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Full text of "Émile, ou De l'éducation"

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HARVARD COLLEGE LIBRARY 

From the Uhrary of 

JOHN LIVINGSTON LOWES 

Profcssor of English 1^18-1930 

Franciji Lee Higgimon Professer of English 

Literature 193 0-1945 




n^^ 



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1 



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EMILE. 



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IMPRIMERIE DE DVPONT EUS* 



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niPRIUERIE DE DVPONI FUS. 



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4.1 




ik' i-j'ui!i Jour tj^u** it" luuinU- e-tl ^ouwniiï* 



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EMILE, 



OU 



DE L'ÉDUCATION, 

PAR J.-J. ROUSSEAU. 



TOME m. 



A PARIS, 

{Madame venre PERRONNEAU, Libraire , 
quai des Augustins , n* Sg ; 
ALEXIS EYMERY, Libraire , rue Mazarîne , 
n^ 3o. 

1819. 

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Kî> P- ^ o 2 ■;. 



€0LIE«E 



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EMILE, 



^'D 



DE L'ÉDUCATION. 



LIVRE V. 

Nota voici parvtfmxs on âemiet «cfle ûe la jetmewef ,^ 
mais nom ne sommeft pas encote au dénomment 

Il n'est pas bon que l'homme soît seul. Emile est 
homme ; nous lui avons promis une compagne , il 
faut la hiî donner. Cette compagne est Sophie. En 
quels lieux est son asile? où la trouverons-nous? 
Pour la trouver il faut la connaître. Sachons pfe- 
miërement ce qu^elle est, nous jugerons mieux des 
lieux qu'elle habite; et quand nous Taurons trou-> 
yééy encore tout ne sera-t-il pas fait. fuUque notre 
jeune gentiihommc , dit Locke , est prêt à se ma-' 
rier, ii est temps de le iaisser auprès de sa maU 
tresse. Et 14-dessus il finît son ouvrage. Pour moi 
qui n'ai pas l'honneur d'élever un gentilhomme, je 
me garderai d'imiter Locke en cela. 



SQPJilE, OQ LA FEMMS. 

&CMIIB àtni éireittome ooosjne Émîlc est hoemm, 
e*eM^-rdipe avwiir teut ce fui cpixvitoft à hi CMisIt- 
tutioa de son espèee et de iqa sexe pour rempUr 



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6 émiLE» 

sa place dans Tordre physique et moral. Comment 
çons donc par examiner les conformités et les dif- 
férences de son sexe et du nôtre. 

£n tout ce qui ne tient pas au sexe la femme est 
homme : elle a les mêmes oi^anes , les mêmes be- 
soins, les mêmes facultés; la machine est construite 
de la même manière, les pièces en sont les mêmes ^ 
le jeu de Tune est celui de l'autre, la figure est 
semblable; et, sous quelque rapport qu'on les con- 
sidère, ils ne diffèrent entre eux que du plus au 
moins. 

En tout ce qui tient au sexe , la femme et l'homme 
ont partout des rapports et partout des différences : 
• la difficulté de les comparer vient de celle de dé- 
terminer dans la constitution de l'un ei de l'autre 
ce qui est du sexe et ce qui n'en est pas. Par l'ana- 
tomîe comparée , et même à la seule inspection , 
l'on trouve entre eux des différences générales qui 
paraissent ne point tenir au sexe; elles y tiennent 
pourtant, mais par des liaisons que nous sommes 
hors d'état d'apercevoir : nous ne savons jusqu'où. 
ces lis^isons peuvent s'étendre ; la seule chose que 
nous savons avec certitude est que tout ce qu'ils 
ont de commun est de l'espèce , et que tout ce qu'ils 
ont de différent est du sexe. Sous ce double point 
de Vue nous trouvons entre eux tant de rapports et 
tant d'oppositions, que c'est peut-être une deâ mer- 
veilles de la nature d'avoir pu faire deux êtres si 
semblables en les constituant si différemment. 

Ces rapports et ces différences doivent influer 
sur le moral ; cette conséquence est sensible^ con- 
forme à l'expérience, et montre la vanité des dis- 
. putes sur la préférence ou l'égalité des sexes : comme 
si chacun des deux, allant aux fins de la nature 
selon sa destination particulière ^ n'était pas plus 



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tIVRE.V. 7 

parfait en cela que s'il rassemblait davantage à 
l'autre! En ce qu'ils ont de commun ils sont égaux; 
en ce qu'ils ont de différent ils ne sont pas compa- 
rables. Une femme parfaite et un homme parfait 
ne doivent pas plus se ressembler 4'e8prit que cte 
visage j et la perfection n^'est pas susceptible de plus 
et de moins. 

Dans l'union des sexe^^ chacun concourt égaler 
mient à l'objet commun , mais non pas de la même 
manière. De celte diversité naît la première diffé- 
rence assignable entre les rapports moraux de l'an 
et de l'autre. L'un doit être actif et fort , l'autre 
passif et faible : il faut nécessairement que Tan 
veuille et puisse , il suffît que l'autre résiste peu. 

Ce principe établi^ il s'ensuit que la fenmie est 
faite spécialemtent pour plaire à l'homme. Si l'homme 
doit lui plaire à son tour, c'^t d'une. nécessité 
moins directe ; son mérite est dans sa puissance; il 
plaît par cela seul qp'il est fort. Ce n'est pas ici la 
loi de l'amour, j'en conviens; maise'est celle de la 
nature, antérieure à l'amour même.] 
' Si la femme est faite pour plaire et pour être sub^ 
juguée , elle doit se rendre agréable à l'homme au 
lieu de le provoquer : sa violence à elle est dans ses 
charmes; c'est par eux qu'elle doit le contraindre 
à trouver sa force et à en user. L'art le plus sûr 
d'animer cette force est de la rendre nécessaire par 
la résistance. Alors l'amour-propre se joint au dé- 
sir, et l'un triomphe de la victoire que l'autre lui 
fait remporter. De là naissent l'attaque et la dé- 
fense, l'audace d'un sexe et la timidité de Fautre, 
enfin la modestie et la honte dont la nature arma 
le faible pour asservir le fort. , 

Q ui est-ce qui peut penser qu'elle . ait prescrit . in- 
différemment les mêmes avances aul uns et aux 



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6 iuiiÈ. 

autreè^ et ^e le prtfoAet à fotmér^es désirs doive 
.ètremkM le premiertà les téôieigner ? Quelle étrange 
-é^avaticin de ^ageniéAtl L'entreprise ayant des 
^eonsëquetioes éi difféi«ntes petir lei deux se^es , 
est^l nalurel ^iffis aient la même audace 'k s'y if- 
"^rrer? Gomment ne voft'-^m pas «jii'^vec trae hi 
grande inégalité dans la mise commune , ^ la ré- 
-Métve n^hnpOÉRâ^tà Tnn la modération quela ttature 
tepeise à VintHf û en réstiHerafft bienitet la rtdne 
de tous deux, e« que 4e fenve humain périrait par 
les mojFens étants peur le conserver? Avec là facfe- 
tité ^u'ofM les femmes pottr émoutoir Ibs sens des 
4iom«ies ^ et â*aller révëHler au fond delèiirli coeara 
les nsles d\ra tempérament presque éteint, iil 
4tSii% quelque inalhearenx climat sur la terre où la 
philesepltie eM introduit cet usage, surtout dans 
les pays cAiands, où il haft plus de femiues que 
4tMnnmeB, tyrannises par dles, ils seraient enfin 
4éurs ▼icftknes , «t se Terraient tous traîner à la mort 
sans qu'as pussent iàmai s s'en défendre. 
. Si les femelles des animaux n'ont pas là même 
lh)tftc, qaes^nsuit-ll? Ont-efles, comme les fem- 
mes, les désirs illfmités auxquels cette honte sert 
de frein ? Le désir ne vient pour elles qu'avec le 
liesoin; te besoin satisfait, le désir cesser elles' ne 
i*epoussent phis le mâle par feinte (i), mais tout 
de bon : elles font tout le contraire de ce que 
faisait la fiHe d'Auguste , elles ne reçoivent plus de 
passagers quand le navire a sa -cargaison. Mékne, 

(i) J'ai déjà remarque que les refus de simagrée et d'a|[a- 
cerie sont communs à presque foutes les femelles , ménifi 
parmi les animaux , et même quand elles sont le plus dis- 
posée à se rendre ; il ftut «Pavok jamiiis ^bserré leur ma- 
nège pour disQMisevir de cela^ 



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tlfRl'V. 9 

qviaskd ^Ues sont librear^ iéùrs tenitps lié bonne ior 
lonté sont coforts «t biestdt passés ; i^isflliiict les 
Jiouaae et rirottiiel les anréte. Où sera le snpfilé- 
lÉHetfi de cet isistnict négatif dans les femmes quand 
vous leor aurez ôté I» pudétir^ AllendFe qo^ëUes 
ne se soâeient plm des homoiesy 'C^esi «Hetidtfb 
-quHlt ioe soient pkis bons à rien. 

L'Étie<supréme a Touhi faire en toot honneui' à 
l'eiqpèce fanmaîne : en ck>oiiiantàrboinAie despen- 
ciiaas sans mas^ire, IMni donti« en même temps In 
im fcfoii les tègkij afin qu^ $oit llbfe et se cemt- 
mandé à hii-rnèBie : en le livrant à des passâms 
immodéré» 9 il {oînt à ces passions la vaisoo pour 
iès gdoYeraer : ^ livrant la lemme à des d^ss 
illimités , il (oint à ces désirs la pudeur pour les 
•coiitenir. Pour surcroît, il a^utie eneore ime ré* 
tsdmpt^se àctudle au bon usage de ses>facQlté8> 
'savoir le goût qu'on prend aux choses honnêtes 
lorsqu'on en fait la régie de ses actions^ Tont cela 
fvaût bien , ce nsé semble , l^instînet des béte& . 
• BfM ddnc que la iemeUe de Tliomme partage oa 
mon ses djésirs et veuille ou nion les satk£we, elle 
4e repousse et se défend toujours , mais non pas 
toujours SÉvee la même fbroe , ni par consécpsent 
^g/ec le même suoeM. Pour que Piiltaquant soit 
vSctoisîieux 9 il faut.que l'attaqué le permette ou i'oi>- 
iAenne; car que de moyens adrote n'a*t-ll pas pour 
forcer l'agoesseur d'user de ibrce ! Le plus lîinre et 
te plus doux de tous içs actes n'admet point de vio- 
lence réeUe^, la nature et la raison s'y opposent : la 
nature, en ce qu'elle a pourvu k plus faible d'ait- 
lant de force qu'à en faut pour résislar quatod il lui 
platt; 1^ raison, ai ce qu'une violence ^réelle eill 
non-seid«sient le plus brutal de loua les aetes^ 
mais le plus contraire À sa fin^ soit parce qiie 



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lO JEMILE. 

rhomme déclare ainsi la guerre k sa compagne, 
.et rautorisè à défendre sa personne, et sa liberté 
aut dépens même de la vie de Tagrésseur, soit 
parce que la femme seule est juge de l^état où elle 
se trouve, et qu'un enfant n'aurait point de père si 
tout homme en pouvait usurper les droits. 

Voici donc une troisième conséquence de la con- 
stitution des sexes, c'est que le plus fort soit le 
maître en apparence et dépende en effet du faible ; 
et cela, non par un frivole usage de galanterie,. ni 
par une orgueilleuse générosité 4^ protecteur, mais 
par une invariable loi de la nature, qui, donnant 
à la femme plus de facilité d'ei^iter les désirs qu'à 
l'homme de les satisfaire , fait dépendre celui-ci , 
malgré qu'il en ait, du bon plaisir de l'autre, et le 
contraint de chercher à^son tour à lui plaire pour 
obtenir qu'elle consente à le laisser être le plus 
fort. Ak)rs ce qu'il y a de plus doux pour l'honmie' 
dans sa victoire est de douter si c'est la faiblesse 
qni cède à la force, ou si c'est la volonté qui se 
rend ; et la ruse ordinaire de la fenune est de lais- 
ser toujours ce doute entre elle et lui. L'esprit des 
femmes répond en ceci parfaitemient à leur consti-^ 
tution : loin de rougir de leur faiblesse elles en font 
gloire: leurs tendres musclas sont sans résistance; 
elles affectent de ne pouvoir soulever les plus lé- 
gers fardeaux ; elles auraient honte d'être fortes. 
Pourquoi cela? Ce n'est pas seulement pour pa- 
raître délicates, c'est par une précaution plus 
adroite; elles se ménagent de loin des excuses et 
le droit d'être faibles au besoin. 

Le pirogrès des lumières acquises par nos vices a 
beaucoup changé sur ce point les ancien/ies opi^ 
nipns pjarmi nous, et l'on ne parle plus guère de 
vipiences depuis qu'elles sont si peu nécessaires , et 



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IIVKE V. fl 

queil^homiDRes n*y croient plus (i); au lieu qu'elles 
soqt; très -/commxiiies dans les hautes antiquités 
grecques et juives, parce que ces mêmes opinions 
sont dans la simplicité de la nature^ ettjue la seule 
expérience du libertinage a pu les déraciner. Si 
Ton cite de nos Jours moins d'actes de violence , ce 
n'est sûrement pas que les hommes soient plus 
tempérans> mais c'est qu'ils ont moins de crédulité, 
et que telle plainte qui jadis eût persuadé des peu- 
ples simples ne ferait de nos jours qu'attirer les ris 
des mo:{ueurs ; on gagne davantage à se taire. Il y 
a dans le PeuUronome une loi par laquelle une 
,fiUe abusée était punie avec le séducteur, si le délit 
avait été commis dans la ville; mais s'il avait été 
commis à la campagne ou dans des lieux écartés^ 
l'homme seul était puni ; Car , dit la loi , ia fiiie a 
eriéy et n*a point été ent&ndue. Cette bénigne 
interprétation apprenait aux filles à ne pas se 
laisser sui|»rendre en 4es Keux fréquentés. 

L'effet de ces diversités d'opinions sur les mœurs 
est sensible. La galanterie moderne en est l'ou- 
vrage. Les honunes, trouvant que leurs plaisirs 
dépendaient plus de la volonté du beau sexe qu'ils 
n'avaient cru, ont captivé cette volonté par des 
complaisances dont il les a bien dédommagés. 

Voyez comment le physique nous amène insen- 
siblement au moral, et comment de la grossièris 
union des sexes naissent peu à peu lés plus douces 
lois de l'amour. L'empire des femmes n'est pôitit 

" (i) Il peut y ayoir une telle disproportion d'&ge et de 
forcé qu^une violence réelle ait lieu ; mais traitant ici de 
rétat relatif des sexes, selon Tordre de la nature, je le> 
prends tous deux dans le rapport commun qui constitue 
cet état. 



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l'i ÉlHLfe. 

à leÙeH parce qute le» Bemmes IVytït VMlti, mnh 
'parrce qu'ainsi le vetrt la Hatufe : M ëMit &tâfeft ar? a»l 
qa^eUes partnsettt Taireir. Ce ntièiive fiereule qni 
crtit fadre violence attt eimplalÉ^ âMes âe Tbespiâi^ 
fut pourtant centràifit et ^et près d^Otftpk^ile; 
et le fbit Samson ti'étâft pas siléft ^é bai^. Cet 
empire e^r aux femmes, «ft ne peut leto* être dté, 
même quand elles et abustot : ^ famaiS'èlleftpetN 
taient le perdre ^ Il y a Icmg-fettips qu%Bes TaùF- 
raierft perdu. 

il n'y a ttidle parité entre les deux Mxes quaiit à 
la eonséquenèe du ^éxè. Le mate n^t nddè ^'en 
certains instatîs, l^ fémèUe éàl femeHeteuie sa vie, 
ou du moins tovrte sa jeunesse ; tout la rappelle $aBs 
cesse à son sexe, et pour en Inen remplir léê ibue- 
tions, il lui faut tme constitution qui s'y rapporte. 
Il lui faut du ménagement durant sa grossesse , Il 
lui faut du repos dans ses couches, il lui faut une 
vie molle et sédentaire pour idlaiter ses enfans ; & 
lui faut pour les élever de là patience et de la dou- 
ceur, un zèle, une atfeetion que rien né rebaie;; 
elle sert de liaison entre eux et leur père, elle seule 
les lui fait aimer et lui donne lac nfiancè delee 
appeler siens. Que de tendresse et de soînt ne lui 
faut-il poîni pour maintenir dans IVinlaa toute la 
Junillel £ft enfin tootealAaedoîlpM^Ire des ver- 
tus, mais des goôls,^ sans qusti l'espèce Ihwm^Iikb 
serait bientèt éteMite.. 

La rigtéité des deveiss relaëfi» des demx seocei n'usât 
ni ne peut ^tre la même. Quand la fenane se plaint 
kà-dessus de i'inluste inégalité qu'y met l'betiuiie^ 
elle a tort; oc4le inégalité n'est point une inslittt- 
tfon humaine, ou du moins ^le n'est point 1*00^ 
vrage du préjugé , mais de la raison : c'est à cdni 
des deux- que la nature a chargé du dépôt des en- 



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&OS d!€# x^OBdfc i ^4^tr(^ Saos doute U n*est 
pemus à pQisom)i& de violer safoi^ el tout m^rl io- 
Qdèil^ qqi pcîKesa feiim^e d^ seul pra die» austècet 
dç^9||r^. d^ sQn m^ ^ ^n bQnui^ îDJuste et barr 
bare : mais la femme inÀdèle faU pliM» elle dissout 
la favuUe^ et hrm tou3 les; lieii9 de la natuna» en 
dmomif à rtiomi^ft i^ enCiUM qyl oe sont pajg à 
liijL^ f^e tcabit lei vm% ei Jieft auU:ea9 elle joint la 
{lerfidieii IMnSd^Uti^. J^^ôp^e à vw yiel diésordre 
^ qgoel mm^ w ijei^pa& ji celui-là* S'il est ub étal^ 
affreux ajiji vf^ndti^ q!j^ celui d-ui; jgtialbeuneux 
Jf^ fS4^ ^^^ çpi^^Qce en jsa fewne^ ifqs^ se 
JUyjrei; wx pU^. dpu,K «entifi^U» de soit .cœur> qui 
dofiAp;, oii,eiubi:9#«aut li^ eu£w?t, rfil n'em^^s» 
fçJoiJL KGofy^^ d'u» #ulrei Jle ^^e de aou déj»boa*- 
ueur^ ï^ x^^a^^sfipr du bi^ de ^es^ pr9pii:e$.eufau3^ 
Qu'e^t-i^ ^j»q^ l^ fowlloi »i ce n'ejM^ uue $0f 
^t4 4'«îWW *ûci»i^ w'*"*^ fcwjipe couRablA 
4i;9a6 l'>un 4^^e Vautre e« l^i (opçaut de Ceiudre. 
4e^^r'fgi^9;ie^^ 

U n^ia^ovt^ donc j^ g(Mxlei9^é|^t que la femme 
fQit. fi4^ ^ n^ quleUe soit jiuçée telle par son. 
mari, par ses proches > jpajr tout le monde;. U îm-^^ 
]^Pi^i^'fiillh¥iii^mf>àGfi^^^ attentive, r^ervée, et 
jqji^'i^jK^fl^ f^\t^ d'^Urui^ coflime e».sa pro* 
^;^,ç^9çffif^^lfi.^4m^^^ d^sa v^iu. Enfin,, 
^i^.p^^tOe^'m^i'^^.a^xmM^ epf^ns^ il unporte 
^'i},e^ti^9«^jj^^ jpô^^ Telles 3PUt le^ i:aiBons qui 
wetlesit rap parence in^e au noûd>re des devoirs 
éet'feniBM», isft hamt vendéiM^ TboipAOui: el tarépu- 
talion non mokM indispensables que la chastetés 
pe ces principes dérive, ^veo Va dlfféfence itiorale 
d^i^q^f nft motif m>viy^^^ i,e devoir et de conve- 
wmm^ m^ &F^Mç^ spéctatemept aMx femm^ l'at- 
tontion la plus scrupuleuse sur leurofioduilièy «ur 



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l4 KMIIB. 

leurs manières, sur leur maintien. Soutenir vague* 
ment que les deux sexes sont égaux et que leurs 
devoirs sont les mêmes , c*est se perdre en dëda- 
mations vaines , c'est ne rien dire tant qu'on ne 
répondra pas à cela. 

' N'est-ce pas une manière de raisonner bien solide , ' 
de donner des exceptions pour réponse à des lois 
générales aussi bien fondées ? Les femmes , dites- 
vous 9 ne font pas toujours des enfans. Non ; mais 
leur destination propre est d'en faire. Quoi 1 parce 
qu'il y a dans l'univers une centaine de grandes 
villes où les femmes vivant dans la licence font peu 
d'enfaiis, vous prétendez que Fétat des femmes est 
d'en faire peu ! Et que deviendraient vos ViUessi le^ 
campagnes éloignées, où les femmes vivent plus 
simplement et plus chastement , ne réparaient la 
stérilité des damés? Dans combien de provinces les 
femmes qui n'ont fait que quatre ou cinq enfans' 
passent pour peu fécondes (i) 1 Enfin, que telle ou: 
telle femme fasse peu d'enfans, qu'importe? L'état 
de la femme est-il moins d'être ùière ? et n'est-ce 
pas par des lois générales que la nature et lès mœurs 
doivent pourvoir à cet état? 

Quand il y aurait entreles grossesses d'aussi longs 
intervalles qu'on lé Suppose, une femme changera- 
t-elle ainsi brusquèlment et alteruativément de ma- 
nière de vivre sans péril et sans risque? Sera-t-elle= 
aujourd'hui nourrice et demain guerrière? Chanr 

mm • f • " ■.«<• 

(i) Sàus cela l'espèce dépérirait nécessairement : pour 
qu'elle se conserve , il faut , tout compensé , que chaqu^ 
femme fasse à peu près quatre enfans : car des enfaqs qui 
naissent il en meurt prés de la moitié avanL qu'ils puissent 
en avoir d'autres , et il en faut deux restans ptlur représen- 
ter le père et la mère. Voyez û lesTÎUes jùu$ hwhÛKip^ 
cette population-là. . ..i 



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LIVRE V. l5 

géra -I- elle de tempérament et de goûts comme un 
caméléon de couleurs t passera-t-elle tout à coup 
de Tombre de la clôture et des soins domestiques 
aux injures de Tair, aux travaux , aux fatigues 9 aux 
périls de la guerre? Serà-t-elle tantôt craintive (1) 
et tantôt brave, tantôt délicate et tantôt robuste? 
Si l^s jeunes gens élevés dans Parié ont peine à sup« 
porter le métier des armes 9 des femmes qui n^ont 
jànisds affronté le soleil , et qui savent à peine mar- 
cber, le supporteront-élles après cinquante ans de 
<noliesse?Prendront-elIes ce dur métier à rage où les 
hommes lé quittent? 

Il y a des ()ays où les fenmies accouchent pres- 
que sans peine , et nourrissent leurs en fans presque 
sans soin ; j'en conviens : mais dans ces mêmes 
pays, les homtties vont demi-nus en tout temps, ter- 
rassent les bétes féroces, portent un canot conuae 
un havre*sac, font des chasses de sept ou huit cents 
lieues 9 dorment à Pair à plate-terre , supportent des 
fatigues incroyables , et passent plusieurs jours sans 
manger. Quand les femnîes deviennent robustes, 
les homoles le deviennent encore plus ; quand les 
homïnes s'amollissent, lés femmes s^amolHssént 
davantage ; quand les deux termes changent éga- 
lement, la différence reste la ménke. 

Platon; dAfiii M r/,puùiiçuô^ donne aux femmes 
les mémed exercices qu'aux hommes;* je le crois 
bien. Ayailt Oté de son gouvernement les familles par* 
ticulières , et ne sachant plus que faire des femmH, 
il se vit forcé de les faire hommes. Ce beau génie 
avait tout combiné^ tout prévu: il allait aù-devant 

' (i) La timidité des femmes est encore un instinct de là 
aatare contre le double risque qu'elles courent durant Içiur 
grossesse. 



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û'vkoe oIijecIkH) que parsooo^peuMtre a'e4t 4o»g;é 
à lui faû!^ ; mai» ila nud} i^ésolii oeUe qu'on lui'fip^it. 
J« Ba parle point de oet^ prélendue ooi^niHiau^ 
de kvmu^ im^ te r^rPfit^. ta<it répéta pcouve qw: 
4)eux ^ te Im fiml oe L'^nt j;^^»^ lu ; j^ parte d!^. 
oelt^ pr^ipi$4^uit^ civîte qpî eonfo^id partout les, 
deux ^xfi$4fim hfkm^mf^^mgUnfif dans tee^ mj^ip^s 
lravAU^5 ^t^ ^e P^«*t i^apq^^er djengeudrer tes plu# 
Intolérabte^ a)>uf 9 je pai^ç A>^ c^ti^ «ul^vensioa 4e« 
plua dQu^c 8fgntii]3^u& de la uajture» îmiootéff à- un 
«eutjtaieufc ^UQi^fi} qui ae f«plk sulipiiftcir^ie p;^^ 
eux : comme s'il ne fallait pas UM prise qatuveUft 
pour foiwer det Item d^ ^^qv^qUqo I comme si L'a- 
Bdeur qiv*ao. a pour se» pi^ocbes ^'était pasie pmi- 
cîpe dfiicehfi qu'on dqitÀ V^at j oomme si œ n'^l^ 
paftpar lap^Ule patrte» qui est lalmâUe) que le 
eonirVattadbe à Ja gKSuidel cQwine si ee n'éu% 
pas ie bon fils# le bon i»dd » tei bon ptoi^ qjiii fonl^ 
te bon cUoj^J . . 

Bès xfift'uoe feift â est ^imp^tté qp^ Itbpnm^^ eê 
1^ femmes ne sont ni ne doivent ôtr^ ^nstîtu^ df^ 
m&me de caraç^re m de ten^ramept^ il fr'ensu^ft 
qn'ils. ne, doivent pas^votr la mAmt édncatioa. JK« 
su^iran^ h^ directions de la nations , ils^ doivent afl^ 
de jDoncert , mais iis>ne doiii^ent p^ fwn tes mêiKiaf 
ehoffis; la fia des travaux est cpnununf i mm les 
isMvauK soilt diffécens^ e« par eonséqu^nt les ^«[f 
qmj^osidi«i0ÉSit. Affèsavoif tânbédeformesrhooania 
nanu^l^ pfiMP ne pas laisser imparfait nolKe ovm9r 

qui convient à cel bonm^* 

¥outez*vous t.nn{ours être bien guidé? suives 
tnu|oniiS; les indications de la nature. Tout «e qui 
earactérise te sexe doit étape respecté comme établi 
par elte. Vous dites sans cesse, les femmes ont tel 



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Qu t^ déCwl qw «ôu§ Q*avoi^ p4$. V^e orgueil 
v^»s trepipa ; *çe ft^aîe«t des dôfoulg pour voufl^, 
oe s<m^ d«f qualî|é# pç Mr eU^s ; lo^t ir^ mo||^ 
In^n fl^ «llefl B#j0S ay^ioat paA* £jiDpâchez cqs pré- 
tçQdM9 é^utr4<i éàf^^ifeTf H»aî^ 9^fi*vou« de 
leë détruire. 

Les femtnes, de leur côté, ne cessent de cimier qme 
nous les élevons peau* être vaines f 1 4^oqi|i^Kfs , que 
4ioqs ^ ^musops sans ces^e ^ def puér4U^ po)^r 
rester plus facilement les qc^ittrfs; elles s'eapreu- 
pept à nous de# défauts qijie pousleijiri'eproçÏH^inf. 
Quelle folie ! et ^çpviis quand sont-ce les h^mpaes 
qui se mêlent de l'éducation des filles ? Qui est-ce 
qui empéçbe les mères dé les élever coqfiioiç il lenr 
platt ? fUles p'ont point de collèges : grand mal- 
heur ! |)h ! plOit à Dieu qu'i} n'y e^ eût point pçur les 
garçons ! i|s seraient plv^s sensément çt plus 1^ onr 
nétefujçnt élevé», Force-t-on vos filles ^ perdre leur 
temps en pi^iserie^ ? {Leur fait-on malgré elles passer 
la m(4tié de l^ur vie à Içur toilettes k VQlr^ eai^emr 
pie ? Nous empéche-tr-oi;^ de les instruire et faire 
instruire ^ votre (^é ? ¥#t-ce pptre faute si elles npus 
plaiaejol; qpand elles spi^t belles 9 si leurs minauder 
ries pous séduisent, si Tart qu'elles apprennent dç 
V0U9 Qous attire et nous flatte , si nous aimons à leç 
voir inises avec goût ^ Ri nous leur lai^pus affUer i 
loisir les armes dont elles n pus subjuguent ? Efe î 
prenez le parti de les élever comipe des hommçs^ 
elles y coupeptifont dç bop cqpu«* Plus elles vou- 
dront leur ressen^bler j uioin^ elles iles gouverpe- 
ront ; et c^est alors qu'ils sero|it vrawenf les poial- 
tres. 

Toutes Içs facultés çompiunes s^wx deux sexes ^§ 
leur sopt pas également p^rtagé^s; n^ais prises e^ 
tout 9 elles se compensent, h^ fepune y^ut ii^i^m^ 



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l8 éMILE. . 

comme femme» et moins comme homme ; partocit 
où elle fait Valoir ses droits, elle a Tavautage , par- 
tout où elle veut usurper les nôtres , elle reste au- 
dessous de nous. On ne peut répondre à cette vé- 
rité générale que par des exceptions ; constante ma^ 
nière d'argumenter des galans partisans du beau 
sexe. * 

Cultiver dans les femmes les qualités de l'homme , 
et négliger celles qui leur sontpropres, c'est donc 
visiblement travailler à leur préjudice. Les rusées le 
voient trop bien pour en être les dupes; en tâchant 
d'usurper nos avantages, elles n'abandonnent pas les 
leurs; mais il arrive de là que, ne pouvant bien nié-> 
nager les uns et les autres, parce qu'ils sont inconn-^ 
patibles, elles restent au-dessous de leur' portée 
sans se mettre à la nôtre, et perdent la moitié de 
leur prix. Croyèz-moi, mère judicieuse, ne faites 
point de votre fille un honnête homme , comme 
pour donner un démenti à la nature ; faites-en une 
honnête femme , et soyez sûre qu'elle eu vaudra 
mieux pour elle et pour nous. 

'S'emsuît-il qu'elle doive être élevée dans Figno-» 
rance de toute chose et bornée aux seules fonctions 
du ménage ? L'homme sera-t-il la servante de sa 
compagne ? Se privera-t-il auprès d'elle du plus 
grand charme de la société ? Pour mieux l'asservir 
Fempèchera-t-il de rien sentir, de rien connaître ? 
En fera -t- il un véritable automate? Non, sans 
doute; ainsi ne l'a pas dit la nature, qui donne aux 
femmes un esprit si agréable et si délié; au con- 
traire, elle veut qu'elles pensent, qu'elles jugent , 
qu'elles aiment, qu'elles connaissent, qu'elles cul- 
tivent leur esprit comme leur figure ; ce sont les 
armes qu'elle leur donne pour suppléer à la force 
qui leur manque et pour diriger la nôtre. Elles 

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IIVKE V. 19 

doivent apprendre beaucoup de choses , mais seu^ 
lement celles qu'il leur convient de savoir. 

Soit que je considère la destination particulière 
du sexe 9 soit que j'observe ses penchans, soit que 
je compte ses devoirs , tout concourt également à 
m'indiquer l^a fctrme d'éducation qui lui convient. 
La femme et l'homme, sont faits l'un pour l'autre; 
qaais leur mutuelle dépendance n'est pas égaie : les 
hommes dépendent des femmes par. leurs désirs; 
les £emmes dépendent des hommes et par leurs dér- 
sirs et par leurs besoins; nous subsisterions plutôi 
sans elles qu'eUes sans nous. Pour qu'elles £^ient le 
nécessaire, pour qu'elles soient dans leur état, il 
-faut que nous le leur donnions, que nous voulions 
le leur donner, que nous les en estimions dignes.; 
elles dépendent de nos sentimens , du prix que nous 
miettons à leur mérite, du cas que nous faisons de 
leurs charmes et de leurs vertus. Par la loi même 
de la nature, les fenmies, tant pour elles que pour 
leurs enfans, sont à la merci des jugemens des 
honmies : il ne suffît pas qu'dles soient estimables , 
il faut qu'elles soient estimées; il ne leur suffît pas 
d'être belles , il faut qu'eUes plaisent ; il ne leur 
suffît pas d'être sages, il faut qu'elles soient recon- 
nues pour telles; leur honneur n'est pas seulement 
dans leur conduite, mais dans leur réputation, et 
il n'est pas possible que celle qui consent à passer 
pour infâme puisse jamais être honnête. L'homme, 
en bieniaisant, ne dépend que de lui-même, et 
peut braver le jugement public ; mais la femme , 
en bien faisant, n'a fait que la moitié de sa tâche , 
et ce que Ton. pense d'elle ne lui importe pas moins 
que ce qu'elle est en effet. Il suit de là que le sys- 
tème de. son éducation doit être à cet égard con- 
traire à celui de la nôtre : TopinioD est le tombeau 



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-de la vartu parmi les ipoo»ines , etmn %tùne parmi 
les femme«.> 

De loi bonne oonMitutîoii des mères dépend d'à- 
ixyrd œlle des eafoos; du -soin des femmes dépend 
4a première ^doeadon des hommes ; des femmes 
«dépendent encore leurs mœ»rs /lears passions , 
leurs goûts , leurs plaisirs , leur èonheur n»kn«. 
Ainsi tomte Féducalion desiemmes doitétre relaUte 
AUX hommes. L^ur plaire , leuv^tre u(tile , se faire 
^ûmer et lioporer d'eux , les élerei^ j(eunes , les soi^ 
^^ler grands , les •oonselller , les eonsder , l^eur ren- 
dre ia vie a9réai>le et douce ; voflà les devoirs dcfis 
iémmes dans tous les ten^, et ee «[u'on doit lecir 
af^rendre dès leur enfance. Tant4|u'on ne tjeintOfi- 
itéra pas à ce principe, on s^écartera du b«it , et 
'lotts les préqepleNS qu'on leur donnera ne fervlroot 
de<rie« pour leur t>oiiheur ni pour le n^tre» 
, M^s , quoique toute femme veuiHe {daire aux 
4os(im^ et doive te voulo^ , ^ y a lûen de la di^ 
€érence en||çe vo«dolr plaire à l'hommie de mérite , 
à i^omme vraiment aimable , et vouloir fdaitie à 
000 petits agréablea qui déshonorent leur seaie et 
eelui qu'ils imitent. Hi la nature ni ia raisoik ne 
peuvent potter la femme à aimer dans leshpmmeo 
ce qui lui rcifssemble , et ce n'est pas non plus en 
prenant leiirs manières qu'eflle doit chextcher à s'en 
iaâfe ^imer. 

Lors donc que « quittant le ton niodeste et posé 
de Jkur sexe , eUes prennent les aârs de «es étourdis^ 
ioin de suivre leur vocation , eMes y renoncent , «Iles 
i»'dtent à eUefr^mémes les droits qu'^^es penses^ 
usurper. Si n^^is étions autresient , dlsentrettes , 
nous ne plairicMiapointauxhonmiès. EUes |ne»feen|l. 
il Î9Lut èïre Iblle pour aimer les fous ; le désir d'ati- 
tirer ces ge«s-èà m9nlre ie |;o4t de ^eeiie qui s!y 



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I.1VAC V. ai 

fivre. S'il n'y dv^Âl poini d'bommefl frivoles, elle 
0e prépaierait d'eo foire ; el leurs frivolités sont bieo 
plus son ouvrage que les siennes ne sont le leur. 
JLa fefl^me qui aime les yrais bominesy et qui veut 
ieur plaire , pread des moyens assortis à son dessein» 
h9. femme est coquette par état ; mais sa coquetterie 
change de forme et d*ol>îet selon ses vues : réglons 
ices vues smr odOes de la nature , la femme aura 
ré^c^îo» qui lui convient. 

liespeitUes filles, ^squ'ea naissant, aiment la 
parure : non contâtes d'être foimê , elles veulenf 
qiCem les trouve telles; on voit dans leurs petits 
airs que ce soin les occupe dé|à ; et à peine sont- 
elles en état 4'entendre ce qu'on leur dit , qu'on 
les ijouverne en leur parlant de ce qu'on pensera 
d'elles. Il s'en faut bien que le mènie motif irè»- 
indiserèten^ent proposé aun petits garçons n'ait sur 
^if., le même empire. Pourvu qu'ils soient indér 
p^ndans et qu'ils aient du plaisir , ils se soucient 
Uurt peu de C(B qu'on pourra penser d'eux. Ge n'est 
qu'à force de temps et de pejne qu'on les assu^tit 
ilanaèmelol. 

, De quelque part que vienne aux filles cette pre- 
mière leçon , (ille est très^Mmne. Puisque le corps 
nai^ pour aind dire avant l'àme , la première cuir 
ture doit être celle du corps ; o^t ordre est commua 
auj: deui[ se]|^es. Mais l'objet de cette' culture es^ 
différent; dans l'un cet objet est le développemet>t 
4es^4&>rceS9 dans l'autre U est celui des agrément : 
jinn ifoe ces quaUl^ doivent être exclusives dans 
^aque seye^ l'ordre seulement est renversé; il fy{4 
4sseis de force àxv$^ femmespour faire fout ce qu'elles 
fyvA avcjQ gr<^ ; il faut asse^ d'adresse am^ hommes 
pour fake tout ce qu'ils font avec facilM^. 

Ppr l'ej^rême motiesie 4ps feiwies çc^mcnce 



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•1^ BMtLEi 

celle des hommes. Les femmes ne doivent pa^ être 
robustes comme eux , mais pour eux , pour que les 
Sommes qui Naîtront d'elles le soient aussi. En 
ceci les couveus^ où les pensionnaires ont une 
nourriture grossière, mais beaucoup d'ébalç, de 
courses, de jeux en plein air et dans des jardins , 
sont à préférer à la maison paternelle, où une 
fille, délicatement nourrie, toujours flattée on 
tancée , toujours assise sous les yeux de sa mère 
dans une chambre bien close, n'ose se lever, ni 
marcher, ni parler, ni souffler, et n'a pas un mo- 
ment de liberté pour jouer, sauter , courir, crier 5 
se livrer à la pétulance naturelle à son âge : tou- 
jours ou relâchement outré, ou sévérité mal enten^ 
due; jamais rien selon la raison. Voilà comment 
on ruine le corps et le cœur de la jeunesse. 

Les filles de Sparte s'exerçaient , comme les gar- 
çons, aux jeux militaires, non pour aller à la 
guerre , mais pour porter un jour des enfé^ns ca- 
pables d'en soutenir les fatigues. Ce n'est pas là ce 
que j'approuve : il n'est point nécessaire pour 
donner des soldats à l'état que les mères aient port^ 
le mousquet et fait l'exercice à la prussienne ; mais 
«je trouve qu'en général l'éducation grecque était 
très-4)ien entendue eh céltè partie. Les jeunes filles 
paraissaient souvent en public, non pas mêlées 
avec les gai^ons,'màis rassemblées entre elles. Il 
n'y avait presque pas une fête, pas un sàctifiçè , 
pas une cérémonie , où l'on ne vît des bandes de 
fdles des premiers ciéoyens cbùrotinéès de fleurs , 
chantant des hymnes , forttiant des chc^rs de 
danses, portant des corbeilles, dés vases,' des of-^ 
fraudes , et présentant aux sens dépravés des Grecs 
un spectacle charmant et propre à balancer le mau- 
vais effet de leur indécente gymnastiqqe. Quelque 



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LivHt V* a3 

impression qne fit cet usage jur les cœurs des 
hommes, toujours était- il excellent pour donner 
au sexe une bonne constitution dans la jçiinessQ 
par des exercices agréables, modérés, salutaires, 
et pour aiguiser et former son goût par le dési^ 
continuel de plaire, sans jamais exposer sesmœurs^ 

Sitôt que ces jeunes personnes étaient mariées , 
on ne les voyait plus en public ; renfermées dans 
leurs maisons, elles bornaient tous leurs soins à 
leur, ménage et à leur famille. Telle estlam^i^re 
de vivre que la natui:» et la raison prescrivent au 
sexe. Aussi de ces mères-là naissaient les h^nomes 
les plus sains , les plus robustes , les mieux faitç de 
la terré ; et, malgré le mauvais renopi de quelques 
lies, il. est constant que de .tous les peuples dii 
monde, sans en -excepter nième les Romains, on 
n'en cite aucun où les femmes aient été à la fois 
plus sages et plus aimables, et aient mi^x réuni 
les mœurs et la beauté , que Tancie^ne Grèce. 

On sait qne Taisance des vètemens qui ne gé*? 
naient point le corp^ contribuait beaucoup à lui 
laisser dans les deujc sexes ces belles proportions 
4[u'on voit dans leurs statues, et qui servent encore 
de modèle àTsut quand la nature défigurée a cesfté 
de lui en fournir parmi nous. De toutes ces en- 
traves gothiques, de ces multitudes de ligatures qui 
tiennent de toutes parts nos menU>res en presse , 
ils n'en avaient pas titie seule. Leurs femmes igno- 
raient l'usage de ces corps de baleine par lesquels 
les nôtres contrefont leur taille plutôt qu'elles ne 
la marquent. Je ne pUis concevoir que cet abus, 
poussé en Angleterre à Un point inconcevable , n'y. 
fasse pas à la fin dégénérer l'espèce, et je soutiens 
même que l'objet d'agrément qu*on se propose en- 
cela est de mauvais goût. U n'est point agréable 



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a4 étfiLs. 

de voir une femme coupée en deux comme une 
guêpe; C«la choque la vue et fait sQuffîrir Timagi*- 
nation. La fiaeme de la taille a, comme tout le 
reste 9 ses proportions , sa mesure , passé laqu^le 
elle est oerlaiuemoat un défaut : ce délaut seraU 
méoie frappant à Tcell wa le nu ; p€>urquoi serait-il 
une beauté sous le vêtement? 

Je n*o8e presser les raisons sur Jesquoliet les 
lemnves s^oiwtinent à s'enccÂrasser ainsi : un selà 
qiii tombe > un ventre qui grossit, etc. , cela dét- 
platt fort, j'en conviens, Tlans une persomie de 
vingt ans, mais cela ne dioque plus à treèite; et 
comme 11 faut en dépit de nous être on tout temps 
ce qu'U plaît à la nature , et que Vœll de l'homme 
ne s'y trompe point, ces défauts sont moins d^dai<- 
sans à tout âge que la sotte affectatâon d'une petite 
fille de quarante ans. 

Tout ce qui gène et contoaint la nature est dç 
mauvais goût; cela est vrai des parures du corpg 
eomme d^ ornemens de Pesprit. La vie, la santé, 
la raison , le bien-èlre , doivent £dler avapt tout ; 
la gvâoe ne va point «ans l'aisance , la délicatesse 
n'est pas la langueur , et U ne îàu% pas être mal- 
saine peu» plaire. On excite )a pitié quand uo 
souffre ; mais le plaisir et le 4éslr cherchent la 
fraîcheur de la santé. 

Les ^fans des deux sexes ont beaucoup d'amtt-« 
semens communs, et cela doitétre ; n'en onttils paft 
de tpéme étant grands? Ils ont aussi de& goût» 
propres qui les diitinguènt. Les garçons cherch»i< 
le mouvemfenjt et le bruit; d^s tambours, des sa- 
bots^ de petits carrosse9 : les finies aiment mknn 
ce qui <lonne diui» 1^ vue et sert k rorùemenlf de» 
miroirs, d^s bijoux, des chiflgMiSy surtout 4espou>- 
pées : )a poupée e«t l'amu^mcnt spécial de ce 



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IIVRE T. aB 

sexe; voilà très- évidemment sooi goût déterminé 
sur sa destination. Le physique de Tart de plaire 
est dans la parure; c'est tout ce que des enfons 
peuvent cultiver de cet art. 

Voyez une petite fille passer la journée autout 
de sa poupée , lui clianger sans cesse d'ajustement^ 
l'habiller , la déshabiller cent et cent fois , chercher 
continuellement de nouvelles combinaisons d'or- 
nemens bien ou mal assortis , il n'importe ; les 
doigts manquent d'adresse 9 le goût n'est pa« 
formé , mais déjà le penchant se montre : danr 
cette éternelle occupation , le temps coule sans 
qu'elle y songe; les lœures passent $ elle n'en sait 
rien ; elle oublie les repas mêmes , elle a plus faim 
de parure que d'aliment. Mais 9 direz -vous, elle 
pare sa poupée et non sa personne. Sans doute; 
elle voit sa poupée et n^.se voit pas 9 elle ne peut 
rien faire pour elle-même 9 elle n'est pas formée 9 
elle n'a ni. talent ni foice^ eUe n'est rien encore, 
elle est toute dans sa poupée 9 elle y met toute sa 
coquetterie. Elle ne l'y laissera pas toujours 9 elle 
attend le .moment d'être sa poupée elle-même. . . 
YoUà donc un premier goût bien décidé : vous 
n'avez qnjj^ le suivre et le régler. Il est sûr que la 
petite voudrait de tout son cœur savoir orner sa 
poupée 9 faire ses nœuds de manche , son lichu , 
son falbala 9 sa dentelle; en tout cela on la fait dé- 
pendre si durement du bpn plaisir d'a^trui , qu'il 
lui serait bien plus commode de tout devoir à son 
industrie^ Ainsi vient la raison des premières le- 
çons qu'on lui donne : ce ne sont- pas des tàcfaet 
qu'on lui f«escrit, ce sont) des bontés qu'on & pour, 
^le. Et.-eaefiet. presque, toutes les petites filles ap^ 
prennent} avec répugnance à lire età éctiçe; mais 
quant à twir l'aiguille 9 ^st /ce qu'elles appren*. 

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' naiètoi4idu»i^fcMiAit«» El]e»8*lin«§iaieat^aiuaiGe 
létpe grandes ^ et songpnfr a\eo plalftw qat^ ees laltat 
pourremt im jpur le«Mt 8ervir>à.8Q parer* 

Cette première route ouverte' est fiicile à^sunvec 
l»€Outurey la broderie, la dealeite, vèeiuMnld^eUes- 
mêmes* La tapiiserîe n^est plue si fort à leur gré : 
leameublee eonf- trop loin d'ellee, ils ne tiennent 
point à 1» personae^ ils tiennent à d^aotresopinioras. 
La tapisserie cet ramusement des Ibnumee; di^jeu"* 
nés fillesn'y prandiont jamais un foi>lgraBNlc plaisir» 
Ces ppogrèavolontaives s^étendiQOwt «sèment fn»it 
qv^âu deesin<9 carnet antn'est pa» indifiîèrent à oe« 
îm^ de se mettse avec goût : mais Je ^n» roudtai» 
peint qii^on les appliquât au paysage, enoete 
imoîns à la figure* Des fie^ûltages, des fruits, des 
fleurs, dès drap^^es, tout ee <pil peuti servis k 
^isuner un conleup él^^ant ans ajustemens^ et à* 
loire soî^méme un patron de broderie quaad i o» 
n*<en trouve pas à son gré, cela leur suffit* £n gé- 
néral, s'il importo aux hommes do^ bcmiev lettre 
étude» à des connalssanees d'usage, cela import* 
encore plus a«ix femmes> parce ^ue la ?fe<de celles** 
cl, bfen que moins laborieuse, étant ou devant 
t^e plus assidue à leurs- soins iet plus enlrercoupéo^ 
4e soins divers, ne leur permet de se livrer par 
ehoi:^ à aueun talent'au-préfudlee*^ leurs dewini» 
Quoi qu'en disent les plaisans , le bon sens esè. 
^gaiement- des denx sepces* Les filles en général sont 
plus dociles que les garçon», et Ton dçil^nnême 
tsèersur elles^deplus'dfMtiH'ité, eomoie îe»le«diint 
fout à Ifteure : mais il' ne s 'Uns tt îl pas^-qut V4tm 
doive exiger. ^Pelles rien'dont eUeenepniBsent'VOtt» 
initiKté; rartdos mèresestderlft-ieiiHHon^rerdaae/ 
fout ce qu^enés'teurprescrèrenl^» 0t^eei3l^0el=4\Éi»^ 
ttot plus aJ9é'qfaeriiiteiygesoe(^ai»4iée*flllé»ee4' 

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LIVIB V. 97 

ptt» pfftDoecf qtie dam les gar^iië^ Ceff^ règle 
tNMiffft de lébr sezfe, aiiisi qne du nôtre, don-seule- 
tiieftt toQieB lee étndès'oMves qui n'aboutissent à 
riéti^àe^ bon etnéVeddenl pas méoie plus agréables 
9ttkt aMresteeutcpiiMIolitfaitérymaismèaie-totite*' 
êdleadent r«tiHté n'est pas« de Tâge, et où TenfaUt 
É^fmM la pi^oir dUbS oti âge phjls avancé* Si je 
ti^^tMiitf pas'qii^oA p^eftèe liu garçon d'apprendre à 
nr%,* à^ phn forte ratscna- ye ne veux pas qti-on y 
fdraerde |eiHids -filles avanè de leur faire bien sentir 
à (fodi^sefitla leotnve; et, dans la manière dont on 
leur montre ordinairem ent cette utlMté, on suit 
bïwph}» sa propocridéé qœ la leur* Aprèis tout , 
eàebt'lanéceésité-qu'fi^ fine sache lire et écrire 
dert feiebfie heure? Aur»-t^ile sitôt un ménage à 
g u nnff u elr? lïjten a' bièopeu qtri ne fassent plut 
d^àbdrqne d'osaglb de cette fatale science , et toutes 
seMnxK pdù tropïc«lrie«ses pem* ne pàs^rapprendre 
aans^^'vpn les j f«#ce, q«tfand elle» en auront le 
Mifr et* roccasien; Peut^étl^. devraient-^es ap- 
p i eué t e àclriireraVrfnttôut : car rîen n'offre une 
niitfèé phis'sensîUeéb tènt* .temps ^ ne demande 
ii»*|Ms*loit|*va8à^^ et ne laisse tant de prise i, 
IMièw i ^ ^e les- comptés. Si là petite n'avait les 
cetttes^d^ smr gàèter <^e par vhne opétatiou d'à* 
nthlBétiqne, je tous répetis' qu'elle saturait bien- 
tMoidetileK 

Je edfvnafti^une jefÉlepenonne qui apprit à écrire 
plètôt f^à 1^ et' «fol cotameâça d'écrire aveo 
rsAî^feavMi*4* d^écHreavec laplu0ie. De toute 
l ^f it mc eMe' rie vouKIi d'abord faire que des O. 
Blt9 foisattiéeeMinfmeM desO groAds et petits, 
àéÊ*4> éë iMitevM tàtMes, des- O les uns dans les 
autrc^ elrtooféurtr^traediP à vebbuv^ Malbeureuse- 
iM^ilrHteq[a'^ito^éeiilt>dciipiéeàr exer- 

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28 ËMIX-B.' 

cice, elle se vit dans' un miroir; et ^ trouvant qu# 
cette attitude >coiitrainte lai donnait nianvaii^ 
grâce, comme une autre- Minerve > elle jeta la 
plume et ne voulut plus faice étsO. Son frère' Da- 
mait pas plus à écrire qufelle, œab ce qui h fâ*-. 
chait était la gène, et non pas Tair qu'elle kii 
donnait. On prit un autre to/br pour la ramener 4 
récriture : la petite ftUe était ^îaate et ini«o% 
elle n'entendait point que son linge servie à «e4 
sœurs : on le marquait , on ne voulut plit^ le mar», 
quer; il fallut apprendre à' marquer elle - mdme i 
on conçoit le reste du progrès^ , 

Justifiez toujours les soins que vous tmpose&aux 
jeunes filles, mais imposiez-leur-en toujours* J»'oi- - 
sîveté et rindocilité sont, les deux défauts Im fHiiiM. 
dangereux pomr elles, et dont on guérit le. motns 
quand on les a contractés. Les filles doivent. ^e 
vigilantes et laborieuses : ce n'est pas tout; <etteS{ 
doivent être gênées de bonne heure. Ge«tti'aliieur,i 
si c*en est un pour elles , est inséparable de laur 
sexe; et jamais elles ne s'en délivrent que pour en- 
souffrir de bien plus cruels. Elles seront toute Jemr 
vie asservies à ld< gêne la plus continu^le et la phM. 
sévère, qui est celle des bîenséam^s. Il faufiles; 
exercer d'abord -k la contrainte , afin qu-'eUe ne leur; 
coûte jamais rien , à dontptor toutes leurs fairint- 
sies , pour les soumettre aux volontés d'autrui. Si 
elles voulaient toujours travailler, on devrait quel* 
quefois les forcer à ne rien faire; La dissipation, la 
frivolité, l'inconstance, sont des ééfavts,qm*n'ais^ ' 
sent aisément de leiu's premiers *goéls comifnptis ; 
et toujours suivis. Pour prévenir oet abus^ appre- 
nez-leur surtout à se vaincre. ^ Dans nos insensés - 
établissemens , la vie de l'àonnôte £^ouxifi^est.uii 
combat perpétuel contre elle -même; il. eat juMe 

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IIVRE V. 39 

que ce sexe partage la peine des maux qu'il nous 
a causés. 
• Empêchiez qtre les fiHes lie s'ennuient dans leurs 
occupations et ne se passionnent dans leurs amu- 
semens, comme il arrive toujours dans les éduca- 
tions vàïgaircs, où Ton met, comme dît Fénèlon, 
tout renfnui d'un côlé et tout le plaisir de l'autre* 
Le premier de ces deux inconyéniens n'aura lieu , 
1^'ori sf^it iës Tè|;les précédentes , que quand les 
personne^qùi seront avec elles leur déplairont. Une 
petite fine quf'kiihera sa mère ou sa mie travaillera 
tout le'jo\M'à'^*c&îés sati^ ennui; le babil seal la 
dédoirimàfget^detdtrtesagène. Mais, si celle qui la 
gouverne lui "est Idkippottable 1, elle prendra dans 
I^ nkème dégoâr^ tdut ce qu'ellerfera sous ses yeux. 
Il esVtrèS'di)IlteSl^'\qrtkè'icell€fsqi:ii ne se plaisent pas 
aye&^^nrs'A^ik^lu'd^^ài^t \>ersontie au monde 
pi]iissént^un7^{ii*4dàrhér â bien; mais, pour juger 
éd leurs ^ftiS^iëâtfmebs , il faut les étudier, et non 
]î>as se Hei^à^'ifU'elleÀ disent; car eliessont flat- 
iBM^,<^'d2ssMtâé^S^^ et saVeôt de bonne heure se 
^gtfiséft*=»*tDliî*tiètl6'ît pasii6n^ plus leur prescrire 
d'alim<SMi(Éto*mèiré'; ^affection ne vient point par 
dëvoiri^*^ cè-'tt'^ pas îfcî qàé sert la contrainte. 
£'attaek^ii^t|le^ soins, la sé^lë habitude, feront 
4rfÛé^«à^tHe^é de ia fille si^^Ue ne faît rien pour 
#âttM» S«'fi[&ifiè:iLà' g^né bièiQé où elle la tient, 
bien *'dh%éë'?*k)in '- d^allaiidir cet attachemenl^, ne 
ftitt'qdé-l^tfttgnientet'^rpâi^ee qtie' la dépendance 
iHAfntxiM^tktr^aturel Uttx femmes, les filles se sen- 
te^ Mlè« poui- ^ybéir. r> 't 
. ^'-t^iblâf Mitémé)rà<ii|«aqii^leii ont ou doivent avoir 
p«âr|d6)}â)erté^΀èie*.povtentà rexCës)celle qu'on 
IMr^llilsid :'extrém6Sjeli't0ub, elles.sélivrentÀ leurs' 

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3o JB^IUE. 

parler. Cet emportement doit être modéré ; j^jji^t 

coimae, entije ^otirs» t Jlc ç^p^Çip cjfi^'^^^aggiij^fiî^pjtj^, 
parjQjjqii^ls we (j^pfH^e fe traasBoi:|^,fv»ÎP\v4'^l^ 
pgqr ^ objet qu'èi^B^i^e iç^g^ç^^ça j;i^ ^I^P^. JU*Mi- 
consjtance 4^? gqiî^U ^^^ jB^t aiii^^jÇvmç^ ,f^ ijjj^ 
excès , et Al» e* l>^<fç tewr vjeftt^^d^ jif ^i^ 

Ne Jewr.ôt^zn^ 1^ §m^^ 9 ^i^H^f^i^m^ifm^Ti 

très jewx , wai3 e^gp^ï^h^ m'^V^ m î§f;>WW«m* 
deruiipoj3rx)QmirAr^¥««e; w,fftrtPfR^' pwi«*'w^ 
seul te«tftpt rfaflsrlwJî yi^ (^\\e^^,q^i^49^f,[ffm: 
de fr^ia. AççP^t«fWez^le$4 WAfqirifi^^wii^^ 
maieu.4e Iwrs Ia^ix, ^ i;^^fyçfftr |^ 4'^^tBf5# sfM^ 
sattsmwinj^^r.iia s^q |iàl^ti«4^ ^f^ ^ncorQ^o, 
ceci, parce ,f«3e]te Çk? foif .^^e,«^cp»Air.îa n^^we^»: 
Il résulte de «je^ c(mtmf^ik^f4y^^^^\^T. 
lité 49at le^ jÇ^QuiMSf pitf N8(4f9 4Wt^r}^' mt^m^ 

qndde^ pe q€»m* j^waif ^'M^e ^fm^tim mAmh 
homme jm. ^mf^ jjyt^^n^oj» d^ 't^p^P^^ «t ^u'jl^ 
leur eH jamais p^nllb 4^ jfte «léjtr/e giir^onips. 4«4îlSft 
iugemeu». M p?r/emièiîe ^et If^ p^ 4gipft?>l«iip ;g¥#^ 
lité d'uw fciwae e* te jimi^mifyit^im^^^J^* 
à u» êire a^wi j^Skp^fei* qv^ rh99ipu^j /^uii^l^ 
plei» 4ç vice», et J^ftjww^idfiP 4^fA^f»î(*«]f^ 
doit apfureqdire dei)ooi>^|i^»i^*p<^«te»^^i'«te 
juâtice H à B\i^pm!i^le^ mtà.fi\m\m^i iMIiM 
plaiqd£e : ce^o'c«t ^9^^Wbiftitfjéf^fl^\|K»rxl^ 
qu'elle doit étoedMJ^eé hlsi^içm9^\^k4^iblf^itm 
femme» oefoot jamwâ /qu^'eiigme«i^iiiiM»riAi«9 
et les mauvais procédés des qM^>-il^ )«^9tfM fM 
<» n'£sl: pai» ftvee ce» artii6ei4à:4i|Mi^Ql|ei Mv/li^ïes « 
' vaiacpe. Le deliieJes fit poipt JÉsii|iMMM efepBSr 
suasivcs. pomrldAivmIr ^uuirlâtoa«$^it>'iie Jea>fii i^^Mili 
faiMy gguir.ètrp impfaieaacB^ a «)^deilr . i#f m â nM i Kt 
\ 

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ime voix*si 4o«ice.^ur4îve4e6 i^imn;^; 41 ae leur. 
fit4M>kit<das^ait8'si 4éiicat8 pour les défigura 4>fir 
la -eolèrQ. Quaad elles se fâcbeot^ «Ues^'oubliesit ;, 
eliee o»| souvent raison dé se plaindre^ Hiais eUe^ 
«iittovijevireilori 4e gronder. Gliaeun doitgaMer le 
ton 4e«ei»^«exe ; po^mari trop doox^keut rendre une 
feiUiniiie iip^er^îaeote; mais^ à moias qn'un hoimne 
aesQift uaita^Q^i^i la douceur d'une lemme le va-* 
loèBe» «t 4nuMn|^lie de lui tôt ou tard. 

QffiN^teft ftUeis soient tooiourg sounûses» maïs qu;^ 

tes nutires «le eeieiit pas toufo^ws ioesorables. Pour 

veadire dloeîle '^ne ^me personne^ il pe 4aut pas la 

r&ïâme ftnnliieui^evse; pour la rendre modeste^ il 

ne faulj^aiB rabruùir^ aM eoièttaîre» je ne serais pas 

fi^M ^f$^on fau laiseât «lettue quelquefois un peu 

d^»dyr^sse;) n«ft pm à â(rà^ la^nttion dans sa dés-, 

ebêlstanefe » onais à «e faire exeiop^ter d'obéîf*. Il 

B^^t paa<questà8« de lui vendre ^di%(ef»danoe^- 

bIMb^^ Il suffit tde la lui Êûre eentîTi. La ruse eUmk 

taiatit traiiirelâu se^e^ et., pel*suadé que leus i^fk 

peoolMm» nattM^s «ont botis et droi^ par eux- 

mêmes 9 je suis d'avis qu'on cultive celui-là comn»e 

ke MÉbnM : tt m s'-a^^t i^ 4'ém prévenir l'abus. 

Jie m'ienrap|»eii^ jmit la t^Mié ée œtée remarque 
à tiojiit ctefirvaiear to botine foi» Je ne i^eut poâol 
qm\>B ftiiiine là^lessus les feniAM» «Jftémes ; noi 
gèMttlM i^ititutie^» peuvent les forcer d'aiguieeb 
kur esprit. Je veux cfu'o» examinie les ^lee , lek 
petites ttttes ffM ae feat pour aio» dire ffste 4tt 
aatire :ifu'on ies compare a^ee ies petits garçon^ 
di|, Même fige ; et , si eeux^ ne paraissent Imârds ^ 
étourdifi^ J^êtesi; auprès d'elles^ j'aurai tort lucon-* 
^tablement. Qu'on we permet^ un^jieul exemjile 
pris . dana' toute ^ nluimié paékfile. 

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3a éniLE 

rien demander à taUe ; car on ne croit {afii^is 
ïnieux réussir dans leur - éducation qu'en la sur- 
chargeant de préceptes inutiles, comme ^ un mor- 
ce*au de ceci ou de cela n'était pas bientôt accordé 
ou refusé (i), sans faire mourir sans cesse un pauvre 
enfant d'une convoi tîse aiguisée par Tespérance. Tout 
le monde sait l'adresse d'un jeune garçon soumis à 
cette loi , lequel , ayant été oublié à table , s'avisa 
de demander du sel , etc. Je ne dirai pas qu'on pou- 
vait le chicaner pour avoir demandé directement 
du sel- et indirectement de la viande ; l'omiewon 
était si cruelle, que , quand il eût enfreint ouver- 
tement la loi et dit sans détour qu'il avait faim , je 
ne puis croire qu'on l'en eût piHû. Mais voici com- 
ment s'y prit en ma présence une petite fille de six 
ans dans un cas beaucoup plus difficile ; car , outre, 
qu'il lui était rigoureusement défendu de demander 
|amais^ rien ni directement ni indirectement , la 
désobéissance n'eût pas été graciable , puisqu'elle 
avait mangé de tous les plats, hormis un seul, dont 
on avait oublié de lui donner, et qu'elle convoitait 
beaucoup. 

Or, pour obtenir qu'on réparât cet oubli sans qu'on 
pût l'accuser de désobéissance , elle fit en avançant 
son doigt la revue de tous les plats, disant tout haut 
à mesure qu'elle les montrait, i*ai mangé </e (a, 
j'ai mangé de ça; mais elle affecta si visiblement 
de passer sans rien dire celui dont elle n'avait point 
mangé , que quelqu'un s'en apercevant lui dit : Et 
deic^laenavea^vousmangé? OM non, reprît doit- 
. cément la petite gourmande en baissant les yeux. 

■^ Il I ■ Il I ■■ ■ .11 ■ ■ I I I III I I !.. ■ ' 

- (i) Un enfant se rend importun qaand il trouve son 
compte à Tétre ; mais il ne demanilera jamais deux fois If 
même ch^se ,,fii la pren^ére réponse eslî loueurs ii7év9ca|)Ie. 



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LIVAE V. 53 

Je n*a}<Hiterai ri«n ; comparez : ce four-ci est une 
ruse de fille ; Tautre est une. ruse de garçon. 

Ce qui est est bien, et aucune loi générale o*esl 
mauvaise. Cette adresse psirticulière donnée au sexe 
est un dédommagement très-équitable de la force 
qu'il a de moins ; sans quoi la fenune ne serait pas 19, 
compagne de rbomme, elle serait son esclave : c'est 
par cettte. supériorité de talent qu^elle. se maintient 
son égale , et qu'elle le gouverne en lui obéissant. 
La femme a tout contre ^lle , nos. défauts, sa timl« 
dite, sa faiblesse; elle n'a' pour elle que son art e% 
sa beauté. N'est-il pas juste qu'elle cultive l'un el 
l'autre ? Mais la beauté n'est pas générale ;, elle périt 
par mille accidens, elle passicavec les années, l'ba-r 
bitude en détruit Teffet. L'esprit seul est la véritable 
ressource du sexe ; non ce sot esprit auquel on donne 
tant de prix dan$ le monde, et qui ne sert à rien 
pour rendre la vie beureuso^ «nais l'esprit de son état^ 
l'art de tirer parti dju ndtt^ ,et.de. 9e||réKal0ir; d^« 
DOS propres avantages. On ne sait pas c€4dkb&eti cette 
adresse des femmes ngu^ e^t utile à nous-mâme&y 
combien elle ajoute de charmera ia, société des deux 
sexes , combien elle sert à répirimer la pétuïaooe 
des enfans , combien elle contient de maris brutaux, 
combien elle maintientde bons ménages que la dis- 
corde troublerait sans cela. Les femmes artificieuses 
et mécbaptes en abusent , je le jsais bien : mais de 
quoi le vice .n'abuse-t»-il pas?, N/&; détruisons 'p(mi* 
les instrumensdu bonheur parce que.les>mécl;iau^ 
s'en seirvent quelquefois à nuîrOb 

On peut briller par la parur^^ mais on. ne piait 
que parla ppj^nxie., Nos ajustemens ne sont poJiAt 
nous : s^uveiM' Us déparant à îomç d'être recb^> 
chés, et souvent ceux» qui font le plus.femarquçf 
celtes qi^i les porteùtli^^t f»m qttJQO jce^iajcqtt^ te 

■ ■ ■ . Digitizedby Google 



64 isiiit* 

mmnê.'Uéêmuitîmiiâes ieunes fflk» est en œfiD^iftf^ 
toutrà«fait à DO0tre'«8eti«. Qn leur promet ileft^me* 
meMp<rar#éG»mpea9e , onleuriUt^iiiÉierles^sItoun 
rediercbés : Çu^eiéie e$t éêtéi^l leur dtiHni quand 
6lle6«ontibit| pâtées. Bt^utmiHMKiilVâiiie^aH^vrait 
teor $E»»e .entendre «jne tMft d?a|«âletti«ttt ti^l>téâl 
qwf ouroacker4eg4léfeiitg, et'^f»eie>mii'ttimit]ftk« 
ie la beaBtié est 43e brîHer par^Me-mém*. V^emomt 
Àm^wkoàeê «st de manv^ais goût , parée q»e le» *ti« 
saçe» A« obaagent pas avec eUes, «t que 4a llpjfré 
Fostaiit la «fiBe, œ^quii lui sied nne ieis loi siied 
Kluf^urs. , 

Quand fe wtvpaâs 4a fecme ffiHe^e paTartier èaiis 
ses ate«rs, «fe pamHrs^ Inquiet de -sa -figure aîn^ 
déguisée eft deoe qu^n en |)eon'a* penser : fe d^afis r 
Tovs ces omQmens 4a parent tirop y -é^sî dântimage ; 
6ro^ec<¥(His -^'«He en pût 'supporter de plus shn-^ 
ples^ est-^k a^sez bette p«in» ee passer éé tfteîovi'êé 
edat^ l^euMltue sera-4-«lle al«t« ki ^^Daiève à pittè 
q«*eii iiii<èle«et «rnemeiit, et qii\>n juge : cVstfé 
«as 4e r^^plaudtr 4^ ▼ « tteu. 9e ne la louerais 
tant 5{u« cf«ande^«e«àit le pihis sknplenvent mise. 
Qoasid eQe me regarfiera la {mrure ^cte eomme un 
iopi^léfneiit auK grâces delà personne et comme tm, 
wmx taeUje <px*4Me a t^esoîn de secours pour phiire , 
elle ne «eia^ poiat ûkte 4e «on a}«i^emefit 9 eHe enr 
sera humble; et si , ' f^u parée que de co«[lu«ie'^ 
élie a'enteiMl diire^ Qu^^ié est insMei eHe m usu^ 
gira4edépft. 

Au reste il y a desâgures-q^ie^t Ibesefte de pwu^ 9 
maîf iin^y en a {)aitit qut eiigei|t4er4ebes litoéts. 
Les paMnes ruineuses sent la va»itéf4iÉ' ird«g et fie« 
tle la personne , elles tiennent «nlquèmènf tiu pré^ 
)ogé. 1^ >té#Hfibl6 ooquËflerfe est >quelquéfois re-* 
ehercJiée, mais^Ue«'^0^fMiais£â^tueu8e;et Jutteti 

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M. IVRE V. W 

ge «nettak plus 9^pei4>e<nei>t que^éouê^lA^'î^^tM^ 

à un «mauvais pekm^, qttf 'fi«%naK'iHélèîde ^6>it 
«ifhargée-d^aVduro» J'aâ aussi ^éiatr}^ ijue les fHài 
pOHipeiHêà ^fHftrures atiaonçâièitt le f^lus^ êomVent Hê 
laides fé«H)Ms^:^iiiie saurait a¥(llr unevabi^ 'fflaa 
inaladiNDrite. Bt^tines à atie'|eâile?fl!le «fvrî^aSléogoiârty 
et qai méprisera nlé^ , -des i*Hfeafi9 , de la gase , de 
la lEiousseliileet-âes fleurs; sans diamans, san^pom- 
poùs, «ans dentelles- f i^) ; f^le va se laii^'iiii afus'*' 
ieÎAefïl <]ui la rendrii cenffbk plus tAt^itmante , que 
A'eusseiitt'fiiit tes hi^ittaiis chifiTons de la'DMhapfi 
Cimiméite qui est bien est tOAijoitrs èfen , et qu'il 
faut être tôujôuri le mieux qu^ est possible , les 
femmes <{ui se connaissent en ajustemenselioisisseni 
les boilÀ, i»y tien^ÉiéMt^ et n'en ohangestnt pas to«i« 
les jours , dies en sont moins occupée^ que eciiles 
qtd né savent à(j[Mi«e flier. Le vraiéofn défàpa* 
rurë demande ^eu de toiletté, f/es feuneft demot-^ 
séHes ont rarement des toHetted d^apparefl ; letraraîl, 
lès leçons, remplissent leur journée : cependant en 
général dïes sont mises , au rouge près , avec autant 
de soin que les dames 9 et souvent de meneur ^{OÛt. 
fi'abusde la toHètte n*e«t pas ce qu'on pense , i* vieiit 
Bien plus d^ennuî que de lianfté. Bne femmèVjtrf 
^asse six heures à sa toilelle^ n^'ignore porat^ qcf ^le 
n'en sort pas nrieux mise que ^cHe qui n^ passé 
^u\iniS dcmi-lieure ; mais c*est autant de pris sur 
rassomthante longueur du temps , et 11 vauit mîeu^è 
s'amuser de soi que de s'ennuyer de tout. Sans la 

'''^i)*X«»>f0iDi|its qui «lit'là peatt ipsM èUseli* fpkr «è 
P^is^: 4t éh9kê9 dMiii«irii)«ol kii^ du 4é^ ^m\fi9tm> 

laides .pes^^p^s q^ gênent Us. modes f^us^^^^çs kf 
belles ont la bêtise de s'^assujettîr* ' * 

. ' Digitizedby Google 



56 .VÉMILÏ. 

toilcKttexpiefeirvitTQn ^ la vie depuis midi lusqu'à 
^/çuf Jaurès? J^ra9Sfç^bi^t4<;»f^QiineB autour dç 
^iKm^'amusi9.4il€{%impatiçiitor9 Q'esl dé^à quelque 
icèofie; on é\i^.le^,^i^>^'kr7t^ipj3^y^pun]mwq^\çfQ 
sfe yoil^:qu'à cette heitre-rl^^ <5'€»t Ji^/^i^GOi^^plus : 
et puis viei^neiit les i^sirçlp^iides^ilaï tMcocantevfrSyi 
Jles petits messieurs , les pef ilA 9iutei^<^i les ^ers «^ li^g 
chansons, les . brochures :.fi^nsl£|. {toilette, oi^^ne 
.réunirait jamais si iMen tout Ci^fUf JLe; seul pn^fit 
réel qyA tienne à la o^P#e. e^t le ffrétexte^ de sfl^^f^v 
un peut plus que quand^ oq^es^ yétue ; n|£^is ç<e pi^ofil 
p'est f>out-êlre pas: si gf^^é qi^'on pet^sç^, et les 
.femm^euêi toilette n'y igfigjneiitî pas t^nl qu'elles: di- 
raient bien. Donnez sans scrupulddine édpciatipii de 
femme aux femmes ; faites qu*ç}lles aiment les soins 
de leur sexe, qu'elles aient de laj[i^o4estle, qu'elles 
sachent veiller à leur ménage et s'occuper ,4^ns le^i; 
maison ; la grande toilette tombera d'elle -^mê^ie, 
et çUes n'en seront niises que de meilleur gnû^. 

La première chpse que ren^rquent en gran^isT 
sant les jeunes personnes, c'est que tous ces agré- 
mens étrangers ne leur suffisent pas , si elles n'en 
ont qui soient à elles. On ne peut famaîsse donner 
la beauté^, et Ton n*est pas sitôt en état d'acquérir la 
coquetterie ; mais on peut déjà chercher à donner 
.un tour agréable à ses gt^stes , un accent flatteur à 
sa voix, à composer son maintien, à marcher avec 
légèreté , à prendre des attitudes gracieuses , et ^ 
C^ioisir partout ses avantages La vqlx, s'étc^, s!^f- 
permit et prend du timbre, les bras se dévefoppçnt , 
ia démarche s'assure 9 et l'on s^aperçoit 4ue , .de 
quelque manièi» qu'on «oit ^ mise , il y. a ; un. art de 
se faire regarder^ Bès lors il ne s'agit plu^ se«âe^ 
ment d'aiguille et d'fbdustrie; de notiveài^ tateds 
se présénteht^' et font 4éja sentir leur utiUfe/ ' 

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LlV«« V. Zf 

Je sais tfâé les séVères^intitatetlrB wnitent q^Vm 

ft^appréane aax )ê^l]f«» filles ni ^ftttt , nidanse , ni 

-aucun des arts àgréabléiB.X^Iiitaieparait| plalsaat: e^ 

à qui veulent-ils donc qu^db-les apprenne^ aux gaiw 

çons ? A qui dJes IfémàièS «u àêB feQunes appartfont* 

il d'avoir oes tatèns par:pi'éfôre«oelf'>A^fitrtonne , 

répandront -ils. Les cbànsons'préf^nes sont autant 

de eriltnes; la* danse est une invention du démon ;> 

une jeune fittè ne doit avoir d*amusement <fu« son 

travail et la prière. ¥oilà d'toangesamusen&eii&poui! 

un enlanit de ' dix ans l Pour moi , j*ai grand^peur 

que toutes ^es petites saintes qu'on force de passer 

leur enfdnceà prier Dieu ne passent leur jeunesse à 

tout autre chose 9 et ne réparent de leur mieux ^ 

étant mariées 9 ^ temps qu'elles pensent avoir 

perdu lUlesi J'estime qu'il faut avoir égatd à ce 

qui convient à l'âge aussi-bien qu'au sexe y qu'un» 

jeune 'fille né doit pas vivre comme sa grand'mère; 

qu'elle dek être vive, enjouée, folâtre , chanter,. 

danserautantqu'iiiui platt, et goûter tous les inoo- 

cens plaisira de son âge : le temps ne viendra que 

trop tôt d'étreipdéëei etldè prendre un maintien. 

sérieux.- ^ .î •■ tii^^ ... .; 

Mais la nécessite de ce changement même est-*, 

elle bien réelle ^N^st-elle point peut-être encore, 

un fruit de nos ptiéjugés? ISxï n'aaservissant les bon* 

nétesfemmes>qu'à de tristes devoirs, on a bacmi du 

mariage tout ce qui pouvait le rendre agréable aux 

hommes. Faut.» il s'étonner si la taoiturnité qu'ils 

voient régner ches eux les en chas9e,:ou s'ils :sout. 

peu tentés d'embrasser »un état -si dépiaisaut ? A 

farce d'outrer tous les devoirs, Je cbristlaniame les. 

rèndiiDfiratioables et ^ns; 4 loroe d'interdjire âoai^. 

iemmes le chant ^ la danse et tous les anui^emens. 

du mondes il les rend maussades 9 grondeusesf in- 

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^8 . en IL» 

ii^)fpi!tttilf»^âfm»iea»iii^i«^ U'^y atimiit de 

ÉMsrt^ift*. |M&tot>r.ii9f'en90^BiMi4 9^«aûril aeit st 
mépHfé* Od* a^l^u»! feitfpou«em{fé€berl0»'feii^^ 
ê!èUiemmaï}lit9:9 q«ft*on^iteod^ie»iHlan» loâifférens. 
Cebrnr devlraft p^B^én^jfj'-eBteadt'fortbîeti : iUsjÈl 
nom' je dî» q«te cfèla/deYail ètte y< puitfçue edGa le» ' 
dnréHeds sbnt bommes^ Pour moi^^ je ve^udraià 
faHttiet jeuaeAn^aifléleuUhràt aviaoautaiït de<8oiole« 
talen» agiréaMes' p^jw pfeMe «tti< man' qu'elle ain^y 
qaHiiler)ruiiéi;AlbtaM9e IcA <iiiltivt<poilr le hareot' 
d'^pafaalnw Le< marii^ dfirâ^t^od > ne se seucieiit 
]^attrop:det6tireetttaleQr. Vrailneât je lé croie »« 
qamdxesitaleiifci y'Iomd^étreenÉplpjnésÀleWplairey^ 
ne servent iqvie d^atfiorco pmMf attirer obeeeulc ûù 
jmiiiei^iaq)vïièae qtet les déshoDoretf f • JMM» peiÉse»* 
tous qn'attv fenime atànable et saîgè^.oniée depa^ 
«eUs-taleor^ et qoi levicensaciwatità ramiis^emcfnt' 
de son marî ^ n'afouterott pas an boolieui» de sÀ> vfe 9» 
et ne l'eàipèoherait pas , sortlmrt; de son cabtaelUi 
tèteépMlsée, d^aHerchercfaerdè&récréalHHië bersde 
eher hâif PerseniKr n'a-^^ilivwdHleuretaSés ùasiiê^tm 
ainsi réunies y où chacun sait fournir du sie» auàBï 
amusemèas con imwne ? Qu'Un dtge s» la cèefiaâce 
<$rtaift»iiKaritétfui'8YJoinfl^ si^rifiûo^tteè et laCdoU^ 
ee«fr: de» plakirs qu'ony^g^dùte*) ne raehètent-paer 
bien cequedespiaîsîr«p«ibli€8oiBt de plus br^yant# 
Ou a<tro|rrééimt^e« arties talées agréables^ on* 
le» a trop f;éaëraMsés ; -on a tout foie maxflne et pré^ 
éepte , -et Toua^ Fendu fort emiiiyéu» auat jeuniee^ 
p^rêounet^ee (fui^ne doit ètue^ pour elAe»^ 96000** 
8raiet^et-Mâ(tÉ«9> jeuxi Je n^riiagitde rien dé pkw^ 
jMte«ile<«pie-dè voir vm Tiew matlM à^dasteroerèr 
(AMiMélf aborder d'un: a» refirogné^ dejeutiee per-- 
soiMne9'q«itoetcbei<cttwtiq^ cm-, ^^pkewÊÊnr^fvot 

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LIVK& V. ^9 

l^ur «osetgpier siLfnvoU seienoe imitofVi4u« pédaa*- 
Usqffte' ei (^os mag|ftKal'qf]6^»'Ui «'agiiMîlt d0>letir 
^lécbj«me« Kst-oe y. par eJMOiple ,^ qoe Tari da 
chaoter tient à Jai muAique^ éorite ? ne* »m ro êt-o B> 
peodkie Mrvoixflaiible^et yuate,. appveadjr»à,okaJile» 
aveofoû^ iném6»à>9*a6oom^a((n^,.aan»o{HKiakie 
uii«> seule note?- lie méMe genne de chant va-^wM à 
toutes les ¥oU? La.mème métbodecVa-treUeÂ^lou^ 
les esj^ts? On ne- me.fera jamais^^ croira ciMe-tec 
■lénses atliluiies^ les mâmeeiiaft» len^^mtoiesmoii^ 
memens 9 lee nsèmes fgesies^, leam^me»! da»sea>i 
conviennent à une petite brune vive et pj^piante »« 
tàt à une- f^nde-belksi blonde aaa yens langtilstans. 
Quand; doMC f^ v«Mh u» mattra donner exœtettant 
à4e«iteedeoKieftnil^mes4eçone^ iedts : Cet iKunme 
aiiil s» routîyiey.naais U n'e^lend rien à» son art 
• On demanda. s'il» faut aaxr filte& des- maîtres ou. 
deaisiattresses. Jerneâais: |ei voudmîs bien qu^^eUesi 
n^eoseent besoiani deauns^nides-antres, q^'eiles^ 
apprissent librement ce qu^eUes ont. tant de pen-^ 
Qbantà^vtkuloi^d^rendre, et.quTon ne- vit passant 
cesse ^errer."daos dos vittes tant de baladins cha- 
mflrrési J^ai» quelque peine à croire que le oom- 
merei» de*o<^ gens^là ne^ s^it.paapluS'Jiuisible 4do. 
îenne» i^lestpioleiirstfeQOBs ne teuesontutèles^jee^ 
que lenc^iarifon^. leur tosk^ Jenvs^^airs»,. ne donaeat> 
ptiis ârlecur» éeolièfos^ le^^insiiuar goût des frivi^ités , 
pmur eux. ai) importantes.^. .dont eUestne- tableront 
galère ^ à,léiiir«xem^e^.di»iaîs6 leiir.iuiii|iier;ooou<* 
patà)fr« 

' Dansièeaitt qNÂB^ont 4i«»ra0i!émen*fiMi»ol^ely( 
tant' peut servntdei matire avut jeûnas «p0raoaBes4t 
lèiMr^pèKev Uurtnèlne^leutfirèee^ Jeov.sMut^lèiMV^ 
«nies y leors^gemnaSDanteat^tewr mîiHiieiïetaulrtétitî 
le»r^ pfoprer 9aâtl< Qiâ ne doit! point toAv drleav 

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40 ÉAfïLE. 

donner leçob'^ ilfâut que ce soient elles qui la de- 
mandent : on ne doit poidt faire une tâcide d^une ré- 
eompense ; c* c'est surtout dans ces sortes d'études 
qiielepremier succès est de vouloir réassir. Àù re^te, 
i^flfevît'ab^umehlf des leçons en règle , je ne déci- 
derai point du sexe de ceux qui les doivent donner. 
Je ne sais s'il faut qu'un mattre à danser prenne une 
jeune éeolière par sa maindélicate et blanche, qu'il 
lai fai^se âckîourcîr la jupe , lever les yeux, déployer 
les bras, avâdcer un sein palpitant; mais je sais bien 
que pour rien au monde je ne voudrais être œ 
mattre-là. 

Par l'industHe etr lés talens le goût se forme ; par 
le goût l'esprit s'ouvre însenftiblemènt aux idées du 
beau dan*s tous les genres , et enfin aux notions nno*' 
raies ^ui s'y rapportent. C'est peut-être une der 
raisons pourquoi le sentiment de la décence et de 
rfaonnêteté s'insinue plutôt chez les filles que cheZ' 
les garçons ; car , pour croire que ce sentiment 
précoce soit l'ouvrage des gouvernantes, il faudrait 
être fort mal instruit de la tournure de leurs leçons* 
et de la marche 4e l'esprit humain. Le talent 4e 
parler tient le premier rang dans l'art de plaire , 
c%st par lui seul qu'on*peut ajouter de nouveaux 
channes à Céut auxquels l'habitude aceontume 
les sens. C'est ^l'esprit qui non - seulement vivifia 
le corps, mais qui le renottvelle en quelque sorte ; 
c'est par la succession des sentimens et des idées 
qu'il anime et varie la physionomie ; et c'est par l'es 
discours qu'il inspire, que l'attention , tenue en ha- 
leine, soutient long -temps le même intérêt ^ur le 
même ^bjet. C'est , je crois , par toutes ces raisons 
que les jeunes filles acquièrent si vjte un petit babil 
agréable, qu'ailes mettent de- 1 ac<%nt dans leurs; 
propos^ même avant que de Ie6 se0tir> -^t que les 

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' - UVRB V. 4* 

komaKieJ!» «amusent sitôt à les écouter, même avant 
^*ellesp(liiSent4^6iiFtendre ; ilsépieat , pout àiusi 
dire , le momeatitoiéiBeenienient de ces petitesper- 
sohnes y pour ssbkSt qUaBd iU^ pourront lès aimer : 
car ^ quoiqlI^Nl fasse , en. wiU plaire à oe .qui nous 
plait;- et eâf^ qulon ea désespère il ne nous plaît 
pas long^temp^. ; , ; v '■' ^ 
* Letti fensnadt jonfeialanguiè flexible ; elles parlent 
plus^y pè9»ais%Biènt ie^ p|u^ ^aimablement que les 
lionmies* (hrMi àecuise ons^ de parler davanta^: 
ieela doit âlre, t6tjeij(^angeeaisw> volontiers ce re- 
pcocte^en éioge : là bouche et les yeux ont chez elles 
latÉtième activité ^ et par )à même raison . L'homme 
*t ce qu*i|'sâil/la fenune'dit ce qui plait ; l'un pour 
parler afoesoîtidéeonaaissisinces, et l'autre de goût ; 
run dcAtavoir pour objet principal les choses utiles , 
l'autre >1^ agréablesl Leurs discours ne doivent avoir 
de formes communes «que celles de la vérité. 

