Presented to the
LiBRARY of the
UNIVERSITY OF TORONTO
hy
Jolin F. Fllnn
Qx 0, sJ^'Kc^C'^crh't^ ,
MIRÈIO
MIRÈIO
POUÈMO PROUVENÇAU
FREDERI MISTRAL
EMÉ I.A TUltlUIMOUN (.ITERAI. 0 EN HEGARD
PARIS
ENCO DE CHARPENTIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR
28, QUÈI DE l'eSCOLO
AVI6NOUN, ENCO DE ROUMANIHO, LIBRAIRE
1861
Li tire de traclucioun e de reproudiicioun soun réserva.
MIREILLE
POÈME PROVENÇAL
FREDERIC MISTRAL
AVEC l,A TR.ADrCTlON LITTÉRALE EN REGARD
PARIS
GHARPENTIHR, LIRRAIRE-ÉDITEUR
28, QUAI DE l'École
AVIGNON, ROUraANILLE, libraire
1861
Jiroil!) de Iraduclioii cl de repiodiiclion léservéx.
A LAMARTINO
Te counsacre Mirèio : es moun cor e moun amo,
Es la tlour de mis an ,
Es un rasin de Crau qu'emé touto sa ramo
Te porge un païsan.
MISTRAL.
Maiano [Bouco-dâu-Iiose], 3 de setèmbre 1859.
A LAMARTINE
Je te consacie Mireille : c'est mon cœur et mon
âme; — c'est la fleur de mes années; — c'est un
raisin de Crau qu'avec toutes ses feuilles — t'offre
un paysan.
MISTRAL.
Maillane (Bouches-dn-Môné), 8 septembre 1859.
AVIS
SUR LA PRONONCIATION PROVENÇALE
Afin d'aider le lecteur étranger à la langue provençale à
lire le texte du poëme, nous allons dire ici brièvement en
quoi la prononciation provençale diffère de la prononciation
française.
En Provençal, on prononce toutes les lettres, et, saul
les exceptions suivantes, on les prononce comme en Fran-
çais.
Le g devant un e ou un i, et le j, se prononcent d%. Ainsi
gemi, gibom, image, jalons, doivent se prononcer dxemi,
dzibous, imaaze, dzalous.
Ch se prononce ts, comme dans le mot espagnol muchacho,
Ainsi charra, machoto, chima, se prononcent tsarra, matsoto,
isima.
Passons aux voyelles.
A , désinence caractéristique du féminin dans l'ancienne
langue romane, est, dans cet emploi, remplacé aujourd'hui
par 0.
Vo final représente donc en Provençal Ve muet des Fran-
çais, Va final des Italiens et des Espagnols.
E sans accent, ou surmonté d'un accent aigu, se pro-
nonce comme Ve fermé français . ainsi les e de teté, de
devé, sonnent, à peu de chose près, comme ceux de été, vé-
rité.
È, surmonté de l'accent grave, comme dans ne, venguè, st
prononce ouvert.
Ue ou Vi, quoique suivis de consonnes, comme dans sacra-
men, vin, emperaire, conservent toujours leur son. alpha
bétique.
m AVIS SUR LA PRONONCIATION PROVENÇALE.
Voici maintenant les règles de l'accent tonique :
1° Dans les mots terminés simplement par e ou par o,
l'accent tonique porte sur la pénultième : ainsi ferramento,
capello, (èbre, se prononcent exactement comme les mots
italiens ferramento, capello, febbre.
2' Lorsqu'il se trouve, dans le corps des mots, une syllabe
accentuée, il porte généralement sur celte syllabe ; exemple :
tduti, armàri, cachafiô, argent, avé.
3° Il porte sur la dernière syllabe dans tous les mots ter-
minés par un a, un i, un u, ou une consonne ; exemple : ve-
nta, péri, vengu, pichot, resoun.
Cette dernière règle a une exception : dans les personnes
des verbes terminées pares ou par on, comme anaves (tu allais),
que digues (que lu dises), courron (ils courent), sabon (ils
savent), l'accent Ionique porte sur la pénultième.
Il existe en Provençal des diphthongues et des Iriphthon-
gues, mais les voyelles y conservent toujours leur valeur
propre. Dans les diphthongues, la voix doit dominer sur la
première voyelle, comme en Italien; ainsi : mai, rèi, galoi,
doivent se prononcer mai, rèi, galôï. Dans les triphlhon-
gues, come biai, pièi, vuei, niue, la voix doit dominer
sur la voyelle intermédiaire, tout en faisant sentir les au-
tres.
La voyelle u se prononce comme en Français, excepté lors-
qu'elle suit immédiatement une autre voyelle ; dans ce der-
nier cas, elle prend le son ou. Ainsi, dans les diphthongues
au, eu, ou, et dans les Iriphlhongues iaii, iéu, iôu, pronon-
cez àou, èou, ôou, iàou, iéou, iàou.
Cette règle a été constamment suivie par les Troubadours
classiques.
On vient de voir que les sons eu, au, iéu, iôu, sont accen-
tués : c'est afin de les distinguer des sons eu et ou, qui
existent aussi dans la langue d'Oc (comme dans Enfant Jeuse,
enfant Jésus, tout, uroiis, mounde, etc.); c'est encore pour
montrer que le son doit être plus ou moins ouvert ou fermé,
selon que l'accent est grave ou aigu.
MIRËIO
MIRÈIO
CANT PROUMIÉ
LOU MAS DI IFALABREGO
Espousicioun. — Invoucacioun au Crist, nascu dinsla pastrilio. — Un
viêi panieraire, Mèste Ambrôsi, emé soun drôle, Vincèn , van de-
manda la relirado au Mas di Falabrego. — Mircio , filio de Mèste
Rpmoun, lou mèstre dôu mas, ie fai la benvengudo. — Li ràfi, après
soupa, fan canta Mèste Anibrosi. — Lou vièi, àutri-fes marin, canto
un coumbàt navau dôu Baile Sufren. — Mirèio questiouno Vincèn.
— Récit de Vincèn : la casso di cantarido , la pesco dis iruge, lou
miracle di i?ànti Mario , la courso dis orne à Nimes. — Mirèio es
espantado e soun amour pounchejo.
Gante uno cbato de Prouvènço.
Dins lis amour de sa jouvènço,
A travès de la Grau, vers la mar, dins li bla,
Umble escoulan dôu grand Oumèro,
léu la vole scgui. Couine èro
Rèn qu'une cliato de la terro,
En foro de la Grau se n'es gaire parla.
Emai soun front noun lusiguèsse
Que de jouinesso ; emai n'agucsse
Ni diadèmo d'or nimantèude Damas,
Vole qu'en glôri fugue aussado
Coume uno rèino, e caressado
Pèr nosto lengo mespresado.
Car cantan que pèr vautre, o paslre c gènt di mas !
MIREILLE
CHANT PREMIER
LE MAS DES MIGOGOULES »
Exposition. — Invocation au Christ, né parmi les pâtres. -- Un vieux
vannier, Maître Ambroise, et son fils, Vincent, vont demander l'hos-
pitalité au Mas des Micocoules. — Mireille, fille de Maître Ramon,
le maître de la ferme , leur fait la bienvenue. — Les laboureurs,
après le repas du soir, invitent Maître Ambroise à chanter. — Le
vieillard , autrefois marin, chante un combat naval du Bailli de
Suffren. — Mireille questionne Vincent. — Récit de Vincent : la
chasse aux cantharides, la pèche des sangsues, le miracle des
Saintes Maries, la course des hommes à Nîmes. — Ravissement de
Mireille, naissance de son amour.
Je chante une jeune fille de Provence. — Dans les
amours de sa jeunesse, — à travers la Crau -, vers
la mer, dans les blés, — humble écolier du grand
Homère, — je veux la suivre. Gomme c'était — seu-
lement une fille de la glèbe, — en dehors de la Crau
il s'en est peu parlé.
Bien que sonfront ne resplendît — que de jeunesse;
bien qu'elle n'eût — ni diadème d'or ni manteau de
Damas, — je veux qu'en gloire elle soit élevée —
comme une reine, et caressée — par notre langue
méprisée, — car nous ne chantons que pour vous, ô
pâtres cl habitants des mas.
4 MIREIO, CANT I
Tu, Segnour Dieu de ma patrio,
Que nasquèros dins la pastriho,
Enfioco mi paraulo e dono-me d'alen !
Lou sabes : entre la verduro,
Au soulèu em'i bagnaduro,
Quand li figo se fan maduro,
Yen l'orne aloubali desfrucha l'aubre en plen.
Mais sus l'aubre qu'eu espalanco,
Tu toujour quilles quauco braiico
Ounlc l'omc abrama noun posque aussa la man,
Bello jitello proumierenco,
E rcdoulènto, e vierginenco,
Bc.llo frucho madalenenco
Ounte l'aucèu de l'èr se vèn leva la fam. ^
léu la vese, aquelo branqueto,
E sa frcscour me fai lingueto!
léu vese, i venloulet, boulega dins lou cèu
Sa ramo e sa frucho inmourtalo...
Bèu Dieu, Dieu ami, sus lis aie
De nosto lengo prouvençalo,
Fai que pcsque avéra la branco dis auoèu!
De-long dôu Rose, entre lipibo
Elisauseto de la ribo,
'ù\ un paure oustaloun pèr l'aigo rousiga
L n panieraire demouravo,
Qu'emé soun drôle pièi passavo
De mas en mas, e pedassavo
Li cancslollo routo c li panié Irauca
MIREILLE, CHANT I. 5
Toi, Seigneur Dieu de ma patrie, — qui naquis
parmi les pâtres, — enflamme mes paroles et donne-
moi du souffle ! — Tu le sais : parmi la verdure, — ■
au soleil et aux rosées, — quand les figues mûris-
sent, — vient l'homme, avide comme un loup, dé-
pouiller entièrement l'arbre de ses fruits.
Mais sur l'arbre dont il brise les rameaux, — toi,
toujours tu élèves quelque branche — où l'homme
insatiable ne puisse porter la main, — belle pousse
hâtive , — et odorante, et virginale, — beau fruit
mûr à la Magdeleine, — où vient l'oiseau de l'air
apaiser sa faim.
Moi, je la vois, cette branchette,— et sa fraîcheur
provoque mes désirs! — Je vois, au (souffle des)
brises, s'agiter dans le ciel — son feuillage et ses
fruits immortels... — Dieu beau, Dieu ami, sur les
ailes — de notre langue provençale, — fais que je
puisse aveindre la branche des oiseaux !
Au bord du Rhône , entre les peupHers — et les
saulaies de la rive, — dans une pauvre maisonnette
rongée par l'eau, — un vannier demeurait, — qui,
avec sonfds, passait ensuite — de ferme enferme, et
raccommodait — les corbeilles rompues et les pa-
niers troués.
1.
MIRÈIO, CANT I.
Un jour qu'èron ansin pèr orto,
Emé si long fais de redorto :
— Paire, digue Yincèn, espinchas lou soulèu!
Vesès, eila sus Magalouno,
Coume lou nivo l'empielouno !
S'ciquelo emparo s'amoulouno,
Paire, avans qu'èstre au mas nous bagnaren belèu.
— Hôu! lou vènt-larg brando li fueio....
Noun ! . . . acô sara pas de plueio,
Picspoundeguè lou vièi,.. Ah! s'acô 'ro lou Piau,
Es diferènl ! . . . . — Quant fan d'araire,
Au Mas di Falabrego, paire?
— Sièis, respoundè lou panieraire.
Ah ! 'cô's un tenamen di pu fort de la Crau !
«
Tè, veses pas soun ôuliveto?
Entre-mitan i'a quàuqui veto
Devigno e d'amelié... Mai lou bèu, recoupé,
(E n'i'a pas dos dins la coustiero !)
Lou bèu, es que i'a tant de tiero
Coume a de jour l'annado entiero
E, tant coume de tiero, en chasco i'a de pèd!
— Mai, faguè Yincèn, caspitello !
Peu bèn falé d'ôulivarello
Pèr ôuliva tant d'aubre ! — Hôu ! tout acù se fai !
Vongue Toussant, e li Baussenco,
De vermeialo, d'amelenco,
Te van clafi saco e bourrenco ! . . .
Tout en cansounejant n'acamparien bèn mai!
MIREILLE, CHANT I. 7
Un jour qu'ils allaient ainsi par les champs, —
avec leurs longs fagots de scions d'osier : — « Père,
dit Vincent, regardez le soleil! — Voyez-vous, là-bas,
surMaguelonne^, — les piliers de nuage quirêtayent?
— Si ce rempartvient à s'amonceler, — père, avant
d'être au mas, nous nous mouillerons peut-être. »
— « Olî! le vent largue* agite les feuilles... —
Non ! . . . ce ne sera pas de la pluie, — répondit le
vieillard... Ah! si c'était le Rau ^ — c'est diffé-
rent!... » — « Combien fait-071 de charrues, — au
Mas des Micocoules, père? » — « Six, répondit le
vannier. — Ah ! c'est là un domaine des plus forts
de la Crau !
« Tiens ! ne vois-tu pas leur verger d'oliviers? —
Parmi eux sont quelques rubans — de vignes et d'a-
mandiers.... Mais le beau, reprit-il en s'interrompant,
— (et de tels, il n'en est pas deux sur la côte !) — le
beau, c'est qu'il y a autant d'allées — qu'a de jours
l'année entière, — et dans chacune (d'elles), autant
que d'allées il y a de pieds (d'arbre) ! »
— « Mais, fit Vincent, caspitello ' ! — que à'oli-
veuses il doit falloir — pour cueillir les oUves de tant
d'arbres! » — « Oh! tout cela s'achève! — Vienne la
Toussaint, et les filles des Baux '' — d' (olives) ver-
meilles ou amijgdalines — te vont combler et sacs
et draps!... — Tout en chantant, elles en amasse-
raient bien davantage ! »
8 MIRÈIO, CANT I.
EMèste Ambroi toujour parlavo...
E lou soulèu que trecoulavo
Di plus bèlli coulour tegnié li nivoulun ;
E li bouié, sus si coulado,
Venien plan-plan à la soupado',
Ten'înt en l'èr sis aguhiado...
E la niue soumbrejavo alin dins la palun.
— An ! déjà s'ontrevèi dins l'iero
Lou camelun de la paiero,
Digue mai Vincenet : sian au recatadou!...
— Aqui, ie vènon bèn li fedo !
Ah ! pèr l'estiéu, an la pinedo,
Pèr dins l'ivèr, la claparedo,
Recoumencè lou vièi. . . Hôu ! aqui l'a de tout !
E tôuti aquéli grands aubrage
Que sus li téule fan oumbrage!
E 'quelo bello font que raio en un pesquié!
E tôuti aquéli brusc d'abiho
Que chasco autouno desabiho,
E, tre que Mai s'escarrabiho,
Pendoulon cent eissame i grand falabreguié !
— Ho ! pièi, en touto la terrado,
Paire, lou mai qu'à iéu m'agrado,
Aqui faguè Yincèn, es la chato dôu mas...
E, se vous n'en souvèn, moun paire,
L'estiéu passa, nous faguè faire
Dos canestello d'ôulivaire,
E mètre uni maniho à soun pichot cabas,-
ÎIIREILl.E, CHANT 1. 9
El Maître ÂinbroisG contimiaii de parler.... — Et
le sol 'il, qui disparaissait au delà des collines, — des
plus belles couleurs teignait les légers nuages ; — et
les laboureurs, sur leurs bêtes accouplées par le cou,
— vouaient lentement au repas du soir, — tenant le-
vés leurs aiguillons.... — Et la nuit commençait à
brunir dans les lointains marécages.
— (( Allons ! déjà s'entrevoit, dans l'aire, — le
coinljlc de la meule de paille, — dit encore Vincent :
nous voici au refuge! » — a C'est là que pros-
pèrent les brebis ! — Ab ! pour l'été, elles ont le bois
de pins, — pour l'hiver, la plaine caillouteuse, —
recommença le vieillard. . Oh! là, il v a de tout!
« Et tous ces grands massifs d'arbres — qui sur
les tuiles font ombrage ! — Et cette belle fontaine qui
coule en un vivier ! — Et toutes ces ruches d'abeilles
— que chaque automne dépouille, — et (qui), dès
que mai s'éveille, — suspendent cent essaims aux
grands micocouliers ! »
— (( Oh ! puis, en toute cette terre, — père, ce qui
m'agrée le plus, — fit là Vincent, c'est la fille de la
ferme.... — Et, s'il vous en souvient, mon père, —
elle nous fit, l'été passé, faire — deux corbeilles de
cueilleur d'olives, — et mettre des anses à son petit
cabas. »
iO MIRÉIO, CANT I.
En devisant de talo sorto,
Se capitèron vers la porto.
La chatoûno venié d'arriba si magnan;
E sus lou lindau, à l'eigagno,
Ânavoalor torse uno escagno,
— Bon vèspre en touto la coumpagno !
Faguè lou panieraire en jitant si vergan.
— Mèste Ambrôsi, Dieu vous lou donne!
Digue la chato ; mouscouloune
La pounclîo de moun fus, vè!... Vautre? sias tardié!
D'ounte venès? de Valabrego?
— Just ! e lou Mas di Falabrego
Se devinant sus nosto rego,
Se fai tard, avèn di, coucharen au paie.
E' mé soun fiéu, lou panieraire
S'anè 'seta su'n barrulaire.
Sènso mai de resoun, à trena tôuti dous
Uno banasto coumençado
Se groupèron uno passado,
E de sa garbo desnousado
Crousavon e toursien li vege voulountous.
Vincèn avié sege an pancaro ;
Mai tant dôu cors que de la caro,
Certo, acô 'ro un bèu drôle, e di miéu estampa ;
Emé li gauto proun moureto.
Se voulès... mai terro ncgrelo
Adus toujour bono seisseto,
E sort di rasin nègre un vin que fai trepa
MIREILLE. CHANT I. 11
En devisant ainsi, — ils se trouvèrent vers la porte.
— La fillette venait de donner la feuillée à ses vers à
soie; — et sur le seuil, à la rosée, — elle allait, en
ce moment, tordre un échcvcau. — « Bonsoir à toute
h compagnie ! » — fit le vannier, en jetant bas ses
brins d'osier.
— « Maître Ambroise, Dieu vous le donne ! — dit
la jeune fille ; je mets la thie — à la pointe de mon fu-
seau, voyez!... Et vous autres? vous voilà attardés!
— D'où venez-vous? de Valabrègue *? » — « Juste 1
et le Mas des Micocoules — se rencontrant sur notre
sillon, — il se fait tard, avons-nous dit, nous couche-
rons à la meule de paille. »
Et, avec son fils, le vannier — alla s'asseoir sur un
rouleau (de labour). — Sans plus de paroles, à tres-
ser tous les deux — une manne commencée, — ils
se mirent (avec ardeur) un instant, — et de leur
gerbe dénouée — ils croisaient et tordaient les osiers
dociles.
Vincent n'avait pas encore seize ans ; — mais tant
de corps que de visage, — c'était, certes, un beau
gars, et des mieux découplés, — aux joues assez
brunes, — en vérité... mais terre noirâtre — tou-
jours apporte bon froment, — et sort des raisins noirs
un vin qui fait danser*
12 MIRfilO, CAM I.
De quote biais fau (luc lou vegc
E se prépare e se gaubejc,
Eu lou sabié de founs; noun pas que sus lou fin
Travaiojèsse d'ourdinàri :
Mai de banasto pèr ensàrri,
Tout ce qu'i mas ci necessàri,
E de rous terreirôu, e de bràvi coufin;
De panié de cano fendudo,
Qu'es tout d'eisino lèu vendudo,
E d'cscoubo de mi,... tout acô, 'mai bon mai,
Eu lou façounavo à grand désire,
Bon e pou lit, de man de mèstre...
Mai, de l'estoublo e dôu campèstre,
Lis orne èron déjà revengu dôu travai.
Déjà deforo, à la fresquiero,
Mirèio, la gènto masiero,
Sus la taulo de pèiro avié mes lou bajan ;
E dôu plalas que treviravo,
Cbasque ràfî déjà tiravo,
A plen cuié de bonis, li favo...
E lou vièi e soun fiéu trenavon. — Bèn? vejan!
Venès pas soupa, Mèste Ambrôsi?
Emé soun èr un pau renôsi
Digue Mèste Ramoun, lou majourau dôu mas.
An! leissasdounc la canestcUo!
Vesès pas naisse lis estello?...
Mirèio, porgc uno cscudello.
An ! à la taulo! d'aul! que dcvès cstrc las.
MIREILLE, CHANT I 13
De quelle manière doit l'osier — se préparer, se
manier, — lui le savait à fond ; non pas que sur le
fin — il travaillât d'ordinaire: — mais des mannes
à suspendre au dos des hôtes de somme, — tout ce
qui aux fermes est nécessaire, — des terriers roux
et des coffins commodes ;
Des paniers de roseaux refendus, — tous ustensiles
de prompte vente, — et des balais de millet,... tout
cela, et bien plus encore, — il le faisait rapidement,
— bon, gracieux, de main de maître... — Mais, de
la jachère et de la lande, — ^ les hommes, déjà, étaient
revenus du travail.
Déjà, dehors, à la fraîcheur, — Mireille, la gentille
fermière, — sur la. table de pierre avait mis la salade
de légumes ; — et du large plat chavirant (sous la
charge) , — chaque valet tirait déjà, — à pleine cuiller
de buis, les fèves... -- Et le vieillard et son fils tres-
saient. — « Eh bien? voyons !
« Ne vonez-vous pas souper. Maître Âmbroisc ? —
avec son air un peu bourru, — dit Maître Ramon, le
chef de la ferme. — Allons, laissez donc la corbeille !
— Ne voyez-vous pas naître les étoiles ? — Mireille,
apporte une écuelle. — Allons ' à table î car vous
devez être las. »
14 HIRÈIO, GANT I
— Anen ! faguè lou panierairc.
E s'avancèron à-n-iin caire
Do la taulo de pèiro, e coupèron de pan.
Mirèio, vitamen, braveto,
Emé l'ôli de l'ôuliveto
le garniguè'n plat de faveto ;
Venguè pièi en courrènt i'adurre de si man.
Dins si quinge an èro Mirèio....
Coustiero bluio de Font-vièio,
E vous, colo baussenco, e vous, piano de Crau,
N'avès pu vist de tant poulido !
Lou gai soulèu l'avié 'spelido ;
E nouveleto, afrescoulido,
Sa caro, à flour de gauto, avié dous pichot trau.
E soun regard èro uno eigagno
Qu'esvalissié touto magagno.,.
Dis estello mens dons èi lou rai, e mens pur ;
le negrejavo de trenello
Que tout-de-long fasien d'anello ;
E sa peitrino redounello
Èro un pessègue double e panca bèn madur.
E fouligaudo, e belugueto,
E sôuvagello uno brigueto ! . . .
Ah ! dins un vèire d'aigo, entre vèire aquèu biai,
Toulo à la fes l'aurias begudo !
Quand pièi chascun, à Tabitudo,
Aguè parla de sa batudo,
(Goumeaumas,coumeautèmsdemounpaire,ai!ai!ai!)
MIREILLE. CHANT I. 15
-- « Allons ! » fit le vannier. — Et ils s'avancèrent
vers un coin — de la table de pierre, et coupèrent du
pain. — Mireille, leste et accorte, — avec l'huile des
oliviers — assaisonna pour eux un plat de féveroles.
— Elle vint ensuite en courant le leur apporter de
ses mains.
Mireille était dans ses quinze ans... — Côte bleue
de Font-vieille", — et vous, coWmes haiissenques^",
et vous, plaines de Crau, — vous n'en avez plus vu
d'aussi belle ! — Le gai soleil l'avait éclose ; — et
frais, ingénu, — son visage, à fleurde joues, avait deux
fossettes.
Et son regard était une rosée — qui dissipait toute
douleur... — Des étoiles moins doux est le rayon, cî
moins pur ; — il lui brillait de noires tresses — qui
tout le long formaient des boucles ; — et sa poitrine
•arrondie — était une pêche double et pas encore bien
mûre.
Et folâtre, et sémillante, — et sauvage quelque
peu !... — Ah! dans un verre d'eau, en voyant celle
grâce, — toute à la fois vous l'eussiez bue ! — Quand
puis chacun, selon la coutume, — eut parlé de son
travail — (comm& au wfl5, comme au temps de mon
père, hélas ! hélas !)
16 MIRÈIO, CANT I.
— Bèn? Mèsle Ambroi, aqueslo bruno,
Nous n'en canlarés pas quaucuno ?
Diguèron : es eiçô lou repas que se dor
— Chut ! lïii bons ami... Quau se trufo,
Respoundè lou vièi, Dieu lou bufo
Efai vira coume baudufo?...
Gantas vautre, jouvènt, que sias jouinc emai fort.'
— Mèste Ambroi, diguèron li ràfi,
Noun, noun, parlan pas pèr esoàfi I
Mai vè ! lou vin de Crau vai toutaro escampa
De voste got... D'aut! touquen, paire'
— Ah ! de mouu tèms ère un cantaire,
Âlor faguè lou panieraire ;
Mai aro, que voulès? li mirau soun creba !
— Si ! Mèste Ambroi , acô recrèio :
Gantas un pau, digue Mirèio.
— Bellochatouno, Ambroi vcnguè donne coume acô,
Ma voues noun a plus que l'arcsto ;
Mai pèr te plaire es déjà presto.
E tout-d'un-tèms coumencè'questo,
Après agué de vin escoula soun pion got:
Lou Baile Sufren, que sus mar coumando,
Au port de Touloun a donna signau...
Partèn de Touloun cinq cent Prouvençau.
MIREILLE, CHANT I. 17
— « Eh bien? Maître Âmbroise, ce soir, — ne nous
chanterez-vous ri.en? — dirent-ils : c'est ici le repas
où l'on dort! » — « Chut! mes bons amis... (Sur)
celui qui raille, — répondit le vieillard, Dieu souf-
fle, — et le fait tourner comme toupie ! . . . — Chan-
tez vous-mêmes, jouvenceaux, qui êtes jeunes et
forts ! »
« Maître Ambroise, dirent les laboureurs, — non,
non, nous ne parlons point par moquerie ! — Mais
voyez' le vin de Crau va tout à l'heure déborder —
de votre verre... Çà ! trinquons, père! » — « Ah! de
mon temps, j'étais un chanteur, — fit alors le van-
nier; — mais à présent, que voulez-vous? les miroirs
sont crevés ^^ ! »
— « De grâce ! Maître Ambroise, cela récrée : —
chantez un peu, » dit Mireille. — « Belle fillette, re-
partit donc Âmbroise, — ma voix est un épi égrené ;
— mais pour te plaire, elle est déjà prête. » — Et
aussitôt il commença cette (chanson), — après avoir
vidé son plein verre de vin :
Le Bailli Suffren, qui sur mer commande, — au
port de Toulon a donné signal... • — Nous partons de
Toulon cinq conts Provençaux.
2.
18 MIRÈIO. GANT 1.
D'ensaca l'Ânglés l'cnvejo èro grando:
Youlèn plus tourna dins nôstis austau
Ouc noun de l'Andés vegucn la desbrando.
II
Mai lou proumié mes que navegavian,
N'avèn \ist degun, que dins lis enteno
Li vôu de gabian voulant pèr centeno..
Mai lou segound mes que vanegavian,
Uno broufounié nous baie proun peno !
E, la niue, lou jour, dur agoutavian.
in
Mai lou tresen mes, nous prenguè l'enràbi;
Nous bouié lou sang, de degun trouba
Que noste canoun pousquèsse escouba.
Mai alor Sufren; Picboun, à la gàbi !
Nous fai ; e subran lou gabié courba
Espincho eilalin vers la costo aràbi...
0 Iron-de-bon-goi ! cridè lou gabié,
Très gros baslimen tout dre nous arribo !
— Alerto, picboun ! li canoun en ribo !
Cridè qualecant lou grand marinié.
Que taston d'abord lifigo d'Antibo !
N l'en pourgiren, pièi, d'un autre panié.
MIREILLE, CHANT I. 19
De ballro l'Anglais grande était l'envie: — nous ne
voulons plus retourner dans nos maisons — avant que
de l'Anglais nous n'ayons vu la déroute.
H
Mais le premier mois que nous naviguions, — nous
n'avons vu personne, sinon, dans les antennes, — le
vol des goélands volant par centaines.
Mais le deuxième mois que nous courions (la mer),
— assez, une tourmente, nous donna de peine ! —
et la nuit et le jour, nous vidions, ardents, l'eau (du
navire).
III
Mais le troisième mois, la rage nous prit: — le sajig
nous bouillait, de ne trouver personne — que notre
canon pût balayer.
Mais alors Suffren: « Enfants, à la hune ! » — Il dit,
et soudain le gabier courbé — épie au lointain vers
la côte arabe. . .
IV
— « 0 tron-de-bon-goï! cria le gabier, — trois gros
bâtiments tout droit nous arrivent !» — u Alerte,
enfants ! les canons aux sabords ! »
Cria aussitôt le grand marin. — « Qu'ils tâtenLd'a
bord des figues d'Antibes ! — nous leur en offrirons,
ensuite, d'un autre panier. »
20 Mir.ÈIO, GANT l.
N'avié panca di, se vèi qu'uno flamo:
Quaranto boulet van coume d'uiau
Trauca de 1 Angles li veissèu reiau...
Un di bastimen, ie reslè que l'amo !
Lontèms s'entend plus que li canoun rau,
Lou bos que cracino e la mar que bramo.
VI
Di nemi pamens un pas tout-au-mai
Nous tèn sépara: que l)onur ! que chale'
Lou Baile Sufrcn, entrepide e pale,
E que sus lou pont brandavo jamai :
— Pichot! crido enfin, que veste fio cale!
E vougnen-lèi dur'mé d'ôli de-z-Ai I
VII
N'avié panca di, mai tout l'équipage
Lainpo is alabardo, i visplo, i destrau,
E, grapin en man, l'ardi Prouvençau,
D'un soulet alen, crido: A l'arrambage î
Sus lou bord angles sautan dins qu'un saut,
E coumenço alor lou grand mourtalage !
MIRETLIE, CHANT I. 21
Il n'avait pas encore dit, on ne voit qu'une flamme:
— quarante boulets vont, comme des éclairs, —
trouer de l'Anglais les vaisseaux royaux. . .
A l'un des bâtiments ne resta que l'âme ! — Long
temps on n'entend plus que les canons rauques, —
le bois qui craque et la mer qui mugit.
VI
Des ennemis, cependant, un pas tout au plus —
nous tient séparés : quel bonheur ! quelle volupté ! —
Le Bailli Suffren, intrépide et pâle.
Et qui sur le pont était immobile : — « Enfants !
crie-t-il enfin, que votre feu cesse! — Et aignons-
les ferme avec l'huile d'Aix ! »
VII
Il n'avait pas encore dit, mais l'équipage entier —
s'élance aux hallebardes, aux vouges, aux haches, —
et, grappin en main, le Iiardi Provençal,
D'un souffle unanime, crie : « A l'abordage! » -^
Sur le bord anglais nous sautons d'un saut, — et
commence alors le grand massacre !
22 MIRÈIO, GANT I,
VII
Oh ! quénti bacèu ! oh ! que chapladis !
Que crèbis que fan l'aubre que s'esclapo,
Souto li marin lou pont que s'aclapo !
Mai que d'un Angles cabusso e péris;
Mai d'unProuvençau à l'Ânglés s'arrapo,
L'estren dins sis arpo, e s'aproufoundis.
— Sèmblo, parai? qu'es pas de croire!
Aqui se coupé lou bon rèire.
Es pamens arriba tau que dins la cansoun.
Certo, poudèn parla sens crento,
léu l'ère que teniéu l'cmpento !
Ha ! ha ! tambèn, dins ma mémento, -
Quand visquèsse milo an, milo an sararejoun!
— Hoi!... sias esta d'aquéu grand chaple?
Mai, coume un dai souto l'enchaple,
Deguèron,tres contro un, vous escrapouchina!
— Quau? lis Angles? foi en coulêro
Lou vièi marin que s'engimerro...
Tournamai, risoulet coume èro,
Reprenguè fieramen soun cant entamona :
IX
' Li pèd dins lou sang, duré 'quelo guerre
Descmpièi dos ouro enjusqu'à la niuc.
Verai, quand la poudro embourniè pu l'iue,
MIREILLE. CHANT I. 23
Oh! quels coups! oh! quel carnage! — Quel fracas
font le mât qui se rompt, — sous les marins le pont
qui s'effondre !
Plus d'un Anglais plonge et périt ; — plus d'un
Provençal empoigne l'Anglais, — l'étreint dans ses
griffes, et s'engloutit.
— (? 11 semble, n'est-ce pas? que ce n'est pas
croyable! — Là s'interrompit le bon aïeul. —
C'est pourtant arrivé tel que dans la chanson. —
Certes, nous pouvons parler sans crainte, — j'y étais,
moi, tenant le gouvernail! — Ah! ah! aussi, dans
ma mémoire, — dussé-je vivre mille ans, mille ans
cela sera serré. »
— ft Quoi ! . . . vous avez été de ce grand massacre?
— Mais, comme une faux sous le marteau qui la bat,
— ils durent, trois contre un, vous écraser! » —
« Qui? les Anglais ! » dit — le vieux marin se cabrant
de colère... — De nouveau, redevenu souriant, — il
reprit fièrement son chant entamé :
IX
Les pieds dans le sang, dura celte guerre — de-
puis deux heures jusques à la nuit. — De vrai, quand
la poudre n'aveugla plus l'œil,
24 MIllÈIO, CANT L
Mancavo cent orne à nosto galèro ;
Mai très bastiirien passèron pèr iue,
Très bèu bastimcn dôu rèi d'Ando-terro !
Pièi quand s'envenian au païs tant dons,
Emé cent boulet dins nôsli murado,
Emé vergo en tros, vélo espeiandrado.
Tout en galejant, lou Baiic amistous :
— Boulas, nous digue, boutas, cambarado!
Au rèi de Paris parlarai de vous.
XI
— 0 noste amirau, ta paraulo es franco,
l'avèn respoundu, lou rèi t'ausira...
Mai, pàuri marin, de-que nous fara?
Avèn tout quita, l'oustau, la calanco,
Pèr courre à sa guerro e pèr l'apara,
E vases pamens que lou pan nous nianco !
XII
Moi se vas amount, cnsonvène-to,
Quand se clinaran sus toun bèu passage,
Que res t'arno autant que toun équipage.
Car, 0 bon Sufren, s'avian lou poudé,
Davans que tourna dins nôsti vilage,
Te pourlarian rèi sus lou boyt dôu det'
MIREILLE, CHANT I. 2S
A noire galère il manquait cent hommes; — mais
sombrèrent trois bâtiments, — trois beaux bâtiments
du roi d'Angleterre !
Puis, quand nous revenions au pays si doux, —
avec cent boulets dans nos bordages, — avec vergues
en tronçons, voiles en lambeaux,
Tout en plaisantant, le Bailli affable : — « Allez,
nous dit-il, allez, camarades! — au roi de Paris je
parlerai de vous. »
XI
— ï 0 notre amiral, ta parole est franche, — lui
avons-nous répondu, le roi t'entendra — Mais,
pauvres marins, que nous servira-t-il?
« Nous avons tout quitté, la maison, l'anse (du
rivage), — pour courir à sa guerre et pour le défen-
dre, — et tu vois pourtant que le pain nous man-
que !
XII
« Mais si tu vas là-haut, souviens-toi, — lorsqu'ils
s'inclineront sur ton beau passage, — que nul ne
t'aime comme tes matelots !
« Car, ô bon Suffren, si nous (en) avions le pou-
voir, — avant de retourner dans nos villages, — nous
te porterions roi sw' le bout du doigt l »
3
26 MIRIÈIO, GANT I
XIII
Es un Martcgau qu'à la vesperado
A fa la cansouu, en calant si tis...
Lou Baile Sufren parte pèr Paris ;
Hdien que li gros d aquelo encounlrado
Fuguèron jalons de sa renoumado,
! si vièi marin jamai l'an pu vist !
A tèms lou vièi dis amarino
Acabè sa cansoun marino,
Que sa voues dins li plour anavo s'ennega,
Mai pèr li ràfi noun pas certo,
Car sens muta, la tèsto alerto,
E'mé li bouco entreduberto,
Lontèms après lou cant escoutavon enca.
— E vaqui, quand Marto fielavo,
Li cansoun, dis, que se cantavo !
Èron bello, o jouvènt, e tiravon de long...
L'èr s'èi fa'n pau vièi, mai que provo?
Aro n'en canton de pu novo,
En franchiman, ounte s'atrovo
De mot forço pu fin .. mai quau i'enlènd quicon?
E dou vièi su'quelo paraulo,
Li bouié, s'aussant de la taulo,
Èron ana mena si sièis couble au raiôu
De la bello aigo couladisso ;
E sont la triho penjadisso,
En zounzounant la cantadisso
Dou vièi Yalabregan, abéuravon li miôu.
MIREILLE, CHANT I. 27
XI 11
C'est un Martégal '- qui, à la vêprée, — a fait la
chanson, en tendant ses tramaux... — Le Bailli Suf-
fren partit pour Paris -,
Et, dit-on, les grands de celte contrée — furent
jaloux de sa gloire, — et ses vieux marins jamais ne
l'ont plus vu 1
A temps le vieillard aux brins d'osier ■ — acheva sa
chanson marine, — car sa voix dans les pleurs allait
se noyer; — mais trop tôt, certes, pour les garçons
de labour, — car, sans mot dire, la tête éveillée —
et les lèvres entrouvertes, — longtemps après le
chant ils écoutaient encore.
— « Et voilà, quand Marthe filait '', — les chan-
sons, dit-il, que l'on chantait! — Elles étaient belles,
ô jouvenceaux, et tiraient en longueur... — L'air a
un peu vieilli, mais qu'importe? — Maintenant on en
chante de plus nouvelles, — en français, où l'on
trouve — des mots beaucoup plus fins... mais qui y
entend quelque chose? »
Et sur cette parole du vieillard, — les laboureurs,
se levant de table, — étaient allés conduire leurs
six paires (de bêtes) au jet — de la belle eau cou-
lante; — et sous la treille (aux rameaux) pendants,
— en fredonnant la chanson — du vieux de Valabrè-
gue, ils abreuvaient les mulets.
28 MIRÈIO, CANT I.
Mai Mirèio, louto souleto,
Èro restado, risouleto,
Restado emé Vincèn, lou fiéu de Mèste Ambroi ;
E tôuli dous ensèn parlavon,
E si, dos tèsto pendoulavon
Uno vers l'autro, que semblavon,
Dos cabridello en flour que clino un vent galoi.
— Ace! Vincèn, fasié Mirèio,
Quand sus l'esquino as ta bourrèio
E que t'envas pèr orto adoubant li panié,
N'en dèves vèire, dins ti viage,
De castelas, de lio sôuvage,
D'endré, de vot, de roumavage!...
Naulre, sourtèn jamai de noste pijounié!
— Acô 's bèn di, madamisello !
De l'enterigo di grounsello
Tant vous levas la set que de béure au boucau;
E se, pèr acampa l'oubrage,
Dôu tèms fau eissuga l'outrage,
Tambèn a soun plesi, lou viage,
E l'oumbro dôu camin fai ôublida la caud.
Coume toutaro, tre qu'estivo,
Tant lèu que lis aubre d'oulivo
Se saran tout-de-long enrasina de flour,
Dins li planlado cinblanquesido
E sus li frais, à la sentido,
Anan cassa la cantarido.
Quand verdejo e lusis au gros de la calour.
MIREILLE, CITANT I. 29
Mais Mireille, toute seulelte, — était restée, rieuse,
— restée avec Vincent, le fils de Maître Ambroise; —
et tous deux parlaient ensemble, — et leurs deux
têtes se penchaient — l'une vers l'autre, semblables
— à deux cabridelles '* en fleur qu'incline un vent
joyeux.
— « Ah çà ! Vincent, disait Mireille, — quand tu
as sur le dos ta bourrée, — et que lu erres çà et là,
raccommodant les paniers, — en dois-tu voir, dans
tes courses, — des châteaux antiques, des lieux sau-
vages, — des endroits, des fêtes, des pardons!... —
Nous, nous ne sortons jamais de notre colombier! »
— « C'est bien dit, mademoiselle ! — De l'agace-
ment (produit aux dents) par les groseilles — autant
la soif s'étanche comme de boire au pot ; — et si,
pour amasser l'ouvrage, — il faut essuyer l'outrage
du temps, — tout de même le voyage a son plaisir,
— et l'ombre de la route fait oublier le chaud.
({ Ainsi, tout à l'heure, dès que l'été vient, — sitôt
que les arbres d'olives — se seront totalement cou-
verts de grappes de fleurs, — dans les vergers devenus
blancs, — et sur les frênes, au flair, — nous allons
chasser la cantharide, — lorsqu'elle verdoie et luit au
foi't de la chaleur.
50 MIRÈTO, GANT I.
Pièi nous li croumpon i boutigo...
Quouro ciiièn, dins li garrigo,
Loii vormé rouge; quouro, i clar, anan pesca
De liro-sang. La bravo pesco!
Pas besoun de fielat ni d'esco :
l'a que de batre l'aigo fresco,
L'iruge à vôsli cambo arribo s'empega.
Mai sias jamai estado i Santo?...
Es aqui, pauro! que se canto,
Âqui que de pertout s'adus li malandrous !
le passerian qu'èro la voto...
Certo, la glèiso èro pichoto,
Mai quénti crid! e quant d'esvoto !
— 0 Santo, grandi Santo, agués pieta de nous!
Es l'an d'aquéutant grand miracle...
Moun Dieu ! moun Dieu ! quet espetacle !
Un enfant èro au sôu, plourant, malautounet,
Poulit coume Sant Jan-Batisto;
E d'uno voues pietouso e tristo :
— 0 Santo, rendès-me la visto,
Fasié, vous adurrai moun agneloun banet.
A soun entour li plour coulavon.
Dôu tèms, li caisso davalavon.
Plan-plan, d'eilamoundaut, sus lou pople agrouva;
E pas-pu-lèu la tourtouiero
Moulavo un pau, la glèiso entiero,
Coume un gros vent dins li broutiero,
Cridavo: Grandi Santo, oh ! venès nous sauva !
MIREILLE, CHANT I. 51
« Puis, on nous les achète aux boutiques... —
Tantôt nous cueillons, dans les garrigiies^'^, — le
licrmès rouge; tantôt, aux lacs, nous allons pécher
— des sangsues. La charmante pêche l — Pas be-
soin de filet ni d'appât : — il n'y a qu'à battre l'eau
fraîche, — la sangsue à vos jambes vient se coller.
« Mais n'avez-vous jamais été aux Saintes *"? —
C'est là, pauvrette! que l'on chante ; — là que de
toute part on apporte les infirmes ! — Nous y passâ-
mes lors de la fête... — Certes, l'église était petite,
— mais quels cris! et que d'ex-voto! — « 0 Saintes,
grandes Saintes, ayez pitié de nous ! »
« C'est l'année de ce grand miracle... — Quel spec-
tacle ! mon Dieu' mon Dieu ! — Un enfant était par
terre, pleurant, malingre, — joli comme Saint Jean-
Baptiste; et d'une voix triste et plaintive: — «0 Sain-
tes, rendez-moi la vue, — disait-il ! je vous apporterai
mon agnelet cornu. »
« Autour de lui coulaient les pleurs. — En même
temps, les châsses descendaient" — lentement de
là-haut sur le peuple accroupi; — et sitôt que le câble
— moUissait tant soit peu, l'égUse entière, — comme
un grand vent dans les taillis, — criait: « Grandes
Saintes, oh ! venez nous sauver ! »
32 MinÈIO, GANT I
Mai, dins li bras de sa meirino,
De si menoto mistoulino
Trc que lenfantounet pousquè touca lis os
Di tr^s Mario benurouso,
S'arrapo i caisso miraclouso,
Emé i'arpiado vigourouso
Dôu negadis en quau la niar jito iino post !
Mai pas-pu-lèu sa man aganto
Em'afecioun lis os di Santo,
(Lou veguère !) subran cridè l'enfantounet
Emé'no fe merevihouso :
— Yese li caisso miraclouso !
Vese ma grand touto plourouso !
Ànen querre, lèu, lèu, mounagneloun banet!
E vous tambèn, madamisellb, -
Dieu vous mantèngue urouso e bello!
Mai s'un chin, un lesert, un loup, o'n serpatas,
0 touto autro bèsti courrènto,
Vous fai senti sa dent pougnènto ;
Se lou malur vous despoutènto,
Courras, courrès i Santo ! aurés lèu de soûlas,
Ansin fusavo la vihado,
La carreto desatalado
Emé si grandi rodo oumbrejavo pas liun;
Tèms-en-tèms dins li palunaio
S'entendié dinda'no sounaio...
E la machoto que pantaio
Au cant di roussignôu apoundié soun plagnun.
MIREILLE, CHANT L , 33
« Mais, dans les bras de sa marraine, — de ses pe-
tites mains finettes, — dès que l'cnfantelet put toucher
aux ossements — des trois bienheureuses Maries,
— il se cramponne aux châsses miraculeuses — avec
la vigoureuse étreinte — du naufragé à qui la mer
jette une planche !
« Mais à peine sa main saisit, — avec amour, les
ossements des Saintes, — (je le vis !) soudain cria
l'enfantelet — avec une merveilleuse foi : — « Je vois
les châsses miraculeuses ! — Je vois mon aïeule
éplorée ! — Allons quérir, vite, vite, mon agnelet
cornu ! »
« Et vous aussi, mademoiselle, — Dieu vous main-
tienne en bonheur et beauté! — Mais si (jamais) un
chien, un lézard, un loup, ou un serpent énorme, —
ou toute yutre bête errante, — vous fait sentir sa
dent aigûe; — si le malheur accable vos forces, ~
courez , courez aux Saintes ! vous aurez tôt du soula-
gement. »
Ainsi s'écoulait la veillée. — La charrette dételée
— de ses grandes roues projetait l'ombre non loin
(de là) ; de temp3 à autre, aux marécages, — onj^n-
lendait tinter une clochette... — Et la chouette
rêveuse — au chant des rossignols ajoutait sa
plainte.
S4 MIRÈIO, GANT I.
— Mai, dins lis aubre e dins li lono
D'abord qu'aniuc la luno dono,
Voulès, dis, que vous conte uno fcs qu'en courrènt
D'en-t^nt-lèu gagnave li joio ?
La chatouneto digue : Soio !
E mai qu'urouso, la ninoio
En tenènt soun alen s'aprouchè de Yincèn
— Ère à Nimes, sus l'Esplanado,
Qu'aquéli courso èron dounado,
A Nimes, o Mirèio !... Un pople amoulouna
E mai espés que peu de tèsto,
Ere aqui pèr vèire la fèsto.
En peu, descaus e sènso vèsto,
Proun oourrèire au milan déjà venien d'ana.
Tout-en-un-cop van entrevèire
Lagalanto, rèi di courrèire,
Lagalanlo, aquéu fort que soun noum de segui"
Es couneigu de vosto auriho,
Aquéu célèbre de Marsiho,
Que de Prouvènço e d'Italie
Avié desalena lis orne li pu dur.
T'avié de cambo, avié de cueisso
Coume lou Seneseau Jan Cueisso !
DeJarge plat d'estan avié'n plen estanié,
Mounte si courso èron escricho ;
E tant n'avié, de cherpo richo,
Qu'aurias jura qu'à si traficho,
Mirèio, l'arc-de-sedo espandi se tenié !
MIREILLE, CHANT I. 35
— « Mais, dans les arbres et dans les mares, —
puisque cette nuit la lune donne, — voulez-vous,
dit-il, que je vous raconte une course — dans la-
quelle je pensai gagner le prix ?» — L'adolescente
dit: « Volontiers! » — Et plus qu'heureuse, l'enfant
naïve, — en tenant son haleine, s'approcha de.
Vincent.
— « C'est à Nîmes, sur l'Esplanade, — qu'on donnait
ces courses, — à Nîmes, ô Mireille ! ... Un peuple agglo-
méré, — et plus dru que cheveux, — était là pour voir
la fête. — Nu-téte, nu-pieds, sans veste, — de nom-
breux coureurs au milieu (de la lice) déjà venaient
d'aller :
« Toutà coup ils aperçoivent — Lagalante, roi des
coureurs, — Lagalante, ce fort dont le nom à coup
sûr — est connu de votre oreille, — ce Marseillais cé-
lèbre — qui de Provence et d'ItaUe — avait essoufflé
les hommes les plus durs.
0 II avait des jambes, il avait des cuisses— comme
le Sénéchal Jean de Cossa 'M — Il avait, de larges
plats d'étain, un plein dressoir, — où étaient gravées
ses courses ; — il avait tant d'écharpes riches — que
vous auriez juré qu'aux clous (de ses solives), —
Mireilie, l'arc-en-ciel se tenait déployé I
50 MIRÈIO, CA~;T 1.
Mai tout-d'un-tèms, beissant la lèslo.
Lis autre cargon mai si vèsto...
Res eméLagalanto auso courre. Lou Cri,
Un jouvcinet de primo traco,
(Mai qu'avié pas la cambo flaco !)
Èro vengu mena de vaco
 Nimes, aquéu jour: soûl, ausè l'agarri.
léu que d'asard me i'atrouvère :
Eh ! noum-d'un-gàrri ! m'escridère,
Sian courrèire peréu!... Mai qu'ai di, fouligau'
Toutacô vèn : — D'aut ! te fau courre !
E jujas vèire : sus li moure,
E pèr temouin rèn que li roure,
N'ayiéu just courregu qu'après li perdigaul
Fauguè i'ana ! l'a Lagalanto,
Qu'entre me vèire, ansin m'aplanto :
— Pos, moun paure pichot, liga ti courrejoun !
E' nterin, de si cueisso rcdo
Eu estremavo la mouledo
En de braieto facho en sedo,
Que dès cascavèu d'or à l'entour i'èron joun.
Pèr que l'alen se ie repause,
Prencn i bouco un brout de sause ;
Tôuli, coume d'ami, nous toucan lèu la maii.
Trefouli de la petelego,
Emé lou sang que nous boulcgo,
Tôuti très, lou pèd sus la rego,
Esperan lou signau !... Es donna ! Coume un lamp
MIRETME, CHANT I. 37
« Mais siii -le-champ, en baissant la tête,— les autres
de nouveau mettent leurs vestes... — Nul avec Laga-
lante n'ose courir. I.e Cri, — un jouvenceau de race
déliée — (mais n'ayant pas la jambe flasque !) — était
venu conduire des vaches — à Nîmes, ce jour-là : seul,
il l'osa provoquer.
Moi qui, par hasard, m'y trouvai : — « Eh ! nom-
d'un-ratl m'écriai-je, — nous aussi sommes cou-
reur ! » Mais qu'ai-je dit, folâtre ! — Tout (le monde)
m'entoure: « Sus ! il faut courir ! » — Et jugez voir !
sur les mamelons, — et pour témoins rien que les
chênes, — je n'avais guère couru qu'après les per-
dreaux !
« Il fallut y aller! Lagalante, — dès qu'il me voit,
ainsi m'arrête : — « Tu peux, mon pauvre petit, her
les courroies (de ta chaussure) " ! » —En même temps,
de ses cuisses tendues — il enfermait les muscles —
dans un caleçon de soie, — autour duquel dix grelots
d'or étaient attachés.
n A(i!i d'y reposer l'haleine, — nous prenons aux lè-
vres un brin de saule; — tous, comme des amis,
nous nous touc.lions rapidement la main ; — tressail-
l;inl (rinipalicncA^, — le sang agité, — tous trois pié-
lant sur la raie, — attendons le signal!.. . 11 est
donné 1 Comme r.n éclair.
38 MIREIO, CANT 1.
Tôuti très avalaii la piano !
Tè tu ! tè iéu ! E dins l'andano
Un revoulun de pôusso einbarro nôsti saut !
E l'èr nous porto, e lou peu tubo...
Oh ! qu'afecioun ! oh ! queto estubo !
Lontèms, dôu vanc que nous atubo,
Creseguèron qu'en front empourtarian l'assaut î
Iéu à la fin prene l'avaiiço.
Mai fugue bèn ma maluranço !
Car, en estent que iéu, coume un fièr Fouletoun,
A la perdudo m'abrivave,
Tout-en-un-cop, mourènt e blave,
Au bèu moumen que li passave,
Darboune, court d'alen, e de mourre-bourdoun!
Mai éli dous, coume quand danson
A-z-Ais U Chivau-frus, se lançon.
Régla, toujour régla. Lou famous Marsihés
Cresié segur de l'avé bello ! . . .
S'èi di qu'avié ges de ratello :
Lou Marsihés, madamisello,
Pamens trouvé soun ome en lou Cri de Mouriés !
Dintre lou pople que i'afloco,
Déjà brûla von de la toco...
Ma bello, aguessias vist landa lou Cri !... Velou !
Ni pèr li mount ni pér h servi,
l'a ges de lébre, ges de cèrvi
Qu'agon au courre tant de nèrvi!
Lagalanto s'alongo en ourlant coume un îoup...
MIREILLE, CHANT I. 39
« Tous trois nous avalons la plaine! — A toi ! à moi !
Et dans la carrière — un tourbillon de poudre enve-
loppe nos bonds ! — Et l'air nous porte, et le poil
fume... — Oh! quelle ardeur! quelle course effré-
née I — Longtemps, tel est l'élan qui nous enflamme,
— en crut que de front nous emporterions l'as-
saut.
« Moi, enfin, je prends le devant. — Mais ce fut là
mon malheur! ^ Car comme, tel qu'un fier follet,
— je m'élançais épordument, — tout à coup, mou-
rant et blême, — au beau moment où je les dépas-
sais, — je roule, court d'haleine, et je mords la poiis-
sière !
« Mais eux deux, comme quand dansent — à Aix
les Chevaux-frux ^"j s'élancent — (d'un pas) réglé,
toujours réglé. Le fameux Marseillais — croyait assu-
rément avoir (la partie) belle!... — On a dit qu'il
n'avait pas de rate: — le Marseillais, mademoiselle,
— pourtant trouva son homme dans le Cri de Mou-
riés**!
« Parmi les flots du peuple, — déjà ils brûlaient le
but ^^ . .— Eussiez-vous vu, ma belle, bondir le Cri ! . . .
Voyez*!*» ! — Ni sur les monts ni dans les parcs, — il
n'est pas de cerf, pas de fièvre, — qui aient au courir
tant de nerf 1 — Lagalante se rue en hurlant comme
un loup..
MIRÈIO, CANT l
E lou Cri, courouna de gloio,
Embrasso la barro di joio !
Tôuti H ISimausen, en se precepitant,
Volon counèisse sa patrio ;
Lou plat d'estan au soulèu briho,
Li palet dindon, is auriho
CanLo l'auboi. . . Lou Cri reçaup lou plat d'estan.
E Lagalanto ? fè Mirèio.
Agroumouli, dins la tubèio
Que lou trapé dôu pople aubouravo à l'entour,
Tenié sarra de si man jouncho
Si dous geinoun ; e l'amo pouncho
De l'escorno que tant lou councho,
I degout de soun front eu mesclavo de plour.
Lou Cri l'abordo e lou saludo :
— Souto l'autin d'uno begudo,
Fraire, digue lou Cri, 'mé iêu vène-t-en lèu!
Vuei lou plesi, deman la reno !
Vène, que beguen lis estreno !
Alin, darrié li grands Areno,
Pèr lu, coume pèriéu, vai, i'a'nca proun soulèu!
Mai, aubourant sa caro blavo,
E de sa car que trampelavo
Arrancant sibraieto emé d'esquerlo d'or :
— D'abord que iéu l'âge m'esbréuno,
Tè ! ie respoundeguè, soun tiéuno !
Tu, Cri, la jouinesso t'aciéuno :
Ein'ounour pos pourta li braio dôu pu fort.
MIREILLE, CHANT I. 41
« Et le Cri, couronné de gloire, — embrasse le po-
leau des prix! — Tous les Nîmois se précipitent, —
ils veulent connaître (le nom de) sa patrie. — Le
pbl d'étain au soleil brille ; — les palets ^ tintent-,
aux oreilles — chante le hautbois... Le Cri reçoit le
plat d'étain. »
— « Et Lagalante? » demanda Mireille. — <i Ac-
croupi, dans le brouillard de poussière — que le tré-
pignement du peuple soulevait autour (de lui), — il
pressait de ses mains jointes — ses deux genoux; et,
l'âme navrée — de l'affront qui tant le souille, —
aux gouttes de son front il mêlait des pleurs.
« Le Cri l'aborde et le salue : — « Sous le berceau
d'une buvette, — frère, lui dit le Cri, avec moi viens-
t'en vite! — Aujourd'hui le plaisir, à demain les
plaintes! — Viens, et buvons les étrennes! — Là-bas,
derrière les grandes Arènes, — pour toi, comme
pour moi, va, il est encore assez de soleil! »
« Mais, levant son visage blême, — et de sa chair
qui palpitait — arrachant son caleçon aux sonnettes
d'or : — (( Puisque l'âge brise mes forces, — tiens !
lui répondit-il, il est à toi! — Toi, Cri, la jeunesse te
pare comme un cygne : — tu peux avec honneur por-
ter les braies du plus fort ! »
42 MIRÈIO, CANT I.
Acô-d'aqui fugué sa dicho.
E dins la prèisso que s'esquicho,
Triste coume un long frais que l'an descapela,
Despareiguè lou grand courrèire.
Ni pèr Sant-Jan ni pèr Sant-Pèire,
En-lio jamai s'es plus fa vèire
Pèr courre vo sauta sus l'ouire boudenfla.
Davans lou Mas di Falabrego,
Ansin Vincèn fasié desplego
Di causo que sabié. Li rouito ie venien,
E soun iue nègre flamejavo.
Ce que disié, lou brassejavo,
E la paraulo i 'aboundavo
Coume un ruscle subit su 'n reviéure maien.
Li grihet, cantant dins li mouto,
Mai d'un cop faguèron escouto ;
Souvent li roussignôu, souvent l'aùcèu de niue
Dins lou bos faguèron calamo ;
E pretoucado au founs de l'amo,
Elo, assetado sus la ramo,
Enjusqu'à la primo aubo aurié pas plega l'iue.
— lèu m'es d'avis, fasi' à sa maire,
Que, pèr l'enfant d'un panieraire,
Parle rudamen bèn!... 0 maire, es un plesi
De soumiha, l'ivèr; mai aro
Pèr soumiha la niue 's trop claro :
Escoulen, escouten-l'encaro...
Passariéu mi vihado e ma vido à l'ausi!
MIREILLE, CHANT I. 43
« Telles furent ses paroles. — Et dans la foule qui
se presse, — triste comme un long frêne que l'on a
écinié, — disparut le grand coureur. — Ni à la Saint-
Jean ni à la Sainl-Pierre, — nulle part, jamais plus,
il ne s'est montré — pour courir ou sauter sur l'ou-
tre enflée. »
Devant le Mas des Micocoules, — ainsi Vincent fai-
sait le déploiement — des choses qu'il savait : l'in-
carnat venait à (ses joues), — et son œil noir jetait
des flammes. — Ce qu'il disait, il le gesticulait, —
et sa parole coulait abondante — comme une ondée
subite sur un regam de mai.
Les grillons, chantant dans les mottes, — plus
d'une fois se turent pour écouter; — souvent les ros-
signols, souvent l'oiseau de nuit — dans le bois firent
silence; — et, impressionnée au fond de l'âme, —
elle, assise sur la ramée, — jusqu'à la première aube
n'aurait pas fermé l'œil.
— « Il m'est avis, disait-elle à sa mère, — que,
pour l'enfant d'un vannier, — il parle merveilleuse-
ment!... 0 mère, c'est un plaisir — de dormir, l'hi-
ver; mais à présent, — pour dormir la nuit est trop
claire : — écoutons, écoutons-le encore. — Je pas-
serais, à l'entendre, mes veillées et ma vie! »
NOTES
DU GHANT PREMIER.
' Le Mas des Micocoules [lou Mas di Falabrego). Le mot mas mai-
son rustique, ferme, métairie, est usité surtout clans l'arrondisse-
rnent d'Arles et en Languedoc. Dans la Provence orientale, on em-
ploie de préférence le mot bastido, et dans le Gomtat celui de
granjo.
Chaque Mas porte un nom distinctif et caractéristique : ainsi
lou Mas de la Font, lou Mas de VOste, lou Mas Crema, lou Mas dt
Falabrego.
La falabrego est le fruit du micocoulier, en provençal falabre-
guié [celtis australis de Linnée), grand arbre commun en Pro-
vence. Les mots mas et falabrego sont tous deux d'origine celtique.
On prétend même que Marseille, Massalia, vient de mas Salyum,
habitation des Salyens.
* A travers la Grau (à travès delà Crau). La Grau (du grec xpxôpoi,
aride), vaste plaine aride et caillouteuse, bornée au nord par la
chaîne des Alpmes, au sud par la mer, au levant par les étangs du
Martigue, au couchant par le Rhône. C'est l'Arabie Pétrée de la
France. Elle est traversée par le canal de Graponne, qui la par-
sème d'oasis. (Voyez le Chant YIIL)
^ Maguelonne {Mbgalouno) , sur le littoral du département de
l'Hérault. De celte cité, ancienne colonie grecque, il ne reste au-
jourd'hui qu'une église en ruine. M. Moquin-Tandon, membre de
rinbtitut et poêle îanguedocien, a composé, sous le nom de Carya
NOTES DU CHANT I. 45
mogahnensis, une s^jirituelle clu'onique en langue romane sur les
principaux événements dont cette ville fut le théâtre pendant les
premières années du quatorzième siècle.
* Vent largue (vènl-larg), qui souffle du large, brise de mer.
'' Le Rau [lou Rau), vent d'ouest qui amène quelquefois la pluie
* Caspileîlo, ou cùspi, interjection qui marque la surprise, pou-
vant se rendre par dame! ttidieu!
^ Les filles des Baux [H Baussenco]. Les Baux [H Baus), ville rui-
r.éc, ancienne capitale de la maison princière des Baux. « A trois
lieies d'Arles, au sommet rocailleux d'un versant des Alpines, sont
ép:rs les débris d'une ville qui, par le grandiose du site, par l'an-
cienneté de sa fondation et l'importance du rôle qu'elle a joué
dans les annales du pays, attire les pas du voyageur, exalte l'ima-
gination de l'artiste, offre à la curiosité des archéologues une abon-
dante pâture , irrite et confond souvent leur docte sagacité. »
(Jules Canonge, Histoire de la ville des Baux en Provence.)
Comme le nom de cette poétique localité reparait plusieurs fois
dans le poëme, nous croyons que le lecteur lira avec plaisir la
description suivante, empruntée au même auteur •
«... Enfin s'ouvrit une étroite vallée; je m'inclinai devant une
croix de pierre dont les débris sanctifient la route, et quand mon
regard se releva, il s'arrêta étonné sur un ensemble de tours et de
murailles perchées à la cime d'un roc, tel que je n'en avais jamais
v:i, excepté sur les œuvres où le génie de la peinture s'est inspiré
des plus fabuleuses imaginations de l'Arioste. Mais si mon étonne-
mcnl fut grand à ce premier aspect, il redoubla lorsque j'eus gravi
une éminence d'où la ville entière se déploya devant moi : c'était
un tableau de grandeur désolée comme ceux que nous fait rêver
la lecture des prophètes; c'était ce dont je ne soupçonnais pas
rcxistcncc, c'était une ville presque monolithe. Ceux qui les pre-
miers eurent la pensée d'habiter ce rocher taillèrent leur abri
dans ses flancs ; ce nouveau système d'architectiire fut jugé bon
I)ar leurs successeurs, car la masse était vaste et compacte : une
ville en sortit bientôt comme une statue du bloc d'où l'art la ki*
jaillir : une ville imposante, avec ses fortifications, ses chapelles e
ses hospices, une ville où l'homme semblait avoir éternisé sa de-
meure. L'empire de celte cité s'étendit au loin; de brillants fait
46 NOTES DU CHANT L
d'armes: lui conquirent une noble place dans l'histoire; mais elle
n'en lut pas plus durable que tant d'autres moins solidement con-
struites. »
L'action du poëme commence «îu pied de ces ruines.
* Valabrègue (Valabrego) , villaçe situé sur la rive gauche d
Rhône, entre Avignon et Tarascon.
8 Font- "Vieille [Font-vièto), village situé dans une vallée des Al
pines, aux environs d'Arles-
*<* Collines des Baux [coU^ Heussenco). (Voyez /a note 7 ,)
*' Les miroirs sont croyés [H mirau soun creba). En provençal on
appelle mirau, miroirs, deux petites membranes luisantes et so-
nores que les cigales ont sous l'abdomen, et qui, par leur frotte-
ment, produisent le bruit connu sous le nom de chant. On dit pro-
verbialement d'une personne dont la voix est brisée par l'âge
A li mirau creba, elle a les miroirs crevés.
*- Martégal (Marlegau), habitant du Martigue, en provençal lou
Uartegiie, curieuse ville de Provence, presque entièrement peuplée
de pêcheurs, bâtie sur des îlots, au milieu de lamer et de nombreux
étangs, sillonnée de canaux en guise de rues, ce qui lui a valu le
surnom de Venise provençale. Elle a donné le jour à Gérard Ten-
que, fondateur des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem.
*^ Quand Marthe filait [quand Mario fielavo), expression prover-
biale qui signifie : Dans un temps plus heureux, dans le bon vieux
temps, par allusion peut-être à Marthe, l'hôtesse du Christ, qui,
après avoir, selon la légende, délivré Tarascon du monstre qui ra-
vageait son territoire, termina ses jours dans cette contrée, habi-
tant une maisonnette aux bords du Rhône, et filant mo"destement
sa quenouille au milieu de ses néophytes.
" CabrideUe [cabridello] [aster iripoUum, Un.), plante commun
dans les marécages du Midi
*^ Garrigue [garrigo), lande où il ne croît que des chênes-nains,
agarrus
^^ N'avez-vous jamais été aux Saintes? [sias jamai estado
Santo). Les Saintes-Maries-de-la-Mer , en provençal Li Sanlo
petite viHe de cinq cent quarante -trois habitants, située dans l'îl
de Camargue, au bord de la m-^r, entre lesemV>5>vieJnjses du PJiône
NOTES DU CHANT I. 47
Une vénérable et poétique tradition y attire, le 25 mai de chaque
année, de tous les points de la Provence et du Bas-Languedoc, une
affluence innombrable de pèlerins.
La légende rapporte qu'après la mort du Christ, les Juifs contrai-
gnirent quelques-uns de ses plus fervents disciples à monter sur ur
navire désemparé, et les livrèrent à la merci des flots. Voici cora-
nrient un vieux cantique français décrit cette scène •
LES JUIFS
' Entrez, Sara, dans la nacelle,
Lazare, Marthe et Maximin,
Cléon, Trophime, Saturnin,
Les trois Maries et Marcelle,
Eutrope et Martial, Sidoine avec Joseph {<\'Arimatkie),
Vous périrez dans cette nef.
Allez sans voile et sans cordage.
Sans mât, sans ancre, sans timon,
Sans aliments, sans aviron,
Allez faire un triste naufrage !
Retirez-vous d'ici, laissez-nous en repos,
Allez crever parmi les Ilots !
Conduite par la Providence, la barque vint aborder en Provence,
à l'extrémité de l'île de Camargue. Les pauvres bannis, miraculeu-
sement échappés aux périls de la mer, se dispersèrent dans la
Gaule méridionale et en furent les premiers apôtres.
Marie-Magdeleine, l'une des trois Maries, se retira dans le déser*
de la Sainte-Baume, pour y pleurer ses péchés. Les deux autres,
Marie-Jacobé, mère de saint Jacques le Mineur, et Marie-Salomé,
mère de saint Jacques le Majeur et de saint Jean l'Évangéliste, ac-
compagnées de leur servante Sara, après avoir converti à la foi
nouvelle quelques-unes des peuplades voisines , revinrent mourir
dU lieu de leur débarquement. (Voyez le Chant XL)
M. B. Laurens, qui a raconté et dessiné, dans le journal 1'//
Itistration (t. XX, p. 7), le pèlerinage des Saintes Maries, ajoute
« On dit qu'un prince dont le nom n'est pas désigné, sachant qu
les corps des Saintes Maries reposaient en cet endroit, y fit bâui
une église en forme de citadelle, pour la mettre à couvert de l'in-
vasion des pirates. Il fit bâtir également à l'entour de l'église des
maisons et des remparts cour m^Ure les habiiauls du pays en su-
48 KOTES DU CII.VNT ï.
reté. Les constructions que l'on voit encore aujourd'hui répondent
parfaitement à cette dernière tradition.
« En 1448, après avoir entendu un seirnon sur le bonheur qu'a-
vait la Provence de posséder les dépouilles des Saintes Maries, le
roi René alla visiter l'église bâtie en leur honneur, fit faii-e des
fouilles pour trouver les saints ossements, et le succès de son en-
treprise fut constaté par l'odeur merveilleuse 4ui s'exhala au mo-
ment où chaque corps fut mis à découvert. Il est inutile de dire
tous les honneurs qu'on rendit à ces reliques et tout le soin qu'on
en prit. »
" Les châsses descendaient [U catsso davalavon).
« Le chœur de l'église présente cette particularité d'être formé
de trois étages : une crypte, qui est désignée comme étant la place
même de l'antique oratoire des Saintes, un sanctuaire exhaussé
plus qu'à l'ordinaire, et une chapelle supérieure, où sont exposées
les châsses des reliques... Cependant d'innombrables cierges tenus
par les assistants s'allument, et le cabestan dont la chaîne retenait
la châsse des reliques se déroulant, cette châsse descend lente-
ment de la chapelle supérieure dans le chœur. C'est le moment
favorable aux miracles, p^^yi un concours immense de supplications
s'élève de tous côtés : Saihies Maries, guérissez mon enfant! te)
est le cri pénétrant qui vient arracher des larmes au cœur le plus
froid. Tout le monde attend, en chantant des cantiques, le moment
où il pourra faire asseoir sur la châsse un pauvre aveugle ou un
épileptique, et quand il y est parvenu, tout le monde se croit
exaucé. » (B. Laurens.)
'8 Jean de Cessa [Jan Cueisso), seigneur napolitain, qui avait suivi
le roi René, grand sénéchal de Provence, mort en 1476. Jan Cueissi
est très-populaire à Tarascon, où le peuple lui atti-ibue la construc-
tion du clocher de Sainte-Marthe. Il est enterré dans la crypte de
cette église, et sa statue couchée surmonte son tombeau.
^9 Tu peux, mon pauvre petit, lier les courroies (de tes souliers),
Ipos, moun paure pichot, liga ti courrejoun,] c'est-à-dire te prépa-
l'cr à une course rapide : express, prov
*" Les chevaux frux [U chivau-frus), chevaux de carton peint, en
usage dans les réjouissances publiques de la Provence, etparticuliè-
rement à Aix, lors dé la Fête-Dieu. — Les cavaliers les ajustent à leiu"
ceinture, et parcourent les rues en dansant au son du tambourin
NOTES DU CHANT I 49
*' Mouriés {Mouriés), \illage au midi des Alpines
" Ils brûlaient du but [brulavon de la loco) , pour dire Ils tou-
jhaicnt presque le but.
*^ Les palets [li palet ou cimbaleto) .«ont des disques d'acic?
qu'on frappe l'un contre l'autre comme les cymbales.
CANT SEGOUND
LA CULIDO
Mirèio cuei de fuuio d'amourié pèr si magnan. — D'asard, Vincèn Ion
panieraire passo au carreiroun vcsin. — La chato lou sono. — Lou
drôle cour, e pêr i'ajuda, mounto em'elo sus l'aubre. — Charra-
disso di dous enl'ant. — Vincèn fai la coumparesoun de sa sorre
Vinceneto emé Mirèio. — Lou nis de pimparrin. — La branco routo;
Mirèio emé Vincèn toumbon de l'aubre. — L'amourouso chatouno
se declaro. — Lou drôle apassiouna desboundo. — La Cabro d'or,
la figuiero de Vaucluso. — Mirèio es sounado pèr sa maire. —
Escaufèstre e separacioun di calignaire.
Gantas, cantas, magnanarello,
Que la culido es cantarello !
Galant soun li magnan e s'endormon di très,
Lis amourié soun plen de fiho
Que lou bèu tèms escarrabiho,
Coume un vôu de blôundis abiho
Que raubon sa melico i roumanin dôu grès.
En desfuiant vôsti verguello,
Cantas, cantas, magnanarello!
.Mirèio es à la fueio, un bèu matin de Mai»
Aquéu matin, pèr pendeloto,
A sis auriho, la farolo !
Avié penja dos agrioto.....
Vincèn, aquéu matin, passé 'qui tournamëi.
CHANT DEUXIÈME
LA CUEILLETTE
Mireille cueille des feuilles de mûrier pour ses vers à soie. — Par
hasard, Vincent, le raccommodeur de corbeilles, passe au senLicr
voisin. — La jeune fille l'appelle. — Le gars accourt, et, pour
l'aider, monte avec elle sur l'arbre. — Causerie des deux enfants.
— Vincent fait le parallèle de sa sœur Vincenelte et de Mireille.—
Le nid de mésanges bleues. — La branche rompue. — Mireille et
Vincent tombent de l'arbre. — La jeune fille déclare son amour.
— Brûlante explosion du jeune homme. — La Chèvre d'or, le figuier
de Vaucluse. — Mireille est rappelée par sa mère. — Émoi et sépa-
ration des deux amants.
Chantez, chantez, magnanarelles * ! — car la cueil-
lette aime les chants. — Beaux sont les vers à soie,
et ils s'endorment de leur troisième somme *; — les
mûriers sont pleins de jeunes filles — que le beau
temps rend alertes et gaies, — telles qu'un essaim
de blondes abeilles — qui dérobent leur miel aux ro-
marins des champs pierreux.
En défeuillant vos rameaux, — chantez, chantez,
magnanarelles! — Mireille est à la feuille, un beau
matin de mai : — cette matinée-là, pour pendelo-
ques, — à ses oreilles, la coquette — avait pendu
deux cerises — Vincent, cette matinée, passa là
de nouveau.
52 MIRÈIO, CANT II.
A sa barrelo escarlatino,
Coume an li gènt di mar latino,
Avié poulidamen uno plumo de gau;
E'n trapejant dins li draiolo
Fasié fugi li serp courriolo,
E di dindànti clapeirolo
Emé soun bastounet bandissié li frejau.
— 0 Vincèn, ie faguè Mirèio
D'entre-mitan li verdi lèio,
Passes bèn vite, que! — Vincenet toul-d'un-tèm
Se revirè vers la plantado,
E, sus un amourié quihado
Coume une gaio couquihado,
Destousquè la chatouno, e ie lande, countènt.
— Bèn? Mirèio, vèn bèn la fueio?
— He ! pau-à-pau tout se despueio. . .
— Voulèsquevousajude? — 0! . .Dôutèms qu'eilaniount
Elo risiè jitant de siéule,
Vincèn, picant dôu pèd lou tréule,
Escale l'aubre couine un gréule.
— Mirèio, n'a que vous lou vièi Mèste Ramoun :
Fasès li baisso! aurai li cimo,
lèu, boutas! — E'mè sa man primo,
Elo en môusènl la ramo : — Engardo de langui
De travaia 'n pau en coumpagiio !
Souleto, vous vèn uno cagnoi
Dis. — lèu perèu ce que m'enlagno,
Respoundeguè lou drôle, èi just acô-d'aqui.
MIREILLE, CHANT H. 53
A son bonnet écarlate, — comme en ont les rive-
rains des mers latines, — il avait gentiment une plume
de coq; — et en foulant les sentiers, — il faisait fuir
les couleuvres vagabondes, — et des sonores tas de
pierres — avec son bâton il chassait les cailloux.
« 0 Vincent! lui cria Mireille, — du milieu des
vertes allées, — pourquoi passes-tu si vite ! » Vin-
cent aussitôt — se retourna vers la plantation, — et,
sur un mûrier perchée — comme un gai coche-
vis', — il découvrit la fillette, et vers elle vola,
joyeux.
— « Eh bien! Mireille, vient-elle bien, la feuille? »
— « Eh ! peu à peu tout (rameau) se dépouille. » —
« Voulez-vous que je vous aide? » — « Oui! r* Pen-
dant qu'elle riait là-haut — en jetant de folâtres cris
de joie, — Vincent, frappant du pied le trèfle, —
grimpa sur l'arbre comme un loir. — « Mireille, il
n'a que vous, le vieux Maître Ramon :
« Faites les branches basses! j'atteindrai les ci-
mes, — moi, allez ! » Et de sa main légère, — celle-
ci trayant la rainée : « Cela garde d'ennui, — de tra-
vailler (avec) un peu de compagnie ! — Seule, il vous
vient un nonchaloir ! » — dit-elle. — « Moi de même,
ce qui m'irrite, — répondit le gars, c'est justement
cela.
5
54 MIRÊIO, GANT II.
Quand siaii eiça dins noslo bôri,
Mounte n'ausèn que lou tafôri
Dôu Rose tourmentau que manjo lis auvas,
Oh ! de fes, quéti languitudo !
Pas tant l'estiéu, que, d'abitudo,
Fasèn nôstis escourregudo,
L'estiéu, emé moun pai, d'un mas à l'autre mas
Mai quand lou verbouisset vèn rouge,
Que li jour se fan ivernouge,
E longo li vihado ; autour dôu recaliéu,
Entanterin qu'à la cadaulo
Quauque esperitoun siblo o miaulo,
Sènso lume e sens grand paraulo
Fau espéra la som, tout soulet iéu em'éu!... /
La chato ie fai à la lèsto :
— Mai dounc ta maire, mounte rèsto?
— Èimorto!... Lou drouloun se teisè 'n moumenet,
Pièi reprenguè : Quand Vinceneto
Èro emé nautre, e que, jouineto,
Gardavo enca la cabaneto,
Alor èro un plesi ! — Mai coume? Vincenet,
As uno sorre? — K lajouvènto,
Braveto qu'es e bèn fasènto,
Digue lou verganié;... trop! qu'à la Font-dôu-Rèi,
Alin en terro de Bèucaire,
Èro anado après li segaire,
Tant i' agradè soun galant faire
Que pèr tanto l'an presse, e tanto i' es dempièi.
MIREILLE, Cll.vNT 11. 55
« Quand nous sommes, là-bas, dans notre hutte,
— où nous n'entendons que le bruissement — du
Rhône impétueux qui mange les graviers, — oh ! par-
fois, quelles (heures) d'ennui ! — Pas autant l'été ;
car, d'habitude, — nous faisons nos courses, — l'été,
avec mon père, de métairie en métairie.
« Mais quand le petit houx devient rouge (de baies);
— que les journées se font hivernales — et longues
les veillées ; autour de la braise à demi éteinte, —
pendant qu'au loquet — siffle ou miaule quelque lu-
tin, — sans lumière et sans grandes paroles, — il faut
attendre le sommeil, moi tout seul avec lui!... »
La jeune fdle lui dit promptement : — « Mais ta
mère, où demcure-t-elle donc?» — « Elle est morte !.. . »
Le garçon se tut un petit moment, — puis reprit :
« Quand Vincenette — était avec nous, et que, toute
jeune, — elle gardait encore la cabane, — pour lors
c'était un plaisir! » — a Mais quoi? Vincent,
« Tu as une sœur? » — « Et la jouvencelle, — sage
qu'elle est et faisant bien (les choses}, — dit le tres-
seur d'osier;... trop! car, à la Fontaine-du-Roi, —
ià-bas en terre de Reaucaire, — elle était allée après
les faucheurs ; — tant leur plut sa gentille adresse
— que pour servante ils l'ont nrise, et servante elle y
est depuis lors. »
56 MÏRÈIO. CANT Tl.
— le dones d'èr, à ta sourreto?
— Quau? iéu? pas mai ! Elo èi saureto,
E iéu siéu, lou vesês, brun coume un courcoussoun.
Mai pulèu, sabès quau reverto?
Vous! Vôstitèsto disaverto,
Coume li fueio de la nerto
Vôsti peu aboundous, dirias que soun bessoun.
Mai pèr sarra la claro telo
De vosto couifo, bèn mies qu'elo
Mirèio, avès lou fiéu!... N'es pas laido, tambèn,
Ma sorre, nimai endourmido ;
Mai vous, de quant sias pu poulido 1
Mirèio aqui, mita culido,
Leissant anasabranco : Oh! dis, d'aquéu Vincèn!
Gantas, cantas, magnanarello !
Dis amourié la fueio es bello,
Galant soun li magnan e s'endormon di très ;
Lis amourié soun plen de fiho
Que lou bèu tèms escarrabiho,
Coume un vôu de blôundis abiho
Que raubon sa melico i roumanin dôu grès.
— Âlor, m'atroves galantouno
Mai que ta sorre? La chatouno
Faguè 'nsin à Vincèn. — De forço, eu respoundè.
— E qu'ai de mai? — Maire divino !
E qu'a de mai la cardelino
Que la petouso mistoulino,
Senoun la bèuta même, e lou cant, e l'esté!
MIREILLE, CHANT II. 57
— « Lui ressembles-tu, à ta jeune sœur? » —
« Qui? moi?... Qu'il s'en faut! Elle est blondine, — et
je suis, vous le voyez, brun comme un cuceron... —
Mais plutôt, savez-vous qui elle rappelle? — Vous !
Vos têtes éveillées, — comme les feuilles du myrte
— vos chevelures abondantes, — on les dirait ju-
melles.
« Mais pour serrer la toile claire — de votre coiffe,
bien mieux qu'elle, — Mireille, vous avez le fil!...
Elle n'est pas laide, non plus, — ma sœur, ni endor-
mie ; — mais vous, combien étes-vous plus belle ! »
— Là Mireille, à moitié cueillie, — laissant aller sa
branche : « Oh! dit-elle, ce Vincent!... »
Chantez, chantez, magnanar elles! — Des mûriers
le feuillage est beau, — beaux sont les vers à soie,
et ils s'endorment de leur troisième (somme). — Les
mûriers sont pleins de jeunes filles — que le beau
temps rend alertes et gaies, — telles qu'un essaim
de blondes abeilles — qui dérobent leur miel aux ro-
marins des champs pierreux.
— « Ainsi, tu me trouves gentille ~ plus que la
sœur? » la fillette — dit à Vincent. — « Beaucoup
plus, » répondit-il. — « Et qu'ai-je de plus? » —
« Mère divine ! — Et qu'a le chardonneret de plus —
que le troglodyte grêle, — sinon la beauté même, et
le chant, et la grâce ' »
58 MIRÈIO, CANTII.
— Mai encaro? — Ma pauro sorre,
Noun vas agué lou blanc dôu porre!
Coume l'aigo de mar Vinceneto a lis iue
Que ie bluiejon e clarejon....
Livostre coume un jai negrejon ;
E quand dessus me beluguejon,
léu me sèmblo que chourle un cigau de vin eue.
De sa voues linjo e clarinello,
Quand cantavo la Peirounello,
ila sorre, aviéu grand gau d'ausi soun dous acord ;
Mai vous, la mendro resouneto
Que me digues, o jouveineto !
Mai que pas ges de cansouneto
Encanto moun auriho e bourroulo moun cor.
Ma sorre, en courrènt pèr li pàti.
Ma sorre, coume un brout de dàti
S'èi roustido lou coui e la caro au soulèu ;
Vous, bello, crese que sias facho
Coume li flour de la pourracho ;
E de l'Estiéu la man mouracho
Noun auso caressa voste front blanquinèuî
Coume uno damo de gandolo
Ma sorre es enca primacholo;
Pecaire! dins un an a fa tout soun creissènt...
Mai de l'espalo enjusqu'à l'anco,
Vous, 0 Mirèio, rèn vous manco !
Mirèio, lâchant mai la branco,
E toute rouginello : Oh ! dis, d'aquéu Vincèn!
MIREILLE, CHANT II. 59
— « Mais 'incore? » — « Ma pauvre sœur, — tu
n'auras pas le blanc du porreau ! — Comme l'eau de
mer Vincenetle a les yeux — bleus et limpides.... —
Les vôtres sont noirs comme jais ; — et quand sur
moi ils étincellent, — il me semble que je bois une
rasade de vin cuit *.
