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Full text of "Mireille, poème provençal de Frédéric Mistral;"

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MIREILLE 

POÈME  PROVENÇAL 


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4991.  — BOURLOTON.  — Imprimeries  réunie»,  A,  rue  Mignon,  2,  Pam 


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MIREILLE 


POÈME  PROVENÇAL 

DE 

FRÉDÉRIC  MISTRAL 

TRADUIT  EN  VERS  FRANÇAIS 

PAR 

le  premier  Président  RIGAUD 

AVEC   LE  TEXTE   EN  RE6ARD 


QUATRIÈME   ÉDITION   REVUE   ET    CORRIGÉE 


PARIS 

IJBRAIKIE  HACHETTE  ET   C'^ 

79,  BOULEVARD  SAIIIT-GERXAIN,  79 
1884 


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N 

\ 


PRÉFACE 


11  y  a  Ti'ngt  ans  environ,  nn  jeune  homme  pro« 
^ençal  publiait  un  poème  en  douze  chants,  écrit 
dans  Fidiome  de  son  pays  et  destiné  surtout  à  mon- 
trer  les  ressources  de  cet  idiome  et  à  peindre  les 
mœurs  de  ceux  qui  ont  l'habitude  de  s'en  servir. 

Ce  livre,  écrit  avec  un  talent  qui  tient  du  génie,  a 
obtenu  un  succès  prodigieux  dans  le  monde  pour 
lequel  il  avait  été  fait. 

En  même  temps  qu'il  valait  une  grande  renommée 
à  son  auteur,  il  imprimait  une  impulsion  nouvelle 
an  mouvement  littéraire  qui  s'est  produit  en  Pro- 
vence dans  ces  derniers  temps,  et  qui,  sans  avoir  la 


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VI  PRÉFACE. 

prétention  ridicule  qu'on  loi  a  prêtée,  de  détrftner 
la  langue  française^  n'a  que  le  but  plus  modeste  et 
plus  sérieux  de  remettre  en  honneur  et  de  main- 
tenir dans  son  intégrité  celle  que  parlèrent  les  trou- 
badours. 

La  célébrité  de  ce  poème  ne  s'est  pas  bornée  là. 
A.  la  simple  lumière  d'une  traduction  littérale  que 
l'auteur  lui-même  avait  mise  en  regard  du  texte, 
il  a  franchi  les  limites  du  sol  natal.  La  grande  litté- 
rature française  l'a  applaudi  par  les  mains  de  ses 
plus  illustres  représentants,  et  l'auteur  de  Faust,  en 
l'introduisant  sur  la  scène,  lui  a  acquis  une  véri- 
table popularité. 

Ce  n'est  pas  tout  encore;  alors  peut-être  que  dans 
la  pensée  de  son  auteur  cette  charmante  idylle 
n'avait  été  écrite  que  pour  les  villages  environnants, 
elle  s'est  envolée  sur  les  ailes  de  la  renommée,  au 
delà  même  de  nos  frontières.  Ni  les  monts  ni  les 
mers  n'ont  suffi  pour  arrêter  son  essor,  et  l'on  ne 
compte  plus  aujourd'hui  le  nombre  des  traductions 
en  langues  étrangères  à  l'aide  desquelles  die  a 
pénétré  jusqu'aux  extrémités  de  l'univers. 

En  présence  de  ce  succès  universel,  qui  ailleurs 
qu'en  Provence  n'avait  pu  avoir  sa  cause  que  dans 
la  traduction  mot  à  mot  qui  accompagnait  le  poème, 
je  me  suis  souvent  demandé  quelles  proportions  il 


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PRÉFACE.  Vit 

aurait  prises  si  le  texte  lui-même  avait  pu  ôlre 
connu  et  apprécié. 

,  Entre  une  traduction  et  un  original  il  y  a  tou- 
jours  un  abime,  car  le  génie  d'une  langue  lui  est 
propre  et  ne  saurait  passer  dans  une  autre. 

Cet  abîme  s'élargit  si,  l'original  étant  en  vers,  la 
traduction  n'est  qu'en  prose  :  car  alors  le  langage 
perd  le  charme  et  l'attrait  particuliers  que  lui 
donnent  la  mesure,  la  cadence  et  le  nombre. 

Enfin  cet  abîme  devient  immense  si  la  traduction, 
négligeant  même  la  construction  ordinaire  des 
phrases  qu'elle  emploie,  s'attache  avec  intention  à 
ne  donner  que  le  sens  des  mots  et  à  ne  reproduire 
que  la  pensée. 

Ces  réflexions  m'ont  conduit  à  essayer  de  traduire 
Mireille  en  vers  français;  non  point  que  j'aie 
ignoré  qu'une  traduction  de  ce  genre  ne  pouirait 
jamais  être  qu'une  imitation  plus  ou  moins  parfaite; 
mais  parce  qu'il  m'a  semblé  que  pour  ceux  aux 
yeux  desquels  le  poème  original  devait  fatalement 
demeurer  lettre  close,  il  gagnerait  toujours  quelque 
chose  à  être  reproduit  dans  un  langage  qui,  sans 
avoir  la  couleur  du  sien,  en  conserverait  au  moins 
le  mouvement,  le  rythme  et  l'harmonie.  En  d'autres 
termes,  j'ai  voulu  offrir  une  estampe  à  ceux  qui  ne 
peuvent  pas  avoir  le  tableau. 


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nu  PRÉFAGK. 

S'il  m'était  permis  de  recourir  à  une  image  pour 
mieux  expliquer  ma  pensée  Je  dirais  que,  rencontrant 
Mireille  dans  les  champs  où  elle  est  née  et  dans  les-  ^ 
quels  il  faut  qu'elle  vive  sous  peine  de  n'être  plus 
elle;  comprenant  parfaitement  Tidiome  qu'elle 
parle  et  jaloux  de  la  faire  connaître  à  ceux  qui  ne 
le  comprennent  pas,  j'ai  pris  cette  gentille  paysanne 
par  la  main,  je  l'ai  revêtue  du  costume  exigé  pour 
paraître  dans  une  société  plus  élevée,  je  l'ai  exercée 
à  balbutier  de  son  mieux  la  seule  langue  qui  y  soit 
reçue,  et  sous  ce  nouvel  appareil  je  la  présente 
dans  le  monde. 

Elle  y  réussira  certainement,  si  ce  déguisement 
ne  lui  donne  pas  un  air  trop  emprunté,  et  si  elle 
sait  s'en  servir  pour  laisser  au  moins  deviner  les  ^ 
charmes  divers  qu'elle  réunit  en  sa  personne. 

La  quatrième  édition  que  je  publie  aujourd'hui 
difTère  des  trois  premières  par  un  grand  nombre  de 
corrections  dont  j'ai  pris  l'initiative,  ou  qui  m'ont 
été  suggérées  par  les  observations  qu'on  a  bien 
voulu  me  faire. 

Ces  corrections  tendent  surtout  à  rapprocher  de 
plus  en  plus  la  traduction  du  texte  original  sans 
cependant  que  j'aie  jamais  voulu  renoncer  à  la  mé- 
thode que  je  m'étais  proposé  de  suivre,  et  devenir, 
en  Tabandonnant,  un  traducteur  absolument  servile. 


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PREFACE.  IX 

J'explique  et  je  justifie  ma  résolution  par  un 
exeaipte. 

>  Â.  la  page  i%  à  ravant*dernière  strophe  du  pre- 
mier chant»  Mistral  a  dit  : 

Li  grihet,  cantant  dins  li  mouto, 

Mai  d'un  cop  fagueron  escouto  ; 
Souvent  lou  roussigndu,  souvent  Taucéu  de  niua 

Dins  lou  bos  fagueron  calamo  ; 

E  pertoucado  au  founs  de  Tamo, 

Elo,  assetado  sus  la  ramo, 
Eu  jusqu'à  la  primo  aubo  aurié  pas  plega  Tiue. 

J'ai  traduit  ainsi  cette  strophe  : 

Les  grillons,  dont  l'herbe  foisonne, 
^  Ont  cessé  leur  chant  monotone  ; 

U  rossignol  s'est  tu,  sous  les  feuillages  verts; 

Elle,  assise  sur  la  ramée, 

Sentait,  dans  son  âme  charmée. 

Une  iyresse  inaccoutumée, 
El  son  front  s'inclinait  sous  des  pensers  divers. 

Il  eût  été  bien  facile  de  serrer  le  texte  de  plus 
près  en  modifiant  ainsi  les  quatre  derniers  vers  : 

Elle,  assise  sur  la  ramée. 
Sentant,  dans  son  âme  charmée. 
Une  ivresse  inaccoutumée. 
Aurait  jusqu'au  matin  tenu  ses  yeux  ouveru. 


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I  PREFACE. 

C*eât  été  presque  textuel,  et,  cependant,  à  mon 
avis,  c'eût  été  moins  heureux.  J'ai  mieux  aimé 
exprimer  une  autre  pensée  que  celle  du  poète, 
alors  que  la  sienne  était  déjà  suffisamment  rendue 
dans  le  reste  dé  la  strophe,  et  alors  surtout  que 
celle  que  j'ajoutais  était  également  dans  la  situa* 
(ion. 

Eh  bien  !  ce  que  j'ai  fait  pour  cette  strophe,  je 
l'ai  fait  pour  quelques  autres  encore,  toutes  les  fois 
qu'enfermé  dans  mon  cercle  de  Popilius,  et  com- 
damné  par  mon  programme  à  traduire  Mireille 
sans  une  strophe,  sans  un  vers,  sans  une  syllabe  de 
plus  qu'à  l'original,  j'ai  été  réduit  à  la  nécessité 
d'opter  entre  les  exigences  du  texte  et  celles  de  la 
rime  ou  du  génie  de  notre  langue. 

Mais,  que  les  amis  rigoureux  de  la  fidélité  se 
rassurent!  ces  licences  ne  sont  pas  très-fréquentes; 
et  sur  les  six  mille  vers  qui  forment  le  poème,  il 
n'en  est  peut-être  pas  dix  dans  lesquels  l'écart  existe 
au  même  degré  que  dans  celui  que  je  viens  de  citer 
pour  exemple. 

En  tout  cas,  je  le  déclare,  parmi  les  divers  sys- 
tèmes de  traduction  sur  lesquels  la  critique  s'est 
exercée,  celui  que  j'ai  adopté  m'a  paru  et  me  parait 
encore  préférable.  J'iguore  si  en  le  suivant  j'ai 
réussi  à  donner  au  moins  une  idée  du  poème  et 


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PREFACE.  n 

du  poète,  à  ceux  qui  ne  pouyaient  pas  le  comprendre 
dans  sa  langue  ;  mais  ce  que  je  sais  bien,  c'est  que 
[j  je  n'ai  pas  voulu  refaire,  en  le  rimant,  le  diction- 
naire dout  il  avait  lui-même  accompagné  son 
œuvre. 

Qu'il  me  soit  permis  de  dire  enfin  que  le  soin 
que  j'ai  donné  à  ce  travail  ne  m'a  pas  détourné  du 
moindre  de  mes  devoirs,  et  qu'il  ne  serait  pas  juste 
de  me  reprocher  cette  diversion  inaocente  à  l'aus- 
térité  de  mes  fonctions. 


É.  R 


IGAUn. 


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ACADÉMIE  FRANÇAISE 

SÉANCE    PUBLIQCB    ANNUELLE 
do  jeudi  4  août  18tt 


EXTRAIT 

Du  RAPPORT  DE  M.  CAMILLE  DOUCET,  SECRÉTAIRE  PER- 
PÉTUEL DE  l'Académie  française»  sur  les  concours 
DE  l'année  1881. 


Après  avoir  annoncé  que  trois  ouvrages  que  l'Académie  a 
distingués  et  réservés  ont  été  placés  hors  concours,  par  la  rai- 
son, pour  Tun  dos  concurents,  M.  Egger,  qu'il  est  membre 
de  rinstitut,  et  pour  l'autre,  M.  le  baron  de  Dumreicher,  qu'il 
n'est  pas  français,  M.  Camille  Doucet  arrive  à  parler  du  livre 
de  M.  le  premier  président  Rigaud  en  ces  termes  : 

Écrit  par  un  Français,  celui-là,  par  un  bon  Fran- 
çais quiy  au  mérite  d'être  un  magistrat  éminent,  joint 
celui  d'avoir,  en  prose  et  en  vers,  une  plume  élégante 
et  facile,  un  autre  livre,  qui  n'est  pas  de  Mistral,  mais 
qui  en  a  l'air,  s'est  présenté  à  nous  bravement  sous  ce 
titre  :  Mireille,  poème  provençal  de  Frédéric  Mistral, 
traduit  en  vers  par  E.  Rigaud,  premier  président  de 
la  cour  d'Aix. 

Ce  livre  a  du  malheur  avec  nous  ;  nous  en  avons  avec 
lui.  • 


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XIV 

L'an  dernier  déjà,  il  frapait  à  la  porte  du  concours 
Langlois  et  nous  lui  opposions  tout  d'abord  cette  fin  de 
non  recevoir  :  En  fondant  son  prix  de  traduction, 
M.  Langlois  a  voulu  surtout  répandre  et  vulgariser  en 
France  les  chefs-d'œuvre  anciens  et  étrangers.  Mireille 
est  un  chef-d'œuvre,  mais  un  chef-d'œuvre  d'hier,  fran- 
çais comme  son  auteur,  qui  vit  encore,  Dieu  merci  !  Vous 
ne  pouvez  donc  concourir. 

Mais  alors,  nous  dit  aujourd'hui  le  même  ouvrage,  an 
lieu  d'une  traduction  ne  v^ez  en  moi  qu'une  œuvre 
littéraire,  un  poème  dont  j'ai  fait  les  vers  et  dont  la 
forme  est  bien  de  moi,  si  le  fond  m'est  venu  d'un  autre. 
Accueillez-moi  à  ce  titre,  non  plus  dans  le  concou  i 
Langlois,  mais  dans  le  concours  îfontyon,  où  les  poète 
sont  toujours  les  bienvenus. 

Si  excellente  que  fût  la  traduction  de  M.  le  premier 
président  Rigaud,  nous  ne  pouvions  vraiment  y  voir  une 
œuvre  personnelle,  et  nous  avons  dû  l'écarter  encore, 
avec  chagrin,  mais  avec  respect,  en  rendant  hommage 
au  mérite  des  vers,  au  talent  du  poète  et  à  la  dignité  du 
magistrat  qu'on  ne  saurait  trop  louer  de  consacrer  ses 
loisirs  au  culte  des  lettres,  loin  que  nous  lui  reprochions, 
comme  il  le  dit  avec  tant  de  bonne  grâce  dans  sa  pré- 
face, cette  divenion  innocente  à  Vauitérité  de  ses 
fonctions. 


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MIREILLE 

POÈME  PRO.VENÇAL 


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MIRÈIO 


CANT  PROUMIÉ 

LOU   MAS    DI    FALABREGO  • 

Etpoutieioan.  —  Invoucacioun  au  Grist,  nascu  dinsla  pattriho.  —  Ua 
vièi  panieraire,  lièsle  Ambrdsi,  omë  toun  drôle,  Vincèn,  van  de- 
manda la  retirado  au  Mas  di  Falabrego.  —  Mirèio,  fiho  de  Mèste 
Ramoun,  loa  mèstre  d6u  mas.  ié  fai  la  benvengudo.  — Li  ràfi  après 
•oupa.  fan  canta  Mèste  Ambrdsi.  — Lou  vièi.  àutrl-fes  marin,  canto 
an  coumbat  navau  d6u  Balle  Sufren.  —  Mirèio  quesliouno  Vincèn. 
—  Récit  de  Vincèn  :  la  casso  di  cantarido,  la  pesco  dis  iruge,  km 
miracle  di  Sànti  Mario,  la  courso  dis  orne  à  Nimei.  —  Mirèio  es 
••pantado  e  soun  amour  pounchejo. 

Gante  uno  chato  de  Prouvènço. 

Dins  lis  amour  de  sa  jouvènço, 
A  travès  de  la  Grau',  vers  la  mar,  dins  li  bla, 

Umble  escoulan  dôu  grand  Oumèro, 

léu  la  vole  segui.  Goume  èro 

Rèn  qu'uno  chato  de  la  terro, 
£ii  foro  de  la  Grau  se  n'es  gaire  parla. 

Emai  soun  front  noun  lusiguèsse 

Que  de  jouinesso  ;  emai  n'aguèsse 
Ni  diadème  d'or  ni  mantèu  de  Damas, 

Vole  qu'en  glôri  fugue  aussado 

Goume  uno  rèino,  e  caressado, 

Pèr  noeto  lengo  mespresado, 
Car  cantao  que  pèr  vautre,  o  pastre  e  gènt  di  mas! 


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MIREILLE 


CHANT  PREMIER 

LE    MAS    DBS   MICOGOULES 

Exposition.—  InYocation  au  Christ,  ne  parmi  les  pâtres. — UnTieui 
Tannier,  Maître  Ambroise,  et  son  fils  Vincent,  vont  demander  l'hos- 
pitalité au  Mas  des  Micocoules.  —  Mireille,  fille  de  Maître  Ramon, 
le  maître  de  la  ferme,  leur  fait  la  bienvenue.  —  Les  laboureurs, 
après  le  repas  du  soir,  invitent  Maître  Ambroise  k  chanter.  —  Lo 
vieillard,  autrefois  marin,  chante  un  combat  naval  du  Bailli  de 
SuAren.  —  Mireille  questionne  Vincent.  —  Récit  de  Vincent  :  l.i 
ehaste  aux  cantharides,  la  pêche  des  sangsues,  le  miracle  des 
Saintes  Maries,  la  course  des  hommes  à  Nîmes.  —  Ravissement  de 
Mireille,  naissance  de  son  amour. 

Je  chante  une  enfant  de  Provence. 

Dans  les  amours  de  sa  jouvence*. 
Par  la  Cran,  vers  la  mer,  et  dans  les  champs  de  blé, 

Humble  écolier  du  grand  Homère, 

Je  la  suivrai.  Gomme  sa  mère 

Ne  la  destina  qu'à  la  terre. 
Plus  loin  que  la  Grau  d'Arle  il  s'en  est  peu  parle. 

Bien  qu'elle  n'ait  que  sa  jeunesse 
Pour  briller;  qu'elle  ne  connaisse 
Ni  diadème  d'or,  ni  manteau  de  Damas, 
Je  veux  qu'elle  soit  exhaussée 
Comme  une  reine,  et  caressée 
Par  notre  langue  délaissée , 
Carmes  chants  sont  pour  vous,  pâtres  et  gens  des  mon  ! 


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4  MIRÈIO,  CANT  I. 

Tu,  Segnour  Dieu  de  ma  patrio. 

Que  nasquères  dins  la  pastriho, 
Enfioco  mi  paraulo  e  douno-me  d'alen! 

Lou  sabes  :  entre  la  verdure, 

Au  soulèu  em'  i  bagnaduro, 

Quand  li  figo  se  fan  maduro» 
Vèn  Tome  aloubati  desfrucha  Taubre  en  plen. 

Mai  sus  Taubre  qu'eu  espalanco, 

Tu  toujour  quibes  quauco  branco 
Ounte  Tome  abrama  noun  posque  aussa  la  man, 

Belle  ji telle  proumierenco, 

£  redoulènto  e  vierginenco, 

Belle  frucbo  madalenenco 
Ounte  l'aucèu  de  Ter  se  vèn  leva  la  fam. 

léu  la  vese,  aquelo  branqueto, 

E  sa  frescour  me  fai  lingueto  ! 
léu  vese,  i  ventoulet,  boulega  dins  lou  cèn 

Sa  rame  e  sa  frucbo  inmourtalo... 

Bèu  Dieu,  Dieu  ami,  sus  lis  alo 

De  nosto  lengo  prouvençalo, 
Fai  que  posque  avéra  la  branco  dis  aucèu  ! 

De-long  dôu  Bose,  entre  li  pibo 

E  li  sauseto  de  la  ribo, 
En  un  paure  oustaloun  pèr  Taigo  rousiga 

Un  panieraire  demouravo, 

Qu'emé  soun  drôle  pièi  passaTO 

De  mas  en  mas,  e  pedassavo 
li  canestello  route  e  li  panié  trauca. 


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MIREILLE,   CHANT  I. 

Toi,  Seigneur,  Dieu  de  ma  patrie» 
Né  dans  une  humble  bergerie, 

Inspire,  inspire-moi  de  ton  souffle  puissant! 
Tu  le  sais  :  quand  sous  la  verdure 
Au  soleil,  près  d'une  onde  pure, 
La  figue  s'enfle  et  devient  mûre. 

L'homme  arrive  et  ravit  tout  le  fruit,  en  passant. 

Mais  sur  cet  arbre  qu'il  ébranche, 

Toi,  tu  conserves  quelque  branche 
Que  l'homme  ne  peut  pas  atteindre  de  sa  main; 

Belle  tige  fraîche,  odorante. 

Où,  d'une  sève  fécondante, 

Un  fruit  précoce  s'alimente. 
Où  vient  l'oiseau  de  l'air  pour  apaiser  sa  faim. 

Moi,  je  la  vois  et  je  l'envie 

Cette  branche  pleine  de  vie! 
Je  vois,  au  gré  des  vents,  s'agiter  ses  rameaux. 

Ses  fruits,  et  sa  feuille  immortelle  ! 

Dieu  beau.  Dieu  bon,  fais  que,  sur  l'aile 

De  notre  langue  maternelle, 
Je  puisse  atteindre  aussi  la  branche  des  oiseaux  * 

Au  bord  du  Rhône,  sur  la  rive 
Que  ronge  en  vain  son  eau  captive, 

A  travers  des  bouquets  de  saules  et  d'osiers, 
L'œil  découvre  un  modeste  gite 
Qu'avec  son  fils  un  homme  habite, 
Tous  les  deux  du  premier  mérite 

Pour  manier  les  joncs  et  tresser  les  paniers. 


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C  MIRÈIO,  GANT  I. 

Un  jour  qu'èron  ansin  pèr  orto, 

Emé  si  long  fais  de  redorto  : 
—  Paire,  digue  Yincèn,  espinchas  lou  soulèu  t 

Vesès,  eila  sus  Magalouno  ^, 

Coume  lou  nivo  Tempielouno  ! 

S'aquelo  emparo  s'amoulouno, 
Paire,  avans  qu'èstre  au  mas  nous  bagnareu  belèu. 

—  Hôu  !  lou  vènt-larg  *  brando  li  fueic... 
Noun  !...  acô  sara  pas  de  plueio, 

Respoundeguè  lou  vièi...  Ah!  s'acô  'ro  lou  Rau*, 
Es  diferènt  !...  —  Quant  fan  d'araire, 
Au  Mas  di  Falabrego,  paire  ? 

—  Sièis,  respoundè  lou  panieraire. 

Ah  !  'c6  's  un  tenamen  di  plus  fort  de  la  Graut 

Tè,  veseg  pas  soun  ôuliveto? 
Entre-mitan  i'a  quàuqui  veto 

De  vigno  e  d'amelié...  Mai  lou  bèu,  recoupé, 
(E  n'i'a  pas  dos  dins  la  coustiero  !) 
Lou  bèu,  es  que  i*a  tant  de  tiero 
Coume  a  de  jour  l'annado  entiero 

E,  tant  coume  de  tiero,  en  chasco  i*a  de  pèd  ! 

—  Mai,  faguè  Vincên,  caspitello  *! 
Dèu  bèn  falé  d'ôulivarello 

Pèr  ôuliva  tant  d'aubre  !  —  Hôu  !  tout  acô  se  faî  I 
Vèngue  Toussant,  e  li  Baussenco  ', 
De  vermeialo,  d'amelenco. 
Te  van  clafi  saco  e  bourrenco!... 

Tout  en  cansounejant  n'acamparien  bon  mai  ! 


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MIREILLE,  CHANT  L  7 

Un  jour  qu'ensemble  et  d'un  pas  ferme 
Ils  s'en  allaient  de  ferme  en  ferme  : 

-  Mon  père,  dit  Vincent,  regardez  le  soleil  I 

Voyez  là-bas  sur  Maguelonne 
Ce  nuage  qui  Tenvironne  ! 
11  s'épaissit  et  tourbiiloime» 
Nous  poui*nons  nous  mouiller  avec  un  temps  pareiL 

—  Non,  mon  fils,  le  vent  vient  du  large, 
Et  jamais  la  mer  ne  le  charge. 

Repondit  le  vieillard  ;  ah  !  si  c'était  le  Rau, 
Il  faudrait  dire  le  contraire  !... 

—  Quel  est  le  labour  qu'on  peut  faire 
Au  mas  des  Micocoules,  père? 

-  C'est  un  des  tènements  les  plus  forts  de  la  Crau. 

Vois  d'ici  sa  belle  olivette  ! 

Un  peu  de  vigne  la  complète 
Et  quelques  amandiers  en  ceignent  les  contours; 

Mais  le  beau,  c'est  que,  de  l'année, 

Chaque  rang  marque  une  journée. 

Et  que  chaque  file  alignée. 
Contient  autant  de  pieds  que  l'année  a  de  joursl 

—  Mais,  dit  Vincent,  les  oliveuses 
Sont-elles  donc  assez  nombreuses 

Four  cueillir  tant  de  fruits? —Oh!  mieux  que  les  moissons 

Cette  récolte  est  assurée, 

Et  les  filles  de  la  contrée,  i 

Dès  que  l'hiver  fait  sa  rentrée, 
Ea  cueilleraient  bien  plus  en  chantant  leurs  chansons 


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8  MIRËIO,  GANT  I. 

E  Mèste  Ambroi  toujour  parlavo..» 
E  lou  soulèu  que  trecoulavo 

Di  plus  bèlli  couleur  tegnié  li  nivoulun; 
Ë  li  bouié,  sus  si  coulado, 
Venien  plan-plan  à  la  soupado, 
Tenènt  en  Ter  sis  aguïado... 

E  la  niue  soumbrejavo  alin  dins  la  palun. 

—  An  î  déjà  s'entrevèi  dins  Tiero 
Lou  camelun  de  la  paicro, 

Digue  mai  Yincenet  :  sian  au  reoatadout... 

—  Aqui,  ié  vènon  bèn  li  fedo  ! 
Ah  !  pèr  l'estiéu,  an  la  pinedo, 
Pèr  dins  Tivèr,  la  claparedo, 

Recoumencè  lou  vièi...  Hàu!  aqui  i'a  de  tout! 

Ë  tôuti  aquéli  grands  aubrage 

Que  sus  li  téule  fan  oumbrage  !      • 

E  'quelo  bello  font  que  raio  en  un  pesquiét 
Ë  tôuti  aquéli  brusc  d'abiho 
Que  chasco  autouno  desabiho, 
E,  tre  que  Mai  s'escarrabiho, 

Pendoulon  cent  eissame  i  grand  falabreguiél 

—  Ho  î  pièi,  en  toute  la  terrado, 
Paire,  lou  mai  qu'à  iéu  m'agrado, 

Aqui  faguè  Vincèn,  es  la  cbato  dôu  mas... 
E,  se  TOUS  n'en  souvèn,  moun  paire, 
L'estiéu  passa,  nous  faguè  faire 
Dos  canestello  d'ôulivaire, 

E  mètre  (mi  maniho  à  soun  pichot  cabas. 


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MIREILLE,  CHANT   I.  9 

Et  pendant  tout  ce  beau  partage, 

Colorant  de  pourpre  un'  nuage, 
Le  soleil  sous  les  monts  éteignait  ses  lueurs; 

L'ombre  tombait  dans  les  vallées, 

Et  sur  leurs  bêtes  accouplées, 

Pique  en  Tair,  le  long  des  allées. 
Vers  le  repas  du  soir  marchaient  les  laboureurs. 

—  Mais  déjà  j'entrevois  sur  Taire, 
La  meule  de  paille  ;  allons  !  père, 

Reprit  Vincent,  allons!  le  logis  n'est  pas  loin. 

—  Ob  !  dit  le  vieux,  quel  beau  domaine  ' 
Heureux  les  troupeaux  qu'on  y  mène  ! 
Au  bois,  à  rétable,  à  la  plaine 

Us  ont  tout  à  souhait,  la  provende  et  le  soin. 

Et  tout  ce  verdoyant  feuillage 

Qui  sur  les  tuiles  fait  ombrage. 
Cette  source  qui  coule  au  milieu  des  viviers. 

Et  ces  ruches  pleines  d'abeilles 

Qui,  travailleuses  sans  pareilles, 

Suspendent  en  grappes  vermeilles 
Cent  essaims,  chaque  année,  aux  grands  Micocoulier;»! 

—  Oh  !  puis,  là,  de  tout  ce  qu'on  louo, 
Dit  aloi's  Vincent,  je  l'avoue. 

Ce  qui  me  plait  le  plus,  c'est  la  fille  du  mas; 

Et  s'il  vous  en  souvient,  mon  père. 

Ce  fut  elle  qui  nous  fit  faire 

Ueux  corbeilles  de  ménagère, 
Et  mettre  une  anse  neuve  à  son  petit  cab^s. 


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10  MIRÈIO,  GANT  I. 

En  devisant  de  talo  sorto, 
Se  capitèron  vers  la  porto. 
I^a  chalouno  venié  d'arriba  si  magnan; 
Ë  sus  lou  lindau,  à  i'eigagno, 
Ânavo  alor  lorse  uno  escagno. 

—  Bon  vèspre  en  toute  la  coumpagno  ! 
Faguè  lou  panieraire  en  jitant  si  vergan. 

—  Mèste  Ambrôsi,  Dieu  vous  lou  douneî 
Digue  la  chato  ;  mouscouloune 

La  pouncho  de  moun  fus,  vès!...  Vautre?  sias  tardié! 

D'ounte  venès?  de  Valabrego  *? 

^  Just!  e  lou  Mas  di  Falabrego 

Se  devinant  sus  nosto  rego. 
Se  fai  tard,  avèn  di,  coucharen  au  paie.  — 

£  'mé  soun  fiéu,  lou  panieraire 

S'anè  'seta  su  'n  barrulaire. 
Sènso  mai  de  resoun,  à  trena  tôuti  dous 

Uno  banasto  coumençado 

Se  groupèron  uno  passade, 

E  de  sa  garbo  desnousado 
Crousavon  e  toursien  li  vege  voulouatous. 

Vincèn  avié  sege  an  pancaro , 

Mai  tant  dôu  cors  que  de  la  caro, 
Certo,  acô  'ro  un  bèu  drôle,  e  di  miéus  estampa; 

Emé  li  gauto  proun  moureto. 

Se  voulès...  mai  terro  negreto 

Adus  toujour  bono  seisseto, 
E  sort  di  rasin  nègre  un  vin  que  fai  trepa. 


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MIREILLE,  GIlÂNT  L  11 

En  devisant  de  cette  sorte. 
Ils  arrivent  près  de  Ja  porte. 
Mireille,  aux  vers  à  soie  avait  donné  son  soin, 
Et  sur  le  seuil,  tâche  finie. 
Des  cieux  admirait  rharraonie. 

—  Bonsoir,  bonsoir  la  compagnie  ! 
DitAmbroise  en  jetant  ses  osiers  dans  un  coin. 

—  Dieu  vous  le  donne,  Maître  Âmbroise, 
Répond  la  fillette  courtoise, 

allais  mettre  une  thie  au  fuseau  que  voici  ; 

J'y  renonce  sans  qu'il  m'en  coûte... 

Mais  vous  voilà  bien  tard  en  route  ! 

D*où  venez-vous  ?  De  loin  sans  doute  ? 
—Oui,  de  loin,  c'est  pourquoi  nous  cherchons  gile  ici.— 

A  ces  mots,  sur  un  banc  rustique. 

Us  Tont  installer  leur  boutique  ; 
Et,  sans  plus  de  façon,  tous  les  deux  à  la  fois, 

Dénouant  leur  gerbe  pressée, 

Une  corbeille  commencée 

En  un  clin  d'oeil  est  agencée 
Avec  cent  brins  d'osier  qu'ils  tordent  sous  leurs  doigts. 

Vincent  n'avait  pas  seize  ans  d'âge. 

Mais,  tant  de  corps  que  de  visage. 
C'était,  certe,  un  beau  gars  et  des  plus  vigoureux 

Et  d'une  trempe  peu  commune; 

Brun,  si  Ton  veut,  mais  terre  brune 

Donne  un  blé  riche,  et  par  fortune    ^ 
U  raisin  noir  produit  un  vin  plus  généreux. 


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Il  MIRÊIO,  CANT  I, 

De  quête  biais  fau  que  lou  vege 

E  se  prépare  e  se  gaubeje, 
Eu  lou  sabié  de  founs  ;  noun  pas  que  sus  lou  un 

Travaiejèsse  d'ourdinàri  : 

Mai  de  banasto  pèr  ensàrri, 

Tout  ço  qu'i  mas  es  necessàri, 
E  de  rous  terreirôu,  e  de  bràvi  coufin  ; 

De  panié  de  cano  fendudo, 
Qu'es  tout  d'eisino  lèu  vendudo, 

E  d'escoubo  de  mi...  tout  acè,  'mai  bèn  mai, 
Eu  lou  façounavo  à  grand  dèstre, 
Bon  e  poulit,  de  man  de  mèstre... 
Mai,  de  Testoublo  e  déu  campèslre. 

Lis  orne  èron  déjà  revengu  dôu  travai. 

Déjà  deforo,  à  la  fresquiero, 

Mirèio,  la  gènto  masiero, 
Sus  la  taulo  de  pèiro  avié  mes  lou  bajan  ; 

E  dôu  platas  que  treviravo, 

Chasque  ràfi  déjà  tiravo, 

A  plen  cuié  de  bouis,  li  favo... 
E  lou  vièi  e  soun  fiéu  trenavon.  —  Bèn?  vejan! 

Venès  pas  soupa,  Mèste  Âmbrôsi? 

Emé  soun  èr  un  pau  renôsi 
Digue  Mèste  Bamoun,  lou  majourau  déu  mas. 

An  !  leissas  donne  la  canestello  ! 

Vesès  pas  naisse  lis  estello?... 

Mirèio,  porge  uno  escudello... 
Anl  à  la  taulo!  d'auti  que  devès  èstre  las. 


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MIREILLE,  CHANT  L  13 

Par  quel  art,  avec  quelle  adresse 

L'osier  se  prépare  et  se  tresse, 
Lai  le  savait  à  fond  ;  non  pas  que  sur  le  ûû 

Il  fit  son  travail  ordinaire  ; 

Mais  la  corbeille  élémentaire, 

La  manne,  aux  fermes  nécessaire, 
Le  panier,  pour  cueillir  la  figue  ou  le  raisin. 

Le  balai,  d'un  débit  facile, 

Bref!  tout  engin,  tout  ustensile 
Fait  d*osier,  de  milïet,  de  roseaux  refendus, 

Bon  et  joli  comme  il  doit  être, 

U  le  faisait  de  main  de  maître... 

Mais,  de  la  jacbère  champêtre. 
Déjà  les  journaliers  au  mas  s'étaient  rendus. 

Déjà,  sur  la  table  de  pierre, 

Mireille,  la  gente  fermière, 
Av.iil  placé  la  fève  avec  le  brin  d'oignons; 

Et  de  sa  cuiller  qu'il  avance 

Chaque  valet,  en  abondance. 

Puisait  au  plat  de  résistance... 
Ui  vieillard  et  son  fils  tressaient  toujours.  ~  Voyons  ! 

Viendrez-vous  souper,  Maître  Arabroise? 

Qu'au  moins  la  faim  vous  apprivoise. 
Dit  vivement  Ramon,  le  souverain  du  mas; 

Laissez  donc  là  votre  corbeille. 

Voyez  les  étoiles...  Mireille! 

Apporte  encore  une  bouteille.... 
Allons!  allons!  à  table,  à  cette  heure  on  e^ii  lasl 


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U  MIRÊIO,  CàNT  1. 

—  Anen!  faguè  lou  panieraire. 

E  s'avancèron  à-n-un  caire 
De  la  taulo  de  pèiro,  e  coupèron  de  pan. 

Mirèio,  vilamen,  braveto, 

Emé  rôli  de  Tôuliveto 

lé  garniguè  'n  plat  de  faveto; 
Venguè  pièi  en  courrènt  i'adurre  de  si  man. 

Dins  si  quinge  an  èro  Mirèio... 

Coustiero  bluio  de  Font-Vièio  *, 
E  vous,  colo  baussenco  ^®,  e  vous,  piano  de  Crau, 

N'avès  plus  vist  de  tant  poulido  ! 

Lou  gai  soulèu  Tavié  'spelido; 

E  nouveleto,  afrescoulido, 
Sa  caro,  à  flour  de  gauto,  avié  dous  pichot  trau. 

E  soun  regard  èro  uno  eigagno 

Qu'esvalissié  toute  magagno... 
Dis  estello  mens  dous  èi  lou  rai,  e  meus  pur; 

ïé  negrejavo  de  trenello 

Que  tout-de-long  fasien  d'anello; 

E  sa  peitrino  redounello 
Èro  un  pessègue  double  e  panca  bèn  madur. 

E  fouligaudo,  e  belugueto, 

E  sôuvagello  uno  brigueto  !... 
Ah  !  dins  un  vèire  d'aigo,  entre  vèire  aquéu  biaî, 

Toute  à  la  fes  Taurias  begudo  ! 

Quand  pièi  chascun,  à  Tabitudo, 

Aguè  parla  de  sa  batudo, 
(Cou nie  au  mas,  coume  au  tèms  de  moun  paire,  ai!  ai!  ai!) 


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MIREILLE,  CHANT  I.  15 

Alors  Ambroise  se  décide  ; 

Son  fils  le  suit  d*un  pas  timide  ; 
Et,  pendant  qu'avec  calme  ils  découpent  leur  pain, 

Mireille,  vilement,  proprette, 

Prend  le  plat  de  fèves,  l'apprête 

Avec  l'huile  de  Tolivelte, 
Et,  le  sourire  à  TœU,  le  leur  tend  de  la  main. 

Mireille  avait  ses  quinze  années..* 

Bleus  coteaux  !  plaines  fortunées 
(joi  vites  cette  fleur  sortir  de  son  bouton. 

Qu'il  vous  fut  doux  dé  la  connattre  I 

Le  gai  soleil  l'avait  fait  naître; 

La  grâce  anime  tout  son  être, 
Uae  fossette  rit  à  son  joli  menton, 

Son  regard  est  une  rosée, 

Bavivant  toute  herbe  brisée; 
Le  rayon  d'une  étoile  est  moins  doux  et  moins  pur; 

Sous  ses  cheveux  noirs,  se  dessine 

Un  front  serein,  et  sa  poitrine 

S*enfle  assez  pour  qu'on  y  devine 
Deux  pêches,  fruit  d'élite  au  moment  d'être  mûr; 

Et  puis  folâtre,  aimable,  sage. 

Peut  être  même  un  peu  sauvage... 
On  eût  voulu  la  boire  au  fond  d'un  verre  d'eau  !... 

Lorsque  chacun,  selon  l'usage, 

Eut  parlé  de  son  attelage. 

Et  du  labour,  et  du  pacage 
(Comme  au  temps  de  monpère,aux  beaux  jours  de  la  Crau)  : 


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15  MTREIO,  GANT  I. 

—  Bèn  ?  Mèste  Ambroi,  aquesto  bruno, 
Nous  n'en  cantarés  pas  quaucuno? 

Diguèron  :  es  eiçô  lou  repas  que  se  dor? 

—  Chut!  mi  bons  ami...  Quau  se  trufo, 
Respoundè  lou  vièi,  Dieu  lou  bufo 

E  fai  vira  coume  baudufo?... 
Gantas  vautre,  jouvènt,  que  sias  jouine  emai  fort! 

—  Mèste  Ambroi,  diguèron  li  râfi, 
Noun,  noun,  parlan  pas  pèr  escàfi! 

Mai  vèsl  lou  vin  de  Grau  val  tout-aro  escampa 
De  voste  got...  D'autI  touquen,  paire! 

—  Ah  I  de  moun  tèms  ère  un  cantaire, 
Alor  faguè  lou  panieraire  ; 

Mai  aro,  que  voulès  ?  li  mirau  soun  creba  ^U 

—  Si  !  Mèste  Ambroi,  acô  recrèio  : 
Gantas  un  pau,  digue  Mirèio. 

—  Bello  chatouno,  Ambroi  venguè  dounc  coume  acô, 
Ma  voues  noun  a  plus  que  Taresto  ; 
Mai  pèr  te  plaire  es  déjà  presto. 
E  tout-d'un-tèms  coumencè  'questo. 

Après  agué  de  vin  escoula  soun  plen  got  : 


Lou  Baile  Sufren,  que  sus  mar  coumando, 
Au  port  de  Touloun  a  douna  signau... 
Partèn  de  Touloun  cina  cent  Prouvencau. 


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MIREILLE,  CHANT  1.  17 

—  Eh  bien  !  Maître  Ambroise,  à  la  bruiie, 
N'en  clianlerez-vous  pas  quelqu'une? 

Dit  l'un  d'eux  ;  sans  cela  tout  à  l'heure  on  s'endort. 

—  Chut  !  dit  Ambroise,  l'ironie 
Doit  tôt  ou  tard  être  punie, 

Et  Dieu  le  prouve  à  qui  le  nie.... 
Chante,  toi,  jouvenceau,  toi  plus  jeune  et  plus  fort! 

—  Non,  ce  n'est  point  par  moquerie. 
Dirent  les  valets,  qu'on  vous  prie; 

Voyez!  Nos  verres  pleins  veulent  être  levés! 

Trinquons!  et  vous,  chantez,  grand  père! 

—  Ah  !  de  mon  temps,  et  pour  vous  plaire, 
Dit  le  vieux,  j'aurais  pu  le  taire, 

Mais  l'orgue  ne  va  plus,  les  soufflets  sont  crevés! 

—  Oui,  maître  Ambroise,  dit  Mireille, 
Chantez  un  peu,  cela  réveille. 

—  Ha  voix  est  un  épi  dont  est  tombé  le  grain. 
Dit  le  vieillard,  mais  votre  instance 
Sera  comme  une  eau  de  jouvence. 
Et  sans  plus  tarder  il  commence, 

Après  avoir  vidé  son  grand  verre  de  vin 


Le  bailli  Suffiren,  qui  sur  mer  commande, 
Au  port  de  Toulon  a  fait  ses  signaux.... 
Nous  nous  embarquons  cinq  cents  Provençaux 

2 


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18  MIRËIO,  GâNT  I. 

D'ènsaca  FAnglés  Tenvejo  èro  grando  : 
Youlèn  plus  tourna  dins  nèstis  oustau 
Que  noun  de  TAnglés  veguen  la  desbrando. 


Mai  lou  proumîé  mes  que  navegavian, 
N'avèn  visl  degun,  que  dins  lis  anleno 
Li  vôu  de-gabian  voulant  pèr  centeno... 

Mai  lou  segound  mes  que  vanegavian, 
Uno  broufounié  nous  baie  proun  peno  I 
E,  la  niue,  lou  jour,  dur  agoulamn. 

III 

Mai  lou  tresen  mes,  nous  prenguè  l'enràbi  : 
Nous  bouié  lou  sang  de  degun  trouba 
Que  noste  canoun  pousquèsse  escouba. 

Mai  alor  Sufren  :  Pichouu,  à  la  gàbi! 
Nous  fai  ;  e  subran  lou  gabié  courba 
Espincho  eilalin  vers  la  costo  aràbi... 

IV 

0  tron*de-bon-goi  !  cridè  lou  gabié, 
Très  gros  bastimen  tout  dre  nous  arribo  ! 
—  Alerte,  pichoun  !  li  canoun  en  riboî 

Cridè  quatecant  lou  grand  marinié. 
Que  taslon  d*abord  li  fîgo  d'Anlibo  ! 
N'i'en  pourgiren,  pièi,  d'un  autre  panic. 


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MIREILLE,  CHANT  I.  1» 

De  battre  TAnglais  Tenvie  était  grande  ; 
Nous  ne  voulons  plus  rentrer  dans  nos  eaux. 
Sans  qu'il  soit  défait  ou  sans  qu*i]  se  rende. 

n 

Mais  le  premier  mois  que  nous  naTiguions, 
Rien  n'est  aperçu,  sinon  aux  antennes 
De  noirs  goélands  Tolant  par  centaines... 

Mais  le  second  mois  qu'en  mer  nous  voguions, 
Le  temps  fut  mauvais  aux  humides  plaines, 
Nos  fonds  s'emplissaient  et  nous  les  vidions 

III 

Le  troisième  mois  nous  eûmes  la  rage  ; 
Le  sang  nous  bouillait  de  ne  rien  trouver. 
Que  nos  vieux  canons  pussent  enlever. 

Nais  alors  Sufiren  :  Enfants,  du  courage  î 
Soudain,  se  courbant  pour  mieux  observer, 
Le  gabier  épie  au  loin  vers  la  plage... 

IV 

Mille  noms  d'un  nom  !  cria  le  gabier. 
Trois  gros  bâtiments  sont  là,  tout  en  face  ! 
—  Alerte,   petits  !  les  canons  en  place  ! 

Cria  sur-le-cbamp  le  grand  marinier, 
Qu'ils  talent  d'abord  des  figues  de  Grassft, 
Puis  ils  en  auront  d'Un  autre  panier^ 


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^0  MiRËIO,  CâMT  I. 


N*avîé  panca  di,  se  vèi  qu'uno  flamo  : 
Quaranto  boulet  van  coume  d'uiau 
Trauca  de  TAnglés  li  veissèu  reiau... 

Un  di  bastimen,  iè  resté  que  Tamo! 
Long-tèms  s'entèud  plus  que  li  canouD  rau, 
Lou  bos  que  cracino  e  la  mar  que  bramo. 


Vi 


Di  nemi  pamens  un  pas  tout-au-mai 
Nous  tèn  sépara  :  que  bonuri  que  chalel 
Lou  Balle  Sufren,  intrépide  e  pale, 

E  que  sus  lou  pont  brandavo  jamai  : 

-«  Pichotl  crido  enûn,  que  voste  fiô  calel 

E  vougnen-lèi  dur 'mé  d'ôli  de-z-Ai  ! 

VII 

N*avié  panca  di,  mai  tout  Tequipage 
Lampo  is  alabardo,  i  visplo,  i  destran, 
E,  grapin  en  man,  Tardit  Prouvençau, 

D*an  soulet  alen,  crido  :  A  l'arrambage! 
Sus  lou  bord  angles  saulan  dins  qu*un  saut» 
E  counienço  alor  lou  grand  mourtalage  ! 


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MIREILLE,  CHANT  1.  t\ 


A  peine  a-t-il  dit,  tout  n'est  qu'une  flamme  ; 
Prompt  comme  l'éclair,  un  gros  de  boulets 
Bat  la  flotte  anglaise  à  coups  redoublés  ; 

L'un  des  bâtiments  n'a  bientôt  que  l'âme; 
Et  longtemps  encor,  dans  les  airs  troublés, 
Tonne  le  canon  et  gronde  la  lame  I 


VI 

Un  pas  tout  au  plus  de  chaque  vaisseau 
Nous  tient  séparés  :  ô  douce  allégresse  ! 
Le  bailli  Suflren  que  le  péril  presse, 

Debout  sur  le  pont.  Dieu!  qu'il  était  beau  I 
—  Mes  enfants,  dit-il,  que  votre  feu  cesse  i 
Avec  l'huile  d'Aix,  frottons-leur  la  peau! 

VII 

À  peine  a-t-il  dit,  que  tout  l'équipage 
S'élance  à  la  vouge,  au  croc,  au  grappin, 
Et  le  Provençal,  la  hache  à  la  main, 

D'une  seule  voix  crie  :  à  l'abordage  ! 
Sur  le  bord  anglais  nous  sommes  enfln, 
Et  commence  alors  un  affreux  carnage! 


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22  MIRËIO,  CANT  I 

▼  III 

Oh!  quéntibacèu!  oh!  que  chapladis! 
Que  crèbis  que  fau  Taubre  que  s'esclapo 
Souto  li  maria  lou  pont  que  s'aclapo! 

Mai  que  d'un  Angles  cabusso  e  péris; 
Mai  d'un  Prouvençau  à  TAnglés  s'arrapo, 
L'estren  dins  sis  arpo,  e  s'aproufoundis. 

—  Sèmblo,  parai?  qu'es  pas  de  crèire  ! 
A  qui  se  coupé  lou  bon  rèire. 

Es  pameus  arriba  tau  que  dins  la  cansoun... 

Certo,  poudèn  parla  sens  crento. 

léu  i'ère  que  teniéu  Tempento!... 

Ha!  ha!  tambèn,  dins  ma  mémento. 
Quand  visquèsse  milo  an,  milo  ail  sara  rejounf 

—  Hoi!...  sias  esta  d'aquéu  grand  chaple? 
Mai,  coume  un  dai  souto  Tencbaple, 

Deguéron,  très  contre  un,  tous  escrapouchinal 

—  Quau?  lis  Angles?  fai  en  coulèro 
Lou  vièi  marin  que  s'engimerro... 
Tourna-mai,  risoulet  coume  èro, 

Repreuguô  fieramen  soun  cant  entamena  : 


IX 

Li  pèd  dins  lou  sang,  duré  'quelo  guerro 
Desempièi  dos  ouro  enjusqu'à  la  niue. 
Verai,  quand  la  poudro  embourgnè  plus  l'iae, 


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MIREILLE,  CHANT  L  t3 

VIII 

Dieu!  <iael  branle-bas!  quel  massaere  on  fit! 

ÀTec  quel  fracas  le  mât  se  disloque  ! 

Sous  le  tremblement  le  pont  tombe  en  loque. 

Plus  d'un  fier  Anglais  cbancelle  et  périt, 
Plus  d'un  Provençal  le  cogne  et  le  choque, 
L'étreint  dans  ses  bras,  roule  et  s'engloutit. 

—  Ce  récit  paraît  peu  croyable, 
Dit  le  vieillard  imperturbable; 

Et  pourtant  la  chanson  dépeint  tout,  trait  pour  trait , 

Ce  qu'elle  dit,  c'est  de  l'histoire; 

J'étais  de  quart,  on  peut  m'en  croire, 

Et  ce  jour-)à,  dans  ma  mémoire, 
Si  je  vivais  mille  ans,  mille  ans  il  resterait. 

—  Quoi  !...  vous  étiez  de  la  bataille! 
Jour  de  Dieu  !  Mais,  sous  leur  mitraille, 

Ds  ont  dû  vous  broyer;  trois  contre  un,  ils  l'ont  pu  ! 

—  Qui?  les  Anglais!...  On  les  fit  taire, 
Dit  le  vieui  marin  en  colère... 

Puis  d'une  voix  Sonore  et  claire 
Il  reprit  fièrement  son  chant  interrompu; 

IX 

Les  pieds  dans  le  sang  dura  cette  guerre 
Depuis  midi  plein  jusque  vers  le  soir  ; 
Après  la  fumée,  alors  qu'on  put  voir. 


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24  MIRÈIO,  GANT  1. 

Mai^caYO  cent  onie  à  nosto  galèro; 
Mai  très  bastimen  passèron  pèr  iue. 
Très  bèu  bastimen  dôu  rèi  d'Anglo-Terro 


Pièi  quand  s'envenian  au  pafs  tant  dous» 
Emé  cent  boulet  dins  nôsti  murado, 
Emé  Ycrgo  en  tros,  vélo  espeiandrado, 

Tout  en  galejant,  lou  Baile  amistous  : 

—  Boutas,  nous  digue,  boutas,  cambarado! 
Au  rèi  de  Paris  parlarai  de  vous. 

XI 

—  0  noste  amirau,  ta  paraulo  es  franco, 
Tavèn  respoundu,  lou  rèi  t'ausira... 
Mai,  pàuri  marin,  de-que  nous  fara? 

Avèn  tout  quita,  Toustau,  la  calanco, 
Pèr  courre  à  sa  guerro  e  pèr  Tapara, 
E  yeses  pamens  que  lou  pan  nous  manco! 

XII 

Mai  se  vas  amount,  ensouvène-te, 
Quand  se  clinaran  sus  toun  bèu  passage, 
Que  res  t'amo  autant  que  toun  équipage. 

Car,  0  bon  Sufren,  s'avian  lou  poudé, 
Davans  que  tourna  dins  nôsti  vilage. 
Te  pourtarian  rèi  sus  lou  bout  dôu  det! 


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l 


MIREILLE,  CHANT  I. 

Cent  hommes  manquaient  à  notre  galère  ; 
Nais  trois  bâtiments  allaient  bientôt  choir, 
Trois  beaux  bâtiments  du  roi  d'Angleterre  ! 


Pais,  quand  nous  YOguions  yers  Je  doux  pays, 
Avec  cent  boulets  dans  notre  bordage, 
Vergues  en  tronçons,  sans  mâts  ni  cordage, 

U  Bailli  prenant  son  plus  doux  souris  : 
—  Amis,  nous  dit-il,  allez  je  m'engage 
k  parler  de  vous  au  Roi  de  Paris. 

XI 

^  0  notre  amiral,  ta  parole  est  franche, 

Répondhnes-nous,  le  Roi  Tentendra... 

Mais  dis-nous  quel  bien  nous  en  reviendra  ? 

Nos  enfants  chéris,  notre  maison  blanche, 

Pour  feire  sa  guerre,  on  s'en  sépara, 

£t  nous  n'avons  pas  de  pain  sur  la  planche  I 

XII 

Mais  dans  tous  les  cas,  Bailli,  souviens-toi 
Qae,  des  courtisans  qu'aura  ton  passage, 
Nul  ne  f  aima  plus  que  ton  équipage. 

Car,  si  nous  pouvions  refaire  la  loi. 
Avant  de  rentrer  dans  notre  village. 
Nos  bras  mutilés  te  porteraient  Roi. 


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20  MIREIO,  CANT  L 

XIII 

Es  un  Martegau*2  qu*à  la  vesperado 
A  fa  la  cansoun  en  calant  si  tis... 
Lou  Baile  Sufren  parte  pèr  Paris; 

E  dien  que  li  gros  d'aquelo  encountradu 
Fuguèron  jalons  de  sa  renoumado, 
Esi  vièi  marin  jamais  l'an  plus  vist! 

A  tèms  lou  vièi  dis  amarino 

Acabè  sa  cansoun  marino, 
Que  sa  Toues  dins  li  plour  anavo  s'ennega; 

Mai  pèr  li  ràfi  noun  pas  certo, 

Car  sens  muta,  la  tèsto  alerto, 

E  'mé  li  bouco  entre-duberto, 
Long-tèms  après  lou  cant  escoutavon  enca. 

—  E  vaqui,  quand  Marto  fielavo^^ 

Li  cansoun,  dis,  que  se  cantavo! 
Ëronbello,  o  jouvènt,  e  tiravon  de  long... 

L'èr  s'es  fa'n  pau  vièi,  mai  que  provo? 

Aro  n'en  canton  de  plus  novo. 

En  franchimand,  ounte  s'atrovo 
De  mot  forço  plus  fin...  mai  quau  i'entèndquicont  • 

E  dôu  vièi  su  'quelo  paraulo, 

Li  boulé,  s'aussant  de  la  taulo, 
Êron  ana  mena  si  sièis  couble  au  raiôa 

De  la  bello  aigo  couladisso; 

Ë  sont  la  Iriho  penjadisso, 

En  zounzounant  la  cantadisso 
Dôu  vièi  Valabregan,  abéuravon  li  miôu. 


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MIREILLE,  CHANT  L  t7 

XIII 

C'est  an  Martégal,  d'heureuse  mémoire^ 
Qui  fit  la  chansan  qu'il  chantait  le  soir.. 
Le  Bailli  partit,  sans  trop  s'émouvoir, 

Et  les  grands  d'alors,  oyant  son  histoire. 
Furent  tous,  dit-on;  jaloux  de  sa  gloire 
Et  nul  d'entre  nous  n'a  pu  le  revoir  ! 

Ainsi  finit  le  cliant  nautique, 

A  point,  pour  le  marin  antique, 
Car  sa  voix  dans  les  pleurs  n'a  presque  plus  d'essor  ; 

Mais  trop  tôt  pour  les  autres,  certes. 

Car  muets,  attentifs,  alertes. 

Leurs  grandes  lèvres  entr'ouvertes, 
Ungtemps  après  le  chant  ils  écoutaient  encor. 

~  Voilà,  dît-il,  dans  mon  jeune  âge, 

Les  chants  qu'on  chantait  au  village  î 
fis  célébraient  l'amour,  la  gloire,  les  combats... 

Si  l'air  en  a  vieilli,  qu'importe? 

Je  sais  que  la  mode  comporte 

D'en  composer  d'une  autre  sorte. 
Avec  des  mots  plus  fins. . .  mais  qu'on  ne  comprend  pas  — 

A  ces  mots,  se  levant  de  table. 

Vers  le  grenier  ou  vers  Tétable, 
Paires  et  laboureurs,  tous  s'en  étaient  allés; 

Et  dans  une  belle  eau  courante. 

Non  loin  de  la  treille  pendante. 

Fredonnant  la  chanson  récente 
Les  garçons  de  la  ferme  abreuvaient  leurs  mulets. 


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28  MIRËIO,  GANT  I. 

Mai  Mirèio,  touto  souleto, 

Ëro  restado,  risouleto, 
Hestado  emé  Vincèn,  lou  ûéu  de  Mèste  Ambroi; 

E  tôuti  dous  ensèn  parlavon^ 

E  si  dos  tèsto  pendoulavon 

Uno  vers  Tautro,  que  semblavon 
Dos  cabridello  ^*  en  flour  que  clino  un  vent  galoL 

—  Ab!  ço,  Vincèn,  fasié  Mirèio, 
Quand  sus  Tesquino  as  ta  bourrèio 

E  que  t'envas  pèr  orto  adoubant  li  panié. 
N'en  dèves  vèire,  dins  ti  viage, 
De  castelas,  de  liô  sôuvage, 
D'endré,  de  yot,  de  roumavage!... 

Naulre,  sourtèn  jamai  de  noste  pijounici 

—  Acô  's  bèn  di,  Madamisello  t 
De  Tenterigo  di  grounsello 

Tant  vous  levas  la  set  que  de  béure  au  boucau  ; 
E  se,  pèr  acampa  Tôubrage, 
Dôu  tèms  fau  eissuga  l'outrage, 
Tambèn  a  soun  plesi,  lou  viage, 

E  Toumbro  dôu  camin  fai  ôublida  la  caud. 

Goume  tout-aro,  tre  qu'estîvo, 

Tant  lèu  que  lis  aubre  d*ôulivo 
Se  saran  toul-de-long  enrasina  de  flour, 

Dins  li  plantado  emblanquesido 

E  sus  li  frais,  à  la  sentido, 

Anan  cassa  la  cantarido, 
Quand  vcrdejo  e  lusis  au  gros  de  la  calour. 


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MIREILLE,  CHANT  I.  « 

Mais  la  jeune  fille  enchantée 

Près  de  Vincent  était  restée  ; 
Et  tout  en  se  parlant,  ils  se  buvaient  des  yeux; 

Et  leurs  deux  têtes  rapprochées 

l/une  vers  Faulre  étaient  penchées: 

Tels,   sur  leurs  tiges  détachées, 
Deux  lys  vont  l'un  vers  l'autre  au  gré  d'un  vent  joyeux. 

Ah  çà  !  disait  la  jeune  fille. 
Quand,  chargé  de  ta  pacotille, 

Tu  vas,  par  ci  par  là,  vendre  quelque  panier, 
En  dois-tu  voir,  dans  tes  voyages. 
De  vieux  châteaux,  des  lieux  sauvages, 
Des  trains,  des  fêtes,  des  villages!... 

Nous,  nous  ne  sortons  pas  de  notre  pigeonnier! 

—  Ne  me  plaignez  pas  trop,  Mireille  I 

Du  jus  de  l'acide  groseille 
La  soif  s'étanche  autant  que  si  l'on  boit  au  pot  ; 

Et  si,  pour  amasser  l'ouvrage. 

Du  temps  il  faut  subir  l'outrage. 

Gai  tout  de  même  est  le  voyage. 
Et  i'ombre  du  chemin  fait  oublier  le  chaud. 

Ainsi,  dès  qu'on  peut  quitter  l'âtre. 

Sitôt  que  l'olivier  verdâtre 
Est  devenu  tout  blanc  sous  ses  grappes  en  fleur. 

Côtoyant  le  verger  splendide, 

Sur  le  frêne,  au  flair  qui  nous  guide, 

Nous  poursuivons  la  cantharide. 
Qui  verdoie  et  qui  luit  au  fort  de  la  chaleur. 


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30  MIRÈIO,  GANT  L 

Pièi  nous  li  crouinpon  i  boutigo... 

Quouro  cuiéD,  dins  li  garrigo^^, 
Lou  vermé  rouge  ;  quouro,  i  clar,  anan  pesca 

De  tiro-sang...  La  bravo  pescot 

Pas  besoun  de  fielat  ni  d*esco  : 

Fa  que  de  batre  l'aigo  fresco, 
Uiruge  à  vôsti  cambo  arnbo  s'empega. 

Mai  sias  jamai  estado  i  Santo^^?... 

Es  aqui,  pauro!  que  se  canto, 
Àqui  que  de  pertout  s'adus  li  malandrousf 

lé  passerian  qu'èro  la  voto... 

Gerlo,  la  glèiso  èro  pichoto, 

Mai  quénti  crid!  e  quant  d'esvoto! 
—  0  Santo,  grandi  Santo,  agués  pieta  de  nous! 

Es  l'an  d'aquéu  tant  grand  miracle... 

Moun  Dieu!  moun  Diéul  quet  espetaclcf 
l/n  enfant  èro  au  sôu,  plourant,  malautounet, 

Poulit  coume  Sant  Jan-Batisto; 

E  d'une  voues  pielouso  e  tristo  : 

—  0  Santo,  rendès-me  la  visto, 
Fasié,  vous  adurrai  moun  agneloun  banet.  — 

A  soun  entour  li  plour  coulavon. 
Dôu  tèms,  li  caisse  davalavon*^, 

Plan-plan,  d'eilamoundaut,  sds  lou  pople  agrouva  ; 
E  pas-pulèu  la  tourtouiero 
Moulavo  un  pau,  la  glèiso  entière, 
Coume  un  gros  vent  dins  li  broutiero, 

Cridavo  :  Grandi  Santo,  oh!  venès  nous  sauva. 


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MIREILLE,  CHANT  L  31 

Nous  la  vendons  au  premier  bouge... 

Puis  nous  cueillons  le  kermès  rouge, 
0  nous  allons  pêcher  au  lac  le  plus  prochaii^ 

La  sangsue...  0  pèche  charmante! 

Là,  pas  de  filet,  pas  d^attente. 

Pourvu  qu'on  batte  Teau  dormante, 
La  sangsue  à  vos  pieds  vient  se  coller  soudain. 

Mais  êtes-vôus  allée  aux  Saintes? 

C'est  là  qu'on  chante  des  complaintes, 
Et  qu'un  tas  d'écloppés  se  donnent  rendez- vous! 

Un  jour  de  douce  souvenance. 

J'y  passai;  quelle  foule  immense! 

Quels  élans!  quelle  confiance! 
0  Saintes  !  criait-on,  ayez  pitié  de  nous  ! 

C'était  l'an  de  ce  grand  miracle... 

Je  crois  toujours  voir  ce  spectacle! 
Un  enfant  était  là,  gracieux,  ingénu, 

Mais  aveugle  dès  sa  naissance, 

Et  disant  :  —  Saintes  de  Provence, 

Ouvrez  mes  yeux  ;  en  récompense 
iiî  fiendrai  vous  offrir  mon  agnelet  cornu.  - 

Les  femmes  pleuraient  sur  ses  traces; 

Entre-temps  descendaient  les  châsses. 
Lentement,  de  là-haut,  sur  le  peuple  à  genoux 

Au  moindre  arrêt,  l'Église  entière, 

L'œil  fixé  sur  le  sanctuaire, 

Comme  un  grand  vent  dans  la  bruyère 
Criait  :  0  Saintes  Sœurs,  ayez  pitié  de  nous  î 


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33  MIRÈIO,  CANT  !. 

Mai,  dins  li  bras  de  sa  meirino, 

De  si  manoto  mistoulino 
Tre  que  i'enfantounet  pousquè  touca  lis  os 

Di  très  Mario  benurouso, 

S'arrapo  i  caisso  miraclousOy 

Emé  l'arpiado  vigourouso 
Déu  negadis  en  quau  la  mar  jito  uno  posti 

Mai  pas-puléu  sa  man  aganto 

Em'  afecioun  lis  os  di  Saato, 
(Lou  veguère  !)  subrao  cridè  l'enfantounet 

Emé  'no  fe  meravihouso  : 

—  Vese  li  caisso  miraclouso  ! 

Vese  ma  grand  touto  plourouso! 
Anen  querre,  lèu,  lèu,  moun  agneloun  baiiet  1 

E  vous  tambèD,.Madamisello, 

Dieu  vous  mantèngue  urouso  e  bello! 

Mai  s'un  chin,  un  lesert,  un  loup,  o  'n  serpatas, 
0  touto  autro  bèsti  courrènto, 
Vous  fai  senti  sa  dent  pougnènto, 
Se  lou  malur  vous  despoutènto, 

Gourrès,  courrès  i  Santo  !  aurés  léu  de  soûlas.  - 

Ansin  fusavo  la  vihado. 

La  carreto  desatalado 
Emé  si  grandi  rodo  ourabrejavo  pas  liun; 

Tèms-en-tèms  dins  li  palunaio 

S*entendié  dinda  'no  sounaio... 

E  la  niachoto  que  panlaio 
Au  caut  di  roussi  gnou  apoundié  soun  plagnun« 


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MIREILLE,  CHANT  I.  dli 

Mais  soutenu  par  sa  marraine. 

Qui  guidait  sa  marche  incertaine. 
Dès  que  l'enfantelet,  ses  petits  bras  en  l'air. 

Peut  saisir  la  sainte  relique, 

Il  s'y  cramponne  et  se  l'applique 

Avec  la  vigueur  frénétique 
D'un  naufragé  qui  trouve  une  planche  à  la  merl 

Et  pas  plus  tôt  sa  main  joyeuse 

Touche  la  châsse  bienheureuse, 
Qu'à  l'état  naturel  son  œil  est  revenu. 

—  Oh  !  dit-il,  grâce  inespérée  I 

Je  vois  la  châsse  vénérée  f 

Je  vois  mon  aïeule  éplorée  1 
Gonrons  vite  chercher  mon  agnelet  cornu! 

Et  vous  aussi,  Mademoiselle, 

Que  Dieu  vous  garde  heureuse  et  belle  I 
Mais  ai  jamais  un  loup,  ou  tout  autre  animal. 

Vous  mordait  de  sa  dent  cruelle  ; 

Si  le  sort,  jaloux,  infidèle, 

Vous  touchait  jamais  de  son  aile, 
Vite  aux  Saintes!  c'est  là  qu'on  guérit  de  tout  mal!  — 

Ainsi,  s'écoulait  la  veillée  ; 

Non  loin  de  là,  sous  la  feuillée. 
Le  grand  char  projetait  son  ombre  sur  le  sol  ; 

Le  son  aigu  d'une  clochette 

Tintait  dans  la  lande  muette... 

Et  sur  les  ormes  la  chouette, 
Mêlait  son  cri  plaintif  au  chant  du  rossignol. 

3 


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S4  MIRÊIO,  CANT  I. 

—  Mai,  dins  lis  aubre  e  dins  li  lono 
D'abord  qu'aniue  la  luno  dono, 

Voulès,  dis,  que  vous  conte  une  fes  qu'en  courrènt 
D*en-tant-lèu  gagnave  li  joie?  — 
La  chatouneto  digue  :  Solo  ! 
E  mai  qu'urouso,  la  ninoio 

En  tenènt  soun  alen  s'aprouchè  de  Vinçèn. 

—  Ère  à  Nimes,  sus  TEsplanado, 
Qu'aquéli  course  èron  dounado, 

A  Nimes,  o  Mirèio!...  Un  pople  amoulouna 

E  mai  espés  que  peu  de  tèsto, 

Èro  aqui  pèr  vèire  la  fèsto. 

En  peu,  descaus  e  sènsô  vèsto, 
Proun  courrèire  au  mitan  déjà  venien  d'ana. 

Tout-en-xm-cop  van  entre-vèire 

Lagalanto,  rèi  di  courrèire, 
Lagalanto,  aquéu  fort  que  soun  noum  de-segur 

Es  couneigu  de  Tosto  auriho, 

Âquéu  célèbre  de  Marsiho, 

Que  de  Prouvènço  e  d'Italie 
Avié  desalena  lis  orne  li  plus  dur... 

T'avié  de  cambo,  avié  de  cueisso 

Goume  lou  Senescau  Jan  Cueisso  >M 
De  large  plat  d'estam  avié'n  plen  estanié, 

Mounte  si  course  èron  escricho  ; 

E  tant  n'avié,  de  cherpo  richo, 

Qu'aurias  jura  qu'à  si  traficho, 
Mirèio,  l'arc-de-sedo  espandi  se  teniél 


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MIREILLE,  CHANT  L  85 

—  Pendant,  dit  le  gars,  que  la  lune 
Oscille  et  dort  sur  la  lagune, 

Voulez-vous  qu'en  passant  je  vous  conte  comment. 
Un  jour  de  fête  patronale, 
J'ai  cru  décrcreher  la  timbale? 

—  Oui,  dit  la  jeune  Provençale 

Qui  soudain  se  rapproche  un  peu  plus  de  Vincent 

—  C'est  à  Nîmes,  sur  l'Esplanade, 
Vaste  et  superbe  promenade, 

Que  ceci  se  passait...  Un  peuple  aggloméré. 

Et  plus  épais  que  poils  de  tête, 

Se  pressait  là  pour  voir  la  fête  ; 

Et,  dans  la  lice  toute  prête. 
Des  agiles  coureurs  le  groupe  était  entré. 

Tout  à  coup  parut  Lagalante, 

Roi  des  coureurs,  sans  qu'on  le  vante; 
Lagalante,  ce  fort  dont  le  nom,  à  coup  sûr, 

A  dû  sonner  à  votre  oreille; 

Ce  ûls  célèbre  de  Marseille, 

Dont  tout  le  monde  dit  merveille. 
Tant  il  battit  de  fois  le  rival  le  plus  dur... 

Quelle  taille!  quelle  membrure! 

Tout  est  vigueur  en  sa  nature  ; 
De  larges  plats  d'étain  son  mur  est  constellé  ; 

Chaque  plat  marque  une  victoire; 

On  voit  tant  d'écharpes  de  moire 

A  son  plafond,  qu'on  pourrait  croire 
Que  Tarc-en-ciel  y  loge  et  s'y  tient  étalé. 


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86  MIRÊIO,  OANT  I. 

Mai  tout-d'un-tèms,  beissant  la  tèsto. 
Lis  antre  cargon  mai  si  vèsto... 

Res  emé  Lagalanto  auso  courre.  Lou  Cri» 
Un  jouveinet  de  primo  traco, 
(Mai  qu'avié  pas  la  cambo  flaco  !) 
Ëro  yengu  mena  de  vaco 

A  Nimes,  aquéu  jour  :  soûl,  ausè  TagarrL 

lén  que  d'asard  me  i'atrouvère  ! 

Eh  !  noum-d'un-gàrri  !  m'escridère, 
Sian  courrèire  peréu!...  Mai  qu'ai  di,  fouligau 

Tout  acô  vèn  :  —  D'aut  !  te  fau  courre  ! 

E  jujas  vèire  :  sus  li  moure, 

E  pèr  temouin  rèn  que  li  roure, 
N'aviéu  just  courregu  qu'après  li  perdigaut 

Fauguè  i*ana!  Fa  Lagalanto, 

Qu'entre  me  yèire,  ansin  m'aplanto  : 
•—  Pos,  moun  paure  pichot,  liga  ti  courrejoun  '1 

E  'nterin,  de  si  cueisso  redo 

Eu  estremavo  la  mouledo 

En  de  braieto  facho  en  sedo, 
Que  dès  cascaTèu  d'or  à  l'entour  i'èron  joun. 

Pèr  que  l'alen  se  ié  repause, 
Prenèn  i  bouco  un  brout  de  sause; 

Tôuti,  coume  d'ami,  nous  toucan  lèu  la  man. 
Trefouli  de  la  petelego,  ' 

Emé  lou  sang  que  nous  boulego, 
Tôuti  très,  lou  pèd  sus  la  rego, 

Esperan  lou  signau!...  Es  douna!  Goome  un  lamp 


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MIREILLE,  CHANT  L  87 

En  le  voyant,  la  tête  basse, 

Tous  les  coureurs  quittent  la  place... 

Comment  se  mesurer  avec  un  tel  rival  ! 

Seul,  un  berger,  vaillant  jeune  homme. 
Le  Cri,  c'est  ainsi  qu'on  le  nomme. 
Flaire,  se  tftte,  et  trouve  en  somme 

Qœ  pour  lui  le  combat  n'est  pas  trop  inégal. 

Moi,  témoin  de  tout  ce  manège. 

Nom  d'un  bonhomme  I  m'écriai-je. 
Nous  aussi  nous  courons!...  Malheureux,  qu'ai-je  dit! 

On  encourage  ma  folie, 

On  m'excite  dans  mon  envie, 

Moi  qui  n'ai  couru  de  ma  vie. 
Qu'après  quelques  perdreaux  échappés  de  leur  nid! 

Je  me  risque,  arrive  que  plante. 

—  Tu  cours,  petit?  dit  Lagalante, 
Serre  donc  ta  chaussure  ;  oh  !  serre,  serre  encor  ; 

En  même  temps,  sa  main  calleuse 

Enfermait  sa  chair  musculeuse 

Dans  une  brayette  soyeuse, 
A  laquelle  pendaient  dix  joyeux  grelots  d'or. 

Pour  que  le  souffle  s'y  repose, 
Nos  dents  pressent  un  brin  de  rose; 

Tous,  comme  des  amis,  nous  nous  tendons  la  main; 
Tressaillant,  respirant  à  peine. 
Le  sang  bouillant  dans  chaque  veine, 
Nous  voilà  tous  trois  sur  Tarène, 

attendant  le  signal!...  il  est  donné!  Soudain 


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88  MIRÊIO,  GANT  L 

Tôuti  très  avalan  la  piano  ! 

Té  tu!  té  iéu!  E  dins  Tandano 
Un  revoulun  de  pôosso  embarro  nôsti  saut! 

E  Ter  nous  porto,  e  k>u  peu  tubo... 

Ohl  qu'afecioun!  oh!  queto  estubo! 

Long-tèms,  déu  vanc  que  nous  atubo, 
Creseguéron  qu'en  front  empourtarian  l'assaut! 

Iéu  à  la  fin  prene  l'avanço. 
Mai  fugué  bén  ma  maluranço! 

Car,  en  estent  que  iéu,  coume  un  fier  fouletoun, 
A  la  perdudo  m'abriyave, 
Tout-en-un-cop,  meurent  e  blaye, 
Au  béu  moumen  que  11  passave, 

Darboune,  court  d'alen,  e  de  mourre*bourdoun! 

Mai  éli  dous,  coume  quand  danson 

Â-z-Ais  li  ChiYau*-frus»,  se  lançon, 
Régla,  toujour  régla.  Lou  famous  Marsibés 

Gresié  segur  de  l'avé  belle!... 

S'éi  di  qu'avié  gen  de  ratello  : 

Lou  Marsibés,  Madamisello, 
Pamens  trouTè  soun  orne  en  lou  Cri  de  Mouriés^*  ! 

Dintre  lou  pople  que  i'afloco, 

Déjà  brulavon  de  la  toco^... 
Ma  belle,  aguessias  vist  landa  lou  Cri!...  Vclou ! 

Ni  pér  li  mount  ni  pér  li  servi. 

Fa  ges  de  lèbre,  ges  de  cér?i 

Qu'agon  au  courre  tant  de  nérvi  ! 
Lagalanto  t'alon^o  en  ourlant  coume  un  loup... 


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MIREILLE.  CHANT  I. 

Nous  nous  lançons  dans  la  carrière 

  Tenvi  ;  des  flots  de  poussière 
Enveloppent  nos  pas;  l'éclair  n'est  pas  plus  prompt! 

Et  le  poil  fume,  et  l'air  nous  porte  ;  . 

C'est  l'un,  c'est  l'autre  qui  l'emporte; 

Telle  est  l'ardeur  qui  nous  transporte, 
Qa'on  s'attend  à  nous  voir  tous  arriver  de  front! 

Enfin,  c'est  moi  qui  prends  l'avance  ; 

Mais  ce  fut  là  ma  maie  chance  ! 
Car  pendant  que  mes  bonds  ardents,  désordonnés. 

M'aident  à  dévorer  l'espace, 

Âa  moment  où  je  les  dépasse. 

Tout  à  coup,  sur  ma  janâbe  lasse. 
Je  fléchis,  court  d'haleine,  et  vais  donner  du  nez! 

Eux,  par  contre,  imitant  la  danse 

Des  Ghevaux-frux  d'Aix  en  Provence, 
Gourent  d'un  pas  réglé,  bien  réglé...  qui  l'eût  dit? 

Le  Marseillais,  chance  cruelle 

Alors  qu'elle  semblait  si  belle! 

Le  Marseillais,  Mademoiselle, 
Cette fob  se  trouva  dépassé  par  le  Cri. 

A  travers  la  foule  qu'ils  fendent. 

Et  presque  au  but,  leurs  bras  se  tendent, 
Gomme  pour  le  toucher...  Ruisselant  de  partout, 

Le  Cri  s'élance  à  tire  d'aile  ; 

Ce  n'est  plus  le  daim  qu'il  rappelle 

Ni  le  lièvre,  c'est  l'hirondelle  ! 
Lagalante  se  rue  en  hurlant  comme  un  loup... 


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10  MIREIO,  GAMTI. 

E  Ion  Cri,  courouna  de  gloio, 

Embrasso  la  barro  di  joio  ! 
Tôuti  li  Nimausen,  en  se  precepitant, 

Volon  counèisse  sa  patrie  ; 

Lou  plat  d'estam  au  soulèu  briho, 

Li  palet^  dinden,  is  auribo 
Gante  Tauboi...  Leu  Cri  reçaup  lou  plat  d'estain. 

—  E  Lagalanto?  fè  Mirèio. 

—  Âgroumeli,  dins  la  tubèio 

Que  lou  trapé  d6u  pople  aubouravo  à  l'entour, 
Tenié  sarra  de  si  man  jouncho 
Si  dous  geinoui  ;  e  Tamo  pouncho 
De  rescomo  que  tant  lou  councbo, 

1  degout  de  soun  front  eu  mesclayo  de  plour. 

Lou  Cri  Tabordo  e  lou  salùdo  : 

—  Soute  l'autin  d'une  begudo, 
Fraire,  digue  lou  Cri,  *mé  iéu  vène-t'enlôu! 

Vuei  lou  plesi,  deman  la  reno  ! 
Vène,  que  beguen  lis  estreno  ! 
Âlin,  darrié  li  grands  Areno, 
Pèr  tu,  coume  pèr  iéu,  vai,  i'a  'nca  proun  soulôu  I 

Mai,  aubourant  sa  caro  blavo, 
E  de  sa  car  que  trampelavo 
Arrancant  si  braieto  emé  d*esquerlo  d'or . 

—  D'abord  que  iéu  l'âge  m'esbréuno, 
Té  I  ié  respoundeguè,  soun  tiéuno  ! 
Tu,  Cri,  la  jouinesso  t'assiéuno  : 

Em'  ounour  pos  pourta  li  braio  dôu  plus  fort. 


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MIKEILLE,  CHANT  1.  41. 

Mais  le  Cri,  couronné  de  gloire. 

Touche  le  but...  hurrah!  victoire! 
On  veut  savoir  son  nom,  on  vient  serrer  sa  main; 

Le  plat  dans  les  airs  se  balance. 

Les  palets  tintent  en  cadence. 

Le  tambour  bat...  Le  Cri  s'avance 
Et  triomphalement  reçoit  le  plat  d'étain. 

—  Et  Lagalante?  dit  Btireille  ; 

—  Le  pauvre  vaincu  de  Marseille, 
\ccroupi,  désolé,  dévorant  son  aifronti 

11  était  là,  dans  la  poussière. 
Ne  supportant  plus  la  lumière, 
Et,  plus  qu'à  son  heure  dernière, 
U  mêlait  à  ses  pleurs  les  gouttes  de  son  front» 

Le  Cri  l'aborde  et  le  salue  ; 

—  Au  cabaret  de  l'Avenue, 

Vioks,  dit-il,  oublier  les  caprices  du  sort  ! 

Aux  plaisirs  succèdent  les  peines. 

Viens,  allons  boire  les  étrennes  ! 

Là-bas,  derrière  les  Arènes, 
Pour  toi,  comme  pour  moi,  le  soleil  luit  encor!  — 

Mais,  l'œil  éteint,  la  face  blême. 
Toujours  plus  honteux  de  lui-même, 
U  lire  la  brayette  aux  joyeux  grelots  d'or  : 

—  Puisque  la  force  m'abandonne, 
Tiens,  lui  dit-il,  je  te  la  donne  I 
En  toi  la  jeunesse  rayonne. 

Tu  peux,  tu  peux  porter  les  grelots  du  plus  fort. 


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i%  MIRËIO,  GANT   I. 

Acô-d'aqui  fugué  sa  dicho. 

£  dins  la  prèisso  que  s'esquicho, 
Triste  coume  un  long  frais  que  Fan  deseapela 

Despareiguè  lou  grand  courrèire. 

Ni  pèr  Sant-Jan  ni  pèr  Sant-Pèire, 

En-liô  jamai  s'es  plus  fa  vèire 
Pèr  courre  yo  sauta  sus  Touire  boudenfla.  -^ 

Dayans  lou  Mas  di  Falabrego, 

Ânsio  Vincèn  fasié  desplego 
Di  cause  que  sabié.  Li  rouito  ié  yenien, 

E  soun  iue  nègre  flamejayo. 

Ço  que  disié,  lou  brassejayo, 

£  la  paraulo  i'aboundayo 
Coume  un  ruscie  subit  su  'n  reyiéure  maien. 

Li  grihet,  cantant  dins  li  mouto, 
.  Mai  d'un  cop  fagdëron  escouto  ; 
Souvent  li  roussignôu,  souyènt  l'aucèu  de  niue 

Dins  lou  bos  faguèron  calamo  ; 

£  pertoucado  au  founs  de  Tamô, 

Elo»  assetado  sus  la  ramo, 
Enjusqu'à  la  primo  aubo  aurié  pas  plega  i^iae. 

—  léu  m'es  d'avis,  fasi'  à  sa  maire, 
Que,  pèr  l'enfant  d*un  panieraire. 

Parle  rudamen  bèn!...  0  maire,  es  un  plesi 
De  soumiha,  Tivèr  ;  mai  aro 
Pèr  soumiha  la  niue  's  trop  claro  : 
Escouten,  escouten-rencaro... 

Passariéu  mi  yihado  e  ma  yido  à  Tausi  t 


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MIREILLE,   CHANT  I.  43 

A  ces  mots,  dans  la  foule  émue, 

Il  se  dérobe  et  s'insinue. 
Plus  triste  qu'un  yieux  pin  quand  la  foudre  le  fend  ; 

Et  depuis  lors,  aucune  fête 

Ne  Ta  plus  vu,  vaillant  athlète, 

Le  regard  fier  et  haut  là  tète, 
Hi  courir,  ni  sauter  sur  le  bouc  plein  de  vent.  — 

Devant  le  mas,  sous  le  feuillage. 

Ainsi  Vincent  fait  l'étalage 
De  tout  son  gai  savoir;  son  regard  animé. 

Son  geste,  sa  pose  éloquente 

Secondent  sa  parole  ardente. 

Qui  tombe  rapide,  abondante. 
Comme  un  orage  dru  sur  un  regain  de  Mai. 

Les  grillons,  dont  Therbe  foisonne. 

Ont  cessé  leur  chant  monotone  ; 
Le  rossignol  s'est  tu,  sous  les  feuillages  verts  ; 

Elle,  assise  sur  la.  ramée. 

Sentait,  dans  son  âme  charmée. 

Une  ivresse  inaccoutumée. 
Et  aoB  front  s'inclinait  sous  des  pensers  divers! 

—  Un  fils  de  vannier,  dit  Mireille, 

Parler  ainsi  !  Quelle  merveille!... 
Linver,  je  le  comprends,  il  est  doux  de  dormir  ! 

Mais  l'été,  quand  Ysàt  qui  se  dore 

Joint  le  crépuscule  à  l'aurore. 

Écoutons,  écoutons  encore.... 
le  passerais  mes  jours  et  mes  nuits  à  l'ouïr  ! 


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NOTES  DU  CHANT  PREMIER 


*  Quoique  le  mot  jouvence,  encore  vsité  dans  la  langue 
provençale)  le  soit  peu  dans  la  langue  française,  il  nous  a 
semblé  qu'il  trouverait  ici  sa  grâce,  en  faveur  de  la  fidélité 
de  la  traduction. 

1 .  Lou  Mas  di  Falabrego  (le  Mas  des  Micocoules).  Le  mot  fiutt^ 
maison  rustique,  ferme,  métairie,  est  usité  surtout  dans  Tar- 
rondissement  d'Arles  et  en  Languedoc.  Dans  la  Provence 
orientale,  on  emploie  de  préférence  le  mot  bastido,  et  dans  le 
Gomtat  celui  de  granjo. 

Chaque  Mas  porte  un  nom  distinctif  et  caractéristique  : 
ainsi  lou  Mas  de  la  Font,  lou  Mas  de  VOste,  lou  Mas  Cremat 
lou  Mas  di  Falabrego, 

La  falabrego  est  le  fruit  du  micocoulier,  en  provençal  /alo- 
breguié  {Cdtis  austraUs  de  Linné),  grand  arbre  commun  en 
Provence.  Les  mots  mas  et  falabrego  sont  tous  deux  d'origine 
celtique.  On  prétend  môme  que  Marseille,  Massàlia,  vient  de 
mas  Sàlyum,  habitation  des  Salyens. 

2.  A  iravès  de  la  Crau  (à  travers  la  Grau).  La  Grau  (du  grec 
xpaOpoç,  aride),  vaste  plaine  aride  et  caillouteuse,  bordée  au 
nord  par  la  chaîne  des  Alpines,  au  sud  par  la  mer,  au  levant 
par  les  étangs  du  Martigue,  au  couchant  par  le  Rhône.  C'est 
TArabie  Pétrée  de  la  France.  Elle  est  traversée  par  le  canal 
de  Graponne,  qui  la  parsème  d'oasis.  (Voyez  le  chant  VIII.) 

3.  Magalouno  (Maguelonne),  sur  le  littoral  du  département 
de  l'Hérault.  De  cette  cité,  ancienne  colonie  grecque,  il  ne 
reste  aujourd'hui  qu'une  église  en  ruine.  M.  Moquin-Tandon, 
membre  de  Tinstitut  et  poète  languedocien,  a  composé,  sous 
le  nom  de  Carya  magalonensis,  une  spirituelle  chronique  en 
langue  romane  sur  les  principaux  événements  dont  cette  ville 
(ùt  le  théâtre  pendant  les  premières  années  du  quatorzième 
siècle. 


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NOTES  DU  CHANT  I.  45 

4.  Vèni'larg  (vent  largue),  qui  souffle  du  large,  brise  de 
Ber 

5.  Lou  Rau  (le  Rau),  vent  d'ouest  qui  amène  quelquefois  la 
pluie. 

6.  Câspi  ou  caspitello,  interjection  qui  marque  la  surprise, 
pouvant  se  rendre  par  dame!  iudieu! 

7.  LiBaussenco  (les  filles  des  Baux).  Li  Baui  (les  Baux) 
Tille  ruinée,  ancienne  capitale  de  la  maison  princière  des  Baux. 
I A  trois  lieues  d'Arles,  au  sommet  rocailleux  d'un  versant  des 
Alpines,  sont  épars  les  débris  d'une  ville  qui,  par  le  gran- 
diose du  site,  par  l'ancienneté  de  sa  fondation  et  l'importance 
do  rôle  qu'elle  a  joué  dans  les  annales  du  pays,  attire  les  pas 
da  voyageur,  exalte  l'imagination  de  l'artiste,  offre  à  la  curio- 
nié  des  archéologues  une  abondante  pâture,  irrite  et  confond 
Murent  leur  docte  sagacité.  »  (Jules  Ganonge,  Histoire  de  la 
«iUe  det  Baux  en  Provence.) 

Gomme  le  nom  de  cette  poétique  localité  reparaît  plusieurs 
fois  dans  le  poème,  nous  croyons  que  le  lecteur  lira  avec  plai- 
sir la  description  suivante,  empruntée  au  môme  auteur. 

•  ...KnÔn  s'ouvrit  une  étroite  vallée:  je  m'ii^clinai  devant 
vue  croix  de  pierre  dont  les  débris  sanctifient  la  route,  et 
<IQand  mon  regard  se  releva,  il  s'arrêta  étonné  sur  un  ensem- 
Ue  de  tours  et  de  murailles  perchées  à  la  cime  d'un  roc,  tel 
<|ae  je  n'en  avais  jamais  vu,  excepté  sur  les  œuvres  où  le  génie 
de  la  peinture  s'est  inspiré  des  plut  fabuleuses  imaginations 
de  l'Arioste.  Mais  si  mon  étonnement  fut  grand  à  ce  premier 
>ipeet,  il  redoubla  lorsque  j'eus  gravi  une  éminence  d'où  la 
Tille  entière  se  déploya  devant  moi  :  c'était  un  tableau  de 
irandeur  désolée  comme  ceux  que  nous  fait  rêver  la  lecture 
des  prophètes;  c'était, ce  dont  je  ne  soupçonnais  pas  l'exit- 
^ee,  c'était  une  ville  presque  monolithe.  Ceux  qui  les  pre- 
'uers  eurent  la  pensée  d'habiter  ce  rocher  taillèrent  leur  abri 
d«nt  ses  flancs;  ce  nouveau  système  d'architecture  fut  jugé 
iKm  par  leurs  successeurs,  car  la  masse  était  vaste  et  com- 
pacte :  une  ville  en  sortit  bientôt  comme  une  statue  du  bloc 
d*où  l'art  la  fait  jaillir  :  une  ville  imposante,  avec  ses  fortift- 
cttioQs,  tes  chapelles  et  ne»  hospices,  une  viUe  où  l'homme 


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46  NOTES  DU  CHANT  1. 

femhlait  avoir  éternisé  sa  demeure.  L'empire  de  cette  cité 
s'étendit  au  loin;  de  brillants  faits  d*armes  lui  conquirent  une 
noble  place  dans  Thistoire,  mais  elle  n*en  fut  pas  plus  durable 
que  tant  d'autres  moins  solidement  construites .  > 
L'action  du  poème  commence  au  pied  de  ces  ruines. 

8.  Valàbrego  (Valabrègue),  village  situé  sur  la  rive  gauche 
du  Rhône,  entre  Avignon  et  Tarascon. 

9.  ForU'Vièio  (Font-Vieille),  village  situé  dans  une  vallée 
des  Alpines,  aux  environs  d'Arles. 

iO.  Colo  Baussenco  (collines  des  Baux).  (Voyez  la  note  7.) 

11.  £t  mirau  soun  creba  (les  miroirs  sont  crevés).  En  pro- 
vençal on  appelle  mirau,  miroirs,  deux  petites  membranes 
luisantes  et  sonores  que  les  cigales  ont  sous  l'abdomen,  et 
qui,  par  leur  frottement,  produisent  le  bruit  connu  sous  le 
nom  de  chant.  On  dit  proverbialement  d'une  personne  dont  la 
voix  est  brisée  par  l'âge  :  a  li  mirau  creha,  elle  a  les  miroirs 
crevés. 

12.  Martegau  (Martégal),  habitant  du  Martigue,  en  proven- 
çal  lou  MarteguCf  curieuse  ville  de  Provence,  presque  entiè* 
rement  peuplée  de  pécheurs,  bâtie  sur  des  Ilots,  au  milieu  de 
la  mer  et  de  nombreux  étangs,  sillonnée  de  canaux  en  guise 
de  rues,  ce  qui  lui  a  valu  le  surnom  de  Venise  provençale.  Elle 
a  donné  le  jour  à  Gérard  Tenque,  fondateur  des  Hospitalier! 
de  Saint-Jean  de  Jérusalem. 

13.  QiuLnd  Mario  fielavo  (quand  Marthe  filait),  expressioii 
proverbiale  qui  signifie  ;  Dans  un  temps  plus  heureux,  dans 
le  bon  vieux  temps,  par  allusion  peut-être  à  Marthe,  l'hôtesse 
du  Christ,  qui,  après  avoir,  selon  la  légende,  délivré  Tarascon 
du  monstre  qui  ravageait  son  territoire,  termina  ses  jours 
dans  cette  contrée,  habitant  une  maisonnette  aux  bords  du 
Rhône,  et  filant  modestement  sa  quenouille  au  milieu  de  ses 
néophytes. 

14.  Cahridello  (cabridelle,  aster  tripolium.  Lin.),  plante 
commune  dans  les  marécages  du  Midi. 

15.  Garrigo  (garrigue),  lande  où  il  ne  croit  que  des  chénei- 
nains,  agarrus. 


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NOTES  DU  CHANT  L  47 

16.  Sias  januù  estado  i  Santo  (n'avez-yous  jamais  été  aux 
Saintes?).  Les  Saintes-Maries-de-la-Mer,  en  provençal  Li  Santo, 
petite  Tille  de  543  habitants,  située  dans  Tlle  de  Camargue, 
an  bord  de  la  mer,  entre  les  embouchures  du  Rhdne.  Une 
vénérable  et  poétique  tradition  y  attire,  le  25  mai  de  chaque 
année,  de  tous  les  points  de  la  Provence  et  du  Bas-Languedoc, 
une  afiluence  innombrable  de  pèlerins. 

La  légende  rapporte  qu'après  la  mort  du  Christ  les  Juifs 
contraignirent  quelques-uns  de  ses  plus  fervents  disciples  à 
monter  sur  un  navire  désemparé,  et  les  livrèrent  à  la  merci 
des  flots.  Voici  comment  un  vieux  cantique  français  décrit 
eette  scène  : 

LES  JUIFS 

Entrez,  Sara,  dans  la  nacelle,  ^ 

Lazare,  Marthe  et  Ifaximin, 
Glëon,  Trophime,  Saturnin, 
Les  trois  Maries  et  Marcelle, 
Buirope  et  Martial,  Sidoine  avec  Joseph  {A'Ârimatkie), 
Vous  périrez  dans  cette  nef. 

Allez  sans  voile  et  sans  cordage, 
Sans  mât,  sans  ancre,  sans  timon, 
Sans  aliments,  sans  aviron. 
Allez  Cure  un  triste  naufrage  ! 
Retirez-vous  d'ici,  laissez-nous  en  repos, 
Allez  crever  pariùi  les  flots. 

Conduite  par  la  Providence,  la  barque  vint  aborder  en  Pro- 
tence,  à  l'extrémité  de  File  de  Camargue.  Les  pauvres  bannis, 
■Braculeusement  échappés  aux  périls  de  la  mer,  se  disper- 
lèrent dans  la  Gaule  méridionale  et  en  furent  les  premiers 
^lôtres. 

Marie-Magdelehie,  l'une  des  trois  Maries,  se  retira  dans  le 
désert  de  la  Sainte-Baume,  pour  y  pleurer  ses  péchés.  Les 
deux  autres,  Marie-Jacobé,  mère  de  saint  Jacques  le  Mineur, 
etMarie-Salomé,  mère  de  saint  Jacques  le  Majeur  et  de  saint 
lean  l'Évangéliste,  accompagnées  de  leur  servante  Sara,  après 
avoir  converti  à  la  foi  nouvelle  quelques-unes  des  peuplades 
foisines,  revinrent  mourir  au  lieu  de  leur  débarquement 
(T<^i  le  chant  XU 


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48  NOTES  DU  GHAMT  I. 

M.  B.  Laurens,  qui  a  raconté  et  dessiné,  dans  le  journal 
rillustration  (t.  XX,  p.  7),  le  pèlerinage  des  Saintes  Maries, 
ajoute  :  •  On  dit  qu'un  prince  dont  le  nom  n*est  pas  désigné,' 
sachant  que  les  corps  des  Saintes  .Maries  reposaient  en  cet 
endroit,  y  fit  bâtir  une  église  en  forme  de  citadelle,  pour  la 
mettre  à  couvert  de  Tinvasion  des  pirates.  Il  fit  bâtir  égale* 
ment  à  Tentour  de  l'église  des  maisons  et  des  remparts  pour 
mettre  les  habitants  du  pays  en  sûreté.  Les  constructions  que 
Ton  voit  encore  aujourd'hui  répondent  parfaitement  à  cette 
dernière  tradition. 

»  En  1448,  après  avoir  entendu  un  sermon  sur  le  bonheur 
qu'avait  la  Provence  de  posséder  les  dépouilles  des  Saintes 
Maries,  le  roi  René  alla  visiter  l'église  bâtie  en  leur  honneur, 
fit  faire  des  fouilles  pour  trouver  les  saints  ossements,  et  le 
succès  de  son  entreprise  fut  constaté  par  l'odeur  merveilleuse 
qui  s'exhala  au  moment  où  chaque  corps  fut  mis  à  découvert. 
Il  est  inutile  de  dire  tous  les  honneurs  qu'on  rendit  à  ces 
reliques  et  tout  le  soin  qu'on  en  prit.  > 

i7.  Li  caisso  davàlavon  (les  châsses  descendaient) . 

t  Le  chœur  de  l'église  présente  cette  particularité  d'être 
formé  de  trois  étages  :  une  crypte,  qui  est  désignée  comme 
étant  la  place  même  de  l'antique  oratoire  des  Saintes,  un 
sanctuaire  exhaussé  plus  qu'à  l'ordinaire,  et  une  chapelle 
supérieure  où  sont  exposées  les  châsses  des  reliques...  Ce- 
pendant d'innombrables  cierges  tenus  par  les  assistants  s'allu- 
ment, et  le  cabestan  dont  la  chaîne  retenait  la  châsse  des 
reliques  se  déroulant,  cette  châsse  descend  lentement  de  la 
chapelle  supérieure  dans  le  chœur.  C'est  le  moment  favorable 
aux  miracles.  Aussi  un  concours  immense  de  supplications 
s'élève  de  tous  côtés  :  Saintes  Maries,  guérisse*  mon  enfant! 
tel  est  le  cri  pénétrant  qui  vient  arracher  des  larmes  au  cœur 
le  plus  froid.  Tout  le  monde  attend,  en  chantant  des  can- 
tiques, le  moment  où  il  pourra  faire  asseoir  sur  la  châsse  un 
pauvre  aveugle  ou  un  épileptique,  et  quand  il  y  est  parvenu, 
tout  le  monde  se  croit  exaucé.  »  (B.  Laurens.) 

18.  Jan  Cueisso  (Jean  de  Cessa),  seigneur  napolitain,  qui 
avait  suivi  le  roi  René,  grand  sénéchal  de  Provence,  mort  m 


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NOTES  DU  CHANT  I.  19 

1476.  Jan  Cueisso  est  très  populaire  à  Tarascon,  où  le  peuple 
loi  attribue  la  construction  du  clocher  de  Sainte-Marthe.  Il 
est  enterré  dans  la  crypte  de  celte  église^  et  sa  statue  couchée 
surmonte  son  tombeau. 

19.  Pos,  moun  paure  pichot,  liga  ti  courrejoun  (tu  peux» 
mon  pauvre  petit,  lier  les  courroies  de  les  souliers),  c'est* 
à-dire  te  préparer  à  une  course  rapide  :  express.  proT. 

20.  lÀ  chivau-frus  (les  cheyaux  frux),  chevaux  de  carton 
peint,  en  usage  dans  les  réjouissances  publiques  de  la  Pro- 
vence, et  particulièrement  à  Aix,  lors  de  la  Fête-Dieu.  — 
Les  cavaliers  les  ajustent  à  leur  ceinture,  et  parcourent  les 
rues  en  dansant  au  son  du  tambourin. 

21.  Mouriés  (Mouriés),  village  au  midi  des  Alpines. 

22.  Brvlavon  de  la  toco  (ils  MilâietU  du  but),  pour  dire  : 
ils  touchaient  presque  le  but. 

23.  Li  palet  ou  cimhaleto  (les  palets)  sont  des  disques 
d'acier  qu'on  frappe  l'un  contre  l'autre  comme  les  cymbales. 


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CANT  SEGOUND 


LA  CULIDO 


UirMo  cueie  de  fueio  d'amourië  pèr  si  magnan.  •—  D'asard,  Vincèn 
lou  panieraii'e  passo  au  carreiroun  vesin.  —  La  chato  lou  sono. 
—  Lou  drôle  coar,  e  pèr  i'ajoda,  moanto  e  m'elo  sus  Faubre.  — 
Charradisso  di  dous  enfant.  —  Vincèn  fai  la  coumparesonn  de  sa 
sorre  Vinceneto  emë  Mirèio.  —  Lou  nis  de  pimparrin.  —  I^ 
branco  routo.  —  Mirèio  emë  Vincèn  toumbon  de  Taubre.  — ^ 
L'amouroso  chatouno  se  declaro.  —  Lou  drôle  apassiouna  dei- 
boundo.  —  La  Cabro  d*or,  la  figuiero  de  Vau-OIuso.  —  Mirèio  es 
sounado  pèr  sa  maire.  —  Escaufèstre  e  separacioun  di  cali* 
gnaire. 


Gantas,  cantas,  magnanarello  S 
Que  la  culido  es  cantarello  ! 

Galant  soun  li  magnan  e  s'endormon  di  tres^; 
Lis  amourié  soun  plen  de  fiho 
Que  lou  bèu  tèms  escarrabiho, 
Goume  un  vôu  de  blôundis  abiho 

Que  raubon  sa  melico  i  roumanin  dôu  grès* 

En  desfiiiant  vôsti  verguello» 

Gantas,  cantas,  magnanarello! 
Mirèio  es  à  la  fueio,  un  bèu  matin  de  Mai. 

Âquéu  matin,  pèr  pendeloto, 

A  sis  auriho,  la  faroto  I 

Âvié  penja  dos  agrioto 

Vincèn,  aquéu  matin,  passé  'qui  tourna-mai. 


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CHANT  DEUXIÈME 

LA  CUEILLETTE 


linilto  easille  des  fenillat  de  mûrier  poor  tes  ren  I  foie.  —  Pw 
hasard,  Vincent,  le  laceommodeur  de  eorbeilles,  passe  an  sentier 
veisin.  ~  La  jenne  fille  l'appelle.  —  Le  gars  accourt,  et,  pour 
l'aider,  monte  evee  elle  snr  l'arbre.  —  Causerie  des  deux  enfSantf . 
»  Vincent  fiUt  le  parallèle  de  sa  sosar  Vincenette  et  de  Mireille. 
—  Le  nid  de  pinsons  bleus.  —  La  branche  rompue.  —Mireille  et 
Vincent  tombent  de  l'arbre.  -^  La  jeune  fille  déclare  son  amour. 
— BHUante  explosion  du  jeune  homme.— La  Chèvre  d*or,  le  figuier 
de  Vaucluse.  —  Mireille  est  rappelée  par  sa  mère.  —  Émoi  et 
séparation  des  deux  amants. 


Chantez,  chantez,  magnanarelles  ! 

Les  chants  joyeux  vont  bien  aux  belles! 
Trois  fois  les  vers  à  soie  ont  dormi  leur  sommeil  ; 

Dans  les  mûriers,  fraîches,  gentilles. 

Se  répandent  lés  jeunes  filles. 

Ainsi  qu'on  voit  dans  les  charmilles 
Un  Yol  d'oiseaux  s'ébattre  au  lever  du  soleil. 

En  cueillant  les  feuilles  nouvelles, 
Chantez,  chantez,  magnanarelles  I 

Mireille  est  à  la  feuille  un  beau  matin  de  mai. 
Coquettement,  toutes  pareilles, 
Au  lieu  de  boucle  à  ses  oreilles, 
Pendaient  deux  cerises  vermeilles.... 

ViDcem  faisait  par  là  son  tour  accoutumé. 


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52  MIRÈIO,  CANT  II. 

A  sa  bdrreto  escarlalino, 

Coume  an  \i  gènt  di  marlatino, 
Avié  poulidamen  uno  plumo  de  gau, 

E'n  irapejant  dins  li  draiolo 

Fasié  fugi  li  serp  courriolo, 

E  di  dindànti  clapeirolo 
Emé  soun  bastounet  bandissié  li  frcjau. 

—  0  Vincèn,  ié  faguè  Mirèio 

D'entre-mitan  li  verdi  lèio. 
Passes  bèn  vite,  que  !  —  Vincenet  tout-d'un-tèm 

Se  revirè  vers  la  plantado, 

E,  sus  un  amourié  quihado 

Coume  une  gaio  couquihado', 
Deslousquè  la  chatouno,  e  ié  lande,  count^Bt. 

—  Bèn?  Mirèio,  vèn  bèn  la  tomt 

—  Hc!  pau-à-pau  tout  60  despueio... 

^  Voulès  cpe  vous  ^udeî— 0  !...  Dôu  tèms  qu'eilamount 

Elo  risié  jilant  de  siéule, 

Vincèn,  picani  éfio.  pèd  lou  tréule, 

Escale  Vmàare  coume  un  gréule. 
—  Mirèio,  n'a  f«e  tous  lou  vièi  Mèsle  Ramoua  ? 

Fasès  li  baisso!  aurai  li  cuno, 

léu,  boutas!  —  E  *mé  sa  man  primo, 
Elo  en  môusènt  laramo  :  —  Engardo  de  lai  :;ui 

De  Iravaîa  'n  pau  en  coumpagno  ! 

Souleto,  vous  vèn  uno  cagno  ! 

Dis.  —  léu  peréu  ço  que  m'enlagno, 
Bespoundeguè  lou  drôle,  es  just  acô-d*aqiii. 


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MIREILLE»   CHANT   IL  53 

Sur  le  bonnet  rouge  écarlate 

Qui  le  relève  et  qui  le  flatte, 
S'élerait  gentiment  une  plume  de  coq  ; 

Et,  de  son  bâton,  dans  sa  ronde. 

Il  battait  Técume  de  Tonde, 

Ou  la  couleuvre  vagabonde, 
Ou  les  cailloux  poudreux  qui  roulaient  sous  le  cboc. 

Vincent!  dit  la  fillette  accorte, 

Du  haut  du  mûrier  qui  la  porte, 
Mais  tu  passes  bien  vite...?  Où  vas-tu  si  matin...?  — 

Vincent  regarde  à  la  cueillette, 

Et  dénichant  sur  sa  branchette, 

La  jeune  fille  guillerette, 
n  s'élance  vers  elle  et  bénit  son  destin. 

—  Eh  bien!  Mireille,  cette  feuille 
Vient-elle  bien?  —  Elle  se  cueille. 

—  Ftnt-il  vous  aider?  —  Soit!  —  Et  ce  petit  démon, 

Sur  ce  simple  mot  qui  l'appelle. 
Là-haut,  sur  l'arbre  où  rit  la  belle. 
Est  déjà  debout  auprès  d'elle... 

—  Mireille,  il  n'a  que  vous,  le  vieux  Maître  Ramon? 

Vous  plairait-il  que,  par  étage. 
Notre  besogne  se  partage  ? 
Vous  le  bas,  moi  le  haut?  —  Oui,  dit-elle,  il  fait  bon 
Avoir  un  peu  de  compagnie  ! 
Seule  on  a  la  mélancolie  ! 

—  Justement  c'est  la  maladie 

Qui  m'affecte  souvent,  dit  le  jeune  garçon. 


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51  MIRÈIO,  GANT  IL 

Quand  sian  eiça  dins  nosto  bôri, 

Mounte  n'ausèn  que  lou  tafôri 
DiSu  Ilose  tourmentau  que  manjo  lis  auvas, 

Oh  I  de  fes,  quéti  languitudo  1 

Pas  tant  l'estiéu,  que,  d'abitudo, 

Fasèn  nôstis  escourregudo, 
L'estiéu,  emé  moun  pai,  d'un  mas  à  Tautre  mas. 

Mai  quand  lou  verbouisset  vèn  rouge. 
Que  H  jour  se  fan  ivernouge, 

E  longe  li  vihado  ;  autour  déu  recaliéu, 
Ëntanterin  qu'à  la  cadaulo 
Quauque  esperitoun  siblo  o  miaulo, 
Sénso  lume  e  sens  grand  paraulo 

Pau  espéra  la  som,  tout  soulet  iéu  em'éuf... 

La  chato  ié  fai  à  la  lèsto  : 

—  Mai  dounc  ta  maire,  mounte  rèsto? 

—  Es  morto!...  Lou  drouloua  se  teisè  'n  moumenet, 
Pièi  reprenguô  :  —  Quand  Vinceneto 
Ëro  emé  nautre,  e  que,  jouineto, 
GardaYO  enca  la  cabaneto, 

Alor  èro  un  plesi  !  — •  Mai  coume?  Vincenet, 

At  uno  sorre  ?  —  E  la  jouvênto, 

Braveto  qu'es  e  bèn-fasènto. 
Digue  lou  verganié ;...  trop!  qu'à  la  Font-dôu-Rôi, 

Âliû  en  terro  de  Bèu-Gaire, 

Ëro  anado  après  li  segaire, 

Tant  i'agradè  soun  galant  faire 
Que  pèr  tanto  l'an  presse,  e  tante  i'es  dempièi. 


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MIREILLE,    CHANT  II.  55 

Vivre  au  loin,  dans  une  mazure, 

N'entendant  rien  que  le  murmure 
Dn  Rhône  qui  s'écoule  en  rongeant  les  graviers  ; 

Quel  ennui  !  quelle  solitude  ! 

