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Full text of "Mireille, poème provençal; avec la traduction littérale en regard"

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LiBRARY  of  the 

UNIVERSITY  OF  TORONTO 

hy 

Jolin  F.  Fllnn 


Qx    0,    sJ^'Kc^C'^crh't^ , 


MIRÈIO 


MIRÈIO 


POUÈMO  PROUVENÇAU 


FREDERI   MISTRAL 


EMÉ  I.A  TUltlUIMOUN  (.ITERAI. 0  EN  HEGARD 


PARIS 

ENCO  DE  CHARPENTIER,  LIBRAIRE-ÉDITEUR 

28,    QUÈI    DE    l'eSCOLO 
AVI6NOUN,     ENCO     DE    ROUMANIHO,     LIBRAIRE 

1861 

Li  tire  de  traclucioun  e  de  reproudiicioun  soun  réserva. 


MIREILLE 


POÈME  PROVENÇAL 


FREDERIC   MISTRAL 


AVEC  l,A  TR.ADrCTlON  LITTÉRALE  EN  REGARD 


PARIS 

GHARPENTIHR,   LIRRAIRE-ÉDITEUR 

28,   QUAI  DE  l'École 
AVIGNON,  ROUraANILLE,   libraire 

1861 

Jiroil!)  de  Iraduclioii  cl  de  repiodiiclion  léservéx. 


A  LAMARTINO 


Te  counsacre  Mirèio  :  es  moun  cor  e  moun  amo, 

Es  la  tlour  de  mis  an , 
Es  un  rasin  de  Crau  qu'emé  touto  sa  ramo 

Te  porge  un  païsan. 


MISTRAL. 


Maiano  [Bouco-dâu-Iiose],  3  de  setèmbre  1859. 


A  LAMARTINE 


Je  te  consacie  Mireille  :  c'est  mon  cœur  et  mon 
âme;  —  c'est  la  fleur  de  mes  années;  —  c'est  un 
raisin  de  Crau  qu'avec  toutes  ses  feuilles  —  t'offre 
un  paysan. 


MISTRAL. 
Maillane  (Bouches-dn-Môné),  8  septembre  1859. 


AVIS 


SUR  LA  PRONONCIATION  PROVENÇALE 


Afin  d'aider  le  lecteur  étranger  à  la  langue  provençale  à 
lire  le  texte  du  poëme,  nous  allons  dire  ici  brièvement  en 
quoi  la  prononciation  provençale  diffère  de  la  prononciation 
française. 

En  Provençal,  on  prononce  toutes  les  lettres,  et,  saul 
les  exceptions  suivantes,  on  les  prononce  comme  en  Fran- 
çais. 

Le  g  devant  un  e  ou  un  i,  et  le  j,  se  prononcent  d%.  Ainsi 
gemi,  gibom,  image,  jalons,  doivent  se  prononcer  dxemi, 
dzibous,  imaaze,  dzalous. 

Ch  se  prononce  ts,  comme  dans  le  mot  espagnol  muchacho, 
Ainsi  charra,  machoto,  chima,  se  prononcent  tsarra,  matsoto, 
isima. 

Passons  aux  voyelles. 

A ,  désinence  caractéristique  du  féminin  dans  l'ancienne 
langue  romane,  est,  dans  cet  emploi,  remplacé  aujourd'hui 
par  0. 

Vo  final  représente  donc  en  Provençal  Ve  muet  des  Fran- 
çais, Va  final  des  Italiens  et  des  Espagnols. 

E  sans  accent,  ou  surmonté  d'un  accent  aigu,  se  pro- 
nonce comme  Ve  fermé  français  .  ainsi  les  e  de  teté,  de 
devé,  sonnent,  à  peu  de  chose  près,  comme  ceux  de  été,  vé- 
rité. 

È,  surmonté  de  l'accent  grave,  comme  dans  ne,  venguè,  st 
prononce  ouvert. 

Ue  ou  Vi,  quoique  suivis  de  consonnes,  comme  dans  sacra- 
men,  vin,  emperaire,  conservent  toujours  leur  son.  alpha 
bétique. 


m     AVIS   SUR   LA  PRONONCIATION   PROVENÇALE. 

Voici  maintenant  les  règles  de  l'accent  tonique  : 

1°  Dans  les  mots  terminés  simplement  par  e  ou  par  o, 
l'accent  tonique  porte  sur  la  pénultième  :  ainsi  ferramento, 
capello,  (èbre,  se  prononcent  exactement  comme  les  mots 
italiens  ferramento,  capello,  febbre. 

2'  Lorsqu'il  se  trouve,  dans  le  corps  des  mots,  une  syllabe 
accentuée,  il  porte  généralement  sur  celte  syllabe  ;  exemple  : 
tduti,  armàri,  cachafiô,  argent,  avé. 

3°  Il  porte  sur  la  dernière  syllabe  dans  tous  les  mots  ter- 
minés par  un  a,  un  i,  un  u,  ou  une  consonne  ;  exemple  :  ve- 
nta, péri,  vengu,  pichot,  resoun. 

Cette  dernière  règle  a  une  exception  :  dans  les  personnes 
des  verbes  terminées  pares  ou  par  on,  comme  anaves  (tu  allais), 
que  digues  (que  lu  dises),  courron  (ils  courent),  sabon  (ils 
savent),  l'accent  Ionique  porte  sur  la  pénultième. 

Il  existe  en  Provençal  des  diphthongues  et  des  Iriphthon- 
gues,  mais  les  voyelles  y  conservent  toujours  leur  valeur 
propre.  Dans  les  diphthongues,  la  voix  doit  dominer  sur  la 
première  voyelle,  comme  en  Italien;  ainsi  :  mai,  rèi,  galoi, 
doivent  se  prononcer  mai,  rèi,  galôï.  Dans  les  triphlhon- 
gues,  come  biai,  pièi,  vuei,  niue,  la  voix  doit  dominer 
sur  la  voyelle  intermédiaire,  tout  en  faisant  sentir  les  au- 
tres. 

La  voyelle  u  se  prononce  comme  en  Français,  excepté  lors- 
qu'elle suit  immédiatement  une  autre  voyelle  ;  dans  ce  der- 
nier cas,  elle  prend  le  son  ou.  Ainsi,  dans  les  diphthongues 
au,  eu,  ou,  et  dans  les  Iriphlhongues  iaii,  iéu,  iôu,  pronon- 
cez àou,  èou,  ôou,  iàou,  iéou,  iàou. 

Cette  règle  a  été  constamment  suivie  par  les  Troubadours 
classiques. 

On  vient  de  voir  que  les  sons  eu,  au,  iéu,  iôu,  sont  accen- 
tués :  c'est  afin  de  les  distinguer  des  sons  eu  et  ou,  qui 
existent  aussi  dans  la  langue  d'Oc  (comme  dans  Enfant  Jeuse, 
enfant  Jésus,  tout,  uroiis,  mounde,  etc.);  c'est  encore  pour 
montrer  que  le  son  doit  être  plus  ou  moins  ouvert  ou  fermé, 
selon  que  l'accent  est  grave  ou  aigu. 


MIRËIO 


MIRÈIO 


CANT  PROUMIÉ 

LOU  MAS  DI  IFALABREGO 


Espousicioun.  —  Invoucacioun  au  Crist,  nascu  dinsla  pastrilio.  —  Un 
viêi  panieraire,  Mèste  Ambrôsi,  emé  soun  drôle,  Vincèn  ,  van  de- 
manda la  relirado  au  Mas  di  Falabrego.  —  Mircio ,  filio  de  Mèste 
Rpmoun,  lou  mèstre  dôu  mas,  ie  fai  la  benvengudo. — Li  ràfi,  après 
soupa,  fan  canta  Mèste  Anibrosi.  —  Lou  vièi,  àutri-fes  marin,  canto 
un  coumbàt  navau  dôu  Baile  Sufren.  —  Mirèio  questiouno  Vincèn. 
—  Récit  de  Vincèn  :  la  casso  di  cantarido ,  la  pesco  dis  iruge,  lou 
miracle  di  i?ànti  Mario ,  la  courso  dis  orne  à  Nimes.  —  Mirèio  es 
espantado  e  soun  amour  pounchejo. 


Gante  uno  cbato  de  Prouvènço. 

Dins  lis  amour  de  sa  jouvènço, 
A  travès  de  la  Grau,  vers  la  mar,  dins  li  bla, 

Umble  escoulan  dôu  grand  Oumèro, 

léu  la  vole  scgui.  Couine  èro 

Rèn  qu'une  cliato  de  la  terro, 
En  foro  de  la  Grau  se  n'es  gaire  parla. 

Emai  soun  front  noun  lusiguèsse 

Que  de  jouinesso  ;  emai  n'agucsse 
Ni  diadèmo  d'or  nimantèude  Damas, 

Vole  qu'en  glôri  fugue  aussado 

Coume  uno  rèino,  e  caressado 

Pèr  nosto  lengo  mespresado. 
Car  cantan  que  pèr  vautre,  o  paslre  c  gènt  di  mas  ! 


MIREILLE 


CHANT  PREMIER 

LE  MAS  DES  MIGOGOULES  » 


Exposition.  —  Invocation  au  Christ,  né  parmi  les  pâtres.  --  Un  vieux 
vannier,  Maître  Ambroise,  et  son  fils,  Vincent,  vont  demander  l'hos- 
pitalité au  Mas  des  Micocoules.  —  Mireille,  fille  de  Maître  Ramon, 
le  maître  de  la  ferme ,  leur  fait  la  bienvenue.  —  Les  laboureurs, 
après  le  repas  du  soir,  invitent  Maître  Ambroise  à  chanter.  —  Le 
vieillard  ,  autrefois  marin,  chante  un  combat  naval  du  Bailli  de 
Suffren.  —  Mireille  questionne  Vincent.  —  Récit  de  Vincent  :  la 
chasse  aux  cantharides,  la  pèche  des  sangsues,  le  miracle  des 
Saintes  Maries,  la  course  des  hommes  à  Nîmes.  —  Ravissement  de 
Mireille,  naissance  de  son  amour. 


Je  chante  une  jeune  fille  de  Provence.  —  Dans  les 
amours  de  sa  jeunesse,  —  à  travers  la  Crau  -,  vers 
la  mer,  dans  les  blés,  —  humble  écolier  du  grand 
Homère,  — je  veux  la  suivre.  Gomme  c'était  —  seu- 
lement une  fille  de  la  glèbe,  —  en  dehors  de  la  Crau 
il  s'en  est  peu  parlé. 


Bien  que  sonfront  ne  resplendît  —  que  de  jeunesse; 
bien  qu'elle  n'eût  —  ni  diadème  d'or  ni  manteau  de 
Damas,  —  je  veux  qu'en  gloire  elle  soit  élevée  — 
comme  une  reine,  et  caressée  —  par  notre  langue 
méprisée,  —  car  nous  ne  chantons  que  pour  vous,  ô 
pâtres  cl  habitants  des  mas. 


4  MIREIO,  CANT  I 

Tu,  Segnour  Dieu  de  ma  patrio, 

Que  nasquèros  dins  la  pastriho, 
Enfioco  mi  paraulo  e  dono-me  d'alen  ! 

Lou  sabes  :  entre  la  verduro, 

Au  soulèu  em'i  bagnaduro, 

Quand  li  figo  se  fan  maduro, 
Yen  l'orne  aloubali  desfrucha  l'aubre  en  plen. 

Mais  sus  l'aubre  qu'eu  espalanco, 

Tu  toujour  quilles  quauco  braiico 
Ounlc  l'omc  abrama  noun  posque  aussa  la  man, 

Bello  jitello  proumierenco, 

E  rcdoulènto,  e  vierginenco, 

Bc.llo  frucho  madalenenco 
Ounte  l'aucèu  de  l'èr  se  vèn  leva  la  fam.  ^ 

léu  la  vese,  aquelo  branqueto, 

E  sa  frcscour  me  fai  lingueto! 
léu  vese,  i  venloulet,  boulega  dins  lou  cèu 

Sa  ramo  e  sa  frucho  inmourtalo... 

Bèu  Dieu,  Dieu  ami,  sus  lis  aie 

De  nosto  lengo  prouvençalo, 
Fai  que  pcsque  avéra  la  branco  dis  auoèu! 

De-long  dôu  Rose,  entre  lipibo 

Elisauseto  de  la  ribo, 
'ù\  un  paure  oustaloun  pèr  l'aigo  rousiga 

L  n  panieraire  demouravo, 

Qu'emé  soun  drôle  pièi  passavo 

De  mas  en  mas,  e  pedassavo 
Li  cancslollo  routo  c  li  panié  Irauca 


MIREILLE,  CHANT  I.  5 

Toi,  Seigneur  Dieu  de  ma  patrie,  —  qui  naquis 
parmi  les  pâtres, — enflamme  mes  paroles  et  donne- 
moi  du  souffle  !  —  Tu  le  sais  :  parmi  la  verdure,  — ■ 
au  soleil  et  aux  rosées,  —  quand  les  figues  mûris- 
sent, —  vient  l'homme,  avide  comme  un  loup,  dé- 
pouiller entièrement  l'arbre  de  ses  fruits. 


Mais  sur  l'arbre  dont  il  brise  les  rameaux,  —  toi, 
toujours  tu  élèves  quelque  branche  —  où  l'homme 
insatiable  ne  puisse  porter  la  main,  —  belle  pousse 
hâtive  ,  — et  odorante,  et  virginale,  —  beau  fruit 
mûr  à  la  Magdeleine,  —  où  vient  l'oiseau  de  l'air 
apaiser  sa  faim. 


Moi,  je  la  vois,  cette  branchette,—  et  sa  fraîcheur 
provoque  mes  désirs!  —  Je  vois,  au  (souffle  des) 
brises,  s'agiter  dans  le  ciel  —  son  feuillage  et  ses 
fruits  immortels...  —  Dieu  beau,  Dieu  ami,  sur  les 
ailes  —  de  notre  langue  provençale,  —  fais  que  je 
puisse  aveindre  la  branche  des  oiseaux  ! 


Au  bord  du  Rhône ,  entre  les  peupHers  —  et  les 
saulaies  de  la  rive,  —  dans  une  pauvre  maisonnette 
rongée  par  l'eau,  —  un  vannier  demeurait,  —  qui, 
avec  sonfds,  passait  ensuite  —  de  ferme  enferme,  et 
raccommodait  —  les  corbeilles  rompues  et  les  pa- 
niers troués. 


1. 


MIRÈIO,  CANT  I. 

Un  jour  qu'èron  ansin  pèr  orto, 

Emé  si  long  fais  de  redorto  : 
—  Paire,  digue  Yincèn,  espinchas  lou  soulèu! 

Vesès,  eila  sus  Magalouno, 

Coume  lou  nivo  l'empielouno  ! 

S'ciquelo  emparo  s'amoulouno, 
Paire,  avans  qu'èstre  au  mas  nous  bagnaren  belèu. 

—  Hôu!  lou  vènt-larg  brando  li  fueio.... 
Noun ! . . .  acô  sara  pas  de  plueio, 

Picspoundeguè  lou  vièi,..  Ah!  s'acô  'ro  lou  Piau, 
Es  diferènl  ! . . . .  —  Quant  fan  d'araire, 
Au  Mas  di  Falabrego,  paire? 

—  Sièis,  respoundè  lou  panieraire. 
Ah  !  'cô's  un  tenamen  di  pu  fort  de  la  Crau  ! 

« 

Tè,  veses  pas  soun  ôuliveto? 

Entre-mitan  i'a  quàuqui  veto 
Devigno  e  d'amelié...  Mai  lou  bèu,  recoupé, 

(E  n'i'a  pas  dos  dins  la  coustiero  !) 

Lou  bèu,  es  que  i'a  tant  de  tiero 

Coume  a  de  jour  l'annado  entiero 
E,  tant  coume  de  tiero,  en  chasco  i'a  de  pèd! 

—  Mai,  faguè  Yincèn,  caspitello  ! 
Peu  bèn  falé  d'ôulivarello 

Pèr  ôuliva  tant  d'aubre  !  —  Hôu  !  tout  acù  se  fai  ! 

Vongue  Toussant,  e  li  Baussenco, 

De  vermeialo,  d'amelenco, 

Te  van  clafi  saco  e  bourrenco  ! . . . 
Tout  en  cansounejant  n'acamparien  bèn  mai! 


MIREILLE,   CHANT  I.  7 

Un  jour  qu'ils  allaient  ainsi  par  les  champs,  — 
avec  leurs  longs  fagots  de  scions  d'osier  :  —  «  Père, 
dit  Vincent,  regardez  le  soleil!  —  Voyez-vous,  là-bas, 
surMaguelonne^,  —  les  piliers  de  nuage  quirêtayent? 
—  Si  ce  rempartvient  à  s'amonceler,  —  père,  avant 
d'être  au  mas,  nous  nous  mouillerons  peut-être.  » 


—  «  Olî!  le  vent  largue*  agite  les  feuilles...  — 
Non  ! . . .  ce  ne  sera  pas  de  la  pluie,  —  répondit  le 
vieillard...  Ah!  si  c'était  le  Rau  ^  —  c'est  diffé- 
rent!... »  —  «  Combien  fait-071  de  charrues,  —  au 
Mas  des  Micocoules,  père?  »  —  «  Six,  répondit  le 
vannier.  —  Ah  !  c'est  là  un  domaine  des  plus  forts 
de  la  Crau  ! 

«  Tiens  !  ne  vois-tu  pas  leur  verger  d'oliviers?  — 
Parmi  eux  sont  quelques  rubans  —  de  vignes  et  d'a- 
mandiers.... Mais  le  beau,  reprit-il  en  s'interrompant, 
—  (et  de  tels,  il  n'en  est  pas  deux  sur  la  côte  !)  —  le 
beau,  c'est  qu'il  y  a  autant  d'allées  —  qu'a  de  jours 
l'année  entière,  —  et  dans  chacune  (d'elles),  autant 
que  d'allées  il  y  a  de  pieds  (d'arbre)  !  » 

—  «  Mais,  fit  Vincent,  caspitello  '  !  —  que  à'oli- 
veuses  il  doit  falloir  —  pour  cueillir  les  oUves  de  tant 
d'arbres!  »  —  «  Oh!  tout  cela  s'achève!  — Vienne  la 
Toussaint,  et  les  filles  des  Baux  ''  —  d' (olives)  ver- 
meilles ou  amijgdalines  —  te  vont  combler  et  sacs 
et  draps!...  —  Tout  en  chantant,  elles  en  amasse- 
raient bien  davantage  !  » 


8  MIRÈIO,  CANT  I. 

EMèste  Ambroi  toujour  parlavo... 
E  lou  soulèu  que  trecoulavo 

Di  plus  bèlli  coulour  tegnié  li  nivoulun  ; 
E  li  bouié,  sus  si  coulado, 
Venien  plan-plan  à  la  soupado', 
Ten'înt  en  l'èr  sis  aguhiado... 

E  la  niue  soumbrejavo  alin  dins  la  palun. 

—  An  !  déjà  s'ontrevèi  dins  l'iero 
Lou  camelun  de  la  paiero, 

Digue  mai  Vincenet  :  sian  au  recatadou!... 

—  Aqui,  ie  vènon  bèn  li  fedo  ! 
Ah  !  pèr  l'estiéu,  an  la  pinedo, 
Pèr  dins  l'ivèr,  la  claparedo, 

Recoumencè  lou  vièi. . .  Hôu  !  aqui  l'a  de  tout  ! 

E  tôuti  aquéli  grands  aubrage 
Que  sus  li  téule  fan  oumbrage! 

E  'quelo  bello  font  que  raio  en  un  pesquié! 
E  tôuti  aquéli  brusc  d'abiho 
Que  chasco  autouno  desabiho, 
E,  tre  que  Mai  s'escarrabiho, 

Pendoulon  cent  eissame  i  grand  falabreguié  ! 

—  Ho  !  pièi,  en  touto  la  terrado, 
Paire,  lou  mai  qu'à  iéu  m'agrado, 

Aqui  faguè  Yincèn,  es  la  chato  dôu  mas... 
E,  se  vous  n'en  souvèn,  moun  paire, 
L'estiéu  passa,  nous  faguè  faire 
Dos  canestello  d'ôulivaire, 

E  mètre  uni  maniho  à  soun  pichot  cabas,- 


ÎIIREILl.E,  CHANT   1.  9 

El  Maître  ÂinbroisG  contimiaii  de  parler....  —  Et 
le  sol 'il,  qui  disparaissait  au  delà  des  collines,  —  des 
plus  belles  couleurs  teignait  les  légers  nuages  ;  —  et 
les  laboureurs,  sur  leurs  bêtes  accouplées  par  le  cou, 
—  vouaient  lentement  au  repas  du  soir,  —  tenant  le- 
vés leurs  aiguillons....  —  Et  la  nuit  commençait  à 
brunir  dans  les  lointains  marécages. 

—  ((  Allons  !  déjà  s'entrevoit,  dans  l'aire,  —  le 
coinljlc  de  la  meule  de  paille,  —  dit  encore  Vincent  : 
nous  voici  au  refuge!  »  —  a  C'est  là  que  pros- 
pèrent les  brebis  !  —  Ab  !  pour  l'été,  elles  ont  le  bois 
de  pins,  — pour  l'hiver,  la  plaine  caillouteuse,  — 
recommença  le  vieillard.  .  Oh!  là,  il  v  a  de  tout! 


«  Et  tous  ces  grands  massifs  d'arbres  —  qui  sur 
les  tuiles  font  ombrage  !  — Et  cette  belle  fontaine  qui 
coule  en  un  vivier  !  —  Et  toutes  ces  ruches  d'abeilles 
—  que  chaque  automne  dépouille,  —  et  (qui),  dès 
que  mai  s'éveille,  —  suspendent  cent  essaims  aux 
grands  micocouliers  !  » 


—  ((  Oh  !  puis,  en  toute  cette  terre,  —  père,  ce  qui 
m'agrée  le  plus,  —  fit  là  Vincent,  c'est  la  fille  de  la 
ferme....  —  Et,  s'il  vous  en  souvient,  mon  père,  — 
elle  nous  fit,  l'été  passé,  faire  —  deux  corbeilles  de 
cueilleur  d'olives,  —  et  mettre  des  anses  à  son  petit 
cabas.  » 


iO  MIRÉIO,  CANT  I. 

En  devisant  de  talo  sorto, 
Se  capitèron  vers  la  porto. 
La  chatoûno  venié  d'arriba  si  magnan; 
E  sus  lou  lindau,  à  l'eigagno, 
Ânavoalor  torse  uno  escagno, 

—  Bon  vèspre  en  touto  la  coumpagno  ! 
Faguè  lou  panieraire  en  jitant  si  vergan. 

—  Mèste  Ambrôsi,  Dieu  vous  lou  donne! 
Digue  la  chato  ;  mouscouloune 

La  pounclîo  de  moun  fus,  vè!...  Vautre?  sias  tardié! 
D'ounte  venès?  de  Valabrego? 

—  Just  !  e  lou  Mas  di  Falabrego 
Se  devinant  sus  nosto  rego, 

Se  fai  tard,  avèn  di,  coucharen  au  paie. 

E'  mé  soun  fiéu,  lou  panieraire 

S'anè  'seta  su'n  barrulaire. 
Sènso  mai  de  resoun,  à  trena  tôuti  dous 

Uno  banasto  coumençado 

Se  groupèron  uno  passado, 

E  de  sa  garbo  desnousado 
Crousavon  e  toursien  li  vege  voulountous. 

Vincèn  avié  sege  an  pancaro  ; 

Mai  tant  dôu  cors  que  de  la  caro, 
Certo,  acô  'ro  un  bèu  drôle,  e  di  miéu  estampa  ; 

Emé  li  gauto  proun  moureto. 

Se  voulès...  mai  terro  ncgrelo 

Adus  toujour  bono  seisseto, 
E  sort  di  rasin  nègre  un  vin  que  fai  trepa 


MIREILLE.   CHANT  I.  11 

En  devisant  ainsi,  —  ils  se  trouvèrent  vers  la  porte. 
—  La  fillette  venait  de  donner  la  feuillée  à  ses  vers  à 
soie;  —  et  sur  le  seuil,  à  la  rosée,  —  elle  allait,  en 
ce  moment,  tordre  un  échcvcau.  —  «  Bonsoir  à  toute 
h  compagnie  !  »  —  fit  le  vannier,  en  jetant  bas  ses 
brins  d'osier. 


—  «  Maître  Ambroise,  Dieu  vous  le  donne  !  —  dit 
la  jeune  fille  ;  je  mets  la  thie  —  à  la  pointe  de  mon  fu- 
seau, voyez!...  Et  vous  autres?  vous  voilà  attardés! 
—  D'où  venez-vous?  de  Valabrègue  *?  »  —  «  Juste  1 
et  le  Mas  des  Micocoules  —  se  rencontrant  sur  notre 
sillon,  —  il  se  fait  tard,  avons-nous  dit,  nous  couche- 
rons à  la  meule  de  paille.  » 

Et,  avec  son  fils,  le  vannier  —  alla  s'asseoir  sur  un 
rouleau  (de  labour).  —  Sans  plus  de  paroles,  à  tres- 
ser tous  les  deux  —  une  manne  commencée,  —  ils 
se  mirent  (avec  ardeur)  un  instant,  —  et  de  leur 
gerbe  dénouée  —  ils  croisaient  et  tordaient  les  osiers 
dociles. 


Vincent  n'avait  pas  encore  seize  ans  ;  —  mais  tant 
de  corps  que  de  visage,  —  c'était,  certes,  un  beau 
gars,  et  des  mieux  découplés,  —  aux  joues  assez 
brunes,  —  en  vérité...  mais  terre  noirâtre  —  tou- 
jours apporte  bon  froment,  —  et  sort  des  raisins  noirs 
un  vin  qui  fait  danser* 


12  MIRfilO,  CAM  I. 

De  quote  biais  fau  (luc  lou  vegc 

E  se  prépare  e  se  gaubejc, 
Eu  lou  sabié  de  founs;  noun  pas  que  sus  lou  fin 

Travaiojèsse  d'ourdinàri  : 

Mai  de  banasto  pèr  ensàrri, 

Tout  ce  qu'i  mas  ci  necessàri, 
E  de  rous  terreirôu,  e  de  bràvi  coufin; 

De  panié  de  cano  fendudo, 
Qu'es  tout  d'eisino  lèu  vendudo, 

E  d'cscoubo  de  mi,...  tout  acô,  'mai  bon  mai, 
Eu  lou  façounavo  à  grand  désire, 
Bon  e  pou  lit,  de  man  de  mèstre... 
Mai,  de  l'estoublo  e  dôu  campèstre, 

Lis  orne  èron  déjà  revengu  dôu  travai. 

Déjà  deforo,  à  la  fresquiero, 

Mirèio,  la  gènto  masiero, 
Sus  la  taulo  de  pèiro  avié  mes  lou  bajan  ; 

E  dôu  plalas  que  treviravo, 

Cbasque  ràfî  déjà  tiravo, 

A  plen  cuié  de  bonis,  li  favo... 
E  lou  vièi  e  soun  fiéu  trenavon.  —  Bèn?  vejan! 

Venès  pas  soupa,  Mèste  Ambrôsi? 

Emé  soun  èr  un  pau  renôsi 
Digue  Mèste  Ramoun,  lou  majourau  dôu  mas. 

An!  leissasdounc  la  canestcUo! 

Vesès  pas  naisse  lis  estello?... 

Mirèio,  porgc  uno  cscudello. 
An  !  à  la  taulo!  d'aul!  que  dcvès  cstrc  las. 


MIREILLE,  CHANT  I  13 

De  quelle  manière  doit  l'osier  —  se  préparer,  se 
manier,  —  lui  le  savait  à  fond  ;  non  pas  que  sur  le 
fin  —  il  travaillât  d'ordinaire:  —  mais  des  mannes 
à  suspendre  au  dos  des  hôtes  de  somme,  —  tout  ce 
qui  aux  fermes  est  nécessaire,  —  des  terriers  roux 
et  des  coffins  commodes  ; 


Des  paniers  de  roseaux  refendus,  —  tous  ustensiles 
de  prompte  vente,  —  et  des  balais  de  millet,...  tout 
cela,  et  bien  plus  encore,  —  il  le  faisait  rapidement, 
—  bon,  gracieux,  de  main  de  maître...  —  Mais,  de 
la  jachère  et  de  la  lande, — ^  les  hommes,  déjà,  étaient 
revenus  du  travail. 


Déjà,  dehors,  à  la  fraîcheur,  —  Mireille,  la  gentille 
fermière,  —  sur  la. table  de  pierre  avait  mis  la  salade 
de  légumes  ;  —  et  du  large  plat  chavirant  (sous  la 
charge) ,  —  chaque  valet  tirait  déjà,  —  à  pleine  cuiller 
de  buis,  les  fèves...  --  Et  le  vieillard  et  son  fils  tres- 
saient. —  «  Eh  bien?  voyons  ! 


«  Ne  vonez-vous  pas  souper.  Maître  Âmbroisc  ?  — 
avec  son  air  un  peu  bourru,  —  dit  Maître  Ramon,  le 
chef  de  la  ferme.  —  Allons,  laissez  donc  la  corbeille  ! 
—  Ne  voyez-vous  pas  naître  les  étoiles  ?  —  Mireille, 
apporte  une  écuelle.  —  Allons  '  à  table  î  car  vous 
devez  être  las.  » 


14  HIRÈIO,  GANT   I 

—  Anen  !  faguè  lou  panierairc. 

E  s'avancèron  à-n-iin  caire 
Do  la  taulo  de  pèiro,  e  coupèron  de  pan. 

Mirèio,  vitamen,  braveto, 

Emé  l'ôli  de  l'ôuliveto 

le  garniguè'n  plat  de  faveto  ; 
Venguè  pièi  en  courrènt  i'adurre  de  si  man. 

Dins  si  quinge  an  èro  Mirèio.... 

Coustiero  bluio  de  Font-vièio, 
E  vous,  colo  baussenco,  e  vous,  piano  de  Crau, 

N'avès  pu  vist  de  tant  poulido  ! 

Lou  gai  soulèu  l'avié  'spelido  ; 

E  nouveleto,  afrescoulido, 
Sa  caro,  à  flour  de  gauto,  avié  dous  pichot  trau. 

E  soun  regard  èro  uno  eigagno 

Qu'esvalissié  touto  magagno.,. 
Dis  estello  mens  dons  èi  lou  rai,  e  mens  pur  ; 

le  negrejavo  de  trenello 

Que  tout-de-long  fasien  d'anello  ; 

E  sa  peitrino  redounello 
Èro  un  pessègue  double  e  panca  bèn  madur. 

E  fouligaudo,  e  belugueto, 

E  sôuvagello  uno  brigueto  ! . . . 
Ah  !  dins  un  vèire  d'aigo,  entre  vèire  aquèu  biai, 

Toulo  à  la  fes  l'aurias  begudo  ! 

Quand  pièi  chascun,  à  Tabitudo, 

Aguè  parla  de  sa  batudo, 
(Goumeaumas,coumeautèmsdemounpaire,ai!ai!ai!) 


MIREILLE.  CHANT  I.  15 

--  «  Allons  !  »  fit  le  vannier.  —  Et  ils  s'avancèrent 
vers  un  coin  —  de  la  table  de  pierre,  et  coupèrent  du 
pain.  —  Mireille,  leste  et  accorte,  —  avec  l'huile  des 
oliviers  —  assaisonna  pour  eux  un  plat  de  féveroles. 
—  Elle  vint  ensuite  en  courant  le  leur  apporter  de 
ses  mains. 


Mireille  était  dans  ses  quinze  ans...  —  Côte  bleue 
de  Font-vieille",  — et  vous,  coWmes  haiissenques^", 
et  vous,  plaines  de  Crau,  —  vous  n'en  avez  plus  vu 
d'aussi  belle  !  —  Le  gai  soleil  l'avait  éclose  ;  —  et 
frais,  ingénu,  —  son  visage,  à  fleurde  joues,  avait  deux 
fossettes. 


Et  son  regard  était  une  rosée  —  qui  dissipait  toute 
douleur...  —  Des  étoiles  moins  doux  est  le  rayon,  cî 
moins  pur  ;  —  il  lui  brillait  de  noires  tresses  —  qui 
tout  le  long  formaient  des  boucles  ;  —  et  sa  poitrine 
•arrondie  —  était  une  pêche  double  et  pas  encore  bien 
mûre. 


Et  folâtre,  et  sémillante,  —  et  sauvage  quelque 
peu  !...  —  Ah!  dans  un  verre  d'eau,  en  voyant  celle 
grâce,  — toute  à  la  fois  vous  l'eussiez  bue  !  —  Quand 
puis  chacun,  selon  la  coutume,  —  eut  parlé  de  son 
travail  —  (comm&  au  wfl5,  comme  au  temps  de  mon 
père,  hélas  !  hélas  !) 


16  MIRÈIO,  CANT  I. 

—  Bèn?  Mèsle  Ambroi,  aqueslo  bruno, 
Nous  n'en  canlarés  pas  quaucuno  ? 

Diguèron  :  es  eiçô  lou  repas  que  se  dor 

—  Chut  !  lïii  bons  ami...  Quau  se  trufo, 
Respoundè  lou  vièi,  Dieu  lou  bufo 
Efai  vira  coume  baudufo?... 

Gantas  vautre,  jouvènt,  que  sias  jouinc  emai  fort.' 

—  Mèste  Ambroi,  diguèron  li  ràfi, 
Noun,  noun,  parlan  pas  pèr  esoàfi  I 

Mai  vè  !  lou  vin  de  Crau  vai  toutaro  escampa 
De  voste  got...  D'aut!  touquen,  paire' 

—  Ah  !  de  mouu  tèms  ère  un  cantaire, 
Âlor  faguè  lou  panieraire  ; 

Mai  aro,  que  voulès?  li  mirau  soun  creba  ! 

—  Si  !  Mèste  Ambroi ,  acô  recrèio  : 
Gantas  un  pau,  digue  Mirèio. 

—  Bellochatouno,  Ambroi  vcnguè  donne  coume  acô, 
Ma  voues  noun  a  plus  que  l'arcsto  ; 
Mai  pèr  te  plaire  es  déjà  presto. 
E  tout-d'un-tèms  coumencè'questo, 

Après  agué  de  vin  escoula  soun  pion  got: 


Lou  Baile  Sufren,  que  sus  mar  coumando, 
Au  port  de  Touloun  a  donna  signau... 
Partèn  de  Touloun  cinq  cent  Prouvençau. 


MIREILLE,   CHANT  I.  17 

—  «  Eh  bien?  Maître  Âmbroise,  ce  soir,  —  ne  nous 
chanterez-vous  ri.en?  —  dirent-ils  :  c'est  ici  le  repas 
où  l'on  dort!  »  —  «  Chut!  mes  bons  amis...  (Sur) 
celui  qui  raille,  —  répondit  le  vieillard,  Dieu  souf- 
fle, —  et  le  fait  tourner  comme  toupie  ! . . .  —  Chan- 
tez vous-mêmes,  jouvenceaux,  qui  êtes  jeunes  et 
forts  !  » 

«  Maître  Ambroise,  dirent  les  laboureurs,  —  non, 
non,  nous  ne  parlons  point  par  moquerie  !  —  Mais 
voyez'  le  vin  de  Crau  va  tout  à  l'heure  déborder  — 
de  votre  verre...  Çà  !  trinquons,  père!  »  —  «  Ah!  de 
mon  temps,  j'étais  un  chanteur,  —  fit  alors  le  van- 
nier; —  mais  à  présent,  que  voulez-vous?  les  miroirs 
sont  crevés  ^^  !  » 

—  «  De  grâce  !  Maître  Ambroise,  cela  récrée  :  — 
chantez  un  peu,  »  dit  Mireille.  —  «  Belle  fillette,  re- 
partit donc  Âmbroise,  —  ma  voix  est  un  épi  égrené  ; 
—  mais  pour  te  plaire,  elle  est  déjà  prête.  »  —  Et 
aussitôt  il  commença  cette  (chanson),  —  après  avoir 
vidé  son  plein  verre  de  vin  : 


Le  Bailli  Suffren,  qui  sur  mer  commande,  —  au 
port  de  Toulon  a  donné  signal...  • —  Nous  partons  de 
Toulon  cinq  conts  Provençaux. 

2. 


18  MIRÈIO.  GANT  1. 

D'ensaca  l'Ânglés  l'cnvejo  èro  grando: 
Youlèn  plus  tourna  dins  nôstis  austau 
Ouc  noun  de  l'Andés  vegucn  la  desbrando. 


II 


Mai  lou  proumié  mes  que  navegavian, 
N'avèn  \ist  degun,  que  dins  lis  enteno 
Li  vôu  de  gabian  voulant  pèr  centeno.. 

Mai  lou  segound  mes  que  vanegavian, 
Uno  broufounié  nous  baie  proun  peno  ! 
E,  la  niue,  lou  jour,  dur  agoutavian. 

in 

Mai  lou  tresen  mes,  nous  prenguè  l'enràbi; 
Nous  bouié  lou  sang,  de  degun  trouba 
Que  noste  canoun  pousquèsse  escouba. 

Mai  alor  Sufren;  Picboun,  à  la  gàbi  ! 
Nous  fai  ;  e  subran  lou  gabié  courba 
Espincho  eilalin  vers  la  costo  aràbi... 


0  Iron-de-bon-goi  !  cridè  lou  gabié, 
Très  gros  baslimen  tout  dre  nous  arribo  ! 
—  Alerto,  picboun  !  li  canoun  en  ribo  ! 

Cridè  qualecant  lou  grand  marinié. 
Que  taston  d'abord  lifigo  d'Antibo  ! 
N  l'en  pourgiren,  pièi,  d'un  autre  panié. 


MIREILLE,  CHANT   I.  19 

De  ballro  l'Anglais  grande  était  l'envie:  —  nous  ne 
voulons  plus  retourner  dans  nos  maisons  —  avant  que 
de  l'Anglais  nous  n'ayons  vu  la  déroute. 

H 

Mais  le  premier  mois  que  nous  naviguions,  — nous 
n'avons  vu  personne,  sinon,  dans  les  antennes,  —  le 
vol  des  goélands  volant  par  centaines. 

Mais  le  deuxième  mois  que  nous  courions  (la  mer), 
—  assez,  une  tourmente,  nous  donna  de  peine  !  — 
et  la  nuit  et  le  jour,  nous  vidions,  ardents,  l'eau  (du 
navire). 

III 

Mais  le  troisième  mois,  la  rage  nous  prit:  —  le  sajig 
nous  bouillait,  de  ne  trouver  personne  —  que  notre 
canon  pût  balayer. 

Mais  alors  Suffren:  «  Enfants,  à  la  hune  !  »  —  Il  dit, 
et  soudain  le  gabier  courbé  —  épie  au  lointain  vers 
la  côte  arabe. . . 

IV 

—  «  0  tron-de-bon-goï!  cria  le  gabier,  —  trois  gros 
bâtiments  tout  droit  nous  arrivent  !»  —  u  Alerte, 
enfants  !  les  canons  aux  sabords  !  » 

Cria  aussitôt  le  grand  marin.  —  «  Qu'ils  tâtenLd'a 
bord  des  figues  d'Antibes  !  —  nous  leur  en  offrirons, 
ensuite,  d'un  autre  panier.  » 


20  Mir.ÈIO,  GANT  l. 


N'avié  panca  di,  se  vèi  qu'uno  flamo: 
Quaranto  boulet  van  coume  d'uiau 
Trauca  de  1  Angles  li  veissèu  reiau... 

Un  di  bastimen,  ie  reslè  que  l'amo  ! 
Lontèms  s'entend  plus  que  li  canoun  rau, 
Lou  bos  que  cracino  e  la  mar  que  bramo. 


VI 

Di  nemi  pamens  un  pas  tout-au-mai 
Nous  tèn  sépara:  que  l)onur  !  que  chale' 
Lou  Baile  Sufrcn,  entrepide  e  pale, 

E  que  sus  lou  pont  brandavo  jamai  : 

—  Pichot!  crido  enfin,  que  veste  fio  cale! 

E  vougnen-lèi  dur'mé  d'ôli  de-z-Ai  I 


VII 

N'avié  panca  di,  mai  tout  l'équipage 
Lainpo  is  alabardo,  i  visplo,  i  destrau, 
E,  grapin  en  man,  l'ardi  Prouvençau, 

D'un  soulet  alen,  crido:  A  l'arrambage î 
Sus  lou  bord  angles  sautan  dins  qu'un  saut, 
E  coumenço  alor  lou  grand  mourtalage  ! 


MIRETLIE,  CHANT  I.  21 


Il  n'avait  pas  encore  dit,  on  ne  voit  qu'une  flamme: 
—  quarante  boulets  vont,  comme  des  éclairs,  — 
trouer  de  l'Anglais  les  vaisseaux  royaux. . . 

A  l'un  des  bâtiments  ne  resta  que  l'âme  !  —  Long 
temps  on  n'entend  plus  que  les  canons  rauques,  — 
le  bois  qui  craque  et  la  mer  qui  mugit. 


VI 


Des  ennemis,  cependant,  un  pas  tout  au  plus  — 
nous  tient  séparés  :  quel  bonheur  !  quelle  volupté  ! — 
Le  Bailli  Suffren,  intrépide  et  pâle. 

Et  qui  sur  le  pont  était  immobile  :  —  «  Enfants  ! 
crie-t-il  enfin,  que  votre  feu  cesse!  —  Et  aignons- 
les  ferme  avec  l'huile  d'Aix  !  » 


VII 

Il  n'avait  pas  encore  dit,  mais  l'équipage  entier  — 
s'élance  aux  hallebardes,  aux  vouges,  aux  haches,  — 
et,  grappin  en  main,  le  Iiardi  Provençal, 

D'un  souffle  unanime,  crie  :  «  A  l'abordage!  »  -^ 
Sur  le  bord  anglais  nous  sautons  d'un  saut,  —  et 
commence  alors  le  grand  massacre  ! 


22  MIRÈIO,  GANT  I, 

VII 

Oh  !  quénti  bacèu  !  oh  !  que  chapladis  ! 
Que  crèbis  que  fan  l'aubre  que  s'esclapo, 
Souto  li  marin  lou  pont  que  s'aclapo  ! 

Mai  que  d'un  Angles  cabusso  e  péris; 
Mai  d'unProuvençau  à  l'Ânglés  s'arrapo, 
L'estren  dins  sis  arpo,  e  s'aproufoundis. 

—  Sèmblo,  parai?  qu'es  pas  de  croire! 
Aqui  se  coupé  lou  bon  rèire. 

Es  pamens  arriba  tau  que  dins  la  cansoun. 
Certo,  poudèn  parla  sens  crento, 
léu  l'ère  que  teniéu  l'cmpento  ! 
Ha  !  ha  !  tambèn,  dins  ma  mémento,  - 

Quand  visquèsse  milo  an,  milo  an  sararejoun! 

—  Hoi!...  sias  esta  d'aquéu  grand  chaple? 
Mai,  coume  un  dai  souto  l'enchaple, 

Deguèron,tres  contro  un,  vous  escrapouchina! 

—  Quau?  lis  Angles?  foi  en  coulêro 
Lou  vièi  marin  que  s'engimerro... 
Tournamai,  risoulet  coume  èro, 

Reprenguè  fieramen  soun  cant  entamona  : 

IX 

'  Li  pèd  dins  lou  sang,  duré  'quelo  guerre 
Descmpièi  dos  ouro  enjusqu'à  la  niuc. 
Verai,  quand  la  poudro  embourniè  pu  l'iue, 


MIREILLE.  CHANT  I.  23 


Oh!  quels  coups!  oh!  quel  carnage! —  Quel  fracas 
font  le  mât  qui  se  rompt,  —  sous  les  marins  le  pont 
qui  s'effondre  ! 

Plus  d'un  Anglais  plonge  et  périt  ;  —  plus  d'un 
Provençal  empoigne  l'Anglais,  —  l'étreint  dans  ses 
griffes,  et  s'engloutit. 


—  (?  11  semble,  n'est-ce  pas?  que  ce  n'est  pas 
croyable!  —  Là  s'interrompit  le  bon  aïeul.  — 
C'est  pourtant  arrivé  tel  que  dans  la  chanson.  — 
Certes,  nous  pouvons  parler  sans  crainte,  — j'y  étais, 
moi,  tenant  le  gouvernail!  —  Ah!  ah!  aussi,  dans 
ma  mémoire,  —  dussé-je  vivre  mille  ans,  mille  ans 
cela  sera  serré.  » 

—  ft  Quoi  ! . . .  vous  avez  été  de  ce  grand  massacre? 

—  Mais,  comme  une  faux  sous  le  marteau  qui  la  bat, 

—  ils  durent,  trois  contre  un,  vous  écraser!  »  — 
«  Qui?  les  Anglais  !  »  dit  —  le  vieux  marin  se  cabrant 
de  colère...  —  De  nouveau,  redevenu  souriant,  —  il 
reprit  fièrement  son  chant  entamé  : 


IX 

Les  pieds  dans  le  sang,  dura  celte  guerre  —  de- 
puis deux  heures  jusques  à  la  nuit.  —  De  vrai,  quand 
la  poudre  n'aveugla  plus  l'œil, 


24  MIllÈIO,  CANT  L 

Mancavo  cent  orne  à  nosto  galèro  ; 
Mai  très  bastiirien  passèron  pèr  iue, 
Très  bèu  bastimcn  dôu  rèi  d'Ando-terro  ! 


Pièi  quand  s'envenian  au  païs  tant  dons, 
Emé  cent  boulet  dins  nôsli  murado, 
Emé  vergo  en  tros,  vélo  espeiandrado. 

Tout  en  galejant,  lou  Baiic  amistous  : 

—  Boulas,  nous  digue,  boutas,  cambarado! 
Au  rèi  de  Paris  parlarai  de  vous. 

XI 

—  0  noste  amirau,  ta  paraulo  es  franco, 
l'avèn  respoundu,  lou  rèi  t'ausira... 
Mai,  pàuri  marin,  de-que  nous  fara? 

Avèn  tout  quita,  l'oustau,  la  calanco, 
Pèr  courre  à  sa  guerro  e  pèr  l'apara, 
E  vases  pamens  que  lou  pan  nous  nianco  ! 

XII 

Moi  se  vas  amount,  cnsonvène-to, 
Quand  se  clinaran  sus  toun  bèu  passage, 
Que  res  t'arno  autant  que  toun  équipage. 

Car,  0  bon  Sufren,  s'avian  lou  poudé, 
Davans  que  tourna  dins  nôsti  vilage, 
Te  pourlarian  rèi  sus  lou  boyt  dôu  det' 


MIREILLE,  CHANT   I.  2S 

A  noire  galère  il  manquait  cent  hommes;  —  mais 
sombrèrent  trois  bâtiments,  —  trois  beaux  bâtiments 
du  roi  d'Angleterre  ! 


Puis,  quand  nous  revenions  au  pays  si  doux,  — 
avec  cent  boulets  dans  nos  bordages,  —  avec  vergues 
en  tronçons,  voiles  en  lambeaux, 

Tout  en  plaisantant,  le  Bailli  affable  :  —  «  Allez, 
nous  dit-il,  allez,  camarades!  —  au  roi  de  Paris  je 
parlerai  de  vous.  » 

XI 

—  ï  0  notre  amiral,  ta  parole  est  franche,  — lui 

avons-nous  répondu,  le  roi  t'entendra — Mais, 

pauvres  marins,  que  nous  servira-t-il? 

«  Nous  avons  tout  quitté,  la  maison,  l'anse  (du 
rivage),  —  pour  courir  à  sa  guerre  et  pour  le  défen- 
dre, —  et  tu  vois  pourtant  que  le  pain  nous  man- 
que ! 

XII 

«  Mais  si  tu  vas  là-haut,  souviens-toi,  —  lorsqu'ils 
s'inclineront  sur  ton  beau  passage,  —  que  nul  ne 
t'aime  comme  tes  matelots  ! 

«  Car,  ô  bon  Suffren,  si  nous  (en)  avions  le  pou- 
voir, —  avant  de  retourner  dans  nos  villages,  —  nous 
te  porterions  roi  sw'  le  bout  du  doigt  l  » 

3 


26  MIRIÈIO,  GANT  I 

XIII 

Es  un  Martcgau  qu'à  la  vesperado 
A  fa  la  cansouu,  en  calant  si  tis... 
Lou  Baile  Sufren  parte  pèr  Paris  ; 

Hdien  que  li  gros  d  aquelo  encounlrado 
Fuguèron  jalons  de  sa  renoumado, 
!  si  vièi  marin  jamai  l'an  pu  vist  ! 

A  tèms  lou  vièi  dis  amarino 

Acabè  sa  cansoun  marino, 
Que  sa  voues  dins  li  plour  anavo  s'ennega, 

Mai  pèr  li  ràfi  noun  pas  certo, 

Car  sens  muta,  la  tèsto  alerto, 

E'mé  li  bouco  entreduberto, 
Lontèms  après  lou  cant  escoutavon  enca. 

—  E  vaqui,  quand  Marto  fielavo, 
Li  cansoun,  dis,  que  se  cantavo  ! 
Èron  bello,  o  jouvènt,  e  tiravon  de  long... 
L'èr  s'èi  fa'n  pau  vièi,  mai  que  provo? 
Aro  n'en  canton  de  pu  novo, 
En  franchiman,  ounte  s'atrovo 
De  mot  forço  pu  fin  ..  mai  quau  i'enlènd  quicon? 

E  dou  vièi  su'quelo  paraulo, 

Li  bouié,  s'aussant  de  la  taulo, 
Èron  ana  mena  si  sièis  couble  au  raiôu 

De  la  bello  aigo  couladisso  ; 

E  sont  la  triho  penjadisso, 

En  zounzounant  la  cantadisso 
Dou  vièi  Yalabregan,  abéuravon  li  miôu. 


MIREILLE,  CHANT  I.  27 

XI  11 

C'est  un  Martégal  '-  qui,  à  la  vêprée,  —  a  fait  la 
chanson,  en  tendant  ses  tramaux...  —  Le  Bailli  Suf- 
fren  partit  pour  Paris  -, 

Et,  dit-on,  les  grands  de  celte  contrée  —  furent 
jaloux  de  sa  gloire,  —  et  ses  vieux  marins  jamais  ne 
l'ont  plus  vu  1 

A  temps  le  vieillard  aux  brins  d'osier  ■ —  acheva  sa 
chanson  marine,  —  car  sa  voix  dans  les  pleurs  allait 
se  noyer;  —  mais  trop  tôt,  certes,  pour  les  garçons 
de  labour,  —  car,  sans  mot  dire,  la  tête  éveillée  — 
et  les  lèvres  entrouvertes,  —  longtemps  après  le 
chant  ils  écoutaient  encore. 

—  «  Et  voilà,  quand  Marthe  filait  '',  —  les  chan- 
sons, dit-il,  que  l'on  chantait!  —  Elles  étaient  belles, 
ô  jouvenceaux,  et  tiraient  en  longueur...  —  L'air  a 
un  peu  vieilli,  mais  qu'importe?  —  Maintenant  on  en 
chante  de  plus  nouvelles,  —  en  français,  où  l'on 
trouve —  des  mots  beaucoup  plus  fins...  mais  qui  y 
entend  quelque  chose?  » 

Et  sur  cette  parole  du  vieillard,  —  les  laboureurs, 
se  levant  de  table,  —  étaient  allés  conduire  leurs 
six  paires  (de  bêtes)  au  jet  —  de  la  belle  eau  cou- 
lante; —  et  sous  la  treille  (aux  rameaux)  pendants, 
—  en  fredonnant  la  chanson  —  du  vieux  de  Valabrè- 
gue,  ils  abreuvaient  les  mulets. 


28  MIRÈIO,  CANT  I. 

Mai  Mirèio,  louto  souleto, 

Èro  restado,  risouleto, 
Restado  emé  Vincèn,  lou  fiéu  de  Mèste  Ambroi  ; 

E  tôuli  dous  ensèn  parlavon, 

E  si,  dos  tèsto  pendoulavon 

Uno  vers  l'autro,  que  semblavon, 
Dos  cabridello  en  flour  que  clino  un  vent  galoi. 

—  Ace!  Vincèn,  fasié  Mirèio, 
Quand  sus  l'esquino  as  ta  bourrèio 

E  que  t'envas  pèr  orto  adoubant  li  panié, 
N'en  dèves  vèire,  dins  ti  viage, 
De  castelas,  de  lio  sôuvage, 
D'endré,  de  vot,  de  roumavage!... 

Naulre,  sourtèn  jamai  de  noste  pijounié! 

—  Acô  's  bèn  di,  madamisello  ! 
De  l'enterigo  di  grounsello 

Tant  vous  levas  la  set  que  de  béure  au  boucau; 
E  se,  pèr  acampa  l'oubrage, 
Dôu  tèms  fau  eissuga  l'outrage, 
Tambèn  a  soun  plesi,  lou  viage, 

E  l'oumbro  dôu  camin  fai  ôublida  la  caud. 

Coume  toutaro,  tre  qu'estivo, 

Tant  lèu  que  lis  aubre  d'oulivo 
Se  saran  tout-de-long  enrasina  de  flour, 

Dins  li  planlado  cinblanquesido 

E  sus  li  frais,  à  la  sentido, 

Anan  cassa  la  cantarido. 
Quand  verdejo  e  lusis  au  gros  de  la  calour. 


MIREILLE,  CITANT  I.  29 

Mais  Mireille,  toute  seulelte,  —  était  restée,  rieuse, 

—  restée  avec  Vincent,  le  fils  de  Maître  Ambroise;  — 
et  tous  deux  parlaient  ensemble,  —  et  leurs  deux 
têtes  se  penchaient  —  l'une  vers  l'autre,  semblables 

—  à  deux  cabridelles  '*  en  fleur  qu'incline  un  vent 
joyeux. 


—  «  Ah  çà  !  Vincent,  disait  Mireille,  —  quand  tu 
as  sur  le  dos  ta  bourrée,  —  et  que  lu  erres  çà  et  là, 
raccommodant  les  paniers,  —  en  dois-tu  voir,  dans 
tes  courses,  —  des  châteaux  antiques,  des  lieux  sau- 
vages, —  des  endroits,  des  fêtes,  des  pardons!...  — 
Nous,  nous  ne  sortons  jamais  de  notre  colombier!  » 


—  «  C'est  bien  dit,  mademoiselle  !  —  De  l'agace- 
ment (produit  aux  dents)  par  les  groseilles  —  autant 
la  soif  s'étanche  comme  de  boire  au  pot  ;  —  et  si, 
pour  amasser  l'ouvrage,  —  il  faut  essuyer  l'outrage 
du  temps,  —  tout  de  même  le  voyage  a  son  plaisir, 
—  et  l'ombre  de  la  route  fait  oublier  le  chaud. 


({  Ainsi,  tout  à  l'heure,  dès  que  l'été  vient,  —  sitôt 
que  les  arbres  d'olives  —  se  seront  totalement  cou- 
verts de  grappes  de  fleurs,  — dans  les  vergers  devenus 
blancs,  —  et  sur  les  frênes,  au  flair,  —  nous  allons 
chasser  la  cantharide,  —  lorsqu'elle  verdoie  et  luit  au 
foi't  de  la  chaleur. 


50  MIRÈTO,  GANT  I. 

Pièi  nous  li  croumpon  i  boutigo... 

Quouro  ciiièn,  dins  li  garrigo, 
Loii  vormé  rouge;  quouro,  i  clar,  anan  pesca 

De  liro-sang.  La  bravo  pesco! 

Pas  besoun  de  fielat  ni  d'esco  : 

l'a  que  de  batre  l'aigo  fresco, 
L'iruge  à  vôsli  cambo  arribo  s'empega. 

Mai  sias  jamai  estado  i  Santo?... 

Es  aqui,  pauro!  que  se  canto, 
Âqui  que  de  pertout  s'adus  li  malandrous  ! 

le  passerian  qu'èro  la  voto... 

Certo,  la  glèiso  èro  pichoto, 

Mai  quénti  crid!  e  quant  d'esvoto  ! 
—  0  Santo,  grandi  Santo,  agués  pieta  de  nous! 

Es  l'an  d'aquéutant  grand  miracle... 

Moun  Dieu  !  moun  Dieu  !  quet  espetacle  ! 
Un  enfant  èro  au  sôu,  plourant,  malautounet, 

Poulit  coume  Sant  Jan-Batisto; 

E  d'uno  voues  pietouso  e  tristo  : 

—  0  Santo,  rendès-me  la  visto, 
Fasié,  vous  adurrai  moun  agneloun  banet. 

A  soun  entour  li  plour  coulavon. 
Dôu  tèms,  li  caisso  davalavon. 

Plan-plan,  d'eilamoundaut,  sus  lou  pople  agrouva; 
E  pas-pu-lèu  la  tourtouiero 
Moulavo  un  pau,  la  glèiso  entiero, 
Coume  un  gros  vent  dins  li  broutiero, 

Cridavo:  Grandi  Santo,  oh  !  venès  nous  sauva  ! 


MIREILLE,  CHANT  I.  51 

«  Puis,  on  nous  les  achète  aux  boutiques...  — 
Tantôt  nous  cueillons,  dans  les  garrigiies^'^,  —  le 
licrmès  rouge;  tantôt,  aux  lacs,  nous  allons  pécher 
—  des  sangsues.  La  charmante  pêche l  —  Pas  be- 
soin de  filet  ni  d'appât  :  —  il  n'y  a  qu'à  battre  l'eau 
fraîche,  —  la  sangsue  à  vos  jambes  vient  se  coller. 


«  Mais  n'avez-vous  jamais  été  aux  Saintes  *"?  — 
C'est  là,  pauvrette!  que  l'on  chante  ;  —  là  que  de 
toute  part  on  apporte  les  infirmes  !  —  Nous  y  passâ- 
mes lors  de  la  fête...  —  Certes,  l'église  était  petite, 
—  mais  quels  cris!  et  que  d'ex-voto!  —  «  0  Saintes, 
grandes  Saintes,  ayez  pitié  de  nous  !  » 


«  C'est  l'année  de  ce  grand  miracle... — Quel  spec- 
tacle !  mon  Dieu'  mon  Dieu  !  —  Un  enfant  était  par 
terre,  pleurant,  malingre,  —  joli  comme  Saint  Jean- 
Baptiste;  et  d'une  voix  triste  et  plaintive:  —  «0  Sain- 
tes, rendez-moi  la  vue,  —  disait-il  !  je  vous  apporterai 
mon  agnelet  cornu.  » 


«  Autour  de  lui  coulaient  les  pleurs.  —  En  même 
temps,  les  châsses  descendaient"  —  lentement  de 
là-haut  sur  le  peuple  accroupi;  — et  sitôt  que  le  câble 
— moUissait  tant  soit  peu,  l'égUse  entière,  —  comme 
un  grand  vent  dans  les  taillis,  —  criait:  «  Grandes 
Saintes,  oh  !  venez  nous  sauver  !  » 


32  MinÈIO,  GANT  I 

Mai,  dins  li  bras  de  sa  meirino, 

De  si  menoto  mistoulino 
Trc  que  lenfantounet  pousquè  touca  lis  os 

Di  tr^s  Mario  benurouso, 

S'arrapo  i  caisso  miraclouso, 

Emé  i'arpiado  vigourouso 
Dôu  negadis  en  quau  la  niar  jito  iino  post  ! 

Mai  pas-pu-lèu  sa  man  aganto 

Em'afecioun  lis  os  di  Santo, 
(Lou  veguère  !)  subran  cridè  l'enfantounet 

Emé'no  fe  merevihouso  : 

—  Yese  li  caisso  miraclouso  ! 

Vese  ma  grand  touto  plourouso  ! 
Ànen  querre,  lèu,  lèu,  mounagneloun  banet! 

E  vous  tambèn,  madamisellb,   - 
Dieu  vous  mantèngue  urouso  e  bello! 

Mai  s'un  chin,  un  lesert,  un  loup,  o'n  serpatas, 
0  touto  autro  bèsti  courrènto, 
Vous  fai  senti  sa  dent  pougnènto  ; 
Se  lou  malur  vous  despoutènto, 

Courras,  courrès  i  Santo  !  aurés  lèu  de  soûlas, 

Ansin  fusavo  la  vihado, 

La  carreto  desatalado 
Emé  si  grandi  rodo  oumbrejavo  pas  liun; 

Tèms-en-tèms  dins  li  palunaio 

S'entendié  dinda'no  sounaio... 

E  la  machoto  que  pantaio 
Au  cant  di  roussignôu  apoundié  soun  plagnun. 


MIREILLE,  CHANT  L  ,   33 

«  Mais,  dans  les  bras  de  sa  marraine,  —  de  ses  pe- 
tites mains  finettes, — dès  que  l'cnfantelet  put  toucher 
aux  ossements  —  des  trois  bienheureuses  Maries, 
—  il  se  cramponne  aux  châsses  miraculeuses  —  avec 
la  vigoureuse  étreinte  —  du  naufragé  à  qui  la  mer 
jette  une  planche  ! 


«  Mais  à  peine  sa  main  saisit,  —  avec  amour,  les 
ossements  des  Saintes,  —  (je  le  vis  !)  soudain  cria 
l'enfantelet  —  avec  une  merveilleuse  foi  :  —  «  Je  vois 
les  châsses  miraculeuses  !  —  Je  vois  mon  aïeule 
éplorée  !  — Allons  quérir,  vite,  vite,  mon  agnelet 
cornu  !  » 


«  Et  vous  aussi,  mademoiselle,  —  Dieu  vous  main- 
tienne en  bonheur  et  beauté!  —  Mais  si  (jamais)  un 
chien,  un  lézard,  un  loup,  ou  un  serpent  énorme,  — 
ou  toute  yutre  bête  errante,  —  vous  fait  sentir  sa 
dent  aigûe;  —  si  le  malheur  accable  vos  forces,  ~ 
courez ,  courez  aux  Saintes  !  vous  aurez  tôt  du  soula- 
gement. » 

Ainsi  s'écoulait  la  veillée.  —  La  charrette  dételée 
—  de  ses  grandes  roues  projetait  l'ombre  non  loin 
(de  là)  ;  de  temp3  à  autre,  aux  marécages,  —  onj^n- 
lendait  tinter  une  clochette...  —  Et  la  chouette 
rêveuse  —  au  chant  des  rossignols  ajoutait  sa 
plainte. 


S4  MIRÈIO,  GANT  I. 

—  Mai,  dins  lis  aubre  e  dins  li  lono 
D'abord  qu'aniuc  la  luno  dono, 

Voulès,  dis,  que  vous  conte  uno  fcs  qu'en  courrènt 

D'en-t^nt-lèu  gagnave  li  joio  ? 

La  chatouneto  digue  :  Soio  ! 

E  mai  qu'urouso,  la  ninoio 
En  tenènt  soun  alen  s'aprouchè  de  Yincèn 

—  Ère  à  Nimes,  sus  l'Esplanado, 
Qu'aquéli  courso  èron  dounado, 

A  Nimes,  o  Mirèio  !...  Un  pople  amoulouna 

E  mai  espés  que  peu  de  tèsto, 

Ere  aqui  pèr  vèire  la  fèsto. 

En  peu,  descaus  e  sènso  vèsto, 
Proun  oourrèire  au  milan  déjà  venien  d'ana. 

Tout-en-un-cop  van  entrevèire 

Lagalanto,  rèi  di  courrèire, 
Lagalanlo,  aquéu  fort  que  soun  noum  de  segui" 

Es  couneigu  de  vosto  auriho, 

Aquéu  célèbre  de  Marsiho, 

Que  de  Prouvènço  e  d'Italie 
Avié  desalena  lis  orne  li  pu  dur. 

T'avié  de  cambo,  avié  de  cueisso 

Coume  lou  Seneseau  Jan  Cueisso  ! 
DeJarge  plat  d'estan  avié'n  plen  estanié, 

Mounte  si  courso  èron  escricho  ; 

E  tant  n'avié,  de  cherpo  richo, 

Qu'aurias  jura  qu'à  si  traficho, 
Mirèio,  l'arc-de-sedo  espandi  se  tenié  ! 


MIREILLE,  CHANT   I.  35 

—  «  Mais,  dans  les  arbres  et  dans  les  mares,  — 
puisque  cette  nuit  la  lune  donne,  —  voulez-vous, 
dit-il,  que  je  vous  raconte  une  course  —  dans  la- 
quelle je  pensai  gagner  le  prix  ?»  —  L'adolescente 
dit:  «  Volontiers!  »  —  Et  plus  qu'heureuse,  l'enfant 
naïve,  —  en  tenant  son  haleine,  s'approcha  de. 
Vincent. 

—  «  C'est  à  Nîmes,  sur  l'Esplanade, —  qu'on  donnait 
ces  courses, — à  Nîmes,  ô  Mireille  ! ...  Un  peuple  agglo- 
méré, —  et  plus  dru  que  cheveux,  —  était  là  pour  voir 
la  fête.  —  Nu-téte,  nu-pieds,  sans  veste,  —  de  nom- 
breux coureurs  au  milieu  (de  la  lice)  déjà  venaient 
d'aller  : 


«  Toutà  coup  ils  aperçoivent  —  Lagalante,  roi  des 
coureurs,  —  Lagalante,  ce  fort  dont  le  nom  à  coup 
sûr  —  est  connu  de  votre  oreille,  —  ce  Marseillais  cé- 
lèbre —  qui  de  Provence  et  d'ItaUe  —  avait  essoufflé 
les  hommes  les  plus  durs. 


0  II  avait  des  jambes,  il  avait  des  cuisses— comme 
le  Sénéchal  Jean  de  Cossa  'M  —  Il  avait,  de  larges 
plats  d'étain,  un  plein  dressoir,  —  où  étaient  gravées 
ses  courses  ;  —  il  avait  tant  d'écharpes  riches  —  que 
vous  auriez  juré  qu'aux  clous  (de  ses  solives),  — 
Mireilie,  l'arc-en-ciel  se  tenait  déployé  I 


50  MIRÈIO,   CA~;T  1. 

Mai  tout-d'un-tèms,  beissant  la  lèslo. 

Lis  autre  cargon  mai  si  vèsto... 
Res  eméLagalanto  auso  courre.  Lou  Cri, 

Un  jouvcinet  de  primo  traco, 

(Mai  qu'avié  pas  la  cambo  flaco  !) 

Èro  vengu  mena  de  vaco 
  Nimes,  aquéu  jour:  soûl,  ausè  l'agarri. 

léu  que  d'asard  me  i'atrouvère  : 

Eh  !  noum-d'un-gàrri  !  m'escridère, 
Sian  courrèire  peréu!...  Mai  qu'ai  di,  fouligau' 

Toutacô  vèn  :  —  D'aut  !  te  fau  courre  ! 

E  jujas  vèire  :  sus  li  moure, 

E  pèr  temouin  rèn  que  li  roure, 
N'ayiéu  just  courregu  qu'après  li  perdigaul 

Fauguè  i'ana  !  l'a  Lagalanto, 

Qu'entre  me  vèire,  ansin  m'aplanto  : 
—  Pos,  moun  paure  pichot,  liga  ti  courrejoun  ! 

E'  nterin,  de  si  cueisso  rcdo 

Eu  estremavo  la  mouledo 

En  de  braieto  facho  en  sedo, 
Que  dès  cascavèu  d'or  à  l'entour  i'èron  joun. 

Pèr  que  l'alen  se  ie  repause, 
Prencn  i  bouco  un  brout  de  sause  ; 

Tôuli,  coume  d'ami,  nous  toucan  lèu  la  maii. 
Trefouli  de  la  petelego, 
Emé  lou  sang  que  nous  boulcgo, 
Tôuti  très,  lou  pèd  sus  la  rego, 

Esperan  lou  signau  !...  Es  donna  !  Coume  un  lamp 


MIRETME,  CHANT  I.  37 

«  Mais  siii  -le-champ,  en  baissant  la  tête,— les  autres 
de  nouveau  mettent  leurs  vestes...  —  Nul  avec  Laga- 
lante  n'ose  courir.  I.e  Cri,  —  un  jouvenceau  de  race 
déliée —  (mais  n'ayant  pas  la  jambe  flasque  !)  —  était 
venu  conduire  des  vaches — à  Nîmes,  ce  jour-là  :  seul, 
il  l'osa  provoquer. 


Moi  qui,  par  hasard,  m'y  trouvai  :  —  «  Eh  !  nom- 
d'un-ratl  m'écriai-je,  —  nous  aussi  sommes  cou- 
reur !  »  Mais  qu'ai-je  dit,  folâtre  !  — Tout  (le  monde) 
m'entoure:  «  Sus  !  il  faut  courir  !  »  —  Et  jugez  voir  ! 
sur  les  mamelons,  —  et  pour  témoins  rien  que  les 
chênes,  —  je  n'avais  guère  couru  qu'après  les  per- 
dreaux ! 

«  Il  fallut  y  aller!  Lagalante,  —  dès  qu'il  me  voit, 
ainsi  m'arrête  :  —  «  Tu  peux,  mon  pauvre  petit,  her 
les  courroies  (de  ta  chaussure)  "  !  »  —En  même  temps, 
de  ses  cuisses  tendues  —  il  enfermait  les  muscles  — 
dans  un  caleçon  de  soie,  —  autour  duquel  dix  grelots 
d'or  étaient  attachés. 


n  A(i!i  d'y  reposer  l'haleine, —  nous  prenons  aux  lè- 
vres un  brin  de  saule;  —  tous,  comme  des  amis, 
nous  nous  touc.lions  rapidement  la  main  ;  —  tressail- 
l;inl  (rinipalicncA^,  —  le  sang  agité,  —  tous  trois  pié- 
lant  sur  la  raie,  —  attendons  le  signal!.. .  11  est 
donné  1  Comme  r.n  éclair. 


38  MIREIO,  CANT  1. 

Tôuti  très  avalaii  la  piano  ! 

Tè  tu  !  tè  iéu  !  E  dins  l'andano 
Un  revoulun  de  pôusso  einbarro  nôsti  saut  ! 

E  l'èr  nous  porto,  e  lou  peu  tubo... 

Oh  !  qu'afecioun  !  oh  !  queto  estubo  ! 

Lontèms,  dôu  vanc  que  nous  atubo, 
Creseguèron  qu'en  front  empourtarian  l'assaut  î 

Iéu  à  la  fin  prene  l'avaiiço. 
Mai  fugue  bèn  ma  maluranço  ! 

Car,  en  estent  que  iéu,  coume  un  fièr  Fouletoun, 
A  la  perdudo  m'abrivave, 
Tout-en-un-cop,  mourènt  e  blave, 
Au  bèu  moumen  que  li  passave, 

Darboune,  court  d'alen,  e  de  mourre-bourdoun! 

Mai  éli  dous,  coume  quand  danson 

A-z-Ais  U  Chivau-frus,  se  lançon. 
Régla,  toujour  régla.  Lou  famous  Marsihés 

Cresié  segur  de  l'avé  bello  ! . . . 

S'èi  di  qu'avié  ges  de  ratello  : 

Lou  Marsihés,  madamisello, 
Pamens  trouvé  soun  ome  en  lou  Cri  de  Mouriés  ! 

Dintre  lou  pople  que  i'afloco, 

Déjà  brûla  von  de  la  toco... 
Ma  bello,  aguessias  vist  landa  lou  Cri  !...  Velou  ! 

Ni  pèr  li  mount  ni  pér  h  servi, 

l'a  ges  de  lébre,  ges  de  cèrvi 

Qu'agon  au  courre  tant  de  nèrvi! 
Lagalanto  s'alongo  en  ourlant  coume  un  îoup... 


MIREILLE,  CHANT  I.  39 

«  Tous  trois  nous  avalons  la  plaine!  — A  toi  !  à  moi  ! 
Et  dans  la  carrière  —  un  tourbillon  de  poudre  enve- 
loppe nos  bonds  !  —  Et  l'air  nous  porte,  et  le  poil 
fume...  —  Oh!  quelle  ardeur!  quelle  course  effré- 
née I  —  Longtemps,  tel  est  l'élan  qui  nous  enflamme, 

—  en  crut  que  de  front  nous  emporterions  l'as- 
saut. 

«  Moi,  enfin,  je  prends  le  devant.  — Mais  ce  fut  là 
mon  malheur!  ^  Car  comme,  tel  qu'un  fier  follet, 

—  je  m'élançais  épordument,  —  tout  à  coup,  mou- 
rant et  blême,  —  au  beau  moment  où  je  les  dépas- 
sais, — je  roule,  court  d'haleine,  et  je  mords  la  poiis- 
sière  ! 


«  Mais  eux  deux,  comme  quand  dansent  —  à  Aix 
les  Chevaux-frux  ^"j  s'élancent  —  (d'un  pas)  réglé, 
toujours  réglé.  Le  fameux  Marseillais  — croyait  assu- 
rément avoir  (la  partie)  belle!...  —  On  a  dit  qu'il 
n'avait  pas  de  rate:  —  le  Marseillais,  mademoiselle, 
—  pourtant  trouva  son  homme  dans  le  Cri  de  Mou- 
riés**! 

«  Parmi  les  flots  du  peuple,  —  déjà  ils  brûlaient  le 
but  ^^ . .—  Eussiez-vous  vu,  ma  belle,  bondir  le  Cri  ! . . . 
Voyez*!*»  !  —  Ni  sur  les  monts  ni  dans  les  parcs,  —  il 
n'est  pas  de  cerf,  pas  de  fièvre,  —  qui  aient  au  courir 
tant  de  nerf  1  —  Lagalante  se  rue  en  hurlant  comme 
un  loup.. 


MIRÈIO,  CANT   l 

E  lou  Cri,  courouna  de  gloio, 

Embrasso  la  barro  di  joio  ! 
Tôuti  H  ISimausen,  en  se  precepitant, 

Volon  counèisse  sa  patrio  ; 

Lou  plat  d'estan  au  soulèu  briho, 

Li  palet  dindon,  is  auriho 
CanLo  l'auboi. . .  Lou  Cri  reçaup  lou  plat  d'estan. 

E  Lagalanto  ?  fè  Mirèio. 
Agroumouli,  dins  la  tubèio 

Que  lou  trapé  dôu  pople  aubouravo  à  l'entour, 
Tenié  sarra  de  si  man  jouncho 
Si  dous  geinoun  ;  e  l'amo  pouncho 
De  l'escorno  que  tant  lou  councho, 

I  degout  de  soun  front  eu  mesclavo  de  plour. 

Lou  Cri  l'abordo  e  lou  saludo  : 

—  Souto  l'autin  d'uno  begudo, 
Fraire,  digue  lou  Cri,  'mé  iêu  vène-t-en  lèu! 

Vuei  lou  plesi,  deman  la  reno  ! 

Vène,  que  beguen  lis  estreno  ! 

Alin,  darrié  li  grands  Areno, 
Pèr  lu,  coume  pèriéu,  vai,  i'a'nca  proun  soulèu! 

Mai,  aubourant  sa  caro  blavo, 

E  de  sa  car  que  trampelavo 
Arrancant  sibraieto  emé  d'esquerlo  d'or  : 

—  D'abord  que  iéu  l'âge  m'esbréuno, 

Tè  !  ie  respoundeguè,  soun  tiéuno  ! 

Tu,  Cri,  la  jouinesso  t'aciéuno  : 
Ein'ounour  pos  pourta  li  braio  dôu  pu  fort. 


MIREILLE,  CHANT  I.  41 

«  Et  le  Cri,  couronné  de  gloire,  —  embrasse  le  po- 
leau  des  prix!  — Tous  les  Nîmois  se  précipitent,  — 
ils  veulent  connaître  (le  nom  de)  sa  patrie.  —  Le 
pbl  d'étain  au  soleil  brille  ;  —  les  palets  ^  tintent-, 
aux  oreilles  —  chante  le  hautbois...  Le  Cri  reçoit  le 
plat  d'étain.  » 


—  «  Et  Lagalante?  »  demanda  Mireille.  —  <i  Ac- 
croupi, dans  le  brouillard  de  poussière  —  que  le  tré- 
pignement du  peuple  soulevait  autour  (de  lui),  — il 
pressait  de  ses  mains  jointes —  ses  deux  genoux;  et, 
l'âme  navrée  —  de  l'affront  qui  tant  le  souille,  — 
aux  gouttes  de  son  front  il  mêlait  des  pleurs. 


«  Le  Cri  l'aborde  et  le  salue  :  —  «  Sous  le  berceau 
d'une  buvette,  —  frère,  lui  dit  le  Cri,  avec  moi  viens- 
t'en  vite!  —  Aujourd'hui  le  plaisir,  à  demain  les 
plaintes!  — Viens,  et  buvons  les  étrennes!  —  Là-bas, 
derrière  les  grandes  Arènes,  —  pour  toi,  comme 
pour  moi,  va,  il  est  encore  assez  de  soleil!  » 


«  Mais,  levant  son  visage  blême,  —  et  de  sa  chair 
qui  palpitait  —  arrachant  son  caleçon  aux  sonnettes 
d'or  :  —  ((  Puisque  l'âge  brise  mes  forces,  —  tiens  ! 
lui  répondit-il,  il  est  à  toi!  —  Toi,  Cri,  la  jeunesse  te 
pare  comme  un  cygne  :  —  tu  peux  avec  honneur  por- 
ter les  braies  du  plus  fort  !  » 


42  MIRÈIO,   CANT  I. 

Acô-d'aqui  fugué  sa  dicho. 

E  dins  la  prèisso  que  s'esquicho, 
Triste  coume  un  long  frais  que  l'an  descapela, 

Despareiguè  lou  grand  courrèire. 

Ni  pèr  Sant-Jan  ni  pèr  Sant-Pèire, 

En-lio  jamai  s'es  plus  fa  vèire 
Pèr  courre  vo  sauta  sus  l'ouire  boudenfla. 

Davans  lou  Mas  di  Falabrego, 

Ansin  Vincèn  fasié  desplego 
Di  causo  que  sabié.  Li  rouito  ie  venien, 

E  soun  iue  nègre  flamejavo. 

Ce  que  disié,  lou  brassejavo, 

E  la  paraulo  i  'aboundavo 
Coume  un  ruscle  subit  su  'n  reviéure  maien. 

Li  grihet,  cantant  dins  li  mouto, 

Mai  d'un  cop  faguèron  escouto  ; 
Souvent  li  roussignôu,  souvent  l'aùcèu  de  niue 

Dins  lou  bos  faguèron  calamo  ; 

E  pretoucado  au  founs  de  l'amo, 

Elo,  assetado  sus  la  ramo, 
Enjusqu'à  la  primo  aubo  aurié  pas  plega  l'iue. 

—  lèu  m'es  d'avis,  fasi'  à  sa  maire, 
Que,  pèr  l'enfant  d'un  panieraire, 

Parle  rudamen  bèn!...  0  maire,  es  un  plesi 
De  soumiha,  l'ivèr;  mai  aro 
Pèr  soumiha  la  niue 's  trop  claro  : 
Escoulen,  escouten-l'encaro... 

Passariéu  mi  vihado  e  ma  vido  à  l'ausi! 


MIREILLE,  CHANT  I.  43 

«  Telles  furent  ses  paroles.  —  Et  dans  la  foule  qui 
se  presse,  —  triste  comme  un  long  frêne  que  l'on  a 
écinié,  —  disparut  le  grand  coureur.  —  Ni  à  la  Saint- 
Jean  ni  à  la  Sainl-Pierre,  —  nulle  part,  jamais  plus, 
il  ne  s'est  montré  —  pour  courir  ou  sauter  sur  l'ou- 
tre enflée.  » 


Devant  le  Mas  des  Micocoules,  —  ainsi  Vincent  fai- 
sait le  déploiement  —  des  choses  qu'il  savait  :  l'in- 
carnat venait  à  (ses  joues),  —  et  son  œil  noir  jetait 
des  flammes.  —  Ce  qu'il  disait,  il  le  gesticulait,  — 
et  sa  parole  coulait  abondante  —  comme  une  ondée 
subite  sur  un  regam  de  mai. 


Les  grillons,  chantant  dans  les  mottes,  —  plus 
d'une  fois  se  turent  pour  écouter;  —  souvent  les  ros- 
signols, souvent  l'oiseau  de  nuit  —  dans  le  bois  firent 
silence;  —  et,  impressionnée  au  fond  de  l'âme,  — 
elle,  assise  sur  la  ramée,  — jusqu'à  la  première  aube 
n'aurait  pas  fermé  l'œil. 


—  «  Il  m'est  avis,  disait-elle  à  sa  mère,  —  que, 
pour  l'enfant  d'un  vannier,  —  il  parle  merveilleuse- 
ment!... 0  mère,  c'est  un  plaisir  —  de  dormir,  l'hi- 
ver; mais  à  présent,  —  pour  dormir  la  nuit  est  trop 
claire  :  —  écoutons,  écoutons-le  encore.  —  Je  pas- 
serais, à  l'entendre,  mes  veillées  et  ma  vie!  » 


NOTES 

DU   GHANT   PREMIER. 


'  Le  Mas  des  Micocoules  [lou  Mas  di  Falabrego).  Le  mot  mas  mai- 
son rustique,  ferme,  métairie,  est  usité  surtout  clans  l'arrondisse- 
rnent  d'Arles  et  en  Languedoc.  Dans  la  Provence  orientale,  on  em- 
ploie de  préférence  le  mot  bastido,  et  dans  le  Gomtat  celui  de 
granjo. 

Chaque  Mas  porte  un  nom  distinctif  et  caractéristique  :  ainsi 
lou  Mas  de  la  Font,  lou  Mas  de  VOste,  lou  Mas  Crema,  lou  Mas  dt 
Falabrego. 

La  falabrego  est  le  fruit  du  micocoulier,  en  provençal  falabre- 
guié  [celtis  australis  de  Linnée),  grand  arbre  commun  en  Pro- 
vence. Les  mots  mas  et  falabrego  sont  tous  deux  d'origine  celtique. 
On  prétend  même  que  Marseille,  Massalia,  vient  de  mas  Salyum, 
habitation  des  Salyens. 

*  A  travers  la  Grau  (à  travès  delà  Crau).  La  Grau  (du  grec  xpxôpoi, 
aride),  vaste  plaine  aride  et  caillouteuse,  bornée  au  nord  par  la 
chaîne  des  Alpmes,  au  sud  par  la  mer,  au  levant  par  les  étangs  du 
Martigue,  au  couchant  par  le  Rhône.  C'est  l'Arabie  Pétrée  de  la 
France.  Elle  est  traversée  par  le  canal  de  Graponne,  qui  la  par- 
sème d'oasis.  (Voyez  le  Chant  YIIL) 

^  Maguelonne  {Mbgalouno) ,  sur  le  littoral  du  département  de 
l'Hérault.  De  celte  cité,  ancienne  colonie  grecque,  il  ne  reste  au- 
jourd'hui qu'une  église  en  ruine.  M.  Moquin-Tandon,  membre  de 
rinbtitut  et  poêle  îanguedocien,  a  composé,  sous  le  nom  de  Carya 


NOTES  DU  CHANT  I.  45 

mogahnensis,  une  s^jirituelle  clu'onique  en  langue  romane  sur  les 
principaux  événements  dont  cette  ville  fut  le  théâtre  pendant  les 
premières  années  du  quatorzième  siècle. 

*  Vent  largue  (vènl-larg),  qui  souffle  du  large,  brise  de  mer. 

''  Le  Rau  [lou  Rau),  vent  d'ouest  qui  amène  quelquefois  la  pluie 

*  Caspileîlo,  ou  cùspi,  interjection  qui  marque  la  surprise,  pou- 
vant se  rendre  par  dame!  ttidieu! 

^  Les  filles  des  Baux  [H  Baussenco].  Les  Baux  [H  Baus),  ville  rui- 
r.éc,  ancienne  capitale  de  la  maison  princière  des  Baux.  «  A  trois 
lieies  d'Arles,  au  sommet  rocailleux  d'un  versant  des  Alpines,  sont 
ép:rs  les  débris  d'une  ville  qui,  par  le  grandiose  du  site,  par  l'an- 
cienneté de  sa  fondation  et  l'importance  du  rôle  qu'elle  a  joué 
dans  les  annales  du  pays,  attire  les  pas  du  voyageur,  exalte  l'ima- 
gination de  l'artiste,  offre  à  la  curiosité  des  archéologues  une  abon- 
dante pâture ,  irrite  et  confond  souvent  leur  docte  sagacité.  » 
(Jules  Canonge,  Histoire  de  la  ville  des  Baux  en  Provence.) 

Comme  le  nom  de  cette  poétique  localité  reparait  plusieurs  fois 
dans  le  poëme,  nous  croyons  que  le  lecteur  lira  avec  plaisir  la 
description  suivante,  empruntée  au  même  auteur  • 

«...  Enfin  s'ouvrit  une  étroite  vallée;  je  m'inclinai  devant  une 
croix  de  pierre  dont  les  débris  sanctifient  la  route,  et  quand  mon 
regard  se  releva,  il  s'arrêta  étonné  sur  un  ensemble  de  tours  et  de 
murailles  perchées  à  la  cime  d'un  roc,  tel  que  je  n'en  avais  jamais 
v:i,  excepté  sur  les  œuvres  où  le  génie  de  la  peinture  s'est  inspiré 
des  plus  fabuleuses  imaginations  de  l'Arioste.  Mais  si  mon  étonne- 
mcnl  fut  grand  à  ce  premier  aspect,  il  redoubla  lorsque  j'eus  gravi 
une  éminence  d'où  la  ville  entière  se  déploya  devant  moi  :  c'était 
un  tableau  de  grandeur  désolée  comme  ceux  que  nous  fait  rêver 
la  lecture  des  prophètes;  c'était  ce  dont  je  ne  soupçonnais  pas 
rcxistcncc,  c'était  une  ville  presque  monolithe.  Ceux  qui  les  pre- 
miers eurent  la  pensée  d'habiter  ce  rocher  taillèrent  leur  abri 
dans  ses  flancs  ;  ce  nouveau  système  d'architectiire  fut  jugé  bon 
I)ar  leurs  successeurs,  car  la  masse  était  vaste  et  compacte  :  une 
ville  en  sortit  bientôt  comme  une  statue  du  bloc  d'où  l'art  la  ki* 
jaillir  :  une  ville  imposante,  avec  ses  fortifications,  ses  chapelles  e 
ses  hospices,  une  ville  où  l'homme  semblait  avoir  éternisé  sa  de- 
meure. L'empire  de  celte  cité  s'étendit  au  loin;  de  brillants  fait 


46  NOTES   DU  CHANT  L 

d'armes:  lui  conquirent  une  noble  place  dans  l'histoire;  mais  elle 
n'en  lut  pas  plus  durable  que  tant  d'autres  moins  solidement  con- 
struites. » 

L'action  du  poëme  commence  «îu  pied  de  ces  ruines. 

*  Valabrègue  (Valabrego) ,  villaçe  situé  sur  la  rive  gauche  d 
Rhône,  entre  Avignon  et  Tarascon. 

8  Font- "Vieille  [Font-vièto),  village  situé  dans  une  vallée  des  Al 
pines,  aux  environs  d'Arles- 

*<*  Collines  des  Baux  [coU^  Heussenco).  (Voyez  /a  note  7 ,) 
*'  Les  miroirs  sont  croyés  [H  mirau  soun  creba).  En  provençal  on 
appelle  mirau,  miroirs,  deux  petites  membranes  luisantes  et  so- 
nores que  les  cigales  ont  sous  l'abdomen,  et  qui,  par  leur  frotte- 
ment, produisent  le  bruit  connu  sous  le  nom  de  chant.  On  dit  pro- 
verbialement d'une  personne  dont  la  voix  est  brisée  par  l'âge 
A  li  mirau  creba,  elle  a  les  miroirs  crevés. 

*-  Martégal  (Marlegau),  habitant  du  Martigue,  en  provençal  lou 
Uartegiie,  curieuse  ville  de  Provence,  presque  entièrement  peuplée 
de  pêcheurs,  bâtie  sur  des  îlots,  au  milieu  de  lamer  et  de  nombreux 
étangs,  sillonnée  de  canaux  en  guise  de  rues,  ce  qui  lui  a  valu  le 
surnom  de  Venise  provençale.  Elle  a  donné  le  jour  à  Gérard  Ten- 
que,  fondateur  des  Hospitaliers  de  Saint-Jean-de-Jérusalem. 

*^  Quand  Marthe  filait  [quand  Mario  fielavo),  expression  prover- 
biale qui  signifie  :  Dans  un  temps  plus  heureux,  dans  le  bon  vieux 
temps,  par  allusion  peut-être  à  Marthe,  l'hôtesse  du  Christ,  qui, 
après  avoir,  selon  la  légende,  délivré  Tarascon  du  monstre  qui  ra- 
vageait son  territoire,  termina  ses  jours  dans  cette  contrée,  habi- 
tant une  maisonnette  aux  bords  du  Rhône,  et  filant  mo"destement 
sa  quenouille  au  milieu  de  ses  néophytes. 

"  CabrideUe  [cabridello]  [aster  iripoUum,  Un.),  plante  commun 
dans  les  marécages  du  Midi 

*^  Garrigue  [garrigo),  lande  où  il  ne  croît  que  des  chênes-nains, 
agarrus 

^^  N'avez-vous  jamais  été  aux  Saintes?  [sias  jamai  estado 
Santo).  Les  Saintes-Maries-de-la-Mer ,  en  provençal  Li  Sanlo 
petite  viHe  de  cinq  cent  quarante -trois  habitants,  située  dans  l'îl 
de  Camargue,  au  bord  de  la  m-^r,  entre  lesemV>5>vieJnjses  du  PJiône 


NOTES    DU  CHANT  I.  47 

Une  vénérable  et  poétique  tradition  y  attire,  le  25  mai  de  chaque 
année,  de  tous  les  points  de  la  Provence  et  du  Bas-Languedoc,  une 
affluence  innombrable  de  pèlerins. 

La  légende  rapporte  qu'après  la  mort  du  Christ,  les  Juifs  contrai- 
gnirent quelques-uns  de  ses  plus  fervents  disciples  à  monter  sur  ur 
navire  désemparé,  et  les  livrèrent  à  la  merci  des  flots.  Voici  cora- 
nrient  un  vieux  cantique  français  décrit  cette  scène  • 

LES  JUIFS 

'  Entrez,  Sara,  dans  la  nacelle, 

Lazare,  Marthe  et  Maximin, 
Cléon,  Trophime,  Saturnin, 
Les  trois  Maries  et  Marcelle, 
Eutrope  et  Martial,  Sidoine  avec  Joseph  {<\'Arimatkie), 
Vous  périrez  dans  cette  nef. 

Allez  sans  voile  et  sans  cordage. 
Sans  mât,  sans  ancre,  sans  timon, 
Sans  aliments,  sans  aviron, 
Allez  faire  un  triste  naufrage  ! 
Retirez-vous  d'ici,  laissez-nous  en  repos, 
Allez  crever  parmi  les  Ilots  ! 

Conduite  par  la  Providence,  la  barque  vint  aborder  en  Provence, 
à  l'extrémité  de  l'île  de  Camargue.  Les  pauvres  bannis,  miraculeu- 
sement échappés  aux  périls  de  la  mer,  se  dispersèrent  dans  la 
Gaule  méridionale  et  en  furent  les  premiers  apôtres. 

Marie-Magdeleine,  l'une  des  trois  Maries,  se  retira  dans  le  déser* 
de  la  Sainte-Baume,  pour  y  pleurer  ses  péchés.  Les  deux  autres, 
Marie-Jacobé,  mère  de  saint  Jacques  le  Mineur,  et  Marie-Salomé, 
mère  de  saint  Jacques  le  Majeur  et  de  saint  Jean  l'Évangéliste,  ac- 
compagnées de  leur  servante  Sara,  après  avoir  converti  à  la  foi 
nouvelle  quelques-unes  des  peuplades  voisines ,  revinrent  mourir 
dU  lieu  de  leur  débarquement.  (Voyez  le  Chant  XL) 

M.  B.  Laurens,  qui  a  raconté  et  dessiné,  dans  le  journal  1'// 
Itistration  (t.  XX,  p.  7),  le  pèlerinage  des  Saintes  Maries,  ajoute 
«  On  dit  qu'un  prince  dont  le  nom  n'est  pas  désigné,  sachant  qu 
les  corps  des  Saintes  Maries  reposaient  en  cet  endroit,  y  fit  bâui 
une  église  en  forme  de  citadelle,  pour  la  mettre  à  couvert  de  l'in- 
vasion des  pirates.  Il  fit  bâtir  également  à  l'entour  de  l'église  des 
maisons  et  des  remparts  cour  m^Ure  les  habiiauls  du  pays  en  su- 


48  KOTES   DU  CII.VNT   ï. 

reté.  Les  constructions  que  l'on  voit  encore  aujourd'hui  répondent 
parfaitement  à  cette  dernière  tradition. 

«  En  1448,  après  avoir  entendu  un  seirnon  sur  le  bonheur  qu'a- 
vait la  Provence  de  posséder  les  dépouilles  des  Saintes  Maries,  le 
roi  René  alla  visiter  l'église  bâtie  en  leur  honneur,  fit  faii-e  des 
fouilles  pour  trouver  les  saints  ossements,  et  le  succès  de  son  en- 
treprise fut  constaté  par  l'odeur  merveilleuse  4ui  s'exhala  au  mo- 
ment où  chaque  corps  fut  mis  à  découvert.  Il  est  inutile  de  dire 
tous  les  honneurs  qu'on  rendit  à  ces  reliques  et  tout  le  soin  qu'on 
en  prit.  » 

"  Les  châsses  descendaient  [U  catsso  davalavon). 

«  Le  chœur  de  l'église  présente  cette  particularité  d'être  formé 
de  trois  étages  :  une  crypte,  qui  est  désignée  comme  étant  la  place 
même  de  l'antique  oratoire  des  Saintes,  un  sanctuaire  exhaussé 
plus  qu'à  l'ordinaire,  et  une  chapelle  supérieure,  où  sont  exposées 
les  châsses  des  reliques...  Cependant  d'innombrables  cierges  tenus 
par  les  assistants  s'allument,  et  le  cabestan  dont  la  chaîne  retenait 
la  châsse  des  reliques  se  déroulant,  cette  châsse  descend  lente- 
ment de  la  chapelle  supérieure  dans  le  chœur.  C'est  le  moment 
favorable  aux  miracles,  p^^yi  un  concours  immense  de  supplications 
s'élève  de  tous  côtés  :  Saihies  Maries,  guérissez  mon  enfant!  te) 
est  le  cri  pénétrant  qui  vient  arracher  des  larmes  au  cœur  le  plus 
froid.  Tout  le  monde  attend,  en  chantant  des  cantiques,  le  moment 
où  il  pourra  faire  asseoir  sur  la  châsse  un  pauvre  aveugle  ou  un 
épileptique,  et  quand  il  y  est  parvenu,  tout  le  monde  se  croit 
exaucé.  »  (B.  Laurens.) 

'8  Jean  de  Cessa  [Jan  Cueisso),  seigneur  napolitain,  qui  avait  suivi 
le  roi  René,  grand  sénéchal  de  Provence,  mort  en  1476.  Jan  Cueissi 
est  très-populaire  à  Tarascon,  où  le  peuple  lui  atti-ibue  la  construc- 
tion du  clocher  de  Sainte-Marthe.  Il  est  enterré  dans  la  crypte  de 
cette  église,  et  sa  statue  couchée  surmonte  son  tombeau. 

^9  Tu  peux,  mon  pauvre  petit,  lier  les  courroies  (de  tes  souliers), 
Ipos,  moun  paure  pichot,  liga  ti  courrejoun,]  c'est-à-dire  te  prépa- 
l'cr  à  une  course  rapide  :  express,  prov 

*"  Les  chevaux  frux  [U  chivau-frus),  chevaux  de  carton  peint,  en 
usage  dans  les  réjouissances  publiques  de  la  Provence,  etparticuliè- 
rement  à  Aix,  lors  dé  la  Fête-Dieu. — Les  cavaliers  les  ajustent  à  leiu" 
ceinture,  et  parcourent  les  rues  en  dansant  au  son  du  tambourin 


NOTES    DU  CHANT  I  49 

*'  Mouriés  {Mouriés),  \illage  au  midi  des  Alpines 

"  Ils  brûlaient  du  but  [brulavon  de  la  loco) ,  pour  dire    Ils  tou- 
jhaicnt  presque  le  but. 

*^  Les  palets  [li  palet  ou  cimbaleto)  .«ont  des  disques  d'acic? 
qu'on  frappe  l'un  contre  l'autre  comme  les  cymbales. 


CANT  SEGOUND 


LA  CULIDO 


Mirèio  cuei  de  fuuio  d'amourié  pèr  si  magnan.  —  D'asard,  Vincèn  Ion 
panieraire  passo  au  carreiroun  vcsin.  —  La  chato  lou  sono.  —  Lou 
drôle  cour,  e  pêr  i'ajuda,  mounto  em'elo  sus  l'aubre.  —  Charra- 
disso  di  dous  enl'ant.  —  Vincèn  fai  la  coumparesoun  de  sa  sorre 
Vinceneto  emé  Mirèio. — Lou  nis  de  pimparrin.  —  La  branco  routo; 
Mirèio  emé  Vincèn  toumbon  de  l'aubre.  —  L'amourouso  chatouno 
se  declaro.  —  Lou  drôle  apassiouna  desboundo.  —  La  Cabro  d'or, 
la  figuiero  de  Vaucluso.  —  Mirèio  es  sounado  pèr  sa  maire.  — 
Escaufèstre  e  separacioun  di  calignaire. 


Gantas,  cantas,  magnanarello, 
Que  la  culido  es  cantarello  ! 

Galant  soun  li  magnan  e  s'endormon  di  très, 
Lis  amourié  soun  plen  de  fiho 
Que  lou  bèu  tèms  escarrabiho, 
Coume  un  vôu  de  blôundis  abiho 

Que  raubon  sa  melico  i  roumanin  dôu  grès. 

En  desfuiant  vôsti  verguello, 

Cantas,  cantas,  magnanarello! 
.Mirèio  es  à  la  fueio,  un  bèu  matin  de  Mai» 

Aquéu  matin,  pèr  pendeloto, 

A  sis  auriho,  la  farolo  ! 

Avié  penja  dos  agrioto..... 
Vincèn,  aquéu  matin,  passé  'qui  tournamëi. 


CHANT  DEUXIÈME 


LA  CUEILLETTE 


Mireille  cueille  des  feuilles  de  mûrier  pour  ses  vers  à  soie.  —  Par 
hasard,  Vincent,  le  raccommodeur  de  corbeilles,  passe  au  senLicr 
voisin.  —  La  jeune  fille  l'appelle.  —  Le  gars  accourt,  et,  pour 
l'aider,  monte  avec  elle  sur  l'arbre.  —  Causerie  des  deux  enfants. 
—  Vincent  fait  le  parallèle  de  sa  sœur  Vincenelte  et  de  Mireille.— 
Le  nid  de  mésanges  bleues.  —  La  branche  rompue.  —  Mireille  et 
Vincent  tombent  de  l'arbre.  —  La  jeune  fille  déclare  son  amour. 
— Brûlante  explosion  du  jeune  homme.  —  La  Chèvre  d'or,  le  figuier 
de  Vaucluse.  —  Mireille  est  rappelée  par  sa  mère.  —  Émoi  et  sépa- 
ration des  deux  amants. 


Chantez,  chantez,  magnanarelles  *  !  —  car  la  cueil- 
lette aime  les  chants.  —  Beaux  sont  les  vers  à  soie, 
et  ils  s'endorment  de  leur  troisième  somme  *;  —  les 
mûriers  sont  pleins  de  jeunes  filles  —  que  le  beau 
temps  rend  alertes  et  gaies,  —  telles  qu'un  essaim 
de  blondes  abeilles  —  qui  dérobent  leur  miel  aux  ro- 
marins des  champs  pierreux. 

En  défeuillant  vos  rameaux,  —  chantez,  chantez, 
magnanarelles! —  Mireille  est  à  la  feuille,  un  beau 
matin  de  mai  :  —  cette  matinée-là,  pour  pendelo- 
ques, —  à  ses  oreilles,  la  coquette  —  avait  pendu 

deux  cerises —  Vincent,  cette  matinée,  passa  là 

de  nouveau. 


52  MIRÈIO,   CANT  II. 

A  sa  barrelo  escarlatino, 

Coume  an  li  gènt  di  mar  latino, 
Avié  poulidamen  uno  plumo  de  gau; 

E'n  trapejant  dins  li  draiolo 

Fasié  fugi  li  serp  courriolo, 

E  di  dindànti  clapeirolo 
Emé  soun  bastounet  bandissié  li  frejau. 

—  0  Vincèn,  ie  faguè  Mirèio 
D'entre-mitan  li  verdi  lèio, 

Passes  bèn  vite,  que!  —  Vincenet  toul-d'un-tèm 

Se  revirè  vers  la  plantado, 

E,  sus  un  amourié  quihado 

Coume  une  gaio  couquihado, 
Destousquè  la  chatouno,  e  ie  lande,  countènt. 

—  Bèn?  Mirèio,  vèn  bèn  la  fueio? 

—  He  !  pau-à-pau  tout  se  despueio. . . 

— Voulèsquevousajude? — 0! .  .Dôutèms  qu'eilaniount 
Elo  risiè  jitant  de  siéule, 
Vincèn,  picant  dôu  pèd  lou  tréule, 
Escale  l'aubre  couine  un  gréule. 

—  Mirèio,  n'a  que  vous  lou  vièi  Mèste  Ramoun  : 

Fasès  li  baisso!  aurai  li  cimo, 

lèu,  boutas!  —  E'mè  sa  man  primo, 

Elo  en  môusènl  la  ramo  :  —  Engardo  de  langui 
De  travaia  'n  pau  en  coumpagiio  ! 
Souleto,  vous  vèn  uno  cagnoi 
Dis.  —  lèu  perèu  ce  que  m'enlagno, 

Respoundeguè  lou  drôle,  èi  just  acô-d'aqui. 


MIREILLE,  CHANT  H.  53 

A  son  bonnet  écarlate,  —  comme  en  ont  les  rive- 
rains des  mers  latines, — il  avait  gentiment  une  plume 
de  coq;  —  et  en  foulant  les  sentiers,  —  il  faisait  fuir 
les  couleuvres  vagabondes,  —  et  des  sonores  tas  de 
pierres  —  avec  son  bâton  il  chassait  les  cailloux. 


«  0  Vincent!  lui  cria  Mireille,  —  du  milieu  des 
vertes  allées,  —  pourquoi  passes-tu  si  vite  !  »  Vin- 
cent aussitôt  —  se  retourna  vers  la  plantation,  —  et, 
sur  un  mûrier  perchée  —  comme  un  gai  coche- 
vis',  —  il  découvrit  la  fillette,  et  vers  elle  vola, 
joyeux. 


—  «  Eh  bien!  Mireille,  vient-elle  bien,  la  feuille?  » 
—  «  Eh  !  peu  à  peu  tout  (rameau)  se  dépouille.  »  — 
«  Voulez-vous  que  je  vous  aide?  »  —  «  Oui!  r*  Pen- 
dant qu'elle  riait  là-haut  —  en  jetant  de  folâtres  cris 
de  joie,  —  Vincent,  frappant  du  pied  le  trèfle,  — 
grimpa  sur  l'arbre  comme  un  loir.  —  «  Mireille,  il 
n'a  que  vous,  le  vieux  Maître  Ramon  : 

«  Faites  les  branches  basses!  j'atteindrai  les  ci- 
mes, —  moi,  allez  !  »  Et  de  sa  main  légère,  —  celle- 
ci  trayant  la  rainée  :  «  Cela  garde  d'ennui,  —  de  tra- 
vailler (avec)  un  peu  de  compagnie  !  —  Seule,  il  vous 
vient  un  nonchaloir  !  »  —  dit-elle.  —  «  Moi  de  même, 
ce  qui  m'irrite,  —  répondit  le  gars,  c'est  justement 
cela. 

5 


54  MIRÊIO,   GANT  II. 

Quand  siaii  eiça  dins  noslo  bôri, 

Mounte  n'ausèn  que  lou  tafôri 
Dôu  Rose  tourmentau  que  manjo  lis  auvas, 

Oh  !  de  fes,  quéti  languitudo  ! 

Pas  tant  l'estiéu,  que,  d'abitudo, 

Fasèn  nôstis  escourregudo, 
L'estiéu,  emé  moun  pai,  d'un  mas  à  l'autre  mas 

Mai  quand  lou  verbouisset  vèn  rouge, 
Que  li  jour  se  fan  ivernouge, 

E  longo  li  vihado  ;  autour  dôu  recaliéu, 
Entanterin  qu'à  la  cadaulo 
Quauque  esperitoun  siblo  o  miaulo, 
Sènso  lume  e  sens  grand  paraulo 

Fau  espéra  la  som,  tout  soulet  iéu  em'éu!...  / 

La  chato  ie  fai  à  la  lèsto  : 

—  Mai  dounc  ta  maire,  mounte  rèsto? 

—  Èimorto!...  Lou  drouloun  se  teisè  'n  moumenet, 
Pièi  reprenguè  :  Quand  Vinceneto 
Èro  emé  nautre,  e  que,  jouineto, 
Gardavo  enca  la  cabaneto, 

Alor  èro  un  plesi  !  —  Mai  coume?  Vincenet, 

As  uno  sorre?  —  K  lajouvènto, 

Braveto  qu'es  e  bèn  fasènto, 
Digue  lou  verganié;...  trop!  qu'à  la  Font-dôu-Rèi, 

Alin  en  terro  de  Bèucaire, 

Èro  anado  après  li  segaire, 

Tant  i'  agradè  soun  galant  faire 
Que  pèr  tanto  l'an  presse,  e  tanto  i'  es  dempièi. 


MIREILLE,  Cll.vNT  11.  55 

«  Quand  nous  sommes,  là-bas,  dans  notre  hutte, 
—  où  nous  n'entendons  que  le  bruissement  —  du 
Rhône  impétueux  qui  mange  les  graviers,  —  oh  !  par- 
fois, quelles  (heures)  d'ennui  !  —  Pas  autant  l'été  ; 
car,  d'habitude, —  nous  faisons  nos  courses,  —  l'été, 
avec  mon  père,  de  métairie  en  métairie. 


«  Mais  quand  le  petit  houx  devient  rouge  (de  baies); 
—  que  les  journées  se  font  hivernales  —  et  longues 
les  veillées  ;  autour  de  la  braise  à  demi  éteinte,  — 
pendant  qu'au  loquet  —  siffle  ou  miaule  quelque  lu- 
tin, —  sans  lumière  et  sans  grandes  paroles,  —  il  faut 
attendre  le  sommeil,  moi  tout  seul  avec  lui!...  » 


La  jeune  fdle  lui  dit  promptement  :  —  «  Mais  ta 
mère,  où  demcure-t-elle  donc?» — «  Elle  est  morte  !.. .  » 
Le  garçon  se  tut  un  petit  moment,  —  puis  reprit  : 
«  Quand  Vincenette  —  était  avec  nous,  et  que,  toute 
jeune,  —  elle  gardait  encore  la  cabane,  —  pour  lors 
c'était  un  plaisir!  »  —  a  Mais  quoi?  Vincent, 


«  Tu  as  une  sœur?  »  —  «  Et  la  jouvencelle,  —  sage 
qu'elle  est  et  faisant  bien  (les  choses},  —  dit  le  tres- 
seur  d'osier;...  trop!  car,  à  la  Fontaine-du-Roi,  — 
ià-bas  en  terre  de  Reaucaire,  —  elle  était  allée  après 
les  faucheurs  ;  — tant  leur  plut  sa  gentille  adresse 
—  que  pour  servante  ils  l'ont  nrise,  et  servante  elle  y 
est  depuis  lors.  » 


56  MÏRÈIO.  CANT  Tl. 

—  le  dones  d'èr,  à  ta  sourreto? 

—  Quau?  iéu?  pas  mai  !  Elo  èi  saureto, 

E  iéu  siéu,  lou  vesês,  brun  coume  un  courcoussoun. 

Mai  pulèu,  sabès  quau  reverto? 

Vous!  Vôstitèsto  disaverto, 

Coume  li  fueio  de  la  nerto 
Vôsti  peu  aboundous,  dirias  que  soun  bessoun. 

Mai  pèr  sarra  la  claro  telo 

De  vosto  couifo,  bèn  mies  qu'elo 
Mirèio,  avès  lou  fiéu!...  N'es  pas  laido,  tambèn, 

Ma  sorre,  nimai  endourmido  ; 

Mai  vous,  de  quant  sias  pu  poulido  1 

Mirèio  aqui,  mita  culido, 
Leissant  anasabranco  :  Oh!  dis,  d'aquéu  Vincèn! 

Gantas,  cantas,  magnanarello  ! 

Dis  amourié  la  fueio  es  bello, 
Galant  soun  li  magnan  e  s'endormon  di  très  ; 

Lis  amourié  soun  plen  de  fiho 

Que  lou  bèu  tèms  escarrabiho, 

Coume  un  vôu  de  blôundis  abiho 
Que  raubon  sa  melico  i  roumanin  dôu  grès. 

—  Âlor,  m'atroves  galantouno 
Mai  que  ta  sorre?  La  chatouno 

Faguè  'nsin  à  Vincèn.  —  De  forço,  eu  respoundè. 

—  E  qu'ai  de  mai?  —  Maire  divino  ! 
E  qu'a  de  mai  la  cardelino 

Que  la  petouso  mistoulino, 
Senoun  la  bèuta  même,  e  lou  cant,  e  l'esté! 


MIREILLE,   CHANT  II.  57 

—  «  Lui  ressembles-tu,  à  ta  jeune  sœur?  »  — 
«  Qui?  moi?...  Qu'il  s'en  faut!  Elle  est  blondine, —  et 
je  suis,  vous  le  voyez,  brun  comme  un  cuceron...  — 
Mais  plutôt,  savez-vous  qui  elle  rappelle?  —  Vous  ! 
Vos  têtes  éveillées,  —  comme  les  feuilles  du  myrte 

—  vos  chevelures  abondantes,  —  on  les  dirait  ju- 
melles. 

«  Mais  pour  serrer  la  toile  claire —  de  votre  coiffe, 
bien  mieux  qu'elle,  —  Mireille,  vous  avez  le  fil!... 
Elle  n'est  pas  laide,  non  plus,  —  ma  sœur,  ni  endor- 
mie ;  —  mais  vous,  combien  étes-vous  plus  belle  !  » 

—  Là  Mireille,  à  moitié  cueillie,  —  laissant  aller  sa 
branche  :  «  Oh!  dit-elle,  ce  Vincent!...  » 


Chantez,  chantez,  magnanar elles!  —  Des  mûriers 
le  feuillage  est  beau,  —  beaux  sont  les  vers  à  soie, 
et  ils  s'endorment  de  leur  troisième  (somme).  — Les 
mûriers  sont  pleins  de  jeunes  filles  —  que  le  beau 
temps  rend  alertes  et  gaies,  —  telles  qu'un  essaim 
de  blondes  abeilles  —  qui  dérobent  leur  miel  aux  ro- 
marins des  champs  pierreux. 

—  «  Ainsi,  tu  me  trouves  gentille  ~  plus  que  la 
sœur?  »  la  fillette  —  dit  à  Vincent.  —  «  Beaucoup 
plus,  »  répondit-il.  —  «  Et  qu'ai-je  de  plus?  »  — 
«  Mère  divine  !  —  Et  qu'a  le  chardonneret  de  plus  — 
que  le  troglodyte  grêle,  —  sinon  la  beauté  même,  et 
le  chant,  et  la  grâce  '  » 


58  MIRÈIO,  CANTII. 

—  Mai  encaro?  —  Ma  pauro  sorre, 

Noun  vas  agué  lou  blanc  dôu  porre! 
Coume  l'aigo  de  mar  Vinceneto  a  lis  iue 

Que  ie  bluiejon  e  clarejon.... 

Livostre  coume  un  jai  negrejon  ; 

E  quand  dessus  me  beluguejon, 
léu  me  sèmblo  que  chourle  un  cigau  de  vin  eue. 

De  sa  voues  linjo  e  clarinello, 

Quand  cantavo  la  Peirounello, 
ila  sorre,  aviéu  grand  gau  d'ausi  soun  dous  acord  ; 

Mai  vous,  la  mendro  resouneto 

Que  me  digues,  o  jouveineto  ! 

Mai  que  pas  ges  de  cansouneto 
Encanto  moun  auriho  e  bourroulo  moun  cor. 

Ma  sorre,  en  courrènt  pèr  li  pàti. 

Ma  sorre,  coume  un  brout  de  dàti 
S'èi  roustido  lou  coui  e  la  caro  au  soulèu  ; 

Vous,  bello,  crese  que  sias  facho 

Coume  li  flour  de  la  pourracho  ; 

E  de  l'Estiéu  la  man  mouracho 
Noun  auso  caressa  voste  front  blanquinèuî 

Coume  uno  damo  de  gandolo 

Ma  sorre  es  enca  primacholo; 
Pecaire!  dins  un  an  a  fa  tout  soun  creissènt... 

Mai  de  l'espalo  enjusqu'à  l'anco, 

Vous,  0  Mirèio,  rèn  vous  manco  ! 

Mirèio,  lâchant  mai  la  branco, 
E  toute  rouginello  :  Oh  !  dis,  d'aquéu  Vincèn! 


MIREILLE,   CHANT  II.  59 

—  «  Mais  'incore?  »  —  «  Ma  pauvre  sœur,  —  tu 
n'auras  pas  le  blanc  du  porreau  !  —  Comme  l'eau  de 
mer  Vincenetle  a  les  yeux  —  bleus  et  limpides....  — 
Les  vôtres  sont  noirs  comme  jais  ;  —  et  quand  sur 
moi  ils  étincellent,  —  il  me  semble  que  je  bois  une 
rasade  de  vin  cuit  *. 


«  De  sa  voix  déliée  et  claire,  —  lorsqu'elle  chantait 
la  Peyronelle,  —  ma  sœur,  j'avais  grand  plaisir  à  en- 
tendre son  doux  accord  ;  —  mais  vous,  la  moindre 
petite  parole  —  que  vous  me  disiez,  ô  jouvencelle  !  — 
plus  que  nulle  chansonnette  —  enchante  mon  oreille 
et  trouble  mon  cœur. 


