue des Pierres; c'est
alors que l'abbé Liévin Vandér Meulen, trente-troisième
abbé de Tronchiennes, entreprit de convertir celle succur-
sale en couvent, ne voyant pas de sitôt le moyen de rentrer
en possession de l'abbaye. Il plaça un orgue dans la chapelle,
qu'il embellit considérablement, et orna le maître-autel d'un
tableau représentant la Résurrection du Sauveur. Celte toile
élait due à un peintre du nom de Raphaël, intitulé peintre
de Sa Majesté, qui, ayant été hébergé, en 1589, avec sa
— 337 —
famille par les religieux, voulut ainsi témoigner sa recon-
naissance pour riiospitalité qui lui avait été accordée.
Il faut croire que les moines de Troncliiennes ne se
piquaient pas d'employer pour la chapelle de leur Refuge des
matériaux aussi solides que ceux dont on faisait générale-
ment usage à celle époque pour la construction des édifices
religieux, car à peine un siècle et demi après cette re-
construction, en 1749, il fut question de l'état de ruine
dans lequel cet oratoire se trouvait. Depuis un certain
nombre d'années déjà, la chapelle ne servait plus au culte;
nous avons vu qu'en 1719 elle élait en partie louée comme
magasin; en 1749, on y mettait du bois; cette année-là,
l'abbé représenta aux échevins de la Keure que le toit d'ar-
doises de sa chapelle était dans un fort mauvais état, litté-
ralement pourri (teenemael rot) et que le clocheton qui la
surmontait tombait en ruines; il demanda en conséquence
l'autorisation de démolir le clocheton et de remplacer les
ardoises du toit par des tuiles bleues. Ces deux demandes
lui furent accordées; aujourd'hui encore la chapelle, de-
venue magasin de fer, a un toit en tuiles, mais elles sont
rouges; serait-ce peut-être depuis l'occupation française et
la Terreur qu'on en a changé la nuance pour adopter la
couleur favorite des terroristes?
L'architecture de la chapelle, d'après ce qu'on peut en
juger, était simple et élégante; une grande croisée sur-
montait la porte d'entrée, deux croisées étaient percées
dans le mur latéral. Un médaillon, enchâssé dans ce mur,
était chargé d'un bas-relief dont les sculptures sont effa-
cées; peut-être représentait-il les armes de l'abbé qui fit
rebâtir l'oratoire ou celles de l'abbaye, un cygne d'argent
nageant, avec la devise : Vita brevis, la vie est courte. Ce
qu'il y a de remarquable en même temps que d'étrange
dans l'archileclure de cet édifice, c'est qu'il n'a de contre-
forts que d'un côté; du côté gauche que baignait le fossé
des Corroyeurs, il n'y en avait pas.
— 358 —
Lors de l'occupation française, le Refuge subit le sort de
tous les couvents; Tabbaye fut supprimée, et la maison de
la rue Longue des Pierres, de même que ce qui en dépen-
dait, fut vendue avec le reste; la propriété, divisée en lots,
fut acquise par divers; celle dont nous représentons la porte
d'entrée avec ses accessoires, devint la propriété de M. Van
Wambeke, d'Alost, ancien représentant au Corps législatif
de France, depuis président au tribunal de première in-
stance à Anvers et en dernier lieu professeur de droit
civil à l'Université de Gand. Aujourd'hui il ne reste quasi
plus de traces du Refuge, seuls les quatre murs de la cha-
pelle sont encore debout; mais ils sont bien vieux, hélas!
et combien de temps rappelleront-ils encore que là fut la
cour de Tronchiennes?
La porte, dont nous donnons le dessin, date de 1618;
elle était lourde et massive; nous nous la rappelons parfai-
tement, élevée au-dessus de ses quelques marches de pierre
blanche : le caractère de son architecture formait un con-
traste avec les belles portes chargées d'ornements sculptés
du couvent des Frères de Notre-Dame du Carmel, situé à
côté, et dont M. Van Lokeren s'occupera dans une pro-
chaine notice. Les ferrures de cette porte en étaient les
parties les plus remarquables : les charnières et la serrure
étaient d'une composition simple et élégante, mais le vasis-
tas était une véritable œuvre d'art, vrai bijou de feronne-
rie que n'aurait pas désavoué Quentin Metsys, le célèbre
peintre-forgeron. Il formait une saillie de deux ou trois
centimètres, et avait par conséquent la forme d'une boîte à
couvercle travaillé à jour et appliquée contre le bois de
la porte; par la reproduction très-fidèle que nous en don-
nons, et qui est tirée de l'album de M' Ch. T'Felt, graveur,
on peut juger de la beauté et de la finesse de son exécu-
tion. Rarement nous avons vu un objet de ce genre aussi
parfait; les collections du musée de Cluny, à Paris, en ren-
C.t'Felt.
— 339 —
ferment un qui se rapproche beaucoup de celui-ci. Nous
ignorons ce qu'est devenue celle belle pièce, car nos inves-
tigations sont restées sans résultat. Peut-èlre, lors de la
démolition du Refuge, remplacé aujourd'hui par un hôlc!
moderne, habité par M. de Kerkhove, fut-elle jetée parmi
les vieilles ferrailles, vendue et employée comme telle?
La fondation de l'abbaye de Tronchiennes remonte à
saint Amand, le grand fondateur des principales commu-
nautés religieuses de la Flandre, qui vint civiliser noire
pays en y prêchant la foi catholique; elle avait donc tra-
versé une période de plus de mille ans, essuyé bien des
vicissitudes, bien des ruines, lorsque le torrent de quatre-
vingt-treize vint l'engloutir à jamais.
Comme l'histoire de l'abbaye est intimement liée à celle
du Refuge, nous ne croyons pas hors de propos d'en dire
ici quelques mots.
L'origine de l'abbaye de Tronchiennes est quelque peu
légendaire. C'était au VII« siècle; saint Amand, après avoir
converti les habitants de ce hameau, aurait bien voulu les
doter d'une église, afin de ne pas perdre les fruits de sa
mission, mais les fonds lui manquaient; il s'adressa à
Dieu, qui exauça sa prière, et voici de quelle façon :
Un grand seigneur franc, du nom de Bazin, chassait
dans la contrée; depuis trois jours et trois nuits, il pour-
suivait un cerf de taille extraordinaire, quand, arrivé à
un endroit situé entre la Lys et une forêt, là où s'élevait
la croix plantée par saint Amand, l'animal disparut à ses
yeux. Bazin, épuisé de fatigue, tomba au pied de la croix
et s'endormit; alors il eut une vision dans laquelle il crut
voir Dieu lui ordonner de construire trois oratoires, l'un
en l'honneur de la Sainte Vierge, les deux autres en l'hon-
neur de saint Jean et de saint Pierre.
Peu après, par les soins de Bazin, les trois oratoires
s'élevèrent à peu de dislance l'un de l'autre, à proximité de
— 340 —
la Lys, et quelques maisons furent bâlies autour, pour des
prêtres laïques, chargés du soin de ces nouveaux autels.
L'année suivante, la fille de ce seigneur, Aldegonde,
aveugle de naissance, recouvra la vue par un miracle dans
un voyage qu'elle fit à Tronchieunes, et Bazin, à cette oc-
casion, donna de grands biens à la communauté naissante.
Malgré les prédications et l'exemple des prêtres , il
restait un ferment de barbarie dans l'esprit des habitants
de Tronchieunes; quelques années plus tard, une bande
de païens vint piller l'abbaye; Bazin accourut pour la dé-
fendre, repoussa les barbares, mais, blessé à mort dans le
combat, il mourut peu après; il fut canonisé ainsi que sa
fille Aldegonde, et lous deux devinrent les patrons de
Tronchieunes.
Les Normands pillèrent et saccagèrent le couvent au
W^ siècle à deux reprises différentes, vers 851 et vers
880, lorsque à peine la communauté se relevait de ses
ruines.
En 884 elle fut rebâtie de nouveau. Mais les barbares
ne furent pas les seuls qui mirent la main sur les biens des
moines. Vers le milieu du X° siècle, Albert, fils naturel
du comte Baudouin le Chauve, chassé par les habitants
de Paris du siège épiscopal qu'il y occupait, fut créé pré-
vôt de l'abbaye, qui comptait alors seize chanoines; au
lieu d'administrer, comme il fallait, les biens déjà consi-
dérables de la communauté, il retira leurs bénéfices à deux
des chanoines pour en gratifier deux courtisans de son
frère, le comte Arnould le Vieux.
En 1075, l'abbé Folcard agrandit l'église, qui ne suffi-
sait plus aux besoins. L'abbé Amand, en 1088, réussit à
soustraire l'abbaye à la domination du comle de Flandre,
ce qui la mettait à l'abri des convoitises, et à trouver en
lui un avoué ou protecteur. Robert le Frison fut le premier
qui accepta ce titre; il témoigna sa bienveillance à la
— 541 —
communauté, en lui concédant de grands avantages,
comme les dîmes de Tronchiennes, Landegem, Ruysselede,
Vursle et autres lieux.
Au mois de mars 1090, Tabbaye fut le théâtre de scènes
extrêmement regrettables : les serviteurs d'un chanoine,
nommé Etienne, se prirent de querelle avec ceux d'un
autre chanoine, nommé Conon : celui-ci fit mettre les pre-
miers au cachot. L'abbé consulta le chapitre, et d'après
sa décision, déclara le temple fermé jusqu'à ce que Conon
eût fait relâcher les prisonniers; cette mesure n'était pas
faite pour apaiser le vindicatif chanoine; Conon, à la nou-
velle de la décision de son supérieur, arma ses serviteurs
et d'autres gens qu'il prit à gages, saccagea l'abbaye, s'en
rendit maître, en chassa les habitants, abandonna le tout
au pillage, et mit le feu au pavillon de l'abbé; de là les flam-
mes se propagèrent plus loin, et bientôt non seulement le
couvent, mais le village entier fut la proie de l'élément.
Conon mourut peu après de mort subite, et les chanoines
rentrèrent en possession des restes de leurs demeures, qui
furent promptement rebâties.
Vers cette époque, Baudouin de Gand, seigneur de Tron-
chiennes, s'y prit d'une assez singulière façon pour couvrir
les frais de son voyage en Terre sainte, à la suite de la
croisade de Godefroid de Bouillon. Il obtint sur le trésor
de l'église un don de 42 marcs d'argent; mais non content
de cette libéralité, il fit enlever les châsses, les ornements
sacerdotaux, enfin tout ce que l'abbaye possédait en objets
d'or et d'argent. La communauté ne se laissa pas faire sans
se plaindre, et le comte de Flandre condamna le trop zélé
seigneur à livrer à l'abbaye 150 boisseaux d'avoine par an,
hypothéqués sur un de ses domaines du nom d'Ootcgcm,
situé sur le territoire de Tronchiennes.
L'abbaye était parvenue à un haut degré de prospérité
et de richesses. Cette situation eut pour effet de relâcher
,— W2 —
considérablement la discipline parmi les chanoines; Ivvan
d'Alost, seigneur de Tronchiennes (i), à la vue des désor-
dres qui souillaient la communauté, voulut proposer aux
moines d'adopter la réforme des Prémonlrés; mais celte
proposition n'était nullement de leur goùl; le seigneur s'a-
dressa alors au comte de Flandre, qui donna ordre aux
chanoines de se soumettre ou de quitter le monasière. Tous
jusqu'au dernier préférèrent abandonner leurs bénéfices,
plutôt que de commencer une existence dont l'austérité était
peu en rapport avec leur manière de vivre.
Cela se passait au mois de mai 1138; ainsi disparut le
chapitre fondé par saint Amaud.
Le seigneur de Tronchiennes fit alors venir de Laon
des religieux de la règle de Saint-Norbert ou Prémontrés;
il fît de grands dons à l'abbaye, et obtint pour elle de son
beau-père, le comte de Flandre, la forêt d'Hulsterloo.
Lors du schisme d'Occident, il y eut quelques difficultés
dans le sein de l'abbaye : Philippe le Hardi voulait forcer
les moines à reconnaître Clément VII, tandis que ceux-ci,
comme toute la Flandre, restaient soumis à Urbain, le
pape de Rome. A ce sujet, nous ferons observer que les
Flamands, en parlant du pape, diront encore tous : de
paus van Rome, le pape de Rome; cette expression remonte
à coup sûr à l'époque du schisme, la Flandre n'ayant ja-
mais voulu obéir au pape d'Avignon. Le prince, pour forcer
les moines, nomma un abbé de son choix, et fit même
intervenir le grand-bailli de Gand.
Pendant la guerre entre Philippe le Bon et les Gan-
tois, l'abbé de Tronchiennes fut choisi jusqu'à quatre fois
par ces derniers comme leur ambassadeur auprès du
prince. Quelque temps après, au milieu des difficultés
et des guerres civiles nées du peu d'entente qui existait
(1) Voir sur ce seigneur, Diericx, Mcm sur la ville de Gand, l. I, p. 51.
— 343 —
entre les Flamands et Max i mi lien d'Autriche, les moines,
fatigués sans doute d'être rançonnés, tantôt par les Français,
tantôt par les Allemands, abandonnèrent l'abbaye et se
dispersèrent. Cet exil volontaire ne fut pas de longue
durée, mais les exactions des bandes belligérantes durèrent
encore plusieurs années.
D'autres m'alheurs plus grands fondirent sur l'abbaye
au milieu du siècle suivant. C'était au temps où la réforme
entreprit de détruire tout ce qui tenait de près ou de loin
à l'église romaine; le 25 août 1566, une troupe de miséra-
bles, sous les ordres d'un certain Onghena, se rua sur l'ab-
baye; l'abbé était précisément occupé à dire la messe; les
furieux se jetèrent sur lui, lui arrachant qui le calice, qui ses
habits sacerdotaux, et pendant que ces sacrilèges parodiaient
les cérémonies du sacrifice, d'autres maltraitaient l'abbé.
Les moines n'eurent que le temps de se sauver de l'autre
côté de la rivière, dans un petit château fortifié, apparte-
nant à Gérard de Blasere. Maîtres de la place, les bandits
saccagèrent l'église, où rien ne resta entier ou debout; un
Christ, suspendu à la voûte, fut surtout le point de mire de
leur fureur; les fonts baptismaux, les orgues, les vitraux,
tout fut réduit en poussière; la trahison se mettant de la
partie; les serviteurs du couvent indiquèrent aux dévasta-
teurs où étaient cachés les tableaux de prix; toutes les
tombes de personnages appartenant aux premières familles
du pays, furent violées et les pierres brisées; l'abbaye
toute entière fut livrée au pillage, les objets de valeur
furent emportés, les autres, comme livres et parchemins,
qui, aux yeux de ces gens, paraissaient n'en avoir aucune,
furent lancés par les fenêtres; vers le soir, la troupe,
gorgée de vin et de butin, reprit la route de la ville. Les
moines alors rentrèrent dans leurs demeures, dont il ne
restait plus que les murs; mais du moins ceux-ci étaient
debout; les châsses précieuses de leurs patrons, couvertes
— 344 —
d'or, d'argent' et de statuettes précieuses, avaient été sau-
vées d'abord dans une cachette au-dessus des cellules, puis
transportées au château de Gavre.
Douze ans plus tard, sous la dictature d'Hembyse et de
Ryhove, les monastères furent d'abord rançonnés et puis
pillés; tout ce qui leur appartenait fut vendu à l'encan à
des prix dérisoires. Les moines étaient sans asile, leur
Refuge même leur était fermé; ce ne fut que quelques
années plus tard qu'ils purent y rentrer; au milieu du
siècle suivant seulement, l'abbaye fut relevée de ses ruines,
et la dédicace des nouveaux bâtiments, ainsi que la réin-
stallalion des reliques, eut lieu en 1G98. Après cela, l'ab-
baye n'eut plus qu'un siècle de repos et d'existence. Lors
de la première invasion française, Tronchiennes ne fut que
rançonné, mais rançonné au point de devoir engager les
biens de la communauté pour se procurer de l'argent.
En 1791, elle fut supprimée de par la loi; toutes ses pro-
priétés, tous ses biens, meubles et immeubles, furent
vendus comme biens nationaux. L'abbaye comptait alors
onze siècles d'existence, depuis sa première fondation par
saint Amand.
Les bâtiments furent, au commencement de ce siècle,
appropriés par Liévin Bauwens à une filature de colon ;
aujourd'hui ils renferment le noviciat des Jésuites de
Belgique.
Ce qui reste des archives de l'ancienne abbaye repose
au dépôt des archives de l'Etat, à Gand; nous y avons eu
recours pour cette notice, ainsi qu'au bel ouvrage de
MM. De Potier et Broeckaert sur les communes de la
Flandre orientale, à la Flandre illustrée de Sanderus, aux
Gentsche Geschiedenissen du P. De Jonghe, aux Mémoires
sur la ville de Gand de Diericx et à la Chronique de l'ab-
baye, publiée dans le t, I, p. 591, du Corpus chronîcorum
Flandriae.
Emile Varenbergh.
— 545
LA PEINTURE ET LA SCULPTURE A MALINES.
LA GILDE DE SAINT-LUC
ET lVcADÉMIE royale DES BEAUX- ARTS.
L
l.a Gllde «le j^nint-l^uc.
Sommaire .• Coup-d'œil sur les corporations malinoises. — Archives de la gildo
de Saint-Luc. — Son origine. — Distinction entre les corporations (am-
bachlen) et les sections ((/czclschappen). — Les peintres sont constitués en
association. — Fondation de la messe de Sainl-Luc. — Les sculpteurs. —
Développement de la gilde. — Son apogée. — Expositions de tableaux.
— Les guerres de religion. — Le Iriplyque de Jean de Maubeuge. — Re-
constitution de la gilde. — Le tableau d'Abraham Janssens. — Admission
des orfèvres. — Les sculpteurs d'albâtre. — Modifications apportées aux
règlements. — Décadence de la gilde. — Établissement de l'Académie des
Beaux-Arts. — Jubilé de Saint-Rombaut. — Chute de la gilde.
En écrivant la monographie de la gilde de Saint-Luc,
je détache un rameau de l'arbre puissant des corporations,
dont l'influence était si étendue au moyen-âge.
C'est un point du plus haut intérêt et riche en épisodes
que l'histoire de ces compagnies industrielles, de leur ori-
gine, de leur développement et de leur rôle politique et
social. Cette étude se rapproche de la matière dont je
m'occupe; mais il est d'autant plus facile de parler de la
gilde des peintres et des sculpteurs et de l'isoler, sans avoir
égard à l'organisation et à l'importance politique des cor-
as
— 546 —
poralions en général, que celle-ci n'avait qu'une position
secondaire dans le corps des métiers.
Son intervention dans les choses de la commune était
presque nulle, car ses doyens ne siégeaient point au large-
conseil (Breeden-racd) et ses membres ne pouvaient aspi-
rer directement à Téchevinage (i).
11 serait malaisé, sinon impossible, de déterminer l'épo-
que précise de la formation de la gilde malinoise de Saint-
Luc. Nous devons ici laisser derrière nous un horizon
vague et obscur, dont nous aurions de la peine à caracté-
riser les détails.
(1) Il y avait à Malines dix-scpl grands métiers el vingt petits métiers. Les
premiers seuls avaient le droit d'envoyer leurs doyens au large-conseil. Six
métiers seulement concouraient à la formation du magistrat, en se faisant
représenter chacun par un cchevin, clioisi dans leur sein; c'étaient les bou-
langers, les brasseurs, les teinturiers, les boucliers, les tanneurs et les pois-
sonniers.
Voici quels étaient les trente-sept métiers de Malines. Ils sont cités selon
le rang qu'ils occupaient dans les processions :
1. Les forgerons.
2. Les charpentiers.
5. Les maçons.
4. Les merciers.
5. Les chapeliers.
6. Les cordiers, harnacheurs et sel-
liers.
7. Les meuniers.
8. Les bateliers.
9. Les bouchers.
10. Les poissonniers.
H. Les débardeurs,
12. Les brasseurs.
13, Les brouetteurs.
14. Les boulangers.
15, Les jardiniers, fruitiers et van-
niers.
IG. Les tisserands en laine.
17. Les lissiers,
18. Les tondeurs de drap.
19. Les tailleurs,
20. Les chausseliers.
21. Les tanneurs.
22. Les corroyeurs.
23. Les cordonniers.
24. Les graissicrs.
25. Les charrons.
2G. Les tonneliers.
27. Les menuisiers.
28. Les tourneurs.
29. Les marchands de lin.
50. Les tisserands en lin,
81, Les fripiers.
52. Les barbiers.
33. Les peintres, sculpteurs cl orfè-
vres,
34. Les scieurs.
33, Les couvreurs en paille,
36. Les tapissiers,
57. Les boutonniers.
— 547 ~
MalheureuscmeiU les archives de la corporation sont
perdues; il nous faudra réunir les rares matériaux, épaves
du naufrage révolutionnaire de 93, pour essayer ainsi de
jeter quelque lumière sur l'association des artistes. Le livre
d'inscription au métier a disparu; il ne reste que les Rolle
ou règlements originaux de la compagnie, manuscrit que
je possède, et quelques pièces détachées, conservées à
rhôtel-de-ville de Malines. Je dois la communication de
celte dernière farde à l'obligeance du savant et regretté
archiviste. M"" J. van Doren.
Comme nous venons de le voir, un voile épais nous dé-
robe tout renseignement sur les premiers jours de la cor-
poration. Nous ignorons jusqu'à l'époque à laquelle ceux
qui pratiquaient l'art se sont groupés en corps. Quoi qu'il
en soit, nous pouvons fixer comme date probable, non pas
de l'érection du métier des peintres ou des sculpteurs,
mais d'une sorte de fédération entre les artistes de même
profession, soit peintres, soit sculpteurs, le commencement
du XV^'' siècle.
Si nous tenons compte de l'état antérieur des arts dans
notre patrie, et si nous considérons l'élan rapide que don-
nèrent à la peinture les frères van Eyck, joint aux condi-
tions de bien-être matériel de nos provinces à l'époque
bourguignonne, il paraît peu probable qu'avant ces années
les peintres aient pu se réunir en société.
Au XII% au XIII'' et même au début du XIV^ siècle,
l'art de la peinture n'était guère cultivé que dans les ab-
bayes et les monastères. Les artistes qui vivaient en dehors
du cloître étaient peu nombreux, et souvent encore ils
comptaient dans les rangs du clei'gé séculier. Les coloristes
laïcs de cette seconde catégorie étaient, en outre, placés
dans une position plus défavorable que les artistes-clercs;
car dans ces siècles de piété, un relief naturel était la pré-
rogative des gens d'église. Le fidèle, désireux de se procu-
— 348 —
rer une bible arlistemenl exéculée, un livre d'beures
enluminé ou une image pieuse, préférait avoir recours au
travail patient des moines et encourager leurs talents.
Les conditions mêmes dans lesquelles vivaient ceux qui
s'adonnaient à l'art, s'opposaient à son progrès. Il y avait
absence de concurrence, de là point d'émulation : l'artiste
se contentait trop fréquemment d'imiter un devancier; au-
cune originalité ne signalait son œuvre.
Ensuite, l'échelle sur laquelle s'étendait surtout l'in-
dustrie des artistes, était resserrée et peu variée; elle
comprenait l'enluminure des manuscrits et la peinture à
la détrempe. Le premier de ces deux genres était par-
ticulièrement exercé sous le toit monastique; le second,
au contraire, semble avoir été davantage confié à des
mains laïques. Cependant, tout en rendant hommage aux
mérites et à la constance à l'ouvrage des enlumineurs
gothiques, et tout en appréciant hautement les anciennes
fresques et peintures en détrempe, nous devons avouer
que le procédé de l'art était encore un obstacle à sa vul-
garisation.
Le coût excessif des peintures sur parchemin et des
miniatures, produites au prix de longs labeurs; les prix
élevés et la fragilité de la peinture à la détrempe ou des
décorations murales, étaient autant de motifs qui rendaient
les demandes rares et qui empêchaient ainsi de gagner à
l'art de nouveaux adeptes.
L'art, longtemps endormi, se réveilla sous l'influence de
Tétat prospère de nos villes. F^es libertés communales élar-
gies, un commerce florissant, une aristocratie riche, le
peuple libre et industrieux, le luxe qu'inaugura la cour de
Bourgogne, telles furent les causes qui favorisèrent la re-
naissance des arts. La découverte de van Eyck, par une
nouvelle application de la couleur à l'huile, ouvrit à la
peinture une ère nouvelle.
— 349 ~
Les circonstances que nous venons d'énumérer nous
portent à croire que c'est dans ces temps heureux que les
peintres malinois cimentèrent une union entre tous ceux
qui maniaient le pinceau. Rien ne s'oppose donc à croire
que la gilde de Saint-Luc est l'une des plus jeunes des
trente-sept jurandes de Malines. Si l'ordre suivant lequel
celles-ci cheminaient dans les processions les groupait
selon le rang d'ancienneté, comme nos chroniqueurs pa-
raissent le croire, la corporation des peintres serait la
trente-troisième en âge.
La question de savoir quelle était, avant l'érection d'une
gilde séparée, la position sociale des rares artistes laïcs se
présente ici tout naturellement. Nous croyons, la preuve à
l'appui, qu'à cette date les peintres et les sculpteurs étaient
agrégés à une autre corporation, à laquelle ils étaient liés
par la nature même de leur profession, envisagée alors
comme complémentaire du métier principal. Les peintres
faisaient partie du corps des menuisiers; les sculpteurs
étaient inscrits parmi les maçons.
Primitivement, aucune distinction n'existait entre l'ar-
tiste et l'artisan, dont il était le confrère par la force du
règlement de la gilde. Il eût été impossible, d'ailleurs, de
créer dans le métier une section spéciale pour le peintre
ou pour le sculpteur, faute d'individus pratiquant exclu-
sivement l'art. D'un autre côté, une union étroite rattachait
le peintre au menuisier, qui ayant achevé son œuvre l'en-
duisait de couleurs ou de dorures; le sculpteur aussi pou-
vait presque toujours être confondu avec le tailleur de
pierre, qui n'était qu'un maçon-statuaire.
Mais quand le nombre des imagiers eut pris de Texten-
sion par l'usage de la couleur à l'huile, et lorsque le style
gothique, ayant dépouillé sa première simplicité, com-
mença à s'adjoindre les ornements taillés, les figures et les
statues, apanages des sculpteurs proprement dits, alors les
— 350 —
artistes tentèrent de secouer le joug de la corporation -
mère pour s'allier en compagnies à part.
Toutefois la scission s'opéra sans secousse violente. Nos
artistes restèrent sous la bannière de la gilde dont ils
avaient jadis accepté le patronage; mais ils constituèrent
dans le métier un corps réglementé par certaines disposi-
tions particulières, nécessitées par la nature de leurs
occupations. Ils avaient leurs doyens et leurs jurés à eux
et choisis parmi les leurs. Leur association était désignée
sous le nom de geselschap, tandis que la véritable nation
prenait le titre de ambacht.
Ainsi l'amour-propre était sauf, et nul ne pouvait con-
fondre l'artiste, appliqué aux arts libéraux, avec l'ouvrier
soumis au travail servile.
La première trace historique que nous trouvons d'un
corps établi des peintres date du 28 août 14-39. Les archi-
ves de la corporation des Qualre-Couronnés ou des maçons
nous révèlent qu'à ce jour surgit une contestation entre les
jurés des peintres et ceux des maçons. Les premiers pré-
tendaient avoir sous leur juridiction les verriers; les seconds
défendaient leur droit et réclamaient les verriers comme
compagnons. Le différend fut tranché à l'avantage des
maçons, en vertu d'une ordonnance du 3 avril 1429, qui
avait immatriculé les verriers parmi les maçons (i).
L'année suivante (21 avril 1440), les comptes commu-
naux de Malines relatent que le métier des peintres paya
au receveur de la ville la somme de six sous de gros (2).
La formation de notre association semble devoir se rap-
porter à cette époque : car le 16 octobre 1443, fut fondée
(1) Brieven lot fondalien, vonnissen ende terminalien ter cameren mctscrs
anibaclits. RISS.
(2) Item, ontfangen van don ambaclite van den scilders van vj s. gio.
oiilerff. gaven valc de raet. Wouler van Ballele en Cldcs Daman, xxj in april
im^xL.
— 351 —
dans le couvent des Franciscains la messe solennelle à cé-
lébrer annuellement à rintcnlion de saint Lue, patron des
peintres.
L'acte constitutif de cette fondation nous a été conservé
dans un manuscrit inédit, intitulé : Analecta belgica prœ-
sertim Mechliniensia, par l'archidiacre J. F. Foj)pens.
« Wy broeders Matthys Roegiers, gardyaen, Coenrael
» van Arensbergh, leesmeester, Jacop van Berghen, vice-
» gardyaen, met allen den anderen ouders ende gemeynen
» convente van de Mynderbroederen van Mechelen, gelegen
» int bysdom van Cameryc, doen weten allen den ghenen
» die desen bryef selen syen oft lioren lesen, dat wy broe-
» ders vore ghenoemt, aengesyen bebben die lyefde ende die
» begheerle ons lyeve vryents Jans van Battele, poerter van
3 Mechelen, die hy dreccht tolter ordenen van Sinte Fran-
» ciscus ende sonderlycx tôt onsen cloester van Mechelen,
» de welcken hy heeft sonderlynghe almoesene wt godyker
» mynen ghegheven op dat wy broeders voirscreven van
» den voernoemden cloester dan noet ontdanckeeryck sun-
» der ghunsteu ende der gyflen ons lyeven vryents voer-
» ghenoemt, soe verbinden wy ons ende aile onse nacome-
» lynghe ter eeren Gods en des weerden heyiighe evangelyste
» Sinte Lucas, een patroen der schylders, jaerlycx een mysse
» le synghene metlen orghelen, op Sinte Lucas dach, int
» covent voerscreven, in Sinte Maryen Magdelenen capelle,
» toi salicheyen ons voirscreven vryents Jans van Battele
» ende le weerdicheyen des eerbareu ambacht der schylders
» met haren medegesellen. In kennissen der waerheyt, soo
» hebben wy broeders voirscreven onsen gemeyne seghel
I) van ons convenlen voirscreven hyer aen ghehanghcn, inl
» jaer ons heeren duysent vier hondcrt end XLIll, sestyen
« daghe in octobcr. »
Lociim -j- sigilti.
— 352 —
Sur le revers :
« Dei) onde brief vaii de Minnebroeders hoe sy belooft
» hebben jaerlycx eeu misse le doen in huerlieder cloesler,
» op Sinle Lucas dach, solemnelycke mette orgliele. »
Les registres aux adhérilances nous apprennent que le
21 janvier H79, Jean Crabbe, Jean de Bruyne, jurés de
la corporation des peintres, el VVautbier van Batlele, Da-
niel Dregghe, Baudouin van der Wyct, Michel vanden Rode,
Laurent Diericx, Jean de Hollander, Jacques van Assche,
tous membres du métier, fondèrent dans l'église de Saint-
Rombaut, une messe à l'autel de Saint-Jean-Baptiste (près
de celui dédié à la Sainte-Vierge) pour le repos de Tàme
de leur confrère, Jean de Zelere [Zellaer), el de son épouse,
Elisabeth Bosschaert, tous deux décédés.
La nouvelle jurande était donc organisée, mais nous
remarquons que dans les documents mentionnés, il n'est
point question des sculpteurs. Ceux-ci étaient encore con-
fondus parmi les maçons, bien qu'ils fussent aussi confé-
dérés entre eux dès cette époque.
On s'élonnera peut-être de ce que la séparation de l'art
avec le travail industriel ait tant lardé et qu'au XV« siècle,
si intelligent, cette confusion existait encore. Un intérêt
réciproque maintenait celle étrange alliance entre deux
branches extrêmes du génie humain. Les artistes compre-
naient qu'en continuant à marcher sous la vieille bannière
des ouvriers, ils étaient une force; tandis que détachés de
ceux-ci et réduits à eux-mêmes, ils eussent été privés des
franchises et des privilèges dont la corporation-mère était
avantagée el qu'ils partageaient avec elle. Aussi ne deman-
daient-ils que d'avoir leurs chefs choisis par eux et parmi
les leurs, d'être régis par une charte propre et de ne plus
être dorénavant mis sur le même rang que le manouvrier.
Ils tenaient même à reconnaître la suzeraineté du métier
principal, dont ils étaient en quelque sorte les vassaux.
— 353 —
Le grand mélier n'attachait pas moins de prix à conser-
ver les artistes dans son giron; il maintenait ainsi sa puis-
sance et pouvait au besoin étaler une force numérique plus
grande.
La division entière et définitive entre les peintres et les
menuisiers ne fut consommée que lorsque le nombre des
artistes, devenu trop grand, leur permit d'ériger avec
sécurité un corps à part. Chaque jour éloignait davantage
les uns des autres les objets de leurs professions respec-
tives. La considération croissante, qu'avait acquise Part
pendant la renaissance, les encourageait à réclamer pour
eux également la constitution en corporation autonome.
Les sculpteurs formaient entre eux une des sous-divi-
sions de la gilde des maçons. Cette dernière association
comprenait quatre sections, désignées sous le nom général
de métier des Quatre-Couronnés. C'étaient \° les maçons,
proprement dits, qui avaient pour patron saint Claude;
2° les tailleurs de pierre, placés sous l'invocation de saint
JNicostrate; S*» les verriers et les vitriers, honorant saint
Castor; 4" les sculpteurs, dont saint Symphorien était le
protecteur.
Cette agrégation des sculpteurs aux maçons s'explique
aisément si l'on lient compte du lien intime, qui au moyen
âge reliait les premiers aux seconds. La sculpture était le
complément de l'art de bâtir. Elle y apportait son gracieux
contingent, en donnant le coup de ciseau, qui enfantait les
ornementations. C'était alors une espèce de sculpture in-
dustrielle, quoique déjà bien artistique.
Ici également à mesure que l'art s'élevait, il se dégageait
des liens matériels qui l'enveloppaient. Bientôt le ciseau,
d'inférieur qu'il était, devient l'égal de la truelle; il la dé-
passe; il finit par la mépriser et autorise ceux qui la
manient à réclamer une existence politique et sociale
distincte.
— 354 —
Avant de jouir du privilège d'une mailrise spéciale, lors-
que les peintres ne formaient entre eux qu'une compagnie
(gezelschap), ils appliquèrent tous leurs efforts à fortifier
leur association, à lui gagner des prérogatives et à élargir
son cercle, pour en venir peu à peu à acquérir l'état de
corporation. Dès le XV« siècle, nous voyons les jurés des
peintres s'en prendre aux doyens des maçons et leur con-
tester la juridiction qu'ils avaient sur ceux des verriers qui
se servaient de brosses et de couleurs pour exécuter les
vitraux. L'affaire fut jugée, le 15 janvier 1480, mais au
désavantage des demandeurs. L'arrêt déclara ces verriers
suppôts de la nation des Quatre-Couronnés (i).
La réunion des peintres et des sculpteurs, sous le nom
de gilde de Saint-Luc, s'opéra probablement en 1541, car
la première trace de rolle octroyés aux peintres et aux
sculpteurs conjointement, apparaît en cette année.
La séparation des sculpteurs de la gilde-mère ne se fit
point sans difficultés. Le métier des maçons mit tout en
œuvre pour retenir dans son sein ceux qu'elle y avait si
longtemps nourris. Vers l'époque de la création de la ju-
rande de Saint-Luc, les sculpteurs s'agitèrent et firent des
tentatives pour se soustraire à la corporation dont ils
étaient membres. En 1539, surgit un conflit sérieux entre
les quatre éléments constitutifs de la gilde des bâtisseurs.
Le point en litige était de savoir à quelle corporation cha-
cune des professions ressortissant des maçons devait se
rattacher. Les fauteurs de la discorde étaient les sculpteurs
qui, comme de juste, prétendaient devoir s'allier aux
peintres. Cependant leur tentative fut infructueuse : le
magistral trancha la question et il décida, le 20 août 1559,
que les sculpteurs faisaient partie du corps des Quatre-
(l)Bricven tôt fondatien, vonisscn endc terminalien ter camcrcn mctsers
ambachls. MSS.
— 555 —
Couronnés et ne pouvaient s'adjoindre aux peintres (i).
Les rolle accordés aux peintres et aux sculpteurs en
1564, sont le premier document contenu dans le registre
de la corporation. Il est rappelé dans Tinlroduction à ce
dispositif du magistrat, qu'au 5 avril 1541 la régence ap-
prouva, sous forme de règlement, certains rolle, arrêtés
entre les peintres et les sculpteurs d'une part et les me-
nuisiers d'autre part; ensuite, que le 17 février 1543 in-
tervint un arrangement réglementaire entre les sculpteurs
et les maçons. Ces transactions consacrèrent la séparation
des métiers; les actes que mentionne la pièce de 1564
avaient stipulé les conditions auxquelles le nouvel état des
choses fut établi.
La gilde de Saint-Luc, comprenant dès lors les peintres
et les sculpteurs, inaugura une existence indépendante à
la suite du contrat passé avec les menuisiers; quant aux
décisions prises le 17 février 1543, elles aplanirent les
dernières contestations entre les maçons et les sculpteurs.
Cette résolution reconnut aux membres de la sodalilé de
Saint-Luc le droit de tailler des images de bois, d'albâtre
et de pierre, pour autant que l'exécution de ces œuvres ne
préjudiciât en rien aux intérêts des maçons et des tailleurs
de pierre (2).
(1) Voici l'arrêt du magistrat .-
« Opt geschil dat geporleert is voor myn heeren commoignemccstcrs, sce-
pcnen, dekcns en gesworene rcntmeesters ende raed der stad Mechelcn,
tusschen de geswoorncn van de metsers, gelaesmaekers, clcyslekers, sleyne
beeldsnyders, is by myae heeren gedetermineert dat de cleystekers en steyne
beeldsnyders biyven siillen by de geswoornen van de metsers en bun am-
bacht, alsoo sy tôt nog toe geweest hebben, dus sullen de voors. metsers en
consGorten ende anderen hun vuegen en reguleeren na de rolle by myne
heeren verleent 20 aug. 1559 en dewelcke meesler Dirik van Orsclc, uyt
commisie van deselve myne heeren by geschrift geven sal.
{Actum 23 aug. 1339).
(2) La formule du serment d'admission ù la gilde de Sainl-Luc était, d'aprOs
les roUc ■•
— 356 — '
La charte de 1S41, accordée collectivement aux peintres
et aux sculpteurs, est assurément la première franchise
dont la gilde ait été dotée.
Il est vrai que par requête soumise au magistral en
Î562, la jurande demanda l'addition de quelques articles
supplémentaires aux rolle reçus en 1500. l/octroi, dont
il s'agit ici, était évidemment un dispositif que l'autorité
avait imposé aux peintres, lorsque ces derniers étaient
encore incorporés parmi les menuisiers. Du reste, dans
le complément que les artistes réclamèrent, nulle mesure
n'était prise pour les sculpteurs. La pétition émana des
peintres seuls, qui désiraient développer, selon l'exigence
du temps, un vieux règlement que l'érection de la com-
pagnie en corporation n'avait point infirmé et dont cer-
tains points pouvaient trouver chaque jour encore une
application utile.
Ainsi nous trouvons encore les peintres, en 1515, pro-
priétaires d'un autel dans l'église de Sainl-Rombaut, bien
qu'ils fussent sous la dépendance des menuisiers, qui
avaient aussi leur autel privé. Le chroniqueur Pierre van
Ick swere onsen Coninck goet enile gclroinvc le syne ciide de Ileylighe
Kercke.
De stact van Meclielcn goet ende getrouwe te syne.
Dambacht vande sehilders goet en getrouwe te syne.
Des anibaclits profyt sal ick voerderen.
De scade van den ambachle zal ick beletten.
Ick sal scot en lotgeven.
Wakcn en braken gelyck myn mombiers.
Ick sal calensieren dat te ealensieren staet.
Ten onbicden van mynen geswoeren zal ick comen.
Al dat ic hier beloefl hebbe zal ick houwcu.
By mynder manne waerheyt,
By myndep ceren.
By mynder trouwen.
Soe moet my Godt helpen
En aile syn lieve heyligen.
— ool —
Opmccr rapporte que Jean Gossart, dit de Maubeuge,
acheva, en 1515, un tableau pour la corporation des colo-
ristes (i).
Le sujet de ce panneau était saint Luc peignant le por-
trait de la Sainte Vierge. Deux volets furent ajoutés dans
la suite à la pièce centrale. Ces oeuvres, dignes de figurer
à côté de la brillante production de Gossart, avaient été
exécutées par un membre de la gilde malinoise, Michel
van Coxcyen. L'un des vantaux représentait saint Jean
jeté dans la fournaise; sur le revers, ou voyait saint Luc,
en pied. Le second vantail offrait, à l'intérieur, l'épisode
de saint Jean dans l'ile de Palhmos; à l'extérieur était dé-
peint le même saint, également en pied.
L'association des artistes était donc parfaitement orga-
nisée. Il ne lui manquait que le litre de corporation, et la
jouissance des privilèges propres aux gildes : elle n'avait
point ce que nous appelons aujourd'hui la personnification
civile. Tous deux ouvriers intellectuels, les sculpteurs et
les peintres se réunissaient déjà; ils célébraient entre eux
certaines fêtes, parlaient d'art et projetaient pour l'avenir
la fondation d'un métier indépendant.
Lorsque Albert Durer visita les Pays-Bas, en 1521, il
fut reçu en grande pompe par les peintres et les tailleurs
d'images malinois. Il nous raconte dans son itinéraire,
qu'un festin lui fut offert par les artistes, dans le courant
de la semaine suivant celle de la Fête-Dieu. Le banquet,
auquel le fondateur de l'École allemande assista en com-
pagnie de sa femme et de sa servante Suzanne, fut dressé
dans la maison oîi l'illustre hôte était descendu. Les prati-
ciens de l'art n'étant point régulièrement constitués en
corps, ne disposaient ni d'un local, ni d'une chambre de
métier, ils durent donc se résoudre à offrir la fête de bien-
(1) p. Opmeerus, Opus chronographicum, t. I", p. 450.
— 358 —
venue dans la demeure d'Henri le Peintre, où Durer rece-
vait l'hospitalité (i).
La jeune gilde comptait à peine deux années d'existence
légale, qu'elle se sentait assez forte pour défendre ses
droits et maintenir ses privilèges. Ce fait ressort d'une
sentence rendue par le Grand Conseil de Malines, le
30 juin 1543, dans un procès soutenu d'une part entre le
chapitre de Saint-Rombaut, prenant cause pour Gilles
Verne, clerc de l'église des SS. Pierre et Paul en celte
ville, suppliant par requête du 2 mai 1343, et d'autre part,
entre le métier des peintres, le magistrat et les officiers de
Malines.
Le chapitre prétendait que les officiers de la commune
avaient exécuté à tort le susdit clerc, en vertu d'un juge-
ment rendu par un des commune-maîtres et motivé sur ce
que Gilles V^erné avait peint au tabernacle de l'église, à
laquelle il était attaché, et avait été de ce chef mis à
l'amende par ceux du corps de Saint-Luc; à quoi les dé-
fendeurs répondaient, que les clercs mariés étaient justi-
ciables du magistrat pour tout ce qui ne concernait point
leurs fonctions de clerc, principalement en ce qui regar-
dait un métier.
Le Grand Conseil déclara le chapitre non fondé et accorda
gain de cause à la corporation (2).
Suivant l'ordre chronologique des pièces que nous con-
sultons, nous rencontrons à la date du 4 octobre 15S8,
un acte qui ne peut offrir d'autre intérêt que celui des
noms propres. C'est une déclaration relative à une falsifi-
cation de couleur : Servais Boisemans, peintre à Malines,
âgé de trente-cinq ans, et Jean van Beringhen, varlet du
métier [knape), âgé de trente-six ans, déclarent conjointe-
(1) F. Verachter. Albrecht Durer in de Nederlandcn.
(2) VA^ DoREN. Inventaire des archives de Mulincs, t. 1er, p. 229, n» 388.
— 559 —
ment que la couleur bleue, achclée à Amsterdam par
Rombaut van den Bossche, est falsifiée (i).
Le 13 décembre 15G2, le magistrat, vu Tinsuftisance des
anciens rolle, accorda à la gilde de Saint-Luc le droit d'y
ajouter quelques articles destinés à suppléer aux lacunes.
Cette décision avait été provoquée par une pétition
longuement motivée du métier. La copie de cette dernière
pièce repose aux archives communales; les artistes énu-
mèrent plusieurs abus qui nuisent à leur corporation et
contre lesquels leur vieille législation est impuissante à
sévir. Ils citent également plusieurs paragraphes de leur
code, qui, par suite des changements survenus dans les
moeurs, ne sont plus applicables ou devenus inutiles.
Ce document, curieux à plus d'un point de vue, permet
de redresser une exagération que plusieurs auteurs anciens
se sont plus à répéter et que les écrivains modernes n'ont
pas dédaignée. Charles, van Mander, qui d'ordinaire puisait
à bonne source et dont les données sont rarement fautives,
a partagé l'erreur commune. Dans la vie de Hans Bol, ce
biographe rapporte que vers le milieu du XVP siècle, il y
avait à Malines au-delà de cent cinquante ateliers de pein-
ture. Cette assertion est loin d'être confirmée par la requête
en question. Bien au contraire; cependant la supplique des
coloristes appuie tout particulièrement sur la grande exten-
sion qu'a acquise la gilde, à tel point que « les anciens
» ro//esont devenus insuffisants pour une société aussi puis-
sante et aussi nombreuse. » Les requérants exposèrent au
magistrat que depuis trois années (1559 à 1562) le nombre
des peintres s'était tellement accru, que l'on comptait à
Malines cinquante et un francs-mailrcs, qui tous donnaient
l'éducation artistique à un nombre « infini » de jeunes ap-
prentis.
(1) Archives de Malines. GiKlcs, corporations, maîtrises et jurandes.
— 360 —
L'opinion des historiens a singulièrement défiguré les
choses. Les gens du métier accusent ofliciellement cinquante
et un francs-maîtres, ce qui revient à un même nombre
d'ateliers. Toutefois, notre document répond à la date de
van Mander, qui détermine le milieu du XVI'' siècle; il a
été rédigé à un moment où Malines jouissait, avec le reste
de nos provinces, d'une paix profonde et d'une grande
prospérité commerciale.
La même adresse signale l'existence d'un dispositif de
1550, par lequel les échevins prescrivirent le mode selon
lequel les doyens devraient dorénavant clôturer leurs comp-
tes. Elle en donne l'analyse succinte et relate les causes qui
en avaient déterminé la délivrance.
Le \d février 1562, le magistrat promulgua un nouveau
règlement concernant les dépenses du métier.