En  été,  la  vie  est  moins  rude  ; 

Car  mon  père  et  moi,  d'habitude, 
Nous  allons  par  les  mas  raccoutrer  des  paniers. 

Mais  l'hiver,  quand  dort  la  nature; 
Quand  le  houx  rougit  sa  verdure; 

Que  la  bise  est  dans  l'air,  qu'à  la  hutte,  le  soir» 
Passant  par  des  portes  disjointes. 
Elle  entre  et  fait  sentir  ses  pointes, 
Et  qu'on  est  là»  deux,  les  mains  jointes^ 

Attendant  le  sommeil,  sans  parier,  sans  y  voir!... 

—  Comment,  deux?  dit  la  jouvencelle  ; 
Mais  ta  mère  où  demeure-t-elle  ? 

—Elle est  morte  !...  A  ces  mots,  Vincent  essuie  un  pleur; 

Puis  reprenant  :  —  Quand  Vincenette 

Vivait  chez  nous,  gente  sœurette, 

Elle  égayait  la  maisonnette... 
~  Eh  quoi,  Vincent!  le  ciel  te  fit  don  d'une  sœur? 

—  Oui,  d'une  sœur  modeste  et  sage» 
Et  bonne  fille  de  ménage  ; 

Trop  bonne...  car  naguère  à  la  ferme  des  Puits. 

Là-bas,  en  terre  de  Beaucaire, 

Elle  eut  si  bien  le  don  de  plaire, 

Que  le  maître,  pour  ménagère 
L'a  prise  à  son  service  et  la  garde  depuis. 


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65  IIIREIO,  GANT  11. 

—  lé  doDcS  d'èr,  à  ta  sourreto? 

—  Quaa?  iéu?  pas  mai!  Elo  èi  saureto, 

E  iéu  siéu,  lou  yesès,  bnm  coume  un  courcoussoun... 

Mai  pu]éu,  sabés,  quau  reverto  ? 

Vous  !  Vôsti  tésto  disaverto, 

Goume  11  fueio  de  la  nerto 
Vôsti  peu  aboundousy  dirias  que  soun  bessoun. 

Mai  pér  sarra  la  claro  telo 

De  Yosto  couifo,  bèn  mies  qu'elo 
Iliréio,  avès  lou  fîéu  !...  N'es  pas  laido,  tambèû, 

Ma  sorre,  nimai  endouroiido  ; 

Mai  TOUS,  de  quant  sias  pu  poulido  ! 

Miréio  aqui,  mita  culido, 
Leissant  ana  sa  branco  :  Oh  !  dis,  d'aquéu  Vincèn!  ••* 

Gantas,  cantas,  magnanarello! 

Dis  amourîé  la  fueio  es  beUo, 
Galant  soun  li  magnan  e  s'endorraon  di  très  ; 

Lis  amourié  soun  plen  de  fiho 

Que  lou  bèu  téms  escarrabiho, 

Goume  un  yôu  de  blôundis  abiho 
Que  raubon  sa  melico  i  roumanin  déu  gres. 

—  Alor,  m'atroves  galantouno 
Mai  que  ta  sorre?  La  chatouno 

Faguè  'nsin  à  Vincèn.  —  De  forço,  eu  responndè. 

—  E  qu'ai  de  mai?  —  Maire  divino  ! 
E  qu'a  de  mai  la  cardelino 

Que  la  petouso  mistoulino, 
Scnoun  la  bèuta  même,  o  lou  cant,  e  Testa  ! 


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MIREILLE,   CHANT  II.  57 

—  Et  ta  sœur  te  ressemble-t-elle? 

—  Nom,  rien  en  moi  ne  la  rappelle, 

Elle  est  blonde  et  je  suis  noir  comme  un  cucerou... 
Vous  plutôt  !  la  taille,  l'aisance, 
Vous  donnent  quelque  ressemblance  ; 
C'est  surtout  la  même  abondance 

De  beaux  cheveux  roulés  autour  de  votre  front. 

Mais  combien  vous  savez  mieux  qu'elle 

Las  serrer  sous  votre  dentelle  !... 
Ma  s(Bur  n*est  pas  plus  mal  qu'une  autre  assurément, 

Mais  vous,  sans  que  je  l'humilie, 

Ah!  que  vous  êtes  plus  jolie!... 

Là,  Mireille,  à  moitié  cueillie 
Laisse  échapper  la  branche  et  dit  :  Oh!  ce  Vincent !••• 

Chantez,  chantez,  magnanarelles  ! 

Des  mûriers  les  feuilles  sont  belles, 
Trois  fois  les  vers  à  soie  ont  dormi  leur  sommeil  ; 

Dans  les  mûriers,  fraîches,  gentilles. 

Se  répandent  les  jeunes  filles. 

Ainsi  qu'on  voit  dans  les  charmilles, 
Un  vol  d'oiseaux  s'ébattre  au  lever  du  soleil. 

—  Donc,  tu  me  trouves  plus  gentille 
Que  ta  sœur?  dit  la  jeune  fille 

Qui  s'en  doutait  iin  peu.  —  De  beaucoup,  dit  Vincent. 

—  Et  qu'ai-je  de  plus?  —  0  coquette! 
Mais  qu'a  donc  de  plus  la  fauvette 
Que  la  piteuse  mauviette. 

Sinon  la  beauté  môme,  et  la  grâce  et  le  chant  ! 


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58  MIRËIO,  GANT  11. 

—  Mai  encaro?  —  Ma  pauro  sorre, 
Noun  vas  aguë  lou  blanc  dôu  porrc! 

Goume  Taigo  de  mar  Yinceneto  a  lis  iue 
Que  ié  bluiejoa  e  clarejon.... 
Li  vostre  coume  un  jai  negrejon , 
E  quand  dessus  me  beluguejon, 

léu  me  sèmblo  que  chourie  un  cigau  de  TÎn  cuc^« 

De  sa  voues  linjo  e  clarinello. 

Quand  cantavo  la  PeirounellOy 
Ma  sorre,  aviéu  grand  gau  d'ausi  soun  dous  acoi*d  ; 

Mai  vous,  la  mendi;o  resouneto 

Que  me  digues,  o  jouveineto  ! 

Mai  que  pas  ges  de  cansouneto 
Encan to  mouu  auriho  e  bourroulo  moun  cor 

Ma  sorre,  en  courrènt  pèr  li  pâti, 
Ma  sorre,  coume  un  brout  de  dàti 

S'èi  roustido  lou  coui  e  la  caro  au  soulèu; 
Vous,  bello,  crese  que  sias  facho 
Goume  li  flour  de  la  pourracbo  ; 
E  de  Testiéu  la  man  mouracho 

Noun  auso  caressa  voste  front  blanquiiièu 

Goume  uno  damo  de  gandolo 

Ma  sorre  es  enca  primacholo  ; 
Pecaire!  dins  un  an  a  fa  tout  soun  croissent... 

Mai  de  l'espalo  enjusqu'à  Tanco, 

Vous,  0  Mirèio,  rèn  vous  manco  ! 

Miréio,  lâchant  mai  la  braneo, 
E  touto  rouginello  :  Oh  !  dis,  d'aquéu  Vincèn! 


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MIREILLE,  CHANT  IL  59 

— Mais  encdr?—  Dans  ce  parallèle. 

Le  prix  ne  sera  pas  pour  elle, 
PftuTre  sœur!  Son  œil  bleu  sous  ses  longs  cils  reluit; 

Le  vôtre  est  noir;  votre  prunelle 

Scintille  et  plus  vive  et  plus  belle. 

Et  sur  moi  quand  elle  étincelle, 
0  semble  que  je  boive  un  godet  de  vin  cuit. 

Quand,  de  sa  voix  douce  comme  elle. 

Elle  chante  la  Peyronelle, 
Rien  ne  me  plaît  autant  que  le  chant  de  ma  sœur; 

Mais  que  votre  fine  languette 

Dise  un  seul  mot;  cette  bluette 

Plus  qu'aucune  autre  chansonnette 
Enchante  mon  oreille  et  transporte  mon  cœur. 

En  courant  par  les  pâturages. 

Gomme  un  fruit  des  palmiers  sauvages 
lia  sœvir  brûla  son  teint  et  sa  chair  au  soleil*, 

Vous,  votre  chair  n'est  pas  brûlée. 

L'été  ne  vous  a  point  hâtée, 

Et,  dans  le  creux  de  la  vallée, 
Les  roses  et  les  lis  n'offrent  rien  de  pareil! 

A  régal  d'une  sauterelle. 

Ma  sœur  est  encor  toute  grêle  ; 
La  pauvrette  !  Elle  a  fait  sa  croissance  en  un  an  ! 

Mais!  de  l'épaule  à  la  ceinture. 

En  vous,  Mireille,  rien  ne  jure.... 

Mireille,  rouge  outre  mesure. 
Lâche  à  nouveau  la  branche  et  dit  :  Oh  !  ce  Vincent  t 


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60  HIRÊIO,  GANT  II. 

Eu  desfuiant  vôsti  Tergnello» 

Gantas,  cantas^  ma^nanarello!... 
Ansin  li  bèus  enfant,  do  Taubre  pa90uioa8 

Escoundu  souto  loti  ramage, 

Dins  rinnoucènci  de  soun  âge 

S'assajavon  au  calignage. 
Pamens,  de  mens  en  mens,  li  serre  èron  neblous. 

Amonnt  sus  li  roco  pelado, 

Sus  li  grand  tourre  esbarboulado 
Ounte  trèvon,  la  niue,  li  vièi  prince  di  Baus, 

Licapoun^fér^  que  blanquejavon, 

Dins  l'estendudo  s'enauravon, 

E  sis  alasso  fouguejavon 
Au  soulëuy  qiM  déjà  caufavo  lis  avaus.  , 

—  Oh f  n'avôu  rèn  fa!  que  yergougnol 
Elo  Tenguè  'mé  'n  èr  de  fougno. 

Aquéu  galo-bon-tèms  dis  que  vèn  m*ajuda, 
Pièi  me  fai  rèn  que  faire  rire.... 
Anen  !  d'aut  !  que  la  man  s'cstii>  » 
Que  pièi  ma  maire  pourrie  dire 

Qu'ai  panca  projin  de  biais,  o,  pèr  me  marida. 

Val,  val,  dis^  tu  que  te  vanta vjs, 
Moun  paure  ami  !  se  te  lougaves 
Pèr  la  cueie  à  quintau,  la  fueio,  crcse  que. 
Quand  fuguèsse  touto  en  pivello, 
Pourries  manja  de  regardello  ^  ! 

—  Me  cresès  donne  uno  ganch^lio? 
Ilespoundeguè  lou  drole^  un  brigpuloun  mouquet. 


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MIREILLE»   CHANT   II.  61 

Ea  cueillant  les  feuilles  nouTelles, 

Chantez,  chantez,  magnanarelles  ! 
Aiiif  i  ces  beaux  enfants,  sous  les  rameaux  ombreux. 

Dans  l'innocence  de  leur  âge. 

De  Tamour  et  de  son  langage» 

Faisaient  le  doux  apprentissage . 
Déjà  de  moins  en  moins  les  monts  étaient  brumeux; 

Là-haut,  vers  les  roches  pelées, 

Sur  les  grandes  tours  écroulées 
Où  reviennent  la  nuit  les  vieux  princes  des  Baux, 

Volant  de  nuage  en  nuage, 

Les  saores,  de  leur  blanc  plumage. 

Faisaient  le  brillant  étalage. 
Et  le  soleil  déjà  chauffait  les  chôneteaux. 

—  Mais  nous  n'avons  fait  rien  qui  vaille, 

Reprend  la  fillette  qui  raille; 
Ce  drôle  dit  qu'il  vient  pour  m'aider,  et  voilà 

Qu'il  n'est  bon  qu'à  me  faire  rire; 

Allons!  susl  que  la  main  s'étire! 

Sans  quoi,  ma  mère  pourrait  dire 
Qu'on  ne  s'établit  guère  avec  ce  flegme-là. 

Pour  cueillir  la  feuille  nouvdle, 

Petit  vantard,  ajouta-t-elle. 
Si  jamais  tu  louais  tes  œuvres  à  prix  fait, 

Je  gage  que  tout  ton  salaire 

Ne  te  vaudrait  pas  de  l'eau  claire  ! 

— •  Ce  serait  une  épreuve  à  faire, 
Beprit,  entre  ses  dents^  le  gars  peu  satisfait. 


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C2  MIRËIO.  GANT  II. 

Bèn  !  qaau  sara  meiour  cuièire, 

Madamisello,  Tanan  vèire  ! 
E  zôu  !  'mé  li  dos  man,  feroun,  atravali, 

Vague  de  torse  e  môuse  ramo  ! 

Plus  de  resoun  !  plus  de  calaroo  ! 

(Perd  lou  moussèu  fedo  que  bramo. 
L'amourié  que  li  porto  es  tout-aro  culi. 

Fuguèron  lèu,  pamens,  à  pauso. 

Quand  sias  jouine,  la  bello  causo  ! 
Estent  qu'au  même  sa  metien  la  fueio  ensè% 

Un  cop  li  poulit  det  cherescle 

De  la  chatouno,  dins  Tarescle  '', 

Se  devinèron  entre-mescle 
Emé  li  det  brûlant^  li  det  d'aquéu  Vincèû. 

Elo  emai  eu  trefouliguèron  ; 

D'amour  si  gauto  s'enflourèron, 
E  tôuti  dous  au  eop,  d'un  fiô  noun  couneigu 

Sentiguéron  l'escandihado. 

Mai  coume  aquesto,  à  resfraiado, 

Sourtié  sa  man  de  la  fiiiado, 
Eu,  de  la  treboulino  enca  tout  esmouga  : 

—  Qu'avès?  Uno  guèspo  escoundudo 

Vous  a  belèu,  dis,  pougnegudo? 
—  Noun  sai  !  clinant  lou  front,  elo  respoundô  plan. 

E  sènso  mai,  chascun  se  bouto 

A  tourna  cueie  quauco  brouto. 

Emé  d*iue  couquin,  tèsto  souto, 
S'espinchavon  pamens  quau  ririé  de  davan. 


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MIREILLE,  CHANT  IL  61 

Faisons  assaut,  Mademoiselle!... 

Et  soudain  le  couple  s'attelle 
Aa  traYai],des  deux  mains;  tout  Tarbre  est  farfouillé; 

Deci,  delà  leur  bras  se  lance  ; 

Le  caquet  fait  place  au  silence 

(Agneau  bêlant  perd  sa  pitance). 
Le  mûrier  qui  les  porte  est  bientôt  dépouillé. 

Ici,  pourtant,  vint  une  pause. 

Être  jeune,  ô  la  belle  chose! 
Gomme  dans  un  seul  sac  les  brins  étaient  roulés, 

Sous  la  toile,  où  leur  main  s'avance. 

Il  se  fit,  par  inadvertance, 

(Honni  soit  donc  qui  mal  y  pense  I) 
11  se  fit  que  leurs  doigts  se  trouvèrent  môles. 

Et  sur-le-champ  ils  tressaillirent, 

Et  leurs  beaux  visages  rougirent; 
D'an  feu  qu'ils  ignoraient,  tous  les  deux  à  la  fois, 

Sentirent  leur  âme  brûlée  ; 

Et  comme  Mireille  troublée, 

Sortait  sa  main  de  la  feuillée, 
Vincent  l'interpellant  de  sa  plus  douce  voix  : 

Qu'avez-vous?  dit-il;  une  abeille 

Vous  aura  piquée,  ô  Mireille  ! 
^  Je  ne  sais...  répond-elle  à  voix  basse  au  vannier. 

Et  pendant  que  chacun  butine 

Sur  les  brindilles  qu'il  incline. 

D'un  œil  coquin,  à  la  sourdine. 
Ils  épiaient  aussi  qui  rirait  le  premier. 


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64  MIRËIO»  CÂNT  II. 

Lou  pitre  ié  batié!...  La  fueio 
Toumbè  piéi  mai  coume  la  plueio  ; 

£  quand  piéi  au  saquet  yenié  que  la  meticn, 
Li  dos  manoto  blanco  e  bruuo, 
Que  fugue  esprès  o  pôr  fourtuno, 
Venien  foujour  uno  vers  Tuno, 

Memamen  qu'au  travai  grand  joio  éli  prenien. 

Gantas,  cantas,  magnanarello, 
En  desfùiant  yôsti  verguello!... 

—  Vel  ve!  tout-en-un-cop  Mirèio  crido,  vel 

—  Qu'es  acô  ?  —  Lou  det  sus  la  bouco. 
Vivo  coume  un  créu  su  'no  souco, 

Dre  de  la  branco  ounte  s'ajouco 
Fasié  signe  dôu  bras...  —  Un  nis...  qu'anan  avél 

—  Espèro  !•••  E  'n  retenènt  soun  gréule, 
Coume  un  passeroun  long  di  téule, 

Yincèn  de  branco  en  branco  a  boumbi  vers  lou  nis. 

Au  founs  d'un  trau  que  de  nature, 

Entre-mitan  la  rusco  duro, 

S'èro  fa,  de  l'emboucaduro 
Li  picbot  se  vesien,  flame  e  boulegadis. 

Mû  Yincèn  qu'à  la  branco  torto 
Yen  de  nousa  si  cambo  forto, 
E  penja  d*uno  man,  dins  lou  trounc  baumclu 
Furno  emé  l'autro.  Un  pau  plus  auto, 
Mirèio  alor,  la  fiamo  i  gauto  : 

—  Qu'èi  I  ié  demande  cauto-cauto. 

—  De  pimparrin!  —  De-que?  —  De  bèu  sarraié  bla. 


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MIREFLLE,   CHANT  II.  65 

Et  leur  cœur  battait...  et  la  feuille 
Cédait  à  la  main  qui  la  cueille  I... 
\  lorsqu'ils  la  mettaient  dans  le  sac,  coup  sur  coup. 
Et  la  main  blanche  et  la  main  brune. 
Soit  à  dessein,  soit  par  fortune. 
Avaient  une  étreinte  commune  ; 
£t  ce  petit  jeu  là  les  amusait  beaucoup. 

Chantez,  chantez,  magnanarelles, 
En  cueillant  les  feuilles  nouvelles!... 

—  Vois!  vois!  dit  tout-à-coup  la  fillette  ;  viens  voir! 
—  Mais  qu'est-ce  donc?  —  Et  vive,  alerte, 
Le  doigt  sur  la  bouche  entr'ouverte. 
Elle  indique  sa  découverte 

de  l'autre  main...  —  tJn  nid...  que  nous  aHons  avoir! 

—  Attends  !...  et  retenant  ITialeîne, 
Comme  un  écureuil  sur  .un  chêne, 

Vmeent  de  branche  en  branche  a  bondi  vers  le  nid. 

Au  fond  d'un  trou  qui^  d'aventure, 

S'était  fait  sous  l'écorce  dure. 

On  découvrait  par  l'ouverture 
Ugroupe  d'oisillons  dont  il  était  garuL 

Vincent,  à  la  branche  rugueuse 
Colle  sa  jambe  vigoureuse  ;  • 

Suspendu  d'une  main,  dans  le  tronc  caverneux  - 

Il  fouille  de  l'autre  ;  Mireille 
Du  haut  de  sa  branche  surveille  ; 

—  Qu'est-ce,  dit-elle?  ~  Une  merveille, 
Deiptwparrtiii.--Commcmt-Oui,de  beaux  pinsonshleus! . 


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C6  MIRfilO,  CANT  II. 

Mirèio  esclaûguè  lou  rire. 

—  Que!  dis^l'as  jamai  ausi  dire? 

Quand,  dous,  trouvas  un  nis  au  bout  d'un  amourié, 
0  de  tout  aubre  que  lou  semble, 
Passe  pas  Tan  que  noun  ensemble 
La  santo  Glèiso  vous  assemble 

ProuTèrbi,  dis  moun  paire,  es  toujour  vertadié. 

—  0,  ié  fai  eu;  mai  fau  apoundre 
Qu'aquelo  espère  pôu  se  foundre, 

S'avaiis  que  d'éstre  en  gàbio  escapon  li  pichot. 

—  Jèsu,  moun  Dieu!  dono-te  garde I 
Gridè  la  chato;  e  sènso  tarde 
Rejoun-lèi  bèn,  que  nous  regardo! 

—  Ma  fisto  !  lou  jouvènt  ié  respond  coume  eiçô, 

Lou  miéus  que  li  poudèn  rejougne 
Sarié  bessai  dins  Yoste  jougne... 

—  Ah!  të,  baio!  verai!...  Lou  drôle  quatecant 

Mando  sa  man  dins  la  caforno  ; 
£  sa  man  pleno  que  s'entomo 
Quatre  n'en  tiro  de  la  borne. 

—  Boudiéul  digue  Mirèio  en  aparant,  oh!  quant 

Queto  nisado  galantouno  ! 
Tè  !  tè  !  pecaire^  uno  poutouno  ! 
E,  folo  de  plesi,  de  milo  poutounet 
Li  devouris  e  poumpounejo  ; 
Piéi  em'  amour  plan-plan  li  vejo 
Souto  soun  jougne  que  gounflejo... 

—  Té  !  tè  !  paro  la  man,  cridè  mai  Yincei.et. 


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MIREILLE,  CHANT  II.  67 

Mireille  alors  pouffe  de  rire; . 

— Ne  Tas-tu  jamais  ouï  dire? 
Lorsqu'on  découvre  à  deux  un  nid  sur  un  mûrier, 

Ou  tout  arbre  qui  lui  ressemble, 

n  faut  moins  d'un  an  pour  qu'ensemble 

La  sainte  Église  tous  rassemble... 
Proveri>e  ne  ment  pas  et  l'on  peut  s'y  fier. 

—  Oui,  dit  Vincent,  mais  on  ajoute 
Que  cet  espoir  se  fond  en  route. 

Si  tel  qui  prend  le  nid  laisse  échapper  l'oiseau. 

—  Jésus  !  mon  Dieu  !  prends  donc  bien  garde. 
Reprend-elle,  et  sous  bonne  garde 
Serrons-les  ;  cela  nous  regarde  I 

—  Ma  foi,  répond  alors  le  galant  jouvenceau, 

A  mon  sens,  la  meilleure  cage 

Serait  votre  joli  corsage... 
—C'est  juste,  donne  doncl...  Et  Vincent,dans  le  creui, 

Plonge  sa  main  et  la  ramène 

De  petits  pinsons  toute  pleine  ; 

Quatre  ou  cinq  y  tenaient  à  peine. 
Bon  Dieu!  cria  Mireille,  en  ouvrant  de  grands  yeux, 

Qu'ils  sont  gentils I  que  je  les  baise  !.•• 

Encor!  encor!  ne  vous  déplaise! 
Et  folle  de  plaisir,  de  baisers  continus 

Doucement  elle  les  caresse. 

Et  puis  les  coule  avec  adresse 

Dans  son  sein  qui  renfle....  —  ô  liesse! 
Eeprit  tincent,  tiens!  tiens!  en  voici  trois  de  piusj 


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68  MIRÊIO,  CANT  II. 

—  Oh!  li  poulit!  Si  tèsto  bluio 
An  d'uioun  fin  eoume  d'aguïo  ! 

E  lôu  mai,  dins  la  blanco  e  lisqueto  presoun. 

Très  pimparrin  elo  recato; 

E,  dins  lou  sen  eaud  de  la^chato, 

La  cottvadeto  que  s'amato 
Se  crèi  que  Tan  remessp  au  founs  de  soun  nisoun.. 

—  Mai,  de  bon?  Vincenet,  n'i'a  'ncaro? 

—  0  !  —  Santo  Vierge  !  Ve,  tout-aro 

Dirai  qu'as  la  man  fado  1  —  Eh  !  pauro  que  vous  slas? 
Li  pimparrin?  quand  Yen  Sant  Jorge, 
Fan  dès,  douge  iôu,  emai  quatprge, 
Souvènti-fes!...  Mai  tè!  tô!  porge, 

Li  cago-nis!...  E  tous,  belle  bomo,  adessiasf  — 

Goume  lou  drôle  se  despènjo, 

E  qu'elo  vite  lis  arrènjo 
fièn  delicadamen  dins  soun  fichu  flouri... 

—•  Ai  !  ai  I  ai  !  d'une  voues  tendrino 

Subitamen  fai  la  mesquine. 

EL  vergougnouso,  à  la  peitrino 
S'esquicho  ii  dos  man.  *—  Ai  !  ai!  ai  !  vau  mouri  ! 

Houi!  houi!  plouravo,  me  grafignont 

Ai!  me  grafignon  e  m'espignonl 
Courre  lèu,  Vincenet,  lèu!...  Es  que,  i'a  'n  monmen... 

Que  vous  dirai?  dins  Tescoundudo 

Grande  e  vivo  èro  resmoû|;udo! 

Fa  'n  moumen,  dins  la  bando  aludo 
Avien,  li  cago-nis,  mes  lou  bourroulamen. 


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HIJtEILLE,  CHANT  II. 

—  Beaux  mignons!  leur  tète  est  si  fine 
Que  Tœil  à  peine  s'y  dessine  1 

Et  trois  de  plus  vont  voir  la  prison  des  amours  ; 
Dans  le  sein  de  la  jeune  fille 
Bientôt  toute  la  volatille, 
Gomme  une  noix  dans  sa  coquille, 

Croit  avoir  de  son  nid  retrouvé  le  velours. 

— Est-ce  tout?  dit  la  jouvencelle. 

—  Pas  encor.  —  Quelle  ribambelle  ! 
Jamais  on  n'en  vit  tant!  — Vous  oubliez  un  peu 

Qu'un  pinson,  quand  rien  ne  le  gêne 
Pour  pondre  ses  œufs,  peut  sans  peine 
Dépasser  même  la  douzaine  ! . . . 
Yoici  les  derniers  nés!...  et  vous, beau  creux,  adieu!" 

Vincent  aussitôt  se  décroche; 

Mireille  au  fond  de  leur  sacoche 
Laisse  les  oisillons  se  blottir  à  leur  gré... 

Quand  tout  à  coup,  sur  sa  poitrine 

Portant  ses  mains,  elle  s'incline 

Pudique,  et  d'une  voix  câline  : 
^  Aï  !  a!  I  dit-elle,  aï  !  aï  !  je  crois  que  j*en  mourrai. 

Oh  !  les  méchants  qui  se  rebiffent! 

Ils  m'égratignent  et  me  griffent  I 
Accours,  Vincent.  —  Disons  que  depuis  un  moment. 

Dans  ce  joli  nid  de  commande, 

L'agitation  était  ^ande, 

El  que,  dans  l'innocente  bande, 
l^s  derniers  avaient  mis  le  bouleversement.       ^  . 


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70  MIRÊIO,  GANT  IL 

£  dins  l'estrecho  valounado, 

La  foulîgaudo  moulounado 
Oue  noun  pôu  libramen  faire  soun  roudelot» 

A  grand  varai  d'arpioun  e  d'alo» 

Fasié,  dins  li  mounto-davalo, 

Gambareleto  sènso  egalo, 
Fasié  long  di  gatis  mtlo  béu  redoolet. 

—  Ai!  ai!  véne  lèi  querre!  lampo, 
lé  souspiravo.  E  coume  pampo 

Que  Taure  atremoulis,  coume  di  cabrian 
Quand  se  sent  pouncho  une  junego, 
Ansin  gémis,  sauto  e  se  plego 
La  chatouno  di  Falabrego... 

Eu  pamens  i'a  ifoula.%.  —  Gantas,  en  desfuiam, 

En  desfuiant  TÔsti  jitello, 
Gantas,  cantas,  magnanarello  ! 
Sus  la  branco  ounte  pleure  eu  pamens  a  Youla: 

—  La  cregnès  donne  bén,  la  couligo? 
Eu  ié  fai  de  sa  bouco  amigo. 

Eh!  coume  iéu,  dins  lis  ourtigo. 
Se  descausso  proun  fes  tous  falié  barrula, 

Goume  farias?  —  E  pèr  rejougne 
Lis  enfoumiau  qu'a  dins  soun  jougne. 

Eu  ié  porge,  en  risènt,  soun  bounet  de  marin. 
Déjà  Miréio,  sout  l'estofo 
Que  la  nisado  rendié  gofo, 
Mande  sa  man,  e  dins  la  cofo 

Un  pèr  un  adeja  tome  li  pimparrin; 


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MIREILLE,  GUANT  H.  7i 

Les  bords  de  la  tiède  vallée 

Compriment  trop  la  troupe  ailée. 
Qui  cherchant  autour  d'elle  un  lit  plus  spacieux, 

S'aidant  de  la  griffe  et  de  Taile, 

Montant,  tombant,  et  de  plus  belle. 

Risquant  une  chute  nouvelle, 
Le  long  des  doux  talus  roulait  à  qui  mieux  mieux. 

—  Ai!  ai .  Vincent,  viens  donc  les  prendre, 

Dit-elle  d'une  voix  plus  tendre, 
Et  comme  un  pampre  vert  sous  la  brise  tremblant. 

Ou  comme  un  faon,  quand  une  abeille. 

Vient  bourdonner  à  son  oreille. 

Ainsi  se  trémousse  Mireille. 
Alors,  Vincent  s'élance  auprès  d'elle. . . —  En  cueillant, 

En  cueillant  les  feuilles  nouvelles. 

Chantez,  chantez,  magnanarelles  ! 
—Mireille!  lui  dit-il,  cessez  de  pleurnicher; 

Mais  que  feriez-vous,  pauvre  amie. 

Si,  tous  les  jours  de  votre  vie. 

Sur  le  chardon  ou  sur  l'ortie, 
Ainsi  que  moi,  nu-pieds,  il  vous  fallait  marcher?  — 

Et  pour  remplacer  le  corsage, 

Imaginant  une  autre  cage. 
Il  présente  en  riant  son  bonnet  de  marin  ; 

Et  Mireille,  à  moitié  guérie. 

Puisant  dans  sa  gorge  arrondie, 

A  plusieurs  reprises  marie 
Ali  rooge  du  bonnet  le  bleu  du  pimparrin. 


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72  MIRÊIO.  GA-NT  tl. 

Déjà,  'mé  lou  front  clin,  pecaire! 

£  revirado  un  pau  de  caire, 
Déjà  lou  risoulet  se  mesclavo  à  si  plour; 

Semblablamen  à  Teigagnolo 

Que,  lou  matin,  di  courrejolo 

Bagne  li  campaneto  molo» 
E  perlejo,  e  s'esbéu  i  proumiéri  clarour... 

E  aoutp  éAi  vèn  que  la  branco 

Tout-en-un-cop  peto  e  s'escranco!.. 
Au  coui  dôu  panieraire,  elo,  en  quilant  d'esfiraii. 

Se  precepito  e  sei'embrasso; 

E  dôu  grand  aubre  que  s'estrasso. 

En  un  rapide  viro-passo 
Toumbon,  embessouna,  sus  lou  souple  margai...* 

Fres  ventoulet,  Larg  e  Gregàli», 

Que  di  bos  boulegas  lou  pâli. 
Sus  lou  jouine  parèu  que  voste  gai  murmur 

Un  moumenet  mole  e  se  taise  ! 

Fôlis  aureto,  alenas  d'aise  ! 

Donnas  lou  tèms  que  l'on  pantaise, 
I^Hi  tèms  qu'à  tout  lou  mens  pantaison  lou  bonurf 

Tu  que  lalejes  dins  ta  gorgo» 

Vai  plan,  vai  plan,  pichouno  sorgo  ! 

Dîntre  ti  cascagnôu  menés  pas  tant  de  brut! 
Pas  tant  de  brut,  que  si  dos  amo 
Soun,  dins  lou  même  rai  de  flamo, 
Partido  coume  un  brusc  qu'eissamo.. 

Leissas-lèi  s'emplana  dins  lis  èr  benastru! 


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MIREILLE,   CHANT   il.  71 

Déjà  le  front  baissé,  pauvrette  ! 

Et  détournant  un  peu  la  tête, 
Un  sourire  indécis  se  mêlait  à  ses  pleurs; 

Gomme  on  voit  l'bumide  rosée, 

De  la  campanule  rosée, 

S'écouler  en  perle  irisée, 
Et  puis  s'éTaporer  aux  premières  lueurs. •• 

Mais  voilà  qu'à  moitié  pourrie. 

Sous  eux  la  branche  éclate  et  crie  I... 
An  cou  du  beau  vannier,  avec  un  cri  perçant» 

Mireille  tend  un  bras  avide; 

Mais  l'arbre  sous  eux  fait  le  vide, 

Et  par  une  cbute  rapide 
Us  tombent  enlacés  sur  le  gazon  naissant... 

Fnûs  zépbirs,  brise  aux  doux  arômes, 

Qui  des  bois  balancez  les  dômes. 
Respectez  un  moment  cette  ivresse  du  cœur! 

Zéphirs,  retenez  votre  haleine  ! 

Folles  brises,  soufQez  à  peine  ! 

Paix  au  rêve  qui  les  entraine. 
Qu'ils  aient  au  moins  le  temps  de  rêver  le  bonheur  I 

Toi  qui  gazouilles  sous  la  mousse, 

Source  limpide  et  fraîche  et  douce. 
Coule  plus  lentement  sur  ton  lit  de  galets  ! 

Pas  de  bruit,  tais-toi,  car  leur  âme. 

Dans  le  même  rayon  de  flamme. 

Ravie  en  extase,  se  pâme... 
Ohl  laisse-les  monter  vers  les  cieux  étoiles  t 


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74  MIRÊIO,  GANT  Kl. 

Mai  elOy  au  bout  d'unô  passado, 

Se  daveré  de  la  brassado... 
Meus  palînello  soun  H  flour  dôu  coudounié. 

Pièî  sus  la  ribo  s'assetèron, 

Un  contre  l'autre  se  boutèron. 

Un  moumenet  se  regardèron, 
E  m'  acô  parlé  'nsin  lou  drôle  di  panié  : 

—  Vous  sîas  rèn  faeho  mau,  Mirèio?... 
0  la  vergougno  de  la  lèio, 

Aubre  déu  diable,  aubras  qu'un  divèndre  an  planta. 
Que  la  marrano  t'agarrigue, 
Que  l'artisoun  te  devourigne, 
E  que  toun  mèstre  t'abourrigue  !  — 

Mai  elo,  em'  un  tramblun  que  noun  pôu  arresta  . 

—  Me  siéu  pas,  dis,  facho  mau,  nàni! 
Mai,  coume  un  enfant  dins  si  Hini, 

Que  de  fes  plourinejo  e  noun  saup  per-de-que. 
Ai  quaucarèn,  dis,  que  me  grèvo  ; 
L'ausi,  lou  vèire,  acô  me  lève  ; 
Moun  cor  n'en  boni,  moun  front  n'en  rèTO 

B  lou  sang  de  moun  cors  noun  pôu  demeura  quet 

—  Belèu,  digue  lou  panieraire. 
Es  de  la  pôu  que  vosto  maire 

Vous  cbarpe  qu'à  la  fueio  avès  mes  trop  de  tôm? 
Coume  iéu,  quand  yeniéu  subr'ouro, 
Estrassa,  moustous  coume  un  Mouro, 
Pèr  èstre  ana  cerca  d'amouro... 

—  Oh!  noun,  digue  Mirèio,  autre  peno  me  tén. 


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MIREILLE,   CHANT  II. 

Mais  elle,  alors,  le  cœur  malade. 
Se  dégagea  de  Tembrassade... 

Moins  pâles  sont  les  fleurs  du  cognassier  fleuri. 
Bientôt  sur  la  rive  ils  s'assirent. 
Tout  près  Tun  de  l'autre  ils  se  mirent, 
Et  pendant  qu'ensemble  ils  s'admirent. 

Voici  comment  parla  le  jeune  bomme  attendri  : 

—  Belle!  vous  seriez- vous  foulée  ! 
0  mûrier,  bonté  de  l'allée  ! 

Arbre  infernal,  planté  sans  doute  un  vendredi. 
Que  ta  sève  au  vent  s'évapore, 
Qu'un  ver  atroce  te  dévore. 
Et  que  ton  vieux  maître  t'abhorre  I  — 

Hais  Mireille  en  tremblant  le  contemple  et  lui  dit  : 

—  Vincent!  je  ne  suis  pas  blessée! 
Mab  si  bien  qu'elle  soit  bercée, 

L'enfant  quelquefois  pleure  et  ne  sait  pas  pourquoi  ; 

Ainsi  coiive  dans  ma  poitrine 

Un  mal  inconnu  qui  la  mine, 

Mal  étrange!  langueur  divine, 
Qui  me  trouble  et  m'enivre  en  s'eroparant  de  moi  ! 

C'est  peut-être  que  votre  mère 
Vous  aura  dit,  d'un  ton  sévère. 

Que  la  cueillette  aux  champs  n'allait  pas  assez  bien, 
Tout  comme  on  me  monte  des  gardes, 
Lorsque,  parfois,  aux  heures  tardes, 
J'arrive,  ayant  frippé  mes  bardes... 

—  Non,  répondit  Mireille,  autre  peine  me  tient. 


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75  MIRËIO,  GANT  II. 

—  0  belèu  uno  souleiado, 
Faguè  Vincèn,  vous  a'mbriado. 

Sabe,  dis,  uno  yièio,  aperamount  i  Bau 
(le  dison  Taven)  :  tous  asaigo 
Bén  sus  lou  front  un  got  plen  d*aigo» 
£  lèu,  di  cervello  embriaigo, 

U  rai  escounjura  gisclon  dins  lou  cristau. 

—  Noun,  noun  I  respoundè  la  Gravenco; 
Lis  escandihado  maienco 

N'es  pa'i  chato  de  Grau  que  podon  faire  pôul... 
Mai  en  que  sièr  de  te  deçaupre? 
Dins  moun  sen  acô  pôu  plus  cauprel 
Vincèn,  Vincèn,  vos-ti  lou  saupre? 

De  tu  siéu  amourouso!...  Au  bord  dôu  rajeirôu, 

Ëmai  rèr  linde,  emai  la  tèpo, 
Emai  li  yièi  sause  de  cepo^ 
Fuguèron  claramen  espanta  de  plesi!... 

—  Ah  I  princesso,  que,  tant  poulido» 
Agués  la  lengo  tant  marrido, 

Lou  psuiieraire  aqui  s'escrido,. 
Ta  de  que  pèr  lou  sôu  se  traire  estabousî  ! 

Goume  I  de  iéu  vous  amourouso? 
De  ma  vidasse  encaro  urouso 

Anes  pas  vous  jouga,  Mirèio,  au  noum  de  Diôuf 
Me  fagués  pas  crèire  de  cause 
Qu',  aqiii  dedins  uno  fe  'nclauso. 
De  ma  ;iiort  sarien  pièi  l'encauso  ! 

Mirèio^  d'aquéu  biais  tous  trufés  plus  de  iéu! 


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MIREiLLË,  CHANT  II.  77 

—  C'est  un  coup  d&  soleil  peut-être^ 
Dont  il  faudrait  se  rendre  maître; 

Je  sais  aux  Baux,  dit-il,  yers  la  gauche  en  montant. 

Une  matrone  qu'on  appelle 

La  Taven,  et  qui,  sûre  d'elle. 

Au  front  qu'atteignit  Tétincelle, 
Applique  un  Terre  <i'eau  qui  l'attire  à  l'instant. 

—  Non,  non,  dit  la  fille  candide. 
De  son  rayon  le  plus  perfide. 

Le  so      ne  peut  rien  sur  les  filles  de  Grau! 

Ha  peine,  hélas!  est  moins  frivole». 

Mais  de  celle  qui  me  désole 

Je  sens  que  le  secret  s'envole, 
Vincent,  Vincent,  je  t'aime  I...  Au  bord  du  clair  ruisseau, 

Les  saules  du  bosquet  humide, 
Le  gazon  frais  et  l'air  limpide, 
^rent  pris  à  ce  mot  d'un  doux  frémissement!... 

—  Ah  !  reine,  quand  on  est  si  belle. 
On  devrait  être  moins  cruelle  ! 

Dit  Vincent,  l'œil  fixé  sur  elle. 
Et  lent  à  revenir  de  son  saisissement. 

Quoi  l  vous  de  moi,  vous  amoureuse? 

D'une  existence  encore  heureuse 
N'allez  donc  pas  troubler  le  fragile  bonheur  ! 

Ne  raillez  pas,  je  vous  en  prie, 

Car  bientôt  votre  raillerie 

Pourrait  bien  me  coûter  la  vie! 
Ktié  pour  v^  raison  et  pitié  pour  mon  cœur! 


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16  MIRÊIO,  GANT  II. 

—  Que  Dieu  jamaî  m'emparadise, 
Se  i'a  messorgo  en  ço  que  dise  ! 

Vai,  de  créire  que  t'ame  aeô  fai  pas  mouri, 
Vincèn!...  Mai  se,  pèr  marridesso, 
Noun  Tos  de  iéu  pèr  ta  mestresso, 
Sara  iéu,  de  malo  tristesso, 

Sara  iéu  qu'à  tî  pèd  me  veiras  coumbouri  ! 

—  Oh!  digues  plus  de  cause  ansinto! 
De  iéu  à  tous  i'a  'n  laberinto, 

L'enfant  de  Méste  Ambroi  fagué  'n  bretounejant. 
Vous,  sias  dôu  Mas  di  Falabrego 
La  rèino  davans  quau  tout  plego... 
Iéu,  banastié  de  Valabrego, 

Siéu  qu'un  ^ndard,  Mirèio,  un  trevaire  de  champ  ! 

—  Eh  !  que  m'enchau  que  moun  fringaire 
Siegue  un  baroun  o  'n  panieraire. 

Mai  que  m'agrade  à  iéu  !  ié  respoundeguô  lèu 
£  toute  en  fiô  coume  une  liandro. 
Mai  se  noun  tos  que  la  malandro 
Fure  moun  sang,  dins  ti  peiandro 

Perqué  donne,  o  Vincèn,  m'aparèisses  tant  bèu?— 

Davans  la  vierge  raubativo. 
Eu  resté  mè,  coume  di  nivo 
Quand  toumbo  pau-à-pau  un  aucéu  pi  vêla  '®. 

—  Sies  donne  masco,  piéi  fagué  proumte, 
Pèr  que  ta  visto  ansin  me  doumte, 

Pèr  que  ta  voues  au  su  me  mounte, 
E  me  rende  foulas  coume  un  ome  enchusclat 


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MIREILLE,  CHANT  H.  79 

— Dans  les  enfers  que  Dieu  me  plonge 

Si  ma  parole  est  un  mensonge  ! 
La  foi  dans  mon  amour,  Ta>  ne  te  tuera  pas... 

Mais  si  ton  âme  indifférente 

Ne  veut  pas  de  moi  pour  amante, 

C'est  moi  qui,  faible  et  languissante. 
Viendrai  jusqu'à  la  mort  me  traîner  sur  tes  pasi 

—  P^ler  ainsi,  c'est  presque  un  crime  f 
Entre  nous  existe  un  abîme. 

Répond  le  fils  d'Ambroise  en  la  considérant. 

D'un  superbe  et  yaste  domaine, 

Vous^  Mireille,  vous  êtes  reine... 

Moi^  je  suis  un  bomme  de  peine, 
Un  batteur  de  campagne,  un  pauvre  juif-errant  ! 

—  Eh  I  que  me  Mi  à  moi  qu'un  homme 
Soityannier  ou  soit  gentilhomme. 

S'il  me  plaît,  si  je  l'aime,  et  s'il  est  comme  il  faut  ? 

Âh  !  si  tu  veux  que  je  reprenne 

La  paix  du  cœur,  la  paix  sereine. 

Sous  tes  grossiers  habits  de  laine 
Pourquoi  donc,  ô  ViacentI  m'apparais-tu  si  beau?  *-- 

Devant  la  vierge  ravissante 
Il  resta  là,  bouche  béante. 
Gomme  un  timide  oiseau  qu'un  aigle  a  £sisciné. 
Puis,  repris  d'une  ardeur  soudaine: 

—  Mais  qu'es-tu  donc,  fée  ou  sirène. 
Pour  qu'aucune  parole  humaine 

Gomme  la  tienne  id  m'tût  jamais  dominé? 


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80  MIRÈIO,  GANT  II. 

Lou  veses  pas  que  ta  brassado 

A  mes  lou  fiô  dins  mi  peusado? 
Car,  té  !  se  vos  lou  saupre,  à  Tagrat  que  de  iéu, 

Paure  pourtaîre  de  bourrèio, 

Vogues  faire  que  ta  risèio, 

T'ame  peréu,  t'ame,  Mirèio  ! 
Tame  de  tant  d*ainour  que  te  devouririéuf 

V 

T'ame,  que  se  disien  ti  labro  : 
Vole  la  Gabro  d'or  ",  la  cabro 

Que  degUQ  de  mourtau  ni  la  pais  ni  la  mous» 
Que  sout  lou  ro  de  Baus-Maniero  '^ 
Lipo  la  moufo  roucassiero,  — 
0  me  perdriéu  dins  li  peiriero, 

0  me  Teiriés  tounm  la  cabro  déu  peu  rôus! 

Tame»  o  chatouno  encantarelio,      * 
Que  se  disîés  :  Vole  uno  estelio; 

Fa  ni  tra?ès  de  mar,  ni  bos,  ni  gaudre  foui. 
Fa  ni  bourrèu,  ni  fiô,  ni  ferre 
Que  m'ap)antèsse  !  Au  bout  di  serré, 
Toucant  lou  cèu,  Fanariéu  querre, 

£  Dimenche  Fauriés»  pendoulado  à  toun  coui 

Mai,  0  bellasso!  au  mai  t'aluque. 
Au  mai,  pecaire!  m'emberluquel... 

Veguère  uno  fîguiero,  un  cop,  dins  moun  camin« 
Arrapado  à  la  roco  nuso 
Contre  la  baumo  de  Vau*Gki80  : 
Maigro,  pecaire  !  i  lagramuso 

lé  dounarié  mai  d'oumbro  un  clôt  de  jaus^emin  I 


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MIREILLE,  CHANT  11*  81 

Ne  Tois-tu  pas  que  ton  langage 

Me  surexcite  et  m'encourage? 
Eh  bien  !  sache-le  donc,  dût  cet  aveu  naïf 

D'un  pauvre  vannier  qui  s'oublie. 

Paraître  un  acte  de  folie. 

Je  t'aime  aussi,  fille  accomplie. 
Et  je  te  mangerais,  tant  cet  amour  est  vif! 

Je  t'aime  tant  que  si  ta  lèvre 

Me  murmurait  :  Je  veux  la  Ghèvroi 
La  Chèvre  d'or  que  nul  ni  ne  pait  ni  ne  trait. 

Qui,  sous  le  pic  de  Baus-Manière, 

Lèche  la  mousse  de  la  pierre. 

Ou  je  mourrais  dans  sa  tanière, 
Ou  la  Chèvre  au  poil  roux  à  tes  pieds  béleraiti 

Je  t'aime  tant  que  si  le  voile 

De  la  nuit  avait  une  étoile 
Qui  te  tentât  ;  il  n'est  ni  feu,  ni  torrent  fou, 

Ni  vent  que  l'orage  accompagne 

Qui  m'anétât  dans  ma  campagne I 

J'irais  plus  haut  que  la  montagne. 
Et  l'étoile  demain  brillerait  à  ton  cou  ! 

Mais  plus  je  t'admire,  ô  bel  ange  ! 

Et  plus  ma  raison  se  dérange  !...  I 

A  Vauclnse,une  fois,ie  vis  sur  mon  chenûn  j 

Un  figuier  de  maigre  venue. 

Cramponné  sur  la  roche  nue. 

Donnant  une  ombre  plus  ténue 
Que  celle  de  l'hysope  ou  celle  du  jasmin. 


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S3  MIRËIO,  GANT  IL 

Un  cop  pèr  an  yers  si  racino 
Yen  flouqueja  Toundo  Tesino  ; 

E  Taubret  secarous,  à  Taboundouso  font 

Que  mounto  à-n-éu  pèr  que  s'abéure, 
Tant  que  n'en  yôu,  se  bouto  à  béure.«« 
D'acô  tout  l'an  n'a  proun  pèr  viéure. 

Goume  à  l'anèu  la  péiro,  à  iéu  acô  respond: 

Que  siéu,  Mirèio,  la  figuiero, 

E  tu,  la  font  e  la  fresquiero 
S  basto,  à  iéu  pauret!  basto,  une  fes  de  l'an. 

Que  pousquèsse,  à  geinoui  coume  arc. 

Me  souleia  i  rai  de  ta  caro  ! 

E  subre-tout  de  poudé  'ncaro 
Te  floureja  li  det  d'un  poutoun  tremoulant!  -^^ 

Mirèio,  d'amour  tresananto, 
L'escoutavo...  Mai  éu  l'aganto, 

Eu  l'aganto  esp^u  ;  contro  soun  pitre  fort 
L'adus  esperdudo...  -i-  Mirèio! 
Subran  coume  eiçô  dins  la  lèio 
S'entendegué  'no  voues  de  vièio, 

Lî  magnan,  à  miejour,  manjaran  rèn,  alort 

Dedins  un  pin,  en  grande  fogo, 
Un  vôu  de  passeroun  que  jogo, 

Emplîsson,  i^  de  fes,  d'un  chamatan  galoi 
La  vesprado  que  s'enfresquèiro  ; 
Mai  d'un  glenaire  que  li  guèiro 
Se  toul-d'uti-cop  toumbo  la  pèiro, 

De  tout  cure,  esfraia,  tabouscon  dins  lou  boL 


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MIREILLE^,  ^BÂNT  tL  1 

Une  fois  Tan,  yerssàracioe 

Vient  clapoter  l'oùdéToisine, 
£t  ses  flots  abondants  abreuvent  l'arbrisseau. 

Mais  il  faut,  arrêt  trop  sévère, 

Que  cette  eau  epii  le  désaltéré 

Lui  suffise  une  année  entière... 
Tout  ceei  me  va  mieux  que  la  pierre  à  Tanneau  : 

Je  suis  le  figuier,  ô  ma  reine, 
Et  toi  la  fraîcheur,  la  fontaine; 

Et  pûissé-je  à  genoux,  là,  comme  tu  m'y  vois. 
Une  fois  l'an,  pas  davantage, 
Pauvre  fou,  pour  calmer  ma  rage. 
Boire  aux  splendeurs  de  ton  visage, 

£t  d'un  baiser  tremblant  te  becqueter  les  doigts  I 

Mireille  d'amour  palpitante, 

L'écoutait....  d'une  main  brûlante, 
Ld  la  prend,  éperdu,  cherchant  à  l'amener 

Contre  sa  poitrine...  Mireille! 

Fit  soudain  une  voix  de  vieille 

Qui  vint  vibrer  à  son  oreille  : 
Alors!  les  vers  à  soie  à  midi  vont  jeûner! 

Souvent  le  soir,  sur  un  vieux  chêne,     . 

Un  vol  de  moineaux  se  démène, 
En  cherchant  bruyamment  son  gîte  pour  la  nuit  ; 

Qu'un  jeune  glaneur  de  passage 

Lance  un  caillou  dans  le  feuillage. 

Aussitôt  cesse  le  tapage, 
fit  le  Toi  effrayé  vers  les  coteaux  s'enfuit. 


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94  MIRÏIO,  GANT  IL 

Desmeinouria  de  l'escaufèstre, 
Ansin  fugis  pèr  lou  campèstre 

Lou  parèu  amourous.  Elo,  de-vers  lou  mas, 
Sènso  muta,  part  à  la  lèsto, 
Bmé  sa  fueio  sus  la  tèsto... 
Eu,  planta  coume  un  sounjo-fêsto, 

T/arregardo  landa  peralin  dins  Fermas, 


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MIREILLE,  CHANT  IL  85 

Ainsi,  troublé  par  le  message, 

Le  jeune  couple  se  dégage 
De  ses  doux  entretiens  remis  à  d'autres  temps; 

Mireille,  agile  et  bientôt  prête, 

Court  au  mas,  son  sac  sur  la  tête... 

Lui,  debout  conmie  un  songe-féte, 
La  suit  des  yeux,  au  loin,  courant  à  travers  champs  I 


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NOTES  DU  CHANT  DEUXIÈME 


i.  MagnanareUo  (Magaanarelles).  Oa  désigne  par  ee  mot 
les  femmes  préposées  à  l'éducation  des  vers  à  soie,  magnan, 

2.  S'endormon  di  très  (ils  s'endormirent  de  leur  troisième 
somme).  Les  vers  à  soie  vivent  à  Tétat  de  larve  trente-quatre 
jours  environ,  et  dans  cet  intervalle  changent  quatre  fois  de 
peau.  Â  rapproche  de  chaque  mue,  ils  s'engourdissent  et  ces- 
sent de  manger,  dormon.  On  dit  dourmi  de  la  premiero ,  di 
dos,  di  très,  di  quatre,  ce  qui  signifie  littéralement  dormir  de 
la  première  (mué),  des  deux  (mues),  des  trois  (mues),  etc. 

8.  Couquihudo  (cochevis,  àlauda  cristata.  Lin.). 

4.  Vin  eue  (vin  cuit),  moût  qu'au  sortir  de  la  fouloireonfait 
bouillir  dans  un  chaudron,  et  qui,  étant  cuit  à  point,  rappelle, 
après  un  an  de  bouteille,  la  couleur  et  le  goût  des  meilleurs 
vins  d'Espagne.  Les  Provençaux  le  boivent  dans  les  festins, 
et  principalement  an  repas  de  Noël. 

5.  Capoun-fèr  (sacre),  sacre  d'Egypte  (tmitur  percnoptenu 
Gm.),  oiseau  de  proie. 

6.  Regardello  (regardelles),  mets  imaginaire.  Manja  de  re- 
gardello,  manger  des  yeux,  mâchera  vide,  comme  dit  Rabelais. 

7.  Aresde  (cerceau  qu'on  adapte  à  la  gueule  d'un  sac  pour  le 
tenir  ouvert).  On  donne  en  général  le  nom  d'arescle  aux  bois  de 
fente  dont  on  fait  les  sas,  les  cribles,  les  tambours,  les  boisseaux. 

8.  Margai  (ivraie).  Il  s'agit  de  l'ivraie  vivace  (loUum  p^ 
renne.  Lin.),  ray^grass  des  Anglais. 


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NOTES  DU  CHANT  IL  87 

9.  Grtgàli,  0egau,  ou  simplement  grè  (vent grec),  vent  du 
Bord-est 

10.  Pivda  (fasciné).  Leverbeptvela  ou  pipa  signifie  l'action, 
fraie  ou  imaginaire,  par  laquelle  un  reptile  attire  à  lui  un 
oiseau,  et  même  une  personne.  Le  peuple  attribue  cette  attrac* 
tion  à  une  aspiration  irrésistible,  qui  peut  néanmoins  èlre 
interceptée  par  le  passage  subit  d*un  corps  étranger. 

il.  LaCahro  ttor  (la  Chèvre  d*or),  trésor  ou  talisman  que 
le  peuple  prétend  avoir  été  enfoui  par  les  Sarrasins  sous  Tun 
des  antiques  monuments  de  la  Provence.  Les  uns  prétendent 
qa*^e  ^t  sous  le  mausolée  de  Saint-Remy,  d'autres  dans 
la  grotte  de  Corde,  d'autres  sous  les  roches  des  Baux.  •  Cette 
tradition,  dit  George  Sand  (les  Visions  de  la  nuit  dans  les 
ean^gnes),  est  universelle;  il  y  a  peu  de  ruines,  châteaux  ou 
nonastères,  peu  de  monuments  celtiques  qui  ne  recèlent  leur 
trésor.  Tous  sont  gardés  par  un  animal  diabolique.  M.  Jules 
Ganonge,  dans  un  charmant  recueil  de  contes  méridionaux, 
a  rendu  gracieuse  et  bienfaisante  la  poétique  apparition  de  la 
Chèvre  d*or»  gardienne  des  richesses  cachées  au  sein  de  la 
terre.  » 

12.  BauS'Maniero  (Bau-Manière),  rocher  à  pic  au  nord  de 
la  ville  des  Baux.  Cette  localité  tire  son  nom  des  escarpe- 
ments qui  l'entourent;  car  en  provençal  le  moi  baus  veut  dire 
escarpement,  précipice,  ei  Baus-Maniera,  Baus-Besso,  sont  les 
noms  que  portent  encore  divers  quartier!  du  territoire  des 
Raox. 


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CANT  TRESEN 

LA  DESGOUCOUNADO 


Li  recordo  proovençalo.  —  Au  Mai  di  Ftlabrego,  un  gai  rondelet 
do  cliato  detcoacounon.  —  Jano-Mario,  maire  de  Mirèio. — Taven, 
la  masco  di  Bani.  —  La  malo-viito.  —  Li  descottcounarello  fan, 
pèr  pasfo-tèms,  de  ea$Uu  en  Prouvènço.  —  La  fièro  Lauro,  rèino 
de  Pamparigousto.  -~  Glemënco,  rèino  di  Baus.  —  Lon  Ventour. 
loa  Rose,  la  Darènço.  —  Azalals  e  Vi6uIano.  —  La  Court  d'amour. 
—  Lis  amour  de  Mirèio  e  de  Vincèn  descuberto  pèr  Nourado.  •> 
Li  galéjade.  —  Taveo  la  masco  fai  teisa  li  chato  :  Termitan  âôm 
Leberoun  e  lon  tant  pastre.  —  Noro  canto  Magali. 


Quand  li  pausito  soun  braveto, 
Qu'à  plen  barrau  lis  ôoliveto 

Dins  11  gerlo  d'argelo  escampon  l'ôli  rous. 
Quand,  sus  li  terro  e  dins  li  draio 
D6u  garbejaire  que  varaio 
Lou  grand  càrri  reno  e  trantraio, 

E  tuerto  de  pertout  'mé  soun  front  auturous  ; 

Nus  e  gaiard  coume  un  luchaire, 
Quand  Bacus  yen,  e  di  chauchaire 

Coundus  la  farandoulo  i  vendèmio  de  Grau  ; 
£,  de  la  caucadouiro  emplido, 
Quand  la  bevèndo  benesido, 
Souto  li  cambo  enmoustousido, 

Dins  rescumouso  tino  escapo  à  plen  de  trau. 


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CHANT  TROISIÈME 

LE   DÉPOUILLEMENT   DES  COCONS 

Les  réeoltes  provençale!.  —  Au  Mai  dei  Micocoulei  une  jojeuM 
rénnion  de  jeunes  filles  détache  des  rameaux  les  cocons  des  vers  à 
soie.  —  Jeanne-Marie,  mère  de  Mireille.  —  Taven,  la  sorcière  des 
Baux.— La  mauvaise  œillade.  ~  Les  dépouilleases  de  cocons,  pour 
passer  le  temps,  font  des  châteaux  en  Provence.—  La  fière  Laure, 
reine  de  Pamparigouste.  —  Glëmenee,  reine  des  Baux.  ~  Le  Yen- 
lour,  le  Rhône,  la  Dnrance.— Azalals  etViolane.— La  Cour  d'amour. 
—  Les  amours  de  Mireille  et  de  Vincent  divulgués  par  Norade.  — 
RaUlerie  des  jeunes  filles.— La  sorcière  Taven  leur  impose  silence: 
Termite  do  Lnberon  et  le  saint  pfltre.  —  Nore  chante  Magalt. 

Quand  les  récoltes  sont  honnêtes, 

Qa'à  pleins  barils  les  olivettes 
Epanchent  l'huile  rousse  aux  jarres  du  cellier; 

Quand  les  gerbes  gisent  sur  place, 

El  que  le  char  qui  les  ramasse, 

Gémit,  cahote  sous  leur  masse, 
W  heurte  de  partout  avec  son  front  altier. 

Quand  des  fouleurs  la  troupe  est  prête. 

Que  Bacchus,  héros  de  la  fôte, 
les  mène  en  farandole  aux  vendanges  de  Crau; 

Que  de  la  fouloire  profonde, 

Sous  leurs  pieds  rouges  qu'il  inonde, 

Le  moût  s'écoule  à  pleine  bonde 
Dans  la  cuve  écumante  et  fait  le  vin  nouveau; 


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90  MIRÊIO,  GANT  III. 

E,  clarinèu,  sus  li  genèsto 

Quand  li  magnan  mounton  en  fèsto 
Pèr  fiela  si  presoun  bloundinello  ;  e  que  lèu 

Aquéli  toro  mai  qu'alto 

S'ensevelissoD,  à  cha  milo, 

Dins  si  bressolo  tant  sutilo 
Que  vous  sèmblon  teissudo  em'  un  rai  de  soulèa; 

Âlor,  en  terro  de  Prouvènço, 

Ta  mai  que  mai  divertissènço  l 
Lou  bon  muscat  de  Baumo^  e  lou  Ferigoulet' 

Alor  se  chourlo  à  la  gargato  ; 

Âlor  se  canto  e  l'on  se  trato  ;  ; 

Alor  se  vèi  e  drôle  et  chato 
An  son  dôu  tambourin  fourma  si  vertoulet. 

—  léu  claramen  siéu  fourtunado  I 
Sus  mi  canisso  encabanado 

Quéti  flo  de  coucoun  !...  Un  bos  raiéus  enseda» 
Un  plus  riche  descoucoun^ge, 
L'aviéu  plus  nst  dins  lou  meinage, 
Vesino,  dempièi  moun  jouine  âge, 

Desempièi  Tan  de  Dieu  quç  npU9  .siaQ  marida.  «-• 

Ddu  tèms  que  lou  coucoun  se  trio» 

Ansin  disié  Jano-Marlo, 
Dôu  Tièi  Mèste  Ramoun  ounourado  mouié« 

De  Mirèio  ourgueiouso  maire  ; 

E  li  vesino.  e  li  coumaire, 

En  trin  de  rire  e  de  desfaire» 
Ëron  à  spun  entour,  dins  la  magnanarié. 


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MIREILLE,  CHANT  III.  91 

Quand  sur  les  genêts  se  déploie 

La  pléiade  des  vers  à  soie, 
Qui  montent  pour  filer  leurs  brillantes  prisons; 

Quand,  diligent  autant  qu'habile, 

Chaque  ver  s'enferme  à  la  fîle, 

Dans  une  trame  si  subtile 
Qall  semble  qu'au  soleil  elle  ait  pris  ses  rayons  ; 

Alors,  ea  terre  de  Provence^ 

Tout  est  fête  et  réjouissance  ! 
Le  bon  Muscat  de  Baume  et  le  Férigoulet 

Se  boivent  à  la  régalade  ;       .    _ 

Alors  on  chante  et  l'on  gambade; 

On  entend  la  joyeuse  aubade    .      ^ 
Du  tambourin  battant  sous  l'air  du  galojobet.  ^ 

—  Tnument  I  je  suis  d^  plus  he^ureuses  J 

Et  sur  mes  tiges  plantufeuses 
Quels  bouquets  de  cocons!...  J'en  dois  faire  l'ayett, 

Jamais  pareil  décoconage 

Ne  s'était  vu  dans  mon  ménage. 

Depuis  qu'à  la  fleur  de  mon  âge, 
h  !ne  suis  mariée  ainsi  qu'il  plut  à  Dieu. 

Pendant  que  le  cocon  se  trie^ 

Ainsi  parlait  Jeanne-M^rie, 
Du  vieux  paitre  Ramon  vénérable  moitié, 

De  Mireille  orgueilleuse  mère; 

Autour  d'elle  mainte  commère 

Et  caquèteuse  et  familière,   .  .     . ,  .  v    1 
L'aidait  avec  Tentrain  d'u^e  bonne. ao^itf^t  11 .  a; . . 


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93  MIRÊIO,  GANT  III. 

Descoucounavon  :  elo-memo, 
Mirèio,  à  tout  moumen,  i  femo 

Pourgié  li  broat  d'avaus,  H  dot  de  ronmania 
Ounte,  à  Fôudour  de  la  mountagno» 
Tant  Toulountié  'mé  soun  escagao 
La  noblo  toro  s'embaragno 

Que,  coume  rampau  d'or,  n'éron  clafi  dedin. 

—  Sus  l'autar  de  la  Bono  Maire  *, 
Jano-Mario  à  si  coumaira 

Venié  douac,  aièr,  femo,  anére  lèu  pourta 
De  mi  brout  lou  plus  bôu  pèr  dèime  : 
Ânsin  lau,  tôuti  U  milèime  ; 
Car  es  pièi  elo  qu'à  bel  èime 

Coumando,  quand  ié  plais,  i  magnan  de  mounta. 

—  léu,  digue  Un  dôu  Mas  de  TOste, 
Ai  belle  pôu  que  me  n'en  costc  ! 

Ix)u  jour  que  tant  boufavo  aquéu  gros  Levantas, 
(D'aquéu  laid  jour  vous  n'en  remembre  !) 
Aviéu  leissa,  pèr  destinèmbre, 
A  brand  lou  fenestroun  dôu  membre... 

Adès  n'ai  coumta  vint,  canela  *  sus  lou  jas  !  — 

Taven,  pèr  donna  soun  ajudo, 

Peréu  di  Baus  èro  vengudo. 
\  Zèu  Taven  digue  :  —  Toujour,  mai  que  li  vièi, 

Gresès,  li  jouine,  de  counouisse  ! 

Mai  fau  que  l'âge  nous  angouisse, 

Fau  que  l'on  ploure  e  que  l'on  gouisse  : 
Alor,  mai  bèn  trop  tard,  l'on  vèi  e  l'on  counèi  î 


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MIREILLE,  GQANT  III.  93 

On  décoconnait  :  elle-méin6 

Aux  auxiliaires  qu'elle  aime 
NireiQe  présentait  les  jets  de  romarin; 

Odorante  et  saine  brindille, 

Qu'en  filant,  la  noble  chenille 

Orne  tant  et  tant  qu'elle  brille 
Comme  une  palme  d'or  sortant  de  son  écrin. 

—  Sur  l'autel  de  la  sainte  Vierge, 
Au  lieu  d'un  bouquet  ou  d'un  cierge, 

Dit  Jeanne,  hier  encpr,  j'ai  pris  soin  de  porter 

De  mes  brindilles  la  plus  belle; 

Ce  soin  m'est  doux,  j'y  suis  fidèle; 
*  Car,  somme  toute,  c'est  bien  elle 
Qui  parle  aux  vers  à  soie  et  leur  dit  de  monter. 

—  Moi,  dit  Iseult  du  Mas  de  l'Hôte, 
J'ai  commis  une  grande  faute! 

Le  jour  que  tant  soufflait  l'autan  impétueux» 
(De  l'oublier  que  Dieu  me  garde  !) 
Pour  n'avoir  pas  clos,  par  mégarde, 
La  fenêtre  de  ma  mansarde, 

le  Tiens  d'en  compter  vingt  aussi  blancs  que  des  œufe  I  -- 

Taven  des  Baux,  qui  donnait  l'aide, 

Dit  alors  :  La  leçon  est  raide  ! 
Mais  vous  la  méritez  en  croyant  tout  savoir  ! 

Apprenez  donc  que  la  science 

Ne  vient  que  par  l'expérience. 

Et  qu'il  est  tard,  quand  on  commence 
^pouvoir  se  flatter  de  connaître  et  de  voir! 


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94  MIRÈIO,  CAÏ^T  m 

Vàatri,  li  femotartaTellOy 

Se  Tespelido  parèis  beJIo, 
Lèu-lèu  que  pèr  carriero  anas  en  bardoniant  : 

Fa  mi  magnan  qu'es  pas  de  crèire 

Goume  soun  bèu!  Venès  lèi  vèirel 

L'Envejo  rèsto  pas  à  réire  : 
Darrié  vous  à  là  chambro  escalo  en  remotuniant 

—  Fan  gau!  te  dira  la  vesîno  ; 

Es  bèn  tout  clar  qu'as  ta  crespino^  ! 
Mai  tant  lèu  de  contre  elo  auras  vira  lou  pèd. 

Te  ié  dardaio,  renTejonsOy 

Uno  espinchado  verinouso 

Que  te  li  brulo  e  te  11  nouso!... 
Es  l'aoro,  dires  pièi,  que  me  lis  engipè  *1 

—  Dise  pas  qu'acô  ndun  ié  fagué, 
Respoundè  Zèu.  Goume  que  vague, 

Poudiéu  bèn,  aquéu  jour,  barra  moun  fehestroun 
-*  Di  verinado  que  Tiue  lanço, 
Quand  dins  la  tèsto  briho  e  danso, 
Faguè  Taven,  n'as  donne  doutançoT... 

B  sus  Zèu  entremen  mandavo  d'iue  feroun. 

—  Oh  !  pau-de-sén  qu'emé  l'escaupre 
Fumant  la  mort,  creson  de  saupre 

La  vertu  de  l'abiho  e  lou  secret  déu  mèu  t 
Quau  t'a  pas  di  que,  davans  terme, 
Pôu,  un  regard  lusènt  e  ferme, 
D6u  femelan  torse  lou  germe, 

Di  vaco  poussarudo  agouta  li  mamèu! 


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MIREILLE,  GHANT  lU. 

Vous  autres,  femmes  sans  cervelle. 

Si  réclosion  parait  belle. 
Dans  tous  les  carrefours  vous  allez  babillant  t 

Mes  vers  à  soie!  Oh!  de  la  vie 

Je  n'en  eus  tant  f  J'en  suis  ravie; 

Venez  donc  les  voir!  Et  l'Envie 
Vous  soit  dans  l'escalier  et  m0nte  en  gromtnelant'. 

—  Qu'ils  sont  beaux  l  dira  ta  toisinoi 
Tu  naquis  avec  la  crépine, 

Cest  é?id3nt  I  Et  puis,  quand  nul  ne  la  verra, 
Le  front  en  dessous,  l'envieuse 
Darde  une  œillade  venimeuse, 
Qui  te  les  noue  ou  te  les  creuse  !... 

Et  tu  diras  après  :  le  vent  me  les  plâtra  ! 

—  Moi,  je  n'exclus  aucun  système. 
Répondit  Iseult,  tout  de  même, 

En  fermant  sa  fenêtre  on  se  garantit  mieux! 

—  Du  maléfice  que  l'œil  lance. 
Quand  sous  les  cils  il  se  balance. 
Tu  doutes  donc?  Quelle  ignorance! 

Et  Taven  en  parlant  la  dévorait  des  yeux  ! 

—  Insensé,  qui  pour  sonder  l'être 
Fouille  la  mort  et  croit  connaître 

U  vertu  de  l'abeille,  et  le  secret  du  miel  ! 
Mais  ne  sais-tu  pas  qu'avant  terme. 
Un  seul  regard,  luisant  et  ferme, 
Des  femmes  peut  tordre  le  germe, 

Dénaturer  le  lait  et  le  changer  en  fiel! 


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m  MIRÈIO,  GANT  IIl. 

Is  auceloun  vèn  la  mascoto, 

Rèn  qu'à  Taspèt  de  la  machoto  ; 
Au  regard  de  la  serp  degoulon  tout-d'abord 

Lis  auco,...  e  souto  llue  de  Tome, 
•  Tu,  vos  qu'un  verme  noun  s'endrome  ?. .  . 

Mai,  contre  i'iue  dôujuvenome, 
Quand  trespiro  l'amour,  la  flamo,  o  l'estrambord, 

Mounte  es  la  chato  proun  savènto 
Pèr  s'apara?  —  Quatre  jouvènto 

Lcissèron  de  si  man  escapa  li  coucoun  :  — 
Que  fugue  en  jun,  fugue  en  ôutobre» 
Toun  aguïoun  fau  toujour  qu'obre. 
Que  !  ié  cridèron,  vièi  coulobre  ! 

Li  drôle?...  digo4é  qu'avançon  un  brigoun! 

Noun  !  yenié  la  gaio  ninèio. 
N'en  voulén  ges!  parai,  Mirèio? 

—  Se  descoucouno  pas,  faguè,  tôuti  li  jour  : 
Sabe  une  fiolo,  dins  l'estivo, 
Qu'anas  trouva  fort  agradivo... 
E  MirèiOy  despachativo, 

Davalo  dins  lou  mas  escoundre  sa  ronjour. 

—  Bèn!  iéu,  mi  bono,  siéu  bèn  pauro! 
Acoumencè  la  fièro  Lauro. 

Mai  s^  d'escouta  res,  iéu,  l'aviéu  envela. 
Quand  lou  rèi  de  Pamparigousto  ' 
De  sa  man  me  farié  soumousto, 
Sarié  moun  cbale,  ma  coungousto. 

De  lou  vèire  sèt  an  à  mi  pèd  barbela! 


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MIREILLE,  CHANT  IIL  ^ 

Le  seul  aspect  de  la  chouette 

Aux  oisillons  tourne  la  tête  ; 
Au  regard  du  serpent  Taigle  tombe  du  ciel,... 

Et  tu  voudrais  qu'une  chenille 

Au  regard  de  Thomme  qui  brille 

Pût  résister?...  0  pauvre  fille! 
Quand  l'œil  d'un  amoureux  lance  son  trait  mortel, 

La  vierge  ne  peut  se  défendre...  -« 
Quatre  fillettes  au  cœur  tendre 

Laissèrent  de  leurs  mains  échapper  les  cocons; 
Mais  bientôt  reprenant  leur  œuvre  : 
■—  Faudra-t-il  donc,  vieille  couleuvre, 
Que  sans  cesse  ton  dard  manœuvre  ! 

Les  garçons  te  font  peur  ?...  Qu'ils  viennent,  les  garçons  t 

Pas  une  ici  ne  les  redoute; 

L'amour  vaut  moins  cher  qu'il  ne  coûte  ; 
Mireille,  qu'en  dis-tu? —  Je  dis  que  toute  ardeur 

S'éteint,  si  rien  ne  la  réveille  ; 

Et  je  cours  prendre  une  bouteille 

Dont  la  liqueur  fera  merveille... 
A  ces  mots,  elle  fuit  pour  cacher  sa  rougeur... 

Et  comme  on  devisait  encore, 

Ainsi  parla  la  fière  Laure  : 
—  Je  suis  pauvre,  mais  si,  de  n'avoir  pas  d'époux 

J'avais  fait  vœu,  le  roi  de  France 

Viendrait  m'offrir  son  alliance. 

Que  ma  plus  douce  jouissance 
Serait  de  le  laisser  sept  ans  à  mes  «enoux  ! 


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0g  MIRKIO,  GANT  III. 

--  léu  noun  !  aqui  digue  Gleinènço» 

Se  quauque  rèi,  pèr  escasènço, 
De  iéu  veni'  amourous,  pôu  arriba  bessai, 

Subre-tout  s'èro  jouine  e  lèri 

£  lou  plus  bèu  de  soun  empèri» 

Que,  sènso  taat  de  refoulèri, 
lie  leissèsse  pèr  eu  mena  dins  soun  palaû 

Mai  uno  fes  que  m'aurié  messo 

Emperairis  e  segnouresso, 
Emé  capo  ufanouso,  à  papàrri  d'orfré, 

Em'  autour  de  ma  tèsto  caudo 

Uno  courouno  qu'esbrihaudo, 

Rèn  que  de  perlo  e  d'esmeraudo, 
M'envendriéu,iéu  la  rèino,  i  Baus,  moun  paure  endrél 

Di  Baus  fariéu  ma  capitalo  1 

Sus  lou  roucas  que  iuei  rebalo, 
De  nôu  rebastiriéu  noste  vièi  castelas  : 

Tapoundriéu  uno  tourrello 

Qu'emé  sa  pouncbo  blanquinello 

Ajougneguèsse  lis  estello  ! 
E  pièi,  quand  voudriéu  un  pauquet  de  soûlas. 

Au  tourrihoun  de  ma  tourriho, 

Sènso  courouno  ni  mantiho, 
Souleto  emé  moun  prince  amariéu  d'escala. 

Souleto  em'  eu,  sarié,  ma  iistol 

Cause  de  bon  e  de  requisto 

Peralin  de  perdre  sa  visto. 
Contre  lou  releisset,  couide  à  couide  apielal 


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MIREILLE,  CHANT   IIL  90 

—  Pas  moi  !  reprit  alors  Clémence, 

Et  si  le  roi,  par  occurrence, 
De  lues  faibles  appas  devenait  amoureux» 

Surtout  s'il  était  galant  homme. 

Et  le  plus  beau  de  son  royaume. 

Ah  !  pour  le  coup,  vous  verriez  comme 
Je  serais  bientôt  prête  à  me  rendre  à  ses  vœux. 

Mais  du  jour  où  je  serais  reine, 

Impératrice  et  souveraine. 
Sous  mon  manteau  de  pourpre,  en  mes  riches  lambrif , 

Lorsque  j'aurais  ceint  la  couronne. 

Qui  d'or  et  de  rubis  rayonne. 

Fuyant  l'ivresse  qu'elle  donne. 
Je  reviendrais  aux  Baux,  mon  pauvre  et  beau  paysl 

Les  Baux  seraient  ma  capitale  ! 

Sur  leur  roche  monumentale, 
lia  main  rebâtirait  leur  noble  et  vieux  château  ; 

Fendant  l'air,  attirant  la  vue, 

Une  tourelle  à  flèche  aiguë 

Irait  se  perdre  dans  la  nue  ! 
Et  puis,  de  temps  en  temps,  sur  le  donjon  nouveau, 

Sans  diadème,  sans  mantille, 

Sous  mes  habits  de  jeune  fille, 
J'aimerais  à  monter  avec  mon  amoureux... 

Quel  plaisir  !  Quelle  jouissance. 

Tout  seuls,  coude  à  coude,  en  silence» 

Suspendus  sur  le  vide  immense. 
Vers  l'horizon  au  loin  de  promener  ses  yeux  \ 


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100  MIRÊIO,  GANT  III. 

De  vèirc  en  pi  en,  fasié  Glemènço, 

Moun  gai  reiaume  de  Prouvènço 
Coume  un  claus  d'arangié  davans  iéu  s'espandi  ; 

E  sa  mar  bluio  estalouirado 

Souto  si  colo  e  si  terrado, 

E  li  grand  barco  abandeirado, 
Poujanto  à  plen  de  vélo  i  pèd  dôu  Castéu  d*I; 

E  Ventour  ^  que  lou  tron  labouro, 
Ventour  que,  vénérable,  aubouro 

Subre  li  mountagnolo  amatado  souto  eu, 
Sa  blanco  tésto  fin  qu'is  astre, 
Goume  un  grand  e  vièi  baile-pàstre 
Qu'entre  li  fau  e  li  pinastre. 

Coula  'mé  soun  bastoun,  countèmplo  soun  vaciéu; 

E  lou  Rose,  ounte  tant  de  vilo 

Pèr  béure  vènon  à  la  filo 
En  risènt  e  cantant  s'amourra  tout-de-long» 

Lou  Rose,  tant  fier  dins  si  ribo, 

E  qu'Avignoun  tant-lèu  arribo, 

Gounsènt  pamens  à  faire  gibo, 
Pèr  veni  saluda  Nosto-Damo  de  Dom  ; 

E  la  Durènço,  aquelo  cabro, 

Alandrido,  feroujo,  alabro, 
Que  rousigo  en  passant  e  cade  e  rebauJîn» 

Aquelo  chato  boulegueto 

Que  vèn  déu  pous  'mé  sa  dourgueto, 

E  que  degaio  soun  eigueto 
En  jougant  'mé  li  chat  que  troTO  pèr  camin. 


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MIREILLE,   CHANT  IIL  fOi 

De  Yoîr,  dans  sa  magnificence, 

Mon  gai  royaume  de  Provence 
S'étendre  et  caresser  mon  regard  attentif; 

Sa  mer  bleue  aux  splendeurs  lointaines. 

Et  ses  collines  et  ses  plaines. 

Et  ses  navires  par  centaines 
Cinglant  à  pleine  voile  autour  du  château  d'If; 

Le  Yentour  que  la  foudre  assiège, 

Et  dont  le  front  couvert  de  neige, 
Bien  au-dessus  des  monts  courbés  sous  son  niveau. 

Va  se  perdre  dans  les  nuages  ; 

Tel  qu'un  pasteur  des  anciens  âges, 

A  travers  les  hêtres  sauvages, 
Debout,  bâton  planté,  contemple  son  troupeau  ; 

Le  Rhône,  fier  même  â  sa  source, 

Dont  les  flots  baignent,  dans  leur  course. 
Tant  de  belles  cités,  qui  fond  sur  Avignon, 

Et  qu'aux  abords  de  cette  ville. 

On  voit,  vers  la  plaine  fertile, 

S'infléchir  en  courbe  docile, 
Pour  aller  saluer  Notre-Dame  de  Dom; 

La  Durance  capricieuse, 

Qui,  dans  sa  carrière  orageuse. 
Déracine  l'osier,  abat  le  romarin. 

Gomme  une  folle  jeune  fille. 

Revenant  du  puits,  éparpille 

L'eau  de  sa  cruche  qui  vacille, 
Et  joue  avec  les  gars  qu'elle  trouve  en  chemin. 


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102  MIRÊIO,  GANT  IIL 

Tout  en  disent  eiçô,  Glemènço, 

La  gènto  rèino  de  Prouvènço, 
Quitè  sa  cadiereto,  e  dins  lou  caneslèu 

Anè  veja  sa  faudadouno. 

Âzalaïs,  bruno  chatouno, 

Emé  Viôulano  e  sa  bessouno 
(Qoe  si  gènt  d'Ëstoubloun  menavon  lou  castèu), 

Azalals  ',  bruno  chatouno, 

Emé  Viôulano  sa  bessouno. 
Au  Mas  di  Falabrego  ensèn  venien  souvent* 

L'Amour,  aquéu  terrible  glàri 

Qu'is  amo  tèndro  e  nouvelàri 

Se  plais  qu'à  faire  de  countràri, 
l'avié  donna  d'ardour  pèr  lou  même  jouvènt* 

Azalaïs  levé  la  tèsto  : 

—  Fiheto,  perqué  sian  en  fèsto, 
Meten,  dis,  qu'à  moun  tour  fugue  la  rèino,  iéul 

E  que  Marsiho  emé  si  vélo, 
£  la  Giôutat,  que  ris  em*  elo, 
Emé  Seloun  e  sis  ameio, 
Béu-Gaire  emé  soun  Prat,  tout  açô  fugue  miéu  I 

—  Damiseleto  e  bastidano, 
D'Arle,  di  Baus,  de  Barbentano, 

Diriéu,  à  moun  palais  landas  coume  d'aucèut 
Vole  chausi  li  sèt  pu  belle, 
E  pesaran  dins  Tarchimbello 
L'amour  que  troumpo  o  que  barbèlo... 

Gaiamen,  tôuti  sèt,  venès  teni  counsèu! 


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MIREILLE,  CHANT  IIL  103 

Tout  en  parlant  ainsi,  Clémence, 

La  gente  reine  de  Provence, 
Qmtte  sa  chaise  et  va  vider  son  corbillon. 

Âzalaïs  la  pastourelle 

Avait  Violane  auprès  d'elle  ; 

L'une  de  l'autre  était  jumelle, 
(Leurs  parents  cultivaient  la  terre  d'Estoublon). 

Azalaïs  la  pastourelle, 

Et  Violane  sa  jumelle. 
Tenaient  souvent  jaser  chez  le  père  Ramon  ; 

L'amour  qui  fait  tout  par  caprice, 

Chez  qui  tout  est  ruse  et  malice, 

Avait,  par  surcroît  d'artifice. 
Enflammé  les  deux  sœurs  pour  le  même  garçon. 

Azalaïs  leva  la  tète  : 

—  Admettons,  pour  combler  la  fête. 
Dit-elle,  qu'à  mon  tour  je  sois  femme  d'un  roi  I 

Que  Marseille  et  sa  Ganebière, 
Toulon  et  sa  rade  guerrière. 
Salon,  la  belle  jardinière, 
Et  Beaucaire  et  son  Pré,  tout  cela  soit  à  moi  ! 

—  0  vous,  dirais-je,  dont  on  parle. 
Filles  des  Baux  ou  filles  d'Arle, 

Venez  dans  mon  palais  que  dore  le  soleil  ; 

Je  veux  qu'il  s'y  tienne  audience  ; 

Que  l'amour  vrai,  que  l'inconstance  ' 

Y  soient  pesés  à  la  balance. •• 
Sept,  prises  parmi  vous,  formeront  ic  conseil. 


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\0\  MIRÊIO,  GANT  IIL 

Ni'a  pas  pèr  èstre  maucoorado, 
Se  i'a  'n  parèu  que  bèn  s'agrado, 

Que,  la  mita  dôu  tèms,  noun  posque  s'aparia? 
Mai  iéu,  Azalaïs  la  rèino, 
Dins  moun  empèrî,  malapèino  ! 
De  quauco  injuste  e  laide  gèino 

Se  jamais  un  parèu  se  vèi  countraria, 

An  tribunau  di  sèt  chatouno 
Trouvara  lèi  que  ié  perdouno  ! 

Pèr  jouièu  o  pèr  or,  de  sa  raub^  d'ounour 
Quau  fara  pache,  à  sa  mestresso 
Quau  fara  'scorno  vo  treitesso, 
Au  tribunau  di  sèt  beilesso 

Trouvaran  lèi  terrible  e  venjanço  d'amour  1 

E  quand  pèr  une  se  rescontro 
Dous  calignaire  ;  vo,  pèr  contro, 

Quand  se  vèi  dos  chatouno  amoureuse  que  d'un. 
Vole  que  lou  counsèu  désigne 
Quau  mies  ame,  quau  mies  caligne, 
E  d' èstre  ama  quau  es  pu  digne... 

Enfin,  e  pèr  coumpagno  au  bèu  damiselun, 

Sèt  felibre  vole  que  vèngon  ; 

E,  'mé  de  mot  que  s'endevèngon, 
E  niounte  enaussaran  lou  noble  roudelet. 

Vole  qu'escrigon  sus  de  rusco 

0  sus  de  fueio  de  lambrusco 

Li  lèi  d'amour  ;  e  tau  di  brusco 
Lou  bonmèu  coule,  tau  v^n  coula  si  coublet. 


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MIREILLE,  CHANT  HL  105 

N'est-ce  pas  chose  désolante. 

Que  souvent,  malgré  leur  attente. 
Deux  cœurs  faits  pour  s'aimer  ne  puissent  pas  s'unir  t 

Eh  bien  !  je  jure,  moi,  la  reine. 

Que  si  jamais,  dans  mon  domaine, 

Un  couple  que  l'amour  enchaîne 
Voit  briser  sans  raison  ses  rêves  d'avenir» 

A  la  Gour  rendant  sa  sentence 

Il  trouvera  loi  de  clémence. 
Pour  or  ou  pour  joyau,  de  sa  robe  d'honneur 

Qui  fera  pacte;  à  son  amante 

Qui  fera  trahison  sanglante  ; 

Dans  sa  justice  intelligente 
Lff  Gour  le  frappera  de  la  loi  de  rigueur. 

Qu'une  même  fille  convienne 

  deux  garçons,  ou  qu'il  advienne 
Que  deux  filles  aient  l'œil  sur  le  même  garçon  ; 

Il  faudra  qu'à  tel  ou  tel  signe 

La  Gour  reconnaisse  et  désigne 

Le  plus  aimable  et  le  plus  digne... 
Enfin,  pour  rehausser  l'éclat  de  ma  maison. 

J'y  veux  amener  sept  poètes. 
Qui,  de  myrtes  ornant  leurs  têtes, 

Aux  arrêts  de  la  Gouï*  unissent  leurs  chansons  > 
Et  qui,  sur  Técorce  des  hêtres. 
De  l'amour,  dans  leurs  jeux  champêtres. 
Gravent  les  lois,  en  toutes  lettres  ; 

Le  miel  ne  sera  pas  plus  doux  que  leurs  leçons  1 


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f08  MIRÈIO,  GANT  III. 

Ântan,  di  pin  sonto  lou  tèomey 

Ansin  Faneto  de  Gantèume  ^^ 
Dévié  parla  segur,  quand  soun  front  esfela 

De  Roumanin  e  dis  Aupiho 

Enluminavo  li  mountiho  ; 

Ansin  la  Goumtesso  de  Dio  ^^^ 
Quand  tenié  court  d'amour,  segur  dévié  parla. 

Mai,  à  sa  man  tenènt  un  fiasco, 
Belle  coume  lou  jour  de  Pasco, 
Dins  la  chambre  di  femo,  en  aquéu  tèms  d'aqui, 
Mirèio  ère  tourna  yengudo  : 

—  An,  se  fasian  une  begudo  ! 
Acd  'sgaiejo  la  batudo, 

Faguè  ;  femo,  aparas,  avans  de  persegui.  — * 

E  dôu  flasquet  bèn  garni  d'aufo, 
La  liquoureto  que  rescaufo, 
Dins  la  tasso,  à-de-rèng,  raie  couroe  un  fiéu  d'en 

—  léu  l'ai  facho,  aquelo  menèslro, 
Digue  Mirèio;  s'amajèstro 
Quarante  jour  sus  la  fenéstro, 

Pèr  fin  que  lou  soulèu  n'adoucigue  lou  fort. 

l'a  de  très  erbo  de  mountagno  ; 
E  lou  sumoustat  que  H  bagne 
N'en  garde  une  sentour  qu'embaimo  l'estonma. 

—  Mai,  que  !  Mirèio,  —  veici  qu'a  no 
Vèn  à-n-aquesto,  —  ve,  chascuno, 
Se  quauque  jour  ère  en  fourtuno, 

Nous  a  di  ço  que,  rèino,  aurié  lou  mai  ama  ; 


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MIREILLE,  CHANT  III.  107 

Ainsi,  sur  les  vertes  collines, 

De  Romanin  dans  les  Alpines, 
Panette  de  Gant«(kne  a  dû  souvent  parler; 

Et  tel  est  aussi  le  langage 

Que  sans  doute,  dans  son  jeune  âge. 

Aux  Cours  d'afnour  du  voisinage, 
La  comtesse  4e  Die  aimait  à  moduler. 

Mais,  pendant  ce  temps«là,  Mireille 

Arrive,  montrant  la  bouteille 
Qa*aux  rayons  du  cellier  elle  vient  de  choisir; 

Et  vive,  et  gaie,  et  sémillante, 

A  tout  verre  qm  se  présente 

Verse  la  liqueur  enivrante, 
Qa'on  célèbre  à  la  ronde  et  qu'on  boit  à  plaisir. 

Et  de  la  bouteille  épuisée 
Quand  toute  la  liqueur  rosée^ 
Goutte  à  goutte,  eut  passé  dans  chaque  verre  plein  t 

—  C'est  moi,  dit-elle,  qui  l'ai  faite; 
n  faut,  pour  qu'elle  soit  parfaite, 
La  laisser,  pendant  qu'où  l'apprête» 

Quarante  jours  entiers  exposée  au  serein  ; 

Trois  fines  herbes  de  montagne. 
Qu'un  clou  de  girofle  accompagne. 
Un  donnent  le  parfum  qui  réchauffe  le  cœur. 

—  C'est  fort  bien,  dit  alors  Norade, 
Venant  de  boire  sa  rasade, 

Mais  tout  à  l'heure,  en  sa  ballade. 
Chacune  a  dit  ici  son  rêve  de  bonheur; 


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108  MIRÈIO,  GANT  IIL 

Tuperéu,  digo  lèu,  Mirèio, 
Digo-nous  tambèn  touQ  idèio  ! 
—  Que  Youlès  que  vous  digue?...  Urouso  emémigènt, 
A  noste  mas  de  Grau  countènto, 
Ta  pas  rèn  autro  que  me  tènto. 

—  Ah  !  faguè  "lor  una  jouvèato, 
Verai,  ço  que  t'agrado  es  ni  d'or  ni  d'argent  1 

Mai,  un  matin,  iéu  m'ensouvène... 

(Perdouno-me,  se  noun  lou  tène, 
Mirèiol),  èro  un  dimars  ;  veniéu  de  buscaia; 

Goume  anave  èstre  à  la  Grous-Blanco» 

Emé  moun  fais  de  bos  sus  Tanco, 

T'entre-veguère,  dins  li  branco, 
Que  parlaves  em'  un, proun  escarrabiha !.... 

—  Quau  ?  quau  ?  cridèron.  De  mounte  éro  t 

—  Emé  lis  aubre  de  la  terro, 
Nourado  respoundè,  destriave  pas  bèn  ; 

Mai,  se  noun  troumpo  lou  parèisse, 
Me  semblé  bén  de  recounèisse 
Aquéu  que  li  panié  saup  tèisse, 
Aquéu  Valabregan  que  ié  dison  Vincèn. 

—  Oh  !  la  capouno,  la  capouno  ! 
Esclafiguèron  li  chatouno. 

Avié  'nvejo,  parèis,  d'un  poulit  gourbelin. 

E  i'a  fa  'ncrèire  au  panieraire 

Que  lou  vouiié  pèr  calignairel 

Oh  !  la  pu  belle  dôu  terraire 
Qu'a  chausi  pèr  galant  Vincèn  lou  rampelint 


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MIREILLE,  CHANT  III.  103 

Mireille,  de  ta  préférence 
Fais-nous  aussi  la  confidence  ! 
—  Près  d'une  mère  tendre  et  d'un  père  indulgent, 
  notre  mas  de  Grau,  contente. 
Rien  autre  au  monde  ne  me  tente. 

—  Oh  !  toi  !  reprit  l'impertinente, 

Ce  qui  te  plaît  le  plus  n'est  ni  d'or  ni  d'argent  S 

Un  matin,  je  me  le  rappelle... 

(Et,  malgré  moi,  je  le  révèle). 
Je  revenais  du  bois,  c'était  jour  de  mardi; 

Gomme  j'arrive  à  la  Groix-Blandie, 

Avec  mon  fagot  sur  la  hanche, 

Je  te  vis  derrière  une  branche. 
Avec  un  beau  jeune  homme  et  pas  mal  dégourdi!  ••• 

—  Qui  donc?  qui  donc^  crièrent-elles. 
— -  Songez  que  les  feuilles  nouvelles 

Me  gênaient,  dit  Norade,  et  qu'à  peine  en  passant 

Je  l'ai  vu;  mais,  à  sa  tournure. 

J'ai  reconnu,  je  m'en  crois  s^re, 

Ge  jeune  homme,  brun  de  figure. 
Qui  tresse  des  paniers  et  qu'on  nomme  Vincent. 

—  Oh  !  la  coquette  !  Oh  I  la  Mponne  ! 
Sans  doute,  que  Dieu  lui  pardonne  ! 

Sus  doute  pour  avoir  de  plus  jolis  paniers. 

Au  vannier  elle  en  fit  accroire... 

Voyez  donc  la  plaisante  histoire  ! 

La  plus  belle  du  territoire, 
toi  prend  pour  amoureux  Vincent  le  va-nu-pieds  I 


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110  MIRÊIO,  GANT  III. 

E  la  galejavon.  Toat-d'unOy 

E  sus  la  caro  de  cadiino 
Permenanl  tout  au  tour  un  regard  de  galîs  : 

Malavalisco  vàutri,  pèco! 

Faguè  Taven.  Que  la  Roumèco  '* 

Vous  rendeguèsse  tôuti  méco  ! 
Passarié  ion  bon  Dieu  dins  soun  camin  d'Alis, 

Que  se  n'en  trufarien,  esturto  ! 
D'aquéu  Vincèn,  à  toute  zurto, 

Es  bèUy  parai?  de  rire!...  £  sabès  ço  que  tèn, 
Paure  que  paure?...  Ausès  Touracle  : 
Même  davans  soun  tabernacle, 
Dieu,  uno  fes,  moustrè  miracle  I 

Vous  lou  pode  afourti,  s'èi  passa  de  moun  tèir. 

Ëro  un  pastre  :  toute  sa  Tido, 

L'avié  yiscudo  asséuvagido, 
Dins  Taspre  Lebereun  i3,  en  gardant  soun  avô. 

Enfin,  de-vers  lou  cementèri 

Sentent  plega  soun  cors  de  fôrri, 

A  Termitan  de  Sant-Ouquèri 
Vonguè  se  counfessa,  coume  èro  soun  de?ô« 

Seul,  esmarra  dins  la  Vau-Masco  ^^^ 
Desempièi  si  proumiéri  pasco, 

Dins  glèiso  ni  capello  avié  plus  mes  li  pôd; 
Tayié  passa  de  la  memôri 
Même  sis  ourol...  De  sa  bôri 
Eu  mountè  donne  à  Termitôri, 

E  davans  l'ermitan  jusqu'au  sôu  se  courbé. 


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MIREILLE,  CHANT  IIL  ili 

Et  comme  pluie  oa  comme  gréle^ 
Les  traits  railleurs  fondaient  sur  elle  ; 

Qaand  lançant  tout  autour  un  regard  de  travers 
Taven  leur  dit  :  —  Filles  maudites  1 
Pour  tous  les  ragots  que  vous  fîtes, 
Que  vos  lèvres  soient  interdites  ! 

Passerait  le  bon  Dieu  dans  les  cieux  entrWvertSi 

Qu^elles  s'en  moqueraient,  les  foJlesi 

Voilà  qu'en  vos  propos  frivoles 
Voos  raillez  sans  merci  ce  malheureux  Vincent  l.». 

Qui  le  connaît  ?...  Oyez  l'oracle  : 

  deux  pas  de  son  tabernacle. 

Une  fois  Dieu  fit  un  miracle! 
Je  puis  vous  l'affirmer,  le  fait  est  tout  récent. 

C'était  un  pâtre  :  pauvre  hère, 

Qui  vécut  toiyours  solitaire, 
En  gardant  son  troupeau  dans  l'âpre  Luberon  ; 

Quand  la  vague  odeur  de  la  bière 

Lui  vint  du  fond  du  cimetière. 

Songeant  à  son  heure  dernière. 
Gomme  tous,  il  voulut  implorer  son  pardon. 

Or,  depuis  sa  plus  tendre  enfance. 

Perdu  dans  l'ombre  et  le  silence. 
Dans  église  ou  chapelle  il  n'était  plus  entré  ; 

Tout  ce  qu'un  bon  chrétien  doit  croira 

Avait  fui  loin  de  sa  mémoire!... 

Pourtant  il  gagne  l'oratoire 
I>e  Saint-Ëucher,  et  tombe  aux  pieds  de  son  curé. 


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m  MIRËIO,  GANT  III. 

—  De  que  vous  acusas,  moun  fraire? 
Digue  loa  capelan.  —  Pecaire  ! 

Respoundeguè  lou  vièi,  iéu  m*acuse  qu'un  cop 
Dins  moTia  (roupèu,  un  galapastre 
(Qu'es  un  aucèu  ami  di  pastre) 
VouJastrejavo...  Pèr  malastre 

Tuère  em'uncaiau  lou  paure  guigno-co! 

—  Se  noun  lou  fai  à  bel  esprèssi, 
Aquel  ome  dèu  èstre  nèsci  ! 

Pensé  Termito...  Ë  lèu  roumpènt  la  counfessioan  : 

—  Anas  penja  su  'quelo  barro, 
lé  fai  en  estudiant  sa  caro, 
Voste  mantèu,  que  iéu  vau  aro, 

Moun  fraire,  yous  douna  la  santo  assoulucioun. 

Aquelo  barro  que  lou  prèire, 

Pèr  lou  prouva,  ié  fasié  vèire, 
Ëro  un  rai  de  souléu  que  toumbavo  en  galis 

Dins  la  capello.  —  De  sa  jargo 

Lou  bon  vièi  pastre  se  descargo, 

E,  creserèu,  en  Ter  la  largo... 
E  la  jargo  tengué,  pendoulado  au  rai  lise! 

—  Ome  de  Dieu!  cridè  Terraito... 
E  tout-d'un-lèms  se  precepito 

I  geinoui  dou  sant  pastre,  en  plourant  soun  sadou  : 

—  Iéu,  se  pôu-ti  que  vous  assôugue? 
Ah!  de  mis  iue  que  Taigo  piôugue, 

E  sus  iéu  vosto  man  se  môugue. 
Que  vous  sias  un  sautas,  e  iéu  un  pecadout 


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MIREILLE,  CHANT  lU.  113 

—  Accusez  Yos  fautes,  mon  frère, 
Dit  Termite.  —  Voici,  mon  père. 

Ce  dont  je  me  confesse  :  Un  jour  dans  mon  troupeau 

Arrive  une  bergeronnette 

Oiseau  propice  à  la  boulette  ; 

Horreur!  pendant  qu'elle  volette. 
fai,  d'un  coup  de  caillou,  tué  le  pauvre  oiseao. 

—  Vraiment!  ou  cet  homme  plaisante 
Ou  sa  raison  est  cbancelante  ! 

Pensa  le  cbapelain,  qui,  pour  voir  de  plus  près, 

Si  c'était  bêtise  ou  malice. 

Lui  dit:  A  cette  perche  lisse. 

Allez  pendre  votre  pelisse, 
Car  je  vais  vous  bénir  et  vous  absoudre  après* 

Or,  cette  perche  imaginaire 

N'était  qu'un  beau  rayon  solaire 
Qui  du  haut  du  vitrail  tombait  obliquement. 

Plein  de  foi,  le  pâtre  s'avance 

Saisit  sa  pelisse  et  l'y  lance.... 

Et  la  pelisse,  en  récompense, 
Demeure  suspendue  à  son  rayonnement. 

—  Homme  de  Dieu!  cria  l'ermite. 
Qui  tout  ému  se  précipite 

Aux  pieds  du  pauvre  pâtre,  en  pleurant  de  tout  cœur: 

Puis-je  encor  faire  mon  office! 

Que  de  larmes  mon  œil  s'emplisse. 

Et  que  votre  main  me  bénisse  ! 
Car  vous  êtes  un  saint,  moi  je  suis  un  pécheur. 

B 


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tu  MIRÈIO,  GANT  III  ^ 

E  Taven  finiguè  soun  dire. 

I  chato  avié  coupa  lou  rire. 
—  Acô  mostro,  Laureto  alor  ajusté  'nsin, 

Acô  mostro,  e  noun  lou  countèsti, 

Que  noun  fau  se  trufa  dôu  vièsti, 

E  que  de  tout  peu  bono  bèsti... 
Mai,  chato,  reyenen.  Goume  un  gran  de  rasin, 

Nosto  jouineto  majouralo, 

Ai  vist  que  venié  vermeialo, 
Tant  lèu  que  de  Vincèn  lou  dous  noum  s'éî  ausi;.;^ 

Ta  mai  que  mai!...^ejanl  poulido, 

Quant  duré  de  téms  la  culido  ? 

En  estent  dous,  Fouro  s'ôublido. 
Es  que!  'mé  *n  calignaire,  avés  toujour  lesil... 

—  Travaias,  descoucounarello! 
NTa  panca  proun,  galejareilo? 

Hiréio  respoundé;  farias  dana  li  sant! 

Oh  !  dis,  mai  vés  !  pér  vous  counfoundre. 
Pu  léu  que  de  me  véire  apoundre 
A-n-un  marit,  me  vole  escoundre 

En  un  couvent  de  mourgo,  à  la  flour  de  mis  an. 

—  Tan-deran-lan  !  tan-deran-léron  1 
Tôuti  li  chato  ensén  cantèron. 

Aneu  !  eiçô  sara  la  bello  Magali, 

Magali,  que,  dôu  grand  esglàsi 
Qu'avié  pér  Tamourous  estàsi, 
En  Arle  au  couvent  de  Sant-Blàsi, 

Toute  vivo,  amémai  courre  s*enseveli. 


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MIftEILLE,  CHANT  III.  115 

Taven  finit  là  son  histoire... 

Un  frisson  gagna  Tauditoire. 
—  Ceci  prouTe,  dit  Laure,  et  ne  le  nions  pas, 

Que  rhabit  ne  fait  pas  le  moine, 

Et  qu'au  plus  maigre  patrimoine 

Tout  champ  peut  donner  bonne  avoine... 
Mais,  filles,  revenons,  revenons  sur  nos  pas; 

Au  seul  nom  de  Vincent,  Mireille 

A  pris  une  teinte  vermeille... 
Je  Tai  vu,  ceci  cache  un  mystère  profond... 

Etait-il  tard,  voyons,  jolie. 

Quand  la  cueillette  fiit  finie? 

Lorsqu'on  est  deux,  l'heure  s'oublie  ! 
Avec  un  amoureux  le  temps  n'est  jamais  long!... 

—  Mais,  travaillez  donc,  paresseuses  f 
Cessez  surtout  d'être  railleuses, 

Dit-elle  ;  vos  propos  feraient  damner  le^  saints  I 
Eh  bien  I  que  ceci  vous  confonde  ; 
Sachez  qu'avant  que  je  réponde 
A  l'amour  d'un  homme  en  ce  monde. 

Le  dottre  pourrait  bien  servir  d'autres  desseins, 

—  Tra  la  la  la  !  Que  vous  en  semolel 
Répètent  les  filles  ensemble; 

Elle  veut  imiter  la  belle  Magali, 

Qui  ne  devait  jamais  se  rendre. 
Qui,  plutôt  que  de  laisser  prendre 
Son  cœur  par  un  sentiment  fendre. 

Aima  mieux  au  couvent  le  voir  enseveli. 


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H6  MIRËIO,  GANT  IIL 

Noro»  an!  d'aut!  tu  que  tant  bèn  cantef, 
Tu  que,  quand  vos,  Tausido  espantes, 

Ganto-ié  Magali,  Magali  qu'à  Tamour 
Escapavo  pèr  milo  escampo, 
Magali  que  se  fasié  pampo, 
Aucèu  que  toIo,  rai  que  lampo, 

E  que  toumbè  pamens,  amourouso  à  s<mn  tour* 

—  0  Magali,  ma  tant  amadof.,. 

Goumencè  Noro  ;  e  l'oustalado 
A  l'obro  redoublé  de  gaieta  de  cor; 

£  coume,  quand  d'une  cigalo 

Brusis  la  cànsoun  estivalo, 

En  Cor  téuti  reprenon,  talo 
U  chatouno  au  refrin  partien  téutis  en  Cor. 


MAGALI 


0  Magali,  ma  tant  amado, 
Mete  la  tèsto  au  fenestroun  ! 
Escouto  un  pau  aquesto  aubado 
De  tambourin  e  de  viéuloun. 

Es  plen  d'estello,  aperamount 
L'auro  es  toumbado. 

Mai  lis  estello  paliran, 
Quand  te  veiran 


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MIREILLE,  GHÂNT  III.  117 

Allons,  allons,  gentille  Nore, 

Toi,  dont  la  yoix  est  si  sonore. 
Chante-lui  Magali,  Magali  qu'à  Tamour 

On  croyait  à  jamais  rebeUe  ; 

Qui,  pour  mieux  fuir  son  étincelle. 

Trouvait  toujours  ruse  nouvelle, 
Et  qui  tomba  pourtant  amoureuse  à  son  tour. 

—  0  Magali,  ma  tant  aimée  t.. . 

Nore  entonne,  et  la  maisonnée 
Redouble  pour  Touvrage  et  d'entrain  et  de  cœur  ; 

Et,  comme  aux  champs,  quand  la  cigale 

Agite  sa  frêle  cymbale. 

Le  chœur  suit  ;  d'une  ardeur  égale, 
Les  filles  an  refrain  partaient  toutes  en  chœur. 


MÂ6AL1 


0  Magali,  ma  tant  aimée! 
Ecoute  un  peu  mon  gai  refrain  ; 
Parais  !  et  tu  seras  charmée. 
Du  son  joyeux  du  tambourin. 

D'étoiles  d'or,  le  ciel  est  plein. 

L'onde  est  calmée  ; 
Mais  quand  les  astres  te  verront. 

Ils  pâliront. 


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li«  MIRÈIO,  GA^NT  m. 

—  Pas  mai  que  déu  murmur  di  broundo 
De  toun  aubado  iéu  fau  cas  1 

Mai  iéu  m'envau  dins  la  mar  bloundo 
Me  faire  anguielo  de  roucas. 

—  0  Magali,  se  ta  te  fas 

Lou  pèis  de  Toundo, 
Iéu,  lou  pescaire  me  farai. 

Te  pescarai!  '  "■  - 


—  Oh!  mai,  se  tu  le  fas  pescaire. 
Ti  vertoulet  quand  jilaras, 

Iéu  me  farai  Taucèu  voulaire, 
M'eûYOularai  dins  li  campas. 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

L'aucèu  de  Taire, 
Iéu  lou  cassaire  me  farai, 
Te  cassarai. 


—  I  pcrdigau,  i  bouscarido. 
Se  vènes,  tu,  cala  ti  las, 
Iéu  me  farai  Terbo  flourido 

£  m'escoundrai  dins  li  pradas- 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

La  margarido, 
Iéu  Taigo  lindo  me  farai, 
T'arrousarai. 


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MIREILLE,  GHÂMT  III.  flO 

—  Pas  plus  qu'un  autre  bruit  du  monde» 
Tes  chants  ne  peuvent  me  toucher; 
Et  je  m'en  vais  dans  la  mer  blonde 
Me  faire  anguille  de  rocher, 

— -  0  Magali,  si  tu  te  fais 

Poisson  de  l'onde, 
De  l'onde  j'irai  m'approcher 

Pour  te  pêcher! 


—  Si  je  te  vois  sur  le  rivage 
Voulant  me  prendre  dans  tes  rets. 
Je  deviendrai  l'oiseau  sauvage 
Qui  vit  à  l'ombre  des  forêts. 

—  0  Magali,  si  tu  te  fais 

Oiseau  volage, 

Au  bois,  tu  me  verras  passer 

Pour  te  chasser. 


—  Si  jamais  de  l'oisellerie 
Je  vois  les  engins  préparés^ 
Je  deviendrai  l'herbe  fleurie 
Qui  forme  le  tapis  des  prés. 

-  '  0  Magali,  si  tu  te  fais 

Verte  prairie, 
Eau  vive,  j'irai  m'épuiser 
A  t'arroser. 


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190  MIRÈIO,  GâNT  III. 

—  Se  tu  te  fas  Teigueto  lindo, 
léu  me  farai  lou  nivoulas, 
£  lèu  m'enanarai  ansindo 
A  rAmerîco,  perabasi 

"  0  Magali,  se  tu  t'envas 

AlinisIndOy 
L'auro  de  mar  iéu  me  farai. 

