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Full text of "Mes souvenirs de vingt ans de séjour à Berlin: ou Frédéric le grand, sa famille, sa cour, son ..."

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3^: 



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C 



ê I 



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\ 



MES SOUVENIRS 

DE VINGT ANS DE SÉJOUR A BERLIN ; 

o V 

FRÉDÉRIC LE GRAND, 

sa famille, sa cour, son gou ve rne mkkt,» 
son académie, ses écoles, et ses amtt 
littérateurs et philosophes; , 

Par DIEUDONNÉ THIÉBAULT. 

De FAcadéinie Rojuile de Berlin y de la Société libre des Scie^^it 

et Arts de Paris ^ etc. 



« Far lonhflur an par malheur , ymffwtiitU^ 
tout entier à l'Histoire, w 

(liS rB.xxcs HaMai na Fii«Mi.> 



SECONDE EDITION, 

KXriTB BT CORRIoix. 

TOME PREMIEjR. 
FRÉDÉRIC LE GRAND. 



A PARIS, 

Chez F, Buisson, Libraire, rue Haatefcuille, a^, ao* 

AK XIII. (i8o5.j 



f 




I 

9^ 



/ 



A MA FILLE, 



E T. 



A MON FILS. 



l^ARMi tom les Ouvrages que pro^ 
dult la Littérature y les Souvenirs sein^ 
tient être y en général^ ceux quun Père 
peut le plus TiatureUement dédiera ses 
M^ifans. En effet y lesErifans sont tou-^ 
jours personnellement intéressés y et 
comme présens , aux Souvenirs ^un 
Père. Mais indépendamment de cette 
considérationjbndamèntale et de tous 
les sentimens qui cimentent les liens 



si touckans de^ Familles y plusieun 
viotifs particuliers rri engagent à vous 
adresser publiquement ce Recueil. 
Parmi les Faits qu^il contient ^ com-^ 
bien nj en a-t-ilpas qui vous ont été 
connus dans le temps oie ils se sont 
passés y et pour lesquels vous êtes au- 
jourd'hui mes premiers garans y et 
quelquefois les seuls témoins qui me 
restent ? D'ailleurs y vous savez que si 
je me suis déterminé à les recueillir 
et à les publier., je ne Vai Jait que 
parce que mes Amis et vous-mêmes 
rnen avez vU^ement sollicité y et que 
f ai espéré que le Public pourroit eu 
retirer quelque agrément et quelque 
profit. C'est bien en vain que nous 
travaillons, disoit V Orateur romain y 
si ce que nous faisons n'est pas utile. 
Vous saçez encore que cette maxime y 
qui ma trop frappé dès ma jeunesse ^ 



~ -1 - • f — ... 

pour ne métré pas devenue très-fami^ 
Itère y a y plus qu^ aucune autre y coh'- 
tribué à éclairer , diriger et animer 
pîô^' aèh dans taccvrftplissem&ht dé 

I > • ■ T 

tous me^ devoirs. Puissiez-^vous ^ mçs 
EnfahSy'vous pénétrer toujours piiis'^ 

■ : \-.* "» •• I 

en relis(int cet Ouvrage y de Vimpqi-^ 
tante vérité quelle renferme f Puis^ 

siojiS'Tious tous lejs trois ne la peni^ 

• » ... . 

jaihuis' de mie i Et^e utile est le i^r^i 
moyen d^étre haure^ux^ Cest au maùèSy 
dans les malheurs de la vie y la plus 
honorable et la plus douce consolation 
que Von puisse éprouver. 

Recevez les tendres ernbrassemens 
de votre Père y 

DIEUDONNÉ THIÉBAULT. 



LES PRINCIPAUX OUVRAGES 
Du même auteur, sont: 

I 

Ttitê A^eax du duc de Bourgogne et de l'abM d^, 
Fénéloiiy son précepteur, ou Dialogues sur les Gou^ 
yememens • i yoL in^S9, 

Traité de l'Esprit Public i yol.^ i»-8<». 

De TEnseignement dans les Ecoles Cen- 
trales ' 1 yol. m-8^ 

Principes de Lecture et de Prononcia- 
tion ^ chez G^ntfte^ libraire, à Paris, l vol. m-8% 

Traité du Style, ches CourcUr^ libraire, 

^ai des Augustins, à Paris a yol. û»-8^i 

Oranunaire Philosophique , ches le 
même libraire • • . • • a yoL m^V^ 



PREFACE. 




P R É F A G Ë. 



■«irtMMfB 






On a dit miilè fois ([|iî'[i iiy à pbîrft 
ûe Grands -Hommes poux les valets^- 
de-chambrew Pour ^qtie cet âdàge pvlt 
être vrai >. il faudrbit 'suppbsëp que si 
.ron a des défauts^ loA ne peut j^iits 
être un Grand - Hotona^j mais cëttfe 
.supposition- Été seroit-inelle pas une àb- 
■«urdité ^ et ne vaudroit-il pas mieux 
.dire > en ce cas y et saria aucune ex> 
ception /qu'il rie peut jamais y avoir 
de Grands ^ Hommes ?> Je li'âdmets 
donc point cet adage tabt î^ëpëté, et 
je ne balance pas au cbnttâire à sou^- 
tenir que 3 pour bien connoîlre les 
Grands - Hommes ^ ainsi que tbus leS 
iïomnses^ en général, il faut les voir 
d'aussi près et ôUssi habituellement qtiè 
ieurs valfets^de- chanibre ont coutume 

* « 

de les irbir j ce qui signifie. que, quanâ, 



îj ^ a R î A c fi. 

ils sont morts, il faut les étudi», not» 
dans l'Histoire seulement, mais sur-tout 
dans les Ouvrages à anecdotes et à 
détails* En. effet, l^Histoire nouis pré- 
sente les àctiôïis plutôt que les atteurs , 
et les rôles plutôt que les personnages^ 
nous n'y voyons les. hommes que sur 
là scène. Là , tout est apprêt et art> 
c'est-à-dire^ qiie le plus souvent tout 
est faux ; non - seulement lies hommes 
se déguisent plus ou moins dans leuM 
actions; publiques; mais , de plus , l'His*- 
torien qui recueille ces sortes d'actions^ 
les &lsifîe encore pour les rendre om 
plus nobles, ou plus extraordinaires; 
ou du moins il les altère par le ton 
qu'il donne à son style , et qu'il regarde 
comme essentiel au genre de récits qu'il 
fidopte» ^ 

Je ne dis pas. que celui qui a bien 
lu l'Histoire ne connoisse pas mieux les 
lipmmes qu'on y fait agir et parler , 
que celui qui n'a point fait la mêm« 



ï il i t À e fi. ' n] 

ïecture. Je dis qu'il n'en à qu'une 
<x)anûissance imparfaite et incertaine ,. 
à moins quil n'ait acquis ^ à leùi" 
iégard> des lumières Nouvelles par d'au* 
1res moyens. Celui qui a bien vu jouer > 
les Clairon. > les Duménil, lès Brisard) 
et les Le Kain^ né peut lés juger qué> 
tomme «icteurs^ s'il na pas vécu avec 
eux y ou su d'ailleurs les détailis dé 
leur vie privée. Cicétôn atiroit eu grand 
tort dé nous vanter les mœui's de 
Rôsciu5> s'il n'en a voit coniiu ique lea 
tâlens\ 

On ne icônclura pas sans doute de 
te qui précède ^ que j'aie le dessein 
de déprécier l'Hîstaire; jen suife bien 
t'ioigné. L^Hîstoire est lé vrai tableau 
du mondé ) elle nous retrace . les évè^ 
faemens impoi^tans ; elle en forme là 
série 3 et les rapproche également de 
leurs Causes et de leurs eiFets : que 
peut-^il y avoir de plus instructif, sur^ 
tout pour lès hommes appelés à dei 



y 1p R lé ï A t ï. 

fonctions publkjiies ? Y a-^t-a pour 
«ux une école plus utile et plus néces- 
saire ? Mais s'il est certain que rien 
ne contribue autant que l'étude réflé- 
chie de THistoire, à inspirer la sagesse 
et la prudence aux hommes publics, 
€t même à tous les hommes considé- 
rés dans l'état de société ^ il n'est pas 
moins évident que ce n'est ^as là que 
Ton peut puiser la véritable corinois- 
aance des hommes pris individuelle- 
Hient» Cette dernière connoissance ne. 
résulte ni du rôle que l'on joue, ni 
dû costome que Ton prend , ni du 
théâtrte ^ur lequel on est placé '^ ni 
de tous les apprêts dont oâ s'oùcupè 
avec autant de Soin que de mystère y 
ni des eiForts que les circonstances com- 
mandent; toutes choses dans lesquelles 
néaùmoins l'Histoire se concehtre. La 
connoissance des hommes ne jse* re- 
trouve que hors de ^ scène et deri'ière 
ks coulisses; pour 1 acquérir, il faut 



]^ R é- r A c R V 

Sttîvre le» homme» dans llntérieur d& 

t 

ïeurs familles^ dans les détails de leur- 
vie privée , et dans toutes leurs liaîsons^ 
particulières^ Ce n'est que là que la? 
vérité , en ce qui les concerne ,, peut 
s'bfirir à nous : par-tout ailleurs toilt. 
est masque* ; ce n'est que M que vous, 
pourrez^ apercevoir les visages^ 

Il me seroit facile, s'iï en étot t be- 
soin, de fustîfier^ par l'Histoire mêmé^ 
Fopini<Mi ,que je viens d'émettre ; je- 
naurois pour cela, qu^à observer» que- 
tous les hommes célèbres, sur lesquels^ 
nous nWons à consulter que dte grandes, 
et véritables Histoires ^, ne nous sont: 
jamais suffisamment connus; Qui pour^ 
roit nous peihdre avec précision , eOt 
détail , et d^une manière bien certaine^ 
"les hommes même Ites plus renommer 
dte l'îintiquité et des temps modernes ?' 
' Je ne parle pas de Ifeurs- traits phy-^ 
piques; il' ne s^àgit icf que de leurs; 
' earaclères personneisv de leurs humettr& 



v| B B. é P A C E» 

.ordînaîres , de leurs passions secrettes^ 
xie leurs foiblesses en un mot, ou de 
leurs vertus privées. Ce spnt - là des 
portraits dont THistoire ne hasarde tout 
au plus que Tesquisse ou le croquis^ 
Coni,bieja de choses obscures , dou- 
teuses y incroyables > ne rencontrons^ 
nous pas dans 1^ vie d*une infinité de 
Grands -^ Hommjes , et qui disparoî-^ 
troient ou s'éclaircipoient sans peine 
à nos yeux, si nous avions les. portraits 

, de ces personnages si intéçessans ? Re-^ 
montez , si voua le voulez,^ jusqu'aux; 

. Sémiramis , aux Cy rus , aux Darius , 
et essayez d'en bien développer l'ame 

^et l'esprit \ Expliquez - moi combien 
les Marins et les Sy lia ont réuni tant 
d'élévation^ tant d'atrocités : jetez suc-, 
cessivement les ytîux sur \e^ I)émos- 
thène ^ les Socrate ^ sur» tant de rois 
de Sparte , sur les Brutus , les César ^ 

. et une infinité d'autres Grecs . et Ro- 

/pjuains; calculez çoAibien de questioQst 



©tnfearrassaates i'àurois, k vous. foiFC sur 
les detaib cie leur vie , et vayeç. si 
vous paumez, jamais y répondre^ Et si 
tous parccHirez! de m^roç toijts les âges^ 
des natipns moderaes y n'aurez - vousk 
pas toujours et par - tput les mêmea 
observations à faire ? B est peu de^ 
Grands-Hommes dont 1/ivie^fesmfOeursii 
et le caractère n'offrent au lecteur at-- 
téntif ^ une fouje dç contradictions. 

jfâc]:keuaes ; et c'est k Finsuffisaace de^ 

». ♦ 

l'Histoire q^ufil faut attribuer les nuages^ 
ifui les enveloppent ^ les cachent k nos^ 
^eux y, et n,aus réduisent pour eux à^ 
des actes de foi moutcHMiiè?e*. Elle- ne- 
BOUC Jes fait çonnoître ^u'â demi ;. ellq- 
ne nous eçi donpe point, les véritables; 
portraits,. Remarefuez qu'il n'ejst poiflt 
de siècle que nous connoîssions imssi 
bien que le sièclp de Louis ]Ç!t V ^, parce- 
g^ii'il n^en eat point sur lesquels noué 
ayions autant de MémoiFCs ,^ et des 

Mém^oires aussi détaillées.. Qn' pouEKoit 



.. ->/ 



aire, à cet égard, que les Mémoire», 
du comte d*Estrade ' 'de M. àe Saint- 
Simon-, du cardinal de Retz', de ma-i 
demoiselle de Montpertsier , eto- , et 
inême les Lettres de mâdahie de Sé- 
vi gnéj en un mot, tous lés OuVragesr 
qui nous fournissent des anecdotes et 
des' détails sur ces temps-là, sont ks; 
Histoires les "plus précieuses de la France 
à cette même époque. Tous çi^^tnii^ qui* 
ont lu attentivémbût ces divers Ou-. 
Vrages , eonnolssent ce qui s est fait 
alors, aussi bi'en ^t peut-être taiîeux 
que ce qui se faft autour d'éu^. Ils 
soht à côrté de Louis 'XIV, et de tous 
feeux^ cjuî rônt' Servi , ou qui se sotit 
fait remarqtieç sous son règne. Ils voient 
totis les personnages ; ils les suivent par^ 
tout, les observent, ïe$ çtf tendent, lest 
Jugenf,, ou les devinent. Rien ne leur 
ifcHkppe 5 rîenj ne leur en împQse y riea 

ne les égare; 

» ' *-' • • 

On le voit", Çtç*est la première y^-» 



f R i V A CE; XK 

tltê que je me sois proposé d^établir 
dans cette Préface ; ce n'est et ce ne 
sera jamais que par les Mémoires ou 
par les Ecrits qui peuvent en tenir 
lieu , que nous parviendrons à bîea 
eonn oître les Tiommes avec lesquels nous 
ne vivons pas. Mais est ^ il possible de 
nous faire ainsi eonnoître tous ceux 
•dont THistoire peut avoir à nous entre-* 
i:enir? Nous est^il même utile qu'on 
€^en occupe? Cette question est-ce mé 
semble, fàieile à résoudre : des Ménioireà 
"et de sî grands détaîk fetir ' des homme» 
"qiii n'^bnt pas les titres nécessaires pont 
nou5 inspirot un véritable intérêt , 
formeroîent bientôt une collection im-^ 
*mense et en quelque sorte inabordable. 
Et quel avantage nous re vîendroit - il 
'de les avoir lus ? Quel besoin avons- 
nous de coilnbître ainsi des hommes 
absoiument îndîfférens ? Il y a danfe 
'tordre social', dés classes infiniment 
TRfetûbi-euses qu'9: bous stiflSt àb pou- 



/ 



X ÏRfeïAClR. 

Toîr Jugep en gros , et par ua petit nom*^ 
ï)re de trails généraux. Il faut donc quQ^ 
les Ecrivains et les Lecteurs sachent fairç^ 
un choix,. Or, ce choix est facile à déter*^ 
lïiîneFj nous^ ne devons offrir aux autres,, 
wous ne devons rechercher pour nous*^ 
mêmes , d'autreconnoissance détaillée et 
bien développée^que celle des hommpç 
qui ont eu de grandes qualités en eux^ 
mêmes ou des traits originaux , singuliers, 
et instructifs ou curieux j ou, bien enfin,, 
qui ont exercé une grande influence 
dans la splkère où ils ont fi^guré ; c'est- 
à-dire, que nous ne devons priser et re- 
cueillir que les anecdotes qui concernent 
les Grands-Hommes , les hommes remar^^ 
quables y ou les hommes célèbres : Içs 
hommes essentiellement grands par les 
qualités sublimes qui les étevoieat au 
dessus de la foule ; les hojmmes peu. 
ordinaires qui sont remarquables par 
des qualités ou par des circonstances, 
rares ipt piquantes; les hommes célè*- 



Tn i V- A c «•. 

Jbres par le bien ou le mal qu'ils ont 
produit ; voilà ceux qui ont droit de 
pous intéresser ^ et qu'il nous importe 
de connoîbre; ce sont les seuls dont les 
portraits méintent d'entrer dans la ga- 
lerie que nous nous composerons, parce 
que ce sont là les seuls dont Vétudç et 
la connoissance puissent exciter notre 
ciu-iosité^ ou nous devenir profitables» 
Pour tous les autres^ laissons-les igao-^ 
xés et perdus dans le torrent qui les 
Si emportés , et au dessus duquel ils 
p.^ont jamais si» s^élever. 

D'ailleurs, il y en aura toujours assez 
f^e ces derniers, qui viendront néces- 
gaîrement se placer autour des Grand§- 
Jlommes que nous aurons à étudier. Cair 
il est ijpaportant d'observer ici que Iç 
porti-ait de Vhomme le plus intéressant 
seroit tronquée, froid ou muet, et en 
quelque sorte insignifiant, s'il étoit vé^ 
ritablement isolé j. et ne devons-nous 
pas convenir que ce ne seroit présenter 



il} f K t T A C E. 

iin Grand - Homme qu*en profil et à 
demî^ que de se borner aux anecdotes 
qui lui sont absolument personnelles ? ^ 
Seroit-H assea connu , si on ne voyoit 
pas quék sont ceux dont il s^est entouré , 
quels sont ceux qui ont eu part à sa 
confiance, à ses faveurs, ou qui ont eit 
à souffrir de ses erreurs ou de ses in- 
justices; si on ne voyoît pas également 
comment il a traité ceux qui l'ont seryî 
et ceux dont il a eu à se venger ? Il ne 
s'agît pas ici d'examiner si ceux que Fon? 
placera dans ces cercles d entourage y, 
méritent ou non cette préférence* par 
eux-mêmes; ce n^est pàs^ pour eux, qu'ils 
y figurent, c'est pour mieux faire res- 
sortir le principal personnage» Il fkufc 
donc avouer que te principe établi ci-- 
dessus contre les homnies; ordinaires et 
peu remarquables , ne doit être prîs> 
dans toute sa rigueur qu'iautant que ce^ 
seroiten quelque sorte pour leur propre' 
compte, -que Ton iràpporteroit les ane(>- 



♦ .• * 



J 

ï B. i ï À C E. xii. 

dotes qui leur, appartieniïent ; et que 
Toa doit se permettre toujours: plus de 
licence à cetiégard, à mesure que le$ 
personnages subalternes dont on parle, 
ont tenu de plus près aux autrçs hom- 
mes que l'on veut principalement, faire 
connoître ^ et sont plus propres à eu 
faire apprécier les bonnes oii mauvaises 
qualités* ; 

Les considérations que je viens de 
mettre souis les yeux des Lecteurs , 
m'ont singulièrement frappé dans tous 
les temps; plus je les ai méditées, plus 
celles m'ont paru vraies- Ge qui en est 
résultîé , par rapport à' nioi ^ c'est qîie 
j'ai dû regarder les Mémoires comme 
très-intéressanç i très^instx^lictifs et très* 
nécessaires, . lorsqu'ils ont les Grandsr 
Hommes pour objet En partant de ce 
point comme d'un principe indubita- 
ble , j'ai vivement désiré, que nous 
•euasious à léguer à la postérité, des 
Mémoires particuliers et très-détailléa 



sir .» H 3Ê t i 6 «^ 

10U vraiment complets sur Frédéric lô 
<îrand; jai vu avec peine que per* 
sonne ne s en occupoit ; et , à défaut dé 
tout autre ^ j'ai osé m'en occuper moi* 
même ^ il y a plus de vingt - cinq ans* 
Depuis cette époque , cette idée ne m'a 
Jamais abandonné ; elle m'a poursuivi 
par-tout; d'autant plus qu'après la mort 
du marquis d'Argeris y et de tant d'au* 
très hommes de mérite qui avoient été 
si biëh placés pour être instruits des 
moindres détails > il ne restoit peut-être 
que moi de qui l'on put attendre quel* 
îqae* dédommagement de leur silence^ 
Oest ainsi que j'ai rédigé l'Ouvrage 
tjue je publie aujourd'hui^ 

La première loi que je me suis pro* 
posée y celle dont il ne m'est jamais 
venu en pensée de m'écarter en quel- 
<|ue point que ce soit^ a toujours été 
d'être vrai. Je déclare solennellement 
que je ne me suis petmis aucun mot 
qui ne fui tel à mes yeux» 



tljuclques Lecteurs m'objectefoiènt-*- 
ils à ce sujet les discours directs que je 
Fais teoir à la plupart des pet-sonnes 
que je mets en scène ^ telles que Fré- 
déric , Marie - Thérèse , etc. ? Si Vota 
^toit tenté de me faire une semblable 
objection^ je diroîs que jamais les bons 
esprits n ont taxé d'infidélité les plus 
célèbres Historiens grecs ou romains, 
ûont je suis ici l'exemple. Lorsque \ 
dans la guerre de CatUina , Salluste fait 
parler ce chef de conjuration , ou Céwsar^ 
son protecteur ; lorsque Tite-Live fait 
faire par Mutius-Scévola une réponse 
si sublime àPorsenna, sont-ils infidè- 
les ? Non, sans doute ; ils ne éont qu0 
vrais , puisqu'ils ne sont que traduc- 
teurs. Ils traduisent dans un langage , 
qui est le leur , l'ame , les pensées et les 
sentimens de ceux qu'ils font parler : 
ils ne seroient repréhensibles qu'autant 
qu'ils leur. Êeroient dire et penser des 
«ho^s contraires ou étrangères à ce que 



»v) pJEl. i F A G *. 

ces personnages ont naturellemeût dù 
penser et dîi^e. Je pourrais me borner 
à cette preiùière observation, et mé 
regarder coôime justifié par ces ^xem-* 
pies si justement respectés; mais ^ non-» 
«eùlem^nt je n'attribue à mes interlo-* 
cuteurs', que le fond dés pensées que 
je sais avoir été les leurs', je suis assuré ^ 
de plus que je ne présente ces pehsées 
jque dans le mode et la' tournuire qui 
leur ont été propres* Je vais plus^ loin; 
car je ne ^eur attribue pas Une pliirasô 
iitiârqpatitej qu'ils n'aient dite tqlle que 
je. la repportie,; cfest de quoi je suii 
absolument certain par la forte ini-< 
pression que tes: mots essentiels à con4 
server o^t faite sur moi, et pax lie soinr 
que j'ai mis à les retenir^ lorsque/c'esC 
à mçi qu'ils ont; é^té adressés, ou qu'on 
me les^a: rapportés ensuite* Si onâv-oit 
;écrit ces, mots Sfous.la ditîtée de leurâ 
Auteurs, je réponds qu'on les trouve* 
jroit tels q^i^ je, les rapporte. Xai très*» 

particulièrement 



r:il.ÊP AGIT/ Xvi) 

particulièrement "jétudié toutes les for- 
mes qui îétmèrtt dévetfûeà^ familières où 
qui étoiënt nalurellés à Frédéric. Et 
quelle attentîoii île dônnois - je pas à 
tout ce qu'il me dîsoit, moi qui étois 
si :viv6nient: frappé de riiii|>ortance de 
ne lui Faire que des réjpônisès convena- 
btes! J'ai recueilli avec les mê rates soins 
tout ee que ce moiiarq;ue à dit à d'au-* 
très. Vixigt personBfés* m'ont raconté, 
par exemple^ la scène qui s dst passée 
entre lui et*Vdltaîre>y"aû sujet dii doc-^ 
téur Akakia*, «t toutes me Yont pré- 
leiitée de même. Quant àlix dialogictes 
entre Marie-Thérèse et lë Savoyard qui 
h. seryoit, c'est Trenck'laî-td«nè qui 
m'en a instruit, â Paris, en 1789; et je 
v^ài pas manqué de le^ bîeii interroger 
sur des détails aussi! intéressans. Ce pau* 
vre baron me regar doit presque comme 
un de ses compatriotes; ilsavoît quel 
accueil j'a^ois* rfcçu^ de la pëi'sonne qui 
lui avoit été '4a |^Las chère; et moî^ coœ- 
I. b 



< 



I 



ijien nVtoi*:/)©' pa» PWpreseé de refiteiv* 
dre sur' tous^iles., point». de son histoijne.- 
. que je p avoi» pu apprei|<|re d'ailleurs I 
I| me pad^i donc avec confîaiice^ et je 
récoutai ayec <^t intérêt qui fait qu'eue 
si;ite bu ^ QH)}lie -pftç œ qu.oa a en- 
tendu. Je n titrerai pas dans de plua 
amples détails^ pour prouver ma sorti'* 
puleuse exactitude dans tout mou Ouv 
vrage« Les faits que je viens de^iter.^ 
suffisent pour Fétablir, îvu.que >'ai été 
partout et toujours le même*. . 
^ J$ ne disconviens pas qae je n'aie 
une franche et graii^. admiration j^uv 

!^rédérîc ^ et jpeut*^ ea étte atitrèment ït 

', * 

îïon - septemçAt il i^'a honoré de setf 
]^ntés .]gei)d«|nt vingt ans ^ mais j^ai im 
pendant yifigt: ans combien il étoitt 
admirable. sous ua tpès-gratid nombvtt 
de rapports y et {principalement souj^ 
les rapports, les plus esséntids. Je no 
dirai pas néanmoûis^ qu^il ëtoit san» 
dé&uts : et que Vga xpe: cite tin hovomtL 



JP p. É r 4 Ç ?• 2ci3C 

.d6 auî on puisse le dire ! Frédéric ayoit 
des défauts 5 il en .ayçit plusieurs 5 il 
en avoit quelques - uns de gravée, si 
même tous ne le sont pas chez les Rois. 

' ' ' * % 

JEJfi^ llien, si Ton ne vei;t pfis.reçpn-' 
noître que je ne suis que juste envers 
lui, malgré l'hommage qi|ie jç me plais 
i rei;idre à sa mémoire^ que Von, me 
cite un seul défaut qu'il ait eu , çt dont 
je veuille le disculper dans mfis Souve- 
nirs. Ses 'epnemis lui ep ont souvent 
reproché , que la ;marveillance au le 
bayardfige ont répétés ^et répandus ^ 
ma^ qui ii'ont jamais. été fondés ou 
prouvés. Jie nie les ijins avec franchise ^ 
€t jç. discute les ai^tres de bonne foi , 
jArcç que ne vouloiï* pallier aucim. de 
j$es défauts ^ ce Ji^est pas les grossir mal k 
propos^ et acçuîTiulèr ^injustemept ceux 

** ^ ' * - ' * Il 

^v'il n a pi^s eus, ;sur ceux qu'on peut 
lui rep^p^her. .^ 

Je fais .coivnoître lés défauts aussi 
Kea que les sraa^^s^ quialités de mon 

• ■ 

b SL 



XX F a ]S 7 A G s. 

liéros, parce qu'on peut retirer aùtatit 
de profit de la eonnôîssahce de ceux-là', 
que de la conaoîssancé de celles*cî. Diraî- 
f-on que de cette sorte je rabaisse Frér 
déric? Je citerai pour réponse, le moi 
d'un sage qui m'écrivôit à ce sujet.... 

ce Tous les hbnàmes ont besoin d'în^ 

* . ' ' 

^> dulgence; mais lés grands y ont plus 
» de droit que lés' autres : l'être qui à 
» des griflFès, a du mérité à les renfer- 
» mer souvent; celui qui ri^én a point', 
>3 li'a aucun mërite à faire piatte' de 
>) velours. » Eh bien , je prouvé que 
nuV autre n'a été 'mieux armé que Fré- 
déric y et que nul n^a réellement fait 
^àtte de velours plus souvent que lui 
'Mon respect pour la vérité a été 
la première cause qui m'a fait négliger 
les dates ' dans la plupart des anec- 
dotes que je rapporté. Content de bien 
ta voir les &its ^ et de né pouvoir pas 
en douter, je me suis mis peu 'en 
peine du jour, de l'heure^ ou -fiiêmé 



i 
I 



V K é F A C £• xxj 

de Tanoée où ils ont eu lieu. Cette sorte 
d'exactitude ^ appartient à THistoire , 
plutôt qu'à des Ouyr^ges semblables 
au mien. Je n'ai voulu .<jue peindre un 
Grand - Homme et ses alejitours , et 

r 

pour cela qu'importe si chaque ti-aît 
que je retrace est d'xin temps ou d'un 
autre ? Ne suJîit-il pas qu'il soit vrei ? 
Jci le temps ne fait rien à l'af&ire* 

Je né puis garantir qu'il ne me soit 
pas quelquefois arrivé d'écrire ,mal les 
noms propres, lorsque j'^i eu à parler 
d'Alleçpands ou de RuçpeSiijue j'ai peu 

connus. Je suis néaiimoiixs persuadé^ 

#. * ' , , • îy »».'».■ •■- ■ ■.' 

que si j'ai commis qjiif^lques erreurs 
seniblable's , je n'y^ ser^i t;orabé que 
très-rarement; mais il me ^uffit qu'elles 
soient possibles , pour q^e. je me ,fdsse 
un devoir d'en prévenir Je XiCcteur (i)^ 
Au reste, je prévois que Ton.poiiïr 

roit me ifaire encore deux autres rcr 

♦ 

erreurs de cette espèce : j'ai cortîg^. ^iÀis oeliè é^itiM- 
telles ^oi sont p^ venues i ma cotmoissance. 



XXÎJ T R ^ V A G È. 

proches, sur lesquels il est juste que 
je mVxplicjue; jLe premier est que.^ 
cjiielqufeîfôls je n'aurai pas dit tout ce^ 
que je savoiîs/et le second que je serai 
descendu , en cPâutVes occasions , à des 
détails que jWroîs dû omettre. 

Le premier de ces deux reproches est 
celui dont ïl me sera plus facile de me 
disculper ; car , lorsque je ne dis pas tout 
ce que je sais de relatif à une anec- 
dote que je cite, c'est principalement 
OU uniquement parce qu'il y a encore des 
Pefôônnes vivantes à qui ma fi'&nchisé 
pourroit nuire. Je h'ai point voulu offen- 
ser ; j'ai encore thoiris voulu faire tort. 

J'ai dû drdiudte , d'un autre côté , 
que mort pèùcnànt et mofci dévouement 
à !a vente j ne in emportassent souvent 
au-delà des' bornes où la vraie morale 
nous ptestrît^é nous arrêter; et c'est 
pobt ébhâppér égâ^lementà deux écueils 
opposés Vtm à Tautré , tjut jiô tae suis 
împôsélàldh 



f B. ^ I* A C 9* xxii j 

i^.jDe ne point me gêner dans mes 
flcritS^ mêmç pour c^Uxqui vivent en- 
core y lorsque je ne dk rien qui doive 
nuire. Je ipje sers ici du mot nuire y et 
non 4u ZQiOt déplaira:^ car il y a des 
^mes pusillanimes qui ont peur de tout^ 
et des âmes mQr03.es qui s^oifensent de 
tout. Or je ne pen^e pas que Ton doive 
immoler la. vérité à la fbiblesse ou «t 
l'irritabilité dçs unes ou des autres, Rica 
n^est beau , bon ou utUe^ que ce qui eçt 
vi'ai; et. les vérités morales > les plufi 
importantes de toutes^ n'ont pas d ap- 
puis plus frappans que le^ it^its. Un fait 
qui prouve une vérité morale , est 

• « 

donc , dans la société, un trésor prér 
cieux qni appartient à içnt le moiidQ^ 
et (ju'il n'est permis de 4érpber à perr 
|onne# Ij^a seule cause légitime' qjiiji 
puisse m'epgager à)e t^ire^ c'est Iprsque 
je vois qu'au lieu de faire le bien ^ cette 
publication seroit un véritable mal (l). 

(f) Je fâ» que malgré' tootttr cet raisoiH^ îtea fréa* 



xxiV 3P a è t A G È. 

2"". ly examinât Si les. pétsàiines vi- 
vantes à qui tel récit peut faire tort', 
sont de^ personnes privées oii àes per^ 
isonnés publiqi]e&; car^ daùs te preinJef 
cas y je? n'ai levdtûit d^invmolet • aucun 
homme à l'utilité générale; c^ê$t ;tout 
au plus si la société elle-même a ce droit; 
il est au moins vi'ai qu'elle ne Ta que 
sous de grandes Restrictions; En effet , 
les personnes privéesr n'ont point con*- 
tracté avec le corps social , l'obligatioti 
d'un semblable dévouemeat:eri restant 
^ans l'état de simple particulier, elles 
,n'ont renoncé à aucun des droits qm 
composent leur propriété personnelle 
€t individuelle. Le corps social ne peut, 
k ce qu'il me semble, s'arroger ces sortei 
dé droits sur les iïidividus, à mokîà^u'iî 
né s'agisse du salut commun» dans :ilil 
dàngéî* imminent Nul Ecrivain ne "peut 
dont, à plus' forte raison, usurper ces 

cfiiie n'a pas pla à tôat lé monde : mais quel rapport f 
a-trlt entr» les InNuiea mfiOfu'tt VmkslMti 'fit^ les 
caprices des eq[>rits injustes el di£Bcilea? 



¥ R i F A G E. XXV 

tocmes droits essentiellement ,, réservés 
à leurs titulaires , ou au corps social lui- 
même : d'où il suit que c'est une spo- 
liation très-punissable, que dé piibïîer, 
dé sa pk-opre autorité, les faits dont il 
est ici question , lorsqu'ils ne tiennent 
fati'à 'de simples particuliers encore vi- 

I * ■ • 

Vûûs. 

3q. Mais eit-^ôri obligé d*â voir la même 
retenue à l'égard des Fonctionnaires pu- 
blics ? Lorsqu'un homme accepté un 
emploi, gage de la confiadce nationale; 
lorsqii'il se soumet à des devoirs auxV 
qùëb la Patrie est ditecteraént intéres^ 
àée; lorsqu'il consent à jouir des titres ^ 
des; prérogatives, des émolutnens attà-* 
chës à la place qu'il occupe , ne se dé- 
pbuille-ti'il pas des droits réservés aux 
Gitcycns ordinaires? Ne se déclare- t-il 
pas le serviteur et ITiômme de tous ? 
Ne devient-il pas responsable envers 
tous, et justiciable de toute la société? 
S'il est infidèle, soit par ineptie, sôit par 



^X\|:j Y K i V A G. Su 

Itéglîgenep^ $oit par foiblesse^ soit pav 
préyaric^tioa, peut*il prétendre à rimr 
punité ? Dn;afit*^on que plus la defctç 
d'un :bpmme est/grande, moins l'ohli- 
gatîon de payer doit peser siir lui? Qt, 
cpmment. forcerons -^ nous les hommes 
puiss^ns à s'acquitter envers nous tous ? 
Et s'ils ne le font pas , comment .parr 
vipndrpns^nous à les en punir? Nous 
n'avons €Qnti''eux d'autres armes que 
)a vérité et le droit de la rendre publia 
que* ot. Far bonheur > ou par malheur) 
ar j'appartieiis tout entier à l'Histoire ^ ^i 
disoit le Frince Heûri, frère de Frédé-» 
ri.c. Tous les hommes publics devrcnent 
dire la même chose; s'ils ne le fontpas> 
s'ensuivra-t-il que l'Histoire doive pei> 
dre sa proie ? Ne devons -nous pas 19 
maintetiir dans la pleine jouissance de 
cette prérogative ? Si nous ne l'y main-^ 
tenons pas^ tou;t sera, adula tioBt; et que, 
deviendra la gloire des . Grands-Hom^^ 
ipes? Dqqc^ à n^ considérer les hommes 



P R é T A C £« XXvij 

publics que par rapport à eux-mêmes , 
TAuteur d^anecdotes ne leur doit que 
la védtéj k véritë, le trésor du monde; 
la vérité ^ qui &t en même temps I9 
ïtefuge des uns et l'école des autres ! 

Hâtons^iïous cependant d'ajouter qu0 
ces maximes îiréfra gables, et toujours 
vraies sous un preiiiier coup - d'oail ^ 
appellent et sVssocient une autre ma-* 
xime aussi certaine, et plus respectable 
encore-, savoir que les di-oit^ que nous 
venons d'accorder à la vérité ne peu- 
vent être exercés qu'autant que la so- 
ciété ne risque point dy être èomprôr 
mise« L'utilité publique est ici la basa^ 
de tout ; elle est la pierre angulaire y 
le premier principe , la première loi. 
Ainsi , lorsqu'il est possible qu'une vérité 
quelle qu^blle soit , produise par sa 
publication/ bon un bien, mais un mal, 
notre premier devoir est de différer de 
k dire, jusqu'à ce que le. risque dotif? 
je viens de parler eesse^ d'exi$tet*é II est 



]ÇvR E/ ¥ A C S. 

^)ieû évident cju'en général ce risque 
n'a plus lieu lorsque les personnes que 
la vérité attaque né vivent plus. Quel- 
quefôifi aussi la même ehaiipe s^offre 
encore, quoique les personnes niaient 
pus^cesséd^. vivre; mais il est facile de 
*y troiaaper^ :, oii peut aisément se faire 
illusion- s^ur ce point; et dans les prin- 
cipes du droit , ce n'est point à de simr 
pies piarticuliers , qu'il appartient de 
prononcer sur les doutes de cette espèce.. 
Jç conclus donc,, et c'est ma troisième 
règle, que TEcrivain doit suspendre la; 
publication des anecdotes qui provo-. 
quçnt le blâme , lorsqu'elles concernent 
4^ personnes publiques qui vivent en -s- 
çore, à moins que ces personnes ne 
soient notoirement ennemies de la Nan 
tion; car c'est toujours l'intérêt vrai- 
ment natiqnal qui décide ici. 

Je viens d'expgser les lois qiie j'ai 
consultées , que j'ai toujours eu desseia 
^e, sijivre , et. qui aeul^s m'ont dirigé* 



p B. i: F À c îi. xxix 

dans tout ce (Jue jaî raprporté, et re- 
tenu dans les circonétàiices où je n'ai 
|]îas dit tout ce que je sa vois. Ne suis-je 
pas fondé en conséquence à regarder 
lé premier des deux reproches que j'ai 
pu prévoir, comme ne poux^ant m'^être 
lait sans injustice? Mais eh seta-t-il de 
même du second? Ne m'accùsera-t-oà 
pas , avec plus' de raison y d^avoir pu- 
blié des choses que j'aiir ois dû sup- 
primer ? 

Lé défaut^ d'avoir îErop dit ne peut 
irt^étre imputé que sous le rapport po- 
litique y ou SOUS le rapport littéraire. 
Sous le premier de ces rapports y un 
mot suffira pour ma défense. — Je viens 
d'exposer les principes moraux que j'ai 
cherché à suivre; je les croîs justes, et 
je ne pense pas m^en "être écarté. Or, 
pour les sîinples particuliers comme 
mbt , hommes privés qui né sont que 
Citoyens, il h y a et ne peut y avoir 
d'autre politîquè • que la morale ; ces 



r 



^CXtr |> IL À 7 A. CZ. 

«A • • • 

deux termes sont synonymes pour moi. 
Si, aux yeux d^autrès personnes, opcur 
pant des pkces d'un autre ordre, et 
:«yant par-là d'autres relations et d'autres 
points de vue , il se trouve quelque» 
.différences essentielles entre ces deux 
termes morale et politique , tant pif 
pour ces mêmes personnes , je les plains. 
JVlais. je confesse que je ne vois point 
les différences qui peuvent les frapper^ 
et je sens que je ne puis et ne do^is y 
avoir Aucua égards Anaris de Tordre ^ de 
Ja justice et de la bieniâiaance^ ;déyoaé^ 
à tous nos Concitoyens , cosmopolites 
autant que lamour de la Patrie le per« 
met, soumis aux lois et les respectant, 
aidant à faire le bien autant ^ue nqu^ 
pouvo];LS en avoir Toccasioa; .du reste, 
paisibles et tranquilles dans Ja spl^èr^ 
où nous sommes , de quelle politique 
.out besoin ceux d'entre nous qui sont 
tout cela? Leur morale n'est-elle pas 
la première politiquç du monde, et ne 



f m < V A e i« lâ&f 

feroît«ofi pas bien de téavdj^r.À leui* 
école ^ ^\nt qui yettlent en avoit* une 
ftobe? Quâût^ à cette prudence' tâniâe 
et moins noble > qu?oÈi ; assimile qnèl^ 
^êfoh à la polifiqnê^ je me horoei^ 
à dter la réponse dje Fi^édérît A ceux 
qui rex'hortoîent à' prendre pin» dé 
précautions -céhtite les âssassms; « Ht 
» 'fi'oseréCi^nft^ d$fe^ii; et/en * tous, cas^ 
» la vie ne vaut pas tant' de soucis, ii 
Eu effet y qtnè doit craindre celui^ qui 
nti cherode quVi. être sana reproche r ' 
" Maïs y votis' le point de vue littéraire , 
à 'Cottibien d'^rds' né ttîe ^prochera* 
t-on p6S ^tiit - être , IC trop dbnt je 

pade ici*?'Gë n'est pôîM sur mon fetylë 

• <■ • » 

(jue ma? pensée se porte ; c-ëst <sttr uni 
grand notnlfre de persaauà'geii qiie je 
ne crains pas de placer âuccessîvemeni 
Mus 'lés yeulc du Lecteur , et sur: tan* 
A^necdbfees qui ne «pncemeht qu'euTC^ 
^t que f àccunade dans mes Souvenirs; 
Si dionè on nié reprocl^e ma faciHt<f 



x»y ï * É F ji c » 

à c0t égard ^ je sens qu'il me^ sem pkUi 
difficile y ^o]l de répoiidrQ^, mais: de 
oonvaincre et désarmer laQiiticfue. J'ck 
serai toutefois présentej* à oe çujetqueK 
ques considératioqs qui m^l^itent biea 
qu W s'y ^arrête ua instant ^n tout cas ^ 
elles! achèveront de jnem^p^trer tçl que 
j'ai voulu être dans cet Quvrage; ellef 
compléteront lia conie^içn que j ai ^ru 
devoir ftu Public^ 

Je me si^is; persuadé quç^ da^is vSfi 
Ouvragp tel que le mief$:^r.le ftp^mt .esrr 
sentvsl> après la vérité ^ui marche avant 
tout, est dç 4paQ^i*>ni^,4 desi esquis^ed 

ou de sixpp^s. dessins au josfryroa^ m^is 
de véritaî^les poptraite qù l'tja^^ retrouve 
tous les traits dçs. -çfiv^^t^^ et Bpème 
les couleurs , J'am© el/ 1* lihraionQin!^ 
qui leur app^rti^c^ent jUb^ , 0n voiin 
lant peindre un GrandrlÎQiRine^ je doM 
réunir et les traits qui le «distiaguent 0% 
le caractérisant^ et oçu^i: qu'il a de pomin 
mun avec les autres lioipia^». G» œ sera 

lui 



* R É^T A C B. XXXÎÎJ 

îuî qu'autant qu'il les aura tous. Peu 

impôt te alors qu'il y en ait qui tiennent 
^à une sorte de trivialité : c'est ;cet 

honime qu'il s'agit ide peindre, et on 

ne le peint pas *ins» cela. ; 

« Mais , reprend mon censeur ^î ce 

» que je blâme te plus, ce^ue sont pas 
o> les détails où tsous entre2s sur votre 

» Héros; je convieos que , par. rap- 

» port à lui/ tout iïousi présente quelr- 

» . qu'intérêt , et ;jer vous sais bon gré 
.» de UGL^en doilner une connoissânce 
• » complette ; ce que j'ai peine à tous 

» ^pardonner , c'est • de: vous étendre 
.» avec une égale x!omplaisance>. sur 
. » tant d'autres pez^onnages qui sont 

» très-peu intéressans en eux*mêmes et 

» pour vos Lecteurs. » 

On voudra bien, à ce que j!espère^ 

se rappeler ce que j'ai observé ci-dessus, 
.concernant les entourages des Grands»- 

HoDitaes. Pour faire mieux connoître 

Frédéric , j^ai cru devoir fairje bien 



XXxiv ï R it F A G *. 

xonnoitre les hoxniùes qu'il a successî» 
vemeat appelés ^ rdt^aus on soufferts 
arUtotir de lui. J^ai même voulu faire 
xx^rïnqître son règnfi y son pe^le et .son 
siècle. Alors xe nest plus seulement 
son portrait ., que j ai voulu offrir au 
public ; xnoa plan « été d'offrir un 
portrait eucadré », nom plutôt un vaste 
tableau dont Frédéric fût le person- 
nage porintipial y let où l'on retrouvât 
jiussi ^ dans leurs /attitudes et leurs 
:îiist3es proportions ^ tous ceuat qîui-^ 
;d%i /sou vivant , ovi plus ou moins 
appartenu au ;grôupe dont il a été 
ie centre. J'ai été* .persuadé ({ue si^ 
en faisant, passer tant de personnages 
sous les yeux, de mes Lecteurs^ je ne 
les y retenois pas.asseis les uns apr^ les 
autres 9 pour les . bien £iirp counoître y 
il a'enrésulteroit qu'une sorte de galerie 
-euprocession confuse et très^esinujeuse. 
Qui pourroÊt sbûttenir une iecture 
iquî ne présénteroit que d^s listas ^aussi 



'». • 



^ a K ¥ A G, 8. xxxy 



/ 



^peu întéressantes ? Je n'oublie point 
les principes que j'ai établis ci-djessus; 
mais il en est des principes en matièife 
de goût y comme des principes en mo- 
rale; si yous les serrez trop , vows les 
étranglez. Il faut toujours les avoir 
devant spi; mai$ il faut leur donner 
une, certaine latitude ^ sans qu&i l'on 
.devient pédant iet ridicule. fN^us âvon^^ 
» me^ dîsoit un jour mon J^r^ve méd^ia 
erlm, cinquante théories sur la 
» médecine , qui sont toutes fort bellas 
>> et fort savantes; mais observer bien 
« deux. choses: Tune, qu'aucune de ces 
» théories n'a jamais guéri pei^sonoe; 
»=et l'autre, q^'ïl ijtnppftè néanmoinis 
jo 4e les conaoître et de ne pas les 
^ perdre entièrement de vue , si Von 
j> veut sp flatter de pouvoir guéifir 
» ses njliladeSé » Voilà le véritable em- 
plôides principes^ quant à la pratique; 
si on les ignore, ou si on les méprise, 
QU tombe dacis les travers les plus fu- 

c a 



XXXVJ P R. É r A c i5. 

I 1 

nestps ; on se perd également , si ou 
n^ admet point les modifications que 
les circonstances exigent. ' 

Il y a {donc ici entre le trop et le 
trop peu, un juste milieu qu'il faut 
garder; il n'est pas aisé sans doute dfe 
le bien saisir , et il est encore plus 
difficile.de n'en pas sortir. Peut-être 
entraîné par la liaison naturelle dés 
évènemens, suis-je tombé quelquefofe 
>dans recueil du trop. Ge n'est pas en 
>ce qui me regarde , que je pense 
:m^être étendu au-delà des convenances. 
En rapportant, ce que j'ai vu- et en- 
tendu, il étoit naturel que j'ajoutasse 
€t ce que j'ai répondu , et ce que j'ai 
-fait ou pensé 5 je ne pouvois pas m'é- 
iclipser entièrefment : il étoit même juste 
et naturel que je me fisse âssez^ €bn- 
noître pour donner à mon Lecteur , 
une sorte de garantie de ma véracité (x). 

' (i) Malgré tontes ces raisons qni mè paroissent en<« 
49819 {K>nnes ^ qnd^nes partisans de la modestie à prêr 



r K É r A c ir-r. xxxviy 

Ge cjyki peut fonder des reproches plus 
plausibles y ce sont les détails que je- 
me permets sur beaucoup de particu- 
liers prussiens , et même sur des voya-*- 
geurs étrangers, et Russes sur-tout. 

Si je ménage peu Poterakin , je^, 
compte que la Nation Russe est trop 
équitable pour m'en savoir mauvais 
gré. Je n'ai été que juste ; je n'ai 
frappé que sur un individu qui na- 
* voit aucun droit à dçs ménagemens ^. 
et par-là ce sont principalement les^ 

clier aux autres , m'ont reprôcBë d'avoir trop parlé de 
moi. Je veux bien supposer que ces messieurs , s'ils 
avoient été à ma place > âe seroient confinés et cachésv 
dans l'anti-chambre : je porterai même , si cela leur 
faisoit plaisir^ la courtoisie jusqu'à convenir qu'ils au« 
roient très-bîen fait. Mais, comme la vérité est qu'on 
m'a fi^it Phonneur de me faire entrer dans le salon , 
je n'ai pu me di penser d'y figvrer selon le rôle' dont, 
j'étois chargé ; et comme l'objet de Mes Souvenirs est. 
dé raconter ce qui s'est fait ou dit dans ce salon , il a. 
bien fallu j faire aussi mention de ce que Yj ai dit ou- 
faità mt)n tour. Or ^ il me suffit en me soumettant à 
cette loi de convenance , de n'avoir point outrerpi^s£: 
le terme qu'elle m indi.quoil. 



xi[trt?iiî B B. Ê F A c e:' 

Russes que f ai vettgés. Ceux qui ttl'ôrtt 
connu, y savent que je ri'ai point de 
préventions nationales ; lés talens , le 
g^nie et les vertusi sont de tous les 
pays ; mais^ les mœurs, l'éducation et 
le gouvernement eu fâvorîstot le dé- 
veloppement, ou les étouffent. Lorsque 
les hommes puissans sont des Potem- 
kins- , un grand fléau pèse sur les 
Peuples. Lorsqu'un hoibme , qui n'a 
que des vertus , qui n^exisfè qu'en 
faisant et voulant le bien , qui ne con- 
noît que la justice, la piodération, la 
bienfaisance et la fermeté , tient le 
titilon de Tfitat y les peuples ont 
tout â espérer; îl ne leur reste qu'à 
remercier Iç Ciel, et qu^à bénir leuV 
Souverain» 11 n'est point de gloire , 
point d'éélât, pôittt de sorte debonhet^r, 
que les. Russes ne doivent attendre sous 
up. r^grie semblable^ > 

Je dois encore avouer qùfe si j'ai 
vivement désiré que mes Souvenirs 



T B. Ê r A C s. XXXÎJC 

pussent plaire à meâ compatriotes , et 
en général à tous mes Lecteur $ il 
est vrai cependant que les Prussiens^ 
et eri particulier lés Berlinois y *ont 
ceux que j'ai eus plus spécialement en 
vue. Je n'ai pas eu une ligne à tracer^ 
où je ne me retrouvasse au milieu d'eu* ; 
lés faits et les personnes më repor- 
toîénf , pour ainsi dire , dans dette 
ville j ou 7'ai passé les années les plus 
précieuses de la vie. Tout iretra^oît à 
tnès jfreux des babîtaiàs à qui f ai ^ vcrtié 
estime et reconnbîssance ; -et en cela y 
hieîf 'Souvenirs m'eii dèvenoient plus 

■ . » • • 

<5Kers. Il suit de là ' qu'il y a deà pei> 
èonnes ou des anecdotes dont je ne me 
suis occupé, que parce que je m^imagî- 
ïioîs que les Bêrlrrtoîs y prehdroient 
un intérêt plus vif. Si' donc d'autres 
Lecteurs pensent que je me suis trop 
étendu sur quelques points, ils n'ont 
qu^à se dire : a Ces articles sont adresses 
» aux Prussiens ; TAuteur les auroit 



ri* - P-R'-É 'F A C E. - 

« probablement omis , s'il n'eût écrit 
;?; que pour nous.^ » 

Encore un mot. Quel est l'Ouvrage 
asses? heureux pour que tout y plaise 
a tout le monde ? Et de quel droit le 
Lectqur peut - il proscrire le passage 
qu'il n'approuve pas, si d'autres . Lec- 
teurs en sont satisfaits? Par malheur. 
il ». ' ^ 

ce que 4 les censeurs de profession our; 
blient le mieux ^ c'est qu^'ils pe,sont pas 
les seulsj qi^e l'Ecrivain doive chercher 
à contenter, çt: que leur autorité ne 
fait pas loi. -Dans un rpcueil ,d'-Aixec- 
^ptes , tout ne peut pas. être de la 
ii^ême importance; et d'ailleurs il est 
bon, ^que l'on ménage de tepaps en 
temps au Lectepr , des points de repos 
où l'ame se dé4:ejade. Toujours de Tad- 
jniration^ ou quelqu'autre genre d'in-, 
térêt que ce ^oit ,; produiroit bientôt 
vcL\ épuisement total : il faut de la va- 
riété , non - seulement dans la scène » 
dans les faits ,. dans les personnages^ 



I! R. i T A C %. Xly 

Hiaîs encore et sur-tout dans les afifectîons 
auxquelles on nous appelle. 

Qu'on ne s'y trompe pas : ce n'est 
point une Hùtoîre que J'écris ; ah l 
sans doute , si je me constituois Histo* 
rien , je voudroîs être grave ^ sérieux 
et noble* Ce ne sont pas même des 
Mémoires que j'offre au Public. Des 
Mémoires exigent encore une méthode 
sévère^ une marche régulière^ un ton 
mesuré et un choix bien calculé. Le 
style épistolaire a lui-même aussi ses 
rc^gles, qui souvent astreignent l'Auteur 
a suivre une certahie ligne, et à ne 
pas s'en écarter. Je me place au dessous 
de tous ces genres ^ d'Ouvrages. Je n'ai 
voulu donner que des Souvenirs ,• et , 
en vertu de ce titre , je ne dois offrir 
qu'une suite de conversations. L'aisance, 
Ja liberté y le naturel même familier ^ 
doivent seuls former le ton que j'ai à 
prendre et à garder, sous peine de prou- 
ver que je ne sais pas être ce que je suis» 



V 



xllj ï R É F À c s; 

Ce sont des Soûpemrs quejèdônti0 
au public, et il est de la nature des 
Souvenirs de passer aaez légèirement 
d'un fait à l'autre , sans autre motif 
qu'une certaine analogie, ou ce que 
Ton nomme des à-propos. Si l'on veut 
user dans un Ouvrage de ce genre ^ 
d'une sévérité rigoureuse ; si l'on veut 
soumettre ces sortes d'Ecrits à une mé- 
thode trop roide et à une marche 
compassée , on les rend monotones y 
guindés , fatigans et froids. On leur 
fait entièrement perdfe le seul charme 
qui leur soit propre, celui de Taisance, 
' de la liberté , et de cette négligence ^ 
de cet abtfiiddn' si précieux , auquel on 
6e livre dans le sein de k confiance et 
•de l'amitié. Ah! laissez-moi croire qu'ici 
.je cause familièrement avec des âmes 
franchea et de bonne foî ! que je puisse 
leur pailler-, peut-être avec un peu de 
-desordre, mais au lïioins avec sécurité 
•et sans aucune espèce dé contrainte ! 



r B. é 'î A G E. xlûj 

_ f 

tl je n'aurai que la vérité pour guide, 
qfue ma confiance pour appui. Ce sera^ 
sans inquiétude que Je dirai ce que ^e 
sàîs; ce* sera sans méfiance * que Ton 
m'entendra. Nous serons toits justes et 
dans une honorable sécurité , moi en 
contant avec bonhomie, ainsi que cela 
convient à mon caractère , et eux en 
ih'ccoutant avec complaisance , ainsi 
que les Y porte leur honnêteté person- 
nelle. Mes amis , je Vous d;s ce que 
j'ai vu ou appris; je le dis sans préten- 
tion, aimant à croire que vous pourrez 
en tirer quelque profit. Voyez , de 
votre côfé, ce qui peut vous être utile 
ou agréable ; appropriez - vous les 
traits qui peuvent vous convenir à 
Tun de ces deux* titres, et pardonnez- 
moi le reste. 

Mon respect pour le public m'im- 
pose le devoir de dire ici, v^h mot 
sur ce que les Journalistes ont. ji^gé 
à propos de dire eux-mêmes de cet 



-»KV PRÉFACE.. 

Ouvrage , après la première édition* 
Je commence par remercier bien 
loyalement çeu:^ qui m'ont traité avec 
honnêteté. Je remercie plus vive- 
ment encore- ceux qui m'ont indi- 
qué les erreurs où je puis être tombé» 
Je mets leurs avis à profit , dès qu'ils 
parviennent jusqu'à moi , et autant 
que je les reconnois conformes à la 
vérité. J'ai à cet égard un véritable 
regret y de n'avoir pu encore me 
procurer quelques - uns des impri- 
més qui ont paru en Allemagne, et 
où je saîs que l'on s'est occupé de 
mes Souvenirs avec assez de détail ^ 
pour y consigner des observations et 
des faits qu'il me seroit utile de re- 
cueillir ou de vérifier. 

Quant à ceux qui m'ont maltraité ^ 
sur - tout en France , je ne les re- 
mercierai pa& : je ne répondrai pas 
même à leurs diatribes ; l'accueil que 
le publi^ a daigné faire à mon livre ^i^ 



P R é F A C B. nlv 

ne suflfît - il pas à ma justification ? 
Cependant , il en est parmi eux jus- 
qu'à deux que j'ai été tenté de re- 
mercier y de la virulence de leurs 
injures , de la maladresse de leurs 
objections , et de Tabsurdité de leurs 
opinions personnelles. Et^ comment 
ne pas être charmé , de voir ua 
homme qui , voulant vous décrier , 
débute jpar dire que vous avez' fait 
un ouvrage sans^ plan , sans ordre \ 
sans esprit , et sans style ? Peut-il 
mieux avertir ses Lecteurs, que'c'iest 
la passion qui le fait parler , et 
que Ton ne doit rien croire de tout 
ce qu'il va dire ? Lorsqu'ensuîte il 
se formalise , de ce que je ne lui aï 
' ."^as fait ma confession relativement 
' aux matières religieuses , ne poiirroîs-jè 
pas lui demander dé quel droit y ét^ 
à quel titre il se pourroît mêler de 
cette affaire î lui 1, què'jé 'fae^connois 
pas , A- qui je ne dois rien ? ' ^ 



i. 



Jtîyj PRÉFACE. 

Quoi I j'aurois été vingt ans k 
laisser ignorer ce point à Frédéric , 
qui , certes , avoit quelque droit 
de s'en informer ^ et qui étoit un 
si grand homme j et je viendrois 
aujourd'hui p hors de propos ^ le 
dire au Public ; qui ne . le demandp 
pas , et à un jeune homme , dont 
je; ne songe guère â scruter la cons- 
-cience ! Tinconséquençe seroit - éllp 
pardonnable ? Tout nVst pas né^a^ 

smoins aussi maladroit chez ces mes- 

^ . ^ • » • . 

«îieurs j ils >ont même eu rf cours à 
une perfidie dont , je n'anrois pas cru 
qu'un hoimne fut capable : c'est d^ 
prétendre , en , s'appuyaut de men- 
songes bien hardis, que mes Souvenirs 
ne servent qu'à décrier Je héros ,, 
^ont je veux célébrer la mémoire, 
Jl est vrai que , pour cela ^ il leur en 
<îOiit^ un paradoxe bien ridicule ^ 
puisqu'il pe tend à rien moins . qu'^ 
condamner tous les grands hommes 



!P R i F A C 2. xlvij 

à n'avoir plus de valets - de - cham- 
bre , à moins qu'ils ne prennent 
poup ce service, des sourds et muets 
quQ M. Tabbe Sicard n^ait pas eu 
à 'instruire. Toute cette sottise tient 
à' un seul principe : c'est qu'il ne 
faut pas montrer les grands hommes; 
qu'il faut^ très-soigneusement les tenir 
cachés dans une niche , comme le 
Grand Lama, et ne permettre qu^aux 
principaux brames de les approcher. 
Au reste , je sais "fort bien dans 
quel antre on est allé , tous les 
soirs , concerter toutes ces niaiseries : 
c'est l'antre où l'hypocrisie , pour 
dénaturer la religion, s'ajuste, comme 
elle peut , le masque de la piété , 
mais se l'ajuste fort mal', conjme on 
le voit* 



1 1 » 



r ■ 




r 

* A 

1 



\ 



FB.ES EHIC 






FRÉDÉRIC LE GRAND. 

vaintiRic dans sbs entrstibns 

ORDINAIRES. 



. ' . I 

fiL MON arrivée à Berlin , le i6*mar8 1765 , je 
n^^us riea de plus pressé que d'éorire à M. la 
Calt, lecteur ou secrétaire des commandemens 
âtt jroi^ et d^ le prijbr de rvoufoir bî^n de« 
mander et me iàire connoitre I^ ordres de sa 
majesté, tant ^, mon égard « que par rapport & 
un paqujBt que M* d*Aleipbert m'aVoit. confié 
pour :elle t en me témoignant désirer que 
je pusse, le remettre moi- même* Je reçus^ 
le lendemain, ordre de me rendre à Potcdam 
le surlendemain ponr trois henres après midi 
au plus tard. J'arrivai an jour et avant l'heura 
mdiqqée chez M* le Catt , que |e trouvai enr 
core à table» . 

J'étois. d'autant plus curieux de voir Tré^ 
dérip de près* et de le juger par moi-même^ 
que je ne savois encore quelle idée je devpia 
m'en former. Toute l'Europe s'accordoif à 
le regarder comme un grand militaire et 
comme un homm9 de génie; mais rien n ëtoif 

I, ■-..... ^. ... 



53r Entretiens ordinaires ^ 

faisoit de sou caractère et de ses qualités 
sociales, politiques, et morales, tes iïnsTê 
^ég^i^i^At tdiMiiéïiâ sàgèy 6t>nM0'iibjg<-3tid 
roi , et en mêAë 'tkiS&pa «éokittne un savant 
distingué et un philosophe très - aimable ; 
les autres le représentoient comme un tyrai^ , 
àii %'à'M^m' éimé , '\i: tiii' Wiiéblt et 
■ ààf^it'^ tfkcH^Mmè: -Od i Mi'*iM!moit ; ou 
ttei'y^^tiMLé 'pUtiké"k'vima.\ixmM ; ' du- U 
vÙe§ià plàs"ô'(ïie=ù'i; fet 'ftsAcèote iëà\}tii 

ioieiii': piîâi'éiîi'^ ' àhiîS^' ati iiidtAfeiit éè' tixoH 
âëiiart^afe'ffài^cé^''i'tiûe=V(Àfe^ife'hlêtilrè!uk1 

^"PÊuràkmïlV Vou's'-^liré^ I'â=^i^cïféii %àë 



»"àe'Vdus'bktlrëVf><)^ott lifen Véôir jiiâcpi'ft 



}V ffië disôit-onaiiH^auire coie, gaiuc*->uaa 

^'■è'^$eniehï'^AlHûï»ë Bu dô iiiî a«ja^^^ 



litêàlë 



(0 l^Pt guerre de sept ans, 



. de JFrédérît. St 

* • • • 

» commeautantde citrons, (lont il faut jeter 
)> récorp^ quaud on en 9,e:^parjnié le jus. £t 
» n'est-ce pas. en effet ^i après cette maxime ^ 
p que l'on peut le mieux expliquer s^ cont 
» duîte, tant ayec Voltaire^ qu'ay^c tous le^ 
» hommes de mérite qui Q^t eu Ip malheur 
^ de l'approcher? » lit à ce propos , ^p n© 
se lassoit ppipt de me répf t^r mille ançc?? 
dotes ' dont on n^ vouloit point que j.§ dQUr 
^as^ç , çt toujours plnf réyoltan^es le^ unes quo 
Iça ^u^res. En un nipt , pp c^ oyoit ne pouypif 
pas tx^op is*9ttad2er à nie le peindre qompii^ 
^^ssQntielJeniiept immçrfil, dpr^ insensible, 
(PpibMf efl?;^ foiif Jjpj txôîtrei amhiUeux> avare 
/ltqruel.._ / 

Si l'on, oçw^idère q^^t Bottant entre des 
jd46^. ^^^^i ^^PPPS^^^ V i.^ n'avois encore, au* 
jfuiip prenF^ isufiisanle 4^ la vérité des une^ 

^ 4^ aulr^ ^ on ,n aura pas ^ peine à se 
per^mi^r "que je ne devois approcher de San^i- 
$p];ici qu'avec une yive sollicitude , une ex- 
|ï;êm^ curjpwté , et la pli;i.3 grande dispositioji 
4 n:ie rendre aussi attentif anx ipoindres cir- 
^Gop^tanee^ , que réjseryé et circonspect dai^s 
f^ que j'^i^rçis à dire. 

. Dè3 que M. le Catt ^kA fini son dîner , 

• ■ ' • 

jjpos montf mp^ eç voi^i^re poivrions rendre 

D 2 



52 ^Entretiens ordinaires 

à iSans Souci, placé snr une hauteur, au* 
dessus et à une demî-Keue de Fotzdam. 
Occupé , comme je devois Tétre , de lobjet de 
mon Voyage , je demandai à mon guide , si 
ceux qui étoient admis chez le roi, avoient 
quelque étiquette particulière à observer. 
1» Une seule , mé répondit-il , celle de baiser 
■m le pan de son habit. •*— Gomment , lui disrje , 

• et de quelle étoffe est donc son habit? 
» — ^ Il es t de laine. — ^ Il n'est donc que de dra^ 
V comme le mien ? Or , quoique lé mien me 
» tienne de plus près , je n*ai jamais songé à 
1» le baiser. — ^ Cest plutôt la veste que Tha* 
» bit que Ton baise. —-Et quel titre la Veste 
•> a-t-elle donc de plus que Thabit ? —-Cest ua 
» usage du Nord , auquel lui-même n*attaehe 
» aucune importance^ sur-tout vis- à-vis des 
«> étrangers et des Français ; aussi n*en iaitOB 
» pour Tordinair e que le semblant . — EcouteZt 
1» monsieur ^ ce semblant ressemble trop à un 
» mensonge , et ce n'est pas ainsi que je veux 
i> débuter envers un aussi grand homme. Je 
» .chercherai de mon mieux à lui marquer 

• mon très-profond respect; mais me per« 
» mettre une chose qui , à mes yeux , n'est 
% quune jonglerie basse , ridicule et puérile, 
9 je n'en ai pas et n'en anrai jamais le cou« 



de Frédéric. Sj 

> rage. Je ne chercherai donc à lui baiser ni 
n rbabit, ni la reste ; je lui ferai ) comme dans 
» lacomédiedeMolière, mes trois révérences^ 
» sli m*en donne le temps. C'est tout ce que 
» je puis promettre, et )*espàre qu*ii voudra 
» bie:ii s'en contenter. » 
. Nous arrivâmes au moment où les sécrétai* 
res du cabinet: entroient pour la signature des 
lettres ; travail qui devoit durer une bonne 
demi-heure au moins. Pour mettre ce temps 
à profit, mpn guide me conduisit chez mi lord 
Maréchal , vieillard respectable ,. intime, ami 
du roi , et logé à côté de lui. Ce milord me 
reçut comme les grands seigneurs reçoivent 
quand i(s ont de l'esprit, et qu'ils savent se 
respecter; c'est-à-dire, qu'il me reçut avec 
politesse , simplicité , et dignité, a Vous me 
j) voyez ^ me dit-il , dans t'appartement d'un 
» grand homme y dans l'appartement de 
» M. d'Alembert. Dites-lui , quand vous lui 
n écrirez , que c'est chez lui et au coin de 
>} son feu , que je vous ai demandé de ses 
Il nouvelles , et que je vous ai prié de lui faire 
» mes pomplimens. » Quelques détails sur 
mon voyajge et diverses nouvelles littéraires ^ 
remplirent la demi - heure \ au bout de k* 
quelle on vint nous avertir que les seGré«> 



Jj^r EntrâUèfhs^ ùYdhiimres 

f aires an cablaet v^noietii de âê retirer^ Ainsi 
BOUS quittâmes milôrâ Màrét^t s et révkmes 
dans les appartèmeiis du toi. 

Le fotir ôommèDÇOit à J^aifisef \ M. le C^it 
me fît avancer le pjeeniier , et jfëèttt tbttjotirf 
un pas ou deux en arrîèrd ; le roi étpit dé-^» 
bout, et*avoit l'ait d'utt hottimé qui èë pro- 
mène *dàns sa châttibrè. bèd^'il tti'^apêi^Çttt; 
il vint à moi, en me disÀiit t ^cBoBisoir, 
3> inodsieur , je'suië bîeû^-aisë âë V^^ voir y 
a> et de faire cobtiôisââncô avec i^^ms^.» Dès 
cet instant , les quès titans sè Suctiédèreïit 
tellement de sfa part, que la cônVertatibn étL 
devint très -jWtpîde ;' rt elle se sôufiiit à peu 
près sur le même ton , tout lé temps ^aiX me 
retint, c'est-à-ilifë, pendant près tie deux 
heures. Il n^eût dé moi qu'une révérënee ; \é 
peu d'espace qu'il kis^a entre nous; deux, et 
mon empressement à lui- r^épondte*, suffi- 
soîent pour me fâîi*ê renoncer' aux autres. 
J'eus à peine le tempe de lui ^emettlre le 
paquet de M. d^AÎenlbert. On m'a voit averti 
bien des fois qii^fl exigeoit sur-tout des rëpdn- 
ses franches , directes , courtes et pi-omptes ; 
aussi n'eut il souvent de moi que ^ies demi-' 
phrases , où inême un où deux tnots. Il dé- 
buta par me deïnànder comment s'écrivoil' 



(|ue) ay(Hlt) é#é l^te* fiei rooii pèpfe ^ si î'avçi;? 
d^ firèr«$ iW 4ç& «(EBFS » q;ufl^M4* W>n ^gp t 

if^^p^ 'féw, sï î'^tqis mAri^ I */q^f% ftw^ç 

»^s priHf {p^to^ ié*çi4^ ^ » j'*Voji^ iait iiPK^i? 
mer quelque^ 0qVrag?s , ep qwHtaf 4e 4fti|t^ 
4'i^Tofa Ito^. d'QUvft^fe (l'^tewbgJ^t » fît jjaf 
139 j 9t^«9^ p^$4!en v^î^ 4® Ppris a BwUq^ 
âw ma i^épo^siei à cette, ^erçièfe question , 
4Jii je hij âi^.q«e. )'ayOW pap$^ pf^r StUîkai:t^ 
If pivembfarg e^ Pr^sde ^ il parut étpuué d^ji 
idétour çp]ii^44i:^l;>le l^^e j-^vois fe^it, Aprè^ 
JiJfj^ j^ iHi.RUfiidftqu^ jp j^^avo^s pria çfiiiç 
^ç^te qvç: poj[^: éviter des chemins plus e^ 
JjT^^ans encore , sur-tout en hiver ; e^ que 
^éfioit vkn M. hi^rri , négociât de Berlin , 
^^^, ^e tf oïi:yîsipI ,4 Pwis » w'aypit |rac^ j]fipjpi 
it^^r^e^ jl I9P démoda cçxoinent iio^j; 
ayiop^ pu nous fiijriç enteflidre, ]|pa ïevofo^e çf: 
M^f danf un p^ys oii c^rtaiBemeiit persoiuie 
Uo s^voit.Ie frfu;Qais.:*<r- (( J'ai ac^et^ à,Stra3r 
^ bourg 5 lui <Jif^ je, un.e grapuMjî;? jallen?au4ei, 
j^^ I» fi|i ^ç laquelle p« ^ pjiac^ W vac^lju»- 
«lïgûfe aasie^i aniple , e^ $!qi»R«s4 poupr W 



TO Entretiens ordinaires ^ 

» voyageurs. Lorsque j'ai ea besoin de qaél» 
o que chose, ) ai eu recours à mcxi vocabu-* 
if> laire ; et si j'ai éprouvé trop de peine à 
» bien prononcer le nom de ce qu'il me fel- 
d>Iott, je lai donné à lire, et on m'a servi. 
i» Arrivé à Nuremberg , j'ai rc^coûtré un 
% capitaine de votre armée , qui revënoit de 
» Savoie , sa patrie , et qui savoit les deux 
% langues. Nous avons fait le Teste de la 
'à route ensemble ) et il nous a servi dflnter^ 
» prête. — Gomment s'appelle cp capitaine ? 
19*— Il s'appelle Fa^rat^ » Nous parlâmes quel* 
que temps de cet officier et de son frère , de 
sorte que je^ crus que je ]^ouvois saisir cette 
ÎDCcasion d obliger mon compagnon de voyage, 
ien racontant ce qu'il m'avoit dit de ses opéra» 
tions militaires dans quelques-uns des endroits 
par où nous avions passé , et sur- tout en par* 
iant de son entrée comme prisonnier dana la 
Tille dé Dresde, au plus fort dé ffaiver, couveft 
de six blessui^s^ et presque nu. Mais qnel^ 
qu^adresse que je misse à indiquer ces faits ^ 
sans paroître y être déterminé par aucun des- 
sein particulier , je sentis bientôt que je fai- 
sois une faute^ et ne songeai plus qu'à ter- 
ixiiner ce tableau indiscret. En effet , le roi 
étoit subitement devenu sérieux et distrail f 



de Friditià. «^ 

regardant antour de lui , c omine for teinent 
occupé de quelqu autre pensée. Dès que ) eus 
abandonné ce sujet délicat , il reprit la parole 
pour me parler d^autre chose; il s'étendit un 
peu sur la. Saxe , et mé demanda si on a voit 
déjà réparé les désastres dé la guerre dans ce 
pays , et particulièrement à Dresde. Lorsque 
l'eus satisÊdt à cette dernière question, il 
passa à d autres idées , en me disant : ce Ainsi ^ 
» monsieur , vous ne ' savear pas. rallémand ? 
» — - Non , sire ; mais je Taurai bientôt ap-« 
» pris , à ce ^e j'espère , par le plan que je 
» me suis tracé à ce sujet. — Au contraire » 
D monsieur, je vous engage très-fort à ne ja- 
» mais rapprendre; c'est un bonbeûr que 
^ vous ne le sachiez pas. Si yous vous met» 
» tez en état de le parler , voua ne tarderez 
»/pas à contracfer l'habitude de faire les mé- 
3) mes germanisines que nous. Ce ne sera 
x> môme pas sans une attention bien soutenue^ 
.)» que VOUA pourrez échapper à ce danger » 
9» en ne parlant jamais allemand : il vous 6U& 
» fîra , pour 7 tomber sans votis en aperce* 
» voir, de nous entendre parler £rànçais. Ot\ 
» . à mesure que vous prendrez. nt)s manières 
^ de parler V vous remplirez toujours moina 
s>bieii les devoirs pour lesquels yous êtes 



f^i Entretiens àr&iaires 

1^. aippcdé en ce: pays ^ CÀnoment < tioûvsétm: ia 
agoôipur 6i le tad délicat 4<^5 localités ^ dea 
s» 'fiaeases « !da cairaolère ^ et du génts' de votive 
xiiatigia», et des ehè&*;idV»uvre ito^otre lîttét 
SD- nture^ lorsque de }oar en joxtr , ^am V0114 
» familiariser e|27 davantage aveé 4le& osages 
» tDutdifiérens et sdUTentconfatair^s? Ai^M^ 
n en votre qualité de gâtant iicahiDé , ^alcm:^ 
à) de bien suivre votre vocation 9^)e' vous dic^ 
y> snande votre parole d'honneur qm tous 
»» nat){^rendrezpa6 notre langue. » . Je ne pu« 
pas refuser de lui faire cette prcMuess^e, qpe 
l'ai dû tenir ensuite,, et que fai* teirae avec 
«ûtant de fidélité que dex^grets.T . c 

Ceci ncn» rapprochoit natnrdkétnent de 
ânes futures fendions; il m'en parla ussec 
brièVemrat, ©tmp renvoya' pbuîr lès détails^ 
À linstructiosî qii'il àvoit rédrgéd et rexnise'aa 
général de Buddenbrock pour nous. Il ni'oh«- 
^erva que ce géonéral étoit cliar^é pal' iùi de 
diriger la paîrtie é;GononriqpB'et de police >de 
éa nouviellb -écoie ; ajoutant qtie poqr la coa- 
clustedes étude&etie choix désconnaissanèes 
0lBvénabks ^aux nélèves 9 iH s'en rapportoît 
^E^ntièrement aux.professeors'vpersnadé que 
sous nous appKqneripns toasëgajonien^i à«en 
le^ir l'esprit djs^son.plaPi et A iseoiahder ses 



de Frédéric. ^g 

▼ùes. Il me itomma tous mes d;oIlègiies , et 
fit une sorte d'éloge historique de chacun . 
d'eux. 