«  Ma  sœur,  en  courant  par  les  pâturages,  —  ma 
sœur,  comme  un  rameau  de  dattes  —  s'est  brûlé  le 
cou  et  le  visage  au  soleil  ;  —  vous,  belle,  je  crois  que 
vous  êtes  faite  —  comme  les  fleurs  de  l'asphodèle  ;  — 
et  la  main  hâlée  de  l'Été  —  n'ose  «îaresser  votre  front 
blanc  ! 


«  Comme  une  ibellule  de  ruisseau,  —  ma  sœur 
est  encore  grêle  ;  —  pauvrette  !  elle  a  fait  dans  un  an 
toute  sa  croissance. . .  —  Mais  de  l'épaule  à  la  hanche, 

—  vous,  ô  Mireille,  il  ne  vous  manque  rien!   »  — 
Laissant  de  nouveau  échapper  la  branche,  Mireille, 

—  toute  rougissante,  dit  :  «  Oh!  ce  Vincent!  » 


60  MIRÈIO,   GANT   II. 

En  desfuiant  vôsli  verguello, 

Gantas,  cantas,  magnanarello!... 
Ansin  li  bèus  enfant,  de  l'aubre  panouious 

Escoundu  souto  lou  ramage, 

Dins  l'innoucènci  de  soun  âge 

S'assajavon  au  calignage. 
Pamens,  de  mens  en  mens,  li  serre  èron  neblous, 

Amount  sus  li  roco  pelado, 

Sus  li  grand  tourre  esbarboulado 
Ounte  trèvon,  la  niue,  li  vièi  prince  di  Bail  s, 

Li  capoun-fèr,  que  blanquejavon, 

Dins  l'estendudo  s'enauravon, 

E  sis  alasso  fouguejavon 
Au  soulèu,  que  déjà  caufavo  lis  avaus. 

—  Oh  !  n'avèn  rèn  fa  !  que  vergougno  ! 
Elo  venguè  'mé  'n  èr  de  fougno. 

Aquéu  galabontèms  dis  que  vèn  m'ajuda, 
Pièi  me  fai  rèn  que  faire  rire. . . . 
Ânen!  d'aut!  que  la  man  s'estire, 
Que  pièi  ma  maire  pourrie  dire 

Qu'ai  panca  proun  de  biais,  o,  pèr  me  marida. 

Vai,  vai,  dis,  tu  que  te  vantaves, 
Moun  paure  ami  !  se  te  lougaves 
Pèr  la  cueie  à  quintau,  la  fueio,  crese  que, 
Quand  fuguèsse  toute  en  pivello, 
Pourries  manja  de  regardello  ! 

—  Me  cresès  donne  uno  ganchello? 
Piespoundeguè  lou  drôle,  un  brigouloun  mouquet. 


MIREILLE,  CIIANT  II.  M 

En  défeuillant  vos  rameaux,  —  chantez,  chantez, 
magnanar elles l...  —  Ainsi  les  beaux  enfants,  de 
l'arbre  feuillu  —  cachés  sous  la  ramée,  —  dans  l'in- 
nocence de  leur  âge  —  s'essayaient  à  l'amour.  — Les 
crêtes,  cependant,  de  moins  en  moins  étaient  bru- 
meuses. 


Là-haut  sur  les  roches  nues,  —  sur  les  grandes 
tours  écroulées  —  où  reviennent,  la  nuit,  les  vieux 
princes  des  Baux,  — les  sacres  ^  éclatants  de  blan- 
cheur,—  dans  l'étendue  s'élevaient,  — et  leurs  grandes 
ailes  étincelaient  —  au  soleil,  qui  déjà  chauffait  les 
chênes  nains. 


—  «  Oh  !  nous  n'avons  rien  fait  !  quelle  honte  î 

—  dit-elle  d'un  air  de  bouderie.  —  Ce  drôle  dit 
qu'il  vient  m'aider  ; — tout  son  travail,  ensuite,  est 
de  me  faire  rire...  —  Allons!  sus!  que  la  main  se 
dégourdisse,  —  parce  qu'après  ma  mère  pourrait 
dire  —  que  je  suis  trop  gauche  encore,  oui,  pour  me 
marier. 

«  Va,  va,  dit-elle,  toi  qui  te  vantais,  —  mon  pauvre 
ami  !  si  lu  te  mettais  à  gages  —  pour  cueillir  à  quin- 
tal la  feuille,  je  crois  que,  —  fût-elle  toute  en  brin- 
dilles, —  tu  pourrais  manger  des  regardelles  ^  !  » 

—  «  Vous  me  croyez  donc  une  mazette?  »  —  repar- 
tit le  gars,  légèrement  penaud. 


62  MIRÈIO,  GANT  II. 

Bèn  !  quau  sara  meiour  cuièire, 

Madamisello,  l'anan  vèire '. 
E  zôu!  'mé  li  dos  man,  furoun,  atravali. 

Vague  de  torse  e  môuse  ramo  ! 

Plus  de  resoun!  plus  de  calamo! 

(Perd  lou  moucèu  fedo  que  brame.) 
L'amourié  que  li  porto  es  toutaro  culi. 

Fuguèronlèu,  pamens,  à  pauso. 

Quand  sias  jouine,  la  bello  causo! 
Estent  qu'au  menfie  sa  metien  la  fueio  ensèn, 

Un  cop  li  poulit  det  cherescle 

De  ia  chatouno,  dins  l'arescle, 

Se  devinèron  entremescle 
Emé  li  det  brûlant,  U  det  d'aquéu  Vincèn. 

Elo  emai  eu  trefouliguèron  ; 

D'amour  si  gauto  s'enflourèron, 
E  tôuti  dous  au  cop,  d'un  fio  noun  couneigu 

Sentiguèron  l'escandihado. 

Mai  coume  aquesto,  à  l'esfraiado, 

Sourtié  sa  man  de  la  fuiado, 
Eu,  de  la  treboulino  enca  tout  esmougu  : 

.  —  Qu'avès?  Uno  guèspo  escoundudo 

Vous  a  belèu,  dis,  pougnegudo? 
^  Noun  sai  !  clinant  lou  front,  elo  respoundè  plan. 

E  sènso  mai,  chascun  se  bouto 

A  tourna  cueie  quauco  broulo. 

Emé  d'iue  couquin,  tèsto  souto, 
S'espinchavonpam.-s  (luau  ririé  de  davan. 


MltEILLE,  CHANT  II.  65 

«  Eh  bien  !  qui  cueillera  plus  vite,  —  mademoi- 
selle, nous  allons  le  voir  ! . . .  »  —  Et  courage  !  des 
deux  mains,  passionnés,  ardents  au  travail,  —  et  de 
tordre  et  de  traire  ramée  !  —  Plus  de  paroles,  plus  de 
cesse!  —  (Brebis  qui  bêle  Tperd  sa  dentée  d'herbe.)  — 
Le  mûrier  qui  les  porte  est  cueilli  tout  à  l'heure. 


Ils  firent,  pourtant,  bientôt  halte.  — Quand  on  est 
jeune,  la  belle  chose  !  —  Comme,  dans  le  même  sac, 
ils  mettaient  la  feuille  ensemble,  —  une  fois  les  jolis 
doigts  effilés  —  de  la  fillette,  dans  le  cerceau  '',  —  se 
rencontrèrent  emmêlés  —  avec  les  doigts  brûlants, 
les  doigts  de  ce  Vincent. 


Elle  et  lui  tressaillirent ,  leurs  joues  se  colorèrent 
de  la  fleur  d'amour,  —  et  tous  deux  à  la  fois,  d'un 
feu  inconnu  —  sentirent  l'échappée  ardente.  —  Mais 
comme  celle-ci,  avec  effroi,  —  sortait  sa  main  de  la 
feuillée,  —  lui,  par  le  trouble  encore  tout  ému  : 


—  «  Qu'avez-vous?  Une  guêpe  cachée  —  vous  a 
peut-être  piquée  ?  »  dit-il.  —  «  Je  ne  sais!  »  en  bais- 
sant le  front  répondit-elle  à  voix  basse.  —  Et,  sans 
plus,  chacun  se  met  —  à  cueillir  de  nouveau  quelque 
brindille.  —  Avec  des  yeux  mahns,  en  dessous,  —  ils 
s'épiaient  pourtant  à  qui  rirait  le  premier. 


64  MIRÈIO,   GANT  M. 

Lou  pitre  ie  batié  ! . . .  La  fueio 
Toumbè  pièi  mai  coume  la  plueio  ; 

E  quand  pièi  au  saquet  venié  que  la  inetien, 
Li  dos  menoto  blanco  e  bruno, 
Que  fugue  esprès  o  pèr  fourtuno, 
Venien  toujour  uno  vers  l'uno, 

Memamen  qu'au  travai  grand  joio  éli  prenien. 

Gantas,  cantas,  magnanarello, 
En  desfuiant  vôsti  verguello  ! . . . . 
—  Ve  !  ve  !  tout-en-un-cop  Mirèio  crido,  ve  ! 

—  Qu'es  acô?  —  Lou  det  sus  la  bouco, 
Vivo  coume  un  créu  su  'no  souco, 
Dre  de  la  branco  ounle  s'ajouco 

Fasié  signe  dôu  bras. . .  —  Un  nis. . .  qu'anan  avé  ! 

—  Espèro!.,.  E  'n  retenènt  somi  gréule, 
Coume  un  passeroun  long  di  léule, 

Vincèn  de  branco  en  branco  a  boumbi  vers  lou  nis. 

Au  founs  d'un  trau  que  de  naturo, 

Entre-mitan  la  rusco  duro, 

S'èro  fa,  de  l'emboucaduro 
Li  pichot  se  vesien,  flame  e  boulegadis. 

Mai  Vincèn  qu'à  la  branco  torto 
.  Vèn  de  nousa  si  cambo  forlo, 
E  penja  d'uno  man,  dins  lou  trounc  baumelu 
Furno  emé  l'autre.  Un  pau  pus  auto, 
Mirèio  alor,  la  flamo  i  gauto  : 

—  Qu'èi?ie  demando  cauta-cauto. 

—  De  pimparrin!  —  De-que?  —  De  bèu  sarraié  blu 


MIREILLE,   CHANT  II.  C5 

Leur  poitrine  battait  !.. .  La  feuille  —  tomba  puis 
de  nouveau  comme  pluie;  —  et  puis,  venu  (l'instant) 
où  ils  la  mettaient  au  sac,  -^  la  main  blanche  et  la 
main  brune,  —  soit  à  dessein  ou  par  bonheur,  — 
toujours  venaient  l'une  vers  l'autre,  —  mêmement 
qu'au  travail  ils  prenaient  grande  joie. 


Chantez,  chantez,  magnanarelles,  —  en  défeuil- 
lant vos  rameaux!..,  —  «  Vois!,  vois!  tout  à  coup 
Mireille  crie,  vois!  »  —  «  Qu'est-ce?  »  —  Le  doigt 
sur  la  bouche,  —  vive  comme  une  locustelle  sur  un 
cep,  —  vis-à-vis  de  la  branche  où  elle  juche  —  elle 
mdiquait  du  bras...  —  «  Un  nid...  que  nous  allons 
avoir!  » 

—  iS  Attends  !...  »  Et  retenant  son  souffle  haletant, 

—  tel  qu'un  passereau  le  long  des  tuiles,  —  Vincent 
de  branche  en  branche  a  bondi  vers  le  nid.  —  Au  fond 
d'un  trou  qui  naturellement,  —  entre  la  dure  écorce, 

—  s'était  formé,  par  l'ouverture  —  les  petits  se 
voyaient,  déjà  pourvus  de  plumes  et  remuant. 


Mais  Vincent,  qui  à  la  branche  tortue  —  vient  de 
nouer  ses  jambes  vigoureuses,  —  suspendu  d'une 
main,  dans  le  tronc  caverneux  —  fouille  de  l'autre. 
Un  peu  plus  élevée,  —  Mireille  alors,  la  flamme  aux 
joues  :  —  «  Qu'est-ce?  »  demande-t-elle  avec  pru- 
dence. —  «  Des  pimpaiTms  !  »  —  «  Comment?  « 
—  «  De  belles  mésanges  bleues!  » 

6. 


C(5  MlRfnO,   C\NT  II. 

Mirèio  osclafiguè  lou  rire. 

—  Que  !  dis,  l'as  jamai  ausi  dire? 

Quand,  dons,  trouvas  un  nis  au  bout  d'un  amourié, 
0  de  tout  aubre  que  lou  sènnble, 
Passo  pas  l'an  que  noun  ensemble 
La  santo  Glèiso  vous  assemble 

Prouvèrbi,  dis  moun  paire,  es  loujour  vertadié 

—  0,  ie  fai  eu;  mai  fau  apoundre 
Qu'aquelo  espèro  pou  se  foundre, 

S'avans  que  d'èstre  en  gabio  escapon  li  pichot. 

—  Jeuse,  moun  Dieu  !  dono-te  garde  ! 
Cridè  la  chato;  e  sènso  tardo 
Rejoun-lèi  bèn,  que  nous  regarde! 

—  Ma  fisto  !  lou  j cuvent  ie  respond  coume  eiçô, 

Lou  miéu  que  li  poudèn  rejougne 
Sarié  bessai  dins  veste  jougne. . . 

—  Ah  '  tè,  baio  !  verai  ! . . .  Lou  drôle  quatecant 

Mando  sa  man  dins  la  caforno  ; 
E  sa  man  pleno  que  s'entorno 
Quatre  n'en  tiro  de  la  borno. 

—  Boudiéu  !  digue  Mirèio  en  aparant,  oh  !  quant  ! 

Queto  nisado  galantouno  ! 
Tè!  tè!  pecaire,  uno  poutouno! 
E,  folo  de  plesi,  de  milo  poutounet 
Li  devouris  e  poumpounojo  ; 
Pièi  em'  amour  plan-plan  li  vejo 
Souto  soun  jougne  que gounflejo... 

—  Tè!  tè!  paro la  man,  cridè  mai  Vincenet. 


MIREILLE,   CHANT  H.  G7 

Mireille  éclata  de  rire.  —  «  Écoute!  dit-elle,  ne 
l'as-tn  jamais  ouï  dire?  —  Lorsqu'on  trouve,  à  deux, 
un  nid  au  faîte  d'un  mûrier,  —  ou  de  tout  arbre  pa- 
reil, —  l'année  ne  passe  pas  qu'ensemble  —  la  sainte 
Église  ne  vous  unisse....  —  Proverbe,  dit  mon  père, 
est  toujours  véridique.  » 


—  «  Oui,  réplique  Vincent  ;  mais  il  faut  ajouter  — 
que  cet  espoir  peut  se  fondre,  —  si,  avant  d'être  en 
cage,  s'échappent  les  petits.  »  —  «  Jésus,  mon  Dieu! 
prends  garde  I  —  cria  la  jeune  fdle,  et  sans  retard,  — 
serre-les  avec  soin,  car  cela  nous  regarde!  »  —  «  Ma 
foi  !  répond  ainsi  le  jouvenceau. 


«  Le  meilleur  (endroit)  pour  les  serrer,  —  serait 
peut-être  votre  corsage...  »  —  «  Tiens!  oui,  donne! 
c'est  vrai  ! . . .  »  Le  garçon  aussitôt  —  envoie  sa  main 
dans  la  cavité;  et  sa  main,  qui  retourne  pleine,  — 
en  tire  quatre  du  creux.  —  «  Bon  Dieu!  dit  Mi- 
reille en  tendant  (la  main),  oh!  combien!... 


«  La  gentille  nichée  !  —  Tiens  !  tiens  !  pauvres  pe- 
À[s,  un  bon  baiser!  »  —  Et  folle  de  plaisir,  de  mille 
doux  baisers  —  elle  les  dévore  et  les  caresse  ;  — 
puis  avec  amour  doucement  les  coule  —  sous  son  cor- 
sage qui  renfle.  —  «  Tiens!  tiens!  tends  la  main,  » 
derechef  cria  Vincent, 


68  MIRÉIO,   GANT  II 

—  Oh  !  li  poulit  !  Si  tèsto  bluio 
An  d'uioun  fm  coume  d'aguhio  ! 

E  lèu  mai,  dins  la  blanco  e  lisqueto  presouii, 

Très  pimparrin  elo  recato  ; 

E,  dins  lou  sen  caud  de  la  chato, 

La  couvadeto  que  s'amato 
Se  crèi  que  l'an  remesso  au  founs  de  soun  nisoun. 

—  Mai,  de  bon?  Vincenet,  n'i'a  'ncaro? 

—  0  !  —  Santo  Vierge  !  Ve,  toutaro 

Dirai  qu'as  la  man  fado  !  —  Eh!  pauro  que  vous  sias? 
Li  pimparrin?  quand  vèn  Sant  Jorge, 
Fan  dès,  douge  iôu,  emai  quatorge, 
Souvènti'fes  ! ...  Mai  le  !  t  è  !  porge, 

Li  cago-nis  !...  E  vous,  bello  borno,  adessias' 

Coume  lou  drôle  se  despènjo, 
E  qu'elo  vite  lis  arrènjo 
Bèn  deUcadamen  dins  soun  fichu  flouri... 

—  Ai!  ai  !  ai!  d'uno  voues  tendrino 
Subitamen  fai  la  mesquino. 

E,  vergougrîouso,  à  la  peitrino 
S'f.squicho  li  dos  man.  —  Ai  1  ai  ai  !  vau  mouri  i 

Houi  !  houi  !  plouravo,  me  grafignon  ! 

Ai  !  me  grafignon  e  m'espignon  ! 
Courre  lèu ,  Vincenet,  lèu  ! ...  Es  que,  i'a  'n  moumen. . . 

Que  vous  dirai?  dins  l'escoundudo 

Grando  e  vivo  èro  l'esmougudo  ! 

l'a  'n  moumen,  dins  la  bando  aludo 
Avien,  li  cago-nis,  mes  lou  bourroulamcn. 


MIREILLE,  CHANT  II.  69 

«  Oh  !  les  jolis  !  Leurs  têtes  bleues  —  ont  de  petit? 
yeux  fins  comme  des  aiguilles  !»  —  Et  vite  encore, 
dans  la  prison  blanche  et  lisse,  elle  cache  trois  mé- 
sanges ;  —  et,  dans  le  tiède  sein  de  la  jeune  fille, — 
la  petite  couvée  qui  se  blottit,  croit  qu'on  l'a  remise 
au  fond  de  son  nid. 


—  «  Mais  tout  de  bon?  Vincent,  y  en  a-t-il  encore?  » 

—  «  Oui  !  »  —  «  Sainte  Vierge!  vois,  tout  à  l'heure 

—  je  dirai  que  tu  as  la  main  fée  !»  —  «  Eh  !  bonne 
fille  que  vous  êtes  !  —  les  mésanges  !  quand  vient  la 
Saint-Georges,  elles  font  dix,  douze  œufs,  et  même 
quatorze,  —  maintes  fois  !...  Mais  tiens  !  tiens!  tends 
(la  main) ,  —  les  derniers  èclos  !  et  vous,  beau  creux, 
adieu  !  » 

A  peine  le  jeune  homme  se  décroche,  —  à  peine 
celle-ci  arrange  les  (oiseaux) — bien  délicatement  dans 
son  fichu  fleuri...  —  «Aïe!  aïe!  aïe!  »  d'une  voix 
chatouilleuse  —  fait  soudain  la  pauvrette.  —  Et,  pu- 
dique, sur  la  poitrine  —  elle  se  presse  les  deux  mains. 

—  «  Aïe  !  aïe  !  aïe  !  je  vais  mourir. 

«  Ho  !  pleurait-elle,  ils  m'égratignent  !  —  aïe  î  m'é- 
gratignent  et  me  piquent!  —  Cours  vite,  Vincent, 
vite!...»  C'est  que,  depuis  un  moment,  —  vous 
le  dirai-je?  dans  la  cachette  —  grand  et  vif  était 
l'émoi  !  —  Depuis  un  moment,  dans  la  bande  ailée 

—  avaient,  les  derniers  éclos,  mis  le  bouleverse- 
ment. 


70  MIRÈIO,   GANT  II. 

E  dins  l'eslrecho  valounado, 

La  fouligaudo  moulounado 
Que  noun  pôu  libramen  faire  soun  roudelet, 

A  grand  varai  d'arpioun  e  d'alo, 

Fasié,  dins  li  mounto-davalo, 

Cambareleto  sènso  egalo, 
Fasié  long  di  galis  milo  bèu  redoulet. 

—  Ai  !  ai  !  vène  lèi  querre  !  lampo, 
le  souspiravo.  E  coume  pampo 

Que  l'auro  atremoulis ,  coume  di  cabrian 
Quand  se  sent  pouncho  uno  junego, 
Ansin  gémis,  sauto  e  se  plego 
La  chatouno  di  Falabrego... 

Eu  pamens  i'a  voula...  —  Gantas,  en  desfuiant, 

En  desfuiant  vôsti  jitello, 
Gantas,  cantas,  magnanarello  ! 
Sus  la  branco  ounte  plouro  eu  pamens  a  voula  : 

—  La  cregnèf,  donne  bèn,  la  coutigo? 
Eu  ie  fai  de  sa  bouco  amigo. 

Eh  !  coume  iéu,  dins  lis  ourligo, 
Se  descausso  proun  fes  vous  falié  barrula, 

Goume  farias?  Epèr  rejougne 

Lis  enfourniau  qu'a  dins  soun  jougne, 
Eu  ie  porge,  en  risènt,  soun  bonnet  de  marin. 

Déjà  Mirèio,  soutl'estofo 

Que  la  nisado  rendié  gofo, 

Mando  sa  man,  e  dins  la  cofo 
Un  pèr  un  adeja  torno  li  pimparrin  ; 


MIREILLE,  CHANT  II.  H 

Et,  dans  l'étroit  vallon,  —  la  folâtre  multitude  — 
qui  ne  peut  librement  se  caser,  —  se  démenant  des 
griffes  et  des  ailes,  —  faisait,  dans  les  ondulations, 
—  culbutes  sans  pareilles,  —  faisait,  le  long  des 
talus,  mille  belles  roulades. 


—  «  Aïe!  aïe  !  viens  \es  quérir  !  vole,  »  —  lui  sou- 
pirait-elle. Et  comme  le  pampre  —  que  le  vent  fait 
frissonner,  commer  une  génisse  qui  se  sent  piquée  par 
les  frelons,  —  ainsi  gémit,  bondit  et  se  ploie  —  l'ado- 
lescente des  Micocoules...  — Lui  pourtant  a  volé  vers 
elle...  —  Chantez,  en  défeuillant, 


En  défeuillant  vos  rameaux,  —  chantez,  chantez, 
magnanar elles  !  —  Sur  la  branche  où  elle  pleure,  lui 
pourtant  a  volé.  —  «  Vous  le  craignez  donc  bien,  le 
chatouillement?  — lui  dit-il  de  sabouche  amie. — Eh! 
comme  moi,  dans  les  orties,  —  si,  nu-pieds,  mainte 
fois  il  vous  fallait  vaguer, 


«  Comment  feriez-vous  ?»  —  Et  pour  déposer  — 
les  oisillons  qu'elle  a  dans  son  corsage,  —  il  lui  offre 
en  riant  son  bonnet  de  marin,  —  Déjà  Mireille,  sous 
l'étoffe  —  que  la  nichée,  rendait  bouffante,  —  envoie 
la  main,  et  dans  la  coiffe  —  déjà,  une  à  une,  rapporte 
les  mésanges  ; 


72  MIRÈIO,  GANT  II. 

Déjà,  'mélou  front  clin,  pecaireî 

E  revirado  un  pau  de  caire. 
Déjà  loii  risoulet  se  mesclavo  à  si  ploiir  ; 

Semblablamen  à  l'eigagnolo 

Que,  lou  malin,  di  courrejolo 

Bagno  li  campanelo  molo, 
E  perlejo,  e  s'esbêu  i  proumiéri  clarour... 

E  souto  éli  vèn  que  la  branco 

Tout-en-un-cop  peto  e  s'escranco  ! . . . 
Au  coui  dôu  panieraire,  elo,  en  quilanl  d'esfrai, 

Se  precepilo  e  se  i'  cmbrasso  ; 

E  dôu  grand  aubre  que  s'estrasso, 

En  un  rapide  viro-passo 
Toumbon,  embessouna,  sus  lou  souple  margai.... 

Fres  ventoulet,  Larg  e  Gregàli, 

Que  di  bos  boulegas  lou  pâli, 
Sus  lou  jouine  parèu  que  voste  gai  murinur 

Un  moumenet  mole  e  se  taise! 

Fôlis  aureto,  alenas  d'aise  ! 

Dounas  lou  tèms  que  l'on  pantaise, 
'Lou  tèms  qu'à  tout  lou  mens  pantaison  lou  bonur  ! 

Tu  que  lalejes  dins  ta  gorgo, 

Vai  plan,  vai  plan,  pichouno  sorgo  ! 

Di  litre  ti  cascagnôu  menés  pas  tant  de  brut  ! 
Pas  tant  de  brut,  que  si  dos  amo 
Soun,  dins  lou  même  rai  de  flamo, 
Partido  coume  un  brusc  qu'eissamo... 

Leissas-lèi  s'emplana  dins  lis  èr  benastru! 


MIREILLE,  CHANT  II.  73 

Déjà  le  front  baissé,  pauvrette  !  —  et  détournée 
un  peu  de  côté,  —  déjà  le  sourire  se  mêlait  à  ses 
larmes  ;  —  semblablement  à  la  rosée  —  qui,  le  ma- 
tin, des  liserons  —  mouille  les  clochettes  molles, 
—  et  roule  en  perles,  et  s'évapore  aux  premières 
clartés 


Et  sous  eux  voilà  que  la  branche  —  tout  à  coup 
éclate  et  se  rompt  !. . .  —  Au  cou  du  vannier,  la  (jeune 
fille)  effrayée,  avec  un  cri  perçant,  —  se  précipite 
et  enlace  ses  bras  ;  —  et  du  grand  arbre  qui  se  dé- 
chire, —  en  une  rapide  virevolte,  —  ils  tombent, 
serrés  comme  deux  jumeaux,  sur  la  souple  ivraie*.... 


Frais  zéphyrs,  (vent)  largue  et  (vent)  grec», —  qui 
des  bois  remuez  le  dais,  —  sur  le  jeune  couple  que 
votre  gai  murmure  —  un  petit  moment  mollisse  et 
se  taise  !  —  Folles  brises,  respirez  doucement  !  — 
Donnez  le  temps  que  l'on  rêve,  —  le  temps  qu'à  tout 
le  moins  ils  rêvent  le  bonheur  ! 


Toi  qui  gazouilles  dans  ton  lit,  —  va  lentement, 
va  lentement,  petit  ruisseau!  —  parmi  tes  galets 
sonores  ne  fais  pas  tant  de  bruit  !  ~  pas  tant  de 
bruit,  car  leurs  deux  âmes  —  sont,  dans  le  même 
rayon  de  feu,  —  parties  comme  une  ruche  qui  es- 
saime.... —  Laissez-les  se  perdre  dans  les  airs  pleins 

d'étoiles  I 

7 


U  MIRÈIO,  GANT  II, 

Mai  elo,  au  bout  d'uno  passado, 

Se  daverè  de  la  brassado 

Mens  palinello  soun  li  flour  dôu  coudounié. 

Pièi  sus  la  ribo  s'assetèron, 

Un  contro  l'autre  se  boutèron, 

Un  moumenet  se  regardèron, 
E'm'  acô  parlé  'nsin  lou  drôle  di  panié  : 

Vous  sias  rèn  facho  mau,  Mirèio?... 

0  la  vergougno  de  la  lèio, 
Aubre  dôu  diable,  aubras  qu'un  divèndre  an  planfa, 

Que  la  marrano  t'agarrigue. 

Que  l'artisoun  te  devourigue, 

E  que  toun  mèstre  t'abourrigue  ! 
Mai  elo,  em'  un  tramblun  que  noun  pôu  arresta  : 

—  Me  siéu  pas,  dis,  facbo  mau,  nàni  ! 
Mai,  coume  un  enfant  dins  si  làni, 

Que  de  fes  plourinejo  e  noun  saup  per-de-que, 
Ai  quaucarèn,  dis,  que  me  grèvo  ; 
L'ausi,  lou  vèire,  acô  me  lèvo  ; 
Moun  cor  n'en  boni,  moun  front  n'en  rèvo, 

E  lou  sang  de  moun  cors  noun  pôu  demoura  quct  ! 

—  Belèu,  digue  lou  panieraire, 
Es  de  la  pôu  que  vosto  maire 

Vous  charpe  qu'à  la  fueio  avès  mes  trop  de  tèm? 
Coume  iéu,  quand  veniéu  subr'ouro, 
Estrassa,  moustous  coume  un  Mouro, 
Pèr  èstre  ana  cerca  d'amouro.... 

—  Oh  !  noun,  digue  Mirèio,  autre  peno  me  tèn. 


MIREILLE,   CHANT   II.  75 

Mais  elle,  au  bout  d'un  instant,  —  se  délivra  de 
l'embrassade...  —  Moins  pâles  sont  les  fleurs  du  co- 
gnassier. —  Puis  ils  s'assirent  sur  le  talus,  —  l'un 
près  de  l'autre  se  mirent,  —  un  petit  moment  se  re- 
gardèrent, — et  voici  comment  parlale  jeune  homme 
aux  paniers  : 


«  Vous  étes-vous  point  fait  de  mal,  Mireille?...  — 
0  honte  de  l'allée,  —  arbre  du  diable,  arbre  funeste 
qu'on  a  planté  un  vendredi,  —  que  le  marasme  s'em- 
pare de  toi  !  —  que  Tartison  te  dévore,  —  et  que  ton 
maître  te  prenne  en  horreur!  »  —  Mais  elle,  avec 
un  tremblement  qu'elle  ne  peut  arrêter  : 


—  «  Je  ne  me  suis  pas,  dit-elle,  fait  de  mal,  nenni  ! 

—  Mais,  telle  qu'un  enfant  dans  ses  langes  —  qui 
parfois  pleure  et  ne  sait  pourquoi,  —  j'ai  quelque 
chose,  dit-elle,  qui  me  tourmente;  —  cela  m'ôte  le 
voir  et  l'ouïr;  —  mon  cœur  en  bout,  mon  front  en 
rêve,  —  et  le  sang  de  mon  corps  ne  peut  rester, 
calme.  » 

—  «  Peut-être,  dit  le  vannier,  — est-ce  la  peur  que 
votre  mère  —  ne  vous  gronde  pour  avoir  mis  trop  de 
temps  à  ]a  feuille?  —  comme  moi,  quand  je  m'en 
venais  à  heure  indue,  —  déchiré,  barbouillé  comme 
un  Maure, —  pour  être  allé  chercher  des  mûres...  » 

—  a  Oh!  non,  dit  Mireille,  «lutre  peine  me  tient.  » 


'6  MIRÈIO,   CANT  II. 

—  0  belèu  uno  souleiado, 
Faguè  Vincèn,  vous  a'mbriado. 

Sabe,  dis,  uno  vièio,  aperamount  i  Bau 
(le  dison  Taven)  :  vous  asaigo 
Bèn  sus  lou  front  un  got  plen  d'aigo, 
E  lèu,  di  cervelio  embriaigo, 

Li  rai  escounjura  gisclon  dinslou  cristsu. 

—  Noun,  noun  !  respoundè  la  Craenco  ; 
Lis  escandihado  maienco 

N'es  pa'i  chato  de  Grau  que  podon  faire  pôu  !.., 

Mai  en  que  sèr  de  te  deçaupre? 

Dins  moun  sen  acô  pôu  plus  caupre  ! 

Vincèn,  Vincèn,  vos-tilou  saupre? 
De  tu  siéu  amourouso  !....  Au  bord  dôu  rajeirôu, 

Emai  l'èr  linde,  emai  la  tepo, 
Emai  li  vièi  sause  de  cepo, 
Fuguèron  claramen  espanta  de  plesi  ! . . . 

—  Ah  !  princesso,  que,  tantpoulido, 
Agués  la  lengo  tant  marrido, 

Lou  panieraire  aqui  s'escrido, 
l'a  de  que  pèr  lou  sôu  se  traire  estabousi  ! 

Coume  !  de  iéu  vous  amourouso? 
De  ma  vidasso  encaro  urouso 

Anes  pas  vous  jouga,  Mirèio,  au  noum  de  Dieu  ! 
Me  fagués  pas  crèire  de  causo 
Qu*,  aqui  dedins  uno  fe  'nclauso, 
De  ma  mort  sarien  pièi  l'encauso  ! 

Mirèio,  d'aquéu  biais  vous  trufés  pks  de  iéu  ! 


MIREILLE,  CHANT  II.  11 

—  «  Ou  peut-être  un  coup  de  soleil,  —  fit  Vincent, 
vous  a  enivrée.  —  Je  sais,  dit-il,  une  vieille,  dans  les 
montagnes  des  Baux  —  (on  l'appelle  Tavèn)  :  elle 
vous  applique  —  bien  sur  le  front  un  verre  plein 
d'eau,  et  promptement,  de  la  cervelle  ivre,  —  les 
rayons  charmés  jaillissent  dans  le  cristal,  » 


—  «  Non,  non  !  répondit  la  fille  de  Crau  ;  —  les 
échappées  du  soleil  de  mai,  —  ce  n'est  pas  aux  filles 
de  Crau  qu'elles  peuvent  faire  peur  !  —  mais  à  quoi 
bon  t'abuser?  —  Mon  sein  ne  peut  plus  le  contenir  ! 
—  Vincent,  Vincent,  veux-tu  le  savoir?  —  Je  suis 
amoureuse  de  toi!..  »  Au  bord  du  ruisseau, 


Et  l'air  limpide,  et  le  gazon,  —  et  les  vieux  saules 
taillis  —  furent  clairement  émerveillés  de  plaisir  ! . . . 

—  «  Ah!  princesse,  que,  si  jolie,  —  vous  ayez  la 
langue  si  méchante,  —  le  vannier  s'écrie  à  l'instant, 

—  il  y  a  de  quoi  se  jeter  par  terre,  stupéfait  ! 


«  Quoi!  vous  amoureuse  de  moi?  —  De  ma  pauvre 
vie  encore  heureuse — n'allez  pas  vous  jouer,  Mireille, 
au  nom  de  Dieu  !  —  Ne  me  faites  pas  croire  des  choses 
—  qui,  là  dedans  une  fois  enfermées,  —  seraient  en- 
suite la  cause  de  ma  mort  !  — Mireille,  de  cette  sorte 
ne  vous  moquez  plus  de  moi  !  » 


78  MIRÈIO,  GANT   II 

—  Que  Dieu  jamai  m'emparadise,  , 
Se  i'a  messorgo  en  ce  que  dise  ! 

Vai,  de  crèire  que  t'ame  acô  fai  pas  mouri, 
Vincèn  ! . . .  Mai  se,  pèr  marridesso, 
Noun  vos  de  iéu  pèr  ta  mestresso, 
Sara  iéu,  de  malo  tristesse, 

Sara  iéu  qu'à  ti  pèd  me  veiras  coumbouri  ! 

—  Oh  !  digues  plus  de  causo  ansinto  ! 
De  iéu  à  vous  i'a  'n  laberinto, 

L'enfant  de  Mèste  Ambroi  faguè  'n  bretounejant. 
Vous,  sias  dôu  Mas  di  Fqlabrego 
La  rèino  davans  quau  tout  plego... 
Iéu,  banastié  de  Valabrego, 

Siéu  qu'un  gandard,  Miréio,  un  trevaire  de  champ' 

—  Eh  !  que  m'enchau  que  moun  fringaire 
Siegue  un  baroun  o  'n  panieraire. 

Mai  que  m'agrade  à  iéu  !  ie  respoundeguè  lèu 
Etouto  enfio  coume  uno  handro. 
Mai  se  noun  vos  que  la  malandro 
Fure  moun  sang,  dins  ti  peiandro 

Perqué  donne,  o  Vincèn,  m'aparèisses  tant  bèu? 

D  avan  s  la  vi  erge  r aub  ati vo , 
Eu  resté  mè,  coume  di  nivo 
Quand  toumbo  pau-à-pau  un  aucèu  pivela. 

—  Sies  donne  masco,  pièi  faguè  proumte, 
Pèr  que  ta  visto  ansin  me  doumte, 

Pèr  que  ta  voues  au  su  me  mounte, 
E  me  rende  foulas  coume  un  orne  enchuscla? 


MIREILLE,    CHANT   II  7« 

—  «  Que  Dieu  jamais  ne  m'emparadise,  —  s'il  est 
mensonge  en  mes  paroles  1 —  Va,  croire  que  je  t'aime, 
cela  ne  fait  pas  mourir,  —  Yincen'  "  ..  Mais  si,  par 
cruauté,  —  tu  ne  veux  pas  de  moi  pour  amante,  — 
ce  sera  moi,  malade  de  tristesse,  —  ce  sera  moi  qu'à 
tes  pieds  tu  verras  se  consumer  !  » 


—  «  Oh  !  ne  dites  plus  des  choses  pareilles  !  —  De 
moi  à  vous  il  y  a  un  labyrinthe,  —  l'enfant  de  Maître 
Ambroise  fit  en  balbutiant.  —  Du  Mas  des  Micocoules 
vous  êtes,  vous,  —  la  reine  devant  qui  tout  plie...  — 
Moi,  vannier  de  Valabrègue,  —  je  ne  suis  qu'un  vau- 
rien, Mireille,  un  batteur  de  campagne!  » 


—  «  Eh  !  que  m'importe  que  mon  bien-aimé  — 
soit  un  baron  ou  un  vannier,  —  pourvu  qu'il  me 
plaise,  à  moi!  répondit-elle  vite,  —  et  tou<e  en  feu 
comme  une  lieuse  (de  gerbes).  —  Mais  situ  ne  veux 
que  la  langueur  — mine  mon  sang,  dans  tes  haillons 
—  pourquoi  donc,  ô  Vincent,  m' apparais-tu  si  beau?  » 


Devant  la  vierge*  ravissante,  —  lui  resta  interdit, 
comme  des  nues  —  un  oiseau  fasciné  *"  qui  tombe 
peu  à  peu.  —  «  Tu  es  donc  magicienne,  dit-il  ensuite 
brusquement,  —  pour  que  la  vue  me  dompte  ainsi, 
—  pour  que  ta  voix  me  monte  à  la  tète,  —  et  me 
rende  insensé  comme  un  homme  pris  de  vin? 


sa  MIRÈIO,  CANT  II. 

Lou  veses  pas  que  ta  brassado 

A  mes  lou  fio  dins  mi  pensado? 
Car,  tè!  se  vos  Iru  saupre,  à  l'agrat  que  de  iéu, 

Paure  pourtaire  debourrèio, 

Vogues  faire  que  ta  risèio, 

T'ame  peréu,  t'ame,  Mirèio  ! 
T'ame  de  tant  d'amour  que  te  devouririéu  ! 

T'ame,  que  se  disien  ti  labro  : 

Vole  la  Cabro  d'or,  la  cabro 
Que  degun  de  mourtau  ni  la  pais  ni  la  mous, 

Que  soutlou  ro  de  Baus-Maniero, 

Lipo  la  moufo  roucassiero,  — 

0  me  perdréu  dins  li  peiriero, 
0  me  veinés  tourna  la  cabro  dôu  peu  rous  I 

T'ame,  o  chatounoencantarello, 
Que  se  disiés  :  Vole  uno  estello  ; 

Fa  ni  travès  de  mar,  ni  bos,  ni  gaudre  foui, 
Ta  ni  bourrèu,  ni  fio,  ni  ferre 
Que  m'aplantèsse  !  Au  bout  di  serre, 
Toucant  lou  cèu,  l'anariéu  querre, 

E  Dimenche  l'auriés,  pendoulado  à  toun  coui. 

Mai,  0  bellasso  !  au  mai  t'aluque, 
Au  mai,  pecaire  !  m'emberluque  ! . . . 

Veguère  uno  figuiero,  un  cop,  dins  moun  camin 
Arrapado  à  la  roco  nuso 
Contro  la  baumo  de  Vaucluso  : 
Maigro,  pecaire!  i  lagramuso 

le  dounarié  mai  d'oumbro  un  clôt  ds  jaussemin  ! 


MIREILLE,    CHANT  II.  U 

«  Ne  vois-tu  pas  que  ton  embrassement  — a  mis  le 
feu  dans  mes  pensées  ?  —  Car,  tiens  !  si  tu  veux  le 
savoir,  au  risque  que  de  moi,  —  pauvre  porteur  de 
falourdes,  —  tu  ne  veuilles  faire  que  ta  risée,  —  je 
t'aime  aussi,  je  t'aime,  Mireille  !  —  je  t'aime  de  tant 
d'amour  que  je  te  dévorerais! 


«  Je  t'aime  (au  point)  que  si  tes  lèvres  disaient  :  — 
Je  veux  la  Chèvre  d'or  ",  la  chèvre  —  que  nul  mor- 
tel ne  paît  ni  ne  trait,  —  qui,  sous  le  roc  de  Baus- 
Manière  **,  —  lèche  la  mousse  des  rochers,  —  ou  je 
me  perdrais  dans  les  carrières,  —  ou  tu  me  verrais 
ramener  la  chèvre  au  poil  roux  ! 


«  Je  t'aime,  ô  jeune  fille  enchanteresse,  —  (au 
point)  que  si  tu  disais  :  Je  veux  une  étoile  !  —  il  n'est 
traversée  de  mer,  ni  bois,  ni  torrent  fou,  —  il  n'est 
ni  bourreau,  ni  feu,  ni  fer  —  qui  m'arrêtât!  Au  bout 
des  pics,  —  touchant  le  ciel,  j'irais  la  prendre,  —  et, 
Dimanche,  tu  l'aurais  pendue  à  ton  cou. 


«  Mais,  ô  la  plus  belle!  plus  je  te  contemple,  — 
plus,  hélas!  je  m' éblouis!....  —  Je  vis  un  figuier, 
une  fois,  dans  mon  chemin,  —  cramponné  à  la  roche 
nue  —  contre  la  grotte  de  Vaucluse,  —  si  maigre, 
hélas!  qu'aux  lézards-gris  —  donnerait  plus  d'ombre 
une  touffe  de  jasmin. 


82  MIRÈIO,  GANT  II 

Un  cop  pèr  an  vers  si  racino 
Vèn  flouqueja  l'oundo  vesino; 

E  l'aubrefrsecarous,  à  l'aboundouso  font 
Que  mounto  à-n-éu  pèr  que  s'abéure, 
Tant  que  n'en  vôu,  se  bouto  à  béure.... 
D'acô  tout  l'an  n'a  proun  pèr  viéure. 

Coume  àl'anèu  la  pèiro,  à  iéu  acô  respond; 

Que  siéu,  Mirèio,  la  fîguiero, 

E  tu,  la  font  e  la  fresquiero 
E  basto,  à  iéu  pauret!  basto,  uno  fes  de  l'an, 

Que  pousquèsse,  à  geinoun  coume  aro, 

Me  souleia  i  rai  de  ta  caro  ! 

E  subretout  de  poudé  'ncaro 
Te  floureja  li  det  d'un  poutoun  tremoulant! 

Mirèio,  d'amour  tresananto, 
L'escoutavo...  Mai  eu  l'aganto, 

En  l'aganto  esperdu  ;  contro  soun  pitre  fort 
L'adus  esperdudo...  —  Mirèio' 
Subran  coume  eiçô  dins  la  lèio 
S'entendeguè  'no  voues  de  vièio, 

Li  magnan,  à  miejour,  manjaran  rèn,  alor? 

Dedins  un  pin,  en  grando  fogo, 
Un  vôu  de  passeroun  que  jogo, 

Emplisson,  i'a  de  fes,  d'un  chamatan  galoi 
La  vesprado  que  s'enfresquèiro  ; 
Mai  d'un  glenaire  que  li  guèiro 
Se  tout-d'un-cop  toumbo  la  pèiro, 

De  tout  caire,  esfraia,  tabouscon  dins  lou  boi. 


MIREILLE,    CHANT  II.  83 

«  Vers  ses  racines,  une  fois  par  an,  —  vient  cla- 
poter l'onde  voisine  ;  —  et  l'arbuste  aride,  à  l'abon- 
dante fontaine  —  qui  monte  à  lui  pour  le  désaltérer, 
—  autant  qu'il  veut,  se  met  à  boire...  —  Cela  toute 
l'année  lui  suffit  pour  vivre.  —  Comme  la  pierre  à  la 
bague,  à  moi  cela  s'applique. 


«  Car  je  suis,  Mireille,  le  figuier,  —  et  toi,  la  fon- 
taine et  la  fraîcheur  !  —  Et  plût  au  ciel,  moi  pau- 
vret! plût  au  ciel,  une  fois  l'an,  —  que  je  pusse,  à 
genoux,  comme  à  présent,  — me  soleiller  aux  rayons 
de  ton  visage,  —  et  surtout  que  je  pusse  encore  — 
t' effleurer  les  doigts  d'un  baiser  tremblant  !  » 


Mireille,  palpitante  d'amour,  —  1  écoutait....  — 
Mais,  lui,  la  prentr,  —  lui  la  prend  éperdu;  contre 
sa  poitrine  forte  —  l'amène  éperdue. . .  —  «  Mireille  !  » 
—  ainsi  tout  à  coup  dans  l'allée  —  résonna  une  voix 
de  vieille  (femme),  —  «  les  vers  à  soie,  à  midi,  ne 
mangeront  donc  rien?  » 


Dans  un  pin,  en  grande  animation,  —  une  volée  de 
passereaux  qui  s'ébat  —  remplit,  quelquefois,  d'un 
gai  ramage  —  la  soirée  qui  fraîchit.  —  Mais  d'un 
glaneur  qui  les  guette  —  si  tout  d'un  coup  tombe  la 
pierre,  —  de  toute  part,  efirayés,  ils  ^'enfuient  dans 
le  bois . 


84  MIRÊIO,   GANT  II. 

Desmemouria  de  l'escaufèstre, 
Ansin  fugis  pèr  lou  campèslre 

Louparèu  amourous.  Elo,  devers  lou  mas, 
Sènso  muta,  part  à  la  lèsto, 
Emé  sa  fueio  sus  la  tèsto. . . 
Eu,  planta  coume  un  sounjo-fèsto, 

L'arregardo  landa  peralin  dins  l'ermas 


MIREILLE,    CHANT  II.  85 

Troublé  d'émoi,  —  ainsi  fuit  par  la  lande  —  le 
couple  amoureux.  Elle,  de  vers  le  mas,  —  sans  dire 
mot,  part  à  la  hâte,  sa  feuillée  sur  la  tête...  —  Lui, 
immobile  comme  un  songe-fêtes,  —  la  regarde  courir, 
au  loin,  dans  la  friche. 


NOTES 

DU  CHANT  DEUXIÈME. 


«  Magnanarelles  [magnanarello).  On  désigne  par  ce  mot  les  fem- 
mes préposées  à  l'éducation  des  vers  à  soie,  magnan. 

*  Ils  s'endorment  de  leur  troisième  somme  [s'endormon  dt  très). 
Les  vers  à  soie  vivent  à  l'état  de  larve  trente-quatre  jours  environ, 
et  dans  cet  intervalle  changent  quatre  fois  de  peau.  A  l'approche 
de  chaque  mue,  ils  s'engourdissent  et  cessent  de  manger,  dormon. 
On  dit  dourini  de  la  proumiero,  di  dos,  di  très,  di  quatre,  ce  qui 
signifie  littéralement  dormir  de  lapremière  [mue],  des  deux  [mues], 
des  trois  (mues),  etc 

3  Cochevis  [couquihado],  (alauda  cristata,  Lin.) 

*  Vin  cuit  [vin  eue)  :  moût  qu'au  sortir  de  la  fouloire  on  fait 
bouillir  dans  un  chaudron,  et  qui  étant  cuit  à  point,  rappelle,  après 
un  an  de  bouteille,  la  couleur  et  le  goût  des  meilleurs  vins  d'Es- 
pagne. Les  Provençaux  le  boivent  dans  les  festins,  et  principale- 
ment au  repas  de  Noël. 

"  Sacre  [capoun-fèr),  sacre  d'Egypte  [vultur  percnopterus,  Gm.), 
oiseau  de  proie. 

s  Regardelles  (regrardd/o),  mets  imaginaire.  Manja  deregardello, 
manger  des  yeux,  mâcher  à  vide,  comme  dit  Rabelais. 

^  Arescle,  cerceau  qu'on  adapte  à  la  gueule  d'un  sac  pour  le 
tenir  ouvert.  On  donne  en  général  le  nom  d'arescle  aux  bois  de 
fente  dont  on  fait  les  sas,  les  cribles,  les  tambours,  les  boisseaux. 

*  Ivraie  [margai).  Il  s'agit  de  l'ivraie  vivace  [loUum  perettne, 
Un.],  ray-grass  des  Anglais 


NOTES,  87 

^  Vent  grec  [gregali,  gregau,  ou  simplement  Grè) ,  vent  du  nord- 
est. 

*o  Fasciné  Ipivela).  Le  \evhepivela  ou  pipa  signifie  l'action,  vraie 
ou  imaginaire,  par  laquelle  un  reptile  attire  à  lui  un  oiseau,  et 
même  une  personne.  Le  peuple  attribue  cette  attraction  à  une  as- 
piration irrésistible,  qui  peut  néanmoins  être  interceptée  par  le 
passage  subit  d'un  corps  étranger 

*•  La  Chèvre  d'or  [la  Cabro  d'or),  trésor  ou  talisman  que  le  peu- 
ple prétend  avoir  été  enfoui  par  les  Sarrasins  sous  l'un  des  anti- 
ques monuments  de  la  Provence.  Les  uns  prétendent  qu'elle  gît 
sous  le  mausolée  de  Saint -Remy,  d'autres  dans  la  grotte  de  Corde, 
d'autres  sous  les  roches  des  Baux.  «  Cette  tradition,  dit  George 
Sand  [les  Visions  de  la  nuit  dans  les  campagnes),  est  universelle;  il  , 
y  a  peu  de  ruines,  châteaux  ou  monastères,  peu  de  monuments 
celtiques  qui  ne  recèlent  leur  trésor.  Tous  sont  gardés  par  un 
animal  diabolique.  M.  Jules  Canonge,  dans  un  charmant  recueil  de 
contes  méridionaux,  a  rendu  gracieuse  et  bienlaisante  la  poétique 
apparition  de  la  Chèvre  d'or,  gardienne  des  richesses  cachées  au 
sein  de  la  terre.  » 

La  tradition  d'un  trésor,  qui  prend  des  formes  sans  nombre, 
mais  ayant  toutes  leur  raison  d'être,  et  gardé  par  un  animal 
étrange,  est  universelle.  On  la  retrouve  chez  tous  les  peuples,  où 
elle  se  lie  aux  plus  anciens  souvenirs  sans  cesser  d'être  toujours 
vivante.  On  la  verra  complètement  ramenée  à  sa  source,  sous 
toutes  ses  transformations,  dans  les  quatrième  et  cinquième  volumes 
du  Monde  païen,  que  publie  en  ce  moment  M.  d'Anselme.  Nous 
sommes  heureux  de  citer  ici  les  étonnants  travaux  d'exégèse  my- 
thologique de  notre  savant  compatriote. 

*2  Bau-manière  Ifiaus-maniero) ,  rocher  àpic  au  nord  de  la  ville 
des  Baux.  Cette  localité  tire  son  nom  des  escarpements  qui  l' entou- 
rent ;  car  en  provençal  le  mot  Baus  veut  dire  escarpement, 
précipice,  et  Baus-maniero ,  Baus-beoso,  Baiis-mirano,  Baus-cous- 
temple,  sont  les  nomsque  portent  encore  divei's  quartiers  du  ter- 
ritoire des  Baux 


CANT  TRESEN 


LA.DESCOUCOUNADO 


Li  recordo  prouvençalo.  —  Au  Mas  di  Falabrego,  un  gai  roudelet  de 
chato  descoucounon.  — Jano-Mario,  maire  de  Miréio.  Taven,  la 
masco  di  Baus.  —  La  malo-visto.  —  Li  descoucounarello  fan,  pèr 
passo-tèms,  de  castèu  en  Proiivènço.  —  La  fièro  Lauro,  rèino  de 
Pamparigousto.  —  Clemènço,  rèino  di  Baus.  —  Lou  Ventour,  lou 
Rose,  la  Durènço.  —  Azalaïs  e  Viôulano.  —  La  Court  d'amour. — 
Lis  amour  de  Miréio  e  de  Vincèn  descuberto  pèr  Nourado.  —  Li 
galejado.  —  Taven  la  masco  fai  teisa  li  chato  :  l'ermitan  dôu  Lu- 
beroun  e  lou  sant  pastre.  —  Noro  canto  Magali. 


Quand  li  pausito  soun  braveto, 
Qu'à  plen  barrau  lis  ôuliveto 

Dins  li  gerlo  d'argelo  escanipon  l'ôli  rous , 
Quand,  sus  li  terro  e  dins  li  draio, 
Dôu  garbejaire  que  varaio 
Lou  grand  càrri  reno  e  trantraio, 

E  tuerto  de  pertout  'mé  soun  front  auturous  ; 

Nus  e  gaiard  coume  un  luchaire, 
Quand  Bacus  vèn,  e  di  chauchaire 

Coundusla  farandoulo  i  vendeinio  de  Crau; 
E,  de  la  caucadouiro  emplido, 
Quand  la  bevènto  benesido, 
Souto  li  cambo  enmoustousido, 

Dins  rescumouso  tino  escapo  à  plen  de  trau , 


ClUNT  TROISIÈME 

LE  DEPOUILLEMENT  DES  COCONS 


Les  récoltes  provençales.  —  Au  Mas  des  Micocoules,  une  joyeuse 
réunion  déjeunes  filles  détache  des  rameaux  les  cocons  des  vers  à 
soie.  —  Jeanne-Marie,  mère  de  Mireille.  —  Tavén,  la  sorcière  des 
Baux.  —  La  mauvaise  œillade.  — Les  dépouilleuses  de  cocons,  pour 
passer  le  temps,  font  des  châteaux  en  Provence.  —  La  fière  Laure, 
reine  de  Pamparigouste.  —  Clémence,  reine  des  Baux.  —  Le  Ven- 
tour,  le  Rhône,  la  Durance.  —  Azalaïs  et  Violane.  —  La  Cour  d'a- 
mour.—  Les  amours  de  Mireille  etde  Vincent  divulgués  parîVorade. 
—  Railleries  des  jeunes  filles.  —  La  sorcière  Tavén  leur  impose 
silence  :  l'ermite  du  Lubéron  et  le  saint  pâtre.  —  Nore  chante 
Hagali. 


Quand  les  récoltes  sont  honnêtes,  —  qu'à  pleins 
barils  les  vergers  d'oliviers  —  dans  les  jarres  d'ar- 
gile épanchent  l'huile  rousse;  —  quand,  par  les 
champs  et  les  chemins,  —  du  ramasseur  de  gerbes 
qui  erre  çà  et  là  —  le  grand  chariot  geint  et  cahote, 

—  et  heurte  de  toute  part  avec  son  front  altier  ; 

Nu  et  vigoureux  comme  un  lutteur,  —  quand 
Bacchus  vient,  et  des  fouleurs  —  conduit  la  farandole 
aux  vendanges  de  Crau  ;  —  et,  de  la  fouloire  comble, 

—  quand  la  boisson  bénie,  —  sous  les  jambes  bar- 
bouillées de  moût,  —  dans  l'écumante  cuve  échappe 
«pleine  bonde; 


90  MIRÈIO,   CANT  III. 

E,  clarinèu,  sus  li  genèsto 

Quand  li  magnan  mounton  en  fèsto 
Pèr  fîela  si  presoun  bloundinello  ;  e  que  lèu 

Aquéli  toro  mai  qu'abilo 

S'ensevelisson,  à  cha  milo, 

Dins  si  bressolo  tant  sutilo 
Que  vous  sèmblon  teissudo  em*  un  rai  de  soulèu  ; 

Alor,  en  terro  de  Prouvènço, 

l'a  mai  que  mai  divertissènço  ! 
Lou  bon  muscat  de  Baumo  e  lou  Ferigouïet 

Alor  se  chourlo  à  la  gargato  ; 

Alor  se  canto  e  Ton  se  trato  ; 

Alor  se  vèi  e  drôle  e  chato 
Au  son  dôu  tambourin  fourma  si  vertoulet. 

—  léu  claramen  siéu  fourtunado  ' 
Sus  mi  canisso  encabanado 

Quéti  flo  de  coucoun  ! ...  Un  bos  miéu  e^iseda, 
Un  pu  riche  descoucounage, 
L'aviéu  pu  vist  dins  lou  meinage, 
Vesino,  dempièi  moun  jouine  âge, 

Desempièi  l'an  de  Diéu  que  nous  sian  marida. 

Dôu  tèms  que  lou  coucoun  se  trio, 

Ansin  disié  Jano-Mario, 
Dôu  vièi  Mèste  Ramoun  ounourado  mouié, 

De  Mirèio  ourgueiouso  maire  ; 

E  li  vesino  e  li  coumaire, 

En  trin  de  rire  e  de  desfaire, 
Èron  à  soun  entour,  dins  la  magnanarié. 


MTREILLE,    CHAlS'T  III.  91 

Et,  diaphanes,  sur  les  genêts  —  quand  les  vers  à 
soie  montent  en  fête  —  pour  filer  leurs  prisons  blon- 
des ;  et  que  rapidement  —  ces  chenilles,  artistes 
consommées,  —  s'ensevehssent  à  miUiers  —  dans 
leurs  berceaux  si  subtils  —  qu'ils  semblent  tissus 
d'un  rayon  de  soleil  ; 


Alors,  en  terre  de  Provence,  —  il  y  a,  plus  que  ja- 
mais, ébaudissement  !  —  Le  bon  muscat  de  Baume  ' 
etleFerigoulet*  —  alors  se  boivent  à  la  régalade;  — 
alors  on  chante  et  l'on  banquette  ;  —  alors  se  voient 
garçons  et  filles  —  au  son  du  tambourin  former  leurs 
rondes. 


—  «  Moi,  clairement,  je  suis  heureuse  !  — Sur  mes 
claies  de  roseaux  oit  la  bruyère  enberceaux  s' entrelace, 

—  quels  bouquets  de  cocons  ! . . .  Une  ramée  plus 
soyeuse,  —  une  plus  riche  récolte,  — je  ne  l'avais  plus 
vue  dans  la  ferme,  —  voisines,  depuis  mon  jeune  âge, 

—  depuis  l'an  de  Dieu  que  nous  nous  mariâmes.  » 


Pendant  que  le  cocon  se  dépouille,  —  ainsi  disait 
Jeanne-Marie,  —  du  vieux  Maître  Piamon  épouse 
honorée,  —  mère  orgueilleuse  de  Mireille;  —  et  les 
voisines  et  les  commères,  —  en  train  de  rire  et  de 
détacher  (les  cocons),  —  étaient  autour  d'elle,  dans 
la  magnanerie. 


92  MIREIO,   CANT     II. 

Descoucounavon  :  elo-memo, 

Miréio,  à  tout  moumen,  i  femo 
Pourgié  li  brout  d'avaus,  li  clôt  de  roumanin, 

Ounte,  à  l'ôudour  de  la  mountagno, 

Tant  voulountié  'mé  souri  escagno 

La  noblo  toro  s'embarragno 
Que,  coume  rampau  d'or,  n'èron  clafi  dedin. 

—  Sus  Tautar  de  la  Bono  Maire, 
Jano-Mario  à  si  coumaire 

Venié  dounc,  aièr,  femo,  anère  lèu  pourta 
De  mi  brout  lou  pu  bèu  pèr  dèime  : 
Ansin  fau,  tôuti  li  milèime  ; 
Car  es  pièi  elo  qu'à  bel  èime 

Coumando,  quand  le  plais,  i  magnan  de  mounta. 

—  léu,  digue  Zèu  dôu  Mas  de  l'Oste, 
Ai  bello  pôu  que  me  n'en  coste  ! 

Lou  jour  que  tant  boufavo  aquéu  gros  Levantas, 
(D'aquéu  laid  jour  vous  n'en  remembre  !) 
Aviéu  leissa,  pèr  destinèmbre, 
A  brand  lou  fenestroun  dôu  membre,... 

Adès  n'ai  coumta  vint,  canela  sus  lou  jas  ! 

Taven,  pèr  donna  soun  ajudo, 

Peréu  di  Baus  èro  vengudo. 
A  Zèu  Taven  digue  :  Toujour,  mai  que  li  vièi, 

Cresès,  li  jouine,  de  counouisse  ! 

Mai  fau  que  l'âge  nous  angouisse, 

Fau  que  l'on  ploure  e  que  l'on  gouisse  : 
Alor,  mai  bèn  trop  tard,  l'on  vèi  e  l'on  counèi! 


MIREILLE,   CHANT  III.  93 

On  faisait  la  récolte:  elle-même,  —Mireille,  atout 
moment,  aux  femmes  —  présentait  les  brindilles  de 
chêne-nain,  les  touffes  de  romarin,  —  où,  (attirée) 
par  la  senteur  de  la  montagne,  —  si  volontiers  avec 
son  écheveau  —  la  noble  chenille  s'emprisonne,  — 
que,  semblables  à  des  palmes  d'or,  elles  en  étaient 
pleines. 

—  «  Sur  l'autel  de  la  Bonne  Mère'  ,  —  disait 
donc  à  ses  commères  Jeanne-Marie,  —  hier,  fem- 
mes, j'allais  porter  en  hâte  —  le  plus  beau  de  mes 
brins,  pour  dîme.  —  Ainsi  je  fais  toutes  les  années  ; 
—  car,  après  tout,  c'est  elle  qui,  avec  largesse,  — 
commande,  lorsqu'il  lui  plaît,  aux  vers  à  soie  de 
monter.  » 

—  «  Pour  moi  ,  dit  Isewlt  du  Mas  de  l'Hôte,  - 
j'ai  grande  peur  qu'il  ne  m'en  coûte! —Le  jour  que 
tant  soufflait  ce  grand  vent  d'Est,  —  (de  ce  jour 
affreux  qu'il  vous  souvienne!)  —  j'avais  laissé,  par 
mégarde,  —  tout  ouverte  la  fenêtre  de  l'apparte- 
ment... —  tantôt  j'en  ai  compté  vingt,  blanchis*  sur 
la  litière  !  » 

Tavèn,  pour  donner  son  aide,  —  était  aussi  venue 
des  Baux.  —  Tavèn  dit  à  Iseult:  «  En  toute  chose, 
plus  que  les  vieillards,  —  vous  croyez,  jeunes  gens, 
de  connaître!  —  Mais  il  faut  que  l'âge  nous  affliige, — 
il  faut  pleurer,  il  faut  gémir  :  —  alors,  mais  beau- 
coup trop  tard,  on  voit  et  on  connaît. 


94  MIRÈIO,   GANT  III. 

Vàutri,  li  femo  tartavello, 

Se  l'espelido  parèis  bello, 
Lèu-lèu  que  pèr  carriero  anas  en  bardouiant  : 

l'a  mi  magnan  qu'es  pas  de  crèire 

Coume  soun  bèu  !  Venès  lèi  vèire  ! 

L'Envejo  rèsto  pas  à  rèire  : 
Darrié  vous  à  la  chambro  escalo  en  remoumiant. 

—  Fan  gau  !  te  dira  la  vesino  ; 

Es  bèn  tout  clar  qu'as  ta  crespino  ! 
Mai  tant  lèu  de  contre  elo  auras  vira  lou  pèd, 

Te  ie  dardaio,  l'envejouso, 

Uno  espinchado  verinouso 

Que  te  li  brulo  e  te  li  nouso  !... 
Es  l'auro,  dires  pièi,  que  me  lis  engipè  ! 

—  Dise  pas  qu'acô  noun  ie  fague, 
Respoundè  Zèu.  Coume  que  vague, 

Poudiéu  bèn,  aquéu  jour,  barra  moun  fenestroun' 

—  Di  verinado  que  l'iue  lanço, 
Quand  dins  la  tèsto  briho  e  danso, 
Faguè  Taven,  n'as  donne  doutanço?... 

E  sus  Zèu  entremen  mandavo  d'iuefurour?. 

—  Oh  !  pau-de-sèn  qu'  emè  l'escaupre 
Fumant  la  mort,  creson  de  saupre 

La  vertu  de  l'abiho  e  lou  secret  dôu  mèu  ! 

Quau  t'a  pas  di  que,  davans  terme, 

Pou,  un  regard  lusènt  e  ferme, 

Dôu  femelan  torse  lou  germe,  > 

Di  vaco  poussarudo  agouta  li  mamèu  ! 


MIREILLE,   CHANT  III.  95 

((  Vous,  femmes  étourdies,  —  si  rédosion  paraît 
belle,  —  vite,  vile  par  la  rue  allez  bavardant:  — 
«  Mes  vers  à  soie,  c'est  incroyable  —  comme  ils  sont 
beaux  !  Venez  les  voir  !  »  —  L'Envie  ne  reste  pas  en 
arrière  :  —  derrière  vous,  à  la  chambre,  elle  monte 
en  grommelant. 


—  «  Ils  font  plaisir  (à  voir)  !  te  dira  la  voisine  ; 

—  il  est  tout  clair  que  tu  es  née  coiffée  ^  !  »  — 
Mais  sitôt  que  d'à  côté  d'elle  tu  auras  tourné  le  pied, 

—  l'envieuse  leur  darde  —  une  œillade  venimeuse 

—  qui  te  les  brûle  et  te  les  noue. . .  —  «  C'est  le  vent, 
direz-vous  ensuite,  qui  me  les  plâtra  ®  !  » 


—  «  Je  ne  dis  pas  que  cela  n'y  fasse,  —  répondit 
Iseult.  Quoi  qu'il  en  soit,  — que  n'ai-je,  ce  jour-là, 
clos  ma  fenêtre  !»  —  «  Des  maléfices  que  l'œil  lance, 
—  lorsqu'il  brille  et  danse  dans  la  tète ,  —  ré- 
pliqua Tavén,  tu  en  doutes  donc?...  »  — Et  sur 
Iseult,  en  même  temps,  elle  lançait  des  yeux  ar- 
dents. 

— «  Oh  !  insensés  !  qui,  avec  le  scalpel — fouillant  la 
mort,  croient  savoir  —  la  vertu  de  l'abeille  et  le 
secret  du  miel  !  —  Sais-tu  bien  si,  avant  terme,  — 
ne  peut,  un  regard  luisant  et  fixe,  —  tordre  le 
germe  de  la  femme,  —  des  vaches  mamelues  tarir 
les  pis? 


96  MIRÈIO,  CANT   III. 

Is  auceloun  vèn  la  mascoto, 
Rèn  qu'à  l'aspèl  de  la  machoto  ; 

Au  regard  de  la  serp  degoulon  tout-d'abord 
Lis  auco,...  e  souto  l'iue  de  l'orne, 
Tu,  vos  qu'un  verme  noun  s'endrome?... 
Mai,  contro  l'iue  dôu  juvenome, 

Quand  trespiro  l'amour,  la  flamo,  o  l'estrambord, 

Mounte  es  la  chato  proun  savènto 
Pèr  s'apara?  Quatre  jouvènto 

Leissèron  de  si  man  escapa  li  coucoun  : 
Que  fugue  en  jun,  fugue  en  ôutobre, 
Toun  aguhioun  fau  toujour  qu'obre, 
Que  !  ie  cridèron,  vièi  coulobre  ! 

Li  drôle?...  digo-ie  qu'avançon  un  brigoun ! 

Noun  !  venié  la  gaio  ninèio, 

N'en  voulèn  ges  !  parai,  Mirèio  ? 
—  Se  descoucouno  pas,  faguè,  tôuti  li  jour  ; 

Sabe  une  fiolo,  dins  l'estivo, 

Qu'anas  trouva  fort  agradivo... 

E  Mirèio,  despachativo, 
Davalo  dins  lou  mas  escoundre  sa  roujour. 

—  Bèn!  iéu,  mi  bono,  siéu  bèn  pauro  ! 
Acoumencè  la  fièro  Lauro. 

Mai  se,  d'escoula  res,  iéu,  l'aviéu  envela. 
Quand  lou  rèi  de  Pamparigousto 
De  sa  man  me  farié  soumousto, 
Sarié  moun  chale,  ma  coungousto, 

De  lou  vèire  sèt  an  à  mi  pèd  barbela  I 


MIREILLE,  CHANT  III.  9T 

«  Les  oisillons  sont  ensorcelés— à  l'aspect  seul  de  la 
chouette;  —  au  regard  du  serpent,  (du  ciel)  tombent 
soudain  —  les  oies,...  et,  toi,  sous  l'œil  de  l'homme, 
—  tu  veux  qu'un  ver  ne  s'endorme  pas  ?.,.  —  Mais, 
contre  l'œil  du  jeune  homme,  —  lorsqu'il  en  jaillit 
l'amour,  la  flamme  ou  l'enthousiasme, 


«  Où  est  la  vierge  assez  savante  —  pour  se  défen- 
dre? »  Quatre  jouvencelles  —  laissèrent  de  leurs 
mains  échapper  les  cocons  :  —  «  Que  ce  soit  en  juin 
ou  en  octobre,  —  il  faut  sans  cesse  que  ton  aiguillon 
soit  à  l'œuvre,  —  eh  !  vieille  couleuvre  !  lui  crièrent- 
elles...  —  Les  garçons?....  dis-leur  d'approcher 
tant  soit  peu  ! 

«  Non  !  s'écriait  le  gai  troupeau  de  filles,  — 
nous  n'en  voulons  point  !  n'est-ce  pas  Mireille?  »  — 
«  La  récolte  des  cocons  n'a  pas  lieu,  répondit-elle, 
tous  les  jours:  —  je  sais  une  bouteille,  dans  le 
cellier,  —  que  vous  allez  trouver  fort  agréable.  »  — 
Et  Mireille,  légère,  —  descend  dans  la  maison  pour 
cacher  sa  rougeur. 

—  «  Eh  bien  !  mes  bonnes  (amies),  je  suis  bien 
pauvre,  moi!  —  commença  la  fière  Laure.  —  Mais 
si  de  n'écouter  personne  j'avais  résolu, — quand  le  roi 
de  Pamparigouste  ''  —  me  ferait  offre  de  sa  main,  — 
ma  volupté,  ma  délectation  serait  —  de  le  voir  sept 
ans  à  mes  pieds  agoniser  d'amour  !  » 


98  MIRÈIO,  CANT.  III. 

—  léu  noun!  aqui  digue  Clemènço. 

Se  quauque  rèi,  pèr  escasènço, 
De  iéu  veni'  amourous,  pou  arriba  bessai, 

Subretout  s'èro  joume  e  lèri 

E  lou  pu  bèu  de  soun  empèri, 

Que,  sènso  tant  de  refoulèri, 
Me  leissèsse  pèr  eu  mena  dins  soun  palai. 

Mai  uno  fes  que  m'aurié  messe 

Emperairis  e  segnouresso, 
Emé  capo  ufanouso,  à  papàrri  d'orfré, 

Em'  autour  de  ma  testo  caudo 

Uno  courouno  qu'esbrihaudo, 

Rèn  que  de  perlo  e  d'esmeraudo, 
M'envendréu,iéu  la  rèino,i  Baus,mounpaure  endré! 

Di  Baus  fariéu  ma  capitale  ! 

Sus  lou  roucas  que  iuei  rebalo, 
De  nôu  rebastiriéu  noste  vièi  castelas  : 

l'apoundriéu  uno  tourrello 

Qu'emé  sa  pouncho  blanquinello 

Ajougneguèsse  lis  estello  ! 
E  pièi,  quand  voudriéu  un  pauquet  de  soûlas, 

Au  tourrihoun  de  ma  tourriho, 

Sènso  courouno  ni  mantiho, 
Souleto  emé  moun  prince  amariéu  d'escala* 

Souleto  em'  eu,  sarié,  ma  fisto  1 

Cause  de  bon  e  de  requiste 

Peralin  de  perdre  sa  vistOj 
Contre  lou  releisset,  comde  à  couide  apiela  1 


I 


f  I 


MIREILLE,    CHANT  III.  99 

—  «  Non  pas  moi!  dit  là  Clémence.  —  Si  quel- 
que roi,  par  hasard,  —  de  moi  devenait  amoureux, 
il  pourrait  bien  se  faire,  —  surtout  s'il  était  jeune, 
brillant,  —  et  le  plus  beau  de  son  empire,  —  que, 
sans  tant  de  caprices,  —  je  me  laissasse  emmener 
par  lui  dans  son  palais. 


«  Mais  dés  qu'il  m'aurait  mise  —  impératrice  et 
souveraine,  —  avec  un  manteau  magnifique,  à  ra- 
mages d'orfroi,  —  et  (qu'il  aurait)  ceint  ma  tête  ar- 
dente —  d'une  couronne  qui  éblouit  —  de  perles  et 
d'émeraudes,  —  je  m'en  viendrais,  moi  la  reine,  aux 
Baux,  mon  pauvre  pays  ! 


«  Des  Baux  je  ferais  ma  capitale  !  —  Sur  le  rocher 
où  il  rampe  aujourd'hui,  — je  rebâtirais  à  neuf  notre 
vieux  château  en  ruine  :  — j'y  ajouterais  une  tourelle, 
—  qui,  de  sa  pointe  blanche,  —  atteignît  les  étoiles! 
— Et  puis,  quand  je  voudrais  un  peu  de  soûlas, 


«  Au  donjon  de  ma  tourelle,  —  sans  couronne  ni 
mantille,  seule  —  avec  mon  prince,  j'aimerais  à  mon- 
ter. —  Seule  avec  lui,  œ  serait,  je  vous  jure  !  — 
chose  plaisante  et  délicieuse  —  (que)  de  perdre  au 
loin  sa  vue,  —  contre  le  parapet,  coude  à  coude, 
appuyés  ! 


100  MIRÈIO,   CANT   III. 

De  vèire  en  plen,  fasié  Cleinènço, 

Moun  gai  reiaume  de  Prouvènço 
Coume  un  clans  d'arangié  davans  iéu  s'espandi,; 

E  sa  mar  bluio  estalouirado 

Souto  si  colo  e  si  terrado, 

E  li  grand  barco  abandeirado, 
Poujanto  à  plen  de  vélo  i  pèd  dôu  Gastèu  d'I  ; 

E  Ventour  que  lou  tron  labouro, 
Ventour  que,  -vénérable,  aubouro 

Snbre  li  mountagnolo  amatado  souto  eu, 
Sa  blanco  tèsto  fin  qu'is  astre, 
Coume  un  grand  e  vièi  baile-pastre 
Qu'entre  li  fau  e  li  pinastre, 

Coûta  'mé  soun  bastoun,  countèmplo  soun  vaciéu; 

E  lou  Rose,  ounte  tant  de  vilo 

Pèr  béure  vènon  à  la  filo 
En  risènt  e  cantant  s'amourra  tout-de-long, 

Lou  Rose,  tant  fier  dins  si  ribo, 

E  qu'Avignoun  tant-lèu  arribo, 

Counsènt  pamens  à  faire  gibo, 
Pèr  veni  saluda  Nostro-Damo  de  Dom; 

E  la  Durènço,  aquelo  cabro, 

Alandrido,  feroujo,  alabro, 
^ue  rousigo  en  passant  e  cade  e  rebaudin, 

Aquelo  chato  boulegueto 

Que  vèn  dôu  pous  'mé  sa  dourgueto, 

E  que  degaio  soun  aigueto 
En  jougant  'mé  li  chat  que  trovo  pèr  camin. 


MIREILLE,   CHANT  ÏII.  101 

«  De  voir  en  plein,  disait  Clémence,  —  mon 
gai  royaume  de  Provence,  —  tel  qu'un  clos  d'oran- 
gers, devant  moi  s'épanouir;  —  et  sa  mer  bleue  mol- 
lement étendue  —  sous  ses  collines  et  ses  plaines, 
—  et  les  grandes  barques  pavoisées  —  cinglant  à 
pleine  voile  au  pied  du  Château  d'If. 


«  Et  le  Ventour  *  que  laboure  la  foudre,  —  le  Ven- 
tour  qui,  vénérable,  élève  —  sur  les  montagnes  blot 
ties  au-dessousi  de  lui  —  sa  blanclie  tête  jusqu'aux 
astres,  —  tel  qu'un  grand  et  vieux  chef  de  pasteurs 
—  qui,  entre  les  hêtres  et  les  pins  sauvages,  —  ac- 
coté de  son  bâton,  contemple  son  troupeau; 


«  Et  le  Rhône,  où  tant  de  cités,  —  pour  boire, 
viennent  à  la  file,  —  en  riant  et  chantant,  plonger 
leurs  lèvres,  tout  le  long  ;  —  le  Uhône  si  fier  dans 
ses  bords,  —  et  qui,  dès  qu'il  arrive  à  Avignon,  — 
consent  pourtant  à  s'infiéchir,  —  pour  venir  saluer 
Notre-Dame  des  Doms; 


«  EtlaDurance,  cette  chèvre, —  ardente  à  la  course, 
farouche,  vorace,  —  qui  ronge  en  passant  et  cades  et 
argousiers  ;  —  cette  fille  sémillante  —  qui  vient  du 
puils  avec  sa  cruche,  —  et  qui  répand  son  onde  — 
en  jouant  avec  les  gars  qu'elle  trouve  par  la  route.  » 


Ô.  • 


102  HIRÈIO,   GANT  III. 

Tout  en  disent  eiçô,  Clemènço, 

La  gènto  rèino  de  Prouvènço, 
Quitè  sa  cadiereto,  e  dins  lou  canestèu 

Anè  veja  ca  faudadouno, 

Azalaïs,  bruno  chatouno, 

Emé  Viôulano,  sa  bessouno, 
(Que  si  gènt  d'Estoubloun  menavon  lou  castèu), 

Azalaïs,  bruno  chatouno, 

Emé  Viôulano,  sa  bessouno, 
Au  Mas  di  Falabrego  ensèn  venien  souvent. 

L'Amour,  aquéu  terrible  glàri 

Qu'is  amo  tèndro  e  nouvelàri 

Se  plais  qu'à  faire  de  countràri, 
l'avié  donna  d'ardour  pèr  lou  même  jouvènt. 

Azalaïs  levé  la  tésto  : 

Fiheto,  perqué  sian  en  fèsto, 
Meten,  dis,  qu'à  moun  tour  fugue  la  rèino,  iéu! 

E  que  Marsiho  emé  si  vélo, 

E  la  Ciôutat,  que  ris  em'  elo, 

Emé  Seloun  e  sis  amelo, 
Béucaire  emé  soun  Prat,  tout  acô  fugue  miéu  ! 

—  Damiseleto  e  bastidano, 
D'Ârle,  di  Baus,  de  Barbentano, 

Diriéii,  à  moun  palais  landas  coumed'aucèu! 
Vole  chausi  li  sèt  pu  bello, 
E  pesaran  dins  rarchimbello 
L'amour  que  troumpo  o  que  barbélo... 

Gaiamen,  tôuti  sét,  venès  teni  counséu! 


I 


MIREILLE,  CHANT    III.  103 

Tout  en  disant  ceci,  Clémence,  —  la  gentille  reine 
de  Provence,  —  quitta  sa  chaise,  et  dans  la  corbeille 
• —  alla  vider  son  tablier  plein.  —  Azalaïs,  brune  fil- 
lette, —  et  Violane,  sa  jumelle,  —  (leurs  parents,  du 
château  d'Estoublon  conduisaient  le  domaine); 


Azalaïs  ",  brune  fillette,  —  et  Violane,  sa  jumelle, 

—  au  Mas  des  Micocoules  venaient  souvent  ensemble. 

—  L'Amour,  ce  terrible  lutin  —  qui,  aux  âmes  ten- 
dres et  naïves,  —  ne  se  plaît  qu'à  faire  des  niches, 

—  les  avait  enflammées  pour  le  même  jeune  homme. 


Azalaïs  leva  la  tête  :  —  «  Jeunes  filles,  puisque  nous 
sommes  en  fêle,  —  admettons,  dit-elle,  qu'à  mon 
tour  je  sois  reine,  moi  !  —  et  que  Marseille  avec  ses 
voiles,  —  et  la  Ciotat,  qui  rit  avec  elle,  —  et  Salon  et 
ses  amandes,  —  Beaucaire  avec  son  Pré,  tout  cela 
m'appartienne  ! 


— «  Demoiselles  et  filles  des  champs, — d'Arles,  des 
Baux,  de  Barbentane,  —  dirais-je,  à  mon  palais  volez 
comme  des  oiseaux  !  —  Je  veux  choisir  les  sept  plus 
belles,  —  et  elles  pèseront  dans  la  balance  —  l'amour 
trompeur  ou  brûlant  de  désir...  —  Toutes  les  sept, 
venez  gaiement  tenir  conseil  !  j» 


104  MIRÊIO,  GANT  III. 

N'  i'a  pas  pèr  èstre  maucourado, 
Se  i'a  'n  parèu  que  bèn  s'agrado, 

Que,  la  mita  dôu  lèms,  noun  posque  s'aparia? 
Mai  iéu,  Azalaïs  la  rèino, 
Dins  moun  empèri,  malapèino  ! 
De  quauco  injusto  e  laido  gèino 

Se  jamai  un  parèu  se  vèi  countraria, 

Au  tribunau  di  sèt  chalouno 

Trouvara  lèi  que  ie  perdouno  ! 
Pèr  jouièu  o  pèr  or,  de  sa  raubo  d'ounour 

Quau  fara  pache  ;  à  sa  mestresso 

Quau  fara  'scorno  vo  traitesso, 

Au  tribunau  di  sètbailesso 
Trouvaran  lèi  terriblo  e  venjanço  d'amour  ! 

E  quand  pèr  uno  se  rescontro 
Dous  calignaire  ;  vo,  pèr  contro 

Quand  se  vèi  dos  chatouno  amourouso  que  d'un. 
Vole  que  lou  counsèu  désigne 
Quau  mies  ame,  quau  mies  cabgne, 
E  d'èstre  ama  quau  es  pu  digne. 

Enfin,  e  pèr  coumpagno  au  bèu  damiselun, 

Sèt  felibre  vole  que  vèngon  ; 

E,  'mé  de  mot  que  s'endevèngon, 
E  mounte  enaussaran  lou  noble  rondelet, 

Vole  qu'escrigon  sus  de  rusco 

0  sus  de  fueio  de  lambrusco 

Li  lèi  d'amour  ;  e  tau  di  brusco 
Lou  bon  mèu  coulo,  tau  van  coula  si  coublel. 


MIREILLE,    CHANT   III.  405 

«  N'est-ce  pas  décourageant,  —  s'il  est  un  couple 
qui  bien  s'agrée,  —  que,  la  moitié  du  temps,  il  ne 
puisse  s'unir  ?  —  Mais  moi,  Azalaïs  la  reine,  —  dans 
mon  empire,  je  vous  l'atteste!  —  par  quelque  gêne 
injuste,  odieuse,  —  si  jamais  un  couple  se  voit  con- 
trarié, 


«  Au  tribunal  des  sept  jeunes  filles  —  il  trouvera 
loi  de  clémence  !  —  Pour  joyau  ou  pour  or,  de  sa 
robe  d'honneur  —  qui  fera  pacte  ;  à  son  amante  — 
qui  fera  insulte  ou  trahison,  —  au  tribunal  des  sept 
baillives  —  trouvera  loi  terrible  et  vengeance  d'a- 
mour ! 


«  Et  quand,  pour  une,  il  se  rencontre  —  deux 
amants  ;  ou  au  contraire,  —  lorsqu'on  voit  deux  jeu- 
nes filles  amoureuses  du  même,  —  je  veux  que  le 
conseil  désigne  —  qui  mieux  aime,  qui  mieux  cour- 
tise —  et  qui  est  plus  digne  d'être  aimé.  — Enfin,  et 
pour  compagnie  aux  belles  demoiselles, 


«  Je  veux  qu'il  vienne  sept  poètes  ;  —  et  avec  des 
mots  qui  s'accordent,  —  et  dans  lesquels  ils  exalte- 
ront le  noble  chœur,  —  je  veux  qu'ils  écrivent  sur 
des  écorces  —  ou  sur  des  feuilles  de  vigne  sauvage 
—  les  lois  d'amour  ;  et  tel  —  le  bon  miel  coule  des 
ruches,  tels  vont  couler  leurs  couplets.  » 


106  MIRÈTO,  GANT  ITI. 

Antan,  di  pin  souto  lou  tèiime, 

Ansin  Faneto  de  Gantèume 
Dévié  parla  segur,  quand  soun  front  estela 

De  Roumanin  e  dis  Aupiho 

Enluminavo  li  mountiho  ; 

Ansin  la  Goumtesso  de  Dio, 
Quand  temé  court  d'amour,  segur  dévié  parla. 

Mai,  à  sa  man  tenènt  un  fiasco, 
Bello  coume  lou  jour  de  Pasco, 
Dins  la  chambro  di  femo,  en  aquéu  tôms  d'aqui, 
Mirèio  èro  tourna  vengudo  : 

—  An  !  se  fasian  uno  begudo  ! 
Âcô'sgaiejo  la  batudo, 

iFaguè  ;  femo,  aparas,  avans  de  persegui. 

E  dôu  flasquet  bèn  garni  d'aufo, 
La  liquoureto  que  rescaufo, 
Dins  la  tasso,  aderrèn,  raie  coume  un  fiéu  d'or. 

—  léu  l'ai  facho,  aquelo  menèstro, 
Digue  Mirèio;  s'amajèstro 
Quaranto  jour  sus  la  fenèstro, 

Pèr  fin  que  lou  soulèu  n'adoucigue  lou  fort. 

l'a  de  très  erbo  de  mountagno  ; 
E  lou  sumoustat  que  li  bagno 

N'en  gardo  uno  sentour  qu'embaimo  l'estouma. 
—  Mai,  que  !  Mirèio,  —  veici  qu'uno 
Vén  à-n-aquesto,  —  ve,  chascuno, 
Se  quauque  jour  èro  en  fourtuno, 

Nous  a  di  ce  que,  rèino,  aurié  lou  mai  ama  ; 


MIREILLE,   CHANT  III  107 

Jadis,  sous  le  couvert  des  pins,  —  ainsi  Fanette  de 
Gantelme  '"  —  devait  parler  assurément,  quand  son 
front  étoile  —  des  Alpines  et  de  Romanin  —  illumi- 
nait les  collines  ;  —  ainsi  la  Comtesse  de  Die  ",  — 
lorsqu'elle  tenait  cour  d'amour,  assurément  devait 
parler. 

Mais,  à  la  main  tenant  un  flacon,  —  belle  comme 
le  jour  de  Pâques,  —  dans  la  chambre  des  femmes, 
pendant  ce  temps-là,  —  Mireille,  de  nouveau,  était 
venue  :  —  «  Allons!  n'est-il  pas  temps  de  boire?  — 
Ça  égayé  le  travail,  —  dit-elle  ;  femmes,  tendez  (la 
coupe),  avant  de  poursuivre.  » 

Et  du  flacon  garni  de  sparterie  —  la  liqueur  qm 
réchauffe,  —  dans  la  tasse,  tour  à  tour,  coula  comme 
un  fil  d'or.  —  «  J'ai  fait  moi-même  cet  élixir,  —  dit 
Mireille;  il  s'élabore —  quarante  jours  sur  la  fenêtre, 
—  afin  que  le  soleil  en  adoucisse  l'âcreté. 


«  Il  y  entre  de  trois  herbes  de  montagne,  —  et  le 
surmoût  qui  les  baigne  —  en  garde  une  senteur  qui 
embaume  la  poitrine.  »  —  «  Mais  écoute,  Mireille^ 
soudain  dit  l'une  (d'elles)  —  à  celle-ci,  vois-tu,  cha- 
cune, —  si  quelque  jour  elle  était  dans  l'opulence, 
—  nous  a  dit  ce  que,  reine,  elle  aurait  le  mieux  aimé; 


108  MIRÊIO,  GANT  III. 

Tu  peréu,  digo  lèu,  Mirèio, 
Digo-nous  tainbèn  toun  idèio  ! 
—  Que  voulès  que  vous  digue?..  Urouso  emémi  gènt, 
A  noste  mas  de  Crau  countènto, 
l'a  pas  rèn  autre  que  me  tènto. 

—  Ah!  faguè  'lor  uno  jouvènto, 
Verai,  ce  quet'agrado  es  ni  d'or  ni  d'argent! 

Mai,  un  matin,  iéu  m'ensouvène... 

(Perdouno-me,  se  noun  lou  tène, 
Mirèio!),  èro  un  dimars;  veniéu  de  buscaia; 

Coume  anave  èstre  à  la  Crous-Blanco, 

Emémoun  fais  debos  sus  l'anco, 

T'entreveguère,  dins  li  branco, 
Que  parlaves  em'un,  proun  escarrabiha!.... 

—  Quau?  quau?  cridèron.  De  mounte  èro? 

—  Emè  lis  aubre  de  la  terro, 
Nourado  respoundè,  destriave  pas  bèn  ; 

Mai,  se  noun  Iroumpo  lou  parèisse, 
Me  semblé  bèn  de  recounèisse 
Aquéu  que  li  panié  saup  tèisse, 
Aquéu  Valabregan  que  ie  dison  Vincèn. 

—  Oh  !  la  capouno,  la  capouno  ! 
Esclafiguèron  li  chatouno. 

Avié'nvejo,  parèis,  d'un  poulit  gourbelin, 

E  i'a  la  'ncrèire  au  panieraire 

Que  lou  voulié  pèr  calignaire! 

Oh  !  la  pu  bello  dôu  terraire 
Qu  a  eiiausi  pèr  galanl  Vincèc  lou  rampelin' 


MIREILLE,   CHANT  III.  109 

«  Toi  aussi,  dis  vite,  Mireille,  —dis-nous de  même 
ton  idée  !»  —  «  Que  voulez-vous  que  je  vous  dise?... 
Heureuse  avec  mes  parents,  —  contente  en  notre  mas 
de  Crau,  —  il  n'est  rien  autre  qui  me  tente.  »  — 
«  Ah!  dit  lors  une  jouvencelle,  —  il  est  vrai,  ce 
qui  te  plaît  n'est  ni  d'or  ni  d'argent  ! 


«  Mais,  un  matin,  je  me  souviens...  —  (pardonne- 
moi,  si  je  ne  le  tais,  —  Mireille  !)  C'était  un  mardi  ;  je 
venais  de  glaner  des  bûchettes;  —  comme  j'allais 
être  à  la  Croix-Blanche,  —  (portant)  sur  la  hanche 
mon  fagot  de  bois,  —  je  t'entrevis  dans  les  bran- 
chages —  parlant  avec  quelqu'un,  assez  dégourdi!  » 


—  «  Qui?  qui?  crièrent-elles,  d'où  était-il?  »  — 
«  Avec  les  arbres  du  terrain,  — repartit  Norade,  j'a- 
vais peine  à  distinguer  ;  —  mais  si  le  paraître  n'est 
pas  trompeur,  —  il  me  sembla  fort  reconnaître  — 
celui  qui  sait  tisser  les  paniers,  --  ce  (gars)  de  Vala- 
brègue  qu'on  appelle  Vincent.  » 


—  «  Oh!  la  friponne,  la  friponne!  —  dirent  les 
jeunes  filles  en  riant  aux  éclats  ;  —  elle  avait  envie, 
apparemment,  d'un  joU  corbillon,  —  et  elle  a  fait  ac- 
croire au  vannier  —  qu'elle  le  voulait  pour  amant  ! 
—  Oh!  la  plus  belle  du  terroir  —  qui  a  choisi  pour 
galant  Vincent  le  va-nu-pieds!  » 


10 


no  MIRÈIO,  CANT  III. 

Ela  galejavon.  Tout-d'uno, 

E  sus  la  caro  de  caduno 
Permeiiant  tout  au  tour  un  regard  de  galis  : 

Malavalisco  vàutri,  pèco  ! 

Faguè  Taven.  Que  la  Roumèco 

Vous  rendeguèsse  tôuti  mèco  ! 
Passarié  lou  bon  Dieu  dins  soun  camin  d'Alis, 

Oue  se  n'en  trufarien,  esturto  ' 
D'aquéu  Vincèn,  à  touto  zurto, 

Es  bèu,  parai?  de  rire!...  E  sabès  ce  quetèn, 
Paure  que  paure?...  Ausès l'ouracle  : 
Même-  davans  soun  tabernacle, 
Dieu,  uno  fes,  moustrè  miracle  ! 

Vous  lou  pode  afourti,  s'èi  passa  de  moun  tèm. 

Èro  un  pastre  :  touto  sa  vido, 

L'avié  passado  assouvagido, 
Dins  l'aspre  Luberoun,  en  gardant  soun  avé. 

Enfin,  de-vers  lou  çamentèri 

Sentent  plega  soun  cors  de  fèrri, 

A  l'ermitan  de  Sant  Ouquèri 
Vouguè  se  counfessa,  coume  èro  soun  devé. 

Soûl,  esmarra  dins  la  Vaumasco, 
Desempièi  si  proumiéri  pasco, 

Dins  glèiso  ni  capello  avié  pu  mes  li  pèd  ; 
l'avié  passa  de  la  memôri 
Même  sis  ouro!...  De  sa  bôri 
Eu  mountè  dounc  à  l'ermitôri, 

Ë  davans  l'ermitan  jusqu'au  sou  se  courbé 


I 


MIREILLE,   CHANT  III.  lH 

Et  elles  la  plaisantaient.  Aussitôt,  —  et  sur  le  vi- 
sage de  chacune  —  promenant,  tout  autour,  un  re- 
gard oblique  :  —  «  Maudites  soyez-vous,  pécores  !  — 
s'écria  Tavèn.  La  Roumèque  ^^  —  puisse-t-elle,  toutes, 
vous  stupéfier!  —  Passerait  le  bon  Dieu  dans  son 
chemin  élvséen, 


«  Qu'elles  s'en  moqueraient,  les  folles  !  —  De  ce 
Vincent,  inconsidérément,  —  il  est  beau,  n'est-ce 
pas  ?  de  rire  ! . . .  Et  savez-vous  ce  qui  est  en  lui,  — 
quelque  pauvre  qu'il  soit?...  Écoutez  l'oracle  :  — 
devant  son  tabernacle  même  —  Dieu  une  fois  montra 
miracle  !  —  Je  puis  vous  l'affirmer,  (cela)  s'est  passé 
de  mon  temps 

«  C'était  un  pâtre  :  toute  sa  vie,  —  il  l'avait  pas-^ 
sée,  sauvage,  —  dans  l'âpre  Luberon  '',  en  gardant 
son  troupeau,  —  Enfin  devers  le  cimetière  —  sentant 
son  corps  de  fer  ployer,  —  à  l'ermite  de  Saint-Eu- 
cher  —  il  voulut  se  confesser,  comme  c'était  son  de- 
voir. 


«  Seul,  perdu  dans  la  Valmasque  **,  —  depuis  ses 
premières  pâques,  —  dans  éghse  ou  chapelle  il  n'é- 
tait plus  entré  ;  —  avaient  fui  de  sa  mémoire  — 
même  ses  prières  ! . . .  De  sa  cabane  —  il  monta  donc 
à  l'ermitage,  —  et  devant  l'ermite  iusqu'à  terre  il  sf 
«ourba. 


112  MIRÈIO,   GANT  III. 

—  De  que  vous  acusas,  nioun  fraire? 
Digue  lou  capelan.  —  Pecaire  ! 

Bespoundeguè  lou  vièi,  iéu  m'acuse  qu'un  co]. 

Dins  moun  troupèu,  un  galapastre 

(Qu'es  un  aucèu  ami  di  pastre) 

Voulastrejavo...  Pèr  malastre 
Tuère  em'un  caiau  lou  paure  guigno-co  ! 

—  Se  noun  lou  fai  à  bel  esprèssi, 
Aquel  orne  dèu  èstre  nèsci  ! 

Pensé  l'ermito...  E  lèu  roumpènt  la  counfessioun : 

Anas  penja  su  'quelo  barro, 
■  le  fai  en  estudiant  sa  caro, 

Voste  mantèu,  que  iéu  vau  arc, 
Moun  fraire,  vous  donna  la  santo  assoulucioun. 

Aquelo  barro  que  lou  prèire, 

Pèr  lou  prouva,  ie  fasiévèire, 
Èro  un  rai  de  soulèu  que  toumbavo  en  galis 

Dins  la  capello.  —  De  sa  jargo 

Lou  bon  vièi  pastre  se  descargo, 

E,  creserèu,  en  l'èr  la  largo... 
E  la  jargo  tenguè,  pendoulado  au  rai  lise! 

—  Orne  de  Dieu  !  cridè  l'ermito.... 
E  tout-d'un-tèms  se  precepito 

I  geinoun  dôu  sant  pastre,  en  pleurant  soun  sadou 

—  Iéu,  se  pôu-ti  que  vous  assôugue? 
Ah  !  de  mis  iue  que  l'aigo  plôugue, 

E  sus  iéu  vosto  man  se  môugue, 
Que  vous  sias  un  santas,  e  iéu  un  pecadou! 


MIREILLE,  CHANT  III.  113 

—  «  De  quoi  vous  accusez-vous,  mou  frère?  »  — 
dit  le  chapelain.  —  «  Hélas  !  ~  répondit  le  vieillard, 
(voici  ce  dont)  je  m'accuse  :  une  fois  —  dans  mon 
troupeau,  une  bergeronnette  —  (qui  est  un  oiseau 
ami  des  bergers)  —  voletait...  Par  malheur,  —  je 
tuai  avec  un  caillou  le  pauvre  hoche-queue  !  » 


—  S'il  ne  le  fait  à  dessein,  —  cet  homme  doit  être 
idiot!  — pensa  l'ermite....  Et  aussitôt,  brisant  la 
confession  :  —  «  Allez  suspendre  à  cette  perche,  — 
lui  dit-il  en  étudiant  son  visage,  —  votre  manteau, 
car  je  vais  maintenant,  —  mon  frère,  vous  donner  la 
sainte  absolution.  » 


La  perche  que  le  prêtre,  —  afin  de  l'éprouver , 
lui  montrait,  —  était  un  rayon  de  soleil  qui  tombait 
obliquement  —  dans  la  chapelle.  De  son  manteau  — 
le  bon  vieux  pâtre  se  décharge,  —et,  crédule,  en  l'air 
le  jette....  —  Et  le  manteau  resta,  suspendu  au  rayon 
Usse  ' 


—  «  Homme  de  Dieu!  »  s'écria  l'ermite....  —  Et 
aussitôt  de  se  précipiter  —  aux  genoux  du  saint 
pâtre,  en  pleurant  à  chaudes  larmes  :  —  «  Moi,  se 
peut-il  que  je  vous  absolve?  —  Ah  !  que  l'eau  pleuve 
de  mes  yeux  !  —  et  sur  moi  que  votre  main  se  meuve, 
—  car  vous  êtes,  vous,  un  grand  saint,  et  moi  un  pé- 
cheur! » 

10. 


iU  MIRÈIO,  GANT  III. 

E  Taven  feniguè  soun  dire. 
I  chato  avié  coupa  lou  rire. 

—  Acô  mostro,  Laureto  alor  ajusté  'nsiu, 
Acô  mostro,  e  noun  lou  countèsti, 
Que  noun  fau  se  trufa  dôu  vièsti, 
E  que  de  tout  peu  bono  bèsti. . . . 

Mai,  chato,  revenen.  Coume  un  gran  de  rasin, 

Nosto  jouineto  majouralo, 

Ai  vist  que  venié  vermeialo, 
Tant  lèu  que  de  Vincèn  lou  dous  noum  s'èi  ausi  ; . 

l'a  mai  que  mai!...  Vejan!  poulido, 

Quant  duré  de  téms  la  culido? 

En  estent  dous,  l'ouro  s'ôublido, 
Es  que!  'mé'n  calignaire,  avès  toujour  lesi!.,. 

—  Travaias,  descoucounarello  ! 
N'  i'a  panca  proun,  galejarello? 

Mirèio  respoundé;  fanas  dana  li  sant! 

Oh!  dis,  mai  vè!  pèr  vous counfoundre 
Pu  lèu  que  de  me  véire  apoundre 
A-n-un  marit,  me  vole  escoundre 

En  un  couvent  de  mourgo,  à  la  flour  de  mis  an. 

—  Tan-deran-lan  !  tan-deran-lèron  I 
Tôuti  li  chato  ensén  cantèron. 

Anen  !  eiçô  sara  la  bello  Magali, 

Magali,  que,  dôu  grand  esglàsi 
Qu'avié  pèrl'amourous  estàsi, 
En  Arle  au  couvent  de  Sant-Blàsi, 

Toute  vivo,  amè  mai  courre  s'enseveli. 


MIREILLE,  CHANT  III.  145 

Et  Tavèn  termina  son  récit.  —  Aux  jeunes  filles 
elle  avait  coupé  le  rire.  —  «  Cela  montre,  lors  ajouta 
Laurette,  —  cela  montre,  et  je  ne  le  conteste  pas,  — 
qu'il  ne  faut  point  se  moquer  de  l'habit,  —  et  qu'(il 
peut)  de  tout  poil  (y  avoir)  bonne  bête...  —  Mais, 
filles,  revenons.  Comme  un  grain  de  raisin, 


«  Notre  jeune  maîtresse,  —  (je  l'ai  vu),  est  devenue 
vermeille,  —  sitôt  que  de  Vincent  le  doux  nom  s'est 
ouï...  —  Là  est  quelque  mystère...  Voyons,  belle,  — 
combien  de  temps  dura  la  cueillette?  —  En  étant 
deux,  l'heure  s'oublie;  —  avec  un  amant,  on  a  tou- 
jours du  loisir  !  » 


—  «  Travaillez,  détachez  les  cocons  !  —  N'est-ce 
point  encore  assez,  railleuses?  —  Mireille  répondit; 
vous  feriez  damner  les  saints!  —  Ohl  mais,  pour 
vous  confondre,  dit-elle,  —  plutôt  que  de  me  voir 
unir  —  à  un  mari,  je  veux  me  cacher  —  en  un  cou- 
vent de  nonnes,  à  la  fleur  de  mes  ans.  » 


—  «  Tra  la  la  !  ira  la  la!  —  Toutes  les  filles 
chantèrent  ensemble.  —  Allons!  ce  sera  là  la  belle 
Magali,  —  Magali,  dont  telle  étaiti'horreur  —  pour 
l'amoureuse  extase,  —  qu'en  Arles,  au  couvent  de 
Saint-Biaise,  — elle  aima  mieux,  toute  vive,  aller  s'en- 
sevelir. 


116  MIP.ÈIO,  CANT  m. 

Noro,  an  !  d'aut!  tu  que  tant  bèn  cantes, 
Tu  que,  quand  vos,  l'ausido  espantes, 

Canto-ie  Magali,  Magali  qu'à  l'amour 
Escapavo  pèr  milo  escampo, 
Magali  que  se  fasié  pampo, 
Âucèu  que  volo,  rai  quelampo, 

E  que  toumbè  pamens,  amourouso  à  soun  tour. 

—  0  Magali,  ma  tant  amadoï... 

Coumencè  Noro;  el'oustalado 
A  l'obro  redoublé  de  gaieta  de  cor  ; 

E  coume,  quand  d'uno  cigalo 

Brusis  la  cansoun  estivalo, 

En  Cor  tôuti  reprenon,  talc 
Li  chatouno  au  refrin  partien  tôutis  en  Cor. 


HAGALl 


0  Magali,  ma  tant  amado, 
Mete  la  tèsto  au  fenestroun  ! 
Escouto  un  pau  aquesto  aubado 
De  tambourin  e  de  viôuloun. 

Èi  plen  d'estello,  aperamount! 

L'auro  es  toumbado, 
Mai  lis  estello  paliran. 

Quand  te  veiran! 


MIREILLE,  CHANT  HT.  «7 

«  Allons  !  Nore,  toi  qui  chantes  si  bien ,  —  toi 
qui,  quand  tu  le  veux,  émerveilles  l'ouïe,  —  chante- 
lui  MagaH,  Magali  qui  à  l'amour  —  échappait  par 
mille  subterfuges,  —  Magali  qui  se  faisait  pamprq, 
—  oiseau  qui  vole,  rayon  qui  brille,  —  et  qui  tomba, 
pourtant,  amoureuse  à  son  tour.  » 


—  «  0  Magali,  ma  tant  aimée!....  »  —  commença 
Nore;  et  la  maisonnée — à  l'ouvrage  redoubla  de  gaieté 
de  cœur,  —  et  telles,  quand  d'une  cigale  —  bruit  la 
chanson  d'été,  —  toutes  (les  autres)  en  chœur  re- 
prennent, telles  —  les  jeunes  filles  au  refrain  par- 
taient toutes  en  chœur. 


flAGALI 


«  0  Magali,  ma  tant  aimée.  —  mets  la  tête  à  la  fe- 
nêtre !  —  Écoute  un  peu  cette  aubade  —  de  tambou- 
rins et  de  violons. 


(Le  ciel)  est  là-haut  plein  d'étoiles.  —  Le  vent  esl 
tombé,  —  mais  les  étoiles  pâliront  —  en  te  voyant.  » 


H8  MIRÈIO,  GANT  III. 

—  Pas  mai  que  dôu  murmur  di  broundo 
De  toun  aubado  iéu  fau  cas  ! 
Mai  iéu  m'envau  dins  la  mar  bloundo 
Me  faire  anguielo  de  roucas. 


—  0  Magali  !  se  tu  te  fas 

Lou  pèis  de  l'oundo, 
Iéu ,  lou  pescaire  me  farai, 
Te  pescarai  ' 

—  Oh!  mai,  se  tu  te  fas  pescaire, 
Ti  vertoulet  quand  jitaras, 

Iéu  me  farai  l'aucèu  voulaire, 
M'envoularai  dins  li  campas. 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

L'aucèu  de  l'aire, 
Iéu  lou  cassaire  me  farai, 
Te  cassarai. 


—  I  perdigau,  i  bouscarido, 
Se  vènes,  tu,  cala  ti  las, 
Iéu  me  farai  l'erbo  flourido 

E  m'escoundrai  dins  li  pradas. 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

La  margarido, 
Iéu  l'aigo  lindo  me  farai, 
T'arrousarai. 


MIREILLE,  CHANT  III.  H9 

—  «  Pas  plus  que  du  murmure  des  branches  —  de 
ton  aubade  je  ne  me  soucie!  —  Mais  je  m'en  vais  dans 
la  mer  blonde  —  me  faire  anguille  de  rocher.  » 


—  «  0  Magali,  si  tu  te  fais  —  le  poisson  de  l'onde, 
—  moi,  le  pêcheur  je  me  ferai,  —  je  te  pécherai!  » 


-  «  Oh  !  mais,  si  tu  te  fais  pêcheur,  —  quand  tu 
jetteras  tes  verveux,  —  je  me  ferai  l'oiseau  qui  vole, 
— je  m'envolerai  dans  les  landes.  » 


—  «  0  Magali,  si  tu  te  fais  —  l'oiseau  de  l'air, - 
je  me  ferai,  moi,  le  chasseur,  —  je  te  chasserai.  » 


—  «  Aux  perdreaux,  aux  becs-fins,  —  si  tu  viens 
tendre  tes  lacets,  —  je  me  ferai,  moi,  l'herbe  fleurie, 
—  et  me  cacherai  dans  les  prés  vastes.  » 


—  «  0  Magali,  si  tu  te  fais  —  la  marguerite,  — je 
me  ferai,  moi,  l'eau  limpide,  —  je  t'arroserai.  » 


120  MIRÈIO,  GANT  III, 

• —  Se  tu  te  fas  l'aigueto  lindo, 
léu  me  farai  lou  nivoulas, 
E  lèu  m'enanarai  ansindo 
A  l'Americo,  perabas  ! 

—  0  Magali,  se  tu  t'envaa 

Alin  is  Indo, 
L'auro  de  mar  iéu  me  farai, 

Te  pourtarai! 


—  Se  tu  te  fas  la  marinade, 
léu  fugirai  d'un  autre  las  : 
Iéu  me  farai  l'escandihado 

Dôu  grand  soulèu  que  found  lou  glas! 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

La  souleiado, 
Lou  verd  limbert  iéu  me  farai, 
E  te  béurai  ! 


—  Se  tu  te  rendes  l'alabreno 
Que  se  rescound  dins  lou  bertas, 
Iéu  me  rendrai  la  luno  pleno 
Que  dins  la  niue  fai  lume  i  mascl 

—  0  Magali,  se  tu  fas 

Luno  sereno, 
léu  bello  nèblo  me  farai* 
T'acatarai. 


MIREILLE,  CHANT  III.  121 

—  «  Si  tu  le  fais  l'onde  limpide,  —  je  me  ferai, 
moi,  le  grand  nuage,  —  et  promptement  m'en  irai 
ainsi  —  en  Amérique,  là-bas  bien  loin!  » 

—  «  0  Magali,  si  tu  t'en  vas  —  aux  lointaines 
Indes,  —  je  me  ferai,  moi,  le  vent  de  mer,  —  je  te 
porterai  !  » 


—  «  Si  tu  te  fais  le  vent  marin,  —  je  fuirai  d'un 
autre  côté  :  —  je  me  ferai  l'échappée  ardente  —  du 
grand  soleil  qui  fond  la  glace  !  » 


—  «  0  Magali,  si  tu  te  fais  —  le  rayonnement  du 
soleil,  —  je  me  ferai,  moi,  le  verd  lézard,  —  et  te 
boirai.  » 


—  «  Si  tu  te  rends  la  salamandre  —  qui  se  cache 
dans  le  hallier,  —  je  me  rendrai,  moi,  la  lune  pleine 
—  qui  éclaire  les  sorciers  dans  la  nuit  !  » 


—  «  0  Magali,  si  tu  te  fais  —  lUne  sereine,  — je 
me  ferai,  moi,  belle  brume,  —je  t'envelopperai.  » 


il 


122  MIRÈIO,  GANT  III. 

—  Mai  se  la  nèblo  m'enmantello, 
Tu,  pèracô,  noun  me  tendras; 
léu,  bello  roso  vierginello, 
M'espandirai  dins  l'espinas  ! 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

La  roso  bello, 
Lou  parpaioun  iéu  me  farai, 
Te  beisarai. 


—  Vai,  calignaire,  courre,  courre  ! 
Jamai,  jamai  m'agantaras. 

Iéu,  de  la  rusco  d'un  grand  roure 
Me  vestirai  dins  lou  bouscas. 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

L'aubre  di  moure, 
Iéu  lou  clôt  d'èurre  me  farai, 
T'embrassarai  ' 


—  Se  me  vos  prene  à  la  brasseto, 
Rèn  qu'un  vièi  chaîne  arraparas... 
Iéu  me  farai  blanco  moungeto 

Dôu  mounastié  dôu  grand  Sant  Blas  ! 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

Mounjo  blanqueto, 
Iéu,  capelan,  counfessarai, 
Ë  t'ausirai  ! 


I 


MIREILLE,  CHANT  III.  123 

—  «  Mais  si  la  brume  m'enveloppe,  —  pour  cela 
tu  ne  me  tiendras  pas  ;  —  moi,  belle  rose  virginale, 
—  je  m'épanouirai  dans  le  buisson  !  » 


—  «  0  Magali,  si  tu  te  fais  —  la  rose  belle,  —  je 
me  ferai,  moi,  le  papillon,  — je  te  baiserai.  » 


—  «  Va,  poursuivant,  cours,  cours  !  —  jamais, 
jamais  tu  ne  m'atteindras.  —  Moi,  de  l'écorce  d'un 
grand  chêne  —  je  me  vêtirai  dans  la  forêt  sombre.  » 

—  «  0  Magali,  si  tu  te  fais  —  l'arbre  des  mornes, 
—  je  me  ferai,  moi,  la  touffe  de  lierre,  — je  t'em- 
brasserai! » 


—  «  Si  tu  veux  me  prendre  à  bras-le-corps,  —  tu 
ne  saisiras  qu'un  vieux  chêne...  —  Je  me  ferai  blan- 
che nonnette  —  du  monastère  du  grand  Saint  Biaise!  » 


—  «  0  Magali,  si  tu  te  fais  —  nonnette  blanche, — 
—  moi,  prêtre,  à  confesse  —  je  t'entendrai  !  » 


124  MIRÈIO,  GANT  III. 

Aqui  li  femo  ressautèron  ; 

Li  roLis  coucoun  di  man  toumbèron... 
E  cridavon  à  Noro  :  Oh  !  digo,  digo  pièi 

Ce  que  faguè,  'n  estent  moungeto, 

Magali,  que  déjà,  paureto  ! 

S'èi  facho  roure  emai  floureto, 
Luno,  soulèu  e  nivo,  erbo,  auceloun  e  pèi. 


—  De  la  cansoun,  reprenguè  Noro, 
Vous  vau  canta  ce  que  demoro. 

N'erian,.se  m'ensouvèn,  au  rode  ounte  elo  dis 
Que  dins  la  clastro  vai  se  traire, 
E  que  respond  l'ardent  cassaire 
Que  i'  intrara  pèr  counfessaire..< 

Mai  d'elo  tournamai  ausès  l'entravadis  : 


—  Se  dôu  couvent  passes  li  porto, 
Tôuti  li  mounjo  trouvaras 
3u'à  moun  entour  saran  pèr  orto, 
Car  en  susàri  me  veiras  ! 