Te  pourtarai  ! 


—  Se  tu  te  fas  la  marinado, 
Iéu  fugirai  d'un  autre  las  : 
Iéu  me  farai  Tescandiliado 

Déu  grand  soulèu  que  found  lou  glasî 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

La  souleiado, 
Lou  yerd  limbert  iéu  me  farai, 
E  te  béurai  I 


—  Se  tu  te  rendes  l'alabreno 
Que  se  rescound  dins  lou  bartas, 
Iéu  me  rendrai  la  luno  pleno 
Que  dins  la  niue  fai  lume  i  masc  I 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

Luno  sereno, 
Iéu  belle  nèblo  me  farai, 
T'acatarai. 


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MIREILLE,  GHAMT  ICI.  12! 

*-  Si  tu  te  fais  l*onde  limpide» 
Nuage,  moi,  je  deviendrai. 
Et  là-bas,  loin,  dans  la  Floride, 
Par  le  ciel  bleu  je  m'en  irai  t 

—  0  Magali,  si  tu  te  fais 

Nuage  humide. 
Vent  doux,  j'irai  me  délecter 

A  te  porter  ! 


—  Si  tu  te  fais  brise  légère. 
Je  fuirai  d'un  autre  côté. 
Je  serai  la  brillante  sphère 
Du  grand  soleil  qui  luit  Tété  ! 

—  0  Magali,  si  tu  te  fais 

Rayon  solaire. 
En  lézard  je  m'allongerai, 
Je  te  boirai  ! 


—  Si  ton  astuce  se  promène 
En  lézard  yert  dans  les  hallien, 
Moi,  je  serai  la  lune  pleine. 
Qui  la  nuit  guide  les  sorciers  ! 

—  0  Magali,  si  tu  te  fais 

Lune  sereine. 
Je  deviendrai  brouillard  léger 
Pour  t'ombrager. 


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122  MIRÈIO,  GANT  III. 

—  Mai  se  ]a  nèblo  m'eumantello. 
Tu,  pèr  acô,  noun  me  tendras; 
léu,  bello  roso  viergineUo, 
M'espandirai  dins  Tespinasl 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

La  roso  bello, 
Lou  parpaioun  iéu  me  farai^ 
Te  beisarai. 


—  Vai,  caliguaire,  courre,  courre  ! 
Jamai,  jamai  m'agantaras. 

Iéu,  de  la  rusco  d'un  grand  roure 
Me  yestirai  dins  lou  boujscas. 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

L'aubre  di  moure, 
Iéu  lou  ciot  d'èurre  me  farai, 
T'embrassarai  I 


—  Se  me  vos  prene  à  la  brasseto, 
Rèn  qu'un  vièi  chaine  arraparas... 
Iéu  me  farai  bianco  moungeto 

Déu  mounastié  déu  grand  Sant  Bias  ! 

—  0  Magali,  se  tu  te  fas 

Mouujo  blanqueto, 
Iéu,  capelan,  counfessarai, 
E  t'ausirai  t 


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MIREILLE,   CHANT  III.  19^ 

—  Si  tu  te  fais  la  brume  pâle , 
Pour  voiler  mon  disque  argenté. 
Moi,  d'une  rose  virginale 
J'aurai  l'odeur  et  la  beauté  ! 

7-  0  Magali,  si  tu  te  fah 

Fkiur  du  Bengale, 
Papillon^  j'irai  m'y  poser 

Pour  te  baiser. 


—  Oh!  vole,  vole  à  perdre  haleine t 
Ton  vol  sera  désespéré; 

Gar  de  l'écorce  d'un  grand  chône 
Au  bois  je  me  revêtirai. 

—  0  Magali,  si  tu  te  fais 

Yeuse  ou  frêne, 
Moi,  lierre,  au  pied,  j'irai  pousser. 
Pour  t'embrasser  1 


—  Si  le  lierre  vers  moi  se  penche, 
Croyant  m'enlacer  à  son  gré, 

Sous  un  long  voile,  un  beau  dimanche, 
J'entre  au  couvent  de  Saint-André! 

—  0  Magali,  si  tu  te  fais 

Nonnette  blanche. 
Moi,  prêtre,  je  confesserai, 
Je  t'entendrai  t 


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124  MIRËIO,  GANT  III. 

Aqui  li  femo  ressautèron; 

Li  rous  coucoun  di  man  toumbèroo.. 
E  cridavon  à  Noro  :  Oh  !  digo,  digo  pièi 

Ço  que  faguè,  'n  estent  moungeto, 

Magali,  que  déjà,  paureto  ! 

S'èi  facho  roure  emai  floureto, 
Luno,  soulèu  e  nivo,  erbo,  auceloun  e  pèi. 


—  De  la  cansoun,  reprenguè  Noro, 
Vous  vau  canta  ço  que  demoro. 

M'erian,  se  m'ensouvèn,  au  rode  ounte  elo  dis 
Que  dins  la  clastro  yai  se  traire, 
E  que  respond  l'ardent  cassaire 
Que  i'  intrara  pèr  counfessaire..* 

Mai  d'elo  tourna-mai  ausès  l'entra vadis  : 


—  Se  d6u  couYènt  passes  li  porto, 
Téuti  11  mounjo  trouvaras 
Qu'à  moun  entour  saran  pèr  ortOi 
Car  en  susàri  me  veiras  1 


'  0  Magali,  se  tu  te  fas 
La  pauro  morto, 

Adounc  la  terro  me  farai, 
Aqui  t'aurai  t 


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MIREILLE,  CHANT  III.  12$ 

Ici  les  femmes  se  pâmèrent  ; 

Les  cocons  roux  leur  échappèrent... 
Et  toutes  s'écriaient  :  Mais  dis-nous,  sans  retard. 

Ce  que  fit,  derrière  sa  grille, 

Magali,  cette  pauvre  fille. 

Qui  tour  à  tour,  fut  rose,  anguille. 
Lune,  soleil,  nuage,  oiseau,  lierre  ou  lézard. 


—  De  la  chanson,  répliqua  Nore, 
Il  reste  peu  de  chose  encore  ; 

l'en  étais,  je  crois  bien,  à  ce  couplet  qui  dit 
Que  Magali  se  fait  nonnette, 
Pour  échapper,  sous  sa  cornette, 
A  son  amoureux  qui  la  guette... 

Toici  quel  fut  enfin  le  moyen  qu'elle  prit  : 


—  Si  tu  franchis  la  sombre  porta 
Du  monastère  reculé, 
Les  nonnes  t'y  feront  escorte 
Autour  de  mon  cercueil  scellé  1 


— -  0  Magali,  si  tu  te  fais 
La  pauvre  morte. 

Moi,  la  terre  je  deviendrai, 
Là,  je  t'aurait 


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m  UIRÈÎO,  GANT  III. 

—  Aro  coumencd  eniin  de  crèire 
Que  noun  me  parles  en  risènt  : 
Yaqui  raoun  aneloua  de  vèire 
Pèr  souvenènço,  o  bèu  jouvônt! 

—  0  Magali,  me  fas  de  bèn!.«. 

Mai,  tre  te  vèire, 

Ve  lis  es^ello,  o  Magali, 

Coume  an  pali^*! 


Noro  se  taiso;  res  mutavo. 

Talamen  bèn  Noro  cantavo, 
Que  lis  autro,  enteria,  d'un  clinamen  de  front 

L'acoiunpagnavon,  amistouso, 

Goume  li  mato  de  moutouso 

Que,  penjouleto  e  voulountouso, 
Se  laisson  ana  'nsèmble  au  courrènt  d'uno  font. 

—  Oh  !  lou  bèu  tèms  que  fai  deforo  1 

En  acabant  jyustè  Noro... 
liai  déjà  M  segaire,  à  Taigo  d6u  pesquié, 

De  si  daioun  lavon  la  goumo... 

X]luei-nous,  Mirèio,  quàuqui  poumo 

Di  sant-janenco,  e  'mé  'no  toumo 
Nautre  anaren  gousta  sout  li  falabreguié. 


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MIREILLE,  CHANT  Ilf.  Iti 

—  Tu  ne  deviendras  pas  la  terre, 
Car  je  vais  me  rendre  à  tes  vœux; 
Voici  mon  annelel  de  verre, 
Pour  souvenir,  bel  amoureux! 

—  0  Magali,  je  suis  heureux  !... 

Mais  toi,  sois  fièrel 
Car,  les  étoiles  ont  pâli, 
Vois!  Magali! 


Nore  se  tut  ;  tout  fit  silence* 
Le  front  des  filles  en  cadence. 

Pendant  qu'elle  chantait,  d'un  léger  penchement 
Semblait  lui  battre  la  mesure  ; 
Telle  la  verte  chevelure 
Du  souchet  sur  une  onde  pure. 

Ondoie  avee  ses  plis  et  suit  son  mouvement. 

—  Oh!  iit  Nore,  quel  temps  superbe 

Il  doit  faire  là-bas  sur  l'herbe!... 
Mais  déjà  les  faucheurs  au  cristal  des  viviers, 

De  leurs  faux  vont  laver  la  gomme... 

Qu'à  son  tour  notre  ouvrage  chôme  ! 

Gaeille-nous,  Mireille,  une  pomme, 
Et  nous  irons  goûter  sous  les  Micocouliers  ! 


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NOTES  DU  CHANT  TROISIÈME 


1.  Lou  bon  muscat  de  Baumo  (le  bon  muscat  de  Baume). 
Baume,  village  du  département  de  Vaucluse,  produit  un  vio 
muscat  estimé. 

2.  Lou  Feiigoulet  (le  Ferigoulet),  excellent  yin  qu'on  ré- 
colte sur  un  coteau  des  collines  de  Graveson  (Bouches-du- 
Rhône).  —  Ferigoulo  signifiant  thym  en  provençal,  le  vin  de 
Ferigoulet,  comme  son  nom  Tindique,  rappelle  agréablement 
le  parfum  de  cette  plante. 

/3.  La  Bono  Maire  (la  Bonne  Mère),  la  sainte  Vierge. 

4.  Canela  (blanchis)  se  dit  des  vers  à  soie  atteints  de  la 
terrible  maladie  appelée  muscardinej  due  au  développe- 
ment d*une  moisissure  qui  leur  donne  une  apparence  plâ- 
trée. 

5.  As  ta  crespino  (tu  es  née  coiffée).  —  Crespino,  coiffe, 
membrane  que  quelques  enfants  portent  sur  la  tête  en  venant 
au  monde,  et  qui  est  aux  yeux  du  peuple  un  indice  de 
bonheur. 

6.  Engipè  (plâtra).  (Voyez  la  note  4,  même  chant) 

7.  Pamparigousto  (Pamparigouste).  Pays  imaginaire,  comme 
celui  de  Cocagne. 

8.  Lou  Ventour  (le  Ventour),  haute  montagne,  â  48  kilo- 
mètres au  nord-est  d*Avignon,  s'élevant  tout  â  coup  à 
1911  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  isolée,  escarpée, 
visible  de  quarante  lieues,  couronnée  de  neige  durant  six 


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NOTES  DU  CHANT  III.  129 

mois  de  Tannée.  C'est  à  tort  que  les  géographes  écrivent 
VerUoux  au  lieu  de  Ventour.  Les  populations  voisines  de 
cette  montagne  prononcent  unanimement  Ventour,  Un  de 
ses  appendices  porte  le  nom  de  Ventouret,  et  un  certain 
vent  du  nord  s'appelle  la  Ventoureso^  parce  qu'il  vient  de 
ce  côté. 

9.  AiàlaUt  forme  provençale  du  nom  propre  Adélaïde. 

10.  Fanette  de  Gantelme.  —  Estéfanette,  et  par  abrévia- 
tion Fanette,  de  la  noble  famille  des  Gantelme.  présidait, 
vers  1340,  la  Cour  d'amour  de  Romanin.  On  sait  que  les 
Cours  d'amour  étaient  des  assises  poétiques  où  les  dames  les 
plus  nobles,  les  plus  belles,  les  plus  savantes  en  Gay-saber, 
jugeaient  les  questions  de  galanterie,  les  litiges  d'amour,  et 
décernaient  des  prix  à  la  poésie  provençale.  La  belle  et  célè- 
bre Laure  était  la  nièce  de  Fanette  de  Gantelme,  et  faisait 
partie  du  gracieux  aréopage. 

Non  loin  de  Saint-Remy,  au  pied  du  versant  septentrional 
des  Alpines,  on  voit  encore  les  ruines  du  château  de  Ro- 
manin. 

11.  La  comtesse  de  Die,  célèbre  trouveresse  du  milieu  du 
douzième  siècle.  Les  chants  qui  nous  restent  d'elle  contien- 
nent des  élans  plus  passionnés  quelquefois  et  plus  voluptueux 
que  ceux  de  Sapho  : 

Bels  amies,  avenèns  e  bos, 
(^uora  us  tendrai  en  mon  podert 
E  que  jaguès  ab    os  un  ser, 
E  que'us  dès  un  bais  amoros  I 

12.  La  Roumèco  (la  Roumèque),  espèce  de  vampire  méri- 
dional. Voici  comment  la  décrit  le  marquis  de  Lafare^Âlais, 
dans  ses  Castagnados  : 

Sus  vint  arpo  d'aragno 
S'escasso  soun  cors  brun... 
Soun  ventre  que  regagno. 
De  fèbre  e  de  magagno 
Buso  l'orre  frescnn. 


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130  NOTES  DU  CHANT  III. 

13^  Leberoun  (Lubéron),  chaîne  de  montagnes  du  départe* 
ment  de  Vauclusc. 

14.  Vau-Masco  (Yalmasque,  vallée  des  sorciers),  yallée  du 
Lubéron,  habitée  jadis  par  les  Yaudois. 

15.  On  trouvera  à  la  fin  du  volume  l'air  populaire  sur  le- 
quel a  été  composée  la  chanson  de  Magali. 


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CANT  QUATREN 


LI  DEMANDAIRS 


I^ou  tèms  di  vi6uleto.  —  Li  pescadou  d6u  Martegue.  —  Très  cali- 
l^naire  vènon  demanda  Ilirèio  :  Alàri  lou  pastre,  Veran  lou  gardian, 
Ourriaa  lou  toucadou.  — Alàri,  ai  capitau  d'ayë.  —  La  toundeaoun. 

—  Visko  d'un  escabot  que  davalo  dis  Aup,  anant  en  iyernage.  — 
Entre-viato  d' Alàri  emé  Ilirèio. —  Lis  Antico  de  Sant-Roumië*  — 
Liéurèio  d6u  pastre,  lou  coucourelet  de  bouis  eserincela.  —  Alàri 
es  chabi.  —  Lou  gardian  Veran.  —  Li  cavalo  blanco  de  Gamargo. 

—  Veran  demando  Mirèio  à  Mèske  Ranioun.  —  Lon  Yièi  loa  reçanp 
en  grand  joio,  Mirèio  lou  refuse.  —  Ourrias,  lou  doumtaire  de  tao. 

—  Li  brau  nègre  séuvage.  —  La  Ferrado.  —  Ourrias  e  Mirèio  à  la 
font. —  Lou  toucadou  es  chabi. 


Véngue  lou  tèms  que  H  viôuleto, 

Dins  li  pradello  frescouleto, 
Espelisson  à  flo,  manco  pas  de  paréu 

Pèr  ana  li  cueie  à  Toumbrino  ! 

Véngue  lou  tèms  que  la  marino 

Âbauco  sa  fîèro  peitrino 
E  respire  plan-plan  de  tout!  si  mamèu, 

Manco  pas  bèto  e  sicelando  ^ 

Que  déu  Martegue  2,  à  bèlli  bando, 

S'envan  de  si  paiolo  '  embourgina  lou  pèis 
S'envan,  sus  Talo  de  si  remo, 
Escampiha  sus  la  mar  semo  ; 
Véngue  lou  tèms  qu'entre  li  femo, 

L'eissame  di  chatouuo  e  fleuris  e  paréis. 


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GHANT  QUATRIÈME 

LES   PRÉTENDANTS 


La  saison  des  violettes.  —  Les  pêcheurs  du  llartigue.  —  Trois  pré- 
tendants briguent  la  main  de  Mireille  :  Alari,  le  berger;  Vëran,  le 
gardien  de  chevaux  ;  Ourrias,  le  toucheur  de  taureaux.  —  Alàri, 
ses  richesses  en  brebis. — La  tonte. — La  transhumance  ;  description 
d'an  grand  troupeau  qui  descend  des  Alpes.  —Entrevue  d' Alari  et 
de  Mireille.— Le  mausolée  de  Saint-Remy.  —Offrande  du  berger, 
la  coupe  de  buis  sculpte.— Alari  est  ëconduit.  — Véran,  le  gardien 
de  chevaux.  —  Les  cavales  blanches  de  Camargue.  —  Vëran  de- 
mande Mireille  à  Maître  Ramon.— Joie  et  bon  accueil  du  vieillard; 
refus  de  Mireille.  —  Ourrias,  le  dompteur  de  taureaux.  —  Les 
taureaux  noirs  sauvages.  —  La  Ferrade.  —  Ourrias  et  Mireille  à 
la  fontaine.  —  Le  toucheur  est  ëconduit. 


Vienne  le  temps  où  les  prairies 

De  violettes  sont  fleuries, 
Que  d'amoureux  aux  champs  pour  aller  les  cueillir, 

A  pleins  bouquets,  sous  la  verdure  I 

Vienne  le  temps  où  calme  et  pure, 

La  mer  apaisant  son  murmure. 
Semble  se  pâmer  d'aise  aux  baisers  du  zéphir. 

Que  de  vieux  pécheurs  au  Martigue, 
l  Qui,  sans  péril  et  sans  fatif^ue. 

S'en  vont  sur  leurs  bateaux  tendre  au  loin  leurs  filets. 

S'en  vont,  sur  l'aile  de  leurs  rames 

S'éparpiller  parmi  les  lames...  ! 

Vienne  le  temps  où  grandes  dames 
Et  fillettes  des  champs  tendent  aussi  leurs  rets. 


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134  MIRÈIO,  CANT  IV. 

Que  pastourello  vo  coumtesso 
Prenon  renoum  de  poulidesso, 

Manco  pas  calignaire,  en  Grau  e  i  castelas; 
E  rèn  qu'au  Mas  di  Falabrego 
N'en  venguè  très  :  un  gardian  d'eg(^ 
Un  peîssejaire  de  junego, 

Em*  un  pastre  d'avé,  tôuti  très  bèu  droulas. 

Venguè  premié  lou  pastre  Alàri. 

Dison  qu'avîé  milo  bestiàri 
Arrapa,  tout  Tivèr,  long  dôu  clar  d'Entressèn*, 

I  boni  bauco  salabrouso. 

Dison  qu'eiça  quand  Iqu  blad  nouso, 

Dins  li  grandis  Aup  fresqueirouso 
Êu-meme  li  mountavo»  entre  que  Mai  se  sèut. 

Dison  peréu,  —  e  m'es  de  crèire,  ^ 
Que,  vers  Sant  Marc,  i'a  nôu  toundèire 

Que,  très  jour,  ié  toundien,  e  d'ome  renouma! 
E  iéu  noun  comte  aquéu  que  lôvo 
Lis  aus  de  lano  blanco  e  grèvo 
Ni  lou  mendi  que  sènso  trèvo 

Carrejavo  i  toundèire  un  douire  lèu  chima. 

Mai  quand  la  caud  pièi  s'apasimo, 
E  que  la  nèu  sus  li  grand  cimo 

Adeja  revouluno  i  terraire  gavot, 
De  l'inmènso  piano  Gravenco 
Pèr  destepa  l'erbo  ivemenco. 
Dis  âuti  coumbo  Déufinenco 

Falié  vèire  descendre  aquéu  ricbe  escaboi! 


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MIREILLE,  CHANT  IV.  135 

Que  de  soupirants  dans  le  monde 

Vont  courir  la  brune  et  la  blonde. 
L'un  à  rhumble  chalet,  l'autre  au  manoir  altier  I 

G'esf  ainsi  qu'au  Mas  que  signale 

Sa  richesse  proverbiale, 

A  très-peu  de  jours  d'intervalle, 
Il  en  vint  trois  :  un  pâtre,  un  gardien,  un  bouvier. 

Alari,  le  pâtre,  commence. 

Ses  grands  troupeaux,  en  abondance. 
Paissent  pendant  l'hiver  au  quartier  d'Ëntressen; 

Mais  de  la  caillouteuse  plaine , 

Lui-même,  en  prudent  capitaine. 

Vers  la  montagne  il  les  emmtoe. 
Dès  que  de  Mai  fleuri  le  souffle  se  ressent. 

On  dit,  —  et  ce  n'est  pas  un  conte,  — 

Que  pour  en  achever  la  tonte 
Neuf  tondeurs  de  renom  mettaient  au  moins  trois  jours; 

Sans  parler  de  l'homme  de  peine 

Qui  choisit  et  classe  la  laine. 

Ni  du  bergerot  qui  promène 
Le  broc  sans  cesse  vide  et  qu'il  remplit  toujours. 

Quand  du  froid  on  sent  les  approches. 

Et  qu'aux  sommets  des  grandes  roches 
La  neige  tourbillonne  avec  son  blanc  manteau. 

De  la  montagne  pastorale, 

Chassé  par  la  froide  rafale. 

Et  venant  vers  l'herbe  hivernale, 
il  était  beau  de  voir  descendre  ce  troupeau  ! 


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136  MIREIO,  GANT  I? 

Falié  vèire  aquelo  escarrado 

S'esperlounga  dins  la  peirado! 
En  front  de  tout  lou  rai,  Tagnelun  premieren 

Sautourlejo  pèr  bando  gaio... 

Ta  Tagnelié  que  lis  endraio. 

L'ensounaiado  bourriscaio, 
£  li  poutre,  e  M  saumo,  à  béudre  li  seguien. 

D'escambarloun  dessus  la  bardo, 

Es  Tasenié  que  n'a  la  gardo  : 
Dins  lis  ensàrri  d'aufo,  es  éli,  sus  lou  bast, 

Éli  que  porlon  la  raubiho, 

E  la  bevèndo  e  la  mangiho, 

£  dôu  bestiàn  que  s'espeio 
lia  peu  enca  saunouso,  e  l'agneloun  qu'es  las. 

Gapitàni  de  la  bregado, 

E  li  bano  revertegado, 
Après  venieu  de  frcmt,  en  brandant  si  redoun, 

E  lou  regard  vira  de  caire, 

Cinq  fîèr  menoun  cabessejaire; 

Darrié  li  bôchi  vèn  li  maire, 
E  li  fôli  cabreto,  e  li  blanc  cabrctoun. 

Troupo  courriolo  emai  groumando. 
Es  lou  cabrié  que  la  coumando. 

U  mascle  de  Tavé,  li  grands  esparradou 

De  quau  li  mourre  en  l'èr  se  drèisson, 
Dins  la  carrairo  aqui  parèisson  : 
A  si  grand  bano  se  counèisson, 

Très  fes  envertouiado  autour  de  Tausidou , 


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MIREILLE,  CHANT  IV.  137 

Quel  spectacle,  quand  cette  foule 

Le  long  du  chemin  se  déroule  ! 
En  tète  l'agnelier,  que  les  jeunes  agneaux 

Siiivent  en  ordre  de  bataille... 

Un  peu  plus  loin,  par  rang  de  taille. 

Les  ânes  avec  leur  sonnaille 
S'avancent  au  milieu  de  leurs  ànons  pouveaux. 

A  califourchon,  sur  sa  selle, 

L'ânier  les  a  sous  sa  tutelle. 
Dans  les  paniers  cordés,  sur  le  bât,  ce  sont  eux 

Qui  portent  le  pain,  le  breuvage, 

Les  ustensiles  de  ménage. 

Les  peaux  qu'un  récent  habillage 
Laissa  rouges  de  sang,  et  l'agneau  souffreteux. 

De  front  sur  la  même  rangée, 

Cornes  en  l'air,  barbe  allongée, 
l-iO  regard  de  travers,  en  princes  du  troupeau. 

Cinq  boucs  à  tête  menaçante  , 

Branlent  leur  clarine  bruyante; 

Puis  viennent  la  chèvre  arrogante. 
Et  la  chevrette  folle  et  le  petit  chevreau  ; 

Race  indocile,  à  dent  cruelle. 

Du  chevrier  lassant  le  zèle. 
Les  mâles  des  brebis,  les  béliers  conducteurs, 

Dont  les  museaux  dans  l'air  se  dressent. 

Après  les  chèvres  apparaissent  ; 

Leurs  Altesses  se  reconnaissent 
Aux  cornes  dont  trois  plis  modèrent  les  hauteurs , 


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t38  MIRÊIO,  GANT  lY. 

E  peréu  (ounourable  signe 

Que  d6u  troupèu  acô  's  li  segne) 

An  li  costo  flottcado  e  l'esquino  tambèn. 
Caraino  en  tèsto  de  la  troupe 
Lou  baile-pastre,  e  de  sa  roupo 
Li  dos  espalo  s*agouloupo. 

Mai  lou  gros  de  Tarmado  arribo  d'un  tenènt* 

E  'n  une  pôusso  nivoulouso, 

E  di  proumiero,  e  di  conchouso, 
Gourron  lis  agnelado,  en  bramant  loungamen 

Au  belamen  de  si  berouge; 

E,  lou  coutet  flouca  de  rouge, 

Ensèn  pôussejon  lis  anouge 
B  li  môutoun  lanu  que  ?an  paloutamen  ; 

Li  pastriboun  de  vouto  en  vôuto, 
£  qu'i  chin  cridon  :  A  la  vôutol 

E,  pega  sus  lou  flanc,  Tinnoumbrable  Taciéu, 
Li  nouvello,  Ji  tardouniero, 
E  li  segoundo,  e  li  manière, 
E  li  fegéundi  bessouniero  ^ 

Qu'an  peno  à  tirassa  soun  ventre  empachatién. 

Escarradoun  tout  espeiôti. 

Entre  li  turgo,  li  yièi  môti 
Qu'an  agu  lou  dessouto  i  batèsto  d'amour» 

Emé  li  berco  e  li  panarde, 

Glauson  enfin  la  rèire-gardo, 

Aret  creba,  triste  desfardo. 
Qu'an  perdu  tout  ensén  e  li  bano  e  l'ounour. 


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MIREILLE,  CHANT  lY.  139 

Gomme  encore  aux  nombreuses  houppes 
Qui  s'échelonnent  sur  leurs  croupes. 

Cest  devant  les  béliers,  son  bâton  à  la  main. 
Ayant  au  bras  sa  houppelande, 
Que  le  chef  des  pâtres  commande. 
Qu'il  morigène  et  réprimande 

Tout  membre  du  troupeau  qui  quitte  son  chemin* 

Dans  un  nuage  de  poussière. 

Le  gros  de  l'armée  est  derrière  ; 
Les  brebis  répondant  par  de  longs  bêlements 

Aux  bêlements  de  leur  lignée  ; 

Les  gros  agneaux  vieux  d'une  année, 

Ayant  la  tête  enrubannée; 
Et  les  moutons  laineux  qui  marchent  à  pas  lents. 

Les  bergerots,  aides  modestes, 

Qui  par  leurs  cris  et  par  leurs  gestes 
Encouragent  les  chiens  courant  et  bondissant 

Pour  maintenir  la  discipline; 

Puis  toute  cette  plèbe  ovine. 

Qui,  les  flancs  marqués  de  résine, 
A  du  mal  â  traîner  son  ventre  embarrassant. 

Puis  enfin,  à  l'arrière-garde. 

Tous  ceux  que  leur  âge  retarde  ; 
Les  moutons  de  rebut,  les  brebis  sans  valeur. 

Les  invalides,  les  boiteuses. 

Et  Jes  béliers  à  peaux  galeuses. 

Qui  dans  les  luttes  amoureuses 
Perdirent  â  la  fois  les  cornes  et  l'honneur. 


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140  MIRÈIO,  CANT  IV. 

E  tout  acô,  fedo  e  cabraîro. 
Tant  que  n'i*avié  dins  la  carrairo, 

Èro  d'Alàri,  tout,  jouine  e  vièi,  bèu  o  laid.,. 
£  davans  eu  quand  davalavon, 
Qu'à  cha  centeno  d^filavon, 
ÀTié  sis  iue  que  se  chalavon... 

Pourtavo,  coume  un  scètre,  un  rebatun  de  plai. 

E  'mé  si  blane  chinas  de  pargue 
Que  lou  seguien  dins  li  relargue, 

Li  geinoun  boutouna  dins  si  guèto  de  peu, 
E  rèr  seren,  e  lou  front  sàvi, 
L'aurias  cresu  lou  bèù  rèi  Dàvi 
Quand,  sus  la  tardo,  au  pous  dis  àyi 

Anavo,  en  estent  jouine,  abéura  li  troupèu. 

—  Vaqui  Mirèio  que  vanego 

Davans  lou  Mas  di  Falabrego  ! 
Digue  lou  pastre...  Oh!  Dieu  !  m'an  di  la  verita  : 

Ni  dins  lou  plan,  ni  sus  l'auturo, 

Ni  pèr  verai,  ni  pèr  pinturo, 

léu  n'ai  ges  vist  qu'à  la  centuro 
lé  vague,  pèr  lou  biais,  la  gràci,  la  béuta! 

Que,  rèn  que  pèr  la  vèire,  Alàri 

S'èro  escarta  de  soun  bestiàri. 
A  dre  d'elo  pamens  quand  fugue  :  Pourriés-ti, 

lé  fai  d'une  voues  que  trémolo, 

Me  faire  vèire  uno  draiolo 

Pèr  travessa  li  mountagnolo? 
Autramen,  chatoj  ai  pôu  de  pas  me  n  en  sourti. 


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MIREILLE,   CHANT   IV.  14f 

Et  tout  cela,  Tavant,  Tarrière, 

Béte  fine,  béte  grossière, 
leune  ou  vieux,  blanc  ou  noir,  tout  était  d'Âlaril,.. 

Leur  nombre  et  leur  bonne  tenue. 

Quand  il  en  faisait  la  revue, 

Délectaient  son  cœur  et  sa  vue... 
Un  gouBdin  blanc  était  son  sceptre  favori» 

Et  quand,  suivi  le  long  du  fleuve 

De  ses  grands  chiens  de  Terre-Neuve, 

Les  genoux  boutonnés  dans  ses  guêtres  de  peau, 
Il  promenait  ses  goûts  champêtres, 
Vous  auriez  cru  voir  sous  les  hêtres, 
David,  au  puits  de  ses  ancêtres. 

Allant  dans  sa  jeunesse  abreuver  son  troupeau 

Mais  tout  à  coup  voilà  Mireille 

Qui  se  promène  sous  la  treille  I        . 
—  Ciel  !  dit-il,  on  m'avait  bien  dit  la  vérité  , 

Et  pas  plus  en  cliair  qu'en  peinture 

Je  n'ai  connu  de  créature 

Qui  puisse  aller  à  sa  ceinture, 
Pour  la  taille,  le  port,  la  grâce  et  la  beauté. 

C'était  pour  la  voir,,  on  s'en  doute, 

Qu'Alari  s'était  mis  en  route;       i 
Et  dès  qu'il  l'aperçut,  voulant  la  pressentir  : 

—  Belle  !  dit-il,  d'un  air  timide, 

Je  cherche  un  avis  qui  me  guide 

A  travers  cette  côte  aride. 
Sinon,  j'aurais  grand  peur  de  ne  pas  en  sortir. 


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142  MIRÊIO,  GANT  IV. 

—  Fa  que  de  prene  la  drechiero, 
Vés  !  respoundè  ]a  masag^iero, 

E  pièi  de  Pèîro-Malo  enregas  lou  désert, 
E  caminas  dins  la  vau  torto, 
Fin  que  vegués  uno  grand  porto, 
Emé  'no  toumbo  que  suporto 

Dons  generau  de  pèiro,  eilamount  dins  lis  ir  ^; 

Ëi  ço  qu'apellon  lis  Antîco. 

—  Gramaci!  lou  jouvènt  replico... 
Milo  bèsti  d'avé,  pourtant  ma  marco,  en  Grau, 

Mounton  deman  à  la  mountaguo, 
E  iéu  précède  la  coumpagno 
Pèr  ié  marca  dins  la  campagne, 
Li  coussou,  la  couchado,  e  peréu  lou  carrau. 

E  tout  de  bèstio  finol...  E  quouro 
Que  me  maride,  ma  pastouro 

Entendra  tout  lou  jour  canta  lou  roussignèu... 
E  s'aviéu  Tur,  belle  Mirèio, 
Que  tu  vouguèsses  ma  lîéurèio, 
Te  semoundriéu,  noun  de  daurèio, 

Mai  un  vas  que  t'ai  fa,  de  bouis,  e  flame-nôu.  — 

E  de  parla  tant  lèu  s'arrèsto, 
Goume  un  relicle,  de  sa  vôsto 

Sort  un  coucourelet  taia  dins  lou  bouis  viju, 
Gar,  à  sis  oureto  de  pauso, 
Amavo,  asseta  su  'no  lauso. 
De  s'espassa  'n-aquéli  cause; 

E  rôn  qu'emé  'n  coutèu  fasié  d'obro  de  Dieu! 


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MIREILLE,  CHANT  IV.  143 

—  Vous  n'avez  qu'à  suivre  la  voie 

Qui  sur  la  droite  se  déploie. 
Dit  Mireille;  par  là  vous  allez  aux  déserts 

De  Peyremale,  et  de  la  sorte 

Vous  atteignez  la  gi*and6  porte 

Et  le  grand  tombeau  qui  supporte 
Deux  généraux  de  pierre  élevés  dans  les  airs 

C'est  ce  qu'on  nomme  les  Antiques  , 

Des  Romains  ce  sont  des  reliques. 
—  Merci,  dit  le  berger,  mille  bétes  demain 

Doivent  aller  à  la  montagne  ; 

Quoiqu'un  pâtre  les  accompagne. 

Je  fais  moi-même  la  campagne , 
Pour  marquer  la  couchée  et  montra  le  chemin. 

C'est  la  fleur  de  ma  bergerie... 
'  Et  si  jamais  je  me  marie, 
Ma  femme  sera  plus  que  la  femme  d'un  toi  ; 

Et  si  toi,  belle,  d'occurrence. 

Tu  voulab  de  mon  alliance. 

Je  t'offrirais  en  récompense 
Un  beau  vase  de  buis  que  j'ai  taillé  pour  toi. 

Et  sans  attendre  de  réponse. 

De  sa  veste,  où  sa  main  s'enfonce, 
U  sort  un,  vase  roux  fait  du  buis  le  plut  beau. 

Car  bien  souvent  pour  se  distraire. 

Dans  sa  demeure  solitaire, 

Alari  se  plaisait  à  faire 
Des  œuvres  d'un  grand  art  du  bout  de  son  couteau. 


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144  MIREIO,  CàNT  IV. 

E  d'uno  man  caseareleto 

Escrincelavo  de  clincleto 
Pèr  la  niue,  dinç  lou  champ,  mena  soun  abeié; 

E  sus  lou  càmbis  di  sounaio, 

E  sus  Tos  blanc  que  li  mataio, 

Fasié  de  taio  e  d'entre-taio, 
Ede  flour,  e  d'aucèu,  e  tout  ço  que  vouliô. 

Mai  lou  vas  que  venié  d'adurre, 

Aurias  nega,  tous  Tassegure, 
Qne  i'aguèsse  passa  coutèu  de  pastrihoun  : 

Uno  massugp  bèn  flourido 

A  soun  entour  èro  espandido; 

E  dins  si  roso  alangourido, 
Dous  fabrôu  lé  peissien,  fourmant  li  manihoun. 

Un  pau  plus  bas,  vesias  très  fiho 

Qu'èron  segur  très  meravihol... 
Pas  liuen,  des$outo  un  cade,  un  pastourèu  dourmii, 

Li  fouligàudi  chatouneto 

Se  n'aprouchavon  plan-planeto, 

E  ié  metien  sus  la  bouqueto 
Uno  alo  de  rasin  qu'ayien  dins  soun  pani& 

E  lou  pichot  que  soumihavo 

Tout  risoulet  se  revibavo  ; 
Ë  l'uno  di  chatQuno  avié  Ter  esmôugu**. 

Sens  la  cot^lour  dôu  racinage,  , 

Aurias  di  que  li  personnage 

Èron  viéu  di1is  aquel  ôubrage... 
Sentie  ^n^aro  lou  nôu,  i'avié  panca  begu. 


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MIREILLE,  CHANT  IV,  145 

Ainsi  de  sa  main  fantaisiste 

11  découpait,  mieux  qu'un  artiste. 
Des  claquettes  de  bois  pour  garder  les  troupeaux  ; 

Sur  le  collier  d'une  clarine, 

Ou  sur  l'os  blanc  qui  s'y  dandine, 

Il  gravait  des  fleurs  d'églantine, 
Des  arbres  et  des  fruits,  des  nids  et  des  oiseaux. 

Mais  le  vase  fait  pour  Mireille 

Était  une  telle  merveille, 
Que  nul  ne  l'aurait  pris  pour  l'œuvre  d'un  berger  ; 

On  y  voyait,  entre  autres  choses. 

Un  grand  rosier  chargé  de  roses  ; 

Et  gracieuses  dans  leurs  poses, 
Deux  biches  formaient  Tanse  avec  leur  pied  léger. 

Un  peu  plus  bas,  sur  des  fougères, 

Folâtraient  trois  jeunes  nergeres. 
Non  loin  d'un  pastoureau  dormant  sous  le  rosier; 

Et  sur  sa  lèvre  souriante, 

Chacune  d'une  main  prudente, 

Avec  une  grâce  charmante. 
Suspendait  un  raisin  puisé  dans  son  panier. 

Et  l'enfant  comme  pour  leur  plaire 

Entr'ouvrait  un  peu  sa  paupière  ; 
Et  Tupe  des  trois  sœurs  avait  1  air  tout  ému  ; 

Les  herbes,  les  fleurs,  le  feuillage. 

Les  traits  de  chaque  personnage. 

Tout  vivait  dans  ce  bel  ouvrage... 
Et  dans  ce  vase  neuf  personne  n'avait  bu. 

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146  MIUÈIO,  CANT  IV. 

—  En  verita,  digue  Mirèio, 
Pastre,  fai  gau,  vosto  liéurèîo...  — 

E  TespinchaYO.  Pièi  partiguè  tout  d'un  bound  : 

—  Moun  bon-ami  n'a  'no  plus  bello  : 
Soun  amour,  pastre  !  E  quand  me  bèlo, 
0  feu  que  baisse  li  parpello, 

0  dins  iéu  sente  courre  un  bonur  que  me  poun.*. 

E  la  chatouno,  coume  un  glàri 

Despareiguè...  Lou  pastre  Alàri 
Estremè  soun  vasèu  ;  e  plan-plan,  à  l'erroiir^ 

Eu  s'enanè  de  la  bastido, 

E  la  pensado  entreboulido 

Qu'aquelo  chato  tant  poulido 
Pèr  autre  que  pèr  eu  aguèsse  tant  d'amour  1 

Au  même  Mas  di  Falabrego 

Venguè  tambèn  im  gardian  d'ego. 
Veran.  Aquéu  Veran  ié  venguè  déu  Samba*. 

Au  Sambu,  dins  li  grand  pradello 

Ounte  fleuris  la  cabridello*, 

Avié  cent  ego  blanquinello 
Despounchant  di  palun  li  rousèu  escambo. 

Cent  ego  blancol  I^a  creniero» 

Coume  la  sagno  di  sagniero, 
Onndejanto,  fougouso,  e  franco  dôu  cisèu. 

Dins  sis  ardèntis  abrivado, 

Quand  pièi  partien,  descaussanado, 

Coume  la  cherpo  d'uno  fado, 
En  dessus  de  si  côu  floutavo  dins  lou  cèu. 


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MIREILLE,   CHANT   IV.  147 

—  Oui,  votre  coupe  est  fort  jolie 

Dit  Mireille,  et  d'un  œil  d'envie 
Elle  l'admirait.  .  puis,  partant  d'un  air  moqueur  : 

Mais  j'en  sais  une  bien  plus  belle, 

L'amour  de  mon  ami  fidèle; 

Et  quand  sur  moi  luit  sa  prunelle, 
Il  faut  baisser  les  yeux  ou  mourir  de  bonheur... 

Comme  un  lutin  qu'un  diable  étrille^ 

S'évapora  la  jeune  fille... 
El  le  berger  confus,  fermant  dans  son  étui 

La  coupe  qu'on  ne  veut  pas  prendre, 

Repartit  sans  pouvoir  comprendre 

Gomment  une  fille  aussi  tendre 
Concevait  tant  d'amour  pour  un  autre  que  lui  ! 

Bientôt,  aux  heures  matinales. 

Arrive  un  gardien  de  cavales, 
Véran,  le  beau  Véran  ;  il  venait  du  Sambuc; 

Du  Sambuc,  aux  immenses  plaines, 

De  cabridelles  toutes  pleines. 

Où  ses  cavales  par  centaines 
Epointaient  les  roseaux  et  vivaient  de  leur  sae. 

Cavales  blanches  I  Leur  crinière 

S'étalait  sur  leur  tête  altière. 
Ondoyante,  tou£fue  et  franche  des  ciseaux  ; 

Et  sitôt  qu'à  leur  fougue  innée 

Leur  course  était  abandonnée. 

Comme  l'écharpe  d'une  Fée, 
Elle  flottait  dans  l'air  où  fument  leurs  naseaux. 


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148  MIRËIO,  GANT  lY. 

Vergougno  à  tu,  raço  oomenenco  : 

Li  cavaloto  camarguenco  ^®, 
Au  pougnènt  esperoun  que  i'estrasso  lou  flâne, 

Goume  à  la  man  que  li  caresso, 

Li  veguèron  jamai  soumesso. 

Encabestrado  pèr  traitesso, 
N'ai  vist  despalria  liuen  déu  pàti  salan; 

£  'n  jour,  d'un  bound  rabin  e  proomte, 
Embardassa  quau  que  li  mounte^ 

D*un  galop  avala  vint  lègo  de  palun, 
La  narro  au  vent!  e  revengudo 
Au  Vacarès  ",  que  soun  nasoudo. 
Après  dès  an  d'esclavitudo, 

Respira  de  la  mar  lou  libre  salabrun. 

Qu*aquelo  meno  séuvagino, 

Soun  elemen  es  la  marino  : 
D6u  càrri  de  Netune  escapado  segur, 

Es  encaro  tencho  d'escumo  ; 

£  quand  la  mar  boufo  e  s'embrumo, 

Que  di  veissèu  peton  li  gumo, 
Li  grignoun  de  Gamargo  endihon  de  bonur, 

E  fan  brusi  coume  uno  chasso 
Sa  longo  co  que  ié  tirasse  ; 

E  gravacbon  lou  sôu,  e  sènton  dins  sa  car 
Intra  lou  trent  déu  dieu  terrible 
Qu'en  im  barrejadis  ourrible 
Môu  la  tempèsto  e  Tendoulible, 

E  bourroulo  de  founs  li  toumple  de  la  mar. 


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MIREILLE,  CHANT   IV.  U9 

Honte  à  toi,  grande  race  humaine  ! 

La  belle  cavale  arlésienne. 
Ni  sous  râpre  éperon  qui  déchire  ses  flancs. 

Ni  sous  la  main  qui  la  caresse. 

N'eut  jamais  la  moindre  faiblesse  ; 

J'en  ai  vu  qu'une  main  traîtresse 
Put  dérober  un  jour  aux  pacages  salants  , 

Et  qui,  d'une  secousse  prompte, 

Jetant  bas  l'homme  qui  les  monte. 
Du  vaste  Valcarès  flairant  le  lac  amer. 

Après  de  longs  jours  de  souffrance. 

Revinrent,  malgré  la  distance. 

Aux  lieux  chéris  de  leur  naissance, 
Pour  respirer  l'air  libre  et  salé  de  la  mer. 

Car  à  cette  race  sauvage 

La  mer  fut  donnée  en  partage  ; 
Ct  sans  doute  échappée  au  char  du  dieu  des  flots. 

Elle  est  encor  teinte  d'écume  ; 

Et  quand  l'eau  s'enfle  sous  la  brome, 

Le  poil  de  la  cavale  fume, 
Ct  l'étalon  s'entend  hennir  dans  les  ilôts. 

Sa  queue  onduleuse,  incertaine. 

Avec  bruit  dans  l'air  se  promène; 
Son  pied  gratte  le  sol,  car  il  sent  dans  sa  chair 

Sous  une  puissance  invisible, 

Pénétrer  le  trident  terrible 

Du  dieu  dont  l'humeur  irascible 
Bouleverse  à  son  gré  les  gouffres  de  la  mer. 


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150  MIRÈIO,  GâNT  1Y 

Aquéu  Veran  li  pasturgavo. 

En  Grau  un  jour  que  traûcavo, 
Enjusquo  vers  Mirèio,  ac6  s'es  di,  Veran 

Se  gandiguè.  Car  en  Camargo, 

E  fin  qu'alin  i  bouco  largo 

D*ounte  lou  Rose  se  descargo, 
Se  disié  qu'èro  bello,  e  long-tèms  lou  diranl 

lé  yenguè  fier,  emé  reboundo 

A  Tarlatenco,  longo  e  bloundo, 
Jitado  sus  Tespalo  en  guiso  de  mantèu; 

Emé  taiolo  cbimarrado 

Goume  uno  esquino  de  rassado, 

E  capèu  de  telo  cirado 
Ounte  se  rebâtie  lou  trelns  déu  soulèu. 

E  quand  fugue  davans  lou  mèstre 
—  Bon  jour  à  tous  emai  benèstre  I 

Dôu  Rose  camarguen  siéu,  dis,  un  ribeirôu  ; 
Siéu  lou  felen  déu  gardian  Péire  : 
Es  pas  que  noun  lou  déugués  véire. 
Qu'au  mens  vint  an  'mé  si  courrèire, 

Moun  grand,  lou  gardian  Péire,  a  cauca  voste  eiréuf 

Dins  la  pal  un  que  nous  enrodo, 

Moun  segne-grand  n'avié  1res  rodo  *2, 
Vous  n'en  souvén  I  Mai,  méstre,  oh  I  se  yesias  dempièi 

Lou  riche  crèis  d'aquéu  levame  I 

Podon  n'en  toumba  li  voulame  1 

N'avén  sèt  rodo  emé  sèt  liame^^i 
^  Longo-mai!  o  moun  fiéu,  respoundeguè  lou  vièi. 


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MIREILLE,  CHANT  lY.  151 

Véran  gardait  aux  pâturages 

Toutes  ces  cavales  sauvages. 
On  beau  jour  vers  Mireille  il  dirigea  ses  pas; 

Car  dans  tout  le  delta  du  Rhône, 

Et  jusque  là-bas  vers  la  zone 

Où  le  fleuve  aux  mers  s'abandonne, 
U  n'était  bruit  que  d'elle  et  de  tous  ses  appas  i 

Il  y  vint  confiant  et  leste. 

Sur  son  épaule  ayant  sa  veste 
Selon  Tus  Ârlésien  ;  dans  son  simple  appareil» 

Une  écharpe  bariolée 
,    Â  sa  ceinture  était  roulée  ; 

Un  chapeau  de  toile  cirée 
Réfléchissait  au  loin  les  rayons  du  soleil. 

Et  quand  Ramon  vint  à  paraître  : 

—  Ronjour,  dit-il,  illustre  maître  ! 
Dn  Rhône  camarguais  je  suis  un  riverain, 

Et  petit-fils  du  gardien  Pierre, 

Dont  le  souvenir  doit  vous  plaire  ; 

Car  pendant  vingt  ans  sur  votre  aire, 
il  revint  vous  aider  à  fouler  votre  grain  ! 

Lui,  dans  ses  jours  les  plus  prospères. 

N'eut  jamais  plus  de  quinze  paires 
De  beaux  et  bons  chevaux  ;  mais  depuis,  quel  écart! 

Ah  !  viennent  des  moissons  superbes  t 
\      Nous  aurons,  nourris  par  nos  herbes. 

Autant  de  chevaux  que  de  gerbes  I 
—  Ah  !  puisses-tu  longtemps,  répondit  le  vieillard. 


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m  MIRËIO,  GâNT  IV. 

0,  lougo-mai  n'en  vegues  naisse, 

E  li  coundugues  dins  lou  paisse  ! 
Ai  couneigu  toun  grand  ;  e  certo,  acô  'ro  em'  eu 

Uno  amista  de  longo  toco  ! 

Mai  quand  pièi  Fage  nous  desfioco, 

A  la  clarta  de  nosto  moco  ^^ 
ûemouran  en  repaus,  e  Tamistanço,  adieu! 

—  Es  pas  lou  tout  !  yenguè  lou  drôle, 
E  noun  sabès  qu'èi  que  vous  yole  : 

Mai  d*un  cop,  au  Sambu,  quand  vènon  li  Grayen 
Querre  de  càrri  d'apaiage, 
Entandaumens  que  de  si  yiage 
Fajudan  faire  lou  bihage, 

Di  chatouno  de  Grau  arribo  que  parlen; 

E  m'an  retra  vosto  Mirèio 
Tant  de  moun  goust,  qu'à  voslo  idèîo 
Se  trouvas  Veranet,  voste  gendre  sara. 

—  Veranet  !  Pousquèsse  lou  vèire, 
Gridè  Ramoun,  que  de  toun  rèire 
De  moun  ami  lou  gardian  Pèire 

Lou  sagatun  fleuri  noun  pou  que  m'ounoura!  — • 

£  coume  un  ome  que  rend  gràci 

Au  Segnour  Dieu,  dins  lis  espàci 

Aubourè  si  dos  man  'm'  aquesto  esclamacioun  : 

—  Mai  qu'agrades  à  la  pichoto, 
(Gar  es  souleto  e  la  mignotol) 
En  premierage  de  la  doto 

Lou  sant  toustèms  t^ayèngue  e  la  benedicioun! 


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MIREILLE,  CHANT  lY.  153 

Au  milieu  de  tes  pâturages, 

Voir  prospérer  les  élevages  ! 
J'ai  connu  ton  aïeul  ;  il  se  rencontre  peu 

D*amitiés  d'aussi  bonne  trempe  ; 

Mais  quand  la  jeunesse  décampe, 

A  la  clarté  de  notre  lampe 
Nous  restons  en  repos,  et  les  amis,  adieu  ! 

— Ce  n'est  pas  tout,  dit  le  jeune  homme; 

Voici  ce  que  je  veux,  en  somme  : 
SouYont,  lorsque  au  Sambuc  les  gens  du  littoral 

Viennent  charger  notre  fourrage, 

Pendant  qu'on  en  fait  l'emballage, 

Des  fillettes  du  voisinage 
Nous  jasous  entre  nous,  sans  croire  faire  mal. 

On  m'a  tant  parlé  de  Mireille 
Qu'un  instinct  vague  me  conseille 
De  demander  sa  main,  et  me  dit  d'espérer.. 

—  Véran  !  Chez  moi  rien  ne  s'oppose 
Au  vœu  que  ta  parole  expose, 

Car  de  ton  aïeul,  et  pour  cause. 
Le  rejeton  fleuri  ne  peut  que  m'honorer.  — 

Et  tel  qu'un  homme  qui  rend  grâces 
Au  Seigneur  Dieu,  dans  les  espaces 
11  levait  â  la  fois  et  les  mains  et  les  yeux. 

—  Puisses-tu  plaire  à  la  petite  ! 
Fille  unique,  elle  est  favorite  ; 
Et  qu'avant  la  dot,  ton  mérite 

Vaille  à  tous  tes  souhaits  le  sourire  des  cieux  !  — 


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164  MIRÈIO,  GANT  lY. 

E  sono  quatecant  sa  chato, 
E  ié  dis  lèu  de  que  se  trato. 
Palo  subitamen,  lou  regard  enebi, 
E  tremoulanto  de  cregnènço  : 

—  Mai  vosto  santo  couneissènço, 
lé  faguè  'nsin,  paire,  en  que  pènso, 

Que  vougués,  liuen  de  vous,  tant  jouino  me  chabi? 

—  Ve,  fau  que  plan  acô  se  mené, 
M'avès  agu  di,  pèr  se  prene 

Pau  counèisse  li  gènt,  fau  n'èstre  couneigu... 

E  li  counèisse,  qu'es  encaro?... 

£  dins  la  nèblo  de  sa  caro 

Subitamen  pareiguè  claro 
L'no  douço  pensado....  Un  matin  qu'a  plôugu, 

Se  yèi  ansin  li  flour  negado 
A  travès  Taigo  bautugado. 
La  maire  de  Mirèio  aprouvè  sa  resoun... 
E  lou  gardian  emé  'n  sourrire  : 

—  Mèste  Ramoun,  dis,  me  retire  ! 
Car  déu  mouissau,  ai  à  vous  dire 

Qu'un  gardian  camarguen  counèis  la  pougnesoun.  - 

Au  mas,  dins  lou  même  estivage, 

Venguè,  di  pàti  dôu  Sôuvage  **, 
Pèr  vèire  la  chatouno,  Ourrias  ^^  lou  toucadou. 

Déu  Séuvage,  negro,  malino, 

E  renoumado  es  la  bouvino... 

I  souleias,  à  la  plouvino, 
Souto  lou  batedis  di  glavas  negadou. 


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MIREILLE,  CHANT  lY.  ,165 

Et  vite  en  conseil  de  famille 

Il  mande  et  sa  femme  et  sa  fille. 
—  Père,  dit  celle-ci,  tremblant  sur  ses  genoux» 

Mais  votre  sainte  intelligence 

Sait-elle  bien  ce  qu'elle  pense. 

En  voulant,  par  cette  alliance. 
Me  condamner  si  jeune  à  m'éloigner  de  voust 

Souvent  votre  parole  sage 

M'a  dit  que  pour  le  mariage 
11  fallait  avant  tout  connaître,  être  connu... 

Et  qu'est-ce  encore  que  connaître  ?.•> 

Et  sous  sa  chair  qu'elle  pénètre. 

Aussitôt  on  vit  apparaître 
Une  douce  pensée...  Un  matin  qu'il  a  plu» 

On  voit  ainsi  les  feuilles  blondes 

Sous  les  plis  nébuleux  des  ondes. 
La  mère  de  Mireille  admira  sa  raison. 

Et  Véran  sous  un  fin  sourire  : 

—  Maître,  dît-il,  je  me  retire. 

Car  du  moustique,  puis-je  dire. 
Un  gardien  camarguais  connaît  bien  l'aiguillon.  — 

Enfin  des  steppes  du  Sauvage 

Arrive,  après  un  long  voyage. 
Un  dernier  prétendant,  Ourrias  le  grand  toucheur. 

Entre  toutes,  cette  contrée 

Par  ses  bœufs  noirs  est  illustrée; 

Et,  que  la  terre  soit  givrée. 
Ou  qu'elle  se  fendille  au  fort  de  la  chaleur. 


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t5«  MIRÈIO,  CANT  IV. 

Aqui,  tout  soul  emé  si  bravo, 
Ourrias  tout  l'an  li  pasqueiravo. 

Nascu  dins  la  manado,  abari  'mé  li  biôu, 
Avié  di  biôu  Testampaduro, 
E  Tiue  sôuvage,  e  la  negruro, 
E  Vèr  menèbre,  e  Tamo  duro... 

Un  bihoun  à  la  man,  lou  vièsti  tra  pèr  son. 

Quant  de  cop,  rufe  desmamaire, 

D'entre  li  pousse  de  si  maire 
N'avié  pas  derraba,  desteta  li  vedèu! 

E  sus  la  maire  encourroussado 

Rout  de  barroun  uno  brassadO, 

D'aqui  que  fuge  Tespôussado, 
Ourlanto,  e  revirado  entre  li  pinatéu! 

Quant  de  doublen  e  de  ternenco  <', 
Dins  li  ferrado  i*  Camarguenco, 

N'avié  pas  debana!  N'en  gardavo,  lambèn, 
A  Tentre-cibo,  uno  cretasso 
Coume  lou  niéu  qu'un  tron  estrasso; 
E  lis  engano  e  li  tirasse 

De  soun  sang  regoulant  s'èron  tencho  pèr  tèm. 

Èro  un  bèu  jour  de  grand  ferrado. 

Pèr  veni  faire  la  virado, 
LiSanto,  Faraman,  Aigo-Morto,  Aubaroun*^ 

Avien  manda  dedins  lis  erme 

Cent  cavalio  de  si  plus  ferme. 

Aqui  pamens  ounte  es  lou  terme, 
E  mounle  un  pople  foui  embarro  un  vaste  round. 


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MIREILLE,   CHANT   IV.  157 

Seul  en  ces  lieux,  loin  de  tout  maître, 

Ourrias,  tout  Tan,  les  faisait  paître  ; 
Nourri  dès  sa  naissance  au  milieu  du  troupeau, 

Des  bœufs  il  avait  la  structure, 

Et  l'œil  farouche  et  Târae  dure, 

Je  dirais  presque  la  nature... 
Un  bâton  à  la  main,  habit  bas,  le  front  haut. 

Que  de  fois  de  ses  mains  grossières, 

11  a  soustrait  au  sein  des  mères, 
Les  yeaux  Tétourdissant  de  leurs  cris  enfantins. 

Et  de  sa  trique  renforcée. 

Battu  la  mère  courroucée. 

Qui  s'enfuit  enfin  harassée. 
Hurlante  et  retournant  la  tête  entre  les  pins. 

Combien  de  bœufç  et  de  génisses, 

Quand  la  Ferrade  ouvre  ses  lices, 
N'a-t-il  pas  terrassés  avec  son  bras  de  fer! 

Si  bien  qu'une  balafre  énorme 

De  son  front  altérait  la  forme, 

Et  qu'on  montre  encor  sous  un  orme, 
La  place  où  de  son  sang  le  sable  fut  couvert. 

C'était  un  beau  jour  de  Ferrade. 

Pour  ranger  les  bœufs  en  brigade, 
Albaron,  Faraman,  les  Saintes,  lieu  béni, 

Par  les  landes  et  par  les  bermes, 

Avaient  envoyé  de  leurs  fermes. 

Tous  leurs  cavaliers  les  plus  fermes. 
Vers  le  point  où  le  peuple  en  cercle  est  réuni. 


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158  MIRÈIO,  GANT  lY. 

Destrassottna  dins  la  sansouiro, 

Acoussegui  de  la  tichouiro 
Que  ié  tanco  au  galop  lou  bouiènt  toucadou, 

A  courso  folo,  tau  e  tauro 

Venien  coume  un  brounzimen  d'auro, 

En  escrachant  sagno  e  centauro, 
Venien  de  s'acampa,  très  cent,  au  marcadou. 

La  troupelado  banarudo 
S'aplanto,  espavourdido  e  mudo. 

Mai,  Tarmo  dins  li  costo,  à  coucho  d'esperoon» 
Très  fes  encaro  ié  fan  batre 
Lou  virouioun  de  Tanfitiatre, 
Coume  lou  chin  après  lou  matre, 

Goume  après  li  ratié  Taiglo  dôu  Leberoun^. 

Quau  lou  creirié  ?  de  sa  cavalo, 
Contre  l'usage,  Ourrias  davalo. 

i  porto  de  Tareno  amoulouna,  li  biôu 
Terriblamen  subran  s'esbrandon, 
E  dins  Tareno  lèu  s'alandon 
Cinq  bouvachoun,  que  sis  lue  brandon, 

E  que  traucon  lou  cèu  de  si  fier  cabassôu  ! 

Coume  lou  vent  Ourrias  s'abrivo, 

Coume  lou  vent  après  li  nivo, 
y  secuto  à  la  course,  à  la  course  li  poun  ; 

Quouro  à  la  course  li  davanço, 

Quouro  li  cote  emé  la  lanço, 

A  Tendavans  quouro  ié  danso, 
Quouro  li  remoucbino  emé  'n  dur  cop  de  pottfig. 


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MIREILLE,   CHANT  IV.  15» 

Surpns  et  traqués  d'importance, 

Par  le  bâton  à  triple  lance, 
J)ont  les  pique  au  galop  le  toucheur  véhément, 

Trois  cents  taureaux,  à  course  folle. 

Gomme  un  rugissement  d'Éole, 

En  foulant  aux  pieds  Therbe  molle, 
Viennent  se  rassembler  au  lieu  du  marquement. 

Sans  trop  savoir  ce  qui  s'apprête, 

La  foule  bovine  s'arrête. 
Pourtant  il  faut  encor  que  sous  l'âpre  aiguillon, 

Avec  plus  ou  moins  de  bravoure, 

Trois  fois  de  suite  elle  parcoure 

Le  cercle  d'hommes  qui  l'entoure  ; 
Ainsi  tourne  l'oiseau  fuyant  devant  l'aiglon. 

Bravant  l'usage  et  la  prudence, 

Bientôt  Ourrias  à  pied  s'avance. 
Aux  portes  de  l'arène,  agglomérés,  les  bœufs 

Soudain  s'ébranlent  dans  leur  masse  ; 

Issus  d'ime  meilleure  race. 

Et  de  l'oeil  dévorant  l'espace. 
Cinq  jeunes  bouvillons  s'élancent  devant  eux  l 

Gomme  le  vent  suit  un  nuage, 

OuiTias  à  leur  suite  s'engage; 
S'il  n'est  pas  sur  leurs  flancs,  il  n'est  jamais  bien  loin; 

Quelquefois  même  il  les  devance, 

Puis  il  les  heurte  de  sa  lance, 

Puis  devant  eux  il  se  balance. 
Et  puis  il  les  gourmande  avec  un  coup  de  poing. 


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160  MIRÈIO,  GJiNT  IV. 

Ai  !  tout  lou  pople  di  maû  pico  : 
Ourrias,  blanc  de  pôusso  oulimpico, 

Pèr  ]i  bano,  à  la  courso,  à  la  fin  n'a  près  un» 
£  tèsto  0  mourre,  e  forço  à  forço  ! 
Vôu  desclava  si  bano  torse, 
Lou  nègre  moustre,  e  se  bidorso, 

E  bramo  de  furour,  e  niflo  sang  e  fum. 

Yano  furour  I  bound  inutile  ! 

Lou  bouvatié,  d'un  cop  sutile, 
Âmourro  à  soun  espalo,  enié  troussant  lou  côu, 

L'orro  testasse  dôu  bestiàri  ; 

E  rudamen  e  pèr  countràri 

Butant  la  bèsti,  coume  un  barri 
Ë  crestian  e  bestiau  barrulon  pèr  lou  sôu. 

Une  esglairado  cridadisso 

Estrementis  li  tamarisso  : 
Bon  orne,  Ourrias  !  bon  orne  !...  E  cinq  drôle  espala 

Tenien  lou  brau.  De  soun  empèri 

Pèr  ié  marca  lou  balistèri, 

Ourrias  éu-meme  pren  lou  fèrri, 
E  'mé  lou  fèrri  caud  ié  rime  lou  malu. 

Un  vôu  de  fiho  d'Arle,  en  selle, 

Emé  lou  sen  que  ié  bacelle, 
Enflourado  au  galop  de  si  cavalet  blanc, 

Vènen  i'adurre  une  grand  bano 

Rase  de  vin  ;  e  dins  la  plane, 

Zéu  mai  !  lou  fouletoun  s'esvano... 
Un  vôu  de  cavalié  liseguisson,  brûlant. 


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MIBEILLE,  CHANT  TV.  161 

Mais  qu'est'^e  ?  Le  peuple  en  délire 

Bat  des  mains;  des  bœufs  qu'on  admire. 
Par  les  cornes  Ourrias  a  saisi  le  plus  grand  ; 

Et  force  à  force,  et  mufle  à  tête. 

Pour  lui  dérober  sa  conquête, 

Dans  tous  les  sens  la  pauvre  béte 
Se  tortille  et  mugit,  et  renifle  du  sang. 

Vaines  fureurs  !  bonds  inutiles  ! 

Le  bouvier  de  ses  mains  habiles 
Appuie  à  son  épaule,  en  lui  tordant  le  cou, 

L'homble  tête  de  la  brute  ; 

Maître  passé  dans  cette  lutte. 

D'un  grand  coup  sec  il  la  culbute, 
Et  rhomme  et  l'animal  s'affaissent  sous  le  coup. 

Une  clameur,  dont  l'&ir  frissonne, 
S'étend  jusqu'aux  rives  du  Rhône  : 

Bonhomme,  Ourrias  !  Bon  homme  !  Et  cinq  gars  s'épaulant, 
Quoique  avec  une  peine  extrême. 
Tiennent  le  boauf  ;  comme  baptême 
De  son  triomphe,  Ourrias  lui-même 

Le  marque  sur  la  croupe  avec  un  fer  brûlant. 

Soudain  de  jeunes  Arlésiennes, 

La  tête  au  vent,  la  main  aux  rênes, 
Caracolant  de  front  sur  de  beaux  chevaux  blancs. 

Lui  portesnt  une  corne  pleine 

D'un  vin  exquis  ;  et  vers  la  plaine. 

Dans  la  voile  qui  les  ramène. 
Part  à  leur  suite  un  vol  de  cavaliers  brillants. 

H 


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HIRËIO,  GANT  IV. 

Ourrias  yèi  que  biôu  à-n-abatre... 

E  n'en  demoro  encaro  quatre  ; 
Mai  coume  lou  daiaire  es  à  toumba  lou  fen 

Tant  mai  ardent  que  mai  n'en  rèsto, 

I  durs  esfors  de  la  batésto 

Sèmpre  que-mai  eu  tenié  tésto, 
E  de  quatre  animau  despouderô  li  ren. 

Taco  de  blane,  bano  superbo, 

Lou  que  restavo  toundié  Terbo... 
—  Ourrias  !  n'i'a  proun  !  n*i'a  proun  !  téuti  li  vièi  vaq«îé 

lé  cridéron.  Vano  restanco  ! 

Contre  lou  brau  di  taco  blaoco, 

Lou  ficheiroun  pausa  sus  l'anco, 
Relent,  despeitrina,  déjà  se  bandissié. 

Zan  !  coume  en  plen  mourre  l'encapo, 

Lou  ficheiroun  toIo  en  esdapo. 
L'atroço  pougneduro  endeméunio  lou  braa; 

Lou  toucadou  ié  sauto  i  bano» 

Partott  ensèn»  e  de  la  piano 

Eusén  afoudron  lis  engano. 
Sus  si  lôngui  fourquelio  apiela  d'à  chivau, 

Li  Taquié  d'Arle  e  d'Aigo-Morto 

Tenien  d*à  ment  la  lucho  forto  ; 
A  vmcre,  tôuti  dous  feroun,  acarnassi, 

L'orne  doumtant  lou  biôu  bramairOy 

Lou  biôu  ero pourtant  lou  doumtaire, 

E'  m'  un  lengau  escumejaire 
I  Jpant,  tout  en  courrènt,  soun  mourre  ensaunousi. 


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MIREILLE,  CHANT   IV.  103 

Les  taureaux  qu'il  s'agit  d'abattre 

Sont  encore  au  nombre  de  quatre. 
Riais,  comme  le  faucheur  qui  doit  faucher  un  pré. 

Est  d'autant  ptus  vif  à  l'ouvrage 

Qu'il  en  reste  encor  davantage, 

Ourrias  ranime  son  courage, 
Et,  sur  les  quatre,  trois  ont  bientôt  chaviré. 

Taché  de  blanc,  cornes  superbes. 

Le  cinquième  tondait  les  herbes... 
—  Ourrias  1  assez  1  assez  1  C'est  le  cri  général. 

Vains  propos  !  Gomme  une  avalanche. 

Sur  le  bœuf  roux,  à  tache  blanche. 

Il  fond,  le  trident  sur  la  hanche, 
Et  suant,  le  sein  nu,  tente  un  combat  final. 

D'un  coup  qu'il  porte  en  pleine  face. 

Le  trident  trop  faible  se  casse  ; 
Au  trait  qui  Ta  percé,  l'animal  pantelant. 

Dans  sa  rage,  n'a  plus  de  bornes  ; 

Ourrias  d'un  bond  saisit  ses  cornes. 

Et  tous  deux,  dans  les  salicornes 
ils  partent,  emportés  vers  le  marais  salant. 

L'œil  ûxé  sur  l'homme  et  la  brute, 

De  loin,  le  peuple  suit  la  lutte; 
Qui  sortira  vainqueur  de  ce  duel  à  mort  ? 

Tantôt  c'est  l'homme  qui  l'emporte  ; 

Tantôt  la  bête  est  la  plus  forte  ; 

La  béte  folle  en  quelque  sorte. 
Léchant  son  sang  qui  coule  et  sa  bave  qui  sort. 


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tu  MIRÈIO,   CANT  IV. 

Misericôrdi  !  lou  biôu  gagno  ! 
Coume  une  vilo  rastelagno, 
L'orne  i'a  darbouna  da?ans,  dôu  vanc  qu'ayié. .. 

—  Fai  lou  mort  !  fai  lou  mort  !  —  En  terr o 
Lou  biôu'mé  si  pivèu  Taferfo, 

E,  dins  lis  èr,  sa  tèsto  fèro 
A  sèt  cano  d'autour  lou  bandis  à  l'arrié. 

Uno  esglaiado  cridadissp 

Estremends  li  tamarisso... 
Âlin  Huen  lou  pauras  val  toumba  d'abouchoun, 

Amahiga.  Dempièi  pourtavo 

La  creto  que  lou  descaravo. 

Sus  la  cavalo  que  mountavo, 
Venguè  dounc  vers  Mirèio,  arma  de  soun  pounchoun. 

Aquéu  matin,  la  piéuceleto 

Ëro  à  la  font  touto  souleto  ; 
Avié  'stroupa  si  manclio  emé  soun  coutihoun 

E  netejavo  li  fiscello  ^i 

Em  la  counsôudo  fretarello. 

Santo  de  Dieu  !  coume  èro  bello, 
Quand  dins  lou  sourgènt  clar  gafavon  si  petoun  ! 

Ourrias  faguè  :  —  Bonjour,  la  bello, 
Bèu?  refrescas  vôsti  fiscello? 
A-n-aquéu  sourgènt  clar^  se  vous  fasié  pas  mai, 
Abéurariéu  ma  bèsti  blanco. 

—  Oh  !  n'es  pas  Taigo,  eici,  que  manco, 
Respoundeguè  :  dins  la  restanco 

Poudès  la  faire  béure,  autant  coume  vous  plai. 


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MIREILLE,  CHANT  ÏV.  165 

Grand  Dieu  !  le  bœuf  a  la  victoire  ! 
Chute  fatale  pour  sa  gloire, 
L'homme  a  roulé  par  terre  entraîné  par  l'élan. 

—  Fais  le  mort,  fais  le  mort,  s'écrie 
La  foule  anxieuse,  attendrie  ; 

Mais  l'animal  dans  sa  furie 
L'accroche  et  loin  de  hii  le  lance  sur  le  flanc. 

Une  clameur  dont  ïsâr  frissonne 

S'étend  jusqu'aux  rives  du  Rhdne  ; 
Ourrias  n'en  mourut  pas  ;  mais  le  jeune  imprudent. 

Par  sa  balaÊre  à  la  figure, 

Rappelle  encor  son  aventure... 

Donc,  il  enfourche  sa  monture 
Et  s'en  vient  vers  Mireillo,  armé  de  son  trident. 

Ce  jour-là,  la  gente  fillette 

A  la  fontaine  était  seulette  ; 
Elle  avait  retroussé  manches  et  tablier 

Pour  mieux  nettoyer  sa  vaisselle  ' 

Avec  les  feuilles  de  la  prèle. 

Saintes  de  Dieu!  Qu'elle  était  belle. 
Au  fond  du  dair  ruisseau  baignant  son  petit  pied  t     - 

Ourrias  lui  dit  :  —  Bonjour,  la  belle  ; 
Donc,  vous  rincez  votre  taisselle  ! 
Si  vous  le  permettez,  à  cette  source-là 
J'abreuverai  ma  pauvre  bét«. 

—  A  celte  écluse  où  l'eau  s'arrête, 
Dit-elle,  accueillant  la  requête. 

Vous  pouvez  l'abreuver  autant  qu'il  vous  plaira. 


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\£fi  niKtXO,  GANT  IV. 

—  Bello,  digue  Fenfant  séuTage, 
Se,  pèr  mariage  o  roomavage, 

Venias  à  SéuYO-Riau  22,  ounte  la  mar  s'entend, 
Bello,  n'aurias  pas  tant  de  peno  ; 
Car  la  vaco  de  negro  meno, 
Libre  e  feroujo,  se  permeno, 

E  jamai  noun  se  mous,  e  li  femo  an  bèu  tèm. 

—  JouYéttt,  ounte  li  biôu  demoron. 
De  languimen  li  chato  moron. 

«-  Bello,  de  languimen,  en  estent  dous,  n'i'a  ges  ! 

—  Jouvént,  quau  eilalin  s'esmarro, 
Dison  que  béu  uno  aigo  amaro, 

£  lou  soulèu  i'usclo  la  caro... 
^  Bello,  souto  li  pin  à  Toumbro  tous  tendres. 

—  Jouvènt,  dison  qu'i  pin  i'escàlo 
De  tourtouioun  de  serp  verdalo  ! 

—  Bello,  avèn  li\flamen,  avèn  li  serpatié 

Qu'en  dBsplegant  soun  mantèu  rose 
lé  fan  la  casso,  long  dôu  Rose..... 

—  Jouvént,  escoutas  (que  vous  crose), 
Soun  trop  liuen,  vôsti  pin,  de  mi  falàbreguié. 

—  Bello,  entre  capelan  e  fiho, 
Noun  podon  saupre  la  patrie 

Ounte  anaran,  se  dis,  manja  soun  pan  un  jour. 

—  Mai  que  lou  manje  eraé  quau  ame, 
JouYènt,  rèn  autre  noùn  reclame 
Pèr  que  de  moun  nis  me  desmame. 

—  Bollo,  s'açô  's  ansin,  dounas-me  voste  amour  1 


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MIREILLE,  CHANT  IV.  167 

—  Belle  !  dit  le  bouvier  sauvage, 
Si  jamais,  en  pèlerinage, 

Vers  la  Sylve-Réal  vous  veniez  au  printemps. 
Vous  n'auriez  pas  autant  de  peine, 
Car  la  vache  en  son  grand  domaine 
Libre  et  farouche  se  promène  ; 

Comme  on  ne  la  trait  point,  la  femme  a  du  bon  temps. 

—  Au  pays  où  les  bœufs  demeurent. 
Bouvier  !  d'ennui  les  femmes  meurent. 

—  Belle  !  il  n'est  pas  d'ennui  quand  on  l'éprouve  à  deux. 

—  Bouvier!  qui  va  sur  cette  plage, 
Ne  boit  plus  qu'un  amer  breuvage  ; 
Le  soleil  brûle  son  visage. 

—  Belle!  vous  vous  tiendrez  sous  les  vieux  pins  ombreux. 

^  On  dit,  bouvier,  que  sous  leur  ombre 
Se  cachent  des  serpents  sans  nombre. 

—  Belle,  dans  mon  pays,  les  oiseaux  échassiers. 

Hérons,  flamants,  mieux  que  personne. 
Leur  font  la  chasse  au  bord  du  Rhône. 

—  Bouvier,  votre  raison  est  bonne. 

Biais  vos  pins  sont  trop  loin  de  mes  Micocouliers. 

—  Belle!  fille  qui  se  marie 
Ne  sait  pas  en  quelle  patrie 

Le  destin  lui  fera  manger  son  pain  un  jour. 

—  Bouvier  !  pourvu  que  je  le  mange 
De  compagnie  avec  mon  ange. 

Mon  bonheur  sera  sans  mélange. 

—  Belle  !  dans  ce  cas-là,  donnez-moi  votre  amour. 


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16S  MIRËIO,  GANT  IV. 

—  Jouyènt,  Taures,  digue  Mirèio  ; 

Mai  *qué]i  planto  de  ninfèio 
Pourtaran  peravans  de  rasin  couloumbau, 

Auperavans  vosto  fourcolo 

Jitara  flour,  aquéH  coto 

Goume  de  ciro  yendran  molo, 
Ë  s'anara  pèr  aigo  à  la  vilo  di  Bau! 


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MIREILLE,  CHANT  IV.  1G9 

—  Bouvier  !  lui  répondit  Mireille, 

Vous  l'aurez  ;  mais  alors  la  treille 
Au  lien  de  paîsiDfs  noirs  aura  des  bigarreaux; 

Sur  votre  trident,  sans  épines, 

Naîtront  des  roses  purpurines; 

Le  soleil  fondra  ces  collines, 
Et  Ton  ira  par  mer  à  la  ville  des  Baux. 


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NOTES  DU  CHANT  QUATRIÈME 


1.  SicéUmdo  (sicelande),  espèce  de  bateau. 

2.  Martegue  (Martigue).  (Voyez  chant  I,  note  12«) 

3.  Paiolo  (paillole),  espèce  de  grand  filet  à  mailles  étroites. 

4.  Clar  d^Entressèn  (lac  d'Entressen),  dans  la  Grau. 

5.  Bessouniero  (bessonnière),  brebis  qui  met  bas  des  ju- 
meaux. 

6.  Un  portique,  avec  un  tombeau,  qui  supporte  deux  géné- 
raux de  pierre. 

A  une  demi-heure  de  Saint-Remy,  au  pied  même  des  Al- 
pines, s*élèvent,  Tun  à  côté  de  Tautre,  deux  beaux  monu- 
ments romains.  L'un  est  un  arc  de  triomphe,  Tautre  un 
magnifique  mausolée  construit  sur  trois  étages,  orné  de  riches 
bas-reliefs,  et  surmonté  d'un  gracieux  campanile,  que  sou- 
tiennent dix  colonnes  corinthiennes  à  travers  lesquelles  se 
montrent  debout  deux  statues.  Ce  sont  les  derniers  vestiges 
de  GUmumy  colonie  marseillaise  détruite  par  les  barbares. 

7.  A  Verrour,  entre  chien  et  loup,  au  crépuscule. 

8.  Lou  Sambu  (le  Sambuc),  hameau  du  territoire  d'Arles 
dans  rile  de  Camargue. 

9.  Cabridello  (cabridelle).  (Voyez  chant  I,  note  U.) 

10.  La  Camargo  (la  Camargue),  vaste  delta  formé  par  la 
bifurcation  du  Rhône.  Cette  île,  qui  s'étend  depuis  Arles 
jusqu'à  la  mer,  contient  74727  hectares  de  superficie.  L'im- 


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NOTES  DU  CHANT  IV.  171 

mensité  de  set  horûons,  le  silence  grandiose  de  ses  pltines 
unies,  son  étrange  végétation,  son  mirage,  ses  étangs,  ses 
essaims  de  moustiques,  ses  grands  troupeaux  de  bœufs  et  de 
chevaux  sauvages,  étonnent  le  voyageur  et  font  penser  aux 
pampas  de  TAmérique  du  Sud.  (Voyez  chant  X.) 

11.  Lou  Yaearès  (le  Valcarès),  dans  l'île  de  Gamargne,  est 
on  vaste  ensemble  de  marécages,  d'étangs  salés  et  de  lagunes. 
Vacaré$  est  formé  du  mot  vaco  et  de  la  désinence  provençale 
aré$y  qui  indique  la  réunion,  la  généralité.  11  signiAe  un  lieu 
oti  sont  de  nombreuses  vaches.  Cest  ainsi  que  de  vigrno,  vigne, 
hareOy  barque,  riho,  rive,  on  a  fait  vignarés,  vignoble,  b<Br~ 
Cirés,  flotte,  ribeirés,  rivage. 

12.  Rodo  (rodes).  La  race  sauvage  des  chevaux  camargues 
est  employée  au  foulage  des  gerbes.  Ces  animaux  se  comptent 
par  roke  (roue,  cercle).  La  rode  est.  composée  de  six  liens 
{liame);  le  lien  est  une  paire,  la  rode  contient  par  conséquent 
douse  chevaux. 

13.  Liame  (lien).  (Voyez  la  note  précédente.) 

14.  il  la  clarta  de  nosto  moco  (à  la  clarté  de  notre 
lampe).  La  moco  est  un  tronçon  '  de  roseau  qu'on  suspend 
dans  les  mas  aux  solives  de  la  salle  à  manger.  Elle  porte  la 
lampe  romaine  appelée  calèu, 

15.  Lou  Sauvage  (le  Sauvage),  vaste  contrée  déserte,  nom- 
mée aussi  petite  Camargue,  circonscrite  au  levant  par  le  petit 
Rhône,  qui  la  sépare  de  la  grande  Camargue,  au  midi  par  la 
Méditerranée,  au  couchant  et  au  nord  par  le  Rhône  mort  et 
le  canal  d'Aigues-Mortes.  C'est  le  principal  séjour  des  taureaux 
noirs  sauvages. 

16.  Ourrias,  forme  provençale  du  nom  propre  Eliéar, 

17.  Quant  de  doublen  e  de  temenco  (combien  de  bouvillons 
et  de  génisses).  Un  bouvillon  d'un  an  s'appelle  en  provençal 
un  anouhle;  de  deux  ans,  un  doublen  ;  de  trois  ans,  un  temen. 
Une  temenco  est  une  génisse  de  trois  ans. 

18.  Ferrado  (ferrade),  opération  pastorale  qu'on  célèbre  à 
Arles  avec  beaucoup  d'appareil,  et  qui  consiste  à  réunir  tous 


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172  NOTES   DU  CHANT  IV. 

les  jetines  bœiifs  dans  un  espace  déterminé,  pour  les  marquer 
au  chiffre  du  propriétaire  avec  un  fi^  rouge. 

19.  Li  Santo  (les  Saintes).  (Voyez  chant  I,  note  15.)  —  (Fa- 
raman,  Aubaroun),  Faraman,  Albaron,  hameaux  de  la  Camar- 
gue. —  (Aigo-Morto.)  Aigues-Mortes  (Gard),  C'est  dans  le 
port  de  cette  ville  que  saint  Louis  s'embarqua  deul  fois  pour 
la  Terre  Sainte.  François  I**  et  Charles-Quint  y  eurent  une 
entrevue  en  1539. 

20.  Leheroun  (Luberon).  (Voyez  chant  III,  note  12.) 

SI.  FiseelU)  (édisse),  faisselle,  vase  de  terre  dont  le  fond 
est  percé  de  petits  trous,  destiné  à  former  et  à  faire  égoutter 
les  fromages.  Fiscello,  du  latin  fiscdla,  même  signification. 

22.  Séuvo-Riau  (Sylve-Réal),  forêt  de  pins-parasols,  située 
dans  la  petite  Camargue.  (Voyez  ci-dessus,  note  14.)  Un  petit 
fort,  construit  dans  ces  parages  pour  protéger  la  navigation, 
domine  cette  tle  et  porte  aussi  le  nom  de  fort  de  Sylve-Réal. 


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CANT  CINQUEN 


LA    BATESTO 


Lou  bouTitM  s'entorno,  furious  d6u  refus  de  Mirèio.  —  Galig^nage 
de  Mirëio  emô  Vincèn.  —  L'erbo  di  frisoun.  —  Ourrias  rescontro 
Viacenet,  e  brutalemen  ië  cerco  reno. — Li  pr^it  :  Jan  de  l'Ourse. 
^  Mourtalo  batèsto  di  dous  rivau  dins  la  Grau  vasto.  —  Vitôri  e 
generouseta  de  Vincenet.  —  Treitesso  dôa  toucadou.  —  Ourrias 
trauco  Vincèn  d'un  cop  de  ficheiroun,  e  fugis  au  galop  de  sa 
cavalo.  —  Arribo  au  Rose.  —  Li  très  barquitf  fantasti.  —  Lou 
batèu  s'enarco  souto  lou  pas  de  l'assassin.  —  La  niue  de  sant 
Medard  :  proucessioun  di  negadis  sus  lou  dougan  dôu  flum.  — 
Ourrias  s'aproufoundis.  —  Danso  di  Trèvo  sus  lou  pont  de  Tr^n* 
co-Taio. 


L*otimbro  dis  aube  s*aloungavo  ; 
La  Ventoureso  boulegaYO  ; 

Lou  soulèu  avié  'ncaro  on  parèu  d'ouro  d'aut  ^ 
E  li  bouié  que  labouravou 
Vers  lou  soulèu  se  reviravon 
De  tèms  en  tèms,  car  desiravon 

Lou  retour  dôu  seren,  e  si  femo  au  lindau. 

Lou  toucadou  se  retournavo  : 

Dins  sa  cabesso  remeuavo 
L'escorno  que  venié  de  reçaupre  à  la  font. 

Sa  teste  èro  destimbourlado, 

E  de  sa  ràbi  recatado 

De  tôms  en  tèms  li  iancejado 
lé  jitavon  lou  sang  e  la  vergougno  au  front. 


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CflANT  CINQOIÈME 


LE  COIBAT 


l.e  bouvier  s'en  retourne,  furieux  du  refus  de  Mireille.*— Les  amours 
Je  Vincent  et  de  Mireille.  — -  La  Valisneria  «ptr<li#.  —  Rencontre 
d'Ourrias  et  de  Vincent.  —  Brutale  agression  du  bouvier.  —  Les 
invectives  :  Jean  de  l'Ours.  —  Combat  à  mort  des  deux  rivaux  dans 
la  Grau  déserte.  — Victoire  et  générosité  de  Vincent. —  Félonie 
du  toucheur.  •—  Ourrias  perce  Vincent  d'un  coup  de  trident  et 
fuit  au  galop  de  sa  cavale.  —  II  arrive  au  Rhône.  —  Les  trois 
bateliers  fantastiques.  —  La  barque  se  révolte  sons  le  poids  de 
l'assassin.  —  La  nuit  de  Saint-Médard  :  procession  des  noyés  sur 
la  rive  du  fleuve.  —  Ourrias  est  englouti.  —  Danse  des  Trêves  sur 
le  pont  de  Trinquelaille. 


Les  trembles  allongeaient  leur  ombre; 
Le  Ventour  devenait  plus  sombre  ; 

Le  soleil  rayonnait  encore  à  Thorison; 
Mais,  Tœil  fixé  sur  la  colline, 
Le  laboureur  voit  qu'il  décline, 
Et  marque  enfin  l'heure  voisine 

De  celle  qui  lui  rend  le  frais  et  la  maison. 

Le  bouvier  marchait  solitaire. 
Ruminant  la  réponse  amére 

Qu'auprès  de  la  fontaine  il  reçut  eu  passant. 
Sa  tête  était  bouleversée, 
£t  de  temps  en  temps  la  pensée 
De  son  avance  re poussée 

Lui  jetait  au  visage  et  la  honte  et  le  sang. 


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176  MIRÈIO,  CANT  V. 

E  tout  en  lampant  dins  li  terro, 
Remiéutejavo  sa  coulèro  ; 

E  de  l'aspre  despié  qjie  ié  gounflo  soun  lèa, 
I  code  que  la  Grau  n'es  pleno 
Couine  un  bouissoun  de  sis  agreno, 
Pèr  se  batre  aurié  cerca  reno  ! 

Àurié  de  soun  pounchoun  fichouira  lou  soulèu!. 

Un  porc-singlié  que  de  sa  tousco 

An  fa  parti,  e  que  tabousco 
Sus  li  moure  désert  de  TOulimpe  ^  negras, 

Âvans  de  courre  sus  li  chino 

Que  lou  secuton,  revechino 

Lou  rufe  peu  de  soun  esquino. 
En  amoulant  si  pivo  i  pèje  di  blacas. 

A  Tendavans  dôu  gardo-vaco 

Que  lou  mourbin  pounchouno  e  maco, 
Dins  lou  même  draiôu  lou  bèu  Vincèn  venié, 

E  dins  soun  amo  risouleto 

Revassejavo  i  parauleto 

Que  Famourouso  piéuceleto 
Tayié  dicho  un  matin  dessouto  l'amouriô* 

Dre  coume  un  camé  de  Durènço , 

Eu  caminavo  ;  e  de  plasènço 
C  de  pas,  e  d'amour  clarejavon  sis  èr  ; 

L'aureto  molo  s'engourgavo 

Dins  sa  capiiso  que  badavo  ; 

Dins  li  coudelet  caminavo, 
Descaus,  e  lôugeiret,  e  gai  coume  un  lesert. 


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«    ATIRËILLË,  CUANT  V.  177 

En  frappant  le  sol  de  sa  laoce, 
Il  s'excitait  à  la  vengeance; 

Son  cœur  était  si  plein  de  colère  et  de  fiel, 
Qu'à  défaut  d'autres  adversaires. 
Pour  passer  ses  ardeurs  i^errières, 
Il  eût  cherché  querelle  aux  pierres; 

Il  eût  de  son  trident  voulu  percer  le  ciel... 

Pour  mieux  assurer  sa  défense» 

Le  sanglier  que  l'on  relance 
Des  gorges  de  l'Olympe  à  ses  sommets  déserts* 

Au  moment  d'attaquer  en  face 

La  meute  en  feu  qui  le  pourchasse. 

Cherche  un  secours  à  son  audace 
En  aiguisant  ses  dents  aux  troncs  des  chênes  verts* 

Vis-à-vis  d'Ourrias  qui  promène 

Le  dépit  dont  son  âme  est  pleine, 
Venait  le  beau  Vincent  dans  le  même  sentier  ; 

El  dans  son  âme  souriante. 

Il  rêvait  de  sa  douce  amante, 

Et  de  la  scène  ravissante,^ 
Du  jour  de  la  cueillette  à  l'ombre  du  mûrier. 

Droit  devant  lui,  battant  la  plage, 

n  cheminait,  et  son  visage 
Rayonnait  à  la  fois  et  de  paix  et  d'amour; 

Dans  sa  chemise  qu'elle  frôle, 

Tourbillonnait  la  brise  molle  ; 

Il  cheminait,  le  petit  drôle, 
Pieds  nus,  d'un  pas  léger,  gai  comme  un  troubadour. 

12 


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m  MIRÈIO,  CANT  V. 

Souvènti-fes,  à  Touro  fresco 

Ounte  la  terro  s'enmouresco, 
Alor  que  dins  li  prat  li  fùeio  de  tréuloon 

Se  replegon  afrejoulido, 

Is  alentour  de  Isrbastido 

Ounte  restavo  la  poulido, 
Venié,  tout  treboula,  faire  lou  parpaioun. 

E  d'escoundoun,  emé  *n  fin  gàubi»  y* 

Dôu  lucre  d'or  o  dôu  reinàubî, 
Imitavo  de  liuen  lou  canta  dindoulet  : 

La  jouTeineto  afeciounado 

Qu'a  lèu  eoumprés  quau  Ta  sounado» 

Venié  lèu  à  la  bouîssounado, 
Cauto-cauto,  e  lou  cor  douçamen  tremoulet. 

E  lou  clar  de  luno  que  dono 

Sus  li  boutoun  de  courbo-dono  ; 
E  l'aureto  d'esliéu  que  frusto,à  jourfali, 

L'auto  barbeno  dis  espigo, 

Quand,  souto  la  molo  coutigo. 

En  milo  e  milo  regoumigo 
Se  fringouion  d'amour  coume  un  sen  trefouli  ; 

E  la  joio  desmemouriàdo 

Qu'a  lou  chamons,  quand  à  si  piado 
Tout  un  jour  a  senti,  dins  li  ro  dôu  Queiras  % 

Li  cassaire  que  lou  fan  courre, 

E  qu'à  la  Jongo  sus  un  moure 

Escalabrous  coume  uno  tourre,  ' 

Se  vèi  souly  dins  li  mêle,  au  mitan  di  counglas  ; 


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MIREILLE,   CHANT    V  179 

Souvent  à  l'heure  où  la  nuit  sombre 

Verse  aux  vallons  sa  première  ombre. 
Ou,  dans  les  prés  fleuris,  Therbe  de  la  saison. 

Toute  frileuse  se  replie, 

Aux  abords  de  la  métairie, 

Où  demeure  sa  douce  amie, 
U  venait  tout  troublé  faire  le  papillon. 

Blotti  sous  un  arbre,  en  cachette. 

Du  tarin  d'or,  de  la  fauvette 
U  roucoulait  le  chant  savamment  imité  ; 

Soudain,  Tardente  jouvencelle. 

Comprenant  la  voix  qui  l'appelle, 

Vite  à  la  haie  habituelle 
Venait  furtivement  et  le  cœur  agité. 

Ni  le  clair  de  lune  qui  donne 

Sur  le  bouton  de  l'anémone  ; 
Ni  le  zéphir  frôlant  à  la  chute  du  jour 

Les  épis  à  barbe  naissante, 

Qui  dans  la  plaine  jaunissante 

Balancent  leur  tige  élégante. 
Et  flottent  comme  un  sein  agité  par  l'amour; 

Ni  la  joie  éperdue,  immense 

Du  daim  que  le  chasseur  relance. 
Quand,  pressé  par  la  meute  attachée  à  ses  pieds, 

11  peut,  ranimant  son  courage. 

S'élancer  sur  un  pic  sauvage. 

Et  des  chiens  défier  la  rage. 
Dans  l'asile  qu'il  trouve  au  milieu  des  glaciers; 


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*^  MIRÊIO,  CANT  V. 

N'es  qu'uno  eigagno,  «n  coumparanço 

Di  moumenet  de  benuranço 
Que  passavon  alor  e.Mirèio  e  Viocén... 

Mai  parlen  plaa,  o  mi  bouqueto. 

Que  li  bouissoua  an  d'auriheto  ! 

Escouadu  dius  roumbro  caieto, 
Si  man  d'à  pau  à  pau  se  mescla?on  ensén. 

Pièi  se  teisavon  de  long  rode, 

E  si  pèd  turtavon  li  code  ; 
E  tantost,  noun  sachent  que  se  dire  autramen, 

Lou  calignaire  nouTelàri 

GouDtavo  en  risènt  lis  auvàri 

Que  i'arribavon  d'oordinàri  : 
Ë  li  niue  que  dourmié  souto  lou  fiermamen, 

£  di  chin  de  mas  li  dentado 

Contre  sa  cueisso  enca  cretado. 
E  Mirèio,  tantost,  de  la  vueio  e  déu  jour 

lé  racountavo  sis  oubreto, 

E  li  prepaus  de  sa^naireto 

Emé  soun  paire,  e  la  cabreto 
Qu'ayié  desverdega  toute  uno  triho  en  flour. 

Un  cop  Vincèn  fugué  plus  méstre  : 
Sus  Terbo  rufo  dôu  campéstre 

Coucha,  coume  un  cat-fér,  veugué  de  rebaloun 
Toucant  li  péd  de  la  jouineto... 
Mai  parlen  plan,  o  mi  bouqueto, 
Que  li  bouissoun  an  d'auriheto  I 

—  Miréio  !  acordo-me  que  te  fague  un  poutoun  ! 


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MIREILLE,  CHANT  V.  iU 

Rien  de  cela  n'est  comparable 

A  l'ivresse,  au  charme  ineffable 
Des  courts  moments  qu'alors  ces  deux  enfants  passiaient. . . 

Vincent  était  près  de  Mireille 

Alais  parlons  bas  :  quand  l'eau  sommeille. 

Chaque  buisson  a  son  oreille  ; 
Et  petit  à  petit  leurs  deux  mains  se  pressaient. 

Puis  venait  un  profond  silence; 

Puis  un  signe  d'intelligence  ; 
Puis  lorsque  le  sujet  manquait  à  l'entretien, 

L'amant  aux  naïves  allures. 

Parlait  de  ses  mésaventures, 

De  sa  peur  des  loups,  des  morsures 
Qu'au  vu  de  ses  haillons  lui  fit  un  mauvais  chien  ; 

Des  nuits  que,  sous  son  sac  de  toile, 

II  passait  à  la  belle  étoile. 
Mireille,  gentiment,  lui  contait  à  son  tour, 

Les  petits  secrets  du  ménage  ; 

Le  ver  qui  se  mit  au  fromage. 

Le  lait  qui  tourna,  le  ravage 
iju*à  la  tonnelle  en  fleur  la  chèvre  fit  un  jour. 

Vincent,  une  fois,  sentit  naître 

Cette  ardeur  dont  on  n'est  plus  mattre  ; 
Et  souple,  en  tapinois,  enclin  à  tout  oser, 

Il  vint  jusqu'aux  pieds  de  Mireille... 

Mais  parlons  bas  :  quand  l'eau  sommeille. 

Chaque  buisson  a  son  oreille  ; 
—  Mireille  I  accorde-moi  de  te  faire  un  baiser  ! 


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182  MIRÈIO,  CANT  V. 

Mirèio,  dis,  manje  ni  beye, 
De  ramour  que  de  tu  receve  I 

Mirèio  I  voudriéu  estrema  dins  moun  sang 
Toun  alen  que  iou  vent  me  raubo  ! 
A  tout  Iou  mens,  de  Taubo  à  Taubo, 
Rèn  que  sus  Torle  de  ta  raubo 

Laisso-ma  que  me  yiéute  en  la  poutounejant  I 

—  Vincèn  !  acô  's  un  pecal  nègre  I 
E  li  bouscarlo  emé  li  piegre 

Van  pièi  di  calignaire  esbrudi  Iou  secret. 

—  Agues  pas  pôu  que  se  n'en  parle, 
Que  iéu  deman,  ve,  desbouscarle 
Toute  la  Grau  enjusqu'en  Arle  ! 

Mirèio  !  vese  en  tu  Iou  paradis  escrèt  I 

Mirèio,  escouto  :  dins  Iou  Rose, 
Disié  Iou  fiéu  de  Méste  Ambrose, 

Ta'noerbo,  que  nouman  Verbeto  di  frisoun  •: 
A  dos  floureto,  separado 
Bèn  sus  dos  plante,  e  retirado 
Au  founs  dis  oundo  enfresqueirado. 

Mai  quand  vèn  de  Tamour  pèr  éli  la  sesoun, 

Une  di  flour,  toute  souleto, 
Mounto  sus  Taigo  risouleto, 

£  laisse,  au  bon  soulèu,  espandi  soun  boutoun  ; 
Mai,  de  la  vèire  tant  poulido, 
l'a  l'autre  flour  qu'es  trefoulido, 
E  la  vesès,  d'amour  emplido. 

Que  nado  tant  que  peu  pèr  ié  faire  un  poutoun. 


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MIREILLE,  CHANT   Y.  i85 

Ton  amour»  dit-ii,  ô  bel  ange. 

Fait  que  je  ne  bois  ni  ne  mange. 
Mireille,  je  voudrais  enfermer  dans  mon  sang 

Ton  souffle  que  Tair  me  dérobe, 

Mais  tout  au  moins,  de  l'aube  à  l'aube, 

Rien  que  sur  l'ourlet  de  ta  robe, 
Laisse-moi  me  rouler,  rouler  en  la  baisant. 

—  De  ce  que  tu  veux  Dieu  s'offense, 
Dit  Mireille  pour  sa  défense  ; 

Et  d'ailleurs  les  secrets  des  amants  trop  hardis 
Sont  divulgués  par  la  fauvette. 

—  Pauvre  volatile  indiscrète  ! 
J'en  fais  demain  rafle  complète... 

Mireille!  dans  tes  yeux  je  vois  le  paradis t 

Mireille!  écoute  :  Dans  le  Rhône, 

Pousse  une  herbe  à  laquelle  on  donne 
Vulgairement  le  nom  d'herbette  des  frisons; 

Elle  a  deux  fleurs  bien  séparées 

Sur  deux  tiges,  et  retirées 

Au  fond  des  ondes  diaprées  ; 
Mais  que  le  temps  d'aimer  vienne  au  cours  des  saisons, 

L'une  des  deux  fleurs,  la  première, 

Monte  sur  l'eau  vers  la  lumière, 
Et  s'ouvre  aux  doux  rayons  qui  viennent  l'iriser; 

Et  l'autre,  en  la  voyant  si  belle, 

Loin  d'accuser  cette  infidèle. 

Tressaille,  et  montant  après  elle, 
Rage  tant  qu'elle  peut  pour  lui  faire  un  baiser. 


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i&i  MIRÈIO,  CANT  V. 

E.  tant  que  peu,  se  desfrisouno 

De  TembuscuD  que  Tempresouno, 
D'aqui,  paureto  !  que  roumpe  soun  pecoulet  ; 

E  libre  enfiu,  mai  mourtinello, 

De  si  bouqueté  palioello 

Fruste  sa  serre  blanquiaello... 
Un  pouleun,  pièi  ma  mert,  Mirèio  !...  e  sian  soulet. 

Elo  ère  paie  ;  eu  pèr  délice 

La  miravo...  Dins  soun  brouliee, 
Coume  un  cat-fèr  s'enarco,  alor,  e  vitamen 

De  soun  anqueto  enredounido 

La  chatouneto  espavourdido 

Vôu  escarta  la  man  ardido 
Que  déjà  Tencenturo  ;  eu  tourna-mai  la  prcn«.. 

Mai  parlen  plan,  o  mi  bouqueté, 

Que  li  bouissoun  an  d'auriheto  ! 
—  Finisse  !  elo  gémis,  e  lucho  en  se  toursènt  ; 

Mai  d'uno  caudo  caranchouno 

Déjà  lou  drôle  Tempresouno, 

Gauto  sus  gauto...  La  chatoune 
Lou  pessugo,  se  courbe,  e  s'escapo  en  risènt. 

E  'm*  acô  pièi  la  belugueto 

De  iiuen  eu  se  trufant  :  Lingueto  *  ! 

Lingueto!  iécantavo...  Es  ansin,  éli  dous. 
Que  semenavon  à  la  bruno 
Soun  blad,  soun  poulit  biad  de  lune  S 
Mauno  ilourido,  ur  de  fourtuno 

Qu'i  pacan  coume  i  rèi  Dieu  11  mande  âboundous. 


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BIIKEILLE,  CHANÎ  V.  185 

Sans  que  sa  force  l'abandonne, 

Hors  de  l'algue  qui  l'emprisonne, 
Elle  arrive,  et  brisant  ses  humides  linceuls, 

Suant  Tamour  par  chaque  feuille, 

Sur  sa  jumelle  qui  l'accueille, 

Elle  se  pose  et  puis  s'effeuille... 
Un  baiser!  puis  ma  mort...  belle  !  nous  sommes  seuls*  —* 

Elle  était  pâle  ;  avec  tendresse, 

Lui  l'admirait...  Dans  son  ivresse, 
11  cherche  à  la  saisir...  mais  elle,  lestement» 

Écarte  la  main  trop  hardie 

Qui  touche  à  sa  taille  arrondie  ; 

11  l'enlace,  elle  se  délie... 
La  résistance  ajoute  à  son  entraînement... 

Mais  parlons  bas  :  quand  l'eau  sommeille, 

Chaque  buisson  a  son  oreille; 
—  Laisse-moi,  laisse-moi,  dit-elle  en  se  tordant; 

Plus  elle  dit,  moins  il  la  laisse... 

Ravit-il  enfin  sa  caresse...? 

On  le  croit;  mais  la  fine  pièce 
Le  pince,  se  recourbe  et  rit  en  s'évadant; 

Et  puis  après,  vive,  animée. 

D'un  peu  plus  loin,  sous  la  ramée. 
Elle  lui  fait  la  nique  avec  ses  jolis  doigts! 

Ces  enfants,  chose  assez  commune, 

Semaient  ainsi  leur  blé  de  lune; 

Manne  fleurie,  heur  de  fortune,  , 

Qui  tombe  en  abondance  aux  manants  comme  aux  rois  ! 


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186  ^IRÈIO,  CANT  Y. 

Un  vèspre  douoc,  en  la  Grau  vasto^ 

Lou  bèu  trenaire  de  banasto 
A  Tendav^ns  d'Ourrias  venié  dins  lou  draiôu. 

Lou  tron  d'uno  chavano  acipo 

Lou  proumier  aubre  que  lou  pipo, 

E,  riro  bourrouiant  si  tripo, 
Veid  coume  parlé  lou  doumtaire  de  biôu  : 

—  Es  belèu  tu,  fiéu  de  baudrèio, 
Que  l'as  enclauso,  la  Mirèio  ? 

En  tout  cas,  o  'speia,  d'abord  que  Vas  d'alio 
I)igo-ié  'n  pau  que  m'enchau  d'elo 
E  de  soun  mourre  de  moustelo, 
Pas  mai  que  dôu  vièi  tros  de  telo 

Oue  te  cuerbe  la  peu!...  Tauses,  bèu  margoulin?  - 

Vincenet  ressauté  ;  soun  amo 
Se  revibè  coume  la  flano  ; 
Soun  cor  ié  boumbiguè  coume  un  fio-grè  que  part  : 

—  Pauto  !  vos  donne  que  te  coustible, 
E  que  moun  arpo  en  dons  te  gible? 
lé  fai  en  l'alucant,  terrible 

Goume  quand,  afama,  se  reviro  un  léupard. 

E  de  soun  iro  li  trambleto 

Fasien  ferni  si  car  viôuleto . 
—  Sus  la  grave,  dis  l'autre,  anaras  mourreja! 

Gar,  as  li  man  trop  mistoulino, 

E  noun  sies  bon,  raubo-galino> 

Que  pèr  gibla  *n  brout  d'amarino, 
Pèr  camina  dins  Toumbro,  e  pèr  gourrineja  ! 


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MIREILLE,  CHANT  V.  187 

Un  soir  donc,  dans  la  Grau  pai8â)ley 

Au  devant  du  toucheur  terrible, 
Venait  le  beau  Vincent  dans  le  même  sentier. 

On  sait  que  la  foudre  déchire 

Le  premier  arbre  qui  l'attire  ; 

Et,  dans  son  orageux  délire. 
Voici  comment  parla  le  farouche  bouvier  : 

—  Alors  !  fils  de  femme  tarée, 
C'est  toi  qui  l'as  énamourée, 

La  Mireille  I  Eh  bien  donc,  lorsque  tu  la  Yerras, 
Puisqu'on  ta  voile  le  vent  souffle, 
Et  que  tu  la  vois,  toi,  maroufle. 
Ois-lui  qu'entre  elle  et  ma  pantoufle, 

S'il  me  fallait  choisir,  j'aurais  de  l'embarras. 

Vincent  tressaillit,  et  son  âme 

Se  réveilla,  comme  la  flamme 

D'un  foyer  mal  éteint  qui  ressuscite  et  part. 

—  Ah  I  dit-il,  rustre  qu'on  renomme  ; 
Mais  tu  veux  donc  que  je  t'assomme  I  — 
Et  son  œil  le  regardait  comme 

Regarde  l'oeil  du  tigre  ou  l'oeil  du  léopard. 

Et  tous  les  traits  de  son  visage 
•    Bouillaient  de  colère  et  de  rage. 
—  Morveux  I  tiens,  sur  le  sol  je  vais  te  placarder, 

Oit  l'autre,  d'un  air  impassible  ; 

Car  tu  n'es  bon,  vannier  sensible, 

Que  pour  ployer  l'osier  flexible. 
Pour  cheminer  dans  l'ombre  et  pour  vagabonder! 


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tas  MIRËIO,  GANT  V. 

—  0,  coume  torse  Famarino, 
Respond  Vincèn  qu'eiçô  'nverino, 

Vau  torse  toua  galet  !...  Ye  !  ve  I  fuge,  se  pos, 

Fuge,  capoun,  qu'ai  la  maliço  ! 

Fuge,  0,  Sant  Jaque  de  Galiço  ! 

Revoiras  plus  ti  tamarisso, 
Car  vai,  'quest  poung  de  ferre,  embroDiga  tis  os  !  — 

Meraviha  de  trouva  'n  orne 
Sus  quau  enfia  sa  ràbi  gome  : 

—  Un  moumen  !  ié  respond  lou  vaquié  regaguous. 
Un  moumenet,  moun  jouine  tôchi, 
Qu'abren  la  pipo  !...  £  de  sa  pôchi 
Tiro  un  boursoun  de  peu  de  bochi, 

Ë'n  nègre  cachimbau  qu'embouco  ;  e  desdegnous  : 

—  Quand  te  bressavo  au  pèd  d*un  ourse  •, 
T'a  jamai  counta  Jan  de  l'Ourse  ', 

Ta  bôumiano  de  maire  1  à  Vincèn  digue  *nsin. 
Ta  Jan  de  TOurse,  Tome  double, 
Que,  quand  soun  mèstre,  emé  dous  couble, 
Lou  mandé  fouire  si  restouble, 

Ârrapè,  coume  un  pastre  arrapo  un  barbesin, 

Li  bèsli  tôutis  atalado, 
E  su  'no  pibo  encimelado 
Li  bandiguè  pèr  l'èr,  emé  l'araire  après  I 
E  tu,  marrias,  bonur  t'arribo 
Qu'apereici  i'a  ges  de  pibo  I... 

—  Levarîés  pa  'n  ai  d'une  ribo, 

Grand  porc  !  n'as  que  de  lengo  !  £  Vincèn,  à  Tarrèst, 


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MIREILLE.  CHANT  V.  18U 

—  Oui,  comme  on  tord  l'osier  flexible» 
Répondit  le  vannier  sensible, 

Je  te  tordrai  le  cou  ;  vois,  vois,  fuis  si  tu  peux  ; 

Fuis,  coquin,  car  j'ai  la  malice» 

Fuis,  ou  saint  Jacques  de  Galice 

M'aidant  à  hâter  ton  supplice. 
Je  fais  craquer  tes  os  sous  ce  poignet  nerveux  ! 

Ravi  de  trouver  sous  sa  patte, 

Quelqu'un  sur  qui  sa  rage  éclate  : 
—  Un  moment  reprit  Fautre,  et  respirons  un  peu  ; 

AvaQt  de  se  battre  on  s'équipe  ; 

Permets-moi  d'allumer  ma  pipe. 

Soudain  embouchant  sa  tulipe. 
De  son  briquet  sonore  il  fait  jaillir  le  feu. 

—  Dis  donc,  pour  meubler  la  mémoire, 
T'a-t-on  jamais  conté  l'histoire 

D'un  géant  du  Midi  qu'on  nommait  Jean  de  l'Ours? 