Otf né doit 4onc pas contenir le babil des filles, 
^oaiiisè^celal*des garçons, par-cette interrogation 
éuseVi^ quai c&Laea^ilbogfi? mais par cptte autre à 
laquelle il ti*est pas plus aisé de répondre, Quel 
effÊti ceia férta^uU ? Dans ce {Hremier âge , oà , ne 
p«i^aiii*^scemer encore le bien et le mal , elles ne 
•an«diesi)ugès depiersonne, eUes. doivent; s'imposer 
p«iitîMtdetië^aaMûànen^diiis>iiued'agréableàceux 
À^qut elles |)^A0nt;^'Ce qui rend. la pratique de 
eeftJB i^^ipitts diiffîcilëiest iqu?elie' reste toujours 
8Ubopdôniiû'ée*ià'lx'|)reniiière, :quî est de.ne jamais 

J'y vois bien d'autres* difi&cultés encore, maié» 
•il^«0|i»^'itiit^e:plus avancé. Quanta présent, 
^a%»piettiricoftèér aux^ jeunes filles pounéû^e vraies 
qtieja»iyê]^«h$ gR(MsîèEeté ; éft jcomme nat^el- 
Jemeut «dtte grosiièreté leur réptigne ^ l'édiiicatioa ; 
II. *a 

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leur ^qnend aiséme»! k NviHin J« iif«fMi|iie fflf 
générai 9 4^n9 le e<»il9i£tiC0 cb w^odfisQqQia f^ 
Kiesie das )iemme& «at. ptoa frffeitaiû)^ ; set ctllç ^ka 
îtmmtàA filûs careasanté. Gitti^ ihfi!à»aMi>'Qat pcdol 
d%Mtiil««|ioD , tilfi est:Balar^lfa«:L'ilMfiqma partit 
oberçker davantage à taba iecDirji efc la^Jwnpifi à, 
vous agréer. Il guîl de là que^ quoi .4|i|i[tt;ti| Mit di^ 
caractère dee Uemàes^, l•^rl^lol^ici^eJB^lJai■i^»&^»8e 
que la aèftre, elle m^fiiife qqVt«iidflrjlMMtf»f i^ûer ion 
sti«cl ; lyais cpiaiu} un hiKauamtBiaà dÉpuMënv hmmi 
intérêt au sien.profun^, da quelque iléfttpnalmtîai» 
ijpi'n eolûre«aineinaeb9e^^ îetMàia IxiifnMfiur qMU'a^ 
fait un. Iln'eaixri]é6éeM69uà|^jiUX.fflia»eft.d*éi]M( 
polief , ni par. ceopéituettt mÊL AUfis^dTappiievice h 
le dei:ffiir. i^pœmltofelfiçfiii^irifioftdebkoitotei Jrmtl 
ne tuà plu& que la eujsinri; ^ fit détei|nirfwffr ' irti>«of 
Aoe uaaf^ea aeuA«pi0Ue fornie^Uediiiît teffvmirar. 
A l'égard dejeurfieliteiflg «^VQ«fai^«'efètaufc«litni> 
clioie; cMm y nietleal ub au? ai cènliMéril.ieàvjles 
atteutioos eî freUea, im'ea ee gè^f^sdCïïMJiêlimuÊOà . 
eftkft n'ont {ma giaoé scâ» da «aeher i^m jglneit^.^ 
flen^enl ainoères ^n» teur ipuMPUge en M«b^rt 
chant guèce à le éigmse^. Cependa»! )«& fe«9^ 
pcreennet ae fonft qneiqilefete ftâiui de Ii0iii4tt Mnfrt 
liée fimê franches. A leur âge la|;^ûeté^(aittl$ff(ide 
ben naior^ ; et co^enteft é'àHÊÊkf.Afiaê M iigiil étf 
tou* 1^ mediide. là est jepnaraAt AVMdkiiifi'ettli 4tjiair 
ses* de meîMeur eœpr ^ etae kMveiaeiit i^tm plu» 
de gvApe deitant leahpmaet ^ fièrea il'aîgiiiaer Joic 
punément leur convoitise par l'image des liftTfilMi 
qu'elles esvMnt leiir fiubre «nriet^ i. 

iil'oii DedoilpasperaieÉtn»»^)miiei garfiM 

des quesUèns iiidko|èles., à^piMs fiitfte caîai^idittlH 

on les interdite à Ife |euaes Siim^j»mitkk4nÊd(m^ 

'sa^irfidleeuyiatiaiiiteeeat Mead^mg el» wiméi 



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tf^m letir péaétfation à pretfsentb- fol ftiyë^ 

Mais 8inw.sa«i&ir kétk ii»left*ègatî#ii»> )6 VMdrâis 

«Ott Min dt 108 Mf eaiwer » ^fu^M l«s agâÇâl {Mvim* 
lét^Kewti à pdb*let' (kUémmk^pmKt tes fendre vlTes 
ft U ii|m«e5 p0ut iMtf dé^r i*6êpdt 6t I4 langue 
taadii^a^oulopeiftiéatti^dadigeiv €e«<}OtiveMa1iOD»v 
tett^eoM-tMiivièeé e» gaieté 9 éksAê tnéifagées a*ret 
arl et bien dirigée s ^ feraient un a]Misèi&l!iit char^ 
maiit ymar cet âge 5 ^ pmirtrâleâl poitet d<»»à^ les 
«muta kMMfeuMM -ée cet {eimta pers jtities les pre^ 
«tièrw el péut-^lre "ïeê ptcw «lAea ie^Koii^ de moi«ile 
fa'elle0|n«ndi«enatd#l6ttr Vie > en leur apfrén^LUt; 
mm% rattvait du plaiak^ et dé ia vanité 9 à ^pMUe^ 
^piàliiés les liomines accordent véfHalAemeni leol* 
«utiÉie^^ et«D ^uol eM^iafe la glaire «f le èo^nèeur 

Oa oowpread bien que ai lea mâstHi» tuâle^ aont 
hors d'état de se former aucune véritable Idée et 
v^ion, k pluft^ forte raison la même idée est-elle 
jnfr-deisuoite i^ eovieeption àe9 £Mefs : c'^tH pom c«4a 
mémmïpi/dî^nmiàÊmê ea parier à €!e&e»-<^ demeii^ 
fteure bmmi^'yXMj a'il lallait attendre qu'dleé fW- 
•ent em étsH de >dise«itor mMaùékpÉtÊuti^ tes ques- 
liovs fèokmàtëy ow eocrrroU risqué 4e ne lettr'efi 
pâvicir iaÊSMÀ»^ î»a>ral$oiy dwfeMitaes eét^MeitU^n 
fvatlque y- qui leui» fait 4M|u>v«r trèa-babileiMât le? 
sioy«'Ms^ dTUiisiver à «ne ikit eoanue, mais qui ne 
itiw fadt {ias laocfver celte fin^ Lai rdalfon soclaie 
des seseaeiladiMrabfe. Éfe eette 6o<2âélié réMil4e«Ae 
fesioiiHeiMorale^lontla femme eatrosiletl'koMiiM 
le bras 9 mais avec une telle dépendance Tiiiyé do 
l'antiey que o'eBt de linommo qae ta femme ap- 
f9eméA9qfilà fiuftvoir ^ etJe la^frmaiequo l'bonime 

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44 ÉHII.C. 

apptend ice. qu'il faïut Caire. Si la.feàimefpdiiiaylft 
remonl^er a^um bien j^e TM^mine aux priaeipea 9 
\et querhoaunè eût .aussi bieoi qu'elle: l'écrit des 
.détails., touiours ifidépen^aiis l'un îde i!aulre , ,il« 
vivraient daus uoe discorde éterktélle^ et leur so- 
ciété ne pourrait subsî»^. Mai» ,. daf^ l'harmoBie 
qui r^gne entre eux , tout tend à: la fin fioniïiiupe ; 
,on ne sail lequel nœt le plus du, sien. ; chacun mk 
rimpulsion de l'autre; chacun obéit, et tous 4«ux 
sont les maîtres^ , ;. - . ■ ,*' . 

Par cela même que la condviite dje la ieimne 'Cst 
.a&servie à l'Qpini^n publique ^ sa croj^soptcô est as*- 
servie à rautorité. ,Tou|§ fillj^ doH aToirjla ^i^ligie» 
de sa mère 9^ et toiite; femme : celle de, s^» m4ri* 
Qu£uh1 ee^tç religion servît fausse 9 la docilité .^kî 
souiQet |a inèpre et 1^ fille à l'ordre :de la nature 
efi^ice auprès de Dieu le. péché. d^l'erreuiv Hors 
d'état d'être juges elles-mén^^s^, elles doiiteul coce-^ 
Yoîr la déci»on des pèf e§.e|^ d^s 9i^is qçmmQ^celle 
de l'église. . ; .. 1 " » ! 

Ne pouvfint tirer d'elles seules.la r^g^e, de! tèur 
.foi 9 les femmes ne pt'uyent; lui donner pour bornes 
celles de réyidencve et de la rai$on ; mais 9 se-laîssaat 
entraîner par n)ille;impulsioA^.élrangères«9 jeiUes 
sont loueurs jau deçà ou au delà du vr^ .Toujours 
.cxtrénies, elles : sont toutes liber tjue^ ou dévotes; 
idn n'en vpit pçHnt sayQir réunir U sagesse à la piété. 
Xa source du mal n'e£^ pas s^ulemenit dan» le. car 
ractëre outré, de leur sexe 9 mais aussi, dàus l'auto^ 
.rite mal réglée du rôlre : le libertinage des miœuv 
la fait mépriser, l'effroi du. repentir la rend t^rai»* 
nique ; et voilà comment on, en fait touloura trop 
ou trop peu. . , . 1 

Puisque l'autorité doit régler ,1a religion detfeoit 
goiés^ il, ne s'agit pa;^ t^nt, fie Iwr ^j^liquie«iJes 

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raigoiig qu^OQ a de.croire, que dc^etir exposer net- 
tçiu^ai ÇQ qa'wà cruit : 04/r la foi qu'oncipiiiiéà de^ 
iiée^ ptMSQMrese^la prtmière saunéè du fanatisme^ 
eti»\le qu'on exige potir.des eKoMftabsiurdefriiièo^ 
à jfi foUe wà rj#e«éduli«éw{J^-iie Mti^^qcfQsi.iiol 
ca|éfihi9i|i^ poriei^tie plus^^d'^lve inapte ou, faii]^ 
jUque; mai^ je saia bieu qu'il» . font oéceMairem^i»! 
ran ou ra\itre. . , ; • ?.:^i\ 

.. Fr^wi^rementy pour. enteigiicD 'la:]reHgi^iàid^ 
jeunes filles , n'en faito/i^ janaais pour dUes uaobîet 
.4^, triste^ ;e^> 49 çôi^e, i^i^pp^Js.MQ^ JAche ni un 
di^yoir >■ pa^ çon^ju^nt n^ Ij^m &ites Jfiyinais rW9 
ap^^sjdbre.p^fcçeur qui s'y. rapporte ^ p>a^.,^$n)Ç 
les pirièreg., Contenteziryopi de faire rég-ulij^rçoiçni 
Jfyj jôtrç^ d^v^nt elles,; sana^l^^ %oer pourtant d'y 
assister, Fai|jçs-le^ cpuctes selçn l'jlnstr^otîqn, ,de 
Jésus-Chrisf. Faites-les tou>9^s. .avç^ le^ recueiUer 

niandant a.lEtre suprême de J(ii|tént|5fp.pour nous 
écouter y cela vaut bien qu'yn.f!|]^!,]iQet^.à cequ'oj^ 
va Jui dire. . , 

Il importei^p^ns que de jeunes filj^es sachent sit6t 
leur, relig^ion^ qu'il D'inipoifte qvi'^lles.ia, sachent 
bien, et surtc\\^fi||p*elles l'aimept. Quand. yousji^ 
leur rendez onéreuse, quancf vous leur peignef 
toujours Dïtu fiché contre telles,. quand vous leur 
impÔKtz en ^op nom mille devoirs pénibles qu'elles 
ne vous vokul jamais remplir, que peuvent-elles 
penser, sinon que savoir son catécUîiotxe et [>ncr 
Dieu sont h^s dcvuirs doh pclilcs filles, et désirer 
d*être grande 8 pour s'exempter comme vous de tout 
cet à&sujeitissemenl ? L'exemple 1 Texemple ! sans 
cela jamais on ne réussit à rien. auprès des enfans. 

Quand vous leur expliquez des aHides de foî ; 
que ce soit en forme dVinstmctioa directe , 6^ il on 

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46 éHiti*. 

par danandeg et par répomen. EMêt» ne di)lveot 
jafitôi» répondre que ee qu'elles p^went, et non ce 
qu'on leur a dicté. Toutes Iç» pépooses- Ai cat^ 
elvifmesoKtà cetilve^efi^^e^esM'^ooliev qai Instruit 
le maUte; elles sont mèttie des'4iaeits»iiges éans la 
liouche des enfane 5 pttfoqti'iiB egEpIlqUienC €fe ^% 
ii'etiteDdeiit poiot, et qufilS'aflli*ni«n« ce qu'ils «eut 
hiirs d'état de croire. Parmi les homnes les plus 
ihtellfigeiH»^ xp^onme montm <|euâ^ qui ne aiènleiit 
pasendltontlciHr ealéeUsciie. • ' 

Là j^remiëré qnésfîes que je Voî» dans le nôtte 
est ceDe-eiv: QtUv&Hè êHorSéè et tfdifû atâtnonde f 
A c(uoi là petite fille ^ crojrant Wefa que c*ert sa 
mèi^, dit pourtant sans hériter que c'esMHeu. ta 
seule etiose qofelle voirtà', c*est qu'à une demande 
qu'elle n'entend guère eHe fait une réponse qu'eHe 
n'entend point du* 'térrft' 

Je voudrais qùSiji bomnie qui counattrait bfen 
la marché âé f*espi*ft tfes enfaps voutt]^t faire pour 
eut -un catécti&m^. ' Ce serait peut-être le Kvre le 
plus utile qu'on eût jamais écrit, et ce né serait pas, 
à mon avfs , celui qui' ferait le moins d'honneur 
à son auteur. Ce qu*il y a de bien sûr , c'est que é 
ce hVi^e était Wn; il' tk^ ressemblerait guère aux 

Un tel catéchisme ne sera bon ique quand , sur 
les seules demandes , l'enfant fera 5© lui-même les 
réponses sans, les apprendre; bien entendu qu'A 
sera quelquefois dans le caa d'interroger à son touiîi 
Pour faîrt^ entendre ce que je veux dire il faudrait 
une espèce de modèle, et Je sens bien ce qui pié 
manque pour le tracer. J^éssaiérai du moins J^en 
donner queJ;que Kgère îdéie- 
^, Je m'imâgiae donc que ^penj^ i{)^r Al^ Jî^wièf^ 

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fjuestioii de notre catëchî^ne, il faudrait que celui- 
là commençai à peu près W9ê' 

jhâ leviuu 

Vous seuTenez*iH>u9 du .tônf» qm^yH^^-mève 
était mie? 

LA PETITE. 

Non 9 ma bonne. 

lA bokhe/ 
Pourquoi non 5 voi3^ qui ^vei; si faibnne mémoire? 

C'est que je n'étais ^^ioi p^onde. 

• LA BONNE. . ,. , i 

Tous n'ayez donc f^^wJQW^ vécu ? 

• ': ; ' i*è rtitm^ . .• : . ; 
Non. 



tW 



VciN%Ë.'^ 



Vivrez-voùVtoiiïbHrs ? ' " " * - 

LA PETITE. 
Oui.--;. ):>: '^- î ,:.: . . ' :•;:■,.-. ^^ . ' 

Étes-vous jeune ou vieffleji^, ,. . ^ . ., 

Je suis jeune . 

LA Boix^Hii' ' 

Et Totre grand'mâmaii èst4be jeune on vjeSt^ ? 

EUe est y¥^,^?,,^_,, ,,i ],, ,,,,, ■ ,,i, ,-p ,v 

IkfQlfMf .^^ 

' AitlteUfi-ii^ij^difieba '\ , >im f -j ; » in- ; .* . 

'^ '-'' ^'"''''li^'fj^itt: ' '- ' - " -^'^ 

[ Oui. 

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48 iiiixc 

Pourquoi ne Test-^ellé plus ? • " 

LA PETim 

• .C'e8^qu!eUea vieilli. r .: rvi ^ 

LA BONNE. 

Vieillirez-vous comme elle ? 

.■> .. , i . r : 
LA PETITIP». 

Je ne sais (i). . . . 

' ' LA BONWéV''-' ' ''':-'' 

Où sont vos robes deî^ânnèâ passée? 
On les a défaites. ■ ■ ' ■ - 
Et pourquoi les a-t-^JOû défaites ? 
Parce qu^elles m'étaienttrpppQtiteflj.., 

LA BONNE. 

Et pourquoi vous étaient-elles trop petites t^'; 

L'i PBTltV. 

Parce que j'ai grai^'^^ ^^ • ^ ^ ' '^ ^ ^ ^^ ^^ 

ti'* VoNNi.' 
Grandirez-vous en^re ? , 

. . .. , ,;.!•> PBT1T5, . 

' Oh! oui. -;•'-.— ^^ •' V. •>'^^ . 

•LA iOKNC^ 

Et que deviennent les grandes (âléB ?' ^ 

■■ .^n^^-^^LX 

(i) Si partout où j'ai rais , ye /ifll^âlk^liir^tièî^pAnd 
autrement, il faut se d^f^ç sa réponse ^ et la lui faire 
expliquer atec soin. - - 

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LIVBB ?. 49 

LA FSTITB.' 

Elles deviennent femmes. 

LÂ.i01»|ll. 

£t que deviennent les femmes? 

LA PITI^B. 

Elles deviennent mèves^ 

LA AONirS» 

Et les mères 9 que deviennent-elles? 

LA PETITE. 

Elles deviennent vieilles. 

LA BONNE. 

Vous deviendrez donc vieille? 

LA PETITE. 

Quand je serai mère. 

LA BONNE. 

Et que deviennent lies vieilles gens? 

LA PETITE. 

Je ne sais. 

LA BOIVNB^; 

Qu'est devenu vjotre grand-papa ? 

LA PETITE. 

il est mort (i). 

- — I ' ■ ■ - I ' ■ !■ ' I ■ ■ ■ ■ ' T-T-ri-t 

(i) La petite dira cela , parce qu^elle Fa entendu dire ; 
mais il faut vérifier si elle a quelque juste ide'e de la mort , 
car cette ide'e nVst pas fi «impie ni si k'ia pbrt^»des>en£ttis 
que Pou pense. On peut voir, dans le petit poëme d^Abel , 
un exemple de la manière dont on doit la leur donner. Gç 
charmant ourr^ge respire une simp^ité<Mlicieiifiedont on 
ne peut trop se nourrir pour conycrser srrec les-eufans. 
II. d 



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5o iMILE^ 

LA BONIfB. 

Et pourquoi esl-îl mort? 

LÀ PETITE. 

Parce qu'il était vieux. 

.LA BONNE. 

Que deviennent donc les vieilles gens? 

LA. PETITE. 

Ils meurent 

LA BONNE. 

Et vous 5 quand vous serez vieille , que...« 

LA PETITE, l'interrompant. 
Oh ! ma bonne , je ne veux pas mourir. 

LA BONNE. 

Mon enfant , personne ne veut mourir, et tout le 
monde meurt. 

LA PETITE. 

Comment! est-ce que maman mourra aussi? 

LA BONNE. 

Comme tout le monde. Les femmes vieillissent 
ainsi que les hommes, et la vieUlesse mène à la 
mort. 

XA PETITE. 

Que faut-il faire pour vieillir i)ien tard ? 

LA BQNNE. 

Vivre sagement tandis qu'on est jeuneu 

LA PETITE. 

Ma bonne, je serai toujours sage. 

LA BONNE. 

Tant mieux pour vous. Biais enfin, t^rofez-vous 
de vivre toujours? 



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LA. PETITE. 

Quand je serai bien vîeiUe, bien vieille.... 

Lk BONNE. '. 

Hé bien! 

£▲ PETITE. 

Enfin, quand on est si vieille, vous dites qu*il 
faut bien mourir.. 

Lk BONNE. 

Vous mourrez donc une fois? 

Li. PETITE. 

Hélas 1 oui. 

li. BONNE. 

Qui est-ce qui vivait avant vous? 

Lk PETITE. 

Mon père et ma mère. 

Lk BONNE, 

Qui est-ce qui vivait avau^ eux? 

Li. PETITE. 

Leur père et leur mère. 

LA BONNE. 

Qui est-ce qui 'vivra après vous? 

Li. PETITE. 

Mes enfans. 

Li. BONNE. 

Qui est-ce qui vivra après eux? 

Li. PI^TITE 

Iicurs enfans» etc 

En suivant cette route on trouve i, la race 
humaine, par des inductions sensibles, un com- 
mencement et une fin, comme à toutes choses, 



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5» iNiitE» 

c'est-à-dire un père €ft vm^ V^ire qui n'ont eu ni 
père ni naè^re,. et d^s enfans qui n'aproi^t point 
d'enfans (i). Ce n'esl^ qu'après une longue suite 
de questions pareilles que la première depiai^de du 
catéchisme est suffisamment préparée : alors seu- 
lement on peut la faire , et Tenfiëint peut l'entendre. 
Mûi^ de là ^Mqu'à la dewLièaiA réponse», qui* est 
pour ainsi dire la définition de Ressenee dMne, 
quel saut immense I Quand eét intervalle sera-t-il 
rempli? Dieu est iiq, ^^nUl £t qibi*'^(»lrm c^'un 
esprit? Irai -je embarquer celui d'un enfant dans 
cette obscure métaphysique dont les Hçwmes ottt 
tant de peine à se tirer? Cq i^'est pas à une petite 
fille à résoudre ces questions^ c'est tout au plus à 
elle à les faire. Alors )e IXii répondrais simplement : 
You» me demandez, ceiquc /i^^st que Dieu; cela 
n'est pas facile à dire : oi|. n^. peul^ ^ntendFQ> ni 
voir 9 pi toucher Dieu; on ne le connaît que par ses 
œuvres. Pour juger ce qu'il est, attendez de savoir 
ce qu'il a fait. 

Si nos dogmes sont tous de la même vérité, tous 
ne sont pas pour cela de la miêine importanee^ Il 
est fort indifférent à lagfolre de Dieu qu'elle nous 
soit connue en toutes choses; mais.il importe à la 
société humaine et à chacun de ses membres que 
fout homme connaisse et- remplisse les devoirs qpe 
lui impose la loi de Dieu envers son prochain et 
envers soi-même. Voilà ce que nous devons inces- 
samment nous enseigner les uns aux autres, ^et 
voilà surtout de quoi les pèM» et les mères sont 

■' \ I» ■ > ■ I ■ ■ I. „n , ■ i i j^ t t m > u" t « o m " 

(i) LMdée de Téternîtë ne saurait s'appliquer av^i gën^a- 
ti^^s humaiftçs avec le consentement de Tesprit. Toute suc- 
ceaatQ» wamélAq^M' i>é«Mte^ en aotie- eH tnopmpatibte' ayec 
celle i4|^ 



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LIVRE V. 55 

teatts 4*iiifltruii*6 teurs enfaiis. Qu'une vierge fioit 
la mbtt de son créateur; «qu'eUe ait edfanté IKeu , 
o«u sieulement uti hMiBie auquel. Dieu ft'est joint ; 
fue k mtbsNMce du père et du fils soit la même, 
ou ae liéit ^e seanblable; que Tesfilrit proeèdede 
Vvkk des demt qui «ont le même , ou de to^ êeux 
«oajofntemeùt ; je ne vois pas que la décîsioto ée 
ees €pftestîMS9 «n ^«ppatrenct essentielles 9 importe 
plus à .Fèspèce humiaine, q<ie de savoir quel jour 
de la tune on doit célébrer la pâque , s'il £Eiut dire 
-le cbapelet, jeûner, faire tnaigre, parler latin ou 
irançab à Pégllsè» orner ies^aours d'images, dire 
-ou entendre Hi messe, et n'avmr point de fesnme 
•en ^T^pre. Qtfe olMciilii.îpense ià-^dessus cônUme il 
lui plaira : î'ifpdre enqitoi cela peut Intéi^sser les 
autres ; quant à moi, cela ne mHntéresse point du 
tout. Mats ce qui m'intéï^ss^ , mm et tous mes sem- 
-blable», c'est que chacun sache qu'il existe un 
arbitre du sort dej^ hut^aams duquel nous sommes 
tous les tnfans, qui àùOs prescrit à tous d'être 
justes, de notts aim^ les uns lés autres, d'être 
btenfaisans et miséricordieux, de tenir nos enga- 
^emens envers tout le monde , mêiùe envers nos 
enneuHs ^ét les sietis; que l'apparent boniieur de 
cette vie n^st rien ; qu'il en est unte autre après elle , 
dans laqueMe cet Être siq)réme sera le rémunéra* 
teur des bons et le juge des médians. Ces dogmes 
et les dogmes semblal)les sont ceux qu'il importe 
d'enseigner à la Jeunesse et de persuader à tous les 
citoyei^. Quiconque les combat mérite châtiment, 
sans doUte ; il est le perturbateur de l'ordre et l'en- 
nemi de la société. Quiconque les passe, et veut 
nous asservir à ses opinions particulières , vient an 
même point par une route opposée; pour' établir 
l'ordre à sa manière, il trouble la paix; dans son 

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54 EMILE* 

téméraire t>rgueîl, il se rend rintcrprète de la 
Divinité, il exige en son nom les hommages 'et' les 
respects des hogimes , il se fait Dieu tant qu'il peut 
.à sa place : on devrait le punir comme sacrilège , 
quand on ne le pumrait pas comme intolérant. 

Négligez donc tous ceç dogmes mystérieux qui ne 
isont pour nous que des mots sans idées , toutes ces 
doctrines bizarres dont la vaine étude tient lieu de 
vertus à ceux qui s*y livrent , et sert plutôt à les 
rendre fous que bons. Maintenez toujours vos enfans 
dans le cercle étroit des dogmes qui^ tiennent à là 
morale. Petsuadez-Ieur bien qu'il n'y a rien pour 
BOUS d'utile à savoir que ce qui nous apprend à 
bien faire. Ne faites point de vos filles des théolo- 
giennes et* dés raisonneuses; ne leur apprenez d^ 
choses du ciel que ce qui sert à la sagesse humaine*: 
accoutumez-les à se sentir toujours sous les yeuk 
de Dieu , à l'avoir pour témoin de leurs' actions 9 dé 
leurs pensées, de leur* vertu, de leurs plaisirs; â 
faire ]e bien sans ostentation , parce qu'il l'aime ; 
à souffrir le mal sans murmure , parce qu'il les en 
dédommagera ; à être enfin , tous les jours de leur 
vie^ ce qu'elles seront bien aises d'avoir été lors- 
qu'elles comparaîtront devant lui. Voilà la véritable 
religion , voilà la seule qui n'est susceptible ni 
d'abus , ni d'impiété , tii de fanatisme. Qu'on en 
prêché tant qu'on voudra de plus sublimes; pour 
moi, je n'en reconnais point d'autre que celle*là. 

Au reste il est bon d'observer que, jusqu'à l'âge; 
où la raison s'éclaire et où le sentiment paissant 
fait parler la conscience , ce qui est bien ou mal pour 
les jeunes personnes est ce que les gens qui les enV 
tourent ont décidé tel. Ce qu'on leur commande 
est bien, ce qu'on leur défend est mal ; elles n'eu 
doivent pas savoir davantage : par où l'on voit de 

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UVRE V. 55 

quelle importance est, encore plus pour elles que 
pour les garçons, le choix des personnes qui doiveçit, 
ies aj^rocher et avoir quelque autorité.sur elles., 
Enfin le moment vient où elles commencent à 
juger des choses par eiles-mènie» , et alors il est 
temps de changer le plan de leur éducation. 
. J'en ai^rop dit Jusqu'ici peut-être. A quoi réduî* 
rons-nous les femmes > si nous ne leur donnons* 
pour loi que les préjuges publics ? N'abaissons pas 
^ ce point le sexe qui nous gouverne, et qui nous 
jhonore quand nous ne l'avons pas avili. Il existe 
pour toute l'espèce humaine une règle antérieure 
à l'opinion. C'est à l'inflexible direction de cette 
r^le que se doivent rapporter toutes les autres : 
elle juge le prëjugé même ; et ce. n'est qu'autant 
que l'estime des hommes s'accorde avec elle , que 
cette estime doit faire autorité pour nous. 
^ Cette règle est le sentimeat intérieur. Je ne 
répéterai point ce qui eu a élé dit ci-devant; il mé 
suffît de remarquer que si ces deux règles ne con^ 
^courent à l'éducation des femmes , elle sera toujours 
défectueuse. Le sentiment sans l'opinion ne leur 
donnera point cette délicatesse d'âme qui pare les 
bonnes mœurs de l'honneur du monde ; et l'opinion 
^sans le sentiment n'en fera jamais que des femmes 
fausses, et déshonnètes, qui mettent l'apparencaà 
la place de la vertu. 

Il leur importe donc de cultiver une faculté qui 
serve d'arbitre enlise les deux guides, qui ne laisse 
point égarer la conscience , et qui redresse les 
erreurs du préjugé. Cette faculté est la raison. Mais > 
à ce mot que de questions s'élèvent ! Les femmes 
sont-ell^ capables d'un solide raisonnement ? Im- 
.porle-t-il qu'elles le cultivent ? Le culliveronl-elle^ 
«ivcc succès ? Cette culture est-elle utile aux fonç- 



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56 iMlLE 

tioflis qui 4ewr «MMfc imposées f e«t*elle 06aip«tible 
arec la sirapliGité tpA leur «cm^al ? 

Les diverses mamèves d'envisager et de vémimâÊm 
«es qoestioos foot que , donnant 4aoé les -eiKeè^ 
contraires, les «ms bornent ta fennne à tsondre et 
filer dans wa aiénage avee ses servantes, éta^en 
font ainsi que la première servante -du maître ; 4e8 
* antres , non contons d'assurer ses droits , lui fmC 
encore usurper les «élres; car la laisser au-dessus 
de nous dans les qualités propres À son sese» et la 
rendre notve égaie dans tout le reste , qu^st^^oe 
autre chose que transporter à lalennne la pnmaitlë 
que la nature donne au mari ? 

La raison ^ mène l*homme à la connaissance 
de ses devoirs n'est pas fort oompoaée ; la raison 
qui mène la femme à la €onn«ssance des siens est 
plus simple encore. L*obéissanoeet la fidélité qu*eM6 
doit à son mari , ta tendresse et les soins qu'elle 
doit à ses enfans, sont des conséquences si natu- 
relles et si sen^trtes de sa condition, qu'elle ne 
peut sans mauvaise foi rrfuser son consententenT 
au sentiment intérieur qui la guide , ni mécon^ 
naître le devoir dans le penchant qui n'est point 
encore altéré.. 

le ne blâmerais pas sansd istinetiimqu^une femme 
fût bornée aux seuls travaux de son sexe , et qu'on 
la laissât dans une profonde ignorance sur tout le 
reste ; mais il faudrait pour cela des meeurs publi- 
que très-simples , très-saines , ou une manière de 
vivre très-retirée. Dans de grandes villes et pâmai 
des honunes corrompus , celte femme serait trop 
facile à séduire ; souvent sa vertu ne tiendrait 
qu'aux occasions : dans ce siècle phMosophe il lui en 
faut une à l'épreuve ; il faut qu^le sache d^avance 
et ce qu'on lui peut dire ot ce qu'elle ^n doit penser. 

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IIVAB T. . 5y 

0DHiitteiu^9 -«oinmie ^ui |i|g6mait des liommes 9 
elle doltiiléiiît€âr4ear œttme ;eUe 4dit surtout <d)« 
te»kr'oeile>de smi éipottx ;.ellenie doit pas «euleiBeat 
loi Êiiieatmersa^pensaiiBe, lOMisteiliaii^ «^ipraiiver 
sa cpttdiwte; «■««^H {«stîlidr devaat le pabUc le 
chois, qu'il a fait, «t^ke hoAoi«r le aaari 46 rfaen- 
■eur qix'^B r€»d à la ifemoie. Or coBSB^ent s^ 
prendra^-eUe pour iotit eek, si «lie ^;nore nos 
institatioBS, si-elle »e 4aÀt i^ea de bos usaices, d^ 
nos faièas^Bces ^ -si «lie me -cêttAatt ni 4a «e«irce des 
logeineBs hu2BÉaii», mi les passions qui le» déter- 
mioent ? Dèslàqu'elle^Mpead à la Ibis de sa propre 
€OD8c»enoé ^ des opmîeos des autres, Ù. faut 
cp'elle sppretme à comparer ces deux rè^^y À les 
concilier , et à ne p#é£^rer la prataî^i^ que qvand 
elles 9M)t en «j^sîUob. E^ devient le joge de ses 
fuges^ «Ue décide quand eUe doit s'y soameUvè et 
quand eUe doit les i^wser. Avant de rejeter ou 
d'admettre le«irs préjugés , elle les pèse; cAle ap- 
prend k remonter à4eiir «ource , à ies prévenir , k 
se le» rendre faVorJibles ; eUe a soin de ne lamai^ 
s'attirer le felâine quand son ^levoir lui permet de 
révliler. Ilien>de tout oela«e peut bien se fiûresans 
cultiver son espt^ et sa raison. 

Je reviens toujours au pdiieipe ^ et il me Ibami^ 
ia solution de toutes ooiies difficultés. J'étudie ce qui 
erî, j'en reclierclie ia pause 9 et je trouve eniln que 
ce qui est est bien. J'entre dans des maisons ou- 
vertes dont le laialtre -et la BaatU:<e8se font conjoin- 
tement les konneurs. Tous deux ont eu la même 
édïtcalion » tous deux sont d'une égale politesse, 
tons deux également pourvus de goût et d'esprit , 
tous deux anittiés du même désir de bien recevoir 
leur .monde et de renvoyer ehacun content d'etix. 
jLe mari n'Oaiet aucun soin ,pour 'être attentif à 

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58 £milc. 

tout; il va^ vient, fait la ronde et se donne mille 
peines; il voudrait être tout attention. La femnie 
reste àsa placé ; Un ^etit cercle se rassemble autour 
d'elle et semble lui cacher le reste de rassemblée ; 
cependant il ne s^y passe rien q^Telle n'aperçoive ^ 
il n'en s6ri personne à qui elle n'ait parlé; elle n'ai 
nen omis de ce qui pouvait intéresser tout le 
monde ; elle n'a rien dit à chacun qui ne lui fût 
agréable , et , sans rien troublera l'ordre , le moindre! 
de la compagnie n'est pas plus oublié que le pre- 
mier. On est servi, l'on se met à table : l'homnae,; 
instruit des gens qui se conviennent, les placera 
selon ce qu'il sait : la femime , sans rien savoir , ne 
s'y trompera pas; elle aura déjà lu dans^ les yeux, 
dans le maintien, toutes les convenances, e^ 
chacun se trouvera placé comme il veut l'ètrer Je 
ne dis point qu'au service personne n'est oublié. Lç 
maître de la maison en faisant là ronde aura pu 
n'ôubher'personne; mais la femme devine ce qu'on 
Tegarde avec plaisir et vous en offre ; en parlant à 
son voisin elle a l'œil au bout de la table; elle dis- 
cerne celui qui ne mange point parce qu'il n'a pa$ 
faim , et celui qui n'ose se servir ou demander 
parce qu'il est maladroit ou timide. En sortant de 
table chacun croit qu'elle n'a songé qu'à lui; tous 
ne pensent pas qu'elle ait eu le temps de manger 
un seul morceau ; mais la vérité est qu'elle a mangé 
plus que personne. 

Quand tout le monde est parti , l'on parle de ce 
qui s'est passé. L'homme rapporte ce qu'on lui a 
dit , ce qu'opt dit et fait ceux avec lesquels il s'est 
entretenu. Si ce n'est pas toujours là-dessus que la 
femme est le plus exacte , en revanche elle, a vu ce 
qui s'est dit tout bas à l'autre bout de la salle ; elle 
sait ce -qù'iin tel a pensé; à quoi tenait tel propos 



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LIVâB V. 59 

OU tel geste ; il sVst fait à peioe un mouyement 
expressif doot elle n*ait rinterprétation toute prête 9 ' 
et preisque toujours conforme à la vérité. 

Le même tour d'esprit qui fait exceller une femmie 
du monde dans Part de tenir maison fait excelleir 
une coquette d As Tart d'amuser plusieurs soupiA 
rans. Le manège de la coquetterie exige un discer- 
nement encore plus fin que celui de la petitesse ? 
car, pourvu qu'une femme polie le soit envers tout 
le monde, elle a toujours assez bien fait; mais U 
coquette perdraR bientôt son empire par cette uni4 
formlté malafdroite, à force de vouloir obliger tou« 
ses amans elle les rebuterait tous. Dans la société $ 
les manières qu'on prend avec tous les hommes ne 
laissent pas de plaire à chacun ; pourvu qu'on soit 
bien traité , l'on n'y regarde pas de si près sur les 
préférences ; mais, en amour, une faveur qui n'est 
pas exclusive est une injure. Un homme sensibl^i 
aimerait cent fois mieux être seul maltraité que ca- 
ressé avec tous les autres, et ce qui lui peut arriver 
de pis est de n'être point distingué. Il faut donc 
qu'une femme qui veut conserver plusieurs amans 
persuade à chacun d'eux qu'elle ler préfère, et 
qu'elle le lui persuade sous les yeux de tous les 
autres, à qui elle en persuade autant sons les siens^ 

Voulez-vous voir un personnage embarrassé 9 
placez un homme entre deux femmes avec chacune 
desquelles il aura* des liaisons s^ecrètes, puis ob- 
servez quelle sotte figure il y fera. Placez en même 
cas une femme entre deux homnies , et sûrement 
l'exemple ne sera pas plus rare , vous serez émer^ 
veillé de l'adresse avec laquelle elle donnera \6 
change à tous deux et fera que chacun se rira de 
l'autre . Or , si cette femme leur témoignait la même 
confiance et prenait avec eux la même familiarité, 

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6c iMILfi. 

c oumwi t l TCTOuent'itg nia histautses da^es ? lEh les 
traitant égâteweni, ne niotîtrerait-élie pas qu'ils 
ont les mêmes liNfito MO* cDe ? Ohl qaVâle^'y pretid 
bien «nieus que odal loin de les traiter de la même 
nimiève^ die «ffede ife *iclHre etiire eux de IHné*' 
^àkHé ; «^ Mt^i Mm iqtie eelui Ij^'ette flatte croit 
qtie <e'6st partendi^eise^'et que c^im qu'elle tnab- 
tr«He<eroit kjafe c^est par dépit Ainsi «hacite , con- 
tenft "de 'scoi partage , ta vcàt toujoiirs s^occuper de 
loi, tandis qu^e «e BVKc«pe en elkt qoe d^eUè 
«isole. . • 

Dms le deair fénëiod deplaif«^ la coquetterie 
suggère àt iemblaèfteB moy^iis : le« caprices we fe- 
raient q«e »b«ter, »Hls «i^étaiemt «agement mé- 
nagén ; et c'est en les dispensast avec ait qu*eHe en 
fait k» plus forte» cbahies deses esdàves. 

Usa ogn^arte la donna » onde sia colto 
Nella sua rete alcun noyello amante ; 
Ne con tutti , ne sempre , un stesso volto 
Serina ; ma cangia a ^empô attô e sdnbiante. 

A quoi tient tout cet art , 8t ce n'est à des ob^r-» 
vations fines et ct^tinueUes qui lui font toir à elia»> 
que infant ce qui se passée dans les cceurs de& 
hommes , et qui la disposent à porter à chaque 
mouvement secret qu'elle aperçoit, la forc^ qu'il 
faut potar le suspendre ou l'accélérer ? Or cet art 
s'apprend-il ? non; il nàlt avec. les emmes^ elles 
l'ont toutes, et jandats les hommes ne l'ont au 
même degré. Tel est un des caractères dîstinctîfo 
du sexe. La présence d'esprit, la pénétration, les 
observaticNto fines, sont la science des femmes; 
rhabilelé de s'en prévaloti' est leur talent. 

Voilà ce qui est, et l'on a vu pourquoi cela doit 
être. Les femmes sont fausses, nous dit-on. Elles 

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h dievienofSQt. Le doa(|iû.l|swe9l>pM9fe^9stFar 
dre^a et M» pds h taw^ii^ :, âaos leis ypm> peut- 

pi^iqk CaufliA^s. eomrqiMÛQOOsult^rVOii^toiuibottoJlift. 
qaaud ee n'«3t piis eÏQqjiiit dpUiparlim !^ Coomltofl 
iQurs. yiQiiji » temr. tisi|i|<, If^r se^ptc^ti^a, kttc air 
cswurtf, Ifiur.ittoUa nfeûstavcft: YoUiàilftl^nga^qii» 

ài^ lAtt^onu)! ^mt.i, at dotlt la dii^; «ft^s. racoent 
q»}*elte; y jfHiMi o?QSl past tpufours Le m^que- ^ et c«t 
a^cettà oei sait poîol loeatifv la kmm» n'art-afle 
pai^.idft in^ai«# bfiSQtps que rb^mma sans ajvoirle 
même dnMl) d« l€s tteo^goer;? Son aori sanailïtrop 
ccuiri)» ai^ inûm» daa» Ifigidésu» légiliotog ,. elle> u.'a> 
vait' im. Isngag^ équimient à ealii» qii?eUe n'ose 
tanir- F^ut;^iàqll^flapildallcla Jtaoda matbaurcate? 
Ne'hii&ut-il.paa.u» arfrde oommimûftier ses.pen- 
chan& sans. 1^> découivmr ^ !>«' quelle^ adorasse na* 
t«^ie pas basoiU' pour Ealre qu'on lui dôrabe ce 
qu'elle brûle d^accoMac ! Combien ne lui importe- 
t^Upoist d^apprendbreAtûucheii k coaunds Phonune 
sans pacaUreson^en àil^I Qualidisfiouvs.cbarmant 
n'est-ce pds.cpie la pomçns; d« Qalalb^ et sa^faUe 
maladroite ? Que faudrar-tril qu!€^le ajQute:à cela? 
Ira-t-elle dire^au berger qui la suit entre les sa îles 
qu'elle n'y fuît qu'à dessein de l'attirer ? Elle men- 
tirait, pour ainsi dire;. car alors elle ne l'attirerait 
plus. PluB une femme a de réserve, plus elle doit 
savoir d'art, même avec son, marj. Oul,^ je soutiem» 
qu'en tenant la coquetleiiei dans se» limites, on la 
rend nM>deste et vraie, on en£Eiit une loi de l?faon- 
nêteté. 

. La vertu est une , disait f rès-bîen un de mes. ad- 
versaires; on ne la décompose pas. pour^ admettra 
une partie et rejeter Tautre. Quand^ontllainie ,, on> 

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6% £hili. 

Taime dans toute son intégrité; et Ton refuse son 
oœur quand on peut, et toujours sa bouche, aux - 
sentimens qu'on ne doit point avoir. La vérité mo- 
cale n'est pas ce qui est, mais ce qui est bien; cp 
qui est ma} ne devrait points être , et ne doit point 
être avoué , surtout quand oet aveu lui donne un 
effet qu'il n'aurait pa^ eu sans cela. Si j'étais 
tenté de voler , et qu'en le disant je tentasse un autre 
d'être mon complice , lui déclarer ma tentation ne 
serait-ce pas y succomber ? Pourquoi ditest vous que 
la pudeur rend les femmes fausses ? Celles qui la • 
perdentle plus sont-elles au reste plus vraies que les 
autres ? Tant s'en faut; elles sont plus fausses mille 
fois. On n'arrive à ce point de dépravation qu'à 
force de vices , .qu'on garde tous , et qui ne régnent 
qu'à la faveur de l'intrigue et du mensonge (i). Au 
contraire^ celles qui ont encore de la honte, qui 
ne s'enorgueillissent point de leurs fautes , qui sa- 
vent cacher leurs désirs à ceux mêmes qui les in- 
spirent, celles dont ils en arrachent les aveux avec 
le plus de peine, sont d'ailleurs les plus vraies, les 
plus sincères, les plus constantes dans tous leurs 
engagemens , et celles sur la foi desquelles on peut 
généralement le plus compter. 

(t) Je sais que les femmes qui ont ouvertement pris leur 
parti sur un certain point pre' tendent bien se faire valoir de 
cette franchise, et jurent qu^à cela près il n'y a rien d'es- 
timable qu^on ne trouve en elles; mais je sais bien aussi - 
qu'elles n'ont jamais persuade cela qu^à des sots. Le plus ' 
grand frein de leur sexe 6të , que reste- t-ii qui les retienne? 
et de quel honneur feront-^lles ( as après avoir renoncé k 
celui qui leur est propre ? Ayant mis une fois leurs pas- 
sions à l'aise , elles n'ont plus aucun inte'rèt d'y re'sister ; 
JVec femina \ amissâ pudiciiiâ , atia ahnuerit. Jamais au- 
teur connut-il mieux le cœur homffin dans les deux 6e:Les 
que celui qui II dit cela? 



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IIVEI T. B% 

. Je né sacheqiiè la^eule mademoiselle de L'Enclos 
qu-on ait pu citer pour exception connue à ces 
remarques. Auâsi mademoiselle de L'Enclos a-t-elle 
passé pdùr un prodige. Dans le mépris des vertus 
^e son sexe elle avait, 4it*on , conservé celles du 
nôtre : on vante sa franchise , sa droiture , la sû- 
reté de son commerce , sa fidélité dans Tamitlé ; 
enfin , pour achever le tableau de isa gloire y on dit 
qu'elles'était faite -homme. Ala bonne heure. Mais, 
avec toute sachante réputation , je n'aurais pas plus 
voulu de «cet homme^là pour mon ami que pour 
sna maîtresse. 

' tout ceeî n'est pas si hors de propos qu'il parait 
être. Je vois pu tendent les maximes de la philoso- 
phie moderne en tournant en dérision^ la pudeur 
du sexe et -sa fausseté prétendue; et je vois que 
F'effet le plus assuré de cette philosophie sera d'ôter 
aux fenmies de notre siècle le peu d'honneur qui 
leur est fcsté. 

' Sur ces considérations je crois qu'on peut déter- 
miner en général quelle espèce de culture convient 
& l'-esprit des femmes^ et sur quels objets on 4olt 
tourner leurs réflexions dès leur jeunesse. 

Je l'ai déjià dît, les devoirs de leur sexe sont plus 
aisés à voir qu'à remplir. La première chosequ'elles 
doivent apprendre est à les aimer par la considé- 
ration .de leurs avantages ; c'est le seul moyen de 
les leur Tendre faciles. Chaque état et ch9que âge a 
ses devoirs. On xonnalt bientôt les siens pourvu 
qu'on les aime. Honorez votre état de femme 9 et^ 
4ans Quelque rang que le ciel vous place , vous serez 
toujourâ une fenune de bien. L'essentiel est d'^étre 
ce que nous fit la nature; on n'est toujours que 
trop ce que les hommes veulent que l'on soit. 

j<a recherche des vérités abstraites et spécula- 

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9fk iuitn. 

lires 9 des principes j des axiôines ilans les scienoes, 
tout ee qui tend, àgénéralisa* les idées ^ n^ést point 
du ressort des femmes; leufs.^udjaftdâivents&rap* 
porter toutes à la pra^qoe ; c'est à ellefeài iâî^e Fap* 
pUcaUon. des principes que L'homia» at tcmiTés , et 
c'est à elkft de faire les observations qm, mènent 
K'honmie à rétablissement de», pnîncipes. Toutes 
les céflexîena. de& fenimeft, ea ce qui ne tient pas 
immédiatement à li^nrA de:«ûira, doivent tendre à 
Fétade: des hommes .ou. a«s& connaissance» agr^a^ 
blés qui n!ont que le goût pour objÉ3t; cav qK^u^t 
aux ouvrages de génie ils passent leurpoitbée; eUet 
n'ont pas. noti plus assez^ db ju^essç et.d^attentton 
pour réussir aux scienoes exaiettes;. ^, qtiant.aus 
connaissances ph^^iques , c'est à celui^ des^ deux 
qui est le pUts agissant, le plu» alitant» qui>yedt;le 
plus d'obîets^i c'est à. celui' qui a {e pluA de îoacûe^ 
et qui l'eserce davantage, à jugeas dés vatpforiê ^s 
êtres sensibles et des lois de la nature» LaifiÉmmCy 
qui estfaible etquineToitmeaaudelMMS^ appsébie 
et juge les^ mobile» qukflia peut mattin en^ oesuvn» 
pour suppUÉer à aai faiblesse^, et œft mobile», sont 
les passion» de l^homn^* Sanfibécanîqme àeile; est 
plus forte que la nôtoe^ toussesésvier» vQnè ébnaeler 
le cœur humain^ Ttmti ce. que son, sexe^ ne peut 
faire pqr lui-^mêm«v et qui lui est: nécessaires on 
agréable , il Êfcutipi'iLaitrart'de nous le iBûre* rou'^ 
loir; il :&kut donc qu'elle étudie k&XBà l^esprti2 da 
rhonuiiie, non par> abstmcttonj l'esprit de^lthômme 
endetterai, mais l'esprit des bonmie» qpiii Ifentou** 
rent , l'esprit de# hommes ausqtiels* elle: est a«8Êi<- 
jetiie , soit par la loi*, soit pap l^opinioB^ U^ÙM 
qu^clle apprenne à péQétt1e^ leiirff sentkneasipar 
leurs discours, ppr lews^ction», pa«lèi»8vq9aids> 
par leurs gestes^ Il ûmtque pnr^ see^dlicoiifs^ par 

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LITBE V. 6& 

ses actions, par ses regards, par ses gestes, elle 
'Sache leur dontier les sentim^s qu'il lui plaît ^ 
sans méttKe paraître y isonger. IH philosopheront 
mieux qu'elle sur le cceur humain ; tnais elle lira 
mieiiK qu'eux dans les coeurs des hoihtnes» C^st 
aux femmes à trouver pour ainsi dire là morale 
expëfimentale, à nous à la réduire en système, ta 
femme a p\m d'esprit» et l*homme plus^de génie ; 
la femme observé, et l'homme raisonne : db de 
concours résultent la lumière la plus clalt'è et la 
^ienee la plus complète quel'entefidement humaiki 
fmisse acquérir dans les choses moraléis, la plus 
sûre connaissance, en un mot > de soi et des ant%^fc 
qui soit à la portée de notre eq^èce* Et VoUà com- 
tnent l'art peut tendre incessamment à perib^ 
tionner l'instrument donné par la nature. 

I^e monde est le livre des femmes : quand cties 
y lisent mal, e'est leur faute, ou quelque )^affii9ii 
les aveugle. 6ependant la véritable ihère de fa^ 
mille, loin d'être une i^^mmedu mbiide, ti'€»t gyèt^ 
moinft recluse dans sa nlaiSon que là religieiite 
dans son clbttre. Il faudrait donc faire , j^otlr les 
jeunes personnes qu'on marie , comme on £alt on 
comme on doit faire pbur celles qu'on met dnifo 
des oouvetis; leui* montrer le» plaisim qu'elles qul^ 
tent avant de les y laisser renoticer, de peur que 
ta fausse image de ces plaish*s qui leUr sont inreoni- 
nus ne vienne un )our égarer' leuri emttrset trou»- 
bief le honheur de leur retinife. En France^ tes 
fflles vivent dans des coiiveHs, et les femmef omi- 
rent le monde. CheK les andehs, e^ëtail tùiH le 
contraire; les filleé avaient, comme *je l'ai dlt^ 
beaucoup de feux et de fêtes puhliqaes; les fentmeà 
Vivaient reiivées. Cet usage était plus i^^lsOnnabte 
et maintenait mî<$tix les mièu#s« Une soi^e de co^ 
II. * 3 

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66 .EMILE. 

quetterie est permise aux filles à marier, s'amuser 
est leur grande affaire. Leà femmes ont d'autres 
soins chez elles, et n'ont plus de maris à chercher; 
mais elles ne trouveraient pas leur compte à cetfe 
réforme , et malheureusement elles donnent le ton. 
Mères , faites du moins vos compagnes de vos fille^ 
Donnez -leur un sens droit et une âme honnête, 
puisse leur cachez rien de ce qu'un œil chaste 
peut regarder. Le bal, les festins, les jeux, même 
le théâtre; tout ce qui, mal vu, fait le charme 
d'une imprudente jeunesse, peut être offert sans 
risque à des yeux sains. Mieux elles verront ces 
' bruj'ans plaisirs, plus tdt elles en seront dégoûtées. 
J'entends la clameur qui s'élève contre moi. 
Quelle fille résiste à ce dangereux exemple? A 
peine ont-elles vu le monde que la tète leur tourne 
à toutes ; pas une d'elles ne veut le quitter. Gda 
peut èltre : mais , avant de leur offrir ce taMeau 
trompeur, les avez -voua bien préparées à le voir 
sans émotion ? Leur avez - vous bien annoncé lés 
objets qu'il représente ? Les leur avez - vous bien 
peints tels qu'ils sont? Les a'vez-vous bien armées 
contre les illusions de la vanité? Avez-vous porté 
dans leurs jeunes cœurs le goût des vrais plaisirs 
qu'on ne trouve point dans ce tumulte ? Quelles 
précautions, quelles mesures avez-vous prises pour 
les priver du faux goût qui les égare ? Loin de rien 
opposer dans leur esprit à l'empire des préjugés 
publics t vous les y avez nourries; vous leur avez 
lait aimer d'avance tous les frivoles amusement 
qu'elles trouvent» Vous les leur faites aimer encore 
en s'y livrant. De jeunes personnes entrant dans 
le monde n'ont d'autre gouvernante que leur mère, 
souvent plus folle qu'elles , et qui ne peut leur 
montrer les objets autrement qu'elle ne les voit. 



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LIVBEV. 6^ 

Son exemple 9 plus fort que la raison même , les 
justifie à leurs propres yeux , et l'autorité de latnère 
;est pour la HUe qne excuse sans réplique. Quand 
je veux qu'une mère introduise sa fille dans le 
inonde 5 c'est en supposant qu'elle le lui fera voir 
tel qu'il est 

Le mal commence plus tôt encore. Les couvens 
sont de véritables écoles de coquetterie , non de 
cette 'coquetterie honnête dont j'ai parlé, mais de 
celle qui produit tous les travers des femmes et fait 
les plus extravagantes petites maîtresses. En sor^ 
tant de là pour entrer tout d'un coup dans des 
sociétés bruyantes 5 de jeunes femmes s'y sentent 
d'abord à leur place. Elles ont été élevées pour y 
vivre ; faut-il s'étonner qu'elles s'y trouvent bien ? 
Je n'avancerai point ce que je vais dire sans crainte 
de prendre un préjugé pour une observation; mais 
il me semble qu'en général , dans les pays protes< 
tans 9 il y a plus d'attachement de famille, de plus 
. dignes épouses et de plus tendrps mères que dans 
les pays catholiques? et si cela est, on ne peut 
*douter que cette différence ne soit due en partie à 
l'éducation des couvens. ^ 

Pour aimer la vie paisible et domestique il faut 
la connaître ; il faut en avoir senti les douceurs dès 
l'enfance. Ce n'est que dons la maison paternelle 
qu'on prend du goût pour sa propre maison ; et 
toute femme que sa mère n'a point élevée n'aimera 
point élever ses enfans. Malheureusement il n'y a 
plus d^éducation privée dans les grandes villes. La 
société y est si générale et si mêlée qu*il ne reste 
plus d'asile pour la retraite , et qu'on est en pnblic 
fusque ^ chez soî. A force de vivre avec tout le 
monde, on n'a plus de famille , à peine connaît* 
mi ses parens : on les voit en étrangers ; et la sim- 



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68 iiiiLE. ^ 

plicité des mœurs domestiques s^éteint avec la 
douce familiarité qui en faisait le charme. C'est 
ainsi qu^on suce avec le lait le goût des plaisirs da 
siècle et des maximes qu'on y voit régner. 

On impose aux filles une gène apparente pour 
trouver des dupes qui les épousent sur leur main- 
tien. 5Liis étudiez un moment ces jeunes personnes ; 
sous un air contraint elles déguisent mal la convoi- 
tise qui les dévore , et déjà on lit dans leurs yeux 
Fardent désir d'imiter leurs mères. Ce qu'elles 
convoitent n'est pas un mari, mais la licence du . 
mariage. Qu'a-t-on besoin d'un mari avec tant de 
ressources pour s'en passer? Mais on a besoin d'un 
mari pour couvrir ces ressources (i). La modestie 
est sur leur visage , et le libertinage est au fond de 
leur cœur : cette feinte modestie elle-même en est 
un signe ; elles ne Tafiectent que pour pouvoir 
s'en débarrasser plus tôt. Fén^mes de Paris et de 
Londres , pardonnez-le-moi , je vous supplie : nul 
séjour n'exclut les miracles ; mais pour moi je n'en 
connais point; et si une seule d'entre vous a Tàorte 
vraiment honnête , )e n'entends rien à nos insti- 
tutions. 

Toutes ces éducations diverses livrent également 
de jeunes personnes au goût des plaisirs du grand 
monde , et aux passions qui naissent bientôt de ce 
goût. Dans les grandes villes la dépravation com- 
mence avec la vie , et dans les petites eUe^commence 
avec^a raison. De jeunes provinciales, instruites à 
mépriser l'heureuse simplicité de leurs mœurs, 

(i) La Yoie de Thomme ânns sa jdunesso ëtait une d€8 
qualre choses que le Sage ne pouvait comprendre : la cin- 
quième était rinipudcnce de la femme adultère . Quœ co^ 
médit , et ter^çns os suum di'cù : Non sum operata malum, 
Prov. XXX , 20. 



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LIVRE V. 6f) 

s^empressent à venir à Paris partager la corruption 
des nôtres ; les vices , ornés du beau nom de talens, 
sont r^nnique objet de leur voyage : et honteuses 
en arrivant de se trouver si loin de la noble licence 
des femmes du pays , elles ne tardeiit pas à mériter 
d'être aussi de la capitale* Où ûommience le mal ^ 
à votre avis P dans les lieux où Ton le projette, ou 
dans ceux où Ton Taccompiit f 

Je ne veux pas que de la province une mère 
sensée amène sa fille à Paris pour lui montrer ces 
tableaux si pernicieux pour d'autres ; mais je dis 
que quand cela serait , ou cette ftlle est mal élevée , 
ou ces tableaux seront peu dangereux pour elle. 
Avec du goût 9 du sens , et Tamour des choses hon- 
nêtes 9 on ne les trouve pas si attrayant qu'ils le 
sont pour ceux qui s'en laissent charmer. On re- 
marque à Paris les jeunes écervelées qui viennent 
se hâter de prendre le ton du pays, et se mettre à 
la mode six mois durant pour se faire siffler le reste 
de leur vie : mais qui est-ce qui remarque celles 
qui, rebutées de tout ce fracas, s'en retournent 
.dans leur province, contestes de leur sort, après ^ 
l'avoir comparé à celui qu'envient les autres? Com- 
bien j'ai Vu de jeunes femmes amenées dans la 
capitale par des maris oomplaisans et maîtres de 
s'y fixer, les en détourner elles-mêmes, repartir 
plus volontiers qu^elles n'étaient venues, et dire 
avec attendrissement la veille de leur départ : Ah ! 
retournons dans notre chaumière , on y vit plus 
heureux que dans les palais â'id ! On ne sait pas 
Combien il reste encore de bonnes gens qui n'ont 
point Aéchi le genou devant l'idole, et qui mépri- 
sent son culte insensé. Il n'y a de bruyantes que 
les folle»; Itd fetnnd^s sage» ne iént point de sen- 
sation. 



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70 ÉMILE^ 

Que si, malgré la corruption générale, malgré' 
ies préjugés universels, malgré la mauvaise éduca- 
tion des filles^ plusieurs gardent encore un; juge- 
ment à répreuve, que sera-ce quand ce jugement 
aura été nourri par. des instructions convenablea^ 
ou, poiu" mieux dire, quand on ne l'aura point 
altéré par des. instructions vicieuses? car tout cour- 
siste toujours à conserver ou rétablir les sentîmens 
naturels; Il ne s'agit point pour cela d'ennuyer de 
jeunes filles de vos longs prftnes , ni de leur débiter 
vos sèches moralités. Les mA)ralités pour les deux 
sexes sont la mort de toute bonne éducation. De 
tristes leçons ne sont bonnes qu'à faire, prendre en 
haine et ceux qui les donnent et . tout ce qu'ils di- 
sent. Il ne s'agit point , en parlant à de jeunes 
personnes, de leur faire peur de leurs devoir» , 
ni d'aggraver le joug qui. leur est imposé par la 
nature. En leur exposant ces devoirs soyez précise 
et facile ; ne leur laissez pas croire qu'on est dia- 
grîne quand on les remplit; point d'air fâché,, 
point de morgue. Tout ce qui doit passer; au cœur 
doit en sortir ; leur catéchisme de morale doit ètrç 
aussi court et aussi clair que leur catéchisme de 
religion , mais il ne doit pas être si grave. Montrez- 
leur dans les mêmes devoirs la souix^ de leurs p^i- ' 
sirs et le fondement de leurs droits. Est-il si péni- 
ble d'aimer pour être aimée ;^ de se rendre aimable 
pour être heureuse , de se rendre estimable ppur 
être obéie, de s^honorer pour se faire honorer? Qufi 
ces droits sont beaux ! qu'Us sont respectables»! 
qu'il» jsont chers au cœur de l'honune quand 1^ 
femme sait les faire valoir! Il ue faut point atten- 
dre le^ ans. ni la: vieillesse pour en. jouir. Son enotr 
pire conimence avec. ses vertus; à.peinç ses attraits 
se développent , qu'elle règnç déjà par la doiiçeur 



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LIVRE V. 71 

de son caractère et rend sa modestie imposante. 
Quel homme insensible et barbare n'adoucit pas s(a 
fierté et ne prend pas desr maniérée plus attentives 
près d'une fille de seize ans, aimable et sage , qui 
parle peu , qui écoute , qui met de la décence dans 
son maintien et de l'honnêteté dans^ ses propos, à 
qui sa beauté ne fait oublier fti son sexe ni' sa jAi* 
nesse, qui sait intéresser par sa timidité même , et 
s'attirer le respect qu'elle porte 'à tout le monde ? 

Ces témoignagef, bien qu'extérieurs, ne sont 
pomt frivoles; ils ne sont point fondés seulement 
sur l'attrait des sens; ils partei^t de ce sentiment 
intime que nous avons tous que les femmes soùt 
les juges nativ*els du mérite des hommes: Qui est- 
ce qui veut être méprisé des femmes ? personne au 
monde , non pas même celui qui ne veut plus les 
aimer. Et moi^ qui 4eur dis des vérités si dures, 
croyez-volis que leurs jugemens me soient indicé- 
rens? Non ; leurs, suffrages me sont plus chers cpie 
les vôtres , lecteurs , souvent plus femmes qu'elles. 
En méprisant leurs mœurs , fe veux encore hono- 
rer leur justice : peu m'importe qu'elles me hais* 
sent , si je les force à m'estimer. 

Que de grandes choses on ferait avec ce ressort, 
si l'on savait le mettre en œuvre ! Malheur au siècle 
où les femmes perdent leur ascendant et où leurs 
jugemens ne font plus rien aux honmies ! c'est le 
dernier degré de la dépravation. Tous les peuples 
qui ont eu des mœurs ont respecté le» femmes. 
Voyez Sparte, voyez les Germains; voyez Rome, 
Btome le siège de la gloire et de la vertu , si jamais 
elles en eurent un sur la terre. C'est là que les fem- 
mes honoraient les exploits des grands généraux, 
qu'elles pleuraient publiquement les pères de la 
patrie ; queleiurs vœux ou Leurs deuils étaient con» 

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y a EMILB. 

sacrés coimne le plus selennel fitgement de la ré- 
publique. Toutes les grandes révolutions y vin^ 
rent des fiçmmes : par uiie fesome Rome acquit 
la liberté 9 par une femme les plébéiens obtinrent 
le consulat, par une fenio^e finit la tyrannie des 
décemvirs , par les femmes Rpme assiégée fut sau- 
vée des mains d'un» proscrit. Galajds Français » 
qu'eussiez-vous dit en voyant passer cette proces- 
sion si ridicule à vos yeux moqueurs? vous réussies 
accompagnée de vos huées. Que nous voyons dHin 
œil différent les mêmes objets! et peut-être avons- 
nous tous raison, formez ce cortège de belles da- 
mes françaises , je n'en connais point de plus indé* 
cent : mais composez-le de romaitie/i^ vous aurez 
tous les yeux des Yolsques et le cœur de Coriotan* 
Je dirai davantage > et je soutiens que la vertu 
n'est pas moins favorable à Tamour qu'aux autres 
droits de la nature , et que l'autorité des maîtresses 
n'y gagne pas moins que celle des femmes et des 
mères. U n'y a point de véritable amôiir sans ens- 
thousiasme , et point d'enthousiasme sans tm objet 
de perfection réel ou chinftérique, itiais toujours 
existant dans l'imaginatioti. De quoi s'enfiammet 
iront des amans pour qui cette perfection n'est 
plus rien , et qui ne voient dans ce qu'ils aîmeât 
que l'objet du plaisir des sens^ Non^ ce d'eï^t pas 
ainsi que l'âme s'échauffis, et se livre à ces trans-^ 
ports sublimes qui font le délire des amans et l« 
charme de leur passion* Tout n'est qu'iUusrôn dans 
l'amour^ je l'avoue; mais te qui e^t réel, ce sont 
les sentimena dont il nous àaime p6ur le vraîbeatu 
qu'il nous fait aimer. Ce beHu n'est point dans Tob^ 
jet qu'on aime , il est l'ouvrage de nos erreurs. EfaI 
qu'importe? en sacrifie*t-^n moins tous ses sentitnens 
bas à ce modèle iinagtnaireP En pénètre-^-on moms 

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lITftB V. 75 

son eœur dés vertus qu'on prête à ce qu'il chérit? S'en 
détache-l-on moins de la bassesse du moi humain ? 
Où est le véritable amant qui n'est pas prêt à im- 
moler sa vie à sa maîtresse? et où est la passion sen- 
suelle et grossière dans un homme qui veut mou- 
rir? Nous nous moquons des paladins I c'est qu'ils 
connaissent l'amour , et que nous ne connaissons 
plus que la débauche. Quand ces maximes roma- 
nesques commencèrent à devenir ridicules j ce 
changement fut moins l'ouvrage de la raison que 
celui des mauvaises mœurs. 

Dans quelque siècle que ce soit les relations na« 
turelles ne changent point; la convenance ou dis- 
convenance qui en résulte reste la même, les pré« 
jugés, sous le vain nom de raison, n'en changent que 
l'apparence. Il sera toujours grand et beau de ré- 
gner sur soi, fût-ce pour obéir à des opinions fan« 
tastiques ; et les vrais motifs d'honneur parleront 
toujours au cœur de toute femme de jugement qui 
saura chercher dans son état le bonheur de la vie. 
La chasteté doi^ être surtout une vertu délicieuse 
pour une belle femme qui a quelque élévation dans 
ï'ame. Tandis qu'elle voit toute la terre à ses pieds, 
«elle triomphe de tout et d'elle-même : elle s'élève 
dans son propre cœur un trône auquel tout vient 
rendre faonmiage; les sentimens tendres ou jalout 
mais toujours respectueux des deux sexes, l'estime 
universelle et la sienne propre, lui paient sans 
cesse en tribut de gloire les combats de quelques 
{nstans. Les privations sont passagères , mais le prix 
en est permanent. Quelle jouissance pour une âme 
noble y que l'orgueil de la vertu jointe â la beauté ! 
Béalisez une héroïne de roman, |&He^o^tera des 
voluptés plus exquises que les Laîs et les Cléopâ-^ 
très; et quand sa be«^uté ne sera pW, sa gloire et 
n» 4 

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74 £mile, 

sei plaisirs resteront encore ; elle seule saura jouir 

du passé. 

Si la route que je trace est agréable, taut mieux: 
fUe en est plus sûre, elle est dans Tordre de la na- 
^re ; et vous n'arriverez jamais au but que par 
celle-là, 

F|u8 les devoirs sont grands et pénibles » plus le^ 
raisons 9ur lesquelles on les fonde doivent être sen- 
sibles et fortes. Il y a un certain langage dévot 
dont, sur les sujets les plus graves, on rebat les 
oreilles des jeunes personnes sans produire la per- 
suAsion. De ce langage trop disproportionné à leurs 
idées ; et du peu de cas qu'elles en font en secret^ 
natt la facilité 4e céder à leurs penchans , faute de 
raisons d'y résister^ tirées des choses mêmes. Vpe 
fille élevée sagement e^ pieusement a sans doute de 
fortes armes contre les ten.tations; mais celle dont 
on nourrit uniquement le cœu^ ou plutôt les oreilles 
^u jargon de la dévotion, devient infailliblement la^. 
proie du premier séducteur adroit qui l'entreprend. 
Jamais une jeupe et belle personne ne inéprisera 
son corps , jamais elle ne ^'affligera de hopne foi 
des grands péchés que sa beauté fait commettre ^ 
jamais elle ne pleurera sincèreipent et devant pieu 
d'être ui^ objet de convoitise, jamais elle ne pourra 
croire ei^ elle-même que le plus dovijf. sentiment du 
cœur soit une invention de Satan. Donnez-lui d'au- 
tres raisons en dedans et pour elle-même, car celles- 
là ne pénétreront pjas. Ce sera pis encore si l'on 
met , conime on n'y manque guère, de la contra- 
diction dans ses idées, et qu'après l'avoir humiliée 
en avilissant son corps et ses charmes comnie la 
|iouillure du péché , on lui fasse ensuite respecter 
xomme le temple de Jésus-Christ ce même corps 
i^ii'x>f) lui a rendu si méprisable. Les idées trop su- 



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J>Uni$s et trop basses sont également insuffisantes 
et ne peuvent s'associer : il faut une raison à la 
portée du sexe et de l'âge. La considération du de- 
voir, n'a de force qu'autant qu'on y joint des motifs 
qui nous portent à le rei^plir ; 

^ Quœ quia uqh lioeai non facit , illajacit. 

On ne se douterait pas que c'est Ovide qui porte 
un jugement si sévère. 

Voulez-vous donc inspirer l'amour des bonnes 
mœurs aux jeunes personnes ? sans leur dire inces- 
samment 9 soyez sages , donnez*leur un grand in- 
térêt à l'être; faites-leur sentir tout le prii( de la 
jiagesse, et vous la leur fereiE aimer. Il ne sufiKt pas 
de prendre cet intérêt au loin dans l'avenir; mon- 
trez-le-leur dans le montent mênpie 9 dans les rela- 
tions de leur âge 9 dans le caractère de leurs amans. 
Dépeignez-leur l'bomme de bien, l'homme de mé« 
rite; apprenez-leur à le rieconnattre , à l'aimer, et 
à l'aimer pour elles; prouvez-leur qu'amies, fem- 
mes ou maîtresses , cet homme seul peut les rendre 
heureuses. Amenez la vertu par la raison : faites- 
leur sentir que l'empire de leur sexe et tous ses 
avantages ne tiennent pas seulen^ent ^ sa bonne 
conduite , à ses mœurs, n^ais encore à celles dear 
hommes; qu'elles ont peu de prise sur des> âmes 
viles et basses^ et qu'on ne sait servir sa maîtresse 
que comme on sait servir la vertu. Soyez sûre qu'a^^ 
lors en leur dépeignant les mœurs de nos jours 
vous leur en inspirerez un dégoût sîqcëre; en leur 
montrant les gens à la mode vous les leur ferez mé- 
priser; vous ne leur dpnnerez qu'é}oignement pour 
leurs niaxiaies, aversion pour leurs sentimens, dé- 
idain pour leurs vaines galanteries; vous leur fere:s 



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76 iuitt, 

nattre une ambition plus noble 9 celle de régner 
iur des àmés grandes et fortes, celle des femmes de 
Sparte 9 qui était de commander à des bommes* 
Une femme bardie» effrontée y intrigante , qui ne 
sait attirer ses amans que par la coquetterie, ni les 
conserver que parles faveurs, les fait obéir comme 
des valets dans les cboses serviles et communes ; 
dans les cboses importantes et graves elle est sans 
autorité sur eut. Mais la femme à la fois bonnête 9 
aimable et sage, celle qui force les siens à la res- 
pecter, celle qui a de la réserve et de la modestie ^ 
celle en un mot qui soutient Famour par Testime, 
les envoie d'un signe au bout du monde, au com- 
bat , à la gloire, à la mort, où il lui plaît (1). Cet 
empire est beau, ce me semble, et vaut bien U 
peine d'être acheté* 

Voilà dans quel esprit Sophie à été élevée, avec 
plus de soin que de peine , et plutôt en suivant son 
goût qu'en le gênant. Disons maintenant un mot 
de sa personne, selon le portrait que j'en ai fait k 
jfcmile, et selon qu'il imagine luir-niéme l'épouse 
qui peut le rendre heuretix. 

(i) Brantôme dit qae , du temps de François l*^^ une 
jeune personne ay^nt un amant babillard lai toiposa un 
silence absolu cft illimité , qu'il garda si fidèlement deux 
'ans entiers , qu^on le crut devenu muet par maladie. Un 
jour y en pleine assemblée , sa maltresse , qui , dans ces 
temps où Tamour se faisait avec mystère , n'était point con- 
nu^ pour telle y se vanta de le guérir sur-le-champ , et le fit 
nvec ce seuImo|, parlez, "i^y a4>41 pas quelqne chose de 
grand et d'hérotque dans cet amour-lk ? Qu'eût fait de plus 
la philosophie de Pythagore avec tout son £aste ? l^imagi- 
nerait-on pas une divinité donnant à un mortel , d'un seul 
"mot , Porgane de la parole? On ne me fera point croire que 
la beauté sans la yertu fit jamais un pareil mirade. Toutes 
ks fîemmfs de Paris| avec tous leurs artifices , serftie&t bien 
fi^ peizie^ d'en faire un semblable aujourd'hui, 

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Je ne redirai jamais trop que je laisse à part les 
prodiges. Emile n'en est pas tin , Sophie n'en est 
pas un non plus» Emile est homme 5 et Sophie est 
femme; voilà toute leur gloire. Dans la confusion 
des sexes qui règne entre nous, c'est presque un 
prodige d'être du sien» 

Sophie est bien née, elle est d'un bon naturel ; 
elle a le coeur très-sensible, et cette extrême sen- 
sibilité lui donne quelquefois une activité d'imagi- 
nation difficile à modérer. Elle a l'esprit impins juste 
que pénétrant, l'humeur facile et pourtant iné- 
gale, la figure commune, mais agréable, une phy- 
sionomie qui promet une ^me et qui ne ment pas; 
an peut l'aborder avec indifférence, mais non pas 
la quittei: sansémi^ion. P'autres ont de bonnes qua- . 
lités qui lui manquent ; d'autres ont à plus grande 
mesure celles qu'elle a; mais nulle n'a des quali|;és , 
mieux assorties pour faire un^ heureux caractère^ 
JSlle sait tirer parti de ses défauts mêmes, et si elle 
était plus parfaite elle plairait beaucoup moins.. 

Sophie n'est pas belle; mais auprès d'elle hs 
hommes oublient les belles femmes, et les belles 
femmes sont mécontentes d'elles-mêmes* A peine 
est-eUe jolie au premier aspect, mais plus on la 
wit et plus elle s'einbdlit ; elle gagne où tant d'au- 
tres perdent, et ce qu'elle gs^e elle ne le perd plus. 
On peut avoir de plus beaux yçu^s vine plus belle 
bouche, i|ne figure plus imposante ; mai$ pn qe sau- 
rait avoir uçie taille mieux prise , un plus beau teint, , 
une main plus blanche, un pied plus mignon, un> 
regard plus doux , une physionomjie plus touchante. 
Sans éblouir elle intéresse; elM charme, e^ l'on ne. 
saurait dîre.ppurquoi. 

Sophie aime la parure et s'y connaît; sa mère 
B'a point d'autre femme de chambre qu'elle : ellr 

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^8 I^MIIE. 

a beaucoup de goût pour se mettre avec avantager; 
mais elle hait les riches habillemens; on voit tou« 
jours dans le sien la simplicité f ointe à Télégance; 
elle n*aime point ce qui brille, mais ce qui sied. 
Elle ignore quelles sont les couleurs à la mode 9 mais 
elle sait à merveille celles qui lui sont favorables. 
Il n*y a pas une jeune personne qui paraisse mise 
avec moins de recherche , et dont rajustement soit 
plus recherché ; pas une pièce du sien n'est placée 
au hasard, et Part ne paraît dans aucune. Sa pa- 
rure est très-modeste en apparence et très-coquette 
en effet ; elle n'étale point ses charmes, eÛe les 
couvre , mais en les couvrant elle sait les faire ima- 
giner. En la voyant on dit , Voilà une fille modeste 
et sage; mais tant qu'on reste auprès d'elle, les 
yeux et le cœur errent sur toute sa personne sans 
qu'on puisse les en détacher , et l'on dirait que 
tout cet ajustement si simplen'est mis à sa place que 
pour en être été pièce à pièce par l'imagination. 

S(^hie a des talens naturels; elle les sent et ne 
les a pas négligés ; mais n'ayant pas été à portée de 
mettre beaucoup d'art à leur culture , elle s'est con« 
tentée d'exercer sa jolie voix à chanter juste et avec 
goût, ses petits pieds à marcher légèrement, faci- 
lement, avec grâce, à faire la révérence en toutes 
sortes de situations sans gène et sans maladresse. 
Du reste elle n'a eu de maître à chanter que son 
père, de maltresse à danser que sa mère; et un 
organiste du voisinage lui a donné suri e clavecia 
quelques leçons d'accompagnement qu'elle a de- 
puis cultivé seule. D'abord elle ne songeait qu'à 
faire paraître sa main avec avantage sur ces tou- 
ches noires; ensuite elle trouva que le son aigre et 
sec du clavecin rendait plus doux le son de la voix ; 
peu à peu elle devint sensible à l'harmoiiie; enfin» 

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tîVRp r. yQ 

eh graûdigsaDt, elle a commencé- de sentir les 
charmes de rexpressîon, et d'aimer la musique 
pour elle-même. Hais c'est un goût plutôt (ju'un 
talent; elle ne sait point déchiffrer un air sur la 
note. 

Ce que Sophie sait le mieux 5 et qu'on lui a fait 
apprendre avec le plus de soin , ce sont les travaux 
de son sexe, même dont on ne s'avise point , comme 
de tailler et coudre ses robes. Il n'y a pas un 
ouvrage à l'aiguille qu'elle ne sache faire, et qu'elle 
ne fasse avec plaisir; mais le travail qu'elle préfère 
à tout autre est la dentelle, parce qu'il n'y en a 
pais un qui donne une attitude plus agréable et où 
les doigts s'exercent avec plus de grâce et de légè- 
reté. Elle s'est appliquée aussi à tous les détails du 
ménage. Elle entend la cuisine et Foifice ; elle sait 
les prix des denrées , elle en connaît les qualités ; 
elle sait fort bien tenir les comptes , elle sert de 
maître d'hôtel à sa mère. Faite pour être un jour 
mère de famille elle-même, en gouvernant la mai- 
son paternelle elle apprend à gouverner la sienne ; 
elle |)eut suppléer aux fonctions des domestiques 
et le fait toujours volontiers. On ne sait jamais bien 
commander que ce qu'on sait exécuter soi-même : 
c'est la raison de sa mère pour l'occuper ainsi. Pour 
ISophie, elle ne va pas si loin : son premier devoir 
est celui de fille, et c'est maintenant le seul qu'elle 
songe à remplir. Son unique vue est de servir sa 
mère , et de la soulager d'une partie de ses soins. 
Il est pourtant vrai qu^elle ne les remplit pas tous 
avec un plaisir égal. Par exemple , quoiqu'elle soit 
gourmande , elle n'aime pas la cuisine ; le détail 
en a quelque chose qui la dégoûte ; elle n'y trouve 
jamais assez de propreté. Elle est là-dessus d'une 
délicatesse extrême , et cette délicatesse poussée à 

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êo iMlLI. 

Texcès est devenue un de ses défauts i elle laisserait 
plut^ aller .tout le dîner par le feu^ que de tacher 
sa manchette. Elle n'a jamais voulu de Tinspec- 
tîon du Jardin par la même raison. La terre lui 
paraît malpi*opre ; sitôt qu'elle voit du fumier , elle 
croit en sentir Fodeur. 

£lle doit ce défaut aux leçons de sa mère. Selon 
elle , entre les devoirs de la femme 5 un des pre-- 
miers est la propreté; devoir spécial 9 indispen- 
sable, imposé par la nature. Il n'y a pas au monde 
un objet plus dégoûtant qu'une femme malpropre 9 
et le mari qui s'en rebute n'a jamais tort. Elle a 
tant prêché ce devoir à sa fille dès son enfance 5 
elle en a tant exigé de propreté sur sa personne , 
tant pour ses bardes» pour son appartement, pour 
son travail , pour sa toilette , que toutes ces atten- 
tions, tournées en habitude, prennent une assez 
grande partie de son temps et président encore à 
l'autre : en sorte que bien faire ce qu'elle fait n'est 
que le second de ses soins ; le premier est toujours 
de le faire proprement. 

Cependant tout cela n'a point dégénéré en vaine 
affectation ni en mollesse ; les raflinemens du luxe 
n'y sont pour rien. Jamais il n'entra dans son ap- 
partement que de l'eau simple; elle ne connati 
d'autre parfum que celui des fleurs, et jamais son 
mari n'en respirera de plus doux que son haleine. 
Snfin l'attention qu'elle donne à l'extérieur ne lui 
fait pas oublier qu'elle doit sa vie et son temps à 
des soins plus nobles : elle ignore ou dédaigne cette 
excessive propreté du corps qui souille Vàme ; So- 
phie est bien plus que propre , elle est pure. 

J'ai dit que Sophie était gourmande. Elle l'était 
naturellement ; mais elle est devenue sobre par ha« 
bitude^ et maintenant elle Test par vertu. Il n'ea 



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I.IV&B Ht. 8l 

est pas des filles comme des garçons^ qu*on peut 
jusqu'à certain point gouTcraer par la gourmandise. 
Ce penchant n'est point sans conséquence pour le 
sexe; il est trop dangereux de le lui laisser. La 
petite Sophie 9 dans son enfance j entrant seule dans 
le cabinet de sa mère , n'en revenait pas toujours 
à vide, et n'était pas d'une fidélité à toute épreuve 
sur les dragées et sur les bonbons. Sa mère la sur* 
prit, la reprit, la punit , la fit jeûner. £lle vint en- 
fin à bout de lui persuader que les bonbons gâtaient 
les dents , et que trop manger grossissait la taille. 
Ainsi Sophie se corrigea : en grandissant elle a pris 
d'autres goûts qui l'ont détournée de cette sensualité 
basse. Dans les femmes , comme dans les hommes, 
sitôt que le cœur s'anime, la gourmandise n'est 
j^lus un vice dominant. Sophie a conservé le goût 
propre de son sexe ; elle aime le laitage et les Sucre- 
ries; elle aime la pâtisserie et les entremets, mais 
fort peu la viande; elle n'a jamais goûté ni vin ni 
liqueurs fortes : au surplus elle mange de tout très- 
modérément; son sexe, moins laborieux que le 
nôtre , a moins besoin de réparation. En toute chose 
elle aime ce qui est bon et le sait goûter; elle sait 
aussi s'accommoder de ce qui ne l'est pas , sans 
que cette privation lui coûte. 