<—  0  Magali,  se  tu  te  fas 
La  pauro  morto, 

Adounc  la  terro  me  farai, 
Aqui  t'aurai  l 


MIREILLE,  CHANT  III  425 

Là  les  femmes  tressaillirent;  — les  cocons  roux  tom- 
bèrent des  mains,  —  et  elles  criaient  à  Nore  :  «  Oh! 
dis,  dis  ensuite  —  ce  que  fit,  étant  nonnain,  —  Ma- 
gali,  qui  déjà,  pauvrette!  — s'est  faite  chêne  et  fleur 
aussi,  —  lune,  soleil  et  nuage,  herbe,  oiseau  et 
poisson.  » 


—  «  De  la  chanson,  reprit  Nore,  —  je  vais  vous 
chanter  ce  qui  reste.  — Nous  en  étions,  s'il  m'en  sou- 
vient, à  l'endroit  où  elle  dit  —  que  dans  le  cloître  elle 
va  se  jeter,  —  et  où  l'ardent  chasseur  répond  —  qu'il 
y  entrera  comme  confesseur. . . — Mais  de  nouveau, 
oyez  l'otstacle  qu'elle  (oppose)  : 


—  «  Si  du  couvent  tu  passes  les  portes, —  tu  trou- 
veras toutes  les  nonnes  —  autour  de  moi  errantes, 
—  car  en  suaire  tu  me  verras  1  » 


—  «  0  Magali,  si  tu  te  fais  —  la  pauvre  morte, 
adoncques  je  me  ferai  la  terre,  ~  là  je  t'aurai  !  » 


11. 


126  MIRÈIO,  CANT  III. 

—  Aro  coumence  enfin  de  crèire 
Que  noun  me  parles  en  risènt  : 
Vaqui  moun  aneloun  de  vèire 
Pèr  souvenènço,  o  bèu  jouvènt! 

—  0  Magali,  me  fas  de  bèn!... 

Mai,  tre  te  vèire, 
Ve  lis  estello,  o  Magali, 
Coume  an  pâli  ! 


Noro  se  taiso;  res  mutavo. 

Talamen  bèn  Noro  canlavo, 
Que  lis  autro,  enterin,  d'un  clinamen  de  front 

L'acoumpagnavon,  amistouso  : 

Coume  li  mato  de  moutouso 

Que,  penjoulelo  e  voulountouso, 
Se  laisson  ana  'nsèmble  au  courrènt  d'uno  font 

—  Oh  !  lou  bèu  tèms  que  fai  deforo  ! 

En  acabant  ajusté  Noro. .. 
Mai  déjà  li  segaire.  à  l'aigo  dôu  pesquié, 

De  si  daioun  lavon  la  goumo... 

Cuei-nous,  Mirèio,  quàuqui  poumo 

Di  sant-janenco,  e  'mé  'no  toumo 
Nautre  anaren  gousta  sont  li  falabreguié. 


MIREILLE,  CHANT  III.  «7 

—  «  Maintenant  je  commence  enfin  à  croire  —  que 
tu  ne  me  parles  pas  en  riant.  —  Voilà  mon  annelet  de 
verre  —  pour  souvenir,  beau  jouvenceau  !  » 


^  «  0  Magali,  tu  me  fais  du  bien!...  —  Mais,  dès 
qu'elles  t'ont  vue,  —  ô  Magali,  vois  les  étoiles,  — 
comme  elles  ont  pâli  ^*  !  » 


Nore  se  tait;  nul  ne  disait  mot,  —  Tellement  bien 
Nore  chantait,  —  que  les  autres,  en  même  temps, 
d'un  penchement  de  front  —  l'accompagnaient,  sym- 
pathiques :  —  comme  les  touffes  de  souchet  —  qui, 
pendantes  et  dociles,  —  se  laissent  aller  ensemble 
au  courant  d'une  fontaine. 


—  «  Oh  !  le  beau  temps  qu'il  fait  dehors!  »  — ajouta 
Nore  en  achevant. . .  —  «  Mais  déjà  les  faucheurs, 
à  l'eau  du  vivier,  —  lavent  la  gomme  de  leurs  faux... 
—  Cueille-nous,  Mireille,  quelques  pommes  —  de 
celles  qui  mûrissent  à  la  Saint- Jean,  et  avec  un  fro- 
mage frais — nous  irons,  nous,  goûter  sous  les  mico- 
couliers. » 


NOTES 

DU  CHANT   TROISIÈME. 


Le  bon  muscat  de  Baume  {lou  bon  muscat  de  Baumo).  Baume, 
nllage  du  département  de  Vauclifse,  produit  un  vin  muscat  estimé. 

*  Le  Ferigoulet  [lou  Ferigoulet),  excellent  vin  quon  récolte  sur  un 
oteau  des  collines  de  Graveson  (Bouches-du-Rhône).  —  Ferigoulo 
".|;nifiant  thym  en  provençal,  le  vin  de  Ferigoulet,  comme  son  nom 
'indique,  rappelle  agréablement  le  parfum  de  cette  plante. 

'  La  Bonne  Mère  [la  Bono  Maire),  la  sainte  Vierge. 

*  Canela  (blanchis) ,  se  dit  des  vers  à  soie  atteints  de  la  terrible 
iaaladie  appelée  muscardine,  due  au  développement  d'une  moisis- 
sure qui  leur  donne  une  apparence  plâtrée. 

*  Tu  es  née  coiffée  [asta  crespino). —  Crespino,  coiffe,  membrane 
que  quelques  enfants  portent  sur  la  tête  en  venant  au  monde,  et 
qui  est  aux  yeux  du  peuple  un  indice  de  bonheur 

6  Plâtra  [engipè).  (Voyez  la  note  4,  même  Chant.) 
"  Pamparigouste(Pûfmpflns'OMS^o).  Pays  imaginaire,  comme  celui 
de  Cocagne. 

*  Le  Venlour  {lou  Ventour] ,  haute  montagne,  à  quarante-huit  ki- 
lomètres au  nord-est  d'Avignon,  s' élevant  tout  à  coup  à  dix -neuf 
cent  onze  mètres  au-aessus  au  niveau  de  la  mer,  isolée,  es- 
carpée, visible  de  quarante  lieues,  souronnée  de  neige  durant 
Six  mois  de  l'année.  C'est  à  tort  que  les  géographes  écrivent  Veti- 
toux  au  lieu  de  Ventour.  Les  populations  voisines  de  cette  monta- 
gne prononcent  unanimement  Ventour.  Un  de  ses  appendices  porte 
le  nom  de  Ventouret,  et  un  certain  vent  du  nord  s'appelle  la  Yen- 
toureso,  parce  qu'il  vient  de  ce  coté 


NOTES  DU  CHANT  III.  129 

3  Azalaïs,  forme  provençale  du  nom  propre  Adélaïde.      < 

*"  Fanette  de  Gantelme.  —  Estéfanettc,  et  par  abréviation  Fa- 
nette,  de  la  noble  famille  des  Gantelme,  présidait,  vers  1340,  la 
Cour  d'amour  de  Romanin.  On  sait  que  les  Cours  d'amour  étaient  des 
assises  poétiques  où  les  dames  les  plus  nobles,  les  plus  belles,  les 
plus  savantes  en  Gay-saber,  jugeaient  les  questions  de  galanterie, 
les  litiges  d'amour,  et  décernaient  des  prix  à  la  poésie  provençale. 
La  belle  et  célèbre  Laure  était  la  nièce  de  Fanette  de  Gantelme, 
et  faisait  partie  du  gracieux  aréopage. 

Non  loin  de  Saint-Remy,  au  pied  du  versant  septentrional  des 
Alpines,  on  voit  encore  les  ruines  du  château  de  Romanin. 

**  La  comtesse  de  Die,  célèbre  trouveresse  du  milieu  du  dou- 
zième siècle.  Les  chants  qui  nous  restent  d'elle  contiennent  des 
élans  plus  passionnés  quelquefois  et  plus  voluptueux  que  ceux  de 
Sapho : 

Bels  amies,  ayenèns  e  bos, 
Quora'us  tendrai  en  mon  poder? 
E  que  jaguès  ab  vos  un  ser, 
E  que'us  dés  un  bais  amoros  ! 

l'LaRouraèque  [la Roumèco),  espèce  de  vampire  méridional.  Voici 
comment  la  décrit  le  marquis  de  Lafare-Alais.  dans  ses  Castagnados  : 

Sus  vint  arpo  d'aragno 
S'escasso  soun  cors  brun... 
Soun  ventre  que  regagne, 
De  fèbre  e  de  magagno 
Suso  l'orre  frescun. 

"  lM\)èvon(Luheroun],  chaîne  de  montagnes  du  département  de 
Vaucluse. 

»*  Valmasque,  {Yau  masco,  vallée  des  sorciers);  vallée  du  Lubé- 
ron,  habitée  jadis  par  les  Vaudois. 

*5  On  ti'ouvera  à  la  lin  du  volume  l'air  populaire  sur  lequel  a  été 
composée  la  chanson  de  Magali. 


CANT  QUATREN 


LI  DEMANDAIRE 


fiu  tèms  di  vlôuleto.  —  Li  pescadou  dôu  Martegue.  —  Très  c»ll- 
gnaire  vènon  demanda  Mirèio  :  Alàri  lou  pastre  ;  Vei  an  lou  gardian; 
Ourrias  lou  loucadou.  —  Alàri,  si  capitau  d'avé.  —  La  toundesoun. 

—  Visio  d'un  escabot  que  davalo  dis  Aupo,  anant  en  ivernage.  — 
Entrevisto  d'Alàri  eraé  Mirèio.  —  Lis  Antico  de  Sant-Roumié.  — 
Liéurèio  dôu  pastre,  lou  coucourelet  de  bonis  escrincela.  — Alàri 
es  chabi.  —  Lou  gardian  Veran.  —  Li  cavalo  blanco  de  Camargo. 

—  Veran  demando  Mirèio  à  Mèste  Ramoun. —  Lou  vièi  lou  reçaup 
en  grand  joio,  Mirèio  lou  refuso.  —  Ourrias,  lou  doumtaire  de  tau- 

—  Li  brau  nègre  sôuvage.  —  La  Ferrado.  —  Ourrias  e  Mirèio  à  U 
font.  —  Lou  toucadou  es  chabi. 


Vèngue  lou  tèms  que  li  viôuleto, 
Dins  li  pradello  frescouletb, 

Espelisson  à  flo,  manco  pas  de  parèu 
Pèr  ana  li  cueie  à  l'oumbrino  ' 
Vèngue  lou  tèms  que  la  marino 
Abauco  sa  fièro  peitrino, 

E  respiro  plan-plan  de  tôuti  si  mamèu, 

Manco  pas  bèto  e  sicelando 
Que  dôu  Martegue,  à  bèlli  bando, 

S'envau  de  si  paiolo  embourgina  lou  pèis, 
S'envan,  sus  l'alo  de  si  remo, 
Escampiha  sus  la  mar  semo  ; 
Vèngue  lou  tèms  qu'entre  li  femo, 

L'eissame  di  chatouno  e  flouris  e  parèis, 


CHANT  QUATRIÈME 


LES   PRÉTENDANTS 


La  saison  des  violettes.  —  Les  pêcheurs  du  Martigue.  —  Trois  préten- 
dants briguent  la  main  de  Mireille  :  Alàri,  le  berger;  Véran,  le 
gardien  de  chevaux;  Ourrias,  le  toucheur  de  taureaux. —  Alàri,  ses 
richesses  en  brebis.  —  La  tonte.  —  La  transhumance  :  description 
d'un  grand  troupeau  qui  descend  des  Alpes.  —  Entrevue  d' Alàri  et 
de  Mireille.  —  Le  mausolée  de  Saint-Remy.  —  Offrande  du  berger, 
la  coupe  de  buis  sculpté.  —  Alàri  est  éconduit.  — Véran,  le  gardien 
de  chevaux.  —  Les  cavales  blanches  de  Camargue.  —  Véran  de- 
mande Mireille  à  Maître  Ramon.  — Joie  et  bon  accueil  du  vieillard; 
refus  de  Mireille.  —  Ourrias,  le  dompteur  de  taureaux.  —  Les 
taureaux  noirs  sauvages.  —  La  Ferrade.  —  Ourrias  et  Mireille  à  la 
fontaine.  —  Le  toucheur  est  éconduit. 


Vienne  le  temps  où  les  violettes,  —  dans  les  fraî- 
ches prairies  —  éclosent  à  bouquets,  ne  manquent 
pas  les  couples  —  pour  aller  les  cueillir  à  l'ombre  ! 
—  Vienne  le  temps  où  la  mer  —  apaise  sa  fière  poi- 
trine, —  et  respire  lentement  de  toutes  ses  mamelles, 


Ne  manquent  pas  les  prames  et  les  sicelandes  — 
qui,  du  Martigue  S  à  belles  troupes,  —  partent,  et 
vont  de  leurs  pailloles  ^  entortiller  le  poisson,  —  et 
vont,  sur  l'aile  de  leurs  rames,  —  s'éparpiller  dans  la 
mer  tranquille.  —  Vienne  le  temps  où,  parmi  les 
femmes,  -  •  l'essaim  des  jeunes  filles  fleurit  et  paraît, 


132  MIRÈIO,   CAÎ^T  IV. 

Que  pastourello  vo  coumlesso 
Prenon  renoum  de  poulidesso, 

Manco  pas  calignaire,  en  Crau  e  i  caslelas; 
E  rèn  qu'au  Mas  di  Falabrego 
N'en  venguè  très  :  un  gardian  d'egOj 
Un  paissejaire  de  junego, 

Em'  un  pastre  d'avé,  tôuti  très  bèu  droulas. 

Venguè  proumié  lou  pastre  Alàri. 

Dison  qu'avié  milo  bestiàri 
Arrapa,  tout  l'ivèr,  long  dôu  clar  d'Entressèn, 

I  boni  bauco  salabrouso. 

Dison  qu'eiça  quand  lou  blad  nouso, 

Dins  li  grands  Aupo  fresqueirouso 
Eu-meme  li  mountavo,  entre  que  Mai  se  sent. 

Dison  peréu,  —  e  m'es  de  crèire,  — 
Que,  vers  Sant  Marc,  i'a  nôu  toundèire 

Que,  très  jour,  ie  toundien,  e  d'onie  renouma! 
E  iéu  noun  comte  aquéu  que  lève 
Lis  au  de  lano  blanco  e  grèvo, 
Ni  lou  mendi  que  sènso  trèvo 

Carrejavo  i  toundèire  un  douire  lèu  chima. 

Mai  quand  la  caud  pièi  s'apasimo, 
E  que  la  nèu  sus  li  grand  cimo 

Âdeja  revouluno  i  terraire  gavot, 
De  l'ininènso  piano  Craenco 
Pèr  deslepa  l'erbo  ivernenco, 
Dis  àuli  coumbo  Daufmenco 

Faliè  vèire  descendre  aquéu  riche  escabotl 


MIREILLE,   CHANT  IV.  135 

Où  pastourelles  ou  comtesses  —  prennent  renom 
de  beauté,  — ne  manquent  pas  les  poursuivants,  en 
Crau  et  aux  manoirs  ;  —  et  rien  qu'au  Mas  des  Mico- 
coules  —  il  en  vint  trois  :  un  gardien  de  cavales,  — 
un  pasteur  de  génisses  —  et  un  berger  de  brebis, 
tous  les  trois  beaux  garçons. 


Vint  d'abord  le  berger  Alàri.  —  On  dit  qu'il  possé- 
dait mille  bêtes  (à  laine),  — attachées,  tout  l'hiver,  le 
long  du  lac  d'Entressen^, —  aux  bons  gramens  salés. 
—  On  dit  qu'à  l'époque  où  le  froment  forme  ses 
nœuds,  —  dans  les  fraîches  hauteurs  des  grandes 
Alpes  —  il  les  conduisait  lui-même,  dès  que  l'on  sent 
mai. 

On  dit  aussi,  et  je  le  crois,  —  que,  vers  la  Saint- 
Marc,  neuf  tondeurs  — trois  jours  tondaient  (pour) 
lui,  et  des  hommes  fameux!  —  Et  j'omets  celui  qui 
enlève  —  les  toisons  de  laine  blanche  et  pesante  ;  ■— 
et  le  bergerot  qui,  sans  relâche,  —  charriait  aux  ton- 
deurs un  broc  promptement  bu. 


Mais  lorsque  ensuite  la  chaleur  s'apaise,  —  et  que 
la  neige  sur  les  grandes  cimes  —  déjà  tourbillonne 
aux  pays  montagnards,  —  de  l'immense  plaine  de 
Crau  —  pour  brouter  1  herbe  hivernale,  —  il  fallait 
voir,  des  hautes  vallées  dauphinoises,  — ■  descendre 
ce  riche  troupeau  ! 


12 


134  MIRÈIO,  CANT  IV. 

Falié  vèire  aquelo  escarrado 

S'esperlounga  dins  la  peirado  ! 
En  front  de  tout  lou  rai,  l'agnelun  proumieren 

Sautourlejo  pèr  bando  gaio... 

Fa  l'agnelié  que  lis  endraio. 

L'ensounaiado  bourriscaio, 
E  11  poutre,  e  li  saumo,  à  baudre  li  seguien. 

D'escambarloun  dessus  la  bardo, 

Es  l'asenié  que  n'a  la  gardo  : 
Dins  lis  ensàrri  d'aufo,  es  éli,  sus  lou  bast, 

Éli  que  porlon  la  raubiho, 

E  la  bevènto  e  la  mangiho, 

E  dôu  bestiàri  que  s'espeio 
La  peu  enca  saunouso,  e  l'agneloun  qu  èi  las. 

Capitàni  de  la  bregado, 

E  li  bano  rêver tegado, 
Après  venien  de  front,  en  brandant  si  redoun, 

E  lou  regard  vira  de  caire, 

Cinq  fièr  menoun  cabessejaire; 

Darrié  li  bôchi  vèn  li  maire, 
E  li  fôli  cabreto,  e  li  blanc  cabretoun. 

Troupe  courriolo  emai  groumando, 
Es  lou  cabrié  que  la  coumando. 

Li  mascle  de  l'avé,  li  grands  esparradou 

De  quau  li  mourre  en  l'èr  se  drèisson, 
Dins  la  carrairo  aqui  parèisson  : 
A  si  grand  bano  se  counèisson, 

Très  fes  envertouiado  autour  de  l'ausidou 


J 


MIREILLE,  CHANT  IV.  i;5 

Il  fallait  voir  cette  multitude  —  se  développer  daus 
lecliemin  pierreux!  —  Au  front  de  toute  la  troupe, 
les  agneaux  hâtifs  —  cabriolent  par  joyeuses  bandes. 
—  Vagnelier  les  dirige.  —  Les  ânes  portant  son- 
nailles, —  et  les  ânons,  et  les  ânesses,  en  désordre 
les  suivaient. 


A  califourchon  sur  la  bardelle,  —  l'ânier  en  a  la 
garde.  —  Dans  les  mannes  de  sparterie,  ce  sont  eux, 
sur  le  bât,  —  eux  qui  portent  les  bardes,  —  et  la 
boisson,  et  les  vivres,  —  et  du  bétail  qu'on  écorche 
—  la  peau  encore  saignante,  et  l'agneau  fatigué. 


Capitaines  de  la  phalange, —  avec  leurs  cornes 
retroussées,  —  après  venaient  de  front,  en  branlant 
leurs  clarines ,  —  et  le  regard  de  travers,  —  cinq 
fiers  boucs  à  la  tête  menaçante  ;  —  derrière  les  boucs 
viennent  les  mères,  —  et  les  folles  chevrettes,  et  les 
blancs  petits  chevreaux. 


Troupe  gourmande  et  vagabonde,  —  le  chevrier  la 
commande. — Les  mâles  des  brebis,  les  grands  béliers 
conducteurs,  —  dont  les  museaux  dans  l'air  se  dres- 
sent, —  alors  paraissent  dans  la  voie  ; —  on  les  recon- 
naît à  leurs  grandes  cornes,  —  tro's  fois  entortillées 
autour  de  l'oreille. 


136  flIRÈÎU,  GANT  IV. 

E  peréu  (ounourable  signe 
Que  dôu  troupèu  acô  's  li  segne) 

An  li  costo  floucado  e  l'esquino  tambèn, 
Camino  en  tèsto  de  la  troupo 
Lou  baile-pastre,  e  de  sa  roupo 
Li  dos  espalo  s'agouloupo. 

Mai  lou  gros  de  l'armado  arribo  d'un  tenènt. 

E'n  uno  pôusso  nivoulouso, 

E  di  proumiero,  e  di  couchouso, 
Courron  lis  agnelado,  en  bramant  loungamen 

Au  belamen  de  si  berouge  ; 

E,  lou  coutet  flouca  de  rouge, 

Ensèn  pôussejon  lis  anouge 
E  li  môutoun  lanu  que  van  paloutamen; 

Li  pastrihoun  de  vôuto  en  vôuto, 

E  qu'i  chin  cridon  :  A  la  vôuto  ! 
E,  pega  sus  lou  flanc,  l'innoumbrable  vaciéu, 

Li  nouvello,  li  tardouniero, 

E  li  segoundo,  e  li  maniero, 

E  li  fegôundi  bessouniero 
Qu'an  peno  à  tirassa  soun  ventre  empachatiéu. 

Escarradoun  tout  espeiôti, 

Entre  li  turgo,  li  vièi  môti 
Qu'an  agu  lou  dessouto  i  batèsto  d'amour, 

Emé  li  berco  e  li  panardo, 

Clauson  enfin  la  rèire-gardo, 

Aret  creba,  tristo  desfardo, 
Qu'an  perdu  towî  ensèn  e  li  bano  e  l'ounour. 


MIREILLE,  CHANT  IV.  137 

Et  encore  (honorable  signe — qu'ils  sont  les  sires  du 
troupeau)  —  ils  ont  les  cotes,  ils  ont  le  dos  ornés  de 
houppes.  —  En  tête  de  la  troupe  marche  —  le  chef 
des  pâtres,  de  son  manteau  —  s'enveloppant  les 
deux  épaules.  —  Mais  le  gros  de  l'armée  arrive  à 
la  suite. 


Et  dans  un  nuage  de  poussière,  —  et  précédant 
(la  foule),  et  empressées,  —  courent  les  (brebis) 
mères,  répondant  par  de  longs  bêlements  —  au  bêle- 
ment de  leurs  petits  ;  —  et,  la  nuque  ornée  de  bouf- 
fettes  rouges,  —  ensemble  poudroient  les  antenois, 
—  et  les  moutons  laineux  qui  vont  à  pas  lents  ; 

Les  aides-bergers ,  d'intervalle  en  intervalle ,  — 
criant  aux  chiens  :  A  la  volte  !  —  et,  le  flanc  marqué 
de  poix,  l'innombrable  plèbe,  —  les  adultes,  les  bre- 
bis qui  mettent  bas  deux  fois,  —  et  celles  dont  deux 
fois  les  dents  de  marque  ont  percé,  et  celles  qu'on  a 
privées  de  leurs  agneaux,  —  et  les  fécondes  besson- 
nières'*  —  qui  ont  peine  à  traîner  leur  ventre  embar- 
rassant. 

Escadron  dépenaillé,  —  parmi  les  bréhaignes,  les 
vieux  béliers  —  qui  ont  été  vaincus  aux  combats 
d'amour, —  avec  les  èdentées  et  les  boiteuses,  —  fer- 
ment enfin  l'arrière-garde,  —  béliers  crevés,  tristes 
débris,  —  qui  ont  perdu  tout  ensemble  et  les  cornes 
et  l'honneur. 


13 


138  MIREIO,  CANT  lY. 

E  tout  acô,  fedo  e  çabrairo, 
Tant  que  n'i'avié  dins  la  carrairo, 

Èro  d'Alàri,  tout,  jouine  e  vièi,  bèu  o  laid.., 
E  davans  eu  quand  davalavon, 
Qu'à  cha  centeno  defilavon, 
A  vie  sis  iue  que  se  chalavon. . . 

Pourtavo,  coume  un  scètre,  un  rebatun  de  plai. 

E  'mé  si  blanc  chinas  de  pargue 
Que  lou  seguien  dins  li  relargue, 

Li  geinoun  boutouna  dins  si  guèto  de  peu, 
E  l'èr  seren,  e  lou  front  sàvi, 
L'aurias  cresu  lou  bèu  rèi  Dàvi 
Quand,  sus  la  tardo,  au  pous  dis  àvi 

Anavo,  en  estent  jouine,  abéura  li  troupèu. 

—  Vaqui  Mirèio  que  vanego 

Davans  lou  Mas  di  Falabrego  ! 
Digue  lou  pastre...  Oh!  Dieu!  m'an  di  la  verila  : 

Ni  dins  lou  plan,  ni  sus  l'auturo, 

Ni  pèr  verai,  ni  pèr  pinturo, 

léu  n'ai  ges  vist  qu'à  la  centuro 
le  vague,  pèr  lou  biais,  la  gràci,  la  bèuta!   • 

Que,  rèn  que  pèr  la  vèire,  Alàri 

S' èro  escarta  de  soun  bestiàri. 
A  dre  d'elo  pamens  quand  fugue  :  Pourriés-ti, 

le  fai  d'uno  voues  que  trémolo, 

Me  faire  vèire  uno  draiolo 

Pèr  travessa  li  mountagnolo? 
Autramen,  chato,  ai  pôu  de  pas  me  n'en  sourti  ! 


MIREILLE,  CHANT  IV.  139 

Et  tout  cela,  brebis  et  chèvres,  —  autant  qu'en 
contenait  la  voie,  —  était  à  Alàri,  tout,  jeune  et  vieux, 
beau  et  laid...  — Et  devant  lui  lorsqu'elles  descen- 
daient, —  qu'elles  défilaient  par  centaines,  —  ses 
yeux  se  délectaient  (à  cette  vue)...  —  11  portait, 
comme  un  sceptre,  un  rondin  d'érable. 


Et,  avec  ses  blancs  et  grands  chiens  de  parc  — 
qui  le  suivaient  dans  les  pâturages,  —  les  genoux 
boutonnés  dans  ses  guêtres  de  peau .  —  et  l'air  se- 
rein et  le  front  sage...  —  vous  l'eiyssiez  cru  le  beau 
roi  David,  —  quand,  vers  le  soir,  au  puits  des  aïeux, 
—  il  allait,  dans  sa  jeunesse,  abreuver  les  troupeaux. 


—  «  Voilà  Mireille  qui  va  et  vient  --  devant  le  Mas 
des  Micocoules!  —  dit  le  pâtre...  Oh!  Dieul  l'on 
m'a  dit  vrai  :  —  ni  dans  la  plaine,  ni  sur  les  hau- 
teurs, —  ni  en  peinture,  ni  en  réalité,  —  je  n'en  ai 
vu  aucune  qui  à  la  ceinture  —  lui  aille,  pour  les  ma- 
nières, la  grâce,  la  beauté  !  » 


Car,  rien  que  pour  la  voir,  Âlàrî  —  s'était  éloigné 
de  ses  bêtes.  —  Cependant,  quand  il  fut  devant  elle  : 
«  Pourrais-tu,  —  lui  dit-il  d'une  voix  qui  tremble, 
—  me  montrer  un  sentier  —  pour  traverser  les 
collines?  —  Sinon,  jeune  fille,  j'ai  peur  de  ne  pas  en 
sortir!  § 


140  MIRÈIO.  CANT  IV 

—  l'a  que  de  prene  la  drechiero, 
Vè!  respoundèlamasagiero, 

E  pièi  de  Pèiro-malo  enregas  lou  désert , 
E  caminas  dins  la  vau  torto, 
Fin  que  vegués  uno  grand  porto, 
Emé  'no  toumbo  que  suporto 

Dous  generau  de  pèiro,  eilamount  dins  lis  èr; 

Èi  ce  qu'apellon  lis  Antico. 

—  Gramaci  i  lou  jouvènt  replico. . . 
Milobèsti  d'avé,  pourtant  ma  marco,  en  Crau, 

Mounton  deman  à  la  mountagno, 
E  iéu  précède  la  coumpagno 
Pèr  ie  marca  dins  la  campagno, 
Li  coussou,  la  couchado,  e  peréu  lou  carrau. 

E  tout  debèstio  fino!...  E  quouro 
Que  me  maride,  ma  pastouro 

Entendra  tout  lou  jour  canta  lou  roussigaôu... 
E  s'aviéu  l'ur,  bello  Mirèio, 
Que  tu  vouguèsses  ma  liéurèio, 
Te  semoundréu,  noun  de  daurèio, 

Mai  un  vas  que  t'ai  fa,  de  bonis,  e  flame-nôu. 

E  de  parla  tant  lèu  s'arrèsto, 
Coume  un  relicle,  de  sa  vèsto 

Sort  un  coucourelet  taia  dins  lou  bonis  viéu , 
Car,  à  sis  oureto  de  pauso, 
Amavo,  asseta  su  'no  lauso, 
De  s'espassa  'n-aquéli  causo  ; 

E  rèn  qu'emé  'n  coutèu  fasié  d'obro  de  Dieu! 


MIREILLE.  CHANT  IV.  141 

—  «  Il  n'y  a  qu'à  prendre  le  droit  chemin,  — 
voyez!  répondit  la  fille  des  champs,  — vous  enfilez 
ensuite  le  désert  de  Peyre-male,  —  et  vous  marchez 
dans  le  val  tortueux  —  jusqu'à  ce  qu'un  portique  se 
montre  à  vos  regards,  —  avec  un  tombeau  qui  sup- 
porte —  deux  généraux  de  pierre,  là-haut  dans  les 
airs  ^  ; 

«  C'est  ce  qu'on  nomme  les  Antiques.  »  — «  Gran 
merci!  réplique  le  jeune  homme...  —  Mille  bêtes  à 
laine,  portant  ma  marque,  dans  la  Crau,  —  montent 
demain  à  la  montagne;  —  et  je  précède  le  bataillon, 
—  pour  lui  marquer  à  travers  champs  —  les  pa- 
cages, la  couchée,  et  aussi  le  chemin. 


«  Et  (c'est)  tout  bêtes  fines  î. ..  Et  en  quelque  temps 
—  que  je  me  marie,  ma  bergère  — entendra  tout  le 
jour  chanter  le  rossignol...  —  Et  si  j'avais  l'heur, 
belle  Mireille,  —  que  tu  acceptasses  ma  livrée,  — je 
t'offrirais,  non  pas  des  bijoux  d'or,  —  mais  un  vase 
que  j'ai  fait  pour  toi,  de  buis,  et  battant-neuf.  » 


Et  comme  il  cesse  de  parler,  —  telle  qu'une  re- 
hque,  de  sa  veste —  il  sort  une  coupe  taillée  dansJe 
buis  vif;  —  car,  à  ses  heures  de  loisir,  —  il  aimait, 
assis  sur  une  pierre,  —  à  se  distraire  à  ces  choses  ;  — 
et  seulement  avec  un  couteau  il  faisait  des  œuvres 
divines 1 


142  MIRÈIO,  GANT  IV. 

E  d'uno  man  cascareleto 

Escrincelavo  de  clincleto 
Pèr  la  niue,  dins  lou  champ,  mena  soun  abeié  ; 

E  sus  lou  càmbis  di  sounaio, 

E  sus  l'os  blanc  que  11  mataio, 

Fasié  de  taio  e  d'entre-taio, 
E  de  fleur,  e  d'aucèu,  e  tout  ce  que  voulié. 

Mai  lou  vas  que  venié  d'adurre, 

Aurias  nega,  vous  l'assegure, 
Que  i'aguèsse  passa  coutèu  de  pastrihoun  : 

Uno  massugo  bèn  flourido 

A  soun  entour  èro  espandido  ; 

E  dins  si  roso  alangourido, 
Dous  cabrôu  ie  paissien,  fourmant  li  manihoun. 

Un  pau  plus  bas,  vesias  très  fiho 

Qu'èron  segur  très  mereviho  ! . . . 
Pas  liuen,  dessouto  un  cade,  un  pastourèu  dourmié. 

Li  fouligàudi  chatouneto 

Se  n'aprouchavon  plan-planeto, 

E  ie  metien  sus  la  bouqueto 
Uno  alo  de  rasin  qu'avien  dins  soun  panié. 

E  lou  pichot  que  soumihavo 

Tout  risoulet  se  revihavo  ; 
E  l'uno  di  chatouno  avié  l'èr  esmougu... 

Sens  la  coulour  dôu  racinage, 

Aurias  di  que  li  personnage 

Èron  viéu  dins  aquel  ôubrage... 
Sentie  'ncaro  lou  nôu,  i'avié  panca  begu. 


MIREILLE,  CHANT  IV.  143 

Et  d'une  main  fantaisiste, —  il  sculptait  des  cli- 
quettes —  pour,  la  nuit,  dans  les  champs,  conduire 
son  troupeau;  —  et  sur  le  collier  des  clarines,  —  et 
sur  l'os  blanc  qui  leur  sert  de  battant,  — il  faisait  des 
tailles  et  des  entre-tailles,  —  et  des  fleurs,  et  des  oi- 
seaux, et  tout  ce  qu'il  voulait. 


Mais  le  vase  qu'il  venait  d'apporter,  —  vous  auriez 
nié,  je  vous  l'assure,  —  que  couteau  de  berger  eût 
passé  là  :  —  un  ciste  bien  fleuri  —  autour  de  lui  s'é- 
panouissait; —  et  dans  ses  roses  langoureuses,  — 
deux  chevreuils  paissaient,  formant  les  anses. 


Un  peu  plus  bas,  on  voyait  trois  jeunes  filles  —  qui 
étaient  certainement  trois  merveilles  ! . . .  —  Non  loin 
(delà),  sous  un  cade,  un  pastoureau  dormait.  —  Les 
folâtres  fillettes  —  s'approchaient  de  lui  doucement, 
—  et  mettaient  sur  sa  bouche  —  un  grappillon  de 
raisin  qu'elles  avaient  dans  leur  panier. 


Et  l'enfant  qui  sommeillait  —  s'éveillait  tout  sou-, 
riant;  —  et  l'une  des  fillettes  avait  l'air  ému...  — 
Sans  la  couleur  de  la  racine,  —  vous  eussiez  dit 
que  les  figures  —  étaient  vivantes  dans  cet  ouvrage. . . 
—  11  sentait  encore  le  neuf,  il  n'y  avait  pas  bu  en- 
core. 


144  MlRÉIO     CANT  IV 

—  En  verita,  digue  Mirèio, 
Pastre,  fai  gau,  vosto  liéurèîo... 

E  l'espinchavo.  Pièi  partiguè  tout  d'un  bound  : 
Moun  bon-ami  n'a  'no  plus  belle  : 
Soun  amour,  pastre!  E  quand  me  bôio, 
0  fau  que  baisse  li  parpello, 

0  dins  iéu  sente  courre  unbonur  que  me  poun. 

E  la  cbatouno,  coume  un  glâri 

Despareiguè...  Lou pastre  Alàri 
Estremè  soun  vasèu  ;  e  plan-plan,  à  l'ahour, 

Eu  s'enanè  de  la  bastido, 

E  la  pensado  entreboulido 

Qu'aquelo  chato  tant  poulido 
Pèr  autre  que  pèr  eu  aguèsse  tant  d'amour! 

Au  même  Mas  di  Falabrego 

Venguè  tambèn  un  gardian  d'ego, 
Veran.  Aquéu  Veran  ie  venguè  dôu  Sambu. 

Au  Sambu,  dins  li  grand  pradello 

Ounte  flouris  la  cabridello. 

Avié  cent  ego  blanquinello 
[lespounchant  di  palun  li  rousèu  escambu. 

Cent  ego  blanco!  La  creniero, 

Coume  la  sagno  di  sagniero, 
Oundejanto,  fougouso,  e  franco  dôu  cisèu, 

Dins  sis  ardèntis  a^)rivado, 

Quand  pièi  partien,  descaussanado, 

Coume  la  cherpo  d'uno  fado. 
En  dessus  de  si  côu  floutavo  dins  lou  cèu. 


MIREILLE,   CHANT  IV.  145 

ff  En  vérité,  dit  Mireille,  —  pâtre,  votre  livrée 
tente  la  vue...  »  —  Et  elle  l'examinait.  Puis  partant 
tout  d'un  bond  :  —  «  Mon  bien-aimé  en  a  une  plus 
belle  :  —  son  amour,  pâtre  !  Et  lorsque,  passionné, 
il  me  regarde,  —  il  me  faut  baisser  les  paupières, — 
ou  bien  je  sens  courir  en  moi  un  bonheur  qui  me 
navre.  » 

Et  la  jeune  fille,  comme  un  lutin,  —  disparut... 
Le  berger  Alari  —  remit  son  vase  sous  (sa  veste)  ;  et 
lentement,  au  crépuscule  ^  —  s'en  alla  de  la  bastide, 
— troublé  par  la  pensée  — qu'une  si  belle  fille —  pour 
un  autre  que  lui  eût  tant  d'amour  ! 


Au  même  Mas  des  Micocoules  —  vint  aussi  un 
gardien  de  cavales,  —  Véran.  Ce  Véran  y  vint  du 
Sambuc''.  —  AuSambuc,  dans  les  grandes  prairies 
—  où  fleurit  la  cahridelle  *,  —  il  avait  cent  cavales 
blanches  —  èpointant  les  hauts  roseaux  des  mare* 
cages. 


Cent  cavales  blanches  î  La  crinière,  —  comme  la 
massette  des  marais,  —  ondoyante,  touffue,  et  fran- 
che du  ciseau.  —  Dans  leurs  ardents  élans,  —  lors- 
qu'elles partaient  ensuite,  effrénées,  —  comme  l'é- 
charpe  d'une  fée  --  au-dessus  de  leurs  cous  elle 
flottait  dans  le  ciel. 


140  MIRÈIO,  CANT  IV. 

Vergougno  à  tu,  raço  omenenco  t 

Li  cavaloto  Camarguenco, 
Au  pougnènt  esperoun  que  i'estrasso  lou  flanc, 

Coume  à  la  man  que  li  caresso, 

Li  veguèron  jamai  soumesso. 

Encabestrado  pèr  traitesso, 
N'ai  vist  despatria  liuen  dôu  pàti  salan  ; 

E'n  jour,  d  un  bound  rabin  e  prouinte, 
Embardassa  quau  que  li  mounte, 

D'un  galop  avala  vint  lègo  de  palun, 
La  narro  an  vent  !  e  revengudo 
Au  Vacarés,  que  soun  nascudo,    . 
Après  dès  an  d'esclavitudo. 

Respira  de  la  mar  lou  libre  salabrun. 

Qu'aquelo  meno  sôuvagino, 

Soun  elemen  es  la  marino  : 
Dôu  càrri  de  Netune  escapado  segur, 

Es  encaro  tencho  d'escumo  ; 

E  quand  la  mar  boufo  e  s'embrume, 

Que  di  veissèu  peton  li  gumo, 
Li  grignoun  de  Gamargo  endihon  de  boniir, 

E  fan  brusi  coume  uno  chasso 

Sa  longo  co  que  ie  tirasse  ; 
E  gravachon  lou  sôu,  e  sènton  dins  sa  car 

Intra  lou  trent  dôu  dieu  terrible, 

Qu'en  un  barrejadis  ourrible 

Môu  la  tempèsto  e  l'endoulible, 
ï>  bourroulo  de  founs  li  toumple  de  la  mar. 


MIREILLE,  CHANT  IV.  147 

Honte  à  toi,  race  humaine  !  —  Les  cavales  de  Ca- 
margue®, —  au  poignant  éperon  qui  leur  déchire  le 
flanc,  —  comme  à  la  main  qui  les  caresse,  —  jamais 
on  ne  les  vit  soumises.  —  Enchevêtrées  par  trahison, 
—  j'en  ai  vu  exiler  loin  des  prairies  salines; 


Et  un  jour,  d'un  bond  revêche  et  prompt,  —  jeter 
bas  quiconque  les  monte,  —  d'un  galop  dévorer 
vingt  lieues  de  marécages,  —  flairant  le  vent  !  et  re- 
venues —  au  Vaccarés*",  où  elles  naquirent,  — 
après  dix  ans  d'esclavage,  —  respirer  l'émanation 
salée  et  libre  de  la  mer. 


Car  (à)  cette  race  sauvage,  —  son  élément,  c'est 
la  mer  :  —  du  char  de  Neptune  échappée  sans  doute, 
—  elle  est  encore  teinte  d'écume  ;  —  et  quand  la 
mer  souffle  et  s'assombrit,  —  quand  des  vaisseaux 
rompent  les  câbles,  —  les  étalons  de  Camargue 
hennissent  de  bonheur  ; 


Et  font  claquer  comme  la  ficelle  d'un  fouet  — 
leur  longue  queue  traînante  ;  —  et  grattent  le  sol, 
et  sentent  dans  leur  chair  —  entrer  le  trident  du 
dieu  terrible,  —  qui,  dans  un  horrible  pêle-mêle,  — 
meut  la  tempête  et  le  déluge,  —  et  bouleverse  de 
fond  en  comble  les  abîmes  de  la  mer. 


148  Mllir.IO,   CANT  IV. 

Aquéu  Veran  li  pasturgavo. 

En  Crau  un  jour  que  Iraficavo, 
Enjusquo  vers  Mirèio,  acô  s'èi  di,  Veran 

Se  gandiguè.  Car  en  Camargo, 

E  fin  qu'alin  i  bouco  largo 

D'ounte  lou  Rose  se  descargo, 
Se  disié  qu'èro  bello,  e  lontèms  lou  diran  ! 

le  venguè  fier,  emé  reboundo 

A  l'Ârlatenco,  longo  e  bloundo, 
Jitado  sus  l'espalo  en  guiso  de  mantèu; 

Emétaiolo  chimarrado 

Coume  uno  esquino  de  rassado, 

E  capèu  de  lelo  cirado 
Ounte  se  rebâtie  lou  trelus  dôu  soulèu. 

E  quand  fugue  davans  lou  mèstre  : 
Bon  jour  à  vous  emai  benèstre  ! 

Dôu  RoseCamarguen  siéu,  dis,  un  ribeirôu  ; 
Siéu  lou  felen  dôu  gardian  Pèire  : 
Es  pas  que  noun  lou  déugués  vèire, 
Qu'au  mens  vint  an  'mé  si  courrèire, 

Moun  grand,  lou  gardian  Pèire,  a  cauca  voste  eirôu  ' 

Dins  lapalun  que  nous  enrodo, 

Moun  segne  grand  n'avié  très  rodo. 
Vous  n'en souvèn !  Mai,  mèstre,  oh!  se  vesias dempièi 

Lou  riche  crèis  d' aquéu  levame  ! 

Podon  n'en  toumba  li  voulame  ! 

N'avèn  sèt  rodo  emé  sèt  liame  ! 
—  Longo-mai  I  o  moun  fiéu,  respoundeguè  lou  vièi 


MIREILLE,   CHANT  IV.  149 

Ce  Véran  les  gardait  au  pâturage.  —  Un  jour  qu'il 
parcourait  la  Crau,  —  jusqu'auprès  de  Mireille  Vé- 
ran, dit-on,  —  poussa  ses  pas.  Car  en  Camargue,  — 
et,  jusque,  là-bas,  aux  larges  bouches  —  par  où  le 
Rhône  se  décharge,  —  on  disait  qu'elle  était  belle,  et 
longtemps  on  le  dira  ! 


Il  y  vint  fièrement,  avec  veste  —  à  l'Arlésienne, 
longue  et  blonde,  —  jetée  sur  l'épaule  en  guise  de 
manteau,  —  avec  ceinture  bariolée  —  comme  un  dos 
de  lézard,  —  et  chapeau  de  toile  cirée  —  où  se  ré- 
fléchissait l'éclat  du  soleil. 


Et  lorsqu'il  fut  devant  le  maître  :  —  «  Bonjour  à 
vous  et  bien-être  aussi!  —  Du  Rhône  Camarguais  je 
suis,  dit-il,  un  riverain;  —je  suis  le  petit-fils  du  gar- 
dien Pierre  :  —  au  reste,  vous  devez  le  voir,  — car,  au 
moins  vingt  ans,  avec  ses  coursiers,  —  mon  aïeul, 
le  gardien  Pierre,  a  foulé  votre  airée  ! 


«  Dans  le  marais  qui  nous  entoure,  —  mon  véné  • 
rable  aïeul  avait  trois  rodes ^^  (de  coursiers)...  —  Il 
vous  en  souvient  !  Mais,  maître,  oh  !  si  vous  voyiez, 
depuis,  —  le  riche  croît  de  ce  levain  !  —  Elles  peu- 
vent en  abattre  les  faucilles  \  —  nous  en  avons  sept 
rodes  et  sept  liens  **  !  »  —  «  Longtemps,  ô  mon  fils, 
répondit  le  vieillard, 


150  MIRÈIO,  CANT  IV. 

0,  longo-mai  n'en  vegues  naisse , 
E  li  coundugues  dins  lou  paisse  ! 

Ai  couneigu  toun  grand  ;  e  certo,  acô  'ro  em'éu 
Uno  amista  de  longo  toco  I 
Mai  quand  pièi  l'âge  iious"desfioco, 
A  la  clarta  de  nosto  moco 

Demouran  en  repaus,  e  l'amistanço,  adieu! 

—  Es  pas  lou  tout  !  venguè  lou  drôle, 
E  noun  sabès  qu'èi  qup  vous  vole  : 

Mai  d'un  cop,  au  Sambu,  quand  vènon  li  Craen 
Querre  de  càrri  d'apaiage, 
Entandaumens  que  de  si  viage 
ï'ajudan  faire  lou  bihage, 

Di  chatouno  de  Crau  arribo  que  parlen  ; 

E  m'an  retra  vosto  Mirèio 
Tant  de  moun  goust,  qu'à  vosto  idèio 
Se  trouvas  Veranet,  voste  gendre  sara. 

—  Veranet  !  Pousquèsse  lou  vèire 
Cridè  Ramoun,  que  de  toun  rèire, 
De  moun  ami  lou  gardian  Pèire 

Lou  sagatun  flouri  noun  pou  que  m'ounoura  ! 

E  coume  un  orne  que  rend  gràci 
Au  Segnour  Dieu,  dins  lis  espàci 

Aubourè  si  dos  man  'm'  aquesto  esclamacioun  : 
Mai  qu'agrades  à  la  pichoto, 
(Car  èi  souletn  e  la  mignoto  !) 
En  proumierage  de  la  doto 

Lou  sant  toustèms  t'avèngue  e  la  benedicioun  ! 


MIREILLE,  CHANT  IV.  151 

«  Oui,  longtemps  puisses-tu  les  voir  multiplier,  — 
et  les  conduire  au  pâturage  !  —  J'ai  connu  ton  aïeul, 
et  certes,  c'était  avec  lui  —  une  amitié  de  longue 
main  !  — Mais  lorsque  enfin  l'âge  nous  glace,  —  à  la 
clarté  de  notre  lampe  ^' —  nous  demeurons  en  repos, 
et  les  amis,  adieu!  » 


—  «  Ce  n'est  pas  tout,  dit  le  jeune  homme,  —  et 
vous  ne  savez  pas  ce  que  je  veux  de  vous  :  —  plus 
d'une  fois,  au  Sambuc,  quand  viennent  les  gens  de 
Crau  —  quérir  des  chariots  de  litière,  —  pendant  que 
de  leurs  chargements  —  nous  leur  aidons  à  serrer  la 
liure,  —  il  nous  arrive  de  parler  des  fillettes  de  Crau. 


((  Et  ils  m'Ont  peint  votre  Mireille  —  tellement  de 
mon  goût,  qu'à  votre  idée  —  si  vcus  trouvez  Véran, 
votre  gendre  sera...  »  —  «  Véran  !...  pussé-je  voir 
cela  1  —  s'écria  Ramon,  car  de  ton  ancêtre,  —  de 
mon  ami  le  gardien  Pierre  —  le  rejeton  fleuri  ne  peut 
que  m'bonorer  !  » 


Et,  tel  qu'un  homme  qui  rend  grâces  —  au  Sei- 
gneur Dieu,  dans  l'étendue  —  il  leva  ses  deux  mains, 
en  s' écriant  :  —  «  Pourvu  que  tu  plaises  à  la  petite, 
—  (car  étant  seule,  elle  est  la  bien-aimée!)  —  en 
prémice  de  la  dot,  —  l'éternité  des  saints  t'advienne- 
et  la  bénédiction  !  » 


152  MIRÈIO,  CANT  IV. 

E  sono  quatecant  sa  chato, 

E  ie  dis  lèu  de  que  se  trato. 
Palo  subitamen,  loii  regard  enebi, 

E  tremoulanto  de  cregnènço  : 

Mai  vosto  santo  couneissènço, 

le  faguè  'nsin.  paire,  en  que  pènso, 
Que  vougués,  liuen  de  vous,  tant  jouino  me  chabi  ? 

—  Ve,  fau  que  plan  acô  se  mené, 

M'avès  agu  di,  pèr  se  prene  ! 
Fau  counèisse  li  gènt,  fau  n'èstre  couneigu... 

Eli  counèisse,  qu'es  encaro?... 

E  dins  la  nèblo  de  sa  caro 

Subitamen  pareiguè  claro 
Uno  douço  pensado.  Un  matin  qu'a  plôugu, 

Se  vèi  ansin  li  flour  negado 

Atravès  Taigo  bautugado. 
La  maire  de  Mirèio  aprouvè  sa  resoun... 

E  lou  gardian  emé  'n  sourdre  : 

Mèste  Ramoun,  dis,  me  retire  ! 

Car  dôu  mouissau,  ai  à  vous  dire 
Qu'un  gardian  Camarguen  counèis  la  pougnesoun. 

Au  mas,  dins  lou  même  estivage, 

Venguè,  di  pàti  dôu  Sôuvage, 
Pèr  vèire  la  chatouno,  Ourrias  lou  toucadou. 

Dôu  Sôuvage,  negro,  malino, 

E  renoumado  es  la  bouvino... 

I  souleias,  à  la  plouvino, 
Souto  lou  batedis  di  glavas  negadou, 


MIREILLE,   CHANT  IV.  155 

Et  sur-le-champ  il  appelle  sa  fille,  —  et  lui  dit 
vite  ce  qui  se  traite.  —  Pâle  soudain,  le  regard  in- 
terdit, —  et  tremblante  d'appréhension  :  —  «  Mais 
votre  sainte  intelligence,  —  lui  parla-t-elle  ainsi, 
père  à  quoi  pense-t-elle,  — pour  vouloir,  si  jeune, 
m'éloigner  de  vous? 


«  —  Vois  ,  il  faut  que  lentement  cela  se  mène,  — 
m'avez-vous  eu  dit,  pour  s'épouser!  —  Il  faut  con- 
naître les  gens,  il  faut  en  être  connu...  —  Et  les 
connaître,  qu'est-ce  encore?  »...  —  Et  dans  la  brume 
de  son  visage  —  soudain  apparut  claire  —  une 
douce  pensée.  Un  matin  qu'il  a  plu. 

On  voit  ainsi  les  fleurs  noyées  —  à  travers  l'eau 
troublée.  —  La  mère  de  Mireille  approuva  ses  pa- 
roles, —  et  le  gardien,  en  souriant-:  —  «  Maître 
Ramon,  dit-il,  je  me  retire  !  —  car  du  cousin,  je 
vous  le  dis,  —  un  gardien  Gamarguais  connaît  la 
piqûre.  » 


Au  mas,  dans  le  courant  du  même  été,  —  vint, 
des  pâturages  du  Sauvage  ^*,  —  pour  voir  la  jeune 
fille,  Ourrias  ^*  le  toucheur.  —  Du  Sauvage,  noirs, 
méchants  —  et  fameux  sont  les  bœufs....  —  Aux 
grands  soleils,  sous  les  frimas,  —  sous  le  battement 
des  pluies  diluviennes. 


154  MIRÈIO,  GANT  IV. 

Aqui,  tout  soûl  emé  si  bravo, 

Ourrias  tout  l'an  li  pasquieravo. 
Nascu  dins  la  manado,  abari  'mé  li  biôu, 

Avié  di  biôu  l'estampaduro, 

E  l'iue  sôuvage,  e  la  negruro, 

E  l'èr  menèbre,  e  l'amo  duro. 
Un  bihoun  à  la  man,  lou  vièsti  tra  pèr  sôu, 

Quant  de  cop,  rufe  desmamaire, 

D'entre  li  pousso  de  si  maire 
N'avié  pas  derraba,  desteta  li  vedèu  ! 

E  sus  la  maire  encourroussado 

Rout  de  barroun  uno  brassado, 

D'aqui  que  fuge  l'espoussado, 
Ourlanto,  e  revirado  entre  li  pinatèu  ! 

Quant  de  doublen  e  de  ternenco, 

Dins  li  ferrado  Camarguenco, 
N'avié  pas  debana!  N'en  gardavo,  tambèn, 

A  l'entreciho,  uno  crelasso 

Coume  lou  niéu  qu'un  tron  estrasso  ; 

E  lis  engano  e  li  tirasso 
De  soun  sang  regoulant  s'èron  tencho  pèr  tèm. 

Èro  un  bèu  jour  de  grand  ferrado. 

Pèr  veni  faire  la  virado, 
Li  Santo,  Faraman,  Aigui-Morto,  Aubaroun, 

Avien  manda  dedins  lis  erme 

Cent  cavalié  de  si  pu  ferme. 

Aqui  pamens  ounte  es  lou  terme, 
E  mounte  un  pople  foui  embarro  un  vaste  round, 


MIREILLE,  CHANT  IV.  155 

Là,  seul  avec  ses  vaches,  —  Ourrias  les  paissait 
toute  l'année.  —  Né  dans  le  troupeau,  —  élevé  avec 
les  bœufs,  —  des  bœufs  il  avait  la  structure,  —  et 
l'œil  sauvage,  et  la  noirceur,  —  et  l'air  revêche,  et 
l'âme  dure.  —  Un  rondin  à  la  main,  le  vêtement  jeté 
par  terre, 


Combi«i  de  ibis,  rude  sevreur,  —  des  mamelles 
de  leurs  mères  —  n'avait-il  pas  arraché,  sevré  les 
veaux  !  —  et  sur  la  mère  en  courroux  —  rompu  de 
gourdins  une  brassée,  —  jusqu'à  ce  qu'elle  fuie 
l'orage  de  coups,  —  hurlante,  et  retournant  la  tète 
entre  les  jeunes  pins  ' 


Combien  de  bouvillons  et  de  génisses  ",  —  dans 
les  fen^ades  "  Camarguaises,  —  n'avait-il  pas  ren- 
versés par  les  cornes  !  Aussi  en  gardait-il,  —  entre 
les  sourcils,  une  balafre  —  pareille  à  la  nuée  que  la 
foudre  déchire  ;  —  et  les  salicornes  et  les  traî- 
nasses —  de  son  sang  ruisselant  s'étaient  teintes 
jadis. 

C'était  un  beau  jour  de  grande  ferrade.  — Pour 
rassembler  (les  bœufs),  —  les  Saintes,  Faraman, 
Aigues-Mortes,  Albaron  **,  —  avaient  envoyé  dans 
les  friches  —  cent  cavahers  de  leurs  plus  fermes.  — 
Cependant  au  lieu  déterminé,  —  où  un  peuple  en  dé- 
lire enferme  un  vaste  cirque, 


150  MIRÈIO,   GANT  IV. 

Destrassouna  dins  la  sansouiro, 
Âcoussegui  de  la  fichouiro 

Que  ie  tanco  au  galop  lou  bouiènt  toucadoii, 
A  courso  folo,  tau  e  tauro 
Yenien  coume  un  brounsimen  d'auro, 
En  escrachant  sagno  e  centauro, 

Venien  de  s'acampa,  1res  cent,  au  marcadou. 

La  troupelado  banarudo 
S'aplanto,  espavourdido  e  mudo. 

Mai,  l'armo  dinsli  costo,  à  coucho  d'esperoun. 
Très  les  encaro  ie  fan  batre 
Lou  virouioun  de  l'anfitiatre, 
Coume  lou  chin  après  lou  maire, 

Coume  après  li  ratié  l'aiglo  dôu  Luberoun. 

Quau  lou  creirié?  de  sa  cavalo, 
Contro  l'usage,  Ourrias  davalo. 

(  porto  de  l'areno  amoulouna,  li  biôu 
Terriblamen  subran  s'esbrandon, 
E  dins  l'areno  lèu  s'alandon 
Cinq  bouvachoun,  que  sis  iue  brandon, 

E  que  traucon  lou  cèu  de  si  fier  cabassôu  ! 

Coume  lou  vent  Ourrias  s'abrivo, 

Coume  lou  vent  après  li  nivo, 
Li  secuto  à  la  courso,  à  la  courso  li  poun; 

Quouro  à  la  courso  li  davanço, 

Quouro  li  coto  emé  la  lanço, 

A  l'endavans  quouro  ie  danso, 
Quouro  li  remouchino  emén  dur  cop  depoung. 


MIREILLE,  CHANT   IV.  457 

Éveillés  en  sursaut  dans  la  plaine  salée,  —  pour- 
suivis du  trident  —  dont  les  perce  au  galop  le  bouil- 
lant toucheur,  —  à  course  folle,  taureaux  et  taures 
—  venaient,  comme  un  rugissement  de  vent,  —  en 
écrasant  typhas  et  centaurées,  —  venaient  de  se  ras- 
sembler trois  cents,  au  lieu  du  marquement. 


La  multitude  cornue  —  s'arrête,  effarée,  muette. 
—  Mais,  l'arme  dans  les  côtes,  à  hâte  d'éperon,  — 
trois  fois  encore  ils  lui  font  parcourir  —  le  circuit 
de  l'amphithéâtre,  —  tels  que  le  chien  après  la 
martre,  —  tels  que  l'aigle  du  Luberon  "  après  les 
crécerelles. 


Qui  le  croirait?  de  sa  cavale,  — contre  la  coutume, 
Ourrias  descend.  —  Aux  portes  de  l'arène  agglomé- 
rés, les  bœufs  —  terriblement  soudain  s'ébranlent, — 
et  dans  l'arène  promptement  s'élancent  —  cinq  bou- 
villons  dont  les  yeux  flamboient  —  et  qui  percent  le 
ciel  de  leurs  têtes  superbes  ! 


Comme  le  vent  Ourrias  se  précipite;  —  comme  le 
vent  après  les  nues,  —  il  les  poursuit  à  la  course,  à 
la  course  les  pique^  — à  la  course  tantôt  les  devance, 
— tantôt  de  sa  lance  les  heurte, — tantôt  danse  devant 
eux,  —  tantôt  les  gourmande  d'un  vigoureux  coup 
de  poing. 


U 


158  MIRÈIO,  CANT  IV. 

Ai  !  tout  lou  pople  di  man  pico  : 

Ourrias,  blanc  de  pôusso  oulimpico, 
Pèr  li  bano,  à  la  courso,  à  la  fin  n'a  près  un, 

E  tèsto  e  mourre,  e  forço  à  forço  ! 

Vôu  desclava  si  bano  torso, 

Lou  nègre  moustre,  e  se  bidorso, 
E  bramo  de  furour,  e  niflo  sang  e  fum. 

Vano  furour  !  bound  inutile  ' 

Lou  bouvatié,  d'un  cop  sutile, 
Amourro  à  soun  espalo,  en  ie  troussant  lou  côu, 

L'orro  testasso  dôu  bestiàri  ; 

E  rudamen  e  pèr  countràri 

Butant  la  bèsti,  coume  un  barri 
E  crestian  e  bestiau  barrulon  pèr  lou  sôu. 

Uno  esglaiado  cridadisso 

Estrementis  li  tamarisso  : 
Bon  ome,  Ourrias  !  bon  ome  !...  E  cinq  drôle  espalu 

Tenien  lou  brau.  De  soun  empèri 

Pèr  ie  marca  lou  batistèri, 

Ourrias  eu -même  pren  lou  fèrri,  1 

E'  mé  lou  fèrri  caud  ie  rimo  lou  malu. 

Un  vôu  de  fiho  d'Arle,  en  sello,  ^ 

Emé  lou  sen  que  ie  bacello, 
Enflourado  au  galop  de  si  cavalot  blanc, 

Vènon  i'adurre  uno  grand  bano, 

Raso  de  vin  ;  e  dins  la  piano, 

Zôumai  !  lou  fouletoun  s'esvano.... 
Un  vôu  de  cavaliè  li  seguisson,  brûlant. 


I 


MIREILLE,  CHANT   IV.  159 

Aïe!  tout  le  peuple  bat  des  mains  :  —  Ourrias, 
blanc  de  poussière  olympique,  —  par  les  cornes,  à 
la  course,  enfin  en  a  pris  un,  —  et  tête  et  mufle,  et 
force  à  force  !  —  Il  veut  dégager  ses  cornes  retrous- 
sées, —  le  noir  monstre,  et  il  tord  sa  croupe,  —  et 
mugit  de  fureur,  et  renifle  sang  et  fumée. 


Vaine  fureur  !  inutiles  bonds  !  —  Le  bouvier,  d'un 
coup  subtil,  —  appuie  à  son  épaule,  en  lui  tordant 
le  cou,  —  l'horrible  tète  de  la  brute  ;  —  et  rude- 
ment et  en  sens  contraire  —  poussant  la  bête, 
comme  un  rempart  —  chrétien  et  bête  roulent  par 
terre. 


Une  clameur  frénétique  —  fait  trembler  les  tama- 
ris :  «  Bon  homme!  Ourrias!  bon  homme!  »  Et  cinq 
gars  aux  larges  épaules  —  tenaient  le  taureau  :  de 
son  triomphe  —  pour  lui  marquer  le  baptistère,  - 
Ourrias  lui-même  prend  le  fer,  —  et  avec  le  fer 
chaud,  il  lui  brûle  la  croupe. 


Un  vol  de  filles  d'Arles,  en  selle,  —  le  sein  forte- 
ment agité,  —  empourprées  au  galop  de  leurs  haque- 
nées  blanches,  —  viennent  lui  apporter  une  grande 
corne  —  rase  de  vin  ;  et  dans  la  plaine,  —  alerte  !  le 
tourbillon  de  nouveau  s'évapore;  —  un  vol  de  cava- 
liers les  suivent,  brûlants. 


160  MIRIÈIO,  CAM  IV 

Ourrias  vèi  que  biôu  à-n-abalre.. 

E  n'en  demoro  encaro  quatre  ; 
Mai  coume  lou  daiaire  es  à  toumba  lou  fen 

Tant  mai  ardent  que  mai  n'en  rèsto^ 

I  durs  esfors  de  la  batèsto 

Sèmpre  que  mai  eu  tenié  tèsto, 
E  de  quatre  animau  despouderè  li  ren. 

Taco  de  blanc,  bano  superbo, 

Lou  querestavo  toundié  l'erbo... 
— Ourrias  !  n'i'aproun!  n'i'aproun  !  tôuti  li  vièi  vaquié 

le  cridèron.  Vano  restanco  ! 

Contre  lou  brau  di  taco  blanco, 

Lou  ficheiroun  pausa  sus  l'anco, 
Relent,  despeitrina,  déjà  se  bandissié. 

Zan  !  coume  en  plen  mourre  l'encapo, 

Lou  ficheiroun  volo  en  esclapo. 
L'atroço  pougneduro  endemounio  lou  brau  ; 

Lou  toucadou  ie  sauto  i  bano , 

Parton  ensèn,  e  de  la  piano 

Ensèn  afoudron  lis  engano. 
Sus  si  lôngui  fourquello  apiela  d'à  chivau, 

Li  vaquié  d'Arle  e  d'Aigui-Morto 

Tenien  d'à  ment  la  lucho  forte  : 
A  vincre,  tôuti  dous  furoun,  acarnassi, 

L'ome  doumtant  lou  biôu  bramaire, 

Lou. biôu  empourtant  lou  doumtaire, 

E'm'un  lengau  escumejaire 
Lipant,  tout  en  courrènt,  soun  mourre  ensaunousi. 


MIREILLE,  CHANT  IV.  161 

Ourrias  ne  \oit  que  bœufs  à  terrasser —  Qua- 
tre restaient  encore  ;  —  mais,  comme  le  faucheur, 
à  abattre  le  foin,  — est  d'autant  plus  ardent  qu'il 
en  reste  davantage,  —  aux  durs  efforts  du  combat 
—  de  plus  en  plus  il  tenait  tête,  —  et  de  quatre 
animaux  il  énerva  les  reins. 


Taches  de  blanc,  cornes  superbes,  —  le  dernier 
tondait  le  gazon.  —  «  Ourrias  !  assez  !  assez  !  »  tous 
les  vieux  vachers  —  lui  crièrent.  Vaine  écluse  !  — 
Sur  le  taureau  aux  blanches  taches,  —  le  trident 
posé  sur  la  hanche,  —  moite  de  sueur,  la  poitrine 
nue,  il  fondait  déjà. 

Zan  !  comme  il  l'atteint  en  plein  mufle,  —  le  tri- 
dent vole  en  éclats  ;  —  l'atroce  blessure  rend  le  tau- 
reau démoniaque  ;  —  d'un  bond  le  toucheur  le  saisit 
aux  cornes  ;  —  ils  partent  ensemble,  et  de  la  plaine 
—  ravagent  ensemble  les  salicornes.  —  A  cheval, 
appuyés  sur  les  longues  (hampes)  de  leurs  aiguil- 
lons, 

Les  vachers  d'Arles  et  d'Aigues-Mortes  —  contem- 
plaient la  forte  lutte  :  —  pour  la  victoire,  tous  deux 
furieux,  acharnés,  —  l'homme  domptant  le  bœuf  qui 
mugit,  —  le  bœuf  entraînant  le  dompteur,  —  et 
d'une  langue  épaisse,  écumeuse,  —  léchant  à  la 
course  son  mufle  ensanglanté. 


14 


16S  MTRÈIO,  CANT  IV 

Misericôrdi  !  lou  biôu  gagno! 
Coume  uno  \ilo  rastelagno, 
L'orne  i'a  darbouna  davans,  dôu  vanc  qu'avié... 

—  Fai  lou  mort  !  fai  lou  mort  !  —  En  terro 
Lou  biôu  'mé  si  pivèu  l'aferro, 

E,  dins  lis  èr,  sa  tèsto  fèro  ' 

A  sèt  cano  d'autour  lou  bandis  à  l'arrié  ! 

Uno  esglaiado  cridadisso 

Estrementis  li  tamarisso.... 
Alin  liuen  lou  pauras  vai  toumba  d'abouchoun, 

Amaluga.  Dempièi  pourtavo 

La  creto  que  lou  descaravo. 

Sus  la  cavalo  que  mountavo, 
Venguè  donne  vers  Mirèio,  arma  de  soun  pounchoun. 

Aquéu  matin,  la  piéuceleto 

Èro  à  la  font  touto  souleto  ; 
Avié  'stroupa  si  mancho  emè  soun  coutihoun 

E  netejavo  li  fiscello 

Em'  la  counsôudo  fretarello. 

Santo  de  Dieu  !  coume  èro  bello, 
Quand  dins  lou  sourgènt  clar  gafavon  si  petoun  ! 

Ourrias  faguè  :  Bonjour,  la  bello  ! 
Bèn  ?  refrescas  vôsti  fiscello  ? 
A-n-aquéu  sourgènt  clar,  se  vous  fasié  pas  mai, 
Abéurariéu  mabèsti  blanco. 

—  Oh  !  n'es  pas  l'aigo,  eici,  que  manco, 
Respoundeguè  :  dins  la  restanco 

Poudès  la  faire  béure,  autant  coume  vous  plai. 


MIREILLE,   CHANT  IV.  465 

Miséricorde  !  le  bœuf  l'emporte  !  —  Comme  une 
vile  râtelée  —  l'homme  a  roulé  devant  lui,  entraîné 

par  l'élan —  «  Fais  le  mort  !  fais  le  mort!  »  De 

terre  —  avec  ses  pointes  le  bœuf  l'enlève,  —  et  dans 
les  airs,  sa  tète  farouche  —  à  sept  cannes  de  haut 
le  lance  en  arrière  ! 


Une  clameur  frénétique  —  fait  trembler  les  ta- 
maris  —  Au  loin  le  malheureux  va  tomber,  la 

face  contre  terre,  —  brisé.  Il  portait  depuis  (lors)  — 
la  cicatrice  qui  le  défigurait.  —  Sur  la  cavale  qu'il 
montait,  —  il  vint  donc  chez  Mireille,  armé  de  sa 
pique. 


Cette  matinée-là,  la  jeune  vierge  —  était  seulette 
à  la  fontaine  ;  —  elle  avait  retroussé  ses  manches  et 
son  jupon,  —  et  nettoyait  les  éclisses*"  —  avec  la 
prêle  polisseuse.  —  Saintes  de  Dieu!  qu'elle  était 
belle,  —  guéant  ses  petits  pieds  dans  la  source 
claire  ! 


Ourrias  dit  :  «  Bonjour,  la  belle  !  —  Eh  bien  ! 
vous  rincez  vos  échsses  ?  —  A  cette  source  claire, 
si  vous  le  permettiez,  —  j'abreuverais  ma  bête  blan- 
che. »  —  «  Oh!  l'eau  ne  manque  pas,  ici,  —  répon- 
dit-elle :  dans  l'écluse  —  vous  pouvez  la  faire  boire, 
—  autant  qu'il  vous  plaît.  » 


1C4  MIRÈIO,  CANT  IV. 

—  Bcllo,  digue  l'onfant  sôuvage, 
Se,  pèr  mariage  o  roumavage, 

Venias  à  Séuvo  riau,  onnte  la  rnar  s'entend, 
Bello,  n'aurias  pas  tant  de  peno  ; 
Car  la  vaco  de  negro  meno, 
Libro  e  feroujo,  se  permeno, 

E  jamai  noun  se  mous,  e  li  femo  an  bèu  tèm. 

—  Jouvèiit,  mounte  li  biôu  demoron, 
De  languimen  li  cliato  moron. 

—  Bello,  de  languimen,  en  estent  dous,  n'i'a  ges  ! 

—  Jouvènt,  quau  eilalin  s'esmarro, 
Dison  que  béu  une  aigo  amaro, 

E  lou  soulèu  i'usclo  la  caro.  . 

—  Bello,  souio  li  pin  à  l'oumbro  vous  tendres. 

—  Jouvènt,  dison  qu'i  pin  i'escalo 
De  tourtouioun  de  serp  verdalo  ! 

—  Bello,  avèn  li  flamen,  avèn  li  serpatié 

Qu'en  desplegant  soun  mantèu  rose 
le  fan  la  casso,  long  dôu  Rose 

—  Jouvènt,  escoutas  (que  vous  crose), 
Soun  trop  liuen,  vôsti  pin,  de  mi  Mabreguiè. 

—  Bello,  entre  capelan  e  fiho, 
Noun  podon  saupre  la  patrio 

Ounte  anaran,  se  dis,  manja  soun  pan  un  jour. 

—  Mai  que  lou  linanje  cmê  quau  ame, 
Jouvènt,  rèn  autre  noun  reclame 

Pèr  que  de  moun  nis  me  desmame. 

—  Bello,  s'acô's  ansin,  dounas-me  voste  amour  I 


MIREILLE.  CHANT  IV.  165 

—  «  Belle,  dit  le  sauvage  enfant,  —  si  comme 
épouse  ou  pèlerine,  —  vous  veniez  à  Sylvaréal'S  où 
l'on  entend  la  mer,  —  belle,  vous  n'auriez  pas  tant 
de  peine  ;  —  car  la  vache  de  race  noire  —  se  pro- 
mène, libre  et  farouche,  —  et  jamais  on  ne  la  trait, 
et  les  femmes  ont  du  bon  temps.  » 


—  «  Jeune  homme,  au  pays  des  bœufs,  —  d'en- 
nui les  jeunes  filles  meurent.  »  —  «  Belle,  d'ennui, 
quand  on  est  deux ,  il  n'en  est  pas  !»  —  «  Jeune 
homme,  qui  s'égare  dans  ces  contrées  lointaines  — 
boit,  dit-on,  une  eau  amère,  —  et  le  soleil  lui  brûle 
le  visage. ..  »  —  «  Belle,  sous  les  pins  vous  vous  tien- 
drez à  l'ombre.  » 

—  «  Jeune  homme,  on  dit  qu'il  monte  aux  pins  — 
des  tortis  de  serpents  verdâlres  !»  —  «  Belle,  nous 
avons  les  flamants,  nous  avons  les  hérons  —  qui, 
déployant  leur  manteau  rose,  —  leur  font  la  chasse, 
le  long  du  Rhône.  »  —  «  Jeune  homme,  écoutez  (que 
je  vous  interrompe  !),  —  ils  sont  trop  loin,  vos  pins, 
de  mes  micocouliers.  » 

—  «  Belle,  prêtres  et  filles  —  ne  peuvent  savoir 
la  patrie  —  où  ils  iront,  dit  le  proverbe,  manger 
leur  pain  un  jour.  »  —  «  Pourvu  que  je  le  mange 
avec  celui  que  j'aime,  —  jeune  homme,  je  ne  ré- 
clame ,  rien  de  plus  — ■  pour  me  sevrer  de  mon  \ 
nid.  »  —  «  Belle,  s'il  en  est  ainsi,  donnez-moi  votre 
amour  !  »  < 


{66  MIRÊIO,  CANT  IV. 

—  Jouvènt,  l'aurés,  digue  Mirèio  ; 

Mai  'quèli  pianto  de  ninfèio 
Pourtaran  peravans  de  rasin  couloumbau' 

A-uperavans  vosto  fourcolo 

Jitara  flour  ;  aquéli  colo 

Coume  de  clro  vendran  molo, 
E  s'anara  pèr  ai^o  ft  h  vik)  di  Bav  > 


MIREILLE,  CHANT  IV.  161 

—  «  Jeune  homme,  vous  l'aurez,  dit  Mireille.  — 
Mais  ces  plantes  de  nymphsea  —  porteront  aupa- 
ravant des  raisins  colombins!  —  auparavant  votre 
trident  —  jettera  des  fleurs  ;  ces  collines  —  s'amol- 
ont  comme  la  cire,  —  et  l'on  ira  par  mer  à  la  ville 
'lui?  '  » 


NOTES 

DU  CHANT  QUATRIÈME 


*  Martigue  [Martegue].  (Voyez  Chant  I,  note  12.) 
Sicelande  (sicelando),  espèce  de  bateau. 

-  Paillole  (paiolo),  espèce  de  grand  filet  à  mailles  étroites. 
^  Lac  d'Entressen  {clar  d'Entressèn),  dans  la  Crau. 

*  Bessonnière  [bessouniero),  brebis  qui   met  bas  des  jumeaux. 
'  Un  portique,  avec  un  tombeau,  qui  supporte  deux  généraux  de 

pierre. 

A  une  demi-heure  de  Saint-Remy,  au  pied  même  des  Alpines, 
s'élèvent,  à  côté  l'un  de  l'autre,  deux  beaux  monuments  romains. 
L'im  est  im  arc  de  triomphe,  l'autre  un  magnifique  mausolée  con- 
struit sur  trois  étages,  orné  de  riches  bas-reliefs,  et  surmonté  d'un 
gracieux  campanile,  que  soutiennent  dix  coloimes  corinthiennes  à 
travers  lesquelles  se  montrent  debout  deux  statues.  Ce  sont  les 
derniers  vestiges  de  Glanum,  colonie  marseillaise  détruite  par  les 
barbares. 

s  Crépuscule  [ahour,  àwpt'a,  heure  indue,  nuit  profonde) . 

"^  Le  Sambuc  [lou  Sambu),  hameau  du  territoire  d'Arles,  dan* 
l'île  de  Camargue. 

*  Cabridelle  (Cabridello).  (Voyez  Chant  I,  note  44.) 

8  La  Camargue  {la  Catnargo) ,  vaste  delta  formé  par  la  bifurcation 
du  Rhône.  Cette  île,  qui  s'étend  depuis  Arles  jusqu'à  la  mer,  contient 
soixante-quatorze  mille  sept  cent  vingt-sept  hectares  de  superficie. 
L'immensité  de  ses  horizons,  le  silence  grandiose  de  ses  plaines 
unies,  son  étrange  végétation,  son  mirage,  ses  étangs,  ses  essaims 
de  moustiques,  ses  grands  troupeaux  de  bœufs  et  de  chevaux  sau- 
vages, étonnent  le  voyageur  et  font  penser  aux  pampas  de  l'Amé- 
rique du  Sud.  (Voyez  Chant  X.) 

*"  Le  Vaccarés  {lou  vacarés],  dans  l'île  de  Camargue ,  est  un 
Vaste  ensemble  de  marécages,  d'étangs  salés  et  de  lagunes.  Va-" 
carës  est  formé  du  mot  vaco  et  de  la  désinence  provençale  ares, 


NOTES  DU  CHAÎST  IV.  169 

qui  indique  la  réunion,  la  généralité.  Il  signifie  un  lieu  où  sont  de 
nombreuses  vaches.  C'est  ainsi  que  de  vigno,  vigne,  barco,  barque, 
rilfo,  rive,  on  a  fait  vtgnarés,  vignoble,  barcarés,  flotte,  ribeirés, 
nvage. 

"  Rodes  {jrodo).  La  race  sauvage  des  chevaux  camargues  est  em- 
ployée au  foulage  des  gerbes.  Ces  animaux  se  comptent  par  rode 
(roue,  cercle).  La  rode  est  composée  de  six  liens  [liame]  ;  le  lien 
est  une  paire,  la  rode  contient  par  conséquent  douze  chevaux 
**  Lien  [liame).  (Voyez  la  note  précédente.) 
"  A  la  clarté  de  notre  lampe  [à  la  clarta  de  nostro  moco).  La 
moco  est  un  tronçon  de  roseau  qu'on  suspend  dans  les  mas  aux 
solives  de  la  salle  à  manger.  Elle  porte  la  lampe  romaine  appelée 
calèu. 

**  Le  Sauvage  [lou  Sauvage),  vaste  contrée  déserte,  nommée 
aussi  petite  Camargue,  circonscrite  au  levant  par  le  petit  Rhône, 
qui  la  sépare  de  la  grande  Camargue,  au  midi  par  la  Méditerra- 
née, au  couchant  et  au  nord  par  le  Rhône  mort  et  le  canal  d'At- 
gues-Mortes.  C'est  le  principal  séjour  des  taureaux  noirs  sauvages. 

*^  Ourrias,  forme,  provençale  du  nom  propre  Elzéar. 

*^  Combien  de  bouvillons  et  de  génisses  [quant  de  doublen  e  de 
temenco).  Unbouvillon  d'un  an  s'appelle  en  provençal  un  anouble; 
de  deux  ans,  un  doublen;  de  trois  ans,  un  ternen.  Une  ternenco 
est  une  génisse  de  trois  ans. 

"  Ferrade  [ferrado) ,  opération  pastorale  qu'on  célèbre  à  Arles 
avec  beaucoup  d'appareil,  et  qui  consiste  à  réunir  tous  les  jeunes 
bœufs  dans  un  espace  déterminé,  pour  les  marquer  au  chiffre  du 
propriétaire  avec  un  fer  rouge. 

'*  Les  Saintes  [li  Santo)  (voyez  Chant  I,  note  15).  —  Faraman, 
Albaron  [Faraman ,  Aubaroun),  hameaux  de  la  Camargue.  —  Ai- 
gues-Mortes  (Gard) ,  [Aigui-Morto.)  C'est  dans  le  port  de  cette  ville 
que  saint  Louis  s'embarqua  deux  fois  pour  la  Terre  sainte.  Fran- 
çois l"'  et  Charles-Quint  y  eurent  une  entrevue  en  1539. 

*9  Luberon  [Luberoun).  (Voyez  Chant  III,  note  12.) 

*o  Èclisse,  [ftsœllo),  faisselle,  vase  de  terre  dont  le  fond  est 
percé  de  petits  trous,  destiné  à  lormer  et  à  faire  égoutter  les  fro 
mages  Fiscello,  du  latin  (Iscella,  même  signification 

**  Sylvaréal  [Séuvo-riau],  forêt  de  pins-parasols,  située  dans  la 
petite  Camargue  (Voyez  ci-dessus,  note  14.).  Un  petit  fort,  coi>- 
struit  dans  ces  parages  pour  protéger  la  navigation,  domine  cette,' 
île.  et  porte  aussi  le  nom  de  fort  de  Syh;n  énl. 

13 


CANT  CINQUEN 


LA   BATESTO 


Lou  bouvatié  s'entorno,  furious  dôu  refus  de  Mirèio.  —  Calignage 
de  Mirèio  emé  Vincèn.  —  L'erbo  di  frisoun.  —  Ourrias  rescontro 
Vincenet,  e  brutalamen  le  cerco  reno.  —  Li  prejit  :  Jan  de  l'Ourse. 
—  Mourtalo  batèsto  di  dous  rivau  dins  la  Crau  vasto.  —  Vitori  e 
generouseta  de  Vincenet.  —  Traitesso  dôu  toucadou.  —  Ourrias 
trauco  Vincèn  d'un  cop  de  ficlieiroun,  e  fugis  au  galop  de  sa  ca- 
valo.  —  Arribo  au  Rose.  —  Li  très  barquié  fantasti.  —  Lou  batèu 
s'enarco  souto  lou  pes  de  l'assassin.  —  La  niue  de  sant  Medard  : 
proucessioun  di  negadis  sus  lou  dougan  dôu  flum.  —  Ourrias 
s'aproufoundis.  —  Danso  di  Trèvo  sus  lou  pont  de  Trincataio. 


L'oumbro  dis  aubo  s'aloungavo  ; 

La  Ventoureso  boulegavo  ; 
Lou  soulèu  avié  'ncaro  un  parèu  d'ouro  d'aut  ; 

E  li  bouié  que  labouravon 

Vers  lou  soulèu  se  reviravon 

De  tèms  en  tèms,  car  desiravon 
Lou  retour  dôu  seren,  e  si  femo  au  lindau. 

Lou  toucadou  se  retournavo  : 

Dins  sa  cabesso  remenavo 
L'escorno  que  venié  de  reçaupre  à  la  font. 

Sa  tèsto  èro  destiinbourlado, 

E  de  sa  ràbi  recatado 

De  lèins  en  tèms  li  lancejado 
le  jilavon  lou  sang  e  la  vergougno  au  front. 


I 


CHANT  CINQUIÈME 

LE  COMBAT 


Le  bouvier  s'en  retourne,  funeux  du  refus  de  Mireille.  — Les  amours 
de  Vincent  et  de  Mireille.  —  La  Vahsneria  sptralis.  —  Rencontre 
d'Ourrias  et  de  Vincent.  —  Brutale  agression  du  bouvier.  —  Les 
invectives  :  Jean  de  l'Ours.  —  Combat  à  mort  des  deux  rivaux  dans 
la  Crau  déserte.  —  Victoire  et  générosité  de  Vincent.  —  Félonie  du 
toucheur.  —  Ourrias  perce  Vincent  d'un  coup  de  trident  et  fuit  au 
galop  de  sa  cavale.  —  Il  arrive  au  Rhône.  —  Les  trois  bateliers 
fantastiques.  —  La  barque  se  révolte  sous  le  poids  de  l'assassin. 
—  La  nuit  de  Saint-Médard  ;  procession  des  noyés  sur  la  rive  du 
fleuve.  —  Ourrias  est  englouti.  —  Danse  des  Trêves  sur  le  pont  de 
Trinquetaille. 


L'ombre  des  peupliers  blancs  s'allongeait  ;  —  la 
brise  du  Ventour  remuait  ;  —  le  soleil  avait  encore 
une  couple  d'heures  de  haut  ;  —  et  les  laboureurs 
—  se  retournaient  vers  le  soleil  —  de  temps  en 
temps,  car  ils  désiraient  —  le  retour  du  serein  et  (la 
vue  de)  leurs  femmes  sur  le  seuil. 


Le  toucheur  s'en  allait  :  —  il  roulait  dans  son 
esprit  —  l'affront  qu'il  venait  de  recevoir  à  la  fon- 
taine. —  Sa  tête  était  bouleversée,  —  et  de  temps  à 
autre,  les  élancements  —  de  sa  rage  concentrée  — 
lui  jetaient  au  front  le  sang  et  la  honte. 


172  MTRÈIO,  GANT    V. 

E  tout  en  lampant  dins  li  terro, 
Remiéutejavo  sa  coulèro  ;     • 

E  de  l'aspre  despié  que  ie  gounflo  soun  lèu, 
I  code  que  la  Crau  n'es  pleno 
Coume  un  bouissoun  de  sis  agreno, 
Pèr  se  batre  aurié  cerca  reno  ! 

Aurié  de  soun  pounchoun  fichouira  lou  soulèu  !. 

Un  porc-singlié  que  de  sa  tousco 

An  fa  parti,  e  que  tabousco 
Sus  li  moure  désert  de  l'Oulimpe  negras, 

Avans  de  courre  sus  li  chino 

Que  lou  secuton,  revechino 

Lou  rufe  peu  de  soun  esquino, 
En  amoulant  si  pivo  i  pèje  di  blacas. 

A  l'endavans  dôu  gardo-vaco 

Que  lou  mourbin  pounchouno  e  maco, 
Dins  lou  même  draiôu  lou  bèu  Vincèn  venié 

E  dins  soun  amo  risouleto, 

Revassejavo  i  parauleto 

Que  l'amourouso  piéuceleto 
1  avié  dicho  un  matin  dessouto  l'amourié. 

Dre  coume  un  canié  de  Durènço, 

Eu  caminavo  ;  e  de  plasènço, 
Ë  de  pas,  e  d'amour  clarejavon  sis  èr; 

L'aureto  molo  s'engourgavo 

Dins  sa  camiso  que  badavo  ; 

Dins  li  coudelet  caminavo, 
Descaus,  e  lôugeret,  e  gai  coume  un  lesert. 


i 


I 


MIREILLE,  CHANT   V.  17S 

Et,  tout  galopant  dans  les  terres,  —  il  grommelait 
son  courroux  ;  —  et  de  l'àpre  dépit  qui  gonfle  son 
poumon,  —  aux  cailloux  dont  la  Crau  est  pleine  — 
comme  un  buisson  l'est  de  prunelles,  —  pour  se 
battre,  il  eût  cherché  noise  ;  —  il  eût  de  son  trident 
percé  le  soleil!... 


Un  sanglier  qu'on  a  relancé  dans  ses  broussailles, 
et  qui  court  —  sur  les  mamelons  déserts  du  sombre 
Olympe  *,  —  avant  de  fondre  sur  les  chiennes  — 
qui  le  pourchassent,  hérisse  —  le  rude  poil  de  son 
dos,  —  en  aiguisant  ses  défenses  aux  troncs  des 
chênes.  !  ': 

:)  w 

A  la  rencontre  du  vacher  —  que  le  ressentiment 
aiguillonne  et  meurtrit,  —  dans  le  même  sentier  ve- 
nait le  beau  Vincent  ;  —  et,  dans  son  âme  souriante, 
^  il  rêvait  des  douces  paroles  —  que  l'amou- 
reuse vierge,  —  un  matin,  sous  le  mûrier,  lui  avait 
dites. 


Droit  comme  une  cannaie  de  Durance,  —  il  che- 
minait; et  de  bonheur,  —  et  de  paix,  et  d'amour 
rayonnaient  ses  traits  ;  —  la  brise  molle  s'engouf- 
frait —  dans  sa  chemise  béante;  —  il  cheminait 
dans  les  galets,  —  pieds  nus,  léger,  et  gai  comme 
un  lézard. 


15 


174  MIRÈIO,  GANT  V. 

Souvènti-fes,  à  l'ouro  fresco 

Ounte  la  terro  s'enmouresco, 
Alor  que  dins  li  prat  li  fueio  de  tréulôun 

Se  replegon  afrejoulido, 

Is  alentour  de  la  bastido 

Ounte  restavo  la  poulido, 
Venié,  tout  treboula,  faire  lou  parpaioun. 

E  d'escoundoun,  emé'n  fin  gàubi, 
Dôu  lucre  d'or  o  dôu  reinàubi, 

Imitavo  de  liuen  lou  canta  dindoulet  : 
La  jouveineto  afeciounado 
Qu'a  lèu  coumprés  quau  l'a  sounado, 
Venié  lèu  à  la  bouissounado, 

Cauta-cauto,  e  lou  cor  douçamen  tremoulet. 

E  lou  clar  de  luno  que  dono 
Sus  li  boutoun  de  courbo-dono  ; 

E  l'aureto  d'estiéu  que  frusto,  à  jour  fali, 
L'auto  barbeno  dis  espigo, 
Quand,  s3uto  la  molo  coutigo, 
En  milo  e  milo  rigo-migo 

Se  fringouion  d'amour  coume  un  sen  trefouli  ; 

E  la  joio  desmcmouriado  . 

Qu'a  lou  chamous,  quand  à  si  piado 

Tout  un  jour  a  senti,  dins  li  ro  dôu  Queiras, 
Li  cassairè  que  lou  fan  courre, 
E  qu'à  la  longo  sus  un  moure 
Escalabrous  coume  uno  tourre, 

Se  vèi  soûl,  dins  li  mêle,  au  mitan  di  counglas 


MIREILLE,  CHANT  V.  175 

Maintes  fois,  à  l'heure  fraîche  —  où  la  terre  se 
voile  d'ombre,  —  alors  que  dans  les  prés  les  feuil- 
les de  trèfle  —  se  replient,  frileuses,  —  aux  alen- 
tours de  la  bastide  —  où  restait  la  belle,  —  il  venait, 
tout  troublé,  faire  le  papillon 


Et  en  cachette,  habilement,  —  du  lucre  d'or  ou  du 
motteux  —  il  imitait  de  loin  le  chant  grêle  :  —  la 
jeune  fille  ardente,  —  qui  a  vite  compris  qui  l'appelle, 
—  venait  vite  à  la  haie  d'aubépine,  —  furtivement, 
et  le  cœur  doucement  agité. 


Et  le  clair  de  lune  qui  donne  —  sur  les  boutons  de 
narcisse  ;  —  et  la  brise  d'été  qui  frôle,  au  jour  tom- 
bant, —  les  hautes  barbes  des  épis,  —  quand,  sous 
le  mol  chatouillement,  —  en  mille  et  mille  ondula- 
tions —  ils  se  trémoussent  d'amour,  comme  un  sein 
qui  tressaille  ; 


Et  la  joie  éperdue  —  qu'éprouve  le  chamois,  lors- 
qu'à ses  traces  —  il  a  senti  tout  un  jour,  dans  les 
rocs  du  Queyras  *,  —  les  chasseurs  qui  le  poursui- 
vent, —  et  qu'enfin,  si;r  un  pic  —  escarpé  comme 
une  tour,  —  il  se  voit  seul,  dans  les  mélèzes,  au  mi- 
lieu des  glaciers  ; 


176  MIRETO,   GANT  V. 

N'es  qu'uno  eigagno,  en  coumparanço 

Di  moumenet  de  benuranço 
Que  passavon  alor  e  Mirèio  Vincèn... 

Mai  parlen  plan,  o  mi  bouqucto, 

Que  li  bouissoun  an  d'auriheto  ! 

Esc<;undu  dins  l'oumbro  caieto, 
Si  man  d'à  pau  à  pau  se  mesclavon  ensèn. 

Pièi  se  teisavon  de  long  rode, 

E  si  pèd  turtavon  li  code  ; 
E  tantost,  noun  sachent  que  se  dire  autramen, 

Lou  calignaire  nouvelàri 

Countavo  en  risènt  lis  auvàri 

Que  i'arribavon  d'ourdinàri  : 
E  li  niue  que  dourmié  souto  lou  fiermamen, 

E  di  chin  de  mas  li  dentado 

Contre  sa  cueisso  enca  crelado. 
E  Mirèio,  tantost,  de  la  vueio  e  dôu  jour 

le  racountavo  sis  oubreto, 

E  li  prepaus  de  sa  maireto 

Emé  soun  paire,  e  la  cabreto 
Qu'avié  desverdega  touto  uno  ti^ibo  en  flour. 

Un  cop  Vincèn  fugue  plus  mèstre  : 

Sus  l'erbo  rufo  dôu  campèstre 
Coucha,  coume  un  cat-fèr,  venguè  de  rebaloun 

Toucant  h  pèd  de  la  jouineto... 

Mai  parlen  plan,  o  mi  bouqueto, 

Que  li  bouissoun  an  d'auriheto  ! 
—  Mirèio  !  acordo-me  que  te  fague  un  poutoun  ! 


MIREILLE,  CHANT  V  177 

Ce  n'est  qu'une  rosée,  au  prix  —  des  courts  mo- 
ments de  félicité  —  que  passaient  alors  et  Mireille  et 
Vincent...  —  Mais  parlons  bas,  mes  lèvres,  —  car 
les  buissons  ont  des  oreilles  !  —  Cachés  dans  l'ombre 
pie,  —  leurs  mains,  petit  à  petit ,  se  mêlaient  en- 
semble. 


Ensuite,  ils  se  taisaient  de  longs  intervalles,  —  et 
leurs  pieds  heurtaient  les  cailloux  ;  —  et  tantôt,  ne 
sachant  se  dire  autre  chose,  —  l'amant  novice  — 
contait  en  riant  les  mésaventures  —  qui  lui  arri- 
vaient d'ordinaire  :  —  et  les  nuits  qu'il  dormait  sous 
le  firmament, 


Et  les  dentées  des  chiens  de  ferme  —  dont  sa 
cuisse  portait  encore  les  cicatrices. — Tantôt  Mireille, 
de  la  veille  et  du  jour,  —  lui  racontait  ses  petits  tra- 
vaux, —  et  les  propos  de  sa  mère  —  avec  son  père, 
et  la  chèvre  —  qui  avait  ravagé  toute  une  treille  en 
fleur. 


Une  fois  Vincent  ne  fut  plus  maître  :  —  sur  l'herbe 
rude  de  la  lande  —  couché,  tel  qu'un  chat  sauvage, 
il  vint  en  rampant  —  jusqu'aux  pieds  de  la  jouven- 
celle... —  Mais  parlons  bas,  mes  lèvres,  —  car  les 
buissons  ont  des  oreilles  !..  —  «  Mireille  1  accorde- 
moi  de  te  faire  un  baiser  • 


178  MIRËIO,    CAÎIT  V 

Mirèio,  dis,  manje  ni  beve, 

De  l'amour  que  de  tu  receve  ! 
Mirèio  !  voudriéu  estrema  dins  moun  sang 

Toun  alen  que  lou  vent  me  raubo  ! 

A  tout  lou  mens,  de  l'aubo  à  l'aube, 

Rèn  que  sus  l'orle  de  ta  raubo 
Laisso-me  que  me  viéute  en  la  poutounejant  ! 

—  Vincèn  !  acô's  un  pecat  nègre  ! 
E  li  bouscarlo  emé  li  piegre 

Van  pièi  di  calignaire  esbrudi  lou  secret. 

—  Agues  pas  pôu  que  se  n'en  parle, 
Que  iéu  deman,  ve,  desbouscarle 
Touto  la  Crau  enjusqu'en  Arle  ' 

Mirèio  !  vese  en  tu  lou  paradis  escrèt  ' 

Mirèio,  escouto  :  dins  lou  Rose, 
Disié  lou  fièu  de  Mèste  Ambrose, 

l'a'no  erbo,  que  nouman  l'er&eîo  di  fnsoun; 
A  dos  floureto,  separado 
Bènsus  dos  planto,  e  retirado 
Au  founs  dis  oundo  enfresqueirado. 

Mai  quand  vèn  de  l'amour  pèr  éli  la  sesoun, 

Uno  di  flour,  touto  souleto, 

Mounto  sus  l'aigo  risouleto, 
E  laisse,  au  bon  soulèu,  espandi  seun  beuteun , 

Mai,  de  la  vèire  tant  poulide, 

l'a  l'autre  flour  qu'èi  trefoulido, 

E  la  vesès,  d'amour  emplido. 
Que  nade  tant  que  pôu  pèr  ie  faire  un  peuloun. 


MIREILLE,  CHANT  V.  179 

•r  Mireille  !  dit-il,  je  ne  mange  ni  ne  bois,  —  telle- 
ment tu  me  donnes  d'amour  !  —  Mireille  !  je  voudrais 
enfermer  dans  mon  sang  —  ton  haleine  que  le  vent 
me  dérobe  !  —  A  tout  le  moins,  de  l'aurore  à  l'au- 
rore, —  seulement  sur  l'ourlet  de  ta  robe  —  laisse 
que  je  me  roule  en  la  couvrant  de  baisers  I  » 

—  «  Vincent  !  c'est  là  un  péché  noir  !  —  et  les 
fauvettes  et  les  pendulines  —  vont  ensuite  ébruiter  le 
secret  des  amants.  »  —  «  N'aie  pas  peur  qu'on  en 
parle, — car  moi  demain,  vois-tu,  je  dépeuple  de  fau- 
vettes —  la  Crau  entière  jusqu'en  Arles  !  —  Mireille  ' 
je  vois  en  toi  le  paradis  pur  ! 


«  Mireille,  écoute  :  dans  le  Rhône,  —  disait  le  fils 
de  maître  Ambroise,  —  est  une  herbe  que  nous  nom- 
mons Y  herbette  aux  boucles^  ;  —  elle  a  deux  fleurs, 
bien  séparées  —  sur  deux  plantes,  et  retirées  —  au 
fond  des  fraîches  ondes.  —  Mais  quand  vient  pour 
elles  la  saison  de  l'amour, 


«  L'une  des  fleurs,  toute  seule,  —  monte  sur  l'eau 
rieuse,  —  et  laisse  au  bon  soleil,  épanouir  son  bou- 
lon ;  —  mais,  la  voyant  si  belle,  —  l'autre  fleur  tres- 
saille, —  et  la  voilà,  pleine  d'amour,  —  qui  nage 
tant  qu'elle  peut  pour  lui  faire  un  baiser. 


180  MIREIO,  GANT  V. 

E,  tant  que  pôii,  se  desfrisouno 

De  l'embuscun  que  l'empresouno, 
D'aqui,  pauretô!  que  roumpe  soun  pecoulet; 

E  libro  enfin,  mai  mourtinello, 

De  si  bouqueto  palinello 

Frusto  sa  sorre  blanquinello... 
Un  poutoun,  pièi  ma  mort,  Mirèio  ! . . .  e  sian  soulet , 

Elo  èro  palo  ;  eu  pèr  délice 

La  miravo...  Dins  soun  broulice, 
Coume  un  cat-fèr  s'enarco,  alor,  e  vitamen 

De  soun  anqueto  enredounido 

La  chatouneto  espavourdido 

Vôu  escarta  la  man  ardido 
Que  déjà  l'encenturo  ;  eu  tournamai  la  pren.... 

Mai  parlen  plan,  o  mi  bouqueto, 

Que  li  bouissoun  an  d'auriheto  ! 
—  Fenisse  !  elo  gémis,  e  lucho  en  se  toursènt  ; 

Mai  d'uno  caudo  caranchouno 

Déjà  lou  drôle  l'empresouno, 

Gauto  sus  gauto...  La  chatouno 
Lou  pessugo,  se  courbo,  e  s'escapo  en  risènt. 

E'  m*  acô  pièi  la  belugueto 

De  liuen  en  se  trufant  :  Lingueto  ! 
Lingueto  !  le  cantavo....  Es  ansin,  éli  dous, 

Que  semenavon  à  la  bruno 

Soun  blad,  soun  poulit  blad  de  luno, 

Mauiio  flourido,  ur  de  fourluno 
Qu'i  pacan  coume  i  rèi  Diùu  li  mando  aboundous. 


J 


MIREILLE.   CHANT  V.  181 

«  Et,  tant  qu'elle  peut,  elle  déroule  ses  boucles 
—  (hors)  de  l'algue  qui  remprisonne,  —  jusqu'à 
tant,  pauvrette  !  qu'elle  rompe  son  pédoncule  ;  —  et 
libre  enfin,  mais  mourante,  —  de  ses  lèvres  pâlies  — 
elle  effleure  sa  blanche  sœur...  —  Un  baiser,  puis 
ma  mort,  Mireille!...  et  nous  sommes  seuls!  » 

Elle  était  pâle;  lui,  avec  délices,  — l'admirait... 
Dans  son  trouble,  —  tel  qu'un  chat  sauvage  il  se 
dresse  alors,  et  promptement  —  de  sa  hanche  ar- 
rondie —  la  fillette  effarouchée  —  veut  écarter  la 
main  hardie  —  qui  déjà  lui  ceint  la  taille  ;  il  la  saisit 
de  nouvea\i... 


Mais  parlons  bas,  ô  mes  lèvres,  —  car  les  buissons 
ont  des  oreilles!...  —  «  Laisse-moi!  ))  gémit-elle,  et 
elle  lutte  en  se  tordant.  —  Mais  d'une  chaude  ca- 
resse —  déjà  le  jeune  homme  l'étreint,  —  joue 
contre  joue  ;  la  fillette  —  le  pince,  se  courbe,  et  s'é- 
chappe en  riant. 


Et  puis  après,  vive  —  et  moqueuse,  elle  lui  chan- 
tait de  loin  :  Lingueto  !  lingueto^  !  —  Ainsi  eux  deux 
—  semaient  au  crépuscule  —  leur  blé,  leur  joli  blé 
de  lune  ",  —  manne  fleurie,  heur  fortuné  —  qu'aux 
manants  comme  aux  rois  Dieu  envoie  en  abondance. 


182  MIREIO,  CANT  V. 

Un  vèspre  dounc,  en  la  Crau  vasto, 

Lou  bèu  trenaire  de  baiiasto 
A  l'endavans  dOurrias  venié  dins  lou  draiôu. 

Lou  tron  d'uno  chavano  acipo 

Lou  proumier  aubre  que  lou  pipo, 

E,  l'iro  bourroulant  si  tripo, 
Veici  coume  parle  lou  doumtaire  de  biôu  : 

—  Es  belèu  tu,  fiéu  de  baudrèio, 
Que  l'as  enclauso,  la  Mirèio  ? 

En  tout  cas,  o  'speia,  d'abord  que  vas  d'alin, 

Digo-ie'n  pau  que  m'enchau  d'elo  ' 

E  de  soun  mourre  de  moustelo, 
Pas  mai  que  dôu  vièi  tros  de  telo 

Que  te  cuerbe  la  peu  I...  l'auses,  bèu  margoulin? 

Vincenet  ressautè  ;  soun  amo 
Se  revihè  coume  la  flamo  ; 
Soun  cor  ie  boumbiguè  coume  un  fio  grè  que  part 

—  Panto  !  vos  dounc  que  te  coustible, 
E  que  moun  arpo  en  dous  te  gible? 

le  fai  en  l'alucant,  terrible 
Coume  quand,  afama,  se  reviro  un  léupard. 

E  de  soun  iro  li  trambleto 

Fasien  ferni  si  carviôuleto. 
—  Sus  la  gravo,  dis  l'autre,  anaras  mourreja! 

Car,  as  li  man  trop  mistoulino, 

E  noun  sies  bon,  raubo-galino, 

(jue  pèr  gibla'n  brout  d'amarino, 
Pèr  camina  dins  l'oumbro,  e  pèr  gourrineja  ! 


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MIIIEILLE,  CHANT  V.  185 

Un  soir  donc,  dans  la  vaste  Crau,  —  le  beau  tres- 
seur  de  bannes,  —  à  la  rencontre  d'Ourrias,  venait 
dans  le  sentier.  —  La  foudre  d'un  orage  frappe  — le 
premier  arbre  qui  l'attire,  —  et,  les  entrailles  boule- 
versées par  la  colère,  —  voici  comme  parla  le  domp- 
teur de  bœufs  : 


«'C'est  toi  peut-être,  fils  de  prostituée,  —  qui  l'as 
ensorcelée,  la  Mireille  ?  —  En  tout  cas,  6  déguenillé, 
puisque  tu  vas  devers  là-bas,  —  dis-lui  donc  que  je 
ne  me  soucie  d'elle  —  et  de  son  museau  de  belette  — 
pas  plus  que  du  vieux  lambeau  de  toile  —  qui  te 
couvre  la  peau!...  entends-tu,  beau  marjolet?  » 


Vincent  tressaillit  ;  son  âme  —  se  réveilla  comme 
la  flamme  ;  ~  son  cœur  bondit  comme  un  feu  gré- 
geois qui  s'élance  :  —  «  Rustre,  veux-tu  donc  que  je 
t'éreinte,  —  et  que  ma  griffe  en  deux  te  ploie  ?»  — 
lui  dit -il  avec  un  regard  terrible  —  comme  (celui  d') 
un  léopard  qui,  affamé,  retourne  (la  tète). 


Et  de  sa  colère  le  tremblement  —  faisait  frémir 
ses  cbairs  violettes.  —  «  Sur  le  gravier,  repartit  l'au- 
tre, tu  iras  rouler  par  tête  !  —  car  tes  mains  sont 
trop  débiles,  —  et  tu  n'es  bon,  vil  maraudeur,  —  que 
pour  ployer  un  brin  d'osier,  —  pour  cheminer  dans 
l'ombre,  et  pour  vagabonder!  » 


184  MIP.EIO,   CANT  V. 

—  0,  coume  torse  l'ainarino, 
Respond  Vincèn  qu'eiçô  'nverino, 

Vaii  torse toim  galet!...  Ve  !  ve  !  fuge,  se  pos, 

Fuge,  capoun,  qu'ai  la  maliço! 

Fuge,  0,  Sant  Jaque  de  Galiço  ! 

Reveiras  plus  ti  tamarissn, 
Car  vai,  'questpoung  de  ferre,  embreniga  tis  os! 

Mereviha  de  trouva  'n  oiile 
Sus  quau  enfin  sa  ràbi  gome  : 

—  Un  moumen  !  ie  respond  lou  vaquié  regagnous, 
Un  moumenet,  moun  jouine  tôchi, 
Qu'abren  la  pipo  ! . . .  E  de  sa  pôchi 
Tiro  un  boursoun  de  peu  de  bôchi, 

E'n  nègre  cachimbau  qu'embouco  ;  e  desdegnous  ; 

—  Quand  te  bressavo  au  pèd  d'un  ourse, 
T'a  jamai  counta  Jan  de  l'Ourse, 

Ta  bôumiano  de  maire?  à  Vincèn  digue  'nsin. 
Fa  Jan  de  l'Ourse,  l'orne  double, 
Que,  quand  soun  mèstre,  emé  dous  couble, 
Lou  mandé  fouire  si  restouble, 

Arrapè,  coume  un  pastre  arrapo  un  barbesin, 

Li  bèsti  tôutis  atalado, 
E  su'no  pibo  encimelado 
Li  bandiguè  pèr  l'èr,  emé  l'araire  après  ! 
E  tu,  marrias,  bonur  t'arribo 
Qu'apereici  l'a  ges  de  pibo!... 

—  Levariés  pa'n  ai  d'uno  ribo, 

Grand  porc!  n'as  que  de  lengo!  E  Vincèn,  à  Farrèst, 


MIREILLE,   CHANT   V.  183 

—  (f  Oui,  comme  je  tords  l'osier, — répond  Vincent 
que  ces  (mots)  exaspèrent,  —  je  vais  tordre  ta 
gorge  !...  Vois  !  vois!  fuis,  si  tu  peux,  —  fuis,  lâche, 
ma  colère  !  —  fuis,  ou  par  Saint  Jacques  de  Galice  ! 
tu  ne  reverras  plus  tes  tamaris,  —  car  il  va,  ce  poing 
de  fer,  broyer  tes  os  !  » 


Émerveillé  de  trouver  un  homme  —  sur  qui  enfin 
sa  rage  se  dégorge  :  —  «  Un  moment  !  lui  réplique  le 
vacher  hargneux,  —  un  petit  moment,  mon  jeune 
fou,  —  que  nous  allumions  la  pipe!  »  Et  de  sa 
poche  —  il  tire  un  bourson  en  peau  de  bouc  —  et 
un  noir  calumet,  qu'il  embouche  ;  et  dédaigneux 


—  «  Lorsquelle  te  berçait  au  pied  d'une  ansérine" 
—  ne  t'a-t-elle  jamais  raconté  Jean  de  l'Ours',  —  ta 
mère  bohémienne?  dit-il  à  Vincent.  —  Jean  de 
l'Ours,  l'homme  double,  —  quand  son  maître,  avec 
deux  paires  (de  bœufs),  —  l'envoya  labourer  ses 
chaumes,  —  saisit,  comme  un  pâtre  saisit  un  hippo- 
bosque, 

^  «  Les  bètos  toutes  attelées,  —  et  sur  un  peuplier  à 
haute  cime  —  il  les  lança  dans  les  airs,  la  charrue 
avec.  —  Et  pour  toi,  chétif,  c'est  fort  heureux  — que 
par  ici  ne  soit  point  de  peupher  !  »  —  «  Tu  n'ôterais 
pas  un  âne  de  la  lisière  (d'un  champ),  —  grand 
porc!  tu  n'as  que  de  la  langue!  »  —  Et  Vincent,  à 
l'arrêt, 

16. 


186  MIRÈIO,  GANT  V. 

Coutne  un  lebrié  tanco  un  besliàri , 

Tança vo  aqui  soun  aversàri. 
—  Que,  digo  !  ie  cridavo  à  s'esgargamela, 

Long  galagu,  que  t'estrampales 

Sus  ta  ganchelio,  bèn  ?  davales 

0  te  davale?...  Cales  ?  cales, 
A.ro  qu'anan  sache  quau  tetè  de  bon  la  ? 

Es  tu,  gusas,  que  portes  barbo  ? 

Te  caucarai  coume  uno  garbo  ! 
Es  tu  qu'as  mespresa  la  vierge  d'aquéu  mas, 

Mirèio,  la  flour  dôu  terraire? 

0,  iéu,  lou  marrit  panieraire, 

léu,  Vincenet,  soun  calignaire, 
Vau  lava  ti  mesprés  dins  toun  sang,  se  n  en  as  ! 

Mai  lou  vaquié  bramo  :  Arri  !  àrri  ! 

Bôumian,  calignaire  d'armàri  ! 
Espèro,  espèro-ine  î . . . .  Sus-lou-cop  sauto  au  sôu; 

Apereila  li  vèslo  volon  ; 

Picon  di  man,  lis  èr  tremolon  ; 

Souto  éli  li  caiau  regolon  ; 
lin  sus  l'autre  à  la  fes  parlon  coume  dous  biôu. 

Ansin  dous  brau,  quand  sus  lis  erme 

Lou  souleias  dardaio  ferme, 
An  vist  lou  peu  courons  e  li  large  main 

D'uno  vaco  jouino  e  moureto 

Bramant  d'amour  dins  li  sarreto... 

E  sus-lou-cop  lou  tron  li  peto, 
E  d'amour  sus-lou-cop  vènon  foui  e  calu. 


MIREILLE,   CHANT  V.  187 

Comme  un  lévrier  tient  une  bête  fauve,  —  tenait 
là  son  adversaire.  —  «  Dis  donc  !  lui  criait-il  à  se 
briser  la  gorge,  —  long  goinfre,  qui  t'écarquilles  or- 
gueilleusement —  sur  ta  haridelbe,  descends-tu,  — 
ou  je  te  descends?...  Tu  mollis?  tu  mollis,  — 
maintenant  que  nous  allons  savoir  qui  teta  de  bon 
lait? 

«  C'est  toi,  scélérat,  qui  portes  barbe?  —  Je  te 
foulerai  comme  une  gerbe!  —  C'est  toi  qui  as  mé- 
prisé la  vierge  de  ce  mas,  —  Mireille,  la  Heur  du  ter- 
roir? —  Oui,  moi-même,  le  méchant  vannier,  — 
moi,  Vincent,  son  poursuivant,  —  je  vais  laver  tes 
mépris  dans  ton  sang,  si  tu  en  as  !  » 


Mais  le  vacher  hurle  :  «  Hue  !  hue  !  —  Bohémien, 
poursuivant  de  cuisine!  — Attends,  attends-moi!  » 
Sur-le-champ  il  saute  à  terre...  —  Au  loin  les  vestes 
volent  ;  —  ils  frappeni  des  mains,  les  airs  tremblent  ; 
—  sous  eux  les  cailloux  roulent  ;  —  l'un  sur  l'autre 
ils  fondent  à  la  fois  comme  deux  taureaux. 


Ainsi  deux  taureaux,  quand  sur  les  savanes  —  le 
grand  soleil  d  irde  avec  force,  —  ont  vu  le  poil  lui- 
sant et  la  large  croupe  —  d'une  brune  et  jeune  vache 
—  beuglant  d'amour  au  milieu  des  typhas...  — 
et  sur-le-champ  la  foudre  éclate  en  eux ,  —  et 
d'amour  sur-le-champ  ils  deviennent  fous  et  aveu- 
gles. 


188  MIRÈIO,  GANT  V. 

PX'i  arpali'jon,  pièi  s'alucon, 

Prenon  lou  vanc,  e  zôu  !  s'ensucon. 
E  prenon  mai  lou  vanc,  e  de  moiiire-bourdoun 

Fan  restounti  li  cop  de  tèsto. 

Longo  e  marrido  es  la  balèsto,. 

Car  es  l'Amour  que  lis  entèsto, 
Es  l'Amour  pouderous  que  li  bute  e  li  poun. 

Ansin  éli  dous  tabassavon, 
Ansin,  furoun,  s'escabassavon. 

Ourrias  a  recassa  lou  proumié  lavo-dènt; 
Mai  coume  l'autre  lou  menaço 
D'un  nouvèu  cop,  sa  grand  manasso 
S'aubouro  en  l'èr  coume  uno  masso, 

E  d'un  large  gantas  amassolo  Yincèn. 

—  Tè  !  tè  !  frestèu,  paro  aquéu  lèpi! 

—  Tasto,  moun  ome,  s'ai  lou  grèpi  ! 

Se  cridon  l'un  à  l'autre.  —  Ardi  !  comto,  bastard, 
Li  blaveirôu  mounte  s'enfounso 
La  rintraduro  de  mis  ounso  ! 

—  E  tu,  moustras,  comto  lis  ounço, 
Lis  ounço  de  sang  viéu  qu'espiron  de  ta  car  ' 

Alor  s'arrapon,  se  pôutiron, 

S'agroumoulisson  e  s'esliron, 
Espalo  contro  espalo,  em'  artèu  contro  artèu; 

Li  bras  se  trosson,  se  fringouion 

Coume  de  serp  que  s'entourtouion  ; 

Souto  la  peu  li  veno  bouion. 
Lis  esfors  fan  tibia  li  tento  di  boutèu,  f 


MIREILLE,  CHANT  V.  18:» 

Puis  ils  trépignent,  puis  se  regardent,  —  prennent 
élan,  et  s'entre-choquent.  — Et  de  nouveau  prennent 
élan,  et  abaissant  leurs  mufles,  —  font  retentir  les 
coups  de  tète.  —  Long  et  cruel  est  le  combat,  — 
car  c'est  l'Amour  qui  les  enivre,  —  c'est  l'Amour 
puissant  qui  les  pousse  et  les  aiguillonne. 