Sache  donc  que  ce  personnage, 

De  quatre  bœufs  au  labourage, 

Conduisait  mi  jour  l'attelage  ; 
Et  comme  celui-ci  marchandait  son  concours , 

Saisi  d'une  fureur  sublime. 

D'un  peuplier  visant  la  cime. 
Il  y  lança  les  bœufs  et  la  charrue  avec... 

Eh  bien  !  franchement,  je  regrette 

Qu'aucun  arbre  ici  ne  s'y  prête  ; 

Car  je  t'assure  qu'à  son  faite 
Tu  percherais  bientôt,  jeune  petit  blanc-bec. 


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190  MIRfcIO,  GAMT  Y. 

Conme  unlebrié  tanco  un  bestîàri, 

Tancavo  aqui  soun  aversàri. 
—  Qae,  digo  !  ié  crida¥0  à  s'esgargamela, 

Long  galagu,  que  t'estrampales 

Sus  ta  ganchello,  bèn  ?  davales 

0  te  da¥ale?...  CSales?  cales, 
Aro  qu'anan  sache  quau  tetè  de  bon  la  ? 

Ks  tu,  gusas,  que  portes  barbo  t 

Te  caucarai  coume  uno  garbo  t 
Es  ta  qu'as  mespresa  la  vierge  d'aquéu  mas, 

Mirèio,  la  flour  dôu  terraire  ?  ♦ 

0,  iéu,  lou  marrit  panieraire, 

léu,  Yincenet  soun  calignaire, 
Yau  lava  ti  mesprés  dlns  toun  sang,  se  n'en  as  !  — 

Mai  lou  yaquié  bramo  :  Arri  !  àrri  ! 

Bôumian,  calîgnaire  d'armàri  ! 
Espéro,  espèro-me! Sus-lou-cop  sauto  au  sôu 

Apereila  li  vèsto  volon  ; 

Picon  di  man,  lis  èr  tremolon  ; 

Souto  éli  li  caiau  regolon  ; 
Un  sus  l'autre  à  la  fes  parton  coume  dous  biôu. 

Ansin  dous  brau,  quand  sus  lis  erme 

Lou  souleias  dardaio  ferme, 
An  Tist  lou  peu  courons  e  li  large  malu 

D'uno  vaco  jouino  e  moureto 

Bramant  d'amour  dinsH  sarreto... 

E  sus-lou-cop  lou  tron  li  peto, 
E  d'amour  sus-lou-cop  yènon  foui  e  calu. 


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MIREILLE,  CHANT  V  191 

—  Grand  pore!  ta  n'as  que  de  la  langue, 
Dit  en  épiçant  sa  harangue, 

Vincent,  qui  du  regard  le  tenait  à  Tarrét  : 

Perché  comme  un  polichinelle, 

Tu  t'écarquilles  sur  ta  selle; 

Descends  don»  de  ta  haridelle, 
Et  nous  verrons  alors  qui  téta  du  hon  lait  ! 

C'est  toi,  brigand,  qui  vas  en  guerre? 

Je  te  briserai  comme  verre, 
Tu  tins  contre  Mireille  un  propos  offensant  ; 

Eh  bien  !  mécréant,  c'est  moi-même, 

Moi,  le  chétif  vannier,  qui  l'aime. 

Qui  te  donnerai  ton  baptême  ; 
Mais  ce  sera,  tonnerre  !  un  baptême  de  sangl 

—  Ah  !  ah  t  tu  veux  vtne  bataille! 
Bohémien,  amoureux  de  paille! 

Eh  bien,  soit!  dit  Ourrias,  en  sautant  de  cheval. 

Et  tous  les  deux  quittent  leur  veste; 

Leur  main  ne  s'arme  pas  du  ceste; 

Mais  le  poing  suffisant  de  reste. 
Ils  fondent  l'un  sur  l'autre  avec  un  cœur  égal. 

Ainsi  quand  deux  taureaux  sauvages, 

Dans  les  steppes  des  pâturages. 
Aperçoivent  de  loin,  sous  les  feux  du  soleil, 

Une  jeune  et  belle  génisse. 

Leur  poil  tout  à  coup  se  hérisse, 

Tout  leur  être,  au  feu  qui  s'y  glisse, 
b'une  fureur  jalouse  éprouve  le  réveil  ; 


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IW  MIRÈIO,  CANT  V. 

Pièi  arpatejon,  piêi  s'alacon, 
Prenon  Ion  vanc,  e  zéu!  s'ensucon. 

E  prenon  mai  Ion  yanc,  e  de  mourre-bourdoun 
Fan  restounli  H  cop  de  tèsto. 
Longo  e  marrido  es  la  batèsto, 
Car  es  rAmour  que  lis  entèsto, 

Es  TAmour  pouderous  que  ii  buto  e  li  poun. 

Ansin  éli  dous  tabassayon, 
Ansin,  feroun,  s'escabassayon. 

Oarrias  a  recassa  lou  proumié  layo-dènt; 
Mai  coume  l'autre  lou  menaço 
D'un  nouyèu  cop,  sa  grand  manasso 
S'aubouro  en  Ter  coume  une  masso, 

E  d'un  large  gautas  amassolo  Vincèn. 

—  Tè!  té!  frestèu,  paro  aquéu  lèpi! 

—  Tasto,  moun  orne,  s'ai  lou  grèpi  ! 

Se  cridon  l'un  à  l'autre.  —  Ardit!  comto,  bastard, 
Li  blayeirôu  monnte  s'enfounso 
La  rintraduro  de  mis  ounso  ! 

—  E  tu,  moustras,  comto  lis  ounço, 

Lis  ounço  de  sang  yiéu  qu'espiron  de  ta  car!  —^ 

Alor  s'arrapon,  se  péutiron, 

S'agroumoulisson  e  s'estiron, 
Espalo  contro  espalo,  em'  artèu  contre  artôu  ; 

Li  bras  se  trosson,  se  fringouion 

Coume  de  serp  que  s'entourtouion  ; 

Souto  la  peu  li  yeno  bouion, 
Lis  esfors  fan  tibia  li  tento  di  boutéu. 


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MIREILLE,  CHANT  V.  «fOÔ 

Us  trépig^nent  et  ;3e  provoqu0.nt,     >       i 
A  coups  de  tête  ils  s'entrt?-cboquent. 

Et,  le  mufle  abaissé,  raniment  leur jardeur*  -  ^...a.^ 

La  bataille  est  longue  et  cruelle,      ..  .  t 

Car  c'est  ramour.  qui  les  harcèle,  .  ■■ 

Et  qui,  pour  prix  de  la  quer^lle,^       i  i^ 

Leur  montre  la  génisse  attendant  le  vainqueur,  o  ^       i. 

Ainsi  luttaient  nos  deux  athlètes^  -'.    .  H 
Ainsi  s'entre-choquaient  leurs  têtes  :. .    IL 

Les  coups  partent  ;  Ourrias  attrape  le  premier;    •     :.  .1 
Mais,  comme  l'autre  en  son  £Midacç     .  ...ï 
Tentait  de  Tatteindre  à  la  face,  .     î 

Sa  main  se  lève  dans  Tesp^ce,  m      t 

Et  d'un  large  soufflet  étourdit  le  vannier.,  ? 

—  Tiens  voilà , pour  toi,  camarade  I  . 

—  Et  toi,  pare  cette  gourmade! 

Se  disaient-ils  entre  eux.  —  Tu  n'y  verras  plus  daîr,  . . 
Aveuglé  par  la  meurtrissure  ^ 

Qui  bouleverse  ta  figure.       ..    .  . 

—  Monstre!  guéris  donc  la  blessure..      b 
Par  où  ton  sang  épais  s'échappe  de  ta  chair. 

Puis  ils  se  heurtent,  se  saissisiseat,         . 

Se  redressent  ou  s'accroupissent, . 
Épaule  contre  épaule,  œil  sur  qeil,  corps  à  corps  ;     i  ^ 

Leurs  bras  se  croisent  et  se  tordent  . 

Gomme  des  serpent?  qui  se  mordent  ; 

De  leur  peau  les  yeiues  déhordeot  ;      ..    * 
Sur  leurs  jarrets  tendus  se  lisent  leurs  efforts. .  >  ^  i     :  ' 

13^ 


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iOi  MIRÈIO,  CANT  V. 

Long-tèms,  innaoubile,  s'estellon, 

Emé  li  flanc  que  ié  bacellon, 
Coume  quand  bat  de  Talo  un  pâlot  estardoun  : 

Imbrandable,  la  lengo  muto, 

Un  coûtant  l'autre  dins  sa  buto, 

Coume  11  pielo  grande  e  bruto 
D6u  pont  espetaclous  qu'encambo  lou  Gardoun^ 

E  tout-d'un-cop  se  desseparon, 
E  tourna-mai  li  poung  se  barron, 

Lou  trissoun  tourna-mai  engruno  lou  mourtié  : 
Dins  la  furour  que  li  counjoungio, 
lé  Yan  di  dent,  ié  van  dis  ounglo... 
Dieu!  quénti  cop  Vincèn  i'ajounglo! 

Dieu!  quénti  bacelas  mando  lou  bou?atié! 

Abasimanto  éron  li  mougno 
Qu'aquest  largaYO  à  plen  de  pougno  ; 

Mai  lou  Valabregan,  rapide  e  picadis 
Coume  uno  grelo  que  desboundo, 
A  soun  entour  boundo  e  reboundo, 
ReYOulunous  coume  tino  foundo. 

—>  Veiciy  dis,  lou  turtau,  gourrin,  que  t*esp6utisl 

Mai  coume  tors  Tesquino  à  rèire, 
Pèr  miéus  pica  soun  empegnéire, 

fjou  gaiard  toucadou  subran  Tarrapo  i  flanc^ 
A  la  manière  prouvençalo 
Te  lou  bahdis  darrié  Tespalo, 
Coume  lou  blad  dessus  la  palô, 

E  vai  pica  de  costo  apereila  au  mitant 


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MIREILLE,  CHANT  V.  195 

Longtemps  encor  ils  se  raidissent; 

Leu'  s  flancs  rentrent  ou  >Vlargissent, 
Comme  quand  bat  de  Taile  un  malheureux  aiglon  ; 

L*air  manque  à  leurs  voix  oppressées; 

Ils  s'accotent,  dans  leurs  noussées, 

Comme  les  piles  entassées 
Du  splendide  aqueduc  jeté  sur  le  Gardon. 

Puis,  tout  à  coup,  ils  se  séparent. 

Mais  d'autres  assauts  se  préparent; 
Derechef  le  pilon  égruge  le  mortier  ; 

Dans  la  fureur  qui  les  entraîne. 

Leurs  dents  même  servent  leur  haine... 

Dieu!  quels  beaux  coups  Vincent  assène! 
Dieu  !  par  quels  beaux  soufflets  riposte  le  bouviej  ! 

La  gr^le  même  un  jour  d'orage 

Ne  fouette  pas  Tair  davantage; 
Mais  soudain  le  vannier  tournant  autour  de  lui. 

Comme  un  tourbillon  qui  se  lève, 

Ne  lui  laissant  ni  paix  ni  trêve  : 

—  Tiens,  voici  le  coup  qui  t'achève, 
Misérable  !  dit-il,  ton  dernier  jour  a  lui. 

Comme  il  tord  son  dos  en  arrière 

Pour  mieux  frapper  son  adversaire, 
Le  vigoureux  bouvier  Tempoigne  par  le  flaae, 

Et,  lutteur  de  la  bonne  école,  . 

Il  le  soulève  et  par  bricole, 

Gomme  un  brin  de  paille  qui  vole» 
Il  je  lance  à  dix  pas  sur  le  sable  brûlant. 


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196  MIRÈIO,  GANT  V. 

—  Acampo  !  acampo  Teiminado 
Qu'euié  toun  mourre  as  darbounado, 

E  s'araes  lou  pôutras,  vermenoun,  loanjo  e  béu! 

—  Proun  de  di  I  bésti  mal-estrucho, 
i*a  que  li  très  cop  que  fan  lucho  ! 
Respond  lou  drôle,  en  quau  s'encucho 

L'amar  vérin.  Lou  sang  ié  mounto  au  bout  di  peu. 

Se  relévo,  lou  panieraire, 

Gourae  un  coulobre  ;  e,  fier  luchaire, 
A  Tagrat  de  péri  vo  de  venja  soun  noum, 

Part  sus  lou  Caraarguen  sôuvàge, 

Ë  d'une  forço  e  d'un  courage 

Meravihbus  pèr  aquel  âge, 
Talongo  dins  lou  pitre  un  mourtau  cop  de  poung. 

Lou  Gamarguen  trantaio,  tasto 

Pèr  coûta  soun  esquino  vasto  ; 
Mai  à  sis  iue  neblous  ié  semble  quatecant 

Qu'à  soun  entour  tout  fai  que  courre  ; 

La  tressusour  ié  mounto  au  mourre, 

E  pataflôu!  coume  uno  tourre 
Toumbo  lou  grand  Ourrias,  au  mitan  dôu  trescamp  ! 

La  Grau  èro  tranquilo  e  mudo. 

Aperalin  soun  estendudo 
Se  perdié  dins  la  mar,  e  la  mar  dins  l'èr  bla 

Li  ciéune,.li  fôuco  lusènto, 

Li  becaru,  qu'an  d'alo  ardènto, 

Venien  de  la  clarta  mourènto 
Saluda,  long  di  clar,  li  béu  darrié  belu. 


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MIREILLE,  CHANT  V.  W 

—  Va,  dif-il,  mordre  la  poussière  ; 
La  terre  est  bonne  nourricière. 

Si  la  saveur  t'en  plait,  vermisseau,  manges-en! 

—  Uu  éciiec  n*est  pas  une  preuve  ; 
Je  veux  une  seconde  épreuve, 

Dit  Vincent  que  la  honte  abreuve. 
Et  dont  chaque  poil  sue  et  s'injecte  de  sang. 

Sur  ce,  le  vannier  se  relève  ; 

Devant  ses  yeux  flotte  le  rêve 
De  la  vierge  aux  doux  yeux  dont  son  cœur  est  l'autel  ; 

Et  d'une  force  et  d'un  courage 

Qui  sont  au-dessus  de  son  âge. 

Il  fond  sur  le  bouvier  sauvage. 
Et  lui  porte  au  sein  gauche  un  coup  de  poing  mortel. 

Sous  le  coup  celui-ci  chancelle. 

Son  bras  fléchit,  son  sang  se  gèle  ; 
La  lumière  vacille  à  ses  yeux  nébuleux; 

Autour  de  lui  tout  tourbillonne, 

Le  vent  de  la  mort  l'environne, 

Et,  comme  une  énorme  colonne. 
Il  tombe  avec  fracas  sur  le  sol  rocailleux. 

La  Crau  dormait  silencieuse; 

Au  loin,  la  plage  vaporeuse 
Se  perdait  dans  la  mer  et  la  mer  dans  l'air  bleu; 

Ici,  les  macreuses  lustrées. 

Les  flamants  aux  ailes  pourprée:; 

Au  bord  des  mares  azurées. 
Venaient  au  jour  mourant  dire  un  dernier  adieu  t 


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198  MIRÊIO,  GANT  V. 

Dôu  vaquié  la  ca?alo  blanco 

Toundié  dis  agarrus  li  branco  ; 
E  vueje,  lis  estriéu,  li  grands  estriéu  ferra, 

Balin-balôu  contro  soun  ventre... 

—  fireguigno  mai  !  se  noun  t'esvcvilre 

Lis  orne,  aro,  bregand,  pos  sénli-e 
S'a  la  cano  vo  au  pan  se  dèvon  mesura  !  — 

Dins  lou  silènci  dôu  campèstre, 

Lou  panieraire,  d'un  pèd  mèstre, 
Esquicbavo  lou  pies  d'Ourrias  amaluga. 

Souto  la  cambo  que  lou  sarro, 

Lou  toucadou  luchavo  encaro, 

E  pèr  li  brego  e  pèr  li  narro 
Racavo  à  gros  mouchoun  un  sang  encre  e  maca. 

Très  cop  vouguè  jita  de  caire 

Lou  pèd  ounglu  dôu  panieraire  ; 
Très  cop  d'un  tai  de  man  lou  fiéu  de  Mèste  Ambroi 

L'esterniguè  mai  sus  la  gravo, 

Ë  lou  vaquié  qu*escumejavo, 

Emé  d'iue  torge,  retoumbavo 
En  boufant  e  badant  coume  un  orre  bôudroi  "• 

—  Lis  ome,  donne,  o  barataire, 

Lis  a  pas  tôuti  fa,  ta  maire  ! 
Hncenet  ié  cridavo.  I  biôu  de  Séuvo-Riau 

Vai,  vai  counta  quento  es  ma  pougno! 

Vai-t*en  escoucdre  ti  boudougno, 

Toun  arrouganço  e  ta  vergougno 
Au  founs  de  ta  Gamargo,  au  mitan  de  ti  brau  ! 


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MIREILLE,  CHANT  V.  199 

Du  bouvier  la  jument  sauvage 
Des  kermès  broutait  le  feuillage; 
Et  vides,  et  pendants,  les  étriers  de  fer 
Oscillaient  le  long  de  son  ventre... 

—  Remue  encore  et  je  t'éventre. 
Il  est  temps  que  ta  morgue  rentre, 

Ce  n'était  pas  le  cas  de  se  montrer  si  fier, 

Disait  Vincent  qui  le  domine. 

Et  du  pied  presse  sa  poitrine, 
Plus  radieux  qu'un  coq  monté  sur  ses  ergots. 

Ourrias,  d'une  vigueur  éteinte. 

Se  débattait  sous  cette  étreinte. 

Et  la  terre  au  loin  était  teinte 
Du  sang  que  sa  narine  y  répandait  à  flots. 

Trob  fois,  d'une  forte  secousse, 

Ourrias,  haletant,  le  repousse; 
Trois  fois  aussi  Vincent,  d'un  rude  coup  de  main. 

Le  cloue  à  la  terre  sanglante. 

Ourrias,  dont  la  faiblesse  augmente, 

Retombe,  la  bouche  béante. 
Et  promène  en  tous  sens  son  regard  incertain. 

—  Ainsi  donc,  les  forts  de  la  terre 
Ne  sont  pas  tous  fils  de  ta  mère, 

Disait  Vincent;  au  fond  de  ta  Sylve-Réal, 

S'il  te  reste  un  peu  de  vergogne, 

Va  cacher  ta  honte  et  ta  trogne! 

Va!  parle  à  tes  bœufs  de  ma  poigne. 
Et  dis-leur  quelquefois  le  nom  de  ton  rival!  — 


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Kfi  MIRÈIO,  CANT  V. 

Acd  di,  lâché  la  bestiasso. 
Tau  un  toundèire,  dins  la  jasso, 

Relèn  entre  si  cambo  un  grand  aret  banard; 
Mai  tant-Jèu  i'a  toumba  soun  àbi, 
Sus  lou  malu  ié  mando  un  bàbi, 
E  lou  bandis.  Goanfle  de  ràbi, 

Ansin,  e  tout  poussons,  lûa  vaquié  sauto  e  part. 

Uno  pensado  maladito 

A  travès  champ  I6u  precepito  ; 

Jitavo  d'escouménge  ;  ourlant  e  femissènt, 
Dins  lis  avaus,  dins  li  genèsto 
Que  cerco  douncî...  Ail  ai!  s'arrèsto... 
Ai  !  ai  I  ai  !  brando  sus  la  tisto 

Soun  ficheiroun  terrible,  e  lampo  sus  Vincén; 

Quand  se  v^uè  souto  la  lanço, 

Sènso  revenge  ni  'speràu^o,    ' 
Vincenét  paligué  co'ume  au  jour  de  sa  mort  : 
.     Noun  que  la  mort  ié  fugue  duro, 

Mai  ço  qu'aclapo  sa  naturo, 

Es  de  se  vèire  la  caluro 
D*un  feloun  que  reugaiio  a  vie  fa  lou  plus  fort. 

—  Traite  !  ausariés  ?  faguô  que  dire. 

E,  voulountôus  coume  un  martîré, 
S'aplanto...  Altn,  alin,  dins  lis  aubre  èscdundu^ 

l'avié  lou  ihais  dé  èa  mestresso. 

Se  ié  viré  'mé  grand  tendresse, 

Coumè  pèr  dire  à*  la  pastresso  : 
Miréio,  espincho-nlë,  cfuè  vaû  ifhouri  pèr  tu! 


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MIREILLE,  CHANT  V.  tOl 

Gela  dit,  il  le  cougédie. 

Tel  on  voit,  dans  la  bergerie, 
Un  tondeur  retenir  sous  sa  main  un  bélier  ; 

Et  puis,  quand  il  a  pris  sa  laine, 

D'un  geste  ou  d'un  mot  qu*ii  comprenne, 

11  le  délivre.  Empli  de  baine, 
Ainsi  congédié  s'éloigne  le  bouvier. 

Jtfais  de  quelle  borrible  pensée 

Sa  tête  est-elle  traversée? 
Pourquoi  donc  tout  à  coup  rebrousse-t-il  cbemiu? 

Dans  les  genêts,  dans  les  broussailles. 

Que  cherche-t-il  ?  Dieu  des  bataillas  ! 

Permettras-tu  ces  représailles  ? 
Il  fond  sur  le  vannier,  son  trident  à  la  main. 

Contre  le  fer  de  cette  lance 

Vincent  n'a  rien  pour  sa  défense  ; 
11  pâlit,  le  pauvret,  à  l'aspect  de  la  mort; 

Non  point  que  la  mort  lui  soit  dure, 

Mais  de  la  douleur  qu'il  endure 

De  se  voir  ainsi  la  pâture 
D'un  félon  que  la  ruse  a  rendu  le  plus  fort. 

Traître!  dit-il,  et  sans  plus  dire^ 

Vincent  se  résigne  au  martyre... 
Au  loin,  le  mas  qu'il  aime  à  ses  yeux  vient  s'offrir  ; 

Sur  cet  asile  qui  la  tente 

Se  fixe  sa  prunelle  ardente, 

Comme  pour  dire  à  son  amante  : 
C'est  pour  toi  que  je  meurs,  regarde-moi  mourir. 


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toi  MlHfilO,  GANT  ?• 

0  béu  Vincent  d'aijiielo  qa'amo 

Enca  pantaiavo  soun  amo... 
—  Fai  ta  preiero  !  Ourrias  ié  vengaè  coume  un  tron, 

D'uno  voues  despietouso  e  ranco. 

E  de  soun  ferre  aqui  lou  trauco. 

Em'  un  fort  gème,  sus  la  bauco 
Lou  paure  verganié  barrulo  de  soun  long. 

E  l'erbo  plego,  ensaunousido  ; 

E  de  si  cambo  enterrousido 
Li  fournigo  de  cbamp  fan  déjà  soun  camin. 

Mai  lou  toucadou  galoupavo. 

—  Au  clar  de  luno,  sus  la  grave, 

Tout  en  fugént  eu  prejitavo, 
Aniue  li  loup  de  Grau  van  rire,  à  tau  festin  !... 

La  Grau  éro  tranquilo  e  mudo. 

Aperalin  soun  estendudo 
Se  perdié  dins  la  mar,  e  la  mar  dins  Ter  blu; 

Li  ciéune,  li  fôuco  lusènto, 

Li  becaru,  qu'an  d*alo  ardènto, 

Venien  de  la  clarta  mourènto 
Saluda,  long  di  clar,  li  béu  darrié  belu. 

E  galopo,  vaquié,  galope, 

Que  galouparas!...  —  Hopo!  hopo  ! 
lé  venien  coume  acô  lis  esclapaire  verd  *• 

A  sa  cavale  que  chauriho 

Dis  iue,  di  narro  e  dis  auribo. 

Souto  la  luno  déjà  briho 
Lou  Rose,  entre-dourmi  dins  soun  lié  descubert 


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MIREILLE,  CHANT  Y.  903 

0  beau  Vincent  !  celle  qiril  aime 
Remplissait  son  heure  suprême  1 

—  Allons  !  fais  ta  prière,  aimable  jouvenceau, 

Dit  Ourrias,  dont  la  voix  fulmine, 
Et  baissant  sa  fourche  assassine, 
11  lui  transperce  la  poitrine; 
L'infortuné  vannier  tombe  sur  le  carreau. 

Et  rherbe  ploie,  ensanglantée  ; 
Et  sur  sa  jambe  contractée 

Des  milliers  de  fourmis  font  déjà  leur  chemin 

Mais  Ourrias,  fier  de  sa  prouesse, 
S'enfuyait  à  toute  vitesse. 
Grommelant  de  sa  voix  traîtresse  : 

—  Ce  soir,  les  loups  de  Grau  riront  de  leur  festin. 

La  Grau  dormait  silencieuse  ; 

Au  loin  la  plage  vaporeuse 
Se  perdait  dans  la  mer  et  la  mer  dans  Tair  bleu; 

Ici,  les  macreuses  lustrées. 

Les  flamants  aux  ailes  pourprées. 

Au  bord  des  mares  azurées. 
Venaient  au  jour  mourant  dire  un  dernier  adieu  i 

—  Et  galope,  vacher,  galope! 

Galope  toujours!  hoppe!  hoppe! 
Du  milieu  des  étangs  criait  le  crabier  vert 

A  sa  jument  dressant  Toreille. 

Pendant  que  la  terre  sommeille, 

Du  haut  du  ciel  la  lune  veille; 
Le  Riiône  s*endormait  dans  son  lit  découvert. 


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201  MIRÊIO,  GANT  Y. 

¥ 

Goume  un  roumiéu  de  Santo-Baumo  ^^ 

Que,  nus,  de  lassige  e  de  caumo 
S'estalouiro  e  s'endor  au  founs  d*un  vabre.  —  Hôuî 

L'ausès?...  hôu  de  la  ratamalo  ! 

Hôu!  hôu  !...  En  cuberto  vo'n  calo, 

Me  passarias  'mé  ma  cavalo? 
De  liuen  lou  capounas  crido  à  ires  barqueirôu. 

—  Vène  lèu,  véne,  bono-voio  ! 
Respoundeguè  'no  voues  galoio, 

Que,  pèr  vèire  mounta  de  la  niue  lou  calèu, 

Entre  li  remo  e  la  partego 

Lou  pèis  entrefouli  vanego.,. 

La  pesco  presse,  acô  boulego, 
Moun  oihel  Touro  es  bono...  Abordo,  abordo  lèu.  — 

En  poupo  lou  fena  ^^  s'assèto. 

La  cavalo,  darrié  la  bèto, 
Nadavo,  la  caussano  estacado  à  Testrop. 

E  li  grand  pèis,  vesti  d*escaumo, 

Abandonnant  si  fôunsi  bauino, 

Dôu  Rose  mouvien  la  calaumo, 
E  lusènt,  boumbissien  à  Tentour  de  la  pro. 

—  Mèstre  pilot,  douno-te  gardo  ! 

La  nau,  semble  que  vên  panarde  I  — 
E  lou  qn'avié  parla,  pèd  sus  banc  i^,  sus  lou  rèm 
Tourna  se  pleguè  coume  un  vise. 

—  Fa  'n  moumenet  que  me  n'avise... 
Pourtan  un  raarrit  pes,  vous  dise, 

Respoundè  lou  pilot;  e  pièi  digue  plus  rèn. 


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MIREILLE,  CHANT  V.  «0» 

Gomme  un  pèlerin  en  voyage  : 
Qui,  lassé  du  pèlerinage, 
S'endort  près  de  sa  gourde  au  milieu  d'un  rayin, 

—  Ohé  !  ohé  !  pécheurs  de  Tonde, 
Sur  votre  barque  vagabonde. 

Ma  béte  et  moi,  courant  le  monde, 
Pouvez-vous  nous  passer  jusques  au  bord  voisin? 

—  Arrive,  garnemeut,  arrive  I 
Répond  une  voix  de  la  rive  ; 

Pour  voir  monter  au  ciel  la  lampe  de  la  nuit, 
Près  de  la  barque  qui  brandille, 
Le  poisson  circule  et  frétille;  ^ 

La  pèche  presse,  Teau  seiutille;... 

Aborde,  garnement,  mais  aborde  sans  bruit.  «- 

Le  brigand  s'assied  sur.  l'arrière; 

La  cavale  nageait  derrière. 
Suspendue  nu  licol  tenant  aux  cavillots. 

Des  poissons  de  toutes  les  tailles,  . 

Vêtus  de  leurs  blondes  écailles. 

Quittaient  en  foule  leurs  rocailles. 
Et  près  des  avirons  serpentaient  sous  les  flots. 

—  Prends  bien  garde,  maître  pilote, 
Il  semble  que  la  nef  ballole, 

Dit  l'un  des  bateliers  qui,  couple  et  pied  sur  banc, 
Se  tord  comme  un  sarment  de  vigne. 

—  Je  le  vois  bien,  et  c'est  un  signe 
Que  nous  portons  charge  jmaligne. 

Répond  le  nautonier  qui  se  t^it  à  l'instant 


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t06  MIRÈIO,  GANT  Y. 

La  ratamalo  trantaiavo 

D'un  biais,  de  l'autre,  gansouiayo 
D'un  balans  esfraious  coume  un  orne  ebria. 

La  ratamalo  èro  raarrido, 

Avié  H  post  mita  pourrido... 

— ^^Tron  de  Dieu!  lou  toucadou  crido..* 
C  s'arrapo  à  l'empento,  e  s'aubouro  esfraia. 

Mai,  souto  uno  invesiblo  forço, 

La  nau  sèmpre  que  mai  bidorso, 
Coume  uno  serp  en  quau  un  pastre  em'  un  clapas 

A  coupa  lis  esquino.  —  Sôci, 

Perqué  fasès  aquéu  trigôssi? 

Voulès  dounc  que  me  nègue?  i  môssi 
Vetiguè  lou  toucadou,  pale  coume  un  gipas. 

—  Pode  plus  mestreja  la  barco! 
Respoundè  lou  pilot.  S'enarco 

Souto  iéu,  e  boumbis  coume  uno  escarpo  fai  : 
As  tua  quaucun,  misérable  ! 
— Iéu?...  Quau  te  l'a  "U?...  Que  lou  diable, 
S'acè  's  verai,  'mé  Suun  rediable 

Me  péu-tire  subran  au  foons  di  garagai  ! 

—  Ab!  countuniè  lou  pilot  blave, 
Es  iéu  que  me  troumpe  !  ôublidave 

Qu'es  aniue  Sant  Medard.  Tout  paure  negadis, 
Di  toomple  afrous,  di  revôu  sourne, 
Pèr  founs  que  Taigo  Tencafoume, 
Sus  terro  aniue  fau  que  retourne. .« 

!^a  longo  proucessioun  adeja  s'espandiSt 


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MIREILLE,  CHANT  Y.  207 

Gomme  au  plus  fort  d'une  tourmente, 
Deci,  delà,  la  nef  errante 
Vacillait  comme  un  homme  aux  vignes  du  Seigneur. 
La  vieille  barque,  assez  mauvaise, 
*  Avait  pourri  sous  la  falaise... 

—  Tonnerre  !  on  n'est  pas  trop  à  Taise, 
Dit  Ourrias,  qui  se  lève  et  change  de  couleur. 

Mais,  sous  une  invisible  force, 

Toujours  le  roulis  se  renforce; 

Comme  un  serpent  blessé  la  nacelle  se  tord. 

—  Vous  voulez  donc  que  je  me  noie, 
Dit  le  bouvier,  dont  Tàme  ploie. 
Tant  la  tempête  se  déploie, 

Et  tant  Tonde  bouillonne  et  monte  vers  le  bord  ! 

—  Ce  n'est  plus  moi,  dit  le  pilote 
Qui  gouverne  ma  galiote  ; 

Et  quelque  esprit  malin  la  pousse  de  travers  : 

—  Tu  versas  le  sang,  misérable! 

—  Moi  !  qui  Ta  dit?  Oh  !  que  le  Diable, 
Avec  sa  fourche  impitoyable. 

Me  tire,  si  c'est  vrai,  dans  le  fond  des  enfers! 

—  Que  ton  jurement  s'interrompe, 
Dit  le  pilote,  je  me  trompe  ; 

C'est,  et  je  l'oubliais,  la  nuit  de  Saint-Médard. 

Les  malheureux  noyés,  que  Tonde 

Retient  dans  la  gorge  profonde, 

Cette  nuit  reviennent  au  monde; 
J'en  vois  le  groupe  entier  qui  s'ébranle  et  qui  part. 


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i08  MIRÈIO,  GANT  Y. 

Ve-lèil.v  pàuris  aroo  plourouso! 

Ve-lèi  !  sus  la  ribp  peirouso 
Mounton  à  pèd  €Lescau3  :  de  si  vièsli  limai 

De  soun  peu  amechouli,  coulo 

A  gros  degout  Taigo  treboulo. 

Dins  l'oumbro,  souto  li  piboulo, 
Gaminon  à  xenguiero,  em'  un  cire  aluma. 

Goume  regardon  lis  estello! 

Dôu  sablas  que  lis  empestello 
En  derrabant  si  cambo  arrampido,  pecai! 

Emé  si  bras  blu,  'mé  sa  tèsto 

Mounte  la  nito  encaro  rèsto, 

Es  éli,  coutne  uno  tempèsto, 
Que  tuerton  lou  batèu  d'aquéu  rude  trautai. 

Toujour  qu^ucun  de  mai  arribo, 

E  mounto,  afeciouna,  la  ribo. 
Goume  bevon  Ter  linde,  o  la  visto  di  Grau» 

E  la  sentour  que  vèn  di  fôure! 

E  coume  trovon  dous  lou  môure, 

En  regardant  si  vièsti  pleure!... 
Toujour  quaucun  de  mai  mounto  dôu  cadarau!..* 

Ta  de  vièi,  de  joui  ne,  de  femo, 

Disié  lou  mèstre  de  la  remo... 
Goume  espôusson  la  fungo  e  Tourrour  dôu  pesquiét 

De  forme  descarnado  e  berco  ; 

De  pescadou  qu'èron  en  cerco 

D'aganta  lou  lampre  e  la  perco, 
E  qu'i  perco  em'  i  lampre  an  servi  de  pasquié. 


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MIREILLE,   CHANT  V.  âU9 

Vois!  vois  leurs  âmes  affligées 

Sur  le  bord  du  fleuve  rangées  ! 
Ils  y  montent  pieds  nus;  de  leurs  habits  fangeui» 

De  leur  chevelure  sablée, 

Découle  encore  une  eau  troublée, 

Et  dans  l'ombre,  sous  la  feuillée, 
Un  grand  cierge  à  la  main  ils  marchent  deux  à  deux. 

Gomme  ils  regardent  les  étoiles! 

C'est  en  se  dégageant  des  voiles 
Que  Tonde  sablonneuse  a  formés  autour  d'eux. 

Qu'avec  leurs  bras  bleus  ou  leur  tète. 

Heurtant  notre  barque  inquiète, 

Ils  font  sur  l'eau  cette  tempête. 
Qui  rend  en  ce  moment  le  trajet  dangereux. 

Toujours  quelqu'un  de  plus  arrive 

Et  gravit  ardemment  la  rive. 
Comme  ils  boivent  l'air  pur  et  l'aspect  de  la  Crau» 

Et  l'odeur  de  l'herbe  coupée  ! 

Même  sous  leur  robe  trempée, 

Comme  ils  aiment  cette  équipée  ! 
Toujours  quelqu'un  de  plus  monte  du  fond  d«  l'eau  ; 

Dans  ces  bizarres  amalgames, 

On  voit  des  vieillards  et  des  femmes 

Sortir  de  leur  étui  de  fange  et  de  limon;  * 

Des  formes  qu'on  ne  peut  pas  rendre, 
Des  pécheurs  qui  cherchaient  à  prendre 
La  perche  ou  le  carpillon  tendre, 

Et  qui  servent  de  proie  au  tendre  carpillon. 

14 


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tiO  MIRËIO,  GANT  V 

Ve!  regarde  aquéu  vôu  qu'esquiho, 

Descounsoula,  ^us  li  graviho... 
Es  li  bèlli  cbatoano,  es  li  folo  d'amour, 

Qae,  de  se  vèire  separado 

De  Tome  ama,  desesperado, 

An  demanda  la  retirado 
Au  Rose,  pèr  nega  soun  inmènso  doulour! 

Ve-^lèil...  0  pàuri  pichounello! 
Dins  la  soumuro  clarinello, 

fioulegon,  si  sen  nus,  em'  un  tau  rangoulun, 
Souto  Taugo  que  li  mascaro, 
Que,  de  soun  peu  neblant  sa  caro 
A  long  trachèu,  iéu  doute  encaro 

S'es  d'aigo  que  regoulo,  o  s'es  Tamar  plourun.  - 

Lou  pilot  quinquè  plus.  Lis  amo 
A  la  man  tenien  uno  flamo, 
E  seguien  à  la  mudo,  e  plan,  lou  ribeiréSé 
Aurias  ausi  Youla'no  mousco... 

—  Mèstre  pilot  !  mai,  dins  la  fousco, 
Vous  sèmblo  pas  que  soun  en  bousco? 

ié  fai  lou  Camargueo,  d'orre  e  d'espaime  près. 

—  0,  soun  en  bousco...  Ve,  pecairel 
Goume  testejon  de  tout  caire! 

Cercon  li  bonis  obro  e  lis  aie  de  fe 
Que  sus  la  terro  semenèron, 
Espés  0  clar,  quand  ié  passèron. 
Tre  qu'apercevon  ço  qu'espèron, 

Goume  au  fres  margaioun  vesèn  courre  Tavé, 


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MIREILLE,  CHANT  V,  «Il 

Vois  cette  foule  qui  s'élève 

Inconsolable  sur  la  grève  !... 
C'est  l'essaim  langoureux  des  malades  du  cœur, 

Des  jeunes  filles  fiancées 

Aux  doux  objets  de  leurs  pensées, 

Et  qui,  se  voyant  délaissées. 
Se  jetèrent  à  Teau  pour  noyer  leur  douleur 

Dieu  î  quelle  triste  caravane  ! 

Dans  l'obscurité  diaphane 
Palpitent  leurs  seins  nus,  demeurés  amoureux^ 

Et,  de  l'amour  triste  dépouille, 

Sous  l'algue  verte  qui  les  souille , 

On  ne  sait  si  l'eau  qui  les  mouille 
Provient  du  fleuve  môme  ou  coule  de  J  îurs  yeux.  — * 

Le  pilote  se  tut.  Les  âmes, 
De  leur  cierge  élevant  les  flammes, 
Cheminaient  près  du  fleuve  en  silence,  à  pas  lentâ. 
Autour  tout  se  tait,  tout  repose. 

—  Ne  semble-t-il  pas,  à  leur  pose. 
Qu'elles  recherchent  quelque  chose? 

Dit  Ourrias,  aflaissé  sur  ses  genoux  tremblants. 

—  Oui,  ces  revenants  sont  en  quêle 
D'une  bonne  œuvre  qu'ils  aient  faite, 

D'un  acte  d'espérance  ou  d'un  acte  de  foi, 
D'une  aumône,  d'une  prière. 
Simple  hommage  qu'à  leur  manière. 
Pendant  qu'ils  étaient  sur  la  terre 

Ils  aient  offert  au  Dieu  dont  ils  suivaient  la  loi; 


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212  MIRÈIO,  GANT  V« 

Se  precepiton;  e,  cuUdo, 

Entre  si  man  l'obro  poulido 
Vèii  uoo  flour;  e  quand,  pèr  un  bouquet  n'an  proun, 

A  Dieu,  alègre,  lou  fan  vèire, 

E  vers  li  porto  de  Sant  Pèire 

La  flour  eaiporto  lou  cuièire. 
Dins  Fengrau  de  la  mort  toumba  de  reviroun^ 

I  negadis  ansin  Dieu  même 

Douno  un  relais  pèr  se  roderoe. 
Mai  souto  lou  glavas  dôu  fluve  segrenous, 

Avans  que  l'aubeto  s'enaure, 

Ve-n-en  que  tournaran  s*enclaure  : 

Negaire  de  Dieu,  manjo-paure, 
Tuaire  d'orne,  traite,  escabot  vermenous. 

Gercon  uno  obro  que  li  sauve, 

E  noun  poussigon  dins  lis  auve 
Que  pecatas  e  crime,  en  formo  de  caiau 

Mounte  soun  artèu  nus  s'embrounco. 

Fin  de  miôu,  fin  de  cop  de  rounco  ! 

Mai  éli,  dins  Terso  que  rounco. 
Sens  fin  barbelaran  lou  perdoun  ceiestiau!  — 

Goume  un  bregand  à-n-un  recouide, 

Ourrias  aqui  Tarrapo  au  couide  : 
—  L'aigo  dins  lou  batèul!  —  Ta  Tagouta,  respond, 

Tranquile,  lou  pilot.  En  aio, 

Ourrias  agoto,  e  zou  !  travaio 

Goume  un  perdu!...  De  Trenco-Taio  <^ 
Li  Trèvo  '^  aquelo  niue  dansavon  sus  lou  pont. 


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MIREILLE,   CHANT  V.  ^^3 

Dès  qu'ils  en  trouvent  quelque  reste, 

L'œuvre  se  change  en  fleur  modeste  ; 
Heureux  qui  peut  former  un  bouquet  de  ces  fleurs! 

Car,  aussitôt,  chacune  d'elles 

Revêt  des  couleurs  immortelles. 

Et  le  bouquet,  prenant  des  ailes, 
S'envole  et  porte  l'âme  en  des  mondes  meilleurs. 

C'est  ainsi  qu'aux  noyés  eux-mêmes 

Dieu  donne  des  moyens  suprêmes 
Pour  adoucir  leur  sort  en  payant  leur  rançon  ; 

Tel  autre  d'entre  eux,  au  contraire, 

Assassin,  voleur,  adultère. 

Avant  que  le  jour  nous  éclaire, 
S'en  ira  sous  les  eaux  reprendre  sa  prison, 

Et  dans  quelque  sens  qu'il  se  meuve, 

Devra  heurter  au  lit  du  fleuve. 
Des  pierres  meurtrissant  ses  pieds  et  ses  genoux. 

c  Fin  d'àne,  fin  de  coups  de  trique,  » 

Dit  un  proverbe  véridique  ; 

Mais  Dieu  ne  veut  pas  qu'il  s'applique 
Aux  morts  qui  n'ont  rien  fait  pour  calmer  son  courroux.- 

Ourrias,  voyant  l'eau  qui  s'élève, 

Houleuse,  sans  merci  ni  trêve  : 
—  Nous  périssons,  dit-il...  —  Prends  l'écope,  répond 

Le  malin  pilote,  qui  raille. 

Ourrias  à  vider  l'eau  travaille, 

Et  vide  et  vide...  ATrinquetaille, 
Les  Trêves  cette  nuit  dansèrent  sur  le  pont. 


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214  MIRÈIO,  CANT  Y. 

E  z6u  !  agoto,  Ourrias,  agoto, 
Qu'agoularas!...  La  cavaloto, 

Pèr  se  descabestra,  folo!  —  Blanco,  de-qu'as? 
As  pôu  di  mort  ?  ié  dis  soun  mèstre 
Qu'a  li  peu  dre  de  l'escaufèstre.  — 
E,  sournaru,  iou  toumple  eiguèstre 

De  long  déu  breganèu  afloco,  ras  à  ras. 

—  Sabe  pas  nada,  capitànil... 
La  sauvarés  la  barco  ?  —  Nàni  ! 

Encaro  un  yira-d*iue,  la  barco  toumbo  à  foun... 
Mai,  de  la  dougo,  ounte  varaio 
La  proucessioun  que  tant  t'esfraio, 
Li  mort  nous  van  manda  'no  traio... 

E  coume  a  di,  la  barco  au  Rose  se  prefound. 

E,  dins  la  liuencho  escuresino, 

E  di  viholo  fouscarino 
Qu'i  man  di  negadis  tremolon,  un  long  rai 

D'uno  ribo  à  Tautro  lampejo. 

E  coume,  au  soûl  eu  que  pounchejo, 

Coume  uno  aragno  que  fielejo 
Se  laisse  resquiha  de-long  déu  fiéu  que  trai, 

Li  pescadou  (qu'èron  de  Trèvo!) 
Au  rai  claret  que  fai  co-lèYO 

Se  guindon,  e  lèu-lèu  s'esquihon  tout-de-long. 
D'entre  l'aigo  que  l'enmourraio, 
Ourrias  peréu  mando  à  la  traio 
Si  man  crespado!...  A  Trenco-Taio, 

Li  Trèvo,  aquelo  niue,  dansèron  sus  Iou  pont! 


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MIREILLE,  CHANT  V.  tl5 

Oui,  vide,  Ourrias,  avec  courage, 

Vide  encor!....  La  jument  sauvage 
Veut  rona)re  son  licol.,.  —  Mais,  Blanchetle,  qu'as-tu? 

Âs-tu  peur  des  morts?  dit  son  maître. 

Qui,  lui,  tremblait  de  tout  son  être.  — 

Et  sur  le  point  de  disparaître, 
Le  canot,  bord  à  bord,  par  la  vague  est  battu. 

—  Ciel  !  dit  Ourrias,  la  barque  est  pleine  ; 

La  sauverez-vous,  capitaine? 
-^  Non  ;  encore  un  clin  d'œil  et  le  flot  Tengloutit; 

Mais,  pendant  son  dernier  tangage, 

Les  morts  vont  jeter  du  rivage 

Une  corde  de  sauvetage...  — 
U  dit,  le  Rhône  s'ouvre  et  la  barque  périt. 

Et  dans  l'obscurité  lointaine, 

La  lueur  blafarde,  incertaine. 
Des  cierges  tremblotants,  projette  un  rayon  clair 

Qui  va  de  l'une  à  l'autre  rive. 

Et  comme,  dès  que  l'aube  arrive. 

Une  araignée  agile  et  vive. 
Glisse  le  long  du  fil  qu'elle  file  dans  l'air; 

Tels,  les  pécheurs  qui  sont  des  Trêves, 

Au  rayon  qui  joint  les  deux  grèves. 
S'élancent  vivement  et  glissent  tout  le  long. 

A  ce  câble,  dont  Teau  s'émaille, 

Vainement,  de  toute  sa  taille, 

Ourrias  s'élance...  A  Trinquetaille,.     ,  » 

Les  Trêves,  cette  nuit,  dansèrent  sur  le  pont. 


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NOTES  DU  CHANT  CINQUIÈME 


Olympe,  haute  montagne,  sur  les  limites  du  Var  et  des 
BouchesHlu-Rhdne. 

2.  Queiras,  vallée  des  Hautes-Alpes. 

3.  Verhtto  di  frisoun  (i'herbette  aux  boucles),  {valisnena 
spiraliSy  Lin .};  plante  qu*on  trouve  dans  le  Rhône  et  dans  les 
mares  qui  Tavoisinent,  aux  environs  de  Tarascon  et  d*Arles. 

4..  Lingueto!  mot  intraduisible,  qu*on  répète  en  riant  à 
quelqu'un,  et  en  lui  montrant  quelque  chose  de  loin  ou  de 
haut,  pour  exciter  sa  convoitise. 

Quasi  bramoti  fantolini  e  vani 
Che  pregano,  e  H  pregato  non  risponde. 
Ma  ver  fare  ester  hen  lor  voglia  acuta, 
Tien  alto  lor  disio  e  nol  nasconde, 

(Dante,  Pttrgatorio,  c.  xxnr.) 

5.  Blad  de  luno  (blé  de  lune).  Au  propre,  faire  de  blad  de 
lunOf  signifie  dérober  du  blé  à  ses  parents  à  la  clarté  de  la 
lune.  Blad  de  luno,  au  figuré,  désigne  les  larcins  amoureux 

6.  Ourse  (ansérine  ligneuse),  {chenopodium  fruticomm 
Lin.),  plante  commune  au  bord  de  la  mer. 

7.  Jan  de  V Ourse  (Jean  de  TOurs),  héros  des  contes  de 
veillées,  espèce  d*HercuIe  provençal  auquel  on  attribue  une 
foule  d'exploits.  11  était  fils  d'une  bergère  et  d'un  ours  qui 
Tavait  enlevée,  et  avait  pour  compagnon  de  gloire  deux  aven- 


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NOTES  DU  CHANT  V.  217 

turiera  d'une  force  fabuleuse.  L*un  se  nommait  Arrache^Mon- 
tagne,  et  l'autre  Pierre-de-Moulin. 

8.  Lou  pont  espetaclous  qu'encambo  lou  Gardoun  (le  pont 
prodigieux  qui  enjambe  le  Gardon),  le  pont  du  Gard. 

9.  Boudroi  (Baudroie)  ou  diable«de-mer,  poisson  hideux. 

10.  EsclapairCt  crabier  vert  (ardea  viridiSy  Lin.)  ;  oiseau  de 
l'ordre  des  échassiers,  ainsi  nommé  (esclapaire  signifie  feU' 
deur  de  bois)^  à  cause  de  son  cri  :  Hat  Ha! 

11.  Santo-Baumo  (Sainte-Baume);  grotte  célèbre,  au  milieu 
d'une  forôt  vierge,  près  de  Saint-Maximin(Var),  dans  laquelle 
se  retira  sainte  Magdeleine  pour  faire  pénitence.  (Voyez  le 
chant  XI.) 

12.  Fena,  mauvais  sujet,  sacripant,  scélérat.  Horace  a 
dit  dans  le  même  sens  en  parlairt  d'un  méchant  homme  : 
Fenum  habet  in  cornu.  C'était  proverbial  chez  les  Romains; 
et  ce  dicton  venait  de  Tusage  où  l'on  était  autrefois  de  mettre 
du  foin  aux  cornes  des  taureaux  dangereux,  pour  avertir  de 
8*en  garder. 

13.  Pèd  sus  banc  (pieds  sur  banc).  Mettre  pieds  sur  banc 
(mètre  pèd  sus  banc)^  en  terme  de  marine,  c'est  mettre  le 
pied  sur  le  petit  banc  qui  est  devant  le  siège  des  rameurs, 
pour  faire  plus  de  force,  et  au  figuré,  travailler  avec  ardeur, 
(flonnorat,  Dict,  provençal.  ) 

14.  Trenco-Taio  (Trinquctaille),  faubourg  d'Arles,  situé 
dans  la  Camargue,  et  réuni  autrefois  à  la  cité  par  un  pont  de 
tateaux. 

15.  Trèvo  (Trêves),  lutins  qui  dansent  à  la  pointe  des 
9ndes,  quand  le  soleil  ou  la  lune  fait  miroiter  les  eaux. 


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CANT  SIÈISEN 

LA    MASCO 


A  l*aubo,  très  pourcatié  trovon  Vincën  dins  soan  sang,  ettenda  dins 
lis  erme  de  Grau.  —  L'aduson  à  la  brasseto  au  Mas  di  Falabrego. 

—  Digressioun  :  lou  Felibre  se  recoumando  à  sis  ami,  H  felibre 
de  Prouvènço.  —  Douleur  de  Mirèio.  —  Porton  Vincèn  au  Trau  di 
Fado,  cafourno  dis  Esperit  de  niue  e  demouranço  de  la  masco 
Taven,  escounjurarello  de  tout  mau.  —  Li  Fado.  —  Mirèio  acoum- 
pagne  soun  calignaire  dins  li  borno  de  la  mountagno.  —  La  Man- 
dragouro.  —  Lis  aparicioun  de  la  baumo  :  li  Fouletoun,  TEsperit 
Fantasti,  la  Bugadiero  dôu  Ventour.  —  Raconte  de  la  masco  :  la 
Messo  di  mort,  lou  Sabatdri,  la  Garamaudo,  lou  Gripet,  la  Bam- 
baroucho,  la  Ghaucho-Vièio,  lis  Escarinche,  li  Dra,  lou  Ghin  de 
Gambau,  lou  Baroun  Gastihoun.  —  L'Agnèu  nègre,  la  Gabro  d'or. 

—  Taven  escounjuro  la  plago  de  Vincèn.  —  Enauramen  e  pron- 
fetiso  de  la  masco. 


A  Taubo  claro  se  marido 

Lou  clar  canta  di  bouscarido. 
La  terro  enamourado  espèro  lou  soulèu, 

Vestido  de  frescour  e  d'aubo, 

Coume  la  chalo  que  se  raubo, 

Dins  la  plus  bello  de  si  raubo 
Espèro  lou  jouvènt  que  i'a  di  :  Parten  lèu. 

En  Grau  très  orne  caminavon, 

Très  pourcatié,  que  s'entournavon 
De  Sant-Chamas  lou  riche,  ounte  ère  lou  marcaU 

Venien  de  vendre  sa  toucado*. 

E,  tout  en  fasènt  la  charrado, 

Sus  Tespalo,  à  Tacoustuinado, 
Pourtavon  sis  argent  dins  si  roupo  ainaga. 


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CHANT  SIXIÈME 

LA   SORCIÈRE 

A  Taube  du  jour,  trois  porchers  trouvent  Vincent  étendu  dans  le 
désert  de  la  Crau  et  baigné  dans  son  sang.  —  Ils  l'apportent  dans 
leurs  bras  au  Mas  des  Micocoules.  —  Digression  :  appel  du  poète 
à  ses  amis,  les  poètes  de  Provence.  —  Douleur  de  Mireille.  — On 
porte  Vincent  à  l'antre  des  Fées,  repaire  des  Esprits  de  la  nuit  et 
habitation  de  la  sorcière  Tavèn,  charmeuse  de  tous  maux.  —  Les 
Fées.  —  Mireille  accompagne  son  amant  dans  les  excavations  de  la 
montagne.  —  La  Mandragore.  —  Les  apparitions  de  la  Caverne  : 
les  Follets  :  l'Esprit  fantastique,  la  Lavandière  du  Ventour.  — 
Récits  de  la  Sorcière  :  la  Messe  des  Morts,  le  Sabbat,  la  Gara- 
maude,  le  Gripet,  la  Bambarouche,  le  Cauchemar,  les  Escarinchest 
les  Dracs,  le  Chien  de  Canibal,  le  baron  Castillon.  —  L'Agneau 
noir,  la  Chèvre  d'or.  —  Tavèn  charme  la  blessure  de  Vincent.  — 
Exaltation  et  prophéties  de  la  sorcière. 

L'oiseau  chante,  sa  mélodie 

A  l'aube  claire  se  marie. 
Sous  sa  robe  d'aurore,  attendant  le  soleil, 

La  terre  tressaille...  Ainsi  celle 

Qui  fuit  la  teute  paternelle, 

Sous  sa  parure  la  plus  belle. 
Attend  le  jouvenceau  qui  donna  ce  conseil. 

Dans  la  Crau  cheminaient  trois  hommes, 

Trois  porchers,  emportant  les  sommes 
Faites  à  Saint-Chamas,  du  prix  de  leurs  troupeaux. 

Et  jasant  de  leur  renommée, 

Du  temps,  du  pays,  de  l'armée. 

Sur  l'épaule,  à  l'accoutumée, 
Us  portaient  leur  argent  serré  dans  leurs  manteaux.    . 


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220  MIREIO,  CANT  V!. 

Quand  tout-d*un-cop  :  —  Chut!  cambaraîo, 
Fai  un  di  très.  Fa  'no  passado 
Que  me  sèmblo  d'ausî  souspira  dins  li  brusc. 

—  Hôu  !  fan  lis  autre,  es  la  campano  > 
De  Sant-Martin  o  de  Maussano  S 

0  belèu  bèn  la  Tremountano 
Que  gansouio  en  passant  li  tousco  d'agarrus.  -^ 

Goume  acabavon,  di  genèsto 
Sort  un  plagnoun  que  lis  arrèsto, 
Un  plagnoun  tant  doulènt  que  trancavo  lou  cor. 

—  Jèsu!  Maia!  tôuti  faguèron, 

Fa  mai  que  mai  !  —  E  se  signèron, 
Ë  d'aise,  d'aise,  caminèron 
De  mounte  li  plagnoun  venien  toujour  plus  fort. 

Oh!  que  'spetaclel  Dins  Ferbage, 

Sus  li  caiau,  'mé  lou  visage 
Revessa  pèr  lou  sôu,  Vincèn  èro  estendu  : 

La  terro  à  Fentour  chaupinado, 

Lis  amarino  escampihado,- 

E  sa  camiso  espeiandrado, 
E  Ferbo  ensaunousido,  e  soun  pitre  fendu? 

Abandonna  dins  la  campagne, 

Emé  lis  astre  pèr  coumpagno, 
Aqui  lou  paure  drôle  avié  passa  la  niue, 

E  Faubo  umido  e  clarinello, 

En  ié  picant  sus  li  parpello, 

Dedins  si  veno  mourtinello 
Kdviscoulè  la  vido,  e  ié  durbè  lis  iue. 


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MIREILLE,  CHANT  VI.  221 

Quand  tout  à  coup  :  —  Faites  silence, 
Dit  Tun;  à  petite  distance. 
J'ai  cru,  dans  les  buissons,  entendre  des  sanglots. 

—  Bah  !  dit  Tautre,  c'est  la  liane 
Qui  gémit  sous  la  Tramontane, 
Ou  bien  la  cloche  de  Maussane 

Qui  sonne  l'Angelus,  diane  des  dévots. 

Ces  propos  s'achevaient  à  peine. 
Quand,  de  la  clairière  prochaine, 
S'échappent  des  soupirs  qui  leur  navrent  le  cœur. 

—  Bonté  de  Dieu  !  tous  trois  crièrent  : 
C'est  bien  étrange  !  —  Ils  se  signèrent 
Et  doucement  s'acheminèrent 

Vers  le  lieu  d'où  partaient  ces  accent?  de  douleur. 

Dieu!  quel  spectacle!  Sur  la  mousse. 

Dans  les  cailloux  où  l'herbe  pousse, 
Renversé  sur  le  dos,  Vincent  était  gisant  ! 

La  terre  à  vmgt  pas  dévastée, 

Sa  boite  d'osier  tourmentée. 

Sa  chemise  déchiquetée. 
Sa  poitrine  percée,  et  le  sol  teint  de  sang  ! 

Abandonné  dans  la  campagne, 

Avec  la  lune  pour  compagne, 
Là  le  pauvre  vannier  avait  passé  la  nuit  ; 

Nuit  d'angoisses  !  nuit  douloureuse  ! 

Mais  l'aube  humide  et  lumineuse, 

En  touchant  sa  lèvre  poudreuse. 
Semblait  avoir  remis  un  peu  de  vie  en  lui. 


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Î22  MIRÈIO,  GANT  VI. 

•  E  li  très  orne,  tout  en  aio, 

Quitèron  tout-d'un-tèms  la  draio  ; 
K,  courba  tôuti  très,  ié  faguèron  un  brès 

De  si  roupo,  qu*espandiguèron; 

Pièi  entre  tôuli  lou  prenguèron 

A  la  brassetOy  e  Faduguèron 
Au  Mas  di  Falabrego,  ounte  èro  lou  plus  près... 

0  dous  ami  de  ma  jouvènço, 

Valent  Felibre  de  Prouvènço, 
Qu'escoutas,  atentiéu,  mi  cansoun  d'autre-tèms  : 

Tu  que  sabes,  o  Roumariho, 

Entrena  dins  tis  armounlo 

E  li  plour  de  la  pacaniho, 
E  lou  rire  di  chato,  e  li  flour  dôu  printèms  ; 

Tu  que  di  bos  e  di  ribiero 
Gerques  lou  sourne  e  la  fresquiero, 

Pèr  toun  cor  coumbouri  de  pantai  amourous. 
Fier  Aubanèu!  e  de  ti  soubro. 
Tu,  Crousihal,  qu-à  la  Touloubro 
Fas  mai  de  noum,  que  n'en  recoubro 

De  soun  Nostradamus,  Tastroulô  souloumbrous  ^  ! 

E  tu  tambèn,  Matiéu  Ansèume, 

Que,  di  triho  souto  lou  tèume, 
Regardes,  pensatiéu,  li  chato  que  fan  gau  t 

Ë  tu,  Pauloun,  fia  galejaire; 

E  tu,  lou  paure  trenquejaire, 

Tavan,  umble  cansounejaire 
Emé  li  grihet  brun  qu*espinchon  toun  magau! 


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MIREILLE,  CHANT  VI. 

£t  d'un  mouvement  unanime 

Les  trois  porchers  vers  la  victime 
Marchèrent,  et  soudain  lui  firent  un  berceau 

De  leurs  manteaux  qu'ils  déployèrent  ; 

Puis,  dans  leurs  bras  ils  le  serrèrent. 

Et  lentement  ils  le  portèrent 
Vers  les  Micocouliers  aimés  du  jouvenceau... 

0  doux  amis  de  mon  enfance, 

Vaillants  Félibres  de  Provence, 
Qui  suivez,  attentifs,  mes  chansons  d'autres  temps  : 

Toi  qui,  dans  tes  chants,  Roumanille  ! 

Unis,  sous  un  air  de  famille, 

Les  rires  de  la  jeune  fille 
Et  les  larmes  du  peuple  et  les  fleurs  du  printemps! 

Aubanel!  toi  qui  des  bois  sombres 

Cherches  la  fraîcheur  et  les  ombres 
Pour  ton  cœur  inondé  de  ses  rêve? émus! 

Toi,  Crousillat,  qui  fais  la  gloire    • 

De  Salon,  et  dont  la  mémoire 

Illustrera  plus  son  histoire 
Que  les  quatrains  obscurs  de  son  Nostradamusl 

Toi  qui,  sous  le  berceau  des  treiUes^ 

Rêveur  candide,  t'émerveilles 
Des  filles  du  pays,  doux  Anselme  Mathieu! 

Toi,  cher  Paul,  au  malin  sourire! 

Toi  que  Taspect  des  champs  inspire» 

Modeste  Tavan  !  dont  la  lyre 
Chante  Tabeille  blonde  et  le  papillon  bleui 


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ni  MlRElO,  GANT  VI. 

Tu  mai,  que  dins  li  durençado 

Trempes  encaro  ti  pensado, 
Tu  qu'à  liôsti  soulèu  caufes  lou  franchimand, 

Moun  Adôufe  Doumas  :  grandido, 

Quand  piéi  Mirèio  s'es  gandido 

Liuen  de  soun  mas,  novo  e  candido, 
Tu  que  Tas,  dins  Paris,  menado  pèr  la  man  ! 

Tu  'nfin,  de  quau  un  vent  de  flamo 

Ventoulo,  emporte  e  fouito  Tamo, 
Garcin,  o  fiéu  ardent  d6u  manescau  d'Alen!... 

Vers  la  frucho  belle  e  maduro, 

0  vàutri  lôuti,  à  mesure 

Que  iéu  escale  moun  auturo, 
Alenas  moun  camin  de  voste  sant  alen!... 

—  Mèste  Ramoun,  bonjour  I  diguèroii 

Li  pourcatié,  quand  arribèron  : 
Aven  trouva,  pecaire  !  aquéu  paure  jouvént 

Aperavau  dins  la  champino  ; 

Poudés  cerca  de  pato  fine. 

Car  a*n  bèu  trau  à  la  peitrino!  — 
Sus  la  taulo  de  pèiro  alor  pausou  Yincén. 

Au  brut  de  la  malemparado, 

Mirèio  cour,  despouderado, 
.)ue  venié  dôu  jardin,  e  sus  Tanco  tenîé 

Soun  pi  en  panié  de  liéume;  courron 

Tôuti  lis  orne  que  labouron... 

Mirèio,  en  Ter  si  bras  s*aubouron; 
—  Maire  de  Dieu  I  pièi  quilo,  e  toumbo  soun  panié. 


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MIREILLE,  CHANT  TI.  ii5 

Toi  qui  viens  baigner  tes  pensées 

Aux  eaux  qui  les  avaient  bercées  ; 
Toi  dont  notre  soleil  récbaujQfe  les  écrits  ! 

Adolphe  Dumas,  qui,  l'année 

Où  ma  Mireille,  à  peine  née. 

Loin  de  son  mas  fut  entraînée, 
La  tenais  par  la  main  en  lui  montrant  Paris  I 

Enfin  toi,  dont  un  vent  de  flamme 

Emporte,  agite  et  fouette  Tâme, 
Garcin,  ô  fils  ardent  du  maréchal  d'Allein!.... 

A  mesure  que  j'escalade 

Le  mont  où  mûril  ma  grenade, 

0  vous  tous,  brillante  pléiade. 
De  votre  sainte  haleine  aérez  mon  chemin!... 

—  Hé!  bonjour!  maître!  s'écrièrent 

Les  porchers  dès  qu'ils  arrivèrent; 
Nous  venons  de  trouver  ce  jeune  homme  en  passant    < 

Là-bas,  sur  la  lande  saline  ; 

Voyez  sa  plaie  à  la  poitrine  ; 

Vite  un  morceau  de  toile  fine  ;  -^ 
Et  sur  la  grande  table  ils  déposent  Vincent 

Au  bruit  qui  de  partout  éclate, 

Mireille  accourt  en  toute  hâte , 
Son  panier  sous  le  bras,  rapportant  du  jardin 

Divers  légumes  ;  tout  émue 

La  ferme  entière  est  accourue  ; 

Mireille  d'une  voix  aiguë 
8*cxclame  et  son  panier  s'échappe  de  sa  main. 

IB 


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S26  MIRÊIO,  GANT  VI. 

—  Vincènî  mai  que  l'an  fa,  pecaire! 
Qu*as  tant  de  sang  ?  —  De  soun  fringaire 

Ausso  alor  douçamen  la  tèsto,  e*n  bon  moumen 
Lou  regardo,  mudo,  atupido, 
Pér  la  doulour  coume  arrampido. 
De  lagremo  grosso  e  rapido 

S*inoundavo  enterin  Tauturoun  de  soun  sen. 

De  Tamouroaso  pichouneto 
Vincèn  couneiguè  la  maneto  : 
Ë  d'une  voues  mourènto  :  —  Oh  !  dis,  agués  pieta! 
Ai  de  besoun  que  m'acomnpagne 
Lou  bon  Dieu,  car  siéu  bèn  de  plagne  ! 

—  Laisse  que  ta  bouco  se  bagne, 
Faguè  Mèste  Ramoun,  d'un  pau  d'agrioutat  K 

—  0,  béu-  lou  léu,  qu'acô  remountô, 
Reprenguè  la  jouvènto.  E,  proumto, 

Arrapè  lou  flasquet  ;  e  degout  à  degout. 
En  ié  parlant  lou  fasié  béure, 
E  ié  levavo  lou  mau-viéure. 

—  De  I au  malur  Dieu  vous  deliéurOy 
Vincèn  coumencè  mai,  e  vous  pague  de  tout! 

En  refendent  uno  amarino, 

L'esquichave  sus  ma  peitrino, 
Quand  lou  fèrri  m'esquifo  e  me  pico  au  mamèu.  -^ 

Vouguè  pas  dire  que  pèr  elo 

S'èro  batu  coume  uno  grelo... 

Mai  sa  paraulo,  d'esperelo, 
Uevenié  vers  Tamour,  coume  la  mousco  au  mèu. 


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MIREILLE,  CHANT  VI.  fil 

Mon  beau  Vincent!  pauvre  victime! 

Mais  qui  donc  a  commis  ce  crime? 
Dil-eile,  et  de  son  bras  lui  faisant  un  coussin. 

Et  relevant  un  peu  sa  têt**, 

Elle  le  regarde,  muette, 

Et  de  sa  paupière  en  cachette 
S'échappent  de  gros  pleurs  qui  vont  mouiller  son  sein. 

Vincent,  que  tout  ce  bruit  réveille, 

Reconnaît  la  main  de  Mireille. 
«>  Oh  !  merci  d'avoir  pris  pitié  de  mon  état  i 

Dit-il  ;  quelle  crise  est  la  mienne  ! 

J'ai  besoin,  pour  que  j'en  revienne, 

Que  Dieu  lui-même  me  soutienne. 
—  Donnez-lui,  dit  Ramon,  un  peu  d'agriotàt. 

—  Oh  !  oui,  bois-en,  cela  ravive, 
Reprit  Mireille,  et  prompte  et  vive 

AppDrtant  la  liqueur,  pour  le  fatiguer  moins, 
La  lui  fait  boire  goutte  à  goutte. 

—  Que  Dieu,  dit-il,  qui  nous  écoule. 
Ne  sème  pas  sur  votre  route 

De  pareils  accidenta  et  vous  rende  vos  soins  ! 

En  refendant  une  baguette 

D'un  osier  trop  dur,  ma  serpette 
M'a  fait  au  sein  ce  mal  qui  n'a  rien  de  mortel.  — 

L'amant  discret,  sous  une  fable. 

Déguisait  le  fait  véritable. 

Mais  bientôt  sa  parole  affable 
Revenant  à  l'amour  comme  la  moucha  \n  miel  : 


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228  MlftÈIO,  CANT  Vî. 

—  La  doulour,  dis,  de  vosto  caro 

Mai  que  ma  plago  m'es  amaro  ! 
Ço  qa*av[an  coumença,  lou  canestèu  poulit, 

J*au  do  une,  parèis,  que  noun  s'acabe, 

£  que  la  treno  se  derrabe!... 

Pèr  quant  à  iéu,  Miréio,  sabe 
Qu'auriéu  de  voste  amour  vougu  lou  vèire  empli. 

Mai  tenès-vous  aqui!...  que  vegue 

Yôstis  iue  dous,  e  que  ié  bègue 
La  yido  enca'a  brisoun  !  vous  demande  pas  mai... 

Vous  demande...  se  poudias  faire 

Quaucarèn  pèr  lou  panieraire  : 

Ai  alin  moun  paure  yièi  paire 
Qu'es  escranca  de  l'âge,  e  mort  pèr  lou  travai.  — 

Mirèio  se  descounsoulavo... 

Dôu  tèms,  elo  pamens  lou  lavo^ 
Ë  l'un  de  l'escarpido  esfalo  lou  velout, 

D*autre  lèu  landon  vers  l'Aupiho 

Gerça  li  bonis  erbouriho. 

Mai  sus-lou-cop  Jano- Mario  ; 
—  Au  Trau  di  Fado  *y  auTrau  di  Fado  pourtas-lou  t 

Tant  mai  la  plago  es  dangeirouso, 

Tant  mai  la  masco  èi  pouderouso  !  — 
Zôu  donne  !  au  Trau  di  Fado,  à  la  coumbo  dlnfèr. 

Quatre  lou  porton...  Dins  li  peno 

Que  di  Baus  formon  la  cadeno, 

En  un  rode  que  l'alabreno 
Trèvo,  e  qu'en  virouiant  marcon  li  capoun-fèf. 


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MIREILLE,  CHANT  VI.  2» 

—  Auprès  du  mal  que  je  vous  cause, 
Le  mien,  dit-il,  est  peu  de  chose  ! 

Vous  souvient-il  qu'ensemble,  en  nous  jouant,  un  jour. 

Nous  ébauchions  une  corbeille  ? 

Il  faudra  que  Toeuvre  sommeille... 
.  Et  cependant,  Dieu  sait,  Mireille, 
Combien  j'aurais  voulu  l'emplir  de  votre  amour  I 

Restez  là  ;  que  mon  œil  reçoive 

Vos  doux  regards,  et  que  je  boive 
La  vie  encore  un  peu;  je  ne  veux  rien  de  plus... 

Je  me  trompe...  tâchez  de  faire 

Quelque  chose  pour  mon  vieux  père. 

Qui  vit  dans  son  mas  solitaire, 
Perdu  pour  le  travail  et  par  l'âge  perclus.  — 

En  l'écoutant,  la  pauvre  amante 
Lavait  la  plaie  encore  saignante  ; 
Les  uns  de  la  charpie  apprêtaient  le  velours  ; 
D'autres  couraient  dans  les  vallées 
Chercher  les  herbes  signalées. 

—  Portez-le  donc  au  Trou  des  Fées, 
Leur  dit  Jeanne-Marie,  et  vous  sauvez  ses  jours  ; 

Plus  grave  sera  la  blessure. 

Plus  la  guérison  sera  sûre. 
—  C'est  juste,  répond-on,  et  vers  le  Val  d'Eafer 

Quatre  le  portent.  —  Sous  la  roche. 

Où  la  salamandre  s'accroche. 

Et  qui  des  Baux  défend  l'approche, 
Sur  un  point  indiqué  par  les  sacres  dans  l'air. 


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230  MIRÈIO,  GANT  VI, 

Di  roumauin  entre  li  mato, 

A  flour  de  roco,  un  trau  s'acato. 

Alin  dedins,  despièi  que  lou  sant  Angélus^ 
En  i'ounour  de  la  Vierge,  pico    ~ 
Lou  brounze  clar  di  baselico, 
Alin  dedins  li  Fado  antico, 

Pèr  toustèms,  dôu  soulèu  an  fugi  lou  trelus. 

Ësperitoun  plen  de  mistèri, 

Entre  la  formo  e  la  malèri 
Erravon,  au  mitan  d'un  linde  calabrun. 

Dieu  lis  a  vie  fa  mié -terrestre 

£  femenin,  coume  pèr  èstre 

L'aroo  vesiblo  di  campèstre, 
E  pèr  di  proumiés  orne  amansi  lou  ferun. 

Mai  li  Fadeto,  —  bèu  coume  èron,  — 
Di  iiéu  dis  orne  s'aflamèron  ; 

E,  li  foulasso!  au-liô  d'enaura  li  mourtau 
Vers  11  celèstis  esplanado, 
Di  passioun  nostro  apassiounado, 
A  nosto  fousco  destinado, 

Coume  d'aucèu  pipa,  toumbèron  d'amoundauL 

Dins  la  gorgo  estrechano  e  rudo 

De  la  caforno  sournarudo, 
Li  pourtaire  pamens  avien  leissa  Vincèn 

Se  dayala  de  resquiheto. 

Em'  eu,  dins  Tescuro  draieto 

S*avcnturè  que  Mireieto, 
Hecoumandanl  son  amo  à  Dieu,  camin  fasènt. 


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MIREILLE,  CHANT  VI.  f3l 

Au  milieu  des  vertes  broussailles, 

La  terre  entr'ouvre  ses  entrailles. 
Dans  cet  antre  désert  aux  sombres  profondeurs, 

Depuis  que  des  saintes  rosées 

Nos  terres  furent  arrosées, 

L'antique  légion  des  Fées 
Du  soleil  pour  jamais  évite  les  splendeurs. 

Êtres  charmants  !  pleins  de  mystère, 

Entre  la  forme  et  la  matière. 
Au-dessous  des  Esprits,  au-dessus  des  humains. 

Dieu  les  créa  femmes  et  belles, 

Aûn  que  les  races  mortelles 

Pussent,  en  s'appuyant  sur  elles. 
Éviter  les  écueils  semés  sur  leurs  chemins. 

Mais,  hélas  I  aux  ardeurs  grossières 

Elles  cédèrent  les  premières; 
Et  bien  loin  d*élever  les  hommes  vers  le  ciel. 

On  les  vit,  reines  détrônées 

Et  de  la  grâce  abandonnées, 

Vers  nos  communes  destinées 
Redescendre  en  perdant  le  sceptre  origineL 

Dans  la  gorge  étroite  et  pierreuse 

De  la  caverne  merveilleuse. 
Les  porteurs  essoufQés  avaient  laissé  Vincent, 

Qui  se  coulant  et  par  glissade, 

Une  main  sur  son  sein  malade. 

Battait  cette  pénible  estrade  ; 
Uireille  le  suivait  d  un  pas  timide  et  lent. 


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232  MIRÊIO,  GANT  VI 

Au  founs  d6u  pous  que  li  carrejo, 
Dins  uno  grando  baumo  frejo 

Se  devinèron  ;  e,  souleto  au  bèu  mitan^ 
E  dius  li  souoge  ennivoulido, 
Taven  la  masco,  agroumoulido, 
Tenié  'no  blesto  de  calido... 

E  tristo  que-noun-sai  tout  en  la  regardant  : 

—  Paure  peu  d'erbo  serviciable! 

Li  gènt  te  noumon  blad-dôu-diable, 
Rcmiéutejavo,  e  sies  un  di  signe  de  Dieu  ! 

Alor  Mirèio  la  saludo  ; 

Ë  couine  entameno,  esmougudo, 

L'estiganço  de  sa  vengudo, 
La  masco,  sens  leva  la  tèsto  :  —  Lou  sabiéu!  • 

£  pièi  sa  voues  atremoulido 

S'adreissè  mai  à  la  calido  : 
—  Pauro  flour  de  la  tepo  !  es  ti  fueio  e  ti  gre 

Que  li  troupèu  tout  Tan  rousigon, 

E,  pecaire  !  au  mai  te  caucigon, 

Au  mai  tis  espigau  espigon, 
Ë  vestisses  de  verd  tant  Tuba  que  Fadré.— 

Taven  aqui  faguè  'no  pauso. 

Dins  un  crevèu  de  cacalauso 
Un  lumenoun  cremavo,  e  fasié  rougeja 

La  paret  mouisso  de  la  roco; 

Sus  la  fourquello  d*uno  broco 

Tavié  'no  graio,  e  toco-à-toco 
Uno  galino  blanco,  em'  un  crevéu  penja. 


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MIREILLE,  CHANT  VI.  233 

Au  fond  du  puits  qui  les  amène 

Vers  le  fantastique  domaine» 
Ils  arrivent  enfin  et  rendent  grâce  à  Dieu. 

Taven  de  brumes  entourée. 

Tenant  d'une  main  assurée, 

Un  brin  de  brome,  herbe  sacrée, 
De  la  première  grotte  occupait  le  milieu. 

<^  Pauvre  brin  d'herbe  secourable, 

Les  gens  te  nomment  Blé  du  Diable, 
Disait-elle,  ignorant  tout  le  bien  que  tu  fais!... 

Alors  Mireille  la  salue; 

Et  lorsqu'elle  veut,  tout  émue, 

Dire  l'objet  de  sa  venue, 
Taven  l'interrompant  lui  dit  :  —  Je  le  savs^is*  — 

Ensuite  sa  voix  chevrotante, 

S'adressant  encore  à  la  plante  : 
—  Pauvre  fleur  du  gazon,  c'est  toi  que  les  traupeaux 

S'en  vont  broutant  toute  l'année, 

Mais  plus  leur  dent  s'est  acharnée, 

Plus  la  montagne  est  gazonnée, 
Et  plus  le  sol  verdit  sous  tes  bourgeons  nouveaux.  — 

Ici,  Taven  fit  une  pause. 

Une  petite  flamme  rose. 
Du  creux  d'un  escargot  dont  elle  débordait. 

En  lueur  douteuse  s'épanche  ; 

Sur  la  fourchette  d'une  branche, 

A  côté  d'une  poule  blanche, 
Perchait  une  corneille  ;  un  crible  au  mur  pendait 


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234  MIRÈIO,  GANT  VI. 

—  Qnau  que  fugues,  digue  la  maseo 
Subitamen  e  coume  nasco, 

Eh!  que  m'enchau?  la  Fe  camino  de-plegoun, 

La  Garita  porto  li  plego, 

£  noun  s'esiîarton  de  la  rego... 

Banastounié  de  Valabrego, 
Te  sentes  fe?  —  Me  sente'!  —  Enrego  moun  regoun! 

Adraiado  coume  uno  loubo 

Qu'emé  sa  co  li  flanc  se  zoubo, 
Pèr  un  trau  desparèis  la  masco.  Estabousi^ 

Lou  Valabregan  e  Mirèio 

Après  ié  van.  Davans  la  vièio, 

S'entendié  dins  Torro  tubèio 
Youlastreja  la  graio,  e  la  clusso  clussi. 

—  Davalas  lèu,  qu'es  déjà  Touro 
De  se  cencha  de  mandragouro!  — 

E  lèu,  de-rebaloun,  de-tirassoun,  parèu 
Que  Tun  de  l'autre  noun  se  brando. 
Van  à  la  Toues  que  li  coumando. 
En  uno  baumo  enca  plus  grando 

Venié  se  relarga  l'infernau  gourgarèu. 

—  Vaqui!  Taven  ié  faguè  signe... 
0  plante  santo  de  moun  segne 

Nostradamus!  brout  d'or,  bastoun  de  Sant  Jôusè, 

E  vergo  masco  de  Mouïse  ! 

Crido  ;  e  de  l'erbo  que  vous  dise, 

Cregnènlo,  couronné  li  vise 
Emé  soun  capelet  qu'à  geinoun  ié  pause. 


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MIREILLE,  CHANT  VI.  ^  235 

—  Qui  que  vous  soyez,  homme  ou  femme, 
Dit  la  sorcière  qui  s'enflamme, 

Peu  m'importe  !  pourvu  que  vous  ayez  la  foi  ; 

La  foi  qui,  ferme  et  quoi  qu'on  dise, 

Marche  droit  au  but  qu'elle  vise  ; 

Vannier,  réponds  avec  franchise, 
As-tu  la  foi?  —  Je  l'ai.  —  C'est  bien,  alors,  suis-moi  ! 

Gomme  une  louve  qui  s'excite 

Au  moment  de  quitter  son  gite, 
Taven  dinirautre  obscur  commence  à  s'enfpncer; 

Vincent  et  Mireille  derrière 

La  suivent  ;  devant  la  sorcière 

On  entendait  joyeuse  et  ûère 
Voleter  la  corneille  et  la  poule  glousser. 

—  Hâtez-vous,  car  il  faut  encore 
Geindre  nos  reins  de  mandragore  !  — 

Et  rampant,  se  traînant,  d'un  mouvement  égal, 

Ges  esclaves  de  la  légende 

Vont  à  la  voix  qui  les  commande. 

Vers  une  grotte  encor  plus  grande 
Allait  s'élargissant  le  couloir  infernal. 

—  Voilà  I...  leur  dit  Taven  d'un  signe. 
Puis  elle  ajoute  :  0  baume  insigne  ! 

Fleur  d'or!  Nostradamus!  Bâton  de  saint  Joseph! 

Verge  magique  de  Moïse  ! . . . 

Alors,  à  l'herbe  qu'elle  avise, 

Graintive,  elle  enroule  à  sa  guise 
Son  chapelet,  s'incline  et  disant  de  rechef, 


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236  MIRÈIO,  GANT  YL 

Pîèi  s'aubourant  :  Es  l'ouro,  es  Toiiro 
De  se  cencha  de  mandragouro  !  — 
De  la  plante  ereissudo  à  rasclo  dôu  roucas 
Guei  très  jitello  :  n'en  cûurouno 
Elûy  lou  drôle,  la  chatouno... 

—  Avans  toujour  !  —  E  s'enfourgouno 
Ardente  mai  que  mai,  dins  li  sourne  traucas. 

Emt  de  lume  sus  Tesquino 
Pèr  enclarj  Tescuresino, 
Un  vôu  d'escarava  ié  camino  davan. 

—  Jouvènt  !  à  tout  camin  de  glôri 
Tasoun  travès  de  purgatôri... 
An  !  courage  !  dôu  Sabatôri 

Anan  aro,  ai!  ail  ai!  franqui  lis  espravant.  -*- 

N*avié  panca  barra  la  bouco, 

Uno  auro  forte  li  remouco 
E  ié  copo  Talen,  subit  :  —  Amourren-nous! 

Di  Fouletoun  veici  lou  trounfle  ! 

Goume  un  croupas,  de  grelo  gounfle, 

Soute  li  croto  passo  à  rounfle 
L'eissame  vagabound,  quilant,  revoulunous. 

Passon;  e,  de  tressusour  trempe, 
Li  très  mourtau  sènton  si  tempe 
Ventoula,  bacela  de  l'alo  di  Trevan, 

Goume  un  glas  pelado  e  jalèbro. 

—  Anas  pu  liuen  pica  ténèbre, 
Taven  cridè,  bando  menèbro  ! 

Isso,  mata-bladl  isso!  o  garas-vous  davani 


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HtlbEiLÈE,  GUANt  VÏ.  234 

Qu'avant  d'entrer,  il  faut  encore 

Geindre  ses  reins  de  mandragore. 
Elle  en  cueille  trois  brins  aux  fentes  du  rocher, 

D'un  des  trois  elle  s'environne, 

Pose  les  autres  en  couronne 

Au  front  du  couple,  et  s'abandonne 
Aux  sombres  cavités  dont  on  n'ose  approcher. 

Le  dos  chargé  d'une  lumière, 

Dont  la  route  obscure  s'éclaire. 
Un  troupeau  d'escarbots  cheminait  devant  eui. 

—  Il  n'est  pas  de  si  beau  voyage 

Que  ne  traverse  un  grain  d'orage, 

Dit  Taven;  allons,  du  courage! 
Les  horreurs  du  Sabbat  vont  passer  sous  vos  yeux. 

Un  vent  froid  soufiQant  avec  rage. 

Soudain  leur  cingle  le  visage 
Et  leur  coupe  le  soufle.  --  Enfants  !  prosternons-nous  ! 

Les  Follets  arrivent  !....  et  telle 

Qu'on  voit  parfois  tomber  la  grêle, 

Tel,  sous  les  cryptes,  pêle-mêle, 
Vient  l'essaim  des  Follets  allant  comme  des  fous. 

Ils  passent  ;  et  leurs  grandes  ailes 
Fouettant  l'air  au  loin  autour  d'elles. 

Le  trio  voyageur  sent  fléchir  ses  genoux; 
Taven  cria  :  —  Bandes  funèbres. 
Allez  là-bas  dans  les  ténèbres 
Tordre  à  votre  aise  vos  vertèbres  ; 

Allez,  esprits  malins,  allez,  ou  rangez-vous! 


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838  MIREIO,  GANT  VI 

Oh!  Il  pudènt!  lis  esbroufaire!..* 
E  dins  lou  bèn  que  poudén  faire, 

Dire  pièi  que  nous  faugue  emplega  talo  gènti 
Car,  0,  de  même  que  lou  mège 
Souvent  tiro  lou  bon  dôu  pièje, 
Pèr  la  vertu  di  sourtilège 

Fourçan,  nautre,  lou  mau  à  coungreia  lou  bèn; 

Gardian  li  masco.  E  noun  i'a  causo , 
Qu'à  nosto  visto  reste  clauso. 

E  mounte  lou  coumun  vèi  uno  pèiro,  un  fouit, 
Uno  malandro,  uno  coundorso, 
lé  destrian,  nautre,  uno  forço 
Que  dins  sa  rusco  se  bidorso, 

Goume  souto  la  raco  un  vin  nouvèu  que  boui... 

Trauco  la  tino  :  la  bevènto 
N'en  gisclara  touto  bouiènto  ; 

Destousco,  se  tu  pos,  la  clau  de  Salamounl 
Parlo  à  la  pèiro  dins  sa  lengo, 
£  la  mountagno,  à  toun  arengo, 
Davalara  dins  la  valengo!... 

£  sémpre  descendien  dins  li  cauno  dou  mouul. 

Uno  pichoto  voues,  malino 
Goume  un  quilet  de  cardelino» 

Alor  ié  fai  :  Hoi!  hoil  la  coumaire  Tavea 
Viro  lou  tour  ma  tanto  Jano, 
Viro  lou  tour,  e  pièi  debano, 
La  niue,  lou  jour,  soun  fiéu  de  lanot 

E  crèi  (iela  de  lano,  e  fielo  que  de  fen  ! 


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MIAEILLE,  CHANT  YI.  t39 

Les  Follets  !  il  n*est  rien  de  pire  ; 

Oh!  la  vilaine  engeance!...  et  dire 
Qu'il  nous  faut  quelquefois  les  prendre  pour  soutien  ! 

Car  de  même  qu'un  empirique. 

Guérit  souvent  par  un  toxique, 

Par  une  puissance  magique, 
Nous,  nous  forçons  le  mal  à  produire  le  bien. 

Car  nous,  nous  sommes  les  sorcières. 

Et  rien  n'échappe  à  nos  lumières, 
Et  dans  ce  qu'on  croit  être  une  torpille,  un  arc. 

Un  fouet,  une  pierre,  une  amorce, 

Nous  discernons,  nous,  une  force 

Qui  bouillonne  sous  son  écorce. 
Comme  le  vin  nouveau  bouillonne  sous  le  maro... 

Percez  la  cuve,  et  la  cuvée 

En  jaillira  tout  achevée  ; 
Découvre  si  tu  peux  la  clef  de  Salomon^ 

Parle  dans  sa  langue  à  la  pierre. 

Et  la  montagne,  à  ta  prière. 

Au  vallon  ira  tout  entière... 
Et  leurs  pas  s'avançaient  sous  les  grottes  du  mont 

Une  petite  toix  aiguë, 

Comme  un  cri  d'oiseau  qui  s'englue. 
Lui  dit  alors:  Hoï!  hoï!  Nuit  et  jour  y  avec  soin, 

Elle  filey  ma  tante  Jeanne, 

Et  puis  dévide  en  sa  cabane  ; 

Mais,  fatalité  qui  la  damne! 
Croyant  filer  la  laine  elle  file  du  foin. 


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lié  MIRÈIO,  GAMt  Vt. 

E  z6u!  ma  grand!  "que  lou  tour  vire  ! 

—  Em*  acô  'n  Ter,  vague  de  rire, 
Tout  coume  quand  endiho  un  poutre  desmama, 

—  De-qu'es  aquelo  voues  parlante 
Que  quouro  ris  e  quouro  canto? 
Venguè  Mirèio  tremoulanto... 

—  Uoi  !  hoi!  en  répétant  soun  rire  acoustuma, 

Faguè  la  voues  enfantoulido, 
Quau  es  aquelo  tant  poulido? 
Ail  !  laisse,  mourranchoun,  qu'auboure  toun  fichu.. 
Laisso  qu'auboure...  Es  d'avelano 
Que  i'a  dessouto,  o  de  miôugrano? 
E  la  paureto  bastidano  : 

—  Ai! !  anavo  crida.  Taven  ié  fai  lèu  :  Chat! 

Agues  pas  pôul  acô  's  un  glâri 

Bon  que  pèr  faire  de  countràri  ; 
Es  aquéu  fouligaud  d'Esperit-Fantasti  : 

Quand  dins  si  bono  se  devino, 

Te  vai  escouba  ta  cousino, 

Tripla  lis  iôu  de  ti  galino, 
Ëmpura  lou  gavéu  e  vira  toun  roustit  ; 

Mai,  que  ié  prengue  un  refoulèri, 

Pos  dire  adieu  I...  Que  treboulèri! 
Dins  toun  oulo,  ié  largo  un  quarteiroiin  de  sau  ; 

Ëmpacho  que  toun  fiô  s*alume  ; 

Te  vas  coucha?  boufo  toun  lume; 

Vos  ana  i  vèspro  à  Sant-Trefume  *? 
T'escound  o  te  passis  tis  ajust  dimenchau* 


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MIREILLE,  CHANT  YI.  i41 

Çà,  tourne  le  rouet,  grand'mèret— * 

Et  puis  sautillante,  légère, 
De  rire  et  de  hennir  comme  un  jeune  poulain. 

—  Quelle  est  cette  voix  chevrotante, 

Qui  tantôt  rit  et  tantôt  chante? 

Demanda  Mireille  tremblante. 
^  Hoï  !  hoï  !  dit  en  prenant  son  sourire  malin 

L'Esprit  à  la  voix  enfantine  ; 

Laisse-moi  voir,  gentiUe  mine, 
Si,  sous  ton  fichu  blanc,  tout  est  de  bon  aloi. 

Et  s'il  y  croit,  pour  tes  conquêtes, 

Des  grenades  ou  des  noisettes  !  — 

A  ces  paroles  déshonnêtes 
Mireille  allait  crier  ;  Taven  lui  dit  :  Tais-toi, 

C'est  un  lutin  peu  redoutable 

Malin  sans  doute,  mai^  bon  diable, 
C'est  TEsprit  Fantastique,  un  vrai  cerveau  félë; 

Lorsque  la  bonne  humeur  domine, 

Il  triplera  ton  agneline» 

Mettra'^de  l'ordre  à  ta  cuisine, 
Cuira  ton  omelette  ou  ton  petit  salé; 

Mais  qu'il  soit  pris  par  un  caprice. 

Adieu,  soudain,  tout  bon  office! 
Il  fourre  à  ta  marmite  un  quarteron  de  sel  ; 

Il  éteint  ton  feu  qui  s'allume  ; 

Il  cache  ou  frippe  ton  costume  ; 

Tu  vas  à  la  messe,  il  t'enrhume, 
Te  suit  même  à  l'église  et  brouille  le  miasel     • 

iG 


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m-  MIRÈIO,  GANT  VI. 

—  Tèî  tè!...  vièi  cro,  giblo  ti  pounclio  l 
L'ausès,  la  «arrello  mau  vouncbo  ? 

Lou  levènti  lèu-lèu  ié  respond,  o,  carcan, 
La  niue,  quand  dormon  li  ciiatouno 
Tire  plan-plan  sa  cubertouno  ; 
Lis  espinche,  nuso  e  redouno, 

E  que,  folo  de  pôu,  s'amaton  en  pregant. 

Yese  si  dos  coucoureleto 
Que  van  e  vènon,  tremouleto  ; 

Vese...  E  TEsperitoun  s'enanavo  eilalin 
Emé  soun  rire...  Sout  li  baumo, 
Li  mascarié  faguèron  cbaurao  ; 
E  dins  lis  oumbro  e  la  calaumo 

Entendien  dégoûta  sus  lou  sôu  cristalin, 

Dégoûta  Ion  trespir  di  vôuto, 
E  rên  qu'acô,  de  vôuto  en  vôuto. 

E  veici,  peravau  dins  la  vasto  negrour, 
Veici  qu'uno  grand  formo  blanco, 
Qu'èro  assetado  su  'no  estanco, 
S*aubourè  drecho,  un  bras  sus  Tanco. 

Vincèn,  coume  un  queiroun,  aplanta  de  terrour  : 

E  s*aqui  même  pousquèsse  èstre 

Un  degoulôu,  de  Tescaufèstre 
Mirèio  tout  d'un  vanc  se  ié  trasié.    -  Que  vos, 

Taven  cridè,  long  escamandre, 

Pèr  que  ia  tésto  se  balandre 

Coume  uno  pibo?...  Mi  calandre, 
Faguè  pièî  au  parèu  qu'a  la  mort  dins  lis  os: 


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MIREILLE,  CHANT  VL  243 

—  Tiens  !  tiens  !  vieux  croc  I  rive  tes  pointes  ! 
Oui,  je  reste  peu  les  mains  jointes, 

Lui  réplique  aussitôt  l'espiègle  ;  oui,  maintes  fois 

La  nuit,  quand  dort  une  fillette. 

Je  découvre  un  peu  sa  couchette, 

Je  vois  sa  jambe  rondelette. 
Je  vois  sa  main  faisant  de  grands  signes  de  croix  ; 

Je  vois  son  sein  qui  se  soulève 

Sous  l'influence  d'un  doux  rêve. 
Je  vois...  A  ce  point-là,  l'Esprit  heureusement 

Fit  trêve  à  ses  espiègleries. 

Et  sans  autres  agaceries 

Finirent  les  sorcelleries... 
On  n'entendait  au  loin  que  le  bruissement 

De  l'eau  qui  filtre  goutte  à  goutte 

Par  les  fissures  de  la  voûte. 
Mais  voici  que,  là-bas,  au  bout  de  l'horizon 

Sur  le  noir  duquel  elle  tranche. 

Se  dessine  une  forme  blanche. 

Debout  et  la  main  sur  la  hanche. 
Vincent  à  cet  aspect  d'un  horrible  frisson 

Sentit  son  ftme  traversée. 
Et  Mireille  bouleversée 
Volontiers  dans  un  puits  eût  caché  sa  frayeur. 

—  Que  veux-tu  donc,  grand  escogriffe, 
Sous  le  nuage  qui  t'attife, 

Comme  une  robe  de  pontife  ? 
Dit  Taven  ;  puis,  parlant  au  couple  voyageur  : 


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til  MIRÊIO,  CANT  Yl 

Coancissès  pas  la  Bag^adiero? 

Sus  Mount-Venlour  (qu'èi  sa  cadiero) 
Quand  la  reson,  d'en  bas,  pèr  un  long  nivo  blanc 

Li  gènt  la  prenon;  mai,  o  pastre, 

Lèu!  lèu!  que  voste  avé  s'encastre! 

La  Bugadiero  de  mal-astre 
Acampo  à  soun  entour  li  niro  barrulant; 

E  quand  n'i'a  proun  pèr  la  bugado. 

Sus  lou  mouloun,  revertegado 
E  'mé  furour,  bacello  e  rebacello  :  à  bro. 

N'en  tors  la  raisso  emé  la  flamô, 

E,  sus  la  mar  que  mounto  e  bramo, 

A  la  gàrdi  de  Nosto-Damo 
Li  marin  palinoos  recoumandon  sa  pro  ! 

E  lou  boulé  de-vers  Testable 

Goucho...  Un  sagan  espaventable 
lé  tanco  tourna-mai  la  paraulo  entre  dent  : 

E  de  miaula  de  cato-miaulo, 

E  de  brandamen  de  cadaulo, 

E  de  piéu-piéu,  e  de  paraulo 
A  mita  dicho,  e  'n  quau  lou  diable  soûl  entend. 

Gin!  gin!  poun^pouni...  Quau  es  que  pico 

Sus  de  peirolo  fantastico?... 
C  d*es(ras,  e  de  rire,  emé  d'esquichamen 

Goume  de  femo  abasimado 

Dins  lou  moumen  de  si  ramado; 

Pièi  de  badai,  pièi  de  bramado» 
E  s6u!  lou  roumadan  e  li  gingoulamen! 


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MIREILLE,  CHANT  YL  945 

—  Gonnaissez-TOiis  la  Lavandière, 

Que  Ton  voit  errer  d'ordinaire, 
Aux  cimes  du  Ventoui*?  d'en  bas,  sur  ces  hauteurs, 

Les  bonnes  femmes  du  village 

La  prennent  pour  un  grand  nuage; 

Quand  elle  vient,  gare  à  l'orage 
Qui  porte  l'épouvante  et  sème  les  malheurs  ! 

Elle  convoque  les  nuées. 

Et  de  leurs  masses  remuées 
Elle  exprime  à  la  fois  l'eau,  le  vent  et  le  feu  ; 

Et^  si  terrible  est  la  tourmente 

Que,  sur  la  vague  blanchissante. 

Le  nautonier  pliant  sa  tente 
S'enfonce  dans  sa  barque  et  s'abandonne  à  Dieu. 

Et  le  bouvier  devers  i'étable 

Chasse...  —  Un  tumulte  épouvantable 
Arrête  de  nouveau  sa  parole  entre  dents  ; 

Miaulements  de  chattemites. 

Choc  de  chenets  et  de  marmites. 

Colères  des  âmes  maudites. 
Jurons  interrompus,  blasphèmes,  cris  stridents. 

Sons  de  cymbales,  coups  de  triques 

Sur  des  chaudières  fantastiques; 
Uanse  macabre  en  branle,  en  avant,  au  rebours. 

Bruit  de  feiTailles  remuées. 

Voix  de  femmes  exténuées, 

Longs  bâillements,  larges  huées, 
Sabbat,  qu'à  l'enfer  mèiûe  on  n'entend  pas  toujours! 


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ÎM  MIRÈIO,  GANT  VI. 

—  Pourgès  la  man,  que  vous  arrape  ! 
E  dounas  siuen  que  noun  s'escape 

f.a  courouno  de  masc  que  vous  cencho  lou  front  !  — 
Ë  dins  si  cambo  aqui  s'encoufo 
Goume  uno  pourcado  qu'esbroufo  : 
Un  quilo,  un  japo,  un  reno,  un  boufo. 

SSouto  un  lançôu  de  nèu  quand  la  Naturo  drom. 

Pèr  uno  niue  ventouso  e  claro, 

Quand  li  cassàire  de  fanfaro 
Espôusson  li  roumias  tout -de-long  di  valat, 

Ansin  passeroun  e  machoto, 

Destrassouna  dins  sa  liechoto 

E  'spavourdi,  parlon  à  floto, 
E  'mé  'n  brut  d'auriflant  s'embourson  au  fielat. 

Mai  alor  Tescounjurarello  : 

—  I,  mau-vivènti  sautarello  ! 
Ârrif...  malavalisoo  à  vàutril...  passas-tne! 

E  coussaiant  la  chourmo  impure 
Emé  soun  drai,  dins  la  sournuro 
Trasié  de  ciéude,  de  figure. 
De  raio  Inminouso  e  couleur  de  vermé. 

—  Entraucas-vous  dins  vôsti  borno, 
0  maufatan!...  quau  vous  destorno? 

I  dardaioun  de  (iô  que  pougnon  vôsti  car, 
Sentè.s  dounc  pas  que  sus  TAupifao 
Lou  soulèu  rous  encaro  briho? 
Pendoulas-vous  i  roucassihof 

Pèrli  rato-penado  es  encaro  tiop  clar... 


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MIREILLE,  CHANT  VI.  247 

—  Mettez  une  main  dans  la  mienne. 
Et  qu*à  vos  fronts  l'autre  maintienne 

Le  magique  rameau  d'où  dépend  votre  sort, 

Dit  Taven  ;  et  vers  eux  se  rue, 

Une  troupe  immonde,  incongrue, 

Qui  blesse  et  Touîe  et  la  vue. 
Ainsi,  sous  les  frimas  quand  la  nature  dort, 

La  nuit,  par  un  ciel  sans  brouée, 

Quand  le  chasseur  à  la  fouée 
Bat  les  buissons  neigeux  qui  bordent  les  ruisseaux; 

Des  oisillons  la  bande  ailée. 

Dans  ses  nids  de  mousse  éveillée, 

A  grand  bruit,  à  toute  volée, 
S'engouffre  dans  les  rets  tendus  le  long  des  eaux. 

Mais  aussitôt  la  charmeresse  : 

—  Fuyez  ma  verge  vengeresse, 
Femmes  de  triste  vie!...  arriére I...  je  le  veux... 

Et  toutes  ces  hordes  impures, 

A  travers  les  grottes  obscures. 

S'enfuyaient  devant  les  6gures 

Que  son  crible  traçait  en  rayons  lumineux. 

—  Glapissez-vous  dans  vos  cavernes. 
Vous  qu'on  ne  voit  qu'aux  heures  ternes  ! 

Aux  aiguillons  de  feu  qui  piquent  votre  chair. 

Ne  sentez-vous  pas  qu'à  la  terre 

Le  jour  verse  encor  sa  lumière  î 

Ne  passez  pas  votre  frontière! 
Pour  les  chauves-souris  il  fait  encor  trop  clair... 


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848  MIRÊIO,  GANT  VI. 

E  de  tout  caire  patusclavon, 

E  li  brut  pau-à-pau  moulavou. 
-*  Fau  vous  dire,  au  parèu  digue  Taven  alor, 

Que  di  Trevan  eiçô  's  la  cauno, 

Tant  que,  sus  lis  estoublo  jauno, 

Lou  jour  laisso  toumba  sa  mauno  ; 
liai  uno  fes  que  Toumbro  estènd  soun  drap  de  mort , 

Eiça  quand  la  Vièio  ^  encagnado 
Mando  à  Febrié  sa  reguignado, 

Uins  li  glèiso  deserto  e  clavado  à  très  tour, 
Anessias  pas,  femo  tardiero, 
Lou  front  pendent  su  'no  cadiero, 
Resta  'ndourmido!...  A  la  sourniero, 

Pourrias  vèire  li  bard  s'eigreja  tout  autour; 

E  s'atuba  li  lumenàri, 

E,  courdura  dins  lou  susàri, 
Li  mort,  un  aro,  uu  pièi,  s*ana  mètre  à  geinoun; 

Un  capelan,  pale  coume  éli, 

Dire  la  Messo  e  l'Evangéli; 

E  li  campano  d'esperéli 
A  brand,  ploura  de  clar  emé  de  long  plagnoua  ! 

Parlas,  parlas-n'en  i  béulôli  : 

Dins  li  glèiso,  pèr  béureTôli 
Di  lampo,  quand,  l'ivèr,  davalon  di  clôuquié» 

Demandas-ié  se  vous  mentisse, 

E  se  lou  clerc  que  sèr  Tôufice, 

Que  met  lou  vin  dins  lou  calice, 
N*es  pas  soulet  d'en  vido  à  la  ceremounié! 


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MIREIILË,  CHANT  VL.  U9 

Et  cette  verte  remontrance 

Rétablit  l'ordre  et  le  silence. 
—  Sachez  donc,  dit  Taven  au  couple  épouvanté, 

Qu'aussi  longtemps  que  la  jachère 

Des  rayons  du  soleil  s'éclaire, 

Les  fantômes  font  leur  repaire 
Des  lieux  dont  devant  vous  s'ouvre  l'immensité; 

Mais  dès  que  Février  fait  place 

Au  mois  orageux  qui  le  chasse, 
Dans  les  temples  déserts  fermés  à  triple  tour. 

N'allez  pas,  femmes,  trop  à  Taise 

Vous  endormir  sur  votre  chaise... 

Vous  pourriez,  ne  vous  en  déplaise, 
Voir  s'ouvrir  lentement  les  tombeaux  d'alentour. 

Et  s'allumer  les  luminaires. 

Et  cousus  dans  leurs  blancs  suaires, 
Les  morts  s'agenouiller  sur  leurs  bancs  respectifs  ; 

Le  grand-prêtre  de  ce  concile 

Dire  la  Messe  et  l'Evangile, 

La  cloche  devenir  mobile 
D'elle-même,  H  dans  l'air  pleurer  des  glas  plaintifs. 

Parlez-en  plutôt  à  l'effraie 

Dont,  la  nuit,  l'église  s'effraye 
Quand,  pourboire  à  la  lampe,  elle  entre  avec  le  vent. 

Elle  vous  dira,  sans  malice, 

Si  le  clerc  qui  sert  à  l'ofQce, 

Et  qui  met  le  vin  au  calice, 
Au  milieu  de  ces  morts  n'est  pas  le  seul  vivant. 


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J 

I 
250  MIRËIO,  GANT  VI. 

Eiça  quand  la  Vièio  encagnado,   " 

Mando  à  Febrié  sa  reguignado, 
Pastre,  se  noua  voulès,  espelonfi  de  pôu, 

Resta  sèt  an,  li  cambo  redo, 

Enclaus  aqui  'mé  vôsti  fedo, 

Rintras  pulèu  dins  vôsti  cledo, 
Pastre  !  lou  Trau  di  Fado  a  bandi  tout  soun  vôul 

E  dins  la  Grau,  de  quatre  cambo  ^ 

0  de  voulado,  se  ié  rambo 
Tout  ço  qu'a  fa  lou  pache;  e  pèr  li  draiôu  tort, 

Li  Matagoun  de  Varigoulo  ^ 

E  li  Masc  de  Fanforigoulo* 

Van  veni  dins  li  ferigoulo. 
En  farandonlejant,  béure  à  la  tasso  d'or. 

Vés!  coume  dansou  li  garngo  ^!  ^ 

En  fernissènt  de  rembourigo, 
Déjà  la  Garaumaudo  espère  lou  Gripet... 

Hui!  la  panturlo  endemouniado! 

Gripet,  morde  la  carougnado 

E  *stripo-Ia  de  grafignado... 
Desparèisson...  Vés  mai  que  fan  orre  e  tripet! 

Aquelo,  eîlavau,  que  patusclo 

Terro-bouiroun  dins  li  lachusclo, 
Goume  un  laire  de  niue  que  fuge  en  s'amourraut, 

Es  la  Bambafoucho  mourrudo  ! 

Entre  sis  arpo  loungarudo 

E  sus  sa  tèsto  banarudo 
Emporte  d'enfantoun,  ténti  nus  e  plourant... 


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MIREILLE,   CHANT  YI.  251 

Et  lorsque  Février  fait  place 

Au  mois  orageux  qui  le  chasse. 
Si  TOUS  ne  voulez  pas  vous  voir  clouer  au  sol^ 

Avec  vos  bétes  désolées, 

Et  pour  sept  ans  ensorcelées. 

Rentrez  moins  tard...  Le  Irou  des  Fées 
Au  royaume  du  jour  a  lâché  tout  son  vol! 

Et  là-bas,  dans  la  Grau  stérile. 

Pendant  qu'arrivent  à  la  file 
Tous  ceux  que  leur  sermeot  engage,  on  voit  encor 

De  tous  côtés,  venir  en  foule 

Les  magiciens  de  Varigoule, 

Les  sorciers  de  Fanfarigoule, 
Et,  faisant  le  rondeau,  boire  à  la  coupe  d'or. 

Voyez  les  Garrigues  qui  dansent! 

Avant  que  leurs  ébats  commencent 
Voyez  la  Garamaude  attendant  le  Gripet  ! 

Arrière,  Guénippe  endiablée  ! 

Toi,  de  ta  dent  bien  affilée 

Gripet,  mors  cette  échevelée  ! 
Ils  parlent...  et  plus  loin  se  prennent  au  toupet! 

Dans  le  fond,  celle  qui  s'esquive 

Vers  les  broussailles  de  la  rive. 
Gomme  un  voleur  de  nuit  qui  fuit  en  se  baissant, 

C'est  la  sauvage  Bambarouche, 

Qui^  suivant  son  instinct  farouche, 

Emporte  et  serre  dans  sa  bouche 
Les  enfants  dérobés  à  leur  mère  en  naissant. 


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2551  MIRÈIO,  GANT  VI 

Eila,  vesès  la  Ghaucho-Vièio? 

Pèr  Ion  canoun  di  chaminèio, 
Davalo  d'à  cachoun  sus  Testouma  relent 

De  Tendourmi  que  se  revèsso  ; 

Hudo,  se  i'agrouvo  ;  Tôuprèsso 

Goume  uno  tourre,  e  i'entraTèsso 
De  sounge  que  fan  afre  e  de  pantai  doulènt. 

Ausés  desgounfouna  li  porto? 

Lis  Escarinche  soun  pèr  orto, 
Pèr  orto  lou  Marmau,  lou  Barban...  Dins  Termas, 

Fan  nèblo;  enjusquo  di  Geveno, 

Emé  si  ventre  d'alabreno, 

Li  Dra  s'acampon  à  dougeno, 
E  'n  passant,  pataflôu  !  destéuiisson  li  mas. 