Sophie a l'esprit agréable sans être brillant , et 
solide sans être profond , un esprit dont on ne dit 
rien, parce qu'on ne lui en trouve jamais ni plus 
ni moins qu'à soi. Elle a toujours celui qui plaît 
aux gens qui lui parlent , quoiqu'il ne soit pas fort 
orné, selon ri4ée que nous avons de la culture de 
l'esprit des femmes ; car le sien ne s'est point formé 
par la lecture , mais seulement par les conversa- 
tions de son. père et de sa mère , par ses propres 
réflexions, et par les observations qu'elle a fs^teft 

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9^ initti 

dans le peu de monde qu'elle a viï. Sophie à nâ-» 
turellement de la gaieté , elle était même folâtre 
dans son enfance ; mais peu à peu 6a mère a prù 
soin de réprimer ses airs évaporés, de peur, que 
bientôt un changement trop subit nMnstruisit du 
moment qui Tavait rendu nécessaire. Elle est donc 
devenue modeste et réservée même avant le temps 
de l'être ; et maintenant que ce temps est venu , il 
lui est plus aisé de garder le ton qu'elle a pris, qu'il 
ne lui serait de lé prendre , satis indiquer la raison 
de ce changement. G'^st une chose plaisante de la 
voir se livrer quelquefois par un reste d'habitude à 
des vivacités de l'enfance , puis tout d'un coup ren- 
trer en elle-même , se taire, baisser les yeux et rou- 
gir : il fout bien que le terme intermédiaire «ntre 
les deux âges participe un peu de chacun des deux. 

Sophie est d'une sensibilité trop grande pour 
conserver une parfaite égalité d'humeur , mais elle 
a trop de douceur pour que cette sensibilité soit 
fort importunt aux autres; c'est à elle seule qu'elle 
fait du mal. Qu'on dise un seul mot qui la blesse , 
elle ne boude pas, mais son cœur se gonfle; elle 
tâche de s'échapper pour aller pleurer. Qu'au mi- 
lieu de ses pleurs son père ou sa mère la rappellent 
et disent un seul mot, elle vient à l'instant |ouer et 
rire en s'essuyant adroitement les yeux et tâchant 
d'étouffer ses sanglots. 

Elle n'est pas non plus tout-à-fait exempte de 
caprice. Son humeur, un peu trop poussée^ dé- 
génère en mutinerie , et alors elle est sujette à 
s'oublier. Mais laissez-lui le temps de revenir à elle, 
et sa manière d'effacer son tort lui en fera presque 
un mérite. Si on la punit, elle est docile et sou- 
mise , et l'on voit que sa honte ne vient pas tant du 
châtiment que de la faute. Si on ne lui dit rien , 

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tlVKE V- 85 

jamais elle ne manqfue de là réparer d*elle-méine y 
mais si franchement et de si bonne grâce , qu'il 
n'est pas possible d'en garder la rancmie. Elle bai- 
serait la terre devant le dernier domestique, sans 
que cet abaissement lui fît la nH>indre peine ; et 
sitôt qu'elle est pardonnée, sa foie et ses caresses 
montrent de quel poids son bon cœur est soulagé. 
En un mot elle souffre avec patience les torts de9 
autres et répare avec plaisir les siens. Tel est l'àt- 
mable naturel de son sexe avant que nous l'ayons 
gâté. La femme est hâte pour céder à l'homme et 
pour supporter même son injustice. Vous ne ré- 
duirez jamais les jeunes garçons au même point : 
le sentiment intérieur s'élève et se révolte en eux 
contré l'injustice ; la nature ne les fit pas pour la 
tolérer. 

Gfauem 
Pelidœ stontachum cedéte nésciL 

Sophie a de la religion , mais une religion raison- 
ilable et simple , peu de dogmes et moins de pra- 
tiques de dévotion ; ou plutôt 5 ne connaissant de 
pratique essentielle que la morale, elle dévoue sa 
vie entière à servir Dieu en faisant le bien. Dans 
toutes les instructions que ses parens lui ont don- 
nées sur ce sujet , ils l'ont accoutumée à une sou- 
mission respectueuse , en lui disant toujours : Ma 
« fille , ces connaissances ne sont pas de votre âge; 
< « votre mari vous en instruira quand il sera temps» » 
Du reste , au lieu de longs discours de piété , ils se 
contentent de la lui prêcher par leur exemple, et 
cet exemple est gravé dans son cœur. 

Sophie aime la vertu; cet amour est devenu sa 
passion dominante. Elle l'aime parce qu'il n'y a 
rien de si beau que la vertu ; elle l'aime parce que 

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84 initt* 

la vertu fait la gloire de la femme 5 ctt qu^ùne femme 
vertueuse lui paraît presque égale aux anges ; elle 
Taime comme la seule route du vrai bonheur, et 
parce qu'elle ne voit que misère, abandon, mal* 
heur y opprobre , ignominie , dans la vie d'une 
femme déshonnète ; eUe Taime enfin comme chère 
à son respectable père , à sa tendre et digne mère : 
non contens d'être heureux de leur propre vertu, 
ils veulent l'être aussi de la sienne , et son premier 
bonheur à elle-même est l'espoir de faire le leur. 
Tous ces sentîmens lui inspirent un enthousiasme 
qui lui élève l'dme , et tient tous ses petits penchans 
asservis à une passion si noble. Sophie sera chaste 
et honnête jusqu'à son dernier soupir; elle l'a )uré 
dans le fond de son âme, et elle l'a juré dans im 
temps où elle sentait déjà tout ce qu'un tel serment 
coûte à tenir; elle l'a juré quand elle en aurait dû 
révoquer rengagement , si ses sens étaient faits pour 
régner sur elle. 

Sophie n'a pas le bonheur d'être une aimable 
Française, froide par tempérament et coquette par 
vaiûté , voulant plutôt briller que plaire , cherchant 
l'amusement et non le plaisir. Le seul besoin d'ai- 
mer la dévore, il vient la distraire et troubler son 
cœur dans les fêtes : elle a perdu son ancienne 
gaieté; les folâtres jeux ne sont plus faits pour 
elle; loin de craindre l'ennui de la solitude elle la 
cherche; eUe y pense à celui qui doit la lui rendre 
douce : tons les indifférens l'importunent; il ne lui 
faut pas une cour, mais un amant ; elle aime mieux 
plaire à un seul honnête honmie, et hii plaire tou- 
jours , que d'élever en sa faveur le cri de la naode, 
qui 4ure un jour, et le lendemain se change en 
huée. 

I«es femmes ont le jugement plus têt formé que 

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les hommes; étant sur la défensive presque dès 
leur enfance et chargées d'un dépôt difficile à gar- 
der, le bien et le mal leur sont nécessairement 
{dus tôt connus. Sophie, précoce en tout, parce que 
son tempérament la porte à l'être, a aussi le juge- 
ment plus tôt formé que d'autres filles de son âge. 
Il n'y a rien à cela de fort extraordinaire; la ma- 
turité n'est pas partout la même en même temps. 

Sophie est instruite des devoirs et des droits de 
son sexe et du nôtre. Elle connaît les défauts des 
'hommes et les vices des femmes; elle connaît aussi 
les qualités , les vertus contraires , et les a toutes 
empreintes au fond de son cœur. On ne peut pas 
avoir une plus haute idée de l'honnête femme que 
celle qu'elle en a conçue , et cette idée ne l'épou- 
vante point; mais elle pense avec plus de complai- 
sance à l'honnête homme, à l'homme de mérite; 
elle sent qu'elle est faite pour cet homme-là, qu'elle 
en est digne, qu'elle peut lui rendre le bonheur 
qu'elle recevra de lui ; elle sent qu'elle saura bien 
le reconnaître ; il ne s'agit que de le trouver. 

Les femmes sont les jugés naturels du mérite des 
liommes , cotnme ils le sont du mérite des femmes: 
cela est de leur droit réciproque , «t ni les uns ni les 
autres ne l'ignorent. Sophie connaît ce droit et en 
use, mais avec la modestie qui convient à sa jeu- 
nesse, à son inexpérience, à son état; eUe ne juge 
que des choses qui sont à sa portée, et elle n'en 
juge que quand cela sert à dévdopper quelque 
maxime utile. Elle ne parie des absens qu'avec la 
plus grande circonspection , surtout si ce sont des 
fenmies. Elle pense que ce qui les rend médisantes 
et satiriques est de parier de leur sexe : tant qu'elles 
se bornent à parier du nôtre elles ne sont qu'équi- 
tables. Sophie s'y bpme donc. Quant aux femmes, 

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t6 Jmiie. 

elle n'en parle jamais que pour en dire le bien 

qu'elle sait : c'est un honneur qu'elle croit devoir 

à son sexe; et pour celles dont elle ne sait aucun 

bien à dire, elle n'en dit rien du tout, et cela 

s'entend* 

Sophie a peu d'usage du monde; mais elle est 
obligeante, attentive , et met de la gr^e à tout ce 
qu'elle fait. Un heureux naturel la sert mieux qup 
beaucoup d'art Elle a une certaine politesse à elle 
x}ui^ne tient point aux formules, qui n'est point 
asservie aux modes, qui ne change point avec elles , 
qui ne fait rien p^r usage, mais qui vient d'un vrai 
désir de plaire, et qui pMttt. £Ue ne sait point le,s 
compliptiens triviaux et n'en invente point de plus 
recherchés; elle ne dit pas qu'elle est trës-ob%ée« 
qu*on Ipi fait bfsaucoup d'honneur , qu'on ne prennje 
pas la peine, etc. Elle s'avise encore moins de tour- 
per des phrases. Pour une Attention , pour unie 
politesçe établie, elle répond par une révérence ou 
par un simple Je vous remercie; mais ce i^pt dit 
de ,8a bouche en v^ut bien un autre. Pour un vrai 
.service elle laisse parler son cœur, et ce p'est pas 
un compliment qu'il trouve. Elle n'a jamais souf- 
fert que l'usage français l'asservît ai) joug des sima- 
grées, conuode d'étendre sa main , en passant d'une 
chambre à l'autre, sur un bras sexagénaire qu'elle 
aurait grande envie de soutenir. Quand un galant 
musqué lui offre cet impertinent service, elle laisse 
l'ofUcieux bras , sur l'escalier et s'élance en deux 
j»auts dans la chambre , eo disant qu'elle n'est pas 
boiteuse. En effet, quoiqu'elle ne soit pas grande, 
elle n'a jamais voulu de talons hauts; elle a les 
pieds assez petits pour s'eq passer. 

Npn- seulement elle se tient dans le silence et . 
. id^ns le respect avec les femmes, mais même avep 



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IlVBl V. 87 

les hommes mariés, ou beaucoup plus âgés qu*elle ; 
elle n'acceptera iamaîs de place au-dessus d'eux que 
par obéissance 9. et reprendra la sienne au-dessous 
sitôt qu'elle le pourra ; car elle sait que les droits 
de l'âge vont avant ceux du sexe, comme ayant 
pour eux le préjugé de la sagesse , qui doit être ho- 
norée avant tout. 

Avec les îeimes gens de son âge , c'est autre chose; 
elle a besoin d'un ton différent pour leur en impo-» 
ser, et elle sait le prendre sans quitter l'air modeste 
qui lui convient. S'ils sont modestes et réservés 
eux-mêmes, elle gardera volontiers avec eux l'ai- 
mable fomiliarité de la jeunesse; leurs entretiens 
pleins d'innocence seront badins , mais décens : s'ils 
deviennent sérieux, elle veut qu'ils soient utiles : 
s'ils dégénèrent en fadeurs , elle }es fera bientôt 
cesser , car elle méprise surtout le petit jargon de 
la galanterie, comme très-offensant pour son sexe. 
Elle sait bien que l'homme qu'elle cherche n'a pas 
ce jargon-là , et jamais elle ne souffre volontiers 
d'un ,9utre ce qui ne convient pas à cel^i dont elle 
a le caractère empreint au fond du cœur, {ja haute 
opiçion qu'elle a des droits de son sexe, la fierté 
d'ânqie que )ui donne 1^ pureté de ses sentimens, 
cette énergie de la vertu qu'elle sent pn elle-même, 
et qui la rend respectable à ses propres yeux, lui 
font écouter avec indignation les propos doucereux 
dont on prétend l'amuser. £lle ne les reçoit point 
avec une colère apparente, mais avec. un ironique 
applaudissement qui déconcerte , ou d'un ton froid 
auquel on ne s'attend point. Qu'un bieau Phébuslui 
débite ses gentillesses , la loue ayec esprit sur le 
sien , sur S4. beauté , sur ses grâces, sur le bonheur 
de lui. plaire, elle est fille à l'interrompre, eu lui 
disant polin^ept: c Monsieur, j'ai grand'peur de 

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8è iuitt. 

« savoir ces choses-là mieux quevous; si notu» n*a« 
« vons rien de plus curieux à dire y je crois que 
c nous pouvons finir icirentrelien. » Accompagner 
ces mots d'unegrande révérence, et puis se trouver 
à vingt pas de lui, n'est pour elle queTafiaire d'un 
instant. Demandez à vos agréables s'il est aisé 
d'étaler long-temps son caquet avec un esprit aussi 
rebours que celui-là. 

Ce n'est pas pourtant qu'elle n'aime fort à être 
louée, pourvu que ce soit tout de bon , et qu'elle 
puisse croire qu'on pense en effet le bien qu'on lui 
dit d'elle. Pour paraître touché de son mérite il iai:^ 
commencer par en montrer. Un hommage fondé 
sur l'estime peut flatter son cœur altier, mais tout 
galant persiflage est toujours rebuté ; Sophie n'est 
pas faite pour exercer les petits talens d'un baladin* 
Avec une si grande maturité de jugement et for- 
mée à tous égards conune une fille de vingt ans » 
Sophie , à quinze, ne sera point traitée en enfant 
par ses parens. A peine apercevront-ils en elle la 
première inquiétude de la jeunesse, qu'avant le 
progrès ils se hâteront d'y pourvoir ; ils lui tiendront 
des discours tendres et sensés. Les discours tendres 
et sensés sont de son âge et de son caractère. Si ce 
caractère est tel que je l'imagine, pourquoi son 
père ne lui parlerait-il pas à peu près ainsi : 

« Sophie, vous voilà grande fille, et ce n'est 
c pas pour l'être toujours qu'on le devient. Nous 
c voulons que vous soyez heureuse ; c'est pour nous 
t que nous le voulons , parce que notre bonheur 
t dépend du vôtre. Le bonheur d'une honnête fille 
c est de faire celui d'un honnête homme ; il faut 
ç donc pensera vous marier; il y faut penser de 
« bonne heure, car du mariage dépend le sort dé la 
i vie, et on n'a jamais trop detempspoury pcQser» 

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iiv&s V. «9 

» Eîen n*e8t plus difficile que le choix dMii bon 
« mari, si ce n^est peut-être celui d'une bonne 
c femme. Sophie, vous serez cette femme r^re, 
c vous serez la gloire de notre vie et le bonheur de 
c nos vieux jours; mais de quelque mérite que| 
c vous soyez pourvue , la terre ne manque pas, 
c d'hommes qui en ont encore plus que vous. Il 
« n'y en a p«is un qui ne dût s'honorer de vous ob- 
c tenir , il y en a beaucoup qui vous honoreraient 
c davantage. Dans ce nombre il s'agit d'en trouver 
c un qui vous convienne , de le connaître et de 
€ vous faire connaître à lui. 

t Le plus grand bonheur du mariage dépend de 
€ tant de convenances , que c'est une folie de les 
« vouloir toutes rassembler. Il faut d'abord s'assu- 
c rer des plus importantes; quand les autres s'jr 
c trouvent , on s'en prévaut ; quand elles manquent,^ 
« on s'en passe. Le bonheur parfait n'est pas sur 
c la terre ; mais le plus grand des malheurs, et celui 
c qu'on peut toujours éviter, est d'être malheureux 
c par sa faute. 

c II y a des convenancesnaturelles, il y en a d'insti- 
« tution, il y en à qui ne tiennent qu'àl'opinion seule, 
c Les parens sont juges des deux d ernières espèces , 
« les çnfans seuls le sont de la première. Dans les 
c mariages qui se font par l'autorité des pères, on 
« se règle uniquement sur les convenances d'insti tu« 
c tîoh et d'opinion ; ce ne sont pas les personne» 
c qu'on marie, ce sont les conditions et les biens: 
c mais tout cela peut changer ; les personnes seules 
c restent toujours , elles se portent partout avec 
€ elles : ea dépit de la fortune > ce n'est que par les 
c rapports personnels qu'un mariage peut être 
c heureux ou nialheureux. 

c Votre mère était de condition^ j'étais riche ; 
II. * 4 

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go BMIIK* 

c voilà les* seules considérations qui portèrent Mê 
« parens à nous unir. J'ai perdu mes biens, elle à, 
c perdu son nom ; oubliée de sa famille , que l^i 
€ sert aujourd'hui d'être née demoiselle ? Dans nos 
c désastres , Tunion de nos cœurs nous a consolés 
ç de tout ; la conformité de nos goûts nous a fait 
c choisir cette retraite ; nous y vivons heureux dans 
f la pauvreté , nous nous tenons lieu de tout Tun 
€ àTautre. Sophie est notre trésor commun mous 
c bénissons le ciel de nous avoir donné celui-là et 
« de nous avoir ôté tout le reste. Voyez, mon en- 
« faut, où nous a conduits la Providence : les cou- 
« venances qui nous firent marier sont évanouies; 
t nous ne sommes heureux que par celles que Von 
« compta pour rien. ^ 

t C'est aux époux à s'assortir. Le penchantmu- 
« tuel doit être leur premier lien rteurs yeux, leurs 
« cœurs doivent être leurs premiers guides ; car 
« comme leiu* premier devoir , étant unis , est de 

s'aimer, et qu'aimer ou n'aimer pas ne dépend 
< point de nous-niêmes, ce devoir en emporte né« 
« cessairement un autre, qui est de commencer 
« par s'aimer avant de s'unir. C'est là le droit de 
« la nature que rien ne peut abroger : ceux qui 
« l'ont gênée par tant de lois civiles ont eu plus 
« d'égard à Tordre apparent qu'au bonheur du 
« mariage et aux mœurs des citoyens. Vous voyez, 
« ma Sophie, que nous ne vous prêchons pas une 
« morale difficile. Elle ne tend qu'à vous rendre 
« maîtresse de vous-même, et à nous en rapporter 
« à vous sur le choix de votre époux. 

< Après vous, a voir dit nos raisons pour vous 
« laisser une entière liberté, il est juste de vous 
« parler aussi des vôtres pour en user avec sagesse, 
fi Ma fille, vous êtes bonne et raisonnable, vous 

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tiVRE V. 91 

t. avez de la droiture et de la piété, vous avez les 
c talens qui conviennent à d'honnêtes femmes , et 
« vous n'êtes pas dépourvue d'agrémens; mais vous 
a êtes pauvre : vous avez les biens les plus estima- 
« blés, et vous manquez de ceux qu'on estime le 
c plus. N'aspirez dono qu'à ce que vous pouvez 
« obtenir, et réglez votre ambition , non sur vos ju- 
c gemens ni sur les nôtres, mais sur Topinion des 
c hon^mes. S'il n'était question que d'une égalité 
« de mérite , j'ignore à quoi je devrais borner vos 
c espérances: mais ne les élevez point au-dessus 
« de votre fortune , et n'oubliez pas qu'elle est au 
c plus bas ranig. Bien qu'un homme digne de vous 
« ne compte pas cette inégalité pour un obstacle , 
« vous devez faire alors ce qu^il ne fera pas: Sophie 
« doit imiter sa mère, et n'entrer que dans une 
c famille qui s'honore d'elle; Vous n'avez point vu 
a notre opulence , vous êtes née durant notre pau- 
c . vreté ; vous nous la rendez douce et vous la par- 
ce tagezsanspeine. Croyez-moi, Sophie, ne cherchez 
c point des biens dont nous bénissons le ciel de 
« nous avoir délivrés; nous n^avons goûté le bon- 
c heur qu'après avoir perdu la richesse. 

c Vous êtes trop aimable pour ne plaire à per- 
c sonne, et votre misère n'est pas telle qu'un hon- 
1^ néte homme se trouve embarrassé de vous. Vous 
â serez recherchée , et vous pourrez l'être de gens 
« qtd ne vous vaudront pas. S'ils se montraient à 
c vous tels qu'ils sont, vous les estimeriez ce qu'ils 
c valent ; tout leur faste ne vous en imposerait pas 
« long -temps: mais, quoique- vous ayez le juge- 
c ment bon et que vous vous connaissiez en mérite^ 
c vous manquez d'expérience et vous ignorez jus-* 
« qu'où les hommes peuvent se contrefaire. Un 
M fourbe adroit peut étudier vos goûts pour vous; 

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« séduire, et feindre auprès de vous des vertus qu*il 
« n>ura point. Il vous perdrait 5 Sophie j avant que 
« vous vous en fussiez aperçue 9 et vous ne con- 
c naîtriez votre erreur que pour la pleurer. Le plus 
a dangereux de tous les pièges, et le seul que la 
« raison ne peut éviter , est celui des sens ; si jamais 
a vous avez le malheur d*j tomber , vous ne verrez 
« plus qu'illusions et chimères, vos yeux se fascine* 
c ront, votre jugement se troublera, votre volonté 
c sera corrompue, votre erreur même vous sera 
c chère; et quand vous seriez en état de la connaître, 
« vous n'en voudriez pas revenir. Ma fille, c'est 
t à la raison de Sophie que je vous livre; je ne vous 
« livre point au penchant de son cœur. Tant que 
c vous serez de sang-froid, restez votre propre 
« juge ; mais sitôt que vous aimerez , rendez à votre 
« mère le soin de vous. 

« Je vous propose un accord qui vous marque 
c notre estime et rétablisse entre nous Tordre na- 
« tureL Les parens choisissent répoux de leur fille 
« et ne la consultent que pour la forme : tel est Tu- 
« sage. Nous ferons entre nous le contraire ; vous 
« choisirez, et nous serons consultés. Usez de votre 
< droit, Sophie, usez-en librement et sagement, 
c L'époux qui vous convient doit être de votre choix 
« et non pas du nôtre ; mais c'est à nous de juger 
ti si vous ne vous trompez pas sur les convenances , 
« et si, sans le savoir, vous ne faites point autre 
« chose que ce que vous voulez. La naissance , les 
« biens , le rang, l'opinion, n'entreront pour rien 
« dans nos raisons. Prenez un honnête homme dont 
M la personne vous plaise et dont le caractère vous 
« convienne ; quel qu'il soit d'ailleurs, nous Tac* 
c ceptons pour notre gendre* Son bien sera tou* 
« ours assez grande s'il a des bras, des moeurs^ 



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LIYIE V* gS 

« et qu^il aime sa famille. Son rang sera toujours 
« assez illustre , s^il rennoblit par la vertu. Quand 
« toute la terre nous blâmerait, qu'importe? nous , 
« ne cherchons pas l'approbation publique, il nous 
« suffît de votre bonheur. » 

Lecteurs, J'ignore quel effet ferait un pareil dis-, 
cours sur les filles élevées à votre manière. Quanta 
Sophie, elle pourra n'y pas répondre par des paroles; 
la honte et l'attendrissement ne la laisseraient pas 
aisément s'exprimer : mais je suis bien sûr qu'il 
restera gravé dans son cœur le reste de sa vie, et 
que si l'on peut compter sur quelque résolution 
humaine , c'est sur celle qu'il lui fera faire d'être 
digne de l'estime de ses parens. 

Mettons la chose au pis , et donnons-lui un tem- 
pérament ardent qui lui rende pénible une longue 
attente ; je dis que son jugement, ses connaissantes, 
son goût , sa délicatesse , et sur tout les sentimens 
dont son cœur a été nourri dans son enfance, op- 
poseront à l'impétuosité des sens un contre-poids 
qui lui suffîra pour les vaincre , ou du moins pour 
leur résister long-temps. Elle mourrait plutôt mar- 
tyre de son état, que d'afiliger ses parens, d'épouser 
un homme sans mérite, et de s'exposer au malheur 
d'un mariage mal assorti. La liberté même qu'elle 
a reçue ne fait que lui donner une nouvelle éléva- 
tion d'âme , et la rendre plus difficile sur le choix 
de son maître. Avec le tempérament d'une Italienne 
et la sensibilité d'une Anglaise, elle a , pour con- 
tenir son cœur et ses sens , la fierté d'une Espa- 
gnole , qui ,.méme en cherchant un amant , ne 
trouve pas aisément celui qu'elle estime digne d'elle . 
Il n'appartient pas à tout le monde de sentir quel 
ressort l'amour des choses honnêtes peut donner à 
l'âme, et quelle force on peut trouver en soi quand 

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94 KMILE. 

on veut être sincèrement vertueux, n y a des geni 
à qui tout ce qui est grand paraît chimérique, et 
qui y dans leur basse et vile raison, ne conùaitront 
jamais ce que peut sur les passions humaines la folie 
même de la vertu. Il ne faut parler à ces gens -là 
que par des exemples : tant pis pour eux s^ils s'ob- 
stinent à les nier. Si je leur disais que Sophie n'est 
point un être imaginaire , que son nom seul est de 
mon invention , que son éducation , ses mœurs , son 
caractère, sa figure même, ont réellement existé , 
et que sa mémoire coûte encore des larmes à toute 
une honnête famille, sans doute ils n'en croiraient 
rien: mais enfin, que risquerai-je d'achever sans 
détour l'histoire d'une fille si semblable à Sophie , 
que cette histoire pourrait être la sienne sans qu'on 
dût en être surpris ? Qu'on la croie véritable ou 
non , peu importe ; j'aurai, si l'on veut, raconté des 
fictions, mais j'aurai toujours expliqué maméthode^ 
et j'irai toujours à mes fins. 

La jeune personne avec le tempérament dont 
je viens de charger Sophie, avait d'ailleurs avec 
elle toutes les conformités qui pouvaient lui en £aiire 
mériter le nom, et je le lui laisse. Après l'entretien 
que j'ai rapporté , son père et sa mère, jugeant que 
les partis ne viendraient pas s'offrir dans le bandeau 
qu'ils habitaient, l'envoyèrent passer un hiver à 
ïa ville, chez une tante qu'on instruisit en secret 
du sujet de ce voyage : car la fière Sophie portait 
au fond de son cœur le noble orgueil de savoir 
triompher d'elle; et, quelque besoin qu'eUe eût 
d'un mari, elle fût morte fille pluti^t que de se ré- 
jsoudre à l'aller chercher. 

Pour répondre aux vues de ses parens, sa tante 
la présenta dans les maisons , la mena dans les so- 
ciétés^ dans les fêtes^ lui fit voir le monde ^ ouplu^^ 

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tèt Py fit voir, car Sophie se souciait peu dé tout 
ce fracas. On remarqua pourtant qu'elle ne fuyait 
pas les jeunes gens d'une figure agréable qui parais- 
saient décens et modestes. Elle avait dans sa réserve 
même un certain art de les attirer, qui ressemblait 
assez à de la coquetterie: mais après s'être entre- 
tenue avec eux deux ou trois fois elle s'en rebutait. 
Bientôt à cet air d'autorité qui semble accepter les 
hommages , et qui est la première faveur du sexe » 
elle substituait un maintien plus humble et une 
politesse plus repoussante. Toujours attentive sur 
elle-même, elle ne leur laissait plus l'occasion de 
lui rendre le moindre service: c'était dire assez 
qu'elle ne voulait pas être leur maltresse. 

Jamais les cœurs sensibles n'aimèrent les plaisir» 
brûyans , vain et stérile bonheur des gens qui ne 
sentent rien , et qui croient qu'étourdir sa vie c'est 
en jouir. Sophie ne trouvant point ce qu'elle cher- 
chait, et désespérant de le trouver ainsi, s'ennuya 
de la vUle» Elle aimait tendrement ses parens , rien 
ne la dédommageait d'eux , rien n'était propre à 
les lui faire oublier ; elle retourna les joindre long- 
temps avant le terme fixé pour son retour. 

A peine eut-elle repris ses fonctions dans la maison 
paternelle , qu'on vit qu'en gardant la même con- 
duite elle avait changé d'humeur. Elle avait des 
distractions, de l'impatience , elle était triste et rê- 
veuse , elle se cachait pour pleurer. On crut d'abord 
qu'elle aimait et qu'elle en avait honte: on lui en 
parla , elle s'en défendit. Elle protesta n'avoir vu 
personne qui pût toucher son cœur^ et Sophie ne 
mentait point. 

Cependant sa langueur augmentait sans cesse , et 
sa santé commençait à s'altérer. Sa mère, inquiète 
de ce changement , résolut enfin d'en savoir la 

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g6 iMiis. 

cause, Elle la prit eu particulier ^ et mit en œuTre 
auprès d'elle ce langage insinuant et ces caresse» 
invincibles que la seule tendresse maternelle sait 
employer : Ma fille, toi que j'ai portée dans mes en- 
trailles et que je porte incessamment dans mon cœur, 
verse les secrets du tien dans le sein de ta mère. 
Quels sont donc ces secrets qu'une mère ne peut 
savoir? Qui est-ce qui plaint tes peines , qui est-ce 
qui les partage? qui est-ce qui veut les soulager, si 
ce n'est ton père et moi Ah I mon enfant veux-tu 
que je meure de ta douleur sans la connaître ! 

Loin de cacher ses chagrins à sa mère 9 la jeune 
fille ne demandait pas mieux que de l'avoir pour 
consolatrice et pour confidente ; mais la honte 
l'empêchait de parler, et sa modestie ne trouvait 
point de langage pour décrire un état aussi peu 
digne d'elle, que l'émotion qui troublait ses sens 
malgré qu'elle en eût. Enfin , sa honte même ser- 
vant d'indice à la mère , elle lui arracha ces huncur 
miliiins aveux. Loin de l'afilîger par d'injustes 
réprimandes , elle la consola , la plaignit , pleura 
sur elle : elle était trop sage pour lui faire un crime 
d'un mal que sa vertu seule rendait si cruel. Mais 
pourquoi supporter sans nécessité un mal dont le 
remède était si facile et si légitime? Que n'usait- 
elle de la liberté qu*on lui avait donnée? que n'ac- 
ceptait-elle un mari? que ne le choisissait-elle? Ne 
savait-elle pas que son sort dépendait d'elle seule , 
et que , quel que fût son choix, il serait confirmé, 
puisqu'elle n'en pouvait faire un qui ne fût honnête? 
On l'avait envoyée à la ville , elle n'y avait point 
voulu rester ; plusieurs partis s'étaient présentés , 
elle les avait tous rebutés. Qu'attendait-elle donc? 
que voulait-elle ? Quelle inexplicable contradiction ! 

La réponse était simple. S'il ne s'agissait que d^un 

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inrBE V. gy, 

secours pour la jeunesse , le choix aérait bieutdt 
fait: mais un maître pour toute la vie n'est pas si 
facile à choisir ; et puisqu'on ne peut séparer ce» 
deux choix , ilfaut bien attendre , et souvent perdre 
sa jeunesse , avant de trouver l'homme avec qui 
l'on veut passer ses jours. Tel était le cas de Sophie: 
elle avait besoin d'un amant ^ mais cet amant de- 
vait être un mari; et pour le cœur qu'il fallait au 
sien , l'un était presque aussi difficile à trouver que 
l'autre. Tous ces jeunes gens si brillans n'avaient 
avec elle que la convenance de l'âge , les autres leur 
manquaient toujours; leur esprit superficiel ^ leur 
vanité, leur jargon , leurs mœi:M*s sans règle, leura 
frivoles imitations^ la dégoûtaient d'eux. Elle cher- 
chait un homme et ne trouvait que des singes; elle 
cherchait une âme et n'en trouvait point. 

Que je suis malheureuse ! disait-elle à sa mère ; 
j'ai besoin d'aûner, et ne vois rien qui me plaise! 
Mon cœur repousse tous ceux qu'attirent mes sens. 
Je n'en vois pas un qui n'excite mes désirs, .et pas 
un qui ne les réprime ; un goût sans estime ne peut 
durer. Ahl ce n'est pas là l'homme qu'il faut à 
votre Sophie l son charmant modèle est empreint 
trop avaiit dans son âme. Elle ne peut aimer que 
lui, elle ne peut rendre heureux que lui, elle ne 
peut être heureuse qu'avec lui seul. EUeaimemieux 
se consumer et combattre sans ceçse, elle aime 
mieux mourir, malheureuse et libre , qqe désespé- 
rée auprès d'un homme qu'elle n'aimerait pas, et 
qu'^elle rendrait malheureux lui-même; il vaut 
mieux n'être plus que de n'être que pour souflfrir. 

Frappée de pes singularités, sa nîère ^es trouva 

trop bizarres pour n'y pas soupçonner quelque 

mystère. Sophie n'était ni précieuse ni ridicule. 

Comment cette délicatesse outrée avait-elle pu lui 

II. 5 

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99 ÉMiLr. 

convenir y à elle à qui Ton n'avait rien tant appris 
dès son enfaâce qaW s'accommoder des gens avec 
qui elle avait à vivre, et à faire de nécessité vertu ? 
Ce modèle de l'homme, âfîiâable, duquel elle était 
si enchantée, et qui revenait si soirveat dans toits 
ses entretiens , fit confecturcir à sa mère que ce ca- 
price avait quelque autre fondement qu'elle igno- 
rait encore , et que Sophie n'avait pas tout dit. 
L'infortunée, surchargée de sa peiâe secrèle^ né 
cherchait qu'à s'épancher. Sa mère la presse; elle 
hésite; elle se rend enfin, et sortant sans rien 
dire, elle rentre un moment après, un livre à la 
main : Plaignes vôfi^e^ttalheureusei^, sa tristesse 
est sans remède, ses pteurs ne peuvait tarir. Vous 
en vouiez saVoir la cause : di bieni la voilà, dit- 
elle en jetant le livre êar la table. La mère prend 
le livre ^ PofÉvre : c'étaient les 4ventures de Té- 
iénmqv^. Elle ne comprend rien d'abord à cette 
énigme : à îotee de questions et de réponses ob* 
scures, <^ voit etifîn, â^i^ec une duitprise facile à 
cooeeroh*, que sâi fitle est là rivale d'Eocha^is. 

Sophie aimait Téléàià(]ue , et l'atlmait avec une 
passion doitt rîen ne put la guérir. Sitôt que ma 
père et sa ùlère c6ntîul*eât^a inaniè, Ms êiiYir^ert , 
et crurent la rftmeher par la raison. Us se trompè- 
rent : la rotison n'était pas i;oate de teù* cètë^ ' So- 
phie avait aussi la siéniië et sSvàdt la féxit Ys^à*. 
Combien de fois elle les rédu^lt au slletii5é ëÀ 4t 
servant contre eux de leurs prc^reÉ râisôÉiÀeBfens^ 
en leur montrant qu'Us avaient fi^ "tout le mal 
eux-^méihès , <|u'ils'he l'avalënft point forliiëe ^iir 
tin hômttie de son siècle : qa^JIfattdi-2ût tféoél^ire- 
mei^^'èll^ ëdc^^lèsinâdièreé^^ pèifl^^e^ëbn 
mari , ou q^'^le 'Hrî donnât les ^iëiinës; qti'ife lu! 
avaient rendu le prehiiér moyen impos»JHè t^ar la 

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LIVBE V. 99 

niaiHère dont ils Pavaient élevée, et que Tautre 
était précisément ce qu'elle cherchait. Donnez- 
moi , disait-elle , un homme imbu de mes maximes, 
ou que j'y puisse amener-, et je l'épouse ; mais jus- 
que-là pourquoi me grondèz-vous? plaignez-moi. 
Je suis malheureuse et pon .pas folle. Le cœur dé- 
pend-il de la volonté ? Mon père ne l'a-t-il pas dit 
lui-même ? Est-ce ma faute si j'aime ce qui n'est 
pas? Je ne suispoipt visionnaire; je ne yeux point 
un prince, je ne cherche point Télémaque, je sais 
qu'il n'est qu'une fiction : je cherche quelqu'un 
qui lui ressemble. Et pourquoi ce quelqu'un ne 
peut-il exister , puisque j'existe , moi qui me sen5 
un cœur si semblable au sien? Non , ne déshono- 
rons pas ainsi l'humanité; ne pensons pas qu'un 
homme aimable et vertueux ne soit qu'une chi- 
mère. Il existe, il vit, jl me cherche peut-être; il 
cherche une âme qui le sache aimer. Mais qu'est- 
il? Où ést-U ? Je l'ignore : il n'est auci;n de ceux 
que j*ai vus; sans doute il n'est aucun de ceux que 
je verrai. O ma mère ! pourquoi m'avez-vous rendu 
la vertu trop aimable? Si je ne puis aimer qu'elle, 
le tort en est moins à moi qu^ vous. 

Amènerai T je ce triste r^it j^squ^'à sa catastro- 
phe ? Dîrai-je les longs dél>a:t& qui la précédèrent ? , 
Eeprésenterai-je une mère impatientée changeant 
«n rigueur ses. premieresxaresses? Montreraitje na 
père irrité oubliant ses premiers engagemens, et 
traitaqti^omme ifine follela plus vertueusedes filles? 
Peindrai -je enfin l'infortunée, encore plus atta- 
chée à «a chimèrci jiar la persécution qu'elle lui lait 
souf&ir, marchant à pas lents vers la mort, et des- ^ 
ceodant dans la tombe au moment qu'on croit 
r^ntratner à l'autel?. Non t j'écarte ces objets fa- , 
nettes. Je n'ai pas besoin d'aller si loin pour mon* 

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102 ibUlLK. 

trouvent 9 dapjs quelque pays qu'ils habitat, jdanfl^ 
quelque rang qu'ils puissent tomber. Je ne dU pas 
que les rapport^ conventionnels soient ii^di^B^rens 
dans le mariage;, mais, j^ dis. que F^ifti^noe des 
rapports na^tUKels l'emporta tellçm^^ sur l2i:le^ir , 
que c'est eUe seule qui décide ^a soi:t de l^ vie ^ et 
qu'il y a telle convenance dpgo^, d'buniQurs , 
de sentimens» de c^rgiptères, qui d^^'vrsût engager 
un père sage, fût -il pi!ince9fû.t-«U nu^narqjue, à 
donner sansf balancer à son, ûls la fi^le ayec la- 
quelle il aurait, tputes ces conv^e^^c^^fi^t-elle 
née dans i^e Camille désbpnn^ ^ f^t -elle la âUe 
.du boiureai;. Qui,, je soutiens que,, tous le« mal^ 
heurs imaginables dussent -ils tomber sur deux 
époux bien unis, ils jouiront d'un plus vrai bon- 
heur à pleurer ensemble, qu'ils n'en auraient dans 
toutes les fortunejs de la terre 9 enipoi^onujé^s par 
la désunion des cœurs. 

AuUeu doncde destiner dès l'enfai^çe uneépouae 
à mon Emile, j'ai attendu d^ cpqnaHre cell^ qui 
lui convient. Ce n'est 'poi^nt mpi qui fais cette des- 
tination, c'est 1^ nature; mon afi'aircest de trouver 
le choix qu'elle a fait. AXon affaire , je dis la mienne 
et non celle du père; çai* en. npie conGant son .fils^ 
il me cède sa place, il substitue mon dmijt aq ^n; 
c'est moi qui suis, le vçai p/^re d'|lmile> c'e^t mol 
qui l'ai fait homme. J'aurais refusé de l'^levçr si je 
n'avais pas été maître de le marier à son chpix ^ 
i^'est-à-dire au mien^ Il n'y a que le plaisir de faire 
un heureux qui puisse payer ce qu'il en çQàte pour 
mettre un hpmmQ en état de le deyenir. 
, Qlais ne ci^oye^ pas non plus que l'aie attendu 
pour trouver l'épouse d'Emile que je le n^^fise ea 
devoir de la chercher. Cette feînie recherche n^est 
qu'un prétexte pour lui faire connaître les femmes. 



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LIVRE V. 10^ 

afin qu^il sente Iç prix de celle qui lui cod vient. 
Dès long-teQip3 Sophj^ est trouvée, peut -être 
^mile Ta-t-il déjà vq^ ; rq^iê '4. nç la re^çoianatlra 
que qv9nd il en sei^ t^g^^ 

Quoique Vég^4 deç cofl^îMWff-nÇ «Htpjis né- 
cessaire SLVk mariage, quand <^^^^ é§^i sç }oint 
aux autres «onvenaqpioefi, e^^ Içiir donne un nou- 
veau peix; eUi9 9'eoire e^ ï^^^i^p avec aucune, 
mais la lait penobec quand tQmt e$t égal. 

Un bomme, 4 mpÎQs q^'i) nç sqU na^p^rque, nç 
peut pas cheeckev une f^mm^i^m^ tous les états; 
car les préjugés ^'il a^aura pas il les trouvera 
dans les autres; et tell^SUe luj conviendrait p<eut- 
^tre , qu'il ne rpbtîendrait pas pour cela. Il y a 
donc des maxioaies de prudence qai dQÎyent borner 
les recbercbestd'un pèi^ ludiqiéus^. U ne doit point 
vouloir dooper à son élèv^ ^n élablis^Bient au- 
diessus^de son rang, cav cela 9^ d^p^d pas de lui. 
Quand il le pourrait, il ne devrait p^s^la vouloir 
encore ; car qu'importe le ra^g ajii jf^upe bomi^ ^ 
4u moins au niien?£t cependant, <}n mpnjtan^, il 
s'expofie à mille maux réels qu'il sentira toute sa 
vie. Je dis même qu'il ne doii pas vouloir compen- 
ser des biens de dilTérentes natures, comme la no- 
blesse et l'argent, parce <^e cbacun des d^ux 
afoole moins de, prix à l'autre qu'il n'en i^eçoit d'aL- 
tération.; que de pk« on ne s'accorde ^ajo^ais sur 
l'estÎBiatkHi. commune; qu*enfin la pré£érence qioe 
cbacun. donne à sa mise prépare la dis(Qpj;de entre 
deux £amilie&, et souvent entre deux époux* 

Il est eneore fort dîjS^cei^t pour l'ordre du n^a- 
riage que l'hompie s'allie au-dvssuâ ou au^dejssous 
de luL Le premier cas est tout-àrfeît contraire à la 
raison ; le «econd y est plus conforme. Comme la 
famille ne tient à la société qqe par son cbef , c'est 



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io4 iniLt, 

rétat de ce chef qui règle celui delà famille entière ^ 
Quand il s'allie dans un rang plus bas 9 il ne des- 
cend point, il élève son épouse ; au contraire 9 en 
prenant une femme au-dessus de lui , il rabaisse 
saiis s'élever. Ainsi, dans le premier cas, il y a du 
bien sans mal ; et dans le second du mal sans bien. 
De plus, il est dans Tordre de la nature que la 
femme obéisse à Thonmde. Quand donc il la prend 
dans un rang inférieur , Tordre naturel et Tordre 
civil s'accordent, et tout va bien. C'est le contraire 
quand, s'alliant au-dessus de lui, l'homme se met 
dans Taltemative de blesser son droit ou sa recon- 
naissance, et d'être ingrat ou méprisé. Alors la 
femme, prétendant à Tautorité, se rend le t5rraB 
de son chef; et le maître, devenu Tesclaye, se trouve 
la plus ridicule et la plus misérable des créatures. 
Tels sont ces malheureux favotis que les rois de 
TAsie honorent et tourmentent de leur alliance , et 
qui , dit-on , pour coucher avec leurs femmes , u'o- 
sent entrer dans le lit que par le pied. 

Je m'attends que beaucoup de lecteurs , se sou- 
venant que je donne à la femme un talent naturel 
pour gouverner l'homme , m'accuseront ici de con- 
tradiction : ils se tromperont pourtant. U ; a bien 
de la différence entre s'arroger le droit de com- 
mander , et gouverner celui qui commande. 
L'empire de là femme est un empire de douceur, 
d'adresse et de complaisance ; ses ordres sont des 
caresses, ses menaces sont des pleurs^ Elle doit 
régner dans la maison conmie un ministre dans 
Tétàt, en se faisant commander ce qu^elle veut 
faire. En ce sens il est constant que les m^lleurs 
ménages sont ceux où la femme a le plus d'auto- 
rité. Mais quand elle méconnaît la voix du chef » 
qu'elle veut usurper ses droits et commander elle-^ 



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LIVKE V. I05 

même, îl ne résulte jamais de ce désordre que mi* 
Bèré , scandale et déshonneur. 

Reste le choix entre ses égales et ses inférieures ï 
et je croîs qu'il y a encore quelque restriction à 
faire pour ces dernières ; car il est difficile de trou*- 
xer dans la lie du peuple une épouse capable de 
faire le bonheur d*un honnête homme : non qu^on 
soit plus vicieux 4ans les derniers rangs que dan^ 
les premiers, mais parce qu'on y a peu d'idée de 
ce qui est beau et honnête , et que Tinlustice deê 
autres états fait voir à celui-ci la justice dans se» 
vices mêmes. 

Naturellement l'homme ne pense guère. Penser est 
un art qu'il apprend comme tous les autres, et même 
plus difficilement. Je ne connais pour les deux 
sexes que deux classes réellement distinguées, l'une 
des gens qui pensent, l'autre des gens qui ne pen- 
sent point; et cette différenée vient presque ùni-^ 
quement de l'éducation. Un homme de la première 
de ces deux classes ne doit point s'allier dans l'au-« 
tre ; car le plus grand charme de la société manque 
à la sienne lorsque ayant une femme il est réduit à 
penser seul. Les gens qui passent exactement la vie 
entière à travailler pour vivre n'ont d'autre idée 
que celle de leur travail ou de leur intérêt, et tout 
leur esprit semble être au bout de leurs bras. Cette 
ignorance ne nuit ni à la probité ni aux mœurs r 
souvent même elle y sert; sauvent on compose 
avec ses devoirs à force d'y réfléchir, et l'on fmit 
par mettre un jargon à la place des choses. La con- 
science est le plus éclairé des philosophes : on n'a 
pas besoin de savoir les Offices (U Cicévên pour 
être homme de • bien ; et la femme du ntonde la 
plus honnête sait peut-être le moins ce que c'est 
qu'honnêteté. Mais il n'en est pas moins vrai qu?aa 



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loG ÉMIlE* 

esprit cultivé rend seul, le commerce agréable; et 
cVst une triste chose pour un père de famille qui 
se plaît dans sa maison , d'être fof ce de s'y renfer- 
mer en lul-mém£9 çt de ne pouvoir s.y faire en- 
tend|re à personne. 

D'ailleurs commuent une fèçioiç qui n'a nulle 
Labitude de réfléchir élèvera -t-^Ue ses enfans? 
comment discernisra-t- elle ce qui leur convient? 
commuant les disposera-t-elle aux vertus qu'elle ne 
connaît pas, au mérite dont elle n'a nulle idée? 
^lle ne saura que les flaUt^ oii les menacer 9 les 
rendre insolens ou craintifs; elle en fera dessingies 
maniérés ou d'étourdis polissons 9 jamais de bous 
esprits ni 4es enfans aimables. 

Il ne cottfVient donc pas à un. homme qtû, a de 
de réducati^m de prendre une femme qpi n'en ait 
point, ni par conseillent dans un rang où Ton ne 
saurait en avoir. Hais j'aimeraifi. encore cent fois 
nveux une ni|e simple et grossièrement élevée « 
q^'une fiU/e savante et bel esprit qui viendrait éta-^ 
blir ddns ma maison un tribunal de littératiire dont 
elle se ferait la pvésidente. Une femme bel esprit 
es^ te flj^au de son o^ri 9 de s|bs enfans 9 de sçs amis, 
de seç vaie^S9 4^ fou^ le monde. De la sublinie élé- 
vatjDi^ de çon beau génie eVe déd^g^e tous ses de- 
voiirs de S^tpm^f et commence toujours ppr se faire 
homm0 k (a, m^ni^ 4e nia4enM)îselle de L'£n(&lo8. 
Au dfehiors elle e^l loujpiors ridlquJe. et t«ès*jusie- 
m^m eritiqMi^9 pa^oe q^'qn ne peut manquer de 
r^ti^ 9MSsi^ qu'^i» aort de sqp état et qiu'oii n'est 
poiiiA f^i^ p<w KfAni qu'on twt p^fc^^re, Toutes 
ces fenmas è v^andii t^ea^ n!^% imposant î^piaîA 
qu'aux Boitsp On saîI toujours t^l est l'artisle oii 
l'ami qui lient la pikime ou le pinceau quand eUes 
travoilWt 9 on sait quel est le discret homme de 



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LIV^E V. 107 

lettre» qui leur dicte en secret leurs oracles. Toute 
cette charlatanerie est indigène d^une bonnéte 
femme. Qu^nd elle aurait de vrais talens, sa pré- 
tention les avilirait.* Sa dignité est d^étre ignorée ; 
sa gloire est dans Vçstiiiie de son nriari ; ses plaisir» 
sont dans le bonheur de sa famille* Lecteur, je 
m'en rapporte à yous-nième : soyez de bonne £oi : ' 
Lequel vous donne meilleure opinion d'une femme 
en entrant dans sa chambre, lequel vous la fait 
aborder avec plus de respect, de la voir occupée 
des. travaux d&son sexe, des soins de son ménage, 
environnée des bardes de ses enfans, ou de la trou- 
ver écrivant des vers sur sa toilette , entourée de 
brochures de toutes les sortes et de petits billets 
peints de toutes les couleurs? Toute fille lettrée 
restera fille toute sa vie quand il n'y aura que d- s 
hommes sensés sur la terre : 

Quœris eor nolim te durera , Galla ? duerta er. 
(Mabtial, XI, ao.) 

Après ces considérations viei;it celle de la figure ; 
c'est la première qui frappe et la dernière qu'oi^ 
doit faire, mais encore ne la faut-il pas compte^ 
pour rien. La grande beauté me parait plutôt à fuir 
qu'à rechercher dans le mariage. La beauté s'use 
promptement par la po$sessio^; ^u bout de six 
semaines elle n'est plu^ r;^en p^Jir le posi^^eor; 
mais ses dangers dûrei^t autojnt qu'elle. A çioins 
qu'une belle femme ne soit un ange, son n^ari 
est le plus malh,çm:eux desbiOJTV^s; e,t q^s^id ellç 
serait un ange , comxnenf; emp^c^er^-Hlle, qu'il 
ne soit sans cesse entouré d'ei^nenus?. Si T^Xitréme 
laideur n'était pas dégoûtante, je b préférerais à 
l'extrême beauté; car en peu de temps l'une et 
l'autre étant nulles pour le mari> la beauté dev^e^t 



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^08 ÉMILÉ. ' 

un inconvénient et la laideur un avantage. Maïs la 
laideur qui produit le dégoût est le plus grand des 
malheurs; ce sentiment, loin de s'effacer, aug- 
mente sans cesse et se tourne en haine. C'est un 
enfer qu'un pareil mariage; il vaudrait mieux être 
morts qu'unis ainsi. 

Désirez ep tout la médiocrité sans en excepter la 
beauté même. Une figure agréable et prévenante , 
qui n*in spire pas l'amour mais la bienveillance, est 
ce qu'on doit préférer; elle est sans préjudice pour 
le mari, et l'avantage en tourne au profit commun. 
Les grâces ne s'usent pas comme la beauté ; elles 
ont de la vie, elles se renouvellent sans cesse, et, 
au bout de trente ans de mariage^ une honnête 
femniie avec des grâces plaît à son mari comme le 
premier jour. 

Telles sont les ré£fexions qui m'ont déterminé 
dans le choix de Sophie. Élève de la nature ainsi 
qu'Emile, elle est faite pour lui plus qu'aucune 
autre; elle sera la femme de l'homme. Elle est son 
égale parla naissance et par le mérite, son inférieure 
par la fortune. Elle n'enchante pas au premier coup 
d'oeil, mais elle plaît chaque jour davantage. Son 
plus grand charme ti'agît que par degrés; il ne se dé- 
ploie que dans l'intimité du commerce; et son mari 
le sentira plus que personne au monde. Son édu- 
cation n'est ni brillante ni négligée : elle a du goût 
sans étude, dès talens sans art, du jugement sans 
connaissances. Son esprit' ne sait pas, mais il est 
cultivé pour apprendre; c'est une terre bien pré- 
parée qui n'attend que le grain pour rapporterl 
Elle n'a jamais lu de livre que Barréme, et Téié^ 
fnaque qui lui tomba par hasard dans les mains; 
maïs une Ifllie capable de se passionner pour télè- 
maque a-t-elle uo cœur sans sentiment et un es- 



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tlVBE V. 109 

prît sans délicatesse ? O raimable ignorante,! héù- 
i^ux celui qu^on destine à l'instruire ! Elle ne sera 
point le professeur de son mari, mais son disciple : 
loin de vouloir l'assujettir à ses goûts, elle prendra 
les siens. Elle vaudra mieux pour lui que si elle 
était savante; il aura le plaisir de lui tout enseigner. 
Il est temps enfin qu'ils se voient ; travaillons à les 
rapprocher. 

Nous partons de Paris tristes et rêveurs. Ce lieu 
de babil n'^est pas notre centre. Emile tourne un 
œil de dédain vers cette grande ville , et dit avec 
dépit : Que de jpurs perdus en vaines recherches ! 
ah ! ce n'est pas là qu'est l'épouse de mon cœur ! 
Mon ami , vous le saviez bien ; mais mon temps ne 
vous coûte guère , et mes maux vous font peu souf- 
frir. Je le regarde fixement , et lui dis sans m'é- 
mouvoir : Emile, croyez-vous ce que vous dites?' 
A l'instant il me saute au cou fout confus, et me 
serre dans ses bras sans répondre. C'est toujours sa 
réponse quand il a tort. 

Nous voici par les champs en vrais chevaliers er- 
ra ns; non pas Comme enx cherchant les aventures, 
nous les fuyons au contraire en quittant Paris; 
mais imitant arssez leur allure errante, inégale, 
tantôt piquant àts deux , et tantôt marchant à pe- 
tits pas. Aierce 4è Cuivré ma pratique, on en aura 
pris enfin l'esprit; et je n'inntaginè aucun lecteur 
encore assez préVenà par les usages pour nous sup- ' 
poser tous deux endormis dans une bonne chaise 
de poste bien fermée, marchant sans rien Voir, 
sans rien observer, rendant nul pour, nous Tinter-^ 
valle du départ à l'arrivée, et, dans la vitesse de- 
notre maichè, perdant le temps' pour le ménager. 
. Les hommes disent que la Vie est courte,' et je 
vms qu'ils s'efforcent de la rendre telte. Ne sachant 



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110 EBllLE. 

pas remployer, ils se plaignent de la rapidité du 
temps; et je vois qu^it coule trop lentement à leur 
gré. Toujours pleins de l'objet auquel ils tendent, 
ils voient à regret l'intervalle qui les en sépare : 
l'un voudrait être à demain , l'autre au mois pro- 
chain , l'autre à dix ans de là ; nul ne veut vivre 
aujourd'hui ; nul n'est content de l'heure présente , 
tous la trouvent trop lente à passer. Quand ils se 
plaignent que le temps coule trop vite, ils mentent ; 
ils paieraient volontiers le pouvoir de l'accélérer; 
ils emplotraient volontiers leur fortune à consumer 
leur vie entière; et il n'y en a peut-être pas un qui 
n'eût réduit ses ans à très-peu d'heures s'il eût été 
le maître d'en ôter au gré de son ennui celles qui 
lui étaient à chai*ge, et au gré de son impatience 
celles qui le séparaient du moment désiré. Tel passe 
la moitié de sa vie à se rendre de Paris à Versailles , 
de Versailles à Paris, de la ville à la campagne, de . 
la campagne à la ville, et d'un quartier à l'autre , 
qui serait fort embarrassé de ses heures s'il n'avait 
le secret de les perdre ainsi , et qui s'éloigne exprès- 
de ses affaires pour s'occuper à les aller chercher : 
il croit gagner le temps qu'il y met de plus, et dont 
autrement il ne saurait que faire ; ou bieu^ au con- 
traire, il court pour courir, et vient en poste sans 
autre objet que de retourner de même. Mortel^, ne. 
cesserez-vous jamais de calomnier la nature? Pour- 
quoi vous plaindre que ia vie est courte, puisqu'elle 
ne l'est pas encore assez à votre gré? S'il est .un seul 
d'entre vous qui sache mettire assez 4e tempérance 
à ses iéahs pour ne jamais souhoi^r ^ue le temps 
s'écoule, celui-là ne l'estimera point trop courte; 
vivriB et jouir sercmt pour lui la même chose; et, 
dût-il oKHifir jeune, il ne mourra qtie rassasié de/ 
jours. 

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LIVRE V. 111 

Quand je n'aurais que cet avantage dans ma mé- 
thode , par cela seul il la faudrait préférer à toute 
autre. Je n'ai point élevé nofon Emile pour désîrei' 
ni pour attendre , mais pour jouir; et quand il porte 
ses désirs an delà du présent , Ce h^est point avec 
une ardeur assez impétueuse pour être importuné 
de la lenteur du temps. Il ne jouira pas seulement 
du plaisir de désirer, mais de celui daller à Tob jet 
qu^il désire ; et ses passions sonit tellement modé- 
rées, qu^ est toujours plus où il est qu'où il sera.' 

Nous ne voyageons donc [joint en courriers , mais 
en voyageurs. Nbusne songeons pas seulement aux 
devtx termes , nraik à rifitcrvallè qui les sépare. Le 
voyage irième éài un "ptaisir *pour nouis. Nous ne le 
faisons point tristement assis et cotÊune émprison- 
liés dans une petite' cage liién fermée. Nous ne 
voyageons point ddns la mollesse et dans le repos 
des femmes. Nous de nous (ààùs ni le grand air, ni 
la vue des objets qitÎTiotrs environnent, tii la com- 
modfté de lescotitemplër à notre gté qtiand il nous 
piati. Émiïe n'entra jamais flans une chaise de 
pO^e, et ite tômt guère ia poste s'il n'efet pressé. 
Mhfe de quoi jamais Étftîie peut -^1 être pressé ? 
a*dtieiteiile chose, de Jôtrif fle la'vîe. Ajèutcrai-je, 
et de làSrë dû bien qùatidil'le pccrt? non, car cel«* 
mêirie ékt fouîr de là vie. 

Je rie ëônçoTà qu'une ihàriîère ^dè voyager plus 
àgi»éirtile que d'aller à chèVal, c'èstd^afÔer à pied. 
On part à st/n moment , dn s'arrête à sa volonté , on 
Mi Ihht et éî t<èu*dWercice qu'on Veut. On observe 
touïie'payB; 6ri se détourne â droite, à fauche; on 
<xaniiùè tdtiï ce qui ilofus flatte; oii s'arrête à tofd« 
lès pôiWÎs de Vtie. Ajiérçbis-îe xiiie ilvièfè? je la cô- 
toie; trfhT)ôîii6wffu? |e vàîs'àdus sou tfttïbre; rtàe 
grotte? jelàvWîte; uhe carrière ?î'cxamine les mi- 

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néraux. Partout où je me plaîs , j'y reste. A Tiustant 
que je m'ennuie 9 je m'en vais. Je ne dépends ni des 
chevaux ni du postillon. Je n'ai pas besoin de choi- 
|ir des chemins tout faits , des routes commodes ; 
je passe partout où un honune peut passer ; je vois 
tout ce qu'un homme peut voir, et^ ne dépendant 
que de moi-même 9 je jouis de toute la liberté dont 
un homme peut jouir. Si le mauvais temps m'ar* 
réte et que l'ennui me gagne 9 alors je prends des 

chevaux. Si je suis las Mais Emile ne se lasse 

guère 9 il est robuste; et pourquoi se lasserait -il? 
il n'est point pressé. S'il s'arrête , comment peut-il 
s'ennuyer? il porte partout de quoi s'amuser. Il 
entre chez un maître^ il travaille ; il exCrce ses bras 
pour reposer ses pieds. 

Voyager à pied, c'est voyager comme Thaïes, 
Platon , Pythagore. J'ai peine à comprendre com- 
ment un philosophe peut se résoudre à voyager 
autrement, et s'arracher à Texamen des richesses 
qu'il foule aux pieds et que la terre prodigue à sa 
vue. Qui çst-ce qui , aimant un peu l'agriculture , ne 
veut pas connaître les productions particulières au 
climat des lieux qu'il traverse, et la manière de les 
cultiver ? Qui est-ce qui, ayant un peu dégoût pour 
l'histoire naturelle, peut se résoudre à passer un 
terrain sans l'examiner, un rocher sansTécorner, 
^çs montagnes sans herboriser, des cailloux sans 
cliercher des fossiles? Vos philosophes de ruelles 
étudient l'histoire naturelle dans des cabinets; ils 
ont des colifichets, ils savent des noms, et n'ont 
aucune idée de la nature. Mais le cabinet d'Emile 
est plus riche que ceux des rois; ce cabinet est la 
terre jeutière. Chaque chose y est à sa place ; le na- 
turaliste qui en prend soin a rangé le tout dans un 
fort bel ordre : d'Âubenton ne ferait pas mieux. 



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tlfk^E V. îlS 

Combien de plaisirs diflfêrens on rassemble par 
cette agréable manière de voyager! sans compter 
la santé qni s'affermît, Pbumevir qui s'égaie. J'ai 
toujours vu ceux qui voyageaient dans de bonnes 
voitures bien douces^ rêveurs, tristes, grondàns où 
^ souffrons; et les' piétons, toujours gais, légers, et 
ce;nteh8 de tout. Coml^en le cœur rît quand 6n 
approche du gîte ! Combien un repas grossier pa-^ 
ratt savoureux ! Avec quel plaisir on se repose à 
table! Quel bdn somnieil on f^it dans un mauvais 
lit ! Quand on ne veut qu'arriver , on peut courir 
eh cbaise de post^ ; mais quand on veut voyager 5 
il faut allcr-à pied. 
* Si, âvâni que bons àyoùs fait cinquante lieues 
de la manière que j'imagine, Sophie n'est pas ou* 
bliée, il faut que Je ne sois guère adroit, ou qU'É- 
nâiile soit bien peu curieux; car, avec tant dé con- 
naissantes' élémentaires, il est difficile qu'il ne soit 
pas tenté d'en acquérir" davantage. On n'est cu- 
rieut qtt*à propfôrtidn qà'\)h est instruit ; il sait pré- 
dséiïiehlfasseEpour'véulèiri apprendre. - 

Cefi^iidanf ' un objèf en* 'attire un autre , et nous 
al^q^dlif^ tbojouts. J^ai^ihisltnfotre première course 
ub terme éloigné : le prétexte en est facile ; en sortant 
de VaéfiB i^iÉfa^i aHer chercher unefethme au knn^ 
-'HJtiêlqttë jôiir,' aipitèâ/'notos être égài^ plus qu'à 
lIc^rdiAdhfe dans des vaUpns, dahs desmontd^èé 
où 1^00 np^péii^éif auèunf cliemin, toous ne Savons 
pltkÈ' retrouver le nôtre. Peu nous importe , toué 
chemins sont bons pourvu qu'on arrive; mais en» 
corô'fatit-il arriver quelque part quand on a faim» 
HéureuâMièiit'noil» trouvôtis un f^aysan ifû nom 
Bîène dftnft sa chaumière; notis maïigéoeQ»>dé graiîd 
apprit $on maigre dîner. Enf nous voytmf si fati--: 
gués^, si affamés, il nou& dit : Si le bon Dieu vcmsi 

XI. *S 

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ii4 iaiixi. 

eût conduits de Fautre cdté de la c<^ne, vous eus- 
jsiez été mieux reçus.... vous, auriez trouvé une mai- 
son de paix... des gens si charitables... de si bonnes 
jg;ens !• . . Ils n*ont pas meilleur coeur que moi; 
mais ik sont plus riches , ciMoiqu*on dise qu^lls l'é- 
taient bien plus autrefois...^. Us ue p^lisse^^ paa.t 
Dieu merci; et toi^t le payis se ^ent ^ ce qui IfBur 
reste. , 

A ce ^lot de bonnes gens le cœur du: ^qa Emile 
sMpanouit. Mon ami ^ dit - il en nue regardant , 
j^ons ^ cette maison dont les mattrefl( sonjt béni» 
dans le voisipage : je serais bien aise de les voir ; 
peut-être seront -ils bien aises d|e nous voir aussi. 
Je sui&sûr qu'ils nous reccyront bien : f'il^ spQt des 
»6|res9 nqus serons des leurs. 

La maison bien indiquée 9 pn p^t j .pfî>rre ^^w» 
içs boifi : une grande pluie i^mia sqrpri^n^ en ebe* 
miii.; el^e npusre^^iiidç s^s nç;^^ arjçétefr.^i^ Vqp 
ff^ relfp^v^, et> 89iff n/w&4T^iy9»# ki^wm^M- 
^ig^é^* ^ans Jk hameau f^ L'qn^i;^, çej^ (^Qiil^ 
maison, qu9^u^ ftûm#5 a <iMe^^Ç; appi^îeiiQe* 
Sipo^ n,ous pr^sen^onjA, npi^s den^i^dpp^^ If'bo^Ua- 
ljl4. L'c^nous.fa^p#i4er(i|u.niaUre; ^ iiw%^iiç9^ 
lionne , njiais picHliment : sans dire le^ sujet de noire 
▼Pyag^, i?ou^ dif^ps qel^i de i^tajf, Â^O^Pk. U a 
gard4 4» apft ançi^w op^jilei^ la i^ilM|d^:lxm- 
B^gttre: Vi^% #% ft^ps dans Jquv^ iii^i^^^ei;, qui- 
9qmf^ a ^iç^ A^M 1« g»w4 wwA?[ Wj frovipe 
l«vr€»[i|eiit là-de^stjii^ ; smt cep^sserpqrt^ U)Q^i«Qpiine« 
admis. 

Q^ «0^9 HMNii^ iiiii, ai^par^ei^ent imt peti|,,.Q>ais 
fi;QfmfM^nmi>4%; wyfoîldin^ftuï; uousy ti^i- 
nQf^ du! liiip) 4»k mW!^.9 ^^^ <^ <P>f 9 9<H|9 (^^^ 
Qft^l dîiJ$mileï U^tt surpris,) on dimil- qpue nous 
étions attendu). Q 4140 le paysai» avait i^ieo mis(ia ! 



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iiviB r. êtS 

i|uel1e aiteation ! quelle bonté I qnelfe pféifôpince t 
cl pour des ÎDConnu» ! je crois être au temps d'Ho- 
mère. Soyez «visible à tout cela, lui dis -je y mais 
ne vous en étonnez pas; partout où les étrangers 
sont rares , ils sont bien venus : rien ne rend plus 
hospitalier que de n^avoh* pas souvei^t besoin de 
Tètre r c'est Tailluence des hôtes qui détruit l'hos- 
pitalité. Du temps d'Homère on ne voyageait guère ^ 
et les voyageurs étaient bien reçus partbut. Nous 
(tommes peut-être les sente passagers qu'on ait vu* 
ici de toute l'année. N'importe, repretié-il, eela 
même est un éloge de savoir se passer d*hdtes, et 
de les recevoir toujours bien. 

Sécbés etrajustés, nous allons refoindre le maître 

de la maison ; il nojus présente à sa fenmie ; elle 

iidus*reçoit non pas seulement avec poHtesse maïs 

avec bonfé. Lii^nneur de ses coups d*loeil est pour 

Emile. Une ndère, dans le cas où elle est 9* voit ra-^ 

rem^it San» inquiéttid^ , on du moins sans eurio-* 

sité , enfrer ebes die un homme de cet âge. 

' On £ait hâter le souper pour famour de nous& £n 

entrant dans la salle à manger nous voyons cinq 

convofis^: non^nous plaçons, il en resté tm vide. 

Une^ ^ne personne entre , fait une grande i^é- 

reiiee ^ et s'assied tnodtotement sans parler. ïm^, 

occupé de sa faim on dé ses réponses, la salue, 

parle, et mange. Le principal ol^et de son voyage 

est aussi loin de sa pensée qn^lse ct^H lûi^fhéine 

eiieore loiA du terme. L'entretien tonle sur Pégare- 

ment de nos Voyageurs. Monteur, lui dit le maître 

de Id mai Sôii , vbus mèparaissez un jeûne hbmme at- 

maMe et sage; et cela me fait songer cjue Vôài? êies 

arvivés Ici, voti*e gouverneur et vous, lasermouil-. 

lés comme Télémaque et Mentor dans l'île de Ca- 

lypso. Il est vrai, répond Emile, que nous trouvons 



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ii6 éuiLt. 

ici l'hospitalité de Galypso. Son Mentor ajoute : Et 
tes charmes d'Ëucharis, Mais Emile connaît TO- 
dyssé^, et n'a point lu Téiémaçue; il ne sait ce 
que c'est qu^Eucharis. Pour la }eu«e personne, je 
la vois rougir jusqu'agix yeux , les baisser sur soa 
assiette 9 et n'oser souffler. La mère, qui remarque 
son embarras, fait signe au père , et celui-ci change 
de conversation. £n parlant de sa solitude, il s'en- 
gage insensiblement dans le récit des événemen& 
qui l'y ont confiné; les malheur» de sa vie, la con* 
stance de son épouse , les consolations qu'ils ont 
trouvées dans leur union 9 la vie douce et paisible 
qu'ils mènent dans leur retraite , et toujours sans 
dire un mot de la jeune personne ; tout cela fqroie 
un récit agréable et touchant, qu'on lîe peut en- 
tendre sans intérêt. iÉoiile, ému^ attendri, ;Gesse 
de manger pour écouter. Enfin, à r0n.drott où le 
plus homiète des hommes s'étend ftuM^ plusdeplai- 
sir sur l'attachement de la plus. digne des fea^nes,. 
le jeune voyageur, hors de lui, serre une main du 
mari qu'il a saisie , et de l'autre prepd aussi la main 
de la femme, sur laquelle il se penche avec trans- 
port e^ l'arro^aia de. pl<?ur^ La naïy<e vivacité du^ 
jfiUAO h,om]^ er>cbante tout le mondje ; mais kb 
fille ji plu^ sensible que personne àeette marque de 
son bon, cœur, croit \oir Té^émaque afibctë deft 
malheurs de Philotecte. Elle porte à la dérobée les 
yeux 8ur)uî pour mieux examiner 5a .figure ; elle 
n'y, trouve rien qui Cémente la compar^^ison. Son 
air Ms4 A 4^ la libertés jsans arrçgs^nee ; ses inauières 
sont vives sans jétçurderie ; sa sensit^JUt^Arend son 
regard plus dopx , sa phyMonomie plus touehaiyte r 
la jeune personne, le voyant pleurer , est près de 
mêler ses larmes ai^K siennes. Dans un si beau pré- 
texte, une honte secrète la retient : elle se reproche 



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LIVBE V-^ II7c 

dé|à les pleurs prêts à s'ëebapper de ses yeuxf 
comme s'il était mal d*eii verser pour sa faAiillé. 

La mère qui, dès le commencement du souper 
n'a cessé de veiller sur elle , voit sa contuainte, et^ 
l'en délivre ea l'ei^voyaot faire une commission. 
Une minute après , la jeune fUle rentre , mais sf 
mal remise $ que son désordre est visible à tous les: 
yeux. La mère lui dit avec douceur : Sophie, re* 
'mettez -vous; ne cesserez - vous point de fleures* 
les malheurs de vos parens? Yous quiles en conso- 
lez , n'y soyez pas plus sensible qu'eux-mémeè. 

A ce nom de Sophie, vous eussiez vu- tressaillir 
Emile. Frappé d'un nom si cher , H se réveille ea 
sursaut et jette un regard avide mxr celle qui l'ose 
porter.* Sophie, à Sophie! est -ce vous que mon 
cœur cherche ? est-ce vous que mon coeur aime ? 
Il l'observe, il la contemple avec une sorte de 
craîttte et de défiance. Il ne Voit peint exJiotemeat 
la figure qu'il s* toit peinte ; il ne ^ii èid^lle qn'H 
voit vaut mieux où moins. Il étudie chaque trait , 
il épie chaque mouvement, chaque geste; il trouve 
à tout mille interprétation^ conflises; 11 donnerait 
la moitié dç sa vie pour <fn'elle voufefkt dire un seul 
mot. Il me regarde , inquiet et troublé ; ses yeuk 
me^font àla fois cent questions, cent reproches, il' 
semble me dire à ehaque regard : GuMez-moi tan- ' 
dis qu'il est temps; si mb» coeur se livre et se' 
trompe , je n'en reviendrai de mes jours. 

Emile est l'homme du monde qui sait le moîùtf* 
se déguiser^ Comment s0 déguiserait-il dans le plus, 
g^nd trouble de sa^ vie, entre quatre sj^eetateura' 
qui l'examinent , et dont le plus distrait en appa--> 
rence est en effet le plus attentif? Son désordre n'é« 
chappe point aux yeux pénétrans de Sophie; les 
siens l'iastruiscnt de reste qu'elle eD-est l'objet r 



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^)lfi ¥oit que celte inquiélude n'e^ pas de Faniour 
encore; mais qu'importa? il t'occupe d'elle, et cela 
suffît ; elle sera, bien malheureuse s'il s'en occupe 
impiunément. 

. Les mères ont des yeox comme leurs filles, et 
PexpéneQce déplus.. La mère d^ Sophie sourit àa 
succès de nos projets. £lie Ut. dans les cœurs des 
deux jeunes ge&s; elle voit qull est lenips de ûx&r 
celui du nouveaja Télémaque, eUe lait parler sa 
ilUe. Sa fiUe 9 i^vec sa douc^ir naturelle ^ répond 
d'un. ton timide qui ne fail que ioikuic son effet. 
Au premier. son de cette' voix, Emile est rendti; 
c'est Sophie 9 ,il n'en doute plus. Ce ne la senaît 
pas,^ qu'il serait tr<^ tard p^r s'en dé^ii^- 

: C'est alors que les charmes de cette fille eaehaa- 
teresse vont par torrens k son cœur , et qu'il com- 
mence dévaler 2| longs traîM lepotson dont eAe 
l'enivre. U ne parle plus<9 il ue répond plus ;. ii "ne 
vx>U que. So|Aie ; U n'enjtecrà f|ue Sophie : si elle dit 
i]n mpt, il 9HV4?iE^i9^J^Qlic)if»; si ejte haine! les yeux, 
il les baÂs^; 9'il ta» v^ spù^pjper, il smif^e; c'est 
Vûfm ^ Sophie ^i pdf q^t l'«mimer. Q(«& la sienne 
% changé d^s, p§u d'J(ps^9% l Ce n'eafe pbis U tour 
4e Sophie %U;«^b^r,jc'esft<;eîlH4'^Ë'^ Adieu 
laliherté» kinaîVeié^ la&aochis6* Gonifns^^emhar^ 
rassé» <»rai»tfl> Il vi*oaepKisji:e|^d^r^toiir de;kii 
d^ pQus d» v<^i«t qu'p« ]^rega^de> lioateuot 4^ se 
laisser péq^élffef » 'A voudrait se rendre ipvifiyye 
à( tQikt: Ml monde pour se rassai^kr de la cenleài- 
pl^r sam èl^rc^ observé» Sc^hie». au cootmire, se 
r^^ur/s4Qj^Qrabited'Émilç>eUevoftsoti.triomfdMe, 
elte ^0 jppil. 

' Noi itaostra gili , ben che iii suo cor ne rida. 

: £1^0 n'a.paft changé de contenance; mais, malgré 

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cet air modeste et ces yeux baissés*, son tendre 
cœur palpite de î<ûe, el lui dît qae Té(émaque est 
trouvé • 

Si j'entre ici dans l'histoire tpop n^ïve et trop 
sinipie pçut-êM:e de l^ufs imvocente^.wi^oura, on 
regardera ces d^éiails. çovxme un jeu f^piy.ole ^ et l'on 
aura tort Ott ne Qojpjftidère. pas a^sç? V'mff^^nf^ que 
doit avoir la première liaison d'iw3\ tpmmjç ^vec 
une fenune donc le co.iirs de la vie de T w et de 
l'autre. On ce voit pas qp'une preinière iogipression 
aussi vive que (^If djç l'aQiour ou du pep/çb^i^t qui 
tient sa pj^pe» a, die; V>n|;s effets 4<)nt on ç'^pergoU 
point la chaîne ^ps.Ie progrès d^s ajo^.s m^iSiqui ne 
cessent d'agi* jusqu'à 1^ nxort Om n^u^ donne» 
dans les traités d'éducalic^ 9 de granA» vei^lages 
inutiles et p^dai^/ç&qu^s Sji;ur],es ch,M^riq^ies ^ypirs 
des enfa^s ^, ^t r<in ne noj^ d^ pa^ i^ mo| ^p la 
partpe ^ pltyi '^m^§fH^^MBh^ 4iiWi\^ 4ç toute 

l'enijaipu^ .^ ];^^ d'hon^ipiiç. ^i j'ai fiif j;é.n4ive ces 
essaie .utjlef ji^^ q^^Vs^ ^9i^^^ « oe sera snrjtout 
pour m'y être étendu fort aif k>ng sur ceUe p^^^ie 
e$sei)tieÛe, omise p^r ti>uslç8Laiutre&, et poujr ne 
m'êtfeppiiU JLûfSfé riçhjiji^ dan^cet^ç^ eqffep,risp.pa,^ 
4e iauf^ d41ii^^ç^^e%,,nj^.effr0Fv p^ç;d^di<]EiqgiJk- 
ié^d^Uftgff^. §l^,i'a^ 4it çç qu'i|.%t.J!^iRej, i'^,jdit 
ce qu^ î'^ <Vî^ dwfi ; y. i^'inip^rlç %t pe^i 4'^ypir 
écrit i;^n rofi^^^ , Q'ç«| }^ .^$fiK^ be^ tptm^ qua 
celui de la qatuf^li^il^mf • Sfil ih^i^ tjtpuye qvwt 
dans' cet éfqtitf, Cit-f <^ H^ %U^ ? Ç)^ 4^1^^^ ^* 
L'bistQiF^ dAjmop..^sp^. yftiia qpijjla. ^Jffày^z^ 
c'est voi^ qpi fei^ uscni^att, de i^pn {ivi^Çf . 

Une autre consi4^ralion quj renfonsel^ pr^miërie. 
est qu'il ne s'agit pas ici d^un jeune bomnie Uvré 
dès l'enfance à la crainte^ à la convoitise^ à l'envie > 



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i!ib ititLt, ' 

à rorguêtl, et à toutes les passions qui serveûrdln' 
strument aux éducations communes ; qu'il s'agit 
d*un Jeune homme dont c'est ici non-seuJenieut ié 
premier amour ^ mais la preniière passion de toute 
espèce ; que de cette passion , l'unique peut - élré 
qu'il sentira vivement dans toute sa Vie , dépend la 
dernière forme que doit prendre son caractère. Seè 
manières de penser, ses sentimens, ses gollts, fixés 
par ûnè passion durable , vont acquérir une consi- 
stance qui ne leur permettra plits de s'altérer. 

On conçoit qu'entre Emile et moi, la nuit qui 
suit une pareille soirée ne se passejpas toute à dor- 
mir. Quoi donc ! la seule conforniité d*un nom doit- 
elle avoir autant de pouvoir* sur un homme sage? 
N'y a-t-il qu'une Sophie au monde? Se ressemblent- 
elles toutes d'âme comme de nom? Toutes celles 
qu'il verra sont->^lles la tienne? Est-il fou de se 
pass^nner ainsi pour ime inconnue à'IaqueUe il 
n'a jamais parlé? Attendez, jeune homiôe ^ exami- 
nez , obsei*vfez. Vous he* savez pas nîëine encore chez 
quî Vôusètes; et ,• à vous ènéèbdre, ôbVbtis crôti'ait 
déjà dans votre maison. 

Ce n'est pis le temps dès leçbns , et celles-ci ne 
^Âïit pas faites^ pour être écoutées. Elles né fijiif que 
^n*ner*âù''jëiiiie hoMttic *tnl ]nouvëyhftèrêt"p6uï' 
ëppMe pàr^^dékiî^ de |ii^tifi^ éàtk péhehakit.* Ce 
rà^^ri dès h^ms; Vietté rencôntril*c|fa'iïfei'oît 1ft)r- 
tuitè, md'irfeseWe liîême^é fôî(it*qd*îrHièt sàj^VfVa-' 
cité : déjà Sophie lui {Paraît trop estimable pour' 
qu'a ne soit pas sûr de me la faire aimer. 
• te riiatîn , je khe* doéte'h^tf ^de dans son kirau-^ 
vais habîf dé Voyage j'Émilèf- tâctiëra* de se *rtAtre' 
avec plus de sôin^^îl ^y ihSLnii[ne pas': mais je ¥is 
dé son emplilBsSélrneiit à- s'àccôirimoder du lîhgè dé 
la maison. Je pénètre sa pensée; j'y lis avec plaisii' 



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^Hl cherche 9 en se préparant des restitutions, des 
échangea > à s'établir une espèce de correspondance 
qui le mette en droit d'y renvoyer et d'y revenir. 

Je m'étais attendu de trouver Sophie un peu plus 
ajustée aussi de son côté : je me suis trompé. Cette 
milgaire coquetterie est bonne pour ceux à qui l'on 
ne veut que plaire. Celle du véritable amour est 
plus raffinée; elle a bien d'autres prétentions. So-< 
phie est mise encore plus simplement que la veille^ 
et même plus négligemment, quoique avec une 
propreté toujours scrupuleuse. Je ne vois de la co- 
quetterie dans cette négligence que parce que j'y 
vois de l'affectation. Sophie sait bien qu'une parure 
plus recherchée est une déclaration , mais elle ne 
sait pas qu'une parure plus négligée en est une 
£Ujitre ; elle montre qu'on ne se contente pas de 
plaire par l'ajustement , qu'on veut plaire aussi par 
la personne. Eh ! qu'importe à l'amant comment 
on soit mise , pourvu qu'on s'occupe de lui? Déjà 
sûre de son empire , Sophie ne se borne pas à Irap- 
per par ses charmes les yeux d'Emile , si son cœuc 
ne les va chercher ; il ne lui suffît plus qu'il les 
voie 9 elle veut qu'il les suppose. N'en a - 1 - il pas 
a$sez vu pour être obligé de deviner le reste. 

Il est à croire que, durant nos entreliens de cette 
nuit, Sophie et sa mère n'ont pus non plus resté , 
mueties ; il y a eu des aveuli: arrachés, des instruc- 
tions données. Le lendemain on se rassemble bien 
préparés. Il n'y a pas douze heures que nos jeunes 
gens se sont vus ; ils ne se sont pas ^dit encore un 
seul mot, et déjà l'on voit qu'ils s'entendent. Leur 
abord n'est pas familier; il est embarrassé, timide; 
ils ne se parlent point; leurs yeu|L baissés semblent 
s^éviter, et cela mém^ est un signe d'intelligence: 
ils s'évitent 5 mais de concert; ils sentent déjà le 
iii 6 

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1^2 BUltt, 

besoin du mystère avant de s^êlre rien dit. En par^ 
ttint nous demandons permission de Tenir nous- 
mêmes rapporter ce que nous emportons. La bou- 
che d'Emile demande cette permission au père, à 
hx mère , tandis que ses yeux inquiets , tournés sur 
la fille 9 la lui demandent beaucoup plus instam«» 
ihent. Sophie ne dit rien, ne fait aucun signe, ne 
paraît rien voir, rien entendre ; mais die rougit, et 
cette rougeur est une réponse encore plus claire 
que celle des parens. 

On nous permet de revenir sans nous inviter à 
rester. Cette conduite est convenable; on donne le 
couvert à des passans embarrassés de leur gtte, 
mais il n'est pas décent qu'un amant couche dfans 
la maison de sa mattresse. 

A peine iM)mmes-nous hors de cette maison chérie, 
qu'Emile songé à noua établir aux environs : la 
chaumière la plus voisine lui semble déjà trop éloi- 
gnée; il voudrait coucher dans les fossés du chà^ 
teau. Jeune étourdi! lui dis* je d'un ton de pitié ; 
quoi ! déjà la passion vous aveugle ! Vous ne voyez 
déjà plus ni les bienséances ni la raison ! Malheu- 
reux! vous croyez aimer, et vous voulez déshono* 
rer votre maîtresse ! Que dira -t-on d'elle quand ou 
saura qu'un jeune homme qui sort de «a maison 
couche aux environs? Vous l'aimez, dites-vous! 
est-ce donc à vous de la perdre de réputation? Est^ 
€it là le prix de l'hospitalité que ses paréns vous ont 
accordée ? Ferez-voUs l'opprobre de celle dont vous 
attendez votre bonheur? Ëh ! qu'importent, répond- 
il avec vivacité , les vains discours des homttes et 
leurs injustes soupçons? Ne.m'avez-vou8 pas appris 
voi^-méme à n'en faire aucun cas? Qui sait mieux 
que moi combien j'honore Sophie , combien je la 
veux respctcter? Hon attacbemeiH ne fera point sa^. 