Ainsi  frappaient  les  deux  (champions),  —  ainsi, 
furieux,  ils  se  gourmaient  la  tête.  —  Ourrias  a  reçu 
le  premier  horion  ;  —  mais  comme  l'autre  le  menace 
—  d'un  nouveau  coup,  sa  main  énorme  —  se  lève 
dans  l'air  comme  une  massue,  —  et  d'un  large  souf- 
flet il  assomme  Vincent. 


—  «  Tiens  !  tiens  !  chétif,  pare  cette  gourmade!  » 

—  «  Tâte,  mon  brave,  si  j'ai  l'onglée  !  »  —  se  crient- 
ils  l'un  à  l'autre.  —  «  Courage  !  compte,  bâtard,  — 
les  meurtrissures  où  s'enfoncent  —  mes  phalanges 
pointues  !»  —  «  Et  toi,  monstre  hideux,  compte  les 
onces,  —  les  onces  de  sang  vif  qui  jaiUissent  de  ta 
chair!  » 

Alors  ils  se  saisissent,  se  houspillent,  —  s'accrou- 
pissent et  s'allongent,  —  épaule  contre  épaule  et  or- 
teil contre  orteil  ;  —  les  bras  se  tordent,  se  frottent 

—  comme  des  serpents  qui  s'entortillent  ;  —  sous  la 
peau  les  veines  bouillent,  —  les  efforts  tendent  les 
muscles  des  mollets. 


190  ÏIIRÈIO,  GANT  V. 

Lontèms,  inmoubile,  s'estellon, 

Emé  H  flanc  que  ie  bacellon, 
C.oume  quand  bat  de  l'alo  un  pâlot  eslardouii  : 

Imbrandable,  la  lengo  muto, 

Un  coulant  l'autre  dins  sa  buto, 

Coume  li  pielo  grando  e  bruto 
Dôu  pont  espetaclous  qu'encambo  lou  Gardoun. 

E  tout-d'un-cop  se  desseparon, 
E  tournamai  li  poung  se  barron, 

Lou  trissoun  tournamai  engruno  lou  mourtié  : 
Dins  la  furourque  li  counjounglo, 
le  van  di  dent,  ie  van  dis  ounglo... 
Dieu  !  qirénti  cop  Vincèn  i'ajounglo! 

Dieu  !  quénti  bacijlas  mando  lou  bouvatié  ! 

Âbasinianto  èron  li  mougno 
Qu'aquest  largavo  à  plen  de  pougno  ; 

Mai  lou  Valabregan,  rapide  e  picadis 
Coume  uno  grelo  que  desboundo, 
A  soun  entour  boundo  e  reboimdo, 
Revoulunous  coume  uuo  froundo. 

—  Veici,  dis,  lou  turlau,  gourrin,  que  t'ospôulis! 

Mai  coume  tors  l'esquino  à  rèire, 
Pèr  miéu  pica  soun  empegnéire, 

Lou  gaiard  toucadou  subran  l'arrapo  i  flanc; 
A  la  maniero  prouvençalo 
Te  lou  bandis  darrié  l'espalo, 
Coume  lou  blad  dessus  la  palo, 

E  val  pica  de  costo  apereila  au  mitan  ! 


MIREILLE,  GUANT  V.  191 

Longtemps  iis  se  roidissent,  immobiles  ;  —  les 
flancs  leur  battent,  —  comme  quand  bat  de  l'aile  «n 
outardeau  pesant;  — inébranlables,  la  langue  muette, 
—  l'un  l'autre  s'accolant  dans  leur  poussée  ,  — 
comme  les  piles  grandes  et  brutes  —  du  pont  prodi- 
gieux qui  enjambe  le  Gardon  * 


Et  tout  d'un  coup  ils  se  séparent,  —  et  derechef 
les  poings  se  ferment,  —  derechef  le  pilon  égruge  le 
mortier  :  —  dans  la  fureur  qui  les  étreint  ensemble, 
—  ils  y  vont  des  dents,  ils  y  vont  des  ongles...  — 
Dieu  !  quels  coups  Vincent  lui  assène!  — Dieu!  quels 
soufflets  énormes  lance  le  bouvier! 


Accablantes  étaient  les  bourrades  —  que  celui-ci 
déchargeait  à  plein  poing  ;  —  mais  (l'enfant)  de  Vala- 
brégue,  frappant  avec  la  rapidité  —  d'une  grêle  sou- 
daine et  drue,  —  autour  de  lui  bondit  et  rebondit, 
—  tel  qu'une  fronde  tourbillonnante.  —  «  Voici, 
dit-il,  le  heurt,  rufflen,  qui  te  broie  !  » 


Mais  comme  il  tord  le  dos  en  arrière,  —  pour 
mieux  frapper  son  agresseur,  —  le  vigoureux  bou- 
vier soudain  l'empoigne  par  les  flancs  ;  —  à  la  ma- 
nière provençale  —  le  lance  derrière  l'épaule,  — 
comme  le  blé  avec  la  pelle  ;  —  et  au  loin  il  va  frapper 
des  côtes  au  milieu  (de  la  plaine). 


192  MTRÈIO,  GANT  V. 

—  Acampo  !  acampo  l'eiminado 
Qu'emé  toun  mourre  as  darbounado, 

K  s'ames  lou  pôutras,  vermenoun,  manjo  g  béu  ! 

—  Proun  de  di  !  bèsti  malestrucho, 
l'a  que  li  très  cop  que  fan  lucbo  ! 
Respond  lou  drôle,  en  quau  s'enclucho 

L'amar  vérin.  Lou  sang  ie  mounto  au  bout  di  peu. 

Se  relèvo,  lou  panieraire, 

Couine  un  coulobre  ;  e,  fier  luchaire, 
A  l'agrat  de  péri  vo  de  venja  soun  nouin, 

Part  sus  lou  Camarguen  sôuvage, 

E  d'uno  forço  e  d'un  courage 

Merevihous  pèr  aquel  âge, 
l'alongo  dins  lou  pitre  un  mourtau  cop  de  poung. 

Lou  Camarguen  trantraio,  tasto 

Pèr  coûta  soun  esquino  vasto  ; 
Mai  à  sis  iue  neblous  ie  sèmblo  quatecant 

Qu'à  soun  entour  tout  fai  que  courre  ; 

La  tressusour  ie  mounto  au  mourre, 

E  pataflôu  !  coume  uno  tourre 
Touinbo  lou  grand  Ourrias,  au  mitan  dôu  trescamp  ! . 

La  Crau  ère  tranquilo  e  mudo. 

Aperalin  soun  estendudo 
Se  perdié  dins  la  mar,  e  la  mar  dins  l'èrblu  : 

Li  ciéune,  li  fôuco  lusénlo, 

Li  becaru,  qu'an  d'alo  ardénlo, 

Venien  de  la  clarta  mourènto 
Saluda,  long  di  clar,  li  bèu  darrié  belu. 


MIP.EILLE,  CHANT  V.  193 

—  «  Ramasse  !  ramasse  l'arpent  de  terre  —  que 
ton  museau  a  labouré,  —  et  si  tu  aimes  la  poussière, 
vermisseau,  mange  elbois!  »  —  «  Assez  de  mots! 
bête  ignorante,  —  les  trois  coups  seuls  achèvent  une 
lutte  !  »  —  répond  le  gars  en  qui  s'accumule  —  la 
haine  amère.  Le  sang  lui  monte  au  faîte  des  che- 
veux. 

Il  se  relève,  le  vannier,  —  comme  un  dragon,  et 
fier  lutteur,  —  au  risque  de  périr  ou  de  venger  son 
nom,  —  il  fond  sur  le  sauvage  Camarguais,  —  et 
d'une  force  et  d'un  courage  —  merveilleux  pour  sa 
jeunesse,  —  lui  allonge  dans  la  poitrine  un  mortel 
coup  de  poing. 


Le  Camarguais  chancelle,  il  tâte  —  pour  étayer 
son  vaste  dos  ;  — mais  à  ses  yeux  nébuleux  il  semble 
aussitôt  —  qu'autour  de  lui  tout  tourbillonne  ;  — 
une  sueur  glacée  lui  monte  à  la  face  ;  —  et  à  grand 
bruit,  tel  qu'une  tour,  —  tombe  le  grand  Ourrias,  au 
milieu  de  la  lande!... 


La  Orau  était  tranquille  et  muette.  —  Au  lointain 
son  étendue  —  se  perdait  dans  la  mer,  et  la  mer 
dans  l'air  bleu  :  —  les  cygnes,  les  macreuses  lus- 
trées, —  les  flamants  aux  ailes  de  feu—  venaient,  de 
la  clarté  mourante,  —  saluer,  le  long  des  étangs,  les 
dernières  lueurs. 


17 


194  MIRÈIO,  GANT  V. 

Dôu  vaquié  la  cavalo  blanco 

Toundié  dis  agarrus  li  branco  ; 
E  vueje,  lis  cstriéu,  li  grands  estiiéu  ferra, 

Balin-balôu  contro  soun  ventre... 

—  Breguigno  mai  !  se  noun  l'esvèiitre  ! 

Lis  orne,  aro,  bregand,  pos  sèntre 
S'a  la  cano  vo  au  pan  se  dèvon  mesura  ! 

Dins  lou  silènci  dôu  campèstre, 

Lou  panieraire,  d'un  pèd  mèstre, 
Esquichavo  lou  pie  d'Ourrias  amaluga. 

Souto  la  cambo  que  lou  sarro, 

Lou  toucadou  luchavo  encaro, 

E  pèr  li  brego  e  pèr  li  narro 
Racavo  à  gros  mouchoun  un  sang  encre  e  maca. 

Très  cop  vouguè  jita  de  caire 

Lou  pèd  ouuglu  dôu  panieraire  ; 
Très  cop  d'un  lai  de  man  lou  fiéu  de  M  este  Ambroi 

L'esterniguè  mai  sus  la  gravo  , 

E  lou  vaquié  qu'escumejavo, 

Emé  d'iue  torge,  retoumbavo 
En  boufant  e  badant  coume  un  orre  baudroi. 

—  Lis  ome,  donne,  o  barataire, 

Lis  a  pas  lôuti  fa,  ta  maire  ! 
Yincenetie  cridavo.  1  biôu  de  Séuvo-Riau 

Vai,  vai  counta  quonto  es  ma  pougno  ! 

Vai-t'en  escoundre  ti  boudougno, 

Toun  arrouganço  o  la  vergougno 
Au  founs  de  ta  Camargo,  au  mitan  de  ti  brau  ! 


MIREILLE,  CHANT  V.  195 

La  cavale  blanche  du  vacher  —  tondait  les  bran- 
ches des  chênes-kermès;  —  et  vides,  les  élriers,  les 
grands  étriers  de  fer  —  sonnaient  et  se  oscillaient 
contre  son  ventre.  —  «  Remue  encore  et  je  te  crève  ! 
—  Maintenant,  brigand,  tu  peux  sentir  —  si  à  la 
canne  ou  à  Vempan  doivent  se  mesurer  les  hom- 
mes! » 


Dans  le  silence  de  la  lande,  —  le  vannier,  d'un 
pied  victorieux,  —  pressait  la  poitrine  d'Ourrias 
èreinté.  —  Sous  la  jambe  qui  le  serre,  —  le  toucheui- 
luttait  encore,  —  et  par  les  lèvres  et  par  les  na- 
rines —  vomissait  à  grands  flots  un  sang  noir  et 
meurtri. 


Trois  fois  il  voulut  secouer  —  le  pied  ongle  de 
l'enfant  aux  corbeilles;  —  trois  fois,  d'un  tranchant 
de  main,  le  fils  de  Maître  Ambroise  —  le  terrassa  sur 
le  gravier  ;  —  et  le  vacher  ècumant,  —  les  yeux  ha- 
gards, retombait — en  soufflant,  et  (la  bouche)  béante 
comme  une  horrible  baudroie  '. 


—  «  Les  hommes  donc,  forban,  —  ta  mère  ne  les 
fil  pas  tous  !  —  lui  criait  Vincent.  Aux  bœufs  de 
Sylvarèal  —  va,  va  dire  quel  est  mon  poignet!  —  Va 
cacher  les  tumeurs,  —  ton  insolence  et  ta  honte  — 
au  fond  de  ta  Camargue,  parmi  tes  taureaux  !  » 


196  MIREIO,  CANT  Y. 

Acô  di,  lacliè  la  bestiasso. 

Tau  un  toundèire,  dins  la  jasso, 
Retèn  entre  si  cambo  un  grand  aret  banard  ; 

Mai  tant  lèu  i'a  toumba  soun  àbi, 

Sus  lou  malu  ie  mando  un  bàbi, 

E  lou  bandis.  Gounfle  de  ràbi, 
Ansin,  e  tout  pôussous,  lou  vaquié  sauto  e  part. 

Une  pensado  maladito 

A  travès  champ  lou  precepito  ; 

jitavo  d'escumenje;  ourlant  e  fernissènt, 
Dins  lis  avaus,  dins  li  genèsto 
Que  cerco  donne?...  Ai  !  ai  !  s'arrèsto. . 
Ai  !  ai  !  ai  !  brando  sus  la  tèsto 

Soun  ficheiroun  terrible,  e  lampo  sus  Vincèn. 

Quand  se  veguè  souto  la  lanço, 

Sènso  revenje  ni  'speranço, 
Yincenet  paliguè  coume  au  jour  de  sa  mort  : 

Noun  que  la  mort  ie  fugue  duro, 

Mai  ce  qu'aclapo  sa  naturo, 

Es  de  se  vèire  la  caturo 
D'un  feloun  que  l'engano  avié  fa  lou  plus  fort. 

—  Traite!  ausariés?  faguè  que  dire. 

E,  voulountous  coume  un  martire, 
S'aplanto...  Âlin,  alin,  dins  lis  aubre  escoundu, 

l'aviéloumas  de  sa  mestresso. 

Se  ie  viré  'mé  grand  tendresso, 

Coume  pèr  dire  à  la  pastresso  : 
Mirèio,  espincho-me,  que  vau  mouri  pèr  tu  ! 


MIREILLE,  CHANT  V.  197 

Cela  dit,  il  lâcha  la  bête  féroce.  —  Tel  un  tondeur, 
dans  le  bercail,  —  retient  entre  ses  jambes  un  grand 
bélier  cornu  ;  —  mais  à  peine  de  sa  robe  l'a-t-il  dé- 
pouillé, —  sur  la  croupe  il  lui  donne  une  tape  — 
et  le  délivre.  Ainsi,  gonflé  de  rage  —  et  tout  pou- 
dreux, le  vacher  bondit  et  part. 


Une  pensée  maudite  —  le  précipite  à  travers 
champs  ;  —  il  jetait  des  imprécations  ;  hurlant  et 
frémissant,  —  dans  les  chênes-kermès,  dans  les  ge- 
nêts —  que  cherche-t-il ?...  Aïe  !  aïe!  il  s'arrête... — 
Aïe  !  aïe  !  aïe  !  sur  la  tête  il  brandit  —  son  trident 
terrible,  et  fond  sur  Vincent. 


Lorsqu'il  se  vit  sous  la  lance,  —  sans  revanche  ni 
espoir,  —  Vincent  pâlit  comme  au  jour  de  sa  mort  : 
—  non  que  mourir  lui  soit  dur;  —  mais  ce  qui 
accable  sa  nature,  —  c'est  de  se  voir  la  proie  —  d'un 
félon  que  la  ruse  avait  fait  le  plus  fort. 


—  «  Traître,  oserais-tu?  »  dit-il  à  peine.  —  Et  ré- 
solu comme  un  martyr,  —  il  s'arrête...  Au  loin,  au 
loin,  caché  dans  les  arbres,  était  le  mas  de  son 
amante.  —  Il  se  tourna  vers  lui  avec  grande  ten- 
dresse, —  comme  pour  dire  à  la  pastourelle  :  — 
Regarde-moi,  Mireille,  pour  toi  je  vais  mourir! 


il. 


198  MIREIO,  CANT  V. 

0  bèu  Vincèii  !  d'aquelo  qu'omo 

Enca  panlaiavo  soun  amo... 
■ — Fai  ta  preièro  !  Ourrîas  ie  venguè  coume  un  tron, 

D'uno  voues  despietouso  e  rauco. 

E  de  soun  terre  aqui  lou  trauco. 

Em'un  fort  gème,  sus  la  bauco 
Lou  paure  verganié  barrulo  de  soun  long. 

E  l'erbo  plego,  ensaunousido  ; 

E  de  si  cambo  enterrousido 
Li  fournigo  de  champ  fan  déjà  soun  camin. 

Mai  lou  toucadou  galoupavo, 

—  Au  clar  de  luno,  sus  la  gravo, 

Tout  en  fugènt  eu  prejitavo, 
Aniue  li  loup  de  Crau  van  rire,  à  tau  festin!... 

La  Crau  èro  tranquilo  e  mudo. 

Aperalin  soun  estendudo 
Se  perdié  dins  la  mar,  e  la  nriar  dins  l'èr  blu  ; 

Li  ciéune,  li  fôuco  lusènto, 

Li  becaru,  qu'an  d'alo  ardènlo, 

Venien  de  la  clarta  rnourènto 
Saluda,  long  di  clar,  li  bèu  darrié  belu. 

Egalopo,  vaquié,  galopo, 

Que  galouparas  ! . . .  —  IIopo  !  hopo! 
le  venien  coume  acô  lis  esclapairo  verd 

A  sa  cavalo  que  chauriho 

Dis  iue,  di  narro  e  dis  auriho. 

Souto  la  luno  déjà  briho 
Lou  Rose,  enlredourmi  dins  soun  lie  descuberl, 


MIREILLE,  CHANT  V.  199 

Oh  !  beau  Vincent  !  de  celle  qu'il  aime  —  rêvait  en- 
core son  âme...  —  «  Fais  ta  prière  !  »  Ourrias  tonna 
soudain  —  d'une  voix  impitoyable  et  rauque.  —  Et 
il  le  perce  de  son  fer.  —  Avec  un  fort  gémissement, 
sur  l'herbe  —  l'inforluné  vamiier  roule  de  son 
long:. 


Et  l'herbe  ploie,  ensanglantée  ;  —  et  de  ses  jambes 
terreuses  —  les  fourmis  des  champs  font  déjà  leur 
chemin,  —  Mais  le  toucheur  galopait.  —  «  Sur  les 
galets,  au  clair  de  lune,  —  tout  en  fuyant  gromme- 
lait-il, —  ce  soir,  les  loups  de  Crau  vont  rire,  à  pa- 
reil festin!...  » 


La  Crau  était  tranquille  et  muette.  —  Au  lointain 
son  étendue  —  se  perdait  dans  la  mer,  et  la  mer 
dans  l'air  bleu;  —  les  cygnes,  les  luisantes  ma- 
creuses, —  les  flamants  aux  ailes  de  feu,  — venaient, 
de  la  clarté  mourante,  —  saluer,  le  long  des  étangs, 
les  dernières  lueurs. 


El  galope,  vacher,  galope,  —  galope  sans  relâche! 
—  «  Hop!  liop!  »  —  criaient  les  crabiers  verts  '"  — 
à  sa  cavale  qui  chauvit  —  des  yeux,  des  naseaux  el 
des  oreilles.  —  Sous  la  lune  déjà  brille  —  le  Rhône, 
sommeillant  dans  son  lit  découvert, 


200  MIRÈIO,   CANT  V. 

Coume  un  roumiéu  de  Santo-Baumo 

Que,  nus,  de  lassige  e  de  caumo 
S'estalouiro  e  s'endor  au  founs  d'un  vabre.  —  Hou  ! 

L'ausès?...  hou  de  la  ratamalo  ! 

Hôu  !  hôu!...  En  cuberto  von  calo, 

Me  passarias  'mé  ma  cavalo? 
De  liuen  lou  capounas  crido  à  très  barqueirôu. 

—  Vène  lèu,  vène,  bono  voio  ! 
Respoundeguè  'no  voues  galoio, 

Que,  pèr  vèire  mounta  de  la  niue  lou  calèu, 

Entre  li  remo  e  la  partego 

Lou  pèis  entrefouli  vanego... 

La  pesco  prèsso,  acô  boulego, 
Mounome!  l'ouro  es  bono...  Abordo,  abordo  lèu. 

En  poupo  lou  fena  s'assèto. 

La  cavalo,  darrié  la  bèto, 
Nadavo,  la  caussano  estacado  à  l'eslrop. 

E  li  grand  pèis,  vesti  d'escaumo, 

Abandounant  si  fôunsi  baumo, 

Dôu  Rose  mouvien  la  calaumo, 
E  lusènt,  boumbissien  à  l'entour  de  la  pro. 

—  Mèstre  pilot,  dono-te  gardo  ! 
La  nau,  sèmblo  que  vèn  panarde! 

E  lou  qu'avié  parla,  pèd  sus  banc,  sus  lou  rèm 
Tourna  se  pleguè  coume  un  vise. 

—  l'a'n  moumenet  que  me  n'avise... 
Pourtan  un  marritpes,  vous  dise, 

Bespoundè  lou  pilot;  e  pièi  digue  plusrèn. 


MIREILLE,  CHANT  V.  '201 

Comme  un  pèlerin  de  la  Sainte-Baume  *',  —  qui, 
nu,  de  lassitude  et  de  chaleur  —  sétend  et  s'endort 
au  iond  d'un  ravin.  —  «  Ho  !  —  l entendez-vous?... 
ho  !  de  la  barque  !  —  ho  !  ho  !.. .  en  pont  ou  en  cale, 
—  me  passeriez-vous,  moi  et  ma  jument?  »  —  de 
loin  le  lâche  crie  à  trois  bateliers. 


«  Viens  vite,  viens,  bon  garnement!  »  répondit 
une  voix  goguenarde,  —  afin  de  voir  monter  la 
lampe  de  la  nuit,  —  entre  les  avirons  et  la  gaffe  — 
le  poisson  frétillant  circule...  —  La  pêche  presse, 
(le  poisson)  remue ,  —  mon  brave  !  L'heure  est 
bonne...  Aborde,  aborde  vite.  » 


Sur  la  poupe  le  scélérat  "  s'assied.  —  La  cavale, 
derrière  le  bateau,  —  nageait,  le  licou  attaché  à  l'es- 
trope.  —  Et  les  grands  poissons,  vêtus  d'écaillés,  — 
abandonnant  leurs  grottes  profondes,  —  du  Rhône 
mouvaient  le  calme,  —  et  luisants,  bondissaient  au- 
tour de  la  proue. 

—  «  Maître  pilote,  prends  garde!  —  la  nef  devient 
boiteuse ,  ce  me  semble!  »  —  Et  l'interlocuteur, 
pieds  sur  banc  ",  sur  l'aviron  —  de  nouveau  se  ploya 
comme  un  sarment  de  vigne.  —  «  Voilà  un  instant 
que  je  m'en  ajperçois...  —  Nous  portons  un  poids 
mauvais,  vous  dis-je,  »  — répondit  le  pilote  ;  et  après 
il  se  tut. 


Î02  MinflIO,  GANT  T. 

La  ralamalo  trantraiavo 

D'un  biais,  de  l'autre,  gansouiavo 
D'un  balans  esfraious  coume  un  orne  embria. 

La  ratamalo  èro  marrido, 

Avié  li  post  mita  pourrido. . . 

—  Tron  de  Dieu  !  lou  toucadou  crido... 
E  s'arrapo  à  l'empento,  e  s'aubouro  esfraia. 

Mai,  souto  uno  envesiblo  forço, 

La  nau  sèmprc  que  mai  bidorso, 
Coume  uno  serp  en  quau  un  pastre  om'un  clapas 

A  coupa  lis  esquino.  —  Sôci, 

Perqué  fasès  aquéu  trigôssi  ? 

Voulès  dounc  que  me  nègue?  i  fnôssi 
Venguè  lou  toucadou,  pale  coume  un  gipas. 

—  Pode  plus  mestreja  la  barco  ! 
Respoundè  lou  pilot.  S'enarco 

Souto  iéu,  e  boumbis  coume  uno  escarpo  fai  : 
As  tua  quaucun,  misérable! 

—  Iéu?...  Quau  te  l'a  di?...  Quo  lou  diable, 
S'acô's  verai,  'mé  soun  rediable 

Me  pôutire  subran  au  founs  di  garagai  ! 

—  Ah  !  countuniè  lou  pilot  blave, 
Es  iéu  que  me  troumpe  !  ôublidavo 

Qu'es  aniue  Sant  Medard.  Tout  paure  negadis, 
Di  toumple  afrous,  di  revôu  sourne, 
Pèr  founs  que  l'aigo  l'encafourne, 
Sus  terro  aniue  fau  que  retourne.... 

La  longo  prouoessioun  adeja  s'espandis. 


MIREILLE,  CHANT  V.   .  203 

La  vieille  barque  chancelait,  —  de  ci,  de  là,  va- 
cillait —  d'un  branle  effrayant  comme  un  homme 
ivre. —  La  vieille  barque  était  mauvaise,  —  demi- 
pourries  étaient  les  planches.  —  «  Tonnerre  de 
Dieu  !  »  crie  le  toucheur. . .  -—  Et  il  se  cramponne  au 
gouvernail,  et  il  se  lève  effra  jé. 


Mais,  sous  une  invisible  fi,rce,  —  la  nef  de  plus  en 
plus  se  tord,  —  comm#  un  serpent  auquel  un  pâtre, 
avec  un  bloc  de  pierre,  —  a  rompu  l'échiné.  — 
«  Compagnons,  —  pourquoi  ces  secousses?  —  Vous 
voulez  donc  que  je  m.e  noie  ?  »  Ainsi  apostropha  les 
mousses  —  le  toucheur,  pâle  comme  un  plâtras. 


—  «  Je  ne  puis  plus  maîtriser  la  barque  !  —  répon- 
dit le  pilote.  Elle  se  cabre  —  sous  moi  et  bondit 
comme  fait  une  carpe  :  —  tu  as  tué  quelqu'un,  mi- 
sérable! »  —  «  Moi?...  Qui  le  l'a  dit?...  Que  Satan, 
—  si  cela  est  vrai,  avec  son  fourgon  —  me  tire  sur- 
le-champ  au  fond  des  abîmes  !  » 


—  «  Ah  !  poursuivit  le  pilote  Hvide,  —  c'est  moi 
qui  me  trompe  :  j'oubliais  —  que  c'est  la  nuit  de 
Saint  Médard.  Tout  malheureux  noyé,  —  des  gouffres 
affreux,  des  tourbillons  sombres,  —  dans  quelques 
profondeurs  que  l'eau  l'ensevelisse,  —  sur  terre, 
cette  nuit,  doit  revenir...  —La  longue  procession 
déjà  se  développe, 


204  MIRÈIO,  GANT  V. 

Velèi  !...  pàuris  amo  plourouso! 

Velèi  !  sus  la  ribo  peirouso 
Mounton  à  pèd  descaus  :  de  si  vièsti  lima, 

De  soun  peu  amechouli,  coulo 

A  gros  degoul  l'aigo  treboulo. 

Dins  l'oumbro,  souto  li  piboulo, 
Caminon  à  renguiero,  em'un  cire  aluma. 

Coume  regardon  lis  estello  ! 

Dôu  sablas  que  lis  empeslello 
En  derrabant  si  cambo  arrampido,  pecai  ! 

Emé  si  bras  blu,  'mé  sa  tèsto 

Mounte  la  nito  encaro  rèsto, 

Es  éli,  coume  uno  tempèsto, 
Que  tuerton  lou  batèu  d'aquéu  rude  trantrai. 

Toujour  quaucun  de  mai  arribo, 

Emounto,  afeciouna,  la  ribo. 
Coume  bevon  l'èr  linde,  e  la  visto  di  Crau, 

E  la  sentour  que  vèn  di  fôure  ! 

E  coume  Irovon  dous  lou  môure, 

En  regardant  si  vièsti  plôure  ! . . . 
Toujour  quaucun  de  mai  mounto  dôu cadarau !... 

l'a  de  vièi,  de  jouine,  de  femo^ 

Disié  lou  nièslre  de  la  remo.. . 
Coume  espôusson  la  fango  e  l'burrour  dôu  pesquiè  ! 

De  formo  descarnado  e  berco  ; 

De  pescadou  qu'èron  en  cerco 

D'aganta  lou  lampre  e  la  perco, 
E  qu'i  perco  em'i  lampre  an  servi  de  pasquiê. 


MIREILLE,  CHANT  V.  205 

«  Les  voilà  ! . . .  pauvres  âmes  éplorées  !  —  Les 
voilà  !  sur  la  rive  pierreuse  —  ils  montent,  pieds 
nus  :  de  leurs  vêtements  limoneux,  —  de  leur  che- 
velure feutrée  coule,  —  à  grosses  gouttes  l'eau 
trouble.  —  Dans  l'ombre,  sous  les  peupliers,  —  ils 
cheminent  par  files,  un  cierge  allumé  (à  la  main) . 


«  Comme  ils  regardent  les  étoiles  !  —  Du  monceau 
de  sable  qui  les  emprisonne  —  en  arrachant  leurs 
jambes  contractées,  hélas  I  —  avec  leurs  bras  bleuis, 
avec  leurs  têtes  —  où  la  vase  reste  encore,  —  ce 
sont  eux  qui,  tels  qu'une  tempête,  —  heurtent  le  ba- 
teau de  cette  rude  oscillation. 


«  Toujours  quelqu'un  de  plus  arrive,  —  et  gravit 
avec  ardeur  la  berge.  —  Comme  ils  boivent  l'air 
limpide,  et  la  vue  des  Craux,  —  et  la  senteur  qui 
vient  des  récoltes  !  —  et  combien  ils  trouvent  doux 
le  mouvement,  —  en  regardant  leurs  vêtements 
pleuvoir!...  — Toujours  quelqu'un  de  plus  monte 
de  la  voirie!... 

«  Il  y  a  des  vieillards,  des  jeunes  gens,  des  fem» 
mes,  —  disait  le  maître  de  l'aviron...  -  (Comme  ils 
secouent  la  fange  et  l'horreur  du  vivier!)  —  des 
formes  décharnées  et  édentées  ;  —  des  pêcheurs  qui 
cherchaient  —  à  prendre  la  lamproie  et  la  perche, 
—  et  qui  aux  perches  et  aux  lamproies  ont  servi  de 
pâturage. 

18 


206  MIREIO,   CANT   T. 

Ve  !  regarde  aquéu  vôu  qu'esquibo^ 

Descounsoula,  susli  graviho... 
Es,  li  bèlli  chatouno,  es  li  folo  d'amour, 

Que,  de  se  vèire  separado 

De  Tome  ama,  desesperado, 

An  demanda  la  retirado 
Au  Rose,  pèr  nega  soun  inmènso  douleur  ! 

Velèi  ! ...  0  pàuri  pichounello  ! 
Dins  la  sournuro  clarinello, 

Boulegon,  si  sen  nus,  em'un  tau  rangoulun, 
Souto  l'augo  que  li  mnscaro, 
Que,  de  soun  peu  neblant  sa  caro 
A  long  trachèu,  iéu  doute  encaro 

S' es  d'aigo  que  regoulo,  o  s'es  l'amar  plourun. 

Lou  pilot  quinquè  plus.  Lis  amo 
A  la  man  tenien  uno  flamo, 
E  seguien  à  la  mudo,  e  plan,  lou  ribeirés. 
Aurias  ausi  voula'no  mousco... 

—  Mèslre  pilot  !  mai,  dins  la  fousco, 
Vous  sèmblo  pas  que  soun  en  bousco? 

le  fai  lou  Camarguen,  d'orre  e  d'espaime  pre.« 

—  0,  soun  en  bousco...  Ve,  pecaire  ! 
Coume  testejon  de  tout  caire  ! 

Cercon  li  bonis  obro  e  lis  ate  de  fe 
Que  sus  ia  lerro  samencron, 
Espés  0  clar,  quand  le  passèron. 
Ire qu'apercevon  ce  qu'espèron, 

Coume  au  très  margaioun  vesèn  courre  l'avé, 


MIREILLE,   CHANT  Y.  207 

«  Vois  !  contemple  cet  essaim  qui  glisse,  —  in- 
consolable, sur  la  grève...  —  Ce  sont  les  belles 
jeunes  filles,  les  folles  d'amour,  —  qui,  se  voyant 
séparées  —  de  l'homme  aimé,  de  désespoir —  oi^; 
demandé  l'hospitalité  —  au  Rhône,  pour  noyer  leu' 
immense  douleur. 


«Vois-les!...  ô  pauvres  jouvencelles!  —  Dans 
l'obscurité  diaphane,  —  palpitent  leurs  seins  nus, 
avec  un  tel  râle,  sous  l'algue  qui  les  souille,  —  que, 
de  leur  chevelure  qui  voile  leur  visage  —  à  longs 
flots,  je  doute  encore  —  si  c'est  l'eau  qui  ruisselle, 
ou  les  larmes  amères.  r> 


Le  pilote  ne  parla  plus.  Les  âmes  —  tenaient  une 
flamme  à  la  main,  —  et  suivaient,  silencieuses  et 
lentes,  le  rivage.  —  Vous  eussiez  entendu  le  vol 
d'une  mouche...  —  «  Maître  pilote  !  mais,  dans  l'obs- 
curité, —  ne  vous  semblent-ils  pas  en  recherche  ?  » 

—  lui  dit  le  Camarguais,  pris  d'horreur  et  d'épou- 
vante. 

— «  Oui,  ils  sont  en  rechercha. . .  Vois  !  infortunés  l 

—  comme  ils  tournent  la  tête  de  toute  part!  —  Ils 
cherchent  les  bonnes  œuvres  et  les  actes  de  foi  — 
qu'ils  semèrent,  — nombreux  ou  rares,  à  leur  pas- 
sage sur  la  terre.  —  Dès  qu'ils  aperçoivent  l'objet 
de  leur  espoir,  —  de  même  qu'à  la  fraîche  ivraie 
nous  voyons  les  brebis  courir. 


•-'08  MIRÈin,   GANT  V. 

Se  precepiton  ;  e,  culido, 

Entre  si  man  l'obro  poulido 
Vèn  uno  flour;  e  quand,  pèr  un  bouquet  n'an  proun. 

A  Dieu,  alègre,  lou  fan  vèire, 

E  vers  li  porto  de  Sant  Pèire 

La  flour  emporto  lou  cuièire. 
Dins  l'engrau  de  la  mort  toumba  de  reviroun, 

I  negadis  ansin  Dieu  même 

Dono  un  relais  pèr  se  redeme. 
Mai  souto  lou  glavas  dôu  fluve  segrenous, 

Avans  que  l'aubeto  s'enaure, 

Ve-n-en  que  tournaran  s'enclaure  : 

Negaire  de  Djéu,  manjo-paure, 
Tuaire  d'orne,  traite,  escabot  vermenous 

Cerconuno  obro  que  li  sauve, 

E  noun  poussigon  dins  lis  auve 
Que  pecatas  e  crime,  en  formo  de  caiau 

Monnte  soun  artèu  nus  s'embrounco. 

Fin  de  miôu,  fm  de  cop  de  rounco  ! 

Mai  éli,  dins  l'erso  que  rounco. 
Sens  fm  barbelaran  lou  perdoun  celestiau  !  ! 

Coume  un  bregand  à-n-un  recouide, 

Ourrias  aqui  l'arrapo  au  couide  : 
—  L'aigo  dins  lou  batèu  !!  —  l'a  l'agoutat,  respond, 

Tranquile,  lou  pilot.  En  aio, 

Ourrias  agoto,  e  zôu  !  travaio 

Coume  un  perdu  ! . . .  De  Trincataio 
Li  Trèvo  aquelo  niue  dansavon  sus  lou  pont. 


MIREILLE,  CHANT  V.  209 

«  Ils  se  précipitent  ;  et,  cueillie,  —  entre  leurs 
mains  la  belle  œuvre  —  devient  fleur  ;  et  quand  pour 
un  bouquet  (la  moisson)  est  suffisante,  —  à  Dieu  ils 
le  montrent  avec  joie,  —  et  vers  les  portes  de  Saint 
Pierre  —  la  fleur  emporte  celui  qui  l'a  cueillie.  — 
Dans  la  gueule  immense  de  la  mort  tombés,  la  tête 
retournée, 

«  Ainsi  aux  noyés  Dieu  lui-même  —  donne  un  sur- 
sis pour  se  racheter.  —  Mais  sous  la  masse  liquide 
du  fleuve  sombre,  —  avant  que  l'aube  se  lève,  — 
en  voilà  qui  retourneront  s'ensevelir  :  —  renieurs  de 
Dieu,  mangeurs  de  pauvres,  —  tueurs  d'hommes, 
traîtres,  troupeau  rongé  de  vers. 

«  Ils  cherchent  une  œuvre  de  salut,  —  et  ils  ne 
foulent  dans  les  graviers  du  fleuve  —  que  grands  pé- 
chés et  crimes,  sous  forme  de  cailloux  —  où  bronche 
leur  orteil  nu.  —  Fin  de  mulet,  fin  de  coups  de 
trique  !  —  Mais  eux,  dans  la  vague  qui  rugit,  —  sans 
fin  convoiteront  le  pardon  céleste  !!  » 


Tel  qu'un  brigand  au  tournant  d'un  chemin,  — 
Ourrias  à  ce  moment  le  saisit  au  coude  :  —  «  L'eau 
dans  le  bateau!!  »  —  i  l)  a  l'écope,  »  répond,  — 
tranquille,  le  pilote.  Avec  ardeur  —  Ourrias  vide  la 
barque,  et,  courage  !  il  travaille  —  comme  un 
perdu  !...  Sur  le  pont  de  Trinquetaille**  —  les  Trê- 
ves'*, cette  nuit-là,  dansaient. 

18. 


810  MIRÈIO,   CANT  V. 

E  zôu  !  agoto,  Ourrias,  agoto, 
Qu'agoutaras  !...  La  cavaloto, 

Pèr  se  descabestra,  folo  !  — Blanco,  de-qu'as? 
As  pôu  di  mort  ?  ie  dis  soun  mèstre 
Qu'a  li  peu  dre  de  l'escaufèstre. 
E,  sournaru,  loii  toumple  aiguèstre 

De  long  dôu  breganèu,  afloco,  ras  à  ras. 

—  Sabe  pas  nada,  capitàni  !... 
La  sauvarés  la  barco  ?  —  Nàni  ! 

Encaro  un  vira-d'iue,  la  barco  toumbo  à  foun. 
Mai,  de  la  dougo,  ounle  varaio 
La  proucessioun  que  tant  t'esfraio, 
Li  mort  nous  van  manda'no  traio. 

E  coume  a  di,  la  barco  au  Rose  se  prefound. 

E,  dins  la  liuencho  escuresino, 

E  di  viholo  fouscarino 
Qu'i  man  di  negadis  tremolon,  un  long  rai 

D'uno  ribo  àl'aulro  lampejo. 

E  coume,  au  soulèu  que  pounchejo, 

Coume  uno  aragno  que  fîelejo 
Se  laisso  resquiha  de-long  dôu fiéu  que  liai, 

Li  pescadou  (qu'èron  de  Trèvo  !) 
Au  rai  claret  que  fai  co-lèvo 

Seguindon,  e  lèu-lèu  s'esquihon  tout-de-long. 
D'entre  1  aigo  que  l'enmourraio, 
Ourrias  peréu  mando  à  la  traio 
Si  man  crispado  ! . . .  A  Trincataio , 

Li  Trèvo,  aquelo  niue,  Uansèron  sus  lou  pont  ! 


MIREILLE,    CHANT   V.  ÎH 

El  courage  !  vide,  Ourrias,  vide,  —  vide  tou- 
jours!... —  La  cavale —  veut  rompre  son  licou, 
folle!  —  «  Blanque,  qu'as-tu?  —  As-tu  peur  des 
morts?  »  lui  dit  son  maître,  —  les  cheveux  dressés 
d'effroi.  —  Et  taciturne,  le  gouffre  liquide  ~  le  long 
du  dernier  bordage  clnpole,  bord  à  bord. 


—  «  Je  ne  sais  pas  nager,  capitaine  ! . . .  —  La  sau- 
verez-vous,  la  barque?  » —  «Non!  —  Encore  un 
clin  d'œil,  la  barque  tombe  à  fond  ;  —  mais  de  la 
rive,  où  erre  —  la  procession  qui  tant  t'effraye,  — les 
morts  vont  nous  jeter  un  câble.  »  —  Il  dit,  et  dans 
le  Rhône  la  barque  s'engloutit. 


Et,  dans  l'obscurité  lointaine,  —  et  des  lampes 
blafardes  —  qui  aux  mains  des  noyés  tremblotent, 
un  long  rayon  —  d'une  rive  à  l'autre  brille  comme 
un  éclair.  —  Et  de  même,  au  soleil  qui  ponit,  — de 
même  qu'une  araignée  qui  fde  —  se  laisse  glisser  le 
long  du  fil  qu'elle  jette, 


Les  pêcheurs  (qui  étaient  des  Trêves  !)  — au  rayon 
clair  qui  fait  bascule  —  se  hissent,  et  rapidement  se 
gliisent  tout  le  long.  —  Du  milieu  de  l'eau  qui  l'em- 
inu selle,  —  Ourrias  envoie  aussi  au  câble  —  se^ 
mains  crispées!...  A  Trinquetaille  —  les  Trêves, 
cette  nuit,  dansèrent  sur  le  pont  ', 


NOTES 

DU  CHANT  CINQUIÈME. 


*  Olympe,  haute  montagne,  sur  les  limites  du  Var  et  des  Bou- 
ches-du-Rhône. 

*  Queyras,  ■vallée  des  Hautes-Alpes. 

'  L'herbette  aux  boucles  (/'erèe/tf  difrisoun),  [valisneria  spiralis. 
Lin.)  Plante  qu'on  trouve  dans  le  Rhône  et  dans  les  mares  qui  l'a- 
voisinent,  aux  environs  de  Tarascon  et  d'Arles. 

*  Lingueto!  mot  intraduisible,  qu'on  répète  en  riant  à  quel- 
qu'un, et  en  lui  montrant  quelque  chose  de  loin  ou  de  haut,  pour 
exciter  sa  convoitise. 

Quasi  bramosi  fantolini  e  vani 
Che  pregano,  e  'l  pregalo  non  risponde, 
Ma  per  fare  esser  ben  lor  voglia  acuta, 
Tien  alto  lor  disio  e  nol  nasconde. 

(Dante,  Purgatoiio,  c.  xxiv.) 

»  Blé  de  lune  [blad  de  luno).  Au  propre,  faire  de  blad  de  luno, 
signifie  dérober  du  blé  à  ses  parents  à  la  clarté  de  la  lune.  Blad 
de  luno,  au  figuré,  désigne  les  larcins  amoureux. 

8  Ansérine  ligneuse,  [ourse]  (  chenopodium  fruticosum,  Lin.  )  ; 
plante  commune  au  bord  de  la  mer. 

'  Jean  de  l'Ours  [Jan  de  l'Ourse],  héros  des  contes  de  veillées, 
espèce  d'Hercule  provençal  auquel  on  attribue  une  foule  d'ex- 


I 


NOTES  DU  CHANT  V.  213 

ploits.  Il  était  fils  d'une  bergère  et  d'un  ours  qui  l'avait  enlevée, 
et  avait  pour  compagnon  de  gloire  deux  aventuriers  d'une  force 
fabuleuse.  L'un  se  nommait  Arrache-Montagne,  et  l'autre  Pierre- 
de-Moulin.  M.  Hippolyte  Babou  a  relaté  l'histoire  de  Jean  de 
l'Ours  dans  ses  Païens  innocents. 

^  Le  pont  prodigieux  qui  enjambe  le  Gardon  (lou  pont  espeta- 
clous  qu'encambo  lou  Gardoun] ,  le  pont  du  Gard. 

*  Baudroie  [baudroi],  ou  diable-de-mer,  poisson  hideux. 

*o  Esclapaire,  cr&hier  \ert  [ardeaviridis,  Lin.).  Oiseau  de  l'ordre 
des  échassiers,  ainsi  nommé  {esclapaire  signifie  fendeur  de  bois),  à 
cause  de  son  cri  :  Ha  !  ha  ! 

"  Sainte-Baume  (Sflw/o-BaMTno),  grotte  célèbre,  au  milieu  d'une 
forêt  vierge,  près  de  Saint-Maximin  (Var),  dans  laquelle  se  retira 
sainte  Magdeleine  pour  faire  pénitence.  (Voyez  le  Chant  XI»  ) 

"  Fena,  mauvais  sujet,  sacripant,  scélérat.  Horace  a  dit  dans 
le  même  sens  en  parlant  d'un  méchant  homme  :  Fenum  habet  in 
cornu.  C'était  proverbial  chez  les  Romains;  et  ce  dicton  venait 
de  l'usage  où  l'on  était  autrefois  de  mettre  du  foin  aux  cornes  des 
taureaux  dangereux,  pour  avertir  de  s'en  garder. 

*'  Pieds  sur  banc  [pèd  sus  banc].  Mettre  pieds  sur  banc  [mètre 
pèdsus  banc),  en  terme  de  marine,  c'est  mettre  le  pied  sur  le  petit 
banc  qui  est  devant  le  siège  des  rameurs,  pour  faire  plus  de  force,  et 
fig.  travailler  avec  ardeur.  (Honnorat,  Dict.  provençal.) 

**  Trinquetaille  (Trincataio) ,  faubourg  d'Arles,  situé  dans  la  Ca- 
margue, et  réuni  à  la  cité  par  un  pont  de  bateaux. 

*"  Trêves  [Trèvo],  lutins  qui  dansent  à  la  pointe  des  ondes,  quand 
e  soleil  ou  la  lune  fait  miroiter  les  eaux. 


TANT  SIÈISEN 


LA    MASCO 


A  l'aubo,  très  pourcalié  Irovon  Vincên  dins  soun  sang,  estendu  d'm 
lis  erme  de  Crau.  —  L'aduscn  à  la  brasseto  au  Mas  di  Falabregn. 

—  Digressioun  :  lou  Telibre  se  recoumande  à  sis  amis,  li  felibre 
de  ProuvênïO.  —  Doulour  de  Mirèio.  Porlon  Vincén  au  Trau  di 
Fado,  caforno  dis  Esperit  de  niue  e  demoiiianço  de  la  masco  Ta- 
ven,  escounjurarello  de  tout  inau.  —  l.i  Fado.  —  Mirèio  acoum- 
pagno  soun  caiignaire  dins  li  borno  de  la  mountagno.  —  La  Man- 
dragouro.  —  Lis  aparicioun  de  la  baume  :  li  Fouletoun,  l'Espenl 
Fantasli,  la  Bugadiero  dôu  Vcntour.  —  Raconte  de  la  masco  :  la 
Messo  di  mort,  lou  Sabalôri,  la  Garamaudo,  lou  Gripet,  la  Dain- 
baroucho,  la  Chaucho-Vièio,  lis  Escarinche,  li  Dra,  lou  Chin  de 
Cambau,  lou  Baroun  Castilioun.  —  l,'.\gnèu   nègre,  la  Cabro  d'or. 

—  Taven  escounjuro  la  plago  de  Vincèu.  —  Enauramen  e  prou- 
fetiso  de  la  masco. 


A  l'aubo  claro  se  marido 

Lou  cltir  canla  di  bouscarido. 
Laterro  enamourado  espère  lou  soulèu, 

Vestido  de  frcscour  e  d'aubo, 

Coume  la  cbato  que  se  raubo, 

Dins  la  plus  bello  de  si  raubo 
Espère  lou  jouvènt  que  i'a  di  :  Parlen  lèu 

En  Crau  très  orne  cammavon, 
Très  pourcatiè,  que  s'entourna  on 

De  Sant-Charnas  lou  ricbe,  ounle  èro  lou  marcal. 
Venien  de  vendre  sa  toucado, 
E,  tout  en  fasènl  la  charrado, 
Sus  l'espalo,  à  l'acouslumado, 

Pourlavon  sis  argent  dins  si  roupo  amaga. 


CHANT  SIXÏKME 

t\   SO ne  1ÈRE 


;?«ube  du  jour,  trois  porchers  trouvent  Vincent  étendu  dans  lo  dé- 
sert de  la  Crau,  et  baigné  dans  son  sang.  —  Ils  l'apportent  dans 
leurs  bras  au  Mas  des  Micocoules.  —  Digression  :  appel  du  poète 
à  ses  amis,  les  poètes  de  Provence.  —  Douleur  de  Mireille.  —  Ob 
porte  Vincent  à  l'antre  des  Fées,  repaire  des  Esprits  de  la  nuit,  e. 
habitation  de  la  sorcière  Tavén,  charmeuse  de  tous  maux.  —  Les 
Fées.  —  Mireille  accompagne  son  amant  dans  les  excavations  de  la 
montagne.  —  La  Mandragore.  —  Les  apparitions  de  la  Caverne:  lef 
Follets,  l'Esprit  Fantastique,  la  Lavandière  du  Ventour.  —  Récii 
de  la  sorcière  :  la  Messe  des  morts,  le  Sabbat,  la  Garamaude,  U 
Gripel,  la  Bambarouche,  le  Cauchemar,  les  Escarinches,  les  Draci« 
ie  Chien  de  Cambal,  le  Baron  Castillon.  —  L'Agneau  noir,  la  Chèvre 
«Tor.  —  Tavèn  charme  la  blessure  de  Vincent.  —  Exaltation  et  pr» 
phéties  de  la  sorcière. 


A  Taube  claire  se  marie  —  le  chant  clair  des  bec- 
fins.  —  La  terre  énamourée  attend  le  soleil,  —  vêtue 
de  fraîcheur  et  d'aurore  :  —  ainsi  la  jeune  fîUe  qui  se 

it  enlever,  —  (vêtue)  de  la  plus  belle  de  ses  robes, 
attend  le  jouvenceau  qui  lui  a  dit  :  «  Partons  en 

te!  » 


Tans  la  Crau  marchaient  trois  hommes,  —  trois 
porchers,  retournant  —  du  marché  de  Saint-Chamas 
le  riche.  —  Ils  venaient  de  vendre  leur  troupeau,  — 
fit,  tout  en  faisant  la  causerie,  —  sur  l'épaule,  à  l'ac- 
coutumée, —  ils  portaient  leur  argent  enveloppé 
dans  leurs  manteaux. 


816  MTRÈIO,   CANT  VI. 

Quand  lout-d'un-cop  :  —  Chut!  cambarado, 

Fai  un  ditres.  Fa'no  passado 
Oueme  sèmblo  d'ausi  souspira  dins  li  bnis. 

—  Hôu  !  fan  lis  autre,  es  la  campano 
De  Sant-Martin  o  de  Maussano, 

0  belèu  bèn  la  Tremountano 
Que  gansouio  en  passant  li  tousco  d'agarrus. 

Coume  acabavon,  di  genèsto 
Sort  un  plagnoun  que  lis  arrèsto, 
Un  plagnoun  tant  doulènt  que  Irancavo  lou  cor. 

—  Jeuse!  Maia  !  touli  faguèron, 
l'a  mai  que  mai  !  e  se  signèron, 
E  d'aise,  d'aise,  caminèron 

De  mounte  li  plagnoun  venien  toujour  plus  fort. 

Oh  !  que  'spetacle!  Dins  l'erbage, 

Sus  li  caiau,  'mé  lou  visage 
Revessa  pèr  lou  sôu,  Vincèn  èro  estendu  : 

La  terro  à  l'entour  chaupinado, 

Lis  amarino  escampihado, 

E  sa  camiso  espeiandrado, 
Ë  l'erbo  ensaunousido,  e  soun  pitre  fendu  ! 

Abandonna  dins  la  campagno, 

Emé  lis  astre  pèr  coumpagno, 
Aqui  lou  paure  drôle  avié  passa  la  niue, 

E  l'aubo  uniido  e  clarinello, 

En  ie  picant  sus  li  parpello, 

Dedins  si  veno  mourtinello 
Reviscoulè  la  vide,  e  ie  durbè  lis  iue.  :^ 


MIREILLE,  CHANT  VI.  2t7 

Quand  tout  à  coup  :  «  Silence  î  camarades,  —  fait 
l'un  des  trois.  Depuis  un  instant  —  il  me  semble  ouïr 
soupirer  dans  les  bruyères.  »  —  «  Bah  !  dirent  les 
autres,  c'est  la  cloche  —  de  Saint-Martin  ou  de  Maus- 
sane  ;  —  ou  bien  peut-être  la  Tramontane  —  qui 
agite  en  passant  les  touffes  de  chêne-nain*.  » 


A  peine  achevaient-ils,  des  genêts  —  sort  une 
plainte  qui  les  arrête,  -  une  plainte  si  dolente  qu'elle 
navrait  le  cœur.  —  «  Jésus  !  Maria  !  dirent-ils  tous, 

—  il  y  a  de  l'étrange!  »   et  ils  firent  un  signe  de 
croix,  —  et  doucement,  doucement  s'acheminèrent 

—  là  d'où  les  plaintes  venaient  de  plus  en  plus  fortes. 


Oh  !  quel  spectacle  !  Dans  les  herbes,  —  sur  les 
cailloux,  le  visage  —  renversé  par  terre,  Vincent 
était  gisant  :  —  le  sol  foulé  autour  dé  lui,  —  les  brins 
d'osier  dispersés  çà  et  là,  —  sa  chemise  en  lambeaux, 
—  et  l'herbe  ensanglantée,  et  sa  poitrine  ouverte  I 


Abandonné  dans  les  champs,  —  avec  les  étoiles 
pour  compagnes,  —  là  le  pauvre  jeune  homme  avait 
passé  la  nuit  ;  —  et  l'aube  humide  et  lumineuse,  — 
en  frappant  sur  ses  paupières,  —  dans  ses  veines 
mourantes  —  ressuscita  la  vie,  et  lui  ouvrit  les 
yeux. 


io 


218  MIRÈIO,  GANT  VI. 

E  li  très  orne,  tout  en  aio, 

Quitèron  tout-d'un-tèms  la  draio  ; 
E,  courba  tôuti  très,  ie  faguèron  un  brès 

De  si  roupo,  qu'espandiguèron  ; 

Pièi  entre  tôuti  lou  prenguèron 

A  la  brasseto,  e  l'aduguèron 
Au  Mas  di  Falabrego,  ounle  èro  lou  plus  près..., 

0  dous  ami  de  ma  jouvènço, 

Valent  Felibre  de  Prouvènço, 
Qu'escoutas,  atentiéu,  mi  cansoun  d'autre-tèms 

Tu  que  sabes,  o  Roumaniho, 

Entrena  dins  tis  armounio 
^  E  li  plour  de  la  pacaniho, 
E  lou  rire  di  chato,  e  li  flour  dôu  printèms  ; 

Tu  que  di  bos  e  di  ribiero 
Cerques  lou  sourne  e  la  fresquiero, 

Pèr  toun  cor  coumbouri  de  pantai  amourous, 
Fier  Aubanèu  !  e  de  ti  soubro, 
Tu,  Crousihat,  qu'à  la  Touloubro 
Fas  mai  de  noum,  que  n'en  recoubro 

De  soun  Nostradamus,  l'astrolô  souloumbrous , 

E  tu  tambèn,  Matiéu  Ansèume, 
Que,  di  triho  souto  lou  tèume, 
Regardes,  pensatiéu,  li  chato  que  fan  gau  ! 
E  tu,  Pauloun,  fin  galejaire  ; 
E  tu,  iou  paure  trenquejaire, 
Tavan,  umble  cansounejaire 
grihet  brun  qu'espinchon  toun  magau  ! 


MIREILLE.  CHANT   VI.  219 

Et  les  trois  hommes,  empressés,  —  quittèrent 
aussitôt  le  chemin  ;  —  et,  courbés  tous  les  trois,  lui 
firent  un  berceau  —  de  leurs  manteaux  qu'ils  déployè- 
rent; —  puis,  entre  eux  tous,  le  prirent  —  dans 
leurs  bras,  et  l'apportèrent  —  au  Mas  des  Micocoules, 
qui  était  la  plus  proche  (habitation).... 


0  doux  amis  de  ma  jeunesse,  —  vaillants  poètes 
de  Provence,  —  qui  écoutez,  attentifs,  mes  chan- 
sons du  temps  passé  : —  toi  qui  sais,  ô  Roumanille, — 
tresser  dans  tes  harmonies,  —  et  les  pleurs  du 
peuple,  —  et  le  rire  des  jeunes  filles,  et  les  fleurs  du 
printemps  ! 


Toi  qui  des  bois  et  des  rivières  —  cherches  le 
sombre  et  le  frais  —  pour  ton  cœur  consumé  de  rêves 
d'amour,  —  fier  Aubanel  !  et,  par  les  (œuvres)  que 
tu  laisses,  —  toi,  Crousillat,  qui  à  la  Touloubre  — 
fais  plus  de  renommée  qu'elle  n'en  recouvre  —  de 
son  Nostradamus,  le  sombre  astrologue*; 


Et  toi  aussi,  Matthieu  Anselme, — qui,  sous  le 
berceau  des  treilles,  —  regardes,  pensif,  les  jeunes 
filles  attrayantes  !  —  Et  toi,  cher  Paul,  ô  fin  railleur; 
—  et  toi,  le  pauvre  paysan,  —  Tavan,  qui  mêles  ton 
humble  chanson —  à  celle  des  grillons  bruns  qui 
examinent  ton  boyau  ! 


220  MIRÈIO,  CANT  YI. 

Tu  mai,  que  dins  li  durençado 

Trempes  encaro  ti  pensado, 
Tu  qu'à  nôsti  soulèu  caufes  lou  franchiman, 

Moun  Adofo  Doumas  :  grandido, 

Quand  pièi  Mirèio  s'es  gandido 

Liuen  de  soun  mas,  novo  e  candido. 
Tu  que  l'as,  dins  Paris,  menado  pèr  la  man  ! 

Tu  'nfm,  de  quau  un  vent  de  llamo 

Ventoulo,  emporte  e  fouitol'amo, 
Garcin,  o  fiéu  ardent  dôu  manescau  d'Âlen!... 

Vers  la  frucho  bello  e  maduro, 

0  vàutri  tôuli,  à  mesure 

Que  iéu  escale  moun  auturo, 
Menas  moun  camin  de  voste  sant  alen  ! .  . 

—  Mèste  Ramoun,  bonjour  !  diguèron 

Li  pourcatié,  quand  arribèron  : 
Avèn  trouva,  pecaire!  aquéu  paurejouvènt 

Aperavau  dins  la  champino  ; 

Poudès  cerca  de  pato  fmo, 

Car  a'n  bèu  trau  à  la  peitrino  ! 
Sus  la  taulo  de  pèiro  alor  pauson  Vincèn. 

Au  brut  de  la  malemparado, 

Mirèio  cour,  despouderado. 
Que  venié  dôu  jardin,  e  sus  l'anco  tenié 

Soun  plen  panié  de  lièume;  courron 

Touti  lis  ome  que  labouron... 

Mirèio,  enl'èr  si  bras  s'aubouron; 
—  Maire  de  Dieu!  pièi  quilo,  e  toumbo  soun  panié. 


MIREILLE,  CHAI^T  VI.  221 

Et  toi  aussi,  qui,  dans  les  débordements  de  la  Du- 
rance  —  trempes  encore  tes  pensées,  —  toi  qui 
chauffes  le  français  à  nos  soleils,  —  mon  Adolphe  Du- 
mas :  grandie,  —  lorsque  ensuite  Mireille  s'est  lan- 
cée —  loin  de  son  mas,  neuve  et  étonnée,  — toi  qui 
l'as,  dans  Paris,  menée  par  la  main  ! 


Et  toi  enfin,  dont  un  vent  de  feu  —  agite,  emporte 
et  fouette  l'âme,  —  Garcin,  ô  fils  ardent  du  maréchal 
d'Alleins  ! . . .  —  vers  le  fruit  beau  et  mûr,  —  ô  vous 
tous,  à  mesure  —  que  je  gravis  ma  hauteur,  — 
aérez  mon  chemin  de  votre  sainte  haleine  !... 


—  «  Maître  Ramon,  bonjour!  dirent  —  les  por- 
chers en  arrivant  :  —  Jious  avons  trouvé  ce  pauvre 
jeune  homme  —  par  là-bas  dans  la  lande  ;  —  cher- 
chez des  loques  (de  toile)  fine,  —  car  il  porte  à  la 
poitrine  une  bien  large  blessure.  »  —  Alors,  sur  la 
table  de  pierre  ils  déposent  Vincent. 


Au  bruit  du  fatal  événement,  —  Mireille  accourt, 
éperdue  ;  —  elle  venait  du  jardin,  et  tenait  sur  la 
hanche  —  son  panier  plein  de  légumes  ;  accourent 
—  tous  les  laboureurs...  —  De  Mireille  les  bras  se 
lèvent  :  —  «  Mère  de  Dieu!  »  puis  s'écrie-t-elle  (d'une 
voix  aiguë) ,  et  son  panier  tombe 


10 


222  MIREIO,  C.\M'  VI. 

—  Vincèni  mai,  que  t'an  fa,  pecaire! 
Qu'as  tant  de  sang?  De  soun  fringaire 

Ausso  alor  douçamen  la  lèsto,  e'n  bon  moumen 
Lou  regarde,  mudo,  atupido, 
Perla  doulour  coume  arrampido. 
De  lagremo  grosso  e  rapido 

S'inoundavo  enterin  l'auturoun  de  soun  sen. 

De  l'amourouso  pichouneto 
Vincèn  couneiguè  la  maneto  ; 
E  d'uno  voues  mourènto  :  Oh  !  dis,  agués  pieta  ' 
Ai  de  besoun  que  m'acoumpagne 
Lou  bon  Dieu,  car  siéu  bèn  de  plagne  ! 

—  Laisse  que  ta  bouco  se  bagne, 
Faguè  Mèste  Ramoun,  d'un  paa  d'^grioutat. 

—  0,  béu-Iou  lèu,  quacô  remounto, 
Reprenguè  la  jouvènto.  E,  proumto, 

Arrapè  lou  flascjuet  ;  e  degout  à  degout, 
En  le  parlant  lou  fasié  béure, 
E  ie  levavo  lou  mau-viéure. 

—  De  tau  malur  Dieu  vous  deliéure, 
Vincèn  coumencè  mai,  e  vous  pague  de  tout  ! 

En  refendent  uno  amarino, 

L'esquichave  sus  ma  peitrino, 
Quaid  lou  fèrri  m'esquifo  e  me  pico  au  mamèu. 

Vouguè  pas  dire  que  pèr  elo 

S'èro  batu  coume  uno  grelo... 

Mai  saparaulo,  d'esperelo, 
Rêve  nié  vers  l'amour,  coume  la  mousco  au  mèu. 


MIREILLE,   C  .ANT  VI.  223 

—  «  Vincent  !  que  t'a-t-on  fait,  hélas  !  —  pour 
être  ainsi  (couvert)  de  sang  !  »  De  son  bien-aimé  — 
elle  relève  alors  doucement  la  tête,  et  longuement 

—  le  regarde,  muette,  consternée,  —  comme  pétri- 
fiée par  la  douleur.  —  De  larmes  grosses  et  rapides 

—  s'inondait  en  même  temps  la  légère  éminence  de 
son  sein. 

De  l'amoureuse  jeune  fille  —  Vincent  reconnut  la 
main  ;  —  et  d'une  voix  mourante  :  «  Oh  !  dit-il,  ayez 
pitié  !  —  J'ai  besoin  qu'il  m'accompagne,  —  le  bon 
Dieu,  car  je  suis  bien  à  plaindre  !»  —  «  Laisse  hu- 
mecter ta  bouche,  —  dit  Maître  Ramon,  avec  ui  peu 
d'agriotat^.  » 


—  «  Oui,  bois-le  vite,  car  cela  ranime,  »  —  reprit 
la  jouvencelle.  Et,  prompte,  —  elle  prit  le  flacon;  et 
goutte  à  goutte,  —  en  lui  parlant  elle  le  faisait  boire, 
et  lui  ôtaitle  mal-être.  —  «  De  pareils  malheurs  Dieu 
vous  délivre,  —  Vincent  commença  de  nouveau,  et 
vous  paye  tous  (vos  soins)  ! 


«  En  refendant  un  (scion  d')  osier,  —  je  le  pressais 
sur  ma  poitrine,  —  quand  le  fer  m'échappe  et  me 
frappe  au  sein.  »  —  Il  ne  voulut  pas  dire  que  pour 
elle  —  il  s'était  battu  comme  une  grêle. ..  —  mais  sa 
parole,  d'elle-même,  —  revenait  vers  l'amour,  comme 
la  mouche  au  miel. 


224  MIRÈIO,   GANT  VI. 

—  La  doulour,  dis,  de  vosto  caro 

Mai  que  ma  plago  m'es  amaro  ! 
Ce  qu'avian  coumença,  lou  carieslèu  poulit, 

Fau  dounc,  parèis,  que  noun  s'acabe, 

E  que  la  treno  se  derrabe  ! . . . 

Pèr  quant  à  iéu,  Mirèio,  sabe 
Qu'auriéu  de  vosto  amour  vougu  lou  vèire  empli. 

Mai  tenès-vous  aqui  ! . . .  que  vegue 
Vôstis  iue  dous,  e  que  ie  bègue 

La  vido  enca'n  brisoun!  vous  demande  pas  mai... 
Vous  demande...  sepoudias  faire 
Quaucarèn  pèr  lou  panieraire  : 
Ai  alin  moun  paure  vièi  paire 

Qu'es  escranca  de  l'âge,  e  mort  pèr  lou  travai. 

Mirèio  se  descounsoulavo... 

Dôu  tèms,  elo  pamens  lou  lavo, 
E  l'un  de  l'escarpido  esfato  lou  velout, 

D'autre  lèu  landon  vers  l'Aupiho 

Cerca  li  bonis  erbouriho. 

Mai  sus-lou-cop  Jano-Mario  : 
—  Au  Trau  di  Fado,  au  Trau  di  Fado  pourtas-loa  ! 

Tant  mai  la  plago  es  dangeirouso, 

Tant  mai  la  masco  èi  pouderouso  ! 
Zôu  dounc  !  au  Trau  di  Fado,  à  la  coumbo  d'Infèr.. 

Quatre  lou  porton.. .  Dins  li  peno 

Que  di  Baus  formon  la  cadeno, 

En  un  rode  que  l'alabreno 
Trèvo,  e  qu'en  virouiant  marcon  li  capoun-fèr, 


MIREILLE,  CHANT  VI.  225 

—  «  La  douleur,  dit-il,  de  votre  visage,  —  plus 
que  ma  plaie  m'est  çr.nère  !  —  La  jolie  carbeille 
commencée  par  nous, —  il  faut  donc,  paraît-il,  qu'elle 
(reste)  inachevée,  —  et  que  la  tresse  s'en  arrache  !... 
—  Pour  ma  part,  Mireille,  je  sais  —  que,  de  votre 
amour,  j'aurais  voulu  la  voir  s'emplir. 


«  Mais  tenez -vous  là  !.. .  que  je  voie  —  vos  yeux 
doux,  et  que  j'y  boive  —  la  vie  encore  un  peu  î  je  ne 
vous  demande  rien  de  plus...  —  Je  vous  demande... 
si  vous  pouviez  faire  —  quelque  chose  pour  le  van- 
nier -.  — j'ai  là-bas  mon  pauvre  vieux  père —  qui  est 
brisé  par  l'âge,  et  mort  pour  le  travail.  » 


Mireille  se  désolait...  —  Cependant  elle  lave  sa 
(bless\ire),  —  et  l'un  de  la  charpie  déchire  le  velours, 
—  d'autre?  :^mpressés,  s'élancent  vers  l'Alpine,  — 
(pour)  chercher  les  herbes  salutaires.  — Mais  aussitôt 
Jeanne-Marie  :  —  «  Au  Trou  des  Fées  *,  au  Trou  des 
Fées  portez-le' 


«  Plus  la  plaie  est  dangereuse,  —  plus  la  sorcière 
est  puissante  !  »  —  Allons  !  au  Trou  des  Fées,  dans 
le  vallon  d'Enfer,  —  quatre  le  portent...  Oans  les 
remparts  de  roche  —  qui  forment  la  chaîne  des  Baux , 
—  en  un  lieu  cpie  la  salamandre  —  hante,  et  que  de 
leur  vol  tournoyant  les  sacres  indiquent, 


226  MIRÈIO,  GÂî^T  VI 

Di  roumani    entre  li  mato, 

A  flour  de  roco,  un  trau  s'acato. 
Alin  dedins,  despièi  que  lou  sant  Angélus^ 

En  l'ounour  de  la  Vierge,  pico 

Lou  brounse  clar  di  baselico, 

Alin  dedins  li  Fado  antico, 
Pèr  toustèms,  dôu  soulèu  an  fugi  lou  trelus. 

Espèritoun  plen  de  misièri, 

Entre  la  formo  e  la  matèri 
Erravon,  au  mitan  d'un  linde  calabrun. 

Dieu  lis  avié  fa  miè-terrèstre 

E  femelin,  coume  pèr  èstre 

L'amo  vesiblo  di  campèstre, 
E  pèr  di  proumiés  ome  amansi  lou  ferun. 

Mai  li  Fadeto,  —  bèu  coume  èron,  — 

Di  fiéu  dis  ome  s'aflamèron  ; 
E,  li  foulasso  !  au  lio  d'enaura  li  mourtau 

Vers  li  celés  lis  esplanado, 

Di  passioun  nostro  apassiounado, 

A  noslo  fousco  destinado, 
Coume  d'aucèu  pipa,  toumbèron  d'amoundaut. 

Dins  la  gorgo  estrechano  e  rudo 

De  la  caforno  sournarudo, 
Li  pourtaire  pamens  a\ien  leissa  Vincèn 

Se  davala  de  resquiheto. 

Em'èu,  dins  l'escuro  draieto 

S'aventure  que  Mireieto, 
Recoumandant  soun  amo  à  Dieu,  camin  fasènt. 


MIREILLE,   CHANT  YI.  227 

Entre  les  touffes  des  romarins,  —  à  fleur  de  roche, 
un  trou  se  cache.  —  Dans  ses  profondeurs,  depuis 
que  le  saint  Angélus,  —  en  l'honneur  de  la  Vierge^ 
frappe  —  le  bronze  clair  des  basihques,  —  dans  ses 
profondeurs  les  antiques  Fées,  —  pour  jamais,  du 
soleil  ont  fui  la  splendeur 


Esprits  légers,  mystérieux,  —  entre  la  forme  et  la 
matière  —  elles  erraient,  au  milieu  d'un  limpide  cré- 
puscule. —  Dieu  les  avait  créées  demi-terrestres  — 
et  féminines,  afin  qu'elles  fussent,  pour  ainsi  dire,  — 
l'âme  visible  des  campagnes,  —  et  afin  d'apprivoiser 
la  sauvagerie  des  premiers  hommes. 


Mais,  si  beaux  étaient  —  les  fils  des  hommes,  que 
pour  eux  s'enflammèrent  les  Fées  ;  —  et,  insensées! 
au  lieu  d'élever  les  mortels  —  vers  les  célestes 
espaces,  —  passionnées  de  nos  passions,  —  dans  no- 
tre obscur  destin,  —  comme  des  oiseaux  fascinés,  de 
leurs  hauteurs  elles  tombèrent. 


Dans  la  gorge  étroite  et  raboteuse  —  de  la  caverne 
sombre,  —  les  porteurs  cependant  avaient  laissé  Vin- 
cent —  se  couler  par  glissade.  —  Avec  lui,  —  dans 
l'obscur  sentier  —  ne  s'aventura  que  Mireille,  — 
recommandant  son  âme  à  Dieu,  chemin  faisant* 


228  MIRÈIO,  GANT  VI. 

Au  founs  dôu  pous  que  li  carrejo, 
Dins  uno  grando  baumo  frejo 

Se  devinèron;  e,  souleto  au  bèu  mitan, 
E  dins  li  sounge  ennevoulido, 
Taven,  la  masco,  agroumoulido, 
Tenié  'no  blesto  de  calido... 

E  tristo  quenounsai  tout  en  la  regardant  : 

—  Paure  peu  d'erbo  serviciable  ! 

Li  gènt  te  nomon  blad-dôu-diable, 
Remiéutejavo,  e  sies  un  di  signe  de  Dieu  ! 

Alor  Mirèio  la  saludo  ; 

E  coume  entameno,  esmougudo, 

L'estiganço  de  sa  vengudo, 
La  masco,  sens  leva  la  tèsto  :  —  Lou  sabiéu  ! 

E  pièi  sa  voues  atremoulido 

S'adreissè  mai  à  la  calido  : 
—  Pauro  flour  de  la  tepo!  es  ti  fueio  e  ti  gre 

Que  li  troupèu  tout  l'an  rousigon, 

E,  pecaire  !  au  mai  te  caucigon, 

Au  mai  tis  espigau  espigon , 
E  vestisses  de  verd  tant  l'uba  que  l'adré. 

Taven  aqui  faguè  'no  pauso. 

Dins  un  cruvèu  de  cacalauso 
Un  iumcnoun  cremavo,  e  fasié  rougeja 

La  paret  mouisso  de  la  roco  ; 

Sus  la  fourquello  d'uno  broco 

l'avié  'no  graio,  e  toco-à-toco 
Uno  galino  blanco.  em'  un  crevèu  penja. 


MIREILLE,   CHANT  VI.  229 

Au  fond  du  puits  qui  les  amène,  —  dans  une  grotte 
vaste  et  froide  —  ils  se  trouvèrent  ;  et  seule,  au  mi- 
lieu, —  et  voilée  d'un  nuage  de  rêves,  —  Tavèn,  la 
ïorcière,  accroupie,  —  tenait  un  épi  de  brome...  — 
Et  profondément  triste  en  le  considérant  : 


—  «  Pauvre  brin  d'herbe  officieux  !  —  les  gens  te 
nomment  blé-dii-diable  —  grommelait-elle,  et  tu  es 
un  des  signes  de  Dieu  !  )>  —  Alors  Mireille  la  salue  ; 
—  et  à  peine  commence-t-elle  (à  dire) ,  émue,  —  le 
motif  pour  lecpiel  ils  viennent ,  —  la  sorcière,  sans 
lever  la  tète  :  «  Je  le  savais  !  » 


Ensuite  sa  voix  chevrotante  —  de  nouveau  s'a- 
dressa au  brome  :  —  «  Pauvre  fleur  du  gazon!  ce 
sont  tes  feuilles  et  tes  germes  —  que  les  troupeaux 
toute  l'année  broutent  ;  —  et,  pauvrette  !  plus  ils  te 
foulent,  —  plus  tes  épis  se  multiplient  —  et  tu  revêts 
de  verdure  le  nord  comme  le  midi.  » 


Là,  Tavèn  fit  une  pause,—  Dans  une  coquille  d'es- 
cargot —  une  petite  lumière  brûlait,  éclairant  de 
reflets  rougeâtres—  la  paroi  humide  de  la  roche  ;  — 
sur  la  fourchette  d'un  bâton  —  était  (juchée)  une 
corneille,  et  côte  à  côte  —  une  poule  blanche  ;  un 
crible  pendait  (au  mur). 


SO 


230  MIREIO,   CANT  VI. 

—  Quau  que  fugues,  digue  la  masco 
Subitamen  e  coume  nasco, 

Eh  !  que  m'enchau  ?  la  Fe  camino  de  plegoun, 

La  Carita  porto  li  plego, 

E  noun  s'escarlon  de  la  rego... 

Banaslounié  de  Valabrego, 
Te  sentes  fe?  —  Me  sente  !  —  Enrego  moun  regounl 

Adraiado  coume  uno  loubo 

Qu'emé  sa  co  li  flanc  se  zoubo, 
Pèr  un  trau  desparèis  la  masco.  Estabousi, 

Lou  Valabregan  e  Mirèio 

Après  ie  van.  Davans  la  vièio, 

S'enlendié  dins  l'orro  tubèio 
Voulastreja  la  graio,  e  la  clusso  clussi. 

—  Davalas  lèu,  qu'es  déjà  l'ouro 
De  se  cencha  de  mandragouro  ! 

E  lèu,  de  rabaloun,  de  tirassoun,  parèu 
Que  l'un  de  l'autre  noun  se  brando, 
Van  à  la  voues  que  li  coumando. 
En  uno  baumo  enca  plus  grando 

Venié  se  relarga  l'infernau  gourgarèu. 

—  Vaqui  !  Taven  ie  faguè  signe... 
0  plante  santo  de  moun  segne 

Nostradamus  !  brout  d'or,  bastoun  de  Sont  Jôusè, 

E  vergo  masco  de  Mouise  ! 

Crido  ;  e  de  l'erbo  que  vous  dise, 

Cregnènto,  courounè  li  vise 
Emé  soun  capelet  qu'à  geinoun  ie  pause. 


HIIU.ILLE,   CHANT  VI.  231 

—  «  Qui  que  VOUS  soyez,  dit  la  sorcière  —  subite- 
ment et  comme  ivre,  —  eh!  que  m'importe? la  Foi 
marche  les  yeux  fermés,  —  la  Charité  porte  un  ban- 
deau, —  et  elles  ne  s'écartent  pas  de  la  raie... — 
Vannier  de  Valabrègue,  —  te  sens-tu  foi  ?»  —  «  Je 
me  sens  !  »  —  «  Suis  mon  sillon  !  » 


Empressée  comme  une  louve  —  qui  de  sa  queue 
se  bat  les  flancs,  —  par  un  trou  disparaît  la  sorcière. 
Stupéfaits,  —  le  Valabrégan  et  Mireille  —  vont  après 
elle.  Devant  la  vieille  —  on  entendait  dans  l'horrible 
brume  —  voleter  la  corneille,  et  la  poule  glousser. 


—  «  Descendez  vite  !  il  est  déjà  l'heure  —  de  se 
ceindre  de  mandragore  !  »  —  Et  vite,  en  rampant, 
en  se  traînant,  couple  —  ne  s'écartant  point  l'un  de 
l'autre,  —  ils  vont  à  la  voix  qui  les  commande.  — 
Dans  une  grotte  plus  grande  encore  —  venait  s'élar- 
gir l'infernal  couloir. 


—  «Voilà  !  leur  dit  Tavèn  d'un  signe... — 0  plante 
sainte  de  mon  seigneur  —  Nostradamus  !  rameau 
d'or,  bâton  de  Saint  Joseph,  —  et  verge  magique  de 
Moïse!  »  —  s'écrie-t-elle  ;  et  de  l'herbe  que  je  vous 
dis,  —  craintive,  elle  couronna  les  pousses  —  avec 
son  chapelet  qu'elle  y  déposa,  à  genoux. 


232  MIRÈIO,   GANT  VI. 

Pièi  s'aubourant  :  Es  l'ouro,  es  l'ouro 
De  se  cencha  de  mandragouro  ! 
De  la  planto  creissudo  à  l'asolo  dôu  roucas 
Cuei  1res  jitello  :  n'en  courouno 
Elo,  lou  drôle,  la  chatouno... 

—  Avans  toujour  !  —  E  s'enfourgoimo 
Ardènto  mai  que  mai,  dins  li  sourne  traucas 

Emé  de  hime  sus  l'esquino 
Pèr  enclari  l'escuresino, 
Un  vôu  d'escarava  ie  camino  davan. 

—  Jouvènt!  à  tout  camin  de  glôri 
l'a  soun  travèsde  purgatôri... 

An  !  courage  !  dôu  Sabatôri 
Anan  arc,  ai  !  ai  !  ai  !  franqui  lis  espravant. 

N'avié  panca  barra  la  bouco, 

Uno  auro  forto  li  remouco 
E  ie  coupo  l'alen,  subit  :  —  Âmourren-nous  ! 

Di  Foulctoun  veici  loutrounfle  ! 

Coume  un  croupas,  de  grolo  gounfle, 

Souto  li  croto  passe  à  rounfle 
L'eissame  vagabound,  quilant,  revoulunous. 

Passon  ;  e,  de  tressusour  trempe, 
Li  très  mourtau  sènton  si  tempe 
Ventoula,  bacela  de  l'alo  di  Trcvan, 
Coume  un  glas  pelado  e  jalèbro. 

—  Ânas  pu  liuen  pica  tcnèbro, . 
Taven  cridè,  bando  menèbro  ! 

Isso,  mata-blad  !  isso  !  o  garas-vous  davan! 


MIREILLE,  CHANT  VI.  233 

Puis  se  levant  :  —  «  C'est  l'heure,  c'est  l'heure  — 
de  nous  ceindre  de  mandragore  !  »  —  De  la  plante 
venue  dans  la  fente  du  roc  —  elle  cueille  trois  jets  : 
s'en  couronne  —  elle-même,  (en  couronne)  le  jeune 
homme,  la  jeune  fille...  —  «  En  avant  toujours!  »  Et 
elle  s'engouffre,  —  ardente  plus  que  jamais,  dans  les 
cavités  sombres. 

Avec  de  la  lumière  sur  le  dos  —  pour  éclairer 
l'obscurité,  —  une  troupe  d'escarbols  chemine  de- 
vant elle.  —  «  Jeunes  gens,  tout  chemin  glorieux  — 
a  sa  traversée  de  purgatoire...  — Çà!  courage!  du 
Sabbat  —  nous  allons  maintenant,  aïe  !  aïe  !  aïe  ! 
franchir  les  épouvantes.  » 


Elle  n'avait  pas  clos  encore  la  bouche,  —  un  vent 
violent  leur  cingle  (le  visage),  —  et  leur  coupe  brus- 
quement le  souffle  :  —  «  Prosternons-nous!  —  Des 
Follets  voici  le  triomphe  !  »  —  Tel  qu'un  grain, 
gonflé  de  grêle,  —  sous  les  cryptes  passe,  innon>- 
brable,  —  l'essaim  vagabond,  glapissant,  tourbil- 
lonnant. 

Ils  passent  ;  et  baignés  d'une  sueur  froide,  —  les 
trois  mortels  sentent  leurs  tempes  —  éventées , 
fouettées  par  l'aile  des  fantômes,  —  nue  et  froide 
comme  un  glaçon.  —  «  Allez  plus  loin  battre  les  té- 
nèbres, —  Tavén  cria,  bande  bourrue  !  —  Allez, 
abatteurs  de  moissons  !  allez  !  ou  rangez-vous  I 


30 


2:^4  MIRÈTO,  CANT  VI. 

*         Oh  !  li  pudènt!  lis  esbroufaire!... 

E  dins  lou  bèn  que  poudèn  faire. 
Dire  pièi  que  nous  faugue  emplega  talo  gènt! 

Car,  0,  de  même  que  lou  mèje 

Souvent  tire  lou  bon  dôu  pièje, 

Pèr  la  vertu  di  sourtilège 
Fourçan,  nautre,  lou  mau  à  coungreia  lou  bèn; 

Car  sian  li  masco.  E  noun  i'a  cause 
Qu'à  nosto  \isto  reste  clauso. 

R  mounte  lou  coumun  vèi  uno  pèiro,  un  fouit, 
Uno  malandro,  uno  coundorso, 
le  destrian,  nautre,  uno  forço 
Que  dins  sa  rusco  se  bidorso, 

Coume  souto  la  raco  un  vin  nouvèu  que  boui... 

Trauco  la  tino  :  la  bevènto 
N'en  gisclara  touto  bouiènto  ; 

Destousco,  se  tu  pos,  la  clau  de  Salamoun! 
Parlo  à  la  pèiro  dins  sa  lengo, 
E  la  mouiitagno,  à  toun  arengo, 
Davalara  dins  la  valengo  ! . . . 

E  sèmpre  descendien  dins  li  eau  no  dôu  mount 

Uno  pichoto  voues,  malino 
Coume  un  quilet  de  cardelino, 

Alor  ie  fai  :  Hoi  !  hoi  !  la  courbaire  Taven  : 
Viro  lou  tour  ma  tnnto  Jano, 
Viro  lou  tour,  e  pièi  debano, 
La  niue,  lou  jour,  soun  fiéu  de  lano^ 

E  crèi  fiela  de  lano,  e  fielo  que  de  fen  l 


I 


MIREILLE,    CHANT  VI.  255 

«  Oh!  les  vilains!  les  fanfarons!  —  Et,  dans  le 
bien  que  nous  pouvons  faire,  —  dire  ensuite  qu'il 
nous  faut  employer  telle  engeance  !  —  Car,  oui,  de 
même  que  le  médecin  —  souvent  tire  le  bon  du  pire, 
—  par  la  vertu  des  sortilèges,  -^nous  forçons,  nous, 
le  mal  à  engendrer  le  bien  ; 


«  Car  nous  sommes  les  sorcières  ;  et  nulle  chose  à 
notre  vue  n'est  cachée  ;  —  et  où  le  vulgaire  voit  une 
pierre,  un  fouet,  —  une  maladie,  une  perche,  — nous 
discernons,  nous,  une  force  —  qui  dans  son  écorce 
se  tourmente  —  ainsi  que  sous  le  marc  un  vin  nou- 
veau qui  bout. 


«  Perce  la  cuve  :  —  la  boisson  —  en  jaillira  toute 
bouillante  ;  découvre,  si  tu  peux,  la  clef  de  Salomon  ! 
—  Parle  à  la  pierre  dans  sa  langue,  —  et  la  monta- 
gne, à  ta  parole,  —  dévalera  dans  la  vallée  !»  —  Et 
ils  descendaient  toujours  dans  les  cavernes  de  la 
montagne. 


Une  petite  voix,  maligne —  comme  un  cri  de  char- 
donneret, leur  fait  alors  :  «  Hoï  !  hoï  I  la  commère 
Tavèn  !  —  Tourne  le  rouet  ma  tante  Jeanne^ — tourne 
le  rouet,  et  puis  dévide,  —  la  nuit,  le  jour,  son  fil  de 
laine  ;  —  et  elle  croit  filer  de  la  laine,  et  ne  file  que 
du  foin  ! 


MIRÈIO,    CANT   YI. 

E  zôii  !  ma  grand  !  que  lou  tour  vire  ' 

—  Em'acô  'nTèr,  vague  de  rire, 

Tout  coume  quand  endiho  un  poutre  desmama. 

—  De-qu'es  aquelo  vouos  parlante 
Que  quouro  ris  e  quouro  canto? 
Vcnguè  Mirèio  tremoulanto... 

—  Iloi  !  hoi  !  en  répétant  soun  rire  acoustuma, 

Faguè  la  voues  enfantoulido, 
Quau  es  aquelo  tant  poulido? 
Ah  !  laisse,  mourranchoun,  qu'auboure  toun  fichu. 
Laisse  qu'auboure...  Es  d'avelano 
Que  i'a  dessouto,  o  de  miôugrano? 
E  la  paureto  bastidano  : 

—  Ai  !  !  anavo  crida.  Taven  ie  fai  lèu  :  Chut  ! 

Agues  pas  pôu  !  acô's  un  glàri 

Bon  que  pèr  faire  de  countràri  ; 
Es  aquéu  fouligaud  d'Esperit-Fantasli  : 

Quand  dins  si  bono  se  devino, 

Te  vai  escouba  ta  cousino, 

Tripla  lis  iôu  de  ti  galino, 
Empura  lou  gavèu  e  vira  toun  roustit. 

Mai,  que  le  prengue  un  refoulèri, 

Pos  dire  adieu!...  Que  treboulèri  ! 
Dins  toun  oulo,  ie  largo  un  quarteiroun  de  sau  ; 

Empacho  que  toun  fio  s'alurne; 

Te  vas  coucha?  boufo  toun  lume  ; 

Vos  ana  i  vèspro  à  Sant-Trefume? 
T'escound  o  te  passis  tis  ajust  dimenchau. 


MIREILLE,  CHANT  VI.  237 

9  Çà  !  granirmère!  tourne  le  rouet  !»  —  Et  puis, 
en  l'air,  de  rire  et  de  rire  !...  —  Ainsi  hennit  un  pou- 
lain sevré.  —  a  Quelle  est  cette  voix  qui  parle,  —  et 
tantôt  rit,  et  tantôt  chante  ?  »  —  demanda  Mireille 
en  tremblant...  —  «  Hoi!  hoi!  en  répétant  son  rire 
habituel, 


Dit  la  voix  enfantine,  —  quelle  est  cette  si  jolie 
(fille)!...  —  Permets,  petit  minois,  que  je  soulève 
ton  fichu...  —  Permets  que  je  soulève...  Y  a-t-il  des 
noisettes  —  dessous,  ou  des  grenades  ?»  —  Et  la 
pauvre  enfant  des  champs  :  —  «  Aïe  !  »  allait-elle 
crier.  Mais  Tavèn  aussitôt  :  «  Silence  ' 


«  N'aie  pas  peur!  c'est  là  un  lutin  —  bon  seule- 
ment à  faire  des  niches.  — C'est  cet  écervelé  d'Esprit- 
Fantastique  :  —  dans  ses  bons  (moments),  — il  ba- 
layera ta  cuisine,  — triplera  les  œufs  de  tes  poules, 
—  attisera  le  sarment  et  tournera  ton  rôti. 


«  Mais  qu'il  lui  prenne  un  caprice,  —  tu  peux 
dire  adieu  ! . ..  Quel  brouillon  !  —  Dans  ta  marmite,  il 
jette  un  quarteron  de  sel  ;  —  il  empêche  ton  feu  de 
s'allumer  ;  —  vas-tu  te  coucher?  il  souffle  ta  lampe  ; 
—  veux-tu  aller  aux  Vêpres  à  Saint-Trophime  *?  — 
il  Mo\iQ  ou  fane  ta  parure  des  dimanches.  » 


238  MIRÈIO,  CANT  VI. 

—  Tè  !  tè  ! . . .  vièi  cro,  giblo  ti  pouncho  ! 

L'ausès,  la  carrello  iriau  vouncho? 
FiOu  levènti  lèu-lèu  ie  respond,  o,  carcan, 

La  niue,  quand  dormon  li  chatouno 

Tire  plan-plan  sa  cubertouno  ; 

Lis  espinche,  nuso  e  redouno, 
R  que,  folo  de  pôu,  s'aniaton  en  pregant 

Vese  si  dos  coucoureleto 

Que  van  e  vènon,  tremouleto  ; 
Vese...  El'Esperitoun  s'enanavo  eilalin 

Emé  soun  rire. . .  Sout  li  baumo, 

Li  mascarié  faguèron  chaumo  ; 

E  dins  lis  oumbro  e  la  calanmo 
Entendien  dégoûta  sus  lou  sôu  crislalin, 

Dégoûta  lou  trespir  di  vôuto, 
E  rèn  qu  acô,  de  vôuto  en  vôuto. 

E  veici,  peravau  dins  la  vasto'negrour, 
Veici  qu'uno  grand  formoblanco, 
Qu'èro  assetado  su'no  estanco, 
S'aubourè  drecho,  un  bras  sus  l'anco. 

Vincèn,  coume  un  queiroun,  aplanta  de  terreur; 

E  s'aqui  même  pousquèsse  èstre 
Un  degoulôu,  de  l'escaufèstre 
Mirèio  tout  d'un  vanc  se  ie  trasié.  —  Que  vos, 
Taven  cridè,  long  escamandre, 
Pèr  que  ta  tèsto  se  balandre 
Coume  uno  pibo?...  Mi  calandre, 
Faguè  pièi  au  parèu  qu'a  la  mort  dins  lis  os, 


MIREILLE,  CHANT  VI.  259 

— .  tf  Tiens!  tiens  !  vieux  croc,  rive  tes  pointes!  — 
L'entendez-vous,  la  poulie  mal  graissée?  —  lui  répli- 
que aussitôt  l'espiègle.  Oui,  olive  desséchée,  —  la 
nuit,  quand  dorment  les  fillettes,  —  je  tire  douce- 
ment leur  couverture;  —  je  les  épie,  nues  et  rebon- 
dies, —  et  qui,  folles  de  peur,  se  blottissent  en 
priant. 

«  Je  vois  leurs  deux  coupelles  —  qui  vont  et  vien- 
nent, palpitantes;  —  je  vois..,  »  Et  l'Esprit  s'en 
allait  au  lointain  —  avec  son  rire...  Sous  les  grottes, 
—  les  sorcelleries  firent  trêve  ;  —  et  dans  les  om- 
bres et  le  silence  —  on  entendait  dégoutter  sur  le  sol 
cristallin , 


Dégoutter  la  filtration  des  voûtes,  —  et  cela  seul, 
d'intervalle  en  intervalle.  —  Et  voici,  par  là-bas, 
dans  l'immensité  noire,  — voici  qu'une  grande  forme 
blanche  —  qui  sur  un  banc  de  roche  était  assise,  — 
se  leva  droite,  un  bras  sur  la  hanche.  —  Vincent, 
comme  un  quartier  de  pierre,  immobile  de  terreur  ; 


Et  si  en  ce  lieu  même  avait  pu  être  ~  un  préci- 
pice, d'épouvante  —  Mireille  s'y  jetait  d'un  seul 
élan.  —  «  Que  veux-tu,  —  s'écria  Tavèn,  long  esco- 
griffe, —  par  ces  balancements  de  tête  —  (pareils  à 
ceux)  d'un  peuplier?...  Mes  drilles,  —  dit-elle  ensuite 
au  couple  qui  a  la  mort  dans  les  os, 


240  MIIIÈIO,  GANT  VI. 

Couneissès  pas  la  Bugadiero? 

Sus  Mount-Ventoui"  (qu'èi  sa  cadiero) 
Quand  la  veson,  d'en  bas,  pèr  un  long  nivo  blanc 

Li  gènt  la  prenon;  mai,  o  pastre, 

Lèu  !  lèu  !  que  vosle  avé  s'encastre  ! 

La  Bugadiero  de  malastre 
Âcampo  à  soun  entoui'  11  nivo  barrulant  ; 

E  quand  n'i'a  proun  pèr  la  bugado, 

Sus  lou  mouloun,  revertegado 
E  'mé  furour,  bacello  e  rebacello  :  à  bro, 

N'en  tors  la  raisso  emé  la  flamo, 

E,  sus  la  mar  que  mounto  e  bramo, 

A  la  gàrdi  de  Nostro-Damo 
Li  marin  palinous  recoumandon  sa  pro  ' 

E  lou  bouiè  de-vers  l'estable 

Coucho...  Un  sagan  espaventable 
[e  tanco  tournamai  la  paraulo  entre  dent  : 

E  de  miaula  de  catamiaulo, 

E  de  brandamen  de  cadaulo, 

E  de  piéu-piéu,  e  de  paraulo 
\  mita  dicho,  e'n  quau  lou  diable  soûl  entend. 

Jin  î  jin  î  poun-poun  !..  Quau  es  que  pico 

Sus  de  peirolo  fantastico?... 
E  d'estras,  e  de  rire,  emé  d'esquichamen 

Coume  de  femo  abasimado 

Dins  lou  moumen  de  si  ramado  ; 

Pièi  de  badai,  pièi  de  bramado, 
E  zôu  !  lou  roumadan  e  li  gingoulamen  ! 


MIREILLE,  CHANT  VI.  2^1 

«  Vous  ne  connaissez  pas  la  Lavandière?  —  Sur  le 
Mont  Ventour  (qui  est  son  siège)  —  lorsqu'ils  la 
voient,  d'en  bas,  pour  un  long  nuage  blanc  —  les 
gens  la  prennent  ;  mais,  ô  bergers,  —  vite  !  vite  !  que 
vos  brebis  rentrent  au  parc  !  —  la  Lavandière  de 
malheur  —  amasse  autour  d'elle  les  nuées  errantes; 


«(  Et  quand  il  en  est  assez  pour  la  lessive,  —  sur 
le  monceau,  (les  bras)  retroussés,  —  et  avec  fureur, 
elle  frappe  et  refrappe  :  à  brocs  —  elle  en  exprime 
en  les  tordant  et  l'averse  et  la  flamme,  — et  sur  la  mer 
qui  monte  et  mugit,  —  à  la  garde  de  Notre-Dame  — 
les  pâles  nautoniers  recommandent  leur  proue  ! 


«  Et  le  bouvier  devers  l'étable  —  chasse...  »  Un 
épouvantable  tumulte  —  lui  arrête  derechef  la  pa- 
role entre  dents  :  —  miaulements  de  chattemites,  — 
branlements  de  loquet,  —  et  piaulements,  et  paroles 
—  à  moitié  dites,  et  auxquelles  le  diable  seul  entend. 


Djin!  djin!  poim-poun!....  Qui  frappe  ainsi  — 
sur  des  chaudières  fantastiques  ?...  —  Et  des  déchi- 
rements, et  des  (éclats)  de  rire,  et  des  épreintes  — 
comme  (celles)  de  femmes  abîmées  —  dans  les  dou- 
leurs (de  leurs  couches)  ;  —  puis  des  bâillements, 
puis  des  huées,  —  et  des  criailleries,  r,t  des  gémis 
sements  aigus  I 

21 


242  MIRÈIO,  GANT  VI 

—  Pourgès  la  man,  que  vous  arrape  ! 
E  dounas  siuen  que  noun  s'escape 

La  courouno  de  masc  que  vous  cencho  lou  front! 
E  dins  si  cambo  aqui  s'encoufo 
Coume  uno  pourcado  qu'esbroufo  : 
Un  quilo,  un  japo,  un  reno,  un  boufo. 

Souto  un  lançôu  de  nèu  quand  la  Naturo  drom, 

Pèr  uno  niue  ventouso  e  claro, 

Quand  li  cassaire  de  fanfaro 
Espôusson  li  roumias  tout-de-long  di  valat, 

Ânsin  passeroun  e  machoto, 

Destrassouna  dins  sa  liechoto 

E'  spavourdi,  parton  à  floto, 
E  'mé  'n  brut  d'aurifiant  s'embourson  au  fielat. 

Mai  alor  l'escounjurarello  : 

I,  mau-vivènti  sautarello  I 
Arri  ! . . .  malavalisco  à  vàutri  î . . .  passas-nie  ' 

E  coussaiant  la  chourmo  impuro 

Emé  soun  drai,  dins  la  sournuro 

Trasié  de  ciéucle,  de  figuro, 
De  raio  luminouso  e  coulour  de  vermé. 

—  Entraucas-vous  dins  vôsti  borno, 
0  maufatan  !...  quauvous  destorno? 

I  dardaioun  de  fio  que  pougnon  vôsti  car, 
Senlès  donne  pas  que  sus  l'Aupiho 
Lou  soulèu  rous  encaro  briho  ? 
Pendoulas-vous  i  roucassiho  ! 

Pèr  li  ralo-oenado  et    ixaro  trop  clar...* 


MIREILLE,  CHANT  VT.  2i3 

—  «  Tendez  la  main,  que  je  vous  saisisse  !  —  et 
prenez  garde  qu'elle  ne  s'échappe  —  la  couronne 
magique  qui  vous  ceint  le  front  !»  —  Et  dans  leurs 
jambes  alors  se  presse  pêle-mêle —  (quelque  chose) 
comme  un  troupeau  de  porcs  qui  s'ébroue  :  —  l'un 
crie,  l'un  aboie,  l'un  grogne,  l'un  souffle.  —  Sous 
un  linceul  de  neige  quand  la  nature  dort , 

Par  une  nuit  venteuse  et  claire,  —  quand  les  chas- 
seurs à  la  fouée  —  secouent  les  ronceraies  tout  le 
long  des  ruisseaux,  —  ainsi  moineaux  et  chouettes,  — 
éveillés  en  sursaut  dans  leur,  couche,  —  effarouchés, 
partent  par  bandes,  —  et,  avec  un  bruit  de  soufflet 
(de  forge),  s'engouffrent  dans  le  filet. 


Mais  alors  la  charmeresse  :  —  «  Hue  !  sauterelles 
de  mauvaise  vie!  — ArrH...  malheur  à  vous!... 
loin  de  moi  !»  —  Et  chassant  la  horde  impure  — 
avec  son  crible,  dans  les  ténèbres,  —  elle  jetait  des 
cercles,  des  figures,  —  des  raies  lumineuses  et  cou- 
leur de  kermès. 


—  «  Clapissez-vous  dans  vos  cavernes,  —  artisans 
de  mal  ! . . .  qui  vous  dérange  ?  —  Aux  aiguillons  de 
feu  qui  piquent  vos  chairs,  —  ne  sentez-vous  donc 
pas  que  sur  l'Alpine  —  le  soleil  roux  brille  encore? 
—  Aux  angles  de  rocher  appendez-vous  !  —  pour  les 
chauves-souris  il  fait  encore  trop  clair....  » 


244  MIRÈIO,  CANT  VI. 

E  de  tout  Caire  patusclavon, 

E  li  brut  pau-à-pau  moulavon. 
• —  Fau  vous  dire,  au  parèu  digue  Taven  alor. 

Que  di  Trevan  eiçô  's  la  cauno, 

Tant  que,  sus  lis  estoublo  jauno, 

Lou  jour  laisso  toumba  sa  mauno  ; 
Mai  une  fes  que  l'oumbro  estènd  sou  drap  de  mort 

Eiça  quand  la  Vièio  encagnado 
Mando  à  Febrié  sa  reguignado, 

Dins  li  glèiso  deserto  e  clavado  à  très  tour, 
Ânessias  pas,  fenoo  tardiero, 
Lou  front  pendent  su'no  cadiero. 
Resta  'ndourmido  ! . . .  Â  la  sourniero, 

Pourrias  vèire  li  bard  s'eigreja  tout  autour  ; 

E  s'atuba  li  lumenàri, 

E,  courdura  dins  lou  susàri, 
Li  mort,  un  aro,  un  pièi,  s'ana  mètre  à  geinoun  ; 

Un  capelan,  pale  coume  éli, 

Dire  la  Messo  e  TEvangéli  ; 

E  li  campano,  d'esperéli 
A  brand,  ploura  de  clar  emé  delong  plagnoun! 

Parlas,  parlas-n'en  i  béulôli  : 

Dins  li  glèiso,  pèr  béure  l'ôli 
Di  lampo,  quand,  l'ivèr,  davalon  di  clôuquié, 

Demandas-ie  se  vous  mentisse, 

E  se  lou  clerc  que  sèr  l'ôufico. 

Que  met  lou  vin  dins  lou  calice, 
N'es  pas  soulet  d'en  vido  à  la  ceremounié! 


MIREILLE,  CHANT  VI.  445 

Et,  ils  déguerpissaient  de  toute  part;  — et  les  bruits 
peu  à  peu  s'éteignaient.  —  «  Il  faut  vous  dire,  au 
couple  dit  alors  Tavèn,  —  que  des  fantômes  ce 
(lieu)  est  le  repaire,  — tant  que,  sur  les  jachères 
jaunes,  —  le  jour  laisse  tomber  sa  manne  ;  —  mais 
dés  que  l'ombre  étend  son  drap  de  mort; 


«  Vers  le  temps  où  la  Vieille  ®  irritée  —  lance  à 
Février  sa  ruade,  —  dans  les  églises  désertes  et  fer- 
mées à  triple  tour  de  clef,  —  n'allez  pas,  femmes 
attardées,  —  le  front  pendant  sur  une  chaise,  — 
rester  endormies!...  Dans  les  ténèbres,  —  vous 
pourriez  voir  les  dalles  se  soulever  toat  alentour; 


«  Et  les  luminaires  s'allumer  ;  —  et,  cousus  dans 
leurs  suaires,  —  les  morts,  un  à  un,  aller  se  mettre 
à  genoux  ;  —  un  prêtre,  pâle  comme  eux,  —  dire  la 
Messe  et  l'Évangile;  —  et  les  cloches,  d'elles-mêmes 
en  branle,  pleurer  des  glas  avec  de  longs  soupirs  I 


«  Parlez,  parlez-en  aux  effraies  :  —  dans  les  égli- 
ses, pourboire  l'huile  —  des  lampes,  quand,  l'hiver, 
elles  descendent  des  clochers,  —  demandez-leur  si  je 
vous  mens,  —  et  si  le  clerc  qui  sert  l'office,  —  qui 
dans  le  calice  verse  le  vin,  —  n'est  pas  le  seul  vivant 
à  la  cérémonie  !  • 


24fi  MIRÈIO,   GANT  VI. 

Rica  quand  la  Vièio  encagnado 
Mando  à  Febriè  sa  reguignado, 

Pastre,  se  noun  voulès,  espeloufi  de  pôu, 
Resta  sèt  an,  li  cambo  redo, 
Enclaus  aqui  'mé  vôsti  fedo, 
Rintras  pulèu  dins  vôsti  cledo, 

Pastre!  lou  Trau  di  Fado  a  bandi  tout  soun  vôuî 

E  dins  la  Crau,  de  quatre  cambo 

0  de  voulado,  se  ie  rambo 
Tout  ce  qu'a  fa  lou  pache  ;  e  pèr  li  draiôu  tort, 

Li  Matagoun  de  Varigoulo 

E  li  Masc  de  Fanfarigoulo 

Van  veni  dins  li  ferigoulo, 
En  farandoulejant,  béure  à  la  tasso  d'or. 

.   Vè  !  coume  danson  li  garrigo  ! 

En  fernissènt  de  l'embourigo, 
Déjà  la  Garamaudo  espèro  lou  Gripet... 

Hui!  lapanturlo  endemouniado! 

Gripet,  morde  la  carougnado 

E'  stripo-la  de  grafignado.... 
Desparèisson. . .  Ve  mai  que  fan  orre  e  tripet  ! 

Aquelo,  eilavau,  que  patusclo 

Terro-bouiroun  dins  li  lachusclo, 
Coume  un  laire  de  niue  que  luge  en  s'amourrant, 

Es  la  Bambaroucho  mourrudo  ! 

Entre  sis  arpo  loungarudo 

E  sils  sa  tèsto  banarudo 
Emporto  d'enfantoun,  tôuti  nus  e  plourant... 


MIREILLE,   CHANT  VI.  247 

«  Vers  le  temps  où  la  Vieille  irritée  —  lance  à  Fé- 
vrier sa  ruade,  —  pâtres,  si  vous  ne  voulez  ébou- 
riffés de  peur,  —  rester  sept  ans  les  jambes  roides, 
—  charmés,  là  où  vous  êtes,  avec  vos  brebis,  — 
rentrez  moins  tard  dans  vos  claies,  —pâtres  !  le  Trou 
des  Fées  a  lâché  tout  son  vol. 


«  Et  dans  la  Crau,  à  quatre  pattes  —  ou  d'une 
volée,  se  rend  —  tout  ce  qui  a  fait  le  pacte  ;  et,  par 
les  sentiers  tortueux,  —  les  Magiciens  de  Varigoule^ 
—  et  les  Sorciers  de  Fanfarigoule  ^  —  vont  venir 
dans  les  thyms  —  boire  à  la  tasse  d'or,  en  faisant  la 
farandole, 


«  Voyez  !  comme  dansent  les  garrigues  '  !  —  Fré- 
missante du  nombril,  —  déjà  la  Garamaude  attend 
le  Gripet...  —  Fi!  guenipe  endiablée!  —  Gripet, 
mords  la  charogne  —  et  arrache-lui  les  boyaux  à 
coups  de  griffes...  —  Ils  disparaissent...  Les  voilà 
encore!  horreur  et  bacchanale! 


«  Celle  qui,  là-bas,  décampe  —  terre  à  terre  dans 
les  tithymales,  —  comme  un  voleur  nocturne  qui 
fuit  en  se  baissant,  —  c'est  la  Bambarouche  refro- 
gnée  !  —  Entre  ses  longues  serres  —  et  sur  sa  tête 
cornue  —  elle  emporte  des  enfantelets,  nus  et  pleu- 
rants... 


248  MIRÉIO,   CANT   VI. 

Eila,  vesès  la  Chaucho-vièio  ? 

Pèr  lou  canoun  di  chaminèio, 
Davalo  d'à  cachoun  sus  l'estouma  relent 

De  l'endourmi  que  se  revèsso  ; 

Mudo,  se  i'agrouvo  ;  l'ôuprèsso 

Coume  uno  lourre,  e  i'enlravèsso 
De  sounge  que  fan  afre  e  de  pantai  doulènt 

Ausès  desgounfouna  li  porto  ? 

Lis  Escarinche  soun  pèr  orto, 
Pèr  orto  lou  Marmau,  lou  Barban...  Dins  l'ermas, 

Fan  nèblo;  enjusquo  di  Ceveno, 

Emé  si  ventre  d'alabreno, 

Li  Dra  s'acampon  à  dougeno, 
E  'n  passant,  pataflôu!  destèulisson  li  mas. 

Que  tarabast!...  o  Luno,  o  Luno, 

Que  mau-passage  t'encantuno, 
Pèr  davala,  tantroujo  e  largo,  sus  li  Bau?... 

Aviso-te  dôu  chin  que  japo, 

0  Luno  folo  !  Se  t'arrapo, 

T'engoulara  coume  uno  papo, 
Car  lou  chin  que  t'aluco  es  lou  Chin  de  Cambau 

Mai  quau  ansin  brando  lis  éuse?.,. 

Ai  !  soun  troussa  coume  de  féuse; 
E  di  fio  de  Sant-Èume,  à  saut,  à  vertouioun, 

Boumbis  la  flamado  gancherlo  ; 

E  d'estrepado,  e  'n  brut  d'esquerlo 

Estrementis  la  Crau  estcrlo... 
Lou  galop  enrabia  dùu  Baroun  Castihoun  ! 


MIREILLE,   CHANT  VI.  '240 

«  Parla,  voyez-vous  le  Cauchemar  ?  —  Par  le  tuyau 
des  cheminées,  —  il  descend  furtivement  sur  la  poi- 
trine moite  —  de  l'endormi  qui  se  renverse;  — 
muet,  il  s'y  accroupit,  l'oppresse—  comme  une  tour, 
et  enchevêtre  (dans  son  esprit)  —  des  songes  qui 
font  horreur  et  des  rêves  douloureux. 


«  Entendez-vous  arracher  les  portes  de  leurs  gonds  ? 
— Les  Escarinches  courent  la  campagne;  —  (courent) 
la  campagne  le  Marmal,  le  Barban.. ,  Dans  la  lande 
—  ils  forment  une  brume;  des  Cévennes  mêmes,  — 
avec  leurs  ventres  de  salamandre,  —  les  Dracs  ac- 
courent par  douzaine,  —  et  en  passant,  patatras  !  ils 
arrachent  la  toiture  des  fermes. 

«  Quel  vacarme!...  ô  Lune,  ô  Lune,  —  quel  mal- 
encontre  te  courrouce,  —  pour  descendre  ainsi, 
rouge  et  large,  sur  les  Baux  ! . . .  —  Prends  garde  au 
chien  qui  aboie,  —  ô  Lune  folle  !  S'il  te  happe,  —  il 
t'engoulcra  comme  un  gâteau,  —  car  le  chien  qui  te 
guette  est  le  chien  de  Cambal  ! 


«  Mais  qui  branle  ainsi  les  yeuses?  —  Aïe!  elles 
sont  tordues  comme  des  fougères  ;  —  et  des  feux 
Saint-Elme,  sautants,  tourbillonnants,  —  bondit  la 
flamme  tortue  ;  —  et  des  piétinements,  et  un  bruit 
de  clochettes  —  font  retentir  le  Crau  stérile...  —  Le 
galop  enragé  du  Baron  Castillon  !... 


'iôO  MIRÈIO,   GANT  YI. 

Rauco,  desalenado.  ostenco, 

S'èro  arrestado  la  Baussenco. 
Mai  siibran  :  Tapas-vous,  faguè,  'mé  lou  faudaii, 

Tapas  l'auribo  e  li  parpello, 

Que  l'Agnèu  nègre  nous  apello  ! 

—  Quau?...  aquel  agneloun  quebèlo? 
Digue  Vincèn.  Mai  elo  :  Auriho  sourdo,  e  d'aut! 

Malur,  eici,  pèr  quautrebuco! 

Mai  que  lou  pas  de  la  Sambuoo 
Dangeirous  èi  lou  pas  dôu  nègre  Banaru. 

Coume  aro  venès  de  l'entendre, 

A  'n  teta-dous,  un  bêla  tendre 

Que  vous  atiron  à  descendre. 
1  Crestian  imprudent  que  se  viron  au  brut, 

Fai  lusi  l'einpèri  d'Erode, 

L'or  de  Judas,  e  dis  lou  rode 
Mounte  la  Cabro  d'or  fugue  di  Sarrasin 

Aclapado.  Fin  que  degolon, 

Môuson  la  Cabro  tant  que  volon  ; 

Mai  à  l'angôni  quand  rangolon, 
Fagon  pièi  demanda  lou  sacramen  divin  ! 

L'anouge  nègre  ie  resposto 

Em'  uno  rousto  sus  li  costo. 
E  pamens,  e  pamens,  i  tènis  que  sian,  mau  tèins 

Escoussura  de  touto  déco, 

Quant  n'i'a  d'amo  alucrido  e  seco, 

Ai  !  las  !  que  mordon  à  sa  leco, 
£  qu'à  la  Cabro  dor  fan  tuba  soun  encens  ! 


MIREILLE,   CHANT    VI.  251 

Enrouée,  haletante,  suffoquant,  —  s'était  arrêtée 
la  (sorcière)  des  Baux.  —  Mais  soudain  :  «  Couvrez- 
vous,  fit-elle,  du  tablier,  —  couvrez  l'oreille  et  les 
paupières  !  —  L'Agneau  noir  nous  appelle  \...  »  — 
«  Qui  donc?...  cet  agnelet  qui  bêle?  »  —  dit  Vin- 
cent. Mais  elle  :  «  Sourde  oreille  !  et,  alerte  ! 