Que  tarabastl...  0  Luno,  o  Luno, 

Que  mau-passage  t'encantuno, 
Pèr  daT^la,  tant  roujo  e  largo,  sps  li  Bau?... 

Aviso-te  d6u  çhin  que  japo, 

0  Luno  folo  !  Se  t*arrapo, 

T'engoulara  coume  une  papo, 
Car  lou  chin  que  t'aluco  es  lou  Ghin  de  Cambaut 

Mai  quau  ansin  brando  lis  éuse?... 

Ai  I  soun  troussa  coume  de  féuse  ; 
E  di  iiô  de  Sant^Èume,  à  saut,  à  vertouioun, 

Boumbis  la  flamado  gancherlo  ; 

E  d'estrepado,  e  'n  brut  d'esquerlo 

Eslrementis  la  Grau  eslerlo.,. 
Lou  galop  enrabia  déu  Baroun  Gastiboum! 


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MIREILLE,  CHANT  YI.  !fô8 

Voici  le  Cauchemar  terrible, 

Qui  la  nuit  descend  invisible 
Sur  le  sein  agité  du  malade  qui  dort, 

L*enivre  d'une  fausse  ivresse, 

Sous  sa  lourde  masse  l'oppresse 

L'étouffé  et  lui  glisse  sans  cesse 
Des  spectres  effrayants  et  des  rêves  de  mort. 

Qui  donc  souléVe  cette  porte? 

C'est  TEscarinche  qui  l'emporte  ; 
En  groupes  vaporeux  le  Marmal,  le  Barban 

Prennent  leurs  ébats  ;  des  Cévennes, 

Avec  leurs  hideuses  bedaines. 

Les  Dracs  accourent  par  douzaines. 
Dévalisant  les  toits  qui  craquent  en  tombant 

Quels  aboiements  I  0  Lune,  ô  Lune, 

Quel  est  l'astre  qui  t'importune 
Pour  dévier  ainsi  de  ton  chemin  normal  t 

Prends  garde,  si  le  chien  aboie. 

Ce  n'est  ni  de  peur  ni  de  joie  ; 

Tu  pourrais  devenir  sa  proie. 
Car  le  chien  qui  te  guette  est  le  chien  du  Cambal  I 

Mais  qui  branle  ainsi  les  yeuses  t.. • 

Sous  leurs  formes  capricieuses 
Les  feux  Saiiit-Elme  au  loin,  de  sillon  en  sillon. 

Fout  leur  agile  pirouette  ; 

J'entends  le  bruit  d'une  clochette 

Retentir  dans  la  Grau  muette  ! 
Le  galop  enragé  du  baron  Castillon.,.  -^ 


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J 


] 
254  MIRÈIO,  GANT  ?U 

Rauco,  desalenado,  estenco, 

S'éro  arrestado  la  Baosseoco. 
Mai  subran  :  Tapas- vous,  faguè,  'mé  lou  faudau,  i 

Tapas  Tauribo  e  li  parpello, 

Que  l'Âgnèu  Nègre  nous  apello! 

—  Quau?...  aquel  agneloun  que  bèlo? 
Digue  Vincèo.  Mai  elo  :  Âuribo  soiirdo,  e  d'auti 

Malur,  eici,  pér  quau  trebuco  ! 

Mai  que  lou  pas  de  la  Sambuco  ^^ 
Dangeirous  èi  lou  pas  dôu  nègre  Banaru. 

Goume  aro  venès  de  l'entendre, 

A  'n  teta-dous,  un  bêla  tendre 

Que  TOUS  atiron  à  descendre. 
I  Grestian  imprudent  que  se  viron  au  brut,  . 

Fai  lusi  Tempèri  d'Erode, 

L'or  de  Judas,  e  dis  lou  rode 
Mounte  la  Gabro  d'or  fugue  di  Sarrasin 

Aclapado.  Fin  que  degolon, 

Môuson  la  Gabro  tant  que  Tolon  ; 

Mai  à  Tangôni  quand  rangolon, 
Fagon  pièi  demanda  lou  sacramen  divin! 

li'anouge  nègre  ié  resposto 

Em'  uno  rousto  sus  li  costo. 
E  pamens,  e  pamens,  i  tèms  que  sian.  mau  tèms 

Escoussura  de  toute  déco, 

Quant  n'i'a  d'amo  alucrido  e  seco. 

Ai  I  las!  que  mordon  à  sa  leco 
E  qu'à  la  Gabro  d'or  fan  tuba  soun  encens  ! 


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MIREILLE,  CHANT   VI.  âC 

Haletante  et  tirant  la  langue, 

Taven  avait  clos  sa  harangue; 
liais  reprenant  soudain  :  —  Du  voile  couvrez-vous, 

Et  fermez  Toreille,  dit-elle  ; 

C'est  l'Agneau  Noir  qui  nous  appelle. 

—  Qui  donc?  cet  agnelet  qui  bêle? 
Dit  Vincent.  —  Oui,  dit-elle,  alerte!  et  gare  à  nous  ! 

Malheur  souvent  à  qui  s'engage 

Dans  ce  redoutable  passage  ! 
C'est  le  pas  périlleux,  le  pas  de  l'Agneau  Noir, 

Comme  vous  venez  de  l'entendre, 

Son  accent  doucereux  et  tendre 

Vers  lui  vous  engage  à  vous3*endre... 
Aux  Chrétiens  imprudents  qui  restent  pour  le  voir, 

11  conte  l'histoire  d'Hérode 

Celle  de  Judas,  l'épisode 
D'une  Chèvre  enfouie  au  temps  des  Sarrasins; 

Chèvre  d'or,  que  toute  leur  vie 

Us  pourront  traire  à  faire  envie  ; 

Mais  à  l'heure  de  l'agonie 
Qu'ils  veuillent  s'abreuver  aux  sacrements  divins  ! 

Sourd  à  leurs  vœux,  l'Agneau  maussade 

Leur  répjnd  par  une  ruade. 
Et  pourtant,  triste  aveu!  que  d'hommes  florissants 

Qui  n'obtinrent  un  sort  propice 

Qu'en  s'enr^lant  dans  sa  milice, 

Et  qui,  gangrenés  par  le  vice. 
Devant  la  Chèvre  d'or  font  fumer  leur  encens! 


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S56  MIR&IO,  GANT  VI. 

Aqui  lou  cant  de  la  galmo 

Très  cop  fende  la  nevoulioo. 
«*  Dins  la  tregenco  baumo,  à  la  perfin,  enfant, 

Sian  arriba!  digue  là  vièio. 

Lou  panieraire  emé  Nirèio, 

Souto  uno  grando  chaminèio, 
Veguèron  sèt  cat  oegre,  au  fougau  se  caufant. 

Veguèron,  entre  H  sèt  mascle» 

Uno  oulo  de  ferre  au  cremascle  ; 
Veguèron  dous  coulobre  en  formo  de  tisoun, 

Que  racavon  à  plen  de  goulo 

Dos  flamo  bluio  au  quiéu  de  l'oulo. 

—  Pèr  cousina  voslo  bourroulo, 
Vous  serves  d'aquéubos,  ma  grand? — 0»moun  garçounl 

Brulo,  acô,  miéus  que  gens  de  busco  : 

Es  de  souquihoun  de  lambrusco.  — 
Mai,  en  cabessejant,  Yincèn  :  De  souquiboun, 

De  souquihoun,  lou  voulès  dire..* 

Mai  fasen  lèu,  qu'es  pas  de  rire. — 

Uno  grand  taulo  de  pourfire, 
Au  centre,  espandissié  soun  large  Tirouioiiu. 

A  proucessioun  e  blanquinello, 

Milo  coulouno,  clarinello 
Coume  li  jaleiroun  que  pènjon  di  cubu,  î, 

D'aqui  parton,  pèr  ana  courre 

Souto  li  racine  di  roure 

E  la  foundamento  di  moure  ; 
Inmènsi  galarié  que  li  Fado  an  dubt^rt, 


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MIREILLE,  GUâNT  VI.  257 

Mais  tout  à  coup  la  poule  chante  : 

C'était  Tannonce  triomphante 
Qu'à  la  treizième  grotte  on  arrivait  enfin. 

Dès  lors,  la  course  est  terminée  ; 

Taven  à  Mireille  étonnée 

Montre  sous  une  cheminée 
Sept  chats  noirs  se  chauffant  avec  un  air  malin. 

D'une  crémaillère  insolite 

Pendait  une  énorme  marmite; 
Deux  grands  dragons  ailés  en  forme  de  tison 

Vomissaient  par  chaque  narine 

Un  jet  de  flamme  purpurine. 

—  C'est  pour  faire  votre  cuisine 
Que  vous  avez  ce  bois,  grand'mère?  —  Oui,  mon  garçon; 

C'est  un  bois  de  valeur  insigne 

Choisi  parmi  des  ceps  de  vigne. 
—  Des  ceps  !  reprit  Vincent  ;  vous  plaisantez  toujours, 

Grand'mère,  et  pourtant  j'ose  dire 

Que  c'est  peu  le  moment  de  rire.  — 

Une  grande  table  en  porphyre 
Au  centre  de  la  grotte  étalait  ses  contours. 

Pompeusement,  quatre  par  quatre. 

De  grandes  colonnes  d'albâtre, 
Semblables  aux  glaçons  qui  pendent  à  nos  toits, 

Donnent  accès  aux  galeries 

Ouvertes  du  temps  des  Féeries» 

Et  sur  leurs  piles  arrondies 
Soutiennent  les  rochers  que  couronnent  les  bois. 

17 


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iné  '    MIRÈIO,  GANT  VI. 

Popgiî  majesluous,  qu'amago 

Uno  lusour  neblouso  e  vago  ; 
Meravihous  emboui  de  temple,  de  palais. 

De  peristil,  de  laberinto, 

Goume  n'en  taièron  ansinto 

Ni  Babijouno  ni  Gourintû, 
E  qu'un  alen  de  Fado  esvalis,  quand  ié  plais. 

Âqui  li  Fado  Tafaiejon  : 
Goume  de  rai  que  trantaiejon, 

Emé  li  chivalié  iqu'enfadèron  antan 
Gountùnion  la  vido  amourouso^ 
Dins  lis  andano  souloumbrouso 
D'aquelo  tranquilo  chartrouso..* 

'lilai  chut!  pas  i  parèu  dins  Toumbro  s'acatant! 

L'encantarello,  déjà  lèstô, 
Quouro  dreissavo  sus  la  tèsto, 

Quouro  de-vers  lou  sou  beissavo  si  bras  nus. 
Sus  la  grand  taulo  de  pourfîre, 
Goume  Laurèns  lou  sant  martire, 
Èro  coucha  sènso  rèn  dire 

Yincèn  lou  panieraire,  emé  sa  plago  au  bust. 

Ferouno,  creissegudo  en  taio 
Pèr  l'esperit  que  la  travaio 

E  d'un  vent  proufeti  ié  gounflo  lou  galet, 
Ta\en,  dins  l'oulo  que  revouiro 
A  grossis  oundo  boulidouiro, 
Planto  subran  Tescumadouiro. 

A  soun  entour  li  cat  fasien  lou  rondelet 


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MIREILLE,    CHANT  VI.  250 

Porches  majestueux  qu'éclaire 

Une  vague  et  pâle  lumière. 
Ensemble  menreilleux  de  temples,  de  palais» 
.  Vaste  et  majestueuse  enceinte, 

Qu'aux  jours  de  leur  grandeur  éteinte,   . 

Ni  Babylone,  ni  Corinthe, 
Aux  yeux  du  monde  ancien  ne  montrèrent  jamais. 

C'est  là  le  domaine  des  Fées; 

Là,  que  toujours  bien  attifées, 
Avec  les  chevaliers,  leurs  anciens  amoureux, 

On  les  voit  reprendre  leur  vie 

D'amour  et  de  mélancolie... 

Mais  chut!  voilà  qu'on  s'apparie...! 
Paix  aux  couples  errants  dans  les  sentiers  ombreux  ! 

Et  déjà  prête,  la  sorcière. 

Tantôt  levait  sa  tête  altière 
Et  tantôt  vers  le  sol  abaissait  ses  deux  mains; 

Et  sur  la  table  de  porphyre. 

Comme  Laurent  pour  son  martyre, 

Vincent  étendu,  sans  mot  dire , 
Attendait  bravement  les  secours  surhumains. 

Sous  le  souffle  qui  la  travaille, 

Taven  avait  grandi  de  taille  ; 
La  flamme  du  génie  illuminait  son  front  ; 

Et  pendant  qu'elle  précipite 

L'écumoire  dans  la  marmite. 

Les  chats  faisant  la  chattemite, 
Les  sept  chats  autour  d'elle  étaient  rangés  en  rond. 


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260  MIRÈIO,  GANT  VI. 

Venerablo,  emé  la  menèstro, 

La  masco,  de  la  man  senèstro 
Esbouiènto  à  Yincèn  soun  pitre  descata; 

£,  lis  iue  fisse,  n'escounjuro 

La  doulourouso  pougneduro 

Ea  remoumiant  à  voues  escuro  : 
Cristèi  nat  Crist  èi  morti  Crist  M  ressuscita! 

Cristressuscitaraf.,.  Mestresso 

Goume  i  fourèst  la  grand  tigresso 
Qu'alongo,  après  la  casso,  un  cop  d'arpo  au  flanc  rous 

De  sa  tremoulanto  vitimo. 

Sus  la  frucbaio  que  trelimo 

Ânsin  la  masco  alor  emprimo 
Très  fes  emé  Tartèu  lou  signe  de  la  crous. 

E  de  sa  bouco,  à  touto  zurto, 

La  paraulo  desboundo,  e  turto 
1  pourtau  ttivoulous  de  Tendevenidou  : 

0,  ressuscitara  !  Lou  crese  ! 

De  la  colo  entre  li  roumese 

E  li  frejau,  alin  lou  vese 
Que  mounto,  emé  soun  front  que  sauno  à  gros  degout  ! 

£  dins  li  roumio  e  dins  li  clapo 
Mounto  soulet;  sa  crous  Taclapo... 

Mounte  èi,  pèr  Teissuga,  Yerounico?...  Mounte  es 
Âquéu  brave  orne  de  Gireno, 
Pèr  Tauboura,  se  'n-cop  s'arreno  ? 
Emé  soun  peu  que  se  destreno, 

Si  Mario  plagnènto  ounte  soun?...  Fa  pas  resl 


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:iIRËILLE,  GHâNT  VI.  261 

Puis  de  la  liqueur  qu'elle  en  tire 

Avec  un  solennel  sourire, 
Elle  échaude  le  sein  de  Vincent  agité  ; 

Et  Tœil  fixe,  d'une  main  sûre, 

Elle  charme  enfin  la  blessure. 

Pendant  que  sa  bouche  murmure  : 
Christ  est  net  Christ  est  mort!  Christ  est  ressuscité! 

Christ  ressuscitera  h,,  La  vieille, 

Triomphante,  montre  à  Mireille 
L'œuvre  accomplie,  et  comme  un  tigre  au  fond  des  bois. 

Après  la  chasse  qui  l'anime, 

Met  sa  griffe  sur  sa  victime. 

Sur  Vincent,  la  sorcière  imprime 
Trois  fois  avec  l'orteil  le  signe  de  la  croix. 

Soudain  sa  face  s'illumine 

Et  sa  parole  sibylline. 
Sondant  les  profondeurs  de  l'obscur  avenir  .' 

Christ  ressuscitera,  j'en  jure. 

Enfants,  par  sa  double  nature. 

Je  le  vois  pendant  qu'il  endure 
Plus  de  maux  qu'un  mortel  n'en  puisse  soutenir! 

Il  monte,  il  monte  son  Calvaire, 

Le  sang  coule  de  sa  paupière... 
Où  donc  est  Véronique  afin  de  l'essuyer? 

Sous  sa  croix,  il  marche  avec  peine, 

Où  donc  est  Simon  de  Cyrène  ? 

Où  donc  est  Marthe  ou  Madeleine. 
Pour  suivre  la  victime  et  pour  s'apitoyer? 


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252  MIRËIO,  GANT  YI. 

E  dins  Toumbrun  e  la  terriho, 

Avau,  richesso  emai  pauriho 
Lou  regardon  que  rnounto,  e  dison  :  Mounte  vai 

Ëiné  sa  fusto  sus  l'espalo, 

Aquéu,  amount,  que  sèmpre  escalo? 

Sang  de  Gain,  amo  carnalo, 
Dôu  pourtair^  de  Grous  n'an  de  pieta,  pas  mai 

Que  se  vesien  dins  lou  campèstre 
Un  chin  aqueira  pèr  soun  mèslre  !... 

Ah  I  raço  de  Jusiôu,  que  mordes  en  furour 
La  man  que  t'abaris,  e,  (orso, 
Lipes  aquelo  que  t'endorso, 
Dins  la  mesoulo  de  toun  orso 

(Lou  vos  ?)  davalaran  li  frejoulun  d'ourroup  I 

E  ço  qu'es  pèiro  vendra  pôusso... 

E  de  Tespigo  e  de  la  dôusso 
Vai  esfraia  ta  fam  lou  mascarun  amar... 

Oh  I  que  de  lanço  !  oh  !  que  de  sabre  ! 

Sus  quénli  molo  de  cadabre 

Vese  boumbi  Taigo  di  vabre!... 
Pacefico  tis  erso,  o  tempestouso  mar!... 

Ai  !  de  Pèire  la  barco  antico 

Is  àspri  roco  mounte  pico 
S'èi  esclapado!...  Oi-ve  !  lou  mèstre  pescadou 

A  dôumtna  l'oundo  rebelle  ; 

Dins  uno  barco  novo  e  bello 

Gagno  lou  Rose,  e  reboumbeilo 
Emé  la  crousde  Dieu  plantado  au  trepadou! 


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MIHKILLË,  GHÂIST  VI.  2 

11  suit  sa  marche  douloureuse  ; 

Et  THumanité  dédaigaeuse 
Le  regardant  monter  se  dit  :  Mais  où  va-t-il 

Avec  sa  poutre  qui  Taccable, 

Ce  novateur  infatigable? 

Sang  de  Gaïn  !  race  coupable  ! 
Us  ne  plaignent  pas  plus  ce  porte-croix  viril 

Que  s'ils  voyaient,  sans  le  connaître, 

Un  chien  lapidé  par  son  maître. 
Tourbe  semblable  aux  juifs  et  plus  coupable  qu'eux  I 

Tu  vois  le  jour  et  tu  Téviles, 

L'ombre  est  là,  tu  t'y  précipites, 

Le  sang  divin  perd  ses  mérites  ; 
L'iniquité  triomphe...  Ah!  puisque  tu  le  veux, 

Ton  blé  séchera,  peuple  indigne  ! 

Le  ver  dévorera  ta  vigne  ; 
Pour  ta  soif  et  ta  faim  tu  seras  soucieux... 

Mais  d'où  viennent  ces  cris  d'alarmes? 

Contre  qui  fôurbit-on  ces  armes? 

Oh  !  que  de  sang  !  Oh  !  que  de  larmes  ! 
Tempétueuse  mer,  calme  tes  Ilots  houleux  ! 

La  barque  de  Pierre  chavire  ! 

Sur  la  roche  qui  la  déchire. 
Elle  vole  en  éclats  .,  mais  le  maître  patron 

A  dominé  le  flot  rebelle. 

Et  dans  une  barque  plus  belle, 

Il  gagne  le  Rhône  et  l'y  scelle 
Avec  la  croix  de  Dieu  plantée  à  son  timon» 


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864  MIRÈIO,  GANT  VI. 

0  divin  arc-de-sedo  I  inmènso, 
Eterno  e  sublimo  clemènço! 

Vese  uno  terro  novo,  un  soûl  eu  que  fai  gau» 
D'oulivarello  en  farandoulo 
Davans  la  frucho  que  pendoulo, 
E  sus  li  garbo  de  paumoulo  ^^ 

Li  meissounié  jasent  que  teton  lou  barrau. 

E,  desnebla  pèr  tant  d'eisèmple, 
Dieu  es  adoura  dins  soun  lèmple... 
E  la  masco  di  Baus,  acô  di,  'mé  lou  det 

1  dous  enfant  mostro  uno  draio 
Qu'un  fîéu  de  jour  au  bout  ié  raîo, 
Menu,  menu...  Parton  en  aio, 

E  la  gaugno  aferado,  e  courbant  lou  coutet. 

De  soulo  terro,  au  Trau  de  Cordo  *> 
Lou  bèu  parèu  enfin  abordo; 

Remounton  au  soulèu...  Acatant  lou  roucas 
Emé  si  rouino  e  soun  vieiounge, 
MountMajour,  Tabadié  di  mounge» 
Taparèis  coume  dins  un  sounge. 

Se  fan  uno  brassado,  e  gagnon  lou  jouncas. 


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MIREILLE,  CHANT  Vl.  t(& 

Bel  arc-en-ciel  I  Lueur  immense  I 

Éternelle  et  douce  clémence  ! 
L'âge  d'or  rajeuni  revient  de  son  exil, 

Les  prés  s'émaillent  sous  leurs  herbes. 

L'olivier  a  des  fruits  superbes. 

Et  je  vois  sur  de  grandes  gerbes 
Les  moissonneurs  gisants  qui  tètent  le  baril  ; 

Et  révélé  par  tant  d'exemples, 

Le  Christ  est  béni  dans  ses  temples.  — 
Et  cela  dit,  du  doigt  la  sorcière  des  Baux 

Montre  aux  deux  enfants  une  voie, 

Qui,  sombre,  étroite,  se  déploie 

Vers  la  lumière  ;  et  non  sans  joie. 
Ils  partent  en  pliant  les  genoux  et  le  dos. 

Par  souterrains  au  Trou  de  Corde 

Enfin  le  jeune  couple  aborde. 
En  voyant  le  soleil  qui  dore  l'horizon, 

Mont-Majour  dont  le  toit  s'affaisse 

Sous  le  poids  lourd  de  la  vieillesse, 

Saisis  d'une  soudaine  ivresse 
Ils  s'embrassent  l'un  l'autre  et  gagnent  la  maison! 


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NOTES  DU  CHANT  SIXIÈME 


1.  Saint-Martin,  Maussano  (Saint-Martin,  Maussane),  vil- 
lages de  la  Grau.  {Tramountano)  Tramontane  vent  du  nord- 
est. 

2.  La  Touloubre,  petite  rivière  qui  se  jette  dans  Tétang  de 
Berre,  après  avoir  traversé  le  territoire  de  Salon,  patrie  dn 
poète  Gt  oussiliat. 

Lasirolo  souloumbrous,  (Nbstradamus,  le  sombre  astrologue 
Michel  de  Nostre-Dame,  ou  Nostradamus,  né  à  Saint-Kemy 
en  1503,  mort  à  Salon  en  1565,  exerça  la  médecine  avec  un 
grand  succès  sous  les  derniers  Valois.  11  s'adonna  aussi  aux 
mathématiques  et  à  l'astrologie,  et  publia  en  1557,  sous  le 
nom  de  Centuries ^  les  fameuses  prophéties  qui  ont  rendu  son 
nom  si  populaire.  Gharles  IX  le  nomma  son  médecin  en  titre 
et  le  combla  d'honneurs. 

3.  Agrioutat  (agriotat),  liqueur  composée  d'eau-de-vie  et 
de  sucre,  et  dans  laquelle  on  fait  macérer  des  cerises  courte* 
queue. 

4.  Trau  di  Fado  (trou  des  Fées).  Nous  aimons  à  citer  notre 
ami  Jules  Ganonge,  parce  qu'il  a  décrit  avec  bonheur  la  plu- 
part des  lieux  chantés  dans  ce  poème. 

«  Au  fond  d'une  gorge  bien  nommée  Enfery  je  suis  des- 
cendu dans  la  grotte  des  Fées;  mais,  au  lieu  des  gracieux 
fantômes  dont  mon  imagination  l'avait  peuplée,  je  n'y  ai 
trouvé  que  voûtes  sous  lesquelles  il  faut  ramper,  bloc.«  en- 
tassés, chauves-souris  et  profondeurs  ténébreuses.  Je  viens 
de  dire  que  cette  gorge  était  bien  nommée  Enfer  ;  nulle  part, 


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NOTES  DU  CHANT  VI.  âÔ7 

en  effet,  je  n*ai  tu  de  roches  aussi  étrangement  tourmentées  ; 
elles  se  dressent,  se  creusent,  se  prolongent  sur  le  vide  en 
gigantesques  entablements,  jardins  aériens  qui  soutiennent 
des  végétations  échevelées  ;  elles  s'ouvrent  en  défilés  comme 
ce  bloc  des  Pyrénées  fendu  par  le  glaive  de  Rolland.  ■  (His* 
toire  de  la  ville  des  Baux.  Avignon,  Aubanel  frères.) 

En  comparant  la  description  de  l'Enfer  de  Dante  à  ce 
paysage  bouleversé,  cyclopéen,  fantastique,  on  devient  con- 
vaincu d'une  chose  :  c'est  que  le  grand  poète  florentin,  qui 
voyagea  dans  nos  contrées  et  séjourna  même  à  Arles,  a  visité 
la  ville  des  Baux,  s'est  assis  sur  les  escarpements  du  valoun 
dlnfèr,  et,  frappé  de  cette  désolation  grandiose,  a  conçu,  au 
milieu  de  ce  cataclysme  de  pierres,  la  configuration  et  le 
sombre  caractère  de  son  Infemo.  Tout  ramène  à  celte  idée, 
et  le  nom  de  la  gorge  elle-même,  Infèry  et  sa  forme  amphi- 
thé.^trale,  qui  est  donnée  par  Dante  à  l'Enfer,  et  les  grandes 
roches  détachées  qui  en  forment  les  gradins, 

in  ta  l'estremilà  d'un'  alta  ripa 

Gbe  facevan  gran  piètre  rotte  in  cerchio, 

et  le  nom  provençal  de  ces  escarpements  eux-mêmes,  bauSt 
italianisé  par  le  poète,  baho,  et  donné  par  lui  aux  escarpe- 
ments de  son  lugubre  entonnoir. 

5.  Sanl'Trefume  (Saint-Trophime),  cathédrale  d'Arles, 
bâtie  au  septième  siècle  par  l'archevêque  saint  Virgile.  Fré- 
déric Barberousse  y  fut  sacré  empereur  en  1178. 

6.  «  Vers  le  temps  où  la  Vieille  irritée—  lance  à  Février  sa 
ruade. 

Eica  quand  la  Vièio  encagnado 
llando  à  Febrié  sa  reguignado. 

Les  paysans  du  Midi  ont  remarqué  que  les  trois  derniers 
jours  de  février  et  les  trois  premiers  de  mars  amènent  pres- 
que toujours  une  recrudescence  de  froid,  et  voici  comme  leur 
imagination  poétique  explique  cela  : 

Une  vieille  gardait  une  fois  ses  brebis.  C'était  à  la  fin  du 
mois  de  février,  qui,  cette  année-là,  n'avait  pas  été  rigou- 


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268  NOTES  DU  CHANT  VL 

reux.  La  Vieille,  se  croyant  échappée  à  Thiver,  se  permit  de 
narguer  Février  de  la  manière  suivante  : 

Adieu,  Febriël  'Më  U  febrerado 
M'as  fa  ni  peu  ni  pelado  1 

c  Adieu,  Février  1  Avec  U  gelée 
Ta  ne  m'as  fait  ni  peau  ni  pelée  1  » 

La  raillerie  de  la  Vieille  courrouce  Février,  qui  va  trouver 
Mars  :  «  Mars!  rends-moi  un  service!  —  Deux,  8*il  le  faut!  • 
répond  Tobligeant  voisin.  —  «  Prète-moi  trois  jours,  et  trois 
que  j*en  ai,  je  lui  ferai  peaux  et  pelées  !  » 

Presto-me  lèu  très  jour,  e  très  que  n'ai, 
Peu  e  pelado  ié  farai  I 

Aussitôt  se  leva  un  temps  affreux,  le  verglas  tua  Therbe  des 
champs,  toutes  les  brebis  de  la  Vieille  moururent,  et  la  Vieille, 
disent  les  paysans,  regimbait,  reguignavo.  Depuis  lors,  cette 
période  tempétueuse  porte  le  nom  de  Reguignado  de  la  Vièio, 
ruade  de  la  Vieille.  (Voyez  la  note  8  du  chant  VII*.) 

7.  VarigoulOt  Baumo  de  VaiHgoulo  (Varigoule,  grotte  de 
Varigoule),  profonde  caverne  du  Lubéron,  du  côté  de  Murs 
(Vaucluse). 

8.  Fanfarigoulo  (Fanfarigoule),  vallée  de  la  Grau,  du  côté 
d*Istre  (Bouches-du-Rhône), 

9.  Garrigo  (Garrigues).  (Voyez  chant  I*,  note  15.) 

10.  Lou  pas  de  la  Sambuco  (le  pas  de  la  Sambuque),  défilé 
redouté  des  voyageurs,  dans  les  montagnes  de  la  Sambuque, 
4  l'orient  d'Aix. 

11.  Paumoulo  (paumelle),  orge  à  deux  rangs  (hordeum 
distichum,  Lin.). 

12.  Cordo  (Corde),  t  A  Torient  d*Arles  s'élèvent  deux  col- 
lines qui,  primitivement,  n'en  durent  former  qu'une,  mais 
qu'un  marais  sépare  aujourd  hui.  Dans  le  sommet  nu,  rocail- 
leux et  plat  de  la  moins  haute,  les  Geltes  pratiquèrent  jadis 


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NOTES  DU  CHANT  VI.  t69 

en  forme  .de  glaive  une  excavation  couverte  de  blocs  gigan- 
tesques. Les  Sarrasins  campèrent,  dit-on,  sur  cette  colline; 
en  souvenir  de  Gordoue,  ils  lui  donnèrent  le  nom  de  Corde, 
qu'elle  porte  encore  aujourd'hui.  Des  traditions  merveilleuses 
l'animent  et  la  poétisent  :  c'est  la  Couleuvre-fée,  Mélusine 
^ovençale  ;  c'est  surtout  la  Chèvre-d'Or  qui  fait  trouver  le? 
trésors  cachés,  mais  rend  incurablement  tristes,  au  sein  d( 
leurs  richesses,  ceux  qui  ne  les  méritent  pas. 

«  L'autre  colline,  plus  grande,  porte  le  nom  presqqe  ro- 
main de  Mont-Majour.  ■  (Jules  Canonge,  lUustrationi  29  mai 
1852.) 

Sur  cette  colline  sont  les  ruines  gigantesques  de  la  célèbre 
abbaye  de  Mont-Majour.  Quant  à  la  grotte  de  Corde,  elle  porte 
aussi  le  nom  de  Trau-di-Fado,  comme  la  grotte  des  Baux; 
et,  d'après  la  croyance  populaire,  ces  deux  excavations  com- 
muniquent entre  elle9« 


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CANT  SETEN 

LI  VIÈI 


Lon  viëi  panieraire  emë  soun  ûéu,  asseta  darans  lou  lindaa  de  sa 
bdri,  trenon  uno  canestello.  —  Lou  ribeirés  d6u  Rose.  —  Vincèu 
dis  k  soun  paire  d'ana  demanda  Mirèio  en  mariage.  —  Refus  e 
remoustranço  d6u  vièi  —  Vinceneto,  sorre  de  Vincèn,  pèr  ajuda 
soun  traire  à  touca  Mèste  Ambroi,  conto  l'istdri  de  Sivèstrc  emë 
d'Alis.  —  Parlènço  de  Mèste  Ambroi  pèr  lou  Mas  di  Falabrego.  — 
L'arribado  e  lou  gousta  di  meissounië.  —  Mèste  Ramoun. —  Lou 
labour.  —  Rccit  d'Ambrùsi,  responso  de  Hamoun.  —  La  taulo  de 
Calèndo.  —  Mirèio  declaro  soun  amour  pèr  lou  fiéu  dôu  panieraire. 
—  Amaliciado,  cmprecacioun  e  refus  di  parent.  —  Endignacioun 
de  Mèste  Ambroi. —  Napouleon  eli  grandi  guerro.  —  Encagnamcn 
de  Mèste  Ramoun.  —  Lou  soudard  labouraire.  —  Farandoulo  di 
meissounië  à  Tentourdôu  fiA  de  Sant  Jan. 


—  Vous  dise,  paire,  e  vous  redise 

Que  n'en  siéu  fôu!...  Cresès  que  riseî 
En  tissant  Mèste  Ambroi  emé  d'iue  treboula 

Fasié  Vincèn  à  soun  vièi  paire. 

Lou  mistrau,  pondérons  courbaire 

Dis  àuti  pibo  dôu  terraire, 
A  la  voues  dôu  jouvènt  apoundié  soun  ourla. 

Davans  soun  cabanoun  dôu  Rose, 

Large  coume  un  crevèu  de  nose, 
Lou  vièi,  sus  un  to  d*aubre«  èro  asseta  au  calaac, 

E  desruscavo  de  redorto  ; 

Lou  jouine,  agrouva  sus  la  porto, 

Entre  si  man  adrecho  e  forto 
PIcgavo  en  canestello  aquéli  vergan  blanc. 


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CHANT  SEPTIÈME 

LES  VIEILLARDS 


Lo  vieux  vannier  et  son  ûls.  assis  devant  le  seuil  de  leur  cabane 
tressent  une  corbeille.  —  Paysage  des  bords  du  Rhône.  — Vincent 
engage  son  père  h  aller  demander  la  main  de  Mireille.  —  Refus 
et  remontrance  du  vieillard.  —  Vincenette,  sœur  de  Vincent,  se 
joint  à  son  frère  pour  fléchir  Maître  Amhroise,  et  raconte  l'histoire 
de  Sylvestre  et  d'Alix.  —  Départ  de  Maître  Ambroise  pour  le  Mas 
des  Micocoules.  —  L'arrivée  et  le  repas  des  moissonneurs.  —  Maître 
Ramon.  —  Lé  labour.  —  Récit  d'Ambroise,  réponse  de  Ramon.  — 
La  table  de  Noël.  —  Mireille  avoue  son  amour  pour  le  ûls  du 
vannier.  —  Courroux,  imprécations  et  refus  des  parents.  —  Indi- 
gnation de  Maître  Ambroise.  —  Napoléon  et  les  grandes  guerres* 
—  Emportement  de*  maître  Ramon.  —  Le  soldat  laboureur.  — 
Farandole  des  moissonneurs  autour  du  feu  de  la  Saint-Jean. 


—  Je  dis,  père,  et  je  dis  encore 
Que  j*eii  suis  fou,  que  je  Tadore. 

A  son  vieux  père  Ambroise  ainsi  parlait  Vincent, 
Les  yeux  fixés  sur  son  visage  ; 
Pendant  qu'un  vrai  mistral  sauvage, 
Courbant  les  arbres  du  rivage, 

Opposait  à  sa  voix  son  souffle  étourdissant. 

Devant  sa  hutte  à  peine  grande 
Gomme  une  coquille  d'amande, 

A  Tabri,  sur  un  tronc,  le  pauvre  et  vieux  vannier 
Écorçait  des  harts  ;  vers  la  porte. 
Pensif,  fiévreux  en  quelque  sorte, 
Le  jeune  homme,  d'une  main  forte. 

Tressait  ces  osiers  blancs  en  forme  de  panier. 


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Î72  MIRÈIO,  CANT  YII. 

Lou  Rose,  enmalicîa  pèr  l'auro, 
Fasié,  coume  un  troupèu  de  tanro. 

Courre  sis  erso  treblo  à  la  mar;  mai  eici, 
Entre  li  tousco  d'amarino 
Que  fasien  calo  einai  oumbrino, 
Uno  mueio  d'aigo  azurino, 

tiuen  dis  oundo,  plan-plan  venié  s'emperesL 

De  Tibre,  long  de  la  lauseto, 

Rousigavon  de  la  sauseto 
La  rusco  amaro  ;  alin,  à  .travès  lou  cristau 

De  la  calamo  countinuio, 

Apercevias  li  bruni  luio 

Barrula  dins  li  founsour  bluio, 
A  la  pesco  di  pèis,  di  bèu  pèis  argentau. 

Au  long  balaus  dôu  vent  bressaire» 
Aqui  de-long  li  debassaire 

Avien  penja  si  nis  ;  e  si  nis  blanquinèu, 
Teissu,  coume  uno  molo  raubo, 
£mé  lou  coutounet  qu'is  aubo 
L'aucèû,  quand  soun  flourido,  raubo. 

Boule gavon  i  brout  de  verno  em'  i  canèu. 

Rousso  coume  uno  tourtihado  S 

Uno  chato  escarrabihado, 
D'un  large  capeiroun  espandissié  li  pie. 

Trempe  d'aigo,  su  *no  figuiero. 

Li  bestiàri  de  la  ribiero, 

Nimai  li  piegre  di  broutiero, 
N'avien  pas  mai  de  pôu  que  di  jounc  tremoulet. 


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MIREILLE,  r.HAI«T  VU.  «7$ 

Poussé,  troublé  par  la  rafale, 

Gomme  un  grand  troupeau  qui  détale. 
Le  Rhône  vers  la  mer  pressait  son  mouvement; 

Mais  ici,  dans  une  échancrure 

Qu'entoure  un  rideau  de  verdure. 

Une  grande  mare  d*eau  pure 
Loin  du  fleuve  venait  s'alentir  mollement. 

IjOs  castors,  le  long  de  la  rive, 

Rongeaient  de  leur  dent  incisive 
L'écorce  au  suc  amer  des  saules  étêtés  ; 

Là-bas,  sous  le  cristal  de  l'onde, 

On  pouvait  voir  la  loutre  blonde 

Plonger  dans  la  vase  profonde 
Pour  pêcher  les  poissons  aux  reflets  argentés. 

Aux  verts  rameaux  des  aubépines 

Les  gracieuses  pendulines 
Avaient  pendu  leurs  nids;  et  leurs  jolis  nids  blancs, 

Tissus  comme  une  molle  robe, 

Du  coton  que  l'oiseau  dérobe, 

Sous  la  forme  d'un  petit  globe, 
Oscillaient  au-dessous  des  feuillages  tremblants. 

Aussi  blonde  que  la  touselle, 
Une  charmante  jouvencelle 
Aux  branches  d'un  figuier  croissant  au  bord  des  eaux , 
Étendait  un  filet  humide. 
Loin  de  la  fuir  l'oiseau  timide. 
Touché  de  sa  grâce  candide, 

Badinait  avec  elle  à  l'ombre  des  roseaux. 

18 


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«74  MIRÈIO,  CANT  VII. 

l^ecaire  !  èro  la  chatouneto 
De  Mèste  Ambrôsi,  Yinceneto. 

Sis  auriho,  degun  i'avié  'ncaro  trauca  ; 
Àvié  d*iue  blu  coume  d'agreno  *, 
Emé  lou  sen  boudenfle  à  peno  ; 
Espinouso  flour  de  tapeno 

Que  lou  Rose  amourous  amavo  d'espousca. 

Emé  sa  rufo  barbo  blanco 
Que  ié  toumbavo  enjusqu'is  aiico, 
Mèste  Ambroi  à  soub  fiéu  respoundè  :  Bartavèu, 
De  tout  segur  lou  dèves  èstre, 
Car  de  ta  bouco  sies  plus  mèstre  ! 

—  Pèr  que  l'ase  se  descabèstre, 
traire,  fau  que  lou  prat  fugue  rudamen  bèu  ! 

Mai  en  que  sèr  que  tant  vous  parle? 

Sabès  coume  èi!...  S'anavo  en  Arle, 
Li  fiho  de  soun  tèms  s'escoundrien  en  plourant. 

Car  après  elo  an  rout  lou  mole... 

Que  respoundrés  à  voste  dro'e, 

Quand  saubrés  que  m'a  di  :  Te  vole  ! 
—  Richesso  e  paureta,  foulas,  te  respoundran. 

—  Paire,  partes  de  Valabrego  ; 
Anas  au  Mas  di  Falabrego, 

E  lèu-lèu  !  à  si  gènt  racountas  tout  coume  es! 
Digas-ié  que  Ton  dèu  s'enchaure 
Se  l'orne  èi  brave  e  noun  s'èi  paure  ; 
Digas-ié  que  sabe  reclaure, 

Desmaienca  li  vigno  e  laboura  li  grès. 


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MIREILLE,  CHANT  VU.  275 

C'était  la  jeune  Vincenettc, 

Sœur  de  Vincent,  pauvre  fillette, 
Sans  perles  à  son  cou,  mais  pouvant  s'en  passer  ; 

Ses  yeux  bleus  étaient  sa  parure; 

Fleur  des  champs,  que  sous  la  verdure, 

D'une  joyeuse  éclaboussure 
Le  Rhdne  amoureux  d'elle  aimait  à  caresser. 

Avec  sa  barbe  rude  et  blanche 
Et  qui  descend  jusqu'à  sa  hanche  : 

—  Pauvre  foui  répondit  maître  Ambroise  à  Vincent  J 

Oui,  pauvre  fou  !  car  ton  langage 
Part  d'un  cerveau  qui  déménage. 

—  Quand  l'âne  court  au  pâturage, 
Père,  c'est  que  le  pré  le  tente  rudement! 

Mais  à  quoi  sert  que  je  vous  parle  I 
Vous  savez  bien  qu'en  terre  d'Arle» 
Des  filles  de  ce  type  et  de  cette  beauté. 
On  n'en  fait  plus  ;  sachez  de  même 
Qu'un  jour,  sans  aucun  stratagème, 
Elle  m'a  dit  ces  mots  :  Je  t'aime  ! 

—  Mon  fils,  pèse  ceux-ci  :  Richesse  et  pauvreté  ! 

—  Père,  partez  sans  plus  attendre, 
Allez  me  proposer  pour  gendre; 

Dites  à  ses  parents  toute  la  vérité  ; 

Dites-leur,  avec  politesse, 
'  Que  vertu  vaut  mieux  que  richesse; 

Que  je  sais  avec  quelque  adresse 
Labourer  en  hiver,  moissonner  en  été  ; 


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176  MIRÈIO,  GANT  VII 

Digas-ié  mai  que  si  sièis  couble, 
Sout  moun  gouvèr,  cavaran  double  ; 

Digas-ié  que  siéu  orne  à  respeta  li  vièi  ; 
Digas-ié  que,  se  nous  separon, 
Pôr  toujour  nôsti  cor  se  barron, 
E,  tant  iéu  qu'elo,  nous  entarronl... 

—  Ah  !  fagué  Méste  Ambroi,  sies  jouioe,  aqui  se  vôL 

Acô  's  riôu  de  la  poulo  blanco  !  > 

Acô  's  lou  lucre  ^  sus  la  branco  ! 
Auriés  gau  de  Tavé  ;  W  acô  lou  sounaras, 

lé  proumetras  la  papo  au  sucre, 

Gingoularas  fin  qu'au  sepucre... 

Jamai  veiras  veni  lou  lucre 
Se  pausa  sus  toun  det,  car  noun  sies  qu'un  pauras. 

—  Mai  d'èstre  paure  es  dounc  la  pèsto  f 
Yincèn  en  grafignant  sa  tèsto 

Cridè.  —  Mai  lou  bon  Dieu  qu'a  fa  de  causo  ansiu, 
Lou  bon  Dieu  que  me  vén  esclaure 
D6u  soulet  bén  que  me  restaure, 
Es-ti  juste?...  Perqué  sian  paure  ? 

Perqué,  déu  vignarés  embala  de  rasin. 

Lis  un  cueion  toute  la  frucho, 
E  d'autre  an  que  la  raco  eissucho?  — 
Mai  Ambroi  tout-d'un-tèms  aussaiit  lou  bras  en  l'èr  ; 

—  Treno,  vai,  treao  ti  pivelio, 
E  lévo  acô  de  ta  cervelle  ! 
Desempiéi  quouro  la  gavello 

Piepren  lou  meissounié?...  Lou  loumbrin  o  la  serp 


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MIREILLE,  CHANT  VU.  277 

Qu'avec  vous,  j'ai  fait  bon  ménage; 

Que  rien  ne  vaut  un  attelage 
Que  le  maître  conduit  après  qu'il  l'attela  ; 

Et  qu'enfin,  briser  notre  chaîne, 

C'est  vouloir,  à  date  prochaine, 

La  mort  de  leur  tille  et  la  mienne. 
—  Jeunesse!  dit  le  vieux,  je  te  reconnais  là! 

Tu  vois  l'œuf  de  la  poule  blanche, 

Tu  vois  le  lucre  sur  la  branche, 
Et  tu  veux  l'attirer  vers  ton  gîte  indigent; 

Fol  espoir  !  tentative  vaine  ! 

Tu  perdras  ton  temps  et  ta  peine... 

Flairant  ailleurs  meilleure  aubaine. 
Le  lucre  s'enfuira,  car  tu  n'as  pas  d'argent. 

—  Mais,  dit  Vincent,  aigri  de  reste, 
La  pauvreté,  c'est  donc  la  peste  ! 

Mais  lorsque  le  bon  Dieu,  qui  laisse  à  mes  voisins 

Les  biens  que  sa  bonté  leur  donne, 

Me  reprend  à  moi  son  aumône, 

Est-il  juste?  Lorsque  eu  automne 
Le  vignoble  à  foison  a  mûri  ses  raisins. 

Sied-il  qu'à  la  cuve  remplie, 
L'un  ait  le  vin,  l'autre  la  lie?... 
Mais  Ambroise,  aussitôt,  levant  les  mains  au  ciel  : 

—  Abstiens-toi  de  plaintes  pareilles, 
Mon  flls,  et  tresse  tes  corbeilles; 
Que  dirais-tu  donc  des  abeilles 

flemontrant  à  celui  qui  récolte  le  miel? 


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278  MIRËIO,  GANT  YII. 

Adonne  pôu  dire  à  Dién  :  Peirastre, 
Que  noun  de  iéu  fasiés  un  astre  ? 

Perqué,  dira  lou  biôu,  m*as  pas  créa  bouié  ? 
A-n-éu  lou  gran,  à  iéu  la  paio  !... 
Mai  noun,  moun  fiéu  :  marrido  o  gaîo, 
Tôuti,  soumés,  tenon  sa  draio... 

là  cinq  det  de  la  man  soun  pas  tôuti  parié  ! 

Lou  Méstre  fa  fa  lagramusot 
Tén-te  siau  dins  toun  asclo  nuso, 

Béu  toun  rai  de  souléu  e  fai  toun  gramaci. 
—  Mai,  vous  ai  pas  di  que  Tadore 
Mai  que  moun  Dieu,  mai  que  ma  sorre  ? 
Me  la  fau,  paire,  o  senoun  more  !... 

E  coume  pèr  liuen  d'eu  bandi  Taspre  soucit, 

De-long  dôu  flume  que  rounflavo, 
Eu  en  courrént  se  desgounflavo. 

Vinceneto,  la  sorre,  en  pleurant  alor  vén, 
E  ié  fai  au  vièi  panieraire  : 
Avans  de  maucoura  moun  fraire, 
Ausès-me,  pai  !  Ta  'n  labouraire, 

Au  mas  ounte  serviéu,  qu'èro  amourous  tambén  ; 

L'éro  de  la  fiho  dou  méstre, 

Alis  ;  eu,  ié  disien  Sivéstre. 
Au  travai  (tant  l'amour  1  avié  fa  courajous!) 

Èro  un  loup  !  en  toute  obro  abile, 

Abarous,  matinié,  doucile... 

Li  méstre,  anas,  dourmien  tranquile. 
Un  matin...  regardas,  paire,  s'es  pas  fachous^ 


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MIREILLE,  CHANT  YH.  270 

Que  dirais-tu  du  ver  de  terre 

A  l'astre  enviant  sa  lumière, 
Ou  des  bœufs  convoitant  les  ailes  des  oiseaux? 

Mon  fils,  il  faut  suivre  sa  voie 

Et  prendre  toujours  avec  joie 

Le  sort  que  le  ciel  nous  envoie... 
Les  cinq  doigts  de  la  main  ne  sont  pas  tous  égaux* 

Si  le  maître  t'a  fait  reptile. 

Sur  ta  roche  tiens-toi  tranquille, 
Et  rends  grâce  en  buvant  ton  rayon  de  soleil. 

—  J'ai  dit,  père,  et  je  dis  encore 

Que  j'en  suis  fou,  que  je  l'adore. 

Qu'un  feu  terrible  me  dévore. 
Et  que  j'ai  besoin  d'elle  et  non  pas  de  conseil.— 

Et  tout  en  tenant  ce  langage, 

Vincent  arpentait  le  rivage. 
Mais  alors  en  pleurant,  Vincenette,  sa  sœur, 

S'approche  et  dit  :  —  Âpprenex,  père, 

Avant  de  désoler  mon  frère. 

Ce  que  le  désespoir  peut  faire; 
A  la  ferme  où  j'étais,  un  jeune  laboureur, 

Plus  tendre  aussi  qu'il  ne  faut  l'être, 

Aimait  la  fille  de  son  maître  ; 
Lui  s'appelait  Sylvestre,  elle  avait  nom  Alix  ; 

Laborieux,  rangé,  docile. 

Pour  tout  ouvrage  difficile 

Sylvestre  était  le  plus  habile. 
Tant  l'amour,  de  cet  homme  avait  fait  un  phénix  ! 


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280  MIRÈIO,  GAMT  VII. 

Un  matin,  la  mouié  dôu  mèstre 

Enteiideguè  parla  Sivèstre  : 
Gountavo  d'escoundoun  soun  amour  à-n-AIis. 

A  dina,  quand  lis  orne  intrèron 

E  qu'à  la  taulo  se  yirèron, 

Lis  iue  dôu  mèstre  s'empurèron  I 
—  Traite  I  dis,  tè  toun  comte,  e  passo  que  t'ai  vist  !  -^ 

Lou  bon  ràfi  partiguè.  Nautre 

S'espinchavian  dis  un  is  autre, 
Mau-countènt  e  'spanta  de  lou  vèire  embandi. 

Très  semano,  dins  H  roi^mpido, 

Lou  veguerian  courre  bourrido 

Is  alentour  de  la  bastido. 
Tout  desvaria,  morne,  avala,  mau  vesti , 

Quouro  estendu,  quouro  à  grand  course  ; 

La  niue,  Tentendian  coume  uno  ourso 
Ourla  souto  li  triho  en  apelant  Alis!... 

Mai  un  jour,  pièi,  un  fiô  venjaire 

Que  flamejavo  i  quatre  caire 

Gounsumè  la  paiero,  o  paire, 
Ë  dôu  pous  lou  trihau  daverè  'n  negadiaj 

Aqui  s'aubourè  Mèste  Ambrôsi  : 

—  Enfant  pichot,  digue  renôsi, 
Pichoto  peno  ;  grand,  grand  peno.  —  E  mounto  d'aut. 

Cargo  sis  âuti  garramacho 

Qu'éu-meme  autre-tèms  s'èro  facho, 

Si  bon  soulié  garni  de  tacho, 
Sa  grand  bouneto  roujo,  e  camino  à  la  Grau. 


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MIREILLE,  CHANT  VIL  28i 

Un  ii\2tin,  l'épouse  du  maître 

Le  vit,  hélas  !  de  sa  fenêtre 
Causant  avec  Alix  d'un  air  trop  dégagé; 

Et  le  soir,  quand  la  compagnie 

Des  gens  du  mas  fut  réunie, 

Lui  reprochant  sa  félonie, 
Le  maître  lui  remit  son  compte  et  son  congé. 

Sylvestre  partit  sans  mot  dire. 

Nous,  nous  ne  songions  pas  à  rire, 
Désolés  de  le  voir  chasser  si  rudement  ; 

Et  pendant  plus  d'une  semaine 

On  le  vit,  comme  une  âme  en  peine. 

Traînant  sa  colère  et  sa  haine. 
Aux  alentours  du  mas  rôder  furtivement. 

Épier  tout  d'un  œil  sauvage. 

Et  parfois  même,  dans  sa  rage, 
Troubler  du  nom  d'Alix  le  silence  des  nuits... 

Puis  un  jour,  une  flamme  étrange, 

Venant  d'une  main  qui  se  venge, 

Dévora  la  meule  et  la  grange. 
Et  le  corps  d'un  noyé  fut  retiré  du  puits  ! 

A  cet  exemple  qui  l'entraîne  : 

—  Enfant  petit,  petite  peine. 
Dit  Ambroise  en  grognant;  grand  garçon,  grand  fardeau! 

Puis  il  monte,  prend  aux  filoches. 

Ses  grands  houseaux,  ses  deux  sacoches. 

Met  ses  bons  souliers  à  caboches. 
Son  large  bonnet  rouge  et  marche  vers  la  Grau. 


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m  MIRËIO,  GANT  VIL 

Erian  aa  tèms  que  li  terrado 

An  si  recordo  amadorado  : 
Èro,  TOUS  trouvarés,  la  ?ueio  de  Sant  Jan. 

Dins  li  draiôu,  long  di  baragno, 

Déjà,  pèr  noumbréusi  coumpagno, 

Li  prefachié  de  la  monntagno 
Venien,  brun  e  poussons,  meissouna  nôsti  champ  ; 

E  li  voulame  en  bandoulière 

Dins  li  badoco  de  fîguiero  ; 
Ensouca  dons  pèr  dons,  chasco  sôuco  adusént 

Sa  ligarello;  uno  flaveto, 

Un  tambourin  flouca  de  veto 

Acoumpagnayon  li  carreto, 
Ounte,  las  dôu  camin,  li  vièi  èron  jasent 

E  'n  ribejant  long  di  tousello 

Que,  sont  lou  vent  que  li  bacello, 
Ouiidejon  à  grands  erso  :  0  moun  Dieu  !  li  bèu  blad! 

Quénti  blad  drud  !  fasien  en  troupo; 

Acô  sara  de  belle  coupo  ! 

Vès  I  coume  Tauro  lis  estroupo, 
E  peréu  coume  en  l'èr  soun  lèu  mai  regibla  !  — 

Veici  qu'Ambroi  s'ajougnè  *m'  éli  : 

—  Soun  tôuti  preste  coume  aquéli, 
Vôsti  blad  prouvençau,  moun  segne  ?  —  fai  subran 

Un  di  jouvènt.  —  Fa  li  blad  rouge 

Que  soun  encaro  darrierouge  ; 

Mai,  en  durant  lou  tèms  aurouge, 
Veirés  que  li  voulame  à  Tobro  mancaran! 


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MIREILLE,  CHANT   VII.  283 

En  ce  temps-là,  dans  la  nature, 

Toute  récoite  devient  mûre. 
C'était  un  jour  de  juin,  yeiile  de  la  Saint-Jean  ; 

Sur  tous  les  points  de  la  campagne, 

Les  moissonneurs  de  la  montagne, 

Qu'une  gaité  franche  accompagne. 
Venaient  à  nos  moissons  fournir  leur  contingent. 

Leurs  faucilles  en  bandoulière 

Se  croisaient  sur  leur  gibecière  ; 
Accouplés  deux  par  deux,  chaque  couple  amenait 

Sa  lieuse  gente  et  proprette  ; 

Le  tambourin  des  jours  de  fête 

Battait  autour  de  la  charrette, 
Où  lassé  du  chemin  levieillard  se  tenait. 

Et  tout  en  longeant  les  touselles. 

Que  les  vents  frôlaient  de  leurs  ailes  : 
—  0  mon  Dieu  I  disaient-ils,  ô  mon  Dieul  les  beaux  blés! 

Voyez  comme  l'ivraie  est  rare  ! 

Quelle  coupe  ceci  prépare  I 

Si  parfois  le  ciel  est  avare, 
Cette  année,  en  revanche,  il  nous  aura  comblés  !  — 

Et  pendant  qu'Ambroise  s'avance  : 

—  Grand-père,  vos  blés  de  Provence 
Sont-ils,  comme  ceux-ci,  déjà  mûrs,  dit  lun  d'eux? 

—  Non,  mon  enfant,  car  tout  influe 
Sur  leur  marche  et  sur  leur  venue  ; 
Mais  si  ce  vent  frais  continue. 

Vos  bras  pour  les  couper  seront  trop  peu  nombreux  f 


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$84  MIRÈIO,  GANT  VII. 

Bemarquerias  li  très  candèlo, 
Pèr  Nouvè  ?  semblavon  d'eslello  : 

Rapelas-vous,  enfant,  que  i'aura  granesoun 
Pèr  benuranço  !  —  Dieu  vous  ause, 
E  dins  voste  èrri  la  repause, 
Bon  segne-grand  !  —  Entre  li  sause, 

Emé  lou  bouscatié  lis  orne  de  meissoun, 

Entanterin  que  s'avançavon, 

Bounamen  ansin  devisavon. 
E  s'atrovo  qu'au  Mas  di  grand  Falabreguié 

Peréu  venien  li  meissounaire. 

Mèste  Bamoun,  en  permenaire, 

Dôu  mistralas  desengranaire 
Venié  vèire  pamens  ço  que  lou  blad  disié, 

E  de  l'espigado  planuro 

Eu  iravessavo  la  jaunuro, 
D'auro  en  auro,  à  grand  pas  ;  e  li  blad  roussînèu  : 

—  Mèstre,  murmuravon,  es  Touro  ! 

Vès  coume  Tauro  nous  amourro, 

E  nous  estraio,  e  nous  desflouro... 
Boutas  à  vôsti  det  li  dedau  de  canèu  !  *  — 

D'autre  ié  yenien  :  Li  fournigo 

Déjà  nous  mounton  is  espigo  ; 
Tout-escas  plen  de  cai,  nous  derrabon  lou  gran.,< 

Vènon  pancaro  li  gourbiho  ?  — 

Aperalin  dins  lis  aubriho 

Lou  majourau  yirè  li  ciho, 
E  souQ  iue  peralin  li  descuerbe  subran. 


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MIREILLE,  CHANT  YII.  285 

Jamais,  je  crois,  les  trois  chandelles 
De  Moël  ne  furent  plus  belles, 
Et  c'est  un  signe  sûr  de  bonne  grenaison. 

—  Oh  !  grand-père,  Dieu  vous  entende  l 
Reprit  alors  toute  la  bande. 

Et  qu'en  abondance  il  répande 
Les  récoltes  aux  champs,  la  joie  à  la  maison  !  — 

C'est  en  échangeant  ces  paroles 

Qu'ils  cheminaient  le  long  des  saules. 
Or,  par  hasard,  au  Mas  des  grands  Micocouliers^ 

Tous  ces  moissonneurs  de  passage 

Dirigeaient  aussi  leur  voyage. 

Maître  Ramon  en  homme  sage, 
Seul  au  milieu  des  champs  qui  lui  sont  familiers» 

Écoutait  ce  qu'en  leurs  poèmes 
Les  blés  jaunes  disaient  eux-mêmes» 
De  la  pluie  ou  du  vent,  du  ver  ou  de  Toiseau: 

—  Maître,  murmuraient-ils,  c'est  l'heure t 
Voyez!  la  bise  nous  effleure... 
Portez-nous  dans  votre  demeure. 

Et  mettez  à  vos  doigts  vos  doigtiers  de  roseau.  — 

D'autres  disaient  :  —  Les  fourmis  folles 

Se  glissant  sous  nos  alvéoles. 
Même  avant  qu'il  soit  mûr,  nous  arrachent  le  grain... 

11  est  temps  que  le  grenier  s'ouvre. — 

A  ce  moment,  Ramon  découvre 

A  travers  l'ombre  qui  les  couvre, 
L'essaim  des  moissonneurs  arrivant  à  grand  train. 


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286  MIRÈIO,  CÂNT  VII. 

Entre  paraisse,  tout  l'eissame 

Desfourrelèron  li  youlame, 
Ë  dins  Ter  au  soulèu  li  fasien  trelusi, 

E  li  brandavon  sus  la  tésto, 

Pèr  saluda  'mé  faire  fèsto. 

Mai  à  la  troupelado  agrèsto 
Dôu  plus  liuen  que  Ramoun  pousquè  se  faire  ausi: 

—  Bèn-vengu  sias,  toute  la  bando! 
lé  cridé  ;  lou  bon  Dieu  vous  mando. 

E  lèu  de  ligarello  aguè  'n  brande  noumbrous 
A  soun  entour  :  —  0  nosle  mèstre, 
Toucas  un  pau  la  man  !  bèn-èstre 
Posque  emé  vous  longo-mai  èstre  ! 

NTaura  de  garbo  à  Fiero,  aquest  an,  Santo  Grous! . 

—  Noun  fau  juja  tout  pèr  la  mino, 
Mi  bèus  ami  !  Quand  pèr  l'eimino  ^ 

Aura  passa  Teirôu,  alor  de  ço  que  tèn 

Saubren  lou  just.  S'èi  vist  d'annado 
Que  proumetien  uno  grana^o 
A  fai  d'un  vint  pèr  eiminado, 

E  pièî  fasien  d'un  très!...  Mai  fau  èstre  countènt.  — 

E  *mé  la  fàci  risouleto, 

Toucavo  en  tôuli  la  paleto  ; 
Àmistadousamen  parlavo  à  Mèste  Ambroi, 

E  tout-bèu-just  prenien  la  lèio 

De  la  baslido,  que  :  —  Mirèio  ! 

Garnisse  lèu  la  cicourèio, 
E  vai  tira  de  vin,  cridavo,  tron-de-goi  ! 


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MIREILLE,  CHANT  Vit.  ^7 

Et  quand  leurs  yeux  se  rencontrèrent, 

Tous  ]es  moissonneurs  dégainèrent 
Leur  faucille,  et  dans  Tair  la  faisant  resplendir, 

Us  la  brandissaient  sur  leur  tête, 

Pour  saluer  et  faire  fête. 

Puis  à  la  troupe  qui  s'arrête, 
Du  plus  loin  que  Ramon  puisse  se  faire  ouïr  : 

—  Que  Dieu,  dit-il,  qui  vous  envoie, 
Vous  bénisse  et  vous  tienne  en  joie! 

—  Oui,  maître,  et  vous  aussi  !  lui  répondent  en  chœur 
Les  moissonneurs  et  les  lieuses, 
En  lui  tendant  leurs  mains  calleuses; 
Honneur  aux  terres  généreuses  ! 

A  l'aire,  cet  été,  que  de  gerbes.  Seigneur  ! 

—  Ne  jugez  rien  à  la  figure. 
Mes  bons  amis  ;  quand  la  mesure 

Nous  aura  dit  son  mot,  alors  on  pourra  voir. 

Au  cours  de  certaines  années 

J'ai  cru,  sur  de  bonnes  données. 

Aux  moissons  les  plus  fortunées  ; 
Puis,  au  dernier  moment,  la  récolte,  bonsoir!  — 

Et  gracieux  pour  tout  le  monde, 
Il  touchait  la  main  à  la  ronde. 
Ayant  pour  maître  Ambroise  un  soin  particulier  ; 
Et  du  plus  loin  qu'il  voit  Mireille  : 

—  Va  remplir,  dit-il,  ta  corbeille 

Des  plus  beaux  fruits,  et  sous  la  treille 
Apporte-nous  du  vin,  le  meilleur  du  cellier! 


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Î88  MIRËIO,    GANT  Vit. 

Lèa  aquesto,  à  pléni  faudado, 

Vujè  sus  tauio  la  goustado  ; 
Ramoun,  lou  bèu  proumié,  se  i'assèto  à-n-un  bout, 

£  léuti  fan  coume  eu.  En  briso 

Lou  pan  croustous  déjà  se  frise 

Souto  la  dent  que  l'enfreniso, 
Enterin  que  li  man  pescon  i  barbabou. 

La  taulo  fasîé  gau,  lavado 

Goume  uno  fueio  de  civado  ; 
Lou  cachât  '  redoulènt,  Taiet  que  fai  tuba» 

Li  merinjano  à  la  grasiho^ 

Li  pebroun,  cousènto  manjiho, 

Li  blôundi  cebo,  à  la  rapiho 
Dessus  li  yesias  courre,  à  bel  èime  escampa. 

Mèstre  à  la  taulo  coume  au  fouire» 
Ramoun,  qu'avié  contre  eu  lou  douire, 

De  tèms  en  tèins  ï'aussave,  e  :  D'aut  !  chourlen  un  cep  : 
Quand  i'a  de  pèiro  dins  lis  erine, 
Pèr  que  la  daio  se  referme, 
N'en  fau  bagna  lou  tai,  e  ferme  !  — 

E  lis  orne,  à-de-rèiig,  aparaven  lou  got. 

—  Bagnen  lou  tai  I  —  £  dôu  grand  inde 

Lou  vin  raiave,  rouge  e  linde, 
Is  àspri  gargassoun  di  gourbihaire.  —  Pièi, 

Venguè  Ramoun  à  la  taulade, 

Se  'n-cep  la  fam  èi  sa  ioulado, 

E  li  force  reviscoulado, 
Pèr  bèn  acoumença,  segound  l'usage  vièi. 


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MIREILLE,  CHANT  VU. 

Et  Mireille,  d'un  air  aimable, 

Place  le  goûter  sur  la  table. 
Ramon  va  le  premier  s'asseoir  à  l'un  des  bouts, 

Et  marque  ainsi  sa  préséance  ; 

Alors  tout  le  monde  s'avance. 

Et  chaque  convive  en  silence. 
En  grignotant  son  pain,  attaque  les  ragoûts* 

La  table  dûment  préparée 

Luisait  sous  sa  toile  cirée. 
L'oignon  qui  pique  à  l'œil,  l'ail,  terrible  alimenti 

L'aubergine  bonne  en  friture, 

Le  piment,  fort  de  sa  nature, 

Le  cachaty  rude  nourriture, 
Du  milieu  jusqu'aux  bords  roulaient  confusément. 

Ramon  habile  à  tout  conduire, 
A  ses  côtés  ayant  la  buire, 
A  fréquente  reprise  en  montrait  le  goulet: 

—  Amis,  disait-il,  la  gargouille, 
Si  rien  n'y  passe,  prend  la  rouille  ; 
Quand  la  faux  est  sèche,  on  la  mouille.  — 

Et  chacun  à  son  tour  tendait  son  gobelet. 

—  Mouillons  la  faux  !  —  Et  du  grand  vase 
Le  vin  limpide  se  transvase 

Dans  le  gosier  brûlant  des  joyeux  faucilleurs, 
Puis  Ramon  dit  à  l'assemblée  : 
— -  Mes  amis,  Theure  est  écoulée  ; 
La  joie  au  repas  s'est  mêlée, 

Selon  l'usage  antique,  allez  en  grapilleurs» 

19 


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890  MIRËIO,  GANT  VIL 

Coupas,  dias  li  bos  de  rebrouado. 
Ghascun  yoste  balaus  de  broundo; 

Qu'en  làupi  li  balaus  s'amoulounon.  Mi  fiéa. 
Quand  l'auto  làupi  sara  lèsto, 
De-vèspre,  coumphren  lou  rèsto, 
Car  de  Sant  Jan  aniue  's  la  fèsto, 

Saut  Jan  lou  meissounié,  Sant  Jan  Tami  de  Dieu  ! 

Ânsin  lou  mèstre  li  couraando. 

Dedins  la  sciènci  noblo  e  grando 
Que  faa  pèr  mena  'n  bèn,  que  fau  pèr  coumanda, 

Que  fau  pèr  faire  espeli,  souto 

La  tressusour  que  ié  degouto, 

L'espigau  blound  i  négri  mouto, 
De  n'en  saupre  coume  eu  res  poudié  se  vanta! 

Sa  vido  èro  paciènto  e  sobro  ; 

Es  yerai  que  si  lônguis  obro, 
Ëmé  lou  pes  dis  an,  Tavien  un  pau  gibla; 

Mai  au  tèms  dis  iero,  à  la  caro 

Souvènti-fes  di  jôuini  miarro, 

Fier  e  galoi,  pourtavo  encaro 
Sus  la  paumo  di  man  dous  plen  sestié  de  blad. 

Gouneissié  Taflat  de  la  luno, 
Quouro  es  bono,  quouro  impourtuho» 

Quouro  buto  la  sabo  e  quouro  Tentussis  ; 
E  quand  fai  rodo,  e  quand  es  palo. 
E  quand  es  blanco  vo  pourpalo, 
Sabié  lou  tèms  que  n'en  davalo. 

Pèr  eu  lis  auccloun,  lou  pan  que  se  mousis, 


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MIREILLE,  CHANT  VIT.  tdi 

Couper,  au  pied  des  roches  blanches, 

Chacun  votre  fagot  de  branches  ; 
Entassez-les;  placez  une  bigue  au  milieu; 

Qu'un  drapeau  flotte  sur  le  faite  ! 

Puis,  nous  irons,  tambour  en  tète, 

De  saint  Jean  célébrer  la  fête, 
Saint  Jean  le  moissonneur,  saint  Jean  Tami  de  Dieu.  -* 

Tels  furent  les  ordres  du  maître. 

Dans  Tart  utile  de  connaître 
Les  hommes  qu'à  la  ferme  il  devait  régenter. 

Et  dans  l'art  plus  utile  encore 

De  semer  et  de  faire  éclore 

L'épi  dont  la  terre  se  dore. 
Nul  d'être  son  égal  ne  pouvait  se  vanter. 

Sa  vie  était  sobre  et  modeste, 

Et  quoique  le  travail  agreste 
Et  de  nombreux  hivers  l'eussent  un  peu  courbé, 

Au  temps  où  son  aire  était  pleine 

Des  plus  forts  gars  de  son  domaine. 

Devant  eux  il  portait  sans  peine 
Sur  la  paume  des  mains  deux  pleins  setiers  de  blé. 

Il  savait  les  jours  où  la  lune 

Donne  ou  refuse  la  fortune  ; 
Uuand  elle  eide  la  sève  ou  qu'elle  l'engourdît; 

Les  temps  variés  qu'elle  amène. 

Selon  qu'elle  est  rouge  ou  sereine 

Ou  qu'un  anneau  pâle  la  gêne. 
Pour  lui  les  oisillons,  le  pain  qui  se  moisit, 


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291  MIRÈIO,  CANT  VIL    . 

E  li  jour  nègre  de  la  Vaco  •, 

Pèr  eu  li  nèblo  qu'Avoust  raco, 
E  li  contro-soulèu,  e  Taubo  de  Sant-Glar, 

Di  quaranteno  gabinouso, 

E  di  secaresso  rouinouso, 

Di  pountannado  plouvinouso, 
E  peréu  di  bons  an  èron  li  signe  clar* 

Dins  uno  terro  labourivo^ 

Quand  la  faturo  es  tempourivo, 
Ai  de-fes  agu  vist,  alalado  au  coutrié, 

Sièis  bèsti  grasso  e  nervïouso  ; 

Ëro  uno  visto  mervihouso! 

La  terro,  bleto  e  silenciouso, 
Plan-plan  devans  la  reio  au  soulèu  se  durbié* 

E  li  sièis  miolo,  belio  e  sano, 
Seguien  de-longo  la  rersano  ; 

Semblavon,  en  tirant,  coumprene  pèr-de-que 
Fau  que  la  terro  se  laboure  : 
Sens  camina  trop  plan,  ni  courre, 
De-vers  lou  sou  beissant  lou  mourre, 

AtentÎTO,  e  lou  côu  tiblant  coume  un  arquet. 

Lou  fin  bouié,  Tiue  sus  la  rego, 

E  la  cansoun  entre  li  brego, 
Tanavo  à  pas  tranquile,  en  tenènt  soulamen 

L'estevo  drecho.  Ansin  anavo 

Lou  tenamen  que  semenavo 

Mèste  Ramoun,  e  que  menavo, 
Uf.nîous,  coume  un  rèi  dins  soun  gouvernamén! 


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BIIREILLE,  CHANT  VIL  f93 

Les  jours  néfastes  de  la  Vache, 

Ceux  d'Août,  quand  le  soleil  se  cache» 
L'étrange  parhélie  et  Taube  de  Saint-Glair» 

Des  quarantaines  pluvieuses 

Ou  des  sécheresses  poudreuses, 

Ou  des  périodes  frileuses, 
Ou  bien  d'un  temps  propice  étaient  le  signe  clair. 

Dans  une  terre  labourable. 

Quand  la  saison  est  favorable. 
J'ai  vu  parfois  six  bœufs,  que  sa  main  attelait. 

Traîner  une  énorme  charrue 

Sous  leur  effort  à  peine  mue  ; 

£t  la  terre  qu'elle  remue 
Lentement  sous  le  soc  au  soleil  s'étalait. 

Et  les  six  bœufs  à  forte  haleine. 

En  tous  sens  parcourant  la  plaine. 
Allant  et  revenant  sur  le  même  sillon. 

D'un  pas  réglé,  la  tête  basse. 

Sans  que  leur  constance  se  lasse. 

Semblaient  comprendre  sous  leur  masse 
Qu'il  faut  semer  avant  de  faire  la  moisson. 

Le  fin  bouvier,  Tœil  sur  la  raie. 

Fredonnant  une  chanson  gaie. 
Les  suivait  impassible,  et  tenait  seulement 

Le  manche  droit.  Heureux  domaine 

Que  Ramon  retenait  sans  peine 

Sous  sa  mouvance  souveraine. 
Plus  glorieux  qu'un  roi  dans  son  gouvernement'!    . 


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294  MIRÈIO,  CANT  VIL 

Déjà  pamens  levant  la  fàcî, 

Lou  majourau  disié  li  gràci 
E  signavo  soun  front;  e  di  travaiadou 

L'escarrado  partie,  galoio, 

Pèr  alesti  lou  fiô  de  joio. 

D'uni  van  acampa  de  boio, 
D'autre,  di  pin  negras  toumba  lou  ramadou. 

Mai  li  dous  yièi  réston  à  taulo, 
E  Mèste  Âmbroi  pren  la  paraulo  : 

—  Vène,  iéu,  o  Ramoun,  vous  demanda  counsèu. 
y'arribo  uno  àrsi  qu'avans  Touro 
Me  coundurra  mounte  se  plouro  ; 
Car  noun  vese  coume  ni  quouro 

D'a(iuéu  nous  de  malur  poudrai  trouva  lou  sèu  ! 

Sabès  (pi'ai  un  drôle  :  jusqu'aro, 

D'uno  sagesso  mai  que  raro 
M'avié  donna  li  provo,  e  toustèms.  Auriéu  tort, 

Se  veniéu  dire  lou  countràri. 

Mai  touto  pèiro  a  si  gavàrri, 

Lis  agnèu  même  an  si  catàrri, 
E  Toundo  la  plus  traito  es  aquelo  que  dok\ 

Sabès  qu'a  fa,  lou  sounjo-fèsto? 

S'es  ana  mètre  pèr  la  tèsto 
Uno  chato  qu'a  vist  de  riche  meinagié..* 

E  la  vôu,  e  la  vôu,  lou  nèsci! 

E  tant  viôulènt  èi  soun  desfècî, 

E  soun  amour  de  talo  espèci 
Que  m'a  fa  peu!  En  van  i'ai  moustra  sa.foulié; 


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MIREILLE,  CHANT  VU.  «9& 

Déjà  pourtant  pour  rendre  grâce, 

Le  maître,  au  ciel  levait  sa  face, 
Et  se  signait  au  front;  déjà  des  moissonneurs 

Partait  la  troupe  qu'il  envoie 

Ramasser  pour  le  feu  de  joie, 

L*un  Ja  brindille  qui  flamboie, 
L'autre  le  pin  qui  fume  en  donnant  ses  lueurs. 

Les  deux  vieillards  restent  à  table  ; 

Croyant  le  moment  favorable, 
Ambroise  dit  :  —  Je  viens  demander  vos  conseiU 

Sur  une  peine  qui  m'arrive  ; 

Fasse  le  ciel  que  j'y  survive  ! 

Car,  à  coup  sûr,  âme  qui  vive 
Ne  fut  jamais  troublée  à  des  dejprés  pareils  I 

Mon  fils,  seul  Qls  dont  je  sois  père. 

Fut  d'une  sagesse  exemplaire 
Jusqu'à  l'heure  où  je  parle,  et  ceirtes,  j'aurais  tort. 

Si  j'osais  dire  le  contraire  ; 

Mais  tout  bonheur  a  sa  misère  ; 

On  voit  des  agneaux  en  colère, 
Et  l'eau  la  plus  perfide  est  souvent  Teau  qui  dort. 

Imaginez-vous  que  ce  drôle 

Sottement  a  fait  son  idole 
D'une  fille  qu'il  vit  chez  de  grands  tenanciers..  • 

Il  la  veut,  arrive  que  plante. 

Et  sa  folie  est  si  méchante 

Qu'à  vrai  dire  elle  m'épouvante, 
Et  m'a  fait  quelquefois  accuser  les  sorciers!  ^ 


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t^  MIRËIO,  GANT  YII. 

En  Tan  i*ai  di  qu'en  aquest  mounde 
Richesso  crèis,  pauriho  founde... 

—  Gourrès  dire  à  si  gènt  que  la  vole  à  tout  près, 
A  respoundu  ;  que  fau  s'encfaaure 
Se  Tome  es  brave  e  noun  s'es  paure. 
Digas-ié  que  sabe  reclaure, 

Desmaienca  H  vigno  e  laboura  li  grès. 

Digas-ié  mai  que  si  sièis  couble 
Sont  moun  gouvèr  cavarau  double  ; 

Digas-ié  que  siéu  orne  à  respeta  li  vièi; 
Digas-ié  que,  se  nous  separon, 
Pér  toujour  nôsti  cor  se  barron, 
E  tant  iéu  qu'elo,  nous  entarron  ! 

Aro  donne,  o  Ramoun,  que  vesés  ço  que  n'èi, 

Digas-me  s'emé  mi  roupiho 

Anarai  demanda  la  fiho, 
0  bén  se  leissarai  mouri  moun  drôle...  — ^  Pôu  ! 

Ramoun  ié  fai,  noun  largués  vélo 

Sus  un  tau  vent.  Eu  nimai  elo, 

Boutas,  mouriran  pas  d'aquelo  I 
Es  iéu  que  vous  lou  dise,  Ambroi,  n'agués  pas  pôu. 

Moun  ome,  en  voste  Hoc  e  plaço, 

Fariéu  pas  tant  de  cambo  lasso  : 
Acoumenço,  pichot,  de  garda  toun  repau, 

lé  vendriéu  sènso  mislèri, 

Que  s'a  la  fin  ti  refouléri, 

Ve!  fan  esniôure  lou  tenipèri, 
Sarnipabiéune  1  ve  I  i'endôutrine  em'  un  pau. 


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MIREILLE,  CHANT  VU.  297 

En  vain  lui  dis-je  qu'en  ce  monde 

Pauvreté  fond,  richesse  fonde; 
—  Gourez  à  ses  parents  dire  que  je  la  veux, 

Répond-il;  dites-leur  sans  cesse 

Que  vertu  vaut  mieux  que  richesse, 

Que  je  sais  avec  quelque  adresse 
Ébourgeonner  la  vigne  et  conduire  les  bœufs, 

Qu'avec  vous,  j'ai  fait  bon  ménage; 

Que  rien  ne  vaut  un  attelage 
Que  le  maître  conduit  après  qu'il  l'attela  ; 

Et  qu'enfin,  briser  notre  chaîne. 

C'est  vouloir,  à  date  prochaine, 

La  mort  de  leur  fille  et  la  mienne. 
Et  maintenant  Bamon,  en  sachant  tout  cela. 

Dites-moi,  si  sous  ma  guenille 

Au  mas  où  trône  cette  fille 
Je  dois  me  présenter,  ou  bien  laisser  mon  ûls  ' 

Se  consumer  dans  son  envie?... 

—  Bah!  dit  Bamon,  quelle  folie! 

Laissez  courir  la  maladie  ;  3 

Âmbroise  I  on  n'en  meurt  pas,  c'est  moi  qui  vous  le  dis; 

Et  si  j'étais  à  votre  place. 

Un  beau  matin,  de  guerre  lasse. 

Je  dirais  à  mon  fils  :  Va,  ton  mal  n'est  pas  neuf,' 
On  le  connaît  de  longue  date  ;  ^ 
Si  ton  cœur  trop  plein  se  dilate,"  ^ 

Serre-le  mieux;..,,  ou,  sij'éclatèv^'        < 

Fichtre!  je  t'endoctrine  avec  ce  nerf  de  boeuf.        ^    > 


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«98  MIREIO,  CANT  VU. 

Alor  Ambroi  :  —  Quand  l*ase  bramo, 

Tanés  doun;C  plus  traire  de  ramo  : 
Arrapas  un  barroun,  e  'm' acô  'nsucas-Iou!  — 

E  Ramoun  :  —  Un  paire  es  un  paire; 

Si  vou^ounta  dèvon  se  faire  ; 

Troupèu  que  meno  soun  gardaire 
Grucis,  à  tèms  o  tard,  dins  la  gorgo  dôu  loup. 

Qu'à  soun  paire  un  fiéu  reguignèsse, 
De  noste  tèms,  ah  !  Dieu  gardèssel 

L'alirié  tua,  belèu!...  Li  famiho,  tambèn, 
Li  yesian  forto,  unido,  sano, 
E  resistèi\to  à  la  chavano 
Goume  un  brancage  de  platane  ! 

Avien  proun  si  garrouio,  —  acoto,  lou  sabèn. 

Mai  quand  lou  vèspre  de  Galèndo  ^ 
Souto  soun  estelado  téndo, 

Acampavo.  loi^,  rèire  e  sa  generacioun, 
Davans  la  taulo  benesido, 
Davans  ta  taulo  ounte  presido, 
Lou  rèire,  de  sa  man  frounsido, 

IJiegayq  ^ut  acô  dias  sa  benedicioun  I  -<* 

Mai,  afebrido  e  blavinello, 
L'enamoi^rado  pichounello 

Vèn  alpr  à  soun  paire  :  —  Adounc  me  tuarés,^ 
0  paire  I  Es  iéu  que  Vincèn  anio, 
E,  davans  Dieu  e  Nosto-Damo, 
Res  aujre  qu'eu  n'aura  moun  amo!...  •« 

Un  tilènci  mourtau  li  prenguô  téuti  1res» 


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MIREILLE,  CHANT  VU.  299 

—  Bon!  quand  la  bête  est  affamée, 
Vous  lui  supprimez  la  ramée  ! 

Prenez  donc  un  gourdin  et  rompez-lui  le  dos» 

—  Oui,  mon  vieux,  un  père  est  un  père. 
Et  sa  volonté  doit  se  faire  ; 
Troupeau  qui  mène  sa  bergère 

Chez  le  loup  tôt  ou  tard  verra  craquer  ses  os. 

Qu'à  son  père  un  fils  fût  rebelle, 

De  mon  temps  !  Vous  la  baillez  belle  ! 

n  l'eût  plutôt  tué...  Les  familles,  aussi. 
On  les  voyait,  fortes  et  saines. 
Résister  aux  crises  humaines 
Comme  aux  vents  résistent  les  chônes! 

On  se  brouillait  parfois,  le  monde  est  fait  ainsi  ; 

Mais  à  Noël,  quand  la  coutume. 

Près  de  la  bûche  qu'on  allume. 
Rassemblait  les  parents  pour  le  repas  béni, 

L'aïeul, devant  la  table  ornée 

Des  plus  beaux  produits  de  l'année, 

Élevait  sa  main  décharnée, 
Bénissait  tout  le  monde  et  tout  était  fini. 

Mireille  écoutait,  pâle,  émue... 

Quand  soudain,  ferme  et  résolue, 
Elle  dit  à  son  père  :  —  Eh  bien  !  immolez-moi, 

Père,  c'est  moi  que  Vincent  aime! 

El  fussé-je  à  Theure  suprême, 

Devant  la  Vierge  et  Dieu  lui-même. 
Je  lui  voûrais  encor  mon  amour  et  ma  foi  !  -— 


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800  MIRÈIO,  GANT  YII. 

Jano-Mario  es  la  proumiero 
Que  s'aubourè  de  la  cadiero  : 

—  Ma  flho  !  la  resoun  que  vènes  d'alar^ 
lé  fai  ansin  'mé  H  man  jouncho, 
Es  uno  esconio  que  nous  councho, 
Es  uno  espino  d'aigo-espouncho 

Que  nous  a  pèr  long-tèms  nôsti  cor  trafigal 

As  refusa  lou  pastre  Âlàri, 

Âquéu  qu'avié  mile  bestiàri  ! 
Refusa  Yeranel  lou  gardian  ;  rebuta, 

Pèr  ti  manière  besuqueto, 

Ourrias,  lou  tant  riche  en  vaqueto! 

Em'  acô  pièi,  em'  un  fresque to, 
Em*  un  galo-bon-tèms  te  vas  encoucourda  *®! 

Bèn  !  i'anaras  de  porto  en  porto 

Einé  toun  gus  courre  pèr  ortol 
Sies  toulo  tiéuno^  parte,  abôuinianido!...  Boa! 

Assôcio-te  *mé  la  Roucano, 

Einé  Beloun  la  Roubicauo  ! 

Sus  très  caiau,  emé  la  Gano, 
Vai  couire  ta  bouiaco  à  la  sousto  d'un  ponti  — 

Mèste  Ramoun  leissavo  dire  ; 

Mai  soun  iue,  lusènt  coume  un  cire, 
Soun  iue  parpelejavo  e  jitavo  d'uiau 

Soulo  sis  usso  espesso  e  blanco. 

De  sa  coulèro  la  restanco 

Pièi  à  la  longo  se  desranco, 
E  Toundo  J  boui  feroun  s'esclafis  dins  lou  riau  ; 


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MIREILLE,  CHANT  Vlî.  301 

Tous  trois  sont  pris  d'un  long  silence... 

Jeanne-Marie  enfin  s'avance  : 
—  Ma  fille  !  le  propos  que  tu  viens  de  lancer. 

Les  deux  mains  jointes,  lui  dit-elle, 

A  ma  tendresse  maternelle 

Fait  une  injure  trop  cruelle 
Pour  que  le  souvenir  puisse  s'en  effacer  f 

Alari  !  ce  pâtre  qu'on  cite. 

Tu  Tas  congédié  bien  vite! 
Véran  le  beau  gardien,  Ourrias  le  grand  toucheur. 

Tu  les  as  mis  en  quarantaine... 

Et  puis,  un  vannier  dans  la  gêne. 

Un  fou  qui  court  la  prétentaine, 
Un  va-nu-pieds,  suffit  pour  fasciner  ton  cœur. 

Eh  bien!  vas-y  de  porte  en  porte. 
Avec  ton  gueux  servant  d'escorte  I 

Tu  t'appartiens,  va-t'en,  pars,  bohémienne....  Bon! 
Prends  pour  compagne  la  Roucane, 
Avec  Belon  la  Roubicane, 
Et  sur  trois  cailloux,  près  d'un  âne, 

Fais  cuire  ton  souper  sous  la  voûte  d'un  pont! 

Ramon  écoutait  sans  mot  dire. 
Son  œil  brillait  comme  la  cire, 

Roulant  dans  son  orbite,  et  jetant  des  éclairs; 
Enfin  sa  colère  déborde. 
Gomme,  des  harpes  qu'on  accorde. 
Quand  tout  à  coup  casse  une  corde. 

S'échappe  un  son  strident  qui  vibre  dans  les  airs  : 


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8^«  MIRÈIO,  CANT  VII. 

—  A  resoun,  o,  ta  maire  I  parte, 
Ë  que  Taurige  liuen  s*esvarte!... 

Mai  noun,  demouraras,  veses?...  Quand  saubricu 

De  t'estaca  *mé  lis  enfèrri, 

E  de  te  mètre  i  narro  un  fèrri, 

Coume  se  fai  à-n-un  gimèrri  ; 
Veguèsse-iéu  subran  toumba  lou  fiô  de  Dieu  ! 

De  facharié  morno  e  malaulo, 

Veguèsse-iéu  foundre  ti  gauto, 
Goume  la  nèu  di  colo  à  Tuscle  déu  soulèu! 

Mirèio  !  coume  aquelo  graso 

D6u  fougueiroun  porto  la  braso; 

Goume  lou  Rose,  quand  s*arraso, 
Fau  que  desbouude,  e  ve  !  coume  acô  's  un  caièu, 

Rapello-te  de  ma  paraulo  : 

Lou  veiras  plus!...  E  de  la  taulo 
Em'  un  grand  cop  de  poung  destrantaio  ramploor. 

Goume  l*eigagno  sus  li  berlo, 

Goume  un  rasin  que  si  pouperlo 

Plovon  à  Taure,  perlo  à  perlo 
Mirèio  entanterin  escampavo  si  plour. 

—  Quau  m'a  pas  di,  malayalisco  ! 
Repren  loa  vièi,  bret  de  la  bisco, 

Ambroi,  quau  m*a  pas  di  que  vous,  vous,  Mèste  Ambrui, 

Aguès,  'mé  voste  tantalôri, 

Entrepacha  dins  vosto  bôri 

Aquel  infâme  raubatôri  I...  — 
L'ondignacioun,  aquest,  Tenaurè  tout  revoL 


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MIREILLE,  CHANT  VIL  803 

—  Oui,  pars,  vilaine,  et  bon  voyage  ! 

Et  qu'au  loin  éclate  Torage  !... 
Mais  non,  tu  resteras,  vois-tu,  quand  je  devrais, 

Te  mettant  au  rang  des  esclaves. 

Sous  le  poids  d'ignobles  entraves 

Te  clouer  au  fond  de  mes  caves  ! 
Dût  la  foudre  m'atteindre,  et  dussent  tes  attraits» 

Privés  du  soin  qui  les  protège. 

S'évaporer,  mieux  que  la  neige 
Ne  s'évapore  aux  feux  des  premiers  jours  de  Mai, 

Je  mettrai  un  à  tes  intrigues! 

Gomme  un  ûguier  porte  des  figues  ; 

Gomme  le  Rhône  rompt  ses  digues 
Alors  qu'il  ne  peut  plus  s'y  tenir  enfermé. 

Souviens-toi  de  cette  parole  : 

Tu  ne  reverras  plus  ce  drôle  !..  — 
Et  d'un  grand  coup  de  poing  qu'il  frappe  en  ses  fureurs, 

La  table  entière  est  ébranlée  ; 

Et  comme  pleure  la  fouillée 

Quand  un  orage  l'a  mouillée, 
Mireil/e  en  même  temps  laissait  couler  ses  pleurs. 

Mais,  dit  Ramon  qui  se  ravise, 

Et  que  la  colère  électrise  : 
— Qui  m'assure  que  vous,  mattre  Âmbroise,  oui,  que  vous, 

Avec  votre  progéniture, 

N'ayez  pas  dans  votre  masure 

Machiné  cette  forfaiture  ?  — 
Là,  l'indignalion  allumant  son  courroux; 


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304  MIRÈIO,  CANT  VII. 

—  MalaD  de  Diéut  cridè  tout-d'uno, 

Se  ravèn  basse,  la  fourtuno, 
Vuei  aprenès  de  iéu  que  pourtan  lou  cor  aut! 

Que  sache  encaro,  n'es  pas  vice 

La  paureta,  nimai  brutice  ! 

Ai  quarante  an  de  bon  service, 
De  service  à  l'armado,  au  son  di  canoun  raul 

Just  manejave  uno  partego, 

Que  siéu  parti  de  Valabrego 
Pèr  môssi  de  veissèu.  Emplana  sus  la  mar, 

Sus  la  mar  tempestouso  o  lindo, 

Ai  vist  Fempèri  de  Melindo, 

Emé  Sufren  ai  treva  Tlndo, 
E)  mai  que  la  marino>  agu  de  jour  amarl 

Soudard  peréu  di  grandi  guerre, 

Ai  barrula  touto  la  terre, 
Em'  aquel  aut  guerrié  que  mountè  dôu  Miejour, 

E  permenè  sa  man  destrùssi 

De  TEspagno  à  Fermas  di  Rùssi  ; 

E  coume  un  aubre  de  perùssi 
Lou  mounde  s'espôussavo  au  brut  de  si  tambour  I 

£  dins  Tourrour  dis  arrambage, 
E  dins  l'angouisso  di  naufrage, 

Li  riche,  pèr  acô,  n'an  jamai  fa  ma  part! 
E  iéu,  enfant  de  la  pauriho, 
Iéu  que  n'aviéu  dins  ma  patrie 
Pas  un  terroun  à  planta  reio, 

Pèr  elo,  quarante  an,  ai  matrassa  ma  car! 


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MIREILLE,  CUkm  VU.  905 

—  Malheur!  lui  dit  AmbroîseijSQ  fao^     ? 
>  On  peut,  sans  éu  3  homme  de  r^çe,         1 
\voir  une  âme  noble  et  porter  le  cœur  haut?         / 

Et  la  pauvreté,  que  je  sache, 

N'a  rien  qui  vicie  ou  qui  tache; 

Pendant  quarante  ans,  sans  relâche. 
J'ai  servi  mon  pays  en  suivant  son  drapeau; 


  peine  grand  comme  le  pouce^ 

Je  suis  parti  pour  être  mousse  ; 
Errant  sur  la  mer  calme  ou  les  flots  en  courroux 

Au  gré  du  vaisseau  qui  les  scinde, 

J'ai  vu  l'empire  de  Mélinde, 

Avec  Suffren,  j'ai  couru  l'Inde, 
Et  passé  bien  des  jours  qui  n'avaieqt  rien  4e  dpuiç. 

Ainsi  fait  ^  Vart  de  la  guerre, 

J'ai  suivi  sur  toute  la  terre, 
Ce  guerriei",  le  plus  grand  des  guerriers  de  nos  jours  5 

En  Prusse,  en  Espagne,  en  ilussie, 

Mille  fois,  j*ai  risqué  m^  vie, 

Pendant  qu'au  gré  de  son  envie. 
Il  secouait  le  monde  au  bruit  de  ses  tambours. 

Et  dans  l'horreur  des  abordages. 

Et  dans  l'angoisse  des  naufrages. 
Les  riches,  après  tout,  n'ont  jamais  fait  ma  p|f(] 

Et  moi,  qu'au  banquet  de  la  vie. 

Nul  Dieu  propice  ne  convie. 

Moi  qui  q'ai  rien  dans  ma  patrie. 
Quarante  ans,  de  mon  corps  je  lui  fis  un  rem|^rl(^ 


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80G  MIRËIO,  GANT  VIL 

E  couchavian  à  la  plouvino, 

E  manjavian  que  de  canino  ! 
E  jalous  de  mouri,  courrian  au  chapladis, 

Pér  apara  lou  nouai  de  Franco... 

Mai,  d'acô,  res  n'a  remembranço  !  — 

En  acabant  sa  remoustranço, 
Pèr  lou  mas  bandiguè  sa  jargo  de  cadis. 

—  Qu'anas  bousca  vers  Mount-de-Vergue  " 

Lou  Sant-Pieloun  **  î  —  lou  vièi  rouërgue 
Banibaio  coume  eiçô  Mèste  Àmbroi,  —  emai  iéa 

Ai  ausi  l'orre  tron  di  boumbo 

Di  Toulouuen  clafi  la  coumbo  ; 

D'Ârcolo  ai  vist  lou  pont  que  toumbo» 
E  li  sablas  d'Ëgito  embuga  de  sang  viéu! 

Mai,  de  retour  d'aquéli  guerre, 

A  fouire,  à  bourjouna  la  terro 
Nous  sian  mes  coume  d'orne,  à  se  desmesoula, 

De  pèd  e  d'ounglo  !  La  journado 

Èro  avans  l'aubo  entamenado, 

E  la  luno'di  vesprenado 
Nous  a  vist  mai  d'un  cop  sus  la  ti'enco  gibla  ! 

Dison  :  La  terro  es  abelano  I 
Mai,  coume  un  aubre  d'avelano, 

En  quau  noun  la  tabasso  à  grand  cop,  donne  rèn  ; 
E  se  coumtavon,  dèstre  dèstre  ^\ 
Li  moutihoun  d'aquéu  bèn-èstre 
Que  moun  travai  me  n'a  fa  mèstre, 

Coumtarien^i  degout  de  moun  front  susarènt! 


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MIREILLE,  CHANT  VII.  9&I 

Et  souvent  couchés  sur  la  dure, 

N'ayant  pour  toute  nourriture 
Qu'un  pain  noir,  nous  trouvions  que  le  sort  le  plus  beau» 

C'était  de  mourir  pour  la  France.... 

Et  votre  indigne  défiance 

Est  aujourd'hui  ma  récompense  ! . . .  — 
A  ces  mots,  par  la  ferme  il  jette  son  manteau. 

—  Bah  !  dit  l'autre,  exhalant  sa  bile. 

Ce  chant  lyrique  est  inutile; 
Respect  à  vos  chevrons!  mais  chacun  a  les  siens! 

Gomme  vous,  j'ai  joué  mon  rôle, 

Toulon  fut  ma  première  école. 

J'ai  vu  tomber  le  pont  d'Arcole, 
Et  rougi  de  mon  sang  les  sables  égyptiens! 

Mais  après  ces  trop  longues  guerres, 

A  piocher,  à  fumer  nos  terres, 
Nous  vîmes  qu'il  fallait  demeurer  attachés 

De  pied  et  d'ongle  !  et  la  journée 

S'ouvrait  avant  la  matinée, 

Et  plus  d'une  fois,  étonnée, 
La  lune  nous  surprit  courbés  sur  nos  louchets  t         ^ 

On  dit  la  terre  généreuse  ! 

Mais  sans  la  bêche  qui  la  creuse. 
Ingrate  et  désolée  elle  ne  donne  rien  ; 

Et  si  l'on  désirait  connaître 

Par  quel  moyen,  au  toit  champêtre. 

Je  mis  l'aisance  et  le  bien-être. 
Mes  gouttes  de  sueur  l'indiqueraient  très  bien. 


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30g^  MIRËIO,  GANT  Vil. 

Santo  Âno  d'At  !  pièi  fau  rèn  dire  ! 
Aurai  adounc,  coume  un  satire  ^S 

Rustica  de-countùnio,  e  manja  mi  grapié, 

Pèr  qu'à  l'oustau  lou  viéure  abounde, 

Pèr  que  de-longo  se  i'apounde, 

Pèr  me  mètre  à  l'ounour  dôu  mounde, 

Pièi  dounarai  ma  fiho  à-n-un  gus  de  paie  ! 

Anas-vous-en  au  tron  de  Diéune  ! 
Gardo  toun  chin,  garde  moun  ciéune.  — 

Tau  fugue  dôu  pelot  lou  parla  rabastous 
£  l'autre  vièi,  s'aussant  de  taulo, 
Prenguè  sa  jargo  emé  sa  gaulo, 
E  n'apoundè  que  dos  paraulo  : 

Adessias  !  Quauque  jour,  noua  fugues  regretous  ! 

E  lou  grand  Dieu  emé  sis  ange 

Mené  la  barco  e  lis  arange  !...  — 
E  coume  s'enanavo  emé  lou  jour  fali, 

Souto  lou  vènt-lerrau  que  bramo» 

Banejè  dôu  mouloun  de  ramo 

Uno  longo  lengo  da  flamo. 
Au  tour,  li  meissounié,  de  joio  trefouli, 

Emé  si  tèsto  fièro  e  libre 

Se  revessant  dins  Ter  que  vibro, 
fôuti,  d'un  même  saut  picant  la  terro  ensèn, 

Fasien  déjà  la  farandoulo. 

La  grand  flamado,  que  gingoulo 

Au  revoulun  que  la  ventoulo, 
Empuravo  à  si  front  de  rebat  trelusènt. 


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MIREILLE,  CUAMT   VU.  31 

Sainte  Anne  d*Apt  !  il  faut  se  taire... 
J'aurais  donc  comme  un  mercenaire 

Subi  le  poids  du  jour,  pâti,  vécu  de  rien. 
Pour  rendre  ma  terre  féconde. 
Pour  qu'à  ma  maison  tout  abonde. 
Pour  me  mettre  à  l'honneur  du  monde^ 

Et  puis  je  donnerais  ma  fille  à  ce  vaurien  ! 

Ah  !  plutôt  que  le  ciel  s'écroule  ! 

Garde  ton  coq  et  moi  ma  poule.  — 
Ainsi  parla  Hamon  en  termes  peu  discrets  ^ 

Ambroise  alors,  quittant  sa  place, 

Prend  son  bâton  et  sa  besace, 

Et  part  en  disant  à  voix  basse  : 
— Adieu!  mais  quelque  jour  n'ayez  point  de  regrets! 

Et  que  Dieu  suivi  de  ses  anges 

Mène  la  barque  et  les  oranges  !...  — 
Et  comme  il  s'en  allait,  avec  le  jour  changeant, 

Sous  la  brise,  à  l'accoutumée. 

S'élève  du  tas  de  ramée 

Un  trait  de  flamme  et  de  fumée. 
Les  moissonneurs  joyeux  en  cercle  se  rangeant. 

Avec  leur  tête  fiêre  et  libre, 

La  renversant  dans  l'air  qui  vibre, 
Et  frappant  de  leurs  sauts  la  terre  en  même  temps. 

Faisaient  déjà  la  farandole  ; 

La  grande  flamme  qui  s'envole 

Sous  la  bourrasque  qui  la  frôle, 
Attisait  sur  leurs  fronts  des  reflets  éclatants. 


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3W  MIRÈÏO,  GANT  V!î.  . 

Li  belugo,  à  remoulinado, 

Mounton  i  nivo,  aferounado . 
Au  crucimen  di  trounc  toumbant  dins  lou  brasas. 

Se  mesclo  e  ris  la  musiqueto 

Dôu  flahutet,  revertigueto 

Goume  un  sausin  dins  H  branqueto... 
Sant  Jan,  la  terro  aprens  trefoulis,  quand  passas! 

La  régal  ido  petejavo  ; 

Lou  tambourin  vounyounejavo, 
Grèu  e  countinuous,  coume  lou  chafaret 

De  la  mar  founso,  quand  afloco 

Pasiblamen  contre  li  roco. 

Li  lamo  fore  di  badoco 
£  brandussado  en  l'èr,  li  dansaire  mouret, 

Très  fes,  à  grandis  abrivado, 

Fan  dins  li  flamo  Ja  Bravade  ^^, 
£  tout  en  trépassant  lou  rouge  cremadou, 

D*un  rèst  d'aiet  trasien  li  veno 

Au  recaliéu;  e,  li  man  pleno 

De  trescalan  e  de  verbeno, 
Que  fasien  benesi  dins  lou  ûô  purgadou  : 

—  Sant  Jan  I  Sant  Jan  !  Sant  Jan  !  cridayon. 

Tôuti  li  colo  esbrihaudavon, 
Coume  s'a  vie  plôugu  d'estello  dins  Toumbrun... 

Enterin  la  rounflado  folo 

Empourtavo  Tencèns  di  colo 

Emé  di  fiô  la  rougeirolo 
Vers  lou  Sant,  emplana  dins  lou  blu  calabrun. 


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MIREILLE,   GUANT    VII.  811 

Furibondes,  continuelles. 

Dans  Tair  montent  les  étincelles  ; 
Au  craquement  des  troncs  tombant  avec  fracas    .  . 

Au  milieu  du  brasier  rougeâtre,         ^ 

Se  mêle  avec  son  tril  folâtre  ' 

Le  son  du  fifre  ami  du  pâtre- 
Saint  Jean  !  le  sol  entier  tressaille  sous  vos  pas! 

De  plus  en  plus  la  flamme  brille; 

Comme  aubade  au  feu  qui  pétille 
Le  tambourin  bourdonne  un  air  grave,  imitant 

La  plainte  vague  et  continue 

Du  flot  qui  flue  et  qui  reflue  ; 

Brandissant  leur  faucille  nue, 
Les  danseurs  bruns,  suivant  un  usage  constant, 

Font  trois  fois,  par  mainte  gambade. 

Autour  des  flammes  Ja  Bravade; 
El  puis  joyeux,  fringants,  pour  mieux  s'entretenir 

Dans  rivresse  qui  les  entraîne. 

Ils  sautent  le  feu,  la  main  pleine 

De  tresses  d'aulx  et  de  verveine 
Qu'ils  jettent  dans  la  cendre  et  qu'ils  y  font  bénir  :    ' 

Saint  Jean  I  Saint  Jean  I  criait  la  foule  ; 

Et  pendant  qu'au  loin  se  déroule 
Un  vaste  cercle  d'or  à  l'horizon  en  feu,.,. 

A  l'envi,  les  brises  badines 

Emportaient  l'encens  des  collines, 

Et  les  bluetles  purpurines, 
,  Vers  saint  Jean  qui  planait  dans  le  fond  du  ciel  bleu. 


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NOTES  DU  CHANT  SEPTIÈME 


1.  Taurtihado  (tortiilade),  gâteau  en  forme  de  couronne, 
fait  de  fine  pâte,  de  sucre,  d*œufs  et  d'anis. 

2.  Agreno  (prunelle),  fruit  du  prunellier. 

3.  Cett  là  Vœuf  de  la  Poule  blanche  :  expression  proverbiale, 
pour  dire  une  chose  rare,  précieuse,  à  laquelle  on  tient  beau- 
coup. Les  sorciers  allaient  avec  une  poule  blanche  aux  carre- 
fours, au  clair  de  lune,  et  évoquaient  le  diable  par  ce  cri  trois 
fois  répété  :  Pèr  la  vertu  de  mapou/o^tonco/Juvénal,  en  par- 
lant d'un  homme  heureux^  dit  :  Gallinœ  filius  albœ, 

4.  Lucre  (lucre),  tarin  de  Provence  {fringUla  spiriuSt  Lin.), 
oiseau  'd*un  beau  jaune  et  dont  le  chant  agréable  a  passé  en 
proverbe. 

5.  Dèdau  (doigtiers),  doigtiers  de  roseau  que  les  moisson- 
neurs adaptent  aux  doigts  de  leur  main  gauche,  afin  de  ne 
pas  se  blesser  avec  la  faucille. 

6.  Eimino  (hémine),  boisseau.  —  Héminée  {eiminada\ 
mesure  de  superficie^  8  ares  75,  variable  selon  les  pays. 

7.  Cachât  (cachât),  fromage  pétri  qui  acquiert  par  la  fer- 
mentation un  goût  excessivement  piquant.  Ce  mets  figure 
journellement  sur  Ja  table  des  valets  de  ferme,  ou  ràfi. 

8.  Les  jours  néfastes  de  la  Vache,  vulgairement  U  Vaquei- 
riéu.  Ce  sont  les  trois  derniers  jours  de  mars  et  les  quaCre 


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"     NOTES  OU  CHANT  Vil.  313 

premiers  d'avril,  période  redoutée  des  paysans.  On  a  vu,  dans 
la  note  7  du  chant  VI,  ce  que  les  Provençaux  entendent  par 
la  Vieille»  Voici  la  suite  de  ce  fabliau  : 

Quand  la  Vieille  eut  perdu  son  troupeau  de  brebis,  ello 
acheta  des  vaches  ;  et,  arrivée  sans  encombre  à  la  fin  de 
mars»  elle  dit  imprudemmet  : 

En  escapant  de  Mars  e  de  Marsèu, 
Ai  escapa  mi  yaco  e  mi  vedèu. 

ttars^  blessé  du  propos,  va  sur-le-champ  trouver  Avril  : 

Abriëu,  n'ai  plus  que  très  jour  :  presto-me-n'on  quatre, 
Livaco  de  la  Vièio  faren  batrel 

Avril  consentit  au  prêt...;  une  tardive  et  terrible  gelée 
brouït  toute  végétation,  et  la  pauvre  Vieille  perdit  encore  son 
troupeau. 

9.  Calèndo.  Noël  est  la  principale  fête  des  Provençaux. 

10.  S'^ncoucourda  signifie  au  propre  acheter  une  courge 
pour  un  melon;  au  figuré,  se  tromper^  se  mal  marier. 

11.  Mounl'de-Vergue  (Mont-de-Vergue),  colline  au  levant 
d'Avignon. 

12.  Lou  Sant'Pieloun,  le  Saint-Puy  (le  Saint-Pilon),  nom 
du  rocher  à  pic  dans  lequel  est  creusée  la  grotte  où  se  retira 
sainte  Magdeleine.  (Voyez  la  chant  XI.) 

13.  Désire  à  dèstre  (pas  à  pas).  Le  Dèetre  est  une  mesure 
Agraire,  la  centième  partie  de  Veiminado,  environ  neuf  cen- 
tiares. 

14.  Coume  un  Satire  (comme  un  satyre).  Pour  dire  tra^ 
vailler  comme  un  nègre,  on  dit  en  Provence  travailler  comme 
un  Satyre.  Les  anciens  ont  pu  prendre  les  nègres  sauvages 


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3U  NOTES  DU  CHANT  Vil. 

pour  des  divinités  des  bois  qu'ils  nommèrent  satyres,  et 
dans  l'esprit  du  peuple,  ces  deux  mots  ont  pu  devenir  syno- 
nymes. 

15.  Bravado  (bravade),  décharge  de  mousqueterie  qu'on 
faisait  autrefois  au  moment  d'allumer  le  feu  de  la  Saint- 
Jean,  et,  par  extension,  cérémonies  préliminaires  et  saut  de 
ce  feu. 


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CANT  VUECHEN 

LA   GRAU 


Desesperanço  de  Mirèio.  ~  Atrencaduro  d'Arlateaco.  —  La  chato, 
au  mitan  de  la  niue,  fugis  l'oustau  peirau.  —  Vai  au  toumbèu  di 
Sànti-Mario,  que  soun  H  patrouno  de  Prouvènço,  li  suplica  de 
touca  si  parent.  —  Lis  Ensigne.  —  Tout  en  courrënt  à  travès  de 
Grau,  rescontro  li  pastre  de  soun  paire.  —  La  Crau.  la  guerre  di 
Gigant.  —  Li  rassado,  li  prègo-Diëu  d'estuublo,  li  parpaiouri, 
avertisson  Mirèio.  —  Mirèio,  badanlo  de  la  set,  e  n'en  poudènt 
plus  de  la  caud,  prègo  sant  Gènt,  que  vèn  à  soun  secours.  — 
Rescontre  d'Andreloun  lou  cacalausië.  —  Eloge  d'Arle.  —  Récit 
d'Andreloun  :  istùri  d6u  Trau  de  la  Capo,  li  cauco,  li  caucaire 
aproufoundi.  —  Mirèio  coucho  au  tibanèu  de  la  famiiio  d'Andre- 
loun. 