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LIVIE i. 125 

kmrtcy il lieara sa gloire ^ il sera diglie d'elle. «Quand 
BM>n ccenir et mes soins lui tendront partout Thom- 
ma^e qu'eUe mérite , en quoi p«ii»-fe l'outrager? 
Cher Éîmle, reprends-je ea l'eikÂrassant, vous rai- 
scHniez ponr vous ; apprenez à raisonner pour elle. 
No' conparez point Phonnetir d'un sexe à celui de 
l'autre; ils ont des principes tout différens. Ces 
{ùrtBcip^ àoiit égaleoiient solided et raisonnables , 
parce qulls dérivent égaleinent de la nature , et que 
la même vertu qUt vous fait mépriser pour vous les ^ 
discoure des hooimes votls oblige à les respecter 
pmir votre mattresse. Votre honneur est en vous 
«eul ; et le «en dépend d'autrui. Le négliger serait 
blesser le v^trermème ; et vous ne vous rendbz point 
ce qile vous vous dev^ , si vous êtes eause 4pi'on ne 
lui ren^ pas ce qui kii est dû* 

Alors hii expliquant les raisons de ces différences, 
je lui £ais sentir quelle injustice il y aurait à les 
vouloir compter pour rien. Qui est*<^e qui lui a dit 
.iqu'il sera l'époux de Sophie , elle dont il Sgoore les 
sentimens ^ elle dpiit le Ccniir ou les parens ont peut- 
être des ehgagemèns antérieurs 9 elle qu'il ne con- 
naît jpoint et qui n'a peut - être avec lui pas une des 
convenances qui peuvent rendre un mariage heu^ 
teux? Ignore-t^il que tout scandale est pour une 
IBfié une tache indéiéfotle que n'efl^e pas mémo 
son mariage avec celui qui Ta causé ? £h ! quel est 
rhotnme sensible qui veut perdre celle qu'il aimé? 
Quel est l'honnête homme qui veut faire pleureirà 
jamais à une infortunée le malheur de lui a voie 
plu. 

Le jeune homme, effrayé des conséquences que 
îe lui fais envisager, et toujours extrême dans ses 
idées ^ croit déjà n'être jamais assez loin du séjour 
de Sopiiie : il double le pas pour fuir plus promp- 



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ia4 iTMILE. 

lemen^, il regarda auteur de nous $i nous ne goninieÉ 
point écoutés; il sacrifierait mille fois son bonheur 
à rhonneur de celte qu'il aime , il aimerait mieux 
ne la revoir de sa yie que de lui causer un seul àé* 
plaisir. C'est le premier fruit des soins que j'ai pris 
dès sa jeunesse de lui former un c^ur qui sache 
aimer. . 

Il s'agit donc de trouver un asile éloigné , mais 
à portée. Nous cherchons^ nous nous informons : 
» nous apprenons qu'à deux grandes lieues est une 
ville; nous allons chercher à nous y logel^, plutôt 
que dans des villages plus proches où notre séjour 
deviendrait suspect. G'est^à qu'arrive enfin le nou* 
vel amant, plein d'amour, d*espoir, de> joie , et 
^irtout de bons sentimens;'et voilà comment, di* 
rigeant peu à peu sa passion naissante vers ce qui 
est bon et honnête , je dispose insensiblement tous 
ses penchans à prendre le même pli. 

J'approche du terme de ma carrière ; je l'aperçois 

déjà de loin. Toutes les grandes difficultés sont 

vaincues, tous les grands obstacles sont surmontés* 

il ne me reste plus rien de péniUe à faire que de 

ne pas gâter mon ouvrage en me hâtant de le 

consommer. Dans l'incertitude de la vie humaine» 

évitons surtout la £siusse prudence d'immoler le 

présent à l'avenir ; c'est souvent immoler ce qui <st 

à ce qui ne sera point. Rendons l'homme heureux 

dans tous les âges, de peur qu'après bien des soins 

il ne meure avant de l'avpir été. Or , s'il est un 

' te^ps pour jouir de la vie^ c'est assurément la fia 

de l'adolescence , où les facultés du corps et de l'âme 

ont acquis leur plus grande vigueur, et oùl'homitie, 

^au milieu de.sa course, voit de plus loin les deux 

'ternies qui lui en font sentir la brièveté. Si l'impru- 

'dt^nte jeunQsse se tron^pé,;cen!est pas.en ce qu'elfe 



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LIVftB Vé t25 

vtui fouir 9 c'est en ce qu'elle cherche la îouissance 
où «Ue n'est points et qu'en s'apprétant un avenir 
mîsérahle, eue ne sait pas même user di» moment 
' présent* 

Considérez mon Emile, à vingt ans passés, bien 
formé , Inen constitué d'esprit et de corps , fort y. 
sain, dispos, adroit, robuste, plein de sens, de 
raison, de bonté, d'humanité, ayant des mœurs y 
du goût, aimant le beau, faisant le bien , libre de 
r^npire des passicms cruelles, exempt du joug de 
yo|iintM , mais soumis à la loi de la sagesse , et 
docile à la voixi de l'amitié , possédant tous les talens 
utiles , et plusieurs talens agréables , se souciant 
peu des rlcffésses , portant sa ressource au bout de 
ses bras, et n'ayant pas peur.de manquer de pain, 
quoi qu'il arrive. Le voilà maintenant enivré d'une 
passion naissante : son cœur s'ouvre aux premiers 
fieur de l^amour; ses douces illusions lui font un 
nouvel univers de délices- et de jouissance y il aime 
im objet aimable, et plus aimable encore par son 
caractère que par sa personne; il espère, il attend 
un retour qu'il sent lui être dû. C'est du rapport des^ 
cœurs,. .c'est du. concours des sentimens^^oonêtea 
que s'est formé leur premier penchant : ^e pcn-; 
chant doit, être idurable» Use livre avec confiance , 
avec raison même, au plus charmant délire, sans 
crainte, sans regret, sans remords, sans autre in- 
quiétude que celle dont le sentiment du bonl\eur 
est inséparable. Que peut -il manquer au sie^?. 
Voyez , , cherchez , imaginez ce qu'il lui faut encor^, 
et, qu'on; puisse laccorder avec cq qu'il a. Il réunit 
tous. les biens qu'on peut obtenir à la fois; on n'y 
en peut ajouter ^ucun qu'aux dépens d'un autre;, 
il est heureux autant qu'un homme peut l'être. Irai* 
je en ce monouent abréger, un dûstin » dpuxt? irairje 



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lad EMILE. 

troubler une Toloplé si pure ? Ah I toal le prix de hr 
vie est dam» la féMeité qu'il goûte* Que potmrais^îe 
lui rendre qui valàt ce q<ie je lui «■raÎB'ôlé? MéOMi 
en mettant le comble à son bonheur, Yen détlnuran« 
le plus grjwd charme. Ce bonheur suprême est cent 
fois plus doux à espérer qu'à obtenir ; on en loviC 
roieu]^ ouand on l'attend que qaaàd on le goAle» 
O bon Emile , aime et sois aimé ! foum Icmg-^temp» 
ayant que de posséder; jouis à la fois de Tamoiir e^ 
de rinnocence ; fais ton paradis sur la tevre en at-> 
tendant Taulre : je n'abrégerai point cet heurcws 
temps de ta vie ; j'en filerai pour toi l'enchante^ 
meut ; je le prc^ngerai le plas qu'à sera possibie»- 
Hélas ! il faut qu'il finisse, et qu'il ftmsie en peu de 
temps ; mais je ferai du moins qu'il dure toufOim 
dans ta mémoire , et cfcfe tu ne te repentes jamais 
de l'avoir {;oûté. 

Emile n'oublie pas que tkàùê ai^iM dès l^ésIHd* 
tions à faire. SitAt qu'elles sont' prêtes, nous pre- 
nons des chevaux , nous allons grand train ; pour 
cette fois , en partant il voudrait être arrivé. Quand . 
le cœur s'ouvre aux passions , il s'ouvre à l'ennui 
de la vie. Si je n'ai pas perdu mon temps, la sienne 
entière ne se passera' pas aiesf. 

Malheureuseàient la route* est fort coupée, et le 
pays difficile. Nous nous égarons; il s'en aperçoit le 
premier, et, sans s'impatienter, sans se plaindre, 
il met toute son attention à retrouver son chemin; 
û erre long-temps avant de se reconnaître , et tou« 
ours avec le même sang-froid. €ecî n'est rien pour 
TOUS, mais c'est beaucoup pour moi qui- connais 
son naturel emporté : je vois le fruit des soins que 
f ai mis dès son enfance à l'endurcir aux coups de 
la nécessité. 

Noos arrivons enfin. La réception qu'on nous fai^ 

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€8t bien plus simple et plus obligeante que la pre- 
mière ibis; nous sommes 4éjà d'aucieniies con* 
naissanees. Emile et Sophie se saluent avec un pevi 
4'embarras, et ne se parant tou)ours point : que 
se diraâait-ilsen notre présence? L^entretien qu'il 
lemr faut n'a pas besoin de témoin. L'on se promène 
dans le jardin • ce jardin a pour parterre un pota^ 
ger très^blen entendu , ponv parc un verger couvert 
4e grands et beaux arbres fruitiers de toute espèce^ 
Goij^^ en divers sens de jolis ruisseaux » et de plates- 
bandes pleines de fleurs. Le beau lieu ! s'écrie 
Emile plein de son Hotnère et toujours daos l'en- 
fhousiasme; {e crois voir le jardin d'Alcinoûs. La 
fille voudrait savoir ce que c'est qu'Alcinoûs, et la 
mère le dewaode. Alcinoûs, leurcys-je» était uq 
iroi de Corojra > doot le jardin, décrit par Homère ^ 
est criUqtié par les gens de goût , conune trop simr 
pie el trop peu pa^é (i). Cet Alcinoûs avait un^ 
iUte aimable , qui , la veille qu'an étranger reçut 
l'hospitalité chei: son p^^, songea qu'elle aurait 

(i) « En fortapt du palais on trouve an vaste jardin de 
« quatre arpens , euceint et clos tout à Pentoor, planta de 
>) grands arbres fleuris, produisant des poires^ des pommes 
(c de grenade et d'ai^tres des pins belles espèces , des fîgaicrs 
<t au doux frnit , et des oliviers yerdoyafos. Jamais durant 
(c J'annëe entière ces beaux arbres ne restent sans fruits : 
«c l'hiver et Fêté, la douce haleine du vent d^ouest ûiit à la 
ce fois nouer les uns et mûrir les autres. On voit la poire et 
» la pomme vieillir et sécher sur leur arbre , la figue sur le 
f( figuier , et la grappe sur la souche. La vigne inépuisable 
c< ne cesse d'j porter de nouveaux raisins; on fait cuire et 
« confire les nos au soleil sur un aire , tandis qu'on en ven- 
« dange d'antres , laissant sur la plante ceux qui sont encore 
M en fleurs , en verjus , ou qui commencent à noircir. A l'on 
« des bouts , dedk carrés bien cultivés , et couverts de fleurs 
« toute l'année , sont ornés de deux fontaines > dont Tune 
« est distribuée dans tout le jardiif , et l'antre , après avoir 



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12^ iuitt.- 

bientôt un mari. Sophie^ interdite^ rougit) baissé 
les yeux, se mord la lang^ue; on ne peut imaginet 
une pareille confusion. Le père qui se plaît à Paug- 
menter, prend la parole, et dit que la jeune prin- 
cesse allait elle-même laver le linge à la rivière* 
Croyez-véus, poursuit-il; qu'elle eût dédaigné de 
toucher aux serviettes sales , «n dis£à>t qu'elles sen^^ 
talent le graillon? Sophie, sur qui le coup porte v 
oubliant sa timidité naturelle, s'excuse avec viva-^ 
citéi Son papa sait bien que tkxvtt le menu linge 
n'eût point eu d'autre blanchisseuse qu'elle , si on 
l'avait laissée faire (i) , et qu'elle en eût fait davan- 
tage avec. plaisir, si on le lui eût ordonné. 'Durant 
ces mots elle me regarde à la dérobée avec une in- 
quiétude dont je ne puis m'empècher de rire en 
lisant dans son cceur ingénu les alarmes qui la font 
parler. Son père a la cruauté de'relever cette étour^ 
derie,* en lui demandant d'un ton railleur à qtiel 
propos elle parle ici pour elle 9 et ce qu'elle a de 
commun avec la fille d'Alcinoûs. Honteuse et trem- 
blante , elle n'ose plus soufikr ni regarder per- 
itonne. Fille charmante ! il n'est plus «temps de 
feindre ; vous voilà déclarée en dépit de vous. 

Bientôt cette petite scène est oubliée ou paraît 
l'être ; très-heureusement pour Sophie , Emile est 
le seul qui n'y a rien compris. La promenade se 

« traveFié le palais , est conduite a un bâtiment élcyé dans . 
#t la ville pour abreuver les citoyens » , 

Telle est la description du jardin royal d'Alcinoiis, au 
septième Une de rOdyssée ; jardin dans lequel , à la honte, 
d« ce vieux rêveur d^Homère et des' princes de son temps 
on ne voit ni treillages, ni statues^ ni cascades, ni bou« 
lingrins. 

(t) J'avoue que je sais quelque gré à la méfe de Sophie de 
ne lui avoir pas laissé gâter dans le savon des m^ins aussi 
douces que Içs nonne^ et qu'Emile doit baiser si souvent. 



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continne^ et iiod jeBiies gens, qui d^abord étaient â 
nos côtés, ont peine à se régler sur la lenteur de 
notre marche; insensiblement ils nous précèdent^ 
ils s'approchent , ils s'accostent à la fin, et noi:^ le« 
Toyon« assez loin devant nous. Sopihie semble atten* 
tiye et posée; Emile parle et gesticule avec feu : il 
ne parait pas que l'entretien les ennuie. Au bout 
d'une grande heure on retourne, on les rappelle, 
ils reviennent, mais lentement à leur tour, et l'on 
voit qu'ils mettent le temps à profit. Enfin tout à 
coup leur entretien cesse avant qu'on soit à portée 
de les entendre, et ils doublent le pas pour nous 
rejoindre* Emile nous aborde avec un air ouvert et 
caressant; ses yeux pétillent de joie; il les tourne 
pourtant avec un peu d'inquiétude vers la mère de 
Sophie pour voir la réception qu'elle lui fera. So* 
phie n'a pas 9 à beaucoup près, un maintien si dé- 
gagé ; en approchant elle semble toute confuse de 
eo voir tAt€-à-îâte avec un jeune hômmé, eiîç qui 
s'y est si souvent trouvée avec d'autres sans en^ètre 
embarrassée, et sans qu'on l'ait jamais trouvé 
mauvais. £lle se hdjte d'accourir à sa mërei un peu 
essottCLée^ en disant quelques mots qui ne signi- 
fient pas grand'chose , comme pour avoir Tair d'étrç 
là depuis long-temps» 

A la sérénité qui se peint «ur le visage de ces 
aimables enfans , on voit que cet entretien a soulagé 
leur^ jeunes cœurs d'un grand poids. Ils ne sont pas 
moins réservés Tun avec l'autre, mais leur réserve 
est moips embarrassée; elle pe vient plus que 
du respect d'Emile, de la modestie de Sophie, et 
de l'honnêteté de tous deux. Emile ose lui adresser 
quelques mots, quelquefois eUe ose répondre; 
mais jamais elle n'ouvre la bouche pour cela sans 
jeter les yeux sur ceux de sa mère* Le changement 



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qui parail le plus sensible en elle est envers moi; 
£!le me témoigae une considération plus empres^» 
sée, elle me regarde avec intérêt, elle me parle 
affsetueusementf elle est attentive à ce qui peut 
me i^aire; |e vois qu'elle m'iionore de smi estime 
et qu'il ne lui est pas indifférent d'obtenir ia 
mienne. Je comprends qu'Emile lui a parlé de moi; 
on dirait qu'ils ont déjà comploté de me ga^aerr 
,il n'en est rien pourtstnt, et Sopbie elle^^akème ne 
se gagne pds si vite. li aur)a peut-^tre plus besoin 
^ ma £aveur auprès d'elle que de la sienne auprès 
de moi. Couple charmant!...» En songeaiit que le 
cœur sensible de mon jeune ami m'a iaît e^rer 
pour beaucoup dans son premier entretien avec sa 
makresse, je jouis du prix de ma peine; son amitié 
m'a toutpayé. 

Les visités se réitèrent. Les conversations entre 
nos jeunes gens deviennent plus Iréipi^^es* Émtiley 
enivré d'amour, ^roït défà toucner à soù oômiéuB 
Cependant il n'obtient point d'aveu formdi de So- 
phie; eHe l'écoute et ne lui dit rien. Émde connatt 
toute sa modestie; tant de retenue l'étonné peu; il 
sent qu'il n'est pas mal auprès d'elle ; il sait que ce 
sont les pères qui marient les enfans; il suppose 
que Sophie attend un ordre de ses parens , il lut 
dehiande la permission de le solliciter ; elle ne s'y 
oppose pas. Il m'en parle; j^en parle en^son nom, 
même eh sa présence* Quelle surprise pour lui 
d'apprendre que Sophie dépend d'elle seule , et que 
pour lé rendre heureux elle n'a qu'à le vouloir ! Il 
commence à ne plus rien comprendre à sa cou- 
duite. Sa confiance diminue. Il s'alarme , fl se voit 
moins avancé qu^il ne pensait l'être, et c'est alors 
que l'amour le plus tendre emploie son langage le 
plus touchant pour la fléchir. 



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LIVAK V. |8l 

Éoule n'e^paftfali pour deviner ee qui lui nuit : 
•i on ne le lui dit, il ne le saura de ses >aurs, et 
Sophie esl trop fière pour le lui dire. Les difficultés 
qui ramètet^t leraîent reoopressement d'une autre^ 
l^le »'a pas oublié les leçon» de ^les parens. £Ue es^ 
pauvre ; Émîle est riehe.» eUe le sait* Combien il i^ 
besoin de se Caire estimer d*dlel Quék mérite net 
lui £ai|t-il point pour efface eette inég^litéI Ihlais^ 
«animent soogerait-il à ces obstacles? Emile sait-il 
s'il est riehe? Daigne-Ml même s'en in^rn^ker? 
Grâe^ au ciel il n'a nul besoin de Tétre, il sait 
être bienfaisant sans cela. Il tire le bien qu'il fai$ 
de son cœur et non de sa bourse. Il donne au% 
malheureux son temps, ses soins, sesufiectiops, sa^ 
personne; et dans Teslâmation de ses bienfaits, ^ 
peine ose-t'il compter pour quelque obose Targen^ 
qu'il répjand sur les indigens- 

»e sacnanî 4 qi^ i':2 p?endre Mm di«gr4oe, 
â rattribueà sa propte Êiule t car quIoseKaitacousev 
dfr^aprice l'objet de ses adoratmns? l'humiliatioa 
de raaour-*propre augmente les regrets de l amouv 
éoonduit. Iln'approohe plus de Sophie avec cette ait 
mable confiance d'un ooMir qui se sent digne du sien; 
il est eraintif et tremblant devant elle. Il n'espère 
plus la tcHicher par la tinidresse, il eberehe à la 
fléchir pair la pitié. Quelquefois sa patience se lasse ^ 
le dépit est |h^ à lui succéder. Sofdiie semble pres^ 
sentir ces emportemens, et le regarde. Ce seul re- 
gard le désarme et l'intimide : il est plus soumis 
qu'aupsyrafvant. 

Trouldé àe cette résistance destinée et de ee ur 
lence im^rfciblci il épaneheson cœur dans celui de 
son amiv II y dépoée les douleurs de cecœur n^vré 
de tristesse ; il implore son assistance et ses eou^ 
seils. Quel impénétrable mystère! EUe s'ipîérei^ 4 



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mon sort, je n'en puis douter : loinrde m'éiff ter elle 
se plaît avec moi : quand j'arrive elle marque de la 
joie, et du regret quand |e pars; eHé reçok mes 
soins avee bonté ; mes services paraissent lui plaire ; 
elle daigne me donner des avis, quelquefois même 
des ordres. Cependant elle rejette nses sollicita* 
tions , mes prières. Quand j'ose parler d'union , elle 
m^impose impérieusement silence; et si j'afqiite ua 
mot , elle me quitte à l'instant. Par quelle étean^e 
raison veut-elle bien que je sois à elle sans vouloir 
entendre parler d'être à moi? Vous qu'elle h<morey 
vous qu'elle aime et qu'elle n'dsera faire taire ^ 
parlez, faites*la parler; servez votrç ami, cooron-» 
nez votre ouvrage; ne rendez pas vos sotos funestes 
à votre -élève: ahl ce qu'il tient de vous^ fera sa 
misère , si vous n'achevez son bonheur. 

Je parle à Sophie, et j'en arrache avec. peu de 
pi^îflQ un secret que je^sayaU av^^j q-'^»^ ^ié TeAf 
dit. J'obtiens plus diffidlement la permÎ8si6n d'en 
instruire Emile; je l'obtiens enfin V et l'en use. 
Cette explicatian le jette dans un étonnen^at d<M[|| 
il ne peut revenir. Il n'entend rien à cette d^ka* 
tesse ; if n'imagine pas ce que des écus de phis.oa 
de moins font ^u caractère^t au^mérile» Quand jie 
lui fais entendre ce cpi'ilsibnt au;c préju^Sy â se 
met à rire ; et , transporté de joie , il veut partir à 
l'instant, aller tout déchirer , tout jeter, renoncer 
à tout pour avoir l'honneur d'être aussi pauvre que 
Sophie, et revenir digne d'être son époux. 

Hé quoi! dis- je en l'arrêtant, et riant, à mon 
tour de son impétuosité , -cette jeune tète ne mûrira- 
t^elle point? et, après avoir philosqphé faute votre 
vie , n'apprendrez-vous jamais à raisonner ? Com- 
ment Ae voyez-vous pas qu'en suivant votre in-r 
sensé projet vous aUez empirer votre .situation, et 



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rendre Sopkie plas inicaitable? G*^t ud petit avan- 
tage d'avoir quelques biens de plus qu'elle, c'en 
serait un très-grand de les lui avoir tou» sacrifiés; 
et si sa fierté ne peut se résoudre à vous avoir la pre- 
mière obligation, comment se rendrait -elle à 
vous avoir l'autre ? Si elle ne peut souffrir qu'un 
mari puisse lui reprocher de l'avoir enrichie, souf- 
frira-t-elle qu'il piiisse lui reprocher de s'être ap- 
pauvri pour elle? Eh malheureux ! tremblez qu'elle 
ne vous soupçonne d'avoir eu ce projet. Devenez au 
contraire économe et soigneux pour l'amour d'elle, 
de peur qu'elle ne vous accuse de vouloir la gagner 
par adresse , et de lui. sacrifier volontairement ce 
que vous perdrez par négligence. 

Croyez- vous au fond que de grands biens lui fas- 
sent peur, et que ses oppositions viennent précisé- 
ment des rîchesses? Non , cher Emile; elles ont une 
cause plus solide et plus grave dans l'effet que pro- 
duisent ces richesses dans l'âme du possesseur. Elle 
sait que les biens de la fortune sont toujours pré- 
férés à tout par ceux qui les ont. Tous les riches 
comptent l'or avant le mérite. Dans la mise com- 
mime de l'argent et des services , ils trouvent tou- 
jours que ceux-ci n'acquittent jamais l'autre, et 
pensent qu'on leur en.doit.de reste quand on a 
passé sa vie à les servir en mangeant leur pain. 
Qu'avez-vous donc à faire, ô Emile, pour la ras- 
surer sur ses craintes? Faites-vous bien connaître 
à elle; ce n'est pas l'affaire d'un jour. Montrez-lui 
dans les trésors de vptre âme noble de quoi rache- 
ter ceux dontvou&av^ le malheur d'être partagé, 
i force de constance et de temps, surmontez sa 
résistance ; à force de sentimens grands et géné- 
reux ^ forcez-la d'oublier vos richesses. Aimez-la, 
lervez.-la, servez ses respectables p^iirens. Prouvcz- 



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Y54 fHitE. 

loi que ce« ^oin# are son» pa» Vt^et fuùt passion 
folle et passagère 9 maiii celui des principes râeffa-» 
cables gravés au fond de Toti« eœur. flonorez di- 
gnement le mérite outragé par la fortune ; c'est le 
îeul moyen de le réeoncâfer avec le mérite qn'elle 
k favorisé. 

On conçoit quels transports de joie ce discours 
donne au jeune homme , combien il lui rend de 
confiance et d'espoir, combien son honnête cœur 
se félicite d'avoir à faire, pour plaire à Sophie^ 
tout ce qu'il ferait de lui-même quand Sophie 
n'existerait pas, ou qu'il ne serait pas amoureux 
d'elle. Pour peu qu^on ait compris son. caractère, 
qui est-ce qui n'imaginera pas sa conduite en cette 
occasion? 

Me voilà donc le confident de mes deux bonnes 
gens et le médiateur de leurs amours! Bd emploi 
pour un gouverneur î Si beau, que je ne fis de ma 
vie rien qui m'élevàt tant à mes propres yeux, et 
qui me rendit m content de moi-même. Au reste , 
cet emploi ne laisse pa8*d'av6ir ses agrédi^n : ye ne 
suis pas mal venu dans la maison ; Ton s'y fie à 
moi du soin d'y tenir les anlans dans l'ordre : 
Emile, toujours tremblant de me déplaise, ne fut 
jamais si docile. La petite personne m'accaUe 
d'amitiés dont je ne suis pas la dupe , et dont je n'e 
prends pour moi que ce qui m'en revient. C'est 
is^insi qu'elle se dédommage indirectement du res^ 
pect dans lequel elle tient Emile. Elle lui fait en 
moi mille tendres caresses, qu'elle aimerait mieux 
thourîr que de lui faire à Ini-même; et hir^ qui 
sait que je ne veux pas nuire à ses intérêts, est 
charmé de ma bonne intelligence avec elle. Il te 
èonsoie quand elle refuse son bras à la promenade 
et que c'est pour lui prâTérer le- mien. 11 s'éloigne 



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LIYAE T. l35 

•ans nranDdre en me serrant la main 9 et jne disant 
tout bas de la voix et dé Vis'd : Ami, parlez pour 
moi. Il nous suit des yeux avec intérêt : il tâche de 
lire nos sêntimens sur nos visages , et d'interpréter 
nos discours par nos gestes; il sait que rien de ce 
^i se dit entre nous ne lui est indifférent. Bonne 
Sophie 9 combien votre cœur sincère est à son* 
aise, quand , sans être entendue de Télémaque , 
TOUS pouvez vous entretenir avec son Mentor! 
Avec quelle aimable franchise vous lui laissez lire 
dans oe tendre cceur tout *ce qui s^y passe ! Avep 
quel plaisir vous lui montrez toute votre estime 
pour spn élève! Avec quelle ingénuité touchante 
vous lui laissez pénétrer des sêntimens plus doux ! 
Avec quelle feinte colère vou<( renvoyez Timportun 
quand Timpatience le force à vous interrompre! 
Avec quel charmant dépit vous lui reprochez son 
indiscrétion quand il vient vous empêcher de dire 
du bien de lui , d'en entendre , et de tirer toujours 
de mes réponses quelque nouvelle raison de l'ai* 
mer! 

Ainsi parvenu à se faire souffrir comme amant 
déclaré, Emile en fait valoir tous les droits; il 
parle, il presse, il sollicite, il importune. Qu'on 
lui parle durement, qu'on le tnaltraite, peu lui 
importe pourvu qu'il se fusse écouter. Enfin il ob<^ 
tient, non sans peine, que Sophie de son côté 
veuille bien prendre ouvertement sur lui yàutorité 
d'une maîtresse, qu'elle lui prescrive ce quHl doit 
faire ,t|u'elle commande au lieu de prier ,. qu'elle 
accepte au lieu de remercier, qu'elle règ^e le nom- 
bre et le temps des visites, qu'elle lui défende d# 
tenir jusqu'à tel jour et de rester passé telle heure. 
Toul^ cela ne se fait point par jeu , mais très-sérieu-^ 
dément; et si elle accepta ces droits avec peine^ 



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i36 iuiLE* 

elle en use: avec une rigiienr qpi réduit fouyejot le 
pauvre Emile au regret de les lui avoir donoés. 
Mais, quoi qu'elle ordonne > il^ ne réplique point; 
et souvent > en pavtant pour obéir, il me regarde 
avec des yeux pleins de joie qui me disent : Tous 
voyez qu'elle a pris possession de mol. Cependant 
* Torgueilleuse l'observe en dessous, et sourit en se- 
cret de la fierté de son esclave. 

Âlbane et Aaphaë^ prétez-moi le pinceau de la 
volupté ! Divin Milton , apprends à ma plume gros^ 
sièré à décrire les' plaisirs de l'amour et de l'inno- 
cence! Mais non, cachez vos arts mensongers de* 
vaut la sainte vérité de la nature. Ayez seulement 
des cœurs sensibles, des âmes honnêtes; puis laissez 
errer votre imagination sans contrainte sur les 
transports de deux jeunes amans, qui, sous les 
yeux dé leurs parèns et de leurs guides, se livrent 
sans troable'à la douce illusion qui les flatte^ et, 
dans l'ivresse des désirs , s'avançant lentement vers 
le terme, entrelacent de fleurs et de guirlandes 
rheureux lien qui doit les unir jusqu'au tombeau. 
Tant d'images charmantes m'enivrent moi-môme ; 
je les rassemble sans ordre et sans suite ; le délire 
qu'elles me causent m'empêche de les lier. Oh! 
qui est*«ce qui a un cœur , et qui ne saura pas faire 
en lui-même le tableau délicieux des situations 
diverses du père^ de la mère, de la fille 5 du gou- 
verneur, de l'élève , et du concours &es uns et des 
autres à l'union du plus charmant couple dont 
l'amour et la vertu puissent faire le bonheur? 

C'est à présent que, devenu véritablement ena- 
^ressé de plaire, Emile commence à sentirie prix 
des talens agréables qu'il s'est donnés. Sophie aime 
À chanter, il chante avec elle; il fait plus, il lui 
apprend la musique. £Ue est vive et légère > elle 



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LIVRE V. l57 

aime à. sauter > il danse avec elle; il change ses 
saut» en pas 9 il la perfectionne. Ces leçons sont 
charmantes ^1a gaieté folâtre les anime y elle adoucît 
le timide re^ct de Tamour : il est permis à un 
amant de donner ces leçons avec volupté; il est 
permis d'être le maître de sa maltresse. . . i 

On a un vieux clavecin tout dérangé ; Ëdkile Tao^ 
commode et Taccorde 5 il est facteur 9 il est luthier 
aussi^ien que menuisier; il eut toujours pour 
maxime d'apprendre à se passer du secours d'au? 
irai dans tout ce qu'il pouvait faire lui-même» La 
maison est dans une situation pittoresque , il en tire 
différentes vues auxquelles Sophie a quelquefois mis 
la main 9 et dont elle orne le cabinet de 80]\ père. 
Les cadres n'en sont point dorés et n'ont pas besoin 
de Pêtre. En voyant dessiner Emile 9 en l'imitant^ 
elle se perfectionne à son exemple 9 elle cultive tou& 
les talens, et son charme les embellit tous. Soft 
père et sa mère se rappellent leur ancienne opu>- 
lence en revoyant briller autour d*cux les beauc 
arts qui seuls la leur rendaient chère; l'amour a 
paré toute leur maison ; lui seul y fait régner sans 
frais et sans peine les mêmes plaisirs qu'ils n'y t^s- 
semblaient autrefois qu'à force d'argent et d'ennui. 

Comme l'idolâtre ehrichit des trésors qu'il estime 
Tobjét de son culte et pare sur l'autel le dieu qu'il 
adore , l'amant a beau voir sa maîtresse parfaite ^ 
il lui veut sans cesse ajouter de nouveaux ornemens. 
Elle n'en a pas besoin pour lui plaire ; mais il a 
besoin lui de la parer : c'est un nouvel hommage 
qu'il croit lui rendre,, c'est un nouvel intérêt qu'il 
donne au plaisir de la contempler*. Il lui semble 
que rien de beau a'est à sa place quand il ^ 'orne 
pas sa siipréme beauté. C'est un spectacle à la fois, 
touchant et rlsible de VQiE Emile .empressé. d!aD- 
II, * 6 ^ 

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|58 JÉMItlB. 

prendre à Sophie tout ce au^il sait^ sans coâsuHar 
si ce qu'il lui veut apprendre est de sou goût ou loi 
convient. Il lui parle de tout, il lui explique tout 
aV'Cc un empressement puéril; il croit qu'il n'a 
qu'à dire, et qu'à Tiostant elle l'entendra :< il se 
Âgure d'avance le plaisir qu'il aura de raisonner^ 
de philoV)pher avec elle ; il regarde comme inutile 
tout l'acquis qu'il ne peut point étaler à ses yeuic; 
il rougit presque de savoir quelque chose qu^eUe ne 
isàit pas, ^ * 

. Le voilà donc lui donnant leçon de philosophie , 
de physique 5 de mathématiques, d'histoire, de 
tout en un mot. Sophie se prête avec plaisir à son 
zèle , tâche d'en profiter. Quand il peut obtenir 
de donner ses leçons à genoux devant elle , qu'Emile 
est content ! Il croit voir les cieux ouverts. Cepeur 
dant. cette situation, plus gênante pour l'écolière 
^ue pour le . mattre , n'est pa& la plus favoiable à 
rinstructiou. L'on ne sait pas trop alors que faire 
de ses yeux pour éviter ceux qui les poursuivent , 
et q^uand ils se rencontrent la leçon n'eu va pas 
mieux. . . 

li'art de penser n'est pas étranger aux femmes , 
mais elles ne doivent faire qu'effleurer les sdiences 
dç raisonnement; Sophie con'çoît tout et ne retient 
pas grand 'chose.. Ses plus grands progrès sont daiis 
la mor.ale et les choses de.gpût*; pour la physique» 
elle n'en retient' que quelque idée des lois générales 
et du système du .monde. Quelquelbis, dans leurs 
promenades 9 en contemplant les merveilles de la 
nature , leurs cœurs innocens et purs osent s'élever 
jusqu'à son auteur: ils ne eraignent pas sa pré- 
cence, ils s'épanchent conjointement devant lui. 

Quoi! deux amans dans la fleur de l'âge em- 
ploient leur téte-à-téte à parler de religion ! ils pas- 



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LIVRE V. t%0 

sent leur temps à dire leur eatéchisme! Que sert 
d's^ilir ce qui est sublime? Oui, sans doute 9 ils le 
disent dans Tillusion qui les channe : ils se voient 
. parfaits, ils s^aiment, ils s'entretiennent avec en- 
thousiasme de ce qui donne un prix à la vertu. Les 
. sacrilices qu'ils lui font la leur rendent chère. Dans 
des transports qu'il faut vaincre , ils Versent quel- 
quefois ensemble des larmes plu$ pures que la rosée 
du ciel, et ces douces larmes font l'enchantement 
de leur vie; ils sont dans le plus charmant dél^e 
qu'aient jamais éprouvé des âmes humaines. Los 
privations mêmes ajoutent à leur bopheur et les 
honorent à leurs prc^es yesus de leur» sacrîOcef. 
Hommos sensuels, corps sans âmes, ils connattropt 
un iour vos plaisirs, et regretteront toute leur vie 
l'heureux temps où ils se les sont refusés t 

Malgré cette bonne intelligence il ne laisse pas 
d'y avoir quel(|uefois des dissensions , m^e des 
querelles; la maîtresse n'est pas «ans caprice, ni 
l'amant sans emportement : mais ces petits orages 
passent rafûdement et ne font que raffarmir l'union ; 
l'expérience même apprend à Emile à ne les pl<is 
tant craindre; les raccommodemens lui sont tou- 
jours plus avantageux que les brouUleries ne lui 
sont nuisiUeft. Le fruit de la pn^nière lut en a fait 
espérer autant des autres ; il s'est tr^ibpé : minis 
enfin , s'il n'en rapporte pas toujours un j^ofit aussi 
sensible, il y gagne toujours de voir eonfitma* pscr 
Sophie l'intérêt sincère qu'elle prend à son cœUr. 
On veut savoir quel est donc ce profit. 5'y consens 
d'autant plus vojkmtkrs , que cet exemple me don- 
nera lieu d'exp9seir Une maxime trè»-utUe , et d'en 
combattre une très-funeste* 

Emile aime, il n'est donc pas téméraire ; et Toii 
conçoit eiibcorç mieux que l'impérieuse fiophie n'éit 



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l40- iMILtf. 

p£ts fille 4 lui passer des familiarités* Comme fo 
sagesse a son terme en toute chose » on la taxerait 
bien plutôt de trop de dureté que de trop d'indul* 
gence, et son père hii-mème craint quelquefois 
que son extrême fierté ne dégénère en hauteui^. 
Dans les téte-à-tète les plus secrets Emile n'oserait» 
soUîciter la moindre faveur , pas même y paraître 
aspirer ; et quai^d elle veut bien passer son bras 
^ous le sien à la promenade y grâce qu'elle ne laisse 
pas changer en droit , à peine ose-t-il quelquefois 9 
en soupirant, presser ce bras contre sa poitrine. 
Cependsmt ^ après une longue contrainte 9 il se 
bazarde à baiser furtivement sa robe, et plusieurs 
fois il est assez heureux pour qu'elle veuiUe bien ne 
s'en pas apercevoir. Un jour qu'il veut prendre uo 
peu plus ouvertement la même liberté , elle s'avise 
de le trouver très-mauvais. Il s'obstine , elle s'irrite , 
le dépit lui dicte quelques mots piquans; ËmUe ne 
les endure pas sans répliqtte ; le reste du jour se 
passe en bouderie , et l'on se sépare très-méeontens. 

Sophie est mal à son aise. Sa mère est sa confi- 
dente ; comment lui cacherait-elle son chagrin ? 
C'est sa première brouillerie ; et une brouillerie 
d'une heure est une si grande afialre ! £lle se repent 
de sa faute : sa mère lui permet de la réparer y son 
-père Iç lui ordonne. 

Le lendemain , Emile inquiet revient plutôt qu*à 
l'qrdinaire. Sophie est à la toilette de sa mère , le 
père est aussi dans la même chambre : Emile entre 
avec respect, mats d'un air triste. A peine le père 
et la mère l'ont-îls salué , que Sophie se retourne , 
et, lui présentant la liiaiu , lui demande , d'un ton 
caressant , comment il se porte. Il est clair que cette 
jolie main ne s'avance ainsi que pour être baisée : 
il la veçoit et ne la baise pas. Sophie^ un peu ho&* 



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tlVEE V. l4l 

teuse, la relire d'aussi bonne grâce qu'il lui est 
possible. Emile, qui n'est pas fait aux manière» 
des^ fenuoes , et qui ne sait à quoi le caprice est 
bon , ne l'oublie pas aisément et ne s'apaise pas si 
vite. Le père de Sophie ^ la voyant embarrassée, 
achève de la déconcerter par de» raUleries. La 
pauvre fille 9 confuse 9 humiliée y ne sait plus ce 
qu'elle fait, et donnerait tout au monde pour oser 
pleurer. Plus elle se contraint, plus son cœur se 
gonfle; une larme s'échappe enfin. malgré qu'elle 
en ait Emile voit cette larme, se précipite à ses 
genoux , lui prend la main, la baise plusieurs fois 
avec saisissement. Ma foi vous êtes trop bon , dit 
le. père en éclatant de Hre; j'aurais moins d'indul* 
gence pour toutes cesi folles , et >e pumraia la 
bouche qui m'aurait .offensé. Emile, enhardi par ce 
discours, tourne un œil suppliant vers la mère, et, 
croyant voir un signe de consentement, s'approche 
en tremblapt du visage de Sophie, qui détourne la 
' tête, et , pour sauver la bouche, expose une joua 
de roses. L'indiscret ne s'en contente pas ; on. ré- 
siste faiblement. Quel baiser , s'il n'était pas pris 
sous les yeux d'une mère! Sévère Sophie,. prenez 
garde à vous ; on vous demandera souvent votre 
robe à baiser , à condkion que v^ps la refuserez 
quelquefois. ' . , 

Après cette exemplaire punition le père sort pour 
quelque affaire ; la inère envoie Sophie sous quelque 
prétexte, puis elle adi^esse la pai'ole à Emile, et lui 
dit d'un ton . assez sérieux : « Monsieur, je crois 
c qu'un jeune homme aussi bien né , aussi bien 
c élevé que vous , qui a dessentimens et des mœurs , 
c ne voudrait pas payer du déshonneur d'une fa- 
< mille l'amitié qu'elle lui témoigne. Je ne. suis ni 
€ £Eirouçhe ni prude ; je. sais ce qu'il faut passer ^ 



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i43 ÉMtife; 

c la jeunesse folâtre; et ce que j'ai (Miiifiert sous 
c mes yeux vous le prouve assez. Consultez votre 
c ami sur vos devoirs; il vous dira quelle différeiiee 
c il y a entre les jeux que la préseivpe d*uii père 
ft et d'une mère autorise, et les- libertés qu'on 
c prend loin d^eux en abusant de leur confiance , 
c et tournant en pièges ies mêmes laveurs qui , 
c sous leurs yeux , ne sont qu'inuo<;eutes'. Il vous 
c dira , monsieur , que ma fille n'a eu d'autre tort 
c avec vous que celui de ne pas voirf dès la pre- 
c mière fois , ce qu'elle ne devait jamais souffrir ; 
c il vous dira que tout ce qu'on prend pour favetir 
c en devient une y et qu'il est indigne d'un honame 
c d'honneur d'alKiser de la simplicité d'une jeune 
t fille pour usurper en seeret les mêmes libertés 
c qu'elle peut Boui&ir devant tout le monde. Car 
c on sait ce que la bienséance peut tolérer ea pu^ 
c blic; mais on ignore où s'arrête, dans l'onnibre 
« du mystère I celui qui se fait seul juge de ses 
« fantaisies* > 

• Après Cette juste réprimande , bien plus adres^ 
Sée à moi qu'à mon élèvé^ cette sage mèr^ nous 
quittée , et me laisse dans l'admiration de sa rare 
prudence, qui compte pour pcti qu'on baise devant 
elle ia bouch^gle sa fille , et qui s^effraie qu^on ose 
baiser sa robe en particulier. £n réflécbissant à la 
folie de nos maximes, qui sacrifient toujours à la 
décence la véritable b^nèteté^ je comprends pduiv- 
quoi le langage est d'autant plus cbàste que les 
GC0urs sont plus corrompus, et pourquoi les pro^ 
cédé» sont d'autant plus exacts que ceux qui les 
ont sont, plus maUionnéles. 

En pénétrant , à cette occasion ^ te cceur d'Émi&e 
des devoirs que j'aurais dû plus tdt lui dicter , il me 
vient «ne réflej^an nouv^e^ qui iaiit peut^tse 



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LIVRV Y. 145 

ht plus d'honneur à Sophie/ et que je me gardt 
pourtant bien de comqiuniquer à sofi am^^ut; c'çst 
qu'il est clair que cette prétendue fierté qu'on lui 
reproche n'est qu'une précaution trè^-sj^ pour se 
garantir d'elle-mîiême. Ayapt le^naiheur de se sentir 
un tenàpérament combtii^tible ^ elle redo#e la pre-* 
mière étincelle et l^éloighe de tout son pouvoir. Ce 
n'est pas par fierté qu'elle est sévère 9 c'est»par hu- 
milité. Elle prend sur Emile ^empire qu'elle craint 
de n'avoir pas sur Sophie; elle se serjt de l'un pour 
combaHre Tautre. Si eUe ét^it plus confiante 9 elle 
«erait bien moins fièriç. Ote2.ce seul point,. qq'elle 
fille an monde ept pkis facile et plus douce ? qui 
est'Ce qui supporte plos patiemment une ofiense ? 
qui est-ce qui craint plus d'en faire à autrui ? qui 
■est-ce qui a moins 4^ prétentions en tout genre 9 
hors là vertu ? Encore n'est-ce pas de sa vertu 
qu'elLç^est fière , elle ne l'est que pour la conserver; 
et, quand lelle, peut se livrer sans risque aiii penchant 
àh son cœur, elle care^ jusqu'à son amant. M^ip 
sa di^crète mère ne fait pas tou^ ces détails à S09 
père même : les hommes ne doivent pas tqut siivoir. 
liOin même qu'elle semUe s'eftorgoeilUr de sa 
conquête # Sophie en est devenue encore plus afr 
fable, et moins exigeante avec tout le monde, h^B$ 
peut-être le seul qui produit ce changement* Le 
senttoent de l'indépenddpoe n'enfle plus son noble 
coeur. BUe triomphe avec modestie; d'une victoire 
qui liii coûte sa liberté. £Ue a le i^aintien nM>ins 
libre, et le parler plus timide depuis qu'elle n'en^ 

* tend plus le mot d'amant sanS: rougir ; mais le 
t^ntentement p^^e à travers son «mbarras., eA cette 

' honte elle-même n'esl; pas un sentiment £&cfaeux. 
€'«st surtout avec les jeunes Burvenans que la 
différence de sa conduite est Je plus sensible^ 



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i44 àuittt 

Depuis qu'elle ne lés'craînt plus, Textréine réservé 
qu'elle avait avec eux s'est beaucoup relâchée. 
Décidée. dans son choix, elle se montre sans scm-^ 
{>ule gracieuse aux indifférens ; moins difficile sur 
leur mérite depuis qu'elle n'y prend plus dfntérét^ 
elle les trouve toujours assez aimables peur des 
gens qui ne lui seront jamais rien. 

8i le véritable amour pouvait user de coquetterie > 
j'en croirais même voir quelques traces dans' là 
manière dont Sophie se comporte avec eux en pré- 
sence de son amant. On dirait que, non contente 
de l'ardente passion «dont elle Tenthrase par un 
mélange exquis de réserve et de caresse , eHe n'est 
pas fâchée encore d'irriter*cette même pasëîoil par 
un peud^inqtiiétude; on dirait qu'égayant à dessein 
Bes jeunes hôtes , die destine au tourment d'Emile 
les grâces d'un enjouement qu'elle n'ose avoir avec 
lui : mats Sophie est trop attentive, trop bonnes 
trop jiidlcteuse , pour le tourmenter en effet. Pour 
tempérer ce dangereux stinulant, l'amour etFhohi- 
nèteté lui tiennent lieu de priidence : elle sait l'alar- 
mer , et le rassurer précisément quand il faut ; et 
si quelqaefdiB eUe l'inquiète, elle ne l'attriste ja- 
mais. Pal'donnons le«ouci qu'elfe donne à ce qu'elle 
«ime à la peur j^u'èlle a qull ne soit jamais assez 
enlacé. 

Mais quel efiS^t ce petit manège fera*t-il sur 
J&mile? Sera-t-'il jaloux? ne ie sefa-t-il pas ? C'est 
ce qu'il faut ^examiner; car Aie tefies digressions 
«ntrent aussi dans l'objet de mon livre , et m'é^ 
loignent peu de mon sujet. 

J'ai fait voir précédemment, comment dans les 
choses^qui netieiment qu'à Topinion, cette passion 
i^intr^uit dans le cœur de Thèmme; Mais en amour 
^est autre ckpse ; lajalousie parait alors tenic de» 



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tJLVBE V. 145. 

pi*ès à la nature 9 qu'on a bien de la peine à croire 
qu'elle n'en vienne pas ; et l'exemple même des. 
animaux» dont plusieurs sont jaloux jusqu'à la 
fureur, semble établir le sentiment opposé sans 
réplique. Est-ce l'opinion des hommes qui ap- 
prend au^ coqs à se mettre en pièces , et aux tau-* 
reaux à se battre jusqu'à la mort. 

L'aversion contre tout ce qui trouble et combat 
nos plaisirs est un mouvement naturel , cela est 
incontestable. Jusqu'à cartain point le désir de pos- 
séder exclusivement ce qui nous platt est encore 
dans le même cas. Mais quand ce désir , devenu 
passion , se transforme en fureur ou en une fantaisie 
ombrageuse et chagrine appelée jalousie, alors c'est 
autre chose; cette passion peut être naturelle, ou 
ne l'.être pas ; il faut distinguer. 

L'exemple tiré des animaux a été ci-devant exa- 
miné dans le Discours sur l'Inégalité; et main-* 
tenant que j'y réfléchis de nouveau, cet examen 
me paraît assez solide pour oser y renvoyer les lec- 
teurs. J'ajouterai seulement aux distinctions que j'ai 
faites dans cet écrit, que la jalousie qui vient de la 
nature tient beaucoup à la. puissance du sexe , et 
que, quand cette puissance est ou paraît être illi- 
mitée , cette jalousie est à son comble; car le mâle 
alors , mesurant ses droits sur ses besoins , ne peut 
jamais voir un autre mâle que comme un importun 
concurrent. Dans ces mêmes espèces , les femelles^ 
obéissant toujours au premier venu n'appartiennent 
aux mâles que par droit de conquête, et causeni; 
entre eux des combats étemels. 

Au contraire , dans les espèces où un s'unit avec 
une , où l'accouplement produit une sorte de lien 
moral , une sorte de mariage , la femelle , apparu- 
tenant par son choix au mâle qu'elle s'est donné ^ 
II. 7 

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l46 EMILE. 

se refuse communément à tout autre ; elle mâle, 
ayant pour garant de sa fidélité cette affection de 
préférence , s'inquiète aussi moins de la vue des 
autres mâles et vit plus paisiblement avec eux. 
Dans ces espèces le mâle partage le soin des petits; 
et, par une de ces lois delà nature qu'on n^observe 
point sans attendrissement, il semble que la femelle 
rende au père l'attachement qu'il à pour ses enfans. 

Or, à considérer l'espèce humaine dans sa sim- 
plicité primitive , il est aisé de voir par la puissance 
bornée du mâle et par la tempérance de ses désirs, 
qu'il est destiné par la nature à se contenter d'une 
seule femelle ; ce qui se confirme par l'égalité numé-> 
rique des individus des deux sexes, au moins dans 
nos climats ; égalité qui n'a pas lieu , à beaucoup 
près , dans les espèces où la plus grande force des 
mâles réunit plusieurs femelles à un seul. Et bien 
que l'homme ne couve pas comme le pigeon , et 
que, n'ayant pas non plus des mamelles pour allai- 
ter , il soit à cet égard dans la classe des quadru- 
pèdes , les enfans sont si long-temps rampans et 
faibles, que la mère et eux se passeraient diffici- 
lement de l'attachement du père, et des soins qui 
en sont l'effet. 

Toutes les observations concourent donc à prou- 
ver que la fureur jalouse des mâles dans quelques 
espèces d'animaux ne conclut point du tout potir 
l'homme ; et l'exception même des climats mériJ- 
dionaux, où la polygamie est établie , ne fait que 
mieux confirmer le principe, puisque c'est de la plu- 
ralité des femmes que vient la tyrannique précau- 
tion des maris 9 et que le sentiment de sa propre 
faiblesse porte l'iiomme à recourir à la contrainte 
pour éluder les loïs de la nature. 

Parmi nous , où ces tnèimes lois , en cela moins 



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IlVfiE V. 147 

éludées, le sont dans un sens contraire. et plus 
odieux 9 la jalousie a son motif dans les passions 
sociales plus que dans Tinstinct primitif. Dans la 
plupart des liaisons dégalanterie, Tamant hait bien 
plus ses rivaux qu'il n'aime sa maîtresse ; s'il craint 
de n'être pas seul écouté , c'est l'effet de cet amour- 
propre dont j'ai montré l'origine, et la vanité pdtit 
en lui bien plus que l'amour. D'ailleurs nos mala- 
droites institutions ont rendu les femmes si dissî-!* 
mulées (i), et ont si fort allumé leurs appétits , 
qu'on peut à peine compter sur leur attachement 
)e mieux prouvé^ et qu'elles ne peuvent plus mar- 
quer de préférences qui rassurent sur la crainte des 
concurrens. 

Pour l'amour véritable, c'est autre chose. J'ai 
fait voir , dans l'écrit déjà cité , que ce sentiment 
n'est pas aussi naturel que l'on pensç ; et il y a bien 
de la différence entre la douce habitude qui affec- 
tionne l'homme à sa compagne, et cette ardeur 
effrénée qui l'enivre des chimériques attraits d'un 
objet qu'il ne voit plus tel qu'il est. Celte passion , 
qui ne respire qu'exclusions et préférences , ne dif- 
fère en ceci de la vanité , qu'en ce que la vanité , exi- 
geant tout et n'accordant rien , est toujours inique ; 
au lieu que l'amour , donnant autant qu'il exi^e , 
est par lui-même un sentiment rempU d'équité. 
D'ailleurs plus il est exigeant , plus il est crédule : 
la même illusion qui le cause le rend facile à per- 
suader. Si l'amour est inquiet, l'estime est con- 

(i) L'espèce de di.ssiiiiulatîon que j'entends ici est oppose'e 
k celle qui leur convient et qu'elles tiennent de la nature ; 
Tune consiste à déguiser les senthucns qu^elles ont , et 
l^autre a feindre ceux qo^elles la'oati pas Tontes les femmes 
du monde passent leur vie à faire tropbée de leur prétendue 
sensibilité , et n'aiment jamais rieçi qu'elles-mêmes. 



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^4^ imxc. 

fiante; et jamais Tamour sans Fesiime n'ex»ta dan§ 
un cœur honnête , parce que nul n'aime dans ce 
qu'il aime que les qualités dont il fait cas. 

Tout ceci bien éclairci , l'on peut dire à coup sûr 
de quelle sorte de Jalousie Emile sera capable; car, 
puîsqu'à peine cette passion a-t-çlle un germe dans 
le cœur humain , sa forme est déterminée unique- 
ment par réducation. Emile y amoureux et jaloux « 
ne sera point colère , ombrageux 9 méfiant , mais 
délicat , sensible et craintif : il sera plus alarmé 
qu'irrité ; il s'attachera bien plus à gagner sa maî- 
tresse qu'à menacer son rival ; il l'écartera , s'il 
peut , comme un obstacle , sans le haïr comme un 
ennemi ; s'il le hait, ce ne sera pas pour l'audace 
de lui disputer un cœur auquel il prétend, mais 
pour le danger réel qu'il lui fait courir de le perdre ; 
son injuste orgueil ne s'oifensera point sotten(ient 
qu'on ose entrer en concurrence avec lui ; com- 
prenant que le droit de préférence est uniquement 
fondé sur le mérite , et que l'honneur est dans le 
succès , il redoublera de soins pour se rendre ai- 
mable 9 et probablement il réussira. La généreuse 
Sophie, en irritant son amour par quelques alarmes, 
saura bien les régler, l'en dédommager ; et les con- 
currens ', qui n'étaient soufferts que pour le mettre 
à l'épreuve, ne tarderont pas d'être écartés. 

Mais où me sens -je insensiblement entraîné? 
O Emile, qu'es-tu devenu ? Puis-je reconnaître en 
toi mon élève ? Combien je te vois déchu ! Oà. est 
ce jeune homme formé si durement , qui bravait 
les rigueurs des saisons, qui livrait son corps aux 
plus Tudc» travaux, et son âme aux seules lois de 
la sagesse ; tnaccessible aux préjugés , aux passions ; 
qui n'aimait que la vérité» qui ne cédait qu'à la 
raison , et ne tenait à rien de ce qui n'étaitpa» lui ? 



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LIVEB V. 149 

Maintenant, amolii dan» une rie oisive, il te laisse 
gouverner par des femmes ; leurs amusemens sont 
ses occupations, leurs volontés sont ses lois; une 
jeune fille est Farbitre de sa destinée ; il rampe et 
fléchit devant elle ; le grave Emile est le jouet d'un 
enfant. 

Tel est le changement des scènes de la> vie : 
chaque âge a ses ressorts qui le font mouvoir; maïs 
rhomme est toujours le même. A dix ans il est 
mené par des gâteaux, à vingt par une maltresse , 
à trente par les plaisirs , à quarante par Tambition, 
à cinquante par Favarice : quand ne coiut-il qu'a- 
près la sagesse ? Heureux celui qu^'on y conduit 
malgré Ibi ! Qu'importe de quel guide on se serve 
pourvu qu'il le mène au but ? Les héros , les sages 
eux-mêmes, ont payé ce tribut à la faiblesse hu- 
maine; et tel dont les doigts ont cassé des fuseaux 
n'en fut pas pour cela moins grand homme. 

Voulez-vous étendre sur la vie entière l'effet 
dHme heureuse éducation 9 prolongez durant la 
jeunesse les bonnes habitudes de l'enfance; et, 
quand votre élève est ce qu il doit être, faites qu'il 
soit le même dans tous les temps. Voilà la dernière 
perfection qui vous reste à donner à votre ouvrage. 
C'est pour cela surtout qu'il importe de Ijiisser un 
gouverneur aux jeunes hommes ; car d'ailleurs il 
est peu à craindre qu'ils ne sachent pas faire l'amour 
sans lui. Ce qui trompe le» instituteurs, et surtout 
les pères , c'est qu'ils croient qu'une manière de 
vivre en exclut une autre , et qu'aussitôt qu'on est 
grand on doit renoncer à tout ce qu'on faisait étant 
petit.^Si cela était, à quoi servirait de soigner l'en- 
fance, puisque le bon ou le mauvais usage qu'on 
en ferait s'évanouirait avec elle , et qu'en prenant 
des manières de vivre absolument différentes , 



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lÔO EMILE. 

on prendrait nécessairement d^autres façons dé 
penser ? 

Comme il n^ a que de grandes maladies qui 
fassent solution de continuité dans la mémoire, il 
n*y a guère que de grandes passions qui la fassent 
dans les mœurs. Bien que nos goûts et nos inclina- 
tions changent , ce changement, quelquefois assez 
brusque, est adouci par les habitudes. Dans la suc- 
cession de nos penchans , comme dans une bonne 
dégradation de couleurs , Thabile artiste doit rendre 
les passages imperceptibles , confondre et mêler les 
teinîes , et pour qu^aucune ne tranche , en étendre 
plusieurs sur tout son travail. Cette règle est con- 
firmée par Texpérience ; les gens immodérés chan- 
gent tous les jours d^affection, de goût<<, desentl- 
mens , et n'ont pour toute constance que Phabitude 
du changement ; mais Thomme réglé revient tou^^- 
jours à ses anciennes pratiques, et ne perd pas 
même dans sa vieillesse le goût des plaisirs qu*£i 
aimait enfant. * 

Si tous faites qu'en passant dans un nouvel âge 
les jeunes gens ne prennent point en ihépris celui 
qui l'a précédé, qu'en contractant de nouvelles 
habitudes ils n'abandonnent point les anciennes , 
et qu'ils aiment toujours à faire ce qui est bien , 
sans égard au temps où ils ont commencé ; alors . 
seulement vous aurez sauvé votre ouvrage, et vous 
serez sûrs d'eux jusqu'à la fin de leurs jours; car 
Ja révolution la plus à craindre est celle de l'âge 
sur lequel vous veillez maintenant. Comme on le 
regrette toujours, on perd difficilement dans la 
suite les goûts qu'on y a conservés; au U^ que 
quand Us sont interrompus , on ne les reprend de 
la vie. 

La plupart des habitudes que vous croyez faire 

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LIVRE V. l5l 

• 

eontracler aiix enfans et aux jeunes gens ne sont 
point de véritables habitudes y parce qu'ils ne les 
ont prises que par force y^ et que, les suivant malgré 
eux j ils n^attendent que Toccasion de s'en délivrer. 
On ne prend point de goût d*étre en prison à force 
<l'y demeurer; lliabitude alors, loin de diminuer 
l'aversion, l'augmente. 11 n'en est pas ainsi d'Emile, 
qui , n'ayant rien fait dans son enfance que volon^ 
tairement et avec plaisir, ne fait, en continuant 
d'agir de même étant homme , qu'ajouter l'empire 
de l'habitude aux douceurs de la liberté. La vie 
active, le travail des bras, l'exercice, le mouve- 
ment, lui sont tellement devenus nécessaires, qu'il 
n'y pourrait renoncer sans souffrir. Le réduire tout 
à coup à une vie molle et sédentaire serait rem-* 
grisonner , l'enchaîner , le tenir dans un état vio- 
lent et contraint; je ne doute pas que son humeinr 
et sa santé n'en fussent également altérées. A peine 
peut-il respirer à son aise dans une chambre bien 
fermée ; W lui faut le grand air, le mouvement, la 
fatigue. Aux genoux même de Sophie il ne peut 
s'empêcher de regarder quelquefois la campagne 
du coin de l'œil , et de désirer de la parcourir avec 
elle. Il reste pourtant quand il faut rester ; mais il 
est inquiet, agité; il semble se débattre; il reste 
parce qu'il est dans les fers. Voilà donc, allez-vous 
dire , des besoins auxquels je l'ai soumis, des assu- 
jettissemens que je lui ai donnés : et tout cela est 
vrai ; je l'ai assujetti à l'état d'homme. 

Emile aime Sophie ; mais quels sont les premiers 
charmes qui l'ont attaché ? La sensibilité, la vertu, 
l'amour des choses honnêtes. En aimant cet amour 
dans sa maîtresse, l'aurait-il perdu pour lui-même? 
A quel prix à son tour Sophie s'est- elle mise? 
A celui de tous les sentimens qui sont naturels au 

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i5a imitE. 

cœur de son amant; resUme des vrais biens , la 
frugalité , la simplicité 9 le généreux désintéresse«- 
Bient f le mépris du faste et des richesses. Emile 
avait ces vertus avant qrœ Tamour les lui eût impo* 
«ées« En quoi donc ËmUe est -il véritablement 
changé ? Il a de nouvelles raisons d*étre lui-même ; 
c'estle seul point où il soit diffiërent de ce qu^il était. 

Je n'imag^e pas qu'en lisant ce livre avec quel- 
que attention y personne puisse croire que toutes les 
circonstances de la situation où il se trouve se soient 
ainsi rassemblées autour de lui par hasard. Est-ce 
par hasard quCsles villes, fournissant tant de filles 
aimables, celle qui lui plaît ne se trouve qu'au 
fond d'une retraite éloignée? Est-ce par hasard 
qu'il la rencontre? Est-ce par hasard qu'ils se epn- 
viennent? Est-ce par hasard qu'ils ne peuvent loger 
dans le même lieu? Est-ce par hasard qu'il ne 
trouve un asile que si loin d^elle ? £st*ce par hasard 
qu'il la voit si rarement , et qu'il est forcé d'acheter 
par tant de fatigues le plaisir de la voir quelque- 
fois? Il s'effémine, dites- vous. Il s'endurcit au 
contraire ; il faut qu'U soit aussi robuste que je l'ai 
fait pour résister aux fatigues que Sophie lui fait 
supporter. 

Il loge à deux grandes lieues d'elle. Cette distance 
est le soufflet de la forge; c'est par elle que je 
trempe les traits de l'amour. S'ils logeaient porte à 
porte, ou qu'il pût l'aller voir mollement assis dans 
un bon carrosse, il l'aimerait à son aise, il Paime* 
xait eu Parisien. Léandre eût-il voulu mourir pour 
Héro, si la mer ne l'eût séparé d'elle? Lecteur^ 
épargnez-moi des paroles; si vous êtes fait pour 
jn'entendre, vous suivrez assez n^es règles dans 
mes détails. 

Les premières fois que nous sommes allés voir 



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nvKi V. i55 

Sophie, nous avons pris des chevaux pour aller 
plus vite. Nous trouvons cet expédient commode , 
et à la cinquième fois nous continuons de prendre 
des chevaux. Nous étions attendus; à plus d'une 
demi-lieue de la maison nous apercevons du monde 
sur le chemin. Emile observe ^ le cœur lui bat; il 
approche, il reconnaît Sophie, il se précipite à bas 
de son cheval , il part, il vole, il est aux pieds de 
raimable famille. Emile aime les beaux chevaux ; 
le sien est vif, il se sent libre , il s'échappe à travers 
champs : je le suis, )e l'atteins avec peine, je le 
ramène. Malheureusement Sophie a peur des che- 
vaux, je n'ose approcher d'elle. Emile ne voit rien; 
mais Sophie l'avertit à l'oreille de la peine qu'il a 
laissé prendre à son ami. Emile accourt tout hon- 
teux, prend les chevaux, reste en arrière : il est 
juste que chacun ait son tour. Il part le premier 
pour se débarrasser de nos montures. £n laissant 
ainsi Sophie derrière lui , il ne trouve plus le cheval 
une voiture aussi commode. Il revient essouflé, et 
nous rencontre à moitié chemin. 

Au voyage suivant, Emile ne veut plus de che- 
vaux. Pourquoi? lui dis -je, nous n'avons qu'à 
prendre un laquais poiur en avoir soin. Ah ! dit-il , 
surchargerons-nous ainsi la respectable famille? 
Vous voyez bien qu'elle veut tout nourrir, hommes 
et chevaux. Il est vrai, reprends-je, qu'ils ont la 
noble hospitalité de l'indigence. Les riches , avares 
dans leur faste , ne logent que leurs amis ; mais les 
pauvres logent aussi les chevaux de leurs amis. 
Allons à pied, dit -il; n'en avez-vous pas le cou- 
rage, vous qui partagez de si bon cœur lesfatigans 
plaisirs de voire enfant? Très - volontiers , re- 
prends-je à Tinstant; aussi-bien l'amour, à ce qu'U 
me semble , ne veut pas être fait avec tant de bruit 



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En approchant nous trouvons la mère et la fille 
plus loin encore que la première fois. Nous sommes 
venus comme un trait. Fmile est tout en nage i 
une main chérie daigne lui passer un Hiouchoir sur 
les joues. Il y aurait bien des chevaux au monde 
avant que nous fussions désormais tentés de nous 
en servir. 

Cependant il est assez cruel de ne pouvoir jamais 
passer la soirée ensemble. L'été s'avance 5 les jours 
commencent à diminuer. Quoi que nous puissions 
dire , on ne nous permet jamais de nous en retour- 
ner de nuit ; et quand nous ne venons pas dès le 
matin , il faut presque repartir aussitôt qu'on est 
arrivé. A force dé nous plaindre et de s'inquiéter 
de nous, la mère pense enfin qu'à la vérité l'on ne 
peut nous loger décemment dans la maison , mais 
qu'on peut nous trouver un gîte au village pour y 
coucher quelquefois. A ces mots Emile frappe des 
mains, tressaillit de joie : et Sophie, sans y songer, 
baise un peu plus souvent sa mère le jour qu'elle 
a trouvé cet expédient. 

Peu à peu la douceur de l'amitié, la familiarité 
de l'innocence , s'établissent et s'affermissent entre 
nous. Les jours prescrits par Sophie ou par sa 
. mère , je viens ordinairement avec mon ami : quel- 
quefois aussi je le laisse aller seul. La confiance 
élève l'âme , et l'on ne doit plus traiter un homme 
en enfant : et qu'aurais -je avancé jusque-là si 
mon élève ne méritait pas mon estime? Il m'arrive 
aussi d'aller sans lui ; alors il est triste et ne mur- 
mure point : que serviraient ses murmures; Et 
puis, il sait bien que je ne vais pas nuire à ses 
intérêts. Au reste, que nous allions ensemble ou 
séparément, on conçoit qu'aucun temps ne nous 
arrête , toiit fiers d'arriver dans un état à pouvoir 

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être plaints. Malheureusement Sophie nous interdît 
cet honneur, el défend qu'on vienne par le mau- 
vais temps. C'est la seule fois que je la trouve 
rebelle aux fègles que je lui dicte en secret. 

Vn jour qu'il est allé seul , et que je ne l'attends , 
que le lendemain, je le vois arriver le soir même, 
et je lui dis en l'embrassant : Quoi ! cher Emile, tu 
reviens à ton ami! Mais> au lieu de répondre à 
mes caresses, il me dit avec un peu d'humeur : Ne 
croyez pas que je revienne sitôt de mon gré, je 
viens malgré moi. Elle a voulu que je vinsse ; je 
viens pour elle et non pas pour vous. Touché de 
cette naïveté, je Tembrasse derechef, en lui disant : 
Ame franche , ami sincère , ne me dérobe pas ce 
qui m'appartient. Si tu viens pour elle, c'est pour 
nioi que tu le dis : ton retour est son ouvrage ; 
mais ta franchise est le mien. Garde à jamais cette 
noble candeur des belles âmes. On peut laisser 
penser aux indifférens ce qu'ils veulent ; mais c'est 
Tin crime de souffrir qu'un ami nous fasse un mé- 
rite de ce que nous n'avons pas fait pour lui. 

Je me garde bien d'avilir à ses yeux le prix de 
cet aveu , eu y trouvant plus d'amour que de géné- 
rosité , et en lui disant qu'il veut moins s'ôter le 
mérite de ce retour, que le donner à Sophie. Mais 
voici comment il me dévoile le fond de son cœur 
-sans y songer : s'il est venu à son aise à petits pas , 
et rêvant à ses amours , Emile n'est que l'amant de 
Sophie; s'il arrive à grands pas, échauffé, quoi- 
que unpeu grondear, Emile est l'ami de son Mentor. 
On voit par ces arrangemens que mon jeune 
homme est bien éloigné de passer sa vie auprès de 
Sophie et de la voir autant qu'il voudrait. Un 
voyage ou deux par semaine bornent les permis- 
sions qvi'il reçoit ; et ses visites, souvent d'une seule 

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|$6 iMlLE. 

demî-jouruée, s'étendent rarement au lendemain 
Il emploie bien plus de temps à espérer de la Tolr 
ou à se féliciter de l'avoir vue, qu'à la voir en effet. 
Dans celui même qu'il donne à ses voyages, il en 
passe moins auprès d'elle qu'à s'en approcher ou 
s'en éloigner. Ses plaisirs vrais, purs, délicieux, 
mais moins réels qu'imaginaires , irritent sou amour 
sans effémtner son cœur» 

Les jours qu'il ne la voit point il n'est pas oisif et 
sédentaire. Ces jours-là c'est Emile encore; il n'est 
point du tout transformé. Le plus souvent il court 
les campagnes des environs, il suit ^n histoire 
naturelle; il observe, il examine les terres, leurs 
productions , leur culture ; il compare les travaux 
qu'il voit à ceux qu'il connaît; ilpherche les raisons 
des différences; quand il juge d'autres méthodes 
préférables à celles du lieu ,• il les donne aux culti- 
vateurs; s'il propose une meilleure fonùe de char* 
rue, il en lait faire sur ses dessins; s'il troute une 
carrière de marne, il leur en apprend l'usage in- 
connu dans le pays ; souvent il met lui-même la 
main à IVBuvre; ils sont tout étonnés de lui voir 
manier leurs outils plus aisément qu'ils ne font 
eux-mêmes, tracer des sillons plus prc^onds et plus 
droits que les leurs, semer avec plus d'égalité, 
diriger des ados avec plus d'intelligence* Ils ne se 
moquent pas de lui conune d'un beau diseur d'agri- 
culture, ils voient qu'il la sait effet. En un mot, il 
étend son zèle et ses soins à tout ce qui est d'uti- 
lité première et générale ; mècne il ne s'y borne 
pas. Il visite les maisons des paysans , s'Informe de 
leur état, de leurs familles, du nombre de leurs 
enfans , dd la quantité de leurs tcsrres , de la nature 
du produit, de leurs débouchés, de leurs facultés, 
de leurs charges, de leurs dettes « etc. Il donne peu 



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LltEB V. iff 

d^argeBt,- sachant que pour Tordioaire il eêt mal 
employé ; mais il en dirige l'emploi lui-mâne , et 
le leur rend utile malgré qu'ils en aient. Il leur 
fournit des ouvriers, et souvent leur paie leurs 
propres journées pour les travaux dont ils ont be- 
soin. A Tun il fait relever ou couvrir sa chaumière 
à demi^ tombée; à Tautre il fait défricher sa terre 
abandonnée faute de moyens ; à Tautre il fournit 
une vache, un cheval, du bétail de toute espèce à 
la place de celui qu'il a perdu : deux voisins sont 
prè-8 d'entrer en procès, il les gagne , il les accom* 
mode ; un paysan tombe malade , il le fait scHgner, 
il le soigne lui-même (i) ; un autre est vexé par un 
voisin puissant, il le protège et le recommande; de 
pauvres jeunes gens se recherchent, il aide à les 
marier; une bonne femme a perdu son enfant 
chéri, il va la voir, il la console, il ne sort point 
aussitôt qu'il est entré : il ne dédaigne point les 
indigens, il n'est point pressé de quitter les malheu** 
reux; il prend souvent son repas chez les paysans 
qu'il assiste , il l'accepte aussi chez ceux qui n'ont 
pas besoin de lui : en devenant le bienfaiteur des 
ims et l'ami des autres, il ne cesse pomt d'être 
leur égal. Enfin, il fait toujours de sa personne 
autant de bien que de son argent. 
Quelquefois il dirige ses tournées du côté de rheu<« 

(i) Soigner un paysan malade , ce n'est pas le purger, 
lai donner des drogues , lai envoyer un chirurgien. Ce n^est 
pas de tout cela qu^ont besoin ces pauvres gens dans leurs, 
maladies; c^est de nourriture meilleure et plus abondante. 
Jeûnez, vous autres, quand vous avez la fièvre : mais quand 
vos paysans l'ont, donnez -leur de la viande et du vin; 
presque toutes leurs maladies viennent de misère et d'épui- 
sement : leur meilleure tisane est dans votre cave, leur seul 
apothicaire doit être yotre boucher. 



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rSB EMILE. 

reux séfour : il pourrait espérer d*aperceyoir Sophie 
à la d^obée 9 de la voir à la promenade sans être 
vu. Mais Emile est toujours sans détour dans sa 
conduite , il ne sait et ne veut rien éluder. Il a cette 
aimable délicatesse qui flatte et nourrit Tamour- 
* propre du bon témoignage de sol. Il garde à la 
rigueur son ban , et n'approche jamais assez pour 
temr du hasard ce qu'il ne veut devoir qu'à Sophie, 
En revanche il erre avec plaisir dans les environs , 
recherchant les traces des pas de sa maîtresse , 
s'attendrissant sur les peines qu'elle a prises et sur 
les courses qu'elle a bien voulu faire par complai- 
sance pour lui. La veille des jours qu'il doit la voir , 
^1 ira dajis quelque ferme voisine ordonner une 
collation pour le lendemain. La promenade se 
dirige de ce côté sans qu'il y paraisse ; on entre 
comme par hasard ; on trouve des fruits , des 
gâteaux , de la crème. La friande Sophie n'est pas 
insensible à ces intentions 9 et fait volontiers iion- 
neur à notre prévoyance ; car j'ai toujours ma part 
au compliment, n'en eusse- je eu aucune au soin 
qui l'attire; c'est un détour de petite fille pour être 
moins embarrassée en remerciant. Le père etmioi 
mangeons des gâteaux et buvons du vin : mais 
Emile est de l'écot des femmes 9 toujours au guet 
pour voler quelque assiette de crème où la cuiller 
de Sophie ait trempé. 

A propos de gâteaux » je parle à Emile de ses 
anciennes courses. On veut savoir ce que c'est que 
ces courses ; je l'explique , on eu rit ; on lui demande 
s'il sait courir encore. Mieux que jamais 9 répondit- 
il ; je serais bien fâché de l'avoir oublié. Quelqu'un 
de la compagnie aurait grande envie de le voir 
courir 9 et n'ose le dire ; quelque autre se charge 
de la proposition; il accepte : on fait rassembler 



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t IVEE V. l59 

deux ou trois jeunes gens des environs; on décerne 
un prix , et pour mieux imiter les anciens jeux, on 
met un gâteau sur le but. Chacun se tient prêt ; le 
papa donne le signal en frappant des mains. L'agile 
Emile fend Tair , et se trouve au bout de la carrière , 
qu'à peine mes trois lourdauds sont partis. Emile 
reçoit le prix des mains de Sophie 9 et 9 non moinf 
généreux qu'Éuée , fait des présens à tous les 
vaincus. 

Au milieu de l'éclat du triomphe 9 Sophie ose 
défier le vainqueur 5 et se vante de courir aussi bien 
que lui. Il ne refuse point d'entrer en lice avec 
elle ; et , tandis qu'elle s'apprête à l'entrée de la 
carrière , qu'elle retrousse sa robe d<îs dçux côtés , 
et que 9 plus curieuse d'étaler une jambe fine aux 
yeux d'Emile 9 que de le vaincre à ce combat 9 elle 
regarde si ses jupes sont assez courtes 9 il dit un 
mot à l'oreiUe de lanière ; elle sourit et fait un signe 
d'approbation. Il vient alors se placer à côté de sa 
concurrente ; et le signal n'est pasiplus tôt dooné 9 
qu'on la voit partir et voler comme un oiseau. 

Les femmes ne sont pas faites peur courir ; quand 
elles fuient 9 c'est podr être atteintes. La course 
n'est pas la seule chose qu'elles fassent maladroite- 
ment 9 maists'est la seule qu'elles fassent de mau-^ 
vaise grâoe : leurs coudes en arrière et collés contre 
leur corps leur donnent une attitude risiblcy et les 
hauts talons sur lescpidles elles sont juchées les font 
paraître autant de sauterelles qui voudraient courir ' 
sans sauter. 

Emile 9 n'imaginant point que Sophie coure 
mieux qu'une autre femme 9 ne daigne pas sortir 
de sa place et la voit partir avec un souris moqueur. 
Mais Sophie est légère et porte des talons bas^; elle 
ù'a pas besoin d'artifice pour paraître avoir le 



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lOo BMILB; 

pied petit; elleprend les devans d'une telle rapidUë ^ 
que, pour atteindre cette nouvelle Atalante, il n'a. 
que le temps qu'il lui faut quand il T^g^rçoit si loin . 
devant lui. Il part donc à son tour; semblable à 
l'aigle qui fond sur sa proie ; il la poursuit , la 
talonne, l'atteint enfin tout essouflée , passe dou- 
cement son bras gauche autour d'elle, l'enlève 
comme une plume, et pressant sur son cœur cette 
douce charge,. il achève ainsi la course, lui fait 
toucher le but la première , puis criant Victoire à 
Sophie 1 met devant elle un genou en terre, et se 
reconnaît le vaincu. 

A ces occupations diverses se joint celle du métier 
que nous avons appris. Au moins un jour par 
semaine , et tous ceux où le mauvais temps ne nous 
permçt pas de tenir la campagne, nous allons 
Emile et moi travailler chez un maître. . Nous n'y 
travaillons pas. pour la forme, en fpens au^des^us de . 
cet état , mais tout de bon et en vrais ouvriers. Le 
père de Sophie nous venant voir nous trouve une 
fois à l'ouvrage, et ne manque pas de rapporter 
avec admiration à sa fnnme et à sa fille ce qu'il a 
vu. Allez voir, dit-il ,' ce jeûne homme à l'atelier , 
et vous verrez s'il méprise la condition du pauvre ! 
On peut imaginer si Sophie entend ce discours avec 
plaisir! On en reparle, on voudrait le surprendre à 
Fouvrage. On me questionne sans faire sen^blant de 
rien ; et , après s'être assurées d'un de nos jouirs, la 
mère et la fille prennent une calèche , et viennent 
à la ville le même jour. 

En entrant dans l'atelier Sophie aperçoit k l'autre 
bout un jeune homme ^n veste , les cheveux négli- 
gemment rattachés, et «i occupé de ce qu'il fait 
qu'il ne la voit point : elle s'arrête et fait signe à sa 
mère. JÉmile , xok ciseau d'une main et le maillet 



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LIVRE V. 161 

de Tautre 9 aclièye une mortaise ; puis il scie une 
planche et en met une pièce sous le valet pour la 
polir. Ce ^ectacle ne fait point rire Sophie ; il la 
touche , il est respectable. Femme , honore ton 
chef; c'est lui qui travaOle pour toi , qfui te gagne 
ton pain , qui te nourrit : voilà Thomme. 

Tandis qu'elles sont attentives à l'observer 9 je les 
aperçois 9 |e tire Emile par la manche : il se retourne 9 
les voit 9« jette ses outils 9 et s'élance avec un cri de 
joie. Après s^étre livré à ses premiers transports 9 il 
les fait asseoir et reprend son travail. Mais Sophie 
ne peut rester assise ; elle se lève avec vivacité 9 
parcourt l'atelier 9 examine tes outils 9 touehe le 
poli des planches 9 ramasse des copeaux par terre 9 
regarde à nos mains 9 et puis dit qu'elle aime ce 
métier 9 parce qu'il est propre. La folâtre essaie 
même d'imiter Emile. De sa blanche et débile 
iaain elle pousse un rabot sur la planche; le rabo 
glisse et ne mord point. Je croîs voir l'Amour dans 
les airs rire et battre des ailés ; je crois l'entendre 
pousser des cris d'allégresse 9 et dire 9 Hereuie est 
vengé.. 

Cependant la mère questionne le maître : Mon- 
«eur 9 combien payez-vousces garçons-là? Madame, 
fe leur donne à chacun vingt sous par jour et je le» 
iiôurvis,;. mais si cefeune homme voulait il gagne- 
rait bien davantage 9 car c'est le meilleur ouvrier du 
pays. Vingt sous par jour 9 et vous les nourrissez I 
dit la mère en nous regardant avec attendrissement. 
Madame 9 il est ainsi 9 reprend le* maître. A ces 
mots, elle court à Emile 9 l'embrasse 9 le presse 
contré son sein, en versant sur lui des larmes 9 et 
San» pouvoir dire autre chose que de répéter plu- 
sieuiti fois : Mon fils là mon fils ! 

Apr^ avoir passé quelque temps à causer avec 
i.i. * 7 

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%^t EMILE. 

nous, mais sans nous détourner : Alions^nous-en , 
dit la mère à sa fille ; il se fait tard ^ il ne faut pas 
nous faire attendre. Puis s'approchant d Emile ^ 
elle lui donne un petit coup sur la joue en lui 
disant : Hé bien ! bon ouvrier , ne voûlez*¥Ous pas 
venir avec nous ? Il lui répond d'un ton fort triste : 
Je suis enga^ , demandez au maître. On demande 
au maître sHl veut bien se passer de nous.^ Il répond 
qu'il ne peut. J'ai , dît-il , de l'ouvrage qui presse 
et qu'il faut rendre après-demain. Comptant sur 
ces messieurs , i'ai refusé des ouvriers qui se sont 
présentés ; si ceux-ci me manquent, je ne sais plus 
où en prendre d'autres, et je ne pourrai rendre 
l'ouvrage au jour promis. La mère ne réplique 
rien ; elle attend' qu'Emile parle. Emile baisse la 
tète et se tait. Monsieur, lui dit-elle un peu sur- 
prise de ce silence , n'avez- vous rien à dire à cela ? 
Emile regarde tendrement la fille , et ne répond 
que ces mots : Vous voyez bien qu'il faut que je 
reste. Là-dessus les dames partent et nous laissent. 
Emile les accompagne jusqu'à la porte, les suit 
des yeux autant qu'il peut , soupire , et revient se 
mettre au travaU sans parler. 

£n chemin , la mère , piquée , parle à sa fille de 
la bizarrerie de ce procédé. Quoi ! dit-elle , était-il 
si difficile de contenter le maître sans être obligé 
de rester? et ce jeune homme si prodigue, qui 
Verse l'argent sans nécessité, n'en sait-il plus trouver 
dans les occasions convenables? Q nuinian, répond 
Sophie , à Dieu ne plaise qu'Emile donne tant de 
force à l'aident , qu'il s'eb serve pour rompre un 
engagement personnel , pour violer impunément 
sa parole^ et faire violer ceUe d'autrui ! Je sak qu'il 
dédommagerait aisément l'ouvrier du léger préju- 
dice que lui causerait son absence ; mais cependant 



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LIVRE V. VJO 

il asservirait son àme aux richesses , il s'accoutu- 
merait à les mettre à la place de ses devoirs, et à 
croire qu'on est dispensé de tout , pourvu qu^on 
paie. Emile a d'autres manières de peiiser , et 
i'espère de n'être pas cause qu'il en change. Croyez- 
vous qu*il ne lui en ait rien coûté de rester ? Maman , 
ne vous y trompez pas ; c'est pour moi qu'il reste ; 
Je l'ai bien vu dans ses yeux. 

Ce n'est pas que Sophie soit indulgente sur les 
vrais soins de l'amour ; au contraire , elle est impé- 
rieuse , exigeante; dlè aimerait mieux n'être point 
aimée que de l'être modérément. Elle a le noble 
orgueil du mérite qui se sent , qui s'estime , et qui 
veut être honoré comme il s'honore. Elle dédai- 

. gnerait un cœur qui ne sentirait pas tout ie prix du 
«ien , qui ne l'ainnuBrait pas pour ses vertus autant 
et plus que pour ses charmes; un cœur qui ne lui 
préférerait pas son propre devoir , et qui ne la pré- 
férerait pas à toute autre chose. Elle n'a point voulu 
^'amant qui ne connût de loi que la sienne : elle 
vent régner sur un homme qu'elle n'ait point défi- 
guré. C'est ainsi qu'ayant avili les compagnon s 
d'Ulysse 9 Circé les dédaigne, et se donne à lui seul 
qu'elle n'a pu changer. 