«  Malheur,  ici,  à  qui  trébuche  !  —  Plus  que  le  pas 
de  la  Sambuque*"  —  est  périlleux  le  pas  du  noir 
Cornu.  —  Ainsi  que  maintenant  vous  \enez  de  l'en- 
tendre, —  il  a  un  accent  doucereux,  un  tendre  bêle- 
ment —  qui  vous  attirent  à  la  descente. —  Aux  Chré- 
tiens imprudents  qui  se  retournent  au  bruit, 


«  Il  fait  luire  l'empire  d'Hérode,  —  l'or  de  Judas, 
et  indique  la  place  —  où  la  Chèvre  d'or  fut  par  les 
Sarrasins  —  enfouie.  Jusqu'à  leur  mort,  —  ilstraient 
la  Chèvre  tant  qu'ils  veulent  ;  —  mais  à  l'agonie, 
lorsqu'ils  râlent,  —  qu'ensuite  ils  fassent  demander 
le  sacrement  divin  ! 


«  Le  noir  antenois  leur  réplique  —  par  un  orage 
de  coups  sur  les  côtes.  —  Et  néanmoins,  et  néan- 
moins, aux  temps  où  nous  sommes,  temps  mauvais, 
—  marqués  parla  morsure  de  tout  vice,  —  combieii 
d'âmes  sèches  et  affamées  de  gain,  —  hélas  !  qui 
mordent  à  son  piège,  —  et  qui  à  la  Chèvre  d'or  font 
fumer  leur  encens!  » 


252  MIRÈIO',  GANT  VI. 

Aqui  lou  cant  de  la  galino 

Très  cop  fende  la  nevoulino. 
—  Dins  la  Iregenco  baumo,  à  la  perfin,  cnfan': 

Siari  arriba!  digue  la  vièio. 

Lou  panieraire  emé  Mirèio, 

Souto  uno  grande  chaminèio, 
Yeguèron  sèt  cet  nègre,  au  fougau  se  caufant 

Veguèron,  entre  li  sèt  mascle, 

Uno  oulo  de  ferre  au  cremascle; 
Veguèron  dous  coulobre  en  forme  de  tisoun, 

Que  racavon  à  plen  de  goulo 

Dos  flamo  bluio  au  quiéu  de  l'oulo. 

—  Pèr  cousina  vosto  bourroulo, 
Vous  serves  d'aquéu  bos,  ma  grand?  —  0,  moun  garçoun 

Brulo,  acô,  miéu  que  gen  de  busco  : 

Es  de  souquihoun  de  lambrusco. 
Mai,  en  cabessejant,  Vincèn  :  De  souquihoun, 

De  souquihoun,  lou  voulès  dire... 

Mai  fasen  lèu,  qu'es  pas  de  rire. 

Uno  grand  taulo  de  pourfire, 
Au  centre,  espandissié  soun  large  virouioun 

A  proucesssioun  e  blanquinello, 

Milo  colono,  clarinello 
Counio  li  jaleiroun  que  pènjou  di  cubert, 

D'aqui  parton,  pèr  ana  courre 

Souto  li  racine  di  roure 

E  la  foundamento  di  moure, 
Inmènsi  galarié  que  li  Fado  an  dubert , 


MIREILLE,  CHANT  VI.  Î55 

Là  le  chant  de  la  poule— trois  fois  perça  la  brume. 
—  «  Dans  la  treizième  grotte,  à  la  fin  des  fins,  en- 
fants, —  nous  voici  arrivés,  »  dit  la  vieille.  —  Mi- 
irsille  et  le  vannier,  —  sous  une  grande  cheminée,  — 
\  rentsept  chats  noirs  se  chauffant  à  Tâtre. 


Ils  virent,  au  milieu  des  sept  matous,  —  une  mar- 
mite de  fer  à  la  crémaillère  ;  —  ils  virent  deux  dra- 
gons, en  forme  de  tisons,  —  qui  vomissaient  à  pleine 
gueule  —  deux  flammes  bleues  au  cul  de  la  marmite. 
—  «  Pour  cuisiner  votre  bouillie,  —  vous  employez 
ce  bois,  grand'mère?  »  —  «  Oui,  mon  fils  ! 


«  Nulle  bûchette  ne  brûle  mieux  :  —  ce  sont  des 
ceps  de  vigne  sauvage.  »  —  Mais  Vincent,  hochant  la 
tête  :  «  Des  ceps,  —  des  ceps,  cela  vous  plaît  à  dire.... 
—  Mais  hâtons-nous,  car  ce  n'est  point  risible...  »  — 
Une  grande  table  de  porphyre,  —  au  centre  (de  la 
grotte),  épanouissait  son  large  contour. 


Processionnellement  et  blanches,  —  mille  colonnes, 
diaphanes  —  comme  les  glaçons  qui  pendent  aux 
toits,  —  de  là  partent,  pour  aller  courir  —  sous  les 
racines  des  chênes  —  et  les  fondements  des  mame- 
lons, —  immenses  galeries  que  les  Fées  ont  ou- 
vertes; 


22 


254  MIRÈIO,   CANT  VI. 

Porje  majestuous,  qu'amago 

Uno  lusour  neblouso  e  vago; 
Merevilîous  emboui  de  temple,  de  palais, 

De  peristil,  de  laberinlo, 

Coume  n'en  taièron  ansinto 

Ni  Babilouno  ni  Courinto, 
E  qu'un  alen  de  Fado  esvalis,  quand  ie  plais. 

Aqui  li  Fado  varaiejon  : 
Coume  de  rai  que  trantraiejon, 

Emè  li  cliivalié  qu'enfadèron  antan 
Countunion  la  vido  amourouso, 
Dins  lis  andano  souloumbrouso 
D'aquelo  tranquilo  chartrouso... 

Mai  chut  !  pas  i  parèu  dins  l'oumbro  s'acatant! 

L'encantarello,  déjà  lèsto, 
Quouro  dreissavo  sus  la  tèsto, 

Quouro  de-vers  lou  sôu  beissavo  si  bras  nus. 
Sus  la  grand  taulo  de  pourfire, 
Coume  Laurèn  lou  sant  martire, 
Ero  coucha  sènso  rèn  dire 

Vincèn  lou  panieraire,  emé  sa  plago  au  bust- 

Furouno,  creissegudo  en  taio 

Pèr  l'esperit  que  la  travaio 
E  d'un  vent  proufeti  ie  gounflo  lou  galet, 

Taven,  dins  l'oulo  que  revouiro 

A  grossis  oundo  boulidouiro, 

Planto  subran  l'escumadouiro. 
A  soun  entour  li  cat  fasien  lou  roudelet. 


MIREILLE,    CHANT    VL  255 

Portiques  majestueux  qu'enveloppe  —  une  lueur 
nébuleuse  et  vague  ;  —  merveilleux  pêle-mêle  de 
temples,  de  palais,  —  de  péristyles,  de  labyrinthes, 
—  comme  n'en  taillèrent  ainsi  —  ni  Corinthe  ni  Baby- 
lone,  —  et  qu'un  souffle  de  Fée  dissipe,  quand  il  lui 
plaît. 


Là  errent  les  Fées  :  —  pareilles  à  des  rayons  qui 
tremblotent,  —  avec  les  chevaliers  qu'elles  enchan- 
tèrent jadis,  —  elles  continuent  la  vie  d'amour,  — 
dans  les  allées  ombreuses  —  de  cette  chartreuse 
tranquille...  — Mais,  silence!  paix  aux  couples  qui 
s'enveloppent  d'ombre  ! 


Déjà  prête,  l'enchanteresse  —  tantôt  levait  sur  la 
tête,  —  tantôt  vers  le  sol  baissait  ses  bras  rms.  —  Sur 
la  grande  table  de  porphyre,  —  tel  que  Laurent  le 
saint  martyr,  —  était  couche  sans  dire  mot  —  le  van- 
nier Vincent,  avec  sa  plaie  au  buste. 


Exaltée,  grandie  —  par  l'esprit  qui  la  travaille  — 
et  d'un  vent  prophétique  lui  enfle  la  gorge,  —  Tavèn 
dans  la  marmite  qui  déborde  —  à  gros  bouillons,  — 
plonge  soudain  l'écumoire. — Autour  d'elle,  les  chaU 
formaient  le  cercle. 


S56  MIREIO,  CANT  VI. 

Venerablo,  emé  la  menèstro, 

La  masco,  de  la  man  senèstro 
Esbouiènto  à  Vincèn  soun  pitre  descata  ; 

E,  lis  iue  fisse,  n'escounjuro 

La  doulourouso  pougneduro 

En  remoumiant  à  voues  escuro  : 
Crist  èi  na  !  Crist  èi  mort  !  Crist  èi  ressuscita  ! 

Crist  ressuscitara  !. . .  Mestresso 

Coume  i  Iburèst  la  grand  tigresso 
Qu'alongo,  après  la  casso,  un  cop  d'arpo  au  flanc  rous 

De  sa  tremoulanto  vitimo, 

Sus  la  fruchaio  que  trelimo 

Ansin  la  masco  alor  emprimo 
Très  fes  emé  l'artèu  lou  signe  de  la  crous. 

E  de  sa  bouco,  a  touto  zurto, 

La  paraulo  desboundo,  e  turlo 
I  pourtau  nivoulous  de  l'endevenidou  : 

0,  ressuscitara  !  Lou  crese  ! 

De  la  colo  entre  li  roumese 

E  li  frejau,  alin  lou  vese 
Que  mounto,  emé  soun  front  que  sauno  à  gros  degout  ! 

E  dins  li  roumio  e  dins  li  clapo 
Mounto  soulet;  sacrons  l'aclapo... 

Mounte  éi,  pèr  l'eissuga,  Verounico ?...  Mounte  es 
Aquéu  brave  ome  de  Cireno, 
Pèr  i'auboura,  se  'n  cop  s'arreno  ? 
Emé  soun  peu  que  se  destreno, 

Li  Mario  plagnènto  ounte  soun?...  I'  a  pas  res! 


MIREILLE,   CHANT  VI.  257 

Vénérable,  avec  la  mixture,— la  sorcière,  de  la  main 
gauche,  —  échaude  la  poitrine  découverte  de  Vin- 
cent ;  —  et,  les  yeux  fixes,  en  charme  —  la  doulou- 
reuse blessure,  —  en  murmurant  à  voix  basse  :  — 
«  Christ  est  né  !  Christ  est  mort  !  Christ  est  res- 
suscité! 


«  Christ  ressusciter  al...  »  Triomphante  —  comme 
aux  forêts  la  grande  tigresse  —  qui  allonge,  après  la 
chasse,  un  coup  de  griffe  dans  le  flanc  roux  —  de  sa 
tremblante  victime,  —  sur  les  viscères  palpitants  — 
ainsi  la  sorcière  imprime  alors  —  trois  fois  avec  l'or- 
teil le  signe  de  la  croix. 


Et  de  sa  bouche,  désordonnément  —  la  parole  dé- 
bonde, et  heurte — aux  portails  nuageux  de  l'avenir  : 
—  «  Oui,  il  ressuscitera!  Je  le  crois  !...  —  De  la  col- 
line parmi  les  ronces  —  et  les  cailloux,  je  le  vois,  au 
lointain,  —  qui  monte,  avec  son  front  saignant  à 
grosses  gouttes  ! 


«  Et  dans  les  ronces  et  dans  les  pierres, — il  monte 
seul  ;  sa  croix  l'accable...  —  Où  est,  pour  l'essuyer, 
Véronique  ?. . .  Où  est  —  ce  brave  homme  de  Cyrène, 
pour  le  relever  lorsqu'il  s'affaisse?  —  Avec  leur  che- 
velure détressée,  —  les  Maries  plaintives,  où  sont- 
elles?...  Personne  ! 


28. 


258  MIRÈIO,    CANT  VI. 

E  dins  l'ouiribrun  e  la  terriho, 

Avau,  richesso  emai  pauriho 
Lou  regardon  que  mounto,  e  dison  :  Mounte  vai, 

Emésa  fusto  sus  l'espalo, 

Aquéu,  amount,  que  sèmpre  escalo? 

Sang  de  Gain,  amo  carnalo, 
Dôu  pourtaire  de  Crous  n'an  de  pieta,  pas  mai 

Que  se  vesien  dins  lou  campèstre 

Un  cliin  aqueira  pèr  soun  mèstre  !... 
Ah  !  raço  de  Jusiôu,  que  mordes  en  fureur 

La  man  que  t'abaris,  e,  torso, 

Lipes  aquelo  que  t'endorso, 

Dins  la  mesoulo  de  toun  orso 
(Lou  vos  ?)  davalaran  li  frejoulun  d'ourrour' 

E  ce  qu'es  pèiro  vendra  pousse... 

E  de  l'espigo  e  de  la  dôUsso 
Vai  esfraia  ta  fam  lou  mascarun  amar... 

Oh  î  que  de  lanço  !  oh  !  que  de  sabre  î 

Sus  quénti  mole  de  cadabre 

Veseboumbi  l'aigo  di  vabre!... 
Pacefico  lis  erse,  o  tempestouso  mar!... 

Ai  !  de  Pèire  la  barco  antico 

Is  àspri  roco  mounte  pico 
S'èi csclapado  !...  Oi-ve  !  lou  mèstre pescadou 

A  dôumina  l'oundo  rebelle  ; 

Dins  une  barco  novo  e  belle 

Gagne  lou  Rose,  e  reboumbello 
Emé  la  crous  de  Dieu  plairtado  au  trepadeu  ! 


MIREILLE,  CHANT  VL  259 

«  Et  dans  l'ombre  et  la  poussière, —  là-bas,  riches 
et  pauvres  —  le  regardent  monter,  et  disent  :  «  Où 
va,  —  avec  sa  poutre  sur  l'épaule,  —  celui,  là-haut. 
qui  sans  cesse  gravit?...  —  Sang  de  Caïn,  âmes 
charnelles,  —  pour  le  porte-croix  ils  n'ont  de  pitié, 
pas  plus 


«  Que  s'ils  voyaient  dans  la  lande  —  un  chien  la- 
pidé par  son  maître!...  —  Ah!  race  de  Juifs,  qui 
mords  avec  fureur —  la  main  qui  te  nourrit,  et,  cour- 
bée, —  lèche  celle  qui  t'éreinte  (de  coups),  —  dans 
la  moelle  de  tes  vertèbres  —  (tu  le  veux?)  descen- 
dront les  frissons  d'horreur  ! 


«  Et  ce  qui  est  pierre  deviendra  poussière...  —  Et 
de  l'épi  et  de  la  gousse  —  le  charbon  amer  va  ef- 
frayer ta  faim...  —  Oh!  que  de  lances!  oh!  que  de 
sabres  !  —  Sur  quels  monceaux  de  cadavres  —  vois- 
je  bondir  l'eau  des  ravins!  —  Pacifie  tes  vagues,  ( 
mer  tempétueuse  1 . . . 


«  Aïe!  la  barque  antique  de  Pierre — aux  âpra 
roches  où  elle  frappe  —  s'est  brisée  en  éclats  ! ...  Oh  ? 
voyez  !  le  maître  pêcheur  —  a  dominé  le  flot  rebelle  ; 
—  dans  une  barque  belle  et  neuve  —  il  gagne  le 
Rhône,  et  rebondit  (parmi  les  vagueiî) — avec  la  croix 
de  Dieu  plantée  au  timon! 


SeO  MIRÈIO,   CANT  VI. 

0  divin  arc-de-sedo  !  inmênso, 
Eterno  e  sublimo  clemènço  ! 

Vese  uno  terro  novo,  un  soulèu  cpie  fai  gau 
D'ôulivarello  en  farandoulo 
Davans  la  frucho  que  pendoulo, 
E  sus  11  garbo  de  paumoulo 

Li  meissounié  jasent  cpie  teton  lou  barrau. 

E,  desnebla  pèr  tant  d'eisèmple, 
Dieu  es  adoura  dins  soun  temple... 
E  la  masco  di  Baus,  acô  di,  'mé  lou  det 

1  dous  enfant  mostro  uno  draio 
Qu'un  fiéu  de  j  our  au  bout  ie  raie. 
Menu,  menu...  Parton  en  aio, 

E  la  gaugno  aferado,  e  courbant  lou  coutet. 

De  souto  terro,  au  Trau  deCordo 
Lou  bèu  paréu  enfin  abordo  ; 

Remounton  au  soulèu...  Acatant  lou  roucas 
Ëmé  SI  roumo  e  soun  vieiounge, 
Mount-Majour,  l'abadié  di  mounge, 
l'aparèis  coume  dins  un  sounge. 

Se  fan  uno  brassado,  e  gagnon  lou  jouncas. 


MIREILLE,    CHANT  VI.  201 

«  0  divin  arc- en-ciel  !  immense,  —  éternelle  et 
sublime  clémence  !  —  Je  vois  une  terre  neuve,  un 
soleil  qui  réjouit,  —  des  oliveuses  en  farandole  — 
devant  les  fruits  qui  pendent,  —  et  sur  les  gerbes 
d'orge  ",  les  moissonneurs  gisants  qui  tettent  le 
baril. 


«  Et  dévoilé  de  ses  nuages  par  des  exemples  si 
nombreux, — Dieu  est  adoré  dans  son  temple...  »  — 
Et  la  sorcière  des  Baux,  cela  dit,  du  doigt  —  montre 
aux  deux  enfants  un  chemin  —  à  l'extrémité  duquel 
un  filet  de  jour  se  glisse,  —  menu,  menu...  Ils  par- 
tent en  hâte,  la  joue  effarée  et  courbant  la  nuque. 


Par  souterrains,  au  Trou  de  Corde  "  —  le  beau 

couple  aborde  enfin;  —  ils  remontent  au  soleil 

Recouvrant  le  rocher  —  de  ses  ruines  et  de  sa  vieil- 
lesse, —  Mont-Majour,  l'abbaye  des  moines,  — leur 
apparaît  comme  en  un  songe.  —  Ils  s'embrassent, 
et  gagnent  la  jonchaie* 


NOTES 


DU  CHANT  SIXIÈME. 


*  Saint-Martin,  Maussane  [Samt-Martm,  Maussano),  villages  de 
la  Crau.  Tramontane  {tramountano),  vent  du  nord-est. 

2  La  Touloubre,  petite  rivière  qui  se  jette  dans  l'étang  de  Berre, 
après  avoir  traversé  le  territoire  de  Salon,  patrie  du  poëte  Crou- 
sillat. 

Nostradamus,  le  sombre  astrologue  (l'astrolà  souloiimbrous),  Mi- 
chel de  Nostre-Dame,  ou  Nostradamus,  né  à  Saint-Remy  en  1505, 
mort  à  Salon  en  1565,  exerça  la  médecine  avec  un  grand  succès 
sous  les  derniers  Valois. 11  s'adonna  aussi  aux  mathématiques  et  5 
l'astrologie,  et  publia  en  1557 ,  sous  le  nom  de  Centuries,  les  fameu- 
ses prophéties  qui  ont  rendu  son  nom  si  populaire.  Chaires  IX  le 
nomma  son  médecin  en  titre  et  le  combla  d'honneurs. 

^  Agriot at  [agrioutat] ,  liqueur  composée  d'eau-  de-vie  et  de  sucre, 
et  dans  laquelle  on  fait  macérer  des  cerises  courte-queue. 

*  Trou  des  Fées  [Trau  di  Fado).  Nous  aimons  à  citer  notre  ami 
Jules  Canonge,  parce  qu'il  a  décrit  avec  bonheui"  la  plupart  des 
lieux  chantés  dans  ce  poëme. 


NOTES    DU  CHANT  VI  2Ô3 

«  Au  fond  d'une  gorge  bien  nommée  Enfer,  je  suis  descendu 
'^'  ns  la  groUe  des  Fées;  mais  au  lieu  des  gracieux  fantômes  dont 
non  imagination  l'avait  peuplée,  je  n'y  ai  trouvé  que  voûtes  sous 
lesquelles  il  faut  ramper,  blocs  entassés,  chauves-souris  et  profon- 
deurs ténébreuses.  Je  viens  de  dire  que  cette  gorge  était  Lien 
nommée  Enfer;  nulle  part  en  effet  je  n'ai  vu  de  roches  aussi  étran- 
gement tourmentées;  elles  se  dressent,  se  creusent,  se  prolongent 
sur  le  vide  en  gigantesques  entablements,  jardins  aériens  qui  sou- 
tiennent des  végétations  échevelées;  elles  s'ouvrent  en  défilés 
comme  ce  bloc  des  Pyrénées  fendu  par  le  glaive  de  Rolland.  » 
(Histoire  de  la  ville  des  Baux.  Avignon,  Aubanel  frères.) 
:  En  comparant  la  description  de  l'Enfer  de  Dante  à  ce  paysage 
bouleversé,  cyclopécn,  fantastique,  on  devient  convaincu  d'une 
chose  •  c'est  que  le  grand  poëte  florentin,  qui  voyagea  dans  nos 
contrées  et  séjourna  même  à  Arles,  a  visité  la  ville  des  Baux,  s'est 
assis  sur  les  escarpements  du  valoun  d'Infèr,  et  frappé  de  cette 
désolation  grandiose,  a  conçu,  au  milieu  de  ce  cataclysme  de 
pierres,  la  configuration  et  le  sombre  caractère  de  son  Inferno. 
Tout  ramène  à  cette  idée,  et  le  nom  de  la  gorge  elle-même,  /«- 
fèr,  et  sa  forme  amphithéâtrale,  qui  est  celle  donnée  par  Dante 
à  l'Enfer,  et  les  grandes  roches  détachées  qui  en  forment  les  gra- 
dins, 

In  su  l'estremità  d'un'  alta  ripa 

Che  facevan  gran  piètre  rotte  in  cerchio 

et  le  nom  provençal  de  ces  escarpements  eux-mêmes,  baus,  italia- 
nisé par  le  poëte,  balzo,  et  donné  par  lui  aux  escarpements  de  son 
lugubre  entonnoir. 

*  Saint-Trophime  [Sant'Trefume],  cathédrale  d'Arles,  bâtie  au 
septième  siècle  par  l'archevêque  saint  Virgile.  Frédéric  Barbe- 
rousse  y  fut  sacré  empereur  en  1178. 

^  Vers  le  temps  où  la  Vieille  irritée  —  lance  à  Février  sa 
ruade, 

Eiça  quanti  la  Vièio  encagnado 
Mande  à  Febrié  sa  reguignado. 

Les  paysans  du  Midi  ont  remarqué  que  les  trois  derniers  jours 
de  février  et  les  trois  premiers  de  mars  amènent  presque  lou- 


204  NOTES  DU  CHANT  VI. 

jours  une  recrudescence  de  froid,  et  voici  comme  leur  imagination 
poétique  explique  cela  : 

Une  vieille  gardait  une  fois  ses  brebis.  C'était  à  la  fin  du  mois 
de  février,  qui,  cette  année-là,  n'avait  pas  été  rigoureux.  La  Vieille, 
se  croyant  échappée  à  l'hiver,  se  permit  de  narguer  Février  de  la 
manière  suivante 

Adiéu,  Febrié!  'Mé  ta  febrerado 
M'as  fa  ni  peu  ni  pelado  ! 

«  Adieu,  Février!  Avec  ta  gelée 
Tu  ne  m'as  fait  ni  peau  ni  pelée!  » 

La  raillerie  de  la  Vieille  courrouce  Février,  qui  va  trouver  Mars  : 
-«  Mars!  rends-moi  un  service!  »  —  «  Deux,  s'il  le  faut!  »  répond 
l'obligeant  voisin.  —  «  Prête-moi  trois  jours,  et  trois  que  j'en  ai, 
je  lui  ferai  peaux  et  pelées  !  » 

Presto-me  lèu  très  jour,  e  très  que  n'ai. 
Peu  e  pelado  le  farai  ! 

Aussitôt  se  leva  un  temps  affreux,  le  verglas  tua  l'herbe  des 
champs,  toutes  les  brebis  de  la  Vieille  moururent,  et  la  Vieille,  di- 
sent les  paysans,  regimbait,  reguignavo  Depuis  lors  cette  période 
tempétueuse  porte  le  nom  de  liegulgnado  de  la  Vièio,  ruade  de  la 
Vieille.  (Voyez  la  note  8  du  Chant  VII«.) 

^  Varigoule,  grotte  de  Varigoule  [Varigoulo.  Baumo  de  Vari- 
goulo),  profonde  caverne  du  Lubéron,  du  côté  de  Murs  (Vaucluse). 

*  Fanfarigoule  {Fanfarigoulo),  vallée  de  laCrau,  du  côté  d'Islre 
(Bouches-du-Rhône) . 

8  Garrigues  ifiarrigo).  (Voyez  Chant  !•',  note  15.) 

*°  Le  pas  de  la  Sambuque  {lou  pas  de  la  Sambicoo,,  défilé  redouté 
des  voyageurs,  dans  les  montagnes  de  la  Sambuque,  à  l'orient 
d'Aix. 

"  Paumelle  {paumoulo],  orge  deux  rangs  [hordeum  distichum 
Lin.). 

**  Corde  [Cordo).  *  A  l'orient  d'Arles  s'élèventdeux  collines  qui  pri- 
mitivement durent  n'en  former  qu'une  mais  qu'un  marais  sépare 


NOTES  DU  CHANT  VI  «85 

aujourd'hui.  Dans  le  sommetnu,  rocailleux  et  plaide  la  moins  haute, 
les  Celtes  pratiquèrent  jadis  en  forme  de  glaive  une  excavation 
couverte  de  blocs  gigantesques.  Les  Sarrasins  campèrent,  dit-on, 
sur  cette  colline;  en  souvenir  de  Cordoue,  ils  lui  donnèrent  le  nom 
de  Corde,  qu'elle  porte  encore  aujourd'hui.  Des  traditions  mer- 
veilleuses l'animent  et  la  poétisent  :  c'est  la  Couleuvre- fée,  Mélu- 
sine  provençale;  c'est  surtout  la  Chèvre-d'Or  qui  fait  trouver  les 
trésors  cachés,  mais  rend  incurablement  tristes,  au  sein  de  leurs 
richesses,  ceux  qui  ne  les  méritent  pas. 

«L'autre  colline,  plus  grande,  porte  le  nom  presque  romain  de 
Mont-Majour.  »  (Jules  Canonge.  Illustration,  29  mai  1852.) 

Sur  cette  colline  sont  les  ruines  gigantesques  de  la  célèbre  ab- 
baye du  Mont-Majour.  Quant  à  la  grotte  de  Corde,  elle  porte 
aussi  le  nom  de  Trau-di-Fado,  comme  la  grotte  des  Baux;  et,  d'a- 
près la  croyance  populaire,  ces  deux  excavations  communiquent 
entre  elles. 


U 


CANT  SETEN 

LI  VIÈI 


Lou  viêi  panieraire  emé  soun  fiéu,  assesta  davans  lou  lindau  ù.  ^^ 
bori,  trenon  uno  canestello.  —  Lou  ribeirés  dôu  Rose.  —  Vincèn 
dis  à  soun  paire  d'ana  demanda  Mirèio  en  mariage.  —  Refus  e  re- 
moustranço  dôu  vièi.  — Vinceneto,  sorre  de  Vincèn,  pêr  ajuda  soun 
fraire  à  touca  Méste  Ambroi,  conto  l'istôri  de  Sivèstre  emé  d'.Uis. 

—  Partènço  de  Mèste  Ambroi  pèr  lou  Mas  di  Falabrego.  —  L'arri- 
bado  e  lou  gousta  di  meissounié.  —  Mèsle  Ramoun.  —  Lou  labour. 

—  Récit  d'Ambrôsi,  responso  de  Ramoun.  —  La  taulo  de  Caléndo. 

—  Mirèio  declaro  soun  amour  pèr  lou  lieu  dôu  panieraire.  —  Ama- 
liciado,  emprecacioun  e  refus  di  parent.  —  Endignacioun  de  Méste 
Ambroi.  —  Napoléon  e  li  grandi  guerro.  —  Encagnamen  de  Mèste 
Ramoun.  —  Lou  soudard  labouraire.  —  Farandoulo  di  meissou- 
nié à  l'entour  dôu  fio  de  Sant  Jan. 


—  Vous  dise,  paire,  e  vous  redise 

Que  n'en  siéu  fôu  ! . . .  Cresès  que  rise  ? 
En  fissant  Mèste  Ambroi  emé  d'iue  treboula, 

Fasié  Vincèn  à  soun  vièi  paire. 

Lou  mistrau,  pondérons  courbaire 

Dis  àuti  pibo  dôu  terraire, 
A.  la  voues  dôu  jouvènt  apoundié  soun  ourla. 

Davans  soun  cabanoun  dôu  Rose, 

Large  coume  un  cruvèu  de  nose, 
Lou  vièi,  sus  un  to  d'aubre,  èro  asseta  au  calan 

E  desruscavo  de  redorto  ; 

Loujouine,  agrouva  sus  la  porto, 

Entre  si  man  adrecho  e  forte 
Piegavo  en  canestello  aquéli  vergan  blanc. 


CHANT  SEPTIÈME 


LES   VIEILLARDS 


Le  vieux  vannier  pt  son  fils,  assis  devant  le  seuil  de  leur  cabane, 
tressent  une  corbeille.  —  Paysage  des  bords  du  lilione.  —  Vincent, 
engage  son  père  à  aller  demander  la  main  de  Mireille.  —  Refus; 
et  remontrance  du  vieillard.  —  Vincenette,  sœur  de  Vincent,  s(; 
joint  à  son  frère  pour  fléchir  Maître  Ambroise ,  et  raconte  l'iiis- 
toire  de  Sylvestre  et  d'Alix.  —  Départ  de  Maître  Ambroise  pour  le 
Mas  des  Micocoules.  —  L'arrivée  et  le  repas  des  moissonneurs.  — 
Maître  Ramon.  —  Le  labour.  —  Récit  d'Ambroise,  réponse  do  Ra- 
mon.  —  La  table  de  Noël.  —  Mireille  avoue  son  amour  pour  le 
fils  du  vannier.  —  Courroux,  imprécations  et  refus  des  parents. 
—  Indignation  de  Maître  Ambroise.  —  Napoléon  et  les  grandes 
guerres.  —  Emportement  de  maître  Ramon.  —  Le  soldat  labou- 
reur. —  Farandole  des  moissonneurs  autour  du  feu  de  la  Saint- 
Jean. 


—  «  Je  vous  dis,  père,  et  vous  redis  —  que  j'en 
suis  fou!...  Croyez-vous  que  je  rie?  »  —  en  fixant 
ses  yeux  troublés  sur  Maître  Ambroise,  —  disait 
Vincent  à  son  vieux  père.  —  Le  mistral,  puissant 
courbeur  —  des  hauts  peupliers  de  la  contrée,  —  à 
la  voix  du  jeune  homme  ajoutait  ses  hurlements. 


Devant  sa  hutte  du  Rhône,  —  large  comme  une 
coque  de  noix,  —  le  vieillard,  sur  une  tronche  d'ar- 
bre, était  assis  à  l'abri,  —  et  écorçait  des  harts  ;  — 
le  jeune  homme,  accroupi  sur  la  porte,  —  entre  ses 
mains  adroites  et  robustes  —  ployait  en  corbeille 
ces  verges  blanches 


368  HIRÈIO,   CANT  VII. 

Lou  Rose,  enmalicia  pèr  l'aiiro, 
Fasié,  coume  un  troupèu  de  tauro, 

Courre  sis  erso  treblo  à  la  mar  ;  mai  eici, 
Entre  li  tousco  d'arnarino 
Que  fasien  calo  emai  oumbrino, 
Uno  mueio  d'aigo  azurino, 

Liuen  dis  oundo,  plan-plan  venié  s'emperesi. 

De  vibre,  long  de  la  lauseto, 

Rousigavon  de  la  sauseto 
La  rusco  amaro  ;  alin,  à  travès  lou  cristau 

De  la  calamo  countinuio, 

Apercevias  li  brimi  luio 

Barrula  dinsli  founsour  bluio, 
A  la  pesco  di  pèis,  di  bèu  pèis  argentan. 

Au  long  balans  dôu  vent  bressaire, 
Aqui  de-long  li  debassaire 

Avien  penja  si  nis  ;  e  si  nis  blanquinèu, 
Teissu,  coume  uno  molo  raubo, 
Emé  lou  coutounet  qu'is  aubo 
L'aucèu,  quand  soun  flourido,  raubo, 

Boulegavon  i  brout  de  verno  em'  1  canèu. 

Rousso  coume  uno  tourtihado, 

Uno  chato  escarrabihado, 
D'un  large  capeiroun  espandissié  li  pie, 

Trempe  d'aigo,  su  'no  fig^uiero. 

Li  bestiàri  de  la  ribiero, 

Nimai  li  piegre  di  broutiero, 
N' avien  pas  mai  de  pôu  que  di  jounc  Iremoulet. 


MIPiEILLE,  CHANT  VII.  269 

Le  Rhône,  irrité  par  le  vent,  —  faisait,  comme  un 
troupeau  de  vaches,  —  courir  ses  vagues  troubles  à 
la  mer  ;  mais  ici,  —  entre  les  cépées  d'osier  —  qui 
faisaient  abri  et  ombrage,  —  une  mare  d'eau  azu- 
rée, —  loin  des  ondes,  mollement  venait  s'alentir 


Des  biévres,  le  long  de  la  grève,  —  rongeaient  de 
la  saulaie  —  l'écorce  amère;  là-bas,  à  travers  le 
cristal  —  du  calme  continuel,  — vous  aperceviez  les 
bnmes  loutres,  —  errantes  dans  les  profondeurs 
bleues,  —  à  la  pêche  des  poissons,  des  beaux  pois- 
sons arojentés. 


Au  long  balancement  du  vent  berceur,  —  le  long 
de  celte  rive,  les  pendulines  —  avaient  suspendu 
leurs  nids;  et  leurs  petits  nids  blancs,  —  tissus, 
comme  une  molle  robe,  —  avec  l'ouate  qu'aux  peu- 
phers  blancs  —  l'oiseau,  lorsqu'ils  sont  en  fleur, 
dérobe,  —  s'agitaient  aux  rameaux  d'aune  et  aux 
roseaux. 

Rousse  comme  une  tortillade  \  —  une  alerte 
jeune  fille,  —  d'un  large  filet  étendait  les  plis,  — 
trempés  d'eau,  sur  un  figuier.  —  Les  animaux  de  la 
rivière,  —  et  hs  pendulines  des  oseraies  —  n'avaient 
pas  plus  peur  d'elle  que  des  joncs  tremblants. 


23. 


270  MIRÈIO.  GANT  VU, 

Pecaire  !  èro  la  chatounelo 
De  Mèste  Ambrôsi,  Vincenelo. 

Sis  auriho,  degun  i'avié  'ncaro  trauca; 
Avié  (TiuR  blu  coume  d'agreno, 
Emé  lou  sen  boudenfle  à  peno; 
Espinouso  flour  de  tapeno 

Que  lou  Rose  amourous  amavo  d'espousca, 

Emé  sa  rufo  barbe  blanco 

Que  ie  toumbavo  enjusqu'  is  anco, 

Mèste  Ambroi  à  soun  fiéu  respoundè  :  Bartavèu, 
De  tout  segur  lou  dèves  èstre, 
Car  de  ta  bouco  sies  plus  mèstre  ! 
—  Pèr  que  l'ase  se  descabèstre, 

Paire,  fau  que  lou  prat  fugue  rudamen  bèu  ! 

Mai  en  que  sèr  que  tant  vous  parle? 

Sabès  couine  èi!...  S'anavo  en  Arle, 
Li  fiho  de  soun  tèms  s'escoundrien  en  pleurant, 

Car  après  elo  an  reut  lou  mole... 

Que  respoundrés  à  voste  drôle 

Quand  saubrés  que  m'a  di  :  Te  vole! 
—  Richesse  e  paureta,  feulas,  te  respoundran. 

—  Paire,  partes  de  Valabrego  ; 

An  as  au  Mas  di  Falabrego, 
E  lèu-lèu  !  à  si  gènt  racountas  tout  coume  es  ! 

Digas-ie  que  l'on  dèu  s'enchaure 

Se  l'ome  èi  brave  e  noun  s'èi  paure  ; 

Digas-ie  que  sabe  reclaure, 
Desmaienca  li  vigne  e  laboura  li  grès. 


MTRETLLE,    CHANT  VII.  271 

Pauvrette  !  c'était  la  fille  —  de  Maître  Ambroise, 
Vincenette.  —  Ses  oreilles,  personne  encore  ne  les 
lui  avait  percées  ;  — elle  avait  des  yeux  bleus  comme 
des  prunelles  ^  —  et  le  sein  à  peine  enflé  ;  —  épi- 
neuse fleur  de  câpre  —  que  le  Rhône  amoureux  ai- 
mait à  éclabousser 


Avec  sa  barbe  blanche  et  rude  —  qui  lui  tombait 
jusqu'aux  hanches,  —  Maître  Ambroise  à  son  fils 
répondit  :  «  Écervelé,  —  assurément  tu  dois  l'être, 
—  car  tu  n'es  plus  maître  de  ta  bouche!  »  —  «  Pour 
que  l'âne  se  délicote,  — père,  il  faut  que  le  pré  soit 
rudement  beau  ! 


«  Mais  à  quoi  bon  tant  de  paroles  ?  —  Vous  savez 
comme  elle  est  ! . . .  Si  elle  allait  à  Arles,  —  les  filles 
de  son  âge  se  cacheraient  en  pleurant,  —  car  après 
elle  on  a  brisé  le  moule!...  —  Que  répondrez-vous 
à  votre  fils,  —  quand  vous  saurez  qu'elle  m'a  dit  : 
Je  te  veux!  »  —  «  Richesse  et  pauvreté,  insensé,  ie 
répondront.  » 

—  «  Père,  partez  de  Valabrègue;  —  allez  au 
Mas  des  Micocoules ,  —  et  en  toute  hâte  !  à  ses 
parents  racontez  tout,  tel  que  c'est!  —  Dites-leur 
que  l'on  doit  se  soucier  —  de  la  vertu  de  l'homme, 
et  non  de  sa  misère  !  —  Dites-leur  que  je  sais  biner, 
—  ébourgeonner  les  vignes,  labourer  les  terrains 
pierreux , 


««  MIRÉIO,  GANT  VII. 

Digas-ie  mai  que  si  sièis  couble, 
Sout  moun  gouvèr,  cavaran  double  ; 

Digas-ie  que  siéu  orne  à  respeta  li  vièi; 
Digas-ie  que,  se  nous  separon, 
Pèr  toujour  nôsti  cor  se  barron, 
E,  tant  iéu  qu'elo,  nous  entarron!... 

—  Ah  !  faguè  Mèste  Âmbroi,  sies  jouine,  aquisevèi. 

Acô  's  l'iôu  de  la  poulo  blanco  ! 

Acô  's  lou  lucre  sus  la  branco  ! 
Auriés  gau  de  l'avé  ;  'm'  acô  lou  sounaras, 

le  proumetras  la  papo  au  sucre, 

Gingoularas  fm  qu'au  sepucre.... 

Jamai  veiras  veni  lou  lucre 
Se  pausa  sus  toun  det,  car  noun  sies  qu'un  pauras. 

—  Mai  d'èstre  paure  es  dounc  la  pèsto? 

Vincèn  en  grafignant  sa  teste 
Cridè.  —  Mai  lou  bon  Dieu  qu'a  fa  de  cause  ansin, 

Lou  bon  Dieu  que  me  vèn  esclaure 

D6u  soulet  bèn  que  me  restaure, 

Es-ti  juste?.,.  Perqué  sian  paure? 
Perqué,  dôu  vignarés  embala  de  rasin, 

Lis  un  cueion  touto  la  frucho, 

E  d'autre  an  que  la  raco  eissucho? 
Mai  Ambroi  tout-d'un-tèms  anssnnt  lou  bras  en  l'èr  : 

Treno,  vai,  treno  ti  pivello, 

E  lève  acô  de  ta  cervello  ! 

Desempièi  quouro  la  gavello 
Bepren  lou  meissounié?...  Lou  loumbrin  o  la  serp 


ÎUREILLE,  CHANT   YII.  273 

«  Dites-leur  encore  que  leurs  six  paires  (de  bêtes), 
—  sous  ma  conduite,  creuseront  double  ;  —  dites- 
leur  que  je  suis  homme  à  respecter  les  vieillards  ;  — 
dites-leur  que,  s'ils  nous  séparent,  —  pour  toujours 
ils  ferment  nos  cœurs,  —  et,  tant  moi  qu'elle,  ils 
nous  enterrent  !»  —  «  Ah  !  fit  Maître  Ambroise,  tu 
es  jeune,  là  on  le  voit. 

«  C'est  là  l'œuf  de  la  poule  blanche  '  !  —  c'est  là 
le  lucre  *  sur  la  branche  !  —  Le  posséder  ferait  ta 
joie;  tu  l'appelleras  donc, —  tu  lui  promettras  le 
gâteau  sucré,  —  tu  gémiras  jusqu'au  sépulcre...  — 
Jamais  tu  ne  verras  le  lucreyenir — se  poser  sur  ton 
doigt,  car  tu  n'es  qu'un  misérable.  » 


—  «  Mais  d'être  pauvre  c'est  donc  la  peste?  — 
Vincent,  en  se  déchirant  la  tête,  —  s'écria.  Mais  le 
bon  Dieu  qui  a  fait  des  choses  telles,  —  le  bon  Dieu 
qui  vient  m'exclure  —  de  l'unique  bien  qui  me  rende 
à  la  vie,  —  est-il  juste?.,.  Pourquoi  sommes-nous 
pauvres?  —  pourquoi,  du  vignoble  chargé  de  rai- 
sins, 

«  Les  uns  cueillent-ils  tous  les  fruits,  —  et  d'au- 
tres n'ont  que  le  marc  desséché?  »  —  Mais  Ambroise 
aussitôt  levant  le  bras  en  l'air:  —  «  Tresse,  va,  tresse 
tes  brindilles,  —  et  ôte  cela  de  ta  cervelle  !  —  De- 
puis quand  le  faisceau  d'épis  —  reprend-il  le  mois- 
sonneur?... Le  lombric  ou  le  serpent 


274  MIUÈIO,  GANT   VII 

Âdounc  pou  dire  à  Dieu  :  Peirastre, 
Que  noun  de  iéu  fasiés  un  astre  ? 

Perqué,  dira  lou  biôu,  m'as  pas  créa  bouié  ? 
A-n-éu  lou  gran,  à  iéu  la  paio!... 
Mai  noun,  moun  fiéu  :  marrido  o  gaio, 
Tôuti,  soumés,  tenon  sa  draio... 

Li  cinq  det  de  la  man  soun  pas  tôuti  parié  ! 

Lou  Mèstre  t'a  fa  lagramuso? 

Tèn-te  siau  dins  toun  asclo  nuso, 
Béu  toun  rai  de  soulèu  e  fai  toun  gramaci. 

—  Mai,  vous  ai  pas  di  que  l'adore 

Mai  que  moun  Dieu,  mai  que  ma  sorre? 

Me  la  fau,  paire,  o  senoun  more  !... 
E  coume  pèr  liuen  d'eu  bandi  l'aspre  soucit, 

De  long  dôu  flume  que  rounflavo, 
Eu  encourront  se  desgounflavo. 

Vinceneto,  la  sorre,  en  plourant  alor  vèn, 
E  ie  fai  auvièi  panieraire  : 
Avans  de  maucoura  moun  fraire, 
Ausès-me,  pai  1  V  a  'n  labouraire, 

Au  mas  ounte  serviéu,  qu'ère  amourous  tambèn  ; 

L'èro  de  la  fiho  dôu  mèstre, 

Alis  ;  eu,  ie  disien  Sivèstre. 
Au  travai  (tant  l'amour  l'avié  fa  courajous  !  ) 

Èro  un  loup  !  en  touto  obro  abile, 

Abarous,  matinié,  doucile... 

Li  mèstre,  anas,  dourmien  tranquile. 
Un  matin  ..  —  regardas,  paire,  s' es  pas  fachous' 


MIREILLE,    CHANT  VII.  275 

*(  Peut  donc  dire  à  Dieu  :  «  Mauvais  père, — que  ne 
faisais-tu  de  moi  un  astre?  »  —  «  Pourquoi,  dira  le 
bœuf,  ne  ni'as-tupas  créé  bouvier? — à  lui  le  grain,  à 
moi  la  paille  !...  »  —  Mais  non,  mon  fils  :  mauvaise 
ou  gaie,  —  tous,  soumis,  tiennent  leur  voie...  — 
L-îs  cinq  doigts  de  la  main  ne  sont  pas  tous  égaux. 


«  Le  Maître  t'a  fait  lézard-gris? — tiens-toi  paisible 
dans  ta  crevasse  nue,  —  bois  ton  rayon  de  soleil  et 
rends  grâces  !  »  —  «  Mais  ne  vous  ai-je  pas  dit  que 
je  l'adore  —  plus  que  ma  sœur,  plus  que  mon  Dieu? 
—  Il  me  la  faut,  père,  ou  sinon  je  meurs  !...  »  — Et 
comme  pour  bannir  loin  de  lui  l'âpre  souci, 


Sur  la  rive  du  fleuve  grondant,  —  il  exhalait  en 
courant  (sa  douleur) .  —  Vincenette  la  sœur  en  pleu- 
rant alors  vient,  —  et  adresse  au  vieux  vannier  (ces 
paroles)  :  —  «  Avant  de  décourager  mon  frère,  — 
écoutez-moi,  père  !  Il  était  un  laboureur,  —  à  la 
ferme  où  je  servais,  amoureux  comme  lui  ; 


«  Il  l'était  de  la  fille  du  maître,  — Alix;  lui,  on 
l'appelait  Sylvestre. —  Au  travail  (tant  l'amour  l'avait 
fait  courageux  !  )  —  c'était  un  loup  !  habile  en  toute 
œuvre,  —  économe,  matineux,  docile...  —  Les 
maîtres,  allez,  dormaient  en  repos.  —  Un  matin...-— * 
regardez,  père,  si  ce  n'est  pas  fâcheux! 


276  MIRÈIO,  CANT  VII 

Un  malin,  la  mouié  dôu  mèstrc 

Entendeguè  parla  Sivèslre  : 
Coimtavo  d'escoundoun  soun  amour  à-n-Alis 

A  dina,  quand  lis  ome  inlrêron 

E  qu'à  la  taulo  se  virèron, 

Lis  iue  dôu  mèstre  s'empurèron  ! 
—  Traite  !  dis,  tè  toun  comte,  e  passe  que  t'ai  vist! 

Lou  bon  ràfi  partiguè.  Nautre 

S'espinchavian  dis  un  is  autre, 
Maucountènt  e  'spanta  de  lou  vèire  embandi. 

Très  semano,  dins  li  roumpido, 

Lou  veguerian  courre  bourrido 

Is  alentour  de  la  bastido. 
Tout  desvaria,  morne,  avala,  mau  vesti  ; 

Quouro  estendu ,  quouro  à  grand  courso. 

La  niue,  l'entendian  coume  uno  ourso 
Ourla  souto  li  triho  en  apelant  Mis  ! . . . 

Mai  un  jour,  pièi,  un  fio  venjaire 

Que  flamejavo  i  quatre  caire 

Counsumè  la  paiero,  o  paire, 
E  dôu  pous  lou  treiau  daverè  'n  negadis  ! 

Aqui  s'aubourè  Mèstc  Ambrôsi  : 

—  Enfant  pichot,  digue  renôsi, 
Pichotopeno;  grand,  grandpeno.-  Emounlo  daul, 

Cargo  sis  àuti  garramacho 

Qu'éu-meme  autre-tèms  s'èro  facbo, 

Si  bon  soulié  garni  de  tacbo, 
Sa  grand  bouneto  roujo,  e  camino  à  la  Crau. 


MIREILLE,  CHA^■T   VII.  277 

«  Un  matin,  l'épouse  du  maître  —  entendit  Syl- 
vestre parler  :  —  il  contait  en  cachette  son  amour 
à  Alix.  —  A  dîner,  lorsque  entrèrent  les  hommes, — 
et  qu'ils  se  rangèrent  autour  de  la  table,  —  les  yeux 
du  maître  s'attisèrent  :  —  «  Traître  !  dit-il,  voilà 
ton  compte,  et  passe,  je  t'ai  vu  !  » 


«  Le  bon  serviteur  partit. — Nous  nous  regardions 
les  uns  les  autres,  —  mécontents,  ahuris  de  le  voir 
chasser.  —  Trois  semaines,  dans  les  novales,  — 
nous  le  vîmes  errer  —  aux  alentours  de  la  bastide, 
—  tout  hagard,  morne,  hâve,  mal  vêtu  ; 


«  Tantôt  gisant,  tantôt  courant  à  Mites  jambes. — 
La  nuit,  nous  l'entendions  comme  une  ourse  —  hur- 
ler sous  les  treilles  en  appelant  Ahx.  —  Mais  un 
jour,  puis,  un  feu  vengeur  —  qui  flamboyait  aux 
quatre  coins,  —  consuma  la  meule  de  paille,  ô  père, 
—  et  du  puits  le  câble  tira  un  noyé.  » 


Là  se  leva  Maître  Ambroise.  —  «  Enfant  petit,  dit-il 
en  grommelant,  —  petite  peine;  grand,  grande 
peine.  »  —  Et  il  monte  en  haut,  —  il  met  ses  hou- 
seaux  élevés  —  que  lui-mûme  s'était  faits  autrefois, 
—  ses  bons  souliers  garnis  de  caboches,  —  son 
grand  bonnet  rouge,  et  il  marche  à  la  Crau. 


24 


278  MIRÈIO,   GANT  VII. 

Erian  au  tèms  que  li  terrado 

An  si  recordo  amadurado  : 
Ero,  vous  trouvarés,  la  vueio  de  Sant  Jan. 

Dinsli  draiôu,  long  di  barragno, 

Déjà,  pèr  noumbrôusi  coumpagno, 

Li  prefachié  de  la  mountagno 
Venien,  brun  e  pôussous,  meissouna  nôsti  champ; 

E  li  voulame  en  bandoulière, 

Dins  li  bedoco  de  figuiero  ; 
Ensouca  dous  pèr  dous  ;  chasco  sôuco  adusènt 

Sa  bgarello.  Uno  flaveto, 

Un  tambourin  floucade  veto 

Acoumpagnavon  li  carreto, 
Ounte,  las  dôu  camin,  li  vièi  èron  jasent. 

E  'n  ribejant  long  di  tousello 

Que,  sont  lou  vent  que  li  bacello, 
Oundejon  à  grands  erso  :  0  moun  Dieu  !  li  bèu  blad  ! 

Quénti  blad  dru  !  fasien  en  troupo. 

Acô  sara  de  beilo  coupo  ! 

Vè!  coume  l'auro  lis  estroupo, 
E  peréu  coume  en  l'èr  soun  lèu  mai  regibla  ! 

Veici  qu'Ambroi  s'ajougnè  'm'éli  : 

—  Soun  tôuti  preste  coume  aquéli, 
Vôsti  blad  prouvençau,  mounsegne?  —  fai  subran 

Un  dijouvènt.  —  l'a  li  blad  rouge 

(jue  soun  encaro  darrierouge  ; 

Mai,  en  durant  lou  tèms  aurouge, 
Vcirés  que  li  voulame  à  l'obromancaran  1 


MIREILLE,  CHANT  VIL  279 

Nous  étions  au  temps  où  les  terres  —  ont  leurs 
récoltes  mûries  : — lise  trouve  que  c'était  la  veille  de 
la  Saint-Jean.  —  Dans  les  sentiers,  le  long  des  haies, 
—  déjà,  par  nombreuses  compagnies,  —  les  tâche- 
rons de  la  montagne — venaient,  bruns  et  poudreux, 
(pour)  moissonner  nos  champs  ; 


Les  faucilles  en  bandoiilîère ,  -  dans  les  carquois 
de  figuier,  —  accouplés  deux  par  deux;  chaque 
couple  amenant— sa  heuse  (de  gerbes).  Un  galoubet, 
—  un  tambourin  orné  de  nœuds  de  rubans,  —  ac- 
compagnaient les  charrettes,  —  où,  las  du  chemin, 
les  vieillards  étaient  couchés. 


Et,  en  longeant  les  touzelles  —  qui,  sous  le  vent 
qui  les  bat,  —  ondoient  à  grandes  vagues  :  ((  0  mon 
Dieu  !  les  beaux  blés  !  —  quels  blés  touffus  !  disaient- 
ils  ensemble.  —  Voilà  qui  sera  beau  à  couper  !  — 
Voyez  comme  la  bise  les  trousse,  —  et  aussi  comme 
en  l'air  ils  se  redressent  vite  !  » 


Voici  qu'Ambroise  se  joignit  à  eux.  «  Sont-ils  tous 
prêts  comme  ceux-là, — vos  blés  de  Provence,  aïeul  ?» 
dit  soudain  —  un  des  jeunes.  —  «  Les  froments 
rouges  — sont  encore  en  retard  ;  —  mais  si  le  temps 
venteux  vient  à  durer,  —  vous  verrez  les  faucilles 
manquer  au  travail  ' 


280  MIRÈIO,   GANT  YII. 

Remarquerias  li  très  candèlo, 
Pèr  Nouvè?  semblavon  d'estello  , 

Rapelas-vous,  enf;int,  que  i'aura  granesoun 
Pèr  benuranço  !  —  Dieu  vous  ause, 
E  dins  voste  ôrrila  repause, 
Bon  segne-grand  !  —  Entre  li  sause, 

Emé  lou  bouscatié  lis  ome  de  meissoun, 

Entanterin  que  s'avançavon, 

Bounamen  ansin  deviaavon. 
E  s'atrovo  qu'au  Mas  di  grand  Falabreguié 

Peréu  venien  li  meissounaire. 

M  este  Ramoun,  en  permenaire, 

Dôu  mistralas  desengranaire 
Venié  vèire  pamens  ce  que  lou  blad  disié. 

E  de  l'espigado  planuro 

Eu  travessavo  la  jaunuro, 
D'auro  en  auro,  à  grand  pas;  e  li  blad  roussinèu 

—  Mèstre,  murmuravon,  es  l'ouro  ! 

Vè  coume  l'auro  nous  amourro, 

E  nous  estraio,  e  nous  desflouro... 
Boutas  à  vôsti  det  li  dedau  de  canèu  ! , 

D'autre  ie  venien  :  Li  fournigo 

Déjà  nous  mounton  is  espigo  ; 
Tout-escap  plen  de  cai,  nous  derrabon  Ion  gran.. 

Yènon  pancaro  li  gourbiho? 

Aperalin  dins  lis  aubriho 

Lou  majourau  viré  li  ciho, 
E  soun  ine  poralin  li  descuerbe  subran. 


MIREILLE,    CHANT   VII.  281 

«  Remarquâtes-vous  les  trois  chandelles,  —  à  la 
Noël?  elles  semblaient  des  étoiles  !  —Rappelez-vous, 
enfants,  qu'il  y  aura  du  grain  —  par  bénédiction  !  » 
—  «  Dieu  vous  entende,  —  et  dans  votre  grenier  le 
dépose,  —  bon  aïeul!  »  —  Entre  les  saules,  —  avec 
le  bûcheron  les  moissonneurs, 


Pendant  qu'ils  s'avançaient,  —  bonnement  devi- 
saient ainsi.  —  Et  il  se  trouve  qu'au  Mas  des  grands 
MicocouHers  —  aussi  venaient  les  moissonneurs,  — 
Maître  Ramon,  en  promeneur,  —  de  l'impétueux 
mistral  qui  égrène  (les  épis)  —  venait  voir  cependant 
ce  que  disait  le  blé. 


Et  delà  plaine  couverte  d'épis  —  il  traversait  (l'é- 
tendue) jaune,  —  du  nord  au  midi,  à  grands  pas;  et 
les  blés  fauves  :  — «  Maître,  murmuraient-ils,  c'est 
l'heure  !  —  voyez  comme  la  bise  nous  incline,  —  et 
nous  verse,  et  nous  défleurit...  — Mettez  à  vos  doigts 
les  doigtiers  de  roseau  *  !  » 


D'autres  ajoutaient  :  «  Les  fourmis  —  déjà  nous 
montent  aux  épis;  —  à  peine  caillé,  elles  nous  arra- 
chent le  grain...  — Les  faucilles  ne  viennent  point 
encore?  »  —  ï'ar  là-bas  dans  les  arbres  — le  chef 
tourna  les  cils,  —  et  son  œil  par  là-bas  les  découvre 
aussitôt. 

24. 


282  MIRÈIO,   GANT  VII. 

Entre  parèisse,  tout  l'eissame 

Desfourrelèron  li  voulame, 
E  dins  l'èr  au  soulèu  li  fasientrelusi, 

E  li  brandavon  sus  la  tèsto, 

Pèr  saluda  'mé  faire  fèsto. 

Mai  à  la  troupelado  agrèsto 
Dôu  pu  liuen  que  Ramoun  pousquè  se  faire  ausi  : 

—  Benvengu  sias,  toutola  bando! 
le  cridè  ;  lou  bon  Dieu  vous  maiido. 

E  lèu  de  ligarello  aguè  'n  brande  noumbrous 
A  soun  entour  :  —  0  noste mèstre, 
Toucas  un  pau  la  man  !  benèstre 
Posque  emé  vous  longo-mai  èstre  ! 

N'i'aura  de  garbo  à  l'iero,  aquest  an,  Santo  Crous  ! 

—  Noun  fau  juja  tout  pèr  la  mine, 
Mi  bèus  ami  !  Quand  pèr  l'eimino 

Aura  passa  l'eirôu,  alor  de  ce  que  tèn 

Saubren  lou  just.  S'èi  vist  d'annado 
Que  proumetien  uno  granado 
A  fai  d'un  vint  pèr  eiminado, 

E  pièi  fasien  d'un  très  !...  Mai  fau  èstre  countènt. 

,  E  'mé  la  fàci  risouleto, 

Toucavo  en  tôuli  la  paleto  ; 
Amistadousamen  parlavo  à  Mèste  Ambroi, 

E  tout-bèu-just  prenien  la  lèio 

De  la  bastido,  que  :  —  Mirèio  ! 

Garnisse  lèu  la  cicourèio, 
E  vai  tira  devin,  cridavo,  tron-de-goi! 


MIREILLE,   CIIAM  Vil.  283 

Dès  que  parut  l'essaim,  tous  —  dégainèrent  les 
faucilles,  —  et  dans  l'air  au  soleililsles  faisaient  res- 
plendir, et  sur  la  tête  les  brandissaient,  —  pour  sa- 
luer et  faire  fête.  —  Mais,  à  la  troupe  agreste,  —  du 
plus  loin  que  Ramon  put  se  faire  ouïr  : 


—  «  Bienvenus  soyez-vous,  toute  la  bande! — leur 
cria-t-il;  le  bon  Dieu  vous  envoie!  »  Et  bientôt  de 
lieuses  il  eut  une  ronde  nombreuse —  autour  de  lui  : 
«  0  notre  maître,  —  touchez  donc  la  main  !  Bien-être 
—  puisse-t-il  avec  vous  être  à  jamais  !  —  Y  en 
aura-t-il,  des  gerbes,  à  l'aire,  cette  année.  Sainte 
Croix!  » 


—  «  Il  ne  faut  pas  juger  tout  par  la  mine,  —  mes 
beaux  amis  !  Quand  par  le  boisseau  —  aura  passé 
l'airée,  alors  de  ce  qu'elle  tient  —  nous  saurons  le 
juste.  11  s'est  vu  des  années  —  qui  promettaient  une 
récolte  —  à  rendre  vingt  (liémines)  *  par  héminée^ 
—  ensuite  elles  en  rendaient  trois  ! . . .  Mais  soyons 
satisfaits!  » 

Et,  la  face  riante,  —  à  tous  il  touchait  la  main;  — • 
jmicalcment  il  parlait  à  Maître  Ambroise,  —  et  ils 
prenaient  à  peine  l'allée  —  de  la  bastide,  que  :  «  Mi- 
reille !  —  prépare  vite  la  chicorée,  et  va  tirer  du  vin, 
criait-il ,  tron  -  de-goï  !  » 


284  MIRÉIO,    GANT  VIL 

Lèu  aquesto,  à  pléni  faudado, 

Vejè  sus  taulo  la  goustado  ; 
Ramoun,  lou  bôu  proumié,  t»e  i'assèto  à-n-un  bout. 

E  tôuti  fan  coume  eu.  En  briso 

Lou  pan  croustous  déjà  se  friso 

Souto  la  dent  que  l'enfreniso, 
Enterin  que  li  man  pescon  i  barba-bou. 

La  taulo  fasié  gau,  lavado 

Coume  une  fueio  de  civado  ; 
Lou  cachât  redoulènt,  l'aiet  que  fai  tuba, 

Li  merinjano  à  la  grasiho, 

Li  pebroun,  cousènto  manjiho, 

Li  blôundi  cebo,  à  la  rapiho 
Dessus  li  vesias  courre,  à  bel  èime  escampa. 

Mèstre  à  la  taulo  coume  au  fouire, 

Ramoun,  qu'avié  conlro  eu  lou  douire, 
Detèmsentèmsl'aussavo,  e  :  D'aut!  chourlen  un  cop  ■ 

Quand  i'a  de  pèiro  dins  lis  erme, 

Pèr  que  la  daio  se  referme, 

N'en  fau  bagna  lou  tai,  e  ferme  ! 
E  lis  ome,  aderrèn,  aparavon  lou  got. 

—  Bagnen  lou  tai  !  —  E  dôu  grand  inde 

Lou  vin  raiavo,  rouge  e  linde, 
Is  àspri  grirgassoun  di  gourbihaire.  — Pièi, 

Venguè  Ramoun  à  la  taulado, 

Se  'n  cop  la  fam  èi  sadoulado, 

E  li  forço  reviscoulado, 
Pèr  bèn  acoumença,  segound  l'usage  vièi, 


i 


MIREILLE,   CHANT  VII.  285 

Vite  celle-ci,  à  pleins  tabliers,  —  versa  le  goûter 
sur  la  table;  — Rainon,  le  beau  premier,  s'y  assied 
à  un  bout,  —  et  tous  font  comme  lui.  En  miettes  — 
le  pain  à  croûte  épaisse  déjà  se  pulvérise  —  sous  la 
dent  qui  le  broie,  —  pendant  que  les  mains  plon- 
gent dans  les  barbes-de-bouc. 


La  table  réjouissait,  lavée  —  comme  une  feuille 
d'avoine;  —  le  cachaf^  odorant,  l'ail  qui  brûle  (le 
palais),  —  les  aubergines  (rôties)  sur  le  gril,  —  les 
piments,  cuisant  mets,  —  les  blonds  oignons,  con- 
fusément —  roulaient  sur  elle,  versés  à  profusion. 


Maître  à  la  table  comme  au  labour,  —  Ramon,  qui 
à  côté  de  lui  avait  la  buire,  —  de  temps  à  autre  re- 
levait, et  :  «  Allons  !  buvons  un  coup  !  —  Quand  la 
lande  est  pierreuse,  —  pour  que  la  faux  se  raffer- 
misse, — il  faut  en  mouiller  le  tranchant,  et  ferme  !  » 
—  Et  les  hommes,  tour  à  tour,  tendaient  le  verre. 


—  «  Mouillons  le  tranchant!  »  —  Et  du  grand  vase 
—  le  vin  coulait,  rouge  et  Umpide,  —  aux  âpres  go- 
siers des  faucilleurs.  —  «  Puis,  —  dit  Ramon  aux 
(hommes)  attablés,  —  quand  vous  aurez  rassasié  la 
faim  — et  ravivé  les  forces, — pour  bien  commencer^ 
selon  l'usage  antique. 


28(5  MIRÈIO  CANT   VII 

Coupas,  dins  li  bos  de  rebroundo, 
Chascun  voste  balau  de  broundo  ; 

Qu'en  làupi  li  balau  s'amoulounon.  Mi  fiéu, 
Quand  l'auto  làupi  sara  lèsto, 
De  vèspre,  couinpliren  lou  rèsto, 
Car  de  Sant  Jan  aniue  's  la  fèsto, 

Sant  Jan  lou  meissounié,  Sant  Jan  l'ami  de  Dieu  ' 

Ansin  lou  mèstre  li  coumando. 

Dedins  la  sciènci  noblo  e  grando 
Que  fau  pèr  mena  'n  bèn,  que  fau  pèr  coumanda, 

Que  fau  pèr  faire  espeli,  souto 

La  tressusour  que  ie  degouto, 

L'espigaublound  i  négri  mouto, 
De  n'en  saupre  coume  eu  res  poudié  se  vanta  ! 

Sa  vido  èro  paciènto  e  sobro. 

Es  verai  que  si  lônguis  obro, 
Emé  lou  pes  dis  an,  l'avien  un  pau  gibla  ; 

Mai  au  tèms  dis  iero,  à  la  caro 

Souvènti-fes  di  jouine  miarro, 

Fièi-  e  galoi,  pourtavo  encaro 
Sus  la  paumo  di  man  dous  plen  sestié  de  blad  ! 

Couneissié  l'aflat  de  la  luno, 
Quouro  es  bono,  quouro  impourtuno, 

Quouro  bulo  la  sabo  e  quouro  l'entessis  ; 
E  quand  fai  rodo,  e  quand  es  paie, 
E  quand  es  blanco  vo  pourpalo, 
Sabié  lou  tèms  que  n'en  davalo. 

Pèr  eu  lis  auceloun,  lou  pan  que  se  môusis, 


MIREILLE,  CHANT  VII.  287 

«  Coupez,  dans  les  bois  taillis,  —  chacun  votre 
fagot  de  branches  ;  —  qu'en  pile  les  fagots  s'ainon. 
cellent.  Mes  fils,  —  quand  le  haut  bûcher  sera  prêt, 
—  ce  soir  nous  accomphrons  le  reste;  —  carde 
Saint  Jean  c'est  la  fête  cette  nuit,  —  Saint  Jean  le 
moissonneur,  Saint  Jean  l'ami  de  Dieu!  » 


Ainsi  les  commande  le  maître.  —  Dans  la  noble 
et  grande  science  —  nécessaire  pour  conduire  un 
bien,  nécessaire  pour  commander,  —  nécessaire  pour 
faire  éclore,  sous  —  la  sueur  qui  y  ruisselle,  —  des 
noires  mottes  l'épi  blond,  —  d'en  savoir  comme  lui 
nul  ne  pouvait  se  vanter. 


Sa  vie  était  patiente  et  sobre. — En  vérité  ses  longs 
labeurs — et  le  poids  des  ans  l'avaient  un  peu  courbé  ; 
—  mais  au  temps  (où)  les  aires  (sont  pleines),  à  la 
face,  —  maintes  fois,  des  jeunes  valets,  —  fier  et 
joyeux,  il  portait  encore  —  sur  la  paume  des  mains 
deux  pleins  setiers  de  blé! 


11  connaissait  l'influence  de  la  lune,  —  quand  est- 
elle  bonne,  quand  défavorable,  —  et  quand  pousse- 
t-elle  la  sève,  et  quand  l'arrête-t-elle  ;  —  et  lors- 
qu'elle a  un  cercle,  et  lorsqu'elle  est  pâle,  —  ou 
blanche,  ou  empourprée,  —  il  savait  le  temps  qui  en 
descend.  —  Pour  lui,  les  oisillons,  le  pain  qui  se 
moisit. 


'i88  M1I\ÈI0,   GANT    VU. 

E  li  jour  nègre  de  la  Vaco, 

Pèr  eu  li  nèblo  qu'Âvoust  raco, 
E  li  contro-soulèu,  e  l'aubo  de  Sant-Clar, 

Di  quaranteno  gabinouso, 

E  di  secaresso  rouinouso, 

Di  pounlannado  plouvinouso, 
E  paréu  di  bons  an  èron  li  signe  clar. 

Dins  uno  terro  labourivo, 

Quand  la  faturo  es  tempourivo, 
Ai  de  fes  agu  visl,  atalado  au  coutrié, 

Sièis  bèsti  grasso  e  nervihouso  ; 

Èro  uno  visto  mervihouso  ! 

La  terro,  bleto  e  silenciouso, 
Plan-plan  devans  la  riho  au  soulèu  se  durbié 

E  li  sièis  miolo,  bello  e  sano, 
Seguien  de  longe  la  versano, 

Semblavon,  en  tirant,  coumprene  per-de-que 
Fau  que  la  terro  se  laboure  : 
Sens  camina  trop  plan,  ni  courre, 
Devers  lou  sôu  beissant  lou  mourre, 

Atentivo,  e  lou  côu  tiblan  coume  un  arquet. 

Lou  fin  bouié,  l'iue  sus  la  rego, 

Ela  cansoun  entre  li  brego, 
l'anavo  à  pas  tranquile,  en  tenènt  soulamen 

L'estevo  drecho.  Ansin  anavo 

Lou  tenamen  que  samenavo 

Mèste  Ramoun,  e  que  menavo, 
Ufanous,  coume  un  rèi  dins  soungouvernamen) 


MIREILLE,   CHANT  VII.  289 

Et  les  jours  néfastes  de  la  Vache  »,  —  pour  lui  les 
brouillards  qu'Août  vomit,  —  et  les  parhélies,  et 
l'aube  de  la  Saint-Clair, — des  quarantaines  humides, 
—  des  sécheresses  ruineuses,  —  des  périodes  de  ge- 
lée, —  et  aussi  des  années  bonnes,  étaient  les  signes 
clairs. 


Dans  une  terre  labourable,  —  quand  la  culture  se 
fait  en  temps  propice,  —  j'ai  vu  parfois,  attelées  à  la 
charrue,  —  six  bêtes  grasses  et  nerveuses  ;  —  c'était 
un  merveilleux  spectacle  !  —  la  terre,  fiiable,  en 
silence,  —  lentement  devant  le  soc  au  soleil  s'en- 
tr'ouvrait. 


Et  les  six  mules,  belles  et  saines,  —  suivaient 
sans  cesse  le  sillon  ;  —  elles  semblaient,  en  tirant, 
comprendre  pourquoi  —  il  faut  labourer  la  terre  : 
—  sans  marcher  trop  lentement  ni  courir,  —  vers  le 
sol  baissant  le  museau,  —  attentives,  et  le  cou  tendu 
comme  un  aie. 


Le  fin  laboureur,  l'œil  sur  la  raie,  —  et  la  chanson 
entre  les  lèvres,  —  y  allait  à  pas  tranquilles,  en  te- 
nant seulement  —  le  manche  droit.  —  Ainsi  allait  — 
leténement  qu'ensemençait —  Maître  Ramon,  et  qu'il 
dirigeait,  —  magnifique,  tel  qu'un  roi  dans  sop 
royaume  ! 


2â 


290  MIRÈIO,  CANT    VII. 

Déjà  pamens  levant  la  fàci, 

Lou  majourau  disié  li  gràci 
È  signavo  soun  front  ;  e  di  travaiadou 

L'escarrado  partie,  galoio, 

Pèr  alesti  lou  fio  de  joio. 

D'uni  van  acampa  de  boio, 
D'autre,  di  pin  negras  tcumba  lou  ramadou. 

Mai  li  dous  vièi  rèston  à  taulo, 
E  Mèste  Ambroi  pren  la  paraulo  : 

Vène,  iéu,  o  Ramoun,  vous  demanda  counsèu. 
M'arribo  un  àrsi  qu'avans  Touro 
Me  coundurra  mounte  se  plouro  ; 
Car  noun  vese  couuie  ni  quouro 

D'aquéu  nous  de  malur  poudrai  trouva  lou  sèu  !. 

Sabès  qu'ai  un  drôle  :  jusqu'aro, 

D'uno  sagesso  mai  que  raro 
M'avié  donna  li  provo,  e  toustèms.  Auriéutort, 

Se  veniéu  dire  lou  countràri. 

Mai  touto  pèiro  a  si  gavàrri. 

Lis  agnèu  même  an  si  catàrri, 
E  l'oundo  la  plus  traito  es  aquelo  que  dor.- 

Sabès  qu'a  fa,  lou  sounjo-fèsto? 

S'es  ana  mètre  pèr  la  tèsto 
Uno  chato  qu'a  vist,  de  riche  meinagié... 

E  la  vôu,  e  la  vôu,  lou  nèsci  ! 

E  tant  viôulènt  èi  soun  desfèci, 

E  soun  amour  de  talo  espèci 
Que  m'a  fa  pôu  !  En  van  i'ai  moustra  sa  foulié; 


MIREILLE,  CHANT  VII.  291 

Déjà,  pourtant,  levant  la  face  (au  ciel),  —  le  chef 
disait  les  grâces  — et  portait  la  main  au  (vont  pour 
faire  le  signe  de  la  croix;  et  des  travailleurs  -  la 
troupe  allait,  gaiement,  — préparer  le  feu  de  joie.— 
Les  uns  vont  ramasser  des  fanes  de  souchet,  -  d'au- 
tres, des  sombres  pins  abattre  la  ramée. 

Mais  à  table  restent  les  deux  vieillards,  —  et  Maître 
Ambroise  prend  la  parole  :  -  «  Je  viens,  moi,  ô  Ra- 
mon,  vous  demander  conseil.  —Il  m'advient  une  tra- 
verse  qui  avant  l'heure  -  me  conduira  où  sont  les 
pleurs  ;  —  car  je  ne  vois  ni  comment  ni  quand  —  de 
ce  nœud  de  malheur  je  pourrai  trouver  le  sceau  ! 

«  Vous  savez  que  j'ai  un  fils  :  jusqu'à  cette  heure 

-  d'une  sagesse  plus  que  rare  -  il  m'avait  donné 
les  preuves,  et  toujours.  J'aurais  tort,  —  si  je  ve- 
nais dire  le  contraire.— Mais  toute  pierre  a  ses  javarts, 

—  les  agneaux  même  ont  leurs  convulsions,  —  et 
l'onde  la  plus  perfide  est  celle  qui  dort. 

«  Savez-vous  ce  qu'il  a  fait,  le  songe-creux  <>  —  Il 
s'est  allé  mettre  par  la  tête  —  une  fille  qu'il  a  vue 
de  riches  tenanciers. . .  _  Et  il  la  veut,  et  il  la  veut! 
l'insensé!  —  Et  si  violent  est  son  désespoir,  —  et  tel 
son  amour  -  qu'il  m'a  fait  peur!  Vainement  lui  ai-ie 
démontré  sa  fohe, 


292  MIRÈIO,  GANT  VII. 

En  van  i'ai  di  qu'en  aquest  mounde 
Richesso  crèis,  pauriho  founde... 

—  Courrès  dire  à  si  gènt  que  la  vole  atout  près, 
A  respoundu  ;  que  fau  s'enchaure 
Se  l'orne  es  brave  e  noun  s'es  paure; 
Digas-ie  que  sabe  reclaure, 

Desmaienca  li  vigno  e  laboura  li  grès. 

Digas-ie  mai  que  si  sièis  couble 
Sout  moun  gouvèr  cavaran  double  ; 

Digas-ie  que  siéu  orne  à  respeta  li  vièi  ; 
Digas-ie  que,  se  nous  separon, 
Pèr  toujour  nôsti  cor  se  barron, 
E  tant  iéu  qu'elo,  nous  entarron  ! 

Aro  dounc,  o  Ramoun,  que  vesès  ce  que  n'èi, 

Digas-me  s'eraé  mi  roupiho 

Anarai  demanda  la  fiho, 
0  bèn  se leissarai mouri  moun  drôle...  —  Pôu  ! 

Ramoun  ie  fai,  noun  largués  vélo 

Sus  un  tau  vent.  Eu  nimai  elo, 

Boutas,  mouriran  pas  d'aquelo  ! 
Es  iéu  que  vous  lou  dise,  Ambroi,  n'agués  pas  pôu. 

Moun  ome,  en  voste  Hoc  e  plaço, 

Fariéu  pas  tant  de  cambo  lasso  : 
Icoumenço,  pichot,  de  garda  toun  repau, 

le  vendriéu  sènso  mislèri, 

Que  s'a  la  fin  ti  refoulèri, 

Ve  !  fan  esmôure  lou  tempèri, 
Sarnipabiéune !  ve!  t'endôutrine  em'un  pau. 


I 


MIREILLE,  CHANT  VII.  293 

«  Vainement  lui  ai-je  dit  qu'en  ce  monde,  —  ri- 
chesse croît,  pauvreté  fond...  —  «  Courez  dire  à  ses 
parents  que  je  la  veux  à  tout  prix,  —  a-t-il  répondu; 
qu'il  faut  se  soucier  —  de  la  vertu  de  l'homme,  et 
non  de  sa  misère  ;  —  dites-leur  que  je  sais  biner,  — 
ébourgeonner  les  vignes,  labourer  les  terrains  pier- 
reux. 

«  Dites-leur  encore  que  leurs  six  paires  (de  bêtes), 
—  sous  ma  conduite,  creuseront  double  ;  —  dites- 
leur  que  je  suis  homme  à  respecter  les  vieillards  ;  — 
dites-leur  que,  s'ils  nous  séparent,  —  pour  toujours 
ils  ferment  nos  cœurs,  —  et,  tant  moi  qu'elle,  ils 
nous  enterrent  !  n  — Maintenant  donc,  ô  Ramon,  que 
vous  voyez  ce  qu'il  en  est, 

«  Dites-moi  si,  avec  mes  haillons,  —  je  dois  aller 
demander  la  fille,  —  ou  bien  laisser  mourir  mon 
fds...»  —  «Bah!  —  Ramon  lui  dit,  ne  déployez 
point  voile  —  sur  un  tel  vent  !  Lui  ni  elle ,  —  allez, 
n'en  mourront  pas  !  —  C'est  moi  qui  vous  le  dis, 
Ambroise,  n'ayez  pas  peur. 


«  Ami,  en  votre  lieu  et  place,  —  je  ne  ferais  pas 
tant  de  démarches  vaines  :  —  «  Commence,  petit,  par 
garder  ton  repos,  —  lui  dirais-je  sans  détour,  —  car 
à  la  fin  si  tes  caprices  —  vois  !  font  mouvoir  la  tem- 
pête, —  sarnipabieoune  !  vois  !  je  t'endoctrine  avec 
un  pieu  !  » 


25. 


294  MIRÈIO,   CANT  VII. 

Alor  Ambroi  :  Quand  l'ase  bramo, 

l'anés  dounc  plus  traire  de  ramo  : 
Arrapas  un  barroun,  e  'm'  acô  'nsucas-louî 

E  Ramoun  :  Un  paire  es  uo  paire  ; 

Si  voulounta  dèvon  se  faire  ; 

Troupèu  que  meno  soun  gardaire 
Crucis,  à  tèms  o  tard,  dins  la  gorgo  dôu  loup. 

Qu'à  soun  paire  un  fiéu  reguignèsse, 
De  noste  tèms,  ah!  Dieu  gardasse! 

L'aurié  tua,  belèu!.!.  Li  famiho,  tambèn, 
Li  vesian  forte,  unido,  sano, 
E  resistènto  à  la  cliavano 
Goume  un  brancage  de  platane  ! 

Avien  preun  si  garrouio,  —  acote,  lou  sabèn. 

Mai  quand  leu  vèspre  de  Calèndo, 
Seule  souneslelado  tèndo, 

Acampave  leu  rèire  e  sa  generacieun, 
Davans  la  taulo  benesido, 
Davans  la  taulo  ounte  préside, 
Lou  rèire,  de  sa  man  freuncido, 

Negàvo  tout  acô  dins  sa  benedicieun  ! 

Mai,  afebride  e  blavinelle, 
L'enaniourado  pichounelle 

Vôn  alor  à  soun  paire  :  Âdeunc  me  tuarès, 
0  paire!  Es  iéu  que  Vîncèn  amo, 
E,  davans  Diéue  Nestre-Damo, 
Res  autre  qu'eu  n'aura moun  amo!... 

Un  silènci  moui-lau  li  prenguè  téuti  très. 


MIREILLE,   CHANT  VII.  295 

Alors  Ambroise  :  «  Quand  l'âne  brait,  —  n'allez 
donc  plus  lui  jeter  de  la  rainée  :  —  empoignez  une 
trique  et  assommez-le  !  »  —  Et  Ramon  :  «  Un  père 
est  un  père  ;  —  ses  volontés  doivent  être  faites  '  — 
Troupeau  qui  mène  son  gardien,  —  tôt  ou  tard,  cra- 
que dans  la  gueule  du  loup. 


«  Qu'à  son  père  un  fils  regimbât,  —  de  notre  temps, 
ah  !  Dieu  garde  !  —  il  l'eût  tué,  peut-être  ! . . .  Les  fa- 
milles, aussi,  —  nous  les  voyions  fortes,  unies,  sai- 
nes, —  et  résistantes  à  l'orage,  —  comme  un  bran- 
chage de  platane  !  —  Elles  avaient,  sans  doute,  leurs 
querelles,  nous  le  savons. 


«  Mais  quand  le  soir  de  Noël,  —  sous  sa  tente 
étoilée,  —réunissait  l'aïeul  et  sa  génération,  —  de- 
vant la  table  bénie,  —  devant  la  table  où  il  préside, — 
l'aïeul,  de  sa  main  ridée,  —  noyait  tout  cela  dans  sa 
bénédiction  "  1  » 


Mais,  enfiévrée  et  blême,  —  la  jeune  fille  éna- 
mourée —  dit  alors  à  son  père  :  «  Vous  me  tuerez 
donc,  —  mon  père  !  C'est  moi  que  Vincent  aime,  — 
et  devant  Dieu  et  Notre-Dame,  —  nul  n'aura  mon 
âme  que  lui!...  »  —  Un  silence  de  mort  les  prit  tous 
trois. 


S96       •  MIRÈIO,  CANT  VII. 

Jano-Mario  es  la  proumiero 
Que  s'aubourè  de  la  cadiero  : 

— -  Ma  fiho!  la  resoun  que  vènes  d'alarga, 
le  fai  ansin  'mé  li  man  jouncho, 
Es  uno  escorno  que  nous  councho, 
Es  uno  espino  d'aiguespouncho 

Que  nous  a  pèr  lontèms  nôsti  cor  trafiga' 

As  refusa  lou  pastre  Alàri, 

Aquéu  qu'avié  milo  bestiàri! 
Refusa  Veranet  lou  gardian  ;  rebuta, 

Pèr  ti  maniero  besuqueto, 

Ourrias,  lou  tant  riche  en  vaqueto! 

Em'  acô  pièi,  em'  un  fresqueto, 
Em'  un  galabontèms  te  vas  encoucourda! 

Bèn  !  i*anaras  de  porto  en  porto, 

Emé  toun  gus  courre  pèr  orto  ! 
Siestouto  tiéuno,  parte,  abôumianido  ! . . .  Bon.' 

Associo-te  'mêla  Roucano, 

Emé  Beloun  la  Roubicano  ! 

Sus  très  caiau,  emé  la  Cano, 
Vai  couire  ta  bouiaco,  à  la  sousto  d'un  pont  ! 

Mèste  Ramoun  leissavo  dire  ; 

Mai  soun  iue,  lusènl  coume  un  cire, 
Soun  iue  parpelejavo  e  jitavo  d  uiau 

Souto  sis  usso  espesso  e  blanco. 

De  sa  coulèro  la  restanco 

Pièi  à  la  longo  se  desranco, 
E   oundo  à  boui  furoun  s'esclafis  dins  lou  riau 


MIREILLE,  CHANT   VII.  207 

Joanne-Marie  est  la  première;  —  qui  se  leva  do  la 
chaise  :  —  «  Ma  fille  !  la  parole  qui  vient  de  t'échap- 
per,  —  lui  fait-elle  ainsi,  les  mains  jointes,  —  est  une 
insulte  qui  nous  souille,  —  est  une  épine  de  nerprun 
—  qui  nous  a  pour  longtemps  percé  le  cœur  ! 


«  Tu  as  refusé  le  pâtre  Alàri,  —  celui  qui  possédait 
mille  bestiaux  !  —  refusé  Véranet  le  gardien  ;  rebuté, 
—  partes  manières  dédaigneuses,  —  Ou  rria  s,  le  ri- 
che (pasteur)  de  génisses  ;  —  et  puis,  un  freluquet,  — 
un  garnement  (suffit)  pour  te  séduire  *"  ! 


«  Eh  bien  !  vas-y,  de  porte  en  porte,  —  avec  ton 
gueux  courir  les  champs!  —  Tu  t'appartiens,  pars! 
bohémienne  !.. .  Oui  !  —  à  la  Roucane,  —  à  Beloun  la 
Roubicane  —  associe-toi  !  —  Sur  trois  cailloux,  avec 
la  Chienne,  —  va  cuire  ton  potage,  abritée  sous  (la 
voûte)  d'un  pont!  » 


Maître  Ramon  laissait  dire  ;  —  mais  son  œil,  lui 
sant  comme  un  cierge,  —  son  œil  chgnotait  et  jetait 
des  éclairs  —  sous  ses  sourcils  épais  et  blancs.  — De 
sa  colère  l'écluse  —  à  la  longue  s'arrache,  —  et  l'onde 
à  bouillons  furieux  s'élance  dans  la  rivière  : 


298  MIRÈIO,  GANT  VII. 

—  A  rôsoun,  o,  ta  maire  !  parte, 

E  que  l'aiirige  liuen  s'esvarte  !... 
Mainoun,  demouraras,  vases?...  Quand  saubriér 

De  t'estaca  'mé  lis  enfèrri, 

E  de  te  mètre  i  narro  un  fèrri, 

Coume  se  fai  à-n-un  gimèrri  ; 
Veguèsse-iéu  subran  toumba  lou  fio  de  Dieu  ' 

De  facharié  morno  e  malauto, 

.Veguèsse-iéu  foundre  ti  gauto, 
Coume  la  nèu  di  colo  à  l'uscle  dôu  soulèu! 

Mirèio  !  coume  aquelo  graso 

Dôu  fougueiroun  porto  la  braso  ; 

Coume  lou  Rose,  quand  s'arraso, 
Fau  que  desbounde,  e  ve!  coume  acô  's  un  calèu, 

Rapello-te  de  ma  paraulo  : 

Lou  veiras  plus  ! ...  E  de  la  taulo 
Em'  un  grand  cop  depoung  destrantraio  l'iimploiir, 

Coume  l'eigagno  sus  li  berlo, 

Coume  un  rasin  que  si  pouperio 

Plovon  à  l 'auro,  perlo  à  perlo 
Mirèio  entanterin  escampavo  si  plour. 


—  Quau  m'a  pas  di,  malavalisco  ! 

Reprenlou  vièi,  bret  de  la  bisco, 
Ambroi,  quau  m'a  pas  di  que  vous,  vous,  Mèste  Airibroi, 

Agués,  'mé  voste  tantalôri, 
1  Entrepacha  dinsvostobôri 

!  Aquel  infâme  raubatôri  ! . , . 

'''L'endignacioun,  aquest,  l'enaurè  tout  revoi. 


MIREILLE,  CHANT  VIL  '299 

—  «  Elle  a  raison,  oui,  ta  mère  !  pars, —  et  que 
l'ouragan  loni  se  dissipe! ...  —  Mais  non,  tu  resteras, 
vois-lu?...  Saurais-je —  de  t'attacher  avec  les  entra- 
ves, —  et  de  te  mettre  aux  narines  un  fer,  —  comme 
on  fait  à  un  jumart;  —  verrais-je  subitement  tomber 
le  feu  du  ciel  ! 


«  De  fâcherie  morne  et  malade, — verrais-je  fondre 
tes  joues,  —  comme  la  neige  des  collines  au  hâle  du 
soleil!  —  Mireille!  comme  cette  dalle  — porte  la 
braise  du  foyer;  —  comme  le  Rhône,  comblé  (par  les 
pluies),  —  forcément  déborde;  et  vois!  comme  cela 
est  une  lampe, 


«  Souviens -toi  de  ma  parole  :  —  tu  ne  le  verras 
plus  ! . . .  »  Et  de  la  table  —  par  un  grand  coup  de 
poing  il  fait  trembler  l'ampleur.  —  Comme  la  rosée 
sur  les  berles,  —  comme  une  grappe  dont  les  grains 
trop  mûrs  —  pleuvent  au  vent,  perle  à  perle,  —  Mi- 
reille, en  même  temps,  répandait  ses  larmes. 


—  «  Qui  m'assure,  malédiction!  —  reprend  le  vieil- 
lard, bègue  de  colère,  —  Ambroise,  qui  m'assure  que 
vous,  vous,  Maître  Ambroise,  — '  n'ayez  point,  avec 
votre  gredin,  —  machiné  dans  votre  hutte — ce  rapt 
infâme!  » — L'indignation  souleva,  chez  celui-ci,  la 
vigueur  d'autrefois. 


SOO  MIRÊIO,  CANT  VII. 

—  Malan  de  Dieu  !  cridè  tout-d'uno, 

Se  l'aven  basso,  la  fourtuno, 
Vuei  aprenès  de  iéu  que  pourlan  lou  cor  aut  ! 

Que  sache  encaro,  n'es  pas  vice 

La  paureta,  nimai  brutice  ! 

Ai  quarante  an  de  bon  service, 
De  service  à  l'armado,  au  son  dicanoun  rau! 

Just  manejave  uno  partego, 

Que  siéu  parti  de  Yalabrego 
Pèr  môssi  de  veissèu.  Emplana  sus  la  mar, 

Sus  la  mar  tempestouso  o  lindo, 

Ai  vist  l'empèri  de  Melindo, 

Emé  Sufren  ai  treva  l'indo, 
E,  mai  que  la  marino,  agu  de  jour  amar! 

Soudard  peréu  di  grandi  guerro, 

Ai  barrula  touto  la  terro, 
Em'  aquel  aut  guerrié  que  mountè  dôu  Miejour, 

E  permenè  sa  man  destrùci 

De  l'Espagno  à  Fermas  di  Rùssi  ; 

E  coume  un  aubre  de  perùssi 
Lou  mounde  s'espôussavo  au  brut  de  si  tambour  ! 

E  dins  l'ourrour  dis  arrambage, 

E  dins  l'angouisso  di  naufrage, 
Li  riche,  pèr  acô,  n'an  jamai fa  ma  part! 

E  iéu,  enfant  de  la  pauriho, 

Iéu  que  n'aviéu  dins  ma  patrio 

Pas  un  terroun  à  planta  riho, 
Pèr  elo,  quarante  an,  ai  matrassa  ma  car  ! 


MIREILLE,  CHANT  VIL  50! 

—  «  Malheur  de  Dieu!  s'écria-t-il  soudain,  —  si 
nous  avons  la  fortune  basse,  —  en  ce  jour  apprenez 
de  moi  que  nous  portons  le  cœur  haut  !  —  Que  je  sa- 
che encore,  elle  n'est  point  vice —  la  pauvreté,  ni 
souillure.  —  J'ai  quarante  ans  de  bon  service,  —  de 
service  à  l'armée,  au  son  des  canons  rauques! 


«  A  peme  maniais-je  une  gaffe,  — je  suis  parti  de 
Valabrcgue,  —  mousse  de  vaisseau.  Perdu  sur  les 
plaines  de  la  mer,  —  de  la  mer  tempétueuse  ou  lim- 
pide, —  j'ai  vu  l'empire  de  Mélinde,  —  j'ai  hanté 
l'Inde  avec  Suffren,  —  et  eu  des  jours  plus  amers  que 
la  mer  ! 


«  Soldat  aussi  des  grandes  guerres,  —j'ai  parcouru 
tout  l'univers,  —  avec  ce  haut  guerrier  qui  monta 
du  Midi ,  —  et  promena  sa  main  destructrice  —  de 
l'Espagne  aux  steppes  russes  ;  —  et,  tel  qu'un  arbre 
de  poires  sauvages,  —  au  bruit  de  ses  tambours  se 
secouait  le  monde  I 


«  Et  dans  l'horreur  des  abordages,  —  et  dans  l'an- 
goisse des  naufrages,  —  les  riches,  malgré  tout, 
n'ont  jamais  fait  ma  part  !  —  Et  moi,  enfant  du  pau- 
vre, —  moi  qui  n'avais,  dans  ma  patrie,  —  pas  un 
coin  de  terre  où  planter  le  soc,  —  pour  elle  quarante 
ans  j'ai  harassé  ma  chair  ' 


S6 


302  MIRÊIO,   CANT  Vil 

E  couchavian  à  la  plouvino, 

E  manjavian  que  de  canino  ! 
E  jalous  de  mouri,  courrian  au  chapladis, 

Pèr  apara  lou  noum  de  Franco... 

Mai,  d'acô,  res  n'a  remeinbranço  ! 

En  acabantsa  remoustranço, 
Pèr  lou  mas  bandiguè  sa  jargo  de  cadis. 

—  Qu'anas  bousca  vers  Mount-de- Vergue 
LouSanl-Pieloun?  —  lou  vièi  rouërgue 

Rambaio  coume  eiçôMèste  Ambroi,  —  emai  iêu 
Ai  ausi  l'orre  tron  di  boumbo 
Di  Toulounen  clafi  la  coumbo  ; 
D'Arcolo  ai  vist  lou  pont  que  toumbo, 

E  li  sablas  d'Egito  embuga  de  sang  viéu  ! 

Mai,  de  retour  d'aquéli  guerre, 

A  fouire,  àbourjouna  la  terro 
Nous  sianmes  coume  d'ome,  à  se  desmesoula, 

De  pèd  e  d'ounglo  !  La  journado 

Èro  avans  l'aubo  entamenado, 

E  la  luno  di  vesprenado 
Nous  a  vist  mai  d'un  cop  sus  la  trenco  gibla! 

Dison  :  La  terro  es  abelano  ! 
Mai,  coume  un  aubre  d'avelano, 

En  quau  noun  la  tabasso  à  grand  cop,  dono  rèn  ; 
E  se  coumtavon,  dèstre  à  dèstre, 
Li  moutihoun  d'aquéu  benèslre 
Que  jnoun  travai  me  n'a  fa  mèstre, 

Coumtarien  li  degout  de  moun  front  susarènt! 


MIREILLE,  CHANT  VII.  503 

«  Et  nous  couchions  sous  le  givre,  —  et  ne  man- 
gions que  du  pain  de  chien;  —  et,  jaloux  de  mou- 
rir, nous  courions  au  carnage  —  pour  défendre 
le  nom  de  France!...  —  Mais,  décela  nul  n'a  sou- 
venir !  »  —  En  achevant  sa  remontrance,  —  par  la 
ferme  il  jeta  son  manteau  de  cadis. 


—  «  Qu'allez-vous  chercher  vers  Mont-de-Verg«e  " 
—  le  Saint-Pilon  '^?  le  vieux  grondeur  —  ainsi  rem- 
barre Maître  Ambroise,  —  et  moi  aussi  j'ai  entendu 
l'horrible  tonnerre  des  bombes,  —  emplir  la  vallée 
des  Toulonnais;  —  d'Arcole  j'ai  vu  le  pont  qui 
tombe,  —  et  les  sables  d'Egypte  combugés  de  sang 
vivant  ! 

«  Mais,  au  retour  de  ces  guerres,  —  à  fouir,  à  bou- 
leverser le  sol  —  nous  nous  mîmes  comme  des  hom- 
mes, (au  point)  de  nous  sécher  la  moelle,  —  de  pied 
et  d'ongles!  La  jpurnée  —  s'entamait  avant  l'aube,  — 
et  la  lune  des  soirées  —  nous  a  vus  plus  d'une  fois 
ployés  sur  la  houe. 


«  On  dit  :  La  terre  est  généreuse  !  —  mais,  telle 
qu'un  arbre  d'avelines,  —  à  qui  ne  la  frappe  à  grands 
coups,  elle  ne  donne  rien  ;  —  et  si  l'on  comptait,  pas 
à  pas  ^^,  —  les  mottes  de  terre  de  cette  aisance,  — 
que  mon  travail  m'a  conquise,  —  on  compterait  les 
gouttes  de  sueur  qui  ont  ruisselé  de  mon  front! 


304  MIRÈIO,  CANT  VII. 

Santo  Ano  d'At!  pièi  fau  rèn  dire! 
Aurai  adonne,  coume  un  saiire, 

Riistica  de  countunio,  e  manja  mi  grapié, 
Pèr  qu'à  l'oustau  lou  viéure  abound 
Pèr  que  de  longo  se  i'apounde, 
Pèr  me  mètre  à  l'ounour  dôu  mounde, 

Pièi  dounarai  ma  fiho  à-n-un  gus  de  paie! 

•    Anas-vous-en  au  tron  de  Diéune  ! 
Gardo  toun  chin,  garde  moun  ciéune. 

Tau  fugue  dôu  pelot  lou  parla  rabaslous. 
E  l'autre  vièi,  s'missant  detaulo, 
Prenguè  sa  jargo  emé  sa  gaule, 
E  n'apoundè  que  dos  paraulo  : 

Adessias!  Quauquejour,  noun  fugues  regretous! 

E  lou  grand  Dieu  emé  sis  ange 

Mené  la  barco  e  lis  arange  !... 
E  coume  s'enanavo  emé  lou  jour  fali, 

Souto  lou  vènt-lerrau  que  bramo, 

Banejè  dôu  mouloun  de  ramo 

Uno  longo  lengo  de  flamo. 
Au  tour,  li  meissounié,  de  joio  trefouli, 

Emé  si  tèsto  fièro  e  libre 

Se  revessant  dins  l'èr  que  vibro, 
Tôuti,  d'un  même  saut  picant  la  terro  ensèn, 

Fasien  déjà  la  farandoulo. 

La  grand  flamado,  que  gingoulo 

Au  revoulun  que  la  ventoulo, 
Empuravo  à  si  front  de  rebat  Irelusènt. 


MIREILLE,   CHANT  VII.  505 

«  Sainte  Anne  d'Apt!  et  il  faut  se  taire!  —  J'aurai 
donc,  comme  un  satyre  **,  —  ahané  sans  relâche 
aux  travaux  des  champs,  et  mangé  mes  criblures, — 
pour  qu'à  la  maison  entre  l'abondance, — pour  l'aug- 
menter sans  cesse,  —  pour  me  mettre  à  l'honneur 
du  monde  ;  —  puis,  jfr  donnerai  ma  fille  à  un  gueux 
^couchant)  aux  meules  ! 

«  Allez  au  tonnerre  de  Dieu  ;  —  Garde  ton  chien, 
je  garde  mon  cygne,  n  —  Tel  fut  du  maître  le  rude 
parler. —  L'autre  vieillard,  se  levant  de  table,  —  prit 
son  manteau  et  son  bâton,  —  et  n'ajouta  que  deux 
paroles  :  —  «  Adieu  !  quelque  jour,  n'ayez  point  de 
regrets! 


«  Et  (que)  le  grand  Dieu  avec  ses  anges  —  mène  la 
barque  et  les  oranges  !  »  —  Et  comme  il  s'en  allait 
avec  le  jour  tombant,  —  sous  le  mistral  qui  mugit, 
—  (pareille  à  une)  corne,  s'éleva  du  monceau  de  ra- 
mée —  une  longue  langue  de  flamme.  —  Alentour, 
les  moissonneurs,  fous  de  joie, 


Avec  leurs  têtes  fières  et  libres  —  se  renversant 
dans  l'air  vibrant,  —  tous,  d'un  même  saut  frappant 
la  terre  ensemble,  —  faisaient  déjà  la  farandole.  — 
La  grande  flamme,  qui  glapit  —  sous  la  bourrasque 
qui  l'agite,  —  attisait  sur  leurs  fronts  des  reflets 
éclatants. 


26. 


300  MIRÈIO,   GANT  VÎT, 

Li  belugo,  à  remoulinado, 

Mounton  i  nivo,  afurounado. 
Au  criicimen  di  trounc  toumbant  dins  lou  brasnr 

Se  mesclo  e  ris  la  musiquelo 

Dôu  flaiutet,  revertigueto 

Coume  un  sausin  dins  li  branqueto... 
Sant  Jan,  la  terro  aprens  trefoulis,  quand  passas  ! 

La  regalido  petejavo  ; 

Lou  tambourin  vounvounejavo, 
Grèu  e  couiitinuous,  coume  lou  jafaret 

De  la  mar  founso,  quand  afloco 

Pasiblamen  contro  U  roco. 

Li  lamo  foro  di  bedoco 
E  brandussado  en  l'èr,  li  dansaire  rnouret, 

Très  fes,  à  grandis  abrivado, 

Fan  dins  li  flamo  la  Bravado  , 
E  tout  en  trépassant  lou  rouge  cremadou, 

D'un  rèst  d'aiet  trasien  li  veno 

Au  recabéu  ;  e,  li  man  pleno 

De  trescalan  e  de  verbeno, 
Que  fasien  benesi  dins  lou  fio  purgadou  : 

Sant  Jan!  Sant  Jan!  Sant  Jan!  cridavon. 

Tôuti  li  colo  esbrihaudavon, 
Coume  s'avié  plôugu  d'estello  dins  l'oumbrun' 

Enterin  la  rounflado  folo 

Empourtavo  l'encens  di  colo 

Emé  di  fio  la  rougeirolo 
Vers  lou  Sant,  emplana  dins  lou  blu  calabrun. 


MIREILLE,   CHANT    VII.  507 

Les  étincellos,  à  tourbillons,  —  montent  aux  nues, 
furibondes.  —  Au  craquement  des  troncs  tombant 
dans  le  brasier,  —  se  môle  et  rit  la  petite  musique 
—  du  galoubet,  vive  et  folâtre  —  comme  un  friquet 
dans  les  rameaux...  —  Saint  Jean,  la  terre  enceinte 
tressaille,  quand  vous  passez  ! 


Le  feu  joyeux  pétillait  ;  —  le  tambourin  bour- 
donnait, —  grave  et  continu,  comme  le  murmure 
—  de  la  mer  profonde,  quand  elle  bat  —  paisible- 
ment contre  les  roches.  —  Les  lames  hors  des  four- 
reaux —  et  brandies  dans  les  airs,  les  danseurs 
bruns, 


Trois  fois,  avec  de  grands  élans,  —  font  dans  les 
flammes  la  Bravade  ^^.  —  Et  tout  en  franchissant 
le  rouge  foyer,  —  d'une  tresse  d'aulx  ils  jetaient  les 
gousses  —  dans  la  braise;  et,  les  mains  pleines—  de 
mille-pertuis  et  de  verveine,  —  qu'ils  faisaient  bénir 
dans  le  feu  purificateur  : 


«  Saint  Jean!  Saint  Jean!  Saint  Jean!  »  s'écriaient- 
ils.  —  Toutes  les  colhnes  ^tincelaient,  —  comme  s'il 
avait  plu  des  étoiles  dans  l'ombre  !  —  Cependant 
la  rafale  folle  —  emportait  l'encens  des  collines  — 
et  la  rouge  lueur  des  feux  —  vers  le  Saint,  planant 
dans  le  bleu  crépuscule. 


NOTES 


DU  CHANT  SEPTIEME 


*  Tortillade  [tourtïhado],  gâteau  en  forme  de  couronne,  fait  de 
fine  pâte,  de  sucre,  d'œufs  et  d'anis. 

'  Prunelle  lagreno),  fruit  du  prunellier. 

'  Cest  là  lœuf  de  la  Poule  blanche  :  expression  proverbiale, 
pour  dire  une  chose  rare,  précieuse,  à  laquelle  on  tient  beaucoup 
Les  sorciers  allaient  avec  une  poule  blanche  aux  carrefours,  aa 
clair  de  lune,  et  évoquaient  le  diable  par  ce  cri  trois  fois  répété  ; 


NOTES  DU  CHANT  VIT.  309 

Pèr  la  vertu  de  ma  poulo  ft^anco /Juvénal,  en  parlant  d'un  homme 
heureux,  dit  :  Gallime  filius  albx. 

*  Lucre  [lucre],  tarin  de  Provence  (fringilla  spinus,  Lin.),  oi- 
seau d'un  beau  jaune  et  dont  le  chant  agréable  a  passé  en  pro- 
verbe. 

^  Doigtiers  (dedau),'  doigtiers  de  roseau  que  les  moissonneurs 
adaptent  aux  doigts  de  leur  main  gauche,  afin  de  ne  pas  se  bles- 
ser avec  la  faucille. 

^  Hémine  (eimino),  boisseau.  —  Héminée  [eminado],  mesure 
de  superficie,  8  ares  75,  variable  selon  les  pays. 

'  Cachât  {cachât),  fromage  pétri  qui  acquiert  par  la  fermenta- 
tion un  goût  excessivement  piquant.  Ce  mets  figure  journellement 
sur  la  table  des  valets  de  ferme,  ou  ràfi. 

*  Les  jours  néfastes  de  la  Vache,  vulgairement  H  Vaqueiriéu. 
Ce  sont  les  trois  derniers  jours  de  mars  et  les  quatre  premiers 
d'avril,  période  redoutée  des  paysans.  On  a  vu,  dans  la  note  7  du 
Chant  YI,  ce  que  les  «Provençaux  entendent  par  la  Vieille.  Voici 
la  suite  de  ce  fabliau  ; 

Quand  la  Vieille  eut  perdu  son  troupeau  de  brebis,  elle  acheta 
des  vaches;  et,  arrivée  sans  encombre  à  la  fin  du  mois  de  mars, 
elle  dit  imprudemment  • 

En  escapant  de  Mars  e  de  Marsèu, 
Ai  escapa  mi  vaco  e  im  vedèu. 

Mara,  blessé  du  propos,  va  sur-le-champ  trouver  Avril  ~ 

Abriéu,  n'ai  plus  que  ires  jour  :  presto-me-n'en  quatre, 
Li  vaco  de  la  Vièio  faren  batre  ! 

Avril  consentit  au  prêt...;  une  tardive  et  terrible  gelée brouït 
toute  végétation,  et  la  pauvre  Vieille  perdit  encore  son  troupeau. 

9  Noël  est  la  prmcipale  fête  des  Provençaux.  En  yoici  une  des- 
cription qui  primitivement  faisait  partie  du  poëme,  et  que  l'au- 
teur a  supprimée  pour  éviter  les  longueurs  : 


3i0  NOTES  DU  CHANT  VIL 


Ah  !  Calèndo,  Calèndo,  ounte  èi  ta  douço  pas? 

Ounte  soun  li  caro  risènto 

Dis  enfantoun  e  di  jouvènto  ? 

Ounte  èi  la  man  rufo  e  mouvènto 
Dôu  viéi  que  fai  lacrous  dessus  lou  sant  repas  i 

Alor  lou  ràfi  que  labouro 

Quito  la  rego  de  bono  ouro, 
Etanto  e  pastrihoun  patusclon,  deligènt; 

Dôu  dur  travai  lou  cors  escàpi, 

Van  à  soun  oustaloun  de  tapi 

Emé  si  gènt  manja  'a  gre  d'àpi 
E  pausa  gaiamen  cachafiô  'mé  si  gènt. 

Dôu  four,  sus  lo  taulo  de  pibo, 

Déjà  lou  calendau  arribo, 
Flouca  de  verbouisset,  festonna  de  façoun  ; 

Déjà  s'atubon  très  candèlo, 

Novo,  sacrado,  clarinello, 

E  dins  très  blànquis  escudello, 
Greio  lou  blad  nouvèu,  premicio  di  meissoun. 

Un  grand  pirastre  negrejavo 
E  dôu  vieiounge  trantraiavo... 

L'einat  de  Toustau  vèn,  lou  cepo  pèr  lou  pèd, 
A  grand  cop  de  destrau  Tespalo, 
E,  lou  cargant  dessus  Fespalo, 
Contro  la  taulo  calendalo 

Vèn  i  pèd  de  soun  grand  lou  pausa  'mé  respèU 

Lou  segTie-grand,  de  gen  de  modo, 

Vôu  renouncia  si  vièii  modo  : 
A  troussa  lou  davans  de  soun  ample  capéu, 

E  vai,  couchons,  querre  la  flolo; 

A  mes  sa  longo  camisolo 

De  cadis  blanc,  e  sa  taiolo, 
E  si  braio  nouvialo,  e  si  guèto  de  peu. 


NOTES  DU   CHANT  Vil. 


Ahl  Noël,  Noël,  où  est  la  douce  paix?  —  Où  sont  les  vi- 
sages riants  —  des  petits  enfants  et  des  jeunes  filles?  —  Où 
est  la  main  calleuse  et  agitée  —  du  vieillard  qui  fait  la  croix 
sur  le  saint  repas  ? 

Alors  le  valet  qui  laboure  —  quitte  le  sillon  de  bonne 
heure,  —  et  servantes  et  bergers  décampent,  diligents.  —  Le 
corps  échappé  au  dur  travail,  —  ils  vont,  à  leur  maisonnette 
de  pisé,  —  avec  leurs  parents  manger  un  cœur  de  céleri  — 
et  poser  gaiement  la  bûche  (au  feu)  avec  leurs  parents. 


Du  four,  sur  la  table  de  peuplier,  —  déjà  le  (pain)  de  Noël 
arrive,  —  orné  de  petit-houx,  festonné  d'enjolivures.  —  Déjà 
s'allument  trois  chandelles,  —  neuves,  claires,  sacrées,  —  et 
dans  trois  blanches  écuelles  —  germe  le  blé  nouveau,  pré- 
mices des  moissons. 


Un  noir  et  grand  poirier  sauvage  —  chancelait  de  vieil- 
lesse... —  L'ainé  de  la  maison  vient,  le  coupe  par  le  pied.  — 
à  grands  coups  de  cognée  Tébranche,  —  et  le  chargeant  sur 
l'épaule,  —  prés  de  la  table  de  Noël,  —  il  vient,  aux  pieds  de 
son  aïeul,  le  déposer  respectueusement. 


Le  vénérable  aïeul,  d'aucune  manière,  —  ne  veut  renoncer 
à  ses  vieilles  modes.  —  Il  a  retroussé  le  devant  de  son  ample 
chapeau,  —  et  va,  en  se  hâtant,  chercher  la  bouteille.  —  11  a 
mis  sa  longue  camisole  -  de  cadis  blanc,  et  sa  ceinture,  — 
et  ses  brayes  nuptiales,  et  ses  guêtres  de  peau. 


512  NOTES  DU  CHaNT  YIV 

Mai  pamens  touto  la  faraiho 
A  soun  entour  s'escarrabiho... 
—  Bèn?  Cachafiô  boutan,  pichot?  —  Si!  vitamen 
Tôuti  ierespoiidon.  —  Alègre' 
Crido  lou  vièi,  alègre,  alègre! 
Que  Noste  Segne  nous  alègre  ! 
S'un  autre  an  sian  pas  mai,  moun  Dieu,  fuguen  pas  mcn 

E  'mplissènt  lou  got  de  clareto, 

Davans  la  bando  risouleto, 
Eu  n'escampo  très  cop  dessus  l'aubre  fruchau  ; 

Lou  pu  jouinet  lou  pren  d'un  caire, 

Lou  vièi  de  l'autre,  e  sorre  e  fraire 

Entre-mitan,  ie  fan  pièi  faire 
Très  cop  lou  tour  di  lume  e  lou  tour  de  l'oustaa 

E  dins  sa  joio  lou  bon  rèire 

Aubouro  en  Ter  lou  got  de  vèire  : 
0  fio,  dis,  fio  sacra,  fai  qu'aguen  de  bèu  tèm  ! 

E  que  ma  fedo  bèn  agnelle, 

E  que  ma  Irueio  bèn  poucelle, 

E  que  ma  vaco  bèn  vedelle, 
Que  mi  chato  e  mi  noro  en  fanion  lôuti  bèn  ' 

Cachafiô,  bouto  fio  !  Tout-d'uno, 

Prenant  lou  trounc  dins  si  man  bruiio, 
Dins  lou  vaste  fougau  lou  jiton  tout  entié. 

Veirias  alor  fougasso  à  Tôli, 

E  cacalauso  dins  l'aiôli 

Turta,  dins  aquéu  bôu  regôli, 
Vin  eue,  nougat  d'amelo  e  frucho  dôu  plantié. 

D'uno  vertu  devinarello 

Veirias  lusi  li  très  candèlo  ; 
Veirias  d'Esperitoun  giscla  dôu  fio  ramu , 

Dôu  mou  veirias  penja  la  branco 

Vers  aquéu  que  sara  de  nianco  ; 

Veirias  la  napo  resta  blanco 
Soulo  un  carboun  ardent,  e  li  cat  resta  mut  ! 


NOTES  DU  CHANT  VII.  313 

Cependant  toute  la  famille  —  autour  de  lui  joyeusement 
s'agite...  —  «  Eh  bien!  posons-nous  la  bûche,  enfants?  — 
«  Oui  !  »  promptement—  touslui  répondent.  «  Allégresse!  —  le 
vieillard  s'écrie,  allégresse,  allégresse!  —  que  Nolre-Seig7ieitr 
nous  emplisse  d'allégresse!  —  elsi,  une  autre  année,  nous 
ne  sommes  pas  plus,  mon  Dieu,  ne  soyons  pas  moins  ' 

Et  remplissant  le  verre  de  clarelte,  —  devant  la  troupe 
souriante  —  il  en  verse  trois  fois  sur  l'arbre  fruitier  ;  —  le 
plus  jeune  prend  (l'arbre)  d'un  côté,  —  le  vieillard  de  l'autre, 
et  sœurs  et  frères  —  entre  les  deux,  ils  lui  font  faire  ensuite 
—  trois  fois  le  tour  des  lumières  et  le  tour  de  la  maison. 


Et  dans  sa  joie,  le  bon  aïeul  —  élève  en  l'air  le  gobelet  de 
verre  :  —  «  0  feu,  dit-il,  feu  sacré,  fais  que  nous  ayons  du  beati, 
temps!  —  et  que  ma  brebis  mette  bas  heureusement,  —  que 
ma  truie  soit  féconde,  —  que  ma  vacfie  vêle  bien,  —  que  mes 
filles  et  mes  brus  enfantent  toutes  bien  ' 


Bûche  bénie,  allume  le  feu  !  »  Aussitôt  —  prenant  le  tronc 
dans  leurs  mains  brunes,  —  ils  le  jettent  entier  dans  l'àîre 
vaste.  —  Vous  verriez  alors  gâteaux  à  l'huile,  —  et  escargots 
dans  Vaioli,  —  heurter,  dans  ce  beau  festin,  —  vin  cuit,  nou- 
gat d'amandes  et  fruits  de  la  vigne.        ' 


D'une  vertu  fatidique  —  vous  verriez  luire  les  trois  chan- 
delles ;  —  vous  verriez  des  Esprits  jaillir  du  feu  touffu  ;  —  du 
lumignon  vous  verriez  pencher  la  branche  —  vers  celui  qui 
manquera  (au  banquet)  ;  —vous  verriez  la  nappe  rester  blan- 
che —  sous  un  charbon  ardent,  et  les  chats  rester  muets! 