A peine deux ans après la publication de celte pièce, des
désordres sérieux vinrent troubler la corporation. Une
mauvaise législation, augmentée, revue et diminuée tour à
tour, avait donné naissance à mille abus et à mille fraudes,
inventés pour éluder les prescriptions de la gilde.
Résolus d'en finir avec des inconvénients sans cesse ré-
pétés, les commune-maîtres et les échevins approuvèrent,
le 15 décembra 1562, une nouvelle charte, divisée en
soixante-deux articles. Ils abrogèrent expressément tout
ancien rolle, traçant ainsi une voie sûre à la conduite des
doyens et des jurés.
Les articles des statuts antérieurs, dont l'application
offrait encore quelqu'utilité, furent conservés, groupés et
rédigés convenablement; ceux qui étaient devenus incom-
patibles avec les mœurs du jour ou qui étaient insuflîsanls,
furent supprimés entièrement ou revus.
L'ensemble de ce travail paraissait très-complet et ré-
pondait aux nécessités du moment. Il donne une idée assez
juste de l'organisation intérieure de la gilde de Saint-Luc.
— 361 —
L'association pourvoyait annuelieiMeiit à l'élection des
charges administratives de la compagnie. Pour deux fonc-
tionnaires à nommer, le corps de métier présentait une
liste de six candidats, parmi lesquels le magistrat choisis-
sait les plus dignes et les plus aptes. Un bulletin d'élection
de 1574 conflrme celte assertion. L'intérêt qui s'attache
à ce billet, tableau nécrologique d'artistes du XVI'' siècle,
nous engage à le transcrire ici :
In den eersten voer 2 dekens.
Jan Feremans,
Jaks Keynooghe,
Anthone van Duerne,
Peeter Cornelis,
Jan van der Venue,
Jan Terwys.
Voor 2 busmeesters.
Adriaen van den Hou te,
Jan de Neve,
Merten Verhuist,
Machiel van Trille,
Matheus Hens,
Vincent Cornelis.
Voor 2 waerdermeesters. Den eenen moet een beldesnyder,
een anderen een stojferdere.
Machiel de Bruyne, stofferdere,
Peeter Rogouts, beldesnyder,
Huybrecht Bedar, stofferdere,
Loeyick Janssens, stofferdere,
Peeter van den Blocke, beldesnyder.
L'apogée de la gilde malinoise fut contemporaine du
XVI'= siècle. Tous les genres de peinture et de sculpture y
florissaient à la fois avec un égal succès.
26
— 502 —
A la Icle (le récole historique et religieuse brillait Michel
van Coxcyen, entouré d'artistes de renom, tels que Frede-
nian, Bol, Hais, Vlicrick, Vinckenboons, Snellinckx et
d'autres. La peinture à la détrempe était également en
pleine activité; de nombreux ateliers occupaient une infi-
nité de pinceaux, appliqués exclusivement à l'achèvement
des tentures de toile historiées, que le goût du jour exigeait
pour la décoration des salons. Les deux grandes indus-
tries locales, celle de la fabrication du cuir doré et celle de
la dentelle, relevaient encore des compagnons de Saint-Luc,
dont les crayons fournissaient les modèles et les patrons.
La sculpture n'était pas moins dignement représentée
dans notre ville. Une réputation européenne lui était ac-
quise, grâce à son chef, le mystérieux Conrad de Malines,
que les auteurs célèbrent à l'envie, mais dont aucune œuvre
ne nous est positivement connue.
Les cours de Marguerite d'Autriche, de Marie de Hon-
grie et la présence du jeune Charles-Quint, contribuèrent
puissamment à étendre et à maintenir cet état prospère.
L'exemple venu de haut lieu fut imité par la noblesse
attachée aux personnes royales. Les titulaires du Grand
Conseil, les descendants des membres du Parlement établi
par le Téméraire, les corporations, les couvents, les églises
et la ville elle-même s'engagèrent dans la voie tracée par
les princes.
Les expositions de tableaux et les loteries apparurent en
même temps; elles venaient apporter un éclatant et public
stimulant au progrès des arts. Les archives communales
abondent en citations relatives aux exhibitions d'œuvres
d'art. Le local habituel où s'ouvraient ces galeries était le
cloître du préau, au monastère des Frères-Mineurs, dits
Récollels.
Mais le soir de ce siècle, qui s'était levé sous de si heu-
reuses auspices, fut sombre et sanglant. Une grande ombre
s'étendit sur la gloire de la corporation de Saint-Luc.
— 363 —
Comme toutes les institutions politiques ou religieuses,
le corps des artistes eut à souffrir des guerres de religion
qui ravagèrent les Pays-Bas. Ses membres individuelle-
ment, en proie au pillage et à la misère, furent encore plus
éprouvés. Quelques-uns cherchèrent leur salut dans rexi4;
d'autres demeurèrent et embrassèrent les doctrines nou-
velles ou, fidèles au roi et à l'Eglise, subirent patiemment
les horreurs de ces temps désastreux.
L'industrie était immobile ou produisait peu; mais l'art
était mort. Aux yeux des iconoclastes, c'était un crime de
l'exercer.
Les briseurs d'images ne songeaient donc point qu'en
détruisant ses productions, ils préparaient à l'art un im-
mense et général encouragement, dont l'essort devait être
simultané avec la renaissance des temples et du culte.
Dans la grande tourmente qui fondit sur Malines par
l'invasion des Gueux, la corporation perdit la perle de son
autel, la riche peinture de Jean de Maubeuge. Elle fut en-
levée de l'église métropolitaine le 9 avril 1380, et l'archi-
duc Mathias l'emporta lorsqu'il quitta les Pays-Bas. Le
biographe van Mander, dans la notice qu'il consacre à
Bernard van Orley, ou Barend van Brussel, comme il
l'appelle, lui attribue erronément le tableau en question.
Les autres circonstances que l'écrivain rapporte au sujet de
cette œuvre sont plus véridiques. Il reconnaît Michel Goxie
pour l'auteur des vantaux, et il ajoute que Mathias fît de
ces dernières pièces son butin. Quant au tableau central,
l'historien, ne se prononçant pas, semble avoir ignoré son
sort.
Le triptyque ne tarda pas à exciter en Allemagne l'ad-
miration des amateurs. En 1G12, le tableau de Saint-Luc
ornait le palais impérial à Prague. Les tentatives pour re-
couvrer le chef-d'œuvre ne firent point défaut de la part
des membres du métier, mais elles furent infructueuses.
— 3G4 —
Espérant plus de succès, la gilde résolut de s'adresser
directemeiU à Tempereur pour obtenir le joyau perdu. La
ville de Malines s'intéressa à la plainte des jurés; le
12 mars 1614, le magistrat, de concert avec la corpora-
tion, envoya une requête à l'empereur Mathias, pour le
supplier de vouloir ordonner la restitution de la peinture
de Mabuse.
La pétition de l'autorité communale était appuyée par
les doyens de l'association : Jehan van den Bossche, Rom-
boult Machiels, Cornille Feremans et Michel Verschueren.
Malheureusement la supplique, comme les démarches
précédentes des pétitionnaires, resta sans réponse, et le
tableau demeura à Prague, où il se trouve encore dans
l'église de Saint-Gui.
Bon nombre d'artistes, fuyant les maux de la guerre,
s'étaient réfugiés eu Hollande et en Angleterre. Leur talent
reçut généralement un accueil favorable dans ces pays, ce
qui les décida à y fixer définitivement leur résidence. Ce-
pendant, lorsque la ville de Malines fut revenue sous le
sceptre de Philippe II, la plupart des fugitifs furent heureux
de rentrer dans la patrie; quelques-uns seulement préfé-
rèrent demeurer en terre étrangère et renoncèrent à leur
ville natale.
Les noms de ces derniers nous ont été conservés : une
liste en fut dressée le 19 juillet 138S. C'étaient : Jacques
Bol, Martin et Luc van Valckenburch, Hans Bol, François
Brassaerts, Jean Schetelmans, Jean van Noterschaten, Jean
van der Vekene, Pierre van der Vekene, Henri Thys et
Crépin Colyns. Celui-ci s'était retiré à Anvers, où il rési-
dait encore (i).
La restauration des temples et des monastères contribua
fortement à assurer le bien-être des membres de la corpo-
(1) Gebeurlenisse van Meclielen, a» 1386, Archives communales.
— 365 —
ration. Dès Tannée 1591, le métier s'était relevé des perles
qu'il avait subies. De nouveaux compagnons furent inscrits
sur le registre de Saint-Luc. Les comptes de l'église de
Saint-Rombaut attestent que l'importance de la gildc s'ac-
croissait rapidement. Sous le titre : Ontfanck van nieitwe
meesters van ambachlen den eedt ghedaen hebbende op ten
11 septembrîs 1591, sont consignées les receltes que pré-
levait la fabrique métropolitaine sur les nouvelles maîtrises.
Dans le chapitre consacré aux peintres, nous trouvons, en
cette année, une entrée de viij sous. Nous pouvons nous
figurer la valeur de ce chiffre et en conclure au progrès
de l'association, lorsque nous comparons celte recette à ce
que l'administration paroissiale avait recueilli des maîtres
entrés dans les autres corporations : les boulangers payè-
rent, la même année, xvj sous; c'est la plus forte somme
perçue. En 1592, les confrères de Saint-Luc fournirent
encore viij sous; en 1593 et eu 1594, leur contribution
s'éleva à xij sous,
Em. Neeffs.
(Pour être continué).
566 —
6ibU0^ropl)te muôicûlc (i).
Het boek Oer Psalmen, nevens de Gezangen bij de her-
vormde kerk van Nederland in gebruik, etc. Te Amsterdam,
bij de Wed. Loveringh en Allarl, 1776.
Ce livre, iu 4% avec irès-beau litre, gravé par R. Vin-
keles, conlient un psaume, Opwekken tôt God verheerlij-
kend, à 2 voix, musique de Bart. Ruioffs.
On trouve dans ce livre plusieurs poésies, planches et
les portraits en gravure sur cuivre du baron J. van Lijven
et de Thomas Hoog.
Dissertatio inaugiiraiis de vi Miisicae, ad excolenditm
hominem, a sententia Platonis. Utrecht, Paddenburg et
Schoonhoven, 1816.
Ce livre est d'Anne Den Tex, de Tilbourg.
Kerkelijke redevoering en gezangen bij de verbctering
van het kerkgebouw en or gel te Loosduinen. 's Gravenhage,
Thierry en Mensing, 1791. In-S".
Nagedachtenis van J. Haydn, gevierd in Félix Merilis,
Amsterdam, 1810. In-8°.
Verhandeling om de Muziek tôt meerder klaarheid te
brengen, enz. 's Hage, Klis, 1784. In-8°.
Zang- en speeloefening voor die zig aan den zang- of
speelkonst begeven, met eenige fraaiste zangstukjes. 2'^ dnik,
Haarlem, bij J. Van Hulkenroy, 17oo. Petit octavo.
(1) Sufte. V. pag. 88.
— 307 —
Convivium Canlorum Monachi, 1585.
(Swerlii Alhen. I3elg.).
Ce livre est de Gérard de Roo, né à Oudewaler, mort
en 1590.
Ouvrage resté inconnu à Gerber, Schilling et Fétis.
Suites des pièces à deux /lûtes, par Quoiiance.
Quoiiance était un artiste français, qui vivait au com-
mencement du siècle dernier.
Deux concertos à violon principal, etc., composés par
J. Touchemoulin, élève da célèbre Tartini. Œuvre II''.
Paris, chez Bailleux. A Lyon, chez Castaud.
Écrit par Ribière.
Ces compositions sont écrites dans un bon style et pu-
bliées vers 1780.
M. Fétis dit que cet artiste a laissé ses œuvres en ma-
nuscrit.
L'œuvre 1'''= nous est inconnue.
Le Sourire, séguedille, paroles de Pelletier-Duclary,
musique de Charles Lis.
L'Inconstance justifiée, boléro, paroles d'Armand Gouffé,
musique de Ch. Lis.
Ces deux morceaux de chant, ignorés jusqu'ici, aj)par-
liennent à M. Lis, né à Bruxelles en 1784, et qui mourut
eu 1845.
De Muzijkonderwijzer of volledig onderwijs in de (jron-
den der muzijk-kunde. Rotterdam, het jaar 1780, bij
L. J. Burcjvliet. In -8".
Ce livre, sans indication d'auteur, avec plusieurs plan-
ches, est, croyons-nous, composé par plusieurs musiciens.
Il contient beaucoup de chapitre traduits de l'allemand.
— 368 —
C'est un livre utile pour ceux qui se destinent à la car-
rière musicale.
Il a 388 pages, avec une table détaillée des matières in-
sérées dans l'ouvrage.
Baletlen voor 3 stemmen, door Giov. De Haas. Amster-
dam, bij Et. Roger. Tweede werk.
Cata. de Roger.
3 Couranten van een hoogste en middelste gehnd, van
J. Foucart.
Date inconnue.
Sei sinfonie a violini I et II viola et basso, op. I. In-fol.
DeGraaf,\7U.
Sei ariette a canlo e cemb. op. \ . Racolla d'Arie sciolte
con sinfonia, con 2 viol., '2 ob.,^ con Viola et Bass. op. 2.
6 Canzonetta a pin voce, op. 3. Aria sciolte, con coro didio
al sign. Metastasio, op. 4.
Ces œuvres sont de M^^^ la baronne van Boelzlaar, qui
se fixa, croyons-nous, à La Haye.
Elles datent de 1780.
De kerk van Nederland, ter gelegenheid van de verbete-
ringeder Psalmberijminge, enz., door Berm. Adri. Brui-
ning. Middelburg, bij P. Gillissen. Gr. in-^».
Bruining naquit à Rotterdam le 15 novembre 1738, et
décéda à Veere le 7 janvier 1811.
Auteur resté inconnu à Gerber, Scbilling et Fétis.
Pièces pour le luth, par Bruinings. Amsterdam, E. Ro-
ger, 1720
6 Sonates à une basse de violon et G. B., par Jacques
Klein. Amsterdam, chez E. Roger (vers 1740).
— • 369 —
2 Klavierwerke, elk met 6 sonaten, Amsterdam, cl. Kar.
God. Geilfus.
Geilfus était organiste à Utrecht, où il décéda en 1740.
On louait beaucoup le talent de cet artiste, resté inconnu
à M. Fétis.
Aanmerking op het gewoon Psalmgezang, met eene korte
aanleidinge tôt verbeteringe, door Daniel Rademacher,
Middelburg, bij Lieven Moens, 1776. In-S".
Toccaten, Fugen, Ciaconen, Suilen nebenst vielen Galan-
terien, pour le clavesiné organo, von Br'ônmuller. Amster-
dam, Fr. Halma, Boekverkoopcr en drukker der stalen van
Friesland, 30 april 1710.
M. Fétis consacre quelques lignes à ce musicien et ne
donne aucun litre complet de ses œuvres.
Het wel en Gode behagend singen, voorgesteld en aange-
prezen in eene kerkelijke Redevoering, door G. Van Selm.
In- i°. Amsterdam, bij J. Wessing-Willems, 1774.
Cet écrit a été publié du temps qu'on reformait en Hol-
lande le cbant des Psaumes, qui trouva peu de sympathie.
M. Fétis mentionne le même ouvrage, mais moins com-
plet et à deux noms différents.
Page 11, t. Vin, le livre est indiqué dans une courte
notice sur Selm (Gérard Van).
Dans le même volume, l'ouvrage est indiqué sous le nom
de Zeilmann Van Salm (Gérard).
II y a là évidemment une erreur, mais Touvrage est dû
à Van Selm.
6 Trios pour 2 clarinettes et un basson, à deux violons
et une basse, composés par H. J. Tobi, premier cor de chasse
d'Anvers. OEuvre 2«. A Anvers, chez l'auteur.
Celte œuvre date de la fin du siècle dernier.
M. Fétis cite une œuvre de ce maître et le dit allemand.
— 370 —
Ces six trios sont édités à Paris, chez Le Meuu, im-
primés par Richomme et écrits par Ribière.
6 Sonates à 2 violons, dédiées à M. Marcel De Vos, abbé
de l'Abbaye de Saint-Michel, à Anvers, composées par
P. J. Guislain. Œuvre 1^'. Anvers, chez l'auteur.
Imp. par P. Van den Berg.
Date environ de 1780.
Gravure sur zinc, mais médiocre. Papier très-fort.
Kirchcn-musik : 3 bis 8 stimmige Gesànge, von J. Lohner,
1700.
Cet artiste, omis par M. Fétis, naquît le 12 décem-
bre 1045, à Nuremberg. Il était organiste à l'église Saint-
Laurent, en cette ville, et y mourut le 2 avril 170S.
Ouverture de l'Olympiade, avec des ariettes, etc., par
M. De Boeck. A Bruxelles, chez M''' Gram et Ceulemans,
M'^' éditeurs de musique D. S. A. R., etc., et aux adresses
ordinaires de musique.
Cet œuvre, d'un auteur inconnu, date du siècle dernier.
Nomenclator octilinguis omnium rerum, propria noniina
continens.
Ab Adriano Junio ante hac collectus, etc. Ex typogra-
phia Jacobi Sloer, 1619.
Adrien Junius, docteur en philosophie, naquit à Hoorn,
le l^juillet 1512, et décéda à Ameiden le 6 juin 1575. Cet
ouvrage traite de : Musica instrumenta coque spectantia.
Il y a eu plusieurs éditions de ce livre. La troisième
date de 1 583 et parut à Anvers.
L'édition que nous avons sous les yeux est un livre
explicatif de mots ; ainsi il explique le mot Musiciis en
différentes langues.
Le chapitre Artium nomina, traite aussi de la musique.
— 371 —
Stichlelîjcke rij'men van D. R. Camphuyscn, enz., en aile
gecomponeerd om te zinqen en speclen, met tivee stemmen,
door Joseph Butler, Music. tôt Ainsteldam. '/ Amsteldam,
bij Pauius Matlhîjs, in 't Musyc-boeck, en zijn te bekomen
bij Abraham de Wees, op de Middeldam, A" 16S2.
Ce livre, inconnu, est in-i" et imprimé avec soin. Dans
la préface on lit :
« Tôt het maken en compoiicren der Mnsyc, hebbe Ick Joseph
Butler bewillight, die niet iiagelatcn heeft zyn konst en vlytt
hier toe te wenden; en aizoo yets dient gezcydt tôt narechtinge,
zal ick 't gène door hem tôt dien eynde ontworpen is, in 't korte
stellcn »
On ne connaît rien de la vie artistique de J. Butler.
Le livre contient un beau portrait de D. Camphuyscn,
gravé par C. Casteleyn, avec les vers suivants :
Hier sielge H Beeld van die eenvakiigh allyil song
Van Goed, van God, van Deugd, van Lyden, van Vcrsakcn.
Niet ais de VVeiit, in schijn, alleen sleclits met de Tong.
Om eer of Lof, of Gunst, maer Gode te genalœn :
Dies vond Jiy sielen Rust (0 soct' en Heylge vreugd'),
En hem op Acrd van 'l Aerdscli, verselt met aile Deugd.
Sonate a violino sol e basse contimio, de Thevenart.
Amsterdam, chez Le Cène (vers 1735).
Proeven van Muzikale uitspanningeu met de melodiën
achteraan, d. W. van Ollefen. Amsterdam, Elwe, 1783.
VI Klavîersonalen, door Lodewijk Gautier. Amster-
dam, 1763.
Édité probablement chez A. Olofsen.
Premières leçons pour apprendre le Piano-forte, etc. , par
C. F. Ruppe. Œuvre XIII. A Leide, chez fauteur. Gravé
par A. Wijsman.
Geestelijke rijmstoffen met mvziek voor 2 stemmen, door
W. Vcrmoolcn, 1782.
— 372 —
Vermooleii était attaché, en 1770, à l'église de Haarlem
en qualité de chanteur.
Vriendenzangen tôt gezellige vreugd. Haarlem, 6/j
Loosjes, 1801. — Anonyme.
Simphoni périodique à deux violons, taille et basse, flûle
et hautbois et cornes de chasse. Composé par Sr. Ditters, à
Vienne. N. IV. A Amsterdam, chez J. J. Hummel.
Belle notation.
Date environ de 17G0.
Symphonie périodique à deux violons, deux flûtes, deux
cornes de chasse, deux tailles obligés e vîoloncello, composé
par G. Th. Greiner. Amsterdam, chez J. G. Sivache et
Comp., marchand et imprimeur de musique.
Stukken voor tivee fioolen de Gamba met korte onder-
wijzing op de handfluijt. 2 deelen. Amsterdam, bij Paulus
Matthijsz., 1649.
Un autre titre de ce livre indique :
Goden-Fluit Hemel, van d'aller konstighsle meesters
dezer tijd gesteld.
Ce livre est dédié à iM"<^ Adriana Van den Bergh, qui
cultiva avec fruit la musique.
Dans la dédicace, Timprimeur s'exprime ainsi :
« Zoo heldcr klink ia dien tijd Uw E. fluit, daer al de we-
reld met verwoiuleringh lof van spreekt; En gelijk Uw E. de
natuurc te baat hceft en d'aardigheid van handelingh Uw E.
kioek vernuft niet ontvalt, zoo hoort men nu als op-getoogcn,
de zoete snaaren van Uw E. fiool de Gamba door haar zuiver
geluid de keiirige ooren dcr specl-mecstercn vcrnocgen , die
van Uw E. hun besle stukken wenschcn te laten goct keurcn,
en daar in zich gclukkig achten, dat Uw E. bchaagcn mo-
ghen, enz.
» Uw E. dienstwillighste dienaar,
» Paulus Mattiiijs. »
O tù —
VI sonaten, ivaarvan o voor twee fluilen en bas, en 5
voor finit, vedel en bas, cl. A. C. Slechwij. Amslcrdam (vers
1760).
Cel arlisle, resté ignoré par Schilling, Félis et d'autres,
était organiste, en 1760, à la cathédrale de Zwolle.
L'année 1771, il était organiste à Téglise Westerkerk, à
Amsterdam.
Burney, qui l'entendit toucher l'orgue, en dit beaucoup
de bien.
Hammel édita de lui sous ce titre : VI sonate, 3 a due
Flut. trav. e 3 a FI. trav. e V, op. I.
C'est le même œuvre.
De 150 Psalmc.n Davids met der zelver Lofzangen,
gemaakt voor het davier en orgel, na hunne gegronde en
ware harmonie, toon-aart, bassen, becyjferingen, musicale
afdeelen en kleine agrementen; door Conr. F. Hûrlebusch,
Amsterdam, bij J. Freislich, 1766,
Les Psaumes avec basse chiffrée.
L'ouvrage, de 160 pages, est imprimé avec grand soin.
Les mélodies sont surchargées de ces notes d'agrément
et de fantaisie qui dénaturent d'une manière étrange le
chant principal. Celte manière de contrefaire les mélodies
primitives, fut très en usage au siècle dernier. On a plu-
sieurs ouvrages de cet artiste, resté ignoré à M. Félis.
Le privilège des états de ce livre date du 19 mars 1761.
Voici les ouvrages qu'on y trouve mentionnés :
a Coenraad Frederick Hûrlebusch , burger tôt Amster-
dam, enz.
i) Tagtig à hondert Italiaansche Ariën met instrumcnten.
» Twee geheele opéras, geintituleerd VInnocenza difesa en
Flavio Cuniberto.
» Twaalf italiaansche cantaten, met instrumcnten.
1) Vierentwintig italiaansche cantaten, met bassen en zang-
stemmen.
— 374 —
» Twaaif conccrtcn, iwaalf sonaton en agt ouvcrtiircii, aile
voor violine en andere instrunienien.
1) Zcs clavierconcerten met instruinenten.
« Vierentwintig Fugen voor 't clavier en orgcl.
)) Agtien sonaten of suiten voor 't clavier.
» Een Miisicaal Tractaat, geintituleerd vaststclling en ieere
dat de oneindige veranderde Musicq, uit drie grondbcginsclcn
of principia afkomslig was. »
Hurlebusch décéda vers 1770.
Andante avec neuf variations pour piano, par Charles
Bitlerman. Anvers, chez Bachem.
Publié au commencement de ce siècle.
Auteur resté inconnu.
VI Ariettes ital., avec accornpagnement de piano, par
Zoncada, 1802.
Auteur inconnu.
12 Sonaten in 4 deelen, per il Cambalo. Amsterdam, hij
A. Olofsen, 1738.
Eene redevoerinrj over den oorsprong en voortgang van
het heilig zingen, in het bijzondcr van het Psalmzingen zoo
omler het onde als nieuwe verbondt, tôt dezen tij'd, enz. Te
Arnhem, bij J. H. Moeleman en W. Troost, \77^. In-8°.
Ce livre est dû à J. Vitringa, prédicant à Arnhem.
Sous le rapport de l'historique du chant d'église, cet
ouvrage mérite l'attention de ceux qui s'occupent de cette
partie.
Zeventig muziekstukken in de Nederlandsche taal en
christeUjk gecomponeerd, door Willem Swart.
Ce compositeur naquit à Arnhem au XVII^ siècle.
Il reçut un privilège pour la publication de ce livre.
C'est peut-être le même qui fabriqua un piano en porce-
laine, dont M. Dodt cite cette note :
— 375 -
« 1655. Is VVilhcm Swert, musicien, focgcicct twintich giil-
(!cns, voor dat hij haro IIo. Mo. vcrtlioont hcoft zccckcr cla-
vicijnbcl van porcclcijn, dacrovcr hij dcrlhicn jacrcn besich is
gcw'cest om desclve met hct getal vancte rcsonancicn ua dcn
cijsch correct le vinden (Aug. 21). »
B. Fritz's ondcrwij's om clavicrcn, claccvimbcls en orgcls
te stemmen, door Van Elvesvcldt. Amsterdam, J. J. Hum-
mel, 1788.
De zangkunst gemakkcl/jk gemaakt door D . H. Amster-
dam, bij Gortmann, 1788.
L'auteur de cet écrit est inconnu.
Le Civisme, cantate patriotique improvisée en Vhonneur
de Guillaume /", roi des Pays-Bas, par J. B. Caroli, ci-
toyen belge, natif de Mons, dédiée à la nation Néerlandaise
par J. H. Mees, et enrichi du portrait du Boi, dessiné par
S. Guyard. A Bruxelles, chez l'auteur.
Ce couplet, avec chœur et accompagnement d'harpe ou
piano, date de 1818.
L'édition est fort belle.
Voici les vers du chœur :
Chantez, chantez, enfants de la patrie.
Chantez la liberté chérie!
Et pour elle cl vos rois, affrontant mille maux.
VI Sinfonie a diioi violini (quatuor), dus corni di caccio,
0 trombe ad libi, da don Vlacido de Camerlohrer. Opéra 2,
gravés par Benoît Andrez, derrière Saint-Thomas, à Liège.
Cet ouvrage est dédié à la baronne d'Eykner, née com-
tesse de Lizelburg. Il date environ de 175o.
M. Fétis ne fait que mentionner ce livre, qui se distingue
par de belles notes.
Musicœ rudimenta Latino Belgica ex prolixoribus musi-
corimi prœccptis cxccrpta. In 2isum illustris Gymnasii
— 370 —
Geldro- Velarici qiiod est Uardcnici. Uardenici Geldrorimi,
apud Gedeomtm de Bacs, Bibliopolum, Anno 1G05. Pet. 4".
D'un côté se trouve une traduction hollandaise.
Il y a eu d'autres éditions en 1621, 1C5G et 1G45.
VI Duos pour deux violoncelles, par Salivas de Paris.
Op.I.
Publié à Paris, vers 1780.
VI Duos pour clarinettes, par Satis. Op. I. Paris (vers
1784).
Auteur inconnu, comme le précédent.
Liedboek, inhotidende de schriftinirlijke vcrmaanlicderen,
claechliedercn, cnz., der Medeleeden van de Mennoniten
Gemeenlen, door Uans de Rijs. Rotterdam, bij Dirk Mul-
lem, 1728.^1-8°.
Kelner (/>')» Korte en betrouwe onderrintinge van de
generaal bass, of bassus continuus, door G. Uavingha.
Amsterdam, bij J. Covens, junior, 1751.
Traduction du traité d'harmonie de Kelner. Un beau vo-
lume de 171 pages, avec papier solide et beaux caractères.
Uavingha vivait encore en 1751.
De zangivijzen der CL Psalmen Davids en der lofbesan-
gen, so als dezclve in de reformecrde kerkcn zijn opgesteld
voor zulke die de basso-continuo niet verstaan.
Ces œuvres sont de la composition de F. G. Michelet,
professeur dans une des écoles à Franeker, et qui naquit
en Frise l'an 1750. Nous trouvons ces œuvres dans un ca-
talogue.
L'auteur est resté inconnu.
1° Apollo en Daphne, van Karel Zweets, op muzijk door
Hendrik A7idcrs, te Amsterdam vcrtoond, en gcdrukt al-
daar bij Kornelis Zweets, 1G97. In-8''.
— 377 —
2° Min en Slrijdt, Herderspel met muzijk van den Heer
Ànders. Te Lciden, voor de Leitze en Baarjsche schouw-
burgen, 1719. In-8°.
On dit beaucoup de; bien des œuvres d'Anders, qui ont
été omises par M. Félis.
Der Fluylen Lust-Hof beplant met Psahnen, Pavanen,
Almanden, Conranten, enz., door den Ed. Jr. van Eyck,
Mnsicijn toi UUrecht, enz. 't Amsterdam, bij Paulus Mat-
thijs, in de Stoof-Steerjh, 1654.
Ce livre est dédié à C. Huygens, seigneur de Zuylichem
et secrétaire du prince d'Orange.
Muziekboeken cjecomponecrd door Michiel Lamerelte,
Dans une demande adressée aux États boilandais et
signée de M. Lamerette, il est question de publications
musicales éditées par Charles de Scbildere, imprimeur à
Middelbourg en 1594.
a Op de requeste van M' Mich. Lanicretle verzoekende octroij
voor Charles de Schildcre, enz., om voor den tijd van 6 jarcn
alleen le mogen drukken ende in de geunieerde proviniien
vcrcoopen al suitke boecken, als hij in miisijque gesleld ende
geconipencerd heeft met drij, vicr, vijf ende zcs partijen, eens
deels tenderende tôt eer ende loff van sijn Excellenlie over
deszelfs victorien tegens den vijant met inierdictie, enz. »
Douze romances, chantées par Lavigne, arrangées pour
deux flûtes par C. Laurent. Prix : fr. 4-50. A Liège, chez
la veuve Terrij.
Cette œuvre date du commencement de ce siècle. Elle est
ornée du portrait du célèbre chanteur français Lavigne, qui
s'est fait un nom distingué en Europe (i) et que M. Fétis
a omis.
(I) Nous avons une œuvre de A. F. Lavigne fils, élève ilu Conservatoire de
Paris, qui contient des airs varies pour (liite, œuvre 2", édités à Paris, ehcz
P. J. Plouvicr. 27
— 578 —
Lavigne naquit à Pau vers 1778 et précéda Nourrit et
Duprez à rAcadémie de musique de Paris.
Il fil ses débuts avec un certain éclat le 2 mai 1809, dans
le rôle important il'Iphigénie en Aiilide. Il resta à l'Opéra
jusqu'en 182o, et fut 1" haut-contre et chanteur de la cha-
pelle de S. M. le roi.
Eu 1821 , il est venu donner des représentations à
Bruxelles et à Anvers.
Il provoqua avec la puissance de sa voix un enthousiasme
indescriptible.
Lavigne s'était retiré dans sa ville natale, par suite d'une
paralysie, et il y décéda en 185S.
Il était surnommé ï Hercule du chant.
Premières leçons pour apprendre le piano-forte, consis-
tant en 6 sonatines, dont la sixième à 4 mains, etc., par
C. F. Ruppe, maître de chapelle de C Université de Leide.
A Leide, chez l'auteur.
Ce livre date du commencement de ce siècle.
De mnzijk van de Psalmen benevens de lofzangen, naar
den nieuwen zangtrant met Prœ- en Interhidium en Bassen,
door Jacob Potholt. Amsterdam, bij J. Brandt, 1798.
La musique des Psaumes, avec basse chiffrée.
Ce livre, de 118 pages, contient des chorals accom-
pagnés de toutes sortes de fioritures, si en usage au siècle
dernier, et ne donne pas une idée bien grande du goût de
nos artistes accompagnateurs. Toutes ces figures de pure
fantaisie, ôtent le caractère austère que doit avoir toute
exécution de chant choral.
Pothold est signalé comme un des plus habiles organistes
et carillonneurs de son temps.
Edouard Gregoir.
{Pour être continué).
— 379 —
CI)ronti]ue Îrc5 ^xts et ics Sciences, et Uarte'te'ô.
La fête des moissomveors a Zdlte. — Le temps passé ne revient pas,
dit-on, et les vieux usages tendent à s'effacer graduellement; on rencontre
toutefois encore de loin en loin quelques épaves d'un autre âge, qui, à tout
prendre, sont réellement des vestiges de l'époque féodale, que les grands
mots d'égalilé, de liberté et de fraternité n'ont pas eu la puissance d'abolir
jusqu'à ce jour. Ainsi naguère nous fûmes témoins d'une fête de moisson-
neurs, souvenir, à n'en pas douter, d'un us des temps les plus reculés, et
dont, comme archéologue, nous aimons à constater l'existence. C'était à Zulle,
petit village de la Flandre Orientale, adossé à la Lys et à cheval sur la grande
route de Gand à Courtraij il est pourvu d'une église qui n'est pas à dédaigner
et d'un joli château, apanage de la famille Limnander de Zulte, dont la der-
nière héritière a épousé le baron Charles van Zuylen van Nyevelt.
Voici comment se passent les choses :
Le soir du jour où les derniers épis sont tombés sous la faucille, les ouvriers
de chaque ferme se réunissent par escouades; chaque escouade alors se rend
tour à tour au château; la marche est ouverte par une jeune fdle portant une
gerbe couronnée de fleurs, enguirlandée de drapeaux de papier aux couleurs
vives, éclairée d'un grand nombre de petites chandelles et surmontée d'un
oiseau en carton; puis viennent les moissonneuses, la tête couronnée de
fleurs, tenant à la main quelques outils; derrière elles marchent les mois-
sonneurs, couronnés d'épis et de fleurs, portant sur l'épaule leurs faucilles
enguirlandées; sur les côtés de la troupe marchent quelques hommes qui tien-
nent des torches allumées; le fermier vient le dernier. La troupe arrivée
devant la grille du château, qu'elle trouve fermée, s'arrête; le fermier se la
fait ouvrir, en disant que les moissonneurs de sa ferme viennent saluer le
seigneur et lui annoncer l'heureux succès de la moisson.
Le seigneur averti, s'avance, suivi de sa famille, de ses invités et de
toute sa maison; aussitôt que les moissonneurs l'aperçoivent, ils le saluent
par des hourrahs frénétiques; il s'arrête à la grille qu'on ouvre toute grande;
la jeune fllle qui porte le trophée s'approche alors de quelques pas, et en-
tonne une chanson du pays, que toute la troupe répète en chœur; la chanson
— 380 —
finie, les hourrahs recommencent, dirigés par une espèce de corypliée, qui
donne le Ion en poussant d'abord seul ce cri; les gosiers alors se trouvant
suffisamment altérés, le seigneur fait circuler les bouteilles : après quelques
rasades, la troupe entonne une seconde clianson, suivie de nouveaux liour-
ralis; lout-à-coup succède un grand silence, et le coryphée cric à pleins pou-
mons : « Quel est le plus beau village du pays? — « Le nôtre! » répond la
troupe. — « Quelle est la plus belle moisson du village?» — « La nôtre! »
— « Quelle est la meilleure ferme du village? » — « La nôtre !» — « Quel est
le meilleur seigneur du pays? » — « Le nôtre! Vive monsieur le baron! » —
Alors la scène change : les porteurs de torches s'éloignent un peu, forment
un grand cercle, au milieu duquel on plante le trophée, les chants repren-
nent, et les moissonneurs commencent un bal champêtre où, autre abus des
anciens âges, dira-l-on, les hommes dansent entre eux et les femmes entre
elles autour du trophée.
Après les danses, toute la troupe se remet en ordre, pousse encore quel-
ques hourrahs et quelques vivats à l'adresse du seigneur et prend le chemin
de la ferme, dans le même ordre qu'elle en est partie; là le souper l'attend,
et après quelques nouvelles rasades, chacun va se reposer pour reprendre ses
travaux le lendemain.
Après qu'une troupe de moissonneurs a fait, au châtelain, la visite telle
que nous venons de la décrire, elle est suivie peu après par une autre, qui
marche dans le même ordre, accompagnée de torches et précédée également
d'une jeune fille portant un trophée analogue; tout se passe comme la pre-
mière fois, et se renouvelle autant de fois qu'il y a de fermes dépendantes
du château.
Si les modernes niveleurs regardent cet usage comme un abus, nous con-
viendrons que c'en est un, mais c'est un abus du cceur; et ces messieurs ne se
sont pas montrés jusqu'ici compétents dans celte matière.
Emile V....
Correspondance et actes pour l'histoire de la guerre de Trente Ans (1).
— Voici un ouvrage allemand, peut-être encore fort peu connu dans notre
pays, et qui mérite cependant bien d'attirer l'attention. Il est précédé d'une
introduction enrichie de notes, mis au jour par M' Moriz Ritter et publié
sous les auspices du roi de Bavière, par la Commission royale d'histoire de
Munich.
(1) Bricfe und acten fur Geschichle des Dreissiclijahrigen Kricges in dcn
Zcilcn des vorwaltendcn einflusscn der Wittclsbachcr.
— 381 —
Le volume que nous avons sous les yeux est le premier, contient les
cumcnts des années 1598 ù 1G08, et se rapporte à l'établissement de
nîon.
C'est à la période historique, qui s'étend depuis le milieu du XV!" siècle
iqu'au traité de Westplialie, en lG-18, qu'anparlienl l'histoire de la guerre
Trente Ans; h cette époque, l'Allemagne, qui avait été la patrie de la ré-
rme, devint le centre de la politique européenne. Les tempêtes s'étaient un
u apaisées dans le sein de l'cnipirc; mais au commencement du XYII"-' siècle,
lUtriche fui de nouveau en proie à la sédition; la Hongrie refusait d'obéir
l'empereur Rodolphe et choisissait son frère Mathias pour roi.
Les protestants, heureux de voir ces divisions se présenter même au sein
la famille impériale, voulurent en profiter pour recommencer la lutte; ils
inclurent une alliance offensive et défensive, que l'électeur pala.'in 'Je la
aison de Wittelsbach consacra sous le nom d'Union.
.liais l'Union n'étant pas assez forte pour agir seule, après avoir essayé de
•mbaltre sous rélccleur palatin, s'adressa successivement au Danemarck, à
I Suède et ù la France. C'est ce qui partage la guerre de Trente Ans en li'ois
ériodes : la période palatine, la période danoise et suédoise, et la période
■ançaise.
Une grande partie des documents contenus dans le volume que nous avons
'S yeux, sont surtout tirés des archives de l'Etat à Munich, d'autres de celles
e Casscl, quelques-uns de la Bibliothèque ci-devant impériale de Paris (sec-
on des .^ISS.), ou des actes de l'Union déposés ù Berlin, etc.
Ce premier volume se compose de îîTG pièces, lettres ou actes, qui toutes
II une valeur historique incontestable.
Emile V....
.MvsTÈnE DE SAINT Lûuis, — Sous ce titre vient de paraître, en Angleterre,
n mystère du XV« siècle, conservé à la Bibliothèque ci-devant impériale de
aris, et qui raconte la vie de saint Louis sous forme dramatique. C'est
'r Francisque Michel qui est Téditeur de cette publication, tirée à cent e.\em-
laires seulement, et imprimée ù Westminster pour le Roxburger-Club.
{Pûlybibliun).
CiLESDRiEn DES Aztèques. — Le ministre des États-Unis ù Mexico a faitpar-
onir au gouverneur de l'Indiana un spécimen du calendrier des Aztèques,
racé sur une table de pierre. Cette découverte montre avec quelle exactilude
ancien peuple du Mexique était arrivé ù mesurer la marche du temps.
I Nelson a accompagné sou envoi d'une lettre, dans laquelle il explique que
' calendrier est resté enseveli sous terre depuis l'epoquc de la couiiuètc
— 582 —
Jusqu'au jour de sa découverte accidentelle, vers la fin du siècle dernier. E
1790, le vice-roi (du Mexique), Reville Gigcdo, ordonna de paver à nouvca
la place principale de Mexico. Dans le cours de cette opération, on découvri
des monuments antiques et intéressants de l'époque aztèque.
Le premier est une statue colossale du dieu de la guerre, Iluizilopoclili (1
Vilzilipurzli de Diaz de Solis), le même dont le culte avait lieu au sommet d
temple (piramidal) o' jocali » à Mexico, lors de la destruction de cette vill
par Fernand Cortez. Le seccnd, la table-calendrier, fut découvert en la mém
année (1790), non loin de la Grand'Place, et juste en face de l'entrée d
palais-. La matière dont il se compose est une pierre de basalte excessivemei.
^iire, qui se trouyt à une grande distance de Mexico. 11 a 11 pieds (anglai-
/ de liautcur, 8 po- '•es de diamètre et G pouces d'épaisseur.
l^ L'année -.■..ilc des Aztèques se composait de 18 mois de 20 jours, auxquel
/ on ajoutait 5 jours complémentaires, qui étaient censés n'appartenir à aucui
^ ,v_V:.-> mois et que les Aztèques comptaient comme des jours malheureux. A l'expira
tion du cycle de S2 ans, on intercalait 12 jours cl demi pour compenser Ic:
G heures par jour perdues annuellement.
M. Gaiatin tire de l'examen des hiéroglyphes cette conclusion : « Non
voyons tracées sur cette pierre toutes les dates des positions principales di
soleil. Il parait que les Aztèques avaient déterminé avec une grande précisioi
les jours correspondants des deux passages du soleil au zénith de Mexico, de£
deux équinoxes et des solstices d'hiver et d'été. Par là ils étaient en mesuri
de déterminer et de vérifier de six manières la longueur de l'année solaire. >-
Académie rov.me dlj Sciences, des Lettres et des BE.iiix-AnTS de Crcxelles.
— Programmes de concûlrs pour 1872 et 1873. — Programme pour 1872. —
Première question. — " On demande un essai sur la vie et le règne de Seplim(
Sévère. »
Deuxiime question. — « Exposer avec détail la philosophie de saint Anselnn
de Cantorbéry; en faire connaître les sources; en apprécier la valeur et cr.
montrer l'influence dans Tliistoire des idées. »
Troisième question. — «Apprécier le règne de Marie-Thérèse aux Pays-Bas.'
Quatrième question. — « Donner la théorie économique des rapports di
capital et du travail. »
L'Académie désire que l'ouvrage soit d'un slyic simple, à la portée de
toutes les classes de la société.
Cinquième question. — « Faire l'histoire de la philologie thyoisc durant li
XVI<: siècle et pciidau! la première moitié du XVlli-'. u
— 585 —
.e prix des lr«, 2c et S^ questions sera une méilaillc d'or de la valeur de
cents francs; il est porté à mille francs pour les 4c et ïi".
-es mémoires doivent cire adressés, francs de port, avant le 1er février
"2, à M. Quetelet, secrétaire perpétuel de rAcadéniic, Boulevard de l'Ob-
'.atoire, à Bruxelles. — Les concurrents doivent se eonfoimer aux condi-
is ordinaires des concours de l'Académie.
'nocRAMME POUR 187Ô. — Prcwitre question. — « . -^ ^lippréciation du
■ni de Cliastcllain, de son influence, de ses idées poiiliques ^t Je ses len-
ccs littéraires. » . -,
deuxième question. — « Traiter 1 histoire politique de la FlanL>e denuif "■
0 jusqu'à l'avènement de la maison de Boui-go^nc (1382), en s'attachùiUV"-
iicipalement aux modificalions qu'ont subies, ù cé}£ époque, les insU cu-
is générales du comté et les inslitulions particulières de s^jl '^[l'andcs
imunes. >>
Troisième question. — » On demande une appréciation du règne de Cliai'les
Téméraire et des projets que ce prince avait conçus dans rintérèt de la
ison de Bourgogne. »
'Quatrième question. — « Quels seraient, en Belgique, les avantages et les
ouvénients du libre exercice des professions libérales? »
Auquieme question. — « Expliquer le phénomène historique de la conscr-
ion de notre caractère ualional à travers toutes les dominations étran-
es. »
.e prix de chacune de ces questions sera une médaille en or de la valeur
ix cents francs.
: PERPÉTUEL INSTITUÉ PAR LE DARON DE STASSART POUR UNE QUESTION d'UISTOIRE
NATIONALE.
lonformément à la volonté du donateur et à ses généreuses dispositions,
lasse a ouvert la deuxième période sexennale de ce concours en posant la
stioa suivante :
Exposer quels étaient, à l'époque de l'invasion française en 1794, les
icipes constitutionnels communs à nos diverses provinces et ceux par
uels elles différaient entre elles. »
e prix habituel de trois mille francs sera réservé à la solution de cette
ilion.
es concurrents auront ù se conformer aux formalités et aux règles des
:ours de la classe. L'époque du terme fatal qui expirait le l»^"" février 1871
é prorogée jusqu'au 1" février 1873.
■ — 38i —
^ECKOLOGiE. — M. Etienne Sûudiie, dirculour du Conservatoire de i:
siquc de Liège et compositeur, chevalier de l'ordre Lcopold, est mort dr
le courant du mois de septembre; sa perle est vivement sentie par tous
amis de l'art.
Gervais CiiARrcMiEnj l'édilcar bien connu de la volumineuse collecti
parue sous le no 7a' de Bibliothèque Charpcnlicr, est mort ù Paris le 14
mois de^niiiti 1871.
oon FiAVûK Bt^ii Sacha, ne en 1798 à la Corogne (Espagne), est moi-
Xlorlailla^v^i^isse). IJ était associé à l'Acadcmie des Sciences de Delgiq
■ rorr>^P^n<l'int de rAcadénùejr'^s Sciences morales et politiques de Fran
tT,!^»!' un homme fort v/isé dans les sciences historiques et économiqi;
il était, en onlrf..J'r\anl botaniste. Son Histoire de Cuba, qui devait forn
diX''o]umes, n'est pr.s terminée. La Sagra avait ctc, ]icndr!nt douze ans,
recteur du jardin botanique de la Havane.
Alexandre Keith Jo:xston, savant géographe anglais, auteur du Natio
Allas, du Plujsical Allas et du Gcographical Diclionary, est mort le 0 ji
Ict 1871, ù Tùge de soi.\anlc-sept ans.
Lmill V
385 —
LE LUXEMBOURG BELGE
ET SON ETHNOGRAPHIE
SOUS LA JDOM-lNJ^'nON TElOjyLA^lNJE.