Mais ce droit inviolable et sacré mis à part , ja- 
louse à l'excès de tous les siens , Sophie épie avec 

' quel scrupule Emile les respecte, avec quel zèle il 
accomplit ses volontés, avec quelle adresse il les 
•devine , avec quelle vigilance il arrive au moment 
prescrit : elle ne veut ni qu'il retarde ni qu'il an- 
ticipe ; elle veut qu'il soit exact. Anticiper c'est se 
préférer à elle; retarder c'est la négliger. Négliger 
Sophie! cela n'arriverait pas deux foi^. L'Injuste 
soupçon d'une a failli tout perdre ; mais jSophie est 
équitable et sait bien réparer ses torts. 



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]64 éMILE. 

Uu soir nous sommes attendus ; Emile a reçu 
l'ordre. On vient au-devant de nous; nousn'arri* 
vous point. Que sont-ils devenus ? Quel malheur 
leur est arrivé ? Personne de leur part I La soirée 
Vécoule à nous attendre. La pauvre Sophie nous 
croit morts; elle se désole 5 elle se tourmente > elle 
pasi^a la nuit à pleurer. Dès le soir on a expédié un 
messager pour aller s'informer de nous et rapporter 
de nos nouvelles le lendemain matin. 

Le messager revient accompagné d'un autre de 
notre part^ qui fait nos excuses de bouche 5 et dit 
que nous nous portons bien. Un moment après ^ 
nous paraissons nous-mêmes. Alors la scène change; 
Sophie essuie ses pleurs > ou, si elle en verse, ils 
sont de rage. Son cœur altier n'a pas gagné à se 
rassurer sur notre vie : Emile .vit, et s'est fait at- 
tendre inutilement. 

A notre arrivée elle veut s'enfermer. On veut 
qu'elle reste; il faut rester : mais, prenant à l'in- 
stant son parti, elle affecte un air tranquille et con- 
tent qui en imposerait à d'autres. Le père vient 
au-devant de nous et nous dit : Vous avez tenu vos 
amis en peine ; il y a ici des gens qui ne vous par- 
donneront pas aisén^ent. Qui donc, mon papa? ait 
Sophie avec une manière de sourire le plusgracieux 
qu'elle puisse affecter. Que vous importe, répond 
le père> pourvu que ce ne soit pas vous ? Sophie ne 
réplique point, et baisse les yeux sur son ouvrage* 
La mère nous reçoit d'un air froid et composé. 
JËmile embarrassé n'ose aborder Sophie. Elle loi 
parle la première , lui demande comment il se porte^ 
l'invite à s'asseoir, et se contrefait si bien que le 
pauvre feune homme, qui n'entend rien encore 
au langa|;e des passions violentes^ est la dupe de 



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tiviE V. tG5 

ce sang-froid , et presque sur le* point d^en être 
piqué lui-même. 

Pour le désabuser je vais prendre la main de 
Sophie, j'y veux porter mes lèvres conmie je fais 
quelquefois : elle la retire brusquement avec un 
mot de monncur si singulièrement prononcé , que 
ce mouvement involontaire la décèle à Finstant aux 
yeux d'Emile. 

Sophie elle-même , voyant qu'elle s'est trahie , 
■se contraint moins. Son sang-froid apparent se 
change en un mépris ironique. Elle répond à tout 
ce qu'on lui dit par des monosyllabes prononcés 
d'une voix lente et mal assurée , comme craignant 
d'y laisser trop percer l'acceut de Tindignation. 
JÈmile, demi-mort d'effroi, la regarde avec douleur, 
et tâche de l'engager à jeter les yeux sur les siens 
pour y mieux lire ses vrais sentimens. Sophie , plus 
irritée de sa confîance, lui lance un regard qui lui 
6te l'envie d'en solliciter un second. Emile, interdit, 
tremblant, n'ose plus , très-heureusement pour lui, 
ut lui parler ni la regarder; car, n'eût-i^pas été 
.coupable , s'il eût pu supporter sa colère elle ne lui 
eût jamais pardonné. 

Yoyant adors que c'est mon tour , et qu'il est 
temps de s'expliquer > je reviens à Sophie. Je re- 
prends sa main qu'elle ne retire plus > car elle est 
prête à se trouver mal. Je lui dis avec douceur : 
Chère S^p^ie , nous sommes malheureux , mais 
vous êtes raisonnable et juste ; vous ne nous jugerez 
pas sans nous entendre : écoutez-nous.. £lle njc 
répond rien ,. et je parte ainsi : 

« Nous sommes partis hier à quatre heures; il 
« nous était prescrit d'arriver à sept, et nous pre- 
« nons toujours plus de temps qu'il ne nous est 
« nécessaire afin de nous reposer en approchant 



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lG6 EMILE. 

« d'ici. Nous avions déjà fait les trois quarts dn 
« chemin quand des lamentations douloureuses 
« nous frappent Toreille ; elles partaient d'une 
« gorge de la colline à quelque distance de nous. 
« Nous accourons aux cris ; nous trouvons un mal- 
c heureux paysan qui , revenant de la ville un peu 
f pris de vin sur son clfeval, en était tombé si 
« lourdement qu'il s'étaif cassé la jambe. Nous 
c crions 9 nou» appelons du secours ; personne ne 
« répond : nous essayons de remettre le blessé sur 
t son cheval , nous n'en pouvons venir .à bout ; au 
c moindre mouvement le malheureux souffre des 
« douleurs horribles. Nous prenons le parti d'atta- 
c cher le cheval dans le bois à l'écart; puis 9 faisant 
c un brancard de nos bras , nous y posons le blessé , 
« et le portons le plus doucement qu'il est possible > 
« en suivant ses indications sur la route qu'il fal- 
« lait tenir pour aller chez lui. Lç trajet était lonj; y 
« il fallut nous reposer plusieurs fois. Nous arrivons 
c enfin '9 rendus de fatigue : nous trouvons avec 
« une Surprise amère que nous connaissions^ déjà 
« la maison , et que ce misérable que nous rap« 
c portions avec tant de peine était le même qui 
c nous avait si cordialement reçus le jour de notre 
€ première arrivée ici. Dans le trouble où nou5 
c étions touS; nous ne nous étions point reconnus 
» jusqu'à ce moment. 

€ Il n'avait que deux petits enfans. Prête à lui 
c en donner un troisième 9 sa femme fut si saisie 
« en le voyant arriver , qu'elle sentit des douleurs 
« aiguës et accoucha peu d'heures après. Que faire 
€ en cet état dans une chaumière écartée où l'on 
« ne pouvait espérer aucun secours ? Emile prît le 
€ parti d'aller prendre le cheval que nous avion» 
« laissé dans le bois 9 de le monter^ de courir à 



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LivaE V. 167 

« toute bride chercher un chirurgien à la ville. Il 
« donna le cheval au chirurgien ^ et n'ayant pu 
« trouver assez tôt une garde 5 Jl revint à pied avec 
« un domestique, après vous avoir expédié un 
« exprès ; tandis qu'embarrassé , comme vous pou- 
c vez croire , entre un homme ayant une jambe 
c cassée et une femme en travail , je préparais dans 
« la maison tout ce que je pouvais prévoir être 
« nécessaire pour le secours de tous les deux. 

« J0 ne vous ferai point le détail du reste ; ce 
« n'est pas de cela qu'il est question. Il était deux 
a heures après minuit avant que nous ayons eu ni 
« l'un ni l'autre un moment de relâche. Enfin nous 
e sommes revenus avant le jour dans notre asile 
« ici proche, où nous avons attendu l'heure de 
« votre réveil pour vous rendre compte de notre 
« accident. » 

Je me tais sans rien ajouter. Mais, avant que 
personne parle , Emile s'approche de sa maîtresse , 
élève la voix , et lui dit avec plus de fermeté que je 
ne m'y serais attendu : Sophie, vous êtes l'arbitre 
de mon sort, vous le savez bien. Vous pouvez me 
faire mourir de douleur ; mais n'espérez pas me 
faire oublier les droits de l'humanité : ils me sont 
plus sacrés que les vôtres ; je n'y renoncerai jamais 
pour vous. 

Sophie , à ces mots , au lieu de répondre , se lève , 
lui passe un bras autour du cou , lui donne un baiser 
sur la joue; puis, lui tendant la main avec une 
grâce inimitable , elle lui dit : Emile , prends celte 
main , elle est à toi. Sois , quand tu voudras , mon 
époux et mon maître ; je tâcherai de mériter cet 
honneur. 

A peine l'a-t-elle embrassé, que le père, en- 
chEauté^ frappe des mains, en criant ins^ ifis ; et 



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l68 KMIir. 

Sophie, sans se faire presser, lui donne aussitôt 
deux baisers sur l'autre joue : mais , presque au 
même instant , effrayée de tout ce qu'elle vient de 
faire, elle se sauve dans les bras de sa mère, et 
cache dans ce sein maternel son visage enflammé 
de honte. 

Je ne décrirai point la commune |oie ; tout le 
monde la doit sentir. Après le dîner Sophie demande 
s'il y aurait trop loin pour aller voir ces pauvres 
malades. Sophie le désire, et c'est une J>onne 
œuvre. On y va : on les trouve dans deux lits sé- 
parés; Emile en avait fait apporter un : en trouve 
autour d'eux du monde pour les soulager ; Emile y 
avait pourvu. Mais au surplus tous deux sont si mal 
en ordre, qu'ils souffrent autant du malaise que 
de leur état. Sophie se fait donner un tablier de la 
bonne femme , et va la ranger dans son lit ; elle 
en fait ensuite autant à l'homme ; sa main douce 
et légère sait allei* chercher tout ce qui les blesse, 
et faire poser plus mollement leurs membres en- 
doloris. Ils se sentent déjà soulagés à son approche, 
on dirait qu'elle devine tout ce qui leur fait mal. 
Cette flUe si délicate ne se rebute ni de la malpro- 
preté ni de la mauvaise odeur , et sait fake dispa- 
raître Tune et l'autre sans mettre personne en 
œuvre et sans que le» malades soient tourmentés. ' 
£lle qu'on voit toujours si modeste et quelquefois 
si dédaigneuse , elle qui pour tout au monde n'aur 
rdit pas touché du bout du doigt le lit d'un homme, 
retourne et change le blessé sans aucun scrupule^ 
et le met dans une situation plus commode pour y 
pouvoir rester long-temps. Le zèle de la charité vaut 
bien la modestie ; ce qu'elle fait, elle le fait si légère- 
ment et avec tant d'adresse, qu'il se sent soulagé sans 
presque s'être aperçu qu'on l'ait touché* La fenuae 



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LIVKE V. 169 

jet le mari bénissent de concert Paimable fille qùt 
les sert, qui les plaint, qui les console. C^est un 
ange du ciel que Dieu leur envoie; elle, en a la 
figure et 1^ bonne grâce , elle en a la douceur et la 
bonté. Emile attendri la contemple en silence. 
Homme, aime ta compagne.: Dieu te la donne 
pour te consoler dans tes peines, pour te soulager 
dans tes maux : voilà la femme. 

On fait baptiser le nouveau-né. Les deux amans 
le présentent , brûlant au fond de leurs cœurs d^en 
donner bientôt autant à faire.à d'autres. Ils aspirent 
au moment désiré ; ils croient y toucher : tous les 
scrupules 4e Sophie sont levés , mais les miens 
viennent* Ils n'en sont pas encore où ils pensent : il 
£autque chacun ait son tour. 
- Un matin qu'ils ne se sont vus depuis deux jours , 
f entie ,^ns la chambre d'!Émile une lettre à la 
main, et je lui dis en le regardant fixement : Que 
feriez-vous si Ton vous apprenait que Sophie est 
morte P II fait un grand cri , se lève en frappant 
des mains, et, sans dire un. seul mot, me regarde 
d'un œU. égaré. Répondez donc-, poursuîs-je avec 
la même tranquillité. Alors , irrité de naon sang- 
froid , il s'approche , Les yeux enflammés de colère ; 
et s'arrêtent dans une attitude presque menaçante : 
, Ce.qi;ie je ferais ?.... je n'en sais rien ; mais ce que 
je. sais, c'est que je ne reverrais dé ma vie celui qui 
me l'aurait apjgris. Rassurez -vous, répons -je en 
souriant : elle vit , elle se porte bien , elle pense à 
.vous, et nous sommes attendus ce soir. Mais allons 
faire un tour de promenade^ et nous causerons. 

La passion dont il est préoccupé ne lui permet 

plus de se livrer comme auparavant à des entretiens 

purement raisonnes ; il fau^ l'intéresser par cette 

passion même à se rendre attentif h, mes leçons. 

lu 8 



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IJO EMILC. 

C'est ce que j'ai fait par ce terrible préambtile ; je 
suis bien sûr maintenant quUl m'éûoutera. 

€ Il faut être heureux, cher Emile ; Veôt la fin 
« de tout être sensible ; c'est le préiiîtér désir que 
t nous Imprima la nature, et le seul qui ne bous 
« quitte jamais. Mais où est le bonheur ?^ Qui lésait ? 
« Chacun le cherche, et nul ne le trouve. On use 
« la vie à le poursuivre, et l^on mèûrt daiis l'avoir 
« atteint. Mon |eune ami, quand à ta liaîssaûce je 
c te pris dans mes bras , et qu'àttéstà^dt TÈtre "au- 
« préme de rebgagèn#nt que j*dâai (Jôntk-àcter je 
« vouai mes jours au bonheur des tlëÀs, "savais'- je 
« moi-même à quoi je m^engageals ? N ifn r'jé saVafs 
« seulement qu'en te reùdant heureux j^ètàfis sûr 
« de l'être. En faisant pour toi Cette titite'técber- 
« che , je la reiidais commune à totis detix. 

« Tant que riôus ignorons ce' c^e'tidûs^vdns 
« faire, la sagesse cûnsUte à i^elstér diiiib J^nacifbd. 
€ C'est de toiites lèàfUtixîi^éâ'ééfiè d6lit^m6mfte a 
« le plus grand Ixfsoln , et celle qu'il'éalt le likiHha 
« suivre. Chercher le bonheur sans'âavOlf'otril èist , 
« c'est s'exposer à le fuir, c>st courir autant de 
€ risques contraires ^*il y a déboutes pour ^'égarer, 
c Mais il n'appartient pad à tout le monde dé^voir 
' f ne point agir. Dans rinquiétùde où'.iious" fïent 
« l'ardeur du bîen-élre, n6us' àinlons mïeux niotis 
t troniper à le poui^uiVre ,'qu6 de^iie rtên tsfi^epour 

< le chercher ; et sortis une fois' do^ tà'^làce cfit liotts 
t pouvons 'le connaître , hôUs n'y sarvbns phis 
t revenir. 

€ Avec la même fgnordnce .{'essayai d*éviter la 
« même faute. Eu prenant sotn de toi je résoltrs de 
€ ne pas faire ùii pasiat^tîle et de t'eriapêcher d'en 
€ faire. Je ine tins dans la toute dé la nature, en 

< attendant' qu^eHe fné môittrdt celle du bonheur. 



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' LIVIE V. i;i 

« Il s^est trotivé qu'elle élàit la même 9 et qu'en n'y 
« peQMuit pas je l'avais suivie. 

« $oismon témoin, sois monjuge^jenete ré- 
« ou4içrai jamais. Tes premiers ans n'ont point été 
c sacrifiés à ceux qui les devaient suivre ; tu as 
« joui de U>us les biens que la nature t'avait domiés. 
« Des maux auxquels elle t'assujettit, et dont j'ai 
« pu t€^,g9tfrantir» tu n'as senti que ceux qui pou- 
c vaient Ceiidurcir aux autres. Tu n'en as jamais 
« souffert. aucun que pourvu éviter un plus grand. 
€ Tu n'as e^nnu ni la liaine ni l'esclavage. Libre 
« et content, iu es ce^ juste et bon ; car la peine 
c et le vice soUt insépaBables, et jamais Tbomme 
« ne devient miéchant que lorsqn^il eait malheureux, 
c Puisse le souvenir de ton enfance se prolonger 
c jusqu'à tes vieux jours ! je ne crains pas que ja- 
c mais ton. faon cœur se la rappelle sans donner 
c quelques bénéi^^ioiis^ j^ la main qui la gou-* 
« vfma. 

t Quand tu .es jsntré dans Fâge de raison , je* t'ai 
c garanti, de l'opinion des b^Bunes; quand ton^ 
« ceaur est, devenu sensible , je t'ai préservé de 
« l'empire des passions. Si j'avais pu prolonger ce 
«calme, intérieur jusqu'à la fin de ta vie, j'aurais 
« misjnon ouvrage, en sûreté, et tu serais toujours 
« lieureux autant qu'un homme peut l'étpe : mais, 
c eher Emile , ^'ai eu beau tremper ton âme dans 
« le Styx, je n'ai pu la rendre partout in vulné- 
€ rable; il s'élève un nouvel ennemi que tu n'as 
« pas encore ■ d^pris à vaincre , et dont je ne puis 
«plus te sauver. Cet ennemi, c'est toi-^mèn^e. La 
, f nature et la fortune t'avaient laissé libre. Tu 
« pouvais, endurer la misère ; tu pouvais supporter 
« les douleurs du ' corps , celles de l'âme t'étaient 
c inconnues $ tu ne tenais à rien qu'à la conditiou 



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I^î EMILB. 

« humaine, et maintenant tu tiens à tous les altfa- 
« chemeus que tu t'es donnés; en apprenant à dé- 
« sirer.tu t*es rendu l'esclave de tes désirs. Sans 
e que rien chan^ en toi , sans que rien t'ofifense , 
« sans que rien touche à ton être > que de douleurs 
« peuvent attaquer ton âme ! Que de maux tu peux 
« sentir sans être malade I Que de morts tu peux 
« souffrir sans mourir ! Un mensonge 5 une erreur, 
« un doute peut te mettre au désespoir. 

c Tu voyais au théâtre les héros, livrés à des 
« douleur^ extrême , faire retentir la scène de leurs 
« i;rîs insensés, s'afili^er comme des femmes, pleurer 
€ comme des enfans, et mériter ainsi les applau- 
« dissemens puhiica. Souviens-toi du scandale que 
« te causaient ces lamentations, ces cris , ces plain- 
« tes , dans;des hommes dont on né devait attendre 
c que dest actes de ooostauce et de fermeté. Quoi ? 
« disais r tu tout indigné , ce sont là les exemptes 
c qu'on nous donne à suivre , les modèles qu'on 
c nous offre à imiter! A-t-on peur que l'honune 
ft ne soit pas assez petit, assez malheureux, assez 
• faible , si l'pn ne vient encore encenser sa fai- 
« blesse sous la fausse image de la vertu ? Mon 
« jeune ami , sois plus indulgent désorniais pour la 
c scène : te voi}à devenu l'un de ses héros. 

« Tu sais souffrir et mourir ; tu sais endurer la 
c loi de la nécessité dans les maux physiques : mais 
« tu n'as point eneore imposé dé lois aux appétits 
t de ton coeur; et c'est de nos affections, bien 
« plus que de noç besoins , que naît le trouble de 
« i:iotre vie. Nos désirs sont étendus, notre force 
« est presque nq lie. L'homme tient par ses vœux à 
. c mille choses, et par lui-même il ne tient à rimi , 
« pas même^à'^a, propre vie; plus.il augmente ses 
^ attachemçns, plu^ il multiplie ses peines. Tout 



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IIVÈE V. , I7S 

t ne fait que passer sur la terre : tout ce que nous 
« aimons nous échappera tôt ou tard , et nous y 
« tenons comme s'il devait durer éternellement, 
c Quel effroi sur le seul soupçon de la mort de 
c Sophie! As -tu donc compté qu'elle vivrait tôu- 
« jours ? Ne meurt-il personne à son âge? Elle doit 
« mourir, mon enfant 9 et peut-être avant toi. Qui 
« sait si elle est vivante à présent même? Là nature 
« ne t'avait asservi qu'à une seule mort J tu t'as- 
c servis à une seconde; te voilà daâs le cas de 
c mourir deux fois. 

c Ainsi soumis à tes passions déréglées 9 que tu 
« vas rester à plaindre ? Toujours des privations, 
c toujours des pertes, toujcmrsdes alarmes ^tu ne 
« jouiras pas même de ce qui te sera laissé. La 
« crainte de tout perdre t'empêchera de rien pos- 
c séder; pour n'avoir voulu suivre que tes pas- 
« sions, jamais tu ne les pourras satisfaire. Tu 
€ chercheras toujours le ^os, il fuira toujours 
« devant toi ; tu seras misérable et tu deviendras 
« méchant. £t comment pourrais- tu ne pas l^ètre 
« n'ayant de loi que tes désirs effrénés? Si tu ne 
c peux supporter des privations involontaires , 
c commen t t'en imposeras-tu volontairement ? corn- 
.« ment sauras -tu sacrifier le penchant au devoir, 
« et résister à ton cœur pour écouter ta raison ? 
« Toi qui ne veux déjà plus voir celui qui f appren- 
« dra la mort de ta maîtresse , comment verrafe-tu 
« celui qui voudrait te l'dter vivante, celai qui 
« t'oserait dire , £lle est morte pour toi , la vertu 
« te sépare d'elle? S'il faut vivre avec elle quoi 
<c qu'il arrive, que Sophie soit manée ou non , que 
« tu sois libre ou ne le sois pas, qu'elle t'aime wi 
t te haïsse, qu'on te l'accorde ou qu'on te la re- 
« fuse, n'importe, tu la veux, il la Êaut posséder 



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174 BKILE» I 

« à ^{ueîque prix que ce soil. Apprends ^moii donc k 
« quel crime 8'arréte c^ut qui ù'a de low qiae 1(5S 
« vœux de son cœur, €t ne sâitr éttster à rien de oe 
« qu*il désire, 

« Mon enfant 5 il n'y a poiitt de bonheur saiM 
« courage, ni de vertu 8an8c#mbat. Le mot de 
• vertu vient de forcer la foreô^st la base de toute 
« vertu. La vertu n'appartient qu'à un être fidble 
« par sa nature et fort pas* «a vnïonté ; c'est en oeki 
« seul que consiste le mértle de rhomme juste; et 
« quoique nous appellions Dieu bon , nious ne l'ap- 
« pelons pas vertueuse, paroe qu'il n^a pas besoin 
9 d'efi<jrt pouif bien fiaûre. Pour t'«xpliquer ce mot 
«« si profané , j'ai attende que tu fasses en état de 
« mt'entendre. Tant que la vertu ne coûte rien à 
« prati^pier, on a peu besoin de la connattre. Ce 
« besoin vient quand les passiems s'éveillent : il eU 
« déjà venu pour toi.. 

, c En t'élevant daiiè toute la sImpUcIté de ht 
c nature, au lieu de te prêcher de pénibles devoirs > 
A je t'ai i^anti des viees qui rendent ces devoirs 
« pénibles, je t'ai moins rendu le mensonge odieux 
« qu'mutile ; je.t'ai mmns appris à rendre à-chacun 
« ce qui lui appartient, q«*à ne te soucier que de 
% ce (pli est à toi ; |e t'ai lait plcttôt bon que ver- 
c tueux. Maiftcel«i^qai,n?est que bon ne demeuro 
« tel qu'autabt qn^l a du pkdsir à Télre : la bonté 
^ se brise et périt sous le choo des passions iiumai- 
tt nés ; l'hovûeBe qui n^'est que bon n'est bon quct 
f poui* lui. 

t Qtl'es^ce donc que l^omtne vertueux? C'est 
c celui qui sait vain^ ses affections ; car alors il 
« suit sa raison , sa conscience ; il fait son devoir ; 
« il se tient dans IVyrdre, et rien ne l'en peiirt éear^ 
« ter. Jusqu'ici tu n'étais libre qu'en apparence j; 



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iivBE V. i;5 

tu n'avais que la liberté précaire d'un esclave à 
qui Ton n*a rien commandé. Maiptenant sois 
lilire en effet; apprends à devenir ton propre 
n^aitre : comn^ande à ton cœur , ô Emile) et tu 
seras vc;r4uei?j:. 

t Yoilli dope im. autre appf^plipagçà faire , et 
cet apgfenMss^çe i^ pju^i pénib^p qije le pre- 
vqlca : car la natui:;^ npuf déM^re des ipa|i|x qu'elle 
nousimpo^^ 9U oous apprend à l^s supporter ; 
mai« elle i^e npvis dit ri^^, pour ceu^ qui, nous 
vjei^ient diç no}}$; eUe jpnus a})audpppç k nous- 
menées; tlle nops iali'^e » victime^ de nos pas- 
sioA;s> «uccpcoj^r à pos vaineç dQllle^rs , et nous 
glorifier ençor^ç d^ pleurs dont nouis aurions dû 
rougir* 

« C'esli ici ta première pa^ssion,. C^est la seule 
peut-être qui soit di^ne de toi. Si tu la sais régir 
en homme, ellejserala dernière; tu subjugueras 
toutes ]fii autres^ et tu n'obéiras qu^à celle de la 
vertu. 

« Cette passion n'est pas crimineUe 9 je le sais 
bien ; elle est aussi pjorc jque le^ âmes-qui la res- 
sentent. L'honnêteté la Xarma; lUnoocence l'a 
nourrie, Heuce^x aofianâ l^es cbarjaj^es de la vert^ 
ne foi;kt qM'ojçulsr pour vous à ceuX de T^miour ; 
et le dou^ li^ qui vous atten,^ n'est pas moins 
le prliç^ vçtre ^i^gesse que c^v^ de votre atta- 
eJ^em^n^. miais 4is-moi^ hon^me ^incère » cette 
pai^9^ «i l^re t'en a-t-plle. n>oins subiugiié? 
t'^n e«rta u^m^ t^piivL .r«sp]A«:«? ^ si demaia 
e^ ccssfiajt; d'té^ ia)^iQ|C(Qiite 9 lUUouffer^is-t^ 4^? 
d(^%t» ? C^st k |:|r^eDt le V^QfÇf^i^ 4'eway^ tes 
ftKcçe§ ; U B*€î8t plo^ ten^ quand il les X^ut eoi- 
fi^u^x* Ge^ dasgjevei^ Ç^is dpi^nt se ff^re^^'io 
4u. péril. On ne s'exerjoe point ^ui combat devant 



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;6 JMILE. 

rennemi; on s'y prépare avant la guerre; on s'y 
présente déjà tout préparé. 
« C'est une erreur de distinguer les passiions en 
permises et défendues 9 pour se livrer aux pre- 
mières, et se refuser aux autres. Toutes sont 
bonnes quand on en reste le maître 9 toutes sont 
mauvaises quand on s'y laisse assujettir. Ce qui 
nous est défendu par la nature , c'est d'étendre 
nos attachemens plus loin que nos forces ; ce qui 
nous est défendu par la raison 9 c*est de vouloir 
ce que nous ne pouvons obtenir ; ce qui nous est 
défendu par la conscience n'est pas d'être tentés 9 
mais de nous laisser vaincre aux tentations. Il 
ne dépend pas de nous d'avoir ou de n'avoir pas 
des passions 9 mais il dépend de nous de rég;ner 
sur elles. Tous les sentimens que nous dominons 
sont légitimes 9 tous ceux qui nous dominent 
sont criminels. Un homme n'est pas Coupable 
d'aimer la femme d'autrui9 s'il tiftit cette pas- 
sion malheureuse asservie à la loi du devoir : il 
est coupable d'aimer sa propre femme au point 
d'immoler tout à ce* amour. * 
€ N'attends pas de moi.de longs préceptes de 
morale, je n'en ai qu'un seul à te donner 9 et celui- 
là comprend tous les autres. Sois homme ; retire 
ton cœur dans les bornes de ta condition. Étudie 
et connais ces bornes; quelque étroites qu'elles 
soient, on n'est point malheureux tant qu'on s'y 
renferme; on ne i'cst que quand on veut les 
passer ; on l'est quand, dans ses désirs insensés^ 
on met au rang des possibles ce qui ne Test pas; 
on l'est quand on oublie son état d'homme pour 
s'en forger d'imaginaires 9 desquels on retombe 
toujours dan le sien. Les s^U biens donl^ la 
privation coûte sont ceux auxquels 00 croit avoir 

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tlVJlE V. 177 

« droit. L'évidente impossibilité de les obtenir en 
« détache , les souhaits sans espoir ne tourmentent 
« point. Un gueux n^est poinl tourmenté du désir ' 
« d'être roi; un roi ne veut être dieu que quand il 
« croit n'être plus homme. 

f Les illusions de Torgueil sont la source de nos 
k plus grands maux : mais la contemplation de la 
t misère humaine rend le sage toujours modéré. 
« II se tient à sa place 9 il ne s'agite point pour en 
« sortir 9 il n'use point inutilement ses forces pour 
« jouir de ce qu'il ne peut conserver ; et les em- 
c pïoyant toutes à bien posséder ce qu'il a ^ il est 
« en efiet plus puissant et plus riche de tout ce qu'il 
« désire de moins que nous. Etre mortel et péris- 
«- sable , irai- je me former des nœuds éternels sur 
« cette terre , où tout change 9 où tout passe , et 
iK dont je disparaîtrai demain? O Emile, ô mon 
^ fils 9 en te pcfrdant que ine résterait^il de moi? 
k Et pourtant il faut que j'apprenne à te perdre : 
« car qui sait <|uand tu me seras ôté ? 

« Veux-tu donc vivre heureux et sage ? n'attache 
« ton cœur sans réserve qu'à la beauté qui ne périt 
<c point : que ta condition borne tes désirs , que tes 
« devoirs aillent avant tes penchans : étends la loi 
c de la nécessité aux choses morales : apprends à 
« perdfe cfe qui peut t'être enlevé : apprends à tout 
« quitter quand la vertu l'ordonne 9 à te niettré 
« au-dessus dés événemens 9 à détacher ton cœur 
• sans qu'ils le déchirent 9 à être courageux dang 
c l'adversité afin de n?être jamais misérable, à être 
m- ferme dans ton devoir afin de n'être jamais cri^ 
« minel. Alors tu seras heureux malgré la fortune , 
« et sage malgré les passions. Alors tu trouverai 
« dané la possession même- des biens fragiles une 
f volupté que rien ne pourra troubles ; tu les po»é< 

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1^6 éauLE. 

f derassaps qu^Us te possèdent 9 et tu sentiras que 

« rhomme^ à qui tout échai^, ue jouît que de cq 

. c qu'il sait perdre. Tu n'auras, point, il est vrai 9 
« l'illusion des plaisirs imagiiiaires ; tu n'agiras 
« point aussi les douleurs qui en sopt le fruit. Ta 
« gagnerias beauc^oup à cet éduoigei car ces dou- 
c leurs sont fréquentes et réellea, et ces plfiisir^ 
c; sont rares et vaîns. Yainqueurde t^oit d'(^>inions 
«. , ti:on)|pQuses^ tu le ser^ eiicore d^ c^le qui donne 
« un si^and prix à la vie. Tu passeras la tienne 
c , sanji trouble 9 et la terminera^ sansefiroi ; tu t'en 
n détachera&cooiiniçdetoutesefal^seStQiic^d'iniAresy 
« saisie d'horreur 9 pensent en la <pjûttant cesser 
c d'être ; instruit de son. néant 9 tu croiras com- 
M mencer. La mort est la fin de la vie du méchant^ 
c etie conuu^ncement de celle àfi juste. > 

Emile m'écoute av«Q une attention mêlée d'îp- 
quiétudç. H craint à ce préambule quelque con- 
chtiion siyîihjg. Il pressent qu'en lui naontrant la 
force de l'âme je veux le soiim^ttre 4 ce dur exer- 
^iee^ ^ comme un blessé qa^ frémir en voyant 
9Iiy^rocher le chirurgie^ 9 il ^nA déjà sentir sur sa 

. plaie la. main doulourevse9 mm sahita^9 qui 
l^enipêcbe d£ toinber ^ corruption. 

Incertain, troiriil^ 9 pressé de savoir où j'en veux 
venir, au lieu de répondce, il m'iinterpoge , mais 
avec^aiM^* Que £a^f^il &^e? i«e dit^il presque 
^n trffTOblant , ^ sans oser lever les ye^x. Ce 
qu-il,£i^At faire j répons-:je d'ui^ ton fenne9 il faut 
^i^tfir Âopto* Q^^ di^-ce#i«i?s'^rie-tril avec 
ewp^rlWHruI^ : q^itl^r SopMe I la qwiHer 9 ^ trom* 
per9 ♦tue un tfil^^t un i^mbCf un parjure!.* •• 
Quoi I j^^j^eods-M. w rinte«r»mpa^t9 c'«st de moi 
qu'Émil^ «ajnt 4'vprsndvfi 4 Knéôler d^ pareils 
nsNAs P Hpii. A «mto««eHMI êVQC 1« naême imp^tuo^ 



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9Hé , ni de vous Bid* un autre ; fe^urai 9 malgré vous, 
conserver voire ouvarage ; je sauiai nelespa&aiérlter. 

Je me suis attendu à icette prenû^^i^ ùirie : je U 
laisse passer sans m'émouvoir. Si Je n'avais paSrl^ 
modération que je lui prêche, j'aurais bonne gi'àce 
à la lui prêcher 1 Emile me connaît trop pour mç 
croire capable d'exiger de lui rien qni soit mal 5 çt 
il sait bien qu'il ferait mal. de cpiitter Sophie^ ds^n^ 
le sens qu'il donne à ce mot II attend donc enfin 
que je m'explique. Alors je repiends mon discours* 

c Creyee-vous, cher Emile 9 qu'un hoauoey.en 
« quelque situation qu'il se trouve 9 puisse être 
c plus heureux que vous l'êtes depuis trois mets? 
« Si vous le croyeE , détrompe^vous. Av^mt de 
« goûter les plaisirs de la vie, vous en ave« épuisé 
« le bonheur* Il u*y a rien.au delà de ce que vou$ 
« avez senti. La félicité des sens est passagère^ 
« l'état habituel dnx^œury perd toulours. Vous aves 
« plus joui par l'e^érance que vous ne jouirez ja- 
€ mais en réalité. L'imagination qui pare ce quV>9 
c désire l'abandonne dans la poûession. Hors 1^ 
€ seul être existant par lui^msème , il n'y a rien de 
« beau que oe qui n'est pas. Si cet état ^t pu durer 
« toujours, vousauriez trouvé le bcmheur suprême* 
< Mans tout ce qpii tient à l'homme se sent de S9 
€ caducité; tout est fiai, tout est passager dans la 
« vie humaiM ; et quand l'état qui nous rend heu* 
« reux durerait s»is tesae, l'habitude d'en jouir 
M nous en êtcfrait le goût. Si rien, ne change au 
;« dehors, le coeur change; le bonheur nous quitte^^ 
c ou nous le quittons» 

« Le temps que vous qe mesuriez pas s'icoulaM^ 
ji durait votqe délire. L'^té i«mt, l'hiver s'afsyror» 
f«. che« Qoa^d nousipounûonscoatiitiuernigs çouvses 
4 àoflfiB une saisou si rii4e, on m h spuffbiioait 



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i8o tMItC. • 

f jamais. Il faut bien, malgré nous, changer de 
t manière dé vivre ; celle-ci ne peut plus durer. Je 
t vois dans vos yeux impatiens que cette difficulté 

* ne vous embarrasse guère : l'aveii de Sophie et vos 
t propres désirs vous suggèrent un moyen facile 
t d*éviter la neige, et de n'avoir plus de voyage à 
K faire pour Palier voir. L'expédient est commode 
« sans doute; mais le printemps venu, la neige 
« fond, et le mariage reste ; il y faut penser pour 
« toutes les saisons. 

' " « Vous voulez épouser Sophie , et il n'y a pas 
« cinq mois que vous la connaissez ! Vous voulez 
«l'épouser, non parce qu'elle vous convient, 
« 'mais parce qu*elle vous plaît ; comme si l'amour 
c ne se trompait jamais sur les convenances , et 
« que ceux qui commencent par s'aimer ne finis- 
« sent janîais par se haïr ! ÉUe est vertueuse , je le 
n sais; mais en est-ce assez? suffît-il d'être honnêtes 
« gens pour se convenir ? ce n'est pas sa vertu que 

* je ihets en doute , c'est son caractère. Celui d'une 
« femme ise montré-t-il en un jour? Savez-vous en 
« combiien de situations il faut l'avoir vue pour 
« connaître à fond son humeur? Quatre mois d'al- 
« tachement vous répondent-ils de toute sa vie ? 
t Peut-être deux mois d'absence vous ferotit-ils 
« oublier d'elle ; peut-être un autre n'attend-il que 
« Votre éloignement pour vous éfface^de son cœur ; 
« peut-être , à votre retour ,1a trouverez-vous aussi 
M indifférente que vous l'avez trouvée sensible jus- 
« qu'à présent. Les sentimens ne dépendent pas 
t des principes ; elle peut rester fort honnête et 
c cesser de vous aimer. Elle sera constante et 
« jBdèle, je penche à le croire; niais qui vous ré- 
« pond d!élle , et iqùi lui répond de vous tant que 

* vous ne vous êtes point mis à l'épreuve ?Atteii- 

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IIVEÏ V. 181 

« drez-vous pour cettç^ épreuve qu'elles vous 4e- 
« .vienne inutile ? Attendrez- vous. pour vous eoa- 
« naître que vous ne puissiez plus vous séparer; * 
« Sophie n*à pas dix^huit ans., à peine en passez- 
n vous vingt-deux; cet âge est celui de l'amour, 
c mais non celui du mariage. Quel père et quelle 
« mère de famille ! £h ! pour savoir élever des en- 
c fans, attendez au moins de cesser de Tètre. Savez- 
« vous à cmnbîen de jeunes personnes les fatigues 
« de la grossesse supportées avant l'âge ont affaibli 
« la constitution, ruiné la santé, abrégé la vie? 
« Savez- vous combien d'enfans sont restées langui»- 
€ sans et faibles faute d'avoir été nourris dans un 
« corps assez formé ? Quand la mère et l'enfant 
« croissent à la fois , et que la substance nécessaire 
« à l'accroissement de chacun des deux se partage , 
c ni l'un ni l'autre n'a ce que lui destinait la nature : 
c comment se peut-il que tous deux n'en: souffrent 
« pas? Ou je connais fort mal Emile ,^ ou il ornera 
« miçux avoir plus tard une femme et des enfans 
« robustes, que de contenter son impatience aux 
« dépens de leur vie et de leur santé. » 

« Parlons de vous. En aspirant 4 l'état d'époux 
c et de père, en avez-vous bien médité les devoirs? 
c £n devenant chef de famille vous, allez devenir 
« membre de l'état. £t qu'est-ce. qu'être membre 
« de l'état? le savez-vous? Vous avez. étudié vos 
« devoirs d'honmie, mais ceux de citoyen les con- 
« naissez- vous? savez-vous ce que c'est que gou- 
« vernement, lois, patrie? Savez-vous k quel prix 
« il vous est permis de vivre, et pour qui vous 
c devez mourir? Vous croyez avoir tout appris, et 
c vous ne savez rien encore. Avant de prendre une 
f place dans l'ordre civil , apprenez à le connaître 
« et à savoir quel rang vous y convient. 



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« Smîie^lîli&ul.ipûtter S^Ue : je ne dis pas 
« FaiNind»iiiier;<ji«iEoo%€o étiez capaUe, ^e -se^ 
« rail trop keureiise de «e irous aroir point épou se 
c il la lisHit quitter poiir revenir digne d'elle. Ne 
<K s^ez pas assez vain pour eroire déjà la mériter. 
c'O combien il veus reste à faire! Venez remplir 
•€. cette SÈohàt tâche; venez apprendre à suf^porter 
« L^absenee ; irencz ga^pier le prix de la fid^té, 
« tafiik qU'à votreTCtftnr vous plissiez vocishenorer 
c de quelque diose /auprès d'elle^ et demander sa 
'c' main , neci comme «iMie^grâee y màiê comme une 
«récompense.» 

Non enooie«Ke#oéâ tnttep contre M'^mème, non 
encore aicconUimé à désirer ^me chose età> en vou- 
loir «ne antve, le jennehommcjiesevend pas; il 
jréséste^ â dispute. Pourquoi se refuserait^il aubon- 
.kenniqui ratteadt^ Ne serait-ce pas dédaigner la 
anain^i:kii<eBtoirerte'quf» de tarder à raccepter? 
Qu'est-il besoin de s^^oigfner d^é^ pour s'instneiire 
{dft ee> qu'à ^doissavoir? ifit^quand cela ^SMralt Béces- 
^seire 9 f pourquoi ne lâi kisseiait-il pas, dans des 
nœuds indissolùldes,' le gage assuré de son retour? 
:Qu?il soit sonépoux, et^ il est prêt à me suivre ; 
^qu'ils soient unis/ et il la quitte sans crainte. . • Yous 
unir pour vousquitler, cher Emile 5 qudle contra- 
^dioElion ! Uicstbeau qu'un sonant puisse vivre sanssa 
finaltcvsse, mcds uninari ne doit jamais quitter sa 
femme sans nécess^é. ^Pour' guérir vos scrupules , 
^fVO0>cpievosidélais> doivent éla^- «involontaires : il 
lirat quejpvous^puisBiez dire à<^ophie que vous la 
;quktez imsigré ^us.* fié bien I soyez content , et y 
:^uîBquei>vbu9 ii>9béissez ^pasà la rais^dn, recon- 
naissezTin'autre^ariattre. Voi» n'avez pas oul^é 
rengagement ipie \xhis dvez pris avec moi. £mile 9 
il faut quitter Sophie; je le veux. 



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A ce mot B bais^la fêle, «e tàît, rêve un mo- 
ment, et puis, me r^ardant arec assni^ne^, tline 
dit: Quand partons -nom? Bans huit jours, hii 
dis-ie; il faut préplarer ISophie à ce départ. Les 
fetnmes sont plus faibles, on leur doit d^s'ména- 
gemens; et cette absence n'étant pas un AeVoft 
pour elle comme poor tous^ illui'^stpenkihi dé la 
supporter avec ntmins de courage. 

Je ne suis que tirop tenté de prolonger jusqu'à la 
séparation de mes jcfunes gens le journal de leurs 
amours^ mais j'abuêe depuis long- temps dé indul- 
gence des lecteurs : abrégeons p6ur finir une ibis^ 
Emile oserà-t-fl porter aut pieds dé sa matiHMse la. 
'même assurance qu'iiVienf démontrer à sonami? 
Pour moi, je le crois; c'est de fa vérité niéme de 
son amour qu'il doit tirer" c^te assurance. Il serait 
plus donfbs devant elle ^'11 lui en ebûtait'moitis de 
la quitter;^ iria^qctitteraiC en coupable, 'et ^t^e rôle 
esttoàfotirs embàirassant pbur un tceur honnête : 
mais piu^ le- saeiMce lui éoAte , plus il s^nhonore 
aur yeux' de' belle iq[uî le-hii rend péhifole. ïl'n^a pas 
^eur qu*^elle prenne le change sur le mtotif qui le 
détermine. 11 semble lui dire à chaque regard t O 
Sophie , lis dans'mon ccéor , et sois fidèle; tu n*as 
'îpas'iin atn^nt sans vertu. 

la'fière Soplrie>dé^sonicAté, lâche de suppoiter 

^âvec^tii^nfté le 'é6Up Imprétu qui la'ik^ppe. 'Bllè 

s'efforce d'y paraître insensible ; mais comme *éllè 

n'^ pas, aiust' qu'Emile, i'hontieur du'iôothbat et 

'*âé la vîétdire^' sa fermeté se soutl€fnt'nio&is."£lfe 

'i^ieiite, *élïe gémit en' dépit î d'elle, et la frayedr 

'à'Stre oubliée aîgi<it la dotdeur' de la sépai^alloiï. 

Ce n'')est pas* devant ^n' amant qu'dle' pleure,^ ée 

'la^est pas à lui qu'elle montre ses frayeurs; 'elle 

étoufferait plutôt que de laisser échapper un soupir 



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i94 Ibiiie. 

en «a présence; c'est moi qui reçois ses plaintes, 
, qui vois ses larmes , qu'elle affecte de prendre pqur 
confident. Les femmes sont adroites et savent se 
, dé^ser : plus elle murmure en secret contre n^i 
tyrannie, plus elle est attentive à me flatter; elle 
^nt que son sort est dans mes mains. 

Je la console, je la rassure , je lui répons de son 
amant , ou plutôt de son époux : qu'elle lui garde 
la même fidélité qu'il aura pour elle, et dans 
deux ans il le s6ra, je le jure. £lle m'estime assez 
pour croire que je ne veux pas la tromper. Je suis 
garant de chacun des deux envers l'autre. Leurs 
cœurs, leur vertu, ma probité, la confiance âfi 
leurs parens, tout les rassure. Mais que sert la 
raison contre la, faiblesse? lisse séparent comme 
jB'ils ne devaient plus se voir. 

C'est alors que Sophie se rappelle les regrets 
d'Eucharis, et se croit réellement à sa. place. Ne 
.laissons point durant l'absence réveiller ces fantas- 
ques amours. Sophie , lui dis^je un jour , faites avec 
^mile un échange de livres. Dom^ez-lui votre Téié- 
ÊnfUjuCy. afin qu'il apprenne à lui ressembler; et 
iia'il vous donne ie Spectateur , dont vous aimez Ja 
lecture. JÉtudiez-yles devoirs des honnêtes fenunes, 
et songez que dans deux ans ces devoirs seront 4es 
vôtres. Cet échange platt à tous deux, et leur donne 
^ de la confiance. Enfin vient le triste jour, il faut se 
séparer. ... 

Le digne père de Sophie, avec lequel j'ai tout 
concerté, m'embrasse en recevant mes adieux; 
puis, me prenant à part» il me dit ces mots' d'un 
ton grave et d'un accent un peu appuyé : i J'ai tout 
« fait pour vous complaire ; je savais que je traitais 
c avec un homme d'honneur : il ne merèste qu'un 
# mot à vous dire. Souvenez- vous que votre élève 



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LIVRÉ V. l85 

« a signé son contrat de mariage sur la bouche de 
« ma fille. » ' 

Quelle dlffércfice dans la contenance des deux 
amans! Emile, impétueux, ardent, agité /hors de 
lui, pousse des cris, verse des torrens de pleursr 
sur les mains du père , de la mère , de la fille , em- 
brasse en sanglotant tous^les gens de la maison , 
et répète mille ibis les mêmes choses avec nn dés- 
ordre qui ferait rire en toute autre occasion. So-^ 
phie , morne, pdle , ro&ii éteint , le regard sombre y 
reste en repos, ne dit rien, ne pleure point, ne 
voit personne, pas même Emile. Il a beau lûî 
prendre les mains , la presser dans ses bras*; elle 
reste immobile, insensible à ses pleurs, à ses ca- 
resses, à tout ce qu'il fait; il est déjà parti pour 
elle. Combien cet objet est plus touchant que la 
plaii^te importune et les regrets bruyans de son 
amant l II le voit, il le sent, il en est navré : je' 
Ten traîne avec peine : si je le laisse encore un mo- 
ment, il ne voudra plus partir. Je suis charmé 
qu'il emporte avec lui cette triste image. Si jamais 
il est tenté d'oublier ce qu'il doit à Sophie , en lai 
lui rappelant telle qu'il la vit au moment de son 
départ il faudra qviHl ait le cœur bien aliéné si je ne* 
le ramène pas à elle. 



DES VOYAGES. 

On demande s'il est bon que les jeupies gens, voya- 
gent, et l'on dispuste beaucoup là-dessus. Si l'on 
proposait autrement la question et qu'on demançlàt 
s'il est bon que les hommes aient voyagé, peut-étcee 
ne disputerait-on pas tant. 

II... * 8 



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]66 EMILE. 

L*abus des liyrôs tue la science* Croyanl savjfTfr 
ce qu'on a lu , on se croit dispensé de l'apprendre. 
Trop de lecture ne sert ^qu'à faire de présoiQ{4ueux 
ignorans. De^ousles siècles de littérature il n!y en 
a point eu où Ton lût tant que dans . eehii-^ ^ et 
point où Ton fût naoins savant : de tous les pays db 
r£urope il n^ en a point où Ton in^riBie tant 
d'histoires, de relations^ de voyages, qu'en Flraoce, 
^t point où Ton comiaisse moins le génie et le» 
mœurs des autres nations. Tant de Hvres nous font 
négliger le livre du monde; ou, si nous y Hsaoft 
encore , çhaeiin s'en tient à son feuillet. Quand le 
mot peut-an être Persan me serait iucoimmi, je 
devinerais, à l'entendre dire, qpaHl vient du pdy» 
où les préîugé4naUoniiui( sont le^f^ns en règne, et 
4ii sexe^ui'les prqipage le pfos^ 

Un Parisien croît ^eoanafttre^ les hoaunès et ne 
connaît que les FVancak; dans Sa ville toii|<mr» 
pleine d'étranger», il regarde chaque étrange» 
comme \m phénomène ei^tiordinatre ^i n'a rien 
d'égal dans le reste de l'univers, il faut avoir vu de 
près les boui|;e<ris'de.<6Hegr«nde^ilIe, il fai^ avoir 
vécu ohez eux pour croire qu'avec tant d^prit on 
pwsffe être aussi Mij^pîde. €e q«H y a de bîiârre est 
que chacun d'eiÀ a lu dix foîspetH-être ladeser^ 
tîon du pays dont un hahitant va si fort Témer- 
veiller. 

C'est trop d'avoir à percer à la fois les préjugé» 
des auteur» et lès nètres pour «mriver à la vérité» 
J'ai passé ma vie à lire des relations de voyages, et 
|e n'en ai jamïiis trouvé deux qui m'aient donné la 
même idée du mêtne peuple. En cempai^nt le pea 
que je pouvais c*server avec ce que favâîs lu , f^i 
fini par laisser là les voyageurs , et regretter le temps 
que j'avais donné à leur vaine lecture, bien con- 



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LIVBE V. if^ 

yaiDCti qu'en fait d'observations de iouté eq[>èce il 
pe faut pas- lire, il faut voir. Cela serait vrai daus 
cette occasion , quand tous les voyageurs seraient 
sincères 9 qu'ils ne diraient que ce qu'ils ont vu ou 
ce qu'ils croient^ e,t qu'ils ne déguiseraient la vérité 
que par les fausses couleurs qu'elle prend à leurs 
yeux. Que doit-oe être quand il la faut démêler 
encore à tra;ver leurs mensonges et leur mauvaise 
foi? 

Laissons donc la ressovirce des |ivjres qu'on nous 
v^nte à ceux qui sontfaits pour Ven cont^ter. £lle 
est bonne ^ ainM que .l!ari de Itaimond Lulle, poiur 
apprendre à balnller de ce qu'on nesaitppipt £lle 
est bonne pour dresser des Platons de quinze ans 
à philosopher 'dans de»xiercl^> et à instruire une 
comp^ignie dqs usages de l'Egypte et des Indes sur 
la foi de Paul Lucas m de Tavernier. 

Je tiens j[)our maxime ^ontest^^ble que ^quf<^-^ 
que n'a vu qu'ufi p^e^ple^ ^ Ite^ de ^coppaltre le» 
(lommes^ i^e connaît que )es gei^s aveis lescfuels il a 
vécu. Yoici doncencore une autre manière déposer 
la même question des voyages : Suffit-il qu'un 
boBune bien éle^é ine «^onjaaisse que sçs ^mpa- 
iri^tes,, ou s'fl Iqi uqivporte 4e çpiinattre les baijcunea 
en général? Il nçr^te plqs ici m 4l9pute ni doute. 
Voyez combien la :sol^ti9]^ d'i;vie q^c^tipp diûicUer 
dépend quelquefois de Ift inj^è^e dela;poser^ 

Jtfaipi,, pour étudier leshpnimes^ l^ut-ilparQourir 
la terre entière ? Fa|U-il aller au Japon c^rver les 
Eurppéens? Pour epnnaïtre l^^spèce faut-^jl con- 
naître tou0 les ipdjMtîdufi ? ^Çn • îï .y a ^es homme» 
qui se ressemblant siiforl^ qi^^cie p'est pas la.peine 
de les étudier s^4némei»t. Qui a ;VU dix Finançais les^ 
a tous^iFUs. Qiicâqu'on n'en puisse pas dire autant 
4€s An^ais et de quelques, autres, peuples^ il est 



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l8S ÉMIÏ.K. 

pourtant certain que chaque nation à son caractèi*e 
propre et spécifique, qui se tire par induction non 
de l'observation d'un seul de ses membre», mai^ 
de plusieurs. Celui qui a comparé dix peuples 
connaît les hommes, comme celui qui a vu dix 
Français connaît le» Français. 

Une suffit pas pour s'instruire de cottrîr les paysy 
il fçi^ut savoir voyager. Four observer il faut avoir 
des yeux, et les tourner vers l'objet qu'on veut 
connait|re. Il y a beaucoup de gens que les voyages 
instruisent encore n^oinsquè les livres, parce qu^ils 
ignorent l'art de penser; que , dans la lecture, leur 
esprit est au moins guidé par l'auteur, et que, 
dans leurs voyages,, ils ne savent rien voir deux- 
mêmes. D'autres ne s'instrufsent^oînt , parce qu'il? 
ne veulent pas s'instruire. Leur objet est si différent 
que celui-là ne les fk-appe guère ; c'est grand hasard 
si l'on voit exactement ce qu'on ne se soucie point 
de regarder. De tous les peuples du monde le Frai>-' 
çais est celui' qui voyage lepkis; mais, plein dé se» 
usages, il confond tout ce qui tt'y ressemble pas.! 
Il y a des Français dans tous les coins du monde. 
11 n'y a point de pays où Fon trouve plus de gen»^ 
qui aient voydgé q\i*on en trouve -en France. Avec 
cela pourtant , de tous les peuples de l^Ëurope , ce- 
lui qui en voit le yikts les connaît le moins.^ L'An- 
glais voyage aussi, mais d'une autre manière; il* 
faut que ces deux peuples soient contraires en tout. 
La noblesse anglaise voyage , la noblesse française- 
ne voyage point : le peuple français voyage , le* 
peuple anglais ne voyage point. Cette différence^ 
me paraît honorable au'derniçr. Le» Français onr 
presque toujours quelque vue d'intérêt dans leur»* 
voyages : mais les Anglais ne vont point chercher- 
fortune chez les autres aatiojqjs^ si ce u'estpar le- 



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IIVHE Y. . tSO 

coitimerce et les mains pleines; quand ils y Vèyà-î 
gent, c'est pour y verser leur argent, non pour 
vivre d'industrie; ils soAt trop fiers pour aMèr 
ramper hors de chez eux. Cela fait aussi qu^ils 
s'instruisent mieux chez Félranger que ne font les^ 
Français , qui ont un tout autre obfet en tète. Les 
Anglais ont pourtant aussi leurs préjugés natio-> 
naux, ils en ont même plus que personne; mai» 
ces préjugés tiennent moins à l'ignorance qu'à la 
passion. L'Anglais a les préjugés de Torgueil, et le 
Français ceux de la vaAfté. 

Comme les peuples les moins cultivés sont géné« 
ralemenlles plus sages, ceux qui voyagent lé moins> 
voyagent le mieux; parce qu'étant moins avancé* 
que nous dans nos recherches frivoles / et moins 
occupés des objets de notre vaine curiosité, ils 
donnent toute leur attention à ce qui est véritable-» 
ment titile. Je ne connais guère que les Espagnols 
qui voyagent de cette manière. Tandis qu\in Fran^ 
eais Court chez les artiste&d^npays, qu^un'An^a^ 
en fait dessiner quelque antique , et qu'un Allemande 
porte son aiéum chez tous les savans, l'Espagnol 
étudie en silence le gouvernement, les mœurs, 1» 
police , et il est le seul des quatre qui, de retour» 
ehez lui, rapporte de ce qu'il a vu quelque remar-^ 
que utile à sonjpays.. 

Les anciens voyageaient peu , lisaient peu , far- 
daient peu de tivre»; et pourtant on voit dans ceux 
qui nous restent d'eux, qu'ils s^c^bservaientmieuS' 
les uns les autres que nous n'observons nos con*^ 
temporains. Sans remonter aux écrits d'Homère^ 
le seul poète qui nous transporte dans les^ pays qu'il 
décrit, on ne peut refuser à Hérodote l'honneur- 
d'avoir peint les mœurs dans son histoire , quol«- 
qu'elle soit plus en oarratlons. ({n'en réflexions. ), 



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190 imtB. 

Ufvef 4» j^rlvaitg ^t de c^tfaotèras. Tacile a mieux 
iéant )ts^main« 4q 8tii.tei|p9s qu'aucua écrivain 
»*a 4écrH les Alleviaiid94'£|u|^â9rd*littû Inconleftta- 
Uemeiil eeu¥ qw «ont vterfiàs d^ui^ rbialoire ao- 
oietioe 4Doiio2iMBe9t nûmii: les^Srco^ leç Ciacrtiia^-^ 
ttoif> les Jiomri n i» tas Gai4oJ9, ks Pei«e«^ 4{u^ai»- 
eo» peuple de «oi jours ne «oiM^aU sq« yoipins.- 

Bfaut a^wer aura j|iie les^ paropti^es cNriginaux 
des peii^esy s'effaçant de jour en jpur^ devieiineiit 
en même raison plus difficiles à «s^ifir. A mesure 
^ne le9 ffac#s se sa^n^» et qtie l^i^^ples se con- 
fondent » on ¥OÎt peu :à peu disparaître ces àkSè^ 
«enees ;palW9alfS <{oi fra^aÂeot jadis au pcemLer 
ccHq^ 'd'^Q« Autrefois clMiq^ç na^pn «estait plus^ 
seuftiwiée en eUennèi^e» 41 jf a^^ m^^ti^ de corn- 
munieii^ns» moîns^de v^if^igfi» 9 moins d^otérét» 
eoMinuins ou eontraves, moin^ de liaisons politi- 
ques et rcîviles de^peii^te A^peviple, point taut de 
oesttrft0a0seiiesi»pj!^e^ appelées J94gociati4>m, poini 
d'ambawndeapts ^4û9ailiP9 ou résidant qontlnueUe-^ 
«ftent.; les gsmd^ iia^&îg^on? étaient rs^e§; il j 
aaïa^t tpew'de cwim^iQerélpiçnéi et le pei# f^'d y 
en .0Mit jetait ^îtim fv leptji^ejp^^nie qui 8> 
sanmîtidïétnMiii^er^d onp^ 4e^;gc»»)iiHé^»n^és^> qui 
ne donnaient le ton à per8onne<et i^frapprooli^îeul 
point les naMims. Jl y a ^nt jbis 'plus de liaison 
maintenant entiie rSnrope «Kt VMi^ ^'il B*y eu 
a^nit jadis enftveîlaQaulp çt^rsi^pagne : rSurqpe 
s^ile élait {plus)àparse ^uela tenre enlière ne Test 
auîourd^baL . 

Ajoulesià MQola 'que les anciens peuides , se tegaiv 
danfrlaplnQKurtioommeaulochliionefl^ ou orig^uaires^ 
de leur pn^cre pays, rocoupaient depuis a^sez. 
IpaÇitmHpsipour avcnr perdu la mémoire des aièçlcsi 



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reculés où leurs ancêtres s'y étaient âtahlii»etfour 
avoir laissé le t€«ps au climat de faire scw ciAdea 
impressions durables; au lien que .parmi p<»us» 
après les snvasîons des BaomaiMft, lesréoesaletémÎT 
grations des barbares ont tout mêlé ^ tout'confwdM» 
Les Français d'auîonrd'faui ne sont plus M^fravds 
corps bkmds et blancs d^autnjfius; les Greesiofe sont 
pins ces beaux hommes faits poor servir de modèle 
à Part j la igure des Aornàinseux-^nâmes a cImoi^ 
de caractère , ainsi que leur juatuvel ; les Persans » 
originaires de Taitarie 5 pcvdcnt ^aque je«»r de 
leur laideur primitive paor le méhnige du ^sang cîr* 
cassien ; les Européens ne sent plus Gauloia, Çer-» 
mains, Ibérieiis, Alloinoges; ilsiie^ont tous^qua 
des-'Scytibcs divorsenient dégénérés ^quant A la fi*: 
gure , et encoie plus quant a»x mom»^ 

Voâà pourquoi les antiques diMinctions destraees^ 
les qualMsde l'air et du terroir ^jnarquaieat pJUis< 
fortement de peuple à peuple les tempéramens^liQa 
figures, les moeurs, leS'cavaDtènes^.quedtonlnepAut 
se marquer de nos jcwrs , où l'inoonstanoe euror* 
péenne ne laisse à aucune couse naturelle letempsr 
de faire ses impressions, jcI où les foréts^ abattues» 
les marais desséchés, ta tye> plus runifeamw^nent 
quoique "plus mal ouUiioée, ne laissent phu^, màmm 
au physique, la même différence 4e tenretà leire ^ 
de pays à pays. 

Peut^'ètre avec de semblables rédexicns sCipres^ 
serait^on moins de tourner en iridîcule .Hétodcitè,^ 
Gtésîas, Pline, poiw avoir ropréseiité les. habitans. 
de divers pays avec des traits «riginauz et des dif-*. 
Services marquées que nous ne leur vc^f^imsiplus. U 
faudrait retrouver'les mêmes àommespoiirjncoi^. 
naître en eux les niémes figures^ ll&iudrait^que^ 
rien ne les eût changés pour c^Ur'ilsiussentrestéft. 



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iggi éMTLE.' • 

les mêmes. Si notls pouvions considérer à la fois 
tous les bdmrïies qui ont été , peut-on douter que 
BOUS he les trouvassions plus variés de ^èele en- 
siècle, qu'on ne les trouve aujourd'hui de nation à 
nation? 

En même temps que les observations deviennent 
plus difficiles , elles se font plus négligemment et 
plus mal : c'est une autre j*aison du peu de succès 
de nos recherches dans l'histoire naturelle du genre 
humain. L'instruction qu'on retiré des voyages se 
rapporte à l'objet qui les fait entreprendre. Quand 
cet ob|et est un système de philosophie , le voya- 
geur ne voit jamais que ce qu'il veut voir : quand 
eet objet est l'intérêt , il absorbe toute l'attention 
de ceux qui s'y livrent. Le commerce et les arts^ 
qui mêlent et eonibnâent leftpeuples^ les empêchent 
dusri de s'étudier. Quand ils. savent le profit qu'ils 
peuvent faire l'un aveo l'autre, qu'oiU-ils de plus à' 
davoir? 

Il est titilè à Fhomme de connaître tous^les lieux 
où l'on peut vivre, afin de choisir ensuite ceux oil 
l'on peut vivre le plus commodément. Si chacun se 
suffisait à lui-même , il ne lui importerait de con- 
naître que l'étendue de pays qui peut le nourrir. Le 
sauvage, qui n'a besoin de personne et ne convoite^ 
rien au monde, ne connaît et ne cherche à con- 
naître d'autre pa'ys que le sien. S'il est forcé de 
s^étendre pmir subsister, il fuit les lieux habités par 
les hommes; il n'en veut qu'aux bétes, et n'a be- 
soin que d'elles pour se nourrir. Mais pour nous à 
qui la vie civile est nécessaire, et qui ne pouvons 
j^us nous passer de manger dea hommes, l'intérêt 
de chacun de nous est de fréquenter les pays où 
l'on en trouve: le plus à dévorer. Voilà pourquoi. 
t«ut afflue à Home, à Paris, à Londres* C'est tou.- 



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IIVKE ▼. iq3 

fours dans ks capitales que le sang humain se vend 
k meilleinr marché. Ainsi l'on ne connaît que les 
^ands peuples, et les grands peuples se ressem* 
blent tous. 

Nous avons 9 dit-on , des savans cpii voyagent 
pour slnstruire, c'est une erreur; les savans voya* 
^nt par intérêt comme les autres. Les Platons, les . 
Pythagores ne se trouvent plus, ou s'il y en a, c'est 
bien loin de nous. Nos savans ne voyagent que par 
ordre de la cour; on les dépêche, on les défraie, 
4>n les paie pour voir tel ou tel objet, qui très-sûre^ 
ment n'est pas un objet moraL Ils doivent toul; 
leur temps à cet objet unique : ils sont trop hon^ 
nêtes gens pour v(^er leur argent. Si dans quelque 
pays que ce puisse être, des curieux voyagent à 
leurs dépens , ce n'est jamais pour étudier des hom- 
mes, c'est pour les instruire. Ce n'est pas de science 
4|u'ils ont besoin , mais d'ostentation. Gomment 
apprendraient -ils dans leurs voyages à secouer le 
Joug de l'opinion ? ils ne les font que pour elle. 

Il y a bien de la différence entre voyager pour 
iroirdu pays ou pour voir dés peuples. Le premier 
objet est toujours* celui des curieux, l'autre n'est 
pour eux qu'accessoire^ Ce doit être tout le con- 
trmre pot^r celai qui veut philosopher. L'enfant ob- 
serve les choses en attendant qu'il puisse observer 
les hommes. L'homme doit commencer par obser- 
ver ses semblables, et puis U observe les choses s'il 
£in a le temp • 

C'est donc mal raisonner que de conclure que 
les voyages i^ont inutiles, de ce que nous voyageons 
mal. Mais, l'uUlifé des voyages reconnue, s'cnsui- 
vra-t-il qu'ils conviennent à tout le monde ? Tant 
s'en faut; ils ne conviennent au contraire qu'à très* 
peu de gens; ils ne conviennent qu'aux hommes 
II. 9 

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ir)4 EMILE. 

assez fermes sur eux-mêmes pour écouter les leçons 
de Terreur sans se laisser séduire , et pour voir 
l'exemple du vice sans se laisser entraîner. Les 
voyages poussent le naturel vers sa pente , et achè- 
vent de rendre rhomme bon ou mauvais. Quiconque 
revient de courir le monde est à son retour ce qu'il 
sera toute sa vie; il en revient plus de médians que 
de bons, parce qu'il en part plus d'enclins au mal 
qu'au bien. Les jeunes gens mal élevés et mal con->. 
duits contractent dans leurs voyages tous les vices 
des peuples qu'ils fréquentent, et pas une des ver- 
tus dont ces vices sont mêlés : mais ceux qui sont 
heureusement nés, ceux dont on a bien cultivé le 
bon naturel , et qui voyagent dans le vrai dessein 
de s^instruire , reviennent tous meilleurs et plus 
sages qu'ils n'étaient partis. Ainsi voyagera mon 
lÈmile : ainsi avait voyagé ce jeune homme digne 
d'un meilleur siècle 9 dont l'Europe étonnée admira 
le mérite , qui mourut pour son pays à la fleur de 
ses ans, mais qui méritait de vivre , et dont la tombe 
ornée de ses seules vertus, attendait pour être ho- 
norée qu'une main étrangère y semât des fleurs. 

Tout ce qui se fait par raison doit avoir ses règles. > 
Les voyages , pris comme une partie de Téducation , 
doivent avoir le§ leurs. Voyager pour voyager , c'est 
errer, être vagabond; voyager pour s'instruire est 
encore un objet trop vague : Tinstructton qui n'a 
pas un but déterminé û^est rien. Je voudrais donner 
au jeune homme un intérêt sensible à s'instruire, 
et cet intérêt bieil choisi fixerait encore la nature 
de l'instruction. C'est toujours la suite de la mé- 
thode que j'ai taché de pratiquer.. 

Or, après s'être considéré par ses rapports phy^ 
siques avec les autres êtres , par ses rapports mo- 
raux avec les autres hommes, il lui reste à se con^ 



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LIVRE V. 193 

sidérer par ses rapports civils avec ses coi%ttoyen<;. 
Il faut pour cela qu'il commence par étudier la na- 
ture du gouvernement en général 5 les diverses for- 
mes du gouvernement , et enfin le gouvernement 
particulier sous lequel il est né, pour savoir s'il lui 
convient d'y vivre ; car , par un droit que rien ne 
peut abroger, ch.aque homme, en devenant majeur 
et maître de lui-même, devient maître aussi de 
renoncer au contrat par lequel il tient à la commu- 
nauté, en quittant le pays dans lequel elle est éta- 
blie. Ce n'est pas que le séjour qu'il y fait après 
l'âge de raison qu'il est censé confirmer tacitement 
l'engagement qu'ont pris ses ancêtres. Il acquiert 
le droit de renoncer à sa patrie comme à la suc- 
cession de son père : encore , le lieu de la naissance 
étant un don de la nature, cède-t-on du sien en y 
renonçant. Par le droit rigoureux , chaque homme 
reste libre à ses risques en quelque lieu qu'il naisse, 
à moins qu'il ne se soumette volontairement aux 
lois pour acquérir le droit d'en être protégé. 

Je lui dirais donc, par exemple : Jusqu'ici vous 
avez vécu sous ma direction, vous étiez hors d'état dé 
vous gouverner vous-même. Mais vous approchez de 
l'âge où les lois, vous laissant la disposition de votre 
bien, vous rendent maître de voire personne. Vous, 
allez vous trouver seul dans la société, dépendant 
de tout, même de votre patrimoine. Vous avez en 
vue un établissement ; cette vue est louable > elle 
est un des devoirs de l'homme; mais avant de vous 
marier, il faut savoir quel homme vous voulez 
êtri' , à quoi vous voulez passer votre vie, que 'les 
mesure - vous voulez prendre pour assurer dut pain 
à vous t à votre familL ; car, bien qu'il ne faille 
pas faiie d'un tel soin sa principale affaire, il y faut 
pouriaat songer une fois. Voulez-vous vous engager 



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196 EMILE. 

dans la dépendance des hommes que vous mépri- 
sez? voulez-vous établir votre fortune et fixer votre 
état par des relations civiles.qui vous mettront sans 
cesse à la discrétion d'autrui ^ et vous forceront , 
pour échapper aux fripons, de devenir fripon 
vous-même? 

Là-dessus je lui décrirai tous les moyens possibles 
de faire valoir son bien , soit dans le commerce , 
soit dans les charges, soit dans la finance; et je lui 
montrerai quHl n'y en a pas un qui ne lui laisse des 
tisques à courir , qui ne le mette dans un état pré- 
caire et dépendant , et ne le force de régler ses 
mœurs, ses sentimens, sa conduite, sur l'exemple 
et les préjugés d'autrui. 

Il y a , lui dirai-je , un autre moyen d'employer 
son temps et sa personne, c'est de se mettre au 
service , c'est-à-dire de se louer à très^bon compte 
pour aller tuer des gens qui ne nous ont point 
fait de mal. Ce métier est en grande estime parmi 
les hommes, et ils font un cas extraordinaire 
de ceux qui ne sont bons qu'à cela. Au surplus , 
loin de vous dispenser des autres ressources , il ne 
vous les rend que plus nécessaires, car il entre 
aussi dans l'honneur de cet état de ruiner ceux qui 
fi'y dévouent. Il est vrai qu'ils ne s'y ruinent pas 
tous; la mode vient même insensiblement de s'y 
enrichir comme dans les autres : mais je doute 
qu'en vous expliquant comnient s'y prennent pour 
cela ceux qui réussissent, je vous rende curieux de 
les imiter. 

Vous saurez encore que dans ce métier même 
il ne s'agit plus de courage ni de valeur, si ce n'est 
peut-être auprès des femmes; qu'au contraire le 
plus rampant, le plus bas, le plus servile, est tou- 
jours le .plus honoré; que si vous vous avisez de 



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Vouloir faire tout de bon votre métier, vous serez 
méprisé, haï, chassé peut-être, tout au moins ac« 
câblé de passe-droits et supplanté par tous vos ca« 
marades, pour avoir fait votre service à la tranchée 
tandis qu^ils faisaient le leur à la toilette. 

On se doute bien que tous ces emplois divers ne 
seropt pas fort du goût d'Émife. Eh quoi! me dira- 
t-il, ai-je oublié les jeux de mon enfance? ai-je 
perdu mes bras? ma force est-elle épuisée? ne sais* 
je plus travailler? Que m'importent tons vos beaux 
emplois et toutes les sottes opinions des hommes? 
Je ne connais point d'autre gloire que d'être bien- 
faisant et juste; je ne connais point d'autre bonheur 
que de vivre indépendant avec ce qu'on aime , en 
gagnant tous les jours de l'appétit et de la santé 
par son travail. Tous ces embarras dont vous me 
parle2 ne me touchent guère. Je ne veux pour tout 
' bien qu'une petite métairie dans quelque coin du 
monde. Je mettrai toute mon avarice à la faire va- 
loir, et je vivrai sans inquiétude. Sophie et mon 
champ , et je serai riche. 

Oui, mon ami, c'est assez pour le bonheur du 
sage d^une femme et d'un champ qui soient à lui ; 
mais ces trésors, bien que modestes, ne sont pasr 
Si commun* que vous penser. Le plus rare est 
trouvé pour vous; parlons de l'autre. 

Un cliamp qui soit à vous , cher Emile ! et danf 
quel lieu le choisirez^vous? En quel coin de la terre 
pourrez-vous dire , Je suis ici mon maître et celu} 
du terrain qui m^appartîent? On sait en quels lieux 
il est aisé de se faire riche , mais qui sait où l'on 
peut se passer de l'être? Qui sait où l'on peut vivre 
indépendant et libre sans avoir besoin de faire mal 
à personne et sans crainte d'en recevoir ? Croyez-r 
vous cjue le pays où il est toujours permis d'être 



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honnête homme soit si facile à trouver? S^il est 
quelque moyen légitime et sûr de subsister sans iu- 
irigue, sans affaire, sans dépendance^ c'est, j^en 
conviens, de vivre du travail de ses mains en. cul- 
tivant sa propre terre : mais où est Tétat où Too 
peut se dire, La terre que Je foule est à moi? Avant 
de choisir cette heureuse terre, assurez-vous 'bien 
d'y trouver la paix que vous cherchez ; gardez qu*uQ 
gouvernement violent, qu'une religion persécutante^ 
que des mœurs perverses, ne vous y viennent trou- 
bler. Mettez- vous à l'abri des impôts sans mesure 
qui dévoreraient le fruit de vos peines, des procès 
sans (in qui consumeraient votre fonds. Faîtes en 
sorte qu'en vivant justement vous n'ayez point à 
faire votre cour à des intendans, à leurs substituts^ 
à des juges, à des prêtres, à de puissans voisins, à 
des fripons de toute espèce , toujours prêts à vou» 
tourmenter si vous les négligez. Mettez^vous sur- 
tout à l'abri des vexations des grands et des riches; 
Songez que partout leurs terres peuvent confiner à 
la vigne de Naboth. Si vôtre malheur veut qu'un 
homme en place achète ou bâtisse une maison près^ 
de vôtre chaumière , répondez- vous qu'il ne trou- 
vera pas le moyen, sous quelque prétexte, d'en- 
vahir votre héritage pour s'arrondir , ou que vous 
ne verrez pas ,. dès demain peut-être y absorber 
toutes vos ressources dans un large grand chemin i^ 
Que si vous vous conservez du crédit pour parer à 
tous ces inconvéniens, autant vaut conserver aussi 
vos richesses, car elles ne vous coûteront pas plus 
à garder. La richesse et le crédit s'étaient mutuel- 
lement; l'un se soutient toujours mal sans l'autre. 
J'ai plus d'expérience que vous, cher Emile, je 
vois mieux la difficulté de votre projet. Il est beau 
pourtant, il est honnête^ il vous rendrait heureu]( 

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XIVftE V. 199 

en effet z'efforçons-aons de rexécuter. J^aiune pro- 
position à Tons faire : consacrons les deux ans que 
nous avons pris jusqu'à votre retour à choisir un 
asile en Europe où vous puissiez vivre heureux avec 
votre famille 9 à Tabri de tous les dangers dont je 
viens de vous parler. Si nous réussissons, vous au* 

■ tez trouvé le vrai bonheur vainement cherché par 
tant d^autres, et vous n'aurez pas regret à votre 
temps. Si nous ne réussissons pas, vous serez guéri 
d'une chimère; vous vous consolerez d'un malheur 
inévitable, et vous vous souniettrez à la loi de la 
néceiBsité. 

Je ne sais si tous mes lecteurs apercevront Jus- 
qu^où va nous mener cette recherche ainsi propo- 
sée-; mais je âais bien que si , au retour de ses 
voyages, conmiencés et continués dans cette vue, 
Emile n'en revient pas versé dans toutes les ma* 

^ tières de gouvernement , de mœurs publiques et de 
maxkAes d'état de toute espèce , il faut que lui ou 
moi soyons bien dépourvus, l'un d'intdligence, et 
l'autre de jugement. 

Le droit politique est encore à«nattre , et il est à 
présumer qu41 ne naritra jamab. Grotius , le mattre 
de tous nos savans en cette partie, n'est qu'un en- 
fant, et, qui pis est, un enfant de mauvaise foi. 
Quarid j'entends élever Grotius jusqu'aux nues et 
couvrir Hobbes d'exécration , je vois combien 
d'hommes sensés lisent ou comprennent ces deux 
auteurs. La vérité est que leurs principes sont exac- 
tement semblables; ils ne diffèrent que par les ex- 
pressions. Ils diffèrent aussi par la méthode. Hobbes 
s'appuie sur des sophismes , et Grotius sur des 
poètes : tout le reste leur est commun. 

Le seul moderne en état de créer cette grande et 
utile science eût été l'illustre Montesquieu. Mais il 

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n'eut garde de traiter des prineipes du droit poH^ 
tique; il se contenta de traiter du droit positif des 
gouvememens établis; et rien au monde n'est plus 
différent que ces deux études. 

Celui pourtant qui veut juger sainement des 
gouvememens tels qu'ils existent est obligé de les 
réunir toutes deux; il faut savoir ce qui doit être 
pour bien iuger de ce qui est. La plus grande diffi- 
culté pour éclaircir ces importantes matières est 
d'intéresser un particulier à les discuter, de répondre 
à ces deux questions. Que m'importe? et. Qu'y 
puis-}e faire? Nous avons mis notre Emile ea état 
de se répondre à toutes deux. 

La deuxième difficulté vient des préjugés de Tea- 
fance , ^es maximes dans lesquelles on a été nourri,, 
surtout de la partialité des auteurs, qui, pariant 
toujours de la vérité dont ils ne se soucient guère > 
ne songent qu'à leur intérêt dont ils ne parient 
point. Or, le peuple ne donne ni chaires, ni penf* 
sions, ni places d'académies; qu'on juge comment 
ses droits doivent être établis 'par ces gens-là! J'ai 
fait en sorte que cette difficulté fût encore nuller 
pour Emile. A peine sait*il ce que c'est que gou- 
vernement; la seule chose qui lui importe est de 
trouver le meilleur : son objet n'est point de faire 
des livres; et si jamais 11 en fait, ce ne sera point 
pour faire sa cour aux puissances, mais pour éta* 
blîr les droits de l'humanité. 

Il reste une troisième difficulté plus spécieuse 
que solide , et que je ne veux ni résoudre ni propo- 
ser : il me suffit qu'elle n'effraie point mon zèle : 
biien sûr qu'en des recherches de cette e^èce, de 
grands talens sont moins nécessaires qu*un sincère 
amour de la justice et un vrai respect pour la vé- 
rité. Si donc les matières de gouvernement peuvent 

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èlreé<iuitaîblemenl traitées, en voici, «elon moi, le 
cas , ou jamais. 

Avant d'observer il faut se faire des règles pour 
ses observations : il feut se faire une écheUe pour 
y rapporter les mesures qu'on prend. Nos principes 
de droit politique sont cette échelle. Nos mesures 
sont les lois politiques de chaque pays. 

Nos élémens seront clairs, simples, pris immé« 
diatement dans la nature des choses. Ils se forme- 
ront des questions discutées entre nous , et que 
nous ne convertirons en principes que quand elles 
seront suffisamment résolues. 

Par exemi^e, remontant d*abord à l'état de na- 
ture , nous examinerons si les hommes naissent es- 
claves ou libres , associés ou îndépendans; s'ils se 
réunissent volontairement ou par forcer si jamais 
la force qui les réunit peut former un droit perma- 
nent, par lequel cette force antérieure oblige, mémo 
quand elle est surmontée par une autre, en sorte 
que, depuis la force du roi Nembrot, qui, dit-on, 
lui soumit les premiers peuples, toutes les autres 
forces qui ont détruit celle-là soient devenues 
iniques et usurpatoires, et qu'il n'y ait plus de l^i^ 
times rois que les descendans de Nembrot ou ses^ 
ayans-eause; oubien si cette première force venant 
à cesser, la force qui lui succède oblige à son tour, 
et détruit ^obligation de l'autre, en sorte qu'on ne 
soit oWîgé d'obéir qu'autant qu'on y est forcé, et 
qu'on en soit dispensé sit6t qu'on peut faire résis^ 
tance; droit qui, ce me semble, n'ajouterait pas 
grand'chose à la force, «t ne serait guère qu'un 
)eu de mots. 

Nous examinerons si l'on ne peut pas dire que 
toute maladie vient de Dieu, et s'il s'en suit pour 
9ela que ce soit un crime d'appeler le jnédecin» 

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Nous examinerons encore si Ton est obligé en 
conscience de donner sa bourse à un bandit qui 
nous la demande sur un grand chemin, quand 
même on pourrait la lui cacher, car enfin le pisto- 
let qu'il tient est aussi une puissance. 

Si ce mot de puissance ep cette occasion veut 
dire autre chose qu'une puissance légitime, et par 
conséquent soumise aux lois dont elle tient son être. 

Supposé qu'on rejette ce droit de force, et qu'on 
admette celui de la nature ou l'autorité paternelle 
comme principe des sociétés, nous rechercherons la 
mesure de cette autorité , comment elle est fondée 
^ansla nature, et si elle a d'autre raison que l'uli- 
iité de l'enfant,' sa faiblesse, et l'amour naturel 
que le père a pour lui : si donc la faiblesse de l'en- 
fant venant à cesser, et sa raison à mûrir, il ne ' 
-devient pas seul juge naturel de ce qui convient à sa 
conservation , par conséquent son propre maître, et 
indépendant de tout autre homme , même de son 
père ; car il est encore plus sûr que le fils s'aime lui- 
même, qu'il n'est sûr que le père aime le fils. 

Si, le père mort, les enfans sont tenus d'obéir 
à leur aîné, ou à quelque autre qui n'aura pas 
pour eux l'attachement naturel d'tin père-; et^i, 
dejace en race, il y aura toujours un chef uniqufe 
auquel toute la famille soit tenue d'obéir* Auquel 
cas on chercherait comment l'autorité pourrait ja- 
mais être partagée , et de quel droit il y aurait sur 
la terre entière plus d'un chef qui gouvernât le genre 
humain. 

Supposé que les peuples se fussent formés pair 
choix, nous distinguerons alors le droit du fait; et 
nous demanderons si, s'étant aiAsî soumis à leurs 
frères, oncles ou parens, non qu'ils y fussent obli- 
gés, mais parce qu'ils Tout bien voulu , cette sorte 



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LIVRE V. 205 

de société ne rentre pas toujours dans l'association 
libre et volontaire. 

Passant ensuite au droit d^esclavag^e , nous exa- 
minerons si un homme peut légitimement s'aliéner 
à un autre, sans restriction, sans réserve, sans au- 
cune espèce de condition ; c'est-à-dire s'il peut re- 
noncer .à sa personne , à sa vie , à sa raison , à son 
^noif à toute moralité dans ses actions, et cesser 
en un mot d'exister avant sa mort, malgré la nature 
qui le charge immédiatement de sa propre^conser- 
vation , et malgré sa conscience et sa raison qui lui 
prescrivent ce qu'il doit faire et ce dont il doit s'ab- 
stenir. 

Que s'il y a quelque réserve , quelque restriction 
. dans l'acte de l'esclavage; nous discuterons si cet 
acte ne devient pas alors un vrai contrat, dans le- 
quel chacun des deux contractans , n'ayant point 
en cette qualité de supérieur commun (i), restent 
leurs propres juges quand aux conditions du con- 
trat, par conséquent libres chacun dans cette par- 
tie 5 et maîtres de le rompre sitôt qu'ils s'estiment 
lésés. 

Que si donc un esclave ne peut s'aliéner sans ré- 
servée son maître, conmient un peuple peut-il s'a- 
liéner sans réserve à son chef? et si l'esclave reste 
fuge de l'observation du contrat par son maître^ 
comment le peuple ne restera-t-il pas juge de l'ob- 
servation du contrat par son chef? 

Forcés de revenir ainsi sur nos pas,' et considé- 
rant le sens de ce mot collectif de peuple, nous 

(i)^ S^ils en avaient un , ce supërieur commun ne serait 
autre que le souverain ; et alors le droit d'esclavage , fondé 
sur U droit de souveraineté > n'en serait pas le principc.^ 



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âo4 éniLlii 

cheroherons si pour l'établir il ne faut pas un eon-* 

trat) au moins tacite, antérieur à celui que nous 

supposons. 