87 


314  NOTES   DU  CHANT  VII. 

*"  Suffit  pour  te  séduire.  —  S'encoucourda  signifie  au  propre, 
-tUA^v^"-^     acheter  une  courge  pour  un  melon;  au  figuré  se  tromper,  se  mal 


"  Mont-de-Vergue  [Mount-de-Vergue],  colline  au  levant  d'Avi- 
gnon. 

*2  Le  Saint-Pilon  {lou  Sant-Pieloun,  le  Saint-Puy),  nom  du  ro- 
cher à  pic  dans  lequel  est  creusée  la  grotte  où  se  retira  sainte 
Magdeleine.  (Voyez  le  Chant  XI.) 

*5  Pas  à  pas  [dèstre  à  dèstre).  Le  Dèstre  est  une  mesure  agraire, 
la  centième  partie  de  Veiminado,  environ  neuf  centiares. 

*•*  Gomme  un  satyre  [coume  un  Satire) .  Pour  dire  travailler 
comme  un  nègre,  on  dit  en  Provence  travailler  comme  un  Satyre. 
Les  anciens  ont  pu  prendre  les  nègres  sauvages  pour  des  divini- 
tés des  bois  qu'ils  nommèrent  satyres,  et  dans  l'esprit  du  peuple, 
ces  deux  mots  ont  pu  devenir  synonymes. 

'^  Bravade  [Bravado],  décharges  de  mousqueterie  qu'on  faisait 
autrefois  au  moment  d'allumer  le  feu  de  la  Saint-Jean,  et,  par 
extension,  cérémonies  préliminaires  et  saut  de  ce  lieu. 


I 


CANT  VUECHEN 


LA   CRAU 


Cesîsperanço  de  Mirèio.  —  Atrencaduro  d'Arlatenco.  —  La  chato,  au 
niitan  de  la  niue,  fugis  l'oustau  pairau.  —  Vai  au  toumbèu  di 
Sànti-Mario,  que  soiin  li  patrouno  de  Prouvênço,  li  suplica  de 
touca  si  parent.  —  Lis  Ensigne.  —  Tout  en  conrrènt  à  travès  de 
Crau,  rescontro  li  pastre  de  soun  paire.  —  La  Crau,  la  guerro  di 
Gigant. — Li  rassado ,  li  prègo-Diéu  d'estoublo,  li  parpaioun, 
avertisson  MinVio.  —  Mirèio ,  badanto  de  la  set,  e  n'en  poudènt 
plus  de  la  caud,  prègo  sant  Gènt,  que  vèn  à  soun  secours. — 
Rescontre  d'Andreloun,  lou  cacalausié.  —  Eloge  d'Arle.  —  Récit 
d'Andreloun  :  istôri  dôu  Trau  de  la  Capo,  li  cauco,  li  eaucaire 
aproufoundi.  —  Mirèio  coucho  au  tibanèu  de  la  famiho  d'Andre- 
loun. 


Quau  tendra  la  forto  leiouno, 
Quand,  de  retour  à  soun  androuno, 

Vèi  plus  sounleiounèu?  Ourlante  sus-lou-cop, 
Lôugiero  e  primo  de  ventresco, 
Sus  li  mountagno  barbaresco 
Patusclo...,  Un  cassaire  mouresco 

Entre  lis  argelas  i'emporto  au  grand  galop. 

Quau  vous  tendra,  fiho  amourouso?... 
Dins  sa  chambreto  souloumbrouso 

Mounte  la  niue  que  briho  esperlongo  soun  rai, 
Mirèio  es  dins  soun  lie  couchado 
Que  plouro  touto  la  niuecbado, 
Emé  soun  front  dins  sa  junchado  : 

—  Nostro-Damo-d'Annour,  di«as-me  aue  farai  I 


CHANT  HUITIÈME 

LA  CRAU 


Désespoir  de  Mireille.  —  Toilette  d'Arlésienne.  —  La  jeune  fille,  au 
milieu  de  la  nuit ,  fuit  la  maison  paternelle.  —  Elle  va  au  tom- 
beau des  Saintes-Mariés  supplier  ces  patronnes  de  la  Provence  de 
fléchir  ses  parents.  —  Les  constellations.  —  Dans  sa  course  à  tra- 
ders la  Crau,  elle  rencontre  les  bergers  de  son  père.  —  La  Cran, 
la  g-uerre  des  Géants.  —  Les  lézards,  les  mantes  religieuses,  les 
papillons  avertissent  Mireille.  —  Mireille  haletante  de  soif,  acca- 
blée par  la  chaleur  du  jour,  implore  saint  Cent,  qui  la  secourt. — 
Rencontre  d'Andreloun ,  le  ramasseur  de  limaçons.  —  Eloge 
d'Arles. —  Récit  d'Andreloun  :  légende  du  Trou  de  la  Cape,  le 
foulage  des  gerbes ,  les  fouleurs  engloutis.  —  Mireille  passe  la 
nuit  sous  la  tente  de  la  famille  d'Andreloun. 


Qui  tiendra  la  forte  lionne.  —  quand,  de  retour  à 
son  antre,  —  elle  ne  voit  plus  son  lionceau  ?  Hur- 
lante soudain, —  légère  et  efflanquée,  —  sur  les  mon- 
tagnes barbaresques  —  elle  court...  Un  chasseur 
maure  —  dans  les  genêts  épineux  le  lui  emporte  au 
grand  galop. 


Qui  vous  tiendra,  filles  amoureuses?...  —  Dans  sa 
chambrette  sombre,  —  où  la  nuit  qui  brille  prolonge 
son  rayon,  —  Mireille  est  dans  son  lit  couchée  — 
qui  pleure  toute  la  nuitée,  —  avec  son  front  dans  ses 
mains  jointes  :  —  «  Notre-Dame  d'Amour,  dites-moi 
ce  que  je  dois  faire  I 


27. 


318  MIREIO,  GANT   VIII. 

0  marrit  sort  que  m'estransines  ! 

0  paire  dur  que  me  chaupines, 
Se  vesiés  de  moun  cor  l'estras  e  lou  coumbourj 

Auriés  pieta  de  ta  pichoto  ! 

léu  qu'apelaves  ta  rhignoto, 

Me  courbes  vuei  souto  la  joto, 
Coume  s'ere  un  fedoun  atrinable  au  labour  ! 

Ah  !  perqué  noun  la  mar  s'enverso, 

E  dins  la  Crau  largo  sis  erso  ' 
Giiio,  veiriéu  prefoundre  aquéu  bèn  au  soulèu, 

Soulo  encauso  de  mi  lagremo  ! 

0  perqué,  d'une  pauro  femo, 

Perqué  nasquère  pas  iéu-memo, 
Dins  quauque  trau  de  serp  !...  Alor,  alor,  belèu, 

S'un  paure  drôle  m'agradavo. 

Se  Vincenet  me  demandavo, 
Lùu-lèu  sariéu  chabido  ! ...  0  moun  bèu  Vincenet, 

Mai  qu'emé  tu  pousquèsse  viéure, 

E  t'embrassa  coume  fai  leurre, 

Dins  li  roudan  anariéu  béure  ! 
Lou  manja  de  ma  fam  sarié  ti  poutounet  ! 

E  coume,  ansm,  dins  sa  bressolo, 

La  bello  enfant  se  descounsolo, 
Lou  sen  brûlant  de  fèbre  e  d'amour  fernissènt  ; 

De  si  proumiéris  amoureto 

Coume  repasso  lis  oureto 

E  li  passade  tant  clareto, 
le  revèn  tout-d'un-cop  un  counsèu  de  Vincèn  : 


MIREILLE,  CIIAIST  VIII  319 

«  0  sort  cruel,  qui  me  sèches  d'ennuis  !  —  0  père 
dur  qui  me  foules  aux  pieds ,—  si  tu  voyais  de  mon 
cœur  le  déchirement  et  le  trouble,  —  tu  aurais  pitié 
de  ton  enfant  !  —  Moi  que  tu  nommais  ta  mignonne, 

—  tu  me  courbes  aujourd'hui  sous  le  joug,  — 
comme  si  j'étais  un  poulain  qu'on  peut  dresser  au  la- 
bour ! 

«  Ah  !  que  la  mer  ne  déborde-t-elle,  —  et  dans  la 
Crau  que  ne  lâche-t-elle  ses  vagues  '  —  Joyeuse,  je 
verrais  s'engloutir  ce  bien  au  soleil,  —  seule  cause 
de  mes  larmes!  —  Ou  pourquoi,  d'une  pauvre 
femme,  —  pourquoi  ne  suis-je  pas  née  moi-même, 

—  dans  quelque  trou  de  serpent!...  Alors,  alors, 
peut-être, 

«  Si  un  pauvre  garçon  me  plaisait, — si  Vincent  de- 
mandait (ma  main), —  vite,  vite  on  me  marierait!... 
0  mon  beau  Vincent.^  —  pourvu  qu'avec  toi  je  pusse 
vivre,  —  et  t'embrasser  comme  fait  le  lierre, — dans  les 
ornières  j'irais  boire  ! —  Le  manger  de  ma  faim  serait 
tes  (doux)  baisers  !  » 


I  Et  pendant  qu'ainsi,  dans  sa  couchette,  —  la  belle 
enfant  se  désole,— le  sein  brûlant  de  fièvre  et  frémis- 
sant d'amour, — des  premiers  (temps)  de  ses  amours 

—  pendant  qu'elle  repasse  les  (charmantes)  heures 

—  et  les  moments  si  clairs,  —  lui  revient  tout  d'ui? 
coup  un  conseil  de  Vincent  : 


320  MIRÈIO,  CANT  VIII. 

--  0,  crido,  un  cop  qu'au  mas  venguères 
Es  bèn  lu  que  me  lou  diguères  : 

S'un  chin  foui,  un  lesert,  un  loup  o  'n  serpatas, 
0  touto  autro  bèsti  courrènto 
Vous  fai  senti  sa  dent  pougnènto  ; 
Se  lou  malur  vous  despoutènto, 

Courrès,  courrès  i  Santo,  aurés  lèu  de  soûlas  ! 

Vuei  lou  malur  me  despoutènto, 
Parten  !  N'en  revendren  countènto 

Acô  di,  sauto  lèu  de  soun  blanc  linçoulet  ; 
Emè  la  clau  lusènto,  duerbe 
Lou  gardo-raubo  que  recuerbe 
Soun  prouvimen,  moble  superbe, 

De  nôuguié,  tout  flouri  soulo  lou  ciselet. 

Si  tresouroun  de  chatouneto 
.   Eron  aqui  :  sa  courouneto 
De  la  proumiero  fes  que  fagué  soun  bon  jour; 

Un  brout  de  lavando  passido; 

Uno  candeleto,  gausido 

Quasimen  touto,  e  benesido 
Pèr  esvarta  li  tron  dins  la  sourno  liuencliour. 

Elo,  emè  'no  courdello  blanco, 

D'abord  se  nouso,  au  tour  dis  anco, 
Un  rouge  coutihoun,  qu'elo-memo  a  pica 

D'uno  fino  carreladuro, 

Mereviheto  de  courduro  ; 

E  sus  aquéu,  à  sa  centuro, 
Un  autre  bèn  plus  bèu  es  lèu  mai  atrenca. 


MIREILLE,  CHANT  VIII.  321 

— «  Oui,  s'écrie-t-elle,  un  jour  que  tu  vins  au  mas, 
—  c'est  bien  toi  qui  me  le  dis  :  —  «  Si  (jamais)  un 
chien  enragé,  un  lézard,  un  loup  ou  un  serpent 
énorme,  —  ou  toute  autre  bête  errante,  —  vous  fait 
sentir  sa  dent  aiguë  ;  —  si  le  malheur  vous  accable, 
— courez,  courez  aux  Saintes  *,  vous  aurez  tôt  du  sou- 
lagement! » 

«  Aujourd'hui  le  malheur  m'accable,  —  partons  ! 
nous  en  reviendrons  contente.  »  — Cela  dit,  elle  saute, 
légère,  de  son  (petit)  drap  blanc  ;  —  elle  ouvre  avec 
la  clef  luisante,  —  la  garde-robe  qui  recouvre  —  son 
trousseau,  meuble  superbe,  —  de  noyer,  tout  fleuri 
sous  le  ciselet. 


Ses  petits  trésors  de  jeune  fille  —  étaient  là  :  sa 
couronne — de  la  première  fois  qu'elle  fit  son  bon  jour  ; 
—un  brin  de  lavande  flétrie  ;  — un  (petit)  cierge,  usé 
—  presque  en  entier,  et  bénit  —  pour  dissiper  les 
foudres  dans  le  sombre  èloignement. 


Elle,  avec  un  lacet  blanc,  —  d'abord  se  noue  au- 
tour des  hanches — un  rouge  cotillon,  qu'elle-même  a 
piqué  —  d'une  fine  (broderie)  carrelée,  —  petit  chef- 
d'œuvre  de  couture  ;  —  sur  celui-là,  d'un  autre  bien 
plus  beau  lestement  elle  s'attife  encore. 


322  MTRÉIO,  GANT  VIII. 

Pièi,  dins  uno  èso  negro,  esquicho 

Lôugeiramen  sa  taio  richo, 
Qu'imo  espingolo  d'or  sufis  à  ressarra; 

Pèr  treneto  longo  e  brunello 

Soun  peu  pendoulo,  e  i'enmantello 

Si  dos  espalo  blanquinello. 
Mai  elo,  n'arrapa-it.  11  trachèu  sépara, 

Lèii  lis  acampo  e  li  restroupo, 

A  plen  de  man  lis  agouloupo 
D'uno  dentello  fino  e  clareto  ;  e  'no  fes 

Li  bèlli  floto  ansin  restrencho, 

Très  cop  poulidamen  li  cencho 

Em'  un  riban  a  bluio  tencho, 
Diadème  arlaten  de  soun  front  jouine  e  fres. 

Met  soun  faudau;  sus  la  peitrino, 

De  soun  fichu  de  mousselino 
Se  croso  à  pichot  pie  lou  vierginen  teissut  ; 

Mai  soun  capèu  de  Prouvençalo, 

Soun  capeloun  à  grandis  aie 

Pèr  apara  li  caud  mourtalo, 
Oublidè,  pèr  malur,  de  s'en  curbi  lou  su... 

Acô  feni,  l'ardènto  chato 

Pren  à  la  man  si  dos  sabato  ; 
Dis  escalié  de  bos,  sens  mena  de  varai, 

Davalo  d'escoundoun  ;  desplanto 

Dôu  pourtau  la  tanco  pesanto  ; 

Se  recoumando  i  boni  Santo, 
E  part,  coume  lou  vent,  dins  la  niue  porto-esfrai. 


MIREILLE,  CHANT  VIII.  323 

Puis,  dans  une  casaque  noire,  elle  presse  -  légère- 
ment sa  taille  riche,  —  qu'une  épingle  d'or  suffit  à 
-resserrer  ;  —  par  tresses  longues  et  brunes  —  ses 
cheveux  pendent,  et  revêtent  comme  d'un  manteau — 
ses  deux  épaules  blanchco.  —  Mais  elle  en  saisit  les 
boucles  éparses, 


Vite  les  rassemble  et  les  retrousse, — à  pleine  main 
les  enveloppe  —  d'une  dentelle  fine  et  transparente  ; 
et  une  fois — les  belles  touffes  ainsi  étreintes, — trois 
fois  gracieusement  elle  les  ceint — d'un  ruban  à  teinte 
bleue,  —  diadème  arlésien  de  son  front  jeune  et 
trais. 


Elle  met  son  tablier;  sur  le  sein,— de  son  fichu  de 
mousseline  —  elle  se  croise  à  petits  plis  le  virginal 
tissu. — Mais  son  chapeau  de  Provençale, —  son  petit 
chapeau  à  grandes  ailes  —  pour  défendre  des  mor- 
telles chaleurs,  —  elle  oublia,  par  malheur,  de  s'en 
couvrir  la  tête... 


Cela  fini,  l'ardente  fille  —  prend  à  la  main  sa 
chaussure  ;  —  par  l'escalier  de  bois,  sans  faire  de 
bruit, —  descend  en  cachette  ;  enlève  —  la  barre  pe- 
sante de  la  porte  ;  —  se  recommande  aux  bonnes 
Saintes,  —  et  part,  comme  le  vent,  dans  la  nuit  qui 
«ffraye. 


324  MIRÊIO,  CANT  VIII. 

Ero  l'ouro  que  lis  Ensigne 

I  barquejaire  fan  bèu  signe. 
De  l'Aiglo  de  Sant  Jan,  que  se  vèn  d'ajouca, 

I  pèd  de  soun  Evangelisto, 

Sus  li  très  astre  mounte  elo  isto, 

Se  vesié  trantraia  la  visto  ; 
Lou  tèms  èro  seren,  e  sol,  e  'sperluca. 

E  dins  li  planuro  estelado 

Precepitant  si  rodo  alado, 
Lou  grand  Càrri  dis  Ame,  alin,  dôu  Paradis 

Prenie  la  mountado  courouso, 

Einé  sa  cargo  benurouso; 

E  li  mountagno  tenebrouso 
Regardavon  passa  lou  Càrri  vouladis. 

Mirèio  anavo  davans  elo, 
Coume  antan  Magalouno,  aquelo 

Que  cerquè  tant  de  tèms,  en  plouraiit,  dins  li  bos 
Soun  ami  Pèire  de  Prouvénço, 
Qu'eu  empoLirta  pér  la  viôulènço 
Dis  oundo,  èro  restado  sènso. 

I  counfigno  pamens  dôu  terraire  entrefos, 

E  dins  lou  pargue  recampaire, 

l'avié  li  pastre  de  soun  paire 
Qu'anavon  déjà  môuse  ;  e  d'uni,  'mé  la  man, 

Tenènt  li  fedo  pèr  lou  mourre, 

Inmoubile  davans  li  fourre, 

Fasien  teta  lis  agnèu  bourre 
E  de-longo  entendias  quauco  fedo  bramant 


MIREILLE,   CHANT  VIII.  325 

C'était  l'heure  où  les  constellations  —  aux  nauto- 
niers  font  beau  signe.  —  De  l'Aigle  de  Saint  Jean-, 
qui  vient  de  se  jucher,  —  aux  pieds  de  son  Evangé- 
liste,  —  sur  les  trois  astres  où  il  réside,  —  on  voyait 
^clignoter  le  regard.  —  Le  temps  était  serein,  et  cal- 
me, et  resplendissant  d'étoiles. 


Et  dans  les  plaines  étoilées  —  précipitant  ses  roues 
ailées,  —  le  grand  Char  des  Ames,  dans  les  profon- 
deurs (célestes),  du  Paradis  —  prenait  la  montée 
brillante,  —  avec  sa  charge  bienheureuse  ;  —  et  les 
montagnes  sombres  —  regardaient  passer  le  Char 
volant. 


Mireille  allait  devant  elle,  ■. —  comme  jadis  Mague- 
lonne^,  celle  —  qui  chercha  si  longtemps,  éplorée, 
dans  les  bois,  —  son  ami  Pierre  de  Provence,  —qui, 
emporté  par  la  fureur  —  des  flots,  l'avait  laissée 
abandonnée.  —  Cependant  aux  limites  du  terroir 
cultivé, 


Et  dans  le  parc  (où)  se  rassemblent  (les  brebis), 
—  les  pâtres  de  son  père  —  allaient  traire  déjà;  et 
les  uns,  avec  la  main,  —  tenant  les  brebis  par  le  mu- 
seau, —  immobiles  devant  les  ?bris-vent,  —  faisaient 
teter  les  agneaux  bruns.  —  Et  sans  cesse  on  enten- 
dait quelque  brebis  bêlant... 


28 


326  MIRÈIO,  GANT  VIII. 

D'autre  couchavon  li  maniero 
Vers  lou  môusèire  ;  à  la  sourniero, 

Asseta  su  no  pèiro,  6  mut  coume  la  niue, 
Di  pousso  gounflo  aquest  tiravo 
Lou  bon  la  caud  :  lou  la  'spiravo 
A  long  raiôu,  e  s'aubouravo, 

Dins  li  bord  escumous  dôu  cibre,  à  vistù  d'iue. 

Li  chin  èron  coucha,  tranquile; 
Li  bèu  chinas,  blanc  couine  d'ile, 

Jasien  de-long  dôu  cast,  'mé  lou  mourre  alounga 
Dins  li  ferigoulo  ;  calaumo 
Tout  à  l'entour,  e  som,  echaumo 
Dins  lou  campas  que  sent  qu'embaumo... 

Lou  tèms  èro  seren,  e  sol,  e  'sperluca. 

E  coume  un  lamp,  à  ras  di  cledo 

Mirèio  passo.  Pastre  e  fedo, 
Coume  quand  lis  amourro  un  subit  fouletoun, 

S'amoulounèron.  Mai  la  fiho  : 

Emé  i&i,  i  Sànti-Mario 

!^es  vôu  veni,  de  la  pastriho? 
E  davans,  le  fusé  coume  un  esperitoun. 

Li  chin  dôu  mas  la  couneiguèron, 

E  dôu  repaus  noun  bouleguèron. 
Mai  elo,  dis  avaus  Trustant  li  cabassôu, 

Es  déjà  liuencho  ;  e  sus  li  mato 

Di  panicaut,  di  canfourato, 

Aquéu  perdigalet  de  chato 
Lando,  lando  !  Si  pèd  to'":°^eiii?as  lou  sôu... 


MIREILLE,  CHANT  VIII.  327 

D'autres  chassaient  les  mères  (qui  n'ont  plus  d'a- 
gneau) —  vers  le  trayeur  :  dans  l'obscurité,  —  assis 
sur  une  pierre,  et  muet  comme  la  nuit,  —  des  ma- 
melles gonflées  celui-ci  exprimait  —  le  bon  lait 
chaud;  le  lait,  jaiUissant — à  longs  traits,  s'élevait 
—  dans  les  bords  écumeux  de  la  seille,  à  vue  d'œil. 


Les  chiens  étaient  couchés,  tranquilles;  —  les 
beaux  et  grands  chiens,  blancs  comme  des  lis,  — 
gisaient  le  long  de  l'enclos,  le  museau  allongé  — 
dans  les  thyms.  Calme  —  tout  alentour ,  et  som- 
meil, et  repos  —  dans  la  lande  embaumée  ;  —  le 
temps  était  serein,  et  calme,  et  resplendissant  d'é- 
toiles. 

Et  comme  un  éclair,  à  ras  des  claies  —  Mireille 
passe  :  pâtres  et  brebis,  —  comme  lorsque  leur 
courbe  la  tête  un  soudain  tourbillon,  —  s'agglomérè- 
rent. —  Mais  la  jeune  fille  :  —  «  Avec  moi,  aux 
Saintes-Mariés  —  nul  ne  veut  venir,  d'entre  les  ber- 
gers? »  Et  devant  (eux),  elle  fila  comme  un  esprit. 


Les  chiens  du  mas  la  reconnurent,  —  et  du  repos 
ne  bougèrent.  —  Mais  elle,  des  chênes-nains  frôlant 
les  têtes,  —  est  déjà  loin;  et  sur  les  touffes — des 
panicauts,  des  camphrées,  — •  ce  perdreau  de  fille  — 
vole,  vole  !  Ses  pieds  ne  touchaient  pas  le  sol  ! 


328  MIRÈIO,  CAWT  VIII. 

Souvènti-fes  à  soun  passage, 

Li  courreli  que  dins  l'erbage, 
Au  pèd  di  reganèu,  dourmien  agroumouli, 

De  sa  dourmido  treboulado 

Subran  partieii  à  grand  voulado  ; 

E  dins  la  Crau  sourno  c  pelado 
Cridavon  :  Courreli!  courreli!  courreliî 

Emé  si  peu  lusènt  d'eigagno, 

L'Aubo,  enlremen,  de  la  mountagno 
Se  vesié  pau-à-pau  davala  dins  lou  plan  ; 

E  di  calandro  capeludo 

Lou  vôu  cantaire  la  saludo  ; 

E  de  l'Aupiho  baunneludo 
Semblavo  qu'au  soulèu  se  mouvien  li  calan. 

Acampestrido  e  secaronso, 
L'inmènso  Crau,  la  Crau  peirouso 

Au  matin  pau-à-pau  se  vesié  destapa  ; 
La  Crau  antico,  ounte,  di  rèire 
Se  li  raconte  soun  de  crèire, 
Souto  un  déluge  counfoundèire 

Lj  Gigant  auturous  fuguèron  aclapa. 

Litestoulas'  em' une  escalo, 

Em'  un  csfors  de  sis  espalo 
Cresien  de  cabussa  l'Ounnipoutènt  !  Déjà 

De  Santo-Vitôri  lou  serre 

Èro  estrassa  prr  lou  pau-ferre; 

Déjà  l'Aupiho  vonien  querre, 
Pèr  n'apouiidre  au  Ventour  li  grand  baus  eigreja 


MIREILLE,  CHANT  VIII  329 

Soutentes  lois,  à  son  passage,  —  les  courlis  qui, 
dans  les  herbes,  —  au  pied  des  chêneteaux,  dor- 
maient blottis,  —  troublés  dans  leur  sommeil,  — 
soudain  partaient  à  grande  volée,  —  et  dans  la  Crau 
sombre  et  nue —  criaient  :  Courreli  !  courreli  !  cour- 
reliî 


Les  cheveux  luisants  de  rosée,  —  l'Aurore,  ce- 
pendant, de  la  montagne  —  se  voyait  peu  à  peu  dé- 
valer dans  la  plaine: — et  des  alouettes  huppées  —  la 
volée  chanteuse  la  salue  ;  —  et  de  l'Alpine  caver- 
neuse *  —  il  semblait  qu'au  soleil  se  mouvaient  les 
sommets. 


On  voyait  le  matin  découvrir  peu  à  peu  —  la  Crau 
inculte  et  aride,  — la  Crau  immense  et  pierreuse,  — 
la  Crau  antique,  où,  des  ancêtres  —  si  les  récits  sont 
dignes  de  foi,  —  sous  un  déluge  accablant  —  les 
Géants  orgueilleux  furent  ensevelis. 


Les  stupides  !  avec  une  échelle,  —  avec  un  effort 
de  leurs  épaules  —  ils  croyaient  renverser  le  Tout- 
Puissant  !  Déjà  —  de  Sainte-Victoire'  le  morne— était 
déchiré  par  le  levier  ;  —  déjà  ils  venaient  quérir 
l'Alpine,  —  pour  en  ajouter  au  Ventour  les  grands 
escarpements  ébranlés. 


28. 


330  MIRÈTO,   CANT   VIII. 

Dieu  duerb  la  man  ;  e  lou  Maïstre, 
Emé  lou  Tron,  emé  l'Âuristre, 

De  sa  man,  coume  d'aiglo,  an  parti  tôuti  tre 
De  la  mar  founso,  e  de  si  vabre, 
E  de  si  toumple,  van,  alabre, 
Espeirega  lou  lie  de  mabre , 

E  'm'  acô  s'enaurant,  coume  un  lourd  sagarés, 

L'Anguieloun,  lou  Tron  e  l'Âuristre, 
D'un  vaste  curbecèu  de  sistre 

Amassolon  aqui  lis  omenas...  La  Crau, 
I  douge  vent  la  Crau  duberto, 
La  mudo  Crau,  la  Crau  deserto, 
A  counserva  l'orro  cuberto. . . 

Mirèio,  sèmpre  mai,  dôu  terradou  pairau 

Prenié  l'alôngui.  Li  raiado 

E  lou  dardai  di  souleiado 
Empuravon  dins  l'èr  un  lusènt  tremoulun  ; 

E  di  cigalo  garrigaudo. 

Que  grasihavo  l'erbocaudo, 

Li  cimbaleto  fouligaudo 
Repetavon  sens  fin  soun  long  cascarelun. 

Nid'aubre,  ni  d'oumbro,  ni  d'amo  ! 

Car,  de  l'esliéu  fugènt  la  flarmo, 
Li  noumbrous  abeié  que  rasclon,  dins  l'ivèr, 

L'erbeto  courto,  mai  goustouso, 

De  la  grand  piano  sôuvertouso, 

Is  Aupo  fresco  e  sanitouso 
Èron  ana  cerca  de  pasquié  sèmpre  verd. 


MIREILLE,  CHANT  VIII.  331 

Dieu  ouvre  la  main;  eî  le  Mistral,  —  avec  la  Foudre 
et  l'Ouragan,  —  de  sa  main,  comme  des  aigles,  sont 
partis  tous  trois;  —  de  la  mer  profonde,  et  de  ses  ra- 
vins,— et  de  ses  abîmes,  ils  vont,  avides, — épierrer 
le  lit  de  marbre  ;  —  et  ensuite  s'élevant  comme  un 
lourd  brouillard, 


L'Aquilon ,  la  Foudre  et  l'Ouragan,  —  d'un  vaste 
couvercle  de  poudingue — assomment  là  les  colosses. . . 
La  Grau,  —  la  Grau  ouverte  aux  douze  vents,  —  la 
Grau  muette,  la  Grau  déserte,  —  a  conservé  l'horrible 
couverture...  —  De  plus  en  plus,  Mireille,  du  terroir 
paternel 


S'éloignait.  Les  rayonnances  —  et  l'éjaculation 
ardente  du  soleil  —  attisaient  dans  l'air  un  luisant 
tremblement  ;  —  et  des  cigales  de  la  lande,  —  que 
grillait  l'herbe  chaude,  —  les  petites  cymbales  folles 
—  répétaient  sans  fin  leur  long  claquettement. 


Ni  arbre,  ni  ombre,  ni  âme!  —  car,  fuyant  la 
flamme  de  l'été,  -^  les  nombreux  troupeaux  qui  ton- 
dent en  hiver — l'herbette  courte,  mais  savoureuse, — 
de  la  grande  plaine  sauvage,  —  aux  Alpes  fraîches  et 
salubres  —  étaient  allés  chercher  des  pâturages  tou- 
jours verts. 


332  HÏRÉIO,  GANT  VIII. 

Souto  li  fio  que  Jun  escampo, 

Mirèio  lampo,  e  lampo,  e  lampo  ! 
E  li  rassado  griso,  au  revès  de  si  trau, 

S'entredisien  :  Fau  èstre  iolo 

Pèr  barrula  li  clapeirolo, 

Em'  un  soulèu  que  sus  li  colo 
Fai  dansa  11  mourven,  e  li  code  à  la  Crau  ! 

tlli  prègo-Diéu,  à  l'oumbrino 

Dis  argelas  :  0  pelerino, 
Entorno,  entorno-le  !  ie  venien.  Lou  bon  Dieu 

A  mes  i  font  d'aigo  clareto, 

Au  front  dis  aubre  a  mes  d'oumbreto 

Pèr  apara  ti  couloureto, 
E  tu,  rimes  ta  caro  à  Fuselé  de  Festiéu! 

En  van  peréu  l'avertiguèron 
Li  parpaioun  que  la  veguèron. 

Lis  alo  de  l'Amour  e  lou  vent  de  la  Fe 

L'emporton,  coume  l'auro  emporte 
Li  blanc  gabian  que  soun  pèr  orto 
Dins  li  sansouiro  d'Aigui-Morto. 

Tristas,  abandonna  di  pastre  e  de  l'avé. 

De  liuen  en  liuen,  pèr  la  campagno, 

Parèis  un jas  cubert  de  sagno.. . 
Quand  pamens  se  veguè,  badanto  de  la  set, 

Au  bruladou  touto  souleto, 

Ni  regouloun  ni  regouleto, 

Trefouliguè  'no  brigouleto... 
E  faguè  :  Grand  Sant  Gènt,  ermito  dôu  Baussp.t! 


MIREILLE,  CHANT  VIII.  ÏJ3ÎÎ 

Sous  les  feux  que  Juin  verse,  —  comme  l'éclair 
Mireille  court,  et  court,  et  court!  — Et  les  grands  lé- 
zards gris,  au  rebord  de  leurs  trous,  — disaient  entre 
eux  :  «  Il  faut  être  folle  —  pour  vaguer  dans  les 
cailloux,  —  par  un  soleil  qui  sur  les  collines  —  fait 
danser  les  morvens^,  et  les  galets  dans  la  Crau!  » 


Et  les  mantes-religieuses,  à  l'ombrette  —  des 
ajoncs  :  «  0  pèlerine,  —  retourne,  retourne-toi  !  lui 
disaient-elles.  Le  bon  Dieu  —  a  mis  aux  sources  de 
l'eau  claire,  —  au  front  des  arbres  a  mis  de  l'ombre 
—  pour  protéger  les  couleurs  de  tes  (joues), — et  toi, 
tu  brûles  ton  visage  au  hâle  de  l'été!  » 


Vainement  l'avertirent  aussi  —  les  papillons  qui  la 
virent.  —  Les  ailes  de  l'Amour  et  le  vent  de  la  Foi — 
l'emportent,  comme  la  bise  emporte  — les  blancs 
goélands  qui  errent —  dans  les  plages  salées  d'Âigues- 
Mortcs.  —  Profondément  triste,  abandonnée  des  pâ- 
tres et  des  brebis, 


De  loin  en  loin,  par  la  campagne,  —  paraît  une 
bergerie  couverte  de  typha.  —  Quand  pourtant  elle 
se  vit,  béante  de  soif,  —  en  ces  lieux  brûlés  toute 
seule,—  sans  ruisseau  ni  ruissolet,  — elle  tressaillit  lé- 
gèrement... —  et  dit:  «  Grand  Saint  Cent,  ermite  du 
Baussef ! 


334  MIRÈIO,  GANT  VIII 

0  bèu  e  jouine  labouraire, 

Qu'atalerias  à  voste  araire 
Lou  loup  de  la  inountagno  !  o  divin  garrigaud, 

Que  durberias  la  roco  duro 

A  dos  pichôti  couladuro 

D'aigo  e  de  vin,  refrescaduro 
Pèr  vosto  maire,  lasso  e  mourènto  de  caud; 

Car,  coume  iéu,  quand  tout  soumiho, 
Avias  plaça  vosto  famiho, 

E,  soulet  emé  Dieu,  i  gorge  dôu  Bausset 
Vous  trouvé  vosto  maire.  Ânsindo, 
Mandas-me  'n  fiéu  d'aigueto  lindo, 
0  bon  Sant  Gènt  !  Lou  grès  que  dindo 

Me  crèmo  li  peiado,  e  more  de  la  set  ! 

Lou  bon  Sant  Gènt,  del'empirèio, 

Entendeguè  prega  Mirèio  : 
E  Mirèio,  autant  lèu,  d'un  releisset  de  pous, 

Alin  dins  la  champino  raso, 

A  vist  beluguejala  graso. 

E  dôu  dardai  fende  la  braso, 
Coume  lou  martelet  que  travèsso  un  espousc. 

Ère  un  vièi  pous  tout  garni  d'éurre, 
Que  li  troupèu  i'  anavon  béure. 

Murmurant  douçamen  quàuqui  mot  de  cansoun, 
r  a  'n  pichot  drôle  que  jougavo 
Souto  la  pielo,  ounte  cercavo 
Lou  pau  d'oumbreto  qu'amagavo  ; 

Contro,  avié  'n  panié  plen  de  blanc  cacalausoun. 


MIREILLE,  CHANT  VIIL  335 

«  0  bel  et  jeune  laboureur,  —  qui  attelâtes  à  votre 
charrue  —  le  loup  de  la  montagne  !  ô  divin  solitaire, 

—  qui  ouvrîtes  la  roche  dure  —  à  deux  petits  filets 

—  d'eau  et  de  vin,  pour  rafraîchir  —  votre  mère, 
lasse  et  mourante  de  chaud; 


«  Car,  ainsi  que  moi,  lorsque  tout  dort,  —  vous 
aviez  déserté  votre  famille,  —  et,  seul  et  avec  Dieu, 
aux  gorges  du  Bausset — vous  trouva  votre  mère.  De 
même,  —  envoyez-moi  un  filet  d'eau  hmpide,  —  ô 
bon  Saint  Gent  !  Le  galet  sonore  —  brûle  l'empreinte 
de  mes  pieds,  et  je  meurs  de  soif!  » 


Le  bon  Saint  Gent,  de  l'empyrée  —  entendit  prier 
Mireille  : — etMireille  aussitôt,  d'une  margelle  de  puits, 

—  au  loin  dans  la  rase  campagne,  —  a  vu  étinceler  la 
dalle.  —  Et  des  dards  du  soleil  elle  fendit  la  braise, 

—  comme  le  martinet  qui  traverse  une  ondée. 


C'était  un  vieux  puits  tout  revêtu  de  lierre,  —  où 
les  troupeaux  allaient  boire.  —  Murmurant  douce- 
ment quelques  mots  de  chanson,  —  un  petit  garçon 
y  jouait  —  sous  l'auge,  où  il  cherchait  —  le  peu 
d'ombre  qu'elle  abritait  ;  —  près  de  lui,  il  avait  un 
panier  plein  de  blancs  limaçons. 


350  MinÈIO,  GANT  VIIÎ. 

E  l'enfantoun,  dins  sa  man  bruno, 

Lisagantavo,  uno  pèruno, 
Li  pàuri  meissounenco  ;  e  'm'  acô  ie  venié  : 

Cacalaus,  cacalaus  mourgiieto, 

Sorte  lèu  de  ta  cabaneto, 

Sorte  lèu  ti  bèlli  baneto, 
0  senoun,  te  roumprai  toun  pichot  mounastié. 

La  bello  Craenco  enflourado, 
E  qu'au  ferrât  s'èro  amourrado, 
Âubourè  tout-d'un-cop  soun  poulit  mourranchoun  : 

—  Mignot,  que  fas  aqui?  —  Pauseto. 

—  Dins  lou  baucage  e  li  lauseto, 
Acampes  de  cacalauseto? 

—  L'avès  bèn  devina  î  respoundè  lou  pichoun. 

Vè  !  quant  n'ai  dins  ma  canesteUo  ! 

Ai  de  mourgueto,  de  platello, 
De  meissounenco. . . — Epièi,  hmanjes? — Iéu?pas  mai! 

Ma  maire,  tôuti  li  divèndre, 

Li  porto  à-n-Arle  pèr  li  vendre, 

E  nous  entorno  bon  pan  tendre. . . . 
le  sias  agudo  estado,  en  Arle,  vous?  —  Jamai. 

—  Hoi  !  sias  jamai  estado  en  Arle? 
le  siéu  esta,  iéu  que  vous  parle  ! 

Ai!  pauro,  se  sabias  la  grande  vilo  qu'es, 
Arle  !  Talamen  s'estalouiro 
Que,  dôu  grand  Rose  que  revouiro, 
N'en  tèn  li  sèt  escampadouiro  ! . . . 

Arle  à  de  biôu  marm  que  paisson  dins  si  les , 


MIREILLE,  CHANT  VIH.  337 

Et  le  jeune  enfant,  dans  sa  main  brune, —  les  pre- 
nait, une  à  une, — les  pauvres  hélices  des  moissons', 
et  leur  chantait  :  —  «  Escargot,  escargot  nonnain,  — 
sorspromptementde  ta  cellule,— sors  promptement  tes 
belles  petites  cornes, — ou  sinon,  je  romprai  ton  petit 
monastère.  » 


La  belle  fille  de  Crau,  colorée  (par  la  marche),  — 
et  qui  dans  le  seau  avait  plongé  ses  lèvres,  —  releva 
tout  d'un  coup  son  charmant  minois  :  —  «  Mignon, 
que  fais-tu  là!  »  —  «Petite  pause.  »  —  «  Dans  le 
gazon  et  les  galets,  —  tu  ramasses  des  limaçons?  » 
—  «  Vous  avez  deviné  juste  !  répliqua  le  petit. 


«  Voyez!  combien  j'en  ai  dans  ma  corbeille!  — 
J'ai  des  nonnains,  des  platelies,  des  moissonnien- 
nes^...  »  —  «  Et  puis,  tu  les  manges?  »  —  «  Moi? 
neimi!  —  Ma  mère,  tous  les  vendredis,  —  les  porte 
à  Arles  pour  les  vendre,  —  et  nous  rapporte  bon 
pain  tendre...  —  Y  avez-vous  été  en  Arles,  vous?  » 
—  «  Jamais.  » 

—  «  Quoi  !  vous  n'avez  jamais  été  en  Arles  ?  —  J'y 
ai  été,  moi  qui  vous  parle  !  — Ah  !  pauvrette,  si  vous 
saviez  la  grande  ville  que  c'est,  —  Arles!  Si  loin  elle 
s'étend,  —  que,  du  grand  Rhône  plantureux  —  elle 
tient  les  sept  embouchures  ! . . .  —  Arles  a  des  bœufs 
marins  qui  paissent  dans  les  îlots  de  sa  plage  ; 


338  MIHÈIO,  CANT  VIII. 

Arle  a  soun  cavalin  sôuvage  ; 

Arle,  dins  rèn  qu'un  estivage, 
Meissouno  proun  de  blad,  pèr  se  nourri,  se  vôu, 

Sèt  an  de  filo  !  A  de  pescaire 

Que  ie  carrejon  de  tout  caire  ; 

A  d'entrepide  navegaire 
Que  van  di  liuénchi  mar  afrounta  li  revôu... 

E  tirant  glôri  mervihouso 
Desapatrio  souleiouso, 

Disié,  lou  galant  drôle,  emé  sa  lengo  d'or, 
E  la  mar  bluio  que  trémolo, 
E  Mount-Majour  que  pais  li  molo 
De  plen  gourdin  d'ôulivo  molo, 

E  lou  bram  qu'  i  palun  fai  ausi  lou  bitor. 

Mai,  0  ciéuta  douço  e  brunello, 

Ta  mereviho  courounello, 
Oublidè,  lou  pichot,  de  la  dire  :  lou  cèu, 

0  drudo  terro  d'Arle,  douno 

La  bèuta  puro  à  ti  chatouno, 

Coume  li  rasin  à  l'autouno, 
De  sentour  i  mountagno  e  d'aleto  à  l'aucèu. 

La  bastidano,  inatentivo, 

Èro  aqui  drecho  e  pensativo  : 
^-  Bèu  jouveinet,  se  vos,  faguè,  veni  'mé  iéu, 

Emé  iéu  vène  !  Sus  li  sause 

Avans  que  la  reineto  s'ause 

Ganta,  fau  que  moun  ped  se  pause 
t)e l>utro  man  dôu  Rose,  à  la  gàrdi  de  Dieu! 


MIREILLE,  CITANT  VIII.  339 

«  Arles  a  sa  race  de  chevaux  sauvages  ;  — Arles,  en 
seul  été,  —  moissonne  assez  de  blé  pour  se  nourrir, 
si  elle  veut,  —  sept  ans  de  suite  !  Elle  a  des  pêcheurs 
— qui  lui  charrient  de  toute  part  ;  —  elle  a  des  naviga- 
teurs intrépides  —  qui  vont  des  mers  lointaines  af- 
fronter les  tourbillons...  » 


Et  tirant  gloire  merveilleuse  —  de  sa  patrie  de 
soleil,  —  il  disait,  le  gentil  gars,  en  sa  langue  d'or, 
—  et  la  mer  bleue  qui  tremble,  —  et  Mont-Majour 
qui  paît  les  meules  —  de  pleines  mannes  d'olives 
molles,  —  et  le  beuglement  qu'aux  marécages  fait 
ouïr  le  butor. 


Mais,  ô  cité  douce  et  brune,  —  ta  merveille  su- 
prême, —  il  oublia,  l'enfant,  de  la  dire  ;  le  ciel,  — 
ô  féconde  terre  d'Arles,  donne  — la  beauté  pure  à 
tes  filles,  —  comme  les  raisins  à  l'automne,  —  des 
senteurs  aux  montagnes  et  des  ailes  à  l'oiseau. 


Inattentive,  la  fille  des  champs  —  était  là  debout 
et  pensive  :  —  «  Beau  gars ,  si  tu  veux ,  dit-elle, 
venir  avec  moi,  —  avec  moi  viens  !  Sur  les  saules 
—  avant  que  la  raine  s'entende  —  chanter,  il  faut 
que  mon  pied  se  pose  —  de  l'autre  côté  du  Rhône,  à 
la  garde  de  Dieu  1  d 


340  MIRÈIO,   GANT  VIII. 

Lou  drouloun  ie  digue  :  Pecaire  ! 

Capitasbèn  :  sian  depescaire. 
Emé  nous-autre,  aniue,  souto  loutibanôu, 

Vous  coucharésau  pèd  dis  aubo, 

E  dourmirés  dins  vosto  raubo  ; 

Moun  paire,  pièi,  à  la  primo  aubo, 
Dernan  vouspassara,  dins  nostebregauèu. 

—  Oh!  noun,  me  sente  enca  proun  forto 
Pèr,  esto  niue,  resta pèr  orto... 

—  Que  Dieu  vous  en  préserve  !  adounc  voulès  aniue 

Vèjre  la  bando  que  s'escapo, 

Doulènto,  dôu  Trau  de  la  Capo? 

Ai  !  ai!  ai!  ai!  se  vous  encapo, 
Em'  elo  dins  lou  gourgvous  fai  passa  pèr  iue! 

—  E  qu'es  aquéu  Trau  de  la  Capo? 

—  Tout  en  caminant  dins  li  clapo, 
Vous  countarai  acô,  fihelo!...  E  coumencè  : 

l'avié  'no  fes  uno  grando  iero 

Que  regounflavo  de  garbiero. 

Sus  lou  dougan  de  la  ribiero, 

Deman  veirés  lou  rode  ounte  acô  se  passé. 

Despièi  un  mes,  emai  passavo, 

Sus  lou  plantât  que  s'espôussavo 
Un  roudet  Camarguen  de-longo  aviê  cauca. 

Pas  uno  YÔuto  de  relàmbi  ! 

Sèmpre  li  bato  dins  l'engàmbi! 

E,  sus  l'eirôu  poussons  e  gàmbi, 
De  mountagno  d'espigo  à  sèmpre  cavauca  ! 


MIREILLE,  CHANT  VIII.  541 

Le  gars  lui  dit  :  —  «  Dame  !  —  vous  rencon- 
trez bien  :  nous  sommes  pêcheurs.  —  Avec  nous, 
cette  nuit,  sous  la  tente,  —  vous  coucherez  au  pied 
des  peupliers  blancs, — et  dormirez  dans  votre  robe; 
—  mon  père,  ensuite,  à  la  première  aurore,  —  de- 
main vous  passera,  dans  notre  bord.  » 


—  «Oh!  non,  je  me  sens  assez  forte  encore  — 
pour,  cette  nuit,  rester  errante!  »  — «  Que  Dieu  vous 
en  garde  !  Voulez-vous  donc,  cette  nuit,  —  voir  la 
bande  qui  s'échappe, — plaintive,  du  Trou ,  de  la  Cape? 
—  Malheur  à  vous  !  si  elle  vous  rencontre,  —  avec 
elle  dans  le  gouffre  elle  vous  fait  sombrer  !  » 


—  «  Et  qu'est-ce  que  ce  Trou  de  la  Cape?  «-^«Tout 
en  marchant  parmi  les  pierres, — je  vous  conterai  ça, 
fillette  ! . . ,  »  Et  il  commença  :  —  «  Il  était  une  fois  une 
grande  aire  —  qui  regorgeait  de  meules  de  gerbes. — 
Sur  la  berge  de  la  rivière,  —  demain  vous  verrez  le 
lieu  où  cela  se  passa. 


«  Depuis  un  mois  et  plus,  —  sur  les  (gerbes)  dres- 
sées qui  secouaient  (leurs  grains),  —  un  cercle  de» 
(chevaux)  Camargues  avait  sans  cesse  piétiné.  — 
Pas  un  instant  de  relâche!  —  toujours  les  sabots 
dans  l'entrave  !  —  et  sur  l'airée  poudreuse  et  tor- 
tueuse, —  toujours  des  montagnes  d'épis  à  che- 
vaucher! 

89. 


542  MIRÈIO,  CANT  VIII. 

Fasié  'n  soulèu  ! . . .  La  derrabado 

Semblavo,  dison,  atubado. 
E  li  fourco  de  bos,  de-longo,  en  l'èr,  fasien 

Sauta  de  revoulun  de  blesto  ; 

E  lou  pôutras,  e  lis  aresto, 

Coume  de  flècho  d'aubaresto, 
I  narro  di  chivau  de-longo  se  trasien. 

0  pèr  Sant  Pèire  o  pèr  Sant  Charle 

Poudias  souna,  campano  d'Arle! 
Ni  fèsto  ni  dimenche  au  paure  cavalun  ! 

Sèmpre  la  matrassanto  cauco, 

Sèmpre  l'aguhiado  que  Irauco, 

Sèmpre  la  cridadisso  rauco 
Dôu  gardian,  aplanta  dins  l'ardent  revoulun' 

L'avare  mèstre,  i  blanc  caucaire 

Encaro  avié  bouta,  pecaire  ! 
Lou  mourraioun...  Venguè  Nostro-Damo  d'Avoust 

Déjà,  sus  lou  plantât  que  fumo, 

Li  liame,  coume  de  coustumo, 

Viravon  mai,  trempe  d'escumo, 
Lou  fege  arrapa  i  costo  e  lou  mourre  bavous. 

Veici  que  tout-d'un-cop  s'acampo    ^ 

E  la  chavano  e  la  sisampo. . . 
Ai  1  un  cop  de  mistrau  escoubeto  l'eirôu  ; 

Dis  afama  (que  renegavon 

Lou  jour  de  Dieu)  lis  iue  se  cavon; 

Lou  batedou  mounte  caucavon 
Trantraio,  es'entreduerb  coume  un  nègre  peirôu! 


MIREILLE,   CHANT  VIII.  545 

«  Il  faisait  un  soleil!...  L'airée*"  —  semblait,  dit- 
on,  en  flammes.  —  Et  les  fourches  de  bois,  sans 
cesse,  dans  l'air  faisaient  —  bondir  des  tourbillons 
de  gerbée  ; — et  les  ablais  et  les  barbes  (du  froment), 
—  comme  des  flèches  d'arbalète,  —  aux  naseaux  des 
chevaux  sans  cesse  étaient  lancés. 


î  «  Ou  à  la  Saint-Charles  ou  àla  Saint-Pierre,  — vous 
pouviez  sonner,  cloches  d'Arles  !  —  Ni  fête  ni  di- 
manche aux  malheureux  chevaux  :  —  toujours  le 
harassant  foulage  !  — toujours  l'aiguillade  qui  perce! 
—  toujours  les  cris  rauques  —  du  gardien,  immobile 
dans  l'ardent  tourbillon! 


«  L'avare  maître,  aux  blancs  fouleiirs  —  en  outre 
avait  mis,  hélas  !  —  la  muselière. . .  Vint  Notre-Dame 
d'Août.  —  Déjà,  sur  les  (gerbes)  dressées  (et)  fu- 
mantes,—  les  (bêtes)  accouplées,  comme  d'usage, — 
tournaient  encore,  trempées  d'écume,  —  le  foie  collé 
aux  côtes  et  le  museau  baveux. 


«  Voici  que  tout  à  coup  accourent  —  et  l'orage  et 
la  bise  glacée...  —  Aïe!  un  coup  de  mistral  balaye 
l'airée;  —  des  affamés  (qui  reniaient  —  le  jour  de 
Dieu)  les  yeux  se  creusent  ;  —  le  champ  du  foulage 
—  chancelle,  et  &'entr'ouvre  comme  un  noir  chau- 
dron' 


344  MIRÊIO,  CANT  VIII. 

La  grand  bancado  remoulino, 

Coume  en  furour  ;  de  la  toumplino, 
Fourquejaire,  gardïan,  gardianoun,  rèn  pousquë 

Se  n'en  sauva!  Lou  mèstre,  l'iero, 

Lou  drai,  li  cabro,  li  garbiero, 

Li  primadi:3,  la  rodo  entiero, 
Dins  lou  toumple  sens  founs  tout  s'aproufoundiguè  ! 

—  Me  fai  ferni!  digue  Mirèio. 

—  Oh!  n'i'a  bèn  mai,  ovierginèio! 
Deman,  dires  bessai  que  siéu  un  foulinèu, 

Veirés,  dins  soun  aigo  blavenco, 
Jouga  lis  escarpo  e  li  tenco  ; 
E  li  merlato  palunenco 
De-countunio  à  l'entour  canta  dins  li  canèu. 

Vèngue  lou  jour  de  Nostro-Damo. 
Lou  soûl  eu,  courouna  de  flamo, 

A  mesuro  que  mounto  à  soun  pounteficat, 
Emé  l'auriho  conlro  terro 
Boutas-vous  plan,  plan,  à  l'espèro  : 
Veirés  lou  gourg,  de  linde  qu'èro, 

S'ensourni  pau-à-pau  de  1  oumbro  dôu  pecatl 

E  di  founsour  de  l'aigo  fousco, 

Coume  de  l'alo  d'uno  mousco 
Âusirés  pau-à-pau  s'auboura  lou  zounzoun  ; 

Pièi  es  un  clar  dindin  d'esquerlo; 
•    Pièi,  à  cha  pau,  entre  h  berlo, 

Coume  de  voues  dins  uno  gerlo, 
Un  orre  jafaret  qu'adus  la  fernisoun! 


MIREILLE     JHANT  VIII.  345 

«  Le  grana  monceau  (de  pailles)  tourbillonne,  — 
comme  en  fureur  ;  de  l'abîme,  —  ouvriers  aux  four- 
ches, gardiens,  aides-gardiens,  rien  ne  put  —  s'en 
sauver.  Le  maître,  l'aire,  —  le  van,  les  chèvres  (du 
van),  les  meules,  —  les  (coursiers)  conducteurs,  le 
haras  tout  entier,  —  dans  le  gouffre  sans  fond  tout 
s'engloutit.  » 

—  «  Cela  me  fait  frissonner!  »  dit  Mireille.  — 
«  Oh!  il  y  a  bien  plus,  ô  vierge  !  —  Demain,  vous  di- 
rez peut-être  que  je  suis  un  petit  fou,  —  vous  verrez, 
dans  son  eau  bleuâtre, — se  jouer  les  carpes  et  les 
tanches  ;  —  et  les  merles  de  marais  —  continuelle- 
ment alentour  chanter  dans  les  roseaux. 


<  Vienne  le  jour  de  Notre  -Dame. — A  mesure  que 
le  soleil,  couronné  de  feux, — monte  à  son  pontificat, 
—  avec  l'oreille  contre  terre,  —  mettez-vous  douce- 
ment, doucement  à  l'affût!  — vous  verrez  le  gouffre, 
de  limpide  qu'il  était, — s'assombrir  peu  àpeu  de  l'om- 
bre du  péché. 


«  Et  des  profondeurs  de  l'eau  trouble,  —  comme 
de  l'aile  d'une  mouche  —  vous  ouïrez  peu  à  peu  s'é- 
lever le  bourdonnement,  —  Puis  c'est  un  clair  tinte- 
ment de  clochettes  ;  —  puis,  pieu  à  peu,  entre  les 
berles,  — semblable  à  des  voix  dans  une  amphore, — 
un  horrible  tumulte  qui  amène  le  frisson  I 


346  MIRÊIO,   CANT  VIII 

Es  pièi  un  trot  de  chivau  maigre 

Que  sus  l'eirôu  un  gardian  aigre 
Lis  esbramasso  e  coucho  emé  de  maugrabiéu. 

Es  d'estrepado  rabastouso  ; 

Es  uno  terro  despietouso, 

Aspro,  secado,  sôuvertouso, 
Que  respond  coume  uno  iero  ounte  caucon,  Vestiéu. 

Mai  à  mesure  que  declino 

Lou  sant  soulèu,  de  la  toumplino 
Li  blastème,  li  brut,  se  fan  rau,  mourtinèu;  " 

Toussis  la  manado  gancherlo 

Aperalin  ;  souto  li  berlo 

Galon  li  clar  dindin  d'esquerlo, 
E  canton  mai  li  merle  au  bout  di  long  canèu. 

Tout  en  parlant  d'aquéli  cause, 

Em*  soun  panié  de  cacalauso 
Davans  la  chatouneto  anavo  lou  drouloun. 

Lindo,  sereno,  acoulourido 

Pèr  lou  tremount,  la  colo  arido 

Emé  lou  cèu  déjà  marido 
Sis  àuti  peno  bluio  e  si  grand  testau  blound  ; 

E  lou  soulèu  que,  dins  la  cintro 

De  si  long  rai,  plan-plan  s'enintro, 
Laisse  la  pas  de  Dieu  i  palun,  au  Grand-Clar, 

Is  ôulivié  de  la  Vaulongo, 

Au  Rose  qu'eilavau  s'alonge, 

I  meissounaire,  qu'à  la  longe 
Aubouron  soun  esquino  e  bevon  lou  vent  Larg. 


MIREILLE,  CHANT  VIII.  547 

«  C'est  ensuite  un  trot  de  chevaux  maigres  — que 
sur  l'airée  un  aigre  gardien  —  insulte  de  ses  cris  et 
presse  de  jurons.  —  C'est  un  piétinement  pénible  ; 
—  c'est  un  sol  incléraenl,  —  âpre,  sec  plein  d'hor- 
reur, —  sonore  coname  une  aire  où  l'on  dépique, 
l'été. 


«  Mais  à  mesure  que  décline  —  le  saint  soleil,  du 
gouffre  —  les  blasphèmes,  les  bruits,  se  font  rau- 
ques,  mourants  ;  —  tousse  le  troupeau  écloppé  — 
dans  les  lointaines  profondeurs  ;  sous  les  berles  — 
s'éteignent  les  clairs  tintements  de  clochettes,  —  et 
chantent  de  nouveau  les  merles  au  bout  des  longs  ro- 
seaux. » 

Tout  en  parlant  de  ces  choses,  —  avec  son  panier 
de  limaçons — devant  la  jeune  fille  allait  le  petit  gars. 
—  Limpide,  sereine,  colorée  —  par  le  couchant,  la 
colline  aride  —  au  ciel  déjà  marie  —  ses  hauts 
remparts  bleus  et  ses  grands  promontoires  blonds  ; 


Et  le  soleil  qui,  dans  le  cintre  —  de  ses  longs 
rayons,  lentement  se  retire,  —  laisse  la  paix  de  Dieu 
aux  maraiS)  au  Grand-Clar  ",  —  aux  oliviers  de  la 
Vallongue  ",  —  au  "Rhône  qui  s'allonge  là-bas, —  aux 
moissonneurs,  qui  enlin  —  relèvent  leur  dos  et  boi- 
vent le  vent  Largue. 


548  MIRÈIO,  CANT   VIII. 

E  lou  drouloun  digue  :  Jouvènto, 

Alin,  vè  la  telo  mouvènto 
De  noste  tibanèu,  mouvènto  au  ventoulct  ! 

Vè,  sus  l'aubo  que  ie  fai  calo, 

Vè,  vè  moun  fraire  Not  qu'escalo  ! 

Segur  aganto  de  cigale, 
0  regardo  belèu  se  torne  au  tendoulet. 

Ai  !  nous  a  vist  ! , . .  Ma  sorre  Zelo, 

Que  ie  fasiè  la  courbo-seto, 
Se  reviro...  e  vêla  que  vers  ma  maire  cour 

le  dire  que,  sens  tiro-laisso, 

Pou  alesti  lou  bouiabaisso. 

Diiis  lou  barquet  déjà  se  baisso, 
Ma  maire,  e  pren  li  pèis  que  soun  à  la  frescour. 

Mai  éli  dous,  d'uno  abrivada, 
Coume  escalavon  la  levado  : 

—  Tè  !  cridè  lou  pescaire,  espincho,  que  fai  gau, 
Eemo  !...  Bèn  lèu,  pèr  mau  que  vague, 
Noste  Andreloun,  crese  que  fague 
Un  pcscadou  di  fièr  que  i'  ague! 

Velou  que  nous  adus  la  rèino  di  pougau! 


MIREILLE,  CHANT  VIII.  549 

Et  le  gars  dit  :  «  Jouvencelle,  — au  loin,  voyez- 
vous  la  toile  mouvante  —  de  notre  pavillon,  mou- 
vante au  zéphyr?  —  Voyez,  sur  le  peuplier  blanc  qui 
l'abrite,  —  voyez,  voyez  mon  frère  Not  qui  grimpe! 
—Bien  sûr  il  attrappe  des  cigales, — ou  regarde  peut- 
être  si  je  retourne  à  la  tente. 


«  Ah!  il  nous  a  vus  !...  Ma  sœur  Zetté,  —  qui  lui 
prêtait  l'épaule, — se  retourne...  et  la  voilà  qui  court 
vers  ma  mère  —  pour  lui  dire  que,  sans  retard,  — 
elle  peut  apprêter  le  bouillabaisse.  —  Dans  le  bateau 
déjà  se  courbe  —  ma  mère,  et  elle  prend  les  pois- 
sons qui  sont  au  frais.  » 


Mais  comme,  d'un  élan,  eux  deux  —  gravissaient 
la  digue  :  —  «  Tiens  !  s'écria  le  pêcheur,  vois  comme 
c'est  charmant,  —  femme!...  Bientôt,  vienne  qui 
plante  !  —  notre  Andreloun  fera,  je  crois,  —  un  pê- 
cheur des  fiers  qu'il  y  ait  !  — Le  voici  qui  nous  amène 
la  reine  des  anguilles!  » 


se 


NOTES 

DU  CHANT  HUITIÈME 


»  Courez  aux  Saintes  [courrès  i  Santo).   Voyez  Chant  I,  note  15. 

^  L'Aigle,  constellation. 

5  Maguelonne  [Magalouno).  D'après  un  vieux  roman  de  cheva- 
lerie aussi  populaire  que  celui  de  Quatre  fils  Aymon,  le  comte 
"Pierre  de  Provence,  ayant  enlevé  Maguelonne,  fille  du  roi  de  Na- 
ples,  s'enfuit  avec  elle  à  travers  monts  et  vallées.  Un  jour  que 
Maguelonne  s'était  endormie  au  bord  de  la  mer,  un  oiseau  de 
proie  enleva  un  bijou  de  santal  qui  brillait  au  cou  de  la  princesse. 
Son  amant  monta  sur  une  nacelle  pour  suivre  l'oiseau  sur  la  mer; 
mais  soudain  une  tempête  s'éleva,  et  emporta  Pierre  en  Egypte, 
où  il  fut  accueilli  et  comblé  d'honneurs  par  le  Soudan.  La  belle 
Maguelonne  s'éveilla  et  se  mit,  tout  éplorée,  à  chercher  son  ra- 
visseur. Après  une  foule  d'aventm-es  romanesques,  ils  se  retrou- 
vèrent en  Provence,  où  Maguelonne,  devenue  abbesse,  avait  fondé 
un  hôpital,  autour  duquel,  selon  cette  chronique  fabuleuse,  s'é- 
leva plus  tard  la  ville  de  Maguelonne. 

*  L'Alpine  caverneuse  [VAupiho  baumeludo],  épithète  motivée 
par  les  grottes  des  Baux  et  de  Cordes  qu'on  trouve  dans  celle 
montagne 


NOTES  DU  CHANT  VIII  551 

*Lc  morne  ou  pic  de  Sa\nte-\ictoire[cle  Santo-Vitbri îouserre), 
à  l'orient  d'Aix  :  haut  escarpement  qui  tire  son  nom  de  la  grande 
victoire  remportée  par  Marius  sur  les  Teutons,  à  Fourrières,  dans 
le  voisinage. 

^  Les  morvens  [H  mourven),  genévriers  de  Phénicie  [Juiiipenis 
Phœnicea,  Lin.) 

'  Saint  Cent,  ermite  du  Bausset  (Sant  Gènt,  ermito  déu  Bausset), 
jeune  laboureur,  de  Monteux,  qui,  au  commencement  du  onzième 
siècle,  se  retira  dans  la  gorge  du  Bausset  (près  de  Vaucluse)  pour 
y  vivre  en  ermite.  Son  ermitage,  et  la  fontaine  miraculeuse  qu'il 
fit  jaillir,  dit  la  tradition,  en  implantant  ses  doigts  dans  le  l'ochev, 
sont  le  but  d'un  pèlerinage  très-fréquenté . 

^  Hélice  des  moissons  (meissounenco),  hélix  cxspilum,  nom- 
mée meissounenco,  parce  qu'après  la  moisson,  elle  monte  et  se 
colle  le  long  des  chaumes. 

^  Nonnain  (  tnourgueto  ],  hélix  vermiculata.  — Platelle  [pla- 
iello),  hélix  algira.  —  Moissonniennes,  voyez  la  note  précédente. 

"*  Derrabado,  improprement  traduit  par  airée,  signifie  arra- 
chis.  Ce  mot  désigne  les  gerbes  qui  ont  déjà  subi  un  premier 
piétinement  de  chevaux,  et  qu'on  arrache  de  dessous  l'airée  pour 
les  soumettre  à  un  nouveau  foulage. 

"  Grand-Clar  [Grand'Clar],  vaste  étang  de  la  Crau,  entre  les 
Baux  et  Arles. 

*'  Vallongue  (Vaulo^'yo),  vallée  des  Alpines. 


CANT  NOUYEN 

L'ASSEMBLADO 


Desoulacioun  de  Mèste  Ramoun  c  de  Jano-Mar.'n,  quand  trovon  plus 
Mirèio.  —  Tout-d'un-tèms  lou  vièi  mando  souna  e  acampo  dins 
l'iero  tôuti  li  travaiadou  dôu  mas.  —  Li  segaire,  li  rastelarelio, 
lou  feneirage.  —  Li  carretié,  l'cstremage  di  fen.  —  Li  bouié.  — 
Li  meissounié,  la  meissoun,  li  glenarello.  —  Li  pastre.  —  Récit  de 
Laurèn  de  Gôut,  capoulié  di  meissounié  :  lou  cop  de  voulame.  — 
Récit  dôu  segaire  Jan  Bouquet  :  lou  nis  agarri  pèr  li  fournigo.  — 
Récit  dôu  Marran,  baile  di  firà  :  la  marco  de  mort.  —  Récit  d'An- 
tèurae,  lou  baile-pastre. — Antèume  a  vist  Mirèio  qu'anavo  i  Sànti- 
Mario.  —  Estrambord  e  prejit  de  la  maire.  —  Partènço  de  la 
famiho  pêr  avé  Mireio. 


Li  grand  falabreguié  plourèron  ; 

Adoulentido,  s'embarrèron 
Dins  si  brusc  lis  abiho,  ôublidant  lou  pasquié 

Plen  de  lachusclo  e  de  sadrèio. 

—  Avès  rèn  vist  mounte  èi  Mirèio  ? 

le  demandavon  li  ninfèio, 
I  gènlis  argno  bluio  adounado  au  pesquié. 

Lou  vièi  Ramoun  emé  sa  femo, 
Tôuti  dous  gounfle  de  lagremo, 

Ensèn,  la  mort  au  cor,  asseta  dins  lou  mas, 
Amaduron  soun  coudoun  :  —  Certo, 

Fau  agué  l'anio  escalaberto  ! 

0  malurouso  !  o  disaverto  ! 

De  la  folo  jouinesso  o  terrible  estramas  ! 


CHANT  NEUVIÈME 

L'ASSEMBLÉE 


isolation  de  Maître  Ramon  et  de  Jeanne-Marie,  en  s'apercevantde 
l'absence  de  Mireille.  —  Le  vieillard  mande  aussitôt  et  rassemble 
dans  l'aire  tous  les  travailleurs  de  la  ferme.  —  Les  faucheurs,  les 
faneuses,  la  fenaison.  —  Les  charretiers,  la  rentrée  des  foins.  — 
Les  laboureurs.  —  Les  moissonneurs,  la  moisson,  les  glaneuses. 
—  Les  bergers.  —  Récit  de  Laurent  de  Goult,  chef  des  moisson- 
neurs :  le  coup  de  faucille.  —  Récit  du  faucheur  Jean  Bouquet  :  le 
nid  envahi  par  les  fourmis.  —  Récit  du  Marran,  chef  des  garçons 
de  charrue  :  le  présage  de  mort.  —  liccit  d'Antelme,  chef  des 
pâtres.  —  Antelme  a  vu  Mireille  allant  aux  Saintes-Mariés.  — 
Tiansports  et  invectives  de  la  mère.  — Départ  de  la  famille  à  la 
poursuite  de  Mireille. 


Les  grands  micocouliers  pleurèrent;  —  affligées, 
s'enfermèrent  —  dans  leurs  ruches  les  abeilles,  ou- 
bliant le  pacage— plein  de  tithymales  et  de  sarriettes. 
—  «  Âvez-vous  point  vu  où  est  Mireille?  »  —  deman- 
daient les  nymphseas  —  aux  gentils  alcyons  bleus 
adonnés  au  vivier. 


Le  vieux  Ramon  et  son  épouse,  —  tous  deux  gon- 
flés de  larmes,  —  ensemble,  4a  mort  au  cœur,  assis 
dans  le  mas,  —  mûrissent  leur  douleur^  :  «  Certes, 
— il  faut  avoir  l'âme  en  délire  !.. .  —  0  malheureuse  ! 
ô  écervelée! — de  la  folle  jeunesse  ô  terrible  et  lourde 
chute  ! 


30. 


354  MIRÈIO,  GANT  IX. 

Nosto  Mirèio  bello,  o  gafo  ! 

0  plour  !  'mé  lou  darrié  di  piafo 
S'èiraubado,  raubado  em'  unabôumiani!.. 

Quau  nous  dira,  desbardanado, 
Lou  lio,  la  cauno  acantounado 
Ounte  lou  laire  t'a menado ?... 
E  brandavon  ensèn  si  front  achavani, 

Emé  la  saumo  e  lis  ensàrri 

Yenguè  lou  chourlo,  à  l'ourdinàri; 
E  dre  sus  lou  lindau  :  Bonjour  !  Veniéu  cerca, 

Mèstre,  lis  iôu  e  lou  grand-béure. 

—  Entorno-te,  maladiciéure  ! 

Cridè  lou  vièi,  que,  tau  qu'un  siéure, 
Me  sèmblo  que  sènso  elo  aro  siéu  desrusoa  ! 

D'uno  souleto  escourregudo, 
Entorno-te  de  ta  vengudo, 
Chourlo  !  à  travès  de  champ  parte  coume  l'uiau  ! 
Que  h  segaire  e  labouraire 
Quiton  li  daio  e  lis  araire  ! 

1  meissounié  digo  de  traire 

Li  voulame  ;  i  mendi,  de  leissa  lou  bestiau  : 

Que  vèngon  m'atrouva  !  —  Tout-d'uno, 

Mai  lôugeiret  que  la  cabruno, 
Part  lou  varlet  fidèu  ;  travèsso,  dins  h  grès, 

Li  bèus  esparcet  rouge  ;  passo 

Entre  lis  éuse  di  ribasso  ; 

Franquis  d'un  bound  li  draio  basso  ; 
Sent  déjà  li  prefum  dôu  fen  toumba  de  fres. 


MIREILLE,  CHANT  IX.  355 

«  Notre  Mireille  belle,  ô  équipée  l  —  ô  pleurs  !  avec 
le  dernier  des  truands  —  s'est  enlevée,  enlevée  avec 
un  bohème  !...  —  Qui  nous  dira,  dévergondée,  — le 
lieu,  la  caverne  reculée  —  où  le  larron  t'a  con- 
duite?. . .  »  —  Et  ils  branlaient  ensemble  leurs  fronts 
orageux. 


Avec  l'ânesse  et  les  mannes  de  sparterie — vint  l'é- 
chanson,  selon  l'usage  ;  —  et,  debout  sur  le  seuil  : 
«  Bonjour!  Je  venais  quérir, — maître,  les  œufs  et  le 
grand-boire^.))  —  «Retourne-toi,  malédiction!  — 
cria  le  vieillard,  car,  tel  qu'un  chêne-liége,  —  sans 
elle,  ores  il  me  semble  qu'on  m'a  arraché  l'écorce  ! 


«  D'une  seule  course,  —  retourne-toi  de  ta  venue, 
—  échanson!  A  travers  champs  pars  comme  l'é- 
clair! —  Que  les  faucheurs  et  laboureurs  — quittent 
les  faux  et  les  charrues  !  —  aux  moissonneurs  dis  de 
jeter  —  les  faucilles;  aux  bergers,  de  laisser  le  bé- 
tail; 


«  Qu'ils  viennent  me  trouver!  »  —  Aussitôt,  — 
plus  léger  que  les  chèvres,  —  part  le  valet  fidèle  ;  il 
traverse,  dans  les  terrains  pierreux,  —  les  beaux 
sainfoins  rouges  ;  il  passe  —  entre  les  yeuses  des 
hauts  talus  ;  — il  franchit  d'un  bond  les  chemins  bas; 
—  il  sent  déjà  les  parfums  du  foin  fraîchement 
abattu. 


356  MIRÈIO,  GANT  IX. 

Dins  li  luserno  bèn  nourrido, 

Auto,  e  de  blu  tôuti  flourido, 
Entend  cruci  de  liuen  la  daio  ;  à  pas  egau 

Vèi  avança  li  fort  segaire, 

Sus  l'andano  plega  :  de  caire, 

Davans  l'acié  desverdegaire, 
Cabusso  la  panouio  en  marro  que  fan  gau. 

D'enfant,  de  chato  risouleto, 

Dins  rendaiado  verdoulcto 
Rastelavon  ;  n'en  vèi  que  meton  à  mouloun 

Lou  fen  adeja  lest  ;  cantavon, 

E  li  grihet  (que  desertavon 

De  davans  li  daio),  escoutavon... 
Sus  un  brancan  de  frais  que  tiron  dous  biôu  blound, 

Alin  pu  liuen,  vèi,  auto  e  largo, 

L'erbo  fenalo  que  se  cargo  : 
L'abile  carretié,  sus  lou  viage,  eilamount, 

A  grand  brassôu,  de  la  pasturo 

Que  i'embarravo  la  centuro, 

Fasié  mounta  sèmpre  l'auturo, 
Âcatant  parabando,  e  rodo,  emai  timoun. 

*         E  'mé  lou  fen  que  tirassavo, 

Quand  pièi  lou  càrri  s'avançavo, 

D'un  bastimen  de  mar  aurias  dirembalun! 
Veici  pamens  que  lou  cargaire 
S'aubouro  drc-coume  untargaire, 
E  tout-d'un-tèms  crido  i  segaire  : 

Segaire  !  aplantas-vous,  i'  a  quauque  treboulun! 


I 


MIREILLE,  CHANT  IX.  351 

Dans  les  luzernes  touffues,  —  hautes,  et  de  hier 
toutes  fleuries,  —  il  entend  craquer  de  loin  la  faux  , 
à  pas  égaux  —  il  voit  avancer  les  forts  faucheurs,  — 
ployés  sur  l'andain  :  de  côté,  —  devant  l'acier  des  • 
tructeur  de  verdure,  —  se  renverse  la  fane  en  lignes 
qui  font  plaisir  (à  voir). 


Des  enfants,  des  jeunes  filles  rieuses,  —  dans  l'an- 
dain" verdoyant  —  râtelaient  ;  il  en  voit  qui  mettent  à 
meules  —  le  foin  déjà  prêt  ;  ils  chantaient,  —  et  les 
grillons  (qui  désertaient  —  devant  les  faux),  écou- 
taient... —  Sur  un  chartil  de  frêne,  que  tirent  deux 
bœufs  blgnds, 


Là-bas,  plus  loin,  il  voit,  large  et  haute,  — l'herbe 
fauchée  que  l'on  charge  ;  —  l'habile  charretier,  sur 
le  charroi,  là-haut, —  à  grandes  brassées,  du  four- 
rage —  qui  lui  enfermait  la  ceinture,  —  élevait  sans 
cesse  la  hauteur,  —  couvrant  ridelles,  et  roues,  et 
timon. 


Et,  avec  le  foin  qui  traînait,  —  lorsque  ensuite  s'a- 
vançait le  char,  —  d'un  bâtiment  de  mer  vous  eus- 
siez dit  la  masse.  —  Voici  pourtant  que  le  chargeur 
—  comme  un  jouteur  se  lève  droit,  — et  crie  soudain 
à  ceux  qui  fauchent  :  «  Faucheurs  l  arrêtez-vous,  il  y 
a  quelque  trouble!  » 


358  MIRÈIO,  CANT  n. 

Li  carreteiroun,  qu'à  fourcado 

le  pourgissien  l'erbo  secado, 
Tourquèron  li  degout  de  soun  front  tout  coulant*, 

E,  sus  la  cenglo  de  sa  taio, 

Pausant  la  costo  de  la  daio, 

Vers  la  planuro  ounte  dardaio 
Li  segaire  tenien  la  visto,  en  amoulant. 

—  Oine  !  escoutas  qu'a  di  lou  mèstre, 

le  fai  lou  mandadou  campèstre  : 
Chourlo,  m'adi,  subran  parte  coumel'uiau! 

Que  li  segaire  e  labouraire 

Quiton  li  daio  e  lis  araire  ; 

I  meissounié  digo  de  traire 
Li  voulame  ;  i  mendi,  de  leissa  lou  bestiau  : 

Que  vèngon  m'atrouva  !  —  Tout-d'uno, 

Mai  lôugeiret  que  la  cabruno, 
Part  lou  varlet  fidèu  ;  encambo  li  regoun 

Mounte  trachisson  li  garanço, 

D'Alten  preciouso  remembranço  ; 

Vèi  de  pertout  l'Amaduranço 
Que  daurejo  la  terro  i  fio  de  soun  pegoun. 

Dins  ligara  'stela  d'auriolo, 
Vèi,  caminant  darrié  si  miolo, 

Li  ràfi  vigourous,  courba  sus  lou  doubli; 
Vèi,  de  soun  ivernenco  dormo, 
La  terro  qu'en  mouto  disformo 
S'eigrejo,  e  dins  larego  einormo 

Li  guigno-co  segui  l'araire,  entrefouli. 


MIREILLE,  CHANT  IX.  359 

Les  aides-charretiers,  qui  à  pleine  fourche  —  lui 
présentaient  l'herbe  fanée,  —  essuyèrent  les  gouttes 
de  leur  front  ruisselant  ;  —  et  sur  le  ceinturon  de 
leur  taille — posant  le  dos  de  la  faux, — vers  la  plaine 
où  darde  (le  soleil)  —  les  faucheurs  tenaient  la  vue, 
en  aiguisant.  , 


—  «  Homnjes  !  écoutez  ce  qu'a  dit  le  maître,  — 
leur  fait  le  messager  rustique  :  —  «  Échanson,  m'a- 
t-il  dit,  pars  soudain  comme  l'éclair  !  —  Que  les  fau- 
cheurs et  laboureurs  —  quittent  les  faux  et  les  char- 
rues; —  aux  moissonneurs  dis  de  jeter — les  fau- 
cilles ;  aux  bergers,  de  laisser  le  bétail  : 


«  Qu'ils  viennent  me  trouver!  »  — Aussitôt, «plus 
léger  que  les  chèvres,  —  part  le  valet  fidèle  :  il  en- 
jambe les  billons  —  où  croissent  les  garances,  — 
d'Âlthen''  précieux  souvenir  ;  —  il  voit  de  partout 
la  Maturité  —  qui  dore  la  terre  aux  feux  de  sa 
torche. 


Dans  les  guérets  étoiles  d'aurioles'^,  —  il  voit, 
cheminant  derrière  leurs  mules,  —  les  laboureurs  vi- 
goureux, courbés  sur  la  charrue  ;  —  il  voit,  de  son 
sommeil  hivernal,  —  la  terre  en  mottes  difformes  — 
se  soulever,  et  dans  l'énorme  sillon — les  hochequeues 
suivre  l'araire,  frétillants. 


360  MIREIO,  CANT  IX. 

—  Orne  !  escoutas  qu'a  di  lou  mèstre  ! 

le  fai  lou  mandadou  campèstre  : 
Chourlo,  m'a  di,  subran  parte  coume l'uiau ! 

Que  li  segaire  e  labouraire 

Quiton  li  daio  e  lis  araire  ; 

I  meissouuié  digo  de  traire 
Li  voulame  ;  i  mendi.  de  leissa  lou  bestiau  : 

Que  vèngon  m'atrouva  !  —  Tout-d'uno, 

Mai  lôugeiret  que  la  cabruno, 
Part  lou  varlet  fidèu  :  e  sauto  li  valat 

Tôuti  flouri  d'erbo  pradiero  ; 

Trauco  li  blànqui  civadiero  ; 

Dins  li  grand  terrado  bladiero 
E  rousso  d'espigau,  s'esmarro  apereila. 

Quarante  meissounié,  quarante 
Coume  de  flamo  devouranto, 

De  soun  vièsti  fougous,  redoulènt,  agradiéu, 
Despuiavon  la  terro  ;  anavon 
Sus  la  meissoun  que  meissotinavon, 
Coume  de  loup  !  Desvierginavon 

De  soun  or,  de  sa  flour,  e  la  terro  e  l'estiéu. 

Darrié  lis  ome,  e  'n  lôngui  ligno 

Coume  H  maiôu  d'uno  vigno, 
Toumbavo  la  gavello  aderrèn  :  dins  si  bras, 

Li  ligarello  afeciounado 

Lèu  acampavon  li  manado  ; 

E  lèu,  la  garbo  estent  quichado 
Em'  un  cop  de  geinoun,la  jitavondetras. 


MIREILLE,  CHANT  IX.  561 

— -  «  Hommes!  écoutez  ce  qu'a  dit  le  maître,  — 
leur  fait  le  messager  rustique  :  —  «  Échanson,  m'a- 
t-il  dit,  pars  soudain  comme  l'éclair  !  —  Que  les  fau- 
cheurs et  laboureurs  —  quittent  les  faux  et  les  char- 
rues ;  —  aux  moissonneurs  dis  de  jeter  —  les  fau- 
cilles ;  aux  bergers,  de  laisser  le  bétail  : 


«  Qu'ils  viennent  me  trouver!  »  Aussitôt,  —  plus 
léger  que  les  chèvres,  —  part  le  valet  fidèle  :  il  saute 
les  fossés,  —  tout  fleuris  d'herbes  prairiales  ;  —  il 
troue  (dans)  les  champs  d'avoine  blancs  ;  —  dans  les 
grandes  pièces  de  blé,  —  rousses  d'épis,  il  se  perd 
au  loin. 


Quarante  moissonneurs,  quarante, — pareils  à  des 
flammes  dévorantes,  —  de  son  vêtement  touffu, 
odorant,  gracieux,  —  dépouillaient  la  terre;  ils 
allaient  —  sur  la  moisson  qu'ils  moissonnaient  — 
comme  des  loups  !  ils  dévirginaient  —  de  leur  or,  de 
leur  fleur,  et  la  terre,  et  l'été. 


Derrière  les  hommes,  et  en  longues  files — comme 
les  crosseltcs  d'une  vigne,  —  tombait  la  javelle  avec 
ordre  :  dans  leurs  bras  —  les  ardentes  heuses  — 
vite  ramassaient  les  poignées,  —  et  vile,  pressant  la 
gerbe  —  d'un  coup  de  genou,  la  jetaient  derrière 
(elles). 

31 


362  MIRÈIO,  GANT  IX. 

Coume  lis  alo  d'un,  eissame 

Beluguejavon  li  voulame; 
Beluguejavon  coume,  à  la  mar,  li  risènt 

Mounte  au  soulèu  jogo  la  larbo  ; 

E  counfoundènt  si  rùfi  barbo, 

En  garbeiroun  lis  àuti  garbo, 
En  garbeiroun  pounchu,  mountavon  à  cha  cent. 

Acô  semblavo,  pèr  11  terro, 

Li  pavaioun  d'un  camp  de  guerre  : 
Coumeaquéu  deBèucaire,  autre-tèms,  quand  Simoun, 

E  la  Crousado  franchimando, 

E  lou  légat  que  li  coumando, 

Venguèron,  zôu  !  à  toute  bando, 
Sagala  la  Prouvènço  e  lou  Comte  Ramoun  ! 

Mai  enterin  li  glenarello, 
D'aqui,  d'eila,  van,  jougarello, 
E  sigleno  à  la  man;  enterin,  i  canié, 

0  di  garbiero  à  l'oumbro  caudo, 
Manto  chatouno  fouligaudo, 
Souto  un  regard  que  l'esbrihaudo, 

S'alangouris  :  Amour  tambèn  es  meissounié, 

—  Ome  !  escoutas  qu'a  di  lou  mèstre, 
le  fai  lou  mandadou  campèstre  : 
Chourlo  !  m'a  di,  subran  parte  coume  l'uiau  ; 
Que  li  segaire  e  labouraire 
Quiton  li  daio  e  lis  araire  ; 

1  meissouftié,  digo  de  traire 

Li  voulame  ;  i  mendi,  de  leissa  lou  bestiau. 


MIREILLE,  CHANT  IX.  363 

Comme  les  ailes  d'un  essaim  —  étincelaient  les 
faucilles  ;  —  elles  étincelaient  comme,  à  la  mer,  les 
(flots)  rieurs  —  où,  au  soleil,  s'ébat  le  carrelet  ;  — 
et  confondant  leurs  barbes  rudes,  —  en  meules  les 
hautes  gerbes,  —  en  meules  pyramidales,  s'élevaient 
par  centaines. 


Cela  ressemblait,  par  les  champs,  — aux  pavillons 
d'un  camp  de  guerre  :  —  comme  celui  de  Beaucaire, 
autrefois,  quand  Simon,  —  et  la  Croisade  française, 
—  et  le  légat  qui  les  commande,  —  vinrent,  impé- 
tueux, à  toute  horde ,  —  égorger  la  Provence  et  le 
Comte  Raymond' 


Mais,  cependant,  les  glaneuses,  —  çà  et  là  vont, 
se  jouant,  —  leurs  glanes  à  la  main  ;  —  cependant, 
aux  cannaies,  —  ou  à  l'ombre  chaude  des  gerbiers, 
—  mainte  fillette  folâtre,  sous  un  regard  qui  la  fas- 
cine,— se  laisse  aller  à  la  langueur  :  Amour  aussi  est 
moissonneur. 


—  «  Hommes  !  écoutez  ce  qu'a  dit  le  maître,  — 
leur  fait  le  messager  rustique  :  —  «  Échanson,  m'a- 
t-il  dit,  pars  soudain  comme  l'éclair  ;  —  que  les  fau 
cheurs  et  laboureurs  —  quittent  les  faux  et  les  char- 
rues ;  —  aux  moissonneurs  dis  de  jeter  —  les  fau- 
cilles ;  aux  bergers  de  laisser  le  bétail. 


564  MIREIO,  CANT  IX. 

Que  vèngon  m'atrouva  !  —  Tout-d'uno, 
Mai  lôugeiret  que  la  cabruno, 

Part  lou  varlet  fidèu  :  dins  lis  ôulivié  gris 
Prenlis  acôurchi;  mountolainpo, 
Di  vignarés  trosso  la  pampo, 
Coume  un  revès  de  la  sisampo  ; 

E,  tout  soûl,  velaqui  dins  11  canto-perdris. 

Dins  l'estendard  di  Crau  brusido, 
Soulo  d'éusino  abouscassido, 

Destousco  aperalin  li  troupèu  achauma  : 
Li  pastrihoun,  lou  baile-pastre, 
Fasien  miejour  sus  lou  mentastre; 
En  pas  courrien  li  galapastre 

Sus  l'esquino  di  fedo  en  trin  de  remiauma, 

De  nevoulino  clarinello, 
E  voulatilo,  e  blanquinello, 

De  la  mar  plan-planet  s'enauravon  :  belèu, 
Dins  lis  autour  inmaterialo, 
Quauco  santouno  celestialo, 
De  soun  velet  de  counventialo 

S'èro  delôugerido  en  Trustant  lou  soulèu. 

—  Orne  !  escoutas  qu'a  di  lou  mèstre, 

le  fai  lou  manda d ou  campèstre  : 
Chourlo,  m'a  di,  subran  parte  coume  l'uiau  ; 

Que  li  segaire  e  labouraire 

Quiton  li  daio  e  lis  araire  ; 

I  meissounié  digo  de  traire 
Li  voulame  ;  i  mendi,  de  leissa  lou  bestiau. 


MIREILLE,   CHANT  IX.  365 

«  Qu'ils  viennent  me  trouver  !  »  Aussitôt,  — 
plus  léger  que  les  chèvres,  —  part  le  valet  fidèle  : 
dans  les  oliviers  gris — il  prend  les  raccourcis  (du 
chemin)  ;  il  va  comme  l'éclair  ;  —  des  vignobles  il 
tord  le  pampre,  —  comme  une  rafale  de  bise  ;  —  et 
le  voilà,  seul,  (aux  lieux)  où  chante  la  perdrix. 


Dans  la  vaste  étendue  des  Craux  arides,  —  sous 
des  chêneteaux  rabougris,  —  il  découvre  au  lointain 
les  troupeaux  qui  reposent  ;  —  les  jeunes  bergers,  le 
chef  des  pasteurs ,  —  faisaient  la  méridienne  sur  le 
marrube  ;  —  en  paix  couraient  les  bergeronnettes, — 
sur  le  dos  des  brebis  en  train  de  ruminer. 


Des  vapeurs  diaphanes,  —  légères  et  blanches;  — 
de  la  mer  lentement  s'élevaient  :  peut-être,  —  dans 
les  hauteurs  immatérielles,  — quelque  sainte  du  ciel, 
—  de  son  voile  de  nonne — s'était-elle  allégée  en  frô- 
lant le  soleil. 


—  «  Hommes  !  écoutez  ce  qu'a  dit  le  maître,  — 
leur  fait  le  messager  rustique  :  —  «  Échanson,  m'a 
t-il  dit,  soudain  pars  comme  l'éclair  ;  —  que  les  fau- 
cheurs et  laboureurs  —  quittent  les  faux  et  les  char- 
rues ;  —  aux  moissonneurs  dis  de  jeter  —  les  fau- 
cilles; aux  bergers  de  laisser  le  bétail.  » 


31. 


366  MIRÈTO,  CANT  IX. 

Adounc  li  daio  s'arrestèron, 

E  lis  araire  s'aplantèron  ; 
Li  quarante  gavot  que  toumbavon  li  blad, 

Adounc  quitèron  li  voulame, 

E  venguèron  coume  un  eissame 

Que,  de  sa  brusco  parti  flame, 
Au  brut  di  chaplachôu  su  'n  pin  vai  s'assembla. 

Au  mas  venguè  li  ligarello, 

Venguèron  li  rastelarello, 
Venguè  lou  carretié  'mé  si  carreteiroun  ; 

Venguè  li  pastre,  li  glenaire, 

E  li  toutobro  amoulounaire, 

Venguè  lis  engarbeirounaire, 
Laissant  toumba  li  garbo  au  pèd  di  garbeiroun. 

Morne  e  mut,  dins  l'iero  tepouso, 

Lou  majourau  e  soun  espouso 
Esperavon  l'acamp  ;  e  lis  ome,  esmougu 

De  ce  qu'ansin  li  destourbavon, 

Autour  dôu  mèstre  se  rambavon,  • 

E  ie  disien,  coume  arribavon  : 
Nous  avès  manda  querre,  o  mèstre,  sian  vengu  ! 

Mèste  Ramoun  aussè  la  tèsto  : 

—  Sèmprc  à  meissoun  la  grand  tempèsto  ! 
Pauras  que  tôuti  sian  !  pèr  tant  qu'anen  d'avis, 

Sèmpre  au  malur  fau  que  l'on  pique  ! 

Oh!  digue,  sens  que  mai  m'esplique. 

Mi  bons  ami,  vous  n'en  suplique, 
Lèu  digue-me,  chascun,  ce  que  saup,  ce  qu'a  vist. 


MIREILLE,  CHANT  IX  367 

Alors  s'arrêtèrent  les  faux,  —  et  firent  halte  les 
charrues  ;  —  les  quarante  montagnards  qui  abat- 
taient les  blés,  —  alors  quittèrent  les  faucilles,  —  et 
vinrent  comme  un  essaim — qui,  parti  de  sa  ruche,  dès 
que  les  ailes  lui  ont  poussé,  — au  bruit  des  cymbales 
éclatantes,  sur  un  pin  va  se  rassembler. 


Au  mas  vinrent  les  lieuses  (de  gerbes),  —  vinrent 
les  râteleuses,  —  vint  le  charretier  avec  ses  aides, 
—  vinrent  les  pâtres,  les  glaneurs,  —  et  les  ouvriers 
qui  ameulonnent,  —  vinrent  les  entasseurs  de 
gerbes,  —  laissant  tomber  les  gerbes  au  pied  des 
meules. 


Mornes  et  muets,  dans  l'aire  gazonneuse, —  le  chef 
(de  la  ferme)  et  son  épouse —  attendaient  le  rassem- 
blement ;  —  et  les  hommes,  émus  —  d'être  ainsi 
troublés  (dans  leurs  travaux) ,  —  autour  du  maître  se 
rendaient,  —  et  lui  disaient  en  arrivant  :  —  «  Vous 
nous  avez  mandés,  ô  maître,  nous  voici!  » 


Maître  Ramon  leva  la  tête  :  —  «  Toujours  à  la 
moisson  le  grand  orage!  — Infortunés  que  nous  som- 
mes tous  !  si  bien  avisés  que  nous  soyons, — toujours 
au  malheur  il  faut  se  heurter  !  —  Oh  I  dit-il,  sans 
que  je  m'exphque  davantage,  —  mes  bons  amis,  je 
vous  en  supplie,  —  que  promptement  chacun  me  dise 
ce  qu'il  sait,  ce  qu'il  a  vu.  » 


368  MIRÈIO,   CANT  IX. 

Laurèn  de  Gôut  aqui  s'avanço. 

N'avié  pas,  dempièi  soun  enfanço, 
Manca  'no  soulo  fes,  quand  bloundejon  li  blad, 

De  se  gandi  'mé  sa  bedoco 

I  piano  d'Ârle.  Vièio  roco 

Mounte  la  mar  en  van  afloco, 
Coume  un  queiroun  de  glèiso  avié  lou  ten  brûla. 

Vièi  capitàni  dôu  voulame, 

Que  lou  soulèu  roustigue,  o  brame 

Lou  Maïstrau,  de-longo  à  l'obro  lou  proumié  ! 
Avié  'm'  eu  si  sèt  drôle,  ruste, 
Mouret  coume  eu,  coume  eu  roubuste... 
Li  meissounié,  coume  de  juste, 

L'avien,  tout  d'un  acord,  chausipèr  capoulié. 

—  S'acô  's  verai  que  plôu  o  nèvo, 

Quand,  rouginas,  lou  jour  se  lèvo, 
Ce  qu'ai  vist,  coumencè  Laurèn  de  Gôut,  segur, 

Mèstre,  nous  marco  de  lagremo. 

Dieu  !  esvartas  lou  terro-tremo  ' 

Èro  de  matin  :  l'aubo  mémo 
Déjà  vers  Icu  Pounènt  fasié  courre  l'escur. 

Trempe  d'eigagno,  à  l'abitudo, 

Anavian  faire  la  fendudo. 
—  Sôci,  rapelen-nous  de  lou  bèn  adouba, 

le  dise,  e  d'enavans  !...  M'estroupe, 

A  moun  prefa,  galoi,  me  groupe; 

Dôu  proumié  cop,  mèstre,  me  coupe  ! 
l'a  trente  an,  bèu  Bondiéu!  quenoun  m'èro  arriba! 


MIREILLE,  CHANT  IX.  3C9-' 

Laurent,  de  Goiilt  ^  s'avance  alors  :  —  il  n'avait 
pas,  depuis  son  enfance,  —  manqué  une  seule  fois, 
quand  blondissent  les  blés,  —  de  s'acheminer  avec  le 
carquois  (de  sa  faucille)  —  vers  les  plaines  d'Arles. 
Vieille  roche  —  que  la  mer  frappe  en  vain  de  ses  va- 
gues, —  comme  une  pierre  d'église,  il  avait  le  teint 
brûlé. 

Vieux  capitaine  de  la  faucille,  —  que  le  soleil  rô- 
tisse ou  que  mugisse  — le  Mistral,  toujours  à  l'œuvre 
le  premier! — Il  avait  avec  lui  ses  sept  fds,  rustauds, 
—  hâlés  comme  lui,  comme  lui  robustes...  —  Les 
moissonneurs,  ajuste  titre,  —  l'avaient,  d'un  accord 
unanime,  élu  pour  chef. 


—  «  S'il  est  vrai  qu'il  pleut  ou  qu'il  neige,  — .  lors- 
que, rougeâtre,  le  jour  se  lève,  —  ce  que  j'ai  vu, 
commença  Laurent  de  Goult,  à  coup  sûr,  —  maître, 
nous  présage  des  larmes,  —  Dieu  !  dissipez  le  trem- 
blement  de  terre  !  —  C'était  ce  matin  :  l'aube  même 
—  déjà  vers  le  Ponant  chassait  l'obscurité. 


«  Trempés  d'aiguail,  à  l'habitude,  —  nous  allions 
iaire  la  trouée.  —  Compagnons,  rappelons-nous  de 
bien  arranger  (le  travail),  —  leur  dis-je,  et  de  l'en- 
train !...  Je  me  retrousse,  —  à  ma  tâche,  gaiement, 
je  me  courbe;  — du  premier  coup,  maître,  je  me 
blesse  !  —  Voilà  trente  ans,  beau  Dieu  !  que  cela  ne 
m'était  arrivé!  » 


370  MIRÈIO,   GANT  IX. 

E  coume  a  di,  mostro  sis  ounso 
Qu'ensaunousis  la  plago  founso. 

Li  parent  de  Mirèio  an  que  mai  pregemi. 
E  Jan  Bouquet,  un  di  segaire, 
Pren  la  paraulo  de  soun  caire, 
Tarascounen  e  Tarascaire, 

Bèu  clapas  de  jouvènt,  mai  dous,  e  bon  ami. 

Ha  !  quand  courrié  la  vièio  masco^ 
Lagadigadèu  !  la  Tarasco  ! 

Que  de  danso,  de  crid,  de  joio  e  d'estampèu 
La  vilo  morno  s'enlumino, 
Res  que  faguèsse  en  Coundamino, 
Mies  qu'eu  o  de  meiouro  mino, 

Voulastreja  pèr  l'èr  la  Pico  e  lou  Drapèu. 

Entre  li  mèstre  dôu  segage 
Aurié  près  rèng,  i  pasturgage, 

S'aguèsse  dôu  travgi  bèn  tengu  lou  draiôu; 
Mai  quand  venié  lou  tèms  di  voto, 
Adieu  l'enchaple  !  I  grand  riboto 
Souto  l'autin  o  dins  li  croto, 

I  lôngui  farandoulo,  em'i  courso  de  biôu, 

Èro  un  timoun,  un  fena  !  —  Mèstre, 

Coume  daiavian  à  grand  dèstre, 
Coumencè  lou  jouvènt,  souto  un  clôt  demarg^^. 

Descate  un  nis  de  francouleto 

Que  boulegavon  sis  aleto  ; 

E  vers  la  mato  penjouleto, 
Pèr  vèire  quant  n'  i'  avié,  me  clinave  tout  gai; 


MI  UEILLE,   CHANT  IX.  371 

A  ces  mots,  il  montre  ses  phalanges  —  qu'ensan- 
glante la  plaie  profonde.  —  Les  parents  de  Mireille 
ont  d'autant  plus  gémi.  —  Et  Jean  Bouquet,  l'un  des 
faucheurs,  —  prend  la  parole  de  son  côté  :  —  Taras- 
conais  et  chevalier  de  la  Tarasque,  —  beau  bloc  de 
garçon,  mais  doux,  et  bon  ami. 


Ah  !  quand  courait  l'antique  sorcière,  —  lagadi- 
gadèou!  la  Tarasque!  — quand  de  danses,  de  cris, 
de  joie  et  de  vacarme  —  s'enlumine  la  ville  morne, — 
nul  qui  fît,  en  Condamine,  —  mieux  que  lui  ou  de 
meilleure  grâce,  —  voltiger  dans  les  airs  la  pique  et 
le  drapeau  ^ 


Parmi  les  maîtres  de  la  fauche — il  aurait  pris  rang, 
aux  pâturages,  —  s'il  eût  du  travail  bien  tenu  le 
sentier.  —  Mais  quand  venait  le  temps  des  fêtes,  — 
adieu  le  martelage  (de  la  faux)  !  Aux  grandes  orgies 

—  sous  la  tonnelle  ou  dans  les  tavernes  voûtées, 

—  aux  longues  farandoles  et  aux  courses  de  tau- 
reaux, 

C'était  un  timon,  un  forcené  !  —  «  Maître,  —  pen- 
dant que  nous  fauchions  à  grands  coups,  —  com- 
mença le  jouvenceau,  sous  une  touffe  d'ivraie,  —  je 
découvre  un  nid  de  francolins  —  qui  agitaient  leurs 
ailerons  ;  —  et  vers  la  fane  pendante,  —  afin  d'en 
voir  le  nombre,  je  me  penchais  tout  joyeux  ; 


372  MIRÈIO,  GANT  IX. 

Oh  !  noiim  de  sort  !  pàuri  besliolo  ! 

Do  fournigasso,  roujo  e  folo, 
Dôu  nis  e  di  nistoun  venien  de  s'empara  : 

Très  èron  déjà  mort;  lou  rèsto, 

Empesouli  d'aquelo  pèsto, 

Sourtié  foro  dôu  nis  la  tèsto, 
Que  semblavo  médire  :  Oh  !  venès  m'apara! 

Mai  uno  nèblo  de  fournigo 
Mai  verinouso  que  d'ourtigo, 

Furouno,  acarnassido,  alabro,  h  pougnié  ; 
E  iéu,  apensamenti  qu'ère 
Contro  lou  manche  de  moun  ferre, 
Dins  la  garrigo  entendeguère 

La  maire  qu'en  plourant  piéutavo  e  li  plagnié. 

Aquéu  récit  de  maluranço 

Es  tournamai  un  cop  de  lanço  : 

Dôu  paire  e  de  la  maire  a  gounfla  lou  segren. 
E  coume,  en  Jun,  quand  vers  la  piano 
Mounto  en  silènci  la  chavano, 
Que,  cop  sus  cop,  la  Tremountano 

Uiaus&o,  e  que  lou  tèms  de  tout  caire  se  pren, 

Vèn  lou  Marran.  Dins  li  bastido 
Soun  noum  avié  de  restountido  ; 

E  lou  vèspre,  entcrin  que  li  miôu  cstaca 
Tiron  di  grùpi  la  luserno, 
Souvent  U  ràfi,  quand  iverno, 
Abenon  1  ôli  di  lanterno, 

En  parlant  de  la  fes  que  venguè  se  louga. 


MIREILLE,   CHANT  IX.  575 

«  Oh  !  sort  fatal  1  pauvres  petites  bêtes  !  —  D'af- 
freuses fourmis,  rouges  et  folles,  —  du  nid  et  des 
petits  venaient  de  s'emparer.  —  Trois  étaient  déjà 
morts  ;  le  reste,  —  infesté  de  cette  vermine,  —  sor- 
tait hors  du  nid  la  tête,  —  qui  semblait  me  dire  : 
Oh!  venez  me  défendre! 


«  Mais  une  nuée  de  fourmis  —  plus  venimeuses 
que  des  orties,  —  furieuse,  acharnée,  avide,  les  per- 
çait; —  et  moi,  pensif  que  j'étais — contre  le  manche 
de  mon  fer,  —  dans  la  lande  j'entendis  —  la  mère 
qui  en  pleurant  piaulait  et  les  plaignait.  » 


Ce  récit  de  malheur  —  est  derechef  un  coup  de 
lance  :  —  du  père  et  de  la  mère  il  a  gonflé  l'amer 
pressentiment.  —  Et  comme,  en  juin,  quand  vers  la 
plaine  —  monte  en  silence  l'orage,  —  que,  coup  sur 
coup,  la  Tramontane''  —  resplendit  d'éclairs,  et  que 
le  temps  de  toute  part  se  couvre, 


Vient  le  Marran.  Dans  les  bastides  —  son  nom 
avait  du  retentissement  ;  —  et  le  soir,  pendant  que 
les  mulets  attachés  —  tirent  des  crèches  la  luzerne, 
souvent  les  valets  de  labour,  en  hiver,  —  épuisent 
l'huile  des  falots,  —  en  parlant  de  la  fois  qu'il  vint  se 
louer. 


33 


374  MIUÈIO,  CANT  IX. 

S'èro  louga  pèr  li  semenço  : 

Chasque  bouié  lèu  acoumenço 
D'enrega  sa  versano  ;  e  lou  Marran,  pamen, 

Èro  darrié  que  de  sa  riho 

Tascoulejavo  lis  auriho, 

0  l'aramoun  o  li  tendiho, 
Coume  un  que,  de  sa  vido,  a  touca  Testrumen. 

—  Te  vas  louga  pèr  labouraire, 
E  sabes  pas  mounta  'n  araire, 

Desgaubia  !  ie  cridè  lou  proumié  carretié. 
Tène  qu'un  verre  emé  sonn  mourre 
Miéu  que  tu,  gafagnard,  laboure'. 

—  Vosto  escoumesso,  iéu  Tauboure, 
Respoundè  lou  Marran  ;  e  quau  sara  coustié, 

De  iéu  0  de  vous,  perdra,  baile, 
Très  louvidor  !...  Sonnas  dôu  graile! 

Li  dos  riho  à  la  fes  an  fendu  lou  gara. 
Li  dous  bouié  vers  l'autro  ribo 
Prenon  signau  en  dos  grand  pibo... 
Li  dous  fourcat  fan  pa'  no  gibo  ! 

Pèr  lou  rai  dôu  soulèu  li  cresten  soun  daura. 

—  Rampau  de  Dieu  !  adonne  faguèron 
Li  lougadié  tôuti  tant  qu'èron, 

Vosto  enregado,  baile,  es  d'un  orne  de  bon 
E  d'uno  man  rèn  maladrecho  ! 
Mai  fan  tout  dire  :  es  bèn  tant  drecho, 
Aquelo  d'eu,  qu'em'  uno  flecho 

Se  pourrie  de-segur  enfiela  tout-de-long  ! 


MIREILLE,   CHANT  IX.  375 

Il  s'était  loué  pour  les  semailles  :  —  chaque  labou- 
reur bientôt  commence  —  à  tracer  son  sillon  ;  et  le 
Marran,  néanmoins,  —  était  derrière  qui  de  son  soc 
—  cognait  gauchement  les  oreilles,  —  ou  le  cep,  ou 
les  tirants, — comme  celui  qui,  de  sa  vie,  n'a  touché 
l'outil. 


—  «  Tu  vas  te  louer  pour  laboureur,  —  et  tu  ne 
sais  pas  monter  un  araire,  —  maladroit  !  lui  cria  le 
premier  charretier,  —  Je  tiens  qu'un  verrat  avec  son 
groin  —  mieux  que  toi,  goujat,  laboure  !»  —  «  Votre 
gageure,  je  la  relève,  — répondit  le  Marran,  et  qui 
manquera  le  but, 


«  De  moi  ou  de  vous,  perdra,  chef,  —  trois  louis 
d'or!...  Sonnez  du  clairon!  »  —  Les  deux  socs  à  la 
fois  ont  fendu  le  guéret.  —  Les  deux  laboureurs 
vers  l'autre  rive — prennent  pour  jalons  deux  grands 
peuphers...  —  Les  deux  araires  ne  font  pas  une 
inflexion  !  —  Par  le  rayon  du  soleil  les  arêtes  sont 
dorées. 

—  «  Palme  de  Dieu  !  dirent  pour  lors  —  les  servi 
leurs,  tous  tant  qu'ils  étaient,  —  votre  sillon,  chef, 
est  d'un  homme  valeureux  —  et  d'une  main  point 
maladroite  !  —  Mais,  disons  tout  :  tellement  droit  est 
—  celui  de  l'autre,  qu'avec  une  flèche  —  on  pour- 
rait assurément  l'enfiler  tout  du  long  !  » 


576  MIREIO,  CÂNT  IX. 

E  Jou  Marran  gagné  li  joio. 

Au  parlamen  que  desmemoio 
Lou  Marran,  eu  peréu,  venguè  dounc  escampa 

Soun  mot  amar  ;  digue  tout  blave  : 

—  Adès  en  coutreiant  siblave  ; 

Èro  un  brisoun  dur  :  me  tablave 
D'alounga  'n  pau  la  juncho,  e  'm'  acô  d'acaba. 

Tout-en- un  cop  vese  mibèsti 
Rebufela  soun  pelous  vièsti  ; 

Vese  la  fernisoun  e  l'esfraitout  ensèn 
Que  fan  aplanta  'qui  moun  couble 
E  chauriha  ;  iéu,  vesiéu  double, 
Vesiéu  lis  erbo  dôu  restouble 

Se  clina  vers  lou  sôu  en  s'escoulourissènt. 

Couche  mi  bèsti  :  la  Baiardo 

Em  'un  èr  triste  m'arregardo, 
Mai  brando  pas  ;  Falet  niflavo  lou  cresten 

Un  cop  de  fouit  lis  enjarreto. .. 

Parton  esglaia  ;  la  cambeto, 

Uno  cambeto  d'ôume,  peto  ; 
Emporton  bassegoun  e  joto;  e  pale,  esten, 

A  iéu  m'a  près  coume  un  catàrri; 

Un  aucidènt  invoulountàri 
A  fa  cruci  ma  maisso  ;  un  frejoulun  me  vrn , 

E  sus  mi  car  estabousido, 

E  sus  ma  tèsto  agarrussido 

Coume  li  tèsto  de  caussido, 
Iéu  ai  senti  la  Mort  qu'a  passa  coume  un  vènl  I 


MIREILLE,  CHANT  IX.  377 

Et  leMarran  gagna  le  prix.  —  Dans  le  conseil  qui 
déconcerte,  —  le  Marran,  lui  aussi,  vint  donc  verser 
—  son  mot  amer  ;  il  dit  tout  blême  :  —  «  Tantôt  en 
labourant  je  sifflais  ;  —  c'était  tant  soit  peu  dur  :  je 
me  proposais  —  d'allonger  un  peu  la  séance,  afin 
d'achever. 


«  Tout  à  coup  je  vois  mes  bêtes  —  hérisser  leur 
vêtement  poilu  ;  — je  vois  le  frémissement  et  l'effroi 
tout  ensemble  —  qui  font  arrêter  là  ma  paire  —  et 
chauvir  des  oreilles;  moi,  je  voyais  double,  —  je 
voyais  les  herbes  de  la  jachère  —  se  pencher  vers  le 
sol  en  se  décolorant. 


«  Je  touche  mes  bêtes  :  la  Bayarde  —  avec  un  air 
triste  me  regarde,  —  mais  ne  remue  pas  ;  Falet  flai- 
rait l'arête  (du  sillon). — ^Un  coup  de  fouet  leur  cingle 
les  jarrets... — elles  partent  effarées;  l'âge,  — un  âge 
d'orme ,  éclate  ;  —  elles  emportent  la  flèche  et  le 
joug  ;  et  pâle,  oppressé, 


«  A  moi,  il  m'a  pris  comme  une  épilepsie  ;  —  une 
convulsion  involontaire— a  fait  grincer  ma  mâchoire 
un  frisson  me  vient  ;  —  et  sur  mes  chairs  conster- 
nées, —  et  sur  ma  tête  ébouriffée — comme  les  têtes 
des  chardons,  — j'ai  senti  la  Mort  passer  comme  un 
vent!  » 


S2. 


578  MIRÈIO,  C.VNT  TX. 

—  Bono  Maire  de  Dieu  !  acato 
De  toun  mantèu  ma  bello  chato  ! 

Cridè  la  pauro  maire  em'  un  crid  desoula. 

Es  à  geinoun  aqui  toumbado 

E  vers  li  nivo  encaro  bado... 

Veici  qu'arribo  à  grand  cambado 
Lou  balle  Antèume,  pastre  e  môusèire  delà. 

—  Qu'èi  qu'avié  dounc  tant  matiniero, 
Pèrtreva  'nsin  11  cadenlero? 

Digue  lou  balle  Antèume  en  intrant  au  counsèu. 

Nautre  erian  claus  dlns  nôsti  oledo, 

En  trin  de  môuse  nôsti  fedo  ; 

E  sus  11  vàstl  claparedo 
Lis  estello  de  Dieu  clavelavon  lou  cèu. 

Uno  amo,  uno  oumbrinello,  unglàri 
Frusto  lou  pargue  ;  de  Tesglàrl 
Se  tenon  mut  11  chin,  s'amoulouno  l'avé. 

—  Parlo-me  dounc,  se  sles  bono  amo  ! 
Se  sles  marrldo,  torno  1  flamo  ! 

En  léu  pensère...  A  Nostro-Damo, 
Mèstre,  n'ai  pas  lesl  d'entamena  'n  Ave.    . 

Emé  iéu,  1  Sàntl  Mario, 

Res  vôu  venl  de  la  pastriho?... 

Uno  voues  couneigudo  alor  crldo.  E  'm'  acô 
Tout  s'esvalis  dlns  lou  campèstre. 
Quauvous  a  pasdi,  noste  mèstre, 
Qu'èro  Mirèio  !  —  Acô  pôu  èstre? 

Tout  lou  mounde  à  la  fes  adounc  fai  sus-lou-cop. 


MIREILLE,  CHANT  IX.  579 

—  «  Bonne  Mère  de  Dieu  !  couvre  —  de  ton  man- 
teau ma  belle  enfant  !  »  —  s'écria  la  pauvre  mère 
d'un  cri  désolé.  —  A  genoux  elle  est  tombée  là,  — 
et  vers  les  nues  elle  ouvre  encore  la  bouche... — 
Voici  qu'arrive  à  grandes  enjambées  —  le  chef  An- 
telme,  pâtre  et  trayeur  de  lait. 


—  «  Qu'avait-eile  donc,  si  matinale, — pour  hanter 
ainsi  les  taillis  de  cades?  —  dit  le  chef  Antelme  en 
entrant  au  conseil.  —  Nous  étions,  nous,  enfermés 
dans  nos  claies,  —  en  train  de  traire  nos  brebis  ;  — 
et,  aurdessus  des  vastes  (plaines)  caillouteuses, — les 
étoiles  de  Dieu  clouaient  le  ciel. 