Je crus que ceseroi* par-là qu'il tertninerbît 
notre entrevue, et qu'il altoTIt me renvoyer. 
Je me trompoîs. Il revînt à la langue fran-^ 
çaîse par une heureuse transition ; et il me* 
detnanda quels étoient , selon moi , les auteuts 
VîVans qui écri votent le plus correctement î^ 
français. Je lui nommai d'OIivet , d*Aïembert. 
BdflTon^ J. *■ J. Rousseau. .... Ici, il m'inter- 
rompît, en me disant: « Oh! celui-là est un^ 
» fou. — Sire, cela n'empêche pas iqu'iî n'é-' 
écrive correctement.— Maié vous n'avéz:^ 
» point nommé M. de Voltaire? — ■> Ce n^est 
» point par ouhli , sirë. Eh ! qui' pourrmt ou- 
» blier Voltaire? Je ne l'ai point ^omm^, parce 
» que, s^il est un de nos autéUt* che^ qui il 
» soit le plus difficile de remarquer des fautes 
3j contre la langue , il ne meparoît ppint être 
» du trop ^eût nombre de ceu^ de quî î*ôrf 
» peut dire en g^ênéral qu'ils n'en fônt-poînt. 
iJ liC brillant de son imagination , le chàrrrid 
» de son esprit et de àôn style ne ]f)èk-hiettenï 
» pas au lecteur de voir ^és fautes i ni iûême~ 
» de songer qu'il peut en faire; mais elles 
i> n'existent paâ lûoins dans ses écïïlsi matgr^ 



Entretiens ordinaires 

« 

» le voîliB particulier qui les couvre. — On en- 
9 a également reproché à d'Oliv et , que vous 
» ayez nommé le premier ; on en a trouvé, 
3>méme dans son discours de reqiercîme^nt 
9 à l'académie française. — Votre majesté 
9 connoit le mot d'Horace : Celui-là est le 
n meilleur qm a le moins.de défauts^ — Voua 
» avez raison ; je me rappelle Vaventure de 
M d'Ablancourt : Avant de faire imprimer sa 
» traduction^ il pria ses confrères de Vaca* 
^ demie française de vouloir bien en eu'* 
9 tendre la lecture , et de hii indiquer les 
s» fautes qui lui seroient échappées. A la pro- 
» chaine assemblée après cette prière ^ il 
» commença cette lecture qui devoit être fort 
» longue. Mais la première page emporta 
» tout le temps de la séance. L'académie y. 
D trouva jusqu'à dix solécismes, qui donné* 
» rentlieu à d'interminables discussions. D'A* 
» blancourt remit son cahier dans sa poche y 
» ne corrigea rien 9 et publia sa traduction , 
» qui passe encore pour très-bonne et bien 
j française. — Je citerai encore Horace , sire 5 
7> lorsqu'il nous dit qu'on ne s'ofiënse point de 
» quelques taches , là où brillant de grandes 
» beautés. Cependant il ne faut pas porter 
9 l'indulgence jusqu'à oublier ou mécounoîtjcet 



de Frédéric. 6t 

3> ies principes. — F^rt bien ; mais ces prin-» 
» cipes sont quelquefois bien vagues. Pour- 
3> riez-vous ^ par exemple , nous dire jusqu'à 
» quel point Tellipse est permise dans votre 
D langue ? » Cette question me fit trembler » 
et manqua de me déconcerter. Je sentis que 
je ne pouvois y répondre d'une manière sa-^ 
ttsfaisante^ sans m'cngager dans de longues 
discussions grammaticales ^ qui ennuieroienft 
à coup sûr CQ monarque si vif, et que mémo 
il ne me iaiisséroit pentf-être pas finir. Dans 
cet état dé perplexité ^ je pris k tldstant mémo 
une résolution hardie, et qui pouvoit paroltre 
peu respectueuse. « Ma réponse à cette ques-^ 
» lion , lui dis-je ^ ne pourroit guère se fairei 
» que par écrit ; elle seroit sans doute trop 
» abstraite et trop longue pour pouvoir être 
» admise dans une conversation : mais dis 
» exemples rabriégereiettt. — Des exemples > 

9 reprit-il ^ eh bien , attendez » Ici j'eus la 

satis&ction sccrétte de le voir lui<*iliéme dans 
Fembarras où il avoit voulu me mettre. Je 1^ 
vis chercher, en parcourant le plafond det 
yeux , quelque phrase qu'il pût. me citer. U 
Vie chercha pas néanmoins long-temps ; il rci 
vint bientôt à moi^ avec ce vers de Racine ;. 



Ç^ Entretiens ordinaires 

J'obaier?ei d abQird que Mprmpotel lûe serti- 
blpit avoir posé ua priaeipe forl: sn^e dans $a 
PQlétîqfle,,an4i^^^t qu'il ay a ni équivoque 
ni obscurité à reprocher à un autour , dan$ 
{e^ p|t^ge9 oà )^^ bpn$ e«p/*it3 ii'eiiaperçoî* 
y wt pa9. Jajpçtaî «qu eo suivant iqq principe, 
1^ vers di» Racipe ^ q^i , dao^ un ouvrage non 
dialogué ^ a ofiriroît peut-éire qu*u;i y^ritabfo 
gaUiiia(bia$ > devoît paroîUre excellent daào 
We pièœ faite pour être jouée t et o» le leo 
teur «s'imagine voir et entendre le^ p^rsont 
aaf^ devant lui ; ce qui produit oé^ssaire-» 
9i^t pour /dbkaeun de nous», ud» jsorte de 
tableau idéal s dans lequel noms ne fipuvona 
paâ ne j^ta «^isir lea pen^s et ]^ À^bti^i^ena 
1^ xfaaqneiaQteuriiaree antantidiefafiljité (|uo 
de oertîtiidev ce ^ • • Ce vei^ , ajoiutair^îê* ^agne 
aiàntiàsonlaccmienie^quilne.^t plus que 
31 ilidjmûrev , dès qu*!Ui nteat ni équivx^que ,. ni 
.» bbscar« w ' . . . • î .-' > ^ ■' . . ■! .i 

: Le roi termina alors ce^ enJxeVae , en 
ttie ténïoigbaBit agoUX étoitfori iàtisfait de m'a-! 
voik: vtt^ • at qa il^ comptoit beaucoup sur moii' 
a^le; En me ^stoubaitant ensuite h^ boa* soir etr 
im bon voyage^ il^raiint M* leÇatt par cesi 
aaots : « Cat4 , )'ai quelque chose k tous dire* .ar 

Je a*eta& paia;lQ^rnb»ii{>s À attewk? ÇP dn^J» 



'dap&la IsnafeiIèKe aalle.où yi m etoia rendu t il 

rifce ^ejof gtaât a|>rè deux ou Uim Jninuiea ,. et 

ne dit que ^a xnajesti paroisâoit si^fiouteiite^ 

tpi^le lui BVa[t.ordoiiné\d'^jBÎi\& à. d^Aletm- 

jjért pôurie remercier y ainsi «que 1 abbé d'Oti- 

'^i^da oh)(n9Ct}ù'ï$^avJoieat jytde^i^ 

i^Me4êmp6depré{MgneraDê autre lettre po^ar 

tux^ofitiervâ f^a^eadëime 4e Berim â^ me retee- 

V«4^ Uati^ la^plasse^tips bdles^lettree ^ ayeciitie 

pëi«6Î04ft de'deux^ceéitsj^isda^ < 

'^ ^tk^nl^tAûp lâjsëaueed'ôà nous soriicai% 

^'léiMÔgÉaté IL feCattvk surprise qtie m'a<^ 

imii \mi$ék .le toopiids i^iviadté a>ves lequel :I« 

^ôitai^avoit itâp^ué i, aUiepjet de Jx*»!. ^oasks^ 

&Ê^tii j>hic^mdé\esfi^ Cette vivao 

i-éké^ mf ^épaModÊtinnon cdoidècteur^ tiesUt à 

ik vi^iie^BeddkrteTëaeoteiiuegefraâs ¥xmaçoutei\ 

»\l|by.^ t^clquês ja3àkcpieBi^dMhré0faaI^ 

% Wkv de J^kJ; &ox&geau , pairâiflbaht vaffligé 

i deir^irséçutioDs ipe le piiilosipj^Iie de Ge# 

«riiè^^ ié[M:ouiirey^méifUe^n.âiiiœ^ ^ Neuf^ 

*a3JbA<^,9 vdoAt^eniilQni estgou^eotisiBur , Je 

% m\loi dit : ShèienJ é€rmez)ài.itfftpe anni^ 

talque: éHl ifiàttP wvàp.dans mes jÈtaês ^ Je hd 

yiVi^B ^un-iasile jossuré. ^et Mie. ^rpeptsion ds 



•<« .» 



64 JEntretiens ordinaires 

nhauserif et à une Ueue de BerUn,ime 
y» maison suffisante avec jardin et pré ; d^ 
» manière qu^U aura de quoi nourrir une 
)) vache , entretenir quelques polaiUes , et se 
^^y fournir de légumes : il vii^ra là sans inqwé" 
» tude et sans besoins : sa solitude sera comr 
-» plette : de son jardin fusera le maître d^alr 
» 1er s^enfoncer dans les bosquets de Scho* 
9> hausen , où la reine ne passe que quelques 
» mois de l-été. Milord Maréchal « enchanté 
9* de ce plan , n'eut rien de plus pressé que 
» d'aller, faire sa lettre ^ qu*il vint montrer 
«au roi, ayant delà fisiire partir. Le roi prit 
» la plnme , et y ajouta ces mots» .... venez, 
») mon cher Rousseau :je vous offre maison^, 
yi pension et liberté. Peu de temps après, vint 
jT la réponse conçue en ces termes.... Votr^^ 
^majesté m^offre un asile , et my promette 
9 liberté! Mais »ous a$^ez une épée^ etpoue 
»étes roi! P^ous m'offrez une pension^ à , 
9 moi qui n'ai rien fait pour vous! Mais en 
S) wez'-f^ous donné à tous les brades gens qui 
pont perdu bras, ou jambes û vous semirî 
» Vous concevez que d'aprèa cette lettre , la 
9 roi ne peut retrouver ce nom sur son che* 
» min y sans y joindre le mot que vous ave» 
9 entendu » et qui ^t aussi , dans le temps t 

)) celui 



de Frédéric. 65 

9» celui par lequel il termina cette négocia-^ 
» tion. » 

Revenu à Pot^dam , je passai une partie 
de la soirée chez M. le Catt , qui me donna, 
des commissions pour Paris , et une lettre à% 
recommandation pour le famille de sa femme. 
Le lendemain je revins chez moi , fort con« 
tent démon voyage, et n'ayant plus à m'oc* 
cuper que des soins démon établissement , et. 
de celui de remettre toutes les lettres que. 
j'àvois pour plusieurs personnes de Berlin , 
et particulièrement de M. Grosley , et autres 
pour M. Formef ^ secrétaire perpétuel de 
Tacadémie , outre d autres encore pour la fa* 
mille des Jordan , à qui jetois fort recom* 
nijandé par M. Bitaubé , que j'avois laissé à 
Paris , et qui ne revint à Berlin qu^environ 
un an plus tard. 

J*eu8 lÎQu dans la suite de me persuader 
que Frédéric , ainsi que M. le Catt me fa voit 
.s^nnoncé^ avoit été assez content de moi^ et. 
quil se prpmettoit quelque sorte de délasse- 
ment à m appeler quelquefois auprès de lui ; 
à moins toi^tefois , ce qui est encore plus vrai- 
semblable , qu il n'ait voulu suivre y à moa 
é^rd , 1 usage où il étoit ^ de voir ainsi les 
étrangers qui entroient à son service , jusqu à, 
iju fi 



66 Entretiens ordinaires 

ce qu'il crût les bien connoître ; sauf alors à 
continuer , ou à cesser de leur faire cfet bon-' 
neur , selon que cela lui paroîtroit convenir 
à ses intérêts ou à ses goûts. Il est au moins 
vrai que durant bien des années , il n'est ja- 
inais arrivé à Berlin , qu*un de ses valets de 
pied ne soit venu m'avertir gue le roi nûat- 
tendoit à telle heure. L'beure qui m'étoit ainsi 
assignée , étoit presque toujours ou celle de 
quatre heures , aprè$ la signature des lettres , 
ou celle de sept heures , après son concert. 
Je ne parle pas des occasions ou il n'avoît 
qu'un mot à me dire : car , en ce cas , il me 
iaisoit appeler ou avant son dîner, ou pour 
trois heures , au moment qu'il sortoit dé table. 
Lorsqu'il fixoit le rendez-vous à quatreheures, 
il ne me retenoit guère qu'une heure, ou au 
plus deux heures , sou concert étant fixé à six 
heures précises : mais lorsque j'avois l'ordre 
de me trouver au château à sept heures , la 
4»éance se prolongeoit ordinairement jusqu'à 
dix heures^ moment fixé pour son coucher. 
Dans les premiers temps , j'ai été quelquefois 
appelé de cette sorte huit jours de suite : 
peu à peu , j'ai été un peu plus négligé pour 
plusieurs raisons que la suite fera suffisam- 
ment deviûer. Dépendant , je n'ai jamais été 



% \ 



^ 



de Prèdérta: Bj 

entîèteînènt rendu à moi-même ; dàt, dtti-anf- 
tont mon séjour dans ses États , il ne s'est 
passé aucune année , qu'il n'ait voulu me Voii* 
plusieurs fois. Je dois^ encore dire que dans 
les commencemens jMlois rarement appelé 
«eul ; j'avois presque toujours pour second 
M. leCattj ou le marquis d'Argens, ou le 
colonel Quintus Icilius , c'està dire, Gnichard t 
je m'y suis trouvé aussi deux fois avec moh 
collègue Toussaint ^ ou Panage , l'auteur 
des Mœurs i mais il ne put se soutenir t 
il déchut dans l'esprit du roi , par trop 
de familiarité d'une part, et de l'autre 
par une manière de contredire plus tran- 
chante qu'il jie lalloit t ces défauts prove- 
«oient de la haute, opinion qu'il s'étoit faits 
à Paris , de lexcellence philosophique. 

Frédéric aimoit à paroître oublier lé xoî / 
dans ces sortes de conversations ; mais ce n'é- 
loit que sous la clause secrette , que les autres 
ne l'oublieroient jamais. D'ailleurs Toussaint 
eut un autre tort ; il aimoit à redire qu'il 
avoit vu le roi ; que lô roi lui avoit dit telle 
chose-, que lui-même avoit fait telle réponse 
ou telle observation; etc. Or, ce souverain, 
aussi précautionneux que méfiant , ne man- 
quoit pas de faire suivre pendant un temps , 

JE a 



68 Entretiens ordinaires 

les nouveaux venus qu il admettoit dans sa 
société; et lorsque, d après les rapports de 
«es agens ^ il a voit lieu de regarder un homme 
comme vain , léger , indiscret , . oTu intrigant , 
il prenoit le parti de 1 abandonner. 

Si ) ai été plus heureux que Toussaint , 
C*est principalement parce que j'ai deviné 'Fré- 
déric , et que je ne me suis jamais écarté du. 
plan de conduite que je m'étois tracé en consé- 
quence. Ce plan copsistpit t^. à écouter le. 
roi avec la plus grande attention , sans 
montrer le moindre empressement de parler 
moi-même , à moins quïl ne parût le désirer:- 
je crpyois lui devoir cette déférence , non- 
seulement parce quil étoit roi, parce quili 
4toît chez lui î et parce que j'étois à.ses ordres; 
mais aussi parce quil étoit grand h'oipnàe^ et 
que la loi que je me prescrivois à cet égard , 
étoit à mes yeux une loi de décence aussi 
bien que de devoir; 2°» à ne point i^e laisser 
aller à ses mouvemens de gatté, qui, si on 
ne Tarrêtoit pas y étoient quelquefois très-pé- 
tulans 9 et finissoient toujours par avilir ceux* 
quis'ylîvroient: j-airaai mieux famuser moins^ 
ou même Tennuyer, et ne plus être appelé, 
chez lui , que de devenir le plastron de ses 
plaisanteries royales , c est -à- dire d'autant 



de Frédéric. 69 

plas cruelles , qu'il y mettoit pea de ména- 
gement , et qu il n étoît guère possible d'y 
répondre; 3°. à ne jamais parler de ce. qui 
s'étoit dit dans nos conversations . et même 
à faire ce qui dépendroit de moi pour qu'oa 
ignorât que j^eusse été appelé. Combien de 
fois ne m*est- il pas arrivé de venir tard pour 
sk>uper chez des î^mis , et de couvrir , par de 
mauvaises excuses, la faute que j'avouois, 
sans laisser soupçonner que je venois du châ- 
teau ! J'élois convenu avec ma femme , que 
nous ne nierions point ces marques de faVeur, 
quand on en seroit instruit d'ailleurs , mais 
que nous n'en parlerions jamais quand on les 
ignoreroit ; ^^. à ne me mêler d'aucune sorte 
d'affaire; détermination qui m'étoit d^autant 
plus facile à prendre et à suivre , que, j'étois 
naturellement bien moins susceptible d'ambi- 
tion , que jaloux de vivre tranquille; 5^. enfin, 
à ne me présentera ce roi que dans un costu- 
me aussi simple que décent : ce dernier soin 
8*accordoit singulièrement bien avec les prin- 
cipes de Frédéric. Il éxigeoit que les chcfe 
des principales maisons de commerce , sqs 
ministres d*£tat , et sur-tout ses financiers , 
étalassent un certain luxe. Les derniers , 
en particulier > auroient été roA re^us , si , 



70 Entretiens ordinaires 

à chaque fois qu'ils étoient appelés , ils ne 
$e fussent pas présentés avec de nouveaux 
habits , faits des plus riahes étoffes de ses 
fabriques î et , d'un autre côf é , il marquoit 
le mépris le plus réel pour les hommes des 
autres états , et surrtout pour les gens de 
lettres qui sembloient attacher quelque prix 
è ce qui n*est que faste. Ceux-ci étoient très- 
assurés de se voir rangés , par cela seul t dans 
. la classe des esprits vains , légers , et superfi- 
ciels , ou même charlatans et faux. En uu 
mot , il vouioit que chacun eût véritable- 
ment l'esprit de son état. 

Je citerai ici pour exemple , un habit do 
fort beau drap ^ couleur d'éoarlate , rehaussé 
cl'un galon en or de trois doigts de largeur, 
que Toussaint se fit faire environ un an après 
son arrivée * et qui lui fit un tort irrépa- 
rable « tant à la cour que dans la ville. A 
cette première faute , il en joignit une seconde 
d'un autre genre , mais qui ne fît pas une 
impression moins funeste pour lui > sur. les 
esprits de ceux qui en furent instruits ; je 
yeux parler des démarches qu'il fit , à l'âgé 
de cinquante ans , pour être reçu franc-ma^ 
çon,.dans l'espérance d'être ensuite , admis 
aux loges que le prince Henry tenoit quel- 



âe Frédéric. 71 

qaefois : ce qu'il y eut de plus cruel , c'est 
que le prince Henry n'en voulut point. 
- Une chose très-propre à me prouver alors 
que mon plan étoit . bon , c*est que je re- 
marquai que M; le Catt, qui étoit toujours 
réservé et fort respectueux devant son maître, 
étoit en général traité avec bonté ; tandis que 
jje voyois souvent tourner en ridicule , te 
marquis d'Argens elle colonel- Qaintus-Ici- 
lius , qui se laissoient facilement aller à 1^ 
plaisanterie, toutes les fais que Frédéri<îen 
prenoit le ton. Je ne citerai ici que trois anec- 
dotes qui , dans le temps, ne purent que nie 
confirmer dans Topinion quejem'étois faite. 

Un soir que le roi très-grièvement malade, 
avoit la goutte dans les entrailles , il nous 
fi^ appeler, Guichard et moi. Nous trou- 
vâmes le monarque couché sur un lit de 
sangles y les bottes aux jambes , uu mouchoir 
blanc autour de la tête sous son chapeau , 
et son manteau par-*dessus son habit , pour 
lui servir de couverture. Quand nous fiknes 
entrés , il i^ous dit de prendre chacun un siège, 
et de nous placer devant son lit ^ ce que nous 
fîmes l'un et l'autre. « Je vous ai fait appeler 
* tous deux ensemble , ajouta-t-il , parce que 
».je soufibre trop > et suis trop foible, pour 



^JBi Entretiens ordinaires 

» pouTOÎr prendre une part directe :à ïa ;cob* 
» versatîon, et même pour pouvoir la bien 
7> suivre : ma foibles$e est tcHe , qaayant 
» voulu changer de linge » il y a peut-être une 
» heure , Je suis tombé entre les bras de me3 
a> domestiques , q[ui m ont déposé sur le Ht 
o> où vous me trouvez. Ma tête est si fatiguée , 
» que je sais à peine où je suis. Ainsi , caqsez 
3> ensemble , et comme si je n y étois pas : 
p parlez de tout ce que voua voudrez , et 
» comme il vous plaira , je vous écouterai , 
a> si j*en ai la force ; et cela servira ^ au moins 
» par momens , à me distraire . ^ . • . » 

Cependant nous ne disions rien, Qnintus 
let moi; chacun de nous attendoit que fautre 
entamât la conversation : j'éprouyois pom* ma 
part quelque embarras , n'imaginant rien qui 
me parût convenir à un roi malade : dailleurs, 
il me sembloit que ce petit eflbrt devoit coûter 
beaucoup moins à mon eompagtion , qiii , vu 
les connoisâances locales qu il a voit , et la sou- 
plesse d'esprit que sa qualité de courtisan 
devoit lui donner ^ ne pouvoit se refuser aux 
désirs du roi , que par une sorte de malveil- 
lance envers moi : peut-être Quintus éprou- 
voit-il la même sécheresse dVspritdeson eàXé*^ 
ou bien f curieux de voir comment j'en sorti-* 



éê' Frédéric^ 73 

rois , peut-être espéroit-il de me sarprendre 
dâos quelque gaucherie, qui serpit devenue 
pour lui uue {ouissance précieuse. Le rpi néau* 
znoiQS s'împsitîentûit , et nous répétoit sans 
cesse : « Mais parlez donc : dit^s Ce.qae vouf 
» voudrez; mais parlez «,.... p Cette.scène 116 
pouvoit pas durer ioDg-^temps : elle ne tarda 
pas à me paroitre aussi déplacée que danger 
reuse : aiQsi je pris ie parti idercéder aa cour^ 
tisan ,, une victoii^e qui pouvoit .lui coûter 
cher ; et j6 débutai t ^^^sez maWdroitement à 
la vérité , par lui dire » que lui-mémê. avoit 
aussi été malade ., il y arvoit quelque temps ; 
mais qu'il meparoissoit bi^n rétaWi.r— « .Lui, 
» reprit ^Ç'rédéric, lui malade ! Eh ! ne Voyezr 
» vous pas qu il ala. voix de . Staator , les braa 
2) d'Hercule j et les é-paules d'Atlas? GcÀnptez 
» bien qu'il euterrera la génération toute en-* 
» tièreî » Je ne sais ^sî le roi âvoit deviné le 
motif politique dû sileace de son colonel ♦ et 
sll vouloit i en punir ;niais ilcontinaa quelque 
temps a 1q pe^i^siffler sans ménagement ; da 
sorte que moii pauvre compagnon, eat bien 
plus lieu de craindre que je ne .parlasse ati 
sortir de là , qu!il a'avoit eu envie.4c me faire 
parler aiiparavaol;. 
: Feu a peu néanmoins le roi passa à d'autres 



74 Entî^eïîens ordinaires 

idées; et de propos en propos, il en vint à 
examiner et à comparer les différentes formes 
de gouvernement. Alors , là conversation de- 
vint aussi sérieuse, que l'objet en étoit im- 
portant et délicat; nous ne fîmes plus qu'écou- 
ter i le colonel et moi. 

i Le roi qui sou&rort de si grandes douleurs, 
au moins par momens, paria seul Jusqu'après 
neuf heures , quïl nous renvoyia. Seulement 
y s'ihterx!ompoit presque à' chaque quart- 
d'heure; obligé de céder à ses souffrances ; et 
alors il appeloit ses domestiques , e,tse faisoit 
donner une cuillerée die je ne sais quelle po- 
tion j après quoi il nous demandôit à quelle 
idée il s'étoit arrêté, etreprenpit la suite dis 
sa dissertation. Ce fut de cette sorte qu'il nous 
offrit le spectacle d'un roi presque mourant , 
en proie à des douleurs si vives j que souvent 
elles lui arrachoient des cris aigus , et le for- 
çoient à se replier en deux durant quelques 
minutes ; et cependant parcourant avec ordre 
le cercle des pensées que lui fournissoit un 
sujet vaste et compliqué , nous les proposant 
de suite, et du ton de la plus parfaite impar- 
tialité ; appréciant également bien les hommes, 
la société y nos besoins , et nos passions , les 
gouvernemens et le but , ainsi que les moyens 



. • ife FridériCé \ 7* 

qu'ils doivent adopter , et enfin les inoonvé«- 
niens auxquels ils peuvent être 3ujets. Je n'aî 
|amais dû oublier une discussion aussi intéres** 
Bante , sur-*tout dans sa bouche et dans de 
telles circonstances. Lorsqu'il nous eut dit à 
peu près tout ce qu'il pensoit à cet égard , il 
se résuma par les mots qui suivent , et qa'il 
xae semble encore entendre : <( J'écarte entiè- 
y> rement de mon esprit toute idée d'intérêt 
9 personnel : j oublie en ce moment que j& 
V suis monarque : je veux même oublier que 
y> je suis homme; et me supposant d'une na« 
a) ture et d'une espèce absotument étrangère 
» au genre humain , )e me figure que , planant 
» sur le globe terrestre, je me mets à bien 
» examiner ces sortes de fourmis qui , sous le 
y> nom d'hommes , en couvrent la surface ; et 
» qui , à force d'activité et d'industrie^ s'en 
» approprient tous les êtres et toutes les res- 
» sources. Je calcule leurs passions , leurs 
» vertus , leurs erreurs ^ et leurs foiblesses : je 
y> vois que cette race d'animaux pensans.et 
9 libres, ne peut vivre qu'en société; et je 
» vois en même temps Fimpossibilité de les 
». réanir tous autour d un même centre :mais 
. :». il est évident âmes yeux, que la pluralité des 
» sociétés amènera la contrariété des intérêts; 



9<? Entretiens ordinaires 

9 d'oti il suit que ces socié^tés né pourront que 
» se traiter en tout de ia Thème manière que 
» les individus, puisqu'elles seront su jètes aux 
:f> métnes vicissitudes et aux mêmes lois que 
3) les hommes privés. C'est alors qiie jerecher- 
3» che , et que , conséquemment àoes données , 
» je compare entr -eux les moyens de conserver 
» les sociétés , et même d'eu assurer la pros- 
» périté. Ici , je retrouve dans la politique, 
» les mêmes i^elatiôns qu'entre les simples par- 
^ ticuliers ; et les mêmes bëiséa , les mêmes 
» principes que dans la morale ordinaire r 
» toujours et par-toiit ^ j'aperçois les mémeà 
» besoins , souvent les ndémes fautes ; le bien 
^ résultant de la sagesse , et le mal produit 
» par ia sottise. Cet examen , lÀèù réfléchi et 
3) bien développé , me conduit à l'appréciation 
» des différentes sortes de gôuvernemens ^ 
9> j'évalue les orages de la démocratie , tes op- 
3» pressions des aristocrates^ les caprices des^ 
» tructeurs du despotisine , et je me sens fbrcé^ 
3> de conclure enfin que le meilleur ou le moins 
s> imparfait de tous les gouverneïnèns , est l& 
3> gouvernement monaïrchique renfermé dans 
3> le derde d'un petit nombre de lois fonda- 
» mentales ; et je. réduis à deux points ca- 
n pitaux , le très-grand nc^mbre des raisons' 



de Frédéric. yj 

» propres à jastifîer cette conclusion ; savoir : 
. }) que le gouvernement monarchique biea 
» constitué , est celui où il 7 a le plus d'unité 
» dans les résolutions, et le plus de célérité^ 
» dans Inexécution. » 

Après nous avoir ensuite demandé si nous 
avions quelques objections à lui faire , et avoir 
ajouté à ce qu'il avoit dit quelques réflexions- 
moins importantes, il nous souhaita le boii- 
soir. t 

J aiannoncé que t dans une autre occasibUp- 
il avoH encore mortifié le colonel Guichàrd , 
en ma présence. Cette seconde aventùte fut . 
bien plus cruelle que la première ; et elle fut^ 
d'autant plus remaipquable pour moi , qu'in- 
dépendamment . de rimpression qu'elle dut 
nécessairement me faire , elle m'attira la haine' 
de ce savant, qui n'eût pas Tame assez forte," 
pour me pardonner d'avoir été témoin de la^ 
manière vraiment accablante dont il fut traité. > 
J'ignore pourquoi Frédéric avoit décidé^ 
de le mortifier; mais tout me perstïada qu'ili 
en. avoit formé le projet, et que mêmenous 
n'avions été appelés ensemble, que parce qu'il > 
vonlottiencore aggraver par la présence d'un 
témoin, les choses dures qu'il avoit projeté 
deJupdire l^ès le^débitt de cette conver- 



78 entretiens ordinaires 

sation , le roi nous parla de ce qu'on nommç 
axiomes , et prétendit qu'il étoit fort com- 
mode pour messieurs les géomètres et les phi- 
losophes , d'être dispensés d'en établir la 
preuve ; que même il y avoit de notre part, 
bien delà bonhomie à les admettre pomme nous 
le faisons ; d'autant plus qu'il lui sembloit 
qu'on pourroit assez facilement démontrer la 
fausseté de quelques-uns des plus universel*- 
lement reconnus , ou au moins les rendre 
irès-douteux. Il cita pour exemple l'axiome 
i^ui dit que tout corps mis en mous^ementqfi 
fecte de suivre la ligne droite. Il nous de- 
manda comment on pouvoit avoir iîonçu 
l'idée de transformer en axiome une sembla- 
ble proposition, tandis. que rien dans l'uni-. 
"Vers ne nous offre de lignes droites , tous les 
inouvemens que nous pouvons connaître , ^ §e 
" faisant toujours en lignes courbes ; Après s'être 
un peu étebdu sur les détails que ce fonds 
lui foumissoit , il nous invita à lui prouver- 
l'axiome qu'il venoit de nous; citer, 
f Ici, mon voisin me laissa encore l'honneur 
et le risque de répondre ; mais , pour, cetta 
fois, je ne fis pas la. sottise de tue faire af-» 
tendre. Je dis donc au roi 5 qu'on ne pouvoit 
prouver un axiome , quel qu'il soit , qu'da 



\ 



de Frédéric. jg 

reôonrant à d'autres axiomes , qui servissent 
de points d*appui bu de bases aux raisonne* 
mens qu'on avoit à faire ; que si on vouloit 
nier ceux qui les premiers seroient cités en 
preuves ^ il faudroît remonter successivement 
dé l'un à l'autre , jusqu'à ce qu'on fût parvenu 
aux plus évident ou aux plus simples de tous ; 
et qu'enfin jesentois que si on vouloît'encore 
nier ceux-ci , il ne seroit plus possible de rien 
prouver. De ce préambule je passai à un se- 
cond y en citant une observation de d'Alem- 
bert, sur la difficulté et le danger de prouver 
les axiomes : mais je crus^ dans la circons- 
tance où je me trouvois , devoir adoucir la 
pensée de ce savant ; et je me contentai do 
dire que, selon lui, on risque de jeter du 
doute plutôt qu'un plus grand jour, sur l'évï- 
dencëdes axiomes, lorsqu'on entreprend de 
ks prouver. Ce ne fut qu'alors que j'abordai 
la question dont sa majesté venoit de s'occu- 
per ; en m'appuyànt sur un autre axiome , qui 
làous dit, qxxHl'ne peut y ai>oir d* effet sans 
cause 'i et en annonçant que je le choisissois^ 
pour principe démon raisonnement : j'obser- 
vai d^abord que ce principe ne pou voit être ri- 
goureusement vrai , qu'autant que l'on y com« 
prendrôit cette autre vérité , qui en est un» 



da Entretiens ordinatreê. 

conséquenoe nécessaire, quï/ ne peut rien y 
ai^oir dans V effet , qui ne provienne de la, 
cause quiV a produit. De là, je crus pouvoir 
conclure que ce qui caractérise^ par exemple» 
le mouvement d'une pierre que Ton vient de 
lancer , n'a été donné à ce mouvement que 
par lamain quia été cause de l'impulsion. Or» 
en arrêtant ma pensée sur laction de cettsi 
xnain., je remarquai qu'à Finstant indivisible 
oiise iaitrla séparation^ la main.ne peut avoir », 
niparco];iséquentimprimeràIa pierre, quune 
seule direction précise et déterminée ; que si 
l'on vouloit concevoir plusieurs directions 
dans la main ^ on ^eroit forcé dadmettro 
des propositions contradictoires ^ et ^d avouer 
qu'une même chose peut être et n*étre pas en 
£pême temps ; que la direction ui^ique et si|n-^ 
pie étoit la seule loi à laquelle la pierre dût 
obéir, la main ne pouvant plus la changer ou 
la modifier, après la séparation , et toute autre 
direction antérieure , si l'on vouloit en sup* 
poser quelqu'une, étant nécessairement et 
absolument détruite et remplacée par celle- 
là ; et qu'enfin une direction , vraiment u;^e 
et déterminée , ne peut produire d'effet qu'en 
ligne droite , toute ligné courbe ne pouvant 
évidemment ê^re que le résultat d'autant d'im- 

pulsions 



de Frédéric. 8t 

pblsîoDs diverses et successives ^ c^st-à-dire 
d^autant de causes qu'il y aura de points de 
courbure : je fiais par conclure, que tout 
mouvement « considéré dans une première et 
seule cause « étoit nécessairement unmouve- 
ment en ligne droite ; et que , si dans l'uni vers, 
il n'y avoit réellement que des lignes courbes , 
c'est qu aucun corps n étant mû dans le vide » 
il falloit compter autant de causes successives 
qu'il y avoit de cbocs nouveaux ou de nou-* 
velles rencontres, c'est-à-dire, aut^ipi qu'il y 
avoit de points dans Tespâcé parcouru » et 
d'instans dans la durée de chaque mouvement.* 

' Soit que le roi fût satisfait de ce raisonne- 
ment, ou que la suite de ces idées ne leût 
pas conduit au but qu'il se proposoit , il 
abandonna sa première thèse y et se jeta sur 
une question nouyelle, en nous témoignant 
être surpris que l'auteur de la nature ne noil» 
eût pas accordé la faculté de prévoir, avec 
certitude , l'instant de notre mort. Cette 
çDjmoiss^noe, si nous pouvions racquérir ^ 
iiQ lui sembioit de voir produire que des eflets 
avantageux : la nécessité de prendre son 
partie et Fexempie des hommes sages et cou- 
rageux , doi^neroient à la fin, nous disoit-il » 

une juste résignation même aux plus foibles : 



/" 



8a Entretiens ordinaires 

d'ailleurs , est-il quelqu'un qui ♦ voyant le 
terme s'approcher , ne voulût pas mériter 
quelques bénédictions , en foisant quelque 
bien avant de partir ? On se livreroit d'au- 
tant plus à ce dessein ; qu'à cette époque les 
passions seroient Fort amorties , et que la 
vérité exerceroit son empire avec bien plus 
de force : combien de préjugés se dissipe- 
roient! combien de voiles tomberôient de 
devant' nos yeux ! Un père de famille maaique- 
roit-il alors de prendre les mesures convena- 
bleé pour maintenir la paix entre ses enfans? 
Ne leur donneroit - il pas les instructions 
propres à les sauver des pièges ou des chi- 
canes' de leurs ennemis? Ne s'attacberoit-il 
pas en m moi, à bien arranger toutes se» 
affaires avant de mdurir?... H termina ton» 
ces développemens , par nous inviter à lui 
indiquer comment on pourroit justifiéi- Dieu 
de nous avoir ainsi abandonnés à une igno- 
rance si complertte sur ce point essentiel; .. 
' Pour cette ibis, le colonel prit lai parole î 
Il convint que,, si lès hommes pouvoient ert 
général s'élever jusqu'aux principes qui tien- 
nent à la vertu , il sferoit difficile de nfe pas 
prononcer confoïttiément à l'opinion de sa 
majesté : mais les hommes , selon lui , ne ae 



Inoutéîènl guère que dr'dprès ïeàrs iiit^êis 
pieraofliirfî ; nond'aprè» lëùrsuitéfêfâ fôâftrf^ 
raisénnabiès'et bien âpprëèiéë , iùàis d'ér^da ' 
les intérêts que- la passion ■',■'" "erreur^ ^îiéS 
T>pinionâ ïes plus - déré^^lées" letrr • fôiéolent 
adoptai? >. éa moins "érpercevcfif-ttti ^fi«p péta 
de personnes qui fissent, à èet ^ga*dV"*i^^ 
tiori % la ï^gle généMtà; ' DîWs 'te^t ^éê*t* -àb 
choses l êè^i qui èatJMtdèfoff tsififilfi^r'Jèb 
carrière dàflSâA iihiâàMiAk itioik i'hWi^i^ 
ordittairettle«tt'^as4}edij^'ôftz^iâ soéiëté ^41 
rie béfJrOîf^ploà ;'« A'è p1à»ïek)if pl«K*''îl^ 
fonnèf ôi*^ii«s' -Wàërftf '^«jèf Ji éf ^Irë %um*Jt 
-j^ltts '^hdiciklë^ ^À^prîsè: il p^eissé'f'ok lé iréiib 
=dé àà'vié"r%'è déàëèp>é*ér m à jb«fi¥'^i«t 
téoinbi'ëbf Riàdciété fif^f èRSi^T-é^Ile ^à^^ âbils 
milte rk^àVis difiér'êîisF? ^ iél , ' 'ia< ftmi£ft» 
partit aussi isûbitë '^^ftéhièr. «Cette fe^ 
'i"ée ' itigèr , lui- ^t 'le irô? ; •ëgt 'fcënftè'|>otir 
^ vbtrsr, ateè'dë'Bôtté' et' de m^lM(âi'¥p^iê- 
rf héfe /«^ttdtt»fôrs ^tté-Tè ^dtefeiiHti«?ce«ic 
h '4iÂ- 6if tl^aifie ÂoSf^l "9^96' M -^otfSilfk 

« atisM"li6trfea§eS'M/«J5§reîi«ai^'«ofil»§tti«, 
» qii« rhotfn^fè faûriÀA«i^feit'feajbdts'ïé>!)iêi, 
V timt^ù'ili»étrtlefaIfe,4t'dii2qtietHëfitf^ 

F Z 



«84 EntretieM ordinaires 

» qoe ?D*est le b^ea , sans rechereher quels 
yk.'SOBt ceux q}4en prpfiteroiit. Mais vous 
;» Bf Be^tes^ .poiint ces choses; vous n'êtes 
■» ppint fait pour les sentir, m 

ÇettQ terprible apostrophe m'anéantit presr 

iqa'aïKjiBt que celui qui en étoitTobjet; j'en fus 

d'a^las^i 9]}^ Rouble , que le colonel n avoit 

itie^ dit q^e. je n'approuvasse dfu^s; le fond 

fie ratqp.9 et que jamais ]e n'avçis rien va 

jOfi cpQSu df aussi cr^el j mais ce qui me prou«- 

;ya qi;i!3(Ie rpi.ayx>i(: cherché à inortifier le 

, colonel devant :qioi, et ee qui. me fit voir 

f^.mê^e'^t^nps^cpml^ien cet homme: eztr^or* 

din^irç étoit sio^ulièrement maître; de lui?- 

;]p^n^Qi et exf ^oit un empi^pe yraimeut absolu 

-fur ses. pnoprpa^fiffections , ce futVair aisé.» 

rGalme , Ùbr]^, jet J^atuyel , avec lequel , après 

iH^ Bojvt i^ta»V4^.sapiice, il me parla de 

.pèiNfiPlMP PÇ^^tt* ^» bou. quaçt--d;heure, 
..et ç^iii^ne/s'iloiie; s*|étpît .ppint' ému. Ce reste 
.4e cpnver^s^tipn arvoit-U .pow ob^t de sa 

iJR?rtx.^? fa^e coçnprejïdre à Q^ffituft «uq 
: oe qjaij, avoil préçjéd^ , i^^uroit aucune , autre 

lanite?. ^u voiOfliVil Jw-Jn^^^^ 
aftsi^Je^^ordinair^j avant de §e^puyer sçul? 

[iijoapçpnnfif^îii^; plutôt le p.rçffisr. de ces 

,4çj(Ht wotiÊ, îjie^^ ^çft»iKi-. Qupi,,qu:il en 



^ i^ FriHne. 8« 

voity H'40BM renvoya^Bsuit^i d%n t^ei fort 
iraniquifie -, qtioiiju^^ez sec^ • 
1 En sôrtimt de cet appartement si redoti* 
table, je me trouvai anesi embaof as&é à c6tô 
de< mon ceibpel ^ ^que i^avois été înte^dh' utf 
^àrt^d'beure |dto tôï ; je ne sai^mâ ^e lui 
dire... Il fot im-n^me audsi ' iitctoiewBtin '4^ 
moi^ etiKins^arr»nâ»neâ au bais de* Fésc^lier ^ 
,aa moment de nous dire 6on ^o£r i sapl^ avoir 
isu à proférer uniseuiinot , m To fri laUh^el 
Telle fut lascène quî.ine v^liit-là4iailié1^xi 
^irononcééduGobneiQàititua lûiHttd .'ifdfi^'î 
l'instant de aa mort, quoique d'iE^eta;^ il 
ii!ait jamais eu aucun Teptoêiie'i£Lé^'J&ir^> 
car non • seulement je* vl^ï pcÂnt pa^lé -é^ 
cette avelitore tac»i(}u'tt^9écii;:iir4^a.^éuU^ 
ment jenai popit'mal pailéidc^'tblf ÛfiSs'^ 
de plus , il ne tolék trouV-é ^r^ijdbr'^emifl 
dans aubunei'ocoasiom Dirâi-^^^^cm^'^â^utt 
jcturdliui je me venge de cô lèl% ^lètfëe? 
Je ré^idadttii qu'aujouxd'faui; qu*4l ne ,|^Ut 
plus étseiqUeètion de lui nuire , et que j6 
d'^écm: que pour lliistbire , je le peins , aiiisi 
qpé^Xom ceux dont )'ai a parler^ tel qu^ je 
llaioonimf nitqontimty n&supprimant, n^alté- 
xant aucun dos t3:aits< que la vépité me dit 
iuLAppartdnir^ . . : 



y 



9Ô EntrctUa^ atdUmires 

. :li^a^i^9. qui ' Qd»c«r n^ile ;iiiMipîK 4)^d^ 
gens est moiû^c f^itje^e ; eè)ij^'tes^t:i*Ufffo«iti 
q^'i)i^Q ^l^îsmi^kr ,. .iQaU ô)D0fipf9id0]U:érîe 
^p?t(>)QPgé& et .«oiitQxiue i xç(x\>}mut^ \mâm 

QU'onriy côj^i> peu <^:délic»lj^a^ ,f Qtrqiifllrqe 
|](r<Hiv^; 4$up^* la;]biou^bQ dfuù.toi.] Jkvcitf :eb 
Pfdca .^é iii»i9 x@pdi^.'9fanMî iaÂx^lmi^ .obez 
l^.>W^fq»k i pour ïnaD[teri,anrciiJ) lai câiez ie 
ppi' à;$P|\t beUÉça-: dfttt^jsoirée , si iriowTgÉaiid 
iH^iilfâftfPfcU' ibi' employée; toute eiitièi^là 
t>ft#li^r/4*t:vieiiteni^Jt^^ im t©u|: 

||uil39; stàJ^ire p^ûri^as .treoÉe ans de Sestioé » 

x%s j^Jlsâ^^tQ^Moptqne'tfe&irs^adbessaniw partir 
<^lîèse^âtLtàFjàf)ic;9i«'î^>âett3 que ^ dans (pidd- 

p 5 .ft^.-^fjlt^èi ,%a«te:: djânobikioni Si le;> hasard 
<^u#f^ ^^ ni^apat^f ta'woiti ooofùié' dans mia 
fl).iFç^ti|)2e ^^vs§ i. et ^ nar/exftinp}e i.dabn.aip 
f), . pays QathpHqJte} etuhijan '^i ^u défàxidLjdfàiitrës 
^M^^sowcçs /Jû mb fierais ifaiti^^ptétére^, ^€)t 
»> j^^ifrois eh$r€hé« àidlsvëikîr IffrdîjD^ctebrule 
» quelque grand iséigiaèii^: ^ iuvir) efarétiuif j, 
ji tel £^u moia3 quarni célèfaig> piar/paâii JBorir 
9. gagcter seâ^* bbDii0s;;:grâiceâ/^4 naoïiaiéiiF ^ 
^^ j'aurois étudié ses ibibles^ietUeS/fAixab 



de Frédérie. Zy 

)i. mis à. profit./S'il avoit en une ittiâginàtioà 
)> facile à alarmer , et qu'il eut cru voir 
» par*-tout la mort pu la maladie ; si de^ cette 
Vi sorte je Tavois vu toujours prêt à trembler 
»»éjd peur« et à ^s entourer de préeauttons', 
p je Taurois afiublé de eîsq ou six bonnets 
j» dé ' uuit Tua sur l'autre , et de deux ou 
# trois robes de chambre bien étofiëes -et 
n bien amples. J aufoîs moi-^méme calfeiitré 
}> ses portes et ses fenêtres ^ ayaat bien soin 
» qu*il ne fiât jamaia exposé àismcua veut^ 
n éoulis. Enfin , je FaUrbis mené, en paradis 
« dan^ Un caro^se bien sur ^ bien dos et bien 
i> suspendu* — Ou bien^ ^^tt,^ lui répliqua 
s», le: marquis ., dans cm boa fauteuil bien 
^ rembourré , et tenant tout le monde debout 
», dievant ' lui. n Cette répartie , la seule que 
le maskpiis se scât jamais permise «ni ma 
présence^ ne produisit aucun efiet. Le roi 
ji'en fut pas même ébranlé ; sa physionomie 
resta la mémç , libre et goguenarde^ il Conti- 
nua ses plàisantenes , comme s'il n?a^t pas 
étéinterroippu , &isdht toujomrs allosi<)iii aux 
ibiblesses connues bu présumées du marqui$ . 
et acKiutuulant les précautions- exagérées ^^t 
ridicules que Xovl peut imaginer contre tes 
aqcidens de bu vie.^1 alla |ttsqii'à i^lfppddr 



88 Entretiens ordinaires 

les folies tant reprochées -à Maupertuîs par 
Voltaire , me disant que , pour sauver plas 
sûrement son. marquis , il le feroit enduire 
d'une couche bien épaisse de la sorte de poix 
la plus dense ; ce qui servir oit merveilleu- 
sement à le soustraire aux influences perfides 
de lair extérieur; et que cependant n'ou- 
i)liant pas ce qu un grand seigneur doit à sa 
gloire et au public , il.lui proposeroit diverses 
entreprises propres à le rendre immortel , 
^omme , par > exemple , de Faire disséquer 
quelques têtes de Patagons , afin de décou- 
vrir • le mécanisme- de la pensée , et de par* 
vçmTi ^èn s'exaltant soi-même, à lire dans 
lavenir y comme aussi de fairje dans la terre 
un/gtand trou, qui allât : jusqu'au centre , 
moyei]» . inËulUUQ et tout siniple de con- 
Boître la composition et l'organisation de 
notre globe ^ etc; , etc. 

Caroi avoit souvent des idées singulières » 
iauxquèHes iactivitéde son esprit le condui- 
soit naturellement , et qu'il se plaisoit à dé- 
velopper. Je une rappielie qu'un jour , en me 
parlant de l'extrêma ténuité de tant de nerfs ^ 
:de muscles .et de fibres, qui entrent dans la 
composition de nos corps^^ et qui sont plus 
. Çtt ^ m^ins jnéceèsdites à . notre existence ^ il 



de Frédéric. 89 

se plat à me faire admirer comment noas 
parvenions , malgré cette constitution si com- 
pliquée et si délicate 3 à supporter tant de 
trav9ux , à résister à tant de fatigues ^ et à 
vivre si long- temps. « Un jour , me dit-il \ 
)> dans un de mes voyages ^ je m arrêtai pouï 
» changer de chevaux, devant une église', 
» dans la tour de laquelle étoit une horloge. 
» Je portai mes regards sur le cadran, qm 
» me parut vieux et en fort mauvais étaf« 
n Je fis approcher un des habitans du Iféu '\ 
» et je lui demandai de quelle matière* étoit 
» ce cadjan : Sire , mé dit-il , il est de fer. — 
» Et depuis quand eist-il là? -^— Il y a environ 
. 3> vingt-cinq ans <|u'on Tât-^it- faire et placer*. • 
» Ainsi i monsieur , le fer même dure môiàs 
» quenous. Toutefrêle qiié je suis , j*use déjà 
» mon troisième cadran . Si vous me dites qu'il 
» est exposé à toutes les injures de Tair ^ je 
» vous demandeirai si je ne les ai pas aussi bra- 
» vées , sans compter tant de privations , tant 
y> de dangers , tant de peines d'esprit et d'an- 
V goisses, dont le fer H*a pas à soufirir. » 

Frédéric aimoit singulièrement à parler 
de philosophie, de. métaphysique et de reli- 
gion ; on peut' déjà s'en éti^e aperçu dans 
oe qui précède , et ron aura encore pla^ 



9P Eniretiôft^ ordinaires 

cuvent lieu de U ï'emarquét* dan» la suîto. 
JStoit^ce envie de s'instruire? Je ne le erois 
pas« K0 çfiety le paasé deyoit lui suffire pour 
êtr^ bien coayaincu q«eoe3 aortes dédisons* 
sipns ne pqqs acheminent pas d'nb pas de 
plus vers U vérité. Il avpît tant disputé sur 
tous les points de théologie ôtdç pliilosophie., 
lorsqu'il nétoit: encore qu^ prince royal ; il 
avoit ta;pt disserté alors^ soit avoQ le9 Vol tiens, 
soit avec 1^ Ac^^ard ou d autr^9 p^aateurs , que 
Yoïf, p.ei)t jvistçmçnt s étonpei: que ce goût lut 
soit resté. Le pasteiur Acbard, cmcle du chi- 
miste de ce nom « m'a conté bien de3 ibis » 
/qoç ce prince 5 étpint jçune, ne mânquoit 
a^cuifi^. ççeasi;?^ d9 leUtreprendt^ sur les 
m^tièr^ de ):^]U|g^ « 9t que q^ Q^nféreAce^ 
duroii^nt pre&^uQ -tetij^ura d^s heurea en-» 
lières ; il ma souvent répété que de oette 
sorte ils ayoiçnt parcpwu fort lo^uement 
.tous les do^p« de9 d|fiéi?eiitea:aectes; qu'iU 
étoient spuw^pt revenus sur les mêmes objets; 
jqfxe ce priuoe ,^embloit toujov^ra a*étre pré- 
pné 4yvajiç^ à lat di^QUSâioO' du )our» et 
que dq xmïw on ne pouvoir qu admirer la 
justesse, )a £[ag«oité 1 la facnlilé et Tordre 
avec lequela il préaentojt $e(9 objaetionst Le 
pasteur ) homme instruit > et qpi neipanquoît 



>, . .». 



pas/^p jt^Iet^t, m\ m'a. point ^iâ^iomlé- qao 
^uV^i^m^'étoH souvent re^té ùourt, et HYQÎt 
4t^ pJbJigé d^ pQQfesser que le3 répondes quHl 
po^rroit: faire â.$ipn.alt0ft^« rpy^l^, lui paroî?i 

i, M*ia/si ce prjin^ étoit^biou persuadé qa'i( 
iL'iE^yoiï^ plua auciUiLei lumière iicmi/féUé à eapé-r 
iei de ces sortes d'entretiens ^i quel pouVoît 
doQQ être le motif par^êailîer qcû Ty raiDe« 
Hoit saùs' cesse , et pouii 'ainsi dire , tousies 
jmirs ? JËfoitril ienlra^éipar ce aèke ânti-ire« 
ligieux^dontion a tant ncctoféles philosophçàde 
s<H9i sièoie 1 C'est encore jisa qae je ne pense 
posât; Je suis persuadé' :qae sil netoitpçkit 
iodifiereiKt à cet égards' 1^ îl^se repoeoit da 
moinsLsiïr ses anâs ydii soin de convertir à 
bt- philbsopbie , iandisr qae Ici sVuxmpoitde 
tMiitfltutrè ^&mi. Il tëtiok tr^ iortenn^nt a^i 
piinoipe? qup ehaeun dieAtJutre son -métier i 
poiir abandonner leeien, et se mêler de 
cëhii des autres > Ce ^'est pas qu'il ne dût 
éprouver quelque plaisir à voir deë hommea 
qui pensassent comme lui, sur-tout parmi 
ceux ^ qui lui ^ parc^soi^nt doués d^ùn boa 
esprit \ mais je suis convaîneu^ que eette dispo^ 
^ sition n^aFoitiqu^gne fôiblç part àroetté espèce 
desmanir^ qi^i l^'^ï^âmtonôit oentinuellemâ^nf 



'^2 Entretiens ordinaires 

svq: les mêmes sujets* Mon opimott ^est^doBO 
que Frédéric s*étoit fait uiie sorte dlltfbitudé^ 
et en même temp^^^de système, de parler 
dans ses oanversations de philosopbîe et dé 
religion , plus volontiers ^e de bisàÙlc3Ôtt|^ 
d'antres choses, i^^ parce qoç ne -^^ voulant 
qne se^ délasser Fesprit , il étoit natiif el qiili 
s'attachât de préférence anx choses qài teii 
étoient plus familières ^ e^t ^ur. lesquelles soa 
esprit pouvoit brîHer à moii» de - firais et 
même à moins de prisque , rien n'étant plusf 
éloigné des objets, mins^et soucis de la troyanté;! 
2^., parce que toujours, attentif à saisir les 
aotfi^ens d'itudier^eeux dont il pouvoit avoir 
à ^e seririr , il lui ^i^t paru que ces sortes, 
d'entretiens conviendroient d'autant ndréux 
iieedesseinf 9 îqu'on s'en méfieroit moitas j et 
qu'il, y .trouveroit ttQUt.à. la fois rocoasioai 
de juger des ûonn^ûssancea acquises , de lar 
justesse , de la pénétration , . de ia facilité^ 
d'esprit , et même du caractère; moral?de» 
eeux avise qui; '\\ s'etitr^tiendroit ainsL £ui 
efi'et » celui qui avpit sur ces matières lef 
XLêmes opinioiis qi^ç. c0 roi, étoit trop charmé> 
de se trouver un $0mblable appui , pour se 
contraindre ; il ne pouvoit qtie se livrer sans 
méfiance à fimpubipa de:SQJti.pfoprêeairac«« 



de Fredériô. 93 

tère; et Flrédéric vpyoît ainsi à découvert 
la vivacité de Famé -du marquis d'Argens ^ 
la très^graude activité d'esprit' de Voltaire ^ 
la dureté impérieuse et tranchaijitè de Mau- 
pertuis , la souplesse adroite du comte Alga- 
xotti , la sagesse réfléchie de Jordan , la flexî-*' 
bilité complaisante de Fœlnite ^ et de tant 
â'autresi Quant à ceux qui ne p^ensûient pas 
comme lui , il . purvenoit ainsi , et eomme 
jsahs dessein, à s'assumer 6*ils avoient du moins 
Famé franche et ferme ; et lorsqu'il les voyx>it 
descendre : à quelque sort« dd lâcheté , il les 
paurstdvoit autant que la circonstànae lui 
'^ntfoumissoit le moyen , et p;renoit ainsi la 
mçsttre de toute : leur bassesse dakne. ' 

. Le plan que j attribue à ce roi , est à.mea 
^enx: confirmé par un. très-grand nombre de 
.filU& dignes d^attention , et qui serotent inex*- 
plicables , si on ne recouroit pas à la clef que 
jlindjqtle: '^vm^is 3; par exemple.^ il »ua cher« 
~ç\ké,:k: tpuro/^ enjst^eulçr:^ «àrle fait de lu 
it^\&9T^ : > ; c»«x; ,^in s'^»uôiiçQÎe»t ; Irancbo- 
;|i(iQpt pourpii!y >pli|is. tqnir;; procédé néau* 

nioitfs d^jà;iiem4i:^able qhez un 'homme aussi 
ifenoIÂuiil^l^JlQrîf^ Rarement il plaisémtoit 

ceux qiii étoiept chrétîen$ de boniie foi 0t 
JIV9P franchis? I mène devant lai ; ou s'il se 



5>4 Entretiens ordinaires 

laisfioît Met ^ quelque gatté à'efet ëgard , oit 

f éussk$oit fbcilement et promptemènt à 1 en 

cwrigejr.- J^e me rai^ypèlt^à ce sujet quuit dé 

ses plus braveé > plqs dévoués et plus adroits i 

ou plus heureux géùéraux ^ qui bbn catho*. 

Jiqtfê ron^aïu 5 ne chargéoit jamais rènuémi 

:Ba0s ftirp le sigiiç de là croix èri l'air ^t avec 

son sabre ) ayant été uiïe séulerfdîs plaisanté 

^ur c^ittDî pratique par Jb-rûî , lui imposa 

ailenee , et è'en fit respecter ppur la suite , 

eu lui disàût : « Sire , ne Vous niêlez pas dé 

p) aêla J ce sont des* chose^s qui ner^iennent pas 

i» à votrcî service ^ qui n'y pèuveht nuire v €t 

>i ne vous regardent point.IBburva que* je 

» fasse bien mou devoir , et '^e je vous &etvb 

rji av«<3 zèle f que vous Importent m^s pra- 

(2> trqùes dé dévotion ^ot que gagûeriez-vous 

» à tourner en ridicule \ro^'^Iils fidèles ^eè- 

♦j> vitéurrf ? >* ': - — » <> j . ^• 

; Mais-cë juèffle ttloûarqne ë(5cabloit impî;- 

itoyàbléidcnt dé sarcasmes ôeïili^iquij paMiS- 

-«oîent mentir, à leur cÀ^ciëtfeë ; riî^vbiilfett 

voir-, pôûfmnfer dire , jHï^qrfà» qtiel point «fe 

^pdrtéi^Oîeiît-k tîôndêscend^fié^éflà fciibïesse , 

^od 'l*âbafldbn de leurs propt^e^ opiiiionà'j il 

'les pôursuîvôlt à outraWceVef *îès hàrcèloît 

(éticaré ffptèàletir défaite ; el îleStaaijs esîempfe^ 



de Fi'édénc. 95 

qull ait janiai3 montré autre chdse qu'un pro- 
fond mépris pour ceux dont il avoit ainsi dé- 
couvert et constaté la lâcheté* 

Quoiqu'il m'ait fallu plusieurs années pour 
me convaincre que le plan de* Frédéric étbit 
tel que je viens de l'indiquer , je n*eus pas de 
peine au moins à découvrir uû penchant qu'il 
ne cherchoit pas à déguîs'fer \ et qui ne pou- 
voit que faire fajre de sérieuses réflexions à 
ceux qui l'apprdchorent. Ne pouvant pas en- 
core , à lAes prenllers débuts j juger quel se» 
roît le parti le moins périlleux ; n'aimant 
point d'ailleurs les discussions théolbgiques ; 
ne m'en étant jamais assez occupé , pôiir me 
flatter d'en pouvoîir parler de manière à le 
satisfaire ; ne voulant point enfin m'afiîcher 
et me faire une sorte de réputation pour, ou 
coïit]fe, et moins encore m'exposer à être 
plaisanté , de quelque o6té ou sous quelque 
forme que la plaisanterie me vînt , je pris le 
f ai:tî bien prononcé de ne jatitais lui parler 
d'iafucdne religion ^ de ne jàùiais répondre à 
Ce qu'il m'en diroit , et inême dé rie me prêter 
à f entendre en parler , qu'en me renfermant \ 

datls lés bornes de la plus froide et de la plus 
sérieuse circonspection ; aimâxft mieux , ainsi 
que je l'ai déjè( dît , ennuyer î et par coiisé- 



96 entretiens ordinaires 

quent être oublié et délaissé , que de partager 
le rôle de plastron avec quelques-uns de ceux 
qui étoient le plus ordinairement appelés au 
chàteau« 

J eus bien raison de ne pas difiPérer de. 
prendre mon parti ; car le roi tarda peu à 
vouloir me faire parler sur ses matières fa- 
vorites. Il ne le fit cependant pour les pre- 
mières fois , qu'avec une certaine retenue. 
Ce fut dans ces premiers temps quil me 
conta; un jour comment il avoit vu les cé- 
rémonies Religieuses des catholiques^ et com- 
ment il les avoit jugées. Cette, curiosité lui 
vint durant la campagne qu'il fit , jeune en- 
core , sur le Rhin , et sous le prince Eugène, 
ce Je ne voulus point , me dit-il , entrer dans 
» ces petites églises où, les prêtres traves- 
v> tissent leur culte par la négligence et la fa,- 
» miliarité avec lesquelles ils traitent le bon 
» Dieu. J'attendis une grande fête., et Je 
» me rendis, 3 pour la voir , dans une fa-: 
» meùse cathédrale , où tout se faisoit avec 
» la plus grande pompe. En y allant, je m^ 
{} dépouillai dç toutes sortes, d^. préventions ; 
» je me fis un devoir de uy porter qu'une 
» ame neutre D et dans l'état que les philo- 
XI sopheQ désignent par les mots de tabula 

» rasa. 



ât Frédéric* ,97 

m rasa. En nn mot ^ je voulois juger par 
» moi*même , et d après la nature des choses» 
» Je vous avoue , monsieur , que le premier 
3» coup*d'œil me parut très-imposant. tJn 
» grand et superbe édifice , construit sur un 
» ^modèle étrange , offrant , sous une yoûtd 
» extrêmement élevée , une perspective pro- 
» longée , au bout de laquelle se trouve , dans 
^> un chœur séparé de la nef, un autel dd 
>» forme mystique. Par-tout la solidité réunie 
A à une décoration noble et sévère ; un jour 
2> afibibli, qui provoque au recueillement , et 
31 auquel on supplée par de longues etmas« 
:i> sives bougies qui couvrent Tau tel , sans 
» compter celles qui sont convenablement dis- 
V séminées dans le reste du temple; un grand 
» nombre de prêtres et de chantres qui renv- 
» plissent le chœur , paroissant tous égale* 
» ment recueillis et occupés dana leurs tbhc* 
r tions sacrées ; couverts d^ailleurs de véte«« 
x> mens extraordinaires j tout brillans d or et 
p d'argent^ et des couleurs les plus riches ;[ 
3> un chant aussi peu usité que le reste , maïs 
?) grave et soutenu par de belles voix , et par 
:p un orgue et des instrumens qui remplissent 
» cette vaste enceinte ; enHn , tout un peuplé 
9 à genoux f et cosume frappé de terreur Od 



p8 Entretiens ordinaires 

» de respect à la vue des mystères ; et même 
» les femmes , qui se hâtent de faire filer entre 
» leurs doigts tous les graiins de leurs chape- 

)) lets Il faut convenir que tout cela est 

» bien propre à faire une vive impression 
» sur les esprits foibles , et que ceux qai ont 
» imaginé et établi ce culte , connoissoient 
)) bien les hommes , et sur-tout le peuple. 
» C etoient de fort habiles gens , monsieur , 
» et ou ne doit pas être surpris de leura^ 

» succès. » 

On voit , par ce morceau , combien alors 
il étoit simple , naturel et modéré ; il avoit 
f air de quelqu'un qui se born^ à montrer la 
planche , pour voir si l'on est disposé à s'y 
laisser placer et à y glisser. La conversatiou 
étoit plutôt libre et gaie que railleuse ; seu- 
lement comme il voyoit que je Técoutois at 
tentivement , mais que je ne lui répondois 
rien , et que même ma physionomie , toujours 
aussi sérieuse et réservée , que respectueuse 
et froide , ne lui répondoit pas plus que ma 
voix , il en vint peu à peu , par degrés , et 
cotnrae s'il vouloit m'enhardir , à me deman- 
der , avec un grand air de bonhomie , ce 
que je pensois de ses opinions ou raisonne- 
mens. Je lui déclarai alors que j'avois petf 



' de Frédéric. gg 

ëfudîé €es sortes de matières ; que je ne sa- 
yois si , à mon âge^ , [e pourrois encore m eu 
instruire , chose à laquelle je songeois d'au- 
tant moins; que déjà j^en sa vois à cet égard 
plus que je n'en pratiquois ; mais que du 
moins il m'étoit bien démontré que j'étois 
loin dé pouvoir rien ajouter aux lumières 
des autres* Ma conclusion fut que je sup- 
pliois sa majesté , de ne pas me faire un 
crime de la nécessité • oii j'étoîs , dé ne pas 
aîler au-delà de lattention respectueuse avec 
laquelle j'écoutois tout ce qu'elle avoit la bonté 
de me dire. 

Cette défaite u'éloit pas ce qu'illuifalloit; 
ainsi il résolut de me forcer dans ce modeste 
retranchement , et il suivit son plan durant 
plusieurs années , sans jamais le^ perdre de 
vue. A chaque conférence , il y revenoitpour 
plus ou moins long-temps. Ses premières 
tentatives furent des propos extrêmement 
libres , qui me persuadèrent qu'il vouloit ab- 
solument ou me faire rire des folies aux- 
quelles il se laissoit aller , ou découvrir si 
c'éfoient de vains scrupules qui me irete- 
noient. Je souris quelquefois à ses plaisan- 
teries , mais seulement autant quil le falloit 
pour le convaincre que ma conscience ,étoit 

G 2 



lOO Entretiens ordinaires 

à l'aise ; et d ailleurs je n en abandoiftiai pat 
plus le poste d'où je m*^tois promis de ne pas 
sortir. 

Quand il eut épuisé ses premiers moyens 
d*attaque , il en prit d autres , et se mit à rai* 
sonner très-formellement , et avec autant 
d'ordre dans ses idées qu'eût pu le faire tout 
autre philosophe. C'est dans ces sortes d'épan- 
chemens , si l'on peut en supposer dans cet 
homme extraordînairt , quil m'a fait quet 
quefois des aveux précieux à recueillir. « Je 
» crois bien , me disoit-il un jour , quil y a 
V un Dieu ; mais je ne me figure pas qu il se 
» mette en peine des individus. Que sont à ses 
» yeux 9 même les hommes , la plus noble de 
» toutes les espèces de créatures que nonâ 
i> connoissions ? Infiniment moins que les 
;t fourmis ne sont par rapport à nous. Eh ! 
ï> comment peut-on s'imaginer que Dieu , dans 
1» le sein de sa gloire , va diriger et surveiller « 
9 compter et récompenser ou punir toutes les 
9 actions , et jusqu'aux plus simples mouve- 
h mens ou pensées de tant de millions d'êtres 
» au^si méprisables ? En vérité ^ ce seroit un 
p beau souci bien digne de lui et bien propre 
9 à faire son bonheur ineffable ! Je me per- 
'> suade donc que Dieu^ suprême ordonna-' 



de Frédéric. xoi 

» tenr de tons les inondes ^ a établi les lois^ 
» physiques qui s'y observent ^ et ks main- 
» tient par sa volonté , telles qu il les a con« 
» çues , et conformément à la nature de I» 
«matière;; et que de même il a préordonné 
» et voulu lea espèces» d'êtres animés ou vi- 
« vans qui parviennent à notre connoissanee ; 
» maïs, que se bornant à donner Texistence 
» aux espèces , et ensuite à tes conserver % il 
» abandoime au jeu des évènemens ^ les iadi- 
» vidus dont il se met foi-t peu «n peine» 
» Quant à la punition deç fautes que les 
» hommes peuvent commettre , ou à la ré* 
D compense des bonnes œuvres qu'ils peuvent 
ji pratiquerai! n'a pas besoin de préparer 
» les pies d'un paradis q^e nous ne pouvons 
» concevoir , ou les chaudières d'un enfer 
>) que noUs ne concevons pas mieux , et que 
9» le sens commun désavoue comme absurde 
3) d'une part ^ et comme transformant Dieu, 
7i en diable de l'autre part : pour punir les 
2> coupables et récompenser les gens de bien » 
B n'est-ce pas assez, des lois civiles et phy* 
» siques » et de notre propre conscience ?..« 
» Je né sais » me disoitril dans une autre oo^ 
n casion , si Dieu a créé le monde » ou si le 
» monde est éternel.; je doute même que loa 



/ 



101 Entretiens ordinaires 

» puisse jamais démontrer l'un ou Taufre de 
» ces deux systèmes. Mais j'éprouve , même 
)) malgré moi y une répugnance invincible à 
9» me représenter le fait de la création. On 
1m nous peint Dieu comme existant de toute 
}) éternité , existant tout seul , ne s'ennuyant 
a> pas de sa solitude et de son inaction ^ parce 
3> qu'il se suffit à lui-même ; et cependant , 
» voilà que oe Dieu , au beau milieu de son 
3> éternité , a la fantaisie de créer cet uni« 
» vers immense , incommensurable^ et près- 
y> que infini en ce que nous voyons , sans 
3) compter tout ce que nous ne pouvons pas 
i» voir ! Et pour donner ainsi une existence 
» réelle à tout , lorsque rien n'existoit que 
» Dieu , il n'a fallu qu^un seul acte de sa vo- 
y> ionté ! Et Dieu a été une éternité sans 
» donner la vie aux êtres pensans , lorsqu'il 
» lui en coûtoit si peu pour le faire , et sans se 
» donner à lui-même le spectacle magnifique 
» qui lui retrace si bien sa puissance ! Mon-* 
31 sieur , voilà deux choses qui révoltent éga- 
» lement ma raison : ce qui n'étoit pas , sor-» 
» tant tout-à-coup du néant ; et Dieu le vou- 
» lant ainsi dans le cours de son éternité , 
-» sans avoir eu de motifs suffisons pour le. 
» vouloir pi us tôt! Je conviens que je ne m'ac- 



àé Fréditic. xoj 

)» coutume pas plus à croire que, cette ma** 
» tîère brute , inerte et vile que je foule aux 
i> pieds > partage te privilège d'être éteruelte ^ 
D et par conséquent d*étrç qii quelque sievtè 
)> divine : mais enfin y j'en si^iÀ encore m$>iQa 
ï> révolté que des dieux autres articles quo 
^ je viens de voua indiqve]:* Il 0st pcissibte 
» que je me trompe ^ monsieur ;. ofiâis; obligi& 
9> de dioisir ?ntre deux QiwkU>ns qui me parr 
» roissent absurdes à quelques égards ^^ j^ 
y> me décide pour celle dont ma ra;is6n est 
» moins effaroudhée v et ]e m en tiens par èe 
^> seul nK>tif » à éelle qui me dit que le mondée 
» est éternel comme Dieu , et que Dieu eâ 
» f st intelligence » ou , si vous voulez , h. 
2> puissance coordonnâtrîce et mouvante*. » 
J'ai rapporté ici ces deux entretiens , parce 
qu'ils montrent en même temps quelle était 
la doctrine que ce roi avoit adoptée^ et quelle 
:étoit sa manière de raisonner. On obsep- 
vera néanmoins qu en tout ce qui précède^ 
on ne voit rien qui manifeste son opinion 
sur Timmortalité de Famé. Je dirai à ce 
sujet » que fai'lièu de penser qu'il ne croyoit 
point 4 cette immortalité. J'<ai deux faits à 
jciter pour jissiifier ce que f avance ; Tun^ 
^qu'en me {krlaht de la mort de Lotlis XV » il 



104 Entretiens ordinaires 

me dit : « Il a eu beau être puissant en ci 
» monde , c'est comme s*il n ayoit pas existé ; 
i> il ne reste pkrs rien de Jui. Un rdi mort , 
si'Wï lion mort , cest tout "un. Que voyez- 
• vous en lui qui lui survive ? — Sire, il en 
a» reste la gloire, s il a su en acquérir. — 
» Oui , la gloire , cela est vrai. j'J*avois cher- 
ché à lui faire abandonner , par ce mot , une 
suite de réflexions où il n*étoit pas dans mom 
plan d'entrer , et je fus assez heureux pour j 
réussir ; car nous abandonnâmes Louis XV 
et la mort , pour parler de la gloire. L'autre 
fait m'est étranger ; mais je le sais aussi cer- 
tiônemént que si j'avois été présent. Deux 
académiciens qui vivent encore , eurent avec 
lui un entretien où il fut question de l'im- 
mortalité de i'ame. L'un de mes/deùx con- 
firères se mit à citer tous les argumenft qù^ 
l'on peut donner pour appuyer ce dogme; 
{ion pas qu'il soit bien certain que ce savant 
y croie lui-même, mais parce' qu'en général 
il aime assez ces sortes de discussions ^ et 
peut-être aussi parce qu'il vouloit voir quelles 
réponses Frédéric auroit à lai faire ; ce qu'il 
n'attendoit pas . est ce qui arriva. Le mo- 
narque finit par s'impatienter ; et, prenant 
tan ton et ua air dur , il lui dît : €< Comment ! 