Puisque avant de s'élire un roi le peuple est un 
peiq>le9 qu'est-ce qui l'a fait tel sinon le contrat 
social ? Le contrat social est donc la base de toute 
société civile, et c'est dans la nature de cet acte 
qu'il faut chercher celle de la société qu'il forme. 

Nous chercherons quelle est la teneur de ce con- 
trat , et si l'on ne peut pas à peu près renoncer par 
cette formule. < Chacun de nous met en commun 
c ses biens 9 sa personne, sa vie et toute sa puis-* 
« sance, sous la suprême direction de la volonté 
« générale , et nous recevons en corps chaqité 
« oiembre comme partie indivisible du tout » 

Ceci supposé , pour défmir les termes dont lious * 
avons besoin , nous remarquerons qu'au lieu de la 
personne particulière de chaque contractant , cet 
acte d'association produit un corps moral et col- 
lectif, composé d'autant de membres que l'assem** 
bléea de voix. Cette personne publique prend en 
général le nom de corps poiitiqUôj lequel est ap- 
pelé par ses membres , état quand il est passif > so^ 
verain quand il est actif, puissance en le compa- 
rant à ses semblables. A Tégard des membres eux- 
mêmes, ils prennent le nom de peupU eoUective- 
ment, et s'appellent en particulier eUoycnSyCovam.t 
membres de la dté ou participant à l'autorité son* 
veraine, et sujets^ comme sounaôs à la même au« 
torîté. 

Nous remarquerons que cet acte d'association 
renferme un engagement réciproque du public et 
des particuliers , et que chaque individu, contrac- 
traitant pour ainsi dire avec lui-même, se trouve 
engagé sous un double rapport, savoir ,• oommç 



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tiVRB V. ao5- 

membre du souverain envers les particuliers, et 
comme membre de Fétat envers le souverain. 

Nous remarquerons encore que nul n'étant tenu 
aux engagemens qu'on n'a pris qu'avec soi, la dé- 
libération publique qui peut obliger tous les sujets 
envers le souverain à cause des deux différens rap- 
ports sous lesquels chacun d'ieux est envisagé^ ne 
peut obliger l'état envers lui-même. Par où l'on 
voit qu'il n'y a ni ne peut y avoir d'autre loi fon- 
damentale proprement dite que le seul pacte social. 
Ce qui ne signifie pas que le corps politique ne 
puisse 9 à certains égards, s'engager envers autrui ; 
car, par rapport à l'étranger, il devient alors un 
être simple , un individu. 

Les deux parties contractantes, savoir chaque 
particulier et le public , n'ayant aucun supérieur 
commun qui puisse juger leurs différens, nous 
examinerons si chacun des deux reste le maître de 
rompre le contrat quand il lui platt, c'est -a -dire 
d^ renoncer pour sa part sitôt qu'il se <îroit lésé. 

Pour édatlrcir cette question , nous observerons 
que, selon le pacte social » le souverain ne pouvant 
agir que par des remontés communes et générales, 
ses actes ne doivent de m^oae avoir que des objets 
généraux et communs; dV)ù il suit qu^'un particu- 
lier ne saurait être lésé directement par le souve- 
rain qu'ils ne le soient tous ; ce qui ne se peut, puis- 
que ce serait vouloir se faire du mal à soi-même. 
Ainsi le contrat social n'a jamais besoin d'autre ga- 
rant que la force publique, parce que la lésion ne 
peut jamais venir que des particuliers ; et alors ils 
ne spnt pas pour cela libres de leur engagement , 
mais punis de l'avoir violé. 

Pour bien décider toutes les questions semblables, 
nous aurons soin de nous rappeler toujours que le 

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2o6 EMILE. 

pacte social est d'une nature particulière^ et propre 
à lui seul, en ce que le peuple ne contracte qu'avec 
lui-même , c'est-à-dire le peuple en corps conoime 
souverain , avec les particuliers comme sujets : con- 
dition qui fait tout l'artifice et le jeu de la machine 
politique, et qui seule rend légitimes, raisonna- 
bles et sans danger, des engagemens qui sans cela 
seraient absurdes,. tyranniques, et sujets aux plus 
énormes abus. , 

Le4, particuliers ne s'étant soumis qu'au souve- . 
rain , et l'autorité souveraine n'étant autre chose 
que la volonté générale , nous verrons comment 
chaque homme, obéissant au souverain, n'obéit 
qu'à lui-même , et conunent on est plus libre dans 
le pacte social que dans l'état de nature. 

Après avoir fait la comparaison de la liberté na* 
turelle avec la liberté civile quant aux personnes , 
nous ferons, quant aux biens, celle du droit de 
propriété avec le droit de souveraineté, du domaine 
particulier avec le domaine émiuent. Si c'est sur le 
droit de propriété qu'est fondée l'autorité souve- 
raine , ce droit est celui qu'elle doit le plus respec- 
ter ; il est inviolable et sacré pour elle tant qu'il 
demeure un droit particulier et individuel : sitôt, 
qu'il est considéré comme commua à tous les ci- 
toyens, il est soumis à la volonté générale , et cette 
volonté peut l'anéantir. Ainsi le souverain n'a nul 
droit de toucher au bien d'un particulier, ni de^ 
plusieurs; mais il peut légitimement s'emparer du 
bien de tous, comme cela se fit à Sparte au temps 
de Lycurgue ; au Heu que l'aboUtion des dettes par 
Selon fut un acte illégitime. 

Puisque rien n'« blijçe les sujets que la volonté gé- 
nérale, nous fccJi rcherons comment se maulfeste 
cette volonté, à quels signes on est sûr de la re* 



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IIVBE V. 207 

^: connaître, ce que c'est qu'une loi, et quels sont les 
' vrais caractères de la loi. Ce sujet est tout neuf : la 
'^définition de la loi est encore à faire. 
^ A rinstant que le peuple considère en particulier 
^ un ou plusieurs de ses membres , le peuple se di- 
^ vise. Il se forme entre le tout et sa partie une re- 
^ lation qui en fait deux êtres séparés, dont la partie 
^ est l'un , et le tout moins cette partie est l'autre. Mais 
le tout moins une partie n'est pas le tout ; tant que 
^ ce rapport subsiste , il n'y a donc plus de tout, mais 
^ deux parties inégales. 

I Au contraire , quand tout le peuple statue sur 
i tout le peuple, il ne considère queluî-mème; ets'il 
I se forme un rapport, c'est de l'objet entier sous un 
autre point de vue à l'objet entier sous un autre 
point de vue, sans aucune division du tout. Alors 
I l'objet sur lequel on statue est général, et la vo- 
lonté qui statue est aussi générale. Nous exami-* 
I nerons s'il y a quelque autre espèce d'acte qui puisse 
porter le 00m de loi. 

Si le souverain ne peut parler que par des lois , et 
si la loi ne peut jamais avoir qu'un objet général 
et relatif également à tous les membres de l'état^ 
il s'ensuit que le souverain n'a jamais le pouvoir de 
rien statuer sur un objet particulier ; et comme il 
importe cependant à la conservation de l'état qu'il 
soit aussi décidé des choses particulières, nous re- 
cherchemns conmient cela se peut faire. 

Les actes du souverain ue peuvent être que des 
actes de volonté générale , des lois : il faut ensuite des 
actes détermînans, des actes de force ou de gouver- 
nement, pour l'exécution de ces mêmes lois; et 
ceux-ci, au contraire, ne peuvent avoir que des ob- 
jets particuliers. Ainsi l'acte par lequel le souverain 
statue qu'on élira un chef est une loi ; et l'acte par 



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208 élttlIE. 

lequel on élit ce chef en exécution de la loi n'est 
<|u^un acte de gouvernement 

Toici donc, un troisième rapport sous lequel 
le peuple assemblé peut être considéré , savoir 9 
comme magistrat ou exécuteur de la loi qu'il a portée 
comme souverain ( 1 ) . 

Nous examinerons s'il est possible que le peuple 
se dépouille de son droit de souveraineté pour en 
revêtir un homme ou plusieurs; car l'acte d'éle^î- 
lion n'étant pas une loi, et dans cet acte le peuple 
n'étant pas souverain lui-même , on ue voit point 
comment alors il peut transférer un droit qu'il n'a 
pas. 

L'essence de la souveraineté consistant dans la vo^ 
lonté générale, on ne voit point non plus comment on 
p^it s?assurer qu'une volonté particulière sera tou** 
jours d'accord avec cette volonté générale. On doit 
bien plutôt présumer qu'elle y sera souvent con« 
traire; car l'intérêt privé tend toujours aux préfé- 
rences et l'intérêt pubh'c à l'égalité ; et, quand cet 
accord sel*ait possible , il suffirait qu'il ne fût pas 
nécessaire et indestructible, pour que le droit sou-» 
verain n'en pût résulter. . 

Nous rechercherons si , sans violer le pacte social , 
les chefs du peuple 9 sous quelque nom qu'ils soient 
élus, peuvent, jamais être autre chose que les c^- 
ciers du peuple, auxquels il ordonne de faire exé- 
cuter les lois ; si ces chels ne lui doivent pas compta 
de leur administration ; et ne sont pas soumis eux- 
mêmes aux lolsqu'ils sont chargés de faire observer, 

(i) Ces questions et propositions sont la plup^t extraites 
du traite du Contrat social^ extrait lui-même d'un plus 
grand ouvrage , entrepris sans consulter mes forces , et 
abandonna depuis long -temps. Le petit traité que j^en ai 
détaché y et dont c'est ici le sommaire y sera pnUié à part, 



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tIVlB V. 209 

5i le peuple ne peut aliéner son draît suprême, 
peut-il le confier pour un temps ? s'il ne peut se 
donner un maître , peut-ii se donner des représen- 
tans ? Cette question est importante et mérite dis- 
cussion. 

Si le peuple ne peut avoir ni souverain ni repré- 
jgentans, nous examinerons comment il peut porter 
ses lois lui-même ; sHl doit avoir beaucoup de lois; 
s'il doit les changer souvent ; s'il est aisé qu'un grand 
peuple soit son propre législateur^ 

Si le peuple romain n'était pas un grand peuple ; 

S'il est bon qu'il y ait de grands peuples. 

Il suit des considérations précédentes qu'il y a 
dans l'état un corps intermédiaire entre les sujets 
et le souverain : et ce corps intermédiaire, formé 
d'un ou de plusieurs inembres, est chargé de l'ad- 
ministration publique, de l'exécution des lois, et 
du maintien de la liberté civile et politique. ^ 

Les membres de ce corps s'appellent vnéi^^/raf^ 
ou TùiSj c'est-à-dire gouverneurs. Le corps entier, 
considéré par les honunes qui le composent , s'ap- 
pelle jp rince f et considéré par son action, il s'ap- 
pelle gouvernement. 

Si nous ccmsidérons l'action du corps entier agis- 
sant sur lui-même, c'est-à-dire le rapport dd tout 
jau tout, ou du souverain à l'état, nous pouvons 
.comparer ce rapport à celui des extrêmes d'une 
prc^option continue dont le gouvernement donne 
le moyen terme. Le magistrat reçoit du souverain 
lesordresquHl donne au peuple ; et, tout compensé, 
;6on produit ou sa puissance est au même degré que 
.le produit ou la puissance des citoyens , qui sont 
sujets d'un côté et souverains de l'autre. On ne sau- 
rait altérer aucun des trois termes sans rompre à 
rinstant la proportion. Si le souverain veut gou* 
11. * 9 

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iiH) £mile. 

verner 9 ou si le prince veut donner des lois^ ou si 
le sujet refuse d'obéir, le désordre succède è la 
règle 9 et Tétat dissous tombe dans le despotisme 
ou dans Tanarcliie. 

Supposons que Téfat soit composé de dix mille 
citoyens. Le souverain ne peut-être considéré que 
collectivement et en corps ; mais chaque particu- 
lier a, comme sujet, une existence individuelle et 
indépendante. Ainsi le souverain est au sujet comme 
dix mille à un ; c'est-à-dire que chaque membre de 
l'état n'a pour sa part que la dix millième partie 
de l'autorité souveraine » quoiqu'il lui soit soumis 
tout entier. Que le peuple soit composé de cent mille 
hommes , l^^tat des sujets ne change pas , et chacun 
porte toujours tout l'empire des lois', tandis que son 
suffrage^ réduit à un cent millième , a dix fois moins 
d'influence dans leur rédaction. Ainsi, le sujet res- 
tant toujours un, le rapport du souverain augmente 
en raison du nombre des citoyens. D'où il suit que 
plus l'état s'agrandit, plus la liberté diminue. 

Or, moins les volontés particulières se rapportent 
^ la volonté générale , c'est-à-dire les mœnrs aux 
lois , plus la force réprimante doit augmenter. D'un 
autre côté la grandeur de l'état donnant aux dépo- 
sitaires de l'autorité publique plus de tentations et 
de moyens d'en abuser , plus le gouvernement à 
de force pour contenir le peuple, plus le souverain 
doit en avoir à son tour pour contenir le gouver- 
nement. 

Il suit de ce double rapport que la pTop<»rtion 
Continue entre le souverain , le prince et le peuple , 
n'est point une idée arbitraire , mais une consé- 
quence de la nature de l'état. Il suit encore que l'un 
des extrêmes, savoir le peuple , étant fixe, toutes 
les fois que la raison doublée augmente ou diminue 9. 



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LIVRE V. 211 

la raison simple augmente ou diminue à son tour ; 

^ ce qui ne peut se faire sans que le moyen terme 
change autant de fois. D'où nous pouvons tirer cette 
conséquence , quMl n'y a pas une constitution de 
gôuvernèmeilt unique et absolue, mais qu'il doit 
y avoir autant de gouyernemens différens en nature 
qu'il y a d'états difTérens en grandeur. 

Si plus le peuple est nombreux moins les mœurs 
se rapportent aux lois , nous exanunerons si , par 

- une analogie assez évidente , on ne peut pas dire 
aussi que plus les magistrats sont nombreux , plus le 
golivememènt est faible. 

Pour éclaîrcfr Cette maxime nous distinguerons 
dans la personne de chaque magistrat trois volontés 

-èssentîelfettieAt différentes : premièrement , la vo- 
lonté propre de l'individu, qui ne tend cpi'à son 
avantage particulier : secondement , la volonté com- 
mùiae des magistrats, qui se rapporte uniquement 
au profit du prtnice ; volonté qu'on peut appelée vo- 
lontéde cdrps , lâqudîé est générale par rapport au 
gouvernement , et pdrtîfeulîère par rapport à l'état 
dont leg6m^memeni fait partie : en troisième lieu , 
la Volonté du petif^e ou la volonté souveraine^, 
laquelle est générale , tant par rapport à l'état con- 
sidéré comme lé tent , que par rapport au gouver- 
nement coîisîdéré cOHune partie du tout. Dans une 
législatîép i^àrfailè la volonté particulière et indi- 
'viduelle doit ét^e presque nulle ; la volonté de corps 
-propre au gouvternémfent très-subordonnée ; et par 
•conséquent là volonté générale et souveraine est 
la règle de toutes les autres. Au Contraire, selon 

' l'ordre nafturel , ces différentes volontés devien- 
nent plus actives à mesure qu'elles se concentrent ; 
4a volonté générale est toujours la plus faible , la 
volonté de corps a le second rang , et la volonté 



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dl2 EIIIILB' 

particulière est préférée atout; eu sorte que cliactHi 
est premièrement soi-même , et puis magistrat , et 
puis citoyen : gradation directement opposée à celle 
qu'exige Tordre social. 

Cela posé , nous supposerons le gouvernement 
entre les mains d'un seul homme. Yoilà la volonté 
particulière et la volonté de corps parfadtement 
réunies, et par conséquent celle-ci au plus haut 
degré d'intensité qu'elle puisse avoir. Or comme 
c'est de ce degré que dépend l'usage de la force y 
et que la force absolue du gouveruement) étant tou* 
jours celle du peuple, ne varie point > il s'ensuit que 
le plus actif des gouvernemens est celui d'un seul» 
Au contraire, unissons le gouvemen^nt à l'au- 
torité suprême , faisons le prince du souverain ^ et 
. des citoyens autant de magistrats : alors la vcdonté 
de corps, parfaitement confondue avec la volonté 
générale, n'aura pas plus d'activité, qu'elle et laissesa 
la volonté particulière dans toute sa force. Ainsi ie 
gouvernement ; tou|ours avec la même force ah* 
solue, sera dans son minimum, d'activité» 

Ces règles sont incon testâmes, et d'autres consi- 
dérations servent aies confirmer. On voit par exem- 
ple, que les magistrats sont plus actifs dans leur 
corps que le citoyen n'est dans le sien , et que par 
conséquent la volonté particulière y a beaucoup 
plus d'influence. Car chaque magistrat est presque 
toujours chargé de quelque fonction particulière 
de gouvernement ; au lieu que chaque citc^en , 
prisa part, n'a aucune fonction de la souveraineté» 
D'ailleurs, plus l'état s'étend, plus sa force réelle 
augmente, quoiqu'elle n'augmente pas en raisoa 
de son étendue; mais, l'état restant le même, le» 
magistrats ont beau se multiplier, le gouvernement 
n'en acquiert pas une plus grande force réelle^parce 



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^^1 est dépCMitaire de celle de PéUI 5 que nous sup- 
posons toujours égale. Ainsi, par cette pluralité , 
Factivité du gouvernement diminue sans que sa 
force puisse augmenter. 

Après aroir trouvé que le gouvernement se re- 
làdie à mesure que les magistrats se multiplient ^ 
et que » plus le peuple est nombreux , |^u» la forée 
réprimante du gouvernement doit augmenter, noos^ 
conclurons que le rapport des magistrats au goo- 
vernement doit être inverse de celui des sufets au 
souverain ; c'est-à-dire que plus Tétat s'a^andit> 
plus le gouvernement doit se resserrer, tellemei^t 
que le nombre des chefs diminue en raison de Tau- 
ginentation du peuple. 

Pour fixer ensuite cette diversité de formes sous* 
des dénimiinations plus précises, nous remarque- 
rons, en premier lieu, que le souverain peut com- 
mettre le dépôt du gouvernement à tout le peuple 
ou à la plus grande partie du peuple , en sorte qu*il 
y ait plus de citoyens magistrats que de citoyens^ 
simples particuliers. On donne le nom de démo-' 
cratie à cette forme de gouvernement. 

Ou bleu il peut resserrer le gouvernement entre 
les mains d\in moindre nombre, en sorte qu'il y 
ait plus de simples citoyens que de magistrats; et 
cette foime porte le nom d'aristocratie^ 

Enfin il peut concentrer tout le gouvernement 
entre les mains d'un magistrat unique. Cette troi^ 
sième forme est la plus commune, et s'â^elle ma- 
narchiam gouvernement royal. 

Nous remarquerons que toutes ces formes ,^ ou 
du moins les deux premières, sont susceptibles de 
plus et de moins, et ont même une assez grande 
latitude. Car la démocratie peut embrasser tout le 
peuple ou se resserrer jusqu'à la moitié. L'aristo* 



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!ll4 iMUfi» 

cratîe, à son tour, peut de la moitié du peuple se 
resserrer Indéterminémeot jusqu^aux plus petits 
nombres. La royauté même admet quelquefois un 
partage 9 soit entre le père et le fils 9 soit entre dem 
frères, soit autrement. Il y avait toujours deux rois 
à Sparte , et Ton a vu dansTempire romain îusqu'à 
huit eqipereurs à la fois , sans qu^on pût dire que 
Tempîre fût divisé. Il y a un point où chaque forme 
de gouvernement se confond avec la suivante; et t 
sous trois dénominations spécifiques 9 le gouverne- 
ment est réellement susceptible d'autant de f<Mrmes 
diverses que l'état a de citoyens. 

Il y a plus : chacun de ces gouvememeDS pou- 
vant à certains égards se subdiviser en diverses 
parties , l'une administrée d'une manfjère et l'autre 
d'une autre, il peut résulter de ces trois foraies 
combinées une multitude de formes mixtes dont 
chacune est multipliable par toutes les formes 
simples. 

On a de tout temps beaucoup disputé sup la 
meilleure forme de gouvernement , sans considérer 
que chacune est la meilleure en certains cas , ella 
pire en d'autres. Pour nous, si dans les différens 
états le nombre des magistrats (1) doit être inverse 
de celui des citoyens, nous conclurons qu'en^éné^ 
rai le gouvernement démocratique convient aux 
petits états, l'aristocratique aux médiocres, et le 
monarchique aux grands. 

C'est par le fil de ces recherches que nous x>ar- 
viendrons à savoir quels sont les devoirs et les droits 
des citoyens, et si l'on peut séparer les uns des 

■ ' ' 
(i) On se souviendra que je n'entends parler ici qne de 
magistrats suprêmes ou chefs de la nation , les autres n'étant 
que leurs substituts en telle ou telle partie. 



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IIVRE T. 2l5 

autres; ce que c'est que la patrie, en quoi précisé- 
ment elle consiste j et à quoi chacun peut connaître 
s'il a une patrie ^ ou s'il n'en a point. 

Après avoir ainsi considéré chaque espèce de 
société civile en elle-même , nous les comparerons 
pour en observer les divers rapports : les unes 
grandes, les^ autres petites, les unes fortes, les 
autres faibles ; s'attaquant , s'offensant , s'entre- 
détruîsant; et, dans cette action et réaction conti- 
nuelle, faisant, plus de misérables et coûtant la vie 
à plus d'hommes que s'ils avaient tous gardé leur 
première liberté. Nous examinerons si l'on n'en a 
pas fait trop ou trop peu dans l'institution sociale ; 
si les individus soumis aux lois et aux hommes, 
tandis que les sociétés gardent entre elles l'indépen- 
dance de la nature, ne restent pas exposés aux 
maux des deux états, sans en avoir les avantages > 
et s'il ne vaudrait pas mieux qu'il n'y eût point de 
société civile au monde , que d'y en avoir plu- 
sieurs. N'est-ce pas cet état mixte qui participe à 
tous les deux, et n'assure ni l'un ni l'autre , per 
qutm neutrum iicet , nec tanquàm in heiîo pa^ 
ratum esse , nec tanquàm in pace seeuruni (*) ? 
N'est-ce pas cette association partielle et imparfaite 
qui produit la tyrannie et la guerre? et la tyrannie 
et la guerre ne sont-elles pas les plus grands fléaux 
de l'humanité? 

Nous examinerons enfin l'espèce de remèdes 
qu'on a cherchés à ces inconvéniens par les ligues 
et confédérations , qui , laissant chaque état son 
mattre au dedans , l'arment au dehors contre tout 
agresseur injuste. Nous rechercherons comment 
on peut établir une bonne association fédérative ^ 



(*) Senec. de Tranq. anîm. cap. x. 



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st6 iuJliSé 

ce qui peut la rendre durable , el jusqu'à quel point 
on peut étendre le droit de la confédération , sans 
nuire à celui de la souveraineté. 

L'abbé de Saînt-Pierrê avait proposé une associa- 
tion de tous les états de l'Europe pour maintenir 
entre eux vme paix perpétuielle. Cette association 
était-elle praticable? et, supposant qu'elle eût été 
établie, était -il à présumer qu'elle eût duré (i)? 
Ces recherches nous mènent direètement à toutes 
les questions de droit public qui peuvent achever 
d'éclaircir ceDes du droit politique. 

Enfin nous poserons les vrais principes du droit 
de la guerre , et nous examinerons pourquoi Grotiu» 
et les autres n'en ont donné que de faux. 

Je ne serais pas étonné qu'au milieu de tous no» 
raisonnemens, mon jeune homme, qui a du bon 
sens, me dît en m'interrompant : On dirait que 
nous bâtissons notre édifice avec du bois, et non 
pas avec des hommes, tantnwis alignons exacte- 
ment chaque pièce à la règle 1 11 est vrai, mon ami; 
mais songez que le droit ne se plie point aux pas- 
sions des hommes , et qu'il s'agissait entre nous 
d'établir d'abord les vrais principes du drcHt poU- 
tiqucr A présent que nos fondemens sont posé», 
venez examciner ce que les hommes ont bâti dessus, 
et^bus verrez de belles choses l 

Alors îe lui fais lire Téiémaque et poursuivre sa 
route j nous cherchons ITieurcuse Sàlente, et le bon 
Idoménée rendu sage à force de malheurs. Chemin 
faisant nous trouvons beaucoup de Protésilas, et 

(i) Depuis qu€ j^ëcmais ceci , les raisons pocn* ont e'té 
expose'es dans Teitrait de ce projet j les raisonS' contre , du 
moins celles qui m'ont paru solides , se trouveront dans le 
recueil de mes e'crits , à la suite de ce même extrait. 



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• tïVEE V. 217 

point de Philoclès. Adraste , roi des Dauniens, 
n'est pas non plus introuvable. - Mais laissons les 
lecteurs imaginer nos voyages , ou les faire à notre 
place un Téicmaque à la main , et ne leur suggé- 
rons point des applications affligeantes, que Tau- 
leur même écarte , ou fait malgré lui (*). 

Au reste ^ Emile n'étant pas roi , ni moi dieu , 
nous ne nous tourmentons point de ne pouvoir 
imiter Télémaque et Mentor dans le bien qu'ils 
faisaient aux hommes : personne ne sait mieux que 
nous se tenir à sa place 9 et ne désire moins d'en 
sortir. Nous savons que la même tâche est donnée 
à tous; que quiconque aime le bien de tout son 
cœur, et le fait de tout son pouvoir, l'a remplie. 
Nous savons que Télémaque et Mentor sont des 
chimères. Emile ne voyage pas en homme oisif, et 
£ait plus de bien que s'il était prince. Si nous étions 
rois , nous ne serions plus bienfaisans , nous fe- 
rions sans le savoir mille maux réels pour un bien 
apparent que nous croirions faire. Si nous étions 
rois et sages , le pren)ier bien que nous voudrions 
faire à nous-mêmes et aux autres serait d'abdiquer 
la royauté et de redevenir ce que nous sommes. 

^'ai dit ce qui rend les voyages infructueux à 
tout le monde : ce qui les rend encore plus infruc- 
tueux à la jeunesse , c'est la maniée dont on les lui 
fait faire. Les gouverneurs, plus curieux de leur 
amusement que de son instruction , la mènent de 
ville en ville, de palais en palais, de cercle en 

{*) .Dans Tiatention de brouiller Jeap - Jacques avec 
milord mare'cbal et de lui ôter la protection de Fre'deric, 
des gens charitables prétendirent que Bou'sseau voulait àé* 
signer le roi de Prusse sous le nom d'Adraste, Il ne nie pas 
Tallosion, rojr, tom. H, pag. 448 dé cette édition , iïi con, 
ddte qu'il tinta celle occasion* 



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21 8 ÉMiti:. 

cercle ; ou , s'ils sont savans et gens de lettres , ils 
lui font passer son temps à courir des bibliothc- 
ques» à visiter des antiquaires , à fouiller de vieax 
monumens, à transcrire de vieilles inscriptions. 
Dans chaque pays ils s'occupent d'un autre siècle ; 
c'est comme s'ils s'occupaient d'un autre pays : en 
Borte qu'après avoir à grands frais parcouru l'Eu- 
rope, livrés aux frivolités ou à Tennui , ils revien- 
nent sans avoir rien vu de ce qui peut les intéresser, 
ni rien appris de ce qui peut leur être utile. 

Toutes les capitales se ressemblent , t^us les peu- 
ples s'y mêlent, toutes les mœurs s'y confondent; 
ce n'est pas là qu'il faut aller étudier les nations. 
Paris et Londres ne sont à mes yeux que la même 
ville. Leurs habitans ont quelques préjugés diffé* 
rens , mais ils n'en ont pas moins les uns que les 
autres, et toutes leurs maximes pratiques sont les 
mêmes. On sait quelles espèces d'hommes doivent 
se rassembler dans les cours. On sait quelles moeurs 
l'entassement du peuple et l'inégalité des fortunes 
doit partout produire. Sitôt qu'on me parle d'une 
ville composée de deux cent mille âmes ,. |e sais 
d'avance comment on y vit- Ce que je saurais de 
plus sur les lieux ne vaut pas la peine d'aller l'ap* 
prendre. 

C'est dans les provinces veculées , où il y a moinii 
de mouvement , de commerce , où les étrangers 
voyagent moins , dont les habitans se déplacent 
moins, changent moins de fortune et d'état, qu'il 
faut aller étudier le génie et les mœurs d'une na- 
tion. Yoyez en passant la capitale , mais allez ob- 
server au loin le pays. Les Français ne sont pas à 
Paris, ils sont en Touraine ; les Anglais sont plus 
anglais en Mereie qu'à Londres , et les Espagnols 
plus espagnols en Galice qu'à Madrid. L'est à ces 



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IIVBB V. 219 

grandes distances qa*un peuple se caractérise et 
se montre tel qu*il est sans mélange : c'est là que 
les bons et les mauvais effets du gouvernement se 
font mieux sentir , comme au bout d'un plus grand 
rayon la mesure des arcs est plus exacte. 

Les rapports nécessaires des mœurs au gouver* 
nement ont été si bien exposés dans le livre de i'E9^ 
prit des (ois , qu*on ne peut mieux faire que de 
recourir è cet ouvrage pour étudier ces rapports. 
Mais , en général , il y a deux règles faciles et simples 
pour juger de la bonté relative des gouvememens. 
L'une est la population. Dans tout pays qui se dé- 
peuple l'état tetid à sa ruine ; et le pays qui peuple 
le plus 9 fût-il le plus pauvre, est infailliblement le 
mieux gouverné (1). 

Mais il faut pour cela que cette population soit 
nn effet naturel du gouvernement et des mœurs; 
car si elle se faisait par des colonies 5 ou par d'au- 
tres voies accidentelles et passagères, alors elles 
prouveraient le mal par le remède. Quand Auguste 
porta des lois contre le célibat, ces lois montraient 
déjà le déclin de l'empire romain. Il faut que la 
bonté du gouvernement porte les citoyens à se ma- 
rier, et non pas que la loi les y contraigne : il ne 
faut pas examiner ce qui se fkit par force, car la 
loi qui combat la constitution s'élude et devient 
vaine; mais ce qui se fait par l'influence des mœurs 
et par la pente naturelle du gouvernement, car 
ces moyens ont seuls un effet çpnstant. C'était la 
politique du bon abbé de Saint-Pierre de cber- 
cher toujours un petit remède à chaque mal par- 
ticulier , au lieu de remonter à leur source com- 



(i) Je ne sache qnWe seule exception à cette régie, c^esi 
U Chine. 



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310 B1I1II.E. • 

munéy et de voir qu'on ne les pouvait guérir que 
tous à la fois. Il ne 8*agit pas de traiter séparément 
chaque ulc^pe qui tient 6ur lé corps d'un malade ^ 
mais d'épurer la masse du sang qui les produit 
tous. On dit qu'il y a des prix en Angleterre pour 
l'agriculture; je n'en veux pas davantage ; cela seul 
me prouve qu'elle n'y lM*illera pas long-temps^ 

la seconde marque de la bonté relative du gou-* 
vernement et des lois se tire aussi de la population ; 
mais d'une autre manière , c'est^-dire de sa distri- 
bution 9 et non pas de sa quantité. Deux états égaux 
en grandeur et en nombre d'honames peuvent être 
fort inégaux en force , et le plus puissant des deux 
est toujours celui dont les faabitans sont le plus 
également étendus sur le territoire : celui qui n'a 
p&s de si grandes villes, et qui par conséquent 
brille le moins, battra toujours l'autre. Ce sont les 
grandes villes qui épuisent un état et font sa fai- 
blesse : la richesse qu'elles produisent est une 
richesse apparente et illusoire; c'est beaucoup d'ar- 
gent et peu d'effet. On dit que la ville de Paris vaut 
une province au roi de France; moi je crois qu'elle 
lui en coûte plusieurs ; que c'est à plus d'un égard 
que Paris e^t nourri par les provinces^ et que la 
plupart de leurs revenus se versent dans cette ville 
et y restent , sans jamais retourner au peuple ni au 
roi. Il est inconcevable que, dans ce siècle de cal- 
culateurs, il n'y en ait pas un qui sache voir que 
la France serait beaucoup plus puissante si Paris 
était anéanti. Non^seulement le peuple mal distri- 
bué n'est pas avantageux à l'état, mais il est plus 
ruineui^: que la dépopulation même, en ce que la 
dépopulation ne donne qu'un produit nul, et que 
}a. consommation mal entendue donpe un produit 
négatif. Quand j'entends un Français et un Anglw^ 



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• IIVRE V. flîlt 

tout fiers de la grandeur de leurs capitales, disputer 
entre eux lequel de Paris ou de Londres contient 
le plus d'habîtcins, c'est pour moi comme s'ils dis- 
putaient ensemble lequel des deux peuples a l'hon- 
neur d'être le plus mal gouverné. 
* Étudiez un peuple hors de ses villes, ce n'est 
qu'ainsi que vous le connaîtrez. Ce n'est rien de 
voir la forme apparente d'im gouvernement , lardée 
par l'appareil de l'administration et parle jargon des 
administrateurs 9 si l'on n'en étudie aussi la nature 
par les effets qu'il produit sur le peuple , et dans 
tous les degrés de l'administration. La différence 
de la forme au fond* se trouvant partagée entre 
tous ces degrés , ce n'est qu'en les embrassant tous 
qu'on connaît cette différence. Dans tel pays c'est 
par les manœuvres des subdélégués qu'on com- 
mence à sentir l'esprit du ministère ; dans tel autre 
il faut voir élire les membres du parlement pour 
juger s'il est vrai que la nation soit libre. : dans 
quelque pays que ce soit il est impossible que qui 
n'a vu que les villes connaisse le gouvernement^ 
attendu que l'esprit n'en est jamais le même pour 
la ville et pour la campagne. Or c'est la campagne 
qui fait le pays , et c'est le peuple de la campagne * 
qui fait la nation. 

Cette étude des divers peuples dans leurs pro- 
vinces reculées , et dans la simplicité de leur génie 
originel , donne une observation générale bien fa- 
vorable à mon épigraphe , et bien consolante pour 
le cœur humain ; c'est que toutes les nations, ainsi 
observées , paraissent en valoir beaucoup mieux ; 
plus elles se rapprochent de la nature, plus la 
bonté domine dans leur caractère : ce n'est qu'en 
se renfermant dans les villes, ce n'est qu^en s'alté- 
rant à force de culture > qu'elles se dépravent, et 

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222 EMItE. 

qu'elles changent en vices agréables et pernicieux 
quelques défauts plus grossiers que malfaisans. 

De cette observation résulte un nouvel avantage 
dans la manière de voyager que je propose', en ce 
que les jeunes gens 9 séjournant peu dans les grandes 
villes où règne une horrible corruption , sont moins 
exposés à la contracter, et conservent parmi des 
hommes plus simples , et dans des sociétés moins 
nombreuses, un jugement plus sûr, un goût plus 
sain, des mœurs plus honnêtes. Mais^ au reste ^ 
cette contagion n'est guère à craindre pour moa 
Emile : il a tout ce qu'il faut pour s'en garantir. 
Parmi toutes les précautions que j'ai prises pour 
cela , je compte pour beaucoup l'attachement qu'il 
a dans le cœur. * 

On ne sait plus ce que peut le véritable amour 
sur les inclinations des jeunes gens , parce que ne 
le connaissant pas mieux qu'eux, ceux qui les gou- 
vernent les en détournent. Il faut pourtant qu'un 
jeune homme aime ou qu'il soit débauché. Il es| 
aisé d'en imposer par les apparences. On me citera 
mille jeunes gens qui , dit-on , vivent fort chaste^ 
ment sans amour ; mais qu'on me cite un honune 
» fait, un véritable homme qui dise avoir ainsi passé 
sa jeunesse, et qui soit de bonne foi. Dans toutes 
les vertus, dans tous les devoirs, on ne cherche 
que l'apparence; moi, je cherche la, réalité, et je 
suis trompé s'il y a pour y parvenir d'autres moyens 
que ceux que je donne. 

L'idée de rendre Emile amoureux avant de le 
faire voyager n'est pas de mon invention. Voici le 
trait qui me l'a suggérée; 

J'étais à Venise en visite chez le gouverneur d'un 
jeune Anglais. C'était en hiver, nous étions autour 
du feu. le gouverneur reçoit ses lettres de la po&te% 



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Il les lit, el puis en relit une tout haut à son 
élève. Elle était en anglais : je n'y ccHnpris rien ; 
«lais, durant la lecture, je vis le jeune homme 
déchirer de très - belles manchettes de point qu'il 
portait, et les jeter au feu Tune après Tautre, le 
plus doucement qu*il put , afin qu'on ne s'en aper- 
çût pas. Surpris de ce caprice, je le regarde au 
visage et crois y voir de l'émotion ; mais les signes 
extérieurs des passions, quoique assez semblables 
chez tous les hommes, ont des différences natio- 
nales sur lesquelles il est facile de se tromper. Les 
peuples ont divers langages sur le visage , aussi- 
bien que dans la bouche. J'attends la fin de la lec- 
ture, et puis montrant au gouverneur les poignets 
nus de son élève, qu'il cachait pourtant de son 
mieux, fe lui dis : Peut -on savoir ce que cela 
signifie? 

Le gouverneur, voyant ce qui s'était passé, Éb 
mit à rire, embrassa son élève d'un air de satisiac*- 
tion ; et, après avoir obtenu son consentement, il 
me donna l'explication que je souhaitais. 

Les manchettes, me dit-il, que M. John vient 
de déchirer sont un présent qu'une dame de cette 
ville lui a fait il n'y a pas long-temps. Or, vous 
saurez que M. John est promis dans s<m pays à 
une jeune demoiselle pour laquelle il a beaucoup 
d'amour, et qui en mérite encore davantage. Cette 
lettre est de la mère de sa maîtresse , et je vais vous 
en traduire l'endroit qui a causé le dégât dont vous 
avez été le témoin. 

c Luci ne quitte point les nCancbettes de lord 
t John. Miss BettiRoldham vint hier passer l'après- 
c midi avec elle et voulut à toute force travailler à 
c son ouvrage. Sachant que Luci s'était levée 
c aujourd'hui plus tôt qu'à l'ordinaire, j'ai voulu 

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aa4 EMILE. 

€ Y(nr ce qu'elle faisait, et je Tai trouyée ùccxjfpé^ 
a à défaire tout ce qu'avait fait liier miss Betti. 
« Elle ne veut pas qu'il y ait dans son présent un 
« seul point d'une autre main que la sienne. » 

M. John sortît un moment après pour prendre 
d'autres manchettes ^ et |e dis à son gouverneur : 
Vous avez un élève d'un excellent naturel ; mai» 
parlez-moi vrai , la lettre de la mère de Luci n'est- 
elle point arrangée? n'est-ce point un expédient 
de votre façon contre la dame aux manchettes ? 
Non 9 me dit'il, la chose est réelle; |e n'ai pas mis 
tant d'art à mes soins ; j'y ai mis de la simplicité , 
du zèle, et Dieu a béni mon travail. 

Le trait de ce jeune homme n'est point sorti de 
ma mémoire; il n'était pas propre à ne rien pro*- 
duire dans la tète d'un rêveur comme moi. 

Il est temps de finir. Ramenons lord John à miss 
Luci , c'est-à-dire Emile à Sophie. Il lui rapporte 
avec un cœur non moins tendre qu'avant son dé- 
part un esprit plus éclairé , et il rapporte dans son 
pays l'avantage d'avoir connu les gouvememens 
par tous leurs vices, et les peuples par toutes leurs 
vertus. J'ai même pris soin qu'il se liât dans chaque 
nation avec quelque homme de mérite par un 
traité d'hospitalité à la manière des anciens , et je 
ne serai pas fâché qu'il cultive ces connaissances 
par un commerce de lettres. Outre qu'il pput être 
utile et qu'il est toujours agréable d'avoir des cor- 
redondances dans les pays éloignés, c'est une 
excellente précaution contre l'empire des préjugés 
na^onaux , qui , nous attaquant tpute la vie , .ont 
^t ou tard quelque prise sur nous. Rien n'e^t plus 
propre à leur ôter cette prise que le commerce 
désintéressé de gens sensés qu'on estime , lesquels, 
n'ayant point ces préjugés, et les cpmbattant p^ 



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LlVEl' V. 225 

les leuts, nous donnent les moyens d'opposer sans 
cesse les uns aux autres, et de nous garantir ainsi 
de tous. Ce n'est point la même chose de commer- 
cer avec les étrangers chez nous ou chez eux. Dans 
le premier cas, ils ont toujours pour le pays où ils 
vivent un ménagement qui leur fait déguiser ce 
quMls en pensent , ou qui leur en fait penser favo- 
rablement tandis qu'ils y sont : de retour chez eux 
ils en rabattent, et ne sont que justes. Je serais 
bien aise que l'étranger que je consulte eût vu mon 
pays , mais je ne lui ea demanderai son avis que 
dans le sien. 



' Arhks avoir presque employé deux ans à parcou^ 
rir quelques-uns des grands états de TËurope et 
beaucoup plus des petits ; après en avoir appris les 
deux ou trois principales langues ; après y avoir vu 
ce qu'il y a de vraiiiient curieux, soit en histoire 
naturelle , soit en gouvernement , soit en arts, soit 
en hommes; Emile, dévoré d'impatience , m'aver- 
tit que notre terme approche. Alors je lui dis : Hé 
bien ! mon ami, vous vous souvenez du principal 
objet de nos voyages ; vous avez vu , vous avez 
observé. Quel est enfin le résultat de vos observa- 
tions ? à quoi vous fixez-vous ? Ou je me suis trompé 
dans ma méthode , ou il doit me répondre à peu 
près ainsi : 

« A quoi je me fixe? A rester tel que vous 
« m'avez fait être, et à n'ajouter volontaîrenient 

< aucune autre chaîne à celle dont me chargent 
« la nature et les lois. Plus j'examine l'ouvrage des 

< hommes dans leurs institutions, plus je vois qu'à 
c force de vouloir être indépendans ils se font 
c esclaves, et qu'ils usent leur liberté même ea 

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aaS EMILE. 

« vains efforts pour rassurer. Pour ne pas céder 
« au torrent des choses, ils se font mille attache- 
c mens; puis, sitôt qu^ils Veulent faire un pas^ ils 
« ne peuvent, et sont étonnés de tenir à tout. Il 
« me semble que pour se rendre libre on n*a rien 
« à faire ; il suffit de ne pas vouloir cesser de l'être. 
« C'est vous , ô mon maître , qui m'avez fait libre 
« en m'apprenant à céder à la nécessité. Qu'elle 
« vienne quand il lui plaît , je m'y laisse entraîner 

< sans contrainte ; et , comme je ne veux pas la 
c combattre 9 je ne m'attache à rien pour me rete* 
a uir. J'ai cherché dans nos voyages si je trouverais 
c quelque coin de terre où je pusse être absolu- 
« ment mien ; mais en quel lieu parmi les hommes 
c ne dépend-on plus de leurs passions? Tout bien 
c examiné, j'ai trouvé que mon souhait mén^e 
« était contradictoire; car, dusse- je ne tenir à 

< nulle autre chose, je tiendrais au moins à la 
c terre où je me serais fixé; ma vie serait attachée 
» à cette terre conune celle -des dryades l'était à 
c leuVs arbres; j'ai trouvé qu'empire et liberté 
€ étant deux mots incompatibles, je ne pouvais 
c être maître d'une chaumière qu'en cessant ^t 
« l'être de moi* 

Hocerat in votis, modus agri non ita magnus (i}. 
( HORAT. , lib. Il , sat. 6 , p. i . ) 

« Je me souviens que mes biens furent la cause 
c de nos recherches. Vous prouviez très-sc^dement 
tt que je ne pouvais garder à la fois ma richesse 
c et ma lâ)erté : mais quand voiis vouliez que je 
c fusse à la fois libre et sans besoins, vous vouliez 

il) Voilà toat ce que je sonhaitais y une terre d'une 
.étendue ne'diocre* 



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iiVAE V. aa^ 

c deux choses îmcompatibles ; car |e ne saurais me 
« tirer de la dépendance des hommes qu'en ren- 
« tran^t sous .celle de la nature. Que ferai-je donc 
« avec la fortune que mes parens m'ont laissée ? 
« Je commencerai par n'en point dépendre; je 
« relâcherai tous les liens qui m'y attachent ; si on 
. € me la laisse , elle me Testera ; si on me l'ôte , on 
« ne m^entrainera pas avec elle. Je ne me tour- 
c «lenterai point pour la retenir., mais je resterai 
« Xerme à ma place. Eiche ou pauvre, je serai 
« libre. Je ne le serai point seulement en tel pays, 
c en telle contrée , je le serai par toute la terre. 

< Pour moi toutes les chaînes de l'opinion sont 
s brisées , je ne connais que celles de la nécessité, 
c J'appris à les porter dès ma naissance, et je les 
c porterai jusqu'à la mort , car je suis homme ; et 
c pourquoi ne sauraî-je pas les porter étant librei, 

< puisque étant esclave il les faudrait bien porter 
c encore , et celles de l'esclavage pour surcroît? > 

« Que m'importe ma condition sur la terre? quç 
« m'importe où que je sois ? Partout où il y a des 
« hommes je suis chez mes frères ; partout où il 
c n'y en a pas je suis chez moi. Tant que je pourrai 
« rester indépendant et riche, j'ai du bien pour 
t vivre ; et je vivrai. Quand mon bien m'assu)et- 
a tira, je l'abandonnerai sans peine ; j'ai des bras 
« pour travailler, et je vivrai. Quand mes bras me 
c manqueront, je vivrai si l'on me nourrit, je 
f mourrai si l'on m'abandonne : je mourrai bien 
a aussi quoiqu'on ne m'abandonne pas; car la 
m. mort n'est pas une peine de la pauvreté , mais 
M. une loi de la nature. Dans quelque temps que 
« la mort vienne , je la défie ; elle ne me surpren- 
« dra jamais faisant des préparatifs pour vivre»; 
c elle ne m'empêchera jamais d'avoir vécu. 



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d!28 imité 

« Yoilà, mon père, à quoi je me fite. Si j*ëtais 
« sans passions 9 |e serais, dans mon état d'homme, 
c indépendant comme Dieu même, puisque 9 ne 
< voulant que ce qui est, je n'aurais jamais à lutter 
c contre la destinée. Au moins, je n'ai qu'une 
« chaîne, c'est la seule que je porterai jamais , et 
« je puis m'en glorifier. Tene2 donc, donnez-moi 
• Sophie , et je suis libre. 

c Cher Emile, je suis bien aise d'entendre scM'tir 
€ de ta bouche des discours d'homme et d'en voir 
c les sentimens dans ton cœur. Ce désintéresse- 
« ment outré ne me déplaît pas à ton âge. Il dimi- 
« nuera quand tu auras des enfans, et tu seras 
t alors précisément ce que doit être un bon père 
c de famille et un honmie sage. Avant tes Toyages 
« je savais quel en serait l'effet ; je savais qu'en 
« regardant de près nos institutions tu serais bien 
« éloigné d'y prendre la confiance qu'elles ne mé- 
« ritent pas. C'est en vain qu'on aspire à la liberté 
« sous la sauvegarde des lois. Des lois! où est-ce 
« qu'il y en a? et où est-ce qu'elles sont respec- 
€ tées ? Partout tu n'as vu régner sous ce nom que 
« l'intérêt particulier et les passions des honunes. 
c Mais les lois étemelles de la nature et de l'ordre 
« existent. Elles tiennent lieu de loi positive au 
« sage ; elles sont écrites au fond de son cœur par 
« la conscience et p^u* la raison; c'est à celles-là 
4 qu'il doit s'asservir pour être libre; et il n'y a 
^% d'esclave que celui qui fait mal, car il le fait 
c toujours malgré Ipi. La liberté n'est dans aucune 
« forme de gouvernement, elle est dans le cœur de 
« l'homme libre, il la porte partout avec lui. 
« L'homme vil porte partout la servitude. L'un 
tt serait esclave à Genève , et l'autre libre à Paris. 

« Si je te parlais des devoirs du citoyen > tu me 



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LiVBE V. aîig 

a demanderais peut-être où est la patrie, et tu 

* croirais m'avdir confondu. Tu te tromperais pour-* 

* tant, cher Emile; car qui n'a pas une patrie a 

« du moins un pays. Il y a toujours un mouvement 

« et des simulacres de lois sous lesquels il a vécu 

« tranquille. Que le contrat social n*ait point été 

«L observé 9 qu'importe , si l'intérêt particulier Ta 

« protégé comme aurait fait la volonté générale ^ 

« si la violence publique Fa garanti des violences 

< particulières , si le mal qu'il a vu faire lui a fait 

« aimer ce qui était bien 9 et si nos institutions 

6 mêmes lui ont fait connaître et haïr leurs pro- 

« près iniquités ? G Emile I où est l'homme de bien 

« qui ne doit rien à son pays ! Quel qu'il soit , il 

« lui doit ce qu'il y a de plus précieux pour 

€ l'homme 9 la moralité de ses actions et l'amour 

k de la vertu. Né dans le fond d'un bois, il eût vécu 

« plus heureux et plus libre ; mais n'ayant rien à 

« combattre pour suivre ses penchans y il eût été 

« bon sans mérite, il n'eût point été vertueux, et 

« maintenant il sait l'être malgré ses passions. La 

c seule apparence de l'ordre le porte à le connaître , 

t à l'aimer. Le bien public, qui ne sert que de 

c prétexte aux autres, est pour lui seul un motif 

« réeh II apprend à se combattre, à se vaincre, à 

c sacrifier son intérêt à IHntérêt commun. Il n'est 

a pas vrai qu'il ne tire aucun profit des lois ; élle& 

c lui donnent le courage d'être juste , même parmi 

< les méchans. Il n*est pas vrai qu'elles ne Pont 

c pas rendu libre ^ elles lui ont appris à régner 

c sur lui. 

c Ne dis donc pas, Que m'importe où que je 
c sois ? Il t'importe d'être où tu peux remplir tous 
a tes devoirs, et l'un de ces devoirs est l'attache-* 
c ment pour le Heu de ta naissance. Tes compa-^ 



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»5o EMILE. 

c triotes te protégèrent enfant, ta dois les aimer 
« étant homme. Tu dois vivre au milieu d'eux , ou 
c du moins en lieu d'où tu puisses leur être utile 
t autant que tu peux l'être, et où ils sachent où te 
«.prendre si jamais ils ont besoin de toi. li y a 
« telle circonstance où un homme peut être plus 
« utile à ses concitoyens hors de sa patrie que s'il 
« vivait dans son sein. Alors il doit n'écouter qiie 
m son zèle et supporter son exil sans murmure ; cet 
« exil D^me est un de ses devoirs. Mais toi , bon 
« Emile, àqui rien n'impose. ces douloureux sacri- 
« fices, toi qui n'as pas pris le triste emploi de dire 
« la vérité aux hommes, va vivre au milieu d'eux, 
« cultive leur amitié dans un doux commerce , sois 
« leur bienfaiteur, leur modèle : ton exemple leur 
« servira plus que tous nos livres , et le bien qu'ils 

< te verront faire les touchera plus que tous nos 
« vains discours. 

c Je ne t'exhorte pas pour cela d'aller vivre dans 
« les grandes villes; au contraire , un des exem- 
« pies que les bons doivent donner aux autres est 
« celui de la vie patriarcale et champêtre , la 
(r première vie de l'homime, la plus paisible , et la 
«plus naturelle et la plus douce à qui n'a pas Je 
« cœur corrompu. Heureux , mon jeune ami , le 
a pays où l'on n'a pas besoin d'aller chercher la 
« paix dans un désert I Mais où est ce pays ? Un 
« homme bienfaisant satisfait mal son penchant 
c au milieu des villes, où il ne trouve presque 
t à exercer son zèle que pour des intrigans ou 
« pour des fripons. L'accueil qu'on y fait aux fai- 

< néans qui viennent y chercher fortune ne fait 
« qu'achever de dévaster le p^ys , qu'au contraire 
* il faudrait repeupler aux dépens des villes. Tous 
« les hommes qui se retireat ,de la gratide société 



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LIVRE V. 25l 

jK sopt Utiles précisément parce qu'ils s*en retirent, 

« puisque tous ses vices lui viennent d'être trop 

|K nombreuse. Ils sopt encore utiles lorsqu'ils peu- 

m. vent ramener dans les lieux déserts la vie, la 

m. cftlture , et l'amour de leur premier état. Je m'at- 

« tendris en songeant combien de leur simple 

« retraite Emile et Sophie peuvent répandre de 

« bienfaits autour d'eux, combien ils peuvent 

« vivifier la campagne et ranimer le zèle éteint 

« de l'infortuné villageois* Je jcroîs voir le peuple 

« se multiplier, les champs se fertiliser, la terre 

m prendre une nouvelle parure, la multitude et 

« l'abondance transformer les travaux.en fêtes, les 

c cris de joie et les bénédictions s'élever du milieu 

c des jeu^ rustiques autour du couple aimable qui 

« les a ranimés. On traite l'âge d'or de chimère , 

« et c'en sera toujours une pour quiconque aie 

c cœur et le goût gâtés. Il n'est pas même vrai 

« qu'on le regrettée , puisque ces regrets son tou- 

< jours vains. Que faudrait-il donc pour le faire 
« renaître? Une seule chose, mais impossible, ce 
« serait de l'aimer. 

c II semble déjà renaître autour de l'habita- 
m tien de Sophie ; vous ne ferez qu'achever en- 

< semble ce que ses dignes pareng ont commencé, 
c Mais cher Emile , qu'une vie si douce ne te dé- 
goiïte pas des devoirs pénibles , si jamais ils te 
c sont imposés : souviens -toi que les Romains 

• < passaient de la charrue au consulat. Si le prince 
« ou l'état t'appelle au service de la patrie , quitte 
« tout pour aller remplir , dans le poste qu on 

< t'assigne, l'honorable fonction de citoyen. Si 
c cette fonction t'est onér^ise, il est un moyen 
« honnête^ et sûr de t'ea affranchir, c'est de la 
• remplir avec assez d'intégrité pour qu'elle ne te 



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Î232 EMILE. 

^ soit pas long -temps laissée. Au reste, crains 
' 1 peu rembarras d'une pareille charge ; tant qu'i 
c y aura des hommes de ce siècle, ce n^est pas 
k toi qu'on Viendra chercher pour servir l'état, i 
Que ne m'est -il permis de peindre le refour 
d'Emile auprès de Sophie et la fin de leurs amours , 
ou plutôt \é commencement de l'amour conjugal 
qui les unit ! amour fondé sur l'estime qui dure 
autant que la vie ; sur les vertus qui né s'effacent 
point avec la beauté ; Eut les convenances des 
caractères , qui rendent le conunerce aimable et 
prolongent dans la vieillesse le charme de la pre- 
mière union. Mais tous ces détails pourraient plaire 
sans être utile^; et jusqu'ici je ne me suis permis 
.de détails agréables que ceux dont j'ai' cru voir 
l'utilité. Quitteraîs-je cette règle à la fin de ma 
tâche ? Non , je sens aussi-bien que ma plume est 
lassée. Trop faible pour des travaux de si longue 
haleine, j'abandonnerais celui-ci s'il était moins 
avancé : pour ne pas le laisser imparfait, il est 
temps c[ùe j'achève. 

Enfin je vois naître le plus charmant des jours 
d'Emile et le plus heureux des miens; je vois cou- 
ronner mes soins et je commence d'en goûter le 
fruit. Le digne couple s'unit d'une chaîne indisso- 
luble, leur bouche prononce et leur cœur confirme 
des sermons qui ne seront point vains : ils son 
époux. En revenant du temple ils se laissent con- 
duire , ils ne savent où ils sont , où ils vont , ce 
* qu'on fait autour d'eux. lis n'entendent point , ils 
ne répondent que des mots confus, leurs yeux 
troublés ne voient plus rien. G délire ! 6 faiblesse 
humaine ! le sentiment du bonheur écrase l'homine , 
il n-est pas^ assez fort pour le supporter. * 
Il y a bien peu de gens qui sachent, un jour de 



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LiVBB V. ^55 

mariage ^ prendre un ton convenable avec les nou- 
veaux époux^ La morne décence des uns et le 
propos léger des autres me semMent également 
déplacés. J'aimerais mieux qu'on laissât ces jeunes 
cœurs se replier sur eux-mêmes et se livrer à une 
agitation qui n'est pas sans charme 9 que de les eu 
distraire si cruellement pour les attrister par une 
fausse bienséance , ou pour les embarrasser par de 
mauvaises plaisanteries, qui, dussent- elles leur 
plaire en tout autre temps, leur sont très«sûrement 
importunes im pareil jour. 

Je vois mes deux jeunes gens, dans la douce 
langueur qui les trouble , n'écou()er aucun des 
discours qu'on leur tient. Moi, qui veux qu'on 
jouisse de tous les jour^ de la vie , leur en laisserai- 
je perdre un si précieux ? Non , je veux qu'ils le 
goûtent, qu'ils le savourent, qu'il ait pour eux ses 
voluptés. Je les arrache à la foule indiscrète qui les 
accable , et , les menant promener à l'écart, je les 
rappelle à eux-mêmes en leur parlant d'eux. Ce 
n'est pas seulement à leurs oreilles que je veux 
parler, c'est à leurs cœurs; et je n'ignore pas quel 
est le sujet unique dont ils peuvent s'occuper ce 
jour- là. 

Mes enfans , leur dis-je en les prenant tous deux 
par la main , il y a trois ans que j'ai vu naître cette 
flamme vive et pure qui fait votre bonheur aujour- 
d'hui. Elle n'a fait qu'augmenter sans cesse ; je 
vois dans vos yeux qu'elle est à son dernier degré 
de véhémence; elle ne peut plus que s'affaiblir. 
Lecteurs , ne voyez-vous pas les transports , les 
emportemens, les sermens d'Emile , Pair dédai- 
gneux dont Sophie dégage sa main de la mienne , 
et les tendres protestations que leurs yeux se font 
II. * 10 



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a34 £mile. 

mutuellement de s^adorer jusqu^au dernier soupir^. 

Je les laisse faire , et puis je reprends. 

J'ai souvent pensé que si Ton pouvait prolonger 
le bonheur de Tamour dans le mariage 9 on aurait 
le paradis sur la terre. Gela ne s*est jamais vu jus- 
quUcî. Mais si la chose n*est pas tout<à-fait impos* 
siblc , vous êtes bien dignes Tun et l'autre de 
donner un exemple que vous n'aurez reçu de per- 
sonne 9 et que peu d'époux sauront imiter. Voulez- 
vous mes enfans, que je vous dise un moyen que 
j'imagine pour cela 9 et que je crois être le seul 
possible ? 

Ils se regardent en souriant et se moquant de 
ma simplicité. Emile me remercie nettement de 
ma recette , en disant qu'il croit que Sophie en a 
une meilleure 9 et que 9 quant h. lui , celle-là lui 
suffît. Sophie approuve, et paraît tout aussi con^ 
fiante. Cependant à travers son air de raillerie je 
crois démêler un peu de curiosité. J'examine 
Emile ; ses yeux ardens dévorent les charmes de 
son épouse ; c'est la seule chose dont il soit cu- 
rieux, et tous mes propos ne l'embarrassent guère. 
Je souris à mon tour en disant en moi-même. Je 
saurai bientôt te rendre attentif. 

La différence presque imperceptible de ces mou- 
vemens secrets en marque une bien caractéristique 
dans les deux sexes , et bien contraire aux préjugés 
reçus; c'est que généralement les hommes sont 
moins constans que les femmes, et se rebutent 
, plus tôt qu'elles de l'amour heureux. La femme pres- 
sent de loin l'inconstance de l'homme , et s'en in* 
quiète ( 1) ; c'est ce qui la rend aussi plus jalouse. 
" ' ' I ■ , I I I i.i I II i ^ » 

(i) En France , les femmes se détachent les premières; et 
cela doit être, parce qu'ayant peu de tempcramcut , et ne 



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Liv&E y. 5ft55 

Quand il commence à s^attiédir, forcée à lui rendre 
pour le garder tous les soins quUl prit autrefois 
pour lui plaire y elle pleure ^ elle s'humilie à son 
tour 9 et rarement avec le même succès. L'attache^ 
ment et les soins gagnent les cœurs , mais ils ne 
les recouvrent guère* Je reviens à ma recette contre 
le refroidissement de Tamour dans le mariage. 

Elle est simple et facile, reprends-je; c'est de 
continuer d'être amans quand on est époux. En 
effet, dit Emile en riant du secret, elle ne nous 
sera pas pénible. 

Plus pénible à vous qui parlez que vous ne pensez 
peut-être. Laissez - moi , je vous prie le temps de 
m'expliquer. 

Les nœuds qu'on veut trop serrer rompent. Voilà 
ce qui arrive a celui du mariage quand on veut lui 
donner plus de foi^ qu'il n'en doit avoir. La fidé- 
lité qu'il impose aux deux époux est le plus saint de 
tous les droits ; mais le pouvoir qu'il donne à chacun 
des d'eux sur l'autre est de trop. La contrainte et 
l'amour vont mai ensemble, et le plaisir ne se 
commande pas. Ne rougissez point, ô Sophie , et 
ne songez pas à fuir. A Dieu ne plaide que je veuille 
offenser votre modestie ! mais il s'agit du destin de 
vos jours. Pour un si grand objet , souffrez entre 
un époux et un père des discours que vous ne 
supporteriez pas ailleurs. 

roulant que des hommages, qoand un mari n'en rend plus , 
on se soucie peu de sa personne. Dans les autres pays , au 
contraire , c^est le mari qui se de'tache le premier : cela 
doit être encore , parce que les femmes, fidèles mais indis- 
crètes, en les importunant de leurs désirs, les de'goûtent 
d'elles. Ces yëritës générales peuvent souffrir beaucoup 
d'exceptions ; mais je crois maintenant que ce sont des 
ventés générales. 



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236 J^MltEi 

€e ii*est pas tant la possession que Tassujettis^ 
sèment qui rassasie 9 et Ton garde pour une fille 
entretenue un bien plus long attachement que pour 
une femme. Gomment a-t-ou pu faire un devoir 
des plus tendres caresses, et un droit djes plus doux 
témoignages de Tamour? C*est le désir mutuel qiU 
fait le droit, la nature n'en connaît point d'autie. 
La loi peut restreindre ce droit, mais elle ne saurait 
rétendre. La volupté est si douce par elle-même ! 
doit-elle recevoir de la triste gène la force qu'elle 
n'aura pu tirer de ses propres attraits ? Non , nae$ 
enfans, dans le mariage les cœurs sont liés 9 mais 
les corps ne sont point asservis. Vous vous devez la 
fidélité , non la complaisance. Chacun des deux ne 
peut être qu'à l'autre, mais nul des deux ne doit 
être à l'autre qu'autant qu'il lui plait. 

S'il est donc vrai, cher Emile , que vous vouliez 
être l'amant de votre femme , qu'elle soit toujours 
votre maîtresse et la sienne; soyez amant heureux , 
mais respectueux; obtenez tout.de l'amour sans 
rien exiger du devoir, et que les moindres faveurs 
ne soient jamais pour vous des droits, mats des 
grâces. Je sais que la pudeur fuit les aveux formels 
et demande d'être vaincue ; mais, avec de la déli- 
catesse et du véritable amour , l'amant se trompe- 
t-il sur la volonté secrète ? Ignore-il quand le cœur 
et les yeux accordent ce que la bouche feint de 
refuser? Que chacun des deux, toujours maître de 
£a personne et de ses caresses , ait droit de ne les 
dispenser à l'autre qu'à sa propre volonté. Souve- 
nez-vous toujours que, même danin le mariage, le 
plaisir n'est légitime que quand le désir est partagé. 
Ne craignez pas , mes enfans , que cette loi vous 
tienne éloignés ; au contraire, elle vous rendra tous 
deux plus attentifs à vous plaire , et préviendra la 



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Satiété. Bornés uniquement Fun à Tautre, la nature 
et TampUr vous rapprocheront assez. 

A ces propos et d^autres semblables 9 Emile se 
fâche , se récrie ; Sophie , honteuse tient son é'/en- 
tail sur ses yeux, et ne dit rien. Le plus mécon- 
tent des deux , peut-être , n'est pas celui qui se 
plaint le plus. J'insiste impitoyablement : je fais 
fougir Emile de son peu de délicatesse ; je me rends 
xaution pour Sophie qu'elle accepté pour sa part 
le traité. Je la provoque à parler , on se doute bien 
qu'elle n'o^e me démentir. Emile; inquiet, con- 
sulte les yeux de sa jeune épouse; il les voit , à tra- 
vers leur embarras , pleins d'un trouble voluptueux 
qui le rassure confre le risque de la confiance. Il 
se jette à ses pieds , baise avec transport la main 
qu'elle lui tend , et jure que , hors la fidélité pro- 
mise , il renonce à tout autre droit sur elle. Sois , 
lui-dit-il, chère épouse, l'arbitre de mes plaisirs 
comme tu l'es de mes jours et de ina destinée. Dût 
ta cruauté me coûter la vie , je te rends mes droits 
les plus chers. Je ne veux rien devoir à ta complai- 
sance, je veux tout tenir de ton cœur. 

Bon Emile, rassure -toi : Sophie est trop géné- 
reuse elle-même pour te laisser mourir victime de 
ta générosité. 

Le soir, prêt à les quitter, je leur dis du ton le 
plus grave qu!il m'est possible : Souvenez-vous tous 
deux que vous êtes libres , et qu'il n'est pas ici 
question des devoirs d'époux; croyez-moi, point 
de fausse déférence. Emile, veux-tu venir? Sophie 
le permet. Emile, en fureur, voudra me battre; Et 
vous, Sophie , qu'en dites-vous? faut-il que je l'em- 
mène? La menteuse, en rougissant, dira qu'oui. 
Charmant et doux mensonge, qui vaut mieux que 
lavérilé! 



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258 £H1LE.' 

Le lendemain.... L -image de la félicité ne flatte 
plus les hommes; la corruption du vice n'a pas 
moins dépravé leur goût que leurs cœurs» lis oe 
savent plus sentir ce qui est touchant ni voir ce <{ui 
est aimable. Vous qui, pour peindre la volupté^ 
n'imaginez jamais que d'heureux amans nageant 
dans le sein des délices , que vos tableaux sont en- 
core imparfaits ! vous n'en avez que la moitié la 
plus grossière ; les plus doux attraits de la volupté 
n'y sont point. O qui dé vous n'a jamais vu deut 
jeunes époux , unis sous d'heureux auspices , sor* 
tant du lit nuptial , et portant à la fois dans leurs 
regards languissans et chastes l'ivresse des doux 
plaisirs qu'ils viennent de goûter, l'aimable sécurité 
de rinnocence, et la certitude alors si charmante 
de couler ensemble le reste de leurs jours? Voilà 
l'objet le plus ravissant qui puisse être offert au 
Gceur de l'iiomme; voilà ie vrai tableau de la vo- 
lupté : vous l'avez vu cent fois sans le reconnaître ; 
vos cœurs endurcis ne sont plus faits pour l'aimer. 
Sophie, heureuse et paisible, passe le jour dans les 
bras de sa tendre mère : c'est un repos bien doux 
à prendre après avoir passé la nuit dans ceux d'un 
époux. 

JLe surlendemain j'aperçois déjà quelque chanr 
gement de scène, ^mile veut paraître un peu mé- 
content': mais, à travers cette affectation, je re^ 
marque un empressement si tendre et même tant 
de soumission que je n'en augure rien de bien fâ- 
cheux. Pour Sophie, elle es^plusgaie que la veille» 
je vois briller dans ses yeux un air satisfait; elle est 
charmante avec Emile; elle lui fait presque des 
agaceries dont il n'est que plus dépité. 

Ces changemens sont peu sensibles, mais Us ne 
m'échappent pas : jie m'en inquiète, j'interroge 



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LivBE V. a3g 

Émfle en particulier; j'apprends qu'à son grand 
regret, et malgré toutes ses instances, il a fallu 
faire lit à part la nuit précédente. L'impérieuse 
s'est hâtée d'user de son droit. On a un éclaircisse- 
ment : Emile se plaint amèrement , Sophie plai- 
sante ; mais enBn , le voyant prêt à se fâcher tout 
de bon , elle lui jette un regard plein de douceur et 
d'amour, et , me serrant la main , ne prononce que 
ce seul mot, mais d'un ton qui va chercher l'âme » 
L'ingrat I Emile est si béte qu'U n'entend rien à 
cela. Moi je l'entends; j'écarte Emile, et {éprends 
à son tour Sophie en particulier. 

Je vois, lui dis-je, la raison de ce caprice. On ne 
saurait avoir plus de délicatesse ni l'employer plus 
mal à propos. Chère S<Tphie , rassurez-vous ; c'est 
un homme que je vous ai donné , ne craignez pas 
de le prendre pour tel : vous avez eu les prémices 
de sa jeunesse ; il ne l'a prodiguée à personne , »1 
la conservera long-temps pour vous. 

c II faut, ma chère enfant, que je vous explique 
* mes vues dans la conversation que nous eûmes 
« tous trois avant- hier. Vous n'y avez peut-être 
c aperçu qu'un art de ménager vos plaisirs pour 
c les rendre durables. O Sophie ! elle eut un autre 
<c objet plus digne de mes soins. £n devenant votre 
A époux, Emile est devenu votre chef; c*està vou« 
« d'obéir, ainsi l'a voulu la nature. Quand la femme 
c ressemble à Sophie, il est pourtant bon que 
« l'homme soit conduit par elle : c'est encore une ' 
c loi de la nature ; et c'est pour vous rendre autapt 
« d'autorité sur son coeur que son sexe lui en donne 
€ sur votre personne , que je vous ai fait l'arbitré 
« de ses plaisirs. Il vous en coûtera des privations 
« pénibles ; mais vous régnerez sur lui si vous s»- 
« vez régner sur \ous; et ce qui s^est déjà passé me 



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« montre que çetart difficile n'est paà àu-dessuft de 
« votre courage. Vous régnerez long- temps par 
« Famour si vous rendez vos faveurs rares et pré- 
« cieuses, si vous savez les faire valoir. Voulez- vous 
« voir/ votre mari sans cesse à vos pieds? tenez -le 
M toujours à quelque distance de votre personne. 
« Mais, dans votre sévérité , mettez de la modestie, 
ii» et non pas du caprice*; qu'il vous voie réservée, 
« et non pas fantasque : gardez qu'en ménageant 
« son amour vous ne le fassiez douter du vôtre. 
M Faites-vous chérir par vos faveurs et respecter 
€ par vos refus; qu'il honore la chasteté de sa 
4( femme sans avoir à se plaindre de sa froideur. 

c C'est ain^î, mon enfant, qu'il vous donnera 
,< sa confiance, qu'il écouftera vos avis, qu'il vous 
,€ consultera dans ses affaires, et ne résoudra rien 
« saps en délibérer avec vous. C'est ainsi que tous 
,< pouvez le rappeler à la sagesse quand il s'égare, 
€ le ramener par une douce persuasion, vous rendre 
.€ aimable pour vous rendre utile , employer la 
i« coquetterie aux intérêts de la vertu , et l'amour 
f au profit de la raison. 

• « Ne croyez pas avec tout cela que cet art même 
<« puisse vous servir toujours. Quelque précaution 
« qu'on puisse prendre , la jouissance use les plai- 
;« sirs 9 et l'amour avant tous les autres. Mais , 
« quand l'amour a duré long-temps, une douce 
f« habitude en remplit le vide, et l'attrait de la con- 
€ fiance succède aux transports de la passion. Les 
€ enfans forment, entre ceux qui leUr ont donné 
€ l'être une liaison non moins douce et souvent 
« plus forte que l'amour même. Quand vous ces- 
.« serez d'être la maîtresse d'Emile, vous sere£ sa 
.M femme et scm amie; vous serez la mère de ses 
<« enfans. Alor^, au lieu de votre première réserve, 



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t. établissez entre vous la plus grande intimité; 
« plus de lit à part, plus de refus ^plas de caprice, 
c Devenez tellement sa moitié 9 qull ne puisse plus 
« se passer de Vous, et que, sitôt qu'il vous quitte, 
« il se sente loin de lui-même. Vous qui fîtes si 
« bien régner les charmes de la vie domestique 
5 dans la maison paterfielle , faites-les régner ainsi 
«dans la vôtre. Tont bomme qui se pkttt dans sa 
c miaîson aime na femme. 8ouvenez-vous que si 
c votre époux vit beureut chez lui, vous serez Une 
c fejmnie heureuse. 

« Quanta présent, ne soyez pas si sévère à votre 
c, amant; il a mérité plus de complaisance ; il s*of- 
c fenserait de vos alarmes; ne ménagez plus si fort 
« sa santé aux dépens de son bonhemr, et jouissez 
c du vôtre. Il ne faut point attendre le dégoût ni 
« rebuter le désilr; il ne faut point refuser pour re- 
c fuser,, mais pour faire valoir xe qu'on accorde. » 
' Ensuite, les réunissant , jadis devant elle à sou 
jeune époux : H faut bien supporter le joug qu^oa 
s!est imposé. Méritez qu'il vous soit rendu léger: 
Surtout sanctifiez aux grâces , et n'imaginez pas 
vous.rendre plu» aimable en boudant. La paix n'est 
pas difficile à faire, et chacun sei doute aisément 
des conditions. Xe. .traité se. signe par un baiser; 
apirès. quoi je dis à mon élève : Cher Emile, un 
homme a.b^soin toutesa viede conseil et de guide. 
J-'ai fait de n>on mieux pour remplir jusqu'à pré- 
sent ce devoir envers voua; ici &iit ma longue 
tâche et commence cc^e d'un autre. J'abdique au- 
jourd'hui l'autorité que vous m'avez confiée y et 
voici désormais votre gouvemem*. 

Peu à peu le premier délire se calme, etJeiur 
laisse Coûter en paix ^^ chal*mes de leur nouvel 
état. Heureux amans! dignes époux! pour hoporer 



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24^! BMILE. LI.VJ^ V. 

leurs vprltus 5 pour peindre leur MicÂlé > A fmidffaii 
faire l'histoire de leur vie. Combien de fois, €on« 
templanl en eux mon ouvrage , je me sens saisi dïm 
rayissement qui fait palpiter mon cœurl Coml^i» 
de fois je joins leurs mains dans les miennes en 
bénissant la Providence et poussant d'ardens sou* 
pirs l Que de b^^isers j'appliqi^e. sur ces deux mains 
qui se serrent ! X)e combien . de larmes de joie ils 
me les sentent arroser ! Ils s'attendrissent à leur 
tour en partageant mes transports. Leurs respec* 
tables parens jouissent encore une fois de leur jeu- 
nesse dans celle de leurs enfans; ils recommencent 
pour ainsi dire de vivre en eux ^ ou plutôt ils con- 
naissent pour ta première fois le prix de lia vie : Ms 
maudissent leurs anciennes richesses qui les empê- 
chèrent au même âge de goûter un sort si char- 
mant. S'il y a du bonheur sur la terre 9 c^t dans 
Tasile où nous vivons qu'il faut le chercher. 

Au bout de q.uelques'moift, Emile entre un matiu 
dans ma chambre 9 et me dit en m'embrassant^ 
Mon maître , félicitez v^e enfant; il espère avoir 
bientôt Thonneur d'être père. O quels soins vont 
être imposés à notre zèle, et que nous sdlons avcnr 
besoin de vous ! A^îeu ne plaise que je vous laisse 
encore élever le fils après avoir élevé le père 1 A 
jDieu ne plaise qu'un devoir si saint et si doux soit 
jamais r^npli par un autre ^uemoi , «hissé-je aussi 
bien «hoisir pour lui qu'on a dboisi pour moi- 
même l Mais restez le maître des^ jeunes maîtres. 
Conseillez-^nolis, igouv^nez-nous , nous serons do^ 
cileSc: tant ;que. je vivrai j'aurai besoin de vmis.. 
J'en ai plus besoin que jamais maintenant que naes 
fonctions d'homme commencent. Vous «vez rempli 
les vôtres; guidez-moi pour tous imiter ;^treposez- 

vous, nenesttemps. ' ^ 

Fiiï n'imiLB. 

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EMILE ET SOPHIE, 



OU 



LES SOLITAIRES. 



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EMILE ET SOPHIE, 



OU 



LES SOLITAIRES. 



LETTRE PREMjIÈRE. 

J'iTAislibre, l'étais heureux^ 6 mon maftret votif 
in*aviez fait un coeur propre à goûter le bonheur, 
et vous m'aviez donné Sopbie; aux délices de Ta* 
mour, aux épancfaemens de Tamitié ^ àne famille 
naissante ajoutait les charmes de la tendresse pa- 
ternelle; tout m'annonçait une vie agréable 9 tout 
me promettait une douce vieillesse el une naorC 
paisible dans les bras dé mes enfans. Hélas t qu'est 
devenu ce temps heureux de jouissance et d'espé* 
rance, où l'avenir embellissait le présent , où mon^ 
cœur, ivre de sa joie, s'abreuvait chaque )ourd*uh 
siècle de félicité? Tout s'est évanoui comme un 
songe : jeune encore, j*ai tout perdu, femme, en- 
fans , amis , tout enfin , jusqu'au commerce de mes 
semblables. Mon cœur a été déchiré par tous ses 
àttachemens; il ne tient plus qu'au moindre de 
tous, au tiède amour d'une vie sans plaisirs, mais 
exempte de remords. Si je survis long-temps à mes 
pertes; mon sort est de vieillir et mourir seul sans- 
jamais revoir un visage d'homme, et la seule Pro- 
vidence me fermera les yeux. 

En cet état qui peut m'engager encore à prendre . 
soiit de cette tridte vie que j'ai si peu de raison 

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â46 iuïi% XT ^aPHis«- 

d'aimer? fies fouVenks y et la consolatioo d*éti^ 
dans Tordre en ce monde en m'y soumettant sans 
murmure aux décrets étemels. Je suis mort dans 
tout ce qui m'était cher ; j'attends sans impàlienoe 
et sans crainte que ce qui reste de moi rejoigne ce 
que )'ai perdu. 

Mais vous 9 mon cher maître , yivez-vous? êtes- 
"vous mortel encore sur cette terre d'exil avec votre 
Emile 9 ou si déjà vous habitez avec Sophie la pa- 
trie des âmes justes? Hélas ! où que vous soyez vous 
êtes mort pour m(^ , mes yeux me votw verront plus, 
mais mon cœur s'occupera de vous sans cesse. Ja- 
H^aj^ je n'ai mîc^^x connu le prix de vo^ soins jqp'a-: 
presque la dure nécessité m'a si crueHenient fait 
sentir ses coups et m'atoutôté excepté noioi. Jesuia 
seul, f'ai tout perdu y mmi» je me' reste , et le déses- 
poir ne m^a point «oiéanti. Cespapiers ne vous paiv 
viendront pas, j€f ne puis l'espérer ^ sans* dou^ ils 
périront sans avoir été vus d^aucun honune : mais 
n'importe, ils sont écrits, je les rassemble, Je les 
lie , je les continue , et c'est à vous que je les adresse : 
t'est à vous que je ireux tracer ces précieux, souve- 
nirs qui nourrissent et navrent mon cœur ; c'est à 
vous que j^ veux rendre compte de moi, de mes 
sentimens, de m^ condiiiie, de ce cœur; que vous 
m'avez donnée Je dirai tout , le. bien , le mal, mes 
douleuirs^ mes plaisirs, mes fautes; mais je crois 
n'avoir rien à dire qui puisse déshonorer votre ou- 
vrage. 

Mon bonheur a été précoce ^ il comniença dès 
ma naissance , il devait finir avant ma mort. Tous 
les jours de mon enfance ont été des. jours fortunés , 
passés dans la liberté,, dans la joie ainsi que dans 
l'innocence; je n'appris jamais à distinguer mes 
instructions de me» plaisirs. Tous les homoies se 



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lappelleBl ay«c attendrissemetit les feux 4e leur 
enfonce, ma&i je suis le seul peut-être qui netnéle 
point à ces innuL souvenirs ceux des pleurs qa*on 
lui fit verser. Hélas 1 si fe fusse mort enfont, j*au- 
rais déjà^Joui de la vie et n'en aurais pas connu les 
r^ets! 

Je devins jeune homme et ne cessai point d*étrc 
heureux. Dans Tàge des passions je formats ma 
'raison par mes sens ; ce qui sert à tromper les autres 
fut pour moi le chemin de la vérité. J*apprls à )u* 
ger sainement àea choses qui m'environnaient et 
de rint^ét que j'y devais prendre ; j'en jugeais sur 
des principes vrais et simples , l'autorité , l'opinion , 
n'altéraient point mes ju^mens. Pour découvrir 
les rapports des choses entre- elles 9 j'étudiais les 
rapports de efaacune d'elles à moi : par deux termes 
connu» K^pprenais à trouver le troisième : pour 
connaître Pnnivers par tout oè qui pouvait m*inté- 
resser, tt me suffit de me connaître; ma place assi- 
gnée f tout fut trouvé. 

J'appris ainsi que la première sagesse est de vou- 
loir ce qui est, et de régler son coeur sur sa desti- 
née. Voilà tout ce ifui dépend de nous, ihe disiez^- 
vous; tout le reste est de nécessité. Gelui qui lutte 
le plus contre son sort est le moins sage et toujours 
le phis malheureux ; ce qu'il peut changer à sa si- 
tuation le soulage moins que le trouble intérieur 
quiil se donne pour cda ne le tourmente. Il réussit 
rarement , et ne gagne rien à réussir. Mais quel 
être j5ensiblepe«^ vivre toujours sans passions, sans 
altacbemen»? Ce n^t pas un homme; c^est une 
brute, ou c'est tm dieu. Né pouvant donc me ga- 
rantir de toutes les affections qui nous lient aux 
choses, vous m'apprîtes du moins à les chdsir, à 
n'ouvi^ir mcon àmf qu^aux plus nobles, à ne Tatta- 

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a49 IMILE fit SO^RI%. 

cher qu'aux plus dignes objets qui sont mes sem^ 
blables, à étendre pour ainsi dire le mot humam 
sur toute l'humanité 9 et à me pi^éser\'er ainsi des 
Tîles passions qui le concentrent. 

Quand mes sens éveillés par Vàçe me deman- 
dèrent une compagne, vous épurâtes leur feu par 
les sentîmens ; c'est par rimagînatSon qui les atiime 
que j'appris à les subjuguer. J'aimais Sophie avant 
même que de la connaître; cet amour préservait 
mon cœur des pièges du vU^e ; il y portait le goû t 
des choses belles et honnêtes; il y gravait en traits 
ineffaçables les saintes lois dé la vertu. Quand je 
vis enfin ce digne objet de mon culte , quand je 
sentis l'empire de ses charmes , tout ce qui peut 
entrer de doux, de ravissant dans une âme, péné- 
tra la mienne d'un sentiment exquis que rien ne 
peut exprimer. Jours chéris de mes premières 
amours 9 jours délicieux, que ne pouvez-vous ré- 
commencer sans cesse, et remplir désormais tout 
mon être I je ne voudrais point d'autre éternRé. 