«  Une  âme,  une  ombre  légère,  un  spectre  —  frôle 
le  parc  ;  de  frayeur  —  restent  muets  les  chiens,  se 
pelotonne  le  troupeau.  —  Si  tù  es  une  bonne  âme, 
parle-moi  donc!  — si  tu  es  mauvaise,  retourne  aux 
flammes!  —  pensai-je  en  moi-même....  A  Noire- 
Dame,  —  maître,  je  n'ai  pas  le  loisir  d'entamer  un 
Ave. 

—  «  Avec  moi,  aux  Saintes  Maries,  —  nul  ne  veut 
venir,  d'  (entre)  les  bergers?  »  —  une  voix  connue 
alors  crie.  Et  ensuite  —  tout  disparaît  dans  la  lande. 
—  Le  croiriez-vous  ?  ô  notre  maître,  —  c'était  Mi- 
reille !  »  —  «  Se  peut-il?  » — tout  le  monde  à  la  fois, 
pour  lors,  dit  sur-le-champ. 


580  MIREIO,  GANT  IX. 

—  Mirèio  !  countuniè  lou  pastre, 
L'ai  vistoà  la  clarta  dis  astre, 

L'ai  \isto,  iéuvous  dise,  e  m'a  fusa  davan; 
L'ai  visto,  noun  plus  talo  qu'èro, 
Mai  dins  sa  caro  tristo  e  fèro 
Se  couneissié  que,  sus  la  terro, 

Un  cousent  desplesi  ie  dounavo  lou  vanc  ! 

D'entendre  la  debalausido, 

Entre  si  man  enterrousido 

Lis  ome  en  gémissent  piquèron  à  la  fes. 

—  I  Santo  menas-me  lèu,  drôle  ' 
Crido  la  pauro  maire  :  vole, 
Ounte  que  vague,  ounte  que  vole, 

Segui  moun  auceloun,  moun  perdigau  de  grès! 

Se  li  fournigo  l'agarrisson, 

Fin  que  d'uno,  mi  dent  que  trisson 
Manjaran,  trissaran'fournigo  efourniguié  ' 

Se  l'abramado  Mort-peleto 

Te  voulié  torse,  iéu  souleto 

Embrecarai  sa  daio  bleto, 
E  dôu  lèms,  fugiras  à  travès  li  jounquié  ! 

E  pèr  lou  champ,  Jano-Mario, 
Que  la  cregnènço  desvario, 
Samenavo  encourrènt  si  desvaga  prejit. 

—  Garretié,  tendo  la  carreto, 
Vougne  Tessiéu,  bagno  li  freto, 
Elèu  atalo  la  Moureto, 

Qu'es  tard,  disié  lou  mèstrei  e  qu'avèn  long  trejit! 


MIREILLE,   CHANT  IX.  Ô81 

—  «  Mireille  !  continua  le  pâtre,  —  je  l'ai  vue  à  la 
clarté  des  astres,  — je  l'ai  vue,  vous  dis-je,  et  elle  a 
filé  devant  moi  ;  —  je  l'ai  vue,  non  plus  telle  qu'elle 
était,  —  mais,  dans  sa  figure  triste  et  sauvage,  — on 
connaissait  que,  sur  la  terre,  —  un  cuisant  déplaisir 
lui  donnait  l'élan  !  » 


A  la  fatale  nouvelle,  —  dans  leurs  mains  terreuses 
• —  les  hommes  en  gémissant  frappèrent  à  la  fois.  — 
«  Aux  Saintes,  menez-moi  vite,  gars!  — s'écrie  la 
pauvre  mère.  Je  veux,—  où  qu'il  aille,  où  qu'il  vole, 
—  suivre  mon  oisillon,  mon  perdreau  des  champs 
pierreux  ! 


«  Si  les  fourmis  l'attaquent,  —jusqu'à  la  dernière, 
mes  dents  qui  broient  —  mangeront,  broieront  four- 
mis et  fourmilière!  —  si  l'avare  Mort  décharnée — te 
voulait  tordre,  moi  seule  —  j'ébrécherai  sa  faux 
usée,  —  et  pendant  ce  temps ,  tu  fuiras  à  travers 
les  jonchaies  I  » 


Et  par  les  champs,  Jeanne-Marie  —  que  l'appré 
hension  égare,  —  semait  en  courant  ses  folles  invec 
tives.  —  «  Charretier,  tente  la  charrette  !  —  oins 
l'essieu,  mouille  les  cercles  (dos  moyeux),  —  et 
promptement  attelle  la  Moufette  ',  —  car  il  est  tard, 
disait  le  maître,  et  nous  avons  un  long  trajet  !  » 


382  MIRÈIO,  GANT  IX. 

E  SUS  lou  càrri  bacelaire 

Jano-Mario  mounto,  e  l'aire 
S'emplissié  mai-que-mai  d'estrambord  pietadous 

Ma  bellomignoto  !...  Clapouiro, 

Erme  de  Crau,  vàsti  sansouiro, 

A  ma  chatouno  que  langouiro, 
Emai  tu,  souleias,  fugues  amistadous! ... 

Mai,  l'abouminablo  mandrouno 

Que  pôutirè  dins  soun  androuno 
Ma  chato,  e  de-segur  i'  aveja,  i'  a  'mpassa 

Si  trassegun  e  si  boucôm, 

Taven  !  que  tôuti  li  demôni 

Qu'espaventèron  Sant  Antôni, 
Sus  li  roco  di  Baus  te  vagon  tirassa  !... 

Dins  lou  trantran  de  la  carreto 
S'esperd  la  voues  de  la  paureto... 

E  lis  orne  dôu  mas,  en  espinchant  se  res 
Apareissié  dins  la  Crau  liuncho, 
Plan  s'entournavon  à  la  juncho. . 
Urous,  entre  li  lèio  juncho, 

Li  vôu  de  mousquihoun  revoulunant  au  fres  i 


MIREILLE,   CHANT  IX.  583 

Et  sur  le  char  retentissant  —  Jeanne-Marie  monte, 
et  l'air  —  s'emplissait  plus  que  jamais  de  transports 
délirants  et  plaintifs  :  —  «  Ma  belle  mignonne  !... 
pierrées,  —  landes  de  Crau,  vastes  plages  salines, — 
à  ma  fille  qui  languit,  —  et  toi  aussi,  grand  soleil, 
soyez  bienveillants  !... 


«  Mais  l'abominable  matrone  —  qui  attira  dans  son 
antre  —  mon  enfant,  et  à  coup  sûr  lui  a  versé,  lui  a 
fait  avaler  —  ses  philtres  et  ses  poisons,  —  Tavèn  ! 
que  tous  les  démons  —  qui  épouvantèrent  Saint 
Antoine,  —  sur  les  roches  des  Baux  aillent  te  traî- 
ner!..  » 


Dans  les  cahots  de  la  charrette  —  se  perd  la  voix 
de  la  malheureuse. . .  —  Et  les  hommes  du  mas,  en 
examinant  si  personne  —  n'apparaissait  dans  la  Crau 
lointaine,  —  lentement  retournaient  au  travail... — 
Heureux,  entre  les  allées  (dont  les  arbres)  se  joignent, 
—  les  essaims  de  moucherons  tourbillonnant  au 
frais! 


NOTES 


DU  CHANT   NEUVIÈME. 


'  Mûrissent  leur  douleur.  Coudoun  signifie,  au  fig.  lourd  chagrin, 
poids  douloureux  qu'on  a  sur  le  cœur;  au  propre,  coing.  Ce  mot, 
«ans  le  dernier  sens,  dérive  du  grec  xu^&jviov,  fruit  de  Cydon, 
coing;  dans  le  premier,  de  xoro;,  profond  ressentiment 

*  Grand-boire  [grand-béure],  petit  repas  que  les  moissonneurs 
font  vci"s  les  dix  heures  du  matin. 

^  Jean  Altlien,  aventurier  arménien  qui,  en  1774,  introdui- 
sit la  culture  de  la  garance  dans  le  comtat  Venaissin.  En  1850. 
on  lui  a  élevé  une  statue  sur  le  rocher  d'Avignon 

*  Auriole  [aunolo],  centaurée  du  solstice  [centaurea  solstitialis, 
Lin.),  plante  qui  pullule  dans  les  chaumes,  après  la  moisson.  Ses 
llcurs  jaunes,  et  les  épines  étoilées  de  leur  involucre,  lui  ont  valu 
son  nom  provençal,  qui  signifie  auréole. 

^  Goult,  ou  Agoult  (Gàut),  village  du  département  de  Vaucluse^ 
qui  a  donné  son  nom  à  l'une  des  plus'  illustres  maisons  de  Pro- 
vence. 

6  Tout  le  monde  a  entendu  parler  de  la  Tarasque,  monstre  qui, 
d'après  la  tradition,  ravageait  les  bords  du  Rhône  et  qui  fut  dompté 


NOTES  DU  CHANT  IX.  585 

par  sainte  Shirthe.  Chaque  année  les  Tarasconais  célèbrent  leur 
délivrance  par  l'exhibition  d'un  simulacre  de  ce  monstre,  que  des 
hommes  portent  à  la  course  à  travers  les  rues;  et  à  des  époques 
plus  ou  moins  rapprochées,  on  i^ehausse  cette  fête  par  une  foule 
de  jeux.  Ceux  delà  Pique  et  du  Drapeau,  mentionnés  dans  le 
poëme,  consistent  à  faire  voltiger  gracieusement,  à  lancer  à  une 
grande  hauteur  et  à  rattraper  avec  adresse  un  étendard  aux  larges 
plis  ou  une  longue  javeline. 

—  Lagadigadèu  est  la  célèbre  ritournelle  d'une  chanson  popu- 
laire attribuée  au  roi  René,  et  qu'on  chante  à  Tarascon  dans  cette 
fête.  En  voici  le  couplet  le  plus  connu  • 


Lagadigadèu! 
La  Tarasco  ! 
Lagadigadèu! 
La  Taïasco 
De  Castèu! 
Leissas-la  passa, 
La  vièio  masco! 
Leissas-la  passa 
Que  vai  dansa. 


—  En  Condamine  [en  Coundammo).  La  Condamine  [campus  Do- 
mini)  est  un  quartier  de  Tarascon.  On  retrouve  cette  dénomina- 
tion dans  plusieurs  villes  du  Midi. 

'  Tramontane  [Tremountano] ,  vend  du  nord-est,  et  par  extension 
nord-est. 

8  La  Mourette  {la  Moureto),  nom  de  mule.  Dans  les  campagnes, 
on  désigne  ordinairement  les  bêtes  de  somme  par  la  couleur  de 
leur  robe.  Les  noms  les  plus  communs  sont  blanquet  (blanc),  mou- 
ret  (noir),  brunèu  (brun),  falet  (gris),  baiard  (bai),  roubin  (bai 
clair). 


GANT  DESEN 


LÀ  CAMARGO 


Mirèio  passo  lou  Rose  dins  lou  barquet  d'Andreloun,  ecounlnnio  sa 
courso  à  travès  la  Camargo.  —  Li  dougan  dôu  Rose  ciUre  la  iiiar 
e  Arle.  —  Dcscripcioun  de  la  Camargo.  —  La  calour.  —  la  danso 
de  la  Vièio.  —  Li  mountiho.  —  Li  sansouiro.  —  Miréio  es  ensn- 
cado  pèr  un  cop  de  soulèu  sus  li  ribo  de  l'estang  dôu  Vacarés. — ',  is 
arabi  la  revènon.  —  La  roumiéuvo  d'amour  se  tirasse  jusqu'à  la 
glèiso  di  Santo.  —  La  preièro.  —  La  visioun.  —  Descours  di  Sàiiti 
Mario.  —  La  vanita  dôu  bouur  d'aquest  mounde,  la  nécessita  e  lou 
mérite  de  la  soufrênço.  —  Li  Santo,  pèr  ie  refenni  lou  cor,  racon- 
ton  à  Mirèio  sis  esprovo  terrestre. 


Desempièi  Arle  jusqu'à  Vènço, 

Escoutas-me,  gènl  de  Prouvènço  ! 
Se  trouvas  que  fai  caud,  ami,  tôutis  ensèn. 

Sus  lou  ribas  di  Durençolo, 

Anen  à  santo-repausolo  ! 

E  de  Marsiiio  à  Valensolo, 
Que  se  cante  Mirèio  e  se  plagne  Vincèn  ! 

Lou  pichot  barquet  fendié  l'aigo, 
Sens  mai  de  brut  qu'uno  palaigo  ; 

Lou  pichot  Ândreloun  menavo  lou  barquet; 
E  l'amouroùso  qu'ai  cantado 
Em'  Andreloun  s'èro  avastado 
Sus  lou  grand  Rose  ;  e,  d'assetado, 

Counlcmplavolis  oundo  em'  un  regard  fousquet. 


CHANT.  DIXIÈME 

LA  CAMARGUE 


Mireille  passe  le  Rhône  dans  la  nacelle  d'Andreloun.  et  poursuit  sa 
course  à  travers  la  Camargue.  —  Les  bords  du  Uhône,  entre  la 
mer  et  Arles.  —  Description  de  la  Camargue.  —  La  chaleur.  —  Le 
mirage.  —  Les  dunes.  —  Les  Sant^oiiircs.  —  Mireille  est  frappée 
d'un  coup  de  soleil,  sur  les  rives  de  l'étang  du  Vaccarés.  —  Les 
moustiques  la  rappellent  à  la  vie.  —  La  pèlerine  d'amour  se 
traîne  jusqu'à  l'église  des  Saintes-Mariés.  —  La  prière.  —  La 
vision.  —  Discours  des  Saintes  Maries.  —  La  vanité  du  bonheur  de 
ce  monde,  la  nécessité  et  le  mérite  de  la  souffrance.  —  Les 
Saintes,  pour  raffermir  le  courage  de  Mireille,  lui  font  le  récit  de 
leurs  épreuves  terrestres. 


Depuis  Arles  jusqu'à  Vence,  —  gens  de  Provence, 
écoutez-moi!  —  Si  vous  trouvez  qu'il  fait  chaud, 
—  amis,  tous  ensemble,  —  sur  la  berge  des  Duran- 
çoles  —  allons  nous  reposer!  —  et  de  Marseille  à 
Valensole, — que  l'enchante  Mireille  et  que  Ton  plai- 
gne Vincent  *  ! 


La  petite  nacelle  fendait  l'eau,  —  sans  plus  de 
bruit  qu'une  sole  ;  —  le  petit  Andreloun  conduisait  la 
nacelle;  —  et  l'amante  que  j'ai  chantée,  —  avec  An- 
dreloun s'était  aventurée  —  sur  le  vaste  Rhône  ;  et 
assise,  —  elle  contemplait  les  ondes,  d'un  regard 
nébuleux. 


388  .  MIRÉIO,   GANT  X. 

E  ie  disié  l'enfant  remaire-: 

Ve!  coume  es  large  dins  sa  maire 
Lon  Rose!...  Jouveineto,  entre  Camargo  e  Crau, 

Se  ie  farié  de  bèlli  targo  ! 

Car  aquelo  isclo  es  la  Camargo, 

E  peralin  tant  s'espalargo 
Que  dôu  fluve  ai iaten  vèi  bada  li  sèt  grau. 

Coume  parlavo,  dins  lou  Rose 

Tout  resplendènt  di  trelus  rose 
Que  déjà  lou  matin  i'espandissié,  plan-plan 

Mountavo  de  lahut  :  di  vélo 

L  auro  de  mar  gounflant  la  telo, 

Li  campejavo  davans  elo 
Coume  uno  pastourelle  un  troupèu  d'agnèu  blanc. 

0  magnefiqui  souloumbrado  ! 

De  frais,  d'aubo  desmesurado 
Miraiavon,  di  bord,  si  pèje  blanquinous; 

Delambrusco  antico,  bistorto, 

l'envertouiavon  si  redorto, 

E  dôu  cimèu  di  branco  forto 
Leissavon  pendoula  si  pampagnoun  sinous. 

Lou  Rose,  emé  sis  oundo  lasso, 
E  dourmihouso,  e  tranquilasso, 

Passavo  ;  e  regretous  dôu  palais  d'Avignoun, 
Di  farandoulo  e  di  sinfôni, 
Coume  un  grand  vièi  qu'es  à  l'angôni, 
Eu  pareissié  tout  malancôni 

D'ana  perdre  à  la  mar  c  sis  aigo  e  soun  noum. 


MIREILLE,   CHANT  X.  389 

Et  lui  disait  l'enfant  rameur  :  —  «  Vois  !  comme 
est  large  dans  son  lit — le  Rhône  !. ..  Jeune  fille,  entre 
Camargue  et  Grau,  —  il  se  ferait  de  belles  joutes  !  — 
car  cette  île,  c'est  la  Camargue;  —  et  au  loin  telle- 
ment elle  s'étend,  —  que  du  fleuve  arlésien  elle  voit 
béer  les  sept  embouchures.  » 


Comme  il  parlait ,  dans  le  Rhône  —  tout  resplen- 
dissant des  reflets  roses  —  que  déjà  le  matin  y  épan- 
dait,  lentement  —  montaient  des  tartanes  :  des  voi- 
lures —  le  vent  de  mer  gonflant  la  toile,  —  les  pous- 
sait devant  lui,  —  comme  une  bergère  un  troupeau 
d'agneaux  blancs. 


0  magnifiques  ombrages  !  — Des  frênes,  des  peu- 
pliers blancs  gigantesques  —  miraient,  des  bords, 
leurs  troncs  blanchâtres  ;  —  des  lambrusques  anti- 
ques, tortueuses,  —  y  enroulaient  leurs  lianes,  — 
et  du  faîte  des  branches  fortes  —  laissaient  pendiller 
leurs  moissines  noueuses. 


Le  Rhône,  avec  ses  ondes  fatiguées,  —  dormantes, 
majestueusement  tranquilles, —  passait;  et  regrettant 
le  palais  d'Avignon,  —  les  farandoles  et  les  sympho- 
nies, —  comme  un  grand  vieillard  qui  agonise,  —  il 
semblait  tout  mélancolique —  d'aller  perdre  à  la  mer 
et  ses  eaux  et  son  nom. 


33. 


39P  MIREIO,   CAÎN'T  X, 

Mai  l'amourouso  qu'ai  cantado 
Sus  lou  dougan  èro  sautado  : 

—  Camino,  lou  pichot  ie  cridavo,  tant  que 
Trouvaras  de  camin  !  Li  Santo 
A  sa  capello  miraclanto 
Tout  dre  te  menaran.  —  Aganto, 

Acô  di,  si  dos  remo,  e  viro  soun  barquet. 

Soulo  li  fio  que  Jun  escampo, 
Mirèio  lampo,  e  lampo,  e  lampe  ! 

De  soulèu  en  soulèu  e  d'auro  en  auro,  vèi 
Un  plan-païs  inmènse  ;  d'erme 
Que  n'an  à  l'iue  ni  fin  ni  terme  ; 
De  liuen  en  liuen  e  pèr  tout  germe, 

De  ràri  tamarisso...  e  la  mar  que  parèi... 

De  tamarisso,  de  counsôudo, 

D'engano,  de  fraumo,  de  sôudo, 
Amàri  pradarié  di  campèstre  marin, 

Ountebarrulon  li  brau  nègre 

E  li  cavalot  blanc  :  alegre, 

Podon  a  qui  libramen  segre 
Lou  ventihoun  de  mar  tout  fres  de  pouverin. 

La  bluio  capo  souleianto 
S'espandissié,  founso,  brihanto, 

Courounant  la  palun  de  soun  vaste  countaur; 
Dins  la  liuenchour  qu'alin  clarejo 
De  fes  un  gabian  voulastrejo  ; 
De  fes  un  aucelas  oumbrejo, 

Ermitocambaru  disestang  d'alentour. 


MIREILLE,  CHANT  X.  501 

Mais  l'amante  que  j'ai  chantée  —  avait  sauté  sur 
le  rivage  :  <(  Marche,  le  petit  lui  criait,  tant  que  — 
tu  trouveras  du  chemin  !  Les  Saintes  —  à  leur  cha- 
pelle miraculeuse  —  tout  droit  te  conduiront.  » 
Il  saisit,  —  cela  dit,  ses  deux  rames,  et  tourne  la 
nacelle. 


Sous  les  feux  que  Juin  verse,  —  comme  l'éclair, 
Mireille  court,  et  court,  et  court  !  —  De  soleil  en  so- 
leil et  de  vent  en  vent  ^,  elle  voit  —  une  plaine  im- 
mense :  des  savanes  —  qui  n'ont  à  l'œil  ni  fin  ni 
terme;  —  de  loin  en  loin,  et  pour  toute  végétation, 
—  de  rares  tamaris...  et  la  mer  qui  paraît... 


Des  tamaris,  des  prêles,  —  des  sahcornes,  des  ar- 
roches,  des  soudes  ',  —  amères  prairies  des  plages 
marines,  —  où  errent  les  taureaux  noirs  —  et  les 
chevaux  blancs  :  joyeux,  —  ils  peuvent  là  librement 
suivre  —  la  brise  de  mer  tout  imprégnée  d'embrun. 


La  voûte  bleue  où  (plane)  le  soleil  —  s'épanouis 
sait,  profonde,  brillante,  — couronnant  les  marais  de 
son  vaste  contour;  —  dans  le  lointain  clair  —  par- 
fois un  goéland  vole  ;  — parfois  un  grand  oiseau  pro- 
jette son  ombre ,  —  ermite  aux  longues  jambes  des 
étangs  d'alentour. 


392  MIRÈIO,  CANT  X 

Es  un  cambet  qu'a  li  pèd  rouge  ; 

0  'n  galejoun  qu'espincho,  aurouge, 
E  drèisso  fieramen  soun  noble  capelut, 

Fa  de  très  lôngui  plumo  blanco..... 

La  cauddeja  pamens  assanco  : 

Pèr  s'alôugeri,  de  sis  anco 
La  chatouno  desfai  li  bout  de  sottn  fichu. 

E  la  calour,  sèmpre  mai  vivo, 
Sèmpre  que  mai  se  recalivo  ; 

E  dôu  soulèu  que  mounto  à  l'afrèst  dôu  cèu-sin, 
Dôu  souleias  li  rai  e  l'uscle 
Plovon  à  jabo  coume  un  ruscle  : 
Sèmblo  un  leioun  que,  dins  soun  rii«cle, 

Devouris  dôu  regard  li  désert  abissin  ! 

Souto  un  fau,  que  farié  bon  jaire! 
Lou  blound  dardai  beluguejaire 

Fai  parèisse  d'eissame,  e  d'eissame  furoun, 
D'eissame  de  guèspo,  que  volon, 
Mounton,  davalon,  e  tremolon 
Coume  de  lamo  que  s'amolon. 

La  roumiéuvo  d'amour  que  lou  lassige  roump 

E  que  la  caumo  desaleno, 

De  soun  èso  redouno  e  pleno 
A  leva  l'espingolo  ;  e  soun  sen,  bouleguicu 

Coume  dos  oundo  bessouneto 

Dins  uno  lindo  fountaneto, 

Sèmblo  d'aquéli  campaneto 
Qu'en  ribo  de  la  mar  blanquejon  dins  l'estiéu. 


MIREILLE,   CHANT  X  ZdT, 

C'est  un  chevalier  aux  pieds  rouges*;  —  ou  un 
bihoreau  ^  qui  regarde,  farouche,  —  et  dresse  fière- 
ment sa  noble  aigrette,  —  faite  de  trois  longues 
plumes  blanches...  —  Déjà  cependant  la  chaleur 
énerve  :  —  pour  s'alléger,  de  ses  hanches  —  la  jeune 
fille  dégage  les  bouts  de  son  fichu. 


Et  la  chaleur,  de  plus  en  plus  vive,  —  de  plus  en 
plus  devient  ardente  ;  —  et  du  soleil  qui  monte  au 
zénith  du  ciel  pur,  —  du  grand  soleil  les  rayons  et 
le  hâle — pleuvent  averse  comme  une  giboulée:  — tel 
un  lion,  dans  la  faim  qui  le  tourmente,  —  dévore  du 
regard  les  déserts  abyssins  ! 


Sous  un  hêtre,  qu'il  ferait  bon  s'étendre  !  —  Le 
blond  rayonnement  (du  soleil)  qui  scintille  —  simule 
des  essaims,  des  essaims  furieux,  —  des  essaims  de 
guêpes,  qui  volent,  —  montent,  descendent  et  trem- 
blotent —  comme  des  lames  qui  s'aiguisent.  —  La 
pèlerine  d'amour  que  la  lassitude  brise 


Et  que  la  chaleur  essouffle,  —  de  sa  casaque  ronde 
et  pleine  —  a  ôté  l'épingle;  et  son  sein  agité 
—  comme  deux  ondes  jumelles  —  dans  une  hmpide 
fontaine,  —  ressemble  à  ces  campanules  —  qui,  au 
rivage  de  la  mer,  étalent  en  été  leur  blancheur*. 


39i  MIRÊIO.  CANT  X 

Mai  pau-à-pau  davans  sa  visto 

Lou  terradou  se  desentristo  ; 
E  veici  pau-à-pau  qu'aperalin  se  mou 

E  trelusis  un  grand  clar  d'aigo  : 

Li  daladèr,  li  bourtoulaigo, 

Autour  de  Terme  que  s*enaigo 
Grandisson,  e  se  fan  un  capèu  d'oumbro  môu. 

Èro  uno  visto  celestino, 

Un  fres  pantai  de  Palestino  ' 
De-long  de  l'aigo  bluio  uno  vilo  lèu-lèu 

Alin  s'aubouro,  emé  si  lisso, 

Soun  barri  fort  que  l'empalisso, 

Si  font,  si  glèiso,  si  téulisso, 
Si  clôuchié  loungaru  que  crèisson  au  soulèu. 

De  bastimen  e  de  pinello, 

Emé  si  vélo  blanquinello 
Intravon  dins  la  darso  ;  e  lou  vent,  qu'èro  dous, 

Fasié  jouga  sus  li  poumeto 

Li  bandeiroun  e  li  flameto. 

Mirèio,  emé  sa  man  primeto 
Eissuguè  de  soun  front  li  degout  aboundous  ;  • 

E  de  vèire  tal  espetacle, 

Cujè,  moun  Dieu  !  crida  miracle  ! 
E  de  courre,  e  de  courre,  en  cresènt  qu'èro  aqui 

La  toumbo  santo  di  Mario. 

Mai  au  mai  cour,  au  mai  vario 

La  ressemblanço  que  l'esbriho, 
Au  mai  lou  clar  tablèu  de  liuen  se  fai  segui. 


MIREILLE,  CHANT  X.  395 

Mais  peu  à  peu  devant  sa  vue  —  le  pays  perd  sa 
tristesse;  —  et  voici  peu  à  peu  qu'au  loin  se  meut  — 
et  resplendit  un  grand  lac  d'eau  :  —  les  philly- 
rea  '',  les  pourpiers,  —  autour  de  la  lande  qui  se 
liquéfie,  —  grandissent,  et  se  font  un  mol  chapeau 
d'ombre. 


C'était  une  vue  céleste,  —  un  rêve  frais  de  Terre- 
promise  !  —  Le  long  de  l'eau  bleue,  une  ville  bientôt 
—  au  loin  s'élève,  avec  ses  boulevards,  —  sa  mu- 
raille forte  qui  la  ceint»  —  ses  fontaines,  ses  églises, 
ses  toitures,  —  ses  clochers  allongés  qui  croissent 
au  soleil. 


Des  bâtiments  et  des  pinelles,  —  avec  leurs  voi- 
les blanches,  -  entraient  dans  la  darse,  et  le  vent, 
qui  était  doux,  —  faisait  jouer  sur  les  pommettes 
—  les  banderblles  et  les  flammes.  —  Mireille,  avec  sa 
main  légère  —  essuya  de  son  front  les  gouttes  abon- 
dantes ; 


Et  à  pareille  vue  —  elle  pensa,  mon  Dieu  !  crier 
miracle  !  —  Et  de  courir,  et  de  courir,  croyant  que 
là  était  —  la  tombe  sainte  des  Maries.  —  Mais  plus 
elle  court,  plus  change  —  l'illujion  qui  l'éblouit, 
—  et  plus  le  clair  tabieau  s'éloigne  et  se  fait  suivre. 


590  MIREIO,  CANT  X. 

Obro  vano,  sutilo,  alado, 

Lou  Fantasti  Tavié  fiel  ado 
Em'  un  rai  de  soulèu,  tencho  emé  li  coulour 

Di  nivouluii  :  sa  tramo  feblo 

Fenis  pèr  tremoula,  vèn  treblo, 

E  s'esvalis  coume  uno  nèblo. 
Mirèio  rèsto  soido  e  iièco,  à  la  calour. 

E  zôu  li  camello  de  sablo, 

brulanto,  mouvènto,  ahissablo  ! 
E  zôu  la  grand  sonsouiro,  c  sa  crousto  de  sau 

Que  lou  soulèu  boufigo  e  lustro. 

E  que  cracino,  e  qu'escalustro  ! 

E  zôu  li  plantasse  palustre, 
Li  canèu,  li  triangle,  estage  di  mouissau  ! 

Emé  Vincèn  dins  la  pensado, 
Pamens,  dempièi  lôngui  passado, 

Ribejavo  toujour  l'esmarra  Vacarés; 
Déjà,  déjà  di  grandi  Santo 
Vesié  la  glèiso  roussejanto, 
Dins  la  mar  liuencho  e  flouquejanto 

Croisse,  coume  un  veissèu  que  poujo  au  ribeirés. 

De  l'implacable  souleiado 

Tout-en-un-cop  l'escandihado 
le  tanco  dins  lou  front  si  dardaiouii  ;  vêla, 

0  pecaireto  !   que  s'arreno, 

E  que,  long  de  la  mar  sereno, 

Toumbo,  ensucado,  sus  l'areno... 
0  Crau,  as  toumba  flour  !  o  jouvènl,  plouras-la  !, 


MIREILLE,   CHANT  X.  597 

Œuvre  vaine,  subtile,  ailée,  —  le  Fantastique 
l'avait  filée  —  avec  un  rayon  de  soleil,  teinte  avec 
les  couleurs  —  des  nuages  :  sa  trame  faible  —  finit 
par  trembler,  devient  trouble,  —  et  se  dissipe  comme 
un  brouillard.  —  Mireille  reste  seule  et  ébahie,  à  '  , 
chaleur. 


Et  en  avant  dans  les  monceaux  de  sable,  —  big- 
lants ,  mouvants,  odieux  !  —  et  en  avant  dans  la 
grande  sansoidre  ^,  à  la  croûte  de  sel  —  que  le  so- 
leil boursoufle  et  lustre,  —  et  qui  craque,  et  éblouit! 
—  et  en  avant  dans  les  hautes  herbes  paludéen- 
nes, —  les  roseaux,  les  souchets,  asile  des  cou- 
sins ! 

Avec  Vincent  dans  la  pensée,  —  cependant,  de- 
puis longtemps  —  elle  côtoyait  toujours  (la  plage) 
reculée  (du)  Vaccarés  ;  —  déjà,  déjà  des  grandes 
Saintes  —  elle  voyait  l'égUse  blonde,  —  dans  la  mer 
lointaine  et  clapoteuse, —  croître,  comme  un  vaisseau 
qui  cingle  vers  le  rivage. 


De  l'implacable  soleil  —  tout  à  coup  la  brûlant» 
échappée  —  lui  lance  dans  le  front  ses  aiguillons  : 
la  voilà,  —  infortunée  !  qui  s'affaisse,  —  et  qui, 
le  long  de  la  mer  sereine,  —  tombe,  frappée  à  mort, 
sur  le  sable.  —  0  Crau,  ta  fleur  est  tombée  !..  ô  jeu- 
nes hommes,  pleurez-la  i 


S4 


im  MIRÈIO,  GANT  X. 

Quand  lou  cassaire  de  la  coumbo 

De-long  d'un  riéu  vèi  de  couloumbo 
Que  bevon,  innoucènto,  e  que  s'aliscon,  lèu 

Qu'entre-milan  li  bouissounaio 

Emé  soun  armo  vèn  en  aio  ; 

E  sèmpre  aquelo  qu'engranaio 
Es  la  plus  bello  :  ansin  faguè  lou  dur  soulèu. 

La  malurouso  èro  esternido 

Sus  lou  sablas,  estavanido. 
D'asard,  aqui  de-long,  passé  'n  vôu  d'arabi; 

E  'n  la  vesènt  que  rangoulavo,  . 

E  soun  blanc  pitre  que  gounflavo, 

E  dôu  rebat  que  la  brulavo 
Pas  un  brout  de  mourven  que  vèngue  la  curbi, 

Pietousamen  li  mouissaleto 

Fasien  viouloun  de  sis  aleto, 
E  zounzounavon  :  Lèu!  poulido,  lèvo-te! 

Lèvo-te  lèu!  qu'es  trop  malino 

La  caud  de  la  palun  salino  ! 

E  ie  pougnien  sa  tèsto  clino. 
E  la  mar,  entremen,  de  si  fin  degoutet, 

Gontro  li  flamo  de  sa  caro 

Bandissié  l'eigagnolo  amaro. 
Mirèio  se  levé.  Doulénto,  e  gingoulant  : 

Ai  !  de  ma  tèsto  !  plan-planeto 

Se  tirasse  la  chatouneto  ; 

E,  d'enganeto  en  enganeto,  ' 
I  Santo  de  la  mar  venguè  balin-balan. 


MIREILLE,  CHANT  X.  o99 

Quand  le  chasseur  de  la  vallée, — le  long  d'un  ruis- 
seau, aperçoit  des  colombes — qui  boivent,  innocentes, 
et  qui  lissent  leurs  (plumes),  vite,  —  à  travers  les 
buissons,  —  avec  son  arme  il  vient,  ardent;  —  et 
toujours  celle  qu'il  perce  de  ses  plombs  —  est  la 
plus  belle  :  ainsi  agit  le  dur  soleil. 


La  malheureuse  était  renversée  —  sur  la  dune, 
évanouie.  —  D'aventure,  sur  ces  bords,  passa  un  es- 
saim de  moustiques;  —  et  la  voyant  qui  râlait,  —  et 
sa  blanche  poitrine  palpitante,  —  et  contre  la  réver- 
bération qui  la  brûle  —  pas  un  brin  de  morven  *"  qui 
vienne  la  couvrir. 


Plaintivement  les  moucherons  —  faisaient  violon 
de  leurs  petites  ailes,  —  et  bourdonnaient  :  «  Vite  ! 
jolie,  léve-toi  !  — lève-toi  vite,  car  trop  maligne  est-^ 
la  chaleur  du  marais  sahn!  » — Ktils  piquaient  sa  tête 
penchée.  —  Et  la  mer,  en  même  temps,  de  ses  fines 
gouttelettes, 


Contre  les  flammes  de  son  visage  —  jetait  la  rosée 
amére.  —  Mireille  se  leva.  Dolente  et  gémissant  :  — 
Aïe!  de  ma  tête!  à  pas  lents —  se  traîna  la  jeune 
fille  ;  —  et  de  salicornes  en  salicornes,  —  aux  Saintes 
de  la  mer  elle  vint,  chancelante. 


*00  MIRÈIO,   CANT  X. 

E  'mé  de  plour  dins  si  parpello, 

Contro  li  bard  de  la  capello, 
Que  lou  toumple  marin  bagno  de  soun  trespir 

Pique  satèslo,  la  paureto  ! 

E,  sus  lis  alo  de  l'aureto, 

Entanterin  sa  preiereto 
Veici  coume  eilamount  s'enanavo  en  souspir  : 

0  Sànti  Mario, 
Que  poudès  en  flour 
Chanja  nôsti  plour, 
Clinas  lèu  Taurilio 
De-versma  doulour  ! 

Quand  veirés,  pecaire  ! 
Moun  reboulimen 
E  moun  pensamen, 
Vendrés  de  moun  caire 
Pietadousamen. 

Siéu  uno  chatouno 
Qu'âme  unjouveinet, 
Lou  bèu  Vincenet! 
léu  l'ame,  Santouno, 
De  tout  moun  senet  ! 

léu  l'ame!  iéu  l'amo, 
Coume  lou  valat 
Amo  de  coula, 
Coume  l'aucèu  flame 
Amo  de  vonla. 


i 


MIREILLE,  CHANT  X.  401 

Et  avec  des  pleurs  dans  ses  paupières,  —  contre 
les  dalles  de  la  chapelle,  —  que  le  gouffre  marin 
mouille  de  son  infiltration,  —  elle  frappa  sa  tête, 
infortunée  ! — et  sur  les  ailes  de  la  brise, — cependant, 
voici  comme  sa  prière  —  au  ciel  s'en  allait  en  sou- 
pirs: 


«  0  Saintes  Maries,— qui  pouvez  en  fleurs — chan- 
ger nos  larmes,  —  inclinez  vite  l'oreille  —  devers  ma 
douleur! 


<(  Quand  vous  verrez,  hélas  !  —  mon  tourment  — 
et  mon  souci,  —  vous  viendrez  de  mon  côté  —  avec 
pitié. 


«  Je  suis  une  jouvencelle  —  qui  aime  un  jouven- 
ceau,— le  beau  Vincent  !  —  Je  l'aime,  chères  Saintes, 
—  de  tout  mon  cœur.  . 


«  Je  l'aime  !  je  l'aime  —  comme  le  ruisseau  — 
aime  de  couler,  —  comme  l'oiseau  dru  —  aime  de 
voler. 


34. 


40?  MIRÈIO  CANT  X 

E  volon  qu'amosse 
Aquéu  fio  nourri 
Que  vôu  pas  mouri  ! 
E  volon  que  trosse 
L'amelié  flouri! 

0  Sànti  Mario, 
Que  poudès  en  flour 
Chanja  nôsti  plour, 
Clinas  lèu  Tauribo 
De-vers  ma  doulour  ! 

D'alin  siéu  vengudo 
Querre  eici  la  pas. 
NiCrau,ni  campas. 
Ni  maire  esmougudo 
Qu'arrèste  mi  pas  i 

E  la  souleiado, 
Emé  si  clavèu 
E  sis  arnavèu, 
La  sente,  à  raiado, 
Que  poun  moun  cervèu. 

Mai,  poudès  me  crèïTo  ! 
Dounas-me  Vincèn  ; 
E  gai  e  risènt, 
Vendren  vous  revèire 
Tôuti  dous  ensèn. 


MIREILLE,   CHAINT  X.  4(>o 

«  Et  l'on  veut  que  j'éteigne  —  ce  feu  nourri  —  qui 
ne  veut  pas  mourir  :  —  et  l'on  veut  que  je  torde  - 
l'amandier  fleuri  ! 


«  0  Saintes  Maries,  —  qui  pouvez  en  fleurs  — 
changer  nos  larmes,  —  inclinez  vite  l'oreille  — 
devers  ma  douleur  ! 


((  De  loin  je  suis  venue  —  chercher  ici  la  paix.  — 
Ni  Crau,  ni  landes,  —  ni  mère  émue  —  qui  arrête 
mes  pas  ! 


«  Et  du  soleil  qui  darde  —  ses  clous  —  et  ses 
épines,  —  je  sens  les  rayonnances  —  qui  poignen* 
mon  cerveau. 


«  Mais,  vous  pouvez  me  croire!  —  donnez-mi 
Vincent  ;  —  et  gais  et  souriants,  —  nous  viendrons 
vous  revoir  —  tous  deux  ensemble. 


404  MIRÈIO,  CANT  X. 

r/estras  de  mi  tempe 
Alor  calara  ; 
E  dôu  grand  ploura 
Moun  regard  qu'èi  trempe, 
De  gau  lusira. 

Moun  paire  s'oupauso 
A-n-aquel acord  : 
De  touca  soun  cor, 
Vous  èi  pau  de  causo, 
Bèlli  Santo  d'or  ! 

Emai  fugue  duro 
L'ôulivo,  lou  vent 
Que  boufo  is  Avènt, 
Pamens  l'amaduro 
Au  poun  que  counvèn. 

La  nèspo,  l'asperbo, 
Tant  aspro  au  culi 
Que  fan  tressali, 
Ta  proun  d'un  pau  d'erbo 
Pèr  li  remouli  ! 

0  Sànti  Mario, 
Que  poudès  en  flour 
(ilianja  nôsti  plour, 
Clinas  lèu  l'auriho 
De-vers  ma  doulour  ! 


MIREILLE,    f,n\NT  X.  405 

«  Le  déchirement  de  mes  tempes  —  alors  cessera  ; 
—  et  d'im  torrent  de  larmes  — nfion  regard  mainte- 
nant inondé,  —  luira  de  joie. 


«  Mon  père  s'oppose  —  à  cet  accord  :  —  de  tou- 
cher son  cœur, — ce  vous  est  peu  de  chose,  — belles 
Saintes  d'or  1 


«  Bien  que  dure  soit — l'olive,  le  vent — qui  souffle 
à  l'Avent,  —  néanmoins  la  mûrit  —  au  point  qui  con- 
vient. 


«  La  nèfle,  la  corme,  —  si  acerbes,  quand  on  les 
cueille,  —  qu'elles  font  tressaillir,  —  c'est  assez  d'un 
peu  d'herbe  —  pour  les  ramollir^*  ' 


«  0  Saintes  Maries,—  qui  pouvez  en  fleurs —  chan- 
ger nos  larmes,  —  inchnez  vite  l'oreille  —  devers  ma 
douleur  î 


406  MIRÈIO,   CAIfT  X. 


Ai  de  farfantello? 
Qu'es?...  lou  paradis? 
La  glèiso  grandis. 
Un  baren  d'eslello 
Amount  s'espandisi 

0  iéu  benurouso ! 
Li  Santo,  moun  Dieu! 
Dins  l'èr  sènso  niéu 
Davalon,  courouso, 
Davalon  vers  iéu!.., 

0  bèlli  patrouno, 
Èivous,  bèn  verai!.., 
Escoundès  li  rai 
De  vôsti  courouno, 
0  iéu  mourirai  ! 

Vosto  vouesm'apello?... 
Que  noun  vous  neblas, 
Que  mis  iue  soun  las  ! ... 
Mounte  es  la  capello? 
Santo!...  me  parlas?... 


MIREILLE,  CHANT  X.  407 


«  Ai-je  des  éblouissements?  —  Qu'est-ce?.  .  le 
Paradis?  —  L'église  grandit,  —  un  gouffre  d'étoiles 
—  là-haut  se  répand! 


«  0  moi  bienheureuse!  —  les  Saintes,  mon  Dieu! 
—  dans  l'air  sans  nuage  —  descendent,  radieuses,  — 
descendent  vers  moi  ! 


«  0  belles  patronnes,  —  c'est  vous,  réellement  !.. . 
—  Cachez  les  rayons  —  de  vos  couronnes,  —  ou 
moi  je  mourrai! 


«  Votre  voix  m'appelle?...  —  Que  ne  vous  voi- 
lez-vous d'un  nuage,  —  car  mes  yeux  sont  las!... 
—  Où  est  la  chapelle  ?  —  Saintes  ! . . .  vous  me  par- 
lez?... 


408  MIRÈIO,  GANT   X. 

E  diiis  l'estàsi  que  l'emporto, 

Desaleiiado,  mita  morlo, 
Mirèio,  d'à-geinoun,  èro  aqui  sus  li  bard, 

Li  bras  en  l'èr,  la  tèsto  à  rèire; 

E  dins  li  porto  de  Sant-Pèire, 

Sis  lue  fissa  pareissien  vèire 
L'autre  mounde,  à  travès  la  teleto  de  car. 

A  si  bouqueto  que  soun  mudo  ; 

Sa  caro  bello  se  tremudo, 
E  soun  amo  e  souu  cors  dins  la  countemplacioun 

Nadon  estabousi  :  dins  l'Aubo 

Que  cencho  d'or  lou  front  dis  aubo, 

Palis  de  même  e  se  desraubo 
Lou  lume  que  vihavo  un  ome  en  perdiciouu 

Très  femo  de  bèuta  divino, 

Pèr  un  draiôu  d'estello  fino, 
Davalavon  d'amount;  e  coume,  au  jour  levant, 

Un  escabot  se  destroupello, 

Lis  aut  pieloun  de  la  capello 

Emé  l'arcèu  que  l'encapello, 
Pèr  ie  durbi  camin,  se  garavon  davan. 

E,  dins  l'èr  linde,  blanquinouso, 

Li  très  Mario  luminouso 
Davalavon  d'amount  :  uno,  contro  soun  sen, 

Tenié  sarra  'n  vas  d'alabastre  ; 

E,  dins  U  niue  sereno,  l'astre 

Que  douçameii  fai  lume  i  pastre, 
Pôu  retraire  soulet  soun  front  paradisen  \ 


M[REILLE,    CHANT   X.  409 

Et  dans  l'extase  qui  l'emporte,  —  haletante, 
morte  à  demi,  — Mireille,  à  genoux,  était  là  sur  les 
dalles,  —  les  bras  en  l'air,  la  tète  en  arrière  ;  —  et 
dans  les  portes  de  Saint-Pierre,  —  ses  yeux  fixés  pa- 
raissaient voir  —  l'autre  monde,  à  travers  le  voile  de 
chair. 


Elle  a  ses  lèvres  muettes  ;  — -  son  beau  visage  se 
transfigure,  —  et  son  âme  et  son  corps  dans  la  con- 
templation —  nagent,  ravis  :  dans  l'Aurore  —  qui 
couronne  d'or  le  front  des  peupliers  blancs,  —  ainsi 
pâlit  et  se  dérobe  —  la  lampe  qui  veillait  un  homme 
enper'^Uion. 


Trois  femmes  de  beauté  divine,  —  par  un  sentier 
de  fines  étoiles,  —  descendaient  du  ciel;  et  comme, 
au  lever  du  jour,  —  un  troupeau  se  dispersa,  —  les 
hauts  piliers  de  la  chapelle  —  avec  l'arceau  qui  en 
soutient  la  voûte,  —  pour  leur  ouvrir  chemin,  s'écan- 
talent  devant  (elles). 


Et,  blanches  dans  l'air  limpide,  —  les  trois  Maries 
lumineuses  —  descendaient  du  ciel  :  l'une,  contre 
son  sein,  — tenait  serré  un  vase  d'albâtre  ;  —  et,  dans 
les  nuits  sereines,  l'astre  —  qui  doucement  éclaire 
les  bergers,  —  peut  seul  rappeler  son  îr ont  para- 
disien. 


S5 


4tO  MIREIO,    GA.NT  X. 

1  jo  de  l'auro,  la  segoundo 
Laisso  ana  si  treneto  bloundo, 

E  cairiino,  moudèsto,  un  rampau  à  la  mani 
La  tresenco,  jouineto  encaro, 
De  sa  blanco  mantiho  claro 
Escoundié  'n  pau  sa  bruno  caro, 

E  si  nègre  vistoun  lusien  mai  que  diamant. 

Vers  la  doulènto  quand  fuguèron. 
En  dessus  d'elo  setenguèron, 

Inmoubilo,e'm'acô  ie  parlavon.  Tant  dous 
E  clarinèu  èro  soun  dire, 
E  tant  afable  soun  sourrire, 
Que  lis  espino  dôu  martire 

Flourissien  dins  Mirèio  en  soûlas  aboundous. 


Assolo-te,  pauro  Mirèio  : 

Sian  il  Mario  de  Judèio  ! 
Assolo-te,  fasien,  sian  li  Santo  di  Baus  ! 

Âssolo-te  !  sian  li  patrouno 

De  la  barqueto,  qu'envirouno 

Lou  trigos  de  la  mar  furouno, 
E  la  mar,  quand  nous  vèi,  retoumbo  lèu  à  pausî 


MIREILLE,    CHANT  X.  4H 

Aux  jeux  du  vent,  la  seconde  —  laisse  aller  ses 
blondes  tresses,  —  et  chemine,  modeste,  une  palme 
à  la  main  ;  —  la  troisième,  jeunette  encore,  —  de  sa 
blanche  mantille  claire  —  cachait  un  peu  son  brun 
visage,  —  et  ses  noires  prunelles  luisaient  plus  que 
diamant. 


Vers  la  dolente  quand  elles  furent,  —  au-dessus 
d'elle  elles  se  tinrent,  —  immobiles,  et  elles  lui 
parlaient.  Si  doux  —  et  clair  était  leur  dire,  —  et 
leur  sourire  si  affable,  —  que  les  épines  du  mar- 
tyre —  fleurissaient  dans  Mireille  en  charmes  abon- 
dants. 


—  «  Console-toi,  pauvre  Mireille  :  —nous  sommes 
les  Maries  de  Judée  !  —  Console-toi,  disaient-elles, 
nous  sommes  les  Saintes  des  Baux  !  —  Console-toi, 
nous  sommes  les  patronnes  —  de  l'esquif  qu'entoure 
—  le  fracas  de  la  mer  furieuse,  — et  la  mer,  à  notre 
aspect,  retombe  vite  au  calme. 


412  MIRÈIO,   CANT   X. 

Mai,  que  la  visto  amount  s'estaque! 
Veses  lou  camin  de  Sant  Jaque? 

Adèsi'eriaii  ensôn,  alin  de  l'autre  bout; 
Regardavian,  dins  lis  estello, 
Li  proucessioun  que  van,  fidèlo, 
En  roumavage  à  Coumpouslello 

Prega,  sus  soun  toumbèu,  noste  fiéu  e  nebout. 

E  'scoutavian  li  lelanio.... 

E  lou  murmur  di  fountaniho, 
Lou  balans  di  campano,  e  lou  déclin  dôu  jour, 

E  li  roumiéu  pèr  la  campagno, 

Tout  rendié  glôri,  de  coumpagno, 

A  l'Apoustôli  de  l'Espagno, 
Noste  fiéu  e  nebout,  Sant  Jaque  lou  Majour. 

E,  benurouso  de  la  glôri 

Que  remountavo  à  sa  memôri. 
Sus  lou  front  di  roumiéu  mandavian  lou  bagnun 

Dôu  serenau,  ededins  l'amo 

le  vejavianjoio  e  calamo. 

Pougnènt  coume  de  jit  de  flamo, 
Es  alor  que  vers  nautre  an  mounta  ti  plagnun. 

0  chatouno,  ta  fe  's  di  grando  ; 

Mai,  que  nous  peson  ti  demando  ! 
Vos  béure,  dessenado,  i  font  de  l'amour  pur  ' 

Dessenado,  avans  qu'èstre  morto, 

Vos  assaja  la  vido  forto 

Que  dins  Dieu  même  nous  tresporto  ! 
Dempièi  quouro  as  avau  rescounira  lou  bonur? 


i 


MIREILLE,  CHANT  X.  415 

«  Mais  que  ta  vue  là-haut  s'attache!  — Vois-tu  le 
chemin  de  Saint-Jacques?  —  Tantôt  nous  y  étions  en- 
semble, là-bas  à  l'autre  extrémité;  —  nous  regar- 
dions, dans  les  étoiles,  —  les  processions  fidèles  qui 
vont  —  en  pèlerinage  à  Compostelle,  —  prier,  sur 
son  tombeau,  notre  fils  et  neveu. 


«  Et  nous  écoutions  les  litanies... — Et  le  murmure 
des  fontaines,  —  le  branle  des  cloches,  et  le  déclin 
du  jour,  —  et  les  pèlerins  par  les  champs,  —  tout 
rendait  gloire,  de  concert,  —  à  l'Apôtre  de  l'Es- 
pagne, —  notre  fils  et  neveu,  Saint-Jacques  le 
Majeur. 


«  Et,  bienheureuses  de  la  gloire  —  qui  remontait  à 
son  souvenir,  —  sur  le  front  des  pèlerins  nous  épan- 
dions  la  rosée  —  du  serein,  et  dans  leur  âme  —  nous 
versions  joie  et  calme.  —  Poignantes  comme  des  jets 
de  flamme,  —  c'est  alors  que  vers  nous  ont  monté 
ses  plaintes. 


0  0  jeune  fille,  ta  foi  est  des  grandes  ;  —  mais  que 
tes  demandes  nous  pèsent  !  —  Tu  veux  boire,  insen- 
sée, aux  fontaines  de  l'amour  pur;— insensée,  avant 
la  mort,  —  tu  veux  essayer  la  forte  vie  —  qui  en 
Dieu  lui-même  nous  transporte  !  —  Depuis  quand  as- 
tu  là-bas  rencontré  le  bonheur? 


Sa. 


414  MIRËIO,  CANT  X. 

L'as  \ist  dins  l'ome  riche?  Goiinfle, 
Estalouira  dins  soun  triounfle, 

Nègo  Dieu  dins  soun  cor  e  tèn  tout  lou  camin  ; 
Mai,  quand  es  plen,  toumbo  l'iruge; 
E  que  fara  de  soun  gounfluge, 
Quand  se  veira  davans  lou  Juge 

Que  dins  Jerusalèn  intravo  su  'n  saumin? 

L'as  vist  au  front  de  lajacudo, 

Quand  de  soun  la,  touto  esmougudo, 
Porge  lou  proumié  rai  à  soun  enfantounet? 

l'a  proun  d'uno  malo  tetado  ; 

E,  sus  la  brèsso  descatado, 

Regardo-la,  despoutentado, 
Que  poutounejo  mort  soun  paure  pichounet  ' 

L'as  vist  au  front  de  la  nouvieto, 
Quand,  plan-planet,  dins  la  draieto 

Caminavo  à  la  glèiso  emé  soun  nôvi?...  Vai, 
Pèr  lou  parèu  que  lou  chaupino, 
Aquéu  draiôu  a  mai  d'espino 
Que  lagrenas  delà  champino, 

Car  tout  n'es  eilavau  qu'esprovo  e  long  travail 

E  'ilavau  l'oundo  la  pu  claro, 
Quand  l'as  begudo,  vèn  amaro; 

Eilavau  nais  lou  verme  emé  lou  fru  nouvèu, 
E  tout  degruno,  e  tout  se  gasto... 
As  bèu  chausi  sus  la  banasto  : 
L'arange,  tant  dons  à  la  tasto, 

A  la  longo  dôu  tèms  vendra  coume  de  fèu  ! 


MIREILLE,    CHANT   X.  415 

«  L'as-tu  VU  dans  l'homme  riche?  Bouffi,  —  cou- 
ché nonchalamment  dans  son  triomphe,  — il  nie  Dieu 
dans  son  cœur  et  tient  tout  le  chemin  ;  —  mais  la 
sangsue,  quand  elle  est  pleine,  tombe...  —  Et  que 
iera-t-il  de  sa  bouffissure,  —  lorsqu'il  se  verra  de- 
vant le  Juge  —  qui  dans  Jérusalem  entrait  sur  un 
ânon? 

«  L'as-tu  vu  au  front  de  l'accouchée,  —  quand  de 
son  lait,  tout  émue,  —  elle  tend  le  premier  jet  à  son 
j)etit  enfant? — C'est  assez  d'un  trait  de  mauvais  lait; 
—  et,  sur  le  berceau  découvert,  —  regarde-la,  ne 
se  possédant  plus,  —  qui  couvre  de  baisers  son  pau- 
vre petit,  mort  ! 


«  L'as-tu  vu  au  front  de  la  fiancée,  —  lorsqu'à  pas 
lents,  dans  le  sentier,  —  elle  cheminait  à  l'église, 
avec  son  fiancé?.. .  Va,  ~  pour  le  couple  qui  le  foule, 
—  ce  sentier-là  a  plus  d'épines  —  que  le  pruneher 
de  la  lande,  —  car  tout  n'est  là-bas  qu'épreuves  et 
long  labeur  ! 


«  Et  là-bas  la  plus  claire  des  ondes,  —  quand  lu 
l'as  bue,  devient  amère  ;  —  là-bas  naît  le  ver  avec  le 
fruit  nouveau,  — et  tout  tombe  en  ruine,  et  tout  en 
corruption...  —  En  vain  choisis-tu  sur  la  corbeille  : 
—  l'orange,  si  douce  au  goût, —  à  la  longue  du  temps 
deviendra  comme  du  fiel. 


4i6  MIRÈIO,   CANT  X. 

E  tau,  te  sèmblo  que  respiron, 
Dins  voste  mounde,  que  souspiroii  !... 

Mai  quau  sara  'nvejous  de  heure  à-n-un  sourgènt 
Que  noun  s'agote  e  se  courroumpe, 
En  soufrissènt,  que  se  lou  croumpe! 
Fau  que  la  pèiro  en  tros  se  roumpe, 

Se  voulès  n'en  tira  la  paiolo  d'argent. 

Urous  adounc  quau  pren  li  peno, 

E  quau  en  bèn  fasènt  s'abeno  ; 
E  quau  plouro,  en  vesènt  ploura  lis  autre  ;  e  quau 

Trai  lou  mantèu  de  sis  espalo 

Sus  la  pauriho  nuso  e  palo  ; 

E  quau  'mé  l'umble  se  rebalo, 
E  pèr  l'afrejouli  fai  lampa  soun  fougau  ' 

E  lou  grand  mot  que  l'orne  ôublido, 
Veleici  :  La  mort  es  la  vido  ! 
E  li  simple,  e  li  bon,  e  li  dous,  benura  ! 
Emé  l'aflat  d'un  vèlît  sutile, 
Amount  s'envoularan  tranquile, 
E  quitaran,  blanc  coume  d'ile. 

Un  mounde  ounte  li  Sant  soun  de-longo  aqueira  ! 

I 

Tambèn,  oh  !  se  vesiés,  Mirèio, 

Pereiçamount  del'empirèio, 
Coumé  voste  univers  nous  parèis  marridoun, 

E  folo,  e  pleno  de  misèri 

Vôstis  ardour  pèr  la  matèri, 

E  vôsti  pôu  dôu  çamentèri  ! 
0  pauro  !  belariés  la  mort  e  lou  perdoun  ! 


MIREILLE,   CHANT  X.  417 

«  El  tels  te  semblent  respirer, —  dans  votre  monde, 
qiii  soupirent  ! . . .  —  Mais  qui  sera  désireux  de  boire 
à  une  source  —  intarissable,  incorruptible ,  —  en 
souffrant,  qu'il  se  l'achète!  —  Elle  doit,  la  pierre,  en 
morceaux  être  brisée,  —  si  l'on  veut  en  extraire  la 
paillette  d'argent. 


«  Heureux  donc  qui  prend  les  peines,  —  et  qui  en 
faisant  lebiensépuise;  —  et  qui  pleure,  en  voyant 
pleurer  les  autres  ;  et  qui  —  jette  le  manteau  de  ses 
épaules  —  sur  la  pauvreté  nue  et  pâle  ;  —  et  qui 
avec  l'humble  s'abaisse,  —  et  pour  celui  qui  a  froid 
fait  briller  son  foyer  ! 


«  Et  le  grand  mot  que  l'homme  oublie, — le  voici  : 
La  mort,  c'est  la  vie!  —  Et  les  simples,  et  les  bons, 
et  les  doux,  bienlieureux  !  —  A  la  faveur  d'un  vent 
subtil,  —  au  ciel  ils  s'envoleront  tranquilles,  —  et 
quitteront,  blancs  comme  des  lis,  —  un  monde  où 
les  Saints  sont  continuellement  lapidés  ! 


(f  Aussi,  oh!  situ  voyais,  Mireille,  —  des  suprê- 
mes hauteurs  de  l'empyrée,  —  combien  votre  uni- 
vers nous  paraît  souffreteux,  —  et  folles  et  miséra- 
bles, —  vos  ardeurs  pour  la  matière  —  et  vos  peurs 
du  cimetière!  —  ô  infortunée!  tu  bêlerais  la  mort  et 
le  pardon  ! 


-ils  MIRÈIO     C\ST  X 

Mai,  de  davans  que  loii  bla  'spijsfiie, 
En  terro  fau  que  rebouligue  ! 

Es  la  lèi...  Emai  nautre,  avans  d'avé  de  rai, 
Avèn  begu  l'aigre  abéurage  ; 
E  pèr  enfin  que  toun  courage 
Prengue  d'alen,  de  noste  viage 

Voulèn  te  recounta  lis  àrsi  e  lis  esfrai. 

E  se  teisèron  li  très  Santo. 

E  lis  oundado  caressante, 
Pèr  escouta.  courrien  de-long  dôu  ribeirés, 

A  troupelado.  Li  pinedo 

Faguèron  signe  à  la  vernedo  ; 

E  li  gabian  e  lis  anedo 
Veguèron  s'amata  l'inmènse  Vacarés. 

E  lou  souléu  emé  la  luno, 

Dins  la  liuenchour  que  s'empaluno, 

Adourèron,  clinant  si  frountas  cremesin  ; 
E  la  Camargo  salabrouso 
Trel'ouliguè  î . . .  Li  Benurouso, 
Pèr  donna  voio  à  l'amourouso. 

Au  bout  d'un  moumenet  coumencèron  ansm 


t 


MIREILLE,    CHANT   X.  419 

«  Mais  avant  que  le  blé  monte  en  épis,  —  dans  la 
terre  il  faut  qu'il  fermente  !  —  C'est  la  loi. . .  Et  nous 
aussi,  avant  d'avoir  des  rayons, — avons  bu  l'aigre 
breuvage  ;  —  et  afin  que  ton  courage  —  prenne  ha- 
leine, de  notre  voyage  —  nous  voulons  te  raconter  les 
tribulations  et  les  effrois.  » 


Et  les  trois  Saintes  se  turent.  —  Et  les  vagues  ca- 
ressantes, —  pour  écouter,  couraient  le  long  du  ri- 
vage, —  à  troupeaux.  Les  bois  de  pins  —  firent  signe 
à  l'aunaie  ;  —  et  les  goélands  et  les  sarcelles —  virent 
l'immense  Vaccarés  abattre  (ses  flots)  *^ 


Et  le  soleil  et  la  lune, — dans  le  lointain  des  maré- 
cages, —  adorèrent,  inclinant  leurs  larges  fronts 
cramoisis  ;  —  et  la  Camargue  imprégnée  de  sel  — 
tressaillit  !...  Les  Bienheureuses, —  pour  donner  des 
forces  à  l'amanle ,  —  au  bout  d'un  petit  moment 
commencèrent  ainsi  : 


NOTES 


DU  CHANT  DIXIÈME. 


Vence  [Vènço],  petite  ville  du  département  du  Var,  du  côté 
d'Antibes,  ancien  évêché-  —  Burençolo.  On  donne  ce  nom  aux  di- 
vers canaux  dérivés  de. la  Durance  —  Valensole,  petite  ville  des 
Basses- Alpes. 

De  soleil  en  soleil  et  de  vent  en  vent  [de  soulèu  en  soulèu  e 
d'auro  en  aura],  locution  usuelle  en  Provence  pour  dire  :  Du  le- 
vant au  couchant,  du  nord  au  midi 

5  Tamaris  [tamarisso],  tamarix  gallica,  Lin.  —  Salicorne  [enga- 
110],  salicornia  fruticosa,  Lin.  —  Arroche-pourpier  [fraumo],  alri- 
plexpoiiulacoïdes,  Lin.  —  Soude  (sÔMdo),  salsola  soda,  Lin.,  végé- 
taux communs  dans  la  Camargue. 

*  Cambet.  Ce  nom  désigne  plusieurs  oiseaux  de  l'ordre  des  éclias- 
siers,  principalement  le  petit  Chevalier  aux  pieds  rouges  [tringa 
gambetta,  Lin.),  et  le  grand  Chevalier  aux  pieds  rouges  [scolopax 
calidrix,  Lin.). 

5  Bihoreau  [galejoun),  nrdea  nyctieorax,  Lin,  oiseau  de  l'ordre 
des  échassiers,  qu'où  apuellc  aussi  moua. 


NOTES    DU  CHANT  X  421 

*  ....  Ces  campanules  qui,  au  rivage  de  la  mer,  élalent  en  été 
eur  blancheur. 

L'auteur  a  voulu  parler  ici  de  la  belle  fleur. qu'on  nomme  en 
provençal  ile  de  mar  [pancratium  maritimum,  Lin.). 

'  Phyllirea  (daladèr,  du  latiu  alaternus) ,  phyllirea  latifoUa, 
Lin.,  grand  arbrisseau  de  la  famille  des  jasrainées. 

*  Le  Fantastique  (ZoM  Fantasti],  autrement  nommé  Esprit  fan- 
tasti,  follet,  lutin  dont  l'action  se  manifeste  par  des  espiègleries. 
(Pour  plus  de  détails  sur  cette  croyance  populaire,  voyez  Chant  YI, 
strophes  41  et  suir.) 

8  Sansouire   [sansouiro],   vastes  espaces  stérilisés  et  couvert 
d'efflorescences  salines  par  le  voisinage  et  l'infiltration  de  la  mer 
*"  Morven  [mourven),  genévrier  de  Phénicie 
"  C'est  assez  d'un  peu  d'herbe  pour  les  ramollir. 
Ou  fait  mûrir  et  ramollir  sur  de  la  paille  les  nèfles  et  les 
cormes. 
*•  La  Yaccarés  {Vacarés).  Yoyez  Chant  lY,  note  10. 


GANT  VOUNGEN 

LI   SÂlNTO 


Li  Sànti  Mario  raconton,  qu'après  la  mort  dôu  Clrist,  fuguêron  em- 
bandido,  emé  d'àutri  disciple,  à  la  bello  eisservo  de  la  rnar,  e 
qu'abourdèron  en  Prouvènço,  e  que  counvertiguèron  li  pople 
d'aquelo  encountrado.  —  La  navigacioun.  —  La  tempésto.  —  Arri- 
bado  à-n-Arle  di  sant  despatria.  —  Arle  rouraan.  —  La  fèsto  de 
Venus.  —  Sermoun  de  sant  Trefume.  —  Counversioun  dis  Arlaten. 
—  Li  Tarascounen  vènon  imploura  lou  secours  de  Santo  Marto.  — 
La  Tarasco.  —  Sant  Marciau  à  Limoge  ;  Sant  Savournin  à  Toulouse; 
SantEstrôpi  en  Aurenjo.  —  Santo  Marto  doumlo  la  Tarasco,  e  pièi 
counvertis  Avignoun.  —  La  papauta  en  Avignoun.  —  Sant  Lazàri  à 
Marsiho.  —  Santo  Madaleno  dins  la  baumo.  —  Sant  Massemin  à- 
z-Ais.  —  Li  Sànti  Mario  i  Baus.  —  Lou  rèi  Reinié.  —  La  Prouvêni;© 
unido  à  la  Franco.  —  Mirèio,  vierge  e  martiro. 


L'aubre  de  la  crous,  o  Mirèio, 
Sus  la  mountagno  de  Judèio 

Ëro  encaro  planta  :  die  sus  Jerusalèn, 
E  dôu  sang  de  Dieu  encaro  ime, 
Gridavo  à  la  ciéuta  dôu  crinrie, 
Endourmido  avau  dins  l'abime  : 

Que  n'as  fa,  que  n'as  fa  dôu  rèi  de  Betelèn? 

E  di  carriero  àpasimado 
Mountavon  plus  li  grand  bramado  ; 

Lou  Cedroun  tout  soulet  gingoulavo  eilalin  ; 
E  lou  Jourdan,  de  languiludo, 
S'anavo  escoundre  i  soulitudo, 
Pèr  desgounfla  si  plagnitudo 

A  l'oumbro  di  rastencle  e  di  verd  patelin. 


CHANT  ONZIÈME 

LES   SAINTES 


Les  Saintes  Maries  racontent  comment,  après  la  mort  du  Christ, 
ayant  été  livrées  à  la  merci  des  flots  avec  plusieurs  autres  dis- 
ciples, elles  abordèrent  en  Provence,  et  convertirent  les  peuple:» 
de  cette  contrée.  —  La  navigation.  —  La  tempête.  —  Arrivée  des 
Saints  proscrits  à  Arles.  — ^  Arles  romaine.  —  La  fête  de  Vénus. 
—  Discours  de  saint  Trophime.  —  Conversion  des  Arlésiens.  —  Les 
Tarasconais  viennent  implorer  le  secours  de  Sainte  Marthe.  —  La 
Tarasque.  —  Saint  Martial  à  Limoges;  Saint  Satuinin  à  Toulouse, 
Saint  Eutrope  à  Orange. —  Sainte  Marthe  dompte  la  Tarasque,  et 
ensuite  convertit  Avignon.  —  La  papauté  à  Avignon.  —  Saint  La- 
zare à  Marseille  ;  Sainte  Magdeleine  dans  la  grotte  ;  Saint  Maximin 
k  Aix  ;  les  Saintes  Maries  aux  Baux.  —  Le  roi  René.  —  La  Provence 
tnie  à  la  France.  —  Mireille,  vierge  et  martyre. 


«  L'arbre  de  la  croix,  ô  Mireille,  —  sur  la  monta- 
gne de  Judée  —  était  encore  planté  :  debout  sur  Jé- 
rusalem, —  et  du  sang  de  Dieu  encore  humide,  — il 
criait  à  la  cité  du  crime,  —  endormie  là-bas  dans  l'a- 
bîme :  —  «  Qu'en  as-tu  fait,  qu'en  as-tu  fait,  du  roi 
de  Bethléem  ?  » 


n  Et  des  rues  apaisées  —  ne  montaient  plus  les 
grandes  clameurs.  —  LeCédron  seul  se  lamentait  au 
loin;  —  et  le  Jourdain,  mélancolique,  —  allait  se 
cacher  aux  solitudes,  —  pour  dégonfler  ses  plaintes, 
—  à  l'ombre  des  lentisques  et  des  verts  térébinthes. 


424  MIRÈIO,  CAIST  XI. 

E  iou  paure  pople  èro  triste, 

Car  vesiébèn  qu'èro  soun  Criste, 
Aqiiéu  que  de  la  toumbo  aussant  Iou  curbecèu, 

A  si  coumpagno,  à  si  cresèire, 

Ero  tourna  se  faire  vèire, 

E  pièi,  laissant  li  clauà  Pèire, 
S' ère  coume  un  eigloun  enaura  dins  Iou  oèu  ! 

Ah  !  Iou  plagnien,  dms  la  Judèio, 

Lou  bèu  fustié  de  Galilèio  ! 
Lou  fustié  di  peu  blound  qu'amanôissié  li  cor 

Emé  lou  mèu  di  parabole, 

E  qu'à  bel  èime  sus  li  colo 

Li  nourrissié  'mé  de  caudolo, 
E  toucavo  si  ladre,  e  revenié  si  mort 

Mai  li  dôutour,  li  rèi,  li  pièire, 

Touto  la  chourmo  di  vendèire 
Que  de  soun  temple  sant  lou  mèstre  vie  cassa  : 

—  Quau  poudra  teni  la  pauriho, 

Se  murmurèron  à  l'auriho, 

Se  dins  Sioun  e  Samario, 
Lou  lume  de  la  Crous nèi  pas  lèu  amoussa? 

Âlor  li  ràbi  s'encagnèron, 

E  li  martire  temounièron  : 
Alor  l'un,  coume  Estève,  èro  aqueiratout  viéu, 

Jaque  espiravo  pèr  l'espaso. 

D'autre,  engrana  souto  uno  graso!... 

Mai  sout  lou  ferre  o  dins  la  braso, 
Tout  cridavo  en  mourènt  :  0,  Jesu  's  Fiéu  de  Dieu! 


MIREILLE,  CHANT    XI.  425 

«  Et  le  pauvre  peuple  était  triste,  — •  car  il  voyait 
bien  que  celui-là  était  son  Christ,  —  qui  de  la  tombe 
haussant  le  couvercle,  —  à  ses  compagnons,  à  ses 
disciples, —  était  revenu  se  montrer, —  et  puis,  lais- 
sant les  clefs  à  Pierre,—  s'était  comme  un  aiglon  en- 
levé dans  le  ciel  ! 


«  Ah!  on  le  plaignait,  dans  la  Judée,  —  le  beau 
charpentier  Galiléen,  —  le  charpentier  aux  cheveux 
blonds  qui  apprivoisait  les  cœurs  —  avec  le  miel  des 
paraboles,  —  et  qui  avec  largesse  sur  les  collines  — 
nourrissait  la  foule  de  pain  azyme,  —  et  touchait  ses 
lépreux,  et  ressuscitait  ses  morts  ! 


«  Mais  les  docteurs,  les  rois,  les  prêtres,  —  la 
horde  entière  des  vendeurs  —  que  de  son  temple 
saint  le  Maître  avait  chassés  :  —  «  Qui  retiendra  la 
multitude,  —  se  murmurèrent-ils  à  l'oreille,  —  si 
dans  Sion  et  Samarie  —  la  lumière  de  la  Croix  n'est 
promptement  éteinte?  » 


«  Alors  les  rages  s'irritèrent,  —  et  les  martyrs  té- 
moignèrent;—  alors  l'un,  tel  qu'Etienne,  était  lapidé 
vif,  —  Jacques  expirait  par  l'épée,  — d'autres,  écra- 
sés sous  un  bloc  de  pierre  ! . . .  —  Mais  sous  le  fer  ou 
dans  la  braise,  —  tout  criait  en  mourant  :  «  Oui, 
Jésus  est  Fils  de  Dieu  !  » 


36. 


420  MIRÈIO.   GANT  Xt 

Nautre,  li  sorre  emé  li  fraire. 

Que  lou  seguian  pèr  tout  terraire, 
Sus  uno  ratamalo,  i  furour  de  la  mar, 

E  sènso  veloe  sènso  remo, 

Fuguerian  embandi.  Li  femo, 

Toumbavian  un  riéu  de  lagremo  ; 
Lis  ome  vers  lou  cèu  pourtavon  soun  regard. 

Déjà,  déjà  vesèn  s'encourre 

Ouliveto,  palais  e  tourre  ; 
Vesèn  de  l'aut  Carmel  li  serre  e  lis  estras, 

Qu'aperalin  fasien  la  gibo. 

Tout-d'un-cop  un  crid  nous  arribo  : 

Nous  reviran,  e  sus  la  ribo 
Vesèn  uno  chatouno.  Aubouravo  si  bras; 

En  nous  cridant,  touto  afougado  : 

—  Oh  !  menas-me  dins  la  barcado, 
Mestresso,  menas-me!  Pèr  Jesu,  iéuperéu, 

Vole  mouri  de  mort  amaro  ! 

Èro  nosto  servènto  Saro  ; 

E  dins  lou  cèu  la  veses  arc 
Que  lou  front  ie  lusis  coume  uno  aubo  d'Abréu. 

Liuen  d'aqui  l'Anguieloun  nous  tire  ; 
Mai  Salomé,  que  Dieu  enspiro, 

Is  erso  de  la  mar  a  jita  sounveîet.,, 
0  pouderouso  fe  ! , . .  sus  l'oundo 
Que  sautoulrejo,  bluio  e  bfoundo, 
La  chato,  que  noun  se  prefoundo, 

Venguè  dôu  ribeirés  à  noste  veisselet  ; 


MIREILLE,    CflANT  XI.  ^^21 

«  Nous,  les  sœurs  et  les  frères  —  qui  le  suivions 
par  tout  pays,  —  sur  un  méchant  navire,  aux  fureurs 
de  la  mer,  —  sans  voiles  et  sans  rames,  —  fûmes 
chassés.  Les  femmes,  —  nous  versions  un  ruisseau 
de  larmes  ;  —  les  hommes  vers  le  ciel  portaient  leur 
roofard. 


«  Déjà,  déjà  nous  voyons  fuir  — bois  d'oliviers, 
palais  et  tours  ;  —  nous  voyons  du  haut  Carmel  les 
crêtes  et  les  déchirures  —  au  lointain  bossuer  (l'ho- 
rizon). —  Tout  à  coup  un  cri  nous  arrive...  —  nous 
nous  retournons,  et  sur  la  plage,  — nous  voyons  une 
jeune  fille.  Elle  élevait  ses  bras. 


«  En  nous  criant,  tout  ardente  :  —  «  Oh!  emme- 
nez-moi dans  la  batelée,  —  maîtresses,  emmenez- 
moi!  Pour  Jésus  moi  aussi  —  je  veux  mourir  de 
mort  amére!  »  —  C'était  notre  servante  Sara;  —  et 
dans  le  ciel  tu  la  vois  maintenant —  avec  une  auréole 
comme  une  aube  d'avril. 


r.  Loin  de  là  l'Aquilon  nous  entraîne.  —  Mais  Sa- 
lomé,  que  Dieu  inspire, — aux  vagues  de  la  mer  a  jeté 
son  voile.  —  0  puissante  foi  !.. .  sur  l'onde  —  qui 
sautille,  blonde  et  bleue,  —  la  jeune  fille,  sans  s'en- 
gloutir j  —  vint  du  rivage  à  notre  vaisseau  frêle; 


■428  MIRÈIO,  GANT  XI. 

E  rAnguieloim  la  campejavo, 
E  loii  volet  la  carrejavo. 

Painens,  quand  dins  la  fousco  eilalin  veguerian 
Cimo  à  cha  cimo  desparèisse 
Lou  dous  païs,  e  la  mar  crèisse, 
Fau  l'esprouva  pèr  lou  counèisse 

Lou  langui  segrenous  qu'alor  sentiguerian  ! 

Adieu!  adieu,  terro  sacrado! 

Adieu!  Judèio  mal  astrado,        ^ 
Que  coussaies  ti  juste  e  clavelles  toun  Dieu  ! 

Aro,  ti  vigno  emé  ti  dàti 

Di  rous  leioun  saran  lou  pâti, 

E  ti  muraio,  lou  recàti 
Di  serpatas  ! . . .  Adieu,  patrio,  adieu,  adieu  I 

Uno  ventado  tempestouso 
.Sus  la  marino  sôuvertouso 
Couchavo  lou  batèu  :  Marciau  e  Savournin 

Soun  ageinouia  sus  la  poupo  ; 

Apensamenti,  dins  sa  roupo 

Lou  vièi  Trefume  s'agouloupo  ; 
Contre  eu  èro  asseta  l'evesque  Massemin. 

Dre  sus  lou  tèume,  aquéu  Lazàri 

Que  de  la  toumbo  e  dôu  susàri 
Avié  'ncaro  garda  la  mourtalo  palour, 

Sèmblo  afrounta  lou  gourg  que  reno; 

Em'  eu  la  nau  perdudo  enmeno 

Marto  sa  sorrc,  e  Madaleno, 
Couchado  en  un  cantoun,  que  plouro  sa  doulour. 


MIREILLE,  CHANT  XI.  429 

«  Et  l'Aquilon  la  poussait,  —  et  le  voile  la  portait. 
—  Lorsque,  pourtant,  dans  la  brume  éloignée  nous 
vîmes,  —  cime  à  cime,  disparaître  —  le  doux  pays, 
et  la  mer  croître,  —  il  faut  l'éprouver  pour  la  con- 
naître, —  la  nostalgie  profonde  qu'alors  nous  ressen- 
tîmes ! 


(T  Adieu!  adieu,  terre  sacrée!  — Adieu,  Judée  vouée 
au  malheur,  —  qui  pourchasses  tes  justes  et  cruci- 
fies ton  Dieu  !  —  Maintenant  tes  vignes  et  tes  dattes — 
des  fauves  lions  seront  le  pâturage,  —  et  tes  mu- 
railles, le  repaire  —  des  hideux  serpents  !...  Adieu, 
patrie  !  adieu,  adieu  !  » 


f  Un  coup  de  vent  tempétueux — sur  la  mer  er- 
frayante  —  chassait  le  bateau  :  Martial  et  Saturnin 
—  sont  agenouillés  sur  la  proue  ;  —  pensif,  dans  Gon 
manteau  —  le  vieux  Trophime  s'enveloppe  ;  —  au- 
près de  lui  était  assis  l'évêque  Maximin. 


«  Debout  sur  le  tillac,  ce  Lazare  —  qui  delà  tombe 
et  du  suaire  —  avait  encore  gardé  la  mortelle  pâleur, 
—  semble  affronter  le  gouffre  qui  gronde  ;  —  avec 
lui  la  nef  perdue  emmène  —  Marthe  sa  sœur,  et 
Magdeleine,  —  couchée  en  un  coin,  et  pleurant  sa 
douleur. 


430  MIRÈIO,    CANT  XI. 

La  nau,  que  buton  li  demôni, 

Meno  Estrôpi,  meno  Sidôni, 
Jôusè  d'Arimalio,  e  Marcello,  e  Cleoun; 

E,  d'apiela  sus  lis  escaume, 

Au  silènci  dôu  blu  reiaume 

Fasien  ausi  lou  cant  di  Saume; 
E  'nsèri  repetavian  :  Laudamus  te  Deum! 

Oh  !  dins  lis  aigo  belugueto 

Cou  me  landavo  la  barqueto  ! 
Nous  sèmblo  enca  de  vèire  aquéli  foulet oun 

Que  retoursien  en  revoulino 

Lou  pouverèu  de  la  toumplino, 

Pièi,  en  colono  mistoulino, 
S'esvalissien  alin  coume  d'esperitoun. 

De  la  mar  lou  soulèu  mountavo, 

E  dins  la  mar  se  recatavo  ; 
E,  toujour  emplana  sus  la  vasto  aigo-sau, 

Courrian  toujour  la  bello  eisservo. 

Mai  dis  estèu  Dieu  nous  preservo, 

Car  dins  si  visto  nous  réserve 
Pèr  adurre  à  sa  lèi  li  pople  prouvençau. 

Un  matin  sus  tôuti  lis  autre, 
Fasié  tèms  sol  :  de  davans  nautre 

Vesian  courre.la  niue  'mé  soun  lume  à  la  man, 
Coume  uno  véuso  matiniero 
Que  vai  au  four  couire  si  tiero  ; 
L'oundo,  aplanado  coume  uno  iero, 

Dôu  batèu  tout-bèu-jiistbatié  li  calamaii. 


MIREILLE,   CHANT  XI.  i'.l 

«  La  nef,  que  poussent  les  démons,  —  conduit  Eu- 
trope,  conduit  Sidoine,  —  Joseph  d'Arimathie,  et 
Marcelle,  et  Cléon;  —  et,  appuyés  sur  lestolets,  — 
au  silence  du  royaume  bleu  —  ils  faisaient  ouïr  le 
chant  des  Psaumes  :  —  et  nous  répétions  ensemble  : 
Laudamus  te  Deum  ! 


«  Oh  !  dans  les  eaux  scintillantes  —  comme  cou- 
rait la  nacelle!  —  Il  nous  semble  encore  voir  ces 
souffles  tournoyants  —  qui  retordaient  en  tourbil- 
lons —  l'embrun  de  l'abîme,  —  puis,  on  colonnes 
légères  —  s'évanouissaient  au  loin  comme  des  es- 
prits. 


«  Le  soleil  montait  de  la  mer, — et  se  couchait  dans 
la  mer;  —  et  toujours  errants  sur  la  vaste  plaine  sa- 
lée, —  toujours  nous  allions  au  gré  (du  vent).  — 
Mais  des  écueils  Dieu  nous  garde,  —  car,  dans  ses 
vues,  il  nous  réserve  —  pour  amener  à  sa  loi  les  peu- 
ples provençaux. 


«  Un  matin  sur  tous  les  autres,  —  le  temps  était 
calme  :  devant  nous,  —  nous  voyons  fuir  la  nuit  avec 
sa  lampe  à  la  main,  comme  une  veuve  matinale  — 
qui  va  au  four  cuire  ea  rangée  de  pains;  —  l'onde, 
aplanie  comme  une  aire,  —  du  bateau  battait  à  peine 
les  madriers. 


452  MIRÈIO..   CAiNT   XI. 

D'apereilalin  nais,  se  gounflo, 

Et  porto  ourrour  (lins  l'amo,  g  rounflo 
Un  brut  descouneissable,  un  sourne  brounsimen, 

Que  nous  penètro  li  mesoulo, 

E  sèmpre  mai  ourlo  e  gingoulo, 

Isterian  mut!  La  visto  soulo, 
Tant  liuen  quepoudi'  ana,  tenié  l'aigo  d'à-ment. 

E  sus  la  marque  s'agrounchavo, 

La  broufounié  se  raprouchavo, 
Rapido,  fourmidablo  !  e  morto  à  noste  entour 

Èron  lis  erso  ;  e,  negro  marco, 

Enclauso  aqui  tenien  la  barco. 

Alin,  tout-en-un-cop  s'enarco 
Uno  mountagno  d'aigo,  esfraiouso  d'autour. 

De  nivoulasencourounado, 

La  mar  entiero  amoulounado, 
E  que  boufo,  e  que  bramo,  o  Segnour  !  en  courrènt 

Venié  sus  nautre  :  à  la  subito, 

Un  cop  de  mar  nous  precepito 

Au  founs  d'un  toumple,  e  nous  rejito 
A  la  pouncho  dis  erso,  espavourdi,  mourènt! 

Quéntis  espaime  !  que  destourne  ! 

De  longs  uiau  fèndon  lou  sourne, 
E  peto  cop  sus  cop  d'espaventable  tron  l 

E  tout  l'Infèr  se  descadeno 

Pèr  englouti  nosto  careno 

La  Labechado  siblo,  reno, 
E  contre  lou  paiôu  bacello  nôsti  front. 


MIREILLE,  CHANT  XI.  433 

«  Des  profondeurs  de  (l'horizon)  naît,  se  gonfle, 
—  et  porte  l'horreur  dans  l'âme,  et  gronde  —  un 
bruit  inconnu,  un  mugissement  sombre,  —  qui  nous 
pénètre  les  moelles,  —  et  de  plus  en  plus  hurle  et 
gémit.  —  Nous  restâmes  muets  !  La  vue  seule,  — 
aussi  loin  qu'elle  pouvait  aller,  guettait  les  flots. 


«  Et  sur  la  mer  qui  se  blottissait  (d'effroi),  —  la 
rafale  se  rapprochait,  —  rapide,  formidable!  ei 
mortes  autour  de  nous  —  étaient  les  vagues;  et, 
noir  présage,  —  comme  immobilisée  par  un  charme 
elles  tenaient  la  barque.  —  Au  loin  soudain  se  dresse 
—  une  montagne  d'eau,  effrayante  de  hauteur. 


«  De  sombres  nuages  couronnée, —  la  mer  entière 
amoncelée,  —  en  soufflant  et  beuglant,  ô  Seigneur! 
à  la  course  fondait  sur  nous  :  subitement  —  un  coup 
de  mer  nous  précipite  —  au  fond  d'un  gouffre,  et 
nous  rejette  —  à  la  pointe  des  vagues,  épouvantés, 
mourants! 


«  Quelles  transes!  quel  bouleversement!  —  De 
longs  éclairs  fendent  l'obscurité,  —  et  coup  sur  coup 
éclatent  d'épouvantables  tonnerres, —  et  tout  l'Enfer 
se  déchaîne  —  pour  engloutir  notre  carène.  —  La 
tourmente  '  siffle,  gronde,  —  et  contre  le  pont  bat 
nos  fronts. 


57 


43i  MIRÈIO,   CANT   XI. 

Sus  l'esquinau  de  si  camello 

Tantost  la  mar  nous  encimello  ; 
Tantost,  dins  la  founsour  di  nègre  garagai, 

Ounte  barrulon  li  lasàmi 

Li  biôu-marin  e  li  grand  làrni, 

Anan  entendre  lou  soulàmi, 
Dinegadis,  quel'oundo  escoubiho,  pecai! 

Nous  veguerian  perdu  î  S'enverso 

Sus  nôsti  lèsto  uno  grando  erso, 
Quand  Lazàri  :  Moun  Dieu,  serve-nous  de  timoun! 

M'as  davera  'n  cop  de  la  toUinbo. .. 

Ajudo-nous  !  la  barco  touinbo  ! 

Courne  l'auroun  de  la  paloumbo, 
Soun  crid  fend  la  chavano  e  volo  peramount. 

De  l'eut  palais  ounte  triounflo 
Jesu  l'a  vist;  sus  la  mar  gounflo 

Jesu  vèi  soun  ami,  soun  ami  qu'en-tant-lèu 
Vai  èstre  aclapa  souto  l'oundo. 
Sis  iue  'mé  'no  pieta  prefoundo 
Nous  countèmplon  :  subran  desboundo 

A  travès  la  tempèsto  un  long  rai  de  soulèu. 

Alléluia  !  sus  l'aigo  amaro 

Mountan  e  davalan  encaro  ; 
E  trempe,  e  matrassa,  boumissèn  l'amarun. 

Mai  lis  esfrai  tout-d'un-tèms  parton, 

Li  lamo  lièro  s'escavarton, 

Li  nivoulado  alin  s'esvarton, 
La  terro  verdouleto  espelis  dôu  clarun. 


MIREILLE,  CHANT  XI.  435 

«  Sur  le  dos  de  ses  houles  —  tantôt  la  mer  nous 
hisse;  —  tantôt  dans  la  profondeur  des  noirs  abîmes, 
—  où  errent  les  paons-de-mer,  — les  phoques  et  les 
grands  requins,  —  nous  allons  entendre  la  lamen- 
table plainte  —  des  noyés,  que  l'onde  balaye,  hélas' 


«  ^ous  nous  vîmes  perdus.  —  Sur  nos  têtes  se 
renverse  une  grande  vague,  —  quand  Lazare  :  «  Mon 
Dieu,  sers-nous  de  timon!  —  Tu  m'as  arraché  une 
fois  du  tombeau...  —  Aide-nous!  la  barque  tombe!  » 
—  Comme  l'essor  du  ramier,  —  son  cri  fend  l'orage 
et  vole  dans  les  cieux. 


«  Du  haut  palais  où  il  triomphe,  —  Jésus  l'a  vu  ; 
sur  la  mer  gonflée  —  Jésus  'Oit  son  ami,  son  ami 
qui,  un  moment  de  plus,  —  v»  être  enseveli  sous  le 
flot.  —  Ses  yeux  avec  une  pitié  profonde  —  nous  con- 
templent :  soudain  jaiMit  —  à  travers  la  tempête  un 
long  rayon  de  soleil. 


«  Alléluia!  sur  l'eau  amère  —  nous  montons  et 
descendons  encore  ;  —  et  ruisselants,  et  harassés, 
nous  vomissons  l'amertume.  —  En  même  temps  les 
effrois  partent,  —  les  larnes  fiéres  se  dispersent,  — 
les  nuées  au  lointain  se  dissipent,  —  la  terre  ver- 
doyante éclô*  de  l'éclaircie. 


MIRÈIO,  GANT  XI. 

Lontèms,  'mé  d'afrôusi  turtado, 
Nous  trigoussejon  lis  oundado. 

Pièi  se  courbon  enfin  davans  la  primo  nau 
Souto  un  alen  que  lis  abauco  ; 
La  primo  nàu,  coume  uno  plauco, 
Fuso  entre  li  roumpènt,  e  trauco 

De  large  flo  d'escumo  emé  soun  carenau. 

Contro  uno  ribo  sènso  roco, 

Alléluia!  la barco  toco ; 
Sus  l'areno  aigalouso  aqui  nous  amourran, 

E  cridan  tôuti  :  Nôsti  tèsto 

Qu'as  pôutira  de  la  tempèsto, 

Fin  qu'au  coutèu  li  vaqui  lèsto 
A  prouclama  ta  lèi,  o  Crist  !  Te  lou  juran  ! 

A-n-aquéu  noum,  de  jouïssènço, 
La  noblo  terro  de  Prouvènço 

Parèis  estrementido;  à-n-aquéu  crid  nouvèu, 
E  lou  bouscas  e  lou  campéstre 
An  trefouli  dins  tout  soun  èstre, 
Coume  un  chin  qu'en  sentent  soun  mèstre, 

le  cour  à  l'endavans  e  ie  fai  lou  bèu-bèu. 

La  mar  avié  jita  d'arcèli . . . 

Paternoster, qui  es  in  cœli, 
A  nosto  longo  fam  mandères  un  renos  ; 

A  nosto  set,  dins  lis  engano 

Faguères  naisse  uno  fountano  ; 

E  miraclouso,  e  lindo,  e  sano, 
Gisclo  enca  dins  la  glèiso  ounte  soun  nôstis  os! 


Nn 


MIREILLE,   CHANT  XI.  437 

«  Longtemps,  avec  des  chocs  affreux,  —  nous  bal- 
lottent les  vagues.  —  Puis  elles  se  courbent  enfin 
devant  la  mince  nef  —  sous  un  souffle  qui  les  calme; 
—  la  mince  nef,  comme  un  colymbe%  —  sille  entre 
les  brisants,  et  troue  —  de  larges  flocons  d'écume 
vec  sa  quille. 


«  Contre  une  rive  sans  roche,  —  Alléluia!  la  bar- 
que touche;  —  surl'arène  humide,  là  nous  nous  pros- 
ternons, —  et  nous  écrions  tous  :  «  Nos  têtes  —  que 
tu  as  arrachées  à  la  tempête, —  jusque  sous  le  glaive, 
les  voici  prêtes  —  à  proclamer  ta  loi,  ô  Christ  !  Nous 
le  jurons  !  » 


«  A  ce  nom,  de  joie  —  la  noble  terre  de  Provence 
—  paraît, secouée;  à  ce  cri  nouveau,  —  et  la  forêt  et 
la  lande  —  ont  tressailli  dans  tout  leur  être,  —  comme 
un  chien  qui,  sentant  son  maître,  —  court  au-devant 
de  lui  et  lui  fait  fête. 


«  La  mer  avait  jeté  des  coquillages...  —  Pater 
noster,  qui  es  in  cœlis,  —  à  notre  longue  faim  tu  en- 
voyas un  festin  ;  —  à  notre  soif,  parmi  les  salicornes 
—  tu  fis  naître  une  fontaine;  —  et  miraculeuse,  et 
limpide,  et  saine,  —  elle  jaillit  encore  dans  l'éghse 
où  sont  nos  os  ! 


37 


438  MIRÈIO,  CÂNT  XI. 

Plen  de  la  fe  que  nous  afougo, 

Dôu  Rose  prenèn  lèu  la  dougo  ; 
De  palun  en  palun  caminan  à  l'asard; 

E  pièi,  galoi,  dins  lou  terraire 

Trouvai!  la  traço  de  l'araire; 

E  pièi,  alin,  dis  Emperaire 
Vesènli  tourre  d'Arle  auboura  Festendar  ' 

A  l'ouro  d'iuei  sies  meissouniero, 
Arle  !  e  couchado  sus  toun  iero, 

Pantaies  em' amour  ti  glôri  d'àutri-fes  ; 
Mai  ères  rèino,  alor,  e  maire 
D'un  tant  bèu  pople  de  remaire 
Que,  de  toun  port,  lou  vent  bramaire 

Noun  poudié  travessa  l'inmènse  barcarés. 

Roumo,  de  nôu,  t'avié  vestido 

En  pèiro  blanco  bèn  bastido  ; 
De  ti  grandis  Areno  avié  mes  à  toun  front 

Li  cent  vint  porto;  a  vies  toun  Cièri;  • 

Aviés,  princesso  de  l'Empèri, 

Pèr  espassa  ti  refoulèri, 
Li  poumpous  Âquedu,  lou  Tiatre  e  l'Ipoudrom. 

Intran  dins  la  ciéuta  :  la  foulo 
Mountavo  au  Tiatre  en  farandoulo. 
E  zôu  !  mountan  em'elo.  Au  mitan  di  palai, 
A  Toumbro  di  temple  de  mabre, 
Se  gandissié  lou  pople  alabre, 
Coume  quand  rounco  dins  li  vabre 
lavàssi  de  plueio,  à  l'ôumbrino  di  plai. 


MIREILLE.   CHANT   XI.  439 

«  Pleins  de  la  foi  qui  nous  brûle,  —  du  Rhône  nous 
prenons  aussitôt  la  berge  ;  —  de  marais  en  marais 
nous  marchons  à  l'aventure;  —  et  puis,  joyeux,  dans 
le  terroir  —  nous  trouvons  la  trace  de  la  charrue  ;  -7- 
et  puis,  au  loin,  des  Empereurs  —  nous  voyons  les 
tours  d'Arles  arborer  l'étendard. 


«  A  cette  heure  tu  es  moissonneuse,  —  Arles  !  et 
couchée  sur  ton  aire,  —  tu  rêves  avec  amour  de  tes 
gloires  anciennes;  —  mais  tu  étais  reine,  alors,  et 
mère  —  d'un  si  beau  peuple  de  rameurs  —  que,  de 
ton  port,  le  vent  mugissant  —  ne  pouvait  traverser 
l'immense  flotte. 


«  Rome  à  neuf  t'avait  vêtue  —  en  pierres  blanches 
bien  bâties  :  —  de  tes  grandes  Arènes  elle  avait  mis 
à  ton  front  —  les  cent  vingt  portes  ;  tu  avais  ton 
Cirque;  — tu  avais,  princesse  de  l'Empire,  —  pour 
distraire  tes  caprices,  —  les  pompeux  Aqueducs,  le 
Théâtre  et  l'Hippodrome, 


«  Nous  entrons  dans  la  cité  :  la  foule — au  Théâtre 
montait  en  farandole.  —  Nous  montons  avec  elle  : 
au  milieu  des  palais,  —  à  l'ombre  des  temples  de 
marbre,  —  s'élançait  le  peuple  avide,  —  comme 
quand  rugit  dans  les  ravins  —  une  averse  de  pluie,  à 
l'ombre  des  érables. 


440  MIRÈIO,  CANT    XI. 

0  maladicioun  !  o  vergougno  ! 

1  son  moulan  de  la  zambougno, 

Sus  lou  pountin  dôu  Tiatre,  emé  lou  pitre  nus, 

Un  vôu  de  chato  viroulavon, 

E  su  'n  refrin  qu'ensèn  quilavon, 

En  danso  ardènto  se  giblavon, 
Au  tour  d'un  flo  de  mabre  en  quau  disien  Venus. 

La  publico  embriagadisso 

le  bandissié  si  bramadisso  ; 
Jouvènto  emai  jouvènt  repetavon  :  Canten! 

Canten  Venus,  la  grand  divesso 

De  quau  prouvèn  touto  alegresso  1 

Canten  Venus,  la  segnouresso, 
La  maire  de  la  terro  e  dôu  pople  arlaten! 

Lou  front  aut,  la  narro  duberto, 

L  idolo,  encourouna  de  nerto, 
Dins  li  nivo  d'encens  pareissié  s'espoumpi; 

Quand,  endigua  de  tant  d'audanço, 

E  derrounipènt  e  crid  e  danso, 

Lou  vièi  Trefume  que  se  lanço, 
En  aussarit  si  dous  bras  sus  lou  mounde  atupi, 

D'uno  roues  forto  :  Pople  d'Arle, 

Escouto,  escouto  que  te  parle  ! 
Escouto,  au  noum  dôu  Crist!...  E  n'en  digue  pas  mai. 

Au  frouncimen  de  sa  grando  usso, 

Vaqui  l'idolo  que  brandusso, 

Gènço,  e  dôu  pedestau  cabusso. 
Em'  eu  li  dansarello  an  toumba  de  l'esfrai  ! 


MIREILLE,  CHANT  XL  441 

«  0  malédiction  !  ô  honte  !  —  aux  sons  langoureux 
de  la  lyre,  —  sur  le  podium  du  Théâtre,  la  poitrine 
nue,  —  un  vol  de  jeunes  filles  tournoyait,  —  et  sur 
un  refrain  que  répétaient  en  chœur  leurs  voix  stri- 
dentes, —  en  danses  ardentes  elles  se  tordaient  — 
autour  d'un  bloc  de  marbre  qu'elles  nommaient 
Vénus. 

«  La  populaire  ivresse  —  leur  jetait  ses  clameurs; 
— jeunes  filles  et  jeunes  hommes  répétaient  :  «  Chan- 
tons !  —  chantons  Vénus,  la  grande  Déesse  de  qui 
—  toute  allégresse  vient!  —  Chantons  Vénus,  la  sou- 
veraine, —  la  mère  de  la  terre  et  du  peuple  arlé- 
sien!  » 


«  Le  front  haut,  la  narine  ouverte,  —  l'idole,  cou- 
ronnée de  myrte,  —  dans  les  nuages  d'encens  pa- 
raissait s'enfler  d'orgueil;  —  lorsque,  indigné  de 
tant  d'audace,  —  interrompant  et  cris  et  danses,  — 
le  vieux  Trophime  qui  s'élance,  —  en  levant  ses  deux 
bras  sur  la  foule  stupéfaite, 


<  D'une  voix  forte  :  «  Peuple  d'Arles,  —  écoute, 
écoute  mes  paroles  !  — Écoute,  au  nom  du  Christ!...» 
Il  n'en  dit  pas  davantage.  —  Au  froncement  de  son 
grand  sourcil, —  voilà  l'idole  qui  chancelle, —  gémit, 
et  du  piédestal  se  précipite. — Avec  elle  les  danseuses 
sont  tombées  d'effroi  ! 


MIRÈIO,  CANT  XI 
Se  fai  qu'un  crid,  s'entend  qu'ourlado. 
Vers  li  pourtau  de  troupelado 
S'engorgon,  e  pèr  Arle  escamponl'espravant; 
Li  majonrau  se  descourounon, 
Li  juvenome  s'enfurounon, 
■ .   En  cridant  :  Zôu  !  nous  envirounon. . . 
En  l'èr  milo  pougnard  lusisson  tout  d'un  vauc 

Pamens,  de  nosto  vestiduro 

L'enregouïdo  saladuro  ; 
De  Trefume  lou  front  seren,  coume  enciéucla 

De  clarour  santo;  e,  mai  poulido 

Que  sa  Venus  enfrejoulido, 

La  Madaleno  ennevoulido, 
Tout  acô,  'n  moumenet,  li  faguè  recula. 

Mai  al  or  Trefume  :  Gènt  d'Arle, 
Escoutas-me  que  iéu  vous  parle! 

le  cridè  tournamai,  après  me  chaplarés! 
Pople  arlaten,  vènes  de  vèire 
Toun  dieu  s'esclapa  coume  un  \èire 
Au  nouni  dôu  miéu!  Anes  pas  crèire 

Que  ma  voues  l'a  pouscu  :  nous-autre  sian  pas  res 

Lou  Dieu  qu'a  'sclapa  toun  idolo 

N'a  ges  de  temple  sus  la  colo  ! 
Mai  lou  jour  e  la  niue  veson  qu'eu  eilamounl 

Sa  man,  pèr  lou  crime  sevèro, 

Es  alarganto  à  la  preièro  ; 

Es  eu  soulet  qu'a  fa  la  terro, 
Es  eu  qu'a  fa  lou  cèu,  e  la  mar,  e  li  mount. 


MIREILLE,  CHANT  XI.  443 

«  Il  n'y  a  qu'un  cri;  on  n'entend  que  hurlements  ; 
—  dans  les  portails,  des  cohues  —  s'engouffrent,  et 
dans  Arles  répandent  l'épouvante  ;  —  les  patriciens 
arrachent  leurs  couronnes,  —  les  jeunes  hommes, 
furieux,  —  en  criant  :  «  Sus!  »  nous  entourent... — 
Dans  l'air  mille  poignards  luisent  d'un  seul  élan. 


«  Pourtant,  sur  nos  vêtements  —  le  sel  figé  ;  —  de 
Trophime  le  front  serein,  comme  encerclé  —  de  clar- 
tés saintes  ;  et,  plus  belle  —  que  leur  Vénus  transie, 
—  la  Magdeleine  voilée  d'un  nuage  (de  larmes), — 
tout  cela,  un  instant,  les  fit  reculer. 


«  Mais  alors  Trophime  :  «  Arlésiens, —  écoutez  mes 
paroles,  —  leur  cria-t-il  derechef,  après,  vous  me 
hacherez.  —  Peuple  arlésien,  tu  viens  de  voir  —  ton 
dieu  se  briser  comme  verre  —  au  nom  du  mien  ! 
N'attribue  point  —  à  ma  voix  ce  pouvoir  :  nous,  nous 
ne  sommes  rien  ! 


«  Le  Dieu  qui  a  brisé  ton  idole  —  n'a  point  de 
temple  sur  la  colline  !  —  Mais  le  jour  et  la  nuit  ne 
voient  que  lui  là-haut;  —  sa  main,  sévère  pour  le 
crime,  —  est  généreuse  à  la  prière;  —  lui  seul  a  fait 
la  terre,  —  lui  (seul)  a  fait  le  ciel,  et  la  mer,  et  les 
monts. 


444  MIRÈIO,  GANT  XI. 

Un  jour,  de  soun  auto  demoro, 

A  vist  soun  bèn  manja  di  toro; 
A  vist  béure  à  l'esclau  si  plour  e  soun  vérin  ; 

E  jamai  res  que  Idu  counsolo  ! 

A  vist  lou  Mau,  pourtant  l'estoio, 

Sus  lis  autar  teni  l'escolo  ; 
Toun  fihan,  l'a  vist  courre  à  l'afront  di  gourrini 

E  pèr  espurga  tau  brutice, 

Pèr  bouta  fin  au  long  suplice 
De  la  raço  omenenco  estacado  au  pieloun, 

A  manda  soun  Fiéu  :  nus  e  paure, 

Emé  pas  un  rai  que  lou  daure, 

Soun  Fiéu  es  davala  s'enclaure 
Dins  lou  sen  d'uno  Vierge;  es  na  sus  d'estoubloun» 

0  pople  d'Arle,  penitènci  ! 

Coumpagnoun  de  soun  eisistènci, 
Te  poudèn  afourti  si  miracle  :  eilalin, 

Is  encountrado  mounte  coulo 

Lou  blound  Jourdan,  entre  uno  foulo 

Espeiandrado  e  mau  sadoulo, 
L'avèn  vist  blanqueja  dins  sa  raubo  de  lin! 

E  nous  parlavo  qu'entre  nautre 

Falié  s'ama  lis  un  lis  autre; 
Nous  parlavo  de  Dieu,  tout  bon,  tout  pouderous; 

E  dôu  reiaume  de  soun  Paire, 

Que  noun  sara  pèr  li  troumpaire, 

Lis  auturous,  lis  usurpaire, 
Mai  bèn  pèr  li  pichot,  li  simple,  li  plourous. 


MIREILLE,  CHANT  XI,  445 

«  Un  jour,  de  sa  haute  demeure,  —  il  a  vu  son 
bien  dévoré  des  chenilles;  —  il  a  vu  l'esclave  boire 
ses  pleurs  et  sa  haine;  —  et  jamais  personne  qui 
le  console  !  —  11  a  vu  le  Mal,  en  robe  sacerdotale, 
—  sur  les  autels  tenir  école;  —  tes  filles,  il  les  a 
vues  courir  à  l'affront  des  libertins  ! 


«  Et  pour  laver  telles  immondices,  —  pour  mettre 
fin  au  long  supplice  —  de  la  race  humaine  attachée 
au  pilier,  —  il  a  envoyé  son  Fils  :  nu  et  pauvre,  — 
doré  d'aucun  rayon,  —  son  Fils  est  descendu  s'en- 
clore —  dans  le  sein  d'une  vierge;  il  est  né  sur  du 
chaume  ! 


«  0  peuple  d'Arles,  pénitence! —  Compagnons  de 
sa  vie,  —  nous  pouvons  t'affirmer  ses  miracles  !  Aux 
lointaines  —  contrées  où  coule  —  le  blond  Jourdain, 
au  milieu  d'une  foule  —  en  haillons  et  affamée,  — 
nous  l'avons  vu  dans  sa  blanche  robe  de  lin! 


«  Et  il  nous  disait  qu'entre  nous  —  il  fallait  s' ai- 
lier les  uns  les  autres;  —  il  nous  parlait  de  Dieu, 
t(ut  bon,  tout-puissant,  —  et  du  royaume  de  son 
Ptre,  —  qui  ne  sera  point  pour  les  trompeurs,  — 
pmr  les  hautains,  pour  les  usurpateurs,  —  mais 
bitn  pour  les  petits,  les  simples,  ceux  qui  pleu- 
rait. 

38 


446  MIRÈIO,  CANT  XI. 

E  fasié  fe  de  sa  dôutrino 

En  caminant  sus  la  marino; 
Li  malaut,  d'un  cop  d'iue,  d'un  mot  li  garissié; 

Limort,  maugrat  lou  sourne  barri, 

Soun  revengu  :  vaqui  Lazàri 

Que  pourrissié  dins  lou  susàri!... 
Mai,  rèn  que  pèr  acô,  boufre  de  jalousie, 

•  Li  rèi  de  la  nacioun  Jusiolo 
L'an  près,  l'an  mena  su  'no  colo , 

Clavela  su  'n  trounc  d'aubre,  abéura  d'amarun, 
Cubert  d'escra  sa  santo  fàci, 
E  pièi  auboura  dins  l'espàci 
En  se  trufant  d'eu  !...  —  Gràci  !  gràci! 

Esclatè  tout  lou  pople,  estoufa  dôu  plourun; 

Gràci  pèr  nautre  !  Que  fau  faire 

Pèr  desarma  lou  bras  dôu  Paire? 
Parlo,  orne  de  Dieu,  parlo!  e  s'èi  de  sang  que  vôu, 

le  semoundren  cent  sacrefice  ! 

—  Inmoulas-ie  vôsti  délice, 

Inmoulas  vosto  fam  de  vice , 
Respoundeguè  lou  Sant  en  se  jitant  pèr  sôU 

Nàni,  Segnour!  ce  que  t'agrado, 

N'es  pas  l'ôudour  d'uno  tuado, 
Ni  li  temple  de  péiro  :  âmes,  âmes  bèn  mai 

Lou  tros  d'artoun  que  l'on  presènto 

A  l'afama,  vo  la  jouvènto 

Que  vèn  à  Dieu,  douço  e  cregnènto, 
Oufri  sa  casteta  coume  uno  flour  de  Mai. 


MIREILLE,  CHANT  XI.  447 

«  Et  sa  doctrine,  il  l'atteslait  —  en  marchant  sur 
la  mer;  —  les  malades,  d'un  regard,  d'un  m.ot,  il 
les  guérissait;  —  les  morts,  malgré  le  sombre  rem- 
part, —  sont  revenus  :  voilà  Lazare  —  qui  pourris- 
sait dans  le  suaire...  —  Mais,  pour  ces  seuls  motifs, 
enflés  de  jalousie, 


«  Les  rois  de  la  nation  juive  —  l'ont  pris,  l'ont 
conduit  sur  une  colline,  —  cloué  sur  un  tronc  d'ar- 
bre, abreuvé  d'amertume,  —  ont  couvert  sa  sainte 
face  de  crachats,  — et  puis  l'ont  élevé  dans  l'espace, 
—  en  le  raillant...  »  —  «  Grâce  !  grâce  !  éclata  tout  le 
peuple,  étouffé  de  sanglots; 


«  Grâce  pour  nous  !  Que  faut-il  faire  —  pour  dés- 
armer le  bras  du  Père?  —  Parle,  homme  divin, 
parle!  et  si  c'est  du  sang,  qu'il  veut,  — nous  lui 
offrirons  cent  sacrifices  !  »  —  «  Immolez-lui  vos  dé- 
lices, —  immolez  votre  faim  de  vice,  —  répondit  le 
Saint  en  se  jetant  par  terre. 


«  Non,  Seigneur!  ce  qui  te  plaît,  —  ce  n'est  point 
l'odeur  d'une  tuerie,  —  ni  les  temples  de  pierre  :  tu 
aimes,  tu  aimes  bien  mieux  —  le  morceau  de  pain 
que  l'on  présente  —  à  l'affamé,  ou  la  jeune  vierge 
—  qui  vient  à  Dieu,  douce  et  craintive,  —  offrir  sa 
chasteté  comme  une  fleur  de  mai.  » 


448  riRÈIO,  GANT  XI. 

Di  bouco  dôii  grand  Apoustôli 

Ansin  raie  coume  un  sant  ôli 
La  paraulo  de  Dieu  :  e  plour  de  regoula, 

E  malandrous,  e  rusticaire 

De  beisa  sa  raubo,  pecaire  ' 

E  lis  idolo,  de  tout  caire, 
Sus  li  graso  di  temple  alor  de  barrula  f 

Entanterin,  en  testimôni, 

L'Avugle-na  (qu'èro  Sidôni), 
Moustravo  is  Arlaten  si  vistoun  neteja; 

En  d'autre  Massemin  recito 

Lou  Clavela  que  ressuscite, 

La  repentèiici  qu'es  necito... 
Arle,  aquéu  même  jour,  se  faguè  bateja  ! 

Mai,  coume  uno  auro  qu'escoubiho 

Davans  elo  un  fie  de  broundiho, 
Sentèn  l'Esprit  de  Dieu  que  nous  buto.  E  veici, 

Coume  partian,  uno  embassado 

Qu'à  nôsti  pèd  toumbo ,  apreissado, 

En  nous  disent  ;  Uno  passado, 
Estrangié  dôu  bon  Dieu,  vougués  bèn  nous  ausil 

Au  brut  de  vôsti  grand  miracle 

E  de  vôsti  nouvèus  ouracle, 
Nous  mande  à  vôsti  pèd  nosto  pauro  ciéuta... 

Sian  mort  sus  nôsti  cambo  !  Alabre 

De  sang  uman  e  de  cadabre, 

Dins  nôsti  bos  e  nôsti  vabre 
Un  mouslre,  un  flèu  di  dieu,  barrulo...  Agués  pieta! 


MIREILLE,  CHANT  XI.  449 

«  Des  lèvres  du  grand  Apôtre — ainsi  coula  comme 
une  huile  sainte  —  la  parole  de  Dieu  :  et  pleurs  de 
ruisseler,  —  et  malades  et  pauvres  travailleurs  —  de 
baiser  sa  robe,  —  et  les  idoles,  de  toute  part,  —  sur 
les  degrés  des  temples  alors  de  rouler  ! 


«  En  même  temps,  en  témoignage,  —  l'Aveugle- 
né  (qui  était  Sidoine),  —  montrait  aux  Arlésiens  ses 
prunelles  nettoyées;  —  à  d'autres,  Maximin  raconte 
—  le  Crucifié  qui  ressuscite,  —  le  repentir  qui  est 
nécessaire...  —  Arles  ce  même  jour  se  fit  baptiser  ! 