Quau  tendra  la  forto  lîouno, 
Quand,  de  retour  à  soun  androuno, 

Véi  plus  soun  lîounèu?  Ourlanto  sus-lou-cop, 
Lôugiero  e  primo  de  ventresco, 
Sus  li  mountagno  barbaresco 
Patusclo...  Un  cassaire  mouresco 

Entre  lis  argelas  i'emporto  au  grand  galop. 

Quau  vous  tendra,  fiho  amourouso?... 
Dins  sa  chambreto  souloumbrouso 

Mounte  la  niue  que  briho  esperlongo  soun  rai, 
Mirèio  es  dins  soun  lié  couchado 
Que  plouro  touto  la  niuchado, 
Ëmé  soun  front  dins  sa  junchado  : 

—  Nosto-Damo-d'Amour,  digas-me  que  faraif 


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CHANT  HUITIÈME 

LA   CRAU 


Désespoir  de  Ifireille.  —  Toilette  d'Arl($8icnne.  —  La  jeune  fille,  au 
milieu  de  la  nuit,  fuit  la  maison  paternelle.  — Elle  ya  au  tombeau 
des  Saintes-Mariés  supplier  CCS  patronnes  do  la  Provence  de  flëciiii 
ses  parents.  —  Les  constellations.  —  Dans  sa  course  à  travers  la 
Crau,  elle  rencontre  les  bergers  de  son  père.  —  La  Crau,  la 
guerre  des  Géants.  —  Les  lézards,  les  mantes  religieuses,  les 
papillons  arertisscnt  Jilireille.  —  Mireille  haletante  de  soif,  accablée 
par  la  chaleur  du  jour,  implore  saint  Cent,  qui  la  secourt.  —  Ren- 
contre d'Andrelon  le  ramasseur  de  limaçons.  —  Éloge  d'Arles. 
—  Récit  d'Andrelon  :  légende  du  Trou  de  la  Cape,  le  foulage 
des  gerbes,  les  fuuleurs  engloutis*  -^  Mireille  passe  la  nuit  sous 
la  tente  de  la  famille  d'Andrelon. 


Qui  tiendra  la  Homie  mère, 
Lorsque,  rentrant  dans  son  repaire 

Elle  s'y  trouve  plus  son  jeune  lionceau? 
Rugissante,  au  flair  qui  la  guide. 
Jusqu'au  fond  du  désert  aride. 
Elle  court;...  mais  non  moins  rapide 

Disparaît  le  chasseur  qui  pilla  le  berceau. 

Qui  te  tiendra,  fîlle  amoureuse  ! 

Dans  sa  cliambre  silencieuse, 
.  )ont  un  rayon  de  nuit  éclaire  la  paroi, 

Mireille  en  pleurs,  Tâme  oppressée, 

Sur  sa  couche  bouleversée, 

Disait  d'une  voix  affaissée  : 
—  Notre-Dame  d'amour,  de  grâce,  inspirei-moi  ! 


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818  MIRÈIO,  GANT  YIIL 

0  marrit  sort  que  m'estransines  ! 

0  paire  dur  que  me  chaupines, 
Se  vesiés  de  moun  cor  l'estras  e  lou  coumbour, 

Auriés  pieta  de  ta  pichoto  ! 

léu  qu'apelaves  ta  mignotOy 

Me  courbes  vuei  souto  la  joto, 
Goume  s'ère  un  fedoun  atrinable  au  labour! 

Ah  !  perqué  noun  la  mar  s'enverso, 

E  dins  la  Grau  largo  sis  erso  ! 
Gaio,  yeiriéu  prefoundre  aquéu  bèn  au  soulèa, 

Soulo  encauso  de  mi  lagremo  ! 

0  perqué,  d'uno  pauro  femo, 

Perqué  nasquère  pas  iéu-memo, 
Dins  quauque  trau  de  serp!...  Alor,  alor,  belèu, 

S'un  paure  drôle  m'agradavo, 
Se  Vincenet  me  demandavo, 

Lèu-lèu  sariéu  chabido  !...  0  moun  bèu  Vincenet, 
Mai  qu'emé  tu  pousquèsse  viéure, 
E  t'embrassa  coume  fai  Téurre, 
Dins  li  roudan  anariéu  béure  ! 

Lou  manja  de  ma  fam  sarié  ti  poutounet!  — 

£  coume,  ansin,  dins  sa  bressolo, 

La  bello  enfant  se  descounsolo, 
Lou  sen  brûlant  de  fèbre  e  d*amour  fernissènt; 

De  si  proumiéris  amoureto 

Goume  repasso  lis  oureto 

E  li  passado  tant  clareto, 
ié  revèn  tout-d'un-cop  un  counsèu  de  Vincèn  î 


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MIREILLE,  CHANT  YIII.  819 

0  sort  cruel  qui  me  désole  ! 

Père  dur,  dont  je  fus  Tidole, 
Si  tu  savais  mon  trouble  et  mon  déchirement, 

Tu  prendrais  pitié  de  ta  fille  ! 

Moi  que  tu  trouvais  si  gentille, 

Par  un  sot  orgueil  de  famille, 
Tu  troubles  mon  bonheur,  et  tu  fais  ton  tourment  1 

Ah  !  que  la  mer  n'envahlt-elle 

La  Grau  de  sa  vague  rebelle  ! 
le  la  verrais  sans  peine  engloutir  nos  trésors... 

Nos  trésors  !  Richesse  importune, 

A  qui  je  dois  mon  infortune  ! 

D'une  naissance  plus  commune, 
Que  ne  suis-je  donc  née  ?...  Alors,  peut-être,  alors» 

Parmi  les  garçons  de  mon  âge 

Me  recherchant  en  mariage 
On  m'eût  laissé  le  choix!...  Oh  !  ma  main  dans  ta  main. 

Doux  Vincent,  si,  dans  ta  chaumière. 

Pouvait  couler  ma  vie  entière, 

J'irais  boire  l'eau  de  Tornière, 
Et  tes  baisers  seraient  le  manger  de  ma  faim  !  — 

Et  pendant  qu'ainsi  dans  les  larmes 
La  belle  enfant  noyait  ses  charmes. 
Pendant  que  lentement  au  chevet  de  son  Ht 

Passaient,  en  images  riantes, 
I  Toutes  ces  scènes  ravissantes 

Dont  vivaient  leurs  âmes  aimantes. 
Un  conseil  de  Vincent  lui  revint  à  l'esprit  ; 


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H20  HIRÈIO,  CANT  VUI. 

—  0,  crido,  un  cop  qu'au  mas  venguères 
Es  bèn  tu  que  me  lou  diguères  : 

S'un  chia  foui,  un  lesert,  un  loup  o  'n  serpatas, 
0  tout  autro  bèsti  courrènto 
Vous  fai  senti  sa  déni  pougnènto; 
Se  lou  malur  vous  despoutènto, 

Gourrès,  courrès  i  Santo,  aurés  léu  de  soûlas  M 

Vuei  lou  malur  me  despoutènto, 
Parlen  !  N'en  revendren  countènto.  — 

Âcô  di,  sauto  léu  de  soun  blanc  linçoulet; 
Emé  la  clau  lusénto  duerbe 
Lou  gardo-raubo  que  recuerbe 
Soun  prouvimen,  moble  superbe. 

De  néuguié,  tout  fleuri  souto  lou  ciseleU 

Si  tresouroun  de  chatouneto 

Ëron  aqui  :  sa  courouneto 
De  la  proumiero  fes  que  faguè  sôun  bon  jour; 

Un  brout  de  lavande  passido  ; 

Une  candeleto,  gausido 

Quasimen  toute,  e  benesido 
Pér  esvarta  li  tron  dins  la  soumo  liunchour. 

Elo,  em'  une  courdello  blanco, 

D*abord  se  nouso,  au  tour  dis  anco, 
Un  rouge  coutihoun,  qu'elo-memo  a  pica 

D'uno  fine  carreladuro, 

Meraviheto  de  courduro; 

E  sus  aquéu,  à  sa  centuro, 
Un  autre  bén  plus  bèu  es  léu  mai  atrenca. 


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MIREILLE,  CHANT  VIII.  821 

Oui,  c'est  bien  toi,  s'écria-t-elle, 

Toi  qui  m'as  dit  :  c  Mademoiselle, 
Si  prr  hasard  un  loup,  ou  tout  autre  animal 

Vous  mordait  de  sa* dent  cruelle; 

Si  le  sort  jaloux,  infidèle. 

Vous  touchait  jamais  de  son  aile, 
Vite  aux  Saintes  !  C'est  là  qu'on  guérit  de  tout  mal  f  > 

Puisque  le  malheur  me  tourmente. 

Partons  !  je  reviendrai  contente. 
Et  sautant  aussitôt  de  ses  petits  draps  blancs, 

De  son  lit  frôlant  la  descente, 

Elle  ouvre  avec  la  clef  luisante 

Son  bahut,  armoire  élégante 
De  noyer  ciselé  que  brunirent  les  ans. 

Tous  les  trésors  de  sa  jeunesse 

Étaient  là  :  son  livre  de  messe, 
Sa  couronne  du  jour  où  la  première  fois 

Elle  reçut  la  sainte  hostie  ; 

Un  brin  de  lavande  flétrie  ; 

Le  cierge  autour  duquel  on  prie, 
Pour  éloigner  la  foudre  au  signe  de  la  croix. 

Par  un  lacet  de  couleur  blanche. 

Elle  noue  autour  de  sa  hanche 
Un  rouge  cotillon  qu'elle-même  a  piqué  ; 

Beau  travail  !  charmante  piqûre  ! 

Petit  chef-d'œuvre  de  couture  ! 

Sur  celui-là,  fond  de  parure. 
Un  autre  bien  plus  riche  est  bientôt  appliqué; 

21 


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3Î2  MIRfclO,  CA!«T  VIII. 

Kèi,  dins  ono  èso  negro,  esqnicho 

Lôageiramea  sa  taio  richo, 
Qa'ono  espingolo  d'or  snfis  à  ressam  ; 

Pèr  treneto  longo  e  branello 

Scan  péa  pendoulo,  e  i'eimiaiitello 

Si  dos  espalo  Manqouiello. 
Mai  elo,  n'arrapant  11  trachèa  sépara^ 

Lèu  lis  acampo  e  li  restroupo, 

  pleo  de  man  lis  agonloapo 
D'oDO  dentello  fino  e  clareto;  e  'no  fes 

Li  bélli  floto  ansin  reslrencho. 

Très  cop  poulidamen  li  cencho 

Em'  un  riban  à  bloio  tencho, 
Diadèmo  arlateo  de  sonn  front  jooine  e  fres. 

Met  soon  faudau  ;  sus  la  peitrino, 

De  sonn  fichu  de  mousselino 
Se  croso  à  pichot  pie  lou  vierginen  teissut; 

Mai  soun  capèu  de  Prouvençalo, 

Soun  capeloun  à  grandis  alo 

Pèr  apara  li  caud  mourtalo, 
Oublidé,  pèr  malur,  de  s'en  curbi  lou  su.» 

Acô  fini,  Tardènto  chato 

Pren  à  la  man  si  dos  sabato  ; 
Dis  escalié  de  bos,  sens  mena  de  varai, 

Davalo  d'escoundoun  ;  desplanto 

Déu  pourtau  la  tanco  pesante  ; 

Se  recoumando  i  boni  Santo, 
E  pari,  coume  lou  vent,  dins  la  niue  porto-esfrai. 


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MIREILLE,  CHANT   VIII.  3^3 

Elle  entoure  sa  taille  fine 

D*un  corset  noir  qui  la  dessine, 
Et  qu'une  agrafe  d'or  suffit  à  contenir; 

Ses  cheveux,  hors  de  leur  résille, 

Couvraient,  comme  d'une  mantille. 

Ses  épaules  de  jeune  fille  ; 
Mais,  du  bout  de  ses  doigts,  prompte  à  les  réunir, 

Elle  en  forme  une  double  tresse, 

Les  tord,  les  roule  et  les  redresse  ; 
Une  dentelle  blanche  en  devient  le  soutien; 

Sur  la  touffe  ainsi  préparée. 

S'enroule  en  spirale  serrée 

Un  ruban  à  teinte  azurée, 
De  son  front  jeune  et  frais  diadème  Arlésien. 

Tablier  mis,  sur  sa  poitrine 
.  De  son  fichu  de  mousseline 
Se  croise  à  petits  plis  le  tissu  virginal  ; 

Mais  son  chapeau  de  Provençale, 

Abri  de  forme  originale. 

Contre  la  chaleur  tropicale. 
Elle  le  laisse  au  clou  par  un  oubli  fatal... 

Ainsi  prête  dans  sa  parure, 

Elle  prend  aux  mains  sa  chaussure  ; 
Par  l'escalier  de  bois  et  sans  le  moindre  bruit, 

Descend,  toute  lumière  éteinte, 

Du  verrou  recule  Tétreinte  ; 

Se  confie  à  la  Vierge  sainte. 
Et  part  comme  le  vent  dans  l'horreur  de  la  nuit. 


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aS4  MIRÈIO,  GANT  VIIL 

Ëro  l'ouro  que  lis  Ensigne 

I  barquejaire  fan  bèu  signe. 
De  TAiglo  de  Sant  Jan,  que  se  vèn  d'ajouca  * 

1  péd  de  soun  Evangelisto, 

Sus  li  très  astre  mounte  elo  isto. 

Se  vesié  trantaia  la  visto  ; 
J.ou  tôms  èro  seren,  e  sol,  e  'sperluca. 

E  dins  li  planuro  estelado 

Precepitant  si  rodo  alado, 
Lou  grand  Càrri  dis  Amo,  alin,  dôu  Paradis 

Prenié  la  mountado  courouso, 

Emé  sa  cargo  benurouso  ; 

E  li  mountagno  tenebrouso 
Regardavon  passa  lou  Càrri  vouladis. 

Mirèio  anavo  davans  elo, 

Goume  antan  Magalouno  3,  aquelo 

Que  cerquè  tant  de  tèms,  en  pleurant,  dins  li  l>cr., 
Soun  ami  Pèire  de  Prouvénço, 
Qu*éu  empourta  pèr  la  viôulènço 
Dis  oundo,  èro  restado  sènso. 

i  counûgno  pamens  dôu  terraire  entre-fos, 

E  dins  lou  pargue  recampaire, 

Tavié  li  pastre  de  soun  paire 
Qu*anavon  déjà  môuse;  e  d'uni,  'mé  la  mnni 

Tenènt  li  fedo  pèr  lou  mourre, 

Inmoubile  davans  li  fourre, 

Fasien  teta  lis  agnèu  bourre, 
C  de-longo  entendias  quauco  fedo  bramant. 


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MIREILLE,   CHANT    VllI.  m 

C'était  J'heure  où  des  feux  sans  nombre 

BriJJent  au  fond  de  la  nuit  sombre  ; 
De  Taigle  de  saint  Jean,  ce  satellite  ailé 

Qui  sous  ses  pieds  a  fait  son  aire, 

La  triple  étoile  qui  Téclaire 

Faisait  clignoter  la  paupière  ; 
Le  temps  était  serein  et  le  ciel  constellé.  .M 

Au  fond  de  la  voûte  étoilée 

Précipitant  sa  marche  ailée, 
Le  grand  Char  des  Esprits,  aux  célestes  hauteurs,  .>.; 

Portait  sa  charge  vénérée  ; 

Au  loin,  dans  Tombre  retirée, 

Du  majestueux  Empyrée 
La  montagne  en  silence  admirait  les  splendeurs.      ,  j 

Mireille  au  hasard  s'abandonne  ; 

Elle  va  comme  Maguelonne 
Du  temps  des  chevaliers  allait,  au  pied  levé, 

Chercher,  avec  persévérance. 

Son  ami  Pierre  de  Provence, 

Victime  de  son  imprudence. 
Cependant  aux  confins  du  terrain  cultivé, 

Dans  le  parc,  où  la  troupe  ovine 

Venant  de  paître,  se  confine, 
Les  pâtres  matineux  allaient  traire  le  lait; 

Les  uns  sous  Tabrivent  fragile. 

Tenant  la  brebis  immobile. 

Faisaient  téter  Tagneau  docile. 
Pendant  que  dans  le  parc  tout  le  troupeau  bêlait. 


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326  MIRëIO,  gant  VIIL 

D'autre  couchavon  li  maniero 
Vers  lou  môusèire  ;  à  la  sourniero, 

Assela  su  'no  pèiro,  e  mut  coume  la  uiue, 
Di  pousso  gounflo  aquest  tiravo 
Lou  bon  la  caud  :  loa  la  'spiravo 
A  long  raiôu,  e  s'aubouravo, 

Dins  li  bord  escumous  dôu  cibre,  à  visto  d'iue. 

Li  chin  èron  coucha,  tranquile; 
Li  bèu  chinas,  blanc  coume  d'ile, 

Jasien  de-long  dôu  cast,  'mé  lou  mourre  alounga 
Dins  li  ferigoulo  ;  calaumo 
Tout  à  l'entour,  e  som,  e  chaumo 
Dins  lou  campas  que  sent  qu'embaumo.. 

Lou  tèms  èro  seren,  e  sol,  e  'sperluca. 

E  coume  un  lamp,  à  ras  di  cledo 

Mirèio  passe.  Pastre  e  fedo, 
Coume  quand  lis  amourro  un  subit  fouletoun, 

S'amoulounèron.  Mai  la  fiho  : 

—  Emé  iéu,  i  Sànti-Mario 

Res  vôu  veni,  de  la  pastriho?  — 
E  davans,  ié  fusé  coume  un  esperitoun. 

Li  chin  dôu  mas  la  couneiguèron, 

E  dôu  repaus  noun  bouleguèron. 
Mai  elo,  dis  avaus  frustant  li  cabassôu. 

Es  déjà  liuencho  ;  e  sus  li  mato 

Di  panicaut,  di  canfourato, 

Aquéu  perdigalet  de  chato 
Lando,  lando  I  Si  pèd  toucavon  pas  lou  sôu... 


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MIREILLE,  GHANT    Yiii  327 

D'autres  gardaient  sous  leurs  auspices 

Celles  qui  ne  sont  plus  nourrices, 
Et  les  poussaient  ensuite  au  trayeur  compétent, 

Qui,  d'un  vieux  tronc  faisant  sa  selle, 

Exprimait  de  l'ample  mamelle 

Le  bon  lait  chaud  qui  s'amoncelle 
Dans  la  seille  écumante  et  pleine  en  un  instant 

Les  chiens  étaient  couchés  tranquilles; 

Les  beaux  chiens  blancs  las,  immobiles» 
Allongeaient  près  du  parc  leur  grand  museau  voilé 

Par  le  thym  ou  par  la  bruyère  ; 

Tout  alentour,  repos,  mystère, 

Sommeil  de  la  nature  entière; 
Le  temps  était  serein  et  le  ciel  constellé. 

  ras  du  parc  Mireille  passe, 

Et  les  brebis,  Toreille  basse^ 
S'agglomèrent  soudain,  surprises  par  la  peur; 

Mais  évitant  les  causeries  : 

—  Qui  laisse  ses  brebis  chéries 

Pour  me  suivre  aux  Saintes-Mariés?  — 
Dit-elle,  et  dans  les  champs  fuit  comme  une  vapeur. 

Gomme  les  chiens  la  reconnurent. 

Point  après  elle  ils  ne  coururent. 
Et  pareille  à  l'oiseau,  dont  l'air  soutient  le  voI> 

Déjà  loin,  frôlant  la  ramille 

Des  bois  nains  dont  la  Grau  fourmille. 

Ce  gracieux  perdreau  de  fille 
Vole,  vole!  ses  pieds  ne  touchaient  pas  le  sol... 


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3S8  MlRfilO,  CANT  YIU 

Soufènti-fes  à  somi  passage, 

Li  courreli  qae  dins  Teiimge, 
Au  pèd  di  reganèu,  doormien  agromnouli, 

De  sa  dourmido  treboulado 

Subran  partien  à  grand  voolado  ; 

E  dins  la  Grau  sourno  e  pelado 
Crida?oii  :  Courreli!  courreli!  courrelit 

Ëmé  si  peu  losènt  d'eigagno, 

L'Aubo,  entremen,  de  la  rooantago^ 
Se  vesîé  paa-à-pau  davala  dins  loaplan; 

E  di  calandro  capeludo 

Lou  vôu  cantaire  la  saludo  ; 

E  de  l'Aupiho  baumeludo^ 
Semblavo  qu'an  soulèu  se  mouvien  li  calanc 

Acampestrido  e  secarouso, 
L'iumènso  Cran,  la  Grau  peirouso 

Au  matin  pau-à-pau  se  vesié  destapa  ; 
La  Grau  antico,  ounte,  di  rèire 
Se  li  raconte  soun  de  crèire, 
Souto  un  déluge  counfoundèire 

Li  Gigant  auturous  fuguèron  aclapa. 

Li  testoulas  !  ein'  uno  escalo, 

Em'  un  esfors  de  sis  espalo 
Gresieu  de  cabossa  TOunnipoutènt  !  Déjà 

De  Santo-Vitôri  lou  serre  ^ 

Èro  eslrassa  pèr  lou  pau-ferre; 

Déjà  rAupiho  venien  guerre, 
Pèr  n'apoundre  au  Ventour  li  grand  baus  eigreîa.. 


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MIREILLE,  CHANT  VIIl.  Ztd 

Souventes  fois  à  son  passage. 

Les  longs  courlis  qui  sous  Thcrbage, 
Au  pied  des  chéneteaux  avaient  trouvé  leur  lit, 

Troublés  dans  leur  couche  isolée, 

S'élançaient  à  grande  volée, 

Et  dans  la  Crau  sombre  et  pelée, 
Trahissaient  leur  effroi  parleur  étrange  cri. 

Cependant  la  riante  Aurore, 

Vers  les  campagnes  qu'elle  dore, 
Sur  son  char  lumineux  s'achemine  à  pas  lents; 

L'alouette,  allant  vers  la  nue. 

De  ses  champs  joyeux  la  salue; 

Sur  l'Alpine,  à  première  vue. 
Les  sommets  au  soleil  paraissent  vacillants. 

A  cette  lumière  naissante, 

Sous  ses  cailloux,  la  Crau  luisante 
Reprenait  lentement  son  vague  coloris; 

La  Crau,  désert  inexplicable. 

Steppe  aride  où,  selon  la  Fable, 

Sous  un  déluge  épouvantable. 
Les  Géants  orgueilleux  furent  ensevelis. 

Les  insensés!  dans  leur  audace, 

Gomme  on  escalade  une  place, 
ils  voulurent,  dit-on  escalader  le  ciel  ! 

Déjà  leurs  bras  et  leurs  machines, 

Du  mont  Victoire  et  des  Alpines 

Qu'ils  ont  fouillés  jusqu'aux  racines, 
Ont  fait  sur  le  Ventour  un  pic  artificiel; 


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330  MIRËIO,  CANT   VUl. 

Dieu  duerb  la  man  ;  e  lou  Maïstre, 
Emé  lou  Tron,  emé  FAuristre, 

De  sa  man,  coume  d'aiglo,  an  parti  tôuti  trcs  : 
De  la  mar  founso,  e  de  si  vabre, 
E  de  si  toumpie,  van,  alabre, 
Espeiicega  lou  lié  de  mabre, 

£  'm'  acô  s'enaurant,  coume  un  lourd  sagarés, 

L'Anguieloun,  lou  Tron  e  TAurislre, 
D'un  vaste  curbecèu  de  sislre 

Amassolon  aqui  lis  oumenas...  La  Grau, 
1  douge  vent  la  Grau  duberto, 
La  mudo  Grau,  la  Grau  deserto, 
A  counserva  Torro  cuberto... 

Nirèie,  sèmpre-mai,  d6u  terradou  peirau 

Prenié  Talôngui.  Li  raiado 

E  lou  dardai  di  souleiado 
Empuravon  dius  Ter  un  lusèut  tremoulun; 

E  di  cigalo  garrigaudo, 

Que  grasihavo  Terbo  caudo, 

Lï  cimbaleto  fouligaudo 
Kepetavon  sens  fin  soun  long  cascarelun. 

Ni  d*aubre,  ni  d'oumbro,  ni  d'amo  I 
Gar,  de  Testiéu  fugènt  la  flamo, 

l.i  noumbrous  abeié  que  rasclon,  dins  l'ivèr, 
L'erbeto  courte,  mai  goustouso. 
De  la  grand  piano  sôuvertouso, 
Dins  lis  Aup  fresco  e  sanitouso 

Èron  ana  cerca  de  pàsquié  sèmpre  verd. 


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MIREILLE,  CHANT  VIII.  331 

Quand  fout  à  coup  Dieu  se  ravise  ; 

Pour  déjouer  leur  entreprise, 
Il  mande  TOuragan,  la  Foudre  et  le  Mistral  : 

—  L'homme  s'insurge  et  cherche  à  mordre; 

Allez  !  dit-il,  —  et  sur  cet  ordre, 

Ces  trois  ministres  du  désordre 
S'engouffrent  dans  la  mer,  leur  humide  arsenal. 

Fouillent  à  fond  son  lit  de  pierre, 

Et,  remontant  vers  la  lumière, 
Versent  sur  les  Géants  des  torrents  de  galets... 

Depuis  ce  temps  la  Crau  déserte. 

Aux  douze  vents  toujours  ouverte. 

De  ces  cailloux  resta  couverte... 
Mireille,  cependant,  dans  ces  champs  désolés, 

S'avançait  toujours  davantage  ; 

Le  soleil  dardant  sur  la  plage, 
Attisait  dans  les  airs  un  luisant  tremblement  ; 

Et  sur  les  plantes  estivales, 

Les  infatigables  cigales. 

Agitant  leurs  frêles  cymbales. 
Recommençaient  sans  fin  leur  long  claquettement. 

Point  d'arbre,  point  d'ombre,  point  d'àme  ! 

Car,  de  Tété  fuyant  la  flamme, 
Les  troupeaux  si  nombreux,  qui  broutent  en  hiver 

L'herbe  courte  mais  savoureuse, 

Qui  naît  dans  la  Crau  caillouteuse, 

Au  sein  de  la  montagne  ombreuse. 
Etaient  allés  chercher  un  gazon  toujours  vert 


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332  MIRÊIO,  GANT  VIII. 

Souto  li  fiô  que  Jun  escampo, 

Mirèio  lampo,  e  Jampo,  e  lampo  ! 
E  li  rassado  griso,  au  revès  de  si  trau, 

S'entre-disien  :  —  Fau  èstre  folo 

Pèr  barrula  li  clapeirolo, 

Em'  un  soulèu  que  sus  li  colo 
Fai  dansa  li  mourveu  ^  e  li  code  à  la  Crau  !  •-> 

E  li  prègo-Diéu,  à  Toumbrino 

Dis  argelas  :  —  0  pelerino, 
Enlourno,  entourno-te  !  ié  venien.  Lou  bon  Dieu 

A  mes  i  font  d'aigo  clareto, 

Au  front  dis  aubre  a  mes  d'oumbreto 

Pèr  apara  ti  couloureto, 
E  tu,  rimes  ta  caro  à  Tuscle  de  Testiéu  !  — 

En  van  peréu  ravertiguèron 

Li  parpaioun  que  la  veguèron. 
Lis  alo  de  TAmour  e  lou  vent  de  la  Fe 

L'emporton,  coume  l'auro  emporto 

Li  blanc  gahian  que  soun  pèr  orto 

Dins  li  sansouiro  d'Aigo-Morto. 
Tristas,  abandonna  di  pastre  e  de  Tavé, 

De  liuen  en  liuen,  pèr  la  campagno, 

Parèis  un  jas  cubert  de  sagno... 
Quand  pamens  se  veguè,  badanto  de  la  set» 

Au  bruladou  toute  souleto, 

Ni  regouloun  ni  regouleto, 

Trefouliguè  'no  brigouleto... 
E  faguè  :  —  Grand  Sant  Gènt,  ermito  dôu  Bausset^  ! 


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MIREILLE,  CHANT  VIII.  833 

Sous  la  chaleur  qui  la.  désole, 

Mireille  vole,  vole  et  vole  ! 
Ct  les  grands  lézards  gris,  sur  le  bord  de  leurs  trous, 

Disaient  entre  eux  :  —  Mais  c'est  folie 

De  sortir  de  sa  closerie 

Par  un  ciel  dont  Tinteropérie 
Drûle  aux  coteaux  les  buis,  aux  plaines  les  cailloux  *  ^ 

A  genoux,  sous  une  aubépine. 

Les  mantes  disaient  :  —  Pèlerine, 
Rebrousse  ton  chemin!  la  divine  bonté 

A  mis  pour  toi  Tonde  aux  fontaines, 

Et  Tombre  et  la  rosée  aux  plaines, 

Et  dans  nos  solitudes  vaines 
Tu  viens  brûler  ton  front  au  hâle  de  Tété! 

Vainement  aussi  l'avertirent 

Tous  les  papillons  qui  la  virent; 
Les  ailes  de  Tamour  et  le  vent  de  la  foi 

L'emportent  comme  un  vent  d'orage 

Emporte  un  oiseau  de  passage 

Qui  planait  là-haut  sur  la  plage. 
San?  pâtre,  sans  brebis,  ouverte,  en  désarroi, 

De  loin  en  loin  disséminée, 

Une  masure  abandonnée 
Montrait  ses  murs  fendus  et  son  toit  défoncé.. 

Dans  cette  immensité  sauvage, 

Mireille  seule  et  toute  en  nage. 

En  quête  du  moindre  breuvage. 
Se  souvient  de  saint  Gent,  ermite  du  Bausset! 


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33i  MIRÈIO,  CANT  VIII. 

0  bjèu  e  jouine  labouraire, 

Qu'atalerias  à  voste  araire 
Lou  loup  de  la  mountagno  !  o  divin  garrigaud, 

Que  durberias  la  roco  dure 

A  dos  pichôti  couladuro 

D'aigo  e  de  vin,  refrescaduro 
Pèr  vosto  maire,  lasso  e  mourènto  de  caud  ; 

Car,  coume  iéu,  quand  tout  soumiho, 
Avias  plaça  vosto  faraiho, 

E,  soulet  emé  Dieu,  i  gorgo  dôu  Bausset 
Vous  trouvé  vosto  maire.  Ansindo, 
Mandas- me  'n  fiéu  d'eigueto  lindo, 
0  bon  Sant  Gènt  !  Lou  grès  que  dindo 

Me  crèmo  li  peiado,  e  more  de  la  set  !  — 

Lou  bon  Sant  Gènt,  de  Tempirèio, 

Ëntendeguè  prega  Mirèio  : 
E  Mirèio,  autant  lèu,  d'un  releisset  de  pous, 

Alin  dins  la  champino  raso, 

A  vist  belugueja  la  graso. 

E  dôu  dardai  fende  la  braso, 
Coume  lou  martelet  que  travèsso  un  espousc. 

Èro  un  vièi  pou  s  tout  garni  d'èurre. 
Que  li  troupèu  i'anavon  béurc. 

Murmurant  douçamen  quàuqui  mot  de  cansoun, 
Ta  *n  pichot  drôle  que  jougavo 
Souto  la  pielo,  ounte  cercavo 
Lou  pau  d'oumbreto  qu  amagavo  ; 

Goiilro,  avié  'n  panié  plen  de  blanc  cacalausoun. 


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MIREILLE,  CHANT  71II. 

—  Beau  laboureur,  dit-elle,  émue, 

Qui  sûtes,  pour  votre  charrue 
Apprivoiser  le  loup  ;  Solitaire  enchanteur. 

Dont  la  main,  domptant  la  nature, 

Fit  jaillir  de  la  roche  dure 

Deux  filets  de  vin  et  d'eau  pure 
Pour  votre  mère  lasse  et  mourant  de  chaleur! 

Vous  qui,  comme  moi  pauvre  fille, 

Aviez  quitté  votre  famille. 
Lorsqu'un  jour  le  hasard,  aux  gorges  du  Bausset, 

Vous  fit  rencontrer  votre  mère  ; 

Donnez-moi  donc  un  peu  d'eau  claire, 

Un  peu  d'eau  qui  me  désaltère. 
Et  qui  baigne  mes  pieds  brûlés  par  le  galet  !  ^ 

Le  bon  saint,  qui  prétait  l'oreille. 

Exauça  le  vœu  de  Mireille  : 
Et  d'un  bienheureux  puits,  soudain  à  l'horizon, 

Voyant  reluire  la  margelle, 

Mireille  y  vole  à  tire-d'aile. 

Plus  légère  que  l'hirondelle 
Qui  regagne  son  nid  au  toit  de  la  maison. 

C'était  un  puits  couvert  de  lierre. 

Avec  son  abreuvoir  de  pierre  ; 
Fredonnant  gentiment  quelques  mots  de  chansons, 

Un  petit  gars  de  bonne  mine. 

Avec  une  grâce  enfantine, 

A  l'ombre  que  l'auge  dessine, 
Jouait  près  d'un  panier  plein  de  blancs  limaçons. 


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336  MIRËIO,  GANT  VIU. 

E  Tenfantoun,  dins  sa  man  bruno, 

Lis  agantavo,  udo  pér  uno, 
Li  pàuri  meissounenco  '  e  'm'  acô  ié  venié  : 

Cacalaus,  cacalaus  mourgueto. 

Sorte  lèu  de  ta  cabaneto. 

Sorte  lèu  ti  bèlli  baneto, 
0  senoun,  te  roumprai  toun  pichot  mounastié. 

La  bello  Gravenco  enflourado, 
E  qu'au  ferrât  s'èro  amourrado, 
Auhourè  tout-d'un-cop  soun  poulit  mourranchoun 

—  Mignot,  que  fas  aqui?  —  Pauselo. 

—  Dins  lou  baucage  e  ]i  lauseto, 
Acampes  de  cacalauseto  ? 

—  L'avès  bèn  devina  !  respoundè  lou  pichoun, 

Vès  !  quant  n'ai  dins  ma  canestello  ! 

Ai  de  mourgueto,  de  platello^, 
De  meissounenco...  —  E  pièi,  li  manjes?— Iéu?pas  mai! 

Ma  maire,  tôuti  li  divèndre, 

Li  porto  à-n-Arle  pèr  li  vendre, 

E  nous  entourno  bon  pan  tendre... 
lé  sias  agudo  est  ado,  en  Arle,  vous  ?  —  Jamai. 

—  Hoi  !  sias  jamai  estado  en  Arle  î 
lé  siéu  esta,  iéu  que  vous  parle  ! 

Ai  !  pauro,  se  sabias  la  grande  vilo  qa'es^ 
Arle  !  Talamen  s'eslalouiro 
Que,  dôu  grand  Rose  que  revouiro. 
N'en  lèn  li  sèt  escampadouiro!... 

Arle  a  de  biôu  marin  que  paisson  dins  si  tes, 


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MIREILLE,  GUANT   Vfll.  837 

Ce  panier,  c'était  sa  fortuae. 

L'enfant,  prenant  de  sa  main  brune 
Chacun  des  limaçons,  lui  chantait  ce  refrain  : 

Escargot,  escargot,  nonnettet 

Sors  vite  de  ta  maisonnette; 

Montre-moi  ta  double  lunette, 
Sinon,  ton  petit  cloître  est  broyé  sous  ma  main. 

Et  quand  Mireille  un  peu  'pourprée, 
Dans  Teau  se  fut  désaltérée, 
Releyant  tout  àcoup  son  minois  ravissant  : 

—  Mignon,  que  fais- tu  là?  dit-elle; 
Tu  cherches  sous  la  pimprenelle 
Des  limaçons  ?  —  Mademoiselle, 

Vous  avez  deviné,  lui  répliqua  l'enfant. 

Voyez-en  la  longue  séquelle  ; 

J'ai  la  nonnain,  j'ai  hplatelle, 
Lamomonnienne....— £tpuistulesmanges?^Non,m<îii 

Ma  mère,  à  qui  je  dois  les  rendre, 

Au  marché  d'Arles  va  les  vendre, 

Et  nous  rapporte  du  pain  tendre 

La  viles-vous jamais,  vous,  Arles?—  Non,  jamais 

—  Quoi  !  vous  ne  connaissez  pas  Arle? 
Je  la  connais,  moi  qui  vous  parle; 

Dieu!  quelle  belle  ville  et  quel  riche  pays  ! 

Arle  étend  si  loin  ses  pâtures, 

Uue  du  Rhône  et  de  ses  coupures 

Elle  tient  les  sept  embouchures; 
Arle  a  des  bœufs  marins  errant  dans  ses  pâtis  ; 


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338  MIRÈIO,  GANT  VIU. 

Arle  a  soun  cavalin  sôuvage; 

Ârle,  dins  rèn  qu'un  estivage, 
Mcissouno  proun  de  blad,  pèr  se  nourri,  se  vôu, 

Sèt  an  de  file  !  A  de  pescaire 

Que  ié  carrejon  de  tout  caire  ; 

A  d*intrepide  navegaire 
Que  van  di  liuénchi  mar  afrounta  11  revèu... 

E  tirant  glôri  mervihouso 
De  sa  patrie  souleiouso, 

Disié,  lou  galant  drôle,  emé  sa  lengo  d'or, 
£  la  mar  bluio  que  trémolo, 
E  Mount-Majour  que  pais  11  mole 
De  plen  gourbin  d'oui  ivo  molo, 

Ë  lou  bram  qu'i  palun  fai  ausi  lou  bitor. 

Mai,  0  ciéuta  douço  e  brunello, 

Ta  meraviho  courounello, 
Oublidè,  lou  pichol,  de  la  dire  :  lou  cèu, 

0  drudo  terro  d'Arle,  douno 

La  bèuta  puro  à  ti  cbatouno, 

Goume  li  rasin  à  Tautouno^ 
De  senteur  1  mountagno  e  d'aleto  à  Taucèu. 

La  bastidauo,  inatentivo, 

Èro  aqui  drecho  e  pensativo  : 
—  Bèu  jouveiuet,  se  vos,  faguè,  veni  'mé  iéu, 

Emé  iéu  vène  !  Sus  li  sause 

Avans  que  la  reineto  s'ause 

Ganta,  fau  que  moun  pèd  se  pause 
Do  Tauiro  man  dôu  Rose,  à  la  gàrdi  de  Dieu  ! 


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MIAEILLË,  CHANT  VIII.  2^^^ 

Arle  a  parmi  ses  élevages, 

Sa  race  de  chevaux  sauvages  ; 
Le  blé  d'un  seul  éfé  peut  la  nourrir  sept  aus;  ;  ^   ^ 

Elle  a  des  lacs  aux  eaux  limpides  ^ 

Où  se  font  des  pêches  splendides  ; 

Des  navigateurs  intrépides 
Qui  vont  aux  grandes  mers  ailfronler  les  autans...  --,  ^ 

Et  cet  enfant,  se  faisant  gloire 

De  son  pays,  dans  sa  mémoire. 
En  conservait  f  image,  et  dans  sa  langue  d'or, 

Il  disait  la  mer  et  ses  rives, 

Mont-Majour  et  ses  perspectives, 

Ses  meules  broyant  les  olives, 
Et  les  cris  qu'aux  marais  fait  ouïr  le  butor.  ^  -^ 

Mais,  oubli  qu'explique  son  âgo  i 

0  cité  douce,  ô  doux  rivage  ! 
Il  oubliait,  l'enfant,  de  dire  que  le  ciel  ^   ,. 

Donne  à  tes  filles  pour  couronPiC 

La  beauté  pure,  comme  il  donne 

Les  raisins  dorés  à  l'automne 
Aux  coteaux  les  senteurs,  à  Tabeille  le  miel  I  ,. 

Mireille,  assez  inattentive, 

Était  là  debnut  et  pensive  : 
—  Beau  gars!  dit-elle,  il  faut  que  je  quitte  ce  lica,;  . 

Avant  que  le  cri  monotone 

De  la  raine  verle  résonne 

Je  veux  avoir  passé  le  Rhône, 
Veux-iu  me  suivre?  Viens  à  la  garde  de  Dieul  j 


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âlO  MIRÈIO,  GANT  Vllt. 

Lou  drouloun  ié  digue  :  Pecaire  f 

Gapitas  bèn  :  siaa  de  pescaire. 
E;né  nous-autre,  aniue,  souto  lou  tibanôu, 

Vous  coucharés  au  pèd  dis  aubo, 

Ë  dourmirés  dins  vosto  raubo  ; 

Moun  paire,  piéi>  à  la  primo  aubo^ 
Deman  vous  passara,  dins  noste  breganèu. 

—  Oh  !  noun,  me  sente  enca  proun  forto 
Pèr,  este  niue,  resta  pèr  orlo... 

—  Que  Dieu  vous  en  préserve  !  adounc  vouiès  aniue 
Vèire  la  bando  que  s'escapo, 
DouIèntO;  dôu  Trau  de  la  Capo  1 
Ai!  ai!  ai!  ai!  se  vous  encapo, 

Cm*  elo  dins  lou  gourg  vous  fai  passa  pèr  iue  1 

—  E  qu*es  aquéu  Trau  de  la  Capo? 

—  Tout  en  caminant  dins  H  dapo, 
Vous  countarai  acô,  fiheto!...  E  coumencè  : 

Tavié  *no  fes  uno  grando  iero      ^ 
Que  regounflavo  de  garbiero. 
Sus  lou  dougan  de  la  ribiero, 
ï)eman  veirés  lou  rode  ounte  acô  se  passé* 

Despièi  un  mes,  emai  passavo, 
Sus  iou  plantât  que  s'espôussavo 

Vtt  roudet  camarguen  de-longo  avié  cauca. 
Pas  uno  vôuto  de  relàmbi  ! 
Sèmpre  li  bato  dins  Tengàmbi  V 
E   sus  Teirôu  poussons  e  gàmbi. 

Dé  mounîagno  d  espigo  à  sèmpre  cavauca  , 


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MIREILLS,  CHANT  VIIL  Ui 

Le  gars  lui  dit  :  —  Mademoiselle, 

Vous  rencontrez  bien  ;  la  nacelle 
De  mon  père  qui  pêche  est  à  deux  pas  d'ici  ; 

Cette  nuit,  si  l'abri  vous  tente,  ^ 

Vous  dormirez  sous  notre  tente  ; 

Et  demain,  à  Taube  naissante, 
Mon  père  passera  le  Rhône,  et  vous  aussi. 

—  Merci,  non  ;  j'aurai  le  courage 
De  passer  la  nuit  en  voyage 

—  Ah!  gardez- vous- en  bien,  car  vous  pourriez, la  nuit 
Voir  venir  du  trou  de  la  Cape 
La  bande  en  pleurs  qui  s*en  échappe  ; 
Malheur  à  celui  qu'elle  attrape; 

Avec  elle  à  l'abîme  il  est  bientôt  conduit  ! 

—  Mais  qu'est-ce  donc  que  cette  histoire? 

—  Oh!  dit-il,  le  fait  est  notoire. 

Et  fier  de  le  conter,  bien  vite,  il  commença  ; 

— 11  était  une  fois  une  airo, 

Où  l'on  était  en  train  de  faire 

Le  foulage...  Vers  la  rivière, 
Vous  verrez  le  lieu  même  oti  ceci  se  passa. 

Depuis  un  grand  mois,  dénouées,. 

L'une  après  l'autre  secouées, 
I/iS  gerbes,  des  chevaux  avaient  senti  le  poids. 

Pas  un  seul  instant  de  relâche! 

Toujours  tout  le  monde  à  la  tâche  ! 

Et  sur  le  pavé  qu'elle  cache 
La  montagne  d'épis  se  hérissa  cent  fois  ! 


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m  MIRÈIO,  G4NT  YIII. 

Fasié  'n  soulèu  !...  lia  derrabado  ** 

Semblavo,  dison,  atubado. 
E  li  fourco  de  bos,  de-!ongo  en  Ter,  fasien 

Sauta  de  revoulun  de  blesto  ; 

£  lou  pôutras,  e  lis  aresto, 

Goume  de  flècho  d'aubaresto, 
I  narro  di  chî?au  de-longo  se  frasien. 

0  pér  Sant  Péire  o  pér  Sant  Gbarle 

Poudias  souna,  campano  d'Arle  ! 
Ni  fésto  ni  dimenche  au  paure  cavalun  ! 

Sèmpre  la  matrassanto  cauco, 

Sémpre  Taguiado  que  trauco, 

Sèmpre  la  cridadisso  rauco 
Dôu  gardian,  aplanta  dins  Tardent  revoulun! 

L'a?are  mèstre,  i  blanc  caucaire 

Encaro  a?ié  bouta,  pecaire  ! 
Lou  mourraioun...  Venguè  Nosto-Damo  d'Avoust 

Déjà,  sus  lou  plantât  que  fumo, 

Li  liame,  coume  de  coustumo, 

Viravon  mai,  trempe  d'escumo, 
Lou  fege  arrapa  i  costo  e  lou  mourre  bavous. 

Veici  que  tout-d*un-cop  s'acampo 

E  la  chavano  e  la  cisampo... 
Ai  !  un  cop  de  mistrau  escoubeto  Teirôu  ; 

Dis  afama  (que  renegavon 

Lou  jour  de  Dieu)  lis  iuo  se  cavon  ; 

Lou  batedou  mounte  caucavon 
Trantaio,  e  s'entre-duerb  coume  un  nègre  peirôu! 


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MIREILLE,  CHANT  VIII.  343 

Il  faisait  un  soleil  torride  ! 

L'airée  entière  était  splendide. 
Et  sans  cesse  dans  Tair,  sous  les  fourches  de  bois. 

Bondissait  la  gerbe  brisée  ; 

Et,  lancés  d'une  main  aisée, 

Les  épis  à  barbe  frisée 
Allaient  piquer  le  nez  des  clievaux  aux  abois. 

Pour  la  Saint-Pierre  ou  la  Saint-CharleSy 

Vous  pouviez  sonner,  cloches  d'Arles! 
Ni  fête,  ni  dimanche,  aux  pauvres  animaux  ! 

Toujours  le  harassant  foulage. 

Toujours  l'aiguillade  au  passage; 

Toujours  le  cri  rauque  et  Toutrage 
Du  gardien  immobile  au  milieu  des  chevaux! 

Aux  blancs  fouleurs,  Tavare  mattre 

Avait  de  plus  prescrit  de  mettre 
f^  muselière...  Vint  la  Notre-Dame  d'Août; 

Déjà  sur  les  gerbes  dressées. 

Toutes  les  bêtes  harassées, 

D'écume  blanche  tapissées, 
Tournaient,  la  tête  basse  et  les  forces  à  bout. 

Tout  à  coup  la  foudre  étincelle. 

L'air  s'emplit  de  pluie  et  de  grêle... 
Et  tout  est  balayé  par  un  coup  de  mistral; 

Des  affamés,  dont  nul  n'observe 

Le  saint  jour  que  Dieu  se  réserve, 

L'œil  se  creuse,  le  bras  s'énerve; 
L'aire  s'ouvre  et  se  change  en  un  gouffre  infernal  t 


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3ii  MIRÊIO,  GANT  VIII. 

La  grand  bancado  remoulino, 

Goume  en  furour  ;  de  la  toumplino, 
Fourquejaire,  gardian,  gardianoun,  rèn  pousquè 

Se  n'en  sauva  !  Lou  mèstre,  Tiero, 

Lou  drai,  li  cabro,  H  garbiero, 

Li  primadié,  la  rodo  entiero, 
Dins  lou  toumple  sens  founs  tout  s'aproufoundiguè! 

—  Me  fai  ferni  !  digue  Mirèio. 

—  Oh  !  n'i'a  bèn  mai,  o  vierginèio  ! 
Deman,  dires  bessai  que  siéu  un  foulinèu  ; 

Veirés,  dins  soun  aigo  blavenco, 
Jouga  lis  escarpo  e  li  tenco  ; 
£  li  merlato  palunenco 
De-countùnio  à  Fentour  canta  dins  li  canèu. 

Vèngue  lou  jour  de  Nosto-Damo. 
Lou  soulèu,  couronna  de  flamo, 

A  mesuro  que  mounto  à  soun  pounliûcat, 
Emé  Tauribo  contre  terro 
Boutas- vous  plan,  plan,  à  Tespèro  : 
Veirés  lou  goui'g,  de  linde  qu  èro, 

S'ensourni  pau-à-pau  de  Toumbro  dôu  pecatf 

E  di  founsour  de  Paigo  fousco, 

Goume  de  Talo  d'uno  mousco 
Ausirés  pau-à-pau  s'auboura  lou  zounzoun  ; 

Pièi  es  un  clar  dindin  d'esquerlo  ; 

Pièi,  à  cha  pau,  entre  li  berlo, 

Goume  de  voues  dins  uno  gerlo. 
Un  orre  chafaret  qu*adus  la  fernisoun  ! 


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MIREILLE,  CHANT  VIII.  845 

Sous  l'ouragan  qui  les  travaille^ 

En  un  instant,  le  blé,  Ja  paille, 
Les  fourches,  les  râteaux,  les  trois  bigues  du  yan, 

Les  sacs,  la  mesure,  la  pelle. 

Hommes  et  chevaux  pêle-mêle. 

Tout  tourbillonne,  tout  chancelle, 
Tout  roule  et  s'engloutit  dans  le  goufire  béant  ! 

—  Ciel  !  dit  Mireille,  j'en  frissonne  I 

—  Et  quoi  !  ce  récit  vous  étonne. 
Reprit  le  gars,  voici  qui  paraîtra  plus  fort  I 

Demain,  si  la  chose  vous  tente, 
Vous  verrez,  dans  l'eau  transparente, 
Frétiller  la  carpe  brillante, 
Et  le  merle  siffler  sous  les  roseaux  du  bord. 

Vienne  le  quinze  Août  !  à  mesure 

Que,  sous  sa  blonde  chevelure. 
Le  soleil  dans  les  airs  commence  à  resplendir, 

Penchez- vous  un  peu  sur  le  vide. 

Vous  verrez  le  gouffre  limpide. 

Prenant  une  couleur  livide, 
Sous  l'ombre  du  péché  lentement  s*assombrir  ! 

Des  profondeurs  de  l'onde  impure 

S'élève  d*abord  un  murmure. 
Pareil  au  bruit  que  fait  une  mouche  en  passant  ; 

Ce  bruit,  vague  au  moment  d'éclore, 

Devient  de  plus  en  plus  sonore, 

Comme  la  voix  dans  une  amphore. 
Qui  s'enfle  et  se  prolonge  en  s'y  réfléchissant  i 


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346  MIRÈIO,  CANT  VIII. 

Es  pièi  un  trot  de  chiyau  maigre 

Que  sus  i*eir6u  un  gardian  aigre 
Lis  esbramasso  e  couche  emé  de  maugrabiéo. 

Es  d*estrepado  rabastouso  ; 

Es  uno  terre  despietouso, 

Âspro,  secado,  s6u?ertouso, 
Que  respond  coume  uno  iero  ounte  caucon»  Testiéit 

Mai  à  mesure  que  décline 

Lou  sant  soulèu,  de  la  toumplino 
Li  blastème,  li  brut,  se  fan  rau,  mourtinèu  ; 

Toussis  la  manado  gancherlo 

Aperalin  ;  soute  li  berio 

Galon  li  clar  dindin  d'esquerlo, 
E  canton  mai  li  merle  au  bout  di  long  canèu. 

Tout  en  parlant  d*aquéli  cause, 

'Mé  soun  panié  de  cacalauso 
Davans  la  chatouneto  anavo  lou  drouloun. 

Lindo,  sereno,  acoulourido 

Pèr  lou  tremount,  la  colo  aride 

Emé  lou  cèu  déjà  marido 
Sis  àuli  peno  bluio  e  si  grand  testau  blound  ; 

E  lou  soulèu  que,  dins  la  cintre 

De  si  long  raj,  plan-plan  s'enintro, 
Laisse  la  pas  de  Dieu  i  palua,  au  Grand-Glar  <>, 

Is  oui  i  vie  de  la  Vau-Longo  **, 

Au  Rose  qu'eilavau  s'alongo, 

I  meissounaire,  qu'à  la  longo 
Atibouron  soun  esquino  e  bevon  lou  vont  Larg. 


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MIREILLE,  CHANT  VIII.  347 

Puis,  c'est  un  trot  de  chevaux  maigres. 

Dont  en  jurant,  des  gardiens  aigres 
Excitent  la  paresse  avec  brutalité  ; 

C'est  un  tumulte  indescriptible, 

C'est  un  piétinement  pénible 

Sur  un  sol  âpre,  sec,  horrible, 
Sonore  comme  une  aire  où  Ton  foule  Tété. 

Mais  aussitôt  qu'à  la  colline 

Le  soleil  du  quinze  Août  décline, 
Le  blasphème,  les  bruits  s'éteignent  sous  les  eaux; 

Insensiblement  tout  s'apaise. 

Tout  se  tait  ;  et  ne  vous  déplaise, 

Les  merles  viennent  à  leur  aise, 
llecommencer  leurs  chantsi^au  bout  des  longs  roseaux. 

Et  narrateur  plein  d'abondance, 

Avec  son  panier  qu'il  balance. 
Devant  la  jeune  fille  allait  le  jeune  gars; 

Pendant  que  l'aride  colline. 

Qui  des  feux  du  soir  s'illumine. 

Mêlait  au  ciel  qu'elle  avoisine. 
Et  ses  mamelons  bleus  et  ses  chênes  épars. 

Et  sur  la  fin  de  sa  carrière. 

Le  soleil,  cachant  sa  lumière. 
Laissait  la  paix  du  soir  aux  étangs,  aux  murnis. 

Au  cours  du  Rhône  qui  serpente, 

A  la  petite  nef  flottante, 

Aux  moissonneurs  pliant  leur  tente. 
Et  relevant  le  dos  pour  boire  le  vent  frais. 


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348  MIRÈIO,  GÂMT  VIU. 

E  lou  drouloun  digue  :  Jouvènto, 

Al  in,  vès  la  telo  mouvènto 
De  noste  tibanèu,  mouvènto  au  ventoulet  t 

Vès,  sus  Taubo  que  ié  fai  calo, 

Vès,  vès  moun  fraire  Not  qu*escalo  ! 

Segur  aganto  de  cigalo, 
0  regarde  belèu  se  tourne  au  tendoulet. 

Ai  !  nous  a  vist!...  Ma  sorre  Zeto, 

Que  ié  fasié  la  courbo-seto, 
Se  reviro...  e  vêla  que  vers  ma  maire  cour 

Ié  dire  que,  sens  tiro-laisso, 

Pou  alesti  lou  boui-abaisso. 

Dins  lou  barquet  déjà  se  baisse, 
Ma  maire,  e  pren  li  pèis  que  soun  à  la  frescour. 

Mai  éli  dous,  d'uno  abrivado 
Goume  escalavon  la  levado  : 

—  Tè  I  cridè  lou  pescaire,  espincho,  que  fai  gau, 
Femo  !...  Bèn  lèu,  pèr  mau  que  vague, 
Noste  Andreloun,  crese  que  fague 
Un  pescadou  di  fier  que  i'ague  !  ' 

Velou  que  nous  adus  la  rèino  di  pougau  I 


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Mireille,  chant  viii.  uo 

Le  gars  dit  à  la  jeune  fille  : 

—  Voyez  là-bas,  sous  la  charmille. 

Notre  fente  blanchir;  voyez  mon  frère  Not, 
Qui  vient  de  quitter  ses  sandales, 
Pour  mieux  grimper  aux  trembles  pâles, 
Afin  d'attraper  des  cigales. 

Ou  de  voir  de  plus  loin  si  j'arrive  bientôt. 

Il  nous  a  vus!...  car  ma  sœur  Zette, 

Qui  l'épaulait  et  qui  me  guette 
Elle  aussi,  vers  ma  mère  a  bondi  d'un  seul  saut, 

Pour  lui  dire  qu'elle  se  presse 

De  préparer  la  bouille-abaisse  ; 

Et  déjà  ma  mère  se  baisse 
Pour  prendre  le  poisson  dans  le  fond  du  bateau.  — 

Et  d'un  pas  leste  et  sans  fatigue. 

Gomme  ils  avaient  gravi  la  digue  : 
—  Femme!  dit  le  pêcheur,  voilà  qu'en  notre  fils 

L'instinct  de  la  pèche  s'éveille  ' 

Cet  Andrelon  fera  merveille  ! 

Vois-le,  mettant  dans  sa  corbeille 
Le  plus  beau  des  poissons  que  jamais  on  ait  pris! 


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NOTES  DU  CHANT  HUITIÈME 


1.  Courtes  i  Sanio  (coures  aux  Saintes).  (Voyez  chant  I", 
note  15.) 

2.  L*Aigle,  constellation. 

3.  Magalouno  (Maguelonne).  D'après  un  vieux  roman  de 
chevalerie  aussi  populaire  que  celui  des  Quatre  fils  Âymon, 
le  comte  Pierre  de  Provence,  ayant  enlevé  Maguelonne,  fille 
du  roi  de  Naples,  s'enruit  avec  elle  à  travers  monts  et  vallées. 
Un  jour  que  Maguelonne  s'était  endormie  au  bord  de  la  mer, 
un  oiseau  de  proie  enleva  un  bijou  de  santal  qui  brillait  au 
cou  de  la  princesse.  Son  amant  monta  sur  une  nacelle  pour 
suivre  Toiseau  sur  la  mer;  mais  soudain  une  tempête  s'éleva, 
et  emporta  Pierre  en  Egypte,  où  il  fut  accueilli  et  comblé 
d'honneurs  par  le  Soudan.  La  belle  Maguelonne  s'éveilla  et  se 
mit,  tout  éplorée,  à  chercher  son  ravisseur.  Après  une  foule 
d'aventures  romanesques,  ils  se  retrouvèrent  en  Provence,  où 
Maguelonne,  devenue  abbesse,  avait  fondé  un  hôpital,  autour 
duquel,  selon  cette  chronique  fabuleuse,  s'éleva  plus  tard  la 
ville  de  Maguelonne. 

4.  VAupiho  baumeludo  (l'Alpine  caverneuse) ^  épithète  mo* 
tivée  par  les  grottes  des  Baux  et  de  Cordes  qu'on  trouve  dans 
cette  montagne. 

5.  De  SantO'Vitôri  lou  serre  (le  morne  ou  pic  de  Sainte- 
Victoire),  à  Torient  d'Aix  :  haut  escarpement  qui  tire  son 
nom  de  la  grande  victoire  remportée  par  Marins  sur  les  Teu- 
tons, à  Pourrières,  dans  le  voisinage. 


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NOTES  DU  CHANT  VIII.  351 

6.  Li  mourven  (les  morvens),  genévriers  de  Phénicie  (JU" 
niperus  Phosnicea,  Lin.). 

7.  Sant  Gènt,  ermito  dôu  Bausset  (saint  Cent,  ermite  du 
fiausset),  jeune  laboureur,  de  Monteux,  qui,  au  couimeuce- 
ment  du  onzième  siècle,  se  retira  dans  la  gorge  tlu  Bausset 
(près  de  Vaucluse)  pour  y  vivre  en  ermite.  Son  ermitage,  et 
la  fontaine  miraculeuse  qu*il  fit  jaillir,  dit  la  tradition,  en 
implantant  ses  doigts  dans  le  rocher,  sont  le  but  d'un  pèle- 
rinage très  fréquenté. 

8.  Meissounenco  (hélice  des  moissons)^  hélix  caespitunit 
nommée  meissounenco,  parce  qu'après  la  moisson  elle  monte 
et  se  colle  le  long  des  chaumes. 

9.  Mourgueto  (nonnain),  hélix  vermiculata,  ^  Platello 
(platelle),  hélix  algira.  —  ifoissonniennes,  (Voyez  la  note  pré- 
cédente.) 

10.  Derrabado,  improprement  traduit  par  airée,  signifie 
arrachis.  Ce  mot  désigne  les  gerbes  qui  ont  déjà  subi  un  pre- 
mier piétinement  de  chevaux,  et  qu'on  arrache  de  dessous 
Tairée  pour  les  soumettre  à  un  nouveau  foulage. 

11.  Grand-Clar  (Grand-Clar),  vaste  étang  de  la  Crau,  entre 
les  Baux  et  Arles. 

12.  Vau-Longo  (Vallougue),  vallée  des  Alpines- 


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CANT  NO U YEN 

l'assembLado 


J>osoulaciottn  de  Ifèste  Ramoun  e  de  Jano-Mario,  quand  troroii 
plus  Mirèio.  —  Tout-d'un-tèms  lou  vièi  mando  souna  e  acampo 
dinsl'iero  t6utili  travaiadou  d6u  mas. —  Li  segaire,  li  raslelarello* 
lou  feneirage.  —  Li  carretié,  l'estremage  di  fen.  —  Li  bouié.  — 
Li  meiâsounië,  la  meissoun,  li  glenarello.  —  Li  pastre.  —  Récit 
de  Laurèns  de  Gdufc,  capoulié  di  meissounië  :  lou  cop  de  voulame. 

—  Récit  d6u  segaire  Jan  Bouquet  :  lou  nis  agarri  pèr  li  fournigo. 

—  Récit  d6u  Marran,  baile  di  ràfi  :  la  marco  de  mort.  —  Récit 
d'Antèume,  lou  baile-pastre.  —  Antèume  a  vist  Mirèio  qu'anavo 
i  Sànti-Mario.  —  Estrambord  e  prejit  de  la  maire.—  Partènço  do 
la  famibo  pèr  avë  Mirèio. 


Li  grand  falabreguié  plouréron  ; 

Adoulentido,  s'embarrèron 
Dins  si  brusc  lis  abiho,  ôublidant  lou  pasquié 

Plen  de  lachusclo  e  de  sadrèio. 

—  x\vès  rèn  vist  mounte  èi  Mirèio  ? 

lé  demandavon  11  ninféio, 
I  gèntis  argno  bluio  adounado  au  pesquié. 

Lou  vièi  Ramoun  emé  sa  temo, 
Tôuti  dous  gounfle  de  lagremo^ 

EnsèU)  la  mort  au  cor,  asseta  dins  lou  mas^ 
Amaduron  soun  coudoun  >  :  —  Cerlo, 
Fau  aguè  Tamo  escalaberto!... 
0  malurouso  !  o  disaverto  ! 

De  11  folo  jouinesso  o  terrible  estranias  ! 


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CHANT  NEUVIÈME 

l'assemblée 


Désolation  de  Maître  Rainon  et  de  Jeanne-Marie,  ep  s'apercevant  du 
l'absence  de  Mireille.  —  Le  vieillard  mande  aussitôt  et  rassemble 
dans  l'aire  tous  les  travailleurs  de  la  ferme.  —  Les  faucheurs,  les 
faneuses,  la  fenaison.  —  Les  charretiers,  la  rentrée  des  foins.  — 
Les  laboureurs.  —  Les  moissonneurs,  la  moisson,  les  glaneuses. 
—  Les  bergers.  —  Récit  do  Laurent  de  Goult,  chef  der'raoisson- 
aeurs  :  le  coup  de  faucille.  —  Récit  du.faucheur  Jean  Bouquet  :  le 
nid  envahi  par  les  fourmis.  —  Récit  du  Marran,  chef  des  garçons 
de  charrue  :  le  présage  de  mort.  —  Récit  d'Antelme,  chef  des 
pâtres.  —  Antelme  a  vu  Mireille  allant  aux  Saintes-Mariés.  -^ 
Transports  et  invectives  de  la  mère.  —  Départ  de  la  famille  h  la 
poursuite  de  Mireille. 


Les  grands  Micocouliers  pleurèrent, 
Et  les  abeilles  s'enfermèrent 
Dans  leurs  ruches  de  bois,  oubliant  les  rosiers, 
Qu'elles  avaient  hantés  la  veille. 

—  Auriez-vous  aperçu  Mireille  ? 
Se  disaient  l'un  l'autre  à  l'oreille, 

Les  beaux  alcyons  bleus  adonnés  aux  viviers  1 

Le  vieux  Ramon  avec  sa  femme» 
Les  yeux  en  pleurs,  la  mort  dans  l'âme. 
Assis  au  fond  du  mas  que  glace  ce  départ, 
Couvaient  ensemble  leur  colère. 

—  Abandonner  ainsi  sa  mère  ! 
Disaient-ils;  ô  douleur  ainère! 

De  la  folle  jeunesse  ô  déplorable  écart  ! 


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35i  MIRÈIO,  GANT  IX 

Nosto  Mirèio  bello,  o  gafoî 

0  plour!  'mé  lou  darrié  di  piafo 
S'éi  raubado,  raubado  em'  un  abôumiani!... 

Quau  nous  dira,  desbadarnado, 
Lou  lié,  la  cauno  acantounado 
Ounte  lou  laire  Ta  menado?... — 
E  brandayon  ensèn  si  front  achayani. 

Emé  la  saumo  e  lis  ensàrri 

yenguè  lou  chourlo,  à  i'ourdinàri  ; 
E  dre  sus  lou  lindau  :  —  Bonjour  !  Veniéu  cerca, 

Mèstre,  lis  iôu  e  lou  grand-béure  2. 

—  Enlourno-te,  maladiciéure  ; 

Cridè  lou  vièi,  que>  tau  qu'un  siéure, 
Me  sèmblo  que  sènso  elo  aro  siéu  desrusca  ! 

D'uno  souleto  escourregudo, 
Entourno-te  de  ta  yengudo, 
Cliourlo  !  à  travès  de  cliamp  parte  coume  l'uiau  ! 
Que  li  segaire  e  labouraire 
Uuiton  H  daio  e  lis  araire! 

1  meissounié  digo  de  traire 

Li  voulame  ;  i  mendi,  de  leissa  lou  bestiau  : 

Que  vèngon  m'atrouva  !  —  Tout-d'uno, 

Mai  lougeiret  que  la  cabruiio, 
Part  lou  varlet  fidèu;  travèsso,  dins  li  grès, 

Li  bèus  esparset  rouge;  passe 

Entre  lis  éuse  di  ribasso; 

Franquis  d'un  bound  li  draio  basse; 
Sent  déjà  li  perfum  dôu  fen  toumba  de-fres. 


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MIREILLE,    CHANT    IX.  355 

Enfant  d'une  grâce  achevée, 

Mireille  nous  est  enlevée 
Par  un  homme  de  rien,  un  chenapan,  un  gueux!... 

Qui  nous  dira,  pauvre  affolée. 

Le  lieu,  la  caverne  isolée 

Où  le  larron  t'a  recelée?...  — 
Et  leurs  sourcils  tremhlaient  sur  leurs  fronts  orageux. 

Avec  Tânesse  du  ménage 

Vint  réchanson,  selon  Tusage, 
El  debout  sur  le  seuil  :  —  Bonjour,  je  viens  quérir 

Maître,  les  œufs  et  le  grand-boiro. 

—  Certes,  ton  zèle  est  méritoire, 

Dit  le  vieux,  dans  son  humeur  noire, 
Mais  il  me  touche  peu  car  je  n'ai  qu'à  mourir! 

Cependant,  échanson,  écoute  ! 

Retourne  aux  champs,  reprends  ta  route. 
Et  par  moûts  et  par  vaux  va-t'en  comme  l'éclair. 

Dire  aux  hommes  du  labourage, 
•         Des  prés,  des  moissons,  du  pacage. 

Qu'ils  aient  à  quitter  leur  ouvrage. 
Qu'un  grand  malheur  m'arrive,  et  sans  parler  plus  clair. 

Dis-leur  qu'ici  je  les  appelle.  — 

A  ces  mots  le  valet  fidèle. 
Au  mandat  qu'il  reçoit  prompt  à  donner  ses  soins, 

Part  de  son  pied  le  plus  agile. 

Et,  traversant  le  sol  stérile , 

Atteint  bientôt  le  pré  fertile, 
Guidé  par  le  parfum  que  répandent  les  foins. 


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356  MIRÊIO,  GANT  IX. 

Dins  li  luserao  bèa  nourrido. 

Auto,  e  de  blu  tôuli  flourido, 
Entend  cruci  de  liuen  la  dàio;  à  pas  egau 

Véi  avança  li  fort  segaire, 

Sus  Tandano  plega  :  de  caire, 

Davans  Tacié  desverdegaire, 
Cabusso  la  panouio  en  marro  que  fan  gau. 

D'enfant,  de  chato  risouleto, 

Dins  Fandaiado  verdouleto 
Rastelavon  ;  n'en  vèi  que  meton  à  mouloun 

Lou  fen  adeja  lest;  cantavon, 

E  li  grihet  (que  desertavon 

De  davans  li  daio),  escoutavon... 
Sus  un  brancan  de  frais  que  tiron  dous  biôu  blound, 

Âlin  plus  liuen,  vèi,  auto  e  largo, 

L'erbo  fenalo  que  se  cargo  : 
L'abile  carretié,  sus  lou  viage,  eilamount, 

A  grand  brassôu,  de  la  pasturo 

Que  i'embarravo  la  centuro, 

Fasié  mounta  sèmpre  Tauturo, 
Acatant  parabando,  e  rodo,  emai  timoun. 

E  'mé  lou  fen  que  tirassavo, 
Quand  piéi  lou  càrri  s'avançavo. 

D'un  bastimen  de  niar  aurias  di  Tembalun! 
Veici  pamens  que  lou  cargaire 
S'aubouro  dre  coume  un  targaire, 
E  tout-d'un-tèms  crido  i  segaire  : 

—  Segaire!  aplautas-?ous,  i'a  quauque  treboulunl 


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MIREILLE,   CHANT   IX.  S67 

Dans  les  luzernes  bien  nourries. 

De  bouquets  bleus  toutes  fleuries, 
Il  reconnaît  de  loin  le  son  que  la  faux  rend; 

11  voit  tous  les  faucheurs  en  ligne, 

Au  pas  que  Tandain  leur  assigne, 

Abattre  Therbe  qui  s'aligne 
En  tombant  de  côté  sous  l'acier  dévorant. 

Des  enfants,  des  filles  rieuses, 

Passant  derrière  les  faneuses. 
Râtellent  en  chantant  et  mettent  en  tas  ronds, 

liO  foin  qui  perd  sa  couleur  verte, 

Pendant  que  Je  grillon  alerte 

Écoute,  tremble  et  puis  déserte... 
Sur  un  char  de  bois  blanc  que  traînent  des  bœufs  blonds, 

Il  voit  plus  loin  la  haute  masse, 

Du  foin  qu'on  charge  et  qu'on  entasse; 
L'habile  charretier  sur  la  charge,  là-haut, 

En  s*y  plongeant  jusqu'au  visage, 
♦         Fait  tant  et  tant  que  le  fourrage, 

S'élevant  toujours  d'un  étage. 
Finit  par  déborder  sur  tout  le  chariot. 

Et  lorsque  avec  le  foin  qui  traîne, 

La  charrette  roule  avec  peine. 
Vous  croiriez  voir  passer  un  bâtiment  de  mer. 

Ayant  du  vent  et  de  la  marge  ! 

Quand  tout  à  coup  Thomme  qui  charge, 

D'une  voix  qui  résonne  api  large  : 
—  Faucheurs,  dit-il,  je  vois  quelque  trouble  dans  l'air! 


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358  MIRÈIO,  CANT  IX. 

Li  carreteiroun,  qu'à  fourcado 

lé  pourgissien  l'erbo  secado, 
Tourquèron  li  degoul  de  soun  front  tout  coulant! 

E,  sus  la  cenglo  de  sa  taio 

Pausant  la  costo  de  la  daio, 

fers  la  planuro  ounte  dardaio 
Li  segaire  tenien  la  visto,  en  amoulant. 

—  Orne  !  escoutas  qu*a  di  lou  mèstre, 

lé  fai  lou  mandadou  campèstre  : 
Chourlo,  m'a  di,  subran  parte  coume  Tuiau! 

Que  li  segaire  e  labouraire 

Quiton  li  daio  e  lis  araire  ; 

1  meissounié  digo  de  traire 
\À  voulame;  i  mendi,  de  leissa  lou  bestiau  : 

Que  vèngon  m'atrouva!  —  Tout-d'uno, 
Mai  lôugeiret  que  la  cabruno, 

Part  lou  varlet  lidèu  :  encambo  li  regoun 
Mounte  trachisson  li  garanço, 
D'Alten  3  preciouso  remembranço  ; 
Vèi  de  pertout  PAmaduranço 

Que  daurejo  la  terro  i  fiô  de  soun  pegoun. 

Dins  li  gara  'stela  d'auriolo  *, 
Vèi,  caminant  darrié  si  iniolo, 

Li  ràfi  vigourous,  courba  sus  lou  doubli 
Vèi,  de  soun  ivernenco  dormo, 
La  terro  qu'en  mouto  disformo 
S'eigrejo,  e  dins  la  rego  einormo 

Li  guigno-co  segui  l'araire,  entrefoulî. 


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MIREILLE,   CHANT  IX.  359 

Les  aides  dont  la  fourche  jette 

L'herbe  sèche  sur  la  charette, 
Pour  essuyer  leurs  fronts  relèvent  leurs  chapeaux; 

Et  les  faucheurs  changeant  d'allure, 

Prennent  en  main  la  pierre  dure 

Qu'ils  ont  pendue  à  leur  ceinture, 
Et  regardent  au  loin  en  aiguisant  leur  faux. 

—  Oyez  la  parole  du  maître, 
Leur  dit  le  messager  champêtre  : 

Échanson,  m*a-t-il  dit,  pars,  va  comme  l'éclair 
Dire  aux  hommes  du  labourage 
Des  prés,  des  moissons,  du  pacage. 
Qu'ils  aient  à  quitter  leur  ouvrage, 

Qu'un  grand  malheur  m'arrive,  et,  sans  parler  plus  clair, 

Dis-leur  qu'ici  je  les  appelle.  — 

Et  sur  ce,  le  valet  fidèle. 
Reprenant  son  élan,  enjambe  les  billons 

Où  se  cultive  la  garance, 

D'Althen,  heureuse  souvenance; 

11  voit  partout  la  Providence 
Dorant  et  mûrissant  les  fruits  et  les  moissons. 

Aux  guérets  bordés  de  rigoles. 

Où  fleurissent  les  aurioles, 
Il  voit  les  laboureurs  marchant  après  les  bœufs, 

Avec  leurs  araires  énormes 

Soulever  des  mottes  difformes. 

Et  sur  les  sillons  uniformes, 
Le  hochequeue  en  joie  accourir  derrière  eux. 


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360  MIRÈIO,  GANT  IX. 

^    —  Orne  !  escoutas.  qu'a  di  lou  mèstre  1 

lé  fai  lou  mandadou  campèstre  : 
Chourlo,  m'a  di,  subran  parle  coume  l'uiau! 

Que  li  segaire  e  labouraire 

Quitoa  )i  daio  e  lis  araire  ; 

l  meissounié  digo  de  traire 
Li  voulame;  i  mendi,  de  leissa  lou  bestiau  : 

Que  vèngon  m'atrouva  !  —  Tout-d'uno, 

Mai  lôugeiret  que  la  cabruno, 
Part  Ion  varlet  fidèu  :  e  sauto  li  valat 

Tôuti  ilouri  d'erbo  pradiero  ; 

Trauco  li  blànqui  civadiero  ; 

Dins  li  grand  terrado  btadiero 
K  rousso  d*espigau,  s'esmarro  apereila. 

Quarante  meissounié,  quarauto 
Coume  de  flamo  devouranto, 

De  soun  vièsti  fougous,  redoulènt,  agradiéu. 
Despuiavon  la  terro  ;  anavon 
Sus  la  meissoun  que  meissounavon, 
Coume  de  loup  !  Desvierginavon 

De  soun  or,  de  sa  flour,  e  la  terro  e  Testiéu. 

Darrié  lis  orne,  e  'n  lôngui  ligno 

Coume  li  maiôu  d  uno  vigno, 
Toumbavo  la  gaveilo  à-de-rèng  :  dins  si  bras» 

'À  ligareilo  afeciounado 

Léu  acampavon  li  manado; 

£  léu,  la  garbo  estent  quichado 
Em'  un  cop  de  geinoun,  la  jitavon  detras. 


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MIREILLE,  CHANT  IX.  361 

—  Oyez  la  parole  du  maître, 
Leur  dit  le  messager  champêtre  : 

Échanson,  m'a-t-il  dit,  pars,  va  comme  Téclair 
Dire  aux  hommes  du  labourage 
Des  prés,  des  moissons,  du  pacage, 
Qu'ils  aient  à  quitter  leur  ouvrage, 

Qu*un  grand  malheur  m'arrive,  et,  sans  parler  plus  clair, 

Dis-leur  qu'ici  je  les  appelle.  — 

Et  sur  ce,  le  valet  fidèle, 
Reprenant  son  élan,  enjambe  les  fossés 

Tout  fleuris  d'herbes  prairiales, 

Et  passant  les  avoines  pâles, 

Jusques  aux  terres  principales 
Et  rousses  d'épis  mûrs,  il  court  à  pas  pressés. 

Quarante  moissonneurs,  quarante. 
Comme  une  flamme  dévorante, 
'     Enveloppaient  le  sol  et  rasaient  sa  toison  ; 

Beaux  champs  de  blés  !  splendeurs  rurales  ? 
Vous  tombiez  sous  leurs  mains  brutales  ! 
Ils  dévirginaient,  les  Vandales  ! 
De  leur  fleur,  de  leur  or,  la  terre  et  ta  saison! 

Les  moissonneurs  en  longues  files, 

Abattaient  les  tiges  mobiles. 
Et  la  javelle  en  ordre  après  eux  foisonnant, 

Les  lieuses  disséminées, 

La  prenaient  à  pleines  poignées, 

Et  d'un  coup  de  genou  cognées 
Les  gerbes  à  l'arrière  allaient  s'échelonnant. 


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382  MIRÈIO,  GANT   IX. 

Goume  lis  alo  d'un  eissame 

Beluguejavon  li  voulame  ; 
Deluguejavon  coume,  à  la  mar,  li  risènt 

Mounte  au  soulèu  jogo  la  larbo  ; 

E  counfoundènt  si  rùû  barbo, 

En  garbeiroun  lis  àuti  garbo, 
En  garbeiroun  pounchu,  mountavon  à  cha  cent. 

Acô  semblavo,  pèr  H  terro, 

Li  pavaioun  d'un  camp  de  guerro  : 
Coume  aquéu  de  Bèu-Caire,  autre-tèms,  quand  Simoun 

E  la  Grousado  franchimando, 

E  lou  légat  que  li  coumando, 

Venguèron,  zôu!  à  touto  bando, 
Sagata  la  Prouvènço  e  lou  Comte  Ramoun! 

Mai  enterin  li  glenarello, 
D'aqui,  d'eila,  van,  jougarello, 
E  si  gleno  à  la  man  ;  enterin,  i  canié, 

0  di  garbiero  à  Toumbro  caudo, 
Manto  chatouno  fouligaudo, 
Souto  un  regard  que  Tesbrihaudo, 

S'alangouris  :  Amour  tambèn  es  meissounié. 

—  Orne?  escoutas  qu'a  di  lou  mèstre, 
lé  fai  lou  mandadou  campèstre  : 
ChonrloI  m'a  di,  subran  parte  coume  l'uiau; 
Que  li  segaire  e  iabouraire 
Quiton  li  daio  e  lis  araire; 

1  meissounié,  digo  de  traire 

Li  voulame ,  i  mendi,  de  leissa  lou  bestiau. 


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MIREILLE,  CHANT  IX.  8C3 

Les  faucilles  auprès  des  gerbes 

Reflétaient  des  rayons  superbes; 
Elles  ctincelaient,  comme  le  flot  rieur, 

Où  le  carrelet  téméraire 

Vient  jouer  avec  la  lumière... 

Entre-temps  la  récolte  entière 
En  cent  gerbiers  pointus  gisait  au  champ  d'honnciur. 

Us  ressemblaient,  hissés  sur  terre, 

Aux  pavillons  d'un  camp  de  guerre  : 
Tel  qu'en  eut  autrefois  Beaucaire,  quand  Simon, 

Croyant  que  Dieu  le  lui  demande, 

S'en  vint,  avec  toute  sa  bande, 

Sous  le  Légat  qui  les  commande. 
Égorger  la  Provence  et  le  comte  Raymond  I 

Bientôt  arrivent  les  glaneuses. 

D'ici,  de  là,  gentes,  rieuses. 
Leurs  glanes  à  la  main  ;  à  l'ombre  du  buisson. 

Croyant  que  nul  ne  la  regarde, 

Parfois  l'une  d'elles  s'attarde, 

Avec  un  jeune  homme...  Prends  gardo. 
Jeune  fille,  l'amour  fait  aussi  sa  moisson  ! 

—  Oyez  la  parole  du  maître. 
Leur  dit  le  messager  champêtre  : 

Échanson,  m'a-t-il  dit,  pars,  va  comme  l'éclair 
Dire  au\  hommes  du  labourage, 
Des  prés,  des  moissons,  du  pacage, 
Qu'ils  aient  à  quitter  leur  ouvrage. 

Qu'un  grand  malheur  m'arrive,  et,  sans  parler  plus  clair, 


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364  MIRÊIO,  GANT  IX. 

Que  vèngon  m'atrouva!  —  Tout-d'ono, 
Mai  lôugeiret  que  la  cabruno, 

Part  lou  varlct  fidéu  ;  dins  lis  ôulivié  gris 
Pren  lis  acôurcbi  ;  mounte  lampo, 
Di  Tignarés  trosso  la  pampo, 
Coume  un  rêvés  de  la  cisampo; 

E»  tout  soûl,  velaqui  dins  li  canto-perdris. 

Dins  Testendard  di  Crau  brusido^ 
*  Souto  d'éusino  abouscassido, 
Destousco  aperalin  li  troupéu  achauma  : 

Li  pastrihoun,  lou  baile-pastre, 

Fasien  miejour  sus  lou  mentastre  ; 

En  pas  counrien  li  galapastre 
Sus  l'esquino  di  fedo  en  tnn  de  remiauma. 

De  nivoulino  clarinello, 

E  voulatilo,  e  blanquinello, 
De  la  mar  plan-planet  s*enauravon  :  belôu, 

Dins  lis  autour  inmaterialo, 

Quauco  santouno  celestialo, 

De  soun  velet  de  couventialo 
S'èro  delôugeirido  en  Trustant  lou  soulèu 

—  Orne  !  escoutas  qu'a  di  lou  mèstre, 

lé  fai  lou  mandadou  campèstre  : 
Chourlo,  m'a  di,  subran  parte  couroe  Tuiau; 

Que  H  segairc  e  labouraire 

Quito n  li  daio  e  lis  araire  ; 

I  meissounié  digo  de  traire 
Li  Toulame;  i  mendi,  de  leissa  lou  bestiau.    -^ 


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MIREILLE,  CHANT  IX.  S65 

Dis-leur  qu'ici  je  les  appelle.  — 

Et  sur  ce,  le  valet  fidèle, 
Ueprenant  son  élan,  vers  les  oliviers  gris 

Porte  sa  course  vagabonde, 

Franchit  la  roubine  profonde, 

fclt  terminant  son  tour  du  monde. 
Arrive  enfin  aux  lieux  où  chante  la  perdrix. 

Au  fond  de  la  vaste  étendue. 

De  la  Crau  blanche,  aride  et  nue, 
11  aperçoit  de  loin  les  troupeaux  endormis  : 

Les  bergers  couchés  sous  un  chêne, 

Faisaient  un  peu  de  méridienne; 

La  bergeronnette  sans  gène, 
Courait  et  sautillait  sur  le  dos  des  brebis. 

Léger,  diaphane,  un  nuage 

S'élevant  plus  loin  sur  la  plage. 
Semblait  du  haut  des  airs  protéger  ce  sommeil  ; 

Peut-être  qu'en  quittant  la  terre 

Pour  le  ciel,  une  nonne  austère 

Du  voile  pris  au  monastère. 
S'était-elle  allégée  en  frôlant  le  soleil  ! 

—  Oyez  la  parole  du  maître. 

Leur  dit  le  messager  champêtre  : 
Échanson,  m*a-t-il  dit,  pars,  va  comme  Téclair 

Dire  aux  hommes  du  labourage, 

Des  prés,  des  moissous,  du  pacage, 

Qu'ils  aient  à  quitter  leur  ouvrage, 
Qu'ils  viennent,  et  qu'ici  je  parlerai  plus  clair.  — 


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366  MIRÈIO,  GANT  iX, 

Adounc  li  daio  s'arrestèron, 

E  Jis  araire  s'aplantèron  ; 
\À  quaranto  gavot  que  toumbavon  li  blad, 

Adounc  quitèron  li  voulame, 

E  venguèron  coume  un  eissame 

Que,  de  sa  brusco  parti  flame, 
Au  brut  di  chaplachôu  su  'n  pin  vai  s'assembla. 

Au  mas  venguè  li  ligarello, 

Venguèron  li  rastelarello, 
Venguè  lou  carretié  'mé  si  carreteirouû  ; 

Venguè  li  pastre,  li  glenaire, 

E  li  tout-obro  amoulounaire, 

Venguè  lis  engarbeirounaire, 
Leissant  toumba  li  garbo  au  pèd  di  garbeiroun. 

Morne  e  mut,  dins  Tiero  tepouso, 

Lou  majourau  e  soun  espouso 
Esperavon  Tacamp  ;  e  lis  orne,  esmougu 

De  ço  qu*ansin  li  destourbavon, 

Autour  dôu  mèstre  se  rambavon, 

E  ié  disien,  coume  arribavon  : 
Nous  avès  manda  qujerre,  o  mèstre,  sian  ?engu! 

Mèste  Ramoun  aussè  la  tèsto  : 

—  Sèmpre  à  meissoun  la  grand  tempèsto  ; 
Pauras  que  tôuti  sian  !  pèr  tant  qu'anen  d'avis, 

Sèmpre  au  malur  fau  que  Ton  pique  ! 

Oh!  digue,  sens  que  mai  m'esplique. 

Mi  bons  ami,  vous  n'en  suplique, 
Lèu  digue-me,  chascun,  ço  que  saup,  ço  qu'a  vist. 


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MIREILLE,  CHANT  IX.  867 

Alors  tous  les  travaux  cessèrent, 

Et  les  travailleurs  cheminèrent, 
En  suivant  réchanson  qui  vint  les  appeler  ! 

Gomme  les  abeilles  nouvelles, 

Au  moment  où  poussent  leurs  ailes, 

Au  bruit  des  rustiques  crécelles. 
Sur  un  arbre,  en  essaim,  viennent  se  rassembler. 

Au  mas  revinrent  les  lieuses. 

Derrière  elles  les  râteleuses, 
Avec  ses  adjudants  revint  le  charretier; 

Vinrent  aussi  les  faucheurs  d'herbes, 

Les  pâtres,  les  glaneurs  imberbes, 

Enfin  les  entasseurs  de  gerbes, 
ÏAis  laissant  retomber  tout  autour  du  gerbier. 

Près  de  Taire,  sur  la  pelouse, 

Le  vieux  Ramon  et  son  épouse 
Étaient  debout,  le  front  plissé  par  le  souci  ; 

Les  hommes  jaloux  de  connaître 

Ce  qui  leur  vaut  de  comparaître. 

Disaient  en  approchant  du  maître  : 
Vous  nous  avez  mandés,  ô  maître,  nous  voici  f 

Alors  Ramon  levant  la  tête  : 

—  Après  le  calme  la  tempête. 
Dit-il  ;  pas  de  bonheur  qu'un  revers  ne  suivit  ! 

Pas  de  ciel  qui  soit  sans  nuage  I... 

Sans  que  j'en  dise  davantage, 

Mes  amis,  que  dans  son  langage, 
Chacun  raconte  ici  ce  qu'il  sait,  ce  qu'il  vit. 


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3c»  MIRËIO,  GANT  II. 

Laorèns  de  Gôut  ^  aqui  s'avanço. 

N'a  vie  pas,  dempièi  soun  enfanço, 
filanca  'no  soulo  fes,  quand  bloundejon  li  blad, 

De  se  gandi  'mé  sa  bedoco 

I  piano  d'Arle.  Vièio  roco 

Ounte  la  mar  en  van  afloco, 
Goume  un  queiroun  de  glèiso  avié  lou  ten  brûla* 

Yièi  capitàni  dôu  voulame, 

Que  lou  soulèu  roustigue,  o  brame 

Lou  Maïstrau,  de-longo  à  Tobro  lou  proumié  ! 
Avié  'm*  eu  si  sèt  drôle,  ruste, 
Mouret  coume  eu,  coume  eu  roubuste... 
Li  meissounié,  coume  de  juste, 

L'avien,  tout  d'un  acord,  chausi  pèr  capoulié. 

—  S'acô  's  verai  que  plôu  o  nèvo, 

Quand,  rouginas,  lou  jour  se  lèvo, 
Ço  qu'ai  vist,  coumencè  Laurèns  de  Gôut,  segur, 

Mèstre,  nous  marco  de  lagremo. 

Dieu  !  esvartas  lou  terro-tremo  ! 

Èro  de  matin  :  Taubo  mémo 
Déjà  vers  lou  Pounènt  fasié  courre  Fescur. 

Trempe  d'eigagno,  à  Tabitudo, 

Anavian  faire  ta  fendudo. 
—  Sôci,  rapelen-nous  de  lou  bèn  adouba, 

lé  dise,  e  d'enavans!...  M'estroupe, 

A  moun  prefa,  galoi,  me  groupe; 

D6u  proumié  cop,  mèstre,  me  coupe! 
l'a  trente  an,  bèu  Bondiéu  !  que  noun  m'éro  arriba  ! 


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MIREILLE,    CHANT   IX.  3o0 

Sur  ce,  Laurent  de  Goult  s'avance, 

Laurent  qui,  depuis  son  enfance. 
N'avait  jamais  manqué,  quand  on  coupe  le  l)lé, 

De  se  rendre  avec  sa  faucille, 

Aux  champs  d*Ârles.  Chef  de  famille, 

En  qui  la  vieille  vertu  brille, 
Gomme  un  pilier  d'église  ayant  le  teint  brûlé  ; 

Bref  dans  ses  mots,  vif  dans  ses  gestes. 

Vétéran  des  troupes  agrestes, 
A  Tœuvre  le  premier,  vigoureux,  bien  planté. 

Ayant  sept  fils  dont  Forigine 

Se  lisait  sur  leur  bonne  mine.... 

Les  moissonneurs,  on  le  devine. 
L'avaient  élu  pour  chef  à  l'unanimité. 

—  S'il  est  vrai  que  l'aube  rougeâlre 

Marque  une  pluie  à  tout  abattre, 
Ce  que  j'ai  vu,  dit-il,  ô  maitre  respecté, 

Ne  nous  présage  que  des  larmes  ; 

Dieu  !  rendez  vaines  mes  alarmes  ! 

Ce  matin,  munis  de  nos  armes. 
Aux  premiers  feux  du  jour  chassant  l'obscurité, 

Résolus,  l'humeur  enjouée. 

Nous  allions  faire  la  trouée  : 
—  Compagnons,  ai-je  dit,  allons  au  plus  pressé, 

Et  de  l'entrain  et  de  l'adresse  î... 

Sur  ce,  vers  le  sol,  je  me  baisse. 

Et  du  premier  coup,  je  me  blesse  ! 
Jamais  depuis  trente  ans  je  ne  m'étais  blessé! 

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370  MIRÈIO,  CANT  IX. 

£  coume  a  di,  mostro  sis  ounso 
Qu'ensaunousis  la  plago  founso. 

Li  parent  de  Mirèio  an  que  mai  pregemi. 
E  Jan  Bouquet,  un  di  segaire, 
Pren  la  paraulo  de  soun  caire, 
Tarascounen  e  Tarascaire, 

Dèu  clapas  de  jouvènt,  mai  dous,  e  bon  ami. 

Ha  !  quand  courrié  la  vièio  masco, 
Lagadigadèut  la  Tarasco/ 

Que  de  danso,  de  crid,  de  joio  c  d'estampèu 
La  vilo  morno  s'enlumino, 
Res  que  faguèsse  en  Goundamino, 
Mies  qu'eu  o  de  meiouro  mino, 

Voulastreja  pèr  l'èr  la  Pico  e  lou  Drapèu  •, 

Entre  li  mèstre  dôu  segage 
Âurié  près  rèng,  i  pasturgage, 

S'aguèsse  dôu  travai  bèa  lengu  lou  draiôu; 
Mai  quand  venié  lou  tèms  di  YOto, 
Adieu  Tenchaple  !  1  grand  riboto 
Souto  Faut  in  o  dins  li  croto, 

I  lôngui  farandoulo,  em'  i  courso  de  biôu, 

Ëro  un  timoun,  un  fena  !  —  Mèstre, 

Coume  daiavian  à  grand  dèstre, 
Goumencè  lou  jouvènt,  souto  un  clôt  de  margai, 

Descate  un  nis  de  francouleto 

Que  boulegavon  sis  aleto  ; 

E  vers  la  mato  penjouleto, 
Pèr  vèire  quant  n'i'avié,  me  clinave  tout  gai; 


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MIREILLE,  GH4NT   IX.  371 

A  ces  mots,  il  montre  à  la  foule 

Ses  doigts  couverts  du  sang  qui  coula... 

I^s  parents  de  Mireille  ont  encor  plus  gémi. 
Perçant  la  foule  qui  le  masque 
S'avance  alors,  d'un  pas  de  Basque, 
Jean,  Chevalier  de  la  Tarasque, 

Joli  bloc  de  garçon,  mais  doux  et  bon  ami  I 

Ah  !  quand  la  Tarasque  à  son  aise 

Court  la  cité  Tarasconaise  ! 
Quand  de  danses,  de  cris,  de  plumes  au  chapeau, 

La  ville  morne  s'enlumine, 

Il  n'est  personne  en*Condamine 

Uui  ni  avec  meilleure  mine, 
Voltiger  dans  les  airs  la  Pique  et  le  Drapeau. 

Dans  les  concours  de  l'art  champêtre^ 

Sa  faux  l'aurait  fait  passer  maître, 
S'il  eût  été  plus  sage  et  plus  laborieux  ; 

Mais,  que  survînt  la  moindre  fête, 

11  avait  autre  chose  en  tête  ; 

C'était  Nanon,  c'était  Suzelte, 
Ou  bien  la  farandole,  ou  les  courses  de  bœufs  ! 

Donc  Jean  s'avance  et  dit  :  —  Mon  maître, 

Le  jour  ne  faisait  que  de  naître, 
Que  déjà  dans  les  prés  nous  fauchions  à  grand  train; 

Quand  tout  à  coup  ma  faux  s'arrête 

Devant  un  beau  nid  d'alouette  ; 

Aussitôt  je  baisse  la  tête 
Pour  compter  les  petits  dont  je  le  voyais  plein. 


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372  MIRÈIO,   <iANT  IX. 

Oli!  noum  de  sort!  pàuri  bestiolo! 

De  fournigasso,  roujo  e  folo, 
D6u  nis  e  di  nistoun  venien  de  s'empara  : 

Très  èron  déjà  mori  ;  lou  rèsto, 

Empesouli  d'aquelo  pèsto, 

Sourtié  foro  d6u  nis  la  tèsto, 
Que  semblavo  me  dire  :  Oh!  venès  m*apara! 

Mai  uno  nèblo  de  fournigo 
Mai  verinouso  que  d*ourligo, 

Ferouiio,  acamassido,  alabro,  li  pougnié; 
E  iéu,  apensamenli  qu'ère 
Conlro  lou  manche  de  moun  ferre, 
Dins  la  garrigo  entendeguère 

La  maire  qu*en  pleurant  pieu  ta  vo  e  li  plagnié. 

Aquéu  récit  de  maluranço 

Es  tourna-mai  un  cop  de  lanço  : 

Dôu  paire  e  de  la  maire  a  gounfla  lou  segren. 
E  coume,  en  Jun,  quand  vers  la  piano 
Mounto  en  silènci  la  chavano, 
Que,  cop  sus  cop,  la  Tremountano  ' 

Uiausso,  e  que  lou  tèms  de  tout  caire  se  pren, 

Vèn  lou  Marran.  Dins  li  bastido 
Soun  noum  avié  de  restountido  ; 

E  lou  vèspre,  enterin  que  li  miôu  estaca 
Tiron  di  grùpi  la  luserno, 
Souvent  li  ràfi,  quand  iverno, 
Abenon  l'ôli  di  lanterno, 

En  parlant  de  la  fes  que  venguè  se  louga. 


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MIREILLE,   CHANT  I\.  C73 

Sort  fatal!  pauvres  bestioles  ! 

D'affreuses  fourmis  rouges,  folles, 
Éparses  dans  le  nid  semblaient  le  soulever; 

Trois  petits  étaient  morts;  le  reste 

Sous  la  vermine  qui  l'infeste 

Semblait  de  la  voix  et  du  geste 
Me  dire;  Doux  faucheur!  oh!  venez  nous  sauver! 

Hélas!  la  formidable  armée, 

De  plus  en  plus  envenimée, 
Les  perçait  à  plaisir  de  ses  mille  aiguillons; 

Et  moi,  dans  mon  âme  pensive, 

Appuyé  sur  ma  faux  oisive,  ^ 

J'écoutais  la  mère  plaintive 
Qui  dans  le  champ  voisin  pleurait  ses  oisillons.  — 

Ce  récit  comme  bien  Ton  pense, 

Perce  d'un  nouveau  coup  de  lance. 
Les  parents  déjà  pris  d'un  noir  pressentiment. 

Et  comme  en  Juin,  quand  vers  la  plaine 

Un  orage  au  loin  se  promène. 

Et  que,  sous  le  vent  qui  l'amène, 
D'éclairs  et  de  bruits  sourds  s'emplit  le  firmament» 

Vint  le  Marran.  Son  nom  superbe 

Avait  passé  presque  en  proverbe; 
Et  le  soir,  quand  les  bœufs  revenus  du  labour. 

Tirent  des  crèches  les  luzernes, 

Souvent  les  valets  subalternes, 

Épuisaient  l'huile  des  lanternes, 
En  parlant  du  succès  qu'il  eut,  au  mas,  un  jour. 


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874  MIRÊIO,  GâNT  IX. 

S'èro  loug-i  pèr  li  semenço  : 

Chasque  bouié  lèu  acoumenço 
D'enrega  sa  versano  ;  e  lou  Marran,  pamen, 

Èro  darrié  que  de  sa  riho 

Tascoulejavo  lis  auriho, 

0  Taramoun  o  li  tendiho, 
Counie  un  que,  de  sa  vido,  a  touca  restrumen« 

—  Te  vas  louga  pèr  labouraire, 
E  sabes  pas  mounta  'n  araire, 

Desgaubia!  ié  cridè  lou  proumié  carretié. 
Tène  qu*un  verre  emé  soun  mourre 
Miéu&que  tu,  gafagnard,  laboure  f 

—  Vosto  escoumesso,  iéu  Tauboure, 
Respoundè  lou  Marran  ;  e  quau  sara  coustié» 

De  iéu  0  de  vous,  perdra,  balle, 

Très  lou vidor!...  Sounas  dôu  graile!  — 

Li  dos  reio  à  la  fes  an  fendu  lou  gara. 
Li  dous  bouié  vers  Taulro  ribo 
Prenon  signau  en  dos  grand  pibo... 
Li  dous  fourcat  fan  pa  'no  gibo! 

Pèr  lou  rai  dôu  soûl  eu  li  cresten  soun  daura. 

—  Rampau  de  Dieu!  adounc  faguèron 
Li  lougadié  tôuti  tant  qu'èron, 

Vosto  enregado,  baile,  es  d'un  orne  de  bon 
E  d*uno  man  rèn  mal-adrecho  ! 
Mai  fau  tout  dire  :  es  bèn  tant  drecho, 
Âquelo  d'eu,  qu  em'  uno  flecho 

Se  pourrie  de-segur  enfiela  tout-de-long? 


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MIREILLE,  GUÂNT   iX.  876 

11  venait  aider  aux  semailles  ; 

De  la  terre  ouvrant  les  entrailles, 
Chacun  des  laboureurs  suivait  son  mouvement, 

Et  le  Marran  passait  derrière 

Tenant  dans  sa  main  son  araire, 

A  peu  près,  comme  eût  pu  le  faire 
Un  homme  qui  jamais  n'a  touché  l'instrument. 

—  Dis  donc  !  as-tu  loué  ton  œuvre 
Gomme  maître  ou  comme  manœuvre? 

Lui  crie,  en  ricanant,  le  premier  laboureur  ; 
Je  tiens  qu'un  porc,  avec  sa  trogne, 
Mieux  que  toi  ferait  ta  besogne  ! 

—  Peste  soit  à  celui  qui  grogne. 
Réplique  le  Marran,  qui  se  pique  d'honneur  ; 

Parions  cent  francs,  camarade  t 

Et  le  pari  suit  la  bravade. 
On  s'apprête,  on  s'excite,  on  se  regarde,  on  part  ; 

Droit  comme  un  I  chacun  arrive 

Au  peuplier  qu'à  l'autre  rive 

Ils  avaient  pris  en  perspective... 
Pas  le  plus  petit  coude  et  pas  le  moindre  écart  ! 

Jour  de  Dieu!  dit  la  galerie. 

De  tant  d'adresse  abasourdie, 
Maîtres,  soyez  tous  deux  fiers  de  voire  sillon  ! 

En  vérité,  celui  de  droite 

N'est  pas  fait  de  main  maladroite; 

Mais  l'autre  a  sa  ligne  si  droite, 
Qu'une  flèche  pourrait  le  suivre  tout  du  long? 


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376  MIRÊIO,  GANT  i&. 

£  Jou  Marran  gagné  li  joio. 

Au  parlamen  que  desmeinoio 
Lou  Marran^  éuperéu,  venguè  douncescampa 

Soun  mot  amar  ;  digue  tout  blave  : 

—  Adès  en  coutreiant  siblave; 

Èro  un  brisoun  dur  :  me  tablave 
D'alounga  'n  pau  la  juncho,  e  'm' acô  d'acaba. 

Tout-en-un-cop  vese  mi  bèsti 
Rebufela  soun  pelous  vièsti  ; 

Vese  la  fernisoun  e  Tesfrai  tout  ensèn 

Que  fan  aplanta  'qui  moun  couble 
E  chauriha;  iéu,  vesiéu  double, 
Yesiéu  lis  erbo  dôu  restouble 

Se  clina  vers  lou  sôu  en  s'escoulourissèot. 

Couche  mi  bèsti  :  la  Baiardo 

Em'  un  èr  triste  m'arregardo, 
Mais  brando  pas  ;  Falet  niflavo  lou  cresten; 

Ua  cop  de  fouit  lis.eigarreto... 

Parton  esglaia  ;  la  cambeto, 

Uno  cambeto  d'ôume,  peto; 
Emporton  bacegoun  e  joto  ;  e  pale,  esten, 

A  iéu  m'a  près  coume  un  catàrri  ; 

Un  aucidènt  invoulountàri 
A  fa  cruci  ma  maisso  ;  un  frejoulun  me  vèn  ; 

E  sus  mi  car  estabousido, 

E  sus  ma  tèslo  agarrussido 

Gouiiie  li  tèsto  de  caussido, 
Iéu  ai  senti  la  Mort  qu'a  passa  coume  un  vèntî 


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MIREILLE,  CHANT  IX.  377 

Et  le  Marran  eut  la  victoire! 

Mais  en  tout  cas,  voici  l'histoire 
Qu'à  son  tour,  au  conseil,  il  eut  à  raconter  î 

—  Tantôt,  dit-il,  d'un  pas  tranquille, 

Je  faisais  ma  tâche  ;  l'argile 

La  rendait  dure  et  difficile, 
Et  pour  en  voir  la  fin, il  fallait  se  hâter. 

Tout  à  coup  mes  bêtes  hennissent; 

Sur  leur  dos  leurs  poils  se  hérissent  ; 
Leur  oreille  se  dresse,  et  sans  choc  apparent. 

Net  et  court  s'arrête  l'araire  ; 

La  vue  à  mes  yeux  n'est  plus  claire, 

Je  vois  l'herbe  de  la  jachère 
Se  pencher  sur  le  sol  en  se  décolorant. 

Je  les  pique  au  flanc  :  la  Bayarde 

Triste,  immobile,  me  regarde; 
Falot  flaire  du  nez  l'arête  du  sillon; 

N'obtenant  rien  des  coups  d'épingle, 

D'un  grand  coup  de  fouet  je  les  cingle-.. 

La  paire  part,  brise  la  tringle, 
Cl  me  laisse  tout  seul  avec  mon  aiguillon. 

Et  stupéfait  à  ce  spectacle, 

Survivant  comme  par  miracle, 
Immobile,  muet,  devant  ce  trait  du  sort, 

J'étais  là,  glacé  d'épouvante... 

El,  telle  qu'on  la  représente. 

Avec  sa  grande  faux  luisante. 
Au  fond  des  cieux  troublés  je  vis  passer  la  Mort  ? 


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878  MIRÈIO,  GANT  iX. 

—  Bono  Maire  de  Dieu  !  acato 
De  toun  mantèu  ma  bello  cbato! 

Gridè  la  pauro  maire  em'  un  crid  desouia. 

Es  à  geinoun  aqui  toumbado 

E  vers  li  nivo  encaro  bado... 

Veici  qu'arribo  à  grand  cambado 
Lou  baile  Antèume,  pastre  e  môusèire  de  la. 

—  Qu'èi  qu'avié  dounc  tant  matiniero, 
Pèr  treva  'nsin  11  cadeniero? 

Digue  lou  baile  Antèume  en  intrant  au  counsèu. 

Nautre  erian  claus  dins  nôsti  cledo. 

En  trin  de  môuse  nôsti  fedo  ; 

E  sus  li  vàsti  claparedo 
Lis  estello  de  Dieu  clavelavon  lou  céu. 

Uno  amo,  uno  oumbrinello,  un  glàri 
Frusto  lou  pargue  ;  de  resglàri 
Se  tenon  mut  li  chin,  s'amoulouno  Favé. 

—  Parlo-me  dounc,  se  sies  bono  amo  ! 
Se  sies  marrido,  tourne  i  flamo  ! 

En  iéu  pensère...  A  Nosto-Damo, 
Mèstre,  n'ai  pas  lesi  d'entamena  'n  Ave, 

Emé  iéu,  i  Sànti-Marlo, 

Res  vôu  veni  de  la  pastriho?... 

Uno  voues  couneigudo  alor  crido.  E  'm'  ac6 
Tout  s'esvalis  dins  lou  campèstre. 
Quau  vous  a  pas  di,  noste  mèstre, 
Qu'èro  Mirèio  !  —  Acô  pôu  èstre? 

Tout  lou  mounde  à  la  fes  adounc  fai  sus-lou-cop. 


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MIREILLE,  CHANT  IX.  370 

Mère  de  Dieu  !  sous  ta  mantille 

Daigne  abriter  ma  chère  fille, 
S'écrie,  à  ce  récit,  la  pauvre  mère  en  pleurs; 

Et  tremblante,  à  genoux  tombée, 

Elle  était  là,  tout  absorbée, 

Quand  soudain,  à  grande  enjambée, 
Accourt  le  chef  Antehne,  un  des  pâtres  trayeurs. 

—  Qu'eut-elle  donc,  j'en  rêve  encore. 
Pour  devancer  ainsi  l'aurore? 

Dit  Anselme,  en  prenant  la  parole  à  son  tour. 

Nous  étions  dans  le  parc,  les  pâtres 

Contenaient  les  agneaux  folâtres; 

Sur  nous,  au  fond  des  cieux  bleuâtres, 
Les  étoiles  brillaient,  en  attendant  le  jour. 

Une  âme,  une  ombre,  un  spectre  passe  ; 
Soudain  le  troupeau  se  ramasse  ; 
f^s  chiens  restent  muets,  couchés  sur  le  pavé. 

—  €  Si  tu  pars  du  ciel,  viens,  belle  âme! 
Sinon,  retourne  dans  ta  flamme,  > 
Dis-je  en  moi-même  ;  à  Noire-Dame 

Je  n'avais  pas  le  temps  d'adresser  un  Ave. 

—  Qui  laisse  ses  brebis  chéries 
Pour  me  suivre  aux  Saintes-Mariés?... 

Dit  une  voix  d'enfant,  qui  comme  une  vapeur 

S'envole  loin  du  parc  champêtre. 

Eh  bien  !  ce  spectre,  ô  notre  maître. 

C'était  Mireille  !  —  Peut-il  être 
Que  Mireille  fût  là,  dit  tout  le  monde  en  chœur? 


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S^  MIRÊIO»  GANT  IX. 

—  Mirèio  !  countuniè  lou  pastre, 
L'ai  visto  à  la  clarta  dis  astre, 

L'ai  visto,  iéu  vous  dise,  e  m'a  fusa  davan  ; 
L'ai  visto,  noun  plus  talo  qu'ère, 
Mai  dins  sa  caro  tristo  e  fèro 
Se  couneissié  que,  sus  la  terro. 

Un  cousent  desplesi  ié  dounavo  lou  vanc  f 

D'entendre  la  debalausido. 

Entre  si  man  enterrousido 

Lis  orne  en  gémissent  piquèron  à  la  fes. 

—  1  Santo  menas-me  lèu,  drôle! 
Grido  la  pauro  maire  :  vole, 
Ounte  que  vague,  ounte  que  vole, 

Segui  moun  auceloun,  moun  perdigau  de  gresf 

Se  li  fournigo  l'agarrisson, 

Fin  que  d'une,  mi  dent  que  trisson 
Manjaran,  trissaran  fournigo  e  fourniguié! 

Se  l'abramado  Mort-peleto 

Te  voulié  torse,  iéu  souleto 

Ëmbrecarai  sa  daio  bleto, 
E  dôu  tèms,  fugiras  à  travès  li  jounquié  f  — 

E  pèr  lou  champ,  Jano-Mario, 
Que  la  cregnènço  desvario, 
Scmenfivo  en  courrènt  si  desvaga  prejit. 