Yaihsregrets ! souhaits inutiles! Tout est disparu, 
tout e^ disparu sans retour. . . Après tant d'ardens 
•oupirs j*en obtins le prix ; tofts mes vœux furent 
comblés. Époux et toujours amant, je trouvai dans 
la tranquille possession un bonheur d'une autre 
esi>èce , mais non moins vrai que' dans le délire 
des désirs. Mon maître, vous cro3^z avoir connu 
cette fille enchanteresse. O combien vous vous 
trompez! Vous avez connu ma maîtresse , mk 
femme ; tuais vous n'avez: pas cûrniuSophie^ Ses 
charmes de tCHjtfe espèce étaiei^ inépuisables , cha- 
que instant semblait les renouveler, et le dernier 
jour de sa vie m'en notontra que je n^avais pas 
connus. • 

Déjà père de deux entansy je paanmgeais mon 



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ttVTRB pmBMiikR^ a^ 

temps entre Bue épouse adorée et les cbers fruits 
de sa tendresse ; vous m*aidiez à préparer à mon 
iils une éducation semblable à la mienne; et mu 
fille , sous les yeux de sa mère , eût ap(»ris à lui 
ressembler. Toutes, mes affaires se bornaient au 
soin du patrimoine de Sophie ; j'avais oublié ma 
fortune pour jouir de ma félicité. Trompeuse féli- 
cité! trois fois j'ai senti ton inconstance. Ton terme 
n'est qu'un point , et lorsqu'on est au comble il 
f{iut bientôt décimer. Était - ce par vous , père 
cruel, que devait commencer ce déclin? Par quelle 
fatalité pu tes-vous quitter cette vie paisible que nous 
menions ensemble ? comment mes empressemens 
vous rebutèrent-ils de moi? Vous vous complai- 
siez dans votre ouvrage; je le voyais , je le sentais , 
j'en étais sûr. Vous paraissiez heureux de mon 
bonheur; Its tendres caresses dé Sophie semblaient 
flatter votre cœur paternel ; vous nous aimiez , 
vous vous plaisiez avec pous , et vpus nous quittâtes l 
Sans votre retraite je serais heureux encore ; mon 
fils vivrait peut-être, ou d'autres mains n'auraient 
point fermé ses yeux. Sa mère , vertueuse et chérie » 
vivrait elle-même dans les bras de son époux. 
Retraite funeste qui m'a livré sans retour aux hor- 
reurs de mon sort I Non , jamais sous vos yeux le 
crime et ses peines n'eussent approché de mafamiUe; 
en l'abandonnant vous m'avez fait plus de maux 
que vous né m'aviez fait de biens en toute ma vie. 
fiientôt le ciel cessa de bénir une maison que 
vous n'haletiez plus. Les maux , les afflictions se 
succédaient sans relâche. En peu de mois nous 
perdîmes le père , la mère de Sophie , et enfin sa 
fille 9 sa charmante fille qu'elle avait tant désirée , 
qu'elle idolâtrait, ^qu'elle voulait suivre. A ce der- 
nier 'coùp sa constance ébranlée acheva de l'aban^ 

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ii5o • imftB mt t^ttiM. 

donner. Jusqu'à ce tmnp», contente et paisible 
dans sa sotHude , elle avait ignoré les amertumes 
de la vie , elle n'avait peint armé contre les coaps 
du sort celte âme sensible et facile à s'affecter. 
EHe sentit ces pertes comme on sent ses pisemiers 
malhew^ ; ans»i ne furent-elles que les cominea- 
cemens des nôtres. Rien ne pouvait tarir ses pleurs : 
la mort de sa fille lui fit sentir plus vivement cette 
de sa mère ; elle appelait sans cesse Tune ou l*ai:MlTe 
en gémissant ; elle fiaisait retentir de leurs nonas et 
de ses regrets tous les lieux«où jadis elle avait reçu 
leurs innocentes caresses ; tous les objets qui les Im 
rappelaient a^rissaîent ses douleurs. Je résolus de 
réloigner de ces tristes lieux. J'avais dsms la eapi- 
taie ce qu'on appelle des affaires, et qui' n'en 
avaient jamais été pour moi jusqu'alors : je loi pro- 
j[)osaî d'y suivre une amie qu'elle s'était faite am 
voisinage 9 et qui éfaft obligée de s'j rendre avec son 
mari. Elle y consentit poui;iie point se séparer de 
moi , ne pénétrant pas mon motif. Son afflict^ni 
lui était trop chère pour chercher à la calmer. 
Partager ses regrets , pleurer avec elle y était la 
seule consolation qu'on pût lui donner. 

En approchant de la capitale , je me ^ntis frappé 
d'une impression fUneste que je n'avais jamais 
éprouvée auparavant. Les plus tristes pvessentimeos 
s'élevaient dans mon sein s tout ce que j'avais vu, 
tout ce que vous m'avies dit des grandes villes, ose 
faisait trembler sur le séjour de cellc'-ci. Je m^- 
frayais d'exposer une wtAoB si pure à tant de dangers 
qui pouvaient l'altérer. Je frémissais , en regardaat 
la triste Sophie , de songer que j'entraînais moi- 
inème tant de vertus et de charmes dans ce gouffre 
dh préjugés et de vices oit vont se perdre de toatra 
parts l'innocence et le bonheur. 

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CepeadâDl > sûr d'(e^e cil de moi, je. méptisait 

9^t ayi» de la prudence y que je prenais pour un 

vain press^Umept ; ei| m'en laUsant toitfmenter 

je le tr^mak de diimère* Hélas l je n'îmagU^ûs pa» 

le voir ûtèt fit si crueUemeQt justifié. Je ne son- 

g^aî^ guère que je alliais pas çb^cher le péril 

dans la capitale, mais qu'il m'y suivait. 

: G<Hian|eHl Y«us parler des deux ans. que nous 

Psa^sânnes dans cette Çaitale ville , et de Teffet cruel 

que^ fit. sur moBs àa»e et sur mon sort ce séjour 

empoisoiiné? Vous çivez trop su ces tristes cata^ 

strophe», dont le souvenir , effacé daos des jours 

pUiS keureux , vient aujourd'hui redoubler mes 

regrets en me ramenant à leur source. Quel chan-* 

gemenl prpduisijt en moi ma complaisance pour 

d^s liaisons trop aimables que l'habitude commen* 

çait à tourner en amitié I Comment l'exemple et 

riimtailH>n f contre lesquels tous avie^s si bien armé 

mon co^ur, Pamenèrent-ili» insenàblement à ces 

goûts fiîvoles «pie., plus jeune , j'avais su dédai- 

l^er ? Qu'il est. différent de voir ]«s choses distrait 

par d'autrea objets , ou seulement occupé de ceux 

.qui nous frappent ! Ce n'était plus le temps où mon 

imagination échauffée ne cherchait que Sophie et 

rebutait tout ce qui n'était pas elle* Je ne la cher* 

chais plus, je la possédais, ^ son ohsirme embeK 

lissait al<Mr& autant les objets qu'iL les avhitdéfigurés 

dans ma prenière jeunesse. Mais bientôt ces mêmes 

objets afl^iblîrent mes goûts &Ï les partageant Usé 

peu à peu sur tous ces amusemens friv^es , mon 

coeur perdait insensiblanent scoi prenuer ressort 

•et devenait incapable de chaleur et de force : j'er* 

rais avec inquiétude d'un plaisir à l'autre; je 

recherchais tout et je m'ennuyais de tout ; jc^ne me 

plaisais qu'où je n'étais pas, et m'étourdissais pour 

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m'amnaer. Je senUrft une Térolatloii dimt je ne 
voulais point me convainere; je ne me laissais pat 
le temps de roitrer en moi ^ crainte de ne m*y phis 
retrouver. Tous mes attachemens s'étaient relâchés^ 
toutes mes affeclions s^étaient attiédies : pavais nm 
un iarmon de sentiment et de morale à là place de 
la réalilé. J'étais un homme galant sans tendresse ^ 
un stoïcien sans vertus, un sage occupé de folies; 
je n^avais plus de votre ÉmOe que le nom et qaelr 
ques discours. Ma franchise, ma Mberté, mes 
plaisirs , mes devoirs , vous , mon fils y Sophie 
ellcHiième , tout ce qui jadis animait , élevait mott 
esprit et faisait la plénitude de mon existence , en 
se détachant peu à peu de moi , semblait m'en 
détacher moi-même , et ne laissait plus dans mon 
âme affaissée qu'un sentiment importun de vide et 
d'anéantissement. Enfin je n'aimais plus, on croyait 
ne plus aimer. Ce feu terrible , qui paraissait pres- 
que éteint, couvait sous la cendre pour éclater 
bient^ avec plus de. fureur que-jamais. • 
Changement cent fois plus inconcevable ! Comment 
celle qui faisait la- gloire et le bonheur de ma vie en 
fit-elle la honte et le désespoir? Comment décrirais- 
je un si déplorable égarement ? Non , jamais ce 
détail affreux ne sorthra de ma plume ni de ma 
bouche ; il est trop injurieux à la mémoire de la 
plus digne des femmes , trop accablant , trop horri- 
ble à mon souvenir , trop décourageant pour la 
vertu ; i j'en mourrais eent fob avant qu'il tùt 
achevé. Morale du monde , pièges du viee et de 
l'exemple, trahison d'une fausse amitié, iue<m» 
stance et faiblesse hu maine,q ui de nous est àvotre 
épreuve? Àh ! si Sophie a souillé sa vertu , quelle .^ 
femme osera compta sur la sienne? Mais de queUe 



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trempe unique dut être une âme qui put revenir de 
si loin ' à tout ce qu'elle fut auparavant I 
r C'est de T08 epÊins régénérés que j'ai à vous 
parler. Tous leurs égaremens vous ont été connus : 
je n'en dirai que ce qui tient à leur retour à eux-<^ 
nKgmes et sert à lier les événemens. 
} Sophie ccHisolée i ou plut At distraite par son amie 
4et par les sociétés où elle l'entraînait , n'avait plus 
ce goût décidé pour la vie privée et pour la retraite : 
elle avait oublié ses pertes et presque ce qui lui 
était resté. Son fils , en grandissant, allait devenir 
moins d^ndant d'elle , et déjà la mère apprenait 
à s'en paiser. Moi-même je n'éts^is plus son Emile , 
je n'étais que son m^ri ; et le mari d'une iionnéte 
femme 9 dans les grandes villes , est un homme 
avec qui l'on garde en puUic toutes smrtes de bonnes 
manières » mais qu'on ne voit point en particulier. 
Long-temps. nos cpteries furent les niôm^s. Elles 
ohang^ent insensiblement. Chacun des deux pen- 
sal,t se mettre à son aise loin de la personne qui 
avait droit d'in>»pection sur, lui. ^ous n'étions plus 
un y nous étions ^eux :. le ton du monde, nou^ avait 
divisés, et nos cœurs ne. se rapprochaient. plus ^ il 
n'y avait que nos voisins de campagne et amis de: 
viUe qui nous réunissent qa^lquefoiis. La femme , 
après m'a voir fait souvent des agaceries auxqi^Ues 
je nerésîstais pas toujours sans peine , se rl^buta , et 
^'attachant tout-^A-fiiit à Sophie en devint lnsé[Mi* 
rable. Le mari vivaH fort Ué avec son épouse , et 
par conséquent- avec la mienne. Leur conduite 
eiLt^ieure était régulière et décente; mais leurs 
maxinxes auraient dû m'effrayer. Leur bonne intel- 
ligence venait moins d'un véritable attachenient 
que d'une indiff(^rence cfmimune sur les devoirs de 
leur état. Peu jaloux des droits qu'Os avaient l'un 



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aS4 éfti^K «¥ »«»tti«. 

matt Vanïtè , Osprélendâleàt ^^âiitier beaticoup pluâ 
en se passant totis kfnrs goûts sans contrainte 5 et 
ne s'ofiBoBsant point de n'en être ^as l'ébfet. Que 
mon mari vive heureux 9 sur toute chose 9 disait la 
feitune : que i-eâe tnà femme podr amie ; je ^ois 
content, disait l^'mMv. Nos seiatimens, poursai- 
vaient-iis, ne -dépècent pas de ûous, mais nos 
procédés dâ dépendent : ehaonn met dusien ièat 
ùe qu^il peut au Ijonheurdâ Tàutre. Peut-on miëuat 
aômer ce qni nous est cher que de vouloir tout ce 
qu'il désire? On évite la ci^dle nécessité de se 
fuir. 

Ce système ainsi mid à découvert tout d'uii coup 
nous eût fait horreur; Mais on ne sait pa^ ^mbten 
les épanchemens dé Tamitié font passer de choses 
qm révolteraient sans elle ; on ne sait pas combien 
une pfnâosophie si bien adaptée aux- vices du cœur 
humain , une philosophie qui n'offre^ au tîeu dei 
sentknens qu'on n'est plus maître d^àvoir , au Meuf 
du devoir ca^hé qui tourmente et qui ne profite à 
personne, que soind, procédés, bienséances^ 
attêi^tions , que franchise , liberté , sincérîté ^ 
confiance ; on ne sait pas , dis^ , combien tout ve 
qui maintient l'union entre les personnes , quand 
les cœurs ne sont plus unis ^ a d'attraits pbur les 
meifieurs naturels , et devient séduisant sous lé 
masque de la sagesse : la taifson même aurait peine 
à se défendre si la conscience ne venait au secours. 
C'était là ce qui maintenait entre 8ophie et moi la 
honte de nous montrer un empressement que nous 
n'avions plus. Le couple qui nous avait SUbjug^nés 
s'outrageait sans contrainte , ^t croyait it^aim^ : 
mais un ancien respect l^^ui pour l'autre , que^nou* 
ne pouvons vaincre , ndus forçait à nous fuir pomr 
nous outrager. En paraissant nous être mutuelle* 

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meot i oharfe, noos étions plus près de nous réu- 
nir ^*eax qui ne se quittaient point. Cesser de 
d'ériter quand on s'offense ^ c'est être sûr de ne se 
rapprocher jamais. 

Mais au moment où l'éloignement entre nous 
était le plus marqué , tout changea de la manière 
la plus bizarre. Tout à, coup SQ|>hie devint aussi 
sédentaire et retirée qu'elle avait été dissipée fus* 
qu^alors. Son humeur» qui n^était pas toujours 
égale 9 devint constamment triste «t sombre. En-» 
fermée depuis le matin jusqu'au soir dans sacham* 
bre , sans parler , sans pleurer , sans se soucier de 
personne ^ elle ne pouvait soufirir qu'on l'interr^- 
plt. Son amie eUe-*méme lui devînt insupportable; 
elle le lui dit , et la reçut mal sans la rebuter : elle 
me pria plus d'une fois de la d^ivrer d'elle. Je lui 
fis 4a guerre de ce caprice dont j'accusais tm p^i 
de jalousie ; je le kii dis même un jour en plaisan- 
tant. Non, monsieur , je ne suis point jsdouse, me 
dit-elle d'un air froid et résolu ; mais j^ai cette 
femme en horreur : je ne vous demande qu'une 
grâce f c'est que je ne la revoie jamais. Frappé de 
ces mots , je voulus savoir la raison de sa haine : 
elle refusa -de répondre. Elle avait déjà fermé sa 
porte au mari ; je fus obligé de la fermer àlaiiemme ^ 
et nous ne les vîmes pliM. 

€ependai|2tsiBi tristesse continuait et devenait in* 
quiétante. Je commençai de m'en*alarmer; mais 
cotnmenten savoirla cause qu*elles'obstinait àtaire? 
Ce n'était pas à cette âme fière qu'on en pouvait . 
imposer par l'autorité. Nous avions cessé depuis si 
long-temps d'être les confidens l'un de Tautre» 
que je fus peu surpris qu'elte dédaignât de m'ouvrir 
son cœur : il fallait mériter cette confiance; et, soi^ 
que sa touchante mélancolie eût réehauS^ le miêa , 

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250 ilflLK ET S0F41E4 

soit qu'il fût moins guéri quUl u'ayait cru rètrê, }e 
sentis qu'il m'en coûtait peu pour lui rendre des 
soins avec lesquels j'errais vaincre enÛA~ son 
silence. , _ 

Je ne la quittais plus : mais j'eus beau revenir à 
elle , et marquer ce retour pat les plus tendres em« 
pressemensy je vis avec douleur que je n'avançais 
rien. Je voulus rétablir les droits d'époux ^ trop^ué- 
gligés depuis long- temps; j'éprouvai la plus invin- 
cible résistance. Ce n!étaient plus ces refus aga- 
çanS) faits pour donner un nouveau prix à ce qu'on 
accorde; ce n'étaient pas non plus ces refus ten- 
dres, modestes, mais absolus, qui m'enivraient 
d'amour , et qu'il fallait pourtantrespecter : c'étaient 
les refus sérieux d'une volonté décidée qui s'indi- 
gne qu'on puisse douter d'elle. Elle me rappelait 
avec force les engagemens pris jadis en vx>tre pré- 
sence. Quoi qu'il en soit de moi, disaitrcUe, vous 
étsféz vous estimer vous-même , et respecter è^ ja« 
mais- la parole d'Émile« Mes torts ne vous autorisent 
point à violer vos promesses. Vous pouvez me punir, 
mais vous ne pouvez me contraindre, et soyez sûr 
que je ne le souffrirai jamais. Que répondre, que 
faire , sinon de tâcher de la fléchir ^ de vaincre son 
obstination, à force de persévérance? Ces vains 
efforts irritaient à la fois mon amour et mon amour- 
propre. Les diflicultés enflammaient mon «cœur» et 
je me faisais un point d'honneur de les siirmonter. 
Jamais peut-être, après dix ans de niariage,^près 
.un si long refroidissement, la passipn d'un époux 
Ile se raUuma si brûlante et si vive ; jamais , durant 
mes premières amours, j^ n'avais tant y^^sé de 
pleurs à ses pitids : tout fi^t inutile, elle demeura 
inébranlable. 
J'étais aussi surpris qu'affligé , sachant bien que 



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IttTàE FElMI&mE 25; 

celte dureté de cœur n*était pas dans son caractère. 
Je ne me rebutai point; et si je ne vainquis pas son 
opiniâtreté , fj crus voir enfin moins de sécheresse. 
Quelques signes de regret et de pitié tempéraient 
Taîgreur de ses refus : je jugeais quelquefois qu^ils 
lui coûtaient ; ses yeux éteints laissaient tomber sur 
moi quelques regards non moins tristes y mais tooîns 
farouches, et qui semblaient portés à Tattendrlsse- 
ment. Je pensai que la honte d'un caprice aussi 
outré Tempêchait d'en revenir , qu'elle le soutenait 
faute de pouvoir l'excuser , et qu'elle n'attendait 
peut-être qu^un peu de contrainte pour paraître 
céder à la force ce qu'elle n'osait phis accorder de 
bon gré. Frappé d'une idée qui flattait mestlésirs, 
je m'y livre avec complaisance : c'est encore un 
égard que je veux avoir pour eHe , de lui sauver 
l'embarras de se rendre après avoir si long-temps 
résisté. 

Un jour qu'en tratné par mes transports je joignais 
aux plus tendres supplications lés plus ardentes' 
caresses , je la vis émue ; je voulus achever ma vic- 
toire. Oppressée et palpitante, elle était prête à 
succomber; quand tout à coup changeant de ton,* 
de maintien , de visage , elle me repousse avec une 
promptitude , avec une violence incroyable , et, me 
regardant d'un (i il que la fureur et le-désespoir ren- 
daient effrayant: Arrêtez, Emile, me dit-elle, et 
sachez que je ne vous suis plus rien: un autre a 
souillé votre lit, je suis enceinte : vous ne me tou- 
cherez de ma vie. Et sur-le-champ elle s'élance avec » 
impétuosité dans son cabinet, dont eHe ferme la' 
porte sur ellè^ 

Je demeure* écrasé. ... 

Mon maître^ ce n'est pas ici l'histoire des évé- 
nemens de ma vie ; ils valent peu la peine d'être 
II. • II 

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écrite : c'est rhistoire 4c mes {Missions ^ de mes sen- 
tîmeosy de mes idées. Je dois m'étendre sur Ja plu» 
terrible révolution que mon cœur éprouya jamais* 

Les grandes plaies du corps et de Tàme ne sai* 
gnent pas à Tinstant -qu^elles sont faites , elles n'iai* 
priment pas sitôt leurs plus vives^ douleurs; la 
nature se recueille pour en soutenir toute la vio- 
lence , et souvent le ooup mortel est porté long- 
temps avant que la blessure se fasse sentir. A cette 
s^ne inattendue» à ces mots que mon oreille sem- 
h&ait repousser 9 je reste immobile, anéanti, me» 
3!«ux se ferment, un froid mortel court dans mes 
veines; sans être évanoui je sens tous çies sens 
ajrrétés, toutes mes fonctions suspendues ; mon 
àme bouleversée est dans un trouUe universel , 
semblable au chaos de la scène ai^ moqfient qu'elle 
' change , au m o m en t que toi^t f git et va prendre un 
nouvel aspect. 

J'ignore combien de temps Je demeurai dans cet 
était, à genoux comme j'étais, et sans oser presque 
remuer , de peur de m'-assurer que ce qui sepassait 
n'était point un songe. J'aurais voulu que cet étour* 
dissement eût duré toujours. Hais enfin réveillé 
malgré moi , la première Impression que je sentis 
fut un saisissement d'horreur pour tout ce qui 
m'environnait Tout à coup je me lève, je m'élance 
hors de la chambre, je franchis l'escalier sans rien 
voir, san^ rien dire à personne, je sors,, je marche 
à grands pas, je m'éloigne avec la rapidité d'un 
cerf ^î ci;oit fuir pur sa vitesse le trait qu^il porte 
enfoncé dans spn flanc. 

Je cours ainsi san? m'arrèter, sans ralentir mon 
pas , jusque dans un jardin public* [L'aq)ect du 
jour et du ciel m^ait à charge ; |a cherchais Tob- 
scurité sous les arbres ; enfin , me trouvant hors. 

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d'halrâie y $d me ktoai tomber demi«mDrt sur un 
gazon.... Où snis-je? Que siiis^je devenu? Qu^ai- 
je entendufQueHecatastroplie! Insensé 5 quelle 
dumève a8<-tu poursuivie ? Amour, honneur , foi , 
verlus, ob dteSs^^vons ? La subliriie, la noble Sophie 
n^est qu\nie înAente I Gel^ exdamatien que mon 
transport fit éclater fut suivie d'un tel déchirement 
de cœur, qu'oppressé par les sanglots, ye ne pou*- 
vais ni respirer , ni gémir: sans la rage et i'empor^ 
tementqul succédèrent , ce saisissement m'eût saùs 
'doute étoufiè. O qui pourrait démêler, exprimer 
cette confiusîoii desentimens divers que la honte, 
i'Saniour^, la Cprèrm", les. regrets, l'attendrissement, 
là jalousie , l'affreux désespoir, me firent éprouver 
à là fois ? Non , cette situation , ce tumulte ne peut 
se décrire. £'é]panoui»sement de Textrèi^e joie, qui 
d'uà mouveakent unifonne semble étendre et raré- 
fier toufnotre être, se conçoit, s'imagine aisément 
Mais quand FexcessiVe douteùr rassemble dans le 
sein, d'un misérable toutes les furies des enfers; 
quand miUe til*ifillebiens*opposés lé déchirent sans 
qni'it puisse eii d^tinguer un seul ; quand il se sent 
mettre en pièces par cent forces diverses qui l'en- 
tralftOEit en sens contraire; il n'est plus un, il est 
:lout entier à chaque point de douleur, i^semble se 
«nfliltiplîèr pour souffrir. Tel était mon état , tel il 
fut durant plusieurs heures. Comment en faire le 
tableau? Je ne dirais pas en des volumes ce que je 
sentais à chaque instant. Hommes heureux, qui 
dans une âme étroite et dians un cœur ûhde ne 
«connaissez de revers que ceux de la fortune^ ni de 
^passionsqu'un vil intérêt, puîssiez*vous traiter tou- 
fours-cet horrible état de chimère , et n'éprouver 
jaiaisâs tes tourmens cruels que donnent de plus 



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26o éMItS IT 80PHIfi« 

dignes âttachemens, quand Ss se ron^iieitt^ aux 
cœurs faits pour sèntirl 

Nos forées sont bornées et tous les transports 
Tîolens ont des intervalles. Dans un de ces monieiis 
d'épuisenient où la nature reprend haleine pour 
souffrir^ je Tins tout àtoup à pensera ma Jeunesse^ 
à vous 9 mon maître 9 à mes leçons; je vins à penser 
que l'étais honmie^ et je me demande aussitôt : Quel 
mal ai-je reçu dans ma personne ? Quel crime ai- 
je commis ? Qu'ai-je perdu de moi ? Si , dans cet 
instant, tel que je suis 9 je tombais des nues pour 
commencer d'exister , serais-je un être malbeareux? 
Cette réflexion 9 plus prompte qu'on éclair ^ jeta 
dans mon âme un instant de lueur que^ je reperdis 
bientôt 9 mais^ quime suffît pour me reconnaître. 
Je me vis tlairemerit à ma place ; et l'usage de ce 
moment de raison fut de m'appreodre que j'étais 
incapable de raisonner. L'horriMe agitation qui 
régnait dans mon âme- n'y> laissait' à nut ob^t le 
temps de se faire apercevoir : j'étais hors d'état de 
rien voir 9 de rien compaVer^ de délibérer v de ré*^ 
soudre 9 de juger de rien* C'était donc me tour* 
mentor vainement que de vouloir révéra ce que 
l'avais. à faire, c'ét^aiit sans fruit aigrir mes ^peines ; 
et mon seul soin devait être de gagner dix. temps; 
pour raffermir mes ^ns et rasseoir mon imàghft»- 
tion. Je crois que c'est le seul parti que vous auriez 
pu prendre vous-même, si vous eussiez.été là pour 
me guider.. 

Résolu de laisser exhaler la foudre dés transports 
que Je ne pouvais vaincre, je m'y livre avec une 
furie empreinte de je ne sais quelle volupté, oomme 
ayant mis ma douleur à son aise. Jeme lève avec ' 
précipitation ; je me mets àmaroher comme a»pmr- 
ravant , sans suivre de route déterminée: je cours. 

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I.ETTBB P&BMIÈAE. a6l 

J'erre de p»4 et d'autre ^ j'abandonne mon corps à 
toute Tagitation de mon cœur; j'en suis les impres- 
sions sans contrainte ; je me mets hors d'haleine ; 
et mêlapt mea soupirs tranchahs à ma respiration 
gênée 5 je me sentais quelquefois prêt à suflfoquen 

Les secousses de cette marche précipitée sem- 
blaient m'étourdir et me soulager. L'instinct dans 
les passions violentes dicte des cris » des mouve- 
inensy des gestes^ qui donnent un cours aux esprits^ 
et font diversion à la passion: tant qu'on s'agite on 
n'est qu'emporté ; le morne repos est plus à craindre^ 
il est voisin du désespoir. Le même soir je fis dé 
qette différence une épreuve presque risible > si tout 
ce qui montre la folie et la misère humaine devait 
jamais exciter à rire quiconque y peut être assujetti. 

Après mille tours et retours faits sans m'en être 
aperça r î® m^ trouve auniilieu de la ville ^ entouré 
de carrosse^, à L'heure des spectacles , et dans une 
ruç où il. y en f^vait un. J'allais êti^e écrasé dans 
l'embarras ^ si quelqu'un , me tirant par le bras , ue 
n^'ie4t averti du dangfsr. Je me jette dans une l porte 
ouverte ; c'était un café ; j'y smis accosté par des 
ipena de ma connaissance; on me parle, on ni'en- 
traîne je ne sais où. Frappé d'un, bruit d'instrumens 
etd'ui|éclatdje.lui|iières9 je reviens à moi, j'ouvre 
les yeux 9 je regarde : je me trouve daps la, salle du 
spectacle un jour de première.représentation ^ pressé. 
par la Icmb 9 et dans, l'impuissance de sortir. 

Je fréniis:: mais je prismon parti. Je ne dis rien ^ 
je me tins tranquille^ quelque cher que me ooi^t^t 
cette apparente tranquillité. Qn fit, beaucoup de 
bruit 9. on parlait beaucoup., on n\e parlait : n'en- 
tendant rien 9 que pouvais-je répôodre? Mais un 
de ceux qui m'avaient, aunené ayant par hasard 
npmo^ué ma fenmie, à ce- nom funeste je fis un 

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2^3 émiiB BT ftOrBll. 

cri perçant qui fut où! de toute TasieiiiUée, et 
causa quelque rumeur. Je me remis jpromptemeiity 
ettouts*apaisa. Cependant, ayant attM p«r ce ori 
l'attention de ceux qui m'environnaient , {e cher-* 
chai le moment de m'évader , et m'appr^chaol; ^ea 
à peu de la porte, Je sortis ekifin arant <^'on eût 
achevé. 

En entrant dans la rue , et retirant modiiiiale* 
ment ma main que J'avais tenue dans mon sein 
durant toute la r^résentation , je vis mes de^te 
pleins de sang^et j'en crus sentir couler sur ma poi- 
trine. J'ouvre mon sein , )e regarde , je le trouve 
sanglant et déchiré comme le cœur qu'il enfenoiaitt 
On peut penser qu'un spectateur tranquille à ce prix 
n'était pas fort bon juge de la pièce qu'il venait d'en* 
tendre. 

Je me hâtai de fuir, tremblant d'ètt^ encore 
rencontré. La nuit favorisant mes courses, fetne 
remis à parcourir les rues , cèmàie pdur mè dé* 
dommager.de la contrainte que je venais d'éprbu« 
ver : je marchai plusieurs heures sans me reposer 
un moment; enfin, ne pouvant presque plus mè 
soutenir, et me trouvant près de mon quartier, je 
rentre ches moi, non sans un affreux battement 
de cœur : je demande ce que Êiit mou fils; on me 
dit qu'il- dort': je me tais et- soupire : n&es gens 
veulent me parler; je leur impose Mlence; je me 
jette sur un lit, ordonnant qu'on' s'aille coucher. 
Après quelques heures d'un repos pire que l'agita- 
tion de la veille, je me lèye avant le jour; et traver» 
santsans bruit les appartemens, j'appi^ocbe de la 
chambre de Sophie ; là, sans pouvoir me retenir , 
je vais avec la plus détestable acheté couvrir de 
cent baisers et baigner d'un torrent de pleurs le 
seuil de sa porte; puis m'ëcbappant avec la crainte et 

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LBtYAB PE&UliâB.. a65 

le$ précautions d'un çou^Me, je sors doucement^ 
du lo£;îs, résolu de n'y rentrer de mes jours. 

Ici finit ma vive mais courte folie , et je rentrai 
4ans mon bon sens. Je crois même avoir £ait ce que 
l'avais dû faire en cédant d'abord à la passion que 
îe ne oe pouvais vaincre , pour pouvoir la gouver- 
ner ensuite après lui avoir laissé quelque essor. Le 
mouvement que je venais de suivre m'ayant disposé 
Ji l'attendrissement, la rage qui m'avait transporté 
jusqu'alors fit place à la tristesse» et je conmiençai 
à lire assez au fond de mon cœur pour y voir gra- 
vée en traits ineffaçables la plus profonde affliction; 
je marchais cependant; je m'éloignais du lieu re-* 
doutable moins rapidement que la veille , mais aussi 
sans faire aucun détour. Je sortis de la viUe j et pre- 
nant le premier grand chemin, je me mis à le 
iuivire d'une déniarche lente et mol assurée qui 
Biarquait la défaillance et J'abattem^nt. A mesure 
que le jour croissant éclairait lès objets , je croyais^ 
voir up autre ciel, une autre terre, un autre uni- 
vers;. tout était changé pour moi. Je n'étais plus le 
même que la veiUe, ou plutôt je n'étais plus; c'é- 
tait ma propre mort que j'avais à pleurer. O com- 
bien .de délicieux souvenirs vinrent assiéger mon 
coeur serré, de détresge, et le forcer de s'ouvrir à 
leurs douces images pour le noyer de vains regrets! 
Toutes mes jouissances passées venaient aigrir le 
sentiment de mes .pertes, et me rendaient plus de 
touro^ens qu'elles ne m'avaient donné de voluptés. 
Ah 1 qui est-ce qui eonnaSt le contraste affreux de 
sauter tout d'un coup dç l'eiLcès du bonheur i 
l'excès delà misère, et de franchir Timmeose in- 
tervalle sans avoir un. moment. pour s'y préparer? 
0ier, hier même, a^x pieds d'une époi^e adorée 
ji'étais le plus heinreux des êtres ; c'était l'amour q^iU 

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264 lÉMILE ET SOPRÎB. 

m'asservissait à ses lois^ qui me tenait dans sa dé- 
pendance ; son tyrannîque pouvoir était Touvrage 
de ma tendresse , et je jouissais même de ses ri- 
gueurs. Que ne m'était-il donné de passer le cours 
des siècles dans cet état trop aimable , à restimer, 
la respecter 9 la chérir, à gémir de sa tyrannie, à 
vouloir la fléchir sans y parvenir jamais , à deman- 
der, implorer, supplier, désirer sans cesse, et jamais 
ne rien obtenir! Ces temps, ces temps charmans 
de retour attendu, d'espérance trompeuse , valaient 
ceux mêmes où je la possédais. Et maintenant haï, 
tiahî, déshonoré*, sans espoir, sans ressource , je 
n'ai pas même la consolation d'oser former des 
souhaits... Je m'arrêtais, effrayé d'horreur, à l'ob- 
jet qu*il fallait substituer à celui qui m'occupait 
avec tant de charmes. Contempler Sophie avilie et 
méprisable! Quels yeux pouvaient souffrir cette 
profanation ? Mon plus crUel tourment n'était pas 
de m'occuper de ma misère, c'était d'y mêler la 
honle de celle qui l'avait causée. Ce tableau déso- 
lant était le seul que je ne pouvais supporter. 

La veille ma douleur stupide et forcenée m'avait 
garanti de cette affreuse idée; je ne songeai» à rien 
qu'à souffrir. Mais à mesure que le sentiment de 
mes maux s^arrangeait pour ainsi dire au lond. de 
mon cœur, forcé de remonter k leur source , je 
me retraçais malgré mot ce fatal objet. Les meuve- 
mens qui m'étaient échappés en sortant ne mar-' 
quaient que trop Tindigne penchant qui m'y 
ramenait^ La haine qiie je lui devais me coûtait 
teoiusque le àéd in qu'il y fallait joindre; et ee qui 
me déchirait le plus cruellement n'était pas tant 
de renoncer à elle que d'être forcé de la mépriser. 

Mes premières réflexions sur elle furent amères» 
Sl^l'inûdélité d'iute femme ordinaire est un crime^ 

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LKTTflE PHEanÈBE.* 205 

quel nom fallaît-ll donner-à la sienne? Les âmes 
v'Jes ne s'abaissent point en faisant des bassesses, 
elles restent dans leur ëtat; il n'y a point pour elles 
d'ignominie parce qu'il n'y a point d'élévation. Lès^ 
adultères des femmes du* monde ne sont que des' 
galanteries; mais Sophie adultère est le plus odieux' 
de tous les monstres : la distance de ce qu'elle est 
à ce qu'elle fut est immense ; non , il â'y a point 
d'abaissement, point de crime pareil au sien. 

Mais moi, i^prenais-je , moi qui l'accuse, et qui 
u'en ai que trop le droit , puisque c'est moi qu'elle 
offense, puisque c'est à moi que l'ingrate a donné 
la mort , de quel droit osé-je la juger si sévèrement 
avant de m'ètre jugé moi-même^ avant desavoir 
ce qiie je dois me re][>rocher de ses torts ? Tu l'ac- 
cuses de n'être plus la même! ÉmUe, et toi n'as-' 
tu point ehartgé?' Gon^bien fe t'ai vu dans cette 
grande ville dîfféirent près d'elle de ce que tu fus* 
jadis ! Ah! sdn inconstance est l'ouvrage de la 
tienne. Elle avait juré de t'étre fidèle; et toi, n'a- 
vais-tu pas juré de l'adorer toujours? Tu l'aban- 
donnes, et tu veux qu'elle te reste! tu la méprises, 
et tu veux en être toujours honoré? C'est ton re- 
froidissement j ton oubli, ton indifférence, qui t'ont 
arraché de son coeur ; il ne faut point cesser d'être 
aihiable quand on veut être toujours aimé. Elle n'a 
Violé ses sermens qu'à ton exemple ; il fallait ne la 
point négliger, et jamais elle ne l'eût trahi. ^ 

Quels sujets de plainte t'a-t-elle donnés dans la 
retraite où tu l'as trouvée, et où tu devais toujours 
là laisser? Quel attiédissement as-tu remarqué dans 
sa tendresse ? Est - ce elle qui t^a prié 4© la tirer de 
ce lieu fortuné ? Tu le sais , elle l'a quitté avec le 
plus mortel regret. Lés pleurs qu'elle y versait lut 
étaient plus doux que les folâtres jeux de la ville* 



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a66 Imile et soj^^e. 

^^1 Klf8?itftP^^ 'îWift<5Ç^ ^c àjfû|re le bonheur 
<le^l^tiçai^ç;mdi&,^q t*ai|i)t^^ji^ieu^^quq,s^ propre, 
t^i^nquilliié. ^près t'^vpîr; vaulu r^^^e^r e^^ quitta, 
tput pour te «^iyjPft, C'est, tç^' q^î dif 8f4n.de la. paix. 
t^.46 1^ vfftu l*ej[itrataa& da\i9 Vjàbh^^ de.vicefli et 
4i^.mi9^]^/çs^,ou t^,t*e8.t9^-i]A^P[^.pr^^^^^ Hélas! il 
i)XtÇn9.<{V^!^.i^9Â aÇMl qj^'eUe nç fût tciwjqurs sage, 
ejli^q^'elle.qç tç r^^^ît tp^ jours, h^rp^x. 

O Éf^lel tu Taç. p^rduiî; Iv^ dois te haïr et la^ 
{^oin^re^^ naçij3 q\^ droiit as-ti:|,d€^ 1^ mépriser? Es- 
tii rp^^é tpi^nj^èïn^e ii'rép^ocbablf)? I^e; luqnde q^aTt-ii^ 
riçn {^is sur tes içoeuirst? Tq n'as ^pçû^t potage son 
i^Ç^^^^ mais ne l'as- tu pas excusée en cess«int 
d'I^Q^or^ ft^ vertu ? Ne Ta^-tu pa$ excité^e ejç^^vivant , 
dâ^s, 4^f M^^^. o^ tout ce qui est honnêtç esL et?k dé- 
riçlon,, o^.les.fepEim^^rouglrfiLen^ d'être cb^isi^s, où 
Iç^ seul;pj^i:^ dc^ vei^tu^ 4^ Içur ^xe. est.l^ f^aîllçrie 
^ riijierédulilé? Lafoj que; tu n'as poin^ vfolée a- 
t^elle été exposée aux mêmes ri^uçs ? As-tu reçu 
co^mnie elle ce temperanient.de fei| qv^ fait les 
gTfindes faiblesses aii^»! que les grandes yer^iis^. As- 
tu, ce cprp^ tropforiné par l'anaouir^ trop exposé aux 
pépls par.sç^ charm,es9 et ai,iix ten^tion^s.p^u* ses 
seA# ? O que Iç. sort d'une t^Ue feznpie est ^ jdaindre ! 
Quels combats n'a-t-eUe . point .à rendre 9 sans re- , 
l^be 9 sans cesse 9 contre aptrul, co^ tre eUe-n\é^ne ! 
Quel couragç. invincible 9 q^*e^e opini^lre résis- 
tance, qvi'elle h^jroïque.fermeté, lui sont néces- 
saires] Qvie de d^f^efeju^es victoire» ^ n'a-t-ejUe pas 
b^i^ppU^^o^t^X toi^§ te^ joiJvr8.8^»,avi^re,téi^içip de ses. 
t|r$ô^pJ^s que^e^jlel et sç^ P^tc^HP^P cc^r ! £]t<, après, 
tant de be}l^f^ apnées. aiiç\^i.passé)BS,à souffrir,, com- 
b:|ttre, et vaj^ç^q^inc^^inix^ent , un ins^^t de fai- 
lii^esset UQ, i^^f^^t de, reUc^: et d'^Kublî, S|^ui^e à. 
jaîft^is cet^ vie iqrépço^Ji^^, etrdéfb^flrft.ta^t 



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LETT&fi FEEHIIRE. 967. 

de vertus I Fezome iulortunée! hélas! un moment 
d'égfirement fait tous tes malheurs et les miens. 
Oui, soDiCœur est resté pur, tout me rassure; il 
m'est trop coopapour pouvoir m'abuser. £h! qui 
siait dans quels pièges adroits les perfides ruses d'une 
femme vicieuse e| jalouse de ses vertus a pu sur* 
prendre son innocente simplicité ? N'ai- je pas vu 
ses regrets ^son repentir dans se» yeux ? N'est-ce pas 
sa tristesse qui m'a ramené moi-même à ses pieds ?^ 
]Sl*est^<:e pas. sa touchante douleur qui m'a rendu 
toute ma tendresse? Ah! ce n'est pas là la^ conduite 
artificieuse d'une infidèle qui trompe son Hi^ri et 
qui se compiatt dans sa trahison ! 

Puis-, venant ensuite à réfléchir plus en détail 
sur sa conduite et sur son étonnante déclaration , 
que ne sentais-je point en voyant cette femme ti- 
mide et modeste vaincre la honte parlafraucbiae., 
rejeter une -estime démentie par. son oœur, dédain 
gner de conserver ma confiance et saréputation en 
cachant une faute que rien ne la forçait d'avouer, 
en la couvrant des caresses qu'elle a- re jetées , et 
crainte d'usurper ma tendresse de père pour un 
enfant qui .n'était pas de mon sang! Quelle force 
n'admirais-je pas dans cette invincible hauteur de 
courage, q^ y même au prix de l!honueur et de la 
vie, ne pouvait s'abaisser. à la fausseté, et portait 
jusque dans le crime l'intrépide audace de la ver- 
tu! Oui, me disais- je avec un applaudissement 
secret, au setn-mémer de l'ignominie,, cette 4aie 
foi;te, conserve encore toutvson ressort; elle est oo«m 
pable ssms^trCv vile, elle a pu commettre »n cnjue» 
mais non pasi une Uçbe<:é. 

C'est ainsi que peu^ à peu le penchant démon 
cœur me ramenait en sa faveur à.desjugemens 
plus doux et plus supportables. Sans ia justifier, je 



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208 EMILE ET SOPHIE. 

Texcusais; sans pardonner ses outrages , j^approu- 
vais ses bons procédés. Je me compiaisais dans ces 
saitimens. Je ne pouvais me défaire de tout mon 
amour ; il eût été trop cruel de le conserver sans 
estime. Sitôt que je crus lui en devoir encore , je 
sentis un soulagement inespéré. L'homme est trop 
faible pour pouvoir conserver long-temps des mou- 
vemens extrêmes. Dans Texcès même du désespoir 
la Providence nous ménage des consolations. Mal- 
gré rhorreur de mon sort, je sentais une sorte de 
joie à me représenter Sophie estimable et malheu- 
i^use; j*aimais.à fonder ainsi l'intérêt que je ne 
pouvais cesser de prendre à elle. Au lieu de la 
sèche douleur qui me consumait auparavant , j'a- 
vais la douceur de m'attendrir jusqu'aux larmes. 
Elle est perdue à jamais pour moi, je le sais, me 
disaîs-je; mais du moins j'oserai penser encore à 
elle, j'oserai la regretter, j'oserai quelquefois encore 
gémir et soupirer sans rougir. 

Cependant j'avais poursuîvima route, et, distrait 
par ces idées , j'avais marché tout le jour sans m'en 
apercevoir, jusqu'à ce qu'enfin, revenant à moi et 
n'étant plus soutenu par l'animosité de la veille , 
je me sentis d'une lassitude et d'un épuisement 
qui demandaient de la nourriture et du repos. 
Grâces aux exercices de ma jeunesse, j'étais robuste 
et fort, je ne craignais ni la faim ni la fatigue ; 
mais mon esprit malade avait tourmenté mon corps, 
et vous m'aviez bien plus garanti des passions vio- 
lentes qu'appris à les supporter. J'eus peine à ga- 
gner un village qui était encore à une lieue de moi. 
Gomme il y avait près de trente-six heures que je 
n'avais pris aucun aliment, je soupai et même avec 
appétit : je me couchai, délivré des fureurs qui 
m'avaient tant tourmenté, content d'oser pensera 



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LETTRE PREMIERE. s6<) 

Sophie f et presque joyeux de Timaginer moins dé- 
figurée et plus digne de mes regrets que je n'avais 
espéré. 

Je dormis paisiblement jusqu'au matin. La tris- 
tesse et l'infortune respectent le sommeil et laissent 
du relâche à l'âme ; il n'y a que les remords qui 
n'en laissent point. En me levant je me sentis. Fes- 
prit assez calme et en état de délibérer sur ce que 
j'avais à faire. Mais c'était ici la plus mémorable 
ainsi que la plus cruelle époque de ma vie. Tous 
mes attachemens étaient rompus ou altérés, tot^ 
mes devoirs étaient changés; je ne tenais plus à 
rien de la même manière qu'auparavant , je deve- 
nais pour ainsi dire un nouvel être. Il était impor- 
tant de peser mûrement le parti que j'avais à 
prendre. J'en pris un provisionnel pour me donner 
le loisir d'y réfléchir. J'achevai le chemin qui était 
à faire jusqu'à la ville la plus prochaine; j'entrai 
chez un maître , et je me mis à travailler de mon 
métier 9 en attendant que la fermentation de mea 
esprits fût tout-à-fait apaisée, et que je pusse voir 
les objets tels qu'ils étaient. 

Je n'ai jamais mieux senti la force de l'éducation 
que dans cette cruelle circonstance. Né avec une 
âme faible, tendre à toutes les impressions, facile 
à troubler , timide à me résoudire , après les pre- 
miers momens cédés à la nature , je me trouvai 
maître de moi-même et capable de considérer ma 
situation avec autant de sang-froid que celle d'un 
autre. Soumis à la loi de la nécessité, je cessaiimes 
vains murmures, je pliai ma volonté sous l'inévi- 
table joug ; je regardai le passé comme étranger à 
moi; je me supposai commencer de naître, et ti- 
rant démon état présent les règles de ma conduite, 
en attendant que j'en fusse assez instruit, je me 



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37© ÉMltl ET SOPHIE. 

mis paisiblement à Tonyra^ comme si j^eosse été 
le plus content <les lik)inmés. 

Je n'ai rien tant appris de vous dès mon ehfâvc^ 
•qo^à^tre ^fév^^iHis «ont eritieir oùjewiis, àilt3*)arifiai8 
jfoire unedNUse ett^er là «me atitre , 'ee ^nî p^erpi'e^ 
ment est ne fien fWire 'et n'être totit entrer ntiffé 
fart. Je n'étais donc Mtentif qn^è mon Yravail'd^h- 
iratit la Jotimée : le soir je Teprenaîs mes 'riffléxî<yns; 
«t relayant ainsi Pespritet'le corps i'nn par l^atiffe^ 
4*en tirais le meineur parti quMl m'était po^silAe, 
naits îamais fatigoer aacun des deux. 

f)iès le premier soir, soivafnt le fil de mes idée^ 
•de la voiUe, j'examinai Si peut -'être je ne prenafs 
fK>int trop à «cœmr le crime d'mie femme , et si tHs 
iqiri me parfiihsaît une ca^stropite de ma vieti'élarfl 
point un événement trop commun pour dévoir éYtb 
'ptin si gravetttent. 11 est certain 5 Aie disais-^e, qeé 
partout où les moeurs sont en eistfme lés infidélités 
des femmes déshonorent les maris; mais il est silVr 
aussi que dans toutes les grandes villes , et partotit 
rà les lionmies p3ns corrompus se croient pltTs 
éclairés» on tient cette opinion pour ridicule et 
peu sensée. L'honneur d'un homme , disent-îls , 
dépend-il de sa f enf me? Son malhetrr doit-il faire sa 
honte ? et peut-Il être ^shonoré des vices d^aiïtrui? 
L'autre morale a^beau être sévère, celle-ci paraît 
plus conforme à la raton. 

D'ail(eui^5 quelque ji^geitietit qu^on portât de 
mes procédés , n'étaîs-je pas par mes principes au- 
dessus de l'opinion publique ? Que m'importait ce 
qu'on penserait de moi , pourvu que dans moii 
propre cœur je ne cessasse point d'être bon, juste, 
honnête ? Était-ce un crime d'être miséricordieux ? 
Était-ce une lâcheté de pardonner une offense ? Sur 
quels devoirs allals-ie donc me régler ? Avais -je sî 

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LETTBC PREMIÈRE. 271 

long-temps liédaighé le {ïrëj^ des hoitimes , péitr 
lui sâcHflér eritlii nibn bonheur? 

Mais cjuatld feë pi^]^é sërah fèhttié, iiiiebe îh- 

^fluénce peut-il AvBlr'datisun cas si^dfflœréiît dés 

autne8'?Ôuëïraïipoftd*urie înfbf iiittéè au dé^Sj^, 

il qui leifeihoî^ seiil ilri^lterafviéudfe èidfa'iériliie , 

^à éespé^ftaés^tii'côir^k-ènt^lfe leur du 'fatënàbiifeèfët 

* de lâ^fratide, où'tilirttiëKeirt^WffrtiHlé?ie à WtJlWfe 

delhfrtiiiéblfe»ëtifev^hWéfat dfe ïèdr'œ*H<«i«ôlJft'^ 

Tôtftb^fëtHiùe ^^lëtètiffee, tbiUèifeinbife (^ui ^hiëpifllfe 

encofe' t^îtts %iJb «e*Wr (ihlHè^iè ^'bffeirte , ëSôt îrf- 

d%ne deîïieiisigeiHëtil ; c^i^^p^irta^r son 'iafehîie 

que la-tôlérèr. MàRi celle à'tfuiron réprbche^j[)lut^ 

une'fàu*ei|û'tth vibe/èt c[rti'rèxj>te t)âr**ë8 regrets*, 

^t*l«Uk îHgfre iafe piftié ttltè deliàfoe ; t)Ti petit fe 

-plkWdïe et lui phrdoriMér sàrisTîaiite; fe^ialHéiir 

tnêhie qti^rti^HiS répi-ôéhè èst%hriiHf d'dle'iïbxfr'Ptf- 

^enîr. ^pWîè , "restée tèSstîtiiâWe ^Jusque dliitfs îe 

«riihe, sera respectable d'ausàôh'reiiërilî'r; ëllesérh 

d'âutairt plus fidèl<3, qùè sën ôdefiîr, fait '^Ur ta 

^ertu, a Ijétttî ce qu'îl eu coàte à roffeiiser; elle 

aurà'td^t à Ih fWs la ferthîeré qui ïa tiBiisërve et lîa 

m6delitië'({tti Ik'réttd aimiblë ; 'Ph^WHiitibn dh re- 

mords^doucira cette âme orgueilleuse , et rëtidra 

ÉHOItis ^^httî^tiéTëApWe ^ule raôibttr «li dbnna 

Èm tHidl; elle en Sera {)ltl6 s^^àeuse et khoihsTièi^e ; 

>éUe ti^àtit^ èbmxâs Ufne fatite'qâe poiirée ^tûtéÛr 

d'ito déiiardt. 

^uàitd lés t)»9»ië2À he peuVëdt lïous vkihére'k 
Vi^e détjoùvë^t, éH^ )[>iréniiéUt lè'ihasqtje de la 
isagesse't)ôrir^nôu» éui*pretidi*e , étVèM*ën imiitànt 
le lattgagfè delafaffàtth qu^dles hbUsy Y^mtl-eiiottder. 
Tous ces ^phisMës klë lïi'éii im^iôréklent tf^e pWce 
qu'ils flattaiéhtitièfa pèmihatft. J'àùiràîs Vôiilù^pOil- 
\<Àt rey^it & Sèi^blb Infidèles "^ j*ëdodlM» ktéc 



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a^a EMILE ET SOPBIE. 

' complaisance toat ce qui , semblait autoriser ma 
lâcheté. Mais j'eus beau faire ^ ma raisoa , moinft 
traitable que mon cœur, ne. put adopter ces folies. 
Je ne pus me dissimuler que je raisonnais pour 
m'abuser , non pour m*éclairer. Je me disais 
avec douleur 9 mais avec force , que les maxûpes 
du monde ne font point loi pour qui veut vivre ppur 
soi-même , et que , préjugés pour préjugés « ceux des 
bonnes mœurs en ont un de plus qui les favorise ; 
qUe c'est avec raison qu'on impute à un mari le 
désordre de sa femme , soit pour l'avoir mal choisie , 
soit pour la mal gouverner; que j'étai» moi-même 
«n exemple de la justice de cette imputation; et 
que si Emile eût été toujours «âge, Sophie n'eût 
jamais failli ; qu'on a droit de présumer que celle 
qui ne ^e respecte pas elle-même respecte au moins 
son mari, s'il en e^t digne, et s'il sait conserver son 
autorité; que le tprt de ne pas prévenir le dérègle^ 
,inent d'une femme ept aggravé par l'infamie de le 
souffrir; que. les conséquences de l'impunité çont 
, effrayantes ; et qu'en pareil cas cette impiurîté mar- 
. que dans l'offensé une indifférence pour les mœurs 
honnêtes et une bassesse d'âme iàdigne de tout 
honneur. • 

Je sentais surtout en mcm fait particulia* que ce 
qui rendait Sophie encore estiinable en était plus 
désesp^ant pour moi :, car on peut soutenir ou 
renforcer une âme faible, et celle que l'oubli du de- 
voir y fait manquer y peut être ramenée par la rai- 
sou ; mais comment ram^e^ ce^e qui garde en 
^ péchant fout sion, courage, qui sait avoir desyertus 
.dans le> Crimée, et ne iaii le mal que comme H lai 
platt? Qui, Sophie est coupable. parce qu'elle a 
. voulu l'êtire* Quand cette âme hautaine a pu vaincre 
la honte, ^e a pu yaiiiçre toute autre passion ; il 



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LBtTlE PEBMI£RE. 273 

ne lui en eût pas plus coûté pour m*étre fidèle que 
pQur me déclarer sou forfait 

£n vain je reviendrais à mon épouse , elle ne re- 
viendrait plus à moi. Si celle qui m'a tant aimé , si 
celle qui m^était si chère a pu m*outrager ; si ma 
Sophie a pu rompre les premiers nœuds de son 
cœur ; si la mère de mon ûls a pu violer la foi con- 
jugale encore entière ; si les feux d'un amour que 
. rien n'avait offensé 9 si le noble orgueil d'une vertu 
que rien n'avait altérée ^ n'ont pu prévenir sa pre-* 
minière faute 9 qu'est-ce qui préviendrait des rechutes 
qui ne coûtent plus rien ? Le premier pas vers le 
vice est le seul pénible; on poursuit sans même y 
: i^onger. Elle n'a plus ni amour , ni vertu , ni estime 
à ménager, elle n'a plus rien à perdre en m'offen- 
sant, pas même le regret de m'offenser. Elle connaît 
. mon cœur, elle m'a rendu toi^t aussi malheureux 
que' |e jpuis l'être ; il ne lui en coûtera plus riep 
d'achever. 

Non 9 je connais le sien 9 jamais Sophie n'aimera 

un homme à qui elle ait donné droit de lamépriser . . ^^ 

. Elle ne m'aime plus;..., lïngrate ne l'a-t-eUe pas 

dit elle-même ? Elle ne m'aime plus; la perfi^de I 

.Ah ! c'est là son plus grand crime : j'aurais pu tout 

. pardonner 9 hqrs celui-là. 

Hélas! reprenaîs-je avec amertume 9 je parle tou- 
jours de panionner, sans songer que souvent l'of- 
fensé pardonne 9 mais que l'offenseur ne pardonne 
jamais. Sans doute elle me veut tout le^mal qu'elle 
m'a fait. Ah ! combien elle doit me haïr ! 

JÈmilei que tu t'abuses quand tu juges de l'avenir 
sur le passé ! Tout est changé. Vainement tu vivra,is 
encore avec elle ; les jours heui'euxqu'ellet'a donnés 
ne reviendront plus. Tu ne retrouverais plus la 
Sophie 9 et Sophie ne te retrouverait plus. Les 



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2^4 ÉMUE ït SOPHIE. 

situations dépendent des affections qu'on y porte : 
quand les cœurs chatigent, 't6i<t (change ; *tlMit à 
beau demeurer le 'tnêtrïe , quand dn n'a pl«to les 
mêmes yeux ou ne tte voit pltfs t^n comBae'âttpaf- 
ravant. 

Ses mtseui^s ne éOnt pdiiit désési^réeb , je le inrfs 
bien : elle peut é(l« ém^dhe digil6fd'é«tifiie, iOémèr 
toute ina tendi^ès^ ;'elte peuttne rendte Mb odetHr : 
'tafiais elVe he peiit n'avoir t>^fnt ftilli^ di pefd»e'%t 
in'ôter le sôùveriit-de -sa falite. La Adélitë, tei Ve^tO, 
'l'amour, tout peut l'eTèllir, hors la cdtifiàtléie ; Iftt 
sans la confiance il n'y a \}\xi^ t^ue dégoût, tfl^^ 
ennin dans letiiariage; le délicieux chdriiie "tb Vie- 
nocence est 'étanoui. C'en est fait, c'en est 'fait ; rti 
près, ni IWw, Sophie rie peut plus être heureuse, 
et je ne puis être heureux qde de sofa'bOrihetirJCfla 
seul me décide; fbime mieUx ^odftVir 16tn d*!éHe 
que par elle; j'aime mieux la regretter que la tôtù*- 
menter. 

Oui, tous nos liens sotit roitipus; ils le sont par 
elle. En violant ses engagemens elle m'âflfhiiichit 
des mien^. Elle ne tn'estplus rien; ne ra*l->elk^J)âs 
dit encore? Bile li'cMtpliis mafetrime : la revâh^i^s^je 
cenittie ëtraÉigèi^P Tfoh, je nie la i^everrai jâiMfe. 
Je suis libre; au moins je-doivrèCre: que ition cœur 
ne l'est-t-fl autant que ma foi I 

Mais quoi ! ition affront restera-t-tl impuni ? Si 
l'infidèle en aime un autre , quel mal lui faîs^en 
la délivrsfnt de moi ? Cest moi 'que 'je puliis et -non 
pas elle : j'e remplis ses vœux à mes &ë{ten*s. *E«ft-«e 
là le ressentiment de l'honneur outragé ? où est la 
vengeance ? 

Eh ! malheuteux ! de qui veux-tu 'te venger ? De 
celle que ton plus grand désesponr est de nepouvoir 
plus rendre heureuse* Du moins ne loib p^s la vie* 



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XBTTRE F'KEUIERIE. 27S 

'lime de ta vengeance. Fais-lui, s'il se peut, quelque 
inal que'tune sentes pas. II est des crimes qu'il faiit 
Hbaridoftner aux remofds'des coupables ; c'est pres- 
'que les autoriser" qtie lés puiïir. Un mari cruel mé- 
"rîte-t-il une fetttme fidèle? D^aiUëUrs, de quel droit 
ia pu^îr , à quel titre? Es-tn *ïion ju^e , n'étant 
inéme pltrs son ëpoiiXi* Loiisqu^eile a violé ses def- 
Voîrs de ffeùiïne , elle ne s^fen &ê^ pdint conservé les 
'droits. ï)èT5l'iil6tattt qu'elle a formé' d'autres hœuds, 
elle a'brîséïésliensetne s^fen est point cachée : elle 
•rie s'e^t point parée à tles^eùx d'utie*fi délité qu'eire 
ti'avait plus ; elle ne t'a ni trahi ni menti ; en cesr- 
sant d'être à toi seul elle a déclaré ne t'être pltfe 
l*ieti. Ocelle autorité peut te rester sur elle? S'il t'en 
re^aft , tu devrais l'abdiquer pour ton propre avan- 
tage, ^toîs-mbî , sois bdn, ptff sagesse et clétnertt * 
'pat- yengeamce. Défie-tôi 8et£^ cîblère ; 'crains qu'elle 
'ne te ramène à ses pieds. 

Ainsi tenté par l'amour qui me rappelait, ou paSr 
Ife dépit qui voulait me séduire, qtie feus de comibats 
à rendre avant d'être bien déterminé ! et quand |e 
crus l'être , une réflexion nouvelle ébranla tout. 
^L'idée de mon fils "m'attendrit pour sa mère plil» 
que rien n'avait fait auparavant. Je sentis que ce 
point de réunion l'empêcherait toujours de m'étre 
étrangère, que les enfans forment uu iKBud vrai- 
ment indissoluble entre ceux qui leur oilt donné 
l'être, et nite raison naturelle et invincible contre 
le divorce. Des obîets si chers, dont aucun des deux 
ne peut s'éloigner , les rapprochent nécessairement;, 
c'est un intérêt commun si tendre , qu'il leur tien- 
drait lieu de société, quand ils n'en auraient point 
d'autre. Mais que devenait cette raison , qui plaidait 
pour la mère de mon fils, appliquée à celle d'un 
enfant qui n'était pas à moi? ^uoi! la nature elle- 



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a^Ô iviLE BT SOFflIB. 

même autorisera le crime! et ma femme 9 en par- 
tageant sa teudresse à ses deux fils , sera forcée à 
partager son attachement aux deux pères I Cette 
idée , plus horrible qu'aucune qui m'eût passé dans 
l'esprit , m'embrasait d'une rage nouvelle ; toutes 
les furies revenaient déchirer mon cœur en songeant 
à cet affreux partage. Oui, j'aurais mieux aimé voir 
mon fils mort que d'en voir à Sophie un d!un autre 
père. Cette imagination m'aigrit plus , m'aliéna 
plus d'elle que tout ce qui m'avait tourmenté jus- 
, qu'alors. Dès cet instant je me décidai sans retour; 
et pour ne laisser plus de prise au doute > je cessai 
de délibérer. 

Cette résolution bien formée éteignit tout mon 
resseiitiment. Moi*te pour moi, je ne la vis plus 
coupable; je ne la vis plus qu'estimable et malheu- 
reuse ; et sans penser à ses torts , je me rappelais 
avec attendrissement tout ce qui me la rendait re- 
grettable. Par une suite de cette disposition , je 
voulus mettre à ma démarche tous les bons procé- 
dés qui peuvent consoler une femme abandonnée ; 
cary quoi que j'eusse affecté d'en penser dans ma 
colère, et quoi qu'elle en eût dit dans son désespoir, 
je ne doutais pas qu'au fond du cœur elle n'eût en- 
core de l'attachement pour moi, et qu'elle ne sentit 
vivement ma perte. Le premier effet de notre sépara* 
tion devaitétre de luiûter mon fils. Je frémis seule- 
ment d'y si^nger ; et après avoir été en peine d'une 
vengeance , je pouvais à peine supporter l'idée de 
celle-là. J'avais beau me dire en m'iirilant que cet 
enfant serait bientôt remplacé par un autre, j'avais 
beau appuyer avec toute la force de la jalousie sur 
ce cruel supplément ; tout cela ne tenait point de- 
vant l'image de Sophie au désespoir en se voyant 
aiTacher son eufaqt. Je me vainquis^ toutefois ; je 



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USTfBB FIBHIEBE. 277. 

formai 9 non sans déchhremetit cette résolution bar- 
bare ; et la regardant comme une suite nécessaire 
de la première où j'étais sûr d'avoir bien raisonné ^ 
je l'aurais certainement exécutée malgré ma répu- 
gnance , si un événement imprévu ne m'eût con* 
traint à la mieux examiner. 

Il me restait à faire une autre délibération que 
je comptais pour peu de chose après celle dont je 
venais de me tirer. Mon parti était pris par rapport 
à Sophie ; il me restait à le prendre par rapport à 
moi , et à voir ce que je voulais devenir me retrou- 
vant seul. li y avait long-temps que je n'étais plus 
un être isolé sur la terre : nion cœur tenait , comme 
TOUS me l'aviez prédit 9 aux attachemens qu'il s'é- 
tait donnés ; il s'était accoutumé à ne faire qu'un 
avec ma famille ; il fallait l'en détacher, du moins 
en partie , et cela même était plus pénible que de 
l'en détacher tout -" à -fait. Quel vide il se fait en 
nous 9 combien on perd de son existence 9 quand 
on a tenu à tant de choses 9 et qu'il faut ne tenir 
plus qu'à soi 9 ou 9 qui pis est , à ce qui nous fait 
sentir incessamment ledétachemen t du reste IJ 'avais 
à chercher si j'étais cet homme encore qui sait rem- 
plir sa place dans son espèce quand nul individu* 
ne s'y intéresse plus. 

Riais où est-elle cette place pour celui dont tous 
les rapports sont détruits ou changés ? Que faire? 
que devenir? où porter mes pas? à quoi employer 
une vie qui ne devait plus faire mon bonheur ni 
celui de ce qui m'était cher 9 et dont le sort m^^tait 
jusqu'à l'espoir de contribuer au bonheur de per- 
sonne? car si tant d'instrumens préparés pour le 
iniea n'avaient fait que ma misère 9 pouvais -je 
espérer d'être plus heureux pour autrui que vous 
iie l'aviez été pour mot ? Non.; j'aimais mon devoir 



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ei^ç^H^, imi^j^ Q^ i& vi3)y^^pluA. £iipr^peler le» 
pv^Mcipes €^ les jBèg|(^ ,,le$.4{^#i.u.cur. à^ii^a- nouvel 
^U^, i^'était'pfis ra^nûi}^: 4»'m> ii^wnwt». et mon, 
e^i^ritf faiiigué AV4aitcl|e^ip,d*iHi|i|ç;u4e{ i^^obe pour: 
3fi; livrer à,4& AO^yÊlIe^m^tatlçnuK 

J'avais fait un grand pas.vei^le.repQS^ OéUvré de 
rinquiétude de l'espér^^qc^f €^ts4r de^ perdra aii»si 
peu,à,peu celle du.désir, en,vc\y3^t.que le passé ne 
m'était plus rien , je tàphais.de me mettre tout-à-*. 
f^it d^ns Tétat 4 'tm homme qui commence à vivre. 
Je m^ disais, qu'en efiet nous ne faisons jamais que 
4^mmeJ^H2er,.et qu'il n^ a point d'autres liaisons 
dans notrd existence q^'une succession de momenst 
pi'ésenS) dont le premier est toujours. celui qui est 
€^ acte^ Nous, mourons et nous naissons chaque 
i|ista|)t de notre vie, et quel intérêt la mort peut- 
elle nous laisser? S'il n'y a riçn pour nous que ce 
qui sera, nous ne. potuvons être heureux ou mal- 
heureux que par l'ayenir ; et se tourmenter du passé 
c^est tirer du néant les sujets de notre misère. Emile, 
sois un homme nouveau» tu n'auras pas plus à te 
plaindre du sort qy^e. de. la; nature* Tes mialheurs 
«qnt nuls, l'abîme du néai^t les a tous engloutis; 
miûsce qui esf réel, ce qui est existant pour toi, 
c'est ta vie, ta santé, ta jeun^e, ta raison , tes 
talens, tes lumières, tes vertusenfin » si tu le veux, 
et par conséquent ton tMmh^^» 

Je, repris, mon travail, attendapt p4i4il>leinent 
quemfs i^iées s'arrangeassent ass^z.,dan8.mia tête 
pQm>nftçm^Qinl,rw^ q^ej'.avaisà faire; ptcepeji^danly 
ei^ compa^fm^^m^n ét^t ^c^lui qv^U'av^t .précédé, 
^'ét^^.dans l^calm^ : o'eAt Tiayantdgç-q^ie, procure 
indép^cUm^ien^ de& événemens toute c<Anduitç 
conforma à la raison. Si l'on n'est pas heureux 
malgré la fortune, quand; on sait maintenir son 



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LdTa« PABILlàAB. 279. 

C4o9ur4l|ui»r0v4ref oii;e^ traaquiUe au moin^ eji4é- 
pit du^aç^tf l!4fiiiftjjy4^ cette traaqpUlit^ tieqt à peu 
de)C>ipS(Ç^dj|f|a,qf^ à|[|[ij^s^i3^ib^I Il.c|st bien abéde 
se vBkt%t^,às^ê TcMrda^;^ ce qui est difficile , c'est d'y 
r(3fH^ Jfs^ f|û^i9v^rren)Ver^rtOM|eaf^^résolutioIlS 
au^iQcvipi^iÇQtiquQ }^ lesivirqyAia.le.plus ^^Sçirinies. 

J!é|ais eii|Fé cl^ le maître sao^.m'y faire beau- , 
coup riçau^rqvierp J'avais toujours coqservé daqi 
mç^ vét^mf^f 1% svmf^iqit^ qu^.vpvis m'aviez fait 
£^iiper;a(iefi]^]a^^re#^!étaieutp^&plus recherchées, 
e^.rairais^ 4'fMn.h,Q4^me qui.s^'sei^f partout, à sa 
p}ace é^ait, iV)Qin% rc^iparquah^e chez un menuisier. 
q^'il ne i'ieûtj^é..c^ez.un gr^u4* On voyait pourtant 
l]|ient q^ nioin.équifiage n'était ps^s celui d'un ou- 
vrier; n^iais 4 ma. m^aière 4^; me mettre à l'ou- 
VJ^a^p^ on ji^^^que^ j^ l'avaiji.été^ et qu'ensuite 
s^y^^é^ à ^q^C^|le P9^e i'ea 4^is jd^chu pour rentrer 
dapSii¥(on,prfQ^çr^é|^^ Unpetijt pai'veuu retombé 
n'îi]V8pirejpa,^,uiyî gr^H(iç.c9nsi^i:a.tjoo, et l'o^i me 
prenait à pçfu prèsau«çit aytr TégjaUté o(i|e m'étais 
xx^. Xp^t à coup j^ vis chapger avec mpi le ton de 
tp^tfi^ la faipiUe; la^tfamUiarité prit plus de réserve; 
9n,n)^ r^ard^it a^u travail .avec uuç sçrtç d'étopne- 
9^1^^ t^t ce, que je faisais .dfi.^s , l'atelier ( et j'y 
f^i^itfc^tçut mi^^ux que, Iç maître ) e^çit^i| l'ajmira- 
tion^ ; Ton scfx^ait, épier tous. mes mouvei^eos, 
t^us.içe^ gestes: ou tâchait d'en user avec moi 
CjOi(q^n^ à l'ocdinairaf mais cela ne se faisait plus 
&a^f^çyQ^ct, et l'on e(K\ 4HquÇ c'était par respect qu'on 
s^^tfpa^t 4^ n^]en o^a^quei: , da,y ^pta^^^ Les idées 
49n^ i'ét^|% pr^uç^^. n[i'ea|péeh^i:eQ,t de, ^l'aperce- 
Vj^de,€^ch^i$eflfient auçsi^tquçj's^^rai^ f^it dans 
uiji^!^treteipp$: oiaismon habitude en agiss£uit d'être 
taijilçursiila chose 9 me ramenait bientôt à ce qui 
se faillit autoiur de moi ^ nemelais£apasloi^g-temps 



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USO ÉMItE ET SOP«IE. 

ignorer que j'étais devenu pour ces bonnes gens un 
objet de curiosité qui les intéressait beaucoup. 

Je rcHiarquai surtout que la femme ne me quit- 
tait pas des yeux. Ce sexe a une sorte de droit sur 
les aventuriers qui les lui rend en quelque sorte 
. plus intéressans. Je ne poussais pas un coup d^é- 
choppe qu'elle ne parût effrayée 9 et je la voyais toute 
surprise de ce que je ne m'étais pas blessé. Ma- 
dame , lui dis- je une fois, je vois que vous vous dé- 
fiez de mon adresse; avez-vous peur que je ne 
sache pas mon métier? Monsieur, me dit-elle, je 
vois que vous savez bien le nôtre; on dirait que 
vous n'avez fait que cela toute votre vie. A ce mot 
je vis que j'étais connu: je voulus savoir comment 
je l'étais. Après bien des mystères, j'appris qu'une 
jeune dame était venue , il y avait &ux jours , des-' 
cendre à la porte du mattre; que, sans permettre 
qu'on m'avertît , elle avait voulu me voir ; qu'elle 
s'était arrêtée derrière une porte vitrée d'où elle* 
pouvait m'apercevoir au fond de l'atelier; qu'elle 
s'était mise à genoux à celte porte, ayant à c6té 
d'elle un petit enfant qu'elle serrait avec transport 
dans ses bras par inteiTalles, poussant de longs 
sanglots à demi étouffés, versant des torrens de 
larmes, et donnant divers signes d'une douleur 
dont tous les témoins avaient été vivement émus; 
qu'on l'avait vue plusieurs fois sur le point de s'é- 
lancer dans l'atelier ; qu'elle avait paru ne se rete- 
nir que par de violens efforts sur elle-même; 
qu'enfin , après m'a voir considéré long-temps avec 
plus d'attention et de recueillement, elle s'était 
levée tout d'un coup , et collant le visage de l'en- 
fàut sur le sien, elle s'était écriée à diemi-voix: 
Non f jamais ii ne voudra fêter ta mère; viens y 
nous n'av&iisHen à faire ici. A ces mots elle était 



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sortie avec précipitation; puis» après avoir obtenu 
qu^on ne me parlerait de rien*, remonter dans son 
carrosse et partir comme un éclair nVvait été pour 
elle que l'affaire d'un instant. 

Ils ajoutèrent que le vif intérêt dont ils ne pou- 
vaient se défendre pour cette aimable dame les 
avait rendus fidèles à la promesse qu'ils kit avaient 
faite et qu'elle avait exigée avec tant d'instances; 
qu'ils n'y manquaient qu'à regret; qu'ils voyaient 
aisément 9 à son équipage et plus encore à sa figure, 
que c'était une personne d'un haut rang, et qu'ils 
ne pouvaient présumer autre chose de sa démarche 

. et de son discours, sinon que cette femme était la 

. mienne, car il était impossible de la prendre pour 

. une fille entretenue» 

Jugez de c6 qui se passait en moi durant ce récit! 
Que de choses tout cela siq>posait! Quelles inquié- 
tudes . n'avait-il pas fallu avoir, quelles recherches 
n'ayait-il point f^u faire pour retrouver ainsi mes 
traces! Tout cela est-il de quelqu'un qui n'aime 
plusP.Quel voyage! quel motif l'avait pu faire en- 
treprendre! dans quelle occupation elle m'avait 
surpris ! Ah ! ce n'était pas la première fois : mais 
alors elle n'était pas à genoux , elle ne fondait pas 
en larmes. O temps, temps heureux! Qu'est devenu 
cet ange du ciel?.... Mais que vient donc faire ipi 
cette iemme ?. . . » elle amène son fils ,. . . . mon fils,. . • .. 
et pourquoi?.... Voulait-elle me voir, me parler?... 
pourquoi s'enfuir?.... me braver?.... pourquoi cçs 

. larm^? Que me veut-elle, la perfide! vient^Uc 
insulte^r à ma misère? A-t-elle oublié qu'elle ne 
m'est plus rien? Je cherchais en quelque sorte à 
m'irritçr de. ce voyage pour vaincre l'attendrisse- 
ment qu'il mê causait, pour résister aux tentations 
de courir après l'infortunée qui m'agitaient malgré 
II. * la 

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282 BMILE ET SOPHIE.' 

moi* Je démettrai Béanmoinft. Je vis que cette dé^^ 
mai^ebe ne profavail autre chose c^on que j'^tab 
-encore aimé; et cette stsppositioAmèine, étant en*- 
trée dans ma délibération, ne devait rien changer 
au parti qu'elle m'avait fait prendrcv 

Alors examinant plus posément toute» les cir- 
oonstances de ee V05rage , pesant surtout les der^ 
. niers mots qu'elle avait prononcé» en partant , )'y 
crus démêler le motif cpii Tavatît amenée et celui 
. qui Tavait fait repartir tout d*un eoup «ans s^étre 
•laissé voir. Sophie parlai simplement; mais tout 
ce qu'elle disait portait 4buis mon 4;oe«r -des traits 
>de lumière, et c>n fut un q«e ce peu de mote. 14 
ne féteraffistAfnère, avait-elte dit. C'était donc 
la crainte qu'on ne la lui ôtât qui l'avait amenée , 
et c'était la persuasion que cela n^âoriverait pas 
qui l'avait iail répartir. £t d'où la tirait^eile cette 
persuàs^tfu? ^^arraitMetle vuP^meile en paix , Emile 
au trarvâlL Quelle preuve pouvaît-«Ue tirer-de celte 
vue, sinon qu'Emile en cet étal n'était point si^»- 
fugué par ses parisiens et ne for4i>ait que des réso- 
ivKioBîs raisonnables? Celle de la^séparer de son fils 
j»e rélait donc pas selon elle , quoiqu'elle le fdt 
sdon moi. Leqiiel avait tort ? le mot de «Sophie 
décidait encore ce point; et en effet, «n c«ii^é- 
rant le "seul intérêt de l'enfant, cela pouvait-il 
• mètne être nais en^doute? Je n'avais envisagé «fue 
l'enfant ^ à la mère, «t il fallait envisager la mève 
dtée à Tenfant. 5'avais donc tort. Oler une nière à 
soumis , o^est lui^ter plus qu^on ne peutlui rendve, 
surfont ^ %èt âge^ c'est sacrifier l'enfant pour ^se 
ven^âe^4iière; c'est un acte de passion , yaixMâs 
de raison ^ à moins que la mère iie soit Ibâe oii fié- 
néturée. 91^s Sophie e^^t <elle^^u'il faudrait désirer 
à mon fils quand il en -aurait •u^aeauU^^ IlDaiat qpae 



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IBTTEE PREiriisàE. 3^ 

nous relevions elle ou moi , ne pouvant pitre Télé- 
yer ensemble ; ou bien, pour contenter ma colène, 
il faut le rendre turf^elln. Mais que ferai-je â'iin 
eofaol dans rétat où je siiis? J'ai assez df) -t^sôn 
pour voir ce que je puis ou ne puis fkîre , wm poUr 
faire ce que {è dois. ïratnerfti-^e un enfant de cbt 
. â^e en d'autres contrées, ou le tiendrai-(e Sous lès 
yeux de sa mère , pour bt*aver une femtae que {e 
dois fuir? Ah ! pour ma sûreté {e ne serai fainaîs 
assez loin d'elle. Laissons-lui Fénfant de peur qu'il 
ne lui ramène à la fin le père. Qu'il lui reste seul 
pour ma. vengeance; qu^ k^haque four de sa vieil 
rappelle à Tin fidèle le bonheur dont il fut le gagé , 
et Vépént qu'elle s'est Ôtë. 

Il est certain que la résolution d'dter mon fils à 
sa mère avait été l'effet de ma colère. Sur ce seul 
poîut la passion m'avait aveuglé ^ et ce fut le seul 
point aussi sur lequel je chaugeai de résolution. Si 
ma faiàÉlllé eût strîvi mes intentions, Sophie eût 
lélevé cet eilfsmt , et petît-être vivrait-il encore : mais 
peut-être aussi dès lors Sophie était-élle morte pour 
ïnoi; consolée dans cette chère moitié de moi- 
même^ elle n'eût plus songé à reîèindre l'autre, et 
l'aiirââs perdu tes ^us beaux fOur^ de ma vie. Que 
de douleurs idéValéut nous f^ire eicpier nos fautes 
avant ^m â6ti% réuûtou ho^ les fit cféblier ! 

Kouë ii^Us otonatësion^ %i l^ien ftiutuellement, 
qu^ilne fùe fallut, poUr deviiiler le nkotif de sa 
brusque retraite , que sentir qu'elle avait prévu ce 
qui sbfàtt arrivé sînous nous fussions revus. J'étais 
raisonnable iuaié fà'Mé^ elle le savait; et je savais 
«noo^ mieux combien cette amie subltme et fièi^ 
«onèiei'Vâtt d'inâexibtlité fuàqôe dans séb feutèé. 
L'idée de Sophie rentrée eu grâce lui étàît ïnsupi* 
portable. EUd seo tait que son crltinië était de èétix 



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a84 émXl ET SOFRIE. 

qui ne peuvent s'oublier ; eHe aimait nlteux être 
punie que pajcdonnée , un tel pardon n'était pas 
fait pour elle ; la punition mèoie raYUîssait nM>ins, 
à son gré. .£Ue croyail ne pouvoir effacer sa- faute 
qu'en l'expiant , ni s'acquitter avec la justice qu'en 

: souffrant tous les maux qu'elle avait mérité^. C'est 
pour cela qu'intrépide et barbare dan4<i sa f ranchise, 

. elle dit son crime à vous, à toute ma famille, 
taisant en même temps ce qui l'excusait, ce qui la 
justifiait peut-être, le cachant 9 .dis- je, avec une 
telle obstination, qu'elle ^e m'en a jamais. dit un 
mot à moi-même 9 et que je n^ l'ai su qu*aprèssa 
mort. , . , . 

D'ailleurs, rassurée sur la crainte de perdre son 
fils, elle n'avait plus rien à désirer de naoi pour 
elle-même. Me fléchir leût. été m'avilir , «t eUe était 
d'autant plus jalouse de mon honneur qu^l ne lui 
en restait point d'autre. Sophie pouvaitêt^ criuii- 
nçUe, mais i'épou;^ qu'elle s'était choisi .devait être 
av-dessus d'une lâcheté. Ces raffînemens de son 
amour-propre ne poviyaiept convenir /qu'à* elle,, et 
peut-être n'appartenait-il qu'à moi de les pMénétrer. 
Je lui eus encore celte obligation, mén^e aprèts 
in'être séparé d'elle, de m'avoir ramené d'un parti 
peu raisonné que la vengeance m'avaitfS^it prendre. 
Elle s'éta^'t trompée^ ei^ ce jH>int 4sui9 1^ boAne opi- 
nion qu'elle avait dje n^oi : laatô cette eiveur n^en fut 
plus . ufie aussitôt quej'y eus pensé ; en c^ con^idér 
rant que l'intérêt de npion fils, Je. vis qu'il fallait Ip 
laisser à sa mi^re , et je m'y déterminai. Pu reste , 
confirmé dan^ mesj^ntimeqs, je rés<^us d'éloigner 
aon malheureux ^]^e de^ rîsqiies qu'il venait de 
couw. Pouvaisr je être as^e? loip 4'ell^ , piiû^que je 
ne devais plus v^fsa rapprocher? C'était.jeUe en- 

.fore, c'était s«^ yp;^ qui \en^t de me^ donner 



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KCTTBE PEEMlitKC. 285 

cette sage leçon : il m'importait pour la suivre de 
ne pas rester dans le cas de la recevoir dçux fois. 

11 fallait fuir; c'était là ma grande affaire et la 
conséquence de tous mes précédens raisonnemens. 
Mats où fuir? C'était à cette délibération que j'en 
étais demeuré , et je n'avais pas vu que rien n'était 
plus indifférent que le choix du lieu pourvu que je 
m'éloignasse. A quoi bon tant balancer sur ma re- 
traite, puisque partout je trouverais à vivre ou 
mourir, et que c'était tout ce qui me restait à 
faire? Quelle bêtise de l'amour-pi'opre de nous 
montrer' toujours toute la nature intéressée aux 
petits événemcns de notre vie! N'eût-on pas dit, à 
me voir délibérer sur mon séjour, qu'il importait 
beaucoup au gerfre humain que j'allasse habiter mi 
pays plutôt qu'un autre, et que le poids de mon 
corps allait rompre l'équilibre du globe ? Si je n'es- 
timais mon existence que ce qu'elle vaut pour mes 
semblables, je m'inquiéterais moins d'aller cher- 
cher dès devoirs à remplir, comme s'ils ne me sui- 
vaient pas en quelque lieu que je fusse , et qu'il ne 
s'en présentât pas toujours autant qu'en peut rem- 
plir celui qui les aime ; je me dirais qu'en quelque 
lieu que je vive , en quelque situation que je sois , 
je trouverai toujours à faire ma tàch« d'homme, et 
que nul n'aurait besoin des autres si chacun vivait 
convenablement pour soi. 

Le sage vit au jour la journée, et trouve V>ws ses 
devoirs quotidiens autour de lui Ne tentons rien 
au delà de nos forces et ne nous portons point en 
avant de notre existence. Mes devoirs d'aujourd'hui 
sont ma seule tâche, ceux de demain ne sont pas 
encore venus. Ce que je dois faire à présent est de 
m'éloigner de Sophie, et le chemin que je dois 



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a86 iuiiz ET soFBis. 

choisir est celai qui m'en éloigne le pUis directe- 
ment. Tenons-nouft-en là. 

Celte résolution prise, je mis Tordre qui dépen- 
dait de moi à tout ce que )e laissais e^ arrière ; je 
vous écrivis 9 j'écrivis à ma famille 9 j'écrivis à So- 
phie elle-même. Je rég;lai tout, je n'oubliai que les 
soins qui pouvaient regarder ma persomte ; aucun 
ne m'était nécessaire 9 et, H«ins valet, sans argent, 
sans équipage, mais sans désirs et sans soins, je 
partis seul et à pied. Chez les peuples où j'ai vécu , 
sur les mers que j'ai parcourues, dans les déserts 
que j'ai traversés , errant durant tant d'années , je 
n'ai regretté qu'one seule chose, et c'était celle ^ue 
j'avais à fuir. Si mon cœur m'eût Udssé tranqulÛe^ 
mon corps n'eàt manqué de rien; 



LETTRE 12. 

J'ai bu l'eau d'oubli ; le passé s'efiace de ma.mé- 
moire, et l'univers s'ouvre devant moi. Voilà ce que 
je me disais en quittant ma patrie dont j'avais à 
rougir , et à laquelle je tie devais que le mépris et 
la haine , puisque heureux et digne d'honneur par 
moi-même, je ne tenais d'elle et de ses vils habi- 
tans que les maux dont j'étais la proie, et l'op- 
probre où j'étais plongé. En rompant les nœuds 
qui m'attachaient à mon pays, je Tétetidais sur 
toute là terre, et j'en devenais d^autaiit ptûs 
homme eu cessant d^être citoyen. 