IV (Suite).
Après la soumission de la Gaule, malgré le travail
d'exlirpalion de Rome (i), la langue nationale des Gaulois
continua encore pendant quelque temps à végéter comme
idiome populaire. On peut s'en convaincre par certains
passages conservés dans les auteurs {2). Au commencement
du III'' siècle, Ulpien parle du gaulois comme d'une langue
encore existante. Nous avons déjà cité saint Jérôme. Sul-
pice Sévère atteste ce fait à son tour: vel celtice, aut si
mavis gallice loqiiere. Marcellus Empirions énumère un
grand nombre de plantes qui portent des noms gaulois (3).
Après le milieu du \^ siècle, Sidoine Apollinaire blâme la
noblesse de son pays qui tient encore à la grossièreté cel-
tique du langage. A la seconde moitié du W siècle, Gré-
goire de Tours cite encore un mol celte. C'est une preuve
(1) Voy. Fn. DrEZ, Grammatik der romanischen Sprache; ersler TItcil.
Bonn, 1856, p. H6 seq.
(2) Ulpianus in Digg., XXXII, til. I, p. 11 : « Fidci commissa quocunque
sermone rdinqui possunt, non solum Latina vel Graeca, sed eliara Punica
vel Gallicana vel alterius cujuscunque gcntis. »
(3) Médecin né à Bordeaux. On prétend qu'il fui maître des offices sous
Théodose le Grand (579-39S). Il a laissé un ouvrage pliarmaceulique qu'il
avait composé pour ses enfants.
28
— 386 -
que ee langage n'élail pas encore éleinl de son lenîps ilans
l'Auvergne (i).
Les mois d'origine gauloise conservés par les auteurs
anciens ne sont pas en nombre considérable. Parmi les
pbilologues modernes, les uns — ce sont les partisans de
l'identité des Celtes ou Gaulois et des Germains — les font
remonter à des radicaux germaniques, et les autres —
ceux du parti contraire — leur assignent des étymologies
puisées dans des idiomes différents du germain.
Voici la nomenclature de ces mots :
Alauda (2), ambactits (3), bardns (4),
(1) vu. pair., cap. 12 : Drachio quod eorum {Arvernorum) lingua inlcrpre-
latur ursi catulus.
Dans yïlLuis Lampridius (fnler Scriptorcs sex hisl. Attg.), une dniidesse se
serl de la langue gauloise, à Sicila, que quelques-uns croient èlre Siclingen,
dans rancicn pagus de Trêves. •< Mulivr Druias eunli cxclamavil gatlico ser-
mone. »
(2j Plin.XI, 17; ScETON , /. Cacs., 24; Gregor. Tur., i. 3t. « In ecclesia
vero Arverna duni nialulinae celcbrarenlur vigiliae in quudam fesiivilale,
avis corijdalus, quam alandam vocamus, ingressa, omnia luniinaria quae
lucebanl, alis superpositis in tanla velocilale extinxit {An. Clirisl., 571), ul
pulares ea in unius hominis manu posila. »
(3) Caes. B. g., VI, 15; comp. golh. andbothjan (Marc, X, 43).
(4) Strab , IV : BàpSoi; Amm. Marceli., XV, 9, où il dislingue Etihagcs,
Dardes et Druides; Paul. Diacre dit : « Bardus galjice appellatur cantor qui
virorum fortium laudes cauit. » — Posidonius, cité par ATllÊ^ÉE, VI. — Dans un
autre passage d'ATHÉNÉE (lib IV, 13), des éditeurs publient [3apPâpiov, tandis
que c'est pâpStov probablement qu'il faudrait lire, attendu que Posidonius les
désigne clairement avec les qualités que nous leur connaissons d'ailleurs et
dont le passage du livre VI, cliap. 12, est la définition. — Ampère, Histoire
littéraire de la France avant le XII« siècle, vol. I*"", p. 77, dit : « L'existence
des bardes était liée à celle des druides. » — Tacit., Ann , XIV, 30; Tacit.,
Agr., 18. Holzmann (p. 92) avoue que ce mot se trouve dans tous les dialec-
tes de la Grande-Bretagne. Bard signifie chanteur, et on le trouve dans des
noms de lieux : Bardenwiek, et dans le Luxembourg belge : Bardonwcz, dé-
pendance de la commune de BefTe, près de La Boche, le chemin des bardes.
Remarquons en passant le second terme composant wez, qui répond entière-
ment au goth. wigs (Math , VII, 13). Ou le dériverait aussi bien de veha,
voie; mais alors comment expliquer la transformation de ce dernier mol, si
ce n'est qu'il a reçu la forme wez = wigs par des organes purement germa-
387 —
Benna (i), Belidla (2), bulga (3),
Braccae (4), brace (b),
niques. Voilà bien une preuve palpable, du reste, conforme à lliisloirp, que
les populations du Luxembourg sont d'origine germanique et que la con-
quête, aidée de la romanisation, n'a pu arriver à l'extirpation complète des
anciens idiomes. Ce qui confirme notre manière de voir sur Bardonwez, c'est
que BoxMORN {Lcx. A ni. Dril.) nous donne encore Barddoni = pocta, Barddo-
neg, Barddoniaelh =. poelicus, qu'il va puiser dans le dialecte de la princi-
pauté de Galles Mais César, B. G., V, 12, dit que de bonne lieure des Belges
sont venus habiter les côtes maritimes de la Grande-Bretagne pour faire du
butin et se livrer à la guerre et cela ex Belgls, de tout le pays. Il y a donc
similitude frappante appuyée sur des données inconteslabies de l'histoire,
entre le gothique, le belge primitif et le langage primitif du pays de Galles.
Un nom de lieu, au centre des Ardennes, Bcrchewcz, dép. de la commune de
Villers-Ia-Loue (Virlon), provoque également des observations, mais dans un
autre but, et seulement pour fixer le sens du dernier terme composant. En
Allemagne, plusieurs localités, placées à des distances considérables, ont avec
Bardonwez ou Bardouwez une ressemblance qui équivaut à l'identité : Bar-
dau et Barden, dans le cercle de Kœnigsberg; Bardenbach, village dans le
cercle de Trêves; Bardenberg, dans le cercle d'Aix-la-Chapelle, et Bardo, dans
le cercle de Posen.
La jolie localité appelée Clairefonlaine, près d'Arlon, porte également la
dénomination germanique de Bardenburg. C'est en cet endroit, dit-on,
qu'Ermésinde eut une vision, à la suite de laquelle elle fonda le monastère
dont on voit encore de nos jours quelques ruines.
(1) Festus : « Benna lingua gallica genus vehiculi appellatur unde vocan-
tur combcnnoncs in eadem benna sedcnles. Comp. : allem. Bcnnl ou Bundl;
Demi dans la Lorraine ail. et Batm dans le Luxembourg; fieiine ou Ben en
flamand (panier); angl. sax , binn — praescpc, de binden, tresser, natter; les
mots français vieillis ; bennel, benci, bencaii, et wallon : 6è«e, banne (grande
manne pour transporter des marchandises). Yoy. pour ce dernier Diction,
élym. de la lang. walL, par Cei. Grandgagnage.
(2) Plin., Hisl. nat., XVI, 18 : ■< Gaudet frigus sorbus et magis etiani be-
tulla. Gallica hacc arbor, mirabili candore alque tcnuitaîe. » C'est le bouleau.
On disait anciennement bez et bulclc. Comp. irl. bcith.
(3j Festds : bulgas Galli saccnlos scorleos vocanl. D'où les termes romans ;
bolgia, boge. bougelle. Ags. bogell, d'où budget; aha. bidga, de bclgan =^ gon-
fler; et balg et le flam. balg = peau, ventre.
(4) Braccae, bracae, Ppaxai. Voy. Ovide, Tacit., Diod. de Sicile, V, 29;
CicÉaos. Comp. bret. braycz = culotte; afr. braie-, aha. bruoch; ags. broc;
flam. broek; wall. brdie, et peut-être le terme bragar.
(5j Voy. Plin., Hisl. nat., XVII! {blé blane du Dauphiné), en latin san-
dala : « Galliae quoque suum genus farris dedere ; quod illic bracem vocanl,
— 388 —
brachio (i), biirrjus (2), camisia (3), Carn (4),
cateia (5), Cimbri (c), crolla, chrotta (7),
apud nos sandiilam, nilidissiini grani. » Comp. Irna. brachtm, br axare ; ccoss.
braich, brocha; al. braucn, alni. briuwcn; flam. ôrouwcn,- franc, brasser; afr.
èra* = le malt, la drèclie; wall. briser et brésène (brasserie); brù, aw braz,
grain bragé, braise, brcsé el brahi.
(l)Voy. Gregor. Turon., De vilis pair., 12. Conip. irl. brach, qui esl d'une
ressemblance frappante. Mais le même Grégoire de Tours, Hist. Francorum,
V, 12, dit : Brachio abhas génère Thoringus; ce terme serait donc en même
temps allemand et un argument pour ceux qui ne voient que des nuances de
dialecte dans le germain et le celte.
(2j On lit dans Paul Orose, Hist. Ub., VII, cap. 32 : « A(que ita Burgun-
diones nomen ex opère praesumsisse quia erebra per limitem habilacula
conslituta burgos vulgo vocant, » Nulle part ce terme n'est cité comme un
nom appellatif gaulois. Dérivé de bergan, il a probablement passe du latin
dans les langues romanes. Comp. goth. baurgs.
(3) La première trace de ce mot esl dans saint Jérôme : « Soient mililanles
haberc linvas quas camisias vocant. » On a proposé de le dériver d'une an-
cienne forme allemande hemcdi, qui ferait soupçonner une forme camilhi.
Comp. il. camice, aube; patois de Mons : kimiche {Voy. J. Sicart, Gloss.
étym.).
(4) IIesvch î « Kâfvov tyjV cakKiy^a. raXârai, » Comp. afr. corne, lat.
cornu (Kâpvu? dans Eustathe); prov. corna: angl. corn; ail. horn el le goth.
haurn; walI. coirner (sonner d'une corne).
(5) Cateia (sorte de javelot). Yirc., Aen., VII, Til : « Teiilonico rilu solili
torquere cateias. » Comp. kymr. calai, pi. cateion (a cutter, a weapon), de
forme presque identique. On trouve catiger, calivoleus. Le premier peut être
un composé de caleia. Kat en flamand est souvent synonyme de stormtuig =
bélier, machine de guerre, ce qui parait être quelquefois la signification du
latin caleia. Cette idée de machine esl conservée dans le patois de Mons :
catpuche, cadpuche ^=. crochet à une corde-puits, mol à mol chat de puits (V.
Gloss. étytn., etc , par J. Sigart).
(6) Cimbri, nom d'une tribu germanique, qui doit être naturellement re-
cherché dans la langue allemande, mais Festus dit : « Cimbri lingua gallica
lalrones dicuntur. » Et Plut., in Mario : xai ôti Kifi-Ppouç éTtovoixaÇouai
Fspixavoi Tou; X-fiffTàç cl quod Cimbros Gcrmani nominent lalrones. Il existe
un chumbirra qui a été rendu par tribus. Comp. le bas sax. kemper ■=-. gla-
diateur. Voy, Caes., B. G., VI, 23. En patois de Mons, chimer signifie s'en-
fuir (V. Sic).
(7) Instrument à cordes particulier aux Bretons. Voy. Venantii Fortunati,
Carmina hisl , VII, 8. En français, c'est rotte; alm. rotla. Voy. Glossariurn
Germ., de Wachter : « Nolkcrus in fine Symboli Athanas. iiomen barbariciim
vocat alibi, vero theoliscum a sono ficlum. » Comp. KpOTÉco = pulso, plaudo,
et KpoToXov.
— 389 —
didoron (i), dunum (2), durum (5), Druida (4),
eporcdia (s), Gacsati (c), gacsiim (7),
(1) Plin., //is<. nal., XIV : « Tcgulne apiul G:ilIos didoron diclac a longi-
tiuline duoruin palmoriini. » Comp. forme anc. irl., di de = deux cl dorn
= la main. Mais en grec TexpâSwpov, TrevrâSwpov (Swpov = paume de la
main) sont des pierres de taille; d'où il résulle que ce mot s'est glissé en
Gaule par les Massilioles, el sa ressemblance frappante avec les mots celti-
ques n'est qu'un effet du hasard.
(2) Dùnum, terminaison de noms de villes : Angutlodunum, Campoditnum
avec M pénultième. Comp. ags. lùn, alia. zùn, angl. lown el ail. zaïm =
enceinte, ville. Zeuss, dans Gr. Cclt. rappelle que l'irl. dùn = caslrum, arx.
Le flamand tuin, clôture, enceinte, marque encore mieux que zatm la tran-
sition à town el à dunwn du primitif tùn.
(3) Est également une syllabe finale qu'on rencontre dans les noms de
villes : liojodarum, etc. Comp. aha lôr el Thor, goth. daur, mais d'après
Zeust, dur en irl. sign. aussi arx, comme le précédent dân. En breton dour
= aqua, qu'on expliquerait en ce sens que les habitants primitifs rcclier-
ehaient les cours d'eau pour asseoir leurs villes. Ce qui n'est pas vrai d'une
manière absolue. Le flam. torcn, conservé dans sa forme moderne, est le
même que l'anc. haut allemand.
(4) Druida. Le bon sens qui doit guider toutes les recherches, nous dit à
■priori, que ce mot ne peut être que d'origine gauloise. Zeuss assure que
druid se présente deux fois dans les gloses irland. du codex de Wurzbourg :
da druitli aegcplacdi = dus druidac aegypliaci. Il a la signification de magus,
magicien. En anglo-saxon, (^ry, pi. drtjos = magicien. On sait que l'étym. ord.
est ôpû?. Ce terme s'est conservé dans plusieurs noms de localités de l'Alle-
magne. Voy. aussi le passage de Lucain, Phars., lib. M, v. 447 et suivants,
où Bardi et Druidae se suivent de façon qu'on en puisse faire une espèce
d'opposition. Dans Diodore de Sicile, les Gaulois sembleraient avoir des
bardes (eIcti Tuapua'xolç xal itotyiTal [iri>»â)v oïx; ^apSom; 6vô[xaÇouai, el plus
bas : tpiXoaocpol ôà Tivèç clui xai ôeôXoyoi oOç SapoûTôaç 6vop.aÇouffi.) el des
druides simultanément. Les premiers comme poêles el les seconds comme
théologiens. Il n'est donc pas si facile de rejeter absolument l'exislence chez
les Germains d'une caste analogue à celle des druides.
(5) Eporedia, Plin., III, 17 : « Eporedias Galli bonos equorum domitores
vocant. » La première partie du mot epo = equus. Comp. aha, ehu.
(6) PoLYn,, 11, 22, dit expressément qu'on les appelait Gésates, parce
qu'ils faisaient la guerre comme mercenaires. En parlant de cette donnée,
il est utile de comparer l'irl. gaide = pilalus de Zkuss, le participe al. gaesal
pour gaesant, die gcrnde Unie, ceux qui furent des expéditions pour vivre
du produit de la guerre.
(7) VinciLE el César emploient ce terme. On le trouve dans les noms d'hom-
mes GaescricHS Ariogaisusj ancirl., dans Ztuss, qui donne gai = liasla.
— 390 ~
isarnodornm (i), leuca (2), magiis (3), marka (4),
[j.oi^naLybv (5), mcilarîs, materls, malara (e),
(1) Isarnoiloriim. Voy. Acl. sancl. Bolland. 1 Janv. vila S. Eugenii, où il
esl dit que ce mot signifie porte de fer, d'où isàrn = ferriim, et il est dit
dans le texte cité que c'est un mot gaulois; s'il en est ainsi, il faut convenir
que le gaulois et le germain se correspondent. Comp. le flam. yzer.
(2) Ex aucl. ling. lalinae (dans le Recueil des liisl. des Gaules, etc., édit.
1869, t. I, p. 819) : « Mensuras viarum nos milliaria decimus, Graeci sladia.
Gain leueas. — AsiM. MvncELL., XV, II, 17 : selon lui, c'est au confluent du
Rhône et de la Saône que commence la Gaule, et c'est aussi à partir de là
que l'on commence à compter par lieues : cxindèque non millenis passibiis,
sed Icucis itinera meliunlur. Quoi qu'il en soit , on peut comparer avec ce
mot le terme allemand : laclnis =^ division, qui se déduit d'un acte de dona-
tion en date de 770 après noire ère, et ags. leove, d'après Graff.
(3) Terminaison d'un grand nombre de noms de lieux -. Augustomng'is.
Comp. l'irl. mag = plaine, champ, ags. gcmaea, aha, ^ewor/iO^= socius;
fr. maçon, qui suppose un primitif mac = habitation, et qu'on dérive de
gemarha. Celui-ci s'est conservé dans l'allemand moderne Gemach = con-
clave, chambre, cabinet. Il est étonnant que ce mol ne soit pas conservé
dans le flamanil avec le sens de conclave, ce qui ne doit pas surprendre, ce-
pendant, si l'on considère que les anciens philologues le dérivent de fio/dç =
penelrale, lieu le plus retiré d'un édifice ou sanctuaire, tandis que sa dériva-
tion de viachcn dans ses formes primordiales saule aux yeux. Dans le patois
de Mons, maison a une signification qui s'approche du penclrale. C'est une
pièce qui sert de cuisine et de chambre à manger dans une habitation villa-
geoise. Et s'il est vrai que ce terme se présente dans le wallon sans la forme
mahon, il n'est nullement nécessaire de le dériver de mansio; magus et ma-
hon sont de la même source. Cela justifierait du reste ce que nous avons dit
ailleurs que le wallon a des formes indépendantes et parlant dénote un idiome
qui a conservé les débris d'un idiome disparu et de la plus haute antiquité.
(i) Marka ^^ cheval en gaulois, d'après Pausamas, lib. X, De Phocicis :
« xal "tittwv xè ovcijxa VsTti) Tt<; [lâpxav ovia UTto tôSv KÉXtwv. » Ce mot a pu
entrer en la composition de IHarcomans, cavaliers, soldats qui combattent à
cheval. Comp. kymr. mardi, ail. marc, mar; et le flam. maerseh = prairie,
marécage, n'en est pas bien loin.
(5) PoLVB., XI, 31 : « /puaoyv «^/éXXtov 8 tcEpoûai irepT tà^ ytipoLi; r| xov
Tpâ/y)Xov ol ràXarai. (Comp. aha, metini, ans. »»««' dans lialsmcni). (Voy.
IIoltzmann).
(6) TiT. Liv., lib. VII, 24; Cic, Rhclor., lib. IV; NoNius MAncELics : « Gallia
malcribus suevi lanceis configunt. Ex Sisennae. » Hisl., lib. III. Comp flam.
mes, ail. messer, aha. mezzeres. Le couteau était aussi un projectile, une
arme de trait, comme il est aisé de le voir dans quelques romans allem du
moyen-àge. Voy. encore Strad., IV, et Caes., B. G., lib. I, 26. Malrasse,
terme du moyen âge, pour dire : un projectile tiré par une arbalète.
— 391 —
nemel{\), Ogmius (2), pelorrilum (3),
pimpedula (4), spams, spurnm (5),
unis, bubalus (g), Fer (7), Verrjobrelus («),
{\) Nemct =■ sanctuaire, temple. Voy. Venant. Fortunatus, I, 9; Stiiadon,
XII, IT, ou l'on voit que le conseil des Irctarqucs se resscmblail dans un
endroit qui s'appelait AeuvatfisTOV. C'est donc, d'après ces témoignages, un
terme frappé au bon vieux coin gaulois. Or, comp. ancirl. ncmed = sacel-
tum (Zeuss, p. Il, 766). Chez les Germains, les sacra silimrum, lès lieux
sacrés dans les forcis, s'appelaient Nimidas (Voy. Vlndiculus supcrslitio-
niim, etc., art. 6, cilé par Waciiteb). Comp. les noms de ville : Auguslone-
mctum, Ncmelocenna.
(2) Ogmius, l'Hercule gaulois dé Lucien; comp. Ogma, l'inventeur de l'écri-
ture en li-lande, et le golh. alima, qui signifie Xô^oî.
(3) Voy. Aulu-Gelle, liv. XV, 31, qui dit, d'après Varron, que c'est un
mol gaulois; Epilome Sext. Pomp. Festi, confecla à Paulo Diacono, qui
s'exprime ainsi : c'est un véhicule gaulois, et son nom, comme on pense, lui
vient du nombre de quatre roues : à numéro quatuor rotarum. Le premier
moi pelor ^ le gotli. fidur, quatre, ri7u»/j, rota, alia, raad; kym. petguar.
Dans le patois de Mons (V. Sigart), /jc'/roM signifie petit cultivateur. Nous ne
le rapprochons qu'à tilre de curiosité. Cependant dans le dialecte éol., quatre
= Ttétopa. Voy. Plin., lib. XXXIV, 17.
(4) En grec TrevxâtpuXXov. Comp. kym. pcirtp = ung, et dail =^ feuille, et
selon HoLTZMANN, une anc. f. ail. pimp/lad pour fimblatl. Voy. dans la bible
d'Ulphilas le fimf. Luc, XIV, 19.
(5) Sparus. Comp. alm. spcer, ags. sper, alia. spev; le flam sper et spar
=^ perche. Voy. Festus : « Rumex, genus teii simile spari gallicl. » (Paulus).
(6) Vrus. Voy. Caes., B. G., VI, 28. Marobius : « Vri enim gallica vox est
quâ fcri bovrs significantur. » Plin., lib. VIII, 13 : « Uris et bisontibus Gcr-
maniae impcrilum vulgus bubalorum nomcn imposuisse. »
(7) Fortunatus définit Vernemctum, fanum ingens, cl ver correspondrait
dans ce cas à la particule germanique ver, qui renforce et amplifie l'idée dans
plusieurs cas. Comp. aha. weralt {7nundus), et flam. wereld. Il est encore le
terme initial de plusieurs noms propres, dans lesquels très-souvent il signifie
homme comme le montre le golh. wair = vir : fimf ihusundjus waire (Luc,
VIII, 27) = quinque millin viri; Ibid., IX, 14 et 50 : Iwai ivairas et twans
wairans = duo viri et duos viros. Voy. aussi Herod., IV, 110, une sem-
blable appellation chez les Seythes, qui appellent, dit-il, les Amazones
Oiorpala, c'est-à-dire en grec, tueuses d'hommes ; car oior signifie hoiume,
et pata, tuer. Le patois de Mons l'a bien conservé : warou (V. Sigart).
(8) Voy. Caes. B. G., 1, 16. Schilter, dans son Gioss. Teul., le dérive de
l'ail, werk = opus, et brel =^ illuslris. Zeuss, p. 12, l'emploie pour le
kym. fear go breith = vir ad judicium , fear co breilh = homme qui
juge; c'est ce qu'avaient dit bien avant lui Tolandus, dans ses additions à
— 392 — j
VerlrcKjus (i), Wargiis (2). j
M. Van Hasselt nous paraît peindre en peu de mots la
murche formatrice de la langue wallonne dans nos provin-
ces. Si, avant d'aborder l'histoire de la poésie française en
Belgique, dit cet écrivain, nous avions à décrire la for-
mation de la langue romane commencée dans nos pro-
vinces, nous aurions à retracer l'histoire de toutes les
invasions successives que les dialectes du Nord, d<?puis le
V^ siècle, opérèrent dans la Gaule avec les peuples barbares
qui les parlaient. Nous aurions d'abord à vous montrer la
langue latine couvrant toute cette contrée, comme une
nappe dont la transparence et la pureté n'étaient troublées,
çà et là, que par quelques restes des idiomes importés dans
la commune patrie par les populations dont nos pères
descendaient. Sous Gallien, les Francs commencent dans
la Gaule cette série d'irruptions qui se continue avec cette
inconcevable opiniâtreté que le Nord met à se ruer sans
cesse sur le [Midi et sur l'Occident de l'Europe, à travers
les règnes de Valentinien, de Constance et de .Julien (3).
VHistoire des Druides, et Boxiiorn {Lex. Ant. brit.). Conip. le golli. gevarg-
jan — condemnare. Dom Maiîtin Bouquet [Recueil des liist. des Gaules), dit,
t. [, p. 210 : « Notai Ilotmanus hujus magistralùs vesligia eliamnum Au-
gusloduni manere : ubi qui summum in civilale lionorem gerit Vuerg
appcllatur. »
(1) C'est le vellre, vioutre, terme suranné, pour lévrier. Arrian, De
venat., 3 : oÙEftpayoi dit que ce sont chez les Celtes des chiens aux pieds
agiles. Comp. Pertz, Monum. Germ., vol. IF, p. 739. Martial, XIV, 200.
Corap. goth. Ihragian = currere, et kym. Iraig = pes.
(2) Wargus. D'après la quatre-vingtième loi ripuaire et la cinquantième loi
salique, wargus signifie fugitif, banni. Mais dans Sidoine Apollinaire (lib.VJ,
episl. V, Papae Lupo), les Arvernes appelaient de ce nom les petits vo-
leurs (/a(ruHcu/o*). Wachter s'exprime ainsi à ce sujet : inde Germanis wargcn
lalrocinari et warg-man, latro apud Slilerum in Lexico... Suecis tverg est
lupus quia latro inter feras. Comp. golh. launavargs, voleur, ingrat et
gavargian = condemnare.
(5j Voy. Essai sur l'histoire de la poésie française en Belgique, dans les
Mémoires eouronnés par l'Académie royale, t. XIII, année 1858, p. 3.
— 395 —
On doit d'abord admetlre qu'à l'invasion des Francs, les
Belgo-Celtes avaient subi une transformation complète sous
l'influence de Rome (i). Les Francs, naturellement, conti-
nuèrent péniblement à parler leur idiome. Mais ils don-
nèrent aux termes que l'usage réservait une tournure
empruntée au latin. Peu à peu il se forma une langue dont
la grammaire rappelait la langue classique de Rome,
comme un pâle reflet de la lune rappelle le soleil. Les
mots germaniques dominèrent dans cette langue, mais ar-
rangés, égalises, polis, en un mot adaptés à l'organisme
plus délicat des Gallo-Romains. La latinité victorieuse
effaça le celtique; la latinité mourante absorba la Germa-
nie envahissante et ne reçut d'elle que quelques mots,
assez nombreux pour témoigner du passage des Germains,
assez rares pour témoigner de la prépondérance des popu-
lations romanes.
A l'époque de la conquête de César, les Nerviens, les
Aluatiques, les Éburons, les Condruses, les Sègnes, les
Pémans, les Gerèses, peut-être tous d'origine germanique,
habitaient le pays qu'on désigne aujourd'hui du nom de
Pays-Wallon.
L'idiome dont se servent les populations de cette grande
circonscription, c'est le wallon, l'une des branches les plus
anciennes du français, qui, lui-même, s'est formé par alté-
ration du latin et d'autres nombreux débris linguistiques.
La philologie moderne reconnaît dans le dialecte wallon,
comme nous venons de le voir, trois éléments bien dis-
tincts : le celte, le germain et le latin. Pott dérive le terme
wallon lui-même du celte. Au reste, Walh ou Walah sont
des expressions déjà en usage au VIII^ siècle pour désigner
les Gaulois romamsés. Le terme anglais Wales et notre
Wallon sont identiques; ainsi de Gall, Gallas, par corrup-
(i) LiTTRÉ, Dictionnaire de la langue française.
— 394 —
tioii ou alléralion, est venue l'appellalion de Wallon. Du
reste, rélymologie du mot Celle lui-même divise les philo-
logues en deux camps, selon qu'ils s'attachent à ledériver
de l'allemand ou du gaulois ou breton.
D'après les règles rigoureuses de la permutation des
voyelles, le terme gallique Kelt, s'il est vraiment dans les
racines des mots germaniques, prendra la forme de hell/i
ou par euphonie helith. Sous cet aspect on retrouve ce
vocable : helith, pi. helilhos, et hàlelh, pi. hàlethos, dans
l'ancien idiome saxon et en anglo-saxon. Il répond alors à
vir, homo. De même que le terme générique thiiida, gens,
se transforma en nom collectif, qui devint un nom de peu-
ple, de même aussi helith, vir, homo, prit une acception
générale. D'après cela, les Celles furent un peuple d'hom-
mes, un helitho foie, helilho cunni, d'après les expressions
du Heliand, pour désigner l'homme. On en conclut, en
invoquant Taulorilé de Leibnilz, qui voit dans Cetta le mol
allemand Held, que la langue des Celtes était affiliée à h
langue allemande.
Mais les Celles se sont aussi appelés raXâTai? Comme
Keltae, ce terme se prend pour désigner toute la race,
et raXâxai, KÉXrat, nc diffèrent que par des nuances dialecti-
ques; dans ce cas, le second alpha dans raXâxai ne serait
que purement euphonique et on aurait raXt, Galt, d'autant
plus que le terme romain Galli présuppose cette forme. Les
Grecs entendirent prononcer ce mot Galat par inlercala-
tion de l'a, et les Romains Gall, par assimilation de / à /.
Mais ce dernier procédé semble trop commode. Il faut
donc admettre une troisième appellation, indépendante de
KéXxat et de Galat, Gall; c'est Galli.
D'abord Galt est-il conservé dans la langue allemande,
comme nous avons vu Kelt? Zeuss penche pour Galatae,
un ancien mot irlandais, gai, introduit dans beaucoup de
mots composés. La signification répond à lutte, dispute.
— 595 —
arw/e, d'où : Galli viri purjnaces, armalî. Mais que devient
le dérivé galat, que devient surtout son sens ethnogra-
phique étendu à toute une colleclivilé d'individus appar-
tenant à la même nation? Le nom primitif, primordial
pourrait bien avoir été Galta, au moins y a-t-il moyen
d'en faire un nom de peuple; car, si Galt peut devenir
Gant, il est conservé dans Eystragautar, Veslraymitar et
Saegeàtas, en anglo-saxon. On retrouve ce phénomène lin-
guistique dans les mots flamands gond, oui (oud), woiit,
gond pour gold, ait, tvalt, d'où d'abord Galtiis et ensuite
Gallus, comme le suédois kall, luxembourgeois kàl pour
kalt, néerlandais olkr (i), luxembourgeois àkr ou èkr
pour aller.
Selon Barth {2), la Celtique, comme Ligye, peut désigner
en général l'Occident. Celle veut dire voyageur, cavalier,
et Galate, la jeunesse. Le terme suranné Kallen se retrouve
encore dans Gàllen. Il est très en usage dans le dialecte
luxembourgeois : gai, flamand galm, signifie son; gall, le
cri; guider, le chanteur.
Hùlmann (Hist. elym. Vers, des celt. germ. Volksst.,
pp. 117, 139), en parlant de don (dunum) et ak (ahva?)
parvient d'une façon toute spécieuse à prêter au terme
Celte une origine germanique. Comme il signifierait dans
le cas des établissements aux bords d'nne eau claire, nous
aurions tout d'abord Hell-don, qui serait devenu par alté-
retion Keldon, d'où KeXxaî et ensuite Kaledon, lequel nom
aurait formé Kalètes = Galates = Galls.
Les érudits d'Allemagne accordent la prépondérance à
(1) Glossarium Germanieum, de Jean G. Waciiteb, 1757 : angl. old; belg.
oud per suncopen; sax. inf. oU.
(2j Caes. B. g., if, 28 : « Quos Caesar ut in miseros ac supplices usus
misericordià viderelur, diligentissimc conscrvavit suisque fiuibus alque op-
pidis uti jussit alque finilimis iiuperavit, ut ab injuria et malcficio se suosque
prohibèrent. »
— 596 —
l'élément germain dans ridiome wallon. Mais il y a exa-
gération. En outre, il ne faut pas perdre de vue que cet
élément augmente ou diminue suivant certaines localités.
Cela s'explique aisément. César aiïecte de dire qu'il a pres-
que extirpé la race et effacé jusqu'au nom des Nerviens,
mais il ne tarde pas d'ajouter qu'il a accordé aux tristes
débris de cette courageuse nation la permission d'habiter
le pays et les villes. Le vainqueur a même donné ordre
aux peuples limitrophes de ne pas inquiéter les vaincus (i).
Or, il ne faut pas perdre de vue que les Nerviens, les Ebu-
rons, les Aluatiques descendent des Germains (2). Ces
débris, conservés par la politique de César, mêlés aux
colons gaulois qu'on dit être venus pour combler les vides
faits par la guerre, ont été parfaitement en situation pour
transmettre les radicaux plus ou moins défigurés de leur
vieil idiome.
Mais examinons la présence de l'élément celtique dans
le wallon.
A l'époque où les Germains passèrent le Rhin, ils refou-
lèrent les Celtes, lesquels, au rapport de Slrabon, se réfu-
gièrent, probablement pour se soustraire à la fureur des
conquérants, dans les endroits les plus déserts et les plus
inaccessibles, à peu près, mais dans un autre sens, comme
les Indiens de l'Amérique fuient devant les progrès de la
civilisation.
Il est constant que les envahisseurs germains ne parvin-
rent pas à absorber complètement les Celtes, et l'élément
celtique put continuer à côté de l'élément germain, jusqu'à
(1) Caes. B. g. if, 32 : « Se id, quoil in Ncrvios fecissel facttirum, finili-
misque imperatorura ne quam dediticiis poptili Rom. injuriam inferrent, »
(2) Caes. B. G., Il, 4 : « Plerosque Belgas esse orlos a Gcrmanis, ele. » C'est
le plus précieux ehapitre pour rethnograpliie primitive de la Belgique an-
cienne. Voy. Appien (ex libre de Bellis Gallicis, passage cité plus haut) et nos
citations de Tacite.
— 397 —
ce que lous les deux, confondus dans le huin, anivassenl
dcligurcs el mutilés aux formes qui existent encore.
Au surplus, on peut invoquer des considérations d'un
ordre tout moral en faveur de ce système.
A cet effet, il sulTit d'examiner la race wallonne de nos
jours. Qui oserait lui disputer la bravoure el l'énergie unie
à la solide loyauté? C'est la même qu'au temps de César.
Les Nerviens, qui en sont le type principal, repoussent
toute immixtion étrangère. Ils sont fiers de la bravoure de
leurs ancêtres; ils ne veulent se soumettre à aucun prix,
ils n'entendent pas accepter de condition de paix (i). Avant
de céder, il faut qu'on les extermine avec les Atuatiques et
les Eburons. Les Trévires, inspirés par les idées fédéra-
listes de la Gaule (2), décident de garder l'offensive et de
défendre pied à pied le sol de la patrie; les Sègnes, les
Pémans, les Cérèses et les Condruses les suivent dans cette
voie extrême de salut public. Plularque, en parlant des
Nerviens, dit que César marcba contre eux, et qu'ils sont
les plus sauvages et les plus belliqueux des Belges (3).
De tels peuples ne sont pas faits pour abandonner du jour
au lendemain la langue de leurs aïeux (4). Car l'homme,
même dégradé par la servitude, s'attache à son idiome,
(1) Caes., B. g., II, 15. — B, G., V, 58; V, 42, 58.
(2) Id., B. G., Il, 24; B. G., V, 27 ; sed esse Galliae commune consilium.
— B. G., V, 47; B. G., V, 56, 57; B. G., 56, 57; B. G., Vlll, 45. Voy. aussi
B, G., H, 53, et VI, 54,
(,5) Plutarque, Caes., 20 ; 6è touç àypiuxaxoui; xat (xaj(i[iWTàTOtJî xwv z^St
Neppôouç èffxpâxeuaev.
Voy. aussi le savant traité : Hislorisch-philogischc Sludic ûber das belgische
Gallien, etc , under besondcr Berucksichligung des luxemburgischen Dialeklvs,
par Dr M. Stronck.
(4) César donne une notice géographique sur l'étendue de la dominalion
des Nerviens en Belgique. Voy. à cet effet B. G., lib. V, 39. — Voy. aussi
l'ouvrage récent de Mr L. Galesloot : La province de Brabanl avant l'inva-
sion des Romains, Bruxelles, 1871, où l'auteur expose ses recherches sur
les Nerviens pour prouver qu'il y a des vestiges d'un oppidum nervien prés
de Vilvorde.
— 598 -
comme au palladium de la dignité humaine. Que dire donc
d'une race qui a donné tant de preuves de viguenr na-
tionale?
C'est qu'il est totalement impossible qu'elle ait aban-
donné tous les éléments de son idiome primitif. Celte
remarque seule, indépendamment de toute recherche, doit
uous faire soupçonner que les débris de la langue germa-
nique sont conservés en grand nombre dans le dialecte
wallon. Au commencement du XVI" siècle, Jean Lemaire
s'exprimait de la sorte en parlant des habitants de Bra-
bant : « Ceux-ci parlent le vieil langage gallique que nous
appelons wallon ou romand et en usons en IJainaut, Cam-
bresis, Artois, Namur, Liège, Lorraine, Ardennes et en
Roman-Brabant et est beaucoup différent du françois (i). »
Ce vaste cadre linguistique n'a pas subi d'altérations jus-
qu'à nos jours.
Le remarquable passage auquel Tacite fait allusion est
consigné livre VI, 24, des Commentaires. Antérieurement,
dit César, alors que les Gaulois étaient supérieurs aux Ger-
mains par le courage, les premiers prirent l'initiative de
la guerre et établirent au-delà dn Rhin des colonies, à
cause de l'exubérance de leur population et la pauvreté
de leurs champs. Aussi les Voisques Teclosages occupè-
rent-ils les endroits les plus fertiles de la Germanie
autour de la forêt hercynienne où ils s'établirent. Era-
tosthène (né à Cyrcne, en Libye, vers 272 av. J. C.) et
d'autres Grecs, d'après ce que je lis, connaissaient, sur
le rapport d'autrui, l'existence de cette forêt qu'ils appe-
laient Orcynia (2). »
(1) Les illusiralions de la Gaule-Belgique de Jean Lemaire (1473-1348).
Voy. l'éloge que fait de cet écrivain M. Moke, dans son Histoire de la liUcra-
lure française.
(2) Ac fuit antea tempus quum Gcrmanos Galli virlute superarent ultro
bella inferrent propter hominuni niultiludineni agrique inopiam trans Rlie-
num colonias mitterent. Itaque ea quae ferlilissima Gernianiae sunt loca
circum Hcfcyniam silvam quani Eralostlicni et quibusdam Graecis fama no-
— 399 —
Pour en finir avec celle queslion, écoutons Tacile : « Les
Trévires el les Nerviens, dil-il, sonl les premiers à se dire
issus de Germains et à s'en faire honneur comme d'une
origine dont la gloire les sépare des Gaulois et les absout
de la lâcheté reprochée à ceux-ci. » Plus haut, avec l'ac-
cent de la vérité qui le dislingue, il avait dit : « Le meilleur
de tous les garants, Jules César, témoigne que les Gaulois
eurent leur époque de supériorité el l'on peut croire que
des Gaulois passèrent aussi en Germanie (i). »
Voici une preuve que les habitants du Luxembourg, au
commencement du IV* siècle, étaient encore romanisés.
Le huitième discours de la collection des Panégyriques
anciens est attribué à Nazaire, rhéleur gallo-romain dis-
tingué, dont parlent saint Jérôme et Ausone. Prononcé à
Trêves en 313, ce discours célèbre dans le langage le plus
enflé la victoire de Constantin sur Maxence. Le mérite lit-
téraire ou historique de celte œuvre peut être contesté,
mais en ce qui concerne les anciens habitants du territoire
des Trévires, il est du plus grand intérêt. Il témoigne
que, en dépit des efîorls de Rome, la langue primitive
n'avait pu être extirpée complètement. L'adulateur ofliciel
de Constantin s'exprime ainsi dans son enthousiasme ser-
vile : « Je n'ignore point dans quel état d'infériorité in-
tellectuelle nous sommes vis-à-vis des Romains; ils doivent
à la nature de parler latin avec éloquence, nous ne parve-
nons à celle perfection qu'à force de travail (2). »
tam esse video quam illi Orcyniam appellanl Volcae Teelosages occupaverunt
alque ibi consederunt.
(1) Validiores olim Gallorum res fuisse sumraus auctorum divus Juliiis
Iradit : eôque credibile est eliam Gallos in Germaniani ti-ansgressos... Treviri
et Nervii circa affeclalionem Gei-manieae originis uKio ambiliosi sunl tani-
quam per hanc gloriam sanguinis a simililudine ci inerliâ Gallorum sepa-
renlup. Tac, Germ., 27.
(2) « Neque enim ignora quanta inferlora suit ingénia nos'ra Romanis : si-
quidem latine et diserte loqiii illis ingeneralum est; nobis claboralum. » Voy.
Ineerti panegyricus Constanlino Auguslo diclns.
— 400 —
Dans sou panégyrique de Théodose, Pacalus parle avec
mépris de la langue des Gallo-Romains, qu'avec une exagé-
ration liabiluelle aux rhéteurs de son époque il appelle :
riidem hune et incertum sennonis transalpini Iwrrorem (i).
Celte emphase de bel esprit, qui pouvait avoir beaucoup
d'adeptes, ainsi que nous le montre l'histoire des littéra-
tures modernes et notamment de la langue allemande,
devait contribuer, en dehors d'autres causes que l'on de-
vine, à nous priver des documents nécessaires à une con-
naissance exacte de la langue des Gaules. D'après ce que
disent certains éditeurs de la poésie d'Ossian, il existerait
à une bibliothèque publique de Paris un discours de Clovis
en celtique, que le docteur Diefenbach présume être, si ce
document existe, une traduction gadhéliqiie, dialecte com-
mun an gaélique et à l'irlandais. Quoi qu'il en soit, saint
Jérôme, philologue d'une bien autre trempe que ce Pa-
catus romanisé, n'affecte pas le même dédain (2). On dirait
(1) Latam Pacati Drepani, etc., dans les Vclcrcs pancgyrici ad usum Del-
phini, p. 310. L'interprète dit : « Propler innolam et quam a majoribus
acccpere facundiam diffieilius est ul impolita et iniperfecta liominis trans-
alpes uali oratio non laeda sit alque adeo horrida videaliir. »
(2) Voy. Sancli Eus. Hieronymi opcrum, (otniis IV, Parisiis, MDCCV,
p. 255. Voici le texte de ce passage si célèbre : « Ununi est quod inferimus
et proniissum iu exordio reddimus, Gulalas exceplo sermone graeco quo
omnis Oriens loquitur propriam eamdem pcnè habcrc quam Treviros, née
referre si aliquo exinde corruperint quum et Aphri Phaenicam linguain non-
nulla ex parte mntaverint et ipsa latinitas cl regionibus quolidiè mutetur et
tempore. »
Voy. JoiNNES NicoLAus AB Ho^THEIM, dans : Hisloria Trevirenlis diplomalica
et pragmatica inde a translata Treviri praefeclara practorio Galtiarum ad
haec usqiie tempora, Augustae Vind. et Hcrbipoli, anno MDCCL. Nous ne
rapprochons de ce passage, qu'à titre de renseignement, l'opinion de Tima-
GÈNE, cité par Amm. Marcellin, qui attribue l'origine du nom de Celtes à un
roi de ce nom, et celui de Galates, terme dont se servent les Grecs pour
désigner les Gaulois, à Galate, mère de ce roi : Cellan nomine régis amabilis
cl matris ejus vocabulo Galatas dictas ; ila enim Gallos scrmo graecos adpel-
lai (Amm. Marcell., XV, 9, 3). Saint .Jérôme rapporte, sur l'autorité de Var-
ron, un autre fuit qu'il semble implicitement donner comme existant de son
— 401 —
qu'il invoque comme une gloire, pour les Galales, d'avoir
conservé en face de la langue hellénique, le caraclère spé-
cial de leur propre idiome, analogue, selon lui, à la langue
que parlent les Trcvires de son époque. « Nous constatons
comme nous l'avons promis au début, dit-il, que, même
après l'adoption de la langue grecque en usage dans tout
rOrient, les Galates ont une langue qui leur est propre,
presque la même que celle des Trévires. Les quelques
altérations ne tirent pas à conséquence. Est-ce que la
langue des Phéniciens n'a pas été modifiée? Grâce aux
temps et aux lieux, la latinité elle-même s'altère tous les
jours. »
L'assemblée nationale des Galates s'appelait Drynaimet,
que l'on dérive du celtique Dry {drei et menu), comme
étant la place, le rendez-vous de trois peuples, ou de dere-
tcnips; il dit qu'outre le latin et le grec, on parlait à Marseille et dans le
voisinage un troisième idiome, qni ne pouvait être que l'un des trois idiomes
primitifs de la Gaule, Or, les lieux dont il s'agit avaient été soumis durant
plus de mille ans consécutifs à l'aclion de la civilisation grecque et romaine.
DoM Martin Bouquet (Recueil des Histoires de la Gaule et la France), p. 743,
fait les réflexions suivantes sur le fait rapporté par saint Jérôme : « Si ve-
rum est quod tradit Hieronymus, necessaris dicendum est, Caesarem, quum
ait Belgas, Aquitanos et Cellas lingua intcr se differre, liane differentiam
non in ipsa lingua ponere, sed tanlùm in dialecto seu vario loquendi génère.
Nam si diversa fueril Celtarum et Belgarum lingua quomodo Teclosages, qui
in Asiam irruperunl, quique profcclô Cellae erant, eamdcm linguam habuc-
rint quam Treviri, qui semper cum Belgis annumerali sunt? »
TiiÉMisTius, Eo'fKJT/)?, XXII, fait de la Galilie (éd. de G. Dindorf, p. 3G0, 16)
une contrée purement grecque : « xal otj XÉyw xô affxu eoû AvTt6/ov, ojôe
6'cTOiî èyel ^uvàfii^a àvSfâTt xà èfxà cpopxta [ia^xéouji xal irepi 7:oiou[Ji£votç,
o'jSî 8<T0tî èv TaXaxîa xr; 'EX>v/jVt6i. » Mais l'opinion de Thémistius, d'ailleurs
erronée, ne peut prévaloir en tout cas contre celle de saint Jérôme, parce
le philosophe grec, restaurateur passioné du polythéisme, de l'art et de la
science helîéniques, exagérait constamment ses opinions et dénaturait les
faits en les forçant dans leurs conséquences. Toutefois est-il raisonnable
de supposer que les Galates soient parvenus à supprimer tout vestige de
grec dans le pays qu'ils ont conquis? C'est la négative probablement que
Thémistius entend soutenir.
29
— 402 —
men, un endroit entouré de chênes. LesGalates se donnaient
dans leur propre langue le nom de Gomaras, d'après Jo-
sèphe. Cela rappelle les Cimmériens. Toutefois, il ne faut
pas perdre de vue qu'en Asie et en Thrace il y avait des
peuples du nom de Trères et de Trerons (i), dont il serait
inutile de montrer la frappante similitude avec ceux des
bords de la Moselle (2).