« De sa voix déliée et claire, — lorsqu'elle chantait
la Peyronelle, — ma sœur, j'avais grand plaisir à en-
tendre son doux accord ; — mais vous, la moindre
petite parole — que vous me disiez, ô jouvencelle ! —
plus que nulle chansonnette — enchante mon oreille
et trouble mon cœur.
« Ma sœur, en courant par les pâturages, — ma
sœur, comme un rameau de dattes — s'est brûlé le
cou et le visage au soleil ; — vous, belle, je crois que
vous êtes faite — comme les fleurs de l'asphodèle ; —
et la main hâlée de l'Été — n'ose «îaresser votre front
blanc !
« Comme une ibellule de ruisseau, — ma sœur
est encore grêle ; — pauvrette ! elle a fait dans un an
toute sa croissance. . . — Mais de l'épaule à la hanche,
— vous, ô Mireille, il ne vous manque rien! » —
Laissant de nouveau échapper la branche, Mireille,
— toute rougissante, dit : « Oh! ce Vincent! »
60 MIRÈIO, GANT II.
En desfuiant vôsli verguello,
Gantas, cantas, magnanarello!...
Ansin li bèus enfant, de l'aubre panouious
Escoundu souto lou ramage,
Dins l'innoucènci de soun âge
S'assajavon au calignage.
Pamens, de mens en mens, li serre èron neblous,
Amount sus li roco pelado,
Sus li grand tourre esbarboulado
Ounte trèvon, la niue, li vièi prince di Bail s,
Li capoun-fèr, que blanquejavon,
Dins l'estendudo s'enauravon,
E sis alasso fouguejavon
Au soulèu, que déjà caufavo lis avaus.
— Oh ! n'avèn rèn fa ! que vergougno !
Elo venguè 'mé 'n èr de fougno.
Aquéu galabontèms dis que vèn m'ajuda,
Pièi me fai rèn que faire rire. . . .
Ânen! d'aut! que la man s'estire,
Que pièi ma maire pourrie dire
Qu'ai panca proun de biais, o, pèr me marida.
Vai, vai, dis, tu que te vantaves,
Moun paure ami ! se te lougaves
Pèr la cueie à quintau, la fueio, crese que,
Quand fuguèsse toute en pivello,
Pourries manja de regardello !
— Me cresès donne uno ganchello?
Piespoundeguè lou drôle, un brigouloun mouquet.
MIREILLE, CIIANT II. M
En défeuillant vos rameaux, — chantez, chantez,
magnanar elles l... — Ainsi les beaux enfants, de
l'arbre feuillu — cachés sous la ramée, — dans l'in-
nocence de leur âge — s'essayaient à l'amour. — Les
crêtes, cependant, de moins en moins étaient bru-
meuses.
Là-haut sur les roches nues, — sur les grandes
tours écroulées — où reviennent, la nuit, les vieux
princes des Baux, — les sacres ^ éclatants de blan-
cheur,— dans l'étendue s'élevaient, — et leurs grandes
ailes étincelaient — au soleil, qui déjà chauffait les
chênes nains.
— « Oh ! nous n'avons rien fait ! quelle honte î
— dit-elle d'un air de bouderie. — Ce drôle dit
qu'il vient m'aider ; — tout son travail, ensuite, est
de me faire rire... — Allons! sus! que la main se
dégourdisse, — parce qu'après ma mère pourrait
dire — que je suis trop gauche encore, oui, pour me
marier.
« Va, va, dit-elle, toi qui te vantais, — mon pauvre
ami ! si lu te mettais à gages — pour cueillir à quin-
tal la feuille, je crois que, — fût-elle toute en brin-
dilles, — tu pourrais manger des regardelles ^ ! »
— « Vous me croyez donc une mazette? » — repar-
tit le gars, légèrement penaud.
62 MIRÈIO, GANT II.
Bèn ! quau sara meiour cuièire,
Madamisello, l'anan vèire '.
E zôu! 'mé li dos man, furoun, atravali.
Vague de torse e môuse ramo !
Plus de resoun! plus de calamo!
(Perd lou moucèu fedo que brame.)
L'amourié que li porto es toutaro culi.
Fuguèronlèu, pamens, à pauso.
Quand sias jouine, la bello causo!
Estent qu'au menfie sa metien la fueio ensèn,
Un cop li poulit det cherescle
De ia chatouno, dins l'arescle,
Se devinèron entremescle
Emé li det brûlant, U det d'aquéu Vincèn.
Elo emai eu trefouliguèron ;
D'amour si gauto s'enflourèron,
E tôuti dous au cop, d'un fio noun couneigu
Sentiguèron l'escandihado.
Mai coume aquesto, à l'esfraiado,
Sourtié sa man de la fuiado,
Eu, de la treboulino enca tout esmougu :
. — Qu'avès? Uno guèspo escoundudo
Vous a belèu, dis, pougnegudo?
^ Noun sai ! clinant lou front, elo respoundè plan.
E sènso mai, chascun se bouto
A tourna cueie quauco broulo.
Emé d'iue couquin, tèsto souto,
S'espinchavonpam.-s (luau ririé de davan.
MltEILLE, CHANT II. 65
« Eh bien ! qui cueillera plus vite, — mademoi-
selle, nous allons le voir ! . . . » — Et courage ! des
deux mains, passionnés, ardents au travail, — et de
tordre et de traire ramée ! — Plus de paroles, plus de
cesse! — (Brebis qui bêle Tperd sa dentée d'herbe.) —
Le mûrier qui les porte est cueilli tout à l'heure.
Ils firent, pourtant, bientôt halte. — Quand on est
jeune, la belle chose ! — Comme, dans le même sac,
ils mettaient la feuille ensemble, — une fois les jolis
doigts effilés — de la fillette, dans le cerceau '', — se
rencontrèrent emmêlés — avec les doigts brûlants,
les doigts de ce Vincent.
Elle et lui tressaillirent , leurs joues se colorèrent
de la fleur d'amour, — et tous deux à la fois, d'un
feu inconnu — sentirent l'échappée ardente. — Mais
comme celle-ci, avec effroi, — sortait sa main de la
feuillée, — lui, par le trouble encore tout ému :
— « Qu'avez-vous? Une guêpe cachée — vous a
peut-être piquée ? » dit-il. — « Je ne sais! » en bais-
sant le front répondit-elle à voix basse. — Et, sans
plus, chacun se met — à cueillir de nouveau quelque
brindille. — Avec des yeux mahns, en dessous, — ils
s'épiaient pourtant à qui rirait le premier.
64 MIRÈIO, GANT M.
Lou pitre ie batié ! . . . La fueio
Toumbè pièi mai coume la plueio ;
E quand pièi au saquet venié que la inetien,
Li dos menoto blanco e bruno,
Que fugue esprès o pèr fourtuno,
Venien toujour uno vers l'uno,
Memamen qu'au travai grand joio éli prenien.
Gantas, cantas, magnanarello,
En desfuiant vôsti verguello ! . . . .
— Ve ! ve ! tout-en-un-cop Mirèio crido, ve !
— Qu'es acô? — Lou det sus la bouco,
Vivo coume un créu su 'no souco,
Dre de la branco ounle s'ajouco
Fasié signe dôu bras. . . — Un nis. . . qu'anan avé !
— Espèro!.,. E 'n retenènt somi gréule,
Coume un passeroun long di léule,
Vincèn de branco en branco a boumbi vers lou nis.
Au founs d'un trau que de naturo,
Entre-mitan la rusco duro,
S'èro fa, de l'emboucaduro
Li pichot se vesien, flame e boulegadis.
Mai Vincèn qu'à la branco torto
. Vèn de nousa si cambo forlo,
E penja d'uno man, dins lou trounc baumelu
Furno emé l'autre. Un pau pus auto,
Mirèio alor, la flamo i gauto :
— Qu'èi?ie demando cauta-cauto.
— De pimparrin! — De-que? — De bèu sarraié blu
MIREILLE, CHANT II. C5
Leur poitrine battait !.. . La feuille — tomba puis
de nouveau comme pluie; — et puis, venu (l'instant)
où ils la mettaient au sac, -^ la main blanche et la
main brune, — soit à dessein ou par bonheur, —
toujours venaient l'une vers l'autre, — mêmement
qu'au travail ils prenaient grande joie.
Chantez, chantez, magnanarelles, — en défeuil-
lant vos rameaux!.., — « Vois!, vois! tout à coup
Mireille crie, vois! » — « Qu'est-ce? » — Le doigt
sur la bouche, — vive comme une locustelle sur un
cep, — vis-à-vis de la branche où elle juche — elle
mdiquait du bras... — « Un nid... que nous allons
avoir! »
— iS Attends !... » Et retenant son souffle haletant,
— tel qu'un passereau le long des tuiles, — Vincent
de branche en branche a bondi vers le nid. — Au fond
d'un trou qui naturellement, — entre la dure écorce,
— s'était formé, par l'ouverture — les petits se
voyaient, déjà pourvus de plumes et remuant.
Mais Vincent, qui à la branche tortue — vient de
nouer ses jambes vigoureuses, — suspendu d'une
main, dans le tronc caverneux — fouille de l'autre.
Un peu plus élevée, — Mireille alors, la flamme aux
joues : — « Qu'est-ce? » demande-t-elle avec pru-
dence. — « Des pimpaiTms ! » — « Comment? «
— « De belles mésanges bleues! »
6.
C(5 MlRfnO, C\NT II.
Mirèio osclafiguè lou rire.
— Que ! dis, l'as jamai ausi dire?
Quand, dons, trouvas un nis au bout d'un amourié,
0 de tout aubre que lou sènnble,
Passo pas l'an que noun ensemble
La santo Glèiso vous assemble
Prouvèrbi, dis moun paire, es loujour vertadié
— 0, ie fai eu; mai fau apoundre
Qu'aquelo espèro pou se foundre,
S'avans que d'èstre en gabio escapon li pichot.
— Jeuse, moun Dieu ! dono-te garde !
Cridè la chato; e sènso tardo
Rejoun-lèi bèn, que nous regarde!
— Ma fisto ! lou j cuvent ie respond coume eiçô,
Lou miéu que li poudèn rejougne
Sarié bessai dins veste jougne. . .
— Ah ' tè, baio ! verai ! . . . Lou drôle quatecant
Mando sa man dins la caforno ;
E sa man pleno que s'entorno
Quatre n'en tiro de la borno.
— Boudiéu ! digue Mirèio en aparant, oh ! quant !
Queto nisado galantouno !
Tè! tè! pecaire, uno poutouno!
E, folo de plesi, de milo poutounet
Li devouris e poumpounojo ;
Pièi em' amour plan-plan li vejo
Souto soun jougne que gounflejo...
— Tè! tè! paro la man, cridè mai Vincenet.
MIREILLE, CHANT H. G7
Mireille éclata de rire. — « Écoute! dit-elle, ne
l'as-tn jamais ouï dire? — Lorsqu'on trouve, à deux,
un nid au faîte d'un mûrier, — ou de tout arbre pa-
reil, — l'année ne passe pas qu'ensemble — la sainte
Église ne vous unisse.... — Proverbe, dit mon père,
est toujours véridique. »
— « Oui, réplique Vincent ; mais il faut ajouter —
que cet espoir peut se fondre, — si, avant d'être en
cage, s'échappent les petits. » — « Jésus, mon Dieu!
prends garde I — cria la jeune fdle, et sans retard, —
serre-les avec soin, car cela nous regarde! » — « Ma
foi ! répond ainsi le jouvenceau.
« Le meilleur (endroit) pour les serrer, — serait
peut-être votre corsage... » — « Tiens! oui, donne!
c'est vrai ! . . . » Le garçon aussitôt — envoie sa main
dans la cavité; et sa main, qui retourne pleine, —
en tire quatre du creux. — « Bon Dieu! dit Mi-
reille en tendant (la main), oh! combien!...
« La gentille nichée ! — Tiens ! tiens ! pauvres pe-
À[s, un bon baiser! » — Et folle de plaisir, de mille
doux baisers — elle les dévore et les caresse ; —
puis avec amour doucement les coule — sous son cor-
sage qui renfle. — « Tiens! tiens! tends la main, »
derechef cria Vincent,
68 MIRÉIO, GANT II
— Oh ! li poulit ! Si tèsto bluio
An d'uioun fm coume d'aguhio !
E lèu mai, dins la blanco e lisqueto presouii,
Très pimparrin elo recato ;
E, dins lou sen caud de la chato,
La couvadeto que s'amato
Se crèi que l'an remesso au founs de soun nisoun.
— Mai, de bon? Vincenet, n'i'a 'ncaro?
— 0 ! — Santo Vierge ! Ve, toutaro
Dirai qu'as la man fado ! — Eh! pauro que vous sias?
Li pimparrin? quand vèn Sant Jorge,
Fan dès, douge iôu, emai quatorge,
Souvènti'fes ! ... Mai le ! t è ! porge,
Li cago-nis !... E vous, bello borno, adessias'
Coume lou drôle se despènjo,
E qu'elo vite lis arrènjo
Bèn deUcadamen dins soun fichu flouri...
— Ai! ai ! ai! d'uno voues tendrino
Subitamen fai la mesquino.
E, vergougrîouso, à la peitrino
S'f.squicho li dos man. — Ai 1 ai ai ! vau mouri i
Houi ! houi ! plouravo, me grafignon !
Ai ! me grafignon e m'espignon !
Courre lèu , Vincenet, lèu ! ... Es que, i'a 'n moumen. . .
Que vous dirai? dins l'escoundudo
Grando e vivo èro l'esmougudo !
l'a 'n moumen, dins la bando aludo
Avien, li cago-nis, mes lou bourroulamcn.
MIREILLE, CHANT II. 69
« Oh ! les jolis ! Leurs têtes bleues — ont de petit?
yeux fins comme des aiguilles !» — Et vite encore,
dans la prison blanche et lisse, elle cache trois mé-
sanges ; — et, dans le tiède sein de la jeune fille, —
la petite couvée qui se blottit, croit qu'on l'a remise
au fond de son nid.
— « Mais tout de bon? Vincent, y en a-t-il encore? »
— « Oui ! » — « Sainte Vierge! vois, tout à l'heure
— je dirai que tu as la main fée !» — « Eh ! bonne
fille que vous êtes ! — les mésanges ! quand vient la
Saint-Georges, elles font dix, douze œufs, et même
quatorze, — maintes fois !... Mais tiens ! tiens! tends
(la main) , — les derniers èclos ! et vous, beau creux,
adieu ! »
A peine le jeune homme se décroche, — à peine
celle-ci arrange les (oiseaux) — bien délicatement dans
son fichu fleuri... — «Aïe! aïe! aïe! » d'une voix
chatouilleuse — fait soudain la pauvrette. — Et, pu-
dique, sur la poitrine — elle se presse les deux mains.
— « Aïe ! aïe ! aïe ! je vais mourir.
« Ho ! pleurait-elle, ils m'égratignent ! — aïe î m'é-
gratignent et me piquent! — Cours vite, Vincent,
vite!...» C'est que, depuis un moment, — vous
le dirai-je? dans la cachette — grand et vif était
l'émoi ! — Depuis un moment, dans la bande ailée
— avaient, les derniers éclos, mis le bouleverse-
ment.
70 MIRÈIO, GANT II.
E dins l'eslrecho valounado,
La fouligaudo moulounado
Que noun pôu libramen faire soun roudelet,
A grand varai d'arpioun e d'alo,
Fasié, dins li mounto-davalo,
Cambareleto sènso egalo,
Fasié long di galis milo bèu redoulet.
— Ai ! ai ! vène lèi querre ! lampo,
le souspiravo. E coume pampo
Que l'auro atremoulis , coume di cabrian
Quand se sent pouncho uno junego,
Ansin gémis, sauto e se plego
La chatouno di Falabrego...
Eu pamens i'a voula... — Gantas, en desfuiant,
En desfuiant vôsti jitello,
Gantas, cantas, magnanarello !
Sus la branco ounte plouro eu pamens a voula :
— La cregnèf, donne bèn, la coutigo?
Eu ie fai de sa bouco amigo.
Eh ! coume iéu, dins lis ourligo,
Se descausso proun fes vous falié barrula,
Goume farias? Epèr rejougne
Lis enfourniau qu'a dins soun jougne,
Eu ie porge, en risènt, soun bonnet de marin.
Déjà Mirèio, soutl'estofo
Que la nisado rendié gofo,
Mando sa man, e dins la cofo
Un pèr un adeja torno li pimparrin ;
MIREILLE, CHANT II. H
Et, dans l'étroit vallon, — la folâtre multitude —
qui ne peut librement se caser, — se démenant des
griffes et des ailes, — faisait, dans les ondulations,
— culbutes sans pareilles, — faisait, le long des
talus, mille belles roulades.
— « Aïe! aïe ! viens \es quérir ! vole, » — lui sou-
pirait-elle. Et comme le pampre — que le vent fait
frissonner, commer une génisse qui se sent piquée par
les frelons, — ainsi gémit, bondit et se ploie — l'ado-
lescente des Micocoules... — Lui pourtant a volé vers
elle... — Chantez, en défeuillant,
En défeuillant vos rameaux, — chantez, chantez,
magnanar elles ! — Sur la branche où elle pleure, lui
pourtant a volé. — « Vous le craignez donc bien, le
chatouillement? — lui dit-il de sabouche amie. — Eh!
comme moi, dans les orties, — si, nu-pieds, mainte
fois il vous fallait vaguer,
« Comment feriez-vous ?» — Et pour déposer —
les oisillons qu'elle a dans son corsage, — il lui offre
en riant son bonnet de marin, — Déjà Mireille, sous
l'étoffe — que la nichée, rendait bouffante, — envoie
la main, et dans la coiffe — déjà, une à une, rapporte
les mésanges ;
72 MIRÈIO, GANT II.
Déjà, 'mélou front clin, pecaireî
E revirado un pau de caire.
Déjà loii risoulet se mesclavo à si ploiir ;
Semblablamen à l'eigagnolo
Que, lou malin, di courrejolo
Bagno li campanelo molo,
E perlejo, e s'esbêu i proumiéri clarour...
E souto éli vèn que la branco
Tout-en-un-cop peto e s'escranco ! . . .
Au coui dôu panieraire, elo, en quilanl d'esfrai,
Se precepilo e se i' cmbrasso ;
E dôu grand aubre que s'estrasso,
En un rapide viro-passo
Toumbon, embessouna, sus lou souple margai....
Fres ventoulet, Larg e Gregàli,
Que di bos boulegas lou pâli,
Sus lou jouine parèu que voste gai murinur
Un moumenet mole e se taise!
Fôlis aureto, alenas d'aise !
Dounas lou tèms que l'on pantaise,
'Lou tèms qu'à tout lou mens pantaison lou bonur !
Tu que lalejes dins ta gorgo,
Vai plan, vai plan, pichouno sorgo !
Di litre ti cascagnôu menés pas tant de brut !
Pas tant de brut, que si dos amo
Soun, dins lou même rai de flamo,
Partido coume un brusc qu'eissamo...
Leissas-lèi s'emplana dins lis èr benastru!
MIREILLE, CHANT II. 73
Déjà le front baissé, pauvrette ! — et détournée
un peu de côté, — déjà le sourire se mêlait à ses
larmes ; — semblablement à la rosée — qui, le ma-
tin, des liserons — mouille les clochettes molles,
— et roule en perles, et s'évapore aux premières
clartés
Et sous eux voilà que la branche — tout à coup
éclate et se rompt !. . . — Au cou du vannier, la (jeune
fille) effrayée, avec un cri perçant, — se précipite
et enlace ses bras ; — et du grand arbre qui se dé-
chire, — en une rapide virevolte, — ils tombent,
serrés comme deux jumeaux, sur la souple ivraie*....
Frais zéphyrs, (vent) largue et (vent) grec», — qui
des bois remuez le dais, — sur le jeune couple que
votre gai murmure — un petit moment mollisse et
se taise ! — Folles brises, respirez doucement ! —
Donnez le temps que l'on rêve, — le temps qu'à tout
le moins ils rêvent le bonheur !
Toi qui gazouilles dans ton lit, — va lentement,
va lentement, petit ruisseau! — parmi tes galets
sonores ne fais pas tant de bruit ! ~ pas tant de
bruit, car leurs deux âmes — sont, dans le même
rayon de feu, — parties comme une ruche qui es-
saime.... — Laissez-les se perdre dans les airs pleins
d'étoiles I
7
U MIRÈIO, GANT II,
Mai elo, au bout d'uno passado,
Se daverè de la brassado
Mens palinello soun li flour dôu coudounié.
Pièi sus la ribo s'assetèron,
Un contro l'autre se boutèron,
Un moumenet se regardèron,
E'm' acô parlé 'nsin lou drôle di panié :
Vous sias rèn facho mau, Mirèio?...
0 la vergougno de la lèio,
Aubre dôu diable, aubras qu'un divèndre an planfa,
Que la marrano t'agarrigue.
Que l'artisoun te devourigue,
E que toun mèstre t'abourrigue !
Mai elo, em' un tramblun que noun pôu arresta :
— Me siéu pas, dis, facbo mau, nàni !
Mai, coume un enfant dins si làni,
Que de fes plourinejo e noun saup per-de-que,
Ai quaucarèn, dis, que me grèvo ;
L'ausi, lou vèire, acô me lèvo ;
Moun cor n'en boni, moun front n'en rèvo,
E lou sang de moun cors noun pôu demoura quct !
— Belèu, digue lou panieraire,
Es de la pôu que vosto maire
Vous charpe qu'à la fueio avès mes trop de tèm?
Coume iéu, quand veniéu subr'ouro,
Estrassa, moustous coume un Mouro,
Pèr èstre ana cerca d'amouro....
— Oh ! noun, digue Mirèio, autre peno me tèn.
MIREILLE, CHANT II. 75
Mais elle, au bout d'un instant, — se délivra de
l'embrassade... — Moins pâles sont les fleurs du co-
gnassier. — Puis ils s'assirent sur le talus, — l'un
près de l'autre se mirent, — un petit moment se re-
gardèrent, — et voici comment parlale jeune homme
aux paniers :
« Vous étes-vous point fait de mal, Mireille?... —
0 honte de l'allée, — arbre du diable, arbre funeste
qu'on a planté un vendredi, — que le marasme s'em-
pare de toi ! — que Tartison te dévore, — et que ton
maître te prenne en horreur! » — Mais elle, avec
un tremblement qu'elle ne peut arrêter :
— « Je ne me suis pas, dit-elle, fait de mal, nenni !
— Mais, telle qu'un enfant dans ses langes — qui
parfois pleure et ne sait pourquoi, — j'ai quelque
chose, dit-elle, qui me tourmente; — cela m'ôte le
voir et l'ouïr; — mon cœur en bout, mon front en
rêve, — et le sang de mon corps ne peut rester,
calme. »
— « Peut-être, dit le vannier, — est-ce la peur que
votre mère — ne vous gronde pour avoir mis trop de
temps à ]a feuille? — comme moi, quand je m'en
venais à heure indue, — déchiré, barbouillé comme
un Maure, — pour être allé chercher des mûres... »
— a Oh! non, dit Mireille, «lutre peine me tient. »
'6 MIRÈIO, CANT II.
— 0 belèu uno souleiado,
Faguè Vincèn, vous a'mbriado.
Sabe, dis, uno vièio, aperamount i Bau
(le dison Taven) : vous asaigo
Bèn sus lou front un got plen d'aigo,
E lèu, di cervelio embriaigo,
Li rai escounjura gisclon dinslou cristsu.
— Noun, noun ! respoundè la Craenco ;
Lis escandihado maienco
N'es pa'i chato de Grau que podon faire pôu !..,
Mai en que sèr de te deçaupre?
Dins moun sen acô pôu plus caupre !
Vincèn, Vincèn, vos-tilou saupre?
De tu siéu amourouso !.... Au bord dôu rajeirôu,
Emai l'èr linde, emai la tepo,
Emai li vièi sause de cepo,
Fuguèron claramen espanta de plesi ! . . .
— Ah ! princesso, que, tantpoulido,
Agués la lengo tant marrido,
Lou panieraire aqui s'escrido,
l'a de que pèr lou sôu se traire estabousi !
Coume ! de iéu vous amourouso?
De ma vidasso encaro urouso
Anes pas vous jouga, Mirèio, au noum de Dieu !
Me fagués pas crèire de causo
Qu*, aqui dedins uno fe 'nclauso,
De ma mort sarien pièi l'encauso !
Mirèio, d'aquéu biais vous trufés pks de iéu !
MIREILLE, CHANT II. 11
— « Ou peut-être un coup de soleil, — fit Vincent,
vous a enivrée. — Je sais, dit-il, une vieille, dans les
montagnes des Baux — (on l'appelle Tavèn) : elle
vous applique — bien sur le front un verre plein
d'eau, et promptement, de la cervelle ivre, — les
rayons charmés jaillissent dans le cristal, »
— « Non, non ! répondit la fille de Crau ; — les
échappées du soleil de mai, — ce n'est pas aux filles
de Crau qu'elles peuvent faire peur ! — mais à quoi
bon t'abuser? — Mon sein ne peut plus le contenir !
— Vincent, Vincent, veux-tu le savoir? — Je suis
amoureuse de toi!.. » Au bord du ruisseau,
Et l'air limpide, et le gazon, — et les vieux saules
taillis — furent clairement émerveillés de plaisir ! . . .
— « Ah! princesse, que, si jolie, — vous ayez la
langue si méchante, — le vannier s'écrie à l'instant,
— il y a de quoi se jeter par terre, stupéfait !
« Quoi! vous amoureuse de moi? — De ma pauvre
vie encore heureuse — n'allez pas vous jouer, Mireille,
au nom de Dieu ! — Ne me faites pas croire des choses
— qui, là dedans une fois enfermées, — seraient en-
suite la cause de ma mort ! — Mireille, de cette sorte
ne vous moquez plus de moi ! »
78 MIRÈIO, GANT II
— Que Dieu jamai m'emparadise, ,
Se i'a messorgo en ce que dise !
Vai, de crèire que t'ame acô fai pas mouri,
Vincèn ! . . . Mai se, pèr marridesso,
Noun vos de iéu pèr ta mestresso,
Sara iéu, de malo tristesse,
Sara iéu qu'à ti pèd me veiras coumbouri !
— Oh ! digues plus de causo ansinto !
De iéu à vous i'a 'n laberinto,
L'enfant de Mèste Ambroi faguè 'n bretounejant.
Vous, sias dôu Mas di Fqlabrego
La rèino davans quau tout plego...
Iéu, banastié de Valabrego,
Siéu qu'un gandard, Miréio, un trevaire de champ'
— Eh ! que m'enchau que moun fringaire
Siegue un baroun o 'n panieraire.
Mai que m'agrade à iéu ! ie respoundeguè lèu
Etouto enfio coume uno handro.
Mai se noun vos que la malandro
Fure moun sang, dins ti peiandro
Perqué donne, o Vincèn, m'aparèisses tant bèu?
D avan s la vi erge r aub ati vo ,
Eu resté mè, coume di nivo
Quand toumbo pau-à-pau un aucèu pivela.
— Sies donne masco, pièi faguè proumte,
Pèr que ta visto ansin me doumte,
Pèr que ta voues au su me mounte,
E me rende foulas coume un orne enchuscla?
MIREILLE, CHANT II 7«
— « Que Dieu jamais ne m'emparadise, — s'il est
mensonge en mes paroles 1 — Va, croire que je t'aime,
cela ne fait pas mourir, — Yincen' " .. Mais si, par
cruauté, — tu ne veux pas de moi pour amante, —
ce sera moi, malade de tristesse, — ce sera moi qu'à
tes pieds tu verras se consumer ! »
— « Oh ! ne dites plus des choses pareilles ! — De
moi à vous il y a un labyrinthe, — l'enfant de Maître
Ambroise fit en balbutiant. — Du Mas des Micocoules
vous êtes, vous, — la reine devant qui tout plie... —
Moi, vannier de Valabrègue, — je ne suis qu'un vau-
rien, Mireille, un batteur de campagne! »
— « Eh ! que m'importe que mon bien-aimé —
soit un baron ou un vannier, — pourvu qu'il me
plaise, à moi! répondit-elle vite, — et tou<e en feu
comme une lieuse (de gerbes). — Mais situ ne veux
que la langueur — mine mon sang, dans tes haillons
— pourquoi donc, ô Vincent, m' apparais-tu si beau? »
Devant la vierge* ravissante, — lui resta interdit,
comme des nues — un oiseau fasciné *" qui tombe
peu à peu. — « Tu es donc magicienne, dit-il ensuite
brusquement, — pour que la vue me dompte ainsi,
— pour que ta voix me monte à la tète, — et me
rende insensé comme un homme pris de vin?
sa MIRÈIO, CANT II.
Lou veses pas que ta brassado
A mes lou fio dins mi pensado?
Car, tè! se vos Iru saupre, à l'agrat que de iéu,
Paure pourtaire debourrèio,
Vogues faire que ta risèio,
T'ame peréu, t'ame, Mirèio !
T'ame de tant d'amour que te devouririéu !
T'ame, que se disien ti labro :
Vole la Cabro d'or, la cabro
Que degun de mourtau ni la pais ni la mous,
Que soutlou ro de Baus-Maniero,
Lipo la moufo roucassiero, —
0 me perdréu dins li peiriero,
0 me veinés tourna la cabro dôu peu rous I
T'ame, o chatounoencantarello,
Que se disiés : Vole uno estello ;
Fa ni travès de mar, ni bos, ni gaudre foui,
Ta ni bourrèu, ni fio, ni ferre
Que m'aplantèsse ! Au bout di serre,
Toucant lou cèu, l'anariéu querre,
E Dimenche l'auriés, pendoulado à toun coui.
Mai, 0 bellasso ! au mai t'aluque,
Au mai, pecaire ! m'emberluque ! . . .
Veguère uno figuiero, un cop, dins moun camin
Arrapado à la roco nuso
Contro la baumo de Vaucluso :
Maigro, pecaire! i lagramuso
le dounarié mai d'oumbro un clôt ds jaussemin !
MIREILLE, CHANT II. U
« Ne vois-tu pas que ton embrassement — a mis le
feu dans mes pensées ? — Car, tiens ! si tu veux le
savoir, au risque que de moi, — pauvre porteur de
falourdes, — tu ne veuilles faire que ta risée, — je
t'aime aussi, je t'aime, Mireille ! — je t'aime de tant
d'amour que je te dévorerais!
« Je t'aime (au point) que si tes lèvres disaient : —
Je veux la Chèvre d'or ", la chèvre — que nul mor-
tel ne paît ni ne trait, — qui, sous le roc de Baus-
Manière **, — lèche la mousse des rochers, — ou je
me perdrais dans les carrières, — ou tu me verrais
ramener la chèvre au poil roux !
« Je t'aime, ô jeune fille enchanteresse, — (au
point) que si tu disais : Je veux une étoile ! — il n'est
traversée de mer, ni bois, ni torrent fou, — il n'est
ni bourreau, ni feu, ni fer — qui m'arrêtât! Au bout
des pics, — touchant le ciel, j'irais la prendre, — et,
Dimanche, tu l'aurais pendue à ton cou.
« Mais, ô la plus belle! plus je te contemple, —
plus, hélas! je m' éblouis!.... — Je vis un figuier,
une fois, dans mon chemin, — cramponné à la roche
nue — contre la grotte de Vaucluse, — si maigre,
hélas! qu'aux lézards-gris — donnerait plus d'ombre
une touffe de jasmin.
82 MIRÈIO, GANT II
Un cop pèr an vers si racino
Vèn flouqueja l'oundo vesino;
E l'aubrefrsecarous, à l'aboundouso font
Que mounto à-n-éu pèr que s'abéure,
Tant que n'en vôu, se bouto à béure....
D'acô tout l'an n'a proun pèr viéure.
Coume àl'anèu la pèiro, à iéu acô respond;
Que siéu, Mirèio, la fîguiero,
E tu, la font e la fresquiero
E basto, à iéu pauret! basto, uno fes de l'an,
Que pousquèsse, à geinoun coume aro,
Me souleia i rai de ta caro !
E subretout de poudé 'ncaro
Te floureja li det d'un poutoun tremoulant!
Mirèio, d'amour tresananto,
L'escoutavo... Mai eu l'aganto,
En l'aganto esperdu ; contro soun pitre fort
L'adus esperdudo... — Mirèio'
Subran coume eiçô dins la lèio
S'entendeguè 'no voues de vièio,
Li magnan, à miejour, manjaran rèn, alor?
Dedins un pin, en grando fogo,
Un vôu de passeroun que jogo,
Emplisson, i'a de fes, d'un chamatan galoi
La vesprado que s'enfresquèiro ;
Mai d'un glenaire que li guèiro
Se tout-d'un-cop toumbo la pèiro,
De tout caire, esfraia, tabouscon dins lou boi.
MIREILLE, CHANT II. 83
« Vers ses racines, une fois par an, — vient cla-
poter l'onde voisine ; — et l'arbuste aride, à l'abon-
dante fontaine — qui monte à lui pour le désaltérer,
— autant qu'il veut, se met à boire... — Cela toute
l'année lui suffit pour vivre. — Comme la pierre à la
bague, à moi cela s'applique.
« Car je suis, Mireille, le figuier, — et toi, la fon-
taine et la fraîcheur ! — Et plût au ciel, moi pau-
vret! plût au ciel, une fois l'an, — que je pusse, à
genoux, comme à présent, — me soleiller aux rayons
de ton visage, — et surtout que je pusse encore —
t' effleurer les doigts d'un baiser tremblant ! »
Mireille, palpitante d'amour, — 1 écoutait.... —
Mais, lui, la prentr, — lui la prend éperdu; contre
sa poitrine forte — l'amène éperdue. . . — « Mireille ! »
— ainsi tout à coup dans l'allée — résonna une voix
de vieille (femme), — « les vers à soie, à midi, ne
mangeront donc rien? »
Dans un pin, en grande animation, — une volée de
passereaux qui s'ébat — remplit, quelquefois, d'un
gai ramage — la soirée qui fraîchit. — Mais d'un
glaneur qui les guette — si tout d'un coup tombe la
pierre, — de toute part, efirayés, ils ^'enfuient dans
le bois .
84 MIRÊIO, GANT II.
Desmemouria de l'escaufèstre,
Ansin fugis pèr lou campèslre
Louparèu amourous. Elo, devers lou mas,
Sènso muta, part à la lèsto,
Emé sa fueio sus la tèsto. . .
Eu, planta coume un sounjo-fèsto,
L'arregardo landa peralin dins l'ermas
MIREILLE, CHANT II. 85
Troublé d'émoi, — ainsi fuit par la lande — le
couple amoureux. Elle, de vers le mas, — sans dire
mot, part à la hâte, sa feuillée sur la tête... — Lui,
immobile comme un songe-fêtes, — la regarde courir,
au loin, dans la friche.
NOTES
DU CHANT DEUXIÈME.
« Magnanarelles [magnanarello). On désigne par ce mot les fem-
mes préposées à l'éducation des vers à soie, magnan.
* Ils s'endorment de leur troisième somme [s'endormon dt très).
Les vers à soie vivent à l'état de larve trente-quatre jours environ,
et dans cet intervalle changent quatre fois de peau. A l'approche
de chaque mue, ils s'engourdissent et cessent de manger, dormon.
On dit dourini de la proumiero, di dos, di très, di quatre, ce qui
signifie littéralement dormir de lapremière [mue], des deux [mues],
des trois (mues), etc
3 Cochevis [couquihado], (alauda cristata, Lin.)
* Vin cuit [vin eue) : moût qu'au sortir de la fouloire on fait
bouillir dans un chaudron, et qui étant cuit à point, rappelle, après
un an de bouteille, la couleur et le goût des meilleurs vins d'Es-
pagne. Les Provençaux le boivent dans les festins, et principale-
ment au repas de Noël.
" Sacre [capoun-fèr), sacre d'Egypte [vultur percnopterus, Gm.),
oiseau de proie.
s Regardelles (regrardd/o), mets imaginaire. Manja deregardello,
manger des yeux, mâcher à vide, comme dit Rabelais.
^ Arescle, cerceau qu'on adapte à la gueule d'un sac pour le
tenir ouvert. On donne en général le nom d'arescle aux bois de
fente dont on fait les sas, les cribles, les tambours, les boisseaux.
* Ivraie [margai). Il s'agit de l'ivraie vivace [loUum perettne,
Un.], ray-grass des Anglais
NOTES, 87
^ Vent grec [gregali, gregau, ou simplement Grè) , vent du nord-
est.
*o Fasciné Ipivela). Le \evhepivela ou pipa signifie l'action, vraie
ou imaginaire, par laquelle un reptile attire à lui un oiseau, et
même une personne. Le peuple attribue cette attraction à une as-
piration irrésistible, qui peut néanmoins être interceptée par le
passage subit d'un corps étranger
*• La Chèvre d'or [la Cabro d'or), trésor ou talisman que le peu-
ple prétend avoir été enfoui par les Sarrasins sous l'un des anti-
ques monuments de la Provence. Les uns prétendent qu'elle gît
sous le mausolée de Saint -Remy, d'autres dans la grotte de Corde,
d'autres sous les roches des Baux. « Cette tradition, dit George
Sand [les Visions de la nuit dans les campagnes), est universelle; il ,
y a peu de ruines, châteaux ou monastères, peu de monuments
celtiques qui ne recèlent leur trésor. Tous sont gardés par un
animal diabolique. M. Jules Canonge, dans un charmant recueil de
contes méridionaux, a rendu gracieuse et bienlaisante la poétique
apparition de la Chèvre d'or, gardienne des richesses cachées au
sein de la terre. »
La tradition d'un trésor, qui prend des formes sans nombre,
mais ayant toutes leur raison d'être, et gardé par un animal
étrange, est universelle. On la retrouve chez tous les peuples, où
elle se lie aux plus anciens souvenirs sans cesser d'être toujours
vivante. On la verra complètement ramenée à sa source, sous
toutes ses transformations, dans les quatrième et cinquième volumes
du Monde païen, que publie en ce moment M. d'Anselme. Nous
sommes heureux de citer ici les étonnants travaux d'exégèse my-
thologique de notre savant compatriote.
*2 Bau-manière Ifiaus-maniero) , rocher àpic au nord de la ville
des Baux. Cette localité tire son nom des escarpements qui l' entou-
rent ; car en provençal le mot Baus veut dire escarpement,
précipice, et Baus-maniero , Baus-beoso, Baiis-mirano, Baus-cous-
temple, sont les nomsque portent encore divei's quartiers du ter-
ritoire des Baux
CANT TRESEN
LA.DESCOUCOUNADO
Li recordo prouvençalo. — Au Mas di Falabrego, un gai roudelet de
chato descoucounon. — Jano-Mario, maire de Miréio. Taven, la
masco di Baus. — La malo-visto. — Li descoucounarello fan, pèr
passo-tèms, de castèu en Proiivènço. — La fièro Lauro, rèino de
Pamparigousto. — Clemènço, rèino di Baus. — Lou Ventour, lou
Rose, la Durènço. — Azalaïs e Viôulano. — La Court d'amour. —
Lis amour de Miréio e de Vincèn descuberto pèr Nourado. — Li
galejado. — Taven la masco fai teisa li chato : l'ermitan dôu Lu-
beroun e lou sant pastre. — Noro canto Magali.
Quand li pausito soun braveto,
Qu'à plen barrau lis ôuliveto
Dins li gerlo d'argelo escanipon l'ôli rous ,
Quand, sus li terro e dins li draio,
Dôu garbejaire que varaio
Lou grand càrri reno e trantraio,
E tuerto de pertout 'mé soun front auturous ;
Nus e gaiard coume un luchaire,
Quand Bacus vèn, e di chauchaire
Coundusla farandoulo i vendeinio de Crau;
E, de la caucadouiro emplido,
Quand la bevènto benesido,
Souto li cambo enmoustousido,
Dins rescumouso tino escapo à plen de trau ,
ClUNT TROISIÈME
LE DEPOUILLEMENT DES COCONS
Les récoltes provençales. — Au Mas des Micocoules, une joyeuse
réunion déjeunes filles détache des rameaux les cocons des vers à
soie. — Jeanne-Marie, mère de Mireille. — Tavén, la sorcière des
Baux. — La mauvaise œillade. — Les dépouilleuses de cocons, pour
passer le temps, font des châteaux en Provence. — La fière Laure,
reine de Pamparigouste. — Clémence, reine des Baux. — Le Ven-
tour, le Rhône, la Durance. — Azalaïs et Violane. — La Cour d'a-
mour.— Les amours de Mireille etde Vincent divulgués parîVorade.
— Railleries des jeunes filles. — La sorcière Tavén leur impose
silence : l'ermite du Lubéron et le saint pâtre. — Nore chante
Hagali.
Quand les récoltes sont honnêtes, — qu'à pleins
barils les vergers d'oliviers — dans les jarres d'ar-
gile épanchent l'huile rousse; — quand, par les
champs et les chemins, — du ramasseur de gerbes
qui erre çà et là — le grand chariot geint et cahote,
— et heurte de toute part avec son front altier ;
Nu et vigoureux comme un lutteur, — quand
Bacchus vient, et des fouleurs — conduit la farandole
aux vendanges de Crau ; — et, de la fouloire comble,
— quand la boisson bénie, — sous les jambes bar-
bouillées de moût, — dans l'écumante cuve échappe
«pleine bonde;
90 MIRÈIO, CANT III.
E, clarinèu, sus li genèsto
Quand li magnan mounton en fèsto
Pèr fîela si presoun bloundinello ; e que lèu
Aquéli toro mai qu'abilo
S'ensevelisson, à cha milo,
Dins si bressolo tant sutilo
Que vous sèmblon teissudo em* un rai de soulèu ;
Alor, en terro de Prouvènço,
l'a mai que mai divertissènço !
Lou bon muscat de Baumo e lou Ferigouïet
Alor se chourlo à la gargato ;
Alor se canto e Ton se trato ;
Alor se vèi e drôle e chato
Au son dôu tambourin fourma si vertoulet.
— léu claramen siéu fourtunado '
Sus mi canisso encabanado
Quéti flo de coucoun ! ... Un bos miéu e^iseda,
Un pu riche descoucounage,
L'aviéu pu vist dins lou meinage,
Vesino, dempièi moun jouine âge,
Desempièi l'an de Diéu que nous sian marida.
Dôu tèms que lou coucoun se trio,
Ansin disié Jano-Mario,
Dôu vièi Mèste Ramoun ounourado mouié,
De Mirèio ourgueiouso maire ;
E li vesino e li coumaire,
En trin de rire e de desfaire,
Èron à soun entour, dins la magnanarié.
MTREILLE, CHAlS'T III. 91
Et, diaphanes, sur les genêts — quand les vers à
soie montent en fête — pour filer leurs prisons blon-
des ; et que rapidement — ces chenilles, artistes
consommées, — s'ensevehssent à miUiers — dans
leurs berceaux si subtils — qu'ils semblent tissus
d'un rayon de soleil ;
Alors, en terre de Provence, — il y a, plus que ja-
mais, ébaudissement ! — Le bon muscat de Baume '
etleFerigoulet* — alors se boivent à la régalade; —
alors on chante et l'on banquette ; — alors se voient
garçons et filles — au son du tambourin former leurs
rondes.
— « Moi, clairement, je suis heureuse ! — Sur mes
claies de roseaux oit la bruyère enberceaux s' entrelace,
— quels bouquets de cocons ! . . . Une ramée plus
soyeuse, — une plus riche récolte, — je ne l'avais plus
vue dans la ferme, — voisines, depuis mon jeune âge,
— depuis l'an de Dieu que nous nous mariâmes. »
Pendant que le cocon se dépouille, — ainsi disait
Jeanne-Marie, — du vieux Maître Piamon épouse
honorée, — mère orgueilleuse de Mireille; — et les
voisines et les commères, — en train de rire et de
détacher (les cocons), — étaient autour d'elle, dans
la magnanerie.
92 MIREIO, CANT II.
Descoucounavon : elo-memo,
Miréio, à tout moumen, i femo
Pourgié li brout d'avaus, li clôt de roumanin,
Ounte, à l'ôudour de la mountagno,
Tant voulountié 'mé souri escagno
La noblo toro s'embarragno
Que, coume rampau d'or, n'èron clafi dedin.
— Sus Tautar de la Bono Maire,
Jano-Mario à si coumaire
Venié dounc, aièr, femo, anère lèu pourta
De mi brout lou pu bèu pèr dèime :
Ansin fau, tôuti li milèime ;
Car es pièi elo qu'à bel èime
Coumando, quand le plais, i magnan de mounta.
— léu, digue Zèu dôu Mas de l'Oste,
Ai bello pôu que me n'en coste !
Lou jour que tant boufavo aquéu gros Levantas,
(D'aquéu laid jour vous n'en remembre !)
Aviéu leissa, pèr destinèmbre,
A brand lou fenestroun dôu membre,...
Adès n'ai coumta vint, canela sus lou jas !
Taven, pèr donna soun ajudo,
Peréu di Baus èro vengudo.
A Zèu Taven digue : Toujour, mai que li vièi,
Cresès, li jouine, de counouisse !
Mai fau que l'âge nous angouisse,
Fau que l'on ploure e que l'on gouisse :
Alor, mai bèn trop tard, l'on vèi e l'on counèi!
MIREILLE, CHANT III. 93
On faisait la récolte: elle-même, —Mireille, atout
moment, aux femmes — présentait les brindilles de
chêne-nain, les touffes de romarin, — où, (attirée)
par la senteur de la montagne, — si volontiers avec
son écheveau — la noble chenille s'emprisonne, —
que, semblables à des palmes d'or, elles en étaient
pleines.
— « Sur l'autel de la Bonne Mère' , — disait
donc à ses commères Jeanne-Marie, — hier, fem-
mes, j'allais porter en hâte — le plus beau de mes
brins, pour dîme. — Ainsi je fais toutes les années ;
— car, après tout, c'est elle qui, avec largesse, —
commande, lorsqu'il lui plaît, aux vers à soie de
monter. »
— « Pour moi , dit Isewlt du Mas de l'Hôte, -
j'ai grande peur qu'il ne m'en coûte! —Le jour que
tant soufflait ce grand vent d'Est, — (de ce jour
affreux qu'il vous souvienne!) — j'avais laissé, par
mégarde, — tout ouverte la fenêtre de l'apparte-
ment... — tantôt j'en ai compté vingt, blanchis* sur
la litière ! »
Tavèn, pour donner son aide, — était aussi venue
des Baux. — Tavèn dit à Iseult: « En toute chose,
plus que les vieillards, — vous croyez, jeunes gens,
de connaître! — Mais il faut que l'âge nous affliige, —
il faut pleurer, il faut gémir : — alors, mais beau-
coup trop tard, on voit et on connaît.
94 MIRÈIO, GANT III.
Vàutri, li femo tartavello,
Se l'espelido parèis bello,
Lèu-lèu que pèr carriero anas en bardouiant :
l'a mi magnan qu'es pas de crèire
Coume soun bèu ! Venès lèi vèire !
L'Envejo rèsto pas à rèire :
Darrié vous à la chambro escalo en remoumiant.
— Fan gau ! te dira la vesino ;
Es bèn tout clar qu'as ta crespino !
Mai tant lèu de contre elo auras vira lou pèd,
Te ie dardaio, l'envejouso,
Uno espinchado verinouso
Que te li brulo e te li nouso !...
Es l'auro, dires pièi, que me lis engipè !
— Dise pas qu'acô noun ie fague,
Respoundè Zèu. Coume que vague,
Poudiéu bèn, aquéu jour, barra moun fenestroun'
— Di verinado que l'iue lanço,
Quand dins la tèsto briho e danso,
Faguè Taven, n'as donne doutanço?...
E sus Zèu entremen mandavo d'iuefurour?.
— Oh ! pau-de-sèn qu' emè l'escaupre
Fumant la mort, creson de saupre
La vertu de l'abiho e lou secret dôu mèu !
Quau t'a pas di que, davans terme,
Pou, un regard lusènt e ferme,
Dôu femelan torse lou germe, >
Di vaco poussarudo agouta li mamèu !
MIREILLE, CHANT III. 95
(( Vous, femmes étourdies, — si rédosion paraît
belle, — vite, vile par la rue allez bavardant: —
« Mes vers à soie, c'est incroyable — comme ils sont
beaux ! Venez les voir ! » — L'Envie ne reste pas en
arrière : — derrière vous, à la chambre, elle monte
en grommelant.
— « Ils font plaisir (à voir) ! te dira la voisine ;
— il est tout clair que tu es née coiffée ^ ! » —
Mais sitôt que d'à côté d'elle tu auras tourné le pied,
— l'envieuse leur darde — une œillade venimeuse
— qui te les brûle et te les noue. . . — « C'est le vent,
direz-vous ensuite, qui me les plâtra ® ! »
— « Je ne dis pas que cela n'y fasse, — répondit
Iseult. Quoi qu'il en soit, — que n'ai-je, ce jour-là,
clos ma fenêtre !» — « Des maléfices que l'œil lance,
— lorsqu'il brille et danse dans la tète , — ré-
pliqua Tavén, tu en doutes donc?... » — Et sur
Iseult, en même temps, elle lançait des yeux ar-
dents.
— « Oh ! insensés ! qui, avec le scalpel — fouillant la
mort, croient savoir — la vertu de l'abeille et le
secret du miel ! — Sais-tu bien si, avant terme, —
ne peut, un regard luisant et fixe, — tordre le
germe de la femme, — des vaches mamelues tarir
les pis?
96 MIRÈIO, CANT III.
Is auceloun vèn la mascoto,
Rèn qu'à l'aspèl de la machoto ;
Au regard de la serp degoulon tout-d'abord
Lis auco,... e souto l'iue de l'orne,
Tu, vos qu'un verme noun s'endrome?...
Mai, contro l'iue dôu juvenome,
Quand trespiro l'amour, la flamo, o l'estrambord,
Mounte es la chato proun savènto
Pèr s'apara? Quatre jouvènto
Leissèron de si man escapa li coucoun :
Que fugue en jun, fugue en ôutobre,
Toun aguhioun fau toujour qu'obre,
Que ! ie cridèron, vièi coulobre !
Li drôle?... digo-ie qu'avançon un brigoun !
Noun ! venié la gaio ninèio,
N'en voulèn ges ! parai, Mirèio ?
— Se descoucouno pas, faguè, tôuti li jour ;
Sabe une fiolo, dins l'estivo,
Qu'anas trouva fort agradivo...
E Mirèio, despachativo,
Davalo dins lou mas escoundre sa roujour.
— Bèn! iéu, mi bono, siéu bèn pauro !
Acoumencè la fièro Lauro.
Mai se, d'escoula res, iéu, l'aviéu envela.
Quand lou rèi de Pamparigousto
De sa man me farié soumousto,
Sarié moun chale, ma coungousto,
De lou vèire sèt an à mi pèd barbela I
MIREILLE, CHANT III. 9T
« Les oisillons sont ensorcelés— à l'aspect seul de la
chouette; — au regard du serpent, (du ciel) tombent
soudain — les oies,... et, toi, sous l'œil de l'homme,
— tu veux qu'un ver ne s'endorme pas ?.,. — Mais,
contre l'œil du jeune homme, — lorsqu'il en jaillit
l'amour, la flamme ou l'enthousiasme,
« Où est la vierge assez savante — pour se défen-
dre? » Quatre jouvencelles — laissèrent de leurs
mains échapper les cocons : — « Que ce soit en juin
ou en octobre, — il faut sans cesse que ton aiguillon
soit à l'œuvre, — eh ! vieille couleuvre ! lui crièrent-
elles... — Les garçons?.... dis-leur d'approcher
tant soit peu !
« Non ! s'écriait le gai troupeau de filles, —
nous n'en voulons point ! n'est-ce pas Mireille? » —
« La récolte des cocons n'a pas lieu, répondit-elle,
tous les jours: — je sais une bouteille, dans le
cellier, — que vous allez trouver fort agréable. » —
Et Mireille, légère, — descend dans la maison pour
cacher sa rougeur.
— « Eh bien ! mes bonnes (amies), je suis bien
pauvre, moi! — commença la fière Laure. — Mais
si de n'écouter personne j'avais résolu, — quand le roi
de Pamparigouste '' — me ferait offre de sa main, —
ma volupté, ma délectation serait — de le voir sept
ans à mes pieds agoniser d'amour ! »
98 MIRÈIO, CANT. III.
— léu noun! aqui digue Clemènço.
Se quauque rèi, pèr escasènço,
De iéu veni' amourous, pou arriba bessai,
Subretout s'èro joume e lèri
E lou pu bèu de soun empèri,
Que, sènso tant de refoulèri,
Me leissèsse pèr eu mena dins soun palai.
Mai uno fes que m'aurié messe
Emperairis e segnouresso,
Emé capo ufanouso, à papàrri d'orfré,
Em' autour de ma testo caudo
Uno courouno qu'esbrihaudo,
Rèn que de perlo e d'esmeraudo,
M'envendréu,iéu la rèino,i Baus,mounpaure endré!
Di Baus fariéu ma capitale !
Sus lou roucas que iuei rebalo,
De nôu rebastiriéu noste vièi castelas :
l'apoundriéu uno tourrello
Qu'emé sa pouncho blanquinello
Ajougneguèsse lis estello !
E pièi, quand voudriéu un pauquet de soûlas,
Au tourrihoun de ma tourriho,
Sènso courouno ni mantiho,
Souleto emé moun prince amariéu d'escala*
Souleto em' eu, sarié, ma fisto 1
Cause de bon e de requiste
Peralin de perdre sa vistOj
Contre lou releisset, comde à couide apiela 1
I
f I
MIREILLE, CHANT III. 99
— « Non pas moi! dit là Clémence. — Si quel-
que roi, par hasard, — de moi devenait amoureux,
il pourrait bien se faire, — surtout s'il était jeune,
brillant, — et le plus beau de son empire, — que,
sans tant de caprices, — je me laissasse emmener
par lui dans son palais.
« Mais dés qu'il m'aurait mise — impératrice et
souveraine, — avec un manteau magnifique, à ra-
mages d'orfroi, — et (qu'il aurait) ceint ma tête ar-
dente — d'une couronne qui éblouit — de perles et
d'émeraudes, — je m'en viendrais, moi la reine, aux
Baux, mon pauvre pays !
« Des Baux je ferais ma capitale ! — Sur le rocher
où il rampe aujourd'hui, — je rebâtirais à neuf notre
vieux château en ruine : — j'y ajouterais une tourelle,
— qui, de sa pointe blanche, — atteignît les étoiles!
— Et puis, quand je voudrais un peu de soûlas,
« Au donjon de ma tourelle, — sans couronne ni
mantille, seule — avec mon prince, j'aimerais à mon-
ter. — Seule avec lui, œ serait, je vous jure ! —
chose plaisante et délicieuse — (que) de perdre au
loin sa vue, — contre le parapet, coude à coude,
appuyés !
100 MIRÈIO, CANT III.
De vèire en plen, fasié Cleinènço,
Moun gai reiaume de Prouvènço
Coume un clans d'arangié davans iéu s'espandi,;
E sa mar bluio estalouirado
Souto si colo e si terrado,
E li grand barco abandeirado,
Poujanto à plen de vélo i pèd dôu Gastèu d'I ;
E Ventour que lou tron labouro,
Ventour que, -vénérable, aubouro
Snbre li mountagnolo amatado souto eu,
Sa blanco tèsto fin qu'is astre,
Coume un grand e vièi baile-pastre
Qu'entre li fau e li pinastre,
Coûta 'mé soun bastoun, countèmplo soun vaciéu;
E lou Rose, ounte tant de vilo
Pèr béure vènon à la filo
En risènt e cantant s'amourra tout-de-long,
Lou Rose, tant fier dins si ribo,
E qu'Avignoun tant-lèu arribo,
Counsènt pamens à faire gibo,
Pèr veni saluda Nostro-Damo de Dom;
E la Durènço, aquelo cabro,
Alandrido, feroujo, alabro,
^ue rousigo en passant e cade e rebaudin,
Aquelo chato boulegueto
Que vèn dôu pous 'mé sa dourgueto,
E que degaio soun aigueto
En jougant 'mé li chat que trovo pèr camin.
MIREILLE, CHANT ÏII. 101
« De voir en plein, disait Clémence, — mon
gai royaume de Provence, — tel qu'un clos d'oran-
gers, devant moi s'épanouir; — et sa mer bleue mol-
lement étendue — sous ses collines et ses plaines,
— et les grandes barques pavoisées — cinglant à
pleine voile au pied du Château d'If.
« Et le Ventour * que laboure la foudre, — le Ven-
tour qui, vénérable, élève — sur les montagnes blot
ties au-dessousi de lui — sa blanclie tête jusqu'aux
astres, — tel qu'un grand et vieux chef de pasteurs
— qui, entre les hêtres et les pins sauvages, — ac-
coté de son bâton, contemple son troupeau;
« Et le Rhône, où tant de cités, — pour boire,
viennent à la file, — en riant et chantant, plonger
leurs lèvres, tout le long ; — le Uhône si fier dans
ses bords, — et qui, dès qu'il arrive à Avignon, —
consent pourtant à s'infiéchir, — pour venir saluer
Notre-Dame des Doms;
« EtlaDurance, cette chèvre, — ardente à la course,
farouche, vorace, — qui ronge en passant et cades et
argousiers ; — cette fille sémillante — qui vient du
puils avec sa cruche, — et qui répand son onde —
en jouant avec les gars qu'elle trouve par la route. »
Ô. •
102 HIRÈIO, GANT III.
Tout en disent eiçô, Clemènço,
La gènto rèino de Prouvènço,
Quitè sa cadiereto, e dins lou canestèu
Anè veja ca faudadouno,
Azalaïs, bruno chatouno,
Emé Viôulano, sa bessouno,
(Que si gènt d'Estoubloun menavon lou castèu),
Azalaïs, bruno chatouno,
Emé Viôulano, sa bessouno,
Au Mas di Falabrego ensèn venien souvent.
L'Amour, aquéu terrible glàri
Qu'is amo tèndro e nouvelàri
Se plais qu'à faire de countràri,
l'avié donna d'ardour pèr lou même jouvènt.
Azalaïs levé la tésto :
Fiheto, perqué sian en fèsto,
Meten, dis, qu'à moun tour fugue la rèino, iéu!
E que Marsiho emé si vélo,
E la Ciôutat, que ris em' elo,
Emé Seloun e sis amelo,
Béucaire emé soun Prat, tout acô fugue miéu !
— Damiseleto e bastidano,
D'Ârle, di Baus, de Barbentano,
Diriéii, à moun palais landas coumed'aucèu!
Vole chausi li sèt pu bello,
E pesaran dins rarchimbello
L'amour que troumpo o que barbélo...
Gaiamen, tôuti sét, venès teni counséu!
I
MIREILLE, CHANT III. 103
Tout en disant ceci, Clémence, — la gentille reine
de Provence, — quitta sa chaise, et dans la corbeille
• — alla vider son tablier plein. — Azalaïs, brune fil-
lette, — et Violane, sa jumelle, — (leurs parents, du
château d'Estoublon conduisaient le domaine);
Azalaïs ", brune fillette, — et Violane, sa jumelle,
— au Mas des Micocoules venaient souvent ensemble.
— L'Amour, ce terrible lutin — qui, aux âmes ten-
dres et naïves, — ne se plaît qu'à faire des niches,
— les avait enflammées pour le même jeune homme.
Azalaïs leva la tête : — « Jeunes filles, puisque nous
sommes en fêle, — admettons, dit-elle, qu'à mon
tour je sois reine, moi ! — et que Marseille avec ses
voiles, — et la Ciotat, qui rit avec elle, — et Salon et
ses amandes, — Beaucaire avec son Pré, tout cela
m'appartienne !
— « Demoiselles et filles des champs, — d'Arles, des
Baux, de Barbentane, — dirais-je, à mon palais volez
comme des oiseaux ! — Je veux choisir les sept plus
belles, — et elles pèseront dans la balance — l'amour
trompeur ou brûlant de désir... — Toutes les sept,
venez gaiement tenir conseil ! j»
104 MIRÊIO, GANT III.
N' i'a pas pèr èstre maucourado,
Se i'a 'n parèu que bèn s'agrado,
Que, la mita dôu lèms, noun posque s'aparia?
Mai iéu, Azalaïs la rèino,
Dins moun empèri, malapèino !
De quauco injusto e laido gèino
Se jamai un parèu se vèi countraria,
Au tribunau di sèt chalouno
Trouvara lèi que ie perdouno !
Pèr jouièu o pèr or, de sa raubo d'ounour
Quau fara pache ; à sa mestresso
Quau fara 'scorno vo traitesso,
Au tribunau di sètbailesso
Trouvaran lèi terriblo e venjanço d'amour !
E quand pèr uno se rescontro
Dous calignaire ; vo, pèr contro
Quand se vèi dos chatouno amourouso que d'un.
Vole que lou counsèu désigne
Quau mies ame, quau mies cabgne,
E d'èstre ama quau es pu digne.
Enfin, e pèr coumpagno au bèu damiselun,
Sèt felibre vole que vèngon ;
E, 'mé de mot que s'endevèngon,
E mounte enaussaran lou noble rondelet,
Vole qu'escrigon sus de rusco
0 sus de fueio de lambrusco
Li lèi d'amour ; e tau di brusco
Lou bon mèu coulo, tau van coula si coublel.
MIREILLE, CHANT III. 405
« N'est-ce pas décourageant, — s'il est un couple
qui bien s'agrée, — que, la moitié du temps, il ne
puisse s'unir ? — Mais moi, Azalaïs la reine, — dans
mon empire, je vous l'atteste! — par quelque gêne
injuste, odieuse, — si jamais un couple se voit con-
trarié,
« Au tribunal des sept jeunes filles — il trouvera
loi de clémence ! — Pour joyau ou pour or, de sa
robe d'honneur — qui fera pacte ; à son amante —
qui fera insulte ou trahison, — au tribunal des sept
baillives — trouvera loi terrible et vengeance d'a-
mour !
« Et quand, pour une, il se rencontre — deux
amants ; ou au contraire, — lorsqu'on voit deux jeu-
nes filles amoureuses du même, — je veux que le
conseil désigne — qui mieux aime, qui mieux cour-
tise — et qui est plus digne d'être aimé. — Enfin, et
pour compagnie aux belles demoiselles,
« Je veux qu'il vienne sept poètes ; — et avec des
mots qui s'accordent, — et dans lesquels ils exalte-
ront le noble chœur, — je veux qu'ils écrivent sur
des écorces — ou sur des feuilles de vigne sauvage
— les lois d'amour ; et tel — le bon miel coule des
ruches, tels vont couler leurs couplets. »
106 MIRÈTO, GANT ITI.
Antan, di pin souto lou tèiime,
Ansin Faneto de Gantèume
Dévié parla segur, quand soun front estela
De Roumanin e dis Aupiho
Enluminavo li mountiho ;
Ansin la Goumtesso de Dio,
Quand temé court d'amour, segur dévié parla.
Mai, à sa man tenènt un fiasco,
Bello coume lou jour de Pasco,
Dins la chambro di femo, en aquéu tôms d'aqui,
Mirèio èro tourna vengudo :
— An ! se fasian uno begudo !
Âcô'sgaiejo la batudo,
iFaguè ; femo, aparas, avans de persegui.
E dôu flasquet bèn garni d'aufo,
La liquoureto que rescaufo,
Dins la tasso, aderrèn, raie coume un fiéu d'or.
— léu l'ai facho, aquelo menèstro,
Digue Mirèio; s'amajèstro
Quaranto jour sus la fenèstro,
Pèr fin que lou soulèu n'adoucigue lou fort.
l'a de très erbo de mountagno ;
E lou sumoustat que li bagno
N'en gardo uno sentour qu'embaimo l'estouma.
— Mai, que ! Mirèio, — veici qu'uno
Vén à-n-aquesto, — ve, chascuno,
Se quauque jour èro en fourtuno,
Nous a di ce que, rèino, aurié lou mai ama ;
MIREILLE, CHANT III 107
Jadis, sous le couvert des pins, — ainsi Fanette de
Gantelme '" — devait parler assurément, quand son
front étoile — des Alpines et de Romanin — illumi-
nait les collines ; — ainsi la Comtesse de Die ", —
lorsqu'elle tenait cour d'amour, assurément devait
parler.
Mais, à la main tenant un flacon, — belle comme
le jour de Pâques, — dans la chambre des femmes,
pendant ce temps-là, — Mireille, de nouveau, était
venue : — « Allons! n'est-il pas temps de boire? —
Ça égayé le travail, — dit-elle ; femmes, tendez (la
coupe), avant de poursuivre. »
Et du flacon garni de sparterie — la liqueur qm
réchauffe, — dans la tasse, tour à tour, coula comme
un fil d'or. — « J'ai fait moi-même cet élixir, — dit
Mireille; il s'élabore — quarante jours sur la fenêtre,
— afin que le soleil en adoucisse l'âcreté.
« Il y entre de trois herbes de montagne, — et le
surmoût qui les baigne — en garde une senteur qui
embaume la poitrine. » — « Mais écoute, Mireille^
soudain dit l'une (d'elles) — à celle-ci, vois-tu, cha-
cune, — si quelque jour elle était dans l'opulence,
— nous a dit ce que, reine, elle aurait le mieux aimé;
108 MIRÊIO, GANT III.
Tu peréu, digo lèu, Mirèio,
Digo-nous tainbèn toun idèio !
— Que voulès que vous digue?.. Urouso emémi gènt,
A noste mas de Crau countènto,
l'a pas rèn autre que me tènto.
— Ah! faguè 'lor uno jouvènto,
Verai, ce quet'agrado es ni d'or ni d'argent!
Mai, un matin, iéu m'ensouvène...
(Perdouno-me, se noun lou tène,
Mirèio!), èro un dimars; veniéu de buscaia;
Coume anave èstre à la Crous-Blanco,
Emémoun fais debos sus l'anco,
T'entreveguère, dins li branco,
Que parlaves em'un, proun escarrabiha!....
— Quau? quau? cridèron. De mounte èro?
— Emè lis aubre de la terro,
Nourado respoundè, destriave pas bèn ;
Mai, se noun Iroumpo lou parèisse,
Me semblé bèn de recounèisse
Aquéu que li panié saup tèisse,
Aquéu Valabregan que ie dison Vincèn.
— Oh ! la capouno, la capouno !
Esclafiguèron li chatouno.
Avié'nvejo, parèis, d'un poulit gourbelin,
E i'a la 'ncrèire au panieraire
Que lou voulié pèr calignaire!
Oh ! la pu bello dôu terraire
Qu a eiiausi pèr galanl Vincèc lou rampelin'
MIREILLE, CHANT III. 109
« Toi aussi, dis vite, Mireille, —dis-nous de même
ton idée !» — « Que voulez-vous que je vous dise?...
Heureuse avec mes parents, — contente en notre mas
de Crau, — il n'est rien autre qui me tente. » —
« Ah! dit lors une jouvencelle, — il est vrai, ce
qui te plaît n'est ni d'or ni d'argent !
« Mais, un matin, je me souviens... — (pardonne-
moi, si je ne le tais, — Mireille !) C'était un mardi ; je
venais de glaner des bûchettes; — comme j'allais
être à la Croix-Blanche, — (portant) sur la hanche
mon fagot de bois, — je t'entrevis dans les bran-
chages — parlant avec quelqu'un, assez dégourdi! »
— « Qui? qui? crièrent-elles, d'où était-il? » —
« Avec les arbres du terrain, — repartit Norade, j'a-
vais peine à distinguer ; — mais si le paraître n'est
pas trompeur, — il me sembla fort reconnaître —
celui qui sait tisser les paniers, -- ce (gars) de Vala-
brègue qu'on appelle Vincent. »
— « Oh! la friponne, la friponne! — dirent les
jeunes filles en riant aux éclats ; — elle avait envie,
apparemment, d'un joU corbillon, — et elle a fait ac-
croire au vannier — qu'elle le voulait pour amant !
— Oh! la plus belle du terroir — qui a choisi pour
galant Vincent le va-nu-pieds! »
10
no MIRÈIO, CANT III.
Ela galejavon. Tout-d'uno,
E sus la caro de caduno
Permeiiant tout au tour un regard de galis :
Malavalisco vàutri, pèco !
Faguè Taven. Que la Roumèco
Vous rendeguèsse tôuti mèco !
Passarié lou bon Dieu dins soun camin d'Alis,
Oue se n'en trufarien, esturto '
D'aquéu Vincèn, à touto zurto,
Es bèu, parai? de rire!... E sabès ce quetèn,
Paure que paure?... Ausès l'ouracle :
Même- davans soun tabernacle,
Dieu, uno fes, moustrè miracle !
Vous lou pode afourti, s'èi passa de moun tèm.
Èro un pastre : touto sa vido,
L'avié passado assouvagido,
Dins l'aspre Luberoun, en gardant soun avé.
Enfin, de-vers lou çamentèri
Sentent plega soun cors de fèrri,
A l'ermitan de Sant Ouquèri
Vouguè se counfessa, coume èro soun devé.
Soûl, esmarra dins la Vaumasco,
Desempièi si proumiéri pasco,
Dins glèiso ni capello avié pu mes li pèd ;
l'avié passa de la memôri
Même sis ouro!... De sa bôri
Eu mountè dounc à l'ermitôri,
Ë davans l'ermitan jusqu'au sou se courbé
I
MIREILLE, CHANT III. lH
Et elles la plaisantaient. Aussitôt, — et sur le vi-
sage de chacune — promenant, tout autour, un re-
gard oblique : — « Maudites soyez-vous, pécores ! —
s'écria Tavèn. La Roumèque ^^ — puisse-t-elle, toutes,
vous stupéfier! — Passerait le bon Dieu dans son
chemin élvséen,
« Qu'elles s'en moqueraient, les folles ! — De ce
Vincent, inconsidérément, — il est beau, n'est-ce
pas ? de rire ! . . . Et savez-vous ce qui est en lui, —
quelque pauvre qu'il soit?... Écoutez l'oracle : —
devant son tabernacle même — Dieu une fois montra
miracle ! — Je puis vous l'affirmer, (cela) s'est passé
de mon temps
« C'était un pâtre : toute sa vie, — il l'avait pas-^
sée, sauvage, — dans l'âpre Luberon '', en gardant
son troupeau, — Enfin devers le cimetière — sentant
son corps de fer ployer, — à l'ermite de Saint-Eu-
cher — il voulut se confesser, comme c'était son de-
voir.
« Seul, perdu dans la Valmasque **, — depuis ses
premières pâques, — dans éghse ou chapelle il n'é-
tait plus entré ; — avaient fui de sa mémoire —
même ses prières ! . . . De sa cabane — il monta donc
à l'ermitage, — et devant l'ermite iusqu'à terre il sf
«ourba.
112 MIRÈIO, GANT III.
— De que vous acusas, nioun fraire?
Digue lou capelan. — Pecaire !
Bespoundeguè lou vièi, iéu m'acuse qu'un co].
Dins moun troupèu, un galapastre
(Qu'es un aucèu ami di pastre)
Voulastrejavo... Pèr malastre
Tuère em'un caiau lou paure guigno-co !
— Se noun lou fai à bel esprèssi,
Aquel orne dèu èstre nèsci !
Pensé l'ermito... E lèu roumpènt la counfessioun :
Anas penja su 'quelo barro,
■ le fai en estudiant sa caro,
Voste mantèu, que iéu vau arc,
Moun fraire, vous donna la santo assoulucioun.
Aquelo barro que lou prèire,
Pèr lou prouva, ie fasiévèire,
Èro un rai de soulèu que toumbavo en galis
Dins la capello. — De sa jargo
Lou bon vièi pastre se descargo,
E, creserèu, en l'èr la largo...
E la jargo tenguè, pendoulado au rai lise!
— Orne de Dieu ! cridè l'ermito....
E tout-d'un-tèms se precepito
I geinoun dôu sant pastre, en pleurant soun sadou
— Iéu, se pôu-ti que vous assôugue?
Ah ! de mis iue que l'aigo plôugue,
E sus iéu vosto man se môugue,
Que vous sias un santas, e iéu un pecadou!
MIREILLE, CHANT III. 113
— « De quoi vous accusez-vous, mou frère? » —
dit le chapelain. — « Hélas ! ~ répondit le vieillard,
(voici ce dont) je m'accuse : une fois — dans mon
troupeau, une bergeronnette — (qui est un oiseau
ami des bergers) — voletait... Par malheur, — je
tuai avec un caillou le pauvre hoche-queue ! »
— S'il ne le fait à dessein, — cet homme doit être
idiot! — pensa l'ermite.... Et aussitôt, brisant la
confession : — « Allez suspendre à cette perche, —
lui dit-il en étudiant son visage, — votre manteau,
car je vais maintenant, — mon frère, vous donner la
sainte absolution. »
La perche que le prêtre, — afin de l'éprouver ,
lui montrait, — était un rayon de soleil qui tombait
obliquement — dans la chapelle. De son manteau —
le bon vieux pâtre se décharge, —et, crédule, en l'air
le jette.... — Et le manteau resta, suspendu au rayon
Usse '
— « Homme de Dieu! » s'écria l'ermite.... — Et
aussitôt de se précipiter — aux genoux du saint
pâtre, en pleurant à chaudes larmes : — « Moi, se
peut-il que je vous absolve? — Ah ! que l'eau pleuve
de mes yeux ! — et sur moi que votre main se meuve,
— car vous êtes, vous, un grand saint, et moi un pé-
cheur! »
10.
iU MIRÈIO, GANT III.
E Taven feniguè soun dire.
I chato avié coupa lou rire.
— Acô mostro, Laureto alor ajusté 'nsiu,
Acô mostro, e noun lou countèsti,
Que noun fau se trufa dôu vièsti,
E que de tout peu bono bèsti. . . .
Mai, chato, revenen. Coume un gran de rasin,
Nosto jouineto majouralo,
Ai vist que venié vermeialo,
Tant lèu que de Vincèn lou dous noum s'èi ausi ; .
l'a mai que mai!... Vejan! poulido,
Quant duré de téms la culido?
En estent dous, l'ouro s'ôublido,
Es que! 'mé'n calignaire, avès toujour lesi!.,.
— Travaias, descoucounarello !
N' i'a panca proun, galejarello?
Mirèio respoundé; fanas dana li sant!
Oh! dis, mai vè! pèr vous counfoundre
Pu lèu que de me véire apoundre
A-n-un marit, me vole escoundre
En un couvent de mourgo, à la flour de mis an.
— Tan-deran-lan ! tan-deran-lèron I
Tôuti li chato ensén cantèron.
Anen ! eiçô sara la bello Magali,
Magali, que, dôu grand esglàsi
Qu'avié pèrl'amourous estàsi,
En Arle au couvent de Sant-Blàsi,
Toute vivo, amè mai courre s'enseveli.
MIREILLE, CHANT III. 145
Et Tavèn termina son récit. — Aux jeunes filles
elle avait coupé le rire. — « Cela montre, lors ajouta
Laurette, — cela montre, et je ne le conteste pas, —
qu'il ne faut point se moquer de l'habit, — et qu'(il
peut) de tout poil (y avoir) bonne bête... — Mais,
filles, revenons. Comme un grain de raisin,
« Notre jeune maîtresse, — (je l'ai vu), est devenue
vermeille, — sitôt que de Vincent le doux nom s'est
ouï... — Là est quelque mystère... Voyons, belle, —
combien de temps dura la cueillette? — En étant
deux, l'heure s'oublie; — avec un amant, on a tou-
jours du loisir ! »
— « Travaillez, détachez les cocons ! — N'est-ce
point encore assez, railleuses? — Mireille répondit;
vous feriez damner les saints! — Ohl mais, pour
vous confondre, dit-elle, — plutôt que de me voir
unir — à un mari, je veux me cacher — en un cou-
vent de nonnes, à la fleur de mes ans. »
— « Tra la la ! ira la la! — Toutes les filles
chantèrent ensemble. — Allons! ce sera là la belle
Magali, — Magali, dont telle étaiti'horreur — pour
l'amoureuse extase, — qu'en Arles, au couvent de
Saint-Biaise, — elle aima mieux, toute vive, aller s'en-
sevelir.
116 MIP.ÈIO, CANT m.
Noro, an ! d'aut! tu que tant bèn cantes,
Tu que, quand vos, l'ausido espantes,
Canto-ie Magali, Magali qu'à l'amour
Escapavo pèr milo escampo,
Magali que se fasié pampo,
Âucèu que volo, rai quelampo,
E que toumbè pamens, amourouso à soun tour.
— 0 Magali, ma tant amadoï...
Coumencè Noro; el'oustalado
A l'obro redoublé de gaieta de cor ;
E coume, quand d'uno cigalo
Brusis la cansoun estivalo,
En Cor tôuti reprenon, talc
Li chatouno au refrin partien tôutis en Cor.
HAGALl
0 Magali, ma tant amado,
Mete la tèsto au fenestroun !
Escouto un pau aquesto aubado
De tambourin e de viôuloun.
Èi plen d'estello, aperamount!
L'auro es toumbado,
Mai lis estello paliran.
Quand te veiran!
MIREILLE, CHANT HT. «7
« Allons ! Nore, toi qui chantes si bien , — toi
qui, quand tu le veux, émerveilles l'ouïe, — chante-
lui MagaH, Magali qui à l'amour — échappait par
mille subterfuges, — Magali qui se faisait pamprq,
— oiseau qui vole, rayon qui brille, — et qui tomba,
pourtant, amoureuse à son tour. »
— « 0 Magali, ma tant aimée!.... » — commença
Nore; et la maisonnée — à l'ouvrage redoubla de gaieté
de cœur, — et telles, quand d'une cigale — bruit la
chanson d'été, — toutes (les autres) en chœur re-
prennent, telles — les jeunes filles au refrain par-
taient toutes en chœur.
flAGALI
« 0 Magali, ma tant aimée. — mets la tête à la fe-
nêtre ! — Écoute un peu cette aubade — de tambou-
rins et de violons.
(Le ciel) est là-haut plein d'étoiles. — Le vent esl
tombé, — mais les étoiles pâliront — en te voyant. »
H8 MIRÈIO, GANT III.
— Pas mai que dôu murmur di broundo
De toun aubado iéu fau cas !
Mai iéu m'envau dins la mar bloundo
Me faire anguielo de roucas.
— 0 Magali ! se tu te fas
Lou pèis de l'oundo,
Iéu , lou pescaire me farai,
Te pescarai '
— Oh! mai, se tu te fas pescaire,
Ti vertoulet quand jitaras,
Iéu me farai l'aucèu voulaire,
M'envoularai dins li campas.
— 0 Magali, se tu te fas
L'aucèu de l'aire,
Iéu lou cassaire me farai,
Te cassarai.
— I perdigau, i bouscarido,
Se vènes, tu, cala ti las,
Iéu me farai l'erbo flourido
E m'escoundrai dins li pradas.
— 0 Magali, se tu te fas
La margarido,
Iéu l'aigo lindo me farai,
T'arrousarai.
MIREILLE, CHANT III. H9
— « Pas plus que du murmure des branches — de
ton aubade je ne me soucie! — Mais je m'en vais dans
la mer blonde — me faire anguille de rocher. »
— « 0 Magali, si tu te fais — le poisson de l'onde,
— moi, le pêcheur je me ferai, — je te pécherai! »
- « Oh ! mais, si tu te fais pêcheur, — quand tu
jetteras tes verveux, — je me ferai l'oiseau qui vole,
— je m'envolerai dans les landes. »
— « 0 Magali, si tu te fais — l'oiseau de l'air, -
je me ferai, moi, le chasseur, — je te chasserai. »
— « Aux perdreaux, aux becs-fins, — si tu viens
tendre tes lacets, — je me ferai, moi, l'herbe fleurie,
— et me cacherai dans les prés vastes. »
— « 0 Magali, si tu te fais — la marguerite, — je
me ferai, moi, l'eau limpide, — je t'arroserai. »
120 MIRÈIO, GANT III,
• — Se tu te fas l'aigueto lindo,
léu me farai lou nivoulas,
E lèu m'enanarai ansindo
A l'Americo, perabas !
— 0 Magali, se tu t'envaa
Alin is Indo,
L'auro de mar iéu me farai,
Te pourtarai!
— Se tu te fas la marinade,
léu fugirai d'un autre las :
Iéu me farai l'escandihado
Dôu grand soulèu que found lou glas!
— 0 Magali, se tu te fas
La souleiado,
Lou verd limbert iéu me farai,
E te béurai !
— Se tu te rendes l'alabreno
Que se rescound dins lou bertas,
Iéu me rendrai la luno pleno
Que dins la niue fai lume i mascl
— 0 Magali, se tu fas
Luno sereno,
léu bello nèblo me farai*
T'acatarai.
MIREILLE, CHANT III. 121
— « Si tu le fais l'onde limpide, — je me ferai,
moi, le grand nuage, — et promptement m'en irai
ainsi — en Amérique, là-bas bien loin! »
— « 0 Magali, si tu t'en vas — aux lointaines
Indes, — je me ferai, moi, le vent de mer, — je te
porterai ! »
— « Si tu te fais le vent marin, — je fuirai d'un
autre côté : — je me ferai l'échappée ardente — du
grand soleil qui fond la glace ! »
— « 0 Magali, si tu te fais — le rayonnement du
soleil, — je me ferai, moi, le verd lézard, — et te
boirai. »
— « Si tu te rends la salamandre — qui se cache
dans le hallier, — je me rendrai, moi, la lune pleine
— qui éclaire les sorciers dans la nuit ! »
— « 0 Magali, si tu te fais — lUne sereine, — je
me ferai, moi, belle brume, —je t'envelopperai. »
il
122 MIRÈIO, GANT III.
— Mai se la nèblo m'enmantello,
Tu, pèracô, noun me tendras;
léu, bello roso vierginello,
M'espandirai dins l'espinas !
— 0 Magali, se tu te fas
La roso bello,
Lou parpaioun iéu me farai,
Te beisarai.
— Vai, calignaire, courre, courre !
Jamai, jamai m'agantaras.
Iéu, de la rusco d'un grand roure
Me vestirai dins lou bouscas.
— 0 Magali, se tu te fas
L'aubre di moure,
Iéu lou clôt d'èurre me farai,
T'embrassarai '
— Se me vos prene à la brasseto,
Rèn qu'un vièi chaîne arraparas...
Iéu me farai blanco moungeto
Dôu mounastié dôu grand Sant Blas !
— 0 Magali, se tu te fas
Mounjo blanqueto,
Iéu, capelan, counfessarai,
Ë t'ausirai !
I
MIREILLE, CHANT III. 123
— « Mais si la brume m'enveloppe, — pour cela
tu ne me tiendras pas ; — moi, belle rose virginale,
— je m'épanouirai dans le buisson ! »
— « 0 Magali, si tu te fais — la rose belle, — je
me ferai, moi, le papillon, — je te baiserai. »
— « Va, poursuivant, cours, cours ! — jamais,
jamais tu ne m'atteindras. — Moi, de l'écorce d'un
grand chêne — je me vêtirai dans la forêt sombre. »
— « 0 Magali, si tu te fais — l'arbre des mornes,
— je me ferai, moi, la touffe de lierre, — je t'em-
brasserai! »
— « Si tu veux me prendre à bras-le-corps, — tu
ne saisiras qu'un vieux chêne... — Je me ferai blan-
che nonnette — du monastère du grand Saint Biaise! »
— « 0 Magali, si tu te fais — nonnette blanche, —
— moi, prêtre, à confesse — je t'entendrai ! »
124 MIRÈIO, GANT III.
Aqui li femo ressautèron ;
Li roLis coucoun di man toumbèron...
E cridavon à Noro : Oh ! digo, digo pièi
Ce que faguè, 'n estent moungeto,
Magali, que déjà, paureto !
S'èi facho roure emai floureto,
Luno, soulèu e nivo, erbo, auceloun e pèi.
— De la cansoun, reprenguè Noro,
Vous vau canta ce que demoro.
N'erian,.se m'ensouvèn, au rode ounte elo dis
Que dins la clastro vai se traire,
E que respond l'ardent cassaire
Que i' intrara pèr counfessaire..<
Mai d'elo tournamai ausès l'entravadis :
— Se dôu couvent passes li porto,
Tôuti li mounjo trouvaras
3u'à moun entour saran pèr orto,
Car en susàri me veiras !