âe Frédérie. io5 

6 vons vous imaginez donc que vous êtes 
fc immortel ? et qu'avez-vous fait pour le 
'yy mériter ? » Ces deux faits me semblent ne 
laisser aucun doute sur le point dont il a*agit« 
Je n'ai point parlé des plaisanteries qu*eii 
d'autres occasions Frédéric se permettoit sur 
les mêmes matières ; on conçoit que j aurois 
tant à dire à cet égard; que les lecteurs ea 
seroient fatigués bien avant que j'eusse tout 
cité* Si cependant on désire en connoitre 
quelques échantillons , au moins de ceux que 
iâ décence permet de présenter au public, 
et par conséquent dô ceux où il y a eu le plus 
de retenue , )e dirai qu'il m'observoit un jour 
qu^apparemment le bon Dieu avoit toujours 
moins aimé les Allemands septentrionaux que 
:beàucoùp d'autres peuples ; c car 9 ajoutoibil> 
']> il n'a jamais voulu faire de inous de bons 
3^ chrétiens* Rappelez- vous ce qu'il en a coûf je 
» d'efibrts et de travaux à Chartemagne pour 
% nous cotivertir ! Encore y a-tril fort mal 
V réussi ! £t Vous savez avec quelle &cilité 
?> on nous a fait renoncer aux indulgences 
» de Léon X ! Il semble que Dieu nous ait 
D prédestinés à la damnation éternelle , et qu'il 
M ait détourné de dessus nous le sang de son 
^ fils;etvoyej8s^ce que c'est que fimpénitenoe 



ïoô Entretiefis ordinaires 

D finale t Nous nous on mettaûs ibrt peu en 
I» peine!.... Je ne suis point inquiet de moa 
» salut , me disoit-il une autre fois ; u'ai je 
gr pas sainte Edwige , de qui je descends en 
I» ligne directe? Vous cjfoyez bien qu'elle est 
j^ trop bonne sainte pourtêtre mère déna"- 
v> turée , et me refuser sa protection ! Et si elle 
» méconnûissoit son propre sang » quelle ré»* 
ïè putationcela luiferoit il'eii paradis? Ne faur 
ob droit41 pas , pour cela , ;q<u elle eût le diable 
«. au corps ? Ainsi, dès que je paroitrai, 
o> comptez qu'on ouvrira pour moi les deux 
:» battans de la porte ^ et que je serai reçti piar 
-v le Père Ëtemel , comme étant .vraiment de 
11) la race: des saints !j» 

* :» . • . Voas «utres abbés et petits évéques ^ i> 
dit-il un jour au biUiotfaéeaire pnbKc , dom 
Pernety ^ qui ^ en qualité d'abbé de Burgèl 
'( bénéfice in partibus ) , portoit' consiani- 
ment au cou sa belle croix ^ov^ « vous êtes 
1» cbicfaes et mesquins dans les bénédictiom 
» que vous distribuez ; vous n*y em ployez que 
'^% deux doigts seulement ^ ce qui dénote une 
3) ladrerie honteuse. Pour moi , en ma qualité 
*» d'archevêque deMagdebourg, j'en uise avec 
» plus de noblesse et de générosité; je ioiets 
^) anx bénédictions que je donue , les cin^ 



de Frédéric. . ttff^ 

» doigts de la loain ; et c'est de toute Péteiidttd 
» de mon bras que je sauve les âmes ! » 

Un docteur de Sorbonne., M'. D. ¥• P* se 
trouva appelé et retenu auprès de luî^ }e n'ai 
sa ni pourquoi 9 ni comment. FrédérîcJ'en-^- 
voya jusqu'à Munieh pour complimenter de 
sa part le pape Pie VI ^ lorsque celui--ci vînt' 
à Vienne rendre à Joseph II la visite qu'il en 
avoit reçue à Rome. L'abbé D. V. P* se pér-'- 
saïada qu'après une mission audsl importante 
et aussi honorable « un bon ëvêehé étoit la 
moins qu'il pût espérer* Le roi même eut la 
malice de lui mettre cette perspective ^devaiit 
les yeux. Labbé prit un simple persiflBager 
pour une promesse assurée , et se hâta de 
feirç faire chez des juifs, à crédit-, et bien- 
chèrement » tout oe qui lui manqubtt pour 
compléter la garde-robe d'un monseigneur ^ 
cet empressement le perdit. Les créanciers- 
devinrent importuns et menacèrent; si bien* 
que le futur évêqùe crut devoir manifester 
son embarras au roi , ce qui n'accéléra que sàr 
ruine; car.il n'obtint pour tout 'secours que 
des isarcasmes et dés gambades^ qui le déter«^ 
minèrent enfin à se retirer comme il étoit^ 
venu. Mais. dans les commencemens de son^ 
service auprès du. roi, celm*Qi he manq&at / 



io8 Entretiens ordinaires 

pas de mW parier sur le ion goguenard au* 
quel il aimoit tant à revenir .... ce A présent, 
» me dit*il^ }e deviens un tibéologten imper- 
3> torbable , car )*ai auprès de moi un doc-» 
9 teurde Sorbonne. Ainsi , monsieur , si vous:* 
» chancelez dans la foi ^ si vous avez quelques 
» doutes , quelques tentations d'incrédulité ; 
» si le malin esprit vous harcèle de ses sug« 
» gestions infernales, venez à.moî^ je. vous. 
>^ exorciserai comme il iaut, et je renverrai 
)ft le. diable cornu tête baissée et la queue dans 
99^ les jambes j je vous en réponds ! Est«ce. que 
» vous ne saviez donopas ms^ bonne fortune ?» 
3» Est-ce que vous navez |)as encore vu mon. 
» grand et très-célèbre docteur ? — Sire ^ je 
a» lai vu un jour à dîner chez le comte dei 
31 Sakce; mais il n'y ^ pas été; question de 
3) théologie. -^ En ce cas , vous avez infini- 
» ment perdu ; mais consolez- vous » je vous 
3» transmettrai fidèlement toutes les choses 
m inefiables que j'en apprendrai, --r J'di peur » 
3» sire , de n'y nen comprendre. — Eh la 
» grâce, donc? vous la comptez pour rien ? 
9) Mais de quoi av^^vous dqnc parlé à moii 
» savant théologien , chez le comte Sacke? — - 
» Comme j'avois deviné p^x quelques propos^ 
» préoédens qu'il est du pays de Liège ^ ja^ 



de Frédéric. 109 

» lai prié , sire 9 de me dire s*il étoit vrai que 
» les marchands liégeois allassent tous les ans 
» accaparer les vins foibles et délicats du 
» Barrois , et les gros vins bien plus épais de 
» la Franclie-Cpmtét pour les marier ensemble 
D à Liège, et de là les reverser dans tout le 
» nord de l'Europe , sous le nom de vins de 
j» Bourgogne. — £h! comment avez- vous 
» songé à le distraire de ises méditations su- 
j bUmes , pour le faire descendre à de pa< 
» reilles misères? Est ce doue qull rampe 
n jamais sur la terre comme nous? II ne 
» connoît que les choses célestes! Oh! vrai- 
» ment , ce n*est pas du charlatanisme et des 
3 petites friponneries des marchands de vins 
» qu^il s'occupe ! Je parie qu*il ne vous a rien 
» répondu qui vaille ? — Il m'a fort assurét 
D que les faits dont je parlois étoient tous faux* 
» —-Oui. sans doute : en bon chrétien • il re« 
^> garde tous ses compatriotes comme les plus 
D braves géhs du monde ; ef ce sont les bancs 
» de la Sorbonne , monsieur ^ qui nous ap- 
» prennent à si bien juger les hommes ! Je 
% parie quq vous ne vous êtes jamais assis sur 
» ces bapcs-là , vous ? *^« Je ne les ai même 
» jamais vus , sire. — C est aussi pour cela 
9 qa^ vous croyez que les m^arcbaads de vins 



lïô Entretiens ordinaires 

» frelatent et droguent les bbiésoDs qu*ils nous 
» vendent , et que vous ne savez rien des vé^ 

» rites d'en haut » ' 

En revenant d'un de ses voyages en Silésîe , 
il me fit appeler au moment même où il des- 
cendoit de voiture , pour me dire qull espé- 
roit que j'admireroîs et que je bénirois son 
zèle pour les choses saintes.... * Avant dar- 
» river à Breslaw , me dit il , j'ai appris que 
» les capucins de cette province vendoient , 
3» au prix de six sous , chez les pauvres et cré- 
3>dules paysans, d^es agnus Dei ^ pour les 
» donner à manger aux bêtes , avec assurance 
» que faioyennant un bon acte de foi , celte 
» sainte hostie préserveroit ou guérii^oît ces 
» animaux de la maladie épizootique qui, 
» malheureusement , règne" à présent dans 
«plusieurs cantons de ce pays. Cette, double 
» infamie m'a indigné. En rentrant le soir dans 
» Dreslaw, je n'ai rien eu de plus pressé q'jre 
)» de faire, appeler, pour l'instant même les 
' » trois cordons bleus dû couvent (i). A leur 
» arrivée, j'ai pris un air terrible et bien cour- 
» roucé : je me suis livré à tcus les mouvi- 
» mens d'une sainte indignation : et je leur ai 
i)dit d'une voix enflée et forte.... Comment ^ 

(i) Là; le couvent des capucin^ est prë» du château. 



de Frédéric^ iH 

7> malheureux que t^ous êtes ^ vous vendez à 

10 vil priûCp aux habitons de la campagne 

10 ce qu^Uy a de plus respectable et de plus 

» saint dans votre religiori} et vous le ven^ 

» dez pour le faire ai^aler aux plus vils uni' 

y>mauxl et vous ajoutez à cette impiété ^ 

« celle de faire croire que cette image de 

5) votre Dieu est un remède efficace contre 

V Vévizootie ! J^ous ne craignez pas qu'une 

)) aussi odieuse profanation ne dévoile i 

» tous les yeux que vous n^êtes que des 

» hypocrites aussi mal - adroits que cow- 

jipahles .... Et que faites- vous de cet ar* 

10 gent f vous que le peuple nourrit de ses 

» aumônes ^ et qui ne manquez < de rien? 

» Est" ce pour acheter des rubans à vos 

» maîtresses?.... Ici , Tan d'eux a pris la pa^ 

»role tout en tremblant, pour m'assurer qa*3 

» De Ta voit pas fait.«*. Taisez-vous ^ lui ai^ 

» dit^ si ce n'est pas vous ^ ce sont vos re- 

» ligieux y ou plutôt ces moines indignes et 

i^frréligieux qui virent sous votre disciplin&. 

» Us le font y je le sais! Uignorez - vous ? 

9 T^ous êtes criminels! Ne Vignorez-vous 

Yi pas ? Vous êtes criminels ! Ne deurois-je 

» pas étouffer le scandale public qui en ré^ 

3» suite ^ par votre supplice? Mais au moins ^ 



II 2 JEntretiânsi ordinaires 

7> prenez garde à vous ! Je vous Oi^ertis que 

» vous serez surveillés de prés : et si pareille 

D chose vousarriçe encore^ certainement^ je 

^^ vous ferai à tous couper la barbe ! ^llez. 

« Ils se sont retirés interdits et tremblans de 

y> peur. Oh ! comptez bien qu'ils n'ont pas 

» envie de recommencer ! Mais , est-ce que 

«vous ne pensez pas que j'aye bien fait? Vous 

.39 bon catholique romain , dites-moi si^ chez 

.X vous , on bénit les agnus Dei pour les 

Ti bêtes ? Devois-je permettre ou tolérer \m 

^ abus qui ne tend qu a tromper le peifple ; 

j à le priver de son nécessaire^ et à produire 

:»: à la fin un vrai scandale public ? j» . 

..Je lui répondis qu'un prince catholique 
]i!auroit pas pu mieux faire i à moins qu il 

n eut recours à la sainte Inquisition 

« Oh ! reprit-il , bien, obligé ; je ne pousserai 
a»* pas le zèle jusques- là ! Cest.un point que 
^ j abandonne aux rois très-fidèles ou très- 
» catholiques ; je n'empiéterai pas sur des 
» droits qu ils ont si. bien acquis \» f 

Dans une autre occasion , il me dit qu'il 
n'a voit pas voulu du bref p$ir lequel Ganga* 

jielly avoit détruit les Jésuites ce Si uu 

p) homme portant à sa jaquette un collet taillé 
«idune certaine façon ^ a, mérité en Portugal 

» d'avoii: 



di Fréditic: ,'^ irj 

b d!ft voir le cou cdapé'^ est^ce'qae je pms &irev 
Tb pQiu: jcelft seulement , cx)upe!r lecou i tous' 
^ ceux t{uî outdes collets iatllés ^ur lé mém^ 
)i 'modèle? Je ne pense pas avoir ce droit-là ^ 
» monsieur ; la justice cessé d'être justice ^ 
% quaud elle n'est t)as distributive. Or ^ je n'ai 
3» pas plus eu à me plaindre de ces gens-là qu9^ 
9 des autres. Ils n ont ett ébez itioî , ni des Ma** 
» lagrida^ ni des Buzembaùm. D'ailleurs ^ 
^ moDseigaenr le duc de Choiseul ne vivrst 
i> pas.toujours ; et de par Fincoùstance hu^ 
» maiue » loi:squ'il sera allé au diable , lai et 
» son c)rédit % et se» passions baîiieuses et des« 
^'tructiyes^ alors on voudra ravoixr de ce» 
» proscrits 4 et. moi , }.e verrai les souverain» 
i> cjaitholiques me prier de leur en donner « et 
4> les recevoir de ma main avec reco)inois<^ 
» sance. C'est dans cet espoir , qu'en boa 
)> conGrère , . je leur conserve de cette graine \^ 
» maiiaiils ne l'autoht pas gratis , je la lam: 
» vendrai bilen , je vous en réponds ! /> 

Je reviens aux raîsomiemens plus sérieux^ 
dans lesquels il a opiniâtrement cherché à 
m'i^ngagér pendant plusieurs années ^ afin da 
comntiitre mes opinioois ei; mes prinGÎ{:ftâ, ou 
plutôt afin de nie «néttre âisuite.au liiéme 
taux c|ue tant d'aiitrtst, et dan'àsaaiÙir éga- 



u 



ti4 Entretiens ordinaires 

kmeDtde ses plaisanteries si souvent eraeltes f 
lors^uje par mes aveux il auroit su -quelle 
ferme leur donner ^ et sur quelle base les 
appuyer; mais ^raisonnemens auxquels ja 
n'ai jamais pris d*autre part que de les écouter 
dans l'attitude de Hiomme le plus attentif, et 
en même- temps le plus respectueux et le plua 
retenu. Mon silence le blessoit singulièrement; 
et on Yoyoit qu'il s*étoit promis de me le &ire 
rompre; aussi s'y prit*il de toutes lès ma-« 

nièreç imaginables pour y parvenir i . — 

K Monsieur 9 » me dit-^il un soir^ après avoir 
longuement disoatésur je ne sais quelle ques- 
tion , « faites-moi le plaisir de me répondre. 
» Que pensezWous de mes argumens ? Quelle 
j» est votre opinion sur le sujet que je traite? 
ji ..L- Sire , îe ne connois pas assez ces ma- 
> tîères pour me permettre de proposer 
» aucnoe opinion.— — Mais cependant ^ vous 
j» en avez quelquNine? £h bien , monsieur, 
» daignez me ta communiquer f — Si j'en ai 
lé une t sire » elle ne vaut pas la peme d'être 
^ produite ^ et )e l'énoncerois maL -^ Voua 
i> n^avez aucune confiance en moi? — Ma 
*. confiapce e&t saÂs bornes ; mais elle ne 
* doit pas me faire oublier le profond respect 
» que je dois à votre majesté > «t qui égala 



de Frédéric.. Jit$ 

» tua confîapce. — Mais aa mpios , vouf 
^ poiivej^ lue dire çije raisonne juste; voug 
» poQV(33 me redresser si je me tl^oinpei. 
n AUoûs ) monsieur # un peu de tfharité l 
» éclairea-moi ; ne dédaignez pas de m'ins-f 
» traire; montr^is-moi la })onne voie, et dçn- 
» neZ'Vous la peine de m'y ramçuer?... » A ce 
ton goguçnardf je baissai, le^i yeux; je re- 
devins plus sértlsox qu^aiiparavant , et me 
renfermai dans le silence le plus absolu ^ 
îusqu^a cj9 qu enfin il voulut bien parlerd'autre 
chose i ou me souhaiter le bon soir. 

XJn aqtre soirt que nqus étioois debout 

(devait SA f!^;Eaî|iée ^ H reprit «es argumeo^ 

prdiu^res , ^t les suivit, assez long -temps; 

après quoi , parpissapt ^'aperce voir touVi- 

4:^up do mw ^(ence absolu ,; et feignant de 

l'interpj^êter t comme s) je désapprouvois 

jiout ce qu*il ^voit dit.« il s'arrêta , s'approcha 

4e moi , me p;:it au bouto:n . d^ Thabît ^ le 

{>lus près du collet « et ine dit , en me fixant : 

ci J espère pourtant , mqnsieur , que vous 

H voudrez bien me permettre de penser et 

» de parler ^brement chez moi! — Votre 

,» majesté « lui répliquai^^e » a même le privîp- 

» lége de le faire chez les autres^ quand elle 

^ll le^veaut bien« » Ce mot parut le calmer ; et 

H 2 



p 

j 



u6 Entretiens ordinaires 

pour cette fois ^ il changea de conversaHonl 
Une autre fois encore , il s'interrompit dé 
même 9 pour me dire-, ce Je vois bien î 
t> monsieur i <|ue vous ne voulez plus que 
» fai le plaisir de vou^voir ! Ma-conversa"^ 
» tion vt)us ennuie. )> Je lui répondis^ que 
le malheur de ne plus rapprocher > seroit 
un des plus grands qui pussent m'&rriverè 
Je ne sais si je lui fis cette réponse du ton 
d*uu homme ^ssez pénétré pour qu'il lé ré-^ 
marquât : mais il ' parut bien qu'il y avoit 
fait attention. 

En eflët « le prince Guillaume de Bruns- 
wick, qui amra son articlo particulier danà 
ces Souvenirs i vint ^ peu de temps après \ 
de Potzdam à Berlin » chargé, par^^le roi de 
savoir de moi , paur quelles raisons je nô 
répondois jamais rien , quand on me parloit 
de religion ? Frédéric savoît qile cq prince , 
plein d'esprit et de vivacité , .et âgé alors d^ 
viDgt-un à Vingt - deux ans^ avoit beau^ 
coup d amitié pour moi; ce fut ce qui le fit 
tchoisir pour cette commission. <c Mon cher 
n neveu ^ lui dit sa majesté , j'ai envie de 
ts faire de vous un négociateur : je veux 
D savoir quels sont , à cet égard , vos talens ; 
m et quels soins vous pouvez y mettre. Je 



de Frédérîe. tvf 

a» ne débuterai pstô par une affîiire bien im- 
9 portante i cependant j'attache quelque înté» 
n rét à celle que je vais vous cpnfier ; et je 
I» demande sur-^tout de ne paraître y entrer 
» pour rien. Il ne &ut pas quily soit questicoi 
2> de moi : vous ne parlerez que pour voua, 
» d'après TOUS , et par un simple motif de 

n curiosité. Voici de quoi il s'agit Jamais 

» )e n*ai pu' obtenir du professeur Tbiébault >. 
^> un seul mot sur le fonds de quelque religion 
]^ que. ce soit; et, comme je le vois asse^ 
>) souvent^ il m'importe de le connoître ^ ef; 
9 par conséquent de savoir quels sont^ea 
I» motifs. Voyez- le ; parlez-lui«en ,. mais avec 
)> adresse y et rendez-moi compte de ce que. 
D vpus aurez fait et obtenu. « Le prince accepfa^ 
médita bien son plan^ et vint à Berlii^. JËm 
descendant de voiture» il m'envoya un billet ^ 
où il me disoit : ce Monsieur f j'arrive d^ 
jp Po tzdam , fort empressé^ de vous .voir ; 
p comme je né compte point aller ce soir 
9 chez la reine , je vous aurai une yéci^blp 
» pbligaiion , si vous voulez bi^n me c^msa- 
j> crer votre soirée. Ma voiture est à vos 
l> ordres. » Je lai répoudis., que fétois aux 
ordres de sa voiture ^,qui., en efiêt , vix^t nm 
prendre un quart-d'heure après.. 



î i3 JEnt^ô tiens • ordinaires 

Jef le trûâVai setil; il fut enchàniê de m9 
revoir :i et merémeroià de ma cotnpiadianee # 
^é promettant de ptiss«ir aveo moi une soirée 
d*aatant plus^ déticietise , qa'étant isenU, et 
bien assures do fiôtre amitié et disofétion 
mutuelle, nous iiôUd parlîeiîons àoçBur ouvert. 
Mais alors ^ seiïiblëbfe à ùfn- homme qui se 
ravise i il sarréla tôut^à-cdUp ( Hdixs nOuA 
promenions dans soit cabinet ) , ef me dits 
<c Cependant , monsieur , avant d*entamer 
p' d\àuf res snjëts de conversation ., il îéiit^ 
n que, par un premier acte de franchise, 
y et au risqué de commettre une indîscré-« 
3) tidn que vdns fne pardonnerez ^ je voni 
9» aVone qùtl y a chez vous , et dans votre 
!» conduite la phis soutenue , nne chose que 
a^ fe ne comprends pas , et qui mé tourmente 
^ Pesprit. Toutes les fois quel^on vous parle 
D de religion , fài remarqué , et bïeu d^autres 
i -qu« moi Font remarqué de même , que 
4 vous vous obstiniez à garder*ie plus profond 
i sileuce. Certainement , vous n*en agisses^ 
^' pas ' ainsi ^ sans y i^e déterminé par quel*^ 
i> qucs raisons! Or, ces raisons, je vous 
$ avoue que )e ne les devine pas ; et il m*a 
9» paru que vous ne me rduseriez pas , en 
V qualité de votre ami , de .me lés faire 



de Frédirie. %i^ 

tf eonnottn; je suis assuré cpx^^j twaWa 

» qadqo'instractioii pour moi-méme » 

Ce priooe ne m av^oit jamaos parié de r^ 
ligioQ ; et méoie oa ne m'ea avoit ^Knfniis 
parlé ^ devant lui* Il ii a^mt donc pomi; ea 
ocoasicm de Eure ta remairql» qui lui senooit 
de prétexte ; ctrconstaixee qâ ihe ficmppa, et 
qui pxie St soupçonner qa'it n'étoit en ee ifio- 
ment que Targaiie de sioii oitole ; ce que lai«>^ 
inénie . tn*a avoi^ daM la .8ttite« D*après oette 
pensée, je pd».wr.-leHeha&ip mon parti: 
a YouiS. me deiaaadest lui dis^ye f pourquoi 
I» je m'a#troitts. ail stlenoe le plàs obstiné sur 
a les matières religieuses ? Monsei^eur f îe 
» vais V0US' le ^dire t avee toute \^ fitaftehise 
yy que vous pouvez' desikier de mdk. Je ne* 
a puis parler de rcUg^oa qu'à' mas infërieutfs it 
» à meségaaxcoiànieSiaapéfieQrst admettea^^ 
Il vous oette division: octeune adéqnaite et 
» pom|>lète? ^r-^ Oiâ; elle vanfemne tout.^-* 
i> £tt ce cas • je vais'la répondre et la $nkne^ 
» assusé que si je' vous salisfiôs sur lea troi«' 
)» lirancbest cpi-elle nous oârev^ j'aurai pldule*' 
9 ment renolpli vos désirs : et poor oonimeiieèer 
)> par le premier point , quels sont les infê* 
» rieurs à qui je pourvois pailler de religion ? 
^ •**- loi 9 monarag^eur^ je ne oofnpterai pai 



^a© Entretiens ordinaires 

^ ânes eofatis , jllâ sont encore^ trop jeunes i • 
tt> je .De compterai pasj mes élèves ; ils ne 
» m'eppartibniieirt pas ; iU ne i^esoiit confiés 
y.qpa pour les leçons que Ton m'a chargé de 
:i> leur dlomier, leçons où là religion n entre 
n pour rien > 'eft;ifai cercle ^squelles il né 
P m'est pôiàt permis de sortir. La listé de 
:i» mes inférieur Jse réduit àfifkc aux domes- 
» tiques qui me servent , et . que je paie? 
9 Mais> je b^ai d*aiitérité à leur égaird^ qu'en 
«>ii9M3éqaenc^:et^eH'éon£c>nmté du marché 
^ xp^yai.fj^iL:^JWï eux : et que porte ce 
9 marché? Qà*en^ retour de ce que }e leur 
^^ ai promis , ils rempliront , avec zèle et fidé- 
n litén losdevoii» qui tiennent au^ service de 
y^ ma^personné) et de ma^famiU^^. Leoi-s opi- 
1^ iiipns , leurs tpénsées ^ leur âme so^t-elks 
3».\entrée8ien.4ignc de compte dans ce marché? 
?» • Il tt'en à pas seulement été' question torr 
3L^i notre raedèotd \ 'Combiéu m*aurôient-ils 
9> lllWlia^ou. loôé ee derniev servage ? Je' 
>:(^n9>lrar donné pas^ us soui à oe titre l Et 
«L de qaêbdroit pounKxis^jedonc. entreprendra 
m sur* leur tifacrté intérieure et la plus intime ? 
3^-X4r'âutoi'itéquejem'arrogeroissurcederniçr 
^'i rfetrauchement de la liberté immaine , no 
}?-' iwoid-ellèpi^s une ftQtonl^ nsmrpée^ odieus?^ 



de Frédérle. ùt 

1» et tyranniqae ? Non , monseignenr ; leur 
> conscience ne m'appartient pas /et* je n*ai 
TU tien à leur en' dire t tant que d'ailleurs Ué 
n-ne mangaeUt pas à leurs devoirs v et que 
» • "de plaë , ils ne me demandent pas de oonseib 
» ' là-desstasw -^ Tos réflexions ^ monsieur , me 
' josemblent aussi justes, qu'elles sontneuvei 
^i pour moi. Je Tous en remercie; et voua 
i> promets que j'en ferai mon profit. Je ne 
À> les oublierai pas. -^ Passons donc » monse)--^ 
ii gneur , au second article de notre divî- 

» sien Pourquoi ne parlerois*je pas àe' 

» religion avec mes égaux ? . • • . • Je dois ici, 
» par respect pourla vérité, vous:âire Taveu 
»i que j'ai été l'un des plus ardîHis d&puteurs 
» que j'aie connus : je le prouverois par mille 
» anecdotes plus convaincantes lea unes que. 
3» les autres. Je n'en citerai jqu'une..... Il 
» m^est arrivé i Paies , en 1763, de disputer: 
n avec un ami , sur une question religieuse, 
>i pour et contre laquelle nous nous échauF' 
» fàmes teliement tous les deux ^ que nous 
>v argumentâmes en forme et en làtîn, sana 
» nous en apercevoir , depuis huit heurea. 
yx du soir jusqu'à i une heure après minuit ; 
»i: si. bien que , ; totalem^it épuisés l'un et 
9 l'autue.^ wMiqifiànms ^obligés de fiûre relevçr 



fà^ Entretiens' ord^taires 

» le Bu^tare dq cale voisin , pour avov char 
9» ooa y^ayant 4^ aiG«a conphfvr » W^ kat&* 
» rojae » domt nouSi avionâ le piw grand be* 
s» eoîa. J'^apèrj^i mOi^eiigQew » ^n^ ce tirait 
Il ^nffîivft poor: voua eoAvuincre ^uç j*ai, dû 
» <Stro un très-grMd «tispi^ar .1 £h bien , 
^ l^Vai-iîe recueilli d^ toiMi04 k^ dUffKtea où 
^ î'ap :été tfnteuir , et n»èeM de isettea oii )# 
» n'ai été q^e témom t Une «eule chose , 
»^ savoir «'.<}«* yaimaia dispiiiteiir nV converti 
39 {^Orsonne. SottV^iit o* eat «i exupreaaé de 
» répondre t qbe Vcm coupe mattioupêtement 
3) lé patold aux. afitrea i trop souvent aussi 
31 l-ardevir' avfialatjueUe 6n se livre à la dis- 
39 pute « iie pefcmet pas tfsees de bien choi- 
» sir les expression» dont on se sert : on dit 
33 €6 que. Lt>ii ne^ vent pais dire , . on ofiense 
% sans, en: avoir Fintenlîon; dn .un r mot, oa 
3» se brbmlle , oïl du jaoii^s èà se réfroidât* 
3» Voilà ce que jai eoasftftn:in»ent observé , et 
» ce qui nta laât pt endre la . )»éâolutioa de 
» ne jamais plus dkputei* iavae mes égaux 
3) sur quel^armati^re religiesae <|ue ee soit ; 
» c'est-^à^dkrè^monëeignrar.» ao moins pour 
» ce dernier ax tkde > deu'en; plus parler ^. 
3) vu que rien n*ést plus, difficile que d^en^ 
V parler y ^ans en venir j^vomptament à des 



âe Frédéric. "" jtl8 

y cfoput^s vives et très-fàcheusea. Comme 
» rien ne m'est plus cher que Vamitié et la 
» paix , je demande , en gràoe , que l'on me 
» pardonne le soin que }e mets k ne jtunaia 
y parler de choses si délicates avec mes 
9 égaux et mes amis. -^ Je ne pois , mon* 
9 sieur, qu'approuver et louer ce soin*là; 
9 mais si vos supérieurs désirent s entrete- 
3b nir avec vous sur ces sortes de sujets^ 
D quel inconvénient trouvez- vous à leur ré* 
D pondre , et h leur dire au moins en peu de 
V mots ^ ce que vous en pensez ? — Parier 
» de religion à mes siq>érieurs ! vous en parler 
» à vous , monseigneur ! et sur quel ton t 
» dans quel sens , s'il vous |Jait ? Vous en 
D parlerai«-je , en vous contredisant ? Vous 
» ne me croyez pas le zète d'un apôtre ! Je 
30 confesse que je ne m'en sens aucunement 
» la vocation ; et j'espère même que tous ne 
» me soupçonnez point du toùti les vertus 
9 apostoliques! Pourquoi donc voQsparleroî»- 
* je de religion f ne voulant point vous con^ 
s> vertir? Seroit«>cepour vous témoigner que 
9 je suis de votre avis,? Monseigneor , » lui 
dis* je alors, d'un ton et d'un air très-résolu , 
et même en le prenant par le bras , <c monsei* 
« ^eur j vous pourriez croire que je ne le 



1^4 Entretiens ordinaires 

» ferois que par une vile complaisance ! vous 
^ pourriez me soupçonner de lâcheté ! Oh ! 
> )am»s je ne vous en donnerai le droit , 
« ni à vous , mbnseigneur , ni à quelqu'autre 
to grand que ce puisse être ! — Ah ! monsieur, 
3» vous me rappelez id Tirnage de cinq cents 
» courtisans que vous traînez dans la boue 
» a mes yeux ! ^— Monseigneur , ce n'est pas 
» de ma faute : mais , que mes supérieurs 
» me laissent chez moi ; né m'oocnpant que 
» de mes devoirs , et toujours fidèle à mes 
» principes^ je me soumettrai à ma destinée , 
^ ainsi que' tant d'autres braves gens qui 
]» valent mieux que moi ; ou si je suis assez 
» heureux pour ne pas déplaire à ceux à 
s> qui je dois le plus de réspeet , quils ne 
9> me tourmentent pas sur larticle de la re- 
X ligiout car ils n'obtiendront xi en ! » 

Le prince m'avoua que tout ce que je lui 
avois dit, lui paroissoit très -juste, très ^rai- 
sonnable et très - sage ; et , après m'avoir re- 
mercié de ma - complaisance , il me parla 
d'autres choses^ Il n'eut rien de plus pressé 
que de rendre ensuite à son oncle , un-compte 
exact de tout ce que je lui avois dit; et il fatit 
croire que son rapport ne me fut point défa-» 
yorabiê ^ et que le roi lui-rmême comprit .qu'il 



de Frédéric. ; 104 

étoit de sa jastice et de sa bienveillance d'a^, 
voir égard à la loi que )e m'étois imposée ; oUt 
bien que , parvenu à son but, qui étoit de; 
connoître et mesurer en quelque sorte mon 
caractère et mes pripcipes , il B*eut plus aii-> 
can motif de me harceler, comme il Tavoit si 
constamment fait jusqu'alors. AumcÂns est-il 
vrai qu'à dater de ce moment , et dursoit taqt 
d'années qui :Ont suivi cette époque ^ c'est^ 
à- dire, durant quinze ans environ, Frédéj^io 
na plus eu à m'entretenir que de littératura 
et de pbilQSpphie; la religion ne reparoissant 
pins sur la scène que pour de légères obser* 
yaitions , ou plaisanteries, qui sembloient se 
présenter d'elles-mêmes, pour. lesquelles on 
n'attendoit aucune réponse de ma part. Ce 
résultat ne devient-il pas une preuve sensible 
que ce roi ne tourmentoit ainsi ceux qui Tap^ 
prochoient, que pour les mieux connoîtire^ 
ou pour pujair les âmes viles ; mais qu'il savoir 
être juste envers. ceux qui ayoient assez dcf 
sagesse pu de franchise , en i^n mot assez d^ 
caractère pour mériter son estim.e ! < . 

Jai cru devoir rapporter de suite tout C|^ 
qui copcçj^çe Irréligion; et c'est pour cpm- 
pléter ce tableafi , que je vais y ajouter , avant 
de le termine!; , ce que nia raconté^ d.aAS uuf 



Entretiens ôrdtiMireS 

entre occasion , ce jeane prince Guillaume de 
Brohswick , dont je viens de parler. Le roi 
Tavoit pris avec lui pour aller faire la revue 
de ses troupes en Poméranie et en Prusse ^ 
pendant là route ^ et en fi^isant leur cinqUaute 
lieues par jour ^ la religion vint à son tour 
fournir matière à leur conversation. Le jeune 
prince , Bptèsi avoir long-temps écouté son 
oncle , lui dit à la fin : «Votre majesté me pér- 
il mettroit-elle de lui exposer une idée qui 
}> m*ocGupe l*e§pHt et m^é tonne beaucoup? 
jt — Eh bien , Qu'est - ce que Veat ? Dites. — * 
9 Sire, je ne suis pas fort surpris que bien 
s^ des philosophes déclarent ne point croire 
» à la religion t tù^is je ne conçois point que 
^ des souverains puissent tenir le înén^e lan^ 
9 gage. — Eh ! qui les en empêcheroit, mon* 
» sieur?-— Sire, leur propre intérêt : la re- 
y Kgion n*est-eHe pas un des appuis de leur 
» autorité ? •*- Mon ami , Tordre et les lois me 
» sùflBsent. Et n aî-je pas d'ailleurs pour moi 
» rintérét des oitbyens , leurs habitudes^ leur 
1» éducation et leur impuissance ? -^ Mais > 
» qu'y a-t-îl de plus commode pour les rois^ 
h qu'une religion qui les représente comme 
» les images de Dieu , et qui ordonne d'avoir 
» envers eux une obéissance aveugle? — Mon 



» que pour les tjtoïê : les Traift' métaàrqnes 
» n'oat besoin q«i6 d'ntie ch^iaeieàéé MaKiw 
1^ nable H nhotiVée. DVâUeiin les préfrès rtm 
« nous annonaeBl^CQPBmedépoêihured'de la 
» puissance divine ^ qu*en se déclarant eux- 
» mêmes les organes et les interprètes de la 
«» divinité. Us nons tiennent ainsi à leurs dis- 
n positions I et nous mettent à leurs pieds. 
)» Or moi , si je suis le chef de la nation , il ne 
» faut pas que je sois le ministre des prêtres : 
1^ je ne veux donc point de Tobéissance aveu* 
« gle qu*ils ne prêchent aux peuples envers 
m moi , que pour Texiger ensuite de ma part 
» envers eux. — Cependant , sire , il y a des 
» hommes si pervers et si hardis pour le 
3» crime 9 qu'on ne peut trop employer de 
3» freins pour les retenir ; et la religion est 
» d*un merveilleux secours contre cette classe 
^ d'hommes ; les peines de Fantre vie ont 
3> souvent un grand empire sur eeux même 
» qui sont le plus corrompus. « — Oh ! contre 
» les scélérats , j*ai le bourreau , et c'en est 
» bien assez. -—Et si ces scélérats sont des 
» hommes hypocondres , qui s'abandonnent 
» au désespoir , se livrent aux sentimens de la 
j» haine ou de la vengeance , et comptent leur 



ilQ Entr€ti€M 0rdinaireâ 

» vie pçujririeti? «^M^)!! cliiër^^ YimençftaT^ 
m donc., paft qpQ , pouç CQU^^^i ^ jW. Ja maison 
» , dea fi>a8 ? AUç;t > aUpB ; oii -. a trèe^bicoi f ou-» 
» ver3Çbé dana çles pay^ > ^ /^a d^ twnips où l'oa 
9 a'ayoit ;pas votsa mijc^n.. ». 






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FRÉDÉRIC 



de FrédéflCé / tig 

I 






F R É B É R I G 

DANS SE$ iruùES, SES 6 PIN IONS 
ET COMPOSITIONS LÏTTÉIIAÏRÊS. 



Uans les premiers temps de mon séjour à 
Berlin^ je me demandois souvent si Frédéric 
avoit bien ré^Ucment Paipe sensible^ On me 
racontoit beaucoap d'anecdotes qui sem- 
bloient prouver l'affirmative : mais tant d'au- 
tresfaîts yenoient démentir toutes ces preuves^ 
que jerestois toujours en suspens sur ce point* 
jusqu'à ce q^e je pusse enfin en juger par moi-, 
même; II ne s'agissoit pas de prononcer sur 
la vivacité , l'activité et h fécondité de soa 
esprit et d^. son imagination , ni même $ur la 
rapidité de ses idées . et Virrilabilité dç soa 
ame : qui auroitpu conserver quelquiesdoutes> 
à tous ces, égards? et qui de plus pou voit 
méconnoître la fermet*é et l'inébranlable téna- 
cité de ses déWiùî^Qàtîôfta(? qài'janîaîs l'ai Vu 
déviei: de ses principes ,011 se lasser de suivre 
la voie qu'il s'étoit pjfMP^i*^?. Ce qui mç jQtoît 



1^0 Études^ Opinions ^ 

dans la perplexité , c*étoit de savoir si la na- 
ture, en lui donnant tant d*autres qualités 
rares et précieuses^ ne lui avoit pas refusé 
ce sentiment involontaire et toujours si cher * 
q^ui nous livre tout entiers à l'estime et à la- 
niitié ; cette afi'ection douce et si touchante qui 
nous lie à ceux qui nous paroissent en être 
dignes , et nous dévoue en quelque sorte à 
leur bien-être ; germe heureux qui a toujouri^ 
besoin de nouveaux développeroens , et qui 
se nourrit , se fortifie de nos sacrifices les plus 
généreux ; source délicieuse et plus richer 
qu on ne peut dire ; de nos vertus et dé toutes 
les consolations de la vie ! « Ce roi , me disois- 
)» je , a*t-il été doué de ce premier trésor de 
» fhonrme; ou kt nature l'en a-t-elle privée 
» comme pour le jaunir des autres dbnà qu'elle 
» lui a faits? » 

• On m'avoit bien conté qu'ayant perdu, dans 
les premières -années de son règne, un ami 
qu'il avoit paru tshérir plus que tout autre 
( je ne me rappelle pas si c'étoit M. de Këio-^ 
belsdorff ou M. de Kaiser ling ) (i ) , il avbit 

4 

(i) C'étoit M. de Knobdadorff : M. de Kaiserling 
dégoûté de la cour^ tarda peu à se retirer en Lithua- 
nien son pays , où il a v^a jusqu'à un âge asses avancé j| 
sans qu'il ait été quèstioii de Im depuis son'départ. 



ConrposùiûfiS Littér.' d^s Frédétic. . t^t 

Voulu ei^ avpii^:le col*j^s etIai>ièrdÇitiVierte dans 
sa chambre ; qu'il ayaît pjisçé des jours pres- 
que entiet's à contempler ce corps qui s^dé* 
copipospit; que là pulréfactiou, , cjui à I4 fin 
etnpestoit tout soa appart^mept ^ ne suffisant 
.pas pQur le déterminer : à :sfQ détacher^ il 
ayoit fallu ^ après plusieurs JQqr&desuppUcà-^ 
tioDS « p^er d une sorte, de violence pour lui 
ienlever ce dépôt si dangereux et si cher, Afais 
toutes les circonstfince& de û^tte histoire^ ses 
ordres et son obsfinatiofi « fout cela décèle-bil 
Vraiment et unigueitteQt Iq sçn^bilité ? Com- 
J^ien une grande activité çt iiue certaine harr 
diessede } e&prit « une inmgin^OR forte « une 
boriosilé bien déterminée, et un caractère 
naturellement prononcé > ^p'oiiitils pas pu y 
avoir part ? Ce roi> d'ailleurs ^ nq youloit il pa^ 
se Familiariser avec tous les détails de la mort t 
^!étoit-^ce pkas peut-être une dure le^on qu il 
youloit se donner à lui-même ? 

Telles étoient m<ps réQeîcions > lorsqa'en 
1766 la Prusse perdit le jeune prince Henri ♦ 
frère cadet du prince héréditaire^ Ge prince ♦ 
4gé de dix-huit ans^ vonoit .de terminer Id- 
cours de son éducation t.leroilut avoit donnée 
un régiment de cuirassiers , dont il étolt allé 
prendre possçssion » et à l$i tête duqiiel il^ 

I a 



\ 



t^Z Études^ Opinions i \ 

de voit venir à Berlin pour les manœuvres 
militaires du mois de mai. Ce fut en se ren-^ 
dant à cette destination'^ qu'il fut attaqué de 
•fa petite vérole, et quil^moUrut, au bout de 
sept ou huit jours, dans une petite- ville où il 
> «voit été contraint de s'arrêter. La douleur 

que causa cette perte, lut viVe et générale. 
Les talens qu'on avoit reconnus en ce jeune 
prince , son application à Tëtude, les progrès' 
qui en avoient été le fruit , les qualités aima- 
bles y douces et bienfaisantes qui formoient 
son caractère ; tout avoit donné de si grandes 
espérances sur don compte , que l'on ne doit 
pas être surpris que le public ait véritablement 
partagé la profonde a£9iction de la famille 
royale. Le roi étant venu à Berlin quelque^ 
mois après , me fit appeler , et me dit : a Vous 
» avez su, monsieur, que l'Etat et moi nous 
» avons;fait une grande perte , par la mort 
\ » d^un jeune prince de qui il étoît juste de 

» tout espérer. Ce malheur m'a en particulier 
9 vivement aSëcté : tous les jours je me suis 
» retracé les qualités précieuses qui le fai- 
» soient estimer et «chérir; mats je n'ai pas 
» voulu me borner à lui donner des larmes 
n stériles ; j'ai cru devoir sauver de la tombe 
91 ce qu^il avoit <ie plus louable^ et justifier 



Compositions Littér. de Frédéric. 135 

» J^^. regrptS par Pexpe^^^fidèle de$ muses^ 
» quil^$.^xçitoi.fnt : j aï {^p^^ qii^e le tab^eaa 
D.de sa JQUB(e$50. ppurrpjît pôirtf ij» ^^emple 
)) utile à, ceux <]ue la naissance place sqr )e^ 
». luêisç'^écheloii que lui , et^ç^ns doyte ai^Asi^ 
» àtou$.çeuxquîsont s^i^#pt;^Ies d'une belle 
» 4^ul ji^ipii« Ainsi » j'ai cherché, à ramener 
», i^ia douleur vers un but profitable à 1^ so-- 
» ciété , et j'ai fait lëloge de ce neveu si chéri 
» ^et ^i .ftpjièirenjent rçgrett^- . J^ yeux , mon-. 
3) sieur^ quq.ce discours soit lu d^^ns uneséance. 
». pubUque de nion acadéinie; et je vous ai 
>\ choisi pour y taire ce^te lecture» Cependant 
» jenjç reg^r^cLps^s enco]:e .ce morceau coinm^ 
» ftniail yrapjusieurs endroits qui ont besoin, 
» -d'être relouchés ; mais » loirsque je veux j, 
» revenir, je ne vois que mon neveu, et.ne 
» §ui&Mullem^at enétatde m'occuper des cor- 
» reçtions qu^e jesens y, être nécessaires. Mou - 
» cahier t d'aii|ei]^rs, est déjà si chargé dç ra«« 
» tures ^ qu il n y reste souvent plus de ^place 
» pour y écrire ce que jaurois à y faii?e en-^ 
» trer.. J'ai doji;ic àjvops, pjcier 5 d'abord , de 
» m'en iaire..unç,nouvelile copie en caractères. 
» bien lisibles, et en espaçant les rao^s et les 
» ligues , de manière que je puisse y placer 
» sans peine les changçp[iens. que je croirai ^ 



104 - ' Ètud»s; OpiniàH^ v 

V GonveDableei. 'Mals' vous ne ikxnnoiâsea pa9 
»' mon écritatè , ©t (:â8Ut-étre w pourye^-vôua 
D piad^ la déchiiVer , fear je n'écris pas ^ je gri-^ * 
p foiitie. Çeït 't>otarîquoî , afin que youis puis^ 
» sien pFijs facilement dfeviner ce qn^ f aï Toahi" 
» dire i je vais youâ^Krè moi-même cet écrit tel 
» • qfù'îl est , vous prévenant qu'outre la copie 
» que je vous déïnbàdé , j'attends encore de 
» votre 2fèle'^ià note des fautes tpi me seront 
p ^cHâppées'', tant contre la langue qae con-p 
» tre les cofiVeliahceg oratoire^. » ' 
• Aittrs ,il frft'it son cahier, placé sur une pe^ 
tîté table carrée qu'il avoît habitucUemfeût 
devant lui , et où l'on voyoît toujours qaéU 
qnes livrés , iine écritoîrej du papier blanc, 
et souvent plusieurs tabatières; il commença 
!a lecture quîl Vouloît me taîré , en' homine 
qui veut rester maftre de soi-rmème : on s'a^ 
percévoit au ton dé sa voix , qu'il chercboît à 
îfl fortifier , comme pour se raffermir contre 
les impressions de la douleur : ihparloît leh- 
tem^iitj et faisoit des paus(ts fréquentes et 
^é$e^ lodgue^. Cependant il ne résista pas 
bien longtetnpit; dèa la seconde et troisième 
page*, sa voix s-altéra , èeg yeux se mouil-t 
lèrerit dé larmes ': il fallut s'arrêter souvent, 
çt recourir à 90Q oiouchoir. Mais ii eut beau 



ComposUiohs Littér. de Frédéric. Î3S 

s'essuyer le visage » et tousser et cracher ; 
tous ses efibrts ne le ùonduiâirent pas à la fia 
de la quatrième pa^ « que ses yeux , inon- 
dés de larmes , ne yoyoient plus « et que sa 
voix éteinte et entièrement étoufi'ée , ne pou- 
voit plus prononcer les mots ; et ce tut epfin 
au milieu des sanglots dont il n'étoit plus le 
maître , qu^l étendit son bras vers moi , et 
me remit le cahier sans pouvoir proférer une 
seule parole. Je pris ce cahier , contemplant 
avec respect et une sorte de consolation CQ 
gi^and • homme ^ accessible comme tous les 
autres 9sax afiëctions les pliis touchantes et 
les plus chères à Tjiumanité, Après envirou 
une minute ou deu^^ de $ilenQ^j et lorsqu'il 
lui fut possible de parler, il me dit ; « Yous 
n avez compris ce que je désire de vous ? aly 
» lez :. je vous souhaite le bonsoir. » 

Mon .problème fu^ résolu. Beaucoup d au- 
tr^ faits , qui ensuite sont parvenus à ma. 
counoissanee , ont confirmé le jugement qpe 
je portai en sortant du château : mais, ce que. 
je venois de voir ^ étoit plUs.que suifisânt polir 
me convaincre. La douleur à laquelle Fré« 
déric vëaoit de céd^r ^ n*étoit pas und dou- 
leur de com»iaude. Aucune sorte d'intérêt 
ou de motif ne lengageoit à feindre ; et s'il 



igfi Éludes y Opiniûhi , 

a voit voulu pleurer devant moi , pour m*en 
imposer sur son compte , il n'y auroit pas 
réussi , ou je n y aurois pas été trompé. La 
vérité a ses accens qui ne soot qu*à elle ; et 
l'homme de bon sens ^ qui observe avec im- 
partialité et sans prévention , ne peut pas s'y 
méprendre. Aux yeux d'un témoin semblable « 
il n'y a point de masque qui soit .pris pour le 
visage , et point de ^nglerie qui remplace la 
réalité. De tous les sentimensque Ton peut 
feindre d'ailleurs , il n'en est aucun qui soit 
aussi difficile à bien r(Hidre. qu'une grande 
douleur : le plus babile comédien du monde 
ne doit être vu alors qu'à une certaine dis* 
tanee ; observé de trop près , il n'est plus que 
grimacier. 

Me dira-t^on que l'affliction de Frédéric a 
pu être véritable en cette circonstance , sans 
que pour cela on doive reconnoître &a lui , 
cîètte sensibilité .qui fait l'apanage des belles 
âmes ; vu que ce n'étbit que se» vues ambi- 
tieuses , sa politique et son propre intérêt « qui 
loi arrachoient des larmes ? Maiis qui a jamais 
dit que la sensibilité consiste à s'attendrir 
pour rien ? Ceux qui ont de grandes douleurs 
pour des petites causes ^ ou des douleurs plus 
modéré^ sans sujets > i^e sont pas ^eaosibles ; 



Compositions Littér, dfe Frédéric. 137 

îb Qe.sont qae f bibles. Ce que je m'étois de- 
mandé à. luoirmême , c'est si .Frédéric coA'*» 
noissoit bien réellement U sensibilité du cœur» 
même pour les ,canses les pins légitimes ; ou 
si» chez loi, ce principe de tant de vertus 
n'étoit qu'un calcul deTesprit, et non un sen- 
timent de Famé ; et le spectacle dont je venois 
d'être témoin , avoit décidé la question. 
. Mais si Frédéric étoît réellement . né sen- 
sible , ainsi que je le prétends, comment ex* 
pliquer la fermeté de son cairactère en tant 
d'occasions^ ou même, si Ton- veut , la dureté;; 
froide et inflexible de son aqae ?••••• Il ne me 
semble pas que: ces ; deux <^o&es soient aussi 
inconciliables qp'on le pense. Cet homme a 
eu , comme on le sait , de gf s^i^ides. afflictions , 
de grandes peipes , avant d'être rpi, : toutes^ 
«es inclinations traversées ^ . toua ^es goûts^ 
contrariés, toutes ses d^macct^pâ^^épiées etr^ 
jugées avec trop, de. sévérité 4 souvent même., 
calomniées ; menacé de perdre le trône., et 
ensuite la vie ; pi:€^ de deux ans d'une prison 
rîgopreuse > :aprè& avoir vu son ami périr $ur 
Iféohafaud ; nlayant pins eu au iponde d'autre, 
refuge que les mo^es .et son ,pFQpi;e courage ; 
qui [ieut (^teuj[W tombien cette ame forte a 
dû profondément réfléchir sur }es dai^gers de 



s 



i^ Études , Opinions , 

cette sensibilité dôùi sa jeunesse ofire f ant de 
traita, et des traite si peu équi-toq^ues ? A441 
ptinepad se convaiâ^te qtxè cette belle qua-^ 
Ktë^ si précieuse en général , a voit pourtant 
été la Cause dtc tWd ses hialheurS ? N'à-Hl 
pas dû se dire que chez les rois , la sen- 
sibilité doit toujours se transformer en juis-» 
tice , souvent eé indulgence , et -quelquefois ert 
bonté 3 mais sans jamais s'écarter des prin- 
cipes et des règles de la sagesse ? Un homme 
comme lui ne se dit pas ces choses en vain 1 
B-econnoîtré ces Vérités, c*étoit pour lui s'en 
faire des lois. Ainsi ^ et le voici tel qu'il s'est 
peint lui-même dans tout le' cours de sa vie « 
très-sensible connue homme , il ne le fut ja- 
mais comme roi. Tel fût Teiôpirè qu'il eut sur 
hii-méme^ que dès que le roi se trouvoit in-» 
iéressé en ce qui pou voit lé toucher le plus ,• 
il ne se permet^oit plus aucune apparence 
de sensibilité: il n'étoit alors que roi )nste> 
bon , ou indulgent^ mais toujours d'après ses 
calculs , selon son plan , et toujours ferme. 
Lame très-sensible, mais la tête plus forte 
que le cœur ^ cé^s deu^ motis; nous donnent 
seuls la clef de toutes ses ^ikotions un peu ire^ 
marquables. Sans cela^ il scroit îm{)ossiblo 
d? le déchtfl'rer. 






Compositions Lîttér. de Frédéric^ 139 

la première fois que je le vis depuis la 
lecture de cet éloge historique de son neveu t 
l'entrai chez lui peu après quatre heures « 
eôiïfbmiénient à Tordre que f avoi^ reçu ; il 
li'étolt plus jour *, il n'étoit pas encore tout-à-^ 
fait niiit ; et il n'avoit point encore de lumières : 
il me reçut dans la pièce de la taUe ronde , la 
première après la salle des gardes-du-corps ^ 
oà sont les belles tehtures des Gobelins , re- 
présentant les îmirades de Jésus-Christ : il ne 
lUe t'etint qu*asse3 peu de temps , n'ayant 
dessein ce jour-là que de me remercier du 
zhie que j'avois mis à faire la lecture dont il 
mavoit chargé. Je vis qu'après m'avoir té- 
moigné sa satisfaction , et m avoir parlé même 
dé celle du public , sa main se porta vers son 
gousset , et se rapprocha de moi ensuite , 
au moment qu^il më dit : (( Je vous prie de 
» garder cela comme un souvenir du plaisir 
>$- que vous m'avez fait en cette occasion. » 
Mais sa main ne rencontrant dans lobscurité 
que mon chapeau , il y déposa le présent qu il 
me faisoit; le premier que j'aie reçu de lut Ce 
présent étoit une montre à répétition à dou>« 
Ble boîte : je Sus par M. le Catt , qu'il avoit 
Ibrtèment recohitnandé quon lui ahoisît la 
mêiileure montre anglaise que l'on pourvoit 




140. ' Études^ Opiniansy ^ 

^uv^r ; qu'il l'a voit payéç cent louis ; et qçi'il 
1 avoit portée pendant hi;iit jqur^ » pour ^'as^^ 
surer qu'elle étpit bonite. Or cette, moptr^ 
p'étoit qu'une misérable piècç. 4*Ai^gsboctrg ». 
vendue, à la douzaine 4 ^t ^i mauvaise , qu'ai;, 
bout de d^ux ans^ elle, ne fut pas même ne-, 
cpmmpdablç. J'aurois perdu je marchand si 
j a vois dit un mot : j'aimai miçux n'y pluspeUf^ 
ser, et ^abandonner dans un. eoin » d'où ell^ 
disparut , je n'ai su ni qu^nd > ni comment. Il 
ne m'en est. resté . que le ruban noir auquel 
La clef étoit attachée , et que j'ai également 
perdu dans iqes dé placemisns si souvent re« 
nouveléjs. Ce ruban noir -élpit à cette montra , 
parce que. Frédéric , qui ^ voit tant respecté sa 
mère^ setoit fait^ après laxaprl de cette 
princesse > .la loi. de ne plus porter d'autrea 
cordons à ses, montres. Cétoit chez lui une 
marque de deuil. Au reste « Thistoire de ma 
montre prouve qu^ l'on . trompe même les 
hommes les plus, clairvoyans , |e$ plus ati^n* 
tifsjj et les plus sévères ; et c'est cette obser- 
vation qui xn'a déterminé à la rapporter. 

Dans, la suite., j'ai, encore eu à lire à l'Aca* 
demie , et à faire imprimer quatre auitres 
discours qije je vais faire connoître. Le ixre«. 
mîer avoit pour titre: De V^rnoxir^propr^ f. 



I 4 ' 



/ 



Composîtiùns-IiiUér. d^ ^^Jprédéric . '141 

eonsidéré ecmmc ' principe' de tnorqle. Lb 
lecteur 'a -vu an sujet de réldgè'iiîèforîqué du 
feune prince^ H«nri ,- cômrôeiit ce^ sortes de 
cotùmksioné-iii étaient ordînâitement don- 
'^éë^\; Omn*appeIoît p^our nie parler de Técrït 
dont il dévôit^êtrè cjàestîon : on m'en annon- 
eoît le sujet et le fître: bn medîsoîi comment 
•et dans quelles yùe^ oris'enétoit occupé, et - 
IWage kju& r-on en' voutoit faire. Après cette 
^arted'expos'éhîstbrîqueet explicatif, on mè 
ïéméttoit lé naaiiùscrit -pour que je pusse* j 
faire 'mes iremarques critiques j que je devoir 
joindre à Toulrrage en le renvoyant. Comme , 
}e éavois 'combien fe roi étoit méfiant , soup- 
çonneux elattétiti^fà tôdt /et que je vouloîs 
qu'il fût très-assuré pari ma diligence même ^ 
que je n'avdis pu ni copier, ni même com- 
muniqaer'à'd'at(très'ce quïl m avoît confié; 
]t^H& manqùois jamais dans ces' sortes d oc- 
casions, daller , en revetiant dû tdi'âteau , me 
renfermer dans mon cabinet , d'où je ne'sor- 
tois ensuite que pour renvoyer mon paquet.' 
Ma méthode d!aillefars étoit simple etéxpédîr' 
tivet je plâçdis îe'^lre'de l'ouvrage au hau):* 
d'une feuille de papier: je lisols ensuite le^ 
cahier original avec la plus grande attention ; 
et lorsqu'il s^ t^nboutroit un paèsàgè suscep^ 



14% . .Études, OpimfiffS,f 

tible de qaelqae net, critique, ]^ le iftostidr 
vois sîir Hi9t:feui}l(9» m mAiqpgJitA^^ margp 
Iç numéro de la page , etceli^i dp la ligne p^ 
se trouvoîent les' ipot3 souligné^; et .Q'éUnt ^ 
la suite de ces mots ainsi traaaçiits , que \p 
désignois a^veo simplicité et franchise t h &ate 
que }e croyoîs y découvrir 3 les r lisons qui mo^ 
tivoient mo^ jugement, et quelquefois ïexr 
pression ou la phrase qui me setpbloit devoif 
y être substituée. De cette sorte # j'édiappoi^ 
à toutes les gênes, de rétiquçtte ; et rien n0 
désignoit pour qui je travaillQÎs : roi puber^ 
ger, connu ou incpnnu^ c'est ce qv^op ne pou-^ 
voit pas deviner. Qusmçl c^Qtr^ailétpît gpi^ 
j'y joignois une lettre qu; 9,*avpit pas plus d^ 
trois lignes , et dont je ne preqois pas mêiao 
copie, non plus que de mes remi^rques; etl^ 
tout réuni d^ns un même paquet «avec le o^a* 
puscrit , étoit porté ppuir letr'oi, à son apj^r* 
tement , et remis au valet-iderpiëd que Ton jt 
trouvoit. Je ne manquois paa le lendemain 
d^étre appelé , pour recevoir les remercîmena 
qu'on croyoit me devoir faire «.et apprendra 
quel usage on jugeoit à propos de faire de 
mes i*çmarques. 

Ce fut à cette seconde visite au sujet ..du 
discours sur ïam^urpropre j quej.0 roi vOu^ 



^^^- 



ComposiHom Jiitfér^^.âf. Frédéric. ^4j 

lut s^yok st jepensois eorqme-Jjiû i;Ç es^t-i-çtire ^ 
ill^amour-propreiae paroissoît lui: principe 
aufiSsant pour fqQdçr- la morale-t' et iHOUs éUr 
ver à toutes, bs ve^fu^ privés ou sQqjalçs; Lu 
qmsstioA nétoitque philasopbiqpe.tril^BiesV 
gi^oit poiut de ^^ligioo ; et )^ n'avais auoun 
prétexte qui me dispensât dVn! dire mpn aviV^ 
Cependant je fu$ très-ein^arras$4 i car 1^ thè.^^ 
que le roi vouloit soutenir,, . me paz'oissoîjL 
^ao^sf • Je tâchai d^s^oucir r par tàod les Kgié-^ 
aagemens possibles « ce que mon opinioii 
peQuvoit avoir de plus propre à: lui. déplaire.^ 
'mais les formes. que j'employ^ai^ n allèreqt ps^if 
jusquà lui dissimuler ma pensée, : Je lui 4ilt 
que dans un discours attribué au phîlospphei 
de Genève » sur le caractère essentiel et fbn^ 
damental de la vertu, javoisivu.qae lauteuip 
}$laçoit ce caiactèxe dans. IfiJ.pliiç HQble^ Iq 
plus parfait , et le^plus pur dési^téx^em^nti 
que j avouois que cette doctrine, m avoit pari:t 
vraie ; qu il me aeroit difficile de^ faire des*^ 
cendre la vertu à up cr^n plus, bas; et quej 
dun. autre côté, je neipQuvois me figurer qa 
sublime et [parfait désintéressement commft 
conciliable .RvecyamOiur^rQpr^^^ j'aJQiitai qu€( 
sans doute il étoit possible à la rigueur t qu*^ 
Viustant du péril , le cbeValier. {|'4^^^ > ^'A 



144 Études f Opinions y' 

avoit dié , ée pez^uadàt que son dé vôiietaieût 
soroit coima * publié et adniiré|; mais que Ton 
auroit tort de présenter tout ce qui est pos- 
rible , comme vraisemblable ; que je ne pou- 
vois pas i^egarder comme vraisenablable y que 
â*Assas eût puidé le motif de sa déterinina«^ 
tion dans une idée de gloird futuij'e aussi dou- 
teuse ; qu'il ne me sembloif pas même qu'il 
y eût dû penser en ce moment où la surprise ^ 
la belle actiou , et la mort avoient eu lien « 
pour ainsi dire , en même-temps ; que dan» 
des circonstances semblables , ce n'est point 
la réflexion qui nous meut'; que même nous 
n'en faisons point , au ipoins" de distinctes ; 
que le prificipe de notre mouvement , qui est 
alors vraiment spontané, ne provient ^ué de 
jdos sentiment habituels, de notre moralité 
antérieure , et de nos maximes personnelles ^ 
caractéristiques ; et bien appropriées ; maxi* 
Aies trop générales pour dépendre du calcql 
que l'ambur-propre peut fonder sur telles ou 
telles probabilités qui ne tiennent qu'au temps 
et âb lieu ; et qu enfin il nie seroit pas difficile 
de faire d'autres suppositions où la plus belle 
action ne s'ofi'riroit à nous que comme de. 
vaut, être ignorée , ou méconnue , ou même 
calomniée > travestie en crime , et couverte 

d'opprobres ; 



Composiiions Littér. de Phédéric. t^' 

d'opprobres ; suppositions où Famour-propre 
ne pourroit que nous détourner de ia vertu,, 
qui néanmoins resteroit inflexiblement la 
méme% 

Je ne fis point changer d^opinion au roi: 
mais du moins , il ne slrrita point de ma 
irancliise : il se contenta de me dire avec 
beaucoup de caime : « Mon cher; Vous n'en- 
» tendez point ces choses-là.» 

La seconde pièce que j'eus à soigner, maïs 
assez Idng-temps après celle qui précède , 
fat un discours sur la langue allemande , à 
laquelle ce roi reprochoit plusieurs défauts , 
et pour laquelle il proposoit quelques amen- 
démens. Pour cette fois , je n'eus rien à dire . 
sur le fonds du sujet ; mais te public, aile* 
ibànd me remplaça : le baron de Hertzberg » • 
ministre d'Etat v et depujs fait .comte > dis-, 
puta longuement età plusieûi^ reprises contro; 
aa majesté , pour lui prouver qu elle jugeoit 
mal la langue de ses ancêtres. ; et cependant » 
en bon courtisan , il traduisait ce discours 
dans cette même langue qûll prétetidoit y étj^e; 
calomniée. Le texte original et Ii^ traductioa 
furent imprimés en même temps ; et j eus ordre - 
de me concerter avec le bâton , pour la correc- 
tioû des éprjBUves , et le choix du jS>rmat, des 



14$, StinUs, QpinipnSj 

Caractères et du papier. Les soins que )e mis . 

à^cette afikire , me valurent un seooEd présent, . 

castà-^dire une* gra^d^ et %nl;îque tabatière . 

carrée , en émail , un peu écornée , maïs don- 

falée en- or /et a^^nt le : 1^ g^w à^ quelques 
diamans; tahatiàx»^ aA,rei9le j qtie )en'aii jiwiiMa 
portée. 

> Pédant la^ guerra det la auc^îes^cm de ' 
Bavière , ce roi, psreaqfieaeptoagént^i^e 9, étant, 
campé rets, hfc liante; Sthâsie, aii.^i^Dtre dies 
montagnes de la Bohême, empio]^ 1^ ^m^. 
meus qu il armt d^ xesto , à ^omposicar 1 ek>ge , 
de Voltaire. Crt éloge me &t appiwté pai:i 
un chasseoir^ aveis une Ittjtre âe* M*, le. Catt> 
dans kqueMe étoit ioséxë un pttk i>ittQt , diS(> 
la main du roi et aigmâ dfèExJédéfeîcju oon^ 
uapt ces mots>: a Le chasaeiU! tqni ptitt ç(|( 
3>- soiv pour Berlin, paît lençoire se ^bpx^fft^ 
vt du paqàet ci-^oint pqur: AL le comte d^ 
}>- ChMtipagDei} etkdit pvofèesenr Tbîébau|t. 
»* iiftajen verra l'ôtfvra^aveades^remarquea; 
» aussitôt ' qu il )e^ aura .faites. » Fox^r eii^ 
tëiidre la plaisanterie tp^ eoBtàaoA ce iHllett. 
il faut savoiï' qti «mant assez^ à Jouer sur le 
itiot , il se ptaîsoit à m'appeler sm comte d^ 
Champagne \ en faisant alkisiotL an trpubar 
dour Thibault , comte de Champagne » qu^ 



CofnposiUons LiHér. de Frédéric. 147 
VÎyoit (du temps de Saint-LQuis« La preiqièrô 
foisr qail me donna ce nom> je lui répondis 
qtl0je n'en avoispas le comté; à quoi îfré-* 
pliqna, que ce n'étoif pas.de sa faute ; bieu 
assuré «sans doute ,. que ie ne me hàsa^de^' 
rois pas à lai demaùder ^ si on cas qaé ce fût" 
d& $a fâifte « il s'en mettroit fort en péine« 
Quand je lui eus renvoyé son. éloge dé Vol- 
taire» avec mes remarques ) etqull y eut fait' 
lea corrections qui pouyoièat hii convenir ♦' 
il me le fit rs^orter , avec ordre de te lira^ 
à, la prochaine séance publique de son aca-* 
diémîe ; ensuite de le faire imprimer sni^ for-* 
mat m-8«> ,. et d'en envoyer six exéinplâîfes 
àlui » et douze de sa part à d'ATepabert» Touif 
cela &t exécuté avant son. retour; 

La dernière pièce que j^ai eu à' lire â' Paca* 
demie ^. par ordre de. Frédéric , fut sp dis- 
cours sur Vutuité des sciences, et des drU 
dans un État. Il composa ce discours au 
commencement du séjour q^e fît à Berlin , 
la reine douairière de Suède , Utrique dé 
{^russe y sa sœur : et pour ,uné séancèi pu-*' 
blique de facadémie, a laquelle cette reine 
désira d*assistér. Dès qu^il eut achevé la pre- 
mière rédaction de ce discours , il vînf à Ber- 
lin pour rendre visite à sa sœur> et ihe Gt 



148 Etudes^ Opinions f 

appeler , me remit son maniîserît^ ef me don-' 
na rendez- vous au lendemain pourmVntendre 
sur les corrections que j ^ croirois nécessaires « 
Je reparus donc le lendemain au sortir de son 
diner, et jpeu ayant son départ pour Fotzdam. ' 
Cette entrevue débuta d'une manière qui au- 
roit peut-être paru agréable à d autres , mais 
qui ne m'a jamais inspiré qu'une juste inquié* 
tude, parce que je savois quil ne se lîvroît* 
guère àsonpenchantponrlaplaisanterie, qu'il 
ne la poussât trop loin. ....»« Monsieur , me 
» dit-il , d'un air goguenard , je vous remercie 
» des remarques que vous avez bien ybula ' 
D faire sur mon discours; et de plus^ je m'y 
Il soumets 9 à très -peu de chose près.» (II 
faut observer que je les lui avois adressées la 
veille, environ deux heures après que je l'a- 
vois quitté , et en les joignant à son manus- 
crit. J'ai déjà dit quel étoit mon usage dans 
ces occasions^ et pour quelles raisons j'en 
usois ainsi.) ce Oui, monsieur^ continua-t-il^ 
-» je me soumets à votre souveraine autorité : 
9) je suis bien aise de vous prouver que je 
» sais être docile , et je veux que vous soyez 
)» content de moi. Il n'y a que deux points ' 
» peu ijpportans , rien de plus que deux* 
» points , sur lesquels j'espère que Vous voa<^ 



'Compositions Littér.de Frédéric. 14^ 

.» drez bien me permettre de vous faire de 
.» très-humbles et très*respectaeuses remon« 
a> trances, » 

Comme à ces mots , je me hâtai de mettre 
eotre lui et moi , le profond et vaste fo$sé de 
.respect dont )*avois coutume de m'entourer 
. dans ces sortes de circonstances , et qu il loi 
fut aisé de s*en apercevoir à mon silence . et à 
mon air modeste et sérieux , il fallut bieq qu'il 
en vînt aux deux articles sur lesquels il 
rejetoit mes avis. Le premier ne me parut 
.présenter qu'un germanisme peu révoltant» 
. qu une faute que même peu de lecteurs xe* 
marqueroient , et que Pon pardonneroit faci- 
lempnt à un prince allemand.... « Fasse. pour 
y> celle-là, me dis-je çn moi-même; je. te la 
» pardonne ^ parce que tu es roi , et que je 
r ne veux pas te fâcher pour une bagatelle : 
p> mais n*abuse pas de ma condescendance ! 7» 
La seconde faute se trouva par malheur beau- 
coup plus grave : c'étoit un bon solécisme, 
bien conditionné et très-irappant ; et ce sole-* 
cisme étoit justement placé dans fendroit le 
plus saillant de tout le discours , daps la 
phrase qui devo^t être la plus rema qu e, 
la plus attentivement considérée^ et^ixiéine 
épluchée i dans toutes led cours de TEurop^ j 



j5o Mtudes y Opinions, 

c est-à^ire , dans la phrase , où f orateur , pré* 
liant UB ton plus élevé, faisoit, avec «ne sorte 
d'apprêt , l'éloge de Catherine seconde , impé- 
ratrice de Russie. Le roi prétendit que l^asage 
autorisoit la manière àè parler que je cori- 
damnois : il prétendit ensuite, qufe c'étoit une 
tournnre oratoire, sur laquelle les règles da 
gtammaire ne d'eVoient point étendre leurs 
droits : il prétendit encore, que de bons au- 
teurs s^en étoient servis , et que tous ies jours 
on s'énonçoît de tnême : enfin , ne pouvant 
•me vaincre , et voyant que j'avois réponse à 
tout ,îl prît de rhuméur; et bientôt, cédant 
*à trti' mouvement d'impatience qu'il ne cher- 
«ha nï à modérer, ni à dissimuler, il saisit 
hiné pkime avec avidité , et me dit : « Eh biètf , 
» îl n'y qu'à remplacer qette phrase par t^lfe 
•» autre, » Et, à Tinstant mêm'e, il se mit "à 
^écrire sa nouvelle phrase. Ce qu'il y eut eu 
'ceci de très-fâcheux et de très-^embarrassant 
'pour TOdi , c'est que sa liouveUe phrase ne 
'valoit |)as la première pôiir le fond de la peu- 
^é-e , "et qu'elle reûfermoît également un solrf- 
'Tisme , qui , k la Vérité , étoif d'une autre 
^ë$^Uc0 que le premiêir^ hiàis qui tfeti étoit ài 
-moitis sensiMe, ni phis tblérafete.; Je vis'le 
c^ferigérquÎTné menaçoît; et je tésoitts de le 



Compositions Littir: de Frédéric. i$i 

braver » par c&tte eeale raison que eeût été 
me rendre trop coupable envers lui ^ que (ie 
. J*expQser & la critique de toute l'Europe ^ pour 
n'avoir pas tëu le courage de iaire mon de vorr 
et de lui dir^ la véritéU 'observai donc » que 
' le discours use ^gneroit rien à la substitu- 
tion, de là seconde pensée- misé à la place de 
la première^ et.o^'il y anrpit également une 
:&u4e contre la langue # faute que j'indiquai « 
: et que j'assurai ne devoir pas être plus par- 
* donnée que Tautre. Cette nouvelle critique le 
c mit aux cbamps : je Je vis devenir subitement 
, rovge décolère, les jreux enflammés , Vsir dur 
; etf menaçant, et toute la physiouornie annon- 
çant un bomme disposé à prendre un parti 
violent; Il rejeta la plame à côté de l'encrier , 
eil disant :. « Il n'y a donc qu'à laisser la phrase 
. » comme die est. » Je suis persuadé qu il n!a 
. jamais été plus hors de lui , lorsqu'il lui est 
' axrivé de^s*oublier jusqu'à donner des ciohips 
•débottés dans les jambes : jeue craignois^pas 
cependant qu il m'en donnât ; ma qualité d'é- 
, tianger me rassuroit , vu qull ne s'est jamais 
. abandonné à cette vivacité qu'envers quel- 
iques-'uns de ses sujetSi^Mais je m^attendois à 
:être brusquement renvoyé , pour ne jamais 
pfats |tre rappelé auprès de. lui; situation 



iS2 Etudes y Opinions i' 

|>énible^ danslaqaelle totitefois je isônâërVâi la 
tranquillité et le calme de Tainè; fondée' sur 
celte pensée ^ que je faisois mon devoir :il 
ne me fut donc pas difficile de prendre la 
résolution que je pris, celle de me justifier 
avant d'être congédié, et de me montrer tel 
que j'étois. Pour cela tout mon extérieur in- 
diqua combien je me renfermois dans ce que 

» les convenances pouvoient exiger de moi : 
î eus l'air attristé et non abattu : ma' voix fat 
celle d un homme pénétré , mais inflexible ; 
et ce fut en parlant lentement , d un ton bas 
et concentré, les yeux fixés sur le parquet 
devant mes pieds , et tout le corps dans une 

. attitude simple , modeste et immobile, que je 
lui dis : « Je conjure très-humb)ement et très- 
» instamment votre majesté, sire, de vouloir 
» bien considérer que je n'ai d'état et d'exis- 

: 3) tence pour moi et ma famille , que par rfle. 