Mais est-il bien nécessaire de poser en principe l'extinc-
tion complète de la langue primitive des Trévires? L'auteur
du panégyrique attribué à Eumène, prononcé en l'honneur
de l'empereur Constantin, nous apprend qu'en 291 ap. J. C.
des hordes de Francs se sont établies dans les districts dé-
vastés des Trévires et des Nerviens (3). Il pouvait encore
exister quelques débris de l'ancienne population à côté de
la population romanisée de la métropole et les Francs dis-
séminés dans la campagne, car il est bien constaté par
saint Jérôme lui-même, que ce père de l'Église a visité
dans son enfance les bords du Rhin, par conséquent en-
viron soixante ans après que les Francs se furent fixés au
sein des Trévires (4).
(1) Herod., Clis , 28 : « 0pî/jx<i)V tûv év t^ 'Aa£i[i. » Tlialia, 90, Polymnia,
76. — Strabon : « ol Sk xal Tpvjpwv ôS; uuvoixwv 0paÇlv ovxov. » Thucydide, II.
(2) Voy. Teulschlands Urgeschichle, von Chr. Karl Bartu, BaireuUi, 1817,
p. 215, — Plin., IV, 17, place les Trères aux bords de TAxius. — Nous
avons exprimé celle idée à un autre poinl de vue au chapitre : Question
d'idenlilé.
(3) Paneg. Emn. m Const. « Sicut poslea luo, Maximiane Auguste, nulu
Terviorura et Treverorum arma jacenlia Laelus postliminis reslilutus el re-
ceplus in leges Francus excoluil. »
(4) BuANDES, p. 243 : « Hieronyraus selbst (contr. Jov., II) erzablt dass er
in seinen erslen Jiinglingsjabren (adolescentulus) die halbbarbarischen Ufer
des Rbcins und bei dieser Gelegenbeil auch Trier besuchl habe (Vergl. episl.
6 und H). AIso nur 60 Jahre lagon zwischen der Ansiedlung der Franken
und der Anwesenheil dièses Kirchenvalers am Rhein .- man braucbt dahcr
niclil anzunehmcn dass damais schon die aile Sprache der eigcntlkhen Trevircr
— 405 —
Le passage dont il s'agit a été différemment interprété.
Il est de la plus haute importance dans la question de l'i-
dentité de race. On se demande naturellement si Jérôme
a puisé cette donnée à une source historique. Si cela est,
la langue des Gaulois et des Trévires correspondait par ses
principaux éléments, et comme ce dernier peuple était
compris dans les populations helges d'origine germanique,
on serait autorisé à déduire de ce fait la conclusion que le
langage belge offrit de frappantes analogies avec celui
des Gaulois. Holtzmann s'empare de ce texte pour donner
plus de cohésion à son système. Selon lui (Pacatius au be-
soin le prouverait), les habitants de Trêves avaient depuis
longtemps oublié la langue dont ils se servaient au temps
de César. D'un autre côté, Salvien rapporte qu'après la
destruction de leur ville, le premier soin des Trévires fut
de restaurer les jeux du cirque. Ce qui ne laisserait aucun
doute sur leur complète métamorphose en Romains : Vous
désirez des jeux publics, habitants de Trêves, dit-il, après
le sang, après les supplices, vous demandez des théâtres;
vous réclamez du prince un cirque (i) ! Ce langage est
auss dem Gediichtniss der Mensclien ganziich verscliwunden war. » Saint
Jérôme est né en 342. Il n'avait donc que dix-huit ans lorsqu'il vint à
Trêves.
Voy. aussi sur ce passage de saint Jérôme les senlimenls de Schayes et
MoKE, ainsi que l'habile discussion de M. Ernst, Ilisl, du Litnbourg, t. J,
p. 145, exposée pur M"" A. Le Roi, dans ses Lellres ébttrvnnes. Revue Iri-
meslrielle, t. XI, pp. 212, 213.
(1) Salvianus, de Gub., div. I, G : o Circenses ergô Treviri desideratis et hoc
vaslati, hoc expugnati, post cladem, post sanguinem, post supplicia, post
civilatem, post lot eversa urbis cxcidia. » (Quatrième ravage de Trêves, vers
41G après J.-C). Ces paroles s'adressent aux habitants notables de celle
ville qui avaient fait des instances auprès d'un général d'Honoriu?, pour que
celui-ci relevât le cirque.
Dès le commencement du V« siècle, les Ripuaires avaient occupé Cologne
et toutes les villes situées entre le Rhin et la Meuse. On peut juger de leurs
ravages par le tableau que fait Salvien de la ruine de Trêves, prise alors
— 404 —
bien digne de celui qui a dit : « Le monde romain meurt
en rianl. »
Au reste, on pourrait, selon le même critique allemand,
passer avec indifférence sur Tidiome primitif gaulois ou
germain desTrévires, que son système resterait intact. Aux
temps les plus reculés, comme le dit Pontanus (i), ils par-
laient donc germain; mais quand saint Jérôme, au milieu
du VI^ siècle, vint dans leur ville, il n'y aurait plus eu de
trace de leur langage primitif (2).
On ne saurait souscrire sans restriction à l'opinion que
Schayes exprime avec trop de rigueur sur les premiers
habitants de la Belgique. Mais ainsi présentée, elle prête
ordre et appui à celle de M. Hollzman. « Occupée exclu-
sivement par des Germains, la Belgique, dit-il, au temps
de César, ne conservait pour souvenir des Celtes, ses pre-
miers habitants, que son ancien nom gaulois de Belgique,
laissé au pays par ses nouveaux possesseurs qui eux-mêmes
pour la Iroisièine fois : « La première cilé des Gaules n'étail plus qu'un sé-
pulcre. Ceux que l'ennemi avait épargnés n'échappèrent pas aux calamités
qui suivirent. Les uns mouraient lentement de leurs blessures, les autres
périssaient de faim et de froid; et ainsi par divers chemins tous arrivaient
au tombeau J'ai vu, et mes yeux en ont soutenu le spectacle, j'ai vu des
corps d'hommes et de femmes, nus, déchirés par des chiens et les oiseaux de
proie, étendus dans les rues qu'ils profanaient L'infection des cadavres tuait
les vivants, et la mort, pour ainsi dire, s'exhalait de la mort. » Il faut re-
marquer que Salvien a dû être élevé, s'il n'y est pas né, à Trêves, cenire de
la culture gallo-romaine dans le Nord.
(!) PoNTA^us, epist. XVI, apud Mulhaeum Analcct. T. V, p. 999.
(2j IIoLTZMANN, KclUn und Gcrniancn, p. 88 : « Es ist ganz gleichgûllig ob
die urspringliche Sprache der Trcviri die gallische oder die germanische
^\'ar obgleich nach dera ausdrucklichen Zeugniss des Tacilus nicht bezwcifclt
werden kann dass sic sich germanischer Abkùnft riihmlen und aiso auch
deulsch sprachen wie ganz richtig Pontanus sagt : « Trcvirorutn idioma sive
dialcclicum fuisse teulonicam uli et reliquorura Belgai'um nemo dubilabit. »
Es kommt darauf nicht an weil ohnc Zweifcl in der Milte des vierten Jahr-
hunderts als Hieronymus in Trier wohnte die Sprache der Urbcwohner der
StadI langst vergesscn war. »
— 405 —
adoptèi'cnl pour nom générique la dénomination de Beiges;
c'est ainsi que du temps de Tacite le nom de Bohème était
aussi le seul prestige qui restât du séjour des Boieux sur
le bord du Danube (i). » Il prétend aussi que les auteurs
qui se sont occupés de la vie privée des Beiges avant et
après la domination romaine, n'ont pas fait de distinction
assez marquée entre les Celto-Belges et les Romano-Belges.
La Belgique, peuplée dans le principe par des peuplades de
race celtique, le fut exclusivement depuis l'expulsion de
ces derniers par les Germains, qui se firent toujours un
litre de gloire de conserver intacts et purs le sang et les
mœurs de la mère-patrie (2).
Les auteurs sont loin d'être d'accord quand il s'agit d'ex-
pliquer la naissance du wallon en Belgique.
Van Tliielen (3) croit que les anciens Belges (les Cimbres
d'Amedée Thierry, les Germano-Belges de Schayes), de race
finnoise et non de race teutonique, sont les Wallons d'au-
jourd'hui, c'est-à-dire les peuples que les Francs, dont les
Flamands sont les représentants, ont refoulé pendant les
IV* et V^ siècles dans les montagnes et les forêts inacces-
sibles des Ardennes. Ces anciens Belges, en s'établissant
dans les Pays-Bas, en France et dans les îles britanniques,
s'y sont mélangés avec les habitants romaïques qu'ils y ont
trouvés, et de cette fusion sont résultés les dialectes finnois-
romaïques, le wallon, le bas-breton, le patois du nord des
Gaules, le breton de l'Angleterre, dont le cambrien ou
welsch (4) est le représentant moderne.
(1) Voy. Schayes, Les Pays-Bas avant et durant la domination romaine,
t. I", p. 40.
(2) ScuAYES, ibid., p. 62.
(3) Les Scythes et J. Britz, Code de l'ancien droit Belgique, 1847, p. 7,
(4) Comp. Qiiaelen, Gael, Galls, Galatai, Wallcn, Wallon; J. G. WAciiTEit,
Glossarium germanicum, 1737 : « Welscli conlraclum ex luelisch quod est a
wale, percgrinus, alienus, per terminalioneni gencris indicem isch. {Dérive
de Wale, qui signifie étranger); voy. Caes., B. G., !!, 4; V, 12, 14, VI, 13.
~ 406 —
Les Wallons sont plus anciens que les Flamands ou Ger-
mains qui ont passé le Rhin aux époques historiques. Les
Finnois, à qui appartiennent les Wallons, se sont répandus
vers l'occident et le nord de l'Europe, en parlant de l'Ou-
ral, leur siège primitif. II y a, du reste, des vestiges finnois
dans quelques noms topographiques de notre pays (i).
Le Wolga, c'est le Rha de Plolemée. On le retrouve dans
rail, raiin, Rhin, pjw, couler. Le Rha, an moyen-àge, est
Oarus, de la racine ouar, rivière. Il en vient Our, Ourthe
et Orneau. Attel étant sous diverses formes un cours d'eau
considérable, on retrouverait ce mot dans Attert(2), comme
il l'est dans Eltelbriick, le pont sur l'Ettel, établi par les
Germains sur une rivière antérieurement nommée par les
Finnois. Au reste, Raepsaet avait déjà constaté l'idenlilé
progressive des noms de lieux et de rivières, depuis le Pont-
Euxin jusque dans les Pays-Bas. Mais son point de départ
était nécessairement différent (s).
(1) Voy. HouzEAu, p. 269; MeyerÎ Nouveaux mémoires de l'Académie de
Bruxelles, t. III.
M. Alphonse Le Roi, dans ses Lellres éburonnes (La controverse sur l'ori-
gine des Wallons), Revue trimestrielle, t. IX, p. 127, constate delà manière
suivante ce qu'il y a de positif dans les controverses sur les anciens habi-
tants de l'Europe et de la Belgique :
« 1" Que les Celtes, en venant s'établir chez nous, y ont trouvé une po-
pulation appartenant à une race petite, brune et barbare jusqu'à l'anthro-
pophagie (PoMPONius Mêla, liv. 111, ch. 11);
» 2" Que cette race n'a pas disparu immédiatement des contrées qu'elle a
occupées, et que les traditions nous montrent les nains comme ayant con-
servé certaines relations avec les nouveaux habitants du pays;
» a» Que ce fait se retrouve à la première page de Thisloire de la plupart
des peuples de l'Europe septentriolale et occidentale;
» i» Que, toutefois, l'ignorance où nous sommes des destinées de cette
race anté-historique ne peut influer en rien sur la question de l'origine des
Wallons. »
(2) Commune du canton et à une lieue et demie nord d'Arlon. Une petite
rivière, nommée TAttert, prend sa source dans cette commune.
(3; Voy. OEuvres complètes de J. J, Raepsaet, 1838, t. I, p. 86 et suiv.
— 407 —
Cet écrivain dit : « Les Hollandais, les Brabançons et
les Flamands (i) sont originaires des cotes de la mer
Noire; les Nerviens, Eburons et Alluatiques qui ont habile
le Hainaut, le Namurois et le pays de Liège, avaient la
même origine; mais les trois derniers peuples ayant été
détruits par César, presque jusqu'au dernier homme, ont
été repeuplés par des colonies gauloises, lesquelles y ont
introduit la langue, les mœurs et les usages des Gaulois.
Ces nations, originaires du Pont-Euxin et de la mer Noire,
ont quitté leur pays natal par voie de transmigrations par-
tielles et successives. »
Nos ancêtres étaient donc Wallons, c'est-à-dire Gaulois
ou Celtes; mais ils étaient aussi Germains, ils étaient
même, si l'on veut, Germains en grande majorité, si bien
que leur langue n'avait même gardé que de faibles traces
de l'élément celtique. Après cela, nous entrons en plein
dans l'histoire. Je laisse parler M. Ch. Grandgagnage :
«I D'après ce que nous savons de l'obstination que met-
taient les Romains à transformer les peuples vaincus en
un seul peuple romain, on pourrait affirmer à priori,
qu'ils parvinrent à implanter pendant leur longue domi-
nation leur civilisation et leur langue dans les parties de
la Belgique qui se trouvaient sur leurs voies de commu-
nication, ou qui étaient assez fertiles pour y fonder des
établissements. Il est tout simple, par exemple, que les
Romains aient laissé les Ménapiens, les Nerviens septen-
trionaux et les Toxandrins dans les marais et les bruyères
qui s'étendent de la Flandre maritime à la Campine; tandis
que les plaines fertiles du Hainaut, du Brabant méridional
et de la Hesbaie — plaines que traverse la chaussée nom-
mée encore aujourd'hui romaine — devaient les attirer.
(I) Voy. J. J. Raepsaiît, Mémoire sur Voriginc des Belges, dans ses OEuvres
complcles, 1858, t. I, p. 117.
— 408 —
De là, il résullait deux choses : ces pays acquérant de
l'imporlance, les Romains attachaient du prix à les
transformer; en second lieu, celte transformation s'opé-
rait d'elle-même par le contact prolongé des deux popu-
lations. »
Non seulement le latin s'implanta dans nos contrées,
mais (nouvelle influence) il y arriva « en quelque sorte
teint de celtique dans son passage par les Gaules (i). »
Cette opinion concorde avec celle qui se manifeste en
ces termes : « Tout le monde sait que la langue des Gau-
lois était le celte, et que la langue romane, dont le wallon
est un dialecte, n'existait pas à l'époque où les Romains
occupaient la Gaule germanique. Cet idiome ne peut y
avoir été introduit que par les moines, qui parlaient le
latin rustique, et il n'y eut pas de monastère dans ce pays
avant le VU" siècle. Si les dialectes wallons étaient un
héritage des Romains, on ne parlerait pas l'allemand à
Trêves et à Cologne, qui furent les grandes villes romai-
nes du nord de la Gaule; et l'on ne parlerait pas le flamand
à Tongres, le seul endroit des environs de Liège où il soit
constaté que les Romains ont eu des habitations (2). »
L'élément wallon, à l'extrémité nord-est de la langue
cVoil, d'un côté entre le picard et de l'autre entre le bour-
guignon et le lorrain, afl'ecle les allures d'un idiome in-
dépendant. Il s'est créé une échelle de voyelles, qui lui
est propre et a quelques traits qui rappellent une haute
antiquité. Il ne doit pas êlre confondu avec le rouchi ni
avec le lorrain. Le mot Wallon est peut-être de prove-
nance germanique ou bien les habitants de l'étendue terri-
toriale habitée par les Wallons se sont attribués eux-mêmes
(t) Voy. Mr Alp. Le Roi, Lettres éburonnes, dans la Revue Irimeslriellc ,
t. XIII, pp. 217, 219, d'où est tiré ce passage.
(2) Voy. GÉRAno, Histoire des Francs d'Auslrasie, liv. Il, ch. Il, p. i)8.
— 409 —
ce terme générique Walah, qui caractérisait les Gaulois,
On le retrouve en Walachie et dans la population romane
du canton des Grisons, qu'on appelait autrefois Churewala,
où, selon Grafl", cette dénomination est restée par un effet
contraire. En 1136, Rudolph, abbé de Saint-Trond, s'ex-
prime en ces termes : « Adelard, dont la langue natale ne
fut pas le teuton, mais celle qu'on appelle par corruption
la langue romane, en teuton wallon (t). »
Dans l'ensemble des langues d'origine latine se trouve
un grand nombre d'éléments germaniques (2). On a calcule
que ceux-ci s'élèvent approximativement à neuf cent trente
mots, dont une partie est encore en usage. Cependant l'au-
thenticité de quelques-uns ne laisse pas que d'être mise en
doute. En outre, ces vocables ramenés à leur souche dimi-
nueraient encore de nombre. D'un autre côté, dans la
quantité indiquée on ne comprend ni les mots dérivés, ni
les mots composés, ni les noms propres. L'idiome le plus
riche en éléments germaniques, c'est le français. Cela devait
être. Les conquérants pénétrèrent partout en Gaule par ses
vastes frontières. Mais dans la partie méridionale, l'effet de
la germanisation se fît moins vivement sentir. Aussi y
rencontre-t-on moins de termes employés que dans le Nord,
(1) Voy. Grandgagnage, De l'origine des Wallons, Liège, 1852 : « Adclar-
dus... nalivam lingiiam non habuil teulonicam, sed quam corruple nominant
romanam, tenlonicè loallonieam. » M^ A. Le Roi pourrait bien avoir fait
allusion tout spécialement à cette assertion de l'abbé de Saint-Trond, lors-
qu'il dit : « Quand même M. Grandgagnage me démontrerait péremptoirement
que toute la langue wallonne se compose d'allemand et de latin corrompu,
je n'en croirais pas moins que j'ai un peu de sang gaulois dans les veines.
Je porte le nom de Wallon, et je ne saurais en méconnaître la signification,
et enfin quand je mets le nez à la fenêtre pour voir passer un cràmignon,
je ne puis m'empécher d'avouer que si les danseurs sont les fils des blonds
Germains, ils ne ressemblent guère à leurs parents [Lettres éburonnes. Revue
trim , t. XI, p. 220, 1856).
(2) Voy. Gr. Diez, Grammatik dcr Romanischen Sprachen, t. I, p. 65, et
le Dictionnaire étymologique du même auteur.
— 410 --
et notamment de termes importés par l'invasion des Nor-
mands ())• Des neuf cent trente mots germaniques dont il
s'agit, on en attribue quatre cent cinquante à la Gaule.
Après le français, c'est l'italien le plus riche en termes
germaniques. Il en renferme environ cent quarante. Les
langues du sud-ouest peuvent à peine en montrer cinquante.
Le valaque est l'idiome d'origine latine, comptant le moins
de ces termes. Cependant dès 272, l'empereur Aurélien
dut céder la Dacie aux Gollis; mais la domination de ceux-ci
était trop éphémère pour exercer une influence marquante
sur la langue du pays.
Cependant, les peuples même qui avaient pris le parti
de la civilisation, qui s'étaient établis avec respect dans ses
ruines, y avaient apporté les passions et les habitudes de
leur patrie. Les rois des Francs portaient la pourpre et
parlaient latin; mais on retrouve en eux les deux mauvais
instincts des hommes du Nord, la soif de l'or et la soif de
la vengeance. Quand Grégoire de Tours raconte les fureurs
de Frédégonde, quand il rapporte comment Clovis, après
avoir fait assassiner le roi des Ripuaires par son fils, fit
tuer le meurtrier à coups de hache au moment oîi celui-ci
se baissait pour considérer de près ses trésors, on croirait
lire les plus tragiques récils de l'Edda. Chez les Visigoths,
(1) Voy. Ampère, Hisl. lia., t. II, p. 123 : « L'histoire des langues est
toujours celle des peuples qui les parlent. Ainsi dans le midi de la Gaule,
où les influences germaniques se sont fait moins sentir, ont été plus tôt
domptées par ce qui restait de l'ancienne existence romaine, les langues
germaniques ont en moins d'empire; on y voit plutôt apparaître la langue
vulgaire. Au nord, la langue franque lutte mieux contre le latin. Charle-
magne et Louis le Débonnaire parlaient encore leur idiome national; le pre-
mier s'efl'orça même d'en faire, jusqu'à un certain point, une langue litté-
raire et scientifique; il écrivit une grammaire francique, donna aux mois
des noms tudesques et recueillit d'anciens chants germaniques. Le célèbre
serment de 842 montre le dialecte teuton du nord en présence des dialectes
néo-latins du midi. Depuis lors, le premier ne paraît plus, et il ne reste de
lui que les débris dont il a semé la langue française. »
~ 411 —
nous avons vu Aslaulfe, séduit par la douceur des mœurs
romaines, embrasser le service des César, en même temps
qu'il épouse leur sœur Placidie (i). Il aime à se montrer vêtu
de la toge, traîné avec sa noble épouse sur un char à quatre
chevaux. Mais ses compagnons d'armes s'indignent de ce
changement comme d'une Irahison; ils égorgent Aslaulfe à
Barcelone et se donnent pour chef Sigeric, qui inaugura
son règne en poignardant de sa main les six enfants de son
prédécesseur. Les Goths d'Italie n'opposèrent pas la même
résistance à la politique réparatrice de Théodoric (2). Cepen-
dant ce grand homme ne signait ses édits qu'à l'aide d'une
lame d'or découpée à jour. Il relevait les écoles, mais seu-
lement pour ses sujets romains; il craignait, disait-il, que
la main accoutumée à trembler sous la férule ne tint pas le
glaive avec fermeté. Aussi, au bout d'un règne glorieux, il
fit éclater l'humeur sanguinaire de sa race par le supplice
de Boèce et de Symmaque. Nous avons trouvé des rhéteurs
et des légistes latins dans toutes les cours; mais en y regar-
dant de près, nous les verrons souvent humiliés et inquiets,
comme Sidome Apollinaire, « au milieu de ces guerriers
hauts de sept pieds, frottant de beurre rance leur longue
chevelure et chantant à tue-tête des refrains sauvages qu'il
faut applaudir. » Si les villes avaient conservé leur sénat
municipal et quelques restes de leur droit public, dans
chacune d'elle siégeait un comte barbare, qui l'écrasait de
ses exactions. Enfin, quand on considère la multitude des
bandes conquérantes qui couvrirent les campagnes et qui
formèrent le gros de la population dans les provinces du
Rhin et du Danube, on est surpris de reconnaître à peu
(1) Voy. DoM Bouquet : Ex vetcri chronico Hlotssiacensis, p. 648. — S. Isi-
DORi Hispaniensis Hisl. Gotlioriim ; « Aslaulfus quinlo regni anno tle Ualia
reccdeus, Gallias adiit, Placidiam Tlieodosii Imperatoris filiani quam Romae
Golhi ceperunt, conjugem sibi assunipsit. »
(2) Voy. JoRNA.'tDis Uisloria de Francis.
— 412 —
près les Germains de Tacite. Au VI"^ siècle, VVodan avait
encore des adorateurs dans toute la Gaule orientale, dans
toute les vallées des Vosges, sur les bords des lacs de Zu-
rich et de Constance, et jusqu'en Italie. Le culte des dieux
du Nord était public; on leur sacrifiait impunément des
victimes humaines. Les libations païennes se faisaient non
en secret, mais jusqu'à la table des rois; sans parler des
superstitions innombrables, qui s'attachaient aux pierres
sacrées, aux arbres, aux fontaines. Elles avaient jeté leurs
racines dans la terre comme dans les âmes; elles y tenaient
si fort, qu'après avoir disparu pour un temps devant le
zèle des prédicateurs et la sévérité des lois, elles n'atten-
daient pour reparaître qu'un nouveau flot de barbares
qui vint raviver les vieux germes (().
Voici maintenant, pour en finir, le théâtre sur lequel
s'agitaient Gaulois et Wallons dans notre pays.
Auguste divisa toutes les contrées comprises sous le nom
de Belgique, en Belgique proprement dite et en Germanie
supérieure et inférieure : celle-ci embrassait en partie les
Belges d'origine gauloise, et celle-là exclusivement ceux
d'extraction germanique. Des différentes parties de la Bel-
gique actuelle, la provincia belgica contenait le Luxem-
bourg, le pays des Nerviens et celui des Ménapiens; la
Tongrie et la Toxandrie faisaient partie de la Germanie
inférieure {Germanîa mferior).
Sous Dioclétien ou Constantin, la Belgique romaine
subit un nouveau remaniement; la province de la Belgique
créée par Auguste, fut alors partagée en première et en
seconde Belgique, et les provinces de la Germanie supé-
rieure et inférieure, en première et en seconde Germani-
que. Les Nerviens et les Ménapiens firent partie de la
seconde Belgique, dont la métropole ou le chef-lieu était
(1) Voy. OzANAM, Les Germains avant le clirislianisme.
415
Reims; le Luxembourg apparlinl à la première Belgique,
sous la métropole de Trêves j les Tonj^rois cl les Toxaiidies
à la seconde Germanique, qui avait pour chef-lieu la ville
de Cologne (t).
(1) Voy ScHAYES, La Belgique cl les Pays-Bas avant cl pendant la domina-
tion romaine, t. I, p. 409, édil. 1858. — Voy. la division de la Gaule allri-
buée à César par Amm. RIaucell.jHv. XV, H, division que les auteurs modernes
ont fort critiquée. — Beaucoup d'écrivains s'imaginent que le préfet des
Gaules (praefectus praelorio Galliarum) avait sa résidence ordinaire à Trêves.
Ou sait en effet que saint Athanase appela Trêves la métropole des Gaules,
qu'en 378 après J.-C. Ausone séjourna dans cette ville en qualité de préfet
du prétoire sous Gralien, et qu'en 587, pendant le séjour à Ti'èves du tyran
Maxime, Evodius y fut avec le titre de pracfectus praelorio.
Mais on se hâterait trop de conclure de toutes ces circonslauces que Trêves
fut le siège permanent de la préfecture des Gaules. 11 est vraisemblable
qu'Atlianase ne donna à Trêves la dénomination de métropole, que parce
que celte ville fut la résidence des empereurs pour un temps assez long- 11
n'y a pas, à proprement parler, de métropoles des préfectures ou des dio-
cèses. Aussi ne peut-on pas dire, politiquement parlant, qu'il y eut une mé-
tropole des Gaules, mais il y eut des méiropoles de provinces. Le passage
qu'on cite de YHisloire des Ariens, d'AïiiANASE : IlaoXIvoi;, ô àità Tpepépwv
TT^ç [xyjTpoTciXïiûi; tôSv raXXlwv éTcîirxoTio? et un autre du même genre dans son
Apologie de fuga, pourraient s'interpréter dans ce sens qu'Athanase mainlienl
à Trêves le titre de métropole des Gaules, parce qu'elle était la métropole de
la Dclgica prima, comme il nomme Cologne la métropole de la Gaule supé-
rieure ^septentrionale). C'est ainsi qu'il parle d'Euphrate, évèque de Cologne
vers 34-7 : Eucppar/jv 5e tôv àTzb AypiTtTtfvyjî, eaxt 5^ xaî autyi [j.y)Tfoii6Xt(; Trjî
avw TaXXÎaî. — Euphratc d'Agrippina (Cologne); c'est une métropole de la
Gaule supérieure (septentrionale). On lit dans Ammien Marcellin (liv. XVII, 3;
XX, 8), que Florentins, préfet du prétoire, demeura à Paris pendant les hivers
de 558 et 560, en même temps que Julien, comme il séjourna en 554 à Arles,
pendant le séjour de Constance dans celte dernière ville (Ausone, De claris
tirbibus : VIII, Arelas). Doji Martin Bouquet (Recueil des historiens des Gaules,
t. Kr, pp. 7G6 et 776, édil. 1809), prend Arles pour le siège constant et
régulier de la préfecture des Gaules. En tout cas, au 1V« siècle. Trêves fut la
métropole de la Belgica prima et eut tous les avantages attachés au siège des
administrations supérieures. Tout le monde sail que jusqu'à la Révolution
française, les évêchés de Metz, Toul et Verdun étaient compris dans l'arche-
vêché de Trêves, de sorte que jusqu'il nos jours les circonscriplions politi-
ques établies par Constantin s'étaient conservées dans la division des pro-
vinces ecclésiastiques. On peut mettre celle dernière à profil pour déterminer
les limites de la Germania prima el de la Belgica prima vers le territoire dcs
— 414 —
Trévircs (Voy. J. Steiningei», Gesehichte der Trevircr tmlcr der Herschaj't der
Ruiner, Trier, 1845, pp, 237, 238).
AusoNE, du reste, au passage cité, parle d'Arles avec le slyle pompeux qui
convient à la splendeur de la rivale de Trêves :
« Pande duplex Arelale luos blanda hospita porlus.
Gallula Ronia Arelas; quam Narbo Marlius, et quam
Accolit Alpinis opulenta Vienna colonis.
Praecipilis Rliodani sic inlercisa fluenlis,
Ut mediam facias navali poule plaleam :
Fer quem Romani commercia suscipis orbis,
Nec cohibes; populosque alios et mœnia ditas :
Gallia quis fruilur, greraioque Aquitania lato. «
{Pour êlre continué).
J. Felsenhart.
— 415 —
HISTOIRE
DES RELATIONS POLITIQUES
ENTRE LA FLANDRE ET l' ANGLETERRE,
AU MOYEN AGE.
CHAPITRE XIV.
(d 545-1 350).
Louis de Nevers. Edouard III.
Louis de Maie.
Edouard avait alleint le but pour lequel il s'était dé-
tourné de sa route, en dirigeant sa flotte vers l'Ecluse, et
s'était assuré de l'alliance de la Flandre. Aussi ne retarda-
t-il pas davantage son départ; il donna l'ordre d'appa-
reiller le 2i juillet 1345, au moment où coulait à Gand
le sang de son cher compère Artevelde. Mais à peine eut-il
pris la mer, qu'une violente tempête vint l'assaillir (i). Il
fut pendant deux jours aux prises avec les éléments, et
parvint enfin, le 26, à relâcher à Sandwich (s).
Cette tempête, qui avait fait beaucoup de mal â la flotte
anglaise, eut pour efl'et d'empêcher le roi d'aller en Bre-
tagne prêter main-forte à ses ofliciers.
(1) Rymeb, édit. angL, t. III, p. 55. Lellre du 3 aoùl 1345.
(2) « Mémorandum quod Dominus Rex, à parlibus Flaiidria: in Angliam
rediens, viccsimo sexto die julii anno pra;senli apud Sandwicum liorà prima
applicuit. » RïMER, édit. angl., t. III, p. 53.
— -il6 —
Le 5 août il était à Londres; là il écrivit au vicomle de
Laiicastre, pour lui annoncer Theureux succès de ses négo-
ciations avec la Flandre, dont il avait « raffermi la fidélité, »
dit-il, au point que les liens entre l'Angleterre et ce pays
étaient plus étroits que jamais, lui déclarer sou intention
de s'embarquer bientôt pour la France, et ordonner à tous
ses lieutenants, barons, bannerets et chevaliers, de se tenir
prêts à raccompagner dans cette expédition (i).
Edouard ignorait encore l'assassinat d'Artevelde; il n'ap-
prit que quelques jours plus tard celte déplorable nouvelle,
qui vint contrarier vivement ses desseins. Le 8 août il
était à Hereford, c'est là qu'il connut l'événement, ainsi
que le fait supposer un acte daté de cet endroit, dans le-
quel, pour certains motifs, il ordonne d'arrêter tous ceux
qui apportent des lettres de l'étranger (2); il craignait sans
doute que l'Angleterre connût trop tôt cet attentat.
La date des pièces diplomatiques et leur teneur, nous
portent à adopter l'opinion de M. Kervyn de Leltenhove,
qui place la mort du capitaine au 24 juillet, contraire-
ment aux récits de Froissart, et à l'opinion de Meyer,
Despars et Villani, qui l'attribuent au 17 ou au 19 juillet.
Si Arlevelde était mort le 17 ou le 19, Edouard n'aurait
pas ignoré cet événement le 24, jour de sou dépari, et le
(1)« Rex vicecoinili Lancastriœ, salulem.... Et ordiiiato luipep propter
}ioc passagio nostro super mare propler aliqua nova subila, quae veneninl
nobis, super procincto diclo passagii de perditione lerrœ Flandriœ et quo-
rumdam alligalorum noslrorum , nisi illue statim personaliler veniremus
illuc cum exercitu noslro, sicut nécessitas exigcbat, transivimus et diclam
tcrram Flandriœ (laudelur Deus) stabilivirnus ita quod nuuquam fuit in fide-
lilate noslra magis fîrma. — Cumque de dictis parlibus festinantes juxta
prinium propositum ad partes inimicorum noslrorum pro expedilione guerrae
nostrœ Iransire disponeremus, irruit super nos Vfinlus conlrarius et Icmpcs-
las, et sic ad cosleram Angliae cum magno periculo projecli fuimus, etc. » —
5 août lois. — RruER, édil. angi., t. III, p. 53.
(2) Close rolls, a" 1345.
— 417 —
1 août il ne se fui pas à coup sûr félicilé d'avoir affermi
son influence en Flandre.
La mort de Jacques van Artevcide fui, dans la silualion
des choses, un événement lellement importanl aux yeux
d'Edouard III, qu'il ajourna jusqu'à l'année suivanle l'ex-
pédilion qu'il élail prêt d'entreprendre contre la France.
La preuve en est dans l'inexécution de l'ordre donné par la
lettre du 5 août : « Kxtitit unanimiler concordatum quod
ad transeundum mare... nos celeriler paremus. »
Les bonnes villes craignant, non sans raison, que la
colère d'Fdouard, à la nouvelle de la mort tragique de son
a grand amy et cher compère, » n'eût des suites funestes
pour leurs intérêts, décidèrent de lui envoyer des députés.
Ceux de Bruges se rendirent dès le 8 août à l'Ecluse pour
s'y embarquer : mais à peine arrivés là, on les rappela
pour introduire dans leurs lettres certaines modifications
qui ne nous sont pas parvenues : Bruges, Ypres, le Franc,
Courtrai, Audcnarde, Gand, toutes les villes étaient re-
présentées dans celte députation (i), qui fut reçue à VVest-
minsler par le roi, « environ la Saint-Michel, » dit Frois-
sart, par conséquent vers la fin de septembre.
Les députés jurèrent au roi que les autorités de leurs
villes n'avaient en aucune manière participé à la mort
d'Artevelde, attendu qu'elles ignoraient même le mécon-
tentement d'une partie des Gaulois, et que si elles en avaient
été instruites, elles auraient fait tous leurs efforts pour en
empêcher le triste dénouement. Ils représentèrent à Edouard
que la mort du capitaine gantois n'était cependant pas une
raison de nature à devoir altérer les bons rapports entre la
Flandre et rAngleter''e; mais que dans tous les cas, il ne
fallait pas songer à donner à un prince anglais la couronne
(I) Guillaume de Vaernewycli représentait Garni. — Kervyn, Jacques van
Arlevclde, p. 112.
30
— MS —
(le Flandre, en détrônant le souverain légitime. « Mais, cher
Sire, ajoulèrenl-ils, vous avez de beaux enfants, flls et filles;
le prince vostre aisné fils ne peut faillir qu'il ne soit encore
grand sire sûrement sans Théritage de Flandre, et vous avez
une fille puisnée, et nous avons un jeune damoiselque nous
nourrissons et gardons, qui est héritier de Flandre; si se
pourroil bien encore faire un mariage d'eux deux. Ainsi
demoureroit toujours le comté de Flandre à l'un de vos
enfants (i). »
Ces propositions furent, à ce qu'il paraît, assez goûtées
du roi d'Angleterre; il se déclara satisfait, et l'alliance
avec les bonnes villes fut maintenue. Le 8 septembre,
Edouard chargea deux gentilshommes anglais, Guillaume
de Stury et Thomas de Melbourne, maire de l'étape des
marchandises anglaises à Bruges, de traiter avec les villes
et. le pays de Flandre au sujet de la monnaie d'or qu'il
avait promis de faire frapper par des chartes de 1340,
et qui devait être appelée le noble (2). Le 10 octobre sui-
vant, il adjoignit à ces deux plénipotentiaires, Gilbert de
Wendlynbourg, et chargea ces trois seigneurs de s'assurer
de l'obéissance de tous les Flamands, tant religieux et
clercs que laïques, à sa personne comme roi de France, et
de traiter des secours à accorder à la Flandre (3).
Les députés s'élant mis d'accord avec le pays et les
bonnes villes, et étant retournés de leur mission, le roi
Edouard ordonna, par acte du 24 mars 1546, de battre la
monnaie d'or dont il avait été question dans les négocia-
tions (4). Vers la même époque que parut celle ordonnance,
(!) Froissaut, édit.]BucJion, l/II, p. 2G0.
(2) Rymer, édit. angl., t. lU, p. 59.
(5) Rymer, id., id.," p. Gl.
(4) « Rex omnibus, elc, salutem. — Quia pro ulililale publicà, prœcipuè
mercalorum et aliorum liominum, tam regni nostri Angliee, quam comilaUis
Flandriœ, desidcramus quod monclœ iiosira auri, vocalœ le Noble (quam cu-
dere fecimus in Anglià) eumdem cursum habcat in Flandrià quam liabel in
— 419 —
le pape ayant envoyé deux cardinaux pour lâcher de né-
gocier la paix entre l'Angleterre et la France, Edouard
répondit aux légats (i) qu'il ne pouvait traiter avec eux
sans l'assentiment de ses alliés de Flandre, et écrivit, le
22 avril, aux communes une lettre à ce sujet. La voici :
« Le roi à Burghmestres, Eskevyns, Conselx et Avowes
de les trois bonnes villes de Gaund, Brugges et Ipre,
salulz — Comme les Révérends Pieres en Dieu, les car-
dinales de Naples et de Cleremont, envoiez à nous de par
nostre Saint Piere le Pape de faire traitez de pais entre
nous et nostre adversaire de France, à ce qu'ils nous ont
doné à entendre, nous aient, avant ces heures, sovenlfoitz
reques par lour lettre de lour mander nos lettres de con-
duyt, qu'il et lour mêmes purroient sauvement venir à nous
en Engleterre pour la cause susdite, — Et nous lour avons
respondez, que nous ne pourrons ne ne vourrions tenir
telle trettée avesque eux, sans assent de vous et de nostre
autres allietz et parties de delà
Nous (comment que nous soions tous jours demoranlz en
nostre primère purpos) nienlmoins, à la révérence de
nostredit Saint Piere, et desdilz cardinalz, par avis de
nostre conseil, fumes assentus d'envoier à eux s'il vous
semble que ce soit affaire, nostre chère clerc mestre Andreu
de Offord, professeur de leis, et mestre William Bomere,
ou un autre que vous nomerez, tant seulement au lieu oîi
ils purroient seurement venir de oier ce qu'ils vourront
Angliâ. El qiiod ad majorem mulliplicationem diclœ monelœ, monela prae-
dicla (videlicel) denarii, oboli, et quadrantes, vocali Nobles, nomine noslro
cudantur in Flandrià, ila quod cursum tam in Flandriâ quam in Angliâ
habeant uniformem.... —Teste Rege apud Westminster vicesimo quarto die
marlii. » Rvmer, édit. angl., t. lil, p. 77.
(1) Par arrêté du 20 avril, il avait nommé des commissaires chargés de
traiter en son nom avec les légats.
— 420 -
dire ou monstrer si qu'ils n'entrent point en trelée et de
reporter à vous leur entenlion. — Par quoi vous prions
que sur cesles choses voiiliez hastivement aviser, et faire
eut ce que mielx vous semble, que soit à honure et profit
de nous et de vos et que nostre dit clerc puisse lost eslre
delivers et retourner à nous (i). »
La joie que le comte de Flandre, Louis de Nevers, avait
manifestée eu apprenant l'assassinat de van Artevelde, el
ses efforts pour ressaisir par la ruse et les moyens iniques
une autorité fort compromise, excitèrent l'indignation po-
pulaire. Les députés de toutes les villes se réunirent à
Gand, au mois de juin, et déclarèrent, au nom de la Flan-
dre, qu'ils resteraient fidèles à l'Angleterre el prêteraient
main-forte au roi dans toutes ses expéditions (2).
Par un acte daté du 20 juin, Edouard avait nommé son
lieutenant en Flandre Hugues de Hastings, qui y aborda
le 16 juillet avec vingt navires el six cents archers (3).
Cet officier venait, d'après les ordres du roi, el les ter-
mes de la notification faite aux Flamands de sa nomination,
également par acte du 20 juin, inviter les bonnes gens des
villes à remplir les engagements pris dans l'assemblée de
Gand (4).
(1) RvMtR, édil. angl., l. III, p. 80.
(2) GiLLis Li Moisis, p. 226.
(3) RvMER, cdit. angl., t. II!, p. 83.
(4) « Rex dileclo consangiiineo el fldeli siio Iliigoni tle Ilaslinges, salu-
teni, — Cum nos ad partes liansmarinas pro expedilione guerrœ Franciae,
simus jam, mediante Domino, profecluri, et dilecli el fidèles communilales
villarum de Gandavo, Bruggcs el Ipre, ac aliorum parlium terrœ Flandriœ;
nobis de cerlo subsldio liominum ad arma el aliorum, in auxilium expedi-
lionis guerrae noslrae prœdiclae, si aliquem idoneum capilancum de sanguine
noslro ad lerram prœdictam millere curaremus, proiniserint bénévole sub-
venirc •
Teste Rege apud Porceslrum, vices, junii.
Et mandatum est universis et singulis biirgimagistris, capitancis, advo-
catis, scabinis, fonsulibus, caslcUanis, offlciariis, ministris, et aliis fidelibus
— 42! —
Cependant le roi qui avail pressé ses armements, cingla
vers la Normandie dans les premiers jours de juillet. Arrivé
à l'ile deWight, il écrivit aux bonnes villes pour leur re-
commander la justice de sa cause et les engager à lui rester
fidèles; dans sa missive, il en appelle à celui qui ne se
trompe pas et n'est jamais trompé, au Juge suprême (i).
Aussitôt toutes les milices s'arment et envahissent l'Ar-
tois, sous les ordres de Henri de Flandre. Repoussées
d'abord par une garnison française qui gardait le pont de
i'Estaire, elles passent l'Escaut à Merville et s'em|)arent,
le 10 août, du bourg de Saint- Venant; le château ne résista
que quelques jours; et la veille de l'Assomption, l'armée
flamande mit le siège devant Bélhune. Après plusieurs
tentatives infructueuses, elle fut obligée de se retirer; et
la dissension ayant éclaté entre les milices de Bruges et
celles du Franc, toute l'armée se replia sur Merville.
Sur ces entrefaites, plusieurs navires chargés de vin,
en destination de la Flandre, furent capturés par l'amiral
de la flotte anglaise de Bayonne, Pierre de Vyna, comme
sortant de jiorts ennemis, Edouard, après information,
écrivit, le 28 juin, à ce sujet aux bonnes villes, chargeant
son lieutenant et parent Hastings de leur donner des expli-
cations relativement à celte affaire (2). A la même date il
avait promulgué une charte, dans laquelle il enjoint au
même officier d'aplanir les difficultés survenues entre ses
hommes et les Flamands (3). Cette pièce a-t-elie rapport
régis, terrœ Flandriœ, quod prœfalo Hugoni, lanquam capilaneo et locum
régis tenenlis in prœdicta terra Flandriœ ad duclori hominum prœdielorum,
in prœdiclorwn, in prœmissis omnibus et singutis inlendentes sint, eonsntentes
et auxiliantes. — Rïmeh, cdit. angl., t. III, p. 83.
(1) Rymer, édit. angl., t. Ill, p. 85.
(2) Record office. — Compte-rendus de la Commission royale d'Histoire,
a» 1869, p. 519. —Voir aux Pièces justificatives.
(5) « Nos de fidelitate et circumspccliotie veslris confidentes, ad qiise-
relas omnium et singniorum Anglicanœ nalionis sub duclione vestrâ exis-
— 422 —
à la capture des navires dont nous venons de parler? Cela
se peut.
Edouard III ayant appris que l'armée flamande avait
franchi la Lys, prit immédiatement ses mesures afin d'o-
pérer sa jonction avec elle. Mais Philippe de Valois,
l'ayant prévenu en arrivant à Amiens le 20 août, et le roi
de Bohème lui barrant le passage au pont de Saint-Valéry,
il se vit bientôt dans une situation fort critique, rejeté
vers Saint-Valéry, entre la Somme et la mer. Alors il se
dirigea vers le gué de la Blanche-Taque, où il défit un
corps de Français, après avoir chargé un seigneur flamand,
Wulfard de Ghislelles, de proléger ses mouvements en
s'emparant d'Argies. Ayant ensuite passé la Somme, il
alla prendre ses positions près de la forél de Crécy, où
il attendit les Français. C'est là qu'eut lieu quelques jours
après la fameuse rencontre, où le marchand de laines,
comme Philippe de Valois appelait Edouard, fit subir à la
chevalerie française une défaite aussi sanglante que celle
des Eperons d'or. Le comte de Flandre, Louis de Nevers,
succomba dans la mêlée, et, par sa mort, laissa le trône
à son fils Louis de Maie, âgé de seize ans.
Tandis qu'Edonard combattait à Crécy, les milices flaman-
des assiégeaient Bélhune. Tout-à-coup le bruit se répandit
que l'armée anglaise, défaite, fuyait devant les Français.
Aussitôt les Flamands lèvent le siège afin d'aller proléger
tentîum, coram vobis de injuriis, violenliis ex excessibus, siLi faclis conqueri
volenlîum, audiendum, el terminandum, nec non ad exeessus et dampna,
data lani Angliis per Flandrenses seu alios ullramarinœ nationis, quam ipsis
Flandrensibus et aliis per Anglios, unà cum quodam ex parte ipsorum Flan-
drensium, ad hoc vobiscnm seu cum depulando a vobis, assignando, siini-
liter audiendum, terminandum, scdandum et reformandum et ad plenani et
celerem justiciam, inde proùt juris et rationis fueril nostris vice et nomine
faciendum.... »
Teste Kege apud Porceslriam, vicesimo octavo die junii. — Rïmer, édit,
angl., t. !II, p. Si.
— 423 —
fa retraite de leur allie. Chemin faisant, elles apprirent
que leurs informations étaient fausses, et allèrent brûler
Térouanne, en quelque sorte pour se dédommager du déran-
gement que leur avait causé cette fausse nouvelle. Après
la défaite de l'armée de Philippe de Valois, l'aide des Fla-
mands devenant inutile au roi d'Angleterre, les milices
rentrèrent dans leurs foyers,
La fausse rumeur de la défaite des Anglais avait fait du
chemin; elle était même parvenue à Gand, où les magis-
trats publièrent en toute liàle une ordonnance enjoignant à
tous les hommes capables de porter les armes, de s'armer
et de se diriger immédiatement vers l'Artois. Grâce aux
nouvelles qui vinrent infirmer celles qui avaient provoqué
cette mesure, l'appel aux armes n'eut pas de suites; mais
le zèle généreux des Flamands ne leur attira pas moins la
reconnaissance d'Edouard III. Voulant leur témoigner ses
bons sentiments, il quitta Calais, et vint en Flandre dans
le courant d'octobre, avec la reine Philippine de Haiuaut.