<— 0 Magali, se tu te fas
La pauro morto,
Adounc la terro me farai,
Aqui t'aurai l
MIREILLE, CHANT III 425
Là les femmes tressaillirent; — les cocons roux tom-
bèrent des mains, — et elles criaient à Nore : « Oh!
dis, dis ensuite — ce que fit, étant nonnain, — Ma-
gali, qui déjà, pauvrette! — s'est faite chêne et fleur
aussi, — lune, soleil et nuage, herbe, oiseau et
poisson. »
— « De la chanson, reprit Nore, — je vais vous
chanter ce qui reste. — Nous en étions, s'il m'en sou-
vient, à l'endroit où elle dit — que dans le cloître elle
va se jeter, — et où l'ardent chasseur répond — qu'il
y entrera comme confesseur. . . — Mais de nouveau,
oyez l'otstacle qu'elle (oppose) :
— « Si du couvent tu passes les portes, — tu trou-
veras toutes les nonnes — autour de moi errantes,
— car en suaire tu me verras 1 »
— « 0 Magali, si tu te fais — la pauvre morte,
adoncques je me ferai la terre, ~ là je t'aurai ! »
11.
126 MIRÈIO, CANT III.
— Aro coumence enfin de crèire
Que noun me parles en risènt :
Vaqui moun aneloun de vèire
Pèr souvenènço, o bèu jouvènt!
— 0 Magali, me fas de bèn!...
Mai, tre te vèire,
Ve lis estello, o Magali,
Coume an pâli !
Noro se taiso; res mutavo.
Talamen bèn Noro canlavo,
Que lis autro, enterin, d'un clinamen de front
L'acoumpagnavon, amistouso :
Coume li mato de moutouso
Que, penjoulelo e voulountouso,
Se laisson ana 'nsèmble au courrènt d'uno font
— Oh ! lou bèu tèms que fai deforo !
En acabant ajusté Noro. ..
Mai déjà li segaire. à l'aigo dôu pesquié,
De si daioun lavon la goumo...
Cuei-nous, Mirèio, quàuqui poumo
Di sant-janenco, e 'mé 'no toumo
Nautre anaren gousta sont li falabreguié.
MIREILLE, CHANT III. «7
— « Maintenant je commence enfin à croire — que
tu ne me parles pas en riant. — Voilà mon annelet de
verre — pour souvenir, beau jouvenceau ! »
^ « 0 Magali, tu me fais du bien!... — Mais, dès
qu'elles t'ont vue, — ô Magali, vois les étoiles, —
comme elles ont pâli ^* ! »
Nore se tait; nul ne disait mot, — Tellement bien
Nore chantait, — que les autres, en même temps,
d'un penchement de front — l'accompagnaient, sym-
pathiques : — comme les touffes de souchet — qui,
pendantes et dociles, — se laissent aller ensemble
au courant d'une fontaine.
— « Oh ! le beau temps qu'il fait dehors! » — ajouta
Nore en achevant. . . — « Mais déjà les faucheurs,
à l'eau du vivier, — lavent la gomme de leurs faux...
— Cueille-nous, Mireille, quelques pommes — de
celles qui mûrissent à la Saint- Jean, et avec un fro-
mage frais — nous irons, nous, goûter sous les mico-
couliers. »
NOTES
DU CHANT TROISIÈME.
Le bon muscat de Baume {lou bon muscat de Baumo). Baume,
nllage du département de Vauclifse, produit un vin muscat estimé.
* Le Ferigoulet [lou Ferigoulet), excellent vin quon récolte sur un
oteau des collines de Graveson (Bouches-du-Rhône). — Ferigoulo
".|;nifiant thym en provençal, le vin de Ferigoulet, comme son nom
'indique, rappelle agréablement le parfum de cette plante.
' La Bonne Mère [la Bono Maire), la sainte Vierge.
* Canela (blanchis) , se dit des vers à soie atteints de la terrible
iaaladie appelée muscardine, due au développement d'une moisis-
sure qui leur donne une apparence plâtrée.
* Tu es née coiffée [asta crespino). — Crespino, coiffe, membrane
que quelques enfants portent sur la tête en venant au monde, et
qui est aux yeux du peuple un indice de bonheur
6 Plâtra [engipè). (Voyez la note 4, même Chant.)
" Pamparigouste(Pûfmpflns'OMS^o). Pays imaginaire, comme celui
de Cocagne.
* Le Venlour {lou Ventour] , haute montagne, à quarante-huit ki-
lomètres au nord-est d'Avignon, s' élevant tout à coup à dix -neuf
cent onze mètres au-aessus au niveau de la mer, isolée, es-
carpée, visible de quarante lieues, souronnée de neige durant
Six mois de l'année. C'est à tort que les géographes écrivent Veti-
toux au lieu de Ventour. Les populations voisines de cette monta-
gne prononcent unanimement Ventour. Un de ses appendices porte
le nom de Ventouret, et un certain vent du nord s'appelle la Yen-
toureso, parce qu'il vient de ce coté
NOTES DU CHANT III. 129
3 Azalaïs, forme provençale du nom propre Adélaïde. <
*" Fanette de Gantelme. — Estéfanettc, et par abréviation Fa-
nette, de la noble famille des Gantelme, présidait, vers 1340, la
Cour d'amour de Romanin. On sait que les Cours d'amour étaient des
assises poétiques où les dames les plus nobles, les plus belles, les
plus savantes en Gay-saber, jugeaient les questions de galanterie,
les litiges d'amour, et décernaient des prix à la poésie provençale.
La belle et célèbre Laure était la nièce de Fanette de Gantelme,
et faisait partie du gracieux aréopage.
Non loin de Saint-Remy, au pied du versant septentrional des
Alpines, on voit encore les ruines du château de Romanin.
** La comtesse de Die, célèbre trouveresse du milieu du dou-
zième siècle. Les chants qui nous restent d'elle contiennent des
élans plus passionnés quelquefois et plus voluptueux que ceux de
Sapho :
Bels amies, ayenèns e bos,
Quora'us tendrai en mon poder?
E que jaguès ab vos un ser,
E que'us dés un bais amoros !
l'LaRouraèque [la Roumèco), espèce de vampire méridional. Voici
comment la décrit le marquis de Lafare-Alais. dans ses Castagnados :
Sus vint arpo d'aragno
S'escasso soun cors brun...
Soun ventre que regagne,
De fèbre e de magagno
Suso l'orre frescun.
" lM\)èvon(Luheroun], chaîne de montagnes du département de
Vaucluse.
»* Valmasque, {Yau masco, vallée des sorciers); vallée du Lubé-
ron, habitée jadis par les Vaudois.
*5 On ti'ouvera à la lin du volume l'air populaire sur lequel a été
composée la chanson de Magali.
CANT QUATREN
LI DEMANDAIRE
fiu tèms di vlôuleto. — Li pescadou dôu Martegue. — Très c»ll-
gnaire vènon demanda Mirèio : Alàri lou pastre ; Vei an lou gardian;
Ourrias lou loucadou. — Alàri, si capitau d'avé. — La toundesoun.
— Visio d'un escabot que davalo dis Aupo, anant en ivernage. —
Entrevisto d'Alàri eraé Mirèio. — Lis Antico de Sant-Roumié. —
Liéurèio dôu pastre, lou coucourelet de bonis escrincela. — Alàri
es chabi. — Lou gardian Veran. — Li cavalo blanco de Camargo.
— Veran demando Mirèio à Mèste Ramoun. — Lou vièi lou reçaup
en grand joio, Mirèio lou refuso. — Ourrias, lou doumtaire de tau-
— Li brau nègre sôuvage. — La Ferrado. — Ourrias e Mirèio à U
font. — Lou toucadou es chabi.
Vèngue lou tèms que li viôuleto,
Dins li pradello frescouletb,
Espelisson à flo, manco pas de parèu
Pèr ana li cueie à l'oumbrino '
Vèngue lou tèms que la marino
Abauco sa fièro peitrino,
E respiro plan-plan de tôuti si mamèu,
Manco pas bèto e sicelando
Que dôu Martegue, à bèlli bando,
S'envau de si paiolo embourgina lou pèis,
S'envan, sus l'alo de si remo,
Escampiha sus la mar semo ;
Vèngue lou tèms qu'entre li femo,
L'eissame di chatouno e flouris e parèis,
CHANT QUATRIÈME
LES PRÉTENDANTS
La saison des violettes. — Les pêcheurs du Martigue. — Trois préten-
dants briguent la main de Mireille : Alàri, le berger; Véran, le
gardien de chevaux; Ourrias, le toucheur de taureaux. — Alàri, ses
richesses en brebis. — La tonte. — La transhumance : description
d'un grand troupeau qui descend des Alpes. — Entrevue d' Alàri et
de Mireille. — Le mausolée de Saint-Remy. — Offrande du berger,
la coupe de buis sculpté. — Alàri est éconduit. — Véran, le gardien
de chevaux. — Les cavales blanches de Camargue. — Véran de-
mande Mireille à Maître Ramon. — Joie et bon accueil du vieillard;
refus de Mireille. — Ourrias, le dompteur de taureaux. — Les
taureaux noirs sauvages. — La Ferrade. — Ourrias et Mireille à la
fontaine. — Le toucheur est éconduit.
Vienne le temps où les violettes, — dans les fraî-
ches prairies — éclosent à bouquets, ne manquent
pas les couples — pour aller les cueillir à l'ombre !
— Vienne le temps où la mer — apaise sa fière poi-
trine, — et respire lentement de toutes ses mamelles,
Ne manquent pas les prames et les sicelandes —
qui, du Martigue S à belles troupes, — partent, et
vont de leurs pailloles ^ entortiller le poisson, — et
vont, sur l'aile de leurs rames, — s'éparpiller dans la
mer tranquille. — Vienne le temps où, parmi les
femmes, - • l'essaim des jeunes filles fleurit et paraît,
132 MIRÈIO, CAÎ^T IV.
Que pastourello vo coumlesso
Prenon renoum de poulidesso,
Manco pas calignaire, en Crau e i caslelas;
E rèn qu'au Mas di Falabrego
N'en venguè très : un gardian d'egOj
Un paissejaire de junego,
Em' un pastre d'avé, tôuti très bèu droulas.
Venguè proumié lou pastre Alàri.
Dison qu'avié milo bestiàri
Arrapa, tout l'ivèr, long dôu clar d'Entressèn,
I boni bauco salabrouso.
Dison qu'eiça quand lou blad nouso,
Dins li grands Aupo fresqueirouso
Eu-meme li mountavo, entre que Mai se sent.
Dison peréu, — e m'es de crèire, —
Que, vers Sant Marc, i'a nôu toundèire
Que, très jour, ie toundien, e d'onie renouma!
E iéu noun comte aquéu que lève
Lis au de lano blanco e grèvo,
Ni lou mendi que sènso trèvo
Carrejavo i toundèire un douire lèu chima.
Mai quand la caud pièi s'apasimo,
E que la nèu sus li grand cimo
Âdeja revouluno i terraire gavot,
De l'ininènso piano Craenco
Pèr deslepa l'erbo ivernenco,
Dis àuli coumbo Daufmenco
Faliè vèire descendre aquéu riche escabotl
MIREILLE, CHANT IV. 135
Où pastourelles ou comtesses — prennent renom
de beauté, — ne manquent pas les poursuivants, en
Crau et aux manoirs ; — et rien qu'au Mas des Mico-
coules — il en vint trois : un gardien de cavales, —
un pasteur de génisses — et un berger de brebis,
tous les trois beaux garçons.
Vint d'abord le berger Alàri. — On dit qu'il possé-
dait mille bêtes (à laine), — attachées, tout l'hiver, le
long du lac d'Entressen^, — aux bons gramens salés.
— On dit qu'à l'époque où le froment forme ses
nœuds, — dans les fraîches hauteurs des grandes
Alpes — il les conduisait lui-même, dès que l'on sent
mai.
On dit aussi, et je le crois, — que, vers la Saint-
Marc, neuf tondeurs — trois jours tondaient (pour)
lui, et des hommes fameux! — Et j'omets celui qui
enlève — les toisons de laine blanche et pesante ; ■—
et le bergerot qui, sans relâche, — charriait aux ton-
deurs un broc promptement bu.
Mais lorsque ensuite la chaleur s'apaise, — et que
la neige sur les grandes cimes — déjà tourbillonne
aux pays montagnards, — de l'immense plaine de
Crau — pour brouter 1 herbe hivernale, — il fallait
voir, des hautes vallées dauphinoises, — ■ descendre
ce riche troupeau !
12
134 MIRÈIO, CANT IV.
Falié vèire aquelo escarrado
S'esperlounga dins la peirado !
En front de tout lou rai, l'agnelun proumieren
Sautourlejo pèr bando gaio...
Fa l'agnelié que lis endraio.
L'ensounaiado bourriscaio,
E 11 poutre, e li saumo, à baudre li seguien.
D'escambarloun dessus la bardo,
Es l'asenié que n'a la gardo :
Dins lis ensàrri d'aufo, es éli, sus lou bast,
Éli que porlon la raubiho,
E la bevènto e la mangiho,
E dôu bestiàri que s'espeio
La peu enca saunouso, e l'agneloun qu èi las.
Capitàni de la bregado,
E li bano rêver tegado,
Après venien de front, en brandant si redoun,
E lou regard vira de caire,
Cinq fièr menoun cabessejaire;
Darrié li bôchi vèn li maire,
E li fôli cabreto, e li blanc cabretoun.
Troupe courriolo emai groumando,
Es lou cabrié que la coumando.
Li mascle de l'avé, li grands esparradou
De quau li mourre en l'èr se drèisson,
Dins la carrairo aqui parèisson :
A si grand bano se counèisson,
Très fes envertouiado autour de l'ausidou
J
MIREILLE, CHANT IV. i;5
Il fallait voir cette multitude — se développer daus
lecliemin pierreux! — Au front de toute la troupe,
les agneaux hâtifs — cabriolent par joyeuses bandes.
— Vagnelier les dirige. — Les ânes portant son-
nailles, — et les ânons, et les ânesses, en désordre
les suivaient.
A califourchon sur la bardelle, — l'ânier en a la
garde. — Dans les mannes de sparterie, ce sont eux,
sur le bât, — eux qui portent les bardes, — et la
boisson, et les vivres, — et du bétail qu'on écorche
— la peau encore saignante, et l'agneau fatigué.
Capitaines de la phalange, — avec leurs cornes
retroussées, — après venaient de front, en branlant
leurs clarines , — et le regard de travers, — cinq
fiers boucs à la tête menaçante ; — derrière les boucs
viennent les mères, — et les folles chevrettes, et les
blancs petits chevreaux.
Troupe gourmande et vagabonde, — le chevrier la
commande. — Les mâles des brebis, les grands béliers
conducteurs, — dont les museaux dans l'air se dres-
sent, — alors paraissent dans la voie ; — on les recon-
naît à leurs grandes cornes, — tro's fois entortillées
autour de l'oreille.
136 flIRÈÎU, GANT IV.
E peréu (ounourable signe
Que dôu troupèu acô 's li segne)
An li costo floucado e l'esquino tambèn,
Camino en tèsto de la troupo
Lou baile-pastre, e de sa roupo
Li dos espalo s'agouloupo.
Mai lou gros de l'armado arribo d'un tenènt.
E'n uno pôusso nivoulouso,
E di proumiero, e di couchouso,
Courron lis agnelado, en bramant loungamen
Au belamen de si berouge ;
E, lou coutet flouca de rouge,
Ensèn pôussejon lis anouge
E li môutoun lanu que van paloutamen;
Li pastrihoun de vôuto en vôuto,
E qu'i chin cridon : A la vôuto !
E, pega sus lou flanc, l'innoumbrable vaciéu,
Li nouvello, li tardouniero,
E li segoundo, e li maniero,
E li fegôundi bessouniero
Qu'an peno à tirassa soun ventre empachatiéu.
Escarradoun tout espeiôti,
Entre li turgo, li vièi môti
Qu'an agu lou dessouto i batèsto d'amour,
Emé li berco e li panardo,
Clauson enfin la rèire-gardo,
Aret creba, tristo desfardo,
Qu'an perdu towî ensèn e li bano e l'ounour.
MIREILLE, CHANT IV. 137
Et encore (honorable signe — qu'ils sont les sires du
troupeau) — ils ont les cotes, ils ont le dos ornés de
houppes. — En tête de la troupe marche — le chef
des pâtres, de son manteau — s'enveloppant les
deux épaules. — Mais le gros de l'armée arrive à
la suite.
Et dans un nuage de poussière, — et précédant
(la foule), et empressées, — courent les (brebis)
mères, répondant par de longs bêlements — au bêle-
ment de leurs petits ; — et, la nuque ornée de bouf-
fettes rouges, — ensemble poudroient les antenois,
— et les moutons laineux qui vont à pas lents ;
Les aides-bergers , d'intervalle en intervalle , —
criant aux chiens : A la volte ! — et, le flanc marqué
de poix, l'innombrable plèbe, — les adultes, les bre-
bis qui mettent bas deux fois, — et celles dont deux
fois les dents de marque ont percé, et celles qu'on a
privées de leurs agneaux, — et les fécondes besson-
nières'* — qui ont peine à traîner leur ventre embar-
rassant.
Escadron dépenaillé, — parmi les bréhaignes, les
vieux béliers — qui ont été vaincus aux combats
d'amour, — avec les èdentées et les boiteuses, — fer-
ment enfin l'arrière-garde, — béliers crevés, tristes
débris, — qui ont perdu tout ensemble et les cornes
et l'honneur.
13
138 MIREIO, CANT lY.
E tout acô, fedo e çabrairo,
Tant que n'i'avié dins la carrairo,
Èro d'Alàri, tout, jouine e vièi, bèu o laid..,
E davans eu quand davalavon,
Qu'à cha centeno defilavon,
A vie sis iue que se chalavon. . .
Pourtavo, coume un scètre, un rebatun de plai.
E 'mé si blanc chinas de pargue
Que lou seguien dins li relargue,
Li geinoun boutouna dins si guèto de peu,
E l'èr seren, e lou front sàvi,
L'aurias cresu lou bèu rèi Dàvi
Quand, sus la tardo, au pous dis àvi
Anavo, en estent jouine, abéura li troupèu.
— Vaqui Mirèio que vanego
Davans lou Mas di Falabrego !
Digue lou pastre... Oh! Dieu! m'an di la verila :
Ni dins lou plan, ni sus l'auturo,
Ni pèr verai, ni pèr pinturo,
léu n'ai ges vist qu'à la centuro
le vague, pèr lou biais, la gràci, la bèuta! •
Que, rèn que pèr la vèire, Alàri
S' èro escarta de soun bestiàri.
A dre d'elo pamens quand fugue : Pourriés-ti,
le fai d'uno voues que trémolo,
Me faire vèire uno draiolo
Pèr travessa li mountagnolo?
Autramen, chato, ai pôu de pas me n'en sourti !
MIREILLE, CHANT IV. 139
Et tout cela, brebis et chèvres, — autant qu'en
contenait la voie, — était à Alàri, tout, jeune et vieux,
beau et laid... — Et devant lui lorsqu'elles descen-
daient, — qu'elles défilaient par centaines, — ses
yeux se délectaient (à cette vue)... — 11 portait,
comme un sceptre, un rondin d'érable.
Et, avec ses blancs et grands chiens de parc —
qui le suivaient dans les pâturages, — les genoux
boutonnés dans ses guêtres de peau . — et l'air se-
rein et le front sage... — vous l'eiyssiez cru le beau
roi David, — quand, vers le soir, au puits des aïeux,
— il allait, dans sa jeunesse, abreuver les troupeaux.
— « Voilà Mireille qui va et vient -- devant le Mas
des Micocoules! — dit le pâtre... Oh! Dieul l'on
m'a dit vrai : — ni dans la plaine, ni sur les hau-
teurs, — ni en peinture, ni en réalité, — je n'en ai
vu aucune qui à la ceinture — lui aille, pour les ma-
nières, la grâce, la beauté ! »
Car, rien que pour la voir, Âlàrî — s'était éloigné
de ses bêtes. — Cependant, quand il fut devant elle :
« Pourrais-tu, — lui dit-il d'une voix qui tremble,
— me montrer un sentier — pour traverser les
collines? — Sinon, jeune fille, j'ai peur de ne pas en
sortir! §
140 MIRÈIO. CANT IV
— l'a que de prene la drechiero,
Vè! respoundèlamasagiero,
E pièi de Pèiro-malo enregas lou désert ,
E caminas dins la vau torto,
Fin que vegués uno grand porto,
Emé 'no toumbo que suporto
Dous generau de pèiro, eilamount dins lis èr;
Èi ce qu'apellon lis Antico.
— Gramaci i lou jouvènt replico. . .
Milobèsti d'avé, pourtant ma marco, en Crau,
Mounton deman à la mountagno,
E iéu précède la coumpagno
Pèr ie marca dins la campagno,
Li coussou, la couchado, e peréu lou carrau.
E tout debèstio fino!... E quouro
Que me maride, ma pastouro
Entendra tout lou jour canta lou roussigaôu...
E s'aviéu l'ur, bello Mirèio,
Que tu vouguèsses ma liéurèio,
Te semoundréu, noun de daurèio,
Mai un vas que t'ai fa, de bonis, e flame-nôu.
E de parla tant lèu s'arrèsto,
Coume un relicle, de sa vèsto
Sort un coucourelet taia dins lou bonis viéu ,
Car, à sis oureto de pauso,
Amavo, asseta su 'no lauso,
De s'espassa 'n-aquéli causo ;
E rèn qu'emé 'n coutèu fasié d'obro de Dieu!
MIREILLE. CHANT IV. 141
— « Il n'y a qu'à prendre le droit chemin, —
voyez! répondit la fille des champs, — vous enfilez
ensuite le désert de Peyre-male, — et vous marchez
dans le val tortueux — jusqu'à ce qu'un portique se
montre à vos regards, — avec un tombeau qui sup-
porte — deux généraux de pierre, là-haut dans les
airs ^ ;
« C'est ce qu'on nomme les Antiques. » — « Gran
merci! réplique le jeune homme... — Mille bêtes à
laine, portant ma marque, dans la Crau, — montent
demain à la montagne; — et je précède le bataillon,
— pour lui marquer à travers champs — les pa-
cages, la couchée, et aussi le chemin.
« Et (c'est) tout bêtes fines î. .. Et en quelque temps
— que je me marie, ma bergère — entendra tout le
jour chanter le rossignol... — Et si j'avais l'heur,
belle Mireille, — que tu acceptasses ma livrée, — je
t'offrirais, non pas des bijoux d'or, — mais un vase
que j'ai fait pour toi, de buis, et battant-neuf. »
Et comme il cesse de parler, — telle qu'une re-
hque, de sa veste — il sort une coupe taillée dansJe
buis vif; — car, à ses heures de loisir, — il aimait,
assis sur une pierre, — à se distraire à ces choses ; —
et seulement avec un couteau il faisait des œuvres
divines 1
142 MIRÈIO, GANT IV.
E d'uno man cascareleto
Escrincelavo de clincleto
Pèr la niue, dins lou champ, mena soun abeié ;
E sus lou càmbis di sounaio,
E sus l'os blanc que 11 mataio,
Fasié de taio e d'entre-taio,
E de fleur, e d'aucèu, e tout ce que voulié.
Mai lou vas que venié d'adurre,
Aurias nega, vous l'assegure,
Que i'aguèsse passa coutèu de pastrihoun :
Uno massugo bèn flourido
A soun entour èro espandido ;
E dins si roso alangourido,
Dous cabrôu ie paissien, fourmant li manihoun.
Un pau plus bas, vesias très fiho
Qu'èron segur très mereviho ! . . .
Pas liuen, dessouto un cade, un pastourèu dourmié.
Li fouligàudi chatouneto
Se n'aprouchavon plan-planeto,
E ie metien sus la bouqueto
Uno alo de rasin qu'avien dins soun panié.
E lou pichot que soumihavo
Tout risoulet se revihavo ;
E l'uno di chatouno avié l'èr esmougu...
Sens la coulour dôu racinage,
Aurias di que li personnage
Èron viéu dins aquel ôubrage...
Sentie 'ncaro lou nôu, i'avié panca begu.
MIREILLE, CHANT IV. 143
Et d'une main fantaisiste, — il sculptait des cli-
quettes — pour, la nuit, dans les champs, conduire
son troupeau; — et sur le collier des clarines, — et
sur l'os blanc qui leur sert de battant, — il faisait des
tailles et des entre-tailles, — et des fleurs, et des oi-
seaux, et tout ce qu'il voulait.
Mais le vase qu'il venait d'apporter, — vous auriez
nié, je vous l'assure, — que couteau de berger eût
passé là : — un ciste bien fleuri — autour de lui s'é-
panouissait; — et dans ses roses langoureuses, —
deux chevreuils paissaient, formant les anses.
Un peu plus bas, on voyait trois jeunes filles — qui
étaient certainement trois merveilles ! . . . — Non loin
(delà), sous un cade, un pastoureau dormait. — Les
folâtres fillettes — s'approchaient de lui doucement,
— et mettaient sur sa bouche — un grappillon de
raisin qu'elles avaient dans leur panier.
Et l'enfant qui sommeillait — s'éveillait tout sou-,
riant; — et l'une des fillettes avait l'air ému... —
Sans la couleur de la racine, — vous eussiez dit
que les figures — étaient vivantes dans cet ouvrage. . .
— 11 sentait encore le neuf, il n'y avait pas bu en-
core.
144 MlRÉIO CANT IV
— En verita, digue Mirèio,
Pastre, fai gau, vosto liéurèîo...
E l'espinchavo. Pièi partiguè tout d'un bound :
Moun bon-ami n'a 'no plus belle :
Soun amour, pastre! E quand me bôio,
0 fau que baisse li parpello,
0 dins iéu sente courre unbonur que me poun.
E la cbatouno, coume un glâri
Despareiguè... Lou pastre Alàri
Estremè soun vasèu ; e plan-plan, à l'ahour,
Eu s'enanè de la bastido,
E la pensado entreboulido
Qu'aquelo chato tant poulido
Pèr autre que pèr eu aguèsse tant d'amour!
Au même Mas di Falabrego
Venguè tambèn un gardian d'ego,
Veran. Aquéu Veran ie venguè dôu Sambu.
Au Sambu, dins li grand pradello
Ounte flouris la cabridello.
Avié cent ego blanquinello
[lespounchant di palun li rousèu escambu.
Cent ego blanco! La creniero,
Coume la sagno di sagniero,
Oundejanto, fougouso, e franco dôu cisèu,
Dins sis ardèntis a^)rivado,
Quand pièi partien, descaussanado,
Coume la cherpo d'uno fado.
En dessus de si côu floutavo dins lou cèu.
MIREILLE, CHANT IV. 145
ff En vérité, dit Mireille, — pâtre, votre livrée
tente la vue... » — Et elle l'examinait. Puis partant
tout d'un bond : — « Mon bien-aimé en a une plus
belle : — son amour, pâtre ! Et lorsque, passionné,
il me regarde, — il me faut baisser les paupières, —
ou bien je sens courir en moi un bonheur qui me
navre. »
Et la jeune fille, comme un lutin, — disparut...
Le berger Alari — remit son vase sous (sa veste) ; et
lentement, au crépuscule ^ — s'en alla de la bastide,
— troublé par la pensée — qu'une si belle fille — pour
un autre que lui eût tant d'amour !
Au même Mas des Micocoules — vint aussi un
gardien de cavales, — Véran. Ce Véran y vint du
Sambuc''. — AuSambuc, dans les grandes prairies
— où fleurit la cahridelle *, — il avait cent cavales
blanches — èpointant les hauts roseaux des mare*
cages.
Cent cavales blanches î La crinière, — comme la
massette des marais, — ondoyante, touffue, et fran-
che du ciseau. — Dans leurs ardents élans, — lors-
qu'elles partaient ensuite, effrénées, — comme l'é-
charpe d'une fée -- au-dessus de leurs cous elle
flottait dans le ciel.
140 MIRÈIO, CANT IV.
Vergougno à tu, raço omenenco t
Li cavaloto Camarguenco,
Au pougnènt esperoun que i'estrasso lou flanc,
Coume à la man que li caresso,
Li veguèron jamai soumesso.
Encabestrado pèr traitesso,
N'ai vist despatria liuen dôu pàti salan ;
E'n jour, d un bound rabin e prouinte,
Embardassa quau que li mounte,
D'un galop avala vint lègo de palun,
La narro an vent ! e revengudo
Au Vacarés, que soun nascudo, .
Après dès an d'esclavitudo.
Respira de la mar lou libre salabrun.
Qu'aquelo meno sôuvagino,
Soun elemen es la marino :
Dôu càrri de Netune escapado segur,
Es encaro tencho d'escumo ;
E quand la mar boufo e s'embrume,
Que di veissèu peton li gumo,
Li grignoun de Gamargo endihon de boniir,
E fan brusi coume uno chasso
Sa longo co que ie tirasse ;
E gravachon lou sôu, e sènton dins sa car
Intra lou trent dôu dieu terrible,
Qu'en un barrejadis ourrible
Môu la tempèsto e l'endoulible,
ï> bourroulo de founs li toumple de la mar.
MIREILLE, CHANT IV. 147
Honte à toi, race humaine ! — Les cavales de Ca-
margue®, — au poignant éperon qui leur déchire le
flanc, — comme à la main qui les caresse, — jamais
on ne les vit soumises. — Enchevêtrées par trahison,
— j'en ai vu exiler loin des prairies salines;
Et un jour, d'un bond revêche et prompt, — jeter
bas quiconque les monte, — d'un galop dévorer
vingt lieues de marécages, — flairant le vent ! et re-
venues — au Vaccarés*", où elles naquirent, —
après dix ans d'esclavage, — respirer l'émanation
salée et libre de la mer.
Car (à) cette race sauvage, — son élément, c'est
la mer : — du char de Neptune échappée sans doute,
— elle est encore teinte d'écume ; — et quand la
mer souffle et s'assombrit, — quand des vaisseaux
rompent les câbles, — les étalons de Camargue
hennissent de bonheur ;
Et font claquer comme la ficelle d'un fouet —
leur longue queue traînante ; — et grattent le sol,
et sentent dans leur chair — entrer le trident du
dieu terrible, — qui, dans un horrible pêle-mêle, —
meut la tempête et le déluge, — et bouleverse de
fond en comble les abîmes de la mer.
148 Mllir.IO, CANT IV.
Aquéu Veran li pasturgavo.
En Crau un jour que Iraficavo,
Enjusquo vers Mirèio, acô s'èi di, Veran
Se gandiguè. Car en Camargo,
E fin qu'alin i bouco largo
D'ounte lou Rose se descargo,
Se disié qu'èro bello, e lontèms lou diran !
le venguè fier, emé reboundo
A l'Ârlatenco, longo e bloundo,
Jitado sus l'espalo en guiso de mantèu;
Emétaiolo chimarrado
Coume uno esquino de rassado,
E capèu de lelo cirado
Ounte se rebâtie lou trelus dôu soulèu.
E quand fugue davans lou mèstre :
Bon jour à vous emai benèstre !
Dôu RoseCamarguen siéu, dis, un ribeirôu ;
Siéu lou felen dôu gardian Pèire :
Es pas que noun lou déugués vèire,
Qu'au mens vint an 'mé si courrèire,
Moun grand, lou gardian Pèire, a cauca voste eirôu '
Dins lapalun que nous enrodo,
Moun segne grand n'avié très rodo.
Vous n'en souvèn ! Mai, mèstre, oh! se vesias dempièi
Lou riche crèis d' aquéu levame !
Podon n'en toumba li voulame !
N'avèn sèt rodo emé sèt liame !
— Longo-mai I o moun fiéu, respoundeguè lou vièi
MIREILLE, CHANT IV. 149
Ce Véran les gardait au pâturage. — Un jour qu'il
parcourait la Crau, — jusqu'auprès de Mireille Vé-
ran, dit-on, — poussa ses pas. Car en Camargue, —
et, jusque, là-bas, aux larges bouches — par où le
Rhône se décharge, — on disait qu'elle était belle, et
longtemps on le dira !
Il y vint fièrement, avec veste — à l'Arlésienne,
longue et blonde, — jetée sur l'épaule en guise de
manteau, — avec ceinture bariolée — comme un dos
de lézard, — et chapeau de toile cirée — où se ré-
fléchissait l'éclat du soleil.
Et lorsqu'il fut devant le maître : — « Bonjour à
vous et bien-être aussi! — Du Rhône Camarguais je
suis, dit-il, un riverain; —je suis le petit-fils du gar-
dien Pierre : — au reste, vous devez le voir, — car, au
moins vingt ans, avec ses coursiers, — mon aïeul,
le gardien Pierre, a foulé votre airée !
« Dans le marais qui nous entoure, — mon véné •
rable aïeul avait trois rodes ^^ (de coursiers)... — Il
vous en souvient ! Mais, maître, oh ! si vous voyiez,
depuis, — le riche croît de ce levain ! — Elles peu-
vent en abattre les faucilles \ — nous en avons sept
rodes et sept liens ** ! » — « Longtemps, ô mon fils,
répondit le vieillard,
150 MIRÈIO, CANT IV.
0, longo-mai n'en vegues naisse ,
E li coundugues dins lou paisse !
Ai couneigu toun grand ; e certo, acô 'ro em'éu
Uno amista de longo toco I
Mai quand pièi l'âge iious"desfioco,
A la clarta de nosto moco
Demouran en repaus, e l'amistanço, adieu!
— Es pas lou tout ! venguè lou drôle,
E noun sabès qu'èi qup vous vole :
Mai d'un cop, au Sambu, quand vènon li Craen
Querre de càrri d'apaiage,
Entandaumens que de si viage
ï'ajudan faire lou bihage,
Di chatouno de Crau arribo que parlen ;
E m'an retra vosto Mirèio
Tant de moun goust, qu'à vosto idèio
Se trouvas Veranet, voste gendre sara.
— Veranet ! Pousquèsse lou vèire
Cridè Ramoun, que de toun rèire,
De moun ami lou gardian Pèire
Lou sagatun flouri noun pou que m'ounoura !
E coume un orne que rend gràci
Au Segnour Dieu, dins lis espàci
Aubourè si dos man 'm' aquesto esclamacioun :
Mai qu'agrades à la pichoto,
(Car èi souletn e la mignoto !)
En proumierage de la doto
Lou sant toustèms t'avèngue e la benedicioun !
MIREILLE, CHANT IV. 151
« Oui, longtemps puisses-tu les voir multiplier, —
et les conduire au pâturage ! — J'ai connu ton aïeul,
et certes, c'était avec lui — une amitié de longue
main ! — Mais lorsque enfin l'âge nous glace, — à la
clarté de notre lampe ^' — nous demeurons en repos,
et les amis, adieu! »
— « Ce n'est pas tout, dit le jeune homme, — et
vous ne savez pas ce que je veux de vous : — plus
d'une fois, au Sambuc, quand viennent les gens de
Crau — quérir des chariots de litière, — pendant que
de leurs chargements — nous leur aidons à serrer la
liure, — il nous arrive de parler des fillettes de Crau.
(( Et ils m'Ont peint votre Mireille — tellement de
mon goût, qu'à votre idée — si vcus trouvez Véran,
votre gendre sera... » — « Véran !... pussé-je voir
cela 1 — s'écria Ramon, car de ton ancêtre, — de
mon ami le gardien Pierre — le rejeton fleuri ne peut
que m'bonorer ! »
Et, tel qu'un homme qui rend grâces — au Sei-
gneur Dieu, dans l'étendue — il leva ses deux mains,
en s' écriant : — « Pourvu que tu plaises à la petite,
— (car étant seule, elle est la bien-aimée!) — en
prémice de la dot, — l'éternité des saints t'advienne-
et la bénédiction ! »
152 MIRÈIO, CANT IV.
E sono quatecant sa chato,
E ie dis lèu de que se trato.
Palo subitamen, loii regard enebi,
E tremoulanto de cregnènço :
Mai vosto santo couneissènço,
le faguè 'nsin. paire, en que pènso,
Que vougués, liuen de vous, tant jouino me chabi ?
— Ve, fau que plan acô se mené,
M'avès agu di, pèr se prene !
Fau counèisse li gènt, fau n'èstre couneigu...
Eli counèisse, qu'es encaro?...
E dins la nèblo de sa caro
Subitamen pareiguè claro
Uno douço pensado. Un matin qu'a plôugu,
Se vèi ansin li flour negado
Atravès Taigo bautugado.
La maire de Mirèio aprouvè sa resoun...
E lou gardian emé 'n sourdre :
Mèste Ramoun, dis, me retire !
Car dôu mouissau, ai à vous dire
Qu'un gardian Camarguen counèis la pougnesoun.
Au mas, dins lou même estivage,
Venguè, di pàti dôu Sôuvage,
Pèr vèire la chatouno, Ourrias lou toucadou.
Dôu Sôuvage, negro, malino,
E renoumado es la bouvino...
I souleias, à la plouvino,
Souto lou batedis di glavas negadou,
MIREILLE, CHANT IV. 155
Et sur-le-champ il appelle sa fille, — et lui dit
vite ce qui se traite. — Pâle soudain, le regard in-
terdit, — et tremblante d'appréhension : — « Mais
votre sainte intelligence, — lui parla-t-elle ainsi,
père à quoi pense-t-elle, — pour vouloir, si jeune,
m'éloigner de vous?
« — Vois , il faut que lentement cela se mène, —
m'avez-vous eu dit, pour s'épouser! — Il faut con-
naître les gens, il faut en être connu... — Et les
connaître, qu'est-ce encore? »... — Et dans la brume
de son visage — soudain apparut claire — une
douce pensée. Un matin qu'il a plu.
On voit ainsi les fleurs noyées — à travers l'eau
troublée. — La mère de Mireille approuva ses pa-
roles, — et le gardien, en souriant-: — « Maître
Ramon, dit-il, je me retire ! — car du cousin, je
vous le dis, — un gardien Gamarguais connaît la
piqûre. »
Au mas, dans le courant du même été, — vint,
des pâturages du Sauvage ^*, — pour voir la jeune
fille, Ourrias ^* le toucheur. — Du Sauvage, noirs,
méchants — et fameux sont les bœufs.... — Aux
grands soleils, sous les frimas, — sous le battement
des pluies diluviennes.
154 MIRÈIO, GANT IV.
Aqui, tout soûl emé si bravo,
Ourrias tout l'an li pasquieravo.
Nascu dins la manado, abari 'mé li biôu,
Avié di biôu l'estampaduro,
E l'iue sôuvage, e la negruro,
E l'èr menèbre, e l'amo duro.
Un bihoun à la man, lou vièsti tra pèr sôu,
Quant de cop, rufe desmamaire,
D'entre li pousso de si maire
N'avié pas derraba, desteta li vedèu !
E sus la maire encourroussado
Rout de barroun uno brassado,
D'aqui que fuge l'espoussado,
Ourlanto, e revirado entre li pinatèu !
Quant de doublen e de ternenco,
Dins li ferrado Camarguenco,
N'avié pas debana! N'en gardavo, tambèn,
A l'entreciho, uno crelasso
Coume lou niéu qu'un tron estrasso ;
E lis engano e li tirasso
De soun sang regoulant s'èron tencho pèr tèm.
Èro un bèu jour de grand ferrado.
Pèr veni faire la virado,
Li Santo, Faraman, Aigui-Morto, Aubaroun,
Avien manda dedins lis erme
Cent cavalié de si pu ferme.
Aqui pamens ounte es lou terme,
E mounte un pople foui embarro un vaste round,
MIREILLE, CHANT IV. 155
Là, seul avec ses vaches, — Ourrias les paissait
toute l'année. — Né dans le troupeau, — élevé avec
les bœufs, — des bœufs il avait la structure, — et
l'œil sauvage, et la noirceur, — et l'air revêche, et
l'âme dure. — Un rondin à la main, le vêtement jeté
par terre,
Combi«i de ibis, rude sevreur, — des mamelles
de leurs mères — n'avait-il pas arraché, sevré les
veaux ! — et sur la mère en courroux — rompu de
gourdins une brassée, — jusqu'à ce qu'elle fuie
l'orage de coups, — hurlante, et retournant la tète
entre les jeunes pins '
Combien de bouvillons et de génisses ", — dans
les fen^ades " Camarguaises, — n'avait-il pas ren-
versés par les cornes ! Aussi en gardait-il, — entre
les sourcils, une balafre — pareille à la nuée que la
foudre déchire ; — et les salicornes et les traî-
nasses — de son sang ruisselant s'étaient teintes
jadis.
C'était un beau jour de grande ferrade. — Pour
rassembler (les bœufs), — les Saintes, Faraman,
Aigues-Mortes, Albaron **, — avaient envoyé dans
les friches — cent cavahers de leurs plus fermes. —
Cependant au lieu déterminé, — où un peuple en dé-
lire enferme un vaste cirque,
150 MIRÈIO, GANT IV.
Destrassouna dins la sansouiro,
Âcoussegui de la fichouiro
Que ie tanco au galop lou bouiènt toucadoii,
A courso folo, tau e tauro
Yenien coume un brounsimen d'auro,
En escrachant sagno e centauro,
Venien de s'acampa, 1res cent, au marcadou.
La troupelado banarudo
S'aplanto, espavourdido e mudo.
Mai, l'armo dinsli costo, à coucho d'esperoun.
Très les encaro ie fan batre
Lou virouioun de l'anfitiatre,
Coume lou chin après lou maire,
Coume après li ratié l'aiglo dôu Luberoun.
Quau lou creirié? de sa cavalo,
Contro l'usage, Ourrias davalo.
( porto de l'areno amoulouna, li biôu
Terriblamen subran s'esbrandon,
E dins l'areno lèu s'alandon
Cinq bouvachoun, que sis iue brandon,
E que traucon lou cèu de si fier cabassôu !
Coume lou vent Ourrias s'abrivo,
Coume lou vent après li nivo,
Li secuto à la courso, à la courso li poun;
Quouro à la courso li davanço,
Quouro li coto emé la lanço,
A l'endavans quouro ie danso,
Quouro li remouchino emén dur cop depoung.
MIREILLE, CHANT IV. 457
Éveillés en sursaut dans la plaine salée, — pour-
suivis du trident — dont les perce au galop le bouil-
lant toucheur, — à course folle, taureaux et taures
— venaient, comme un rugissement de vent, — en
écrasant typhas et centaurées, — venaient de se ras-
sembler trois cents, au lieu du marquement.
La multitude cornue — s'arrête, effarée, muette.
— Mais, l'arme dans les côtes, à hâte d'éperon, —
trois fois encore ils lui font parcourir — le circuit
de l'amphithéâtre, — tels que le chien après la
martre, — tels que l'aigle du Luberon " après les
crécerelles.
Qui le croirait? de sa cavale, — contre la coutume,
Ourrias descend. — Aux portes de l'arène agglomé-
rés, les bœufs — terriblement soudain s'ébranlent, —
et dans l'arène promptement s'élancent — cinq bou-
villons dont les yeux flamboient — et qui percent le
ciel de leurs têtes superbes !
Comme le vent Ourrias se précipite; — comme le
vent après les nues, — il les poursuit à la course, à
la course les pique^ — à la course tantôt les devance,
— tantôt de sa lance les heurte, — tantôt danse devant
eux, — tantôt les gourmande d'un vigoureux coup
de poing.
U
158 MIRÈIO, CANT IV.
Ai ! tout lou pople di man pico :
Ourrias, blanc de pôusso oulimpico,
Pèr li bano, à la courso, à la fin n'a près un,
E tèsto e mourre, e forço à forço !
Vôu desclava si bano torso,
Lou nègre moustre, e se bidorso,
E bramo de furour, e niflo sang e fum.
Vano furour ! bound inutile '
Lou bouvatié, d'un cop sutile,
Amourro à soun espalo, en ie troussant lou côu,
L'orro testasso dôu bestiàri ;
E rudamen e pèr countràri
Butant la bèsti, coume un barri
E crestian e bestiau barrulon pèr lou sôu.
Uno esglaiado cridadisso
Estrementis li tamarisso :
Bon ome, Ourrias ! bon ome !... E cinq drôle espalu
Tenien lou brau. De soun empèri
Pèr ie marca lou batistèri,
Ourrias eu -même pren lou fèrri, 1
E' mé lou fèrri caud ie rimo lou malu.
Un vôu de fiho d'Arle, en sello, ^
Emé lou sen que ie bacello,
Enflourado au galop de si cavalot blanc,
Vènon i'adurre uno grand bano,
Raso de vin ; e dins la piano,
Zôumai ! lou fouletoun s'esvano....
Un vôu de cavaliè li seguisson, brûlant.
I
MIREILLE, CHANT IV. 159
Aïe! tout le peuple bat des mains : — Ourrias,
blanc de poussière olympique, — par les cornes, à
la course, enfin en a pris un, — et tête et mufle, et
force à force ! — Il veut dégager ses cornes retrous-
sées, — le noir monstre, et il tord sa croupe, — et
mugit de fureur, et renifle sang et fumée.
Vaine fureur ! inutiles bonds ! — Le bouvier, d'un
coup subtil, — appuie à son épaule, en lui tordant
le cou, — l'horrible tète de la brute ; — et rude-
ment et en sens contraire — poussant la bête,
comme un rempart — chrétien et bête roulent par
terre.
Une clameur frénétique — fait trembler les tama-
ris : « Bon homme! Ourrias! bon homme! » Et cinq
gars aux larges épaules — tenaient le taureau : de
son triomphe — pour lui marquer le baptistère, -
Ourrias lui-même prend le fer, — et avec le fer
chaud, il lui brûle la croupe.
Un vol de filles d'Arles, en selle, — le sein forte-
ment agité, — empourprées au galop de leurs haque-
nées blanches, — viennent lui apporter une grande
corne — rase de vin ; et dans la plaine, — alerte ! le
tourbillon de nouveau s'évapore; — un vol de cava-
liers les suivent, brûlants.
160 MIRIÈIO, CAM IV
Ourrias vèi que biôu à-n-abalre..
E n'en demoro encaro quatre ;
Mai coume lou daiaire es à toumba lou fen
Tant mai ardent que mai n'en rèsto^
I durs esfors de la batèsto
Sèmpre que mai eu tenié tèsto,
E de quatre animau despouderè li ren.
Taco de blanc, bano superbo,
Lou querestavo toundié l'erbo...
— Ourrias ! n'i'aproun! n'i'aproun ! tôuti li vièi vaquié
le cridèron. Vano restanco !
Contre lou brau di taco blanco,
Lou ficheiroun pausa sus l'anco,
Relent, despeitrina, déjà se bandissié.
Zan ! coume en plen mourre l'encapo,
Lou ficheiroun volo en esclapo.
L'atroço pougneduro endemounio lou brau ;
Lou toucadou ie sauto i bano ,
Parton ensèn, e de la piano
Ensèn afoudron lis engano.
Sus si lôngui fourquello apiela d'à chivau,
Li vaquié d'Arle e d'Aigui-Morto
Tenien d'à ment la lucho forte :
A vincre, tôuti dous furoun, acarnassi,
L'ome doumtant lou biôu bramaire,
Lou. biôu empourtant lou doumtaire,
E'm'un lengau escumejaire
Lipant, tout en courrènt, soun mourre ensaunousi.
MIREILLE, CHANT IV. 161
Ourrias ne \oit que bœufs à terrasser — Qua-
tre restaient encore ; — mais, comme le faucheur,
à abattre le foin, — est d'autant plus ardent qu'il
en reste davantage, — aux durs efforts du combat
— de plus en plus il tenait tête, — et de quatre
animaux il énerva les reins.
Taches de blanc, cornes superbes, — le dernier
tondait le gazon. — « Ourrias ! assez ! assez ! » tous
les vieux vachers — lui crièrent. Vaine écluse ! —
Sur le taureau aux blanches taches, — le trident
posé sur la hanche, — moite de sueur, la poitrine
nue, il fondait déjà.
Zan ! comme il l'atteint en plein mufle, — le tri-
dent vole en éclats ; — l'atroce blessure rend le tau-
reau démoniaque ; — d'un bond le toucheur le saisit
aux cornes ; — ils partent ensemble, et de la plaine
— ravagent ensemble les salicornes. — A cheval,
appuyés sur les longues (hampes) de leurs aiguil-
lons,
Les vachers d'Arles et d'Aigues-Mortes — contem-
plaient la forte lutte : — pour la victoire, tous deux
furieux, acharnés, — l'homme domptant le bœuf qui
mugit, — le bœuf entraînant le dompteur, — et
d'une langue épaisse, écumeuse, — léchant à la
course son mufle ensanglanté.
14
16S MTRÈIO, CANT IV
Misericôrdi ! lou biôu gagno!
Coume uno \ilo rastelagno,
L'orne i'a darbouna davans, dôu vanc qu'avié...
— Fai lou mort ! fai lou mort ! — En terro
Lou biôu 'mé si pivèu l'aferro,
E, dins lis èr, sa tèsto fèro '
A sèt cano d'autour lou bandis à l'arrié !
Uno esglaiado cridadisso
Estrementis li tamarisso....
Alin liuen lou pauras vai toumba d'abouchoun,
Amaluga. Dempièi pourtavo
La creto que lou descaravo.
Sus la cavalo que mountavo,
Venguè donne vers Mirèio, arma de soun pounchoun.
Aquéu matin, la piéuceleto
Èro à la font touto souleto ;
Avié 'stroupa si mancho emè soun coutihoun
E netejavo li fiscello
Em' la counsôudo fretarello.
Santo de Dieu ! coume èro bello,
Quand dins lou sourgènt clar gafavon si petoun !
Ourrias faguè : Bonjour, la bello !
Bèn ? refrescas vôsti fiscello ?
A-n-aquéu sourgènt clar, se vous fasié pas mai,
Abéurariéu mabèsti blanco.
— Oh ! n'es pas l'aigo, eici, que manco,
Respoundeguè : dins la restanco
Poudès la faire béure, autant coume vous plai.
MIREILLE, CHANT IV. 465
Miséricorde ! le bœuf l'emporte ! — Comme une
vile râtelée — l'homme a roulé devant lui, entraîné
par l'élan — « Fais le mort ! fais le mort! » De
terre — avec ses pointes le bœuf l'enlève, — et dans
les airs, sa tète farouche — à sept cannes de haut
le lance en arrière !
Une clameur frénétique — fait trembler les ta-
maris — Au loin le malheureux va tomber, la
face contre terre, — brisé. Il portait depuis (lors) —
la cicatrice qui le défigurait. — Sur la cavale qu'il
montait, — il vint donc chez Mireille, armé de sa
pique.
Cette matinée-là, la jeune vierge — était seulette
à la fontaine ; — elle avait retroussé ses manches et
son jupon, — et nettoyait les éclisses*" — avec la
prêle polisseuse. — Saintes de Dieu! qu'elle était
belle, — guéant ses petits pieds dans la source
claire !
Ourrias dit : « Bonjour, la belle ! — Eh bien !
vous rincez vos échsses ? — A cette source claire,
si vous le permettiez, — j'abreuverais ma bête blan-
che. » — « Oh! l'eau ne manque pas, ici, — répon-
dit-elle : dans l'écluse — vous pouvez la faire boire,
— autant qu'il vous plaît. »
1C4 MIRÈIO, CANT IV.
— Bcllo, digue l'onfant sôuvage,
Se, pèr mariage o roumavage,
Venias à Séuvo riau, onnte la rnar s'entend,
Bello, n'aurias pas tant de peno ;
Car la vaco de negro meno,
Libro e feroujo, se permeno,
E jamai noun se mous, e li femo an bèu tèm.
— Jouvèiit, mounte li biôu demoron,
De languimen li cliato moron.
— Bello, de languimen, en estent dous, n'i'a ges !
— Jouvènt, quau eilalin s'esmarro,
Dison que béu une aigo amaro,
E lou soulèu i'usclo la caro. .
— Bello, souio li pin à l'oumbro vous tendres.
— Jouvènt, dison qu'i pin i'escalo
De tourtouioun de serp verdalo !
— Bello, avèn li flamen, avèn li serpatié
Qu'en desplegant soun mantèu rose
le fan la casso, long dôu Rose
— Jouvènt, escoutas (que vous crose),
Soun trop liuen, vôsti pin, de mi Mabreguiè.
— Bello, entre capelan e fiho,
Noun podon saupre la patrio
Ounte anaran, se dis, manja soun pan un jour.
— Mai que lou linanje cmê quau ame,
Jouvènt, rèn autre noun reclame
Pèr que de moun nis me desmame.
— Bello, s'acô's ansin, dounas-me voste amour I
MIREILLE. CHANT IV. 165
— « Belle, dit le sauvage enfant, — si comme
épouse ou pèlerine, — vous veniez à Sylvaréal'S où
l'on entend la mer, — belle, vous n'auriez pas tant
de peine ; — car la vache de race noire — se pro-
mène, libre et farouche, — et jamais on ne la trait,
et les femmes ont du bon temps. »
— « Jeune homme, au pays des bœufs, — d'en-
nui les jeunes filles meurent. » — « Belle, d'ennui,
quand on est deux , il n'en est pas !» — « Jeune
homme, qui s'égare dans ces contrées lointaines —
boit, dit-on, une eau amère, — et le soleil lui brûle
le visage. .. » — « Belle, sous les pins vous vous tien-
drez à l'ombre. »
— « Jeune homme, on dit qu'il monte aux pins —
des tortis de serpents verdâlres !» — « Belle, nous
avons les flamants, nous avons les hérons — qui,
déployant leur manteau rose, — leur font la chasse,
le long du Rhône. » — « Jeune homme, écoutez (que
je vous interrompe !), — ils sont trop loin, vos pins,
de mes micocouliers. »
— « Belle, prêtres et filles — ne peuvent savoir
la patrie — où ils iront, dit le proverbe, manger
leur pain un jour. » — « Pourvu que je le mange
avec celui que j'aime, — jeune homme, je ne ré-
clame , rien de plus — ■ pour me sevrer de mon \
nid. » — « Belle, s'il en est ainsi, donnez-moi votre
amour ! » <
{66 MIRÊIO, CANT IV.
— Jouvènt, l'aurés, digue Mirèio ;
Mai 'quèli pianto de ninfèio
Pourtaran peravans de rasin couloumbau'
A-uperavans vosto fourcolo
Jitara flour ; aquéli colo
Coume de clro vendran molo,
E s'anara pèr ai^o ft h vik) di Bav >
MIREILLE, CHANT IV. 161
— « Jeune homme, vous l'aurez, dit Mireille. —
Mais ces plantes de nymphsea — porteront aupa-
ravant des raisins colombins! — auparavant votre
trident — jettera des fleurs ; ces collines — s'amol-
ont comme la cire, — et l'on ira par mer à la ville
'lui? ' »
NOTES
DU CHANT QUATRIÈME
* Martigue [Martegue]. (Voyez Chant I, note 12.)
Sicelande (sicelando), espèce de bateau.
- Paillole (paiolo), espèce de grand filet à mailles étroites.
^ Lac d'Entressen {clar d'Entressèn), dans la Crau.
* Bessonnière [bessouniero), brebis qui met bas des jumeaux.
' Un portique, avec un tombeau, qui supporte deux généraux de
pierre.
A une demi-heure de Saint-Remy, au pied même des Alpines,
s'élèvent, à côté l'un de l'autre, deux beaux monuments romains.
L'im est im arc de triomphe, l'autre un magnifique mausolée con-
struit sur trois étages, orné de riches bas-reliefs, et surmonté d'un
gracieux campanile, que soutiennent dix coloimes corinthiennes à
travers lesquelles se montrent debout deux statues. Ce sont les
derniers vestiges de Glanum, colonie marseillaise détruite par les
barbares.
s Crépuscule [ahour, àwpt'a, heure indue, nuit profonde) .
"^ Le Sambuc [lou Sambu), hameau du territoire d'Arles, dan*
l'île de Camargue.
* Cabridelle (Cabridello). (Voyez Chant I, note 44.)
8 La Camargue {la Catnargo) , vaste delta formé par la bifurcation
du Rhône. Cette île, qui s'étend depuis Arles jusqu'à la mer, contient
soixante-quatorze mille sept cent vingt-sept hectares de superficie.
L'immensité de ses horizons, le silence grandiose de ses plaines
unies, son étrange végétation, son mirage, ses étangs, ses essaims
de moustiques, ses grands troupeaux de bœufs et de chevaux sau-
vages, étonnent le voyageur et font penser aux pampas de l'Amé-
rique du Sud. (Voyez Chant X.)
*" Le Vaccarés {lou vacarés], dans l'île de Camargue , est un
Vaste ensemble de marécages, d'étangs salés et de lagunes. Va-"
carës est formé du mot vaco et de la désinence provençale ares,
NOTES DU CHAÎST IV. 169
qui indique la réunion, la généralité. Il signifie un lieu où sont de
nombreuses vaches. C'est ainsi que de vigno, vigne, barco, barque,
rilfo, rive, on a fait vtgnarés, vignoble, barcarés, flotte, ribeirés,
nvage.
" Rodes {jrodo). La race sauvage des chevaux camargues est em-
ployée au foulage des gerbes. Ces animaux se comptent par rode
(roue, cercle). La rode est composée de six liens [liame] ; le lien
est une paire, la rode contient par conséquent douze chevaux
** Lien [liame). (Voyez la note précédente.)
" A la clarté de notre lampe [à la clarta de nostro moco). La
moco est un tronçon de roseau qu'on suspend dans les mas aux
solives de la salle à manger. Elle porte la lampe romaine appelée
calèu.
** Le Sauvage [lou Sauvage), vaste contrée déserte, nommée
aussi petite Camargue, circonscrite au levant par le petit Rhône,
qui la sépare de la grande Camargue, au midi par la Méditerra-
née, au couchant et au nord par le Rhône mort et le canal d'At-
gues-Mortes. C'est le principal séjour des taureaux noirs sauvages.
*^ Ourrias, forme, provençale du nom propre Elzéar.
*^ Combien de bouvillons et de génisses [quant de doublen e de
temenco). Unbouvillon d'un an s'appelle en provençal un anouble;
de deux ans, un doublen; de trois ans, un ternen. Une ternenco
est une génisse de trois ans.
" Ferrade [ferrado) , opération pastorale qu'on célèbre à Arles
avec beaucoup d'appareil, et qui consiste à réunir tous les jeunes
bœufs dans un espace déterminé, pour les marquer au chiffre du
propriétaire avec un fer rouge.
'* Les Saintes [li Santo) (voyez Chant I, note 15). — Faraman,
Albaron [Faraman , Aubaroun), hameaux de la Camargue. — Ai-
gues-Mortes (Gard) , [Aigui-Morto.) C'est dans le port de cette ville
que saint Louis s'embarqua deux fois pour la Terre sainte. Fran-
çois l"' et Charles-Quint y eurent une entrevue en 1539.
*9 Luberon [Luberoun). (Voyez Chant III, note 12.)
*o Èclisse, [ftsœllo), faisselle, vase de terre dont le fond est
percé de petits trous, destiné à lormer et à faire égoutter les fro
mages Fiscello, du latin (Iscella, même signification
** Sylvaréal [Séuvo-riau], forêt de pins-parasols, située dans la
petite Camargue (Voyez ci-dessus, note 14.). Un petit fort, coi>-
struit dans ces parages pour protéger la navigation, domine cette,'
île. et porte aussi le nom de fort de Syh;n énl.
13
CANT CINQUEN
LA BATESTO
Lou bouvatié s'entorno, furious dôu refus de Mirèio. — Calignage
de Mirèio emé Vincèn. — L'erbo di frisoun. — Ourrias rescontro
Vincenet, e brutalamen le cerco reno. — Li prejit : Jan de l'Ourse.
— Mourtalo batèsto di dous rivau dins la Crau vasto. — Vitori e
generouseta de Vincenet. — Traitesso dôu toucadou. — Ourrias
trauco Vincèn d'un cop de ficlieiroun, e fugis au galop de sa ca-
valo. — Arribo au Rose. — Li très barquié fantasti. — Lou batèu
s'enarco souto lou pes de l'assassin. — La niue de sant Medard :
proucessioun di negadis sus lou dougan dôu flum. — Ourrias
s'aproufoundis. — Danso di Trèvo sus lou pont de Trincataio.
L'oumbro dis aubo s'aloungavo ;
La Ventoureso boulegavo ;
Lou soulèu avié 'ncaro un parèu d'ouro d'aut ;
E li bouié que labouravon
Vers lou soulèu se reviravon
De tèms en tèms, car desiravon
Lou retour dôu seren, e si femo au lindau.
Lou toucadou se retournavo :
Dins sa cabesso remenavo
L'escorno que venié de reçaupre à la font.
Sa tèsto èro destiinbourlado,
E de sa ràbi recatado
De lèins en tèms li lancejado
le jilavon lou sang e la vergougno au front.
I
CHANT CINQUIÈME
LE COMBAT
Le bouvier s'en retourne, funeux du refus de Mireille. — Les amours
de Vincent et de Mireille. — La Vahsneria sptralis. — Rencontre
d'Ourrias et de Vincent. — Brutale agression du bouvier. — Les
invectives : Jean de l'Ours. — Combat à mort des deux rivaux dans
la Crau déserte. — Victoire et générosité de Vincent. — Félonie du
toucheur. — Ourrias perce Vincent d'un coup de trident et fuit au
galop de sa cavale. — Il arrive au Rhône. — Les trois bateliers
fantastiques. — La barque se révolte sous le poids de l'assassin.
— La nuit de Saint-Médard ; procession des noyés sur la rive du
fleuve. — Ourrias est englouti. — Danse des Trêves sur le pont de
Trinquetaille.
L'ombre des peupliers blancs s'allongeait ; — la
brise du Ventour remuait ; — le soleil avait encore
une couple d'heures de haut ; — et les laboureurs
— se retournaient vers le soleil — de temps en
temps, car ils désiraient — le retour du serein et (la
vue de) leurs femmes sur le seuil.
Le toucheur s'en allait : — il roulait dans son
esprit — l'affront qu'il venait de recevoir à la fon-
taine. — Sa tête était bouleversée, — et de temps à
autre, les élancements — de sa rage concentrée —
lui jetaient au front le sang et la honte.
172 MTRÈIO, GANT V.
E tout en lampant dins li terro,
Remiéutejavo sa coulèro ; •
E de l'aspre despié que ie gounflo soun lèu,
I code que la Crau n'es pleno
Coume un bouissoun de sis agreno,
Pèr se batre aurié cerca reno !
Aurié de soun pounchoun fichouira lou soulèu !.
Un porc-singlié que de sa tousco
An fa parti, e que tabousco
Sus li moure désert de l'Oulimpe negras,
Avans de courre sus li chino
Que lou secuton, revechino
Lou rufe peu de soun esquino,
En amoulant si pivo i pèje di blacas.
A l'endavans dôu gardo-vaco
Que lou mourbin pounchouno e maco,
Dins lou même draiôu lou bèu Vincèn venié
E dins soun amo risouleto,
Revassejavo i parauleto
Que l'amourouso piéuceleto
1 avié dicho un matin dessouto l'amourié.
Dre coume un canié de Durènço,
Eu caminavo ; e de plasènço,
Ë de pas, e d'amour clarejavon sis èr;
L'aureto molo s'engourgavo
Dins sa camiso que badavo ;
Dins li coudelet caminavo,
Descaus, e lôugeret, e gai coume un lesert.
i
I
MIREILLE, CHANT V. 17S
Et, tout galopant dans les terres, — il grommelait
son courroux ; — et de l'àpre dépit qui gonfle son
poumon, — aux cailloux dont la Crau est pleine —
comme un buisson l'est de prunelles, — pour se
battre, il eût cherché noise ; — il eût de son trident
percé le soleil!...
Un sanglier qu'on a relancé dans ses broussailles,
et qui court — sur les mamelons déserts du sombre
Olympe *, — avant de fondre sur les chiennes —
qui le pourchassent, hérisse — le rude poil de son
dos, — en aiguisant ses défenses aux troncs des
chênes. ! ':
:) w
A la rencontre du vacher — que le ressentiment
aiguillonne et meurtrit, — dans le même sentier ve-
nait le beau Vincent ; — et, dans son âme souriante,
^ il rêvait des douces paroles — que l'amou-
reuse vierge, — un matin, sous le mûrier, lui avait
dites.
Droit comme une cannaie de Durance, — il che-
minait; et de bonheur, — et de paix, et d'amour
rayonnaient ses traits ; — la brise molle s'engouf-
frait — dans sa chemise béante; — il cheminait
dans les galets, — pieds nus, léger, et gai comme
un lézard.
15
174 MIRÈIO, GANT V.
Souvènti-fes, à l'ouro fresco
Ounte la terro s'enmouresco,
Alor que dins li prat li fueio de tréulôun
Se replegon afrejoulido,
Is alentour de la bastido
Ounte restavo la poulido,
Venié, tout treboula, faire lou parpaioun.
E d'escoundoun, emé'n fin gàubi,
Dôu lucre d'or o dôu reinàubi,
Imitavo de liuen lou canta dindoulet :
La jouveineto afeciounado
Qu'a lèu coumprés quau l'a sounado,
Venié lèu à la bouissounado,
Cauta-cauto, e lou cor douçamen tremoulet.
E lou clar de luno que dono
Sus li boutoun de courbo-dono ;
E l'aureto d'estiéu que frusto, à jour fali,
L'auto barbeno dis espigo,
Quand, s3uto la molo coutigo,
En milo e milo rigo-migo
Se fringouion d'amour coume un sen trefouli ;
E la joio desmcmouriado .
Qu'a lou chamous, quand à si piado
Tout un jour a senti, dins li ro dôu Queiras,
Li cassairè que lou fan courre,
E qu'à la longo sus un moure
Escalabrous coume uno tourre,
Se vèi soûl, dins li mêle, au mitan di counglas
MIREILLE, CHANT V. 175
Maintes fois, à l'heure fraîche — où la terre se
voile d'ombre, — alors que dans les prés les feuil-
les de trèfle — se replient, frileuses, — aux alen-
tours de la bastide — où restait la belle, — il venait,
tout troublé, faire le papillon
Et en cachette, habilement, — du lucre d'or ou du
motteux — il imitait de loin le chant grêle : — la
jeune fille ardente, — qui a vite compris qui l'appelle,
— venait vite à la haie d'aubépine, — furtivement,
et le cœur doucement agité.
Et le clair de lune qui donne — sur les boutons de
narcisse ; — et la brise d'été qui frôle, au jour tom-
bant, — les hautes barbes des épis, — quand, sous
le mol chatouillement, — en mille et mille ondula-
tions — ils se trémoussent d'amour, comme un sein
qui tressaille ;
Et la joie éperdue — qu'éprouve le chamois, lors-
qu'à ses traces — il a senti tout un jour, dans les
rocs du Queyras *, — les chasseurs qui le poursui-
vent, — et qu'enfin, si;r un pic — escarpé comme
une tour, — il se voit seul, dans les mélèzes, au mi-
lieu des glaciers ;
176 MIRETO, GANT V.
N'es qu'uno eigagno, en coumparanço
Di moumenet de benuranço
Que passavon alor e Mirèio Vincèn...
Mai parlen plan, o mi bouqucto,
Que li bouissoun an d'auriheto !
Esc<;undu dins l'oumbro caieto,
Si man d'à pau à pau se mesclavon ensèn.
Pièi se teisavon de long rode,
E si pèd turtavon li code ;
E tantost, noun sachent que se dire autramen,
Lou calignaire nouvelàri
Countavo en risènt lis auvàri
Que i'arribavon d'ourdinàri :
E li niue que dourmié souto lou fiermamen,
E di chin de mas li dentado
Contre sa cueisso enca crelado.
E Mirèio, tantost, de la vueio e dôu jour
le racountavo sis oubreto,
E li prepaus de sa maireto
Emé soun paire, e la cabreto
Qu'avié desverdega touto uno ti^ibo en flour.
Un cop Vincèn fugue plus mèstre :
Sus l'erbo rufo dôu campèstre
Coucha, coume un cat-fèr, venguè de rebaloun
Toucant h pèd de la jouineto...
Mai parlen plan, o mi bouqueto,
Que li bouissoun an d'auriheto !
— Mirèio ! acordo-me que te fague un poutoun !
MIREILLE, CHANT V 177
Ce n'est qu'une rosée, au prix — des courts mo-
ments de félicité — que passaient alors et Mireille et
Vincent... — Mais parlons bas, mes lèvres, — car
les buissons ont des oreilles ! — Cachés dans l'ombre
pie, — leurs mains, petit à petit , se mêlaient en-
semble.
Ensuite, ils se taisaient de longs intervalles, — et
leurs pieds heurtaient les cailloux ; — et tantôt, ne
sachant se dire autre chose, — l'amant novice —
contait en riant les mésaventures — qui lui arri-
vaient d'ordinaire : — et les nuits qu'il dormait sous
le firmament,
Et les dentées des chiens de ferme — dont sa
cuisse portait encore les cicatrices. — Tantôt Mireille,
de la veille et du jour, — lui racontait ses petits tra-
vaux, — et les propos de sa mère — avec son père,
et la chèvre — qui avait ravagé toute une treille en
fleur.
Une fois Vincent ne fut plus maître : — sur l'herbe
rude de la lande — couché, tel qu'un chat sauvage,
il vint en rampant — jusqu'aux pieds de la jouven-
celle... — Mais parlons bas, mes lèvres, — car les
buissons ont des oreilles !.. — « Mireille 1 accorde-
moi de te faire un baiser •
178 MIRËIO, CAÎIT V
Mirèio, dis, manje ni beve,
De l'amour que de tu receve !
Mirèio ! voudriéu estrema dins moun sang
Toun alen que lou vent me raubo !
A tout lou mens, de l'aubo à l'aube,
Rèn que sus l'orle de ta raubo
Laisso-me que me viéute en la poutounejant !
— Vincèn ! acô's un pecat nègre !
E li bouscarlo emé li piegre
Van pièi di calignaire esbrudi lou secret.
— Agues pas pôu que se n'en parle,
Que iéu deman, ve, desbouscarle
Touto la Crau enjusqu'en Arle '
Mirèio ! vese en tu lou paradis escrèt '
Mirèio, escouto : dins lou Rose,
Disié lou fièu de Mèste Ambrose,
l'a'no erbo, que nouman l'er&eîo di fnsoun;
A dos floureto, separado
Bènsus dos planto, e retirado
Au founs dis oundo enfresqueirado.
Mai quand vèn de l'amour pèr éli la sesoun,
Uno di flour, touto souleto,
Mounto sus l'aigo risouleto,
E laisse, au bon soulèu, espandi seun beuteun ,
Mai, de la vèire tant poulide,
l'a l'autre flour qu'èi trefoulido,
E la vesès, d'amour emplido.
Que nade tant que pôu pèr ie faire un peuloun.
MIREILLE, CHANT V. 179
•r Mireille ! dit-il, je ne mange ni ne bois, — telle-
ment tu me donnes d'amour ! — Mireille ! je voudrais
enfermer dans mon sang — ton haleine que le vent
me dérobe ! — A tout le moins, de l'aurore à l'au-
rore, — seulement sur l'ourlet de ta robe — laisse
que je me roule en la couvrant de baisers I »
— « Vincent ! c'est là un péché noir ! — et les
fauvettes et les pendulines — vont ensuite ébruiter le
secret des amants. » — « N'aie pas peur qu'on en
parle, — car moi demain, vois-tu, je dépeuple de fau-
vettes — la Crau entière jusqu'en Arles ! — Mireille '
je vois en toi le paradis pur !
« Mireille, écoute : dans le Rhône, — disait le fils
de maître Ambroise, — est une herbe que nous nom-
mons Y herbette aux boucles^ ; — elle a deux fleurs,
bien séparées — sur deux plantes, et retirées — au
fond des fraîches ondes. — Mais quand vient pour
elles la saison de l'amour,
« L'une des fleurs, toute seule, — monte sur l'eau
rieuse, — et laisse au bon soleil, épanouir son bou-
lon ; — mais, la voyant si belle, — l'autre fleur tres-
saille, — et la voilà, pleine d'amour, — qui nage
tant qu'elle peut pour lui faire un baiser.
180 MIREIO, GANT V.
E, tant que pôii, se desfrisouno
De l'embuscun que l'empresouno,
D'aqui, pauretô! que roumpe soun pecoulet;
E libro enfin, mai mourtinello,
De si bouqueto palinello
Frusto sa sorre blanquinello...
Un poutoun, pièi ma mort, Mirèio ! . . . e sian soulet ,
Elo èro palo ; eu pèr délice
La miravo... Dins soun broulice,
Coume un cat-fèr s'enarco, alor, e vitamen
De soun anqueto enredounido
La chatouneto espavourdido
Vôu escarta la man ardido
Que déjà l'encenturo ; eu tournamai la pren....
Mai parlen plan, o mi bouqueto,
Que li bouissoun an d'auriheto !
— Fenisse ! elo gémis, e lucho en se toursènt ;
Mai d'uno caudo caranchouno
Déjà lou drôle l'empresouno,
Gauto sus gauto... La chatouno
Lou pessugo, se courbo, e s'escapo en risènt.
E' m* acô pièi la belugueto
De liuen en se trufant : Lingueto !
Lingueto ! le cantavo.... Es ansin, éli dous,
Que semenavon à la bruno
Soun blad, soun poulit blad de luno,
Mauiio flourido, ur de fourluno
Qu'i pacan coume i rèi Diùu li mando aboundous.
J
MIREILLE. CHANT V. 181
« Et, tant qu'elle peut, elle déroule ses boucles
— (hors) de l'algue qui remprisonne, — jusqu'à
tant, pauvrette ! qu'elle rompe son pédoncule ; — et
libre enfin, mais mourante, — de ses lèvres pâlies —
elle effleure sa blanche sœur... — Un baiser, puis
ma mort, Mireille!... et nous sommes seuls! »
Elle était pâle; lui, avec délices, — l'admirait...
Dans son trouble, — tel qu'un chat sauvage il se
dresse alors, et promptement — de sa hanche ar-
rondie — la fillette effarouchée — veut écarter la
main hardie — qui déjà lui ceint la taille ; il la saisit
de nouvea\i...
Mais parlons bas, ô mes lèvres, — car les buissons
ont des oreilles!... — « Laisse-moi! )) gémit-elle, et
elle lutte en se tordant. — Mais d'une chaude ca-
resse — déjà le jeune homme l'étreint, — joue
contre joue ; la fillette — le pince, se courbe, et s'é-
chappe en riant.
Et puis après, vive — et moqueuse, elle lui chan-
tait de loin : Lingueto ! lingueto^ ! — Ainsi eux deux
— semaient au crépuscule — leur blé, leur joli blé
de lune ", — manne fleurie, heur fortuné — qu'aux
manants comme aux rois Dieu envoie en abondance.
182 MIREIO, CANT V.
Un vèspre dounc, en la Crau vasto,
Lou bèu trenaire de baiiasto
A l'endavans dOurrias venié dins lou draiôu.
Lou tron d'uno chavano acipo
Lou proumier aubre que lou pipo,
E, l'iro bourroulant si tripo,
Veici coume parle lou doumtaire de biôu :
— Es belèu tu, fiéu de baudrèio,
Que l'as enclauso, la Mirèio ?
En tout cas, o 'speia, d'abord que vas d'alin,
Digo-ie'n pau que m'enchau d'elo '
E de soun mourre de moustelo,
Pas mai que dôu vièi tros de telo
Que te cuerbe la peu I... l'auses, bèu margoulin?
Vincenet ressautè ; soun amo
Se revihè coume la flamo ;
Soun cor ie boumbiguè coume un fio grè que part
— Panto ! vos dounc que te coustible,
E que moun arpo en dous te gible?
le fai en l'alucant, terrible
Coume quand, afama, se reviro un léupard.
E de soun iro li trambleto
Fasien ferni si carviôuleto.
— Sus la gravo, dis l'autre, anaras mourreja!
Car, as li man trop mistoulino,
E noun sies bon, raubo-galino,
(jue pèr gibla'n brout d'amarino,
Pèr camina dins l'oumbro, e pèr gourrineja !
r
I
MIIIEILLE, CHANT V. 185
Un soir donc, dans la vaste Crau, — le beau tres-
seur de bannes, — à la rencontre d'Ourrias, venait
dans le sentier. — La foudre d'un orage frappe — le
premier arbre qui l'attire, — et, les entrailles boule-
versées par la colère, — voici comme parla le domp-
teur de bœufs :
«'C'est toi peut-être, fils de prostituée, — qui l'as
ensorcelée, la Mireille ? — En tout cas, 6 déguenillé,
puisque tu vas devers là-bas, — dis-lui donc que je
ne me soucie d'elle — et de son museau de belette —
pas plus que du vieux lambeau de toile — qui te
couvre la peau!... entends-tu, beau marjolet? »
Vincent tressaillit ; son âme — se réveilla comme
la flamme ; ~ son cœur bondit comme un feu gré-
geois qui s'élance : — « Rustre, veux-tu donc que je
t'éreinte, — et que ma griffe en deux te ploie ?» —
lui dit -il avec un regard terrible — comme (celui d')
un léopard qui, affamé, retourne (la tète).
Et de sa colère le tremblement — faisait frémir
ses cbairs violettes. — « Sur le gravier, repartit l'au-
tre, tu iras rouler par tête ! — car tes mains sont
trop débiles, — et tu n'es bon, vil maraudeur, — que
pour ployer un brin d'osier, — pour cheminer dans
l'ombre, et pour vagabonder! »
184 MIP.EIO, CANT V.
— 0, coume torse l'ainarino,
Respond Vincèn qu'eiçô 'nverino,
Vaii torse toim galet!... Ve ! ve ! fuge, se pos,
Fuge, capoun, qu'ai la maliço!
Fuge, 0, Sant Jaque de Galiço !
Reveiras plus ti tamarissn,
Car vai, 'questpoung de ferre, embreniga tis os!
Mereviha de trouva 'n oiile
Sus quau enfin sa ràbi gome :
— Un moumen ! ie respond lou vaquié regagnous,
Un moumenet, moun jouine tôchi,
Qu'abren la pipo ! . . . E de sa pôchi
Tiro un boursoun de peu de bôchi,
E'n nègre cachimbau qu'embouco ; e desdegnous ;
— Quand te bressavo au pèd d'un ourse,
T'a jamai counta Jan de l'Ourse,
Ta bôumiano de maire? à Vincèn digue 'nsin.
Fa Jan de l'Ourse, l'orne double,
Que, quand soun mèstre, emé dous couble,
Lou mandé fouire si restouble,
Arrapè, coume un pastre arrapo un barbesin,
Li bèsti tôutis atalado,
E su'no pibo encimelado
Li bandiguè pèr l'èr, emé l'araire après !
E tu, marrias, bonur t'arribo
Qu'apereici l'a ges de pibo!...
— Levariés pa'n ai d'uno ribo,
Grand porc! n'as que de lengo! E Vincèn, à Farrèst,
MIREILLE, CHANT V. 183
— (f Oui, comme je tords l'osier, — répond Vincent
que ces (mots) exaspèrent, — je vais tordre ta
gorge !... Vois ! vois! fuis, si tu peux, — fuis, lâche,
ma colère ! — fuis, ou par Saint Jacques de Galice !
tu ne reverras plus tes tamaris, — car il va, ce poing
de fer, broyer tes os ! »
Émerveillé de trouver un homme — sur qui enfin
sa rage se dégorge : — « Un moment ! lui réplique le
vacher hargneux, — un petit moment, mon jeune
fou, — que nous allumions la pipe! » Et de sa
poche — il tire un bourson en peau de bouc — et
un noir calumet, qu'il embouche ; et dédaigneux
— « Lorsquelle te berçait au pied d'une ansérine"
— ne t'a-t-elle jamais raconté Jean de l'Ours', — ta
mère bohémienne? dit-il à Vincent. — Jean de
l'Ours, l'homme double, — quand son maître, avec
deux paires (de bœufs), — l'envoya labourer ses
chaumes, — saisit, comme un pâtre saisit un hippo-
bosque,
^ « Les bètos toutes attelées, — et sur un peuplier à
haute cime — il les lança dans les airs, la charrue
avec. — Et pour toi, chétif, c'est fort heureux — que
par ici ne soit point de peupher ! » — « Tu n'ôterais
pas un âne de la lisière (d'un champ), — grand
porc! tu n'as que de la langue! » — Et Vincent, à
l'arrêt,
16.
186 MIRÈIO, GANT V.
Coutne un lebrié tanco un besliàri ,
Tança vo aqui soun aversàri.
— Que, digo ! ie cridavo à s'esgargamela,
Long galagu, que t'estrampales
Sus ta ganchelio, bèn ? davales
0 te davale?... Cales ? cales,
A.ro qu'anan sache quau tetè de bon la ?
Es tu, gusas, que portes barbo ?
Te caucarai coume uno garbo !
Es tu qu'as mespresa la vierge d'aquéu mas,
Mirèio, la flour dôu terraire?
0, iéu, lou marrit panieraire,
léu, Vincenet, soun calignaire,
Vau lava ti mesprés dins toun sang, se n en as !
Mai lou vaquié bramo : Arri ! àrri !
Bôumian, calignaire d'armàri !
Espèro, espèro-ine î . . . . Sus-lou-cop sauto au sôu;
Apereila li vèslo volon ;
Picon di man, lis èr tremolon ;
Souto éli li caiau regolon ;
lin sus l'autre à la fes parlon coume dous biôu.
Ansin dous brau, quand sus lis erme
Lou souleias dardaio ferme,
An vist lou peu courons e li large main
D'uno vaco jouino e moureto
Bramant d'amour dins li sarreto...
E sus-lou-cop lou tron li peto,
E d'amour sus-lou-cop vènon foui e calu.
MIREILLE, CHANT V. 187
Comme un lévrier tient une bête fauve, — tenait
là son adversaire. — « Dis donc ! lui criait-il à se
briser la gorge, — long goinfre, qui t'écarquilles or-
gueilleusement — sur ta haridelbe, descends-tu, —
ou je te descends?... Tu mollis? tu mollis, —
maintenant que nous allons savoir qui teta de bon
lait?
« C'est toi, scélérat, qui portes barbe? — Je te
foulerai comme une gerbe! — C'est toi qui as mé-
prisé la vierge de ce mas, — Mireille, la Heur du ter-
roir? — Oui, moi-même, le méchant vannier, —
moi, Vincent, son poursuivant, — je vais laver tes
mépris dans ton sang, si tu en as ! »
Mais le vacher hurle : « Hue ! hue ! — Bohémien,
poursuivant de cuisine! — Attends, attends-moi! »
Sur-le-champ il saute à terre... — Au loin les vestes
volent ; — ils frappeni des mains, les airs tremblent ;
— sous eux les cailloux roulent ; — l'un sur l'autre
ils fondent à la fois comme deux taureaux.
Ainsi deux taureaux, quand sur les savanes — le
grand soleil d irde avec force, — ont vu le poil lui-
sant et la large croupe — d'une brune et jeune vache
— beuglant d'amour au milieu des typhas... —
et sur-le-champ la foudre éclate en eux , — et
d'amour sur-le-champ ils deviennent fous et aveu-
gles.
188 MIRÈIO, GANT V.
PX'i arpali'jon, pièi s'alucon,
Prenon lou vanc, e zôu ! s'ensucon.
E prenon mai lou vanc, e de moiiire-bourdoun
Fan restounti li cop de tèsto.
Longo e marrido es la balèsto,.
Car es l'Amour que lis entèsto,
Es l'Amour pouderous que li bute e li poun.
Ansin éli dous tabassavon,
Ansin, furoun, s'escabassavon.
Ourrias a recassa lou proumié lavo-dènt;
Mai coume l'autre lou menaço
D'un nouvèu cop, sa grand manasso
S'aubouro en l'èr coume uno masso,
E d'un large gantas amassolo Yincèn.
— Tè ! tè ! frestèu, paro aquéu lèpi!
— Tasto, moun ome, s'ai lou grèpi !
Se cridon l'un à l'autre. — Ardi ! comto, bastard,
Li blaveirôu mounte s'enfounso
La rintraduro de mis ounso !
— E tu, moustras, comto lis ounço,
Lis ounço de sang viéu qu'espiron de ta car '
Alor s'arrapon, se pôutiron,
S'agroumoulisson e s'esliron,
Espalo contro espalo, em' artèu contro artèu;
Li bras se trosson, se fringouion
Coume de serp que s'entourtouion ;
Souto la peu li veno bouion.