. » C'est de vos bontés , sire , que je tiens tout 

. » ce que j'ai , dés devoirs honorables à rcm- 

oî plîr, un état honnête, et les moyens de 
3) mériter l'estime publique ! Daignez, sire ^ 
s> ne pas me refuser la justice de croire que 

. » jamais ces faits ne sortent de ma mémoire ! 
y> Ils sont encore plus profondément gravés 
ïi dans mon cœur! Mais, par où puis- je plus 



Cornpo^Uiçns'IÂitér. de Frédéric. i53 

9 dignement témoigner mon respect , ma re« 

< » oonnoissance et mon dévouement y que par 

: 'ce ma 'fidélité à ne dire à VQtre majesté que ce 

« qui me paroît être vrai ? Vous à^he autre 

. )) chose que la. vérité , sire , seroit de ma part 

i » une tr^^isQu! vous la dissimuler par crainte, 

» ce seroit un.e offense ! la taire dans les oc- 

» casions où elle, peut intéresser votre ma- 

9> jj38té , ce seroit une infidélité! Et quelle 

; V autre marque de respect peut étrç digne 

i) de votre majesté ^ et partir d'une ame hon- 

» nête , que celle qui est d'accord en tout avec 

: » la viérité ? Je me regarderois comme ne 

, 3» méritant plus de vivre , si j'avais d'autres 

. ». principes que ceux-là ! Et ce n'est qu'en les 

. j suivant toujours , que je pense pouvoir 

» justifier de ma part , les bontés dont votre 

, » majesté m'a tant honoré ! Il est bien certain 

. » qu'en pexisant de la sorte ,. je n'^i jamais pu 

^ » me permettre de lui proposer *aye.cj[égpreté, 

. » ce que j'osois lui dire : je n'ai rien avancé 

» dans ces circonstances , que je n'y aie mû- 

. », rement réfléchi : je n'ai rien affirmé que je 

. » n*aie eu les plus grandes autorités en faveur 
a> de mon opinion. Aujourd'hui , sire , j'ai 
;» considéré que ce discours éto^t de$.tijQé à 

. y i^ plqs grande publicité^ et je n'i^ parlé quo 



Td4 Etudes y Opihions t 

s» diaprés les buteurs les phis respectés : ^e 
» puis èofifiirmer tout te que )*ai dit , par hs 
« décisKms de tous ceux tjiii Out écrit «uria 
» iaogu^ ^auçaise : )é ne suis que téur oi> 
9 gane ; et je seus en mou ame 5 qu*eti ce 
» nométtt ^e éouue à votive iuiaijésté , par ma 
» persév^a)iceii>êi]àei ttiïe^|Mreùve'bien isûre 
» de tout mou respect et de mou vérifoble 
» dévouement pour sa persoonô sacrée» »^ 

Les deux on trois minutés que je imis à lui 
^tre tse qui précède ^ lui donnerait le temps 
de se calmer. Il m'écouta comme il savoit 
écouter quand il je vouloit , cVst-è-dire , ^y^c 

/ une extrême attention ^ et sans me quitter dM 
yeux. JLorsque je fus arrivé à mes dernières 

' phrases , sa main alla reprendre sa pluma » 

' comme machinalement , et sans aucun autre 
dérangement dans son attitude ; de sorte qd a 
l'instant sOÙ je cessai de parler, il me dit d'un 
air téut-àfait remis et posé : c( £h bi^tf , 
M commeiit voulez* vous que cette phrase soit 

' n rédigée?»; Je la lui dictai telle que je Tavois 
proposée dans mes remarques > et il 4'écïî- 

' vit satiô âncuue répugnance ; après quoi ,^ il 
me remit le cahier , en me disant qu^il me 

«pdioit d en faire la ïectt^e à )a prochaine 

'séance publique de TAcadomie ; il ajouta qae 



Compositions Littér. 'de Frédéric. i55 

pétit-être ensuite il se détennineroît aie faire 
'impmn^r chez Deciker , auquel cas il anroit 
èôitt^è itfch «verfir; maïs qu*il pensoit qu'il 
BCTcSi hcfà aTflfit font , que je transcrivisse le 
cahier iout entier , afin que je n^eusse pas à 
'faire ma lecture sur un manuscrit raturé et 
pleiîi de renvois ; qu'il ne pouvoit pas m*indi« 
quer bien précisément le jour de là séance 
pubHque , parce que c'étoit naturdlement à 
'sa sœur de Suède à le fixer ; qrill croyoit ce-^ 
pendant , que ce seroit sous peu de jours ; 
inais que f en srerois instruit par les gazettes , 
vu que cette séance de voit être annoncée 
d'avancé , la présence de sa sœur de Suède 
devant certainement y attirer beaucoup de 
monde , en particuKer des princesses , des 
princes \ des généraux , des miniktres d'Etat , 
et des ministres étrangers « saâs compter les 
personnesdela cour , et un trèé-j^raïid nombre 
de -curieux. 

J'ai toujours regardé la èondtiitè de Fré«* 
"déric, en ce moment, comme Fun dés traits 
qui lui font le p^ni d'honneur. En efl'et , roi, 
'tout puissant , ayant pour priîicipe de ne ja- 
mais donher aucune mart]iie defbibtésse ou 
de versatilité ;âyanii outre la ïefmeté de son 
cantctèrë ,ia m^adiie des rois , je veux dîté , 



• f56 e V, T ' MtudeSy Opinions • ^ 

Jeuialhçur de ne pouvoir suppprter la cofitra-^ 
dîctianj .dans laquelle leur amour-propre 
.jie leur peripet guèrp de .voir antre chose 
. qu*uii& irrévérence et ijui mauque de i^egpect^ 
il sut. uéauipQins , dans laçcès même d*azL0 
très-forte colère , entendre le langage de la 
vérité et de la raison ; il eut assez de ibrce 
dans laiDéppursY soumettre à Finstantmême» 
et devcHir, subitement a^issi docile qu'il me 
l'avoit anpon^cé dans son humeur goguenarde » 
lorsque jetois. entré dans son cabinet Gequô 
j admire , ce nest pas qu ayant tant fiait que 
de m entendre , il se soit rendu à ce que je lui 
disois : qu y a voit-il eu moi qui ne lût propre 
à le rappeler à lui-même ? Et qu y avoit-il 
dans mon discours qui ne fût propre à le 
frapper et à le fléchir ? Mais ce que j ai ton* 
jours admiré , c*est que dans un si grand accès 
de colère , lui , sur- tout, ait pu prendre sur 
lui de me laisser dire une seule phrase! Quel 
homme vif ^ et fortement éipu ^ je ne dis pas 
sur le trône, mais dans des rangs bien infé- 
rieurs , peut échappe^ à cç mot impérieux et 
de premier mouv.ement , taisez^i^ous ? Je 
Pattendois , je l'avoue j dès que je vis qu'il ne 

venoit pas 3 je sentis que j'ayqis tout gagné* 

^__ «• ' • * 

Frédéric fut donc en cette, rencontre pina 



r* » 



VompoiiHom Littér. de Frédéric, i^y 

grand que je ne Vavoîs présumé ; et je vis ce' 
jonr-ià ce qu'il y a peut-être de plus ràrt dans 
niistoire des rois , de deux au itioins qui ont 
du ressort et de l'énergie dans l'ame; je vis 
un homme qui sut se vaincre. 
' J'omettrai ici plusieurs détails qui appar- 
tiennent à Tarticle de la reine douairière de 
Suèdé^ où on les retrouvera. Je me restreins 
à ce qui ne concerne que le discours , ie'i'oi , 
et moi. Le lendemain de la séance . madame 

• • • ■ 

la ccbitesse dd Kanneberg » sceuf du comte 
Fiiik-Enstein , et grande- gouvernàiite de la 
reine de Prusse; m'envoya , par un de ses do- 
mestiques y un billet' où elle me pridit de re- 
mettre au porteur le discours du roi, dont la 
reine régnante vouloit entendre la lecture* 
Je fis^répondre que f étois sorti , et qu'aussi* 
tôt que je serois rentré , je m'empresserois de' 
me rendre chez 'sbn excellence. En efîët » 
î'arrivai chez cette dame peu de minutes après' 
le retour de son domestique ; je lui avouai 
que favois été chez moi à l'arrivée de ce der- 
nier ; mais que j'avoîs dru devoir apporter \é 
discours moi-même , plutôt que de le confier 
à un homme qui m'étoit inconnu , au moins 
quant à sa fidélité , dans' une occasion aussi 
délicate. Je loi dis que j'espérdis ^ue sa 



/ 



majesté» etell6«.a(iproavei:oiei| tli? prmcipfB çii 
xn'avoit empêché de me séparer dC.wi dépôt 
aussLsacré ; et cp'amslje le InJL apportoi^^et^ 
la priois de me peirmettre d*i|ttdn4recbez elle* . 
jasqu^à ce que la reine en eût entendu la Jecti|re>, 
oadem'kidiqiBae]; l*beare à Iaqi:|elle je«poum>is 
venir lereprei^dre. Madame de Kanneberg alU^ 
rendre comptede mes prç^pçsUtcms à sama^; 
jestë^. et revint mie minute après me dire qtier; 
la rdine seroitcbajimée q)ie.jB^irouJi»se^l^^ 
lui lirç jce disxsours nw^-mêm^» Ainsi Aoujr 
çntràfUQS chez. elle,. ,et Ja^.t9Quvàix]Mes entpU^' 
rée de sea dames, ahçawiettr.^t 4e s» leetrice^r 
On ,me| reçut avec un«^^ bonté qjoi aoroifc étér 
çxtraoipdinal]ÇQ par-toiLt fuUeura qua_qhe:ç^ 
réponse de FjrédériQ f la <pr»(ice4ae à» jpçimdùr 
la plus, respectohle^ tPWiopiîS'J#lW« ridqacf, 
et polie^ 

Aprèf les compliBie9Ssqjï'il<es4 fMÎUide de^ 
viner, oi^s*assit>^d0i^^ar(}ld^,^eA:l^ffi.'s^ 
diqua un sié^e-que j'occpffaL^at.qjiiéitoitreBf 
face^de sa ms^es^é;. !^s(kQt|9re §e Rt su^ntex^ 
ruptkm ; et lorsque V^us G^^ on^ s^ hv^i ^ 
reiflu^ me rewxda^, eajoigM^ i^iNita^da 

bontéx{peIques.canq>BiDW%&tteHF9«J&9pv^^ 
on parladuxliscours , de)a séKVM^de^kryf jj,!!» ^ 
et des Français hommes ds ^tt|?es qp'oa avoiil^ 



Compositiçns Littér^ de, F^déric. 159 

^ip)3 àBerlia ^Yaotque jV fusse y et suF-tout. 
4© M. de Voltaire, J observai qu'on n'eut que 
du bieA à me dire de tous ceux, dont on me, 
parla. EnQn % la reine rentra dans une pièce 
jplusintérieure de son appartement ; plusieurs 
de ses^dames la suivirent ^ ej Je^me retirai avec, 
madame de Kanneberg, que j^e quittai égale- 
ment pet^ après* ayant mon cahier dans ma. 
poche. Dès que je fus^ rentré chez moi , Je ren-, 
yoyai le discours au roi , qui , à son tour , me 
le fit remettre le lendçmHJin.i s^vec ordre de te; 
fpîre imprimer. 

, Les pièces, dont j'ai parlé jusqu'ici ,, ne aorit, 
pas à beaucoup près les seules sur lesquelles 
j'aie eu des repiarque^ à faire ; souvent ^ j'ai, 
^té requis de donner le même SQÎn. à divers' 
autres écrits , tant en prose qu'en vers j. sou- 
vent aussi , il me faisoit lire en sa présence 
q^uelques poésies faites depuis plus long temps ^ 
et recueillies en deux gros volumes z7i-40,« , 
mais sur lesquelles il me témoigupit étrebieU; 
aise d avoir mon avis. C'est^ ainsi cpie j'^i^ 
connu ^ dans Je temps, sa pièce de vers sur la, 
mprt de l'empereur Othon} son poëniç.aur. 
rOrigine des Polonais , ,qu'il supposoit étra 
issus d'un Ourang-Out^ng,; l'Epilre de re-, 
mercimens au prinee de Soubise^ composé».. 



l6ô Ëtudes, Opinions, 

à Rosbach , le soir même de la bataille de dd 
nom , etc. Ce que j'ai observé , c'est qu'à la 
fin de chaque pièce , il y avoit toujours ; Fait 
à tel endroit ^ tel jour ^ telle année* 

Je me souviens qu'un soir il me fit lire un 
morceau de poésie si gai , et si rempli d'idées 
folles et comiques^ que lui , qui en étoit Fau- 
teur , en rioit aux larmes 3 et que moi , mal- 
gré tous mes principes , j'avois peine à m'en 
empêcher; lorsque tout-à-coup , par une 
idée plus baroque eniiore que celte qtie je 
lisois , il fît un tel efibrt sur lui-même , qu'il 
devint en apparence très-sérieux , et me de- 
manda de l'air le plus grave et le plus im- 
posant: Monsieur, de quoi riet-vous ? Un 
autre soir , il me doupa à lire , à la suite de 
quelques autres morceaux , une épigramme 
assez bien faite et très-mordante contre d'A- 
lembert ; mais tandis que jefaisois cette leeturô 
à haute voix , conformément à son intention» 
il lui revînt à l'esprit que j'étois fort attaché 
au géomètre de Paris. Fâché en conséquence 
de m'avoir fait connpître cette épigramme 9 
et craignant sans doute que je n'en parlasse , 
il prit subitement' le ton le plus sévère , et 
tne dit ' fort sèchement : << Monsieur , ceci 
n entre nous , au moins ! car , si jamais 

d'Alembert 



ÛomposUioM Ltttér. de Frédéric, xli 
» d'AIembert eu^avoit un mot , je voaS feroi» 
» couper les; oreilles !....:. — Sire, lui ré» 
» pondis-je d'un air très-iérieux , je seroÎB 
»> bien malheureux si votre majesté cj'oyoit 
» que j'eusse besoin du motif de la crainte 
» pour faire mou devoir. Je m'en acquitterai 

* toujourspardes considérations plus nobles. 
» ainsi que je Xéx toujours fait * 

La poésie étoit pour <se rOi l'objet d'une 
Véritable passioti. «E3t»ceqae Morx% ne faite» 
> jamais de vers ? me dit-il un janr. rJ*ÉMpe» 
» j'en ai fait depuis l'âge do vingt ans jusqu'à 

• l'âge dé trente ; mais j'ai observé <Jù© ce 
J» travail ttis prenoit bçanoonp de temps., et 
» me procuroit peu.^e suceès^ Ainsi j'ai fertile 
» tous mes vers . et me suis promis , eu: pà» 
» sàDt le Rhin , de ne plus en faiite. La poési» 
» 9X%e ♦ fli je ne me trompe , outre plusieur» 
» autrça qualités préçiisuses > la facilité de n» 
» prendre que la sommité des objet» dont on 
» traite^ ou des fleur? que l'on cueille.. L« 
», watnre mV-t^elle refusé cette facilité ? On )• 
? genre de m^ étude# l*a:t^il . en quetqué 
V.api^e détroite , ^e» moi« en m*attachàat 
» ; h^bitudlement à riBçhenche^ <{e pré&reneè 
>»> PJ^f^Â^io» ^«8 i$iée» , Ijb justesse dés raw 
\ ifonnemej^., l'<ir<ire,ï^g»lier et reBOhaîàeM 



t< 



k 



i6z • JStudeSj Ophnonê,. 

9 ment méthodique des pensées ; en m^atta- 
9 chant en un mot à creuser les objets et & 
» eo compléter le développement , plutôt 
]» qu^à les peindre ? Ce qui m*a paru hors 
» de doute , c'est que je ne dois point faire 
» de vers , et c^est pour cela que je n y songe 
» plus. — Je vous plains, et ne vous conçois 
» pas ; pour moi , faire des vers est mon 
» plus grand plaisir ; c'est une vraie jouis- 
9 fiance» et un parfait délassement: les autres 
V études, en coqipaxaison de celle là, ne sont 
9 pour moi que des études .- » 

Si. d'après ses dispositions, on désire ta* 
VjDÎr ce qu'il pensoit de nos^ poètes les plus 
distingués , je -dirai qu'il les estimdit en gé- 
néral 4 mais qu'il chérissoit Racine . • . a Quel 
» est i à votre avis , me demanda-t-il un' jour , 
» le morceau de poésie le plus beau', le plus 
9 subiime, le plus parfait qu'il'y ait en fran-> 
ji.çiis ? — Atbalîe Vsîre. — Je suis bien aise 
9 de vous entendre. J'ai toujours pensif de 
» • même.. » Celui de nôa poètes à qui il rétidbît 
le moins justice, étoillébori Laibhtaihè^'Le 
Isiérite de ce poète est trop iëtittiehitnl fonda 
dans le génie et^ toutes tes dëKcatessès dd 
nôtre langue', pour qùe«èsétrangei*s puissent 
leJMien'AeBthr. LaiâD:faiae est doncoèrorâd 



CàrnposiHdnjsr Liltét. Ûèl^fé^ériù. -tè^ 

fi^ë poèt^ envers Idqael on est le plus injuste 
feorsde France , par là inème taison , qui ne 
nous pernK't dVn parler que dans les teî^tîieâ 
tie lapsus vive admiration^ C'est encore pour 
4a' niéme raison que je le place à la tête de 
tous lê« auteurs qui sont essentieUement in- 
traduisibles : par-tout il découvre et saisit 
4'expression et le tour qui semblent Faits pour 
Tobjet et pour là nuance de sentiment qu'il 
yieut rendre ; et par-tout on sent que cette 
expression n'appartient qu'à notre langue; 
iiâfontaine est te plus français de tous nos 
écrivains^ Mon colique Borreliy soutint Uii 
)otir à Frédéric , que ce poète étoit un deî 
phis beàtt^t génies ^ùi eussent famals existé \ 
et; je fus frappe de fespèce de dédain avec 
1e<!|ueMe roi réplujuat ce Fort beatt géàie^ 
7> sans doute , niais seulenléût 'dans leé petites 
^ choses! Lafôntaine aVfait que de^ fables: 
^ il n'a pas eu assez d'H'artéîné'pou'r ^*eleve^ 
» au dessus de ce genre borné et entantîn* 
> on ne doit point le ciltér qu'âne! ou parle 
» des grands hommes, i» Bo'rh^tfy' persista 
<!àn^ ié^ opinion , ^qdi sei^a toujours juste à 



•nos yeux ; mais qa*y gagna-i-fl"? î'f ne ,{ie[- 
*suada point , et il déplûV. Ws eurent' encore*, 
idfiiis lar^^ ïtiétaie séai^cl^/'ttM k\k<ik bôn^ifs^â' 



y 



.164 Mtudes^ Opinions^ 

tîon qui ne se termina pas plus henreoscK 
ment que la première , mais dans laquelle 
il me parut que Frédéric avoit moins de tart. 
Il s'agissoit du chancelier d*Aguesseaa , que 
lEforx'elly met toit au nombre de nos célèbres 
orateurs. « Personne, reprit le roi, n*jastime 
n d'Aguesseau plus que moi , comme homme 
» respectable par ses mœurs^ comme.smagia- 
» tràt ^ ck>mme savant , con^me philosophe : 
» il écrit parfaitement bien; il est vraiment 
» disert ; mais il n'est point éloquent < et ne 
» doit pas Fêtre. » Toute cette dispute*, dans 
laquelle on ne, s'entendit point; ne.proye^ 
noit que de ce quils nattacbpient pa^ tous 
deux la même idée au mot orateur: ce mot 

• • , • * ■ . 

ne ]:éyeilloit dans Tesprit dj9, Frédéric que 
les idées de haute ^oqu^nce , de style eufkinsun^ 
et sublime V et des grands mouveme^s ora^» 
toires; tandis qu'aux yeux de Borreily, celui* 
là est grand orateur qui emploie, les ntpypns 
les, pi us sûrs et les plus couyenaljles pçur 
persuader , convaincre , et ameiier se^ aijdi^ 
teurs au but qu^l,^'est proposé* .,;, , 

Ce toit pour le roi un véritible aipusen^i^ 
latke dé copier le style des écrivains inspiirés^ 
ascétiques , ou mystique$. Il se f^ifçît^ aipre 
«0 point, cantal 4,^ biepi .jglaçex^ lesjerjpoiee 



Composions lÀttéK de Frédéric. i6$' 

c»bsaciiés ddJQis ce genre dr'ouvragss , ef de' 
dterjà prapos <ie3 passage» ekoisis , tant dér 
livres saitits que des auteurs les ptas révérés. > 
Ilivouloit , dans ees occasions ^ que ses phr^^" 
seisfossent harmonieuses par la forme , impo-' 
santés par^ le > ton de dijgBrté qu î( leur don-«' 
noit^ 'ef stériles pour le fbuds^ Cest ainsi* 
qttil.àiiéompdsé^ôhtr'aotres,, un m^ndèmeât- 
de yévôqu«îd*Akc , ^ont j& parle à rartic^6-4ié 
xnarquii d Argeusv et aii comipentaire «sacré 
9aM!'\ei^anie:(\ç.Pieau'^d^j4nei Ce second oa-^ 
Trage fqt) imprimé en grieindsebrêt, et il n^#4-' 
fuit ticéqulun itrès<*petitifik>ttibi^e dexemplài^ 
ares. Le tbi ^la'en do^na^ un ^ en nv^ reoottinïat>«« 
danb deîné le înoiîtrer*^^ de n'en parler à' 
pèrsonni^.^ Peu de joiv^s apr^'s-Viniprîtlfteur'* 
Deekeij .vintvp^lein d^flrobet daAs là |>itl$' 
cruei|e jperpiexité , me prier, ed griMadecoû^ 
fideuce,:dê t aider de mes ^conseils dans^ l^af**^ 
frruse situation^ ou il se- trou voitr Il^me conl%^ 
quVyaht eu un commen^ire snr le conte de!> 
Peau^ct'Aaef i Imprimer», 'il n'avoit mis «ir^ 
cet ouvrage q|ie des ouvriferâ qui ne savoient> 
pas un.uiot: de français ; qu^auoune autre* 
personne qu)s >cea mêmes ouvriers et hiii» 
B^étoit- vendue danb la.pièee !oà sje Jnsoit 
eette ungifesaidn ^ Ifd-même y^élaDlftQujKuînii 



i6éi, ^iudes yOpiruons , -^j 

entré. le premçr v ^t étwt toujours, «orti le 
4er^i6ir t et la qi^C^e cette pièee n« layàDt 
ppûft quitté ; qn» lui $wl «lYÇât revu les 
épreuves sau« dépinl^èr^ et a voit ekisuite! brûlé 
toutes lei| luacu.Uturç^ ; et^'eufici'il eu avoit 
QQ¥(^é ]4>u$;l/9fte«<i^^ires.auroi ,mds vou» 
Hûr'inéaie e}i goi^der n&e seule: feuille pour 
liM-inCt que. oependaut tous les mkiifitres 
éff^aiPCer^ et plusieurs autres curie^x, ve*». 
nj&ypnià^^jxyQym^ icbez^ lul^. dfsmander des 
t3W9Pi^meg dû çeifbême ouvrage à acheter ; 
qii0.4Ana lei'iu^tliftti^ns jquil a<voifapu f/iire 
àiOd 4Hiet, il avoitaf>prÎ3 que Je jôiQistiie de:, 
fie .{}<Qr ta^berg ^ À qui; le jroi en avbit ûonné 
^UNft^mplairetétoiîtFOceupé ai laslùdb dasà 
aoadiilpni» lor^qW^D diplomate éfirangev étoi^ 
veniji jui parier de . quelqu*a;i^v:ii :i /et avoît 
#utafu4 lUie disQuesiof f à la ettUeide jlaqu«llo 
)e: ipinistre Frosaîaur.oubliautila btoxsfaure V 
qu^l . avait 1 posée ^ur. Une oousole , étoit 
mtvA .ipoujd vm: luôKiieofc dans ; son cabinet r 
^sim^'^r tin papier relatif à rafi'aiiwr. to dia^ 
cussiafi « et avcâldrâné le temps «igiairîeux 
iudîfiisret 4 de^.jeter un ooiip«d'cBU> mr You^ 
Viiage ; et d*eE voir sur- tout ie titre, Decker 
)je .sfâitoit- quel parti; prendre;} et je u^eii eus 
^1pi(i^ ItÛabiv^eUlér:: je luiOrédigaai Que^ 



Compositions Littér. dé Frédéric . t&jt 

lettre où^, «aaç parler de ce qoi s'étoit' passé 
chez M* de H^rtzberg, il exposoit au roi» 
avec autant de naïveté que daffliction ^ 1% 
demandj^s qae loa veaoit faire ch?4' loi •Mal* 
gré les. mesures qail avoifc prîse$ pour aam* 
rer le secret 4es ordres qu'il avoit eu i rem* 
plir, Dès.qn il m eut quitté pour aller remettra 
sa lettre à la poste ^ ]e^ fis une autre potyr 
mon propre * compte : je racoatai., en dera 
mots , ce que. je venois: d'app^^i^^r® « maii 
sans désigner personne : jliudiqoat de mdmé 
les précautions qjdc j avois prises pour que 
personne ne pût soupçonner que j ayois cet 
ouvrage , dont je n ayois aksoioment point 
parlé. £n eS'et ,; après que Je rm oie leut 
donné » je rayoi$ .pl^Qé;au 'fo»d d'up tîroir 
dont la qlef ne ^le quittoit ja^nais i t-t je n'en 
avois pas ipéine dit un- jnotà ipa fètnmç :, m 
çp mprnent même je n'avais pas donné lieu 
& Decker. d'imaginer queje le^onnu^SQ.Lf 
kndeniainnjerec.us cette réponse t « Sojreg 
^: tranquille^ monsieur, sur lévènemept dont 
» vous me parlez dans votre lettre d'bipr ; 
D j'en connois la cause > et je: sais que vont 
9 u y avez aucune part. S^r ce i }q prie , etc. « 
Decker en rt*çut une à«>peu*-près semblable » 
et tut ainsi délivré de toutes ses angoisses , 
aussi bien que moi. 



?68 JSiude^i Opinions^ 

M. le CaH a raconté à diverses personnes « 
que dans lune des époques les plus- cri tiquesi 
de la guerre dé âeçpt ans , il trouva ee roi « 
qui venoit d'df^j^éndre la mort dé Tainée de 
ses 5iBursi la margrave de Bareith ^ ïrès-oC'* 
cupé à lire Bonrdaioue ; que deux jours après, 
fr-éii reçut un ôahîèr avec ce3 mots : « Tenez , 
n^ gqrdèz bêla ; » et que 6e cahier étoit un 
sermon que sa majesté venoit de composer. 
Ce israit n est pas un des moins étôhnans dé 
ia vie de cet homme extraordinaire. 
' Parmi les ouvrages que Frédéric a faits de 
iiTOn temps , çt dont les manuscrits ne m'ont 
point été confiés « je citerai , outre le coBfme^ 
taire sur le conte de Peau-d*Ane ^ le mande -. 
inentvde Tévéque d'Aix , labrégé duBictit>n^ 
iiaire de Bayte , dont j ai été Védîteur , ainsli 
qu'on le verra en l'article du marquis d*Ar- 
geiis^ et utie brochure asses épaisse, ayailt 
pour titre: a Oh$erviitions sur uliouvragei 
)» intitulé ; Es^ki sur hs préfugiés.^'Ce fut 
} abbé Bastîani qui fut chargé de (aire imprî'^ 
inér ces observations. Je n'en parlé que pour 
èiter iia mol trèè-tfl»ttenr envers un homme 
qui le- méritait bicni; Dans, une longue tirade 
d'injures très-élaquentes , adressées aux nor 
blefii en général ♦ \^ ?oi qufc la r?ppor4e , s'i^- 



1 



ComposiMoTÙ LUtér* ^Se Rkédéric. 169^ 

terrômpt tout â^ap^, iJaur s'écrier, dans- 
uoe parentbiser Si du moins V auteur ai^oit 
excepté M. Hé'Màc de Nipernois I 

Je/ vais rapporter une anecdote oii Ton 
vei;ra ^ eptr'antrès dboses assez remarquables, 
aveb quelle altqitiÔD ilfaisoit ces lectures, et 
commeftt il savoit employer son tempSr Du« 
rant fhirer de 1776 à 1^777 , il eut une vîo» 
lente/atjaquedègoattê, qui I empêcha de faire 
lé voyage'de Borliii. En revenant, vers la mi- 
marsr^ de France* où j a vois passé cinq à six 
mois, j arrivai auac portésid^ Pôtzdaili à le n^^i 
tréede la nuit ; ef^, selonrla consigne établie 
ptfr*-^ôut où se' trouvent le rôi ^ je Fus obligé 
fleiàéclarer àToflicieb de garde , qai.'enenki- 
fthvt: ses <tablettei^ ^ mon nom , nionëtaty d?6à 
)e yenois ; tm j'alloîsf^ren quelle aubiét^e rje 
eofnpto^slog«k:v'^t>Î!}*avois à parlecauxoi.. 
Com»)e tonfeesiies déolai-atibna semblables se 
rébniisoi&dt etf un rappcnrt , que le ina^oï- dû 
là pilaee remettetit tous les soirs àsà majesté ^ 
^ti$di que'îe LWois maison veikt, je Bèidoiilai 
jp'M'^que je uéxfusse ^afppelé le lendemain ; et, 
en eSet^ à sept) heures du: matin y ût avant 
^ire>}e fusse levé > Je vis entrer dans ma 
^Dlillnibre ^ en -{j^ud auiibrme bien complet^ 
«^ offi^iier-^db ségi]i}«n£: des gard^ > Tun 



rjO' . " JSiudesy Opiinonit \ 

mes anciehs élère$ noiaméM: de Kndbel^ 
wioTs lieutenatit, et de service ce joar^à aa 
diâteaa ...\ à Monsieur , luitlis^ je , né serez«^ 
» vous pas scandalisé de troiiTer ainsi votre 
» ancien professeur au lib, tatidis que voua 
» éfesdèhôut depuis si . long- temps? M*ep^ 
» portez-vous Tordre demé lever ? *^ Non » 
» me répondît-il , c'est une défense que ye 
9 vous apporte : le roi ni'a chargé de venir 
» vous dire de ne pas partir ' iqu'il ne iroud 
» ait vu* — .A quelle beure veut>il me rece^ 
» voir? 4-:irne m'etx a- pas parlé. •— .Mais 
a vous vojez, mon dï^r , que vous melivtfiM 
3 à une incertitude ». qui va bien désagréa* 
» Uemeot *me clouer dans cette, aubei^e.1 
a Vous allez dire «au rot qoe vous m*avea 
a notifié ses ordres? Etne pouvez-^vons pay 
B en oetté'oecasion , rfippder les leçoaa:qn0 
» je V0U6 ai'données pdur.tourner les plurases 
^ seion les drconstances » ks > temps !^ lipe 
» Iieu:x<;^ las; personnes- et: lea pensées i; et 
9 d*après ces leçons , vous serai- t«*il diffîeîle 
» d'iotercalerdans votre rapport, qu'en vom^ 
a disant que )e ' suivrai les: ordres dp. si^mar 
» jestév je* vous ai demapdé à quelle Jbeure 
»'j*a.urois & me rendre au. diàteau, at que 
a sor: ^Q ..point voua naves rien eu à m^ 



ComposU^w^Littér.dis Frédéric. iy% 

^répondre ?•*.. ;9 ILme^proiiiit qu'ili:ed]^r 
c^roit cette. Ip^rnif^e de phirase » et qu'il 
Iseipploieroif; <|r , sçm ^nieux. , . 

.,,B|a^eflet, Qavipt environ une h^ure aprè» 
ij^'^^^QUÇW.^uÇjle ;rpi me i;ecçvroit.à dix 

h^urça et;d^ie,. Lpr^quiB jeutri^, Frédéria 
4]^^fifa par, iqie, deni^^nder 3i j'étois cootent 
dq ippu vpjrag^ ;. exulte il jnç pa^la de set 
&ç>u|£irançes,^iiçf 4e.J|^îstoîredu ^^-l^mpire 
fW.M, î^h^VL,, qqil me d)t aY^k^ lue cet 
km^ v:.-:« A'aX9*s -I? goutte;, flie dijl-îl; ttiaia 
»x hôjopeiftsemf ij ^e PaypÂs pasà Ja.t^te; 
9 .i^p^diuijt 41 j9^. a/^lla 4^ courage ponit lire 
« (9®tJte hi^9^Setj#^qu>U bqut. Pouwa-youf 
>l \ff^ dir« P9^rq^ ;^lle fatigue si cruolleme»! 
3jt Je ;|ecjpï«î^ pçS^Blfii elte \n%^«iQ?si p^u î 
t<;|l|b.çe lat^foîJJie^^gi l'auteur, eu :4»n$U)^t | 

» p^;,ifleiflf YjHft^.<îp'^a.dçiS lppgijçjws,asso|iii 
%J»îPJ'«P»:««i-|B»^'«aaRd Ufji; vieat à deâ 
» discussions ihéulogiques , toujours dépiar, 
9k)pé^d#a# ij^9ijl^^^^kire pro^n^» «t très- peu 
jf m\ére^9fii^^v^ unf ipule de lecteurs , 
»/e^ .eiji^p^çtjc^klieiç.pîÇiur naQi. Mais c'est danai 
4 ,|e ^nd' et jifi fljMw» dp Wt» ^\ip je crç» 



#7* • ' Études*^ Ojiiriiùnsf- . "^ 

V trbu^ér'lë Vice principal de -cet oavréger'^ 
31 cette hiâtdirê q'ous ofire comme dans uoiii" 
» lanterne magique^ tant dd ' peuples M ^ui^ 
il passëàf aùsj^i rapideméiit bae les flots â*un 
» fleuve débordé, qu ils ne peuvent '{^^ 
» nous mtëîrèsser; Vu que sur- tioat nous 'ri^^ 
» sa voàs souvent ni d'où ils viennent ; liî 6ii^ 
» iU vont ,' etquSls' n'bn^^ pour toute vértii* 
h qUe letfrïgtiorance étUê'tirîérodt'é: îb'sc- 
* pr€sci>!ènf'eh*^i grand i^ombre,t^t ils -sont! 
» sî péiiyfe temps sur là scène , que 'fctiùé* 
i pouvolîsè peîÂe les discerner Irtl uns '^éikc- 
h leé autres. Ce sujet ekt donctin sujet lire»-*' 
» ingrat'' soirs- tous les points dé Viie. v Oii' 
i*»it àvéd qnèlle liberté dVSfjl-lt'cia roî sWéit- 

h oét ôuVràgéj au nifliëd- xièS dbiitëdi^ ' M 
§lhft aigâë^ ;'Â ^uoi il f'atrt 'ajouter quedan^ 
le dénf e ténips, il avoit gôuV«jrtfé%ôti h>]%iiBie^ 
eoutm« jéii pléiov saotéi^el étOif '{^àrveBtfipKar 
ène dôub'te Coi»Jbe»*poiàdéttt!^ dUfiteiie et= déli- 
cate , à raecortiiuoder fé 'oôÉrtiéT Hoditz tve(^ 
le cha^i<er d'Olmuti^ , d6iiihiè-lMiti8 Uém/ai^ 
ailleurs; ' \ ■-'• • "-■•'- -'■■ ■ •'- ■■' 

! Après hn'aVbir aibsi é^tpdsé^à' màniètë^ië 
jogar Ihjst^re'^a Bfts-EAifjiré^i^^il •i<éVÎBft k 
taon VoySge /^Àé'dèwàhïa" et l'âvôié và^ltf 
toi 'dd JFrance , iet là &Aûtte ïojFàle; Je kd 



tépradîft^qii» pmi cet ett^iy }é m'^ttâs rénâii 

:grasy* espérantles^yofr tous i^ le^i's^iiie^seé i 
iteisqif arrivé trop tard% je' n Vvëiâ 6Ù qne la 
mçsèe.de la reibè v^^ll^ dui^Di'Ày«ât'jeù liea 
plas tôt; quiq ppur voir ce monar^'e, ilm-a- 
.voit &Ua attendre le soir dMÎ^Més^ ëpp^rte^ 
meiis , jusqa à ce que sa tnajesté ssoi^^ît de son 
cooseU^ qjQi ce jour là n'aVoifîfitii'^u après 
jdîx heurta;, que : j'avoîs été:hUfn -^^^éddâiA^agé 
de mon attente , en ce que Louis XVI s*étoit 
arrêté et a;voit causé durant plulôéu^â' tiîinu- 
•tes» avec nir 'seigneur que j& ne 'ëbniioissoîs 
/pas , et sous mfs jeux ; et que jWoi's par 
GQilséqaent eu tout Je temps de P^àminer.;. 
En ce moment /Frédéric prit son air amical 
^•Gonfidenttel;, et iae dit du ton le plus sé- 
duisant::» Eh. bien, dites ;moi', eiitrë tious ', 
30 comnrenti^vespvous'jugé?» Jc^lW i^ftrayS 
•du piège qu'il me tendôit^ etifi^appé de tous 
JeaibatiiàideJpradenoeet sur tout de convc-» 
• nance ,«qui*d»voi6ntmeliatire x^hericberà révi- 
,ter, Jeilui répondis, doocque j'dVojs'cîté' telles 
. ment .ooça^é à» îki.' physionomie de Ce' roi ', 
'<|ae , mes yjàix> u a voient pu- sé^ déiouri^r dfa 
id^ssw son ' visage t; mais qu^ fâfV6is eu beafti 
.Jl'éfiUCti^r .iqn^'J^ pi'aVoit été pos«aiïéd'y voh: 



-• r 



174 XHiiAfS 9 i>f>inionA 4 

qa*an seul teaif , tant ce trait m^^vott fsattt 
vrai et (sart^témtique ; qim. toujoàra }6 jn'é# 
tob dit, qae par*tout oh la .nature aoro^ 
placé cette: têtçr, on y auroii tronvé k boaté 
poni: qqalîté dominante. Frédérîo éeiitit à^scm 
tour qo^.jayoîs aperça 8on piège > et c^iiej^ 

* 

cberchois. à éliider i sur quoi.^^tsnaiit aiiisst 
aon parti à TinsUnt mén^e^ il nie répliqua 
ayec vivacité, et une sorte d entiiousiasmiet 
» Ai^ ! monsieur ) sll est bon ro^>.â est grand 
^ r<xi! »; .♦*'.;• '..» 

J'a)outer|u. ici une circonstadôe peti impûr«- 
taut$ de mon voyage à Yç^^rilto, dropas*. 
tance dpiit on conçpit.qv&îe ne patiai <|Mp 
a Frédéric, mais qui néanmoins peut entrer 
l^ans; des spuyetirs. Mon fits, âgé alors d^eni^ 
viroi^ sept anSt avoit tant ^rconru Vetiv 
sailles et les bosquets pendaht^tbute la jôuiv 
née , que vers le soir , il ne .pôii^voitpIuB r&« 
aîster au sommeiK Sa mère lui conseilla de se 
^promener ; mais il. eut à peine £iit qndquâs 
pas , qu'il tomba tout de &on>ibffg. sor le pw- 
quetr.un jeune seigneur , plus ]irès que-molt 
le relevoitdé)à lorsque jfairrîvai àioi.. « Cdiii* 
9 ment ^. lui dis-je» dès la première fois qfei 
» tu par(Hs à I^ cour , tu y faî^ une lAnte aussi 
y^ooBiplette! Mon en&nt^ t/estm.proitost% 



-» qii^il ne fàadra pas oublier : aoavtem^toi 
» bien , toute ta vie « qu'à la cour ou glisse 
» facileoaent , et qo*ii ne faut jamais s*y en*^ 
)i dormir ! » Tout le monde sourit de cette 
plaisanterie ; et je vis qu on alloit aqx en- 
;quêtes autour de moi, pour savoir qui j'étois. 
Frédéric, après sa belle exclamation 1,0e me 
parla plus' de Versailles , et ne me fit aucune 
question sur toute la famille royale de France. 
Je lui dis néanmoins que je les avois tous vus 
au jeu , le soir , le roi seul excepté ; et cette 
particularité ne parut lui inspirer aucune 
sorte d'intérêt : au contraire, il se porta vers 
d'a^utres objets , en me demandant si en gé- 
liéral , à la cour , â Paris , ou dans les pro- 
vinces , j'avois observé qu il se fût introduit 
quelques difiérences daqs les mœurs., depuis 
réppque où j'avois quitté la France : ye lui 
répondis que les opinions m a voient, asses 
paru les mêmes;; ^ que je n'a vois remarqué 
que, deux usages nouveaux qni m'eussent 
frappé , les habits de satin « et les grandes 
l^oudes» «c Comment., me dit il, des habits d^ 
9 satin ? Ce.st donc pour les femmes ? — :. Non » 
» sice;.les femmes ;pqrtpient desjrobes de sar 
9. tin , bi^^ uvanjt que je vinsse en Allemagne; 
» .aa)(urd'tiiui «^le^bpmnies font usage de ftett« 



i^ Etudes f Opinions 

0» éfoffe comtae elles. — C'est donc étî été ? 
» _ Non , sire ; c est en hiver. -^ Je dbnëofe 
7> que les femities' aient des robes de satin en 
j> hiver. Vu qu'elles mettent par^de^sous au- 
» tant de jupons qu elles le veulent: mais cette 
» étofië est trop légère pour des hommes qui 
» n'ont guères par-dessoUs que la chemise et 
» une veste fort min(îe: ils doivent geler de 
« froid. -^ Sire i pour rendre ces habits plùà 
D chauds i ils en garnissent la bordure d'un 
» lizeré de pelleferie. --i- Ah ! les voilà bîeà 
,È réchauffés! Et qu'est-ce qUe les grandes 
» boucles dont vous me parlez? Sont Ce des 
» boudes de culottes , ou d'habits ? '— Ce sotit l 
» sire , des boucles de souliers. -^ Comtheiii 
}) sont-elles grandes ? -i— Autant qu'il- lé fauf 
)> pour descendre du haut du coup de pied 
» jusqu'au milieu du i^ûuiier, et pour allei^ 
» depuis la semelle d'un côté jusqu'à là sé-^ 
3» melle de l'autre. — Mais delà n'est pas 
» possible *i ayez la Complaisance dé med 
» montrer au ju^te les dimensions. » -IlËillut 
me baiàsèr et lui tracer sur mon soulier l'espacé 
que ces nouvellèsl bôùèlés iaVWièbt à couvrir...' 
t( £n ce caè , me dit-^it^^lors', ce sont dbhàr 
» des boudes toutes semblables à celles qu'bcf 
ft emploi^ auK hamois déâ^-chévaiâ:? *^ EHei 



Compositions LUtép de jPrédéric. 177 

9 jT riedaembleat assied , repris-je , quant à la . 
» grandeur: maid il y a beaucoup de difié^* 
» r^nce pour la matière et le travail. »* Je 
1^ le conçois bien : cependant ceux qui te 
9 portent ^ doivent en être gênés et ble^és?^ 
:i^ — - On les cambre plus on .moins • $elpn la 
3» forme du pied. -— Soit: mais le iiiétal est 
i» toujours dur ; et des pieds aussi délicati» 
^ doivent en souffrir : d'ailleurs cest un poids. 
> très^sensible 3 que Pon pourrpit cofupsrer 
3> aux semelles de plçmb qu^ les maîtres % 
7é danser font metti*^ aux chaussures de leurs 
» /élèves : encore y trouvé-jp cette difiérence ^ 
-» que les maîtres à danser u*o&t recpurs auxr 
» semelles de plomb , que pour le temps d^ 
j^ leurs leçons, etc. » 

Ou voit qu'il s^amusa beaucoup tde tues^ 
denx nouvelles. Quand il fut près de midi ^ 
beure ordinaire de soU diner^il nie demanda 
quand je comptois me rendre à BejtKn? A 
quoi je répondis que )e comptois om'y reja4|*9 
oe même jour , si sa majesté n'a voit pas d'çr-» 
dres contraires k nie' 4ûuner. Sur cela , ^ «m^ 
dU qu'il étoit charuiéde pe voir , de>r^tour« 
satisfait et en bonne sainte, et qu'il me souhait 
toit ^n voyage. <]|omnie , en disaot ee&mots ^ 
il s'acheminait vers sa saUeà maogei?.^ ^e çrui 

(. M 



fjfi Etudes j Opinions^ 

devoir , en le quittant, lui demander parloir 
de ce qae j*avoîs osé me; présenter i loi dana 
raccoutrement dan voyageur. En efieti je 
n^avoîs pas voulu ouvrir mes mallea, etî'étoîa 
v^nu chez lui en gros soutiers bien épais i bas 
noirs , calotte de molleton , veste de mâme 
étofle , et croisée sur la poitrine , habit de 
tricot de laine grise , et oravatte noire^ Sur 
mes deux mots d'excuse , il retourna la tête- 
de mon côté, et me répondit, en faisant un 
geste de dédain : « £h , vous savez bien que 
» je ne prends pas garde à ces niaiseries-là !• 
3» Ecoutez : quand je vous ferai appeler , où-^ 
n bliez vos vétemens , si vous voulez ; je 
» m'en mettrai fort peu en peine ! 'Fpurvtt 
» que vous n*oubliez pas votre tête , je sera^ 
» content. Je ne véus demande que votre 
» léte. » 

En le quittant , j*aliai &ire une courte yi^ 
site » et revins bien vite à mon auberge pour' 
dîner , et me disposer à partir. J*étois,prét à 
monter en voiture , lorsque M. le comte de 
Schwerin , alors général des gendarmes , et 
ensuite grand écuyer , vint à moi , et me |dit : 
<c Je viens , monsieur, vous féliciter^ur votre 
» heureux retour : je sors de çhea.leroi ^ qui 
9 nous en a epu^ris lanottvellle« U nV été ques* 



• L 



CompasiUohs Gttér: ite \Prédérlc. , i^jg 

» tibil que de vous dnraiït' tout lé dtnér. Je 
f vous asaurequil y a long-temps que le roi 
» tl^enB eu de si gais : nous avons ri aux kr* 
3»; mes. Le roi nous a dit d'abord qutt avoit k 
*j| nous aniioncer la nouvelle d'une doubla 
» métamorphose très-importante , et si in-^' 
a» croyable, que lui^m^me ne ta croirôrtpas , 
» si la vérité ne lui en étoit- attestée par sbn 
» honnête et vérîdîque professeur ; • et cette 
» merveilleuse nouvelle , c'étoit que les Fran^ 
» çaîs, ci-devant femmes jusqu'à la ôeititure» 
9 l'étoient devenus jusqu'au dessus deè^épau- 
» les; tandis que , d'un autre côté^ ils étoiënt 
s» devenus chevaux de carroftsê par leis^iëds t 
» mais avec cette <»roonstance « aussi -éton- 
» nante que le reste ^ qu'ils se sont aipstfein* 
» mes qu'en hiver , et que c'est .sans distinction 
S) de saisons, qu'ils sont chevaux de carposseff 
jL;Il nous adibitémiliei&liesà ce sujet, dont 
» il rioit lui-même aux éclats , avdtit de tiotiâ 
1*1 en donner la clef, qui est , que les homnies 
jo qui chefls vous portoieat déjà ci«devant à^i 
s», o^lott^s de, satin ett hivèir , portent encore 
» . aujolird'hui , dans lemênàe tefmps , des h^-^ 
9 . ))its de cette étoffe.; et que ^ de plus, ils sd 
» .chargent les pieds de boucles énorineè ; àwsl 
p .pesAPte#jq«Iellea,sQu^in€bmiitodes;'i^ , 

M a 



> # 



t&b àtuiâes^ OpifdonSf 

^ mon cher ami > vaus ae savez p^s , et il est 
)) bon de vous avertit , qu'en disant tout celil 
» au roi , vous risquez fort de vous être fait 
)) un énifemi puissairt* Le prince de Prusse 9t 
)» reçu cet hiveruoeamplepacotillede grandes 
» bouclas « qui « dit-on « lui ont été envoyées 
)> par le comte d'Artois : il en a paru enchantét 
n T^uisqu'ilen pprte lui même , et en fait porter 
V à cepx qui fentourent. Vous voyez bien à 
9 quoi vous vous êtes exposé. -— Le princede 
39 Priisse, lui dis-je, est trop juste pour ra'ett 
y^ vouloir d'une chose très-innocente de ma 
v part : il sait bien que le comte d'Artois et lui 
a» ne m'ont point instruit de leur correspon* 
9 danceà cesnjet «etqu'enarrivantdeFrancet 
9 je nepouvois ni en.sayoir ni en deviner Id 
39 résultat. Je vpus pi^e néanmoins d'agréer 
f tous mes remerctmens de l'avis que voua 
3» vouliez bien me^dônAer. j» La dessus ,ilmé 
«Quitta et j? partis. 

. M. le Catt , qui , par aes fonctions , étoif là 
secrétaire des commandemçns de sa majesté , 
et qui se qualifioit tel dans le monde , n'âvoit 
rédleipeiit an çhàteas que le titre de i^c/^u/* 
^u ; roi , titre dont il ne &isoit jamais lesF 
fonctipns : . Vjcéd^ia. aimdit beaucoup à lire 
]ni-m|mi^ ; at. celuiîqulil^geoît ooàiine leo 



fi 



Composîiiotts Littén de Frédéric. i8c 

tear, n^avoit d*autre rôle à cet égard , que 
celui d^éconter. Le Catt , d*ail!eurs \ avôit une 
voix foible ^ sonrdé et pèti agréable : ihssi 
tfst-il douteux qu il ait jamais lu kutre chose 
an i^6i; qfaç^les lettres qu'il recevoit , et donl 
fl avoit' à rendre cofn][ite r àû moins est-it 
irai |qne toial^s les fois que ce monarque ne 
pouToit pas fîre lui-dême , c*étoit moi qu'il 
prenoit pour y. suppléer, lorsqu'il étoit àBer^ 
Jin. J'ai'faît deoei dorfeé de lectures , mémo 
csiprâseqciBdeleOatt.^ • ^ 
.; J!ardirai un soir t qtiece monarque aroit 
très^^malaux yeux. «< Vous voyez y me dît-îti 
m que)%d'^>leb yeux trop enflammés pour pou^ 
3» \)Qir*rln'oebuper d'auerlifÀ^i- lecture : Voùi 
v jeQudarez dôad bien' vemr^à mon bide. Tenez, 
a voilà^^aëlques bagfeifelle&qû'bn ki'a eu voyééi 
» de^Fiatriâi, et âe[nt>l0 fcmds et lè mériîfé 
ai mê éEont encore idoon vos; Pîâut^étre cela 
» ne vâatvîl pas gtMd'dlÊùM i c%st de quoi 
« DOÙa slîOQS )ugwr Vtéûkf d'àbàtâ cette 
»*€Oft)édie â un iioHiM^S Beauttiài^chais (t) i 
»' et Toyods si eue inÀioiièe quèlc^ue talent. » 
;; Xep^i^^adsia dan^^a bergère , avoit atj 
hottt de su petite table et à sa gauche , un 

*■ 1 -V* ' . .'■,•- - . ' ■ ' 



^Sa JEtudes),' Opinions^ 

guérîcÎQn ,. sur, lequel étoît placé nô grand 
çaudélahre à cinq branches : les bcmgbs . du 
lustre çt des deaxbras de la cheminée v 
p^ auflî^ant pas pour m'éclaîker ,:il' falhit 
itf!aider de celles du cfi^ndélabre , qui , nfétant 
flft^ P^.^^^H^^**^ coqywahlepour des homme» 
^^è^ ^.^^ f^^Ç^^ à in^Unar tout «w>« corfls , et 
fp brochure , dopt iliaUoit bien éclairer tontet 
î^ ff?gfi5 l'wne eprès Foutre pour pouvoir 
tej!N- Ma situation é*oit trop i pénible Tpour 
un homme debout : Ipi.roi* le 'viti' «t; ca 
l^'<il^j^rrY«itqUF jf^^nepourrois Kœ lon^teifaps 
de tpÇUe. SQrte.i. ij . ^le^ dit «de .prehdxe iaû 
fabfii{ref. : je jetai.ii:ii^|q9uptd*Qeîl iatitç^ 
Vf^;, coipine ua hommis qoixhefofae iet/ue 
X^Â* Rûs <5^ qu'il fMîfeut ; il n'^j^» «?»hi^(rjem 
eS^t \ fjQé^i^e. vieux] 0jb i^è^-grn^fiiaiikeuils 
4àas,2^ ^bipet) 4^ Si! mandaté;, «,E3raâzt^iin« 
))^ djt-il \ l2|. pl^eijaî^fiodbaiiae qi&e tioi» «roo» 
p ,Ve^re;f> >f Q^f sf »h]^^qi|je;la> séTjèfojBt imou^ 
tieus^e \é^^qjf^lQ^4f:^^^ox^elU9^Jâ]^^ 

pris <|opc un de.çfi^fiafcoiXrefs dco^npvivelb 
^a^jvx}^!;^^ .^1 i}<^'il¥B < ]3^iy!najroliais^ i|nsqU*aa 
l^qut ; le rQi>cjritiqup)Cette,pi^ê i^yQQ sévérité; 
et souvent avec raison. Comme j'étois fort en- 
rhume à cette époque ^ il ne voultàt*pâs lù Hr 



Compositions Littér. de Frédéric. 183 

poser à nne plus grande fatigue ^ et se cou^ 
tenta de èonvérser jusqu'au moment de aie 

* 

coucher. La pièce de Beaumarchais le ra*» 

mena insensiblement à la littérature de nds 

jours , dont il ne me parla qu'avec humèui^; 

« Quelle distance , me dboit*il , de ces sortes 

« de saltimbanques à Molière ? Vous voyeis 

» que ce ne sont que des coups de théâtre 

3» &îts pour les , boulevards ! Toujours d^ 

9 surprises qu'on devroit reléguer avec lea 

p petits tours d'adresse dont obr amuse les 

» enfâns ! Dès calembours , de milsérables 

» jeux demots , de pitoyables hiaiseries ; est-ce 

» donc k cela que se réduit rîmitàtion des 

*3> hommes dé génie de votre dernier siècle ? 

» Combien il faudr oit defa^isessèmblables^» 

9> si dignes défaire pitié aux hommes de' goût » 

0» et même «ux homÉuéS' de bbn^sens , pour vâ. 

'9> loir un séulvers 9 un seul m€»t des MôUère 

n* et dcis Raicme ! Il semblé que vous ayeas 

» oubHë hi langue de vos célèbres autétirs ! 

)» il seinble que vous ne les entendiez plus ! 

» Il sobt devenus pour vous , comme des 

'» Srwtié sans saveur ! ^ ÊieMOt vous a*aûrez 

"» phisf'ëui: volsigrràds théâtres , que le ikusc 

o» bel^sprit et le jargoin-des caiHettes/ Et 

» ce nWpas seulement pcfT les piëcèfe dfe 



A 



oBd ♦• Etudes^ y Opinipn^,^ 

jy théâtre t que je juge de votre déclio. Je vom 
oy trouve ëgalemeut pauvres àsma presque 
j» tous les genres : vous ressemblez à un 
;» ho^me tombé danç le marasme , qui croi- 
>^ ^oit pou voif déguiser j^on mal à force de 
.» ^boiifiissure \ .car. ,. voyez avec qjuelle cou-» 
j> fiaiice vos écrivains i actuels s'amioncent 
r)i tocs comme de grands-hommes « et se flat« 
^3) tent d'écUpseï: tous ceux qui les ont pré- 
^ cédés ! Pour mçâ^Je suis siméconte;nt d&^ 
^3» ce. qu'on m'envoie depuis plusieurs années* 
.OD que j'ai envie décrire queje ner veux plus 
.».rien à l'avenir.Mt» » 

J'attendis p selon ma méthode, qu'il m*in^ 
•vit4t:à lui dire ma pensée sur lie siècle pré«» 
.seociti avant de. lui répondre; et;vpicLçe que 
Je me rappell^.tçè$-bien lui avoir dit alors ; 
^ ce Nous ne jujge^ps du- siècle ^4ernier 5 sire t 
.», qpe cent ans aprèsrqu il est^éa>^lé ; au lieu 
» que nous; prqti€>qrÇ(>ns, déjà sur .1^ siècle 
?î> préwot lorsqu'il ^'^eople eqppr^ Cette dif. 
!» férenCe mç semble bien importante; et il 
>»'^s4; très-diflSoîliet qpe nqs jugemens ne s en 
i» T^ôReçfeiVt jpwf4 ?Pour rfn.drç: lia:baIdnoe 
^, égale*« repovtpQS^nous d'abctf-d au siècle 
> de Louis ^K^yii/^pi'ès .q^çi^ no^sinoua 
f jif tf aosportorons en idée jiu ip^ie^ d» si?cl« 



CompqêUiôm pitié^. de Frédéric. x1i5 

I» «à, venir : Q(B9:4^ux poÎQts de vue )eteront> 
4> af'je ne me trompé^ un grand ^onr snr la 
,^.ciw9paraiaon que nous voulone faire des 
a» deiuc stèdes^ont il s'agit. Si; donc, je sup- 
p pose qœrrje vi^ au mfliem des grands- 
^>/hbmme^ d^rdernier jsiècle^ quelles seront 
'>K les observatîdns que )'auravlîm de &ire ^ 
^ et les impcesiions que feront sur moi les 
i» évèuemens dont jeaerailetémoîii:?Bos3uet 
i» me donnera?) 4»ne fois en sa, yie^.uki dis- 
iii cours admirable sur rbistejre universelle ; 
3» et dans quelques circonstoaoes :partici]^- 
.9 Hères seulement , un petite nombre d'oraif» 
t3> SOCS funèbrçs • ^ , remplies de* morceaux 
-» 8uMimes« Fénélouine me donAeraquefi^it 
<» tard , ce Tkéiémitgue qui ta: porter l'aitiour 
.1) dci la vertu jusque chez nos derniers ne-^ 
(».ilrmx. Râoine..f ce génie ien' qui* toutes les 
•4» jperfiMrtionB.' semblent S'éfanst: réunies , ^.n^ 
^ ^oe'trop'peti de. pièces qni soient évéïnt» 
w 'blemçent dignes, de lui | et je le , vecrèi doi^ 
w niir et s'oublier des ^ dSob teti^es de suite. 

i Ge nVs t égaèemept - quà Idirenra^tet valles, 
•j>^.qué Boileaii/^errécréera/par ses ^atires^^ 
f> cqmroè ^é is^^-sera que jtard qît il miostr uira 
^: tpar ^ïKJt/f^^éiique. Du reste ^ la BrujèM 
i^; ser^ è pi^inetiCOmiii; lé lM)n Lafojataî&e fera 



» pen H^ sensation ; et Molière ne sera gu&r» 
j» considéré d^m le public'^ si on en excepte 
^ nn pét^ : nbinbre d'esprits : snpérienrs • oh 
-» d^bQimnesptas instruits, <qaé-conmie un 
t> aet^r qui u du talent , «t qui sait amuser 
'« Ses 0ohim|iparâiiiSw Gê; qdieje Teux dire» 
^ eise^ictesilqn^il fi^ut^atteiidre tont un siècle 
» pour qœ jtisticë soit^comptettementreildue 
i> à ccih^iaméisk toiens >Jen levant au mi- 
•». iieuidWûx; ^^nous ^sommes moins occupés 
^» de leur' mériée'; je dîrois presque que nous 
■» lès' pçrdeufde vue , parce qu'ils ne se mott- 
« «re0tqae:i»eri>«iit;(«iidis<pietottsl68}oui« 
M nou» sommes inùndës", et^bien plus frappés 
1» des bifadmarés ou^autres ourrages , pîroté- 
ji^és paril'b^tat âq Rai(DbouiUeit et prônés 
» paries gehS'À* cabales v<Ki-par les gens- sans 
m.goàté £9 çonaidéraot ia finilèînàombrabla 
« de oèajidMrmbtés productîons^ pourrcps- 
» .nous tie>pasinpus écrier t. ^h\I quét siècle 
-» bnibarer, .èd.Pon rie Iretwapi^e. fue- des 
ji.ScmUri^'^i^ê^ tm^Voh ne' pensionne que 
» des'€hsàfMdmri ! lApx%'^ àtè ^ rerencms i 
py répoque<où*:i)oiisvvivoaSi..QiielWt testa- 
is) bteauqniisSçffire-à'niptre espsitv tarsqu-os 
(»c parié éa sièoie de Liouis 3CI^T? ^ujour- 
s^i d'iu^Jes^Gotin^et les Fradon^nt «tsevelis 



Compositions ÎMtér. de- Ffédéric. 187, 

n pour tbtrjonrs dans I9 £mge : nous ny 
» pénsonff plas ; à peine nous rappelons-nous 
9» qu'ils ont existé tnous ne voyons devant ' 
9» nous que lés œuvres de «Corneille , de 
» iR^tsîne^ de Molière, dé Fénélon, deBos- 
» «net ^ de. ïtéchier , de Boileau , de 1é 
31 'Bruyère; de Lafontaine /de madame de 
» Sévigné;^ et 'de qifetques autres encore : 
w tous ces ouvrages sont rassemblés , comme' 
n s'ils avoient paru en ^néme temps : ils 
»> couvrent t dans toutes nos bil^liothèques t 
»' une longue tablette qui nous semble réunir 
1^ tnnt le siècle auquel ila appartiennent. Et 
3fc'^i^:à cette: vue , ne répétera pas : Qtitl 
» làiàele 1 qu^U ^est beau 1 qu'il est grand I. . • 
< > n'iSûivona la même' marche pour le siède 
in pu nous sommeS'S en ce mometft les 8cu« 
:(^/déri nous Aégo<ltédt , les Ghapelâiii nous 
j^' écandaliseiiii^ les ^Cotin ^ leà Pràdôh nbtuf 
»c|£d{guènt ;- «t ees ^drtès de peiùeS'r'eiiaîssênf 
« pDW nous tpts les jours j Sâtfs 'dotite , it 
s^jflèroit bien diffici(e de ne paS S'eii plaindre! 
ftiiMuTs atteodms^ le siècle suivant!, ou métné 
niiéisiaybiis^.cle /fiotair y transporter t quelle 
fti!60r»îalors4a!'li9Matte que Fou aura formée 
tf 1 tto ^bopg>qttyyiy fip ? de nos jours TComp- 
nitdns^ «. .1 . i ' VÀttedre ; hs deuac Rottsseau ^ 



ifl8 .' Etudes ^ Opîmonsf^ ' 

» Bciflbn^^ , ; Moat^squiça \ T^ncydopédie » 
>» tant de savass Mémoires dea Académies > 
» tant de découvertes dans les soîenôes et 
» dans les ajrts , tant de cher-d*lDBnvrea d^ék)** 
D qaeo^e., sacrée et profane v tant d^écriTëinsr 
>» distijqgttés qtie je ne nomme pas i soife 
« parce i^qui'ils: vivent enecâ*e ^ soit pa^ce: 
9> que la liatç^ :eQ seiioit. trop longue.^ . -. «. 
s> Sire j cettis tablette ne ressemble pas « il 
^» est vrai, à celte du dernier dècle, mais la 
» post^i^té jugera-.t-elW qa'elle y : soit infé- 
» rieure? C'est ce qa'il n W |>as aisé de préif 
)> voir. Si nous naVons point dé Molière ^ 
A au rester^ p'eat qu-il n'y a plus de. con^é^ie» 
».à fajijr^^ IjQjri^ue la civilisatiâa^ \dèvemi« 
9» plus générale, a raiseQlqueicj[ctQ sorte: tous 
)i les bompi^s à Punis^on ,r:«nt to»t oef.qui: 
m ixm\,9^\\x^tme% ës^ténieMires 4t aux m'ca^^sf 
Il et ç'|(|§(,p^ qu$ lonyciît eti ^anêe , oàlea 
^ cariijot^^ QHginlii»iQt:k^ cootrastea&aipii 
11- pans et icomiquf s seroient jugés abfixurd^ 
» sur la sjçèiiie ^ parce qults ne itdbsimiidevp 
a», roiçnt p^lns à, personne. Si doiicnont ii*aif4na 
» plus que 4^3; pièces à mtrîguâs ^Jlfaut Fat« 
^ tri^ûer au défaut d^iiAddièto 9 et JKW^ a« 
tt défdït.det.tdlens. Mtiisi'heiirjetttsemeiitiottte 
>> tbrançbé. ne iSût ^as isettle la littén^ura 



CompodHons tittir. dé Prédérie. 189 

)» d\iiie nation *; et il en est d'autres qui 
» peuvent la remplacer. » 

Lé roi parut assez content de mes deux 
tablettes , et me renvoya , sans se souvenir 
qu'il avoit çncoré d autres lectures à mm 
demander. 

Durant le carnaval qui suivit les^ fameuses 
expériences de Mongolfier , Robert , ÏMlatre- 
des-Rpsiers et autres , le roi ne manqua paa 
de mettre les aérostats sur le tapts ^ mais en 
homme qui ne vonloit y*yoir qu'une sorte de 
démence, a Eh. bien , monsieur , * me dit*il » 
$ voilà que vos compatriotes , dédaignant la 
» terre et ses humbles habitans y ne songent 
» plus qu*à escalader le ciel ! Toutes lea 
> têtes, en France, sont tournées vers cet 
» unique point de vue ; personne n*y regarde 
I» plus à ses pieds. Oh monsieur ! s'élever 
» dans les cieust , se perdre dans les nuages » 
» cela est beau « cela est admirable ! Mais à 
]> quoi pensez-vous que cet enthousiasme 
» doive aboutir ? Si nous soumettons ces 
i> chimères merveilleuses au ealcul du bon 
» sens y que pourroos-^^nous en espérer de 
s> bien réel pour la suite ? On n'y gagnert 
» ri^i pour les observatioua astronomiques ; 
» car celles qu'on feroit aîasi an l^atr , n'au^ 



•( 



y roient ancun point d'apf^i^ aucune rase 
a> fixe. Comment oeux qui les festoient pour^ 
» roirat^r ild 4étQ|rminer leur position ? Ke 
^ seroient-ils paç ^ans cesse déplacés ^ même 
» $àns le savoir ? £tt d'àilloura , quel avantage 
3» ces observations pourroient-elles procuret 
D de plus que celles que Tçn fait sur laJerre ? 
», Que font quelques centaines de toises , soit 
» en plus t soit en moins , par rapport à 
» Imteryalle immense qu*il y a de nous aux. 
D globes célestes ? Mais si les aérostats sont 
p inutiles à Tastronomie , à quoi pourront4b 
p> nous servir ?....•» Je lai répondis, que > 
jd^après les raisons quil venait dlndiquesr ^ 
j^étois persuadé ^ qu*én effet lastronoiâie ne 
feroit aucun usage des aérostats ; mais que 
jlgnorois si Taérométrie ne seroit pjas plua 
•lieiireuse. . «^ • « Nos plus .savans géomètres^ 
p lui dis-)e , ont vainement cherché àdécou*? 
» vnr Içs causes et la thécuHle des vents : qui 
»» sait si des >observa tiens -fai tes sunun plan 
» bien combiné * et à différentes hauteurs » 
» ne nous fourniront pas à ce sujet des don-i* 
» nées précieuses et neuves? Nous voyons 
I» iHen que» comme il y â quelquefois difié* 
3». rens courans deau dans les mers un peu 
» profondes , il y a aussi assez^ souvent 4li& 



Cùmposiikms IdStér. de Fhédiric. t^% 

» férens oourans d^air a|i dessus de noué ; 
9 OT ^ qui peut dire ce que les aérostais r 
ir bien employés , nous àpprendroîent à bet 
I» égard » et à tant d'autres ? Que ris^e-t-on 
» de faire au moins des essais ? Fant*il^ re}»« 
» ter trop précipitioDment un secouars qui , 
» peut-être ^ nous seroit de la plus gtande 
» utilité ? Tout ce qui tient à là eulture da 
» la terre , et aux richesses <)es natioùs^ 
^ est plus ou moins lié aux variations des 
3> saisons ; et par conséquent nous ne devons 
» négliger aucun moyen dé connoîtire ttiieux 
^ ces mômes variations. Déjà-, Fdn a Bien 
% profité dés observations jnétéoroidgiqnes 
a» dont on s*occupe en Europe depuis moins 
a» d'un siècle ; et Tes physiciens en attendent 
» de bien plus grands résultats à lavenir; 
9 et que sait-on si les aérostats ne pcmfroient 
B pas doubler les moyens et les succès ? • • • 
» — Soit^ me répcmdit lé roi, je vous passe 
9 les peut^'éire , et je permets lésessais. Mais 
» vous conviendrez' que^ par^-tout ailleurs » 
m les aérostats seront d'autant plus inutiles , 
• qu'on ne parviendra certainement pas à 
» les diriger. 

j Je répliquai que )e iie sàvois pas si la 
» direction en étbit possible /et si, en œ cas* 



jgB' / MtuièSf Ùpbthàà^ 

m là , en en feroit jamais la découvexte ; que: 
» je prendroîs aeaiemeat la liberté de boq- 
a» mettre à sa majesté ^ une réflexion qui m- 
n présentoit à mon esprit snr *les décou- 
9» vertes en général; qu'il me sembloit que la 
» plupart des grandes dépoùVjertes ayoient 
» dû paroitre impossibles tant qu'elles n a- 
» voient pas été faites ; qu^en efiet , en aper-- 
» cevoir la possibilité , çeroit en apercevoir 
» le moyen , et dès - lôrs les faire ; que celui 
3» qui anroit annoncé les télescopes avaut que 
n le hasard nous les eût donnés • les aoroit 
1» lui-même inventés ^ ou auroit passé pour 
» un visionnaire; quenou^ regprdpns c,Ojrpme» 
» vraiment impossible, de naviguer directe-*: 
a» ment contre le vent ; à l'aide des voiles ; et 
3» que néanmoins <)n mayoit assuré qu'uii' 
a» Anglais en avoit prouyjé la pQSsibilité auc 
» moyen de voiles do^bl^e^. ^ pu de voiles 
9 ayant chacune deux toiles > Tune , celle xpii 
a» est la première au vent;^ très -lâche ; et 
n lautré t celte qui n* est opppsée aa vent que 
» postérieurement , bien tendae et propre & 
» forcer la première è fiûre une sorte do 
» podie, où le vent agisse contre lui-même ». 
9 et emporte le vaisseau vers le lieu dV)ii il 
9 souffle ; que JÛ ae inoyen, étoit reconlîu pra-« 

D ticable , 



Compositions Xdttér. dé Frédéric. \ 193. 