Il alla d'abord à Ypres, puis à Gand, où il eut de fréquentes
conférences avec les autorités des bonnes villes. De là il se
dirigea sur Ath, où les députés du Hainaut, de la Flandre
et du Brabant renouvelèrent leur serment de rester fidèles
aux traités et alliances conclus précédemment (i).
Louis de Maie ayant fait notifier aux Flamands son avè-
nement au comté, les bonnes villes, qui voulaient concilier
les droits de leurs princes avec les intérêts du pays, en-
voyèrent des députés à Ilalewyn, vers le comte, pour traiter
des conditions auxquelles celui-ci pourrait rentrer en Flan-
dre. Louis consentit à tout : dès le 7 novembre il arriva à
Courtrai, et visita successivement Ypres, Bruges et Gand.
(1) GiLLis Li Muisis. — Archives de Mons. — D'après W. Kkiivyn, Pliilip-
pine de Hainaut avait rejoint le roi devant Calais le 5 septembre, au lieu de
se trouver à lu bataille livrée aux Écossais à Neviirs Cross, le 17 octobre,
d'après le récit de FnoissAnr.
_ 424 —
Aussitôt que le roi d'Angleterre en fut instruit, il envoya
en Flandre le comte de Norlhampton, le comte d'Arundel
et le sire de Cobham pour rappeler aux Flamands la pro-
messe qu'ils avaient faite à Westminster, Tannée précé-
dente, de faire épouser sa fdle Isabelle à leur comte. Les
bourgeois remontèrent au jeune prince les avantages que
son union avec une fille du roi d'Angleterre avait sur un
mariage avec la fille du duc de Brabant, Mais Louis, qui
penchait pour ce dernier parti, refusait de se rendre à
leurs raisons, et « disoit tondis, que il n'auroit jà à femme
la fille de celuy qui avoit son père occis, et lui dut-on
donner la moitié du royaume d'Angleterre (i). » On tâcha de
lui faire comprendre que l'atlachement de son père pour
la France avait été la cause de tous les malheurs de la
Flandre, que s'il avait voulu consentir à être moins Fran-
çais, il aurait été bien plus puissant et aurait recouvré les
villes de Lille, Douai et Orchies, que le roi d'Angleterre
promettait de rendre. On lui fit observer qu'un mariage avec
une princesse de Brabant ne serait d'aucun profil pour le
pays, et servirait seulement l'ambition française; que l'An-
gleterre seule était en état de fournir la laine, sans laquelle
le commerce et l'industrie de la Flandre étaient condamnés
à périr, et le peuple exposé à mourir de faim. Le comte
répondait toujours la même chose, et engageait fortement
ses sujets à faire la paix avec la France et se détacher de
l'Angleterre. De part et d'autre, chacun tenait à sou idée;
et les bonnes gens qui trouvaient « que plus esloit néces-
saire l'amour du roy d'Angleterre et plus profitable, »
voyant que leurs observations ne faisaient aucun effet,
mirent tout simplement leur seigneur en « prison cour-
toise (2), » et lui firent entendre qu'ils ne le relâcheraient
(1) Froissabt, édition Kervyn, t. V, pp 149 et suiv.
(2) Idem, idem, p. 151.
— 425 —
qu'à la seule condition de suivre leurs conseils. Telle fut
l'origine des premiers démêlés entre Louis de Maie et ses
sujets.
Edouard continuait de son côté à accorder des privilèges
aux Flamands, et toute es|)èce do facilités pour leur com-
merce. Le 28 janvier 1547, il ratifia un traité de commerce
conclu entre eux et la ville de (Rayonne, concernant le libre
commerce entre les parties contractantes (i).
Cependant le jeune comte, pour lequel la prison cour-
toise, avec le marquis de Juliers, beau-frère du roi d'An-
gletere, pour geôlier, n'avait que peu de charmes, résolut
de ruser. « Il mua son propos et dit à ses gens qu'il créroil
leur conseil. Ces paroles réjouirent moult les Flamands;
si le mirent tantôst hors de prison. » Ils lui permirent
même d'aller à la chasse sur le bord des rivières, plaisir
que le jeune comte affectionnait beaucoup; mais toujours
sous bonne garde, à tel point qu'il ne pouvait se permettre
le moindre mouvement sans être surveillé.
Ce genre de liberté ne plaisait pas plus au comte que la
prison courtoise, et il voului pousser la ruse jusqu'au bout,
même jusqu'à la mauvaise foi et le parjure, plutôt que de
se séparer de la France. Il fît la promesse aux gens de
Flandre d'épouser la princesse Isabelle d'Angleterre et con-
sentit à se rendre, le 14 mars, à l'abbaye de Saint- Winoc,
près de Bergues (2), où se trouvait Edouard avec la reine
et sa fille.
Les notables et les magistrats des bonnes villes s'y ren-
dirent en grande pompe avec le comte. Louis s'approcha
du roi et s'inclina devant lui et devant la reine. Le roi lui
prit la main droite, « moult doucement et le fêta en parlant ;
(1) Archives de la ville de Gand. — Imprimé dans OuDEGHEnsT, édit. de
Lcsbroussarl, t. II, p. 303.
(2) M. Van Praet {Histoire de Flandre) dit erronément Bruges.
— 426 —
et puis s'excusa de la mort de son père, et dît que si Dieu
lui put aider, que oncques tout le jour de la bataille de
Crécy ni lendemain aussi, il ne vist ne ouit parler du comte
de Flandre son père (i). »
Le jeune comte parut satisfait de ces explications; après
quoi on parla du mariage. Dans un acte daté de Dunkerque,
la veille, Louis en avait déjà approuvé les conditions et pro-
mis de se fiancer solennellement à Isabelle.
Voici un extrait de cet acte, dans lequel Louis de Maie
ne fait aucune mention du titre de roi de France que pre-
nait Edouard.
« Louis, comte de Flandre, de Nevers et de Rechest (Re-
thel), à tous ceux, etc
»Nous — voyans en cheste chose le évident prouffit de nous
et de nostre commun pays de Flandre, Tamour, le bien, le
pais, repos et tranquillité qui par l'adjonction d'icelle ma-
riage se peut norrir, demores à tous jours mais entre ledit
Monsieur le roy, ses gens, et son royaume et nous, nos
gens et nostre dit pays, audit mariage de nous et de ladite
Ysabel.
1) Nous accordons et consultons et promettons loyaument
et en bonne foy ladite Ysabel fiancer solempnellemeut. Et
au surplus procéderons avant audit mariage loyaument en
tous cas et ycelle épouserons, en fâche de sainte Eglise
dedans quinze jours après le jour de Grandes Pasques pro-
chainement venant.
» Si est assavoir que dès maintenant nous assignons et
donnons à ladite Ysabel en fourme et à cause de douayre
le somme de dys mille livrées de terre au Parisis par an,
celle monnoie et de celle valeur comme li conte de Flandre
recevra pour le temps de ses rentes en Flandre, à prendre,
lever et recevoir ycelle rente en nom de Douayre après
(1) FfioissART, édit. Kervyn, t. V, p. 132.
— 427 —
notre décès sur les plus apparens biens, prouflîz, renies,
revenues, et émolumens de nos contes de Nevers et de
Rechest et des appartenances.
» Au regard de nos amis carneis et des siens avecques ce
li assignerons nous chaslel ou maison souffisans pour son
Douayre en lieux dessus dits :
» Et s'il avenoit que par aucune manière quele que elle
fust, ou puist estre, ledit Ysabel ne peuist paisiblement joir
des dessus dites dys mille livrées de terre et de la maison ou
chastel es contes de Nevers et de Rechest dessus dites,
» Nous de rechief et dès maintenant li asseons et assignons
et en nom de Douayre, ycelle dys mille livrées de terre
dessus dite sur les plus apparans biens, prouffîtz, rentes,
revenues et émoluments quelconques que nous aurons et
qui à nous, nos heirs contes de Flandre avesque suffisant
maison, ou chatel comme dessus, au rewart des bonnes gens
de nos trois bonnes villes, lesquels nous en donnons plein
povoir et à che les commettons par ces présentes lettres.
» Et ladite assiete et assignation faite si que dit est nous
en promettons à donner à la dite Ysabelle nos lettres ou-
vertes souffisans et prouffitables pour li, en la meilleur ma-
nière et forme que nous porrons, selon ce che qu'il
appartiendra à celé chose.
» Avenques che nous volons et accordons que avenques
ledit douayre, le conté de Ponthieu, Monstruel, le Prevosté
Chastel, les appendences et appartenances entièrement
d'yceux lieux, le vint chine mille livres de rente en deniers
en lieu et recompensation de ladite conté de Ponthieu, de
Montruel, etc., des appartenances ou les vint chine mille
livres de terre qui en lieu de ce nous seroient assises près
de Flandre, si comme es lettres dou dit Monsieur le Roy à
nous bailliés sur ce, est plus planement contenu, reviengnent
entièrement et retournent à ladite Ysabel comme son propre
héritage.
— 428 —
» Lesquels choses et chascune par lui, nous permeHons,
et avons en convcnt loyaunient et en boane foy tenir et
accomplir forniement et entièrement.
» Kt quant à ce nous obligons nous, nos heirs, nos suc-
cesseurs, nos biens — envers ledit Monsieur le Roy et la
dite Ysabel, et envers les advis quelconques ayans, pour
le temps, charge, cause, ou mandement d'yceux ou d'au-
cune d'eux.
» Et témoignage et cognoissance des choses dessusdites,
nous avons à ces lettres fait mettre notre grand scel.
0 Donné à Dunkerque, le Ireisième jour dou moys de
march l'an de grâce mil trois cent quarante six (v. s.) et se-
lon le compte accoustumé de nostre pays de Flandre (i). »
En même temps, Edouard, pour témoigner des bons sen-
timents dont il était animé, promit de fonder un hôpital
pour les pauvres cl une église avec un couvent pour treize
religieux, dans l'iie de Cadsand, où avait eu lieu le combat
du 9 novembre 1537. Cette promesse fut faite dans un acte
donné à Bergues-S'-Winoc, le même jour, 15 mars 1547 (-2).
II semblait donc que rien ne pouvait plus s'opposer au
(1) RrsiEn, cilit. angl., t. III, p. H2.
(2) n Edward, par la grâce de Dieu roi de France et d'Englelerre et seigneur
d'Irlande, à tous ceuix Come par aucun fait que depieça avint à
Cadsant, lu où aucuns des gentz du pays de Flandre et des nostres dcniou-
rèrent et arsins et roberies faites matires de rancunes fouissent demorer entre
nez gentz et les gcnlz du pays de Flandre, nous désirant nurrir ferme amislié
entre nos dites gentz et ouster toutes matières de dissenlions
promis et occordé à founder et édifier a perpétuité une église et cloistre de
Cliartreus en lieu convenable dedcins Tisle de Cadsand, là où il aura treize
frères et ycelle doier amorliser et renier de leurs vivres
promis et promectons à founder et édifier à perpétuité un Iiospilal en la
comté do Flandres hors de le dite isle de Cadsant, là où il aura sept dames
parmi la prense là où li povres seront rcceus est hospitale, etc
nous parferons tout ce qui y sera a parfaire selon les ordinances dedcins trois
ans, etc. » — Archives départ, de Lille, fonds de la chambre des comptes,
carton B, 812.
— 4-29 —
mariage. Les Flamands ne se possédaient pas de joie. Ils
renlrèreul en Flandre avec leur seigneur, et Edouard re-
tourna à Calais.
On conçoit facilement que Louis de Maie ne se trouvait
pas fort heureux de la lutelle des bonnes sens des commu-
nes et de la pression qu'ils prétendaient exercer relativement
à un choix diamétralement opposé à ses inclinations, ainsi
qu'à ses engagements secrets avec Philippe de Valois. Tou-
tefois les apparences de satisfaction qu'il se donnait trom-
pèrent ses sujets qui, dit Froissart, «ne connoissoient pas
bien encore la condition de leur seigneur; car quelque
semblant qu'il montroit dehors, il avoil dedans le courage
tout françois, ainsi qu"il le prouva par ses œuvres. »
Environ quinze jours avant l'époque fixée pour soo
mariage avec la fille d'Edouard, des envoyés anglais pres-
sèrent le comte de se mettre à la léle des milices flamandes
qui se préparaient à aller combattre le roi de France en
Artois. Ces instances, qui n'étaient nullement tl'accord
avec ses vues, et la crainte que les Flamands ne l'emme-
nassent de force avec eux, hâtèrent l'exécution d'un projet
qu'il avait conçu. Froissart tait un piquant récit de cet
épisode; en le lisant, on croirait avoir sous les yeux une
page du politique Commines, racontant un trait de son bon
maître Louis XL
« Un jour, dit-il, il étoil allé voler en rivière, et fut en
la semaine qu'il devoit épouser la dessusdite demoiselle
d'Angleterre, et jeta son fauconnier un faucon après le
héron, et le comte aussi un. Si ce mirent ces deux faucons
en chasse et le comte après, ainsi que pour les loirrer, eu
disant : « Hoie! hoie ! » et quand il fut en petit eslongié et
que il eut l'avantage des champs, il férit cheval des éperons
et s'en alla toujours avant sans retourner, par telle manière
que ses gardes le perdirent. Si, s'en vint ledit comte en
Artois et là fut assuré, et puis vint en France devers le roi
— 450 —
Philippe el les François, auxquels il conla ses aventures,
et comment par grand sublililé, il éloit échappé de ses
gens el des Anglois. Le roi de France en cul grand joie et
dit qu'il avoit bien ouvré, et autant en dirent les François,
el les Anglois dirent d'aulre part qu'il les avoit trahis (i). »
Il faut avouer que si celle conduite de Louis de Maie
prouve en faveur de sa « grand' sublililé, » elle ne témoigne
pas de beaucoup de respect pour la foi jurée.
Le roi d'Angleterre fut vivement offensé de celte injure
faite à sa flile. Les communes de Flandre, de leur côlé,
extrêmement courroucées de s'être vues jouées de la sorte
parce « jeune damoisel qu'elles nourrissoientel gardoient,»
protestèrent de toutes leurs forces devant Edouard III
contre celle violation de serment dont elles n'étaient pas
complices. Le roi, convaincu que le comte n'avait point
agi d'après le conseil de ses sujets, mais d'après ses propres
inspirations, les crut facilement et « ne laissa mie, dit
Froissart, de les tenir en amour. »
Cependant Philippe de Valois voulait une revanche de
Crécy; il convoqua à Hesdin, toutes les forces dont la
France pouvait disposer, « car le royaume de France est si
grand, et tant y a de bonne et noble chevalerie et écuyerie
qu'il n'en peut être dégarni. » Il fit de nouveaux efforts
pour détacher les Flamands du parti de l'Angleterre, ou
du moins pour obtenir leur neutralité. Robert d'Avesbury
raconte les détails de cette négociation. Philippe offrait aux
Flamands de faire lever l'interdit jeté sur le comté, d'en-
tretenir pendant six ans le prix du blé à quatre sous, au
lieu de douze que la mesure coûtait alors, de leur livrer
les laines de France, en leur donnant le droit de fixer le
(1) L'évasion du comte eut lieu le 28 mars (5 des calendes d'avril, d'après
MeyerJ. — Le mardi des fêles de Pâques soit le 3 avril, d'après les Chroni-
ques de France.
— 431 —
prix, et ajoutaiil le privilège de vendre excliisivcmenl en
France les draps fabriqués de ces laines; de rendre les
villes de Lille, Béihune et Douai; de les défendre envers
et cou/re tous; et pour gage de ses promesses, de leur en-
voyer de grandes sommes d'argent.
Les communes considérant ces promesses comme trop
belles pour être sérieuses et, du reste, voulant rester
fidèles à leurs serments vis-à-vis d'Edouard, refusèrent
unanimement.
A la demande du roi d'Angleterre, les milices flamandes
vont mettre le siège devant la ville d'Aire et incendient
tout le pays environnant, Merville, Saint- Venant, La
Gorgue, le pays de la Loeve jusqu'aux portes de Saint-
Omer et de Térouanne, et défont à Cassel un corps fran-
çais commandé par Jean, le fils aîné de Philippe de Valois.
Sur ces entrefaites, le 1" juillet, eut lieu à Térouanne le
mariage de Louis de Maie avec Marguerite de Brabant; et
à la fin du même mois, Philippe de Valois se dirigea vers
Calais avec son armée. Il en était à peine séparé par une
courte dislance, quand il apprit la marche de soixante
mille Flamands, qui, sous les ordres du marquis de Ju-
liers, s'avançaient au secours d'Edouard; peu après, on lui
annonce que le 1" août l'avant-garde des Flamands, com-
posée de dix-sept mille hommes, a rejoint l'armée an-
glaise (t). Le roi de France, craignant alors, avec raison,
d'avoir à combattre simultanément les Flamands et les
Anglais, se relira précipitamment pendant la nuit. Cette
fuite entraîna la reddition de Calais. Voilà comment Phi-
lippe de Valois vengea le désastre de Crécy.
On peut voir, d'après cela, que c'est à l'intervention des
Flamands qu'est dû le succès du siège de Calais; sans leur
fidélité aux engagements pris avec Edouard, sans leur se-
(1) Stow, General chronicle. — Li Muisis, p. 270.
— 432 —
cours arrivé si à point, les événcmeuls eussent pu prendre
une tournure toute différente.
Grâce aux efforts des légats du Pape, une trêve fut
conclue entre les deux rois, le 28 septembre 1547. Elle
devait durer depuis le moment de sa conclusion jusqu'aux
premiers jours de juillet de Tannée suivante. Celte trêve
s'étendait à tous les alliés d'Edouard. En ce qui concerne
la Flandre, elle portait que « le comte de Flandre soit liés
» en espécial par serment de tenir les trewes et toute les
» pointz de ycelles, et qu'il ne fera guerre ne grevaunce
» par luy ou par ses aliés, ne aultre de par luy en pais de
» Flandre ne de Flemynges durant les trewes. » Toutes
les relations commerciales pouvaient être reprises, et il
était formellement entendu que les Flamands anciennement
bannis, pourraient circuler, en France « sans moleste ou
» empeschement du comte de Flandre. » En outre les légats
s'engageaient à suspendre la lecture de la sentence d'ex-
communication qui avait lieu chaque semaine dans les
diocèses de Cambrai, Tournai, Térouanne et Arras, et à
employer leurs bons offices auprès du pape pour lui faire
révoquer cette sentence (i).
Mais les Flamands prétendaient user avec trop d'into-
lérance du privilège d'étape établi à Bruges; les marchands
de Flandre et surtout les tisserands qui avaient grand in-
térêt à maintenir les laines au plus bas prix possible, vou-
lurent entraver les négociations des lombards et autres
étrangers sur la place de Bruges, et les empêcher de leur
faire par là une concurrence qui avait pour effet la hausse
dans le prix de la matière. Cette exigeance ne faisait nul-
lement le compte des producteurs anglais; ils s'en plaigni-
rent à Edouard, et celui-ci qui avait, du reste, ses raisons
pour ménager les lombards à cause des fréquents emprunts
(1) Rymer, cdit. angl., t. III, p. 136.
— 435 —
qu'il leur avait faits, écrivit aux bonnes villes pour les
engager à en agir autrement, et à laisser les étrangers faire
leurs achats en toute liberté (i).
Il paraît que nos ancêtres ne firent pas assez prompte-
ment droit à « sa requeste, » comme il l'appelle, et il se
décida à les punir : il venait de peupler Calais d'Anglais,
et voulant favoriser sa nouvelle conquête, et avoir un en-
trepôt dont il fut le maître sur le continent, il y transporta
l'étape des draps anglais, des plombs, étains, cuirs et au-
tres produits, laissant toutefois celle des laines à Bruges;
il obligea tous les Anglais comme les étrangers à s'y rendre,
les premiers pour mettre leur marchandise en vente, les
seconds pour les acheter (2). Dans un temps où les com-
munications entre les états étaient encore imparfaites, celte
institution, dit un auteur, fut peut-être avantageuse à l'An-
gleterre, quoique nuisible à sa navigation (5).
Sur la foi de la trêve, la Flandre jouissait depuis une
année environ d'un peu de tranquillité, quand soudain, au
mépHs de toutes ses promesses et au mépris des traités
et de ses récentes proclamations, Philippe de Valois fait,
au mois d'août 1548, mettre en campagne les hommes
d'armes des garnisons d'Aire et de Saint-Omer. Ils s'avan-
cent dans la vallée de Cassel, qui se trouvait abandonnée
et sans défense, et livrent tous les environs au pillage et
aux flammes. Les communes, prises à l'improviste, se tour-
nent vers leur allié Edouard d'Angleterre et lui envoyenl
des députés pour réclamer du secours. Mais celui-ci, qui
voyait son trésor épuisé par une guerre déjà longue et
ruineuse cl conservait un certain méconlenlement contre
elles, leur répond qu'ayant prolongé la trêve conclue avec
(1) RvMER, édil. angl., t. III, p. 153. Lellre ihi 14 février I3i8.
(2) Rymer, édit. angl., t. III, p. 158. Lellre du 5 avril. - L'élape des
laines ne fiil enlevée à Bruges qu'en 1353.
(3) Hume, Hist. d'Angl., l. III, p. 144.
31
— 434 —
la France, il ne peut rien en leur faveur; que du reste il
avait autrefois payé leurs frais de guerre, lorsqu'elles l'ai-
dèrent à envahir la France, et qu'aujourd'hui c'était à elles
à fournir les subsides (i). Cette réponse mécontenta consi-
dérablement les Flamands, qui furent obligés de s'en re-
tourner sans avoir pu rien obtenir. L'irritation fut grande à
leur retour, et les plus exaltés, poussés par les partisans
du comte, s'écriaient déjà : « IVous avons été trompés par
le roi d'Angleterre (2). »
L'insuccès des communes fut un encouragement pour
les partisans du comte, qui rentra en Flandre, où il entre-
tint deux mois durant une guerre malheureuse, dans l'es-
poir de ressaisir son auloriié. A la fin, voyant qu'il ne
savait venir à bout des villes de Gand et d'Ypres, il eut
de nouveau recours à sa a grand' subtilité. » Il changea
complètement sa manière de faire; il déclara qu'il voulait
se séparer de Philippe de Valois, et se réconcilier avec
Edouard III, afin de reconquérir les villes de Lille, Douai
et Béthune, que la France détenait injustement. Edouard
consentit à se faire le médiateur entre les sujets et le sou-
verain, et envoya pour examiner le différend, l'évéque de
Norwich, le comte de Lancastre, le comte de Suffolk, le
comte de Huntinglon, Gauthier de Mauny et cinq autres
clercs et docteurs (5).
Le comte de Lancastre qu'Edouard nomma vers la fin
d'octobre son lieutenant à Calais et en Flandre (4), pous-
sait activement les négociations. Déjà par son initiative, les
Flamands avaient été compris dans la trêve conclue le
18 novembre entre la France et l'Angleterre, comme alliés
d'Edouard, et le ruwaert de Flandre y était désigné con-
(1) Li Moisis, p. 278 et suiv.
(2) Li Moisis, p. 279.
(3) Rymer, édit. angl., t. III, p. 175.
(4) RvMCR, édit. angl., t. III, p. 17G.
— 435 —
joinlement avec le capitaine de Calais comme gardiens de
la trêve en Flandre et en Picardie (i).
Le traité fut signé par les commissaires de Flandre el
d'Angleterre le 10 décemlv'e 1548, et ratifié par le roi d'An-
gleterre. En voici la teneur (2) : « Edward, par la grâce de
Dieu roi de France et dEngleterre, el seigneur dirlande,
et nous, Loys, contes de Flandres, de Nevcrs et de Relliel,
estant de! âge el dyswyt anz el plus, aianlz franke, géné-
rale et libérale poair, disposicion el adminislracion de
nostre personne, de noz biens, moebles el non moebles,
seignories, jurisdiclions et de toutes maneres de droits et
avoirs, à nous apparlcnanlz, sans curateur, nient con-
traints, ne oppressez par force ne violence, ne par doute
de nul! homme, ne de null sieur du monde, mais de nostre
ferme, franke el certaine volenté, ne decheu par tendreche
de eage, ne par erreur, ne par nulle autre manere, mais
euwe bone et longue déliberaciou de nous et de nostre noble,
sage el sain conseil el de entier el plains assenl el accord
de tout nostre dit sage conseil; c'est (assaver) de plusiers
el de plus sages docteurs es loys et autres clercs et lais de
noz terres et seignories, de certaine science de nous el de
nostre dit sage conseil el pour perpétuel profit de nous, de
nos successeurs el de nostre dit pais de Flandres, ratifiions
el confirmons les articles qui s'ensienl :
» Premièrement, que d'une pari et d'autres toutes ran-
ci) Rymer, édil. angl., t. III, p. 178.
(2) Rymer, id., iil., p. 178. — La ville de Gand avait nommé
pour s'entendre avec les plénipotentiaires anglais el ceux du comte, Guil-
laume de Vaernewyc, chevalier, Simon Relin, Jean Wiltebrood, Thomas van
der Burgt, échevins, et Jacques van Lovelde, clerc de la ville; Ypres avait
député : Viclor Dcvos, Jean de Stekerape, échevins, Jean Reubelin, clerc,
Jean Heulare, Lambert de Wachlere, Jean Roze, Jean vander Leye, Jean
Slatin et Jacques de Bailleul, bourgeois; pour Bruges, il y avait Jacques de
Metteneye, qui seul parut dans les négociations définitives et signa le traité
avec Henri de Flandre et Soliier d'Enghien, commissaires du comte. Cfr.
Archiv. de l'État à Gand, n"» 1701 et 1702 de l'Inv. du B"" J. de Saint-Genois.
— 436 —
cunes, haynes et malevoillanccs sont pardonnez entre nous,
roi dEnglelerre et conte de Flandre dessusdit.
» Item, que nous roi dEngleterre dessusdil tendrons et
accomplirons, ferons tenir et accomplir par noz subgylz
toutes les grantes promesses et convences à cascune, âpre
li que nous fesimes et promesimes, au dit pais de Flandres,
en temps que les alliances entre nous et le dit pais de
Flandres furent failz et accordés.
» Ilem, que nous, contes dcssusdilz, pardonnons à ceux
de Gand et dYpre tout ce que ils ont meffait à nous et à
nos prédécesseurs, de temps passé jusque au jour de Iiuy
sans en faire loy et justice; et si aucun d'eux en aucun
temps à venir forfaisist aucune chose, qui que ces ne ser-
roit plus punnys, que la loy et franchise d'icelle ville
contient et requiert.
«Item, que les mesmes villes Gand et Y\we demorronl
en leurs franchises et libertés aussi franchement comme
elles onque furent devant en aucun temps passé.
» Item, que le cbivalier, escuier et autre dou pais de
Flandres, qui ont esté et hors doudit pais avecques nous
conte de Flandres et qui ores sont Tentriez, soient aussi
bone tenuz et obligiez à nous roi dEngleterre dessusdit, et
à nostres, et par ce meisme manere et serements, que le
autres qui sont dou dit pais de Flandres.
» Item, que cil de Gand et dYpre venront à vraye obéis-
sance de nous contes de Flandre dessusdit, comme à leur
droit seigneur naturel sans moyen, et feront envers nous
et nos hoirs tout ce que bons subgylz doivent et sont tenuz
de faire; et que avecques de ceux deGand et dYppre de-
morront en le alloyance de nous roys dEnglelerre dessus
dit, si comme devant ont fait.
» Ilem, que, en toutes les choses dessusdites, soient
sauves toutes alliances alliances faites entre nous roi dEn-
glelerre et les genlz et pais de Flandre, et ensement soient
sauves les alliances que nostre très cbers sires et pères de
— 437 —
nous coules de Flandre dessus dit (que Dieu absoille) et
noslre pais de Flandre ont au duc de Brabanl, lesqueles
alliances feurenl faites devant les alliances faites entre
ledit roi et noslre dit pais de Flandres, lesqueles alliances
nous contes dessusdils avons promises et confermées. »
Le 13, le comte se rendit à Dunkerque pour ratifier ces
clauses, et en jurer l'observation en présence des comtes
de Suffolk, de Lancastre, de Tévèque de Norwich et des
autres délégués anglais (»). On sait déjà ce que valaient
les serments de Louis de Maie. Le même jour il publia
une charte séparée, renfermant les conditions de pardon
des villes de Gand et d'Ypres (2).
Bien que Louis de Maie continuât à rester attaché de
cœur à Philippe de Valois, les bonnes gens de Flandre n'en
persistaient pas moins à considérer Edouard III comme le
suzerain du comté; aussi les villes ne firent-elles aucune
difficulté de renouveler le serment, au mois de février 1349,
entre les mains des délégués du roi, Richard Talbot, séné-
chal, Thomas de Carlelon, docteur es lois, et Elienne de
Kensingslon, chevalier (3).
Le 26 septembre, Edouard voulant s'assurer des dispo-
sitions du comte, députa vers lui Robert de Herle, capi-
taine de Calais, et Richard de Tolesham, pour confirmer
et renouveler le traité de Dunkerque; et le 15 octobre, il
désigna Guillaume de Burlon et Yves de Glynlon pour
approuver la convention (4).
Emile Vareisbergh.
(Pour être coniimié).
{\) Rymer, édit. angl , t. 111, p. 179.
(2) Archives départ, de Lille, fonds de la chambre des comptes, carlon B,
813. — Archives de la ville de Gand, Inventaire, n» 409. — Archives d'Ypres.
— Document reproduit par Kervyn, Histoire de Flandre, t. III, p. 348, en
note, et Ocjdegiierst, édit. Lesbroussarl, t. Il, p. 483.
(3) Rymer, édit. angl., t. III, p. 181. — Ils étaient en même temps chargés
de recevoir le serment de tous les Flamands bannis par Louis de Malc.
(4) Rymer, cdil. angl., t. 111, pp. 189 et 190.
— 438 —
Edouard III, roi d'Angleterre, aux bourgmestres et éche-
vins de Gand, Bruges et Ypres, concernant la capture
de divers navires chargés de vins.
(28 Juin 1346).
a Rex dilectiset fulelibiis burgomagistris, advocatis, scabinis,
capitaneis et magnis consulibiis bunarum villaruni de Flandria,
Gandavo, Bruggis et Ypre, et de commuiiis patria de Flandria,
saluteni.
» In vestram et publicam deduciinus nolionem quod cum
nuper Petrus de Vynam, admirallus floiœ nosirae Baion obviam
in mari dederit ex opposite insulaniin nosiraruin de Gereseye
et Guerneseye certo numéro naviiim Ispaniarum et aliarum
partium et terrarum vinis, in de terra iuimicorum nostrorum
carcalarum seu onustarum, ad partes inimicorum, ut per multa
indicia eidem admiralo prima facie apparuit frettatarum, ipsas
naves, magistris earum ad interrogatoria pertinentia varie va-
ciilanter et pertinaciier respondenlibus, ad certum portum regni
nostri Angliifi secum transduxit, constanter asserens easdem
naves, magistros et marinarios ipsarum ac vina et alia qusecnm-
que bona in eis contenta fuisse, notorie forisfacta et cum sub-
sequenter vestrse successivis temporibus divers* litterae ad nos
per vestros certos nuncios mitterentur, per qiias intelleximus
aliquos de vesiris in eisdem litteris nominales ceriam vinorum
porlionem juxta informationes et causas prœlensas tanquam sua
vina propria vendicare, tam justiciariis nostris per quos justicia
in regno nostro Angliae cuicumque fit et redditur quereianti
quam alliis magnis et peritis de consilio nostro juratis districte
praecipiendo duximus injungendum quatenus in praesentia praî-
diciorum Pelri, magislrorum et nunciorum vestrorum prcedic-
toruni, vocatisspecialiter pro veritate in bac parte investiganda
vinetariis et mercatoribus ad emendum vina venalia in portibus
Vasconiœ et vicinis solitis transfutare de métis sive signis mer-
catorum de dictis partibus majorem inter noslros notitiam ha-
bentibus, sub juramenti vinculo astringcndis de hujus modi
ncgotio et ejus circumstanciis investigarent et inquirerent veri-
— 459 —
falem et nos de eo qiiod per eos in ca parte inveniri contingcret
inflilale rcdderent cerliores; qui quidem justiciarii nostri primo
London pro hoc congregati injnnctionis nostr* prsediclae ser-
vatis finibus, et post modum alii de consilio nostro majores
nobis apud castrum novum de Porcestre, super passagio nostro
assistentes totum factum hujusmodi ciim plena causse cognitione
et exactissima diligcntia perlraclarunt et finaliter deciderunt
nullo titubante relicto per quam decisionem declararunt prai-
dicta viua tempore frctlalionis, carcalioniset arrestationis eorum-
dura inimicorum nostrorum de regno Franciae exlitisse et per
consequens ea omnia tempore patentis guerrse sic per nostrum
admiralum prsedictum occupala et arrestata nobis fuisse et esse
notorie forisfacta. Motiva vero, indicia, causas, atque média
decisionis praedictœ dilecti et fidèles nostri Hugo de Hastinges,
consanguineus noster carissimus, Johannes Matraus, Johannes
de MoiTte Gomerii, magistri VVillelmus de Honyngton et Johan-
nes de Stredle, de ipsis ccrtitudinabiliter informati vobis ex
parte nostra dilucide declarabunt et toiius rei gestae explicabunt
explicabitve quilibet eorumdem.
1 Datum apud Porcestre, xxviir'' die junii. »
[Record Office).
440 —
|)l)ilippe i3lommacrt.
Philippe-JMarie Blommaert iiaquil à Garni le 27 août 1 809;
il était fils de Messire Jacques-Ferdinand, membre des
États députés de la Flandre Orientale, échevin de la ville
de Gand et en dernier lieu commissaire royal de l'arron-
dissement de Gand, et de Dame Catherine-Philippine Van
den Bossche. Il fit ses éludes humanitaires au collège royal
de Gand et s'y lia étroitement avec le professeur D'tiulster,
littérateur flamand et même poêle très-distingué; il suivit
les cours de droit à l'Université de cette ville, où il prit
le grade de docteur en juillet 1830. Comme complément
à ses études, il fit un voyage en Allemagne, en Suisse et
en Italie.
De retour à Gand, il aima mieux se livrer à des études
historiques et linguistiques que de suivre la carrière du
barreau ou de la magistrature. Le flamand l'occupait de
préférence, et c'est dans cette langue qu'il écrivit les prin-
cipaux ouvrages dont il enrichit Thistoire et la littérature.
Il était de la sociabilité la plus agréable, quoique d'un
abord froid et réservé, c'était un aimable causeur, mais
sérieux. L'aménité de son caractère lui conciliait l'afTection
de toutes les personnes avec lesquelles il entrait en relation;
ses conseils ne faisaient jamais défaut aux jeunes adeptes
de sa littérature de prédilection, et sa position lui per-
mettait de leur fournir parfois de secours plus efiicaces
que des avis. Il concourut à la fondation de toutes les
sociétés flamandes ou autres, qui s'érigèrent à Gand; pour
a^ ^/^
a.^t.-'i^-.
— 441 —
quelques-unes il fil plus, il y paya de sa personne, soit
en y donnant des leçons, soit en y faisant des lectures
attrayantes et instructives, ne s'épargnant ni peine ni labeur
pour engendrer le goût de l'élude de sa langue maternelle,
qu'il mettait au-dessus de toutes les autres. Aucune con-
sidération ne put l'engager à placer ses enfants dans un
établissement d'instruction publique, (juelqu'ortbodoxe qu'il
fût d'ailleurs, si on n'y enseignait le flamand dans les vrais
principes. Ses opinions politiques étaient libérales, mais
modérées; il fut élu membre du Conseil communal de la
ville de Gand : il renonça à son mandat pour cause de santé.
Il était membre de la Commission des écoles gratuites de
cette ville, fonctions qu'il déclina quand l'échevin Cai-
ller en prit la direction. Il devint secrétaire de la société
des Bibliopbiles en 1859; il était aussi l'un des adminis-
trateurs de la société De laal is ganscli het volk. Enfin, en
récompense de ses travaux lilléraires, l'Académie royale
de Bruxelles l'éleva au rang de Membre correspondant.
Qu'il nous soit permis de rapporter ici quelques mots
de Blommaert, qui reflètent toute l'ardeur de ses aspira-
tions pour le culte de la langue néerlandaise : « La langue
flamande, » s'écrie-t-il dans le rapport qu'il fit du mé-
moire de son ami le docteur Snellaerl, sur la poésie
néerlandaise en Belgique, couronné par l'Académie de
Bruxelles, « la langue flamande est, sans contredit, un
des éléments les plus forts de notre nationalité; c'est par
elle que le présent et le passé se touchent et se lient;
les faits héroïques de nos ancélres ont été célébrés en fla-
mand, et dans les grandes crises politiques, ce fut dans
cette langue que retentirent les chants de vengeance, qui
précédèrent maintes fois la délivrance de notre patrie du
joug étranger. Opprimée depuis plus d'un siècle par un
gouvernement étranger, la Belgique était tombée dans un
état de marasme moral, la langue nationale était négligée,
_ 442 —
et pendant toute cette période, aucun auteur de quelque
renom ne surgit chez nous; l'influence française s'étendit
de plus en plus, et dédaigner le flamand, fut bientôt de
mode Et maintenant un parti s'élève.... qui prend à
cœur d'opprimer, d'extirper, s'il est possible, la langue du
pays. La nation qui se laisse dépouiller de sa langue, per-
dra bientôt la mémoire de son origine, et, comme le jouet
des peuples voisins, elle rampera à la voix du premier con-
quérant qui paraîtra à ses frontières. La langue flamande,
ose-t-on nous dire, n'a point de force civilisatrice! Cepen-
dant notre patrie possède une littérature ancienne, qui ne
le cède en rien à celle des plus grands peuples, et dans
l'époque actuelle même , les ouvrages qui paraissent en
flamand l'emportent, (ant sous le rapport du mérite que
sous celui du nombre, sur tout ce que les Wallons font
chez nous en français.... » Ces paroles chaleureuses éta-
blissent que sa préférence était plutôt basée sur l'amour
de la patrie, que sur des idées étroites d'exclusivisme; il a
d'ailleurs publié un assez bon nombre d'articles en français
dans notre recueil, à la direction duquel il participa pen-
dant cinq années, de 1839 à 184S inclus.
En 1832, il publia ses Aenmerkingen over het verwaer-
loozen cler Nederduitsche tael, cris de détresse d'une âme
éplorée, et en 1834, dans le Letterkimdig Jaerboekje, quel-
ques pièces de poésie et des ballades empreintes d'un pro-
fond caraclère de nationalité. Les traditions populaires,
sous sa plume facile et agréable, comme on l'a dit, revêtent
toutes les formes d'un drame palpitant d'intérêt.
En la même année, parut son Liederkk de Buck, poëme
en trois chants, dans lequel il raconte les aventures cheva-
leresques du premier forestier de Flandre, plutôt son pre-
mier gouverneur : cette saga, peut-être vraie, que nos mères
se plaisaient à nous raconter pendant la veillée !
La même année, il fil paraître, conjointement avec
— 443 —
MM. Willems, Van Duyse et Serrure, sous le titre de
Nederduitsche Letteroefeningen, un recueil périodique des-
tiné spécialement à la liltéralure et à l'hisloire de la Flan-
dre, qui a cessé trop vite d'exister. En 1856, il publia un
poëme inédit jusqu'alors, le Theophilus, poème flamand
mystique et bizarre du X1V« siècle, dans lequel Goellie
peut avoir puisé la pensée fondamentale de Faust et Mar-
guerite. Trois autres productions poétiques de la même
époque étaient jointes à ce poëme : cette publication est
enricbie d'observations grammaticales, d'annotations et d'un
glossaire. L'Histoire des chambres de Rêlhorique de Garni
suivit de près cette publication; plusieurs documents iné-
dits, qu'il y a joints, donnent la mesure du développe-
ment intellectuel et littéraire des villes de Flandre au moyen
âge. En 1838, il édita plusieurs anciens poèmes flamands,
sous le titre de Oudvlaemsche Gedichten der X//% X///'=
en XIV" eeuivcn, transcrits dans un MS. de la bibliothè-
que Van Hulthem (Voy. t. V, n" 192 du catal.). Le premier
a trait à la guerre de Troie {de Trojaensche oorlog) : l'éditeur
pense que c'est un poëme composé par Seger Dieregodgaf;
le second raconte une aventure amoureuse de la châte-
laine de V^ergi et d'un chevalier de la cour de Bourgogne :
c'est un poëme écrit au commencement du XIV"" siècle. Le
troisième comprend les dictons de Sénèque {Dit sijn Seneka
leren), traduction amplifiée d'un recueil latin intitulé Ex-
cerpta qiiaedam e libris Senecae. Le quatrième est une chro-
nique rimée du Hrabant, que l'éditeur a publiée d'après
le MS. de Kluit, avec les variantes du MS. Van Hulthem.
Enfin le cinquième est le voyage de saint Brandaine {Reis
van Sinte Brandoen); poëme du XII° siècle, comprenant
2198 vers, un des plus anciens poèmes flamands con-
nus jusqu'à ce jour; ouvrage singulier par sa conception,
les aventures que l'on y relate et les idées, qui sont puisées
dans VEdda.
— 441 —
Voici la nomenclalure des articles qu'il fll paraître dans
le Belgisch Muséum :
1" [nhulduuj van Jau-zonder-Vrees, als graef van Vlaen-
deren te Gent, in het jaer 1403 (1857).
2" Vreugdebedryven by de geboorte van Keizer Karel den
Vyfden (\S^S).
5° Joannes Petriis Van Maie, als dichter (1838).
4° Nederlandsclie Sagen (1839).
5° Over de Rederykers van Veurne en omstreken (1830).
6° Ambachtgilden en neeringen te Gent (1840).
7" Boudewyn den Yzeren. diclUstuk, gevolgd naer de ond-
eugelsche ballade in de Reliques ofancient englisch poelry,
by Percy. Avec l'original de ce poëme en anglais (1840).
8" Vryheidscharter der Vlaeminghen te Weenen, in 1204
(1846).
On lui doit encore : un travail intitulé Aloude geschie-
denis der Belgen; la biographie des écrivains flamands nés
à Gand, ouvrage en deux volumes, et Iwein van Aelst,
roman historique.
Il fournit aussi plusieurs articles d'un haut intérêt au
Messager des Sciences historiques; nous les énumérons ici
dans l'ordre de leur insertion. En 1838, une notice sur le
château de Laerne; en 1830, 1840 et 1841, une notice
sur le village de Heusden lez-Gand; dans le cours des
mêmes années, La guerre de la ville de Gand contre le
duc de Bourgogne, et une traduction d'un ouvrage alle-
mand, intitulé : Recherches sur r ancienne école des peintres
flamands. Eu 1839, 1° VUtenhovensteen:ï\ y a produit plu-
sieurs documents relatifs à celte demeure seigneuriale, qui
fut transmise par Jean Utenhove en 1450 en la possession
de son oncle, Jacques Utenhove; au XVP siècle, elle appar-
tenait à la corporation des merciers; conûsquée à la suite
des troubles de 1 539, elle fut vendue, le 1 6 décembre 1 542,
pour la somme de 56 livres 18 sols, en sus des charges
— 445 —
(loiU elle élail grevée. Le magistral de Gand en fil l'acqui-
silion en 157G; depuis elle passa en plusieurs mains, el en
1859, elle fui vendue Tocluple de la somme pour laquelle
elle avail élé acquise en 1576, el rasée malgré les vives
réclamalions des amis des antiquilés communales.
2° Une analyse Irès-élendue du Lion de Flandre, de Con-
science, el de Richilde, épisodes de Vhisloire de Flandre au
XF siècle, par Coomans aîné. Ces analyses lui fournissent
roccasion de donner un aulre témoignage de la vive affec-
tion qu'il portait à son pays natal : il parle avec entrain
de celle époque où une poignée de Flamands refoula les
soldats français qui avaient envahi le pays et défit une
armée formidable aux cris de Flandre au Lion!
ù° Une analyse des Mengelpoëzy, de P. J. Blieck, et des
Bloemen myner Lente, par Ch. Ledeganck. Il prend texte
de ces deux productions pour dire que l'amour de la patrie
s'est retrempé dans l'enlhousiasme que produisit la victoire
de Waterloo, et que depuis lors les Flamands jetèrent les
yeux sur leurs propres annales, qui trouvèrent des histo-
riens et des peintres pour en perpétuer le souvenir et les
célébrer.
En 1841, analyse de l'histoire de la patrie (Vaderland-
sche historié) de J. David. Tout en approuvant hautement
la manière d'exposer les faits, qui doivent avoir pour con-
séquence d'exciter la haine contre tout peuple conquérant,
il regrette que l'auteur ait passé sous silence une période
de quatre siècles, depuis Jules César jusqu'à l'invasion des
Germains el qu'il n'ait pas narré les événements qui se
déroulèrent sous Claude Civilis.
En 1845, analyse très-étendue de l'imporlant onvrage
de J. G. Wolf s«r les traditions belges, qui, suivant Blom-
maerl, aideront puissamment un jour à la reconstruction
du monde germanique. Il y entre dans des considérations
du plus haut intérêt sur les mythes el les traditions con-
signées dans VEdda et le Nibelungennoth.
— 44e. —
En 1844, il rendit compte du discours latin que pro-
nonça le savant professeur Schrant, en déposant la dignité
du rectorat de l'Université de Leyden, sur Arminhis et
Claude Civilis, discours d'une haute valeur historique et
d'une justesse d'appréciations incontestable; il déplore tou-
tefois profondément que ce discours ne fût pas prononcé
en langue nationale, puisqu'il était temps de secouer le
joug moral d'un peuple dont la domination avait pesé si
durement sur le pays, et dont l'entrave pernicieuse arrêtait
encore le libre développement de l'esprit et la marche de
la nationalité de la race des Pays-Bas.
En 1854, il donna l'historique du château de TerLaken,
dit Uplinter, situé dans la seigneurie de S'-Pierre Icz-Gand.
Ce travail est rempli de détails précieux sur la topographie
et les demeures seigneuriales des environs de Gand.
Philippe Blommaert est le philologue qui a rendu les
services les plus signalés à la littérature flamande; le plus
puissant mobile de ce cœur d'élite était l'amour de la patrie.