Lis esfors fan tibia li tento di boutèu, f
MIREILLE, CHANT V. 18:»
Puis ils trépignent, puis se regardent, — prennent
élan, et s'entre-choquent. — Et de nouveau prennent
élan, et abaissant leurs mufles, — font retentir les
coups de tète. — Long et cruel est le combat, —
car c'est l'Amour qui les enivre, — c'est l'Amour
puissant qui les pousse et les aiguillonne.
Ainsi frappaient les deux (champions), — ainsi,
furieux, ils se gourmaient la tête. — Ourrias a reçu
le premier horion ; — mais comme l'autre le menace
— d'un nouveau coup, sa main énorme — se lève
dans l'air comme une massue, — et d'un large souf-
flet il assomme Vincent.
— « Tiens ! tiens ! chétif, pare cette gourmade! »
— « Tâte, mon brave, si j'ai l'onglée ! » — se crient-
ils l'un à l'autre. — « Courage ! compte, bâtard, —
les meurtrissures où s'enfoncent — mes phalanges
pointues !» — « Et toi, monstre hideux, compte les
onces, — les onces de sang vif qui jaiUissent de ta
chair! »
Alors ils se saisissent, se houspillent, — s'accrou-
pissent et s'allongent, — épaule contre épaule et or-
teil contre orteil ; — les bras se tordent, se frottent
— comme des serpents qui s'entortillent ; — sous la
peau les veines bouillent, — les efforts tendent les
muscles des mollets.
190 ÏIIRÈIO, GANT V.
Lontèms, inmoubile, s'estellon,
Emé H flanc que ie bacellon,
C.oume quand bat de l'alo un pâlot eslardouii :
Imbrandable, la lengo muto,
Un coulant l'autre dins sa buto,
Coume li pielo grando e bruto
Dôu pont espetaclous qu'encambo lou Gardoun.
E tout-d'un-cop se desseparon,
E tournamai li poung se barron,
Lou trissoun tournamai engruno lou mourtié :
Dins la furourque li counjounglo,
le van di dent, ie van dis ounglo...
Dieu ! qirénti cop Vincèn i'ajounglo!
Dieu ! quénti bacijlas mando lou bouvatié !
Âbasinianto èron li mougno
Qu'aquest largavo à plen de pougno ;
Mai lou Valabregan, rapide e picadis
Coume uno grelo que desboundo,
A soun entour boundo e reboimdo,
Revoulunous coume uuo froundo.
— Veici, dis, lou turlau, gourrin, que t'ospôulis!
Mai coume tors l'esquino à rèire,
Pèr miéu pica soun empegnéire,
Lou gaiard toucadou subran l'arrapo i flanc;
A la maniero prouvençalo
Te lou bandis darrié l'espalo,
Coume lou blad dessus la palo,
E val pica de costo apereila au mitan !
MIREILLE, GUANT V. 191
Longtemps iis se roidissent, immobiles ; — les
flancs leur battent, — comme quand bat de l'aile «n
outardeau pesant; — inébranlables, la langue muette,
— l'un l'autre s'accolant dans leur poussée , —
comme les piles grandes et brutes — du pont prodi-
gieux qui enjambe le Gardon *
Et tout d'un coup ils se séparent, — et derechef
les poings se ferment, — derechef le pilon égruge le
mortier : — dans la fureur qui les étreint ensemble,
— ils y vont des dents, ils y vont des ongles... —
Dieu ! quels coups Vincent lui assène! — Dieu! quels
soufflets énormes lance le bouvier!
Accablantes étaient les bourrades — que celui-ci
déchargeait à plein poing ; — mais (l'enfant) de Vala-
brégue, frappant avec la rapidité — d'une grêle sou-
daine et drue, — autour de lui bondit et rebondit,
— tel qu'une fronde tourbillonnante. — « Voici,
dit-il, le heurt, rufflen, qui te broie ! »
Mais comme il tord le dos en arrière, — pour
mieux frapper son agresseur, — le vigoureux bou-
vier soudain l'empoigne par les flancs ; — à la ma-
nière provençale — le lance derrière l'épaule, —
comme le blé avec la pelle ; — et au loin il va frapper
des côtes au milieu (de la plaine).
192 MTRÈIO, GANT V.
— Acampo ! acampo l'eiminado
Qu'emé toun mourre as darbounado,
K s'ames lou pôutras, vermenoun, manjo g béu !
— Proun de di ! bèsti malestrucho,
l'a que li très cop que fan lucbo !
Respond lou drôle, en quau s'enclucho
L'amar vérin. Lou sang ie mounto au bout di peu.
Se relèvo, lou panieraire,
Couine un coulobre ; e, fier luchaire,
A l'agrat de péri vo de venja soun nouin,
Part sus lou Camarguen sôuvage,
E d'uno forço e d'un courage
Merevihous pèr aquel âge,
l'alongo dins lou pitre un mourtau cop de poung.
Lou Camarguen trantraio, tasto
Pèr coûta soun esquino vasto ;
Mai à sis iue neblous ie sèmblo quatecant
Qu'à soun entour tout fai que courre ;
La tressusour ie mounto au mourre,
E pataflôu ! coume uno tourre
Touinbo lou grand Ourrias, au mitan dôu trescamp ! .
La Crau ère tranquilo e mudo.
Aperalin soun estendudo
Se perdié dins la mar, e la mar dins l'èrblu :
Li ciéune, li fôuco lusénlo,
Li becaru, qu'an d'alo ardénlo,
Venien de la clarta mourènto
Saluda, long di clar, li bèu darrié belu.
MIP.EILLE, CHANT V. 193
— « Ramasse ! ramasse l'arpent de terre — que
ton museau a labouré, — et si tu aimes la poussière,
vermisseau, mange elbois! » — « Assez de mots!
bête ignorante, — les trois coups seuls achèvent une
lutte ! » — répond le gars en qui s'accumule — la
haine amère. Le sang lui monte au faîte des che-
veux.
Il se relève, le vannier, — comme un dragon, et
fier lutteur, — au risque de périr ou de venger son
nom, — il fond sur le sauvage Camarguais, — et
d'une force et d'un courage — merveilleux pour sa
jeunesse, — lui allonge dans la poitrine un mortel
coup de poing.
Le Camarguais chancelle, il tâte — pour étayer
son vaste dos ; — mais à ses yeux nébuleux il semble
aussitôt — qu'autour de lui tout tourbillonne ; —
une sueur glacée lui monte à la face ; — et à grand
bruit, tel qu'une tour, — tombe le grand Ourrias, au
milieu de la lande!...
La Orau était tranquille et muette. — Au lointain
son étendue — se perdait dans la mer, et la mer
dans l'air bleu : — les cygnes, les macreuses lus-
trées, — les flamants aux ailes de feu— venaient, de
la clarté mourante, — saluer, le long des étangs, les
dernières lueurs.
17
194 MIRÈIO, GANT V.
Dôu vaquié la cavalo blanco
Toundié dis agarrus li branco ;
E vueje, lis cstriéu, li grands estiiéu ferra,
Balin-balôu contro soun ventre...
— Breguigno mai ! se noun l'esvèiitre !
Lis orne, aro, bregand, pos sèntre
S'a la cano vo au pan se dèvon mesura !
Dins lou silènci dôu campèstre,
Lou panieraire, d'un pèd mèstre,
Esquichavo lou pie d'Ourrias amaluga.
Souto la cambo que lou sarro,
Lou toucadou luchavo encaro,
E pèr li brego e pèr li narro
Racavo à gros mouchoun un sang encre e maca.
Très cop vouguè jita de caire
Lou pèd ouuglu dôu panieraire ;
Très cop d'un lai de man lou fiéu de M este Ambroi
L'esterniguè mai sus la gravo ,
E lou vaquié qu'escumejavo,
Emé d'iue torge, retoumbavo
En boufant e badant coume un orre baudroi.
— Lis ome, donne, o barataire,
Lis a pas lôuti fa, ta maire !
Yincenetie cridavo. 1 biôu de Séuvo-Riau
Vai, vai counta quonto es ma pougno !
Vai-t'en escoundre ti boudougno,
Toun arrouganço o la vergougno
Au founs de ta Camargo, au mitan de ti brau !
MIREILLE, CHANT V. 195
La cavale blanche du vacher — tondait les bran-
ches des chênes-kermès; — et vides, les élriers, les
grands étriers de fer — sonnaient et se oscillaient
contre son ventre. — « Remue encore et je te crève !
— Maintenant, brigand, tu peux sentir — si à la
canne ou à Vempan doivent se mesurer les hom-
mes! »
Dans le silence de la lande, — le vannier, d'un
pied victorieux, — pressait la poitrine d'Ourrias
èreinté. — Sous la jambe qui le serre, — le toucheui-
luttait encore, — et par les lèvres et par les na-
rines — vomissait à grands flots un sang noir et
meurtri.
Trois fois il voulut secouer — le pied ongle de
l'enfant aux corbeilles; — trois fois, d'un tranchant
de main, le fils de Maître Ambroise — le terrassa sur
le gravier ; — et le vacher ècumant, — les yeux ha-
gards, retombait — en soufflant, et (la bouche) béante
comme une horrible baudroie '.
— « Les hommes donc, forban, — ta mère ne les
fil pas tous ! — lui criait Vincent. Aux bœufs de
Sylvarèal — va, va dire quel est mon poignet! — Va
cacher les tumeurs, — ton insolence et ta honte —
au fond de ta Camargue, parmi tes taureaux ! »
196 MIREIO, CANT Y.
Acô di, lacliè la bestiasso.
Tau un toundèire, dins la jasso,
Retèn entre si cambo un grand aret banard ;
Mai tant lèu i'a toumba soun àbi,
Sus lou malu ie mando un bàbi,
E lou bandis. Gounfle de ràbi,
Ansin, e tout pôussous, lou vaquié sauto e part.
Une pensado maladito
A travès champ lou precepito ;
jitavo d'escumenje; ourlant e fernissènt,
Dins lis avaus, dins li genèsto
Que cerco donne?... Ai ! ai ! s'arrèsto. .
Ai ! ai ! ai ! brando sus la tèsto
Soun ficheiroun terrible, e lampo sus Vincèn.
Quand se veguè souto la lanço,
Sènso revenje ni 'speranço,
Yincenet paliguè coume au jour de sa mort :
Noun que la mort ie fugue duro,
Mai ce qu'aclapo sa naturo,
Es de se vèire la caturo
D'un feloun que l'engano avié fa lou plus fort.
— Traite! ausariés? faguè que dire.
E, voulountous coume un martire,
S'aplanto... Âlin, alin, dins lis aubre escoundu,
l'aviéloumas de sa mestresso.
Se ie viré 'mé grand tendresso,
Coume pèr dire à la pastresso :
Mirèio, espincho-me, que vau mouri pèr tu !
MIREILLE, CHANT V. 197
Cela dit, il lâcha la bête féroce. — Tel un tondeur,
dans le bercail, — retient entre ses jambes un grand
bélier cornu ; — mais à peine de sa robe l'a-t-il dé-
pouillé, — sur la croupe il lui donne une tape —
et le délivre. Ainsi, gonflé de rage — et tout pou-
dreux, le vacher bondit et part.
Une pensée maudite — le précipite à travers
champs ; — il jetait des imprécations ; hurlant et
frémissant, — dans les chênes-kermès, dans les ge-
nêts — que cherche-t-il ?... Aïe ! aïe! il s'arrête... —
Aïe ! aïe ! aïe ! sur la tête il brandit — son trident
terrible, et fond sur Vincent.
Lorsqu'il se vit sous la lance, — sans revanche ni
espoir, — Vincent pâlit comme au jour de sa mort :
— non que mourir lui soit dur; — mais ce qui
accable sa nature, — c'est de se voir la proie — d'un
félon que la ruse avait fait le plus fort.
— « Traître, oserais-tu? » dit-il à peine. — Et ré-
solu comme un martyr, — il s'arrête... Au loin, au
loin, caché dans les arbres, était le mas de son
amante. — Il se tourna vers lui avec grande ten-
dresse, — comme pour dire à la pastourelle : —
Regarde-moi, Mireille, pour toi je vais mourir!
il.
198 MIREIO, CANT V.
0 bèu Vincèii ! d'aquelo qu'omo
Enca panlaiavo soun amo...
■ — Fai ta preièro ! Ourrîas ie venguè coume un tron,
D'uno voues despietouso e rauco.
E de soun terre aqui lou trauco.
Em'un fort gème, sus la bauco
Lou paure verganié barrulo de soun long.
E l'erbo plego, ensaunousido ;
E de si cambo enterrousido
Li fournigo de champ fan déjà soun camin.
Mai lou toucadou galoupavo,
— Au clar de luno, sus la gravo,
Tout en fugènt eu prejitavo,
Aniue li loup de Crau van rire, à tau festin!...
La Crau èro tranquilo e mudo.
Aperalin soun estendudo
Se perdié dins la mar, e la nriar dins l'èr blu ;
Li ciéune, li fôuco lusènto,
Li becaru, qu'an d'alo ardènlo,
Venien de la clarta rnourènto
Saluda, long di clar, li bèu darrié belu.
Egalopo, vaquié, galopo,
Que galouparas ! . . . — IIopo ! hopo!
le venien coume acô lis esclapairo verd
A sa cavalo que chauriho
Dis iue, di narro e dis auriho.
Souto la luno déjà briho
Lou Rose, enlredourmi dins soun lie descuberl,
MIREILLE, CHANT V. 199
Oh ! beau Vincent ! de celle qu'il aime — rêvait en-
core son âme... — « Fais ta prière ! » Ourrias tonna
soudain — d'une voix impitoyable et rauque. — Et
il le perce de son fer. — Avec un fort gémissement,
sur l'herbe — l'inforluné vamiier roule de son
long:.
Et l'herbe ploie, ensanglantée ; — et de ses jambes
terreuses — les fourmis des champs font déjà leur
chemin, — Mais le toucheur galopait. — « Sur les
galets, au clair de lune, — tout en fuyant gromme-
lait-il, — ce soir, les loups de Crau vont rire, à pa-
reil festin!... »
La Crau était tranquille et muette. — Au lointain
son étendue — se perdait dans la mer, et la mer
dans l'air bleu; — les cygnes, les luisantes ma-
creuses, — les flamants aux ailes de feu, — venaient,
de la clarté mourante, — saluer, le long des étangs,
les dernières lueurs.
El galope, vacher, galope, — galope sans relâche!
— « Hop! liop! » — criaient les crabiers verts '" —
à sa cavale qui chauvit — des yeux, des naseaux el
des oreilles. — Sous la lune déjà brille — le Rhône,
sommeillant dans son lit découvert,
200 MIRÈIO, CANT V.
Coume un roumiéu de Santo-Baumo
Que, nus, de lassige e de caumo
S'estalouiro e s'endor au founs d'un vabre. — Hou !
L'ausès?... hou de la ratamalo !
Hôu ! hôu!... En cuberto von calo,
Me passarias 'mé ma cavalo?
De liuen lou capounas crido à très barqueirôu.
— Vène lèu, vène, bono voio !
Respoundeguè 'no voues galoio,
Que, pèr vèire mounta de la niue lou calèu,
Entre li remo e la partego
Lou pèis entrefouli vanego...
La pesco prèsso, acô boulego,
Mounome! l'ouro es bono... Abordo, abordo lèu.
En poupo lou fena s'assèto.
La cavalo, darrié la bèto,
Nadavo, la caussano estacado à l'eslrop.
E li grand pèis, vesti d'escaumo,
Abandounant si fôunsi baumo,
Dôu Rose mouvien la calaumo,
E lusènt, boumbissien à l'entour de la pro.
— Mèstre pilot, dono-te gardo !
La nau, sèmblo que vèn panarde!
E lou qu'avié parla, pèd sus banc, sus lou rèm
Tourna se pleguè coume un vise.
— l'a'n moumenet que me n'avise...
Pourtan un marritpes, vous dise,
Bespoundè lou pilot; e pièi digue plusrèn.
MIREILLE, CHANT V. '201
Comme un pèlerin de la Sainte-Baume *', — qui,
nu, de lassitude et de chaleur — sétend et s'endort
au iond d'un ravin. — « Ho ! — l entendez-vous?...
ho ! de la barque ! — ho ! ho !.. . en pont ou en cale,
— me passeriez-vous, moi et ma jument? » — de
loin le lâche crie à trois bateliers.
« Viens vite, viens, bon garnement! » répondit
une voix goguenarde, — afin de voir monter la
lampe de la nuit, — entre les avirons et la gaffe —
le poisson frétillant circule... — La pêche presse,
(le poisson) remue , — mon brave ! L'heure est
bonne... Aborde, aborde vite. »
Sur la poupe le scélérat " s'assied. — La cavale,
derrière le bateau, — nageait, le licou attaché à l'es-
trope. — Et les grands poissons, vêtus d'écaillés, —
abandonnant leurs grottes profondes, — du Rhône
mouvaient le calme, — et luisants, bondissaient au-
tour de la proue.
— « Maître pilote, prends garde! — la nef devient
boiteuse , ce me semble! » — Et l'interlocuteur,
pieds sur banc ", sur l'aviron — de nouveau se ploya
comme un sarment de vigne. — « Voilà un instant
que je m'en ajperçois... — Nous portons un poids
mauvais, vous dis-je, » — répondit le pilote ; et après
il se tut.
Î02 MinflIO, GANT T.
La ralamalo trantraiavo
D'un biais, de l'autre, gansouiavo
D'un balans esfraious coume un orne embria.
La ratamalo èro marrido,
Avié li post mita pourrido. . .
— Tron de Dieu ! lou toucadou crido...
E s'arrapo à l'empento, e s'aubouro esfraia.
Mai, souto uno envesiblo forço,
La nau sèmprc que mai bidorso,
Coume uno serp en quau un pastre om'un clapas
A coupa lis esquino. — Sôci,
Perqué fasès aquéu trigôssi ?
Voulès dounc que me nègue? i fnôssi
Venguè lou toucadou, pale coume un gipas.
— Pode plus mestreja la barco !
Respoundè lou pilot. S'enarco
Souto iéu, e boumbis coume uno escarpo fai :
As tua quaucun, misérable!
— Iéu?... Quau te l'a di?... Quo lou diable,
S'acô's verai, 'mé soun rediable
Me pôutire subran au founs di garagai !
— Ah ! countuniè lou pilot blave,
Es iéu que me troumpe ! ôublidavo
Qu'es aniue Sant Medard. Tout paure negadis,
Di toumple afrous, di revôu sourne,
Pèr founs que l'aigo l'encafourne,
Sus terro aniue fau que retourne....
La longo prouoessioun adeja s'espandis.
MIREILLE, CHANT V. . 203
La vieille barque chancelait, — de ci, de là, va-
cillait — d'un branle effrayant comme un homme
ivre. — La vieille barque était mauvaise, — demi-
pourries étaient les planches. — « Tonnerre de
Dieu ! » crie le toucheur. . . -— Et il se cramponne au
gouvernail, et il se lève effra jé.
Mais, sous une invisible fi,rce, — la nef de plus en
plus se tord, — comm# un serpent auquel un pâtre,
avec un bloc de pierre, — a rompu l'échiné. —
« Compagnons, — pourquoi ces secousses? — Vous
voulez donc que je m.e noie ? » Ainsi apostropha les
mousses — le toucheur, pâle comme un plâtras.
— « Je ne puis plus maîtriser la barque ! — répon-
dit le pilote. Elle se cabre — sous moi et bondit
comme fait une carpe : — tu as tué quelqu'un, mi-
sérable! » — « Moi?... Qui le l'a dit?... Que Satan,
— si cela est vrai, avec son fourgon — me tire sur-
le-champ au fond des abîmes ! »
— « Ah ! poursuivit le pilote Hvide, — c'est moi
qui me trompe : j'oubliais — que c'est la nuit de
Saint Médard. Tout malheureux noyé, — des gouffres
affreux, des tourbillons sombres, — dans quelques
profondeurs que l'eau l'ensevelisse, — sur terre,
cette nuit, doit revenir... —La longue procession
déjà se développe,
204 MIRÈIO, GANT V.
Velèi !... pàuris amo plourouso!
Velèi ! sus la ribo peirouso
Mounton à pèd descaus : de si vièsti lima,
De soun peu amechouli, coulo
A gros degoul l'aigo treboulo.
Dins l'oumbro, souto li piboulo,
Caminon à renguiero, em'un cire aluma.
Coume regardon lis estello !
Dôu sablas que lis empeslello
En derrabant si cambo arrampido, pecai !
Emé si bras blu, 'mé sa tèsto
Mounte la nito encaro rèsto,
Es éli, coume uno tempèsto,
Que tuerton lou batèu d'aquéu rude trantrai.
Toujour quaucun de mai arribo,
Emounto, afeciouna, la ribo.
Coume bevon l'èr linde, e la visto di Crau,
E la sentour que vèn di fôure !
E coume Irovon dous lou môure,
En regardant si vièsti plôure ! . . .
Toujour quaucun de mai mounto dôu cadarau !...
l'a de vièi, de jouine, de femo^
Disié lou nièslre de la remo.. .
Coume espôusson la fango e l'burrour dôu pesquiè !
De formo descarnado e berco ;
De pescadou qu'èron en cerco
D'aganta lou lampre e la perco,
E qu'i perco em'i lampre an servi de pasquiê.
MIREILLE, CHANT V. 205
« Les voilà ! . . . pauvres âmes éplorées ! — Les
voilà ! sur la rive pierreuse — ils montent, pieds
nus : de leurs vêtements limoneux, — de leur che-
velure feutrée coule, — à grosses gouttes l'eau
trouble. — Dans l'ombre, sous les peupliers, — ils
cheminent par files, un cierge allumé (à la main) .
« Comme ils regardent les étoiles ! — Du monceau
de sable qui les emprisonne — en arrachant leurs
jambes contractées, hélas I — avec leurs bras bleuis,
avec leurs têtes — où la vase reste encore, — ce
sont eux qui, tels qu'une tempête, — heurtent le ba-
teau de cette rude oscillation.
« Toujours quelqu'un de plus arrive, — et gravit
avec ardeur la berge. — Comme ils boivent l'air
limpide, et la vue des Craux, — et la senteur qui
vient des récoltes ! — et combien ils trouvent doux
le mouvement, — en regardant leurs vêtements
pleuvoir!... — Toujours quelqu'un de plus monte
de la voirie!...
« Il y a des vieillards, des jeunes gens, des fem»
mes, — disait le maître de l'aviron... - (Comme ils
secouent la fange et l'horreur du vivier!) — des
formes décharnées et édentées ; — des pêcheurs qui
cherchaient — à prendre la lamproie et la perche,
— et qui aux perches et aux lamproies ont servi de
pâturage.
18
206 MIREIO, CANT T.
Ve ! regarde aquéu vôu qu'esquibo^
Descounsoula, susli graviho...
Es, li bèlli chatouno, es li folo d'amour,
Que, de se vèire separado
De Tome ama, desesperado,
An demanda la retirado
Au Rose, pèr nega soun inmènso douleur !
Velèi ! ... 0 pàuri pichounello !
Dins la sournuro clarinello,
Boulegon, si sen nus, em'un tau rangoulun,
Souto l'augo que li mnscaro,
Que, de soun peu neblant sa caro
A long trachèu, iéu doute encaro
S' es d'aigo que regoulo, o s'es l'amar plourun.
Lou pilot quinquè plus. Lis amo
A la man tenien uno flamo,
E seguien à la mudo, e plan, lou ribeirés.
Aurias ausi voula'no mousco...
— Mèslre pilot ! mai, dins la fousco,
Vous sèmblo pas que soun en bousco?
le fai lou Camarguen, d'orre e d'espaime pre.«
— 0, soun en bousco... Ve, pecaire !
Coume testejon de tout caire !
Cercon li bonis obro e lis ate de fe
Que sus ia lerro samencron,
Espés 0 clar, quand le passèron.
Ire qu'apercevon ce qu'espèron,
Coume au très margaioun vesèn courre l'avé,
MIREILLE, CHANT Y. 207
« Vois ! contemple cet essaim qui glisse, — in-
consolable, sur la grève... — Ce sont les belles
jeunes filles, les folles d'amour, — qui, se voyant
séparées — de l'homme aimé, de désespoir — oi^;
demandé l'hospitalité — au Rhône, pour noyer leu'
immense douleur.
«Vois-les!... ô pauvres jouvencelles! — Dans
l'obscurité diaphane, — palpitent leurs seins nus,
avec un tel râle, sous l'algue qui les souille, — que,
de leur chevelure qui voile leur visage — à longs
flots, je doute encore — si c'est l'eau qui ruisselle,
ou les larmes amères. r>
Le pilote ne parla plus. Les âmes — tenaient une
flamme à la main, — et suivaient, silencieuses et
lentes, le rivage. — Vous eussiez entendu le vol
d'une mouche... — « Maître pilote ! mais, dans l'obs-
curité, — ne vous semblent-ils pas en recherche ? »
— lui dit le Camarguais, pris d'horreur et d'épou-
vante.
— « Oui, ils sont en rechercha. . . Vois ! infortunés l
— comme ils tournent la tête de toute part! — Ils
cherchent les bonnes œuvres et les actes de foi —
qu'ils semèrent, — nombreux ou rares, à leur pas-
sage sur la terre. — Dès qu'ils aperçoivent l'objet
de leur espoir, — de même qu'à la fraîche ivraie
nous voyons les brebis courir.
•-'08 MIRÈin, GANT V.
Se precepiton ; e, culido,
Entre si man l'obro poulido
Vèn uno flour; e quand, pèr un bouquet n'an proun.
A Dieu, alègre, lou fan vèire,
E vers li porto de Sant Pèire
La flour emporto lou cuièire.
Dins l'engrau de la mort toumba de reviroun,
I negadis ansin Dieu même
Dono un relais pèr se redeme.
Mai souto lou glavas dôu fluve segrenous,
Avans que l'aubeto s'enaure,
Ve-n-en que tournaran s'enclaure :
Negaire de Djéu, manjo-paure,
Tuaire d'orne, traite, escabot vermenous
Cerconuno obro que li sauve,
E noun poussigon dins lis auve
Que pecatas e crime, en formo de caiau
Monnte soun artèu nus s'embrounco.
Fin de miôu, fm de cop de rounco !
Mai éli, dins l'erso que rounco.
Sens fm barbelaran lou perdoun celestiau ! !
Coume un bregand à-n-un recouide,
Ourrias aqui l'arrapo au couide :
— L'aigo dins lou batèu !! — l'a l'agoutat, respond,
Tranquile, lou pilot. En aio,
Ourrias agoto, e zôu ! travaio
Coume un perdu ! . . . De Trincataio
Li Trèvo aquelo niue dansavon sus lou pont.
MIREILLE, CHANT V. 209
« Ils se précipitent ; et, cueillie, — entre leurs
mains la belle œuvre — devient fleur ; et quand pour
un bouquet (la moisson) est suffisante, — à Dieu ils
le montrent avec joie, — et vers les portes de Saint
Pierre — la fleur emporte celui qui l'a cueillie. —
Dans la gueule immense de la mort tombés, la tête
retournée,
« Ainsi aux noyés Dieu lui-même — donne un sur-
sis pour se racheter. — Mais sous la masse liquide
du fleuve sombre, — avant que l'aube se lève, —
en voilà qui retourneront s'ensevelir : — renieurs de
Dieu, mangeurs de pauvres, — tueurs d'hommes,
traîtres, troupeau rongé de vers.
« Ils cherchent une œuvre de salut, — et ils ne
foulent dans les graviers du fleuve — que grands pé-
chés et crimes, sous forme de cailloux — où bronche
leur orteil nu. — Fin de mulet, fin de coups de
trique ! — Mais eux, dans la vague qui rugit, — sans
fin convoiteront le pardon céleste !! »
Tel qu'un brigand au tournant d'un chemin, —
Ourrias à ce moment le saisit au coude : — « L'eau
dans le bateau!! » — i l) a l'écope, » répond, —
tranquille, le pilote. Avec ardeur — Ourrias vide la
barque, et, courage ! il travaille — comme un
perdu !... Sur le pont de Trinquetaille** — les Trê-
ves'*, cette nuit-là, dansaient.
18.
810 MIRÈIO, CANT V.
E zôu ! agoto, Ourrias, agoto,
Qu'agoutaras !... La cavaloto,
Pèr se descabestra, folo ! — Blanco, de-qu'as?
As pôu di mort ? ie dis soun mèstre
Qu'a li peu dre de l'escaufèstre.
E, sournaru, loii toumple aiguèstre
De long dôu breganèu, afloco, ras à ras.
— Sabe pas nada, capitàni !...
La sauvarés la barco ? — Nàni !
Encaro un vira-d'iue, la barco toumbo à foun.
Mai, de la dougo, ounle varaio
La proucessioun que tant t'esfraio,
Li mort nous van manda'no traio.
E coume a di, la barco au Rose se prefound.
E, dins la liuencho escuresino,
E di viholo fouscarino
Qu'i man di negadis tremolon, un long rai
D'uno ribo àl'aulro lampejo.
E coume, au soulèu que pounchejo,
Coume uno aragno que fîelejo
Se laisso resquiha de-long dôu fiéu que liai,
Li pescadou (qu'èron de Trèvo !)
Au rai claret que fai co-lèvo
Seguindon, e lèu-lèu s'esquihon tout-de-long.
D'entre 1 aigo que l'enmourraio,
Ourrias peréu mando à la traio
Si man crispado ! . . . A Trincataio ,
Li Trèvo, aquelo niue, Uansèron sus lou pont !
MIREILLE, CHANT V. ÎH
El courage ! vide, Ourrias, vide, — vide tou-
jours!... — La cavale — veut rompre son licou,
folle! — « Blanque, qu'as-tu? — As-tu peur des
morts? » lui dit son maître, — les cheveux dressés
d'effroi. — Et taciturne, le gouffre liquide ~ le long
du dernier bordage clnpole, bord à bord.
— « Je ne sais pas nager, capitaine ! . . . — La sau-
verez-vous, la barque? » — «Non! — Encore un
clin d'œil, la barque tombe à fond ; — mais de la
rive, où erre — la procession qui tant t'effraye, — les
morts vont nous jeter un câble. » — Il dit, et dans
le Rhône la barque s'engloutit.
Et, dans l'obscurité lointaine, — et des lampes
blafardes — qui aux mains des noyés tremblotent,
un long rayon — d'une rive à l'autre brille comme
un éclair. — Et de même, au soleil qui ponit, — de
même qu'une araignée qui fde — se laisse glisser le
long du fil qu'elle jette,
Les pêcheurs (qui étaient des Trêves !) — au rayon
clair qui fait bascule — se hissent, et rapidement se
gliisent tout le long. — Du milieu de l'eau qui l'em-
inu selle, — Ourrias envoie aussi au câble — se^
mains crispées!... A Trinquetaille — les Trêves,
cette nuit, dansèrent sur le pont ',
NOTES
DU CHANT CINQUIÈME.
* Olympe, haute montagne, sur les limites du Var et des Bou-
ches-du-Rhône.
* Queyras, ■vallée des Hautes-Alpes.
' L'herbette aux boucles (/'erèe/tf difrisoun), [valisneria spiralis.
Lin.) Plante qu'on trouve dans le Rhône et dans les mares qui l'a-
voisinent, aux environs de Tarascon et d'Arles.
* Lingueto! mot intraduisible, qu'on répète en riant à quel-
qu'un, et en lui montrant quelque chose de loin ou de haut, pour
exciter sa convoitise.
Quasi bramosi fantolini e vani
Che pregano, e 'l pregalo non risponde,
Ma per fare esser ben lor voglia acuta,
Tien alto lor disio e nol nasconde.
(Dante, Purgatoiio, c. xxiv.)
» Blé de lune [blad de luno). Au propre, faire de blad de luno,
signifie dérober du blé à ses parents à la clarté de la lune. Blad
de luno, au figuré, désigne les larcins amoureux.
8 Ansérine ligneuse, [ourse] ( chenopodium fruticosum, Lin. ) ;
plante commune au bord de la mer.
' Jean de l'Ours [Jan de l'Ourse], héros des contes de veillées,
espèce d'Hercule provençal auquel on attribue une foule d'ex-
I
NOTES DU CHANT V. 213
ploits. Il était fils d'une bergère et d'un ours qui l'avait enlevée,
et avait pour compagnon de gloire deux aventuriers d'une force
fabuleuse. L'un se nommait Arrache-Montagne, et l'autre Pierre-
de-Moulin. M. Hippolyte Babou a relaté l'histoire de Jean de
l'Ours dans ses Païens innocents.
^ Le pont prodigieux qui enjambe le Gardon (lou pont espeta-
clous qu'encambo lou Gardoun] , le pont du Gard.
* Baudroie [baudroi], ou diable-de-mer, poisson hideux.
*o Esclapaire, cr&hier \ert [ardeaviridis, Lin.). Oiseau de l'ordre
des échassiers, ainsi nommé {esclapaire signifie fendeur de bois), à
cause de son cri : Ha ! ha !
" Sainte-Baume (Sflw/o-BaMTno), grotte célèbre, au milieu d'une
forêt vierge, près de Saint-Maximin (Var), dans laquelle se retira
sainte Magdeleine pour faire pénitence. (Voyez le Chant XI» )
" Fena, mauvais sujet, sacripant, scélérat. Horace a dit dans
le même sens en parlant d'un méchant homme : Fenum habet in
cornu. C'était proverbial chez les Romains; et ce dicton venait
de l'usage où l'on était autrefois de mettre du foin aux cornes des
taureaux dangereux, pour avertir de s'en garder.
*' Pieds sur banc [pèd sus banc]. Mettre pieds sur banc [mètre
pèdsus banc), en terme de marine, c'est mettre le pied sur le petit
banc qui est devant le siège des rameurs, pour faire plus de force, et
fig. travailler avec ardeur. (Honnorat, Dict. provençal.)
** Trinquetaille (Trincataio) , faubourg d'Arles, situé dans la Ca-
margue, et réuni à la cité par un pont de bateaux.
*" Trêves [Trèvo], lutins qui dansent à la pointe des ondes, quand
e soleil ou la lune fait miroiter les eaux.
TANT SIÈISEN
LA MASCO
A l'aubo, très pourcalié Irovon Vincên dins soun sang, estendu d'm
lis erme de Crau. — L'aduscn à la brasseto au Mas di Falabregn.
— Digressioun : lou Telibre se recoumande à sis amis, li felibre
de ProuvênïO. — Doulour de Mirèio. Porlon Vincén au Trau di
Fado, caforno dis Esperit de niue e demoiiianço de la masco Ta-
ven, escounjurarello de tout inau. — l.i Fado. — Mirèio acoum-
pagno soun caiignaire dins li borno de la mountagno. — La Man-
dragouro. — Lis aparicioun de la baume : li Fouletoun, l'Espenl
Fantasli, la Bugadiero dôu Vcntour. — Raconte de la masco : la
Messo di mort, lou Sabalôri, la Garamaudo, lou Gripet, la Dain-
baroucho, la Chaucho-Vièio, lis Escarinche, li Dra, lou Chin de
Cambau, lou Baroun Castilioun. — l,'.\gnèu nègre, la Cabro d'or.
— Taven escounjuro la plago de Vincèu. — Enauramen e prou-
fetiso de la masco.
A l'aubo claro se marido
Lou cltir canla di bouscarido.
Laterro enamourado espère lou soulèu,
Vestido de frcscour e d'aubo,
Coume la cbato que se raubo,
Dins la plus bello de si raubo
Espère lou jouvènt que i'a di : Parlen lèu
En Crau très orne cammavon,
Très pourcatiè, que s'entourna on
De Sant-Charnas lou ricbe, ounle èro lou marcal.
Venien de vendre sa toucado,
E, tout en fasènl la charrado,
Sus l'espalo, à l'acouslumado,
Pourlavon sis argent dins si roupo amaga.
CHANT SIXÏKME
t\ SO ne 1ÈRE
;?«ube du jour, trois porchers trouvent Vincent étendu dans lo dé-
sert de la Crau, et baigné dans son sang. — Ils l'apportent dans
leurs bras au Mas des Micocoules. — Digression : appel du poète
à ses amis, les poètes de Provence. — Douleur de Mireille. — Ob
porte Vincent à l'antre des Fées, repaire des Esprits de la nuit, e.
habitation de la sorcière Tavén, charmeuse de tous maux. — Les
Fées. — Mireille accompagne son amant dans les excavations de la
montagne. — La Mandragore. — Les apparitions de la Caverne: lef
Follets, l'Esprit Fantastique, la Lavandière du Ventour. — Récii
de la sorcière : la Messe des morts, le Sabbat, la Garamaude, U
Gripel, la Bambarouche, le Cauchemar, les Escarinches, les Draci«
ie Chien de Cambal, le Baron Castillon. — L'Agneau noir, la Chèvre
«Tor. — Tavèn charme la blessure de Vincent. — Exaltation et pr»
phéties de la sorcière.
A Taube claire se marie — le chant clair des bec-
fins. — La terre énamourée attend le soleil, — vêtue
de fraîcheur et d'aurore : — ainsi la jeune fîUe qui se
it enlever, — (vêtue) de la plus belle de ses robes,
attend le jouvenceau qui lui a dit : « Partons en
te! »
Tans la Crau marchaient trois hommes, — trois
porchers, retournant — du marché de Saint-Chamas
le riche. — Ils venaient de vendre leur troupeau, —
fit, tout en faisant la causerie, — sur l'épaule, à l'ac-
coutumée, — ils portaient leur argent enveloppé
dans leurs manteaux.
816 MTRÈIO, CANT VI.
Quand lout-d'un-cop : — Chut! cambarado,
Fai un ditres. Fa'no passado
Oueme sèmblo d'ausi souspira dins li bnis.
— Hôu ! fan lis autre, es la campano
De Sant-Martin o de Maussano,
0 belèu bèn la Tremountano
Que gansouio en passant li tousco d'agarrus.
Coume acabavon, di genèsto
Sort un plagnoun que lis arrèsto,
Un plagnoun tant doulènt que Irancavo lou cor.
— Jeuse! Maia ! touli faguèron,
l'a mai que mai ! e se signèron,
E d'aise, d'aise, caminèron
De mounte li plagnoun venien toujour plus fort.
Oh ! que 'spetacle! Dins l'erbage,
Sus li caiau, 'mé lou visage
Revessa pèr lou sôu, Vincèn èro estendu :
La terro à l'entour chaupinado,
Lis amarino escampihado,
E sa camiso espeiandrado,
Ë l'erbo ensaunousido, e soun pitre fendu !
Abandonna dins la campagno,
Emé lis astre pèr coumpagno,
Aqui lou paure drôle avié passa la niue,
E l'aubo uniido e clarinello,
En ie picant sus li parpello,
Dedins si veno mourtinello
Reviscoulè la vide, e ie durbè lis iue. :^
MIREILLE, CHANT VI. 2t7
Quand tout à coup : « Silence î camarades, — fait
l'un des trois. Depuis un instant — il me semble ouïr
soupirer dans les bruyères. » — « Bah ! dirent les
autres, c'est la cloche — de Saint-Martin ou de Maus-
sane ; — ou bien peut-être la Tramontane — qui
agite en passant les touffes de chêne-nain*. »
A peine achevaient-ils, des genêts — sort une
plainte qui les arrête, - une plainte si dolente qu'elle
navrait le cœur. — « Jésus ! Maria ! dirent-ils tous,
— il y a de l'étrange! » et ils firent un signe de
croix, — et doucement, doucement s'acheminèrent
— là d'où les plaintes venaient de plus en plus fortes.
Oh ! quel spectacle ! Dans les herbes, — sur les
cailloux, le visage — renversé par terre, Vincent
était gisant : — le sol foulé autour dé lui, — les brins
d'osier dispersés çà et là, — sa chemise en lambeaux,
— et l'herbe ensanglantée, et sa poitrine ouverte I
Abandonné dans les champs, — avec les étoiles
pour compagnes, — là le pauvre jeune homme avait
passé la nuit ; — et l'aube humide et lumineuse, —
en frappant sur ses paupières, — dans ses veines
mourantes — ressuscita la vie, et lui ouvrit les
yeux.
io
218 MIRÈIO, GANT VI.
E li très orne, tout en aio,
Quitèron tout-d'un-tèms la draio ;
E, courba tôuti très, ie faguèron un brès
De si roupo, qu'espandiguèron ;
Pièi entre tôuti lou prenguèron
A la brasseto, e l'aduguèron
Au Mas di Falabrego, ounle èro lou plus près...,
0 dous ami de ma jouvènço,
Valent Felibre de Prouvènço,
Qu'escoutas, atentiéu, mi cansoun d'autre-tèms
Tu que sabes, o Roumaniho,
Entrena dins tis armounio
^ E li plour de la pacaniho,
E lou rire di chato, e li flour dôu printèms ;
Tu que di bos e di ribiero
Cerques lou sourne e la fresquiero,
Pèr toun cor coumbouri de pantai amourous,
Fier Aubanèu ! e de ti soubro,
Tu, Crousihat, qu'à la Touloubro
Fas mai de noum, que n'en recoubro
De soun Nostradamus, l'astrolô souloumbrous ,
E tu tambèn, Matiéu Ansèume,
Que, di triho souto lou tèume,
Regardes, pensatiéu, li chato que fan gau !
E tu, Pauloun, fin galejaire ;
E tu, iou paure trenquejaire,
Tavan, umble cansounejaire
grihet brun qu'espinchon toun magau !
MIREILLE. CHANT VI. 219
Et les trois hommes, empressés, — quittèrent
aussitôt le chemin ; — et, courbés tous les trois, lui
firent un berceau — de leurs manteaux qu'ils déployè-
rent; — puis, entre eux tous, le prirent — dans
leurs bras, et l'apportèrent — au Mas des Micocoules,
qui était la plus proche (habitation)....
0 doux amis de ma jeunesse, — vaillants poètes
de Provence, — qui écoutez, attentifs, mes chan-
sons du temps passé : — toi qui sais, ô Roumanille, —
tresser dans tes harmonies, — et les pleurs du
peuple, — et le rire des jeunes filles, et les fleurs du
printemps !
Toi qui des bois et des rivières — cherches le
sombre et le frais — pour ton cœur consumé de rêves
d'amour, — fier Aubanel ! et, par les (œuvres) que
tu laisses, — toi, Crousillat, qui à la Touloubre —
fais plus de renommée qu'elle n'en recouvre — de
son Nostradamus, le sombre astrologue*;
Et toi aussi, Matthieu Anselme, — qui, sous le
berceau des treilles, — regardes, pensif, les jeunes
filles attrayantes ! — Et toi, cher Paul, ô fin railleur;
— et toi, le pauvre paysan, — Tavan, qui mêles ton
humble chanson — à celle des grillons bruns qui
examinent ton boyau !
220 MIRÈIO, CANT YI.
Tu mai, que dins li durençado
Trempes encaro ti pensado,
Tu qu'à nôsti soulèu caufes lou franchiman,
Moun Adofo Doumas : grandido,
Quand pièi Mirèio s'es gandido
Liuen de soun mas, novo e candido.
Tu que l'as, dins Paris, menado pèr la man !
Tu 'nfm, de quau un vent de llamo
Ventoulo, emporte e fouitol'amo,
Garcin, o fiéu ardent dôu manescau d'Âlen!...
Vers la frucho bello e maduro,
0 vàutri tôuli, à mesure
Que iéu escale moun auturo,
Menas moun camin de voste sant alen ! . .
— Mèste Ramoun, bonjour ! diguèron
Li pourcatié, quand arribèron :
Avèn trouva, pecaire! aquéu paurejouvènt
Aperavau dins la champino ;
Poudès cerca de pato fmo,
Car a'n bèu trau à la peitrino !
Sus la taulo de pèiro alor pauson Vincèn.
Au brut de la malemparado,
Mirèio cour, despouderado.
Que venié dôu jardin, e sus l'anco tenié
Soun plen panié de lièume; courron
Touti lis ome que labouron...
Mirèio, enl'èr si bras s'aubouron;
— Maire de Dieu! pièi quilo, e toumbo soun panié.
MIREILLE, CHAI^T VI. 221
Et toi aussi, qui, dans les débordements de la Du-
rance — trempes encore tes pensées, — toi qui
chauffes le français à nos soleils, — mon Adolphe Du-
mas : grandie, — lorsque ensuite Mireille s'est lan-
cée — loin de son mas, neuve et étonnée, — toi qui
l'as, dans Paris, menée par la main !
Et toi enfin, dont un vent de feu — agite, emporte
et fouette l'âme, — Garcin, ô fils ardent du maréchal
d'Alleins ! . . . — vers le fruit beau et mûr, — ô vous
tous, à mesure — que je gravis ma hauteur, —
aérez mon chemin de votre sainte haleine !...
— « Maître Ramon, bonjour! dirent — les por-
chers en arrivant : — Jious avons trouvé ce pauvre
jeune homme — par là-bas dans la lande ; — cher-
chez des loques (de toile) fine, — car il porte à la
poitrine une bien large blessure. » — Alors, sur la
table de pierre ils déposent Vincent.
Au bruit du fatal événement, — Mireille accourt,
éperdue ; — elle venait du jardin, et tenait sur la
hanche — son panier plein de légumes ; accourent
— tous les laboureurs... — De Mireille les bras se
lèvent : — « Mère de Dieu! » puis s'écrie-t-elle (d'une
voix aiguë) , et son panier tombe
10
222 MIREIO, C.\M' VI.
— Vincèni mai, que t'an fa, pecaire!
Qu'as tant de sang? De soun fringaire
Ausso alor douçamen la lèsto, e'n bon moumen
Lou regarde, mudo, atupido,
Perla doulour coume arrampido.
De lagremo grosso e rapido
S'inoundavo enterin l'auturoun de soun sen.
De l'amourouso pichouneto
Vincèn couneiguè la maneto ;
E d'uno voues mourènto : Oh ! dis, agués pieta '
Ai de besoun que m'acoumpagne
Lou bon Dieu, car siéu bèn de plagne !
— Laisse que ta bouco se bagne,
Faguè Mèste Ramoun, d'un paa d'^grioutat.
— 0, béu-Iou lèu, quacô remounto,
Reprenguè la jouvènto. E, proumto,
Arrapè lou flascjuet ; e degout à degout,
En le parlant lou fasié béure,
E ie levavo lou mau-viéure.
— De tau malur Dieu vous deliéure,
Vincèn coumencè mai, e vous pague de tout !
En refendent uno amarino,
L'esquichave sus ma peitrino,
Quaid lou fèrri m'esquifo e me pico au mamèu.
Vouguè pas dire que pèr elo
S'èro batu coume uno grelo...
Mai saparaulo, d'esperelo,
Rêve nié vers l'amour, coume la mousco au mèu.
MIREILLE, C .ANT VI. 223
— « Vincent ! que t'a-t-on fait, hélas ! — pour
être ainsi (couvert) de sang ! » De son bien-aimé —
elle relève alors doucement la tête, et longuement
— le regarde, muette, consternée, — comme pétri-
fiée par la douleur. — De larmes grosses et rapides
— s'inondait en même temps la légère éminence de
son sein.
De l'amoureuse jeune fille — Vincent reconnut la
main ; — et d'une voix mourante : « Oh ! dit-il, ayez
pitié ! — J'ai besoin qu'il m'accompagne, — le bon
Dieu, car je suis bien à plaindre !» — « Laisse hu-
mecter ta bouche, — dit Maître Ramon, avec ui peu
d'agriotat^. »
— « Oui, bois-le vite, car cela ranime, » — reprit
la jouvencelle. Et, prompte, — elle prit le flacon; et
goutte à goutte, — en lui parlant elle le faisait boire,
et lui ôtaitle mal-être. — « De pareils malheurs Dieu
vous délivre, — Vincent commença de nouveau, et
vous paye tous (vos soins) !
« En refendant un (scion d') osier, — je le pressais
sur ma poitrine, — quand le fer m'échappe et me
frappe au sein. » — Il ne voulut pas dire que pour
elle — il s'était battu comme une grêle. .. — mais sa
parole, d'elle-même, — revenait vers l'amour, comme
la mouche au miel.
224 MIRÈIO, GANT VI.
— La doulour, dis, de vosto caro
Mai que ma plago m'es amaro !
Ce qu'avian coumença, lou carieslèu poulit,
Fau dounc, parèis, que noun s'acabe,
E que la treno se derrabe ! . . .
Pèr quant à iéu, Mirèio, sabe
Qu'auriéu de vosto amour vougu lou vèire empli.
Mai tenès-vous aqui ! . . . que vegue
Vôstis iue dous, e que ie bègue
La vido enca'n brisoun! vous demande pas mai...
Vous demande... sepoudias faire
Quaucarèn pèr lou panieraire :
Ai alin moun paure vièi paire
Qu'es escranca de l'âge, e mort pèr lou travai.
Mirèio se descounsoulavo...
Dôu tèms, elo pamens lou lavo,
E l'un de l'escarpido esfato lou velout,
D'autre lèu landon vers l'Aupiho
Cerca li bonis erbouriho.
Mai sus-lou-cop Jano-Mario :
— Au Trau di Fado, au Trau di Fado pourtas-loa !
Tant mai la plago es dangeirouso,
Tant mai la masco èi pouderouso !
Zôu dounc ! au Trau di Fado, à la coumbo d'Infèr..
Quatre lou porton.. . Dins li peno
Que di Baus formon la cadeno,
En un rode que l'alabreno
Trèvo, e qu'en virouiant marcon li capoun-fèr,
MIREILLE, CHANT VI. 225
— « La douleur, dit-il, de votre visage, — plus
que ma plaie m'est çr.nère ! — La jolie carbeille
commencée par nous, — il faut donc, paraît-il, qu'elle
(reste) inachevée, — et que la tresse s'en arrache !...
— Pour ma part, Mireille, je sais — que, de votre
amour, j'aurais voulu la voir s'emplir.
« Mais tenez -vous là !.. . que je voie — vos yeux
doux, et que j'y boive — la vie encore un peu î je ne
vous demande rien de plus... — Je vous demande...
si vous pouviez faire — quelque chose pour le van-
nier -. — j'ai là-bas mon pauvre vieux père — qui est
brisé par l'âge, et mort pour le travail. »
Mireille se désolait... — Cependant elle lave sa
(bless\ire), — et l'un de la charpie déchire le velours,
— d'autre? :^mpressés, s'élancent vers l'Alpine, —
(pour) chercher les herbes salutaires. — Mais aussitôt
Jeanne-Marie : — « Au Trou des Fées *, au Trou des
Fées portez-le'
« Plus la plaie est dangereuse, — plus la sorcière
est puissante ! » — Allons ! au Trou des Fées, dans
le vallon d'Enfer, — quatre le portent... Oans les
remparts de roche — qui forment la chaîne des Baux ,
— en un lieu cpie la salamandre — hante, et que de
leur vol tournoyant les sacres indiquent,
226 MIRÈIO, GÂî^T VI
Di roumani entre li mato,
A flour de roco, un trau s'acato.
Alin dedins, despièi que lou sant Angélus^
En l'ounour de la Vierge, pico
Lou brounse clar di baselico,
Alin dedins li Fado antico,
Pèr toustèms, dôu soulèu an fugi lou trelus.
Espèritoun plen de misièri,
Entre la formo e la matèri
Erravon, au mitan d'un linde calabrun.
Dieu lis avié fa miè-terrèstre
E femelin, coume pèr èstre
L'amo vesiblo di campèstre,
E pèr di proumiés ome amansi lou ferun.
Mai li Fadeto, — bèu coume èron, —
Di fiéu dis ome s'aflamèron ;
E, li foulasso ! au lio d'enaura li mourtau
Vers li celés lis esplanado,
Di passioun nostro apassiounado,
A noslo fousco destinado,
Coume d'aucèu pipa, toumbèron d'amoundaut.
Dins la gorgo estrechano e rudo
De la caforno sournarudo,
Li pourtaire pamens a\ien leissa Vincèn
Se davala de resquiheto.
Em'èu, dins l'escuro draieto
S'aventure que Mireieto,
Recoumandant soun amo à Dieu, camin fasènt.
MIREILLE, CHANT YI. 227
Entre les touffes des romarins, — à fleur de roche,
un trou se cache. — Dans ses profondeurs, depuis
que le saint Angélus, — en l'honneur de la Vierge^
frappe — le bronze clair des basihques, — dans ses
profondeurs les antiques Fées, — pour jamais, du
soleil ont fui la splendeur
Esprits légers, mystérieux, — entre la forme et la
matière — elles erraient, au milieu d'un limpide cré-
puscule. — Dieu les avait créées demi-terrestres —
et féminines, afin qu'elles fussent, pour ainsi dire, —
l'âme visible des campagnes, — et afin d'apprivoiser
la sauvagerie des premiers hommes.
Mais, si beaux étaient — les fils des hommes, que
pour eux s'enflammèrent les Fées ; — et, insensées!
au lieu d'élever les mortels — vers les célestes
espaces, — passionnées de nos passions, — dans no-
tre obscur destin, — comme des oiseaux fascinés, de
leurs hauteurs elles tombèrent.
Dans la gorge étroite et raboteuse — de la caverne
sombre, — les porteurs cependant avaient laissé Vin-
cent — se couler par glissade. — Avec lui, — dans
l'obscur sentier — ne s'aventura que Mireille, —
recommandant son âme à Dieu, chemin faisant*
228 MIRÈIO, GANT VI.
Au founs dôu pous que li carrejo,
Dins uno grando baumo frejo
Se devinèron; e, souleto au bèu mitan,
E dins li sounge ennevoulido,
Taven, la masco, agroumoulido,
Tenié 'no blesto de calido...
E tristo quenounsai tout en la regardant :
— Paure peu d'erbo serviciable !
Li gènt te nomon blad-dôu-diable,
Remiéutejavo, e sies un di signe de Dieu !
Alor Mirèio la saludo ;
E coume entameno, esmougudo,
L'estiganço de sa vengudo,
La masco, sens leva la tèsto : — Lou sabiéu !
E pièi sa voues atremoulido
S'adreissè mai à la calido :
— Pauro flour de la tepo! es ti fueio e ti gre
Que li troupèu tout l'an rousigon,
E, pecaire ! au mai te caucigon,
Au mai tis espigau espigon ,
E vestisses de verd tant l'uba que l'adré.
Taven aqui faguè 'no pauso.
Dins un cruvèu de cacalauso
Un iumcnoun cremavo, e fasié rougeja
La paret mouisso de la roco ;
Sus la fourquello d'uno broco
l'avié 'no graio, e toco-à-toco
Uno galino blanco. em' un crevèu penja.
MIREILLE, CHANT VI. 229
Au fond du puits qui les amène, — dans une grotte
vaste et froide — ils se trouvèrent ; et seule, au mi-
lieu, — et voilée d'un nuage de rêves, — Tavèn, la
ïorcière, accroupie, — tenait un épi de brome... —
Et profondément triste en le considérant :
— « Pauvre brin d'herbe officieux ! — les gens te
nomment blé-dii-diable — grommelait-elle, et tu es
un des signes de Dieu ! )> — Alors Mireille la salue ;
— et à peine commence-t-elle (à dire) , émue, — le
motif pour lecpiel ils viennent , — la sorcière, sans
lever la tète : « Je le savais ! »
Ensuite sa voix chevrotante — de nouveau s'a-
dressa au brome : — « Pauvre fleur du gazon! ce
sont tes feuilles et tes germes — que les troupeaux
toute l'année broutent ; — et, pauvrette ! plus ils te
foulent, — plus tes épis se multiplient — et tu revêts
de verdure le nord comme le midi. »
Là, Tavèn fit une pause,— Dans une coquille d'es-
cargot — une petite lumière brûlait, éclairant de
reflets rougeâtres— la paroi humide de la roche ; —
sur la fourchette d'un bâton — était (juchée) une
corneille, et côte à côte — une poule blanche ; un
crible pendait (au mur).
SO
230 MIREIO, CANT VI.
— Quau que fugues, digue la masco
Subitamen e coume nasco,
Eh ! que m'enchau ? la Fe camino de plegoun,
La Carita porto li plego,
E noun s'escarlon de la rego...
Banaslounié de Valabrego,
Te sentes fe? — Me sente ! — Enrego moun regounl
Adraiado coume uno loubo
Qu'emé sa co li flanc se zoubo,
Pèr un trau desparèis la masco. Estabousi,
Lou Valabregan e Mirèio
Après ie van. Davans la vièio,
S'enlendié dins l'orro tubèio
Voulastreja la graio, e la clusso clussi.
— Davalas lèu, qu'es déjà l'ouro
De se cencha de mandragouro !
E lèu, de rabaloun, de tirassoun, parèu
Que l'un de l'autre noun se brando,
Van à la voues que li coumando.
En uno baumo enca plus grando
Venié se relarga l'infernau gourgarèu.
— Vaqui ! Taven ie faguè signe...
0 plante santo de moun segne
Nostradamus ! brout d'or, bastoun de Sont Jôusè,
E vergo masco de Mouise !
Crido ; e de l'erbo que vous dise,
Cregnènto, courounè li vise
Emé soun capelet qu'à geinoun ie pause.
HIIU.ILLE, CHANT VI. 231
— « Qui que VOUS soyez, dit la sorcière — subite-
ment et comme ivre, — eh! que m'importe? la Foi
marche les yeux fermés, — la Charité porte un ban-
deau, — et elles ne s'écartent pas de la raie... —
Vannier de Valabrègue, — te sens-tu foi ?» — « Je
me sens ! » — « Suis mon sillon ! »
Empressée comme une louve — qui de sa queue
se bat les flancs, — par un trou disparaît la sorcière.
Stupéfaits, — le Valabrégan et Mireille — vont après
elle. Devant la vieille — on entendait dans l'horrible
brume — voleter la corneille, et la poule glousser.
— « Descendez vite ! il est déjà l'heure — de se
ceindre de mandragore ! » — Et vite, en rampant,
en se traînant, couple — ne s'écartant point l'un de
l'autre, — ils vont à la voix qui les commande. —
Dans une grotte plus grande encore — venait s'élar-
gir l'infernal couloir.
— «Voilà ! leur dit Tavèn d'un signe... — 0 plante
sainte de mon seigneur — Nostradamus ! rameau
d'or, bâton de Saint Joseph, — et verge magique de
Moïse! » — s'écrie-t-elle ; et de l'herbe que je vous
dis, — craintive, elle couronna les pousses — avec
son chapelet qu'elle y déposa, à genoux.
232 MIRÈIO, GANT VI.
Pièi s'aubourant : Es l'ouro, es l'ouro
De se cencha de mandragouro !
De la planto creissudo à l'asolo dôu roucas
Cuei 1res jitello : n'en courouno
Elo, lou drôle, la chatouno...
— Avans toujour ! — E s'enfourgoimo
Ardènto mai que mai, dins li sourne traucas
Emé de hime sus l'esquino
Pèr enclari l'escuresino,
Un vôu d'escarava ie camino davan.
— Jouvènt! à tout camin de glôri
l'a soun travèsde purgatôri...
An ! courage ! dôu Sabatôri
Anan arc, ai ! ai ! ai ! franqui lis espravant.
N'avié panca barra la bouco,
Uno auro forto li remouco
E ie coupo l'alen, subit : — Âmourren-nous !
Di Foulctoun veici loutrounfle !
Coume un croupas, de grolo gounfle,
Souto li croto passe à rounfle
L'eissame vagabound, quilant, revoulunous.
Passon ; e, de tressusour trempe,
Li très mourtau sènton si tempe
Ventoula, bacela de l'alo di Trcvan,
Coume un glas pelado e jalèbro.
— Ânas pu liuen pica tcnèbro, .
Taven cridè, bando menèbro !
Isso, mata-blad ! isso ! o garas-vous davan!
MIREILLE, CHANT VI. 233
Puis se levant : — « C'est l'heure, c'est l'heure —
de nous ceindre de mandragore ! » — De la plante
venue dans la fente du roc — elle cueille trois jets :
s'en couronne — elle-même, (en couronne) le jeune
homme, la jeune fille... — « En avant toujours! » Et
elle s'engouffre, — ardente plus que jamais, dans les
cavités sombres.
Avec de la lumière sur le dos — pour éclairer
l'obscurité, — une troupe d'escarbols chemine de-
vant elle. — « Jeunes gens, tout chemin glorieux —
a sa traversée de purgatoire... — Çà! courage! du
Sabbat — nous allons maintenant, aïe ! aïe ! aïe !
franchir les épouvantes. »
Elle n'avait pas clos encore la bouche, — un vent
violent leur cingle (le visage), — et leur coupe brus-
quement le souffle : — « Prosternons-nous! — Des
Follets voici le triomphe ! » — Tel qu'un grain,
gonflé de grêle, — sous les cryptes passe, innon>-
brable, — l'essaim vagabond, glapissant, tourbil-
lonnant.
Ils passent ; et baignés d'une sueur froide, — les
trois mortels sentent leurs tempes — éventées ,
fouettées par l'aile des fantômes, — nue et froide
comme un glaçon. — « Allez plus loin battre les té-
nèbres, — Tavén cria, bande bourrue ! — Allez,
abatteurs de moissons ! allez ! ou rangez-vous I
30
2:^4 MIRÈTO, CANT VI.
* Oh ! li pudènt! lis esbroufaire!...
E dins lou bèn que poudèn faire.
Dire pièi que nous faugue emplega talo gènt!
Car, 0, de même que lou mèje
Souvent tire lou bon dôu pièje,
Pèr la vertu di sourtilège
Fourçan, nautre, lou mau à coungreia lou bèn;
Car sian li masco. E noun i'a cause
Qu'à nosto \isto reste clauso.
R mounte lou coumun vèi uno pèiro, un fouit,
Uno malandro, uno coundorso,
le destrian, nautre, uno forço
Que dins sa rusco se bidorso,
Coume souto la raco un vin nouvèu que boui...
Trauco la tino : la bevènto
N'en gisclara touto bouiènto ;
Destousco, se tu pos, la clau de Salamoun!
Parlo à la pèiro dins sa lengo,
E la mouiitagno, à toun arengo,
Davalara dins la valengo ! . . .
E sèmpre descendien dins li eau no dôu mount
Uno pichoto voues, malino
Coume un quilet de cardelino,
Alor ie fai : Hoi ! hoi ! la courbaire Taven :
Viro lou tour ma tnnto Jano,
Viro lou tour, e pièi debano,
La niue, lou jour, soun fiéu de lano^
E crèi fiela de lano, e fielo que de fen l
I
MIREILLE, CHANT VI. 255
« Oh! les vilains! les fanfarons! — Et, dans le
bien que nous pouvons faire, — dire ensuite qu'il
nous faut employer telle engeance ! — Car, oui, de
même que le médecin — souvent tire le bon du pire,
— par la vertu des sortilèges, -^nous forçons, nous,
le mal à engendrer le bien ;
« Car nous sommes les sorcières ; et nulle chose à
notre vue n'est cachée ; — et où le vulgaire voit une
pierre, un fouet, — une maladie, une perche, — nous
discernons, nous, une force — qui dans son écorce
se tourmente — ainsi que sous le marc un vin nou-
veau qui bout.
« Perce la cuve : — la boisson — en jaillira toute
bouillante ; découvre, si tu peux, la clef de Salomon !
— Parle à la pierre dans sa langue, — et la monta-
gne, à ta parole, — dévalera dans la vallée !» — Et
ils descendaient toujours dans les cavernes de la
montagne.
Une petite voix, maligne — comme un cri de char-
donneret, leur fait alors : « Hoï ! hoï I la commère
Tavèn ! — Tourne le rouet ma tante Jeanne^ — tourne
le rouet, et puis dévide, — la nuit, le jour, son fil de
laine ; — et elle croit filer de la laine, et ne file que
du foin !
MIRÈIO, CANT YI.
E zôii ! ma grand ! que lou tour vire '
— Em'acô 'nTèr, vague de rire,
Tout coume quand endiho un poutre desmama.
— De-qu'es aquelo vouos parlante
Que quouro ris e quouro canto?
Vcnguè Mirèio tremoulanto...
— Iloi ! hoi ! en répétant soun rire acoustuma,
Faguè la voues enfantoulido,
Quau es aquelo tant poulido?
Ah ! laisse, mourranchoun, qu'auboure toun fichu.
Laisse qu'auboure... Es d'avelano
Que i'a dessouto, o de miôugrano?
E la paureto bastidano :
— Ai ! ! anavo crida. Taven ie fai lèu : Chut !
Agues pas pôu ! acô's un glàri
Bon que pèr faire de countràri ;
Es aquéu fouligaud d'Esperit-Fantasli :
Quand dins si bono se devino,
Te vai escouba ta cousino,
Tripla lis iôu de ti galino,
Empura lou gavèu e vira toun roustit.
Mai, que le prengue un refoulèri,
Pos dire adieu!... Que treboulèri !
Dins toun oulo, ie largo un quarteiroun de sau ;
Empacho que toun fio s'alurne;
Te vas coucha? boufo toun lume ;
Vos ana i vèspro à Sant-Trefume?
T'escound o te passis tis ajust dimenchau.
MIREILLE, CHANT VI. 237
9 Çà ! granirmère! tourne le rouet !» — Et puis,
en l'air, de rire et de rire !... — Ainsi hennit un pou-
lain sevré. — a Quelle est cette voix qui parle, — et
tantôt rit, et tantôt chante ? » — demanda Mireille
en tremblant... — « Hoi! hoi! en répétant son rire
habituel,
Dit la voix enfantine, — quelle est cette si jolie
(fille)!... — Permets, petit minois, que je soulève
ton fichu... — Permets que je soulève... Y a-t-il des
noisettes — dessous, ou des grenades ?» — Et la
pauvre enfant des champs : — « Aïe ! » allait-elle
crier. Mais Tavèn aussitôt : « Silence '
« N'aie pas peur! c'est là un lutin — bon seule-
ment à faire des niches. — C'est cet écervelé d'Esprit-
Fantastique : — dans ses bons (moments), — il ba-
layera ta cuisine, — triplera les œufs de tes poules,
— attisera le sarment et tournera ton rôti.
« Mais qu'il lui prenne un caprice, — tu peux
dire adieu ! . .. Quel brouillon ! — Dans ta marmite, il
jette un quarteron de sel ; — il empêche ton feu de
s'allumer ; — vas-tu te coucher? il souffle ta lampe ;
— veux-tu aller aux Vêpres à Saint-Trophime *? —
il Mo\iQ ou fane ta parure des dimanches. »
238 MIRÈIO, CANT VI.
— Tè ! tè ! . . . vièi cro, giblo ti pouncho !
L'ausès, la carrello iriau vouncho?
FiOu levènti lèu-lèu ie respond, o, carcan,
La niue, quand dormon li chatouno
Tire plan-plan sa cubertouno ;
Lis espinche, nuso e redouno,
R que, folo de pôu, s'aniaton en pregant
Vese si dos coucoureleto
Que van e vènon, tremouleto ;
Vese... El'Esperitoun s'enanavo eilalin
Emé soun rire. . . Sout li baumo,
Li mascarié faguèron chaumo ;
E dins lis oumbro e la calanmo
Entendien dégoûta sus lou sôu crislalin,
Dégoûta lou trespir di vôuto,
E rèn qu acô, de vôuto en vôuto.
E veici, peravau dins la vasto'negrour,
Veici qu'uno grand formoblanco,
Qu'èro assetado su'no estanco,
S'aubourè drecho, un bras sus l'anco.
Vincèn, coume un queiroun, aplanta de terreur;
E s'aqui même pousquèsse èstre
Un degoulôu, de l'escaufèstre
Mirèio tout d'un vanc se ie trasié. — Que vos,
Taven cridè, long escamandre,
Pèr que ta tèsto se balandre
Coume uno pibo?... Mi calandre,
Faguè pièi au parèu qu'a la mort dins lis os,
MIREILLE, CHANT VI. 259
— . tf Tiens! tiens ! vieux croc, rive tes pointes! —
L'entendez-vous, la poulie mal graissée? — lui répli-
que aussitôt l'espiègle. Oui, olive desséchée, — la
nuit, quand dorment les fillettes, — je tire douce-
ment leur couverture; — je les épie, nues et rebon-
dies, — et qui, folles de peur, se blottissent en
priant.
« Je vois leurs deux coupelles — qui vont et vien-
nent, palpitantes; — je vois.., » Et l'Esprit s'en
allait au lointain — avec son rire... Sous les grottes,
— les sorcelleries firent trêve ; — et dans les om-
bres et le silence — on entendait dégoutter sur le sol
cristallin ,
Dégoutter la filtration des voûtes, — et cela seul,
d'intervalle en intervalle. — Et voici, par là-bas,
dans l'immensité noire, — voici qu'une grande forme
blanche — qui sur un banc de roche était assise, —
se leva droite, un bras sur la hanche. — Vincent,
comme un quartier de pierre, immobile de terreur ;
Et si en ce lieu même avait pu être ~ un préci-
pice, d'épouvante — Mireille s'y jetait d'un seul
élan. — « Que veux-tu, — s'écria Tavèn, long esco-
griffe, — par ces balancements de tête — (pareils à
ceux) d'un peuplier?... Mes drilles, — dit-elle ensuite
au couple qui a la mort dans les os,
240 MIIIÈIO, GANT VI.
Couneissès pas la Bugadiero?
Sus Mount-Ventoui" (qu'èi sa cadiero)
Quand la veson, d'en bas, pèr un long nivo blanc
Li gènt la prenon; mai, o pastre,
Lèu ! lèu ! que vosle avé s'encastre !
La Bugadiero de malastre
Âcampo à soun entoui' 11 nivo barrulant ;
E quand n'i'a proun pèr la bugado,
Sus lou mouloun, revertegado
E 'mé furour, bacello e rebacello : à bro,
N'en tors la raisso emé la flamo,
E, sus la mar que mounto e bramo,
A la gàrdi de Nostro-Damo
Li marin palinous recoumandon sa pro '
E lou bouiè de-vers l'estable
Coucho... Un sagan espaventable
[e tanco tournamai la paraulo entre dent :
E de miaula de catamiaulo,
E de brandamen de cadaulo,
E de piéu-piéu, e de paraulo
\ mita dicho, e'n quau lou diable soûl entend.
Jin î jin î poun-poun !.. Quau es que pico
Sus de peirolo fantastico?...
E d'estras, e de rire, emé d'esquichamen
Coume de femo abasimado
Dins lou moumen de si ramado ;
Pièi de badai, pièi de bramado,
E zôu ! lou roumadan e li gingoulamen !
MIREILLE, CHANT VI. 2^1
« Vous ne connaissez pas la Lavandière? — Sur le
Mont Ventour (qui est son siège) — lorsqu'ils la
voient, d'en bas, pour un long nuage blanc — les
gens la prennent ; mais, ô bergers, — vite ! vite ! que
vos brebis rentrent au parc ! — la Lavandière de
malheur — amasse autour d'elle les nuées errantes;
«( Et quand il en est assez pour la lessive, — sur
le monceau, (les bras) retroussés, — et avec fureur,
elle frappe et refrappe : à brocs — elle en exprime
en les tordant et l'averse et la flamme, — et sur la mer
qui monte et mugit, — à la garde de Notre-Dame —
les pâles nautoniers recommandent leur proue !
« Et le bouvier devers l'étable — chasse... » Un
épouvantable tumulte — lui arrête derechef la pa-
role entre dents : — miaulements de chattemites, —
branlements de loquet, — et piaulements, et paroles
— à moitié dites, et auxquelles le diable seul entend.
Djin! djin! poim-poun!.... Qui frappe ainsi —
sur des chaudières fantastiques ?... — Et des déchi-
rements, et des (éclats) de rire, et des épreintes —
comme (celles) de femmes abîmées — dans les dou-
leurs (de leurs couches) ; — puis des bâillements,
puis des huées, — et des criailleries, r,t des gémis
sements aigus I
21
242 MIRÈIO, GANT VI
— Pourgès la man, que vous arrape !
E dounas siuen que noun s'escape
La courouno de masc que vous cencho lou front!
E dins si cambo aqui s'encoufo
Coume uno pourcado qu'esbroufo :
Un quilo, un japo, un reno, un boufo.
Souto un lançôu de nèu quand la Naturo drom,
Pèr uno niue ventouso e claro,
Quand li cassaire de fanfaro
Espôusson li roumias tout-de-long di valat,
Ânsin passeroun e machoto,
Destrassouna dins sa liechoto
E' spavourdi, parton à floto,
E 'mé 'n brut d'aurifiant s'embourson au fielat.
Mai alor l'escounjurarello :
I, mau-vivènti sautarello I
Arri ! . . . malavalisco à vàutri î . . . passas-nie '
E coussaiant la chourmo impuro
Emé soun drai, dins la sournuro
Trasié de ciéucle, de figuro,
De raio luminouso e coulour de vermé.
— Entraucas-vous dins vôsti borno,
0 maufatan !... quauvous destorno?
I dardaioun de fio que pougnon vôsti car,
Senlès donne pas que sus l'Aupiho
Lou soulèu rous encaro briho ?
Pendoulas-vous i roucassiho !
Pèr li ralo-oenado et ixaro trop clar...*
MIREILLE, CHANT VT. 2i3
— « Tendez la main, que je vous saisisse ! — et
prenez garde qu'elle ne s'échappe — la couronne
magique qui vous ceint le front !» — Et dans leurs
jambes alors se presse pêle-mêle — (quelque chose)
comme un troupeau de porcs qui s'ébroue : — l'un
crie, l'un aboie, l'un grogne, l'un souffle. — Sous
un linceul de neige quand la nature dort ,
Par une nuit venteuse et claire, — quand les chas-
seurs à la fouée — secouent les ronceraies tout le
long des ruisseaux, — ainsi moineaux et chouettes, —
éveillés en sursaut dans leur, couche, — effarouchés,
partent par bandes, — et, avec un bruit de soufflet
(de forge), s'engouffrent dans le filet.
Mais alors la charmeresse : — « Hue ! sauterelles
de mauvaise vie! — ArrH... malheur à vous!...
loin de moi !» — Et chassant la horde impure —
avec son crible, dans les ténèbres, — elle jetait des
cercles, des figures, — des raies lumineuses et cou-
leur de kermès.
— « Clapissez-vous dans vos cavernes, — artisans
de mal ! . . . qui vous dérange ? — Aux aiguillons de
feu qui piquent vos chairs, — ne sentez-vous donc
pas que sur l'Alpine — le soleil roux brille encore?
— Aux angles de rocher appendez-vous ! — pour les
chauves-souris il fait encore trop clair.... »
244 MIRÈIO, CANT VI.
E de tout Caire patusclavon,
E li brut pau-à-pau moulavon.
• — Fau vous dire, au parèu digue Taven alor.
Que di Trevan eiçô 's la cauno,
Tant que, sus lis estoublo jauno,
Lou jour laisso toumba sa mauno ;
Mai une fes que l'oumbro estènd sou drap de mort
Eiça quand la Vièio encagnado
Mando à Febrié sa reguignado,
Dins li glèiso deserto e clavado à très tour,
Ânessias pas, fenoo tardiero,
Lou front pendent su'no cadiero.
Resta 'ndourmido ! . . . Â la sourniero,
Pourrias vèire li bard s'eigreja tout autour ;
E s'atuba li lumenàri,
E, courdura dins lou susàri,
Li mort, un aro, un pièi, s'ana mètre à geinoun ;
Un capelan, pale coume éli,
Dire la Messo e TEvangéli ;
E li campano, d'esperéli
A brand, ploura de clar emé delong plagnoun!
Parlas, parlas-n'en i béulôli :
Dins li glèiso, pèr béure l'ôli
Di lampo, quand, l'ivèr, davalon di clôuquié,
Demandas-ie se vous mentisse,
E se lou clerc que sèr l'ôufico.
Que met lou vin dins lou calice,
N'es pas soulet d'en vido à la ceremounié!
MIREILLE, CHANT VI. 445
Et, ils déguerpissaient de toute part; — et les bruits
peu à peu s'éteignaient. — « Il faut vous dire, au
couple dit alors Tavèn, — que des fantômes ce
(lieu) est le repaire, — tant que, sur les jachères
jaunes, — le jour laisse tomber sa manne ; — mais
dés que l'ombre étend son drap de mort;
« Vers le temps où la Vieille ® irritée — lance à
Février sa ruade, — dans les églises désertes et fer-
mées à triple tour de clef, — n'allez pas, femmes
attardées, — le front pendant sur une chaise, —
rester endormies!... Dans les ténèbres, — vous
pourriez voir les dalles se soulever toat alentour;
« Et les luminaires s'allumer ; — et, cousus dans
leurs suaires, — les morts, un à un, aller se mettre
à genoux ; — un prêtre, pâle comme eux, — dire la
Messe et l'Évangile; — et les cloches, d'elles-mêmes
en branle, pleurer des glas avec de longs soupirs I
« Parlez, parlez-en aux effraies : — dans les égli-
ses, pourboire l'huile — des lampes, quand, l'hiver,
elles descendent des clochers, — demandez-leur si je
vous mens, — et si le clerc qui sert l'office, — qui
dans le calice verse le vin, — n'est pas le seul vivant
à la cérémonie ! •
24fi MIRÈIO, GANT VI.
Rica quand la Vièio encagnado
Mando à Febriè sa reguignado,
Pastre, se noun voulès, espeloufi de pôu,
Resta sèt an, li cambo redo,
Enclaus aqui 'mé vôsti fedo,
Rintras pulèu dins vôsti cledo,
Pastre! lou Trau di Fado a bandi tout soun vôuî
E dins la Crau, de quatre cambo
0 de voulado, se ie rambo
Tout ce qu'a fa lou pache ; e pèr li draiôu tort,
Li Matagoun de Varigoulo
E li Masc de Fanfarigoulo
Van veni dins li ferigoulo,
En farandoulejant, béure à la tasso d'or.
. Vè ! coume danson li garrigo !
En fernissènt de l'embourigo,
Déjà la Garamaudo espèro lou Gripet...
Hui! lapanturlo endemouniado!
Gripet, morde la carougnado
E' stripo-la de grafignado....
Desparèisson. . . Ve mai que fan orre e tripet !
Aquelo, eilavau, que patusclo
Terro-bouiroun dins li lachusclo,
Coume un laire de niue que luge en s'amourrant,
Es la Bambaroucho mourrudo !
Entre sis arpo loungarudo
E sils sa tèsto banarudo
Emporto d'enfantoun, tôuti nus e plourant...
MIREILLE, CHANT VI. 247
« Vers le temps où la Vieille irritée — lance à Fé-
vrier sa ruade, — pâtres, si vous ne voulez ébou-
riffés de peur, — rester sept ans les jambes roides,
— charmés, là où vous êtes, avec vos brebis, —
rentrez moins tard dans vos claies, —pâtres ! le Trou
des Fées a lâché tout son vol.
« Et dans la Crau, à quatre pattes — ou d'une
volée, se rend — tout ce qui a fait le pacte ; et, par
les sentiers tortueux, — les Magiciens de Varigoule^
— et les Sorciers de Fanfarigoule ^ — vont venir
dans les thyms — boire à la tasse d'or, en faisant la
farandole,
« Voyez ! comme dansent les garrigues ' ! — Fré-
missante du nombril, — déjà la Garamaude attend
le Gripet... — Fi! guenipe endiablée! — Gripet,
mords la charogne — et arrache-lui les boyaux à
coups de griffes... — Ils disparaissent... Les voilà
encore! horreur et bacchanale!
« Celle qui, là-bas, décampe — terre à terre dans
les tithymales, — comme un voleur nocturne qui
fuit en se baissant, — c'est la Bambarouche refro-
gnée ! — Entre ses longues serres — et sur sa tête
cornue — elle emporte des enfantelets, nus et pleu-
rants...
248 MIRÉIO, CANT VI.
Eila, vesès la Chaucho-vièio ?
Pèr lou canoun di chaminèio,
Davalo d'à cachoun sus l'estouma relent
De l'endourmi que se revèsso ;
Mudo, se i'agrouvo ; l'ôuprèsso
Coume uno lourre, e i'enlravèsso
De sounge que fan afre e de pantai doulènt
Ausès desgounfouna li porto ?
Lis Escarinche soun pèr orto,
Pèr orto lou Marmau, lou Barban... Dins l'ermas,
Fan nèblo; enjusquo di Ceveno,
Emé si ventre d'alabreno,
Li Dra s'acampon à dougeno,
E 'n passant, pataflôu! destèulisson li mas.
Que tarabast!... o Luno, o Luno,
Que mau-passage t'encantuno,
Pèr davala, tantroujo e largo, sus li Bau?...
Aviso-te dôu chin que japo,
0 Luno folo ! Se t'arrapo,
T'engoulara coume uno papo,
Car lou chin que t'aluco es lou Chin de Cambau
Mai quau ansin brando lis éuse?.,.
Ai ! soun troussa coume de féuse;
E di fio de Sant-Èume, à saut, à vertouioun,
Boumbis la flamado gancherlo ;
E d'estrepado, e 'n brut d'esquerlo
Estrementis la Crau estcrlo...
Lou galop enrabia dùu Baroun Castihoun !
MIREILLE, CHANT VI. '240
« Parla, voyez-vous le Cauchemar ? — Par le tuyau
des cheminées, — il descend furtivement sur la poi-
trine moite — de l'endormi qui se renverse; —
muet, il s'y accroupit, l'oppresse— comme une tour,
et enchevêtre (dans son esprit) — des songes qui
font horreur et des rêves douloureux.
« Entendez-vous arracher les portes de leurs gonds ?
— Les Escarinches courent la campagne; — (courent)
la campagne le Marmal, le Barban.. , Dans la lande
— ils forment une brume; des Cévennes mêmes, —
avec leurs ventres de salamandre, — les Dracs ac-
courent par douzaine, — et en passant, patatras ! ils
arrachent la toiture des fermes.
« Quel vacarme!... ô Lune, ô Lune, — quel mal-
encontre te courrouce, — pour descendre ainsi,
rouge et large, sur les Baux ! . . . — Prends garde au
chien qui aboie, — ô Lune folle ! S'il te happe, — il
t'engoulcra comme un gâteau, — car le chien qui te
guette est le chien de Cambal !
« Mais qui branle ainsi les yeuses? — Aïe! elles
sont tordues comme des fougères ; — et des feux
Saint-Elme, sautants, tourbillonnants, — bondit la
flamme tortue ; — et des piétinements, et un bruit
de clochettes — font retentir le Crau stérile... — Le
galop enragé du Baron Castillon !...
'iôO MIRÈIO, GANT YI.
Rauco, desalenado. ostenco,
S'èro arrestado la Baussenco.
Mai siibran : Tapas-vous, faguè, 'mé lou faudaii,
Tapas l'auribo e li parpello,
Que l'Agnèu nègre nous apello !
— Quau?... aquel agneloun quebèlo?
Digue Vincèn. Mai elo : Auriho sourdo, e d'aut!
Malur, eici, pèr quautrebuco!
Mai que lou pas de la Sambuoo
Dangeirous èi lou pas dôu nègre Banaru.
Coume aro venès de l'entendre,
A 'n teta-dous, un bêla tendre
Que vous atiron à descendre.
1 Crestian imprudent que se viron au brut,
Fai lusi l'einpèri d'Erode,
L'or de Judas, e dis lou rode
Mounte la Cabro d'or fugue di Sarrasin
Aclapado. Fin que degolon,
Môuson la Cabro tant que volon ;
Mai à l'angôni quand rangolon,
Fagon pièi demanda lou sacramen divin !
L'anouge nègre ie resposto
Em' uno rousto sus li costo.
E pamens, e pamens, i tènis que sian, mau tèins
Escoussura de touto déco,
Quant n'i'a d'amo alucrido e seco,
Ai ! las ! que mordon à sa leco,
£ qu'à la Cabro dor fan tuba soun encens !
MIREILLE, CHANT VI. 251
Enrouée, haletante, suffoquant, — s'était arrêtée
la (sorcière) des Baux. — Mais soudain : « Couvrez-
vous, fit-elle, du tablier, — couvrez l'oreille et les
paupières ! — L'Agneau noir nous appelle \... » —
« Qui donc?... cet agnelet qui bêle? » — dit Vin-
cent. Mais elle : « Sourde oreille ! et, alerte !
« Malheur, ici, à qui trébuche ! — Plus que le pas
de la Sambuque*" — est périlleux le pas du noir
Cornu. — Ainsi que maintenant vous \enez de l'en-
tendre, — il a un accent doucereux, un tendre bêle-
ment — qui vous attirent à la descente. — Aux Chré-
tiens imprudents qui se retournent au bruit,
« Il fait luire l'empire d'Hérode, — l'or de Judas,
et indique la place — où la Chèvre d'or fut par les
Sarrasins — enfouie. Jusqu'à leur mort, — ilstraient
la Chèvre tant qu'ils veulent ; — mais à l'agonie,
lorsqu'ils râlent, — qu'ensuite ils fassent demander
le sacrement divin !