—  Carretié,  tendo  la  carreto, 
Vougne  Tessiéu,  bagno  li  frète, 
E  lèu  atalo  la  Moureto  *, 

Qu*es  tard,  disié  lou  mèstre,  e  qu'avèn  long  trejit! 


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MIREILLE,  CHANT  IX.  381 

—  C'était  Mireille  et  bien  Mireille, 
Reprit  le  pâtre  ;  à  mon  oreille 

Aussi  bien  qu'à  mes  yeux  vous  pouvez  vous  fier  ; 

Comme  je  vous  vois,  je  l'ai  vue, 

Non  telle  que  je  l'ai  connue. 

Mais  triste,  morose,  abattue. 
Comme  une  biche  en  pleurs  qu'on  va  sacrifier!  ^ 

A  cette  nouvelle  fatale. 
Une  tristesse  générale 
Plana  sur  le  conseil  muet  comme  un  tombeau. 

—  Aux  Saintes,  vite  qu'on  me  mène  I 
Dit  Jeanne-Marie,  hors  d'haleine  ; 
Où  qu'il  volète,  ou  qu'il  s'engraine. 

J'irai  le  retrouver  mon  beau  petit  perdreau! 

Si  les  fourmis  te  font  la  guerre, 

Va,  mes  dents,  jusqu'à  la  dernière 
Broîront  et  mangeront  fourmilière  et  fourmis  ! 

Si  la  mort  pâle  et  décharnée 

Veut  te  prendre,  avec  ma  cognée 

J'ébrècherai  sa  faux  damnée  ; 
Entre-temps  tu  fuiras,  toi,  vers  des  bras  amisi  -— 

Et  par  les  champs,  Jeanne-Marie 
S'en  allait  comme  une  Furie, 
Frappant  l'air  de  ses  cris,  le  sol  de  ses  talons. 

—  Charretier,  couvre  la  charrette. 
Oins  l'essieu,  mouille  la  clavette, 
Et  vite  attelle  la  Mouretle, 

Il  est  tard,  ditle  maître,  et  les  chemins  sont  longs  !  — 


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882  MIRÈ^O,   CANT  IX. 

Ë  SUS  lou  càrri  bacelaire 
Jano-Marlo  mounto,  e  Taire 

S'emplissié  mai-que-mai  d'estrambord  pietadous 
—  Ma  belJo  mignoto!...  Glapouiro, 
Erme  de  Grau,  vàsti  sansouiro, 
A  ma  chatouno  que  langouiro, 

Emai  tu,  souleias,  fugues  amistadous!... 

Mai,  Tabouminablo  mandrouno 

Que  pôutirè  dins  soun  androuno 
Ma  chatOy  e  de-segur  i'a  veja,  i'a  'mpassa 

Si  trassegim  e  si  boucôni, 

Taven  !  que  tôuti  li  demôni 

Qu*espaventèron  Sant  Antôni, 
Sus  il  roco  di  Bauste  vagon  tirassa!,.. 

Dins  lou  trantran  de  la  carreto 
S*esperd  la  voues  de  la  paureto... 

E  lis  ome  dôu  mas,  en  espinchant  se  res 
Apareissié  dins  la  Grau  Ituncho, 
Plan  s'entournavon  à  la  juncho... 
Urous,  entre  li  lèio  juncho, 

\À  vôu  de  mousquihoun  revoulunant  au  fres. 


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MIREILLE,   CHANT   IX.  383 

Sur  le  char  couvert  de  sa  lente 

Monte  la  mère  gémissante, 
S'aidant  comme  elle  peut  de  ses  bras  détaillants, 

Et  d'une  voix  désespérée, 

S'écriant  :  Mireille  adorée  ! 

Plages,  étangs,  mer  azurée, 
£t  toi,  brûlant  soleil,  soyez-lui  bienveillants*... 

Ou,  fei  la  vieille  enchanteresse 

Ma  fille,  t*a  versé  l'ivresse. 
Le.  jour  où  tu  parus  dans  ses  antres  déserts  . 

Taveu  matrone  abominable. 

Que  la  haine  de  Dieu  t'accable  ! 

Ou  mieux  encore  que  le  diable 
Vienne  te  prendre  aux  Baux  et  te  traîne  aux  enfers!... 

Sous  les  cahots  du  char  qui  roule 

La  voix  se  perd...  Toute  la  foule 
Cherchant,  si  de  Mireille,  au  loin,  vers  les  marais, 

La  silhouette  se  dessine, 

Du  côté  des  champs  s'achemine... 

Heureux,  sur  la  verle  colline. 
Les  vois  de  moucherons  tourbillonnaient  au  frais  ! 


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NOTES  DU  CHANT  NEUVIÈME 


1.  Amaduron  soun  coudoun  (mûrissent  leur  douleur).  Cou- 
doun  signifie,  au  figuré,  lourd  chagrin,  poids  douloureux  qu'on 
a  sur  le  cœur;  au  propre,  coing.  Ce  mot,  sans  le  dernier  sens, 
dérive  du  grec  xuS(;&viov,  fruit  de  Gydon,  coing  ;  dans  le  pre- 
mier, de  x6toç,  profond  ressentiment. 

2.  Grand-béure  (grand-boire),  petit  repas  que  les  moisson- 
neurs font  vers  les  dix  heures  du  matin. 

3.  Jean  Althen,  aventurier  arménien  qui,  en  1774,  intro- 
duisit la  culture  de  la  garance  dans  le  comtat  Venaissin.  En 
1850,  on  lui  a  élevé  une  statue  sur  le  rocher  d'Avignon. 

4.  Auriolo  (auriole),  centaurée  du  solstice  {cenfaurea 
solstitialiSy  Lin.),  plante  qui  pullule  dans  les  chaumes,  après 
la  moisson.  Ses  fleurs  jaunes,  et  les  épines  étoilée's  de  leur  in- 
volucre,  lui  ont  valu  son  nom  provençal,  qui  signifie  auréole. 

5.  Goût  (Goult  ou  Agoult),  village  du  département  de  Vau- 
cluse,  qui  a  donné  son  nom  à  Tune  des  plus  illustres  maisons 
de  Provence. 

6.  Tout  le  monde  a  entendu  parler  de  la  Tarasque,  monstre 
qui,  d'après  la  tradition,  ravageait  les  bords  du  Rhône  et 
qui  fut  dompté  par  sainte  Marthe.  Chaque  année  les  Taras- 
conais  célèbrent  leur  délivrance  par  l'exhibition  d'un  simu- 
lacre de  ce  monstre,  que  des  hommes  portent  à  la  course  à 
travers  les  rues  ;  et  à  des  époques  plus  ou  moins  rapprochées, 
on  rehausse  cette  fête  par  une  foule  de  jeux.  Ceux  de  la  Pi- 
que et  du  Drapeau,  mentionnés  dans  le  poème,  consistent  à 


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NOTES   DU  CHANT  NEUVIÈME.  385 

faire  voltiger  gracieusement,  à  lancer  à  une  grande  hauteur 
et  à  rattraper  avec  adresse  un  étendard  aux  larges  plis  ou  une 
longue  javeline. 

—  Lagadigadèu  est  la  célèbre  ritournelle  d'une  chanson 
populaire  attribuée  au  roi  René,  et  qu'on  chante  à  Tarascon 
dans  cette  fête.  En  voici  le  couplet  le -plus  connu  ; 

Lagadigadèu  I 
La  Tara  SCO  ! 
Lagadigadèu! 
La  Tara  SCO 
De  Caslèu! 
Lcissas-Ia  passa, 
La  vièio  masco  I 
Leîssas-Ia  passa 
Que  vai  dansa. 

—  En  Coundamind.  La  Condamine  (Condominium)  est  un 
quartier  de  Tarascon.  On  retrouve  cette  dénomination  dans 
plusieurs  villes  du  Midi. 

7.  Tremountano  (tramontane),  veiit  du  nord-est,  et  par 
extension  nord-est. 

8.  La  Moureio  (la  Mourette),  nom  de  mule.  Dans  les  cam- 
pagnes, on  désigne  ordinairement  les  bêtes  de  somme  par  la 
couleur  de  leur  robe.  Les  noms  les  plus  communs  sont  blan- 
quet  (blanc),  mouret  (noir),  brunèu  (brun),  falet  (gris), 
haiard  (bai),  roubin  (bai  clair). 


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CANT  DESEN 


tk    GAMARGO 


Ifirèio  ptMO  Ion  Rose  dins  lou  barquet  d'Andreloun,  e  countùnio  sa 
courso  à  travès  la  Camarço.  —  Li  dougan  dou  Rose  enire  la  mar 
0  Arle.  —  Descripcioun  de  la  Camargo. —  La  calour.  —  La  danso 
de  la  Vicio.  —  Li  mountiho.  —  Li  sansouiro.  —  Blirèio  es  ensu- 
i*.ado  p6r  un  cop  de  soulèu  sus  li  ribo  de  l'eslang  d6a  Vacarcs.  — 
Lis  arabi  la  rcvènon.  —  La  roumiéuTO  d'amour  se  tirasse  jusqu'à 
la  glèiso  di  Santo.  —  La  prepiiero.  —  Lavesioun.  —  Discours  di 
Sànti-Mario.  —  La  vanita  duu  bonur  d'aquest  mounde,  la  nécessita 
e  lou  mérite  de  la  soufrènço.  —  Li  Santo,  pèr  ië  refermi  ioa  cor, 
raconton  à  llirèio  sis  esprovo  terrestre. 


Desempiéi  Arle  jusqu'à  Vènço  *, 

EscoQtas-me,  gèntde  Prouvènço! 
Se  trouvas  que  fai  caud,  ami,  tôutis  ensèn^ 

Sus  lou  ribas  di  Durcnçolo, 

Anen  à  santo-repausolo  î 

E  de  Marsiho  à  Valensolo 
Que  se  cante  Mirèio  e  seplagne  Vincèn! 

1  Lou  pichot  barquet  fendié  Taigo, 

Sens  mai  de  brut  qu  uno  palaigo  ; 

IjOu  pichot  Andreloun  menavo  lou  barquet; 
E  Tamourouso  qu*ai  canlado 
Em*  Andreloun  s'èro  avaslado 
Sus  lou  grand  Rose;  e,  d*assetado, 

Counlemplavo  lis  oundo  em*  un  regard  foiisquet. 


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CHANT  DIXIÈME 


LA    CAMARGUE 


Mireille  passe  le  Rhône  dans  la  nacelle  d'Andrelon  et  poursuit  sa 
course  à  travers  la  Camar^pie.  -r-  Les  bords  du  Rhône  entre  la  mer 
et  Arles. —  Description  de  la  Camargue. —  La  chaleur. — Le  mirage. 
—  Les  dunes.  —  Les  tansouires.  —  Mireille  est  frappée  d'un  coup 
de  soleil,  sur  les  rives  de  l'étang  du  Valcarès.  —  Les  moustiques 
la  rappellent  à  la  vie.  —  La  pèlerine  d'amour  se  traîne  jusqu*à 
l'église  des  Saintes-Mariés. —  La  prière.  —  La  vision. —  Discours 
des  Saintes  Maries.  —  La  vanité  du  bonheur  de  ce  monde,  la 
nécessité  et  le  mérite  de  la  souffrance.  —  Les  Saintes,  pour 
raffermir  le  courage  de  Mireille,  lui  font  le  récit  de  leurs  épreuves 
terrestres. 


Depuis  Arles  jusques  à  Yence, 

Écoutez-moi,  gens  de  Provence  ; 
S'il  fait  trop  chaud  pour  vous,  amis,  allons  gatment, 

Sur  les  bords  d'une  Durençole, 

Nous  étendre  sur  Therbe  molle  I 

Mais  de  Marseille  à  Valensole, 
Que  Ton  chante  Mireille  et  qu'on  plaigne  Vincent  ! 

Des  joncs  qui  la  tenaient  cachée, 

La  nef  fragile  est  détachée  ; 
Le  petit  Andrelon  de  ses  bras  gracieux 

La  conduit  dans  la  traversée  ; 

Mireille,  la  tête  baissée. 

Sur  le  grand  Rhône  balancée, 
Ed  contemplait  les  flots  d'un  regard  soucieux. 


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388  MIRËIO,  GANT  X. 

E  ié  disié  Tenfant  remaire  : 

—  Ve!  coutne  es  large  dins  sa  maire 

[.ou  Rose  I...  Jouveineto,  entre  Camargo  e  Grau, 
Se  ié  farié  de  bèlli  targo  I 
Car  aquelo  isclo  es  la  Camargo, 
E  peralin  tant  s'espalargo 

Que  dôu  fluve  ariaten  vèi  bada  li  sèt  grau.  «- 

Coume  parlavo,  dins  lou  Rose 
Tout  resplendènt  di  trelus  rose 

Que  déjà  lou  matin  f  espandissié,  plan-plan 
Mountavo  de  lahut  :  di  vélo 
L'auro  de  mar  gounflant  la  telo, 
Li  campejavo  davans  elo 

Goume  uno  pastourello  un  troupèu  d'agnèu  blanc. 

0  magniftqui  souloumbrado  ! 

De  frais,  d'aubo  desmesurado 
Miraiavon,  di  bord,  si  pège  blanquinous; 

De  lambrusco  antico,  bestorto, 

Fenvertouiavon  si  redorto 

E  dôu  cimèu  di  branco  forto 
Leissavon  pendoula  si  pampagnoun  sinous. 

Lou  Rose,  emé  sis  oundo  lasso 
E  dourmihouso  e  tranquilasso, 

Passavo;  e  regretousdôu  palais  d'Avignoun, 
Difarandoulp  e  di  sinfôni, 
Goume  un  grand  vièi  qu'es  à  Tangôni, 
Eu  pareissié  tout  malancôni 

D'ana  perdre  à  la  mar  e  sis  aigo  e  soun  noum. 


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MIREILLE,  CHANT  X.  389 

Tout  en  ramant  sur  sa  nacelle, 

L'enfant  disait  :  —  Ma  jeune  belle, 
Vois-tu  comme  le  fleuve  est  large  dans  son  lit! 

La  Camargue  est  sur  l'autre  rive, 

La  Camargue,  île  productive, 

Où  par  sept  bras  le  Rhône  arrive 
A  la  mer  qui  l'attend  et  qui  rensèvelit. — 

Pendant  qu'il  tenait  ce  langage, 
L'aube  semait  sur  le  rivage 

Ses  rayons  tamisés  aux  feuillages  tremblants  ; 
Au  ciel  s'effaçaient  les  étoiles. 
Les  bateaux  montaient  ;  de  leurs  voiles 
Le  vent  de  mer  poussait  les  toiles, 

Comme  une  pastourelle  un  troupeau  d'agneaux  blancs. 

Salut!  ombrages  magnifiques 
Des  trembles,  des  frênes  antiques. 

Se  mirant  dans  le  fleuve  et  buvant  à  ses  eaux  ! 
Salut!  lianes  tortueuses, 
Qui  pendez  aux  branches  rugueuses. 
Et  d'un  arbre  à  Tautre  amoureuses, 

Enlacez  dans  les  airs  vos  flexibles  rameaux  ! 

Majestueux,  calme,  tranquille, 

Le  Rhône  immense  au  bord  de  l'île. 
Passait;  et,  regrettant  le  palais  d'Avignon, 

Les  chants,  les  fêles,  l'harnionie 

Qui  charment  sa  rive  bénie, 

Semblait  pris  de  mélancolie 
D'aller  perdre  à  la  mer  et  ses  eaux  et  son  nom. 


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390  MIRÈIO,  CANT  X. 

Mai  Tamourouso  qu'ai  cantado 
Sus  lou  dougan  èro  sautado  : 

—  Gamino,  lou  pichot  ié  cridavo,  tant  ({ue 
Trouvaras  de  camin  !  Li  Santo 
A  sa  capello  roiraclanlo 
Tout  dre  te  meuaran.  —  Aganto, 

Acô  di,  si  dos  remo,  e  Tiro  soun  barque  t. 

Souto  li  fiô  que  Jun  escampo, 
Mirèio  lampo,  e  lampo,  e  lampo! 

De  soulèu  en  soulèu'  e  d'auro  en  auro,  vôî 
Un  plan-païs  inmènse  ;  d*erme 
Que  n'an  à  Tiue  ni  fin  ni  terme  ; 
De  liuen  en  liuen  e  pèr  tout  germe. 

De  ràri  tamarisso...  e  la  mar  que  parèi... 

De  tamarisso,  de  counsôudo, 
D'engano,  de  fraunio,  de  sôudo  *, 

Amàri  pradarié  di  campèstre  marin, 
Ounte  barrulon  Ji  brau  nègre 
£  li  cavalot  blanc  :  alègre, 
Podon  aqui  libramen  segre 

Lou  venlihoun  de  mar  tout  fres  de  pouverîn. 

La  bluio  capo  souleianto 
S'espandissié,  founso,  brihanto, 

Couronnant  la  palun  de  soun  vaste  countour, 
Dins  la  liunehour  qu'alin  clarejo 
De-fes  un  gabian  voulastrejo  ; 
De-fes  un  aucelas  oumbrejo, 

Ermito  cambaru  dis  estang  d*alentour. 


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MIREILLE,  CHANT  X.  891 

Au  point  que  le  pilote  marque, 

Mireille  saute  de  la  barque. 
•^  Marche,  lui  dit  Tenfant,  va,  le  chemin  est  beau; 

Les  Saintes,  en  voyant  ton  zèle, 

Te  conduiront  à  leur  chapelle.  — 

Et  cela  dit,  de  la  nacelle 
U  ressaisit  la  rame  et  la  remet  à  Teau. 

Par  une  chaleur  tropicale 

Notre  intrépide  Provençale 
Vole  de  vent  en  vent,  de  soleil  en  soleil  ; 

Devant  elle  une  plaine  immense 

Qui  finit  où  la  mer  commence  ; 

Où  l'œil,  de  distance  en  distance. 
Distingue  un  tamaris  ou  quelque  arbre  pareil... 

Ces  tamaris  mêlés  aux  prêles, 

Aux  arroches,  aux  soudes  grêles. 
Sur  des  sables  où  règne  un  silence  éternel, 

Forment  les  vastes  pâturages 

Où,  bœufs  noirs  et  chevaux  sauvages 

Viennent,  sur  les  humides  plages. 
Respirer  Tair  marin  tout  imprégné  de  sel. 

Cependant  la  voûte  azurée. 

D'un  brillant  soleil  éclairée. 
Couronnait  les  marais  de  son  vaste  contour; 

Pour  toute  vie  au  paysage. 

Parfois,  au  loin  vers  le  rivage. 

Un  chevalier  au  noir  plumage. 
Solitaire  aux  longs  pieds  des  étangs  d'alentour; 


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392  MIRÈIO,  CANT  X. 

Es  un  cambet^  qu'a  li  pèd  rouge; 

0  'n  galejoun  *  qu*espincho,  aurouge, 
S  drèisso  fieramen  souu  noble  capelut, 

Fa  de  très  lôiigui  plumo  blanco 

La  caud  déjà  pamens  assanco  : 

Pèr  s*alôugeri,  de  sis  aoco 
La  chalouno  desfai  li  bout  de  soun  fichu. 

E  la  calour,  sèmpre  mai  vivo, 
Sèmpre  que  mai  se  recalivo  ; 

E  déu  soulèu  quemounto  à  Tafrèst  déucèu-sin^ 
Dôu  souleias  li  rai  e  Tuscle 
Plovon  à  jabo  coume  un  ruscle  : 
Sèmblo  un  lioun  que,  dins  soun  ruscle, 

Devouris  dôu  regard  li  désert  abissin  ! 

Souto  un  fau,  que  farié  bon  jairel 
Lou  blound  dardai  beluguejaire 

Fai  parèisse  d'eissame,  e  d'eissame  feroun, 
D'eissame  de  guèspo,  que  volon, 
Mounton,  davalon,  e  tremolon 
Coume  de  lamo  que  s'amolon. 

La  roumiéuvo  d'amour  que  lou  lassige  roump, 

E  que  la  caumo  desaleno, 
De  soun  éso  re  ^ouno  e  pleno 

A  leva  Tespingolo  ;  e  soun  seo,  bouleguiéu 
Coume  dos  oundo  bessouneto 
Dins  uno  lindo  fountaneto, 
Sèmblo  d'aquéli  campanelo* 

Qu'en  ribo  de  la  mar  blaiiquejon  dins  l'estiéu. 


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MIREILLE,  CHANT  X.  3S 

Parfois  un  bihoreau  farouche, 

Qui,  vous  regardant  d  un  œil  louche, 

Redressait  fièrement  son  plumet  élégant, 

Fait  de  trois  longues  plumes  blanches.  •• 
Mireille,  retroussant  ses  manches, 
Dégage  bientôt  de  ses  hanches 

Les  bouts  de  son  fichu  devenu  fatigant. 

Car,  chaque  heure  nouvelle  apporte 

Une  chaleur  toujours  plus  forte  ; 
Et  trônant  au  zénith,  du  haut  des  cieux  sereins. 

Le  soleil,  sur  la  terre  ardente, 

Versait  sa  flamme  ruisselante. 

Tel  un  lion,  que  la  faim  tente. 
Dévore  du  regard  les  déserts  abyssins! 

Sous  un  grand  hêtre  et  sur  la  mousse 

Dieu!  qu'une  halte  eût  été  douce! 
On  croyait  voir  dans  Tair,  sous  un  prisme  trompeur, 

Des  essaims  de  guêpes  légères, 

S'agitant,  usant  leurs  colères. 

Sous  le  feu  des  rayons  solaires. 
Alors  la  pauvre  enfant  qu'essouffle  la  chaleur. 

Et  que  la  fatigue  exténue, 

Ote  de  sa  main  ingénue 
L'épingle  à  son  corsage  ;  et  son  sein  agité 

Comme  les  flots  d'une  onde  pure 

Sous  les  souffles  de  la  nature, 

Ressemble  à  ces  fleurs  d'aventure 
Qu'aux  rives  de  la  mer  on  voit  blanchir  l'été. 


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894  MIRÈIO,  GANT  X. 

Mai  pau-à-pau  davans  sa  visto 

Lou  terradou  se  desentristo; 
E  veici  pau-à-pau  qu'aperalin  se  mon 

E  trelusis  un  grand  clar  d*aigo  : 

Li  daladèr  ^,  H  bourtoulaigo, 

Autour  de  Ferme  que  s'enaigo 
Grandisson,  e  se  fan  un  capèu  d'ourobro  mèo. 

Ëro  uno  visto  celestino, 

Un  fres  pantai  de  Palestine  ! 
De-long  de  Taigo  bluio  uno  vilo  lèu-lèu 

Alin  s'aubouro,  emé  si  lisso, 

Soun  barri  fort  que  Tempalisso, 

Si  font,  si  glèiso,  si  téulisso. 
Si  clôuchié  loungaru  que  crèisson  au  soulèu. 

De  bastimen  e  de  pinello, 

Emé  si  vélo  blanquinello 
Intravon  dins  la  darso  ;  e  lou  vent,  qu'èro  dons, 

Fasié  jouga  sus  li  poumeto 

Li  bandeiroun  e  li  flameto. 

Mirèio,  emé  sa  man  primeto 
Eissugué  de  soun  front  li  degout  aboundoos; 

E  de  vèire  tal  espetacle, 

Gujè,  moun  Dieu  !  crida  miracle  1 

E  de  courre,  e  de  courre,  en  cresènt  qu'èro  aqui 
La  toumbo  santo  di  Mario. 
Mai  au  mai  cour,  au  mai  varlo 
La  ressemblanço  que  Tesbribo, 

Au  mai  lou  clar  tabléu  de  liuen  se  fai  seguL 


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MIREILLE,  CHANT  X.  :>95 

Mais  tout  à  coup,  ô  douce  ivresse, 

La  Camargue  perd  sa  tristesse  ; 
Voici  qu'à  Thorizon  s'étend  et  resplendit 

Un  beau  lac  plein  d'une  eau  limpide; 

Près  de  là,  sur  le  sol  humide, 

Le  pourpier,  ailleurs  si  timide, 
En  longs  rameaux  ombreux  s'élève  et  s'arrondit 

C'est  une  vision  divine, 

Un  vrai  rêve  de  Palestine! 
Sur  les  bords  de  ce  lac,  de  mousse  revêtus, 

Vers  le  fond  d'un  golfe  tranquille. 

S'élève  bientôt  une  ville, 

Avec  ses  maisons  à  la  file. 
Ses  temples,  ses  palais  et  ses  clochers  pointus. 

Des  bateaux  déployant  leurs  flammes, 

Fendaient  les  eaux  avec  leurs  rames; 
Et  les  grands  bâtiments,  banderoles  en  l'air, 

Et  toute  voile  desserrée. 

De  la  rade  abordaient  l'entrée. 

Mireille,  aussitôt  rassurée. 
Oublie  en  un  instant  tout  ce  qu'elle  a  souffert, 

Et  rayonnante,  à  ce  spectacle, 

Elle  croit  que,  par  un  miracle. 
Cet  amas  de  maisons  à  son  regard  offert. 

Marque  le  but  de  son  vayage; 

Mais,  hélas!  vers  la  douce  image. 

Plus  elle  va,  plus  le  mirage 
Recule  devant  elle  et  fuit  dans  le  désert. 


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306  MIRÈIO,  CANT  X. 

Obro  vano,  sutilo,  alàdo, 

Lou  Fantasli  *  Tavié  fielado 
Em'  an  rai  de  soulèu,  tencho  emé  li  coulour 

Di  nivoulun  :  sa  tramo  feblo 

Finis  pèr  tremoula,  vèn  trebJo, 

E  s'osvalis  coume  uno  nèblo. 
Mirèio  rèsto  soulo  e  nèco,  à  la  calour. 

E  z6u  li  camello  de  sablo, 
Brulanto,  mouvènto,  ahissablo  ! 

E  zôu  la  grand  sansouiro^,  e  sa  crousto  de  sau 
Que  lou  soulèu  boufigo  e  luslro, 
E  que  cracino,  e  qu'escalustro  ! 
E  zôu  li  plantasse  palustro, 

Li  canèu,  li  triangle,  estage  di  mouissau! 

Emé  Vincèn  dins  la  pensado, 
Pamens,  dempièi  lôngui  passade, 

Ribejavo  toujour  Tesmarra  Vacarés  ; 
Déjà,  dfija  di  grandi  Santo 
Vesié  la  glèiso  roussejanto, 
Dins  la  mar  liuencho  e  flouquejanto 

Crèisse,  coume  un  veissèu  que  poujo  au  ri  1k  Ires. 

De  rimplacablo  souleiado 
Tout-en-un-cop  Tescandihado 

[é  tanco  dins  lou  front  si  dardaioun  :  vcla, 
0  pecaireto  î  que  s'arreno, 
E  que,  long  de  la  mar  sereno, 
Tounibo,  ensucado,  sus  Tareno... 

0  Grau,  as  toumba  flour!  o  jouvènt,  plouras-In  !.. 


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MIREILLE,  CHANT  X.  3^^ 

Œuvre  vaine,  subtile,  ailée. 

Que  les  lutins  avaient  filée 
Avec  des  vapeurs  d'ombre  et  des  feux  de  soleil  ! 

Trame  aérienne  que  la  brise  ' 

De  son  souffle  volatilise. 

Et  que  Mireille,  en  sa  surprise, 
Croit  avoir  vue  en  songe  aux  heures  du  sommeil 

Vogue  donc  encor,  misérable, 

Dans  les  grands  océans  de  sable  ! 
Et  seule  et  sans  secours  et  sans  abris  voisins, 

En  avant,  dans  les  vastes  plaines, 

Dans  les  solitudes  peu  saines, 

Dans  les  herbes  paludéennes. 
Et  dans  les  roseaux  verts,  asile  des  cousins I 

Ayant  Vincent  dans  sa  pensée, 

Déjà  la  triste  fiancée 
Du  vaste  Valcarès  allait  quitter  le  bord  ; 

Déjà,  des  Saintes  immortelles, 

Elle  voyait  les  trois  chapelles. 

Sous  leur  forme  de  citadelles, 
Croître,  comme  un  vaisseau  qui  cingle  vers  le  port. 

Tout  à  coup,  ardent,  implacable, 

Le  soleil,  dont  le  feu  Taccable» 
Lui  darde  ses  rayons  dans  le  front  ;  la  voilà 

Seule  au  bord  de  la  mer  sereine, 

Sans  une  main  qui  la  soutienne, 

Tombant  sous  ?$on  poids  qui  Fentraine... 
0  Crau!  ta  fleur  périt;  jeunes  geiii  pleurez-la  !<.. 


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838  MIRÈIO,  CANT  X. 

Quand  lou  cassaire  de  la  coumbo 

De-IoDg  d'un  riéu  vèi  de  couloumbo 
Que  bevoD,  innoucènto,  e  que  s'aliscon,  lèu 

Qu'entre-mitan  li  bouissounaio 

Emé  soun  armo  vèn  en  aio  ; 

E  sèmpre  aquelo  qu'engranaio 
Es  la  plus  bello  :  ansin  faguè  lou  dur  soulèu. 

La  inalurouso  èro  eslernido 

Sus  lou  sablas,  estavanido. 
D*asard,  aqui  de-long,  passé  'n  vôu  d'arabi  ; 

E  *n  la  vesènt  que  rangoulavo, 

E  soun  blanc  pitre  que  gounflavo, 

E  dôu  rebat  que  la  brulavo 
Pas  un  brout  de  mourven  '®  que  vèngue  la  curbi, 

Pietousamen  li  mouissaleto 

Fasien  viéuloun  de  sis  aleto, 
E  zouiizounavon  :  Lèu!  poulido,  lèvo-tel 

Lèvo-te  lèu  !  qu'es  trop  malino 

La  caud  de  la  palun  salino  ! 

E  ié  pougnien  sa  tèsto  clino. 
E  la  mar,  entremen,  de  si  fin  degoutet. 

Contre  li  flamo  de  sa  caro 

Bandissié  l'eigagnolo  amaro. 
Mirèio  se  levé.  Doulènto,  e  gingoulant  : 

Ait  de  ma  tèsto f  plan-planeto 

Se  tirasse  la  chatouneto  ; 

E,  d'enganeto  en  enganeto, 
1  Santo  de  la  mar  venguè  balin-balant 


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MIREILLE,  CHANT  X.  ^  9 

Quand  le  chasseur  de  la  vallée 

Surprend  le  soir,  sous  la  feuillée, 
Des  colonr.bes  buvant  le  long  d'un  clair  ruisseau. 

Et  battant  Tonde  de  leur  aile  ; 

Du  plomb  qui  part  sous  Tétincelle 

Il  atteint  toujours  la  plus  belle  ; 
Ainsi  fit  le  soleil  aux  plaines  de  la  Grau. 

La  malheureuse  était  gisante 

Sur  la  poussière  incandescente. 
Un  grand  vol  de  cousins  survint  en  ce  moment, 

Gent  peu  tendre  de  sa  nature  ! 

Mais,  en  voyant  cette  figure, 

Ge  sein  que  la  douleur  torture, 
Leur  petit  cœur  lui-même  eut  un  bon  mouvement. 

Et  les  cousins,  pleins  d'un  beau  zèle, 

Tourbillonnant  tout  autour  d'elle, 
Lui  bourdonnaient  ces  mots  :  c  Viens!  belle,  lève-toi! 

Gar  cette  zone  n'est  pas  sûre! 

Puis,  à  la  pauvre  créature. 

Tous,  venaient  faire  une  piqûre; 
Et  la  mer,  à  son  tour,  prise  d'un  doux  émoi; 

Jetait  sur  sa  face  embrasée, 

Ses  fines  gouttes  de  rosée. 
Mireille  se  leva  croyant  presque  à  sa  fin  : 

—  0ht  de  ma  tête!  cria-t*elle; 

Et  derechef,  vers  la  chapelle» 

Tirant  le  pied  et  traînant  l'aile, 
Aux  Saintes  de  la  mer,  la  pauvre  arrive  enfin. 


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400  MIRÈIO,  GANT  X. 

E  mé  de  plour  dins  si  parpello, 

Contro  h  bard  de  la  capello, 
Que  lou  toumple  maria  bagno  de  soun  trespir, 

Piqué  sa  tèsto,  la  paureto  ! 

E,  sus  lis  alo  de  Taureto, 

Entanterin  sa  preguiereto 
Veici  coume  eilamount  s'enanavo  en  souspir  : 

0  Sànti  Maiio, 
Que  poudés  eu  flour 
Ghanja  nôsti  plour, 
Glinas  lèu  Taurihe 
De-vers  ma  douleur  ! 

Quand  veirés,  pecaire! 
Moun  reboulimen 
E  moun  pensamen 
Vendrés  de  moun  caire 
Pietadousamen. 

Siéu  uno  chatouno 
Qu'âme  un  jouveinet, 
Lou  bèu  Vincenet  ! 
léu  l'ame,  Santouno, 
De  tout  moun  senet  ! 

léu  Tame  I  iéu  Tame, 
Coume  lou  valat 
Amo  de  coula^ 
Coume  Taucèu  flame 
Amo  de  voula. 


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MIREILLE,  CHANT  X.  401 

Devant  la  Majesté  divine, 

A  deux  genoux  elle  s'incline  ; 
Longtemps  elle  s'excite  à  ces  élans  pieux 

Que  le  vieux  temple  favorise; 

Et  puis,  sur  l'aile  de  la  brise, 

Voici  comment,  à  peine  émise. 
Sa  prière  aussitôt  s'envolait  vers  les  cieux. 

Glorieuses  Saintes, 
Qui  pouvez  en  fleurs. 
Changer  tous  nos  pleurs, 
Écoutez  mes  plaintes. 
Calmez  mes  douleurs! 

Mon  malheur  insigne. 
Étant  raconté. 
Avec  vérité, 
Vous  paraîtra  digne 
De  votre  bonté  I 

Je  me  suis  éprise 
D'un  garçon  charmant; 
M  a  nom  Vincent  ; 
Et,  quoi  qu'on  en  dise. 
Je  l'aime  ardemment  ! 

Je  l'aime  de  même 
Qu'au  riant  ruisseau. 
Aime  à  couler  l'eau  ; 
Je  l'aime,  comme  aimp 
A  voler  l'oiseau. 


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402  MIRÈIO,  CANT  X. 

E  voloii  qu'amosse 
Âquéu  Vià  nourri 
Que  vôu  pas  inouri  ! 
E  volon  que  trosse 
L'amelié  flouri  ! 


0  Sànti  Mario 
Que  poudès  en  flour 
Ghanja  nôsti  plour, 
Ginas  lèu  Taurilio 
De-vers  ma  doulour  ! 

D'alin  siéu  vengudo 
Querre  eici  la  pas. 
Ni  Grau,  ni  campas, 
Ni  maire  esmougudo 
Qu'arrèste  mi  pas  ! 

E  la  souleiado, 
Emé  si  clavèu 
E  sis  arnavèu, 
La  sente,  à  raiado, 
Que  poun  moun  ccrvèu. 

Mai,  poudès  me  crèire  I 
Dounas-me  Vincèn  ; 
Ë  gai  e  risènt, 
Vendren  vous  revèire 
Téuti  dous  ensèn. 


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MIREILLE,  CHANT  X.  403 

.  Ef  Ton  veut  de  force, 
Qu'en  mon  pauvre  cœur, 
Meure  celte  ardeur  ; 
On  veut  que  j'écorce 
L'amandier  en  fleur  f 

Glorieuses  Saintes, 
Qui  pouvez  en  fleurs 
Changer  tous  nos  pleurs, 
Écoutez  mes  plainles, 
Calmez  mes  douleurs. 

Vers  ce  sanctuaire, 
Dieu  m'en  est  témoin, 
Je  viens  de  bien  loin, 
Des  pleurs  de  ma  mère 
N'ayant  aucun  soin  ! 

Et  sans  m'être  plainte 
D'un  chemin  si  long, 
A  travers  mon  front. 
J'ai  senti  l'atteinte 
D'un  soleil  de  plomb  t 

A  mon  cœur  qui  tremble 
Accordez  Vincent, 
Et  d'un  cœur  fervent. 
Nous  viendrons  ensemble 
Vous  prier  souvent  ! 


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404  MIRÈIO,  CANT  X. 

L'estras  de  mi  tempe 
Al  or  cal  ara  ; 
E  dôu  grand  ploura 
Momi  regard  qu'èi  trempe. 
De  gau  lustra. 


Moun  paire  s'oupaoso 
A-n-aquel  acord . 
De  touca  soun  cor, 
Vous  èi  pau  de  causo, 
Bèlli  Santo  d'or! 

Emai  fugue  duro 
L*ôulivo,  lou  vènl 
Que  boufo  is  Avènt, 
Pamens  Tamaduro 
Au  poun  que  counvèn. 

La  nèspo,  Tasperbo, 
Tant  aspro  au  culi 
Que  fan  tressali, 
Fa  proun  d'un  pau  d*erbo 
Pèr  li  remouli  "  ! 


0  Sànti  Mario, 
Que  poudès  en  flour 
Chanja  nôsti  plour, 
Glinas  lèu  Tauribo 
De-vers  ma  doulour  ! 


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MIHEILLË,  CHANT  X.  405 

Toute  ma  tristesse 
Alors  se  fondra. 
Dans  ce  bonheur-là  ; 
Mon  œil  d'allégresse 
Alors  reluira! 


Mon  père  s'oppose 
A  ce  doux  accord  ; 
Adoucir  mon  sort 
Vous  est  peu  de  chose. 
Belles  Saintes  d'or! 

L'olive  si  dure 
Qu'elle  soit  avant, 
L'olive  à  l'A  vent 
Cède  et  devient  mûre 
Au  souffle  du  vent! 

Quelque  temps  qu'il  faille 
Pour  y  réussir, 
La  nèfle,  à  loisir, 
Sur  des  brins  de  paille 
Finit  par  mollir! 

Glorieuses  Saintes, 
Qui  pouvez  en  fleurs. 
Changer  tous  nos  pleurs. 
Écoutez  mes  plaintes, 
Calmez  mes  douleurs  ! 


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406  MIRÈIO,  GâNT  X. 


Ai  de  farfantello  ? 
Qu'es?...  lou  paradis? 
La  glèisû  grandis, 
Un  baren  d'estello 
Âmount  s'espandis  ! 

0  iéu  benurouso  ! 
Li  Santo,  moun  Dieu  I . 
Dins  rèr  sènso  niéu 
Davalon,  courouso, 
Davalon  vers  iéu!... 

0  bèlli  patrouno, 
Èi  vous,  bèn  verai!.., 
Escoundès  li  rai 
De  vôsti  courouno, 
0  iéu  mourirai  ! 

Vosto  voues  m'apello?... 
Que  noun  vous  neblas, 
Que  mis  iue  soun  las!... 
Mounte  es  la  capeilo  ? 
Santo  !.. .  me  parias  ?. . . 


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MIREILLE,   CHANT  X.  ^^ 


Qui  tire  ces  voiles  ? 
A  mes  yeux  ravis, 
Les  arceaux  grandis 
Se  couvrent  d*étoiles.*« 
Suis-je  au  paradis? 

Extases  heureuses! 
Les  Saintes,  mon  Dieu, 
Du  fond  du  ciel  bleu, 
Viennent  radieuses 
Sur  un  char  de  feu... 

0  belles  patronnes, 
C'est  vous,  c'est  bien  vrai!... 
Cachez  sans  délai. 
Vos  riches  couronnes, 
Ou  bien  j'en  mourrai  ! 

Votre  voix  m'appelle  ! 
De  grâce,  voilez 
Vos  fronts  étoiles  ! 
Où  va  la  chapelle  ..I 
Saintes!...  Vous  parlez.,,? 


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403  MIRÈIO,  GANTX. 

E  dins  l'estàsi  que  Temporto, 

Desalenado,  inita  morto, 
Mirèio,  d'à-geinoun,  ëro  aqui  sus  li  bard, 

Li  bras  en  Ter,  la  tèsto  à  rèire  ; 

E  dins  li  porto  de  Sant-Pèire, 

Sis  iue  fissa  pareissien  vèire 
L'autre  mounde,  à  travès  la  teleto  de  car. 

A  si  bouqiieto  que  soun  mudo  ; 

Sa  caro  belle  se  tremudo, 
E  soun  amo  e  soun  cors  dins  la  countemplacioan 

Nadon  estabousi  :  dins  TAubo 

Que  cencho  d'or  lou  front  dis  aubo, 

Palis  d^  même  e  se  derraubo 
Lou  lume  que  vihavo  un  orne  en  perdicioun. 

Très  femo  de  bèuta  divine, 

Pèr  un  draiôu  d'estello  fine, 
Davalavon  d'amount  ;  e  coume,  au  jour  levant. 

Un  escabot  se  destroupello, 

Lis  aut  pieloun  de  la  capello 

Emé  Tarcèu  que  Tencapello, 
Pèr  ié  durbi  camin,  se  garavon  davan. 

E,  dins  Ter  linde,  blanquinouso, 

Li  très  Maiio  luminouso 
Davalavon  d'amount  :  une,  contre  soun  sen, 

Tenié  sarra  'n  vas  d'alabastre  ; 

E,  dins  li  niue  sereno,  Tastre 

Que  douçanien  fai  lume  i  pastre, 
Pou  roîraire  soulet  soun  front  paradisen  I 


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MIREILLE,  CHANT  X.  409 

Et  dans  l'extase  qui  l'emporte 

La  pauvre  fille  à  demi-morte, 
Haletante,  à  genoux,  les  bras  levés  en  l'air, 

La  tête  penchée  en  arrière,    . 

Par  la  grand'porte  de  saint  Pierre, 

Croyait  voir,  en  pleine  lumière, 
L'autre  monde  à  travers  le  voile  de  la  chair. 

A  ce  jour  d'une  autre  nature, 

Son  visage  se  transfigure, 
Et  son  âme  et  son  corps,  dans  un  rêve  enivrant, 

Nagent  transportés  :  devant  l'aube, 

Éclairant  le  réveil  du  globe. 

Ainsi  pâlit  et  se  dérobe, 
La  lampe  qui  veillait  au  chevet  d'un  mourant. 

Trois  femmes  à  formes  divines. 

Par  un  sentier  d'étoiles  fines, 
Venaient  du  haut  du  ciel  ;  et  comme,  au  point  du  jour, 

Un  troupeau  s'enfuit  pêle-mêle. 

Les  hauts  piliers  de  la  chapelle, 

La  voûte  et  l'arceau  qui  la  scelle. 
Pour  les  laisser  passer  s'ouvraient  avec  amour; 

£t  dans  les  brumes  vaporeuses, 

Les  trois  figures  lumineuses. 
Descendaient  vers  le  sol  :  Tune  contre  son  sein, 

Tenait  un  beau  vase  d'albâtre. 

Et  la  lune  à  lueur  blanchâtre. 

Qui,  la  nuit,  éclaire  le  pâtre. 
Peut  seule  rappeler  son  front  de  Séraphin. 


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410  MIRËiO,  GAMT  X. 

I  jo  de  Tauro,  la  segoundo 
Laisso  ana  si  treneto  bloundo» 

E  camîno,  moudèsto,  un  rampau  à  la  man 
La  tresenco,  jouineto  encaro, 
De  sa  blaiico  mantiha  claro 
Escoundié  'n  pau  sa  bnino  caro, 

E  si  négri  vistoun  lusien  mai  que  diamant. 

Vers  la  doulénio  quand  fuguèron, 
En  dessus  d'elo  se  tenguèron, 

Inmoubilo,  e  'm^  acô  ié  parlavon.  Tant  dous 
E  clarinèu  èro  soun  dire, 
E  tant  afable  soun  sourrire, 
Que  lis  espino  dôu  martire 

Fiourissien  dins  Mirèio  en  soûlas  aboundous 


t 


Âssolo-te,  pauro  Mirèio  : 

Sian  11  Mario  de  Judèio  ! 
Âssolo-te,  fasien,  sian  li  Santo  di  Baus  ! 

Assolo-te!  sian  li  patrouno 

De  la  barqueto,  qu'envirouno 

Lou  trigos  de  la  màr  ferouno, 
E  la^mar,  quand  nous  yèi,  retoumbo  léu  à  paus! 


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MIREILLE,  GHâNT  X.  411 

Au  souffle  du  vent,  la  seconde 

Livre  sa  chevelure  blonde, 
Et  chemine,  modeste,  une  palme  à  la  main; 

L'autre  un  peu  brune  et  jeune  d'âge 

Cachait  à  moitié  son  visage 

Sous  un  long  voile  qui  l'ombrage 
Et  modère  le  feu  dont  son  regard  est  plein. 

Vers  Mireille  quand  elles  vinrent, 

Au-dessus  d'elle,  elles  se  tinrent, 
Immobiles,  avec  d'ineffables  accents; 

Et  si  suave  était  leur  dire. 

Et  si  gracieux  leur  sourire, 

Que  les  épines  du  martyre 
Fleurissaient  dans  son  sein  en  bouquets  ravissants  : 


t 


Console-toi,  pauvre  Mireille  ; 
Ta  plaihie  a  frappé  notre  oreille  ! 

Nous  vînmes  de  Judée  aux  collines  des  Baux  f 
Nous  sommes  les  Saintes  Maries, 
Veillant  sur  ces  terres  chéries, 
Cal  irïant  la  mer  dans  ses  furies. 

Et  protégeant  l'esquif  qui  vogue  sur  ses  eaux  I 


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m  MIRÈIO,  GANT  X. 

Mai,  que  ta  visto  atnount  s'estaque! 
Veses  lou  camin  de  Sant  Jaque  ? 

A  dès  i'erian  ensèn,  alin  de  l'autre  bout  ; 
Regardavian,  dins  lis  estello, 
Li  proucessioun  que  van,  fidèlo. 
En  roumavage  à  Goumpoustello 

Prega,  sus  soun  toumbèu,  noste  fiéu  e  nebout. 

E  'scoutavian  li  letanio.... 

E  lou  murmur  di  fountaniho, 
Lou  balans  di  campano,  e  lou  déclin  dôu  jour, 

E  li  roumiéu  pèr  la  campagno. 

Tout  rendié  glôri,  de  coumpagno, 

À  TApoustôlJ  de  TEspagno, 
Noste  fiéu  e  nebout,  Sant  Jaque  lou  Majeur. 

E,  benurouso  de  la  glôri 

Que  remountavo  à  sa  memôri, 
Sus  lou  front  di  roumiéu  mandavian  lou  bagoun 

Dôu  serenau,  e  dedins  Tamo 

lé  vejavian  joio  e  calamo. 

Pougnént  coume  de  jit  de  flamo, 
Es  al  or  que  vers  nautre  an  mounla  ti  plagnun. 

0  chatouno,  ta  fe  's  di  grande  ; 

Mai,  que  nous  peson  ti  demande  ! 
Vos  béure,  dessenado,  i  font  de  Tamour  pur  ! 

Dessenado,  avans  qu'èstre  morto, 

Vos  assaja  la  vido  forto 

Que  dins  Dieu  même  nous  trcsporto  ! 
Dempièi  quouro  as  avau  rescountra  lou  bonur  ? 


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MIREILLE,  CHANT  X.  413 

Âu-dessus  des  brumes  opaques, 
-  Vois-tu  le  chemin  de  saint  Jacques  ? 
Nous  le  suivions  tantôt  sur  notre  char  de  feu; 

Du  haut  de  la  voûte  éternelle, 

Nous  voyions  la  troupe  fidèle 

Des  gens  venant  à  Compostelle 
Tihercher  la  tombe  oii  dort  notre  fils  et  neveu. 

Nous  écoutions  les  litanies.... 

Et  la  brise  et  ses  harmonies, 
lies  cloches  qui  sonnaient,  les  cantiques  en  chœur 

Des  pèlerins  sur  la  montagne, 

Tout  racontait  ce  qu'à  Dieu  gagne 

Ce  grand  apôtre  de  l'Espagne, 
Notre  fils  et  neveu,  saint  Jacques  le  Majeur. 

Et  bienheureuses  de  la  gloire 

Qui  remontait  à  sa  mémoire, 
Nous  versions  la  rosée  au  front  des  pèlerins  ; 

Ou  mieux,  nous  versions  dans  leur  âme 

La  douce  paix  qu'elle  réclame. 

Poignante  comme  un  jet  de  flamme, 
C'est  alors  que  ta  voix  nous  a  dit  tes  chagrins. 

Ta  foi,  jeune  fille  est  bien  grande  ; 

Mais  que  répondre  à  ta  demande  ? 
Aux  eaux  de  l'amour  pur  tu  veux  plonger  ton  cœur  I 

Et  tu  crois,  ô  folie  extrême, 

Trouver  là  ce  bonheur  suprême 

Qui  nous  égale  à  Dieu  lui-même  ! 
Ou  donc,  as-tu  là-bas  rencontré  le  bonheur  ? 


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414  MIREiO,  GANT  X. 

L'as  vist  dins  Fome  riche  ?  Gounfle, 
Estalouira  dins  soun  triounfle, 

Nègo  Dieu  dins  soun  cor  e  tèn  tout  lou  camin  ; 
Mai,  quand  es  plen,  toumbo  Tiruge  ; 
E  que  fara  de  soun  gouufluge. 
Quand  se  veira  davans  lou  Juge 

Que  dins  Jerusalén  intravo  su  'n  saumin  ? 

L'as  vist  au  front  de  la  jacudo, 

Quand  de  soun  la,  touto  esmougudo, 
Porge  lou  proumié  rai  à  soun  enfantounet  ? 

Ta  proun  d'uno  malo  tetado  ; 

Ë,  sus  la  brèsso  descatado, 

Regardo-la,  despoutentado, 
Que  poutounejo  mort  soun  paure  pichounet  ! 

L'as  vist  au  front  de  la  nouvieto, 
Quand,  plan-planet,  dins  la  draieto 

Gaminavo  à  la  glèiso  emé  soun  nôvi?...  Vai« 
Pèr  lou  parèu  que  lou  chaupino, 
Âquéu.draiôu  a  mai  d'espino 
Que  Tagrenas  de  la  champino. 

Car  tout  n'es  eilavau  qu'esprovo  e  long  travai  ! 

E  'ilavau  Toundo  la  pu  claro, 
Quand  l'as  begudo,  vèn  amaro  ; 

Eilavau  nais  lou  verme  emé  lou  fru  nouvéu, 
E  tout  degruno,  e  tout  se  gasto... 
As  bèu  chausi  sus  la  banaslo  : 
L'arange,  tant  dous  à  la  tasto, 

\  la  longo  dôu  tèms  vendra  coume  de  fâu  f 


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MIREILLE,   CHANT    X.  415 

L*as-tu  trouvé  dans  la  richesse? 

Que  sert  d'avoir,  dans  son  ivresse, 
Renié  Dieu,  rempli  la  terre  de  son  nom  ? 

Après  le  beau  temps  le  déluge  ; 

Et  l'or  n'est  qu'un  pauvre  refuge 

Quand  on  arrive  aux  pieds  du  Juge, 
Qui  dans  Jérusalem  entrait  sur  un  ânon  ! 

L'as-tu  vu  chez  la  jeune  mère 

Qui  sur  son  lit,  joyeuse  et  flère. 
Prodigue  au  nouveau-né  ses  baisers  éperdus?... 

Que  le  moindre  souffle  morbide 

Vienne  altérer  ce  front  candide. 

Et  le  berceau  redevient  vide. 
Et  le  ciel  dans  ses  rangs  compte  un  ange  de  plus! 

L'as-tu  vu  dans  la  fiancée, 

Qui,  des  plus  doux  rêves  bercée, 
Monte,  au  milieu  des  siens,  les  marches  de  l'autel  ?... 

Oh  !  va  !  pour  peu  qu'elle  y  chemine, 

Ce  chemin,  comme  Téglantine, 

Pour  elle  aura  plus  d'une  épine  ; 
Car  là-bas  rien  n'est  stable,  encor  moins  éternel  ! 

Et  là-bas  Ponde  la  plus  claire 

Devient  une  boisson  amère  ; 
Le  ver,  au  fruit  nouveau,  naît  avec  le  printemps  ; 

I/or  le  plus  pur  a  son  mélange  ; 

La  perle  tombe  dans  la  fange; 

Et  si  douce  que  soit  l'orange. 
L'amertume  s'y  met  à  la  longue  du  temps  ! 


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416  MIRÈIO,  GANT  X. 

E  tau,  te  sèmblo  que  respiron, 

Dins  Yoste  roounde,  que  souspiron  !... 

Mai  quau  sara  'nyejous  de  béure  à-n-un  sourgènt 
Que  noun  s'agoute  e  se  courroumpe, 
En  soufrissènt,  que  se  lou  croumpe, 
Fau  que  la  pèiro  en  tros  se  roumpe, 

Se  Toulès  n'en  tira  la  paiolo  d'argent. 

Urous  adounc  quau  pren  li  peno, 

£  quau  en  bèn-fasént  s'abeno  ; 
E  quau  plouro,  en  yesènt  ploura  lis  autre  ;  e  quau 

Trai  lou  mantèu  de  sis  espalo 

Sus  la  pauriho  nuso  e  palo  ; 

E  quau  'mé  Tumble  se  rebalo, 
E  pèr  Tafrejouli  fai  lampa  soun  fougau  ! 

E  lou  grand  mot  que  Tome  ôublido, 

Veleici  :  La  mort  es  la  vido  ! 
E  li  simple,  e  li  bon,  e  li  dous,  benura  ! 

Ëmé  Taflat  d'un  vent  sutile, 

Amount  s'envoularan  tranquile, 

E  quitaran,  blanc  coume  d'ile, 
Un  mounde  ounte  li  Saut  soun  de-longo  aqueira. 

Tambèn,  oh  !  se  vesiés,  Mirèio, 

Pereiçamount  de  Tempirèio, 
Coume  veste  univers  nous  parèis  marridoun, 

E  folo,  e  pleno  de  misèri 

Vôstis  ardour  pèr  la  matéri, 

E  vôsti  pôu  dôu  cementèri  ! 
0  pauro  !  belariés  la  mort  e  lou  perdoun  t 


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MIREILLE,  CHANT  X.  417 

Tel  parait  nager  dans  la  joie 

Qui  dans  la  tristesse  se  noie  !  - 
Qui  veut  boire  une  eau  pure  et  jamais  ne  changeant, 

Doit  Tacheter  par  la  souffrance  ! 

l^a  volonté,  c'est  la  puissance! 

A  qui  brise  sa  résistance, 
Le  rocher  livre  enfin  la  paillette  d'argent  ! 

Heureux  donc  qui,  dans  ses  largesses 

Épuise  toutes  ses  richesses  ! 
Qui,  lorsqu'il  voit  des  pleurs,  cherche  à  les  essuyer! 

Qui  du  bien,  faisant  son  idole, 

Revêt  le  pauvre,  le  console 

De  son  pain  ou  de  sa  parole. 
Et  pour  le  réchauffer  allume  son  foyer  ! 

Et  le  grand  mot  que  l'homme  oublie, 

Le  voici  :  La  mort,  c'est  la  vie  ! 
Car  à  la  mort,  les  bons,  les  simples  et  les  doux, 

Gomme  Tenlant  qui  rompt  ses  langes. 

Iront  sur  les  ailes  des  anges. 

Grossir  les  célestes  phalanges, 
Loin  d'un  monde  trop  plein  de  méchants  ou  de  foQs. 

Ah  !  si  tu  voyais,  pauvre  fille. 

Des  hauteurs  où  le  soleil  brille, 
Combien  votre  univers  est  chétif  à  nos  yeux, 

Et  combien  nous  paraissent  vaines, 

Vos  jouissances  et  vos  peines. 

Et  toutes  vos  choses  humaines, 
La  mort  serait  alors  le  plus  cher  de  tes  vœux. 

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4IB  MIRÊIO.  GANT  %, 

Mai,  de  daTaos  que  louèla  's{Hga6, 

En  terro  fau  que  rebouligue  ! 
Es  la  lèi...  Emai  nautre,  ayans  d'avé  de  rai| 

ÀTèn  begu  l'aigre  abéurage  ; 

E  pèr  enfin  que  ioun  cooprage    . 

Prengue  d'alen,  de  nostaviage 
Voulèn  te  racounta  lis  àrâ  e  lis  esfr^.  — 

E  se  teisèron  li  très  Santo; 

E  lis  oundado  caressante, 
Pèr  escouta,  courrien  de-long  déu  ribeiré^, 

A  troupelado  ;  li  pineclo 

Faguèron  signa  à  la  vernedo  ; 

E  li  gabian  e  lis  anedo 
Veguèron  s'amata  l'inmènse  Vacarés/ 


.12 


E  lou  soulétt  emé  la  )uno,      i  ]....■  ^  ■ 
Dins  la  liunchour  que's*enipalqnp,: 

Adourèron,  clinant  si  frountas  çreqiesân; . 

E  la  Gamargo  salabro.uso 

Trefouliguè...  Li  Benurouso, 
Pèr  douna  voie  à  Taniourouso, 

Au  bout  ^d'i|n  moumonct  coum^ncèron  ansin  : 


î 


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MIREILLE,  CHANT  X.  419 

Mais  avant  d'orner  le  parterre, 

La  fleur  doit  germer  dans  la  terre; 
C'est  la  loi  ;  nous  de  même,  au  temps  de  neti'e  &»1, 

Nous  avons  bu  Tàmer  breuvage  ; 

Et,  pour  soutenir  ton  courage 

Nous  allons  de  notre  voyage 
Te  raconter  Teffroi,  le  trouble  et  le  péril.  — 

A  ces  mots,  les  Saintes  se  turent. 

Et  tantes  les  vagues  s'émurent,  . 
Courant  vers  le  rivage  afin  d'écouter  mieux; 

Les  pins,  du  haut  de  leurs  collines., 

Firent  signe  aux  plantes  marines; 

Et  calmant  ses  ondes  mutines, 
L'immense  Valcarès  devint  silencieux. 

Plus  loin,  derrière  la  lagune, 

On  vit  le  Soleil  et  la  Lune 
Incliner  à  la  fois  leur  front  respectueux  ; 

La  Crau,  la  Camargue  adorèrent  ; 

Les  cimes  des  monts  s'abaissèrent  ; 

Et  les  trois  Saintes  commencèrent. 
Commencèrent  ainsi  leur  récit  merveilleux  ? 


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NOTES  DU  CHANT  DIXIÈME 


i.  Vénço  (Vence),  petite  ville  du  département  du  Var,  du 
côté  d^Antibes,  ancien  évêché.— Zhirenpoto.  On  donne  ce  nom 
aux  divers  canaux  dérivés  de  la  Duraace.  —  Valensole,  petite 
ville  des  Basses-Alpes. 

2.  De  souléu  en  soulèu  e  (fauro  en  auro  (de  soleil  en 
«oleil  et  de  vent  en  vent;,  locution  usuelle  en  Provence  pour 
dire:  Du  levant  au  couchant,  du  nord  au  midi. 

3.  Tamartsso  (tamaris),  tamarix  gallican  Lin.  —  Engano 
(salicorne),  salicomia  fruticosa,  Lin.  -  Fraumo  (arroche- 
pourpierj,  êtriplexportulacoide$.  Lin.  —  Soudo  tsoiide),  saUola 
ioda.  Lin.,  végétaux  communs  dans  la  Camargue. 

4.  Cambet.  Ce  nom  désigne  plusieurs  oiseaux  de  Tordre 
des  échassiers,  principalement  le  petit  Chevalier  aux  pieds 
rouges  (tringa  gambetta.  Lin.),  et  le  grand  Chevalier  aux 
pieds  rouges  (scolopax  calidrix,  Lin.). 

6.  Gali^oun  (bihoreau),  ardea  nydicorax.  Lin.,  oiseau  de 
l'ordre  des  échassiers,  qu*on  appelle  aussi  motm. 

6.  Campaneto,  les  campanules  qui,  au  rivage  de  la  mer, 
étalent  en  été  leur  blancheur 

L*auteur  a  voulu  parler  ici .  te  la  belle  fleur  qu*on  nomme 
en  provençal  Uedemar  {panciatium  maritimum.  Lin.). 

I.  Daladèr  (du  latin  alatemus),  phyllirea  latifoliat 
Lin.,  grand  arbrisseau  de  la  famille  des  jasminécs. 

8.  Lou  Fantatti  (le  Fantastique),  autrement  nommé  Esprit 
faïUasti,  follet,  lutin  dont  Taction  se  manifeste  par  des  e8|)ic- 


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NOTES  DU  CHANT  X.  421 

gleries.    Pour  plus  de  détails  sur  cette  croyance  populaire» 
voyez  chant  VI,  strophes  41  et  suiv. 

9.  Sansouiro  (sansouire),  vastes  espaces  stérilisés  et  couverts 
d*efOorescences  salines  par  le  voisinage  et  rinfiitration  de  la 
mer. 

10.  Mourven  (morven),  genévrier  de  Phénicie. 

11.  C'est  assez  d*un  peu  d'herbe  pour  les  ramollir. 

On  fait  mûrir  et  ramollir  sur  de  la  paille  les  nèfles  et  lot 
cormes. 

13.  Vacaré»  (le  Valcarès).  (Voyez  chant  iV»  note  10.) 


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CANT  VOUNGEN 

LI    SANTO 


Li  Sinli  Mario  raconlon  qu'après  la  mort  d6u  Crist,  fuguèron  em- 
bandido,  emé  d'àutri  disciple,  h  la  bello  eisservo  de  la  mar,  a 
4)u'abourdèron  en  Prouvènço,  «  que  coQiivertiguëron  li  pople 
d'aquclo  encountrado.  —  La  navigacioun.  —  La  tempèsto. — Arri- 
bado  en  Arle  di  gant  despatria.  —  Arle  rouman.  —  La  fèsto  de 
Venus  — Sermonn  de  sant  Trefume.  —  Gounversioun  dis  Arlaten. 
—  Li  Tarascounen  vënon  imploura  lou  secours  de  Santo  Marto.  — 
La  Tarasco.  —  Sanl  Marciau  à  Limoge  ;  Sant  Savournin  à  Toulouse; 
Sant  Estrdpi  en  Aurenjo.  —  Santo  Marto  doumto  la  Tarasco,  e  pièi 
counvertis  Avignonn.  —  La  papauta  en  Avignoun.  —  Sant  Lazari  k 
Marsiho.  —  Santo  Madaleno  dins  la  baomo.  —  Sant  Massemin  à- 
z-Ais.  —  Li  Sànti  Mario  i  Baus.  —  Lou  rèi  Reinië.  —  La  ProuvèafiO 
unido  à  la  Franco.  —  Mirèio,  vierge  e  martiro. 


L'aubre  de  la  crous,  o  Mirèio, 
Sus  la  mountagno  de  Judèio 

Èro  encaro  planta:  dre  sus  Jerusalén, 
E  dôu  sang  de  Dieu  encaro  ime, 
Cridavo  à  la  ciéuta  dôu  crime, 
Endourmido  avau  dins  Tabime  : 

Que  n'as  fa,  que  n'as  fa  dôu  rèi  de  Betelèn  ? 

E  di  carrière  apasimado 
Mountavon  plus  li  grand  bramado  ; 

Lou  Gedroun  tout  soulet  gingoulavo  eilalin  ; 
Ë  lou  Jourdan,  de  languitudo, 
S'anavo  escoundre  i  soulitudo, 
Pèr  desgounfla  si  plagnitudo 

  Toumbro  di  rastencle  e  di  verd  petelio. 


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CHANT  ONZIÈBfE 


LE8   SAINTES 


Les  Saintei  Maries  racontent  comment,  après  la  mort  du  Gkfffst, 
ayant  été  livrées  à  la  merci  des  flots  avec  plusieurs  antres  dis* 
ciples,  elles  abordèrent  en  Provence  et  convertirent  les  peuples 
de  cette  contrée.  —  La  navigation.  —  La  tempête.  ^  Arrivée  des 
Saints  proscrits  à  Arles.  —  Arles  romaine^  —  La  fôte  de  Vénus. 
^  Discours  de  saint  Trophime. —  Conversion  des  Artésiens.  —  Les 
Tarasconnais  viennent  implorer  le  secours  de  Sainte  Marthe.  —  La 
Tarasque.  —  Saint  Martial  à  Limoges;  Saint  Saturnin  à  Toulouse; 
Saint  Eutrope  à  Orange.  '^  Sainte  Marthe  dompte  la  Tarasque  et 
ensuite  convertit  Avignon.  —  La  papauté  à  Avignon.  —  Saint 
Lazare  à  Marseille;  Sainte  Magdeleine  dans  la  grotte  ;  Saint  Maximia 
à  Aix  ;  les  Saintes  Maries  aux  Baux.  ~  Le  roi  Rend.  —  La  Provence 
unie  à  la  France.  —  Mireille,  vierge  et  martyre. 


L'arbre  de  la  croix,  ô  Mireille! 

Du  sang  qui  Tarrosait  la  reille, 
Était  encore  humide,  et  sur  Jérusalem, 

Planant,  comme  sur  un  abîme, 

La  voix  de  la  sainte  Victime, 

Criait  à  la  cité  du  crime: 
Ou'as-tu  fait,  qa*as-tu  fait  du  roi  de  Bethléem? 

Les  clameurs  de  la  populace 
A  la  stupeur  avaient  fait  place  ; 

Le  Gédron  seul  gardait  sa  désolation  ; 
Et  le  Jourdain,  aux  rives  saintes. 
Pour  mieux  donner  cours  à  ses  plaintes, 
Sous  Tombre  des  verts  térébinthes. 

Semblait  se  dérober  aux  regards  de  Sion. 


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it4  MIREIO,  GANT  XL 

E  loa  paure  pople  éro  triste, 

Car  vesié  bèn  qu^èro  soun  Griste 
Âquéu  que  de  Ja  toumbo  aussani  loa  curbecèu, 

A  si  coumpagno,  à  si  cresèire 

Ëro  tourna  se  faire  vèire, 

E  pièi»  leissant  li  clau  à  Péire» 
S'èf  0  eoume  un  eigloun  enaura  dins  lou  céu  1 

Ah  !  Ion  plagnien,  dins  la  Judèio, 

Lou  bèu  fustié  de  Galilèio  ! 
]éOn  fustié  di  peu  blound  qu'amansissié  li  cor 

Emé  lou  méu  di  parabole, 

E  qu'à  bel  éime  sus  li  colo 

Li  Dourrissié  'mé  de  caudolo, 
E  roucaro  si  ladre,  e  revenié  si  mort  ! 

Mai  li  déutour,  li  rèi,  li  prèire, 

Touto  la  chourmo  di  vendéire 
Que  de  soun  temple  sant  lou  mèstre  avié  cassa  ; 

—  Quau  poudra  teni  la  paui'iho, 

Se  murmuréron  à  Tauribo, 

Se  dins  Sioun  e  Samario 
Lou  lume  de  la  Grous  n'èi  pas  lèu  amoussal^ 

Alor  li  ràbi  s'encagnèron,  — 

E  H  martire  temounièron  : 
Aloi'  Tun,  coume  Estève,  ère  aqueira  loul  viéu. 

Jaque  espiravo  pèr  Tespaso, 

D'autre,  engrana  souto  uno  grasot... 

Mai  sout  lou  ferre  o  dins  la  braso. 
Tout  cridavo  en  mourènt  :  0,  Jèsu  's  Fiéu  de  Dieu  ! 


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MIREILLE,  GHâNT  XI.  425 

Et  le  pauvre  peuple  est  tout  triste, 

Car  il  Yoit  bien  que  Jean-Baptiste 
A  dit  la  vérité  sur  l'homme  glorieux, 

Qui,  de  sa  tombe  ouvrant  la  pierre, 

Avait  reparu  sur  la  terre, 

Et  puis  laissant  les  clefs  à  Pierre 
S'était  comme  un  aiglon  envolé  vers  les  deuxl 

On  le  plaignait  dans  la  Judée, 

Le  charpentier  de  Galilée! 
Jésus,  aux  blonds  cheveux,  apprivoisant  les  cœurs. 

Avec  le  miel  des  paraboles, 

Renversant  les  vieilles  idoles. 

Montrant  Terreur  des  vierges  folles 
Et  prodiguant  le  baume  à  toutes  les  douleurs  ! 

Mais  les  docteurs  pharisaïques. 

Et  les  prêtres  des  rits  antiques. 
Et  les  vendeurs  du  temple,  entre  eux,  à  demi-voix. 

Se  disaient  :  —  Mais  bientôt  la  lie 

Va  prendre  la  suprématie. 

Si  dans  Sion  et  Samarie 
Nous  n'obscurcissons  pas  les  lueurs  de  la  Croix!  — 

Alors  les  rages  éclatèrent. 

Et  les  martyres  témoignèrent  ; 
Etienne  est  lapidé,  fier  d'être  au  premier  rang  ; 

Puis,  Jacques  périt  par  l'épée  ; 

Puis,  commence  cette  épopée. 

Oh  toute  victime  frappée 
Pour  confesser  sa  foi  la  signait  de  son  «ang  ! 


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426  MIRÈIO,  CANT  Xî; 

Nautre,  H  sopre  emé  li  fraire, 
Que  lou  seguian  pèr  tout  terraire, 

Sus  uno  ratamalo   i  furour  de  la  mar, 
E  sènso  vélo  e  sènso  remo, 
Fuguerian  embandi.  Li  femo, 
Toumbavian  un  riéu  de  lagrenio  ; 

Lis  orne  vers  Ion  cèu  pourtavon  soun  regard 

Deja,  déjà  vesèn  s'enconrre 

Ouliveto,  palais  e  tourre; 
Vesèn  de  Taut  Carmel  li  serre  e  lis  estras, 

Qu'aperalin  fasien  la  gibo. 

Tout-d'un-cop  un  crid  nous  arribo  : 

Nous  reviran,  e  sus  la  ribo 
Vesèn  uno  chatouno.  Aubouravo  si  bras, 

En  nous  cridant,  touto  afougado  : 

—  Oh  !  menas-me  dins  la  barcado, 
Bleslresso,  menas-me  I  Pèr  Jèsu,  iéu  peréu, 

Vole  mouri  de  mort  amaro  î  — 

Èro  nosto  servènto  Saro  ; 

E  dins  lou  cèu  la  veses  aro 
Que  lou  front  ié  lusis  coume  uno  anbo  d'abréu. 

Liuen  d'aqui  TAguieloun  nous  tiro  ; 
Mai  Salomé,  que  Dieu  ispiro, 

Is  erso  delà  mar  a  jita  soun  velet... 
0  pouderouâo  fef...  Sus  Toundo 
Que  sautourlejo,  bluio  e  bloundo, 
La  chato,  que  noun  se  prefoundo,  ' 

Vcnguè  dôa  ribeirés  à  noste  veisselct, 


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MIREILLE,  CHANT  XI.  4i7 

Nous  autres,  troupe  plus  obscure,     - 
Sur  un  esquif,  à  l'aventure,  ^ 

Aux  fureurs  de  là  mer  fthnes  jetés,  épars  ; 
Frêle  esquif,  sans  voiles  ni  rames, 
Qui  nous  emportait  tous,  les  femmes, 
Gardant  nos  douleurs  dans  nos  âmes. 

Les  hommes  vers  le  ciel  élevant  leurs  regards. 

Bientôt,  à  Thorizon  tranquille 

S'effacent  les  tours  de  la  ville  ; 
l]!intôt,  dans  le  ciel  bleu  la  crête  du  Garmel 

Échappe  à  la  vue  attentive  ; 

Tout  à  coup  un  cri  nous  arrive; 

Nous  regardons,  et  sur  la  rive, 
Une  fille  apparaît,  levant  ses  bras  au  eiel> 

Et  nous  criant  :  —  Troupe  fidèle, 

Prenez-moi  dans  votre  nacelle. 
Je  veux  ma  part  de  gloire  et  ma  part  de  péril, 

La  palme  des  martyrs  me  tente  I  — 

C'était  Sara  notre  servante, 

Que  tu  vois  là  resplendissante 
Avec  son  front  brillant  comme  une  aube  d'avril. 

Pendant  que  soufQait  le  Zépbire, 

Salomé,  que  Dieu  même  inspire, 
Avait  jeté  son  voile  aux  vagues  de  la  mer.., 

0  foi  puissante!  ô  foi  profonde!... 

Sur  cette  toile  mise  à  Tonde, 

Sans  que  jamais  le  flot  l'inonde, 
Sara  vient  jusqu'à  nous  en  dépit  de  l'enfer  ; 


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428  MIRËIO,  GANT  XI. 

E  TAguieloun  la  campejavo, 
E  lou  velet  la  carrejavo. 

Pamens,  quaad  dins  la  fousco  eilalin  vegucriaa 
Gimo  à  cha  cimo  desparèisse 
Lou  dous  paîs,  e  la  oiar  crèisse, 
Fau  Tesprouva  pèr  lou  counèisse 

Lou  langui  segreuous  qu'alor  seuiigueriaD  I 

Adieu  !  adieu,  terro  sacrado  ! 

Adieu  !  Jiidèio  mal  astrado, 
Que  coussaies  ti  juste  e  clavelles  toun  Diéut 

Aro,  ti  Yigno  emé  ti  dàti 

Di  rous  lioun  saran  lou  pàti, 

E  ti  muraio,  lou  recàti 
Di  serpatasi...  Adieu,  patiio,  adieu,  adieu! 

Uno  ventado  tempestouso 

Sus  la  mariao  séuvertouso 
Couchavo  lou  batèu  :  Marciau  e  SaTournin 

Soun  ageinouia  sus  la  poupo  ; 

Apensamenti,  dins  sa  roupo 

Lou  yièi  Trefume  s'agouloupo  ; 
Gontro  eu  èro  asseta  Tevesque  iMassemin. 

Dre  sus  lou  tèume,  aquéu  I^azàri 
Que  de  la  toumbo  e  déu  susàri 

Avié  'ncaro  garda  la  mourtalo  palour, 

Semble  afrounta  lou  gourg  que  reno  : 
Em'  eu  la  nau  perdudo  enmeno 
Marto  sa  serre,  e  Madaleno, 

Gouchado  en  un  canloun,  que  plouro  sa  douleur. 


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MIREILLE»  CHANT  XI.  i29 

Et  le  vent  l'aidait  de  son  aile, 

Et  le  voile  flottait  sous  elle  ! 
Pourtant,  dans  le  lointain,  quand  nous  vîmes  les  monts 

Cime  par  cime  disparaître, 

La  mer  seule  nous  apparaître, 

Qui  dira  ce  qu'en  nous  put  naître 
De  nostalgie  amère,  et  de  regrets  profonds! 

Adieu  I  terre  trois  fois  sacrée. 

Adieu  maltieureuse  cou  née, 
Qui  tourmentes  le  juste  et  fais  la  guerre  à  Dieu  1        ^ 

Les  lions,  dures  représailles, 

Viendront  dévorer  tes  entrailles  1 

Et  les  serpents,  dans  tes  murailles. 
Feront  leur  nid  !...  Adieu!  belle  patrie,  adieu! 

Cependant  sur  la  mer  houleuse, 

Vogue  la  barque  aventureuse  ; 
Martial  sur  la  poupe  auprès  de  Saturnin^ 

Au  ciel  adressait  sa  prière  ; 

Sans  que  rien  puisse  Ten  distraire, 

Trophime  pensait  au  Calvaire; 
Non  loin  était  assis  Tévéque  Maximin  ; 

Sur  le  tillac  était  Lazare, 

Ce  mortel  que  la  mort  avare 
Dut  rendre  à  la  lumière,  et  qui,  d'un  air  vainqueur, 

Affronte  l'orageuse  plaine; 

A  ses  côtés,  la  nef  emmène, 

Marthe  sa  sœur  et  Madeleine 
Gisante  dans  un  coin  et  pleurant  sa  douleur. 


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430  MIRrJO,  GANT  Xf. 

La  nau,  que  bnton  li  deroôni, 

Meno  Esirôpi,  meiio  Sidôni, 
i^ôusè  d'Arimatk),  e  Marcello,  e  Gteoaa; 

E,  d'apiela  sus  lis  escaume, 

Au  silènci  d6u  blu  reiaume 

Fasicn  ausi  lou  cant  di  Saume, 
E  'nsèn  repetavian  :  haudamm  te  Deum  I 

Oh  !  dins  lis  aigo  belugueto 
Goume  landavo  la  barqueto  ! 

Nous  sèmblo  enca  de  vèire  aquéli  fouleloun 
Que  retoursien  en  revoulino 
Lou  pouverèu  de  la  toumplino, 
Pièi,  en  couiouuo  mistoulino, 

S'csvalissien  alin  coume  d'esperitoun. 

De  la  mar  lou  sonlèu  mountavo, 

E  dins  la  mar  se  recatavo  ; 
£,  toujour  cmplana  sus  la  vaslo  aigo-sau, 

Ck)urrian  toujour  la  bello  eisservo. 

Mai  dis  estèu  Dieu  nous  preservo, 

Car  dins  si  visto  nous  réserve 
Pèr  adurre  à  sa  lèi  li  pople  prouvençau. 

Un  malin  sus  téuti  lis  autre, 
Fasié  téms  sol  :  de  davans  nautre 

Vesian  courre  la  niue  'mé  soun  lume  à  la  man, 
Coume  uno  véiiso  matiniero 
Que  vai  au  four  couire  si  tiero  ; 
L'oundo,  aplanado  coume  uno  ioro, 

Dou  balèutoul-bôu-just  balié  li  calaman. 


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MIREILLE,  CHANT  XI.  431 

La  nef,  que  la  mer  enveloppe, 

Conduit,  enfin,  Sidoine,  Ëutrope, 
Joseph  d'Arimathie  et  Marcelle  et  Gléon  ;  i 

De  temps  en  temps,  l'un  dé  ces  hommes 

Charmait  les  humides  royaumes 

Du  chant  sublime  de  nos  psaumes  v  ' 

Ei  le  chœur  réi^iaii:  Laudamm  te  D0^mt 

Oh!  sur  Tonde  limpide  et  belle 

Comme  glissait  notre  nacelle | 
Il  me  semble  encor  voir  ces  souffles  tournoyants, 

Frôlant  l'écume  qui  bouillonne, 

L'unir  à  l'air  qui  l'environnei. 

Et  puis  en  légère  colonne 
S'évanouir  au  loin  sur  les  flots   souriants. 

Le  jour,  sur  la  mer  qu'il  colore, 

Naissait,  mourait,  naissait  encore; 
Et  nous,  au 'gré  des  vents,  ballottés  par  les  eaux»      ;    . 

Nous  errions  sur  notre  gondole... 

Mais  Dieu  remplaçait  la  boussole  ; 

Car  il  nous  réservait  le  rôle 
De  porter  l'Évangile  aux  peuples  provençaux. 

Un  matin,  plus  que  de  coutume. 

L'aube  s'éclaire  et  se  parfume;  i 

Nous  voyions  la  nuit  fuir,  sa  lanterne  à  (a  main^j    . 
Comme  une  veuve  matinale. 

Qui  va,  pour  sa  table  frugale, 

Cuire  son  pain;  la  mer  égale 

Nous  laissait  doucement  foire  notre  ckevfïvi^.  >^  .1 


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in  MIRÊIO,  GANT  XI. 

n'apereilalin  nais,  se  gounflo, 

E  porto  ourrour  dins  l'aino,  e  rounflo 
Un  brul  descouueissable,  un  sourne  brounzimen, 

Que  nous  penètro  li  mesoulo, 

E  sèmpre  mai  ourlo  e  gingoulo. 

Isterian  mut  !  La  visto  soulo, 
Tant  liuen  que  poudi'  ana,  tenié  Taigo  d'à-menl. 

E  sus  la  mar  que  s'agrounchavo, 

La  broufounié  se  raproucharo, 
Rapide,  fourmidablo  1  e  morto  à  noste  enlour 

Ëron  lis  erso  ;  e,  nogro  marco, 

Enclauso  aqui  tenien  la  barco. 

Alin,  tout-en-un-cop  s'euarco 
Une  mountagno  d'aigo,  esfraiouso  d'autour. 

De  nivoulas  encourounado, 

La  mar  entiero  amoulounado, 
E  que  boufo,  c  que  bramo,  o  Segnour!  en  courrènt 

Venié  sus  nautre  :  à  la  subito, 

Un  cop  de  mar  nous  precepito 

Au  founs  d'un  toumple,  e  nous  rejilo 
A  la  pouncbo  dis  erso,  espavourdi,  mourèiu  I 

Quéntis  espaime  !  que  destourne  ! 

De  longs  uiau  fcndon  lou  sourne 
E  poto  cop  sus  cop  d'ospaventàbli  Iron! 

E  tout  rinfèr  se  descadeno 

Pur  englouti  nosto  careno... 

La  l^bechado  <  siblo,  reno, 
E  contre  lou  patdu  bacello  ndsti  front. 


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MIREILLE,  CHANT  XL  488 

Mais  voilà  qu'au  loin,  vers  la  terre,      ' 

Un  bruit  comme  un  bruit  dé  tonnerre, 
S'élève  dans  les  airs  et  nous  glace  de  peur; 

Ce  bruit,  redouble,  s'accentue, 

Et  l'œil  fixé  sur  l'étendue. 

Aussi  loin  que  porte  la  vue, 
Chacun  de  nous  regarde  et  redoute  un  malheur. 

Bientôt,  hélas  !  de  proche  en  proche. 

On  sent  que  la  rafale  approche. 
Et  dans  les  airs  troublés  promène  son  courroux; 

La  mer  tremblait  à  son  passage  ; 

Et  cependant,  triste  présage  ! 

La  nef  ne  fait  plus  son  sillage, 
Et  tout  est  immobile  et  calme  auprès  de  nous. 

Tout  à  coup  s'élève  â  distance 

ÏJne  trombe  d'eau  qui  s'avance 
Vers  nous  en  mugissant;  pleine  de  nos  sanglots, 

En  tous  sens  la  barque  s'agite, 

Lorsqu'une  éecousse  subite 

Dans  le  gouffre  la  précipite. 
Puis  la  fait  remonter  à  la  cime  des  Ûotsf 

Une  nuit  noire  est  survenue  ; 

Les  éclairs  sillonnent  la  nue; 
La  foudre  éclate  et  gronde  à  coups  précipités; 

On  dirait  que,  mû  par  sa  haine, 

L'enfer  lui-même  se  déchaîne 

Pour  engloutir  riotrt»  carène. 
Et  déjouer  ainsi  des  plans  prémédités. 

^28 


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434  MIRÈIO,  GANT  &1. 

Sas  l'esquinau  de  si  camello 

Tan<ost  la  mar  nous  encimello; 
Taiiiost,  dins  la  founsour  di  négri  garagai, 

Ounte  barrulon  li  lasàmi 

Li  biôu-marin  e  li  grand  làmi, 

Anan  entendre  lou  soulàmi 
Di  negadis,  que  Toundo  escoubibo,  pecai  I 

Nous  veguerian  perdu  I  S*enverso 
Sus  nôsti  tèsto  uno  gi*ando  erso, 

Quand  Lazàri  :  Moun  Dieu,  serve^nous  de  timouu, 
M'as  davera  'n  cop  de  la  toumbo... 
Ajudo-nous  !  la  barco  toumbo  I 
Goume  Tauroun  de  la  palourobo, 

Soon  crid  fend  la  chavano  e  volo  peramount. 

De  Faut  palais  ounte  triounflo 
Jèsu  Ta  vist;  sus  la  mar  gounflo 

Jèsu  vèi  soun  ami,  soun  ami  qu'en-tant-léu 
Vai  èstre  aclapa  souto  Toundo. 
Sis  iue  'mé  'no  pieta  prefoundo 
Nous  countémplon  :  subran  desboundo 

A  Iravès  la  tempèsto  un  long  rai  de  souléu. 

A  {/e/uia/ sus  l'aigo  amaro 

Moun  tan  e  davalan  encaro  ; 
E  trempe,  e  raatrassa,  boumissèn  l'amarun. 

Mai  lis  esfrai  tout-d'un-tèms  parton, 

Li  lamo  fièro  s'escavarton, 

Li  nivoulado  al  in  s'esvarton, 
La  lerro  verdouleto  espclis  dôu  clarun. 


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MIREILLE.  GUANT  XI  435 

Et  longtemps  dare  ce  supplice; 

Et  tantôt  la  vague  nous  hisse 
Sur  des  montagnes  d'eau  qui  bouillonnent  dans  Fair; 

Et  tantôt  de  ces  hautes  cimes. 

Gomme  acharnée  à  ses  victimes. 

Elle  nous  descend  aux  abîmes. 
Et  nous  mêle  éperdus  aux  monstres  de  la  mer  ! 

Croyant  à  notre  heure  dernière, 

Lazare  fait  cette  prière  : 
—  Une  fois,  ô  Jésus  tu  m'as  rouvert  les  yeux, 

Et  je  suis  sorti  de  la  tombe... 

Aide-nous,  ou  la  barque  tombe  !  — 

Gomme  l'essor  de  la  colombe, 
Ce  cri  perce  la  nue  et  vole  dans  les  cieux. 

Jésus,  des  hauteurs  de  l'espace, 

Voit  le  péril  qui  nous  menace  ; 
U  voit  son  doux  ami  qui  l'implore  àgciMUx; 

Et  pris  d*une  pi  lié  profonde. 

Apaisant  la  foudre  qui  gronde, 

U  lance  aux  colères  de  l'onde 
Un  rayon  de  soleil  qui  glisse  jusqu'à  nous. 

AUeluiat  de  la  tourmente, 

Ce  rayon  marque  la  détente  ; 
Le  vent  tombe  ;  des  flots  nous  vomissons  le  fiel  ; 

On  voit  s'éclaircir  le  nuage, 

Qui  nous  avait  porté  l'orage; 

L'espoir  ranime  le  courage, 
Et  la  terre  apparaît  à  la  clarté  du  cieL 


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436  MIRP.10,  GANT  XT. 

Long-tèms;  'nié  d'afrousi  turladp, 

Nous  tn'goussejon  lis  oundado. 
Pici  se  courbai!  enfin  davans  H  primo  nau 

Soute  un  alen  que  lis  abauco; 

I^  primo  nau,  coume  uno  plauco  \ 

Fuso  entre  li  roumpênt,  e  trauco 
De  làrgi  flo  d'escumo  emé  soun  carenau. 

Contro  uno  ribo  sènso  roco, 

Alléluia tïSL  barco  toco; 
Sus  l'areno  eigalouso  aqui  nous  amourran, 

E  cridan  lôuli  :  Nôsli  tèsto 

Qu'as  pôutira  de  là  tempèslo, 

Fin  qu'au  coutèu  li  vaqui  lésto 
A  prouclama  ta  lèi,  o  Grist  I  Te  lou  juran  f 

A-n-aquéu  noum,  de  joaissénço, 
La  noblo  terro  de  Prouyénço 

Parèîs  estrementido  ;  à-u-aquéu  crid  nouvèu, 
E  lou  bouscas  e  lou  campèstre 
An  trefouli  dins  tout  soun  èstre, 
Coume  un  chin  qu*en  sentent  soun  Éfiôstre, 

lé  cour  à  Tendavans  e  ié  fai  lou  bèu^bèu. 

La  mar  avié  jita  d'arcèli... 

Paternoster,quiesinc(Éli, 
A  nosto  longo  fam  mandéres  un  renos; 

A  nosto  set,  dins  lis  engano 

Faguères  naisise  uno  fountano  ; 

E  miraclouso,  e  lindo,  e  sano, 
Gisclo  cnca  dins  la  gîèîso  ounte  soun  nôstis  osf 


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MIREILLE,  CHANT  XL  4Ô7 

Et  cependant  le  flot,  rebelle 
Lutte  encor  contre  la  nacelle; 

A  la  fin  il  se  rend;  le  sombre  tourbillon, 
Sous  la  force  qui  le  maîtrise, 
S'éloigne,...  et  poussé  par  la, brisie, 
A  travers  une  onde  soumise,  ;  ' 

Le  bateau  suit  sa  ligne  et  trace  son  sillon.      .   .        ;  " 

Sur  uu  sable  couvert  de  mousse, 
AUcluià!  le  vent  nous  pousse  ;        .   ;  :. 

Nous  mettons  pied  à  terre,  «t  uoi^  nous  prosternons,  . 
En  ciiarit  tous  :  —  Puisque  no^  tûtes 
Viennent  d'échapper  aux  te^ipétes, 
Jusqu'à  la  mort  les  voici  prêtes  t 

\  proclamer  ta  loi.  Christ  !  nous  te  le  jurons!  — 

A  ce  nom  de  paix,  la  Provence 

Du  nouveau  règne  qui  s'avance 
Pressent  les  jours  lieureux  dès  lopgtemps  annoncée  ;  i 

I  a  forêt,  la  lande  champêtre  :  . 

En  tressaillent  dans  loiit  leur  être, 

Comme  un  chien  qui  revoit  sou  maître    i 
Le  fête  en  l'assaillant  de  ses  bonds  empressés»  .1 

Pour  nous,  la  mer  sur  ses  rivages 

Avait  semé  des  coquillages. 
Père  f  tu  nous  donnais  notre  p^in  quotidien  f     .  : 

En  complément  à  cette  aubaine. 

Tu  fis  jaillir  une  fontaine, 

Dont  l'eau  miraculeuse  et  saine 
Goule  encor  dans  l'église  au  puits  qui  la  QpnUent.*    .. 


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438  MIRÈIO,  GANT  XI. 

Plen  de  la  fe  que  nous  afougo, 
Déu  Rose  prenèn  lèu  la  dougo  ; 

De  palun  en  palun  caminan  à  l'asard  ; 
E  pièi,  galoi,  dins  lou  terrairc 
Trouvan  la  traço  de  Paraire  ; 
E  pièi,  alin,  dis  Emperaire 

Vesèn  li  tourre  d'Arle  auboura  Testendard. 

A  Touro  d'iuei  sies  meissounierOy 
Arle  !  e  coachado  sus  toun  iero, 

Pantaies  em'  amour  ti  glôri  d'àutri-fes  ; 
Mai  ères  rèino,  al  or,  e  maire 
D'un  tant  bèu  pople  de  remaire 
Que,  de  toun  port,  lou  vent  bramaire 

Noim  poudié  travéssa  Tiumènse  barcarés. 

Roumo,  de  nôu,  t'avîé  vestido 

En  pèiro  blanco  bèn  bastido  ; 
De  ti  grandis  Areno  avié  mes  à  toun  front 

Li  cent  vint  porto  ;  aviés  toun  Gièri  ; 

Aviés,  princesse  de  TEmpèri, 

Pèr  espHSsa  ti  refoulèri, 
Li  poumpous  Aquedu,  lou  Tiatre  e  Flpoudrom. 

Intran  dins  la  ciéuta  :  la  foulo 
Mountavo  au  Tiatre  en  farandoulo. 

E  z6u!  mountan  em'  elo;  aumitan  di  palnî, 
A  Toumbro  di  temple  de  mabre, 
Se  gandissié  lou  pople  alabre, 
Coume  quand  rounco  dins  li  vabre 

Un  lavàssi  de  plueio,  à  l'oumbrino  di  plai. 


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MIREILLE,  CHANT   XL  A3» 

Pleins  de  la  foi  que  Dieu  nous  donne, 

Nous  suivons  la  rive  du  Rhône  ; 
De  marais  en  marais,  nous  marchons  au  hasard  ; 

Nous  trouvons  enfin  dans  la  plaine 

La  trace  de  la  race  humaine, 

Et  bientôt  la  Cité  romaine 
Aux  tours  d'Arles  au  loin  montre  son  étendard. 

A  cette  heure,  Arles,  tu  moissonnes. 

Rêvant  peut-être  à  ces  couronnes 
Qu'en  des  temps  plus  heureux  te  départit  le  sort.,. 

Car  à  ton  berceau,  tu  fus  reine, 

Et  la  mer  était  ton  domaine, 

Et  le  vent  passait  avec  peine 
Dans  la  forêt  de  mâts  qui  remplissait  ton  port. 

C'est  Rome  qui,  de  tes  carrières. 

Avait  extrait  tes  blanches  pierres; 
C  est  elle,  qui,  mettant  tes  monuments  caducs 

Au  niveau  des  splendeurs  romaines, 

Avec  leurs  portes  par  centaines, 

Bâtissait  tes  belles  Arènes 
Ton  Cirque,  ton  Théâtre,  et  tes  grands  Aqueducs. 

Nous  portons  nos  pas  dans  la  ville  ; 

Avec  une  ardeur  juvénile, 
iJî  foule  du  théâtre  assiéf^eait  les  degrés  ; 

Nous  j  pénétrons  avec  elle  ; 

Sous  la  tente  elle  s'amoncelle; 

Comme  on  voit  la  pluie  ou  la  grêle, 
S'abattre  à  gros  bouillons  sur  le  tapis  des  prés. 


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iAO  MIRÊIO,   GANT  XI 

0  maladicioun  !  o  vergougno  t 

1  son  moulan  de  la  zarabougna, 

Sas  lou  pountin  dôu  Tiatre,  emé  lou  pitre  nus> 

Un  vôu  de  chato  viroulavon, 

E  su  'n  refrin  qu^ensén  quilavon, 

En  danso  ardènto  se  giblavon, 
Au  tour  d'un  flo  de  mabre  en  quau  disien  Venus. 

La  piiblico  eoibriagadisso 

lé  bandissié  si  bramadisso  ; 
Jouvènto  einai  jouvènt  répéta vou  :  Canten  !       ^ 

Canteh  Venus,  la  grand  divesso 

De  quau  prouvèn  touto  alegresso  ! 

Canten  Venus;  la  segnouresso, 
La  maire  de  la  terrb  e  déu  pople  Arlaten  ! 

Lou  front  aut^  la  narro  duberto, 

L'idolo,  encourouna  de  nerto, 
Dins  11  nivo  d'encens  pareissié  s'espoumpi  ; 

Quand,  endigua  de  tant  d'audançô, 

E  derrouinpènt  e  crjd  e  danso, 

Lou  vièi  Trefume  que  se  lanço,  ^ 

En  aussaut  si  dous  bras  sus  lou  mouude  atupi, 

D'uno  Youes  forto  :  Pople  d'Arle, 

Escouto,  escouto  que  té  parle! 
Escouto,  au  npum  déu  Grist!...  Ë  n*en  digue  pas  mai. 

Au  frouncinien  de  sa  gi^aiido  usso 

Vaqui  Tidolo  que  brandusso, 

Gènço,  e  déu  pedestau  cabusso, 
Em'  eu  li  dansarello  an  toumba  de  l'esfrai  I 


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MIREILLE,  CHANT  XI.  441 

0  douleur!  ô  honte  l  6  délire  ! 

Aux  sons  langoureux  d'une  lyre, 
Sur  la  scène,  en  plein  jour,  les  bras  et  les  seins  nus, 

Un  vol  de  filles  éléganles. 

S'excitant  de  leurs  voix  stridentes, 

Dansaient  des  danses  indécentes 
Autour  d'un  bloc  sculpté  qu'elles  nommaient  Vénus. 

L'enthousiasme  populaire 

Poussait  des  clameurs  pour  leur  plaire  ;, 
Et  des  chœurs  répétaient  selon  le  mode  ancien  : 

Chantons  Vénus  !  c'est  ïa  déesse 
'  De  qui  nous  vient  toute  allégresse!  ; 

Chantons  Vénus  rEnchanteresse, 
La  mère  de  la  terre  et  du  peuple  Arlésieu  I 

L'idole  de,  fleurs  couronnée, 

De  flots  d'encens  environnée. 
De  ces  hommages  vains  semblait  s'enorgueillir  ; 

Lorsque  indigné  de  tant  d'audace, 

Le  vieux  Trophime  en  qui  la  grâce 

A  placé  ce  souffle  efficace 
Qui  donne  l'éloquence  et  qui.  la  fait  jaiîjj?  : 

—  Peuple  esclave  de  tes  idoles,  , 

Dit-il^coutè  mes  paroles,     ' 
Écoute  au  nom  dû  Christ!—  Et  sans  un  mot  de  plus, 

Au  feu  dont  son  œil  étmcellé, 

Voilà  que  l'idole  chancelle, 

Et  que  s'abiment  avec  elle, 
Les  ballets  et  les  chœurs  roulés  et  confondus  I 


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U2  MIRÈIO.  CANT  XI. 

Se  fai  qu'un  crid,  s*entènd  qu'ourîado; 

Vers  li  pourtau  de  Iroupelado 
S'engorgon,  e  pér  Arle  escampon  Tespravant; 

Li  majourau  se  descourounon, 

Li  juvenome  s*enferounon, 

En  cridant  :  Z6u  !  nous  envirounon..: 
En  l'èr  milo  pougnard  lusisson  tout  d*un  yane« 

Pamens,  de  nosto  vestiduro 

L'enregouïdo  saladuro  ; 
De  Trefume  lou  front  seren,  coume  enciéuc^a 

De  clarour  santo  ;  e,  mai  poulido 

Que  sa  Venus  enfrejoulido, 

La  Madaleno  ennivoulido, 
Tout  acô,  'n  moumenet,  li  faguè  recula. 

Mai  alor  Trefume  :  Gènt  d'Arle, 
Eseoutas-me  que  iéu  vous  parle  ! 

lé  cridè  tourna-mai,  après  me  chaplarés  ! 
Pople  arlaten,  vènes  de  vèire 
Toun  dieu  s'esclapa  coume  un  vèire 
Au  noum  dou  miéu  !  Anes  pas  crèire 

Que  ma  voues  Ta  pouscu  :  nous-àutri  sian  pas  rcs. 

Lou  Dieu  qu'a  'sclapa  toun  idolo 

N*a  ges  de  temple  sus  la  colo  !     * 
Mai  lou  jour  e  la  niue  veson  qu'eu  eilamount  ; 

Sa  man,  pèr  lou  crime  sevèro. 

Es  alarganto  à  la  preièro  ; 

Es  eu  soulet  qu'a  fa  la  terro, 
Es  eu  qu'a  fa  lou  cèu,  e  la  mar,  e  li  mount. 


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MIREILLE,  CHANT  XI.  443 

Un  frisson  parcourt  rassemblée  ; 

Vers  les  portes  amoncelée, 
La  foule  fuit  et  sent  son  courage  faillir  ; 

Les  \  ieillards  brisent  leur  couronne 

La  Jeunesse  nous  environne, 

Pousse  des  cris  dont  Tair  résonne. 
Et,  la  dague  à  la  main,  cherche  à  nous  assaillir. 

Et  cependant,  l'onde  salée, 

A  nos  robes  encor  mêlée  ; 
Le  grand  front  de  Trophinie  où  vient  se  refléter 

L'éclat  de  son  âme  sereine  ; 

La  beauté  de  la  Madeleine, 

Eclipsant  leur  Vénus  païenne, 
Tout  cela  les  arrête  et  les  fait  hésiter. 

—  Peuple  esclave  de  tes  idoles, 

Écoute,  écoute  mes  paroles, 
Dit  de  nouveau  Tropbime,  après  tu  me  tueras! 

Si  ce  bloc,  brisé  comme  verre. 

Vient  d'être  renversé  par  terre. 

Ce  n'est  pas  moi  qui  pus  le  faire, 
C'est  mon  Dieu;  seul  il  est;  nous,  nous  ne  sommes  pas. 

Celui  qu'annonce  cet  exemple. 

Ici  n'a  point  encor  de  temple  ; 
Mais  le  jour  et  la  nuit  le  chantent  dans  les  airs  ; 

Sa  main  pour  le  crime  sévère, 

Est  généreuse  à  la  prière  ; 

C'est  lui  seul  qui  fit  la  lumière, 
Et  le  ciel  et  la  terre,  et  les  monts  et  les  mers! 


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444  MiREIO,  GANT  1^1. 

Un  jour,  de  soun  auto  demoro, 

A  vist  soun  bèn  manja  di  toro  ; 
A  vist  béure  à  l'esclau  si  plour  e  soun  verifi; 

£  jamai  res  que  lou  counsolp  ! 

A  vist  lou  Mau,  pourtant  Testolo, 

Sus  lis  autar  teni  Tescolo  ; 
Toun  fihan,  Ta  vist  courre  à  Tafronl  di  gourrin  ! 

E  pèr  espurga  tau  bx'utice, 

Pôr  bouta  fm  au  long  suplice 
De  la  raço  oumenenco  estacado  au  pieloun, 

A  manda  soun  Fiéu  :  nus  e  paure, 

Emé  pas  un  rai  que  lou  daure, 

Soun  Fiéu  es  davala  s'enclaure 
Dins  lou  sen  d'uno  Vierge  ;  es  na  sus  d'estoubloun  ! 

0  pople  d'ArlCj  penitènci  ! 

Coumpagnoun  dç  soun  eisist)èn<â,    . 
Te  poudèn  afourti  si  miracle  :  eilalin, 

Is  encountrado  mounte  coulo 

Lou  bloupd  Jourdan,  entre  une  foub 

Espeiandradp  q  mau  sadoulo, 
L'avin  vist  blanque^  dins  sa  raubo  de  lin  1 

E  nous  parlavo  qu'entre  nautre 

Falié  s*ama  lis  un  lis  autre  ; 
Nous  parlavo  4$  Dieu,  tout  bon,  tout  pouderoùs, 

£  dôu  reiaume  de  soun  Paire, 

Que  noun  sara  pèr  li  trouiupaire, 

Lis  auturous,  lia  usurpaire, 
Mai  bèn  pèr  li  picbot,  ii  simple,  li  plourous 


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MIREILLE,  €HANT  XI.  445 

Un  joiiF,  des  hauteurs  qu'il  habile, 

Il  a  vu  la  terre  maudite  ; 
La  vertu  méprisée  et  le  vice  en  honneur; 

l/esclave  que  nul  ne  console  ; 

11  a  vu  le  Mal  en  étole, 

Sur  les  autels  tenir  école  ; 
La  débauche  livrer  assaut  à  la  pudeur  ! 

Et  pour  laver  ces  immondices, 

El  pour  mettre  fin  aux  supplice? 
De  la  race  d'Adam  qu'il  créa  pour  le  ciel, 

Il  a  voulu  que,  sous  le  chaume, 

Pauvre  et  nu,  loin  de  son  royaume, 

Son  Fils  bien-aimé  se  Ht  homme. 
Dans  le  sein  d'une  Vierge,  au  milieu  d'Israël  t 

0  peuple  d'Arles î  pénitence! 

Compagnons  de  son  existence, 
Nous  pouvons  affirmer  ses  prodiges  sans  fin  ; 

Dans  ce  coin  reculé  du  monde, 

Où  le  Jourdain  roule  son  onde. 

Nous  avons  vu  sa  tête  blonde, 
Et  les  plis  ondoyants  de  sa  robe  de  lin  f  . 

Il  nous  disait  que  ses  Apôtres 

Devaient  s'aimer  les  uns  les  autres  ; 
Il  nous  parlait  de  Dieu,  des  anges,  des  démons, 

Et  du  royaume  de  son  Père, 

Dont  une  consigné  sévère 

Exclura  les  grands  de  la  terre. 
Où  viendront  les  petits,  les  simples  et  les  bons. 


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1  ' 


446  MIRÊIO»  GANT  XL 

E  fasié  fe  de  sa  dôutriao 

En  caminant  sus  la  marine  ; 
Li  malaut,  d'un  cop  d'iue.  d'un  mot  H  garissié; 

Li  mort,  mau-grat  lou  sourne  barri, 

Soun  revengu  :  vaqui  Lazàri 

Que  pourri isié  dins  lou  susàri  !... 
Hai,  rèn  que  pèr  acô,  boufre  de  jalousie, 

Li  rèi  de  la  nacioun  Jusiolo 
L'an  près,  Tan  mena  su  'no  colo, 

Clavela  su  'n  trounc  d'aubre,  abéura  d'aroarun, 
Cubert  d'escra  sa  sanlo  fàci, 
E  pièi  auboura  dins  l'espàci 
En  se  Irufant  d'eu!...  ~  Gràci  !  gràci  ! 

Esclatè  tout  lou  pople,  estoufa  d6u  plourun  ; 

Gràci  pèr  nautile  !  Que  fau  faire 

Pèr  desarma  lou  bras  dôu  Paire  ? 
Parle,  orne  de  Dieu,  parle!  e  s*èi  de  sang  que  v6u, 

lé  semoundren  cent  sac.refice  ! 

—  Inraoulas-ié  vôsti  délice, 

Inmoulas  veste  fam  de  vice, 
Uespoundeguè  lou  Sant  en  se  jitant  pèr  s6u. 

Nàni,  Segnourl  ço  que  t'agrado, 

N'es  pas  l'ôudour  d'une  luado, 
Ni  li  temple  de  pèiro  :  âmes,  âmes  bèn  mai 

Lou  très  d'arloun  que  Ton  presènto 

A  l'afama,  ve  la  jeuvènto 

Que  vèn  à  Dieu,  douce  e  cregnènla, 
Oufi-i  sa  caslcla  coume  une  fleur  de  Mai. 


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MIREILLE,  GUANT  XI.  447 

Et  ses  leçons  et  ses  oracles 

Il  les  prouvait  par  des  miracles  ; 
Il  marchait  sur  la  mer,  multipliait  les  pains, 

CAangeait  en  vin  l'eau  de  fontaine, 

Ramenait  la  Samaritaine, 

Rendait  Lazare  à  Madeleine,,.. 
Et  c'est  pourquoi  les  Rois  et  les  Juges  hautains. 

Jaloux  de  sa  sainte  doctrine 

L'ont  conduit  sur  une  colline. 
L'ont  ahreuvé  de  fiel,  l'ont  cloué  sur  la  croix. 

Ont  craché  sur  sa  sainte  face. 

Et  l'ont  élevé  dans  l'espace 

En  le  raillant...  —  Oh!  grâce,  grâce  ! 
Dit  avec  des  sanglots  tout  le  peuple  à  la  fois  ; 

Grâce  pour  nous  I  Que  faut-il  faire 

Pour  désarmer  le  bras  du  Père? 
Est-ce  du  sang  qu'il  veut?  oh!  parle,  dis-le-nous, 

Nous  immolerons  cent  génisses. 

—  Immolez  ()lutôt  vos  délices 

Vos  dérèglements  et  vos  vices, 
Leur  répondit  le  saint  en  tombant  à  genoux. 

Non,  Seigneur,  ce  que  tu  préfères. 

Ce  n'est  pas  Todeur  des  viscères. 
Ni  le  sang  des  taureaux  par  le  feu  consmné; 

C'est  l'aumône,  c'est  la  prière, 

C'est  le  cœur  de  la  vierge  austère. 

Qui  vient  au  fond  d'un  monastère 
T'offrir  sa  chasteté  comme  une  fleur  de  Mai.  ~- 


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448  MIRÊIO,  GâNT  Xt. 

Di  bouco  d6u  grand  Apoustdli 

Ansin  raie  coume  ud  sant  ôli 
La  paraulo  de  Dieu  :  e  plour  de  regoula, 

E  malandrous  e  rusticaire 

De  beisa  sa  raubo,  pecaire  ! 

E  lis  idolo,  de  tout  caire, 
Sus  li  graso  di  temple  alor  de  barrula  t 

Entaaterin,  en  testimôni, 

L'Avugle-na  (qu'éro  Sidôni), 
Moustravo  is  Arlaten  si  vistoun  neteja  ; 

En  d'autre  Massemin  rccito 

Lou  Glavela  que  ressuscite, 

La  repentènci  qu'es  necito... 
Arle,  aquéu  même  jour,  se  faguè  bateju  ! 

Mai,  coume  uno  auro  qu'escoubiho 

Davans  ela  un  fiô  de  broundihp, 
Sentèn  l'Esprit  de  Dieu  que  nous  buto.  E  veicî, 

Coume  partian,  uno  embassado 

Qu'à  nôsti  pèd  toumbo,  apreissado« 

En  nous  disent  :  Uno  passade, 
Estrangié  dôu  bon  Dieu,  vougués  bèn  nous  ausi  f 

Au  brut  de  vôsti  grand  miracle 

E  de  vôsti  nouvéus  ouracle, 
Nous  mando  à  vôsti  pèd  nosto  pauro  ciéulà.,, 

Sian  mort  sus  nôsti  cambo!  Alabre 

De  sang  uman  e  de  cadabre, 

Dins  nôsti  bos  e  nôsti  vabre 
Un  moustre,  un  fléu  di  diéu,  Barrulo...  Aguès  pieta! 


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MIREILLE,  CHANT  XL  449 

Ainsi  parla  le  yieux  Trophime  ; 

Et  sous  sa  parole  sublime, 
On  voyait  les  cœurs  fondre  et  les  larmes  couler, 

Les  coupables  demander  grâce, 

Les  malades  baiser  sa  trace, 

Et,  cédant  au  souffle  qui  passe, 
Les  idoles  s'enfuir  et  les  temples  crouler. 

A  l'appui  de  cette  éloquence, 

Sidoine,  aveugle  de  naissance, 
En  montrant  ses  beaux  yeux  tâchait  d'en  imposer  ; 

Maximin  parlait  du  baptême. 

Ce  Sacrement  que  Dieu  lui-môme 

Oppose  à  l'antique  anathème; 
Et  tout  Arles,  le  soir,  s'était  fait  baptiser. 

Mais  semblable  au  vent  qui  balaie 

Les  émondes  de  la  futaie , 
Nous  sentions  l'Esprit  Saint  nous  pousser  devant  lui  ; 

Quaiid  tout  à  coup,  sur  notre  estrade, 

Se  précipite  une  ambassade 

Qui,  de  la  prochaine  bourgade. 
Venait  pieusement  implorer  notre  appui. 

—  Étrangers  du  bon  Dieu,  dit-elle. 

Notre  bourgade,  à  la  nouvelle 
Des  miracles  nombreux  qui  s'opèrent  par  vous, 

Vient  implorer  votre  assistance 

Contre  la  terrible  puissance 

D'un  monstre  de  la  pire  engeance  ; 
Étrangers  du  bon  Dieu,  prenez  pitié  de  nous  ! 

4.1 


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iSO  MlRÊiO,  GANT  XI. 