Homme d'un profond savoir, d'une bienfaisance inépuisa-
ble pour ceux qui le secondaient dans le but qu'il voulait
atteindre, et d'autant plus méritoire que sa modestie en
effaçait les moindres traces, Blommaert fut enlevé trop tôt
à la cause généreuse qu'il avait embrassée avec tant d'en-
thousiasme; il succomba aux atteintes d'une longue et péni-
ble maladie, le 14 août 1871 , à l'âge de soixante-deux ans,
profondément regretté de tous ceux qui ont eu l'avantage
de le connaître et qui ont été à même de pouvoir apprécier
ses nobles qualités et l'élévation de son esprit.
A.V. L.
— 447 —
LA PEINTURE ET LA SCULPTURE A MALINES.
LA. GILDE DE SAINT-LUC
ET L ACADÉMIE ROYALE DES BEAUX- ARTS.
I.
I.a Gilde de iSaint-Luc (t).
Au XVII« siècle, l'histoire de la gilde artistique ne pré-
sente guère de particularités. Nous nous bornerons à indi-
quer sommairement les actes officiels relatifs au métier.
Ces actes le plus souvent viennent apporter des modifi-
cations à quelqu'article des rolle ou en expliquer la portée,
selon les besoins du moment.
Un premier arrêté, enregistré en chambre de police le
26 septembre 1600, autorisa les francs-maitres à recevoir
dans leurs ateliers, chaque année, un nouvel apprenti, outre
celui qu'ils avaient déjà. Ces jeunes gens étaient soumis
pour le reste aux règlements existants. De cette disposition
ressort la preuve de l'état prospère de la société, dont le
nombre de membres croissait au point qu'il fallait permettre
aux maîtres d'augmenter le chiffre de leurs élèves. Il est
vrai de dire néanmoins que, depuis les dernières guerres,
on comptait moins d'ateliers que précédemment.
Dans une autre réunion de la même chambre, le 9 oc-
tobre 1606, il fut stipulé que le taux d'entrée dans le corps
des peintres et des sculpteurs serait élevé. Ce moyen sem-
(1) Suile, V. p. 345.
— 448 —
blait efficace pour diminuer l'affluence des aspirants. Le
produit de la contribution nouvelle devait être affecté à la
réédification de Tautel du patron de la jurande, car la
révolution de 1580 avait dépouillé celle-ci, non seulement
du triptyque de Gossart et de Coxie, mais encore des or-
nements sacrés destinés au culte de saint Luc. Au retour
de la paix, les gens du métier ne purent revenir à Saint-
Rombaut deux fois dévasté, ni s'y agenouiller devant
l'image du premier peintre cbrétien, que la piété de leurs
devanciers s'était plu à enricbir.
La reconstitution du métier, après les troubles, eut pour
premier effet le rétablissement d'un autel. Les novateurs,
assez forts pour briser les signes extérieurs du culte, n'é-
taient point parvenus à déraciner l'idée religieuse du cœur
des populations.
Les compagnons de Saint-Luc firent choix de l'église de
Sainte-Catherine pour y ériger la statue de leur protecteur.
Toutefois leur installation en cette paroisse ne fut que
provisoire ; ils nourrissaient l'espérance de revoir un jour
dans la cathédrale un autel qui fût digne de leur art.
L'église de Sainte-Catherine avait été réconciliée par l'ar-
chevêque, Jean Hauchin, le 20 août 1583. Ce fut néces-
sairement après cette date, sans qu'il soit possible d'en fixer
une autre plus précise, que la congrégation des artistes fut
établie à Sainte-Catherine. Les confrères commencèrent
par se procurer un autel sans apparat et des ornements
simples, proportionnés, du reste, à leurs faibles ressour-
ces. Ils ménagèrent le luxe, réservant plus de richesse
pour le moment où ils rentreraient à Saint-Rombaut.
Les comptes paroissiaux de Sainte-Catherine menlion-
nent, au 8 août 1606, une recette de viii florins et x sous,
produit de la vente d'un tableau et d'une statue, placés sur
l'autel dédié au Saint-Esprit et appartenant à la corpora-
tion des peintres. La statue et le tableau par le prix qu'ils
— ii9 —
rapportèrent, témoignent de la modestie du premier éta-
blissement des artistes; ceux-ci abandonnèrent le produit
de la vente à la fabrique, en reconnaissance de l'Iiospilalité
qu'ils avaient reçue d'elle.
C'est en quittant l'église de Sainte-Catberine que la gilde
revint se fixer à Saint-Rombaut, L'administration de celte
métropole assigna aux nouveaux venus, pour le placement
de leur autel, le cinquième pilier à partir du transept nord
du temple.
Lorsque dans le courant du XVIl^ siècle (vers 1650),
les statues des apôtres furent adossées aux colonnes, on
dégagea les bases de celles-ci des autels qui les encom-
braient. L'autel des peintres fil place à la statue de saint
Bartbélemi, et il fut transféré dans le pourtour du cbœur,
dans la chapelle dite de Schoonjans.
Le retour de la gilde dans la vaste église exigeait un autel
dont la richesse fût en rapport avec le monument et avec
celui que les iconoclastes avaient renversé. Les peintres ne
cessaient de se bercer de l'espoir de rentrer en possession
du triptyque de Jean de Maubeuge. Nous avons vu que les
démarches qu'ils firent à ce sujet, n'aboutirent à aucun
résultat. Toute chance de recouvrer le chef-d'œuvre ayant
disparu, la compagnie décida de s'adresser à un maître
célèbre et de lui commander un tableau avec volets, pour
décorer le nouvel autel.
Le choix des artistes tomba sur Abraham Janssens,
d'Anvers. Ce peintre exécuta le tableau que l'on voit en-
core dans l'église de Saint-Rombaut.
Le panneau principal, mesurant 2"i,93 de hauteur, re-
présente Saint Luc peignant le portrait de la Sainte Vierge.
Il a été reproduit en gravure par F. Peeters. Celle œuvre,
d'une belle coloration et d'une composition simple, a souffert
de retouches maladroites, qui lui donnent un aspect lourd.
Le premier vantail : Saint Jean dans la fournaise, est
32
— 450 —
d'une exécution plus magistrale que la pièce précédente.
Le revers porte : Saint Luc écrivant son évangile.
Sur le second volet, à l'avers, est dépeint Saint Jean
dans file de Pathmos; à l'extérieur, on retrouve le même
saint, en pied (i). Celte dernière porte se distingue par
la fougue du dessin.
Le triptyque, érigé d'abord selon sa destination en
rétable sur l'autel, fut plus tard descendu de cette place.
Les artistes eux-mêmes, engoués de la mode du siècle,
voulurent un autel de marbre. Ils délaclièrent les vantaux
du tableau central et enchâssèrent celui ci dans le nouvel
édicule. Dans la suite, revenant au bon goût, ils se décidè-
rent à réunir comme autrefois les trois peintures. Leur ré-
solution excita quelques difficultés, qui furent tranchées à
l'avantage de la jurande par le Grand-Conseil de iMalines.
Cette cour suprême, par jugement du 7 septembre 1G99,
autorisa les peintres à adapter les volets au panneau du
milieu et à prendre les mesures nécessaires pour garantir
l'œuvre contre le froid et l'humidité du marbre. Le même
arrêt accorda aux doyens la faculté de faire reproduire
l'écusson du métier et les outils des arts sur le balustre qui
devait entourer l'autel (2).
Des fraudes pour déjouer les dispositions de la charte
constitutionnelle de la gilde s'élant introduites, les syndics
du métier recoururent encore au Magistrat, le priant de
vouloir y obvier. Le conseil de la commune fît droit aux
remontrants, en ratiOant, en séance du 9 mars 1609, les
moyens de répression proposés.
Le 3 janvier ICI 1, les commune-maîtres et les échevins
adressèrent à leur tour une prière aux doyens et aux jurés
de la gilde. Ils réclamèrent les bons offices de ces derniers,
(1) Inventaire historique des tableaux et des sculptures se trouvant à Ma-
lines, par Emm. Neeffs.
(2) Archives de l'église de Sainl-Rombaut.
— 151 —
aliii qu'ils permissent aux orphelins, admis clans les hos-
pices (les enfanls abandonnés ou dans celui dit Blauwhiiis,
d'être reçus en qualité d'élèves dans un atelier où il y avait
déjà un apprenti. La demande du magistrat avait été in-
spirée par le sculpteur Corneille Verhaycht, qui désirait
donner des leçons à un pauvre enfant trouvé, Philippe
Verbrugghen.
Les maîtres ayant délibéré sur la proposition des édiles,
l'accueillirent à condition que les jeunes gens en question
fussent soumis au droit commun. Ils voulaient notamment
que si quelqu'artiste charitable consentait à donner l'édu-
cation à un pensionnaire des hospices, il fût tenu de suivre
les statuts de la compagnie et à ne prendre qu'un seul ap-
prenti à la fois. Ces conditions étaient trop justes pour
n'être pas appréciées par l'autorité, qui les accepta offici-
ellement en chambre de police le 17 janvier suivant.
En 1618, le conseil de l'hôtel-de-ville fut saisi d'une
nouvelle pétition présentée par la corporation de Saint-
Luc. Le métier ne songeait à rien moins qu'à étendre le
cercle de ses membres en y admettant les orfèvres ou bat-
teurs d'or ((joiilslagers).
Ce fait parait trahir que notre jurande, jadis si prospère
et si fière de son art, était en souffrance et qu'elle redou-
tait un avenir plus funeste, par suite de la désertion de ses
affiliés. Ceux-ci, en grand nombre, allaient en effet à cette
époque puiser les principes de leur profession à l'école
d'Anvers.
Aucune des considérations précédentes n'est cependant
émise dans la requête envoyée au Magistrat,
Les maîtres de la corporation argumenlent de l'exemple
de la ville d'Anvers, où les batteurs d'or sont inscrits sur
les liggere de Saint-Luc. Ils disent que les pétitionnaires,
travaillant les métaux précieux, leur ont adressé la de-
mande d'être reçus dans leur association, s'engageanl à
— 452 —
payer les taxes el les contributions dues au métier, à as-
sister aux enterrements des collègues, à accompagner les
processions, à y marcher à la suite des trophées de la
gilde, à se soumettre, en un mot, entièrement aux pres-
criptions de la charte des artistes. Quant aux apprentis,
ils observeront tout ce qui est requis des élèves de la nation
de Saint-Luc.
En outre, la pétition expose qu'en aucune façon cette
agrégation ne pourrait nuire au métier principal : qu'il
serait strictement défendu aux orfèvres de vendre ou de
brocanter des tableaux à l'huile ou à la détrempe, de tra-
fiquer de sculptures polychromes ou non enluminées, d'ou-
vrages d'albàtre ou en quelqu'autre matière, exécutés au
ciseau; que même, si un apprenti-orfèvre, sentant sa voca-
tion changer, voulait s'appliquer à la peinture ou à la sculp-
ture, il devrait suivre les leçons d'un franc-mailre pendant
quatre années, tout comme s'il était étranger au métier.
Les conditions dans lesquelles cette adjonction devait se
faire, ne préjudiciaienl pas à l'association des coloristes.
D'ailleurs, ceux-ci devaient avoir pesé suffisamment les
effets que l'acceptation de leur demande pouvait avoir; en
conséquence, le Magistrat apposa son approbation à la sup-
plique, le 19 mars 1618 (i).
D'après une requête des sculpteurs, sanctionnée en
chambre de police le 7 mai 1G18, il paraîtrait que le
travail de l'albâtre, dont parlent nos batteurs d'or, fui
longtemps une spécialité propre à la corporation mali-
noise. Les confrères demandèrent par la pièce soumise à
la régence, d'abord de leur permettre de restreindre le
nombre d'élèves qui aspiraient à s'exercer dans l'art de
(i) Registre aux rollc. — Policey boek, 1612-1G18, p. 192.
L'association des batteurs d'or fut honorée d'une constitution spéciale en
1400, par la duchesse Jeanne de Brabant. Elle était placée sous le patronage
de S. Eloi.
— 453 —
Siîulpler celle rnalièie, ensuite de vouloir défendre à ceux
de la mailrise de livrer au commerce des œuvres de celle
espèce, qui ne seraient pas étoffées.
Comme ils le disent dans leur adresse, il faut empêcher
le chiffre des apprentis de s'accroître, en n'autorisant chacun
des francs-maitres à ne recevoir dans son école qu'un seul
élève lous les qualre ans. Par cette mesure, ils espéraient
maintenir chez eux celte profession, dont ils avaient quasi
le monopole; car, disaient-ils, en multipliant à l'excès les
leçons, les apprentis, à leur tour revélus de la maîtrise,
ne larderont pas à se disperser et à répandre, tant dans
les villes voisines qu'en contrée étrangère, le genre dont
la corporation de Malines s'honore.
La défense de vendre des œuvres non étoffées avait pour
but d'empêcher que les sculptures inachevées, qui auraient
pu compromettre la réputation du métier, entrassent en
circulation.
La demande des sculpteurs d'albâtre était évidemment
intéressée, dictée bien plus par l'amour du lucre que par
l'amour de l'art. Les praticiens étaient peu nombreux, leur
occupation était facile et productive; ils voulaient conserver
cet âge d'or, en éloignant la concurrence. Le moyen le plus
simple était, sans doute, de n'enseigner à personne leur
procédé ou de l'étendre le moins possible.
Les œuvres dont il s'agit, consistaient généralement en
statuettes et surtout en bas-reliefs. Ceux-ci étaient de petite
dimension et rappelaient des sujets mythologiques ou plus
souvent des épisodes bibliques ou religieux. La sculpture
était rehaussée de légères dorures, appliquées en bordure
ou en dessins variés sur les vêtements des personnages. Un
grand nombre de ces petites productions nous sont conser-
vées. La majorité ne décèle pas un grand talent de la pari
de leurs auteurs.
L'exécution de ces pièces, dont les premiers échan-
— . 454 —
tillons furent importés d'Italie, s'opérait sans peines et
rapidement. Elle mettait les sculpteurs à même d'en
fournir une grande quantité, à des conditions de pri\
très- avantageuses. Ce travail de routine était donc une
spéculation lucrative, dont nos artistes profitèrent large-
ment pendant quelques années (i).
Malgré la vigilance que les membres du serment dé-
ployaient pour la surveillance de leurs intérêts, ils eurent
à souffrir d'une concurrence illicite et clandestine de la
part de certains trafiquants de la ville. Ceux-ci, tout com-
me s'ils eussent été disciples de Saint-Luc ou revêtus de
la maîtrise des arts, se permettaient de faire exécuter des
œuvres pour les céder ensuite aux brocanteurs des cités
voisines. Il résultait de ce procédé un tort notable pour la
corporation, car souvent ces pièces avaient été achevées
par des apprentis et obtenues à un taux peu élevé. Les
marchands étrangers, qui trouvaient grand avantage à se
fournir de cette façon, ne visitaient plus les ateliers des
maîtres. Au lieu de faire en ville un séjour de quinze jours
ou plus long, comme ils en avaient l'habitude jadis, soit
pour choisir les objets de leur achat, soit pour en surveiller
l'achèvement, ils se contentaient d'une course rapide, sans
faire de dépenses dans la localité. Une requête de la gilde
fut soumise au Magistrat, le priant de réprimer cet abus et
de comminer une amende de 25 florins contre les délin-
quants. Cet acte fut apostille le 8 mai 161 9. Tous les francs -
maîtres, au nombre de 96, contresignèrent l'écrit. Nous
rapportons ces signatures, qui présentent un curieux ta-
bleau de la composition du métier à cette date.
Michel Verschueren, doyen; Tobie van Tissenack, doyen.
Van den Bossche, ouderman.
Martin van Caestre, trésorier.
Pierre Ceulemans, trésorier.
(l) Policcy Bocck, vol. 16/2-1618, p. 192.
9 K.) «J
Rombaut Michiels. — Corneille Feremans. — Barlhé-
lemi van Conincxloo. — Hombaul van Avond. — Augustin
(le Munck. — Corneille Verhaychl. — Antoine Fayd'lierbe.
— Gaspar Schillemans. — Pierre van Oisterwyck. —
François Del Voe. — Abraham van Avond. — Philippe
Wouters. — IMelchior ileussen. — Remy de Dryver. —
Jean van der Beken. — Maur. Moreels, — Melchior Dassom-
vile. — Liévin van Ëegheni. — François van der Beke. —
Pierre Crabbe. — Rombaut Hans. — Henri Fayd'herbe.
— Pierre Verschueren. — Jacques Verhulsl. — Rombaut
Rogouls. — Jean Mallhys. — Jean van Dorne. — Jean
Korrans. — Gilles Vrints. — Gilles Neus. — Gaspar He-
melers. — Guillaume Op de Beeck. — Jacques Verschueren.
— Baptiste van Loey. — Charles Zuetens. — Guillaume
Verhaycht. — Ambroise Verschueren. — Georges Scherps.
— Gérard Rommens. — François Bisschops. — Georges
Berincx. — Jean de Hondt. — Mathieu Matlheeusens. —
François van Ophem. — Jean de No. — Philippe de Rey-
gher. — Guillaume Matlheeusens. — Rombaut Storms. —
Pierre Keulemans. — Lorencio de Marchin. — Jean de Helt.
— Jean Mattheeusens. — Jean Bisschop. — Adrien Mat-
lheeusens. — Nicolas van Ophem. — Nicolas Tousyns. —
Josse Bacx. — Jacques Stevens. — Jean van Raes. — Jean
Stevens. — Joachim Thys. — Gilles Adriaens. — Corneille
Verpoorten. — Jean van Redit. — Wauthicr van Elsen. —
Georges Disson. — Jean Wollebosch. — Pierre des Mares.
— Pierre Zilvoorts. — Antoine Félix. — • Josse Salmier. —
Pierre van den Bossche. — Charles van Lemmen. — Mathieu
van Mechelen. — Jean Vermasen. — François van llasselt.
— Engelbert Ceulemans. — Jean Walravens. — Remy
Vrints. — Balihazar Huys. — Jean van der Strepen. —
Charles van den Bossche. — Jean de Croy. — Josse Ste-
vaert. — Luc Franchois. — Antoine Bayens. — Jacques
deSchepper. — Guillaume van Recht. — Roland de Clerck.
— Armand Lauwerens. — Melchior van Avont.
— 456 —
La chambre de police approuva la proposition de la gilde
le 27 mai 1619.
Une seconde disposition de l'autorité vint compléter, le
3 juin 1619, celle qui précède. Par cet arrêté, le Magistrat
accorda aux doyens du métier un droit qui paraît exlior-
bitanl; il leur permit de faire à certains jours, avec l'auto-
risation préalable des échevins, des visites domiciliaires
chez ceux qui, sans être francs-maitres, étaient suspectés
de vendre des œuvres d'art.
Les compagnons de Saint-Luc étaient astreints, comme
toutes les corporations, à accompagner la procession de
Malines. Une ordonnance de la ville traça aux dignitaires
de la gilde la manière et l'ordre suivant lequel les membres
de l'association marcheraient dans le cortège. Elle stipula
que pour celte procession du second jour de Pâques, qui
faisait le tour des remparts, la jurande désignerait neuf
confrères qui, avec neuf délégués du métier des chausse-
tiers, porteraient la châsse de saint Rombaut, depuis la
porte dite Blockpoorte jusqu'à l'endroit désigné sous le
nom de Berthouclershoff ou Zandpoorte.
Le règlement exigeait en outre, que les personnes choi-
sies à cet effet par les syndics fussent prises parmi les plus
honorables de la compagnie. Etaient libérés de cette obli-
gation, ceux à qui leur santé ou leur conformation phy-
sique ne permettait pas de porter le reliquaire du patron
communal. Les gens de mauvaise vie et ceux qui se pré-
sentaient en état d'ivresse au lieu du rendez-vous avant* le
départ, étaient absolument exclus de la cérémonie.
Les confrères ainsi invités par les chefs, ne pouvaient
se soustraire à leur devoir; sous peine d'une amende de
3 florins 10 sous, à payer à ceux qui allaient à leur place.
Ils devaient tous se ranger sous la bannière de la gilde,
porter tour à tour les trophées du métier et les reliques
de saint Rombaut. Une amende de 3 florins frappait celui
— 457 —
qui s'y refusait. Ce disposilif fui inséré au rolle le 24
mars 1GI9.
La concorde des membres et même des ciiefs entre eux
n'était point la vertu dislinclive de la corporation. Mais,
en bons frères, ils avouaient leur faiblesse, et ils prièrent
les commune-maitres de vouloir, dans rinlérêtde la paix,
leur délivrer un règlement qui rétablit la bonne entente ou
qui contribuât à la maintenir. Nos doyens eux-mêmes pro-
posèrent au conseil échevinal les remèdes qu'ils croyaient
les plus efficaces.
Ils confessaient ingénuemenl que, dans leurs assemblées,
il y avait parfois des dissensions assez vives et assez lon-
gues. Ces luttes, ajoutaient-ils, n'avaient rien que de fort
naturel; car parmi eux, il en était de professions bien dif-
férentes : il s'y trouvait des peintres, des sculpteurs, des
enlumineurs et des sculpteurs d'albâtre. Partout, du reste,
où il y a plusieurs maîtres, il y a diversité d'opinions : ce
qui, au dire des syndics, prolonge singulièrement leurs réu-
nions; d'autant plus qu'en vertu du serment, ils étaient obli-
gés de trancher, séance tenante, les questions soumises à leur
jugement, qui excitaient souvent d'aigres et de longs débats.
En attendant, le lem|)S passait : c'étaient autant d'heures
enlevées au travail et au bénéfice, tandis que leur présence
au conseil décanal ne leur rapportait qu'un sou par tète.
De leur côté, les simples confrères de la gilde ne se dis-
putant pas mal entre eux, déferaient la solution de leurs
ditférends aux chefs. Le tribunal de ces derniers avait déjà
à juger toutes les affaires du ressort du métier; elles étaient
nombreuses; à celles-ci venaient se joindre les contestations
que les associés soumettaient à l'arbitrage de leurs élus.
Les juges avaient donc de bons motifs pour se plaindre
des inconvénients de leurs honneurs. Ils proposèrent au
Magistrat des mesures que le seul désintéressement n'avait
peut-être pas dictées, bien qu'elles parussent pouvoir aider
à ramener l'ordre dans le corps artistique.
— 458 —
Les doyens demandèrent d'augmenter le taux de leurs
jetons de présence aux réunions et de le porter d'un à quatre
sous. Le motif allégué plus haut, la perte de temps, était
renforcé dans la pétition par la considération de la cherté
des vivres.
Voici comment les syndics de la nation voulaient par le
moyen proposé atteindre leur but. Les parties comparantes
consigneraient chacune une somme de huit sous; la partie
gagnante rentrerait dans sa mise. Les huit sous restants
seraient partagés entre les deux doyens. « Ainsi, dit l'adres-
» se, nous empêcherons les membres de notre métier de
» saisir notre conseil de balivernes et de nous faire perdre
» bien plus de quatre sous. » Nous ajouterons que nous ne
voyons pas de quelle manière cette disposition empêcherait
les doyens d'avoir des altercations entre eux. Néanmoins
la proposition fut acceptée en chambre de police, le 20
mars 1617.
La corporation de Saint-Luc n'était pas riche. Ses res-
sources étaient bien inférieures à celles des autres métiers
de la ville, auxquels leurs règlements respectifs permet-
taient de percevoir des amendes et des droits d'entrée beau-
coup plus forts.
Une ordonnance du 18 janvier Î627 améliora quelque
peu la situation financière de notre corps. Dès-lors, mais
pour un laps de six années seulement, le prix d'immatri-
culation fut élevé à 28 florins pour ceux qui étaient étran-
gers à la gilde et à 15 florins pour ceux qui étaient fils de
francs-maîtres.
Après les six ans, l'association retomba dans sa pénurie
antérieure. Depuis ce terme, une augmentation sensible
s'était opérée dans la valeur des denrées alimentaires, et
le métier avait à faire face à des frais considérables. Les
doyens, pressés par la nécessité, demandèrent à pouvoir
fixer la contribution d'entrée à 60 florins pour ceux qui
- 459 —
n'élaienl pas fils de maîtres; pour ces derniers, ils main-
teiiaieiil runcien taux, lis argumentaient de ce que l'intro-
duction d'une règle analogue avait été autorisée en faveur
d'autres métiers. Ils rappelaient que les dépenses indis-
pensables de leur société résultaient des frais de location
de la chambre de réunion, des gages d'un varlet, de l'en-
tretien des ornements servant à VOmmejany, de l'achat des
flambeaux et des cierges pour les processions, de la déco-
ration de l'autel de Saint-Luc, pour lequel tout récemment
encore ils avaient eu à solder 150 florins. Ils faisaient
remarquer que la contribution d'entrée devait servir à payer
la réception des francs-maîtres, des jurés et des confrères :
qu'à Bruxelles même, quand un nouvel associé n'était pas
afl'ranchi, il versait 100 florins le jour de son inscription
au livre de la gilde; qu'à Malines, aucune corporation,
même celles qui étaient les plus riches en rentes et en im-
meubles, n'admettait de récipiendaire à moins de 50, 60,
70, 80 florins ou au-delà, tant pour couvrir les dépenses
du festin liaditionnel que pour les autres frais d'ancien
usage.
En présence de ces considérations, les échevins fixèrent
la taxe d'entrée à la jurande à 40 florins pour les artistes,
non francs-maîtres, et à 23 florins pour les descendants au
premier degré de ceux qui avaient été investis de la maî-
trise (29 octobre 1655).
La recherche des moyens d'améliorer la situation pécu-
niaire du corps à la tête duquel ils étaient placés, était une
préoccupation constante pour les syndics du métier. Les
revenus de la fédération ne consistaient guère que dans les
droils d'entrée et dans les amendes. Cette dernière source,
il est vrai, tendait même à s'agrandir à raison du nombre
croissant des infractions faites aux articles de la charte fon-
damentale; néanmoins elle était peu productive, parce que
la valeur de l'argent avait considérablement diminué depuis
la rédaction du code de 1564.
— 460 —
L'adrninislralion trouvait ici une veine à exploiter : de
fréquents appels à l'autorité supérieure témoignent des di-
verses augmentations que subit le taux des amendes.
L'esprit de confraternité s'affaiblissant chaque jour da-
vantage dans l'association, les doyens usèrent encore des
peines pécuniaires pour tenter de renouer ces liens, en
obligeant les membres du métier à se réunir et à se voir
entre eux.
Les processions et les cortèges fournissaient au senti-
ment de corps une occasion de se manifester publiquement ;
les collègues d'une même corporation y étaient groupés,
sous la conduite du drapeau du saint, protecteur de leur
industrie. Malheureusement, dans notre gilde, les associés
se dispensaient volontiers de figurer dans les solennités de
ce genre : quatre sous rachetaient leur présence.
Les jurés, voulant prévenir cette négligence, décidèrent
d'élever à dix-huit sous la taxe pénale.
Dans les cérémonies funèbres, la tendance à rompre le
nœud de famille n'était pas moins évidente : les vieux rolle
exigeaient que la gilde assistât au complet aux enterrements
des confrères. A cette époque, la convenance de rendre un
dernier hommage à la mémoire d'un ami ou d'un collègue
était si peu mise hors de doute, que la charte ne prononce
que le paiement d'un sou contre celui qui ferait défaut aux
funérailles d'un associé. Mais au XVII^ siècle, les temps
étaient bien changés; il fallait la puissance coercitive de
l'argent, une amende de cinq sous, pour obliger les con-
frères à remplir ce pieux devoir. La plupart des artistes
ne se souciaient guère de suivre le cercueil de leur com-
pagnon qui n'était plus (i).
Des idées nouvelles s'étaient fait jour. On regardait les
maîtrises et les jurandes comme des institutions surannées,
dont il fallait combattre le monopole. Il fallait se soustraire
(I) Anùté (le la chambre de police, 6 avirl 1664.
— 4G1 —
onx obligations contraclces par le serment prclé au mélier;
briser Tesprit de famille d'abord, ruiner la corporalion en-
suite. L'espril de famille avait déjà reçu une atteinte grave
el profonde; restait à lutter contre la cbarte décrépite.
Le vieil arbre avait poussé de trop profondes racines
pour céder aux premiers efforts; un long ébranlement
devait précéder sa cluite.
Ces nouveautés n'étaient cependant point le fait des vieux
maîtres. Elevés sous l'aile de la gilde, ils conservaient dans
l'àme le sentiment de la reconnaissance; ils étaient fiers de
leurs devanciers el des glorieux pinceaux formés à l'école
de Saint-Luc.
Les ennemis de la corporalion étaient les artistes mé-
diocres, que l'appât du gain seul inspirait; c'étaient les
brocanteurs, intéressés à acbeter des œuvres à bas prix,
el certains apprentis, pressés de secouer le joug du patron,
pour travailler librement pour leur compte.
Ils démolissaient peu à peu les règlements du métier, en
éludant leurs dispositions et en leur multipliant les embar-
ras. Ils introduisaient secrètement en ville des œuvres exé-
cutées au debors; ils les avaient achetées à bon compte et
les revendaient chèrement. Ainsi ils atteignaient en partie
leur double but : celui de gagner de l'argent, sans se donner
de peine, el celui de ruiner les ateliers des maîtres de la
ville.
Cependant les francs-maîtres protestèrent.
Le Magistrat porta une ordonnance contre ces criantes
injustices el condamna les coupables, d'abord à la confis-
cation des pièces importées de cette manière, ensuite au
paiement d'une amende considérable (Chambre de police,
6 novembre 1679) (i).
(1) La protestation des artistes était signée par Jean de Dryver et Daniel
Janssens, doyens; François de Wiltc, Jean Bcrincx, Corneille Scliillemans,
Jean de Herb, Pierre Caulicr, Philippe de Graeve, Nicolas van dur Vrkcnc,
— AG-2 —
r^e manque d'ouvrage, qui résultait de ces manœuvres
frauduleuses, avait forcé les maîtres à élever leurs prix.
Une branche importante et productive de leur profession
était la peinture des blasons funéraires. Une noblesse nom-
breuse rendait les demandes des pièces de celte espèce
abondantes. Mais nos peintres abusèrent de leur privilège;
ils étaient devenus intraitables pour l'entreprise de ces
décorations.
Le Grand-Conseil coupa court à leurs exigences et leur
imposa un tarif (1668) ;
Pour les grands écussons, sur panneaux, de
trois pieds carrés, sans supports 5 florins.
Pour les écussons de même dimension, avec
supports 6 »
Pour les quartiers, sur bois, peints à l'huile,
avec les métaux 1 »
Pour les grands blasons, sur papier épais . . 1 »
Pour les petits écussons, d'une feuille entière. 4 sous.
Pour les mêmes, d'une demi-feuille 2 »
Les efforts des doyens et des commune-maîtres réunis
furent impuissants à arrêter la corporation dans la voie mal-
heureuse sur laquelle elle glissait. Le respect des rolle était
perdu; journellement des faits nouveaux venaient les en-
freindre. Malgré l'arrêté du 6 novembre 1679, les fraudes
continuaient; seulement elles étaient organisées^d'une autre
façon. Cette fois, nous constatons que la corruption avait
gagné du terrain. Les francs-maîtres se menaient de la
partie et méprisaient à leur tour les sages règles qui les
gouvernaient depuis si longtemps.
Clirélien van der Vorst, Norbert de Hemelaer, Gilles Smeycrs, Jean de Kael
Guillaume Vermeulen, Jean de Hondt, Gaspar van den Steen, François van
Craesbeeck , Jean Verliuyckl, François Langhmans, François de Dryver,
François van der Zype, M. Jacobs, Jean Laureys, Théodore Egret , Henri
Toussyn, Wautliier van Winselhovcn, Jean de Vos, Malliiou de Reyger, Con-
rad van den Kerckhoven, Baudouin Gcens.
— iG5 —
Sans souci de la prospérilé du corps auquel ils appar-
tenaient, ni des intéréls de leurs collègues dans l'art, ils
se laissaient gagner par des peintres ou par des sculpteurs
étrangers, auxquels ils lâchaient de faire obtenir la maî-
trise et leur permettaient ainsi d'exercer librement leur
profession en ville, en concurrence avec les membres de
la gilde. — D'autres fois, ils accordaient à des maîtres du
dehors l'affranchissemeut nécessaire pour les rendre aptes
à pratiquer, sans crainte de poursuites.
L'ordonnance du 6 novembre 1679, en suite de ces abus,
fut interprétée en ce sens, qu'aucun suppôt de la corpo-
ration ne pourrait dorénavant libérer du serment les maîtres
étrangers ou quelque autre, n'étant point du compagnon-
nage; que les productions de ceux-ci ou même les pièces
dans lesquelles ils auraient une part, ne pourraient être
livrées au commerce; qu'ils ne pourraient en exécuter en
cette ville,. sous peine pour les étrangers de voir leurs
œuvres confisquées, et pour les membres de la gilde, qui
auraient favorisé ces méfaits, de devoir fermer leur atelier
pour un terme de six mois. {Ch. de police, 8 avril 1702).
Cette mesure sévère avait été provoquée par une de-
mande datée du 4 mars 1702. Les requérants étaient :
H. Berincx et Toussyn, doyens; Gilles Smeyers, Nicolas
van der Vekene, Laurent van der Meulen, Jean de Hondl,
Jean van Elewyt, Pierre Simon Verlinden , Jean de Vos,
François Boecksluyns, Jacques Smeyers, François Langh-
mans, Pierre van Hove , Jean van Tuerenhout, Juste
Smeyers, Jean Edmond Turner et Jean Turner.
Les novateurs comprenaient qu'en mettant la cognée au
tronc des privilèges, ils parviendraient à abattre l'inslilu-
lion qui les gênait.
La gilde de Saint-Luc languissait sous le poids d'une
longue et lente agonie, qui minait graduellement ses forces
vitales. Le nombre de ses affiliés était descendu à moins
de la moitié de ce qu'il avait été jadis.
— 464 —
Le Irisle tableau de cet état précaire nous est dépeint
par une supplique soumise au Magistrat et approuvé par
lui le 20 janvier 1720. Les jurés prièrent la chambre de
police de vouloir leur octroyer de ne plus se faire repré-
senter à l'avenir dans la procession annuelle de Saint-
Rombaut que par quatre délégués. Ils alléguèrent la
situation malheureuse de leur association, qui ne comptait
plus que vingt-trois ou vingt-quatre maîtres, parmi lesquels
onze étaient impotents et incapables de charger sur leurs
épaules la châsse du patron communal. Quant à ceux aux-
quels leur santé permettait de prendre part à la cérémonie,
déjà ils y figuraient à litre d'hommes de serment militaire.
Le trésor de la corporation était obéré et sans revenus.
Les recettes étaient slationnaires, car depuis longtemps on
n'avait eu à enregistrer ni réception de franc-maitre, ni ag-
grégation d'apprenti. Dans cet état déplorable des finances,
il devenait onéreux pour la société d'envoyer neuf députés
accompagner la solennité religieuse, obligation pour laquelle
chacune des personnes désignées touchait cinq sous, à
payer par la caisse commune.
La lutte entreprise contre la gilde mourante continuait
sans relâche; néanmoins, malgré sa faiblesse, celle-ci s'ef-
forçait de se soutenir et de défendre ses droits. Plusieurs
nouveaux venus, maniant le pinceau , prétendaient élre
affranchis de l'association au métier, sous le prétexte que
leur profession était une spécialité indépendante de la
maîtrise de Saint-Luc. Ainsi deux artisans, qui à vrai dire
n'avaient de commun avec les artistes que l'usage de la
palette et du ciseau, refusaient de s'enrôler dans la com-
pagnie. L'un, Charles Berger, était peintre de voilures
et de cheminées; l'autre, nommé Dominique Hertoghe,
était menuisier et s'occupait quelque peu de tailler les
sculptures qu'exigeaient certaines œuvres de son industrie.
Tous deux avaient un atelier public et ouvert. Les doyens
— 465 —
se raidissaient conUe ces innovations et déclaraient que ces
niailrcs-ouvriers devaient se soumettre aux rolle et au ser-
ment, « que n'avaient pas dédaigné de prêter les excellents
» peintres Franchoys, de Hornes, Huysmans et Ant. Coxie,
» ni les sculpteurs Fayd'lierbe, Langlimans et bien d'antres,
» tout aussi comme cela se pratiquait encore à Bruxelles,
» à Louvain et à Anvers. »
Le 5 décembre 173o, ils en appelèrent à rhôtel-de-ville.
Les échevins, comprenant la situation des idées, prirent un
moyen terme. Ils ordonnèrent que ceux qui voudraient
exercer de semblables professions à Malines, seraient tenus
uniquement à payer les taxes statuées par les règlements;
mais qu'ils seraient libérés de la prestation du serment et
des cbarges incombant à la jurande.
Cette disposition est significative; elle indique la cbnte
procbaine des vieilles associations ouvrières et l'approcbe
d'une révolution sociale (i).
Cependant la corporation, jalouse de ses prérogatives,
combattait contre le mouvement de l'opinion et poursuivait
avec ardeur l'investigation des délits qu'elle jugeait commis
dans le domaine des arts, empire dont elle étendait singu-
lièrement les limites. Car les syndics portèrent une con-
damnation de quatre florins carolus d'amende contre les
nommés Pierre Braes et Corneille de Winter, qui, sans être
francs-maîtres, avaient osé peindre la façade de la maison
du conseiller Snoy (2 août î7ol).
En 1764, les dignitaires du métier intentèrent un procès
à un peintre de portraits, Stengele, et à un paysagiste,
Verryck, qui se refusaient tous deux au paiement d'une
amende de douze florins, à laquelle le conseil décanal les
avait condamnés pour avoir travaillé à Malines, sans auto-
risation préalable (2).
(1) Chambre de police, 18 mars 1737.
(2) Archives communales. Maîtrises et jurandes. Corporation des peintres.
33
— 466 —
L'aulorilé communale, en dépit des mœurs nouvelles,
avait l'obligation de prêter son concours au maintien et,
au besoin, à la défense de la corporation, dont l'existence
était juridiquement reconnue dans la commune. Elle ne
pouvait donc cesser d'écouter les plaintes des jurés, et elle
devait apporter aux règlements les modifications que le
temps rendait nécessaires. La cbambre de police fut fidèle
à ces devoirs et accorda aux doyens des artistes les faveurs
qu'elle estimait utiles. Un dispositif du 2 janvier 1758 et
un autre du 24 mai 1772 réglèrent quelques points d'ordre
intérieur : en vertu d'un article de l'acte de 1772, il était
permis à tout sculpteur d'exercer la peinture et la dorure,
et réciproquement, tout peintre ou doreur pouvait s'adon-
ner à la sculpture.
Dans ces derniers temps, chaque arrêté marque avec
jine vigueur croissante l'état de délabrement dans lequel
se trouvait la gilde.
Pour empêcher la concurrence en dehors du métier, les
syndics durent se résigner à rendre les conditions d'admis-
sion faciles et renoncer à leurs vieux privilèges.
Ces changements contribuèrent à abattre rapidement la
gilde; le compagnonnage, l'apprentissage et la maîtrise
n'existaient plus que de nom et se vendaient à prix d'ar-
gent. L'élude de l'art était négligée; la peinture et la sculp-
ture étaient redevenues tributaires et dépendantes de l'in-
dustrie, comme au moment de leur naissance. La ruine
était complète; la profession d'artiste était moins qu'une
industrie, c'était un gagne-pain, un métier qui tendait une
main suppliante aux artisans, les priant de vouloir l'ac-
cueillir comme auxiliaire.
Une princesse éclairée, l'Impératrice 3Iarie-Thérèse,
mesura d'un coup-d'œil la position; elle comprit que les
Pays-Bas allaient perdre leur plus belle gloire, leur école
flamande, si l'on n'y apportait un prompt remède.
— 467 —
La souveraine ne supprima poiiil la corporaliou deSainl-
Luo, mais elle établit par un décret du 13 novembre 1773,
publié à Malines le 2 décembre suivant, une Académie des
Beaux-Arts, où les artistes pourraient se former sous une
bonne direction.
Dans sa missive adressée aux autorités malinoises,
l'Impératrice retrace la situation; elle encourage le culte
des arts, en lui octroyant pleine liberté.
« Ces arts, y est-il dit, jadis si florissants étant tombés,
)> ont attiré notre attention et celle de notre beau-frère et
!' iiepveu, Charles-Alexandre, duc de Lorraine, gouverneur
» général des Pays-Bas, voulant faire revivre ces arts a érigé
» l'académie, ordonnons que la peinture, sculpture, gravure
» et architecture ne dérogent point à la noblesse et que cha-
» cun peut librement exercer ces arts et vendre ses oeuvres
» sans devoir se faire inscrire en quelque métier, ni se faire
» reconnaître par eux, puisque le maître d'art exerce son
» art sans s'occuper d'œuvres mécaniques, réservées aux
» métiers. En outre, les graveurs n'ont pas besoin de nos
» lettres d'octroi pour éditer leurs oeuvres, après les avoir
» soumises à l'approbation de notre Fiscal avant de les
1) donner au jour (i). »
Si l'acte impérial ne supprimait point de droit la gildedes
peintres et des sculpteurs, elle la paralysait complètement
en infirmant toutes ses prérogatives : dorénavant, libre édu-
cation et libre concurrence; le champ était ouvert au progrès.
Le règlement abandonnait au métier « les œuvres méca-
niques » la partie matérielle de la profession. Chose étrange
à croire, la corporation de Saint-Luc saisit avec avidité
celte branche, que jadis elle eut répudiée en rougissant.
Elle la prit et voulut en avoir le monopole. Elle exigea du
(1) Règlement de S. M. toiicliant In peinture, sculpture, gravure el archi-
tecture.
— 468 —
Magistral une défense formelle, à l'adresse de N. van den
Bosselle, de peindre les façades ou de s'occuper d'autres
travaux réservés au métier, sous peine de six florins d'a-
mende; car il n'était point investi de la franche-maîtrise
(3 avril 1775).
La gilde végétait honteusement à côté de sa jeune rivale,
l'Académie. Elle essayait de se soutenir et de garder un
rang parmi les autres corporations; mais la position débile
qu'elle avait encore, elle le devait surtout aux orfèvres, ses
coassociés.
Une des dernières apparitions que le métier fît dans
l'histoire locale, date du jubilé de Saint-Rombaut, célébré
en 1775. Le corps des peintres, des sculpteurs et des or-
fèvres fît construire pour la cavalcade de VOmmegang un
char sur lequel était représenté le Triomphe du Chcistia-
nisme à Malines. Sur les débris du temple de Diane, l'apôtre
de iMalines plantait la croix; le comte Adon, Elisabeth, son
épouse, et la Pucelle de Malines s'inclinaient devant le bois
vénérable (i).
Après cette solennité, nous ne trouvons guère de vestiges
de la corporation de Saint-Luc. Une statistique du 30 avril
1783 établit que le métier comptait encore douze francs-
maîtres. Cette gilde, autrefois si féconde en grands artistes,
expira dans l'oubli. Méconnaissable et rebutée jusque par
ses anciens disciples, elle gisait presque sans vie, lorsque
enfin son souffle s'éteignit sans bruit sous l'étreinte de la
nouvelle Académie, à laquelle une organisation moderne
promettait un brillant et utile avenir.
(1) Praeltrcyn zullende geschieden den 2C van junius. dcn 3 van jiilius,
den 10 van julius MDCCLXXV. — Cinquième char.
— 409
Annexes.
I. Doyens de la rjUde de Saint-Luc, à Mali nés.
Nous iloanous ici la liste des doyens de la corporation
des peintres et des sculpteurs, telle que nous avons pu la
reconstituer au moyen de documents épars.
4479. Jean Crahbe, juré.
Jean de Briiyne, juré.
1535. François Crabbe, juré.
1539. François Crabbo, jure.
4540. Nicolas de Poeys.
François <^rabl)e.
Willem Palete, jures.
4549. François Crabbe.
Antoine van Outcrschaten.
4559. Jean Fcernians.
Jean Vinckenboons.
4563. François Verbeock.
Antoine van Diieriie.
Charles van Diierne, jurés.
4584. Godefroid van Steyneinolen,
Daniel Snellinckx.
4584. Jérôme de Vadder.
Henri van der Oiiwcrmciilcn.
4599. P)arthélcmy van Conincxloo.
Jean Verbcke.
Ronibaut Machicis.
4600. Corneille Feermans.
Jean van Duerne.
4644. Jean van den Bossche.
Piond)aut Machiels.
4019. Micbiel Verschueren.
Tobie van Tissenack.
— 470 —
1625. Martin van Calster.
Ambroise Verschiiercn.
4625. Martin van Calster.
Luc Franchoys.
4626. Jacques van don Bossche.
Gaspar Schillemans.
1627. Martin van Calster.
Jean van Rcclit.
1628. Antoine Fiderbe.
Ambroise Verschueren.
4629. Pierre Verschueren.
Grégoire Berincx.
4634. Jean van Recht.
Ambroise V^erscliuercn.
1632. Luc Franchoys.
Grégoire Berincx.
4635. Jean van Recht.
Gaspar Schillemans.
4634. Luc Franchoys.
Grégoire Berincx.
4635. François van Loy,
Maximilicn Labbé.
4637. Luc Franchoys.
François van Loy.
4638. Gaspar Schillemans.
Jean van Recht.
4639. Maximilicn Labbé.
Grégoire Berincx.
4640. Luc Franchoys.
François van Loo.
1641. Jean van Recht.
Wautier van KIscn.
4642. Gaspar Schillemans.
Grégoire Berincx.
4643. François van Loo.
Jacques V^oorspoel.
4644. Gaspar Schillemans.
Waiiiicr van Elsen.
— 471 —
1645. Grégoire Lccrcns.
Jacques Voorspoel.
1646. VVaulicr van EIscn.
Gaspar Schillemans.
164-7. Gaspar Schillemans,
François van I^oy.
1649. Wautier van Elsen.
François van Camp.
1650. Grégoire Berincx ou Grégoire r.cerens.
Maximilien Labbé.
1651. Wautier van Elsen.
Gaspar Schillemans.
1652. François de Wilde.
François van Loo.
1653. Maximilien Labbé.
François van Cattenhotit.
1654. François de Wilde.
François van Loo.
1655. Gaspar Schillemans.
Wautier van Elsen.
1657. François van Campsnhonl.
Jean van Doren.
1658. Maximilien Labbé.
François van Orsagghcn.
1659. Winne van Elsen.
Jacques Doorne.
1660. Barthélémy van Elsen.
Jean Berincx.
1661. François de Wiide.
Maximilien Labbé.
1662. Barthélémy van Elsen.
Jean Berincx.
1664. Barthélémy van Elsen.
François van Orsagghen.
1667. François van Orsagghen.
Barthélémy van Elsen.
1668. Jacques de Horen.
Michel van den Eyndc.