W ticablé , on conviendroit' sans doute' qç on 
» auroit euraisoq de regarder la chosecomme 
t chimérique , jusqu'à ce que^C€t Anglais eu 

' » eut conçu Tidëe^ Je lui citai de même h 

• » disposition des esprits au sujet de la nâvi-« 
» gation , lorsqu'on ne cotmoissoit encore que 
D les rames. Je lui citai Finveation de la 
4> poudre « celle de Timprimerie , et même le 
» prisme et la boussole ^ ainsi que les miracles 
y> ' de Vélectricité ; et je conclus , en revenant à 
» la direction des aérostats , que si elle parois- 
» soit impossible en gén éal , cela m/e )pro\\* 
y> voit seulement que la découverte n'en étoit 
3» pas faite; que nous ne devions qualifier 
)) d'impossibles que les choses vraiment con- 
» tradictoires ; et que la sagesse ne dèvoit 
3) pas plus nous permettre de confondre ce 
» que nous ne voyons pas , avec ce qui nous 
n ofiire évidemment une contradiction ^ qsa 
» d'appeler vue évidente ce qui n'est chez 
y> nous que cécité. Je répétai ce que j'arvois 
» déjà dit , que je ne savois pas si cette direc- 

^ » tion étoit une chose impossible , ou une 
D découverte à faire ; que né4nmoins'il y avpit 
» quelque présomption en* faveur de cette 

' n dernière idée^ en ce que les oiseaux se di-» 
9 rigent fort biçn à^ixtké les airs , conjme les 
I. 21 



\_i? 



294 Etudes y OjArwm$ j 

» poissons dana leau ; et que nos arts ^t notre 
" » indnstrie ne oonfiistant que dans Finiitatioa 
» de la nature , nous pouvons penser que tout 
D ce qui ae iait peut &^iniiter. — Et à quoi cette 
p imitation çervîroit*elie ? me dit«-îl alors, 
9» Cette manière id/e voyager eoûteroit immen« 
x> sèment ^ et perisonue ne seroit assez riche 
» ou assez fou pour y avoir recours, --* Peut- 
» être, aire, cette découverte causeroit de 
» grands maux en général ; mais quant aux 
» avantages que l^on pourroit 8*en promettre 
a) et à ce qu il en coûteroit pour se les prp« 
» curer , votre majesté aait n»ieux que moi 
>> qu'il est des cireonstaaces où les gouverne- 
9 mens comptent la dépense pour xU^. p— 
Oui ; si , par exemple » lOp vient dç rem- 
» porter une grande viel^ire , %\x moment oh 
» um allié esA pi^êt à laire sa paix particu-* 
» li^ne^ on ne f>etit pas mettre trop de di- 
2) ligenoe à l«î annoncer le succès ^'épn 
)» voient d*obtenir^ "mais ces ocoa&iqns im^it si 
» Tares ! • • • » 

loi se termina w\X» «discussion ; >je Mlitois 
que je Tavois ppiis^ asse^ lotpit^ ç'^toit 
beaucoup pour moi « que d'avoir ai9%ené<ce j;oi 
& regarder les aérostats comme 4igp.<^ ^o 
quelque attention. La prudence d'aîUeioafi aô 



Compù^^ons Xiittér. tle Frédéric . i ^ 5 

. j|pe pçrfpetf oi)t pas 4.e Ip prjésçnter plusiei^ra 
ai^tres considérations qui sVfi'roient égale-' 
inent à mon esprit , Celles que Pusage qu uu 
pénérul pouvoit faire des ballops pour çon- 
noîtire l^ntérieur 4^une place i ou du camp 
lie Tennemi , etc. Je sayois ^op JDien qu*il 
n'fUfoit pas soufiert que j^ Pf^.^? l^ liberté 
f rès-inçonyenante de lui parler de choses qu*ii 

^ , devoit savoir mieux que moi ^ et ,d» toucher 
fk}^s\ à ce qui ne doit occuper gii,e lé$ gou- 
vernemens. Je ne croif piô^iç devoir indiquer 
que par un sei^l mpt bien yague » les dangers 
incalculable^ a^xquel^ ^'j^l^^? ^f ballons ex* 

. ppseroit Tordre publip , en p^ocj^pant aux 
frapdeqrs et ^ux pluf ^rj^p4^ scélérats un 
moyen de se soustraire ^ 1^ suryeillançe dea 
gpuyernemeQs i et i )a yengçance des lois ; 
çiais toutes ces pensées ne s*e9 pflroient pas 
moins à mon esprit ; e^ j.^ 4^ois souvent ea 
iriapt : ce Nous ferons la contrebande en IW ; 
» il y aura des brigades de gardes au dessus 

» jÇçjçag^r^ /?.?^A *> ,^® f ,9p très'Qonyainca 
jF^éjd^rip , nçiaâ;s,<ï,ujil le? gardait foyi iiii ,' et 

K a' 



196 Etudes i Opinions^ 

' motifs qui le portoient à décrier cette décou-^ 
verte. 

Ceci me rappelle uae autre anecdote abso- 
lument étrangère au roi de Prusse , et que je 
vais néanmoins consigner ici , parce quelle 
concerne la direction des aérostats. En 1787, 
M. de Vîdaud de la Tour , conseiller d'Etat 
ordinaire^ me raconta un matin , qu'ayant 
soupe la veille chez M. de Galonné , en nom- 
breuse compagnie , ce ministre, des finances 
leur a voit montré un cahier m-4^. d'au moins 
80 pages d'écriture , et leur avbit dit: « Voilà, 
» messieurs , un mémoire que je viens de re- 
» cevoîr de M. Montgolfier , et que je vais 
» demain matin remettre au roi. M. Mont- 
» golfier y donne le nioyen de diriger les 
» ballons , et prétend s'en être assuré par 
39 divers essais faits en secret: il offre au roî 
» dé faire , à jour* nommé , é\ e^ ballon , le 

ji voyage d'Annonay à Paris en vingt-trois 

» » » 

» heures , ayant avec lui six personnes, et 
^ » vîiigt quintaux dé papier de sa' fabrique ; 
• quels que soielit d'ailleurs le ^ent et iatem- 
» pératuré dé 1 air , ïi^exceptant que ce ^a^oa 
» appelle vent de lèmpête. >> J'observai que ^ 
depuis cette époque , les papiers publics qui « 
auparavant /àVÔieût tant et si souvent parla 



Co mpositîons Littér, dé Frédéric . i gf 

de ballons et de la manière de4es diriger » . 
parlèrent beaucoup moins des uns ,* et ne 
parlèrent jamais plus de l'autre. Ainsi je me 
tins pour assuré , que le gouvernement avoit 
calculé les risques inévitables de la directiao» 
et avoit pris le parti d*ei;i étoufi'er l'idée et 
Tespoir, sous lé voile du silopce et de Hncté- 
diilité ; ce qui me parut très-nécessaire et très- 
sage. Je reviens au roi de Prusse^ 

: C*est une chpse qui mérite bien d*être con- 
ttue , que le plan que Frédéric s'étoît prescrit 
dès sa jeunesse ^ et qu'il a constamment suivi » 
pour ses lectures en général. Il avoit divisé 
ep deux classes tous les livres dont il vouloit 
s<)ccuper ou s'amuser : la seconde classe , qui 
étoit infiniment plus nombreuse que l'autre y 
comprenoit tous les livres quil vouloit cou- 
noître « mais seulement en les parcourant ou 
en les Ixsant iine seule fois : la première classe , 
assez peu étendue y étoit composée des livreâ^ 
qu'il vouloit étudier , relire et consulter toute 
sa vie : il reprenoit constamment ceux-ci l'un 
après l'autre , dans Tordre où il tes avoit ran« 
gés^ saut* les occasions où il ne sagissoit que 
de vérifier^ citer ou imiter quelque passage 
Ainsi il a passé sa vie entière à suivre le même 
eex'idle dans ses véritables études' x preuanib 



^%§t' Euldvê^ Opinions, 

toujours ce voiàme*ci après celui-là. Il âToit 
cihq bibliothèques lE^bsolument semblables , v 
et composées de même : rûne & Fotzdara ^ la 
secondé à Saiis*8ouci , la troisième à Berlin ^ 
la quatrième à Cbarlottënbourg , et la cia«» 
qbième à Breslfti^'. £a pâssÀnt d'one de oeà 
r^sideiiced â V&iittré , il tx a voit besoin que de 
noter où il en étoit : en arrivant 5 il continuait 
ses lectures 5 eomme s'il ne se fôtpasdéjslacé. 
Ainsi , il aohetbit toujours cinq exemplaires 
db tous les livres qu*il vbuloit avoir. Dans la 
première classe , celle qbî fôrmoit sa phalange 
choisie , on voyoit au premier rang, Homère^ 
Platon , Démosthène , Hérodote , Thucydide 9 
Piodore de Sicile et Plutarque : ensuite ve<«- 
noient Virgile, Horace > Cicéron , Sâltàste, 
César , Tite*Lîve , Ti^te et tes œuvres phi- 
losophiques de Sénèqiie : enfin on y trottvoit 
Corneille, flacine et Molière , Bds'suet', Flé- 
chier et le Té]émd<|ue , d'Aguesséau ; Mon^ 
tesquiéti et Bayl.e , sans Voirtptejf nôi^ ôuVïargeB 
historiques tes pins importans , oôm'me le pré-» 
sidentHénaûlt, Phfeftelsnr l'Empire > et quel- 
ques liutrés encore. Je h'éi pas besoin de dira 
que 3 plus d'aune ft>is » il y à eu ^uelqties chAû* 
gemens dans ce tableau : quelques àUténrs eâ 

ont été retirés plus tôt ou plus tsird % selon 



Composition^ Littét. de Frédéric . 1 99 

que ce roi croyoit les avoir assez lus , oo^ 
fioissoit par les estimer moins; tandis que 
d'autres y ont ëté âdibis à m-esure qu'ils pa- 
roissoient , et qu'ils ëtoient jugés digues de 
Cet honneur. Ceït ikiusi , qu'avec U teiups « 
ou f à Vu arriver plusieurs volumes de 
Voltaire , etc. 

Les auteurs aùôiens ne figuroient dans cette 
liste que pat* les traductions françaises les plus 
estimées : t^rédéric davoit peu de latiu » et pas 
un mot de gtec. Quand il eut pris possession 
âe la Sa±e , durant la guerre de sept ans ^ il 
voulut , eh pâssaht ses quartiers d'hiver à 
Léipsick ^ faire quelques visites à des savans 
distingués , et , entr'autreâ àGothschedt , avec 
ieqael il ne paria qUe de la langue allemande ; 
à Gellers^ avec qui il oe traita que de la poésie 
et du genre fabuleux ; et à Ërnesti , chez qdt 
la' conversation ne roula que sur Cicéron et 
les langues anciennes. Lorsqu'il se leva pour 
Souhaiter le bon soir à ce dernier , il à'écrià » 
eu s'en allant : jPi^/£r qui poiiât rerum cognos- 
bere causas i « Ah , mon dieu ! disoit ensuite 
D le bon vieillard Ernesti , si j'avois su qu'il 
9 parlât latin, combien j'àurois été plus à mou 
» aise ! » Mais Frédéric ne se permettoit de 
prononcer quelqueii mots de la langue des 



JÇ.qraaîip$, qu'à la manière de$ Fart^ies j en se 
c^tirant. \ 

Far malheur ppi^r lui , les traductions des 
ençiqis auteurs claçsjqups sont encore , pour 
la pJ.Ojpart, trop dé|eotaeuses , pour satisfaire 
un hpmmie de^^quj: i.FféiJ.ériQ le sentoil , et 
en avoit souvent de Fhumeur. A la fin , il fit 
un^ liste des ouvrages anciens dont il desiroît 
plus vivement d'avoir de meilleures traduo^ 
tions, ïl eiivoya ce^tte liste à rimprimeur 
Pecker I en lui enjoignant de lui marquer 
combiei^ ces traductions coùteroient à îraprt 
iner; objet pour lequel il prdonnoit à Decker 
de sç concerter avec les académiciens Formey , 
]Méxian , Toussaint , Thiébault j de Castillon ' 
et Bitaubé^ lesquels se partageroîent le travail 
entre etjx i et ,poiirroient facilement calculer 
^ çopibien de volumes» grand w-i? , le tout 
pburroit se roontejc..Deçkpr vint nous voirt 
et daqs.upe conférence que nous eûmes aveq 
liû sur cet objet , nous 9Q^^ accordâmes pour 
le partage , et évaluâmes le nombre total dea 
vQlumes à soixante. Je ne me rappelle pas 
}>ien exactement quels étoient tous les, auteurs 
et, les ouvrages que le roi avoit notés j n^ 
quelles furent les parts qui échurent à cbacuu 

^e nQU$ ; je sai$ seulement que £fitaubé et 



Compositions Lîttér. de Frédéric. loi 

Mérian s'étoîent chargés de Diodore de Sicile, 
que Toussaint avoit pris les Traités de morale 
de Sénèque ; que j a vois les Lettres de ce der- 
nier; que les Œuvres dePlutarque.étoient par- 
tagées entre plusieurs y ainsi que les Traités 
philosophiques de Cicéron , etc. Quand on en 
vînt à calculer ce que le tout pourroit coûter, 
M. Formey ouvrit un avis dont nous sentîmes 
le danger, moi et quelques autres ;.mais l'au- 
teur de cet avis le soutint jusqu'à déclarer , 
que ne voulant pas être dupe ,'il ne feroit rien 
sans cela. Ainsi on prescrivit à Decker de ré- 
pondre qu'il y auroît environ dixrhuit cents 
feuilles d'impression , et que chaque feuille 
coûteroit , tant pour les traducteurs que pour 
rimprimeur » environ quarante francs; ce cjuî 
donneroit un total de soixante et^ quelques 
milles livres, La part indiquée pour les tra- 
ducteurs , que M. Formey avoit exigée el; 
fi^^ée, et qui ^ormoit la moitié de cette somme , 
fut ce qui déplut au roi , ainsi que nous l'avions 
pressenti. Decker rejcut , en, réponse à son 
^tat de dépenses y ordre de surseoir à tout , 
jusqu'à ce qu'on lui fît connoitre les intentions 
ultérieures de sa majestés Depuis ce sursis , il 
n'a jamais plus été qiusstion de c^tte afiàire. 
j'?ivois déjà commencé ma tâche , que j'aban-» 



ib2 JEiudes\ Opinions , 

dbnnaî 5e ihémè , pour n*y ptus revenir, 
L%àt)itudé de me voir et de me conHer ses 
écrits , la certitude qu'il avôit acquise de m^ 
discj^éfiôh et dé mon izèle , tout àvbit enfin 
iiispirë à Frédéric le dësir de m'attacher à sa 
personne , pour ih occuper uniquement à la 
rédaction Àè ses divers ôuviha^es^ et au soin de 
lés mëifre en ordre. Après la guerre de la suc- 
cession dé Bavière , il résolût de réaliser cette 
idée; SI bien qu^ peu dé jours avant de se rendre 
i Bérliâ pour y passer le carnaval, il porta cet 
article siif ses tablet tes , au nombre de ceux qu il 
se propôsoîi de régler dans le mois qu'il avôil 
à passer en sa capitale : il fit plus , il en parla 
à quèlqu^s-Uhs de cèiixqui rèntburdîerit , et 
ce fut cette dernière circonstance qui , heu* 
^eùsémént ]30ur moi , fit échbùèr lé projet» 
Ceux quîlèd premiers connurefat léàJntên- 
fions de ï^rédéric k mon égard , coururent en 
itoformér tés autres i ce fut une très - grande 
afiaire pour ces 'messieurs : on 8*assemfbla ea 
grand secret , et hiême dans'une maison écar- 
fée et hors dé Potzdam, dans un vieux château 
èii repos de châsse , à àémi-ruiné et presque 
abandonné : là , oh déIib(éralong--temps ; tous 
les intéressés s'éntoient au fond de l'ame , que 
je ne ibe lierois d'intrigue avec aucun d eux » 



Composons y Littir. de Frédiriû. i6|^ 

et que je n'otitrepasserois pas la ligne de mek 
devoirs; Atissi s'âccôixlèrent-ils tous à dire 
que jelenr n^iirôis ësseniiellèiheDt dans Tesprit 
du roi \ soit d^ùnë niâtîière directe , soit aa 
moins indiî'éètènient. On ne pou voit sans une 
odieuse injustice , me éoupçonner de vouloir 
^uire à d^esélE^ à qW que eè fôï : toute ma 
conduite répbuâsdit de semblables sorupçons : 
mais ce ne sbfit f^asdes courtisans accoutumée 
à tout , qui ërdfeni à llbnnêtteté des autres 
hommeî : tfàlomïlîér en pareil cas , n'est et ne 
peut dtré à leurs yeux , que deviner a^ec sa* 
gacité 5 et Jtxger avec sagesse. Ceux dont le 
premier principe est dé ne substituer que des 
sèrupulas de politique aux règles de la mo- 
rale^ ne peuvent admettre chez les autres ce 
qtfils n*oiiit plus eùx-méinés. 

Ce fiiVdotic à lïinaiiimitë qilè l^oh cènclàt"^ 
dans ce coiicflilâbule , i^. qiiè ïnà Vocation à 
Pot^datù sèrôit fàdieuse pour tôiis ; et à», 
cjfii'rl fkltbilt aviser aux moyens d'àmenier le 
tin â renôiicèr d cette idée , et concourir loua 
ensemble eï de concert , à assurer le succès 
des ^oyèns aùtqàeTs ba s'arrêteroit. Mais 
quels moyeiis prendre ? Le cai^actère de Fré- 
déric, sa méfiance^ Textrême finesse de son 
esprit I L^abitude où il é toit de réfléchir sûr 



ip4ï .' ' Etudes^ Opinions^ ... . 

tout , Tespèçe d Indocilité ayec: laquelle il . 
aimoit à se roidir contre les desir^ /qu'il dé* , 
mêlait dans Famé des autres : tout concour*- , 
roit à multiplier 9. pour ces niessieurs , les 
obstacles et même les dapgera : Frédéric étoit . 
si difilcile à manier ! et il y avoit tant de 
risque à l'entreprendre ! Peut-être cçs mes^ , 
sieurs . n'auroient-ils su que se lamenter et 
divaguer en pure perte, si deux génies fon- 
das enxin seul , n'étoient venus à Içur secoprs, 
le géqi^ de l'intrigue presbytériale^ et le gé* : 
nie de Tiatrigue italique : l'abbé Bastiani fut 

celui qui les sauva tous a II faut toujours « > 

» leur dit il ^ savoir prendre leshoi^mes dans 
3> le biais qui lour est natonrel ; jsans cela ' 
s> on ne peut se flatter d'oun vrai souccès*: 
» Depouîs pious de trente ans j'étoudie le . 
9 roi avec l'attention la pious souiyie ; et je 
v> vpus répoipidç ^pe je le connois bien. Vous . 
» échouerez totalement, et vous vous ferez < 
» oun tort irréparable , s'il vous deyine : il . 
y> souffîra même, qu'il vous soupçonne pour 
» que tout soit perdou. Ainsi , posons pour 
» premier principe ^ que nous ne pouvons 
» qu'attendre, nous soumettre et nous taire, 
» si nous ne trouvons pas à nous tracer oune 
». marche si simple et si natourelle • que Far* 



Compositions Liffér:. de Frédéric. *'S9S 

» gous roi y soit loui-mêjneirompé. Mais 

' » quelle sera cette marche ? Voici ^ mes- 

, » sieurs , celle que j'imagine. Je vous ai ait 

)» que je connoissois bien le roi : or, oua 

» défaut dominant auquel il ne sait résister 

.)> que dans les très grandes aftairies , et par 

)> lequel il se laisse entraîner , souvent à son 

» insou et sans qu'il s en doute , c est de ne 

» pas vouloir être prévenou ; je veux dire , 

'i » .qu'il ne fera pas ce. qu'il étoit prêt à farîre ^ 

3) au moins dans Jes choses ordinaires .et 

» libres , si le poublic paroît prévoir qu'il le 

» fera, l'annonce d'avance et en porte son 

» jugement, soùr-tout s'il l'apprcHlve d'oune 

» manière trop idécisive. Il loui semble alors 

» qu'on veut loui faire la loi ; et il ne songe 

» pious qu*à s'y soustraire* Ainsi , n'afiectons 

». rien : paroissons indiSerens et neutres so|ir 

. » tout ce qui concerne ce professeur : c'est 

» le vrai moyen de h*éveiller en aucôuiie 

» sorte la méfiance royale contre nous , ;et 

• S) même de l'endormir dans, oune parfaite 

' » sécourité. Mais d'oon autre coté , tious de- 

» vons tous ,. en arrivant à Beriin, le jour 

» même et dès l'instant de notre arrivée , 

- » courir chacoun chez ceux de nos amis dont 

«^ )>>nous;fiOi9mes jiea pîacts saura , et dét^r 



» ainsi 9011s le secret , ou da moins soos la.pro- 
s messe denepoint noas nommer^ lanouveUd 
t qai nous afflige ; la débiter comme certaine^ 
» et sans laisser entrevoir si elle noas fait peine 
1) ou plaisir : qQ-arrivera«t*il délit P II arrivera 
» qne dès le lendemain pn sons lendemain , au 
» pions tard , lorsqne le roi noas demandera 
^ ce que nous avons appris de nouveau à 
«> Berlin , nous aurons à loui répondre que 
» nous avpns été i^rt sourpris de trouver 
3 tout le monde instrouit dou dessein de sa 
» majesté par rapport à ce professeur ; mais 
3> qu*il n'est brouit que de cela dans toute lia 
» ville. S'il veut en savoir davantage, pç qui 
» ne manquera pas d*arrive;r , nous ajoute* 
» roDS que tout le monde pense que sa ma- 
» jesté ne peut mieux faire » vou la confiance 
t> qu'elle a jusqu'ici parou avoir ep cet aca- 
D démicien , pour ses oavrâges littéraires. 
D II ne m'est pas démontré sans doute que 
s> nous parvenions de cette soi^lé à faire 
a> changer d*idée au rot : mais cela est très- 
» probable , si nous savons nous y prendre 
» avec adresse. Au sourpîous 9 cW tout ce 
» qne je ponis* imaginer de mieux. ... » 

On eut beau chercher , calculer et réflé- 
>ôhir , on ne trouva r^en qui exposât à moins 



CompQSiHàns fXt^érJdâ TrédérlcStwj 

de- danger , et. qui pût îàvte fispfrer phis Je 
succès. Ainsi, l^onsen tint pa plsM ' {talîi|D« 
ppesbytiérial. Toat en ^entrant à Beriîat mba- 
ctm de ïne^ phligeans ennemis oourai dolic 
ohez ses premières ou pins suras oonsois-^ 
sances^ excepté M. leCatt qui , conttfim pbr 
ses parens , le&qqels avoient tpus beaucoup 
d'aiDÎUé. pour moi, se vit cnntrâiat.de Jaisser 
faire aux autres etd attendre r^yènemefitsan^ 
pavoitre y prendre pari, ^uûitns IciUus aUa 
dbeeM. Moulines , espèce d'élre métis, Frap« 
çais dx>rigiae , et AUemand pour, la montre, 
pasteur réformé e^ élégant, académicien peu 
remarquahl(e , littérateur superficiel: , ' et ia- 
frigant; dtt reste homme aimable , «bon carac- 
tère et très-tserviaUe. U avoît plus. dé part 
que personne à la confiante du. oilonel , en- 
vers lequel il n*éparguoit pas les protesta- 
tions : cependaut il ne sut pas se ^ta^e eu cette 
occasion :. car 4ce Xitst que d'spit*è& Lui , que 
dans le temps on est venu me xaoontér com- 
ment Qulntus dans ses épanchenums « meani* 
rant d'après son propre «cœur , ie mai. qil'il 
Imagiuoit que |e yondtois jUii liaire , et crQya>n t 
dé^a .me (Voir à Sotzdam , répéta «e^pt iois : 
Je Mis perdu 1 U me kait l M sera mon 
ermemi i que ie^ietuSkai^je ? fit «passa aMMi 



toQy ' stades. Opinions^ > 

-la sbîrée à pleurer comme un en&nt ,' sahs 

• que Moulines pût réussir à le calmer. 

Lfabbé Bastianî fit belaucoup mieux que 
tous les autres : il alla en vingt maisons heu* 

- reusement choisies et tenant toutes à ia .cour. 
Le bâton dç Foëlnitis^ qui ce même jour de- 

. voit t ainsi quemoi^ souper chez le colonel 

. du Trou^el » avec le prince Henri , passa de 

bonne heure chez moi sous prétexte de m'o£- 

frir une place dans sa voiture , mais au fond , 

- pour .vérifier cette nouvelle. ... « Vous êtes 
. » bien mystérieux avec, vos amis , me.dit^ii^ 

» et bien indifiérent à la part quils priment 
y> à tout ce qui vous touche ! je vous, dirai 
» franchement qu en mon particulier , votte 
» discrétion m'ofi'ensev Comment , vdus qûit- 

• 3) tez Berlin ; vous suivez le roi à Fotzdam ; 

• )) et pour que je le $ache , il faut que des 
» étrangei^s viennent me lé dire ? En vérité ^ 
D cela n'est pas bien. ... . » J'eus beaucoup 

' de peine à lui faire entendre que c'étoit lui qui 
m en apprenoit la nouvelle : il ne pouvoit se 

^ le persuader. Il me répéta plusieurs fois que 
l'abbé Bastiàni, qui étoit venu le voir, lui en 
avoit parlé , comme d'utie chose absolument 
sûre , et dont le roi lui-même s'étqit expliqué 

' de la manière la phis précise. Ce ne fut 

qu'aprài 



Compositions Xtttér.ie Ffédéric. 339^ 

qa après bien des protestations de màipaft ,. 
qu'à la fin le baron me dît : « Eh bien-,< je 
» vous crois j mais c est une chose bien sini: 
» gû(ièr^) et à laquelle je ne oomptends ab-» 
» solument rien^ » 

4. 

Lorsque le prince H^nri arriva chez ma-^ 
dam*e du Troussel, il vint à. moi , et merdit :. 
ce Monsieur, j'ai sans doute un compiimen't: 
» de félîcitation à vous faire ; mais ce ne serâ> 
y> qu'en en faisant un de condoléance auxBer*^ 
}x linois. Nous vous perdons ^ et par surcroît: 
» de malheur^ vous serez peut être remplacé' 
» auprès de nous , par quelqu'un qui ne nous. 
» fera que mieux sentir que n,oûs vous auront 
7) perdu. » On lui avoit fait entetidre.que je 
prendrois la place de M. Je Gatt, qu'il n'ai-' 
moit pas. Lorsque je lui eus bienassuré que* 
jje ne sa vois absolument sur cette afi'aire ^ que 
ce que le baron, de Poëlnitz venoit de m'en 
s^pprendre d'après Fabbé Bastiani i il me ré-^ 
pondit : « Mais, c'est aussi cet abbé qui «'est 
» présenté chez moi , et qui m'a annoncé cette 
» nouvelle ! il ne m'a presque pas parlé d*au- 
yi tre chose ! Tant de zèle et de célérité à côl« 
)) porter ainsi la résolution que Von dit avoiir^ 
» été prise par mon frère! Oh ! il 7 a de l'ita- 
» Uanisme dans cette aâaire; et il pourroit 

I. Q 



itd Études^ VpinîonSy 

» fort bien arriver qae vous nous restassiez. sS 
Je passai la nuit dans de pénibles agita- 
tions , que î'avois cherché à cacher aux yeux 
des autres, mais qui ne ni'ea fourmentoient 
que plus cruellement. Le lendemain je me 
rendis de bon matin chez le prince Frédéric 
de Brunswick , qui , outre les bontés qu'il 
avoit toujours eues pour moi , avoit souvent 
déclaré et m'avoit prouvé qu il se constituoit 
héritier de Tamitié dont feu le prince Guil« 
làume son frère m'avoit honoré : je lui dis en 
entrant que cédant à la confiance qu^il me 
permettoit de lui témoigner , jeVenois le con- 
jurer de vouloir bien m'aider de ses conseils » 
dans une circonstance aussi délicate quim- 
portante. Je lui rendis compte de tout ce que 
favois appris la veille ; après quoi , je lui dis : 
« Vous m'avez assez vu , monseigneur, pour 
» me bien Connoître : vous savez que tonte 
» mon aibbition se réduit à pouvoir vivre 
» dans le sein de la bonne conscience , de Ta- 
» mitié , et d'une liberté franche , douce et 
f> tranquille. Etre attaché à la personne d'un 
n grand roi , n'ofiriroit à d'autre qu'une bril- 
9 kmfe perspective ; et moi je ne puis y voir 
» qu'un esclavage effrayant , qui pèsera ton* 
>> jours davantage sur tons les instans de ma 



CompositiôHê lÀt^r^âe FféÂéric . i ri 

» Vié/J^'fi'ai riéB «alît redouté que les ^ooa- 
» 'fideflM^èd' d'On sou^eraiD : eh bien , ^efai^a 
» l^féé les jours auprès du roi , ^ans avoir plus '- 
» ' ou titoins de ses secrelâ ? Or que j'en aye un 
» «seul^ c'eu est fait ; ta politique veut que je 
» dois* retemi et enchaîné jusqu-^ làinort : ^e 
» perdrai ^ans retour jusqu^aux eonsol^tloas 
» ai ftéoe^sairesde Tespéraiice. Qttim mot in- 
» dfîscret circule , et reviema^ au-t^oi^nia pro« 
» pre ooD^eience ne suffira paa* po^t ^e ras- 
>i éiire^ :; f aurai tpuji^ars it 'or^iï|dre-4d me 
» voir fioapçonné, Sflo^mnië^ <t pqnt^^tr^ 
» fHini: qu'en arrîvsiiit liupiiàa d4i.roiy'je le^ 
D t^ove soucieux^ réivéar,inqfQiet,^Cy ou 
)> ptus sérieuK qu'à Tordinairre ; je n'aiarai à- 
1^ remporter oheE nsioi que* des an^Âfaas*: 
» Non, monseigneur, 6tftti^ maoîère 4'e3Bis« 
^'ittr ne peut être faite poikr «noi': ce ;ll^ se^^. 
» roit pais Vivre ;de aeDMtmoiirîf « {Xanscettd. 
» position ne pourrois - y^ pas preodjne i'jan. 
» des deux partis qmae présentent à. oïdn és^ 
» prit? le premier /si !< roi me donne .leaiCp:'*. 
3) dres que Ton m'annonce ^ de Ini avioujèr ,^ à 
» la raSte des pkis vi& témoignages de ma «et . 
» cennoîssance , que )e aeax>is peu propire. à. 
» le servir ; que la connobaançe i|ue ^ ai ^9^ 
}> moi* même , me ^émoittr^e que mon aèU 

9 a 



2ii Études^ Opinions y 

7> seroit insuffisant; que la craintQ çe^iled^ tie 
» pas répondre a ses intentions mô donneroit 
» la mort ; que je Sens trop vivement Timpor- 
3> tance des devoirs sacrés que jaurois à reii^- 
y> plir f pour pouvoir espérer un seul instant 
» de calme et de tranquillité , etc. Vous 
» voy.e^ leî fond 4ê.raon discours, que je ter- 
» miaerois en le coujurant de me laisser, aux 
» fonctions quev. >*di eues jusqu'ici ; fonctions . 
» que je puis c^pérQri d© remplir avec d au- 
» tant plus dçjai^céè% j ..que j'y porte une ame 
31 Jihre, qui ,pa^ conséquent , conserve toute 
)}' sa force. L'autre». panti qne j'ii;nagine pou- 
» voir prendre irJexôit^J^ii écrire une lettre 
3> où mes motifset m'esfaMppii^tions seraient 
» exposés avefc encore plu^ de. réflexion et. 
»- de prudence,. Si; rrQtr,e. ^Itpsse séréuissime 
3> n'approuve ni- Tua niilautrq de. ces deux 
n moyens, quelle baigne m en indiquer un 
)^t qui me conduise aii même but : .far , ^ailer à . 
3> 'Fotzdam ., eat pour n^^i aller à tous les sup- 
» .plicés à'ia^fois et à lé tDort ! » 

« Mon cher. attii^^e répondit le prinpe,. je 
9)':suis. bien certain que cette yocation .qui 3P- 
» roit pour tant d!autr^s , le comble du bon- 
7i hêur , sera , si 'elle a lieu , un vrai malheur . 
»9»^our voua., Je^^onnois votre sensibilité :, 



» * 






Compositions Lîttet: de Frédéric. 213 

» elle ne vaut rien à la cour , et sur-tout au- 
» près d'un prinbe comme le roi. Si doue il 
» veut vous emmener àvec^lui , je vous plains 
3» bieh sincèrement. Mais en ce moment , )e 
yi vous dois avaat tout la vérité ; et la vérité 
'i> esï qiie si vous êtes appelé , vous ne pou- 
» véz* que vous sacrifier , et accepter avec au- 
» taritf d'empressement que de reconnois- 
» sancé. Votre discôtirs et votre lettre, avec 
')} qtiefque ;soin que vous les prépariez , n"^ 
» maiiquerôient pas de vous perdre à Tins- 
» tâîit et sans ressource.' En dépit des plus 
» grandes qualités , du plus beau génie , et 
)> de la philosophie la plus sublime, les rois 
» sont toujours rois ; et c est pour eux un 
-» principe antérieur à tous les autres , qu'ils 
» font une très-grande grâce et un très-grand 
» honneur à quelqu'un , quand ils lappellent 
» auprès d'eux ; et que s'y refuser , sous quel- 
» que forme et par quelque raison que ce 
» puisse étire', c'est toujours un acte de folie 
)i et utienionstrueuse ingratitude , en un mot 
, t une insolence odieuse et punissable. Ils n'e- 
V xaniinént pas si en vous appelant , ils vous 
1» sacritiènt ; ils se bornent à bien sentir qu» 
» votre premier devoir est de vous sacrifier, 
i> et de vous trouver encore trop heureuxs 



M 

U4 . JE tudes t Opinions , , 

» Le roi , mon oncla , entre nous soit ^ii^ i|,e 
y» fera point exception à la |:èçle (}]ae. j'établis : 
5> il ne sera ici que roi « et roi tout comme 
a> les autres : je vous garantis ce point ; c^ 
» je le connois trop bien pour conserver ^ qe 
» sujet le moindre douta. Ma conclusion, est 
)> que je suis très-fâché pour vous.* du soçt 
9 qui vous menace : s'il se réalise.» fe.vous 
3> plaindrai de tout mon coeur , et je fais bJQii 
» des vœux pour que. vous n'en ayez, que la 
*> peur ; mais touio33^-3 fermeïneut convaincu 
» que vous ne pouvez et ne devez.qu'a,tte^dr69 
3> sans rien dire à personne , vous souniettre 
i> aux événemens , et accepter avec reoon^ 
» noissance. » 

Je remerciai le prince , et ne rapportai 
chez moi qu'une profonde a£[lictioxL. Je fus 
très-souvent appelé au chàteaq durajpit; ce 
carnaval ; et « à chaque fois , je me rendois 
tristement à mon poste , en me disant : ce J^ 
i> vaià entendre ma sentence, » Jç me le dî- 
sois à tort; le roi oonversoît à son ordinaire « 
et ne me disoit pas un mot qui eût le n^oindre 
rapport à l'objet de mes crai^tes^ Ce ne fut 
qu'à la veille de son départ , en me souhaitant 
bonne santé jusqu'à l'année suivante., qu'il 
me dit : « J avois comme décidé de vous em« 



/ 
/ 



Compositiçns LUtér, de Urédérlc. 1 15 

» mener avec moi i la Ça de ce carnaval^ fet 
» de vous ÛT^er à Potzdam : vous m'y seriez 
» très-utile , en ce que »ous r^verrious ei3|- 
» semble mes divers écrits , et que vous m'^- 
s> deriez à les mettre d^ps Tordre 0t dans Yé^ 
9 t^t ou je.voôdrois les laisser. Je n'ai là-bas 
» personne qui puisse yous :|:eroplacer à cet 
» égard. D'ailleurs votre genre de travail me 
» convient • par la diligence , la franchise et 
a> la méthode que vous y i^ette^. Maia après 
» y avoir bien réfléchi ♦ i'ai pçnsé qu'à PotlB-» 
p dam vous ne seriez utile qu'à moi^ tandis. 
» qu'ici c'est le public que vo|is servez, : jai 
3> senti qu'il ne seroit pas }uste de vpu^ re- 
» tirer de ce dernier poste pour l'autre > Çt 
p que )e de vois me sacriQer au bien général*. 
2) Ainsi îe vous laisse i mon grand regret iidï 
p je ferai de mos écrits ee que je pourrai» » 

Je ne répondis que par une attitude et ^a 
mouvement de tête proprea à miarquer tpufc 
à la fois reconnoissance et soumissioiiN* J)|n« 
puis ce jour ^ il n'a plus été question de petta 
idée. 

L abbé fiastiani avoit deviné ^ste ; le roi 
n'avoit pas manqué de leur demander dt's 
nouvelles de Berlin, dès le lendemain et Je 
surlendemain de son arrivée dans cette capi-« 



âi6 . Études ^ Opinions^ ^ 

• talé*; et tous avôient eu soin de mettre ma Ri- 
tnre vocation à là t^te de leurs rapports; en 
y joignant lefe • oorAmentaires prémédités et 
iGonvenabléd. Frédéric les avoît écoutés d uu 
air assez iudâfôrënt en apparence ^ mais en se 
«réservant d'y penser plus àloisir } et Ton vient 
de voir à quoi ses réflexions lavbient conduit. 

' - L'on me demandera peut-être de qui j'ai sa 
- les dierniers laits que je viens de cîtei* : je ré- 

• ponds que je tes ♦ aï sus de M. du Troussel , 
-iiomme assez adrok en ce genre de recber- 

c^bes ; de madame soh épouse , la femme de la 
Co^t la plus habile et la plus active à décou- 
vrir ce qui pouvoît l'intéresser ou intéresser 
^es amis ; et du baron de Poëlnitz \ qui , depuis 
f)lus de soixanf e'aiis , avoît bien légitimement 
- acquis la réputation d'un véritable furet-, et de 
largus le plus fin de ce pays-là. Ne pourroîs-je 
pas encore cjtèr le prince Henri , qui , à la 

• première ehtrevuè , me dit; (r Eh bien! vous 
41 'nous restez- donc , monsieur? J'en suis fort 
^ aise : mais ne vous avois-je pas bien dit qu'il 
D y avoit de Fitalianisme dans cette affaire ? » 
Ce tiiol indiqué que ce prince savoit et sup- 

"^ pbsoît que je savois* aussi quelques détails , 

• dans lesquels il ne ctut pas nécessaire d'en- 
trer ; et certaiiiemet ces détails ne peuvent 



Compositions Lifter, de Frédéric, zxj 

être que ceux que l'on a vus plus haut. Pour 
moi , j'étois si content de rester tel que j'étois » 
que je neus pas.de peine à ne plus penser à 
cette aventure.^ que ponr me réjouir de son 
issue. Quelques-uns de mes eonfidens les plus 
secrets furent surpris de ce que je continuai 
à témoigner, dans la suite , les mêmes dispo<> 
sitions qu'auparavant à M. le Catt» Fun des 
héros de celte petite intrigue : je répondis 
que , si je lui en parlois , ce seroit pour le re- 
mercier de bien bon cœur. « Mais , me disoit- 
» on ^ il est bien certain qu il n'a eu d'autre 
» dessein que de vous nuire I » Ma réplique fut 
que, quand les hommes nous rendent ua^er- 
vice essentiel , il ne faut pas tan t s'arrêter à scru- 
ter leurs véritables intentions , sur lesquelles 
d'ailleurs il est si facile de se tromper. C'est 
en suivant ces principes , que non-seulement 
je n'ai jamais eu aucune sorte de rancune 
contre M. le Catt , mais que même aucun de 
ses parens n'a soupçonné que je fusse instruit 
de la part qu'il avoit eue au conciliabule tenu 
à Potzdam , et au plan qu'on y avoit formé. 

Je n'ai au surplus détaillé cette petite anec- 
docte, si peu intéressante en elle-même , que 
parce qu'on y. voit avec quelle adresse les 
courtisans épient et démêlent jusqu'aux plu« 



\ 



' Ii8 . Etudes^ Opinions^ 

; petits défauts da maître, et comment ils sa- 

, vent en profiter ; avec quelles précautions 
ils masquent leurs projets , et avec quel sue* 
ces ils parviennent à tromper les souverains, 

. même les plus clairvoyans et les plus at- 

: tentiË. 



Jeunesse de Frédèrve* xig 

I M m n II P I il) I ■ 1 1 II I ; I I î i. ■ ■ 1 i [ .• ■ • * ! ' ■ l . . \ Il ■ 

• • t • • • 

F R É D É R I G 



OANS S'A JEUNESSE. 



4 - » « 



, m t i ww ii>< 



• * 



E répète ici que ce n'est pas Thistoire <Jc 

Frédéric que je d^nqe y je ne présente que 

mes. souvenirs , ou., si Ton yeut^ leç anecdotes 

de sa vie qui m'ont paru le plus propres ^ le 

.peindre tel qu'il a été , et à le bien faire con- 

noitre. Je laisse donc. aux historiens à nous 

« ' • ' . . 

parler de ses gouverneurs ou instituteurs > et 
des études de sa jeunesse, et ne yeux m'ar- 
réter qu'aux traits singuliers», propres J^ le 
caractériser. Dans les article3 préçédens , je 
n'ai dit en général que des choses dont j'ai 
été le témoin , ou qai se sont passées de mon 
tejnps : souvent encore il en sera de même 
dans la suite de oet ouvrage. Mais ^ en ce mo« 
fnent , je vais rapporter des faits qui ont eu 
lieu avant mon arri vée à Berlin. Cependant, 
le lecteur ne dpit pas y avoir moins de cou-* 
fiance : je ne parle que d'après une yéritabla 
anthenticité publique^ ou d après des témoins 
bien instruits » et vraiment digues de foi. 



^•2io Jeunesse 

' ' Gniitaunie I." n'aimoît pas-sonirts atué..,. 
« Ce n'est , disqit-il , qu ui\ pçtit-maître et ua 
» bel- esprit français , qîiime^ gâtera toute ma 
» besogne. >; Ce monarque étoit beaucoup 
plus cohfeiît'des trois ïreres cadets de ce 
prince , savoir : Gnillaume-Auguste , Tenfant 
chéri du. père , Henri et Ferdinand. Frédéiçic 
éloit bien un peu cause des* préventions que 
i ofa âvbit contre lui: II. inënageojt très-péulés 

'préjugés de son père : il airadjt et cultivpit 
les aris'etles sciences j doiit Guillaume faîsoît 
8Î peu* dé cas'. D'ailleurs i il (étôî't à l'affïït dés 
nouvelles modes , et toujours lê'premîer à les 
adopter et' à les suivre : il se^ mêloît peu (iu 
service milîiàîrè ^ /qui semblait né Tui causer 
qiie de rentaui et du dégoût/ . ' "^ 

Le premier trait qui se présente à ma 
plume", est la manière barbare dont 'Guil- 
laume traita la fille d*un simple bourgeois de 
Potzdaîti , pouir avoir fait quelquefois de pe- 
tits conéerts avec le jeune Frédéric. Par mal- 
heur pot^rtctte fille i'ôrt lui* âVoit appris à 

' toucher dn clavecin , et quoiqu'elle ne tût pas 

'une bien grande musicienne, elle devehoit 
néanmoins une ressource précieuse pour ce 

' prince , qui àimoit passionnément la musique» 
et qui navoit à Fotzdam aucune autre per- 



de !B!rédéiîe. astir 

sonne qui pût raccQmf>àgo6£ik: ou, i]tttL pât: 
accompagner lai <* métne. Dh rèate ,' > qnoi*-'. 
qu'elle fut j:^ane>. oa.ne pôuvoit pas dire»; 
qu'elle fût; belle : ses traits étpieftt trop pro-., 
noiiçés , pout faire' craindre • qu'elle i&dpirét: 
de Uc passion ; ontre quelle étoit toujours 
SQUs les yeux de :ses parèns , >ehe2' qtii • elle' 
de«i«?uTQit. ]Viais,tputes, ces .considérations / 
qqi:^uxpie;Pt/$i]|ffî pour, tranquilliser leshom-. 
Tues réfléchis et ipodérés , ne: firent* aucune 
impressipa . sur lesprit de Guillaume. Ap«. 
prendre que son fils avoit passié ; depuis; quel- 
que temps , plusieurs. soirées avec cetle.fille , 
cefiitipour lui une pi'^euyè que ces jei(nes gêné 
é^o^ent amoureux Ppn de Tâutre, et; que les 
parens,de la fil|e,sp.pjr^tplen^ à Içur désordre : 
il en conclut que le musiquq né.tQit 9 ^Q. cette 
circonstance^ qu un prétexte, et qu'il. faUoiJi: 
recourir àdes ippye^;$,(|éeisi|ket\(iQl.ens> pour, 
rompre i}ne.liartspn:aiissi sf^nd^ljeuse, t!on- 
cevoir tme idée semblable^ et 1 exécuter , étoit, 
pouir ainsi dire ; une même chose chez* ce roi. 
digne de commander 'au centre derAfriquey 
ouaux extiémités de TAmér^que, Aiusi, sans 
faire aucune recherche ultérieure , san.s con- 
sulter personne , il fit pnlever, cette malheu- 
reuse , et la fît remet t|:e de stiite. ao; bourr 



12»^ . Jeuneise'S 

rèaa r* qni > ' conformément aux ordres qxà %i 
forent donnés , la fbtt«4la : pubKquemetit^^ ^n 
plein jour , -dam les divers quartiors de Potk'^^ 
dam ; Gmllàiime voulasit qu'une flétrissure 
aussi déshonorante , el infitgéei cî'une manière 
aussi solennelle, intt son fils dams ricopossi- 
bilité'd^ la revoir jamais • Lorsque 5 dans la 
suite , Frédéric 'est 4e^^nu roi , il s'est rap- 
pelé eette afireuse' aventure, il a donné une 
pension de ce«it'dDquaB4fe>reisdallers k eette 
infortunée^ (pu s'étoit mariée à un pauvre' 
voiturier de< 'Berlin. 

* Tout le 4itonde sait tpte Guitisume voulut 
faire périr ;son fils sur TéchleUkttd Mnaiié les^ 
détails^ de eette grande alB'aire «re sent pas 
également eomras ; et 'cTest ce qui me déteir^ 
mine à les do&»e^ ici avec ordre et fidélité. 
La mire dia jeun& Frédéric , 4rès*respects^ble ' 
d^ailleurs , étôitfort attadiée à la maison d'Ha- 
novre > à laquelle «elle apparleoioit par sa 
naissanee ; aussi a^oit^llè regardé comme un 
bonheus- pour elle , depàrtenir àfàire agréer 
à son épau3C et à ^bn 'fils , le préfet qu'eMe 
avoit oonçu de marier e^h<3i avec la prin- 
cesse d'Angleterre» Anne on Amélie, la 
même qui a depuis épousé le stathouder, 
et a été la mère du dernier stathoûder 



de Frédériûv 

qisf aient tn les Hollandais. Le prince a voit ^ 
vu cette jeune princesse dans uii voyage qu'il ' 
avoit £ii£ avec son père : on lui en procura* 
de plus le portrait , et dont il fut très-satisfait* ' 
Il fut autorisé à lui écrire , et trouva , dans 
les réponses qu'il en reçut , le charme et IVs- 
prit qu'il pouvoit désirer : en un mot , il de- 
vint amoureux de cette princesse , si jamaii 
Frédéric a pu être amoureux ! 

M. de Secken4oi:fi' , envoyé de Vienne à 
Berlin , bien instruit de toutes ces circons- 
tances , regarda ce projet de mariage comme 
devant être funeste à la maison d'Autriche , 
et se persuada qu'il rendroit un grand service 
à ses souverains y s'il parvenoit à le faire 
manquer. Four y réussir, il commença par se 
faire rendre un compte exact de tout ce qui 
m diroit ou se feroit à la cour de Londres ^ 
et qui seroit propre à déplaire à Guiltaume; ' 
Le ministre autrichien en Angleterre , servit 
parfaitement bien son confrère en diplomatie, 
et Seckendorff* ne manqua pas de faire adroî-r 
tement arriver jusqu'à Guiilaume tous les pro- 
pos de Georges , qui méprisoit sou cousin , 
en parloit avec peu de ménagement , et ne 
Fappeloit , pour l'ordinaire , que son cousin 
le caporal j ou le bas-officier de Polzdanu 



2i4 Jeunesse 

Gaillaume fut excessivement irrité des propos 
de son cousin ; sa colère alla si loin ^ qu il ne 
voulut plus entendre parler du mariage dé 
son fils avec la princesse anglaise , et défendit 
à la reine d y songer davantage. 

Cette reiue » toujours si tremblante devant 
son mari , ne put néanmoins prendre sur elle 
d'en suivre les ordres en cette occasion : elle 
gémit en secret avec son fils , et avec celle 
de ses filles , qui depuis fut landgrave de Ba- 
reith. Ce trio concerta les moyens de ménager 
cette alliance pour la suite : la correspon- 
dance continua donc entre les 4cux amans , 
mais avec des précautions infinies. Cepen- 
dant Guillaume vouloit que son fils se mariât 
avec quelqu'autre princesse , dont il lui lais-- 
. soit le choix. Tous les jours il le pressoit à cet 
égard , et lui donnoit les plus vives et les plus 
cruelles inquiétudes : à la fin « le danger pa- 
rut si imminent^ que Ion se détermina à un 
parti extrême. Il fut arrêté entre la mère, 
la sœur et le prince , que celui-ci se sauveroit 
en Angleterre , y épouseroit la princesse , et 
y resteroit jusqu'à ce que le père .fut appaisé, 
ou.mprt. 

J ai dit qu'on avoit pris les pins ^grandes . 
précautions pour tenir bien- secrète la cor-' 

respondance 



âe F ré diriez ^iT^ 

ïespondance ^vec UAiieleterre* En effet, les 
lettres' cTe LônHreS , expédiées par une mai- 
son 'de commerce de cette ville, passoient a 
Nureinbejrg, sonsLlViivèToppe d'un magistrat 
estime, et tôfl éloigné de se mêler dlntrigues 
politiques^ mais â qtii on av,oit persuadé quil 
sagissoit uniquement danaires particulières 
et dç coinmèrcè. Ce inàgistrat mettoi't a la 
Iposté le paquet 5 arrive sous son enVeloppe^^ 
et qiii éloît à fadresse d'un. négociant de Ber- 
lin ; qmuy trbùvoît quuné lettre cachetée, 
* adressée' à Tun ou à Vautre des deux aîdes- 
de-caVnp , amis et confidens du prince. Ces 
âéux derniers n'avt)ient encore qu'une, enve- 
loppé à lever , et remettoient enfin les lettres 
' incluses et capheiées , à leur véritable desti- 
' hafi6h..Les envois de feerlîn ^ Londres , sùi- 
' voient (exactement iirie marche inVerse t ainsi 
' le. ri^orbcîânt'de Berlin croyoit qu il ne s'agis- 
8011, que de quelques atlaires d intérêt que les 
' cavahei's cfu prince ayoient à discuter enï'ran* 
cotiiè, efqui.se ppursuivoieril d après les con- 
seils du magistrat de Nureimberg. Cependant 
" ce magistrat finit* parayôir de l'inquiétude* et 
c(ès scrupules : il né cdncevoit pas pourquoi 
' deux maisons de commerce prenoîent une 

jroule si détournée pour une correspondanba 

• > •. .•••« ,«' •• . • • ..♦•«••<* 



226 Jeunesse 

< 

légitime , qui souvent exige delà célérité. Les 
scrupules amenèrent des soupçons ^ de la 
crainte, et enfin l'infidélité. Le magistrat ou« 
vrit un paquet venant de Berlin ; et , par une 
fatalité singulière , ce paquet fut celui qui 
contenoitle prajét de la fujte^i et k$ mesures 
prises pour Te^Lécuter. II seroit diifficile de 
dire à quel point cet homme fut efirayé de se 
voir impliqué dans une afikire aussi grave : 
il crut n'avoir d'autre parti à prendre pour 
échapper au péril qui le menaçoit /que de 
renvoyer cette lettre au roi de Prusse , en lui 
faisant l'aveu de tout ce qui s'étoit passé entre 
lui et les deux maisons de commerce. 

Je ne dois pas laisser ignorer au lecteur, 
que la version que je viens de donner., est 
celle du baron dePoëlnitz , i'Homme de la cour 
qui devoii étire le mieux instruit à cet égard ; 
mais que néanmoins d'autres personnes m'ont 
assuré que c étoit le général de Grumbkow » 
qui avoît découvert cette intrigue , et qui ea 
avoit averti Guillaume ; à quoi on ajoutoit 
qu'à lavéneraent de Frédéric au trône, tout le 
monde s'étoit attendu à voir cet officier tom* 
ber dans une disgrâce éclatante ; et que l'on 
aVoit été extrêmement surpris de voir aiji con« 
traire que son nouveau souverain le comblât 



ûà Préâérîù. tij 

4e faveurs , le promût au grade de Feld-ma- 
réchal , et le nommât gouverneur de Berlin , 
Vengeance si conforme au génîe supérieur de 
ce roi , qu'il est difficile de n'y pas aperce- 
voir la preuve que cette seconde Version doit 
être vraie à quelques égards^ Il est possible 
que ce soit à M. Grumbkow et non à Guil- 
laume ^ que le magistrat ait tout découvert ; 
sur-tout si l'on suppose que ce dernier ait eu 
précédemment quelque liaison avec le général 
prussien^ 

Quoi qu^îl en soît , G uillaume garda le se- 
cret le plus pix)fond sur ce qu'on lui décou- 
vrit , et prît ses mesures pour faire arrêter 
son fils au moment même de son évasion ^ 
Tous les ans > le roi alloit à jours fixes visiter 
ses provinces , et passer ses troupes en revue. 
Dans son voyage en Westphalie , il couchoit 
nu soir 9 lui et sa suite, dans un village qui 
ii*étoit qu'à une petite lieue des frontières de 
Saxe* Là , le jeune prince , ainsi que les autres 
personnes de la suite , n'avoît pour y passer 
la nuit , qu'une grange et de la paille. Or » 
c étoit de ce village que Frédéric devoit s'é- 
chapper entre minuit, et une heure ^ sur un 
chariot venu de Saxe , et qui devoit se trouver 
à la même heure ^ près d'un arbre peu écarté , 

F a 



^it Jeunesse 

dans les cliamps. Comme dans ces occasîoni 
on partoit de grand matin ., on se couehoit de 
bonne heure ; et les fatigues du jour dpnnoient 
iieu d^espérer qu'à minuit tout le monde se- 
roît profondément endormi. Le prince sortit 
efi'ectivetneat de la grange , sans que personne 
parut s'éveiller ; les sentinelles même eurent 
lair de ne pas l'apercevoir ; et il arriva sans 
accident jusqu à Tarbre fatal ; mais il n'y 
trouva pas le chariot. Diverses patrouilles 
avoient arrêté et retardé le charretier de près 
d'une demi-heure ; et lorsqu'enfin il arriva , 
et au moment où le prince alloit monter sur 
le chariot , les mêmes patrouilles reparurent 
et l'arrêtèrent. Frédéric , en les voyant arri- 
ver de tous côtés, appuya sa tête sur sa maia 
contre l'arbre, et se laissa prendre et recon» 
duire au village sans proférer une seule pa- 
role ; le roi , qui étoit levé, se hâta d'écrire 
à Berlin , pour faire arrêter les deux confi- 
dens du prince qui y étoient restés , et pour 
faire mettre le scellé sur tous les papiers et 
autres eflets de ce dernier. Une chose éton- 
nante et dont on n'a jamais en le secret , c'est 
que la reine fut instruite de larrestation de 
son fils , plus de deux heures avant Tarrivéo 
du coarrier du roi j elle fit ce qu'elle put pour 



I 
/ 



iit Frédérî&. 2s^ 

ttiettre ce temps à profit soùs deux points da 
Tue: 1^. elle fit dire aux deux confideos do- 
se sauver f et z^. elle fit venir^ un ouvrier ,. 
qu'on n'a jamais coimu^ qui ouvrit^ la'oassette* 
du prince ^ et qui , après que la reme en eut 
retiré Les papiers qui aùrbient le plus irrité le- 
roi , la! referma si adroitemeiit^ que Guillaume- 
à son retour , hîeu qu-il se méfiàide tout > bq« 
put y apeiHîevoif lemoinckeindioed'une ten- 
tative semblable.: C'est ainsi que ron.m'a.conté 
ce fait particulier ; inais. je- vIdîs dans ce v^oit 
quelcpie chose de si obsscui? ,. ou de si mer^ 
veilleux-^rque j'ai bien de ]a.péine à l'admettre. 
J-aime mieux croire que la reine Dorothée 
avoit une seconde clef de la cassette de son^ 
fik ) et qu'elle se hâta d'eu faire usage. Ce 
qu'il y a de bien, certain y. c'est qu'elle retira 
surtout de kl eassette^lacorcéspôndance quL 
avoit suivi les défenses du roi; ce qui formai 
un cahier asaez.épais de lettres, qui sont res* 
tées entre les mains de oette reine tant qu!eUe 
a vécu, Lorsqu'eu 1757 * elle se- vit ptès deia 
< mort y ellçb les. enveloppa dans de grandes. 
: ibuiHes de p^pifr, scellées de scwv cachet , eu 
cire noir^e ,. à tous, les points .où ces.feuilles se- 
rejoigp oient , y mit l'adresse de son fils > et 
«Qufia Qe piécieux paquet à. une. përsonna^ 



«3^ ^àunesèe 

sûre, sous la promesse de \e jprësénter m roi» 
dès que celai-oi seroit revenu dans ses. états. 
En 2763 » Frédéric en rentrant dans le château 
de Berlin , passa dans une petite tourelle qui 
ibrnie un cabinet avancé du côté de Faneienne 
place , à Tangte qui donne sur le grand pont ; 
ce iu^ à rînstant au ce roi jetoit de là les yeux 
sur sa capitale^ qu on exécuta les ordres de son 
auguste mère^ Il savoit sans doute ce que ce 
paquet contenoit ^ car îln y arrêta: pas aiénie 
ses regards ; il se contenta d^ordonner de le 
déposer sur la petite table qui étoit dans ce 

. cabinet » et c'est Ip. quil la laissé durant tout lo 
reste de son r^ne ^sansie déplacer ni l'ouvrir. 
Je l'y ai encore vu dans le même état en 1784 > 
lorsq^ j^ai quitté Berlin^ 

Je reviens aux deux malkeureux confidens 

«de Frédéric. Iac premier » nommé M. deKettii> 

. partit à Tinstant et éehappa ; il a erré en diP- 
férens pays » et a » dit- an ♦ terminé sa carrière 
en Portugal , presque ignoré et très-peu for-- 

: tuné^ Mais voici une nouveUe preuve de Im- 
certitude et de lobscurité que la discrétion et 
le silence peuvent répandre en moins dun 
demi * siècle ^ sur les &îts les plus k la portée 
de tout le monde. J ai trouvé des personnes 
^ m'ont soutenu qu'à la mort de Guillaume » 



ie Frêctéti&. TQf 

ee M. de Keîth étoit revenu en Prusse ; que 
Frédéric tavoît nommé écuyér et li^utena^t* 
général; qa*îi loi avoit fait épouser mie riche 
demoiselle' de Itnyp-Hausen 9 à laquelle il a 
accordé une pension âe x5c>o reisdaHers ^ 
Iorsqu*èllà a ét^ veuve. Peut-être le dernier 
M. de Kelth qui a eu la charge d'éciiyer , et 
dont Tai connu le Sis i étoit -^ Û Le frère da 
fugilif. 

L^autre confident , nommé M. le baron de 
Catt, voulut faire ses adieux avant de partir ^, 
et prendre quelc^es arrangemens^ pour le 
temps de sou absence ; il perdit plus de deux 
Leures à ces détails. Les ordres du rot arri« 
vèrent , et il £ut arrêté. Guillaume r^unena soa> 
fils prisonnier d*£tat, et le fit garder dans le 
palcds du prince- de Prusse^^ tandis que M. de^ 
Catt étoit dans les cachots» On leva les sceilési. 
en présenee du roi^ qui fit constater tous lesi^ 
écrits contenus dans^ la cassette et ailleurs^ 
Divers indices convain^irent ce monarque ^ 
f ae Taînée de ses fiUes^ avoit eu quelque parft 
dans le projet d-é vasion ; et elle en fut punies 
par des coups^ de canne de sou père , et de- 
grands eoups de pied qui allpient la précipiter* 
par la fenêtre sur le pavé , si la mère no- 
liavoit retenue par ses jupes* 



•vr*r 



« m 



i^a[ ' Jeunesse 

druillaume résolut ,âë Faire pçrîr son fils auii». 
leçnaïaiid. « 11 ne serpU laïuaiç quun. man- 
» y^i$ suiet , disoit-il; et lai. troi^ autrea 

» garçons qui Vaudront mreux que lui. » Vje- 

^c '^. ;, ...f or;".r.;:rî '^ svfj" *^jM :m.^ r.-î 
lat.dan^ c^s disposerons, quU .(^rdoijna a ses.. 

ministres d'^^fât de faire ïe procès à œjçuiipj! 

prince., Cet brÂrç inît If.s ministres dans ua 

embarras extrême ; ils' iie sàvoîeiit commenj^ 

ils pourrojent sauver Hiérîtier du trô.nei liV» 

d'eux , M. deTodewilts ,'si je nç më trompe ^ 



'♦ ■ / i' » 



•■ tii«»» «f 



trouva du moins un prétexte pour rie paS; 
être juge en cette aff,àîré ; il irçprésenta à' sai 






majesté, que te prince e toit militaire ; que ^ 

sous ce rapport , ,^o^ crime étpi^ bien plus^ 

grave, et qu'eri^conséquencQ ce iieyait êtro. 

aux généraux' à le juger ^h un cdr\seîr de 

guerre ; d'autant j^liis qu^alôrs TErapire n aur.' 

roit point le droit d y intervenir ,1ps lois da 

ITEmpîre ne s étendant point jusques sur la^ 

discipline des armées. Guillaume n'ayant rîei^. 

à répondre à ces raisons , ijiaîs irrité de .jreii-r 

contrer des obstacles ^ et squpçonriant sca; 

ministres de n,e chercher que des défaites , 

leur dit qtlHls étoient des canaittes ; qu'ilj 

vôyoit bien leur projet ; mais que soii fils n'en 

seroit pas moins condamné , et qu ît trou-^ 

yeroit sans peiné des officiers pTus aîtacU^s^ ' 



"Qé Vfédértô. i^ 

^^enx aux vrais prîncîpeaitlu gouvernement/ 
P nomma donc uù tDofaseil de guerre, com- 
jiôsé d'un cfertàîtf ùômlAe de généraux , qui- 
«âsseftiWèrent soUS la présidence du prince' 
d'iAnhalt - Dèssàu , connu sous le nom' de- 
â^^hHàlt'leS'JUfoustcbcîies ^emême dont il est 
sôiivent question dans- les guerjtès de Fî-é?' 
dériô , et qui, ^enu iau secours de Turin j ea- 
i7;^3 , à la ïêfè'de six mille Pjruàsîéâ^^fit levôr^ 
le siège de celte ]f)là'ce aux Français^ Le' procès * 
de^Pfëdéric fot înstruk devant ce oonseil dQ» 
guerre , qui n'eut pas à s en bocuper ièng-^ 
tiemps t car laccusé ^ bu convenant qu'il avoit 
voulu voyager J déclara' qu'il n'ayoii éti' 
d'autre objet* èfa- viië que - dé * sîn^truîré , et 
persista daiis cette^ dédaratîbn'v à laquelle il 
réduisît toute sa défënfee. Comme oh ne put 
aéquérîr de preuves lé^alèS'd*aueuH tait plus 
grave ; et que raênde les juges n*en cherchèrent 
pus-, il leur eût été difficile de le condamner 
à mort saué se rendre aussi odieux , que 
coupables ; mais leur redoutable président, 
homme d'aîMeui^très-respeoté'> voulut eiiçoro^ 
abréger là procédure , ea dédaignaaitd^entrer; 
dans aucune discussion : quand il jugea pou»^ 
vëir prononcer la seulenee ,« ii se; leva ; efr> 
$as$ s'ariétèirà irecueillir ksvoix s il^ dédaipii 



:934 Jetûufsse 

qae^ pour lui , en son honneur^ei en sa eon-f 
edence^ il apinoil que le prîaoe accusé ne méri', 
tpit point la mort, etqaenulcTentr eux navoit 
le droit de le condamner j puis tirait son grand 
sabre , il jura qulL abattroil les oreilles jdequi<^ 
çpnque.ne diroit pas comme igi. Ge fut ainsi, 
qu'il recueillit, les vpîx ♦ et que le prince fut 
absous d'un accord unanime* Guillaume » 
fijrieux. de cette décision^ substitua un autre; 
cpnseîl de guerre aa premier , et n'y plaça 
que des hommes dociles et timides ^ qui n& 
consultassent que sa vobnté» 
. Four le coup « M. dp Seckendorff vît bien 
que le prince .périroit si I'ihi ne venoit à soa 
secours ; et il se persuada ^.qu'aprèa. avoir 
rendu un premier service à la maison d'Au-^ 
triche , en détournant une alliance dange--* 
reuse , il lui en rondroit u^ second, non moina 
^nportant > si , au nom de cette maison , il 
sauvoit le iutur roi de Prusse t et l'attachoit 
à ses maîtres par rafiêction et la reconnois- 
sance. Pour remplir ce second objet , il prit^ 
sur lui de supposer d£|s ondrea qu^il n'avoik 
plus le temps d'attendre » et d^raafuia ^ au nom^ 
et de la part de l'empereur , une audience paxw 
tjeulière , que Guillaume n'osa lui refuser. Là ^ 
il annonça » au nom du chef de l'Empire^ qum 



^â Frédéric. f 35 

e'étoit à l'Empire même que le prince Frédéric 
appartenoit ; et en conséquence îl requît le 
maintien des droits et des lois du corps ger- 
manique ; il remontra que c^étoità ce corps, 
que sa majesté devoit remettre Faccusé et les 
pièces du procès ; il déclara enfin que la per- 
sonne de son altesse royale,'le prince Frédéric, 
héritier du trône de Prusse , étoit sous la 
sauve* garde de l'Empire germanique. Ce coup 
fut terrible pour Guillaume; il n'osa pas ofien- 
ser tous les Etats de TEmpire à' la fois , et 
s'attirejT une guerre dangereuse. Il fut donc 
: obligé de céder , malgré sa fougue et son peu 
de flexibilité. l>e prince «ut la vie sauvé; 
mats son père ne le retînt pas moins prison- 
nier d'état pour un tempe illimité. On tavoit 
déjà précédemment dépouillé de son uniforme, 
et revêtu d'un habit grisâtre ^ tel que le portent 
les conseillers de guerre. Cest sons cet habit 
qu'il fut conduit à la forteresse de Custrin, ea 
-Poiriéranie , où le malheureux de Càtt fut aiisfei 
mené, mais à pied , n'ayant qu^un simple sar- 
rau de soldat y et les mains garrotée^ derrière 
le dos. Ge dernier appartenoit à une famille 
nombreuse , puissante et très- considérée à la 
cour. Il étoit fils unique du feld* maréchal de 
ee nom» Toute cette famille, vint à plusieurs 



i^ Jeunesie^ 

: reprises , et toute fbndante.en larràési se jetoif' 
aux geuopx duroi, demandant' grâce pour 

.fiQijeiïiie homme auquel toute la ville et toute 

, la cour preooieut lephig* "vif intérêt. La déso^ 
latîon étoit géneraie , et Guillaume fut inexo- 
rable* Les juges ue l'ayant condamné qu a une- 

^délentjoa quisansi doute n'auroit duré que 

. |usqa'à la mort de ce monarque i celui*- d. cassa 
leur s^entence ^ et y en substitua une autre aussi 

- cruelle, qu'il lui fut possible ;jt savouramênie 
le plaisir de l'écrire de sa main royale. Ce fut 
en conséquence de cet arrêta que le jeune de 
Catt tut déclaré déobu de tous titres, ilriilitaires. 
et autres j. et qtCil fat dégradé et décapité sous. 

,les yeux du prince powr lequel il mouroit. Ovl, 

. dressa ^ pour li^l , un éqha&ud dans la sour- 
de la forteresse « . d^vanl Fappar tement da> 

. Frédéric ^ et au niveau de sa fenêtre ^ On força: 
le prince de $e tenir à cette £enétre ^ afin d^ 
lui faire en^ quelque aorte et autant qu'on le* 
pou voit, partager le supplice d^son^ ami.. Pèa> 

. que ce deruier par^ sùç l'^chafàud , Frédéric,^ 
saisi de d^iileur et d'efiroi • s'écria d une voicic 
déchirante xmo^ ami / et tx>inba sans connoia- 

. s^Tice sur Je fauteuil^ qu ott avoit avancé poujr- 
lui faire voir le supplice.^ On fut long - temps, 
4 pouvoir 1© rappeler à lui-même 3, et ce ivck 

« 



àe Priàénô. a^»^ 

fiit que pour verser sur son ami les larmes 
abondantes de la plus amère douleur^ quil 
rouvrit efafin les yeux. 

Les regtets que lui causa celte mort furent 
long-letnps sa principale ou unique occupa«^ 
tion dans sa prison^ où d'ailleurs il Fut asseas 
maltraité , suf-tôut dans les commencemens. 
Le commandant de la forteresse lui apportoii 
lui-même son diner et son souper , ausâi peu 
somptueux que les repas de la famille bour^ 
geoise la plus économique. A neuf heures du 
soir , le même commandant venoit lui éteindre 
et enlever sa chandelle ; car il avoit défense 
d% lui donner de la bougie. Peu à peu néan- 
moins on adoucit son sort. La supercherie 
qui se glisse par-tout , soit par intérêt , soit 
par des motifs plus nobles , fit qu en lui ôtant 
sa chandelle , on tarda peu à lui en donner 
deux autres : de plus , et par une autre înfi^ 
délité plus grave , on lui permit d'aller à pied, 
par un sentier détourné « mais le soir et bien 
incognito ^ passer les soirées au château de 
Tarasel , qui est à un petit raille de Custrin, 
«t qui y tient par une allée superbe. Ce château 
appartenoit à l'une des plus anciennes familles 
4u pays , à la famille des barons de Wréch. 
%àk vivoient habituellement le père , la mère , 



238 J'èundSêâ 

trois fils et quatre filles , ces sept enfans encore 
jeunes. J'ai connu deux des fils , Paîné qu'on 
appeloit le gros fVréch , maréchal de cour 
du prince Henri , galant homme , mais fort 
insouciant ; et Louis Wréch , chambellan et 
premier gentilhomme du même prince , le 
plus parfait modèle des courtisans que j'aiei 
vus ; le troisième est mort jeune , et ne m'a 
point été connu. J ai également laissé à Berlin 
trois sœurs de cette même famille^ lune ma« 
riée à M. de Marchai , dame d'honneur de la 
princesse Henri ; «ne autre veuve d'un comte 
d'Œnkofif , et remariée au grand baron àp 
Knyp-Hausen ; et la troisième contrefaite et 
restée fille. La quatrième avoit été mariée à 
un M. le Baron do Schack , et étoit morte 
yeune , laissant un fils qui a été mon élève 
pendant deux ans , et ensuite officier dans le 
corps des gendarmes. 