La  bèstio  a  la  co  d*un  coulobre, 
A  d'iue  mai  rouge  qu'un  cinobre; 

Sus  Tesquino  a  d'escaumo  e  d'àsti  que  fan  pdu. 
D'un  gros  lioun  porto  lou  mourre, 
E  sièis  pèd  d'orne  pèr  mies  courre; 
Dins  sa  cafomo,  souto  un  moure 

Que  doumino  lou  Rose,  emporte  ço  que  pou. 

Tôuti  li  jour  nôsti  pescaire 
S'esdargisson  que  mai,  pecaire!  — 

fi  11  Tanuscounen  se  bouton  à  ploura. 
Mai,  sèiiso  pause  ni  chancelle, 
Marte  s'escrido  :  —  Emé  Marcello 
léu  i'anarai!  Moun  cor  bacello 

De  courre  à-n-aquéu  pople  e  de  lou  deliéura.  -- 

Pèr  la  darriero  fes  sus  terre. 
Nous  embrassan,  emé  l'espèro 

De  nous  revèire  au  céu,  e  nous  desseparan. 
Limoge  aguè  Marciau;  Toulouse 
De  Savoumin  fugue  l'espouso; 
E  dins  Aurenjo  la  poumpouso, 

Estrôpi  lou  proumié  semenè  lou  bon  grau. 

Mai  ounte  vas,  tu,  douce  vierge? 
£m'  une  crous,  em'  un  asperge, 

MartOy  d'un  èr  seren,  caminayo  tout  dre 
Vers  la  Tarasco  :  li  Barbare 
Noun  poudènt  crèire  que  s'apare, 
Pér  espincha  lou  coumbat  rare, 

Êron  téuti  mouiita  sus  11  pin  de  Tendre. 


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MIREILLE,  CHANT  XI  451 

Ce  monstre  est  muni  d'une  queue 
Qui  bat  l'espace  d'une  lieue; 

Il  a  l'air  d'un  lion,  des  dards,  des  yeux  ardents, 
Un  long  dos  hérissé  d'écailIes, 
Six  pieds  d'homme,  et  pour  victuaijies, 
Dans  un  grand  trou,  sous  des  broussailles, 

Il  porte  le  butin  qu'il  fait  avec  ses  dents. 

Et  dans  la  rage- qui  l'anime. 
De  plus  en  plus  il  nous  décime...  — 
Et  les  Tarasconnais  se  prennent  à  pleurer. 

—  Moi,  j'irai,  dit  Marthe  attendrie, 
Avec  Marcelle  mon  amie  ; 

J'irai,  car  je  brûle  d'envie 
De  courir  à  ce  peuple  et  de  le  délivrer.  — 

Alors,  l'Apostolat  commence; 

On  s'embrasse  avec  l'espérance 
De  se  revoir  au  Ciel.  —  Au  cœur  du  Limousin 

Martial  va  prêcher;  Toulouse 

De  Saturnin  devint  l'épouse  ; 

Et  rempli  d*une  ardeur  jalouse, 
Eutrope  dans  Orange  apporta  le  bon  grain. 

—  Où  vas- tu  donc,  vierge  émérite, 
Avec  ton  vase  d'eau  bénite, 

Ta  croix  sur  la  poitrine  et  ton  grand  aspersoir? 

—  Voyez  î  C'est  Marthe  qui  s'avance 
Vers  le  monstre,  avec  confiance. 
Parmi  les  flots  d'un  peuple  immense 

Qui  doute  et  qui  se  hisse  aux  arbres  pour  mieux  voir. 


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45^  MIRÈIO»  GANT  XI 

Destrassouna,  poun  dins  soun  soustre, 
Aguèsses  vist  boumbi  lou  moustre!... 

Mai  souto  Taigo  saoto  a  béu  se  trevira, 
De-bado  reno,  siblo  e  boufo... 
Mario,  em'  ua  prim  seden  de  moufo, 
L'embeurgino,  l'adus  que  broufo... 

Lou  pople  tout  entié  courreguè  l'adouraî 

—  Quau  sies?  La  cassarello  Diano? 

Venien  à  la  jouino  Grestiano, 
0  Minervo  la  caslo  e  la  forto?  —  Noun,  noun, 

lé  respoundegué  la  jouvènto  : 

Siéu  de  moun  Dieu  que  la  servènlo!  — 

E  quatecant  lis  assavènto, 
E  'm'  elo  davans  Dieu  pleguèron  lou  getnoun. 

De  sa  paraulo  vierginenco 
Piqué  la  roco  Avignounenco. 

E  la  fe  taldFTien  à  bello  oundo  gisclè, 
Que  li  Clemén  e  li  Gregôri 
Plus  tard,  emé  soun  sant  cibôri, 
Vendran  ié  béure  ;  pèr  sa  glôri 

l'a  Roumo  qu'cilalin  setanto  an  tremoulé! 

Pamens,  déjà  de  la  Prouvénço 
Mountavo  un  cant  de  reneîssénço 

Que  fasié  gau  à  Dieu  :  Tas  agu  remarca, 

Tre  qu'a  plôugu  *n  degout  de  piueio, 
Goume  tout  aubre  e  louto  brueio 
Aubouron  lèu  sa  gaiofueio? 

Ansin  tout  cor  brûlant  courrié  se  refresca. 


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MIREILLE,  GJlANT  XL  i53 

Prise  en  sursaut,  dans  sa  retraite, 
Eusses-tu  vu  bondir  la  bétel... 
Mais  en  vain,  sous  Feau  sainte  elle  hurle  en  courroux. 

Et  siffle,  et  souffle  et  se  trémousse, 

Marthe,  prenant  un  brin  de  mousse, 

L'enlace,  l'attire  et  la  trousse.  .. 
r.e  peuple  bat  des  mains  et  tombe  à  ses  genoux. 

—  Qu  es-tu,  dit-il,  femme  ou  déesse? 

Es- tu  Diane  chasseresse 
Ou  Minerve  la  chaste  et  la  forte?  —  Non,  non  ! 

Répondit  Marthe  triomphante. 

De  mon  Dieu  je  suis  la  servante.  — 

Et  la  foule  reconnaissante. 
Depuis  lors  la  vénère  et  s'incline  à  son  nom. 

Bientôt  après,  à  son  approche, 

Avignon  entr'ouvrit  sa  roche 
Dont  une  foi  si  vive  et  si  pure  coula. 

Que  les  Clément  et  les  Grégoire, 

Plus  tard,  avec  lei^r  Saint  Ciboire, 

Y  boiront;  et  que  pour  sa  gloire, 
Pendant  sept  fois  dix  ans  Rome  même  en  trembla. 

Déjà,  dans  toute  la  Provence 

S'élève  un  chant  de  renaissance. 
Avez-vous  remarqué,  quand  il  vient  de  pleuvoir. 

Combien  la  feuillée  étincelle  ; 

Combien,  sous  l'onde  qui  s'y  mêle 

Elle  est  plus  brillante  et  plus  belle? 
Ainsi  tout  cœur  flétri  renaissait  à  l'espoir. 


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454  MIRÈIO,  GANT  XI. 

Tu  mémo,  auturouso  Marsiho, 

Que  sus  la  mar  duerbes  ti  ciho, 
Ë  que  rén  de  ta  mar  noun  te  pôu  leva  l'iud, 

E  qu'en  despié  di  vent  couutràri 

Sounjes  qu*à  l*or  entre  ti  barri, 

A  la  paraulo  de  Lazàri, 
Ifebalères  ta  visto  e  veguères  ta  niuel 

E  dins  rUvèuno  '  que  s*aveno 

Emé  li  plour  de  Madaleno, 
Lavères  davans  Dieu  toun  orre  queitivié... 

Vuei  tourna-mai  drèisses  la  tèsto... 

Davans  que  boufe  la  tempèsto, 

Ensouvène-te,  dins  ti  fèsto, 
Di  plour  madalenen  bagnant  tis  éuliviét 

0  colo  d'Ais,  cresten  arèbre 

De  la  Sambuco  ^  vièi  genèbre, 
Grand  pin  que  vestissès  li  baus  de  TEsteréU; 

Vous,  mourven  de  la  Trevaresso, 

Redigas  de  quinto  alegresso 

Yôsti  coumbo  fuguèron  presso, 
Quand  passé  Massemin  pourtant  la  crous  em'  on  ! 

Mai,  alin,  la  veses  aquelo 

Que,  si  bras  blanc  sarra  contre  elo, 
Prègo  au  founs  d'une  baumo?  Ai!  pauro!  si  r-r.. 

Se  maçon  à  la  roco  dure, 

E  n'a  pèr  toute  vestiduro 

Que  sa  bloundo  cabeladuro, 
E  la  luno  la  viho  emé  soun  lumenoun 


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MIREILLE,  CHANT  XI.  455 

Et  toi,  Marseille!  ville  altière  ! 

Toi,  que  rien  n'avait  pu  distraire 
Des  flots  bleus  sur  lesquels  Tamour  de  For  te  suit; 

Malgré  cet  amour  qui  t'égare. 

Sur  l'anse  où  ta  flotte  s'amarre, 

A  la  parole  de  Lazare 
Tu  ramenas  tes  yeux  et  tu  pus  voir  ta  nuit  ! 

Les  larmes  de  la  Sainte-Baume, 

Avec  leur  poétique  arôme, 
En  descendant  vers  toi  lavèrent  tes  fumiers; 

Si  la  soif  du  lucre  te  tente, 

Souviens-toi,  Cité  florissante, 

Qu'une  sublime  pénitente 
De  ses  pleurs  abondants  baigna  tes  oliviers  ! 

Ville  d'Aix,  mont  de  la  Victoire, 

Vaste  p!aine  où  vit  la  mémoire 
De  Narius  vainqueur;  grands  pins  de  l'Estérel, 

Collines  de  la  Trévai*esse, 

Parlez-nous  de  la  douce  ivresse 

Qui  mettait  les  cœurs  en  liesse, 
Quand  passa  Maximin  en  vous  parlant  du  ciel  ! 

Dans  le  lointain,  la  vois-tu  celle 

Qui,  ses  bras  blancs  serrés  contre  elle, 
Prie  au  fond  d'une  grotte?  Ah  !  ses  pauvres  genoux 

S'éraillent  sous  leur  meurtrissure  ; 

Elle  n'a  contre  la  froidure 

Que  l'ampleur  de  sa  chevelure, 
Et  la  lune  la  veille  en  passant  sous  les  houx. 


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456  MiRËlO,  GANT  XI, 

E  pèr  la  yèire  dins  la  baumo, 

Lou  bos  se  clino  e  fai  calaumo; 
E  i'a  d'ange,  tenènt  lou  batre  de  si  cor. 

Que  respinchon  pér  une  esclèiro; 

£  quand  perlejo  sus  la  pèiro 

Un  de  si  plour,  en  grand  pressèiro 
Van  lou  cueie  e  lou  mètre  en  un  calice  d'or.. 

N'i'a  proun,  n'i'a  proun,  o  Madaleno  ! 

Lou  yènt  que  dins  lou  bos  aleno 
T*adus  dempièi  trento  an  lou  perdoun  déu  Segnour; 

E  de  ti  plour  la  roco  mémo 

Plourara  sèmpre,  e  ti  lagremo 

Sèmpre,  sus  touto  amour  de  femo, 
Goume  uno  auro  de  nèu,  jitaran  la  blancourl 

Mai  dôu  regret  que  Pestransino 

Rèn  counsoulavo  la  mesquine  : 
Ni  lis  aucelounet  qu'en  foulo  au  Sant-Pieloun 

Pèr  èstre  benesi,  nisavon, 

Ni  lis  ange  que  Tenaussavon 

A  la  brasseto,  e  la  bressavon 
Sèt  fes  tôuti  li  jour,  en  l'èr  sus  H  valoun! 

A  tu,  Segnour,  à  tu  revèngue 

Touto  lauséiyo!  à  nautre  avèngue 
De  te  vèire  sens  fin  tout  lusènt  e  verai  ! 

Pàuri  femo  despatriado, 

Mai  de  toun  amour  *embriado, 

De  toun  eterno  souleiado 
Avèn,  nàutri  peréu,  escampa  quàuqui  rai  î 


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MIREILLE,  CHANT  XL  457 

Et  pour  la  voir  dans  son  extase, 

Les  rocs  s'inclinent  sur  leur  base; 
Les  Anges  en  voyage  arrêtent  leur  essor 

Au-dessus  de  ce  sanctuaire  ; 

Et  lorsque  sur  la  froide  pierre. 

Un  pleur  tombe  de  sa  paupière. 
Ils  vont  le  recueillir  dans  un  calice  d'or... 

Assez!  assez!  ô Madeleine! 

Depuis  trente  ans,  dans  son  haleine, 
Le  zéphir  t'a  porté  le  pardon  du  Seigneur  ; 

Dieu  voudra  même  qu'à  toute  heure. 

Autant  que  toi  ta  grotte  pleure, 

Aiin  que  ta  fratche  demeure 
Puisse  à  tout  cœur  aimant  donner  la  paix  du  cœur  ! 

Mais  du  regret  qui  la  consume, 

Rien  n'adoucissait  l'amertume, 
Ni  les  petits  oiseaux  nichant  dans  le  vallon 

Pour  que  la  Sainte  les  bénisse  ; 

Ni  les  Anges,  dont  la  milice 

La  berce  au  bord  du  précipice, 
Et  sept  fois  tous  les  jours  l'élève  au  Saint-Pilon  f 

A  toi,  Seigneur!  à  toi  revienne 

Toute  louange  !  A  nous  advienne 
De  te  voir  à  jamais  au  sein  de  tes  splendeurs! 

Nous  aussi,  pauvres  exilées, 

Mais  de  ton  amour  affolées. 

Vers  tes  doctrines  révélées 
Nous  avons  pu  peut-être  attirer  quelques  cœurs! 


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458  MIRËiO,  GANT  XI. 

Colo  Baussenco,  Aupiho  bluio, 

Vèski  calanc,  vôstis  aguîo, 
De  nosto  predicanço  à  toustèms  gardaran 

La  gravaduro  peirounenco  ^ 

I  soulitudo  paluuenco, 

Au  founs  de  l'isclo  Camarguenco, 
La  mort  nous  alôujè  de  nôsti  jour  ôubrant 

Goume  en  toute  cause  que  toumbo, 
L'ôublit  rescoundè  lèu  li  toumbo. 

La  Prouvènço  cantavo,  e  lou  tèms  courreguè; 
E  coume  au  Rose  la  Durènço 
Perd  à  la  fin  soun  escourrènço, 
Lou  gai  reiaume  de  Prouvènço 

Dins  lou  sen  de  la  Franco  à  la  fin  s'amaguè. 

—  rranço*,  emé  tu  meno  ta  sorre! 

Digue  soun  darrié  rèi,  iéu  more. 
Gandissès-vous  ensèn  alin  vers  Tayeni 

Au  grand  pres-fa  que  vous  apello.» 

Tu  sies  la  forto,  elo  es  la  belle  : 

Veirés  fugi  la  niue  rebelle 
Davans  la  resplendour  de  vôsli  front  uni.  -^ 

Reinié  faguè  'c6  bèu.  Un  sero 
Qu'entre  dourmié  dins  sa  coucero, 

lé  mouslrerian  lou  rode  ounte  èron  nèstii  os  : 
Emé  dougé  evesque,  si  page. 
Sa  belle  court,  sis  équipage, 
Lou  rèi  venguè  sus  lou  ribage, 

E  soute  lis  engano  atrouvè  nôsti  cros. 


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MIREILLE,  CHANT  XI.  459 

Crête  des  Bauxl  pics  des  Alpines! 

Vous  qui,  de  nos  leçons  divines. 
Avez  goûté  le  charme  et  reçu  la  primeur. 

Gardez-en  le  saint  héritage  t 

Pour  nous,  au  terme  du  voyage, 

Ici  môme,  sur  cette  plage, 
La  mort  nous  allégea  de  nos  jours  de  labeur. 

Hélas I  comme  atout  ce  qui  tombe. 

L'oubli  pesa  sur  notre  tombe. 
La  Provence  chantait;  le  temps  suivit  son  cours. 

Et  comme  au  Rhône  la  Durance 

Perd  à  la  fin  son  existence. 

Le  gai  royaume  de  Provence 
Sous  le  sceptre  français  s'endormit  pour  toujours* 

—  France,  conduis  ta  sœur  chérie, 

Dit  son  vieux  roi  quittant  la  vie; 
Allez  d'un  pas  égal  vers  le  grand  avenir 

Auquel  le  destin  vous  appelle  ; 

Toi  sois  la  forte,  elle  est  la  belle; 

Et  vous  verrez  la  nuit  rebelle 
Fuir  l'éclat  de  vos  fronts  que  ma  main  vient  d'unir. 

Mais,  avant  que  sa  prévoyance 

Eût  consommé  cette  alliance, 
René,  pour  mieux  marquer  notre  champ  de  repos. 

S'en  vint  un  jour  sur  ces  rivages. 

Avec  sa  Cour,  ses  équipages. 

Douze  évoques  et  douze  pages. 
Et  sous  le  sable  humide  il  recueillit  nos  os... 


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460  MIRÊIO,  GANT  XI. 

Adieu,  Mirèio!...  L'ouro  volo, 

Vesèn  la  vido  que  trémolo 
Dins  toun  cors,  coume  un  lume  en  anant  s'amoussa.. 

De  davang  que  Tamo  lou  quite, 

Parten,  mi  sorre,  parten  vite  ! 

Yers'li  bèlli  cimo  es  necite 
Qu'arriben  davans  elo,  es  necite  e  pressa. 

De  roso,  uno  raubo  neyenco 

Alestissen-ié  :  vierginenco 
E  martiro  d'amour,  la  chato  vai  mouri  t 

Flourissès-Tous,  celèsti  lèio  ! 

Sànti  clarour  de  Tempirèio, 

Ëscampas-vous  davans  Mirèio!... 
Glèri  au  Paire,  em'  au  Fiéu,  em*  au  Sant-Esperit! 


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MIREILLE,  CHANT  X;!.  461 

Adieu,  Mireille!...  l'heure  vole, 

Et  ta  belle  âme  qui  s'envole 
Ne  tient  plus  à  ton  corps  que  par  un  léger  fil. .. 

Puisque  Dieu  veut  qu'elle  le  quitte, 

Devançant  cette  âme  d'élite. 

Partons,  mes  sœurs,  et  partons  vite, 
Pour  annoncer  au  ciel  son  retour  de  l'exil! 

Roses  et  lys,  blanche  tunique. 

Préparons  tout;  vierge  pudique 
Et  martyre  d'amour,  Mireille  est  à  sa  fin  ; 

Ouvrez-vous,  portes  éternelles  ! 

Inondez*la,  clartés  nouvelles  ! 

Anges  du  ciel,  battez  des  ailes! 
Et  gloire  soit  au  Père,  au  Fils,  à  l'Esprit  Saint I 


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NOTES  DU  CHANT  ONZIÈME 


i.  LabechadOf  en  italien  libecciata.  Tempête  occasionnée  par 
le  vent  du  sud-ouest  appelé  lobé,  qu*on  fait  dériver  du  grec 
Xi66voToc,  même  signification. 

2.  Plauco  (colymbe  à  crête),  podiceps  cristatus  Lin.»  oi* 
seau  de  Tordre  des  palmipèdes. 

3.  Et  dans  TEuveaune  qui  s*alimente  avec  les  pleurs  de 
Magdeleine. 

L*Huveaune,  petite  rivière  qui  prend  sa  source  à  la  Sainte- 
Baume  (Yar),  passe  à  Aubagne,  et  se  jette  dans  la  mer,  à 
Marseille,  au  bout  de  la  promenade  du  Prado. 

Une  pieuse  et  poétique  légende  attribue  son  origine  aux 
larmes  de  sainte  Magdeleine. 

A.  Sambuco  (Sambuque),  montagne  à  l'orient  d*Aix.  — -  Et- 
teréu  (Estérel),  montagne  et  forêt  du  département  du  Var.  — 
Mourven  de  la  Trevaresso  :  mourven,  genévrier  de  Phénicie. 
—  La  Trévaresse,  chaîne  de  montagnes  entre  la  Touloubre, 
la  Durance  et  le  canal  de  Graponne. 

5.  Sant'Pieloun  (Saint-Pilon).  Voy.  chant  VII,  note  12. 

6.  La  gravaduro  peirounenco  (la  trace.gravée  dans  la  pierre). 
On  a  vu,  dans  le  récit  des  Saintes  Maries,  que  la  barque  des 
saints  proscrits  aborda  à  Textrémité  de  Tile  de  Camargue.  Ces 
premiers  apôtres  des  Gaules  remontèrent  le  Rhône  jusqu'à 
Arles,  et  de  là  se  dispersèrent  dans  le  Midi.  On  dit  même  que 
Joseph  d'Arimathie  alla  jusqu'en  Angleterre.  Telle  est  la  tra- 


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NOTES  DU  CHANT  XJi.  463 

dition  arlésienne.  U  tradition  des  habitants  des  Baux  reprend 
alors  et  continue  l'odyssée  des  saintes  femmes  :  elle  dit  que 
ees  dernières  Tinrent  prêcher  la  foi  dans  les  Alpines,  et  que 
pour  éterniser  le  souvenir  de  leur  prédication,  elles  gravèrent 
miraculeusement  leurs  effigies  sur  un  rocher.  Au  levant  du  ro- 
cher des  Baux,  on  voit  encore  ce  mystérieux  et  antique  mo- 
nument; c*est  un  énorme  bloc  détaché,  debout  sur  le  pen- 
chant d*un  précipice,  et  taillé  en  aiguille.  Sur  sa  face  orientale 
sont  sculptées  trois  figures  grandioses,  objets  de  la  vénération 
des  populations  voisines. 


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GANT  D0U6EN 


LA  MORT 


Lou  puis  dis  trange.  —  Li  Stnto  remounton  au  paradis.  ^  Lou  paire 
emë  la  maire  arribon.  —  Li  Santen  mounton  Mirèio  à  la  capello 
auto,  ouate  i'a  li  relicle  ••  La  glèisc  di  Sinti  Mario.  —  Li  eupli- 
cacioun.  —  La  pli^o  camargoenco.  —  Vincèn  arribo  et  sa  doulour 
desboundo.  —  Lou  cantico  di  Santen.  —  Darriero  vesioun  de 
Mirèio  :  vèi  li  Sànti  Mario  emplanado  dins  la  mar.  —  Darriero  pa- 
raulo  e  luminouso  mort  de  la  chatouno.  —  Li  coumplancho,  la  de- 
sesperanço. 


Au  païs  dis  arange,  à  Touro 

Que  lou  jour  de  Dieu  s'esTapouro  ; 
E  que  li  pescadou,  qu'an  cala  si  jambin, 

Tiron  si  barco  àja  calanco; 

E  que,  leissant  parti  la  branco. 

Sus  la  cabesso  vo  sus  l'anco 
Li  chato  en  s'ajudant  cargon  si  plen  gourbin  ; 

Di  ribo  ounte  TArgèns  ^  varaio, 
Di  piano,  di  coulet,  di  draio, 

S'enausso  peralin  un  long  Cor  de  cansoun. 
Mai  belamen  de  la  cabruno, 
Gant  d'amour,  èr  de  cantabruno, 
Pau-à-pau  dins  li  colo  bruno 

S'esperdon,  e  Tèn  Toumbro  emé  la  îanguisoun. 


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CHANT  DOUZIÈME 


LA    MORT 


Le  ptys  des  orançes.  — Les  Saintes  remonlont  dans  1c  ciel.— Arrivée 
du  père  et  de  la  mère.  —  Les  Saintins  montent  Mireille  à  la  cha- 
pelle haute,  où  sont  déposées  les  reliques.  —  L'église  des  Saiot«is 
Maries.  —  Les  supplications.  —  La  plage  de  Camargue.  —  Arrivée 
de  Vincent,  éclat  de  sa  douleur.  —  Le  cantique  des  Saintins.  — 
Dernière  vision  de  Mireille  :  les  Saintes  Maries  lui  apparaissent 
sur  la  haute  mer.— Dernières  paroles  et  radieuse  mort  de  la  jeune 
fille.  —  Les  plaintes,  le  désespoir. 


Au  pays  que  l'orange  dore, 
Quand  le  jour  de  Dieu  s'évapore, 
^^Quand  le  pécheur,  ayant  tendu  tous  ses  engins. 
Revient  à  sa  cabane  blanche, 
Et  que,  laissant  partir  la  branche. 
Ou  sur  la  tête  ou  sur  la  hanche. 
Les  femmes  s'entr'aidant  chargent  leurs  paniers^pleîiit; 

Des  bords  ou  TArgens  se  dessine. 

Des  bois,  des  champs,  de  la  colline. 
Un  long  chœur  de  chansons  s'élève  vers  la  nuit. 

Mais  tour  à  tour,  cris  d'hirondelle. 

Chants  d'amour  de  la  pastourelle, 

Airs  de  chalumeau,  péle-méle. 
Tout  s'éteint...  la  nuit  tombe  et  le  calme  la  suit. 

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466  MlRElO,  GANT  XII. 

Di  Mario  que  s'envoulavon 

Ansin  li  paraulo  cala  von, 
CalaTOQ  pau-à-pau,  de  ni?o  en  nivo  d'or  : 

Semblavo  un  resson  de  canlico, 

Semblavo  uno  liuencho  musico 

Qu'en  dessus  de  la  glèiso  anlico 
S'enanaTO  emé  Tauro.  £lo,  sèmblo  que  dor 

E  que  pantaio  ageiuouiado, 

E  qu'uno  estranjo  souleiado 
Encourouno  soun  front  de  nouvèlli  bèuta. 

Maiy  dins  lis  erme  e  li  jouncado, 

Si  vièi  parent  tant  l'an  cercado 

Qu'à  la  perfin  l'an  destouscado; 
£  dre,  souto  lou  porge,  alucon  espanta. 

Prenou  pamens  d'aigo  signado, 
Mandon  au  front  sa  man  bagnado. 

Sus  lou  bard  que  respond  e  la  femo  e  lou  viôi 
Dedins  s'avançon...  Espaurido 
Goume  quand  subran  uno  trido 
Yèi  li  cassaire.:  Moun  Dieu!  crido. 

Paire  e  maire,  ounte  anas?. —  E  de  vèire  quau  vèi, 

Mirèio  toumbo  aqui.  Sa  maire, 

Em'  un  visage  lagremaire, 
lé  cour,  e  dins  si  bras  l'aganto,  e  ié  disié  : 

—  Qu'as,  que  toun  front  es  caud  que  brulo? 

Noun  es  pa  'n  sounge  que  m'embulo. 

Es  eb  |u'à  mi  pèd  barrulo. 
Es  elo,  es  moun  enfant  t.. .  —  E  plouravo,  e  risié. 


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MIREILLE,  CHANT  XIL  467 

Du  groupe  divin  qui  s'envole, 

Ainsi  s'éteignait  la  parole, 
En  montant  lentement  vers  les  nuages  d'or , 

Gomme  l'écho  d'un  saint  cantique, 

Qu'au-dessus  d'une  Basilique, 

L'air  emporte...  A  l'église  antique, 
Mireille  est  à  genoux;  on  dirait  qu'elle  dort, 

Et  qu'elle  rêve  et  que  les  Anges, 

Par  des  rayonnements  étranges 
D'une  beauté  nouvelle  illuminent  ses  traits... 

Mais  ses  parents  l'ont  tant  cherchée, 

Qu'aux  lieux  qui  la  tenaient  cachée, 

A  la  fin,  ils  l'ont  dénichée  ; 
Et  debout  sous  le  porche,  ils  sont  là  stupéfaits  ! 

Après  avoir,  selon  le  rite, 

Trempé  leur  main  dans  l'eau  bénite, 
Sur  le  sol  résonnant  la  femme  et  le  vieillard 

S'avancent  à  pas  lents...  Mireille, 

Au  bruit  qui  frappe  son  oreille, 

Sort  de  son  extase,  s'éveille. 
Et  de  ses  vieux  parents  rencontrant  le  regard. 

Tombe  là,  muette...  Sa  mère 

Courant  vers  elle,  la  première, 
La  saisit  dans  ses  bras,  et  folle  en  ses  douleurs  : 

Qu'as-tu?  qu'as-tu?  lui  disait-elle, 

Ton  front  brûle...  ô  ma  fille  belle I... 

Et  pendant  qu'elle  l'interpelle, 
iJn  rire  convulsif  se  mêlait  à  ses  pleurs. 


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468  MIRÊIO,  GANT  XIL 

—  MirèiOy  ma  bello  migiioto. 
Es  iéu  que  sarre  ta  manoto, 

léu  touQ paire!...  E  lou  vièi,  que  la  douleur  esten 
lé  recaufavo  si  man  morte. 
Lou  vent  déjà  pamens  emporto 
La  grand  nouvello  :  à  plen  de  porto, 

Dins  la  gièiso,  esmougu,  s'acampon  li  Santen  >. 

—  Mountas-la,  mountas  la  malauto! 
Venien  ;  à  la  capello-z-auto 

Mountas-la,  tout-d'un-tèms  !  que  toque  li  sants  os  ! 
Dins  si  caisse  miraclejanto 
Que  baise  nôsti  grandi  Santo 
De  si  bouqueto  aogounisanto  !  — 

Li  femo  tout-d'un-tèms  Tarrapon  entre  dos. 

De-pèr-d'aut  de  la  gièiso  belle. 

Ta  tr«f  autar,  i'a  très  capello 
Bastido  uuo  sus  Tautro  en  blo  de  roucas  viài. 

Dins  la  capello  sousterrado 

Ta  Santo  Saro,  venerado 

Di  brun  Bôumian;  mai  aubourado, 
La  segoundo  es  aquelo  ounte  èi  Tautar  de  Dieu. 

Sus  11  pieloun  dôu  santuâri, 

La  capeleto  mourtuàri 
Di  Mario,  amoundaut,  s'enarco  dins  lou  cèii, 

'Mé  li  relîcle,  sànti  laisse 

D'ounte  la  gràci  coule  à  raisso... 

Quatre  clau  pestellon  li  caisse, 
Li  caisse  de  ciprés  emé  si  curbecèu. 


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MIREILLE,  CHANT  XII.  469 

—  Mireille  !  ma  belle  mignonne, 
Sens-tu  la  main  que  je  te  donne  ? 

Parle,  disait  Ramou  réchauffant  dans  ses  mains 

Sa  pauvre  fille  à  demi-morte... 

Dans  un  instant,  le  vent  emporte 

La  nouvelle  de  porte  en  porte, 
Et  dans  réglise,  émus,  s'assemblent  les  Saintins. 

—  Au  chœur  de  la  chapelle  haute. 
Disaient-ils,  montez-la  sans  faute  ; 

Qu'elle  touche  les  os,  les  os  miraculeux! 
Oh!  oui  !  que  ses  lèvres  éteintes, 
S'appliquent  aux  reliques  saintes  !  — 
Et  dans  leurs  pieuses  étreintes 

Les  femmes  sur-le-champ  la  saisissent  à  deux. 

L'église,  Tune  des  plus  belles. 
Se  subdivise  en  trois  chapelles. 
Portant  l'une  sur  l'autre  en  blocs  de  rochers  vifs. 
Dans  la  plus  basse,  retirée, 
Est  sainte  Sara,  vénérée 
Des  Bohémiens  à  peau  cuivrée  ; 
L'autre  au-dessus  du  sol  élève  ses  massifs  ; 

Sur  les  piliers  du  sanctuaire. 

Est  la  chapelle  mortuaire 
Des  Saintes,  élevant  sa  voûte  dans  les  cieux. 

Là,  dans  des  châsses  magnifiques. 

Reposent  les  sainles  reliques  ; 

Trésor,  dont  des  caisses  antiques 
Gardent,  sous  quatre  clefs,  le  dépôt  précieux. 


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470  MIKÈIO,  GANT  XII. 

Un  cop,  chasque  cent  an,  H  duerbon  : 
Urous,  urous,  quand  li  descuerbon, 

Aquéu  que  pôu  li  vèire  e  li  touca!  bèu  tems 
Aura  sa  barco  e  bono  estello, 
E  de  sis  aubre  li  jitello 
Auran  de  frucho  à  canestello, 

E  soun  amo  cresènto  aura  lou  bon  toustèms. 

Uno  bello  porto  de  cbaine 
Hejoun  aquéu  sacra  doumaine, 

Richamen  fustejado,  e  doun  di  Béu-Gairen. 
Mai  subre-tout  ço  que  Taparo, 
Noun  es  la  porto  que  lou  barro, 
Noun  es  lou  barri  que  Tembarro  : 

Es  Taflat  que  ié  vèn  di  relarg  azuren» 

La  malauto  à  la  capeleto, 
Dins  la  Tiseto  Tirouleto 

lia  mountèron.  Lou  prèire,  en  subrepelis  blanc, 
Buto  la  porto.  Dins  la  pôusso, 
Goume  un  ôrdi  grèu  de  si  dôusso^ 
Qu'un  fouletoun  subran  espôusso, 

Téuti  sus  lou  bardât  s'aboucon  en  quilant  : 

0  bèlli  Santo  umanitouso, 
Santo  de  Dieu,  Santo  amistouso  ! 

D'aquelo  pauro  chato  agués,  agués  pieta! 
—  Agués  pieta  I  la  maire  crido. 
Vous  adurrai,  se  *n-co  's  garido, 
Moun  anèu  d'or,  ma  crous  flourido, 

E  pèr  yilo  e  pèr  champ  iéu  l'anarai  canta! 


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MIREILLE,  CHANT  XH.  l71 

Une  fds  par  siècle  on  les  ouvre  : 

Bienheureux,  lorsqu'on  les  découvre. 
Celui  qui  peut  les  voir  et  surtout  les  toucher! 

Il  a  beau  temps,  et  bonne  étoile; 

11  peut,  endormi  sous  sa  voile, 

Attendre  qu'au  ciel  se  dévoile 
Ce  bonheur  qu'ici-bas  il  s'épuise  à  chercher. 

Au  seuil  de  ce  sacré  domaine. 

Se  trouve  une  porte  de  chêne, 
Présent  des  Beaucairois  et  d'un  travail  exquis; 

Mais  sa  défense  la  plus  sûre 

N'est  ni  la  clef  ni  la  serrure. 

Ni  le  haut  rempart  qui  le  mure, 
C'est  la  faveur  qui  vient  des  célestes  parvii. 

Donc,  à  la  plus  haute  chapelle. 

Par  l'escalier  de  la  tourelle. 
On  monte  la  malade  ;  un  prêtre  à  surplis  blanc 

Parait  et  force  le  passage. 

A  son  aspect,  tout  l'entourage 

Comme  un  blé  mûr  sous  un  orage, 
S'incline,  se  prosterne  et  sur  un  ton  dolent  : 

—  Saintes,  dit-il.  Saintes  puissantes! 
Saintes  de  Dieu,  Saintes  aimantes! 

De  cette  pauvre  enfant,  ayez,  ayez  pitié !.•• 

—  Pitié  !  disait  Jeanne-Marie, 
Et  si  par  vous,  elle  est  guérie, 
Je  vous  promets  ma  croix  fleurie» 

Et  le  miracle  au  loin  en  sera  publié! 


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47d  MIRËIO,  GANT  XII. 

—  0  Santo,  acè  's  ma  pesqueirolo! 

0  Santo,  acè  's  ma  denierolo  I 
Gémis  Mèste  Ramoun  en  turtant  dins  Toumbrun 

Emé  sa  tésto  atremoulido. 

0  Santo,  à-n-elo,  qu'es  poulido, 

Innoucentouno,  enfentoûlido, 
La  vido  ié  counvèn  :  mai  iéu»  yièi  sabourun. 

léu,  mandas-me  fuma  li  maulo!... 

Lis  iue  barra,  sénso  paraulo, 
Mirèio  éro  estendudo.  Ëro  alor  sus  lou  tard. 

Pèr  que  l'auro  tamarissiero 

Reviscoulésse  la  masiero, 

Dessus  li  lauso  téulissîero 
L'avien  entre-pausado,  en  yisto  de  la  mar. 

Car  lou  pourlau  (qu'es  la  parpello 

D'aquelo  benido  capello). 
Regarde  sus  la  glèiso  :  alin,  pereilalin, 

D'aqui  se  vèi  la  blanco  raro 

Que  joun  ensèn  e  desseparo 

Lou  céu  redoun  e  Taigo  amaro; 
Se  yèi  de  la  grand  mar  l'eterne  remoulin. 

De-longo  lis  erso  foulasse 
Que  s'encayaucou,  jamai  lasso 

De  s'esperdre  en  bramant  dins  li  mouloun  sablous; 
De-vcrs  la  terro  une  planuro 
Qu'a  gens  de  fin  ;  pas  une  auturo 
Qu'à  soun  entour  fague  centuro; 

Un  céu  inménse  e  clar  çus  d'ern^e  espetacloui. 


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MIREILLE,  CHANT  XIL  i73 

—  0  Saiates,  c'est  là  ma  fortune! 

C'est  ma  fille,  je  n'en  ai  qu'une  ! 
Disait  mattre  Ramon  heurtant  les  bancs  de  bois 

Avec  sa  tête  qui  chancelle  ; 

Qu'elle  vive  I  elle  est  jeune  et  belle  ; 

Moi,  je  suis  vieux,  la  mort  m'appelle. 
C'est  moi  qui  dois  mourir;  à  l'ombre  de  la  Croix, 

Creusez  ma  tombe  au  cimetière...  — 

Cils  abaissés,  tête  en  arriére, 
Mireille  était  gisante;  on  n^y  voyait  plus  clair; 

Pour  que  la  pauvre  créature 

Respire  une  brise  plus  pure. 

Sur  les  dalles  de  la  toiture, 
On  l'avait  déposée  en  face  de  la  mer. 

Car  l'ouverture  par  laquelle 

S'éclaire  la  haute  chapelle. 
Mène  au  toit  qui  s'étend  en  face  de  l'autei  ; 

On  voit  de  là  la  ligne  ronde 

Qui,  là-bas,  loin,  au  bout  du  monde, 

Divise  et  joint  le  ciel  et  l'onde  ; 
On  voit  la  mer,  avec  son  murmure  éternel , 

Avec  ses  vagues  insensées 

Qui,  l'une  sur  l'autre  entassées. 
S'élancent  vers  le  sable  où  leur  rage  se  perd  ; 

De  l'autre  côté,  c'est  la  tcrre^ 

Uniforme,  sans  une  pierre. 

Sans  un  seul  tertre  qui  l'enserre  ; 
Un  ciel  immense  et  pur  sur  un  vaste  désert; 


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lU  MIRÈIO,  GANT  IIL 

De  clarinèlli  tamarisso 

Au  mendre  vent  boulegadisso  ; 
De  long  campas  d'engano,  e  dins  Toundo  pér-fes 

Un  vôu  de  ciéune  que  s'espurgo  ; 

0  bèn,  dins  la  sansouiro  turgo, 

Uno  manado  que  pasturgo, 
0  que  passo  en  nadant  l'aigo  déu  Vacarés  K 

Mirèio  enfin,  d*un  parla  feble, 

A  murmura  quàuqui  mot  trahie  : 
De-yers  la  terro,  dis,  emé  de-vers  la  mar 

Sente  yeni  dos  alenado 

Uno  di  dos  èi  serenado 

Goume  l'alen  di  matinado  ; 
Mai  l'autre  es  espannado,  ardènto,  e  sent  Tamar* 

E  se  teisè...  De-yers  la  piano, 

E  de-yers  lis  oundo  salano, 
Li  Santen  sus-lou-cop  regardèron  yeni  : 

E  n'en  yeson  un  qu'esfoulisso 

De  reyoulun  de  terro  trisso 

Dayans  si  pas;  li  tamarisso 
Parèisson  davans  eu  s'encourre  e  demenî. 

Es  Yinceuet  lou  panieraire!... 

Oh!  paure  drôle  e  de  mau-fraire! 
Soun  paire  Mèste  Âmhroi  pas-pu-lèu  i'aguè  di  : 

Moun  fiéu,  sara  pas  pèr  ti  hrego 

J^u  poulit  hrout  de  falahrego! 

Que  tout-d'un-tèms  de  Valabrego, 
Pèr  la  vèire  enca  *a  cop,  parte  coume  un  handit. 


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MIREILLE,  CHANT  XU.  475 

Des  tamaris  au  clair  feuillage  ; 

A  leurs  pieds  une  herbe  sauvage 
Qui  tapisse  le  sol,  et  dans  Ponde  parfois 

Un  vol  de  cygnes  qui  s'épure  ; 

Ou  bien,  dans  la  maigre  verdure,. 

Un  troupeau  de  bœufs  qui  pâture, 
Ou  qui  traverse  un  lac  pour  atteindre  le  bois. 

Mireille  enfin,  agonisante, 

Murmure  d'une  voix  tremblante  : 
—  Le  côté  de  la  terre  et  celui  de  la  mer 

M'apportent  une  double  haleine  ; 

L'une  des  deux  me  rassérène  ; 

L'autre  au  contraire  ne  m'amène 
Que  trouble,  inquiétude  et  désespoir  amer. 

Et  vers  la  mer  et  vers  la  plaine 

Promenant  leur  vue  incertaine. 
Les  Saintins  aussitôt  voulurent  voir  venir  : 

Soudain,  à  très  grande  distance. 

Parait  un  homme  qui  s'avance 

A  travers  la  savane  immense. 
Et  si  léger  que  l'air  semble  le  soutenir. 

C'était  Vincent,  l'amant  fidèle 

Qu'agite  une  frayeur  mortelle, 
Et  qui,  dès  que  son  père  eut  brisé  son  espoir. 

Le  cœur  rempli  de  son  amante, 

Avait  repris  sa  marche  errante, 

Et  voulu,  dès  l'aube  naissante, 
Une  dernière  fois  essayer  de  la  voir. 


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476  MIRËIO,  GANT  Xll. 

£n  Grau  ié  dison  :  Es  i  Santo. 

Rose,  palun,  Grau  alassanto, 
Rèn  Tayié  detengu  de  courre  enjusqu'i  tes. 

Mai  pas-pu-léu  es  dins  la  gléiso, 

Pas-pu-lèu  ?èi  aquelo  prèisso, 

Pale»  sus  lis  artèu  se  drèisso, 
E  cridaTO  :  Mounte  es?  ensignas-me  mounte  esf 

—  Es  ainoundaut  à  la  capello, 

Dins  uno  angôni  que  trampello  !  — 
E  lèu  coume  un  perdu  mounte  lou  marridoun. 

Entre  la  vèire,  vers lespàci 

Levé  si  man  einai  sa  fàci  : 

Pèr  encapa  tàli  desgràcî» 
A  Dieu»  cridè  lou  paure»  à  Dieu  que  i'ai  fa  dounc? 

Âi-ti  coupa  la  gargamello 

En  quau  tetére  li  mamello  ? 
Escumerga,  m'an  vist  abra  moun  cachimbau 

Dins  uno  glèiso  à  la  viholo? 

0  tirassa  dins  lis  auriolo 

Lou  Grucefis,  à  la  Jusiolo? 
Qu'ai  fa,  malan  de  Diéul  pèr  agué  tant  de  mau? 

Pas  proun  que  me  Tan  refusado, 
Enca  me  Tan  martirisado  ! 

E  'mbrassé  soun  amigo  ;  e  de  vèire  Vincén 
De  la  grand  forço  que  trenavo, 
Lou  mounde  foui  qu'envirounavo 
Sentien  soun  cor  que  tresanavo, 

E  pôr  eu  trasien  peno,  e  plouravon  ensèn. 


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MIREILLE,  CHANT  XII.  477 

Quand  il  sut  qu'elle  était  aux  Saintes, 
Ni  temps,  ni  fati^es,  ni  craintes, 
N'arrêtèrent  ses  pas  jusqu'aux  Ilots  lointains  ; 
Mais  dès  qu'il  entre  à  la  chapelle, 
Dans  son  anxiété  cruelle  : 

—  Saintins!  dit-il,  où  donc  est-elle? 
Dites,  dites-le-moi,  charitables  Saintins  !  — 

—  Elle  est  là  haut,  la  pauvre  fille. 
Gomme  une  lampe  qui  vacille,  — 

Lui  dit-on  ;  et  Vincent  y  monte  d'un  seul  trait; 
Et  l'apercevant,,  de  la  porte. 
Pâle,  étendue,  à  demi-morte  : 

—  Mais  pour  me  traiter  de  la  sorte, 

0  Dieu,  s'écria-t-il,  mais  que  t'ai-je  donc  fait? 

Âi-je  coupé  la  gorge  à  celle 

Qui  m'allaita  de  sa  mamelle  ? 
Ai-je  allumé  ma  pipe  aux  lampes  du  saint  lieu? 

Ai-je  pillé  les  sacristies? 

Ai-je  traîné  dans  les  orties 

La  Croix  ou  les  Saintes  Hosties? 
Mais  encore  une  fois,  que  t'ai-je  fait,  mon  Dieu  ? 

J'admets  qu'ils  me  l'aient  refusée  ; 

Mais  me  Tavoir  martyrisée!...  — 
Et  pendant  qu'il  parlait,  la  prenant  sur  son  cœur. 

Il  l'embrassait  avec  tendresse; 

Et  sympathique  à  cette  ivresse 

La  foule  autour  de  lui  se  presse 
S'afQige  de  sa  peine  et  pleure  son  malheur. 


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478  MIRÈIO,  CANT  XII. 

E  coume,  i  vabre  d'uno  coumbo, 

Lou  brut  d'un  gaudre  que  trestoumbo 
Vai  esmôure  lou  pastre  amount  sus  li  cresten, 

Déu  founs  de  la  gléiso  mountavo 

La  voues  dôu  pople  que  cantavo, 

Ë  tout  lou  temple  ressautavo 
Déu  cantico  tant  béu  que  sabon  li  Santen  : 

—  0  Santo,  bèlli  mariniero 

Qu*avès  chausi  iiôsti  sagniero 
Pèr  i'auboura  dins  Ter  la  tourre  e  li  merlet 

De  Tosto  glèiso  roussinello, 

Goume  fara  dins  sa  pineilo 

Lou  marin,  quand  la  mar  bacello, 
Se  ié  mandas  pas  léu  >oste  bon  ventoulett 

Goume  fara  la  pauro  avuglo? 

Âh!  noun  l'a  sàuvi  nimai  buglo 
Que  poscon  ié  gari  soun  lamentable  sort; 

E,  sens  muta,  tout  lou  jour  isto 

En  repassant  sa  vido  tristo... 

0  Santo,  rendès-ié  la  visto, 
Que  i'oumbro,  e  toujour  i'oumbro,  es  pire  que  la  mort! 

Rèino  de  Paradis,  mestresso 

De  la  planuro  d'amaresso, 
Glafissès,  quand  vous  plais,  de  péis  nôsti  fielat  : 

Mai  à  la  foulo  pecadouiro 

Qu'à  vosto  porto  se  doulouiro, 

0  blànqui  flour  de  la  sansouiro, 
S*èi  de  pas  que  ié  fau,  de  pas  emplissès«1al 


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MIREILLEl,  CHANT  XII.  479 

Et  comme  au  fond  d'une  vallée 

Quand  roule  une  onde  échevelée, 
Le  bruit  en  monte  au  pâtre  assis  sous  les  grands  pins; 

Ainsi,  vers  Mireille  mourante, 

Montait  la  voix  retentissante 

Du  peuple  en  prière  qui  chante 
Le  cantique  si  beau  que  savent  les  Saintins  : 

—  0  Saintes  !  belles  marinières  ! 

Qui  sur  nos  humides  frontières 
Avez  daigné  bâtir  vos  tours  et  vos  créneaux! 

Que  deviendra,  dans  la  tourmente, 

Le  voyageur  que  la  mer  tente. 

Si  votre  main  compatissante 
Ne  mesure  la  brise  à  Taile  des  vaisseaux? 

Qui  soutiendra,  dans  son  épreuve, 

I^a  pauvre  femme  aveugle  et  veuve, 
Si  vous  n'adoucissez  la  rigueur  de  son  sort? 

Elle  est  là,  triste  et  solitaire. 

Se  rappelant  sa  vie  entière... 

Saintes  !  rendez-lui  la  lumière, 
La  nuit,  toujours  la  nuit,  c'est  pire  que  la  mortf 

0  grandes  Saintes,  souveraines. 

Des  mers  qui  baignent  ces  domaines. 
Sur  un  signe  de  vous  s'emplissent  nos  filets... 

Sauvez-nous  de  tous  les  naufrages. 

Aux  cœurs  troublés  par  les  orages. 

Suaves  fleurs  de  nos  rivages  ! 
Si  c'est  la  paix  qu'il  faut,  de  paix  emplissez-les!  — - 


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480  MIRÈIO,  GANT  XII. 

Ansm  li  bon  Santen  pregavon, 

Emé  de  crid  que  vous  trancavon! 
£  Keici  que  li  Santo  à  la  pauro  que  jai 

Boufèron  un  brisoun  de  voio  ; 

E  sa  caro  un  brisoun  galoio 

S'enflourè  d'uno  douço  joio, 
Car  de  véire  Yincèn  i'agradé  que-noun-sai . 

—  Moun  bel  ami,  de  mounte  vènes? 

lé  faguè.  —  Digo,  t'ensou^ènes 
De  la  fes  qu'emé  tu  parlavian  eila  au  mas, 

Asseta  'nsèn  souto  la  triho  ? 

Se  quauque  mau  te  desvarlo. 

Courre  léu  i  Sànti  Mario, 
Me  diguères  alor,  auras  léu  de  soûlas... 

0  Vincenet,  que  noun  pos  ▼èire 
Dins  moun  cor  coume  dins  un  véire  ! 

De  soûlas,  de  soûlas,  n'en  regounflo  moun  cori 
Moun  cor  es  un  lauroun  que  verso  : 
Abelimen  de  touto  merço, 
Gràci,  bonur,  n'ai  à  re verso  !... 

Dis  Ange  dôu  bon  Dieu  entre-vese  li  cor... 

Aqui  Mirélo  s'abaucavo, 

E  dins  l'estendudo  alucavo  : 
Sembla vo,  peralin  au  fin  founs  de  Ter  blu, 

Véire  de  cause  espetaclouso. 

Piéi  sa  paraulo  nivoulouso 

Reeoumençavo  :  Urouso,  urouso 
Lis  amo  que  la  car  en  terro  detén  plu 


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MIREILLE,  CHANT  XIL  4M 

Ainsi,  sous  la  chapelle  antique, 

Retentissait  le  saint  cantique  ; 
£t  les  Saintes  alors,  à  Mireille  qui  git. 

Redonnèrent  un  peu  de  vie  ; 

Et  sur  sa  figure  pâlie. 

Parut  une  heureuse  embellie. 
Car  Taspect  de  Vincent  ravivait  son  esprit. 

—  D'où  viens-tu,  mon  ami  fidèle, 

Oh!  d'où  viens-tu  ?  lui  disait-elle. 
Te  souvient-il  qu'un  soir,  dans  un  récit  charmant^ 

Assis  ensemble  sous  la  treille. 

Tu  murmurais  à  mon  oreille  : 

Si  jamais  vous  souffrez,  Mireille, 
Vite  aux  Saintes,  c'est  là  qu'est  le  soulagement  I 

Ah!  Vincent,  si  tu  pouvais  lire 

Sous  les  palmes  de  mon  martyre, 
Tu  comprendrais  combien  fut  sage  ton  conseil; 

Dans  mon  cœur  que  la  grâce  inonde, 

Espoir,  bonheur,  tout  surabonde  ; 

Je  plane  au-dessus  de  ce  monde, 
Et  j'en  découvre  un  autre  au  delà  du  soleil  1  .—* 

Mireille  alors  portait  sa  vue 

Aux  limites  de  l'étendue. 
Et  disait  voir  au  loin,  dans  les  clartés  de  l'air. 

Les  choses  les  plus  merveilleuses; 

Puis  en  paroles  nébuleuses. 

Elle  ajoutait  :  —  0  bienheureuses 
Les  âmes  que  la  mort  dégagea  de  la  «hair  1 

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m  MIRÈIO,  GAMT  XII. 

Vincèn!  as  vist,  quand  remountafoo, 
lÀ  flo  de  lume  que  jitavon!... 

Ah!  dis,  lou  libre  béu  que  se  n'en  sarié  fa, 
S*aquéli  resoun  que  m'an  dicho, 
Fin-que  d*uno,  s'èron  escricho  !  — 
Yiocèo,  que  lou  plourun  esquicho, 

I^aché  mai  soon  gounflige  un  moumen  estoufa  : 

—  Batto  Us  agué  visto  !  basto  ! 

Eu  cridé,  coume  uno  langasto 
Me  sariéu  à  si  raubo  arrapa  tout  bramant... 

Oh!  i'auriéu  di,  rèino  ceièsto, 

Soulet  recàti  que  nous  résto, 

Prenès-me  lis  iue  de  la  tèsto, 
E  li  dent  de  la  boueo,  e  li  det  de  la  man! 

Mai  elo,  ma  bello  fadeto, 

Oh!  rendès-me-la  gaiardeto!.., 
—  Velèi  !  velèi  veni  'mé  si  raubo  de  lin 

Elo  subran  se  bouto  à  faire. 

E  'n  boulegant  pèr  se  desfaire 

D*entre  la  faudo  de  sa  maire, 
De  la  man  vers  la  mar  fasié  signe  eilalin. 

Quatecant  tôuti  se  dreissèron, 

De-yers  la  mar  téuti  fissèron, 
E  la  man  sus  lou  front  :  —  Eilalin  descurbèn, 

Venien  entre  éli,  rèn  pèraro, 

Senoun  alin  la  blanco  raro 

Que  joun  lou  céu  e  l'aigo  amaro...    . 
NouP;  se  véi  rèn  yéni...  —  Si  !  si!  regardas  bèn\ 


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MIREILLE,  CHANT   XU.  483 

Mon  doux  Vioeent,  les  as-tu  vues 

Quand  elles  remontaient  aux  nues, 
Brillantes  de  clartés?...  Quel  beau  livre  on  eût  fait, 

Des  paroles  qu'elles  m'ont  dites, 
s      Si  la  plume  les  eût  écrites  !  — 

Mais  pris  par  des  transes  subites. 
Les  larmes  dans  les  yeux,  le  visage  défait  : 

—  Ah!  oui,  que  ne  les  ai-je  vues 

Quand  elles  remontaient  aux  nues! 
Reprit-il,  car  alors  leur  barrant  le  chemin. 

Je  leur  aurais  dit  :  —  Cour  céleste, 

Seule  ressource  qui  me  reste, 

Donnez-moi  donc  plutôt  la  peste, 
Prenez  mes  yeux,  mes  dents,  et  les  doigts  de  ma  main, 

Mais  elle,  Tamour  de  ma  vie, 

Qu'elle  ne  me  soit  pas  ravie!... 
—  Les  voici,  les  voici,  leur  barque  s'aperçoit! 

Mireille  alors  se  met  à  dire. 

Je  vois  leur  bouche  me  sourire  !  — 

Et  dans  son  gracieux  délire. 
Là  bas,  loin,  vers  la  mer,  elle  étendait  le  doigt. 

Et  tous  aussitôt  se  levèrent. 

Et  tous  les  regards  se  portèrent 
Vers  la  mer.  —  Mais  au  loin  nous  ne  découvrons  rien. 

Disaient-ils,  si  ce  n'est  l'écume 

Qui,  de  la  plaine  d'amertume, 

Va  se  confondre  avec  la  brume... 
On  ne  voit  rien  de  plus.  —  Si,  si,  regardez  bien  ; 


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48i  MIBÈIO,  GANT  XII. 

Soun  su  'no  barco  sénso  vélo, 

Gridè  Mirèio...  Davans  elo, 
Vesès  pas  coume  Toundo  aplano  si  revôu  ? 

Oh  I  qu'es  bèn  éli  I  L'èr  clarejo, 

E  l'alen  siau  que  li  carrejo 

Lou  mai  plan  que  pôu  voulastrejo... 
Lis  aucèu  de  la  mar  11  saludon  à  vôu. 

—  La  pauro  chato  rayassejo... 
Sus  la  marino  que  rougejo 

Vesèn  que  lou  souléu.que  vai  se  cabussa. 

—  Si!  si!  lis  èi,  fai  la  malauto; 
Boutas  !  moun  iue  noun  me  desfauto, 
E  quouro  founso,  quouro-z-auto, 

0  miracle  de  Dieu!  sa  barco  vèn  d'eiça!  — 

Mai  déjà  venié  'scouldurido, 
Coume  uno  blanco  margarido 

Que  lou  dardai  la  rimo,  entre  que  s'espandis 
E  Vincenet,  Tesfrai  dins  Tamo, 
Âgrouva  contro  aquelo  qu'amo, 
La  recoumando  à  Nosto-Damo, 

La  recoumando  i  Santo  e  Sant  dôu  Paradis. 

Avien  abra  de  candeleto... 

Cencha  de  Testolo  viôuleto, 
Venguè  lou  capelan  *mé  lou  pan  angeli 

Refresca  soun  palai  que  crèmo  ; 

lé  dounè  pièi  rouncioun  estrèmo, 

E  la  vougnè  *mé  lou  sant  crèmo 
En  sèt  part  de  soun  cors,  segound  lus  catoull. 


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MIREILLE,  CHANT  XII.  485 

Ne  Toyez-vous  pas  ces  trois  femmes 

Voguant  sur  un  bateau  sans  rames? 
Les  flots,  avec  respect,  y  viennent  affluer  ; 

Une  clarté  surnaturelle 

Scintille  autour  de  la  nacelle; 

El  du  battement  de  leur  aile, 
Les  oiseaux  de  la  mer  semblent  la  saluer... 

—  La  pauvre  enfant!...  Elle  délire!... 
Et  sur  la  mer,  elle  a  beau  dire. 

Hors  le  soleil  couchant,  rien  ne  se  voit  d'ici. 

—  Oh  !  ce  sont  bien  elles,  vous  dis-je, 
Et  leur  barque  sainte,  ô  prodige  ! 
Vers  ce  bord  même  se  dirige  ; 

Ouvrez,  ouvrez  les  rangs;  à  genoux,  les  voici!  — 

Mireille,  que  la  fièvre  agite. 

Plus  pâle  qu'une  marguerite. 
Sentait  la  chaleur  fuir  de  ses  sens  engourdis; 

Et  le  front  baissé  vers  la  terre, 

Les  pleurs  inondant  sa  paupière, 

De  sa  plus  ardente  prière, 
Vincent  la  recommande  à  tout  le  Paradis. 

On  avait  allumé  les  cierges... 

Récitant  Toffice  des  vierges. 
Arrive  alors  le  prêtre  avec  le  pain  du  ciel. 

Aliment  de  l'heure  suprême  ; 

Il  lui  fait  Tonction  extrême. 

En  Toignant  avec  le  saint  chrême 
Sur  sept  points  de  son  corps,  selon  le  rituel. 


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486  MIRËIO,  CANT  XU. 

D*aquéu  moumen  tout  èro  en  paoso  ; 

Noun  s'entendié  dessus  la  lauso 
Que  Varemus  déu  préire.  Au  flanc  de  la  paret, 

Lou  jour-fali  que  se  prefoundo 

Esvaîissié  si  clarta  bloundo, 

E  la  marine  à  béllis  oundo 
Plan-plan  venié  se  roumpre  em'un  long  chafarel. 

Ageinouia,  soun  tendre  amaire, 

Emé  sonn  paire,  emé  sa  maire, 
Trasien  de  tèms  en  tèms  un  senglut  rau  e  sourd. 

—  Anen  !  digue  Mirèio  encaro, 

La  desparlido  se  prépare... 

Anen  I  touquen-nous  la  man  aro, 
Que  dôu  front  di  Mario  aumento  la  lusour. 

A  l'eodavans,  H  flamen  rose 
CourroQ  déjà  di  bord  dôu  Rose... 

Li  tamarisso  en  ftour  coumençon  d'adoura. 
0  boni  Santo  !  me  fan  signe 
D*ana  *m'  éli,  qu'ai  rèn  à  cregne, 
Que,  coume  entèndon  is  Ensigne, 

^  barco  en  Paradis  tout  dre  nous  menara.  — 

Mèste  Ramoun  ié  digue  :  Migo, 
D'avé  'strassa  tant  de  garrigo, 

De  que  val  me  servi,  se  partes  dôu  maset? 
Car  i'afecioun  que  m'ajuda?o. 
De  tu  venié  î  La  caud  lardavo, 
Lou  fiô  di  mouto  m'assedavo... 

Mai  te  vèire  empourtavo  e  la  caud  e  la  set! 


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MIREILLE,  CHANT  XH  M 

Un  triste  et  solennel  silence 

Régnait  dans  toute  Tassistance» 
Pendant  que  le  saint  prêtre  étouffant  ses  sanglots. 

Accomplissait  son  ministère  ; 

Le  jour  mourant,  au  sanctuaire, 

Versait  une  faible  lumière, 
Et  les  vents  y  portaient  le  murmure  des  flols. 

Agenouillés,  Tàme  attendrie, 

Vincent,  Bamon,  Jeanne-Marie, 
Se  tenaient  auprès  d'elle  et  Tinondaient  de  pleurs. 

—  Allons  !  dit  Mireille  plaintife. 

Le  moment  du  départ  arrive. 

Car  une  auréole  plus  vive 
Entoure  en  ce  moment  le  front  des  Saintes  Sœurs. 

Les  flamants  roses  auprès  d'elles, 

Accourent  en  ouvrant  leurs  ailes  ; 
Les  tamaris  en  fleur  commencent  d^adorer; 

Les  bonnes  Saintes  me  font  signe 

De  les  suivre,  et  qu'en  droite  ligne 

Au  ciel,  dont  je  leur  parais  digne, 
La  nef  nous  conduira,  sans  pouvoir  s'égarer.  -* 

Ramon  lui  dit  :  —  Mireille,  amie^ 

Le  nom,  la  fortune,  la  vie, 
A  quoi  bon  tout  cela,  sans  Tamour  de  mon  cœur! 

De  toi  me  venait  le  courage. 

Et  si  mon  ardeur  à  l'ouvrage 

Parfois  me  mettait  tout  en  nage, 
Ton  aspect  emportait  la  soif  et  la  chaleur  I 


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488  MIRËIO,  GANT  XII. 

—  Se  'n-cop  veirés  à  voste  lume 
Quauque  sant-féli  que  s'alume, 

Bon  paire,  sara  iéu...  Li  Santo,  sas  la  pro, 
Scan  drecho  que  m'espèron...  Eto  ! 
Esperas-me  'oo  passadeto... 
Vau  plan,  ié«,  que  sien  malauteto... 

La  maire  alor  esdato  :  Ohl  noun,  noon,  acô  's  tropl 

Yole  pas,  vole  pas  que  mores  I 
Emé  iéu  vole  que  demores  ! 

E  pièi,  ma  Mireiouno,  e  piéi,  se  'n  cop  vas  bén, 
Anaren  ?ers  ta  tanto  Aurano 
Pourta  'n  canestèu  de  miéugrano  : 
Oi  Baus  n'èi  pas  bèn  liuen  Maiano, 

E  se  pôu  dins  un  jour  faire  lou  vai-e^Yèn  *, 

—  Noun,  es  pas  liuen,  bono  meireto! 
Mai,  boutas!  lou  farés  souleto!... 

Ma  maire,  pourgès^me  mis  ajust  blanquinéu... 

Vès  li  blanco  e  bèlli  mantiho 

Qu'an  sus  resjj^io  li  Mario! 

Quand  a  neva  sus  li  mountiho. 
Pas  tant  bléujo  éi  la  nèu,  la  tafo  de  la  néu!» 

Lou  bran  trenaire  de  garbello 

lé  crido  alor  :  Moun  tout,  ma  belle, 
Tu  que  m'aviés  dubert  toun  fres  palais  d'amour, 

Toun  amour,  éumomo  flourido  ^  ! 

Tu,  tu  pèr  quau  ma  labarido 

Coume  un  mirau  s'èro  clarido, 
E  sens  crento  jamai  di  mariidi  rumeur; 


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MIREILLE,  CHANT  Xll.  489 

—  A  votre  lampe,  d'huile  pleine. 
Quand  vous  verrez  une  phalène, 

Père,  ce  sera  moi...  les  Saintes  sur  la  nef 
Du  doigt  me  montrent  leur  patrie... 
Un  moment  !  Saintes,  je  vous  prie, 
Voyez!  je  suis  toute  meurtrie...  — 

Et  la  mère,  à  ces  mots,  éclatant  derechef  : 

—  Non,  je  ne  veux  pas  que  tu  meures; 
Je  veux  qu'avec  moi  tu  demeures; 

£t  puis,  si  le  bon  Dieu  te  rend  à  mon  amour. 
Nous  irons  chez  ta  tante  Auranne 
Porter  des  pommes,  sur  notre  âne; 
Les  Baux  sont  si  près  de  Maillane 

Qu'on  peut  faire  aisément  le  voyage  en  un  jour. 

—  Oui,  la  course  est  facile  à  faire, 
Mais  vous  la  ferez  seule,  ô  mère... 

Mère,  préparez-moi  mes  beaux  vêtements  blancs! 

Voyez  les  mantes  si  jolies 

Qu'ont  sur  Tépaule  les  Maries  ? 

Quand  il  neige  sur  les  prairies 
Lu  neige  a  des  reflets  bien  moins  étincelantt!  — * 

Le  brun  vannier,  debout  près  d'elle 

Lui  dit  alors  :  —  Mon  tout,  ma  belle, 
Toi  qui  m'avais  ouvert  ton  frais  palais  d'amour. 

Ton  amour,  aumône  fleurie, 

Rayon  par  qui  ma  triste  vie 

D'un  peu  d'espoir  fut  embellie. 
Gomme  l'est  untachot  par  un  rayon  du  jour  I 


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490  MIRfilO,  GANT  XII, 

Tu,  la  perleto  de  FrouTénço, 

Tu,  ]ou  soulèu  de  ma  jouvènço, 
Sara-ti  di  que  iéu,  ansin,  dôu  glas  mourtau 

Tant  Iéu  te  vegue  tressusanto?... 

Sara-ti  di,  vous,  grandi  Santo, 

Que  Taures  visto  angounisanto 
Ë  de-bado  embrassa  vôsti  sacra  lindau?  — 

Su  'cô-d'aqui,  la  jouveineto 

lé  respoundeguè  plan-planeto  : 
—  0  moun  paure  Yincén,  mai  qu'as  davans  lis  iue? 

La  mort,  aquéu  mot  que  t*engano, 

Qu'es?  uno  néblo  que  s'esvano 

Ëmé  li  clar  de  la  campano. 
Un  sounge  que  reviho  à  la  fin  de  la  niqe  1 

Noun^more  pas!  Iéu,  d'un  péd  proumte 

Sus  la  barqueto  déjà  mounte... 
Adieu»  adieu!...  Déjà  nous  emplanan  sus  mor! 

La  mar,  bello  piano  esniougudo, 

Déu  Paradis  éi  Tavengudo, 

Car  la  bluiour  de  Feslendudo 
Tout  à  l'entour  se  toco  emé  lou  toumple  amar. 

Ai!...  coume  l'aigo  nous  tintourlo! 

De  tant  d'astre  qu'amount  penjourlo. 
N'en  trouvarai  bén  un,  mounte  dous  cor  ami 

Libramen  poscon  s'ama!...  Santo, 

Es  uno  ourgueno,  alin,  que  canto?...  — > 

£  souspirè  l'angounisanto, 
E  revessè  lou  front,  coume  pèr  s'endourmi... 


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MIREILLE,  GUANT  XIL  491 

Toi,  la  perle  de  la  Provence, 

Toi,  fleur  de  grâce  et  d'innocence, 
Sera-til  dit  qu'ainsi,  sous  le  froid  de  la  mort, 

Je  verrai  tes  lèvres  éteintes?... 

Sera-t-il  dit,  ô  grandes  Saintes, 

Que  ni  ses  larmes  ni  ses  plaintes 
N'auront  touché  vos  cœurs  et  désarmé  le  sort?  — 

Là-dessus,  Mireille  mourante 

Lui  répondit  d'une  voix  lente  : 
—  0  mon  pauvre  Vincent,  quelle  erreur  te  séduit  ! 

La  mort,  que  tu  crains,  que  j'implore, 

N'est  qu'un  brouillard  qui  s'évapore 

Aui  premiers  rayons  de  l'Aurore  ; 
Un  songe  qui  s'envole  à  la  fin  de  la  nuit  f 

N«D,  je  ne  meurs  pas,  je  m'éveille  ! 

Tu  It reverras,  ta  Mireille!... 
Adieu,  le  veni  nous  pousse,  et  nous  gagnons  la  mer! 

La  mer,  belle  plaine  azurée, 

Du  Paradit  route  assurée. 

Car  la  voûte  de  l'Ëmpyrée 
Confine  de  tout  point  avec  le  gouffre  amer. 

Vois -tu  comme  T^u  nous  balance! 

Oh  !  parmi  tant  d'astres,  je  pense. 
Il  en  sera  bien  un  où  deux  cœurs,  sans  gémir, 

Puissent  s'aimer  et  s«  le  dire  !... 

Qu'entends-je  au  loin?  Est-ce  une  lyre...?  — 

Et  Tagonisante  soupire. 
Et  renverse  son  front  comme  pour  s'endormir... 


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4M  MIRÈIO,  GANT  XII. 

Is  èr  de  sa  risènto  caro, 
Aurien  di  que  parlaro  encaro... 

Mai  déjà  li  Santen,  à  Tentour  de  TenfaDt 
Un  après  l'autre  s'arançavon, 
E  'm*  un  cire  que  se  passavon 
Un  après  l'autre  la  signa  von... 

Atupiy  si  parent  arregardon  que  fan. 

En  liogo  d'èstre  mourtinouso, 

Ëli  la  yeson  luminouso  ; 
An  bèu  la  senti  frejo,  an  cop  descounsoula 

Noun  volon  pas,  noun  podon  crèire. 

Mai  Vincèn,  en,  quand  la  vai  vèire 

Emé  soun  front  que  pènjo  à  rèire, 
Si  bras  enregoui,  sis  iue  coume  entela  : 

—  Es  morto!...  vesès  pas  qu'es  morto?  — 
E  coume  torson  li  redorto, 

A  la  desesperado  eu  tourseguè  si  poung  ; 
Ë  'mé  si  bras  foro  di  mancho, 
Acoumencèron  li  coumplancho  : 

—  Fa  pas  que  tu  que  saras  plancho  ! 
Emé  tu  de  ma  vido  a  toumba  lou  cepoun! 

Es  morto!...  Morto?  Es  pas  poussible! 

Fan  qu'un  demôni  me  lou  sible... 
Parlas,  au  noum  de  Dieu,  boni  gènt  que  sia  'qui. 

Vautre,  avès  agu  vist  de  morto  :  • 

Digas-me  s'en  passant  li  porto 

Risoulejavon  de  la  sorte!... 
Pas  verai  qu*a  sis  èr  quasimen  lyougui? 


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MIREILLE,  CHANT  Xll. 

A  Tincarnat  qui  la  colore^ 

On  dirait  qu'elle  vit  encore... 
Nais  chacun  des  Saintins,  muni  d'un  cierge  blond. 

L'un  dernère  l'autre  s'avance. 

Et  sur  la  défunte,  à  distance, 

Jette  l'eau  bénite  en  silence... 
Les  parents  atterrés  contemplent  ce  qu'ils  font. 

Loin  que  la  vie  en  soit  absente. 

Pour  eux,  sa  face  est  rayonnante  ; 
Au  coup  qui  les  accable,  heureux  de  résister, 

Tout  leur  semble  encore  un  mystère  ! 

Mais  au  front  qui  penche  en  arriére, 

A  l'œil  dont  la  clarté  s'altère 
L'amant  infortuné  ne  pouvant  plus  douter: 

—  Elle  est  morte!  hélas,  elle  est  morte!... 
Et,  tordant  les  poings,  il  s'emporte 

Contre  le  sort  cruel  qui  lui  ravit  son  bien... 
Et  puis,  plus  tendre  en  sa  colère  : 

—  Va,  dit-il,  on  aura  beau  faire. 
Nous  aurons  le  même  suaire, 

Car  le  iil  de  tes  jours  était  aussi  le  mien  ! 

Mais  que  dis-je!  Elle  vit  peut-être.. • 
Ld  mort!  à  quoi  la  reconnaître! 

Parlez,  au  nom  de  Dieu,  vous  tous  qui  m'entourez; 
Vous  avez  dû  voir  une  morte  ! 
Dites,  quand  la  mort  nous  emporte, 
Sourit-on  jamais  de  la  sorte?... 

Les  traits  ne  sont-ils  pas  autrement  altérés? 


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404  MIRÈIO,  GAMT  XII. 

Mai  de-que  fau?...  viron  la  tèsto, 
Soun  tôuli  gounfle  !  Ah  !  n'i'a  de  rèsto  ! 

Ta  voues,  touu  dons  parla,  iéu  l'entendrai  pas  plu!. 
Aqui  de  tôuti  lou  cor  boundo. 
Un  lavàssi  de  plour  desboundo, 
Lou  crèbo-cor  au  plang  dis  oundo 

Apoundeguè  subran  un  desbord  de  senglut. 

Ansin,  dins  uuo  grand  manado. 

Se  'no  temenco  es  debanado. 
A  Tentour  dôu  cadabre  estendu  pèr  toujour, 

Nôu  yèspre  à-de-rèng,  tan  e  tauro 

Van,  souloumbrous,  ploura  la  pauro, 

£  la  palun,  e  Toundo,  e  Tauro 
De  si  doulourous  bram  restountisson  nôu  jour. 

—  Vièi  Mèste  Ambroî,  plouro  toun  drôle! 

Ai!  ai!  ai!  Vincèn  fasié,  yole, 
Santen,  que  dins  lou  cros  em  elo  m'cropourtés... 

Aqui,  ma  belle,  à  moun  auriho 

Tant-e-pièi-mai  de  ti  Mario 

Me  parlaras;...  e  de  couquiho, 
0  tempèslo  de  mar,  aqui  nous  acatcs  ! 

Bràvi  Santen,  de  vous  me  fise!... 

Fasès  pèr  iéu  ço  que  tous  dise  : 
Pèr  un  dôu  coume  aquéu  es  pas  proun  lou  ploura  \ 

Gavas-nous  dins  Tareno  molo 

Pèr  tôuti  dous  qu'une  bressolo  ! 

Aubouras-ié  'no  clapeirolo, 
Pèr  que  l'oundo  jamai  nous  posque  sépara! 


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MIREILLE,  CHANT  XII.  il5 

0  ciel  !  ils  font  la  sourde  oreille  ; 
C'en  est  donc  fait,  ô  ma  Mireille! 
Ta  voixy  ton  doux  parler,  je  ne  l'entendrai  plus!...— 
Alors,  des  yeux  de  tout  le  monde. 
Une  averse  de  pleurs  débonde, 
I  Et  de  tous  les  cœurs  à  la  ronde, 

S*échappent  des  regrets  et  des  sanglots  confus. 

Ainsi,  quand  meurt  une  génisse. 
Les  bœufs,  avant  qu'on  l'enfouisse. 

Viennent  près  du  cadavre,  étendu  pour  toujours. 
Neuf  soirs  de  suite  au  pâturage, 
De  la  mort  contempler  l'ouvrage  ; 
Et  les  vents  et  le  marécage. 

De  leurs  mugissements  retentis&ent  neuf  jours. 

I 

*  —  Oh  !  pleure,  mon  vieux  père,  pleure  ! 

Disait  Vincent;  oh!  que  je  meure! 
Et  près  d  elle,  ô  Saintins,  venez  m'ensevelir!... 

Là,  belle,  dans  nos  rêveries. 

Nous  parlerons  de  tes  Maries... 

Et  là,  de  coquilles  fleuries, 
0  tempêtes  des  mers,  puissiez- vous  nous  couvrir  ! 

Oui,  Saintins,  je  vous  en  coigure. 

Pour  un  deuil  de  cette  nature. 
C'est  peu  de  s'attendrir  et  c'est  peu  de  pleurer! 

Sous  le  sable,  où  la  vague  glisse. 

Qu'un  même  tombeau  nous  unisse! 

Qu'un  tas  de  pierres  l'affermisse. 
Pour  que  l'eau  vainement  cherche  à  nous  séparer  ! 


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496  MIRÊIO,  GANT  XII. 

E  d'enterin  qu'i  liô  mounte  èro 

Se  turtaran  lou  front  sus  terro 
Dôu  remorsy  iéu  em'  elo,  enclaus  d'un  blu  seren^, 

Souto  lis  aigo  atremoulido, 

0,  iéu  'mé  tu,  ma  tant  poulido  ! 

Dins  de  brassado  trefonlido 
Longo-mai  e  sens  fia  nous  poutounejaren 

E,  desyaga,  !ou  panieraire 

A  la  perdudo  vèn  se  traire 
Sus  lou  cors  de  Nirèio,  e  lou  desfourtuna 

Dins  si  brassado  fernetico 

Sarro  la  morto...  Lou  cantico, 

Eilavau  dins  la  glèiso  antico, 
Goume  eiçô  tourna-mai  s'entendié  ressouna  : 

0  bèlli  Santo,  segnouresso 

De  la  planuro  d'amaresso, 
Ciafîssès,  quand  vous  plais,  de  pèis  nôsti  fielat! 

Mai  à  la  foulo  pecadouiro 

Qu'à  vosto  porto  se  doulouiro, 

0  blànqui  flour  de  la  sansouiro, 
S'èi  de  pas  que  ié  fau,  de  pas  emplissès-la  ! 


Maiano  (Boucch-dôu-Rose), 
lou  bèu  jour  de  la  Candelouso  de  Can  1859. 


FIM 


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MIREILLE,   CHANT  XIL  497 

Et  pendant  qu'au  Mas  solitaire, 

ËuXy  du  front  heurteront  la  terre, 
Mous,  leur  laissant  les  pleurs,  la  honte  et  les  affrouis 

Sous  l'eau,  par  le  ciel  embellie, 

Moi  près  de  toi,  ma  si  jolie, 

Dans  notre  amoureuse  folie, 
A  jamais  et  sans  fin  nous  nous  embrasserons  !  — 

Et  le  vannier  hors  de  lui-mémç. 

Les  yeux  hagards,  la  face  blême. 
Par  un  dernier  élan  se  laissant  entraîner. 

Dans  une  étreinte  frénétique 

Serre  la  morte...  Le  cantique 

Là-bas,  dans  la  chapelle  antique. 
Vaguement,  à  nouveau,  s'entendait  résonner  : 

0  grandes  Saintes,  souveraines 

Des  mers  qui  baignent  ces  domaines, 
Sur  un  signe  de  vous  s'emplissent  nos  filelsl 

Sauvez-nous  de  tous  les  naufrages  ! 

Aux  cœurs  troublés  par  les  orages. 

Suaves  fleurs  de  nos  rivages. 
Si  c'est  la  paix  qu'il  faut,  de  paix  emplisses-les. 

La  Mignarde^  près  Aix  (BoucheMiu-Hhône), 
le  beau  Jour  de  la  Chandeleur  de  Vannée  1879. 


PI» 


32 


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NOTES  DU  CHANT  DOUZIÈME 


1,  Argèns  (Argen»),  rivière  du  département  du  Vàr. 

2.  Li  Santen  (les  Sainlins)»  habitants  de  la  ville  des  Saiates- 
xMaries 

8.  Sansouiros  (Sansouire).  (Voy.  chant  X,  note  8).  Vacarés 
IVaîcarés).  (Voy.  chant  IV,  note  10). 

4.  Maillane,  village  de  l'arrondissement  d*ArIes,  patrie  de 
Tauteur. 

5.  Oumomo  Hodtido  (aumône  fleurie),  aumône  que  le  pau- 
vre qui  Ta  reçue  donne  à  un  autre  pauvre,  poéuque  locutioo 
qui  signifie  par  extension  rare  bienfait* 


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MAGAU 

MÉLODIE  PROVENÇALE  POPULAIRE 


cbaut. 


^umo. 


0     Ma.ga    .     li,       ma    tanl         a  . 
0     Ma.  ga   .     Il,       ma   tant        ai  , 


•  ma -do,  Mens    la     tèstoau  Te.  nes.lrount *  Escoufoon 
•  mé  -  e,    B  -  cou  -  ta  un  peu  mon  gai  re-frain,   Pa-raîgl  et 


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pau    aipiesto  mi.  ba.  do  De  tambou.  rin     e    de  tîou. 

tu    se -ras    char-më-e.    Du  son  jo- yeux,   du  tam-bou- 


loun.  Ei  picn  des-  Ullo  è-pe.  raniouiUÎ  Caurocs  tomn. 
-rin.   D'é-toi-les    (Por,  le  ciel  est  plein,    L'onde  est  ctl- 


.ba.doiMa^Hses-tel-lo  pa.li.  ranQiwndie  %cLranî. 
iné-e,  Mais  quand  les  astres  te  ve-rroiit,   ils   pû-li-rontl 


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TABLE 


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TAULO 


CAKT  PROUMIÉ  —  LOU  MAS  Dl  FALABRE60 


Espottsicioun.  ~  Invoucacio(ti  au  Grist,  na,scu  dinsla  pastriho.  —  Ua 
vièi  panieraire,  Hèste  Ambrôsi,  emé  soud  drôle,  Vincèn,  van  de- 
manda la  retirado  au  Mas  di  Falabrec^o.  —  Mirèio,  fiho  de  Mèste 
Ramoun.lou  mèstre  déu  mas,  ié  fai  la  benvengudo. — Li  ràfi  après 
foupa,  fan  canta  Mèste  Ambrdsi*  —  Lou  vièi,  àutri-fes  marin,  canto 
un  coumbat  navau  ddu  Baile  Sufren.  —  Mirèio  questiouno  Vincèn. 
—  Récit  de  Vincèn  :  la  casso  di  cantarido,  la  pesco  dis  iruge,  lou 
miracle  di  Sànti  Mario,  la  courso  dis  orne  à  Nimes.  —  Mirèio  es 
espantado  e  soun  amour  pounchejo % 


CANT  SEGOUND  —  LA  CUUDO 

Mirèio  cuie  de  fueio  d'amourië  pèr  si  magnan.  —-  D'asard,  Vincèn 
lou  panieraire  passo  au  carreiroun  vesin.  —  La  chato  lou  sono. 
—  Lou  drôle  cour,  e  pèr  i'ajuda.  mounto  em'  eio  sus  Taubre.  — 
Charradisso  di  dous  enfant.  —  Vincèn  fai  la  coumparesoun  de  sa 
sorre  Vinceneto  emë  Mirèio.  —  Lou  nis  de  pimparrin.  —  La 
branco  routo.  -^  Mirèio  emé  Vincèn  toumbon  de  l'aubre.  — 
L'amourouso  chalouno  se  declaro.  —  Lou  drôle  apassiouna  des^ 
boundo.  —  La  Gabro  d*or,  la  figuiero  de  Vau-Gluso.  —  Mirèio  es 
sounado  pèr  sa  maire.  —  Escaufèstre  e  separacioun  di  cali- 
gnaire.  •••••••. «, 50 


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TABLE 


CHANT  PREMIER  »  ftB  MAS    DES  MIG0C0ULG8 

Exposition.—  Invocation  au  Christ,  ne  parmi  les  pâtres. —Un  v!e„^ 
Yannier,  Maître  Ambroise,  et  son  Gis  Vincent,  vont  demander  l'hos- 
pitalité au  Mas  des  Micocoules.  —Mireille,  fille  de  Maître  Ramon, 
le  maître  de  la  ferme,  leur  fait  la  bienvenue.  —  Les  laboureurs, 
•près  le  repas  du  soir,  invitent  Maître  Ambroise  à  chanter.  —  Le 
vieillard,  autrefois  marin,  chante  un  combat  naval  du  Bailli  de 
Sofliren.  —  Mireille  questionne  Vincent.  —  Récit  de  Vincent  :  la 
chasse  aux  cantharides,  la  pêche  des  sangsues,  le  miracle  des 
Saintes  Maries,  la  course  des  hommes  à  Nîmes.  —  Ravissement  de 
Mireille,  naissance  de  son  amour 9 


CHANT  DEUXIÈME  —  LA  CUEILLETTE 

Mireîlle  cueille  des  feuilles  de  mûrier  pour  ses  vers  à  soie.  —  Par 
hasard,  Vincent,  le  raccommodeur  de  corbeilles,  passe  au  sentier 
voisin.  —  Laieune  fille  l'appelle.  —  Le  gars  accourt,  et,  pour 
l'aider,  montAvec  elle  sur  l'arbre.  —  Causerie  des  deux  enfants. 

—  Vincent  fait  le  parallèle  de  sa  sœur  Vincenette  et  de  Mireille. 

—  Le  nid  de  pinsons  bleus.  —  La  branche  rompue.  —Mireille  et 
Vincent  tombent  de  l'arbre.  —  La  jeune  fille  déclare  son  amour. 
~  Brûlante  explosion  du  jeune  homme.— La  Chèvre  d'or,  le  figuier 
de  Vaucluse.  —  Mireille  est  rappelée  par  sa  mère.  —  émoi  et 
séparation  des  deux  amants 51 


y  Google 


504  TAULO. 


CAlfT  TBESEN  —  LA  DESCODCOUNADO 

lii  reeordo  prouvencalo.  —  An  Mas  di  Falabrego,  un  gtLÏ  roudelet 
do  chato  deacoucounon.  — Jano-Mario,  maire  de  Mirèio. — Taven, 
la  mateo  di  Bans.  —  La  malo-Tiato.  —  Li  desconcounarello  fan, 
pèr  passo-tèms,  de  eastèu  en  Prouvènço.  —  La  fiero  Laaro,  rèino 
de  Pamparigoasto.  —  Glemènço,  rèino  di  Baus.  ~  Lou  Yen  tour, 
Ion  Rose,  la  Durènço.  —  Asalaîs  e  Vi6uIano.  —  La  Court  d'amour. 
—  Lia  amour  de  Mirèio  <  }e  Viicèn  descuberto  pèr  Nourado.  — 
Li  galejado.  —  Taven  la  ntsu  iai  teisa  li  chato  :  l'ermitan  d6n 
Leberoun  e  Ion  sant  pastre.  •—  Noro  canto  Magali 88 


CAHT  aUATMai  —  LI  DEMANDAIRE 

Lon  tèmt  di  vi6uleto.  —  Li  peacadou  ddu  Martegne.  —  Très  cali- 
gnaire  v^non  demanda  Mirèio  :  Alàri  lou  pastre,  Veran  Ion  gardian, 
Onrrias  lou  toucadou.  — Alàri,  si  capitau  d'avë.  —  La  toundesoun. 

—  Visto  d'un  escabot  que  davalo  dis  Aup,  anant  en  ivernage.  — 
Entre-visto  d'Alî^ri  emë  Mirèio. —  Lis  Anticode  Sant-Roumië.  — 
Liëurèio  d6u  pastre,  lou  coucourelet  de  bonis  escrincela.  —  Alàri 
as  chabi.  —  Lou  gardian  Veran.  —  Li  cavalo  blanco  de  Gamargo. 

—  Veran  demando  Mirèio  à  Mèste  Ramoun.  —  Lou  vièi  lou  reçaup 
an  grand  joio,  Mirèio  lou  refuse.  —  Onrrias,  lou  doumtaire  de  tau. 
•—  U  brau  nègre  sauvage.  —  La  Ferrado.  —  Onrrias  e  Mirèio  à  la 
font.  »  Lou  toucadou  es  chabi 133 


CAHT  CniQUEN  —  LA  BATftSTO 

Lou  bouYatid  s*entoumo,  furious  ddu  refus  de  Mirèio.  —  Galignage 
do  Mirèio  emé  Vineèn.  —  L'erbo  di  firisoun.  —  Ourrias  rescontro 
Vineenet,  e  brutalamen  iëcerco  reno. — Li  prejit:  Jande  l'Ourse. 
—  Mourtalo  batèsto  di  dons  rivau  dins  la  Grau  vMto.  —  Vitôri  e 
generouseta  de  Vineenet.  —  Treitesso  d6u  toucadou.  —  Ourrias 
tranco  Vineèn  d'un  cop  de  ficheiroun,  e  fugis  au  galop  de  sa 
cavalo.  —  Arribo  au  Rose.  —  Li  très  barquië  (àntasti.  —  Lou 
batèu  s'enarco  souto  lou  pes  de  l'assassin.  —  La  niue  de  sant 
Medard  :  proucessioun  di  negadis  sus  lou  dougan  d6u  flum.  — 
Onrrias  s'aproufonndis.  —  Danso  di  Trèvo  sus  lou  pont  de  Trenco- 
T«io 474 


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TABLE.  505 

CHANT  TROISIÈME  —  LE  DÉPODItLEMENT  DES  COCONS 

tes  récoltes  provençales.  —  Au  Mas  des  Micocoules  nné  joyeuse 
réunion  de  jeunes  filles  détache  des  rameaux  les  cocons  des  vers  à 
soie.  —  Jeanne-Marie,  mère  de  Mireille.  —  Tavèn,  la  sorcière  des 
Baux.~La  mauvaise  œillade. — Les  dépouilleuses  de  cocons,  pour 
passer  le  temps,  font  des  châteaux  en  Provence,  —  La  fière  Laure, 
reine  de  Pampariçouste.  —  Clémence,  reine  des  Baux.  —  Le  Yen- 
tour,  le  Rhône,  la  Durance.— Azalaïs  et  Violane.— La  Cour  d'amour. 
—  Les  amours  de  Mireille  et  de  Vincent  divulguées  par  Norade.  — 
Raillerie  des  jeunes  filles.— La  sorcière  Taven  leur  impose  silence: 
l'ermite  du  Luberon  et  le  saint  pfttre. —  Nore  chante  Magali.  .    89 

CHANT  ODATRIÈME  —  LES  PRÉTENDANTS 

La  saison  des  violettes.  —  Les  pécheurs  du  Martigue.  ~  Trois  pré- 
tendants briguent  la  main  de  Mireille  :  Atari,  le  berger;  Véran,  le 
gardien  de  chevaux;  Ourrias,  le  toucheur  de  taureaux.  —  Alàri, 
f^es  richesses  en  brebis.— La  tonte.— La  transhumance;  description 
d'un  grand  troupeau  qui  descend  des  Alpes.  — Entrevue  d'Alari  et 
de  Mireille.  —  Le  mausolée  te  Saint-Remy. — Offrande  du  berger, 
la  coupe  de  buis  sculpté.— Alari  est  éconduit.— Véran,  le  gardien 
de  chevaux.  —  Les  cavales  blanches  de  Camargue.  —  Véran  de- 
mande Mireille  à  Maître  Ramon. — Joie  et  bon  accueil  du  vieillard; 
refus  de  Mireille.  —  Ourrias,  le  dompteur  de  taureaux.  —  Les 
taureaux  noirs  sauvages.  —  La  Ferrade.  —  Ourrias  et  Mireille  à 
la  fontaine.  —  Le  toucheur  est  éconduit 133 

CHANT  CINQUIÈME  —  LE  COMBAT 

Le  bouvier  s'en  retourne,  furieux  du  refus  de  Mireille. — Les  amours 
de  Vincent  et  de  Mireille.  —  La  VaLisneria  spiraiis.  —  Rencontre 
d'Ourrias  et  de  Vincent.  —  Brutale  agression  du  bouvier.  —  Les 
invectives  :  Jean  de  l'Ours.  —  Combat  à  mort  des  deux  rivaux  dans 
la  Crau  déserte.  — Victoire  et  générosité  de  Vincent. —  Félonie 
du  toucheur.  —  Ourrias  perce  Vincent  d'un  coup  de  trident  et 
fuit  au  galop  de  sa  cavale.  —  Il  arrive  au  Rhône.  —  Les  trois 
batoliors  fantasticpies.  —  La  barque  se  révolte  sous  le  poids  de 
l'assassin.  —  La  nuit  de  Saint-Médard  :  procession  des  noyés  sur 
la  rive  du  fleuve.  —  Ourrias  est  englouti.  —  Danse  des  Trêves  sur 
le  pont  de  THnquetaiUe ...<.... i75 


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606  TAULO. 


CANT  SniSEN  —  LA  MASCO 

A  Taubo,  très  poareatië  troTon  Vincèn  dins  soun  sang,  ettendu  diot 
lit  emie  de  Crta.  —  L'aduton  h  la  brasseto  au  Mas  di  Falabrego. 

—  Digressioun  :  loa  Felibre  se  recoamando  à  fis  ami,  li  felibre 
de  Preuvènço-  —  Doulour  de  Mirëio.  —  Porton  Vincèn  au  Trao  di 
Fado,  cafourno  dis  Bsperit  de  niue  e  demouranço  de  la  matco 
Tavea,  escounjurarello  de  tout  mau.  —  Li  Fado.  —  Mirèio  acoum- 
papno  soun  ealignaire  dins  li  borno  de  la  mountagno.  —  La  Man- 
dragonro.  —  Lis  aparicioan  de  la  baumo  :  li  Fouletoun,  l'Esperit 
Fanlaati,  la  Bugadiero  dôu  Yen  tour.  —  Raconte  de  la  masco  :  la 
Messo  di  mort,  Ion  Sabatèri,  la  Garamaudo,  lou  Gripet,  la  Bam- 
baroucho,  la  Cbancho-Vièio,  lia  Escarinche,  li  Dra,  lou  Ghiti  de 
Ganbaa,  lou  Baroun  Gastihoun.  —  L'Agnèn  nègre,  la  Gabro  d'or. 

—  Taven  escounjuro  la  plago  de  Vincèn.  ^  Enauramen  e  prou- 
fetiso  de  la  masoo. 3<8 


CANT  8ETEN  —  U  VIÈI 


LoQ  Tièi  panieraire  emd  soun  fiëu,  asseta  davans  lou  lindaa  de  sa 
bôri,  trcnon  uno  canestello.  —  Lou  ribeirës  d6u  Rose.  —  Vincèn 
dis  h  sonn  paire  d'ana  demanda  Mirèio  en  mariage.  —  Refus  e 
remoustranço  d6u  vièi.  —  Vinceneto,  sorre  de  Vincèn,  pèr  ajuda 
sonn  fraire  à  touca  Mèste  Âmbroi,  conto  l'istdri  de  Sivèstre  emë 
d'AIis.  —  Partènço  de  Mèste  Ambroi  pèr  lou  Mas  di  Falabrego.  — 
L*arribado  e  lou  gousta  di  meissounié.  ~  Mèste  Ramoun.  —  Lou 
labour.  —  Récit  d'Ambrôsi,  responso  de  Ramoun.  ~~  La  laulo  de 
Galèndo.  —  Mirèio  declaro  soun  amour  pèr  lou  fiëu  dëu  panieraire» 
—  Amaliciado,  emprecacioun  e  refus  di  parent.  —  Endignacioun 
de  Mèsie  Ambroi.—  Naponleon  eli  grèuOi guerro.  —  Bncagnamen 
de  Mèste  Ramoun.  —  Lou  soudard  labouraire.  —  Farandonlo  di 
meissounié  à  Tentour  d6u  fid  de  Sant  Jan 970 


CANT  VUECHEN  —  LA  CRAO 

DtMsperanço  de  Mirèio.  —  Atrencaduro  d'Arlatenco.  ~  La  chato, 
•u  mitan  de  la  niue,  fugis  l'oustau  poirau.  —  Vai  au  toumbèa  di 
Sànti-Mario,  que  soun  li  patronne  de  Prouvènço,  H  suplica  de 


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TABLE.  507 


CHANT  SIXIÈME  —  LA  SORaÈRI 


à  raabe  du  jour,  trois  porchers  trouvent  Vincent  étendu  dans  le 
désert  de  la  Crau  et  baigné  dans  son  sang.  —  Us  rapportent  dans 
leurs  bras  au  Mas  des  Micocoules.  —  Digression  :  appel  du  poèto 
à  tes  ainis,  les  poètes  de  Provence.  —  Douleur  de  Mireille.  —  On 
porte  Vincent  à  l'antre  des  Fées,  repaire  des  Esprits  de  la  nuit  et 
habitation  de  la  sorcière  Tavèn,  charmeuse  de  tous  maux.  —  hes 
Fées.  —  Mireille  accompagne  son  amant  dans  les  excavations  de  la 
montagne.  —  La  Mandragore.  —  Les  apparitions  de  la  Caverne  : 
les  Follets  :  l'Esprit  fantastique,  la  Lavandière  du  Ventour.  — 
Récits  de  la  Sorcière  :  la  Messe  des  Morts,  le  Sabbat,  la  Gara> 
maude,  le  Gripet,  la  Bambarouche,  le  Cauchemar,  les  Escarinches, 
les  Dracs,  le  Chien  de  Canibal,  le  baron  Castillon.  ~  L'Agneau 
noir,  la  Chèvre  d*or.  —  Tavèn  charme  la  blessure  de  Vincent.  — 
Exaltation  et  prophéties  do  la  sorcière. 319 


CHANT  SEPTIEME  —  LES  VIEILLARDS 


Le  Tieux  vannier  et  son  fils,  assis  devant  le  seuil  de  leur  cabane, 
tressent  une  corbeille.  —  Paysage  des  bords  du  Rhdne.  — Vincent 
engage  son  père  à  aller  demander  la  main  de  Mireille.  —  Refus 
et  remontrance  du  vieillard.  —  Vincenette,  sœur  de  Vincent,  se 
joint  à  son  frère  pour  fléchir  Maître  Ambroise,  et  raconte  Thistoire 
de  Sylvestre  et  d'Alix.  —  Départ  de  Maître  Ambroise  pour  le  Mas 
des  Micocoules.  —  L'arrivée  et  le  repas  des  moissonneurs.  —  Maître 
Ramon.  —  Le  labour.  —  Récit  d  Ambroise,  réponse  de  Ramon.  — 
La  table  de  Noël.  —  Mireille  avoue  son  amour  pour  le  fils  du 
Tannier.  —  Courroux,  imprécations  et  refus  des  parents.  —  Indi- 
gnation de  Maître  Ambroise.  —  Napoléon  et  les  grandes  guerres. 
—  Emportement  de  Maître  Ramon.  —  Le  soldat  laboureur.  •— 
Farandole  des  moissonneurs  autour  du  feu  de  la  Saint-Jean. .    f7l 


CHANT  HUITIÈME  —  LA  GRAU 

Désespoir  de  Mireille.  —  Toilette  d'Arlësienne.  —  La  jeune  fille,  au 
milieu  de  la  nuit,  fuit  la  maison  paternelle.  —  Elle  va  au  tombeau 
des  Saintes  Maries  supplier  cet  patronnes  do  la  Provence  de  fléchir 


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508  TAULO. 

toiica  si  parent.  —  LU  Blftigne.  —  Tout  eu  conrrènt  à  travès  de 
Graa,  rescontroli  pastre  ée  soun  paire.  —  La  Grau,  la  guerro  di 
Gigant.  ~  Li  rassado,  H  prègo>Diëu  d'estuublo,  H  parpaioun, 
avertiston  Mirèio.  —  Mirëio,  badanto  de  la  aet,  e  n'en  poudènt 
plus  de  la  caud,  prègo  sant  Gènt,  que  vèn  à  soun  secours.  — 
Rescontre  d'Andreloua  lou  cacalausié.  —  Eloge  d'Arle.  —  Récit 
d'Andreloun  :  istdri  d^u  Trau  de  la  Gapo,  li  cauco,  11  caucaire 
•proufoundi.  -*-  MirUo  coucho  au  tibanèu  de  la  famiho  d'Andre- 
loun. , 816 


Cktn  IfOUVEN  —  L'ASSBMBLADO 


Desoulacionn  de  Ifèste  Ramoun  e  de  Jano-Mario,  quand  troTon 
plus  Mirèio.  -^  Tout-d'un-tèmt  lou  Yiëi  mando  souna  e  acampo 
dinsTiero  t6ull  li  travaiadou  déu  mas. —  Li  segaire,  li  rastelarello» 
lou  feneirage»  —  Li  carretié,  l'estremage  di  fen.  —  Li  bouië.  — 
Li  meissounitf,  la  meissoun,  li  glenarello.  —  Li  pastre.  —  Récit 
de  Laurèns  4ft  Gdut,  capoulié  di  meissounië  :  lou  cop  de  voulame. 

—  Récit  déu  segaire  Jan  Bouquet  :  lou  nis  agarri  pèr  li  fournigo. 

—  Récit  ddtt  Marran,  baile  di  ràfi  :  la  marco  de  mort.  —  Récit 
d'Antèume,  lou  baile-pastre.  —  Antèume  a  vist  Mirèio  qu'anaro 
i  Sànti-Marlo.  —  Estrambord  e  prejit  de  la  maire.  —  Partènço  de 
la  famiho  pir  are  Mirèio 353 


CAMT  DESEN  —  LA  GAMARGO 


Mirèio  passe  Ion  Rose  dins  lou  barqnet  d'Andreloun,  e  eonntànio  sa 
course  à  trlrès  la  Gamargo.  —  U  dougan  d6u  Rose  entre  la  mar  e 
Arle.  —  Deicripcioun  de  la  Gamargo.  ~  La  calour.  ~  La  danse  de 
la  Vièio.  —  Li  mountiho.  —  La  sansouiro.  —  Mirèio  es  ensucado  pèr 
un  cop  de  sOulèu  sus  li  ribo  de  Testang  d6u  Vacarés.  —  Lis  arabi  la 
rerènon.  -*  La  roumiéuvo  d'amour  se  tirasse  jusqu'à  la  glèiso  di 
Santo.  —  La  priero.  —  La  vesioun.  —  Discours  di  Senti  Mario.  — 
La  Tanita  ddtt  bonur  d'aquest  mounde,  la  nécessita  e  lou  mérite  de  la 
sottfrinço.  —  Li  Santo,  pèr  ië  refermi  lou  cor,  raconton  à  Mirèio  sis 
esproTo  terrèttro 386 


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TABLE.  503 

•es  parants.  -^  Les  constellations.  —  Dans  sa  course  à  travers  la 
Grau,  elle  rencontre  les  bergers  de  son  père.  —  La  Grau,  la 
guerre  des  G4tnts.  —  Les  lézards,  les  mantes  religieuses,  les 
papillons  aT«rtissent  Mireille.  —  Mireille  haletante  de  soif,  accablée 
par  la  chaJ«ur  du  jour,  implore  saint  Gent,  qui  la  secourt.  —  Ren^ 
contre  d'Andrelon  le  ramasseur  de  limaçons.  —  Éloge  d'Arles. 
—  Ré(ft  d'Andrelon  :  légende  du  Trou  de  la  Cape,  le  foulage 
des  i^^rbes,  les  fouleurs  engloutis.  —  Mireille  passe  la  nuit  sous 
la  0nte  de  la  famille  d'Andrelon 31 


CHANT  NEUVIÈME  —  L'ASSEMBLÉE 


Désolation  de  Maître  Ramon  et  de  Jeanne-M^i'ie,  en  s'apercerant  de 
l'absence  de  Mireille.  —  Le  vieillard  mande  aussitôt  et  rassemble 
dans  l'aire  tous  les  traYailleurs  de  la  ferme.  ~  Les  faucheurs,  les 
faneuses,  la  fenaison.  —  Les  charretiers,  la  rentrée  des  foins.  —  Les 
laboureurs.  —  Les  moissonneurs,  la  moisson,  les  glaneuses.  —  Les 
bergers.  —  Récit  de  Laurent  de  Goult,  chef  des  moissonneurs  :  le 
coup  de  faucille.  —  Récit  du  faucheur  Jean  Bouquet  :  le  nid  envahi 
par  les  fourmis.  —  Récit  du  Marran,  chef  des  garçons  de  charrue  :  le 
présage  de  mort.— Récit  d'Antelme,  chef  des  pâtres.  — Antelmea 
vu  Mireille  allant  aux  Saintes  Maries.  -^Transports  et  invectives  de 
la  mère,  — Départ  de  la  famille  à  la  poursuite  de  Mireille.  .  .    353 


CHANT  DIXIÈME  —  LA  CAMARGUE 


Mireille  passe  le  Rhône  dans  la  nacelle  d'Andrelon,  et  poursuit  sa 
course  à  travers  la  Camargue.  —  Les  bords  du  Rhône,  entre  la  mer 
et  Arles.  —  Description  de  la  Gamargue.  —  La  chaleur.  -~  Le  mirage. 
—  Les  dunes.  —  Les  Sansouires.  —  Mireille'  est  frappée  d'un 
coup  de  soleil,  sur  les  rives  de  l'étang  du  Valcarés.  —  Les  mous- 
tiques la  rappellent  à  la  vie.  —  La  pèlerine  d'amour  se  traîne  jus- 
qu'à l'église  des  Saintes  Maries.  —  La  prière.  —  La  vision.  —  Dis- 
cours des  Saintes  Maries.  —  La  vanité  du  bonheur  de  ce  inonde, 
la  nécessité  et  le  mérite  de  la  soufifîrance.  —  Les  Saintes,  pour 
raffermir  le  courage  de  Mireille,  lui  font  le  récit  de  leurs  épreuves 
terrestres 387 


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MO  TAULO. 


CANT  TOOGEIf  —  U  SANTO 


I  Sknti  Mtrto  nconton,  qu'après  la  mort  dôu  Grist,  (ùguèron  i 
dido,  emi  d'àutri  disciple,  à  la  bello  eisserro  de  la  mar,  e  qu'abolir- 
dèroo  en  ProuYènço,  e  que  counvertiguèron  li  pople  d'aquelo  en- 
eountrado.  —  La  narigacioun.  -~  La  teoipèsto.  —  Arribado  en  Arle 
di  Sant  despatria.  —  Arle  rouman.  —  La  tàsto  de  Venus.  —  Ser- 
moun  de  Sant  Trefume.  —  Gounversioun  dis  Arlaten.  —  Li  Taras- 
counen  vènon  imploura  lou  secours  de  Santo  Marto.  —  La  Tarasco. 

—  Sant  Marciau  à  Limoge;  Sant  Savournin  à  Toulouse;  Sant  Estrdpi 
en  Aurenjo.  —  Santo  Marto  doumto  la  Tarasco.  e  pièi  counvertis 
Avignoun.  —  La  papauta  en  Avignoun.  —  Sant  Lazàri  à  Marsiho.  — 
Sanlo  Madaleno  dins  la  baumo.  —  Sant  Massemin  à-x-Ais.  —  Li  Sànti 
Mario  i  Baus.  —  Lou  rèi  Reinié.  —  La  Prouvènço  uuido  à  la  Franigo. 

—  Mirèio,  vierge  e  martiro •   .    412 


GAirr  DOUGUEN  —  LA  MORT 


Lou  païs  dis  arange.  —  Li  Santo  remounton  au  paradis.  ~  Lou  paire 
emé  la  maire  arribon.  —  Li  Santen  mounton  Mirèio  à  la  capello 
auto,  mounte  i'a  (i  relicle.  —  La  glèiso  di  Sànti  Mario.  —  Li  supli- 
cacioun  —  La  plajo  camarguenco.  —  Vincèn  arribo  e  sa  douleur 
desbotindo.  —  Lou  cantico  di  Santen.  —  Darriero  vesioun  de  Mi- 
rèio :  vèi  li  Sànti  Mario  emplanado  dins  la  mar.  —  Darriéri  paraulo, 
e  luminouso  mort  de  la  cfaatouno.  —  Li  coumplanclio,  la  désespé- 
rance   .  •  ..,.....•••...    464 

MvsiGO  OB  Magali. • 400 


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TABLE.  511 


CHANT  ONZIÈME  —  LES  SAINTES 


tes  Saintes  Maries  racontent  comment,  après  la  mort  du  Christ,  ayant 
été  livrées  à  la  merci  des  flots  avec  plusieurs  autres  disciples, 
elles  abordèrent  en  Provence,  et  convertirent  les  peuples  de  cette 
contrée.  —  La  navigation.  —  La  tempête.  —  Arrivée  des  Saints 
proscrits  à  Arles.  —  Arles  romaine.  —  La  fête  de  Vénus.  —  Dis- 
cours de  Saint  Trophime.  —  Conversion  des  Artésiens.  —  Les  Taras* 
connais  viennent  implorer  le  secours  de  Sainte  Marthe.  ~  La  Ta- 
rasque.  —  Saint  Martial  à  Limoges;  Saint  Saturnin  à  Toulouse;  Saint 
Butrope  à  Orange.  —  Sainte  Marthe  dompte  la  Tarasqiie,  et  ensuite 
convertit  Avignon.  —  La  papauté  à  Avignon.  —  Saint  Lazare  à  Mar- 
seille; Sainte  Magdeleine  dans  la  grotte;  Saint  Maximin  à  Aix  ;  les 
Saintes  Maries  aux  Baux.  —  Le  roi  René.  —  La  Provence  unie  à  la 
France. — Mireille,  vierge  et  martyre 423 


CHANT  OOUZIÈIIS  -*  LA  MORT 


Le  pays  des  oranges.  —  Les  Saintes  remontent  dans  le  ciel.  —  Arrivée 
du  père  pt  de  la  mère.  —  Les  Saintins  montent  Mireille  à  la  cha- 
pelle haute,  où  sont  déposées  les  reliques.  —  L'église  des  Saintes 
Maries.  —  Les  supplications.  —  La  plage  de  Camargue.  —  Arri- 
vée de  Vincent.  —  Éclat  de  sa  douleur  -  Le  cantique  des  Samtins.— 
Dernière  vision  de  Mireille  :  les  Saintes  Maries  lui  apparaissent  sur  la 
haute  mer.  —  Dernières  paroles,  et  radieuse  mort  de  la  jeune  illlc. 
—  Les  plaintes,  le  désespoir.   ...» 465 

MUSIQUE  OB  MaOALI.  ...••••.*••..•...*.•     4(^ 


499i.B0URL0T0N.  -*  Imprimeries  réunies,  A,  2,  rue  Mignon,  Paris. 


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