« Le noir antenois leur réplique — par un orage
de coups sur les côtes. — Et néanmoins, et néan-
moins, aux temps où nous sommes, temps mauvais,
— marqués parla morsure de tout vice, — combieii
d'âmes sèches et affamées de gain, — hélas ! qui
mordent à son piège, — et qui à la Chèvre d'or font
fumer leur encens! »
252 MIRÈIO', GANT VI.
Aqui lou cant de la galino
Très cop fende la nevoulino.
— Dins la Iregenco baumo, à la perfin, cnfan':
Siari arriba! digue la vièio.
Lou panieraire emé Mirèio,
Souto uno grande chaminèio,
Yeguèron sèt cet nègre, au fougau se caufant
Veguèron, entre li sèt mascle,
Uno oulo de ferre au cremascle;
Veguèron dous coulobre en forme de tisoun,
Que racavon à plen de goulo
Dos flamo bluio au quiéu de l'oulo.
— Pèr cousina vosto bourroulo,
Vous serves d'aquéu bos, ma grand? — 0, moun garçoun
Brulo, acô, miéu que gen de busco :
Es de souquihoun de lambrusco.
Mai, en cabessejant, Vincèn : De souquihoun,
De souquihoun, lou voulès dire...
Mai fasen lèu, qu'es pas de rire.
Uno grand taulo de pourfire,
Au centre, espandissié soun large virouioun
A proucesssioun e blanquinello,
Milo colono, clarinello
Counio li jaleiroun que pènjou di cubert,
D'aqui parton, pèr ana courre
Souto li racine di roure
E la foundamento di moure,
Inmènsi galarié que li Fado an dubert ,
MIREILLE, CHANT VI. Î55
Là le chant de la poule— trois fois perça la brume.
— « Dans la treizième grotte, à la fin des fins, en-
fants, — nous voici arrivés, » dit la vieille. — Mi-
irsille et le vannier, — sous une grande cheminée, —
\ rentsept chats noirs se chauffant à Tâtre.
Ils virent, au milieu des sept matous, — une mar-
mite de fer à la crémaillère ; — ils virent deux dra-
gons, en forme de tisons, — qui vomissaient à pleine
gueule — deux flammes bleues au cul de la marmite.
— « Pour cuisiner votre bouillie, — vous employez
ce bois, grand'mère? » — « Oui, mon fils !
« Nulle bûchette ne brûle mieux : — ce sont des
ceps de vigne sauvage. » — Mais Vincent, hochant la
tête : « Des ceps, — des ceps, cela vous plaît à dire....
— Mais hâtons-nous, car ce n'est point risible... » —
Une grande table de porphyre, — au centre (de la
grotte), épanouissait son large contour.
Processionnellement et blanches, — mille colonnes,
diaphanes — comme les glaçons qui pendent aux
toits, — de là partent, pour aller courir — sous les
racines des chênes — et les fondements des mame-
lons, — immenses galeries que les Fées ont ou-
vertes;
22
254 MIRÈIO, CANT VI.
Porje majestuous, qu'amago
Uno lusour neblouso e vago;
Merevilîous emboui de temple, de palais,
De peristil, de laberinlo,
Coume n'en taièron ansinto
Ni Babilouno ni Courinto,
E qu'un alen de Fado esvalis, quand ie plais.
Aqui li Fado varaiejon :
Coume de rai que trantraiejon,
Emè li cliivalié qu'enfadèron antan
Countunion la vido amourouso,
Dins lis andano souloumbrouso
D'aquelo tranquilo chartrouso...
Mai chut ! pas i parèu dins l'oumbro s'acatant!
L'encantarello, déjà lèsto,
Quouro dreissavo sus la tèsto,
Quouro de-vers lou sôu beissavo si bras nus.
Sus la grand taulo de pourfire,
Coume Laurèn lou sant martire,
Ero coucha sènso rèn dire
Vincèn lou panieraire, emé sa plago au bust-
Furouno, creissegudo en taio
Pèr l'esperit que la travaio
E d'un vent proufeti ie gounflo lou galet,
Taven, dins l'oulo que revouiro
A grossis oundo boulidouiro,
Planto subran l'escumadouiro.
A soun entour li cat fasien lou roudelet.
MIREILLE, CHANT VL 255
Portiques majestueux qu'enveloppe — une lueur
nébuleuse et vague ; — merveilleux pêle-mêle de
temples, de palais, — de péristyles, de labyrinthes,
— comme n'en taillèrent ainsi — ni Corinthe ni Baby-
lone, — et qu'un souffle de Fée dissipe, quand il lui
plaît.
Là errent les Fées : — pareilles à des rayons qui
tremblotent, — avec les chevaliers qu'elles enchan-
tèrent jadis, — elles continuent la vie d'amour, —
dans les allées ombreuses — de cette chartreuse
tranquille... — Mais, silence! paix aux couples qui
s'enveloppent d'ombre !
Déjà prête, l'enchanteresse — tantôt levait sur la
tête, — tantôt vers le sol baissait ses bras rms. — Sur
la grande table de porphyre, — tel que Laurent le
saint martyr, — était couche sans dire mot — le van-
nier Vincent, avec sa plaie au buste.
Exaltée, grandie — par l'esprit qui la travaille —
et d'un vent prophétique lui enfle la gorge, — Tavèn
dans la marmite qui déborde — à gros bouillons, —
plonge soudain l'écumoire. — Autour d'elle, les chaU
formaient le cercle.
S56 MIREIO, CANT VI.
Venerablo, emé la menèstro,
La masco, de la man senèstro
Esbouiènto à Vincèn soun pitre descata ;
E, lis iue fisse, n'escounjuro
La doulourouso pougneduro
En remoumiant à voues escuro :
Crist èi na ! Crist èi mort ! Crist èi ressuscita !
Crist ressuscitara !. . . Mestresso
Coume i Iburèst la grand tigresso
Qu'alongo, après la casso, un cop d'arpo au flanc rous
De sa tremoulanto vitimo,
Sus la fruchaio que trelimo
Ansin la masco alor emprimo
Très fes emé l'artèu lou signe de la crous.
E de sa bouco, a touto zurto,
La paraulo desboundo, e turlo
I pourtau nivoulous de l'endevenidou :
0, ressuscitara ! Lou crese !
De la colo entre li roumese
E li frejau, alin lou vese
Que mounto, emé soun front que sauno à gros degout !
E dins li roumio e dins li clapo
Mounto soulet; sacrons l'aclapo...
Mounte éi, pèr l'eissuga, Verounico ?... Mounte es
Aquéu brave ome de Cireno,
Pèr i'auboura, se 'n cop s'arreno ?
Emé soun peu que se destreno,
Li Mario plagnènto ounte soun?... I' a pas res!
MIREILLE, CHANT VI. 257
Vénérable, avec la mixture,— la sorcière, de la main
gauche, — échaude la poitrine découverte de Vin-
cent ; — et, les yeux fixes, en charme — la doulou-
reuse blessure, — en murmurant à voix basse : —
« Christ est né ! Christ est mort ! Christ est res-
suscité!
« Christ ressusciter al... » Triomphante — comme
aux forêts la grande tigresse — qui allonge, après la
chasse, un coup de griffe dans le flanc roux — de sa
tremblante victime, — sur les viscères palpitants —
ainsi la sorcière imprime alors — trois fois avec l'or-
teil le signe de la croix.
Et de sa bouche, désordonnément — la parole dé-
bonde, et heurte — aux portails nuageux de l'avenir :
— « Oui, il ressuscitera! Je le crois !... — De la col-
line parmi les ronces — et les cailloux, je le vois, au
lointain, — qui monte, avec son front saignant à
grosses gouttes !
« Et dans les ronces et dans les pierres, — il monte
seul ; sa croix l'accable... — Où est, pour l'essuyer,
Véronique ?. . . Où est — ce brave homme de Cyrène,
pour le relever lorsqu'il s'affaisse? — Avec leur che-
velure détressée, — les Maries plaintives, où sont-
elles?... Personne !
28.
258 MIRÈIO, CANT VI.
E dins l'ouiribrun e la terriho,
Avau, richesso emai pauriho
Lou regardon que mounto, e dison : Mounte vai,
Emésa fusto sus l'espalo,
Aquéu, amount, que sèmpre escalo?
Sang de Gain, amo carnalo,
Dôu pourtaire de Crous n'an de pieta, pas mai
Que se vesien dins lou campèstre
Un cliin aqueira pèr soun mèstre !...
Ah ! raço de Jusiôu, que mordes en fureur
La man que t'abaris, e, torso,
Lipes aquelo que t'endorso,
Dins la mesoulo de toun orso
(Lou vos ?) davalaran li frejoulun d'ourrour'
E ce qu'es pèiro vendra pousse...
E de l'espigo e de la dôUsso
Vai esfraia ta fam lou mascarun amar...
Oh î que de lanço ! oh ! que de sabre î
Sus quénti mole de cadabre
Veseboumbi l'aigo di vabre!...
Pacefico lis erse, o tempestouso mar!...
Ai ! de Pèire la barco antico
Is àspri roco mounte pico
S'èi csclapado !... Oi-ve ! lou mèstre pescadou
A dôumina l'oundo rebelle ;
Dins une barco novo e belle
Gagne lou Rose, e reboumbello
Emé la crous de Dieu plairtado au trepadeu !
MIREILLE, CHANT VL 259
« Et dans l'ombre et la poussière, — là-bas, riches
et pauvres — le regardent monter, et disent : « Où
va, — avec sa poutre sur l'épaule, — celui, là-haut.
qui sans cesse gravit?... — Sang de Caïn, âmes
charnelles, — pour le porte-croix ils n'ont de pitié,
pas plus
« Que s'ils voyaient dans la lande — un chien la-
pidé par son maître!... — Ah! race de Juifs, qui
mords avec fureur — la main qui te nourrit, et, cour-
bée, — lèche celle qui t'éreinte (de coups), — dans
la moelle de tes vertèbres — (tu le veux?) descen-
dront les frissons d'horreur !
« Et ce qui est pierre deviendra poussière... — Et
de l'épi et de la gousse — le charbon amer va ef-
frayer ta faim... — Oh! que de lances! oh! que de
sabres ! — Sur quels monceaux de cadavres — vois-
je bondir l'eau des ravins! — Pacifie tes vagues, (
mer tempétueuse 1 . . .
« Aïe! la barque antique de Pierre — aux âpra
roches où elle frappe — s'est brisée en éclats ! ... Oh ?
voyez ! le maître pêcheur — a dominé le flot rebelle ;
— dans une barque belle et neuve — il gagne le
Rhône, et rebondit (parmi les vagueiî) — avec la croix
de Dieu plantée au timon!
SeO MIRÈIO, CANT VI.
0 divin arc-de-sedo ! inmênso,
Eterno e sublimo clemènço !
Vese uno terro novo, un soulèu cpie fai gau
D'ôulivarello en farandoulo
Davans la frucho que pendoulo,
E sus 11 garbo de paumoulo
Li meissounié jasent cpie teton lou barrau.
E, desnebla pèr tant d'eisèmple,
Dieu es adoura dins soun temple...
E la masco di Baus, acô di, 'mé lou det
1 dous enfant mostro uno draio
Qu'un fiéu de j our au bout ie raie.
Menu, menu... Parton en aio,
E la gaugno aferado, e courbant lou coutet.
De souto terro, au Trau deCordo
Lou bèu paréu enfin abordo ;
Remounton au soulèu... Acatant lou roucas
Ëmé SI roumo e soun vieiounge,
Mount-Majour, l'abadié di mounge,
l'aparèis coume dins un sounge.
Se fan uno brassado, e gagnon lou jouncas.
MIREILLE, CHANT VI. 201
« 0 divin arc- en-ciel ! immense, — éternelle et
sublime clémence ! — Je vois une terre neuve, un
soleil qui réjouit, — des oliveuses en farandole —
devant les fruits qui pendent, — et sur les gerbes
d'orge ", les moissonneurs gisants qui tettent le
baril.
« Et dévoilé de ses nuages par des exemples si
nombreux, — Dieu est adoré dans son temple... » —
Et la sorcière des Baux, cela dit, du doigt — montre
aux deux enfants un chemin — à l'extrémité duquel
un filet de jour se glisse, — menu, menu... Ils par-
tent en hâte, la joue effarée et courbant la nuque.
Par souterrains, au Trou de Corde " — le beau
couple aborde enfin; — ils remontent au soleil
Recouvrant le rocher — de ses ruines et de sa vieil-
lesse, — Mont-Majour, l'abbaye des moines, — leur
apparaît comme en un songe. — Ils s'embrassent,
et gagnent la jonchaie*
NOTES
DU CHANT SIXIÈME.
* Saint-Martin, Maussane [Samt-Martm, Maussano), villages de
la Crau. Tramontane {tramountano), vent du nord-est.
2 La Touloubre, petite rivière qui se jette dans l'étang de Berre,
après avoir traversé le territoire de Salon, patrie du poëte Crou-
sillat.
Nostradamus, le sombre astrologue (l'astrolà souloiimbrous), Mi-
chel de Nostre-Dame, ou Nostradamus, né à Saint-Remy en 1505,
mort à Salon en 1565, exerça la médecine avec un grand succès
sous les derniers Valois. 11 s'adonna aussi aux mathématiques et 5
l'astrologie, et publia en 1557 , sous le nom de Centuries, les fameu-
ses prophéties qui ont rendu son nom si populaire. Chaires IX le
nomma son médecin en titre et le combla d'honneurs.
^ Agriot at [agrioutat] , liqueur composée d'eau- de-vie et de sucre,
et dans laquelle on fait macérer des cerises courte-queue.
* Trou des Fées [Trau di Fado). Nous aimons à citer notre ami
Jules Canonge, parce qu'il a décrit avec bonheui" la plupart des
lieux chantés dans ce poëme.
NOTES DU CHANT VI 2Ô3
« Au fond d'une gorge bien nommée Enfer, je suis descendu
'^' ns la groUe des Fées; mais au lieu des gracieux fantômes dont
non imagination l'avait peuplée, je n'y ai trouvé que voûtes sous
lesquelles il faut ramper, blocs entassés, chauves-souris et profon-
deurs ténébreuses. Je viens de dire que cette gorge était Lien
nommée Enfer; nulle part en effet je n'ai vu de roches aussi étran-
gement tourmentées; elles se dressent, se creusent, se prolongent
sur le vide en gigantesques entablements, jardins aériens qui sou-
tiennent des végétations échevelées; elles s'ouvrent en défilés
comme ce bloc des Pyrénées fendu par le glaive de Rolland. »
(Histoire de la ville des Baux. Avignon, Aubanel frères.)
: En comparant la description de l'Enfer de Dante à ce paysage
bouleversé, cyclopécn, fantastique, on devient convaincu d'une
chose • c'est que le grand poëte florentin, qui voyagea dans nos
contrées et séjourna même à Arles, a visité la ville des Baux, s'est
assis sur les escarpements du valoun d'Infèr, et frappé de cette
désolation grandiose, a conçu, au milieu de ce cataclysme de
pierres, la configuration et le sombre caractère de son Inferno.
Tout ramène à cette idée, et le nom de la gorge elle-même, /«-
fèr, et sa forme amphithéâtrale, qui est celle donnée par Dante
à l'Enfer, et les grandes roches détachées qui en forment les gra-
dins,
In su l'estremità d'un' alta ripa
Che facevan gran piètre rotte in cerchio
et le nom provençal de ces escarpements eux-mêmes, baus, italia-
nisé par le poëte, balzo, et donné par lui aux escarpements de son
lugubre entonnoir.
* Saint-Trophime [Sant'Trefume], cathédrale d'Arles, bâtie au
septième siècle par l'archevêque saint Virgile. Frédéric Barbe-
rousse y fut sacré empereur en 1178.
^ Vers le temps où la Vieille irritée — lance à Février sa
ruade,
Eiça quanti la Vièio encagnado
Mande à Febrié sa reguignado.
Les paysans du Midi ont remarqué que les trois derniers jours
de février et les trois premiers de mars amènent presque lou-
204 NOTES DU CHANT VI.
jours une recrudescence de froid, et voici comme leur imagination
poétique explique cela :
Une vieille gardait une fois ses brebis. C'était à la fin du mois
de février, qui, cette année-là, n'avait pas été rigoureux. La Vieille,
se croyant échappée à l'hiver, se permit de narguer Février de la
manière suivante
Adiéu, Febrié! 'Mé ta febrerado
M'as fa ni peu ni pelado !
« Adieu, Février! Avec ta gelée
Tu ne m'as fait ni peau ni pelée! »
La raillerie de la Vieille courrouce Février, qui va trouver Mars :
-« Mars! rends-moi un service! » — « Deux, s'il le faut! » répond
l'obligeant voisin. — « Prête-moi trois jours, et trois que j'en ai,
je lui ferai peaux et pelées ! »
Presto-me lèu très jour, e très que n'ai.
Peu e pelado le farai !
Aussitôt se leva un temps affreux, le verglas tua l'herbe des
champs, toutes les brebis de la Vieille moururent, et la Vieille, di-
sent les paysans, regimbait, reguignavo Depuis lors cette période
tempétueuse porte le nom de liegulgnado de la Vièio, ruade de la
Vieille. (Voyez la note 8 du Chant VII«.)
^ Varigoule, grotte de Varigoule [Varigoulo. Baumo de Vari-
goulo), profonde caverne du Lubéron, du côté de Murs (Vaucluse).
* Fanfarigoule {Fanfarigoulo), vallée de laCrau, du côté d'Islre
(Bouches-du-Rhône) .
8 Garrigues ifiarrigo). (Voyez Chant !•', note 15.)
*° Le pas de la Sambuque {lou pas de la Sambicoo,, défilé redouté
des voyageurs, dans les montagnes de la Sambuque, à l'orient
d'Aix.
" Paumelle {paumoulo], orge deux rangs [hordeum distichum
Lin.).
** Corde [Cordo). * A l'orient d'Arles s'élèventdeux collines qui pri-
mitivement durent n'en former qu'une mais qu'un marais sépare
NOTES DU CHANT VI «85
aujourd'hui. Dans le sommetnu, rocailleux et plaide la moins haute,
les Celtes pratiquèrent jadis en forme de glaive une excavation
couverte de blocs gigantesques. Les Sarrasins campèrent, dit-on,
sur cette colline; en souvenir de Cordoue, ils lui donnèrent le nom
de Corde, qu'elle porte encore aujourd'hui. Des traditions mer-
veilleuses l'animent et la poétisent : c'est la Couleuvre- fée, Mélu-
sine provençale; c'est surtout la Chèvre-d'Or qui fait trouver les
trésors cachés, mais rend incurablement tristes, au sein de leurs
richesses, ceux qui ne les méritent pas.
«L'autre colline, plus grande, porte le nom presque romain de
Mont-Majour. » (Jules Canonge. Illustration, 29 mai 1852.)
Sur cette colline sont les ruines gigantesques de la célèbre ab-
baye du Mont-Majour. Quant à la grotte de Corde, elle porte
aussi le nom de Trau-di-Fado, comme la grotte des Baux; et, d'a-
près la croyance populaire, ces deux excavations communiquent
entre elles.
U
CANT SETEN
LI VIÈI
Lou viêi panieraire emé soun fiéu, assesta davans lou lindau ù. ^^
bori, trenon uno canestello. — Lou ribeirés dôu Rose. — Vincèn
dis à soun paire d'ana demanda Mirèio en mariage. — Refus e re-
moustranço dôu vièi. — Vinceneto, sorre de Vincèn, pêr ajuda soun
fraire à touca Méste Ambroi, conto l'istôri de Sivèstre emé d'.Uis.
— Partènço de Mèste Ambroi pèr lou Mas di Falabrego. — L'arri-
bado e lou gousta di meissounié. — Mèsle Ramoun. — Lou labour.
— Récit d'Ambrôsi, responso de Ramoun. — La taulo de Caléndo.
— Mirèio declaro soun amour pèr lou lieu dôu panieraire. — Ama-
liciado, emprecacioun e refus di parent. — Endignacioun de Méste
Ambroi. — Napoléon e li grandi guerro. — Encagnamen de Mèste
Ramoun. — Lou soudard labouraire. — Farandoulo di meissou-
nié à l'entour dôu fio de Sant Jan.
— Vous dise, paire, e vous redise
Que n'en siéu fôu ! . . . Cresès que rise ?
En fissant Mèste Ambroi emé d'iue treboula,
Fasié Vincèn à soun vièi paire.
Lou mistrau, pondérons courbaire
Dis àuti pibo dôu terraire,
A. la voues dôu jouvènt apoundié soun ourla.
Davans soun cabanoun dôu Rose,
Large coume un cruvèu de nose,
Lou vièi, sus un to d'aubre, èro asseta au calan
E desruscavo de redorto ;
Loujouine, agrouva sus la porto,
Entre si man adrecho e forte
Piegavo en canestello aquéli vergan blanc.
CHANT SEPTIÈME
LES VIEILLARDS
Le vieux vannier pt son fils, assis devant le seuil de leur cabane,
tressent une corbeille. — Paysage des bords du lilione. — Vincent,
engage son père à aller demander la main de Mireille. — Refus;
et remontrance du vieillard. — Vincenette, sœur de Vincent, s(;
joint à son frère pour fléchir Maître Ambroise , et raconte l'iiis-
toire de Sylvestre et d'Alix. — Départ de Maître Ambroise pour le
Mas des Micocoules. — L'arrivée et le repas des moissonneurs. —
Maître Ramon. — Le labour. — Récit d'Ambroise, réponse do Ra-
mon. — La table de Noël. — Mireille avoue son amour pour le
fils du vannier. — Courroux, imprécations et refus des parents.
— Indignation de Maître Ambroise. — Napoléon et les grandes
guerres. — Emportement de maître Ramon. — Le soldat labou-
reur. — Farandole des moissonneurs autour du feu de la Saint-
Jean.
— « Je vous dis, père, et vous redis — que j'en
suis fou!... Croyez-vous que je rie? » — en fixant
ses yeux troublés sur Maître Ambroise, — disait
Vincent à son vieux père. — Le mistral, puissant
courbeur — des hauts peupliers de la contrée, — à
la voix du jeune homme ajoutait ses hurlements.
Devant sa hutte du Rhône, — large comme une
coque de noix, — le vieillard, sur une tronche d'ar-
bre, était assis à l'abri, — et écorçait des harts ; —
le jeune homme, accroupi sur la porte, — entre ses
mains adroites et robustes — ployait en corbeille
ces verges blanches
368 HIRÈIO, CANT VII.
Lou Rose, enmalicia pèr l'aiiro,
Fasié, coume un troupèu de tauro,
Courre sis erso treblo à la mar ; mai eici,
Entre li tousco d'arnarino
Que fasien calo emai oumbrino,
Uno mueio d'aigo azurino,
Liuen dis oundo, plan-plan venié s'emperesi.
De vibre, long de la lauseto,
Rousigavon de la sauseto
La rusco amaro ; alin, à travès lou cristau
De la calamo countinuio,
Apercevias li brimi luio
Barrula dinsli founsour bluio,
A la pesco di pèis, di bèu pèis argentan.
Au long balans dôu vent bressaire,
Aqui de-long li debassaire
Avien penja si nis ; e si nis blanquinèu,
Teissu, coume uno molo raubo,
Emé lou coutounet qu'is aubo
L'aucèu, quand soun flourido, raubo,
Boulegavon i brout de verno em' 1 canèu.
Rousso coume uno tourtihado,
Uno chato escarrabihado,
D'un large capeiroun espandissié li pie,
Trempe d'aigo, su 'no fig^uiero.
Li bestiàri de la ribiero,
Nimai li piegre di broutiero,
N' avien pas mai de pôu que di jounc Iremoulet.
MIPiEILLE, CHANT VII. 269
Le Rhône, irrité par le vent, — faisait, comme un
troupeau de vaches, — courir ses vagues troubles à
la mer ; mais ici, — entre les cépées d'osier — qui
faisaient abri et ombrage, — une mare d'eau azu-
rée, — loin des ondes, mollement venait s'alentir
Des biévres, le long de la grève, — rongeaient de
la saulaie — l'écorce amère; là-bas, à travers le
cristal — du calme continuel, — vous aperceviez les
bnmes loutres, — errantes dans les profondeurs
bleues, — à la pêche des poissons, des beaux pois-
sons arojentés.
Au long balancement du vent berceur, — le long
de celte rive, les pendulines — avaient suspendu
leurs nids; et leurs petits nids blancs, — tissus,
comme une molle robe, — avec l'ouate qu'aux peu-
phers blancs — l'oiseau, lorsqu'ils sont en fleur,
dérobe, — s'agitaient aux rameaux d'aune et aux
roseaux.
Rousse comme une tortillade \ — une alerte
jeune fille, — d'un large filet étendait les plis, —
trempés d'eau, sur un figuier. — Les animaux de la
rivière, — et hs pendulines des oseraies — n'avaient
pas plus peur d'elle que des joncs tremblants.
23.
270 MIRÈIO. GANT VU,
Pecaire ! èro la chatounelo
De Mèste Ambrôsi, Vincenelo.
Sis auriho, degun i'avié 'ncaro trauca;
Avié (TiuR blu coume d'agreno,
Emé lou sen boudenfle à peno;
Espinouso flour de tapeno
Que lou Rose amourous amavo d'espousca,
Emé sa rufo barbe blanco
Que ie toumbavo enjusqu' is anco,
Mèste Ambroi à soun fiéu respoundè : Bartavèu,
De tout segur lou dèves èstre,
Car de ta bouco sies plus mèstre !
— Pèr que l'ase se descabèstre,
Paire, fau que lou prat fugue rudamen bèu !
Mai en que sèr que tant vous parle?
Sabès couine èi!... S'anavo en Arle,
Li fiho de soun tèms s'escoundrien en pleurant,
Car après elo an reut lou mole...
Que respoundrés à voste drôle
Quand saubrés que m'a di : Te vole!
— Richesse e paureta, feulas, te respoundran.
— Paire, partes de Valabrego ;
An as au Mas di Falabrego,
E lèu-lèu ! à si gènt racountas tout coume es !
Digas-ie que l'on dèu s'enchaure
Se l'ome èi brave e noun s'èi paure ;
Digas-ie que sabe reclaure,
Desmaienca li vigne e laboura li grès.
MTRETLLE, CHANT VII. 271
Pauvrette ! c'était la fille — de Maître Ambroise,
Vincenette. — Ses oreilles, personne encore ne les
lui avait percées ; — elle avait des yeux bleus comme
des prunelles ^ — et le sein à peine enflé ; — épi-
neuse fleur de câpre — que le Rhône amoureux ai-
mait à éclabousser
Avec sa barbe blanche et rude — qui lui tombait
jusqu'aux hanches, — Maître Ambroise à son fils
répondit : « Écervelé, — assurément tu dois l'être,
— car tu n'es plus maître de ta bouche! » — « Pour
que l'âne se délicote, — père, il faut que le pré soit
rudement beau !
« Mais à quoi bon tant de paroles ? — Vous savez
comme elle est ! . . . Si elle allait à Arles, — les filles
de son âge se cacheraient en pleurant, — car après
elle on a brisé le moule!... — Que répondrez-vous
à votre fils, — quand vous saurez qu'elle m'a dit :
Je te veux! » — « Richesse et pauvreté, insensé, ie
répondront. »
— « Père, partez de Valabrègue; — allez au
Mas des Micocoules , — et en toute hâte ! à ses
parents racontez tout, tel que c'est! — Dites-leur
que l'on doit se soucier — de la vertu de l'homme,
et non de sa misère ! — Dites-leur que je sais biner,
— ébourgeonner les vignes, labourer les terrains
pierreux ,
«« MIRÉIO, GANT VII.
Digas-ie mai que si sièis couble,
Sout moun gouvèr, cavaran double ;
Digas-ie que siéu orne à respeta li vièi;
Digas-ie que, se nous separon,
Pèr toujour nôsti cor se barron,
E, tant iéu qu'elo, nous entarron!...
— Ah ! faguè Mèste Âmbroi, sies jouine, aquisevèi.
Acô 's l'iôu de la poulo blanco !
Acô 's lou lucre sus la branco !
Auriés gau de l'avé ; 'm' acô lou sounaras,
le proumetras la papo au sucre,
Gingoularas fm qu'au sepucre....
Jamai veiras veni lou lucre
Se pausa sus toun det, car noun sies qu'un pauras.
— Mai d'èstre paure es dounc la pèsto?
Vincèn en grafignant sa teste
Cridè. — Mai lou bon Dieu qu'a fa de cause ansin,
Lou bon Dieu que me vèn esclaure
D6u soulet bèn que me restaure,
Es-ti juste?.,. Perqué sian paure?
Perqué, dôu vignarés embala de rasin,
Lis un cueion touto la frucho,
E d'autre an que la raco eissucho?
Mai Ambroi tout-d'un-tèms anssnnt lou bras en l'èr :
Treno, vai, treno ti pivello,
E lève acô de ta cervello !
Desempièi quouro la gavello
Bepren lou meissounié?... Lou loumbrin o la serp
ÎUREILLE, CHANT YII. 273
« Dites-leur encore que leurs six paires (de bêtes),
— sous ma conduite, creuseront double ; — dites-
leur que je suis homme à respecter les vieillards ; —
dites-leur que, s'ils nous séparent, — pour toujours
ils ferment nos cœurs, — et, tant moi qu'elle, ils
nous enterrent !» — « Ah ! fit Maître Ambroise, tu
es jeune, là on le voit.
« C'est là l'œuf de la poule blanche ' ! — c'est là
le lucre * sur la branche ! — Le posséder ferait ta
joie; tu l'appelleras donc, — tu lui promettras le
gâteau sucré, — tu gémiras jusqu'au sépulcre... —
Jamais tu ne verras le lucreyenir — se poser sur ton
doigt, car tu n'es qu'un misérable. »
— « Mais d'être pauvre c'est donc la peste? —
Vincent, en se déchirant la tête, — s'écria. Mais le
bon Dieu qui a fait des choses telles, — le bon Dieu
qui vient m'exclure — de l'unique bien qui me rende
à la vie, — est-il juste?.,. Pourquoi sommes-nous
pauvres? — pourquoi, du vignoble chargé de rai-
sins,
« Les uns cueillent-ils tous les fruits, — et d'au-
tres n'ont que le marc desséché? » — Mais Ambroise
aussitôt levant le bras en l'air: — « Tresse, va, tresse
tes brindilles, — et ôte cela de ta cervelle ! — De-
puis quand le faisceau d'épis — reprend-il le mois-
sonneur?... Le lombric ou le serpent
274 MIUÈIO, GANT VII
Âdounc pou dire à Dieu : Peirastre,
Que noun de iéu fasiés un astre ?
Perqué, dira lou biôu, m'as pas créa bouié ?
A-n-éu lou gran, à iéu la paio!...
Mai noun, moun fiéu : marrido o gaio,
Tôuti, soumés, tenon sa draio...
Li cinq det de la man soun pas tôuti parié !
Lou Mèstre t'a fa lagramuso?
Tèn-te siau dins toun asclo nuso,
Béu toun rai de soulèu e fai toun gramaci.
— Mai, vous ai pas di que l'adore
Mai que moun Dieu, mai que ma sorre?
Me la fau, paire, o senoun more !...
E coume pèr liuen d'eu bandi l'aspre soucit,
De long dôu flume que rounflavo,
Eu encourront se desgounflavo.
Vinceneto, la sorre, en plourant alor vèn,
E ie fai auvièi panieraire :
Avans de maucoura moun fraire,
Ausès-me, pai 1 V a 'n labouraire,
Au mas ounte serviéu, qu'ère amourous tambèn ;
L'èro de la fiho dôu mèstre,
Alis ; eu, ie disien Sivèstre.
Au travai (tant l'amour l'avié fa courajous ! )
Èro un loup ! en touto obro abile,
Abarous, matinié, doucile...
Li mèstre, anas, dourmien tranquile.
Un matin .. — regardas, paire, s' es pas fachous'
MIREILLE, CHANT VII. 275
*( Peut donc dire à Dieu : « Mauvais père, — que ne
faisais-tu de moi un astre? » — « Pourquoi, dira le
bœuf, ne ni'as-tupas créé bouvier? — à lui le grain, à
moi la paille !... » — Mais non, mon fils : mauvaise
ou gaie, — tous, soumis, tiennent leur voie... —
L-îs cinq doigts de la main ne sont pas tous égaux.
« Le Maître t'a fait lézard-gris? — tiens-toi paisible
dans ta crevasse nue, — bois ton rayon de soleil et
rends grâces ! » — « Mais ne vous ai-je pas dit que
je l'adore — plus que ma sœur, plus que mon Dieu?
— Il me la faut, père, ou sinon je meurs !... » — Et
comme pour bannir loin de lui l'âpre souci,
Sur la rive du fleuve grondant, — il exhalait en
courant (sa douleur) . — Vincenette la sœur en pleu-
rant alors vient, — et adresse au vieux vannier (ces
paroles) : — « Avant de décourager mon frère, —
écoutez-moi, père ! Il était un laboureur, — à la
ferme où je servais, amoureux comme lui ;
« Il l'était de la fille du maître, — Alix; lui, on
l'appelait Sylvestre. — Au travail (tant l'amour l'avait
fait courageux ! ) — c'était un loup ! habile en toute
œuvre, — économe, matineux, docile... — Les
maîtres, allez, dormaient en repos. — Un matin...-— *
regardez, père, si ce n'est pas fâcheux!
276 MIRÈIO, CANT VII
Un malin, la mouié dôu mèstrc
Entendeguè parla Sivèslre :
Coimtavo d'escoundoun soun amour à-n-Alis
A dina, quand lis ome inlrêron
E qu'à la taulo se virèron,
Lis iue dôu mèstre s'empurèron !
— Traite ! dis, tè toun comte, e passe que t'ai vist!
Lou bon ràfi partiguè. Nautre
S'espinchavian dis un is autre,
Maucountènt e 'spanta de lou vèire embandi.
Très semano, dins li roumpido,
Lou veguerian courre bourrido
Is alentour de la bastido.
Tout desvaria, morne, avala, mau vesti ;
Quouro estendu , quouro à grand courso.
La niue, l'entendian coume uno ourso
Ourla souto li triho en apelant Mis ! . . .
Mai un jour, pièi, un fio venjaire
Que flamejavo i quatre caire
Counsumè la paiero, o paire,
E dôu pous lou treiau daverè 'n negadis !
Aqui s'aubourè Mèstc Ambrôsi :
— Enfant pichot, digue renôsi,
Pichotopeno; grand, grandpeno.- Emounlo daul,
Cargo sis àuti garramacho
Qu'éu-meme autre-tèms s'èro facbo,
Si bon soulié garni de tacbo,
Sa grand bouneto roujo, e camino à la Crau.
MIREILLE, CHA^■T VII. 277
« Un matin, l'épouse du maître — entendit Syl-
vestre parler : — il contait en cachette son amour
à Alix. — A dîner, lorsque entrèrent les hommes, —
et qu'ils se rangèrent autour de la table, — les yeux
du maître s'attisèrent : — « Traître ! dit-il, voilà
ton compte, et passe, je t'ai vu ! »
« Le bon serviteur partit. — Nous nous regardions
les uns les autres, — mécontents, ahuris de le voir
chasser. — Trois semaines, dans les novales, —
nous le vîmes errer — aux alentours de la bastide,
— tout hagard, morne, hâve, mal vêtu ;
« Tantôt gisant, tantôt courant à Mites jambes. —
La nuit, nous l'entendions comme une ourse — hur-
ler sous les treilles en appelant Ahx. — Mais un
jour, puis, un feu vengeur — qui flamboyait aux
quatre coins, — consuma la meule de paille, ô père,
— et du puits le câble tira un noyé. »
Là se leva Maître Ambroise. — « Enfant petit, dit-il
en grommelant, — petite peine; grand, grande
peine. » — Et il monte en haut, — il met ses hou-
seaux élevés — que lui-mûme s'était faits autrefois,
— ses bons souliers garnis de caboches, — son
grand bonnet rouge, et il marche à la Crau.
24
278 MIRÈIO, GANT VII.
Erian au tèms que li terrado
An si recordo amadurado :
Ero, vous trouvarés, la vueio de Sant Jan.
Dinsli draiôu, long di barragno,
Déjà, pèr noumbrôusi coumpagno,
Li prefachié de la mountagno
Venien, brun e pôussous, meissouna nôsti champ;
E li voulame en bandoulière,
Dins li bedoco de figuiero ;
Ensouca dous pèr dous ; chasco sôuco adusènt
Sa bgarello. Uno flaveto,
Un tambourin floucade veto
Acoumpagnavon li carreto,
Ounte, las dôu camin, li vièi èron jasent.
E 'n ribejant long di tousello
Que, sont lou vent que li bacello,
Oundejon à grands erso : 0 moun Dieu ! li bèu blad !
Quénti blad dru ! fasien en troupo.
Acô sara de beilo coupo !
Vè! coume l'auro lis estroupo,
E peréu coume en l'èr soun lèu mai regibla !
Veici qu'Ambroi s'ajougnè 'm'éli :
— Soun tôuti preste coume aquéli,
Vôsti blad prouvençau, mounsegne? — fai subran
Un dijouvènt. — l'a li blad rouge
(jue soun encaro darrierouge ;
Mai, en durant lou tèms aurouge,
Vcirés que li voulame à l'obromancaran 1
MIREILLE, CHANT VIL 279
Nous étions au temps où les terres — ont leurs
récoltes mûries : — lise trouve que c'était la veille de
la Saint-Jean. — Dans les sentiers, le long des haies,
— déjà, par nombreuses compagnies, — les tâche-
rons de la montagne — venaient, bruns et poudreux,
(pour) moissonner nos champs ;
Les faucilles en bandoiilîère , - dans les carquois
de figuier, — accouplés deux par deux; chaque
couple amenant— sa heuse (de gerbes). Un galoubet,
— un tambourin orné de nœuds de rubans, — ac-
compagnaient les charrettes, — où, las du chemin,
les vieillards étaient couchés.
Et, en longeant les touzelles — qui, sous le vent
qui les bat, — ondoient à grandes vagues : (( 0 mon
Dieu ! les beaux blés ! — quels blés touffus ! disaient-
ils ensemble. — Voilà qui sera beau à couper ! —
Voyez comme la bise les trousse, — et aussi comme
en l'air ils se redressent vite ! »
Voici qu'Ambroise se joignit à eux. « Sont-ils tous
prêts comme ceux-là, — vos blés de Provence, aïeul ?»
dit soudain — un des jeunes. — « Les froments
rouges — sont encore en retard ; — mais si le temps
venteux vient à durer, — vous verrez les faucilles
manquer au travail '
280 MIRÈIO, GANT YII.
Remarquerias li très candèlo,
Pèr Nouvè? semblavon d'estello ,
Rapelas-vous, enf;int, que i'aura granesoun
Pèr benuranço ! — Dieu vous ause,
E dins voste ôrrila repause,
Bon segne-grand ! — Entre li sause,
Emé lou bouscatié lis ome de meissoun,
Entanterin que s'avançavon,
Bounamen ansin deviaavon.
E s'atrovo qu'au Mas di grand Falabreguié
Peréu venien li meissounaire.
M este Ramoun, en permenaire,
Dôu mistralas desengranaire
Venié vèire pamens ce que lou blad disié.
E de l'espigado planuro
Eu travessavo la jaunuro,
D'auro en auro, à grand pas; e li blad roussinèu
— Mèstre, murmuravon, es l'ouro !
Vè coume l'auro nous amourro,
E nous estraio, e nous desflouro...
Boutas à vôsti det li dedau de canèu ! ,
D'autre ie venien : Li fournigo
Déjà nous mounton is espigo ;
Tout-escap plen de cai, nous derrabon Ion gran..
Yènon pancaro li gourbiho?
Aperalin dins lis aubriho
Lou majourau viré li ciho,
E soun ine poralin li descuerbe subran.
MIREILLE, CHANT VII. 281
« Remarquâtes-vous les trois chandelles, — à la
Noël? elles semblaient des étoiles ! —Rappelez-vous,
enfants, qu'il y aura du grain — par bénédiction ! »
— « Dieu vous entende, — et dans votre grenier le
dépose, — bon aïeul! » — Entre les saules, — avec
le bûcheron les moissonneurs,
Pendant qu'ils s'avançaient, — bonnement devi-
saient ainsi. — Et il se trouve qu'au Mas des grands
MicocouHers — aussi venaient les moissonneurs, —
Maître Ramon, en promeneur, — de l'impétueux
mistral qui égrène (les épis) — venait voir cependant
ce que disait le blé.
Et delà plaine couverte d'épis — il traversait (l'é-
tendue) jaune, — du nord au midi, à grands pas; et
les blés fauves : — « Maître, murmuraient-ils, c'est
l'heure ! — voyez comme la bise nous incline, — et
nous verse, et nous défleurit... — Mettez à vos doigts
les doigtiers de roseau * ! »
D'autres ajoutaient : « Les fourmis — déjà nous
montent aux épis; — à peine caillé, elles nous arra-
chent le grain... — Les faucilles ne viennent point
encore? » — ï'ar là-bas dans les arbres — le chef
tourna les cils, — et son œil par là-bas les découvre
aussitôt.
24.
282 MIRÈIO, GANT VII.
Entre parèisse, tout l'eissame
Desfourrelèron li voulame,
E dins l'èr au soulèu li fasientrelusi,
E li brandavon sus la tèsto,
Pèr saluda 'mé faire fèsto.
Mai à la troupelado agrèsto
Dôu pu liuen que Ramoun pousquè se faire ausi :
— Benvengu sias, toutola bando!
le cridè ; lou bon Dieu vous maiido.
E lèu de ligarello aguè 'n brande noumbrous
A soun entour : — 0 noste mèstre,
Toucas un pau la man ! benèstre
Posque emé vous longo-mai èstre !
N'i'aura de garbo à l'iero, aquest an, Santo Crous !
— Noun fau juja tout pèr la mine,
Mi bèus ami ! Quand pèr l'eimino
Aura passa l'eirôu, alor de ce que tèn
Saubren lou just. S'èi vist d'annado
Que proumetien uno granado
A fai d'un vint pèr eiminado,
E pièi fasien d'un très !... Mai fau èstre countènt.
, E 'mé la fàci risouleto,
Toucavo en tôuli la paleto ;
Amistadousamen parlavo à Mèste Ambroi,
E tout-bèu-just prenien la lèio
De la bastido, que : — Mirèio !
Garnisse lèu la cicourèio,
E vai tira devin, cridavo, tron-de-goi!
MIREILLE, CIIAM Vil. 283
Dès que parut l'essaim, tous — dégainèrent les
faucilles, — et dans l'air au soleililsles faisaient res-
plendir, et sur la tête les brandissaient, — pour sa-
luer et faire fête. — Mais, à la troupe agreste, — du
plus loin que Ramon put se faire ouïr :
— « Bienvenus soyez-vous, toute la bande! — leur
cria-t-il; le bon Dieu vous envoie! » Et bientôt de
lieuses il eut une ronde nombreuse — autour de lui :
« 0 notre maître, — touchez donc la main ! Bien-être
— puisse-t-il avec vous être à jamais ! — Y en
aura-t-il, des gerbes, à l'aire, cette année. Sainte
Croix! »
— « Il ne faut pas juger tout par la mine, — mes
beaux amis ! Quand par le boisseau — aura passé
l'airée, alors de ce qu'elle tient — nous saurons le
juste. 11 s'est vu des années — qui promettaient une
récolte — à rendre vingt (liémines) * par héminée^
— ensuite elles en rendaient trois ! . . . Mais soyons
satisfaits! »
Et, la face riante, — à tous il touchait la main; — •
jmicalcment il parlait à Maître Ambroise, — et ils
prenaient à peine l'allée — de la bastide, que : « Mi-
reille ! — prépare vite la chicorée, et va tirer du vin,
criait-il , tron - de-goï ! »
284 MIRÉIO, GANT VIL
Lèu aquesto, à pléni faudado,
Vejè sus taulo la goustado ;
Ramoun, lou bôu proumié, t»e i'assèto à-n-un bout.
E tôuti fan coume eu. En briso
Lou pan croustous déjà se friso
Souto la dent que l'enfreniso,
Enterin que li man pescon i barba-bou.
La taulo fasié gau, lavado
Coume une fueio de civado ;
Lou cachât redoulènt, l'aiet que fai tuba,
Li merinjano à la grasiho,
Li pebroun, cousènto manjiho,
Li blôundi cebo, à la rapiho
Dessus li vesias courre, à bel èime escampa.
Mèstre à la taulo coume au fouire,
Ramoun, qu'avié conlro eu lou douire,
Detèmsentèmsl'aussavo, e : D'aut! chourlen un cop ■
Quand i'a de pèiro dins lis erme,
Pèr que la daio se referme,
N'en fau bagna lou tai, e ferme !
E lis ome, aderrèn, aparavon lou got.
— Bagnen lou tai ! — E dôu grand inde
Lou vin raiavo, rouge e linde,
Is àspri grirgassoun di gourbihaire. — Pièi,
Venguè Ramoun à la taulado,
Se 'n cop la fam èi sadoulado,
E li forço reviscoulado,
Pèr bèn acoumença, segound l'usage vièi,
i
MIREILLE, CHANT VII. 285
Vite celle-ci, à pleins tabliers, — versa le goûter
sur la table; — Rainon, le beau premier, s'y assied
à un bout, — et tous font comme lui. En miettes —
le pain à croûte épaisse déjà se pulvérise — sous la
dent qui le broie, — pendant que les mains plon-
gent dans les barbes-de-bouc.
La table réjouissait, lavée — comme une feuille
d'avoine; — le cachaf^ odorant, l'ail qui brûle (le
palais), — les aubergines (rôties) sur le gril, — les
piments, cuisant mets, — les blonds oignons, con-
fusément — roulaient sur elle, versés à profusion.
Maître à la table comme au labour, — Ramon, qui
à côté de lui avait la buire, — de temps à autre re-
levait, et : « Allons ! buvons un coup ! — Quand la
lande est pierreuse, — pour que la faux se raffer-
misse, — il faut en mouiller le tranchant, et ferme ! »
— Et les hommes, tour à tour, tendaient le verre.
— « Mouillons le tranchant! » — Et du grand vase
— le vin coulait, rouge et Umpide, — aux âpres go-
siers des faucilleurs. — « Puis, — dit Ramon aux
(hommes) attablés, — quand vous aurez rassasié la
faim — et ravivé les forces, — pour bien commencer^
selon l'usage antique.
28(5 MIRÈIO CANT VII
Coupas, dins li bos de rebroundo,
Chascun voste balau de broundo ;
Qu'en làupi li balau s'amoulounon. Mi fiéu,
Quand l'auto làupi sara lèsto,
De vèspre, couinpliren lou rèsto,
Car de Sant Jan aniue 's la fèsto,
Sant Jan lou meissounié, Sant Jan l'ami de Dieu '
Ansin lou mèstre li coumando.
Dedins la sciènci noblo e grando
Que fau pèr mena 'n bèn, que fau pèr coumanda,
Que fau pèr faire espeli, souto
La tressusour que ie degouto,
L'espigaublound i négri mouto,
De n'en saupre coume eu res poudié se vanta !
Sa vido èro paciènto e sobro.
Es verai que si lônguis obro,
Emé lou pes dis an, l'avien un pau gibla ;
Mai au tèms dis iero, à la caro
Souvènti-fes di jouine miarro,
Fièi- e galoi, pourtavo encaro
Sus la paumo di man dous plen sestié de blad !
Couneissié l'aflat de la luno,
Quouro es bono, quouro impourtuno,
Quouro bulo la sabo e quouro l'entessis ;
E quand fai rodo, e quand es paie,
E quand es blanco vo pourpalo,
Sabié lou tèms que n'en davalo.
Pèr eu lis auceloun, lou pan que se môusis,
MIREILLE, CHANT VII. 287
« Coupez, dans les bois taillis, — chacun votre
fagot de branches ; — qu'en pile les fagots s'ainon.
cellent. Mes fils, — quand le haut bûcher sera prêt,
— ce soir nous accomphrons le reste; — carde
Saint Jean c'est la fête cette nuit, — Saint Jean le
moissonneur, Saint Jean l'ami de Dieu! »
Ainsi les commande le maître. — Dans la noble
et grande science — nécessaire pour conduire un
bien, nécessaire pour commander, — nécessaire pour
faire éclore, sous — la sueur qui y ruisselle, — des
noires mottes l'épi blond, — d'en savoir comme lui
nul ne pouvait se vanter.
Sa vie était patiente et sobre. — En vérité ses longs
labeurs — et le poids des ans l'avaient un peu courbé ;
— mais au temps (où) les aires (sont pleines), à la
face, — maintes fois, des jeunes valets, — fier et
joyeux, il portait encore — sur la paume des mains
deux pleins setiers de blé!
11 connaissait l'influence de la lune, — quand est-
elle bonne, quand défavorable, — et quand pousse-
t-elle la sève, et quand l'arrête-t-elle ; — et lors-
qu'elle a un cercle, et lorsqu'elle est pâle, — ou
blanche, ou empourprée, — il savait le temps qui en
descend. — Pour lui, les oisillons, le pain qui se
moisit.
'i88 M1I\ÈI0, GANT VU.
E li jour nègre de la Vaco,
Pèr eu li nèblo qu'Âvoust raco,
E li contro-soulèu, e l'aubo de Sant-Clar,
Di quaranteno gabinouso,
E di secaresso rouinouso,
Di pounlannado plouvinouso,
E paréu di bons an èron li signe clar.
Dins uno terro labourivo,
Quand la faturo es tempourivo,
Ai de fes agu visl, atalado au coutrié,
Sièis bèsti grasso e nervihouso ;
Èro uno visto mervihouso !
La terro, bleto e silenciouso,
Plan-plan devans la riho au soulèu se durbié
E li sièis miolo, bello e sano,
Seguien de longe la versano,
Semblavon, en tirant, coumprene per-de-que
Fau que la terro se laboure :
Sens camina trop plan, ni courre,
Devers lou sôu beissant lou mourre,
Atentivo, e lou côu tiblan coume un arquet.
Lou fin bouié, l'iue sus la rego,
Ela cansoun entre li brego,
l'anavo à pas tranquile, en tenènt soulamen
L'estevo drecho. Ansin anavo
Lou tenamen que samenavo
Mèste Ramoun, e que menavo,
Ufanous, coume un rèi dins soungouvernamen)
MIREILLE, CHANT VII. 289
Et les jours néfastes de la Vache », — pour lui les
brouillards qu'Août vomit, — et les parhélies, et
l'aube de la Saint-Clair, — des quarantaines humides,
— des sécheresses ruineuses, — des périodes de ge-
lée, — et aussi des années bonnes, étaient les signes
clairs.
Dans une terre labourable, — quand la culture se
fait en temps propice, — j'ai vu parfois, attelées à la
charrue, — six bêtes grasses et nerveuses ; — c'était
un merveilleux spectacle ! — la terre, fiiable, en
silence, — lentement devant le soc au soleil s'en-
tr'ouvrait.
Et les six mules, belles et saines, — suivaient
sans cesse le sillon ; — elles semblaient, en tirant,
comprendre pourquoi — il faut labourer la terre :
— sans marcher trop lentement ni courir, — vers le
sol baissant le museau, — attentives, et le cou tendu
comme un aie.
Le fin laboureur, l'œil sur la raie, — et la chanson
entre les lèvres, — y allait à pas tranquilles, en te-
nant seulement — le manche droit. — Ainsi allait —
leténement qu'ensemençait — Maître Ramon, et qu'il
dirigeait, — magnifique, tel qu'un roi dans sop
royaume !
2â
290 MIRÈIO, CANT VII.
Déjà pamens levant la fàci,
Lou majourau disié li gràci
È signavo soun front ; e di travaiadou
L'escarrado partie, galoio,
Pèr alesti lou fio de joio.
D'uni van acampa de boio,
D'autre, di pin negras tcumba lou ramadou.
Mai li dous vièi rèston à taulo,
E Mèste Ambroi pren la paraulo :
Vène, iéu, o Ramoun, vous demanda counsèu.
M'arribo un àrsi qu'avans Touro
Me coundurra mounte se plouro ;
Car noun vese couuie ni quouro
D'aquéu nous de malur poudrai trouva lou sèu !.
Sabès qu'ai un drôle : jusqu'aro,
D'uno sagesso mai que raro
M'avié donna li provo, e toustèms. Auriéutort,
Se veniéu dire lou countràri.
Mai touto pèiro a si gavàrri.
Lis agnèu même an si catàrri,
E l'oundo la plus traito es aquelo que dor.-
Sabès qu'a fa, lou sounjo-fèsto?
S'es ana mètre pèr la tèsto
Uno chato qu'a vist, de riche meinagié...
E la vôu, e la vôu, lou nèsci !
E tant viôulènt èi soun desfèci,
E soun amour de talo espèci
Que m'a fa pôu ! En van i'ai moustra sa foulié;
MIREILLE, CHANT VII. 291
Déjà, pourtant, levant la face (au ciel), — le chef
disait les grâces — et portait la main au (vont pour
faire le signe de la croix; et des travailleurs - la
troupe allait, gaiement, — préparer le feu de joie.—
Les uns vont ramasser des fanes de souchet, - d'au-
tres, des sombres pins abattre la ramée.
Mais à table restent les deux vieillards, — et Maître
Ambroise prend la parole : - « Je viens, moi, ô Ra-
mon, vous demander conseil. —Il m'advient une tra-
verse qui avant l'heure - me conduira où sont les
pleurs ; — car je ne vois ni comment ni quand — de
ce nœud de malheur je pourrai trouver le sceau !
« Vous savez que j'ai un fils : jusqu'à cette heure
- d'une sagesse plus que rare - il m'avait donné
les preuves, et toujours. J'aurais tort, — si je ve-
nais dire le contraire.— Mais toute pierre a ses javarts,
— les agneaux même ont leurs convulsions, — et
l'onde la plus perfide est celle qui dort.
« Savez-vous ce qu'il a fait, le songe-creux <> — Il
s'est allé mettre par la tête — une fille qu'il a vue
de riches tenanciers. . . _ Et il la veut, et il la veut!
l'insensé! — Et si violent est son désespoir, — et tel
son amour - qu'il m'a fait peur! Vainement lui ai-ie
démontré sa fohe,
292 MIRÈIO, GANT VII.
En van i'ai di qu'en aquest mounde
Richesso crèis, pauriho founde...
— Courrès dire à si gènt que la vole atout près,
A respoundu ; que fau s'enchaure
Se l'orne es brave e noun s'es paure;
Digas-ie que sabe reclaure,
Desmaienca li vigno e laboura li grès.
Digas-ie mai que si sièis couble
Sout moun gouvèr cavaran double ;
Digas-ie que siéu orne à respeta li vièi ;
Digas-ie que, se nous separon,
Pèr toujour nôsti cor se barron,
E tant iéu qu'elo, nous entarron !
Aro dounc, o Ramoun, que vesès ce que n'èi,
Digas-me s'eraé mi roupiho
Anarai demanda la fiho,
0 bèn se leissarai mouri moun drôle... — Pôu !
Ramoun ie fai, noun largués vélo
Sus un tau vent. Eu nimai elo,
Boutas, mouriran pas d'aquelo !
Es iéu que vous lou dise, Ambroi, n'agués pas pôu.
Moun ome, en voste Hoc e plaço,
Fariéu pas tant de cambo lasso :
Icoumenço, pichot, de garda toun repau,
le vendriéu sènso mislèri,
Que s'a la fin ti refoulèri,
Ve ! fan esmôure lou tempèri,
Sarnipabiéune ! ve! t'endôutrine em'un pau.
I
MIREILLE, CHANT VII. 293
« Vainement lui ai-je dit qu'en ce monde, — ri-
chesse croît, pauvreté fond... — « Courez dire à ses
parents que je la veux à tout prix, — a-t-il répondu;
qu'il faut se soucier — de la vertu de l'homme, et
non de sa misère ; — dites-leur que je sais biner, —
ébourgeonner les vignes, labourer les terrains pier-
reux.
« Dites-leur encore que leurs six paires (de bêtes),
— sous ma conduite, creuseront double ; — dites-
leur que je suis homme à respecter les vieillards ; —
dites-leur que, s'ils nous séparent, — pour toujours
ils ferment nos cœurs, — et, tant moi qu'elle, ils
nous enterrent ! n — Maintenant donc, ô Ramon, que
vous voyez ce qu'il en est,
« Dites-moi si, avec mes haillons, — je dois aller
demander la fille, — ou bien laisser mourir mon
fds...» — «Bah! — Ramon lui dit, ne déployez
point voile — sur un tel vent ! Lui ni elle , — allez,
n'en mourront pas ! — C'est moi qui vous le dis,
Ambroise, n'ayez pas peur.
« Ami, en votre lieu et place, — je ne ferais pas
tant de démarches vaines : — « Commence, petit, par
garder ton repos, — lui dirais-je sans détour, — car
à la fin si tes caprices — vois ! font mouvoir la tem-
pête, — sarnipabieoune ! vois ! je t'endoctrine avec
un pieu ! »
25.
294 MIRÈIO, CANT VII.
Alor Ambroi : Quand l'ase bramo,
l'anés dounc plus traire de ramo :
Arrapas un barroun, e 'm' acô 'nsucas-louî
E Ramoun : Un paire es uo paire ;
Si voulounta dèvon se faire ;
Troupèu que meno soun gardaire
Crucis, à tèms o tard, dins la gorgo dôu loup.
Qu'à soun paire un fiéu reguignèsse,
De noste tèms, ah! Dieu gardasse!
L'aurié tua, belèu!.!. Li famiho, tambèn,
Li vesian forte, unido, sano,
E resistènto à la cliavano
Goume un brancage de platane !
Avien preun si garrouio, — acote, lou sabèn.
Mai quand leu vèspre de Calèndo,
Seule souneslelado tèndo,
Acampave leu rèire e sa generacieun,
Davans la taulo benesido,
Davans la taulo ounte préside,
Lou rèire, de sa man freuncido,
Negàvo tout acô dins sa benedicieun !
Mai, afebride e blavinelle,
L'enaniourado pichounelle
Vôn alor à soun paire : Âdeunc me tuarès,
0 paire! Es iéu que Vîncèn amo,
E, davans Diéue Nestre-Damo,
Res autre qu'eu n'aura moun amo!...
Un silènci moui-lau li prenguè téuti très.
MIREILLE, CHANT VII. 295
Alors Ambroise : « Quand l'âne brait, — n'allez
donc plus lui jeter de la rainée : — empoignez une
trique et assommez-le ! » — Et Ramon : « Un père
est un père ; — ses volontés doivent être faites ' —
Troupeau qui mène son gardien, — tôt ou tard, cra-
que dans la gueule du loup.
« Qu'à son père un fils regimbât, — de notre temps,
ah ! Dieu garde ! — il l'eût tué, peut-être ! . . . Les fa-
milles, aussi, — nous les voyions fortes, unies, sai-
nes, — et résistantes à l'orage, — comme un bran-
chage de platane ! — Elles avaient, sans doute, leurs
querelles, nous le savons.
« Mais quand le soir de Noël, — sous sa tente
étoilée, —réunissait l'aïeul et sa génération, — de-
vant la table bénie, — devant la table où il préside, —
l'aïeul, de sa main ridée, — noyait tout cela dans sa
bénédiction " 1 »
Mais, enfiévrée et blême, — la jeune fille éna-
mourée — dit alors à son père : « Vous me tuerez
donc, — mon père ! C'est moi que Vincent aime, —
et devant Dieu et Notre-Dame, — nul n'aura mon
âme que lui!... » — Un silence de mort les prit tous
trois.
S96 • MIRÈIO, CANT VII.
Jano-Mario es la proumiero
Que s'aubourè de la cadiero :
— - Ma fiho! la resoun que vènes d'alarga,
le fai ansin 'mé li man jouncho,
Es uno escorno que nous councho,
Es uno espino d'aiguespouncho
Que nous a pèr lontèms nôsti cor trafiga'
As refusa lou pastre Alàri,
Aquéu qu'avié milo bestiàri!
Refusa Veranet lou gardian ; rebuta,
Pèr ti maniero besuqueto,
Ourrias, lou tant riche en vaqueto!
Em' acô pièi, em' un fresqueto,
Em' un galabontèms te vas encoucourda!
Bèn ! i*anaras de porto en porto,
Emé toun gus courre pèr orto !
Siestouto tiéuno, parte, abôumianido ! . . . Bon.'
Associo-te 'mêla Roucano,
Emé Beloun la Roubicano !
Sus très caiau, emé la Cano,
Vai couire ta bouiaco, à la sousto d'un pont !
Mèste Ramoun leissavo dire ;
Mai soun iue, lusènl coume un cire,
Soun iue parpelejavo e jitavo d uiau
Souto sis usso espesso e blanco.
De sa coulèro la restanco
Pièi à la longo se desranco,
E oundo à boui furoun s'esclafis dins lou riau
MIREILLE, CHANT VII. 207
Joanne-Marie est la première; — qui se leva do la
chaise : — « Ma fille ! la parole qui vient de t'échap-
per, — lui fait-elle ainsi, les mains jointes, — est une
insulte qui nous souille, — est une épine de nerprun
— qui nous a pour longtemps percé le cœur !
« Tu as refusé le pâtre Alàri, — celui qui possédait
mille bestiaux ! — refusé Véranet le gardien ; rebuté,
— partes manières dédaigneuses, — Ou rria s, le ri-
che (pasteur) de génisses ; — et puis, un freluquet, —
un garnement (suffit) pour te séduire *" !
« Eh bien ! vas-y, de porte en porte, — avec ton
gueux courir les champs! — Tu t'appartiens, pars!
bohémienne !.. . Oui ! — à la Roucane, — à Beloun la
Roubicane — associe-toi ! — Sur trois cailloux, avec
la Chienne, — va cuire ton potage, abritée sous (la
voûte) d'un pont! »
Maître Ramon laissait dire ; — mais son œil, lui
sant comme un cierge, — son œil chgnotait et jetait
des éclairs — sous ses sourcils épais et blancs. — De
sa colère l'écluse — à la longue s'arrache, — et l'onde
à bouillons furieux s'élance dans la rivière :
298 MIRÈIO, GANT VII.
— A rôsoun, o, ta maire ! parte,
E que l'aiirige liuen s'esvarte !...
Mainoun, demouraras, vases?... Quand saubriér
De t'estaca 'mé lis enfèrri,
E de te mètre i narro un fèrri,
Coume se fai à-n-un gimèrri ;
Veguèsse-iéu subran toumba lou fio de Dieu '
De facharié morno e malauto,
.Veguèsse-iéu foundre ti gauto,
Coume la nèu di colo à l'uscle dôu soulèu!
Mirèio ! coume aquelo graso
Dôu fougueiroun porto la braso ;
Coume lou Rose, quand s'arraso,
Fau que desbounde, e ve! coume acô 's un calèu,
Rapello-te de ma paraulo :
Lou veiras plus ! ... E de la taulo
Em' un grand cop depoung destrantraio l'iimploiir,
Coume l'eigagno sus li berlo,
Coume un rasin que si pouperio
Plovon à l 'auro, perlo à perlo
Mirèio entanterin escampavo si plour.
— Quau m'a pas di, malavalisco !
Reprenlou vièi, bret de la bisco,
Ambroi, quau m'a pas di que vous, vous, Mèste Airibroi,
Agués, 'mé voste tantalôri,
1 Entrepacha dinsvostobôri
! Aquel infâme raubatôri ! . , .
'''L'endignacioun, aquest, l'enaurè tout revoi.
MIREILLE, CHANT VIL '299
— « Elle a raison, oui, ta mère ! pars, — et que
l'ouragan loni se dissipe! ... — Mais non, tu resteras,
vois-lu?... Saurais-je — de t'attacher avec les entra-
ves, — et de te mettre aux narines un fer, — comme
on fait à un jumart; — verrais-je subitement tomber
le feu du ciel !
« De fâcherie morne et malade, — verrais-je fondre
tes joues, — comme la neige des collines au hâle du
soleil! — Mireille! comme cette dalle — porte la
braise du foyer; — comme le Rhône, comblé (par les
pluies), — forcément déborde; et vois! comme cela
est une lampe,
« Souviens -toi de ma parole : — tu ne le verras
plus ! . . . » Et de la table — par un grand coup de
poing il fait trembler l'ampleur. — Comme la rosée
sur les berles, — comme une grappe dont les grains
trop mûrs — pleuvent au vent, perle à perle, — Mi-
reille, en même temps, répandait ses larmes.
— « Qui m'assure, malédiction! — reprend le vieil-
lard, bègue de colère, — Ambroise, qui m'assure que
vous, vous, Maître Ambroise, — ' n'ayez point, avec
votre gredin, — machiné dans votre hutte — ce rapt
infâme! » — L'indignation souleva, chez celui-ci, la
vigueur d'autrefois.
SOO MIRÊIO, CANT VII.
— Malan de Dieu ! cridè tout-d'uno,
Se l'aven basso, la fourtuno,
Vuei aprenès de iéu que pourlan lou cor aut !
Que sache encaro, n'es pas vice
La paureta, nimai brutice !
Ai quarante an de bon service,
De service à l'armado, au son dicanoun rau!
Just manejave uno partego,
Que siéu parti de Yalabrego
Pèr môssi de veissèu. Emplana sus la mar,
Sus la mar tempestouso o lindo,
Ai vist l'empèri de Melindo,
Emé Sufren ai treva l'indo,
E, mai que la marino, agu de jour amar!
Soudard peréu di grandi guerro,
Ai barrula touto la terro,
Em' aquel aut guerrié que mountè dôu Miejour,
E permenè sa man destrùci
De l'Espagno à Fermas di Rùssi ;
E coume un aubre de perùssi
Lou mounde s'espôussavo au brut de si tambour !
E dins l'ourrour dis arrambage,
E dins l'angouisso di naufrage,
Li riche, pèr acô, n'an jamai fa ma part!
E iéu, enfant de la pauriho,
Iéu que n'aviéu dins ma patrio
Pas un terroun à planta riho,
Pèr elo, quarante an, ai matrassa ma car !
MIREILLE, CHANT VIL 50!
— « Malheur de Dieu! s'écria-t-il soudain, — si
nous avons la fortune basse, — en ce jour apprenez
de moi que nous portons le cœur haut ! — Que je sa-
che encore, elle n'est point vice — la pauvreté, ni
souillure. — J'ai quarante ans de bon service, — de
service à l'armée, au son des canons rauques!
« A peme maniais-je une gaffe, — je suis parti de
Valabrcgue, — mousse de vaisseau. Perdu sur les
plaines de la mer, — de la mer tempétueuse ou lim-
pide, — j'ai vu l'empire de Mélinde, — j'ai hanté
l'Inde avec Suffren, — et eu des jours plus amers que
la mer !
« Soldat aussi des grandes guerres, —j'ai parcouru
tout l'univers, — avec ce haut guerrier qui monta
du Midi , — et promena sa main destructrice — de
l'Espagne aux steppes russes ; — et, tel qu'un arbre
de poires sauvages, — au bruit de ses tambours se
secouait le monde I
« Et dans l'horreur des abordages, — et dans l'an-
goisse des naufrages, — les riches, malgré tout,
n'ont jamais fait ma part ! — Et moi, enfant du pau-
vre, — moi qui n'avais, dans ma patrie, — pas un
coin de terre où planter le soc, — pour elle quarante
ans j'ai harassé ma chair '
S6
302 MIRÊIO, CANT Vil
E couchavian à la plouvino,
E manjavian que de canino !
E jalous de mouri, courrian au chapladis,
Pèr apara lou noum de Franco...
Mai, d'acô, res n'a remeinbranço !
En acabantsa remoustranço,
Pèr lou mas bandiguè sa jargo de cadis.
— Qu'anas bousca vers Mount-de- Vergue
LouSanl-Pieloun? — lou vièi rouërgue
Rambaio coume eiçôMèste Ambroi, — emai iêu
Ai ausi l'orre tron di boumbo
Di Toulounen clafi la coumbo ;
D'Arcolo ai vist lou pont que toumbo,
E li sablas d'Egito embuga de sang viéu !
Mai, de retour d'aquéli guerre,
A fouire, àbourjouna la terro
Nous sianmes coume d'ome, à se desmesoula,
De pèd e d'ounglo ! La journado
Èro avans l'aubo entamenado,
E la luno di vesprenado
Nous a vist mai d'un cop sus la trenco gibla!
Dison : La terro es abelano !
Mai, coume un aubre d'avelano,
En quau noun la tabasso à grand cop, dono rèn ;
E se coumtavon, dèstre à dèstre,
Li moutihoun d'aquéu benèslre
Que jnoun travai me n'a fa mèstre,
Coumtarien li degout de moun front susarènt!
MIREILLE, CHANT VII. 503
« Et nous couchions sous le givre, — et ne man-
gions que du pain de chien; — et, jaloux de mou-
rir, nous courions au carnage — pour défendre
le nom de France!... — Mais, décela nul n'a sou-
venir ! » — En achevant sa remontrance, — par la
ferme il jeta son manteau de cadis.
— « Qu'allez-vous chercher vers Mont-de-Verg«e "
— le Saint-Pilon '^? le vieux grondeur — ainsi rem-
barre Maître Ambroise, — et moi aussi j'ai entendu
l'horrible tonnerre des bombes, — emplir la vallée
des Toulonnais; — d'Arcole j'ai vu le pont qui
tombe, — et les sables d'Egypte combugés de sang
vivant !
« Mais, au retour de ces guerres, — à fouir, à bou-
leverser le sol — nous nous mîmes comme des hom-
mes, (au point) de nous sécher la moelle, — de pied
et d'ongles! La jpurnée — s'entamait avant l'aube, —
et la lune des soirées — nous a vus plus d'une fois
ployés sur la houe.
« On dit : La terre est généreuse ! — mais, telle
qu'un arbre d'avelines, — à qui ne la frappe à grands
coups, elle ne donne rien ; — et si l'on comptait, pas
à pas ^^, — les mottes de terre de cette aisance, —
que mon travail m'a conquise, — on compterait les
gouttes de sueur qui ont ruisselé de mon front!
304 MIRÈIO, CANT VII.
Santo Ano d'At! pièi fau rèn dire!
Aurai adonne, coume un saiire,
Riistica de countunio, e manja mi grapié,
Pèr qu'à l'oustau lou viéure abound
Pèr que de longo se i'apounde,
Pèr me mètre à l'ounour dôu mounde,
Pièi dounarai ma fiho à-n-un gus de paie!
• Anas-vous-en au tron de Diéune !
Gardo toun chin, garde moun ciéune.
Tau fugue dôu pelot lou parla rabaslous.
E l'autre vièi, s'missant detaulo,
Prenguè sa jargo emé sa gaule,
E n'apoundè que dos paraulo :
Adessias! Quauquejour, noun fugues regretous!
E lou grand Dieu emé sis ange
Mené la barco e lis arange !...
E coume s'enanavo emé lou jour fali,
Souto lou vènt-lerrau que bramo,
Banejè dôu mouloun de ramo
Uno longo lengo de flamo.
Au tour, li meissounié, de joio trefouli,
Emé si tèsto fièro e libre
Se revessant dins l'èr que vibro,
Tôuti, d'un même saut picant la terro ensèn,
Fasien déjà la farandoulo.
La grand flamado, que gingoulo
Au revoulun que la ventoulo,
Empuravo à si front de rebat Irelusènt.
MIREILLE, CHANT VII. 505
« Sainte Anne d'Apt! et il faut se taire! — J'aurai
donc, comme un satyre **, — ahané sans relâche
aux travaux des champs, et mangé mes criblures, —
pour qu'à la maison entre l'abondance, — pour l'aug-
menter sans cesse, — pour me mettre à l'honneur
du monde ; — puis, jfr donnerai ma fille à un gueux
^couchant) aux meules !
« Allez au tonnerre de Dieu ; — Garde ton chien,
je garde mon cygne, n — Tel fut du maître le rude
parler. — L'autre vieillard, se levant de table, — prit
son manteau et son bâton, — et n'ajouta que deux
paroles : — « Adieu ! quelque jour, n'ayez point de
regrets!
« Et (que) le grand Dieu avec ses anges — mène la
barque et les oranges ! » — Et comme il s'en allait
avec le jour tombant, — sous le mistral qui mugit,
— (pareille à une) corne, s'éleva du monceau de ra-
mée — une longue langue de flamme. — Alentour,
les moissonneurs, fous de joie,
Avec leurs têtes fières et libres — se renversant
dans l'air vibrant, — tous, d'un même saut frappant
la terre ensemble, — faisaient déjà la farandole. —
La grande flamme, qui glapit — sous la bourrasque
qui l'agite, — attisait sur leurs fronts des reflets
éclatants.
26.
300 MIRÈIO, GANT VÎT,
Li belugo, à remoulinado,
Mounton i nivo, afurounado.
Au criicimen di trounc toumbant dins lou brasnr
Se mesclo e ris la musiquelo
Dôu flaiutet, revertigueto
Coume un sausin dins li branqueto...
Sant Jan, la terro aprens trefoulis, quand passas !
La regalido petejavo ;
Lou tambourin vounvounejavo,
Grèu e couiitinuous, coume lou jafaret
De la mar founso, quand afloco
Pasiblamen contro U roco.
Li lamo foro di bedoco
E brandussado en l'èr, li dansaire rnouret,
Très fes, à grandis abrivado,
Fan dins li flamo la Bravado ,
E tout en trépassant lou rouge cremadou,
D'un rèst d'aiet trasien li veno
Au recabéu ; e, li man pleno
De trescalan e de verbeno,
Que fasien benesi dins lou fio purgadou :
Sant Jan! Sant Jan! Sant Jan! cridavon.
Tôuti li colo esbrihaudavon,
Coume s'avié plôugu d'estello dins l'oumbrun'
Enterin la rounflado folo
Empourtavo l'encens di colo
Emé di fio la rougeirolo
Vers lou Sant, emplana dins lou blu calabrun.
MIREILLE, CHANT VII. 507
Les étincellos, à tourbillons, — montent aux nues,
furibondes. — Au craquement des troncs tombant
dans le brasier, — se môle et rit la petite musique
— du galoubet, vive et folâtre — comme un friquet
dans les rameaux... — Saint Jean, la terre enceinte
tressaille, quand vous passez !
Le feu joyeux pétillait ; — le tambourin bour-
donnait, — grave et continu, comme le murmure
— de la mer profonde, quand elle bat — paisible-
ment contre les roches. — Les lames hors des four-
reaux — et brandies dans les airs, les danseurs
bruns,
Trois fois, avec de grands élans, — font dans les
flammes la Bravade ^^. — Et tout en franchissant
le rouge foyer, — d'une tresse d'aulx ils jetaient les
gousses — dans la braise; et, les mains pleines— de
mille-pertuis et de verveine, — qu'ils faisaient bénir
dans le feu purificateur :
« Saint Jean! Saint Jean! Saint Jean! » s'écriaient-
ils. — Toutes les colhnes ^tincelaient, — comme s'il
avait plu des étoiles dans l'ombre ! — Cependant
la rafale folle — emportait l'encens des collines —
et la rouge lueur des feux — vers le Saint, planant
dans le bleu crépuscule.
NOTES
DU CHANT SEPTIEME
* Tortillade [tourtïhado], gâteau en forme de couronne, fait de
fine pâte, de sucre, d'œufs et d'anis.
' Prunelle lagreno), fruit du prunellier.
' Cest là lœuf de la Poule blanche : expression proverbiale,
pour dire une chose rare, précieuse, à laquelle on tient beaucoup
Les sorciers allaient avec une poule blanche aux carrefours, aa
clair de lune, et évoquaient le diable par ce cri trois fois répété ;
NOTES DU CHANT VIT. 309
Pèr la vertu de ma poulo ft^anco /Juvénal, en parlant d'un homme
heureux, dit : Gallime filius albx.
* Lucre [lucre], tarin de Provence (fringilla spinus, Lin.), oi-
seau d'un beau jaune et dont le chant agréable a passé en pro-
verbe.
^ Doigtiers (dedau),' doigtiers de roseau que les moissonneurs
adaptent aux doigts de leur main gauche, afin de ne pas se bles-
ser avec la faucille.
^ Hémine (eimino), boisseau. — Héminée [eminado], mesure
de superficie, 8 ares 75, variable selon les pays.
' Cachât {cachât), fromage pétri qui acquiert par la fermenta-
tion un goût excessivement piquant. Ce mets figure journellement
sur la table des valets de ferme, ou ràfi.
* Les jours néfastes de la Vache, vulgairement H Vaqueiriéu.
Ce sont les trois derniers jours de mars et les quatre premiers
d'avril, période redoutée des paysans. On a vu, dans la note 7 du
Chant YI, ce que les «Provençaux entendent par la Vieille. Voici
la suite de ce fabliau ;
Quand la Vieille eut perdu son troupeau de brebis, elle acheta
des vaches; et, arrivée sans encombre à la fin du mois de mars,
elle dit imprudemment •
En escapant de Mars e de Marsèu,
Ai escapa mi vaco e im vedèu.
Mara, blessé du propos, va sur-le-champ trouver Avril ~
Abriéu, n'ai plus que ires jour : presto-me-n'en quatre,
Li vaco de la Vièio faren batre !
Avril consentit au prêt...; une tardive et terrible gelée brouït
toute végétation, et la pauvre Vieille perdit encore son troupeau.
9 Noël est la prmcipale fête des Provençaux. En yoici une des-
cription qui primitivement faisait partie du poëme, et que l'au-
teur a supprimée pour éviter les longueurs :
3i0 NOTES DU CHANT VIL
Ah ! Calèndo, Calèndo, ounte èi ta douço pas?
Ounte soun li caro risènto
Dis enfantoun e di jouvènto ?
Ounte èi la man rufo e mouvènto
Dôu viéi que fai lacrous dessus lou sant repas i
Alor lou ràfi que labouro
Quito la rego de bono ouro,
Etanto e pastrihoun patusclon, deligènt;
Dôu dur travai lou cors escàpi,
Van à soun oustaloun de tapi
Emé si gènt manja 'a gre d'àpi
E pausa gaiamen cachafiô 'mé si gènt.
Dôu four, sus lo taulo de pibo,
Déjà lou calendau arribo,
Flouca de verbouisset, festonna de façoun ;
Déjà s'atubon très candèlo,
Novo, sacrado, clarinello,
E dins très blànquis escudello,
Greio lou blad nouvèu, premicio di meissoun.
Un grand pirastre negrejavo
E dôu vieiounge trantraiavo...
L'einat de Toustau vèn, lou cepo pèr lou pèd,
A grand cop de destrau Tespalo,
E, lou cargant dessus Fespalo,
Contro la taulo calendalo
Vèn i pèd de soun grand lou pausa 'mé respèU
Lou segTie-grand, de gen de modo,
Vôu renouncia si vièii modo :
A troussa lou davans de soun ample capéu,
E vai, couchons, querre la flolo;
A mes sa longo camisolo
De cadis blanc, e sa taiolo,
E si braio nouvialo, e si guèto de peu.
NOTES DU CHANT Vil.
Ahl Noël, Noël, où est la douce paix? — Où sont les vi-
sages riants — des petits enfants et des jeunes filles? — Où
est la main calleuse et agitée — du vieillard qui fait la croix
sur le saint repas ?
Alors le valet qui laboure — quitte le sillon de bonne
heure, — et servantes et bergers décampent, diligents. — Le
corps échappé au dur travail, — ils vont, à leur maisonnette
de pisé, — avec leurs parents manger un cœur de céleri —
et poser gaiement la bûche (au feu) avec leurs parents.
Du four, sur la table de peuplier, — déjà le (pain) de Noël
arrive, — orné de petit-houx, festonné d'enjolivures. — Déjà
s'allument trois chandelles, — neuves, claires, sacrées, — et
dans trois blanches écuelles — germe le blé nouveau, pré-
mices des moissons.
Un noir et grand poirier sauvage — chancelait de vieil-
lesse... — L'ainé de la maison vient, le coupe par le pied. —
à grands coups de cognée Tébranche, — et le chargeant sur
l'épaule, — prés de la table de Noël, — il vient, aux pieds de
son aïeul, le déposer respectueusement.
Le vénérable aïeul, d'aucune manière, — ne veut renoncer
à ses vieilles modes. — Il a retroussé le devant de son ample
chapeau, — et va, en se hâtant, chercher la bouteille. — 11 a
mis sa longue camisole - de cadis blanc, et sa ceinture, —
et ses brayes nuptiales, et ses guêtres de peau.
512 NOTES DU CHaNT YIV
Mai pamens touto la faraiho
A soun entour s'escarrabiho...
— Bèn? Cachafiô boutan, pichot? — Si! vitamen
Tôuti ierespoiidon. — Alègre'
Crido lou vièi, alègre, alègre!
Que Noste Segne nous alègre !
S'un autre an sian pas mai, moun Dieu, fuguen pas mcn
E 'mplissènt lou got de clareto,
Davans la bando risouleto,
Eu n'escampo très cop dessus l'aubre fruchau ;
Lou pu jouinet lou pren d'un caire,
Lou vièi de l'autre, e sorre e fraire
Entre-mitan, ie fan pièi faire
Très cop lou tour di lume e lou tour de l'oustaa
E dins sa joio lou bon rèire
Aubouro en Ter lou got de vèire :
0 fio, dis, fio sacra, fai qu'aguen de bèu tèm !
E que ma fedo bèn agnelle,
E que ma Irueio bèn poucelle,
E que ma vaco bèn vedelle,
Que mi chato e mi noro en fanion lôuti bèn '
Cachafiô, bouto fio ! Tout-d'uno,
Prenant lou trounc dins si man bruiio,
Dins lou vaste fougau lou jiton tout entié.
Veirias alor fougasso à Tôli,
E cacalauso dins l'aiôli
Turta, dins aquéu bôu regôli,
Vin eue, nougat d'amelo e frucho dôu plantié.
D'uno vertu devinarello
Veirias lusi li très candèlo ;
Veirias d'Esperitoun giscla dôu fio ramu ,
Dôu mou veirias penja la branco
Vers aquéu que sara de nianco ;
Veirias la napo resta blanco
Soulo un carboun ardent, e li cat resta mut !
NOTES DU CHANT VII. 313
Cependant toute la famille — autour de lui joyeusement
s'agite... — « Eh bien! posons-nous la bûche, enfants? —
« Oui ! » promptement— touslui répondent. « Allégresse! — le
vieillard s'écrie, allégresse, allégresse! — que Nolre-Seig7ieitr
nous emplisse d'allégresse! — elsi, une autre année, nous
ne sommes pas plus, mon Dieu, ne soyons pas moins '
Et remplissant le verre de clarelte, — devant la troupe
souriante — il en verse trois fois sur l'arbre fruitier ; — le
plus jeune prend (l'arbre) d'un côté, — le vieillard de l'autre,
et sœurs et frères — entre les deux, ils lui font faire ensuite
— trois fois le tour des lumières et le tour de la maison.
Et dans sa joie, le bon aïeul — élève en l'air le gobelet de
verre : — « 0 feu, dit-il, feu sacré, fais que nous ayons du beati,
temps! — et que ma brebis mette bas heureusement, — que
ma truie soit féconde, — que ma vacfie vêle bien, — que mes
filles et mes brus enfantent toutes bien '
Bûche bénie, allume le feu ! » Aussitôt — prenant le tronc
dans leurs mains brunes, — ils le jettent entier dans l'àîre
vaste. — Vous verriez alors gâteaux à l'huile, — et escargots
dans Vaioli, — heurter, dans ce beau festin, — vin cuit, nou-
gat d'amandes et fruits de la vigne. '
D'une vertu fatidique — vous verriez luire les trois chan-
delles ; — vous verriez des Esprits jaillir du feu touffu ; — du
lumignon vous verriez pencher la branche — vers celui qui
manquera (au banquet) ; —vous verriez la nappe rester blan-
che — sous un charbon ardent, et les chats rester muets!
87
314 NOTES DU CHANT VII.
*" Suffit pour te séduire. — S'encoucourda signifie au propre,
-tUA^v^"-^ acheter une courge pour un melon; au figuré se tromper, se mal
" Mont-de-Vergue [Mount-de-Vergue], colline au levant d'Avi-
gnon.