C'est de ces Wréch , père, mère , et enfans^ 
que Frédéric reçut le plus de secours et 
d'adoucissemens durant sa détention. La né- 
cessité de se faire quelques occupations , le 
jeta d'abord dans l'étude de la musique ; c'est 
ripoque de sa vie , où il a donné le plus de 
temps à cet art consolateur , et il trouvoît à 
Tamsel tout ce qui lui manquoit à cet égard : 



de Frédéric^ j^g 

on y^faisoit pres^ae tous les soirs un concert^ 
où quelques - unes de ces demoise|}es , et la 
plus, jeune sur -tout , montroient assez d'ha- 
bileté pçur exciter son émulation . Cette même 
maison le fournit 4e. livres , dp bougies ^ et 
anéme d'argent ; car quoique la famille fût 
nombreuse , et que Féducalion de tant d en- 
fans dût coûter beaucoup , on sut néanmoins 
se gêner assez pour que ce prince y trouvât 
^e qu'il desiroit ^ sans qu'il pût se douter du 
moindre embarras. Les prêts successifs qu on 
lui fit , montoient à Tépoque de son rappel , 
à plus de six mille reisdallers , que Ton m'a 
assuré n'avoir jamais été remboursés. 

Mais quand ipême Frédéric auroit payé 
cette dette , il seroit encore vrai de dire que 
les Wréch i^'ont pas eu à se louer des services 
qu'ils lui ont rendus : en efi'et , leur famille a 
été publiquement connue comme étant du 
nombre de celles qui, durant tout son règne» 
ont paru être dans une sorte de disgrâce : 
jamais il ne les a accueillisâl ne leur a accordé 
aucune, faveur , non plus qu aux parens de 
Paimable et malheureux de Catt : la cour du 
prince Henri est la seule où ils aient été em« 
ployés : tout ce qu'ils ont pu obtenir du roi , 
«,été de n'en pas être persécutés. Le^ âmes 



jz^à ^ Jeunesse 

honnêtes et sensibles sont natarellement et 

/dabord oflFenséès, je dbîs en convenir , de 

*ces Sortïîs de traits tmi semblent Jretracfei' la 

physionomie d'une véritable in'gratîtade : inàls 

on oublie"^ que Trédérîc devenu roî nlaplds 

Voulu calculer et agir iqu'en roî : il a pbèé 

'pour principe , au il devoît tout sacrifier auîc 

intérêts du corps social ; que tout ce qai sM^ 

càrtoit de cet intérêt , dêvoit être répudié et 

proscrit par l'autorité souveraine : bt , ^evtx. 

qui avoïent servi lé prince royal , ne pôti- 

Voient , d'après ce principe , qu'être suspects 

à ses. yeux : aussi a-t-on toujours obsei^é 

* qu'il a éloigné de lui , ceux qui montroFiefnt 
*tin attachement bien marqué jpour ses frères, 

ou autres personnes de sa famille , quoique 
d^aillèurs ilfïit lui-même si attentif à rempBr 
' tous les devoirs d'un bon patent. Louis XII 
diisoit qu'il étôit au dessous d'un roi deFranèe 
de venger lés querelles d*un duc d'Orléans ; 
Frédéric peijsoît qu'un roi doit avoir soîn 

* d'efîrayer ceux qui se dévouent ^ Jaùtrès 
qu'à lui'; et sur-tout [ceux qui ise dé Vouent i à 
son héritier ou à ses prochw, quand ce dé- 
vouement peut éloigner de ce que Ton doit 

" au chef de l'Etat. Quelques personnes ; pour 
■justifier encore plus sensiblement 'Frédiérrè , 

- : ctat 



^ » » * • V - 



de Frédéric. â4^ 

ont préfenda ou présumé que dans la famitla 
^es Wréch , les jeunes geîis cherchant à lui 
plaire et à le plaindre , lui ont fort mal parlé 
de son père 5 et même lui ont suggéré des 
idées de vengeance , et que lui n'a pu s'em- 
p^çher de les regarder comme plus dangereux 
et plus intrigans que fidèles. Cette inculpation 
ne m'a paru pouvoir être méritée que par ht 
demoiselle qui est restée fille , et que le public 
a généralement accusée d'avoir autant d ai- 
greur et de méchanceté dans le caractère, que 
d'eaprit et de talens ; réputation & laquelle il 
faut attribuer > bien plus qu'au défaut de la 
taille , le surnom de Fée CaràBosse qu'on lui 
donnoit à la cour. 

J'observerai de plus qu'en Prusse il y ^ une 
loi très-importante, qui, par une accolade sin- 
gulière^ détend de prêter aucune somme aux 
princes de la famille royale et aux comédiens > 
et déclare nulles les dettes que les uns et les ^ 
autres contractoient : or, on sait combien 
Frédéric croyoit devoir maintenir les lois qui 
tendent à gêner les princes dans leurs dépenses : 
aussi remarquent- on qu'il a très-fidèlement 
payé étant devenu roi, tout ce qu'il se trou voit 
devoir à des étrangers , tandis qu'il sacquih 
toitsi mal du même devoir envers ses sujets^ 
1. \ Q 



44* . Jeunesse 

. Goillaume ne s'étoit pas borné à \oi &ir» 
prendi'e Vhabit d'un conseiller de guerre ; 3 
4Voit ordonné qu'où lui en fît faire les fbuc* 
lions ; et ce fut encore mie 4^ ses occupationsg> 
sur-tout dans tes dénier? temps de sa prison» 
U y avoit plus d'un an qu'il y étoit , lorsque 
la duchesse de Brunsrvfîx^k sa sœur^ vint voir 
ses parens. Cette visite donna Ueui 4 des fât^ 
auxquelles la reine Poroth^e étjoit désolée de^ 
né pas voir son fib. Kafflictîoa de la mère ^k 
aussi les supplications de la fille produisirent 
un efiet plus faeureux qtt oq ne s'y attendoît :, 
Guillaume , sans en rien dire ^ personne t fit 
ramener son fils , et le fit placer avec son habit 
grisâtre , derrière le fauteuil de la reine qui 
étoit au jeu. On asaure qu^'il n'y a pas eu do 
scène plus louchante » que celle dont la coût 
lut témoin à l'instant oh cette mère « venant 
i tourner la fête , aperçut son fils. 

Le mariage de Frédéric suivit de près son 
rappel ; et ce fut encore sa sœur , ta duchesse 
de Brunswick , qui , à force de raisons , da 
douceur et de prières , parvint enfin à per* 
suader à son frère de donner cette satisfiaio» 
tion à leur père. Il épousa Elisabeth-Cliris* 
fine « fille du duc Ferdinand Albert de Bruns* 
ivick Wolfenbuttel » Agée de dix-sept ana et 



de'Vréâériù. ^43' 

deltoî , princesse qui , belle alors , et toujours 
bonne , quoique sujette à des niouvémens dd 
vivacité , a été le modèle des reines , et a sur- 
vécu dé plusieurs années à soil mari. Ce 
xÈftriage parut avoilr un peu raccoinmodé 
Frédéric avec son père , quoique Ton puisse * 
cBre qulls ont toujours été assez froidemejoit 
etoemble : le père ne pouvoit s'accoutumer à 
Tesprît trop vif de ce fils , non plus qu'à son 
godt si décidé pour ted sciences , les arts et la 
mtisiqae : il étoit encore plus révolté dès soins 
^e c/b fils donnoit à sa parure : d ailleurs 
oeltti-eî sembtort ne pas aimer le militaire ; il 
eti détestoit rùnîfbrme , qu il ne portoit que d« 
îbttt , et autant qu'il avoit à paroître devant \% 
roi. A neuf heures du soir |^ il se hàtoit de 
Hâte sa véritable toilette, la plus élégante 
qnlt lui fut possible, et de mettre les habits 
les plus à la mode. A Rheinsberg , où rien 
ne le génoit à cet égard , il étoit en petit- 
maître dès le matin et pour toute la jouriiée : 
car , après son mariage , le roi lui avdit donno 
<5e chéteau de Rheinsberg , que lui-mênie én- 
s«iite a donné au prince Henri son frère , et 
où Ton conçoit que comme prince de Prusse , 
il vivoit le plus qu'il pouvoit , vu que ç'étoit 
te «eid endroit où il fût libre. Personne n© 

Q a 



/ 



244 Jeunesse 

doùtoit alors qu'il ne dût être un jour le sou- 
yerain de l'Europe le plus aimable , le plua 
magnifique, et le plus adonné au plaisir. Ce- 
pendant , ceux qui Fentouroient de plus prés, 
auroient pu le juger autrement , par une 
circonstance singulière et bien frappante; 
savoir /que ce prince ne paroissoit janiais hora 
de son appartement « et n y recevoit personne 
avant midi: on savoit néanmoins qu*il se levoit 
de bon matin : que faisoit il seul avec lui-même, 
pendant au moins six ou sept heures de suite ? 
C'est ce qu'on ne devinoit point , et sur quoi 
il n'avoit aucun confident. On a vu dans la 
suite , que c'étoient ces mêmes heures qu'il 
avoit consacrées à des études suivies » et à ses 
correspondances avec Rollin , d'Argens ^ 

Voltaire, Wolff, et tant d'autres : on l'a va 

» 

bien des années après ; personne n'a pu l'ima- 
giner dans le temps. 

Une heureuse aventure parut pour un mor 
ment le mettre en grande faveur auprès de 
son père. Celui-ci toujours inquiet sur ce que 
son fils faisoit à Rheinsberg; part un jour de 
grand matin de Potzdam , sans avoir prévenu 
personne de son voyage : il va droit à llup- , 
pin où le prince avoit son régiment , et se pro- 
pose de se rendre de \k pour le dîner à JElheioa-. 



de Frédéric. 245 

berg , qai en est éloigné de deux milles d^AUe- 
magne^ et où il compte surprendre son fils» 
et voir ainsi par ses propres yeux , ce qu'il 
y fait. II arrive de fort bonne heure aux portes 
de Ruppin , et y trouve son fils qui exerce lui- 
même son régiment. La surprise du père fut 
extrême , et sa satisfaction plus grande en- 
core : il commença à soupçonner que le 
prince vaudroit mieux qail ne Tavoit cru. On 
a prétendu à cette époque , que Frédéric avoit 
été averti de grand matin du voyage de son 
père ; et il faut convenir que cela est d'une 
vraisemblance d^autant plus grande , qu'on 
ne pourroit guères concevoir l'aventure au- 
trement. 

. J'ajouterai ici deux choses qui m'ont été 
bien assurées : Tune , que Guillaume » malgré 

. ses originalités si extraordinaires , n etoit pas 
sans ambition : il avoit voulu v dit«-on , faire 
son aîné empereur , et son second fils roi de 

. Prusse : mais quoiqu'il aimât ce dernier beau- 
coup plus que l'autre , et que cette prédilec- 
tion entrât sans doute dans les motifs secrets 
qui l'attachoient à ce projet, il ne tint pas 

. long-temps à une idée qui ne pouvoit se pré- 
senter à lui^ qu entourée d'obstables insur- 
montables. 



94^ Jeunesse 

Là seconde anecdote qae j*aye ici & faire 
,coDnoître, c'est qu'on prétend que Frédéric 
consentant enfin à épouser la princesse de 
Brunswick , avoit déclaré qu'il ne la visrroit 
jamais comme sa.&mme. On a conclu de cette 
résolution vraie ou supposée , que la nature 
.ne TaVQit pas traité de manière à avoir beau- 
coup de mérite à la suivre : cependant la 
reine soik épMise à toujours soutenu avoir eu 
tine fausse t/ouche; et si les dames de la cour 
sourioient malignement et en incrédules , sur 
ce que cett0 bonne reine leur disoit k cet 
égard j il nVn est pas moin& certain que ¥ré-» 
dérîc , avant d'être roi ^ a eu des maîtresses 
à Ruppin. Sa continence envers son épouse 
doit donc être attribuée à d autres causes. 
C'est peut-iétre pour cela , qu*on lui, a sup-* 
posé des goûts renouvelés des Grecs ou des 
Italiens : je ne m'arrêterai sur ce point dé« 
sagréable , mal sonnant , et fort délicats à 
traiter lorsqu on a dn respect pour les mesura ; 
je ne m'arrêterai , dis-je , sur cette accusation 
qui ne s est pas bornée à Frédéric , et qui a[ 
également embrassé un autre héros de sa fii- 
mille « qu'autant qu il le faut poqr rendre à 
la vérité , le témoignage pur et sincère que 
nous lui devons tous. On se persuadera sana 



dfe Fridirie. %^j 

peine, que j'ai fait à ce sujet , les perquisi- 
tions que rhollAêteté et la prudence pou- 
Tûient tne peltoettre. J*ai interrogé autant 
que je l'ai pu , les sages , et même les hommes 
les plus enclins à totit dire : or^ personne, 
àbaoluttiént personne fie m'a donné sur ce 
pbint la preuve d'iaucun fait : personne mêm^ 
^e m'eiî a positivement affirmé aucun : tout 
le monde \ en y Comprenant le dangereux ba- 
ron de i^ocftnitz lui-inêtile, na eu à m'allé^ 
guer que des oTidSÊ/, des propos , des coiijec* 
tureS , (Ml â peine quelques prétendues pro- 
babilités. Si Quelques-uns de ces plus beaux 
bomtfaès ont en dans leurs chambres , uti 
ameublement uii peu propre eu indienne » 
doit-on en être si émerveillé , lorsqu'on songe 
à la haute paye qu'ils recèyoient si régulière- 
ment ? Est-ce doiié sur de semblables cir- 
constances , que Ton peut appuyer des accii*- 
Éations si graves , lorsqu'on manque de toute 
autre preuve ? Ce que je puis attester , ce qde 
l'atteistë bien loyalement , c'est que de mon 
temps I aucune Sorte d'apparence n'a pu fon- 
der de' àemblàbles idées ; on me dira peut- 
être qu'alors Frédéric avoit plus de cinquante 
ans , et que la guerre de sept ans avoit dû 
^ produire de grandes révolutions cher lui« 



•248 Jeunesse 

Mais les ancieniies habitudes laissçot encore 
.^près elles ^ quand. même on les a quittées^ 
^biqn des iraoes propres à en .rappeler le sou- 
.veiiir à ceux qui aiment à .observer; et 
.certes personne n'a découvert de traces pa- 
:2:eiUes. JVi dit.ai^eurs que dans ^s momena 
;<^e gaîté , il avoit quelquefois un langage fort 
Jib^e : mais ce lan^agçinêmepe prouve nuUe- 
.ment un goût qqe la nature répro.uye. Farce 
qu'un homme e$t grand homlue, fbut-il ad* 
.mettre sur son compte^ , dés inculpations 
odieuses^ qui ^dénuées de preuves ^ ne dé- 
cèlent qu^e, la bassesse et la méchanceté de 
ceux qui les imaginent , et \a légèreté et riu"* 
conséquence, de ceux qvii les,répètent ? Si nous 
sommes amis de la vérité , gémissons sur les 
foiblesses ou les travers des graqds hommes., 
sans toutefois leur ep faire grâce ; mais n^ les 
calomnions pas. ; > . 

On voit bien évidemment par toute la suite 
de mon ouvrage , que je ne songe nullement 
.à déguiser pu afibiblir les reproches que Ton 
. peut faire à Frédéric , mon dessin se bornant 
. à le peindre tel qu'il a été : mais c'est aussi 
.par la mêipae raison^ que )e me garderai 
, également de grossir ^ses défauts , ou de lui 
en supposer qu'il n'ait pas eus. Ce roi est du 



de Frédéric. ' 249 

-petit nombre de ceux chez qui toute l'activité 
de lame a concentré en quiélque sorte, les 

forces physique et morale dans la tête ; ce 

'qui ne peut que neutraliser ou annuler les 
passions qui sont étrangères^ aux nobles et 
grandes conceptions de Fhonmie. 

' C'est ainsi que j'cxpliquerois comment ce 

.grand homme n'a vu tout au plus qu'un sujet 
dé plaisanterie , dans des choses qui subju- 
guent si iniptrieùsement la foule des autres 
hommes. Jl s^est moqué de toutes les pas- 
sions * qu'il n'avoit pas , parce qu'il s'est ré- 
servé tout entier et constamment à celles 

' qu'il a cru lui convenir : jeune ^ il n'a eu que 
l'avidité des connoissances ; dans la force de 
l'àge^ il n'a consulté que la gloire; et à me- 

' sure qu'il s'est approché de la vieillesse , il 
ia'a cherché qu'à réparer le mal qu'il décou- 

- vroit , et qu'à faire ou consolider ce quHl 

' croyôit être un bien. Telles ont été les phases 
successives dé son ambition , le seul astre 
dont il ait voulu suivre l'influence. L'amour 

' de la gloire est le s^ul point sur lequel je ne 
Taie jamais vu plaisanter, le seul mobile 
de son ame et de. ses actions^ et c'est à la 
trempe déaon àme , et à la force , à revendue 
de son génie , qu'il faut attribuer la direction 



25o Jeunesse 

qu'il a suivfe. Je sais que l'on cite qaelqaet 
iàifs qui montrent chez lui une indulgence 
bien singulière envers de grandes turpitudes 
morales : mais qu il ait dit ^ ifu^on ne dispute 
pas des goûts « en parlant de ceux d'un pâtre 
et ensuite de deux sœurs qu'on accusoit en 
effet de goûts révoltans ; que dans ude autre 
occasion , il ait dit d'un soldat de cavalerie , 
qu'il n'y avoit qu'à le placer dans finfanterie , 
en concluera t-on qu'il faille le ranger lui- 
même dans la classe des pâtres et des cava- 
liers les plus brutes ? Non sans doute : on 
n'y peut retrouver que les principes de sa 
politique ; on ne peut y voir que l'homme 
qui s est dit : cr Je ne pardonnerai jamais 
3» ce qui blessera essentiellement les intérêts 
)» du corps social et du gouvernement : je ne 
a> pardonnerai donc jamais ni les fautes publt- 
I» ques contre la discipline militaire , ni la rë- 
» vélation des secrets de^ l'État , ni l'infidélité 
y> dans le m anienient des deniers nationaux ; 
» mais pour tout le reste , et même pour ce 
» qui concernera ma personne , je serai le 
» plus indulgent des hommes; il me suffira 
)3 d'écarter le scandale par le secret ^ ou au 
j» moins de lattéuner par Tinsoucitoce et la 
a» pltfifisnterie. j) J'ai dé)à dit ailleurs que 



de Frédéric. aSï 

dans ce peu de lignes se retrouveroît Fré- 
déric tout entier. Et comment ne pas le re- 
dire encàre ? Ccst à cette vérité *<jue toute 
sa vie ramène ceux qui savent Tétudier et 
Je suivre. 



fSa . Voyages 



ac 



VOYAGES DE FRÉDÉRIC 



Frédérig, en montant sur le trône , et 
même depuis , eut la fantaisie de voyager m- 
cognito. Je vais rapporter ses essais en ee 
genre. Quant aux voyages qu'il faisait tous 
les ans dans ses Etats ^ je me bornerai à en 
citer quelques anecdotes particulières , qui 
trouveront leur place ailleurs j disons seule- 
tnent ici que dans tous ses voyages et durant 
tout soù règne , il s est toujours servi de la 
même voiture de campagne : quand il étoit 
besoin de la raccommoder , on le faisoit de 
nuit et à son insu ; car il taxoit de friponneries 
toutes les dépenses de ce genre , auxquelles 
on subvenoit comme on pouvoit. Il soutenoit 
que rien n'ëtoit moins nécessaire ; que sa voi- 
ture étoit excellente ; que depuis plus de 
trente ans qu'elle lui servoit , elle étoit tou- 
jours de même , et qu'enfin si on y toucboit ^ 
ce ne seroit que pour le voler ^ et qu'on la 
lui détruiroit. Il gagnoit de plus à ce langage , 
^ de se trouver autorisé par là à rayer toutes 



ie Fréàérîc. 2S3 

les dépenses de ce genre sur les mémoires de 
ceux qui avoient à voyager pour son compte. 

Cétoit donc dans cette grande , forte , et 
vieille voiture quHI faisoit toutes ses courses ^ 
à vingt ou vingt-cinq milles par jour ; voiture 
attelée de douze chevaux de paysans , outra 
deux bidets pour les pages de la chambre ^ et 
six chevaux pour une voiture de suite. Un jour 
son cocher le versa dans un fossé : heureuse- 
ment le roi ne fut point blessé; mais il se mit 
dans une colère très-violente contre son vieux 
serviteur, et vint à lui la canne levée ^ prêt à 
l'écraser de coups, lorsque celui-ci lui dit : 
» Sire , n avez- vous jamiais perdu de batailles / 
» vous qui êtes pourtant le plus habile gêné- 
?> rai du monde? Eh bien, c'est une bataille 
» que j ai perdue aussi , et c'est la première 
» depuis trente ans ! croyez vous que je n en 
» sois pas mille fois plus fâché que vous ? » 
Le roi ne put s'empêcher de rîre de la com- 
paraison. Sa colère fut éteinte , et il remonta 
sans rien dire dans sa voiture, dès qu'elle 
fut relevée. 

Dans ces voyages annuels tout étoit réglé , et 
constamment «de la même manière ; jours et 
heures de départ et d'arrivée , et gîtes , dont 
quelques-uns étoient fixés dans 4^^ villages , 



354. [f^oy^^^ 

et cheztles pasteurs» s'il &Y avait paade^i&aî* 
8QDS plus aisées. Du rest^ , H ifa lui &Uoît 
qu'une chambre , un lit, im fanfcmil c^t ima 
table. Sa nourriture alors étoît brt peut d^ 
chose ; et même depuis la guerre 4^ wpt aua , 
il avoit peu à peu reuooeé au aoitper. Pour 
une nuit semblablm » il ï^ismt payer 400 franca 
à son hôte. Sea pages « dUig^a de Mk donner 
le bras quand il montoit eu voiture, et quand 
il en descendoit , elfpar cpuséqujsttt de so 
trouver à la portière à cbaïque relata , avoient • 
de plus le dôsagrémenf de n avoir soofveDt à 
monter que de jeunes chevittx mm encwa 
dressés ou domptés ; lea pajmna ajwit adopté ^ 
comme proverbe , ces mots eof parient d'«n 
jeune cheval trop dîffîipite à vnmmr ^ « Lea 
» pages du roi le fom^etont )» Aussî n'y avôk* 
il pas d'état plus péntible et phts dangereux » 
que celui des deux pages de la chambre dans 
«s voyages. Arrivé à soRgHot le .roi iîsoit, 
et examinoit tous tes piacets qu'il avottt reçus 
dans la journée * diemin Ëœant et à dbaque 
relais ; et à l'instant même ces placeta étoient 
apostilles et raivoyés avec les ordres conve- 
nables aux ministres ou départemens desquels 
les afiàires ressQrtiasoient, ou bien il les g^r- 
doit dans un porte-feuille particulier pour s'en 



de Fréiériç* 2Si^ 

occuper à «on retour » ou à quelque autre eu- 
droit plus élpigué. Ce&t pour ce ^vail « qu'il 
avoit tottjour& avec lui 4cux ou trois porte* 
feutUea et une écritoire^ que Pou plaçoit tous 
Içs soirs devant lui ^ et que Tou reportoit Iqu^ 
les matius dans sa voiture. 
. Deux voitures formoieut doue tout son traiu 
de voyage : la sienne^ et celle de sa chatouille. 
Celle-ci, qui né toit qu'à deux places , cpn.te- 
Qoit , non tout Fargent qu'il se réservoit à lai« 
même , ce qui formoit la cais^se particulière ^ 
dite la chatouille ^ et dans laquelle il 7 avoit 
quelquefois jusqu'à 5o ou 60 millions de livres, 
mais seulement la sonoime qu'il vQuIoit em* 
porter avec lui ; et le commis de la chatouille, 
outre quelques registres ou papiers* Ce com* 
mis yoyageoit de cette maniée en voiture ^ 
tandis que le gardien dç la i^h^touilliç , pre-, 
mier domestique du roi 9 étoit derrière )e car- 
rosse de sa majesté , juché au dessus des 
coffres , et au niveau de l'impériale , avec un 
ou deux autres domestiques. 

Je ne rapporterai ici que trois voyages où 
il n'a pas voulu être connu , et tous \^s trois 
hors de ses Etata ; Xxak à Strasbourg) le se-- 
oonden Hollande^ et lé troisième à Hosvrald 
en Moravie. 



256' Tf^àyagei 

Frédéric eut envie de voir ï*airÎ8. Assez pal '. 
de tetnps après qu'il fut hionté sur le trône , 
il partit de Berlin sous le prétexte d^'aller &ir» 
ses revues en Wéstphalîe ," et même de s*f 
arrêter quelque temps , afin d*y recevoir le 
serment de fidélité des habitkns de cette pro- 
vince , de s'y occuper de quelques affaires 
politiques , et d'y visiter et examiner quelques 
autres objets particuliers ; et il prit la route 
de Strasbourg sous le nom d'un comte de Bo- 
hême. Il avoit à sa suite son aide de camp y 
comte de Wartensleben , que j'ai connu lieu- 
tenant-général : il avoit encore deux autres 
cavaliers doùt j'ai oublié les noms , et un page 
qu'on m'a assuré être ce même M. de Mol- 
lendorfi^ qui esta présent gouverneur de Ber-' 
lin , et que l'Europe sait être le générât le plus 
respëctacleet le plus respecté de la Prusse (i). 
Tout le monde étoit en habit bourgeois ^ et 
les domestiques sans livrée. Il descendit à 
Strasbourg à l'auberge du Saint-Esprit , et' 
donna son nom supposé de baron ou comt« 
du four^ avec sa suite ; c'est ainsi que nous 

• . » 

(i) J'ai quelques doutes sur le fait du page : M. de. 
Mollfiudorff ^ à cettjB époque , dayoit déjà être ofiBucier , 
à ce qu'il me semble. 

rassure 



de Frédéric. it^') 

][Vs}are.l1]|i;sk>rien de sa vie. : ;]iiaîs ce qui i^è 
feroit douter de ce deruier fait , c est que C9 
nom n'est rieii moins que bohémien ; ou bieu 
}l faut supposer qu'il )e donu^.^n; aUe^s^ld^ 
^et no^ enfraiiçais^ Le mi^me historien assure 
que legrince;Q;uiIlauine^ V^ff^^. ^^^ frères di) 
roi , raccompagna sous le nom de comte de 
Schqfgotsoh : c'est une. autre circonstaucti 
que j'ai peine à croire, et dont on ne mV jà- 
mais parlé;» £t comment se persuader de 
plus, que ce frère alla dçscendre dans une 
autre auberge^ aiçsi que. le mên^e historien 
Ts^urç? 

£a descendant de voilure^ il demanda à, 
rJiôtessô si elle pourroit lui donner un bou 
souper , et ajouta qu'il seroit charmé d'ayoii: 
Jla compagnie de quelques colonek français ^ 
là priant d*en inviter quelques-uns. L'hâte^so 
essaya en vain de lui faire entendre que le^ 
officiers français , et sur^tout les colonels « exi^ 
geoient un peu plus de façon pour se rendre 
à une invitation semblable : il fallut qu'elle 
allât à un café militaire , où, heureusement^ 
elle trouva trois colonels parmi beaucoup 
d'autres officiers, et leur fit comme elle put > 
à travers mille excuses vingt fois répétées ^ 
la commission peu régulière dont elle étoit 

J. K 



25?i ' 'Voyages • 

chai^g^e. Tontïe riibiiaè trouva l'idée dêM, Id 
t)àrôh dûcôm^ àDe^iàstnd irès-^ihtobgttiè. Ou 
en rit* beaucoup, ©b ônéjgTna ^ùé ce dévoit 
étte ub oHgftiàl tîrèà-]()laîàaàt et très-curieux 
â'cbrinôtlrè ; fet eWfifl , pour répou^iie à cette 
singularité par lili^ «ùti'e , led trois dotonèU 
acfceptërent fet dôiiTOrent lears û'oMs, Ils ar^ 
rivèrent peu avant Fè èouper , et furent ex- 
trêmement slirpris de Ixoover un seigneui* 
allemahd , qui y tout àuïre ^a'ils ne l'avoient 
imaginé , péfîlloît d'esprit , saydiHnfiniment) 
étdit d'une gàîté dharirtatite, et d'une po- 
litesse aussi aisée que soutenue. Lorsqu'on 
«er vit le souper , Tan dé ces colonels se trouva 
placé eii ftice de M. le? %faron , qui en eut un se- 
cotfâ'àsà droite , taàdis que le troisième se re- 
tira àTun des bouts de la table. On n'a pas su 
Xné dire commentlâ conversation sefdtirna sur 
le militaire françfais ; mais dans la suite de 
ce qû'oÉi eut à en dire de part et d'autre , 
M. le baron se permit nne plaisanterie que 
Ton pouvoit prendre pour un sarcasme. Le 
colonel , qui étoit en face , homme d esprit et 
aussi vif que Frédéric , releva le propos aveô 
beaucoup de franchise ; le baron voulut le 
«outenîr , ce qui ne pouvoit' se faire qu'eti 
l'aggravant. Le vis-à-vis riposta sur le même 



• A 



TOto ? à tiHaqu^ répliqué -, les choses deveiioîént 
toojàtfrè plus seriea^s , bs expressions plus 
éncfgîqUeà /-et* le ton ^Its fermé et plus animé, 
âtt poîlit qtiê le délfeirs^ur du militaire fran- 
çais éfoit sYir lé. poilït de' jeter ron assiette 
an baron, tîue du moîiiis le comte de-War* 

• • • ■ • 

tënslëben et ses Camarà(îes"le^gë6'ienf ainsi ; 

et ëtoîeirtprèts à dire : G'ést4e^Raîé&Prùsséi 

lorsque le colonel place -a là' droite del'étfan-i^ 

ger fit a àon ami des sighes si extriaôrdmàires 

et si expressifs, que tout à coup ce dernier 

resta înimobrle, bs yeiik fixes «ur son as-^ 

sîettfe/ue parlant p^lui; et pai-oissant tieplus 

entendre. M. lé baron cdtaUssi, et comme tout 

le môÀdc , quelques instans' de recùeiUémeiitt 

nn^s*y livra toutt^tbis'pds long-temps. Il parla 

d'autres cîhoses, et redevint bientôt aussi aima* 

fcle qu^îl TaVoït été' au début. Lorsqubn se leva 

de table,' le colonel vis-â-vîs n'eut rien de 

plus pressé que de joindre son ami^ et' de lui 

deniiinder ce que signifièrent les signes sîn- 

J>uliers qii^il lai âvoît faitâ. Là réponse 'dé ce 

àenûer fut î « Ce baron est un printîe'dé- 

» guisé : je 1c parie du moiiis , et voîcf ïè^ 

>^ preuves que j'en ai : il n'est servi que par ce 

» jeune homme que vous avez toujours vu 

»* derrièrfe lui» Ce feimelioïame ne sert qui 




aëo Jeunesse 

« 

^ hxî. Je lai ai demandé une assiette ; et fia&i 
n prendre la ipienne lui même , il a appelé 
a> un domestique ^ et lui a dit : Prenez ï*as* 
» miette de monsieur^ Gela m*a tellement 
> frappé , que je n ai plus perdu de vue oe 
s> petit garçon ; quelques momens après i on 
• a vanté un vin blanc que Ton avoit à Fun 
H des bouts delà table. Le soi-disant baron 
» en a désiré un verre , et le petit garçon le 
3) lui a présenté ; j'en ai demandé autant^ et 
I» pour la seconde fois , ce petit gaillard ^ 
» appelé un domestique , et lui a dit : ^Uez 
9 chercher un verre de ce vin à monsieur. 
9) Il est évident que ce serviteur est un page : 
i> hiais en ce cas vous voye^ ce que lé maître 
D est ou peut être. J'étois livré à ces réfle- 
i> xions y lorsque votre dispute s'est élevée. 
o J ai cru qu'il y avoit fout à craindre pour 
D vous à la pousser plus loin f et telle est la 
» cause des signes que je vous ai faits. » 

Je suis encore obligé de revenir ici à l'his- 
torien dont j ai parlé plus haut. Selon lai ^ 
ce fut Frédéric qui alla chercher compagnie 
au café militaire de Strasbourg.... Frédérîo 
courir les cafés en débarquant , lui qui vou- 
k)it voyager incognito ! Quelle double incon-^ 
venaiice et quelle absurdité ! Jamais ce roi 



S6 fiit capable de rùne ni de l^anfre. Il faut en 
dire autant de Fanecdote du tailleuF et de sa. 
générosité : il faut en dire autant de cette pa- 
rade où if fut reconnu , et de ces vivat dont 
Strasbourg retentit , et des. ilhimihations qui 
eurent lieu le soir. Toutes ces circonstances: 
sont aussi dénuées de rérité^que de vraisem*- 
bhance. 

Pendant ce même temps ^ d^autres évène^ 
mens se pr^aroient ^ se filôient d\LU autre 
côté. Lorsque M. le baron étoit descendu de 
Toiture à Kaube'rge du Saint-Eisprit^il avoit 
été vu par un grenadier , qui d'abord Taroit 
reconnu , et étoit allé en avertir son capitaine*. 
Celui-ci , après avoir bien recommandé Ib 
secret au soldat^ s'étoit présenté- chez M* Ib 
Maréchal de Brogliè , gouverneur de Strass 
bourg , et lui* avoit rendu compte du rapport 
de son grenadier. Le maréchal ^ en ordonnant^ 
à son tour de bien- garder le secret , avoit: 
envoyé invAer de la part de madame- la ma« 
réchate et de la sienne , à diner pour lé lende* 
maih^ M* le baron et sa compagnie. Lorsque^ 
Fou sut que le baron avoit accepté ^ en fit 
venir le grenadier ; M., le mafécdial: le pfit k 
|>art y et Tinterrogea pour se bien assurer s'iE 
b!]^ avoit point dé méprii^é^ «... .«.Monsièub 



» le mafécfa^I , hii répo^dilr le gr^nadiev.,)il y 
/>>d tjrç&-peu;diÇ'teilipa que j ai déserté de cheç 
.)) lui ^ jç ç^ryp^ dam le régiment d^ , sea 
») gardes , <^a gf^m^qn À Potzdainf': ,tQus les 
?) joujfs, j« le voyoi^ à la p^rad^ « cei;it f btô i\ 
:» BOUS ^ exerce » mes camarades et ^^ J^ 
j le ooftpojs doflc bieig^,. et c e&t lui qu^ j §lva 
» hier soir descendre de voilure. — Ei^ule;» 
;^ ;^i tu me trompoisrrt i\ï /périrois d^w^ le& ca*. 
4> phoU.7 si tu jpe lue troutpeâ p^s ^ tu Aura& 
a> uQ Ipuis pom: boii:^, Qu^nd il arrivera pour 
>> 4wfi'.9::jç le reçevrîjiiiç^ » et je Ty; ^etieud^ai 
% f> a^çzloug- temps 2 tu( seras. oa.cU4 derrière 
)> .çptte, po;rte vitrée : tu auras tout îe.tempa 
4» delVjx^miaervrfgaçd^^Jp bieur, J^ rçvieu-! 
ju ^aipeqda^t le dioçf te retirer de là> ^tten- 
^a , t^içi^i^ sur ce que tu a^ras à tnW'dire. » 
^. Tout ,^e passa comme ou l'avoit projeté; 
quaud:Qii viut dire qu^ luadame la maréchalp 
>tes.a.ttei^d^it pour c^i^er ^ ou pas^SA de ce pre-t 
inier salou dau& I^ ^aUe à maii^ei;:. Il u y avoit 
pas long-temps qu ou étpit 4 tabla ^ que sur 
'^u mot dit par uu Y^let-de^ ohambpe àToreille 
<|e M' le maréchal , qui lavqit aius^, projeté 
^t prescrit; celui ci dieTi>auda permi^pigi:^ de 
çib$f«,t(9r unjnoni^t , à M. \p lïarpn>,qui 

lm;dit i^que perwto^? up rçspeoteit;pfes g^^ 



Ipiî U 64^^ ^ l^niplir aça.^evojts ^ car- tout 
^càr.dev.qH?:Pj^icç; ei (J^:^,^/BfQit biç^ fâché 
4 eu avpir. }^ais ^étQiirç^. ,q\^i que ce fût. 
AiQsiM- lem^ré^al all^ ^çtir^psop grenadier 
de sa civette , Tint^rroger ^ l'entendre , lui 
dousf c un ÎQUÎ^ çt Iç yppypypr f;a lui recom- 
z^aodant encore le sileBce. Il revint à propos 
poiprinterroippFeune oopversatio^ qviiauroit 
pu donner de^l'humenj: 9]^. le b^rqp^ si ejle eût 
duré p^nslong-tenaps... « Monsieur, » lui ^voit 
dit la maréchale , qui p'étojt pas du sçcret ^ 
» aivez^vous déjà vu la opçr d'Hfftnovrç » dans 
» vos voyages ? .— Noiji , madftp^e ; mais je 
a» compte la voir à mon retouf. ^0 - cp que 
» vous lacomioissez?— r!QeaucQup.)mpnsiè|ir^. 
Pf j y ai passé un^ partie 4^.7pa jeunesse ; mon 
» père y étoit mipistr^ de Ffancje. Ainsi j'y 
2^ ai beauGpup . vu le? p^çif^cps , f l sur -tout 
)> les p^ipcesses de cette; maison souveraine.. 
:» -rO^eirois-ie vous demander >ip a daine 3 si: 
» vous en avez été contente? — Infiniment, 
» monsieur {toutes ces priucessj^s étoient res- 
tai' pcctable^ par tant de qif alités précieuses} 
1» j^a mèrç- du roi de Prusse en particulier 
?) réunisspit t|3mt d'£ynabilité ^, de bopté çt de 
» irertus ! Elle eût été parfaite , si ou n'avoit 
*i pas eu à lui reprocher iwjt; |p^j^,de,.çQ4,t€î fierté 



» » » 






t6i '' Jeûneuse ' 

y) dont on prétend que lis grande' toaîaaim* 
» dé l'Empire ontpèîné à'setïéfetidîèf^ JTàî 
«rhonneur dé* vous assui'er , madame ; que* 
» jamais je n'ai entendu parler' iS'isllè qu'a véo 
» le plus profond respect. --^Oh! mùh^îeur , 
:» elle le mérite bien ; il n^ a que cette temto 
3). de morgue germanîque. . . . -^ Je viens dé 
7i vous observer , madame , et J*ai l'honnéup 
» de vous répéter, que ce n'est due dans' les 
» termes du plus profond respect , et sans 
3) aucune réserve , qu'on en a toujours parlé 
» devant moi. » Ici ]M[. le maréchal rentra , 
et renouvela ses excuses , aîâ suite desqaeHesP 
on parla d'autres choses^ On demanda à M. le 
baron jbII daîgneroît voir le spectacle , et oit 
lui offrît la loge de madame ta maréchale^ Il 
répondit que si madame y alloît', Il auroit 
Vhpnneur cie lui doncerla main. Onluî pro-^ 
posa même un bât au retour ♦' et il eul l'air 
de ne pas le refuser , sans f accepter fbrmel- 
ïemçnt. Mais , après le d^ner,^ M. lé maréchal 
eut la mal-adresse de lui dire : Sîrè. • • M\ lis 
baron. , • . Cette faute passa cotnme si elle 
n avoit pas été observée , mais elle produisit 
tout son effet : le roi de Prusse en fut telle-^ 
^nent blessé /qu'il a dit plusieurs fois d^epuis'» 
qûaqdi fl en k été question : a Ce uxâréchat^^t 



de Frédérie. %(SS 

W "Çn soi; il devoit savoir respecter mon se- 
» <Stei , ou mé faire rendre lès honneurs qui 
» m'ëtoient dus. » Il aUà* néanmoins. à k co« 
niédie avec madame la maréchale ; niai$ il y 
resta fort'peu de temps. II prétexta quelques 
affaires^ et se retira. Le* baron de Poëlnit^m'a- 
assuré qu'en arrivant à son aubeuge , W j 
a voit trouvé uii paquet de son ministre à Paris J 
qui lui donnoit tes plus* fortes raisons pour ne 
pas aller plus loin , et que. ces mêmes raisons 
avoienlt afehevé de le déterminer à repasser le 
Khin. Ce qu'il y a de oe:i^taiD , c'^st qu'il envoya 
eommander des chevaux ., et partit le lende*^ 
main de bon matin. 

t Lorsqu^il coùroit ainsi sur la rive droite du 
Rhin , pour regagner ses Btats , il aperçut à 
uitie bonne distance , une chaise ouverte qui 
venoit à lui ; et à Faidede sa lunette ^il y reeour 
nùt un abbé français^ homme desprit , avec 
lequel il avoit souvent causé à.Bediin ^ et qtfîl 
y àvoit laissé en partant. Frédéric s'étoil sôu- 
v^t amusé à vouloir engager, cet abbé à ;se 
fctfrerecevoîrfl^aHC maçon y uniquement parce 
qu*il lui paroîssoit plaisant d'ana^njer un bofi 
prêtre catholique à braver une excommunq^ 
dation dupaipe": rabbç, quipeiilîr'être 1 avoit 
deviné , avoit au s'en défendre àvèa autant de 



i66 . ^èùnA^& ^^ 

fermeté qufi^ld'Bdressfii'Jba même lunette ifai 
sur les bordd dû Abia^ «ppritMau rpi qyic^c 
c'étok hiL^fuî étolt' dalbs 'kK^h^liB^âe pidôt-e f 
i|sdic|iiia:.pgalie9BDràt qu'il «élcât psirQf0i>4é|qefi|l^ 
^idotmi ; sur qu0f le . prentf ej:L fîjt. vè : VÎ9^tPi|% 
arrêter sa >v^oitiure4 eh descendît un lym pi$-^ 
telet ,à la .maini^jet xria aii. ier^içr , q^ançt 
celui-ci fut près de loi : Fais toijra^ç-m^çofjti, 
Gu meurs. On p^ut ydgfx dehh surprise dje oe^ 
prêtre , qui bicn^ assuré: que le roi de Prusse 
étoit en Wéstphàiîe, létrca^fe en se xéifeilr 
lant. en sursaut ^ asax portés de StraabQU):g \ 
Ne sachant si çétoit une illusion ,ou une v <^ 
ôion du diable , efirayé et ttottblé ♦ sob prt- 
xnieiî moQvemcht fût de répondre : ^h y 
sine t tout ce ^u*il vtous plaira; mais ne ito^ 
iuezpasi'he roi se moqua de. sa peur ^ le 
îtt^eaitrop poltron pour niériter jamais 1^ 
titre de^Jrér^ ^etlui^it adieu . aprèd la voir 
bien ^plaisany. . 

- Ge fut à la smté de cse voyage ^ que $e ûts 
sur les bords' de ii^ ^Meuse;, la première en^ 
♦revue de Frédéric et de Votlaireu Je n'en 
f>aflerai jpcàni ^ parce que eé derfiier en ^ 
«publié les circonstances les plue curieuses^ 
J^oiquavec plus de. ptaisànteiôe peut^-étre^ 
tpié dé vérité. . 



f ^ ' '• * ' 



Xe voyage en Hollande fut plus he»rettx> 
ijue éeîuî en France, Ce fat du fond de là 
WestphaKe que ce roi f entreprit , n ayant 
avec lui qu'un' domesticfue et te colonel dQ 
ÎBàlby , qne J'ai beaucoup connu , et qui est 
inôrt fort vieux à Berlin , dans une demi-- 
disgrâce. Ce M, de Balby » qui avoit de Tes- 
prit et de Famabilité , a ëté assez l6ng-*tef»ps 
en fkve^r , jusqu'à l'époque dii siège d'OU 
mutz: Tous deux se déguisèrent le mieux 
qu'ils purent , et s'annoncèrent par -tout- 
€orame musiciens. Je ne citerai que deux dé 
leurs aventures. Arrivés dans une Ville oà 
lan juif extrêmement riche avoit un cabinet 
aussi curieux que complet , ils envoyèrent 
demander la permission de le voir. Le juif 
répondit qu'il vouloif bie^ se gêner pour 
montrer soU cabinet aux étrangers un jout 
par semaine ; mais qu'il ne se rendroît pas 
esclave pour ies indiscrets , et sur- tout poùf* 
deux petits musiciens inconnus, qui pou voient 
bien attendre le fbur qu'il aVoit fixé, f rëdéri^ 
fut vîvémerit irrité de eette réponse , qui né 
fut ^à ses yeux , qu'une insolence punissable. 
Il nei'a jamais publiée ^ èïle juîriibllandàîs'à 
eu à s'en repentir toute sa vie , nôn-séuléiifênt 
parce qu'il à su qui étôiènt ces ptéteifdustnu- 



t68 Jeimêss& 

sicien^ ^ dont il »voit si mal accueilli la de- 
:(uande ; mais aussi , parce que)aipais le roi dor 
Prusse n'a voulu que cet homme fut compris 
parmi ceux avec qui \e gouvernement prus- 
sien pouvoit avoir à négocier quelquafiairs 
de banque ou de commerce » plu^ ou môina 
lucrative. 

En passant d'une ville à Fautre ♦ nos, deux 
musiciens prirent place sur un yack y. où il J 
avoit déjà beaucoup de personnes , mais où 
ils trouvèrent encore une chambre particu- 
lière à louer. Après y avoir été quelque temp» 
à s'ennuyer , Frédéric envoya Balby faire uu 
tour dans la salle commune , et examiner s'il 
n'y auroit pas quelqu'un avec qui l'on pût 
causer sans se compromettre. Balby revint » 
au bout d'un quart- heure > annoncer qu'il y 
avoît un homme , qui lui sembloît réunir les 
avantages d'une bonne éducation , à ceux que 
de bonnes études peuvent procurer. Sur cette 
annonce » il eut ordre d'aller oflrir à cet in-- 
connu de venir déjeuner avec eux » et de^ 
prendre sa par^d'un pâté qui &isoit le fonds 
de leurs provisions^ L'inconnu accepta , et 
entra ave Balby , qui dit à son maître : « Moa 
1» camarade , voilà un gal^^nt homme qui veut 
S) bien' recevoir sa part du pâté que nous^ 



de Frédéric. tJB^ 

% allons ouvrir. — Monteur , ^it Frédéric i 
3D celui qu'on lui présentoit , vous nous fartée 
»' en cela un vrai plaisir ; pourvu que le pâté 
)i soit bon 1 Faisons - en Fessai : mon ami ^ 
^ ajouta fil, en s'adtessant à Balby^ oùrrèas*- 
D le , et Servez monsieur. Oserois-)è vous 
a> demander , monsieur , de quel pays vouts 
» êtes? — Monsieur , je suis de Suisse* -^ Afr, 
•> peuple respectable ! Et de quel endroit dd 
» la' Suisse êtes-voûs? — D'une petite ville 
» qu'on appelle Marges, — Je vois: vous 
^> êtes à peu de distance de Lausanne^ sur lô 
t lac de Genève : vous êtes du canton de 
» Berne. Etes -vous bien content de votre 
» gouvernement? vos familles patriciennes ne 
D sont-elles pas iin peu fières ? et même les 
» bourgeois de Berne ^ quand ils viennent 
» chez vous 3 ne font-ils pas les relachéris ? ne 
>» sont-ils pas exigeans et durs ? — Ces incon* 
» véniens , dont nous avons rarement à nous 
» plaindre , sont bien compensés par tous les 
» avantages dont nous jouissons .-— Etes-voun 
» établi dans ce pays-ci ? -<- Non : je n'y suis 
» que comme voyageur et étranger.'^ Qudl 
» est le motif qui vous y a fiiit venir ? — C'est 
7> la suite de mes études qui m'y a amené. «^ 
» Comptes ^ vous vous y fixer ? Je ut le 



I 

fi jcrQ^:n<|6vipu plutôt jern'en sais rieji. -^ Ll 

D,^ hj^arrare.de^ différentes fgrinçs^ç gonver- 

j) npmeiiâ adoptées. ççi Suisse, ne brouille-t- 

»; eflepasies idées esqirjes râatiàf es politiques. 

j\ aUrdi; moînacie conduit-elle pas à une sorte 

« . jd« scepWd^ïw Qt d'indijtlérçnce ? -r- Non t 

». 01) sAÎt que,cha(|ue,paAtQn est libre comme 

»;il j^yflulu Tètrc-, etc. u-,]Mtopsieur U; mijsir 

jcteff cofitiniia ses questions avçc tant <1q ner* 

^Viérçtfice », il exx\\^ dans tant dç détails* « ^ T 

^it/ mêc^^ si.^eu de inéiaflgement ^ que Tin- 

.connu , qui ..d'^Ueurs^^toit ,au !bout de son 

4^jl?UftÇ*'» ^n fût impatiente, et. ^fî peu Jblçssé ; 

^î'bi/pn:!^ quala fia 9:aru liea de .répondre > il 

Jltprj|f^m|Ât Iç questionneur p^.cçs mots : 

^-jpPerajf-ttee-inpi/niqnsiepjç ,.de vous obser- 

D. .ver ^que Npîik bien de& questions pour une 

i>jtrancl|e de pâté.. -r'Je VQU3 en demande 

.» dpardon Jieprit Iç questionneur : vous savc^ 

» qiifjes vojge^urs aiment à s'insfruire ; et il 

j> iesli dautanl^plus. ju^te de m'excuser ;, ;6i je 

^» 4^q .liv»rÊ^ iaçliscï:ettemeùt .à ce désir , qu'il 

» ^esi ];are.d|9 TenQoii|rer 4e$ occasions aussi 

» ÊcviiraÙes. ^)^ 

,Qa3»d ^pn f>it;pa:p&4^ se'sépsurer ,, le' musî- 
.cieiî dil, aiji finisse .:. « Puisque vous n'avex 
c» çgcQi^ievd'engageiuéat g^^ ^HpJ^A jéiat^ 



ti( Yonl»vai:0ifaideufne domierv&tifeadircesQr? 
njiliseroit paésilîia.icpre ^e . troUyasM à voaa 
t aU^ér.^-etiîesBixiîs dharmé>cl aVoîr à vous 
a»! >pr0poa9lr ^oelqab dnide qtd Vous «MÎvtnt;» 
lie '^ons^&P^érckt V vt kdi dbbiia .sbazvom *» 
'efcTe ;iiioj9ai rc)» ini .faire par^fertiii scà iettréa. 
0ëst uinâ ^u'iisl se < 'qùîtltarëh tv Frédérib ne 
perijiÉ point xèt haii]itE0rd^::rJQize: : quelques» air- 
nées alprës v< il 9iiî^ «proposa^ lar pivoe dei son 
lecteur ^ placé qui fvt acceptée;' fit. eVïsir de 
.cette sdvtè que M. le^tt -fut 'Cônhu t[e Fré- 
:déric 9 sans> le eoptioitrô , et loi fol ensuite af- 
tadié , comnnb )€ Fai dit aitiettra \ et'waita^'jQ 
rledéveloppÎBrai {encore davantage/ o 

Au yoyagereu Hài^ndâ^ Jaitquelqtiles an- 
nées avant la guetv-e de sept ans ^ je ferai 
:succéder un troisième voyage , fait encore 
incognito /mais dorant cette menue: guerra. 
Qiiand Erédéric*se détermina à lever le siège 
d'OlmutE , à reniir ënsoite de h, Bôhémé , ou 
son plan de retraite J*av(ât.oonduit, énSiié« 
sie^ où il étoiJ pressé d'arriiser , f^our s'op- 
poser aux Russes , et arrêter les progrès des 
-Autrichiens , il divisa son armée en' quatre 
colonnes, qui, chacune sous oq chef diffèrent , 
-prir^at diverses routes, et marcfaèsre&tàgiran« 
des journées , ea ealeyant , ou 4^truiaai2t , 



:272 .^^deUMàse:'^ 

^^eloiL lesddis de^la 'gàerK^r ^tobtca-^aoroi^ 
.pu dÂveidr .iiiîlei ou nécnsssâiteJLçeux iquilto^ 
3:oJen4: eiidei^éim de 'b& poursuivre. Ilsë^mii 
Jui-xuéme à la iète d^unë de ces' ledosn^ v- de 
^celle qui semfaloit éx|»Q«ée k pias: de ^ris^uB-J, 
.et marcha À itravers iesiiiôiitagiies/de la 'Mih- 
rravie* Loraqu^'il^iîpl à laiiaatetarrde iRmwaldl^ 
il lui ppit epviead^|irofitérde rt>eoâsioii>pou|r 
.voir et cotmcàiïXLle: eomt&i&di^u hoBUiie 
éxtlraordin9ir&^:qm entétoit le< seigneur ,: ef: 
qui:, depuis: taut d anuéeâ , y yivoit relire:: loi 
• )e dois cmumehcer par indiquer les priudpaux 
itraitsdelà vie de cet homme^ afin de motiver 
la curiosité de Frédéric , et .de jeter^ un pli» 
vif intérêt sur. tout ce qui s*estpassé entr'eux« 
Le cofnte de Guîbeifi a donné une notice du 
caractère .singulier de ce* seigneur inorave ; 
.mais il u'a ni i tout dit ^ ni lanêmer rapporté les 
traits les plus curieux. Comme j*ai . particU- 
Jièrêmènt connu le CQmte;Hodifz, que je Fui 
' vu trèsTSùuvent , et que lui-même m'a aussi 
détaillé toutes Jes particularités de sa vie «, j ose 
. promettre que )e serai plus exaet que le comt« 
de Guibert , et que le tableau que je vais tra* 
, cer ^ sera plus obmplet et plus fini. ^ 

Le comté Hoditz-Roswald étpit fils uniqu# 
d'tta seigneur .de Moravie » riche et consi- 
déré. 



de Frédéric. * 273 

déf^. .Dès ^a {uremière jeùpççse , il anaûnça 
ce qu^il deyoit être dans la suite, un très-bel 
hqn^me, grand , fort , et bien proportionné « 
yisage loi>g et plein, figure noble et animée , 
caractère fraçic, et hardi , çsprit vif. et entre-^ 
prenant , imagination a;rdente ^ féconde et 
originale. Il devint si iurbiilontau sein de sa 
iapiille , qi;e bientôt personne iie put plus en 
jouir. Le. pèjre » en çops^quençe 5 le; plaça 
dan^ une petite^ ville du pays > chez un maitre 
de pension as$ez. estimé , et à qui on reconi^ 
manda de le traiter avec une sévérité équi- 
table^, mais souteU;i^?et inflexible. Lé jeune 
comte avoit alprs treize à. quatorze «ns ; 
c'étpit le plus gi;apd et le plus hargneux de 
la pension ^; iV fallpit que les autres fussent 
ises complices ou ses victimpsj Dan^île* doiut 
bre » il s'en trouva un qui étqit le plus grand 
après lui, et qui, disposé à 9e valoir guère^ 
piieux, devint en peu 4e temps son caïua- 
rade le plus qhéri , le pjus docile et le plus 
fidèle., Tous les jours , ces de]ux mauvais ^arr- 
neiçens faisoient. des sottiçes, nouvelles; tous 
les rjpurs , , ça leur iufiigeoit ^ de nouvelles 
peines, sans, les cprriger. Le maître de peosiioQ 
étoit au désespoir, et ne savoit plus. à qpol 
sain.tse vouer. Li'étévint, et^ pour les mieux 
I. s 



274 Jeunesse 

punir I oe pauvre homme imâ^a de pro* 
fiter de l'un des plus beaux jours , pour don* 
* ner ^ sa pension , inttîs sans les y admettre » 
line récréation ^ompfotte et remarquable ; il 
prépara toutes les pirovisîons nécessaires et 
agréables , et emmcf&a dès ie maHn tous ses 
pensionnaires a un endroit asse2 éloigné et 
bien ^^hampdtré^ arec naTÎtafion deVy biton 
divertir. Il n'y eut que Hoditz et son ami qui 
en furent exclus ; on tes renferma , an pre- 
mier étage , dans une chambre dont on * laissa 
la clef à un domestique alEdé , avec ordre de 
leur servir un mauvais dîner ^ et de leur re« 
fuser tout le reste. Quand on fut parti » 
tioditz s'écria : « Est'^oe donc que nous ne 
» nous vengerons pas ? .... d Li-dessus ib 
eurent bientôt concerté un plan do ven« 
geance : ils appelèrent le domestique chargé 
de les garder^ et lui ^rent : s Ecoute bien , 
» et décide4oi ; si tu fiiis ce que nous allons 
i> te demander « boos te donnerons chacun 
1» un ducat : si' tu ne le fais pas , tu pé^ 
» rkas sous nos eoups ; il en arrivera ce 
9 qui pourra : mais tous les jours , en toutes 
a> reùeontres i nous te ferons tout le mal que 
» nous pourrons. — Eh I messieurs , qu# 
» vonlea-vous donc de moi? — *-Nous vou« 



I 



de Frédéric. 275 

» tons que tu ailles acheter un grand clou 
:» bien fort, et tant de brasse de bonno 
Il iGcelle grosse comme le petit doigt , et quo 
» lu nous apportes le tout avec un marteau , 
» une écuellée de sfi^ng frais pris à la bou* 
» chérie I et nos épées. — Mais que voulez-* 
I» vous faire de tout cela? Que timporte? 
h 'iioià seulement assuré que noua ne ferons 
» point de mal. » Le pauvre domestique ^ 
dompté )par la peur d'une part , et séduit d» 
f autre par les dèu?Ldacats^ ne manqua pas 
d'obéir. On lui dit ce quil auroit à faire 
qtiànd la pension reviendroit de sa befle par* 
fté de plaisir 9 et on lui. promît de ne pas 
âVouer que ce fût de lui qu^on eût eu tous 
ces objets* 

Quand le soleil se &t couché , ttoditz ssi 
èéshabilla , et se passa la corde sous la 
t>Iantè des pieds, en fassujétissant par de bons 
fioeùds autour des chevilles ^ des genoux , des 
ï*eijQS et des épaules , et fiuit par en faire un 
jfeûrdon assez lâche autour de son cou ; aprè$ 
iquoi il se r'habilla , et de dessus une ôhaise il 
i*aèôrocha au clou qu'il avoii bien, enfoncé 
dans une poàtre au milieu de la chambre ; 
son camarade renversa la chaise à peu de dis^ 
tàncà, répandit sur le plancher le sang apporté 

s z 



TTjS . Jeunesse 

de la boucherie , se coucha davs ce sang f 
ayant les deux épées nues près de lui Fêii^ 
dant ce temps-là , le domestique s*en alla en 
gémissant au devant de la pension , et raconta 
aux pensionnaires qui marchoient les pre- 
miers, le grand malheur qui venoit d'arri- 
ver. A Vinstant toute la pension le sut « et le 
maître lui-même , quoique replet et fort âgé , 
arriva bien vite , et tout haletant monta à la 
chambre^ et à la vue de ce spectacle , ^'écria , 
du seuil même de la porte : a Ah ! je vois ce 
» que c'est ! ces deux malheureux auront ea 
» une querelle j ils se seront battus en duel ; ce 
» grand vaurien aura. tué son camarade d'ua 
)) coup d'épée , et puis il se sera pendu de 
>> désespoir. Allons , il faut faire venir la jus- 
» tice. » A «es mots , il se retira , et Ion en- 
voya chercher les gens de loi ; mais il leur 
'manquoit un chirurgien ^ et il se faisoit tard. 
Ainsi on se contenta de mettre les scellés sur 
la porte, et Ton remit la levée des corps et 
le proces-verbal au lendemain. Dès qu'ils 
furent partis , le jeune homme prétendu tué 
se releva , rendît la chaise à son ami qui se 
décrocha , se déshabilla , et se débarrassa de 
la corde dont ils firent une échelle ; ils atta- 
chèrent cette échelle à la fenêtre , gagnèrent 



\ 



de Fré défie. 277 

le pavé , coururent toute la ville ^ y firent 
mille avanies aux uns et aux autres^ mais sur- 
tout firent donner des aubades presque toute 
la nuit à leur maître de pension. On devine 
ce que le lendemain apprit à tout le monde. 
Mais le maître de pension ne voulut plus de 
ces deux jeimes étourdis , qui fusent ren- 
voyés à leurs parens. Le jeune comté Hoditz 
fut confié à un précepteur qui en fit ce qu'il 
put. 

Après son éducation , le père , pour s'en 
débarrasser, le fit voyager. Ce fut à la suite' 
de ces» voyages , que Fempereur Charles VI 
en fit un de ses chambellans. Parvenu à cette 
place , il ne mit à- son faste et à sa fierté, 
d'autres bornèà que ceUes qu'il ne dépendoit 
pas de lui d'outre-passer. Il ne vouloit pas , 
entr'autres choses, que son cocher cédât lé 
pas à quelque voiture que ce fut. Un jour » 
dans une rue de Vienne^ il vit avec indigna- 
lion qu'un vieux carrosse d,e province mar-- 
choit devant lui ; il ne fallut dire qu'un mot 
à son cocher, qui étoit fort habile dans ces 
sortes d'expéditions : le vreux carrosse lut 
accroché et renversé contre la borne. Le 
chambellan voulut voir quel éfoit le provin* 
cial insolent qui avoit osé prendre le pas sur 



lai , et son cDu{>-di'œîl ^ ^onné fmt la pcMs^èrc^ 
loi fit recoaoQÎtxe spn pèfe^ ayee teqpiel il 
n^vôit plus de cpirrespoiidapEi^ , at ^ étoit 
venu pe^^têtra aataiit poiur «'wfçjpier 4a luit 
qae pour faî^a s^ eçHur à f ampai^aur*. A l^'ina^ 
tant où il le jrecoi^^nt , Uaah4ta 4» di^dciéwiM 
pour lai ^demander pardon:; nkm oa.Sijt a«k 
v?ia l' l&père^ refusa 4e Ventaoud^ef et» 4aM 
4PP exjU-^n^a cptèira, )i^ra de^ ne la tët^ok fi-f 
mais , et l'envoya à tous lea diables. 

Le j^une eom|e HodMz. Q# t^rda p»^ à 4^- 
peipser too^te Ui siMi^îes^ion de «a, «aara i c|a'j| 
ayoit perdue » il y avoit long-tems ; ^t ij^ aat 
facile de deviner ce qixîl ^eroit devant « IH U 
fortune né lui avxHt alQf9i iqéiiag^ vue de qç4 
favevrs rares sw iQsqp^ea Qn ne p^rqt jamm 
compter. L^ Li^àgrava 4ou^P^ièra 41^3^^^^ 
le vit dans nn i^oment; fpftuné^ ♦ a* d^wrt 
amoureuse , et f^pQu^a. Çetta dc^w^iièca 
n'étoit p^s aiifpr^ yiiçilla., qc^QÛiut? 4»»*»= d» 
Fré44ric. £11^ avoit i)» 4pusiJra q[upi' raidit If 
courte trèa-ri^e , et le sauva^ de to^je^ lea 
épines 4a l:'i9far^e. J^9^s^ lui fiit^îL t^njpMr* 
Iras ,-> te2)4f ^i^lit attaché. Soit ^ny^uiv t &oit 
recoDnoisaaqii^e^ il fi été, t^q^t qu^'çUe 4 vécu ^ 
pn modèljB digne d'être proposé à tpus lea 
époux ; et lorsqu'il fa perdue , il lui a iait éri** 



I 

de Frédiiic. 279 

ger nn œftnftblée astique aa fead de la partieT 
de ses )ardSii8 , qu'on oppeloit ks Champs^ 
Efysées^ oà toas les samedis soir, jl est cons^ 
tamment atté, avec toute sa maison, célébrer 
sa mémoire, et ehantar des liymnes funéraires 
•qu*il a composés pour elle. 

Feu de jours après leur m»iage , eUe lui 
témoigna eombiett ette desiroit de le raccom- 
moder avec son père. En conséquence de oa 
projet , its rédigèrent ensemble une lettre 
qu'elle signa, et qu'elfe fit expédier , indépen- 
damment de celles que son mari écrivbit de 
son etj/té. Le père répondit à la princesse , 
qu'en daignant épouser son fils ^ elle avoit 
fait à fente hi &mtllè un bonnenr infini , dont 
il étoil en son particulier plus touché quli 
ne pouyoit le cfire ; et qu'it la prioit de vou- 
loir bien agréer à cet égard tliommage de sa 
vive et respectueuse reconnoissance ; qull 
desiroit bi»i ardemment qu'elle nVût jamais 
lien d'en éprouver le moindre regret; que ce 
seroit pour lui une grande consolatio9 que de 
pouvoir l'assurer verbalement de son dévoue- 
ment et de son re$pect; mais que jamais il 
ne consehtiroit à ravoir un iils qui n^avoit 

existé que pour l'affliger et l'o^nser 

HR £fa bien , dit le feu&e éponx à sa noble datàe» 



\ 
\ 



.2So .Jeunesse 

*» puisqae nou^ ne pouvc^ns- le ûéchjiT 9 il hut 
n le vaincre. » Tel est le parti que Vùn iMrit : 
On fît les préparatifs nécessaires à oevoyage^ 
et Ton partit; Ou emmena toute la ra^i^s de 
^la princesse^ $^s gftrfl^^ ses domestique^ , les 
chevaux , et jusqu'à la batterie de cuisine. 
Tout cela fornioit ^ outre les gens à cheval et 
^les carrosses , uir a^sez . grand nombre de 
^fourgons ou de cha^riots couverts* C'(es.t pour 
.toutes ces raisons, et pour ne. pas fatiguer 
, madame , que Ton fi^t la route à petites jourr 
.nées; mais il en. résulta, un inconvénient :. le 
père fut averti de la visite qa'cni sX^îÀt lui 
. faire ;. il songea à se omettre, en état de dé- 
fense; il 4onna ses ordres pour .barricader 
3on château , et envoya.cbez tous ses voisins, 
à plusieurs milles de xlistance , demander se- 
cours et main— forte pour . soutenin le siège 
i^ontil étoit menacé. 

Le 61s;) qui ptévoyoit et craignoit çe.ncm- 
. yel obstafsle.;, portoit ses regards de touS; côtés 
.aV;^.Ufi6 attention toujours plus. grande, à 
. j^esu]t<ç jqu'il approçhpit davantage de la, mai-* 
!^9n.pdl;erJ7e]lç.;JDès<|]i^*ilaperceyoit un homme 
dans fie jloin tain ,_U efiyoyoitdes hiissards l'ar- 
rêter, et le J^i^^n^ueri;. pt ce,fut ^ûisi qu'il 
^rriva 4 Koswald , îaya^ iiault prispuwfrs la 



de Frédéric. 281 

jsaQttié des doinestiqaes de son père , et d'au* 
tjant mieux averti de la réception qui ratten- 
doit,.que Ton avoît saisi sur plusieurs de ces 
^prisonniers , lea billets dont ils étoient por* 
:teurs. Arrivé devant le château , il en trouva 
«donc toutes les avenues si bien fermées , qu'il 
, auroît. fallu des machines de guerre pour les 
ouvrir. Heureusement ilse souvint que , dans 
.un coin négligé des jardins , il avoit vu au- 
trefois une vieille porte donnant sur les 
(Champs , et que Ion n'ouvroit jamais ; porte 
,è demi cachée sous les ronces et les orties, 
. et qui déyôit être comme pourrie. I] s'y trans- 
: porta avec quelques domestiques , la fit aisé- 
.ment, enfoncer , et devint par -là le maître, 
non*seulement des. jardins , mais encore des 

• basMS'Cours , du re^rde-chausséCiideTavant- 
cour et. des cuisines. Le père, déjà vieux, et 
fort maltraité par la. goutte ^ ayant même 

.perdu ,. depuis plusieurs années, Fusage de 

, ses jaipbes.^ et ne pouvant en conséquence 

se , déplacer :que dans un fauteuil porté par 

• deux domestiques attaiçhés à ce service par- 
ticulier ; /le: père, n eut plus d'autre ressource 

;que de ste bien;c)ôre dans la partie du pre- 
mier étage qui fgriuoit son appartement. Le 
^ fils disposa en vsûnqueur de tout le rçste , et 



28a Jeune^^e 

de toutes parts en ne suivit plos que %es ordret. 
Madame lia priacesse , reçue enfin dan^ la 
cour , j fixt encore près de deux heures aa- 
•aise sur set luaiies ou baHots , <en attendaift 
qu on eût choisi et préparé Tappartement 
qu'elle oecuperoit. On ne manqua pas de 
faire vtte annoncer au père leur arrivée*, 
qu'il ne savoit déjà que trop. Sa réponse fut 
assurances de respects pour madame ^ envoi 
de monsieur à tous les diables. Pendant deux 
mois entiers , il y eut constamment m^as 
messages et mêmes réponses tous les jours^, 
le matin , à llieure du dîner, et à l'heure du 
souper» Cétoient les domestiques^ vieux 
comte , qui venoient prendre et lui portoient 
tout ce dont il a voit besoin • 

Cette manière de vivre ^ cependant^ ne 
pouvoit durer. Deux mois étoient déjà une 
bien longue épreuve pour tous les trois ; Tia- 
flexîbilité du père ^ malgré les supplications 
de la princesse , et les soumissions da fila , 
étoîent sufiisammeut constatée ; le fils le sen- 
tit ; il ne lui restoit plus quNine dernière ruse 
de guerre, et» H IWiploya. Il fit dire à son 
père que bien convaincu qu'il n'obtiendroit 
pas une consolation qull croyoit due a m% 
sentimens aussi inviolables que respectueux » 



de Frédéric. aB$ 

il se déteriQÎ&oit enfiivà Soigner on fils mal-* 
j^eureux <ïj?* ym% d'un père iyrité ; qu'en 
eoDs^ue^oe %. îl avoit résolu de partir dans 
trois jowft f 3B9^M ^ue ce seroit un grand 
Sicaiidalci q«# kl prJQ^fîsse partit sans lavoir 
yu ; . i^il eflb «ésviAt^roit pour tous les trois 
une niiQ^^c{ilîpa ^au^si peu nécessaire que 
cru^LlK i et ^t«y osi , pour &eîUter une en-* 
trevue §i çoj^vcnfthle, il avoît décidé de par» 
tir le IçQ^^jpaiQ , dès le matin , et de passer 
la jo^roée, entière h la diasse : en efiet , le 
(endemeJQ i dès les cinq à six heures du ma* 
tin, ce ne .fut qoi? bruit* tumulte, agitation 
dgns la CQuir du château^ d*où Ton vit suo^ 
eessîvemeut sortir , pour gagner la forât , les 
provisions f ilites pour la halte , les . gardes** 
liasse avcA les cors « la meute entière avee 
les gttidbea, enfin la. garde de la princesse , les 
doni^atiqiMs. et les chasseurs ^ tout à cheval 
f)t partant aui grand galop. Quand le père 
fut lii<m assuré quil ue restoit plus chez lui 
que la, princesse t il envoya lui demander la 
permiâ^QB^de yenir lassurer de ses respects. 
1SA\9 occupait la moitié du premier étage , en 
ia0s 4^ Tappi^i^ment du beau-^père. Bientôt 
après S4. réponse , ce dernier arriva dans son 
lîmtcuit }. porté, par .ses deux domestiques ooa- 



284 Jeunesse 

fidenliêl6 3 qui eureût ordre ensuite de se re* 
tirer. La conversation s'établit bien vite, et 
débuta par toutes les protestations qnedèvoit 
naturellement amener leur position respeo- 
tive. Tout fat afiectueux , sincère et extrê- 
mement honnête. Mais voilà que tout à coup 
le père entend dans la cour le bruit d'un 
cheval qui arrive au grand galop ; il devine 
que c'est son fils qui vient le surprendre ; et 
dans la vive éniotion qu'il en ressent , n'ayant 
pas ses porteurs « il jretrouve ses jambes , per- 
dues depuis tant d'années y et s'enfuit se cacher 
dans son appartenlent. Il ne s etoit pas trom-<- 
pé : son fils avoif établi des espions avant de 
partir, il s*étoit tenu à peu de distance , et 
dès. qu'il eut appris que son père étoit seul 
che^ la princesse , il étoit venu avec la rapi- 
dité de la foudre, avoit. monté les escaliers 
tout d'une haleine « et cependant , il ne trouva 
plus chez sa femme que le fauteuil de son 
père. Il ne lui restoit plus qu'un mot à dire, 
c étoit l'adieu. Il le fit par un billet dont le 
sens étoit, que s'il n^emportoit pas la douce 
satisfaction d'avoir vu son père , et de l'avoir 
fléchi , il emporteroit au moins la consolation 
de l'avoir guéri. Cette plaisanterie fit rire le 
père et le désarma. « Je vois.bien ^ dit-il, en 



de Frédéric. 28S 

* 

p lisant ce billet; que c'est un ôrigînarque 
» rien au monde ne pourra corriger ! Autant 
» vaut lui pardonner ses sottises paissées ; 
9 allez leur dire de venir me voir. » Ce fut 
donc une phrase inconvenante , qui fit ce 
que tant de supplications , de soumissions et 
de respects n avoient pu faire, ^ais au moins 
le raccommodement fut franc et durable ; et 
il n'y eut plus entr'euK que boa accord et 
contentement réciproque, tant que le père 
vécut. Après sa mort , le comte Hbditz n^ 
songea qu'à rendre RosVirald agréable à Ift 
princesse ; car ce n'est pas être véritablement 
juste envers lui, que de repf'ésenter tout cm- 
qu'il y a fait d'extraordinaire y comme n'étant 
qu'une suite d originalités. Son laimbition con8«> 
tante eut pour objet que jiaimais la princesse 
ne se repentît de l'avoir épousé. M. de Goi- 
bert dit qu'il a dépensé aux travaux de Ros- 
wald trois millions de florins; mais il auroit 
dû observer que cette somme est pro venue 
. sur-tout du douaire de la princesse. Lorsque 
le même auteur s'étonne de ce que ce même 
homme extraordinaire ^ pu soutenir son état 
de dépenses avec vingt mille florins de rente, 
il ignore que, plus d'une fois, il a su trouver 
de très-amples supplémens à ces yi^gt mille 



286 Jeunesse 

florins , qui même dans les ooâ^mtoceiâeiii 

• 

tie formoient pas tons ses reirèiiii^ (t). 