«  Mais,  tel  qu'un  vent  qui  balaye  —  devant  lui  un 
feu  d'émondes,  —  nous  sentons  l'Esprit  de  Dieu  qui 
nous  pousse.  Et  voici,  —  comme  nous  partions, 
une  ambassade  —  qui  à  nos  pieds  tombe,  empres- 
sée, —  en  nous  disant  :  «  Un  instant,  —  étrangers 
du  Dieu  bon,  veuillez  bien  nous  entendre  ! 


«  Au  bruit  de  vos  grandes  merveilles  —  et  de  vos 
nouveaux  oracles,  —  à  vos  pieds  nous  envoie  notre 
cité  malheureuse...  —  Nous  sommes  morts  sur  nos 
jambes  !  Avides  —  de  sang  humain  et  de  cadavres, 
—  dans  nos  bois  et  nos  ravins  —  un  monstre,  un 
fléau  des  dieux,  erre...  Ayez  pitié  ! 


38. 


^80  MIRÈTO,  CANT  XI. 

La  bèstio  a  la  co  d'un  coulobre, 
A  d'iue  mai  rouge  qu'un  cinobre; 

Sus  l'esquino  a  d'escaumo  e  d'àsti  que  fan  pou  I 
D'un  gros  leioun  porto  lou  mourre, 
E  sièis  pèd  d'orne  pèr  mies  courre; 
Dins  sa  caforno,  soute  un  moure 

Que  doumino  lou  Rose,  emporte  ce  que  pou. 

Tôuti  li  jour  nôsti  pescaire 
S'esclargisson  que  mai,  pecaire! 

E  li  Tarascounen  se  bouton  à  ploura. 
Mai,  sènso  pauso  ni  chancello, 
Mario  s'escrido  :  Emé  Marcello 
léu  i'anarai  !  Moun  cor  bacello 

De  courre  à-n-aquéu  pople  e  de  lou  deliéura. 

Pèr  la  darriero  fes  su  terre, 
Nous  embrassan,  emé  l'espère 

De  nous  revèire  au  cèu,  e  nous  desseparan. 
Limoge  aguè  Marciau  ;  Toulouse 
De  Savournin  fugue  l'espouse; 
E  dins  Aurenjo  la  poumpouse, 

Estrôpi  lou  proumié  samenè  lou  bon  gran. 

Mai  ounte  vas,  tu,  douce  vierge?.., 
Em'  une  crous,  em'  un  asperge, 

Marte,  d'un  èr  seren,  caminavo  tout  dre 
Vers  la  Tarasco  :  li  Barbare 
Noun  poudènt  crèire  que  s'apare, 
Pèr  espincha  lou  coumbat  rare, 

Èren  tôuti  mounta  sus  li  pin  de  Tendre, 


MIREILLE,  CHANT   XI.  451 

«  La  bête  a  la  queue  d'un  dragon,  —  des  yeux  plus 
rouges  que  cinabre,  —  sur  le  dos  des  écailles  et  des 
dards  qui  font  peur  !  —  D'un  grand  lion  elle  porte  le 
mufle,  —  elle  a  six  pieds  humains,  pour  mieux  cou- 
rir ;  —  dans  sa  caverne,  sous  un  roc  —  qui  domine 
le  Rhône,  elle  emporte  ce  qu'elle  peut. 


«  Tous  les  jours  nos  pêcheurs,  —  s'éclaircissent 
de  plus  en  plus,  hélas  !  »  —  Et  les  Tarasconais  se 
prennent  à  pleurer.  —  Mais  sans  retard  ni  hésitance, 
Marthe  s'écrie  :  «  Avec  Marcelle,  —  moi,  j'irai!  Le 
cœur  me  bat  —  de  courir  à  ce  peuple  et  de  le  déli 
vrer.  » 


«  Pour  la  dernière  fois  sur  la  terre,  —  nous  nous 
embrassons,  avec  l'espoir  —  de  nous  revoir  au  ciel, 
et  nous  nous  séparons.  —  Limogés  eut  Martial  ;  Tou- 
louse —  devint  l'épouse  de  Saturnin,  —  et  dans 
Orange  la  pompeuse  —  Eutrope  le  premier  sema  le 
bon  grain. 


«  Maistoi,  où  vas-tu,  douce  vierge?...  —  Avec  une 
croix,  avec  un  aspcrsoir,  —  Marthe  d'un  air  serein 
marchait  droit  —  à  la  Tarasque  :  les  Barbares,  —  ne 
pouvant  cioire  qu'elle  se  défende,  —  pour  regarder 
le  combat  insigne,  —  étaient  montés  en  foule  sur  les 
pins  du  lieu. 


452  MIRÈIO,   GANT  XI. 

Destrassouna,  poun  dins  soiin  soustre, 
Aguèsses  vist  boumbi  loii  monstre  !,.. 

Mai  souto  l'aigo  santo  a  bèu  se  trevira, 
De-bado  reno,  siblo  e  boufo... 
Marto,  em'  un  prim  seden  de  moufo, 
L'ernbourgino,  l'adus  que  broufo... 

Lou  pople  tout  entié  courreguè  l'adoura  ! 

—  Quau  sies?  La  cassarello  Diano? 

Venien  à  la  jouino  Cresiiano, 
0  Minervo  la  casto  e  la  forte?  —  Noun,  nouiii» 

le  respoundeguè  lajouvènto  : 

Siéu  de  moun  Dieu  que  la  servènto  ! 

E  quatecant  lis  assavènto, 
E  'm'  elo  davans  Dieu  pleguèron  lou  geinoun. 

De  sa  paraulo  vierginenco 
Piqué  la  roco  Âvignounenco... 

E  la  fe  talamen  à  belle  eunde  gisclè, 
Que  li  Glemèn  e  li  Gregôri 
Pu  tard,  emé  souii  saut  cibôri, 
Vendran  ie  béure.  Pèr  sa  glôri 

r  a  Roumo  qu'eilalin  setanto  an  tremoulè  • 

Pamens,  déjà  de  la  Prouvènço 
Mountavo  un  cant  de  reneissènço 

Que  fasié  gau  à  Dieu  :  l'as  agu  remarca, 
Tre  qu'a  plougu  'n  degout  de  plueio, 
Coume  tout  aubre  e  touto  brueio 
Aubouron  lèu  sa  gaie  fueio  ? 

Ansin  tou  tcor  brûlant  courrié  se  refresca. 


MIREILLE.   CHANT  XI.  453 

«  Eveillé  en  sursaut ,  harcelé  sur  sa  litière,  — 
eusses-tu  vu  bondir  le  monstre!  —  Mais  sous  l'ondée 
sainte  vainement  il  se  tord,  —  en  vain  il  grogne, 
siffle  et  souffle. ..  —  Marthe,  avec  une  mince  laisse  de 
mousse,  —  l'enlace,  l'amène  s'ébrouant...  —  Le 
peuple  tout  entier  courut  l'adorer  ! 


—  «  Qui  es-tu?  La  chasseresse  Diane?  — disaient-ils 
à  la  jeune  Chrétienne,  —  ou  Minerve  la  chaste  et  la 
forte?»  —  «  Non,  non,  —  leur  répondit  la  jeune 
fille  :  —  je  ne  suis  de  mon  Dieu  que  la  servante  !  » 
—  Et  aussitôt  elle  les  instruit,  —  et  avec  elle  devant 
Dieu  ils  fléchirent  le  genou. 


«  De  sa  parole  virginale  —  elle  frappa  la  roche 
Avignonnaise...  —  Et  la  foi,  tellement  à  belles  ondes 
jaillit,  —  que  les  Clément  et  les  Grégoire  —  plus 
tard,  avec  leur  coupe  sainte  —  viendront  y  puiser. 
Pour  sa  gloire,  —  Rome,  là-bas,  septante  années 
trembla. 


«  Cependant,  de  la  Provence  déjà  —  s'élevait  jin 
chant  de  renaissance —  qui  réjouissait  Dieu  :  n'as-tu 
pas  remarqué,  —  dès quil  a  plu  une  goutte  de  pluie, 
—  comme  tout  arbre  et  toute  végétation  —  relèvent 
vite  leur  feuillage  gai'  —  Ainsi  tout  cœur  brûlant 
courait  se  rafraîchir. 


454  MIRÈIO,  CÂNT  XI. 

Tu  mémo,  auturouso  Marsiho, 

Que  sus  la  mar  duerbes  ti  ciho, 
E  que  rèn  de  ta  mar  noun  te  pou  leva  l'iue, 

E  qu'en  despié  di  vent  countràri, 

Sounjes  qu'à  l'or  entre  li  barri, 

À  la  paraulo  de  Lazàri, 
Rebalères  ta  visto  e  veguères  ta  niue  ! 

E  dins  rUvèune  que  s'aveno 

Emé  li  plour  de  Madaleno, 
Lavères  davansBiéu  toun  orre  queitivié... 

Vuei  tournamai  drèisses  la  teste... 

Davans  que  boufe  la  tempèsto, 

Ensouvène-te,  dins  ti  fèsto, 
Di  plour  madalenen  baguant  tis  ôulivié! 

Colo  de-z-Âis,  cresten  nrèbre 

De  la  Sambuco,  vièi  genèbre, 
Grand  pin  que  vestissès  li  baus  de  l'Esteréu, 

Vous,  mourvén  de  la  Trevaresso, 

Redigas  de  quinto  alegresso 

Vôsti  coumbo  fuguèron  presso, 
Quand  passé  Massemin  pourtant  la  crous  em'  eu  ! 

Mai,  ali'n,  la  veses  aquelo 

Que,  si  bras  blanc  sarra  contro  elo, 
Prègo  au  founs  d'uno  baumo?  Ai!  pauro  !  si  geiuouii 

Se  maçon  à  la  roco  duro, 

E  n'a  pèr  touto  vestiduro 

Que  sa  bloundo  cabeladuro, 
E  la  luno  la  viho  emé  soun  lumenoun. 


MIREILLE,   CHANT  XI.  455 

«  Toi-même,  altière  Marseille,  —  qui  sur  la  mer 
ouvres  tes  cils,  —  et  dont  rien  (du  spectacle)  de  ta 
mer  ne  peut  distraire  l'œil,  —  et  qui,  en  dépit  des 
vents  contraires,  —  ne  songes  qu'à  l'or,  —  dans  tes 
murailles,  à  la  parole  de  Lazare,  —  tu  abaissas  ta 
vue  et  tu  vis  ta  nuit  1 


«  Et  dans  l'Huveaune  qui  s'alimente  —  avec  les 
pleurs  de  Magdeleine^,  —  tu  lavas  devant  Dieu  ta  hi- 
deuse immondicité...  —  Aujourd'hui  tu  dresses  la 
tête  de  nouveau...  — Avant  que  la  tempête  souffle, 
—  souviens-loi,  au  milieu  de  tes. fêtes,  —  que  les 
pleurs  de  Magdeleine  baignent  tes  oliviers  ! 


«  Collines  d'Aix,  crêtes  abruptes  —  de  la  Sambu- 
que,  vieux  genièvres,  —  grands  pins  qui  vêtez  les 
escarpements  de  1  Eslerel,  —  vous,  morvens  de  la 
Trèvaresse,  —  redites-nous  de  quelle  joie  —  vos  val- 
lées furent  prises,  —  quand  passa  Maximin,  portant 
h  croix  avec  lui  *  ! 


a  Mais,  dans  l'éloignement,  la  vois-tu,  celle — qui, 
ses  bras  blancs  serrés  contre  elle,  —  prie  au  fond 
d'une  grotte?...  Ah  !  pauvre  infortunée!  ses  genoux 
—  se  meurtrissent  à  la  roche  dure,  —  et  elle  n'a 
pour  tout  vêtement  —  que  sa  blonde  chevelure,  —  et 
la  lune  la  veille  avec  son  (pâle)  flambeau. 


456  MIRÈIO,  GANT  XI. 

E  pèr  la  vèire  dins  la  baumo, 

Lou  bos  se  clino  e  fai  calaumo  ; 
E  i'  a  d'ange,  tenènt  lou  batre  de  si  cor. 

Que  l'espinchon  pèr  uno  esclèiro  ; 

E  quand  perlejo  sus  la  pèiro 

Un  de  si  plour,  en  grand  pressèiro 
Van  lou  cueie  e  lou  mètre  en  un  calice  d'or  ! 

N'i'a  proun,  n'i'a  proun,  o  Madaleno  ! 

Lou  vent  que  dins  lou  bos  aleno 
T'adus  dempièi  trento  an  lou  perdoun  dôu  Segnour; 

E  de  ti  plour  la  roco  mémo 

Plourara  sèmpre  ;  e  ti  lagremo 

Sèmpre,  sus  touto  amour  de  femo, 
Coume  uno  auro  de  nèu,  jitaran  la  blancouri 

Mai  dôu  regret  que  l'estransino 

Rèn  counsoulavo  la  mesquino  : 
Ni  lis  aucelounet  qu'en  foulo  au  Sant-Pieloun, 

Pèr  èstre  benesi,  nisavon, 

Ni  lis  ange  que  l'enaussavon 

A  la  brasseto,  e  la  bressavon 
Sèt  fes  tôuti  li  jour,  en  l'èr  sus  li  valoun! 

A  tu,  Segnour,  à  tu  revèngue 

Touto  lausènjo  !  à  nautre  avéngue 
De  te  vèire  sens  fin  tout  lusènt  e  verai  ! 

Pàuri  femo  despatriado, 

Mai  de  toun  amour  embriado, 

De  toun  eterno  souleiado 
Avèn,  nàutri  peréu,  escampa  quàuqui  rai  ! 


MIREILLE,   CHA^'T   XI.  457 

«  Et  pour  la  voir  dans  la  grotte,  —  la  forêt  se  pen- 
che et  fait  silence  ;  —  et  des  anges,  retenant  le  bat- 
tement de  leurs  cœurs,  —  l'épient  par  un  interstice, 
—  et  lorsque  sur  la  pierre  tombe  en  perle  —  un  de 
ses  pleurs,  en  grande  hâte  —  ils  vont  le  recueillir  et 
le  mettre  en  un  calice  d'or. 


«  Assez  !  assez,  ô  Magdeleine  !  —  Le  vent  qui  dans 
le  bois  respire  —  t'apporte  depuis  trente  années  le 
pardon  du  Seigneur.  —  De  tes  pleurs  la  roche  elle- 
même  —  pleurera  éternellement;  et  tes  larmes, — 
éternellement,  sur  tout  amour  de  femme,  —  comme 
un  vent  de  neige,  jetteront  la  blancheur  ! 


«  Mais  du  regret  qui  la  consume  —  rien  ne  conso* 
lait  la  malheureuse  :  —  ni  les  petits  oiseaux  qui  en 
foule  au  Saint-Pilon  ^  —  pour  être  bénis,  nichaient; 
—  ni  les  anges  qui  l'enlevaient  —  dans  leurs  bras,  et 
la  berçaient —  sept  fois  tous  les  jours,  dans  l'air,  sur 
les  vallons. 


«  A  toi,  Seigneur,  à  toi  revienne  — toute  louange! 
à  nous  advienne  —  de  te  voir  à  jamais  dans  ta  splen- 
deur entière  et  ta  réalité  !  — Pauvres  femmes  exilées, 
• —  mais  enivrées  de  ton  amour,  —  de  ton  éternelle 
irradiation  —  nous  avons,  nous  aussi,  épanché  quel- 
ques rayons. 


59 


458  MIRÈIO,   CANT  XI. 

ColoBaussenco,  Aupiho  bluio, 

Vôsti  oalan,  vôstis  aguhio, 
De  nosto  predicanço  à  toustèins  gardaran 

La  gravaduro  peirounenco. 

I  soulitudo  palunenco, 

Au  founs  de  l'isclo  Camarguenco, 
La  mort  nous  alôujè  de  nôsti  jour  ôubrant. 

Coume  en  touto  causo  que  toumbo, 
L'ôublit  rescoundè  lèu  li  toumbo.. 

La  Prouvènço  cantavo,  e  lou  lèms  courreguè  ; 
E  coume  au  Rose  la  Durènço 
Perd  à  la  fin  soun  escourrènço, 
Lou  gai  reiaume  de  Prouvènço 

Dins  lou  sen  de  la  Franco  à  la  fin  s'amaguè. 

—  Franco,  emétu  meno  ta  sorre! 

Digue  soun  darrié  rèi,  iéu  more. 
Gandissès-vous  ensèn  alin  vers  l'aveni, 

Au  grand  prefa  que  vous  apello... 

Tu  sies  la  forlo,  elo  es  la  bello  : 

Veirés  fugi  la  niue  rebello 
Davans  la  resplendour  de  vôsti  front  uni. 

Reinié  faguè  'cô  bèu.  Un  sero 
Qu'entredourmié  dins  sa  coucero, 

le  moustrerian  lou  rode  ounte  èron  nôstis  os  : 
Emé  douge  evesque,  si  page, 
Sa  bello  court,  sis  équipage, 
Lou  rèi  venguè  sus  lou  ribage, 

E  souto  lis  engano  atrouvè  nôsti  cros. 


MIREILLE,   CHANT  XI.  450 

«  Collines  des  Baux,  Alpines  bleues,  —  vos  mor- 
nes, vos  aiguilles,  — de  notre  prédication,  dsns  tous 
les  siècles,  garderont  —  la  trace  gravée  dans  la 
pierre  '.  —  Aux  solitudes  paludéennes,  —  au  fond 
de  l'île  do  Camargue,  —  la  mort  nous  allégea  de  nos 
jours  de  labeur 


«  Comme  en  tout  ce  qui  tombe,  —  l'oubli  cacha 
bientôt  nos  tombeaux.  —  La  Provence  chantait,  et  le 
temps  courut  ;  —  et  de  même  qu'au  Rhône  la  Du- 
rance  —  perd  à  la  fin  son  cours,  —  le  gai  royaume 
de  Provence  —  dans  le  sein  de  la  France  à  la  fin  s'en- 
dormit. 


—  «  France,  avec  toi  conduis  ta  sœur!  —  dit 
son  dernier  roi,  je  meurs!  —  Dirigez-vous  ensemble 
là-bas  vers  l'Avenir,  —  à  la  grande  tâche  qui  vous 
appelle...  — Tu  es  la  forte,  elle  est  la  belle  : -^vous 
verrez  la  nuit  rebelle  fuir  —  devant  la  splendeur  de 
vos  front  réunis.  » 


«  René  accomplit  ce  beau  fait.  Un  soir,  —  qu'il 
sommeillait  dans  son  lit  de  plumes,  —  nous  lui  mon- 
trâmes le  lieu  où  étaient  nos  ossements  :  —  avec 
douze  évêques,  avec  ses  pages,  —  sa  belle  cour,  ses 
équipages,  —  le  roi  vint  sur  la  grève,  —  et  sous  les 
salicornes  trouva  nos  fosses. 


460  MIRÊIO,  GANT  XI. 

Adieu,  Mirèio!...  L'ouro  volo,   • 

Vesèn  la  vido  que  trémolo 
Dins  toun  cors,  coume  un  lume  en  anant  s'amoussa. 

De  davans  que  l'amo  lou  quite, 

Parten,  mi  sorre,  parten  vite! 

Vers  li  bèlli  cimo,  es  necite 
Qu'arriben  davans  elo,  es  necite  e  pressa. 

De  rose,  une  raubo  nevenco 

Âlestissen-ie  :  vierginenco 
E  martiro  d'amour,  la  chato  vai  mouri  ! 

Elourissès-vous,  celèsti  lèio  ! 

Sànti  clarour  de  l'empirèio, 

Escampas-vous  davans  Mirèio  ! . . . 
Glôri  au  Paire,  em'  au  Fiéu,  em'  au  Sant  Esperit! 


MIRÈIO,   GANT  XI.  48! 

«  Adieu,  Mireille!...  L'heure  vole.  —  Nous  voyons 
la  vie  trembloter  —  dans  ton  corps,  comme  une 
lampe  qui  va  s'éteindre. . .  — Avant  que  l'âme  le  quitte, 
—  partons,  mes  sœurs,  partons  en  hâte  !  —  Vers  les 
belles  cimes,  —  il  est  nécessaire  —  que  nous  arri- 
vions avant  elle,  nécessaire  et  urgent. 


«  Des  roses,  une  robe  de  neige,  —  préparons4ui  I 
Vierge,  —  et  martyre  d'amour,  la  jeune  fille  va 
mourir!  —  Fleurissez-vous,  célestes  avenues!  — 
saintes  clartés  de  l'Empyree, —  épanchez-vous  devani 
Mireille!... —  Gloire  au  Père,  et  au  Fils,  et  au  Saint- 
Esprit!  » 


NOTES 

DU  CHANT  ONZIÈME 


'  Laheclaao,   en   italien  Hbecdata.  Tempête  occasionnée 
le  vent  du  sud-ouest  appelé  Labé,  qu'on  fait  dériver  du   grec 
iiSôvoTOî,  même  signification 

*  Colymbe  à  crête  [plaucd],  podiceps  cristattis,  Lin.,  oiseau  de 
l'ordre  des  palmipèdes 

*  Et  dans  l'Huveaune  qui  s'alimente  avec  les  pleurs  de  Magde- 
ine. 

L'Huveaune,  petite  rivière  qui  prend  sa  source  à  la  Samte-Baume 
(Var),  passe  à  Aubagne,  et  se  jette  dans  la  mer,  à  MarseiUe,  au  bout 
de  la  promenade  du  Prado. 

Une  pieuse  et  poétique  légende  attribue  son  origine  aux  larmes 
de  sainte  Magdeleine 

*  Sambuque  [Sambuco],  montagne  à  l'orient  d'Aix.  —  Esterel 
[Eslérel],  montagne  et  forêt  du  département  du  Var.  —  Morvens 
de  la  Trevaresse  [monrven  de  la  Trevaresso)  :  mourven,  genévrier 
de  Phénicie.  —La  Trevaresse,  chaîne  de  montagnes  entre  la  Tou- 
loubre,  la  Durance  et  le  canal  de  Craponne 

5  Saint-Pilon  [Sant-Pieloun).  Voyez  Chant  VII,  note  12. 

*  La  trace  gra?ée  dans  la  pierre  (te  gravaduropeirounenco).  On 


NOTES  DU  CHANT  XI  403 

a  vu,  dans  le  récit  des  Saintes-Mariés,  que  la  barque  des  saints 
proscrits  aborda  à  l'extrémité  de  l'île  de  Camargue.  Ces  premiers 
apôtres  des  Gaules  remontèrent  le  Rhône  jusqu'à  Arles,  et  de  là 
se  dispersèrent  dans  le  Midi.  On  dit  même  que  Joseph  d'Arimathie 
alla  jusqu'en  Angleterre.  Telle  est  la  tradition  arlésienne  La  tradi- 
tion des  habitants  des  Baux  reprend  alors  et  continue  l'odyssée 
des  saintes  femmes  :  elle  dit  que  ces  dernières  vinrent  prêcher  la 
foi  dans  les  Alpines,  et  que  pour  éterniser  le  souvenir  de  leur  pré- 
dication, elles  gravèrent  miraculeusement  leurs  effigies  sur  un  ro- 
cher. Au  levant  du  rocher  des  Baux,  on  voit  encore  ce  mystérieux 
et  antique  monument  :  c'est  un  énorme  bloc  détaché,  debout  sur 
le  penchant  d'un  précipice,  et  taillé  en  aiguille.  Sur  sa  face  orien- 
tale sont  sculptées  trois  figures  grandioses,  objets  de  la  vénération 
des  populations  voisines 


CANT  DOUGEN 


LA   MORT 


lou  païs  dis  arange.  — .Li  Santo  reinounton  au  paradis.  —  lou  paire 
emé  la  maire  arriboTi.  —  Li  Santen  mounton  Mirêio  à  la  capeilo- 
z-auto,  ounte  i'a  li  reliclc.  —  La  glèiso  di  Sànti  Mario.  — Li  supli- 
cacloun.  —  La  plajo  camarguenco.  —  Vincèn  arribo  e  sa  doulour 
desboundo.  —  Lou  cantico  di  Santen.  —  Darriero  visioun  de  Mirèio: 
vèi  li  Sànti  Mario  emplanado  dins  la  mar.  —  Darriéri  paraulo,  e 
luminouso  mort  de  la  chatouno.  —  Li  coumplancho,  la  déses- 
pérance. 


Au  païs  dis  arange,  à  l'ouro 
•  Que  lou  jour  de  Dieu  s'esvapouro  ; 

E  que  li  pescadou,  qu'an  cala  si  jambin, 

Tiron  si  barco  à  la  calanco  ; 

E  que,  leissant  parti  la  branco, 

Sus  la  cabesso  vo  sus  l'anco 
Li  chato  en  s'ajudant  cargon  si  plen  gourbin; 

Di  ribo  ounte  l'Argèns  varaio, 

Di  piano,  di  coulet,  di  draio, 
S'enausso  peralin  un  long  Cor  de  cansoun. 

Mai  belamen  de  la  cabruno, 

Gant  d'amour,  èr  de  cantabruno, 

Pau-à-pau  dins  li  colo  bruno 
S'esperdon,  e  vèn  l'oumbro  emé  la  languisoun. 


CHANT  DOUZIÈME 

LA  MORT 


Le  pays  des  oranges.  —  Les  Saintes  remontent  dans  le  ciel.  —  Arrivée 
du  père  et  de  la  mère.  —  Les  Saintins  montent  Mireille  à  la  cha- 
pelle haute,  où  sont  déposées  les  reliques.  —  L'église  des  Saintes 
Maries.  —  Les  supplications.  —  La  plage  de  Camargue.  —  Arrivée 
de  Vincent,  éclat  de  sa  douleur.  —  Le  cantique  des  Saintms.  — 
Dernière  vision  de  Mireille:  les  Saintes  Maries  lui  apparaisseni 
sur  la  haute  mer.  —  Dernières  paroles,  et  radieuse  mort  de  U 
jeune  fille.  —  Les  plaintes,  le  désespoir. 


Au  pays  des  oranges,  à  l'heure  —où  le  jour  de 
Dieu  s'évapore;  —  lorsque  les  pêcheurs, ayant  tendu 
leurs  nasses,  —  tirent  leurs  barques  à  l'abri  (des  ro- 
chers) ;  —  et  que,  laissant  aller  la  branche,  —  sur 
la  tête  ou  sur  la  hanche  —  les  jeunes  filles,  en  s'en- 
tr' aidant,  chargent  leurs  corbeilles  pleines  ; 


Des  rives  où  l'Argens  ^  serpente,  —  des  plaines, 
des  coUines,  des  chemins,  —  s'élève  dans  le  lointain 
un  long  chœur  de  chansons.  —  Mais  bêlements 
de  chèvres,  —  chants  d'amour,  airs  de  chalumeau, 
—  peu  à  peu  dans  les  montagnes  brunes  —  se  per- 
dent, et  vieiment  l'ombre  et  la  mélancolie. 


406  MIRÈIO,  CANT  XII. 

Di  Mario  que  s'envoulavon 

Ansin  li  paraulo  calavon, 
Calavon  pau-à-pau,  de  nivo  en  nivo  d'or  : 

Sembla vo  un  resson  de  cantico, 

Sennblavo  uno  liuencho  niusico 

Qu'en  dessus  de  la  glèiso  antico 
S'enanavo  emé  l'auro.  Elo,sènfiblo  que  dor, 

E  que  pantaio  ageinouiado, 

E  qu'uno  estranjo  souleiado 
Encourouno  soun  front  de  nouvèlli  bèuta 

Mai,  dins  lis  erme  e  li  jouncado, 

Si  vièi  parent  tant  l'an  cercado 

Qu'à  la  perfin  l'an  destouscado  ; 
E  dre,  souto  lou  porje,  alucon  espanta. 

Prenon  pamens  d'aigo  signa  do, 
Mandon  au  front  sa  man  bagnado. 

Sus  lou  bard  que  respond  e  la  femo  e  lou  vièi 
Dedins  s'avançon...  Espaurido 
Coume  quand  subran  uno  trido 
Vèi  li  cassaire  :  Moun  Dieu  !  crido, 

Paire  e  maire,  ounte  anas  ?  —  E  de  vèire  quan  vèi, 

Mirèio  toumbo  aqui.  Sa  maire, 

Em'  un  visage  lagremaire, 
le  cour,  e  dins  si  bras  l'aganto,  e  ie  disié  : 

Qu'as,  que  toun  front  es  caud  que  brulo? 

Noun,  es  pa  'n  sounge  que  m'embulo, 

Es  elo  qu'à  mi  pèd  barrulo, 
Es  elo,  es  moun  enfant!...  E  plouravo,  e  risié. 


MIREILLE,  CHANT  XII.  407 

Des  Maries  qui  s'envolaient  —  ainsi  les  paroles 
s'éteignaient, —  s'éteignaient  peu  à  peu,  de  nuée  (d'or) 
en  nuée  d'or  :  —  pareilles  à  un  écho  de  cantique,  — 
pareilles  à  une  musique  éloignée  —  qui,  au-dessus 
de  l'église  antique,  —  s'en  serait  allée  avec  la  brise 
Elle,  il  semble  qu'elle  dort,    . 


Et  qu  elle  rêve  agenouillée,  —  et  qu'un  étrange 
rayonnement  de  soleil  —  couronne  son  front  de  nou- 
velles beautés.  —  Mais,  dans  les  landes  et  les  jon- 
chaies,  —  ses  vieux  parents  l'ont  tant  cherchée  — 
qu'ils  l'ont  à  la  fin  découverte  ;  —  et  debout,  sous  le 
porche,  ils  regardent  stupéfaits. 


Us  prennent  cependant  de  l'eau  bénite,  —  ils  por- 
tent au  front  leur  main  mouillée.  -  Sur  la  dalle  so- 
nore, la  femme  et  le  vieillard  —  s'avancent  dans 
(l'église)...  Effrayée  —  comme  un  bruant  qui  tout  à 
coup — voit  les  chasseurs  :  «  Mon  Dieu  !  s'écrie-t-elle, 

—  père  et  mère,  où  allez-vous?  »  —  Et  voyant  ceu 
qu'elle  voit, 

Mireille  tombe  U.  Sa  mère,  —  le  visage  en  larmes, 

—  accourt,  etdansses  bras  la  saisit,  et  elle  lui  disait  : 

—  «  Qu'as-lu?  ton  front  brûle...  —  Non,  ce  n'esi 
point  un  songe  qui  m'abuse,  —  c'est  elle  qui  à  mes 
pieds  roule,  —  c'est  elle,  c'est  mon  enfant!...  »  Et 
elle  pleurait,  et  elle  riait. 


468  MIRÈIO,   GANT   XII. 

—  Mirèio,  ma  bello  mignoto,  ' 
Es  iéu  que  sarre  ta  manoto, 

léu  toun  paire!.,.  E  lou  vièi,  que  la  doulour  esten, 
le  recaufavo  si  man  inorto. 
Lou  vent  déjà  pamens  emporto 
La  grand  nouvello  :  à  plen  de  porto, 

Dins  la  glèiso,  esmougu,  s'acampon  li  Santen. 

—  Mountas-la,  mountas  la  malauto  ! 
Venien  ;  à  la  capello-z-àuto 

Mountas-la,  tout-d'un-tèms  !  que  toque  li  sauts  os! 

Dins  si  caisso  miraclejanio 

Que  baise  nôsti  grandi  Santo 

De  si  bouqueto  angounisanto  ! 
Li  femo  tout-d'un-tèms  l'arrapon  entre  dos. 

De-pèr-d'aut  de  la  glèiso  bello, 

l'a  très  autar,  i'atres  capello 
Bastido  uno  sus  l'autro  en  blo  de  roucas  viéu. 

Dins  la  capello  sousterrado 

l'a  Santo  Saro,  venerado 

Di  brun  Bôumian  ;  mai  aubou'rado, 
La  segoundo  es  aquelo  ounte  èi  l'autar  de  Dieu. 

Sus  li  pieloun  dôu  santuàri, 

La  capeleto  mourtuàri 
Di  Mario,  amoundaut,  s'enarco  dins  lou  cèu, 

'Mé  li  relicle,  sànti  laisso 

D' ounte  la  gràci  coulo  à  raisso.... 

Quatre  clau  pestellon  li  caisso, 
Li  caisso  de  ciprès  emé  si  curbecèu. 


MIREILLE,  CHAxNT  XII  4«'J 

—  «  Mireille,  ma  belle  mignonne,  —  c'est  moi 
qui  serre  ta  main,  —  moi  ton  père  !...  »  Et  le  vieil- 
lard, que  la  douleur  suffoque,  —  lui  réchauffait  ses 
mains  inanimées.  —  Déjà  cependant  le  vent  emporte 
—  la  grande  nouvelle  :  à  plein  portail,  ^ —  dans  l'é- 
glise, émus,  s'assemblent  les  Sainlins^. 


—  «  Montez-la,  montez  la  malade  !  —  disaient-ils; 
à  la  chapelle  haute ,  —  montez-la  sur-le-champ  ! 
qu'elle  touche  les  saints  os  !  —  Dans  leurs  châsses 
miraculeuses  —  qu'elle  baise  nos  grandes  Saintes 
—  de  ses  lèvres  agonisantes  !  »  —  Les  femmes  sur- 
le-champ  la  saisissent  à  deux. 


Dans  la  partie  haute  de  la  belle  église,  —  sont 
trois  autels,  sont  trois  chapelles  —  bâties  une  sur 
l'autre,  en  blocs  de  rocher  vif.  —  Dans  la  chapelle 
souterraine —  est  Sainte  Sara,  vénérée  —  des  bruns 
Bohémiens  ;  plus  élevée ,  —  la  seconde  renferme 
l'autel  de  Dieu. 


Sur  les  piliers  du  sanctuaire,  —  l'étroite  cha- 
pelle mortuaire  —  des  Maries  élève  sa  voûte  dans 
le  ciel,  —  avec  les  rehques,  legs  sacrés  —  d'où  la 
grâce  coule  en  pluie...  —  Quatre  clefs  ferment  les 
châsses,  —  les  châsses  de  cyprès  avec  leurs  cou- 
vercles. 


40 


470  MIRÈIO,  CAÎ^T  XII. 

Un  cop,  chasque  cent  an,  li  dikMÎJon 
Urous,  urous,  quand  li  descueiboa, 

Aquéu  que  pôu  li  vèire  e  li  touca  !  bèu  tems 
Aura  sa  barco  e  bono  estello, 
E  de  sis  aubre  li  jitello 
Auran  de  frucho  à  canestello, 

E  soun  amo  cresènto  aura  lou  bon  toustèms. 

Uno  bello  porto  de  chaîne 
Rejun  aquéu  sacra  doumaiue, 

Richamen  fuslejado,  e  doun  di  Bèucairen. 
Mai  subretout  ce  que  l'aparo, 
Noun  es  la  porto  que  lou  barro, 
Noun  es  lou  barri  que  l'embarro  : 

Es  l'aflat  que  ie  vèn  di  relarg  azuren. 

La  malauto,  à  la  capeleto, 
Dins  la  viseto  virouleto 

La  mountèron.  Lou  prèire,  en  subrepelis  blanc, 
Buto  la  porto.  Dins  la  pôusso, 
Coume  un  ôrdi  grèu  de  si  dôusso 
Qu'un  fouletoun  subran  espôusso, 

Tôuti  sus  lou  bardât  s'aboucon  en  quilant  : 

0  bèlli  Santo  umanitouso, 
Santo  de  Dieu,  Santo  amistouso  ! 

D'aquelo  pauro  chato  agués,  agués  pieta  ! 
—  Agués  pieta  !  la  maire  crido, 
Vous  adurrai,  se  'n  co's  garido, 
Moun  anèu  d'or,  ma  crous  flourido, 

Ë  pèr  vilo  e  pèr  champ  iéu  l'anarai  canta  ! 


MIREILLE,  CHANT  XII.  471 

Une  fois  chaque  centans,  on  les  ouvre.  —  Heureux, 
heureux,  lorsqu'on  les  découvre,  —  celui  qui  peut 
les  voir  et  les  toucher  !  —  Beau  temps,  —  aura  sa 
barque,  et  bonne  étoile,  —  et  de  ses  arbres  les  pous- 
ses, —  auront  du  fruit  à  corbeillées,  —  et  son  âme 
croyante  aura  les  biens  éternels. 


Une  belle  porte  de  chêne  —  protège  ce  domaine 
sacré,  —  richement  travaillée,  et  don  des  Beaucai- 
rois.  —  Mais  surtout  ce  qui  le  défend, —  ce  n'est  pas 
la  porte  qui  le  clôt,  —  ce  n'est  pas  le  rempart  qui  le 
ceint  :  —  c'est  la  faveur  qui  lui  vient  des  espaces 
d'azur. 


A  la  petite  chapelle,  —  dans  l'escaher  tournoyant, 

—  on  monta  la  malade.  Le  prêtre,  en  surplis  blanc, 

—  pousse  la  porte.  Dans  la  poussière,  —  comme  un 
orge  appesanti  par  ses  épis  —  qu'un  tourbillon  sou- 
dain secoue,  —  tous  sur  les  dalles  se  prosternent  en 
criant  : 


«  0  belles  Saintes  pleines  d'humanité,  —  Saintes 
de  Dieu,  Saintes  amies  !  —  de  cette  pauvre  fille  ayez, 
ayez  pitié  !  »  —  «  Ayez  pitié  !  s'écrie  la  mère,  —  je 
vous  apporterai,  quand  elle  sera  guérie,  —  mon 
anneau  d'or,  ma  croix  fleurie,  —  et  par  villes  et  par 
champs,  moi,  j'irai  le  chanter!  » 


472  .  MIRÈIO,  CANT  XII. 

—  0  Santo,  acô  's  iria  pesqiieirolo  ! 

0  Ssnto,  acô  's  ma  denierolo  ! 
Geniis  Mèste  Ramoun  en  turlant  dins  l'oumbrun 

Emé  sa  tèsto  atrcmoulido. 

0  Santo,  à-n-elo,  qu'es  poulido, 

Innoucentouno,  enfantoulido, 
f.a  vido  ie  counvèn  :  mai  iéu,  vièi  sabourun, 

léu,  maiidas-me  fuma  li  maulo  !... 

Lis  iue  barra,  sènso  paraulo, 
Mirèio  èro  estendudo.  Èro  alor  sus  lou  tard 

Pèr  qi;e  1  auro  tamarissiero 

Reviscoulèsse  la  masiero. 

Dessus  li  lauso  tôulissiero 
L'avien  enlrepausado,  envisto  de  la  mar. 

Car  lou  pourtau  (qu'es  la  parpello 

D'aquelo  benido  capello), 
Regardo  sus  la  glèiso  :  alin,  pereilalin, 

D'aqui  se  vèi  la  blanco  raro 

Que  joun  ensèn  e  desseparo 

Lou  cèu  redoun  e  l'aigo  amaro  ; 
Se  vèi  de  la  grand  mar  l'eterne  remoulin. 

De-longolis  erso  foulasso 
Que  s'encavancon,  jamai  lasso 

De  s'esperdre  en  bramant  dins  li  mouloun  sablons; 
De-vers  la  terro  uno  planuro 
Qu'a  gen  de  fin  ;  pas  uno  auturo 
Qu'à  soun  entour  fague  centuro  ; 

Un  cèu  inmènse  e  clar  sus  d'erme  espetaclous. 


MIREILLE,  CIIÂNT   XIl.  473 

—  «  0  Saintes,  c'est  là  mon  pluvier  !  —  ô  Saintes, 
c'est  là  mon  trésor  !  —  gémit  Maître  Ramon  heur- 
tant dans  les  ténèbres  —  avec  sa  tête  vacillante. 
—  0  Saintes,  à  elle,  qui  est  belle,  — innocente,  en- 
faaline,  —la  vie  convient;  mais  moi,  vieil  ossement, 


«  Moi,  envoyez-moi  fumer  les  mauves!  »  —  Les 
yeux  fermés,  sans  parole,  —  Mireille  était  gisante. 
C'était  alors  sur  le  tard.  —  Pour  que  la  brise  des  ta- 
maris —  ravivât  la  campagnarde,  —  sur  les  dalles 
du  toit  —  on  l'avait  déposée,  en  vue  de  la  mer. 


Car  le  portail  (paupière  —  de  cette  chapelle  bé- 
nie),—  regarde  sur  l'église  :  — là-bas,  dans  l'ex- 
trême lointain,  —  on  voit  de  là  la  blanche  Hmite  — 
qui  joint  ensemble  et  sépare  —  le  ciel  rond  et  l'onde 
amère  ;  —  on  voit  de  la  grande  mer  l'éternelle  révo- 
lution, 

Sans  cesse  les  vagues  insensées  —  qui  se  montent 
/.  s  unes  sur  les  autres,  jamais  lasses  —  de  se  perdre 
on  mugissant  dans  les  monceaux  de  sable  ;  —  du 
côté  de  la  terre,  une  plaine  —  interminable  ;  pas  une 
éminence  —  qui  enceigne  son  horizon  ;  —  un  ciel 
immense  et  clair  sur  des  savanes  prodigieuses. 


40. 


474  MIRÈIO.   GANT  XII. 

De  clarinèlli  tamarisso 

Au  mendre  vent  boulegadisso  ; 
De  long  campas  d'engano,  e  dins  l'oundo  perfés 

Un  vôu  de  ciéune  que  s'espurgo  ; 

0  bèn,  dins  la  sansouiro  turgo, 

Uno  manado  que  pasturgo, 
0  que  passo  en  nadant  l'aigo  dôu  Vacarés. 

Mirèio  enfin,  d'un  parla  feble, 

A  murmura  quàuqui  mot  treble  : 
De-vers  la  terro,  dis,  emé  de-vers  la  mar 

Sente  veni  dos  alenado  : 

Uno  di  dos  èi  serenado 

Coume  l'alen  di  matinado  ; 
Mai  l'autro  es  espannado,  ardènto,  e  sent  l'amar 

E  se  teisè...  De-vers  la  piano, 

E  de-vers  lis  oundo  salano, 
Li  Santen  sus-lou-cop  regardèron  veni  : 

E  n'en  veson  un  qu'esfoulisso 

De  revoulun  de  terro  trisso 

Davans  si  pas  ;  li  tamarisso 
Parèisson  davans  eu  s'encourre  e  demeni. 

Es  Vincenet  lou  panieraire  ! . . . 

Oh  !  paure  drôle  e  de  mau-traireî 
Soun  paire  Mèste  Âmbroi  pas-pu-lèu  i'aguè  di  : 

Moun  fiéu,  sara  pas  pèr  ti  brego 

Lou  poulit  brout  de  falabrego  ! 

Que  tout-d'un-lèms  de  Valabrego, 
Pèr  la  vèire  enca  'n  cop,  parte  coume  un  bandit. 


MIREILLE,  CHANT  XII.  475 

Des  tamaris  (au  feuillage)  clair,  —  et  au  moindre 
vent  mobiles;  —  de  longues  friches  de  salicornes, 
et  dans  l'onde  parfois  —  une  volée  de  cygnes  qui  se 
purifie  ;  —  ou  bien  dans  la  sansoiiire  stérile  —  un 
troupeau  de  bœufs  qui  pâture,  —  ou  qui  passe  à  la 
nage  l'eau  du  Vaccarés  *. 


Mireille  enfin,  d'une  voix  faible,  —  a  murmuré 
quelques  mots  vagues  :  —  «  Du  côté  de  la  terre,  dit- 
elle,  et  du  côté  de  la  mer  — je  sens  venir  deux  ha- 
leines :  —  l'une  des  deux  est  fraîche  —  comme  le 
souffle  des  matinées,  —  mais  l'autre  est  pantelante, 
ardente  et  imprégnée  d'amertume.  » 


Et  elle  se  tut...  Devers  la  plaine—  et  devers  les 
ondes  salées,  —  les  Saintins  aussitôt  regardèrent 
venir  :  —  et  ils  voient  un  (jeune  homme)  qui  soulève 
—  des  tourbillons  de  terre  meuble  —  devant  ses  pas; 
les  tamaris  —  paraissent  devant  lui  s'enfuir  et  dé- 
croître. 


C'est  Vincent  le  vannier  !...  —  Oh  !  pauvre  gars, 
et  digne  de  pitié!  —  Sitôt  que  son  père,  Maître  Am- 
broise,  lui  eut  dit  :  —  «  Mon  fils,  il  ne  sera  pas  pour 
tes  lèvres  —  le  gentil  brin  de  micocoules!  »  — sur- 
le-champ,  de  Valabrègue,  —  pour  la  voir  encore  une 
fois  il  partit  comme  un  bandit. 


476  MIRÈTO.  CANT  XII. 

En  Crau  ie  dison  :  Es  i  Santo  ! 

Rose,  palun,  Crau  alassanto, 
Rôn  l'avié  detengu  de  courre  enjusqu'i  tes. 

Mai  pas-pu-lèu  es  dins  la  glèiso, 

Pas-pu-lèu  vèi  aquelo  prèisso, 

Pale,  sus  lis  artèu  se  drèisso, 
E  cridavo  :  Mounte  es  ?  ensignas-me  mounte  es! 

—  Es  amoundaut  à  la  capello, 

Dins  uno  angôni  que  trampello  î 
E  lèu  coume  un  perdu  mounte  lou  marridoun. 

Entre  la  vèire,  vers  l'espàci 

Levé  si  man  emai  sa  fàci  : 

Pèr  encapa  tàli  desgràci, 
A  Dieu,  cridè  lou  paure,  à  Dieu  que  l'ai  fa  dounc? 

Ai-ti  coupa  la  gargamello 

En  quau  tetère  li  mamello  ? 
Escumerga,  m'an  vist  abra  moun  cachimbau 

Dins  uno  glèiso  à  la  viholo? 

0  tirassa  dins  lis  auriolo 

Lou  Crucefis,  à  la  Jusiolo  ?... 
Qu'ai  fa,  malan  de  Dieu  !  pèr  agué  tant  de  mau? 

Pas  proun  que  me  l'an  refusado, 
Enca  me  l'an  martirisado  ! 

E  'mbrassè  soun  ami  go  ;'  e  de  vèire  Vincèn 
De  la  grand  forço  que  trenavo, 
Lou  moundc  foui  qu'envirounavo 
Sentien  soun  cor  que  tresanavo, 

E  pèr  eu  trasien  peno,  e  plouravon  ensèn. 


MIREILLE,  CHANT  Xlf.  477 

En  Crau,  ils  lui  disent  :  «  Elle  est  aux  Saintes  !  » 

—  Rhône,  marais,  Crau  fatigante,  —  rien  n'ava't 
arrêté  sa  course  jusqu'aux  îlots  sablonneux  du  ri- 
vage. —  Mais  sitôt  qu'il  est  dans  l'église,  —  sitôt 
qu'il  voit  cette  foule,  —  pâle,  sur  les  orteils  il  se 
dresse,  —  et  il  criait  :  «  Où  est-elle?  indiquez-le-moi, 
où  est-elle?  » 

—  «  Elle  est  là-haut  à  la  chapelle,  —  tremblant 
l'agonie  !»  —  Et  vite,  éperdu,  monta  le  malheureux. 

—  Dès  qu'il  la  vit,  vers  l'étendue — il  leva  ses  mains 
et  son  visage  :  —  «  Pour  recevoir  sur  ma  tête  de 
telles  disgrâces,  —  à  Dieu,  s'écria  l'infortuné,  à  Dieu 
qu'ai-je  donc  fait  ? 


«  Ai-je  coupé  la  gorge  —  à  celle  dontjetetai  les 
mamelles?  —  Anathème,  m'a-t-on  vu  allumer  ma 
pipe,  —  dans  une  éghse,  à  la  lampe?  —  ou  bien 
traîner  dans  les  chardons  —  le  Crucifix,  comme  les 
Juifs?  —  Qu'ai-je  fait,  mauvaise  année  de  Dieu' 
pour  avoir  tant  de  maux  ? 


«  (  Ce  n'était)  pas  assez  de  me  la  refuser,  —  encore 
ils  me  l'ont  martyrisée  !  »  — Et  il  embrassa  son  amie. 
Et  en  voyant  Vincent — se  lamenter  de  telle  force, 
—  la  foule  pressée  qui  l'entourait  —  sentait  son 
cœur  bondir,  —  et  ils  partageaient  sa  peine,  et  ils 
pleuraient  ensemble. 


478  MIRÈIO,  GANT  XII. 

E  coume,  i  vabre  d'uno  coumbo, 

Lou  brut  d'un  gaudre  que  trestoumbo 
Vai  csmôure  lou  pastre  amount  sus  li  cresten, 

Dou  founs  de  la  glèiso  mountavo 

La  voues  dôu  pople  que  cantavo, 

E  tout  lou  temple  ressautavo 
Dôu  cantico  tant  bèu  que  sabon  li  Santon  : 

0  Santo,  bèlli  mariniero, 

Qu'avès  chausi  nôsti  sagniero 
Pèr  i'auboura  dius  l'èr  la  tourre  e  li  merlet 

De  vosto  glèiso  roussinello, 

Coume  fara  dins  sa  pinello 

Lou  marin,  quand  la  mar  bacello, 
Se  le  mandas  pas  lèu  voste  bon  ventoulet  ? 

Coume  fara  la  pauro  avuglo? 

Ah  !  noun  i'a  sàuvi  nimai  buglo 
Que  poscon  ie  gari  soun  lamentable  sort  ; 

E,  sens  muta,  tout  lou  jour  isto 

En  repassant  sa  vido  tristo... 

0  Santo,  rendès-ie  la  visto, 
Que  l'oumbro,  e  toujour  l'oumbro,  es  pire  que  la  mort' 

Rèino  de  Paradis,  mestresso 

De  la  planuro  d'amaresso. 
Clafissès,  quand  vous  plais,  de  pèis  nôsti  fielat  : 

Mai  à  la  foulo  pecadouiro 

Qu'à  vosto  porto  se  doulouiro, 

0  blànqui  flour  de  la  sansouiro, 
S'èi  de  pas  que  ie  fau,  de  pas  emplissès-la  ' 


MIREILLE,  CHANT  XH.  479 

El  comme,  aux  ravins  d'une  vallée  —  le  bruit  d'un 
torrent  qui  tombe  en  cataracte  —  va  émouvoir  le 
pâtre  là-haut  sur  les  crêtes,  —  du  fond  de  l'église 
montait  —  la  voix  du  peuple  qui  chantait,  —  et  tout 
le  temple  tressaillait  —  du  cantique  si  beau  que 
savent  les  Saintins  : 


—  «  0  Saintes,  belles  marinières,  —  qui  avez 
choisi  nos  marécages  —  pour  y  élever  dans  l'air  la 
tour  et  les  créneaux  —  de  votre  église  blonde,  — 
comment  fera,  dans  sa  barque,  —  le  marin,  quand  la 
mer  frappe,  —  si  promptement  vous  ne  lui  en- 
voyez votre  bonne  brise  ? 


«  Comment  fera  la  pauvre  (femme)  aveugle  ?  — 
Ah  !  il  n'est  sauge  ni  bugle  —  qui  puisse  guérir  son 
lamentable  sort;  — et,  sans  mot  dire,  tout  le  jour 
elle  reste  —  à  repasser  sa  triste  vie...  —  0  Saintes, 
rendez-lui  la  vue,  —  car  l'ombre,  et  toujours  l'ombre, 
c'est  pire  que  la  mort  ! 


«  Reines  de  Paradis,  maîtresses  —  de  la  plaine 
d'amertume,  —  vous  comblez,  quand  il  vous  plait,  de 
poissons  nos  filets  ;  —  mais  à  la  foule  pécheresse  — 
qui  à  votre  porte  se  lamente,  —  ô  blanches  fleurs  (de. 
nos)  landes  salées,  —  si  c'est  la  paix  qu'il  faut,  de 
paix  empHssez-la!  » 


.480  MIRÈIO,   GANT  XIÏ 

Ansin  li  bon  Santen  pregavon, 

Emé  de  crid  que  vous  trancavoiiJ 
E  veici  que  li  Santo  à  la  pauro  que  jai 

Boufèron  un  brisoun  de  voio, 

E  sa  caro  un  brisoun  galoio 

S'enflourè  d'uno  douço  joio, 
Car  de  vèire  Vincèn  i'  agradè  quenounsai. 

—  Moun  bel  ami,  de  mounte  vènes  ? 

le  faguè.  —  Digo,  t'ensouvènes 
De  la  fes  qu'emé  tu  parlavian  eila  au  mas, 

Asseta  'nsèn  souto  la  triho  ? 

Se  quauque  mau  te  desvario, 

Courre  lèu  i  Sànti  Mario, 
Me  diguères  alor,  auras  lèu  de  soûlas. 

0  Yincenet,  que  noun  pos  vèire 
Dins  moun  cor  coume  dins  un  vèire  ! 

De  soûlas,  de  sodlas,  n'en  regounflo  moun  cor  ! 
Moun  cor  es  un  lauroun  que  verso  : 
Abelimen  de  touto  merço, 
Gràci,  bonur,  n'ai  à  reverso  !... 

Dis  Ange  dôu  bon  Dieu  entrevese  li  Cor... 

Âqui  Mirèio  s'abaucavo, 

E  dins  l'estendudo  alucavo  : 
St  mblavo,  peralin  au  fin  founs  de  l'èr  blu, 

Vèire  de  causo  espetaclouso. 

Pièi  sa  paraulo  nivoulouso 

Recoumençavo  :  Urouso,  urouso 
Lis  amo  que  la  car  en  terre  detèn  plu  ! 


MIREILLE,  CHANT  XII.  481 

Ainsi  les  bons  Saintins  priaient,  —  avec  des  cris 
qui  vous  navraient.  —  Et  voici  que  les  Saintes,  à  la 
pauvre  qui  gît  —  soufflèrent  un  peu  de  vigueur;  — 
et  (sur)  sa  figure  un  peu  enjouée  —  fleuiit  une  douce 
joie,  —  car  la  vue  de  Vincent  fut  pour  elle  un  plaisir 
indicible. 


—  «  Mon  bel  ami,  d'où  viens-tu?  —  lui  fit-elle. 
Dis,  te  souvient-il  —  de  la  fois  que  nous  causions,  là- 
bas  à  la  ferme,  —  assis  ensemble  sous  la  treille?  — 
«  Si  quelque  mal  te  déconcerte,  —  cours  vite  aux 
Saintes  Maries,  —  me  dis-tu  alors,  tu  auras  vite  du 
soulagement.  » 


«  0  cher  Vincent,  que  ne  peux-tu  voir  —  dans  mon 
cœur  comme  dans  un  verre  ?  —  De  soulagement,  de 
soulagement,  mon  cœur  en  surabonde  !  —  Mon  cœur 
est  une  source  qui  déborde  :  —  délices  de  toute 
sorte,  —  grâces,  bonheurs,  j'en  ai  en  surcroît  !...  — 
Des  Anges  du  bon  Dieu  j'entrevois  les  chœurs...  » 


Alors  Mireille  s'apaisait ,  —  et  regardait  dans 
l'étendue. . .  —  Elle  semblait,  au  loin,  dans  les  profon- 
deurs de  l'air  bleu,  — voir  des  choses  merveilleuses. 
—  Puis  sa  parole  nuageuse  —  recommençait  :  «  Heu- 
reuses, heureuses  —  les  âmes  que  la  chair  sur  terre 
ne  retient  plus  ! 


41 


482  MIREIO,  GANT  XII. 

Vincèiiî  as  vist,  quand  remounlavon, 

Li  flo  de  iume  que  jitavon  ! . . . 
Ah!  dis,  lou  libre  bèu  que  se  n'en  sariéfa, 

S'aquéli  resoun  que  m'an  dicho, 

Fin  que  d'uno,  s'èron  escricho  ! 

Vincèn,  que  lou  plourun  esquicho, 
Lachè  mai  soun  gounflige  un  moumen  estoufa  : 

—  Basto  lis  agué  visto  !  basto  ! 

Eu  cridè,  coume  uno  langasto 
Me  sariéu  à  si  raubo  arrapa  tout  bramant... 

Oh  !  i'auriéu  di,  rèino  celèsto, 

Soulet  recàti  que  nous  rèsto, 

Prenès-me  lis  iue  de  la  tèsto, 
E  li  dent  de  la  bouco,  e  \i  det  de  la  man  I 

Mai  elo,  ma  bello  fadeto, 

Oh!  rendès-me-lagaiardeto!... 
—  Velèi  '  velèi  veni  'mé  si  raubo  de  lin* 

Elo  subran  se  bouto  à  faire. 

E  'n  boulegant  pèr  se  desfaire 

D'entre  la  faudo  de  sa  maire, 
De  la  man  vers  la  mar  fasié  signe  eilalin. 

Quatecant  tôuti  se  dreissèron, 

De-vers  la  mar  tôuti  fissèron, 
E  la  man  sus  lou  front  :  Eilalin  descurbèn, 

Venien  entre  éli,  rèn  pèr  aro, 

Senoun  alin  la  blanco  rare 

Que  joun  lou  cèu  e  l'aigo  amaro... 
Noun,  se  vèi  rèn  vèni...  —  Si!  si!  regardas  bèn  ! 


MIREILLE,   CHANT   XII.  483 

«  Vincent!  tu  as  vu,  quand  elles  remontaient,  — 
les  flocons  de  lumière  qu'elles  jetaient!...  —  Ah!  le 
beau  livre,  dit-elle,  qu'il  s'en  fût  fait,  —  si  les  paroles 
qu'elles  m'ont  dites,  —  sans  en  oublier  une,  eussent 
été  écrites  !  »  —  Vincent,  que  l'envie  de  pleurer  op- 
presse, —  dégonfla  ses  sanglots tm  moment  étouffés: 


—  «  Plût  à  Dieu  que  je  les  eusse  vues  !  plût  à  Dieu  ! 
—  s'ècria-t-il.  —  Comme  une  tique  —  je  me  serais 
à  leurs  robes  cramponné  tout  beuglant. . .  —  Oh  !  leur 
aurais-je  dit,  reines  du  ciel,  —  seul  asile  qui  nous 
reste,  — prenez-moi  les  yeux  de  latête,  —  et  les  dents 
de  la  bouche,  et  les  doigts  de  la  main  ! 


«  Mais  elle,  ma  belle  petite  fée,  —  oh!  rendez-la- 
moi  saine  et  sauve  !  »  —  «  Les  voici  ! ...  les  voici  venir 
dans  leurs  robes  de  lin  !  »  —  elle  soudain  se  met  à 
dire.  —  Et  s'agitant  pour  se  dégager  —  du  giron  de 
sa  mère,  —  de  la  main  vers  la  mer  elle  faisait  signe, 
au  loin. 


Tous  aussitôt  se  dressèrent,  —  tous  vers  la  mer 
fixèrent  (leurs  regards),  —  et,  la  main  sur  le  front  : 
K  Au  loin  nous  ne  découvrons,  —  se  disaient-ils, 
lien  pour  l'heure,  —  si  ce  n'est  là-bas,  la  blanche 
limite  —  qui  joint  le  ciel  et  l'eau  amère...  —  Non,  il 
ne  se  voit  rien  venir...  »  —  «  Si ,  si  !  regardez  bien  1 


*84  MIRÉIO,  GANT  XII. 

Soun  SU  'no  barco  sènso  vélo, 

Cridè  Mirèio...  Davans  elo, 
Vesès  pas  couine  l'oundo  aplano  si  revôu? 

Oh!  qu'es  bèn  éli  !  L'èr  clarejo, 

E  l'alen  siau  que  li  carrejo 

Lou  mai  plan  que  pôu  voulastrejo... 
Lis  aucèu  de  la  mar  li  saludon  à  vôu. 

—  La  pauro  chato  revassejo... 
Sus  la  marino  que  rougejo 

Vesèn  que  lou  soulèu  que  vai  se  cabussa. 

—  Si  !  si  !  lis  èi,  fai  la  inalauto  ; 
Boutas  !  moun  iue  noun  me  desfauto, 
E  quouro  founso,  qucuro-z-auto, 

0  miracle  de  Dieu  !  sa  barco  vèn  d'eiça  ! 

Mai  déjà  venié  's,coulourido, 
Coume  uno  blanco  margarido 

Que  lou  dardai  la  rimo,  entre  que  s'espandis; 
E  Vincenet,  l'esfrai  dins  l'amo, 
Agrouva  contro  aquelo  qu'amo, 
La  recoumando  à  Nostro-Damo, 

La  recoumando  i  Santo  e  Sant  dôu  Paradis. 

Avien  abra  de  candeleto... 

Cencha  de  l'estolo  viôuleto, 
Venguè  lou  capelan  'mé  lou  pan  angeli 

Refresca  soun  palai  que  crèmo  ; 

le  dounè  pièi  l'Ouncioun  estrèmo, 

E  la  vougnè  'mé  lou  Sant  Crèmo 
En  sèt  part  de  soun  cors,  segound  l'us  catouli. 


MIREILLE,   CHANT  XII.  485 

«  Elles  sont  sur  une  barque  sans  voile,  —  s'écria 
Mireille... — Devant  elles, —  ne  voyez-vous  pas  comme 
l'onde  aplanit  ses  tourbillons?  —  Oh!  c'est  bien  elles  ! 
L'air  est  clair,  —  et  l'haleine  suave  qui  les  amène,  — 
aussi  lentement  qu'elle  peut  voltige...  —  Les  oiseaux 
de  la  mer  les  saluent  à  volées.  » 


—  «  La  pauvre  enfant  déhre...  —  Dans  la  mer  rou- 
gissante —  nous  ne  voyons  que  le  soleil  qui  va  se 
plonger.  »  —  «  Oui  !  oui!  ce  sont  elles,  dit  la  malade; 
—  allez  !  mon  œil  ne  me  trompe  point,  —  et  tantôt 
profonde,  tantôt  haute,  —  ô  miracle  de  Dieu!  leur 
barque  vient  ici  !  » 


Mais  déjà  elle  devenait  décolorée,  —  comme  une 
blanche  marguerite  —  que  les  dards  (du  soleil)  brû- 
lent, à  peine  épanouie  ;  —  et  Vincent,  l'effroi  dans 
l'âme,  —  accroupi  près  de  sa  bien-aimée,  —  la  re- 
commande à  Notre-Dame,  —  la  recommande  aux 
Saintes  et  aux  Saints  du  Paradis. 


On  avait  allumé  des  cierges...  —  Ceint  de  l'étole 
violette,  —  vint  le  prêtre  avec  le  pain  angéliquo  — 
rafraîchir  son  palais  qui  brûle  ;  —  puis  il  lui  donna 
l'Onction  extrême,  —  et  l'oignit  avec  le  Chrême  saint 
—  en  sept  parties  de  son  corps,  selon  Tus  catho- 
lique. 


41. 


486  MIRÈIO,    GANT  XII. 

D'aquéu  moumen  tout  èro  en  pauso; 

Noun  s'entendié  dessus  la  lauso 
Que  Voremus  dôu  prèire.  Au  flanc  de  la  paret, 

Lou  jour-fali  que  se  prefoundo 

Esvalissié  si  clarta  bloundo, 

E  la  marino  à  bèllis  oundo 
Plan-plan  venié  se  roumpre  em'un  long  jafaret. 

Ageinouia,  soun  tendre  amaire, 

Emé  soun  paire,  emé  sa  maire, 
Trasien  detèms  en  tèms  un  senglut  rau  e  sourd. 

—  Anen  !  digue  Mirèio  encaro, 

La  despartido  se  prépare. . . 

Anen  !  touquen-nous  la  maii  aro, 
Que  dôu  front  di  Mario  aumento  la  lusour. 

A  l'endavans,  li  flamen  rose 
Courron  déjà  di  bord  dôu  Rose.. 

Li  tamarisso  en  flour  coumençon  d'adoura. 
0  boni  Santo  !  me  fan  signe 
D'ana  'm'  éli,  qu'ai  rènà  cregue, 
Que,  coume  entèndon  is  Ensigne, 

Sa  barco  en  Paradis  tout  dre  nous  menara. 

Mèste  Ramoun  ie  digue  :  Migo, 
D'avé  'strassa  tant  de  garrigo, 

De  que  vai  me  servi,  se  partes  dôu  masel? 
Car  l'afecioun  que  m'ajudavo, 
De  tu  venié!  La  caud  lardavo, 
Lou  fîo  di  mouto  m'assedavo... 

Mai  te  vèire  empourtavo  e  la  caud  e  la  set  ! 


MIREILLE,  CHANT  XII.  487 

En  ce  moinenl,  tout,  était  calme;  —  on  n'entendait 
sur  la  dalle  —  que  YOremus  du  prêtre.  Au  flanc  de 
la  muraille,  —  le  jour  défaillant  qui  s'engloutit  — 
évanouissait  ses  reflets  blonds,  —  et  la  mer,  à  belles 
ondes,  —  lentement  venait  se  rompre  avec  un  long 
bruissement. 


Agenouillés,  son  tendre  amant,  —  avec  son  père, 
avec  sa  mère,  —  poussaient  de  temps  en  temps  un 
sanglot  rauque  et  sourd.  —  «  Allons  !  dit  Mireille 
encore,  —  la  séparation  se  prépare...  —  Allons! 
toucbons-nous  la  main  ores,  —  car  du  front  des 
Maries  augmente  l'auréole. 


«  Au-devant  (d'elles),  les  flamants  roses  —  accou- 
rent déjà  des  bords  du  Rhône...  —  Les  tamaris  en 
fleur  commencent  d'adorer...  —  0  bonnes  Saintes  1 
elles  me  font  signe  —  d'aller  avec  elles,  —  que  je 
n'ai  rien  à  craindre,  —  que,  vu  qu'elles  entendent 
aux  constellations,  —  leur  barque  en  Paradis  tout 
droit  nous  mènera.  » 


Maître  Ramon  lui  dit  :  «  Amie,  —  d'avoir  essarté 
tant  de  brandes,  —  que  va-t-il  me  servir,  si  lu  pars 
de  la  maison?  —  car  l'ardeur  qui  m'aidait  —  venait 
de  toi  !  Le  chaud  dardait,  — le  feu  des  glèbes  m'alté- 
rait...—  mais  te  voir  emportait  et  le  chaud  el  la 
soif.  » 


488  MÎP.ÈIO",  CANT  XII. 

—  Se  'n  cop  veirés  à  voste  liime 
Quauque  sanl-fèli  que  s'alume, 

Bon  paire,  sara  iéu...  Li  Santo,  sus  la  pro, 
Soun  drecho  que  m'espèron...  Eto  ! 
Esperas-me  'no  passadeto. . . 
Vau  plan,  iéu,  que  siéu  malauteto... 

La  maire  alor  esclato  :  Oh!  noun,  houn,  acô  *s  trop  I 

Vole  pas,  vole  pas  que  mores  ' 
Emé  iéu  vole  que  demores  ! 

E  pièi,  ma  Mireiouno,  e  pièi,  se  'n  cop  vas  bèn, 
Anaren  vers  ta  tanto  Âurano 
Pourta  'n  canestèu  de  miôugrano  : 
Di  Baus  n'èi  pas  bèn  liuen  Maiano, 

E  se  pôu  dins  un  jour  faire  lou  vai-e-vèn. 

—  Noun,  es  pas  liuen,  bono  maireto  ! 
Mai,  boutas  !  lou  farés  souleto  !... 

Ma  maire,  pourgès-me  mis  ajusl  blanquinèu. 

Vè  li  blanco  e  bèlli  mantiho, 

Qu'an  sus  l'espalo  li  Mario  ' 

Quand  a  neva  sus  li  mountiho, 
Pas  tant  bléujo  èi  la  nèu,  la  tafo  de  la  nèu  ! 

Lou  brun  trenaire  de  garbello 

Te  crido  alor  :  Moun  tout,  ma  bello, 
Tu  que  m'aviés  dubert  toun  fres  palais  d'amour, 

Toun  amour,  aumorno  flourido  ! 

Tu,  tu  pèr  quau  ma  labarido 

Coume  un  mirau  s'èro  clarido, 
E  sens  crento  jamai  di  marridi  rumour  ; 


MIREILLE,    CHANT  XII.  489 

—  «  Quand  vous  verrez  à  votre  lampe  —  quelque 
phalène  s'allumer,  —  bon  père,  ce  sera  moi...  Les 
Saintes,  sur  la  proue,  —  sont  debout  qui  m'atten- 
dent. . .  Oui  !  —  Attendez-moi  un  court  instant. . .  — 
Je  vais  lentement,  moi  qui  suis  malade...  » — La 
mère  alors  éclate  :  «  Oh  !  non,  non,  c'en  est  trop  ! 


«  Je  ne  veux  pas,  je  ne  veux  pas  que  tu  meures! 

—  avec  moi  je  veux  que  tu  restes  !  —  Et  puis,  ô  ma 
Mireille,  et  puis,  si  une  fois  tu  vas  bien,  —  nous  irons 
chez  ta  tante  Aurane  —  porter  une  corbeille  de  gre- 
nades :  —  des  Baux  ce  n'est  pas  bien  loin,  Maillane*, 

—  et  l'on  peut  en  un  jour  aller  et  revenir.  » 


—  «  Non,  ce  n'est  pas  loin,  bonne  mère!  — mais, 
allez  1  vous  ferez  seulette  (le  voyage)  ! . . .  —  Ma  mère, 
donnez-moi  ma  parure  blanche  ! . . . —  Voyez-vous  les 
blanches  et  belles  mantilles —  qu'ont  sur  l'épaule  les 
Maries  !  —  Quand  il  a  neigé  sur  les  monticules,  — 
moins  éblouissante  est  la  neige,  la  splendeur  de  la 
neige!  » 

Le  brun  tresseur  de  corbeilles  —  lui  crie  alors  : 
«  Mon  tout,  ma  belle,  —  toi  qui  m'avais  ouvert  ton 
frais  palais  d'amour,  —  ton  amour,  aumône  fleurie  *! 
—  toi,  toi  par  qui  ma  bourbe  —  comme  un  miroir 
s'était  clarifiée,  —  et  sans  crainte,  jamais,  des  mau- 
vaises rumeurs  ; 


400  MIRÈIO,   GANT  XII. 

Tu,  la  perleto  de  Prouvènço, 
Tu,  lou  soulèu  de  ma  jouvènço, 

Sara-ti  di  que  iéu,  ansin,  dôu  glas  mourtau 
Tant  lèu  te  veguetressusanto?... 
Sara-ti  di,  vous,  grandi  Santo, 
Que  l'aurés  visto  angounisanlo 

E  de-bado  embrassa  vôsti  sacra  lindau  ? 

Su  'cô-d'aqui,  la  jouveineto 
le  respoundeguè  plan-planeto  : 

0  moun  paure  Vincèn,  mai  qu'as  davans  lis  iue? 
La  mort,  aquéu  mot  que  t'engano. 
Qu'es?  une  nèblo  que  s'esvano 
Emé  li  clar  de  la  campano, 

Un  sounge  que  reviho  à  la  fin  de  la  niue  ! 

Noun,  more  pas  !  Iéu,  d'un  pèd  proumte 
Sus  la  barqueto  déjà  mounte... 
Adieu,  adieu  î . . .  Déjà  nous  emplanan  sus  mar  ! 
La  mar,  bello  piano  esmougudo, 
Dôu  Paradis  èi  l'avengudo, 
Car  la  bluiour  de  l'estendudo 
Tout  à  Tentour  se  toco  emé  lou  toumple  amar. 

Ai  !...  coumel'aigo  nous  tintourlo  ! 

De  tant  d'astre  qu'amount  penjourlo, 
N'en  trouvarai  bèn  un,  mounte  dous  cor  ami 

Libramen  poscon s'ama !...  Santo, 

Es  uno  ourgueno,  alin,  que  canto?... 

E  souspirè  l'angounisanto, 
E  revessè  lou  front,  coume  pèr  s'endourmi... 


MIREILLE,   CHANT  XII.  491 

«  Toi,  la  perle  de  Provence,  —  toi,  le  soleil  de  ma 
jeunesse,  —  sera-t-il  dit  qu'ainsi,  des  glaces  delà 
mort,  —  sitôt  je  te  voie  suante?  —  Sera-t-il  dit,  ô 
grandes  Saintes,  —  que  vous  l'aurez  vue  agoni- 
sante —  et  vainement  embrasser  vos  seuils  sacrés?  » 


Là-dessus,  la  jeune  fille  —  lui  répondit  d'une  (voix) 
lente:  —  «  Omon  pauvre  Vincent,  maisqu'as-tudc- 
vant  les  yeux?  —  La  mort,  ce  mot  qui  te  trompe,  — 
qu'est-ce?  un  brouillard  qui  se  dissipe  —  avec  les 
glas  de  la  cloche,  —  un  songe  qui  éveille  à  la  fin  de 
la  nuit! 


«  Non,  je  ne  meurs  pas!  D'un  pied  léger  —je 
monte  déjà  sur  la  nacelle  ! . . .  —  Adieu,  adieu  ! . . .  Déjà 
nous  gagnons  le  large,  sur  la  mer!  —  La  mer,  belle 
plaine  agitée,  —  est  l'avenue  du  Paradis,  —  car  le 
bleu  de  l'étendue  —  touche  tout  alentour  au  gouf- 
fre amer. 


«  Aïe!...  comme  l'eau  nous  dodeline!...  —  Parmi 
tant  d'astres  là-haut  suspendus,  — j'en  trouverai  bien 
un  où  deux  cœurs  amis  —  puissent  librement  s'ai- 
mer!... Saintes,  —  est-ce  un  orgue,  au  loin,  qui 
chante?...  »  —  Et  l'agonisante  soupira,  —  et  ren- 
versa le  front,  comme  pour  s'endormir... 


492  MIRÊIO,   GANT  XII. 

Is  èr  de  sa  risènto  caro, 

Aurien  di  que  parlavo  encaro... 
Mai  déjà  li  Santen,  à  l'entour  de  l'enfant 

Un  après  l'autre  s'avançavon, 

E  'm'  un  cire  que  se  passavon 

Un  après  l'autre  la  signavon... 
Atupi,  si  parent  arregardon  que  fan. 

Au  liogo  d'èstre  mourtinouso, 

Eli  la  veson  luminouso  ; 
An  bèu  la  senti  frejo,  au  cop  descounsoula 

Noun  volon  pas,  noun  podon  crèire. 

Mai  Vincèn,  eu,  quand  la  vai  vèire 

Emé  soun  front  que  pènjo  à  rèire, 
Si  bras  enregouï,  sis  lue  coume  entela  : 

—  Es  morto  !...  vesès  pas  qu'es  morto?... 
E  coume  torson  li  redorto, 

A  la  desesperado  eu  tourseguè  si  poung  ; 
E  'mé  si  bras  foro  di  mancho, 
Acoumencèron  li  coumplancho  : 
l'a  pas  que  tu  que  saras  plancho  ! 

Emé  tu  de  ma  vido  a  toumba  lou  cepounî 

Es  morto  ! . . .  Morto?  Es  pas  poussible  I 

Fau  qu'un  Demôni  me  lou  sible.... 
^arlas,  au  noum  de  Dieu,  boni  gènt  que  sia  'qui^ 

Vautre,  avès  agu  vist  de  morto  : 

Digas-me  s'en  passant  li  porto 

Risoulejavon.de  la  sorto  !... 
Pas  verai  qu'a  sis  èr  quasimen  ajouguit 


MIREILLE,  CHANT  XII.  49Ô 

A  l'air  de  son  visage  souriant,  —  on  aurait  dit 
qu'elle  parlait  encore...  —  Mais  déjà  les  Saintins, 
autour  de  l'enfant,  —  un  après  l'autre,  s'avançaient, 

—  et  avec  un  cierge  qu'ils  se  passaient,  —  ils  lui 
faisaient,  un  après  l'autre,  le  signe  (de  la  croix).... 

—  Atterrés,  les  parents  contemplent  ce  qu'ils  font. 


Loin  qu'elle  soit  livide,  —  eux  la  voient  lumineuse. 

—  Vainement  ils  la  sentent  froide  ;  au  coup  inconso 
lable  —  ils  ne  veulent  pas,  ils  ne  peuvent  croire.  — 
Mais  Vincent ,  lui,  lorsqu'il  la  voit —  avec  son  front 
qui  pend  en  arrière,  —  ses  bras  roidis,  ses  yeux 
comme  voilés  : 

'  —  «  Elle  est  morte!...  Ne  voyez-vous  pas  qu'elle 
est  morte?. . .  »  —  Et  comme  on  tord  les  harts  d'osier, 

—  en  désespéré  il  tordit  ses  poings  ;  —  et,  les  bras 
hors  des  manches,  —  commencèrent  les  complaintes  : 

—  «  Il  n'est  pas  que  toi  qui  seras  pleurée  !  —  Avec 
toi  de  ma  vie  est  tombé  le  tronc  ! 


«  Elle  est  morte!...  Morte?  Ce  n'est  pas  possible! 
—  Un  Démon  doit  me  le  siffler...  —  Parlez,  au  nom 
de  Dieu,  bonnes  gi;  ns  qui  êtes  là,  —  vous  avez  vu 
des  mortes  :  —  dites-moi  si,  en  passant  les  portes,  — 
elles  souriaient  ahisi!...  —  Vraiment  n'a-t-elle  pas 
ses  traits  presque  enjoués? 


42 


404  ÎIIRÈID,   GANT  XIL 

Maide-quefan?...  viron  latèsto, 
Soun  tôuti  gounfle  !  Ah  !  n'i'a  de  rèsto  ! 

Ta  voues,  toun  dous  parla,  iéu  l'entendrai  pas  plu  !, 
Aqui  de  tôuti  lou  cor  boundo, 
Un  lavàssi  de  plour  desboundo, 
Lou  crèbo-cor  au  planh  dis  oundo 

Apoundeguè  subran  un  desbord  de  senglut. 

Ansin,  dins  uno  grand  manado. 

Se  'no  ternenco  es  debanado, 
A  l'entour  dôu  cadabre  estendu  pèr  toujour, 

Nôu  vèspre  aderrèn,  tau  e  tauro 

Van,  souloumbrous,  ploura  la  pauro , 

E  la  palun,  e  l'oundo,  e  l'auro 
De  si  doulourous  bram  restountisson  nôu  jour. 

—  Vièi  Mèste  Ainbroi,  plouro  toun  drôle  ' 

Ai!  ai!  ai!  Vincèn  fasié,  vole, 
Santen,  que  dins  lou  cros  ein'  elo  m'empourtés.  . 

Aqui,  ma  bello,  à  moun  auriho 

Tant-e-pièi-mai  de  ti  Mario 

Me  parlaras;...  e  de  couquiho, 
0  tempèsto  de  mar,  aqui  nous  acatés  ! 

Bràvi  Santen,  de  vous  me fise  !... 

Fasès  pèr  iéu  ce  que  vous  dise  : 
Pèr  un  dôu  coume  aquéu  es  pas  proun  lou  ploura  l 

Cavas-nous  dins  l'areno  molo 

Pèr  tôuti  dous  qu'uno  bressolo  ! 

Aubouras-ie  'noclapeirolo, 
Pèr  que  l'oundo  jamai  nous  posque  séparai 


MIREILLE,  CHANT   XII.  W5 

«  Mais  que  font-ils?...  ils  détournent  la  tête,  — 
tous  sont  gros  (de  sanglots)!...  Ah!  en  voilà  de 
reste!...  —  Ta  voix,  ton  doux  parler,  je  ne  l'enten- 
drai plus  ! . . .  J)  —  Là,  le  cœur  de  tous  bondit,  —  une 
averse  de  pleurs  débonde,  —  le  crève-cœur  à  la  plainte 
des  vagues  —  ajouta  tout  à  coup  un  débordement  do 
sanglots. 

Ainsi,  dans  un  grand  troupeau,  —  si  une  génisse 
a  succombé,  —  autour  du  cadavre  étendu  pour  tou- 
jours, —  neuf  soirs  consécutifs,  taureaux  et  taures 
—  viennent,  sombres,  pleurer  la  malheureuse,  —  et 
le  marécage,  et  l'onde,  et  le  vent  —  de  leurs  doulou- 
reux mugissements  retentissent  neuf  jours. 


—  «Vieux  Maître  Ambroise,  pleure  ton  fils  !  —  Hé- 
las !  hélas  !  faisait  Vincent,  je  veux,  —  Saintins,  que 
dans  la  fosse  avec  elle  vous  m'emportiez...  —  Là, 
ma  belle,  à  mon  oreille,  —  tant  et  plus  de  tes  Maries 
—  tu  me  parleras. ..  et  de  coquillages,  —  ô  tempêtes 
des  mers,  là  puissiez-vous  nous  couvrir! 


«  Bons  Saintins,  je  me  confie  en  vous...  —  Faites 
pour  moi  ce  que  je  vous  dis  i  —  Pour  un  deuil  pareil, 
ce  n'est  pas  assez  que  les  pleurs  !  —  Creusez-nous 
dans  l'arène  molle  —  pour  tous  deux  un  seul  ber- 
ceau !  —  Élevez-y  un  tas  de  pierres,  —  afin  que  ja- 
mais l'onde  ne  puisse  nous  séparer. 


496  MIREIO.  CANT  XII. 

E  d'enteriii  qu'i  lio  moiinte  èro 

Se  turtaran  lou  front  sus  terro 
Dôu  remors,  iéuem'  elo,  enclaus  d'un  blu  seren, 

Souto  lis  aigo  atremoulido, 

0,  iéu  'mé  tu,  ma  tant  poulido  ! 

Dins  de  brassado  trefoulido 
Longo-mai  e  sens  fin  nous  poutounejaren! 

E,  desvaga,  lou  panieraire 

A  la  perdudo  vèn  se  traire 
Sus  lou  cors  de  Mirèio,  e  lou  desfourtuna 

Dins  si  brassado  fernetico 

Sarro  la  morto....  Lou  cantico, 

Eilavau  dins  la  glèiso  antico, 
Coume  eiçô  tournamai  s'entendié  ressouna  : 

0  bèlli  Santo,  segnouresso 

De  la  planuro  d'amaresso, 
Clafissès,  quand  vous  plais,  de  pèis  nôsti  fielat! 

Mai  à  la  foulo  pecadouiro 

Qu'à  vosto  porto  se  doulouiro., 

0  blànqui  flour  de  la  sansouiro, 
S'èi  de  pas  que  ie  fau,  de  pas  emplissès-la  ! 


Maiano  [Bouco-déu-Rose], 
Lou  Mu  jour  de  la  Candelouso,  de  l'an  1859. 


FIN 


MIREILLE,  CHANT  XII.  497 

(.(.  Et  pendant  qu'aux  lieux  où  elle  était,  —  ils  se 
heurteront  le  front  sur  la  terre  —  de  remords,  elle 
et  moi,  enveloppés  d'un  serein  azuré,  —  sous  les 
eaux  tremblotantes,  —  oui,  moi  et  toi,  ma  si  jolie  ! 
—  dans  des  embrasscments  délirants  —  à  jamais  et 
sans  fin  nous  mêlerons  nos  baisers  !  » 


Et,  hors  de  lui,  le  vannier  —  éperdument  vient  se 
jeter  —  sur  le  corps  de  Mireille,  et  l'infortuné  — 
dans  ses  embrassements  frénétiques  —  serre  la 
morte!...  Le  cantique  — là-bas,  dans  la  vieille  église, 
—  ainsi  de  nouveau  s'entendait  résonner  : 


«  0  belles  Saintes,  souveraines  —  de  la  plaine 
d'amertume,  —  vous  comblez,  quand  il  vous  plaît, 
de  poissons  nos  filets  !  —  Mais  à  la  foule  pécheresse 
—  qui  à  votre  porte  se  lamente,  —  ô  blanches  fleurs 
de  (nos)  landes  salées,  —  si  c'est  la  paix  qu'il  faut, 
de  paix  eniplissez-la  !  » 


Maillane  {Bouches-du-RhÔne}, 
le  beau  jour  de  la  Chandeleur,  de  l'année  1859. 


FIN 


41 


NOTES 

DI]  CHAÎ^T   DOUZIÈME 


«  A.rgens  [Argèris],  rivière  du  département  du  Var. 

2  Les  Saintins  {li  Santen),  habitants  de  la  ville  des  Sainles-ÎIa- 
ries. 

sSansouire  [tansouîro]  (Voyez  Chant  X,  note  8.)  -  Vaccarés 
{Vacarés).  (Voyez  Chant  IV,  note  10.) 

*  Maillane,  village  de  l'arrondissement  d'Arles,  patrie  de  l'au- 
teur. 

s  Aumône  fleurie  [aumorno  flourido) ,  aumône  que  le  pauvre  qui 
l'a  reçue  donne  à  un  autre  pauvre,  poétique  locution  qui  signifie 
par  extension  rare  bienfait. 


MAGALI 

MÉLOniE  PROVENÇALE  POPULAIRE 


TRANSCRITE 

PAR    FR.   SEGUIN 


CHANT 


PIANO 


Allegretto. 


P 


0     Ma  -  ga  -  li,      ma  tant     a 


^ 


G)TS=g 


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|^^^^j^gE^^b:jj^ 


-ma-do,Mete  la    tèlo  au  fe  -  nes-troun:    Escoutoun 


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T^r 


SgE^ 


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S 


i^^^^i^^ 


pau    aquesto  au -ba  -  doDetambou-rin  c  de    vi6u« 


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m=p 


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loun.      Eiplend'es-lelloa-pe-ramount!  L'auro  es  loum- 


^rF---H=^^^d=#^^ 


r=n 


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z^ 


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ba  -  do;  Mai  lis  es  -  tel-lo  pa-li  -ran,  Quand  te  veiran  ! 


^ 


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:p,^ 


fe 


^^5^; 


^r=ffi' 


iÉËEt 


PROCÉDÉ    ».   CIIRMER 


TABLE 


TAULO 


fltlS  SDR  LA  PBONONCIATION  PROVENÇAIB. 


CANT    PROUMIÉ    —    LOU   MAS   DI   FALABREGO 

Espousicioun.  —  Invoucacioun  au  Crist,  nascu  dinsla  pastriho.  —  Un 
vièi  panieraire,  Mèste  Ambrôsi ,  emé  soun  drôle,  Vincên  ,  van  de- 
manda la  retirado  au  Mas  di  Falabrego.  —  Mirèio  ,  filio  de  Mùsto 
Ramoun,  lou  mèstre  dôu  mas,  ie  fai  la  benvengudo. — Li  làfi,  après 
soupa,  fan  canta  Mèste  Ambiosi.  —  Lou  vièi,  àutri-fes marin,  canto 
un  coumbat  navau  dôu  lîaile  Sufren.  —  Mirèio  questiouno  Vincên. 
—  Récit  de  Vincên  :  la  casso  di  cantarido,  la  pesco  dis  iruge,  lou 
miracle  di  Sànti  Mario,  la  courso  dis  ome  à  Nimes.  —  Mirèio  es 
cspantado  e  soun  amour  pounchejo 2 


CAKT    SEGOUND   —   LA    CUIIDO 


Jliréio  cuei  de  fueio  d'amourié  pèr  si  magnan.  —  D'asard,  Vincên  lou 
panieraire  passo  au  carreiroun  vesin.  —  La  chato  lou  sono.  —  Lou 
drôle  cour,  e  pèr  i'ajuda,  mounto  em'clo  sus  l'aubre.  —  Chai-ra- 
disso  di  dous  enfant.  —  Vincên  l'ai  la  coumparesoun  de  sa  serre 
Vinceneto  emé  Mirèio.  — Lou  nis  de  pimparrin.  —  La  branco  routo: 
Mirèio  emé  Vincên  toumbon  de  l'aubre.  —  L'amourouso  chatouno 
se  de.claro.  —  Lou  drôle  apassiouna  desboundo.  —  La  Cabro  d'or, 
la  figuiero  de  Vaucluso. —  Mirèio  es  sounado  pèr  sa  maire.  — 
Escaufèstre  e  separacioun  di  calignaire SO 


TABLE 


CHANT  PREMIER  —  LE  MAS  DES  MICOCOULES 


Exposition.  —  Invocation  au  Ciirist,  né  parmi  les  pâtres.  —  Un  vieux 
vannier,  Jlaître  Ambroise,  et  son  fils  \  incent,  vcnit  demander  l'iios- 
pitalilé  au  Was  des  -Micocoules.  --  Mireille,  liUc  de  l'aitie  riamon, 
le  maître  de  la  ferme,  leur  fait  la  bienvenue.  —  Les  laboureurs, 
après  le  repas  du  soir,  invitent  Maître  .4mbroise  à  chanter.  —  Le 
vieillard,  autrefois  marin,  chante  un  combat  naval  du  Bailli  de 
^uffl■en.  —  Mireille  questionne  Vincent.  —  Récit  de  Vincent  :  la 
chasse  aux  canMiarides,  la  pêche  des  sangsues,  le  miracle  des 
Saintes  Maries,  la  course  des  hommes  à  Kimes.  —  Ravissement  de 
Mireille,  naissance  de  son  amour 5 


CHANT    DEUXIEME  —   LA    CUEILLETTE 

Mireille  cueille  des  feuilles  de  mûrier  pour  ses  vers  à  soie.  —  Par 
hasard,  Vincent,  le  racco'iimodeur  de  coibeillos,  passe  au  sentier 
voisin.  —  La  jeune  lillc  InppcHe.  -  Le  ;jnrs  accoui't,  et,  pour 
l'aider,  monte  avec  elle  sur  l'arbre.  —  Causerie  des  deux  enfants. 

—  Vincent  fait  le  parallèle  de  sa  sœur  Vincenette  et  de  Mireille. — 
Le  nid  de  mésanges  bleues.  —  La  branche  rompue  :  Mireille  et 
Vincent  tombent  de  l'arbre.  —  La  jeune  fille  déclare  son  amour. 

—  Brûlante  explosion  du  jeune  homme.  —  La  Chèvre  d'or,  le  figuier 
de  Vaucluse.  —  Mireille  est  rappelée  par  sa  mère.  —  Émoi  et  sépa- 
ration des  deux  amants. •  .  * 


TAULO. 


CANT  TUESEN  —  LA  DE SCOUC OUNA DO 

Li  recordo  prouvençalo.  —  Au  Masdi  Falabrego,  un  gai  roudeict  de 
chato  descoucoanon.  — Jano-Mario,  maire  de  Mirèio.  —  Taven,  la 
masco  di  Baus.  — La  malo-visto.  —  l.i  descoucounarello  lan,  pèr 
passo-têms,  de  castèu  en  Prouvénço.  —  La  fièro  Lauro,  rèino  de 
Pamparigousto.  —  Clemènço,  rèino  di  Baus.  —  Lou  Ventour,  lou 
Rose,  la  Durènço.  —  Azalaïs  e  Viôulano.  —  La  Court  d'amour.  — 
Lis  amour  de  Mirèio  e  de  Vincèn  descuberto  pèr  Kourado.  —  Li 
galejado.  —  Tavèn  la  masco  fai  teisa  li  chato  :  l'ermitan  dôu  Lu- 
beroun  e  lou  sant  pastre.  —  Noro  canto  Magali 88 


CANT    QDATREN    —    LI    DEMANDAIRE 

Lou  tèms  di  viôuleto.  —  Li  pescadou  dôu  Martegue.  —  Très  cali- 
gnaire  vènon  demanda  Mirèio  :  Alàri  lou  pastre  ;  Veran  lou  gardian; 
Ourrias  lou  toucadou.  —  Alàri,  si  capitau  d'avé.  —  La  toundesoun. 

—  Visto  d'un  escabot  que  davalo  dis  Anpo,  anant  en  ivernage.  — 

Entrevisto  d'Alàri  emé  Mirèio.  —  Lis  Antico  de  Sant-Roumiè 

Liéurêio  dôu  pastre,  lou  coucourelet  de  bonis  escrincela.  — Alàri 
es  chabi.  —  Lou  gardian  Veran.  —  Li  cavalo  blanco  de  Camargo. 

—  Veran  demande  Mirèio  à  Môste  Ramoun.—  Lou  vièi  lou  re(,-aup 
en  grand  joio,  Mirèio  lou  refuso.  —  Ourrias,  lou  doumtaire  de  tau- 

—  Li  brau  nègre  sôuvage.  —  La  Ferrado.  —  Ciurrias  e  Miièio  à  la 
font.  —  Lou  toucadou  es  chabi 1.30 


CANT   CINQUEN    —    LA    BàTÈSTO 


Lou  bouvaliè  i'entorno,  furious  dôu  refus  de  Mirèio.  —  Calignage 
de  Mirèio  emé  Vincèn.  —  L'erbo  di  frisoun.  —  Ourrias  rescontro 
Yincenet,  e  brutalamen  ie  cerco  reno.  —  Li  prejit  :  Jan  de  l'Ourse. 
—  Mourtalo  batèsto  di  dous  rivau  dins  la  Crau  vasto.  —  Vitôri  e 
Venerouseta  de  Vincenet.  —  Traitesso  dôu  toucadou.  —  Ourrias 
Vauco  Vincèn  d'un  cop  de  ficheiroun.  e  fugis  au  galop  de  sa  ca- 
valo. —  Arribo  au  Rose.  —  Li  très  barquié  fantasli.  —  Lou  batèu 
s'enarco  souto  lou  pes  de  l'assassin.  —  La  niue  de  sant  Medard  : 
proucessioun  di  negadis  sus  lou  dougan  dôu  flume.  —  Ourrias 
s'aproufoundis.— Danso  di  Trévo  bus  lou  pont  de  Trincataio.     170 


TABLE.  505 


CHANT   TROISIEME    —    LE   DEPOUILLEMENT   DES    COCONS 

€S  récoltes  provençales.  —  Au  Mas  des  Micocoules,  une  joyeuse 
réunion  de  jeunes  fiUcs  détache  des  rameaux  les  cocons  des  vers  à 
soie.  —  Jeanne-Marie,  mère  de  Mireille.  —  ïavèn,  la  sorcière  des 
Baux.  —  La  mauvaise  œillade.  —  Les  dépouilleuses  de  cocons,  pour 
passer  le  temps,  font  des  châteaux  en  Provence.  —  La  ficTe  Laure, 
reine  de  Pamparigouste.  —  Clémence,  reine  des  Baux.  —  Le  Ven- 
tour,  le  Rhône,  la  IXuance.  —  Azalaïs  et  Violane.  —  La  Cour  d'a- 
mour.—  Les  amours  de  Mireille  etde  Vincent  divulgués  parNorade. 
—  Railleries  des  jeunes  filles.  —  La  sorcière  Tavên  leur,  impose 
silence  :  l'ermite  du  Lubéron  et  le  saint  pâtre.  —  Nore  chante 
Magali 89 


CHANT    QUATRIEME   —  lES    PRETENDANTS 

ta  saison  des  violettes.  —  Les  pêcheurs  du  Martigue.  —  Trois  préten 
dants  briguent  la  main  de  Mireille  :  Alàri,  le  berger;  Véran,  le 
gardien  de  chevaux;  0unias,  le  toucheur  de  taureaux. —  Alàri,  ses 
richesses  en  brebis.  —  La  tonte.  —  La  transhumance  :  description 
d'un  grand  troupeau  qui  descend  des  Alpes.  —  Entrevue  d'Alûri  et 
de  Mireille.  —  Le  mausolée  de  Saint-Remy.  —  Offrande  du  berger 
la  coupe  de  buis  sculpté.  —  Alàri  est  éconduit.  —  Véran,  le  gardien 
de  chevaux.  —  Les  cavales  blanches  de  Camargue.  —  Véran  de 
mande  Mireille  à  Maître  Ramon.  —  Joie  et  bon  accueil  du  vieillard; 
refus  de  Mireille.  —  Ourrias,  le  dompteur  de  taureaux.  —  Les 
taureaux  noirs  sauvages.  —  La  Ferrade.  —  Ourrias  et  Mireille  à  la 
fontaine.  —  Le  toucheur  est  éconduit 131 


CHANT  CINQUIEME  —  LE  COMBAT 

Le  bouvier  s'en  retourne,  furieux  du  refus  de  Mireille.  —  Les  amours 
de  Vincent  et  de  Mireille.  —  La  Valisneria  spiralis.  —  Rencontre 
d'Ourrias  et  de  Vincent.  —  Brutale  agression  du  bouvier.  —  Let 
invectives  :  Jean  de  l'Ours.  —  Combat  à  mort  des  deux  rivaux  dans 
la  Cxau  déserte.  —  Victoire  et  générosité  de  Vincent.  —  Félonie  du 
toucheur.  —  Ourrias  perce  Vincent  d'un  coup  de  trident  et  fuit  au 
galop  de  sa  cavale.  —  Il  arrive  au  Rhône.  —  Les  trois  bateliers 
fantastiques.  —  La  barque  se  révolte  sous  le  poids  de  l'assassin. 
—  La  nuit  de  Sainl-.Médard  :  procession  des  noyés  sur  la  rive  du 
fleuve.  —  Ourrias  est  englouti.  —  Danse  des  Trêves  sur  le  pont  de 
Trinquetaitle " 171 

43 


505  TAULO. 


CANT   SIEISEN   —    LA   MASCO 

l'aubo,  très  pourcatié  trovon  Vincèn  clins  soun  sang,  estendu  dins 
lis  erme  de  Cran.  —  L'adnson  à  la  brasseto  au  Mas  di  Falabrego. 

—  Digrcssioun  :  Fou  Felibre  se  reconmando  à  sis  ami,  H  felibre 
de  Prouvènço.  —  Doulour  de  Mirêio.  — Porton  Vincèn  au  Trau  di 
Fado,  caforno  dis  Esperit  de  niue  e  demouranço  de  la  masco  Ta- 
ven,  escounjurarolto  de  tout  man.  —  Li  Fado.  —  Mirêio  acoum- 
pagno  soun  calignaire  dins  li  borno  de  la  mountagno.  —  l.a  Man- 
dragouro.  —  Lis  aparicioun  de  la  baumo  :  Li  Fouletoun,  l'Esperit 
Fantastr,  la  Bugadiero  dôu  Ventour.  —  Raconte  de  la  masco  :  la 
Messo  dr  Mort,  lou  Sabatôri,  la  Garamaudo,  lou  Gripet,  la  Bam- 
baroucho,  la  Chaucho-Vièio,  lis  Escarinche,  li  Dra,  lou  Chin  de 
Cambau,  lou  Baroun  Castihoun.  —  L'Agnèu   nègre,  la  Cabro  d'or. 

—  Taven  escounjuro  la  plago  de  Vincci».  —  Enauramen  c  prou- 
fetiso  de  la  masco 214 


CANT    SETEN.    —   LI   VIEI 

Lob  viêi  panieraire  emé  soun  fléu,  assefa  davans  lou  lindau  de  sa 
bôri,  trenon  uno  canestello.  —  Lou  ribeirés  dôu  Rose.  —  Vincèn. 
dis  à  soun  paire  d'ana  demanda  Mirêio  en  mariage.  —  Refus  e  re- 
moustranço  dôu  vièi. — Vinceneto,  sorre  de  Vincèn,  pèr  ajuda  soun 
traire  à  touca  Mèste  Ambroi,  conto  l'istori  de  Sivéstre  emé  d'Alis 

—  Partènço  de  Mèste  Ambroi  pèr  lou  Mas  di  Falabrego.  —  L'arri- 
bado  e  lou  gousta  di  meissouniè Mèste  Ramoun.  —  Lou  labour. 

—  Récit  d'Ambrosi,  responso  de  Ramoun.  —  La  taulo  de  Calèndo. 

—  Mirêio  declaro  soun  amour  pèr  lou  fléu  dôu  panieraire.  —  Ama- 
liciado,  emprecacioun  e  refus  di  parent. —  Endignacioun  de  Mèste 
Ambroi.  —  Napoléon  e  li  grandi  guerro.  —  Encagnamen  de  Mèste 
Ramoun.  —  Lou  soudard  labouraire.  —  Farandoulo  di  meissou- 
niè à  l'entour  dôu  ûo  de  Sant  Jan 266 


CANT    VDECHEN   —   LA    CRAU 

Desesperanço  de  Mirêio.  —  Atrencaduro  d'Arlatenco.  —  La  chato,  a 
mitan  de  la  niue,  fugis  l'oustau  pairau.  —  Vai  au  toumbèu 
Sànti  Mario,  que   soun  li  patrouno  de  Prouvènço,  li  suplica 
touca  si  parent.  —  Lis  Ensigne.  —  Tout  en  courront  à  travès  ie 
Crau,  rescontro  li  pastre  de  soun  paire.  —  La  Grau,  la  guerro  di 
Gigant.  —  Li  rassado,  li  prègo-Diéu    d'estoublo,   li  parpaioun, 
averlisson  Mirêio.  —  Mirêio ,  badanto  de  la  set,  e  n'en  pouUènt 
plus  de   la  caud,    prêgo  Sant  Gènt,  que   vèn    à   soun  secours. 
—  Rescontre   d'Andreloun,  lou  cacalausié.  —  Eloge   d'Arle.  — 


TABLE. 


HANT    SIXIEME    —    LA     SORClliRE 

A  l'aube  du  jour,  trois  porchers  trouvent  Vincent  étendu  dans  le  dé- 
sert de  la  Crau,  et  baigné  dans  son  sang.  —  Us  l'apportent  dans 
leurs  bras  au  Mas  des  Micocoules.  —  Digression  :  appel  du  poète 
à  ses  amis,  les  poètes  de  Provence.  —  Douleur  de  Mireille.  —  On 
porte  Vincent  à  l'antre  des  Fées,  repaire  des  Esprits  de  la  nuit,  et 
habitation  de  la  sorcière  Tavèn,  charmeuse  de  tous  maux.  —  Les 
Fées.  —  Mireille  accompagne  son  amant  dans  les  excavations  de  la 
montagne.  —  La  Mandragore.  —  Les  apparitions-de  la  Caverne:  les 
Follets,  l'Esprit  Fantastique,  la  Lavandière  du  Ventour.  —  Récits 
de  la  sorcière  :  la  Messe  des  Morts,  le  Sabbat,  la  Garamaude,  le 
Gripet,  la  Bambarouche,  le  Cauchemar,  les  Escarinches,  les  Dracs, 
le  Chien  de  Cambal,  le  Baron  Castillon.  —  L'Agneau  noir,  la  Chèvre 
d'or.  —  Tavèn  charme  la  blessure  de  Vincent.  —  Exaltation  et  pro- 
phéties de  la  sorcière 215 


CHANT    SEPTIEME   —   LES    VIEILLARDS 

Le  vieux  vannier  et  son  fils ,  assis  devant  le  seuil  de  leur  cabane, 
tressent  une  corbeille.  —  Paysage  des  bords  du  Rhône.  —Vincent 
engage  son  père  à  aller  demander  la  main  de  Mireille.  —  Refus 
et  remontrance  du  vieillard.  — Vincenette,  sœur  de  Vincent,  se 
joint  à  son  frère  pour  fléchir  Maître  Ambroise,  et  raconte  l'his- 
toire de  Sylvestre  et  d'Alix.  —  Départ  de  Maître  Ambroise  pour  le 
Mas  des  Micocoules.  —  L'arrivée  et  le  repas  des  moissonneurs.  — 
Maître  Ramon.  —  Le  labour.  —  Récit  d'Ambroise,  réponse  de  Ra- 
mon.  —  La  table  de  Noël.  —  Mireille  avoue  son  amour  pour  le 
fils  du  vannier.  —  Courroux,  imprécations  et  refus  des  parents. 
—  Indignation  de  Maître  Ambroise.  —  Napoléon  et  les  grandes 
guerres.— Emportement  de  maître  Ramon.— Le  soldat  laboureur. — 
Farandole  des  moissonneurs  autour  du  feu  de  la  Saint-Jean.    267 


CHANT    HUITIEME    —   LA   CRAU 

ï>ésespoir  de  Mireille.  -  Toilette  d'Arlésienne:  —  La  jeune  fille  au 
milieu  de  la  nuit ,  fuit  la  maison  paternelle.  —  Elle  va  au  tom- 
beau des  Saintes  Maries  supplier  ces  patronnes  de  la  Provence  de 
lléchir  ses  parents.  —  Les  constellations.  —  Dans  sa  course  à  tra- 
vers la  Crau,  elle  rencontre  les  bergers  de  son  père.  —  La  Crau, 
la  guerre  des  Géants.  —  Les  lézards,  les  mantes  religieuses,  les 
papillons  avertissent  Mireille.  —  Mireille  haletante  de  soif,  acca- 
blée par  la  chaleur  du  jour,  implore  Saint  Gent,  qui  la  secourt.— 
Rencontre  d'Aridrclouii,  le  rainasseur  de  limaçons. — Eloge  d' Ai  les. 


TAIJLO. 

fiecil  d'Andreloun  :  istôri  dôu  Trau  de  la  Capo,  licauco,  li  caucaire 
aproufoundi.  —  Mirèio  coucho  au  tibanèu  de  la  familio  d'Andre- 
loun  516 


CANT  NOUVEN   —   L  ASSEMBLADO 


Oesoulacioun  de  M(îste  Ramoun  e  de  Jano-Mario,  quand  trovon  plus 
Mireio.-  Toul-d'un-tèms  lou  vièi  mando  souna  e  acainpo  dirf 
l'iero  tôuti  li  travaiadou  dôu  mas.  —  Li  segaire,  li  rasteiarello. 
lou  feneirage.  —  Li  carretié,  1  estremage  di  fen.  —  Li  bouié.  — 
Li  meissounié,  la  meissoiin,  li  glenarello.  —  Li  pastre.  —  Récit  de, 
Laurèn  de  Gôui,  capoulié  di  nieissounié  :  lou  cop  de  voulame.  — 
Récit  dôu  segaire  Jan  Bouquet  :  lou  nis  agarri  pèr  li  foumigo.  — 
Récit  dôu  Marran,  baile  di  ràfi  :  la  marco  de  mort.  —  Récit  d'An- 
tèurae,  lou  baile-pastre.  -Antèume  a  vist  Mirèio  qu'anavo  i  Sànti 
Mario.  —  Estrambord  e  prejit  de  la  maire.  —  Partènço  de  la 
famiho  pèr  avé  Mirèio • 353 


GANT    DESEN   —    LA    CANARGO 


Mirèio  passo  lou  Rose  dins  lou  barquet  d'Andreloun,  e  counlunio  sa 
courso  à  travès  la  Camargo.  —  Li  dougan  dôu  Rose  entre  la  mar 
e  ArJe.  -r-  Descripcioun  de  la  Camargo.  —  La  calour.  —  La  danso 
de  la  Vièio.  — -  Li  mountiho.  —  Li  sansouiro.  —  Mirèio  es  ensu- 
cado  pèr  un  cop  de  soulèu  sus  li  ribo  de  l'eslang  dôu  Vacarés. — Lis 
arabi  la  revénon.  —  La  roumiéuvo  d'amour  se  tirasso  jusqu'à  la 
glèiso  di  Santo.  —  La  preièro.  —  La  visioun.  —  Descours  di  Sànti 
Mario.  —  La  vanita  dôu  bonur  d'aquest  mounde,  la  nécessita  e  lou 
mérite  de  la  soufrênço.  —  Li  Santo,  pèr  ie  refermi  lou  cor,  racon 
ton  à  Mil  èio  sis  esprovo  terrestre 386 


CANT   VOUNCEN    —  LI    SANTO 


Li  Sànti  Mario  raconton,  qu'après  la  mort  dôu  Crist,  fuguèron  em- 
Jbandido,  emé  d'àutri  disciple,  à  la  belio  eisservo  de  la  mar,  e 
qu'abourdèron  en  Prouvènço,  e  que  ;counvertiguèron  li  pople 
d'aquelo  encountrado.  —  La  navigacioun. —  La  tempèsto.  —  Arri- 
l)ad'>  à-n-Arle  di  Sant  despalria.  —  Arle  rouman.  —  La  fèslo  de 
Venus.  —  Sermoun  de  Sant  Trefume.  —  Counversioun  dis  Arlaten. 
—  Li  Tarascounen  vèuon  iinpioura  lou  secours  de  Santo  Mario.  — 
La  Tarasco. —  SantMarciau  à  Limoge;  SantSavournin  à  Toulouso; 


TABLE.  509 

Récit  (l'AntlrÈloun  :  légeale  du  Trou  de.  la  Cape,  le  foulage  des 
gerbes,  les  fouleurs  engloutis.  —  Mireille  passe  la  nuit  sous  la 
tente  de  la  famille  d'Andreloun 3*7 


CHANT   NEUVIEME    —    h   ASSEMBLEE 

Désolation  de  Maître  Ramon  et  de  Jeanne-Marie,  en  s'apercevantde 
l'absence  de  Mireille.  —  Le  vieillard  mande  aussitôt  et  rassemble 
dans  l'aire  tous  les  travailleurs  de  la  ferme.  —  Les  faucheurs,  les 
faneuses,  la  fenaison.  —  Les  charretiers,  la  renirée  des  foins.  — 
Les  laboureurs.  —  Les  moissonneurs,  la  moisson,  les  glaneuses. 
—  Les  bergers.  —  Récit  de  Laurent  de  Goult,  chef  des  moisson- 
neurs :  le  coup  de  faucille.  —  Récit  du  faucheur  Jean  Rouquet  :  le 
nid  envahi  par  les  fourmis.  —  Récit  du  Marran,  chef  des  garçons 
de  charrue  :  le  présage  de  mort.  —  Récit  d'Antelme ,  chef  des 
pâtres.  —  Antelme  a  vu  Mireille  allant  aux  Saintes-Mariés.  — 
Transports  et  invectives  de  la  mère.  —  Départ  de  la  famille  à  la 
poursuite  de  Mireille 352 


CHANT    DIXIEME  —   LA    CAMARGUE 

Mireille  passe  le  Rhône  dans  la  nacelle  d  Andreloun,  et  poursuit  sa 
course  à  travers  la  Camargue.  —  Les  bords  du  Rhône,  entre  la 
mer  et  Arles.  —  Description  de  la  Camargue.  —  La  chaleur.  —  Le 
mirage.  —  Les  dunes.  —  Les  Sansoiiires.  —  Mireille  est  frappée 
d'un  coup  de  soleil,  sur  les  rives  de  l'étang  du  Vaccarés.  —  Les 
moustiques  la  rappellent  à  la  vie.  —  La  pèlerine  d'amour  se 
traîne  jusqu'à  l'église  des  Saintes-Mariés.  —  La  prière.  —  La 
vision.  —  Discours  des  Saintes  Maries.  —  La  vanité  du  bonheur  de 
ce  monde,  la  nécessité  et  le  mérite  de  la  souffrance.  —  Les 
Saintes,  pour  raffermir  le  courage  de  Mireille,  lui  font  le  récit  de 
leurs  épreuves  terrestres 387 


CHANT   ONZIEME    —    LES   SAINTES 


i,es  Saintes  Maries  racontent  comment,  après  la  mort  du  Christ 
ayant  été  livrées  à  la  merci  des  flots  avec  plusieurs  autres  disci- 
ples, elles  abordèrent  en  Provence,  et  convertirent  les  peuples 
de  cette  contrée.  —  La  navigation.  —  La  tempête.  —  Arrivée  des 
Saints  proscrits  à  Arles.  —  Arles  romaine.  —  La  fêle  de  Vénus. 
—  Discours  de  saint  Trophime.  —  Conversion  des  Arlésiens. —  Les 
Tarasconais  viennent  implorer  le  secours  de  Sainte  Marthe.  —  La 
Tarasque.  —  Saint  Martial  à  Limoges;  Saint  Saturnin  à  Toulouse» 


SIO  TAULO. 

Sant  Eslrôpi  en  Aurenjo.— -  Santo  Mario  douinto  la  Tarabco,  e  pié» 
couiivertis  Avignoun. —  l.a  papautaen  Avignoun.  —  Sant  Lazàri  à 
Marsiho.  —  Santo  Madaleno  d'ins  la  bauino.  —  Sant  Massemin  à- 
E-Ais.  —  Li  Sànti  Mario  i  Baus.  —  Lou  rèi  Reinié.  —  La  Prouvènço 
unido  à  la  Franco.  —  Mirèio,  vierge  e  martiro 422 


CANT  DOUGEN   —   tA  MORT 

Lou  païs  dis  arange.  — Li  Santo  remounlon  au  paradis. — Lou  paire 
emé  ]a  maire  larribon.  —  Li  Santen  mounton  Mirèio  à  la  capello- 
z-auto,  mount  i  a  li  relicle. —  La  gléiso  di  Sànti  Mario. —  Li  supli- 
cacioun.  —  La  plajo  camarguenco.  —  Vincèn  arnbo  e  sa  doulour 
desboundo.  —  Lou  cantico  di  Santen.  — Darriero  visioun  de  Mn-èio  : 
véi  il  Sànti  Mario  emplanado  dins  la  mar.  —  Darriéri  par^ulo,  e 
luminouso  mort  de  la  chatouno.  —  Li  coumplancho,  la  desespe- 
ranço 464 


Uusico  DE  Magali.  ..•,....•...• •••    499 


TABLE.  511 

Saint  Eutrope  à  Orange.  —  Sainte  Marthe  dompte  la  Tarasqne,  et 
ensuite  convertit  Avignon.  —  La  papauté  .i  Avignon.  —  Saint  La- 
zare à  Marseille  ;  Sainte  Magdeleine  dans  la  grotte  ;  Saint  Maximin  à 
Aix  ;  les  Saintes  Maries  aux  Baux.  —  Le  roi  René.  —  La  Provence 
unie  à  la  France.  —  Mireille,  vierge  et  martyre 423 


CHART   DOnziEME   —   LA   MORT 

:.e  piys  des  oranges.  —  Les  Saintes  remontent  dans  le  ciel.—  Arrivée 
du  père  et  de  la  mère.  —  Les  Saintins  montent  Mireille  à  kl  cha- 
pelie  haute,  où  sont  déposées  les  reliques.  —  L'église  des  Saintes 
iMaries.  —  Les  supplications.  —  La  plage  de  Camargue.  —  Arrivée 
de  Vincent,  éclat  de  sa  douleur.  —  Le  cantique  des  Saintins.  — 
Dernière  vision  de  Mireille  :  les  Saintes  Maries  lui  apparaissent 
sur  la  haute  mer.  —  Dernières  paroles,  et  radieuse  mort  de  la 
jeune  fille.  —  Les  plaintes,  le  désespoir 4G5 


Musique  de  Magaii .   .    -499 


PAniS.    —    JMP.    SIMOX    nAÇOM    ET    COiU>,,    RUE   D'EIlKUnTIl,    1. 


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