*2 Le Saint-Pilon {lou Sant-Pieloun, le Saint-Puy), nom du ro-
cher à pic dans lequel est creusée la grotte où se retira sainte
Magdeleine. (Voyez le Chant XI.)
*5 Pas à pas [dèstre à dèstre). Le Dèstre est une mesure agraire,
la centième partie de Veiminado, environ neuf centiares.
*•* Gomme un satyre [coume un Satire) . Pour dire travailler
comme un nègre, on dit en Provence travailler comme un Satyre.
Les anciens ont pu prendre les nègres sauvages pour des divini-
tés des bois qu'ils nommèrent satyres, et dans l'esprit du peuple,
ces deux mots ont pu devenir synonymes.
'^ Bravade [Bravado], décharges de mousqueterie qu'on faisait
autrefois au moment d'allumer le feu de la Saint-Jean, et, par
extension, cérémonies préliminaires et saut de ce lieu.
I
CANT VUECHEN
LA CRAU
Cesîsperanço de Mirèio. — Atrencaduro d'Arlatenco. — La chato, au
niitan de la niue, fugis l'oustau pairau. — Vai au toumbèu di
Sànti-Mario, que soiin li patrouno de Prouvênço, li suplica de
touca si parent. — Lis Ensigne. — Tout en conrrènt à travès de
Crau, rescontro li pastre de soun paire. — La Crau, la guerro di
Gigant. — Li rassado , li prègo-Diéu d'estoublo, li parpaioun,
avertisson MinVio. — Mirèio , badanto de la set, e n'en poudènt
plus de la caud, prègo sant Gènt, que vèn à soun secours. —
Rescontre d'Andreloun, lou cacalausié. — Eloge d'Arle. — Récit
d'Andreloun : istôri dôu Trau de la Capo, li cauco, li eaucaire
aproufoundi. — Mirèio coucho au tibanèu de la famiho d'Andre-
loun.
Quau tendra la forto leiouno,
Quand, de retour à soun androuno,
Vèi plus sounleiounèu? Ourlante sus-lou-cop,
Lôugiero e primo de ventresco,
Sus li mountagno barbaresco
Patusclo..., Un cassaire mouresco
Entre lis argelas i'emporto au grand galop.
Quau vous tendra, fiho amourouso?...
Dins sa chambreto souloumbrouso
Mounte la niue que briho esperlongo soun rai,
Mirèio es dins soun lie couchado
Que plouro touto la niuecbado,
Emé soun front dins sa junchado :
— Nostro-Damo-d'Annour, di«as-me aue farai I
CHANT HUITIÈME
LA CRAU
Désespoir de Mireille. — Toilette d'Arlésienne. — La jeune fille, au
milieu de la nuit , fuit la maison paternelle. — Elle va au tom-
beau des Saintes-Mariés supplier ces patronnes de la Provence de
fléchir ses parents. — Les constellations. — Dans sa course à tra-
ders la Crau, elle rencontre les bergers de son père. — La Cran,
la g-uerre des Géants. — Les lézards, les mantes religieuses, les
papillons avertissent Mireille. — Mireille haletante de soif, acca-
blée par la chaleur du jour, implore saint Cent, qui la secourt. —
Rencontre d'Andreloun , le ramasseur de limaçons. — Eloge
d'Arles. — Récit d'Andreloun : légende du Trou de la Cape, le
foulage des gerbes , les fouleurs engloutis. — Mireille passe la
nuit sous la tente de la famille d'Andreloun.
Qui tiendra la forte lionne. — quand, de retour à
son antre, — elle ne voit plus son lionceau ? Hur-
lante soudain, — légère et efflanquée, — sur les mon-
tagnes barbaresques — elle court... Un chasseur
maure — dans les genêts épineux le lui emporte au
grand galop.
Qui vous tiendra, filles amoureuses?... — Dans sa
chambrette sombre, — où la nuit qui brille prolonge
son rayon, — Mireille est dans son lit couchée —
qui pleure toute la nuitée, — avec son front dans ses
mains jointes : — « Notre-Dame d'Amour, dites-moi
ce que je dois faire I
27.
318 MIREIO, GANT VIII.
0 marrit sort que m'estransines !
0 paire dur que me chaupines,
Se vesiés de moun cor l'estras e lou coumbourj
Auriés pieta de ta pichoto !
léu qu'apelaves ta rhignoto,
Me courbes vuei souto la joto,
Coume s'ere un fedoun atrinable au labour !
Ah ! perqué noun la mar s'enverso,
E dins la Crau largo sis erso '
Giiio, veiriéu prefoundre aquéu bèn au soulèu,
Soulo encauso de mi lagremo !
0 perqué, d'une pauro femo,
Perqué nasquère pas iéu-memo,
Dins quauque trau de serp !... Alor, alor, belèu,
S'un paure drôle m'agradavo.
Se Vincenet me demandavo,
Lùu-lèu sariéu chabido ! ... 0 moun bèu Vincenet,
Mai qu'emé tu pousquèsse viéure,
E t'embrassa coume fai leurre,
Dins li roudan anariéu béure !
Lou manja de ma fam sarié ti poutounet !
E coume, ansm, dins sa bressolo,
La bello enfant se descounsolo,
Lou sen brûlant de fèbre e d'amour fernissènt ;
De si proumiéris amoureto
Coume repasso lis oureto
E li passade tant clareto,
le revèn tout-d'un-cop un counsèu de Vincèn :
MIREILLE, CIIAIST VIII 319
« 0 sort cruel, qui me sèches d'ennuis ! — 0 père
dur qui me foules aux pieds ,— si tu voyais de mon
cœur le déchirement et le trouble, — tu aurais pitié
de ton enfant ! — Moi que tu nommais ta mignonne,
— tu me courbes aujourd'hui sous le joug, —
comme si j'étais un poulain qu'on peut dresser au la-
bour !
« Ah ! que la mer ne déborde-t-elle, — et dans la
Crau que ne lâche-t-elle ses vagues ' — Joyeuse, je
verrais s'engloutir ce bien au soleil, — seule cause
de mes larmes! — Ou pourquoi, d'une pauvre
femme, — pourquoi ne suis-je pas née moi-même,
— dans quelque trou de serpent!... Alors, alors,
peut-être,
« Si un pauvre garçon me plaisait, — si Vincent de-
mandait (ma main), — vite, vite on me marierait!...
0 mon beau Vincent.^ — pourvu qu'avec toi je pusse
vivre, — et t'embrasser comme fait le lierre, — dans les
ornières j'irais boire ! — Le manger de ma faim serait
tes (doux) baisers ! »
I Et pendant qu'ainsi, dans sa couchette, — la belle
enfant se désole,— le sein brûlant de fièvre et frémis-
sant d'amour, — des premiers (temps) de ses amours
— pendant qu'elle repasse les (charmantes) heures
— et les moments si clairs, — lui revient tout d'ui?
coup un conseil de Vincent :
320 MIRÈIO, CANT VIII.
-- 0, crido, un cop qu'au mas venguères
Es bèn lu que me lou diguères :
S'un chin foui, un lesert, un loup o 'n serpatas,
0 touto autro bèsti courrènto
Vous fai senti sa dent pougnènto ;
Se lou malur vous despoutènto,
Courrès, courrès i Santo, aurés lèu de soûlas !
Vuei lou malur me despoutènto,
Parten ! N'en revendren countènto
Acô di, sauto lèu de soun blanc linçoulet ;
Emè la clau lusènto, duerbe
Lou gardo-raubo que recuerbe
Soun prouvimen, moble superbe,
De nôuguié, tout flouri soulo lou ciselet.
Si tresouroun de chatouneto
. Eron aqui : sa courouneto
De la proumiero fes que fagué soun bon jour;
Un brout de lavando passido;
Uno candeleto, gausido
Quasimen touto, e benesido
Pèr esvarta li tron dins la sourno liuencliour.
Elo, emè 'no courdello blanco,
D'abord se nouso, au tour dis anco,
Un rouge coutihoun, qu'elo-memo a pica
D'uno fino carreladuro,
Mereviheto de courduro ;
E sus aquéu, à sa centuro,
Un autre bèn plus bèu es lèu mai atrenca.
MIREILLE, CHANT VIII. 321
— « Oui, s'écrie-t-elle, un jour que tu vins au mas,
— c'est bien toi qui me le dis : — « Si (jamais) un
chien enragé, un lézard, un loup ou un serpent
énorme, — ou toute autre bête errante, — vous fait
sentir sa dent aiguë ; — si le malheur vous accable,
— courez, courez aux Saintes *, vous aurez tôt du sou-
lagement! »
« Aujourd'hui le malheur m'accable, — partons !
nous en reviendrons contente. » — Cela dit, elle saute,
légère, de son (petit) drap blanc ; — elle ouvre avec
la clef luisante, — la garde-robe qui recouvre — son
trousseau, meuble superbe, — de noyer, tout fleuri
sous le ciselet.
Ses petits trésors de jeune fille — étaient là : sa
couronne — de la première fois qu'elle fit son bon jour ;
—un brin de lavande flétrie ; — un (petit) cierge, usé
— presque en entier, et bénit — pour dissiper les
foudres dans le sombre èloignement.
Elle, avec un lacet blanc, — d'abord se noue au-
tour des hanches — un rouge cotillon, qu'elle-même a
piqué — d'une fine (broderie) carrelée, — petit chef-
d'œuvre de couture ; — sur celui-là, d'un autre bien
plus beau lestement elle s'attife encore.
322 MTRÉIO, GANT VIII.
Pièi, dins uno èso negro, esquicho
Lôugeiramen sa taio richo,
Qu'imo espingolo d'or sufis à ressarra;
Pèr treneto longo e brunello
Soun peu pendoulo, e i'enmantello
Si dos espalo blanquinello.
Mai elo, n'arrapa-it. 11 trachèu sépara,
Lèii lis acampo e li restroupo,
A plen de man lis agouloupo
D'uno dentello fino e clareto ; e 'no fes
Li bèlli floto ansin restrencho,
Très cop poulidamen li cencho
Em' un riban a bluio tencho,
Diadème arlaten de soun front jouine e fres.
Met soun faudau; sus la peitrino,
De soun fichu de mousselino
Se croso à pichot pie lou vierginen teissut ;
Mai soun capèu de Prouvençalo,
Soun capeloun à grandis aie
Pèr apara li caud mourtalo,
Oublidè, pèr malur, de s'en curbi lou su...
Acô feni, l'ardènto chato
Pren à la man si dos sabato ;
Dis escalié de bos, sens mena de varai,
Davalo d'escoundoun ; desplanto
Dôu pourtau la tanco pesanto ;
Se recoumando i boni Santo,
E part, coume lou vent, dins la niue porto-esfrai.
MIREILLE, CHANT VIII. 323
Puis, dans une casaque noire, elle presse - légère-
ment sa taille riche, — qu'une épingle d'or suffit à
-resserrer ; — par tresses longues et brunes — ses
cheveux pendent, et revêtent comme d'un manteau —
ses deux épaules blanchco. — Mais elle en saisit les
boucles éparses,
Vite les rassemble et les retrousse, — à pleine main
les enveloppe — d'une dentelle fine et transparente ;
et une fois — les belles touffes ainsi étreintes, — trois
fois gracieusement elle les ceint — d'un ruban à teinte
bleue, — diadème arlésien de son front jeune et
trais.
Elle met son tablier; sur le sein,— de son fichu de
mousseline — elle se croise à petits plis le virginal
tissu. — Mais son chapeau de Provençale, — son petit
chapeau à grandes ailes — pour défendre des mor-
telles chaleurs, — elle oublia, par malheur, de s'en
couvrir la tête...
Cela fini, l'ardente fille — prend à la main sa
chaussure ; — par l'escalier de bois, sans faire de
bruit, — descend en cachette ; enlève — la barre pe-
sante de la porte ; — se recommande aux bonnes
Saintes, — et part, comme le vent, dans la nuit qui
«ffraye.
324 MIRÊIO, CANT VIII.
Ero l'ouro que lis Ensigne
I barquejaire fan bèu signe.
De l'Aiglo de Sant Jan, que se vèn d'ajouca,
I pèd de soun Evangelisto,
Sus li très astre mounte elo isto,
Se vesié trantraia la visto ;
Lou tèms èro seren, e sol, e 'sperluca.
E dins li planuro estelado
Precepitant si rodo alado,
Lou grand Càrri dis Ame, alin, dôu Paradis
Prenie la mountado courouso,
Einé sa cargo benurouso;
E li mountagno tenebrouso
Regardavon passa lou Càrri vouladis.
Mirèio anavo davans elo,
Coume antan Magalouno, aquelo
Que cerquè tant de tèms, en plouraiit, dins li bos
Soun ami Pèire de Prouvénço,
Qu'eu empoLirta pér la viôulènço
Dis oundo, èro restado sènso.
I counfigno pamens dôu terraire entrefos,
E dins lou pargue recampaire,
l'avié li pastre de soun paire
Qu'anavon déjà môuse ; e d'uni, 'mé la man,
Tenènt li fedo pèr lou mourre,
Inmoubile davans li fourre,
Fasien teta lis agnèu bourre
E de-longo entendias quauco fedo bramant
MIREILLE, CHANT VIII. 325
C'était l'heure où les constellations — aux nauto-
niers font beau signe. — De l'Aigle de Saint Jean-,
qui vient de se jucher, — aux pieds de son Evangé-
liste, — sur les trois astres où il réside, — on voyait
^clignoter le regard. — Le temps était serein, et cal-
me, et resplendissant d'étoiles.
Et dans les plaines étoilées — précipitant ses roues
ailées, — le grand Char des Ames, dans les profon-
deurs (célestes), du Paradis — prenait la montée
brillante, — avec sa charge bienheureuse ; — et les
montagnes sombres — regardaient passer le Char
volant.
Mireille allait devant elle, ■. — comme jadis Mague-
lonne^, celle — qui chercha si longtemps, éplorée,
dans les bois, — son ami Pierre de Provence, —qui,
emporté par la fureur — des flots, l'avait laissée
abandonnée. — Cependant aux limites du terroir
cultivé,
Et dans le parc (où) se rassemblent (les brebis),
— les pâtres de son père — allaient traire déjà; et
les uns, avec la main, — tenant les brebis par le mu-
seau, — immobiles devant les ?bris-vent, — faisaient
teter les agneaux bruns. — Et sans cesse on enten-
dait quelque brebis bêlant...
28
326 MIRÈIO, GANT VIII.
D'autre couchavon li maniero
Vers lou môusèire ; à la sourniero,
Asseta su no pèiro, 6 mut coume la niue,
Di pousso gounflo aquest tiravo
Lou bon la caud : lou la 'spiravo
A long raiôu, e s'aubouravo,
Dins li bord escumous dôu cibre, à vistù d'iue.
Li chin èron coucha, tranquile;
Li bèu chinas, blanc couine d'ile,
Jasien de-long dôu cast, 'mé lou mourre alounga
Dins li ferigoulo ; calaumo
Tout à l'entour, e som, echaumo
Dins lou campas que sent qu'embaumo...
Lou tèms èro seren, e sol, e 'sperluca.
E coume un lamp, à ras di cledo
Mirèio passo. Pastre e fedo,
Coume quand lis amourro un subit fouletoun,
S'amoulounèron. Mai la fiho :
Emé i&i, i Sànti-Mario
!^es vôu veni, de la pastriho?
E davans, le fusé coume un esperitoun.
Li chin dôu mas la couneiguèron,
E dôu repaus noun bouleguèron.
Mai elo, dis avaus Trustant li cabassôu,
Es déjà liuencho ; e sus li mato
Di panicaut, di canfourato,
Aquéu perdigalet de chato
Lando, lando ! Si pèd to'":°^eiii?as lou sôu...
MIREILLE, CHANT VIII. 327
D'autres chassaient les mères (qui n'ont plus d'a-
gneau) — vers le trayeur : dans l'obscurité, — assis
sur une pierre, et muet comme la nuit, — des ma-
melles gonflées celui-ci exprimait — le bon lait
chaud; le lait, jaiUissant — à longs traits, s'élevait
— dans les bords écumeux de la seille, à vue d'œil.
Les chiens étaient couchés, tranquilles; — les
beaux et grands chiens, blancs comme des lis, —
gisaient le long de l'enclos, le museau allongé —
dans les thyms. Calme — tout alentour , et som-
meil, et repos — dans la lande embaumée ; — le
temps était serein, et calme, et resplendissant d'é-
toiles.
Et comme un éclair, à ras des claies — Mireille
passe : pâtres et brebis, — comme lorsque leur
courbe la tête un soudain tourbillon, — s'agglomérè-
rent. — Mais la jeune fille : — « Avec moi, aux
Saintes-Mariés — nul ne veut venir, d'entre les ber-
gers? » Et devant (eux), elle fila comme un esprit.
Les chiens du mas la reconnurent, — et du repos
ne bougèrent. — Mais elle, des chênes-nains frôlant
les têtes, — est déjà loin; et sur les touffes — des
panicauts, des camphrées, — • ce perdreau de fille —
vole, vole ! Ses pieds ne touchaient pas le sol !
328 MIRÈIO, CAWT VIII.
Souvènti-fes à soun passage,
Li courreli que dins l'erbage,
Au pèd di reganèu, dourmien agroumouli,
De sa dourmido treboulado
Subran partieii à grand voulado ;
E dins la Crau sourno c pelado
Cridavon : Courreli! courreli! courreliî
Emé si peu lusènt d'eigagno,
L'Aubo, enlremen, de la mountagno
Se vesié pau-à-pau davala dins lou plan ;
E di calandro capeludo
Lou vôu cantaire la saludo ;
E de l'Aupiho baunneludo
Semblavo qu'au soulèu se mouvien li calan.
Acampestrido e secaronso,
L'inmènso Crau, la Crau peirouso
Au matin pau-à-pau se vesié destapa ;
La Crau antico, ounte, di rèire
Se li raconte soun de crèire,
Souto un déluge counfoundèire
Lj Gigant auturous fuguèron aclapa.
Litestoulas' em' une escalo,
Em' un csfors de sis espalo
Cresien de cabussa l'Ounnipoutènt ! Déjà
De Santo-Vitôri lou serre
Èro estrassa prr lou pau-ferre;
Déjà l'Aupiho vonien querre,
Pèr n'apouiidre au Ventour li grand baus eigreja
MIREILLE, CHANT VIII 329
Soutentes lois, à son passage, — les courlis qui,
dans les herbes, — au pied des chêneteaux, dor-
maient blottis, — troublés dans leur sommeil, —
soudain partaient à grande volée, — et dans la Crau
sombre et nue — criaient : Courreli ! courreli ! cour-
reliî
Les cheveux luisants de rosée, — l'Aurore, ce-
pendant, de la montagne — se voyait peu à peu dé-
valer dans la plaine: — et des alouettes huppées — la
volée chanteuse la salue ; — et de l'Alpine caver-
neuse * — il semblait qu'au soleil se mouvaient les
sommets.
On voyait le matin découvrir peu à peu — la Crau
inculte et aride, — la Crau immense et pierreuse, —
la Crau antique, où, des ancêtres — si les récits sont
dignes de foi, — sous un déluge accablant — les
Géants orgueilleux furent ensevelis.
Les stupides ! avec une échelle, — avec un effort
de leurs épaules — ils croyaient renverser le Tout-
Puissant ! Déjà — de Sainte-Victoire' le morne— était
déchiré par le levier ; — déjà ils venaient quérir
l'Alpine, — pour en ajouter au Ventour les grands
escarpements ébranlés.
28.
330 MIRÈTO, CANT VIII.
Dieu duerb la man ; e lou Maïstre,
Emé lou Tron, emé l'Âuristre,
De sa man, coume d'aiglo, an parti tôuti tre
De la mar founso, e de si vabre,
E de si toumple, van, alabre,
Espeirega lou lie de mabre ,
E 'm' acô s'enaurant, coume un lourd sagarés,
L'Anguieloun, lou Tron e l'Âuristre,
D'un vaste curbecèu de sistre
Amassolon aqui lis omenas... La Crau,
I douge vent la Crau duberto,
La mudo Crau, la Crau deserto,
A counserva l'orro cuberto. . .
Mirèio, sèmpre mai, dôu terradou pairau
Prenié l'alôngui. Li raiado
E lou dardai di souleiado
Empuravon dins l'èr un lusènt tremoulun ;
E di cigalo garrigaudo.
Que grasihavo l'erbocaudo,
Li cimbaleto fouligaudo
Repetavon sens fin soun long cascarelun.
Nid'aubre, ni d'oumbro, ni d'amo !
Car, de l'esliéu fugènt la flarmo,
Li noumbrous abeié que rasclon, dins l'ivèr,
L'erbeto courto, mai goustouso,
De la grand piano sôuvertouso,
Is Aupo fresco e sanitouso
Èron ana cerca de pasquié sèmpre verd.
MIREILLE, CHANT VIII. 331
Dieu ouvre la main; eî le Mistral, — avec la Foudre
et l'Ouragan, — de sa main, comme des aigles, sont
partis tous trois; — de la mer profonde, et de ses ra-
vins,— et de ses abîmes, ils vont, avides, — épierrer
le lit de marbre ; — et ensuite s'élevant comme un
lourd brouillard,
L'Aquilon , la Foudre et l'Ouragan, — d'un vaste
couvercle de poudingue — assomment là les colosses. . .
La Grau, — la Grau ouverte aux douze vents, — la
Grau muette, la Grau déserte, — a conservé l'horrible
couverture... — De plus en plus, Mireille, du terroir
paternel
S'éloignait. Les rayonnances — et l'éjaculation
ardente du soleil — attisaient dans l'air un luisant
tremblement ; — et des cigales de la lande, — que
grillait l'herbe chaude, — les petites cymbales folles
— répétaient sans fin leur long claquettement.
Ni arbre, ni ombre, ni âme! — car, fuyant la
flamme de l'été, -^ les nombreux troupeaux qui ton-
dent en hiver — l'herbette courte, mais savoureuse, —
de la grande plaine sauvage, — aux Alpes fraîches et
salubres — étaient allés chercher des pâturages tou-
jours verts.
332 HÏRÉIO, GANT VIII.
Souto li fio que Jun escampo,
Mirèio lampo, e lampo, e lampo !
E li rassado griso, au revès de si trau,
S'entredisien : Fau èstre iolo
Pèr barrula li clapeirolo,
Em' un soulèu que sus li colo
Fai dansa 11 mourven, e li code à la Crau !
tlli prègo-Diéu, à l'oumbrino
Dis argelas : 0 pelerino,
Entorno, entorno-le ! ie venien. Lou bon Dieu
A mes i font d'aigo clareto,
Au front dis aubre a mes d'oumbreto
Pèr apara ti couloureto,
E tu, rimes ta caro à Fuselé de Festiéu!
En van peréu l'avertiguèron
Li parpaioun que la veguèron.
Lis alo de l'Amour e lou vent de la Fe
L'emporton, coume l'auro emporte
Li blanc gabian que soun pèr orto
Dins li sansouiro d'Aigui-Morto.
Tristas, abandonna di pastre e de l'avé.
De liuen en liuen, pèr la campagno,
Parèis un jas cubert de sagno.. .
Quand pamens se veguè, badanto de la set,
Au bruladou touto souleto,
Ni regouloun ni regouleto,
Trefouliguè 'no brigouleto...
E faguè : Grand Sant Gènt, ermito dôu Baussp.t!
MIREILLE, CHANT VIII. ÏJ3ÎÎ
Sous les feux que Juin verse, — comme l'éclair
Mireille court, et court, et court! — Et les grands lé-
zards gris, au rebord de leurs trous, — disaient entre
eux : « Il faut être folle — pour vaguer dans les
cailloux, — par un soleil qui sur les collines — fait
danser les morvens^, et les galets dans la Crau! »
Et les mantes-religieuses, à l'ombrette — des
ajoncs : « 0 pèlerine, — retourne, retourne-toi ! lui
disaient-elles. Le bon Dieu — a mis aux sources de
l'eau claire, — au front des arbres a mis de l'ombre
— pour protéger les couleurs de tes (joues), — et toi,
tu brûles ton visage au hâle de l'été! »
Vainement l'avertirent aussi — les papillons qui la
virent. — Les ailes de l'Amour et le vent de la Foi —
l'emportent, comme la bise emporte — les blancs
goélands qui errent — dans les plages salées d'Âigues-
Mortcs. — Profondément triste, abandonnée des pâ-
tres et des brebis,
De loin en loin, par la campagne, — paraît une
bergerie couverte de typha. — Quand pourtant elle
se vit, béante de soif, — en ces lieux brûlés toute
seule,— sans ruisseau ni ruissolet, — elle tressaillit lé-
gèrement... — et dit: « Grand Saint Cent, ermite du
Baussef !
334 MIRÈIO, GANT VIII
0 bèu e jouine labouraire,
Qu'atalerias à voste araire
Lou loup de la inountagno ! o divin garrigaud,
Que durberias la roco duro
A dos pichôti couladuro
D'aigo e de vin, refrescaduro
Pèr vosto maire, lasso e mourènto de caud;
Car, coume iéu, quand tout soumiho,
Avias plaça vosto famiho,
E, soulet emé Dieu, i gorge dôu Bausset
Vous trouvé vosto maire. Ânsindo,
Mandas-me 'n fiéu d'aigueto lindo,
0 bon Sant Gènt ! Lou grès que dindo
Me crèmo li peiado, e more de la set !
Lou bon Sant Gènt, del'empirèio,
Entendeguè prega Mirèio :
E Mirèio, autant lèu, d'un releisset de pous,
Alin dins la champino raso,
A vist beluguejala graso.
E dôu dardai fende la braso,
Coume lou martelet que travèsso un espousc.
Ère un vièi pous tout garni d'éurre,
Que li troupèu i' anavon béure.
Murmurant douçamen quàuqui mot de cansoun,
r a 'n pichot drôle que jougavo
Souto la pielo, ounte cercavo
Lou pau d'oumbreto qu'amagavo ;
Contro, avié 'n panié plen de blanc cacalausoun.
MIREILLE, CHANT VIIL 335
« 0 bel et jeune laboureur, — qui attelâtes à votre
charrue — le loup de la montagne ! ô divin solitaire,
— qui ouvrîtes la roche dure — à deux petits filets
— d'eau et de vin, pour rafraîchir — votre mère,
lasse et mourante de chaud;
« Car, ainsi que moi, lorsque tout dort, — vous
aviez déserté votre famille, — et, seul et avec Dieu,
aux gorges du Bausset — vous trouva votre mère. De
même, — envoyez-moi un filet d'eau hmpide, — ô
bon Saint Gent ! Le galet sonore — brûle l'empreinte
de mes pieds, et je meurs de soif! »
Le bon Saint Gent, de l'empyrée — entendit prier
Mireille : — etMireille aussitôt, d'une margelle de puits,
— au loin dans la rase campagne, — a vu étinceler la
dalle. — Et des dards du soleil elle fendit la braise,
— comme le martinet qui traverse une ondée.
C'était un vieux puits tout revêtu de lierre, — où
les troupeaux allaient boire. — Murmurant douce-
ment quelques mots de chanson, — un petit garçon
y jouait — sous l'auge, où il cherchait — le peu
d'ombre qu'elle abritait ; — près de lui, il avait un
panier plein de blancs limaçons.
350 MinÈIO, GANT VIIÎ.
E l'enfantoun, dins sa man bruno,
Lisagantavo, uno pèruno,
Li pàuri meissounenco ; e 'm' acô ie venié :
Cacalaus, cacalaus mourgiieto,
Sorte lèu de ta cabaneto,
Sorte lèu ti bèlli baneto,
0 senoun, te roumprai toun pichot mounastié.
La bello Craenco enflourado,
E qu'au ferrât s'èro amourrado,
Âubourè tout-d'un-cop soun poulit mourranchoun :
— Mignot, que fas aqui? — Pauseto.
— Dins lou baucage e li lauseto,
Acampes de cacalauseto?
— L'avès bèn devina î respoundè lou pichoun.
Vè ! quant n'ai dins ma canesteUo !
Ai de mourgueto, de platello,
De meissounenco. . . — Epièi, hmanjes? — Iéu?pas mai!
Ma maire, tôuti li divèndre,
Li porto à-n-Arle pèr li vendre,
E nous entorno bon pan tendre. . . .
le sias agudo estado, en Arle, vous? — Jamai.
— Hoi ! sias jamai estado en Arle?
le siéu esta, iéu que vous parle !
Ai! pauro, se sabias la grande vilo qu'es,
Arle ! Talamen s'estalouiro
Que, dôu grand Rose que revouiro,
N'en tèn li sèt escampadouiro ! . . .
Arle à de biôu marm que paisson dins si les ,
MIREILLE, CHANT VIH. 337
Et le jeune enfant, dans sa main brune, — les pre-
nait, une à une, — les pauvres hélices des moissons',
et leur chantait : — « Escargot, escargot nonnain, —
sorspromptementde ta cellule,— sors promptement tes
belles petites cornes, — ou sinon, je romprai ton petit
monastère. »
La belle fille de Crau, colorée (par la marche), —
et qui dans le seau avait plongé ses lèvres, — releva
tout d'un coup son charmant minois : — « Mignon,
que fais-tu là! » — «Petite pause. » — « Dans le
gazon et les galets, — tu ramasses des limaçons? »
— « Vous avez deviné juste ! répliqua le petit.
« Voyez! combien j'en ai dans ma corbeille! —
J'ai des nonnains, des platelies, des moissonnien-
nes^... » — « Et puis, tu les manges? » — « Moi?
neimi! — Ma mère, tous les vendredis, — les porte
à Arles pour les vendre, — et nous rapporte bon
pain tendre... — Y avez-vous été en Arles, vous? »
— « Jamais. »
— « Quoi ! vous n'avez jamais été en Arles ? — J'y
ai été, moi qui vous parle ! — Ah ! pauvrette, si vous
saviez la grande ville que c'est, — Arles! Si loin elle
s'étend, — que, du grand Rhône plantureux — elle
tient les sept embouchures ! . . . — Arles a des bœufs
marins qui paissent dans les îlots de sa plage ;
338 MIHÈIO, CANT VIII.
Arle a soun cavalin sôuvage ;
Arle, dins rèn qu'un estivage,
Meissouno proun de blad, pèr se nourri, se vôu,
Sèt an de filo ! A de pescaire
Que ie carrejon de tout caire ;
A d'entrepide navegaire
Que van di liuénchi mar afrounta li revôu...
E tirant glôri mervihouso
Desapatrio souleiouso,
Disié, lou galant drôle, emé sa lengo d'or,
E la mar bluio que trémolo,
E Mount-Majour que pais li molo
De plen gourdin d'ôulivo molo,
E lou bram qu' i palun fai ausi lou bitor.
Mai, 0 ciéuta douço e brunello,
Ta mereviho courounello,
Oublidè, lou pichot, de la dire : lou cèu,
0 drudo terro d'Arle, douno
La bèuta puro à ti chatouno,
Coume li rasin à l'autouno,
De sentour i mountagno e d'aleto à l'aucèu.
La bastidano, inatentivo,
Èro aqui drecho e pensativo :
^- Bèu jouveinet, se vos, faguè, veni 'mé iéu,
Emé iéu vène ! Sus li sause
Avans que la reineto s'ause
Ganta, fau que moun ped se pause
t)e l>utro man dôu Rose, à la gàrdi de Dieu!
MIREILLE, CITANT VIII. 339
« Arles a sa race de chevaux sauvages ; — Arles, en
seul été, — moissonne assez de blé pour se nourrir,
si elle veut, — sept ans de suite ! Elle a des pêcheurs
— qui lui charrient de toute part ; — elle a des naviga-
teurs intrépides — qui vont des mers lointaines af-
fronter les tourbillons... »
Et tirant gloire merveilleuse — de sa patrie de
soleil, — il disait, le gentil gars, en sa langue d'or,
— et la mer bleue qui tremble, — et Mont-Majour
qui paît les meules — de pleines mannes d'olives
molles, — et le beuglement qu'aux marécages fait
ouïr le butor.
Mais, ô cité douce et brune, — ta merveille su-
prême, — il oublia, l'enfant, de la dire ; le ciel, —
ô féconde terre d'Arles, donne — la beauté pure à
tes filles, — comme les raisins à l'automne, — des
senteurs aux montagnes et des ailes à l'oiseau.
Inattentive, la fille des champs — était là debout
et pensive : — « Beau gars , si tu veux , dit-elle,
venir avec moi, — avec moi viens ! Sur les saules
— avant que la raine s'entende — chanter, il faut
que mon pied se pose — de l'autre côté du Rhône, à
la garde de Dieu 1 d
340 MIRÈIO, GANT VIII.
Lou drouloun ie digue : Pecaire !
Capitasbèn : sian depescaire.
Emé nous-autre, aniue, souto loutibanôu,
Vous coucharésau pèd dis aubo,
E dourmirés dins vosto raubo ;
Moun paire, pièi, à la primo aubo,
Dernan vouspassara, dins nostebregauèu.
— Oh! noun, me sente enca proun forto
Pèr, esto niue, resta pèr orto...
— Que Dieu vous en préserve ! adounc voulès aniue
Vèjre la bando que s'escapo,
Doulènto, dôu Trau de la Capo?
Ai ! ai! ai! ai! se vous encapo,
Em' elo dins lou gourgvous fai passa pèr iue!
— E qu'es aquéu Trau de la Capo?
— Tout en caminant dins li clapo,
Vous countarai acô, fihelo!... E coumencè :
l'avié 'no fes uno grando iero
Que regounflavo de garbiero.
Sus lou dougan de la ribiero,
Deman veirés lou rode ounte acô se passé.
Despièi un mes, emai passavo,
Sus lou plantât que s'espôussavo
Un roudet Camarguen de-longo aviê cauca.
Pas uno YÔuto de relàmbi !
Sèmpre li bato dins l'engàmbi!
E, sus l'eirôu poussons e gàmbi,
De mountagno d'espigo à sèmpre cavauca !
MIREILLE, CHANT VIII. 541
Le gars lui dit : — « Dame ! — vous rencon-
trez bien : nous sommes pêcheurs. — Avec nous,
cette nuit, sous la tente, — vous coucherez au pied
des peupliers blancs, — et dormirez dans votre robe;
— mon père, ensuite, à la première aurore, — de-
main vous passera, dans notre bord. »
— «Oh! non, je me sens assez forte encore —
pour, cette nuit, rester errante! » — « Que Dieu vous
en garde ! Voulez-vous donc, cette nuit, — voir la
bande qui s'échappe, — plaintive, du Trou , de la Cape?
— Malheur à vous ! si elle vous rencontre, — avec
elle dans le gouffre elle vous fait sombrer ! »
— « Et qu'est-ce que ce Trou de la Cape? «-^«Tout
en marchant parmi les pierres, — je vous conterai ça,
fillette ! . . , » Et il commença : — « Il était une fois une
grande aire — qui regorgeait de meules de gerbes. —
Sur la berge de la rivière, — demain vous verrez le
lieu où cela se passa.
« Depuis un mois et plus, — sur les (gerbes) dres-
sées qui secouaient (leurs grains), — un cercle de»
(chevaux) Camargues avait sans cesse piétiné. —
Pas un instant de relâche! — toujours les sabots
dans l'entrave ! — et sur l'airée poudreuse et tor-
tueuse, — toujours des montagnes d'épis à che-
vaucher!
89.
542 MIRÈIO, CANT VIII.
Fasié 'n soulèu ! . . . La derrabado
Semblavo, dison, atubado.
E li fourco de bos, de-longo, en l'èr, fasien
Sauta de revoulun de blesto ;
E lou pôutras, e lis aresto,
Coume de flècho d'aubaresto,
I narro di chivau de-longo se trasien.
0 pèr Sant Pèire o pèr Sant Charle
Poudias souna, campano d'Arle!
Ni fèsto ni dimenche au paure cavalun !
Sèmpre la matrassanto cauco,
Sèmpre l'aguhiado que Irauco,
Sèmpre la cridadisso rauco
Dôu gardian, aplanta dins l'ardent revoulun'
L'avare mèstre, i blanc caucaire
Encaro avié bouta, pecaire !
Lou mourraioun... Venguè Nostro-Damo d'Avoust
Déjà, sus lou plantât que fumo,
Li liame, coume de coustumo,
Viravon mai, trempe d'escumo,
Lou fege arrapa i costo e lou mourre bavous.
Veici que tout-d'un-cop s'acampo ^
E la chavano e la sisampo. . .
Ai 1 un cop de mistrau escoubeto l'eirôu ;
Dis afama (que renegavon
Lou jour de Dieu) lis iue se cavon;
Lou batedou mounte caucavon
Trantraio, es'entreduerb coume un nègre peirôu!
MIREILLE, CHANT VIII. 545
« Il faisait un soleil!... L'airée*" — semblait, dit-
on, en flammes. — Et les fourches de bois, sans
cesse, dans l'air faisaient — bondir des tourbillons
de gerbée ; — et les ablais et les barbes (du froment),
— comme des flèches d'arbalète, — aux naseaux des
chevaux sans cesse étaient lancés.
î « Ou à la Saint-Charles ou àla Saint-Pierre, — vous
pouviez sonner, cloches d'Arles ! — Ni fête ni di-
manche aux malheureux chevaux : — toujours le
harassant foulage ! — toujours l'aiguillade qui perce!
— toujours les cris rauques — du gardien, immobile
dans l'ardent tourbillon!
« L'avare maître, aux blancs fouleiirs — en outre
avait mis, hélas ! — la muselière. . . Vint Notre-Dame
d'Août. — Déjà, sur les (gerbes) dressées (et) fu-
mantes,— les (bêtes) accouplées, comme d'usage, —
tournaient encore, trempées d'écume, — le foie collé
aux côtes et le museau baveux.
« Voici que tout à coup accourent — et l'orage et
la bise glacée... — Aïe! un coup de mistral balaye
l'airée; — des affamés (qui reniaient — le jour de
Dieu) les yeux se creusent ; — le champ du foulage
— chancelle, et &'entr'ouvre comme un noir chau-
dron'
344 MIRÊIO, CANT VIII.
La grand bancado remoulino,
Coume en furour ; de la toumplino,
Fourquejaire, gardïan, gardianoun, rèn pousquë
Se n'en sauva! Lou mèstre, l'iero,
Lou drai, li cabro, li garbiero,
Li primadi:3, la rodo entiero,
Dins lou toumple sens founs tout s'aproufoundiguè !
— Me fai ferni! digue Mirèio.
— Oh! n'i'a bèn mai, ovierginèio!
Deman, dires bessai que siéu un foulinèu,
Veirés, dins soun aigo blavenco,
Jouga lis escarpo e li tenco ;
E li merlato palunenco
De-countunio à l'entour canta dins li canèu.
Vèngue lou jour de Nostro-Damo.
Lou soûl eu, courouna de flamo,
A mesuro que mounto à soun pounteficat,
Emé l'auriho conlro terro
Boutas-vous plan, plan, à l'espèro :
Veirés lou gourg, de linde qu'èro,
S'ensourni pau-à-pau de 1 oumbro dôu pecatl
E di founsour de l'aigo fousco,
Coume de l'alo d'uno mousco
Âusirés pau-à-pau s'auboura lou zounzoun ;
Pièi es un clar dindin d'esquerlo;
• Pièi, à cha pau, entre h berlo,
Coume de voues dins uno gerlo,
Un orre jafaret qu'adus la fernisoun!
MIREILLE JHANT VIII. 345
« Le grana monceau (de pailles) tourbillonne, —
comme en fureur ; de l'abîme, — ouvriers aux four-
ches, gardiens, aides-gardiens, rien ne put — s'en
sauver. Le maître, l'aire, — le van, les chèvres (du
van), les meules, — les (coursiers) conducteurs, le
haras tout entier, — dans le gouffre sans fond tout
s'engloutit. »
— « Cela me fait frissonner! » dit Mireille. —
« Oh! il y a bien plus, ô vierge ! — Demain, vous di-
rez peut-être que je suis un petit fou, — vous verrez,
dans son eau bleuâtre, — se jouer les carpes et les
tanches ; — et les merles de marais — continuelle-
ment alentour chanter dans les roseaux.
< Vienne le jour de Notre -Dame. — A mesure que
le soleil, couronné de feux, — monte à son pontificat,
— avec l'oreille contre terre, — mettez-vous douce-
ment, doucement à l'affût! — vous verrez le gouffre,
de limpide qu'il était, — s'assombrir peu àpeu de l'om-
bre du péché.
« Et des profondeurs de l'eau trouble, — comme
de l'aile d'une mouche — vous ouïrez peu à peu s'é-
lever le bourdonnement, — Puis c'est un clair tinte-
ment de clochettes ; — puis, pieu à peu, entre les
berles, — semblable à des voix dans une amphore, —
un horrible tumulte qui amène le frisson I
346 MIRÊIO, CANT VIII
Es pièi un trot de chivau maigre
Que sus l'eirôu un gardian aigre
Lis esbramasso e coucho emé de maugrabiéu.
Es d'estrepado rabastouso ;
Es uno terro despietouso,
Aspro, secado, sôuvertouso,
Que respond coume uno iero ounte caucon, Vestiéu.
Mai à mesure que declino
Lou sant soulèu, de la toumplino
Li blastème, li brut, se fan rau, mourtinèu; "
Toussis la manado gancherlo
Aperalin ; souto li berlo
Galon li clar dindin d'esquerlo,
E canton mai li merle au bout di long canèu.
Tout en parlant d'aquéli cause,
Em* soun panié de cacalauso
Davans la chatouneto anavo lou drouloun.
Lindo, sereno, acoulourido
Pèr lou tremount, la colo arido
Emé lou cèu déjà marido
Sis àuti peno bluio e si grand testau blound ;
E lou soulèu que, dins la cintro
De si long rai, plan-plan s'enintro,
Laisse la pas de Dieu i palun, au Grand-Clar,
Is ôulivié de la Vaulongo,
Au Rose qu'eilavau s'alonge,
I meissounaire, qu'à la longe
Aubouron soun esquino e bevon lou vent Larg.
MIREILLE, CHANT VIII. 547
« C'est ensuite un trot de chevaux maigres — que
sur l'airée un aigre gardien — insulte de ses cris et
presse de jurons. — C'est un piétinement pénible ;
— c'est un sol incléraenl, — âpre, sec plein d'hor-
reur, — sonore coname une aire où l'on dépique,
l'été.
« Mais à mesure que décline — le saint soleil, du
gouffre — les blasphèmes, les bruits, se font rau-
ques, mourants ; — tousse le troupeau écloppé —
dans les lointaines profondeurs ; sous les berles —
s'éteignent les clairs tintements de clochettes, — et
chantent de nouveau les merles au bout des longs ro-
seaux. »
Tout en parlant de ces choses, — avec son panier
de limaçons — devant la jeune fille allait le petit gars.
— Limpide, sereine, colorée — par le couchant, la
colline aride — au ciel déjà marie — ses hauts
remparts bleus et ses grands promontoires blonds ;
Et le soleil qui, dans le cintre — de ses longs
rayons, lentement se retire, — laisse la paix de Dieu
aux maraiS) au Grand-Clar ", — aux oliviers de la
Vallongue ", — au "Rhône qui s'allonge là-bas, — aux
moissonneurs, qui enlin — relèvent leur dos et boi-
vent le vent Largue.
548 MIRÈIO, CANT VIII.
E lou drouloun digue : Jouvènto,
Alin, vè la telo mouvènto
De noste tibanèu, mouvènto au ventoulct !
Vè, sus l'aubo que ie fai calo,
Vè, vè moun fraire Not qu'escalo !
Segur aganto de cigale,
0 regardo belèu se torne au tendoulet.
Ai ! nous a vist ! , . . Ma sorre Zelo,
Que ie fasiè la courbo-seto,
Se reviro... e vêla que vers ma maire cour
le dire que, sens tiro-laisso,
Pou alesti lou bouiabaisso.
Diiis lou barquet déjà se baisso,
Ma maire, e pren li pèis que soun à la frescour.
Mai éli dous, d'uno abrivada,
Coume escalavon la levado :
— Tè ! cridè lou pescaire, espincho, que fai gau,
Eemo !... Bèn lèu, pèr mau que vague,
Noste Andreloun, crese que fague
Un pcscadou di fièr que i' ague!
Velou que nous adus la rèino di pougau!
MIREILLE, CHANT VIII. 549
Et le gars dit : « Jouvencelle, — au loin, voyez-
vous la toile mouvante — de notre pavillon, mou-
vante au zéphyr? — Voyez, sur le peuplier blanc qui
l'abrite, — voyez, voyez mon frère Not qui grimpe!
—Bien sûr il attrappe des cigales, — ou regarde peut-
être si je retourne à la tente.
« Ah! il nous a vus !... Ma sœur Zetté, — qui lui
prêtait l'épaule, — se retourne... et la voilà qui court
vers ma mère — pour lui dire que, sans retard, —
elle peut apprêter le bouillabaisse. — Dans le bateau
déjà se courbe — ma mère, et elle prend les pois-
sons qui sont au frais. »
Mais comme, d'un élan, eux deux — gravissaient
la digue : — « Tiens ! s'écria le pêcheur, vois comme
c'est charmant, — femme!... Bientôt, vienne qui
plante ! — notre Andreloun fera, je crois, — un pê-
cheur des fiers qu'il y ait ! — Le voici qui nous amène
la reine des anguilles! »
se
NOTES
DU CHANT HUITIÈME
» Courez aux Saintes [courrès i Santo). Voyez Chant I, note 15.
^ L'Aigle, constellation.
5 Maguelonne [Magalouno). D'après un vieux roman de cheva-
lerie aussi populaire que celui de Quatre fils Aymon, le comte
"Pierre de Provence, ayant enlevé Maguelonne, fille du roi de Na-
ples, s'enfuit avec elle à travers monts et vallées. Un jour que
Maguelonne s'était endormie au bord de la mer, un oiseau de
proie enleva un bijou de santal qui brillait au cou de la princesse.
Son amant monta sur une nacelle pour suivre l'oiseau sur la mer;
mais soudain une tempête s'éleva, et emporta Pierre en Egypte,
où il fut accueilli et comblé d'honneurs par le Soudan. La belle
Maguelonne s'éveilla et se mit, tout éplorée, à chercher son ra-
visseur. Après une foule d'aventm-es romanesques, ils se retrou-
vèrent en Provence, où Maguelonne, devenue abbesse, avait fondé
un hôpital, autour duquel, selon cette chronique fabuleuse, s'é-
leva plus tard la ville de Maguelonne.
* L'Alpine caverneuse [VAupiho baumeludo], épithète motivée
par les grottes des Baux et de Cordes qu'on trouve dans celle
montagne
NOTES DU CHANT VIII 551
*Lc morne ou pic de Sa\nte-\ictoire[cle Santo-Vitbri îouserre),
à l'orient d'Aix : haut escarpement qui tire son nom de la grande
victoire remportée par Marius sur les Teutons, à Fourrières, dans
le voisinage.
^ Les morvens [H mourven), genévriers de Phénicie [Juiiipenis
Phœnicea, Lin.)
' Saint Cent, ermite du Bausset (Sant Gènt, ermito déu Bausset),
jeune laboureur, de Monteux, qui, au commencement du onzième
siècle, se retira dans la gorge du Bausset (près de Vaucluse) pour
y vivre en ermite. Son ermitage, et la fontaine miraculeuse qu'il
fit jaillir, dit la tradition, en implantant ses doigts dans le l'ochev,
sont le but d'un pèlerinage très-fréquenté .
^ Hélice des moissons (meissounenco), hélix cxspilum, nom-
mée meissounenco, parce qu'après la moisson, elle monte et se
colle le long des chaumes.
^ Nonnain ( tnourgueto ], hélix vermiculata. — Platelle [pla-
iello), hélix algira. — Moissonniennes, voyez la note précédente.
"* Derrabado, improprement traduit par airée, signifie arra-
chis. Ce mot désigne les gerbes qui ont déjà subi un premier
piétinement de chevaux, et qu'on arrache de dessous l'airée pour
les soumettre à un nouveau foulage.
" Grand-Clar [Grand'Clar], vaste étang de la Crau, entre les
Baux et Arles.
*' Vallongue (Vaulo^'yo), vallée des Alpines.
CANT NOUYEN
L'ASSEMBLADO
Desoulacioun de Mèste Ramoun c de Jano-Mar.'n, quand trovon plus
Mirèio. — Tout-d'un-tèms lou vièi mando souna e acampo dins
l'iero tôuti li travaiadou dôu mas. — Li segaire, li rastelarelio,
lou feneirage. — Li carretié, l'cstremage di fen. — Li bouié. —
Li meissounié, la meissoun, li glenarello. — Li pastre. — Récit de
Laurèn de Gôut, capoulié di meissounié : lou cop de voulame. —
Récit dôu segaire Jan Bouquet : lou nis agarri pèr li fournigo. —
Récit dôu Marran, baile di firà : la marco de mort. — Récit d'An-
tèurae, lou baile-pastre. — Antèume a vist Mirèio qu'anavo i Sànti-
Mario. — Estrambord e prejit de la maire. — Partènço de la
famiho pêr avé Mireio.
Li grand falabreguié plourèron ;
Adoulentido, s'embarrèron
Dins si brusc lis abiho, ôublidant lou pasquié
Plen de lachusclo e de sadrèio.
— Avès rèn vist mounte èi Mirèio ?
le demandavon li ninfèio,
I gènlis argno bluio adounado au pesquié.
Lou vièi Ramoun emé sa femo,
Tôuti dous gounfle de lagremo,
Ensèn, la mort au cor, asseta dins lou mas,
Amaduron soun coudoun : — Certo,
Fau agué l'anio escalaberto !
0 malurouso ! o disaverto !
De la folo jouinesso o terrible estramas !
CHANT NEUVIÈME
L'ASSEMBLÉE
isolation de Maître Ramon et de Jeanne-Marie, en s'apercevantde
l'absence de Mireille. — Le vieillard mande aussitôt et rassemble
dans l'aire tous les travailleurs de la ferme. — Les faucheurs, les
faneuses, la fenaison. — Les charretiers, la rentrée des foins. —
Les laboureurs. — Les moissonneurs, la moisson, les glaneuses.
— Les bergers. — Récit de Laurent de Goult, chef des moisson-
neurs : le coup de faucille. — Récit du faucheur Jean Bouquet : le
nid envahi par les fourmis. — Récit du Marran, chef des garçons
de charrue : le présage de mort. — liccit d'Antelme, chef des
pâtres. — Antelme a vu Mireille allant aux Saintes-Mariés. —
Tiansports et invectives de la mère. — Départ de la famille à la
poursuite de Mireille.
Les grands micocouliers pleurèrent; — affligées,
s'enfermèrent — dans leurs ruches les abeilles, ou-
bliant le pacage— plein de tithymales et de sarriettes.
— « Âvez-vous point vu où est Mireille? » — deman-
daient les nymphseas — aux gentils alcyons bleus
adonnés au vivier.
Le vieux Ramon et son épouse, — tous deux gon-
flés de larmes, — ensemble, 4a mort au cœur, assis
dans le mas, — mûrissent leur douleur^ : « Certes,
— il faut avoir l'âme en délire !.. . — 0 malheureuse !
ô écervelée! — de la folle jeunesse ô terrible et lourde
chute !
30.
354 MIRÈIO, GANT IX.
Nosto Mirèio bello, o gafo !
0 plour ! 'mé lou darrié di piafo
S'èiraubado, raubado em' unabôumiani!..
Quau nous dira, desbardanado,
Lou lio, la cauno acantounado
Ounte lou laire t'a menado ?...
E brandavon ensèn si front achavani,
Emé la saumo e lis ensàrri
Yenguè lou chourlo, à l'ourdinàri;
E dre sus lou lindau : Bonjour ! Veniéu cerca,
Mèstre, lis iôu e lou grand-béure.
— Entorno-te, maladiciéure !
Cridè lou vièi, que, tau qu'un siéure,
Me sèmblo que sènso elo aro siéu desrusoa !
D'uno souleto escourregudo,
Entorno-te de ta vengudo,
Chourlo ! à travès de champ parte coume l'uiau !
Que h segaire e labouraire
Quiton li daio e lis araire !
1 meissounié digo de traire
Li voulame ; i mendi, de leissa lou bestiau :
Que vèngon m'atrouva ! — Tout-d'uno,
Mai lôugeiret que la cabruno,
Part lou varlet fidèu ; travèsso, dins h grès,
Li bèus esparcet rouge ; passo
Entre lis éuse di ribasso ;
Franquis d'un bound li draio basso ;
Sent déjà li prefum dôu fen toumba de fres.
MIREILLE, CHANT IX. 355
« Notre Mireille belle, ô équipée l — ô pleurs ! avec
le dernier des truands — s'est enlevée, enlevée avec
un bohème !... — Qui nous dira, dévergondée, — le
lieu, la caverne reculée — où le larron t'a con-
duite?. . . » — Et ils branlaient ensemble leurs fronts
orageux.
Avec l'ânesse et les mannes de sparterie — vint l'é-
chanson, selon l'usage ; — et, debout sur le seuil :
« Bonjour! Je venais quérir, — maître, les œufs et le
grand-boire^.)) — «Retourne-toi, malédiction! —
cria le vieillard, car, tel qu'un chêne-liége, — sans
elle, ores il me semble qu'on m'a arraché l'écorce !
« D'une seule course, — retourne-toi de ta venue,
— échanson! A travers champs pars comme l'é-
clair! — Que les faucheurs et laboureurs — quittent
les faux et les charrues ! — aux moissonneurs dis de
jeter — les faucilles; aux bergers, de laisser le bé-
tail;
« Qu'ils viennent me trouver! » — Aussitôt, —
plus léger que les chèvres, — part le valet fidèle ; il
traverse, dans les terrains pierreux, — les beaux
sainfoins rouges ; il passe — entre les yeuses des
hauts talus ; — il franchit d'un bond les chemins bas;
— il sent déjà les parfums du foin fraîchement
abattu.
356 MIRÈIO, GANT IX.
Dins li luserno bèn nourrido,
Auto, e de blu tôuti flourido,
Entend cruci de liuen la daio ; à pas egau
Vèi avança li fort segaire,
Sus l'andano plega : de caire,
Davans l'acié desverdegaire,
Cabusso la panouio en marro que fan gau.
D'enfant, de chato risouleto,
Dins rendaiado verdoulcto
Rastelavon ; n'en vèi que meton à mouloun
Lou fen adeja lest ; cantavon,
E li grihet (que desertavon
De davans li daio), escoutavon...
Sus un brancan de frais que tiron dous biôu blound,
Alin pu liuen, vèi, auto e largo,
L'erbo fenalo que se cargo :
L'abile carretié, sus lou viage, eilamount,
A grand brassôu, de la pasturo
Que i'embarravo la centuro,
Fasié mounta sèmpre l'auturo,
Âcatant parabando, e rodo, emai timoun.
* E 'mé lou fen que tirassavo,
Quand pièi lou càrri s'avançavo,
D'un bastimen de mar aurias dirembalun!
Veici pamens que lou cargaire
S'aubouro drc-coume untargaire,
E tout-d'un-tèms crido i segaire :
Segaire ! aplantas-vous, i' a quauque treboulun!
I
MIREILLE, CHANT IX. 351
Dans les luzernes touffues, — hautes, et de hier
toutes fleuries, — il entend craquer de loin la faux ,
à pas égaux — il voit avancer les forts faucheurs, —
ployés sur l'andain : de côté, — devant l'acier des •
tructeur de verdure, — se renverse la fane en lignes
qui font plaisir (à voir).
Des enfants, des jeunes filles rieuses, — dans l'an-
dain" verdoyant — râtelaient ; il en voit qui mettent à
meules — le foin déjà prêt ; ils chantaient, — et les
grillons (qui désertaient — devant les faux), écou-
taient... — Sur un chartil de frêne, que tirent deux
bœufs blgnds,
Là-bas, plus loin, il voit, large et haute, — l'herbe
fauchée que l'on charge ; — l'habile charretier, sur
le charroi, là-haut, — à grandes brassées, du four-
rage — qui lui enfermait la ceinture, — élevait sans
cesse la hauteur, — couvrant ridelles, et roues, et
timon.
Et, avec le foin qui traînait, — lorsque ensuite s'a-
vançait le char, — d'un bâtiment de mer vous eus-
siez dit la masse. — Voici pourtant que le chargeur
— comme un jouteur se lève droit, — et crie soudain
à ceux qui fauchent : « Faucheurs l arrêtez-vous, il y
a quelque trouble! »
358 MIRÈIO, CANT n.
Li carreteiroun, qu'à fourcado
le pourgissien l'erbo secado,
Tourquèron li degout de soun front tout coulant*,
E, sus la cenglo de sa taio,
Pausant la costo de la daio,
Vers la planuro ounte dardaio
Li segaire tenien la visto, en amoulant.
— Oine ! escoutas qu'a di lou mèstre,
le fai lou mandadou campèstre :
Chourlo, m'adi, subran parte coumel'uiau!
Que li segaire e labouraire
Quiton li daio e lis araire ;
I meissounié digo de traire
Li voulame ; i mendi, de leissa lou bestiau :
Que vèngon m'atrouva ! — Tout-d'uno,
Mai lôugeiret que la cabruno,
Part lou varlet fidèu ; encambo li regoun
Mounte trachisson li garanço,
D'Alten preciouso remembranço ;
Vèi de pertout l'Amaduranço
Que daurejo la terro i fio de soun pegoun.
Dins ligara 'stela d'auriolo,
Vèi, caminant darrié si miolo,
Li ràfi vigourous, courba sus lou doubli;
Vèi, de soun ivernenco dormo,
La terro qu'en mouto disformo
S'eigrejo, e dins larego einormo
Li guigno-co segui l'araire, entrefouli.
MIREILLE, CHANT IX. 359
Les aides-charretiers, qui à pleine fourche — lui
présentaient l'herbe fanée, — essuyèrent les gouttes
de leur front ruisselant ; — et sur le ceinturon de
leur taille — posant le dos de la faux, — vers la plaine
où darde (le soleil) — les faucheurs tenaient la vue,
en aiguisant. ,
— « Homnjes ! écoutez ce qu'a dit le maître, —
leur fait le messager rustique : — « Échanson, m'a-
t-il dit, pars soudain comme l'éclair ! — Que les fau-
cheurs et laboureurs — quittent les faux et les char-
rues; — aux moissonneurs dis de jeter — les fau-
cilles ; aux bergers, de laisser le bétail :
« Qu'ils viennent me trouver! » — Aussitôt, «plus
léger que les chèvres, — part le valet fidèle : il en-
jambe les billons — où croissent les garances, —
d'Âlthen'' précieux souvenir ; — il voit de partout
la Maturité — qui dore la terre aux feux de sa
torche.
Dans les guérets étoiles d'aurioles'^, — il voit,
cheminant derrière leurs mules, — les laboureurs vi-
goureux, courbés sur la charrue ; — il voit, de son
sommeil hivernal, — la terre en mottes difformes —
se soulever, et dans l'énorme sillon — les hochequeues
suivre l'araire, frétillants.
360 MIREIO, CANT IX.
— Orne ! escoutas qu'a di lou mèstre !
le fai lou mandadou campèstre :
Chourlo, m'a di, subran parte coume l'uiau !
Que li segaire e labouraire
Quiton li daio e lis araire ;
I meissouuié digo de traire
Li voulame ; i mendi. de leissa lou bestiau :
Que vèngon m'atrouva ! — Tout-d'uno,
Mai lôugeiret que la cabruno,
Part lou varlet fidèu : e sauto li valat
Tôuti flouri d'erbo pradiero ;
Trauco li blànqui civadiero ;
Dins li grand terrado bladiero
E rousso d'espigau, s'esmarro apereila.
Quarante meissounié, quarante
Coume de flamo devouranto,
De soun vièsti fougous, redoulènt, agradiéu,
Despuiavon la terro ; anavon
Sus la meissoun que meissotinavon,
Coume de loup ! Desvierginavon
De soun or, de sa flour, e la terro e l'estiéu.
Darrié lis ome, e 'n lôngui ligno
Coume H maiôu d'uno vigno,
Toumbavo la gavello aderrèn : dins si bras,
Li ligarello afeciounado
Lèu acampavon li manado ;
E lèu, la garbo estent quichado
Em' un cop de geinoun,la jitavondetras.
MIREILLE, CHANT IX. 561
— - « Hommes! écoutez ce qu'a dit le maître, —
leur fait le messager rustique : — « Échanson, m'a-
t-il dit, pars soudain comme l'éclair ! — Que les fau-
cheurs et laboureurs — quittent les faux et les char-
rues ; — aux moissonneurs dis de jeter — les fau-
cilles ; aux bergers, de laisser le bétail :
« Qu'ils viennent me trouver! » Aussitôt, — plus
léger que les chèvres, — part le valet fidèle : il saute
les fossés, — tout fleuris d'herbes prairiales ; — il
troue (dans) les champs d'avoine blancs ; — dans les
grandes pièces de blé, — rousses d'épis, il se perd
au loin.
Quarante moissonneurs, quarante, — pareils à des
flammes dévorantes, — de son vêtement touffu,
odorant, gracieux, — dépouillaient la terre; ils
allaient — sur la moisson qu'ils moissonnaient —
comme des loups ! ils dévirginaient — de leur or, de
leur fleur, et la terre, et l'été.
Derrière les hommes, et en longues files — comme
les crosseltcs d'une vigne, — tombait la javelle avec
ordre : dans leurs bras — les ardentes heuses —
vite ramassaient les poignées, — et vile, pressant la
gerbe — d'un coup de genou, la jetaient derrière
(elles).
31
362 MIRÈIO, GANT IX.
Coume lis alo d'un, eissame
Beluguejavon li voulame;
Beluguejavon coume, à la mar, li risènt
Mounte au soulèu jogo la larbo ;
E counfoundènt si rùfi barbo,
En garbeiroun lis àuti garbo,
En garbeiroun pounchu, mountavon à cha cent.
Acô semblavo, pèr 11 terro,
Li pavaioun d'un camp de guerre :
Coumeaquéu deBèucaire, autre-tèms, quand Simoun,
E la Crousado franchimando,
E lou légat que li coumando,
Venguèron, zôu ! à toute bando,
Sagala la Prouvènço e lou Comte Ramoun !
Mai enterin li glenarello,
D'aqui, d'eila, van, jougarello,
E sigleno à la man; enterin, i canié,
0 di garbiero à l'oumbro caudo,
Manto chatouno fouligaudo,
Souto un regard que l'esbrihaudo,
S'alangouris : Amour tambèn es meissounié,
— Ome ! escoutas qu'a di lou mèstre,
le fai lou mandadou campèstre :
Chourlo ! m'a di, subran parte coume l'uiau ;
Que li segaire e labouraire
Quiton li daio e lis araire ;
1 meissouftié, digo de traire
Li voulame ; i mendi, de leissa lou bestiau.
MIREILLE, CHANT IX. 363
Comme les ailes d'un essaim — étincelaient les
faucilles ; — elles étincelaient comme, à la mer, les
(flots) rieurs — où, au soleil, s'ébat le carrelet ; —
et confondant leurs barbes rudes, — en meules les
hautes gerbes, — en meules pyramidales, s'élevaient
par centaines.
Cela ressemblait, par les champs, — aux pavillons
d'un camp de guerre : — comme celui de Beaucaire,
autrefois, quand Simon, — et la Croisade française,
— et le légat qui les commande, — vinrent, impé-
tueux, à toute horde , — égorger la Provence et le
Comte Raymond'
Mais, cependant, les glaneuses, — çà et là vont,
se jouant, — leurs glanes à la main ; — cependant,
aux cannaies, — ou à l'ombre chaude des gerbiers,
— mainte fillette folâtre, sous un regard qui la fas-
cine,— se laisse aller à la langueur : Amour aussi est
moissonneur.
— « Hommes ! écoutez ce qu'a dit le maître, —
leur fait le messager rustique : — « Échanson, m'a-
t-il dit, pars soudain comme l'éclair ; — que les fau
cheurs et laboureurs — quittent les faux et les char-
rues ; — aux moissonneurs dis de jeter — les fau-
cilles ; aux bergers de laisser le bétail.
564 MIREIO, CANT IX.
Que vèngon m'atrouva ! — Tout-d'uno,
Mai lôugeiret que la cabruno,
Part lou varlet fidèu : dins lis ôulivié gris
Prenlis acôurchi; mountolainpo,
Di vignarés trosso la pampo,
Coume un revès de la sisampo ;
E, tout soûl, velaqui dins 11 canto-perdris.
Dins l'estendard di Crau brusido,
Soulo d'éusino abouscassido,
Destousco aperalin li troupèu achauma :
Li pastrihoun, lou baile-pastre,
Fasien miejour sus lou mentastre;
En pas courrien li galapastre
Sus l'esquino di fedo en trin de remiauma,
De nevoulino clarinello,
E voulatilo, e blanquinello,
De la mar plan-planet s'enauravon : belèu,
Dins lis autour inmaterialo,
Quauco santouno celestialo,
De soun velet de counventialo
S'èro delôugerido en Trustant lou soulèu.
— Orne ! escoutas qu'a di lou mèstre,
le fai lou manda d ou campèstre :
Chourlo, m'a di, subran parte coume l'uiau ;
Que li segaire e labouraire
Quiton li daio e lis araire ;
I meissounié digo de traire
Li voulame ; i mendi, de leissa lou bestiau.
MIREILLE, CHANT IX. 365
« Qu'ils viennent me trouver ! » Aussitôt, —
plus léger que les chèvres, — part le valet fidèle :
dans les oliviers gris — il prend les raccourcis (du
chemin) ; il va comme l'éclair ; — des vignobles il
tord le pampre, — comme une rafale de bise ; — et
le voilà, seul, (aux lieux) où chante la perdrix.
Dans la vaste étendue des Craux arides, — sous
des chêneteaux rabougris, — il découvre au lointain
les troupeaux qui reposent ; — les jeunes bergers, le
chef des pasteurs , — faisaient la méridienne sur le
marrube ; — en paix couraient les bergeronnettes, —
sur le dos des brebis en train de ruminer.
Des vapeurs diaphanes, — légères et blanches; —
de la mer lentement s'élevaient : peut-être, — dans
les hauteurs immatérielles, — quelque sainte du ciel,
— de son voile de nonne — s'était-elle allégée en frô-
lant le soleil.
— « Hommes ! écoutez ce qu'a dit le maître, —
leur fait le messager rustique : — « Échanson, m'a
t-il dit, soudain pars comme l'éclair ; — que les fau-
cheurs et laboureurs — quittent les faux et les char-
rues ; — aux moissonneurs dis de jeter — les fau-
cilles; aux bergers de laisser le bétail. »
31.
366 MIRÈTO, CANT IX.
Adounc li daio s'arrestèron,
E lis araire s'aplantèron ;
Li quarante gavot que toumbavon li blad,
Adounc quitèron li voulame,
E venguèron coume un eissame
Que, de sa brusco parti flame,
Au brut di chaplachôu su 'n pin vai s'assembla.
Au mas venguè li ligarello,
Venguèron li rastelarello,
Venguè lou carretié 'mé si carreteiroun ;
Venguè li pastre, li glenaire,
E li toutobro amoulounaire,
Venguè lis engarbeirounaire,
Laissant toumba li garbo au pèd di garbeiroun.
Morne e mut, dins l'iero tepouso,
Lou majourau e soun espouso
Esperavon l'acamp ; e lis ome, esmougu
De ce qu'ansin li destourbavon,
Autour dôu mèstre se rambavon, •
E ie disien, coume arribavon :
Nous avès manda querre, o mèstre, sian vengu !
Mèste Ramoun aussè la tèsto :
— Sèmprc à meissoun la grand tempèsto !
Pauras que tôuti sian ! pèr tant qu'anen d'avis,
Sèmpre au malur fau que l'on pique !
Oh! digue, sens que mai m'esplique.
Mi bons ami, vous n'en suplique,
Lèu digue-me, chascun, ce que saup, ce qu'a vist.
MIREILLE, CHANT IX 367
Alors s'arrêtèrent les faux, — et firent halte les
charrues ; — les quarante montagnards qui abat-
taient les blés, — alors quittèrent les faucilles, — et
vinrent comme un essaim — qui, parti de sa ruche, dès
que les ailes lui ont poussé, — au bruit des cymbales
éclatantes, sur un pin va se rassembler.
Au mas vinrent les lieuses (de gerbes), — vinrent
les râteleuses, — vint le charretier avec ses aides,
— vinrent les pâtres, les glaneurs, — et les ouvriers
qui ameulonnent, — vinrent les entasseurs de
gerbes, — laissant tomber les gerbes au pied des
meules.
Mornes et muets, dans l'aire gazonneuse, — le chef
(de la ferme) et son épouse — attendaient le rassem-
blement ; — et les hommes, émus — d'être ainsi
troublés (dans leurs travaux) , — autour du maître se
rendaient, — et lui disaient en arrivant : — « Vous
nous avez mandés, ô maître, nous voici! »
Maître Ramon leva la tête : — « Toujours à la
moisson le grand orage! — Infortunés que nous som-
mes tous ! si bien avisés que nous soyons, — toujours
au malheur il faut se heurter ! — Oh I dit-il, sans
que je m'exphque davantage, — mes bons amis, je
vous en supplie, — que promptement chacun me dise
ce qu'il sait, ce qu'il a vu. »
368 MIRÈIO, CANT IX.
Laurèn de Gôut aqui s'avanço.
N'avié pas, dempièi soun enfanço,
Manca 'no soulo fes, quand bloundejon li blad,
De se gandi 'mé sa bedoco
I piano d'Ârle. Vièio roco
Mounte la mar en van afloco,
Coume un queiroun de glèiso avié lou ten brûla.
Vièi capitàni dôu voulame,
Que lou soulèu roustigue, o brame
Lou Maïstrau, de-longo à l'obro lou proumié !
Avié 'm' eu si sèt drôle, ruste,
Mouret coume eu, coume eu roubuste...
Li meissounié, coume de juste,
L'avien, tout d'un acord, chausipèr capoulié.
— S'acô 's verai que plôu o nèvo,
Quand, rouginas, lou jour se lèvo,
Ce qu'ai vist, coumencè Laurèn de Gôut, segur,
Mèstre, nous marco de lagremo.
Dieu ! esvartas lou terro-tremo '
Èro de matin : l'aubo mémo
Déjà vers Icu Pounènt fasié courre l'escur.
Trempe d'eigagno, à l'abitudo,
Anavian faire la fendudo.
— Sôci, rapelen-nous de lou bèn adouba,
le dise, e d'enavans !... M'estroupe,
A moun prefa, galoi, me groupe;
Dôu proumié cop, mèstre, me coupe !
l'a trente an, bèu Bondiéu! quenoun m'èro arriba!
MIREILLE, CHANT IX. 3C9-'
Laurent, de Goiilt ^ s'avance alors : — il n'avait
pas, depuis son enfance, — manqué une seule fois,
quand blondissent les blés, — de s'acheminer avec le
carquois (de sa faucille) — vers les plaines d'Arles.
Vieille roche — que la mer frappe en vain de ses va-
gues, — comme une pierre d'église, il avait le teint
brûlé.
Vieux capitaine de la faucille, — que le soleil rô-
tisse ou que mugisse — le Mistral, toujours à l'œuvre
le premier! — Il avait avec lui ses sept fds, rustauds,
— hâlés comme lui, comme lui robustes... — Les
moissonneurs, ajuste titre, — l'avaient, d'un accord
unanime, élu pour chef.
— « S'il est vrai qu'il pleut ou qu'il neige, — . lors-
que, rougeâtre, le jour se lève, — ce que j'ai vu,
commença Laurent de Goult, à coup sûr, — maître,
nous présage des larmes, — Dieu ! dissipez le trem-
blement de terre ! — C'était ce matin : l'aube même
— déjà vers le Ponant chassait l'obscurité.
« Trempés d'aiguail, à l'habitude, — nous allions
iaire la trouée. — Compagnons, rappelons-nous de
bien arranger (le travail), — leur dis-je, et de l'en-
train !... Je me retrousse, — à ma tâche, gaiement,
je me courbe; — du premier coup, maître, je me
blesse ! — Voilà trente ans, beau Dieu ! que cela ne
m'était arrivé! »
370 MIRÈIO, GANT IX.
E coume a di, mostro sis ounso
Qu'ensaunousis la plago founso.
Li parent de Mirèio an que mai pregemi.
E Jan Bouquet, un di segaire,
Pren la paraulo de soun caire,
Tarascounen e Tarascaire,
Bèu clapas de jouvènt, mai dous, e bon ami.
Ha ! quand courrié la vièio masco^
Lagadigadèu ! la Tarasco !
Que de danso, de crid, de joio e d'estampèu
La vilo morno s'enlumino,
Res que faguèsse en Coundamino,
Mies qu'eu o de meiouro mino,
Voulastreja pèr l'èr la Pico e lou Drapèu.
Entre li mèstre dôu segage
Aurié près rèng, i pasturgage,
S'aguèsse dôu travgi bèn tengu lou draiôu;
Mai quand venié lou tèms di voto,
Adieu l'enchaple ! I grand riboto
Souto l'autin o dins li croto,
I lôngui farandoulo, em'i courso de biôu,
Èro un timoun, un fena ! — Mèstre,
Coume daiavian à grand dèstre,
Coumencè lou jouvènt, souto un clôt demarg^^.
Descate un nis de francouleto
Que boulegavon sis aleto ;
E vers la mato penjouleto,
Pèr vèire quant n' i' avié, me clinave tout gai;
MI UEILLE, CHANT IX. 371
A ces mots, il montre ses phalanges — qu'ensan-
glante la plaie profonde. — Les parents de Mireille
ont d'autant plus gémi. — Et Jean Bouquet, l'un des
faucheurs, — prend la parole de son côté : — Taras-
conais et chevalier de la Tarasque, — beau bloc de
garçon, mais doux, et bon ami.
Ah ! quand courait l'antique sorcière, — lagadi-
gadèou! la Tarasque! — quand de danses, de cris,
de joie et de vacarme — s'enlumine la ville morne, —
nul qui fît, en Condamine, — mieux que lui ou de
meilleure grâce, — voltiger dans les airs la pique et
le drapeau ^
Parmi les maîtres de la fauche — il aurait pris rang,
aux pâturages, — s'il eût du travail bien tenu le
sentier. — Mais quand venait le temps des fêtes, —
adieu le martelage (de la faux) ! Aux grandes orgies
— sous la tonnelle ou dans les tavernes voûtées,
— aux longues farandoles et aux courses de tau-
reaux,
C'était un timon, un forcené ! — « Maître, — pen-
dant que nous fauchions à grands coups, — com-
mença le jouvenceau, sous une touffe d'ivraie, — je
découvre un nid de francolins — qui agitaient leurs
ailerons ; — et vers la fane pendante, — afin d'en
voir le nombre, je me penchais tout joyeux ;
372 MIRÈIO, GANT IX.
Oh ! noiim de sort ! pàuri besliolo !
Do fournigasso, roujo e folo,
Dôu nis e di nistoun venien de s'empara :
Très èron déjà mort; lou rèsto,
Empesouli d'aquelo pèsto,
Sourtié foro dôu nis la tèsto,
Que semblavo médire : Oh ! venès m'apara!
Mai uno nèblo de fournigo
Mai verinouso que d'ourtigo,
Furouno, acarnassido, alabro, h pougnié ;
E iéu, apensamenti qu'ère
Contro lou manche de moun ferre,
Dins la garrigo entendeguère
La maire qu'en plourant piéutavo e li plagnié.
Aquéu récit de maluranço
Es tournamai un cop de lanço :
Dôu paire e de la maire a gounfla lou segren.
E coume, en Jun, quand vers la piano
Mounto en silènci la chavano,
Que, cop sus cop, la Tremountano
Uiaus&o, e que lou tèms de tout caire se pren,
Vèn lou Marran. Dins li bastido
Soun noum avié de restountido ;
E lou vèspre, entcrin que li miôu cstaca
Tiron di grùpi la luserno,
Souvent U ràfi, quand iverno,
Abenon 1 ôli di lanterno,
En parlant de la fes que venguè se louga.
MIREILLE, CHANT IX. 575
« Oh ! sort fatal 1 pauvres petites bêtes ! — D'af-
freuses fourmis, rouges et folles, — du nid et des
petits venaient de s'emparer. — Trois étaient déjà
morts ; le reste, — infesté de cette vermine, — sor-
tait hors du nid la tête, — qui semblait me dire :
Oh! venez me défendre!
« Mais une nuée de fourmis — plus venimeuses
que des orties, — furieuse, acharnée, avide, les per-
çait; — et moi, pensif que j'étais — contre le manche
de mon fer, — dans la lande j'entendis — la mère
qui en pleurant piaulait et les plaignait. »
Ce récit de malheur — est derechef un coup de
lance : — du père et de la mère il a gonflé l'amer
pressentiment. — Et comme, en juin, quand vers la
plaine — monte en silence l'orage, — que, coup sur
coup, la Tramontane'' — resplendit d'éclairs, et que
le temps de toute part se couvre,
Vient le Marran. Dans les bastides — son nom
avait du retentissement ; — et le soir, pendant que
les mulets attachés — tirent des crèches la luzerne,
souvent les valets de labour, en hiver, — épuisent
l'huile des falots, — en parlant de la fois qu'il vint se
louer.
33
374 MIUÈIO, CANT IX.
S'èro louga pèr li semenço :
Chasque bouié lèu acoumenço
D'enrega sa versano ; e lou Marran, pamen,
Èro darrié que de sa riho
Tascoulejavo lis auriho,
0 l'aramoun o li tendiho,
Coume un que, de sa vido, a touca Testrumen.
— Te vas louga pèr labouraire,
E sabes pas mounta 'n araire,
Desgaubia ! ie cridè lou proumié carretié.
Tène qu'un verre emé sonn mourre
Miéu que tu, gafagnard, laboure'.
— Vosto escoumesso, iéu Tauboure,
Respoundè lou Marran ; e quau sara coustié,
De iéu 0 de vous, perdra, baile,
Très louvidor !... Sonnas dôu graile!
Li dos riho à la fes an fendu lou gara.
Li dous bouié vers l'autro ribo
Prenon signau en dos grand pibo...
Li dous fourcat fan pa' no gibo !
Pèr lou rai dôu soulèu li cresten soun daura.
— Rampau de Dieu ! adonne faguèron
Li lougadié tôuti tant qu'èron,
Vosto enregado, baile, es d'un orne de bon
E d'uno man rèn maladrecho !
Mai fan tout dire : es bèn tant drecho,
Aquelo d'eu, qu'em' uno flecho
Se pourrie de-segur enfiela tout-de-long !
MIREILLE, CHANT IX. 375
Il s'était loué pour les semailles : — chaque labou-
reur bientôt commence — à tracer son sillon ; et le
Marran, néanmoins, — était derrière qui de son soc
— cognait gauchement les oreilles, — ou le cep, ou
les tirants, — comme celui qui, de sa vie, n'a touché
l'outil.
— « Tu vas te louer pour laboureur, — et tu ne
sais pas monter un araire, — maladroit ! lui cria le
premier charretier, — Je tiens qu'un verrat avec son
groin — mieux que toi, goujat, laboure !» — « Votre
gageure, je la relève, — répondit le Marran, et qui
manquera le but,
« De moi ou de vous, perdra, chef, — trois louis
d'or!... Sonnez du clairon! » — Les deux socs à la
fois ont fendu le guéret. — Les deux laboureurs
vers l'autre rive — prennent pour jalons deux grands
peuphers... — Les deux araires ne font pas une
inflexion ! — Par le rayon du soleil les arêtes sont
dorées.
— « Palme de Dieu ! dirent pour lors — les servi
leurs, tous tant qu'ils étaient, — votre sillon, chef,
est d'un homme valeureux — et d'une main point
maladroite ! — Mais, disons tout : tellement droit est
— celui de l'autre, qu'avec une flèche — on pour-
rait assurément l'enfiler tout du long ! »
576 MIREIO, CÂNT IX.
E Jou Marran gagné li joio.
Au parlamen que desmemoio
Lou Marran, eu peréu, venguè dounc escampa
Soun mot amar ; digue tout blave :
— Adès en coutreiant siblave ;
Èro un brisoun dur : me tablave
D'alounga 'n pau la juncho, e 'm' acô d'acaba.
Tout-en- un cop vese mibèsti
Rebufela soun pelous vièsti ;
Vese la fernisoun e l'esfraitout ensèn
Que fan aplanta 'qui moun couble
E chauriha ; iéu, vesiéu double,
Vesiéu lis erbo dôu restouble
Se clina vers lou sôu en s'escoulourissènt.
Couche mi bèsti : la Baiardo
Em 'un èr triste m'arregardo,
Mai brando pas ; Falet niflavo lou cresten
Un cop de fouit lis enjarreto. ..
Parton esglaia ; la cambeto,
Uno cambeto d'ôume, peto ;
Emporton bassegoun e joto; e pale, esten,
A iéu m'a près coume un catàrri;
Un aucidènt invoulountàri
A fa cruci ma maisso ; un frejoulun me vrn ,
E sus mi car estabousido,
E sus ma tèsto agarrussido
Coume li tèsto de caussido,
Iéu ai senti la Mort qu'a passa coume un vènl I
MIREILLE, CHANT IX. 377
Et leMarran gagna le prix. — Dans le conseil qui
déconcerte, — le Marran, lui aussi, vint donc verser
— son mot amer ; il dit tout blême : — « Tantôt en
labourant je sifflais ; — c'était tant soit peu dur : je
me proposais — d'allonger un peu la séance, afin
d'achever.
« Tout à coup je vois mes bêtes — hérisser leur
vêtement poilu ; — je vois le frémissement et l'effroi
tout ensemble — qui font arrêter là ma paire — et
chauvir des oreilles; moi, je voyais double, — je
voyais les herbes de la jachère — se pencher vers le
sol en se décolorant.
« Je touche mes bêtes : la Bayarde — avec un air
triste me regarde, — mais ne remue pas ; Falet flai-
rait l'arête (du sillon). — ^Un coup de fouet leur cingle
les jarrets... — elles partent effarées; l'âge, — un âge
d'orme , éclate ; — elles emportent la flèche et le
joug ; et pâle, oppressé,
« A moi, il m'a pris comme une épilepsie ; — une
convulsion involontaire— a fait grincer ma mâchoire
un frisson me vient ; — et sur mes chairs conster-
nées, — et sur ma tête ébouriffée — comme les têtes
des chardons, — j'ai senti la Mort passer comme un
vent! »
S2.
578 MIRÈIO, C.VNT TX.
— Bono Maire de Dieu ! acato
De toun mantèu ma bello chato !
Cridè la pauro maire em' un crid desoula.
Es à geinoun aqui toumbado
E vers li nivo encaro bado...
Veici qu'arribo à grand cambado
Lou balle Antèume, pastre e môusèire delà.
— Qu'èi qu'avié dounc tant matiniero,
Pèrtreva 'nsin 11 cadenlero?
Digue lou balle Antèume en intrant au counsèu.
Nautre erian claus dlns nôsti oledo,
En trin de môuse nôsti fedo ;
E sus 11 vàstl claparedo
Lis estello de Dieu clavelavon lou cèu.
Uno amo, uno oumbrinello, unglàri
Frusto lou pargue ; de Tesglàrl
Se tenon mut 11 chin, s'amoulouno l'avé.
— Parlo-me dounc, se sles bono amo !
Se sles marrldo, torno 1 flamo !
En léu pensère... A Nostro-Damo,
Mèstre, n'ai pas lesl d'entamena 'n Ave. .
Emé iéu, 1 Sàntl Mario,
Res vôu venl de la pastriho?...
Uno voues couneigudo alor crldo. E 'm' acô
Tout s'esvalis dlns lou campèstre.
Quauvous a pasdi, noste mèstre,
Qu'èro Mirèio ! — Acô pôu èstre?
Tout lou mounde à la fes adounc fai sus-lou-cop.
MIREILLE, CHANT IX. 579
— « Bonne Mère de Dieu ! couvre — de ton man-
teau ma belle enfant ! » — s'écria la pauvre mère
d'un cri désolé. — A genoux elle est tombée là, —
et vers les nues elle ouvre encore la bouche... —
Voici qu'arrive à grandes enjambées — le chef An-
telme, pâtre et trayeur de lait.