Ce fut par œs motifs et avëâ ôés ihoyens , 
qu il se livra sans réservid A Mu g^ie , et 
qu*il créa à Roswald toât ô6 qM M; dîi» 
Guibert y a tant admiré. L^s farditiS étoient 
très-vastes. : on conçoit que, {>lacés àu ceUtm 
des montagnes , ils ne pcM*totent tiianqaer 
d*eanx , et qu'il étoit &cile d en varier les sites 
et les points de vue. Il ^ eut [aMins chinois , 
américains «t autres^ arosdi^^ ctiafnps-ély* 
aées y tombeaux antiques des Germains , 
BonterrainSf pagodes indîeânes, Iternrftagei 
de la Thébaidd ^ grottes d^è Druides , càntttl 
et chemitts couverts ^ son propife tortibeàn ^ 
«elui de la princesse i entouré de ceux dé 
ses ancêtres ; ailletil^ , une ■^itte de LilK^ 
pntiens ^ dont iea maisons né è-èleiVDient pas 
k plus de trois pieds » et oà fottt étôit dans 
Içs proportions les plus èjtaetes ; de toutes 
parts des cascades , des fôMaines , ou des 
)ets-d eau ; en un mot « toutes les iniitationa 
qui lui parnreat curieuses ou agréables ; et 
le toot animé) g^^mi) et en ttiottvement oti 
exercice : les eaux souterraines et les madiines 

(i) royeti le feùillctan du PubUcUtê, lundi i*' Fri- 
mairs^anXI. 



deJFtédéric. éBf 

Cftchëes donnomit en quelque sorte là vie 
k toutes les figures. Les jardins de Roswalâ 
ne ressembloient donc en rien à ees fameux' 
et orgueilleux jardins si vantés en Europe, 
6Ù Von ne trouve que le silence et la soli<> 
tude y à moins que les hommes li'aiiient en 
foule y porter une ame et de la société. 

Le château ne renfennoit pas moins de 
merveilles que les jarcUns : les souterrains 
y présentoient , dans une partie , les mys* 
tères de la Passion^ taillés dans le roc ; dans 
d'autres parties , des raines artificielles , et tout 
ce qu'il &lloit pour y établir des illuminations 
et y donner des danses et des concerts , in^ 
ifiépendamment de tout ce qu'il faut pour re^ 
porter au rez - de - chaussée et aux étages , 
ce qu^il vouloit y retrouver de choses utiles , 
commodes , surprenantes ou agréables. Outre 
les vastes appartemens qu'il y occupoit ^ et 
ceux qui étoient destinés aux étrangers , il 
y avoit un bâtiment particulier , avec jardin, 
le tout entouré d'une haute muraille , et 
uniquement consacré à son sérail^ c'estinlire , 
& êes actrices , chanteuses et danseuses* Ce 
bâtiment n'avoit de communication au de* 
hors , que par une porte qui donnoit dans 
son appartement , et dont lui seul avoit la 



a88 ' Jeunesse, 

clef :,pea d'étrangers ^ y étpîe&t iûtrodoita^ 
les autres pouvoient à peine en< soupçonaejri 
l'existence.. ; - . 

Toutes les personnes qui tenoient à la 
maison c^u comte Hoditz ,. au moins depuiâk 
la mort de^ la princesse^ les . domestiques » 
les acteurs, actrices 9 ohanteurat cantatrices 9 
danseurs , danseuses et autres , étoient prises 
parmi ses paysans ; c'est-à-dire ^ selon les lois 
du pays , parmi des gens attachés à la glèbe » 
véritables serfs tels qu^on les retrouve dans 
le nord de l'Allemagne , en Pologne et en 
Russie^ où on les appelle moug-iA:^. Lui- 
même formoit toutes ces personnes aux ^m^ 
ploîs. auxquels il les destinoit : il étoit leu;i' 
maître dp langue , de cb(uit^ de déclamation^ 
et de danse : il est aisé de. concevoir qu'il 
ne les élevoit pas à une haute perfection ; 
mais aussi ne leur d9unoit-;il que le vestiaire 
et la nourriture , et à peip^ quelques gage$ 
excessivement modiques c sa première chan-* 
teuse , dit M. de Guibert , .n'a voit que deux 
florins par mois ^ et quatre* vingt et tant 
de personnes ne lui coûtoient à ce tire que 
trois mille florins ; et c'est avec ces secours 
si foibles et si imparfaits que , sdon le temps 
et la saison, il faisoit servir ses dîners ou 

soupers , 



Ûè Pfé^ériô. 1^9 

llb\i{>er$ , tantèt chez des Chinois ^ ou chez 
d'autres peuples aj^ciens ou modeï'Ues ; où 
tnême fabuleux ; tantôt ail milieu des sau- 
vages 3 et dans des déserts ou des grottes 
profondes ; et que le reste de la journée étoit 
rempli par des spectacles et des fêtes toujours 
inattendues* 

Je n ai pas tiesoin de dire combien ses 
magasins étoiept amplement fournis de tout 
ce qui lui devenoit nécessaire en costumés , 
décorations , instrumens et ornemens de tout6 
espèces On comptoit chez lui d^ailleurs , dit 
encore M. de ûuibert > plus de six mille jets*- 
deau y dont quelques-uns s'élevoient à une. 
hauteur bien supérieure à ceux que l'on a le 
plus vantés t il y en avoit même un au mi* 
lieu de sa table , outre un canal d eau cou"" 
rante et limpide qui la traVersoit dans sa 
longueur. Le grand canal de ses jardins étoit 
couvert de petits bateaux très 'joliment ar- 
rangés , et qui voguoient chargés de toute$ 
sortes de ccl!(ichets% Entre ces bateaux , ou 
voyoit des jeux de Naïades et de dieux ma- 
rins en action. Que dirai-jje de plus ? Il avoit 
mis à contribution les arts et les sciences ^ 
les temps antiques et les temps modernes » 
les peuples dviUsés et les peuples suuyages^ - 
I. 2* 



,%gc> . • Jeunesse 

^'histoire et la fable. M. de Guibert n^est pas 
juste , lorsquil nous représente le comte 
Hoditz comme un composé de raison et de 
folie , d'imagioation et de mauvais goûts , de 
.philosophie et de préjugés; et qu'il nous an- 
nonce ce qu'il a vu chez lui , comme un 
mélange bizarre de choses ingénieuses et ridi- 
cules : ce que lui-:même en raconte , détruit le 
l^Iàme qu il joint à ses louanges. Sans doute, 
cet homme extraordinaire étoit épicurien 
jusqu'à un certain point ; mais il étoit cosmo* 
polite et supérieur aux évènemens , et non 
livré à l'insouciance dont on l'aGcuse. 

Tel est donc l'homme à qui Frédéric , 
revenant du blocus d'Olmufz^ vint demander 
rliospitalité , sous le nom vague d'officier 
prussien , et n'ayant que l'uniforme , sans 
cordon ni aucune autre décoration. M. lofii- 
cier prussien fut reçu avec beaucoup de po- 
litesse : bientôt ils furent également contens 
l'un de l'^autre : l'aisance et la franchise s'éta- 
blirent entr'eux : M. l'officier, en parlant 
de tout ce qu'il avoit souvent ouï conter 
des merveilles et des choses intéressantes 
de Roswald , parut s'arrêter avec plus de 
complaisance sur ce qui regardoit feu la 
pnncesâ6| épouse du comtes le comté crut 



ÛePréâéîjà^ «9t 

èii conséquence devoir lui ofTrir de lui en faire 
Voir le mausolée , offre qui fut acceptée avec 
plaisir. Cette promenade fut dirigée; , tant 
en/allant quen revenant , de manière que Ton 
vit presque tous les jardins :; mais dans le 
retour , M. Tofficier , en passant sur un pont ^ 
aperçut sous Teau , ep lettres de feu « ces 
mots : Vwè Prédéric le Grand 1 Dès cet 
instant , il devint rêveur , embarrassé . et 
soucieux. En eÔet', il dcyoit penser qu'il étoit 
reconnu : et comme il se trouVoit sur terre 
d'Autriche et chez un Autrichien , et qu'il 
étoit ou entouré ou suivi, de troupes enne- 
mies , il pouvoit se reprocher d'avoir commis 
tine imprudence , malgré la bonne opinion 
qu'il avoit de la loyauté de son hôte : eh ? 
qui lui auroit pardonné ce.tte faute , si lo 
comte, par quelque considération que ce fut ^ 
s'étoit déterminé à le livrer? Mais, s'il cou-*' 
roit des risques ^ coraipent y échapper ? Et 
quel parti prendre dân^ la position où il 
étoit, et à rentrée de la nuit ? 

Le comte qui lavoitçHipctivement reconnu^, 
ou deviné , puisqu^il ne l'avoît jamais vu ; la 
comte qui éloit attentif à tout , s'aperçut bîea 
vite du nuage qui s'étoit formé dans lame 
et élevé sur la physionomie. 4u roi, il ne lui 



ftit âif6c3e ïn d'en éeviner la canse et l'objet ^ 

ni de se décider sur le moyen de le dissipen 

Il se hàtft de ramener son hôte au châtean ; 

fet dès qu*on y fût rentré , il lui dît ; « M. Tof- 

» ficier , vous- me paroisses avoir quelques 

» inquiétudes : j'en respecte la source et le 

> secret : cependant 3 est naturel de craindre 

» que je n y sois pour quelque chose ; et en 

To ce cas , vos inquiétudes seroient pour moi 

D le sujet dun véritable chagrin , et en même 

3» temps nne offense que je ne mériterai ja- 

» mais. Ayez la bonté de m'entendre..... Je 

» suis né et j*ai vécu sujet de la maison d'Au- 

» triche : mais il y a de longues années qU3 

» JQ n'en suis plus le serviteur. Je n'enfreins 

y> aucune des lois de mon pays , en ce qui 

» me concerne ; mais je ne me mêle et ne 

» m'occupe d'aucune affaire politique. Je 

» suis à cet égard aussi cosmopolite qu'un 

» homme d'honneur peut l'être : et tous les 

3» botinâtes gens sont mes compatriotes. M. 

» l'officier , vous 'êtes Prussien ; vous dé- 

» fendez votre patrie : eh bien , je vous en 

» honore davantage ! Il y a gnerr&enire votre 

» pays et celui auquel la fortune m'a attaché : 

»> qu'en concluerons - nous ? Vous remplirez 

•> les' devoirs de Totre état ; et moi i 



êe Frédéric. «53^ 

» nîen j je suiTrai mon {^i^ : du rësfe^ nous 
» fiarons tons les d^ux des. vcaaK ponr la pai^. 
» Je iie me fatigae point Tesprif à rechercher 
» qui a tort du rofc de Pirosse ou cte Timpé- 
i^ ratrice-reiae : je sais que (es éours oui s6u«^ 
» vent des motifs , des seerefs. qu'elfes ne nrâA 
» dfôent pas , et que nous ne pouvons pé- 
» nétrer: sur quoi dono me fonderois-je » 
» pour décider que Tune a tort et que Tau^ 
]» tre a raison ? Et comment pouripois- je prenv 
» dre une part active à- teurs guerres , sans^ 
* risquer de me ranger du côté de llnjus- 
» tice? Mv Tofficier, je borne ma science à 
» deux points seulement en cette circohs-^ 
» tance : je sais que Frédéric est un des plua 
2> grands hommes dont Fhumanîté ait eu à 
» se glorifier jrusqu*ici : je^ sais que Marie->-c 
» Thérèse , dont j'ai eu llionneur de servir 
» le père , est aussi une femme rare et nn&; 
lA grande impératrice v je m'arrête ta , et je 
n recevrai de mon mieux les fidèles serviteurs:^ 
» de l'un et de l'autre y s'ils daignent s'arrêter- 
j chez moi. En y venant prendre quelques. 
» heures de repos, monsieur Fôfficier , vous. 
n m'avez rendu justice , parce qu^ vous m'a- 
j) vez témoigné par-là^ une confiance infiui^ 
1»^ meal honorable et Satteuse , ma^ que jo^ 



», xpérite* et-qve je mériterai tQûjomris* Si ; en 
33 ce.xE|oment^. cette confitoce vous, aban-i^ 
)x 4oQii^; si. ycmç croyez ne pas être ici en 
n sûret/é ; si vpus ne craignez p$6 de me faire 
3)., une peine très -r douloureuse et une injure 
^ grave» mon^içur, ordonnez, disposez de 
» tout, pa;rtez; je vous procurerai les guides 
» et les secoux's dont vous, aurez besoin : mais 
ai si vous youlez! continuer d'être juste ^nvera 
D> mojL, comptez que vous éte$ chez vous, ou 
9> &i vous voule:^ , cbez U9 homme d'honneur; 
7> et reprenez une sérénité d'autant mieux 
^ fondée , que je vous déclare que toutce qui 
» existe ici répond de vous, et périrqit plu^ 
3> tOt que de soqfirir qu'il vous iut fai^ aucune 
3^ violence ou aucufU mal,..,. » 

Le ton de noblesse « de franchise , de loyaux 
té et d'énergie ^vec lequel le comte dit tout 
cela, à-son hôte , cal^ia eAtièrement Qe dernier, 
qui ç3^çusa Tçiir soucieux qu'il avoit eu , en 
prétextant la chaîne de ses devoii's \ il reprit 
peu à peu toute sa gaîté; et le reste de la 
soirée fut iius^i agçéahle pour Tun que pour 
l'autre, 

Lorsque le traité de Hubersbourg eut ren- 
du la paix à l'Empire ^ pu mieux à l'Europe » 
îfrédéfic voplut prpfitçr 4^ l'pçoajsion de se^ 



revues eiirSilés|6, pour revoir le comte Hddit jc 
il partit des environs de Neîsse , et aiiriva dé* . 
fort bonne heure à Roswald^ aecompagné 
d'une partie de sa suite , et en particulier du > 
prince Frédéric, de Brunswick» qui est ae« 
tuellement duc d'Oëls. Ce fut à. cet te occa*- 
sion que lecomt^^ quoique pris en quelquo- 
sorte à Fimproviste » donna ^ dans* moins de- 
dou^e heures ^ cette fête que cite M*, de Gqir . 
bert ^, comme ayant eu liea sept ou huit ans. . 
avant son voyage » fête do^it ce dernier aln^ , 
dique pas Ta* propos » mais dont il assure que > 
les détailô seroient incroyables , si rem n en., 
voyoit pas encore sur les lieux / les moyens>. 
et les débris :. cette fête y en efi'et ^ embrassa^ 
tous Les jardins, et le château i ce fht k, chaque^: 
pas. des féeries et des escbantemens , nou-: 
veaux speGtacIe& , et surprises npuvelles^ 
Hien ne manqua à cette fête t la musiqucc 
exécuta y pendant le souper ,. un air charrt 
niant ». que le comte fit dans le jour ». et que la 
musique djes régimens prussiens a long-tempa 
exécuté dans ses marches » comme le mor<^ 
cea^le plus brillantpt le plus agréable que l'on 
connût ^alers ; ,air composé sur ces paroles si 
simples: t^wez.^ vwez y prince admiiable ^ 
toujours , content et sans souci j etc.^ 



i^6 ^ Jeunesêe 

' J'ai ait qué lê comte Hodif « ayoit , ptaa 
d'une fois , trouvé deâ âi^pplémeds à $a for* 
iane , devenue trop modique pour sôs hesoina 
et ses goûts. Ce mot porte sur un fait qu'il 
iàot indiquer ici. Par d anciens actes très^ 
valables , la terre de Roswald devoit appar- 
tenir à Tévéque et au dbapitre d*01mut|i , en 
cas que la maison des comtes Hodii^v vînt à 
s'éteindre. Or^ le comte , dont nous parlons, 
ëtoit seul , et n'avoit point dWfàns. Lors 
donc qu'il étoit trop pressé de tiesoins , il 
écrivoit au chapitre et à Tévêque : « Il me 
» faut vingt où trente mille florins dans tant 
» de mois 3 si vous ne me les envoyez pas au 
Ts> terme fixé 5 je vous déclare que je me raa- 
» rîeraî , que j'épouserai une personne jeune, 
V belle , aimable ^ et bien constituée ; et qne 
» je prendrai si bien rae^i mesures , qu'il y 
» aura bien du malfaauï' , si je qViî paâ un 
:b hériti'ér dans raonée. j 

Ce petit billet produisit à plusieurs reprises. 
Fefiet que le comte en attendoit : mais enfin 
Févêque et les cbanoines dH31muta{ trouvèrent 
que le comte revcnoit trop souvent à la 
charge : vers la fin de 1776 , ils Se fâôhàrènt , 
et s'adressèrent aux puissances pour conser- 
ver leurs droits à la terre ^ çt ne plus riei^ 



/ 



de Frédéric^ ^97 

donner. La colère fut grande de part et d'au- 
tre ; et le mariage se seroit certainement fait » 
ai Frédéric n étoit pas intervenu comme mé- 
diateur. Ce fut dans ce même hiver, où Fré* 
dério eut une si longue et si douloureuse at- 
taque de goutte , qui ne lempêcha pas de 
gouverner ses États à l'ordinaire , et de lire 
toute llxistoire du Bas-Empire ; ce fut , dis% 
je , dans ce même temps , qu'il entreprit cette 
jnégociation , et qû*il la termina heureusement* 
Il fut conqlu que l'évêque et le chapitre au- 
roient Roswald à régir sous le nom du comte, 
tant qu'il vivroit , et qu'ils lui donneroient 
iannuellement une sommé convenue ; et que 
le domte viendroit , comme ami, vivre et 
finir ses jours auprès de Frédéric, Comme ce 
pauvre comte , âgé alors de 75 ans à peu près^ 
çoufiroit horriblement de la gravelle , et ne 
pouvoit pas supporter en voiture, les cahot- 
temens d'une route même asscx courte, le roi 
lui fit construire sur l'Oder , une sorte de pe- 
tite frégate , où le comte avoit sa chambre » 
'celle de son sérail, sa cuisine, et une salle 
commune ; bâtiment sur lequel ce vieillard , 
suivant les fleuves , et passant de l'un à' l'au^ 
4re au moyen des canaux établis dans le paySf 
vint de la haute Silésie à Fotzdam , sans &- 



2Iq8 iTeunesse 

tigue etsaos risque. Cest encare d&Iamêm« 
tnaoière que, de temps en temps, il venoU 
nous voir de Foizdam à Berlin* 

La première visite qu^il nous fît , fut au 
moins de dix à douze joura. La prince Fré- 
déric de Brunswick obtint de lui , non sana 

* 

peine , qu*ii lui donneroit une de ses soirées ;^ 
le comte n étoit si difScUe ^ que parce que lè 
^palais du prince étant fort éloigné du chà- 
teau , ce long trajet sur le pavé ^ même ea 
n^allant que le pas , étoit cruel pour ce vieil- 
lard soufirant. Il promit cependant , par atta- 
chement pour le prince ; et cette promesso 
fut faite un soir pour le lendemain. Le prince 
forma à l'instant son plan de réception , et 
envoya tout de suite les rôles à ceux qui dé- 
voient y être employés. Madame du Troussel 
vint à dix heures du soir , en sortant de che^ 
la reine, me prier , de la part du prince > de 
me rendre chez lui le lendemain soir de bonne 
heure , dans le costume d'un maître d'école do^ 
village 5 avec un compliment pour le comte 
Hoditz : elle me développa tout le projet da 
prince, et me dit qu'elle viendroitme prendre 
avant six heures pour nous y rendre.. 

Je composai mon compliment le lendemain 
' matin , et me tins prêt à partir^ en habit noir 



deFridério. ^9*. 

éf grande cravâtte. Lorsque^ thBt le prince, 
nous fônres avertis que la voitare du comte' 
lipprodioit , nous noQs rendîmes ious dans - 
là cour 9 qui étbit entre le palais et le jardin « 
et où il a voit été ordonné de le faire entrer. 
Là , on voyait sur le perron , au dessus de la' 
porte , une enseigne d'auberge , aveooes mots: 
^ V amitié I Les personnes qui se présentèrent' 
à la portière de la voiture , pour recevoir le 
ûomte , furent principalement le prince , ha- 
billé comme aubergisi^e , et la princesse en hô-^ 
tesse ; ensuite le comte de Lottun , générât 
€K)mmandant de Berlin, en berger ; M. Dadre- ' 
kast y ancien officier du régiment des gardes , 
homme très -grand , représentant un chef et 
guide d'ouvriers pour les travaux champé- : 
très 5 etc. Le comte Hoditz àlioit de surprise 
en surprise , à mesure qu'il fixoit les person- ' 
nés , et se confondoit en témoignages de re- 
connoissance , en voyant dans ,cq3 divers' 
accoutremens , le prince et la princesse ^ ainsi 
que le comte de Lottun ^ qu il connoissoit : 
tuais H. Padrekast et moi , nous lui causions 
VLja embarras d'autant plus grand ^ qu'il nous ^ 
voyoit pour la première fois , qu^il ne dévi- 
noit pas nos rôles , et que M. Dadrekast, 
drpitf roide et sérieux \ ne manquoit pas , à 



30O Jeunesse > 

ohacan de' $es regards tour nés; tcts lai « de 
lui faire une révérence bieii gauche , tiandis 
que moi y je ne ceasois de lui répéter l'apos- 
trophe monseigneur. A la fin il comprît qa'it 
falloit bien finir par m entendre. Quand feus 
débité mon compliment ^ et qu'il m*eut re**^ 
mercié , on le prit par les deux bras pour le 
conduire dans le palais : en y entrant , il trouva 
le grand éôuyer comte de Scbaii'kotsch , moins, 
âgé que lui de plusieurs années^ mais non 
moins vieilli par les jouissances de la vie ; il 
1$ trouva 9 dis-je , transibrmé en abbé , et lui 
donnant la bénédiction : c Ah , mon ami!^ 
3) s'écria le comte Hoditz ^ quel métier faites- 
» vous là ? Quand le diable fut vieux , il se fit 
» hermite ; oui , hermite , moQ ami ^ mais nou 
» pas prêtre ! Ah l ne soyona pas pis que 1» 
f diable ! n 

Arrivés à deux ou trois pièces du rez-de-^ 
chaussée ^ nous nous arrêtâmes dans la pre-» 
mière^ où Ton ne trouva que des bancs de bois, 
de sapin , et une grande table de même caUbre» 
sur laquelle étoieht une assiette de tabaa 
haché , des pipes de terre , un pot de bi^re ^ 
une bouteille d eau-devie et des verres. M, 
Dadrekast présenta successivement , et aveo 
sa gravité toujours la même ^ toutes oe$ sortea 



làe régab au comte , qui refusa tout. Alors oti 
passa dans ia seconde pièce , où étoient qu cl- 
iques musiciens , et où madame Thdtesse fe 
/pria à danser^ . i » « Ah , madame ! s'écria-t-il^ 
% que me pJDoposez-vous ? mais on ne résiste 
a> point à Vos ordres : daignez seulement vous 
•m soùveoir de mes douleurs , et veuillez par 
9> pitié les abréger ! » Elle ne fit avec lui que 
"deux tours de menuet. Tout le monde fut sin- 
gulièrement frappé des gràceis , de Faisance et 
de la dignité avec lesquelles cet homme Su- 
perbe^ et d'une figure si noble , fit ces deux 
tours ; et Ton convint que Ton n'avoit jamab 
vu exécuteur cette danse avec jplus de noblesse. 
Quand madame Phôtesse eut ainsi fait quelques 
pas de danse avec tous les hommes priés à cette 
fête , il vint un grand homme , habillé à peu 
près comme les pénitens blancs , et représen- 
tant une ombre des Champs-Elysées , qui ^ 
annoncé par une musique imposante^ s arrêta 
devant le comte et déroula une grande feuille 
de parchemin , portant ces mots : Suis-moi i 
c^est Vordre des dieux. On suivit l'ombre , 
qui nous conduisit au premier étage , la mu- 
sique qui rannonçoit , continuant toujours : 
la première pièce où nous entrâmes fbrmoit 
uoe vaste grotte, au fond de laquelle étoit le 



3oa .•' .Jeunesse 

tombearu.d'An^créon. Le secrétaire da:]>rîadt 
qui étoit bon musicien, [efcavoit une fort belle 
voix ^ faispit le rôle de ce héros des- plaisirs ; 
il chanta un air italien « dans lequ^el Anacréoç 
se plaignoit douloureusement tie oe qu'il j 
avoit enfîa au pi.onde un vieillard qui ^ plus 
. aimable que lui v ne pouvoit manquer d'écUp- 
.ser toute sa gloire ; et êH rejetant ensuite 
. toute idée de vengeance , comme indigne de 
lui , terminoitsa compUiûte par se résoudre 
.à ouvrir les Çh^mp^ ^ Elysées a son rîVal. A 
cette conclusion , 1$ rocher s^ouvrit , et nous 
entrâmes dans les Champs-Elysées , c'est-à- 
dire dans une très -grande salle ou galerie , 
;décorée dans tout son pourtour d une verdure 
épaisse , derrière laquelle des lampions de 
diverses couleurs. , étoient cachés ^ de ma«* 
nière cependant à répabdre de toute part^ 
une lumière vive , dont ou ne voyoit pas la 
source. Cest là que le souper étoit servi par 
des ombres semblables au guide qui nous y 
avoit conduits. Au moment où Pou se mil à 
table , la musique débuta par lair que le 
comte avoit composépour Frédéric àRoe wàld^ 
air que le prince s'étoit procuré^ dans le temps^ 
à Tinsu de Fauteur , et dont ici on parodia les 
paroles, en substituant le mot comte au mot 



I 

àe Frédéric • 30^ 

pHnûe. Ce fat pour le comte Hodîtznne sur- 
j)rîse agréable , et une sorte de galanterie , 
^ont il fut plus touché qu'on ne peut dire j 
il eu eut les larmes aux yeux , et il en résulfa 
qu'il en conçut. pour nous tous une amitié 
toute particulière : non -seulement il fat ex- 
trêmement gai , mais il porta la confiance 
fosqu'à vouloir , après souper , nous conter 
l'histoire de sa vie dans les plus petits détails^ 
histoire qui nous retint une grande partie d& 
ta nuit. Je l'ai revu très -souvent depuis ce 
jour , tant chez le grand écuyer Schaff kotsch, 
que chez M/ de Launay , et ailleurs , d'autant 
plus qu'il m'avoit pris en amitié, 
. Cet homme , vraiment .extraordinaire^ a 
ainsi terminé sa carrière à Fotzdam ^ 011 il 
remplaçoit miloxd Marshal auprès de Frédé- 
ric : il est mort peii d'années après y êtrer 
arrivé , ayant près de quatre - vingts ans. 
<c Comment se peut -il, mon cher comte, » 
lui dit un jour Frédéric , dans les premiers 
temps de leur réunion , ce que vous n'employiez 
» à présent qu'une garde-robe si simple , et 
» pour ainsi dire bourgeoise , vous qui , du- 
» rant toute votre vie , et même parmi les 
» Moraves , avez toujours eu le, caractère , 

» les habitudes , et toutes les marques d'un 



304 J'eunéssâ 

3^ grand àeigneur ? -^ Sire , répondît te cbmt^^ 
» les étoiles et les planètes brillent d'un éclat 
» assez vif dans l 'obscurité de la nuit : mais 
« toutes disparoissent à Tapproche du soleilè 
» On peut se permettre quelque iieprésentan 
D tion chez soi , au fond d une province : à la 
» cour d'un grand roi , tout le monde devient 
» petit et nul : il n'y a rien, de grand ici quQ 
» Frédéric : je n'y saurois être trop modeste 
» trop simple. » 

Ce trai* montre combien Frédéric desiroit 
que chacun fît une dépense convenable à son 
état , et combien il mettoit de ménagement à 
manifester ce désir ^ lorsqu'il s'agissoit de per-« 
fl^onners pour qui il vouloit avoir des égards. 
Il étoit bien vif et bien ferme , mais il avoi't 
appris à être modéré et indulgent , quand il le 
croyoit juste et nécessaire. 



FRÉDÉRIC 



t^lc intéfieure'ct liomt^sf^de Frédéric. ^o5 



y 



FRÉDÉRIC 



DAKS SA VI£ INTÉRIEURE ET DOMESTIQUE. 



Lorsque Frédéric ' devint roi, , il avoit 

vingt - hait ans et quatre -mois : car il étoit né 

le 24 janvier 17 11 ;.et Guillaame mourut le 

31 mai 1740. Ce nouveau monarque, chargea 

le baron de Poëlnitz du soin de^diriger les 

funérailles de son père^ lui recommandant 

•bien de suivre avec fidélité les dispositions 

oonteniies dans le testament du &u roi, et 

jusqu'à la quantité et qualité du vin quil éfoit 

ordonné de faire servir à ceux qui aoroi^nt 

accompagné le convoi ; pqurlui , pressé de se 

livrer aux afl'aires , il ne voulut s'occuper que 

de ses nouvelles fonctioi:^ ; mais il sentit vive- 

ment la nécessité- de régler. son :travail.. Il 

s'étoit heureusement convaii|çu> que chaque 

)our ramenant ' ses travaoix , il fâlloit .qu'il 

'S'arrangent de manière à, ne jamais remettre 

les affaires dun jourâpji autj:ejour ; comn^e 

« d'un autre côté j il K4.lP^l assuré que pour 

I. t 






^3p6 f^» intérieure et domestUfue 

faire beaucoup et bien , nous n'avons pas de 
plus sûr moyeu que Fordre toujours soutenu » 
et fondé si^r la masse et la nature de nos oc- 
cupa tions/tl prît donc et d'après ses calculs t 
la résolution de se lever habituellement k 
quatre heures du matin , et de distribuer les 
heures de la journée ^ ainsi qu'on va le voir. 
Il donna , en conséquence à ses domestiques « 
ordre de» l-évêiHer à Theure qu^il avoit fixée.; 
mats il étoit naturellement dormeur, et ce 
n'avoit pas été sans peine qu'il avoit déjà pris 
à Rheiusberg^ l'habitude de se lever entre 
cikiq et six heures : aussi fut-ce en vain qub 
dans les premiers jours , on venoit lui dire 
qu'il étoit quatre heures ; il nô manquoît pas 
de se rendôrmil* pour au moins une bonne 
heure encore. On conçoit qu'ensuite il se 
'mettoît en colère , quil groïkioit et menaçoit 
ses domestiques t mai^ de quoi ceux ci pou- 
voient* ils être coupables? N^étoit-ce pas ce 
mémer(» qui^ à Quatre heures , les renvoyôît^ 
ou leur demandoit grâce ? Enfin il comprit 
qu'il ne devoit s en prendre qu'à lui-même , 
et qu'il falloit qu il employât un moyen vident 
pouf se vaincre , et il enjoignit ^ sous peme 
d^êti'e soldat pour la vie , de lui jeter sur lo 
visage, à quatre heures damatin^une serviette 



de Frédéric. aoy 

trempée dans de l'eàa froide. Ce fut ainsi qu'il 
contracta l'habitud-e de se lever de si bonie 
heure , habitude qu'U a coiiservée jusqu'après 
1 âge desoixante ans. A cette dernière époque, 
après avoir perdu plusieurs dents . il cessa de 
ïouer de laflûte , et dès-lors il n'eut plus que 
rarement ses petits concerts de six à sept 
heures dû soir ; ce qui luifit gagner une heure 
par jour, et lui procura le moyen de retarder 
soulever d'une heure. 

Je n'ai pas besoin rd'atértir quH y àvoît 
pourtant quelques eiceptions inévitables à 
« distribution de èon temps . telle qtie je 
l'indiqae : mais 'û n'y en âvôît pomt qui ne 
Wnt occasionnées par des (circonstances 
extraordinaires. Les fétes données pout auel- 
qaes grands évènemens , lés voyages qu'il 
avoit à faire . et les revues ànnuellfs de L. 
troupes, amenoient nécessaîremeirt un aoti^ 
ordre. C'est ainsi qu'un soir où il m'avoit Mt 
appeler avant ,\x heures, il porta tout à èoup 
se._^regards sur une pendule , et me dit 
» Monsieur, ,1 est sept heures moios uh quart 
» J ai encore une leHre à écrire , et à sent 
» Jeures il faut que je dorme , parce qu'à une 

«heure du matin il faut que je me iL. et 
>^ que ,e sois dans la plaijie de Templofi" vers 



V z 



3i>8 Vie intérieure et domestique 

» les troÎ3 heures; je vous reVârrai . encore 
ïi. demam , si j'en ai le temps. Four aujour- 
» d'hui , je vous souhaite le bon soir. » Le jour 
où il me parloit ainai^ étpit la veille du pre» 
mier jour de ses revues à Berlin. 
. Je ne parle ni de sa toilette , nt de sa garde- 
robe* Il shabilloit au moment de son lever, 
c'est- i-dire ,^ qu'il mettoit ses bottes ; que ses 
boucles , son toupet et sa quetie ne lui pre- 
noient pas ploa de deux ou troi^ minute^ ,<et 
qu'il lui en falloit encc^e onoins pour. achever 
de s'habiller. Il n!avoit point de pautouffi^es ; 
ni dp robes- de- chambre ; je ne l'ai vu que trois 
ou quatre fpis en habit de couleur, assez vieux 
et fort simples, et. autant de fois peut-être.en 
longs casaquins d'indienne qui lui d<!6cen- 
doient jusques sqr les genoux. Mais • pQur 
mettre ces casaquins , il falloit qu'il fût bien 
malade : et encore en ces occasions i avoit-il 
toujours le.chapeau et les bottes. 

Au moment où il se le voit , le page lui 
apportoit la corbeille des lettres venues à son. 
adresse, telle que les . secrétaires, du cabinet 
Tavoient eijvoyée. Il étoit seul à les. lire jus- 
ques vers les huit heures, ayant grand soin 
de bien examiner d'abord si les cachets étoient 
entiers et intacts , car il cr^iguoit , non sans 



de Frédéric, 309. 

raison , que les siecrétaîres du cabinet n'ou-* 
vrissent celles qui lear seroient suspectes 
ponr en savoir d'avance Ie\ contenu , et les 
supprimer lorsqu'elles pouvoîent les compro* 
mettre. Il étoit résulté, de là , qu'il, étoît 
rhonàme du monde qui connoissoit le mieux 
les cachets des fonilles et même des particu- 
liers^ Aussi ajrri voit- il souvent qu'il n'ouvroit 
pas même les lettre^ de ceux à qui il ne vou- 
loit pa$ répondre, et qu'à la seule. inspectioR 
du cachet ^ il les j^toit au feu en hiver, et sous 
]a table , en les déchirant , quand on étoit en 
été. 

Pour les lettres qu'il ouvroit , il en faisoit 
trois paquets distincts et séparés ; le premier, 
Ibnné de celles dont il vouloit accueillir les 
demandes y lettres, auxquelles il faisoit un pli 
en retournant la feuille en dedans ; le second 
paquet 9 comprenant celles auxquelles il ne 
vouloit répondre qije par un refus , et dont 
il plioit le feuillet en dehors ; et le troisième , 
réunissant toutes celles sur lesquelles il vou- 
loit consulter avant de répondre , ou qu'il 
vouloit renvoyer' à quelque ministre ou dé- 
partement : celles-ci avoient un double pli , 
mpitîé en dedans , moitié en dehors. 

Vers huit heures , lorsque tout étoit ainsi : 



3.IO Vie intérieure et domestique 

exaiDiné , la et distribué » l'an des secrétaires 
da cabiaet entrbit , un seul , souvent le plus 
ancien , celui du moins qui plaisoit le plus y 
et que pour cela on regardoit comme lo pre^- 
mier^ Ce secrétaire^ que les trois autres atten- 
doient dans le salon , reprenoit les trois pa- 
quets Tun après l'autre; et tandis que le roidé- 
jeûnoit , ce secrétaire réduisoit à haute voix ^ 
chaque lettre à une seule phrase fort courte , 
en disant : Tel demande telle chose ; et I^ 
roi indiquoit 9a réponse avec le même laco^ 
nisme, sauf les observations particulières • 
lorsqu'il y avoit lieu. Quand > par exempb » 
c'étoit une femme qui avoit écrit , il ne man- 
,quoit pas de dire , sur-tout quand la réponse 
étoit un refus : <r C est une femme , il faut 
X) lui écrire poliment. » Le secrétaire dési- 
gnoit les ordres donnés au haut de la lettre j 
par un seul trait de crayon , tous les quatre 
ayant entr'eux pour cet objet , une sorte de 
ehifire que chacun éloit tenu d apprendre dè|s 
le premier jour de son service. Il y a deux 
circonstances qu'il ne faut pas oublier ici ; 
Tune , qu*en écrivant au roi , il falloit choisir 
ton papier et rédiger La lettre , de manière 
à ne jamais tourner le feuillet ; sans quoi , on 
lui donnoit une peine de plus et beaucoup 



de Frédértc. 51 1 

'. Il s*embarrassoit fort peu <|e Tu- 
sage qai prescrit les intervalles à garder se* 
Ion les rangs* L'autre circonstance • cest qut 
tout maître de poste qui faisoit partir de& 
lettres pour le roi » y joignait une feuille où 
ces lettres étoient désignées et comptées, et où 
se trou voit ladressé de ceux qui les a voient 
écrites : car il ne falloit pas que les individus 
jetassent ces lettres dans la boite commune ; 
on étoit obligé de les remettre dans Tintée 
rieur du bureau , et d*y donner l'adresse de 
ceux qui les avoîent écrites. Toutes ces prér 
cautions avoient deux objets : l'épargae da 
temps et le désir de n'être pas trompé* Pour 
le premier de ces deux points , Frédéric a voit 
aussi bien atteint son but qu'il étoit possible: 
et comment imaginer un ordre plus paH'att 
que celui qu'il avoit établi ? Mais pour le se- 
cond point 9 il ne put parvenir qu*à être moins 
trompé que les autres. Dans les occasions 
importantes ou intéressantes , les secrétaires 
'se permettoient encore quelquefois de sup-^ 
primer des lettres , soit en altérant les feuilles 
des maîtres de poste ^ soit en supposant q^ll 
n'y en avoit point eu. Je vais prouver ee&it 
par une anecdote particulière. 
Le roi avoit créé douze places de chirv^-i* 



313 ^ f^ie inié fleurent domestique 

gieos ffabç«fcis pour le service de ses amiécst* 
lorsqu'il étoit en guerre : ces places étoient 
un objet de jalousie pour les Allemands , on 
le peûse bien ; et messieurs du cabinet avoient 
grande envie de les taire passer à des chi- 
rurgiens du pays. A la vacance dune de ces 
places , un Français , chirurgien , jeune en- 
core et voyageur 5 se trouvant à Berlin , la 
demanda par deux lettres consécutives , et 
n'eut «point de réponse* Cet homme me ï^t 
recon^ma^dé par d'autres compatriotes j de 
sorte que , pour Tobliger , je lui dictai chez 
moi^ une troisième lettre au roi ; je la ca- 
chetai ensuite de mou cachet ; j y mis l'adresse 
de ma main ; et je la portai à la poste oomm& 
si elle étoit de moi : les secrétaires du cabinet 
ne me suspiectant pas , la lettre parvint, et 
le Français eut la'.place dès le lendemain. Je^ 
fis en cela une étourderie, il faut en convenir : 
inais mon protégé n'a voit £iit aucune men- 
tion de ses premières lettres : ainsi personne, 
ne fut compromis : d ailleurs, on ponvoît 
eroire que, mon rôle en cette occasion n'é- 
tôî.t qu'une suite de circonstances innocentes : 
le hasard a voit pu engager cet homme à me 
l>emettre cette lettre ; et sa confiance m'ên- 
gager mi^i-méme k la.clprre.el a la remettra 



de Frédéric. 313 

à la .poste: comme , compatriote y il pouvbit 
m'être connu., et indiquer son domicile chez 
moi. Tout concouroit i me justifier ; et le su&*> 
ces le fît encore mieux que tout le reste. . 

Je reviens à la: distribution des heures de 
Frédéric. Lorsque, le secrétaire ïàvorl sortdit 
du cabinet de sa me(j esté avec une immense^ 
liasse de lettres , il la partag^oit avec set' 
confrères en quatre parts à peu près^ égples ; 
et chsKHin d'eux alloit faire, les réjpon&es indi* 
quées au crayon : pour cela « ils nWoient 
pas un instant à perdre ; car il felloit - que* 
toutes ces réponses fussent . apportées à la^ 
signature à quatre heures du soir atu plus tard ; > 
il n*étoit jamais question de diner pour ces r 
messieurs : ils n^avoient pour toute Ja jour-' 
née que le déjeuner et les bouillons : le sou-* 
per étoit leur seul repas. En efiet , ils avoient. 
régulièrement une corbeille pleine de. répon-^ 
ses à faire , minutes et copies , toutes de leur 
main , vu qu'il ne leur étoit pas permis d em- 
ployer quelque étranger que. ce fût', à ce 
travail. Après que le roi aypit signé toutes 
ces réponses , il restoit encore :aux secré- 
taires à les expédier; en quoi leurs domes- 
tiques les aîdoieDt , c est-à-dire , qu^ ceux-ci 
faisoient les enveloppes^ et cachetoient les . 



3t4 ^c intérieure et domestique 

Ifttrefi , lés adrè8'sB3 devant toujours êfre 
^oritet dé la main des secrétaires eux-mê- 
mes, I^a ratsoji qui a voit fait donner cet or- 
dre , . cTfst cpie lé roi ne yonloit pas qneTon 
eût à qnî il éénvoit. 11 ikùt noter encore quW 
itioment de la signaturis , 5a majesté lisoit 
réguUiremant quelques lettrée prises au ha- 
sard t au nioitis une sur vingt , ' et que s^I 
étml arrivé quïl y eût trouvé quelque infidé- 
lité , le secrétaire qui rauroit faite , eût été , 
perdu sans ressouroe. A cinq heures ou èpea 
eprès V le tout étoit remis au chasseur ^ qui 
«rrivoit toujours à Berlin avant neuf heures 
du soir ^ et dès Finstant de sou arrivée , 
toutes ceHes de ces lettres qui étoient poui^ la 
ville y éloient portées à leur adreissé. Ainsi 
quiconque ii\aivoit pas de réponse le lende- 
main du jour on il avoit écrit , étoit assuré 
de n%n avoir plus à attendre , à moins qud 
sa démande ne fût dé nature à être renvoyéd 
à quelque ministre ou chef d'àdmitiistrafion; 
' Les quatre secrétaires du éabinet étoient 
àécessiairement esclaves pour toute leu^ vie» 
Le roi exigeoit qu'ils vécussent dans une très** 
grande solitude : on ne lès voydit nnllepàrt't 
ils navoient aucunesociété,mân^ chez eux. 
U ist vrai qixe le roî^avQit soin qullsiusseàt 



de Frédéric. 315 

bien logés ; qu'ils eussent chacun un jardia 
agréable j^ et que rien ne leur manquât du 
côté des douceur^ de I^ TÎe : leurs appoin* 
femens xuontolent d ailleurs à quarante mille 
francs par an. Mais on ne souii'roit chez eux 
aucune personne qui parût devoir être sus- 
pectée d'intrigue ou d'indi$crétîon» Jeu en ai 
connu qu'un seul qui iut marié : c*étoit le 
conseiller MuUer. Le roi 1 en lui ofi'rant eette-^ 
place , lui dit : « Je vous propose .de vous 
» ixQmoler.au service de TÉtat. Voyez si voiis 
9 en avez Iq courage. J!avois résolu de ne 
3> jamais employer d'hommes mariés dans 
» mon ospibinet ; et je sais que vous, ayez 
^ femme et enfàns : c est donc une exception 
» à une règle très-* importante, que je me 
9 déterinine à faire en votre iave\ir :> je le 
» fais en conséquence de l'estime particulier^ 
3? que j'a^ pour vous , et de la ferme espé- 
p rance ou je euis , que votre femme et voa- 
» enfans n approcheront jamais de votre ca^ 
» binet de travail ; qu'ils, ne sauront jamais 
» rien , et ne se mêleront d^aucune aQ^ire; 
D Vous n'oublierez pas en un mot que pour 
l.mofl service ^ il taut n'avoir ni, famiUe , ni 
n parens « ni amis. » M. Miiller acceptai 
parce qu'il n'osa refuser : sa nomination.lal 



3i6 Pl.e intérieure et domestique 

pour toute sa famille , le sujet d*uae proFoncîe 
afilictîon; tous f ondoient en larmes-; tant ces; 
places paroissûient redoutables à tous ceux 
qui- n'étoient pas aveuglés par Tambition ; 
ou emportés par le génie de l'intrigue. 

Lorsque Frédéric avoit renvoyé les secré- 
taires du cabinet, vers les neuf heures du 
ïnatin , il faisoit entrer son* premier aide-de*^ 
ca«îp , qui pour lordinaire étoit un oJBicier- 
général : cétoit entr eux deux que se traî- 
tdient les affaires militaires : là , Frédéric 
crdonnoit tout ce qui pouvoit intéresser la 
discipline ; il noromoit aux places vacantes 
dans ses régimens , et pourvoyoit à tout ce 
qu'exîgeoit cette branche si importante de 
son ^administration. L aide - de - camp ne le 
quittoit guère que chargé d'un long travail 
pour jusqu'au lendemain. 

Vers dix heures du malin , le roi allott 
iBonvent ^xercer lui-même son régiment des 
gardes , ou quelque autre corps de la garni- 
son de Potzdam ; et cette occupation le rete- 
noit .jusqu'à Thèure de la. parade ,* après la* 
quelle il alloit diner. Mais souvent aussi il 
consacroit c^s deux heures à des lectures î 
ou à ses compositions littéraires , ou» à la 
inUâique, on à quelques lettres particulières; 



de Frédéric. 3x7 

' Cest là le temps où il a presque composé 
tous ses ouvrages , tant en prose qu'en vers : 
alors , on le voyoit se promener dans ses 
jardins , un livre sous le bras , accompagné 
de trois petites levrettes , et suivi d'un page 
ou d'un valet- de pied : c'est alors aussi qu'il 
donnoit ses audiences , et qu'enfin il plaçoit 
les occupations accidentelles et qui n^avoîent 

^ pas d'heure fixe. Au reste , à mesure qu'il 
a plus avancé en âge , il à toujours moins 
paru à la parade , sur-tout depuis là guerr* 
de sept ans. 

A midi juste , il dinoit avec les convives 
qu'il avoit fait inviter à' dix heures du mâtin. 
Ces convivQS ont été , selon les temps \ des 
gens de lettres , quelques courtisans , des 
généraux , et les princes de Brunswick* qui 
se trouvoient près de lui. 

Ses déjeuners étoiént pour l'ordinaire du 
chocolat où des fruits ; ses diners étaient fort 
bien servis, car , si Frédéric étoit naturelle- 
ment dormeur , il n'éf oit pas moins ft iand et 
gourmand. D'ailleurs , le diner étoit pour lui 
un temps de détassement ; il y étoit presque 
toujours gai et causeur. Quand il n'avdit pas 
de promenade en vue , il prolongeoit ce repas 
jusqu'à près de trois heures ; mais » lorsqu'il 



3x8 Pie intérieure et domestique 

faisoii; bean et qu'il vouloit se promeiier , ôil 
lorsqu'il avôit à s'occuper de quelqu étud« 
ou de quelque lettre , il n'y restoit pas plus 
iTune heure. Lorsqu'on étoit au dessert , îo 
chef de cuisine lui présentoit des tablettes et 
UD crayon, et lui-raéme il écrivoit son menu 
pour le lendemain. Il aimoît parliciilièrement 
les pâtés et les fromages les plus vantés , et il 
avoît soin d'en fèiire venir régulièrement des 
pays de l'Europe les plusélbigûés. Du resté » 
il iatlott que tout fût très - épicé , et même la 
soupe. Quaiit à la boisson , ce roi préféroit eu 
général les vins de Fratice à tous les autres , 
au moins comme vins ordinaires ; il à été 
long-* temps à ne preddre que du vin dô 
Champagne mousseux , oh il mettôit la moi« 
lié eàu , prétendant que c'étoit-là là boisson 
la plus saine. Il avoit dou2e cuisitiiers , qui 
étoient ^sez bien payés ^ les uns Allemands , 
les au tr 'Français ^ et quelques-uns Italiens, 
Anglais et Russes. Tônè étoient occupés^ 
attendu que jamais tes plats assignés à l'un 
n'étoient préparés pard'aiuires ; chacun avoit 
isa tâche. Tous ces cuisiniers étoient sous la 
direction de deux maîtres d'hôtel ^ ou che& 
de cuisine y et cuisiniers eux-mêmes ^ Vvà\ 
nommé j€Q'ard\ et qui' étoit de LyOu , et 



^ Fridérki. ^^ 

Tktitre NoSl^ qui étbit dé Péiigikeuie. Ceft 
deux cheft dirigeoiént k 8ervide. de la iabld^ 
et lie Be montroient qaea habits galofinéâ^ 
Le roi lètir avoit donné pendant bien de» 
années ^ à chacun nne bouteille de Vin pÀnt* 
chaque repas ; inais à la fin 4 il bnppritnà eet 
article, persuadé qu'ils aVoient asseà de vin 
de ce que la desserte ponrroit |eur en iburnir. 
Je vu le pauvre Noël fort scandalisé dô se 
voir ainsi mis à l'eau sur ses vieux jours ; 
car Noël , très* bravé homme d'aitleuri^^ 
étoit fort attentif à tout ce qui tient à Véco- 
nomie. Joyard » plus modéré, sourioit^ et 
ne se plaignoit pas des ordres donnés à étki 
détriitient. Ces deux hommes avoieat en 
effet pour se 4édommbger ^ outre dé fo^t 
bons gages » des profits journaliers assez 
considérables sur les iburmtùrés« D'aBord ^ 
Frédéric leur avoit payé dn réisdallér par 
plat ; ensuite , il étoit descendu à vingt grbs- 
chen « puis k seixe ou un Aopin , et ebfin* à 
douze groschen « ou à un deini-TeildaUcv. 
Cette manière de payer les frais de 4a taUe» 
le dispensoît d'entrer dans'lee comptés de 
tout ce quil faut pour raccommeda||^ } il Oe 
payait en un mot que les plats* Sur quoi; il 
4attt observer que les çaisiaiers avoieirt gratis^ 



#3^ ^i^ infirietarè et domestique 

x^. autant dé bois qail fenr ^toit possible 
d'en brûler, la compagnie qui en a voit after- 
mé la vente » s'étant engagée à en fournir 
annuellement une quantité considérable au 
x<A « à la ïeine , etc. ; 2^« une abondance 
très-sufiisantede beurre de la meilleure qua- 
lité , qui venoit à termes fixes de la vacherie 
hollandaise, que Guillaume I®^ avoit établie 
sur le Hawel, et qui occupoit plus de quatre 
•lieues carrées dyxcellens pâturages; 3^% un 
avantage encore tout pareil pour tout ce qui 
est gibier , les baitli& et les forestiers étant 
tenus par leurs baux', d'en envoyer tant 'e< 'de 
telle espèce ^ aux cuisines royales ^toutes les 
semaiiies ^ paries chàrriotsde posté , et à leurs 
•frais, conformément à fétat qui leur en avoit 
^été remis. On voit que de cette sorte ^ les 
.ctie& de cuisine n'avoient: à acheter que les 
viandes de bouxsherie et le poisson ordinaire, 
•objets qui ne' sont pas chers en ce pays -là. 
Tout cexpiL est^étranger où extraordinaire > 
ne se fournissait que par ordre et au compte 
: particulier > du roi c is'étoieiit des articles à 
f part ^ ainsique les vins , liqueurs ; thés , caiéà, 
H^iocolat y sucre , coufiturçs y et ce qui entre 
dans lessdesserts* Je ne parle pas des légumes 
. et menues fournitnxes ; ces ' oheses rsstoîen t A 

la 



de Frédéric. » ^ 3IÏ 

la charge des chets de coisieé ; mais les 
]égumes kur étoient plus que payés , quand 
iis en Jaisoientdes plats. On voit par ce* 
détails , que Ibnrn a dît et répété qu une pure 
fiable , lorsque l'oq a assuré que Erédérife 
payoit s» dépense dev tsA)le à tant par tête ; 
c est ee qui n a jamais eii lieu. 

. Ajoutons encore un point important : le 
Foiainioit beaucoup* les fruits à noyau , et il 
avûit soin d en avoir toajourijyautant qu il Itri 
étoit possible. On en voyoit icommunémeoNt 
ehez lui quelques assiettes placées sur les 
consoles 5 de manière qu on se promenant^ il 
en prenoit de temps en temps quelques-uns; 
Ces, fruits lui fàisôient autant de bien quedtt 
plaisir.; .on peut même dire qu'ils étoi^it née- 
cessaires à sa santé. Lorsque son goût à cet 
égard fut connu , les jardiniers les plus richei 
eurent bientôt des serres ^ da^8 l'espérance 
de lui plaire en lui envoyant de ces fruits à 
noyau . dans. . foutes leSi saisons. Il les payoit 
quelquefois fort cher ; on Ta vu y dit-on ^ donnelr 
jusqu'à un ducat d'une cerise ; il en a étë de 
même des prunes de bonne espèce et'dd 
plusieurs autres fruits ; les ananas se payoieni 
encore mieux. Ce genre de luxe a été fort 
utile au pablic ; il .ea est résulté dabord à^ 
J. 



ga2 P^ie intérieure et domestique 

^oïzàsm et à Berlin , et en suite dans qud- 
ques campagnes , un genre de culture très- 
agréable et très-sain» qui auparavant étoit 
•entièrement inconnu dans ces climats , où 
l'on n'avolt guère en général que' les navets , 
les choux et les patates, Frédéric avoit donné 
Texemple à ses sujets ^ en faisant cultiver 
«avec soin ^'immenses espaliers dans ses jar- 
dins de Sans * Souci , tous disposés en ter- 
jrasses depuis le haut de la monfagne jusqu^ea 
j)as, et sous lexposition du midi. 

Lorsque , dans Taprès-dîner ^ les secrétaires 
idu cabinet étoient repartis avec leurs lettres 
fi^aées, leroifaisoit entrer le secrétaire de 
fiés commandemens, lequel étoit le plus sou- 
•avent chargé de la correspondance avec Ta- 
ciadémie , les professeurs de diverses écoles » 
les savans et les artistes , tant régnicoles 
4[]U'étrangers ; quand toutes ces branches ne 
/donnaient lieu à aucun travail , la lecture et 
les compositions httéraires prbfitoient de cet 
espace 4e temps. , 

A six heures , le coticert eommençoit ; il 
^uroit une heure. Frédéric y jouoit de la 
flûte ; bien entendu que s'il lui arrivoit de 
manquer, à la mesure , c'étoit à ceux qui Tac- 
icompagnoieiit k couvrir sa faute , ou à eu 



». 



dô^ Frédéric. ^ 3^3 

essuyer le réproche. Je lai souvent entendu^ 
et toujours avec plaisir. Cependant, à mesure 
qu'il perdoit quelque dent , son soufile pro- 
duisoit un bruit plus sensibb , qui gâtoit ua 
peu les sons de la flûte. 

C etoit à pied qu'il faisoit presque toujours 
ses promenades de Taprès-diner , exercice 
auquel il se Hvroit sur- tout aux mois de juillet 
etd'a-oût^ époque où il prenoit les eaux. Pour 
Fordînaire , il alloit de Tua de ses deux châ- 
teaux de Sans-Souci à lautre. La distance est 
asses grande , et il en soutenoit très-bien la 
fatigue » quoiqu en général il ne parût pas 
être fort sur ses jambes. Comme il ne pre-* 
jioit cet exercice que pour raison de sa santé» 
il ne cherchoit quà s*en taire un amusement» 
ce qui le ramenoit naturellement à la gaîté et 
au persiflage. Aussi n'aimoit-on guère à être 
choisi pour fy accompagner. Il y eut une année 
où , par je ne sais quelle prédilection » il y 
appela presque tous les jours M. le comte de 
Schwévin^ devenu de général grand écuyer^ 
et qui , assez petit de taille et replet , n'ayant 
guère été qu'à cheval toute sa vie , et çômp^ 
tant près de soixante et dix ans , ne suivoit 
sa majesté qu'avec peine , suoit à grosses 
gouttes I et se trouvoit presque toujours un 

X J 



3^4 ^^ intérieure et domestique 
pas ou deux en arrière. M. de Schwévîn 
n'étoit pas homme à dissimuler Vhumeur que 
lui donnoient ces promenades ,, et cette 
liumeur étoît pour^ le roî goguenard un 
amusement de plus. Un jour le monarque le 
conduisit encore plus loin que de coutume , 
et voulut revenir sans s'arrêter* Il ne leur 
r es toit plus qu'un quart de lieue à faire , 
lorqu'ils trouvèrent une chaise à porteurs' 
derrière un buisson. Frédéric, tout en rail- 
Tant son écuyer, le Iqrça d'en profiter; mais 
à peine se remît on en marche, qu'ayant 
mille choses à lui demander , il ne cessa de lui 
faire des questions , passant continuellement 
de la droite à la gauche^ et de la gauche à la 
droite ; de sorte que le pauvre M. dé Schwé- 
vin , pour lentendre et lui répondre » ne^fit 
que ise jeter Successivement à lune et à raùtra 
portière , et arriva bien ^lus fatigué, que s'il 
eût fait tout le chemin à pied; Lé titre S ex- 
cellence qu^on ne cessoît de lui* prodiguer, 
ne put l'empêcher d'en témoigner une çorte 
de colère qui nianqua de les brouiller , et 
qui 5 du moins , lui valut quelques jours de 
repos. 

Après le concert ou la promenade, la con- 
versation ne jntinqubît guère de reibplir le' 



I 



deFréd(iric. . gzS 

jTfistç de la -soirée ^jastpi'au souper, c'est-àr 
dire jusqu'à dix heures; Maia, après la gu«rjfo 
de sept ans , Frédéric ne soupa jpius , et ejuj: 
jen conséquence des'soiré.es de dei^x espèces ; 
les unes, où il faispij: appelcf tçois , quatre 
ou au plus six généiraux .ou autres courjLi- 
sans , aux^quels il fai^oit servir un souper de 
quatre plats, sans compter, le dessert.; et 
les autres , où il .n'y avoit point de souper , 
parce que ceux qui|^ faisoit appeler, ne- 
.toient point du nombre de ses comme n?- 
saux. Bans le premier cas , il envoyoit soa 
^mpnde souper ,. lorsqu'il vouloit se coucher _, 
^c est * à - dire , à dix heures au plus tard. 
Quelquefois cependant la suite de la cqnver* 
ac^tion l'çngageoit à les accompagner jusque" 
dans la salle à manger ; mais il ne s'y asseyoit 
jpas ; il leur servait un plat oo deux en eau»» 
sant , iet disparoissoit. Dfins le second cas* » 
c étoit aussi vers la même heure qu'il congér 
dioit les interlocuteurs. 

Dans cette distributipii de toutes les^ heurefi^ 
de sa journée ,"on voit qu'il a eu pour obj^t 
de se délasser le soir des travaux et des soucîfs 
du matin : il vouloit , pour se procurer un 
meilleur repos retse mieux préparer /aux fa- 
tigues du lendemain^ se débarrasser l'esprit de 



. 3i6 T^ie intérieure et domestique 

tout ce qui ayoît pu roccupër, Tinquiëèer^, oa 
I agiter plus vivement dans les afiaires qu^îl 
avoît eu à décider. 

Sî^ Ton daigne considérer arec attention 
cettfe distribution si régulière et si constante 
de toutes les heures de la journée , on verra 
qu'il seroit difficile dé se former un plan plus 
sage , ou mieux assorti au désir de faire cons- 
tamment et bien beaucoup de besogne. Com- 
bien d affaires un homme comme Frédéric ne 
devoit-il pas expédier dans un travail journa- 
lier des quatre premières heures de sa matinée, 
sans jamais y éprouver ni interruption, ni dis- 
traction ! Et les trois heures suivantes éloienf- 
elles moins utilement employées ? Observons 
que de plus un grand nombre d objets très- 
împortans , renvoyés à l'après - midi , suffis 
roient pour efirayer des hommes moins la- 
borieux çt moins expéditifs , sur-tout si Ton 
Bonge qu'il faut y comprendre ses lettres à 
ses parens « et à ses amis , ainsi que ses lec- 
tures et ses compositions littéraires. Il faut 
convenir <|ue la sagesse de ce grand roi dans 
Tordre qu'il s'est proposé de suivre , et son 
invariable constance à y rester fidèle , est le 
trait de sa vie qui le distingue plus parti* 
culîèrement , et pour Jequel il sera plus difiî- 



de Frédéric ;^ 

cile de trouver d'autres souveraina qui puis-* 
sent lui être comparés. 

Son. appartement particulier à Berlin , n'é- 
tpît point celui, que son père avoit occupé : 
il étoît même assez petit. Un grand escalier , 
du côlé de l'ancienne place , conduisoit d'a- 
bord à- la salle des tapisseries des GobeliAs; 
et de là en allant à gauche^ on troùvoit ler 
salle de la table ronde , ensuite .la salle d'au-* 
diencç , qui étoit aussi celle du concert : de 
œlle-ci , on passoit à un bout seulement d*un» 
longue pièce ^ qui étoit la bibliothèque de sa 
majesté , et enfin dans une sorte de rotonde 
qui luiser'tfoit de cabinet^ et où il se tenoit 
toujours. Une porte masquée conduisoit par 
un côté opposé. , de. ce cabinet dans un corri- 
dor, qui en passant devant les chambres des 
pages et. des domestiques , aboutissoit à uit: 
autre esqalier qui descendoît dans la cour. 

Au dessous de ïappartement du roi , c'est*- . 
à*dire, au rez-de-cbaussée^ étoit , au moiu& 
de mon temps , l'appartement du marquis^ 
d'Argens^ Le second étage étoit occupié par ta 
reine. Tous ces appartemens ne prenoient ^ 
guères que le quart du château ; de ,sort»^ 
qu'il y avoit je ne sais combien de très»grandes 
salles et de logemens assez vastes qiii n'étcieiii 



V 



jaft*, f^ie intéuèùrett domestique 

point occupés • iiidépeirdan)tneot*4Niiid ddte 
de spectacle , de deux corps-de-gardê , d'itou 
cabinet de curiosités^ des cuisines et des lo- 
gemens des dameis d'honneur' de 1à reine , 
des pages ^ de la grande gouvernante , et d'un* 
grand nombrexle domestiques, etc« ' 

Je n'ai point parlé des écuries du roi , parce* 
qu'à Berlin', eUes sont au manège où loge le 
grand'écuyer , et assez près du château. Du 
reste , Frédéric n'avoit point de luxe-sulr ce 
point I je suis persniadi^ qu'il >n a jamais eu plus 
de six ou huit alftelages , et' d'une viogtaide 
dé chdvaux de selle ; comme il étoiVi*ort éloi- 
gné ."dfaimér'la ^cha^se, it n'aVoit point de* 
mettes ; et Loa cdnqoit qu'il lui fallut beau- 
coup moins de ehevaux qu'aux autres princes. 
Je ne lui ai connu (|n'iin seul ol^et dtf^Iûxeu les 
iahatsères : il en avoit , dit-on , <^\i\zà cents 
dont un girand nombre étdient ïott riches. Je ' 
lui en ai Vupreique toujours quatre^ cinq ou 
si^/tairt dans ses poches, que sur sa table. Du 
reste , il ne pretidt que du tabac d'Espagne. 

" Ses. meubles ^ si simples d'ailleurs ^ éroîent * 
rongés par ses. levi^ttes ; et il se bornoil à * 
en plaisanter^ « Mes chiens » disoit-il , dé- » 
a> chiren^mes &ntêuils: mais qu'y faire? Si. 
» je les* &isois raccommoder au JQurd'hui , ce * 



m ^eiPoit à jrejlQQi.<n^ii0er demain. Il faut bien 
» prendre patienoie c> au bout du compte i u&é 
3) marquise de Pont pa c u rae couteroît bien 
9 davantage , et:me:seroif moina attachée , et 
» moins fidell^ev 'd. Au. reste ^ je' parlé encore 
ailleurs de ses leyjr^tf es. ; je n'ajouterai ici su? 
<;Qt article ^ que'deux choses à ce <î[ue j'ôn ai 
dit : la preniière.e^t qu/Q ïon prétend qufe, je 
ne^ sais pa?: queliq feibl^sse-, il étort fort dis-» 
posé à; se préveiiir contre ceux que ces chiens> 
accueillpiçnt mal :. il imaginoit, dit-on ^ qud 
lodprat et Tinstinct de ces animaux pou^^ ^ 
voient Jear iiiire sentir si «eux qui Tappro-^ 
choient avoient ou non avec lui quelque sortes 
de. sympathie. Ge que j ai bieil observé ,' C est 
quou lui fàispit une peine infinie , lorsquonf 
leqr marchoit sur les piattes : car dès qu'on, 
entroit «tous les trois couroient vers la porte^> 
e.t entourpienl ceux qui se présentoient ; chosefi 
àssejz embaj^rasÂante^ lesoir sùr^tout , à causer 
de 1 obscur! té qui couvroit lés.làpjsv Le:itiaW 
heur de blesser ées' chiens ne m«^t jamais ar-'j 
rivé : mais je Tai vu arriver à d'autres v' à^qûil 
le rgi disQit,ayeQhumeur:;udf%//>rtfnrz^£^oncr'! 
garde ! J*ai eu de plus à cet ëgalad^ uhëautrei 
bonn^e ibrtùpe : cest que. jaipais ces .cHièns 
n'aboyoient après moi :i ils« yenoicnt^ pour)\ 



33^ ^^ vïtérleur^êt ddfmestique 

liinsi dire , me rccônnottre en silence 't et re* 
tournoient tranquilièbienl * à leufrd^ places. 

Ma seconde anecdote^ est que dans le9> 
vo)rages i et même lorsqu'il faidoit la guerre ^ 
il prenoit ordinairement tincde ses levrettes , 
qu'il pdrtoitsiir la poiirfAe«et sous sa vestev 
On raconte que dans une ^d^ Ses guerres , 
étant allé reccHinoître Tarinée ettnemîé , et 
ayaut été vivement poursuivi par les Autri- 
chiens, de manière à risquer d'être pris, ilavoît 
trouvé daus un détour ^ et en descendant une 

r colline , un pont sous lequel it s'étort^ttaché; 
que les ennemis avoient passé et repassé sur 
sa tête, sans, avoir eu la pensée de regarder*, 
sous le pont ; et qu'en cette circonstance , sa 
petite chie^me » qui en général éloit fort har* 
gueuse , n'avoit respiré qu'à peine y non ptu9 
que son cheval ; ce quil avoit d autant mieux 
remarqué , que sa principale crainte alors 
avoit été .qu^le ne le décelât en aboyauK 
G!est pour cela , dit-on , qu elle lui a toujours 
été si chère.; et que quand elle est morte ^ it 

. litî a fait ériger dans les jardins de Sans^ 
Souci , un tombeau en mari>re , avec une' 
honorable éjûtaphe. 

Il fit prier un jour son médedn , M. Gothé^ 
nius I d osdoDuer quelque remède pour ua ' 



^v 



r 

\ 



âe Frédéric . %^x 

fle ses chiens qui et oit malade. Les domes- 
tiques* qui ia'aimoient pas ce médécid , liiî 
apportèrent Tordre de venir VtJÎr tttï ëhien 
malade; Gôthénîns se'crut insulté , et ne virit 
pas : les domestiques , dans leur rapport, 
dirent qu^il avoit répondu aveé humeur qu*it 
iï'étoit pas médecin de chiens ; et cette calom- 
nie fit congédier le médecin. 

' Les ameublemeris de Frédéric' étoient an- 
tiques et assez simples : cependant on voyoit 
qu'il avoit autrefois préféréles couleurs douces 
et tendres , et sur- tout la couleur rose. Quant 
à sa garde-robe , elle se réduisôît à quelques 
uniformes , un habit ou deux de velours , six 
èheiïii^es , qu'on remplaçoit tous les* airs , et 
le reste à proportion: Cétoit uti 6 règle pour 
tons* les princes de cette maison , de n'avoir 
que six chemises , au moins quand ils faisoient 
campagne. J'ai vu le prince Henri partir pour 
commander une armée de cent mille hommes , 
n'avoir que douze mulets pour, porter tout 
son bagage^ sa tente , sa chancellerie, ete.^ été. 
Parlerai- je ici de ce qu'il a feît pour les 
arts , et du goût qù*il s'étoît formé ? II a eu 
plusieurs sculpteurs français. , et entr'âutres 
Adam y qui modela la statue du feld-maréehal 
Schwerin , ef 'qui ensuite quitta ta Ptlisse 



332 /^iV intérieure et dpmestlgue 

pour reyeHir en France : je ne dis rien îoî 
de Tasfiaart, dont je p^rle alUeura , et dont 
le marché fut.^ait par Vf^tr émise de. d'Aïeux-, 
bert. Enfre Adam et Tassaert , il y .a eu uu 
autrq sculpteur ^ qui l'a, quitté comme lepr.e- 
^ipr ., et qui . après çoti retour en Frapce • 
ne rççevant aucune réponse à plusieurs ré-* 
damations ^ lui à écrit uuç lettre de reproches 
et dm jures , dont j'ai vu la copje entri? les^ 
psains^ du chargé d'affaires de France , à qui 
cet homme Tavoit adressée. Cettelettre , écrite 
ah irato ^ n'étoit pas mal rédigée : le ton en 
étoit ferme et hardi : elle étoit même as^e2( 
ïioble et philosophique ; il n'y avoit d'injures 
que par le fond des choses; mais , à cp 
dernier égard , on n'y trouvoit aucun ména- 
gement ni adoucissement. Les fîlouS;>. les 
suborneurs ^ les voleurs de grands chemins , 
y étoientpflerts coipme objets de comparaisoii 
gui méritoient la . préfqrencQ , parce qu'au 
moi^3, ou avoit contre eux des secours. ou 
desn^pye^s de véngeauce. Frédéric méprisa 
cette Jiejttijç i dpat pu, ^'a, jaip^is parlé » et 
qui ,. adressée à tout autre^souverain ^ auroit. 
évidemment causé la pejte de son autei^*. 
Fr4dérip aeupour pfi^t^^^çiédée Vanloo, 
qui^ a^peUt les plafQndg^d]}<.zioayeau Sans^^ 



de Frédéric. 333 

Soucî ; après quoi , il est aussi revenu en 
France , sur- tout à cause de ses enfans. 

H a eu*, à titre de yernisseur , uti lieveu 
àxL ôélèbré Martin , lequel quitta la Prusse,* 
pour Venir périr à' la plaôe dé Louis XV , 
au mariage de Louis XVI ; et ensuite un' 
M. Chevalier , que j'y ai laissé. 