— 472 —
4669. Jean Verhoeven.
Jean Berincx,
1670. Barthélémy van Elsen.
Jacques de Horen.
1675. Corneille Scliilleinans,
Jacques de Horn.
1675. Jean de Dryver.
Daniel Janssens.
1676. Barthélémy van Elseo.
Maximiiien Labbé.
1679. Jean de Dry ver.
Daniel Janssens.
1680. Jean Berincx.
Nicolas van der Vekene.
1681. Gilles Smeyers.
Jean de Dryvcr.
1682. Jean Berincx.
François Langhmans.
1683. Nicolas van der V'ckene.
Jean de Dryver.
1684. François Langhmans.
Gilles Smeyers.
1685. Jean de Dryver.
Jean Berincx.
1686. Gilles Smeyers.
François Langhmans.
1687. Jean de Dryver.
1689. Jean Berincx.
Jean de Dryver.
1690. Nicolas van der Vekene.
Jean de Hondt.
1691. Laurent van der Meulen.
Gilles Smeyers.
1692. Jean de Hondt.
Nicolas van der Veken.
1695. Laurent van der Meulen.
Pierre Simon Verlinden.
1702. Jean Berincx.
Nicolas ïonssyn.
— 473 -
II. Armoiries de la gitcle de Saint-Luc.
La corporation îles artistes de Maliiies portail pour blason
les armoiries qui élaicnL gcnéraleinenl en usa^iC parmi les
métiers îles peintres et des sculpteurs aux Pays-Bas; à sa-
voir : d'azur à trois éciissoiis d^tryent; cimier, îtne tête de
bœuf au naturel.
Em. Neeffs.
"474
SOUVENIRS ARCHEOLOaiQUES
DE
1..% YII.I.E DE GAUD.
II.
I
i^oB^ïcc tUcnemacr.
Des divers refuges pour la vieillesse et les indigents que
la ville de Gand devait à la munificence de ses citoyens,
bientôt il n'en existera plus qu'un seul. C'est celui fondé
aux frais des frères Halyn, que Philippe van Potteisberghc
et son épouse, dame de Steenland, firent restaurer vers le
milieu du XVI« siècle. Dans peu les derniers vestiges des
bâtiments de l'institution Wenemaer auront disparu ; les
descendants de ce vaillant soldat ont vainement protesté
contre ce vandalisme, ont même intenté une action en jus-
tice aux administrateurs des hospices; leurs droits, sans
être entièrement méconnus, n'ont pu empêcher, dans l'élat
actuel de la législation, que l'établissement ne fût vendu.
La ville de Gand en a fait l'acquisition et se dispose à le
transformer en marché couvert. Voici en quelques mots
l'historique de cette institution, que nous extrayons de
l'excellent travail de feu notre collaborateur, Jules de Saînt-
Genois (i). La comtesse Marguerite de Flandre et son fils
Guy cédèrent, en 1269, à Foulques Masch certaine étendue
de terrain, gisant au pied de leur château, avec l'attérisse-
(1) V. Messager des Sciences historiques, année 1834, p. 169.
C.tFeltsc.
— 475 —
ment qui s'y élail formé par la jonction du canal Je la Lievc
à la Lys, derrière les écoles de l'église de S'^-Pliaraïlde et
la demeure de leur gérant. Dans cette cession était comprise
une ruelle longeant son château et aboutissant à la Lieve,
probablement au pont nommé Iloofd-hrugge, dont l'accès
était défendu par une porte. L'acquéreur avait le droit de
disposer de tout ce qui se trouvait sur ce terrain, arbres
et constructions : les limites en avaient été fixées par un ar-
penteur. Cette vente fut approuvée, en 131 1 , par Robert de
Béthune. L'acquéreur y construisit une maison, peut-être
ne fit-il qu'agrandir un bâtiment qui s'y trouvait, et qu'il
nomma le Paradis. Dans la suite, Foulques donna celte pro-
priété à la ville de Gand; mais ses héritiers, ayant contesté
la validité de cette donation, elle fut annulée, et ils vendirent
cette alluvion et ses dépendances à Guillaume Wenemaer et
à sa femme, Marguerite Sbrunen, qui déclarèrent dans un
acte portant la date du mois de juillet 1323, qu'ils mettaient
cette maison à la disposition de leurs concitoyens pauvres
et infirmes, tout en s'en réservant l'usage leur vie durant.
Louis de Nevers, informé des intentions bienfaisantes des
époux Wenemaer, affranchit cette maison de la rente dont
elle avait été grevée lors de la vente primitive.
Après la mort de Guillaume Wenemaer, qui succomba
glorieusement dans un combat livré au pont de Rekcling,
près de Deinze, en 1323, sa douairière songea à assurer
le service et l'administration de leur refuge, auquel, elle
et son mari, avaient donné GO bonniers de terre à Somer-
gem et Waerschoot, donation qui fut approuvée par le
comte le 7 juin 1327. Cette fondation de bienfaisance n'ob-
tint la confirmation épiscopale qu'en juin 1330.
En 13S9, le 20 mai, Marguerite Sbrunen donna toute sa
fortune à l'hospice qu'elle avait aidé à fonder; elle apposa
quelques conditions à cette donation, concernant l'adminis-
tration et son régime intérieur : dès ce moment l'hospice
était en état de pourvoir à tous ses besoins.
— 476 —
Dans la suile, vers le milieu du XVI'' siècle, de nou-
veaux bâtiments y furent élevés; une lettre de Marguerite
de Parme, du 28 novembre 1565, en fait mention. Ce
modeste réduit, consacré au soulagement des misères du
peuple, ne put trouver grâce auprès des iconoclastes du
XVI'' siècle : ils ravagèrent son église et détruisirent même
le tombeau de ses fondateurs. Après que la tranquillité fut
rétablie, la fortune de l'hospice lui permit de faire restau-
rer tous les dégâts qui avaient été commis à Téglise et aux
bâtiments. Ces travaux furent exécutés en 1584, millésime
inscrit sur la façade des maisons du côté de la place, les-
quelles sont reproduites sur la planche ci-jointe.
L'église fut consacrée, le 25 février 1588, par Liévin
Daman, deuxième évêque de Gand. Le dessin de l'église
accompagne l'histoire de cet hospice par de Saint-Génois;
c'est un monument de l'architecture de la renaissance,
d'un aspect assez imposant. Cette église fut occupée par
les chanoines de Sainte-Pharaïlde jusqu'en 1614 : à cette
époque elle fut rendue à sa destination primitive et servit
d'oratoire aux prébendiers. L'hospice proprement dit, se
composait de dix-huit cellules, qui donnaient en partie sur
le jardin et en partie sur le canal de la Lieve. On y avait
ménagé une vaste salle au rez-de-chaussée, pour iuflrmerie
à l'usage des prébendiers malades ou d'un âge trop avancé
pour pouvoir se soigner eux-mêmes. Il est probable que
l'hôtel primitif du Paradis avait une façade apparente, ainsi
que son église; mais depuis sa restauration, les bâtiments
de l'hospice ont été entourés de maisons louées à des parti-
culiers, dont quelques-unes ont été vendues, mais dont trois
existent encore, portant la date de 1584. Deux de ces mai-
sons sont en briques, et présentent de beaux spécimens des
constructions particulières de cette époque : elles sont à
pignons découpés et percés de plusieurs rangs de fenêtres
à croisillons de pierre, surmontés d'une arcature borne en
plein cintre. La porte d'entrée est d'une date plus ancienne :
C. TF^
— 477 —
elle est à simple battant, flanquée de pilastres bandés et
striés avec bossages. I^]lle supporte une niche, entourée de
guirlandes de fleurs, dans laquelle se trouvait la statue de
saint Laurent, patron de l'hospice: un écusson porte la dalc
de 1516. La maison du coin de la rue Haute du Soleil est
plus moderne et présente des réminiscences de Tarchitec-
ture grecque.
Les dalles en cuivre ciselé, qui couvraient autrefois le
tombeau des fondateurs et qui échappèrent au marteau
sacrilège des iconoclastes, furent placées en 'loS9 dans le
vestibule de l'hospice, avec inscriptions commémoratives.
Le dessin en est reproduit au volume de 1853 de cette col-
lection, p. 64. Aujourd'hui ces dalles sont transférées au
local-musée de la Commission chargée de la conservation
des anciens monuments, et le tableau qui ornait le maître-
autel se trouve déposé au Musée de la ville de Gand.
Nous formons le vœu que le monument funéraire élevé
au commencement du siècle dernier, dans la chapelle de
l'établissement Wenemaer, en mémoire de ses fondateurs,
et portant l'inscription suivante :
D. 0. M.
ET
/ETER-N^ ME.MORLE
D. GUILLELMI WE.NEMAER, EQUITIS.
ET
D^m 51ARGUARET.E SBRUNE,
CONJUGUM,
FUIUS DOMUS FUNDATORUM.
GBIIT ILLE V JULII 1323,
H^C VII SEPTEMBRIS 1352.
R. I. P.
Que ce cénotaphe, disons-nous, soit placé dans l'église du
Grand-Béguinage, dans lequel est transférée aujourd'hui lu
demeure des prébendières de cette antique institution.
A. V. L.
478
LES FRANKS
^V^N"T L'i^ISTNÉE 418.
Sidooius Apollinaris, évêque de Clcrmonl, qui vivait
en 460, décrit une revue militaire dont il fut témoin :
« Le commandant, dit-il, marchait à pied, entouré de ses
» lieutenants; son vêtement d'écarlate et de soie blanche,
B était rehaussé d'or; ses soldats étaient chaussés de peaux
» de hètes garnies de tout leur poil; leurs jambes étaient
» nues; leurs tuniques bigarrées partaient du cou, serraient
» la taille et les hanches et descendaient à peu près au
» jarret; les manches ne dépassaient pas le coude. Sur ce
» vêlement, ils portaient un manteau vert (i) bordé d'écar-
» late, puis un camail en fourrure (2), retenu par une
» agrafFe. Les glaives pendaient à un ceinturon étroit :
» de la droite ils portaient ou des angons (5) ou des
» haches; de la gauche, le bouclier, dont les ornements
» étaient d'argent ou dorés (4). » Ces soldats étaient des
Franks, et c'est de ce peuple qui « peu nombreux, mais
» fort et brave, secoua de sa tête le dur joug des Ro-
» mains (s), » que nous allons exposer brièvement la for-
mation, et les développements qu'il prit pour aboutir à
l'indépendance.
{{) Sagum, manleau militaire. Cfr. A. Unas, Coslumc des peuples de l'an-
tiquité.
(2) Rhenone. Cfr. Des Brosses, Note sur l'Iiistoire romaine, t. Il, p. 641 :
petite pélériae.
(3) Javelot en fer à deux crochets.
(4) SiD. Apoll., lib. IV, Epist. ad Domnil.
(5) Prologue de la Loi salique.
— Aid —
« Plusieurs critiques, dit Augustin Thierry, onl pensé
« que le mol Franks équivaut à celui d'hommes libres, et
» ils se sont trompés. Ce nom signifie proprement âpre ou
» rude, et indiquait la volonté de pousser la guerre à ou-
" trance, sans peur et sans miséricorde (i). » Il y a quelque
chose de plausible dans cette opinion, lorsqu'on tient compte
de la signification du mol thiois (en dialecte du Brabant)
Vrauk ou Frank (hardi) et de l'expression wallonne dis-
franchi (saisi de peur).
La vallée du Bas-Rhin, englobant celles de la Meuse, de
l'Ems et de Weser, a été habitée, dès la naissance de l'his-
toire, par une population germanique toul-à-fail homogène,
distinguée des Germains des hautes terres par le dialecte
seulement. Des peuplades diverses s'étaient partagé ce ter-
ritoire, s'élendant au levant du Rhin et de la Meuse comme
au couchant, el quand César nous montre celles qui habi-
taient notre pays, il les déclare indépendantes à l'égard
l'une de l'autre, bien qu'alliées entre elles pour la défense
commune. — Malgré la communauté d'origine, nous ne
pouvons admettre la conclusion absolue qu'en a tiré
J. F. Peppe, écrivant d'une des campagnes de César con-
tre nous : « C'est alors qu'on découvre déjà l'origine de la
ligue des peuples belgiques el germaniques, si célèbres
ensuite sous le nom de Francs, laquelle, après avoir lutté
quatre ou cinq siècles contre les forces romaines, parvint
enfin au but de les chasser, non seulement de la Belgique,
mais de toutes les Gaules (i). »
(1) Dix ans d'études, p. 27), 2 X, public en 1820, dans le Censeur eu-
ropéen .
(i) L'avocat J. F. Peppe était conseiller de préfecture à Anvers, cumulant
le mandat de député au corps législatif du haut empire français. Un seul de
ses écrits a vu le jour sous le titre de : Disserlation historique et critique sur
l'origine des Francs Saliens, pour servir d'introduction à un précis historique
ur la constitution brabançonne. Bruxelles, Simon, 1828.
— 480 —
Il est évident que Taltaque a appelé la défense; mais
l'idée de constituer une fédération aussi bien organisée que
celle des Franks, telle que l'histoire nous la fait connaître,
n'a pu prendre naissance que par suite d'attaques et d'a-
gressions réitérées, et reportées dans plusieurs lieux con-
tigus. Ainsi, le passage du Rhin par César, les agressions
de Drusus jusqu'au cœur de la Germanie (i), continuées
par Tibère et Germanicus, et l'occupation de la Chaucide
st de la Frise par Corbulon, ont été des causes multiples
de soulèvement que Civilis sut utiliser. Cette première
grande entreprise contre Rome a été pour les Germains
une leçon stratégique qu'ils ont dû médiler. Leur fédéra-
lion sous l'ordre du chef batave a été l'ébauche de la ligue
franke (2); mais celle-ci nous parait avoir une origine plus
rapprochée de nous, bien qu'antérieure à l'an 240, où les
écrivains latins nous la font connaître.
Après l'expédition de Civilis, Domilien tenta contre les
Cattes une expédition qui lui fut contraire. Nous ne savons
rien des faits et gestes d'Anlonius et de L. Maximus, qui
gouvernèrent la Germanie inférieure avant M. U. Trajan,
qui assura la frontière du Rhin, en régularisant son cours
par des endigucments (5), et instituant la Colnnia Trajana,
près de Clèves, et les Castra Trajana en face de Mayence.
Les généraux romains eurent plus d'adresse; ils réus-
sirent à semer la discorde parmi les Germains, et Rome
mt reconnaître le service (jue lui rendit ainsi Vestricius
Spurina, qui, ayant fomenté les factions chez les Rruclères,
les avait poussées à s'entre-délruire jusqu'à ce que soixante
mille des leurs eussent péri, l'an 99 (4).
(1) C'est sur les rives de TEIbe que fureut élevés les trophées de Drusus.
On croit que ce fut à Weissenfcis (Alting).
(2) Warnkoemg et Gérard, Histoire des Carolingiens, t. I, p. 20.
(3) D. BuuDiNCH, Wandelingen door de Betuve, Tiel, 18G1, p. 18.
(4-) Alting, Frisia vox Brucleri, cilanl Pline, Episl. H, lib. II.
— 48i —
Rome n'abandonna plus I usage de celle |jolilif|ue envers
les Germains. Mais ceux-ci s'en élant aperçus, ils se sen-
tirent entraînés à en tirer vengeance, et se préparèrent à
faire reculer des frontières les garnisons de l'Empire.
Ces dispositions ont dû s'être fait jour pendant le règne
d'Antonin-Pie, car au début de celui de Marc-Aurèle, nous
voyons la Germanie se présenter en armes sur le Rliin et
le Danube. Là, les Quades et les Marcomans, au centre les
Galles, qui en sont peu écartés et qui confinent à la grande
nation des Chauques ici sur l'Océan, semblent s'èlre alliées
pour enserrer la frontière romaine d'un cercle menaçant.
En 168, Helvius Perlinax, gouverneur de la Germanie in-
férieure, remporta un avantage sur les Galles, qui, parait-il,
avaient francbi le Rbin; et, s'il était possible d'ajouter foi
aux récits légendaires de nos cbroniqueurs, les Germains
eussent été soutenus, aidés, appelés peul-éirre par nos an-
cêlres s'insurgeant contre Rome (i). La nature des plaintes
qu'avait formulées Civilis contre le gouvernement impérial,
rend très-vraisemblable la participation des peuplades bel-
ges à celle agression germanique. «On nous traite en escla-
» ves, dit-il, et quand les centurions sont rassasiés de nos
» dépouilles, on les cbange et il faut fournir de nouvelles
» proies. » La sage administration de Marcus UlpiusTrajan
avait su porter remède à toutes ces avanies. Ses rescrils
nous laissent entrevoir l'une des vexations auxquelles les
troupes belges auxiliaires étaient exposées. En même temps
qu'ils accordent congé ou démission bonorable aux bommes
des contingents nerviens, bélbasiens, longrois, suuiques,
etc., les rescrils leur confèrent le jus conmibium (2), par
conséquent confirment aux héritiers naturels le droit de
succéder à leurs biens; car, en Tabsence de ces conditions.
(1) Cfr. Peppe, Dissertation, p. 16, note.
(2) Ch. Duvivier, Pagus Hanioensis. Preuves, I, II, III.
3*
— 48^2 —
le mariage, considéré comme non légal par les préfets
romains, était lenu pour nul, les biens confisqués, la
femme et les enfants vendus comme esclaves. Il eût suffi
que ces abus de pouvoir se fussent reproduits cbez nous
— et l'abus est dans la nature des choses — pour que nos
pères eussent participé à une attaque contre les Romains
qui les opprimaient.
Mais ce fut vers l'année 174-, qu'une véritable invasion
des forces germaniques eut lieu sous la direction princi-
pale de la puissante nation des Chauques. Celte guerre, à
peine mentionnée par Xiphilin, eut des résultats de des-
truction terribles : les découvertes provenant des fouilles
opérées sur notre territoire, dénoncent qu'une grande quan-
tité d'établissements romains, antérieurs à cette époque, a
été la proie de l'incendie (i). On ne peut dire combien de
campagnes a duré cette guerre, que Salvius Didius Julianus
termina par une victoire à l'avantage de Rome en 176. —
Environ seize ans plus tard, Clodius Albinus, gouverneur
pour Commode, refoula un corps de Frisons qui avait en-
vahi la Belgique (2). C'est à ces expéditions que nous
croyons poavoir faire remonter l'origine de la confédéra-
tion franke, dont les écrivains latins nous parlent pour la
première fois, cinquante ans plus tard, mais comme d'une
ligue dont l'existence était connue. En effet, le document
le plus ancien qui nomme les Franks, est antérieur à
l'an 240 : c'est la Table de Peutinger. Mannert, qui cer-
tainement est compétent dans la question d'origine des
documents de cette espèce, l'attribue à l'année 2o0.
L'auteur d'une édition de cette Table, qui parut à Bude
en 1823, avance qu'elle appartient au règne de Marc y\urèle
(1) Cfr. H. SciiUERMANS, Annales de l'Académie d'Archéol. de Belgique, t. II,
p. 48, 2<= série.
(2) Jules Capitqlin, In Albino, p. C. — Voir aussi Peppe, libro citalo, et
More, Belgique ancienne.
— -485 —
quant à sa rédaction, qui romontrail ainsi aux temps antc-
iicurs à Tan 180. Or cette Table porte le nom de fr\.\cia
écrit en grandes lettres sur la rive droite du Uliin, et en
outre les noms suivants, en parlant de rcmboucliurc du
fleuve pour le remonter : Chaucf, Ambsibarii, Cuamavi qui
ET Franci el le mot Fresii dominant sur ceux qui précèdent,
enfin Brlcturi au S. E.
La situation des Chaucf sur le rivage de l'Océan, el
adossés au Uhin sur le territoire qu'on attribue générale-
ment aux Caninéfates, au moins pour les époques anté-
rieures, nous montre, non la grande nation des Chauques
domiciliée entre PEms et l'Elbe, et confinant aux Cattes
dans la direction du midi, mais un essaim de ce peuple
maritime que Pline (i) signale déjà, et que Des Hoclies a
placé près du Helder (2). Les rapports du Caninéfate Ga-
nascus avec les Cbauques du Weser dénoncent des rela-
tious fort anciennes entre les riverains de cette rivière et
ceux du bas Rhin. Aussi trouvons-nous au nord de Leyde
le village de Cage, et à peu de distance à Touest, celui de
Sassenem, reproduisant le nom des Saxons, que les Cbau-
ques portèrent dans la suite, et qui peut-être était le nom
générique indigène de la nation; enfin la passe près de
Goerée, nommée Quacksdiep, qui semble rappeler la fré-
quentation de ces parages par des marins de ce peuple.
Ces Cbauques, alliés aux Frisons et fédérés aux Franks,
constituèrent ces floKes de corsaires qui allèrent rançonner
les côtes des Gaules el d'Espagne pendant le IIÎ" siècle (3).
(1) (I In Rlieno ipso, pi'ope C. M. p. in longiludincm nobilissinia Batavo-
riim insula et Caninefatum, el alise FiMsiorum, Caiiclionim, Frisiabonum,
Sluriorum, Marsafiorum; quae slernunlur inler ndium el Flevum. » Hisl.
na(., lib. IV, c. 13.
(2) Histoire des Pays-Bas autrichiens, I. I, p. 213.
(3) Les Chauci, Chauken, Kaiiken ou Quackcii, eiilrc TEms cl IT.Ibc, ont
laissé leur nom à Quackenbrug sur le IFaas. Ce nom vicndrail de Quakclige
bodem, selon H. G. Hartman Jz. {Nederduilsch Tijdschrifl, 1867, p. 27).
— 4S4 —
Orleliiis place les Chamavi daus le Veluwe, donl la côle,
jusqu'à rcmbouchure de TYsscl, portail dans le haut moyen
âge le nom de [îamaland. Ils dominaient donc, à l'époque
où la Table de Peulinger fut rédigée, sur l'ancien territoire
des Marsaci (i); « mais, comme le dit Pinkerton, si les
maîtres changent, les habitants demeurent (2). » Tacite
nous fait connaître que la vallée de l'Yssel et de ses affluents
à l'est avait été d'abord occupée par les Chamaves, avant
de devenir le domicile des Tubantes et des Usipiens (3).
Depuis l'an 58, cette vallée était devenue l'asyle des Amb-
siDARii, qui s'y développèrent au point d'être comptés parmi
les tribus marquantes des Franks. Le souvenir de leur nom
s'est conservé dans les villages de Amsscn, près Lochem,
el Amerscliot, près Borkeloo. Ils occupaient les cantons de
Twente et Bentheim, ancien domicile des Tubantes, et le
Salland, qui retrace le nom des Saliens, dénomination qui
plus lard devint générique pour tous les Franks du nord-
ouest. Les Chamaves s'étendaient encore le long du Rhin,
frontière de l'Empire, qu'ils séparaient ainsi des Ambsibarii,
el ayant devant eux les Sicambres, dits Gugernes, donnaient
la main aux Bructeri, qui au IIF siècle occupaient tout le
territoire jusqu'aux Galles d'une part el aux Grands Chau-
ques de l'autre. Les Franks donc enserraient la frontière
au-delà de laquelle ils avaient des adhérents sympathiques
dans les Sicambres, les Taxandres, les Tongrois et autres
peuplades tudesques, donl les mœurs, le culte et les lois
étaient sertiblables aux leurs.
En 214, Caracalla fil la guerre aux Galles et aux Alle-
mans, dont la fédération s'était fait connaître dès le temps
de Marc-Aurèle, et il resta assez longtemps parmi eux,
tantôt comme ami, tantôt comme ennemi (4).
(1) La trace du nom se trouve dans Marsen sur le Veclil, N. 0. d'UlrecIit.
(2) Élablissemenl des Scythes, p. 66.
(3) Twente. — Bentheim; — et Zutplien, Weesep., etc.
(4) HEEnEN, Manuel, p. 570.
— 485 —
Les Frauks ne s'abstinrent pas longtemps de rançonner
fes provinces de l'Empire, et quoiqu'ils eussent été vaincus
par M. Alexandre Sévère et par son successeur Maximin,
ils n'en furent désormais que plus animés contre les Uo-
mains. En leur offrant un tribut pour ne point violer les
limites, Alexandre n'avait fait que les allécbcr davantage,
et en accordant des terres en bénéfice aux généraux et com-
mandants de son armée, déjà en partie Germains (i), il
avait créé un nouvel appât à l'ambition avide des barbares,
pour lesquels l'obligation de défendre ces terres par les
armes était une charge d'autant moins légère, qu'elle ré-
pondait à leurs instincts guerriers. Aussi, sous les règnes
des Gordiens, de Philippe et de Dèce, pensons-nous que
les Frauks ont commencé à dominer réellement sur la
partie de la rive gauche du Rhin, sans que leur domina-
tion toutefois y fut permanente. Cette hypothèse résulte
des considérations suivantes. La colonie que Trajan avait
établie chez les Sicambres entre la Meuse et le Rhin,
Ulpia colonia Trajana était devenue prospère en un temps
assez court, comme le nombre et la nature des monuments
qu'on a découvert à Kellen (5 kilomètres de Clèves) l'in-
diquent. Plusieurs de ces monuments sont datés par la
mention des consulats contemporains; or, le plus récent
de ces monuments, que nous sachions, est du consulat de
Gordien et Alviola, c'est-à-dire de l'année 239 (-2). Ulpia
Trajana Colonia est encore mentionnée ultérieurement, il
est vrai; dans Ammien, Oblrkesimœ, dans l'Uinéraire,
vetera Legio XXX U/pia, et dans le géographe de Ravenne
Traja; mais ce n'est plus qu'une ville déchue, dont les
occupants, toujours tenus eu éveil, n'ont plus le loisir
d'élever des monuments. Nous disons qu'il s'agit ici de
(1) Lampridius, In Alexandro Severo, p. 202.
(2; Cfr. Alti>g, Gamania infcrior. Vox Colonia Trajona Ulpiu.
— 486 -
Kellen, el Ton pourrait nous objecter que des auteurs al-
ij'ibuent les monuments signalés à Xanten. En effet, bien
que Waslelain el la majorilé des écrivains regardent Kellen
pour le lieu de cantonnement de la XXX'^ Légion Ulpia,
et Xanten (Vetera) pour celui de la XXI^ Trajana, Alting
affirme Tattribulion inverse. Mais la solution de celte di-
vergence d'opinion n'a |ias d'importance dans la question
qui nous occupe. Ces localités ne sont distantes l'une de
l'autre qu'environ vingt kilomètres, et les Coloni romani
ont pu facilement se confondre avec les soldats romains
de la XXIMégion après un siècle et demi de fréquentation.
Valérien, qui sut distinguer parmi ses généraux Cassia-
nus Latinus Poslbumus (t), réussit par son moyen à tenir
les Franks à distance, mais sous son successeur Galien, il
n'en fut plus de même; bien qu'il vînt en personne cam-
per sur le Rhin, il ne put maîtriser leurs entreprises, el
crut être parvenu à neutraliser leurs tentatives en con-
cluant la paix avec leurs chefs, à condition qu'ils s'oppo-
sassent aux détachements franks qui, par continuation,
cherciieraienl encore à franchir le Rhin (à). Ainsi, dés 259,
les Césars étaient forcés à traiter avec la confédération; et
les conditions reprises dénoncent que dès lors les popula-
tions des rives gauches du Bas-Rhin et de la Meuse élaient
unies aux Franks. En 2G2, leur influence fit déférer la
pourpre à L. Poslbumus, qui déjà avait enrôlé seize mille
des leurs comme auxiliaires sous les aigles romaines. Cet
empereur était né dans la Gaule, très-probablement dans la
Gaule-Belgique (s). Il parvint à chasser les Romains au-
(1) « Poslhuiuus in Gallia obscurissime natusr » Eutrop. , Hisl. rom.,
ib IX.
(2) ZoziM, lib. I, et Zonaras, Ann , XIJ.
(5) Selon Dom RlAnTiN, PosUiumus se faisait représenter sur les nionu-
nienls et sur ses monnaies, sous les traits de Mercure. En 1695, on décou-
vrit près de Bauvais une pierre portant en relief un Mercure barbu avec
— -487 —
delà des Alpes, mais il fut assassiné à Mayence après un
règue de dix ans, longlem|)s cité pour ses bienfaits. Les
Franks furent en hostililés conslanlcs pendant la période
décennale qui suivit. Tantôt victorieux, tantôt vaincus,
leur existence de ce côté-ci des frontières de la (iaule-
Belgique ressort de tous les passages des auteurs latins.
Dès l'an 260, ils avaient occupé Tile des Bataves (i), et si
Tempereur Probus parvint à les vaincre, ils ne tardèrent
point à y dominer de nouveau. C'est l'époque, disent les
fables de la Frise, où les Franks commencèrent à être renom-
més, et où noire cbef Ubbo (Obbe) lit subir une sanglante
défaite aux Bataves qui l'avaient attaqué (2).
Dans les cantons méridionaux de la Belgique, le pou-
voir des Romains se trouvait mieux établi. Si les Césars
n'ont en aucun siècle commandé d'une manière non inter-
rompue en Ménapie, il n'en est pas moins vrai qu'une
partie de ce territoire avait été modifiée par l'occupation
permanente, et fournissait sans interruption les contingents
militaires^ l'empire. Nous voulons parler de cette partie
qui constitua dans la suite l'office (cimbaçht) de Cassel, la
châlellenie de Lille et le Tournaisis. C'est dans les limites
de ces cantons que dut naître, vers l'époque de Valérien,
le célèbre (3) Carausius, Civis Mmapius, auquel l'empire
confia le commandement de la flotte de Boulogne, et la
mission de donner la cliasse aux corsaires et pirates saxons
avec rinscription : Mehccrio Augusto {Rd. des Gaulois, t. I. p. 343). Quoique
l'auteur ne veuille pas voir l'oslliunie sur ce monumeut, il n'Iiésile pas à
allribuer à son fils le Mei-cure adolescent trouvé à Maubeuge. p. 360.
(1) JcNius, Balavia, p. 126.
(2) Ce même chef construisit le château de Tecklenburg, près des sources
de la Haase. Hamcoimii Frisia, p. 17.
(3) Sa renommée a atteint de nos jours les États-Unis. Du; Pi;ysti:iii; y
a publié : Hislory of Carmtsiuii, Ihe. DvJch Anijuslus and Empcror of Ihc
Brilons. Pougkeepsie, a» 1838 (I vol., 333 pp..) Renseignement du à l'obli-
geance de mon ami, D. Buddingh.
— 488 —
qui infestaient les côtes. La répartition des prises donna
lieu à un conflit, et comme il ne voulait point se sou-
mettre, le César Maxitnianus commanda de le tuer. Le
Ménapien, averti, se déclara indépendant et appela les
Franks à son aide. Ceux-cî, qui s'étaient déjà infiltrés sur
ce que Ton nommait le territoire de l'Empire, vinrent en
force et firent reculer les troupes romaines. Carausius les
confirma dans leurs possessions qui s'étendaient sur les
rives et les îles du Bas-Escaut (i). Dès lors, leur domina-
tion s'établit sur le sol belge, et la fusion entre eux et les
indigènes devint d'autant plus complète, que Maximianus se
hàla de traiter avec eux pour les détacher de Carausius,
qui prenait la pourpre dans la Grande-Bretagne, et concéda
des terres à ces peuples que commandaient Genobald et
Areth. Il nous paraît que ce fut dans ces conflits que l'im-
portance de Mont-Cassel, Caslelhim Menapiorum, s'éclipsa
pour laisser prendre la place de métropole de la Ménapie
à Tournai. C'est à une dixaine d'années de là que les lé-
gendes montrent saint Piat à Tournai, et indiquent l'im-
portance de eette ville, sans faire la moindre mention de
Cassel (2).
En 293, l'année même où Carausius fut assassiné en
Grande-Bretagne, Constance-Chlore marcha contre les
Franks et les refoula vers l'île des Bataves; mais il eut
soin d'emmener ses captifs, pour les fixer en qualité de
Lètes sur les terres incultes des environs d'Amiens, Beau-
vais, Troyes et Langres (3). Cependant les Franks du
(1) J. C. Marschall, Essai historique sur Anvers, citant FRÊnET, De la
monar. franc, p. 11. — « Intérim Batavia Galliae regio per Francos reges
aliquot, occupala ad Carausium tyrannum déficit. » Sicosius, lib. I, p. 12.
(2) ScRkYES, La Belgique et les Pays-Bas avant etpendant, etc., t. II, p. 281
et 283. — Les médailles les plus récentes trouvées à iMont-Cassel, sont de
Prohus. Ibid., t. m, p. 417.
(5) JuNius, Batavia, p. 128. — Mamemikus, Panegyr. Maximiani.
— 489 —
Haut-Rhin ne tardèrent point à se montrer, et en 50G,
Constantin marcha contre eux, les vainquit et livra leurs
rois, Ascarie et Gaëso, aux bctes du cirque de Trêves;
action qu'exaltèrent les courtisans d'un trône autour du-
quel on se plaisait à répéter : Francnm habeio amiciun at
non vicinum (i). En somme, les Romains les haïssaient;
« les Franks sont menteurs, mais hospitaliers, dit Sal-
vien (2); » Vopiscus et Procope les accusent de se faire un
jeu de violer leur foi; et Nazarius, d'être le plus féroce des
peuples. On ne peut s'arrêter à des accusations de cette
nature lancées par des ennemis, surtout quand ces enne-
mis sont des Romains du Bas-Empire.
Constantin avait voulu dompter les Franks, et non les
détruire; il avait besoin des soldats de cette nation; aussi
assure-t-on (3) qu'un corps de milices frankes combattit
sous ses étendards aux Roches-Rouges, là, où deux reli-
gions semblaient aux prises, rencontre qu'on a nommée à
tort bataille du Pont-Melvius, événement qui exerça son
influence sur tous les siècles, et où le paganisme officiel
reçut un coup mortel (4). Le frank Bonicius commandait
ces auxiliaires, qui, en 318, s'illustrèrent encore pour la
cause de Constantin contre Licinius. Ce fut peut-être à
cette occasion que l'empereur rendit un décret permettant
aux Césars de s'allier au sang des Franks, bien que ce ne
fut qu'au VIII' siècle, lors de la pleine puissance des Car-
lovingiens que Constantin-Porphyrogénête fît connaître
cette disposition.
Dès l'an 312, on compta sans interruption des cohortes
de Franks dans les camps romains. Ce que nous avons vu
{{) C'était un dicton grec. Tèv tppayxôv (ptXovÈ'/joi;, yeStov oux£-/ïi<;.
(2) De Gubcrnat. Dci, lib. Yll.
(3) CEDnE^us, Aeta concil. Nieœ, lib. !, c. 3, cité par S. Dopleix.
(4) Ag. De Gasparin, Constantin, p. 19.
— 490 —
plus haut, nous amène à dire que ces contingents étaient
fournis par la rive gauche du Rhin, au-delà duquel Rome
ne prétendait pas trouver encore le sol impérial. Depuis
Carausius, la Zélande, le Nord-Brabant, Anvers, une
grande partie du Limbourg, de la Haute-Gueldre et de
Clèves, l'ile des Balaves, etc., étaient franks, bien que de
temps à autre ces contrées fussent ramenées sous l'obéis-
sance temporaire de l'Empire. Il y a plus, le traité de
Maximianus leur avait concédé des terres dans les limites
des Nerviens et des Tréviricns (i). Chez les premiers, ces
terres étaient peut-être aux environs de Lede, où l'on a
trouvé un cimetière frank et les vestiges d'un camp de ce
peu|)le (2), et autour d'Assche, où il y avait \eCastra stativa
des Romains, le Keyzers-Oord, qui put les surveiller; chez
les seconds, on peut les supposer dans les localités voisines
de Clerfayt (3). Ces colons, quoique régis par leurs pro-
pres coutumes identiques à celles des Germano-Belges, se
trouvaient établis sur le territoire impérial, m solo romano,
et dans cette condition, soumis à l'obligation de fournir
des contingents, qu'ils constituaient du reste avec ardeur,
par suite de leur amour des entreprises guerrières. Une
fusion complète s'était depuis longtemps opérée entre eux
et les indigènes d'origine germanique.
Un passage de Procope de Césarée, auteur du VI'' siècle,
a donné le change pendant longtemps sur la manière par
laquelle la fusion s'était opérée, et ce par suite d'une
erreur de plume. Traitant de l'alliance des Franks avec
les cités armoricaines conclue après la conquête, il écrit
(1) « Sicul poslea tuo Maximiane Auguste, iiulu Nerviorutn et Treverorum
arva jaeenlia laîtus postliminlo reslilulus et rcceplus in Icges Fraucus exco-
lit. » (Mamert, Pancg. Max,
(2) ScHAYES, La Belgique avant et pendant, t. III , p. 572. — Zellick et
Hamerghem, près Bouchout, fout penser aux Salii et aux Chamavi.
(3) Allwies; — Salscliafl et Salselle.
— 401 —
Arborichœ au lieu iVArmorichœ. Celle lellre li a dérouté
nos savants au point de leur faire imaginer un peuple
ignoré de tous les autres écrivains. Bucherius, Valesius cl
Tabbé Dubos onl signalé l'erreur du copiste, erreur qui
avait poussé Junius à l'identifier avec les Abodridcs des
bords de l'Elbe. Mais le passagge entier cl la position qu'il
occupe dans le récit font clairemenl reconnaître un fait
appartenant au début du règne de Clovis et spécial à la
Gaule (i).
A partir du traité d'alliance que Constantin II fil avec
les Franks, en 542, nous voyons leurs forces cl leur in-
fluence continuellement s'accroître. Ils figurent avec éclat
dans toutes les révolutions du gouvernement, se préparant
ainsi à saisir la domination, et pour y réussir occupant
quarante villes des bords du Rbin, en 534. Mais Rome
parvint à entraver leurs succès, en leur opposant des trou-
pes aguerries commandées par Julien, Après avoir battu
les Allemans, ce prince passa le Rhin à Mayence pour aller
barceler les Franks chez eux. Mais ce qui prouve la puis-
sance de leur occupation sur notre territoire, c'est la ren-
contre que fît son lieutenant Severus, aux bords de la
Meuse, en se rendrnl de Cologne à Reims. 11 se heurta à
un corps de seize cents Franks qui rançonnaient les Ro-
mains. S'élanl réfugiés dans deux forteresses voisines de la
rivière, Severus les assiégea pendant cinquante-quatre jours
de l'hiver de l'an 557, cl les força de capituler. Ces deux
forts pourraient bien être ceux de Sanson (2) et de Mont-
Bourdon, qui en est voisin. Décidé à réduire les Franks,
(1) Cfr. Wastelain, Desc. de la Gaule Belgique, p. 42. — Junius, Batavia,
p. 137. — L'abbé Lepaige de La Lagiie écrivit une dissertation sur la qualité
de Belges des Arboriches? elle se trouve dans les anciens Mémoires de l'Aca-
démie de Bruxelles.
(2) On y a trouvé des vestiges de Tépoquc. Cfr. A. Becquet, Annales de la
Société archéologique de IVamur, t. IX, p. SSi.
— 492 —
Julien se rendit à Tongres Tannée suivante, dans le but
d'attaquer les Saliens qui en étaient peu éloignés (i).
Ammien-Marcellin les place dans la Taxandrie, vers Tes-
seuderloo et Schaffen, où l'on a reconnu des vestiges de
l'occupation franke. Julien marcha de là contre les Chama-
ves, qui se seraient donc trouvés également de côté-ci de
la Meuse. Le village de Cham, aujourd'hui Chaem, près
Alfen, se rapporte peut-être à leur séjour. Julien accorda
la paix aux Saliens, à la condition de fournir un contin-
gent régulier. La notice de l'Empire mentionne des cohortes
de Saliens; celles-ci furent très-probablement désignées
par le nom de Salii Seniores, et la cohorte des Juniores
aurait été formée par le corps de la nation que Julien ren-
contra plus au nord. Les Chamaves obtinrent la paix à
condition de retourner dans leur pays, au nord du Rhin.
Ammien-Marcellin établit deux grandes divisions de la
nation franke : les Salii, originaires des contrées arrosées
par l'Yssel et occupant le Bas-Rhin avec les Chamaves; et
les Hattuarii (2), renfermant les Brucetères et les Catles
au-delà du Rhin. Ce nom signifie-t-il « descendants des
Cattes, » la syllabe varii ayant ce sens dans quelques dia-
lectes; ou est-il la latinisation du nom de Wetterauern (la
Veteravie?) Quoi qu'il en soit, les Hattuarii, quand plus
tard ils eurent franchi le Rhin, occupèrent l'ancien terri-
toire des Sicambres, dont le nom fut aussi attribué aux
Saliens, surtout par les poètes et les rhéteurs panégyristes.
Ceux des Saliens qui habitaient l'Ile des Balaves, voyant
leurs compatriotes reçus en grâce par Julien, songèrent à
mériter sa protection. Une agression venue de l'extérieur
précipita leurs démarches. Les Chauques de la confédéra-
tion saxonne se présentèrent pour s'emparer de l'île des
(1) p. A. J. GÉRARD, Hisloirc des Francs d'Austrasie, t. I, p. 59 cl scq.
(2) Alting, Nolitia Balaviœ Frisiœquc, p. 71.
— 495 —
Balavcs, cl malgré la résistance des Franks qu'ils expul-
sèrent, ils alleignircnl leur but. Mais Julien vint au secours
des Saliens, ordonnant à ses troupes d'épargner eux et leurs
biens, mais de poursuivre les Saxons, qui furent dispersés.
Les fables frisonnes rapportent à la même époque le règne
de Richold-Uflb, le premier chef qui eût pris le litre de roi
des Frisons, après avoir vaincu les Balaves et détruit leurs
forteresses (i).
Le texte original grec de Zozime, écrit vers 440, ne
laisse d'être un peu confus sur ces événements, en ce sens
qu'il écrit Quadi au lieu de Chaud, tout en ajoutant qu'il
s'agit d'une tribu saxonne. Quand nous avons égard à ce
que la prononciation du mot a pu faire écrire Qiiaki, selon
Harlman, on peut supposer que la lettre X initiale ait été
muée en K, et que dans le mot même le delta ait pris la
place d'un kappa, soit par inadvertance d'un copiste, soit
par une confusion de l'auteur byzantin lui-même (2).
Selon Nenniu^, la confédération saxonne remontait à
l'an 260, sous l'impulsion de Bodon qui en eût été le pro-
moteur; époque coïncidant avec celle où les compilateurs
frisons placent la construction des châteaux de Tecklen-
burg et de Dokkum (s). La ligue s'est développée d'abord
par les courses maritimes, et au détriment des Franks dès
(1) Hamconu Frisia, p. 21. — Par un singulier anachronisme, il fait ce roi
oncle de Hengsl el de Horse, qui fondèrent le royaume de Kcnl en 4G0.
(2) D'autres ont voulu lire Calti; mais ceux-ci, fédérds aux Franks, n'en-
trèrent jamais dans la ligue saxonne. Au surplus, voici le passage de Zozime,
selon Leunclavius : « Quum Saxoncs omnium eas regiones incolcnlium bar-
barorum.... forlissimi habili, Quados nationis suœ partem in solum a Roma-
nis occupalum emitlanl. » Zozimi, Hisloria nova, p. 232; Itnae, 1G79, lib, III,
c. 6. — Cluvier et Leidnitz croient qu'il faut lire Cliauques. Nous redres-
sons en conséquence ce que nous avons dit autre part sur (Juaed-Mcchclen,
c'est donc Quaek-Mcchekn; on sait que dans la prononciation, le K s'élide
devant M.
(3) EccARD, De origine Germanorum, p. 199. — Cfr. ci-haut, noie p. 486.
el Hamcomus, p. 17.
— 494 -
rinstanl où ceux-ci eureiil contracté des alliances avec
l'Empire, circonstance qui excita un esprit liostile chez
d'anciens alliés. A l'époque de Julien, la confédération
saxonne, qui comprenait les Frisons, s'efforçait d'étendre
sa puissance sur l'intérieur du continent. Après le règne
de Julien, nous les trouvons établis sur nos côtes, et cher-
chant à se consolider en occupant des cantons de l'intérieur
où ils confinent aux Franks. Nous voyons qu'en 566, les
Romains sous le commandement de Théodose, général de
Valenlinien, leur infligèrent une sanglante défaite près de
Denson, qui paraît répondre à Deinze. Le Liitits saxotii-
cum est signalé dans la Notice de l'Empire, et si elle
nomme Mardik comme une de ses localités dans les limites
de l'Empire, nous remarquerons qu'au nord de celte limite
ses vestiges se sont conservés dans le nom deSaxenhaven(i),
qui jusqu'au X\\^ siècle désigna la ville de Huist, où pri-
mitivement passait le bras principal de l'Escaut.
Les corsaires saxons furent aussi désignés par les noms
de Roelhen, Rulheni, d'où selon le docteur Henry, auteur
d'une histoire d'Angleterre, Paitupife, aujourd'hui Richbo-
roug, aurait reçu son nom, ainsi que Rodenburg, main-
tenant Aardenburg, dans la Flandre zélandaise (2). Ces
coureurs des mers ont été les prédécesseurs des Danois et
des Normands. Les chants de ces derniers énumèrent les
côtes qui furent le théâtre de leurs exploits, et les nom-
ment Breettland, Syllingaer, Valland, Kunstcar et Keira-
land. On y reconnaît bien la Grande-Bretagne, les Sorlin-
gues, la Gaule, le Kent (3); mais le Keiraland se rapporle-t-il
à la côte de Flandre*^ Le canton de l'intérieur, que les char-
(1) Warnkoenig, Hi/tloire de la Flandre cl de ses inslilulions, t. I, p. 119.
(2) Marshall, Essai sur l'origine d'Anvers, p. 12.
(3) Depping, Histoire des expéditions maritimes des Normands, t. Il, p. 1G7.
Pièces juslificalivcs.
— 495 —
tes oui nommé plus lard Carabanlum, Iciidrail à le faire
croire.
A l'occasion de l'extension et de l'immigration des diilé-
rentes tribus, nous croyons intéressant de signaler les
remarques fournies par des philologues. L'aflllnitéde quel-
ques-uns de nos dialectes avec ceux usités à l'est du Rhin,
ont i\xé leur attention. Ainsi, celui d'Arcnsbcrg, dans le
canton du Sauerland, est l'ancien saxon analogue à l'idiome
de la Frise; l'idiome du pays de Munster serait analogue
au hollandais, et celui du comté de la Mark se rapproche
considérablement du dialecte brabançon (i).