J'ai remarqué , dans mes longs voyages, qu'il n^y 
a que Téloignement du terme qui rende le trajet 
difGicile; il ne l'est jamais <f*allef à une joutmëe du 



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tETTBE 11. *3^7 

lieu OÙ l^on est : et pourquoi vouloir faire plus , si 
de journée en journée on peut aller au bout du 
monde? Mais en comparant les- extrêmes on s'effa- 
rou<;he de rintervalle» il semble qu'on doive le 
franchir tout d'un saut; au lieu qu'en le prenant 
par parties on ne lait que des promenades et l'on 
arrive. Les voyageurs, s'environnant toujours de 
leurs usages, de leurs habitudes, de leurs préju- 
gés, de tOQS leurs besoins factices, ont, pour ainsi 
dire, une atmosphère qui les sépare des lieux où 
ils sont comme d'atitant d'Mitres mondes différens 
du leur. Un Français voudrait pdrler avec lui toute 
la France; silèt que quelque chose de ee qu'il avait 
lui manqœ, il compte pour rien les équivaleus, 
et se croit perdu. Toujours comparant ce qu'il 
'trouve à ce qa'il a quitté, il croit être mal quand il 
n'est ^as de la même manière, et ne saurait dor- 
mir aox indes si son lit n'est fait tout comme à 
Paris, 

Pour moi , je snivais la directtoin contraire à l'ob- 
jet que j'avais à fuir , comme autrefois j'avais suivi 
l'opposé de l'ombre dans la forêt de Montmorenci. 
La vitesse que je ne mettais pas à mes courses se 
co>mpensftit'par la ferme résolution de ne point ré- 
trograder. Deux jours ée marche avaient déjà fermé 
' derrière moi la barrière en me laissant le temps de 
réfléchir durant mon retour, si j'eusse été tenté d'y 
songer. Je respirais en mséloigtiant, et je marchais 
plus à mon aise à mesure que j^éohappais au dan- 
l^er. Borné pour tout projet à celui que j'exécutais , 
je suivais la même «ire de vent pour toute règle; je 
marchais tantôt vite et tantôt lentement, selon ma 
commodité, ma santé, mon hvAneur, mes forces. 
Pourvu, non avec moi, mais en moi, de plus de 
reSBOurees que je a'en avais besoin pour vivre, je 



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ô88 ÉMItE Et SOPHIR. 

n*étai8 embarrassé ni de ma voiture ni àe ma sub- 
sistance. Je ne craignais point les voleurs , ma bourse 
et mon passe-port étaient dans mes bras ; naon^ vête- 
ment formait toute ma garde- robe; il était com- 
mode et bon pour un ouvrier; [e le renouvelais sans 
peine à mesure qu'il s'usait. Comme je ne mar^ 
chais ni avec l'appareil ni avec l'inquiétude d'un 
voyageur, je n'excitais ratlenlîon de personne; je 
passais partout pour un homme du pays. Il était 
rare qu'on m'arrélàt sur des frontières; et quand 
celam'arrîvait, peu m'importait; je restais là sans 
impatience, j'y travaillais tout comme ailleurs; j'y 
aurais sans peine passé ma vie si l'on m'y. eût tou- 
jours retenu, et mon peu d'empressement d'aller 
plus loin m'ouvrait enfin tous les passages. L'air 
aflajré et soucieux est toujours suspect, mais un 
homme tranquille inspire delà confiance ; tout le 
m<Mide me laissait libre en voyant qu'on pouvait 
disposer de moi sans me fâcher. 

Quand je ne trouvais pas à travailler de mon 
métier , ce qui était rare , j'en faisais d'autres. Vous 
m'aviez fait acquérir l'instrument universel. Tantôt 
paysan, tantôt artisan, tantôt artiste, quelquefoôs 
même homme à talens, j'avais partout quelque 
connaissance de mise, et je me rendais maître de 
leur usage par mon peut d'empressemeat à les mon- 
trer Un des fruits de mon éducation était d'être 
pris au mot sur ce que je me donnais pour, être, et 
rien de plus, parce que j'étais simple en toute chose, 
et qu'en remplissant un poste je n'en briguais pas 
un autre. Ainsi j'étais toujours à ma place, et Ton 
m^y laiss^'^ lou jours. 

Si je tom bais. malade, accident bi^n rase à un 
homme de mon: tempérament, qui ne fait excès iii 
d'alimeus» ni de soucis, ni dç travail, ni de repos. 



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LETTRE II. 289 

je restais coî, sans me tourmenter de guérir, ni 
m'effrayer de mourir. L'animal malade jeûne, reste 
en place, et guérit ou meurt; je faisais de même, 
et je m'en trouvais bien. Si je me fusse inquiété de 
mon état, si j'eusse importuné les gens de mes 
craintes et de mes plaintes , ils se seraient ennuyés 
de moi , j'eusse inspiré moins d'intérêt et d'empres- 
sement que n'en donnait ma patience. Voyant que 
je n'inquiétais personne , que je ne me lamentais 
point, on me prévenait par des soins qu'on m'eût 
refusés peut-être si je les eusse implorés. 

J'ai cent fois observé que plus on veut exiger des 
autres , plus on les dispose au refus ; ils aiment agir 
librement ; et quand ils font tant que d'être bons , 
ils veulent en avoir tout le mérite. Demander un 
bienfait c'est y acquérir une espèce de droit , l'ac- 
corder est presque un devoir; et l'amour -propre 
aime mieux faire un don gratuit que payer une 
dette. 

Dans ces pèlerinages , qu'on eût blâmés dans le 
monde comme la vie d'un vagabond , parce que je 
ne les faisais pas avec le faste d'un voyageur opu- 
lent, si quelquefois je me demandais. Que fais^je ? 
où vais- je ? quel est mon but? je me répondais, 
Qu'ai-je fait en naissant que commencer un voyage 
qui ne doit fmir qu'à ma mort? je fais ma tâche, 
je reste à ma place, j'use avec innocence et simpli- 
cité cette courte vie ; je fais toujours un grand bien 
par le mal que je ne fais pas parmi mes sembla- 
bles ; je pourvois à mes besoins en pourvoyant aux 
leurs; je les sers sans jamais leur nuire; je leur 
donne l'exemple d'être heureux et bons sans soins 
et sans peine. J'ai répudié mon patrimoine, et je 
vis ; je ne fais rien d'injuste , et je vis ; je ne demande 
point l'aumône , et je vis. Je suis donc utile aux 
II. i3 

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2 KiUILt ET SOPHIE. 

iatitres en proporlion de nia subsistance; car les 
hôrtimts ne donnettt lîeti pour rîen. 

Cotnnie fe n'entreprends pas Thisloire de mes 
tbyageS) je passe tout te qui n'est qu'événement. 
.J*arrive à Marseille : pour suivre toujours la même 
direction je m'embarque pour î^aples : il s'agit de 
payer mx>n passage ; vous y aviez pourvu en me 
Faisant apprendre la manœuvre ; elle n'est pas plus 
idifficiie çur la Méditerranée que sur l'Océan, quel- 
ques mots ^changés en font toute la différence. Je 
me fais matelot. Le capitaine du bâtiment, espèce 
Vie patron renforcé , était un renégat qui s'était ra- 
patrié. Il avait été pris depuis^loi*s parles corsaires, 
fet Aîsaït 8*ètre échappé de leurs mains sans avoir 
été reconmi. Des marchands napolitains lui avaient 
confié tin autre vaisseau ^ et H faisait sa seconde 
coUrse depuis ce rétablissement : il contait sa vie 
à qui voulait l'èUtendre, et savait si bien se faire 
valoir^ qu'eu amusant il donnait de la confiance. 
Ses goûts étaient aussi bizarres qUe ses aventures ; 
SI ne songeait ^u'à diVértir son équipage : il avait 
sur son bord dèUx méchïms pîei-riers qu'il tiraïllaît 
tout le jour ; toute la ttull il tirait des fusées ; on 
n'a jamais Vu patroia de navire aussi gai. 

Toi\r moi , je m'amltsaîs à m^éxèrcer dans la 
marine; et quàtid je n'étais pas de quart, je n'en 
demeurais pas moins à la manœuvre ou au gou- 
vernail. L'attention me tenait lieu d'expérience , . 
et je né tardai pas à juger qfueûous dérivions beau- 
coup à f ouest. Le compas était pourtant an f umb 
convenable; mais îê coitrs du soleil et dés étoiles 
me semhîaîl cbnfrârier si fort sa direction, qu*il 
fatlaït selon moi , que raigUîlte déclinât prodigieu- 
semeiït. Je le dis au Capitaîiie : il battît la cam- 
pagne €n se moquant de moi; et comiae la mtv 

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devint hètite et le temps nébuletsx^ tl ne me fut 
pas possible de irérifier mes ebservortîons. Nous 
eûmes «m vent forcé qui nous |eta eu pleime mer : 
û dora 4eux jours ; le troisième nous aperçûmes 
ia lerre à notre.^ancke. Je demandai au patron ce 
^e c'était, fî me dit , Terre de î'Église. Un ma- 
telot soutint t|ue c^élait la côte de Sardaig^ie ; îl fut 
lioé, et paya de celte façon sa ixienvenue : car, 
quoique vieux matelot , il était nouvellenient sur 
ce bord ainsi que moi. 

Une m'importait guère où que nous fussions; mais 
^e qu'avait dit cet homme ayant ranimé ma curio- 
sité, je me mis à fureter autour de Phabitacle pour 
voirai quelque fer mis là par mégarde ne faisait 
point décfiner raiguille. Quelle fut ma surprise de 
trouver un gros aimant caché dans un coin ! En 
Fêtant de sa place, }e vis l'aiguille en mouvement 
reprendre sa direction. Dans le même instant quel* 
qu'un cria, Voile. Le patron regarda avec sa lu- 
nette, et dit que c'était un petit bâtiment français. 
Ckimme il avait le cap sur nous et que nous ne 
Vévitions pas, il ne tarda pas d'être à pleine vue , 
et chacun vit alors que c'était une voile barbares- 
que. Trois marchands napolitains que nous avions 
'àlK)rdavec tout leur bien poussèrent des cris jus- 
^qu'au ciel. L'énigme alors me devînt claire. Je 
m'approchai du patron , et lui dis à l'oreille : Pa- 
tron , si ixbus sommes pris , tu es m,ort ; compte 
'ià-dessus. J'avais paru si peu ému et je lui tins ce 
'discours d'un ton si posé, qu'il ne s'en alarma guère, 
et feignit même de ne Tavoir pas entendu. 

il donna quelques ordres pour la défense ; mais 
îl ne se trouva pas une arme en élat^ et nous avions 
tarit brûlé de poudre, que, quand on voulut char- 
ger les pierriers, à peine en resta- 1- il pour deux 

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2Q^ EMILE ET SOPHIE. 

coups. Elle nous eût même été fort inutile ; sitôt 
que nous fûmes à portée , au lieu de daigner tirer 
sur nous, on nous cria d'amener, et nous fûmes 
abordés presque au même instant. Jusqu'alors le 
patron, sans en faire semblant, m'observait avec 
quelque défiance; mais sitôt qu'il vit les corsaires 
dans notre bord, il cessa de faire attention à moi et 
s'avança vers eux sans précaution. En ce momeot 
je mecrusiuge, exécuteur , pour venger mes com- 
pagnons d'esclavage, en purgeant le genre humain 
d'un traître et la mer d'un de ces monstres. Je cou- 
rus à lui; et lui criant, Je te Vai promis, je te 
tiens parole, d'un sabre dont je m'étais saisi je lui 
fis voler la tête. A l'instant, voyant le chef des Bar- 
baresques venir impétueusement àmoi, je l'attendis 
de pied ferme, et lui présentant le sabre parla 
poignée : Tien* > ^pitaine, lui dis-je en langue 
franque, je viens de faire justice ; tu peux la 
faire à ton tour. Il prit le s^bre, il le leva sur ma 
tête ; j'attendis le coup en silence : il sourit , |et 
me tendant la main, il défendit qu'on me mit aux 
fers avec les autres; mais il ne me parla point de 
l'expédition qu'il m'avait vu faire , ce qui me con- 
firma qu'il en savait assez la raison. Cette distinc- 
tion au reste ne dura que Jusqu'au port d'Alger, 
et nous fûmes envoyés au bagne en débarquant, 
couplés eomme des chiens de chasse. 

Jusqu'alors, attentif à tout ce que je voyais, je 
m'occupais peu de moi. Mais enfin la première 
agitation cessée me laissa réfléchir sur mon chan- 
gement d'état, et le sentiment qui m'occupait ei^- 
core dans toute sa force me fit dire en moi-même 
avec une. sorte de salîsf.içtion : Que m'ôtera cet 
éyénemeiit? Le pouvoir de faire une sottise. Je 
suis plus libre qu'auparavant. JÈniile esclave ! repre- 



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n^is-je. Ëh ! dans quel sens ? Qu'ai- je perdu de ma 
liberté primitive ? Ne naqnis-je pas esclave de la 
nécessité ? Quel nouveau joug peuvent m'imposer 
les hommes ? le travail ? ne travaillais- je pas quand 
j'étais libre ? La faim ? combien de fois je l'ai souf- 
ferte volontairement ! La douleur ? toutes les forces 
humaines ne m'en donneront pas plus que ne m'en 
fit sentir un grain de sable. La contrainte? sera- 
t-elle plus rude que celle de mes premiers fers '•* et 
je n^en voulais pas sortir. Soumis par ma naissance 
aux passions humaines 9 que leur joug me soit im-* 
posé par un a«tre ou par moi , ne faut-il pas tou- 
jours le porter? et qui sait de quelle part il me 
sera plus supportable ? J'aurai du moins toute ma 
raison pour les mudérer dans un autre : combien 
de fois ne m'a-t-elle pas abandonné dans les mien- 
nes ! Qui pourra me faire porter deux chaînes ? 
N'en portais -je pas une auparavant? Il n'y a de 
servitu'de réelle que celle de la nature ; les hommes 
n'en sont que les înstrumens. Qu'un maître m'as- 
somme ou qu'un rocher m'écrase , c'est le mémo 
événement à mes yevix, et tout ce qui peut m'ar- 
river de pis dans l'esclavage est de ne pas plus flé- 
chir un tyran qu'un caillou. Enfin, si j'avais ma 
liberté, qu'en ferais-je? Dans l'état où je suis que 
puis -je vouloir? Eh I pour ne pas tomber dans 
Tanéantissemcnt , j'ai besoin d'être animé par la 
volonté d'un autre au défaut de la mienne. 

Je tirai de ces réflexions la conséquence que mon 
changement d'état était plus apparent que réel; que 
si la liberté consistait à faire ce qu'on veut, nul 
homme ne serait libre; que tous sont faibles, dé- 
pendans des choses, de la dure nécessité ; que celui 
qui sait le mieux vouloir tout ce qu'elle ordonne 



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294 iMiiB Ev 8orBi;;« 

est le plUB libre , pmsqn'il n'esl jamais forcé ie 

faire ce qu'il ne veut pas, 

Oui, mcn père , je puis le dire, le temps de ma 
servitude fut celui de mon règne 5 et jamais je n'eus 
tant d'autorité sur moi que quand je portai tes fers 
des Barbares. Soumis à leurs passions saas les par- 
tager , j'appris à n^ieux comMÎtre les micBiies. 
Leurs écarts furent pour moi des instrucliens plus 
vives que n'avaient été vos leçons 5 et je fis sous 
ces rudes maîtres un cours de philosophie encore 
plus utile que celui que j'avais fait près de vous. * 

Je n'éprouvai pas pourtant dans leur servitude 
toutes les rigueurs que j'en attendais. J'essuyai de 
mauvabtrailemens, mais moins peut-être qa'il»n'en 
eussent essuyé parmi nous , et je connus (fae ce» 
noms de Maures et de pirates portaient avec eux des 
préjugés dont je nena'étais pas assez défendu. Ils ne 
sont pas pitoyables , mais ils sont justes ; et s'il faut 
n'attendre d'eux ni douceur ni clémence, on n'en doit 
craindre non plus ni cajurice ni méchanceté. Ils veu- 
lent q^'on fasse ce qu'on peut faire, mais ils n'exigent 
rien de plus, et, dans leurs cbÀtimens , ils ne pxj^ 
nissent jamais l'impuissance , mais seulenaent la 
mauvaise volonté. Les nègres seraient trop heureux 
on Amérique si l'Européen les traitait avec la même 
équité : mais comme il ne voit dans ces malheit- 
reux que des instrumens de travail , sa conduite 
envers eux dépend uniquement de Futilité qu'il en 
tire ; il mesure sa justice sur son profit. 

Je changeai plusieurs fois de patron : l'on appe- 
lait cela me vendre , comme si jamais on pouvait 
vendre un homme I On vendait le travail de mes 
mains; mais ma vc4onté, mon entendement, mon 
être, tout ce par quoi j'étais moi et non pas un autre , 
ne se vendait assurément pas ; et la preuve de cela est 

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que la piemière fois que je vauUis }e cai^Uflire de 
ce que voulait mou préteudu maître, ce fut moi 
qui fus leTaiu^eur. Cet évépemeùt mérite d'élre 
raconté. 

J fus d'abord assez doucemenl traité ; l'ou CQmp* 
tait sur mou rachat, et je vécus plusieurs mois 
daus une inaction qui m'eût ennuyé si je pouvaif 
connaître i'cB nui. Mais enfin, voyant que je n'in- 
triguais point auprès des consuls européens et des 
moines, que personne ne parlait de ma rançon et 
. que je ne paraissais pas y songer moi-même , ou 
voulut tirer parti dç uioi de quelque manière, et l'on 
me fit traraiHer. Ce changement ne me surprit ni n^ 
me fâcha. Je craignais peu les travaux pénibles, 
mais j'en aimais mieux de plus amusans. Je trou- 
vai le moyen d'entrer dans un atelier dont le maîlre 
ne tarda pan à comprendre que j'étais le sien dans 
fon métier. Ce tvavail devenant plus lucratif pour 
mon patron que celuî qu'il me faisait faire , il 
m'établit pour son compte, et s'en trouva bien. 

J'avais vu disperser tous mçs anciens camarade 
du bagne ; ceux qui pouvaient être rachetés l'avai^nl 
été; ceux qui ne pouvaient l'être avaient eisi le 
même sort que moi; mais tous n'y s^yai^nt p4s 
trouvé le même ailoueiasemçnt. Deux chevaliers 
dé Malte entre autres avait été délaissés. I^^^rs fa- 
milles étaient pauvres, la religio<^ nie raebète point; 
s^s captifs; et les pères ^ ne pouvant racheter tout 
le monde, donnaient,, ainsi que les consuls, unit 
préférence fort natmrelle, et qui n'est pas inique , k 
ceux dont la recœmajssànce Leur pouvait être plu^ 
utile. Ces d^ux chevaliers, l'un jeune et l'autre 
vieux , étaient instruits et no m;mquaient p^ de 
loérit^; mais^çe mérite était p^?dii dans leur situar 
tion présente* Ils ss^vai^nt le génk, la tactique, I^ 



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agô iuiL% ET,SOPBIE. 

latin, les belles-lettres. Ils avaient des talens pour 
briller 9 pour commander , qui n'étaient pas d'une 
grande ressource à des esclaves. Pour surcroit ils 
portaient fort impatienunent leurs fers ; et la pbi- 
losophie, don Mis se piquaient extrêmement, n'avait 
point appris à ces fiers gentilshommes à servir de 
bonne grâce des pieds-plats et des bandits, car ils 
n'appelaient pas autrement leurs maîtres. Je plai- 
gnais ces deux pauvres gens ; ayant renoncé par leur 
noblesse à leur état d'hommes, à Alger ils n'étalent 
plus rien : même ils étaient moins que rien; car, 
parmi les corsaires , un corsaire ennemi fait esclave 
ept fort au-dessus du néant. Je ne pus servjrle vieux 
que de mes conseils, qui lui étaient superflus , car , 
plus savant que moi , du moins de cette science 
qui s'étale, il savait à fond toute la morale, et ses 
préceptes lui étaient très-familiers ; il n'y avait que 
la pratique qui lui manquât , et l'on ne saurait 
porter de plus mauvaise grâce le joug de la néces- 
sité. Le jeune, encore plus impatient, mais ardent, 
actif, intrépide, se perdait en projets de révoltes 
et de conspirations impossibles à exécuter, et qui 
toujours découverts ne faisaient qu'aggraver sa mi- 
sère. Je tentai de l'exciter à s'évertuer, à mon 
exemple, et à tirer parti de ses bras pour rendre 
son état plus supportable , mais il niéprisa mes 
conseils et me dit fièrement qu'il savait mourir. 
Monsieur , lui dis- je , il vaudrait encore mieux sa- 
voir vivre. Je parvins pourtant à lui procurer quel- 
ques soulagemens, qu'il reçut de bonne grâce et 
en âme noble et sensible , mais qui ne lui firent 
pas goûter mes vues. Il continua ses trames pour 
se procurer la liberté par un coup hardi : mais son 
esprit remuant lassa la patience de son maitre qui 
était le mien : cet homme se défit de lui et de moi ; 



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nos liaisons lui avaient paru suspectes, et il crut 
que j'employais à l'aider dans ses manioeuvres les 
entretiens par lesquels je tàchais^de l'en détourner. 
Nous fûmes vendus à un entrepreneur d'ouvrages 
publics, et condamnés à travailler sous les ordres 
d'un, surveillant barbare ^ esclave comme nous, 
mais qui , pour se faire valoir à son maître , nous 
accablait de plus de travaux que la force humaine 
n'en pouvait porter. 

Les premiers jours ne furent pour moi que des 
jeux* Comme on nous partageait également le tra* 
vail et que j'étais plus robuste et plus ingambe que 
tous mes camarades, j'avais fait ma tâche avant 
eux, après quoi j'aidais les plus faibles et les aller 
geais d'uiie partie de la leur. Mais notre piqueur, 
ayant remarqué* ma diligence et la supériorité de ^ 
mes forces , m'empêcha de les em^oyer pour d'au^ 
très en doublant ma tâche, et, toujours augmen* 
tant par degrés, fmit par me surcharger à tel poini 
et de travail et de coups, que, malgré ma vigueur, 
j'étais menacé de succomber bientôt sous le faix : 
tous mes compagnons, tant forts que faibles /mat 
nourris et plus maltraités, dépérissaient sous Tex* 
çès du travail. 

Cet état devenant tout-à-fait insupportable, je 
résolus de m'en délivrer à tout risque. Mon jeune 
chevalier, à qui je communiquai ma résolution, la 
partagea vivement. Je le connaissais homme dé 
courage , capable de constance , pourvu qu'il fût 
sous les yeux des hommes ; et. dès qu'il s'agissait 
d'actes briilans et de vertus héroïques, je me tenais 
sûr de lui. Mes ressources néanmoins étaient toutes 
en moi-même ,*et je n'avais besoin du concours de 
personne pour exécuter mon projet ; mais il était 
Vrai qu'il pouvait avoir un effet beaucoup plus 



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39^ jIbIUB KV ftOFHlE. 

aTAnUgem 9 exéeuté de oonecapt ^av nieft ccuppa- 
gnon» d« mitèie ^ et |e résoins de le leur pj^oposiér 
conîûiiiteaie«t avec le eheYalier. 

J*eos peine à eblenit de lui qi^e ceite proposUionr 
se ferait eîmplement et sans intrîguesr préliminalree. 
Nous prîmes le temps du repas , où nous étions 
phis rassemblés et moiiis surveillés^ Je m'adressai 
d'abord dans ma langue ^U9a douzaine de com- 
patriotes que j'avais là 9 ne voulant pas leur parler 
en langue fraaipie de peur d'être entendu des gens 
du pays. Camarades^ leur dis-fe , éeo«i(ea-moû Ce; 
qai tôt reste de force »e peirt suffire h quinae >our& 
eneom é/a tvavail dont on me surokarge, el ie sui» 
un des plus robustes de la troupe : il faut qu'une 
sUualio» si violente prenne une proisq>le fin » aoit 
par un ^mîseokenl tota&, soit par une résolution 
qui le prérienne» Je ehoiais le den»iQr pantî , et ie> 
inie déÉcrmiaé à me refuser dès demal» à to^i 
travail, au i^ril dettia vie etde tous les t^iteansna 
que doit m'altiner ce refus. Moci cboH est une 
affaire 4e ealcid. Si \e reste comme }» snw, il faut . 
périr inlkyUfokmenl en très- peu de temp» et san^ 
aueune ressource : je m'eà ménage vm^ par oe sar* 
crificede peu de jours. Le parti que Je prendapeut 
effra^et neire inspeeteur et éclairer son maître sur 
^on Writable intérêt Si œla n'arrive pat, mon sorty 
^eiqueaceéléffé) ne saurait être empiré. Celte res-^ 
source serait tardive et nulle cpsaiHl mcm- eorpa 
épuisé ne serait plus oa^ble d^aueus travail; aWa, 
en me ménageant, ils n'auraient rien à gagner, 
en i&'ackevant, ik ne feraient qu'éptargner. ma 
nourriture. H me convient deno de ehcdsôr le mo" 
ment où ma perte en est encore unç pour eux. Si 
quelqu'un d^entre vous trouve nves raisonsr bonnes, 
et veut^ à l'exemple de cet homme de courage, 



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praidre le mène parti qge mm y n«tare nombre 
fera plus d'effet «t rendra nés tyrans plii& traîtableft ; 
mai» fiMskuis-nous seul?, loi et moi, non» u*ea 
sommes pas moîas résalus à persister dw»s nôtres 
refus , et Deus vous proiioa» tous à UaM>îii de la 
iaoçim dont il sera soutenu. 

Ce diiscoiws sio^e et sTonplemeat prononeé fat 
écouté sans b^aiconp d'émotioa. Quatre ou eincf 
de la troupe me dirent cependant de compter sur 
eux f et (pi'iU feraient comme mel. Les autres ne 
dirent met, et tout resta calme. Le ohevidier , mé«< 
content de cette tranquillité , parla aux siens danc 
sa langue avec plus de véhémence. Leur nooihre 
était grand : il leur fit à haute voiiE des ^soripttone 
animées de Pétat où nous étions réduits et de la 
erucmté de nos bourreaux; il excita leur indigna- 
tion par la pmnture de notre avilissement, et leur^ 
ardeur par TespoîT de la vengeance; enfin ^ en* 
flamma tellen^nt leur courage par Tadmiration dé 
la force d'âme qui sait braver les tourmen» et qaâ 
• triomphe de la puîssanee même , qu'il» l'interrom- 
pirent par des cris, et tous jurèrent de nous imiter 
et d'être inébranlables jusqu'à la mort. 

Le lendemain , sur notre refus de travaîUer, nows 
faunes, comme nous nous y étions^s^lendti9,tirëS'« 
maltraité» les ims et les autres, inutHement toutes 
fois quant à nous deux et à mes trois <ni <|ivatrd 
compagnons de la veille, à qui nés botivreaux n^ai^o 
rachèrent pas même un seiîl cri. liais Tcenvre du 
chevalier ne fini pas si bien. La constemce ée sea 
bomUans compatrioteafutépnisée en quelques mi^ 
mîtes; et btentét, à eotip» de nerf de bœ^, oo lef 
ramena tous au travail, doux comme des agneaux. 
Outré de cette lâcheté, le chevalier, tandis cpi'on 
Ve t«urmeiitait lui«a»êmie ; k» chargeait de repro^ 

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SoCf ÉMILC Eï SOPBIE. 

ches et d'injures qu'ils n'écoutaient pas. Je tâchai 
de l'apaiser sur une désertion que j'avais prévue et 
que je lui avais prédite. Je savais que les eflTets de 
Féloquence sont vifs, mais momentanés. Les hom-^ 
mes qui se laissent si facilement émouvoir se cal- 
ment avec la même facilité. Un raisonnement froid 
et fort ne fait point d'effervescence ; mais quand il 
prend, il pénètre y et l'effet qu'il produit ne s'effac^ 
plus. 

La faiblesse de ces pauvres gens en produisit up 
autre auquel je ne m'étais pas attendu 5 et que j'at- 
tribue à une rivalité nationale plus qu'à l'exemplQ 
de notre fermeté. Ceux de mes cotnpatriotes qui 
ne m'avaient point imité , les voyant revenir au 
travail, les huèrent, le quittèrent à leur tour, et, 
comme pour insulter à leur couardise , vinrent se 
ranger autour de moi : cet exemple en entraîna 
d'autres; et bientôt la révolte devint si générale, 
que le maître, attiré par le bruit et les cria, vînt 
lui-même pour y mettre ordre. 

Vous comprenez ce que notre inspecteur put lui 
dire pour s'excuser et poiir l'irriter contré nous. Il 
ne manqua pas de me désigner comme l'auteur 
de l'émeute , çonvme un chef de mutins qui cher- 
chait à se faire craindre par le trouble qu'il voulait 
exciter. Le maître me regarda et me dit : C'est donc 
toi qui débauches mes esclaves ? Tu viens d'enten- 
dre l'accusation : si ta as quelque chose à répondre, 
parle. Je fus frappé de cette modération dans le 
premier emportement d'un homnie âpre au gain , 
menacé de sa ruine , dans un moment où tout maî- 
tre européen , touché jusqu'au vif par son intérêt , 
eût commencé, sans vouloir m'entendre, par me 
condamner à mille tourmens. Patron , lui dis-je en 
langue franquç, tu ne peux nous haïr, tu ne uou^ 

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LETTRE II. Soi 

connais pas même ; nous ne te haïssons pas non 
plus , tu n'es pas l'auteur de nos maux, tu les igno- 
res. Nous savons porter le joug de la nécessité qui 
nous a soumis à toi. Nous ne refusons point d'em- 
ployer nos forces pour ton service , puisque le sort 
nous y condamne ; mais en les excédant ton esclave 
nous les ôle et va le ruiner par notre perte. Crois- 
moi , transporte à un homme plus sage l'autorité 
dont il abuse à ton préjudice. Mieux distribué, ton 
ouvrage ne se fera pas moins, et tu conserveras des 
esclaves laborieux dont tu tireras avec le temps un 
profit beaucoup plus grand que celui qu'il te veut 
procurer en nous accablant. Nos plaintes sont j usâ- 
tes , nos demandes sont modérées. Si tu ne les 
écoutes pas, notre parti est pris : ton homme vient 
d'en faire l'épreuve ; tu peux la faire à ton tour. 

Je me tus. Le piqueur voulut répliquer : le 
patron lui imposa silence. Il parcourut des yeux 
mes camarades, dont le teint hâve et la maigreur 
attestaient la vérité de mes plaintes , mais dont la 
contenance au surplus n'annonçait point du tout 
des gens intimidés. Ensuite , m'ayant considéré 
derechef: Tu parais, dit-il, un homme sensé; je 
veux savoir ce qui en est. Tu tances la conduite de 
cet esclave ; voyons la tienne à sa place ; je te la 
donne et le mets à la tienne. Aussitôt il ordonna 
qu'on m'ôtât mes fers et qu'on les mît à notre chef; 
cela fut fait à l'instant. 

Je n'ai paà besoin de vous dire comment je me 
/conduisis dans ce nouveau poste, et ce n'est pas 
dç cela qu'il s'agit ïcu Mon aventure fit du bruit, 
le spip qu'il prit de la répandre fit nouvelle dans 
Alger : le dey même entendit parler. de moi et vou- 
lut me voir. Mon patron m'ayant conduit à lui, 
et voyant qu^ je lui plaisais 5 lu| fit présent de ma 

. DigttizedbyC^OOQlC 



5a2 iHllE fiT 0O^HIK. tETTBE II. 

personne. YoUà votre Émtle esdaTe du dey d^Alçer. 

Les règles sur lenju^iles f *avais à ne oonduîre 
dans oe nouveau poste décooMent ^4e princifres 
^tti ne m'étaient pas inconnus : nous lesavkms dis- 
cutés durant mes voyages ; «1 leur appiîcalioa 9 
bien qu'imparfaite et très eu petit, «Umis le tms^yà 
je me trouvais , était sàre et iniailliijie dam 9^ 
efiets. Je ne vous entretiendrai pas de ots menus 
détails , oe n'est pas de ^ela qu'il s'agit entre vous 
et moi. Mes succès m'attirèveot la eoiiiîdératloo 4e 
mon patron. 

Assem Oglon >était parvenu à la supi^èii^ puis- 
sance par la roote la plus lionorable qui puisse f 
conduire; car, desimpie matelot, passant par 4ous 
les grades de la marine et de la milice , il s'était 
sucoeasivement élevé aux premières plaoes de l'état, 
€ft, après la mort de son prédécesseur, il fut 'élu 
pour lui succéder par les suffrages unanimes deft 
Turcs «t des Maures, des gens de guerre et des 
l^ens de loi. Il y avait 4louze ans qu'il remplissait 
Avec 4ioittcuT ee poste •difficile, ayant à gouverne^ 
vn peuple «ndocile ^t battre , tme soldatesque 
nquièteietuantine, avide de désordre et detroulde, 
^i, 'oe sachant ce qu'elle désirait etle-tnéme, ne 
voûtait que remuer, et se souciait peu quelesehoses 
4iiUasse«t mieux pourvu qu^les.aHasisent autre- 
meut. 6in ne pouvait pas se plaindre de son admi- 
nistration , quoiqu'elle ne -réponde pas à l'espé^ 
rance ^*oii en avait conçue. Il avait maintenu sa 
«tâfonee asseï: tranquille : tout était en meilleur 
•état quîauparavast, le commerce et l'agrioukure 
•iliM0it èicn , la marine lêtait en vigueur, ie peuple 
«vaÂt du pain. Mns on «'avait potot: de oesf opéirti- 
tiotis éclatantes. . ... 

"TIN 9*iuihx St SO^HIC. 

% 

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Notice. 5o5 

I <p 1^ ■■ ■ ■ Il 

Voici le dénoûmenl d*Émile, tel qu'il a été trans- 
mis par M. Prévôt de Genève (*). 

« Dénôûinem d'Émiie. Vne «uite d'événemens 
amène Emile dans une île déserte. Il trouve sur le 
rivage un temple orné de fleurs et de fruits déli- 
cieux. Chaque jour il le visite, et ckaque jour ii 
ie trouve embelli. iSophie en e6t la >pr6tTei»e« Emile 
Tignore. "Quels événemens ont pu Tattirer en ce» 
lieux P les suites de sa faute et des ^actions qui Tefia* 
cent. Sophie enfin se fait œnnaitre, Emile apprend 
le tissu ^e fraudes et de violences sous lequel eUe a 
succombé. Maïs indigne désorniais d'être sa com'- 
pagtie , elle veut 'être son eisclavo et servir sa propre 
rivale. Ccîle-d est UBfe jeune personne «que d'autres 
évétocmeïis unissent au sort des deux anciens épcmx. 
dette i-h^ale épouse Emile; ^phie assiste à la noce. 
£afin, après quelques jours donnés à ramertunie 
du repentir et aux tourmens d'une ^douleur tou- 
jours renaissante , et d'autant plus vive que Sophie 
se Tait un devoir et un point d%onneur de la dis- 
simuler; Emile et la rivale de Sopbie avouent qioe 
lerur mariage ti'est qu'une feinte. Cette pi^tendue 
tivâle avaît un autre^potix qu*on pi*ése«*e^ Sophie, 
et Sojf)hie retrouve le sien qui, non^seuleinent lui 
pardotme une fairte itrvôlontaire e*piéé par les 
plus crtidles peiwes, et réparées parle rep^nlir, 
mais qui e^thne tt honore en elle des v^ttusikHit 
il n^avait qu^une fâîblé idée avant Tju'eiies -eussent 
trouvé Poccasion de îe développer dans toute $on 
étendue. « 
* ' ' ■ ' * .■■11.1,111 i l II I I I ^ 

(*) Archù'es littérairfin 4eM£Uu'Qpe , 4804. 

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364. rBOJBT POVK 1,'éDCCATIOIf 

PROJET POUR L'ÉDUCATION 

DE 

M. DE SAINTE-MARIE (*). 

Vous m'avez fait Thonneur, monsieur, de me 
confier l'instruction de messieurs vos enfans : c'est 
à moi d'y répondre par tous mes soins et par toute 
rétendue des lumières que je puis avoir; et j'ai 
cru que , pour cela , mon premier objet devait être 
de bien connaître les sujets auxquels j'aurai affaire. 
C'est à quoi j'ai principalement employé le temps 
qu'il y a que j'ai l'honneur d'être dans votre mair 
8on ; et je crois d'être suffisamment au fait à cet 
^ard , pour pouvoir régler là - des9us le plan de 
leur éducation. Il n'est pas nécessaire que je vous 
fasse compliment , monsieur , sur ce que j'y ai re- 
marqué d'avantageux; l'affection que j'ai conçue 
pour eux se déclarera par des marques plus solides 
que des louanges, et ce n'est pas un père aussi 
tendre et aussi éclairé que vous l'êtes , qu'il faut 
instruire des belles qualités de ses enfans. 

Il me reste à présent , mpnsieur , d'être éclaîrci 
par vous-mênie des vues particulières que vous 
pouvez avoir sur chacun d'eux , du degré d'auto- 
rité que vous êtes daps le dessein de m'accorder 
à leur égard, et des bornes que vous donnerez à 
mes droits pour les récompenses et les châtimeus. 

(*) Compose en 1738 : c^est - à - dire , douze ans ayant 
Tépoque où Fauteur sortit de robscurité , et plus de vingt 
années avant la publication d!Emile. On a cru devoir Pajou' 
ter k cet ouvrage , plus encore comme pièce de compa- 
raison , que par l'analogie du ^ujet. 

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DE M. DE SAINTB-MABïE. 5o5 

. Il est probable , motisieur , que , m'ayant fait la 
faveur de m'agréer dans votre maison avec un 
appoiutement honorable et des distinctions ilat-* 
teuses 5 vous ayez attendu de nu)! des effets qui 
répondissent à des conditions si avantageuses; et 
l'on voit bien qu'il ne fallait jpas tant de frais ni de 
façons pour donner à messieurs vos enfans un pré- 
cepteur ordinaire qui leur apprit le rudiment , 
l'orthographe et le catéchisme : je me promets, 
bien aussi de justifier de tout mon pouvoir les es- 
pérances favorables que vous avez pu concevoir 
sur nK>n compte; et, tout plein d'ailleurs de fautes 
et de faiblesses, vous ne me trouverez jamais à me 
démentir un instant ^ur le zèle et rattachement 
que je dois à mes élèves. 

Mais , monsieur , quelques soins et quelques 
peines ,que je puisse prendre , le succès est bien 
éloigné de dépendre de moi seul. C'est l'harmonie^ 
parÊEiite qui doit régner entre nous , la confiance 
que vous daignerez m'accorder, et l'autorité que 
vous me donnerez sur mes élèves qui décidera de 
l'effet de mon travail. Je crois, monsieur, qu'il 
vous est tout manifeste qu'un homme qui n'a sur 
des enfans des droits de nulle espèce , soit pour 
rendre ses instructions aimables , soit pour leur 
donner du poids, ne prendra jamais d'ascendant^ 
sur des esprits qui , dans le fond , quelque pré-^ 
coces qu'on les veuille supposer , règlent toujours, 
à certain âge , les trois quarts de leurs opérations 
sur les impressions des sens. Vous sentez aussi qu'un 
maître obligé de porter ses plaintes sur toutes les 
fautes d'un enfant se gardera bien , quand il le 
pourrait avec bienséance , de se rendre insuppor- 
table en renouvelant sans cesse de vaines lamen- 
tations ; et , d'ailleurs , mille petites occasions 
.11. ■ * i3 

r 

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5o(5 PROJET POVft h'à^VCJ^tlOïï 

décl9ÎTes ée faire une eotrcction y ou de flatter à 
propos, s'échappeiit dan^ Tabseace it*im.père et 
d'une mère 5 ou dait) de$ mottiéns oà il serait mes* 
séa^t de les interrompre aussi désagréablement^ 
et l'on n'est plas à temps d'y revenir daiïs un autre 
instant, où le changement des idées d'un enfant 
lui rendi*ait pernicieux ce qui aurait été saluta'ire : 
enfin utl enfant qui ne tarde pas à s'apereevo^ 
de l'impuissanee d'un maître à sdn égard efif pre^ 
oeeasion de tsArt peu de cas de ses défenses et de 
ses préceptes, et de détruire sans retour Taseen* 
jdant que l'antre s'efforçait de prendre. Vous ne 
devez pas croire, monsieur, qu'en parlant sur ce 
tbn-là je souhaite de me procurer le droit de mal- 
traiter messieurs v.:s enfans par des coups ; je me 
suis toujours déclaré cùtxtre cette niéthode : rien ne 
me paraîtrait plus triste pour M. de Sahue-Marit 
que s'il ne restait que cette voie de le réduitxî; et 
j'ose me promettre d^obtenir désormais de lui tout 
ce qu'on aura lieu d'en exiger^ fyar à^s voies lï^ohvs 
dures et plus convenables , si vous goùte2 le plan 
que j'ai l'honneur de vous proposer. D'ailleurs , à 
parler franchement , si vom pensez , monsieur y 
qu'il y eût de l'ignominie à monsieur yfùtte fUs 
d'être fi-appé par des mains étrangères, je trouve 
aussi de mon côté qu'un honnête homme ne sau- 
rait ^uère mettre les siennes à un usage pli!is hoi>- 
teux que de les employer à maltraiter un enfant : 
mais , à l'égard de M. de Sainte - Marie , il ne 
manque pas de voies de le châtier dans le besoin , 
par des mortifications qui lui feraient encore plus 
d'impression , et qui produiraient de meilleurs 
effets; car , dans im esprit aussi vif que le sien ^ 
ridée des coups s'elfacera aussitôt que la doulettr^ 
tandis que celle d'un mépris marqué , ou d*uae 



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fwiv«4ioii sensible , y liçi&teça be4W€OUS^ plus Iw f- 
tempg. 

Uo maître doit être craM; il f*at po»» edla qii^ 
rélève seît bien coovatacu q^i'^ est €n droit dç 1^ 
punir : mois ii doit surtout élro aito^ 5 et quel moyen 
a un gouverneur de se £aijpe aîniçr d'un ejafgnt à 
qui il n'a jamais à proposer que des ecçupation^ 
eontrairos à son goiàt , si d'aiUeurs il n'a le pouvoir 
de lui aocorder certaines petites douceurs 4e dé- 
tail qui ne coûlenl presque ni dép^n«e^ ni perte 
de tempf » et qui nb lai^e^ pas, é^a^t vaifl^tées 
à propos , d'être exti^memen^ sei^ililes À un en- 
fant 9 et de raitaeber beaucoup à soti maître. P J^'s^ 
^uîer^ peu sur oçt article, parc^ 4|U'ui> fère p^^ 
sans îiiéonvénicnt , se conserver le éf(^ exeluwf 
d'aoeorder des grâces à son fils , pourvu qu'fl y 
apporté les fféeautions «w^anb^^ nécessaires mr 
loiut à M. .dfrS)««9*e- Marte, éml la vivacité eft le 
piVtehant ù la dissipati^ tUsmandést pltis de d^ 
pendanee. i *" Avftnt ;que de Uiiiake ijpie}e^e eadea^ 
sarek secrète ment du gouverneur slla iieu d'élr^ 
satt»fak de la cettduîtfe de l'enfant. â° Bëclarer a^i 
ieune honmie que>, quand il a qi:»k(Ufe grâce à 
deoftOiàder, ilidoU lé- faire ^ar la béubshe de soii 
^cmvfâ;nelH* , e| qnisl, s!il lui amlve de la éiùnnnh- 
4i^'de/k)n;iih<^fyCek sefd suffira ^pouri'eneieeLiMre. 
^* Psetidre .daià)0fcslafi«iii de nq^nOàher q^qui;feiB 
au goutéraeuT cpir'il eat trof^ bon, fme son tvop de 
facilita niûra 9m {hto^s éc «on éâève , et ^pue c'eset 
à sa prudence à lui de corriger ee «pii manque k 
Ja modjératioQ d'^Mi enfai\U 4^ Que si Je nïaâtre 
croit aiioirqueliq me raison de s'opposer ik quek|ue 
fadféav qu'cini 'Voudrait iainS' à scoo jélèvc , refuser 
abiBoluèscent de lé lur aïoecHrder ^jusqu'à ee iqti'vt aJA 
troavé le moyen de fi^hir ^on piKÎeepteur^ Am reste 



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So8 PROJET POira l'ÉDUCATION 

ÎL ne sera point du tout nécessaire d'expliquer au 
jeune enfant, dans roccasion, qu'on lui accorde 
quelque faveur précisément parce qu*ii a bien fait 
son devoir ; mais il vaut mieux quUl conçoive que 
les plaisirs et les douceurs sont les suites naturelles 
de la sagesse et de ta bonne conduite , que s'il les 
Teg;ardait comme d^^s récompenses arbitraires qui 
peuvent dépendre du caprice , et qui , dans le fond, 
ne doivent jamais être proposées pour l'objet et le 
prix de l'étude et de la vertu. 
• Yoilà tout au moins , monsieur , les droits que 
vous devez m'aceorder sur monsieur votre 61s, si 
vous souhaitez de lui donner une beureuse éduca- 
tion , et qui réponde aux belles qualités qu'il mon- 
tre à bien des égards^ mais qui actuellement sont 
offusquées par beaucoup de mauvais plis qui de- 
mandent d'être corrigés à bonne heure, et avant 
que le temps ait rendu la chose impossible. Cela est 
si vrai , qu'il s'en faudra beaucoup , par exemplç , 
que tant de précautions ne soient nécessaii-es envers 
M. de CondîHac ; il a autant besoin d'être poussé 
que Paulre d'être retenu-^ et je saurai bien prendre 
de moi-mênàe tout l'ascendant dont j'aurai besoin 
sur lui : mais pour M. ^ de Saii^te-Marie , c'est un 
coup départie pour son éducation , que de lui donner 
xine bride (](u'il sente, et qui soil> capable de le re- 
tenir; et, dans l'état où sont les choses , les senli- 
xnens que vous souhaitez, monsieur^ qu'il ait sur 
mon con^pte, dépendent beaucoup plus 'de vous 
4jue de moi-même. , ; .• î 

Je suppose tou joursy monsieur!, que vous n'au- 
riez gardé de confier l'éducation de messieurs vos 
enfans à un homme .que vous ne croiriez pas digne 
de votre estime; et ne pensez point,' je vous prie , 
que ;.par le parti que j'ai pris de m'attacher sans 



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DE M. DE SAlKTE-IlUkElE. 5o^ 

réserve à votre maison dans une occasion déHcale ^ 
f aie prétendu vous engager vous-même en aucun0 
manière. Il y a bien de la différence entre nou^ : en 
faisant mon devoir autant que vous m'en laisserez 
la liberté , je ne suis responsable de rien ; et ^ dans 
le fond 9 comme vous êtes, monsieur 9 le maître el 
le supérieur naturel de vos enfans» je ne suis pas 
en teit de vouloir , à Tégard de leur éducation , 
fqrc^f votre goût de se rapporter au mien : ainsi « 
après vous avoir fait les représentations qui m'ont 
paru nécessaires , s'il arrivait que vous n'en ju- 
geassiez pas de même 9 ma conscience serait quitte 
à cet égards et il ne me resterait qu'à me conformet 
à votre volonté. Mais pour vous, monsieur, nulle 
considération bumaine ne peut balancer ce que 
vous devez aux mœurs et à l'éducation de messieurs 
vos enfans; et je ne trouverais nullemeni mauvais 
qu'après m 'avoir découvert des défauts que vous 
n'auriez peut-être pas d'abord aperçus , et qui se- 
raient d'une certaine conséquence pour mes élèves , 
vous vous pourvussiez ailleurs d'un meilleur sujet. 

J'ai donc lieu de penser que tant que vous me 
souffrez dans votre maison vous n'avez pas trouvé 
en moi de quoi effacer l'estime dont vous m'aviez 
honoré. Il est vrai, monsieur, que je pourrais me 
plaindre que , dans les occasions où j'ai pu com- 
mettre quelque faute, vous ne m'ayez pas fait l'hon- 
neur de m'en avertir tout uniment : c'est une grâce 
que je.vous-ai demandée en entrant chez vous, et 
qui marquait du moins ma bonne volonté ; et si ce 
n'est en ma propre Considération, ce serait du 
moins pour celle de messieurs vos enfans, de qui 
i'intérêC serait que je. devii^se un homme parfait, 
s^Uét^it possible. 

Dans ces suppositions, je crois , paonsieur , que. 



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3lO P&OJBT POVA VkùVCAriOW 

vom ne devet pa» faire difficiillé de eommunlquer 
ft M. fotre fils les b&m senUieneiis que vons pouvez 
aiwir sur mon cotxipte , et que, comme il osl im'^ 
possible que mes fautes et mes faiblesses éebappent 
à des yeux aussi dairroyans que les Yôtves, voitt 
ne saitriez trop éviCer de tous en entretenir en sa 
p4*ésenee; car ce sont des impressions qui porteiH 
coup, et, comme dit 11 de La Bruyère, le p«nîer 
soin desenfans est de çhetchet les endroits 4|^ble« 
de leurs maîtres pour acquérir le droit de les mé«* 
priser : or je demande ^elle impression pottf- 
raient faire les leçons d^un bomoie pour qui son 
écolier aurait du méprîs. 

Pour me fiatter d*ttn lieureuii succès dans rédu^ 
eation de M. votre filb, je ne p«is donc pas moîni» 
exiger que d'en éfre aimé , craittf et estimé. Que si 
Ton me réponde^ que tout c^ devait èlre mon 
ouvrage > et que c'est nia faute si je n'y ai pas 
réussi , j*aurais à me plaindre d*un fugemenl d in-« 
juste. Yousn^ave:^ lamoî}; eud'esplicationatecinoi 
sur Tautorité que vous me permettiez de prendre à 
son égard : ce qui était d'autant plus nécessaire', 
que \g commence un métier que je n^âA jamais fait; 
que, lui ayant trouvé d^âfoofd une rési9taMoe par^ 
fô^ à mes instrue^ons et une négligence excessive 
pour moi 5 je nfai su ct^mment It» réduire; et qtt'a%i 
moindre inécontenfement il ccûfralt oliet^he^ wn 
asile inviolédMie airprès de son p^pa , a^œi p^nt^ 
être il HC mam}uail pas ensuilé de oon«er les dtoseir 
éomme il kn plaisiaît. - 

Heureusement le mtal n*e« pas gr^nd* A l'âge oà^ 
il ^t , nous avons eu le loisir de nou& tâtonner, pout* 
ainsi dire , réeîproqueokent , «ans ^e ce retard ^1 
pu porter encore un grand préjudice à ses pr<>grôs y 
que d'aHleurs ta délieatesse 4e siK sJuité n'aurait 



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OB M. D& SIIRTE-HAAIE. Slf 

l^as permis de pousser beaucoup (i) ; mats, comme 
les mauvaises kabitudes , dangereuses à tout âge , 
le sont infiniment plus à celuMà , il est temps d'y 
mettre ordre sérieusement, non pour le charger 
d'études et de devoirs, mais pour lui donner à 
Ibonne heure un pli d'obéissance et de docilité qui 
Ée trouve tout acquis quand il en sera temps. 

Nous approchons de la fin de Tannée : vous ne 
ititmet , monsièuT , prendi*e une occasion plus na<» 
lurelléqne le comfmenCement de l'autre pour faire 
un petit diseduirs à monsieur votre fils ^ àla portée 
de son dge, qui, lui Battant devaiil les jeux les 
avantages d'une bonne éducation , ef les iacoiivé^ 
niens d'une enfance négligée, le dispose à se prêter 
de bonne grâce à ce que la connaissance de son 
intérêt bien entendu nous fera dans la suite exigei^ 
de lui : après quoi vous auriez la bonté de me dé~ 
clarer en sa présence que vous me rendez UNdépo- 
situîre de votre autorité sur lui, et que vous m'ac* 
cordez sans réserve le droit de l'obliger à remplir 
son devoir par tous les moyens qui me paraîtront 
convenables; lui ordonnant, en conséquence, de 
m'oBéir comme à vous-même , sous peine de votre 
indignation. Cette déclaration , qui ne sera que 
pour faire sur lui tine ^luà vive impression , n^aura 
a^ailleûrs d'eflfet q«6 cc^rméMient à ee ^yte votts 
aurez pris la peine dfe me pi*escrîr6 en (yartiiMslfev 

Voilà, monsieur, les préliminaii^s qui me pa*. 
raîssient indispensables pour s*assurer que les soins 
que je donnerai à M. votre fils ne seront pas des 
soins perdus. Je vais maintenant tracer l'esquisse 
de son éducation, telle que j'en avai* conçu le plan 

(ï) n était fort languissatit quaûd ]e snis entré dans la 
maison } aujoiird^ai sa sasté s^afiènàlt vi^lCM^t. 



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5ia PROJET PO^ft L'ÉDtJOlïIOS 

sur ce que j'ai connu jusqu'ici de son caractère et 
de vos vues. Je ne le propose point comme une 
règle à laquelle il faille s'attacher, mais comme un 
projet qui , ayant besoin d'être refondu et corrigé 
par vos lumières et par celles de M l'abbé de...., 
servira seulement à lui donner quelque idée dû 
génie de l'enfant à qui nous avons à faire. Et je 
m'estimerai trop heureux que M. votre frère veuille 
bien me guider dans les routes que je dois tenir : il 
peut être assuré que je me ferai un principe invio- 
lable de suivre entièrement, et selon toute la petite 
portée de mes lumières et de mes talens , les routes 
qu'il aura pris la peine de me prescrire avec voire 
agrément. 

' Le but que l'on doit se proposer dans l'édiication 
d'un jeune homme, c'est de lui foritier le cœur, le 
jugen^t et l'esprit ; et cela dans l'ordre que je les 
nomdR. La plupart des maîtres , les pédans sur- 
tout, regardent l'acquisition et l'entassement des 
sciences comme l'unique objet d'upe belle éduca- 
tion, sans penser que souvent, comme dit Molière, 

tin sot satant est sot plus qu^un sot ignorant. 

D'un autre côté, bien des pères, méprisant assez 
^put ce qu'on appelle létudes , ne se soucient guère 
que de former leur^ en£aus aux exercices du corps 
et à la connaissance du monde. Entre ces extré- 
mités nous prendrons un juste milieu pour conduire 
M. votre fils. Les sciences ne doivent pas être né- 
gligées, j'en parlerai tout à l'heure; mais aussi 
elles ne doivent pas précéder les mœurs^ surtout 
dans un esprit pétillant et plein de feu, peu capa- 
pie d'attention jusqu'à un certain âge, et dont le 
caractère se trouvera décidé très à bonne heure, A 



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DB M. DE SAI^TE-'XARIE. 3l^ 

quoi sert à un ^omme le savoir de Varron y si d'ail- 
leurs il ne sait pas penser juste ? Que s'il a eu le 
malheur de laisser corrompre son cœur , les sciences 
sont dans sa tète comme autant d'armes entre les 
mains d'un furieux. De deux personnes également 
engagées dans le vice^ la moins habile fera toujours 
le moins de mal ; et les sciences , même les plus 
spéculatives et les plus éloignées en apparence de 
la société y ne laissent pas d'exercer l'esprit , et de 
lui donner , en l'exerçant , une force dont il est 
facile d'abuser dans le commerce de la vie y quand 
on a le cœur mauvais. 

Il y a plus à l'égard de M. de Sainte-Marie. Il a 
conçu un dégoût si fort contre tout ce qui porte le 
nom d'étude et d'application , qu'il faudra beaucoup 
d'art et de temps pour le détruire : et il seraitfà- 
cheux que ce temps-là fût perdu pour lui ; car il y 
aurait trop d'inconvéniens à le contraindre ; et il . 
vaudrait encore mieux quMl ignorât entièrement ce 
que c'est qu'études et que sciences 9 que de ne les 
connaître que pour les détester. 

A l'égard de la religion et de la morale 9 ce n'est 
point par la multiplicité des préceptes qu'on pourra 
parvenir à lui en inspirer des principes solides qui 
servent de règle à sa conduite pour le reste de sa 
vie. Excepté les élémens à la portée de son âge , on 
doit moins songer à fatiguer sa mémoire d'un dé- 
tail de lois et de devoirs , qu^à disposer son esprit 
et son cœur à les connaître et à les goûter 9 à me- 
sure que l'occasion se présentera de les lui déve- 
lopper; et c'est par là i^ème que ces préparatifs 
sont tout-à-fait à la portée de son âge et de son 
esprit 9 parce qu'ils ne renferment que' des sujets 
curieux et intéressans sur le commerce civil 9 sur 
les arts et les métiers , et sur la manière variée dont 
II. i4 

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Si4 

la Providence a rendu tous les hommes utiles ec 
nécessaires les uns aux autres. Ces sujets , qui sont 
plutôt des matières de conversations et de prome- 
nades que d'études réglées 9 auront enon^ diyeis 
avantages dont Teffet me parait îofaiUîble. 

Preouèrement , n'aCectant point désagréable- 
ment son esprit par des idées de contramte et d'é- 
tude réglée j et n'exigeant pas de lut une attentioa 
pénible et continue, ils n'auront rien dé nuisible 
ît sa santé. En second lieu, ils accoutumeront à 
bonne beure son cs[»'it à la réflexion et à consi- 
dérer les choses par leurs suites et par leurs «ffetlB^ 
Tiroisièmemcnt, ils le rendront curieux et lui in- 
spireront du goût pour les sciences nafurelle8« 

Je devrais ici aUer àu-devant d'une impression 
qu'on pounrait recevoir de mon projet, en s'ima- 
^ant ^ue je ne cherche qu'à m'égayet* moi-même 
et à^me débarrasser de ce que les leçons oi^t de sec 
et d'ennuyeux, pour me prociwer une occt^^îon 
plus agréable* Je ne crois p£tô, monsieur, qu*i| 
puisse vous tomber dajis l'esprit de peos^ ài^si sur 
mon eompte. Peut-être jamais homme ne se âjt une 
aifaire plus importante que celle que t^ me fais àe 
réducation de messieurs vt)s enfans, pôtir peu que 
vous yeuiUiez seconder mon zèle* Vous n'avez pas 
eu Hei; de vous apercevoir juiqu'jl présent que je 
cherche à fuir le tràvatîl 2 m^is je lie crois point 
que ^ cour se donner un air 4e zSe et4'0cèupatioo , 
u^ maitrt» doive atfécter de surcharger ses éSèves 
d'un tr^ivail lebutant et «érfeiix, de leur montrer 
tauj^ouf s.u£iQ eoutenance sévère et fàehèe^ et à»m 
fyire ^usi k Uw dépens la réputation 4'honm»s 
exact et isiWieux, Pouç moi, niônsieùr, je le dô- 
cfareuneXois pour toutes;, jaloux jusqu^aû scrupule 
de l'accomiAissemeatde mon devoir* je suis inca-* 

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DH M. DE SAIIïTE-MÀRIE. 3l5 

pable de m*en relâcher jamais; mon goût ni unes 
principes ne m<s portent ni à la paresse ûi au relà- 
cliement : mais de deux voies pour m^assurer le 
même succès , je préférerai toujours celle qui coû- 
tera^ le moins de peine et de désagrément à mes 
élèves ; et j'ose assurer , sans vouk^ passer pour un 
homme très-occupé ^ que moins ils travailleront en 
apparence 9 et phis en effel je travaillerai pour eux. 
SUly a quelques occasions oh la sévérité soit néces- 
saire à regard des çnfan^, c^est dans le Cas où les 
mœurs, sont att^quées^ ou quand il s'agit de corri- 
ger de mauvaises habitudes. Souvent , plus un en-* 
fant a d'esprit, et plus la connaissance de ses pro- 
pres avantages le rend indocile sur ceux qui lui res- 
tent à acquérir. De là le mépris des inférieurs, la 
désobéissance aux supérieurs ^ et l'impolitesse avec 
les égaux : quand on se croit parfait, dans quels 
travers ne donne-t-on pas! M. de Sainte- Marie a 
trop d'intelligence pour ne pas sentir ses belles 
qualité^ ; mais si l'on n'y prend garde , îl y comp- 
tera trop, et négligera d'en tirer tout le parti qu'A 
faudrait. Ces semences de vanité ont déjà produit 
e» lui bien des petits penchans nécessaires à corri- 
ger» C'est à cet égard , monsieur , que nous ne sau- 
rions agir avec trop de correspondance ; et il est 
très>important que, dans les occasions où l'on aura 
lieu d'être mécontent de lui, il ne trouve de toutes 
parts qu'une apparence de mépris et d'indifférence, 
qui le mortifiera d'autant plus que ces marques de 
froideur ne lui seront point ordinaires. C'est punir 
l'orgueil par ses propres armes et l'attaquer dans sa 
source même; et l'on peut s'assurer que M. de 
Sainte-Marie est trop bien né pour n'être pas infi- 
niment sensible à l'estime des pei^^nnes qui lui 
sont chères. 



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5l6 P&OJKT P01JR L^ÉDUCATIOir 

La droiture du cœur, quand elle est affermie 
par le raisonnement , est la source de la justes^se de 
Fesprit : un honnête homme pense presque tou- 
jours juste; et quand on est accoutumé dès Teu- 
fance à ne pas s*étourdir sur la réflexion, et à ne 
se livrer au plaisir présent qu^après en avoir pesé 
les suites et balancé les avantages avec les inconvé- 
nîens, on a presque, avec un peu d^expérience ^ 
tout l'acquis nécessaire pour former le jugement. 
II semble en effet que lé bon sens dépend encore 
plus des sentimens du cœur que des lumières de 
Tesprit , et Ton éprouve que les gens les plus sa- 
vans et les plus éclairés ne sont pas toujours ceuib 
qui.se conduisent lé mieux dans les affaires de la 
vie : ainsi , après avoir rempli M. de Sainte-Marie 
de bons principes de morale, on pourrait le regarder 
en un sens comme a^sez avancé dans la science du 
raisonnement. Mais sMl est quelque point important 
dans son éducation, c^est sans contredit celui-là; 
et Ton ne saurait trop bien lui apprendre à coa- 
naître les hommes, à savoir les prendre par leurs 
vertus et même par leurs faibles , pour les amener 
à son but , et à choisir toujours le meilleur parti 
dans les occasions difficiles. Gela dépend en partie 
de la manière dont on Texercera à considérer les 
objets , et à les retourner de toutes leurs faces , et 
en partie de Tusage du mondé. Quant au premfer 
]poiut, vous y pouvez contribuer beaucoup, mon- 
sieur, et avec un très-grand succès, en feignant 
quelquefois de le consulter sur la manière dont vous 
devez vous conduire dans des incidens d^invention ; 
cela flattera sa vanité, et il ne regardera point 
comme un travail lô temps qu'on mettra à délibé- 
rer sur une affaire où sa voix sera comptée pour 
quelque chose. C'est d^ns de telles conversations 

• 

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^*^m peut Im donner le. plus 4e lamières sur k 
«cÀeoce du. moude, et il apprendra plus dan» deux 
j^çuve» Ae te^ap» pai* e« moyen ^'il ne levait en un 
#1^ par 4e^ instruetU^nscn r^le : nksdi il faut «b^ 
§^rH^ de me lui présenter quç dea n^tières^proporr 
|îoB«4^9^à som àgey^el surtout Texercer long-tevipft 
Mr é»» sujetooù 1q npieâleHr parti se pvésenAe at^r 
weni ytaut afin de rainener facilem^tà k trouver 
«omiae^ d^ lMJ-«aé;nie, qoo pour évltev de lui foire 
envisa^^idr lo8 affaûre» de la v'm eoiume nae siûie de 
proliUi9(^9 Qib 51 fes> ^nen pavtia paraisa&nt égalier 
9ie)Mt pi)ob3M6s> il' serait prefque hidMhrent d« ae 
déten)»ioer plutdt poiur l'un que p«i»r FauJb?e:; ee 
c|w le ii»e9«rdil; k Tinâcdence^ dana k^taisMUumeiif * 
#1 à VludiiEérenee danstla coivdMtt» 

L'usage du niMm#e est «usai d'urne» ntfe^i^téftJ»^ 
Mue, el d'anUnt plu»yo«ir II» de^ Saînte^arleif 
cfiieir «4 tHuide, il a beaeMi de v^mt «laiMieul^ eion»^ 
paguîepwi! ap|ate«idfeàa'y Houv^r en l»h$it^^ ei 
^a'y eouduliïQ'avee QeA^gr^ceaei eetie aimooe qtri 
c^acttévi9fn^ l'boffutte d» uftoiadia el Vliio»nie> at« 
«labk^ P«»9 eela , wmml^^wPf itouaaiUEieZila ftoiilfé 
4e «l'tedifuKi; devi» ou Iroîsf uiala^»» où je pounab 
W naeiftieit qjCM^iqwefilî^ pav fomne' 4e, débssisnieBt ^ 
4e xie^iupei^e^ H «st. vm qua^sainft^ cerrfgep a» 
moî-mème Ic^dtfa^lS' qu(ë îe eberch» k puéminir ei» 
fcii, î^ poMUSÛA paiiatltepeu ptopl^ à cet usage. 
C'es^ k tottsi, Bfc a wg iaor » e* à ^madamo a» mèie ^ à 
nokiesiqftticaaideMl, el à. i«m»! donner lu peiné dir 
lâccytdNÎÉe qadquel(Ma^a>iieQ¥)0U9 8liieaaîa^ziquf^ 
échu lui saîlr pkie auantagevuu. IV sera) bon auss» que 
quandi dm aipna. du monde; on le retîem^ dan» ^ 
ebambie,<et qu'eu PiniterrogeaBli quckpiefois et h 
propo» sur leSc matières de la eosnwrsatioB:^ otù M 
donao Ikuide; s?y «léleii iusânaifateniefft.. Malaiifc j<a^ 



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5l8 PBOJ^T POBR l'édccition 

,1111 point sur lequel je crains dé ne me pas trouver 
tout-à-fait de votre sentiment. Quand M. de Sainte- 
Marie se trouve en compagnie sous vos yeux , il 
badine et s*égaie autour de vous, et n'a des yeux 
que pour son papa, tendfésse bien flatteuse et 
bien aimable ; mais sUl est contraint d'aborder une 
autre personne ou de lui parler , aussitôt il est dé- 
contenancé, il ne peut marcher, ni dire un seul 
mot, où bien il prend Textrème , et lâche quelque 
indiscrétion. Voilà qui est pardonnable à son âge : 
mais enfin on grandit , et ce qui convenait hi^ ne 
convient pins aujourd'hui; et j'ose dire qu'il n'ap- 
prendra fàmais à se présenter tant qu'il gardera ce 
défaut. La raison en est qu'il n'est point en com- 
pagnie quoiqu'il y ait du monde autour de lui ; de 
peur d'être contraint de se gêner, il affecte de 
ne voir personne , et le papa lui sert d'objet pour 
se distraire de tous les autres. Cette hardiesse for- 
cée , bien loin de détruire sa timidité, ne fera su* 
rement que l'enraciner davantage tant qu'il n'osera 
point envisager une assemblée ni répondre à ceux 
qui lui adressent la parole. .Pour prévenir cet in- 
. convénient , je croîs , monsieur , qu'il serait bien 
àe le tenir quelquefois' éloigné de vous, soit à table, 
ioitailleurstet de le Hvrer aux éh*angers pour l'ae- 
coutumér de se familiariser avec eux. 

On conclurait très-mal si, de tout ce que je viens 
de dire, on concluait que, me voilant débarrasser 
de la peine d'enseigner , ou peut-être par niauvais 
goût méprisant les sciences, je n'ai nul dessein d'y 
former monsieur votre fils , et qu'après lui avoir 
enseigné les élémens indispensables je m'en tien- 
drai là, sans me mettre ^i peine de le pousser dans 
les études convenables. Ce n'est pas ceux qui me 
eonnaltront qui raitonneratlent ainjsi ; on sait mon 



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. DE K. DE SAINTE-UA&IB. 5l9 

goût déclaré pour les sciefnceff, et je les ai a!isez 
cultivées pour avoir dû y feîrc des progrès pour 
peu que J'eusse eu de disposition. 

On a beau parler au désavantage des études , et 
tâcher d*en anéantir la nécessité et d'en grossir les 
mauvais eflfl^ts, il sera toujours beau et utile de 
savoir; et quant au pédantisme, ce n'est pas l'étude 
même qui le d(>nne 9 mais la mauvaise disposition 
du sujet. Les vrais savans sont poli»; et ils- sont 
modestes j parce que la connaissance de ce qnf leur 
manque les empêche de tirer vailité de ce qu% 
ont ; et il n'y a que les petits génies et les demi- 
savansqui, croyâtnt de savoir tout, méprisent org- 
ueilleusement ce qu'ils ne connaissent point. 
D'ailleurs le goût des lettres est d'une grande res- 
source dans la vie 9 même pour un homme d^épée. 
Il est bien gracieux de n'avoir pas toujours besoin 
du concôuri des autres hommes pour se procurer 
des plaisirs; et il se commet tant d'injustices dans 
le monde , l'on y est sujîet à Jant de revers , qu'on a 
souvent occasîbn de s'estiÏEner heureux de trouver 
des amis et des consolateurs dans sou cabinet, au 
défaut de ceux que le monde nous ôte ou nous, 
refuse. 

Mais il s'agit d^en faire naître le goût à monsieur 
votre (ils , qui témoigne actuellement une aversion 
horrible pour tout ce qui sent l'application. Déjà 
la violence n'y doit concourir en rien, j'en ai dil 
la i:aison ci-devant ; mais , pour -que cela revienne 
naturellement, il faut renotonter jusqu'à la source 
de cette antipathie. Cette source est un goûtexces^ 
tif de dissipation qu'il a pris en badinant «^vec ses 
frères et sa sœur, qui fait qu^l ne peut souflfrir 
qu'on l'en distraie un instant, et qu'il prend 
esk aversion tout ce qui produit cet efki;. car 

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d*aiUeuri je me suis convaÎBCu qu'il n'a nulle 
baine pour l'élude en ellç-mémey et qu'U y a 
même des dispositions dont on ^ut se promettre 
beaucoup. Pour pem^dier à cet viconvénient y il 
faudarait lui pro^ui^r d'autre» amuseineqs qfid le 
détachassent de» nijûserica auxquelles il s'occupe ^ 
e^ paur cela le tenir un peu. sépara de ses frères^ et 
de sa soe^oi: ;. c*e«l ce qui ne se peut guère faire dani^ 
ijua appavten^nt comjaf^ le mi», trog pelit pour 
les mouvein^nj^ d'un enfant aussi \iS, et où m4me 
ft serait daisig^ieux d'^allértr sa sant^ siPon voulait 
le cenlraindife d'jr lestei: trep ren;fernEié; IL serais 
plus iv»§o«taiit, monsieur K que iumis 9e peniei^^ 
4'a^oir une chamb^ saisctunabl^ pour y £sdrf son 
étude et son. sé>0M» ordînajre ; jjc l^hei^i^ de h, h|i 
sendire aHnaWe pas ce que ie pourçaii^ lui présent^ 
de plu^riant, et ce seraH déj^ tneaucoup du f^f;^^ 
^e d'oJ^tenir qu'il se pli^t dan» Tend wt o^t iL doî^ 
éiudiev. Al^rs^ pour le détache» iuseijisijàkeinent de 
ee» badîiv^ * pujénljlH j^ me mfÈ%Uaf^i^ moitié 4^ 
tous s^& amMSemei»ar ^^ W lui ei^ pr^urei^isr de» 
plus p^ioprea k lui pls^e et à ^ncitec' sa cuviosît^ : 
de petite pux^y ^ (^ouporea,, un» peu éf^ desaûir 
la musique, les. instrumene, un prisme, un qm^ 
«uroscKV^^un yei^re aident,, et mMleaujU^Sr pertes 
iiuiioaîtés„ 9»^ founiii^ajent de&^|^de le divei^ 
et de Va^acliei^ peu à^p^u,à.sp«, af pai;temi^n^„ a^t 
point ders'ji^ plaire plm.q^ p^i^i^^ aîlteui^ W^ 
autre oAtfi > qn. aur^t soin» de* me l'enn^ier dèd qMiil. 
serait» IfiTé^ sa^^qn^aucun pDitexbi piM Ven diepei^ 
ser;>'on.ne pcra^etoait^ point qufil allAl4ai»4i9aiMi 
par lia Biaifi(»Pi,^ n'h qiiit'îi. se r^gjÀ^pr^ 4e« vcnîi^ 
fun iHMÎireft dç sei% tray^;iet^ ad^ de lui Ca^ir^te- 
Hftfder rét^e conw«e d'uff# impWBtftnqe^ que^ rie» 
9^ ^fnms^ikb9LUm^^ on évM^r^ dei pim4ie ,«^ 



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DE V* DE SAINTE-MARIE. 3ai 

temps pour le peigner, le friser, ou lui donner 
quelque autre soin nécessaire. Voici, par rapport 
à moi, cpmment je m'y prendrais pour Tan^ner 
insensiblement à l'étude, de sou propre mouve- 
ment. Aux heures où je voudrais Voccuper, je hiî 
retrancherais toute espèce d'amusement, et je lui 
proposerais le travail de cette heure-là; s'il ne s'y 
livrait pas de bonne grâce, je ne ferais pafs inème 
semblant de m'en apercevoir, et je* le laisserais 
seul et sans amusement se morfondre , jusqu'à ee 
que l'ennui d'être absoluntent sans rien faire l'eût 
ramené de lui-mféme à ce que j'exigeais de lui; 
alors j'affecterais de répandre un enjouement el 
une gaieté sur son travail, qui lui fît sentir la 
différence qu'il y a, même pour le plaisir, de la 
fainéantise à une occupation honnête. Quand ^e 
moyeu ne réussirait pas, je ne le maltraiterais 
'point; m^s je Itti retrancherais toute récréations 
pour ce^|<]^r-là , en lui disant froideàieût que je ne 
prétends point le faire étudier par forCe, mais que 
le divertissement u'étant légitime que quand il est 
le délassement du travail, ceux qui ne font rien 
n'en ont aucun besoin. De plus, vous auriez là 
bonté de convenir avec moi d'un signe par lequel, 
sans apparence d'intelligence» je pourrais vous té- 
moigner , de même qu'à madame sa mère , quand 
je serais mécontent de lui. Alors la froideur et l'iti- 
différence qu'il trouverait de toutes parts, sans 
cependant lui faire le moindre reproche , le sur- 
prendrait d'autant plus , qu'il ne s'apercevtàit point 
que je me fusse plaint de lui; et il se porterait à 
croire que, comme la récompense naturelle du 
devoir est l'amitié et les caresse» de ses supérieurs, 
de même la fainéantise et l'oisiveté portent avee 
elles uo certain caractèr.e méprisable qui se fait 

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Z'ii Ptk9tit POBB l'Éducation 

d'abord fcutûr, el qui refrpidH tout k monde h son 

égard* 

J'«i cottau un père tendre ^i ue s'eù fiait pas 
teUement 4 un tuerceoaire rar Tiustruetiou de aie$ 
•nfau^, ^'U ne voidOt lui-méjEue y avoir TcHl : k 
bon pèr^, iMi^ ne rien négliger de tout ee qui 
pouv$ii< donner de l'émulation i «es enfant, avait 
ad<^lé les menues moyens que j'eipose iot. Quand 
Hrevoyait sesenfan^y il jetait, avant quedeksabor^ 
der, un coup d'oeil sur leur gouverneur : lorsque 
eelui-ci touobait de la main droite le premier bou'^ 
ton de son babit ^ e'étail une marque qu'il était 
eontent, et le père caressait son lils à son ordi^ 
naire : si te gouverneur toucbait le second, alors 
c'était marque d'une parfaite satirfaotic^ , et le père 
ne donnait, point de Ixnrnesà la tendresse de ses 
caressesy et y affûtait ordinairement quelque oar 
deau, mais sans afleetatiea : quand le g^nverneinr 
ne laisait aueun signe, cela voulait di^^o^i^'il éiaît 
mal safis&il, lit la f rc^ur du père retondait ai}i 
méconlentement au midtve; mais^ quand de la 
main g^uebe eelui-ei touebait sa première bouton^ 
tonnière, le père taisait sortir son fils de sa prét- 
sence, el idors le gouverneur lui expliquait les 
fautes de l'enfant. J'ai vu ce îeune seigneur acquêt 
rir en peu de tempi de si grandes perfections, que 
|e çr^s qu'on ne peut trop bieia augurer d'un^ 
métbode qui a prodoit de si bons effets : ce n^esl 
aussi qu'^ne barm^nie et une eorrespondanoe par- 
felte enfne un père et un précepteur qui peul assurer 
le succès d'une bonne éducation; et comme le 
meilleur père se donnerait vainement des moiive^ 
mens pour bien élever son fils, si d'aiKeuvs il le 
laissait entre lesmaios d'un précepteur maittenlif^ 
4e même k plus intelligent et le plus aélè de tou^ 

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les tnâlfyes prendrait des peines ttiutilës, si le père, 
au Kéu de le 9eooi>der, détt-^^arit son ouvrage pat 
des démardMi à coutre-temps^ 

Four cfoe IML voire fils prenM ses étu^s à e^enr^ 
it crois, moosiecu*, que vous deree témoigner y 
{^rendre v^os-méme l^eaueoup de part : |>our eela 
vous auriez la benlé de Flnterroger qiiehpiei»!» sui* 
#es progrès 5 mais dans les temps seotement «f sur 
le» matière»^ où i) aura l^mlén^ fait, afin de n^avok 
que du eontentem^it ^t de la satisfaction à kd 
marquer, «on pas cependant par de trop grands 
élioge^^ propres à lui inspirer de F^ttçuefl et à le 
faire trop compter sur kit-Métnè. Quelquefois ^ussi^ 
mais plus rarement, votre examen tonto^it sur 
les matières où fl se sera négligé : alors vous vom 
fnformeries de sa santé ^t des causes de «on relé^ 
ehement avec des marques d'inquiétude; qui lui en 
Communiqueraient h lul-mén^e. 

Quand vous , monMenr, ou madome sa mère^ èxtr 
rez quelque cadeaii à lui faire, vous aurez la bonfé 
de choisir les temps où fl y auK$t le {>lus lieu d'être 
<5ontent de lui> ou .du moîi^s de m'en Avertir d'a« 
vance , afin que f évite dans ce teiftips^ xle Tcxpo*' 
ser à me donner sufc^ de m'ènf^sÀNlre; car à cet 
âge-là les moindres îrréguiaiitélê port^ebt coup. 

Quant èFe^dre^néme de ses étodes, â^serati^ès^ 
shnpie penéiml le$ daux on trois prermièeesimQéeai. 
Les élémens du la^, dis rhist4»i«e^ de la géograr- 
pYrie , partagerevil €(m t^nps. à f égctrà dû Jatjn ^ 
je tt*al point dessein de Te^roer p^f lEme étude 
trop m^bodique^ et moins encwe pai* la compo^ 
sition des t&èmes. f^es tkèmeS;, tfaivâitt tt. B^ôllhi, 
sont la croix des enfans^ et, 4ani Flntai^on o#^ 
suh de lui rendre ses étndes ^rimaMès, je^ mo gor^ 
derai bfen dfeJe'Isdre p9i0aetpaate$Vitfiifok^, jnrde 

/ 

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3a4 FlOJCt FOUI L'iDVCàTIOH 

lui mettre dans la tète les mauvais gallicismes d€ 
mon latin , au lieu de celui de Tite-Live , de César 
et de Cicéron : d'ailleurs un jeune homme 9 surtout 
s*il est destiné à l*épée, étudie le latin pour Ten- 
tendrie et non pour récrire , chose dont il ne lui 
arrivera pas d'avoir besoin une fois en sa vie. Qu'il 
traduise donc les anciens auteurs , et qu'il prenne 
dans leur lecture le goût de la bonne latinité et de 
la beUe littérature : c'est tout ce que j'exigerai de 
lui à cet égard. 

Pour l'histoire et la géographie » il foudra seule- 
ment lui en donner d'abord une teinture aisée, 
d'où je bannirai tout ce qui sent trop la sécheresse 
et l'étude, réservant pour un âge plus avancé les 
difficultés les plus nécessaires de la chronologie et 
de la sphère. Au reste, m'écartant un peu du plan . 
ordinaire des études, je m'attacherai beaucoup 
plus à l'histoire moderne qu'à l'ancienne, parce 
que je la crois beaucoup plus convenable à un offi- 
cier ; et que d^ailleurs je sub convaincu , sur l'his- 
toire moderne en général, de ce que dit M. Tabbé 

de de celle de France en particulier, qu'elle 

n'abonde pas moins en grands- traits qu^ l'histoire 
ancienne, et qu'il n'a manqué que de meilleurs 
historiens pour les mettre dans un aussi beau jour. 

Je- suis d'avis de supprimer à M. de Sainte-Marie 
toutes ces espèces d'études où, sans aucun usage 
solide t ^n fait languir la jeuh^se pendant nombre 
d'années : la rhétorique , la logique et la philoso- 
phie scolastique sont à mon sens, toutes choses 
très-superflu<es pour lui, et tpie d'ailleurs je serais 
peu propi« h. lui enseigner. Seulement, quand il 
en sera tenqps, je lui ferai Ure la Logique de Part^ 
Rayai,: elf toutou |^s, CJrt de paHer du 
P. Lami, mais sans l'amuser d'un côté au détail 



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DE M. I>B 'SAIVT£-MABIE 525 

des tropes et des figures 9^ ni de l'autre aux vaine» 
subtilités de la dialectique : j'ai dessein seulement 
. de Texercer à la précision et à la pureté dans I0 
style y à Tordre et à la méthode dans ses raisonne- 
u^ensy et à se faire un esprit de Justesse qui lui 
serve à démêler le faux orné de la vérité simple, 
toutes les fois que l'occasion s*eu présentera. 

L'histoire naturelle peut passer aujourd'hui , par 
la manière dont eUe est traitée, pour la plus inté- 
ressante de toutes les sciences que les hommes 
cultivent , et celle qui nous ramène le plus nati^- 
i^ellement de l'admiration des ouvrages à l'amour 
de l'ouvrier : )e ne négligerai pas de te rendre 
«urieux sur les matières qui y ont rapport 5 et je 
me propose de l'y introduire dans deux ou trois ans 
p^ la lecture du Spectacle de la nature , que )er 
Ijerai suivre de celle de Nieuwentit. 

On ne va pas loin en physique sans le secours^' 
des mathématiques; et je lui en ferai faire une 
^née, ce qui servira encore à lui apprendre à rai- 
fOuner conséquemment et à s'appliquer avec un 
peu d'attention, exercice dont il aura grand besoin : 
cela le mettra aussi à portée de se faire mieux con- 
sidérer parmi les officiers, dont une teinture de 
mathématiques et de fortifications fait une partie 
4u ipétier. 

Enfin , s'il arrive que mon élèye reste assez long- 
teJlKips entre m^s niains, je hasarderai de lui donner 
quelque connaissance de la morale et du droit 
naturel par la lecture de Pufendorff et de Grotius, 
parce qu'il est digne d'un honnête homme et d'un 
homme raisonnable, de copnattre les principes du 
bien et du mal , et les fondemens sur lesquels la 
f^ociété dont il fait partie est établie. 

En faisant succéder ainsi les sciences les unes 

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5^6 PROJET PorE L'ÉDtCÀTiON, etc. 
aux autres, je ne perdrai point l'histoire de vue , 
comme le principal objet de toutes ses études et 
ceKii dont les branches s'étendent le plus loin sur 
toutes les autres sciences : je le ramènerai , au bout 
de quelques années , à ses premiers principes avec 
plus de méthode et de détail; et je tâcherai de lui 
en faire tirer alors tout le profit qu'on peut espé^ 
rer de cette étude. 

Je me propose aussi de lui faire une récréation 
amusante de ce qu'on appelle proprement bettes- 
lettres, comme la connaissance des livres et des 
auteurs, la critique, la poésie, le style, l'élo- 
quence , le théâtre, et en un mot tout ce qui peut 
contribuer à lui former le goût et à lui présenter 
l'élude sous une face riante. 

Je ne m'arrêterai pas^davantage sur cet article ^ 
parce qu'après avoir donné une légère idée de lar 
route que je m'étais à peu près proposé de suivre 
dans les études de mon élève , j'espère que M. votre 
frère voudra bien vous tenir la pronoesse qu'il vous 
a faite de nous dresser un projet qui puisse rae 
.servir de guide dans un chemin aussi nouveau pour 
moi. Je le supplie d'avance d'être assuré que je 
m'y tiendrai attaché avec une exactitude et un 
.soin qui le convaincra du profond respect que j'ai 
pour ce qui vient de sa part; et j'ose vous répondre 
qu'il ne tiendra pas à mon zèle et à mon attache- 
ment que messieurs ses neveux ne deviennent des 
hommes parfaits. 



FlJï DU ONZlKfllE VOLVaiE. 



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TABLE 

DES MATIÈRES 
Contenues dans ce Volume. 
EMILE, ou DÉ L'ÉDUCATION. 

Pag. 

Livre v 5 

SoPBiB, ovL la femme >. ih. 

Des Voyages i85 

EMILE ET SOPHIE, ou LES SCHJTAIRES. 

Emile et Sophie , oa les Solitaires . . . ' a4^ 

Lettre i. , ib. 

Lettre a. . a86 

Dénoûment d*£mile 3o5 

Projet pour l'éducatioh de M, de Sainte-Marie, . . . 5o4 



PIN DE LA TABLE DIT TOME ONZIEME* 



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