Il a eu un architecte français ; nommé 
M« Léger , avec lequel il s'est brouillé , à 
Foccasion des plans du nouveau Sans Souci, 
t\ qui est venu yégé fer à Paris. Léger avoitfait 
de fort Beaux plans pour ce second château :' 
le roi adopta ceux qui avoien't pour objet 
le Grand-Commun ; et cet édifice" est en efief ' 
régulier et fort beau : mais on ne fut pas 
d'accbrd pour le cliâtèàu : s^attiajes'té n'^ vou- 
fut point d'iautre porte d'entrée <ju*unecroi-' 
sée prise aii milieu de' la grande façade, et 
dui s'ouvre jusqu'à terre : cette entrée qui ^ 
selon Léjger , devoit' présenter une porte 
noble et convenable, dévoît aussi, selon 
cet architecte , s'ouvrir sur un vestibule 
assez vaste , ayant un grand et superbe 
escaîijr pour conduire à l'étage supérieur. 
Le roi voulût placer un escalier ordinaire* 
dans une pelîfè pîècç à gauche, et convertir 
le vestibule en une grotte antique. Légefr 



334 '^^'^ intérieure et dolnestique 

déclara qu'il ne desâineroit pas ces nouvelles 
dispositions : la dispute séehaufta : tous les 
deux furent aui^si tenaces et aussi vifs Tua 

- « • ' 

que lautre.... « Je suis le maître, disoit la 
» roi i et je veux ^ j ordonne que ce dessia 
n^ soit refait, et exécuté selon mes idées! — 
» Mon honneur y est intéressé , répondoit 
30 Léger : je ne le sacrifierai pour aucune 
»> considération : Léger ne dira pas lui-mêma 
» à ses successeurs , qu'il n'a eu qu un goût 
9 baroque et barbare , qu'il à entièrement 
» ignoré son art ^ ou qu'il a eu la lâcheté d'ea 
» violer toutes les règles par une fausse com«> 
}) plaisance. » Ou a prétendu que dans l'ex- 
trême agitation à laquelle ils s'abandonnè- 
rent tous deux , Parchitecte avoit porté la 
main sur la garde de son épée. Il est très- 
certain que^ si ce fait est vrai , ce n'a été ' 
qu'un mouvement involontaire et machinal j^ 
sans aucun dessein de sa part. Quoi qu il en , 
soit, ils ne se sont plus revus ; Léger est 
parti , et le nouveau Sans-Souci a été cons- 
truit comme le roi l'avoit décidé. C'est dans 

• • • » 

cette grotte que Frédéric ddnnoit à souper 
aux officiers des régimens employés aux ma- 
nœuvres qui avoient lieu à Potzdam , tous les 
ans ^ au mois de septembre. 



de Frédéric. 335- 

Dans un bosquet , placé derrière. ce châ- 
teau , on trouve un assez petit hàtiment 
en rotonde , que Ion nomma le Temple, 
d'Apollon. Frédéric y fit rassembler tout 
ce qu'il put recueillir d'ustensiles antiques , 
sur-tout en ce qui sert dans l'intérieur des 
maisons , pour le jour ou la nuit ^ pour la 
cuisine ou les appartemens ,. et aussi pour, 
la culture et les arts mécaniques. Mon col« 
Ïègue^ M. Stoss , fut chargé de mettre toutes 
ces pièces en ordre, et d'en, faire. le; cata- 
logue 9 travail qui le retint à Fôtzdam près 
de trois semaines. Frédéric fut quelque temps 
fort assidu à y passer quelques heures pres- 
que tous les jours , lorsqu'il habitoit ce 
château. 

Ce roi s'étoit procuré une grande collée-* 
tion de plans de bâtimens : il avoit des mo* 
dèles de ceux qui ont été un peu célèbres 
chez les anciens , et pour les temps modernes 
chez les Italiens, les Français , etc. ; et c'est 
en étudiant tous ces modèles , qu'il déter- 
mincit ses choix ; c'est à cette étude qu'il 
faut rapporter tous les bâtimens dont il a 
décoré Berlin et Potzdam : car il a , pour, 
ainsi dire , rebâti ces deux villes à neuf. 
^Cependant il v a quelque chose de singulier 



I 

335 Vie intérieurs et âorhesiiquô 

dans tous ses bâtimens un peu remarqua- 
Bles, conirae, i^. je ne dis pas TArsénal'j qui 
est un édifice admirable , mais qui n'est pas 
de lui ; je ne dis pas TOpéra , qui est gêné- 
ralement estimé et admiré par tous lés ar- 
chitectes ; 70 ixt dis pas ïnéme THôtel àei 
Invalides ) qiiî est tdutà la fois vaste', solide , 
et bien distribué , et tjui ési célèbre par cette 
inscription- si juste , fouiliie pai^ Maupertuis :. 
Lasso • sëd îriuicto militi : mais je' dis. le pa- 
lais du prinôe Henri ; qui* , quoique biei^ 
distribué en dedaiï$ , ofire au dehors line ar- 
chitecture Idut-de^ épaisse, rétfécie , écrasée,' 
et cependant ordonné siir des modèles d ar- 
chitecture rtaKenne ; 2^. la Bibliothèque pu- 
blique , dont la forme extérieure ressemble 
à celle d^une grande commode , dant la dis- 
tribution * intérieure est étranglée par les 
contourè des principaux iliurs', et dont l'ins- 
cription Nutfimentwn Spirltûs ]t fourni par 
Frédéric coûtre favis dô Qtiintiliùs -Icilius » 
meilleur latinis^te que Ilii% est anti-latine et 
gothique. 

Malgré tous les reproches seriiblableis que 
Ton peut ftire à ce grand roi ^ ri faut cepen- 
dant cÔBvenît qu'il a fàif'dé ÎBèrlin et dé 
Potzdanr, deux des premîèri^â vîUès de l'Eu^ 

rope. 



à'e Frédéric* ^f 

tope , au premier aspect : on ne peut pas se 
ligurer combien de. maisons il faisoit bâtir 
par an , sur -tout dans les principales rues ;. 
inaison^ dont il faisoit à ses propres frais ^; 
toutes les parties extérieures, les décorations > 
la toiture, et même les principaux murs né- 
cessaires aux distributions intérieures ; ou* 
yrages que sion architecte Bauhmanu exé- 
cutoît toujours avec tant de célérité, que 
nous les appelions les champignons de JFré*. 
dérie. Il est vrai que, de cette sorte, il ren^ 
yersoit les masures, des qitoyens ; mais c'é- 
toît pour leur remettre da^is Tannée , de belles 
et solides maisons qui valoient dix fois mieux: 
encore faut-il s'imaginer que c étoient des rues 
entières qu il faisoit ainsi reconstruire^ dans 
une même année» 

Il encourçtgeoit de même tous les arts, 
autant que cela lui étoit possible. Mais il 
avoit ses gens affidés : pour les bijouteries , 
par exemple » il ne passoit pas une année 
sans faire faire quelques ouvragjBs précieux 
de trente ou quarante mille francs , au bijou** 
tîer Boson et à messieurs Jordan : il i-eve* 
noit toujours aux mêmes maisons , à moins 
qu it n'ait eu essentiellemeiit à s'en plaindre^ 

On voit.ayecqupl soin il chercboit à tourner 

!• Y ' 



ggJS Vie intéiiéure et d^mesiîguê 

aa profit de TEtat et de aes sisi^ets , in^e SM 
goûts particuliers : oar il uWectîoBnoit qa^ 
œux qai jouissoi^nt de la meilleure réputa« 
tion pour leur probité et leurs talens. 

Ce rbi n's^voit auprès de sa personne ^ et 
pour son service , qae cinq valets de pied 
et deux pages : point de valets de chambre, 
point de heiducs , etc. Il avoit , à la vérité , 
plusieurs antres pages élevés à ses frais ; 
mais il ne s'en servoit que très^rarenient , et 
pour la parade , dans des occasions extraor* 
âinaîres : il avoit aussi une demi ^ douzaine 
de coureurs ^ dont tout lei service se bornoit 
a marcher assez lentement devant lui dans 
les rues de Berlin , qtiand il al loi t à l-Opéra , 
ijtr'il revenoit de faire ses revues dans la 
l^laine de Temploff, ou qu'il avoit quelque 
autre courise à faire dans la- vill^. Eh général, 
rien n'é toit plus simple que lui dans son in- 
térieur : rien n'étoit également plïis modéré. 
Il vouloit , sans doute , une exaclituda très- 
régulière : il ne pardonnoit pas même à ceux 
qui s'en éeartoient : mais ceux qui remplis- 
Boient leiirs devoirs avec fidélité , étoient sûrs 
de trouver en lui le plus paternel , le plus 
doux et le meilleur des maîtres : il ne parloi^t 
jamais à ses domestiques ^ dans leur service 



â^ Frédéric^ . 339 

t)ràînaïre , cju'en leur donnant avec atie vraie 
bonljomïe de famille, la qualification de niein 
kind^ c est»-à-dire , moTi enfant. 

Durant la guerre de^ sept ans , lorsqu'il 
ëtoit à Dresde , il vit un matin pdlir et 
trembler le domestique qui lui apportoit son 
dëjeûner. . . « Qu'ave? - vous qui vous fait 

» trembler? » lui dit-il d^an air et d'un ton 

, ■ > ... 

sévère. Le domestique crut qi;ie son crime 
étoit découvert , et se jieta à genoux pour de- 
mander grâce. On fii l'essai du choQolat que 
ce maJheureux apportoit ^ en en faisant avaler 
' à quelques animaux qui périrent tout de suit^*. 
On a cité dans le temps les personnes qui ^ 
fliapit*on , avoient séduit le domestique , et 
l'on a même fort circonstancié toute cette his^ 
toîre : mais je n'entre point dans ces détails ^ 
parce qu'on ne m'a rien prouvé : quels qu'aient 
été les avçux de celui qui servoît le déjeuner » 
et les motifs de politique ou autres qui ont 
déterminé Frédéric à couvrir toute cette af- 
faire d'uiî silience absolu^ il n'y a eu dans |o 
temps aucune procédure : on n'a même par je 
quç mystérieusement de ce crime ; et le cri- 
minel en a été quille pour être envoyé comnje 
tambour dan$ un xé^m^vA. au fond de la 
Fru$s0, 



34^ f^i^ intérieure et dôme stîqu0 

Il arriva de mon temps , qae darabt ail 
de ses voyages exx Silésie , on fît un vol con- 
sidérable à sa chatouille à Potzdam , dans ses 
appartemens. Il courut plusieurs bruits à ce 
sujet : on voulut deviner le voleur : maïs Fré- 
déric, instruit ou non , n*en parla pas. Il ny 
•ut point de poursuites ; et il se contenta de 
mieux prendre ses mesures pour 1 avenir. 

On raconte aussi quun jour oii on lui pei-> 
gnoit la misère d'iin de ses anciens serviteurs^ 
il avoit répondu : « L*imbécille ! je lavois 
» mis au .râtelier : que ne tiroit il du foin ? » 
Cette répartie semble indiquer qu'il trouvoit 
bon que ceux qui le servoient se fissent faire 
dres présens par les solliciteurs ; et en efiet , 
ceux qui montroient ses châteaux et ses ap- 
partemens en son absence , mettoient fort 
peu de réserve à se faire bien payer : cVst 
ce que je puis dire entr autres du savoyard 
qui avoit la garde du nouveau Sans-Souci. 
Cependant il ne falloit pas pousser les choses 
trop loin : il. ne falloit pas provoquer les 
plaintes et le scandale ; car, en ce cas ,1e cou- 
pable étoit chassé. Il semble qu'il avoit pour 
principe^ de pardonner beaucoup tant qu'il 
pouvoit paroître ignorer les fautes : mais si 
elles reveaoient jusqu'à lui avec quelque 



êe Frédéric. 341 

ëdat, il n'y avoit plus d'indulgence à es^ 
pérer. 

Lorsque Beautnarcbais eut acheté les ma- 
nuscrits de feu M. de Voltaire , il fit faire- 
iine copie de la pièce que cet auteur célèbre- 
avoil composé sous le titre de son testament^ 
pour y décrire à sa manière , sa brouilleri© 
avec Frédéric , à l'époque où il revenoit do 
Berlin en France ^ et son arrestation, ainsi 
que celle de madame Denis sa nièce , à leur 
arrivée à Francfort. Beaumarchais adressa 
wtte copie au roi de Prusse » avec une lettre 
où il présentoit ce morceau comme plus, 
propre qu'aucun autre à exciter la curiosité 
des lecteurs , mais où il ajoutoit qu'il avoit cra 
ne devoir pas le publier y sans l'avoir mis 
sous les yeux de sa majesté , disposé à le sa- 
crifier si sa raajesté^ le desiroit ; bien assuré 
quelle daigneroit considérer que ce iestOr- 
rnent entroitpour beaucoup dans les moyena 
de récupérer le prix que cet a<;hat lui avoit 
Gpùté. Le roi lui renvoya son manuscrit,en 1& 
^merciant de ses offres , et en lassuraiit qu'ils 
f»lâoit des. vœux pour que son entreprise ré- 
pondit pleinement à son attente. Caron de* 
Beaumarchais 5 piqué sans doute de n'avoir 
l^asréusdà se fairepayer par Frédéric, unma^ 



34* . ^i^ intériâizTû et âomestiquc^ 

nnscrit qui n aaroii pas moins été publié -p^ft 
la suite , en fît d abord une édition à part ^ 
qu'il répandit dans toute TËurc^. Le li- 
braire Samuel Pitra en ayaiit reçu vingt«Ginq ' 
ie:temptaires , vint me consulter pour savoir 
s'il pouvoit les débiter , ou s'il devoit les ren* 
voyer. Je lui fis une lettré qu'il adressa au 
rôi avec un exemplaire , et ^n lui demandant 
ses ordres. Lé roi lui ré|)ondit qu'il poavoit 
lés vendre, pourvu qu'il n'y eût ni afiecta- 
tion lii scandale dans sa manière de les an« 
noncer. Eu deux jours , tout fut erievé à 
très -haut prix. 

' Tout le inonde sait l'histoire des deux 
plages : je n*en dirai donc que deux mots , et 
aillant qu*il en est besoin pour démêler le 
fait historique d'avec tout ce qu'on y a ajouté 
potir accommode^ ce sujet au théâtre. Le 
roi allant \\n - même appeler un de ses pages» 
le trouva endormi dans sa chambre attenante 
au cabîact de sa majesté : le jeune homme 
avoit sur ses genoux , une lettre par laquelle 
sa mère l-e remercioit des secours qu elle en 
aVoil reçus. Le roi prit la lettre et la lut ; 
touché des vertus du fils et des besoins de 
[a mère , il mit un rouleau de eent ducats^ 

<iau$ U [)oohe du prcsùei: , et aeretira^ Ensuite 



fKmr i9^trQ FhoBnéteté de ce jeune I^mne 
à une aouvelle épreuve , il. fei^it durant 
quelques inatois de craindre ^ue cet argent 
iieût éié dérobé, et fiait par ordonner de 
feuvoyer k la ouèjre. Tout le reste de la pièce 
fkesi que fable : les pages d« la chambre 
eut au moia$ Xk^iia k quatorze ans : U leur 
faut bien c^t âge ppu}; pouvoir suivre à tran<^ 
é trier , dans tous ses voj^ages , un roi qui 
iait jusquà vingt* cinq iniiles d*AIleQ3.agQ^ 
par jour* L'arrivée de la m&re et de la sœur 
n'a aucun fondement : Fauberge ^ le r-olô de 
Taubergiste et de sa femme i ^ont de pure 
imaginatioc*. Lapparitioa du roi dans cette 

> auberge est une absurdité révoltajâte 5 etc. 
Mais à lauecdote dju page , je vais en ajou* 
ter une autre qui y ressemble beaucoup , et 
qui^ quoique bien postérieure » n en est pas 
la copie*. Daus uu régiment de hussards eH 
garnison en Silésie , étoit un brave soldai; 
bien exact à tousses devoiss, mais qui ayant 
plus de soixante et dix ans 5 déplaisdit av^ 
général , parée qu'il lui sembloit déparer le 
eorps et la eoû^pagnîe , par ses rides et ses 
ebeveux blaafCs. Le gékiéral lé topirinenta 
longrJtem^ps pour le déterminer à recevoir 

. \e^ ini^ièi^« Il £sait ob^erveo: qu en Fru^jsp , 



344 ^^ intérieure et domestique 

être congédié comme invalide ^ c'est à peu 
de chose près y être condamné à mourir de 
faim , puisqu'^im invalide n a que trois sous 
par jour : il faut se rappeler de plus que 
dans ce n^êiiie pays , les soldàtls sont enrôlés 
pour toute leur vie, et que par conséquent 
on n y donne pour l'ordinaire le congé d'in- 
valides , quà ceux qui sont ou incurables > 
ou très- vieux. Ces deux faits suffisent pour 
Justifier Thorreur que les soldats ont pour 
cette sorte de congé , quelque malheureux 
qu'ils soient d'ailleurs datfs leur état. 

Le vieux hussard dont il est ici question ^ 
se refosoit donc tant qu'il pouvoit à quitter 
le corps , d autant plus qu'il étoit marié^ qù© 
Ba femme n étoit guères moins âgée que lui^ 
et que tous deux auroient perdu l'adoucisse* 
ftïe^nt qu'ils recevoient de la paye de leur fils ,, 
brave garçon qui , selon les lois du pays , 
àppartenoit au même corps , y étoit soldat 
comme son père , et faisoit chambrée aveo 
eux.' Le général n'ayant aucun reproche va- 
Jable à faire à ce vieux soldat , et ne pouvant 
dès- lors le ttiire déclarer invalide de-sa seule 
autorité, résolut de le priver de soa fik, es- 
pérant parvenir de cette 5(orte à en être dé^ 

Wi'^s^é , «oit par k misère -| ^it par 1« 



de Frédéric. 34^ 

ebagrinet le désespoîr.Pourreraplîr ce projet» 
îl écrivit au roi qu'il avoitdans son régiment 
un jeune homme , bon sujet , mais trop 
grand pour être hussard : el qu'il l'offroit à 
sa majesté pour le régiment des gardes , où il 
eonviendroit beaucoup mieux : le roi accepta 
l'oflro ; et le jeune homme partît pour Potz- 
dam y laissant ses parens dans une désolation 
d'autant plus grande , que le régiment des 
gardes , s'il est le plus beau de ce pays, n'en 
est pas moins celui où les soldats redoutent 
le plus deservîr , parce que , placé sous les 
yeux du roi , il est le plus sévèrement tenu 
et le plus exercé , sans avoir d ailleurs au- 
cune sorte d'adoucissement. Lorsque ce jeun© 
homme fut arrivé , le roi voulut le voir : ce 
monarque étoit-il instruit de la majveillance 
de son général , ou tout fut-il conduit par la 
bonne étoile du jeune bomme? Je nen sais 
rien.Mais le roi n'alla pas le voir à la parade : il 
le fit introduire dans son appartement; et après 
l'avoir un peu examiné, il lui ordonna d'essayer 
un habit de sa livrée : quand le hussard re- 
parut devant lui , dans cette pafure si nouvelle 
pour un soldat , le roi lui demanda s'il se 
trou voit bien aVec cet habit : le pauvre jeune 

homme répondit qu'il se Irpuveroit toujours 




34^ ^^ intiérieure et domestique 

parfaitemeirt bien , s il avoit te bbnbear <i» 
plâiroà son maître en faisant son devoir. «£b 
y> bien , liû dit Frédéric y {^arde cet habit ;. 
>> reste auprès de moi ; iàis bien ton devoir «. 
3» et j aurai soin de toi : tes camarades te di— 
3» ront tout ce que tu auras à faire. Mais^ movk 
» enfent , il faut être exact à la minute îci ; et 
^ pour ciela ^ il te faut une bonne montre. 
» Vas - 1 • en chez tel horloger ; dis lui que ttt 
)> itie sers : et il te donnera une bonne montre 
991 en argent , dont il te demandera quarante 
» écus. Il te faut , outre ceta » une demi- 
y> doueaine de chemises propres » avec era- 
y> vattes « bas et mouchoirs ;'Ce qui te coûtera 
» encore tant d'écus. Je te donne tout cet 
)> aFgênttvas faire tes emplettes, etsois auprès 
» de moi , ejsact , fidèle et discret. Quant à ta 
-x^ nourriture et à tes menues dépenses , ta 
s> auras dix éeus par mois , avec lesquels tvk 
» pourras stijbveiur à tes besoins. » 

Dans Textréme joie que ce pauvre jeune- 
homme éprouvoit, la première choses qu*it 
fit, ftit de donger à ses parens.... « Je me 
» vois tant d argent ^ se di^oit-il , et mon père 
a) et ma mère ont des besoitïs ! Ne ponrrois- 
» je pas leur envoyer les quarante écus de la. 
^ moulue ^ et empiiiistor auprès de mes ca^ 



ie Frédériùi 347 

» msirà<36S de quoi la payer , sous la alaude 
» de iear rembourser cinq écus par mofe ? Je 
» vivrai asse2 bien zrec la uioitîé êk ce que 
» le roi veut me donner. » Il ne put résister - 
à cette pensée ; il là communiqua à 6es ca* 
maradeé qui lui prêtèrent quarante écus j il' 
eut la montre , et secourut ses parens : mais 
il ignorok encore que les roiâ saveât tout^ 
et que Frédéric en particulier in^posoit pour 
première loi à ses serviteurs , de ne lui laisser 
rieb igutorer de ce qu'ils savoieut eux-tnômes* 
Le lendemain , il fit entrer son nouveau do- 
mestique , et lui dit : « Je t'ai donné de l'ar-» 
» gént poUr acheter une mohtre , et tu l'a* 
j) envoyé à tes parens. Tu as cru faire tme 
S) belle acion , et tu n'as pas senti que tit 
» oommettdis tiue infidélité. Il est juste, il est 
^ beau de accourir ses parens , quand iiis soiit 
» dattâ le besoin , et sur-^tout quand ilis sont 
» vieux ûu infirmes : c*est tm devoir sacré, 
>» Mais tobus ne devons y employer que cô 
* qui ett à nôUè ; eu envoyant aux tiens Tar* 
^ geut q\te je t'aVois donné , tu as disposé de 
^ dé qui he l'àjppartenditpàs. Cet argent n'é- 
» toît pus à ici : tu ne la vois ^'k ccmdifion 
s> que tu efa ferais rasage qvie je t'avôis indî- 
» ^tié. II b'étoit daÀs Ifés ta&i&s qCi'uu dépôt ^ 



348 Vie intérieure et domestique 

» et tu as violé la loi imposée ^ux déposî--^ 
3» taires. Je te pardonne néanmoins pour 
» cette fois y parce que tu as été égaré 
à) par un sentiment pur et respectable , pa^ 
yi un principe de bon naturel « et parce que 
» tu n as pas pensé aux vérités que je viens 
» de te rappeler. Quant à Temprunt que tu 
3» as fait , c est une nouvelle faute ajoutée à 
» la première ; car doit-on emprunter, sanâ 
» la plus grande nécessité , ce quVn n*est pa& 
p sûr de pouvoir rendre ? et comment tes 
» camarades seroient-ils payés, si tu venoi& 
» à mourir , ou si je te renvoyois ? Je te donne^ 
» en ce moment de quoi acquitter ta dette j 
a> mais prends bien garde que je te défends 
» d'en faire de nouvelles. ». 

Quand monsieur le général de hussards 
sut la bonne fortune arrivée à ce jeune 
bomme^ il eut là lâcheté^ la bassesse de 
venir en féliciter ses parens..«. « C'est moi ^ 
» leur dit-il, qui lui ai procuré cette place ». 
2>. par le bien que j en ai dit au roi, et jen suis 
D enchanté. Je savois bien qu'il réussiroit à 
D Potzdam. >x Monsieur le général cfàignoit 
que le jeune homme ne le desservît en par-« 
lant des persécutions dont son père avoit été 
l^objet ; et voilà comme $ont faits. la plu^^art; 



âe Ffédénô. 349 

des hommes fiers et despotes ! toujours aussi 
facilement vils et rampaus , que capricieux 
et hautains , selon les circonstances. Je ne 
fais ici cette réflexion , que parce que je vou- 
drois leur faire sentir combien ils méritent 
peu dlndulgence. 

Frédéric ne tarda pas Ion g* temps à être lui* 
même justement récompensé des bontéà qu'il 
avoit pour ce brave domestique. Attaqué 
d*un accès de goutte très- violent , il fit ap- 
peler son médecin , qui lui trouva une fièvre 
très-ardente, une grande sécheresse ^ sans 
aucune disposition à transpirer. Le médecin 
jugea qu'il étoit urgent de provoquer la 
transpiration 9 et voulut ordonner quelque 
remède propre à produire cet efi'et ; maia 
Frédéric avoit , dirai -je la foiblesse ou la 
manie de tant de grands capitaines /qui ,t 
comme Mithridate y s'imaginent lêtre de fort 
habiles gens en médecine ; il voulut savoir 
ce qu'on alloit lui ordonner , et il rejeta tout- 
ce que le médecin put lui proposer , et même 
il finit par le renvoyer, en lui disant qu'il 
n'étoit qu'un àne* Le médecin arrivé à l'an- 
tichambre , déclara aux valets*de-pied que 
le roi étoit très-mal ; qu'il étoit très-impor- 
tant de le faire transpirer ^ ma^ que ce mô- 



3^ P^ int/rkWf ât 4s^^stlguâ 
H^rque »e vculoil: amixiipi dç^ x^mkdêt qiu 

Yoit maltraité de^ pi^rpl^s ; qqe lui «lédf ciO;, 
DP ^offgçatat (|u à remplir $qci 4QVpir , et i)^^ 
,f^^jr;CJ^r Içs iqpyc^ 4^ cpn^rTer les )aur^ 
d'un si grand roi ^ alloit écrirp et leur laissa j: 
Iprclq^naocp nécessaire ;. que c^ ^erpit ep- 
isqite à eux à taire pré|)4rpr U potippi 
qu il indiquproit , et à.obtepir du roi qi)*il la 
- prît ; q» Us d^ vpjeul être bien assurés qpe 
, îam^is il^ n.'avpient eu de devoir plus sacré 
; à remplir, et quil y alloit de la vie de leu^r 
inaître ; et qu'enfin , ^près avoir fait avaler 
la potiofi , iJ falloit à tout prix empêcher te 
maladp de se découvrir , et le bien envelopper 
de coi^vertures ^ jusqu'à ce qu il eût bien sué. 
Les domestiques délijiérant entr eux , jugè- 
rent que le jeune hussard étpit celui qui ppur* 
roit plus fàcilemeut fléchir leur maître. Il fut 
donc chargé de veiller le roi 1^ nuit suivanter ; 
commissiou qu^il accepta^ npu sans crainte, 
ruais sans répugnance et même avecdévpue- 
jueni , vu le puissant intérêt qui les anipiqit 
tous. La potion fut apportée vers hs dix. 
neures du soir ; le jeune homme entra dans 
la chambre à coucher du roi , la tenant à la 
main. « Q ayez-vous là ? lui dit le roi. — Sire, 



de JFréJ4nc. gSx 

9 iiesi wc pptioa qni^ selou le xnidecîii » est 
-^ xjéùe&ssire pour Vous guérii!-. -— Je ïxgxx veu^ 
y poiat , jetez-laau feu. — Mais , sirç^ si ellQ 
» est ftécessaixe ? — Je n'en veux poîrïit. — r 
» Sire 9 lie médecin nous a ordonné de vou$ 
» la priésenter. — t»e piédecin est un âne ; jo 
» n'en veux point — Hélas ! sire , il nous a 
^ déclaré qu^il esrt nécessaire que vous la 
» preniez;. — Oe^t un âne ; je ne la prendrai 
» poinf. — Il nous a dit que sans cela vous 
/> n'auriez ppint la transpiration quil faut 
jf ppur vous g.uérir. 7- Il ne sait ce qu'il dit ; 
j) jçtez cela au feu, et laisisez-moi tranquille. 
» — Si pourtant Qptre devoir est de supplier 
» votre majesté de la prendre? — Mon en— 
» fant , vous me fatiguez inutilemenf : retire?* 
» vous, etlaissezmoi tranquille. — Ah ! com- 
» ment donc faire , s'il est important que vous 
» preniez ce remède? Celui qui l'a ordonné , 
9 n'est'il pas médecin , et attadié à votre 
» majesté ? — r Vous m'epnuyez, allfz-vous- 
i> en. — Sire, il a dit qu'il y alloit de votre 
» conseijvatipn. — C'est un âne ; je vous or- 
» donne de vous yetirer et de me laisser trau- 
» quille. — Et notre devoir ne nous obligc-t- 
y> il pas de supplier votre majesté de prendre 
» un remède qui. peut 1^ guérir ? » Le roi 



352 Vie intérieure et âofnestique 

se mit enHa en colère ; il jura , ordonha , eh-^ 
voya au diable , et menaça. Le jevme hontmev 
, de son côté , ayant toujours la potion à la 
main , pria , sollicita ^ conjura , se mit à ge« 
noux , pleura à chaudes larmes , déclara se 
soumettre à tout> pourvu qu'il pût contribuer 
à sauver sa majesté , et fut enfin inébranlable. 
Cette lutte dura jusqu'après minuit^ que le roi 
fatigué et comme épuisé , se détermina à preii^ 
dre la potion pour se débarrasser dotant d'im- 
portuoités , et avoir quelque repos. Mais > 
quelque temps après , il survint un nouveau 
combat entre le maître et le serviteur. Le 
remède agit , et excita dans tout le corps du 
monarque, une chaleur brûlante et difiicile 
à supporter; le roi voulut se découvrir, et 
le valet-de-pied ne le voulut pas. Si celui-là 
rejetoit une couverture , celui-ci se hâtoit de 
ia replacer ; si le premier vouloît seulement 
* sortir un bras de dedans son lit^ le second 
s'empiressoit de l'envelopper le mie ux qu'il 
pouvoit y toujours priant , conjurant , de- 
mandant pardon, et en se cramponnant en 
quelque sorte sur le lit du malade , qui seià« 
choit , juroit , et menaçoit eu vain. Ce nou- 
veau combat dura jusque vers trois à quatre 
heures du matin ^ où enfifi la transpiratiotn 

s'établit. 



V. \ éé Frédéfic. ' â^^. 

s'établit. Alors le roi moins tourmenté rede^ 
vint plus calme , et sentit que le médecin et le 
serviteur avoient eu raisou. Aussi dit-il en c% 
moment à ce dernier : « Mon enfant, je n'ai 
» plus besoin de vous. Là transpiration est ve- 
» nue ) )e ne sens plus cette chaleur violente 
a» qui m'agitoit ; je vous promets que je nQ 
yf me découvrirai plus \ soye2-en sûr , et aHest 
» prendre du repos , car vous devez être* 
a> bien &tigué. » Le domestique fit semblant 
d*obéir , et sef retira dans un coin , d'où , sans 
être aperçu 31 il continua de surveiller sou 
taaitre «.jusqu'à ce que celui-d se fût endormi. 
Quand le' jour fut venu , le roi se trouva beau* 
coup mieux ; il se leva ; et fit entrer son 
îeniuB .gardien , auquel il dit : « Mon enfant ,' 
n vous êtes un brave garçon : vous faites ' 
» bien votre devoir , et je suis fort content- 
». de VOU3 ; vous mWez servi cette nuit avee*^ 

■ * 

m beaucoup de ssèle. Tenez , voilà cinquante* 
a» ducats ^ que je vous donne pour les eUf' 
^ Yoyer à vos pareîis. » » 



' .\ 



> « « ' 



z 



354^ PteiUesse^ infirmités ttmart 



f mi, ' , i m ' ' : . — Il I ■ ■ l i n ■ 



iPïÉ'fttËSSK.tN'rflt MITÉS ET MORf* 

* • * 

• * * 

Il I II ^ 1 II I t 

• *■ • • • 

X^ip.f ^ej^piera ^tm de 1^ vie Qt du régna 
de Eré44ricî ofiîp^pt p^u 4'fl^^dptes : il VÎToit 
l^ttcd^p :plu9 reMr4 % niaiis tt^ujdntJs éga^ 
liment Qoçupéi» U i^ifQil ff&Q«eé & h Mu-^ 
8)qae.| «p^èf «v^ fiwclii imtt partie de «ea 
d^nU.; î^ ^qM; 4^ smâine >i^)^âon»(' la poé«- 
aj^. Çefi azHWBQA a^uM aY^^îaat dîapâru de ce^ 
Tf^d^^l^ Ws ap^èa kea autres il m'ëikût 

ex^fmifé^, tgm dQ «oitr^ràra/v ^t WaTcât^iBèBsr 

ga^rq <pe )a aç^té degudqaes. pifaistroiiB « 
sur la^Mft'n^ss^^ ii jayoitms/é: toiiaaesJbolDs 
x|90^ ^oi^ ippgrt§«9A^v&t:c»tta<d^ jqo^ 
i^nciaoa 4«riij(9«i:s:y pUi$ iittératoa;i» par leai> 

que par eax -mêmes. Je «q poil guère w-» 
wpter ici que les princes de Brunswick ^ tou- 
jours chéris et toujours bien venus , quelques 
généraux , que tant de services , de périls p 
de &tigues j et de belles actions rendoieut 
recommandables , le baron de Hertzberg» le 



de Frédéric. 355 

^ comte de'Goertz , et le marquis, de Lochésini. 
'ï'riédéricsentoît que ses forces ô*afi'aiblissoientj 
et toujours occupé de son rôle , il ne négU- 
gèoit rien de ce qui pouvoit dérober aux 
autres la connoissance de son ajSbiblissement* 
* On prétend que lorsqu'il avoit à se pré- 
senter à ^çs groupes ^ ou en général au public» 
1et qu'il se trduvoiË un peu pâle ou abattu^ il 
lie manquoit pas de mettre du rouge. Si dan$ 
la Êonversation , il. sentoit quelque foiblesse. 
lenteur ou inactivité dans son esprit^ sa maiigi 
^droite alloit comme machinalement s'enfoncep 
dans la poche de sa veste , et revenoit comme 
t>àr distraction essuyer ses lèvres , c'est-à-^ire^ 
|)pi^téf.à sa bouche quelques pastilles propres 
& le raiiimer , et qu'il avoit soin de dérober 
asut Kgtpda de^ ceux aVeC qui il causoit. 

^ Qaoiqtse j& l'aie quitté defu± ans'îiyànt sa mort, 
je me suts moi-même aperçu de ce manège; ^ 
^u'e Id. dç Làunay avoit découvert av^nt moL 
et que, lûien ^^autre^ ont vu .d^pin!^* > 

. Ce quily2^d^pH^x^fflwq»abledaii»o 
dwn,iè];e «période de m> yie^ èf>cè.qùb 70^ s^i^ 
très*ttBtMB6iiieiit!pas' eeorx qtîi \^M\é mUûx 
pbsepvé , tf ert qtf îl tf *iS? Viàdiré, ni Varié dans 
teeuii des principes qu'il aVôît précédemment 
professés. Ceux qui ont dit qu'il s'étoit alors 



I 



356 Vieillesse, ir^rmités et mort 

rapproché des. principes religieux, et avoît 
témoigné quelques regrets de ne les avoir pa|» 
'suivis , ont: été menteurs ou trompés : ce sont 
de ces esprit faux e* trop bornés, qui croient 
servir la cause qu^ils disent être celle de \fk 
vérité , en Fabricant ou répandant des erreurs* 
J'ai dit ailleurs ce que je pense de cette classe 
d'hypocrites ou d'imbécfllçs , qui ^imaginent 
servir Dieu en se faisant diables , c'est-à-dire , 
pères ou fauteurs de mensonges . La. vérité^ 
est que Frédéric, qui avoit toujours été tolé- 
rait , a fini par Tètre sans sarcasmes ; (^u'il a 
beaucoup moins parlé de ces matières qu'aûr 
trefois ; et qu'il a vu arriver la mort , et en a 
subi la loi avec toute. la tbrce d'àme • et tout 

le calriïé qu'on poùvoit en attendre. (i). U » 

. / . _i . . .. 

il) M. de. Mirabeau^ chaîné alorftd'imeisissioa se** 
crelte à Berlin^ a donué dans sa Çori^sj!>ondancé , iine 
sorte de journal 4e la maladie d.e «e grand hQmme. J# 
lie rapporterai point tous les détails où. il est entré p 
parce que J y soupçonne trop d erreurs et mèmç trop de 
crédulité sur ^lusienri circonstances. Il présente Zim- 
mermann comme un grand'tnédecin, quoique ce doc- 
teur n'aît jamais été cité pour auciine cure mëmotuble,' 
et qu'ilait dû principalement aa célébrité àMn'ataiWliod 
inquiète et ^ctiye i jet pln^ euc0t9 ^"3Q)i aniinosit^tiMKtie 
fes Français : ce qui a le plus contribué à le faira pr4«i0r- 
chez les Allemands > c'est son traité ^ non à^^XOrgu^il^ 



'' âc Frédéric. 357 

^oorverflë ses Ëtots' jusqu'au bout, et peu de 
atfntit^s avai^ feoiï agÔÀie, il a encore vpula 



\i , 



^fommo. ledit le, litre: ^ mri» de Ifi'Ptmiié des n^lions ; 
OQiTTiege .qui n'esL réellement, ^a'uiie «vjdire contre la 
France. Ceux d« ses compatriptçs qui. l'ont le mieux 
connu ^ m'ont avoujé qu'il avoit eu à lui seul plus do 
▼anitë que quelque nation que ce soit. J'ai d'ailleurs 
lieu de croircf que Zîmfttermann ^ qite j^avois tu bien 
êés aimées auparaTaUtà Berlin , et que Frédéric n\iToil 
yie^trèsHfoibleinent.goteé^ b'apas été mandé par ce 
wpi x^akde ^ou dq moÂns qu'il ne l'aété que d'une ma« 
nière indirecte , par assentimrat plutAt que par une 
jroloMé' formelle 9 eti lasuiie-^dequelquei manège de 
CQt^u*} peutrétj^ à la suite durënroideM. 'Frè90y clii* 
|m7|[ien*9ie)or et médecin dn régiment des Gardes , 
/pUkCut.4i9graQié>selopMîrabeâUypèur a»oir prononcé 
le noîot Hhydropiaiê. iLa preure que le médecin dei'éteo* 
^eùr d'Httpovrey qui n'a j^nnaia eu son malade & traiter ^ 
n'i^oitpasphisà Fotzdam ^ Phommfi cb roîqnerAoMiiise 
^ public , quoi^'en dise M. de Mirabeau > c'est que le 
premier >■ de l'aven méme^e son prâneur^ vt^ja/nais 
rien obtetrm uup les polenta et les paies d'anguille y que 
Frédéric etmoitbeancQQpt y et qu'il jorétendoit digérer 
fort bien. Du reste , l'auteur de la Conreepondanee re^ 
.devient un écrivain précieux et vrai, quand la passion 
on ]bft. préfreittian ne l'égerent pas : onne pent que Fap» 
l^laudir^ lorsqu'il observe que «. ce n'étoit qu'en mon*» 
n rani que ce roi pouvoit oublier son métier , » et 
qu'il agonie 9 1 l'eeoesion de ceux des Berlinbia qui ^ 



gSS f^ietllesse ^ ifg^mdtés et mort 

signer uiue lettre adressée iàJH^p^ 4e La^n^y i^oià 
sa signature n'a plus été qtiun pAté jd^enoi?^ ^ 
parce que déjà la vue et ia main le trahissoient* 
M. de Hertzberg V aôcièttiet iiâèdë '^fvî^mari 
passa la nuit auprès de fui,, et )eii irè^ut lé 
dernier soupir. Ce fut ce iminisfrç qui , à 
rinst^^t même» fit avertîi; le prinéè Frédé 
ric-Guilïawmç ,. npyti; .pt j^îritiei; . 4ft gE8|p4 

I^om^qie qui yenpU.d'iwt|^jrw« JUpft^ï^ 
arziv^ siHis p$a.^e xI^lB(lli|^;v i»M&ias\t^^ 
bfiuvei» du ipétki'^ et trâivv»Mkidi0>BiMabe«g 



■ { 



m «pris »mo^l; $)ëfêrtiibiètfi Éfrrattfei'^t^tr'iiAàwlt 
». été ^'ùn bomnW ordinale. v. » >0k^- èi^tiè^gTAMA 
)>. yeux, qui portoi^ ift^gné-deftota Amè<lléiNlïi|«tfS> 
j» la sédf ctio» oa I^ terr^ut* j se' rduTrôiMt |i^4éMBM(^ 
» ib inouiroient dé It^M^'oes^ adulateurs iti^MHis t» 
ÛBunOréave ëgal«tteMkJ]^(lftéty)if^pkAi''tf&bé^^ 
ioraqu^l naos dit*: <^ ^(ae )a nioii^d' a %âofci^è|4M«7ir 
» cette CQvppMtion rare -^ l l|aatlHil^pb0B £SâE«i|t«9( 
» • et que sa maladie j qaî anxraîi tué- dîk homfiiei > ' ^ 
» duré onzemobsaiijs relâche ^depuM le pii»flfd^'al)etsa 
i> d'apoplexie asphyxique^^ 4>>ù> il étôit< limutt pi» dé 
» r^métiqae , et en proférant irtréad& geMeimp^èux 
» etpouV preniiers'sdni, eés4i|uit'xâxfts)si']^olitiqiiea 
ft et 81 ^ipressifs : 2b<^««-f^^' t n^En èlkt> ^liéii tie 
peint anëux le génie toutroy^t de êetliflhiMiiiIfiiiif pMt 
gouverner , qoe ce soin cl oèbe|oSn^i'pre6é{mti àka^ 
f osersileiiee sor râGcidem qa'ii i^ettuil A'éfbmfep*^ . 



• * « 



-qn!Tfiiaifc«l'ttbQiiftiitineF bacr iime dig&eMes 
HegpriÉKet dr FidiiliratipA^ des M^des fattafê. 
Le BoiÉirrâtf toi , louclié d# wêff^éikbkt , ^t 
fdigDâiitiàsft propre dmiieat^ te ééntiéiéiit de 
feeUe;di^6i idèlèiiliiiiistifè^ 4^ dëpAmiftât >& 
Fififltéaf^Ai boDdùit Ae iWgli^MifV^'^ d<- 
.edviL llnmàe dv^ j^ys 4^ pàt^ts^ eài éMe 
. k ipfaodîgiia j 011 MitéèQi-dttâfcde fflt&ii'tille 

.*i J^dèSfeiitEbwgyf»F($(f qu'il léôi6ri|0i^& 
pldneoiB épitûbi 0H$»^mféfè^^ 9^\i^'^ 
'pmxcii:jiB9 s%bali0rMH ^<«^ftèlfâ«î(f fié friitié^ 
.pai: na actei plUd propre à lai Mtirët! lié' à^* 
' p^iadissameDS'de |itid8<|a^ ^tom hé Praâltiéù». 
Ce fot.aîâsi (f|tv9< V£urO]^ péi^^l r«f«g d^ 
jfdoa'^abdsJaoïiiavea-qa'elle- arif jtflâ«riâ' ebé. 
^Qiroî^dé la'éuftede.mea &DUVétifa'âidëiv4'^* 
corë se ràpportet àidf , ei te pèrndr9^ ftéA- 
Teéa,.parcer que .|iap<iièat H édt- lid^-ôéhil'i^ 
autour duqtiél se rangent d^euX-méM^a H les 
bonimes et les faks dont )ê Tatfx eâlretéitil' tnë^ 
Jectenrs,; il est cependant vrai ifi^ c'eafa^pàb 
favotr pi^ésanté en Ini^éme , qu^l p^it iÉfè^rb 
permis de réunir comme eo mi fâiaeeiiuf , ton^ 
les traths qni forment son Téritable pe^rlrisiil; 
et ^ni peuvent irrëvocablemeikt fixer te jugâ^ 



réjSo Pleillesse^y iàfirmitfy et mort 

iDMit ^que la pèstéiité;'4evra eh {idrterà*.>^ ^ 

Cest.une grande. sotlî^iqùe^de ssiperaaa-- 

. der que \ pour être ipcxrté Aim. \^ clabse , deg 

' grands ,bommes y il Iktet ne ptoa tenir à avcuiie 

dea ixi&riiiités huméiaés • Ecartcms -ibi tout ce 

* 

/qcd est ; exagération; y et* plaçons r jiotts ; daiis le 

cercle deja vérilé ^ bieadéteianiaé&àn.'en;pàs 

sortir^. Annibal , Alexandre « Mariné ; &^ » 

Mithjidsfte , Géd8[r.# <^ariie]nagne«.Lomi8iII£, 

:, Condé , Tarenne » YillarsJt' Pierre :I«r ^ : fer^t 

,de grands hommes , q^iQigtM Tonâît 'à répro- 

eherà j'hq de laiburbeiriei ài-autrè une extx'a- 

. vagapite exagération j une dmbîtidnfâifooenttx 

. deux qui suivent i une ^ocité de; saiurage au 

. cinquièpie ; plus de dts^intulatiom encore que 

de grandeur à César; tcop peiide:piiéiih)yàiice 

à Chai?iemagne, trop da onédoKtélàLnçisIl^^ 

.trop 4e fierté. à Gohdé , troli de foiblësse'.k 

-Turenne , de la varice et. dé la vanité à Vallara; 

^et enfin' 9 le caractère *Jbarbare des ; anniens 

, temps au héros de. la. Russie. Dtind Je ^çràfmL 

homme n est pas un homme sans déiàot'; ma& 

.c'est celui qui , malgré les dé&nta qnïl pntrt 

avoir encore , s'élève infiniment au dnf sns des 

autres , par des qualité$:grafides^ rares «tran^- 

pendantes , et j3irQpres:èiiQflner puissamment 

auf les de$linéea.dd»^nttioDS• Ces qua^itéa 



^ de Frédéric. 361 

'fientieirt à des vertus sûlifimes , à un caractère 

Kéfoïqtléj et à dès talens extraordinaires. Or, 

îl est 'évident à mes yeiix ,' que Fîrédérîc a 

rétini totils ces titres , qiiéls quaîent'été les 

'dëfautâ qu'on peut lui reprocher : au reste ces 

défauts* sont peut-être moiùs réels qu'appa- 

•jreiis^îf est du mbîns certain quit a su plus 

d^une tbîs les tourner à son avantagé , et en 

tirer un relief très-seiïsîble» •' 

' Le premier de ces défauts que nous ayons eu 

lîeu dé remarquer, cest'son extrême vivacité, 

^ui âbien pu quelquefois lui faire prendre des 

"déterminations hasardées et périlleuses * ou 

• • • ■ 

)rném& dommageables ; mais qui )iecondée pat* 
*8on génie j fa si sou vent fait sdr tir avec gloire , 
des situations pénibles où auroîent péri tous 
ceux qui auroîent été plus lents que lui. Lés 
vrais Inîlitaires, tous ceux qui ont bfên étudié 
sei campagnes , s'accordent à dire qu'il n*a ja- 
mais étéplus grand et n'a jamais déployédes res- 
som'ces plus étonnantes , que qn^and il aeu & 
réparer quelques grandes fautes , ou désastre^ 
prô^i^es à le perdre. L^ second défaufde Fré- 
déric a été son goût décidé pour le pers ^ 
flftge et'Ié'sarcasme , au sujet duquel* j'ai dît 
Ailleurs ce que jysoupçonnôis d adresse etdd 
poUtique \ mais après ces deux défauts quels 



^% yieiUessfi ^it^rmîiés et mort 

, $ont oeux que j'aurai i^acoreàcompteop ? THinc 
t-on qu'îi étoit avar^ ^lui- quio étoit gulioioiQio 
d ordre . luji qui n'écouomiaoît que nf uécet- 
.site , lui <}u£ aimoit tant à être yiAte: « ,f^ 
f^MSoit tant dé \âsxl à ses sifjets t.ltii eo^ qqi 
disoit ayec tant de franchise àlA. de Launsi]^: 
« Lquîs.jXjY et moi ,.nooa sop^pi^s^ i^sjplw 
» pauyres que., tous nos sujets :. car • pairn^ 
» nos sujets , il y en a peu q^ n'^iept.paa 
» q.ttel<][ue patrimoine * et du moins, est-il ywtf 
3» que ceu;!c qui n en ont- pas peoyeA^ eii ao^ 
S) quér^r.^ au. Uea que Low X.V et- moi ^ 
» nous n^avon^ rien \ et ne pouvons rien aer 
» quérir qui soit; à nous :' tout appa^tieut \ 
», V^^tat». Nous lia sommea que les adminis^ 
» t}r&|teu»r§ de la fortune pitbUque : ypill^ notrç 
» seul titre. Si» en patte; qualité y. n^uj% P<^^* 
» yons prendre ce que, notre dépense exigp^ 
» -ce n|est encore quVtutai^it que la raison dt 
» ri^tat nous y autorise : et si nous' allons au 

t 4elÀ dé cette mj^sur^r txqv^ devenons infir 

", iji'i» • -1»... 

» dèles et. coupables. » 

Dira-»t-on qu/il étpit dur et cruel , ce roi 
c[ui n'a été que fidèle aux principeSv de^ iecv 
meté et'de constance qu*il s*étoit tracés^àkii*^ 
inéme ? Quel homme a plu^ adouci la sévériiMi 
des.lpis que lui? Je l'ai déià x>bservé aillemrs y 



fm^ l^pM^'fi pi^biic A'^txp4^ 4« rai #6lf ffi»p^ r ' r 
Dira-t-on qa'ii étoit impla<{s4^ dflOS M$ 

iKxivmageii à la y^rîtf ; j^ J^jna|î.vtt Mirffeiît;nf 
mai£^ j^i^ li)i fii jfm^ii^'.vad^ baMËr>i)ift^piB»iqr 
^içfi^ ^ue-^sa }i^i|0^ étpM.T^ajesiimtipranQi^ 

If^i^W.Hfmt^ oQuJem^fc. Jl le regardât tout 
4 la, &i$-09m)PQ IWnnnBtl k pbis, t^êtortA dte 
2]e^Q|lMr«^,,dQ SQU jtqI,, e^Â^ k nation^ fcançaisa. 
<^a> ^tii {ràwfoit pffQiftv^rqoQFjrédéria'fluft 

ik cc[tte^ :époqike ^.dés lieas. 8r;étroîtsf e^nilfi 
Suante et k: viaiaep de^Ii^aisiaîiib^ pirafMft 
«ofiu qu^ éiioit.tirofi xûéfiattiS Câidticç ifnéii 



5^4 J^Ulesséy ir^rmités et mort 

... . . ■ • • r 

général Nngent Itti a si lidblefrieiit reproché: 
mais je demanderai 81 Tes peuples n*6nit pafs em 
lïeaucdup plus à souffrir sôus lés rois trop 
eonfiams^ qtie sôus- les rois méfians ? Jié de- 
lâanderiBd si 4a méfiance dans lés sôùvétains 
à'ést pàs^ plus qûiBlâtiffisa'minent jiîi^tlfiée par 
Té tuée de rhiâfoir'ëët par^tà connoisbànce dear 
liommea? Je detnandeirai , enfin , s^l sèrott si 
dffîeiie de prouv^ar liôe Fjpédéric lui^éinè a 
pluspéichéencot^Sr trof) que pal^ trbp peu 
âe^ eonfianoe ? . * • 

/ J'ai dit qu^Frédério aToit^é graAt^bbmtne 
fttr lea/rertM , pa^ lés talenfS'^ et pàif^ le d&rac^ 
tère. * Cest sia Vi# èatidre ; qbî développe et 
|xroai^!eette vérité. "Au stirplits , ott conçoit 
^eies vwtus doiir^t ici se subdivi^éx^ii* plq-^ 
'fiieairs' classes , selon qu'elles se rapportent 
plus sensiblemeai à; rhomnie pris4nditidttét- 
len<ent /à Thomme cansidéré cdriMè liiièmbre 
dé famille , à lliomme devenu éttd]fen , à 
rhômme -magistrat , sduverain ^ et ùoMMpo^ 
lite. Or , quel homme • eomme individy, s'est 
soumis à des lois phis sages que FlrédéiSc f 
Quel homme a exercé un plus puiaâant- em-** 
pire que lui sur ses passions et sor se^ pen« 
dbtdns? Quel homme a été? plus: mattre de lui* 
même ^ plus raiiKmnable dans le obcpz des 



t < 



âe Frédéric* \ 365. 

irèglbft qfâl s'est pTOScrites , 'et pkis constant 
^Iqs suivrai? Si vous Je transporta au seiii 
4e sa famille , voyez avec quel respect U parle 
d'iugu'pèns:^ "de qni il avoit en tant à se plain- 
dre !!¥ajiez les rsentîm^os qui Tattachoient ft 
sa mère t «et son invariable ^fidélité à les ma*» 
nifestec ! Yoyez sa tendresse poifr ses frères^ 
et plus encore pour ses soeurs! Voyez set 
attentions toujours soutenues pour tbùs aei 
par;ens 1 .Un seul mot ici dira tout :• ce rot <« 
si pc^pé , ^quelquefois, si pressé par sa' po<î 
•iiÛMi f >par larouUiid&Gité et lurgence des« a&^ 
faires ^ n a point employé de ^secrétaires poùi! 
•aicorrespondance -avec ses^parens ; lx»4nêma 
fsfUoît etiécrivoit les lettres qu'il avoit à leur 
2|dresser< Il témoignoit. ainsi comlnen tous lui 
4tQÎ9nt,Qhe]:s5 et combien.il respectait leurs! 
aiçprets, «t leur confiance* Jamais il n*a' eu* 
4e,jepQfiifiens à cet égard* Ce trait .seul ne dé- 
n^QptE^tUpas qu'il portoit au plus hapt degr^^ 
les yertus qui caractérisent un bon et véri^ 
ta)?lQ parant ? Mai§ , d un autre ciôté , quel 
autre homxpe a plus respecté que lui Tordre 
pubUc, la modération envers -les autres ^ et 
la .iMfiifidsance ? Qaèl hooune a été plus fastes 
et^plu^ indulgent? Qui:a mis plus de sçUici* 
tn^Q à .iài^e le bien? . ' ' - 



^ii^rtfdtA^ et mort 

tiiet T»rbis .à exmnûer i, ^iri 4 pir nialbeor , ne 
a>iasotxfezit ^pasitoapunti^ec celles- dès par-- 
tioUjiai^ ; ispute») ice .'qiii ieat jUpixté :imrta 
4'im.!côté> Q^t èonsî^érâf antre pact/^dfabsod 
quioa. a{4>elle cUfiiM./iinahîdressëiet avitises^ 
QtKDââ lea lévèiiemaiis.iaè :aompirG[ué]it<6t M 
WQiaeiitâè.fnanibEe.^.à. primaire dm aofaflîhl 
aomUafoless^âl fitMi>i8ii %&séSQtxdk€mk^\Aàiàé 
^xatobtéi OQ ded'aîvtm Msî^' si ^^i^Vuii gt^fiS 
koq[iaK qoe iK>i»rplàeieK>dâAa utia aH($M^^ivW 

pour le i^arti quiifatëreéâfeJe ^Ina gratid^ïfdbi- 
km^.Awii-daBts qe/ima^ /etdanâ oa^pas^^'Sidtrl^*^ 
mi9lti« ce 9e Séira plas! eh ihbaiave ^^ pdiëâit \ 

lîléa dià|fiaroîtrorii^ien>qaelq!|ies<3»9tëV 
djppoC iS abacnrbetr dans, lia (fu^Mf^i |»>édoifebi«- 
Bàtite*dfhacniile!public; J^ èomtn^itl^cjuëâbnW 
]A';pirtitiqi3ua ee .soiil là^dssic&oix et; de!s dëh^ 
mmationa (QÙ ;ili J a làùtairt dé dall^ëÉ' A^é 
d'inportaifece ::iLiaiit jin.gëMë bién^Mi^ pbor 
a^asaitrler. de I apbe.paar; 8':ji Immper:;ii0û^^tô6 
qaHi^le gédie qQi:iiQ«}y{ftrbkiS)pe fias ^iiell^ 
qOfifiiiaPMais Frédéric! is)y'iràm:pa4^i|ito!^s^ 
<{ttê>f)iPUt r«i<oitâged6JSisr:£(farC6!, â^ëkitt^^rlf 
la conquête de la Silésiè ?ât7. tartott^tt-Jl ^ 



ée Wrédirie: - ^ 367* 

8ë ^ëte!raimaiit aiïx guérresr subséqtîenf es ? ^ 
^lii ôseroit le âiré ? Et lorsqall consacra son^ 
temps , ses veilles , ion ' iiidtistrîe , toutes ses^ 
làéditàtioits et ses ressources à la pfrdspéritév 
itatîonale ,. quelle est la vertu d'homme pu- 
blic qu'où trouveroît à lui refiiser? Et com- 
ment ne pas Tadmirer encore davantage ^ 
lèrsqueiFon voit que, dans toute sa vie , tl a 
rattaché, pour ainsi dire , tous ses principes^ 
et toutes ses autres vertus , à 1 idée plus gé^v 
nérale^e lliutnanité toute fentijère'? Ne voît-^ 
cte pas* que , durant toute sa vie , il a eu 'pïé^ 
i&tHie à l^prit, et graVéedans son cioéitr , là; 
maxime ^i célèbre de Térence: ffuniani nihif 
A me iûienum putô? Et qui a jamais su côzi* 
cîHer comme lui, Tame d*un vrai cosmopolite » 
tfVée toutes les qualité d'un grand roi? 
' On ne peut s^empêcher tie rec^nnoître la^ 
atablimité des Vertus dé Frédéric à trois ca- 
ractères remarquables , et malheureusement 
Beaucoup trop rares ;riiu, que iiulle d*en^' 

* * » 

truelles n'excluoit les 'autres : il réun^s^dit la^ 
bonté à la justice, 'la 'modération à la fer-^ 
meté; et la persévérance à la célérité 1 le sê-i' 
cond caractère est,' que ses vertus étoîen* 
ràisonnées ^téfiéchles' , et conformes à la plus 
saine plûlosophie • le troisième , enfin , qu'elles 



568. P^ieiUesse^i in/Srmilé;^ etnîort 

VLon\ jainais . été fiactaaQtes^ -mcertaioes ^ ~ fx^X 
Variables* Il a su les épurer et les afTermir'», 
par tout qe qu'il y a de plus parfait dans l^a . 
lumières de lesprit , et ^par tout ce qije. 
rhomme « d accord avec lui-même • peut avoii^r 
de force et de fermeté dans lame. .QueJ!onr 
se re|»:ésente un hommp qui^ paître de taiit^ 
4e millions d'hommes > l'e^t çi^ipore ;plus. dej 
Inirinéme ; qui , s*^tant dit qu'il consacrerjQit; 
tel jour et telle heure à tçl^e .opération , iif^> 
, s'est jamais écarté de (fe plan ;;.qçl, s'étafi|;{ 
imposé la loi de se leyer^ à telle heure , n'y :^, 
jamais manqué ; qui i en un. mot , a inyai;i9?*,. 
blement assujéti à la loi qu'il s'étoit faite y etr 
^a propre volonté , . et sa constitution pbArsî->> 
que et la nature ; sachant vâincr/e^rà. cctv 
égard , et ses goûts » el .les. ennuis de. la mo*^. 
iiotonie, ou de la régularité^ ^t }us(}p'à/s^» 
besoins. Il a -prouvé que l'on peut suffîrer 4» - 
uu travail infini » lorsque Fon sait vmettreuiL 
ordre convenable ; , let que ion peut parvenir: 
à tout , en réunissaat uije constance inva^v 
riable à une activité, toujours renaissante :, il 
a mêmçpirouvé que c'est ain^i quW pput étrÇj 
plus heureux, que les ^ autres ,hoçames, : car^ 
nVt-il p%s. été i^ussi heoreio^ que.graîi<^-^ 
hoionme ? ^ 

. r ' . . .|. • ... . 

J'oserai 



'rffl Frédéric. • 36c 

J'oserai redire iei ce que j ai déjà dit ait» 
Je»rs(i) : le gratid^homme fait principalenidnt 
ou le bien présent » ou le bien à venu*. Quel- 
quefois il ne fait le premier , qu'en préparftfit 
âef grands maux pour les temps futurs. N'est- 
,ce pas ce que Ton peut reprocher à Pierre le 
Grand , qui n'a tiré sa nalîon du uéant^ qu'en 
^ermissaut chez elle le sceptre du despo- 
itiàma 4 les chaînes de la serviriidb^ et les er- 
reurs de la Sruperstition ? Quelquefois ^ eu 
.^Btraire , le grand - homme fait moins te 
bien pour Tépoque actuelle , qa'il ne le pré- 
.piore pour des temps plus éloîgtiés ; et o'ést 
«e que Ton doit admirer dans Frédéric , qui , 
en maintenant , dans ses Etats , le gouver- 
liement absolu , sut en ooneeatr^ la sévérité 
4ans un petit nombre d'articles , et fixa autour 
4e lui et parmi ses sujets ^ le goût à^s scien*- 
ces « l'habitude des mœurs simples , fétudè de 
la philosophie y la pratique des arts , la liberté 
de penser , et la tolérance. 
. Pierre le Grand a ea un avantage qui n*a 
pu qu'aîoatar beaucoup à sa célébrité : quel- 
f(ue grandes que fuseent ses qualités , le néant 
qui l'environiioit le relevoît intiuiment^ ou 

(1) y cjet Traité te l^IsprU Public, p«ges aSS à 
^4ay 

ï* A a 






57^ Vieillesse y infirmités et mortr 

da moins le faispit paroître dans un bien pioa 
grand jour ; c^étoit un géant au milieu d'un 
peupledePygmées. Frédéric n'a pas eu. de cm 
contrastes favorables : il j avoit autour de lui 
des comparaisons qui se préseutoîent d'elles- 
mêmes : car il tenoit à des ancêtres connus 
par leur mérite , à des sujèts'distingués par 
de brillantes qualités , à des opinions géné- 
ralement reçues , à un esprit public biea 
établi en Eu]!t>pe , et dont il ne pouvoit sé^ 
carter sans risquer de se perdre, ou sans 
recourir aux ménagemens les plus délicats ; 
et à toute l'Europe qui avoit au moîqs des 
hommes très •- célèbres à lai opposer. Aussi 
voyons-nous qu'il a , en quelque -sorte , ra- 
baissé à la forme des choses ordinaires, ce qu'il 
a fait de plus grand : il a fait de grandes 
choses avec la simplicité que l'on met à rem-» 
plir son devoir de tous les jours : voilà un des 
traits qui le caractérisent singulièrement : 
Louis XIV mettoit du faste jusque dans les 
petites choses : Frédéric l'évitoit : avec soin 
jusque dans les choses les plus admirables. 

C'est ainsi que l'imagination nous repré- 
sente Pierre le Grand comme un génie créa*- 
teur , et que l'on daigne à peine observer que 
Frédéric a tout perfectionné. Mais si l'on de-- 



V 



de Frédéric. ' SJ^ 

mandoit pourquoi Pierre n'a pas fait plus ou 
luieux , il faudroit bien en venir à répondre 
que c'est parce qu'il n'en a eu ni le génie ni la 
volonté : car sa nation étoit dans ses mains y 
comme une pâte molle qu'il pé.trissoit ainsi 
qu'il le vouloit. Si l'on fait la même question 
par rapport à Frédéric , on verra , en étudiant 
bien sa position , qu'il auroit tout bouleversé 
et tout perdu , s'il eût voulu agir autrement 
qu'il ne l'a fait : chez lui et autour de lui » 
régnoit une masse d'opinions publiques toutes 
formées , fixes et déterminées , qu'il ne pou- 
voit que ménager et respecter : en ce cas, il 
ne reste plus aux grands hommes , qu'à savoir 
influer d'une manière utile sur ces sortes 
d'opinions , lorsqu'ils veulent contribuer au 
perfectionnement , à la prospérité et au bon- 
heur des peuples ; et c'est ce que Frédéric a 
eu la sagesse de faire plus qu'aucun autre sou- 
verain ; ayant bien calculé les progrès que 
l'espèce humaine avoit faits jusqu'à lui, et la 
marche que Ton de voit suivre dans la suite , 
il n'a voulu faire que quelques pas de plus , 
parce que sït avoit entrepris d'en faire da- 
vantage y il auroit tout brouillé, tout confo ndu , 
et auroit retardé l'œuvre du perfectionne- 
ment social , au lieu de l'avancer. Je finira^ 

Aa a 



37^ Vieillesse, i^rtn. êtm&rt de Frédéric. 

par remarquer qM dans le cerele où le6 eir^ 
oon^taDces Taroiefnt circonscrit , il â été grande 
homme à presque tous les titres, e'est-i-dire « 
comme légiadatéur ^ comme héros et oonqué^ 
irafiit , comme sage et philosophe , eomme 
littératiaur; poète et histori^a/et principalQ^- 
itfeul comme admim'strateur , aiasi que )*«&•>* 
père le prouver dans toute la suite de cet 
èttvnage. 



' • » . ^ 



l 



Hav du Tome Premier^ 



I • 



' . . '' . ' ' ■ • . 



TABLE 

f .... 

DES ARTICLES 

Contenus dans ce Premier Volume. 



Préface. Page t 

ÈriéériQ le Grand dans ses Entretiens ordi- 
îiairess 49 

-r^ — da^ !ses Etudes , ses Opinions et Com- 
positions Httéraires. 1 39 
— — dans sa Jeunesse • ai g 
f^oyàg&s de Frédéric. 25ar 
frédériç dans sa, Vie intérieure et domes^- 
titfue. 305 
yieiUesSe t Xrifirmités et Mort de Frédéric* 

354 



Fin de la Tabla des Articles du Torae 

Premier. 




mrm^'mmtmmmmmmiÊÊÊmtÊttÊmti^imm 



^ 



OUVRAGES 

Sur la POLITIQUE , la DIPLOMAtlE , 
l'ÉCONOMIE POLITIQUE et riHISTOIRE, 

Qui se trouvent chez F. Buisson, Libraire, 
rue Hauteibàiile , n^. zo,. 



Tableau faistorique et politique de l'Europe; depuis 
^ i786'}usqu'en 1796 , ou TânlV ; où setrouveut l'EGs- 

* toîre ded piiuo^auX'éTènemensdu rëpne de F. Guil- 
^ laume 11^ roi de Prusse , et un Précis des Révolu- 
tions de Brabant; de Hollande , de Pologne et de 
France ; par JL. P, Ségur Patnèy ex-Ambassadeur , 

. Conseiller d'£tat. Troisième Édition ^ revue et corri- 

fîgée. â vol. in-8^, avoc le Portrait de F. ûuillaume II , 

{ gf^vé par jé. Tardieu. Prix , la fr. 

iPoli tique de tous les Cabinets de l'Europe 1 pendant lei 

règnes de Louis XV et de Louis XVI ^ contenant des 

* Pièces authentiques sûr la Correspondance secrette da 
.Comte de Broglie; — Un Ouvrage sur la Situation de 
tot^tes Içs Puissances de TEurope / dirigé par. lui et 

* exécuté par M. Tabler; --<-Les DoKites sur le Traité 
. ,de 1756, parle même; — Plusieurs Mémoires du 
' Comte de Vergennea ^ de M . Targot , etc. Manuscrits 

trouvés dans le Cabinet de Louis XVI. Troisième 
Édition, considérablement augmentée de Notes et 
Commentaires, et d'un Mémoire sur le Pacte de Fa- 
mille y par L, P, Ségur Vaine, ex-Ambassadeur^ Con- 
seiller a Etat. 3 vol. ên-8®. 1 3 francs/ 
Galerie Politique 9 ou Tableau Histori<(ue , Philosophi- 
que et Critique de la Politique étrangère , où se trou- 
vent l'aperçu des Evènemens qui ont contribué à 
l'élévation ^ à la gloire ou à l'abaissement de chaque 
Etat^ ses Rapports politiques; l'analyse de divers 
Traités^ et les Portraits des Monarques, Ministres, 
Généraux, etc. , qui ont influé sur le sort et la Poli-: 



%ne ae l'^uK^pe, depuis 1788 Jusqu'en 1800: par 
M. A. GaUet a voL in-g». Prix , 9 francs. 
Mémoires Philosophiques et Politiques sot Pie VI et 
* î?J»!!?'**»fi<»t. jusqu'à sa mort} où l'oii ti'onveties 
JJétmIscuneuxsnr saVie priTée, sur ses querelles avec 
les diTenes Puissances de l'Europe, sur les Causes 
qui ont amené le renversement du Trône Pontifical 
«ur la Aévolution de Rome et ses suites ; tirés des 
sources les plus authentiques. 2 vol.. i/d-S". avec la 
Carte des Marais Pontina, et le Portrait de Pie VP 
gravés en taiUe^uoepar/. Tardieu et Blot. Seconbï 
EDITION, r«M(« ei augmentée par l'auteur. Prix 8 fr 
brochés. ' , 

Mémoire de la minorité de Louis X V ; par J. B Maskil- 
fo», evéque de Clermont, de l'Académie française. 
Seconde Edoion. 1 Toi. w-S". Prix , 3 fr. 60 cent. , et 
Oir. trancdeportparlaposte. 

Le même ouvrage, 1 vol. in-ia. Prii,2fr.5oc 
(pour lespersoonesqiv ont les œuvrestTi-is du mém 
auteur.' ) ™eme 

Le Nouveau Siècle de Louis XIV, ou Salires-Anec 

rÏ^^ ^I^A^***•* *•'-''«'•' 5 *"«« des notes histo- 
^^^^^^ ^^VKusemeoB. Seconde Édition. 4 vof 
in-4«' . fttx, a 8 fr. ; et aS fr. franc de port par k pone 

Histoire du Directoire Exécutif de la SépXue* 
française, depuis son installation jusqu'au 1 8 Bru 
mau-e inclusivement ; suivie de Pièces JusUficaiive^ 
2 vol- i«-8». Prix , 9 francs brochés. "^''^es. 

aslou-e de Catherine II Impératrice de Russie ; par 
J. Caetera. Smvte de l'état actuel du Commerce des 
Richesses, des Forces , des Productions de la RasS 

^t'T^I' "''' *""" ^°^"-"'«' gravés par' 
^ i"/ »utres, comprenant celui du maréchal 

&«^/; du prince Jpon, du prince Po..^*^ et 
de C«/^r«,«// à deux âges; de Pierre m H 
Gré^ireetà'^lesùf Orloff, de Paul I.r , de PonZ 

*w%, de Z«7w*oj, et celui de l'Auteur :1a Vned« 
la Fortereeee deSchhueelbourg, et deoxbelles Cartes 

?/i*, ^■"'' *' t ^^"^8^' «^e° ^» àmrem par! 
t^es. Prix ,7 fr. broc; en papier v^lin ordinaire 
25 f. , et en beau vélin 34 fr. "'«aire 

Le même Ouvrage, en 4 volumes w-ia ,.„« «„„ 
traits ni carte.. Prix, 9 fr., brocl,^. "^«««por- 



Tbétoa dellfennitagede CafiérÙH tl\ IlifpAuriiée d« 
Rn88ie> coiupoté par oèfto I^aiuOM»e; |MUt £.*/^ Afgur, 

^ iMHirg} par I9 Comie de C^beniu^l, Antib^mtdtmr de 
rJEknp^roar ; pw k Comiit itfOi^ Schûi9i^akff\ par le 

^ Comte SirQgo9^; pit le Prmm «b ^^i^liw; pnr le Fa- 
vori Mom^nof; p<ir Mlle* Auf/éim , «^kw fi toI^ sh^^* 
avec le PioiraUdp Gaià^ri^eJl^ gl^Véen ièiile-doace» 
Prix, 9 & broahéa. 

Correspondance «eci^to de CA^^f^Ue^ Puiaa^f Corma- 
tiny d'AuHch4»mp y S^rmer ^ FroUé , Sc^peaux^ So^ 
tJterel ^ du Prétm4ism*^à^ «à<*deveiit Camled' Artois j 
de leurs Ministres et Agens^ et autres Vendéens , 
Chouans et ^Emigrés Français. Suivi du Journal d'O- 
Iwier ^Argene , et du Gm0 Politique et Civil qui a 
régi la Vendée peudant le tewps de La RebéUioai. /n^ 
primé sur Pièces Origmaiee , saiaîes parles Armées 
de la République , sur les difliârena Châfe do Rebelles, 

. dans les divers Combats, qui. ont pi^éoédé la Pa<nfi0a- 
tion de la Vendée. 2 vol. m-8^. avec le Portrait de 

. ChareUe^ gravé en tailte^donoe^ Crès-icaeeHiblaBi^ 
Prix , 6 fr. 5o c* 

Voyage dans leâ quatre principales Iles des Mers d'A- 
fi'ique» fait par ardreduGovwmementy pendant les 

. années IX et Jl ; ( itot et I180S ) avec l'Histoire de 
la Traversée du Capitaine fianulîn jusqu'au port 
Louis de Tile Maurice ; par /. BXSr. Jf. Botj deSain^ 
Kincenty Offieier d'Btai Ma^or ; Naturaliste eu dief 
sur la Corvette le JVaêaratiste ^ dans rBicpéditîali 
de Découveites comniande'epar leCapilaineBaudin. 
3 vol. i/» 8 ^. de 1 3So pages înifiriniéeB sur^earrëssiper- 
fia d'Auvergne; avec un voiome. grand m-4^«de 
58 planches, dont piusicaysaur Gratid- Aigle, des- 
sinées sur les lieux par l'AuteMry et gravées en taille- 
douce par Adam, Bi^ndeem, Portier, Dorgez , B. 
Tardieuj etc.^ contenant d)es earles goograpMlpies 

. et physiques ; des viins «aarines, sites; ammaux , 

. plantes, niinéraa x , volcans. Prix , 48 fr. avec l'Atlas 
cartonné; et 56 fr. francs de pori.£n pa^er vélin, 
S)6 fr. sans le pojt. 



^ I C? ..' '*y L» / !