— « Qu'avait-eile donc, si matinale, — pour hanter
ainsi les taillis de cades? — dit le chef Antelme en
entrant au conseil. — Nous étions, nous, enfermés
dans nos claies, — en train de traire nos brebis ; —
et, aurdessus des vastes (plaines) caillouteuses, — les
étoiles de Dieu clouaient le ciel.
« Une âme, une ombre légère, un spectre — frôle
le parc ; de frayeur — restent muets les chiens, se
pelotonne le troupeau. — Si tù es une bonne âme,
parle-moi donc! — si tu es mauvaise, retourne aux
flammes! — pensai-je en moi-même.... A Noire-
Dame, — maître, je n'ai pas le loisir d'entamer un
Ave.
— « Avec moi, aux Saintes Maries, — nul ne veut
venir, d' (entre) les bergers? » — une voix connue
alors crie. Et ensuite — tout disparaît dans la lande.
— Le croiriez-vous ? ô notre maître, — c'était Mi-
reille ! » — « Se peut-il? » — tout le monde à la fois,
pour lors, dit sur-le-champ.
580 MIREIO, GANT IX.
— Mirèio ! countuniè lou pastre,
L'ai vistoà la clarta dis astre,
L'ai \isto, iéuvous dise, e m'a fusa davan;
L'ai visto, noun plus talo qu'èro,
Mai dins sa caro tristo e fèro
Se couneissié que, sus la terro,
Un cousent desplesi ie dounavo lou vanc !
D'entendre la debalausido,
Entre si man enterrousido
Lis ome en gémissent piquèron à la fes.
— I Santo menas-me lèu, drôle '
Crido la pauro maire : vole,
Ounte que vague, ounte que vole,
Segui moun auceloun, moun perdigau de grès!
Se li fournigo l'agarrisson,
Fin que d'uno, mi dent que trisson
Manjaran, trissaran'fournigo efourniguié '
Se l'abramado Mort-peleto
Te voulié torse, iéu souleto
Embrecarai sa daio bleto,
E dôu lèms, fugiras à travès li jounquié !
E pèr lou champ, Jano-Mario,
Que la cregnènço desvario,
Samenavo encourrènt si desvaga prejit.
— Garretié, tendo la carreto,
Vougne Tessiéu, bagno li freto,
Elèu atalo la Moureto,
Qu'es tard, disié lou mèstrei e qu'avèn long trejit!
MIREILLE, CHANT IX. Ô81
— « Mireille ! continua le pâtre, — je l'ai vue à la
clarté des astres, — je l'ai vue, vous dis-je, et elle a
filé devant moi ; — je l'ai vue, non plus telle qu'elle
était, — mais, dans sa figure triste et sauvage, — on
connaissait que, sur la terre, — un cuisant déplaisir
lui donnait l'élan ! »
A la fatale nouvelle, — dans leurs mains terreuses
• — les hommes en gémissant frappèrent à la fois. —
« Aux Saintes, menez-moi vite, gars! — s'écrie la
pauvre mère. Je veux,— où qu'il aille, où qu'il vole,
— suivre mon oisillon, mon perdreau des champs
pierreux !
« Si les fourmis l'attaquent, —jusqu'à la dernière,
mes dents qui broient — mangeront, broieront four-
mis et fourmilière! — si l'avare Mort décharnée — te
voulait tordre, moi seule — j'ébrécherai sa faux
usée, — et pendant ce temps , tu fuiras à travers
les jonchaies I »
Et par les champs, Jeanne-Marie — que l'appré
hension égare, — semait en courant ses folles invec
tives. — « Charretier, tente la charrette ! — oins
l'essieu, mouille les cercles (dos moyeux), — et
promptement attelle la Moufette ', — car il est tard,
disait le maître, et nous avons un long trajet ! »
382 MIRÈIO, GANT IX.
E SUS lou càrri bacelaire
Jano-Mario mounto, e l'aire
S'emplissié mai-que-mai d'estrambord pietadous
Ma bellomignoto !... Clapouiro,
Erme de Crau, vàsti sansouiro,
A ma chatouno que langouiro,
Emai tu, souleias, fugues amistadous! ...
Mai, l'abouminablo mandrouno
Que pôutirè dins soun androuno
Ma chato, e de-segur i' aveja, i' a 'mpassa
Si trassegun e si boucôm,
Taven ! que tôuti li demôni
Qu'espaventèron Sant Antôni,
Sus li roco di Baus te vagon tirassa !...
Dins lou trantran de la carreto
S'esperd la voues de la paureto...
E lis orne dôu mas, en espinchant se res
Apareissié dins la Crau liuncho,
Plan s'entournavon à la juncho. .
Urous, entre li lèio juncho,
Li vôu de mousquihoun revoulunant au fres i
MIREILLE, CHANT IX. 583
Et sur le char retentissant — Jeanne-Marie monte,
et l'air — s'emplissait plus que jamais de transports
délirants et plaintifs : — « Ma belle mignonne !...
pierrées, — landes de Crau, vastes plages salines, —
à ma fille qui languit, — et toi aussi, grand soleil,
soyez bienveillants !...
« Mais l'abominable matrone — qui attira dans son
antre — mon enfant, et à coup sûr lui a versé, lui a
fait avaler — ses philtres et ses poisons, — Tavèn !
que tous les démons — qui épouvantèrent Saint
Antoine, — sur les roches des Baux aillent te traî-
ner!.. »
Dans les cahots de la charrette — se perd la voix
de la malheureuse. . . — Et les hommes du mas, en
examinant si personne — n'apparaissait dans la Crau
lointaine, — lentement retournaient au travail... —
Heureux, entre les allées (dont les arbres) se joignent,
— les essaims de moucherons tourbillonnant au
frais!
NOTES
DU CHANT NEUVIÈME.
' Mûrissent leur douleur. Coudoun signifie, au fig. lourd chagrin,
poids douloureux qu'on a sur le cœur; au propre, coing. Ce mot,
«ans le dernier sens, dérive du grec xu^&jviov, fruit de Cydon,
coing; dans le premier, de xoro;, profond ressentiment
* Grand-boire [grand-béure], petit repas que les moissonneurs
font vci"s les dix heures du matin.
^ Jean Altlien, aventurier arménien qui, en 1774, introdui-
sit la culture de la garance dans le comtat Venaissin. En 1850.
on lui a élevé une statue sur le rocher d'Avignon
* Auriole [aunolo], centaurée du solstice [centaurea solstitialis,
Lin.), plante qui pullule dans les chaumes, après la moisson. Ses
llcurs jaunes, et les épines étoilées de leur involucre, lui ont valu
son nom provençal, qui signifie auréole.
^ Goult, ou Agoult (Gàut), village du département de Vaucluse^
qui a donné son nom à l'une des plus' illustres maisons de Pro-
vence.
6 Tout le monde a entendu parler de la Tarasque, monstre qui,
d'après la tradition, ravageait les bords du Rhône et qui fut dompté
NOTES DU CHANT IX. 585
par sainte Shirthe. Chaque année les Tarasconais célèbrent leur
délivrance par l'exhibition d'un simulacre de ce monstre, que des
hommes portent à la course à travers les rues; et à des époques
plus ou moins rapprochées, on i^ehausse cette fête par une foule
de jeux. Ceux delà Pique et du Drapeau, mentionnés dans le
poëme, consistent à faire voltiger gracieusement, à lancer à une
grande hauteur et à rattraper avec adresse un étendard aux larges
plis ou une longue javeline.
— Lagadigadèu est la célèbre ritournelle d'une chanson popu-
laire attribuée au roi René, et qu'on chante à Tarascon dans cette
fête. En voici le couplet le plus connu •
Lagadigadèu!
La Tarasco !
Lagadigadèu!
La Taïasco
De Castèu!
Leissas-la passa,
La vièio masco!
Leissas-la passa
Que vai dansa.
— En Condamine [en Coundammo). La Condamine [campus Do-
mini) est un quartier de Tarascon. On retrouve cette dénomina-
tion dans plusieurs villes du Midi.
' Tramontane [Tremountano] , vend du nord-est, et par extension
nord-est.
8 La Mourette {la Moureto), nom de mule. Dans les campagnes,
on désigne ordinairement les bêtes de somme par la couleur de
leur robe. Les noms les plus communs sont blanquet (blanc), mou-
ret (noir), brunèu (brun), falet (gris), baiard (bai), roubin (bai
clair).
GANT DESEN
LÀ CAMARGO
Mirèio passo lou Rose dins lou barquet d'Andreloun, ecounlnnio sa
courso à travès la Camargo. — Li dougan dôu Rose ciUre la iiiar
e Arle. — Dcscripcioun de la Camargo. — La calour. — la danso
de la Vièio. — Li mountiho. — Li sansouiro. — Miréio es ensn-
cado pèr un cop de soulèu sus li ribo de l'estang dôu Vacarés. — ', is
arabi la revènon. — La roumiéuvo d'amour se tirasse jusqu'à la
glèiso di Santo. — La preièro. — La visioun. — Descours di Sàiiti
Mario. — La vanita dôu bouur d'aquest mounde, la nécessita e lou
mérite de la soufrênço. — Li Santo, pèr ie refenni lou cor, racon-
ton à Mirèio sis esprovo terrestre.
Desempièi Arle jusqu'à Vènço,
Escoutas-me, gènl de Prouvènço !
Se trouvas que fai caud, ami, tôutis ensèn.
Sus lou ribas di Durençolo,
Anen à santo-repausolo !
E de Marsiiio à Valensolo,
Que se cante Mirèio e se plagne Vincèn !
Lou pichot barquet fendié l'aigo,
Sens mai de brut qu'uno palaigo ;
Lou pichot Ândreloun menavo lou barquet;
E l'amouroùso qu'ai cantado
Em' Andreloun s'èro avastado
Sus lou grand Rose ; e, d'assetado,
Counlcmplavolis oundo em' un regard fousquet.
CHANT. DIXIÈME
LA CAMARGUE
Mireille passe le Rhône dans la nacelle d'Andreloun. et poursuit sa
course à travers la Camargue. — Les bords du Uhône, entre la
mer et Arles. — Description de la Camargue. — La chaleur. — Le
mirage. — Les dunes. — Les Sant^oiiircs. — Mireille est frappée
d'un coup de soleil, sur les rives de l'étang du Vaccarés. — Les
moustiques la rappellent à la vie. — La pèlerine d'amour se
traîne jusqu'à l'église des Saintes-Mariés. — La prière. — La
vision. — Discours des Saintes Maries. — La vanité du bonheur de
ce monde, la nécessité et le mérite de la souffrance. — Les
Saintes, pour raffermir le courage de Mireille, lui font le récit de
leurs épreuves terrestres.
Depuis Arles jusqu'à Vence, — gens de Provence,
écoutez-moi! — Si vous trouvez qu'il fait chaud,
— amis, tous ensemble, — sur la berge des Duran-
çoles — allons nous reposer! — et de Marseille à
Valensole, — que l'enchante Mireille et que Ton plai-
gne Vincent * !
La petite nacelle fendait l'eau, — sans plus de
bruit qu'une sole ; — le petit Andreloun conduisait la
nacelle; — et l'amante que j'ai chantée, — avec An-
dreloun s'était aventurée — sur le vaste Rhône ; et
assise, — elle contemplait les ondes, d'un regard
nébuleux.
388 . MIRÉIO, GANT X.
E ie disié l'enfant remaire-:
Ve! coume es large dins sa maire
Lon Rose!... Jouveineto, entre Camargo e Crau,
Se ie farié de bèlli targo !
Car aquelo isclo es la Camargo,
E peralin tant s'espalargo
Que dôu fluve ai iaten vèi bada li sèt grau.
Coume parlavo, dins lou Rose
Tout resplendènt di trelus rose
Que déjà lou matin i'espandissié, plan-plan
Mountavo de lahut : di vélo
L auro de mar gounflant la telo,
Li campejavo davans elo
Coume uno pastourelle un troupèu d'agnèu blanc.
0 magnefiqui souloumbrado !
De frais, d'aubo desmesurado
Miraiavon, di bord, si pèje blanquinous;
Delambrusco antico, bistorto,
l'envertouiavon si redorto,
E dôu cimèu di branco forto
Leissavon pendoula si pampagnoun sinous.
Lou Rose, emé sis oundo lasso,
E dourmihouso, e tranquilasso,
Passavo ; e regretous dôu palais d'Avignoun,
Di farandoulo e di sinfôni,
Coume un grand vièi qu'es à l'angôni,
Eu pareissié tout malancôni
D'ana perdre à la mar c sis aigo e soun noum.
MIREILLE, CHANT X. 389
Et lui disait l'enfant rameur : — « Vois ! comme
est large dans son lit — le Rhône !. .. Jeune fille, entre
Camargue et Grau, — il se ferait de belles joutes ! —
car cette île, c'est la Camargue; — et au loin telle-
ment elle s'étend, — que du fleuve arlésien elle voit
béer les sept embouchures. »
Comme il parlait , dans le Rhône — tout resplen-
dissant des reflets roses — que déjà le matin y épan-
dait, lentement — montaient des tartanes : des voi-
lures — le vent de mer gonflant la toile, — les pous-
sait devant lui, — comme une bergère un troupeau
d'agneaux blancs.
0 magnifiques ombrages ! — Des frênes, des peu-
pliers blancs gigantesques — miraient, des bords,
leurs troncs blanchâtres ; — des lambrusques anti-
ques, tortueuses, — y enroulaient leurs lianes, —
et du faîte des branches fortes — laissaient pendiller
leurs moissines noueuses.
Le Rhône, avec ses ondes fatiguées, — dormantes,
majestueusement tranquilles, — passait; et regrettant
le palais d'Avignon, — les farandoles et les sympho-
nies, — comme un grand vieillard qui agonise, — il
semblait tout mélancolique — d'aller perdre à la mer
et ses eaux et son nom.
33.
39P MIREIO, CAÎN'T X,
Mai l'amourouso qu'ai cantado
Sus lou dougan èro sautado :
— Camino, lou pichot ie cridavo, tant que
Trouvaras de camin ! Li Santo
A sa capello miraclanto
Tout dre te menaran. — Aganto,
Acô di, si dos remo, e viro soun barquet.
Soulo li fio que Jun escampo,
Mirèio lampo, e lampo, e lampe !
De soulèu en soulèu e d'auro en auro, vèi
Un plan-païs inmènse ; d'erme
Que n'an à l'iue ni fin ni terme ;
De liuen en liuen e pèr tout germe,
De ràri tamarisso... e la mar que parèi...
De tamarisso, de counsôudo,
D'engano, de fraumo, de sôudo,
Amàri pradarié di campèstre marin,
Ountebarrulon li brau nègre
E li cavalot blanc : alegre,
Podon a qui libramen segre
Lou ventihoun de mar tout fres de pouverin.
La bluio capo souleianto
S'espandissié, founso, brihanto,
Courounant la palun de soun vaste countaur;
Dins la liuenchour qu'alin clarejo
De fes un gabian voulastrejo ;
De fes un aucelas oumbrejo,
Ermitocambaru disestang d'alentour.
MIREILLE, CHANT X. 501
Mais l'amante que j'ai chantée — avait sauté sur
le rivage : <( Marche, le petit lui criait, tant que —
tu trouveras du chemin ! Les Saintes — à leur cha-
pelle miraculeuse — tout droit te conduiront. »
Il saisit, — cela dit, ses deux rames, et tourne la
nacelle.
Sous les feux que Juin verse, — comme l'éclair,
Mireille court, et court, et court ! — De soleil en so-
leil et de vent en vent ^, elle voit — une plaine im-
mense : des savanes — qui n'ont à l'œil ni fin ni
terme; — de loin en loin, et pour toute végétation,
— de rares tamaris... et la mer qui paraît...
Des tamaris, des prêles, — des sahcornes, des ar-
roches, des soudes ', — amères prairies des plages
marines, — où errent les taureaux noirs — et les
chevaux blancs : joyeux, — ils peuvent là librement
suivre — la brise de mer tout imprégnée d'embrun.
La voûte bleue où (plane) le soleil — s'épanouis
sait, profonde, brillante, — couronnant les marais de
son vaste contour; — dans le lointain clair — par-
fois un goéland vole ; — parfois un grand oiseau pro-
jette son ombre , — ermite aux longues jambes des
étangs d'alentour.
392 MIRÈIO, CANT X
Es un cambet qu'a li pèd rouge ;
0 'n galejoun qu'espincho, aurouge,
E drèisso fieramen soun noble capelut,
Fa de très lôngui plumo blanco.....
La cauddeja pamens assanco :
Pèr s'alôugeri, de sis anco
La chatouno desfai li bout de sottn fichu.
E la calour, sèmpre mai vivo,
Sèmpre que mai se recalivo ;
E dôu soulèu que mounto à l'afrèst dôu cèu-sin,
Dôu souleias li rai e l'uscle
Plovon à jabo coume un ruscle :
Sèmblo un leioun que, dins soun rii«cle,
Devouris dôu regard li désert abissin !
Souto un fau, que farié bon jaire!
Lou blound dardai beluguejaire
Fai parèisse d'eissame, e d'eissame furoun,
D'eissame de guèspo, que volon,
Mounton, davalon, e tremolon
Coume de lamo que s'amolon.
La roumiéuvo d'amour que lou lassige roump
E que la caumo desaleno,
De soun èso redouno e pleno
A leva l'espingolo ; e soun sen, bouleguicu
Coume dos oundo bessouneto
Dins uno lindo fountaneto,
Sèmblo d'aquéli campaneto
Qu'en ribo de la mar blanquejon dins l'estiéu.
MIREILLE, CHANT X ZdT,
C'est un chevalier aux pieds rouges*; — ou un
bihoreau ^ qui regarde, farouche, — et dresse fière-
ment sa noble aigrette, — faite de trois longues
plumes blanches... — Déjà cependant la chaleur
énerve : — pour s'alléger, de ses hanches — la jeune
fille dégage les bouts de son fichu.
Et la chaleur, de plus en plus vive, — de plus en
plus devient ardente ; — et du soleil qui monte au
zénith du ciel pur, — du grand soleil les rayons et
le hâle — pleuvent averse comme une giboulée: — tel
un lion, dans la faim qui le tourmente, — dévore du
regard les déserts abyssins !
Sous un hêtre, qu'il ferait bon s'étendre ! — Le
blond rayonnement (du soleil) qui scintille — simule
des essaims, des essaims furieux, — des essaims de
guêpes, qui volent, — montent, descendent et trem-
blotent — comme des lames qui s'aiguisent. — La
pèlerine d'amour que la lassitude brise
Et que la chaleur essouffle, — de sa casaque ronde
et pleine — a ôté l'épingle; et son sein agité
— comme deux ondes jumelles — dans une hmpide
fontaine, — ressemble à ces campanules — qui, au
rivage de la mer, étalent en été leur blancheur*.
39i MIRÊIO. CANT X
Mai pau-à-pau davans sa visto
Lou terradou se desentristo ;
E veici pau-à-pau qu'aperalin se mou
E trelusis un grand clar d'aigo :
Li daladèr, li bourtoulaigo,
Autour de Terme que s*enaigo
Grandisson, e se fan un capèu d'oumbro môu.
Èro uno visto celestino,
Un fres pantai de Palestino '
De-long de l'aigo bluio uno vilo lèu-lèu
Alin s'aubouro, emé si lisso,
Soun barri fort que l'empalisso,
Si font, si glèiso, si téulisso,
Si clôuchié loungaru que crèisson au soulèu.
De bastimen e de pinello,
Emé si vélo blanquinello
Intravon dins la darso ; e lou vent, qu'èro dous,
Fasié jouga sus li poumeto
Li bandeiroun e li flameto.
Mirèio, emé sa man primeto
Eissuguè de soun front li degout aboundous ; •
E de vèire tal espetacle,
Cujè, moun Dieu ! crida miracle !
E de courre, e de courre, en cresènt qu'èro aqui
La toumbo santo di Mario.
Mai au mai cour, au mai vario
La ressemblanço que l'esbriho,
Au mai lou clar tablèu de liuen se fai segui.
MIREILLE, CHANT X. 395
Mais peu à peu devant sa vue — le pays perd sa
tristesse; — et voici peu à peu qu'au loin se meut —
et resplendit un grand lac d'eau : — les philly-
rea '', les pourpiers, — autour de la lande qui se
liquéfie, — grandissent, et se font un mol chapeau
d'ombre.
C'était une vue céleste, — un rêve frais de Terre-
promise ! — Le long de l'eau bleue, une ville bientôt
— au loin s'élève, avec ses boulevards, — sa mu-
raille forte qui la ceint» — ses fontaines, ses églises,
ses toitures, — ses clochers allongés qui croissent
au soleil.
Des bâtiments et des pinelles, — avec leurs voi-
les blanches, - entraient dans la darse, et le vent,
qui était doux, — faisait jouer sur les pommettes
— les banderblles et les flammes. — Mireille, avec sa
main légère — essuya de son front les gouttes abon-
dantes ;
Et à pareille vue — elle pensa, mon Dieu ! crier
miracle ! — Et de courir, et de courir, croyant que
là était — la tombe sainte des Maries. — Mais plus
elle court, plus change — l'illujion qui l'éblouit,
— et plus le clair tabieau s'éloigne et se fait suivre.
590 MIREIO, CANT X.
Obro vano, sutilo, alado,
Lou Fantasti Tavié fiel ado
Em' un rai de soulèu, tencho emé li coulour
Di nivouluii : sa tramo feblo
Fenis pèr tremoula, vèn treblo,
E s'esvalis coume uno nèblo.
Mirèio rèsto soido e iièco, à la calour.
E zôu li camello de sablo,
brulanto, mouvènto, ahissablo !
E zôu la grand sonsouiro, c sa crousto de sau
Que lou soulèu boufigo e lustro.
E que cracino, e qu'escalustro !
E zôu li plantasse palustre,
Li canèu, li triangle, estage di mouissau !
Emé Vincèn dins la pensado,
Pamens, dempièi lôngui passado,
Ribejavo toujour l'esmarra Vacarés;
Déjà, déjà di grandi Santo
Vesié la glèiso roussejanto,
Dins la mar liuencho e flouquejanto
Croisse, coume un veissèu que poujo au ribeirés.
De l'implacable souleiado
Tout-en-un-cop l'escandihado
le tanco dins lou front si dardaiouii ; vêla,
0 pecaireto ! que s'arreno,
E que, long de la mar sereno,
Toumbo, ensucado, sus l'areno...
0 Crau, as toumba flour ! o jouvènl, plouras-la !,
MIREILLE, CHANT X. 597
Œuvre vaine, subtile, ailée, — le Fantastique
l'avait filée — avec un rayon de soleil, teinte avec
les couleurs — des nuages : sa trame faible — finit
par trembler, devient trouble, — et se dissipe comme
un brouillard. — Mireille reste seule et ébahie, à ' ,
chaleur.
Et en avant dans les monceaux de sable, — big-
lants , mouvants, odieux ! — et en avant dans la
grande sansoidre ^, à la croûte de sel — que le so-
leil boursoufle et lustre, — et qui craque, et éblouit!
— et en avant dans les hautes herbes paludéen-
nes, — les roseaux, les souchets, asile des cou-
sins !
Avec Vincent dans la pensée, — cependant, de-
puis longtemps — elle côtoyait toujours (la plage)
reculée (du) Vaccarés ; — déjà, déjà des grandes
Saintes — elle voyait l'égUse blonde, — dans la mer
lointaine et clapoteuse, — croître, comme un vaisseau
qui cingle vers le rivage.
De l'implacable soleil — tout à coup la brûlant»
échappée — lui lance dans le front ses aiguillons :
la voilà, — infortunée ! qui s'affaisse, — et qui,
le long de la mer sereine, — tombe, frappée à mort,
sur le sable. — 0 Crau, ta fleur est tombée !.. ô jeu-
nes hommes, pleurez-la i
S4
im MIRÈIO, GANT X.
Quand lou cassaire de la coumbo
De-long d'un riéu vèi de couloumbo
Que bevon, innoucènto, e que s'aliscon, lèu
Qu'entre-milan li bouissounaio
Emé soun armo vèn en aio ;
E sèmpre aquelo qu'engranaio
Es la plus bello : ansin faguè lou dur soulèu.
La malurouso èro esternido
Sus lou sablas, estavanido.
D'asard, aqui de-long, passé 'n vôu d'arabi;
E 'n la vesènt que rangoulavo, .
E soun blanc pitre que gounflavo,
E dôu rebat que la brulavo
Pas un brout de mourven que vèngue la curbi,
Pietousamen li mouissaleto
Fasien viouloun de sis aleto,
E zounzounavon : Lèu! poulido, lèvo-te!
Lèvo-te lèu! qu'es trop malino
La caud de la palun salino !
E ie pougnien sa tèsto clino.
E la mar, entremen, de si fin degoutet,
Gontro li flamo de sa caro
Bandissié l'eigagnolo amaro.
Mirèio se levé. Doulénto, e gingoulant :
Ai ! de ma tèsto ! plan-planeto
Se tirasse la chatouneto ;
E, d'enganeto en enganeto, '
I Santo de la mar venguè balin-balan.
MIREILLE, CHANT X. o99
Quand le chasseur de la vallée, — le long d'un ruis-
seau, aperçoit des colombes — qui boivent, innocentes,
et qui lissent leurs (plumes), vite, — à travers les
buissons, — avec son arme il vient, ardent; — et
toujours celle qu'il perce de ses plombs — est la
plus belle : ainsi agit le dur soleil.
La malheureuse était renversée — sur la dune,
évanouie. — D'aventure, sur ces bords, passa un es-
saim de moustiques; — et la voyant qui râlait, — et
sa blanche poitrine palpitante, — et contre la réver-
bération qui la brûle — pas un brin de morven *" qui
vienne la couvrir.
Plaintivement les moucherons — faisaient violon
de leurs petites ailes, — et bourdonnaient : « Vite !
jolie, léve-toi ! — lève-toi vite, car trop maligne est-^
la chaleur du marais sahn! » — Ktils piquaient sa tête
penchée. — Et la mer, en même temps, de ses fines
gouttelettes,
Contre les flammes de son visage — jetait la rosée
amére. — Mireille se leva. Dolente et gémissant : —
Aïe! de ma tête! à pas lents — se traîna la jeune
fille ; — et de salicornes en salicornes, — aux Saintes
de la mer elle vint, chancelante.
*00 MIRÈIO, CANT X.
E 'mé de plour dins si parpello,
Contro li bard de la capello,
Que lou toumple marin bagno de soun trespir
Pique satèslo, la paureto !
E, sus lis alo de l'aureto,
Entanterin sa preiereto
Veici coume eilamount s'enanavo en souspir :
0 Sànti Mario,
Que poudès en flour
Chanja nôsti plour,
Clinas lèu Taurilio
De-versma doulour !
Quand veirés, pecaire !
Moun reboulimen
E moun pensamen,
Vendrés de moun caire
Pietadousamen.
Siéu uno chatouno
Qu'âme unjouveinet,
Lou bèu Vincenet!
léu l'ame, Santouno,
De tout moun senet !
léu l'ame! iéu l'amo,
Coume lou valat
Amo de coula,
Coume l'aucèu flame
Amo de vonla.
i
MIREILLE, CHANT X. 401
Et avec des pleurs dans ses paupières, — contre
les dalles de la chapelle, — que le gouffre marin
mouille de son infiltration, — elle frappa sa tête,
infortunée ! — et sur les ailes de la brise, — cependant,
voici comme sa prière — au ciel s'en allait en sou-
pirs:
« 0 Saintes Maries,— qui pouvez en fleurs — chan-
ger nos larmes, — inclinez vite l'oreille — devers ma
douleur!
<( Quand vous verrez, hélas ! — mon tourment —
et mon souci, — vous viendrez de mon côté — avec
pitié.
« Je suis une jouvencelle — qui aime un jouven-
ceau,— le beau Vincent ! — Je l'aime, chères Saintes,
— de tout mon cœur. .
« Je l'aime ! je l'aime — comme le ruisseau —
aime de couler, — comme l'oiseau dru — aime de
voler.
34.
40? MIRÈIO CANT X
E volon qu'amosse
Aquéu fio nourri
Que vôu pas mouri !
E volon que trosse
L'amelié flouri!
0 Sànti Mario,
Que poudès en flour
Chanja nôsti plour,
Clinas lèu Tauribo
De-vers ma doulour !
D'alin siéu vengudo
Querre eici la pas.
NiCrau,ni campas.
Ni maire esmougudo
Qu'arrèste mi pas i
E la souleiado,
Emé si clavèu
E sis arnavèu,
La sente, à raiado,
Que poun moun cervèu.
Mai, poudès me crèïTo !
Dounas-me Vincèn ;
E gai e risènt,
Vendren vous revèire
Tôuti dous ensèn.
MIREILLE, CHAINT X. 4(>o
« Et l'on veut que j'éteigne — ce feu nourri — qui
ne veut pas mourir : — et l'on veut que je torde -
l'amandier fleuri !
« 0 Saintes Maries, — qui pouvez en fleurs —
changer nos larmes, — inclinez vite l'oreille —
devers ma douleur !
(( De loin je suis venue — chercher ici la paix. —
Ni Crau, ni landes, — ni mère émue — qui arrête
mes pas !
« Et du soleil qui darde — ses clous — et ses
épines, — je sens les rayonnances — qui poignen*
mon cerveau.
« Mais, vous pouvez me croire! — donnez-mi
Vincent ; — et gais et souriants, — nous viendrons
vous revoir — tous deux ensemble.
404 MIRÈIO, CANT X.
r/estras de mi tempe
Alor calara ;
E dôu grand ploura
Moun regard qu'èi trempe,
De gau lusira.
Moun paire s'oupauso
A-n-aquel acord :
De touca soun cor,
Vous èi pau de causo,
Bèlli Santo d'or !
Emai fugue duro
L'ôulivo, lou vent
Que boufo is Avènt,
Pamens l'amaduro
Au poun que counvèn.
La nèspo, l'asperbo,
Tant aspro au culi
Que fan tressali,
Ta proun d'un pau d'erbo
Pèr li remouli !
0 Sànti Mario,
Que poudès en flour
(ilianja nôsti plour,
Clinas lèu l'auriho
De-vers ma doulour !
MIREILLE, f,n\NT X. 405
« Le déchirement de mes tempes — alors cessera ;
— et d'im torrent de larmes — nfion regard mainte-
nant inondé, — luira de joie.
« Mon père s'oppose — à cet accord : — de tou-
cher son cœur, — ce vous est peu de chose, — belles
Saintes d'or 1
« Bien que dure soit — l'olive, le vent — qui souffle
à l'Avent, — néanmoins la mûrit — au point qui con-
vient.
« La nèfle, la corme, — si acerbes, quand on les
cueille, — qu'elles font tressaillir, — c'est assez d'un
peu d'herbe — pour les ramollir^* '
« 0 Saintes Maries,— qui pouvez en fleurs — chan-
ger nos larmes, — inchnez vite l'oreille — devers ma
douleur î
406 MIRÈIO, CAIfT X.
Ai de farfantello?
Qu'es?... lou paradis?
La glèiso grandis.
Un baren d'eslello
Amount s'espandisi
0 iéu benurouso !
Li Santo, moun Dieu!
Dins l'èr sènso niéu
Davalon, courouso,
Davalon vers iéu!..,
0 bèlli patrouno,
Èivous, bèn verai!..,
Escoundès li rai
De vôsti courouno,
0 iéu mourirai !
Vosto vouesm'apello?...
Que noun vous neblas,
Que mis iue soun las ! ...
Mounte es la capello?
Santo!... me parlas?...
MIREILLE, CHANT X. 407
« Ai-je des éblouissements? — Qu'est-ce?. . le
Paradis? — L'église grandit, — un gouffre d'étoiles
— là-haut se répand!
« 0 moi bienheureuse! — les Saintes, mon Dieu!
— dans l'air sans nuage — descendent, radieuses, —
descendent vers moi !
« 0 belles patronnes, — c'est vous, réellement !.. .
— Cachez les rayons — de vos couronnes, — ou
moi je mourrai!
« Votre voix m'appelle?... — Que ne vous voi-
lez-vous d'un nuage, — car mes yeux sont las!...
— Où est la chapelle ? — Saintes ! . . . vous me par-
lez?...
408 MIRÈIO, GANT X.
E diiis l'estàsi que l'emporto,
Desaleiiado, mita morlo,
Mirèio, d'à-geinoun, èro aqui sus li bard,
Li bras en l'èr, la tèsto à rèire;
E dins li porto de Sant-Pèire,
Sis lue fissa pareissien vèire
L'autre mounde, à travès la teleto de car.
A si bouqueto que soun mudo ;
Sa caro bello se tremudo,
E soun amo e souu cors dins la countemplacioun
Nadon estabousi : dins l'Aubo
Que cencho d'or lou front dis aubo,
Palis de même e se desraubo
Lou lume que vihavo un ome en perdiciouu
Très femo de bèuta divino,
Pèr un draiôu d'estello fino,
Davalavon d'amount; e coume, au jour levant,
Un escabot se destroupello,
Lis aut pieloun de la capello
Emé l'arcèu que l'encapello,
Pèr ie durbi camin, se garavon davan.
E, dins l'èr linde, blanquinouso,
Li très Mario luminouso
Davalavon d'amount : uno, contro soun sen,
Tenié sarra 'n vas d'alabastre ;
E, dins U niue sereno, l'astre
Que douçameii fai lume i pastre,
Pôu retraire soulet soun front paradisen \
M[REILLE, CHANT X. 409
Et dans l'extase qui l'emporte, — haletante,
morte à demi, — Mireille, à genoux, était là sur les
dalles, — les bras en l'air, la tète en arrière ; — et
dans les portes de Saint-Pierre, — ses yeux fixés pa-
raissaient voir — l'autre monde, à travers le voile de
chair.
Elle a ses lèvres muettes ; — - son beau visage se
transfigure, — et son âme et son corps dans la con-
templation — nagent, ravis : dans l'Aurore — qui
couronne d'or le front des peupliers blancs, — ainsi
pâlit et se dérobe — la lampe qui veillait un homme
enper'^Uion.
Trois femmes de beauté divine, — par un sentier
de fines étoiles, — descendaient du ciel; et comme,
au lever du jour, — un troupeau se dispersa, — les
hauts piliers de la chapelle — avec l'arceau qui en
soutient la voûte, — pour leur ouvrir chemin, s'écan-
talent devant (elles).
Et, blanches dans l'air limpide, — les trois Maries
lumineuses — descendaient du ciel : l'une, contre
son sein, — tenait serré un vase d'albâtre ; — et, dans
les nuits sereines, l'astre — qui doucement éclaire
les bergers, — peut seul rappeler son îr ont para-
disien.
S5
4tO MIREIO, GA.NT X.
1 jo de l'auro, la segoundo
Laisso ana si treneto bloundo,
E cairiino, moudèsto, un rampau à la mani
La tresenco, jouineto encaro,
De sa blanco mantiho claro
Escoundié 'n pau sa bruno caro,
E si nègre vistoun lusien mai que diamant.
Vers la doulènto quand fuguèron.
En dessus d'elo setenguèron,
Inmoubilo,e'm'acô ie parlavon. Tant dous
E clarinèu èro soun dire,
E tant afable soun sourrire,
Que lis espino dôu martire
Flourissien dins Mirèio en soûlas aboundous.
Assolo-te, pauro Mirèio :
Sian il Mario de Judèio !
Assolo-te, fasien, sian li Santo di Baus !
Âssolo-te ! sian li patrouno
De la barqueto, qu'envirouno
Lou trigos de la mar furouno,
E la mar, quand nous vèi, retoumbo lèu à pausî
MIREILLE, CHANT X. 4H
Aux jeux du vent, la seconde — laisse aller ses
blondes tresses, — et chemine, modeste, une palme
à la main ; — la troisième, jeunette encore, — de sa
blanche mantille claire — cachait un peu son brun
visage, — et ses noires prunelles luisaient plus que
diamant.
Vers la dolente quand elles furent, — au-dessus
d'elle elles se tinrent, — immobiles, et elles lui
parlaient. Si doux — et clair était leur dire, — et
leur sourire si affable, — que les épines du mar-
tyre — fleurissaient dans Mireille en charmes abon-
dants.
— « Console-toi, pauvre Mireille : —nous sommes
les Maries de Judée ! — Console-toi, disaient-elles,
nous sommes les Saintes des Baux ! — Console-toi,
nous sommes les patronnes — de l'esquif qu'entoure
— le fracas de la mer furieuse, — et la mer, à notre
aspect, retombe vite au calme.
412 MIRÈIO, CANT X.
Mai, que la visto amount s'estaque!
Veses lou camin de Sant Jaque?
Adèsi'eriaii ensôn, alin de l'autre bout;
Regardavian, dins lis estello,
Li proucessioun que van, fidèlo,
En roumavage à Coumpouslello
Prega, sus soun toumbèu, noste fiéu e nebout.
E 'scoutavian li lelanio....
E lou murmur di fountaniho,
Lou balans di campano, e lou déclin dôu jour,
E li roumiéu pèr la campagno,
Tout rendié glôri, de coumpagno,
A l'Apoustôli de l'Espagno,
Noste fiéu e nebout, Sant Jaque lou Majour.
E, benurouso de la glôri
Que remountavo à sa memôri.
Sus lou front di roumiéu mandavian lou bagnun
Dôu serenau, ededins l'amo
le vejavianjoio e calamo.
Pougnènt coume de jit de flamo,
Es alor que vers nautre an mounta ti plagnun.
0 chatouno, ta fe 's di grando ;
Mai, que nous peson ti demando !
Vos béure, dessenado, i font de l'amour pur '
Dessenado, avans qu'èstre morto,
Vos assaja la vido forto
Que dins Dieu même nous tresporto !
Dempièi quouro as avau rescounira lou bonur?
i
MIREILLE, CHANT X. 415
« Mais que ta vue là-haut s'attache! — Vois-tu le
chemin de Saint-Jacques? — Tantôt nous y étions en-
semble, là-bas à l'autre extrémité; — nous regar-
dions, dans les étoiles, — les processions fidèles qui
vont — en pèlerinage à Compostelle, — prier, sur
son tombeau, notre fils et neveu.
« Et nous écoutions les litanies... — Et le murmure
des fontaines, — le branle des cloches, et le déclin
du jour, — et les pèlerins par les champs, — tout
rendait gloire, de concert, — à l'Apôtre de l'Es-
pagne, — notre fils et neveu, Saint-Jacques le
Majeur.
« Et, bienheureuses de la gloire — qui remontait à
son souvenir, — sur le front des pèlerins nous épan-
dions la rosée — du serein, et dans leur âme — nous
versions joie et calme. — Poignantes comme des jets
de flamme, — c'est alors que vers nous ont monté
ses plaintes.
0 0 jeune fille, ta foi est des grandes ; — mais que
tes demandes nous pèsent ! — Tu veux boire, insen-
sée, aux fontaines de l'amour pur;— insensée, avant
la mort, — tu veux essayer la forte vie — qui en
Dieu lui-même nous transporte ! — Depuis quand as-
tu là-bas rencontré le bonheur?
Sa.
414 MIRËIO, CANT X.
L'as \ist dins l'ome riche? Goiinfle,
Estalouira dins soun triounfle,
Nègo Dieu dins soun cor e tèn tout lou camin ;
Mai, quand es plen, toumbo l'iruge;
E que fara de soun gounfluge,
Quand se veira davans lou Juge
Que dins Jerusalèn intravo su 'n saumin?
L'as vist au front de lajacudo,
Quand de soun la, touto esmougudo,
Porge lou proumié rai à soun enfantounet?
l'a proun d'uno malo tetado ;
E, sus la brèsso descatado,
Regardo-la, despoutentado,
Que poutounejo mort soun paure pichounet '
L'as vist au front de la nouvieto,
Quand, plan-planet, dins la draieto
Caminavo à la glèiso emé soun nôvi?... Vai,
Pèr lou parèu que lou chaupino,
Aquéu draiôu a mai d'espino
Que lagrenas delà champino,
Car tout n'es eilavau qu'esprovo e long travail
E 'ilavau l'oundo la pu claro,
Quand l'as begudo, vèn amaro;
Eilavau nais lou verme emé lou fru nouvèu,
E tout degruno, e tout se gasto...
As bèu chausi sus la banasto :
L'arange, tant dons à la tasto,
A la longo dôu tèms vendra coume de fèu !
MIREILLE, CHANT X. 415
« L'as-tu VU dans l'homme riche? Bouffi, — cou-
ché nonchalamment dans son triomphe, — il nie Dieu
dans son cœur et tient tout le chemin ; — mais la
sangsue, quand elle est pleine, tombe... — Et que
iera-t-il de sa bouffissure, — lorsqu'il se verra de-
vant le Juge — qui dans Jérusalem entrait sur un
ânon?
« L'as-tu vu au front de l'accouchée, — quand de
son lait, tout émue, — elle tend le premier jet à son
j)etit enfant? — C'est assez d'un trait de mauvais lait;
— et, sur le berceau découvert, — regarde-la, ne
se possédant plus, — qui couvre de baisers son pau-
vre petit, mort !
« L'as-tu vu au front de la fiancée, — lorsqu'à pas
lents, dans le sentier, — elle cheminait à l'église,
avec son fiancé?.. . Va, ~ pour le couple qui le foule,
— ce sentier-là a plus d'épines — que le pruneher
de la lande, — car tout n'est là-bas qu'épreuves et
long labeur !
« Et là-bas la plus claire des ondes, — quand lu
l'as bue, devient amère ; — là-bas naît le ver avec le
fruit nouveau, — et tout tombe en ruine, et tout en
corruption... — En vain choisis-tu sur la corbeille :
— l'orange, si douce au goût, — à la longue du temps
deviendra comme du fiel.
4i6 MIRÈIO, CANT X.
E tau, te sèmblo que respiron,
Dins voste mounde, que souspiroii !...
Mai quau sara 'nvejous de heure à-n-un sourgènt
Que noun s'agote e se courroumpe,
En soufrissènt, que se lou croumpe!
Fau que la pèiro en tros se roumpe,
Se voulès n'en tira la paiolo d'argent.
Urous adounc quau pren li peno,
E quau en bèn fasènt s'abeno ;
E quau plouro, en vesènt ploura lis autre ; e quau
Trai lou mantèu de sis espalo
Sus la pauriho nuso e palo ;
E quau 'mé l'umble se rebalo,
E pèr l'afrejouli fai lampa soun fougau '
E lou grand mot que l'orne ôublido,
Veleici : La mort es la vido !
E li simple, e li bon, e li dous, benura !
Emé l'aflat d'un vèlît sutile,
Amount s'envoularan tranquile,
E quitaran, blanc coume d'ile.
Un mounde ounte li Sant soun de-longo aqueira !
I
Tambèn, oh ! se vesiés, Mirèio,
Pereiçamount del'empirèio,
Coumé voste univers nous parèis marridoun,
E folo, e pleno de misèri
Vôstis ardour pèr la matèri,
E vôsti pôu dôu çamentèri !
0 pauro ! belariés la mort e lou perdoun !
MIREILLE, CHANT X. 417
« El tels te semblent respirer, — dans votre monde,
qiii soupirent ! . . . — Mais qui sera désireux de boire
à une source — intarissable, incorruptible , — en
souffrant, qu'il se l'achète! — Elle doit, la pierre, en
morceaux être brisée, — si l'on veut en extraire la
paillette d'argent.
« Heureux donc qui prend les peines, — et qui en
faisant lebiensépuise; — et qui pleure, en voyant
pleurer les autres ; et qui — jette le manteau de ses
épaules — sur la pauvreté nue et pâle ; — et qui
avec l'humble s'abaisse, — et pour celui qui a froid
fait briller son foyer !
« Et le grand mot que l'homme oublie, — le voici :
La mort, c'est la vie! — Et les simples, et les bons,
et les doux, bienlieureux ! — A la faveur d'un vent
subtil, — au ciel ils s'envoleront tranquilles, — et
quitteront, blancs comme des lis, — un monde où
les Saints sont continuellement lapidés !
(f Aussi, oh! situ voyais, Mireille, — des suprê-
mes hauteurs de l'empyrée, — combien votre uni-
vers nous paraît souffreteux, — et folles et miséra-
bles, — vos ardeurs pour la matière — et vos peurs
du cimetière! — ô infortunée! tu bêlerais la mort et
le pardon !
-ils MIRÈIO C\ST X
Mai, de davans que loii bla 'spijsfiie,
En terro fau que rebouligue !
Es la lèi... Emai nautre, avans d'avé de rai,
Avèn begu l'aigre abéurage ;
E pèr enfin que toun courage
Prengue d'alen, de noste viage
Voulèn te recounta lis àrsi e lis esfrai.
E se teisèron li très Santo.
E lis oundado caressante,
Pèr escouta. courrien de-long dôu ribeirés,
A troupelado. Li pinedo
Faguèron signe à la vernedo ;
E li gabian e lis anedo
Veguèron s'amata l'inmènse Vacarés.
E lou souléu emé la luno,
Dins la liuenchour que s'empaluno,
Adourèron, clinant si frountas cremesin ;
E la Camargo salabrouso
Trel'ouliguè î . . . Li Benurouso,
Pèr donna voio à l'amourouso.
Au bout d'un moumenet coumencèron ansm
t
MIREILLE, CHANT X. 419
« Mais avant que le blé monte en épis, — dans la
terre il faut qu'il fermente ! — C'est la loi. . . Et nous
aussi, avant d'avoir des rayons, — avons bu l'aigre
breuvage ; — et afin que ton courage — prenne ha-
leine, de notre voyage — nous voulons te raconter les
tribulations et les effrois. »
Et les trois Saintes se turent. — Et les vagues ca-
ressantes, — pour écouter, couraient le long du ri-
vage, — à troupeaux. Les bois de pins — firent signe
à l'aunaie ; — et les goélands et les sarcelles — virent
l'immense Vaccarés abattre (ses flots) *^
Et le soleil et la lune, — dans le lointain des maré-
cages, — adorèrent, inclinant leurs larges fronts
cramoisis ; — et la Camargue imprégnée de sel —
tressaillit !... Les Bienheureuses, — pour donner des
forces à l'amanle , — au bout d'un petit moment
commencèrent ainsi :
NOTES
DU CHANT DIXIÈME.
Vence [Vènço], petite ville du département du Var, du côté
d'Antibes, ancien évêché- — Burençolo. On donne ce nom aux di-
vers canaux dérivés de. la Durance — Valensole, petite ville des
Basses- Alpes.
De soleil en soleil et de vent en vent [de soulèu en soulèu e
d'auro en aura], locution usuelle en Provence pour dire : Du le-
vant au couchant, du nord au midi
5 Tamaris [tamarisso], tamarix gallica, Lin. — Salicorne [enga-
110], salicornia fruticosa, Lin. — Arroche-pourpier [fraumo], alri-
plexpoiiulacoïdes, Lin. — Soude (sÔMdo), salsola soda, Lin., végé-
taux communs dans la Camargue.
* Cambet. Ce nom désigne plusieurs oiseaux de l'ordre des éclias-
siers, principalement le petit Chevalier aux pieds rouges [tringa
gambetta, Lin.), et le grand Chevalier aux pieds rouges [scolopax
calidrix, Lin.).
5 Bihoreau [galejoun), nrdea nyctieorax, Lin, oiseau de l'ordre
des échassiers, qu'où apuellc aussi moua.
NOTES DU CHANT X 421
* .... Ces campanules qui, au rivage de la mer, élalent en été
eur blancheur.
L'auteur a voulu parler ici de la belle fleur. qu'on nomme en
provençal ile de mar [pancratium maritimum, Lin.).
' Phyllirea (daladèr, du latiu alaternus) , phyllirea latifoUa,
Lin., grand arbrisseau de la famille des jasrainées.
* Le Fantastique (ZoM Fantasti], autrement nommé Esprit fan-
tasti, follet, lutin dont l'action se manifeste par des espiègleries.
(Pour plus de détails sur cette croyance populaire, voyez Chant YI,
strophes 41 et suir.)
8 Sansouire [sansouiro], vastes espaces stérilisés et couvert
d'efflorescences salines par le voisinage et l'infiltration de la mer
*" Morven [mourven), genévrier de Phénicie
" C'est assez d'un peu d'herbe pour les ramollir.
Ou fait mûrir et ramollir sur de la paille les nèfles et les
cormes.
*• La Yaccarés {Vacarés). Yoyez Chant lY, note 10.
GANT VOUNGEN
LI SÂlNTO
Li Sànti Mario raconton, qu'après la mort dôu Clrist, fuguêron em-
bandido, emé d'àutri disciple, à la bello eisservo de la rnar, e
qu'abourdèron en Prouvènço, e que counvertiguèron li pople
d'aquelo encountrado. — La navigacioun. — La tempésto. — Arri-
bado à-n-Arle di sant despatria. — Arle rouraan. — La fèsto de
Venus. — Sermoun de sant Trefume. — Counversioun dis Arlaten.
— Li Tarascounen vènon imploura lou secours de Santo Marto. —
La Tarasco. — Sant Marciau à Limoge ; Sant Savournin à Toulouse;
SantEstrôpi en Aurenjo. — Santo Marto doumlo la Tarasco, e pièi
counvertis Avignoun. — La papauta en Avignoun. — Sant Lazàri à
Marsiho. — Santo Madaleno dins la baumo. — Sant Massemin à-
z-Ais. — Li Sànti Mario i Baus. — Lou rèi Reinié. — La Prouvêni;©
unido à la Franco. — Mirèio, vierge e martiro.
L'aubre de la crous, o Mirèio,
Sus la mountagno de Judèio
Ëro encaro planta : die sus Jerusalèn,
E dôu sang de Dieu encaro ime,
Gridavo à la ciéuta dôu crinrie,
Endourmido avau dins l'abime :
Que n'as fa, que n'as fa dôu rèi de Betelèn?
E di carriero àpasimado
Mountavon plus li grand bramado ;
Lou Cedroun tout soulet gingoulavo eilalin ;
E lou Jourdan, de languiludo,
S'anavo escoundre i soulitudo,
Pèr desgounfla si plagnitudo
A l'oumbro di rastencle e di verd patelin.
CHANT ONZIÈME
LES SAINTES
Les Saintes Maries racontent comment, après la mort du Christ,
ayant été livrées à la merci des flots avec plusieurs autres dis-
ciples, elles abordèrent en Provence, et convertirent les peuple:»
de cette contrée. — La navigation. — La tempête. — Arrivée des
Saints proscrits à Arles. — ^ Arles romaine. — La fête de Vénus.
— Discours de saint Trophime. — Conversion des Arlésiens. — Les
Tarasconais viennent implorer le secours de Sainte Marthe. — La
Tarasque. — Saint Martial à Limoges; Saint Satuinin à Toulouse,
Saint Eutrope à Orange. — Sainte Marthe dompte la Tarasque, et
ensuite convertit Avignon. — La papauté à Avignon. — Saint La-
zare à Marseille ; Sainte Magdeleine dans la grotte ; Saint Maximin
k Aix ; les Saintes Maries aux Baux. — Le roi René. — La Provence
tnie à la France. — Mireille, vierge et martyre.
« L'arbre de la croix, ô Mireille, — sur la monta-
gne de Judée — était encore planté : debout sur Jé-
rusalem, — et du sang de Dieu encore humide, — il
criait à la cité du crime, — endormie là-bas dans l'a-
bîme : — « Qu'en as-tu fait, qu'en as-tu fait, du roi
de Bethléem ? »
n Et des rues apaisées — ne montaient plus les
grandes clameurs. — LeCédron seul se lamentait au
loin; — et le Jourdain, mélancolique, — allait se
cacher aux solitudes, — pour dégonfler ses plaintes,
— à l'ombre des lentisques et des verts térébinthes.
424 MIRÈIO, CAIST XI.
E iou paure pople èro triste,
Car vesiébèn qu'èro soun Criste,
Aqiiéu que de la toumbo aussant Iou curbecèu,
A si coumpagno, à si cresèire,
Ero tourna se faire vèire,
E pièi, laissant li clauà Pèire,
S' ère coume un eigloun enaura dins Iou oèu !
Ah ! Iou plagnien, dms la Judèio,
Lou bèu fustié de Galilèio !
Lou fustié di peu blound qu'amanôissié li cor
Emé lou mèu di parabole,
E qu'à bel èime sus li colo
Li nourrissié 'mé de caudolo,
E toucavo si ladre, e revenié si mort
Mai li dôutour, li rèi, li pièire,
Touto la chourmo di vendèire
Que de soun temple sant lou mèstre vie cassa :
— Quau poudra teni la pauriho,
Se murmurèron à l'auriho,
Se dins Sioun e Samario,
Lou lume de la Crous nèi pas lèu amoussa?
Âlor li ràbi s'encagnèron,
E li martire temounièron :
Alor l'un, coume Estève, èro aqueiratout viéu,
Jaque espiravo pèr l'espaso.
D'autre, engrana souto uno graso!...
Mai sout lou ferre o dins la braso,
Tout cridavo en mourènt : 0, Jesu 's Fiéu de Dieu!
MIREILLE, CHANT XI. 425
« Et le pauvre peuple était triste, — • car il voyait
bien que celui-là était son Christ, — qui de la tombe
haussant le couvercle, — à ses compagnons, à ses
disciples, — était revenu se montrer, — et puis, lais-
sant les clefs à Pierre,— s'était comme un aiglon en-
levé dans le ciel !
« Ah! on le plaignait, dans la Judée, — le beau
charpentier Galiléen, — le charpentier aux cheveux
blonds qui apprivoisait les cœurs — avec le miel des
paraboles, — et qui avec largesse sur les collines —
nourrissait la foule de pain azyme, — et touchait ses
lépreux, et ressuscitait ses morts !
« Mais les docteurs, les rois, les prêtres, — la
horde entière des vendeurs — que de son temple
saint le Maître avait chassés : — « Qui retiendra la
multitude, — se murmurèrent-ils à l'oreille, — si
dans Sion et Samarie — la lumière de la Croix n'est
promptement éteinte? »
« Alors les rages s'irritèrent, — et les martyrs té-
moignèrent;— alors l'un, tel qu'Etienne, était lapidé
vif, — Jacques expirait par l'épée, — d'autres, écra-
sés sous un bloc de pierre ! . . . — Mais sous le fer ou
dans la braise, — tout criait en mourant : « Oui,
Jésus est Fils de Dieu ! »
36.
420 MIRÈIO. GANT Xt
Nautre, li sorre emé li fraire.
Que lou seguian pèr tout terraire,
Sus uno ratamalo, i furour de la mar,
E sènso veloe sènso remo,
Fuguerian embandi. Li femo,
Toumbavian un riéu de lagremo ;
Lis ome vers lou cèu pourtavon soun regard.
Déjà, déjà vesèn s'encourre
Ouliveto, palais e tourre ;
Vesèn de l'aut Carmel li serre e lis estras,
Qu'aperalin fasien la gibo.
Tout-d'un-cop un crid nous arribo :
Nous reviran, e sus la ribo
Vesèn uno chatouno. Aubouravo si bras;
En nous cridant, touto afougado :
— Oh ! menas-me dins la barcado,
Mestresso, menas-me! Pèr Jesu, iéuperéu,
Vole mouri de mort amaro !
Èro nosto servènto Saro ;
E dins lou cèu la veses arc
Que lou front ie lusis coume uno aubo d'Abréu.
Liuen d'aqui l'Anguieloun nous tire ;
Mai Salomé, que Dieu enspiro,
Is erso de la mar a jita sounveîet.,,
0 pouderouso fe ! , . . sus l'oundo
Que sautoulrejo, bluio e bfoundo,
La chato, que noun se prefoundo,
Venguè dôu ribeirés à noste veisselet ;
MIREILLE, CflANT XI. ^^21
« Nous, les sœurs et les frères — qui le suivions
par tout pays, — sur un méchant navire, aux fureurs
de la mer, — sans voiles et sans rames, — fûmes
chassés. Les femmes, — nous versions un ruisseau
de larmes ; — les hommes vers le ciel portaient leur
roofard.
« Déjà, déjà nous voyons fuir — bois d'oliviers,
palais et tours ; — nous voyons du haut Carmel les
crêtes et les déchirures — au lointain bossuer (l'ho-
rizon). — Tout à coup un cri nous arrive... — nous
nous retournons, et sur la plage, — nous voyons une
jeune fille. Elle élevait ses bras.
« En nous criant, tout ardente : — « Oh! emme-
nez-moi dans la batelée, — maîtresses, emmenez-
moi! Pour Jésus moi aussi — je veux mourir de
mort amére! » — C'était notre servante Sara; — et
dans le ciel tu la vois maintenant — avec une auréole
comme une aube d'avril.
r. Loin de là l'Aquilon nous entraîne. — Mais Sa-
lomé, que Dieu inspire, — aux vagues de la mer a jeté
son voile. — 0 puissante foi !.. . sur l'onde — qui
sautille, blonde et bleue, — la jeune fille, sans s'en-
gloutir j — vint du rivage à notre vaisseau frêle;
■428 MIRÈIO, GANT XI.
E rAnguieloim la campejavo,
E loii volet la carrejavo.
Painens, quand dins la fousco eilalin veguerian
Cimo à cha cimo desparèisse
Lou dous païs, e la mar crèisse,
Fau l'esprouva pèr lou counèisse
Lou langui segrenous qu'alor sentiguerian !
Adieu! adieu, terro sacrado!
Adieu! Judèio mal astrado, ^
Que coussaies ti juste e clavelles toun Dieu !
Aro, ti vigno emé ti dàti
Di rous leioun saran lou pâti,
E ti muraio, lou recàti
Di serpatas ! . . . Adieu, patrio, adieu, adieu I
Uno ventado tempestouso
.Sus la marino sôuvertouso
Couchavo lou batèu : Marciau e Savournin
Soun ageinouia sus la poupo ;
Apensamenti, dins sa roupo
Lou vièi Trefume s'agouloupo ;
Contre eu èro asseta l'evesque Massemin.
Dre sus lou tèume, aquéu Lazàri
Que de la toumbo e dôu susàri
Avié 'ncaro garda la mourtalo palour,
Sèmblo afrounta lou gourg que reno;
Em' eu la nau perdudo enmeno
Marto sa sorrc, e Madaleno,
Couchado en un cantoun, que plouro sa doulour.
MIREILLE, CHANT XI. 429
« Et l'Aquilon la poussait, — et le voile la portait.
— Lorsque, pourtant, dans la brume éloignée nous
vîmes, — cime à cime, disparaître — le doux pays,
et la mer croître, — il faut l'éprouver pour la con-
naître, — la nostalgie profonde qu'alors nous ressen-
tîmes !
(T Adieu! adieu, terre sacrée! — Adieu, Judée vouée
au malheur, — qui pourchasses tes justes et cruci-
fies ton Dieu ! — Maintenant tes vignes et tes dattes —
des fauves lions seront le pâturage, — et tes mu-
railles, le repaire — des hideux serpents !... Adieu,
patrie ! adieu, adieu ! »
f Un coup de vent tempétueux — sur la mer er-
frayante — chassait le bateau : Martial et Saturnin
— sont agenouillés sur la proue ; — pensif, dans Gon
manteau — le vieux Trophime s'enveloppe ; — au-
près de lui était assis l'évêque Maximin.
« Debout sur le tillac, ce Lazare — qui delà tombe
et du suaire — avait encore gardé la mortelle pâleur,
— semble affronter le gouffre qui gronde ; — avec
lui la nef perdue emmène — Marthe sa sœur, et
Magdeleine, — couchée en un coin, et pleurant sa
douleur.
430 MIRÈIO, CANT XI.
La nau, que buton li demôni,
Meno Estrôpi, meno Sidôni,
Jôusè d'Arimalio, e Marcello, e Cleoun;
E, d'apiela sus lis escaume,
Au silènci dôu blu reiaume
Fasien ausi lou cant di Saume;
E 'nsèri repetavian : Laudamus te Deum!
Oh ! dins lis aigo belugueto
Cou me landavo la barqueto !
Nous sèmblo enca de vèire aquéli foulet oun
Que retoursien en revoulino
Lou pouverèu de la toumplino,
Pièi, en colono mistoulino,
S'esvalissien alin coume d'esperitoun.
De la mar lou soulèu mountavo,
E dins la mar se recatavo ;
E, toujour emplana sus la vasto aigo-sau,
Courrian toujour la bello eisservo.
Mai dis estèu Dieu nous preservo,
Car dins si visto nous réserve
Pèr adurre à sa lèi li pople prouvençau.
Un matin sus tôuti lis autre,
Fasié tèms sol : de davans nautre
Vesian courre.la niue 'mé soun lume à la man,
Coume uno véuso matiniero
Que vai au four couire si tiero ;
L'oundo, aplanado coume uno iero,
Dôu batèu tout-bèu-jiistbatié li calamaii.
MIREILLE, CHANT XI. i'.l
« La nef, que poussent les démons, — conduit Eu-
trope, conduit Sidoine, — Joseph d'Arimathie, et
Marcelle, et Cléon; — et, appuyés sur lestolets, —
au silence du royaume bleu — ils faisaient ouïr le
chant des Psaumes : — et nous répétions ensemble :
Laudamus te Deum !
« Oh ! dans les eaux scintillantes — comme cou-
rait la nacelle! — Il nous semble encore voir ces
souffles tournoyants — qui retordaient en tourbil-
lons — l'embrun de l'abîme, — puis, on colonnes
légères — s'évanouissaient au loin comme des es-
prits.
« Le soleil montait de la mer, — et se couchait dans
la mer; — et toujours errants sur la vaste plaine sa-
lée, — toujours nous allions au gré (du vent). —
Mais des écueils Dieu nous garde, — car, dans ses
vues, il nous réserve — pour amener à sa loi les peu-
ples provençaux.
« Un matin sur tous les autres, — le temps était
calme : devant nous, — nous voyons fuir la nuit avec
sa lampe à la main, comme une veuve matinale —
qui va au four cuire ea rangée de pains; — l'onde,
aplanie comme une aire, — du bateau battait à peine
les madriers.
452 MIRÈIO.. CAiNT XI.
D'apereilalin nais, se gounflo,
Et porto ourrour (lins l'amo, g rounflo
Un brut descouneissable, un sourne brounsimen,
Que nous penètro li mesoulo,
E sèmpre mai ourlo e gingoulo,
Isterian mut! La visto soulo,
Tant liuen quepoudi' ana, tenié l'aigo d'à-ment.
E sus la marque s'agrounchavo,
La broufounié se raprouchavo,
Rapido, fourmidablo ! e morto à noste entour
Èron lis erso ; e, negro marco,
Enclauso aqui tenien la barco.
Alin, tout-en-un-cop s'enarco
Uno mountagno d'aigo, esfraiouso d'autour.
De nivoulasencourounado,
La mar entiero amoulounado,
E que boufo, e que bramo, o Segnour ! en courrènt
Venié sus nautre : à la subito,
Un cop de mar nous precepito
Au founs d'un toumple, e nous rejito
A la pouncho dis erso, espavourdi, mourènt!
Quéntis espaime ! que destourne !
De longs uiau fèndon lou sourne,
E peto cop sus cop d'espaventable tron l
E tout l'Infèr se descadeno
Pèr englouti nosto careno
La Labechado siblo, reno,
E contre lou paiôu bacello nôsti front.
MIREILLE, CHANT XI. 433
« Des profondeurs de (l'horizon) naît, se gonfle,
— et porte l'horreur dans l'âme, et gronde — un
bruit inconnu, un mugissement sombre, — qui nous
pénètre les moelles, — et de plus en plus hurle et
gémit. — Nous restâmes muets ! La vue seule, —
aussi loin qu'elle pouvait aller, guettait les flots.
« Et sur la mer qui se blottissait (d'effroi), — la
rafale se rapprochait, — rapide, formidable! ei
mortes autour de nous — étaient les vagues; et,
noir présage, — comme immobilisée par un charme
elles tenaient la barque. — Au loin soudain se dresse
— une montagne d'eau, effrayante de hauteur.
« De sombres nuages couronnée, — la mer entière
amoncelée, — en soufflant et beuglant, ô Seigneur!
à la course fondait sur nous : subitement — un coup
de mer nous précipite — au fond d'un gouffre, et
nous rejette — à la pointe des vagues, épouvantés,
mourants!
« Quelles transes! quel bouleversement! — De
longs éclairs fendent l'obscurité, — et coup sur coup
éclatent d'épouvantables tonnerres, — et tout l'Enfer
se déchaîne — pour engloutir notre carène. — La
tourmente ' siffle, gronde, — et contre le pont bat
nos fronts.
57
43i MIRÈIO, CANT XI.
Sus l'esquinau de si camello
Tantost la mar nous encimello ;
Tantost, dins la founsour di nègre garagai,
Ounte barrulon li lasàmi
Li biôu-marin e li grand làrni,
Anan entendre lou soulàmi,
Dinegadis, quel'oundo escoubiho, pecai!
Nous veguerian perdu î S'enverso
Sus nôsti lèsto uno grando erso,
Quand Lazàri : Moun Dieu, serve-nous de timoun!
M'as davera 'n cop de la toUinbo. ..
Ajudo-nous ! la barco touinbo !
Courne l'auroun de la paloumbo,
Soun crid fend la chavano e volo peramount.
De l'eut palais ounte triounflo
Jesu l'a vist; sus la mar gounflo
Jesu vèi soun ami, soun ami qu'en-tant-lèu
Vai èstre aclapa souto l'oundo.
Sis iue 'mé 'no pieta prefoundo
Nous countèmplon : subran desboundo
A travès la tempèsto un long rai de soulèu.
Alléluia ! sus l'aigo amaro
Mountan e davalan encaro ;
E trempe, e matrassa, boumissèn l'amarun.
Mai lis esfrai tout-d'un-tèms parton,
Li lamo lièro s'escavarton,
Li nivoulado alin s'esvarton,
La terro verdouleto espelis dôu clarun.
MIREILLE, CHANT XI. 435
« Sur le dos de ses houles — tantôt la mer nous
hisse; — tantôt dans la profondeur des noirs abîmes,
— où errent les paons-de-mer, — les phoques et les
grands requins, — nous allons entendre la lamen-
table plainte — des noyés, que l'onde balaye, hélas'
« ^ous nous vîmes perdus. — Sur nos têtes se
renverse une grande vague, — quand Lazare : « Mon
Dieu, sers-nous de timon! — Tu m'as arraché une
fois du tombeau... — Aide-nous! la barque tombe! »
— Comme l'essor du ramier, — son cri fend l'orage
et vole dans les cieux.
« Du haut palais où il triomphe, — Jésus l'a vu ;
sur la mer gonflée — Jésus 'Oit son ami, son ami
qui, un moment de plus, — v» être enseveli sous le
flot. — Ses yeux avec une pitié profonde — nous con-
templent : soudain jaiMit — à travers la tempête un
long rayon de soleil.
« Alléluia! sur l'eau amère — nous montons et
descendons encore ; — et ruisselants, et harassés,
nous vomissons l'amertume. — En même temps les
effrois partent, — les larnes fiéres se dispersent, —
les nuées au lointain se dissipent, — la terre ver-
doyante éclô* de l'éclaircie.
MIRÈIO, GANT XI.
Lontèms, 'mé d'afrôusi turtado,
Nous trigoussejon lis oundado.
Pièi se courbon enfin davans la primo nau
Souto un alen que lis abauco ;
La primo nàu, coume uno plauco,
Fuso entre li roumpènt, e trauco
De large flo d'escumo emé soun carenau.
Contro uno ribo sènso roco,
Alléluia! la barco toco ;
Sus l'areno aigalouso aqui nous amourran,
E cridan tôuti : Nôsti tèsto
Qu'as pôutira de la tempèsto,
Fin qu'au coutèu li vaqui lèsto
A prouclama ta lèi, o Crist ! Te lou juran !
A-n-aquéu noum, de jouïssènço,
La noblo terro de Prouvènço
Parèis estrementido; à-n-aquéu crid nouvèu,
E lou bouscas e lou campéstre
An trefouli dins tout soun èstre,
Coume un chin qu'en sentent soun mèstre,
le cour à l'endavans e ie fai lou bèu-bèu.
La mar avié jita d'arcèli . . .
Paternoster, qui es in cœli,
A nosto longo fam mandères un renos ;
A nosto set, dins lis engano
Faguères naisse uno fountano ;
E miraclouso, e lindo, e sano,
Gisclo enca dins la glèiso ounte soun nôstis os!
Nn
MIREILLE, CHANT XI. 437
« Longtemps, avec des chocs affreux, — nous bal-
lottent les vagues. — Puis elles se courbent enfin
devant la mince nef — sous un souffle qui les calme;
— la mince nef, comme un colymbe% — sille entre
les brisants, et troue — de larges flocons d'écume
vec sa quille.
« Contre une rive sans roche, — Alléluia! la bar-
que touche; — surl'arène humide, là nous nous pros-
ternons, — et nous écrions tous : « Nos têtes — que
tu as arrachées à la tempête, — jusque sous le glaive,
les voici prêtes — à proclamer ta loi, ô Christ ! Nous
le jurons ! »
« A ce nom, de joie — la noble terre de Provence
— paraît, secouée; à ce cri nouveau, — et la forêt et
la lande — ont tressailli dans tout leur être, — comme
un chien qui, sentant son maître, — court au-devant
de lui et lui fait fête.
« La mer avait jeté des coquillages... — Pater
noster, qui es in cœlis, — à notre longue faim tu en-
voyas un festin ; — à notre soif, parmi les salicornes
— tu fis naître une fontaine; — et miraculeuse, et
limpide, et saine, — elle jaillit encore dans l'éghse
où sont nos os !
37
438 MIRÈIO, CÂNT XI.
Plen de la fe que nous afougo,
Dôu Rose prenèn lèu la dougo ;
De palun en palun caminan à l'asard;
E pièi, galoi, dins lou terraire
Trouvai! la traço de l'araire;
E pièi, alin, dis Emperaire
Vesènli tourre d'Arle auboura Festendar '
A l'ouro d'iuei sies meissouniero,
Arle ! e couchado sus toun iero,
Pantaies em' amour ti glôri d'àutri-fes ;
Mai ères rèino, alor, e maire
D'un tant bèu pople de remaire
Que, de toun port, lou vent bramaire
Noun poudié travessa l'inmènse barcarés.
Roumo, de nôu, t'avié vestido
En pèiro blanco bèn bastido ;
De ti grandis Areno avié mes à toun front
Li cent vint porto; a vies toun Cièri; •
Aviés, princesso de l'Empèri,
Pèr espassa ti refoulèri,
Li poumpous Âquedu, lou Tiatre e l'Ipoudrom.
Intran dins la ciéuta : la foulo
Mountavo au Tiatre en farandoulo.
E zôu ! mountan em'elo. Au mitan di palai,
A Toumbro di temple de mabre,
Se gandissié lou pople alabre,
Coume quand rounco dins li vabre
lavàssi de plueio, à l'ôumbrino di plai.
MIREILLE. CHANT XI. 439
« Pleins de la foi qui nous brûle, — du Rhône nous
prenons aussitôt la berge ; — de marais en marais
nous marchons à l'aventure; — et puis, joyeux, dans
le terroir — nous trouvons la trace de la charrue ; -7-
et puis, au loin, des Empereurs — nous voyons les
tours d'Arles arborer l'étendard.
« A cette heure tu es moissonneuse, — Arles ! et
couchée sur ton aire, — tu rêves avec amour de tes
gloires anciennes; — mais tu étais reine, alors, et
mère — d'un si beau peuple de rameurs — que, de
ton port, le vent mugissant — ne pouvait traverser
l'immense flotte.
« Rome à neuf t'avait vêtue — en pierres blanches
bien bâties : — de tes grandes Arènes elle avait mis
à ton front — les cent vingt portes ; tu avais ton
Cirque; — tu avais, princesse de l'Empire, — pour
distraire tes caprices, — les pompeux Aqueducs, le
Théâtre et l'Hippodrome,
« Nous entrons dans la cité : la foule — au Théâtre
montait en farandole. — Nous montons avec elle :
au milieu des palais, — à l'ombre des temples de
marbre, — s'élançait le peuple avide, — comme
quand rugit dans les ravins — une averse de pluie, à
l'ombre des érables.
440 MIRÈIO, CANT XI.
0 maladicioun ! o vergougno !
1 son moulan de la zambougno,
Sus lou pountin dôu Tiatre, emé lou pitre nus,
Un vôu de chato viroulavon,
E su 'n refrin qu'ensèn quilavon,
En danso ardènto se giblavon,
Au tour d'un flo de mabre en quau disien Venus.
La publico embriagadisso
le bandissié si bramadisso ;
Jouvènto emai jouvènt repetavon : Canten!
Canten Venus, la grand divesso
De quau prouvèn touto alegresso 1
Canten Venus, la segnouresso,
La maire de la terro e dôu pople arlaten!
Lou front aut, la narro duberto,
L idolo, encourouna de nerto,
Dins li nivo d'encens pareissié s'espoumpi;
Quand, endigua de tant d'audanço,
E derrounipènt e crid e danso,
Lou vièi Trefume que se lanço,
En aussarit si dous bras sus lou mounde atupi,
D'uno roues forto : Pople d'Arle,
Escouto, escouto que te parle !
Escouto, au noum dôu Crist!... E n'en digue pas mai.
Au frouncimen de sa grando usso,
Vaqui l'idolo que brandusso,
Gènço, e dôu pedestau cabusso.
Em' eu li dansarello an toumba de l'esfrai !
MIREILLE, CHANT XL 441
« 0 malédiction ! ô honte ! — aux sons langoureux
de la lyre, — sur le podium du Théâtre, la poitrine
nue, — un vol de jeunes filles tournoyait, — et sur
un refrain que répétaient en chœur leurs voix stri-
dentes, — en danses ardentes elles se tordaient —
autour d'un bloc de marbre qu'elles nommaient
Vénus.
« La populaire ivresse — leur jetait ses clameurs;
— jeunes filles et jeunes hommes répétaient : « Chan-
tons ! — chantons Vénus, la grande Déesse de qui
— toute allégresse vient! — Chantons Vénus, la sou-
veraine, — la mère de la terre et du peuple arlé-
sien! »
« Le front haut, la narine ouverte, — l'idole, cou-
ronnée de myrte, — dans les nuages d'encens pa-
raissait s'enfler d'orgueil; — lorsque, indigné de
tant d'audace, — interrompant et cris et danses, —
le vieux Trophime qui s'élance, — en levant ses deux
bras sur la foule stupéfaite,
< D'une voix forte : « Peuple d'Arles, — écoute,
écoute mes paroles ! — Écoute, au nom du Christ!...»
Il n'en dit pas davantage. — Au froncement de son
grand sourcil, — voilà l'idole qui chancelle, — gémit,
et du piédestal se précipite. — Avec elle les danseuses
sont tombées d'effroi !
MIRÈIO, CANT XI
Se fai qu'un crid, s'entend qu'ourlado.
Vers li pourtau de troupelado
S'engorgon, e pèr Arle escamponl'espravant;
Li majonrau se descourounon,
Li juvenome s'enfurounon,
■ . En cridant : Zôu ! nous envirounon. . .
En l'èr milo pougnard lusisson tout d'un vauc
Pamens, de nosto vestiduro
L'enregouïdo saladuro ;
De Trefume lou front seren, coume enciéucla
De clarour santo; e, mai poulido
Que sa Venus enfrejoulido,
La Madaleno ennevoulido,
Tout acô, 'n moumenet, li faguè recula.
Mai al or Trefume : Gènt d'Arle,
Escoutas-me que iéu vous parle!
le cridè tournamai, après me chaplarés!
Pople arlaten, vènes de vèire
Toun dieu s'esclapa coume un \èire
Au nouni dôu miéu! Anes pas crèire
Que ma voues l'a pouscu : nous-autre sian pas res
Lou Dieu qu'a 'sclapa toun idolo
N'a ges de temple sus la colo !
Mai lou jour e la niue veson qu'eu eilamounl
Sa man, pèr lou crime sevèro,
Es alarganto à la preièro ;
Es eu soulet qu'a fa la terro,
Es eu qu'a fa lou cèu, e la mar, e li mount.
MIREILLE, CHANT XI. 443
« Il n'y a qu'un cri; on n'entend que hurlements ;
— dans les portails, des cohues — s'engouffrent, et
dans Arles répandent l'épouvante ; — les patriciens
arrachent leurs couronnes, — les jeunes hommes,
furieux, — en criant : « Sus! » nous entourent... —
Dans l'air mille poignards luisent d'un seul élan.
« Pourtant, sur nos vêtements — le sel figé ; — de
Trophime le front serein, comme encerclé — de clar-
tés saintes ; et, plus belle — que leur Vénus transie,
— la Magdeleine voilée d'un nuage (de larmes), —
tout cela, un instant, les fit reculer.
« Mais alors Trophime : « Arlésiens, — écoutez mes
paroles, — leur cria-t-il derechef, après, vous me
hacherez. — Peuple arlésien, tu viens de voir — ton
dieu se briser comme verre — au nom du mien !
N'attribue point — à ma voix ce pouvoir : nous, nous
ne sommes rien !
« Le Dieu qui a brisé ton idole — n'a point de
temple sur la colline ! — Mais le jour et la nuit ne
voient que lui là-haut; — sa main, sévère pour le
crime, — est généreuse à la prière; — lui seul a fait
la terre, — lui (seul) a fait le ciel, et la mer, et les
monts.
444 MIRÈIO, GANT XI.
Un jour, de soun auto demoro,
A vist soun bèn manja di toro;
A vist béure à l'esclau si plour e soun vérin ;
E jamai res que Idu counsolo !
A vist lou Mau, pourtant l'estoio,
Sus lis autar teni l'escolo ;
Toun fihan, l'a vist courre à l'afront di gourrini
E pèr espurga tau brutice,
Pèr bouta fin au long suplice
De la raço omenenco estacado au pieloun,
A manda soun Fiéu : nus e paure,
Emé pas un rai que lou daure,
Soun Fiéu es davala s'enclaure
Dins lou sen d'uno Vierge; es na sus d'estoubloun»
0 pople d'Arle, penitènci !
Coumpagnoun de soun eisistènci,
Te poudèn afourti si miracle : eilalin,
Is encountrado mounte coulo
Lou blound Jourdan, entre uno foulo
Espeiandrado e mau sadoulo,
L'avèn vist blanqueja dins sa raubo de lin!
E nous parlavo qu'entre nautre
Falié s'ama lis un lis autre;
Nous parlavo de Dieu, tout bon, tout pouderous;
E dôu reiaume de soun Paire,
Que noun sara pèr li troumpaire,
Lis auturous, lis usurpaire,
Mai bèn pèr li pichot, li simple, li plourous.
MIREILLE, CHANT XI, 445
« Un jour, de sa haute demeure, — il a vu son
bien dévoré des chenilles; — il a vu l'esclave boire
ses pleurs et sa haine; — et jamais personne qui
le console ! — 11 a vu le Mal, en robe sacerdotale,
— sur les autels tenir école; — tes filles, il les a
vues courir à l'affront des libertins !
« Et pour laver telles immondices, — pour mettre
fin au long supplice — de la race humaine attachée
au pilier, — il a envoyé son Fils : nu et pauvre, —
doré d'aucun rayon, — son Fils est descendu s'en-
clore — dans le sein d'une vierge; il est né sur du
chaume !
« 0 peuple d'Arles, pénitence! — Compagnons de
sa vie, — nous pouvons t'affirmer ses miracles ! Aux
lointaines — contrées où coule — le blond Jourdain,
au milieu d'une foule — en haillons et affamée, —
nous l'avons vu dans sa blanche robe de lin!
« Et il nous disait qu'entre nous — il fallait s' ai-
lier les uns les autres; — il nous parlait de Dieu,
t(ut bon, tout-puissant, — et du royaume de son
Ptre, — qui ne sera point pour les trompeurs, —
pmr les hautains, pour les usurpateurs, — mais
bitn pour les petits, les simples, ceux qui pleu-
rait.
38
446 MIRÈIO, CANT XI.
E fasié fe de sa dôutrino
En caminant sus la marino;
Li malaut, d'un cop d'iue, d'un mot li garissié;
Limort, maugrat lou sourne barri,
Soun revengu : vaqui Lazàri
Que pourrissié dins lou susàri!...
Mai, rèn que pèr acô, boufre de jalousie,
• Li rèi de la nacioun Jusiolo
L'an près, l'an mena su 'no colo ,
Clavela su 'n trounc d'aubre, abéura d'amarun,
Cubert d'escra sa santo fàci,
E pièi auboura dins l'espàci
En se trufant d'eu !... — Gràci ! gràci!
Esclatè tout lou pople, estoufa dôu plourun;
Gràci pèr nautre ! Que fau faire
Pèr desarma lou bras dôu Paire?
Parlo, orne de Dieu, parlo! e s'èi de sang que vôu,
le semoundren cent sacrefice !
— Inmoulas-ie vôsti délice,
Inmoulas vosto fam de vice ,
Respoundeguè lou Sant en se jitant pèr sôU
Nàni, Segnour! ce que t'agrado,
N'es pas l'ôudour d'uno tuado,
Ni li temple de péiro : âmes, âmes bèn mai
Lou tros d'artoun que l'on presènto
A l'afama, vo la jouvènto
Que vèn à Dieu, douço e cregnènto,
Oufri sa casteta coume uno flour de Mai.
MIREILLE, CHANT XI. 447
« Et sa doctrine, il l'atteslait — en marchant sur
la mer; — les malades, d'un regard, d'un m.ot, il
les guérissait; — les morts, malgré le sombre rem-
part, — sont revenus : voilà Lazare — qui pourris-
sait dans le suaire... — Mais, pour ces seuls motifs,
enflés de jalousie,
« Les rois de la nation juive — l'ont pris, l'ont
conduit sur une colline, — cloué sur un tronc d'ar-
bre, abreuvé d'amertume, — ont couvert sa sainte
face de crachats, — et puis l'ont élevé dans l'espace,
— en le raillant... » — « Grâce ! grâce ! éclata tout le
peuple, étouffé de sanglots;
« Grâce pour nous ! Que faut-il faire — pour dés-
armer le bras du Père? — Parle, homme divin,
parle! et si c'est du sang, qu'il veut, — nous lui
offrirons cent sacrifices ! » — « Immolez-lui vos dé-
lices, — immolez votre faim de vice, — répondit le
Saint en se jetant par terre.
« Non, Seigneur! ce qui te plaît, — ce n'est point
l'odeur d'une tuerie, — ni les temples de pierre : tu
aimes, tu aimes bien mieux — le morceau de pain
que l'on présente — à l'affamé, ou la jeune vierge
— qui vient à Dieu, douce et craintive, — offrir sa
chasteté comme une fleur de mai. »
448 riRÈIO, GANT XI.
Di bouco dôii grand Apoustôli
Ansin raie coume un sant ôli
La paraulo de Dieu : e plour de regoula,
E malandrous, e rusticaire
De beisa sa raubo, pecaire '
E lis idolo, de tout caire,
Sus li graso di temple alor de barrula f
Entanterin, en testimôni,
L'Avugle-na (qu'èro Sidôni),
Moustravo is Arlaten si vistoun neteja;
En d'autre Massemin recito
Lou Clavela que ressuscite,
La repentèiici qu'es necito...
Arle, aquéu même jour, se faguè bateja !
Mai, coume uno auro qu'escoubiho
Davans elo un fie de broundiho,
Sentèn l'Esprit de Dieu que nous buto. E veici,
Coume partian, uno embassado
Qu'à nôsti pèd toumbo , apreissado,
En nous disent ; Uno passado,
Estrangié dôu bon Dieu, vougués bèn nous ausil
Au brut de vôsti grand miracle
E de vôsti nouvèus ouracle,
Nous mande à vôsti pèd nosto pauro ciéuta...
Sian mort sus nôsti cambo ! Alabre
De sang uman e de cadabre,
Dins nôsti bos e nôsti vabre
Un mouslre, un flèu di dieu, barrulo... Agués pieta!
MIREILLE, CHANT XI. 449
« Des lèvres du grand Apôtre — ainsi coula comme
une huile sainte — la parole de Dieu : et pleurs de
ruisseler, — et malades et pauvres travailleurs — de
baiser sa robe, — et les idoles, de toute part, — sur
les degrés des temples alors de rouler !
« En même temps, en témoignage, — l'Aveugle-
né (qui était Sidoine), — montrait aux Arlésiens ses
prunelles nettoyées; — à d'autres, Maximin raconte
— le Crucifié qui ressuscite, — le repentir qui est
nécessaire... — Arles ce même jour se fit baptiser !