Julien, après ses succès au couchant du Rhin, résolut
de réparer trois forts pour défendre le passage delà Meuse,
preuve que Rome n'occupait plus cette ligne d'une manière
permanente. Quels étaient ces forts? En conséquence d'une
correction au texte de I.ibanius, suggérée par Boucher,
Dewez pense que Kessel fût l'un de ces forts (2). Mais
quand nous voyons la table de Peulinger marquant, au-
dessous de Maestricht les trois stations de Calualium,
Blerik, où l'on a retrouvé les vestiges d'un fort romain (5),
et Kuyk, Cevelum, il nous semble ralionel d'admettre ces
localités, tout en reconnaissant que Kessel, peu écarté de
ïlalen où l'on place Catualium, l'ail remplacé au point de
vue stratégique.
En 560, Julien fit une expédition contre les Ilatluaires,
qu'il vainquit, et avec lesquels il conclut la paix. Ses armes
furent les dernières qui jetèrent quelqu'éclat sur le nom
romain.
Valentinien I", qui régna de 364 à 375, se contenta
d'étaler sa puissance aux yeux des Franks, puis se les
attacha pour avoir les moyens de repousser les Allemans.
(1) F. B. (Baader?) Pan-Germane, p. H 3.
(2) Dictionnaire géogr. des Pays-Bas, article CaslcUum.
(3) ScHAYES, liv. cilé, l. III, p. 572.
— 490 —
Leurs chefs, Merobaudes et Mellobaudes, furent comblés
d'honneurs; et un récit fabuleux avance que pour les succès
obtenus par les Franks dans une expédition commandée
par Valenlinien contre les Alains, retranchés dans les
Palus-Mœolides, ils obtinrent le privilège d'être affranchis
des impôts pendant dix ans. Si le nom d'Alani s'est substi-
tué ici à celui d'Alemani, les Paelen c/es Mems (Meingau),
pourrait bien avoir cédé la place au Palus-Mœotides sous
la plume des compilateurs? Sylvius, Gaguin et Paul-Émile
écrivent que ce fut à l'occasion de cette expédition que les
Franks reçurent leur nom, qui dans la langue attique
signifierait: nobles et féroces (i). Lingua Chattica, ou Hat-
tica, indique le dialecte de la Hesse, le haut-allemand, et le
motFrech, dévié de Frank, signifie: arrogant. Est-ce là ce
qu'indique cette tradition?
Gralien, fils et successeur de Valentinien, le premier
des empereurs chrétiens qui renonça officiellement au litre
de Maximus Pontifex (2), sut utiliser les Franks, de même
que son prédécesseur. En 384, leur roi Richomerus fut
porté au consulat avec Cléarque. Mais l'insurrection de
Maximus, proclamé César dans la Grande-Bretagne, fut
l'occasion offerte aux Franks de tenter avec vigueur la
fondation de leur indépendance sur le territoire de l'Em-
pire. La guerre civile étant terminée en 388, par la mort
de Maximus, on les vit tous en armes, tant le long du Rhin
que dans toute la Germanie inférieure. «Ils avaient passé
la frontière, dit Sulpice-Alexandre, et portaient l'épouvante
jusqu'à Cologne (3). » Cette dernière phrase indique qu'ils
ne venaient point du Rhin, mais du nord et de l'ouest de
Cologne; c'était bien toute la nation. — A celte nouvelle,
(1) « Sine qnod féroces et nobilcs, allica liiiguâ Franci dicerenlur. »
JuNius, Batavia, p. 156.
(2) BuiSGENER, Ambroise, p. 27. — Christianisme au IV'' siècle, p. 169.
(3) GÉRAitD, Histoire des Franks d'Auslrasic, l. I, p. 69.
— 497 —
Nannenus et Quiiilinus, que JVlaximus avait donné pour
commandants à Trêves, marchèrent à Tennemi dans la
direction de Coloi^ne; mais le dcHachcmcnl signalé dans ces
contrées avait repassé le iliiin avec son butin, f.e gros de
Tarméc, sous les ordres de Genobaid, Marcomir et son
frère Sunon, roi des Chamaves, se tenait dans la Carbona-
rîa sylva. Les Romains les attaquèrent près de cette forêt
et furent vainqueurs, mais ne poussèrent pas plus avant
dans cette direction, et se replièrent sur le Rhin, au-delà
duquel ils éprouvèrent une sanglante défaite (i).
La forêt Charbonnière s'étendait sur le Hainaut et le
Drabant (2); et en conduisant l'armée de Cologne ou de
Trêves par Arlon, Mande (3), Saint-Etienne, Marche et
Namur, nous pouvons admettre que la rencontre eut lieu
sur la lisière orientale de la forêt. La situation de Fran-
quignies, près Ollignies, sur la limite de la Charbonnière,
pourrait bien mettre sur la voie de cette mémorable ren-
contre.
Par suite de la défaite de Maximus, Valenlinien II
chargea le Frank Arbogaste de poursuivre cette guerre. Ce
général passa le Rhin, et après avoir momentanément ter-
rifié les populations, amena son maître Eugenius qu'il avait
mis sur le trône en place de Valentinien, à renouveler
avec les Franks les anciens traités. Théodose s'élant porté
vengeur de Valentinien, marcha contre Eugenius et le
vainquit, ce qui porta Arbogaste à se donner la mort, en
394. Thédose, seul maître de l'Empire, mourut l'année
suivante.
Il nous est parvenu un document que nous attribuons à
l'époque de Théodose, c'est l'Itinéraire connu sous le nom
(1) Gregor. TcnoN., Hisl. Franc, liv. Il, c. 9.
(2) Cfr. Ch. Duvivier, Pagus Hainoensis, p. 23.
(o) Meduantum de la Table. — Sciuves, La Belgique et les Pays-Bas, clc,
t. 11, p. 468.
35
— 498 —
d'Antonin. Ce dernier nom, selon Wesseling, est un pseu-
donyme, plusieurs copies portent même le nom d'Honorius
ou d'iElhicus (i). Cluvier partage également l'opinion que
ce document n'appartient pas au règne d'Antonin-Pie, mais
bien au IV'= siècle. Il ressort de l'Itinéraire une silnation
politique intérieure toute autre pour nous, que les prestiges
dn nom romain auraient pu nous le faire croire. D'abord,
si nous observons que la roule méridionale de la Balavie,
et celle longeant la rive gaucbe de la Meuse, qui figurent
sur la Table, ont disparu de l'Itinéraire, nous pouvons en
conclure que les Romains n'en étaient plus en possession.
La voie septentrionale qui passait par Maenen (2) sous Elde,
au nord du Rhin, contrairement à ce qu'indiquait la Table,
fait supposer que la voie méridionale était au pouvoir des
Germains libres; et, sur notre propre territoire, les distan-
ces reprises nous ont fait admettre que la Haute-Chaussée
vers Gemblours était également au pouvoir des Franks (3).
Quant à l'embranchement conservé par l'Empire le long
de la rive du Rhin, nous rencontrons dss indications de
nature à nous confirmer dans notre aperçu. Voici comment
les localités de cette ligne sont signalées dans l'Itérinaire:
Vetera castra Leg. XXX Ulpia. — Calo Leg. IX ala. —
Gelduba Leg. IX ala. — Novesium Leg. V ala. — Buroncus
Leg. V ala. — Durnomagus Leg. VII ala. — Colonia Agrip-
pina Leg. XVI. — Tolbiacum vicus Supenorum Leg. X. —
Belgiea Leg.VIII. — Marcomagus Leg. VIII. — Mediolanum
Leg. VIII. — Sablones Leg.VIII. — Mederiacum Leg. X.
— Bedavicus Leg. XII. — Ausava Leg. XII. — Egoriius
Leg. XII. — Vungus Leg. XXII. — Epoïssus Leg. XXII.
— Orolaunum Leg. XX. — Andethanale Leg. XV.
(1) ScHAYES, liv. cilé, t, II, p. 248. — Ci.uverius, Germ. atUiquœ, liv. II, c. S,
(2) Munaricium. Cfr. D. Buddingh, Insula Batavorutn of Kaart van Balh-
aûe.
(ô) Documents et rapports de la Société paléonlologique et archéologique de
Char 1er oi, t. I, p. 53.
— 499 —
Bergier el Waslelain pensent que ces cliilîVes désignent
des lieues, Leugœ, tout en reconnaissant que le mol ala
signifie une aile de cavalerie cantonnée à l'onilroil indicjué.
Si, d'après celle hypothèse, un ou deux chiffres correspon-
dent aux distances effectives, il n'en est pas de même de
leur plus grande partie. Aussi Surila, l'un des éditeurs de
l'Itinéraire, inlcrprèle-t-il Leg. par Legio. Waslelain recon-
naît que lorsque celle abréviation est accompagnée d'une
épithèle, elle signifie Légion, comme Leg. I Ilalica (»)• Or
nous avons justement ici Leg. XXX Ulpia, cantonnée à
Xanten, d'où nous concluons que tous les autres Leg.
signifient Legio, et d'autant mieux que le même Itinéraire
nous met sur cette voie quand il marque sur la direction
de Reims à Boulogne : Suessones XXXVII. Leg. XXV.
Noviomague XXVII. Leg. XVIII. Selon nous donc, il s'agit
ici de canlonnenienls de parties de Légions, et il se peni,
que dans la langue du Bas-Empire, Ala signifiait un déta-
chement d'une arme quelconque, et non plus de cavalerie
exclusivement. En outre, il est à remarquer que les posi-
tions de Buroncus et de Durnomagus sont interverties
relativement à Cologne, ce qui peut s'expliquer en tenant
compte de ce que Neusz et Wœringuen servirent ensemble
de cantonnement à la Legio V. Selon l'Itinéraire donc, la
ligne centrale entre Meuse et Rhin est occupée par des dé-
tachements de la VIIÎ'' et de la X'' légion.
Au point de vue que nous indiquons, cet Itinéraire parait
répondrecomplélement à la campagne queSlilicon fil contre
les Franks en 596; alors qu'à la suite de la mort d'Arbo-
gasle ils s'étaient mis en armes. Stilicon vainquit IMar-
comir et Sunon, fit le premier prisonnier et l'envoya en
exil dans la Toscane, Sunon ayant voulu venger son frère,
fut tué par ses guerriers qui ne voulaient plus combattre.
(1) Description de la Gaule Belgique, p. {li.
— 500 —
L'Empire donna traulres rois Franks, et le poêle Ciaudicn
écrivait : « La Gaule rcjellerait plutôt de son sein les offi-
ciers envoyés par Rome, que le pays des Franks rejettera
les rois que l'empereur leur a donnés (i). » Peut-être pou-
vons-nous ranger parmi ceux-ci Thiudmer, fils de ce
Ricimerus qui avait été honoré du consulat. Dans le mor-
ceau intitulé : « La guerre gothique, » Claudien nous fait
savoir que Stilicon dégarnit toute la frontière septentrionale
des Gaules, pour opposer ses troupes à l'armée d'Alaric. »
La circonstance fut utilisée par les Franks de la rive droite
du Rhin, ceux qu'Ammien-Marcellin nomma Hattuaires.
Ils s'emparèrent de Cologne, s'avancèrent sur Trêves,
qu'ils emportèrent en 599, la livrèrent au pillage, et se
rendirent définitivement maîtres de la rive gauche du Rhin,
d'où on les désigna par les noms de Ripuarm, Ripariolf.
C'est à la période initiative du V* siècle que nous attri-
buons la rédaction de la notice des dignités de l'Empire.
Il y avait encore un personnage consulaire dans la Germa-
nie inférieure, à la disposition du vicaire impérial; Trêves
renfermait encore une foule de fonctionnaires romains su-
périeurs; mais les localités les plus septentrionales demeu-
rées romaines étaient Marcis (Mardik, sur la côte), un
port sur l'Ysère ou l'Yperlée nommé vEpatiacm; Torna-
cum (Tournai); Fanum-Martis, Famars; Lociis Quartensis,
Quartes, près de Pont-de-Sambre. — Epo'ùsiis, Ivoix; —
Lagenses, Lowaige (Aalweg), près Tongres, et Antimaciim,
Andernach (2),
Le dernier jour de l'an 406 vit fondre sur le pays la
grande invasion des Barbares. Les Franks tinrent tête à
l'orage. Déjà ils avaient emporté l'avantage sur les Van-
dales unis aux Suèves et aux Goths, quand les Alains
(1) Latts Sdlicionis, lib. I.
(2) Wastelair', Gaule Belgique, p. 440. Preuves.
— 501 —
vinrent au secours de leurs alliés, et rempoiièrenl la vic-
toire. Dès lors, la voie fut ouverte à leur marche et ils se
répandirent sur (ouïe la Gaule. Ce fut le coup de grâce du
pouvoir impérial et le berceau de la puissance politique
des Franks. Car les Romains de la Grande-Bretagne ayant
proclamé empereur un Constantin , ils passèrent sur le
continent et vainquirent l'armée envahissante près Cateau-
Cambresis, puis intronisèrent le nouveau César à Trêves,
où celui-ci conclut une alliance avec les Franks-Ripuaires,
en vertu de laquelle il obtint un secours d'hommes, de
même que des Saliens, pour chasser les Vandales des Gau-
les. Constantin ayant [)éri peu de temps après, et des cités
gauloises et armoricaines s'étant affranchies et constituées
en républiques (i), les Franks unis aux indigènes belges
furent dès lors indépendants, s'aulorisant de cet exemple
dans leurs rapports avec Rome. Si le 24 août 410, la ville
de Rome fut emportée par Alaric, vers le même temps la
ville de Trêves subit un sort semblable de la part des Ri-
puaires (2). Castinus, envoyé contre les auteurs des désas-
tres subis par Trêves, fut contraint de confirmer les Franks
dans la possession de la Ripuarie, bien qu'on nous apprenne
qu'il les eût vaincus (3). Les Romains de celte période sem-
blaient ne reculer que par suite de leurs propres victoires!
signe indélébile d'une décadence définitive.
Le pays était désormais affranchi de la pression romaine,
et nous voyons par la Notice de l'Fmpire les alliés qu'il
pouvait trouver dans les limites de l'Empire. Des garnisons
fournies par des peuples alliés aux Saliens et aux Ripuaires
se trouvaient encore sous les aigles : à Saverne, un corps
de Ménapiens; à Ivoix, de Lètes Asti ou Astingi; à Famars,
(1) ZoziM , lib. VI.
(2) Salvuncs, De Gubern, Dei, lib, VI.
(3) J, B. Des Roches, jEpilome, l. I, p. 57.
— 502 —
des Sèles Nerviens; à Arras et à Noyon, de Sèles Balaves,
à lleirns et à Senlis, des Lètes de toutes les tribus, comme
élaicnl sans doute ceux de Lowaige, tandis qu'à Langres
ils étaient issus de ceux que Constance-Chlore y avait éta-
blis. Ces conditions expliquent la facilité avec laquelle la
conquête s'affermit dans la suite, et éclaire la phrase de
Procope touchant les Romains contraints de subir la loi des
Franks, et qui continuèrent à vivre parmi eux (i). Enfin,
lorsque par l'édit du 17 avril 4.18, Honorius statua que les
diètes des Gaules se réuniraient désormais à Arles, au lieu
de Trêves, les Franks complétèrent leur constitution politi-
que indépendante. Ainsi donc, cet établissement n'a été le
résultat ni d'une invasion, ni de la conquête d'une armée
étrangère, mais la formation graduelle d'un peuple par sa
fusion avec des éléments qui, bien qu'exotiques pour lui,
étaient surgis de la même souche tudesque. Les guerres
contre Rome, que celte Reine du monde nommait des ir-
.luptions, étaient pour nous de véritables insurrections
contre une autorité avide et tracassière.
Si la population de notre pays eût regardé les Franks
comme des ennemis étrangers, devenus maîtres par la con-
quête, elle n'aurait pas conservé ses alleuds, mais en eût
été dépossédée, du moins en partie, comme le fait se pro-
duisit dans la Gaule (2); régie par les lois romaines, elle
ne se serait pas soumise aux lois et coutumes germaniqnes,
que les Franks du reste n'imposaient pas : ils respectaient
les législations personnelles chez les vaincus. Ce fut tout le
contraire qui arriva, et des dispositions du Code saliquc
restèrent en vigueur dans notre droit coulumier jusqu'en
179S, comme Peppe l'a signalé dans sa dissertation.
Depuis près de trois cents ans, l'étude des lois frankes,
(1) De licllo Golhico, lib. I, c. 12.
(2) SiSMOND[, Hisl, des Français, t. I, p, p. 97.
— 503 —
frisonnes, anglo-saxonnes, etc., a donné naissance à des
écrils du plus haut inléicl (i). Les principes de liberlé
individuelle, renfermés dans ces coulumes, el que ces écrils
ont fait ressortir, excite en nous le vif désir de connailre
le « Gaii Primordial » dans ses rapports, comme nous avons
appris ce qu'était « La Cité antique » par le beau livre de
Fustel de Coulange, qui expose les institutions des Grecs
et des Romains par les idées qui les ont produites, et sur-
tout par les croyances religieuses de la race. Puisse une
plume exercée au service d'une pensée lucide combler la
lacune que nous signalons.
C Van der Elst.
(1) WeNDELIN. — ECCARD. — MuRATOUI. — SlBllAND. — SiCCAMA. — Yl'EY.
— Grimm. — Pardessus. — Peticny. — Daoud Oglou. — Rotii. — Gérard,
elc, etc., etc., etc.
— 504 —
CI)r(ruii|ue ôeô TivU et î»c^ 0ftencc0, et \^axUUô.
Chartes et documents de l'abbaye de Saint-Pierre, au mont Blandin, a Gand,
PUBLIÉS PAR Mr A. Van Lokeren (1). — Lorsqu'une première fois nous nous
sommes occupé de ce carlulaire, dans le volume île l'année 1869 (2), nous
avons eu soin d'en constater la haute portée historique; il est donc inutile
de revenir sur ce point. ^
Les documents contenus dans le premier volume (Partie I et Partie II)
comprenaient l'histoire diplomatique de l'abbaye; ceux qui viennent de
paraître ont rapport à la partie administrative; mais bien qu'ils puissent
au premier coup-d'œil avoir une importance moins grande, un examen
même superficiel force de reconnaître à ces derniers un intérêt tout aussi
majeur qu'à ceux précédemment publiés.
Empruntons ici quelques lignes à l'avant-propos dont M. Van Lokeren a
fait précéder ce second volume, ses paroles exposeront mieux que nous ne
pourrions le faire, la valeur des pièces.
« La confiscation brutale de ses domaines (de l'abbnye) en Angleterre, en
dépit des décrets du Concile de Baie (1431-1443), des décrets royaux et des
bulles, par Henri VIH, jetèrent quelques troubles dans l'étal de ses finances,
mais qui ne lardèrent pas à reprendre par le produit des domaines qu'elle
acquit en Zélande, et dans les Quatre Métiers, à la suite de l'immense ac-
croissement des allérissements (schorren) auxquels elle avait droit comme
propriétaire riverain, ou comme décimaleur à litre de patron. Les terribles
inondations de la mer, qui, aux XlV<i et XV« siècles, vinrent ravager ses
propriétés et confondre toutes limites, fui-ent encore cause de dispendieux
procès; elles donnèrent lieu aussi à une décision de l'autorité supérieure en
matière d'endiguemenl. »
« L'abbaye ne s'opposa pas aux innovations sociales que l'émancipation
des communes avait engendrées; elle régularisa la position et les attributions
de ses officiers judiciaires, publia des ordonnances de police sur la voierie et
(1) Tome II. Gand, Hoste, 1871.
(2) Messager des Sciences, année 18C9, i>. 234.
— 505 —
sur les marchés, arrêta pendant la période qui nous occupe des règlements
pour le mélier des tisserands, qui élaient fort nombreux dans la seigneurie
de Saint-Pierre. L'un de ses abbés arrêta les principes à suivre i)our la
nomination des baillis, de leurs hommes de fief et des échcvins. »
La collection des documents est précédée d'une suite de notices biographi-
ques sur les abbés de Saint-Pierre, depuis 1308 jusqu'en 1597.
Entre autres chartes qui intéressent plus spécialement l'histoire de la
Flandre, ses relations à l'étranger et sa délimitation, se trouvent :
Au no 1147, ao 1336. L'inventaire des documents concernant les biens de
l'abbaye en Angleterre, déposés chez les frères mineurs à Londres.
^'' 1153, a" 1336. État des biens de rab!)aye à Lievesham, etc. (Londres).
N» 1167, a» 1342. Donation à l'abbaye par le curé de Garlencsse d'une rente
de 5 livres par an.
N» 1169, a» 1343. Jugement arbitral prononcé entre l'abbaye et la comtesse
de Namur, au sujet d'une alluviou à Zaemslag.
N» 1192, a» 1350. Le comte Louis de Maie décide que les dîmes du nouveau
poldre près île Terneuzen et de celui de la Trinité, doivent être considé-
rées comme des dîmes de novales, provenant de terres nouvellement en-
diguées.
N" 1341, a» 1387. Octroi délivré par le duc Philippe, comte de Flandre, pour
le réendiguement du poldre nommé de Oude Yevene.
N» 1396, a" 1393. Tarif de monnaies (Dit es de avalualie van der munten die
gheboden en huulgeroupen was in Ghent den vii'« dach van aprilie int
jaer MCCCXCIll).
N» 1462, a» 1399. Acte au sujet du réendiguement de poldres à Ossenesse,ete.,
Inondés par suite de rupture de digues.
N» 1708, a» 1441. Le souverain bailli de Flandre et le bailli du Vieux-Bourg
ne peuvent exercer aucun acte de justice dans la seigneurie de Scalkclcde
à Ruyslede, Aerzeele et Canegem.
N» 1864, a» 1465. Le Conseil de Flandre reconnaît que l'abbaye a le droit de
faire grâce aux personnes condamnées par ses tribunaux.
N» 2024, a" 1 5 1 0. Acte au sujet de l'cndiguement de quelques poidres; il y est
question de la situation de VVielingen (1).
K" 2183, a» 1546. Coutumes de la cour féodale de Saint-Pierre.
(1) Warnkoenig, édit. Gheldolf, Hist. de Flandre, t. II, p. 9 et 10. L'opi-
nion de Warnkœnig est conforme aux indications émises dans cet acte.
— 506 —
N^âlSi, a» 1546. Coutumes de la seigneurie de Saint-Pierie.
Le carlulaire renferme encore plusieurs autres coutumes de communes cl
seigneuries.
N" 2257, a» 1534. Tous les nobles du comté de Flandre sont appelés sous les
armes, sous peine de déchéance.
N» 2259, a" 1559. La cour de Hollande maintient l'abbaye en possession de
son privilège d'exemption de toulieue en Hollande et Zélande.
N" 2502 a" 1370. Au sujet de l'endiguement de poldres dans le pays de 8aef-
tingen, inondé par suite de la rupture des digues (1).
N» 2528, a» 1578. Vérification de la limite de la juridiction respective de
l'abbaye et de la ville de Gand du côté de la rue Neuve Saint-Pierre jus-
qu'au Rempart aux Chaudrons.
No 2548, a» 1585. Philippe II, vu la cherté, défend l'exportation des grains.
N» 2580, a» 1292. Les échevins de Gand, à la demande de l'abbé, constatent les
dégâts que les hérétiques ont commis dans l'abbaye.
M. Van Lokeren a joint à ce second volume une riche planche chromolilho-
graphique, représentant deux vues de l'abbaye d'après le MS. de Arent de
Wynendaele, de 1580. Cet ouvrage, qu'il faut une dose considérable de cou-
rage pour aborder, et énormément de persévérance pour achever, est comme
les collections de Rymer, de Dumont, Mirœus, etc., qui seront de tout temps
consultées avec fruit, et s'il n'obtient pas un succès de vogue éphémère comme
tant d'écrits contemporains, il a du moins une valeur réelle et durable.
Emile V....
Histoire de Carausics. — En 1858 parut à Poughkeepsie, état de New-York,
VHistoire de Carausius, l'Auguste Néerlandais, etc. (2), par J. Watts de
Peyster. L'auteur, qui dédie son livre à J. Walcotl-Phelps, capitaine d'ar-
tillerie aux Étals-Unis, nous apprend, f» 125, que ses ancêtres sont origi-
naires du Nord-Brabant; et que l'un de ses auteurs s'embarqua pour le
Nouveau-Monde, en 1638, à Rotterdam. Il allait s'établir dans le Novutn
(1) Voir Messager des Sciences, a" 1843, carte des pays inondés.
(2) « The History of Carausius, the dutch Augustus, and emperor of Bri-
tain, Zeeland, Dutch-Flanders, Armorica and the Seas, the grealfirst admirai
of Ilolland, and the first sailorking of England, with which is interwoven an
historical and ethnological account of the Menapii, the ancient Zeelanders,
and Dutch-Flemings; corapiled from about two hundred ancient, mediœval,
and modem authorities. » By J. Watls de Peyster, Poughkeepsie, Platt and
Schram, printers, 1858.
— 507 —
Belgium, où dix ans auparavant le sire de lîapcille (Aisch-Refeil) avait con-
duit une colonie de Wallons (1).
Le volume, qui dtlnile par un i)oi'mc anglais de Robert de Glouccsler,
contient 333 pages. L'auteur, au f» 209, expose le motif de la production de
son œuvre. « C'est pour sauver de l'ouhli, dit-il, la gloire passée d'un peuple
» que les préjugés, la partialité et les idées fausses se sont efl'orcés d'eflacer
» de la mémoire des hommes. » Ce peuple, est le peuple ménapien, au sein
duquel naquit Carausius, héros dont de Peyster fait le panégyrique, en oppo-
sition à ceux de Maximien et de Constance Chlore, par Eumêne, pour aboutir
à le montrer comme le fondateur de la marine sur la mer du Nord; œuvre
de laquelle sont issues les marines des Provinces-Unies, de la Grande-Bre-
tagne et de l'Amérique du Nord, « cette merveille de nos jours, » comme il
dit emphatiquement et qui lui fait conclure son livre par : Vivat Carausius!
Ménapien boven op !
Ce n'est point sans émotion que nous avons recueilli cet écho de l'amour
du sol natal, arrivant de l'autre rive de l'Océan.
Pour assigner à son héros la place qu'il lui destine, l'auteur lui confirme
d'abord ses connaissances incontestées dans l'art nautique, puis le montre
comme un grand politique qui a saisi le côté faible de l'Empire : sa privation
actuelle d'une marine. En conséquence, dès que Carausius est résolu à s'in-
surger, il noue des intelligences non seulement avec les Franks voisins, mais
encore avec ceux que Probus a transportés sur les rives de l'Euxin. Selon notre
auteur, c'est à son instigation que ces corsaires entreprirent leurs courses
dans la Méditerranée, en rançonnèrent les côtes, ainsi que celles de l'Océan,
et vinrent dans nos mers opérer leur jonction avec la flotte de Carausius. La
plupart de nos sources, les plus estimées jusqu'en 1830, ont été consullées
par de Peyster, auquel elles donnent occasion de glorifier les Ménapiens,
dont aucun, selon lui, ne fut jamais assujetti à Rome. Ce livre curieux mé-
rite d'être lu et surtout d'être consulté.
C, V.
Geschiedenis van de Gemeenten der PROviNciE Oost-Ylaanderen, par Fr. De
PoTTER ET J. Broeckaert. — Depuïs que nous avons entretenu nos lecteurs de
la publication de MM. De Potter et Broeckaert, les deux derniers volumes de
la première série ont paru; ces volumes, le douzième et le treizième, con-
tiennent les monographies des communes de Gottem, Grammene, Olsene,
Poeke, Ursel, Wontcrgem, Zulie, Kaprijek et Lembeke. Nous y trouvons
(1) BooTii, Hist. of New-York, p. 75.
— 508 —
aussi les tables ononiasiiques, promises l'année dernière, pour toute la ma-
tière parue.
Il ne reste plus maintenant pour celui qui veut conserver cette colleclion
convenablement classée, qu'à détacher les différentes monographies, et à les
distribuer dans l'ordre indiqué par les auteurs sur les feuilles de titre et
faux titre, qui accompagnent le douzième volume. Toute cette première série
formerait, d'après ces indications, huit volumes où les communes seraient
placées par ordre alphabétique.
Tout en félicitant les auteurs de ce long et important travail, de se voir
arrivés au bout de la première partie de leur tâche, nous nous permet-
trons une observation dont ils pourront profiter dans la suite : au lieu de
paginer simplement les différentes monographies comme ils l'ont fait, ils
procéderaient mieux, croyons-nous, en mettant en tète de chaque page le
nom de la commune dont il est question, et dans le coin de la page le chiffre
de la pagination; de cette manière celui qui veut trouver un fait consigné
dans riiistoirc d'une commune, découvrira plus facilement dans le volume
où cela se trouve, et la commune et la page dont il a besoin.
Emile V....
Tableacx enlevés a la Belgique par les Français. — Nous croyons intéres-
sant de mettre sous les yeux de nos lecteurs la dépèche du duc de Wellington
relative à l'enlèvement des tableaux eu Belgique sous Napoléon I, et dans
laquelle il demande la restitution de ces toiles:
Au vicomte Casllcreagh, chevalier de la Jarretière.
Paris, 22 septembre 1815.
Mon cher Lord,
On a beaucoup discuté ici dans ces derniers temps au sujet des mesures
que j'ai été obligé de prendre afin de restituer au roi des Pays-Bas les
tableaux, etc., des Musées, et dans la pensée que ces bruits pourraient
arriver à l'oreille du prince régent, je prends la liberté de vous importuner
par le récit de ce qui s'est passé, afin que vous en informiez S. A. R.
Peu de temps après l'arrivé des souverains à Paris, le ministre du roi des
Pays-Bas réclama les tableaux, etc., appartenant à son maître, au même
titre que ceux des autres puissances, et d'après ce que j'ai appris, il ne put
obtenir une réponse satisfaisaute du gouvernement français.
Après divers entretiens avec moi, il adressa ù Votre Seigneurie une note
officielle qui fut soumise aux ministres des souverains alliés, assemblés en
conférence. La question fut prise en considération plusieurs fois, en vue de
découvrir le moyen de rendre justice à ceux qui réclamaient les œuvres d'art
des Musées, sans heurter les sentiments du roi de France.
— 509 —
En même lemps les Prussiens avaient obtenu »le S. SI,, non soulcmenl
tous les lableaux prussiens, mais encore eeux qui apparlenaienl aux villes
prussiennes de la rive gauche du Rhin et aux alliés de S. M. prussienne. Il
fallait donc une solution immédiate, et Voire Seigneurie écrivit sa note du
10 courant, dans laquelle la question était mûrement discutée.
Le ministre des Pays-Bas, n'ayant toujours pas reçu de réponse satis-
faisante du gouvernement français, s'adressa à moi en qualité de comman-
dant en chef des troupes du roi des Pays-Bas, afin de savoir si j'avais
quelques objections à me servir de ces troupes pour obtenir la restitution
de ce qui était sa propriété indiscutable. Je transmis celte requête aux
ministres des cours alliées, et, n'ayant pas reçu d'objections, je crus de mon
devoir de prendre les mesures nécessaires pour obtenir la satisfaction d'un
droit.
Je parlai donc an prince de Talleyrand, lui expliquant ce qui s'était passé
dans la conférence et les raisons qui me faisaient croire que le roi des
Pays-Bas était dans son droit. Je le priai de soumettre l'affaire au roi et de
prier S. M. de m'accorder la faveur de m'indiquer le moyen de donner
satisfaction au roi des Pays-Bas , en étant le moins désagréable à Sa
Majesté.
Le prince de Talleyrand me promit une réponse pour le lendemain. Ne
l'ayant pas reçue, je lui rendis visite le soir et j'eus avec lui un entretien
dans lequel il me déclara que le Roi ne pouvait donner d'ordre à ce sujet,
que je pouvais agir à ma convenance, et m'entendre directement avec
M. Denon.
J'envoyai le lendemain matin mon aide-de-camp, le colonel Frccmanllc,
chez M. Denon, qui lui déclara qu'il n'avait reçu aucun ordre de livrer des
tableaux du Musée et qu'il ne les céderait que s'il y était contraint par la
force.
J'envoyai ensuite le colonel Frcemantle chez le prince de Talleyrand pour
lui faire connaître cette réponse et lui apprendre que le lendemain, à midi,
les troupes iraient prendre possession des tableaux appartenant au roi des
Pays-Bas. Je le chargeai d'ajouter que si cette mesure amenait quelque
trouble, les ministres du roi en seraient responsables et non pas moi. Le
colonel Freemantle fit une communication identique à M. Denon.
Il ne fut pas nécessaire toutefois d'envoyer des troupes, une garde prus-
sienne ayant pris possession de la galerie, et les tableaux furent enlevés sans
aucun concours de mon armée, si ce n'est pour aider à descendre et à em-
baller les œuvres d'art.
On a prétendu qu'en me prêtant à l'enlèvement des lableaux appartenant
— 510 —
au roi des Pays-Bas à la galerie des Tuileries, j'avais violé un Irailé que
j'avais rédigé moi-même, et comme il n'est pas fait mention des Musées
dans le trailé du 23 mars, et que l'on fait allusion au traité de Paris, il est
nécessaire de montrer comment cette conviction a rapport au Musée.
Il n'y a pas lieu de discuter ici la question de savoir si les alliés étaient
ou n'étaient pas en guerre avec la France. Il n'y a pas de doute que leurs
armées entrèrent à Paris aux termes d'une convention militaire, conclue avec
un fonctionnaire du gouvernement, le préfet de la Seine, et un officier de
l'armée représenlant les autorités et traitant en leur nom.
L'article de celte convention que l'on dit violé, est le onzième, qui se
rapporte aux propriélés publiques. Je nie formellement que cet article eût
trait, d'une façon quelconque, aux Musées ou galeries de tableaux.
Les commissaires français proposèrent d'insérer dans le projet primitif un
article destiné à garantir la sécurité de ce genre de propriétés.
Le prince Bliicher ne voulut pas y consentir et dit qu'il y avait dans le
Musée, des tableaux qui avaient été pris à la Prusse, que S. M. Louis XYIII
avait promis de l'cstituer, mais qu'il n'avait jamais reslilués. Je communiquai
ce fait aux commissaires français, et ils offrirent alors d'adopter cet article
en faisant une exception pour les tableaux prussiens.
A cette offre, je répondis que je parlais ici comme allié de toutes les
nations de l'Europe, et que toute concession faite à la Prusse devait être
réclamée par moi au nom des autres nations. J'ajoulai que je n'avais pas
d'instructions au sujet des Musées, ni aucun moyen de prévoir l'allilude des
souverains; qu'ils insisteraient probablement pour que le roi exécutât ses
engagements; et que je recommandais de laisser cet objet de côté, en réservant
la question au jugement du souverain, lors de son arrivée.
Ainsi la question des Musées est subordonnée aux traités. La convention
de Paris n'eu parle pas, et la question a été réservée à la décision des
souverains alliés.
En supposant que le silence du traité de Paris de mai 1814, au sujet du
Musée, eût donné au gouvernement français le droit de s'en prévaloir en
toute circonstance, ce droit serait incontestablement ébranlé par la déclara-
tion que je signale.
Ceux qui, autrefois, ont agi au nom du gouvernement français, ont pensé
qu'une armée victorieuse avait le droit de mettre la main et mettrait la main
sur les Musées, puisqu'ils ont tenté de protéger ceux-ci par un article de la
convention militaire.
Cet article a été rejeté et le droit des alliés sur leurs tableaux a été affirmé
par leurs négociateurs. Tel fut le motif du rejet de l'article, Ainsi, non seu-
— oll —
leracnl la convention mililairc n'a pas garanti la possession. maTs la ik'liLéra-
lion ci-dessus indiepice a eu pour résultai iraflaiblir le dioilde possession du
gouvernemenl français que Ton fonde sur le silence du traité de i'aris de
mai t814.
Les alliés ayant ainsi Icgilinicmcnl en leur pouvoir le contenu des Musées,
n'ont pu faire aulrenient que de le restituer aux pays qui se le sont vu
enlever pendant la désastreuse époque de la révolution française et de la
tyrannie de Bonaparte, contrairement aux usages de la guerre entre nations
civilisées.
La conduite des alliés à l'égard des Musées, à l'époque du traité de Paris,
a pu être attribuée à leur désir de se concilier l'armée française et de conso-
lider la réconciliation de cette armée avec l'Europe.
Mais les circonstances sont aujourd'hui tout autres. L'armée a déçu rattcnlc
légitime du monde; elle a saisi la première occasion de se révolter contre
son souverain, en prêtant ses services à l'ennemi commun de l'Iiumanité, en
vue de ressusciter la désastreuse époque que l'on croyait finie, et de renou-
veler les scènes de pillage dont le monde s'était débarrassé par des efforts
gigantesques.
Celle armée ayant été défaite par l'Europe, a été dissoute par le Conseil
des Souverains assemblés, cl il n'y a pas de raison pour laquelle les puissances
européennes feraient tort à leurs propres sujets en vue de ménager leurs
ennemis. Il ne m'a pas non plus semblé nécessaire que les Souverains alliés
laissassent échapper celte occasion de rendre justice à leurs propres sujets
en vue de plaire au peuple français.
Les sentiments du peuple français à cet égard sont de purs sentiments de
vanité nationale. On désire conserver ces chefs-d'œuvre de l'art, non pour le
motif que Paris est l'endroit qui leur convient le mieux, car les artistes, les
connaisseurs et les écrivains sont d'accord pour demander qu'ils soient rap-
portés au lieu d'origine, mais parce quils ont été obtenus par la conquête
dont ils sont les trophées.
Les sentiments qui portent le peuple français à retenir les tableaux et les
statues des autres nations, doivent naturellement porter celles-ci, après le
succès, à les restituer à leurs légitimes propriétaires, cl les Souverains alliés
doivent être désireux d'agir dans ce sens.
Il est désirable, d'ailleurs, à divers points de vue, aussi bien pour son
propre bonheur que pour celui du monde, que le peuple français, s'il ne
croit pas encore que l'Europe est plus forte que lui, arrive à s'en convaincre,
et qu'il se pénètre bien de celle idée qu'à toute époque un succès momentané
et partiel remporté sur une puissance quelconque, sera suivi de représailles.
— 512 —
Dès lors, d'après moi, il serait non seulement injuste de la pari des Sou-
verains alliés de complaire au peuple français sur ce point, aux dépens de
leurs propres sujets; mais un tel sacrifice de leur part serait impolitique et
les priverait de l'occasion de donner au peuple français une grande leçon de
morale.
Croyez moi, etc.
Wellington,
Cette pièce importante et curieuse a été publiée par VEcho du Parlement
belge, au commencement du mois de novembre dernier.
Exposition internationale de Londres de 1871. — L'exposition interna-
tionale de Londres qui vient de clore, a fourni à nos nationaux une excellente
occasion de céder, à des prix largement rémunérateurs, les objets qu'ils y
avaient envoyés.
Voici le résumé des ventes qui ont été notifiées à la commission belge.
Trente-neuf tableaux ont été achetés dans la galerie belge au prix global de
185,000 francs, ce qui représente une moyenne de 4,750 francs par tableau.
Voici les prix atteints par quelques œuvres: 22,250 fr., 1 6,250 fr., 13,730 fr.,
12,500 fr., 8,750 fr., 8,000 fr.. elc.
La vente d'autres objets artistiques ou de luxe, tels que statues, meubles,
dentelles, peintures sur faïences, ouvrages d'orfèvrerie, etc., a produit une
somme de 60,000 francs.
En ajoutant à ces chiffres le montant de quelques transactions particu-
lières, dont l'exposition de 1871 a été le point de départ, on peut évaluer à
plus de 500,000 francs le montant des ventes réalisées dès l'époque de la
clôture (30 septembre).
D'un autre côté, plusieurs exposants ont reçu des commandes dont ils se
montrent fort satisfaits.
La commission belge a cru que ces résultats étaient dignes d'être signalés;
ils permettent de bien augurer des expositions qui suivront celle de 1871.
Académie d'Archéologie de Belgique. — Concours de 1873. — Premier
sujet. Prix : 500 francs. — «Traiter une question archéologique ou histori-
que relative à l'ancien comté de Flandre ou à l'ancien duché de Brabant. »
Le choix du sujet est abandonné à l'auteur.
Deuxième sujet. Prix : 500 francs. — « Faire l'histoire du Grand Conseil
de Malines. »
Troisième sujet. Prix : 500 francs. — « Faire l'histoire des coutumes de la
ville et de la banlieue d'Anvers depuis les temps les plus anciens jusqu'à
l'époque de la révolution brabançonne. »
— 5t3 —
L'auteur expliquera l'application particulière de ces coutumes dans les
circonscriptions du marquisat du Saint-Empire, du quartier d'Anvers et du
pays de Ryen. Il exposera les principes de la juridiction des magistrats en
matière civile, commerciale et criminelle. Il indiquera les attributions res-
pectives de l'écoutète, de l'amman, des bourgmestres et des éclievins, en
tant qu'officiers de justice, 11 fera connaître les rapports du tribunal, vier-
schaer, d'Anvers, soit comme tribunal de première instance, soit comme cour
d'appel, avec d'autres tribunaux.
Indépendamment de ces prix, l'Aeadémje décernera à chaque auteur cou-
ronné une médaille de vermeil et lui donnera 30 exemplaires de son mémoire.
Les mémoires devront être rédigés en français ou en flamand; ils seront
adressés francs de port au Secrétariat, 22, rue Conscience, à Anvers, avant
le 1" février 1873.
NÉCROLOGIE. — Henri-Marie Raepsaet, juge-de-paix du canton de Lokeren,
est mort dans cette ville le 7 novembre dernier, ù l'âge de cinquanle-ciuq ans.
Il avait à maintes reprises fourni au Messager des Sciences des notices fort
intéressantes, était membre de la Commission provinciale des monuments
et collaborait aux travaux de la Commission pour la publication de la
Biographie nationale.
Raepsaet était pelit-fils du savant J. J. Raepsaet, dont il possédait un grand
nombre de manuscrits encore inédits, et s'il n'eut pas la profonde érudition
de son grand-père, il tint à prouver en mainte occasion qu'il ne méprisait
pas d'aussi nobles exemples.
Henri Raepsaet était essentiellement bon, et ses excellentes qualités, qui le
faisaient aimer partout, le feront partout regretter.
Emile V....
TABLE DES MATIÈRES.
ANNEE 1871.
ItottffB et WiBsntatmxB.
La Cour de Ravestein, à GanJ. Par Emile Varenbebgh 1
Le Luxembourg belge cl son ellinographie sous la domination romaine.
Par J. FELSENnAitT 15,120,290,385
Quelques sceaux du diocèse de Gand. Par Tabbé J-B, Lavact . . 40, 257
Histoire des relations politiques entre la Flandre el l'Angleterre, au
moyen âge. Par Emile Varenbergh 4-5, 179, 266, 415
Baxius, le dénonciateur des sorciers. 1597-1598. Par L. G 80
Bibliographie musicale. Par Edouard Grégoir 88, 566
Sceau de la ville de Gand au XIII« siècle. Par T. C'^ de Limburg Stirum. 113
Les Sires de Carnaval. Épisodes de l'histoire de l'abbaye de Parc-Ies-
Dames. Par J. J. E. Proost 163
Froissart, d'après ses nouveaux historiens. Par EnouAnn de BARTnÉtEMY. 218
Les Archives el le Conservatoire de musique de Gand devant la Cham-
bre. Par Emile V 242
Souvenirs archéologiques de la ville de Gand. — I. La Cour de Tron-
chicnnes. Par Emile Varenbergh 331
II. Hospice Wenemaer. Par A. V. L 474
Philippe Blommaert 440
La peinture et la sculpture à Malines. — La Gilde de Saint-Luc et l'Aca-
démie royale des Beaux-Arts. Par Em. Neeffs 343, 447
Les Franks avant l'année 418. Par C. Van der Elst 478
€:l)r0ttti|ue îrcô Remues et Îre0 ^xts.
Le Watergrave de Flandre. — Emile V 99
L'Hospitalité belge.... d'autrefois. — X 100
Droits du Fauconnier en Flandre. — Emile V 101
— 5IS —
L'Épce de Jean de Wcert. — C. A. R lOi
Tombes celtiques de l'Alsace, par Max. de Ring. — Emile V 103
Le Père de Riibcns lOG
Réperloire de rciiseignemenl populaire en Belgique. — Emile V Ib.
Un docuiucnl relatif à la Conspiration des Nobles. — Emile V 108
Crypte de Sainl-Bavon, à Gand. — A V. L 249
Les enfants de Quentin Mctsys Ib.
Essai sur les colonies belges en Hongrie et en Transylvanie.— Emile V... 251
Les murailles révolutionnaires au XVIc siècle. — C. A. R 252
Tables générales des Annales de la Société d'Émulation de Bruges. —
Emile V 253
Pierre d'IIorcntlials — C. A. Rahlenueck . ,..,.... 254
Question artistique 255
Ruines romaines Ib.
La fêle des moissonneurs à Zulle. — Emile V S79
Correspondance et actes pour l'histoire de la guerre de Trente Ans. —
Emile V 380
Mystère de saint Louis 381
Calendrier des Aztèques Ib.
Charles et documents de l'abbaye de Saint-Pierre, au mont Blandin, à
Gand, publiés par M' A. Van Lokeren. — Émue V 504
Histoire de Carausius. — C. V 306
Geschiedenis van de Gemeenlen der provincie Oost-Ylaanderen, par
Fr. De Potter et J. Broeckaert. — Emile V 307
Tableaux enlevés à la Belgique par les Français 508
Exposition internationale de Londres de 1871 512
Académie royale des Sciences, des Lettres el des Beaux-Arts de Bruxel-
les.— Programmes de concours pour 1872 et 1873 382
Prix perpétuel institué par le baron de Stassarl pour une question
d'histoire nationale 383
Académie d'Archéologie de Belgique. — Concours de 1875 . . . . 512
Nécrologie : le baron E. C. de Gcrlachc 110
» Clément Wytsman 111
» François-Joseph Félis Ib.
» Alexandre-Joseph Desplanque 112
') Ulysse Capitaine 255
» Charles-Louis Ilanssens > 236
•> Auber Ib.
» le comte Achniet de Sernin d'IIcricourt Ib.
» de la Fontaine Ib.
— 516 —
Nécrologie : le général russe Iwan de Bartholomei 256
» Etienne Soubre 384
» Gervais Charpentier Ib.
» Don Ramon de la Sagra /6.
» Alexandre Keith Jonston /&.
» Henri-Marie Raepsaet 513
Planches.
La cour de Ravestein, à Gand, en 1820 1
Sceaux du diocèse de Gand. PI. XI 4tO
» » PI. Xli 260
» » » PI. XIII 262
Sceau de la ville de Gand au XIII^ siècle 113
Vue de l'abbaye de Pare-les Dames 163
Porte de la Cour de Troiichiennes 332
Chapelle » » 336
Ferrures de la porte » 338
Portrait de Ph. Blonimaert 440
Façade de rHospice Wenemaer 474
Porte de » « 476
GETTY CENT
ER
.INRARY
3 3125 00676 5818