« Mais, tel qu'un vent qui balaye — devant lui un
feu d'émondes, — nous sentons l'Esprit de Dieu qui
nous pousse. Et voici, — comme nous partions,
une ambassade — qui à nos pieds tombe, empres-
sée, — en nous disant : « Un instant, — étrangers
du Dieu bon, veuillez bien nous entendre !
« Au bruit de vos grandes merveilles — et de vos
nouveaux oracles, — à vos pieds nous envoie notre
cité malheureuse... — Nous sommes morts sur nos
jambes ! Avides — de sang humain et de cadavres,
— dans nos bois et nos ravins — un monstre, un
fléau des dieux, erre... Ayez pitié !
38.
^80 MIRÈTO, CANT XI.
La bèstio a la co d'un coulobre,
A d'iue mai rouge qu'un cinobre;
Sus l'esquino a d'escaumo e d'àsti que fan pou I
D'un gros leioun porto lou mourre,
E sièis pèd d'orne pèr mies courre;
Dins sa caforno, soute un moure
Que doumino lou Rose, emporte ce que pou.
Tôuti li jour nôsti pescaire
S'esclargisson que mai, pecaire!
E li Tarascounen se bouton à ploura.
Mai, sènso pauso ni chancello,
Mario s'escrido : Emé Marcello
léu i'anarai ! Moun cor bacello
De courre à-n-aquéu pople e de lou deliéura.
Pèr la darriero fes su terre,
Nous embrassan, emé l'espère
De nous revèire au cèu, e nous desseparan.
Limoge aguè Marciau ; Toulouse
De Savournin fugue l'espouse;
E dins Aurenjo la poumpouse,
Estrôpi lou proumié samenè lou bon gran.
Mai ounte vas, tu, douce vierge?..,
Em' une crous, em' un asperge,
Marte, d'un èr seren, caminavo tout dre
Vers la Tarasco : li Barbare
Noun poudènt crèire que s'apare,
Pèr espincha lou coumbat rare,
Èren tôuti mounta sus li pin de Tendre,
MIREILLE, CHANT XI. 451
« La bête a la queue d'un dragon, — des yeux plus
rouges que cinabre, — sur le dos des écailles et des
dards qui font peur ! — D'un grand lion elle porte le
mufle, — elle a six pieds humains, pour mieux cou-
rir ; — dans sa caverne, sous un roc — qui domine
le Rhône, elle emporte ce qu'elle peut.
« Tous les jours nos pêcheurs, — s'éclaircissent
de plus en plus, hélas ! » — Et les Tarasconais se
prennent à pleurer. — Mais sans retard ni hésitance,
Marthe s'écrie : « Avec Marcelle, — moi, j'irai! Le
cœur me bat — de courir à ce peuple et de le déli
vrer. »
« Pour la dernière fois sur la terre, — nous nous
embrassons, avec l'espoir — de nous revoir au ciel,
et nous nous séparons. — Limogés eut Martial ; Tou-
louse — devint l'épouse de Saturnin, — et dans
Orange la pompeuse — Eutrope le premier sema le
bon grain.
« Maistoi, où vas-tu, douce vierge?... — Avec une
croix, avec un aspcrsoir, — Marthe d'un air serein
marchait droit — à la Tarasque : les Barbares, — ne
pouvant cioire qu'elle se défende, — pour regarder
le combat insigne, — étaient montés en foule sur les
pins du lieu.
452 MIRÈIO, GANT XI.
Destrassouna, poun dins soiin soustre,
Aguèsses vist boumbi loii monstre !,..
Mai souto l'aigo santo a bèu se trevira,
De-bado reno, siblo e boufo...
Marto, em' un prim seden de moufo,
L'ernbourgino, l'adus que broufo...
Lou pople tout entié courreguè l'adoura !
— Quau sies? La cassarello Diano?
Venien à la jouino Cresiiano,
0 Minervo la casto e la forte? — Noun, nouiii»
le respoundeguè lajouvènto :
Siéu de moun Dieu que la servènto !
E quatecant lis assavènto,
E 'm' elo davans Dieu pleguèron lou geinoun.
De sa paraulo vierginenco
Piqué la roco Âvignounenco...
E la fe talamen à belle eunde gisclè,
Que li Glemèn e li Gregôri
Pu tard, emé souii saut cibôri,
Vendran ie béure. Pèr sa glôri
r a Roumo qu'eilalin setanto an tremoulè •
Pamens, déjà de la Prouvènço
Mountavo un cant de reneissènço
Que fasié gau à Dieu : l'as agu remarca,
Tre qu'a plougu 'n degout de plueio,
Coume tout aubre e touto brueio
Aubouron lèu sa gaie fueio ?
Ansin tou tcor brûlant courrié se refresca.
MIREILLE. CHANT XI. 453
« Eveillé en sursaut , harcelé sur sa litière, —
eusses-tu vu bondir le monstre! — Mais sous l'ondée
sainte vainement il se tord, — en vain il grogne,
siffle et souffle. .. — Marthe, avec une mince laisse de
mousse, — l'enlace, l'amène s'ébrouant... — Le
peuple tout entier courut l'adorer !
— « Qui es-tu? La chasseresse Diane? — disaient-ils
à la jeune Chrétienne, — ou Minerve la chaste et la
forte?» — « Non, non, — leur répondit la jeune
fille : — je ne suis de mon Dieu que la servante ! »
— Et aussitôt elle les instruit, — et avec elle devant
Dieu ils fléchirent le genou.
« De sa parole virginale — elle frappa la roche
Avignonnaise... — Et la foi, tellement à belles ondes
jaillit, — que les Clément et les Grégoire — plus
tard, avec leur coupe sainte — viendront y puiser.
Pour sa gloire, — Rome, là-bas, septante années
trembla.
« Cependant, de la Provence déjà — s'élevait jin
chant de renaissance — qui réjouissait Dieu : n'as-tu
pas remarqué, — dès quil a plu une goutte de pluie,
— comme tout arbre et toute végétation — relèvent
vite leur feuillage gai' — Ainsi tout cœur brûlant
courait se rafraîchir.
454 MIRÈIO, CÂNT XI.
Tu mémo, auturouso Marsiho,
Que sus la mar duerbes ti ciho,
E que rèn de ta mar noun te pou leva l'iue,
E qu'en despié di vent countràri,
Sounjes qu'à l'or entre li barri,
À la paraulo de Lazàri,
Rebalères ta visto e veguères ta niue !
E dins rUvèune que s'aveno
Emé li plour de Madaleno,
Lavères davansBiéu toun orre queitivié...
Vuei tournamai drèisses la teste...
Davans que boufe la tempèsto,
Ensouvène-te, dins ti fèsto,
Di plour madalenen baguant tis ôulivié!
Colo de-z-Âis, cresten nrèbre
De la Sambuco, vièi genèbre,
Grand pin que vestissès li baus de l'Esteréu,
Vous, mourvén de la Trevaresso,
Redigas de quinto alegresso
Vôsti coumbo fuguèron presso,
Quand passé Massemin pourtant la crous em' eu !
Mai, ali'n, la veses aquelo
Que, si bras blanc sarra contro elo,
Prègo au founs d'uno baumo? Ai! pauro ! si geiuouii
Se maçon à la roco duro,
E n'a pèr touto vestiduro
Que sa bloundo cabeladuro,
E la luno la viho emé soun lumenoun.
MIREILLE, CHANT XI. 455
« Toi-même, altière Marseille, — qui sur la mer
ouvres tes cils, — et dont rien (du spectacle) de ta
mer ne peut distraire l'œil, — et qui, en dépit des
vents contraires, — ne songes qu'à l'or, — dans tes
murailles, à la parole de Lazare, — tu abaissas ta
vue et tu vis ta nuit 1
« Et dans l'Huveaune qui s'alimente — avec les
pleurs de Magdeleine^, — tu lavas devant Dieu ta hi-
deuse immondicité... — Aujourd'hui tu dresses la
tête de nouveau... — Avant que la tempête souffle,
— souviens-loi, au milieu de tes. fêtes, — que les
pleurs de Magdeleine baignent tes oliviers !
« Collines d'Aix, crêtes abruptes — de la Sambu-
que, vieux genièvres, — grands pins qui vêtez les
escarpements de 1 Eslerel, — vous, morvens de la
Trèvaresse, — redites-nous de quelle joie — vos val-
lées furent prises, — quand passa Maximin, portant
h croix avec lui * !
a Mais, dans l'éloignement, la vois-tu, celle — qui,
ses bras blancs serrés contre elle, — prie au fond
d'une grotte?... Ah ! pauvre infortunée! ses genoux
— se meurtrissent à la roche dure, — et elle n'a
pour tout vêtement — que sa blonde chevelure, — et
la lune la veille avec son (pâle) flambeau.
456 MIRÈIO, GANT XI.
E pèr la vèire dins la baumo,
Lou bos se clino e fai calaumo ;
E i' a d'ange, tenènt lou batre de si cor.
Que l'espinchon pèr uno esclèiro ;
E quand perlejo sus la pèiro
Un de si plour, en grand pressèiro
Van lou cueie e lou mètre en un calice d'or !
N'i'a proun, n'i'a proun, o Madaleno !
Lou vent que dins lou bos aleno
T'adus dempièi trento an lou perdoun dôu Segnour;
E de ti plour la roco mémo
Plourara sèmpre ; e ti lagremo
Sèmpre, sus touto amour de femo,
Coume uno auro de nèu, jitaran la blancouri
Mai dôu regret que l'estransino
Rèn counsoulavo la mesquino :
Ni lis aucelounet qu'en foulo au Sant-Pieloun,
Pèr èstre benesi, nisavon,
Ni lis ange que l'enaussavon
A la brasseto, e la bressavon
Sèt fes tôuti li jour, en l'èr sus li valoun!
A tu, Segnour, à tu revèngue
Touto lausènjo ! à nautre avéngue
De te vèire sens fin tout lusènt e verai !
Pàuri femo despatriado,
Mai de toun amour embriado,
De toun eterno souleiado
Avèn, nàutri peréu, escampa quàuqui rai !
MIREILLE, CHA^'T XI. 457
« Et pour la voir dans la grotte, — la forêt se pen-
che et fait silence ; — et des anges, retenant le bat-
tement de leurs cœurs, — l'épient par un interstice,
— et lorsque sur la pierre tombe en perle — un de
ses pleurs, en grande hâte — ils vont le recueillir et
le mettre en un calice d'or.
« Assez ! assez, ô Magdeleine ! — Le vent qui dans
le bois respire — t'apporte depuis trente années le
pardon du Seigneur. — De tes pleurs la roche elle-
même — pleurera éternellement; et tes larmes, —
éternellement, sur tout amour de femme, — comme
un vent de neige, jetteront la blancheur !
« Mais du regret qui la consume — rien ne conso*
lait la malheureuse : — ni les petits oiseaux qui en
foule au Saint-Pilon ^ — pour être bénis, nichaient;
— ni les anges qui l'enlevaient — dans leurs bras, et
la berçaient — sept fois tous les jours, dans l'air, sur
les vallons.
« A toi, Seigneur, à toi revienne — toute louange!
à nous advienne — de te voir à jamais dans ta splen-
deur entière et ta réalité ! — Pauvres femmes exilées,
• — mais enivrées de ton amour, — de ton éternelle
irradiation — nous avons, nous aussi, épanché quel-
ques rayons.
59
458 MIRÈIO, CANT XI.
ColoBaussenco, Aupiho bluio,
Vôsti oalan, vôstis aguhio,
De nosto predicanço à toustèins gardaran
La gravaduro peirounenco.
I soulitudo palunenco,
Au founs de l'isclo Camarguenco,
La mort nous alôujè de nôsti jour ôubrant.
Coume en touto causo que toumbo,
L'ôublit rescoundè lèu li toumbo..
La Prouvènço cantavo, e lou lèms courreguè ;
E coume au Rose la Durènço
Perd à la fin soun escourrènço,
Lou gai reiaume de Prouvènço
Dins lou sen de la Franco à la fin s'amaguè.
— Franco, emétu meno ta sorre!
Digue soun darrié rèi, iéu more.
Gandissès-vous ensèn alin vers l'aveni,
Au grand prefa que vous apello...
Tu sies la forlo, elo es la bello :
Veirés fugi la niue rebello
Davans la resplendour de vôsti front uni.
Reinié faguè 'cô bèu. Un sero
Qu'entredourmié dins sa coucero,
le moustrerian lou rode ounte èron nôstis os :
Emé douge evesque, si page,
Sa bello court, sis équipage,
Lou rèi venguè sus lou ribage,
E souto lis engano atrouvè nôsti cros.
MIREILLE, CHANT XI. 450
« Collines des Baux, Alpines bleues, — vos mor-
nes, vos aiguilles, — de notre prédication, dsns tous
les siècles, garderont — la trace gravée dans la
pierre '. — Aux solitudes paludéennes, — au fond
de l'île do Camargue, — la mort nous allégea de nos
jours de labeur
« Comme en tout ce qui tombe, — l'oubli cacha
bientôt nos tombeaux. — La Provence chantait, et le
temps courut ; — et de même qu'au Rhône la Du-
rance — perd à la fin son cours, — le gai royaume
de Provence — dans le sein de la France à la fin s'en-
dormit.
— « France, avec toi conduis ta sœur! — dit
son dernier roi, je meurs! — Dirigez-vous ensemble
là-bas vers l'Avenir, — à la grande tâche qui vous
appelle... — Tu es la forte, elle est la belle : -^vous
verrez la nuit rebelle fuir — devant la splendeur de
vos front réunis. »
« René accomplit ce beau fait. Un soir, — qu'il
sommeillait dans son lit de plumes, — nous lui mon-
trâmes le lieu où étaient nos ossements : — avec
douze évêques, avec ses pages, — sa belle cour, ses
équipages, — le roi vint sur la grève, — et sous les
salicornes trouva nos fosses.
460 MIRÊIO, GANT XI.
Adieu, Mirèio!... L'ouro volo, •
Vesèn la vido que trémolo
Dins toun cors, coume un lume en anant s'amoussa.
De davans que l'amo lou quite,
Parten, mi sorre, parten vite!
Vers li bèlli cimo, es necite
Qu'arriben davans elo, es necite e pressa.
De rose, une raubo nevenco
Âlestissen-ie : vierginenco
E martiro d'amour, la chato vai mouri !
Elourissès-vous, celèsti lèio !
Sànti clarour de l'empirèio,
Escampas-vous davans Mirèio ! . . .
Glôri au Paire, em' au Fiéu, em' au Sant Esperit!
MIRÈIO, GANT XI. 48!
« Adieu, Mireille!... L'heure vole. — Nous voyons
la vie trembloter — dans ton corps, comme une
lampe qui va s'éteindre. . . — Avant que l'âme le quitte,
— partons, mes sœurs, partons en hâte ! — Vers les
belles cimes, — il est nécessaire — que nous arri-
vions avant elle, nécessaire et urgent.
« Des roses, une robe de neige, — préparons4ui I
Vierge, — et martyre d'amour, la jeune fille va
mourir! — Fleurissez-vous, célestes avenues! —
saintes clartés de l'Empyree, — épanchez-vous devani
Mireille!... — Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-
Esprit! »
NOTES
DU CHANT ONZIÈME
' Laheclaao, en italien Hbecdata. Tempête occasionnée
le vent du sud-ouest appelé Labé, qu'on fait dériver du grec
iiSôvoTOî, même signification
* Colymbe à crête [plaucd], podiceps cristattis, Lin., oiseau de
l'ordre des palmipèdes
* Et dans l'Huveaune qui s'alimente avec les pleurs de Magde-
ine.
L'Huveaune, petite rivière qui prend sa source à la Samte-Baume
(Var), passe à Aubagne, et se jette dans la mer, à MarseiUe, au bout
de la promenade du Prado.
Une pieuse et poétique légende attribue son origine aux larmes
de sainte Magdeleine
* Sambuque [Sambuco], montagne à l'orient d'Aix. — Esterel
[Eslérel], montagne et forêt du département du Var. — Morvens
de la Trevaresse [monrven de la Trevaresso) : mourven, genévrier
de Phénicie. —La Trevaresse, chaîne de montagnes entre la Tou-
loubre, la Durance et le canal de Craponne
5 Saint-Pilon [Sant-Pieloun). Voyez Chant VII, note 12.
* La trace gra?ée dans la pierre (te gravaduropeirounenco). On
NOTES DU CHANT XI 403
a vu, dans le récit des Saintes-Mariés, que la barque des saints
proscrits aborda à l'extrémité de l'île de Camargue. Ces premiers
apôtres des Gaules remontèrent le Rhône jusqu'à Arles, et de là
se dispersèrent dans le Midi. On dit même que Joseph d'Arimathie
alla jusqu'en Angleterre. Telle est la tradition arlésienne La tradi-
tion des habitants des Baux reprend alors et continue l'odyssée
des saintes femmes : elle dit que ces dernières vinrent prêcher la
foi dans les Alpines, et que pour éterniser le souvenir de leur pré-
dication, elles gravèrent miraculeusement leurs effigies sur un ro-
cher. Au levant du rocher des Baux, on voit encore ce mystérieux
et antique monument : c'est un énorme bloc détaché, debout sur
le penchant d'un précipice, et taillé en aiguille. Sur sa face orien-
tale sont sculptées trois figures grandioses, objets de la vénération
des populations voisines
CANT DOUGEN
LA MORT
lou païs dis arange. — .Li Santo reinounton au paradis. — lou paire
emé la maire arriboTi. — Li Santen mounton Mirêio à la capeilo-
z-auto, ounte i'a li reliclc. — La glèiso di Sànti Mario. — Li supli-
cacloun. — La plajo camarguenco. — Vincèn arribo e sa doulour
desboundo. — Lou cantico di Santen. — Darriero visioun de Mirèio:
vèi li Sànti Mario emplanado dins la mar. — Darriéri paraulo, e
luminouso mort de la chatouno. — Li coumplancho, la déses-
pérance.
Au païs dis arange, à l'ouro
• Que lou jour de Dieu s'esvapouro ;
E que li pescadou, qu'an cala si jambin,
Tiron si barco à la calanco ;
E que, leissant parti la branco,
Sus la cabesso vo sus l'anco
Li chato en s'ajudant cargon si plen gourbin;
Di ribo ounte l'Argèns varaio,
Di piano, di coulet, di draio,
S'enausso peralin un long Cor de cansoun.
Mai belamen de la cabruno,
Gant d'amour, èr de cantabruno,
Pau-à-pau dins li colo bruno
S'esperdon, e vèn l'oumbro emé la languisoun.
CHANT DOUZIÈME
LA MORT
Le pays des oranges. — Les Saintes remontent dans le ciel. — Arrivée
du père et de la mère. — Les Saintins montent Mireille à la cha-
pelle haute, où sont déposées les reliques. — L'église des Saintes
Maries. — Les supplications. — La plage de Camargue. — Arrivée
de Vincent, éclat de sa douleur. — Le cantique des Saintms. —
Dernière vision de Mireille: les Saintes Maries lui apparaisseni
sur la haute mer. — Dernières paroles, et radieuse mort de U
jeune fille. — Les plaintes, le désespoir.
Au pays des oranges, à l'heure —où le jour de
Dieu s'évapore; — lorsque les pêcheurs, ayant tendu
leurs nasses, — tirent leurs barques à l'abri (des ro-
chers) ; — et que, laissant aller la branche, — sur
la tête ou sur la hanche — les jeunes filles, en s'en-
tr' aidant, chargent leurs corbeilles pleines ;
Des rives où l'Argens ^ serpente, — des plaines,
des coUines, des chemins, — s'élève dans le lointain
un long chœur de chansons. — Mais bêlements
de chèvres, — chants d'amour, airs de chalumeau,
— peu à peu dans les montagnes brunes — se per-
dent, et vieiment l'ombre et la mélancolie.
406 MIRÈIO, CANT XII.
Di Mario que s'envoulavon
Ansin li paraulo calavon,
Calavon pau-à-pau, de nivo en nivo d'or :
Sembla vo un resson de cantico,
Sennblavo uno liuencho niusico
Qu'en dessus de la glèiso antico
S'enanavo emé l'auro. Elo,sènfiblo que dor,
E que pantaio ageinouiado,
E qu'uno estranjo souleiado
Encourouno soun front de nouvèlli bèuta
Mai, dins lis erme e li jouncado,
Si vièi parent tant l'an cercado
Qu'à la perfin l'an destouscado ;
E dre, souto lou porje, alucon espanta.
Prenon pamens d'aigo signa do,
Mandon au front sa man bagnado.
Sus lou bard que respond e la femo e lou vièi
Dedins s'avançon... Espaurido
Coume quand subran uno trido
Vèi li cassaire : Moun Dieu ! crido,
Paire e maire, ounte anas ? — E de vèire quan vèi,
Mirèio toumbo aqui. Sa maire,
Em' un visage lagremaire,
le cour, e dins si bras l'aganto, e ie disié :
Qu'as, que toun front es caud que brulo?
Noun, es pa 'n sounge que m'embulo,
Es elo qu'à mi pèd barrulo,
Es elo, es moun enfant!... E plouravo, e risié.
MIREILLE, CHANT XII. 407
Des Maries qui s'envolaient — ainsi les paroles
s'éteignaient, — s'éteignaient peu à peu, de nuée (d'or)
en nuée d'or : — pareilles à un écho de cantique, —
pareilles à une musique éloignée — qui, au-dessus
de l'église antique, — s'en serait allée avec la brise
Elle, il semble qu'elle dort, .
Et qu elle rêve agenouillée, — et qu'un étrange
rayonnement de soleil — couronne son front de nou-
velles beautés. — Mais, dans les landes et les jon-
chaies, — ses vieux parents l'ont tant cherchée —
qu'ils l'ont à la fin découverte ; — et debout, sous le
porche, ils regardent stupéfaits.
Us prennent cependant de l'eau bénite, — ils por-
tent au front leur main mouillée. - Sur la dalle so-
nore, la femme et le vieillard — s'avancent dans
(l'église)... Effrayée — comme un bruant qui tout à
coup — voit les chasseurs : « Mon Dieu ! s'écrie-t-elle,
— père et mère, où allez-vous? » — Et voyant ceu
qu'elle voit,
Mireille tombe U. Sa mère, — le visage en larmes,
— accourt, etdansses bras la saisit, et elle lui disait :
— « Qu'as-lu? ton front brûle... — Non, ce n'esi
point un songe qui m'abuse, — c'est elle qui à mes
pieds roule, — c'est elle, c'est mon enfant!... » Et
elle pleurait, et elle riait.
468 MIRÈIO, GANT XII.
— Mirèio, ma bello mignoto, '
Es iéu que sarre ta manoto,
léu toun paire!.,. E lou vièi, que la doulour esten,
le recaufavo si man inorto.
Lou vent déjà pamens emporto
La grand nouvello : à plen de porto,
Dins la glèiso, esmougu, s'acampon li Santen.
— Mountas-la, mountas la malauto !
Venien ; à la capello-z-àuto
Mountas-la, tout-d'un-tèms ! que toque li sauts os!
Dins si caisso miraclejanio
Que baise nôsti grandi Santo
De si bouqueto angounisanto !
Li femo tout-d'un-tèms l'arrapon entre dos.
De-pèr-d'aut de la glèiso bello,
l'a très autar, i'atres capello
Bastido uno sus l'autro en blo de roucas viéu.
Dins la capello sousterrado
l'a Santo Saro, venerado
Di brun Bôumian ; mai aubou'rado,
La segoundo es aquelo ounte èi l'autar de Dieu.
Sus li pieloun dôu santuàri,
La capeleto mourtuàri
Di Mario, amoundaut, s'enarco dins lou cèu,
'Mé li relicle, sànti laisso
D' ounte la gràci coulo à raisso....
Quatre clau pestellon li caisso,
Li caisso de ciprès emé si curbecèu.
MIREILLE, CHAxNT XII 4«'J
— « Mireille, ma belle mignonne, — c'est moi
qui serre ta main, — moi ton père !... » Et le vieil-
lard, que la douleur suffoque, — lui réchauffait ses
mains inanimées. — Déjà cependant le vent emporte
— la grande nouvelle : à plein portail, ^ — dans l'é-
glise, émus, s'assemblent les Sainlins^.
— « Montez-la, montez la malade ! — disaient-ils;
à la chapelle haute , — montez-la sur-le-champ !
qu'elle touche les saints os ! — Dans leurs châsses
miraculeuses — qu'elle baise nos grandes Saintes
— de ses lèvres agonisantes ! » — Les femmes sur-
le-champ la saisissent à deux.
Dans la partie haute de la belle église, — sont
trois autels, sont trois chapelles — bâties une sur
l'autre, en blocs de rocher vif. — Dans la chapelle
souterraine — est Sainte Sara, vénérée — des bruns
Bohémiens ; plus élevée , — la seconde renferme
l'autel de Dieu.
Sur les piliers du sanctuaire, — l'étroite cha-
pelle mortuaire — des Maries élève sa voûte dans
le ciel, — avec les rehques, legs sacrés — d'où la
grâce coule en pluie... — Quatre clefs ferment les
châsses, — les châsses de cyprès avec leurs cou-
vercles.
40
470 MIRÈIO, CAÎ^T XII.
Un cop, chasque cent an, li dikMÎJon
Urous, urous, quand li descueiboa,
Aquéu que pôu li vèire e li touca ! bèu tems
Aura sa barco e bono estello,
E de sis aubre li jitello
Auran de frucho à canestello,
E soun amo cresènto aura lou bon toustèms.
Uno bello porto de chaîne
Rejun aquéu sacra doumaiue,
Richamen fuslejado, e doun di Bèucairen.
Mai subretout ce que l'aparo,
Noun es la porto que lou barro,
Noun es lou barri que l'embarro :
Es l'aflat que ie vèn di relarg azuren.
La malauto, à la capeleto,
Dins la viseto virouleto
La mountèron. Lou prèire, en subrepelis blanc,
Buto la porto. Dins la pôusso,
Coume un ôrdi grèu de si dôusso
Qu'un fouletoun subran espôusso,
Tôuti sus lou bardât s'aboucon en quilant :
0 bèlli Santo umanitouso,
Santo de Dieu, Santo amistouso !
D'aquelo pauro chato agués, agués pieta !
— Agués pieta ! la maire crido,
Vous adurrai, se 'n co's garido,
Moun anèu d'or, ma crous flourido,
Ë pèr vilo e pèr champ iéu l'anarai canta !
MIREILLE, CHANT XII. 471
Une fois chaque centans, on les ouvre. — Heureux,
heureux, lorsqu'on les découvre, — celui qui peut
les voir et les toucher ! — Beau temps, — aura sa
barque, et bonne étoile, — et de ses arbres les pous-
ses, — auront du fruit à corbeillées, — et son âme
croyante aura les biens éternels.
Une belle porte de chêne — protège ce domaine
sacré, — richement travaillée, et don des Beaucai-
rois. — Mais surtout ce qui le défend, — ce n'est pas
la porte qui le clôt, — ce n'est pas le rempart qui le
ceint : — c'est la faveur qui lui vient des espaces
d'azur.
A la petite chapelle, — dans l'escaher tournoyant,
— on monta la malade. Le prêtre, en surplis blanc,
— pousse la porte. Dans la poussière, — comme un
orge appesanti par ses épis — qu'un tourbillon sou-
dain secoue, — tous sur les dalles se prosternent en
criant :
« 0 belles Saintes pleines d'humanité, — Saintes
de Dieu, Saintes amies ! — de cette pauvre fille ayez,
ayez pitié ! » — « Ayez pitié ! s'écrie la mère, — je
vous apporterai, quand elle sera guérie, — mon
anneau d'or, ma croix fleurie, — et par villes et par
champs, moi, j'irai le chanter! »
472 . MIRÈIO, CANT XII.
— 0 Santo, acô 's iria pesqiieirolo !
0 Ssnto, acô 's ma denierolo !
Geniis Mèste Ramoun en turlant dins l'oumbrun
Emé sa tèsto atrcmoulido.
0 Santo, à-n-elo, qu'es poulido,
Innoucentouno, enfantoulido,
f.a vido ie counvèn : mai iéu, vièi sabourun,
léu, maiidas-me fuma li maulo !...
Lis iue barra, sènso paraulo,
Mirèio èro estendudo. Èro alor sus lou tard
Pèr qi;e 1 auro tamarissiero
Reviscoulèsse la masiero.
Dessus li lauso tôulissiero
L'avien enlrepausado, envisto de la mar.
Car lou pourtau (qu'es la parpello
D'aquelo benido capello),
Regardo sus la glèiso : alin, pereilalin,
D'aqui se vèi la blanco raro
Que joun ensèn e desseparo
Lou cèu redoun e l'aigo amaro ;
Se vèi de la grand mar l'eterne remoulin.
De-longolis erso foulasso
Que s'encavancon, jamai lasso
De s'esperdre en bramant dins li mouloun sablons;
De-vers la terro uno planuro
Qu'a gen de fin ; pas uno auturo
Qu'à soun entour fague centuro ;
Un cèu inmènse e clar sus d'erme espetaclous.
MIREILLE, CIIÂNT XIl. 473
— « 0 Saintes, c'est là mon pluvier ! — ô Saintes,
c'est là mon trésor ! — gémit Maître Ramon heur-
tant dans les ténèbres — avec sa tête vacillante.
— 0 Saintes, à elle, qui est belle, — innocente, en-
faaline, —la vie convient; mais moi, vieil ossement,
« Moi, envoyez-moi fumer les mauves! » — Les
yeux fermés, sans parole, — Mireille était gisante.
C'était alors sur le tard. — Pour que la brise des ta-
maris — ravivât la campagnarde, — sur les dalles
du toit — on l'avait déposée, en vue de la mer.
Car le portail (paupière — de cette chapelle bé-
nie),— regarde sur l'église : — là-bas, dans l'ex-
trême lointain, — on voit de là la blanche Hmite —
qui joint ensemble et sépare — le ciel rond et l'onde
amère ; — on voit de la grande mer l'éternelle révo-
lution,
Sans cesse les vagues insensées — qui se montent
/. s unes sur les autres, jamais lasses — de se perdre
on mugissant dans les monceaux de sable ; — du
côté de la terre, une plaine — interminable ; pas une
éminence — qui enceigne son horizon ; — un ciel
immense et clair sur des savanes prodigieuses.
40.
474 MIRÈIO. GANT XII.
De clarinèlli tamarisso
Au mendre vent boulegadisso ;
De long campas d'engano, e dins l'oundo perfés
Un vôu de ciéune que s'espurgo ;
0 bèn, dins la sansouiro turgo,
Uno manado que pasturgo,
0 que passo en nadant l'aigo dôu Vacarés.
Mirèio enfin, d'un parla feble,
A murmura quàuqui mot treble :
De-vers la terro, dis, emé de-vers la mar
Sente veni dos alenado :
Uno di dos èi serenado
Coume l'alen di matinado ;
Mai l'autro es espannado, ardènto, e sent l'amar
E se teisè... De-vers la piano,
E de-vers lis oundo salano,
Li Santen sus-lou-cop regardèron veni :
E n'en veson un qu'esfoulisso
De revoulun de terro trisso
Davans si pas ; li tamarisso
Parèisson davans eu s'encourre e demeni.
Es Vincenet lou panieraire ! . . .
Oh ! paure drôle e de mau-traireî
Soun paire Mèste Âmbroi pas-pu-lèu i'aguè di :
Moun fiéu, sara pas pèr ti brego
Lou poulit brout de falabrego !
Que tout-d'un-lèms de Valabrego,
Pèr la vèire enca 'n cop, parte coume un bandit.
MIREILLE, CHANT XII. 475
Des tamaris (au feuillage) clair, — et au moindre
vent mobiles; — de longues friches de salicornes,
et dans l'onde parfois — une volée de cygnes qui se
purifie ; — ou bien dans la sansoiiire stérile — un
troupeau de bœufs qui pâture, — ou qui passe à la
nage l'eau du Vaccarés *.
Mireille enfin, d'une voix faible, — a murmuré
quelques mots vagues : — « Du côté de la terre, dit-
elle, et du côté de la mer — je sens venir deux ha-
leines : — l'une des deux est fraîche — comme le
souffle des matinées, — mais l'autre est pantelante,
ardente et imprégnée d'amertume. »
Et elle se tut... Devers la plaine— et devers les
ondes salées, — les Saintins aussitôt regardèrent
venir : — et ils voient un (jeune homme) qui soulève
— des tourbillons de terre meuble — devant ses pas;
les tamaris — paraissent devant lui s'enfuir et dé-
croître.
C'est Vincent le vannier !... — Oh ! pauvre gars,
et digne de pitié! — Sitôt que son père, Maître Am-
broise, lui eut dit : — « Mon fils, il ne sera pas pour
tes lèvres — le gentil brin de micocoules! » — sur-
le-champ, de Valabrègue, — pour la voir encore une
fois il partit comme un bandit.
476 MIRÈTO. CANT XII.
En Crau ie dison : Es i Santo !
Rose, palun, Crau alassanto,
Rôn l'avié detengu de courre enjusqu'i tes.
Mai pas-pu-lèu es dins la glèiso,
Pas-pu-lèu vèi aquelo prèisso,
Pale, sus lis artèu se drèisso,
E cridavo : Mounte es ? ensignas-me mounte es!
— Es amoundaut à la capello,
Dins uno angôni que trampello î
E lèu coume un perdu mounte lou marridoun.
Entre la vèire, vers l'espàci
Levé si man emai sa fàci :
Pèr encapa tàli desgràci,
A Dieu, cridè lou paure, à Dieu que l'ai fa dounc?
Ai-ti coupa la gargamello
En quau tetère li mamello ?
Escumerga, m'an vist abra moun cachimbau
Dins uno glèiso à la viholo?
0 tirassa dins lis auriolo
Lou Crucefis, à la Jusiolo ?...
Qu'ai fa, malan de Dieu ! pèr agué tant de mau?
Pas proun que me l'an refusado,
Enca me l'an martirisado !
E 'mbrassè soun ami go ;' e de vèire Vincèn
De la grand forço que trenavo,
Lou moundc foui qu'envirounavo
Sentien soun cor que tresanavo,
E pèr eu trasien peno, e plouravon ensèn.
MIREILLE, CHANT Xlf. 477
En Crau, ils lui disent : « Elle est aux Saintes ! »
— Rhône, marais, Crau fatigante, — rien n'ava't
arrêté sa course jusqu'aux îlots sablonneux du ri-
vage. — Mais sitôt qu'il est dans l'église, — sitôt
qu'il voit cette foule, — pâle, sur les orteils il se
dresse, — et il criait : « Où est-elle? indiquez-le-moi,
où est-elle? »
— « Elle est là-haut à la chapelle, — tremblant
l'agonie !» — Et vite, éperdu, monta le malheureux.
— Dès qu'il la vit, vers l'étendue — il leva ses mains
et son visage : — « Pour recevoir sur ma tête de
telles disgrâces, — à Dieu, s'écria l'infortuné, à Dieu
qu'ai-je donc fait ?
« Ai-je coupé la gorge — à celle dontjetetai les
mamelles? — Anathème, m'a-t-on vu allumer ma
pipe, — dans une éghse, à la lampe? — ou bien
traîner dans les chardons — le Crucifix, comme les
Juifs? — Qu'ai-je fait, mauvaise année de Dieu'
pour avoir tant de maux ?
« ( Ce n'était) pas assez de me la refuser, — encore
ils me l'ont martyrisée ! » — Et il embrassa son amie.
Et en voyant Vincent — se lamenter de telle force,
— la foule pressée qui l'entourait — sentait son
cœur bondir, — et ils partageaient sa peine, et ils
pleuraient ensemble.
478 MIRÈIO, GANT XII.
E coume, i vabre d'uno coumbo,
Lou brut d'un gaudre que trestoumbo
Vai csmôure lou pastre amount sus li cresten,
Dou founs de la glèiso mountavo
La voues dôu pople que cantavo,
E tout lou temple ressautavo
Dôu cantico tant bèu que sabon li Santon :
0 Santo, bèlli mariniero,
Qu'avès chausi nôsti sagniero
Pèr i'auboura dius l'èr la tourre e li merlet
De vosto glèiso roussinello,
Coume fara dins sa pinello
Lou marin, quand la mar bacello,
Se le mandas pas lèu voste bon ventoulet ?
Coume fara la pauro avuglo?
Ah ! noun i'a sàuvi nimai buglo
Que poscon ie gari soun lamentable sort ;
E, sens muta, tout lou jour isto
En repassant sa vido tristo...
0 Santo, rendès-ie la visto,
Que l'oumbro, e toujour l'oumbro, es pire que la mort'
Rèino de Paradis, mestresso
De la planuro d'amaresso.
Clafissès, quand vous plais, de pèis nôsti fielat :
Mai à la foulo pecadouiro
Qu'à vosto porto se doulouiro,
0 blànqui flour de la sansouiro,
S'èi de pas que ie fau, de pas emplissès-la '
MIREILLE, CHANT XH. 479
El comme, aux ravins d'une vallée — le bruit d'un
torrent qui tombe en cataracte — va émouvoir le
pâtre là-haut sur les crêtes, — du fond de l'église
montait — la voix du peuple qui chantait, — et tout
le temple tressaillait — du cantique si beau que
savent les Saintins :
— « 0 Saintes, belles marinières, — qui avez
choisi nos marécages — pour y élever dans l'air la
tour et les créneaux — de votre église blonde, —
comment fera, dans sa barque, — le marin, quand la
mer frappe, — si promptement vous ne lui en-
voyez votre bonne brise ?
« Comment fera la pauvre (femme) aveugle ? —
Ah ! il n'est sauge ni bugle — qui puisse guérir son
lamentable sort; — et, sans mot dire, tout le jour
elle reste — à repasser sa triste vie... — 0 Saintes,
rendez-lui la vue, — car l'ombre, et toujours l'ombre,
c'est pire que la mort !
« Reines de Paradis, maîtresses — de la plaine
d'amertume, — vous comblez, quand il vous plait, de
poissons nos filets ; — mais à la foule pécheresse —
qui à votre porte se lamente, — ô blanches fleurs (de.
nos) landes salées, — si c'est la paix qu'il faut, de
paix empHssez-la! »
.480 MIRÈIO, GANT XIÏ
Ansin li bon Santen pregavon,
Emé de crid que vous trancavoiiJ
E veici que li Santo à la pauro que jai
Boufèron un brisoun de voio,
E sa caro un brisoun galoio
S'enflourè d'uno douço joio,
Car de vèire Vincèn i' agradè quenounsai.
— Moun bel ami, de mounte vènes ?
le faguè. — Digo, t'ensouvènes
De la fes qu'emé tu parlavian eila au mas,
Asseta 'nsèn souto la triho ?
Se quauque mau te desvario,
Courre lèu i Sànti Mario,
Me diguères alor, auras lèu de soûlas.
0 Yincenet, que noun pos vèire
Dins moun cor coume dins un vèire !
De soûlas, de sodlas, n'en regounflo moun cor !
Moun cor es un lauroun que verso :
Abelimen de touto merço,
Gràci, bonur, n'ai à reverso !...
Dis Ange dôu bon Dieu entrevese li Cor...
Âqui Mirèio s'abaucavo,
E dins l'estendudo alucavo :
St mblavo, peralin au fin founs de l'èr blu,
Vèire de causo espetaclouso.
Pièi sa paraulo nivoulouso
Recoumençavo : Urouso, urouso
Lis amo que la car en terre detèn plu !
MIREILLE, CHANT XII. 481
Ainsi les bons Saintins priaient, — avec des cris
qui vous navraient. — Et voici que les Saintes, à la
pauvre qui gît — soufflèrent un peu de vigueur; —
et (sur) sa figure un peu enjouée — fleuiit une douce
joie, — car la vue de Vincent fut pour elle un plaisir
indicible.
— « Mon bel ami, d'où viens-tu? — lui fit-elle.
Dis, te souvient-il — de la fois que nous causions, là-
bas à la ferme, — assis ensemble sous la treille? —
« Si quelque mal te déconcerte, — cours vite aux
Saintes Maries, — me dis-tu alors, tu auras vite du
soulagement. »
« 0 cher Vincent, que ne peux-tu voir — dans mon
cœur comme dans un verre ? — De soulagement, de
soulagement, mon cœur en surabonde ! — Mon cœur
est une source qui déborde : — délices de toute
sorte, — grâces, bonheurs, j'en ai en surcroît !... —
Des Anges du bon Dieu j'entrevois les chœurs... »
Alors Mireille s'apaisait , — et regardait dans
l'étendue. . . — Elle semblait, au loin, dans les profon-
deurs de l'air bleu, — voir des choses merveilleuses.
— Puis sa parole nuageuse — recommençait : « Heu-
reuses, heureuses — les âmes que la chair sur terre
ne retient plus !
41
482 MIREIO, GANT XII.
Vincèiiî as vist, quand remounlavon,
Li flo de iume que jitavon ! . . .
Ah! dis, lou libre bèu que se n'en sariéfa,
S'aquéli resoun que m'an dicho,
Fin que d'uno, s'èron escricho !
Vincèn, que lou plourun esquicho,
Lachè mai soun gounflige un moumen estoufa :
— Basto lis agué visto ! basto !
Eu cridè, coume uno langasto
Me sariéu à si raubo arrapa tout bramant...
Oh ! i'auriéu di, rèino celèsto,
Soulet recàti que nous rèsto,
Prenès-me lis iue de la tèsto,
E li dent de la bouco, e \i det de la man I
Mai elo, ma bello fadeto,
Oh! rendès-me-lagaiardeto!...
— Velèi ' velèi veni 'mé si raubo de lin*
Elo subran se bouto à faire.
E 'n boulegant pèr se desfaire
D'entre la faudo de sa maire,
De la man vers la mar fasié signe eilalin.
Quatecant tôuti se dreissèron,
De-vers la mar tôuti fissèron,
E la man sus lou front : Eilalin descurbèn,
Venien entre éli, rèn pèr aro,
Senoun alin la blanco rare
Que joun lou cèu e l'aigo amaro...
Noun, se vèi rèn vèni... — Si! si! regardas bèn !
MIREILLE, CHANT XII. 483
« Vincent! tu as vu, quand elles remontaient, —
les flocons de lumière qu'elles jetaient!... — Ah! le
beau livre, dit-elle, qu'il s'en fût fait, — si les paroles
qu'elles m'ont dites, — sans en oublier une, eussent
été écrites ! » — Vincent, que l'envie de pleurer op-
presse, — dégonfla ses sanglots tm moment étouffés:
— « Plût à Dieu que je les eusse vues ! plût à Dieu !
— s'ècria-t-il. — Comme une tique — je me serais
à leurs robes cramponné tout beuglant. . . — Oh ! leur
aurais-je dit, reines du ciel, — seul asile qui nous
reste, — prenez-moi les yeux de latête, — et les dents
de la bouche, et les doigts de la main !
« Mais elle, ma belle petite fée, — oh! rendez-la-
moi saine et sauve ! » — « Les voici ! ... les voici venir
dans leurs robes de lin ! » — elle soudain se met à
dire. — Et s'agitant pour se dégager — du giron de
sa mère, — de la main vers la mer elle faisait signe,
au loin.
Tous aussitôt se dressèrent, — tous vers la mer
fixèrent (leurs regards), — et, la main sur le front :
K Au loin nous ne découvrons, — se disaient-ils,
lien pour l'heure, — si ce n'est là-bas, la blanche
limite — qui joint le ciel et l'eau amère... — Non, il
ne se voit rien venir... » — « Si , si ! regardez bien 1
*84 MIRÉIO, GANT XII.
Soun SU 'no barco sènso vélo,
Cridè Mirèio... Davans elo,
Vesès pas couine l'oundo aplano si revôu?
Oh! qu'es bèn éli ! L'èr clarejo,
E l'alen siau que li carrejo
Lou mai plan que pôu voulastrejo...
Lis aucèu de la mar li saludon à vôu.
— La pauro chato revassejo...
Sus la marino que rougejo
Vesèn que lou soulèu que vai se cabussa.
— Si ! si ! lis èi, fai la inalauto ;
Boutas ! moun iue noun me desfauto,
E quouro founso, qucuro-z-auto,
0 miracle de Dieu ! sa barco vèn d'eiça !
Mai déjà venié 's,coulourido,
Coume uno blanco margarido
Que lou dardai la rimo, entre que s'espandis;
E Vincenet, l'esfrai dins l'amo,
Agrouva contro aquelo qu'amo,
La recoumando à Nostro-Damo,
La recoumando i Santo e Sant dôu Paradis.
Avien abra de candeleto...
Cencha de l'estolo viôuleto,
Venguè lou capelan 'mé lou pan angeli
Refresca soun palai que crèmo ;
le dounè pièi l'Ouncioun estrèmo,
E la vougnè 'mé lou Sant Crèmo
En sèt part de soun cors, segound l'us catouli.
MIREILLE, CHANT XII. 485
« Elles sont sur une barque sans voile, — s'écria
Mireille... — Devant elles, — ne voyez-vous pas comme
l'onde aplanit ses tourbillons? — Oh! c'est bien elles !
L'air est clair, — et l'haleine suave qui les amène, —
aussi lentement qu'elle peut voltige... — Les oiseaux
de la mer les saluent à volées. »
— « La pauvre enfant déhre... — Dans la mer rou-
gissante — nous ne voyons que le soleil qui va se
plonger. » — « Oui ! oui! ce sont elles, dit la malade;
— allez ! mon œil ne me trompe point, — et tantôt
profonde, tantôt haute, — ô miracle de Dieu! leur
barque vient ici ! »
Mais déjà elle devenait décolorée, — comme une
blanche marguerite — que les dards (du soleil) brû-
lent, à peine épanouie ; — et Vincent, l'effroi dans
l'âme, — accroupi près de sa bien-aimée, — la re-
commande à Notre-Dame, — la recommande aux
Saintes et aux Saints du Paradis.
On avait allumé des cierges... — Ceint de l'étole
violette, — vint le prêtre avec le pain angéliquo —
rafraîchir son palais qui brûle ; — puis il lui donna
l'Onction extrême, — et l'oignit avec le Chrême saint
— en sept parties de son corps, selon Tus catho-
lique.
41.
486 MIRÈIO, GANT XII.
D'aquéu moumen tout èro en pauso;
Noun s'entendié dessus la lauso
Que Voremus dôu prèire. Au flanc de la paret,
Lou jour-fali que se prefoundo
Esvalissié si clarta bloundo,
E la marino à bèllis oundo
Plan-plan venié se roumpre em'un long jafaret.
Ageinouia, soun tendre amaire,
Emé soun paire, emé sa maire,
Trasien detèms en tèms un senglut rau e sourd.
— Anen ! digue Mirèio encaro,
La despartido se prépare. . .
Anen ! touquen-nous la maii aro,
Que dôu front di Mario aumento la lusour.
A l'endavans, li flamen rose
Courron déjà di bord dôu Rose..
Li tamarisso en flour coumençon d'adoura.
0 boni Santo ! me fan signe
D'ana 'm' éli, qu'ai rènà cregue,
Que, coume entèndon is Ensigne,
Sa barco en Paradis tout dre nous menara.
Mèste Ramoun ie digue : Migo,
D'avé 'strassa tant de garrigo,
De que vai me servi, se partes dôu masel?
Car l'afecioun que m'ajudavo,
De tu venié! La caud lardavo,
Lou fîo di mouto m'assedavo...
Mai te vèire empourtavo e la caud e la set !
MIREILLE, CHANT XII. 487
En ce moinenl, tout, était calme; — on n'entendait
sur la dalle — que YOremus du prêtre. Au flanc de
la muraille, — le jour défaillant qui s'engloutit —
évanouissait ses reflets blonds, — et la mer, à belles
ondes, — lentement venait se rompre avec un long
bruissement.
Agenouillés, son tendre amant, — avec son père,
avec sa mère, — poussaient de temps en temps un
sanglot rauque et sourd. — « Allons ! dit Mireille
encore, — la séparation se prépare... — Allons!
toucbons-nous la main ores, — car du front des
Maries augmente l'auréole.
« Au-devant (d'elles), les flamants roses — accou-
rent déjà des bords du Rhône... — Les tamaris en
fleur commencent d'adorer... — 0 bonnes Saintes 1
elles me font signe — d'aller avec elles, — que je
n'ai rien à craindre, — que, vu qu'elles entendent
aux constellations, — leur barque en Paradis tout
droit nous mènera. »
Maître Ramon lui dit : « Amie, — d'avoir essarté
tant de brandes, — que va-t-il me servir, si lu pars
de la maison? — car l'ardeur qui m'aidait — venait
de toi ! Le chaud dardait, — le feu des glèbes m'alté-
rait...— mais te voir emportait et le chaud el la
soif. »
488 MÎP.ÈIO", CANT XII.
— Se 'n cop veirés à voste liime
Quauque sanl-fèli que s'alume,
Bon paire, sara iéu... Li Santo, sus la pro,
Soun drecho que m'espèron... Eto !
Esperas-me 'no passadeto. . .
Vau plan, iéu, que siéu malauteto...
La maire alor esclato : Oh! noun, houn, acô *s trop I
Vole pas, vole pas que mores '
Emé iéu vole que demores !
E pièi, ma Mireiouno, e pièi, se 'n cop vas bèn,
Anaren vers ta tanto Âurano
Pourta 'n canestèu de miôugrano :
Di Baus n'èi pas bèn liuen Maiano,
E se pôu dins un jour faire lou vai-e-vèn.
— Noun, es pas liuen, bono maireto !
Mai, boutas ! lou farés souleto !...
Ma maire, pourgès-me mis ajusl blanquinèu.
Vè li blanco e bèlli mantiho,
Qu'an sus l'espalo li Mario '
Quand a neva sus li mountiho,
Pas tant bléujo èi la nèu, la tafo de la nèu !
Lou brun trenaire de garbello
Te crido alor : Moun tout, ma bello,
Tu que m'aviés dubert toun fres palais d'amour,
Toun amour, aumorno flourido !
Tu, tu pèr quau ma labarido
Coume un mirau s'èro clarido,
E sens crento jamai di marridi rumour ;
MIREILLE, CHANT XII. 489
— « Quand vous verrez à votre lampe — quelque
phalène s'allumer, — bon père, ce sera moi... Les
Saintes, sur la proue, — sont debout qui m'atten-
dent. . . Oui ! — Attendez-moi un court instant. . . —
Je vais lentement, moi qui suis malade... » — La
mère alors éclate : « Oh ! non, non, c'en est trop !
« Je ne veux pas, je ne veux pas que tu meures!
— avec moi je veux que tu restes ! — Et puis, ô ma
Mireille, et puis, si une fois tu vas bien, — nous irons
chez ta tante Aurane — porter une corbeille de gre-
nades : — des Baux ce n'est pas bien loin, Maillane*,
— et l'on peut en un jour aller et revenir. »
— « Non, ce n'est pas loin, bonne mère! — mais,
allez 1 vous ferez seulette (le voyage) ! . . . — Ma mère,
donnez-moi ma parure blanche ! . . . — Voyez-vous les
blanches et belles mantilles — qu'ont sur l'épaule les
Maries ! — Quand il a neigé sur les monticules, —
moins éblouissante est la neige, la splendeur de la
neige! »
Le brun tresseur de corbeilles — lui crie alors :
« Mon tout, ma belle, — toi qui m'avais ouvert ton
frais palais d'amour, — ton amour, aumône fleurie *!
— toi, toi par qui ma bourbe — comme un miroir
s'était clarifiée, — et sans crainte, jamais, des mau-
vaises rumeurs ;
400 MIRÈIO, GANT XII.
Tu, la perleto de Prouvènço,
Tu, lou soulèu de ma jouvènço,
Sara-ti di que iéu, ansin, dôu glas mourtau
Tant lèu te veguetressusanto?...
Sara-ti di, vous, grandi Santo,
Que l'aurés visto angounisanlo
E de-bado embrassa vôsti sacra lindau ?
Su 'cô-d'aqui, la jouveineto
le respoundeguè plan-planeto :
0 moun paure Vincèn, mai qu'as davans lis iue?
La mort, aquéu mot que t'engano.
Qu'es? une nèblo que s'esvano
Emé li clar de la campano,
Un sounge que reviho à la fin de la niue !
Noun, more pas ! Iéu, d'un pèd proumte
Sus la barqueto déjà mounte...
Adieu, adieu î . . . Déjà nous emplanan sus mar !
La mar, bello piano esmougudo,
Dôu Paradis èi l'avengudo,
Car la bluiour de l'estendudo
Tout à Tentour se toco emé lou toumple amar.
Ai !... coumel'aigo nous tintourlo !
De tant d'astre qu'amount penjourlo,
N'en trouvarai bèn un, mounte dous cor ami
Libramen poscon s'ama !... Santo,
Es uno ourgueno, alin, que canto?...
E souspirè l'angounisanto,
E revessè lou front, coume pèr s'endourmi...
MIREILLE, CHANT XII. 491
« Toi, la perle de Provence, — toi, le soleil de ma
jeunesse, — sera-t-il dit qu'ainsi, des glaces delà
mort, — sitôt je te voie suante? — Sera-t-il dit, ô
grandes Saintes, — que vous l'aurez vue agoni-
sante — et vainement embrasser vos seuils sacrés? »
Là-dessus, la jeune fille — lui répondit d'une (voix)
lente: — « Omon pauvre Vincent, maisqu'as-tudc-
vant les yeux? — La mort, ce mot qui te trompe, —
qu'est-ce? un brouillard qui se dissipe — avec les
glas de la cloche, — un songe qui éveille à la fin de
la nuit!
« Non, je ne meurs pas! D'un pied léger —je
monte déjà sur la nacelle ! . . . — Adieu, adieu ! . . . Déjà
nous gagnons le large, sur la mer! — La mer, belle
plaine agitée, — est l'avenue du Paradis, — car le
bleu de l'étendue — touche tout alentour au gouf-
fre amer.
« Aïe!... comme l'eau nous dodeline!... — Parmi
tant d'astres là-haut suspendus, — j'en trouverai bien
un où deux cœurs amis — puissent librement s'ai-
mer!... Saintes, — est-ce un orgue, au loin, qui
chante?... » — Et l'agonisante soupira, — et ren-
versa le front, comme pour s'endormir...
492 MIRÊIO, GANT XII.
Is èr de sa risènto caro,
Aurien di que parlavo encaro...
Mai déjà li Santen, à l'entour de l'enfant
Un après l'autre s'avançavon,
E 'm' un cire que se passavon
Un après l'autre la signavon...
Atupi, si parent arregardon que fan.
Au liogo d'èstre mourtinouso,
Eli la veson luminouso ;
An bèu la senti frejo, au cop descounsoula
Noun volon pas, noun podon crèire.
Mai Vincèn, eu, quand la vai vèire
Emé soun front que pènjo à rèire,
Si bras enregouï, sis lue coume entela :
— Es morto !... vesès pas qu'es morto?...
E coume torson li redorto,
A la desesperado eu tourseguè si poung ;
E 'mé si bras foro di mancho,
Acoumencèron li coumplancho :
l'a pas que tu que saras plancho !
Emé tu de ma vido a toumba lou cepounî
Es morto ! . . . Morto? Es pas poussible I
Fau qu'un Demôni me lou sible....
^arlas, au noum de Dieu, boni gènt que sia 'qui^
Vautre, avès agu vist de morto :
Digas-me s'en passant li porto
Risoulejavon.de la sorto !...
Pas verai qu'a sis èr quasimen ajouguit
MIREILLE, CHANT XII. 49Ô
A l'air de son visage souriant, — on aurait dit
qu'elle parlait encore... — Mais déjà les Saintins,
autour de l'enfant, — un après l'autre, s'avançaient,
— et avec un cierge qu'ils se passaient, — ils lui
faisaient, un après l'autre, le signe (de la croix)....
— Atterrés, les parents contemplent ce qu'ils font.
Loin qu'elle soit livide, — eux la voient lumineuse.
— Vainement ils la sentent froide ; au coup inconso
lable — ils ne veulent pas, ils ne peuvent croire. —
Mais Vincent , lui, lorsqu'il la voit — avec son front
qui pend en arrière, — ses bras roidis, ses yeux
comme voilés :
' — « Elle est morte!... Ne voyez-vous pas qu'elle
est morte?. . . » — Et comme on tord les harts d'osier,
— en désespéré il tordit ses poings ; — et, les bras
hors des manches, — commencèrent les complaintes :
— « Il n'est pas que toi qui seras pleurée ! — Avec
toi de ma vie est tombé le tronc !
« Elle est morte!... Morte? Ce n'est pas possible!
— Un Démon doit me le siffler... — Parlez, au nom
de Dieu, bonnes gi; ns qui êtes là, — vous avez vu
des mortes : — dites-moi si, en passant les portes, —
elles souriaient ahisi!... — Vraiment n'a-t-elle pas
ses traits presque enjoués?
42
404 ÎIIRÈID, GANT XIL
Maide-quefan?... viron latèsto,
Soun tôuti gounfle ! Ah ! n'i'a de rèsto !
Ta voues, toun dous parla, iéu l'entendrai pas plu !,
Aqui de tôuti lou cor boundo,
Un lavàssi de plour desboundo,
Lou crèbo-cor au planh dis oundo
Apoundeguè subran un desbord de senglut.
Ansin, dins uno grand manado.
Se 'no ternenco es debanado,
A l'entour dôu cadabre estendu pèr toujour,
Nôu vèspre aderrèn, tau e tauro
Van, souloumbrous, ploura la pauro ,
E la palun, e l'oundo, e l'auro
De si doulourous bram restountisson nôu jour.
— Vièi Mèste Ainbroi, plouro toun drôle '
Ai! ai! ai! Vincèn fasié, vole,
Santen, que dins lou cros ein' elo m'empourtés. .
Aqui, ma bello, à moun auriho
Tant-e-pièi-mai de ti Mario
Me parlaras;... e de couquiho,
0 tempèsto de mar, aqui nous acatés !
Bràvi Santen, de vous me fise !...
Fasès pèr iéu ce que vous dise :
Pèr un dôu coume aquéu es pas proun lou ploura l
Cavas-nous dins l'areno molo
Pèr tôuti dous qu'uno bressolo !
Aubouras-ie 'noclapeirolo,
Pèr que l'oundo jamai nous posque séparai
MIREILLE, CHANT XII. W5
« Mais que font-ils?... ils détournent la tête, —
tous sont gros (de sanglots)!... Ah! en voilà de
reste!... — Ta voix, ton doux parler, je ne l'enten-
drai plus ! . . . J) — Là, le cœur de tous bondit, — une
averse de pleurs débonde, — le crève-cœur à la plainte
des vagues — ajouta tout à coup un débordement do
sanglots.
Ainsi, dans un grand troupeau, — si une génisse
a succombé, — autour du cadavre étendu pour tou-
jours, — neuf soirs consécutifs, taureaux et taures
— viennent, sombres, pleurer la malheureuse, — et
le marécage, et l'onde, et le vent — de leurs doulou-
reux mugissements retentissent neuf jours.
— «Vieux Maître Ambroise, pleure ton fils ! — Hé-
las ! hélas ! faisait Vincent, je veux, — Saintins, que
dans la fosse avec elle vous m'emportiez... — Là,
ma belle, à mon oreille, — tant et plus de tes Maries
— tu me parleras. .. et de coquillages, — ô tempêtes
des mers, là puissiez-vous nous couvrir!
« Bons Saintins, je me confie en vous... — Faites
pour moi ce que je vous dis i — Pour un deuil pareil,
ce n'est pas assez que les pleurs ! — Creusez-nous
dans l'arène molle — pour tous deux un seul ber-
ceau ! — Élevez-y un tas de pierres, — afin que ja-
mais l'onde ne puisse nous séparer.
496 MIREIO. CANT XII.
E d'enteriii qu'i lio moiinte èro
Se turtaran lou front sus terro
Dôu remors, iéuem' elo, enclaus d'un blu seren,
Souto lis aigo atremoulido,
0, iéu 'mé tu, ma tant poulido !
Dins de brassado trefoulido
Longo-mai e sens fin nous poutounejaren!
E, desvaga, lou panieraire
A la perdudo vèn se traire
Sus lou cors de Mirèio, e lou desfourtuna
Dins si brassado fernetico
Sarro la morto.... Lou cantico,
Eilavau dins la glèiso antico,
Coume eiçô tournamai s'entendié ressouna :
0 bèlli Santo, segnouresso
De la planuro d'amaresso,
Clafissès, quand vous plais, de pèis nôsti fielat!
Mai à la foulo pecadouiro
Qu'à vosto porto se doulouiro.,
0 blànqui flour de la sansouiro,
S'èi de pas que ie fau, de pas emplissès-la !
Maiano [Bouco-déu-Rose],
Lou Mu jour de la Candelouso, de l'an 1859.
FIN
MIREILLE, CHANT XII. 497
(.(. Et pendant qu'aux lieux où elle était, — ils se
heurteront le front sur la terre — de remords, elle
et moi, enveloppés d'un serein azuré, — sous les
eaux tremblotantes, — oui, moi et toi, ma si jolie !
— dans des embrasscments délirants — à jamais et
sans fin nous mêlerons nos baisers ! »
Et, hors de lui, le vannier — éperdument vient se
jeter — sur le corps de Mireille, et l'infortuné —
dans ses embrassements frénétiques — serre la
morte!... Le cantique — là-bas, dans la vieille église,
— ainsi de nouveau s'entendait résonner :
« 0 belles Saintes, souveraines — de la plaine
d'amertume, — vous comblez, quand il vous plaît,
de poissons nos filets ! — Mais à la foule pécheresse
— qui à votre porte se lamente, — ô blanches fleurs
de (nos) landes salées, — si c'est la paix qu'il faut,
de paix eniplissez-la ! »
Maillane {Bouches-du-RhÔne},
le beau jour de la Chandeleur, de l'année 1859.
FIN
41
NOTES
DI] CHAÎ^T DOUZIÈME
« A.rgens [Argèris], rivière du département du Var.
2 Les Saintins {li Santen), habitants de la ville des Sainles-ÎIa-
ries.
sSansouire [tansouîro] (Voyez Chant X, note 8.) - Vaccarés
{Vacarés). (Voyez Chant IV, note 10.)
* Maillane, village de l'arrondissement d'Arles, patrie de l'au-
teur.
s Aumône fleurie [aumorno flourido) , aumône que le pauvre qui
l'a reçue donne à un autre pauvre, poétique locution qui signifie
par extension rare bienfait.
MAGALI
MÉLOniE PROVENÇALE POPULAIRE
TRANSCRITE
PAR FR. SEGUIN
CHANT
PIANO
Allegretto.
P
0 Ma - ga - li, ma tant a
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loun. Eiplend'es-lelloa-pe-ramount! L'auro es loum-
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ba - do; Mai lis es - tel-lo pa-li -ran, Quand te veiran !
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iÉËEt
PROCÉDÉ ». CIIRMER
TABLE
TAULO
fltlS SDR LA PBONONCIATION PROVENÇAIB.
CANT PROUMIÉ — LOU MAS DI FALABREGO
Espousicioun. — Invoucacioun au Crist, nascu dinsla pastriho. — Un
vièi panieraire, Mèste Ambrôsi , emé soun drôle, Vincên , van de-
manda la retirado au Mas di Falabrego. — Mirèio , filio de Mùsto
Ramoun, lou mèstre dôu mas, ie fai la benvengudo. — Li làfi, après
soupa, fan canta Mèste Ambiosi. — Lou vièi, àutri-fes marin, canto
un coumbat navau dôu lîaile Sufren. — Mirèio questiouno Vincên.
— Récit de Vincên : la casso di cantarido, la pesco dis iruge, lou
miracle di Sànti Mario, la courso dis ome à Nimes. — Mirèio es
cspantado e soun amour pounchejo 2
CAKT SEGOUND — LA CUIIDO
Jliréio cuei de fueio d'amourié pèr si magnan. — D'asard, Vincên lou
panieraire passo au carreiroun vesin. — La chato lou sono. — Lou
drôle cour, e pèr i'ajuda, mounto em'clo sus l'aubre. — Chai-ra-
disso di dous enfant. — Vincên l'ai la coumparesoun de sa serre
Vinceneto emé Mirèio. — Lou nis de pimparrin. — La branco routo:
Mirèio emé Vincên toumbon de l'aubre. — L'amourouso chatouno
se de.claro. — Lou drôle apassiouna desboundo. — La Cabro d'or,
la figuiero de Vaucluso. — Mirèio es sounado pèr sa maire. —
Escaufèstre e separacioun di calignaire SO
TABLE
CHANT PREMIER — LE MAS DES MICOCOULES
Exposition. — Invocation au Ciirist, né parmi les pâtres. — Un vieux
vannier, Jlaître Ambroise, et son fils \ incent, vcnit demander l'iios-
pitalilé au Was des -Micocoules. -- Mireille, liUc de l'aitie riamon,
le maître de la ferme, leur fait la bienvenue. — Les laboureurs,
après le repas du soir, invitent Maître .4mbroise à chanter. — Le
vieillard, autrefois marin, chante un combat naval du Bailli de
^uffl■en. — Mireille questionne Vincent. — Récit de Vincent : la
chasse aux canMiarides, la pêche des sangsues, le miracle des
Saintes Maries, la course des hommes à Kimes. — Ravissement de
Mireille, naissance de son amour 5
CHANT DEUXIEME — LA CUEILLETTE
Mireille cueille des feuilles de mûrier pour ses vers à soie. — Par
hasard, Vincent, le racco'iimodeur de coibeillos, passe au sentier
voisin. — La jeune lillc InppcHe. - Le ;jnrs accoui't, et, pour
l'aider, monte avec elle sur l'arbre. — Causerie des deux enfants.
— Vincent fait le parallèle de sa sœur Vincenette et de Mireille. —
Le nid de mésanges bleues. — La branche rompue : Mireille et
Vincent tombent de l'arbre. — La jeune fille déclare son amour.
— Brûlante explosion du jeune homme. — La Chèvre d'or, le figuier
de Vaucluse. — Mireille est rappelée par sa mère. — Émoi et sépa-
ration des deux amants. • . *
TAULO.
CANT TUESEN — LA DE SCOUC OUNA DO
Li recordo prouvençalo. — Au Masdi Falabrego, un gai roudeict de
chato descoucoanon. — Jano-Mario, maire de Mirèio. — Taven, la
masco di Baus. — La malo-visto. — l.i descoucounarello lan, pèr
passo-têms, de castèu en Prouvénço. — La fièro Lauro, rèino de
Pamparigousto. — Clemènço, rèino di Baus. — Lou Ventour, lou
Rose, la Durènço. — Azalaïs e Viôulano. — La Court d'amour. —
Lis amour de Mirèio e de Vincèn descuberto pèr Kourado. — Li
galejado. — Tavèn la masco fai teisa li chato : l'ermitan dôu Lu-
beroun e lou sant pastre. — Noro canto Magali 88
CANT QDATREN — LI DEMANDAIRE
Lou tèms di viôuleto. — Li pescadou dôu Martegue. — Très cali-
gnaire vènon demanda Mirèio : Alàri lou pastre ; Veran lou gardian;
Ourrias lou toucadou. — Alàri, si capitau d'avé. — La toundesoun.
— Visto d'un escabot que davalo dis Anpo, anant en ivernage. —
Entrevisto d'Alàri emé Mirèio. — Lis Antico de Sant-Roumiè
Liéurêio dôu pastre, lou coucourelet de bonis escrincela. — Alàri
es chabi. — Lou gardian Veran. — Li cavalo blanco de Camargo.
— Veran demande Mirèio à Môste Ramoun.— Lou vièi lou re(,-aup
en grand joio, Mirèio lou refuso. — Ourrias, lou doumtaire de tau-
— Li brau nègre sôuvage. — La Ferrado. — Ciurrias e Miièio à la
font. — Lou toucadou es chabi 1.30
CANT CINQUEN — LA BàTÈSTO
Lou bouvaliè i'entorno, furious dôu refus de Mirèio. — Calignage
de Mirèio emé Vincèn. — L'erbo di frisoun. — Ourrias rescontro
Yincenet, e brutalamen ie cerco reno. — Li prejit : Jan de l'Ourse.
— Mourtalo batèsto di dous rivau dins la Crau vasto. — Vitôri e
Venerouseta de Vincenet. — Traitesso dôu toucadou. — Ourrias
Vauco Vincèn d'un cop de ficheiroun. e fugis au galop de sa ca-
valo. — Arribo au Rose. — Li très barquié fantasli. — Lou batèu
s'enarco souto lou pes de l'assassin. — La niue de sant Medard :
proucessioun di negadis sus lou dougan dôu flume. — Ourrias
s'aproufoundis.— Danso di Trévo bus lou pont de Trincataio. 170
TABLE. 505
CHANT TROISIEME — LE DEPOUILLEMENT DES COCONS
€S récoltes provençales. — Au Mas des Micocoules, une joyeuse
réunion de jeunes fiUcs détache des rameaux les cocons des vers à
soie. — Jeanne-Marie, mère de Mireille. — ïavèn, la sorcière des
Baux. — La mauvaise œillade. — Les dépouilleuses de cocons, pour
passer le temps, font des châteaux en Provence. — La ficTe Laure,
reine de Pamparigouste. — Clémence, reine des Baux. — Le Ven-
tour, le Rhône, la IXuance. — Azalaïs et Violane. — La Cour d'a-
mour.— Les amours de Mireille etde Vincent divulgués parNorade.
— Railleries des jeunes filles. — La sorcière Tavên leur, impose
silence : l'ermite du Lubéron et le saint pâtre. — Nore chante
Magali 89
CHANT QUATRIEME — lES PRETENDANTS
ta saison des violettes. — Les pêcheurs du Martigue. — Trois préten
dants briguent la main de Mireille : Alàri, le berger; Véran, le
gardien de chevaux; 0unias, le toucheur de taureaux. — Alàri, ses
richesses en brebis. — La tonte. — La transhumance : description
d'un grand troupeau qui descend des Alpes. — Entrevue d'Alûri et
de Mireille. — Le mausolée de Saint-Remy. — Offrande du berger
la coupe de buis sculpté. — Alàri est éconduit. — Véran, le gardien
de chevaux. — Les cavales blanches de Camargue. — Véran de
mande Mireille à Maître Ramon. — Joie et bon accueil du vieillard;
refus de Mireille. — Ourrias, le dompteur de taureaux. — Les
taureaux noirs sauvages. — La Ferrade. — Ourrias et Mireille à la
fontaine. — Le toucheur est éconduit 131
CHANT CINQUIEME — LE COMBAT
Le bouvier s'en retourne, furieux du refus de Mireille. — Les amours
de Vincent et de Mireille. — La Valisneria spiralis. — Rencontre
d'Ourrias et de Vincent. — Brutale agression du bouvier. — Let
invectives : Jean de l'Ours. — Combat à mort des deux rivaux dans
la Cxau déserte. — Victoire et générosité de Vincent. — Félonie du
toucheur. — Ourrias perce Vincent d'un coup de trident et fuit au
galop de sa cavale. — Il arrive au Rhône. — Les trois bateliers
fantastiques. — La barque se révolte sous le poids de l'assassin.
— La nuit de Sainl-.Médard : procession des noyés sur la rive du
fleuve. — Ourrias est englouti. — Danse des Trêves sur le pont de
Trinquetaitle " 171
43
505 TAULO.
CANT SIEISEN — LA MASCO
l'aubo, très pourcatié trovon Vincèn clins soun sang, estendu dins
lis erme de Cran. — L'adnson à la brasseto au Mas di Falabrego.
— Digrcssioun : Fou Felibre se reconmando à sis ami, H felibre
de Prouvènço. — Doulour de Mirêio. — Porton Vincèn au Trau di
Fado, caforno dis Esperit de niue e demouranço de la masco Ta-
ven, escounjurarolto de tout man. — Li Fado. — Mirêio acoum-
pagno soun calignaire dins li borno de la mountagno. — l.a Man-
dragouro. — Lis aparicioun de la baumo : Li Fouletoun, l'Esperit
Fantastr, la Bugadiero dôu Ventour. — Raconte de la masco : la
Messo dr Mort, lou Sabatôri, la Garamaudo, lou Gripet, la Bam-
baroucho, la Chaucho-Vièio, lis Escarinche, li Dra, lou Chin de
Cambau, lou Baroun Castihoun. — L'Agnèu nègre, la Cabro d'or.
— Taven escounjuro la plago de Vincci». — Enauramen c prou-
fetiso de la masco 214
CANT SETEN. — LI VIEI
Lob viêi panieraire emé soun fléu, assefa davans lou lindau de sa
bôri, trenon uno canestello. — Lou ribeirés dôu Rose. — Vincèn.
dis à soun paire d'ana demanda Mirêio en mariage. — Refus e re-
moustranço dôu vièi. — Vinceneto, sorre de Vincèn, pèr ajuda soun
traire à touca Mèste Ambroi, conto l'istori de Sivéstre emé d'Alis
— Partènço de Mèste Ambroi pèr lou Mas di Falabrego. — L'arri-
bado e lou gousta di meissouniè Mèste Ramoun. — Lou labour.
— Récit d'Ambrosi, responso de Ramoun. — La taulo de Calèndo.
— Mirêio declaro soun amour pèr lou fléu dôu panieraire. — Ama-
liciado, emprecacioun e refus di parent. — Endignacioun de Mèste
Ambroi. — Napoléon e li grandi guerro. — Encagnamen de Mèste
Ramoun. — Lou soudard labouraire. — Farandoulo di meissou-
niè à l'entour dôu ûo de Sant Jan 266
CANT VDECHEN — LA CRAU
Desesperanço de Mirêio. — Atrencaduro d'Arlatenco. — La chato, a
mitan de la niue, fugis l'oustau pairau. — Vai au toumbèu
Sànti Mario, que soun li patrouno de Prouvènço, li suplica
touca si parent. — Lis Ensigne. — Tout en courront à travès ie
Crau, rescontro li pastre de soun paire. — La Grau, la guerro di
Gigant. — Li rassado, li prègo-Diéu d'estoublo, li parpaioun,
averlisson Mirêio. — Mirêio , badanto de la set, e n'en pouUènt
plus de la caud, prêgo Sant Gènt, que vèn à soun secours.
— Rescontre d'Andreloun, lou cacalausié. — Eloge d'Arle. —
TABLE.
HANT SIXIEME — LA SORClliRE
A l'aube du jour, trois porchers trouvent Vincent étendu dans le dé-
sert de la Crau, et baigné dans son sang. — Us l'apportent dans
leurs bras au Mas des Micocoules. — Digression : appel du poète
à ses amis, les poètes de Provence. — Douleur de Mireille. — On
porte Vincent à l'antre des Fées, repaire des Esprits de la nuit, et
habitation de la sorcière Tavèn, charmeuse de tous maux. — Les
Fées. — Mireille accompagne son amant dans les excavations de la
montagne. — La Mandragore. — Les apparitions-de la Caverne: les
Follets, l'Esprit Fantastique, la Lavandière du Ventour. — Récits
de la sorcière : la Messe des Morts, le Sabbat, la Garamaude, le
Gripet, la Bambarouche, le Cauchemar, les Escarinches, les Dracs,
le Chien de Cambal, le Baron Castillon. — L'Agneau noir, la Chèvre
d'or. — Tavèn charme la blessure de Vincent. — Exaltation et pro-
phéties de la sorcière 215
CHANT SEPTIEME — LES VIEILLARDS
Le vieux vannier et son fils , assis devant le seuil de leur cabane,
tressent une corbeille. — Paysage des bords du Rhône. —Vincent
engage son père à aller demander la main de Mireille. — Refus
et remontrance du vieillard. — Vincenette, sœur de Vincent, se
joint à son frère pour fléchir Maître Ambroise, et raconte l'his-
toire de Sylvestre et d'Alix. — Départ de Maître Ambroise pour le
Mas des Micocoules. — L'arrivée et le repas des moissonneurs. —
Maître Ramon. — Le labour. — Récit d'Ambroise, réponse de Ra-
mon. — La table de Noël. — Mireille avoue son amour pour le
fils du vannier. — Courroux, imprécations et refus des parents.
— Indignation de Maître Ambroise. — Napoléon et les grandes
guerres.— Emportement de maître Ramon.— Le soldat laboureur. —
Farandole des moissonneurs autour du feu de la Saint-Jean. 267
CHANT HUITIEME — LA CRAU
ï>ésespoir de Mireille. - Toilette d'Arlésienne: — La jeune fille au
milieu de la nuit , fuit la maison paternelle. — Elle va au tom-
beau des Saintes Maries supplier ces patronnes de la Provence de
lléchir ses parents. — Les constellations. — Dans sa course à tra-
vers la Crau, elle rencontre les bergers de son père. — La Crau,
la guerre des Géants. — Les lézards, les mantes religieuses, les
papillons avertissent Mireille. — Mireille haletante de soif, acca-
blée par la chaleur du jour, implore Saint Gent, qui la secourt.—
Rencontre d'Aridrclouii, le rainasseur de limaçons. — Eloge d' Ai les.
TAIJLO.
fiecil d'Andreloun : istôri dôu Trau de la Capo, licauco, li caucaire
aproufoundi. — Mirèio coucho au tibanèu de la familio d'Andre-
loun 516
CANT NOUVEN — L ASSEMBLADO
Oesoulacioun de M(îste Ramoun e de Jano-Mario, quand trovon plus
Mireio.- Toul-d'un-tèms lou vièi mando souna e acainpo dirf
l'iero tôuti li travaiadou dôu mas. — Li segaire, li rasteiarello.
lou feneirage. — Li carretié, 1 estremage di fen. — Li bouié. —
Li meissounié, la meissoiin, li glenarello. — Li pastre. — Récit de,
Laurèn de Gôui, capoulié di nieissounié : lou cop de voulame. —
Récit dôu segaire Jan Bouquet : lou nis agarri pèr li foumigo. —
Récit dôu Marran, baile di ràfi : la marco de mort. — Récit d'An-
tèurae, lou baile-pastre. -Antèume a vist Mirèio qu'anavo i Sànti
Mario. — Estrambord e prejit de la maire. — Partènço de la
famiho pèr avé Mirèio • 353
GANT DESEN — LA CANARGO
Mirèio passo lou Rose dins lou barquet d'Andreloun, e counlunio sa
courso à travès la Camargo. — Li dougan dôu Rose entre la mar
e ArJe. -r- Descripcioun de la Camargo. — La calour. — La danso
de la Vièio. — - Li mountiho. — Li sansouiro. — Mirèio es ensu-
cado pèr un cop de soulèu sus li ribo de l'eslang dôu Vacarés. — Lis
arabi la revénon. — La roumiéuvo d'amour se tirasso jusqu'à la
glèiso di Santo. — La preièro. — La visioun. — Descours di Sànti
Mario. — La vanita dôu bonur d'aquest mounde, la nécessita e lou
mérite de la soufrênço. — Li Santo, pèr ie refermi lou cor, racon
ton à Mil èio sis esprovo terrestre 386
CANT VOUNCEN — LI SANTO
Li Sànti Mario raconton, qu'après la mort dôu Crist, fuguèron em-
Jbandido, emé d'àutri disciple, à la belio eisservo de la mar, e
qu'abourdèron en Prouvènço, e que ;counvertiguèron li pople
d'aquelo encountrado. — La navigacioun. — La tempèsto. — Arri-
l)ad'> à-n-Arle di Sant despalria. — Arle rouman. — La fèslo de
Venus. — Sermoun de Sant Trefume. — Counversioun dis Arlaten.
— Li Tarascounen vèuon iinpioura lou secours de Santo Mario. —
La Tarasco. — SantMarciau à Limoge; SantSavournin à Toulouso;
TABLE. 509
Récit (l'AntlrÈloun : légeale du Trou de. la Cape, le foulage des
gerbes, les fouleurs engloutis. — Mireille passe la nuit sous la
tente de la famille d'Andreloun 3*7
CHANT NEUVIEME — h ASSEMBLEE
Désolation de Maître Ramon et de Jeanne-Marie, en s'apercevantde
l'absence de Mireille. — Le vieillard mande aussitôt et rassemble
dans l'aire tous les travailleurs de la ferme. — Les faucheurs, les
faneuses, la fenaison. — Les charretiers, la renirée des foins. —
Les laboureurs. — Les moissonneurs, la moisson, les glaneuses.
— Les bergers. — Récit de Laurent de Goult, chef des moisson-
neurs : le coup de faucille. — Récit du faucheur Jean Rouquet : le
nid envahi par les fourmis. — Récit du Marran, chef des garçons
de charrue : le présage de mort. — Récit d'Antelme , chef des
pâtres. — Antelme a vu Mireille allant aux Saintes-Mariés. —
Transports et invectives de la mère. — Départ de la famille à la
poursuite de Mireille 352
CHANT DIXIEME — LA CAMARGUE
Mireille passe le Rhône dans la nacelle d Andreloun, et poursuit sa
course à travers la Camargue. — Les bords du Rhône, entre la
mer et Arles. — Description de la Camargue. — La chaleur. — Le
mirage. — Les dunes. — Les Sansoiiires. — Mireille est frappée
d'un coup de soleil, sur les rives de l'étang du Vaccarés. — Les
moustiques la rappellent à la vie. — La pèlerine d'amour se
traîne jusqu'à l'église des Saintes-Mariés. — La prière. — La
vision. — Discours des Saintes Maries. — La vanité du bonheur de
ce monde, la nécessité et le mérite de la souffrance. — Les
Saintes, pour raffermir le courage de Mireille, lui font le récit de
leurs épreuves terrestres 387
CHANT ONZIEME — LES SAINTES
i,es Saintes Maries racontent comment, après la mort du Christ
ayant été livrées à la merci des flots avec plusieurs autres disci-
ples, elles abordèrent en Provence, et convertirent les peuples
de cette contrée. — La navigation. — La tempête. — Arrivée des
Saints proscrits à Arles. — Arles romaine. — La fêle de Vénus.
— Discours de saint Trophime. — Conversion des Arlésiens. — Les
Tarasconais viennent implorer le secours de Sainte Marthe. — La
Tarasque. — Saint Martial à Limoges; Saint Saturnin à Toulouse»
SIO TAULO.
Sant Eslrôpi en Aurenjo.— - Santo Mario douinto la Tarabco, e pié»
couiivertis Avignoun. — l.a papautaen Avignoun. — Sant Lazàri à
Marsiho. — Santo Madaleno d'ins la bauino. — Sant Massemin à-
E-Ais. — Li Sànti Mario i Baus. — Lou rèi Reinié. — La Prouvènço
unido à la Franco. — Mirèio, vierge e martiro 422
CANT DOUGEN — tA MORT
Lou païs dis arange. — Li Santo remounlon au paradis. — Lou paire
emé ]a maire larribon. — Li Santen mounton Mirèio à la capello-
z-auto, mount i a li relicle. — La gléiso di Sànti Mario. — Li supli-
cacioun. — La plajo camarguenco. — Vincèn arnbo e sa doulour
desboundo. — Lou cantico di Santen. — Darriero visioun de Mn-èio :
véi il Sànti Mario emplanado dins la mar. — Darriéri par^ulo, e
luminouso mort de la chatouno. — Li coumplancho, la desespe-
ranço 464
Uusico DE Magali. ..•,....•...• ••• 499
TABLE. 511
Saint Eutrope à Orange. — Sainte Marthe dompte la Tarasqne, et
ensuite convertit Avignon. — La papauté .i Avignon. — Saint La-
zare à Marseille ; Sainte Magdeleine dans la grotte ; Saint Maximin à
Aix ; les Saintes Maries aux Baux. — Le roi René. — La Provence
unie à la France. — Mireille, vierge et martyre 423
CHART DOnziEME — LA MORT
:.e piys des oranges. — Les Saintes remontent dans le ciel.— Arrivée
du père et de la mère. — Les Saintins montent Mireille à kl cha-
pelie haute, où sont déposées les reliques. — L'église des Saintes
iMaries. — Les supplications. — La plage de Camargue. — Arrivée
de Vincent, éclat de sa douleur. — Le cantique des Saintins. —
Dernière vision de Mireille : les Saintes Maries lui apparaissent
sur la haute mer. — Dernières paroles, et radieuse mort de la
jeune fille. — Les plaintes, le désespoir 4G5
Musique de Magaii . . -499
PAniS. — JMP. SIMOX nAÇOM ET COiU>,, RUE D'EIlKUnTIl, 1.
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